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Full text of "La fille Élisa ; suivi de La Faustin"

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i 


I 


MANETTE  SALOMON 


UBRm  OF  THE 

UiÀHD  SI'  -  ,..7r:  .;..    x!VER8ITf. 


Càfûoùz 


MANETTE  SALOMON 


i 


Ou  était  aa  commencemehr  de  novembre.  La  der- 
nière sérénité  de  Tautomne,  le  rayonnement  blanc  et 
diffus  d'un  soleil  voilé  de  vapeurs  de  pluie  et  de  neige, 
flottait,  en  pâle  éclaircie,  dans  un  jour  d*hiver. 

Du  monde  allait  dans  le  Jardin  des  Plantes,  montait 
au  labyrinthe,  un  monde  particulier,  mêlé,  cosmopolite^ 
.composé  de  toutes  les  sortes  de  gens  de  Paris,  de  la 
province  et  de  Télranger,  que  rassemble  ce  rendez-vous 
populaire. 

C'était  d'abord  un  groupe  classique  d'Anglais  et  d'An- 
glaises à  voiles  bruns,  à  lunettes  bleues. 

Derrière  les  Anglais,  marchait  une  famille  en  deuil. 

Puis  suivait,  en  traînant  la  jambe,  un  malade,  un 
voisin  du  jardin,  de  quelque  rue  d'à  côté,  les  pieds  dans 
des  pantoufles. 

Venaient  ensuite  :  un  sapeur,  avec,  sur  sa  manche^ 
ses  deux  haches  en  sautoir  surmontées  d'une  grenade  ;  — 
un  prince  jaune,  tout  frais  habillé  de  Dusautoy,  accom- 
pagné d'une  espèce  d'heiduque  à  figure  de  Turc,  à  dol- 
man  d'Albanais;  —  un  apprenti  maçon,  un  petit  gâcheur 
débarqué  du  Limousin,  portant  le  feutre  mou  et  la  che- 
mise bise. 

Un  peu  plus  loin,  grimpait  un  interne  de  la  Pitié,  en 

I 


2  MANETTE  SALOMOW. 

casquette,  avec  un  livre  et  un  cahier  de  notes  sous  le 
bras.  Et  presque  à  côté  de  lui,  sur  la  même  ligne,  un 
ouvrier  en  redingote,  revenant  d'enterrer  un  camarade 
au  Montparnasse,  avait  encore,  de  l'enterrement,  trois 
fleurs  d'immortelle  à  la  boutonnière. 

Un  père,  à  rudes  mou^aches  grises,  regardait  courir 
devant  lui  un  bel  enfant,  en  robe  russe  de  velours  bleu, 
à  boutons  d'argent,  à  manches  de  toile  blanche,  au  cou 
duquel  battait  un  collier  d'ambre. 

Au-dessous,  un  ménage  de  vieilles  amours  laissait 
voir  sur  sa  figure  la  joie  promise  du  dîner  du  soir  en 
cabinet,  sur  le  quai,  à  la  Tour  d'argent. 

Et,  fermant  la  marche,  une  femme  de  chambre  tirait 
et  traînait  par  la  main  un  petit  négrillon,  embarrassé 
dans  sa  culotte,  et  qui  semblait  tout  triste  d'avoir  vu 
des  singes  en  cage. 

Toute  cette  procession  cheminait  dans  l'allée  qui  s'en- 
fonce à  travers  la  verdure  des  arbres  verts,  entre  le  bois 
froid  d'ombre  humide,  aux  troncs  végétants  de  nioi^iis- 
sure,  à  l'herbe  couleur  de  mousse  mouillée,  au  lieire 
foncé  et  presque  noir.  Arrivé  au  cèdre,  l'Anglais  le  mon- 
trait, sans  le  regarder,  aux  miss,  dans  le  Guide  ;  et  la 
colonne,  un  moment  arrêtée,  reprenait  sa  marche,  gra- 
vissant le  chemin  ardu  du  labyrinthe  d'où  roulaient  des 
cerceaux  de  gamins  fabriqués  de  cercles  de  tonneaux, 
et  des  descentes  folles  de  petites  filles  faisant  sauter  à 
leur  dos  des  cornets  à  bouquin  peints  en  bleu. 

Les  gens  avançaient  lentement,  s'arrçtant  à  la  bouti- 
que d'ouvrages  en  perles  sur  le  chemin,  se  frôlant  et  par 
moments  s' appuyant  à  la  rampe  de  fer  contre  la  char- 
mille d'ifs  taillés,  s'amusant,  au  dernier  tournant,  des 
micas  qu'allume  la  lumière  de  trois  heures  sur  les  bois 
pétrifiés  qui  portent  le  belvédère,  clignant  des  yeux  pour 
lire  le  vers  latin  qui  tourne  autour  de  son  bandeau  de 
bronze  : 

Horu  non  namero  nisi  serenai. 


MANETTE  SALOMON.  3 

Pttis^  tous  entrèrent  un  à  un  sous  la  petite  coupole  à 
jçur. 

Paris  était  sous  eux,  adroite,  à  gauche,  partout. 

Entre  les  pointes  des  arbres  verts,  là  où  s'ouvrait  un 
peu  le  rideau  des  pins,  des  morceaux  de  la  grande  ville 
s'étendaient  à  perte  de  vue.  Devant  eux,  c'étaient  d'a- 
oord  des  toits  pressés,  aux  tuiles  brunes,  faisatit  des 
masses  d'un  ton  de  tan  et  de  marc  de  raisin,  d'où  se 
détachait  le  rose  des  poteries  des  cheminées.  Ces  larges 
teintes  étalées,  d'un  ton  brûlé,  s'assombrissaient  et  s'en- 
fonçaient dans  du  noir-roux  en  allant  vers  le  quai.  Sur 
le  quai,  les  carrés  de  maisons  blanches,  avec  les  petites 
raies  noires  de  leurs  milliers  de  fenêtres,  formaient  et 
développaient  comme  un  front  de  caserne  d'une  blan- 
cheur eifacée  et  jaunâtre,  sur  laquelle  reculait,  de  loin 
en  loin,  dans  le  rouillé  de  la  pierre,  une  construction 
plus  vieille.  Au  delà  de  cette  ligne  nette  et  claire,  on  ne 
voyait  plus  qu'une  espèce  de  chaos  perdu  dans  une  nuit 
d'ardoise,  un  fouillis  de  toits,  des  milliers  de  toils  d'où 
des  tuyaux  noirs  se  dressaient  avec  une  finesse  d'aiguille 
une  mêlée  de  faîtes  et  de  têles  de  maisons  enveloppées 
par  l'obscurité  grise  de  réloignement,  brouillées  dans 
le  fond  du  jour  baissant;  un  fourmillement  de  demeures, 
un  gâchis  de  lignes  et  d'architectures,  un  amas  de 
pierres  pareil  à  l'ébauche  et  à  l'encombrement  d'une 
carrière,  sur  lequel  dominaient  et  planaient  le  ciievet  et 
le  dôme  d'une  église,  dont  la  nungeuse  solidité  ressem- 
blait à  une  vapeur  condensée.  Plus  loin,  à  la  dernière 
ligne  de  l'horizon,  une  colline,  où  l'œil  devinait  une 
sorte  d'enfouissement  de  maisons,  fii^urait  vaguement 
les  étages  d'une  falaise  dans  un  brouillard  de  nier.  Là- 
dessus  pesait  un  grand  nuage,  amassé  sur  tout  le. bout 
de  Paris  qu'il  couvrait,  une  nuée  lourde,  d'un  violet 
sombre,  une  nuée  de  Septentrion,  dans  laquelle  la  res- 
piration de  fournaise  de  la  grande  ville  et  la  vaste  ba 
laille  de  la  vie  de  millions  d'hommes  semblaient  mettre 
comme  des  poussières  de  combat  et  des  fumées  d'in- 
cendie. Ge  nuage  s'élevait  et  finissait  en  déchirures  ai- 


ê  MANETTE  SALOMON. 

fuês  sur  une  clarté  où  s'éteignait,  dans  du  rose^  un  peu 
ie  vert  pâle.  Puis  revenait  un  ciel  dépoli  et  couleur 
tf'étain,  balayé  de  lambeaux  d'autres  nuages  gris. 

En  regardant  vers  la  droite,  on  voyait  un  Génie  d'or 
fur  une  colonne,  entre  la  tète  d'un  arbre  vert  se  colorant 
ians  ce  ciel  d'hiverd'une  chaleur  olive,  et  les  plus  hautes 
fcranches  du  cèdre,  planes,  étalées,  gazonnées,  sur  les- 
quels les  oiseaux  marchaient  en  sautillant  comme  sur 
sne  pelouse.  Au  delà  de  la  cime  des  sapins,  un  peu  ba- 
lancés, sous  lesquels  s'apercevait  nue,  dépouillée,  rou- 
gie,  presque  carminée,  la  grande  allée  du  jardin,  plus 
kaut  que  les  immenses  toits  de  tuile  verdâtres  de  la 
Pitié  et  que  ses  lucarnes  à  chaperon  de  crépi  blanc,  l'œil 
embrassait  tout  l'espace  entre  le  dôme  de  la  Salpêtrière 
et  la  masse  de  l'Observatoire  :  d'abord,  un  grand  plan 
ë^ombre  ressemblant  à  un  lavi,  d'encre  de  Chine  sur  un 
dessous  de  sanguine,  une  zone  de  tons  ardents  et  bitu- 
mineux, brûlés  de  ces  roussissures  de  gelée  et  de  ces 
chaleurs  d'hiver  qu'on  retrouve  sur  la  palette  d'aquarelle 
fies  Anglais  ;  puis,  dans  la  fmesse  infinie  d'une  teinte 
dégradée,  il  se  levait  un  rayon  blanchâtre,  une  vapeur 
laiteuse  et  nacrée,  trouée  du  clair  des  bâtisses  neuves, 
€t  où  s'effaçaient,  se  mêlaient,  se  fondaient,  en  s^opali- 
sant,  une  fin  de  capitale,  des  extrémités  de  faubourgs, 
des  bouts  de  rues  perdues.  L'ardoise  des  toits  pâlissait 
sous  cette  lueur  suspendue  qui  faisait  devenir  noires, 
en  les  touchant,  les  fumées  blanches  dans  l'ombre. 
Tout  au  loin,  l'Observatoire  apparaissait,  vaguement 
■oyé  dans  un  éblouissement,  dans  la  splendeur  féeri- 
que d'un  coup  de  soleil  d'argent.  Et  à  l'extrémité  de 
droite,  se  dressait  la  borne  de  l'horizon,  le  pâté  du  Pan- 
théon, presque  transparent  dans  le  ciel,  et  comme  lavé 
d'un  bleu  limpide. 

Anglais,  étrangers,  Parisiens,  regardaient  de  là-haut 
de  touSrCôtés;  les  enfants  étaient  montés,  pour  mieux 
voir,  sur  le  banc  de  bronze,  quand  quatre  jeunes  gens 
entrèrent  dans  le  belvédère. 

—  Tiens  !  l'homme  de  la  lorgnette  n'y  est  pas,  —  fit 


MANETTE  SALOMON.  S 

l'un  en  s'approchant  de  la  lunette  d'approche  fixée  par 
une  ficelle  à  la  balustrade.  Il  chercha  le  points  braqua 
la  lunette  :  —  Ça  y  est!  attention!  —  se  retourna  vers  le 
g^roupe  d'Anglais  qu'il  avait  derrière  lui,  dit  à  une  des 
Anglaises  :  —  Milady,  voilà!  confiez-moi  votre  œil...  Je 
n'en  abuserai  pas!  Approchez,  mesdames  et  messieurs! 
Je  vais  vous  faire  voir  ce  que  vous  allez  voirl  et  un  peu 
mieux  que  ce  préposé  aux  horizons  du  Jardin  des  Plantes 
qui  a  deux  colonnes  torses  en  guise  de  jambes...  Silence! 
et  je  commence!... 

L'Anglaise,  dominée  par  l'assurance  du  démonstra- 
teur, avait  mis  l'œil  à  la  lorgnette. 

—  Messieurs  !  c'est  sans  rien  payer  d'avance,  et  selon 
les  moyens  des  personnes  !...  Spokenheret  Timeis  mO" 
neyt  Raie  Britannial  AU  righti  Je  vous  dis  ça,  parce- 
qu'il  est  toujours  doux  de  retrouver  sa  langue  dans  la 
bouche  d'un  étranger...  Paris!  messieurs  les  Anglais, 
voilà  Paris!  C'est  ça!...  c'est  tout  ça...  une  crâne 
ville!...  j'en  suis,  et  je  m'en  flatte!  Une  ville  qui  fait  du 
bruit,  de  la  boue,  du  chiffon,  de  la  fumée,  de  la  gloire... 
et  de  tout!  du  marbre  en  carton-papier,  des  grains  de 
café  avec  de  la  terre  glaise,  des  couronnes  de  cimetière 
avec  de  vieilles  affiches  de  spectacle,  de  l'immortalité 
en  pain  d'épice,  des  idées  pour  la  province,  et  des 
femmes  pour  l'exportation!  Une  ville  qui  remplit  le 
monde...  etTOdéon,  quelquefois!  Une  ville  où  il  y  a  des 
dieux  au  cinquième,  des  éleveurs  d'asticots  en  chambre, 
et  des  professeurs  de  thibétain  en  liberté!  La  capitale 
du  Chic,  quoi!  Saluez!...  Et  maintenant  ne  bougeons 
plus!  Ça?  milady,  c'est  le  cèdre,  le  vrai  du  Liban,  rap- 
porté d'un  chœur  d'Alhalie,  par  M.  de  Jussieu,  dans  son 
chapeau!...  Le  fort  de  Vincennes!  On  compte  deux  lieues, 
mes  gentlemen  !  On  a  abattu  le  chêne  sous  lequel  Saint 
Louis  rendait  la  justice,  pour  en  faire  les  bancs  de  la 
cour  de  Cassation...  Le  château  a  été  démoU,  mais  on  l'a 
reconstruit  en  liège  sous  Charles  X  :  c'est  parfaitement 
imité,  comme  vous  voyez...  On  y  voit  les  mânes  de  Mira- 
beau, tous  les  jours  de  midi  à  deux  heures,  avec  des 

1. 


6  MANETTE  SALOMON. 

protections  et  un  passe-port...   Le  Père-Lachaise!  le 
faubourg  Saint-Germain  des  morts  :  c'est  plein  d'hôtels... 
Regardez  à  droite,  à  gauche...  Vous  avez  devant  vous  le 
monument  à  Casimir  Périer,  ancien  ministre,  le  père  de 
M.  Guizot...  La  colonne  de  Juillet,  suivez!  bâtie  par  les 
prisonniers  de  la  Bastille  pour  en  faire  une  surj)rise  à 
leur  gouverneur...  On  avait  d'abord  mis  dessus  le  por- 
trait  de  Louis-Philippe,  Henri   IV  avec  un  parapluie; 
on  Ta  remplacé  par  cette  machine  dorée  :  la  Libellé  qui 
s'envole;  c'est  d'après  nature...  On  a  dit  qu'on  la  mu- 
selait dans  les  chaleurs,  à  l'anniversaire  des  Glorieuses: 
j'ai  demandé  au  gardien,  ce  n'est  pas  vrai...  Regardez 
bien,  mylady,  il  y  a  un  militaire  auprès  de  la  Liberté  : 
c'est  toujours  comme  ça  en  France...  Ça?  c'est  rien,  c'est 
une    église...   Les  buttes   Chaumont...    Distinguez  le 
monde...  On  reconnaîtrait  ses  enfants  naturels!...  Main- 
tenant, raylady,  je  vais  vous  la  placer  à  Montmartre... 
La  tour  du  télégraphe...  Montmartre,  înons  marUjrum,,. 
d'où  vient  la  rue  des  Martyrs,  ainsi  nommée  parce  qu'elle 
est  remplie  de  peintres  qui  s'exposent  volontairement 
aux  bétes  chaque  année,  à  l'époque  de  l'Exposition... 
Là-dessous,  les  toits  rouges?  ce  sont  les  Catacombes  pour 
la  soif,  l'Entrepôt  des  vins,  rien  que  cela,  mademoi- 
selle!... Ce  que  vous  ne  voyez  pas  après,  c'est  simple- 
ment la  Seine,  un  fleuve  connu  et    pas  fier,  qui  lave 
l'Hôlel-Dieu,  la  Préfecture  de  Police,  et  l'Institut!...  On 
dit  que  dans  le  temps  il  baignait  la  Tour  de  Nesle... 
Maintenant, demi-tour  à  droite,  droite  alignement!  Voilà 
Sainte  Geneviève...  A  côté,  la  tour  Clovis...  c'est  fré- 
quenté par  des  revenants  qui  y  jouent  du  cor  de  chasse 
chaque  fois  qu'il  meurt  un  professeur  de  Droit  comparé... 
Ici,  c'est  le  Panthéon...  le  Panthéon,  milady,  bâti  par 
Soufflot,  pâtissier...  C'est,  de  l'aveu  de  tous  ceux  qui  le 
voient,  un  des  plus  grands  gâteaux  de  Savoie  du  monde... 
Il  y  avait  autrefois  dessus  une  rose  :  on  l'a  mise  dans 
les  cheveux  de  Marat  quand  on  l'y  a  enterré...  L'arbre 
des  Sourds-et-Muets...  un  arbre  qui  a  grandi  dans  le  si- 
lence... le  plus  élevé  de  Paris.  .  On  dit  que  quand  il  fait 


MANETTE  SAL03I0N.  J 

beau,  on  voit  de  tout  en  haut  la  solution  de  la  qiioslîon 
f  Orient...  Mais  il  n'y  a  que  le  minisire  des  afTaiir^  ri  ran- 
geras qui  ait  le  droit  d'y  monter!...  Ce  nionuincîil  r'yp- 
tien?  Sainte-Pélagie,  milady...  une  maison  de  cam- 
pagne, élevée  par  les  créanciers  en  faveur  de  irurs 
débiteurs...  Le  bâtiment  n'a  rien  de  rcmanjnaldo  que 
le  cachot  où  M.  de  Jouy,  surnommé  a  rilomme  au 
masque  de  coton»,  apprivoisait  des  hexamètres  avec  un 
flageolet...  Il  y  a  encore  un  mur  teint  de  sa  prose!...  La 
Pitié...  un  omnibus  pour  les  pékins  malades,  avec  cor- 
respondance pour  le  Montparnasse,  sans  aui^montalion 
de  prix,  les  dimanches  et  fctes...  Le  Val-de-Gràce,  pour 
MM.  les  militaires...  Examinez  le  dùme,  cV'St  d'un 
nommé  Mansard,  qui  prenait  des  casipies  (ians  les  ta- 
bleaux de  Lebrun  pour  en  coifîer  ses  monunionls... 
Dans  la  cour,  il  y  a  une  statue  élevée  par  Louis  XIV  au 
baron  Larrey..,  L'Observatoire...  Vous  voyez,  c'est  une 
lanterne  magique...  il  y  a  des  Savoyards  alîacliôs  à  ré- 
tablissement pour  vous  montrer  le  Suhùl  et  la  Lune... 
C'est  là  qu'est  enterré  Mathieu  Laensberg,  dans  une  lor- 
gnette... en  long...  Et  ça...  la  Salpètrière;  milady,  où 
l'on  enferme  les  femmes  plus  folles  que  les  autres  î  Voilà  !.. 
Et  maintenant,  à  la  générosité  de  la  société  !  —  langa  le 
démonstrateur  de  Paris. 

Il  ôta  son  cliapeau,  fit  le  tour  de  l'auditoire,  dit  merci 
à  tout  ce  qui  tombait  au  fond  de  sa  vieille  coifTe,  aux 
gros  sous  comme  aux  pièces  blanches,  salua  et  se  sauva 
à  toutes  jambes,  suivi  de  ses  trois  compagnons  qui  étouf- 
faient de  rire  en  disant  :  —  Cet  animal  d'Anatole! 

Au  cèdre,  devant  un  vieux  curé  qui  lisait  son  bréviaire, 
assis  sur  le  banc  contre  l'arbre,  il  s'arrêta,  renversa  ce 
ipi'il  y  avait  dans  son  chapeau  sur  les  genoux  du  prêtre, 
lui  jeta  :  — Monsieur  le  curé,  pour  vos  pauvres  ! 

Et  le  curé,  tout  étonné  de  cet  argent,  le  regardait  en- 
core dans  le  creux  de  sa  pauvre  soutane^  que  le  donneur 
était  déjà  loin. 


MANETTE  SALOMON. 


II 


A  la  porte  du  Jardin  ^des  Plantes,  les  quatre  jeunes 
gens  s'arrêtèrent. 

—  Où  dlne-t-on?  —  dit  Anatole. 

—  Où  tu  voudras,  —  répondirent  en  chœur  les  trois 
foix. 

—  Qu'est-ce  qui  en  a?  —  reprit  Anatole. 

—  Moi,  je  n'ai  pas  grand'chose,  —  dit  l'un. 

—  Moi,  rien,  —  dit  l'autre. 

—  Alors  ce  sera  Coriolis...  —  fit  Anatole  en  s'adres- 
sant  au  plus  grand,  dont  la  mise  élégante  contrastait 
avec  le  débraillé  des  autres. 

.  —  Ah!  mon  cher,  c'est  bête...  mais  j'ai  déjà  mangé 
mon  mois...  je  suis  à  sec...  Il  me  reste  à  peine  de  quoi 
donner  à  la  portière  de  Boissard  pour  la  cotisation  du 
punch... 

—  Quelle  diable  d'idée  tu  as  eue  de  donner  tout  cet 
argent  à  ce  curé!  —  dit  Anatole  un  garçon  aux  longs 
eheveux, 

—  Garnotelle,  mon  ami,  —  répondit  Anatole,  — ' 
TOUS  avez  de  l'élévation  dans  le  dessin...  mais  pas  dans 
Fâme!...  Messieurs,  je  vous  offre  à  dîner  chez  Gourgan- 
son...  J'ai  Vœil...  Par  exemple,  Coriolis,  il  ne  faut  pas 
f  attendre  à  y  manger  des  pâtés  de  harengs  de  Calais 
truffés  comme  à  ta  société  du  vendredi... 

Et  se  tournant  vers  celui  qui  avait  dit  n'avoir  rien  : 

—  Monsieur  Chassagnol,  j'espère  que  vous  me  ferez 
Shonneur... 

On  se  mit  en  marche.  Comme  Garnotelle  et  Chassa- 
piol  étaient  en  avant,  Coriolis  dit  à  Anatole,  en  lui  dé- 
signant le  dus  de  Chassagnol  : 

—  Qu'est-ce  que  c'est,  ce  mopsieur-là,  hein?  qui  a 
Sair  d'un  vieux  fœtus... 


MANETTE  SALOMON. 

—  Connais  pas...  mais  pas  du  tout...  Je  l'ai  vu  un 
fois  avec  des  élèves  de  Gleyre,  une  autre  fois  avec  de 
élèves  de  Rude...  Il  dit  des  chosçs.sur  l'art,  au  dessert, 
il  m'a  semblé...  Très-collant...  Il  s'est  accroché  à  nous 
depuis  deux  ou  trois  jours...  Il  va  où  nous  mangeons... 
Très-fort  pour  reconduire,  par  exemple...  Il  vous  lâche 
à  votre  porte  à  des  heures  indues...  Peut-être  qu'il  de- 
meure quelque  part,  je  ne  sais  pas  où...  Voilà! 

Arrivés  à  la  rue  d'Enfer,  les  quatre  jeunes  gens  en- 
trèrent par  une  petite  allée  dans  une  arrière-salle  de 
crémerie.  Dans  un  coin,  un  gros  gaillard  noir  et  barbu, 
coiffé  d'un  grand  chapeau  gris,  mangeait  sur  une  petite 
table. 

—  Ah!  l'homme  aux  bouillons...  — fit  Anatole  en 
l'apercevant. 

—  Ceci,  monsieur,  —  dit-il  à  Chassagnol,  —  vous 
représente...  le  dernier  des  amoureux!...  un  homme 
dans  la  force  de  l'âge,  qui  a  poussé  la  timidité,  l'intel- 
ligence, le  dévouement  et  le  manque  d'argent  jusqu'à 
fractionner  son  diner  en  un  tas  de  cachets  de  con- 
sommé... ce  qui  lui  permet  de  considérer  une  masse  de 
fois  dans  la  journée  l'objet  de  son  culte,  mademoiselle 
ici  présente... 

Et  d'un  geste^,  Anatole  montra  mademoiselle  Gour- 
ganson  qui  entrait,  apportant  des  serviettes. 

—  Ah  !  tu  étais  né  pour  vivre  au  temps  de  la  cheva- 
lerie, toi!  Laisse  donc,  je  connais  les  femmes...  j'avance 
{oliment  tes  affaires,  va,  farceur!  —  et  il  donna  un  ami- 
cal renfoncement  au  jeune  homme  barbu  qui  voulut 
parler,  bredouilla,  devint  pourpre,  et  sortit. 

Le  crémier  apparut  sur  le  seuil  : 

—  Monsieur  GourgansonI  monsieur  Gourganson!  — 
cria  Anatole,  —  votre  vin  le  plus  extraordinaire...  à 
12  sousl...  et  des  biflteacks...  des  vrais!...  pour  mon- 
sieur... —  il  indiqua  Coriolis  ^  qui  est  le  fils  naturel 
de  Chevet...  Allez! 


10  MANETTE  SALOMON. 

-  Dis  donc,  Coriolis,  —  fit  Garnotelle,  —  ta  der* 
nière  académie...  j*ai  trouvé  ça  bien...  mais  très-bien... 

—  Vrai?...  vois-tu,  je  cherche...  mais  la  naturel... 
faire  de  la  lumière  avec  des  couleurs... 

—  Qui  ne  la  font  jamais...  —  jeta  Chassagnol.  — 
C'est  bien  simple,  faites  l'expérience...  Sur  un  miroir 
posé  horizontalement,  entre  la  lumière  qui  le  frappe  et 
l'œil  qui  le  regarde,  posez  un  pain  de  blanc  d'argent  :  le 
pain  de  blanc,  savez-vous  de  quelle  couleur  vous  le 
verrez?  D'un  gris  intense,  presque  noir,  au  milieu  de 
la  clarté  lumineuse... 

Coriolis  et  Garnotelle  regardèrent  après  cette  phrase, 
l'homme  qui  l'avait  dite. 

—  Qu'est-ce  que  c'est  que  ça?  —  Anatole,  en  cher- 
chant dans  sa  poche  du  papier  à  cigarette,  venait  de  re- 
trouver une  lettre,  —  Ah!  l'invitation  des  élèves  de 
Chose...  une  soirée  où  l'on  doit  brûler  toutes  les  cri- 
tiques du  Salon  dans  la  chaudière  des  sorcières  de 
Macbeth...  Il  est  bon,  le  post-scriptum  :  ce  Chaque  invité 
est  tenu  d'apporter  une  bouL;ie...  i> 

Et  coupant  une  conversation  sur  l'École  allemande 
qui  s'engageait  entre  Chassai^mol  et  Garnotelle  :  —  Est- 
ce  que  vous  allez  nous  embêter  avec  Cornélius?...  Les 
Allemands!  la  peinture  allemande!...  Mais  on  sait  com- 
ment ils  peignent  les  Allemands...  Quand  ils  ont  fini 
leur  tableau,  ils  réunissent  toute  leur  famille,  leurs  en- 
fants, leurs  petits  enfants...  ils  lèvent  religieusement  la 
serge  veite  qui  recouvre  toujours  leur  toile...  Tout  le 
monde  s'agenouille...  Prière  sur  toute  la  ligne...  et  alors 
ils  posent  le  point  visuel...  C'est  comme  ça!  C'est  vrai 
comme...  rhi&loire! 

—  Es-tu  bête!  — dit  Coriolis  à  Anatole.  — Ah  çal  dis 
donc,  tes  bifteacks,  pour  des  bifteacks  soignés... 

—  Oui,  ils  sont  immangeables...  Attendez...  Donnez- 
moi-les  tous...  —  et  il  les  réunit  dans  une  assiette  qu'il 
cacha  sous  la  fable.  Puis,  profitant  d'une  sortie  de  la 
fille  de  Gourganson,  il  disparut  par  une  petite  porte 
vitrée  au  fond  de  la  salle. 


MANETTE  SALOMON.  il 

—  Ça  y  est,  — dît-il  en  revenaul  au  bout  d'un  inslaul. 
• — Ab!  tu  ne  connais  pas  la  traililion  de  la  maison... 
Ici,  quand  les  bifteacks  ne  sont  pas  tendres,  on  va  1  .s 
fourrer  dans  le  lit  de  Gourganson...  C'est  sa  punilion... 
Après  ça,  c'est  peut-être  aussi  sa  santé..  J'ai  connu  u:j 
Russe  qui  en  avait  toujours  un...  cru...  dans  le  dos. 

—  Qu'est-ce  qu'on  fait  à  riiùtel  Pimodan?  —  de- 
manda Garnotelle  à  Coriolis. 

—  Mais  c'est  très-amusant,  dit  Coriolis.  D'abord, 
Boissard  est  très-bon  garçon...  Beaucoup  de  gens  con- 
nus et  amusants...  Tîiéopbile  Gautier...  la  bande  de 
Meissonier...  On  fait  de  la  musiiiue  dans  un  salon... 
dans  l'autre,  on  cause  peinture,  lilléralure...  de  tout... 
Et  une  antichambre  avec  des  statues...  grand  genre  et 
pas  cher...  Un  dîner  tous  les  mois...  nous  avons  dé- 
boursé chacun  six  francs  pour  un  couvert  en  Ruolz... 
Ça  se  termine  généralement  par  un  punch...  Nous  avons 
Honnier  qui  est  superbe!  lia  eu  la  dernière  fois  une 
charge  belge,  les  prenkirs,.,  étourdissante!...  Et  puis 
Feuchères,  qui  fait  des  imitations  de  soldat,  des  histoires 
de  Bridet  à  se  tordre,..  Un  monde  bon  enfant  et  pas  trop 
canaille...  On  bavarde,  on  rit,  on  se  monte...  Tout  le 
monde  dit  des  mots  drôles...  L'autre  jour,  en  sortant, 
je  reconduisais  Magimel  le  lithographe...  Il  me  dit: 

c  Ah!  comme  j'ai  vieilli! Autrefois,  les  rues  étaient 

trop  étroites...  je  battais  les  deux  murs.  Maintenant 
c'est  à  peine  si  j'accroche  un  volet!...  > 

—  Quel  homme  du  monde  ça  fait,  ce  Coriolis!  Il  va 
chez  Boissard,  excusez!  —  fit  Anatole.  — Mais  tu  t'es 
trompé  d'atelier,  mon  vieux...  tu  aurais  dû  entrer  chez 
Ingres...  Vous  savez,  ils  sont  bons,  les  Ingres!  ils  se  de- 
mandent de  leurs  nouvelles!  Plus  que  ça  de  genre! 

Pour  réponse,  le  grand  Coriolis  prit  avec  sa  main  forte 
et  nerveuse  la  tête  d'Anatole,  et  fit,  en  jouant,  la  menace 
de  la  lui  coucher  dans  son  assiette. 

—  Qui  est-ce  qui  a  vu  le  Premiei'  baiser  de  Chloéy  de 
Brinchard,  qui  est  exposé  chez  Durand  Ruel?  —  de 
manda  Garnotelle. 


IS  MANETTE  SiLOMON. 

—  Moi...  C'est  d'un  réussi,..  ^—  dit  Anatole....,  —  Ça 
ma  rappelé  le  baiser  d'Houdon... 

—  Oh!  un  baiser!...  —  lança  Chassagnol.  —  Ça,  un 
baiser!  celte  machine  en  bois!  Un  baiser,  ça?  Un  baiser 
de  ces  poupées  antiques  qu'on  voit  dans  une  armoire  au 
Vatican,  je  ne  dis  pas...  Mais  un  baiser  vivant,  cela? 
Jamais!  non,  jamais!  Rien  de  frémissant...  rien  qui 
montre  ce  courant  électrique  sur  les  grands  et  les  petits 
foyers  sensibles...  rien  qui  annonce  la  répercussion  de 
Tembrassement  dans  tout  Tètre...  Non,  il  faut  que  le 
malheureux  qui  a  fait  cela  ne  se  doute  pas  seulement 
de  ce  que  c'est  que  les  lèvres...  Mais  les  lèvres,  c'est  re- 
vêtu d'une  cuticule  si  fine  qu'un  anatomiste  a  pu  dire 
que  leurs  papilles  nerveuses  n'étaient  pas  recouvertes, 
mais  seulement  gazées,  gazées,  c'est  son  mot,  par  cet 
épiderme...  Eh  bien!  ces  papilles  nerveuses,  ces  centres 
de  sensibilité  fournis  par  les  rameaux  des  nerfs  tri-ju- 
meaux ou  de  la  cinquième  paire,  communiquent  par  des 
anastomoses  avec  tous  les  nerfs  profonds  et  superficiels 
de  la  tête...  Us  s'unissent,  de  proche  en  proche,  aux 
paires  cervicales,  qui  ont  des  rapports  avec  le  nerf  inter- 
costal ou  le  grand  sympathique,  le  grand  charrieur  des 
émotions  humaines  au  plus  profond,  au  plus  intime  de 
l'organisme...  le  grand  sympathique  qui  communique 
avec  la  paire  vague  ou  nerfs  de  la  huitième  paire,  qui 
embrasse  tous  les  viscères  de  la  poitrine,  qui  touche  au 
cœur,  qui  touche  au  cœur!.., 

—  Neuf  heures  et  demie...  Je  me  sauve,  —  dit  Co- 
riolis. 

—  Je  m'en  vais  avec  toi,  —  fit  Anatole;  et,  sur  la 
porte,  son  geste  appela  Garnotelle,  comme  s'il  lui  disait  : 
Viens  donc!... 

Garnotelle  voulut  se  lever,  mais  Chassagnol  le  fit 
rasseoir,  en  le  prenant  par  un  bouton  de  sa  jredingote, 
et  il  continua  à  lui  exposer  la  circulation  de  la  sensa- 
tion du  baiser  d'une  extrémité  à  l'autre  du  corps  humain 


manii:ttesalomo:9  n 


III 


En  ce  temps,  le  temps  où  ces  trois  jeunes  gens  en- 
traient dans  l'art,  vers  l'année  1840,  le  grand  mouve- 
ment révolutionnaire  du  Romantisme  qu'avaient  vu  se 
lever  lea  dernières  années  de  la  Restauration,  finissait 
dans  une  sorte  d'épuisement  et  de  défaillance.  On  eût 
cru  voir  tomber,  s'affaisser  le  vent  nouveau  et  superbe, 
le  souffle  d'avenir  qui  avait  remué  l'art.  De  hautes  espé- 
rances avaient  sombré  avec  le  peintre  de  la  Naissance 
d'Henri  /F,  Eugène  Deveria,  arrêté  sur  son  éclatant 
début.  Des  tempéraments  brillants,  ardents,  pleins  de 
promesses,  annonçant  le  dégagement  futur  d'une  per- 
sonnalité, allaient,  comme  Chassériau,  de  l'ombre  d'un 
maître  à  l'ombre  d'un  autre,  ramassant  sous  les  chefs 
d'école,  dont  ils  essayaient  de  fusionner  les  qualités,  un 
éclectisme  bâtard  et  un  style  inquiet. 

Des  talents  qui  s'étaient  affirmés,  qui  avaient  eu  leur 
jour  d'inspiration  et  d'originalité,  désertaient  Tart  pour 
devenir  les  ouvriers  de  ce  grand  musée  de  Versailles,  si 
fatal  à  la  peinture  par  l'officiel  de  ses  sujets  et  de  ses 
commandes,  la  hâte  exigée  de  l'exécution,  tous  ces  tra- 
vaux à  la  toise  et  à  la  tâche,  qui  devaient  faire  de  la 
Galerie  de  nos  gloires  l'école  et  le  Panthéon  de  la  paco- 
tille. 

En  dehors  de  ces  causes  extérieures,  les  faillites 
d'avenir,  les  désertions,  les  séductions  par  les  com- 
mandes et  l'argent  du  budget,  en  dehors  même  de  l'ac- 
tion, appuyée  par  la  grande  critique,  des  œuvres  et  des 
hommes  en  lutte  a^ec  le  Romantisme,  il  y  avait  pour 
l'affaiblissement  de  la  nouvelle  école  des  causes  inté- 
rieures, spéciales,  et  tenant  aux  habitudes,  à  la  vie,  aux 
fréquentations  des  artistes  de  1830. 11  était  arrivé  peu  à 
à  peu  que  le  Romantisme,  cette  révolution  de  la  peinture^ 


U  UANëTTë  salomom. 

bornée  presque  à  ses  débuts  à  un  affranchissement  de 
palette,  s'était  laissé  entraîner,  enfiévrer  par  une  intime 
mêlée  avec  les  lettres,  par  la  société  avec  le  livre  ou  le 
faiseur  de  livres,  par  une  espèce  de  saturation  littéraire, 
un  abreuveraent  trop  large  à  la  poésie,  Tenivreraent 
d'une  atmosphère  de  lyrisme. 

De  là,  de  ce  frottement  aux  idées,  aux  esthétiques,  il 
était  sorti  des  peintres  de  cerveau,  des  peintres  poètes. 
Quelques-uns  ne  concevaient  un  tableau  que  dans  le 
cadre  d'un  vague  symbolisme  dantesque.  D'autres,  d'ins- 
tinct germain,  séduits  par  les  lieds  d'outre-Rhin,  se 
perdaient  dans  des  brumes  de  rêverie,  noyaient  le  soleil 
des  mythologles  dans  la  mélancolie  du  fantastique,  cher- 
chaient les  Muses  au  Walpurgis.  Un  homme  d'un  talent 
distingué,  Ary  Scheffer,  marchait  en  tête  de  ce  petit 
groupe.  Il  peignait  dos  âmes,  les  âmes  blanches  et  lumi- 
neuses créées  par  les  poèmes.  Il  modelait  les  anges  de 
l'imagination  humaine.  Les  larmes  des  chefs-d'œuvre,  le 
souffle  de  Gœlhe,  la  prière  de  saint  Augustin,  le  Cantifiue 
des  souffrances  morales,  le  chant  de  la  Passion  de  la 
chapelle  Sixtine,  il  tenîail  de  mettre  cela  dans  sa  toile, 
avec  la  matérialité  du  dessin  et  des  couleurs.  Le  senti- 
mentalisyne,  c'était  par  là  que  le  larinoyeur  des  ten- 
dresses de  la  femme  essayait  de  rajeunir,  dq  renouveler 
et  de  passionner  le  spiritualisme  de  l'art. 

La  désastreuse  influence  de  la  littérature  sur  la  peinture 
se  retrouvait  à  l'autre  bout  du  monde  artiste,  dans  un 
autre  homme,  un  peintre  de  prose,  Paul  Delaroche,  l'ha- 
bile arrangeur  théâtral,  le  très-adroit  metteur  en  scène 
des  cinquièmes  actes  de  chronique,  l'élève  de  Walter 
Scott  et  de  Casimir  Delavigne,  figeant  le  passé  dans  le 
trompe-l'œil  d'une  couleur  locale  à  laquelle  manquaier.t 
la  vie,  le  mouvement,  la  résurrection  de  l'émotion. 

De  tels  hommes,  malgré  la  mode  du  moment  et  la 
gloire  viagère  du  succès,  n'étaient,  au  fond,  que  des 
personnalités  stériles.  Ils  pouvaient  monter  un  atelier, 
faire  des  élèves;  mais  la  nature  de  leur  tempérament,  le 
principe  d'infécondité  de  leurs  œuvres,  les  condamnaient 


MANETTE  SALOMON.  \:, 

àHe  pas  créer  d'école.  Leur  actioflc  reslrainte  fatale- 
ment à  UQ  petit  cercle  de  disciples,  ne  devait  jamais 
s'élever  à  cette  large  influence  des  maîtres  qui  décident 
les  courants,  déterminent  la  vocation  d'avenir  d'une  gé- 
nération, font  lever  le  lendemain  de  l'art  d^s  talents 
d'une  jeunesse. 

Au-dessous  de  la  grande  peinture,  parmi  les  genres 
créés  ou  renouvelés  par  le  mouvement  romantique,  le 
paysage  se  débattait,  encore  à  demi  méconnu,  presque 
suspect,  contre  les  sévérités  du  jury  et  les  préjugés  du 
public.  Malgré  les  noms  de  Dupré,  de  Cabat,  de  Iluet, 
de  Rousseau  qui  ne  pouvaient  forcer  les  portes  du  Sa- 
lon, le  paysage  n'avait  point  alors  l'autorité,  la  considé- 
ration, la  place  dans  l'art  qu'il  devait  finir  par  conijuérir 
à  coups  de  chefs-d'œuvre.  Et  ce  genre,  réputé  inférieur 
et  bas,  conU'e  lequel  s'élevaient  les  idées  du  passé,  les 
défiances  du  présent,  n'avait  guère  de  tentation  pour  le 
jeune  talent  indécis  dans  sa  voie  et  cherchant  sa  carrière 
L'orientalisme,  né  avec  Decamps  et  Marilhat,  paraissait 
épuisé  avec  eux.  Ce  qu'avait  essayé  de  remuer  Géri- 
caull  dans  la  peinture  française  semblait  mort.  On  ne 
Voyait  nulle  tentative,  nul  eilort,  nulle  audace  qui  tentât 
la  vérité,  s'attaquât  à  la  vie  moderne,  révélât  aux  jeunes 
ambitions  en  marche  ce  grand  côté  dédaigné  de  l'art  :  la 
conlemporanéité.  Couture  ne  faisait  qu'exposer  son  pre- 
mier tableau,  VEnfant  prodigue.  Et  depuis  quclijues 
années,  il  n'y  avait  guère  eu  qu'un  coloriste  sorti  des  ta- 
lents nouveaux.:  un  petit  peintre  de  génie  naturel,  de  tem- 
pérament et  de  caprice,, jouant  avec  les  féeries  du  soleil, 
doué  du  sentiment  de  la  chair,  et  né,  semblait-il,  pour 
retrouver  le  Corrége  dans  une  Orientale  d'Hugo  :  Diaz 
avait  apporté,  à  l'art  de  1830  à  1840,  sa  franche  et 
éblouissante  originalité.  Mais  sa  peinture  était  un  pein- 
ture indifféronte.  Elle  ne  cherchait  et  ne  donnait  rien 
que  la  sensation  de  la  lumière  d'une  femme  ou  d'une 
fleur.  Elle  ne  parlait  à  la  passion  de  personne.  Toute 
4me  lui  manquait  pour  toucher  et  retenir  à  elle  aua^ô 
chose  que  les  yeux. 


16  MANETTE  SÂLOMON. 

Dans  celte  siluation  de  l'art,  rejetée,  rattachée  à  la 
grande  peinture  par  cette  lassitude  ou  ce  mépris  des 
autres  genres,  la  génération  qui  se  levait,  Tarmée  des 
jeunes  gens  nourris  dans  la  pratique  de  la  peinture  his- 
torique ou  religieuse,  allait  fatalement  aux  deux  person- 
nalités supérieures  et  dominantes,  aux  deux  tempéra- 
ments extrêmes  et  absolus  qui  commandaient  dans 
l'Ecole  d'alors  aux  passions  et  aux  esprits.  Ceux-ci  de- 
mandaient l'inspiration  au  grand  lutteur  du  Romantisme, 
à  son  dernier  héros,  au  maître  passionnant  et  aventu- 
reux, marchant  dans  le  feu  des  contestations  et  des 
colères,  au  peintre  de  flamme  qui  exposait  en  1839, 
CUopâtre,  Hamlet  et  les  Fossoyeurs;  en  1840,  la  Justice 
de  Trajan;en  1841,  V  Entrée  des  Croisés  à  Constanti- 
nople,  un  Naufrage^  une  Noce  juive.  Mais  ce  n'était 
qu'une  minorité,  cette  petite  troupe  de  révolutionnaires 
qui  s'attachaient  et  se  vouaient  à  Delacroix,  attirés  par 
la  révélation  d'un  Beau  qu'on  pourrait  appeler  le  Beau 
expressif.  La  grande  majorité  de  la  jeunesse,  embrassant 
la  religion  des  traditions  et  voyant  la  voie  sacrée  sur  la 
route  de  Rome,  fêtaient  rue  Montorgueil  le  retour  de 
M.  Ingres  comme  le  retour  du  sauveur  du  Beau  de  Ra- 
phaël. Et  c'est  ainsi  qu'avenirs,  vocations,  toute  la  jeune 
peinture,  à  ce  moment,  se  tournaient  vers  ces  deux 
hommes  dont  les  deux  noms  étaient  leç  deux  cris  de 
guerre  de  l'art  :  —  Ingres  et  Delacroix. 


IV 


Anatole  Bazocheétaîtlefîlâd'unefemmerestée  veuve 
sans  fortune,  qui  avait  eu  Tintelligence  de  se  faire  une 
position  dans  une  spécialité  de  la  mode  presque  créée 
par  elle.  Entrepreneuse  de  broderie  pour  la  haute  con- 
fection, elle  avait  eu  rimagination  de  ces  nouveautés 
bizarres  qui  charmèrent  le  goût  de  la  Restauration  et  cjes 


MANETTE  SALOMON.  17 

premières  années  du  règne  de  Louis-Philippe  :  les  ridi* 
eules  à  pendants  d^acier,  les  manchons  en  velours  noir 
avec  braderie  en  soie  jaune  représentant  des  kiosques, 
les  boas  pour  Texportation,  roses,  brodés  d'ai^ent  et 
recouverts  de  tulle  noir.  Au  milieu  de  cela,  elle  avait 
eu  aussi  Tinvention  des  toilettes  de  féerie  :  c'était  elle 
qui  avait  introduit  la  lame  dans  les  robes  de  bal,  édité 
les  premières  robes  à  étincelles^  étonné  les  bals  citoyens 
des  Tuileries  avec  ces  jupes  et  ces  corsages  où  scintil- 
laient des  élytres  d'insectes  des  Antilles.  A  ce  métier  de 
trouveuse  d'idées  et  de  dessins,  elle  gagnait  de  huit  à  dix 
mille  francs  par  an. 

Elle  mit  Anatole  au  collège  Henri  IV 

Au  collège,  Anatole  dessina  des  bonshommes  en 
marge  de  ses  cahiers.  Le  professeur  Villemerçux  qui  s'y 
reconnut,  en  le  mettant  aux  arrêts  pour  cela,  lui  prédit 
la  potence,  —  une  prédiction  qui  commença  à  mettre 
autour  d'Anatole  le  respect  contagieux  dans  les  foules 
pour  les  grands  criminels  et  les  caractères  extraordinai- 
res. Puis,  plus  tard,  en  le  vc^yant  exécuter  à  la  plume, 
trait  pour  trait,  taille  pour  taille,  les  bois  de  Tony  Johan- 
not  du  Paul  et  Virginie  publié  par  Curmer,  ses  cama- 
rades prirent  pour  lui  une  espèce  d'admiration.  Penchés 
sur  son  épaule,  ils  jsuivaient  sa  main,  retenaient  leur 
souffle,  pleins  de  l'attention  religieuse  des  enfants  devant 
ce  mystère  de  l'art  :  le  miracle  du  trompe-œil.  Autour 
de  lui  on  murmurait  tout  bas  :  €  Oh  !  lui,  il  sera  pein- 
tre! >  Il  sentait  la  classe  le  regarder  avec  des  yeux  moitié 
fiers  et  moitié  envieux,  comme  si  elle  le  voyait  déjà  des- 
tiné à  une  carrière  de  génie. 

Son  idée  d'être  peintre  lui  vint  peu  à  peu  de  là  :  de  la 
menace  de  ses  professeurs,  de  l'encouragement  de  ses 
camarades,  de  ce  murmure  du  collège  qui  dicte  ^n  peu 
l'avenir  à  chacun.  Sa  vocation  se  dégagea  d'une  certaine 
facilité  naturelle,  de  la  paresse  de  l'enfant  adroit  de  ses 
mains,  qui  dessine àcôté  de  ses  devoirs,  sans  le  coup  de 
foudre,  sans  rilluminalion  soudaine  qui  fait  jaillir  un 
talent  du  choc  d'un  morceaij^'artou  d'une  scène  dona- 

2. 


18  MANETTE  SALOMON. 

ture.  Au  fond,  Anatole  était  bien  moins  appelé  par  Tait 
qu'il  n'était  attiré  par  la  vie  d'artiste.  Il  rêvait  Tatelier. 
Il  y  aspirait  avec  les  imaginations  du  collège  et  les  appé- 
tits de  sa  nature.  Ce  qu'il  y  voyait,  c'était  ces  horizons 
de  la  Bohême  qui  enchantent,  vus  de  loin  :  le  roman  de 
la  Misère,  le  débarras  du  lien  et  de  la  règle,  la  liberté, 
l'indiscipline,  le  débraillé  de  la  vie,  le  hasard,  l'aventure, 
l'imprévu  de  tous  les  jours,  l'échappée  de  la  maison 
rangée  et  ordonnée,  le  sauve  qui  peut  de  la  famille  et  de 
l'ennui  de  ses,  liiinanchos,  la  blague  du  bourgeois,  tout 
l'inconnu  de  volupté  du  modèle  de  femme,  le  travail  qui 
ne  donne  pas  de  mal,  le  droit  de  se  déguiser  toute  l'an- 
née, une  sorte  de  carnaval  éternel  ;  voilà  les  images  et 
les  tentations  qui  se  levaient  pour  lui  de  la  carrière  ri- 
goureuse et  sévère  de  l'art. 

Mais,  comme  presque  toutes  les  mères  de  ce  temps-là, 
la  mère  d'Anatole  avait  pour  son  fils  un  idéal  d'avenir  : 
l'Ecole  polytechnique.  Le  soir,  eu  tisonnant  son  feu,  elle 
voyait  son  Anatole  coiiïcd'uu  tricorne,  riiabit  serré  aui 
hanches,  l'épée  au  côté,  avec  l'auréole  de  la  Rcvolutioa 
de  1830  sur  son  costume;  et  elle  se  regardait  d'avance 
passer  dans  les  rues,  lui  donnant  le  bras.  Ce  fut  un  grand 
coup  quand  Anatole  lui  parla  de  se  faire  artiste  :  il  lui 
sembla  qu'elle  avait  devant  elle  un  officier  qui  déchirait 
son  uniforme,  et  tout  l'orgueil  de  son  âge  mûr  s'é- 
croula. 

De  la  troisième  jusqu'à  la  rhétorique,  le  collégien  eut 
à  chaque  sortie  à  batailler  avec  elle.  A  la  fin,  comme  il 
s'arrangeait  toujours  pour  être  le  dernier  en  mathémati- 
ques, la  mère,  faible  comme  une  veuve  qui  n'a  qu'un 
fils,  céda  et  se  résigna  eu  gémissant.  Seulement,  pour 
préserver  autant  que  possible  l'innocence  d'Anatole,  dans 
une  carrière  qui  la  faisait  trembler  d'avance  par  ses 
périls  de  toutes  sortes,  elle  demanda  à  un  vieil  ami  de 
chercher  dans  ses  connaissances  et  de  lui  indiquer  un 
atelier  où  les  mœurs  de  son  fils  seraient  respectées. 

A  quelques  jours  delà,  le  vieil  ami  mmait  le  jeune 
homme  chez  un  élève  de  David  qui  s'appelait  d'un  nom 


MANETTE  SALOMON.  19 

famenx  en  Tan  IX,  Peyron,  et  qui  ccnsenlaît  à  recevoir 
Anatole  sur  le  bien  qu'on  lui  en  disait. 

Il  y  avait  bien  un  embarras  :  Tatelier  de  M.  PeMon 
était  un  atelier  de  femmes,  mais  d'âge  si  vénérable,  sans 
aucune  exception,  qu'Anatule  put  y  faire  son  entrée  sans 
intimider  personne.  Il  se  trouva  même,  à  la  fin  du  troi- 
sième ^our,  occuper  si  peu  ces  respectables  demoisePes, 
qu'il  se  sentit  humilié  dans  sa  qualité  d'homme,  et  dé- 
clara péremptoirement  le  soir  à  sa  mère  qu'il  ne  voulait 
plus  retourner  dans  une  pareille  pension  de  Parques. 

Il  enlrait  alors  chez  le  peintre  d'histoire  Langibout, 
qui  avait  rue  d'Enfer  un  atelier  de  soixante  élèvos.  11 
moulait  d'abord  chez  un  élève  nommé  Corsenaire,  qui 
travaillait  dans  le  haut  de  la  maison.  11  y  restait  six  mois 
à  dessiner  d'après  la  bosse;  puis  redescendait  dans  le 
grand  atelier  d'en  bas,  pour  dessiner  d'après  le  modèle 
vivant. 

Il  trouvait  là  Coriolis  et  Garnotelle  entrés  dans  l'alelier 
depuis  deux  ou  trois  ans. 


L'atelier  de  Langibout  était  un  immense  atelier  point 
en  vert  olive.  Sur  le  mur  d'un  des  côtés,  sous  le  jour  de 
la  baie  ouverte  en  face,  se  dressait  la  table  à  module, 
avec  la  barre  de  fer  où  s'attache  la  corde  pour  la  pose 
des  bras  levés  en  l'air,  les  talonniôres  pour  sujiporter  le 
talon  qui  ne  pose  pas,  le  T  en  cuir  verni  où  s'appuie  le 
bras  qui  repose. 

Une  boiserie  montait  tout  le  long  de  Fatelier,  à  une 
hauteur  de  sept  à  huit  pieds.  Des  grattages  de  palette, 
des  adresses  de  modèles,  des  portraits-charges  la  cou- 
vraient presque  entièrement.  Un  faux-col  sur  un  pantalon 
représentait  les  longues  jambes  de  l'un;  un  bilbofpiet 
caricaturait  II  grosse  tête  de  l'autre;  un  garde  national 


10  MANETTE  8AL0M0N. 

sortant  d'une  guérite  par  une  neige  qui  lui  arffpnlaît  le 
nez  et  les  épaulettes,  moquait  les  ambitions  milicîennes 
de  celui-ci.  On  gentilhomme  amateur  était  représenté 
dans  un  bocal,  sous  la  figure  d'un  cornichon^  avec  la 
devise  au-dessous  :  Semper  virel.  Et  çà  et  là,  à  travers 
les  caricatures  éparses,  semées  au  hasard,  on  lisait  :  Sa- 
rah  Levy,  la  tête,  rien  que  la  tête,  rue  des  Barres-Saint- 
Paul;  et  plus  loin  :  Armand  David^  fifre  sous  Louis  XVl* 
modèle  de  torse,  fait  la  canne. 

Sur  une  des  parois  latérales  se  levait  le  Discobole, 
moulage  de  Jacquet. 

.Les  sculpteurs  et  les  peintres,  au  nombre  d'environ 
soixante,  les  sculpteurs  avec  leurs  sellettes  et  leurs  ter- 
rines à  terre,  les  peintres,  juchés  sur  de  hauts  tabourets, 
formaient  trois  rangs  devant  la  table  à  modèle. 

On  voyait  là  ; 

Javelas,  €  Thomme  aux  bouillons  >,  le  patito  de  ma- 
demoiselle Gourganson,  le  pâtira,  le  souffre-douleur  de 
l'atelier,  un  méridional  naïf,  un  gobeur  avalant  tout,  et 
qu'on  avait  décidé  à  promener  son  chapeau  gris  la  nuit, 
en  lui  affirmant  que  le  clair  de  lune  était  le  meilleur 
blanchisseur  des  castors  ;  Javelas,  auquel  Anatole,  en  lui 
rognant  un  peu  sa  canne  U  us  les  jours,  arriva  au  bout 
d'une  semaine  à  persuader  qu'il  grandissait,  et  qu'il 
n'avait  que  le  temps  de  se  soigner,  la  croissance  à  son 
âge  étant  toujours  un  signe  de  maladie;  Javelas,  qui 
était  sculpteur,  et  qui  avait  pour  spécialité  les  sujets  de 
piété. 

Lestonnat,  aux  cheveux  en  broussaille  enflammée,  aux 
yeux  clignotants,  aux  cils  d'albinos;  Lestonnat  ne  voyant 
des  couleurs,  que  le  blond  et  la  tendresse,  faisant  des 
esquisses  laiteuses  et  charmantes,  peintre-né  des  mytho* 
logies  plafonnantes; 

Grandvoinet,  un  maigre  garçon  qu'on  appelait  Moins- 
Cinq,  à  cause  de  sa  réponse  aux  arrivants,  qui  le  trou- 
vaient toujours  le  premier  à  l'atelier,  et  lui  disaient  : 
—  Tiens,  il  est  l'heure  ?  —  Non,  messieurs,  il  est  Theure 
moins  cinq  minutes.  Grand  acheteur  de  gravures  du 


MANETTE  SALOMON.  fi 

Poussin,  eicellent  et  doux  garçon,  n'entrant  en  colère 
que  lorsque  le  Tnodèle  avait  oublié  de  poser  son  mou- 
choir sur  le  tabouret,  et  volait  ainsi  quelques  secondes 
à  la  pose;  le  type  du  fruit  sec  exemplaire,  dont  l'appli- 
cation, la  vocation  ingrate,  l'effort  désespéré  étaient 
respectés  avec  une  sorte  de  commisération  par  la  blague 
de  ses  camarades  ; 

Le  grand  Lestringant,  derrière  le  dos  duquel  Langi- 
bout  s'arrêtait,  étonné  et  souriant,  d'un  détail  exagéré 
ou  forcé  dans  une  académie  bien  dessinée  :  —  €  C'est 
bien,  lui  disait-il,  vous  voyez  comme  cela,  c'est  bien, 
mon  ami,  vous  voyez  comique...  »  Lestringant,  qui  de- 
vait obéir  à  sa  vraie  vocation,  abandonner  bientôt  l'his- 
toire pour  mettre  l'esprit  de  Paris  dans  la  carica- 
ture; 

Le  petit  Deloche,  joli  gamin,  la  mine  spirituelle  et 
effrontée,  arrivant  la  casquette  en  casseur,  la  blouse 
tapageuse,  engueulant  les  modèles,  faisant  le  crâne  :  il 
n'y  avait  pas  trois  mois  qu^arrivant  de  son  collège  et  de 
sa  province  dans  des  habits  de  première  communion 
rallonges,  et  tombant  dans  Tatelier,  au  milieu  d'une 
séance  de  modèle  de  femme,  il  était  resté  pétrifié  devant 
c  la  madame  >  toute  nue,  ses  yeux  de  petit  garçon 
démesurément  ouverts,  les  bras  ballants,  et  laissant 
glisser  de  stupéfaction  son  carton  par  terre,  au  milieu 
du  rire  homérique  des  élèves; 

Rouvillain,  un  nomade,  qui,  dès  qu'il  avait  pu  réunir 
vingt  francs,  donnait  rendez-vous  à  l'atelier  pour  qu'on 
lui  fit  la  conduite  jusqu'à  la  barrière  Fontainebleau  :  de 
là,  il  s'en  allait  d'une  trotte  aux  Pyrénées,  frappant  à  la 
porte  du  premier  curé  qu'il  trouvait  le  premier  soir,  lui 
faisant  une  tête  de  vierge  ou  une  petite  restauration, 
emportant  une  lettre  pour  un  curé  de  plus  loin  ;  et,  de 
recommandations  en  recommandations,  de  curé  en  curé, 
gagnant  la  frontière  d'Espagne,  d'où  il  revenait  à  Paris 
par  les  mêmes  étapes; 

Garbuliez,  un  Suisse,  fils  d'un  cabinotier  de  Genève; 
qui  avait  rapporté  de  son  pays  le  culte  de  son  compa« 


MANETTE  SALOMON. 

triote  Grosclaude,  et  la  charge  du  peintre  Jean  Belin 
chez  le  Grand-Turc; 

Mâlambic  «  et  son  sou  de  fusain  ^^  ainsi  nommé  par 
l'atelier,  à  cause  de  ses  interminables  jambes,  éternelle- 
ment enfermées  dans  un  pantalon  noir,  et  si  justement 
comparées  aux  deux  bâtons  de  charbon  que  les  papetiers 
donnent  pour  un  sou; 

Massiquot,  beau  d'une  beauté  antique,  le  front  bas 
avec  les  cheveux  frisés  à  la  ninivite,  des  traits  d'Anti- 
nous avec  un  sourire  de  Méphistophélès;  un  garçon  qui 
avait  l'étoffe  d'un  grand  sculpteur,  mais  dont  le  temps 
et  le  talent  allaient  se  perdre  dans  la  gymnastique,  les 
tours  de  force,  les  excès  d'exercice  auxquels  l'entraînait 
l'orgueil  du  dcWeloppement  de  son  corps;  Jlassiquot,  le 
massier  des  élèves  ; 

Lemesureur,  le  massier  de  l'atelier,  l'intermédiaire 
entre  le  maître  et  les  élèves,  l'homme  de  confiance  du 
patron,  qui  reçoit  la  contribution  mensuelle,  écrit  aux 
modèles,  surveille  le  mobilier,  et  fait  payer  les  tabourets 
et  les  carreaux  cassés;  Lemesureur,  ancien  huissier  de 
Montargis,  marié  à  une  repriseuse  de  cachemire,  et  qui 
faisait,  dans  Tatelier,  un  petit  commerce,  en  achetant 
dix  francs  les  têtes  bien  dessinées  qu'il  revendait  à  des 
pensionnats  comme  modèles; 

Schulinger,  un  Alsacien  à  tournure  de  caporal  prus- 
sien, grand  bredouilleur  de  français,  qui  brossait 
de  temps  en  temps,  entre  deux  saoûleries  de  biè- 
re, une  figure  rappelant  le  gris  argentin  de  Velas- 
quez; 

Blondulot,  un  petit  vaurien  de  Paris,  pris  en  sevrage 
par  un  amateur  braque  très-connu  qui,  de  temps  en 
temps  croyait  découvrir  un  Raphaël  dans  quelque  pein- 
triot  comme  Blondulot,  dont  il  surveillait  les  mœurs  avec 
une  jalousie  intéressée  de  mère  d'actrice,  et  qu'il  allait 
recommander  aux  critiques,  en  disant:  c  II  est  ourl 
c'est  un  angeî^..  » 

Jacquillat,  qui  n'avait  aucun  talent,  mais  que  Langi- 
bout  soignait  :  c'était  le  fils  de  ce  Jacquillat  qui  avait 


1 


MAîtKTTE  8A10M0N.  23 

donné  des  leçons  de  tour  à  M.  de  Clarac  et  qui  exécutait 
l'étoile  à  huit  cercles; 

Montarioly  le  mondain,  qui  déjeunait  souvent  dans  les 
crémeries  avec  les  domestiques  des  bals  dont  il  sortait, 
le  monsieur  bien  mis  à  Tatelier;  mais  ayant  dans  ses 
élégances  des  solutions  de  continuité  et  des  accrocs,  et 
regardant  l'heure  à  une  montre  dont  le  verre  avait  été 
recollé  avec  de  la  cire  à  cacheter; 

Lamoize,  aux  cheveux  ras,  au  blanc  de  l'œil  bleu,  au 
teint  indien,  toujours  serré  dans  un  habit  noir  râpé;  un 
liseur,  un  républicain,  un  musicien,  qui  faisait  de  la 
peinture  aidées; 

Dagousset,  le  louche,  qui  faisait  loucher  tous  les  yeux 
qu'il  peignait  par  cette  tendance  singulière  et  fatale 
qu'ont  presque  tous  les  artistes  à  ronéter  dans  leurs 
œuvres  l'infirmité  marquante  de  leur  personne. 

Puis  c'était  «  Système  ï>,  Système,  auquel  on  ne  con- 
naissait de  nom  que  ce  sobriquet;  Système,  peignant,  à 
cloche-pied,  la  main  gauche  tenant  la  palette,  appuyée 
sur  une  tringle  de  fer;  Système  posant  sur  son  bras, 
dont  il  retroussait  la  manche,  le  ton  de  chair  pris  sur  sa 
palette,  et  l'approchant  du  modèle  pour  le  comparer; 
Système  qui  partageait  avec  Javelas  le  rôle  de  martyr  de 
l'atelier. 

Et  l'atelier  Langibout  possédait  encore  les  deux  types 
du  cuveur  et  du  rêveur  dans  le  peintre  Vivarais  et  le 
eculpteur  Romanet.  Vivarais  était  l'homme  qui  passait 
sa  vie  à  a  s'imprégner  »  sans  presque  jamais  peindre;  et 
c'était  Romanet  qui  disait  un  jour,  sur  le  pas  de  sa 
porte  à  Anatole  :  —  Vois-tu,  mon  cher,  pour  mon  buste, 
il  fallait  le  marbre...  —  Pourquoi  pas  en  terre?  c'est  si 
long,  le  marbre...  —  Non...  je  n'aurais  pas  eu  la  ligne 
rigide,  le  cassant  du  trait...  Ça  aurait  été  toujours  mou, 
vaule...  Il  me  fallait  le  marbre,  absolument  le  marbre... 

—  Eh  bieni  laisse-moi  le  voir...  Je  t'assure,  je  n'en 
parlerai  pas...  --^  Mon  marbre?  mon  marbre?  Il  est  là... 

—  lui  dit  Romanet  en  se  touchant  le  front. 
Péle-méle  étrange  de  talents  et  de  nullités,  de  figure^ 


24  MANETTE  SiLOMON. 

sérieuses  et  grotesques,  de  vocations  vraies  et  d'ambi- 
tions de  fils  de  boutiquiers  aspirant  à  une  industrie  de 
luxe;  de  toutes  sortes  de  natures  et  d^individus,  promis 
à  des  avenirs  si  divers,  à  des  fortunes  si  contraires,  des- 
tinés à  finir  aux  quatre  coins  de  la  société  et  du  monde, 
là  où  l'aventure  de  la  vie  éparpille  les  jeunesses  et  les 
promesses  d'un  atelier,  dans  un  fauteuil  à  l'Institut, 
dans  la  gueule  d'un  crocodile  du  Nil,  dans  une  gérance 
de  photographie,  ou  dans  une  boutique  de  chocolatier 
de  passage  ! 


Vi 


Anatole  était  devenu  immédiatement  le  boute-en-train 
de  l'atelier,  le  «  branle-bas  >*des  farces  et  des  charges. 

Il  était  né  avec  des  malices  de  singe.  Enfant,  lorsqu'on 
le  ramenait  au  collège,  il  prenait  tout  à  coup  sa  course 
à  toutes  jambes,  et  se  mettait  à  crier  de  toutes  les  forces 
de  sa  voix  de  crapaud  :  «  Via  la  révolution  qui  com- 
mence! »  La  rue  s'effarait,  les  boutiquiers  se  précipi- 
taient sur  leurs  portes,  les  fenêtres  s'ouvraient,  des  têtes 
bouleversées  apparaissaient,  et  dans  le  dos  des  vieilles 
gens  qui  se  faisaient  un  cornet  de  leur  main  pour  en- 
tendre le  tocsin  de  Saint-Merry,  le  frisson  du  gnlier 
passait.  Malheureusement,  à  sa  troisième  tentative,  il  fut 
dégoûté  du  plaisir  que  lui  donnait  tout  ce  sens  dessus 
dessous  par  un  énorme  coup  de  pied  d'épicier  philip- 
piste  de  la  rue  Saint-Jacques.  Au  collège,  c'était  les 
mêmes  niches  diaboliques.  Un  professeur,  dont  il  avait 
à  se  plaindre,  ayant  eu  l'imprudence  à  une  distribution 
de  prix,  de  commencer  son  discours  par  :  c  Jeunes 
athlètes  qui  allez  entrer  dans  l'arène...  >  —  Vive  la 
renie I  se  mit  à  crier  Anatole  en  se  tournant  vers  la  reine 
Marie-Amélie  venant  voir  couronner  ses  fils.  Sur  ce  ca- 
lemboufi  une  acclamation  trois  fois  répétée  partit  des 


MANETTE  SALOMCn.  25 

bancs,  et  le  malheureux  professeur  fut  obligé  de  remet- 
tre son  éloquence  daus  sa  poche. 

Avec  l'âge  et  la  sortie  du  collège,  cette  imagination  de 
drôlerie  n'avait  fait  que  grandir  chez  Anatole.  Le  sens 
du  grotesque  l'avait  mené  au  génie  de  la  parodie.  Il  ca- 
ricaturait les  gens  avec  un  mot.  Il  appliquait  sur  les  fi- 
gures une  profession;  un  métier,  un  ridicule  qui  leur 
restait.  A  des  fusées,  à  des  cascades  de  bêtises,  il  mêlait 
des  cinglements,  des  claquements  de  ripostes  pareils  à 
ces  coups  de  fouet  avec  lesquels  les  postillons  enlèvent  un 
attelage.  Il  jouait  avec  la  grammaire,  le  dictionnaire, 
la  double  entente  des  termes  :  la  mémoire  de  ses  études 
lui  permettait  de  jeter  dans  ce  qu'il  disait  des  lam- 
beaux de  classiques,  de  remuera  travers  ses  bouiïonneries 
de  grands  noms,  des  vers  dérangés,  du  sublime  estropié; 
et  sa  verve  était  un  pot-pourri,  une  macédoine,  un  mé- 
lange de  gros  sel  et  de  fin  esprit,  la  débauche  la  plus 
folle  et  la  plus  cocasse. 

Dans  les  parties,  le  soir,  en  revenant  dans  les  voitures 
des  environs  de  Paris,  il  faisait  un  personnage  de  pro- 
vince; il  improvisait  des  récits  de  petite  ville,  il  racon- 
tait des  intérieurs  où  il  y  a  des  oranges  sur  des  timbales, 
il  inventait  des  sociétés  pleines  de  nez  en  argent,  tout  un 
monde  qu'il  semblait  mener  de  Mon  nier  à  liolTmann, 
au  grand  amusement  et  dans  le  rire  fou  de  ses  compa- 
gnons de  voyage.  Il  avait  la  vocation  de  Facteur  et  du 
mystificateur.  Sa  parole  était  soutenue  par  son  jeu,  une 
mimique  de  méridional  la  succession  et  la  vivacité  des 
expressions,  des  grimaces,  dans  un  visage  souple  comme 
un  masque  chiffonné,  se  prêtant  à  tout,  et  lui  donnant 
l'air  d'une  espèce  d'homme  aux  cent  figures.  A  ce  tem- 
pérament de  comique,  à  tous  ces  dons  de  nature,  il  joi- 
gnait encore  une  singulière  aptitude  d'imitation,  d'assi- 
milation de  tout  ce  qu'il  entendait,  voyait  au  Ihéàlre,  et 
partout,  depuis  l'intonation  de  Numa  jusqu'au  coup  de 
jupe  d'une  danseuse  espagnole  piaffant  une  cachuclia, 
depuis  le  bégaiement  de  Mijonnet,  le  marchand  de  tor- 
pillons de  l'atelier,  jusqu'au  jeu  muet  du  monsieur  qui 

3 


M  MANETTE  SALOMON. 

cherche  sa  bourse  en  omnibus.  A  lui  tout  seul,  il  jouait 
une  scène,  une  pièce  :  c'était  le  relai  d'une  diligence, 
le  piétinement  des  garçons  d'écurie,  les  questions  des 
voyageurs  endormis,  l'ébranlement  des  chevaux,  le  :  hu  ! 
du  postillon  ;  ou  bien  une  messe  militaire,  le  Bominus 
vobisctim  chevrotant  du  vieux  prêtre,  les  répons  criards 
de  l'enfant  de  chœur,  le  ronflement  du  serpent,  les  na- 
zillements  des  chantres,  le  son  voilé  des  tambours,  la 
toux  du  pair  de  France  sur  la  tombe  du  mort.  Il  singeait 
un  grand  air  d'opéra,  un  ut  de  ténor.  Il  contrefaisait  le 
réveil  d'une  basse-cour,  la  fanfare  fêlée  du  coq,  les 
gloussements,  les  cacardements,  les  roucoulements, 
tous  les  caquetages  gazouillants  des  bêtes  qui  sem- 
blaients'éveiller  sous  sa  blouse.  Des  journées  qu'il  pas- 
sait au  Jardin  des  Plantes  à  étudier  les  animaux,  il  rap- 
portait leur  voix,  leur  chant.  Quand  il  voulait,  son 
larynx  devenait  une  ménagerie  :  il  faisait  sortir,  comme 
d'une  gorge  de  l'Atlas,  le  rauquement  du  lion,  un  ru- 
gissement si  vrai,  que,  la  nuit,  Jules  Gérard  eût  tiré 
dessus  au  jugé.  Pour  les  bruits  humains,  il  les  possé- 
dait tous.  Il  imitait  les  accents,  les  patois,  les  bruits 
de  la  rue,  le  chanlonnement  de  la  marchande  de  vieux 
chapeaux,  la  criée  de  la  marcliande  de  a  bonne  vite- 
lotte  »,  le  cri  (lu  vendeur  de  canards  s'éteignant  dans  le 
lointain  d'un  faubourg,  tous  les  cris  :  il  n'y  avait  que  le 
cri  de  la  conscience  qu'il  disait  ne  pouvoir  imiter. 

L'atelier  avait  en  lui  son  amuseur  et  son  fou,  un  fou 
dont  il  n'aurait  pu  se  passer.  Au  bout  de  ces  grands 
silences  de  travail  qui  se  font  là,  après  un  long  recueil- 
lement de  tous  ces  jeunes  gens  plies  sur  une  étude, 
quand  une  voix  s'élevait  :  «  Allons!  qu'est-ce  qui  va 
faire  un  four?  »  Anatole^  lançait  aussitôt  quelque  mot 
drôle,  faisant  courir  le  rire  comme  une  traînée  de  pou- 
dre, secouant  la  faligue  de  tous,  relevant  toutes  les  têtes 
de  dessus  les  cartons,  et  sonnant  jusqu'au  bout  de  la 
salle  une  récréation  d'un  moment. 

Jamais  il  n'était  à  court.  L'atelier  avait-il  une  ven- 
geance à  exercer?  Anatole  trouvait  un  tour  de  son  in- 


MANËTT£  SâLOMON.  V 

fention,  et  le  plus  souvent,  à  la  prière  de  ses  camarades 
et  pour  répondre  à  leur  confiance,  il  l'exécutait  lui- 
même.  Devait-on  faire  la  réception  d'un  nouveau?  Il 
s'en  chargeait,  et  c'était  son  triomphe.  Il  s'y  surpassait 
en  fantaisie,  en  imagination  de  mise  en  scène. 

Le  reste  de  crucifiement,  la  tradition  de  torture,  de- 
meurés d'un  autre  temps^  dans  ces  farces  artistiques, 
l'attachement  à  l'échelle,  l'estrapade,  la  brutalité  de 
ces  exécutions  qui  parfois  finissaient  par  un  membre 
brisé,  commençaient  à  passer  démode  dans  les  ateliers. 
A  peine  si  l'usage  des  lérocités  anciennes  était  encore 
conservé  chez  le  sculpteur  David,  dont  les  élèves  pro- 
menaient, en  ces  années,  par  tout  le  quartier,  un  nou- 
veau lié  sur  une  échelle,  avec  un  camarade,  à  cheval  sur 
l'estomac,  qui  jouait  de  la  guitare.  Les  initiations  peu 
à  peu  s'adoucissaient  et  se  changeaient  en  innocentes 
épreuves  de  franc-maçonnerie.  Anatole  les  renouvela 
par  le  sérieux  de  la  charge  et  la  comédie  de  la  cruauté. 

Aussitôt  qu'un  nouveau  arrivait,  il  commençait  par 
le  faire  déshabiller,  lui  injuriait  successivement  tous 
les  membres,  lui  reprochait  ses  «  abattis  canaille  », 
établissait,  avec  la  voix  de  pituite  de  Quatremère  de 
Quincy,  le  peu  de  rapports  existants  entre  une  fii;iire 
de  Phidias  et  cet  «  Apollon  des  chaudronniers  ».  Puis, 
il  le  faisait  chanter,  en  costume  de  paradis,  dans  des 
poses  d'un  équilibre  périlleux,  des  paroles  impossibles 
sur  des  airs  dont  il  avait  le  secret.  Quand  le  nouveau 
était  enroué  et  enrhumé,  Anatole  lui  annonçait  les  stip- 
plices.  Soudain,  il  changeait  de  voix,  d'air,  de  visage  : 
il  avait  des  gestes  d'ogre  de  contes  de  fée,  une  intona- 
tion de  roi  de  féerie  qui  donne  des  ordres  pour  une 
exécution,  des  ricanements  de  Schahabaham.  Une  pail- 
lasserie  sinistre  l'animait  :  c'était  Bobèche  et  Torque- 
inada,  l'Inquisition  aux  Funambules.  S'agissait-il  de 
marquer  un  récalcitrant?  Il  était  terrible  à  fourgonner 
le  poéle  pour  chauffer  les  fers  tout  rouge,  terrible 
quand  avec  les  fers,  changés  habilement  dans  sa  main 
«n  chevilles  de  sculpteur  peintes  en  vermillon,  il  ap- 


28  MANETTE  SALOMON. 

prochait;  terrible,  lorsqu'il  essayait  ces  faux  .ers,  der- 
rière le  dos  du  patient,  quatre  ou  cinq  fois  sur  des 
planches,  pendant  qu'on  brûlait  de  la  corne;  épouvan- 
table, lorsqu'il  les  appliquait  sur  Tëpaule  du  malheureux 
avec  un  pschitt  qui  jouait  infernalement  le  cri  de  la 
peau  grillée.  On  riait,  et  il  faisait  presque  peur.  —  Et 
puis,  venaient  des  boniments,  des  discours  de  réception^ 
des  morceaux  académiques,  du  Bossuet  tombé  dans  le 
Tintamarre...  Pour  chaque  nouveau,  il  inventait  un 
nouveau  tour,  des  plaisanteries  inédites,  un  chef-d'œuvre 
comme  les  sangsues,  la  farce  des  sangsues  qu'il  mon- 
trait à  sa  victime  dans  un  verre,  et  qu'il  lui  posait  au 
creux  de  l'estomac  :  la  victime  plaisantait  d'abord,  puis 
ne  plaisantait  plus  :  elle  se  Ggurait  sentir  piquer  les 
sangsues,  tant  Anatole  les  avait  bien  imitées  avec  des 
découpures  d'oignon  brûlé  1 
A  l'atelier,  on  l'appelait  c  la  Blague  >• 


VII 


La  Blague,  —  cette  forme  nouvelle  de  Tesprit  fran* 
çais,  née  dans  les  ateliers  du  passé,  sortie  de  la  parole 
imagée  de  l'artiste,  de  l'indépendance  de  son  caractère 
et  de  sa  langue,  de  ce  que  mêle  et  brouille  en  lui,  pour 
la  liberté  des  idées  et  la  couleur  des  mots,  une  nature 
de  peuple  et  un  métier  d'idéal;  la  Blague,  jaillie  de  là, 
montée  de  l'atelier,  aux  lettres,  au  théâtre,  à  la  société; 
grandie  dans  la  ruine  des  religions,  des  politiques,  des 
systèmes,  et  dans  l'ébranlement  de  la  vieille  société, 
dans  l'indifférence  des  cervelles  et  des  cœurs,  devenue 
le  Credo  farce  du  scepticisme,  la  révolte  parisienne  de 
la  désillusion,  la  formule  légère  et  gamine  du  blas- 
phème, la  grande  forme  moderne,  impie  et  chariva- 
rique,  du  doute  universel  et  du  pyrrhonisme  national; 
la  Blague  du  xix*^  siècle,  cette  grande  démolisseuseï 


HÀNETTfi  SàLOMON.  » 

eette  grande  révolutionnaire^  I  empoisonneuse  de  foi, 
la  tueuse  de  respect;  la  Blague,  avec  son  soufile  canaille 
et  sa  risée  salissante,  jetée  à  tout  ce  qui  est  honneur, 
amour,  famille,  le  drapeau  ou  la  religion  du  cœur  de 
Thomme;  la  Blague,  emboîtant  le  pas  derrière  l'Histoire 
de  chaque  jour,  en  lui  jetant  dans  le  dos  l'ordure  de  la 
Courtille;  la  Blague,  qui  met  les  gémonies  à  Pantin;  la 
Blague,  le  vis  comica  de  nos  décadences  et  de  nos  cy- 
nismes,  cette  ironie  où  il  y  a  du  rictus  de  Stellion  et  de 
la  goguette  du  bagne,  ce  que  Cabrion  jette  à  Pipelet, 
ce  que  le  voyou  vole  à  Voltaire,  ce  qui  va  de  Candide 
à  Jean  Hiroux  ;  la  Blague,  qui  est  l'effrayant  mot  pour 
rire  des  révolutions;  la  Blague,  qui  allume  le  lampion 
d'un  lazzi  sur  une  barricade;  la  Blague,  qui  demande 
en  riant  au  24  Février,  à  la  porte  des  Tuileries  :  «  Ci- 
toyen, votre  billet!  «  la  Blague,  cette  terrible  marraine 
qui  baptise  tout  ce  qu'elle  touche  avec  des  expressions 
qui  font  peur  et  qui  font  froid  ;  la  Blague,  qui  assaisonne 
le  pain  que  les  rapins  vont  manger  à  la  Morgue;  la 
Blague,  qui  coule  des  lèvres  du  môme  et  lui  fait  jeter  à 
une  femme  enceinte  :  c  Elle  a  un  polichinelle  dans  le 
tiroir!  »  la  Blague,  où  il  y  a  le  nil  admirari  qui  est  le 
sang-froid  du  bon  sens  du  sauvage  ^el  du  civilisé,  le 
sublime  du  ruisseau  et  la  vengeance  de  la  boue,  la 
revanche  des  petits  contre  les  grands,  pareille  au  tro- 
gnon de  pomme  du  titi  dans  la  fronde  de  David;  la 
Blague,  celte  charge  parlée  ei  courante,  celle  caricature 
volante  qui  descend  d'Aristophane  par  le  nez  de  Bou- 
ginier;  la  Blague,  qui  a  créé  en  un  jour  de  génie  Prud- 
homme  et  Robert  Macaire;  la  Blague,  celle  populaire 
philosophie  du  :  ce  Je  m'en  fiche!  »  le  stoïcisme  avec 
lequel  la  frêle  et  maladive  race  d'une  capitale  moque  le 
ciel,  la  Providence,  la  fin  du  monde,  en  leur  disant 
tout  haut  :  «  Zut  !  i>  la  Blague,  cette  railleuse  effrontée 
du  sérieux  et  du  triste  de  la  vie  avec  la  grimace  et  le 
geste  de  Pierrot;  la  Blague,  cette  insolence  de  l'hé- 
roïsme qui  a  fait  trouver  un  calembour  à  un  Parisien 
sur  le  radeau  de  la  Méduse \  la  Blague,  qui  défie  la 


8U  MAr^t^TTË  SAL\)MON. 

mort;  la  Blague,  qui  la  profane;  la  Blague,  qui  fait 
mouriï'  tomme  cet  arlisle,  l'ami  de  Gharlcl,  jetant,  de- 
vant Chariet,  son  dernier  soupir  dans  le  conte  dô  Gui- 
gnol; la  Blague,  ce  rire  terrible,  enragé,  fiévreux,  mau- 
vais, presque  diabolique,  d'enfants  gâtés,  d'enfants 
pourris  de  la  vieillesse  d'une  civilisation;  ce  rire  riant 
de  la  grandeur,  de  la  terreur,  de  la  pudeur,  de  la  sain- 
teté, de  la  majesté,  de  la  poésie  de  toute  chose;  ce  rire 
qu'on  dirait  jouir  du  bas  plaisir  de  ces  hommes  en 
blouse,  ({ui,  au  Jardin  des  Plantes,  s^amusent  à  cracher 
sur  la  beauté  des  bêles  et  la  royauté  des  lions;  —  la 
Blague,  c'était  bien  le  nom  de  ce  garçon. 


VIII 


L'atelier  ouvrait  le  malin  de  six  heures  à  onîe  heures 
en  élc,  de  huit  heures  à  une  heure  en  hiver.  Le  mer- 
credi, il  y  avait  une  proloiii^^ilion  de  travail  d'une  heure 
«  l'heure  du  torse  »,  pour  finir  le  torse  commencé  la 
▼eille  :  heure  supplémentaire  payée  par  la  cotisation  des 
élèves.  Trois  semaines  de  modèle  d'homme,  une  se» 
maine  de  modèle  de  femme,  faisaient  le  mois. 

Pendant  ces  cinq  heures  d'étude  quotidienne,  pendant 
ce  travail  d'après  nature  se  continuant  des  mois,  des 
années,  Anatole  vit  défiler  les  plus  beaux  corps  du  lemps, 
l'humanité  de  choix  qui  sert  de  leçon  à  l'artiste,  les  sta- 
tues vivantes  qui  conservent  les  lois  de  proportion,  ie 
canon  de  l'homme  et  de  la  femme,  les  types  qui  dessi- 
nent le  nu  viril  ou  féminin,  l'élégance  ou  la  force,  la  dé» 
licatesse  ou  la  puissance,  les  lignes  avec  leurs  opposi- 
tions, les  contours  avec  leur  sexe,  les  formes  avec  leur 
style. 

Anatole  dessina  :  il  fit  la  longue  éducation  de  son  œil 
et  de  son  fusain;  il  apprit  à  bâtir  une  académie  d'après 
tous  ces  corps  fameux  qui  ont  laissé  leur  mémoire  dam 


MANETTE  SALOMOIf.  Zi 

les  tablenux  de  l'époque  :  —  le  corps  de  Dubosc,  ce 
corps  merveilleux  de  cinquante-cinq  ans,  qui  avait  cou* 
serve  la  souplesse  et  l'harmonieux  équilibre  de  la  jeu- 
nesse; —  le  corps  de  Gilbert,  ce  corps  tout  plein  des 
trous  d'une  sculptera  à  la  Puget,  de  Gilbert,  le  modèle 
pour  les  satyres,  les  convulsionnaires,  les  ardents.  11 
dessina  d'après  ce  corps  de  Waill,  le  corps  d'un  é[)hùbe 
florentin,  le  torse  ciselé,  les  pectoraux  accusés  sur  Tado- 
lescence  de  la  poitrine,  les  jambes  fines  et  montrant  la 
souple  élégance,  la  longueur  filante  d'un  dessin  italien 
du  seizième  siècle,  des  formes  de  cire  sur  des  muscles 
d*acier;  —  le  corps  de  Thomas  l'Ours,  cet  ancien  lut- 
teur de  Lyon,  renvoyé  de  son  régiment  à  cause  de  son 
appétit,  le  vorace  qui  prenait  son  café  au  lait  dans  une 
terrine  de  sculpteur  avec  un  pain  de  six  livres,  et  que 
nourrissaient  par  commisération   les    domestiques  de 
Rothschild;  un  corps  de  damné  de  Michel- Ange,  les 
épaules  d'Atlas,  une  musculature  de  Croloniale  cl  d'ani- 
mal dévorateur  où  les  mouvements  faisaient  courir  des 
houles  sous  la  peau.  Anatole  eut  encore  les  corps  de 
grâce  sauvage,  nerveux,  ondulants,  élastiques,  du  n«''gre 
Saïd,  du  nègre  Joseph  de  la  Martinique,  le  nègre  à  la 
taille  de  femme,  aux  bras  ronds,  qui  charmait  les  fati- 
gues de  sa  pose  par  des  monologues  à  demi-voix,  ga- 
Eouillés  dans  la  langue  de  son  pays.  Il  eut  la  fin  de  ces 
modèles  héroïques,  à  constitution  homérique,  formés 
dans  l'atelier  de  David,  la  poitrine  élargie  comme  à  l'air 
de  ces  grandes  toiles  antiques;  vieux  débris  d'un  Em- 
pire de  l'art,  auxquels  l'atelier  ne  manquait  jamais  de 
(aire  la  charité  d  habitude  avec  les  vieux  modèles,  ce 
qu'on  appelle  «  un  cornet  i>,  une  feuille  de  papier  tour- 
née par  un  de*  nouveaux,  qui  circule,  et  où  chacun  met 
le  fond  de  sa  poche. 

La  femme,  le  corps  de  la  femme,  les  modes  diverses 
et  contraires  de  sa  beauté,  Anatole  les  apprit  sur  ces 
corps  :  —  les  corps  des  trois  Marix,  le  trio  de  juive, 
dont  l'une  a  sa  superbe  nudité  peinte  dans  la  Renommée 
de  rflémicycle  de  Delaroche  ;  — •  le  corps  de  Julie  Waill, 


32  MANETTE  SALOMON 

AUX  formes  pleines,  à  la  tête  de  Junon,  à  la  grande 
bouche  romaine,  aux  grands  beaux  yeux  énormes  de  la 
Tegée  de  Porapeï;  —  le  corps  de  madame  Legois,  le 
type  du  modèle  pour  le  dessin  classique  du  ventre  et  des 
jambes;  —  le  corps  mince,  nerveux,  distingué  dans  la 
maigreur,  de  Marie  Poitou,  une  nature  de  sainte,  de 
martyre,  de  mystique;  le  corps  androgyne  de  Caroline 
l'Allemande,  qui  a  posé  les  bras  du  Saint-Symphorien  de 
M.  Ingres,  ennemi  des  modèles  d'hommes,  et  disant 
«  qu'ils  puaient  »  ;  —  le  corps  de  Georgette,  à  la  taille 
d'anguille,  aux  reins  serpentins,  l'idéal  dans  un  type 
égyptîaque  delà  ligne  de  beauté  professée  par  Hogarth; 
—  le  corps  à  la  Rubens,  la  poitrine  exubérante,  les 
jambes  magnifiques  de  Juliette;  —  le  corps  de  Caroline 
Alibert,  le  corps  d'une  Ourania  du  Primatice,  allongé, 
effilé,  avec  des  extrémités  si  souples  qu'elle  faisait,  d'un 
mouvement,  passer  tous  les  doigts  d'une  de  ses  mains 
l'un  sous  l'autre;  —  le  corps  fluet,  maigriot,  élancé  et 
charmant  de  Cœlina  Cerf,  avec  ses  formes  hésitantes  de 
petite  fille  et  de  femme,  ses  lignes  d'une  ingénue  de 
roman  grec,  —  le  plus  jeune  des  modèles,  si  jeune  que 
les  élèves  lui  payaient,  quand  elle  posait  une  livre  de 
sucre  d'orge. 


IX 


De  loin  en  loin,  une  distraction  furieuse,  une  noce 
enragée  rompait  cette  monotonie  de  la  vie  d'atelier.  Par 
un  beau  jour  tout  plein  de  soleil,  et  promettant  l'été, 
quelqu'un  demandait  ce  qu'il  y  avait  à  la  masse;  et 
quand  les  entrées  de  25  francs  payés  par  chaque  élève 
et  exigés  rigoureusement  de  tous,  sans  exception,  par 
Langibout,  quand  ces  entrées,  appelées  les  bieîivenueSy 
montaient  à  une  somme  de  quelques  centaines  de 
francs,  on  convenait  d'aller  manger  la  masse  à  la  cam- 


Manette  sâlomon.  sî» 

pagne.  Alors  tout  Tatelier  partait,  suivi  du  modèle  de  la 
semaine,  et  se  lançait  aux  champs  dans  les  costumes  lea 
plus  farouches,  avec  les  vareuses  les  plus  rouges,  les 
chapeaux  les  plus  révolutionnaires,  des  oripeaux  hur- 
lants et  des  mises  forcenées.  La  jeunesse  de  tous  débor- 
dait sur  le  chemin  ;  ils  allaient  avec  des  cris,  des  gestes, 
des  chansons,  une  gaieté  violente  qui  effarouchait  la 
banlieue  et  violaitla  verdure.  Tout  les  grisait,  leur  nom- 
bre,  leur  tapage,  la  chaleur;  et  ils  marchaient  en  cas- 
seurs, animés,  tumultueux,  batailleurs,  avec  cette  inso- 
lence de  joie  qui  démange  \es  mains,  et  cette  envie  de 
vaillance  qui  appelle  les  coups. 

A  la  porte  Fleury,  dans  un  cabaret  en  plein  air,  la 
bande  dînait.  Et  c*était  une  ripaille,  des  poulets  déchi- 
rés, des  bouteilles  entonnées  par  le  goulot,  des  paris  de 
goinfrerie  et  de  saoûlerie,  une  espèce  de  vanité  et  d'os- 
tentation d'orgie  grasse  qui  cachait,  sous  les  lilas  des 
environs  de  Paris,  des  licences  de  kermesse  et  des  fonds 
de  tableaux  de  Teniers. 

Puis,  la  nuit  tombée,  quand  tous  étaient  ivres,  et  que 
les  plus  doux  avaient  bu  un  vin  de  colère,  la  troupe, 
chantant  à  tue-tête  et  armée  d'échaias  pris  dans  les  vi- 
gnes, se  répandait  au  hasard  sur  une  route  où  elle  espé- 
rait trouver  Tbostilité,  la  haine  du  paysan  d'auprès  de 
Paris  pour  le  Parisien.  Sur  les  ciels  d'été,  les  ciels 
lourds  et  fumeux,  zébrés  de  noir  par  des  nuages  d'orage, 
les  artistes  se  découpaient  en  silhouettes  agitées  et  fié- 
vreuses; et  la  nuit  donnant  sa  terreur  à  la  fantaisie  de 
leurs  costumes,  à  la  furie  de  leurs  gestes,  à  leurs 
ombres,  au  point  de  feu  de  leurs  pipes,  il  se  levait  de 
ce  qu'on  voyait  vaguement  d'eux  comme  une  sinistre 
apparence  fantatisque  de  bandits  légendaires  :  on  eût 
cru  voir  les  truands  de  l'Idéal  sur  un  horizon  de  Salva- 
tor  Rosa. 

L'atelier  en  était  un  soir  à  une  de  ces  fins  de  bien- 
venue. L'on  revenait.  Sur  la  route  on  trouva  une  cour 
ouverte,  et  dans  la  cour,  des  blanchisseuses.  Aussitôt, 
Von  eut  l'idée  d'un  bal,  et  Von  organisa,  en  plein  vent. 


\ 


34  MANETTE  SALOMON. 

la  salle  et  la  danse  avec  des  chandelles  achetées  chez  un 
épicier,  et  que  tenaient  dans  leurs  mains  ceux  qui  ne 
dansaient  pas.  Le  modèle  avait  apporté  un  violon  :  ce 
fut  la  musique.  Maïs,  au  milieu  du  quadrille,  les  gar- 
çons du  village  se  ruaient  sur  les  messieurs  qui  dan- 
saient. La  bataille  s^'engageait,  une  bataille  sauvage,  au 
milieu  de  laquelle  Coriolis  se  jetant,  les  manches  re* 
troussées,  couchait  avec  son  échalas  deux  des  paysans 
par  terre.  A  la  fiu,  les  garçons  battus  se  sauvaient  pour 
aller  chercher  du  renfort  dans  le  pays.  Il  n'y  avait  plus 
qu'à  partir. 

Mais  Coriolis  s'entêtait  à  rester.  Il  traita  ses  camarades 
de  lâches.  Il  ramassa  des  pierres  qu'il  jeta  dans  le  ca- 
baret dont  il  venait  de  sortir.  Il  voulait  se  battre.  Il  fallut 
que  ses  camarades  l'entraînassent  de  force.  Tous  étai^înt 
étonnés  de  sa  rage,  de  ce  besoin  fou  quMl  avait  dés 
coups. 

—  Comment!  tu  n'es  pas  content?  —  lui  dit  Ana- 
tole, —  tu  n'as  rien  reçu  et  tu  en  as  descendu  deux!... 
Ah!  tu  y  allais  bien...  Moi,  j'ai  donné  un  joli  coup  de 
pied  à  hauteur  d'estomac  dans  un  grand  serin  qui  m'en- 
nuyait... Mais  deux,  c'est  très-gentil... 

—  Non,  non,  —  répéta  Coriolis,  —  des  lâches,  les 
amis  !  Nous  aurions  dû  leur  donner  une  tripotée  à  ne 
pas  leur  donner  envie  de  revenir...  Des  lâches,  je  te  dis, 
les  amis  f 

Et  sur  tout  le  chemin  jusqu'à  Paris,  son  grand  corps 
donna  tous  les  signes  d'une  colère  de  créole  qui  ne  veut 
rien  entendre. 

Naz  de  Coriolis  étaitle  dernier  enfant  d'une  famille 
de  Provence,  originaire  d'Italie,  qui,  à  la  Révolution  de 
89,  s'était  réfugiée  à  l'île  Bourbon.  Un  oncle,  qui  était 
son  tuteur,  lui  faisait  une  pension  de  six  mille  francs, 
et  devait  lui  laisser  à  sa  mort  une  quinzaine  de  mille 
livres  de  rentes.  Ce  nom  aristocratique,  cette  pension, 
cet  avenir,  qui  était  une  fortune  à  côté  de  la  pauvreté  de 
ses  camarades,  l'élégance  de  tenue  de  Coriolis,  le  monde 
où  l'on  se  disait  qu'il  allait,  les  maîtresses  avec  lesquelles 


.r 


MANETTE  SALOMON.  S5 

il  avait  été  rencontré,  les  restaurants  où  on  l'avait  en- 
trevu, niellaient  entre  lui  et  Tatelier  le  froid  d'une  cer- 
taine réserve.  Langibout  lui-même  éprouvait  une  sorte 
de  gêne  avec  le  «  gentilhomme  »,  comme  il  rappelait; 
et  il  y  avait  un  peu  de  brusquerie  amère  dans  la  façon 
dont  il  laissait  tomber  sur  ses  esquisses  si  vives  et  si 
colorées: —  «  C'est  très-bien,  très-bien...  mais  c'est 
fermé  pour  moi...  vous  savez,  je  ne  comprends  pas...  i 
On  plaisantait  un  peu  Coriolis,  mais  doucement,  pru- 
demment, avec  des  malices  qui  ne  s'aventuraient  pas 
trop.  On  savait  que  les  charges  trop  fortes  ne  réussiraient 
pas  avec  lui.  On  se  rappelait  son  duel  avec  Marpon,  lors 
de  son  entrée  à  l'atelier,  le  duel  pour  rire,  avec  des  balles 
de  liège,  traditionnel  dans  les  ateliers,  et  qui  faillit  ce 
jour-là  devenir  tragique  :  Coriolis,  frappant  sur  la  main 
du  témoin  qui  allait  charger  les  pistolets,  avait  fait  tomber 
les  deux  balles  inoffensives,  et,  tirant  de  sa  poche  deux 
vraies  balles  de  plomb,  avait  exigé  un  nouveau  et  sériiiux 
chargement.  Il  était  donc  respecté;  mais  c'élnit  tout. 
Quoiqu'il  ne  montrât  aucune  hauteur  dans  sa  personne, 
ni  dans  ses  manières,  quoiqu'il  fût  reconnu  bon  garçon, 
qu'il  jouât  sa  partie  dans  toute  les  gamineries,  qu'il  fût 
des  jeux,  des  griseries  et  des  batailles  de  l'atelier,  c'était 
an  camarade  avec  lequel  les  autres  élèves  ne  se  sentaient 
pas  à  l'aise  et  n'avaient  que  les  rapports  de  l'atelier.  Et 
dans  ce  monde  le  seul  intime  de  Coriolis  était  Anatole, 
un  ami  de  collège  de  deux  ans  de  grande  cour  à  Henri IV. 
Amusé  par  sa  gaieté,  il  lui  permettait,  lui  pardonnait 
tout,  avec  cette  espèce  d'indulgence  qna  un  gros  cliien 
pour  un  roquet. 

—  Reconduis-moi,  —  lui  dit-il,  quand  ils  furent  sur 
le  pavé  de  Paris. 

Arrivé  chez  lui  :  —  Tu  déménages?  —  rit  Anatole  en 
regardant  le  sens  dessus  dessous  de  l'appartement  et  dos 
commencements  d'emballage. 

—  Non,  je  pars,  —  dit  Coriolis  d'un  ton  de  voix  dé- 
grisé. 

—  Tu  t'en  retournes  à  Bourbon? 


36  MANETTE  SALOMOM. 

—  Non,  je  vais  me  promener  en  Orient 
-^  Bah  ! 

—  Oui,  j  ai  besoin  de  changer  d'air...  Ici,  je  sens  que 
je  ne  peux  rien  l'aire...  J'aime  trop  Paris,  vois-tu...  Ce 
gueux  de  Paris,  c'est  si  charmanl,  si  prenant,  si  tentant! 
Je  me  connais  pt  je  me  fais  peur  :  Paris  finirait  par  me 
manger...  Il  me  faut  quelque  chose  qui  me  change...  du 
mouvement...  Je  suis  ennuyé  de  moi,  de  ma  peinture, 
de  l'atelier,  de  ce  qu'on  nous  serine  ici...  Il  me  semble 
que  je  suis  fait  pour  autre  chose...  Après  ça,  on  croit 
toujours  ça...  Enfin,  là-bas,  je  me  figure...  je  verrai  bien 
si  Decamps  et  Marilhat  ont  tout  gris,  n'ont  rien  laissé  aux 
autres.  Il  y  a  peut-être  encore  à  voir  après  eux...  Et 
puis,  je  serai  seul...  c'est  bon  pour  se  reconnaître  et  se 
trouver...  Les  distractions,  absence  totale...  Plus  de  di- 
ners  de  Boissard,  plus  de  soupers,  plus  de  nuits  au  Cham- 
pagne... Rien!  je  serai  bien  forcé  de  travailler...  Mon 
brave  homme  d'oncle  fait  les  choses  très  proprement... 
Il  est  enchanté,  tu  comprends,  de  me  voir  quitter  le  bou- 
levard... Et  dire  que  toutes  ces  idées  raisonnables- là, 
c'est  une  femme  qui  me  les  a  "données!...  mon  Dieu, 
oui...  en  me  flanquant  à  la  porte!  Ah  ça!  tu  m'écriras, 
hein?  parce  qu'une  fois  là...j'y  resterai  quelque  temps... 
Je  voudrais  revenir  avec  de  quoi  étaler,  devenir  quelqu'un  ^ 
quand  je  remettrai  les  pieds  à  Paris...  Tu  sais,  quand  on 
voit  son  talent  quelque  part...  On  m'a  dîl  souvent  que 
j'avais  un  tempérament  de  coloriste...  Nous  verrons  bien! 

Et  devant  l'avenir,  la  séparation,  les  deux  amis,  reve- 
nant au  passé,  se  mirent  à  causer  de  leur  liaison,  du 
collège,  retrouvant  dans  leurs  souvenirs  l'enfance  de  leur 
amitié.  Il  était  trois  heures  du  matin  quand  Coriolis  dit 
à  Anatole  : 

—  Ainsi,  c'est  convenu,  tu  m'embarques  mercredi... 

—  Oui,  je  viendrai  avec  Garnotelle. 


MA.NETTE  SALOMOII,  31 


On  était  à  la  fin  du  déjeuner  d'adieu  donné  par  Coriolis 
k  Anatole  et  à  Garnotelle.  Le  repas  avait  été  triste  et  gai, 
cordial  et  ému.  On  y  avait  bu  ce  coup  de  Télrier  qui 
remue  le  cœur  de  celui  qui  part  et  de  ceux  qui  restent. 
Dans  le  petit  atelier,  de  grandes  malles  noires,  pareilles 
aux  malles  d'Anglais  qui  vont  au  bout  du  monde,  des 
caisses,  des  sacs  de  nuit,  des  couvertures  serrées  dans 
des  courroies,  même  une  petite  tente  de  campagne,  dont 
la  grosse  toile  faisait  rêver,  ainsi  qu'une  voile  au  repos, 
de  nuits  lointaines  et  d'autres  cieux  :  toutes  sortes  de 
choses  de  voyage  attendaient,  prêtes  à  être  chargées  sur 
le  fiacre  avancé  et  arrêté  déjà  devant  la  porte  de  la  mai- 
ion. 

A  ce  moment  la  porte  s'ouvrit,  et  il  parut  sur  le  seuil 
une  ferame  poussant  devant  elle  une  petite  fille  :  l'en- 
fant,  timide,  ne  voulait  pas  entrer;  n'osant  regarder  ni 
se  laisser  voir,  elle  s'enfonçait  dans  la  robe  de  sa  mère, 
et  de  ses  deux  petites  mains,  lui  prenant  deux  bouts  de 
sa  jupe,  elle  essayait  de  s'en  cacher  à  demi,  avec  une 
sauvagerie  d'<;iseau,  comme  de  deux  ailes  qu'elle  s'ef- 
forçait de  croiser, 

—  Personne  de  ces  messieurs  n'aurait  besoin  d'un 
petit  Jésus?  —  demanda  la  femme  avec  un  sourire 
humble,  et,  dégageant  la  tête  de  l'enfant,  elle  montra 
une  petite  fille  aux  yeux  bleus. 

—  Oh!  charmante...  —  dit  Coriolis;  et  faisant  signe 
à  l'enfant  : 

—  Viens  un  peu,  petite... 

Un  peu  poussée  par  sa  mère,  un  peu  attirée  par  le 
monsieur,  et  marchant  vers  son  regard,  moitié  peu- 
reuse et  moitié  confiante,  elle  arriva  à  lui.  Coriolis,  la 
mettant  sur  ses  genoux,  lui  fiturendre  des  gâteaux  dans 


38  MANETTE  SALOMON 

des  assiettes,  sur  Ja  table.  Puis  lui  passant  la  main  dans 
ses  petits  cheveux,  des  cheveux  d'enfant  blonde  qui  sera 
brune,  et  s'amusan^.  les  doigts  de  ce  chatouillement  de 
soie,  il  resta  un  ir^statit  à  regarder  ce  grand  et  profond 
bonheur  d'enfan'^  que  la  petite  avait  dans  les  yeux. 

—  Ah  ça!  h,  mère  je  ne  sais  plus  qui...  —  fit  Ana- 
tole, —  vous  prendrez  bien  une  tasse  de  café  avec  nous? 
Dites  donc,  or.  ne.  vous  voit  plus  poser,  pourquoi  donc 
ça?  Vous  n'êtes  pas  trop  vieille... 

—  Ah!  monsieur,  j'ai  un  malheur...  Les  médecins 
disent  comme  ça  que  j'ai  un  commencement  d'ankylose 
de  la  colonne  vertébrale...  Ce  n'est  pas  que  ça  me  gêne 
autrement  pour  n'importe  quoi...  Mais  voilà  deux  ans 
au  moins  que  je  ne  puis  plus  hancher... 

—  Une  petite  tête  qui  m'aurait  Qlé...,  —  fit  Coriolis 
qui  continuait  à  examiner  la  petite  fille.  —  C'est  dom- 
mage... Mais  vous  voyez,  la  mère,  je  pars...  A  propos, 
quelle  heure  est-il? 

Il  regarda  sa  montre. 

—  Diable!  nous  n'avons  que  le  temps... 

Et,  se  levant,  il  éleva,  par-dessous  les  bras,  l'enfant 
au-dessus  de  sa  tête,  l'embrassa  et  la  posa  à  terre.  Mais 
dans  ce  mouvement,  l'enfant  glissant  contre  lui,  accro- 
cha la  chaîne  de  sa  montre,  et  en  fit  sauter  les  breloques 
qui  roulèrent  en  sonnant,  sur  le  parquet. 

—  Ne  la  grondez  pas,  la  mère...  Ce  n'est  pas  sa  faute 
à  cette  enfant,  —  fit  Coriolis  en  ramassant  les  brelo- 
ques :  —  C'est  bête,  ces  petites  bêtises-là,  on  s'accroche 
toujours  avec...  Hais,  au  fait,  j'y  pense...  Quand  on  va 
là-bas,  on  ne  sait  trop  si  on  en  reviendra...  Tiens! 
Anatole,  voilà  mon  petit  poisson  d'or,  tu  en  auras  tou- 
jours bien  vingt  francs  au  Mont-de-Piété...  Et  toi,  — 
dit-il  à  Garnotelle,  —  qui  vas  attraper  le  prix  de  Rome 
un  de  ces  jours,  voilà  une  paire  de  cornes  en  corail 
pour  te  défendre  du  mauvais  œil  en  Italie...  Ah!  et  ma 
roupie?... 

Il  regarda  par  terre. 

—  Tu  sais,  j'avais  essayé  dessus  mon  gros  couteau  cata- 


MANETTE  SALOMON.  M 

lan...Oh!  ne  cherchez  pas,  la  mère...  Si  elle  était  tombée 
on  la  verrait...  Je  l'aurai  sans  doute  perdue. > 

Le  portier  entra  :  —  Allons,  monsieur  Antoine,  char- 
geons tout  ça  un  peu  vite...  Et  en  route! 


XI 


—  Petit  cochon,  vous  ne  travaillez  pas,  —  répétait 
Langibout  à  Anatole  quand  il  passait  derrière  lui  dans 
sa  visite  à  Tatelier. 

On  aurait  pu  appeler  Langibout  le  dernier  des  Ro- 
mains. 

Il  était  le  survivant  et  le  type  dur  de  l'ancienne  école. 
n  finissait  la  race  où  l'indépendance  bourgeoise  des  ar- 
tistes du  xviii®  siècle  se  mêlait  au  culte  de  89  et  des 
idées  de  liberté.  Élève  de  David,  il  vivait  dans  la  reli- 
gion de  son  souvenir.  Les  antichambres  ministérielles 
ne  l'avaient  jamais  vu  ni  mendier  ni  attendre;  et  sa  vie 
roide  dans  sa  dignité,  aiTectait  une  certaine  austérité 
républicaine,  comme  une  sainteté  rude,  aujourd'hui 
perdue  dans  le  monde  des  arts.  Il  tenait  du  vieux  gro- 
gnard et  du  militaire  à  la  Charlet,  avec  son  libéralisme 
bougon,  ses  mécontentements  boudeurs  et  refoulés,  son 
air,  sa  grosse  voix  mâchonnant  les  mots,  sa  dure  et 
forte  moustache,  ses  cheveux  ras.  Quand  il  entrait  dans 
l'atelier,  le  respect  et  le  salut  du  silence  se  faisaient 
devant  sa  tête  robuste  et  penchée  de  côté,  ses  tempes 
grises  sous  son  bonnet  grec»,  ses  yeux  aux  paupières 
lourdes,  ses  traits  carrés,  taillés  largement  dans  des 
traits  d'ouvrier,  et  où  se  voyait,  sous  l'air  grognon,  une 
bonté  de  peuple.  Un  souffle  de  recueillement  passait  sur 
toute  cette  jeunesse,  et  les  plus  gamins  se  sentaient  une 
petite  peur  d'émotion  quand  le  maître  leur  parlait.  On 
l'estimait,  on  le  craignait,  et  on  le  vénérait.  Dans  la 
gronderie  de  ses  avertisj^e^ents,  il  y  avait  une  chaleur 


40  MANETTE  SALOMON. 

de  cœur,  une  brusquerie  de  vive  affection  qui  n'échap^ 
pait  point  à  ses  élèves.  On  lui  savait  gré  de  ces  colères 
impuissantes,  de  ces  rageà  qu'il  répandait  en  gros  mots, 
quand  son  peu  d'influence  dans  les  jugements  des  con- 
cours de  prix  de  Rome  avait  fait  manquer  à  un  de  ses 
élèves  un  prix  enlevé  par  Tintrigue  et  la  parlialilé  de  ses 
confrères  tenant  atelier  comme  lui.  On  lui  était  encore 
reconnaissant  de  sa  tolérance  pour  les  vieux  usages 
transmis  par  les  ateliers  de  la  Révolution  aux  ateliers  de 
Louis-Philippe.  Langibout  était  indulgent  pour  les  farces, 
et  même  pour  les  charges  un  peu  féroces.  Il  trouvait 
que  cela  essayait  et  trempait  la  virilité  des  gens,  disant 
que  les  hommes  n'étaient  pas  €  des  demoiselles  »  ;  que 
de  son  temps,  c'était  bien  autre  chose,  et  que  personne 
n'en  mourait;  que,  dans  l'art,  il  fallait  se  faire  un  peu 
la  peau  et  le  cœur  à  tout.  Et  il  rappelait  la  sauvage  école 
des  artistes  sous  la  république  une  et  indivisible,  les  mi- 
sères mâles  et  farouches  où,  n'ayant  pas  de  quoi  dîner, 
il  se  couchait,  prenait  une  chique  dans  sa  bouche,  ver- 
sait dessus  un  verre  d'eau-de-vie,  et  mangeait  la  fièvre 
que  cela  lui  donnait. 

Enfin,  dans  tout  l'atelier,  Langibout  était  aimé  pour 
la  simplicité  de  sa  vie,  une  vie  de  petit  bourgeois,  en 
manches  de  chemise,  quotidiennement  promenée  sur  ce 
trottoir  de  la  rue  d'Enfer,  entre  un  regard  des  eaux 
.  d'Arcueil^t  la  boutique  d'un  chaudronnier;  une  vie  de 
lamille,  égayée  de  temps  en  temps  d'un  petit  vin  de 
Nuits  qui  arrosait  les  modestes  et  cordiaux  dîners  d'amis 
du  dimanche. 

Langibout  s'était  laissé  prendre  au  charme  d'Anatole, 
à  la  séduction  qu'exerçait  sur  tous  ce  gai  garçon  qui 
semblait  né  pour  plaire  et  arriver,  ce  jeune  homme  si 
brillant,  si  sympathique,  dont  les  mères  des  autres  élè- 
ves se  parlaient  entre  elles,  dans  leurs  petiies  soirées, 
avec^une  sorte  d'envie.  Son  intérêt,  son  affection  avaient 
été  gagnés  par  l'entrain  de  ce  farceur,  et  aussi  par  de 
certaines  promesses  de  talent  que  ses  études  semblaient 
montrer.  Tant  qu'Anatole  avait  dessiné  et  peint  d'après 


/' 


MANETTE  SALOMON.  41 

Tacadémie,  rien  n'avait  attiré  sur  ce  qu'il  faisait  l'atten- 
tion de  Langibout.  Mais  quand  il  arriva  à  ces  concours 
d'esquisses  de  tous  les  quinze  jours,  où  le  premier  re- 
cevait en  prix  de  Langibout  un  exemplaire  des  Loges  de 
Raphaël  ou  des  Sacrements  du  Poussin,  il  se  dégagea, 
montra  des  aptitudes  personnelles,  obtint  presque  toules 
les  fois  la  première  place.  Il  avait  un  certain  sens  de  la 
composition,  de  l'arrangement,  de  l'ordonnance.  De  beau- 
coup de  lectures,  il  avait  retenu  comme  des  morceaux 
de  reconstitution  archaïque,  des  signes  symboliques, 
des  emblèmes,  la  mémoire  d'animaux  hiératiques  et  dé- 
signateurs,  le  hibou  de  la  Minerve  athénienne,  l'épervier 
d'Egypte.  Il  avait  attrapé  par-ci  par-là,  à  travers  les  livres 
feuilletés,  un  petit  bout  d'antiquité,  un  détail  de  mœurs, 
un  de  ces  riens,  qui  mettent  du  caractère  et  l'apparence 
du  passé  dans  un  coin  de  toile.  Il  connaissait  le  modius, 
emblème  d'abondance,  et  le  strophium^  couronne  des 
dieux  et  des  athlètes  vainqueurs.  A  ce  qu'il  savait  de 
raccroc,  il  ajoutait  ce  qu'il  inventait  au  petit  bonheur, 
et  ce  qu'il  défendait  auprès  de  Langibout  avec  des  cita- 
tions imaginées,  des  arguments  tirés  d'un  Homère  iné- 
dit ou  d'une  Bible  invraisemblable,  c  II  cherche  celui- 
là  »,  —  disait  naïvement  aux  autres  élèves  Langibout, 
confondu  dans  sa  courte  science  d'érudition. 

Par  là-dessus,  Anatole  avait  un  certain  instinct  du 
groupement,  l'intelligence  du  moment  précis  de  la  scène 
bdiqué  et  souligné  sur  le  programme  du  concours,  une 
entente  un  peu  banale,  mais  agréablement  littéraire,  du 
drame  agité  dans  son  sujet.  A  côté  des  autres  esquisses, 
plus  colorées,  plus  ressenties  de  dessin,  son  esquisse  avait 
la  clarté  :  ses  bonshommes  étaient  en  situation,  son  dé- 
cor montrait  une  espèce  de  couleur  locale,  son  ébauche 
de  tableau  faisait  tableau.  Et  Langibout  jugeait  que,  si 
jamais  il  pouvait  parvenir  à  travailler,  il  était  capable  de 
faire  aussi  bien  qu'un  autre  son  trou  et  son  chemin  dans 
Fart.  Aussi  était-il  toujours  à  le  pousser,  à  le  tourmen- 
ter, se  plantant  derrière  lui  et  restant  là  à  lui  grommeler 
dans  le  dos  :  —  c  Le  garçon  voit  bien...  11  interprète 

4 


43  MANETTE  SALOMON. 

bien,  très-bien...  Ça  va  bien...  Bonne  couleur...  fin, 
solide,  lumineux...  La  tête...  la  tête  y  est...  le  torse, 
bien  construit,  le  torse...  Et  puis...  Âh  !  voilà...  quelque 
chose  manque...  Oui,  la  volonté...  ne  jamais  aller  jus- 
qu'au bout...  Faiblesse,  paresse...  plus  de  jambes...  Tout 
qui  fiche  le  camp...  Plus  personne!...  En  bas,  rien... 
Des  jambes  ?  ça,  des  jambes!  Rien...  Est-ce  que  ça  porte, 
ces  jambes-là,  voyons?...  Non,  plus  rien.. .Le  bas,  bon- 
soir... > 

Et  la  semonce  finissait  toujours  par  le  refrain  :  «  Pe- 
tit cochon,  vous  ne  travaillez  pas  »,  qu'il  jetait  dans 
l'oreille  d'Anatole  en  lui  tirant  assez  rudement  les  che- 
veux. 


XII 


Uonsieurj 
Monsieur  Anatole  Bazoghb, 

peintrCj 
M  f  rue  du  Faubourg^Poissonniire. 

Paris 

France 

▲dramiti,  près  et  par  Troie  [Iliade), 
Affranchir. 

<  Hon  vieux, 

€  Figure-toi  que  ton  ami  habite  une  ville  où  tout  est 
rose,  bleu  clair,  cendre  verte,  lilas  tendre...  Rien  que 
des  couleurs  gaies  qui  font  :  pif!  paf  !  dans  les  yeux  dès 
qu'il  y  a  un  peu  de  soleil.  Et  ce  n'est  pas  comme  chea 
nous,  ici,  le  soleil  :  on  voit  bien  qu'il  ne  coûte  rien,  il 
y  en  a  tous  les  jours.  Enfin,  c'est  éblouissant!  Et  je  me 
lais  l'effet  d'être  logé  dans  la  vitrine  des  pierres  précieusea 


MANETTE  SALOMON.  43 

an  musée  de  minéralogie.  Il  faut  te  dire  par  là-dessus 
que  les  rues,  dans  ce  pays-ci,  servent  de  lits  aux  torrents 
qui  viennent  de  la  montagne,  ce  qui  fait  qu'il  y  a  tou- 
jours de  l'eau,  —  quand  ce  n'est  pas  une  boue  infecte, 
—  et  que  les  femmes  sont  obligées  de  marcher  sur  des 
patins,  et  qu'il  y  a  de  grosses  pierres  jetées  pour  traver- 
ser... Tu  permets?je  lâche  ma  phrase  :  elle  s'embourbe 
dans  le  paysage.  Donc,  il  y  a  toujours  de  l'eau,  et  dans 
cette  eau,  tu  comprends,  tout  ce  carnaval  se  reflète,  et 
toutes  les  couleurs  tremblent,  dansent:  c'est  absolument 
comme  un  feu  d'artifice  tiré  sur  la  Seine  que  tu  verrais 
dans  le  ciel  et  dans  la  rivière...  Et  des  baraques!  des 
auvents  !  des  boutiques  !  un  remuement  de  kaléidoscope, 
sans  compter  ce  qui  grouille  là-dedans,  le  personnel  du 
pays,  des  gens  qui  sont  turquoise  ou  vermillon,  des 
femmes  turques,  de  vrais  fantômes  avec  des  bottes  jaunes, 
des  femmes  grecques  avec  de  larges  pantalons,  des  che- 
mises flottantes,  un  voile  toncé  qui  leur  cache  la  moitié 
de  la  figure,  des  mendiants...  ah  !  mon  cher,  des  men- 
diants à  leur  donner  tout  ce  qu'on  a  pour  les  regarder!... 
et  puis  des  bonshommes  farces,  bardés,  bossues,  chargés, 
hérissés  de  pistolets,  de  poignards,  de  yatagans,  avec 
des  fusils  trois  fois  grands  comme  les  nôtres  (ça  me  tait 
penser  à  la  ceinture  de  l'Albanais  qui  me  sert  d'escorte, 
écoute  l'inventaire  :  deux  cartoucliières,  une  machine  à 
enfoncer  les  balles,  un  couteau,  plus  une  blague  et  un 
mouchoir),  un  coup  de  jour  là-dessus,  et  crac  !  ils  pren- 
nent feu  :  ils  font  la  traînée  de  poudre,  ils  éclairent, 
avec  leur  batterie  de  cuisine,  comme  un  feu  de  Ben- 
gale ! 

>  C'est  mon  vieux  rêve,  tu  sais,  tout  cela.  L'envie 
m'en  avait  mordu  en  voyant  la  Patrouille  turque  de  De- 
camps.  Diable  de  patrouille!  elle  m'avait  tapé  au  cœur... 
Enfin,  m'y  voilà,  dans  la  patrie  de  cette  couleur-là... 
Seulement,  il  y  a  un  embêtement,  —  ne  le  dis  pas  à  ces 
animaux  de  critiques,  c'est  que  c'est  si  beau,  si  brillant, 
n  éclatant,  si  au-dessus  de  ce  que  nous  avons  dans  nos 
bottes  à  couleur,  qu'il  vous  prend  par  moments  un  dé* 


44  MANETIË  bÂLOMON. 

couragement  qui  coupe  le  travail  en  deux.  On  se  demande 
si  ce  n'est  pas  un  pays  fait  tout  bonnement  pour  être 
heureux,  sans  peindre,  avec  un  goût  de  confiture  de 
roses  dans  la  bouche,  au  pied  d'un  petit  kiosque  vert  et 
groseille,  avec  le  bleu  du  Bosphore  dans  le  lointain,  un 
narguilhé  à  côté  de  soi,  des  pensées  de  fumée,  de  soleil^ 
de  parfum,  des  choses  dans  la  tête  qui  ne  seraient  plus 
qu'à  moitié  des  idées,  une  toute  douce  évaporation  de 
son  être  dans  un  bonheur  de  nuage...  Et  puis  cet  im- 
bécile d'Européen  revient  dans  la  grande  bêle  que  tu  as 
connue;  je  me  sens  prendre  au  collet  par  l'autre  moitié 
de  moi-même,  le  monsieur  actif,  le  producteur,  l'homme 
qui  éprouve  le  besoin  de  mettre  son  nom  sur  de  petites 
ordures  qui  l'ont  fait  suer... 

>  Enfin,  tout  de  même,  mon  vieux,  c'est  bien  dom- 
mage de  faire  des  tableaux  quand  on  en  voit  continuelle- 
ment de  tout  faits  comme  celui-ci.  Tu  vas  voir. 

>  L'autre  soir  j'étais  assis  à  la  porte  d'un  café.  J'avais 
devant  moi  un  auvent  de  boucher.  Le  boucher,  grave- 
ment, chassait  avec  une  branche  d'arbre  les  mouches 
des  quartiers  de  viande  saignante  qui  pendaient.  Autour 
de  lui,  un  voltigement  de  friperie,  de  vieux  tapis  multi- 
colores; à  côté  des  enfants  aux  cheveux  en  petites  nattes, 
des  chiens  maigres,  une  douzaine  de  chèvres  et  de  mou- 
tons pressés  et  se  serrant  dans  une  vague  peur  com- 
mune; une  pierre  ensanglantée  avec  du  sang  dégouli- 
nant, des  traces  que  les  chiens  léchaient  en  grognant. 
Je  regardais  cela  et  un  petit  chevreau  noir  et  blanc, 
avec  ses  grosses  pattes,  qui  se  tenait  presque  collé  sous 
une  chèvre.  Je  vis  mon  boucher  quitter  sa  branche,  aller 
au  pauvre  petit  chevreau  qui  voulut  se  débattre,  poussa 
deux  ou  trois  petits  cris  malheureux,  étouffés  par  les 
chants  et  la  guitare  des  musiciens  de  mon  café.  Le  bou- 
cher avait  couché  le  chevreau  sur  la  pierre;  il  tira  un 
petit  yatagan  de  sa  ceinture  et  lui  coupa  la  gorge  :  un 
flot  de  sang  jaillit  qui  rougit  la  pierre  et  s'en  alla  faire 
de  grands  ronds  dans  Teau  que  lappaient  les  chiens. 
Alors  un  enfant  qui  était  là,  un  bel  enfant,  au  teint  de 


MANETTE  SALOMON.  45 

fleur,  aux  yeux  de  velours,  prit  la  bête  par  les  cornes, 
attendant  son  dernier  tressaillement;  et  de  temps  en 
temps  il  se  penchait  un  peu  pour  mordre  dans  une 
pomme  qu'il  tenait  dans  une  main  avec  la  corne  du  petit 
chevreau...  Non,  je  n'ai  jamais  rien  vu  de  plus  affreuse- 
ment joli  que  ce  petit  sacrificateur  avec  son  amour  de 
tète,  ses  petits  bras  nus  qui  tenaient  de  toutes  leurs 
forces,  mordillant  sa  pomme  au-dessus  de  cette  fontaine 
de  sang,  sur  celte  agonie  d'un  autre  petit... 

>  Ma  maison  est  tout  à  fait  au  bout  de  la  ville,  pres- 
que dans  la  campagne,  sur  une  route  conduisant  à  la 
plaine  et  descendant  à  la  mer  que  domine  le  mont  Ida 
avec  le  blanc  éternel  de  sa  neige.  Je  m'assieds  dehors, 
et,  à  la  nuit  tombante,  dans  la  demi-obscurité  qui  met 
les  choses  un  peu  plus  loin  des  yeux  et  un  peu  plus  près 
de  l'âme,  j'assiste  à  la  rentrée  des  troupeaux.  C'est  le 
plaisir  doux  et  triste,  —  tu  connais  cela,  —  qu'on  prend 
chez  nous,  dans  un  village,  sur  un  banc  de  pierre,  à  la 
porte  d'une  auberge.  Ici,  c'est  pour  moi  le  moment  le 
plus  heureux  de  la  journée,  un  moment  de  solennité 
pénétrante.  Je  me  crois  au  soir  d'un  des  premiers  jours 
du  monde.  Ce  sont  d'abord  des  dromadaires,  toujours 
précédés  d'un  petit  bonhomme  monté  sur  un  âne,  la  file 
des  chameaux  qui  avancent  lentement,  le  dernier  portant 
la  clochette,  les  petits  courant  en  liberté  et  cherchant  à 
téter  les  mères  dès  qu'elles  s'arrêtent;  puis  les  innom- 
brables troupeaux  de  vaches;  puis  les  buffles  conduits 
par  des  bergers  au  chantonnement  mélancolique,  à  la 
petite  flûte  aigrelette;  enfin  vient  l'armée  des  chèvres  et 
des  moutons.  Et  à  mesure  que  tout  cela  passe,  les 
chants,  les  clochettes,  les  piétinements,  les  marches 
traînant  la  fatigue  de  la  journée,  les  bruits,  les  formes 
qui  vont  s'endormant  dans  la  majesté  de  la  nuit,  eh  bien  ! 
que  veux-tu  que  je  te  dise?  il  me  vient  une  émotion  si 
bonne,  si  bonne...  que  c'est  stupide  de  t'en  parler. 

H  Après  cela,  il  faut  bien  avouer  que  je  suis  venu  ici 
le  cœur  un  peu  ouvert  à  tout  :  avant  de  partir,  il  y  avait 
une  dame  qui  m'y  avait  fait  un  petit  trou  pour  voir  ce 


^  MANETTE  SALOMON. 

qu'il  y  avait  dedans...  Ah  !  en  fail  d'amour,  veux-tu  mes 
impressions  femmes  ici?  Voici.  En  allant  en  calque  à 
Thérapia,  je  suis  passé  sous  les  fenêtres  d'un  harem. 
C'était  éclairé  à  gigorno,  comme  nous  disions  pour  les 
vins  chauds  de  Langibout;  et,  sur  les  raies  de  lumière 
des  persiennes,  on  voyait  se  mouvoir  des  ombres,  des 
ombres  très-empaquetées,  les  houris  de  la  maison,  rien 
que  cela!  qui  dansaient  et  sautaient  sur  de  la  musique 
qu'elles  se  faisaient  avec  une  épinette  et  un  trombone... 
Une  bouri  jouant  du  trombone!  Âh!  mon  ami,  j'ai  cru 
voir  rOrient  de  l'avenir!  Et  je  te  laisse  sur  cette  image. 
))  Tu  vois  que  je  pense  à  toi.  Serre  la  main  à  tous 
«eux  qui  ne  m'auront  pas  oublié.  Ecris-moi  n'importe 
quoi  de  Paris,  de  toi,  des  amis,  —  des  bêtises,  surtout  : 
ça  sent  si  bon  à  l'étranger  ! 

>  A  toi, 

»   N.  DE  CORIOLIS.  1 


XIII 


Langibout  avait  raison  :  Anatole  ne  travaillait  pas,  ou 
du  moins  il  n'avait  pas  cette  persistance,  cette  volonté  et 
ce  long  courage  du  travail  qui  lire  le  talent  de  Teffort 
continu  d'un  accouchement  laborieux.  Il  n'avait  que 
l'entrain  de  la  première  heure  et  le  premier  feu  de  la 
chose  commencée.  Sa  nature  se  refusait  à  une  applica- 
tion soutenue  et  prolongée. 

En  tout  ce  qu'il  essayait,  il  se  satisfaisait  lui-même 
par  Ta  peu  près,  l'escamotage  spirituel,  une  sorte  de 
rendu  superficiel,  l'effleurement  de  son  sujet.  Pousser 
l'art  jusqu'au  sérieux,  creuser,  fouiller  une  étude,  une 
composition,  était  impossible  à  ce  garçon  dont  la  cervelle 
légère  était  toujours  pleine  d'idées  volantes.  Son  imagi- 
nation enfantine  et  rieuse,  une  pens/'e  grotesque  qui  le 


MANETTE  SALOMON.  4t 

trayersait,  toutes  sortes  de  riens  pareils  au  chatouillement 
d'une  mouche  sur  le  front  d*un  homme  occupé,  une 
perpétuelle  inspiration  de  drôleries,  l'enlevaient  sans 
cesse  à  l'attention,  à  la  concentration  de  l'étude;  et  à 
tout  moment  l'atelier  le  voyait  quitter  son  académie  pour 
aller  crayonner  quelque  charge  lui  jaillissant  des  doi<::ts, 
la  silhouette  d'un  camarade  allongeant  le  Panthéon  dro- 
latique qui  couvrait  le  mur. 

Au  Louvre,  dans  l'après-midi,  il  ne  travaillait  guère 
plus.  Son  esprit,  ses  yeux  se  lassaient  vite  d'interroger 
la  couleur,  le  dessin  des  vieilles  toiles  qu'il  copiait;  et 
son  observation  quittait  bientôt  les  tableaux  pour  aller 
au  monde  baroque  des  copistes  mâles  et  femelles  qui 
peuplaient  les  galeries.  Il  régalait  ses  malices  de  toutes 
ces  ironies  vivantes  jetées  au  bas  des  chefs-d'œuvre  par 
la  faim,^  la  misère,  le  besoin,  l'acharnement  de  la  fouisse 
vocation;  peuple  de  pauvres,  d'un  comique  à  pleurer, 
qui  ramasse  l'aumône  de  l'Art  sous  le  pied  de  ses  Dieux! 
Les  vieilles  femmes,  aux  anglaises  grises,  penchées  sur 
des  copies  de  Boucher  roses  et  nues,  avec  un  air  d'Alecto 
enluminant  Anacréon,  les  dames  au  teint  orange,  à  la 
robe  sans  manchettes,  au  bavolet  gris  sur  la  poitrine, 
perchées,  les  lunettes  en  arrêt,  au  haut  de  l'échelle  gar- 
nie de  serge  verte  pour  la  pudeur  de  leurs  mait;res 
jambes,  les  malheureuses  porcelainières,  les  yeux  tirés, 
grimaçantes  de  copier  à  la  loupe  la  Mise  au  tombeau  du 
Titien,  les  petits  vieillards  qui,  dans  leur  petite  blouse 
noire,  les  cheveux  longs  séparés  au  milieu  de  la  tôte, 
ressemblent  à  des  enfants  Jésus  de  cinquante  ans  con- 
servés dans  de  l'espril-de-vin,  —  tout  ce  monde,  avec 
sa  lamentable  cocasserie,  amusait  Anatole  et  le  faisait 
délicieusement  rire  en  dedans.  Au  fond  de  lui  passaient 
des  crayonnages  en  idée,  des  méditations  de  carica- 
lures,  des  figurations  bouffonnes,  des  morceaux  d'aperçus 
impossibles  sur  le  passé,  l'intérieur,  les  plaisirs,  les  pas- 
sions de  ces  êtres  déclassés  qu'il  étudiait  avec  sa  péné- 
trante curiosité  du  comique  humain,  avec  son  œil  tou- 
jours occupé,  allant  d'un  vieux  chapeau  noir,  noué  à  la 


48  MANETTE  SALOMON 

barre  avec  ses  rubans  roses,  aux  innocentes  déclarations 
d'amour  de  l'endroit  :  deux  pêches  posées  par  une  main 
inconnue  sur  une  boîte  à  couleurs.  Avait-il  tout  observé 
et  n'avait-il  plus  rien  à  voir?  il  travaillait  à  peu  près 
une  petite  heure,  puis  il  allait  causer  avec  une  vieille 
copiste  portant  en  toute  saison  la  même  robe  de  barège 
noire,  tachée  de  couleurs,  et  une  palatine  en  plumes 
d'oiseaux;  bonne  vieille  sentimentale,  adorant  les  dis- 
cussions métaphysiques,  et  qui,  tout  en  parlant  de  son 
cœur,  parlait  toujours  du  nez. 

Le  plaisir  quotidien  d'Anatole  était  de  la  scandaliser 
par  des  paradoxes  terribles,  des  professions  de  foi  d'in- 
sensibilité, toutes  sortes  de  paroles  troublantes,  au  bout 
desquels  la  pauvre  vieille  femme  s'écriait  avec  un  accent 
de  désespoir  presque  maternel  : 

—  Mon  Dieu  !  il  est  sceptique  en  tout,  sceptique  en 
divinité,  sceptique  en  amour!  —  Et  elle  se  mettait  à 
pleurer,  à  pleurer  sérieusement  de  vraies  larmes  sur  le 
manque  d'idéal  de  son  jeune  ami,  et  toutes  les  illusions 
qu'il  avait  déjà  perdues. 

Telle  était,  dans  l'apprentissage  de  l'art,  sa  vie  et  toute 
sa  pensée,  une  obsession  de  la  farce,  le  travail  de  tête  de 
l'observation  comique,  un  perpétuel  rêve  de  rapin  qui 
cherche  et  pioche  une  invention  de  charges.  Et  parfois  il 
^en  trouvait  d'admirables  et  de  suprêmement  drôles 
'comme  celle-ci  qui  avait  fait  la  joie  de  tout  l'atelier  et  le 
bruit  du  quartier. 

C'était  à  propos  de  Mongin,  un  élève  qui  peignait  la 
figure  le  matin  chez  Làngibout,  et  travaillait  dans  la  jour- 
née chez  l'architecte  Lemeubre.  Mongin,  un  matin,  arriva 
chez  Làngibout  furieux  contre  une  actrice  qui  leur  avait 
fait  donner  un  c  suif  général  >  par  Lemeubre  pour  avoir 
manqué  de  respect  à  sa  femme  de  chambre,  laquelle 
femme  de  chambre,  disait  Mongin,  s'obstinait  à  secouer 
les  tapis  au-dessus  des  fenêtres  ouvertes  où  séchaient 
les  lavis  et  les  épures  des  élèves;  et  Mongin  parlait  de 
se  venger.  Anatole  le  fit  causer  sur  les  habitudes,  ies 
disposâionsdela  maison,  l'étage  et  le  train  de  l'actrice; 


MANETTE  SALOMOM.  48 

puis  il  lui  dit  de  le  prévenir  du  jour  où  elle  ne  sortirait 
pas  le  soir  et  où  le  cocher  serait  absent.  Ce  soir-là  veau, 
il  se  glissa  avec  Mongin  dans  Técurie,  emmaillolta  avec 
du  linge  les  sabots  des  deux  chevaux  de  l'actrice,  puis, 
marche  par  marche,  ils  les  firent  monter,  chacun  eu 
tirant  un  avec  les  doigts  par  les  naseaux,  jusqu'au  troi- 
sième, jusqu'à  l'appartement.  Là-dessus,  un  grand  coup 
de  sonnette,  et  la  femme  de  chambre,  accourant  ouvrir, 
se  trouva  devant  ces  deux  grands  quadrupèdes  plantés 
sur  le  palier.  Le  plus  terrible,  ce  fut  de  les  ôter  de  là  : 
un  cheval  qu'on  hisse  far  le  procédé  d'Anatole  peut 
monter  un  escalier,  mais  quant  à  le  faire  redescendre, 
il  n'y  a  pas  même  à  essayer.  On  fut  obligé  de  passer  la 
nuit  à  couvrir  l'escalier  de  coulisseaux,  à  bàlir  un  vrai 
praticable  pour  faire  ramener  Tatlelage  à  Técurie.  L'ac- 
trice eut  si  peur  d'ébruiter  l'histoire  qu'elle  ne  se  plaignit 
pas,  et  la  femme  de  chambre  ne  secoua  plus  jamais  de 
lapis. 


XIY 


Surexcité,  mis  en  verve  par  son  succès,  sa  popularité 
de  mystificateur,  Anatole  imaginait,  à  peu  de  tem[)s  de 
là,  une  autre  vengeance  contre  une  autre  femme  qui 
avait  fait  tomber  sur  ses  camarades  et  sur  lui  une  terri- 
ble semonce  de  Langibout. 

Il  se  trouvait,  par  un  malencontreux  hasard,  que  dans 
le  fond  de  la  cour  où  était  l'atelier  de  Langibout,  il  y 
avait  un  établissement  de  bains.  Cela  obligeait  les 
malheureuses  jeunes  femmes  du  quartier,  qui  allaient  au 
bain  le  matin,  à  traverser  une  haie  de  grands  diables 
garnissant,  à  l'heure  du  déjeuner,  les  deux  côtés  de  la 
cour,  campés  contre  le  mur,  en  vareuses  rouges  et  la  pipe 
à  la  bouche.  Quand  elles  sortaient  de  l'établissement, 
charmantes,  frissonnantes,  caressées  sous  leurs  robes 


fiO  MANETTE  SALOMON. 

du  souvenir  de  l'eau  et  comme  d'un  souffle  de  fraîcheur, 
elles  avaient  à  déranger  des  lazzarones  couchés  en  Ira- 
vers  de  leur  chemin.  Elles  passaient  vite,  en  se  serrant;, 
mais  elles  sentaient  tous  ces  regards  d'hommes  les 
fouiller,  les  tâter,  les  suivre  ;  leurs  oreilles  accrochaient 
au  passage  des  fragments  d'histoires  efl'arouchantes,  de» 
mots  dans  des  récits,  des  cris  d'animaux,  qui  leur  fai> 
saient  peur.  Les  jours  de  gaieté  de  l'atelier,  on  le» 
faisait  s'arrêter  dans  l'angoisse  d'une  détonation  immi 
nente  devant  un  petit  canon  vide  de  poudre  auquel  un 
élève  menaçait  de  mettre  le  feu  avec  une  grande 
feuille  de  papier  allumé.  Voyant  sa  clientèle  s'éloigner^. 
les  femmes  enceintes,  les  jeunes  filles  avec  leurs  mères, 
et  jusqu'aux  mères  elles-mêmes  ne  plus  revenir,  la  maî» 
tresse  des  bains  avait  été  faire  ses  plaintes  à  Langibout, 
qui,  prenant  feu  sur  la  justice  et  l'honnêteté  de  ses  ré- 
criminations, s'était  livré  contre  tout  l'atelier  à  un  éclat 
de  colère. 

Sur  cela,  Anatole  résolut  de  punir  la  dénonciatrice 
en  frappant  son  commerce  au  cœur.  Un  matin,  huu 
bains,  qu'il  avait  été  retenir  dans  un  grand  élabli^sse- 
ment  de  la  rue  Taranne,  stationnaient  devant  \si  ..laison, 
avec  leur  adresse  sur  les  planchettes  de  derrière  de» 
huit  tonneaux, étonnant,  occupant  les  voisins,  lamaison, 
la  rue,  le  quartier,  tout  un  monde  qui  se  demandait 
s'il  n'y  avait  plus  d'eau,  plus  de  bains,  dans  l'établis- 
sement de  la  maison  Langibout.  Tout  l'atelier  écoutait 
avec  délices  cette  rumeur  qui  ruinait  les  robinets  d'à 
côté,  quanrl  la  porte  s'entr'ouvrit. 

—  Salut,  messieurs...  —  fit  une  voix  d'homme,  une 
voix  qv*  naip  'lait  et  bredouillait. 

—  Saiu-,  messieurs...  —  répétèrent  aussitôt,  aux 
quatre  coins  de  l'atelier,  quatre  ou  cinq  voix  de  jeunes 
gêna  Tépercutant  l'accent  de  l'homme  avec  une  fidélité 
d'écho. 

L'homme  se  décida  à  entrer,  en  souriant  humblement. 
C'était  un  grand  homme  gauche,  aux  traits  purs,  régu- 
liers, à  la  lèvre  un  peu  tombante,  à  l'air  ingénu  et  natu<« 


MANETTE  SALOMON.  5i 

Tellement  ahuri.  Une  blonde  perruque  d*amoureux  de 
théâtre  lui  couvrait  le  crâne.  Il  respirait  la  douceur  et 
le  ridicule,  appelait,  comme  certaines  bonnes  natures 
grotesques,  la  sympathie  et  le  rire. 

—  Salut,  messieurs...  —  reprit-il  avec  sa  même  voix 
embrouillée.  —  Qu'est-ce  que  vous  voulez?  Voilà  des 
boîtes  de  fusain  que  je  vends  cinquante  centimes...  j'ai 
des  tortillons...  j'ai  des  estompes...  de  très -belles 
estompes  en  peau...  j'en  ai  aussi  en  linge...  —  Et  se 
baissant,  il  regardait,  avec  des  yeux  clignotants  et  le 
bout  de  son  nez,  les  objets  qu'il  tirait  de  sa  boîte.  — 
C'est-il  des  canifs  à  deux  lames  qu'il  vous  faut?  xMaiiUe- 
nani,  messieurs,  j'ai^de  petites  maquettes  en  fil  de  fer... 
messieurs,  que  j'ai  inventées...  Messieurs,  c'est  exact... 
C'est  M.  Cavelier  qui  m'a  donné  les  mesures  avec  M.  Gi- 
goux...  Ils  ont  compté...  tenez,  messieurs,  regardez... 
depuis  la  rotule  jusqu'à  la  malléole,  c'est  la  même  dis- 
lance que  de  la  rotule  au  bassin...  Vous  mettez  un  peu 
de  cire  Jà-dessus...  Voyez-vous  :  ça  hanche...  Vous  avei 
votre  bonhomme,  vous  avez  votre  ensemble,  vous  avez 
tout...  C'est-il  des  tortillons  qu'il  vous  faut,  monsieur 
Anatole? 

—  Oui,  père  Mijonnet...  Mettez-m'en  là  pour  deux 
sous...  Mais,  dites-moi  donc,  qu'est-ce  que  c'est  que 
cette  perruque  que  vous  avez  là? 

—  Je  vais  vous  dire,  monsieur  Anatole...  Je  vais  vous 
dire... 

Et  une  rougeur  d'enfant  colora  les  joues  du  mar- 
chand de  tortillons. 

—  Ce  n'est  pas  pour  faire  le  jeune...  Oh!  non,  vous 
me  connaissez...  On  me  disait  toujours  que  j'avais  une 
tête  de  bénédictin...  Alors,  je  m'ai  fait  couper  tous  les 
cheveux,  là-dessus,  sur  la  tête...  et  je  m'ai  fait  mouler 
presque  jusque-là... 

Et  il  montra  le  milieu  de  sa  poitrine. 

—  Mais,  depuis  ça,  je  ne  désenrhumais  pas...  je  ne 
désenrhumais  pas,  figurez-vous...  Alors,  ce  bon  mon- 
iieur  Barnet,  de  chez  M.  Delaroehe,  a  eu  pitié  de  moi  2 


52  MANETTE  SALOMOM. 

il  m'a  donné  cette  perruque-là...  Je  ne  m'enrhume  plus... 
Elle  est  bien  un  peu  blonde,  c'est  vrai...  dans  le  Jour 
surtout...  mais  comme  on  sait  bien  que  ce  n'est  pas 
pour  faire  des  femmes  que  je  la  mets... 

—  Satané  farceur  de  Mijonnel!  —  fit  Anatole  —  Et 
le  Théâtre-Français,  qu'est-ce  que  nous  en  faisons? 

—  Le  Théâtre-Français,  monsieur  Anatole?  Eh  bien! 
voilà  ..  On  avait  été  gentil  pour  moi...  M.  Barnet  m'avait 
fait  mon  costume...  Il  m'avait  prêté  une  toge,  il  m'avait 
appris  à  me  draper.  Il  m'avait  même  fait  des  sandales, 
vous  savez,  avec  des  lanières  rouges...  Voilà  ces  mes- 
sieurs du  théâtre,  quand  ils  m'ont  vu,  ils  ont  été  en- 
chantés... Ils  m'ont  mis  tout  de  suite  au  premier  rang 
des  comparses,  sur  le  devant. . .  même  que  je  disais  :  «  Mort 
à  César!...  >  Tenez!  messieurs,  je  me  posais  comme 
ça,  —  il  se  drapa  dans  son  paletot,  —  et  je  criais... 

—  Des  tortillons!...  —  cria  Anatole  avec  la  voix 
même  de  Mijonnet.  —  Oui,  je  sais,  on  m'a  dit  cela, 
mon  pauvre  Mijonnet.  Ça  vous  a  fait  renvoyer  du  théâtre 

—  Ah!  monsieur  Anatole,  vous  êtes  toujours  le  même. 
Il  faut  que  vous  vous  moquiez...  Vous  êtes  toujours  à 
taquiner  le  pauvre  monde,  —  bredouilla  doucement  et 
plaintivement  le  père  Mijonnet.  —  Mais  c'est  des  his- 
toires... J'ai  toujours  été  très-convenable  aux  Français... 
Tenez,  je  criais  très-bien,  comme  ça  :  «  Mort  à  César!  i 
—  Et  il  s'arracha  une  note  prodigieuse  :  le  cri  de 
Jocrisse  dans  une  conspiration  de  Brutus  ! 

—  Sérieusement,  père  Mijonnet,  votre  place  était  là... 
Vous  aurez  eu  des  jaloux,  voyez-vous...  Vous  étiez  né 
pour  la  déclamation...  Non,  vrai,  je  ne  vous  fais  pas  de 
blague...  Je  suis  sûr  qu'il  y  en  a  beaucoup  d'entre  vous, 
messieurs,  qui  n'ont  jamais  entendu  M.  Mijonnet  réciter 
la  Chute  des  feuilleSy  de  Millevoye...PriezM.  Mijonnet. 

—  Ahl  monsieur  Anatole,  c'est  encore  une  plaisan- 
terie que  vous  me  faites  là,  —  dit  sans  se  fâcher  le 
bonhomme,  habitué  à  cette  scie  d'Anatole 

—  La  Chute  des  feuilles  I  la  Chute  des  feuilles^  Mi- 
jonnet!... ou  pas  de  tortillons!  —  cria  l'atelier. 


MANETTE  SÂLOMOI. 

-  Tous  le  Aoulezy  messieurs? 

De  la  dépouille  de  nos  bois. 
L'automne  avait  jonché  la  terre... 

—  De  la  dépouille  de  nos  bois. 
L'automne  avait  jonché  la  terre... 

ffijonnet  crut  que  c'était  lui  qui  répétait  le  vers  : 
c'était  Anatole. 

—  Taisez-vous  donc,  monsieur  Anatole...  C'est  bête  : 
je  ne  sais  plus  si  c'est  moi  ou  vous  qui  parlez... 

Hais  Anatole  continua,  toujours  avec  la  voix  de  Mi* 
jonnet  : 

Le  rossignol  était  en  bois, 
Bocage  était  au  ministère.. 

—  Oh!  vous  changez,  —  dit  Mijonnet.  —  Ce  n*est 
pas  comme  ça  dans  le  livre...  Je  ne  dis  plus  rien...  Ahl 
merci,  mon  Dieu,  comme  voilà  des  bains!  —  fit-il  en  se 
retournant  et  en  apercevant  dans  l'atelier  les  huit  bains 
apportés  de  la  rue  Taranne. 

—  C'est  pour  vous,  monsieur  Mijonnet,  —  se  bâta  de 
répondre  Anatole,  éclairé  et  traversé  par  une  inspira- 
tion subite,  —  un  bain  d'honneur  qu'on  vous  olTre... 
une  gracieuseté  de  l'atelier...  Vous  avez  le  choix  des 
baignoires... 

—  Tout  de  même,  je  veux  bien...  si  ça  vous  fait  plai-' 
sîr,  messieurs,  —  dit  Mijonnet,  charmé  de  l'idée  de 
prendre  un  bain  gratis. 

n  se  déshabilla  et  entra  dans  l'eau.  Au  bout  de  quel- 
ques minutes,  il  fut  pris  dans  la  baignoire  de  l'ennui 
des  personnes  qui  n'ont  pas  l'habitude  du  bain.  Il  se 
remua,  agita  les  mains,  chercha  une  position,  regarda 
timidement  les  baignoires  à  côté,  et  finit  par  se  hasarder 
à  dire  timidement  : 

—  Ça  ne  vous  ferait  rien,  messieurs,  que  j'aille  dans 
une  autre,  n'est- ce  pas? 

5. 


:54  MANETTE  SALOMON. 

—  C'est  pour  vous  les  huit!  —  hurla  l'atelier  a 
i'enseiîible  et  le  sérieux  d'un  chœur  antique. 

Cinq  minutes  après,  comme  Mijonnet  se  promenait 
d'un  bain  à  l'autre,  cherchant  de  Teau  qui  ne  l'ennuyât 
pas,  Langibout  entra  brusquement  et  violemment  dans 
l'atelier,  avec  un  teint  d'apoplectique,  les  moustaches 
hérissées.  Se  jetant  sur  Mijonnet,  qui  posait  pour  l'indé- 
cision à  cheval  entre  deux  baignoires,  et  l'attrapant 
par  le  bras  : 

—  Gomment,  grand  imbécile!  un  vieillard  comme 
▼ousi...  vous  prêter  à  des  farces  d'enfant!.,.  Habillez- 
vous  de  suite...  et  si  jamais  vous  remettez  les  pieds  ici... 

Mijonnet,  tremblant,  courut  à  ses  habits  et  se  mit  à 
les  passer  vivement,  sans  s'essuyer. 

Langibout  se  promenait  à  grands  pas.  L'atelier  étaj 
silencieux,  consterné,  écrasé  sous  la  colère  muette  dt 
maître.  Anatole,  enfoncé  dans  le  collet  de  sa  redingote, 
ratatiné,  les  coudes  au  corps,  le  nez  sur  son  esquisse, 
n'osait  pas  souffler  :  il  espérait  pourtant  que  tout  l'orage 
tomberait  sur  Mijonnet. 

Mijonnet  rhabillé,  Langibout  le  poussa  dehors;  et,  ai 
fermant  la  porte  sur  lui,  il  jeta,  sans  se  retourner,  par- 
dessus son  épaule  : 

—  Monsieur  Bazoche,  faites-moi  le  plaisir  de  venir 
me  trouver,.. 


XV 


Il  fallut  que  la  mère  d'Anatole  mît  sa  robe  de  velours 
pour  venir  désarmer  Langibout  et  le  décider  à  reprendre 
son  garçon.  Le  «  poil  3  qu'il  eut  à  subir  à  sa  rentrée,  la 
menace  d'une  expulsion  à  la  première  peccadille  refroi- 
dirent pour  quelque  temps  la  folle  gaieté  d'Anatole  et  ses 
facétieuses  imaginations.  II  devint  presque  raisonnable 
et  se  mit  à  piocher.  On  le  vit  arriver  à  six  heures  et  tri- 


MANETTE  SALOMON.  55 

Tailler  consciencieusement  ses  cinq  heures  de  séance 
presque  silencieux,  à  demi  grave.  Il  ne  perdit  plus  de 
journées  à  courir  à  la  recherche  des  modèles  dans 
ces  excursions  en  fiacre,  à  trois  ou  quatre,  qui  fouil- 
laient toute  la  rue  Jean-de  Beauvais.  Il  s'appliquait, 
poussait  ses  études,  soignait  ses  esquisses  plus  qu'il  ne 
les  avait  jamais  soignées,  ne  bougeant  plus  de  son  tabou- 
ret, toujours  présent  quand  venait  la  leçon  de  Langî- 
bout,  sur  la  mine  rébarbative  duquel  il  cherchait  à  voir, 
avec  un  regard  craintif  et  un  sourire  humble,  s'il  était 
tout  à  fait  pardonné.  Les  progrès  qu'il  se  sentait  faire, 
et  dont  il  percevait  la  reconnaissance  autour  de  lui  dans 
le  contentement  mal  dissimulé  de  Langibout  et  les 
regards  curieux  et  étonnés  de  ses  camarades,  soutinrent 
Teffort  de  son  travail  pendant  plusieurs  mois,  au  bout 
desquels  il  se  leva  en  lui,  d'une  bouffée  de  vanité,  une 
petite  espérance,  un  grand  désir,  une  ambition. 

Anatole  était  le  vivant  exemple  du  singulier  contraste, 
de  la  curieuse  contradiction  qu'il  n'est  pas  rare  de  ren- 
contrer dans  le  monde  des  artistes.  Il  se  trouvait  que  ce 
farceur,  ce  paradoxeur,  ce  moqueur  enragé  du  bour- 
geois, avait,  pojr  les  choses  de  l'art,  les  idées  les  plus 
bourgeoises,  les  religions  d'un  fds  de  Prudhomme.  En 
peinture,  il  ne  voyait  qu'une  peinture  cfigne  de  ce  nom, 
«trieuse  et  honorable  :  la  peinture  continuant  les  sujets 
de  concours,  la  peinture  grecque  et  romaine  de  l'In- 
stitut. Il  avait  le  tempérament  non  poiit  classique,  mais 
académique,  comme  la  France.  Le  Beau,  il  le  voyait 
entre  David  et  M.  Drolling.  Le  collège,  l'écho  imposant 
des  langues  mortes  et  des  noms  sombres  de  l'histoire 
ancienne,  l'écrasement  des  pensums  et  de  la  grandeur 
des  héros,  lui  avait  plié  l'esprit  à  une  sorte  de  culte  in- 
stinctif, plat  et  servile,  non  de  l'antiquité,  mais  de  l'Ho- 
mère de  Bitaubé.  Le  poncif  héroïque  lui  inspirait  un  peu 
du  respect  qu'imprime  au  peuple,  dans  un  parterre,  la 
noblesse  et  la  solennité  de  la  représentation  d'un  temps 
enfoncé  dans  les  siècles.  Il  avait  à  la  bouche  toutes  les 
admirations  reçues,  tous  les  enthousiasmes  traditionnels 


MANETTE  SALOMON. 

pour  les  grands  stylistes,  les  grands  coloristes;  mais, 
au  fond,  sans  oser  se  Tavouer,  il  sentait  plus  et  goûtait 
mieux  un  Picot  qu'un  Raphaël.  Ces  dispositions  faisaient 
qu'il  méprisait  à  peu  prés  toute  la  peinture  des  talents 
vivants,  s'en  détournait  avec  des  regards  de  naépris  ou 
des  compliments  de  protection,  et  ne  regardait  guère, 
avec  des  yeux  furieux  d'attention  et  lui  sortant  de  la 
tête,  que  les  petites  toiles  néo-grecques  menant  Aristo- 
phane à  Guignol. 

Pour  un  homme  de  ce  tempérament  et  de  ces  idées, 
il  y  avait  un  grand  rêve  :  le  prix  de  Rome.  Et  c'est  là 
qu'allaient  bientôt  toutes  les  aspirations  de  ses  heures 
de  travail.  Ce  que  représentait  le  prix  de  Rome  dans  la 
pensée  d'AnatoJe,  ce  n'était  pas  le  séjour  de  cinq  ans 
dans  un  musée  de  chefs-d'œuvre;  ce  n'était  pas  l'éduca- 
tion supérieure  de  son  métier^  et  la  fécondation  de  sa 
tête;  ce  n'était  pas  Rome  elle-même  :  a'était  l'honneur 
d'y  aller,  de  passer  par  ce  chemin  suivi  par  tous  ceux 
auxquels  il  trouvait  du  talent.  C'était  pour  lui,  comme 
pour  le  jugement  bourgeois  et  l'opinion  des  familles,  la 
reconnaissance,  le  couronnement  d'une  vocation  d'ar- 
tiste. Dans  le  prix  de  Rome,  il  voyait  cette  consécration 
officielle,  dont  malgré  tous  leurs  dehors  d'indépendance, 
les  natures  bohèmes  sont  plus  jalouses  et  plus  avides 
que  toutes  les  autres.  Dans  Rome,  il  voyait  la  capitale 
de  la  considération  de  l'Art,  un  lieu  ennoblissant  et 
supérieurement  distingué,  qui  était  un  peu  pour  lui 
comme  le  faubourg  Saint-Germain  pour  un  voyou. 

Il  devenait  assidu  aux  cours  du  soir  de  l'Ecole  des 
beaux-arts.  Il  attrapait  même  une  seconde  médaille, 
en  ajoutant,  avec  une  touche  spirituelle,  à  sa  figure  ter- 
minée, les  habits,  la  pipe  et  le  cornet  de  tabac  du  mo- 
dèle jetés  sur  un  tabouret.  Et  tout  à  coup,  pris  d'une 
résolution  subite,  effrontée,  se  fiant  a  un  coup  de 
chance,  au  hasard  qui  aime  les  hasardeux,  il  alla,  sans 
prévenir  Langibout,  se  présenter  au  premier  des  trois 
concours  pour  le  prix  de  Rome.  C'était  au  mois  d'a« 
vril  1844. 


Manette  salomon.  st 

Par  une  froide  matinée  de  la  fin  de  ce  mMs,  Anatole, 
son  chevalet  à  la  main,  un  cervelas  dans  une  poche, 
arrivait  bravement  à  TEcole,  sur  les  cinq  heures  et 
demie,  avec  l'émotion  d'une  mauvaise  nuit.  A  six  heures, 
l'appel  des  inscrits  était  fait.  Les  premiers  médaillés, 
usant  du  droit  de  leur  médaille,  prenaient  possession  des 
vingt  cellules;  les  autres  se  partageaient  à  deux  les  cel- 
lules qui  restaient.  Le  professeur  du  mois  apparaissait 
au  fond  du  corridor,  et  dictait  le  sujet  de  l'esquisse,  en 
appuyant  sur  les  mots  soulignés  indiquant  le  moment 
de  la  scène,  et  que  ramassaient  en  sourdine,  avec  des 
queues  de  mots,  les  élèves  sur  le  pas  de  leurs  cellules. 
Là-dessus,  on  entrait  en  loge.  Dans  les  cellules  à  deux, 
les  déOants  se  dépêchaient  de  clouer  une  couverture 
entre  leur  toile  et  le  camarade  pour  n'être  pas  chipés. 
Anatole,  lui,  ne  cloua  rien,  se  jeta  au  travail,  mangea 
son  cervelas  sans  lâcher  son  esquisse,  travailla  jusijirà 
la  dernière  minute  de  la  dernière  heure.  Au  dernier 
quart  d'heure  de  clarté  déjà  nébuleuse,  il  mettait  en- 
core des  points  lumineux  dans  sa  toile  à  la  lueur  du 
jour  des  lieux. 


XVI 


—  Ah!  mon  cher,  quelle  chance!  —  s*écria  Anatole 
en  rencontrant,  à  un  coin  de  rue,  Chassagnol  qu'il 
n'avait  pas  vu  depuis  le  jour  du  Jardin  des  Plantes. 

Et  il  se  jeta  dans  ses  bras^  avec  une  folie  de  joie  qui 
le  tutoya. 

—  Tu  ne  sais  pas?  Je  suis  le  neuvième  au  concours 
d'esquisse  pour  le  prix  de  Rome  !  ^ 

—  Le  neuvième?  répéta  froidement  Chassagnol;  et 
lui  prenant  le  bras,  il  l'emmena  du  côté  d'un  café  qui 
répandait  sûr  le  pavé  le  feu  de  son  gaz.  Arrivé  à  It 
porte,  il  fit  passer  Anatole  devant  lui  avec  ce  geste  d'in- 


fM  MANETTE  SÂLOMON. 

vitation  qui  offre  la  consomniation,  et  se  jetant  sur  la 
première  banquette  sans  rien  voir,  sans  s'occuper  des 
garçons  plantés  devant  lui,  des  bourgeois  qui  regar- 
daient, de  l'argent  qui  pouvait  bien  n'être  pas  dans  la 
poche  d'Anatole,  il  partit  :  —  Le  prix  de  Rome...  ah! 
ah!  ah!  le  prix  de  Rome!  Voilà!  C'est  bien  cela!  Le 
prix  de  Rome,  n'est-ce  pas,  hein?  Le  rêve  de  six  cents 
niais...  tous  les  ans,  six  cents  niais! 

Il  jetait  des  cris,  des  interjections,  des  exclamations, 
des  monosyllabes,  des  morceaux  de  phrases  pénibles, 
douloureux.  Sa  voix  se  pressait,  ses  mots  s'étranglaient. 
•Ce  qu'il  voulait  dire  grimaçait  sur  ses  traits  crispés.  De 
ses  mains  tressaillantes  de  violoniste,  agitées  au-dessus 
de  sa  tête,  il  relevait  fiévreusement  les  ficelles  tom- 
bantes de  ses  cheveux  plats.  Ses  doigts  épileptiques  se 
tourmentaient,  faisaient  le  geste  d'accrocher  et  de  saisir, 
battaient  l'air  devant  ses  idées,  remuaient  autour  de  son 
front  le  magnétisme  de  leurs  nerfs.  Coup  sur  coup, 
renfonçait  dans  sa  poitrine  la  corne  de  son  habit  bou- 
tonné. Un  rire  mécanique  et  fou  mettait  une  espèce  de 
hoquet  dans  sa  parole  coupée,  hachée;  et  l'on  eût  cru 
voir  de  l'eau  qui  remplissait  d'une  lueur  trouble  ces 
yeux  d'un  visage  halluciné  montrant  les  misères  d'un 
estomac  qui  ne  mange  pas  tous  les  jours,  et  les  débàu- 
«hes  de  l'opium. 

La  crise  dura  quelques  instants;  puis  avec  l'élance- 
ment d'une  source  qui  a  rejeté  ce  qui  l'étouffé  et  lui 
pèse,  vomi  son  sable  et  ses  pierres,  il  jaillit  de  Chassa- 
gnol  un  flot  libre  et  courant  d'idées  et  de  mots,  qui  roula 
autour  de  lui  sur  l'hébétement  des  buveurs  de  bière. 

—  Insensée!...  là!  insensée!...  l'idée  d'une  fournée 
d'avenirs!...  d'avenirs!  Ah!  ah!...  Comment!...  ce  qu'il 
y  a  de  plus  divers  et  de  plus  opposé,  natures,  tempéra- 
ments, aptitudes,  vocations,  toutes  les  manières  person- 
nelles de  sentir,  de  voir,  de  rendre,  les  divergences,  les 
contrastes,  ce  qu'une  Providence  sème  d'originalité  dans 
l'artiste  pour  sauver  l'art  humain  de  la  monotonie,  de 
l'ennui;  les  contraires  absolus  qui  doivent  faire  la  con- 


Mariette  SALOMON.  5» 

trariété  des  admirations,  ces  germes  ennemis  et  dispa- 
rates d'un  Rembrandt  et  d'un  Vinci  à  venir...  tout  ceial. 
vous  enfermez  tout  cela,  dans  un  pensionnat,  sous  U 
discipline  et  la  férule  d'un  pion  du  Beau!  Et  de  quel 
Beau!  du  Beau  patenté  par  Tlnstitut!  Hein!  comprends- 
tu?  Du  talent,  mais  si  tu  avais  la  chance  d'en  avoir  pour 
deux  sous,  tu  ne  le  rapporterais  pas  de  là-bas...  Car  le 
talent,  enfin  le  talent,  qu'est-ce  que  c'est,  hein,  le  ta- 
lent? C'est  tout  bêtement,  et  ça  dans  tous  les  arts,  pas 
plus  dans  la  peinture  que  dans  autre  chose...,  c'est  la 
faculté  petite  ou  grande  de  nouveauté,  tu  entends?  de 
nouveauté,  qu'un  individu  porte  en  lui...  Tiens!   par 
exemple,  dans  le  grand,  ce  qui  didérencie  Rubens  de 
Rembrandt,  ou,  si  tu  veux,  de  haut  en  bas,  Rubens  de 
Jordaôns,  là,  hein?...  eh  bien,  cette  faculté,  cette  ten- 
dance de  la  personnalité  à  ne  pas  toujours  recommencer 
un  Pérugin,  un  Raphaël,  un  Dominiquin,  et  cela  avec 
une  sorte  de  piété  chinoise,  dans  le  ton  qu'ils  ont  au- 
jourd'hui... cette  faculté  de  mettre  dans  ce  que  tu  fais 
quelque  chose  du  dessin  que  tu  surprends  et  perçois 
{oi-même,  et  toi  seul,  dans  les  lignes  présentes  de  la 
lie,  la  force  et  je  dirai  le  courage  d'oser  un  peu  la  cou- 
leur que  tu  vois  avec  ta  vision  d'occidental,  de  Parisien 
du  XIX*  siècle,  avec  tes  yeux...  je  ne  sais  pas,  moi...  de 
presbyte  ou  de  myope,  bruns  ou  bleus...  un  problème, 
cette  question-là,  dont  les  oculistes  devraient  bien  s'oc- 
cuper, et  qui  donnerait  peut-être  une  loi  des  coloristes... 
Bref,  ce  que  tu  peux  avoir  de  dispositions  à  être  (01, 
c'est-à-dire  beaucoup,  ou  un  peu  dliférent  des  autres... 
Eh  bie.n!  mon  cher,  tu  verras  ce  qu'on  t'en  laissera, 
avec  les  prêcheries,  les  petits  tourments,  les  persécu- 
tions! Mais  on  te  montrera  au  doigt!  Tu  auras  contre  toi 
le  directeur,  tes  camarades,  les  étrangers,  l'air  de  la 
Villa-Medici,  les  souvenirs,  les  exemples,  les  vieux  cal- 
ques de  vingt  ans  que  les  générations  se  repassent  à 
l'Ecole,  le  Vatican,  les  pierres  du  passé,  la  conspiration 
des  individus,  des  choses,  de  ce  qui  parle,  de  ce  qui 
conseille,  de  ce  aui  réprimande,  de  ce  qui  opprime  avec 


00  MANETTE  âALOMON. 

le  souvenir,  la  tradition,  la  vénération,  les  préjugés.,, 
tout  Rome,  et  Tatraosphère  d'asphyxie  de  ses  chefs- 
d'œuvre!  Un  jour  ou  l'autre,  tu  seras  empoigné  par 
quelque  chose  de  mou,  de  décoloré  et  d'envahissant, 
comme  un  nageur  par  un  poulpe...  le  pastiche  te  mettra 
la  main  dessus,  et  bonsoir!  Tu  n'aimeras  plus  que  cela, 
tu  ne  sentiras  plus  que  cela  :  aujourd'hui,  demain,  tou- 
jours, tu  ne  feras  plus  que  cela...  pastiches!  pastiches I 
pastiches!  Et  puis  la  vie,  là!...  Gardez  donc  de  la  flamme 
dans  la  tête,  de  l'énergie,  du  ressort,  les  muscles  et  les 
nerfs  de  l'artiste,  dans  cette  vie  d'employé  peintre,  dans 
cette  existence  qui  tient  de  la  communauté,  du  collège 
et  du  bureau,  dans  cette  claustration  et  cette  régularité 
monacales,  dans  cette  pension!  «  Une  cuisine  bour- 
geoise »,  comme  l'a  appelée  Géricault...  Rudement 
juste,  le  mot!  C'est  là  qu'il  s'éteint  bien  te  sursum 
corda  de  l'ambition  poignante...  Toi?  mais  dans  ce  dou- 
ceâtre et  endormant  bien-être,  dans  la  fadeur  des  rou- 
tines, devant  la  platitude  des  perspectives  tranquilles, 
l'avenir  assuré,  le  droit  aux  commandes,  les  travaux 
qui  vous  attendent...  toi?  Mais  la  bourgoisie  la  plus  basse 
finira  par  te  couler  dans  les  moelles!...  Tu  n'oseras  plus 
rien  trouver,  rien  risquer...  Tu  marcheras  dans  les  sou- 
liers éculés  de  quelque  vieille  gloire  bien  sage,  et  tu 
feras  de  l'art  pour  faire  ton  chemin  !  Ah!  tu  ne  sais  pas 
ce  qu'il  a  fallu  de  résistance,  d'héroïsme,  de  solidité  à 
deux  ou  trois  qui  ont  passé  par  là...  quatre,  si  tu  veux, 
mais  pas  plus...  pour  résister  au  casernement,  à  l'éner- 
vement  de  ces  cinq  ans,  à  l'embourgeoisement  et  l'apla- 
tissement de  ce  milieu!  Non,  vois-tu,  mon  cher,  qu'on 
fasse  toutes  les  tartines  du  monde  là-dessus,  ce  n'est 
pas  là  l'école  qu'il  faut  au  talent  :  la  vraie  école,  c'est 
l'étude  en  pleine  liberté,  selon  son  goût  et  son  choix.  Il 
faut  que  la  jeunesse  tente,  cherche,  lutte,  qu'elle  se  dé- 
batte ayec  tout,  avec  la  vie,  la  misère  même,  avec  un 
idéal  ardu,  plus  fier,  plus  large,  plus  dur  et  douloureux 
à  conquérir,  que  celui  qu'on  affiche  dans  un  programme 
d'école,  et  qui  se  laisse  attraper  par  les  forts  en  thème..., 


MAI4ETTE  SALOMON.  61 

Et  pourquoi  une  école  de  Rome,  hein?  Dis-moi  un  peu 
pourquoi?  Comme  si  l'on  ne  devrait  pas  laisser  le  peintre 
qui  se  forme  aller  où  il  lui  semble  qu'il  y  a  des  aïeux, 
des  pères  de  son  talent,  des  espèces  d'inspirations  de 
lamille  qui  l'appellent...  Pourquoi  pas  une  école  à  Ams- 
terdam pour  ceux  qui  sentent  des  liens  de  race,  une  fi- 
liation avec  Rembrandt?  Pourquoi  pas  une  école  de  Ma- 
drid pour  ceux  qui  croient  avoir  du  Vélasquez  dans  les 
veines?  Pourquoi  pas  une  école  de  Venise  pour  les  au- 
tres? Et  puis,  au  fond,  pourquoi  des  écoles?  Veux-tu 
que  je  te  dise  ce  qu'il  y  a  à  faire,  et  ce  qu'on  fera  peut- 
être  un  jour?  Plus  de  concours,  d'émulation  d'école,  de 
vieilles  machines  usées  et  d'engrenai,^es  de  tradition  :  à 
l'œuvre  libre,  convaincue,  personnelle,  témoignant  d'une 
pensée  et  d'une  inspiration,  à  l'artiste  jeune,  débutant, 
inconnu,  qui  aura  exposé  une  toile  remarquable,  que 
l'Etat  donne  une  somme  d'argent,  qu'avec  cet  argent 
l'artiste  aille  ou  il  voudra,  en  Grèce...  c'est  aussi  clas- 
sique que   Rome,  à  ce  que  je  crois...  en  Egypte,  en 
Orient,  en  Amérique,  en  Russie,  dans  du  soleil,  dans  du 
brouillard,  n'importe  où,  au  diable  s'il  veut!  partout  où 
le  poussera  son  instinct  de  voir  et  de  trouver...  Qu'il 
voyage,  si  c'est  son   humeur;  qu'il   reste,  si  c'est  son 
goût;  qu'il  regarde,  qu'il  étudie  sur  place,  qu'il  travaille 
à  Paris  et  sur  Paris...  Pourquoi  pas?  Pinclo  pour  Pin- 
cio,   quand  il  prendrait  Montmartre?  Si  c'est  là  qu'il 
croit  trouver  son  talent,  le  caractère  caché  dans  toute 
chose  qui  se  révèle  à  l'homme  unique  né  pour  le  voir... 
Eh  bien!  celui  qu'on  encouragera  ainsi,  en  le  laissant 
tout  à  lui-même,  en  lui  jetant  la  bride  de  son  originalité 
sur  le  cou,  s'il  est  le  moins  du  monde  doué,  je  puis 
bien  l'assurer  que  ce  qu'il  fera,  ce  ne  sera  ni  du  beau 
Blondel,  ni  du  beau  Picot,  ni  du  beau  Abel  de  Pujol,  ni 
du  beau  Hesse,  ni  du  beau  Drolling...  pas  du   beau  si 
noble,  mais  quelque  chose  qui  aura  des  entrailles,  du 
tressaillement,  de  l'émotion,  de  la  couleur,  de  la  vie!... 
ah!  oui,  qui  vivra  plus  que  toutes  ces  resucées  de  my- 
thologies-làl...  Allons  donc!  11  y  aurait  eu  des  Inslituts 

6 


6f  MANETTE  SALOMON. 

partout  avec  des  couronnes,  que  nous  n'aurions  peut- 
être  pas  vu  se  produire  les  excessifs,  les  déréglés,  les 
géants,  un  Rubens  ou  un  Rembrandt!  On  nous  arrête  le 
soleil  à  Raphaël!  Ah!  le  prix  de  Rome!...  Tu  verras  ce 
que  je  te  dis  :  une  honorable  médiocrité,  voilà  tout  ce 
qu'il  fera  de  toi...  comme  des  autres.  Pardieu!  lu  arri- 
veras à  sacrifier  c  aux  doctrines  saines  et  élevées  do* 
l'art  »...  Doctrines  saines  et  élevées!  C'est  amusant! 
Mais,  nom  d'un  petit  bonhomme!  qu'est-ce  qu'elle  a 
donc  fait  ton  école  de  Rome?  Est-ce  ton  école  de  Rom& 
qui  a  fait  Géricault?  Est-ce  ton  école  de  Rome  qui  a  fait 
ton  fameux  Léopold  Robert?  Est-ce  ton  école  de  Rome 
qui  a  fait  Delacroix?  qui  a  fait  Scheffer?  qui  a  fait  Dela- 
roche?  qui  a  fait  Eugène  Deveria?  qui  a  fait  Granet? 
Est-ce  ton  école  de  Rome  qui  a  fait  Decamps?  Rome! 
Rome!  toujours  leur  Rome!  Rome?  Eh  bien,  moi  je  le 
dis,  et  tant  pis!  Rome?  c'est  la  Mecque  du  poncif!.., 
oui,  la  Mecque  du  poncif...  Et  voilà!  Hein?  n'est-ce  pas? 
ça  va,  le  baptême  y  est... 

Chassagnol  parlait  toujours.  Et  de  son  éloquence  en- 
fiévrée, morbide,  qui  grandissait  en  s'exaltant,  se  levait 
l'orateur  nocturne,  le  parleur  dont  les  théories,  les  pa- 
radoxes, l'esthétique  semblent  se  griser  à  la  nuit  de 
l'excitation  de  la  veille  et  de  la  lumière  du  gaz,  un  type 
de  ce  génie  de  la  parole  parisienne,  qui  s'éveille,  à 
i'heure  du  sommeil  des  autres,  sur  un  bout  de  table  de 
café,  les  coudes  sur  les  journaux  salis  et  les  mensonges 
fripés  du  jour,  dans  un  coin  de  salle,  à  la  lueur  des  bou- 
gies éclairant  vaguement,  au  fond  de  l'ombre,  les  mate- 
las roulés  sur  les  billards  par  les  garçons  en  manches  de 
chemise. 

A  une  heure,  le  maître  du  café  fut  obligé  de  mettre 
à  la  porte  les  deux  amis.  Chassagnol  s'égosillait  toujours. 

Arrivé  à  sa  porte,  Anatole  monta  :  Chassagnol  monta 
derrière  lui,  en  homme  accoutumé  à  monter  l'escalier 
le  tout  ami  avec  lequel  il  avait  diné  une  fois,  ôta  son 
habit  qui  le  gênait  pour  parler,  n'entendit  pas  sonner 
l'heure  au  coucou  de  la  chambre,  se  mit  à  fumer  une 


MANETTE  SALOMON.  63 

pipe  sans  cesse  éteinte,  regarda  Anatole  se  déshabiller, 
€t  resta,  toujours  parlant,  jusqu'à  ce  qu'Anatole  lui  eût 
•offert  la  moitié  de  son  lit  pour  obtenir  le  silence.  Encore 
Anatole  eut-il  la  fin  de  la  tirade  Chassagnol  dans  un  de 
«es  rêves. 

Deux  jours  et  deux  nuits,  Chassagnol  ne  quitta  pas 
Anatole,  emboîtant  son  pas,  l'accompagnant  au  restau- 
rant, au  café,  vivant  sur  ce  qu'il  mangeait,  partageant 
ses  nuits  et  son  lit,  continuant  à  parler,  à  théoriser,  à 
j)aradoxer,  intarissable  sur  l'art,  sans  que  jamais  un  mot 
lui  échappât  sur  lui-même,  ses  affaires,  la  famille  qu'il 
pouvait  avoir,  ce  qui  le  faisait  vivre,  sans  qu'il  lui  vînt 
jamais  à  la  bouche  le  nom  d'un  père,  d'une  mère,  d'une 
maîtresse,  de  n'importe  quel  être  à  qui  il  tînt,  d'un  pays 
même  qui  fut  le  sien.  Mystère  que  tout  cela  dans  cet 
homme  bizarre  et  secret,  dont  la  science  même  venait 
on  ne  savait  d'où. 

La  troisième  nuit,  Chassagnol  abandonna  Anatole 
pour  s'en  aller  avec  un  autre  ami  quelconque,  qui  était 
venu  s'asseoir  à  leur  table  de  café.  C'était  son  habitude, 
une  habitude  qu'on  lui  avait  toujours  connue  de  passer 
ainsi  d'un  individu,  d'une  société,  d'un  camarade,  d'un 
•café  à  un  autre  café,  à  un  autre  camarade,  pour  se  rac- 
crocher aux  gens,  quand  il  les  retrouvait,  comme  s'il  les 
avait  quittés  la  veille,  les  quitter  de  nouveau  quelques 
jours  après,  et  s'en  aller  nouer  avec  le  premier  venu  une 
nouvelle  intimité  d'une  moitié  de  semaine. 


XYII 


Le  lendemain  de  cette  séparation,  Anatole  entrait 
dans  l'atelier  à  l'heure  où  Langibout  faisait  sa  leçon.  11 
avait  le  petit  air  modestement  fier  qui  s'attend  à  des  fé- 
licilalions. 

—  Vous  voilà,  petit  misérable  !  —  lui  cria  Langiboul 


ei  MANETTE  SALOMON. 

d'une  voix  terrible  dès  qu'il  l'aperçut.  —  Comment! 
avec  ce  que  vous  savez,  vous  avez  eu  le  front  de  con- 
courir? Et  vous  êtes  reçu  le  neuvième!  C'est  dégoû- 
tant... Mais  est-ce  que  vous  avez  jamais  eu  l'idée  que 
vous  seriez  capable  de  peindre  une  académie,  petit  ani- 
mal? Vous  serez  refusé  au  second  concours,  et  vous  au- 
rez pris  pour  rien  du  tout  la  place  d'un  autre  qui  avait 
la  chance  d'avoir  Iç  prix...  Quand  je  pense  que  vous 
auçiez  pu  le  faire  manquer  à  Garnotelle!  un  garçon  qui 
sait,  lui,  et  qui  est  à  sa  dernière  année...  Ah!  si  c'était 
arrivé  par  exemple,  je  vous  aurais  flanqué  à  la  porte  ! 
Je  vous  aurais  flanqué  à  la  porte!...  —  répéta  plus  vive- 
ment Langibout,  et  il  s'avança  sur  Anatole  qui  baissa  la 
tête  sur  son  carton,  comme  devant  la  menace  d'une  ca- 
lotte. Ce  furent  là  toutes  les  félicitations  de  Langibout. 
Du  reste,  il  ne  s'était  pas  trompé  :  la  semaine  suivante, 
au  concours  de  l'académie  peinte,  Anatole  fut  refusé. 
Garnotelle  passait  le  troisième  dans  les  dix  admis  à  en- 
trer en  loge. 

Garnotelle  montrait  l'exemple  de  ce  que  peut,  en  art, 
la  volonté  sans  le  don,  l'effort  ingrat,  ce  courage  de  la 
médiocrité  :  la  patience.  A  force  d'application,  de  persé- 
vérance, il  était  devenu  un  dessinateur  presque  savant,  le 
meilleur  de  tout  l'atelier.  Mais  il  n  avait  que  le  dessin 
exact  et  pauvre,  la  ligne  sèche,  un  contour  copié,  peiné 
et  servile,  où  rien  ne  vibrait  de  la  liberté,  de  la  person- 
nalité des  grands  traducteurs  de  la  forme,  de  ce  qui, 
dans  un  beau  dessin  d'Italie,  ravit  par  l'attribution  du 
caractère,  Texagération  magistrale,  la  faute  même  dans 
la  force  ou  dans  la  grâce.  Son  trait  consciencieux,  sans 
grandeur,  sans  largeur,  sans  audace,  sans  émotion,  était 
pour  ainsi  dire  impersonnel.  Dans  ce  dessinateur,  le 
coloriste  n'existait  pas,  l'arrangeur  était  médiocre,  et 
n'avait  que  des  imaginations  de  seconde  main,  em- 
pruntées à  une  douzaine  de  tableaux  connus.  Garnotelle 
était,  en  un  mot,  l'homme  des  qualités  négatives,  l'élève 
sans  vice  d'originalité,  auquel  une  sagesse  native  de 
coloris,  le  respect  de  la  tradition  de  l'école,  un  précoce 


MANETTE  SALOMON  W 

archaïsme  académique,  une  maturité  vieillote,  sem 
blaient  assurer  et  promettre  le  prix  de  Rome. 
Malgré  troiséchecssuccessifs,Langiboutgardaiire&- 

pérance  opiniâtre  du  succès  pour  cet  élève  persistant  et 
méritant,  auquel  un  double  lien  l'attachait  :  une  simili- 
tude et  une  parité  ïorigine,  une  ressemblance  de  son 
vieux  talent  avec  ce  jeune  talent  classique.  L'avenirlul 
6emblaitnepouvoiréchapper;toutcequ'ilestimait(lans 

ce  compatriote  de  Flandrin  à  son  caractère,  à  cette 
ténacité  que  Gamotelle  mettait  en  tout,  ap^rtant  à  la 
plaisanterie  même  comme  l'entêtement  d'unfanut. 

Né  de  pauvres  ouvriers,  Garnotelle  avait  eula  chance 
de  ne  pas  naître  à  Paris,  et  de  trouver,  autour  de  sa 
misérable  vocation,  toutes  les  protections  qui  soutien- 
nent et  caressent  en  province  une  future  gloire  de  do- 

Le  conseil  municipal  Favait  envoyé  à  Paris  avec  douze 
cents  francs  de  pension,  et,  dans  sa  sollicitude  mater- 
nelle,  l'avait  logé  dans  un  hôtel  vertueux,  où  les  mœurs 
des  pensionnaires  étaient  surveillées  par  un  hôtelier 
tenu  à  un  rapport  sur  leurs  rentrées.  Il  avait  été  aug- 
menté de  deux  cents  francs,  lors  de   sa  réception  11 
rÉcole  des  Beaux-Arts.  Au  bout  de  deux  médailles,  il 
avait  été  porté  à  dix-neuf  cent  francs.  Une  pension  de 
deux  mille  quatre  cents  francs  l'attendait  quand  il  serait 
envoyé  à  Rome.  Déjà  venaient  à  lui,  sans  qu'il  se  fût 
produit,  des  commandes,  des  restaurations  de  chapelle, 
des  portraits  de  gens  de  son  endroit.  Il  sentait  derrière 
lui  tous  ces  bras  d'une  province  qui  poussent  un  fiU 
dont  elle  attend  de  l'honneur,  du  bruit,  toutes  ces 
mains  qui  jettent  au  commencement  de  la  carrière  de 
quelqu'un  du  pays,  les  recommandations  de  1  évêque, 
l'influence  toute-puissante  du  député,  le  tapage  d  éloges 

de  la  presse  locale. 

Malgré  cette  place  de  troisième,  le  maître  et  1  élève 
n'étaient  pas  rassurés.  C'était  le  va-lout  de  l'avenir  de 
Garnotelle,  sa  dernière  année  de  concours  ;  et  Langiboj^ 
avait  beau  se  répéter  toutes  les  chances  de  ce  taleiil 


^^  MANETTE  SALOMdN. 

honnête  et  courageux,  ses  titres  à  la  justice  charitable 
du  jury  d\  Vécole,  il  gardait  un  fond  d'inquiétude.  Il 
lui  semblait  qu'il  y  avait  de  mauvais  courants  et  des  me- 
naces dans  l'air.  Des  bruits  d'ateliers,  un  commence- 
ment de  bourdonnement  d'opinion,  jetaient  en  avant  les 
noms  de  deux  ou  trois  jeunes  gens,  dont  le  talent  nou- 
veau, hardi,  sympathique,  pouvaient  s'imposer  au  jury 
et  triompher  de  ses  répugnances. 

Le  programme  du  concours  de  cette  année-là  était  un 
de  ces  sujets  tirés  du  Scleclœ,  que  semblent  régulière- 
ment tous  les  ans  dicter  à  Flnstilut,  dans  un  songe,  les 
ombres  de  Caylus  et  d'André  Bardon  :  «  Brennus  assié- 
geant Rome,  les  vieillards,  les  femmes  et  les  enfants  as- 
sistent au  départ  des  jeunes  hommes  qui  montent  au  Ca- 
pitule pour  le  défendre.  Les  Flamines  descendent  du 
temple  de  Janiis,  portant  les  vases  et  les  statues  sacrés^ 
et  distribuent  des  armes  aux  guerriers  qu'ils  bénissent,  » 

Garnotelle  passa  soixante-dix  jours  en  loge  à  faire  son 
tableau,  travaillant  jusqu'à  la  nuit,  sans  perdre  une 
heure,  avec  l'acharnement  de  toute  sa  volonté,  une  rage 
d'application,  le  suprême  eiïort  de  toutes  les  ambitions 
et  de  toutes  les  espérances  de  sa  médiocrité. 

Arrivait  l'Exposition  :  son  tableau  était  déjà  jugé;  car 
à  ce  concours,  les  élèves  ne  s'étaient  pas  contentés,  se- 
lon Thabitude  ordinaire,  de srt/oper,  c'est-à-dire  défaire 
des  trous  dans  la  cloison  pour  regarder  l'esquisse  du 
voisin  :  profitant  de  l'inexpérience  d'un  gardien  nouveau 
qu'on  avait  fait  poser,  le  dos  tourné  aux  portes  des  cel- 
lulei,  sous  prétexte  de  faire  son  portrait,  les  concur- 
rents s'étaient  rendus  visite  les  uns  aux  autres,  et  avec 
la  justice  loyale  et  spontanée  des  jugements  de  rivaux, 
le  prix  avait  été  décerné  d'un  commun  accord  à  un 
tout  jeune  homme  nommé  Lamblin.  A  l'Exposition,  ce 
jugement  était  confirmé  par  le  public  et  la  critique, 
qui  restaient  froids  devant  la  sage  ordonnance  des  Fia- 
mines  de  Garnotelle,  la  pauvre  symétrie  des  troupes,  la 
banale  rouerie  des  draperies,  le  mouvement  mort  et 
mannequiné  de  la  scène,  la  déclamation  des  gestes.  Deux 


BLANETTE  SALOMON.  67 

toiles  de  ses  concurrents  lui  étaient  opposées  comme 
«upérieures  par  le  sentiment  de  la  scène,  rentente  de  la 
grandeur  et  du  pathétique  historiques,  des  parties  enle- 
vées de  verve.  Et  pour  la  première  place,  elle  était  donnée 
sans  conteste  à  latoiledeLamhlin,  à  laquelle  les  plus  sé- 
vères accordaient  une  rare  solidité  de  couleur,  et  le  plus 
grand  goût  d'austérité  tragique. 

Mais  Lamblin  avait  eu  Timprudence  d'exposer  au  der- 
nier Salon  un  tableau  dont  on  avai:  parlé,  et  autour  du- 
quel s'était  fait  un  de  ces  bruits  que  les  professeurs 
n'aiment  pas  à  entendre  autour  du  nom  d'un  élève.  Puis, 
il  n'avait  que  vingt-deux  ans,  l'avenir  était  devant  lui, 
il  pouvait  attendre.  Lui  donner  le  prix,  c'était  l'enlever 
à  un  honnête  travailleur,  consciencieux,  régulier,  mo- 
deste, à  un  concurrent  de  la  dernière  année,  au(iuel 
les  échecs  mêmes  avaient  un  peu  promis  le  prix  de 
Rome  :  à  ces  considérations  se  joignait  un  intérêt  natu- 
rel  pour  un  pauvre  diable  méritant,  et  venu  de  bas,  qui 
s'était  élevé  par  l'étude.  Des  recommandations  puissantes 
de  Lyonnais  haut  placés  firent  encore  pencher  la  balance 
du  jury  :  Garnotelle  eut  le  premier  prix.  On  écarta  Lam- 
blin, pour  que  le  rapprochement  de  son  nom,  le  souve- 
nir de  sa  toile  n'écrasât  pas  trop  le  couronné  :  il  n'eut 
pas  même  une  mention  ;  et  pour  sauver  le  jugement, 
des  articles  furent  envoyés  aux  journaux  amis,  où  l'on 
appuyait  sur  le  caractère  d'élévation  et  de  pureté  de 
sentiment  du  tableau  vainqueur.  Mais  ceci  ne  trompa 
personne  :  c'était  un  fait  trop  flagrant  que  le  prix  de 
Rome  venait  d'être  encore  une  fois  donné,  non  au  talent 
et  à  la  promesse  de  l'avenir,  mais  à  l'application,  à  l'as- 
siduité, aux  bonnes  mœurs  du  travail,  au  bon  élève 
rangé  et  borné.  Et  la  victoire  de  Garnotelle  tomba  dans 
le  mépris  de  l'École,  dans  le  soulèvement  qu'inspire  à 
la  jeunesse  une  iniquité  de  juges  et  de  maîtres. 
Anatole  était  une  de  ces  heureuses  natures  trop  légères 

iiour  nourrir  la  moindre  amertume.  Il  n'eut  aucune  ja- 
ousie  de  cette  victoire  qu'il  avait  tant  rêvée.  Il  trouva 
que  Garnotelle  avait  de  la  chance;  ce  fut  tout.  Et  lors  do 


(3  MANETTE  SALOMON. 

la  grande  partie  de  campagne  d'octobre  à  Saint-Gertiain, 
à  cette  fête  des  prix  de  Rome,  où  les  cinquante-cinq 
iogistes  de  l*année  mêlés  à  des  anciens,  à  des  amis, 
courent  la  forêt,  sur  des  rosses  louées,  avec  des  panta- 
lons de  clercs  d'huissier  remontés  aux  genoux  et  i'aif 
d'un  état-major  de  bizets  dans  une  révolution,  AnatoU 
fut  toujours  en  tête  de  la  grotesque  cavalcade.  Au  dîner 
traditionnel  du  pavillon  Henri  IV,  dans  la  casse  de  toute 
la  table  et  le  bruit  de  deux  pianos  apportés  par  les  prix 
de  musique,  il  domina  le  bruit,  le  tapage  et  les  deux 
pianos.  Et  quand  on  revint,  il  étourdit  jusqu'à  Paris,  la 
nuit  et  le  sommeil  de  la  banlieue  avec  la  chanson  nou- 
velle, improvisée  par  un  architecte,  ce  soir-là,  au  des- 
sert du  dîner,  et  populaire  le  lendemain  : 

c  Gn*}  en  a, 
Gn*y  en  a, 
Que  c'est  de  la  fameuse  canaillel ...  • 


XVllI 


"^--fiet  insuccès  suffit  à  guérir  Anatole  de  son  ambition. 
n  se  tourna  vers  d'autres  idées,  vers  un  désir  plus  mo- 
deste et  de  réalisation  plus  facile  :  il  voulut  avoir  un 
atelier  qui  lui  donnerait  le  chez  lui  de  l'artiste,  la  possi- 
bilité de  faire  des  portraits,  de  gagner  de  l'argent;  en 
un  mot,  s'établir  peintre. 

Malheureusement  sa  mère  n'était  pas  disposée  à  lui 
payer  le  luxe  d'un  atelier.  A  la  fin,  elle  se  décida  à  aller 
consulter  Langibout,  qui  l'assura  a  que  les  belles  choses 
pouvaient  se  faire  dans  une  cave  ».  Armée  de  cette  ré- 
ponse, elle  se  refusa  décidément  à  la  fantaisie  d'Anatole. 
Gela  finit  par  une  scène  vive,  à  la  suite  de  laquelle  Ana- 
tole remonta  fièrement  dans  sa  chambre  au  sixième,  en 
déclarant  qu'il  ne  prendrait  plus  ses  repas  à  la  maisoni 
et  qu'il  allait  vivre  de  son  talent. 


MANETTE  SALOMON.  69 

n  vécut  à  peu  près  un  mois  de  dessins  de  tètes  d'Es- 
pagnoles paslellées,  les  cheveux  fleuris  de  fleurs  de 
grenadier,  qu'il  vendait  à  un  petit  marchand  de  la  rue 
Notre-Daine-de-Recou\Tance.  Tout  ce  mois,  il  passa  et 
repassa  devant  un  numéro  de  la  rue  Latayette,  de- 
vant récriteau  d'un  petit  atelier  à  louer,  le  seul  atelier 
du  quartier  où  Hillemacher  n'avait  pas  encore  fait  bàlir 
ces  huit  grands  ateliers  qui  firent  plus  lard  de  la  rue  uq 
des  camps  de  la  pointure  de  la  rive  droite. 

L'embarras  était  qu'il  fallait  une  ap})arence  de  meubles 
pour  entrer  là-dedans  ;  et  Anatole  gjgnait  à  peine  de 
quoi  dîner  tous  les  jours.  Le  plus  souvent,  il  était  nourri 
par  un  camarade  de  Tatelier,  avec  lequel  il  compagnon- 
nail;  un  brave  garçon  pris  par  la  conscriplion,et  i[u'une 
recommandation  d'Horace  Vernet  avait  fait  mettre  dans 
la  réserve,  et  placer  parmi  les  infirmiers  du   Val-de- 
Gràce,  c  les  canonniers  de  la  serinaue.  »  De  la  caserne, 
il  apportait  à  Anatole  la  moitié  de  sa  ration  dans  son 
shako.  Gela  n'entamait  en  rien  la  fermeté  de  résolution 
d'Anatole,  qui  continuait  à  passer  tous  les  jours  par 
l'escalier  de  service  devant  la  porte  de  la  cuisine  en- 
tr'ouverle  de  sa  mère,  sans  y  entrer,  avec  l'air  de  mé- 
priser, du  haut  d'un  estomac  plein,  l'odeur  du  déjeuner. 
Là-dessus,  il  entendit  parler  d'un  monsieur  de  pro- 
vince qui  cherchait  quelqu'un  pour  lui  faire  des  person- 
nages dans  une  lithographie.  Il  demanda  l'adresse,  et 
courut  à  un  petit  hôtel  de  la  rue  du  Helder. 

—  Entrez!  — lui  cria  une  voix  formidable  quand  il 
eut  frappé  à  la  porte  indiquée.  Il  se  trouva  en  face  d'un 
Hercule,  énormément  nu,  et  tout  occupé  à  faire  des 
ablutions  froides. 

L'homme  ne  se  dérangea  pas;  il  continua  à  faire  jouer 
ses  membres  de  lutteur,  des  muscles  féroces,  en  roulant 
de  gros  yeux  dans  sa  grosse  tête  à  barbe  dure. 

—  Proférez  des  sons,  —  dit-il  à  Anatole  interdit.  Et 
quand  Anatole  eut  expliqué  le  motif  de  sa  visite  :  —  Ah! 
vous  savez  faire  la  lithographie,  vous? 

—  Parfaitement,  —  dit  intrépidement  Anatole,  qui 


n  MANETTE  SALOMON. 

n'avait  jamais  touché  de  sa  ?ie  un  crayon  lithographi- 
que. 

—  Où  demeurez-vous? 

—  Rue  du  Faubourg-Poissonnière,  n**  31  • 

—  Garçon  I  —  cria  l'homme  en  se  rhabillant  à  un 
domestique  de  Thôtel,  qu'on  entendait  remuer  dans  la 
chambre  à  côté,  —  fermez  ma  malle,  et  un  commis- 
sionnaire... 

Anatole  ne  comprenait  pas  ;  mais  il  sentait  une  vague 
terreur  brouillée  lui  monter  dans  les  idées,  devant  "cet 
homme  inquiétant  par  sa  force  et  ses  espèces  de  ma- 
nières de  fou. 

—  Partons  !  —  dit  brusquement  l'homme  tout  à  fait 
rhabillé. 

Anatole  descendit  Tescalier,  suivi  par  le  commission- 
naire,  par  la  malle,  et  par  l'homme  portant  sous  le 
bras  une  inunense  pierre,  concentré,  sinistre,  muet  et 
caverneux,  avec  Tair  de  rouler  sous  ses  épais  sourcils 
froncés  des  méditations  farouches.  Il  avait  l'impression 
d'un  cauchemar,  d'une  aventure  menaçante,  et,  par- 
dessus tout,  un  poignant  sentiment  de  honte.  L'idée 
^tait  horrible  pour  lui  d'introduire  cet  étranger  dans  son 
taudis.  S'il  ne  lui  avait  pas  donné  son  adresse,  il  se 
serait  sauvé  à  un  tournant  de  rue. 

Quand  le  commissionnaire  eut  enfourné  avec  peine 
la  grande  malle  dans  la  petite  chambre,  et  que  la  pierre 
fut  posée  sur  la  table  qu'elle  couvrit,  l'homme,  après 
avoir  mesuré  de  l'œil  la  hauteur  et  la  largeur  de  la  man- 
sarde, posa  sa  large  main  sur  la  couverture,  et  dit  ces 
simples  mots  :  —  C'est  votre  lit,  n'est-ce  pas?  Bon  je 
vais  me  coucher.  ' 

Anatole  était  tout  à  fait  ahuri.  Cependant,  il  com- 
mençait à  préparer  dans  sa  tête  une  timide  demande 
d  explication,  quand  l'homme  tira  de  sa  poche  quatre 
ou  cinq  cents  francs  qu'il  posa  sur  la  table  de  nuit.  * 

Anatole  vit  dans  cet  or  un-  éblouissement  :  son  futur 
atelier  !  Il  ne  dit  pas  un  mot. 

L'homme  s'était  couché  ;  tout  à  coup,  sortant  à  moitié 


MANETTE  SALOMOIS.  11 

da  lit^  et  se  dres::ant  sur  son  séant  :  —  Au  fait,  vous  ne 
mangeriez  pas  quelque  chose,  vous  n'avez  pas  faim? 

—  Si,  —  dit  Anatole,  —  j'ai  oublié  de  déjeuner  ce 
matin. 

—  Eh  bien!  faites  monter  quelque  chose  du  restau- 
rant. 

Après  le  déjeuner,  où  l'homme  ne  parla  pas  à  Ana^ 
tôle,  et  où  Anatole  n'osa  pas  lui  parler  : 

r—  Vous  me  réveillerez  à  dix  heures,  —  dit  l'homme 
en  se  recouchant.  —  Vous  entendez,  à  dix  heures! 

Il  était  une  heure.  Anatole  alla  se  promener.  Toutes 
sortes  d'imaginations  lui  tournoyaient  dans  la  cervelle. 
Des  histoires  de  fous  dangereux  qu'il  avait  lues  lui  reve- 
naient. Il  ne  savait  que  penser,  que  croire  de  ce  pro- 
digieux garnisaire  installé  chez  lui,  tombé  de  la  lune 
dans  ses  draps. 

A  dix  heures,  il  réveilla  le  dormeur  qui  s'habilla  et 
se  mil  à  découvrir,  avec  toutes  sortes  de  précautions,  la 
pierre  sur  laquelle  on  ne  voyait  que  l'indication  d'un  arc 
de  triomphe,  de  ce  caractère  aîhambresque  qui  est  le 
style  spécial  de  la  pâtisserie  :  là-dessous  devait  être 
représentée  la  réception  du  duc  d'Orléans  par  la  garde 
nationale  de  Saint-Omer,  avec  les  portraits  exacts  de 
tous  les  gardes  nationaux,  exécutés  d'après  de  mauvais 
daguerréotypes  contenus  dans  la  malle  de  leur  compa- 
triote. 

—  Hein?  nous  allons  nous  y  mettre? —  fit  l'homme 
après  avoir  donné  à  Anatole  toutes  les  explications  du 
sujet. 

—  Nous  y  mettre?  Mais  je  n'ai  pas  l'habitude  de  tra- 
vailler la  nuit. 

—^ Tiens?...  Ah!  bien,  très-bien...  Vous  coucherez 
dans  le  lit,  la  nuit...  moi  le  jour...  Nous  nous  relaye- 
rons. 

Au  bout  de  douze  jours  de  ce  singulier  travail,  la 
pierre  était  finie.  L'artiste-amateur  de  Saint-Omer  re- 
partit pour  son  pays,  laissant  à  Anatole  cent  vingt-cinq 
francs,  l'estomac  refait  et  réélargi,  et  le  souvenir  d'un 


72  MANETTE  SALOMON. 

original  très  brave  homme  qui  n'avait  trouvé  que  ce 
bizarre  moyen  pour  obtenir  vite  d'un  collaborateur  ce 
qu'il  voulait,  comme  il  le  voulait. 

La  malle  du  Saint- Omérois  n'était  pas  au  bout  de  la 
rue,  qu'Anatole  sautait  rue  Lafayette;  il  retenait  le  petit 
atelier.  De  là  il  courait  chez  un  brocanteur  qui,  pour 
soixante-dix  francs,  lui  vendait  un  ichiffonnier  et  quatre 
fauteuils  en  velours  d'Utrecht.  A  ce  superflu,  Anatole 
ajoutait  le  lit  et  la  table  de  sa  chambre.  C'était  de  quoi  ré- 
pondre d'un  terme  pour  un  loyer  de  cent  soixante  francs. 
Et  il  entrait  dans  son  premier  atelier  avec  cinquante 
'francs  d'avance,  de  quoi  vivre  tout  un  mois,  trente  jours 
à  n'avoir  pas  besoin  de  la  Providence. 


XIX 


Atelier  de  misère  et  de  jeunesse,  vrai  grenier  d'espé- 
rance, que  cet  atelier  de  la  rue  Lafayette,  cette  man- 
sarde de  travail  avec  sa  bonne  odeur  de  tabac  et  de  pa- 
resse !  La  clef  était  sur  la  porte,  entrait  qui  voulait.  Un 
éventail  de  pipes  à  un  sou  dans  un  plat  de  faïence  de 
Rouen,  accompagné,  les  jours  d'argent,  d'un  cornet  de 
eaporaly  attendait  les  visiteurs,  qui  trouvaient  toujours 
pour  s'asseoir  une  place  quelconque,  un  bras  de  fau- 
teuil, une  couverture  par  terre,  un  coin  sur  le  lit 
transformé  en  divan,  et  où,  en  se  tassant,  on  tenait  une 
demi-douzaine.  Là  venaient  et  revenaient  toutes  sortes 
d'amis,  d'hôtes  d'une  heure  ou  d'une  nuit,  les  vagues 
connaissances  intimes  de  l'artiste,  des  gens  qu'Anatole 
tutoyait  sans  savoir  leur  nom,  tous  les  passants  que  ce 
seul  mot  d'atelier  attire  comme  l'annonce  d'un  lieu  pit- 
toresque, comique  et  cynique  :  c'étaient  des  cama- 
rades de  chez  Langibout  qui,  ce  jour-là,  avaient  pris  la 
rue  Lafayette  pour  aller  au  Louvre,  quelque  garçon  sans 
atelier  venant  exécuter  chez  Anatole  un  esgavQot  pour 


MANETTE  SALOMON.  73 

un  marchand  de  vin,  un  camarade  de  collép^e  chaloaillé 
par  ridée  de  voir  un  modèle  de  femme,  un  garçon  plongé 
dans  une  étude  d'avoué  et  en  course  dans  le  quartier, 
montant  jeter  ses  dossiers  dans  le  creux  d'un  plâtre  de 
Psyché,  ou  bien  encore  quelque  surnninôraire  évadé  de 
son  ministère  sur  le  coup  de  deux  heures  avec  Tenvie 
de  flâner.  On  y  voyait  encore  de  jeunes  arcliitecirs,  des 
élèves  de  TEcole  centrale,  des  débutants  de  tout  inéiierj 
des  stagiaires  de  tout  art,  rencontrés,  raccolés  (lar  Ana- 
tole ici  et  là,  dans  le  voisinage,  au  café,  ifim porte  où  : 
Anatole  n'y  regardait  pas.  Il  prenait  toules  les  connais- 
sances qui  lui  venaient,  et  rien  ne  lui  seiuhlail  |)lus  na- 
turel que  d'olTrir  la  moitié  de  son  domicile  à  un  mon- 
sieur qui,  dans  la  rue,  avait  allumé  sa  cigarette  avec  la 
sienne.  Cette  extrême  facilité  dans  les  relations  ne  tar- 
dait pas  à  lui  amener  un  camarade  de  lit  permanent, 
sans  qu'il  sut  trop  d'où  lui  venait  ce  camarade.  11  s'ap- 
pelait M.  Alexandre,  et  il  était  engagé  au  Gircjne.  Son 
emploi  ordinaire  était  déjouer  «  le  malheureux  »  géné- 
ral Mêlas.  C'eut  été,  du  reste,  un  acteur  assez  ordinaire 
8ans  ses  pieds;  mais  par  là,  il  sortait  de  la  ligne  :  on 
avait  retourné  tous  les  magasins  du  Cirque,  sans  pou- 
voir trouver  de  chaussure  où  il  pût  entrer. 

Ainsi  animé  et  hanté,  l'atelier  d'Anatole  était  encore 
visité,  généralement  sur  le  tard  et  vers  les  heures  où 
commencent  les  exigences  de  l'estomac,  par  quelques 
femmes  sans  profession,  qui  faisaient  le  tour  des  hommes 
qui  étaient  là,  et  cherchaient  si  l'un  d'eux  avait  l'ichée  de 
nepaadinerseul.Le  plus  souvent,  à  six  heures,  elles  se 
rabattaient  sur  une  cotisation  qui  permettait  de  faire 
remonter  du  café  d'à  côté  des  absinthes  et  des  anisettes 
panachées. 

Le  mouvement,  le  tapage  ne  cessaient  pas  dans  la 
petite  pièce.  Il  s'en  échappait  des  gaîtés,  des  rires,  des 
refrains  de  chansons,  des  lambeaux  d'opéra,  des  hurle- 
ments de  doctrines  artistiques.  L'honnête  maison  croyait 
avoir  sur  sa  tête  un  cabanon  plein  de  fous.^.Puis  ve- 
naient des  jeux  qui  faisaient  trembler  le  partjuet  sur 

7 


71  MANETTE  SALOMOJ» 

la  tète  des  locataires  da  dessous  :  deux  pauvres 
diables  de  dramaturges,  malheureux  comme  des  gens 
qu'on  aurait  enfermés  sous  une  cage  de  singes  poui 
trouver  des  situations.  L'atelier  piétinait^  se  poussait 
dansait^  se  battait,  faisait  la  roue.  Il  y  avait  des  panta- 
lonnades enragées,  des  chocs,  des  chutes,  des  tombées 
de  corps  qu'on  eût  dit  s'assommer  en  tombant,  de& 
luttes  à  main  plate,  des  bondissements  d'acrobate,  de? 
tours  de  force.  Â  tout  moment  éclatait  cet  athlétisme 
auquel  invite  la  vue  des  statues  et  l'étude  du  nu,  cette 
gymnastique  folle,  enragée,  avec  laquelle  l'atelier  con- 
tinue les  récréations  du  collège,  prolonge  les  batailles, 
les  jeux,  les  activités  et  les  élasticités  de  l'enfance  chez 
les  artistes  à  barbe. 

Les  billets  que  M.  Alexandre  avait  pour  le  Cirque 
semés  dans  Tatelier,  apportèrent  bientôt  à  cette  furie 
d'exercices  une  terrible  surexcitation.  Anatole  et  ses 
amis  conçurent  une  grande  idée  qui,  à  peine  réalisée 
amena  le  congé  des  deux  dramaturges.  Ils  pensèrent  à 
répéter  dans  l'atelier  les  grandes  épopées  militaires  de 
Cirque.  A  douze,  ils  jouèrent  TEmpire  tous  les  soirs. 
Chacun  représentait  à  son  tour  une  puissance  coalisée, 
et  quelquefois  deux.  La  table  à  modèle  était  la  capitale 
où  Ton  entrait,  et  une  planche  jetée  du  poêle  sur  la 
table  figiiraitle praticable  imité  du  fameux  tableau  des 
neigesdiiFrioul.  Pour  la  campagnede  Russie,  le  décor 
étaitsimple  :  on  ouvrait  la  fenêtre.  Une  femme  de  la 
société,  qui  raffolait  du  talent  de  Léontine,  fut  chargée 
du  rôle  de  cantinière,àla  condition  qu'elle  fourniraitle 
costume  :  elle  s'habilla  avec  un  pantalon,  une  paire  de 
bottes,  une  blouse  fendue  jusqu'au  haut,  et  le  dessus 
d'une  boîte  de  sardines  appliqué  sur  le  chapeau  de  cuir 
d'un  capitaine  au  long  cours,  naufragé  à  Terre-Neuve, 
et  recueilli  dans  un  coin  de  l'atelier.  Il  y  eut  des  revues 
delagrande  armée  admirablement  passées  par  Anatole 
à  cheval  sur  une  chaise.  11  excellait  à  dire,  d'après  les 
plus  pures  traditions  de  Gobert  :  «  Toi?  je  t'ai  vu  à 
Austerlitz...  A  cheval,  messieurs,  à  cheval!  »  On  vit 


MANETTE  SALOMON. 


l'j 


aussi  là  des  marches  d'armées  pleines  d'ensemble,  où 
le  roulement  des  tambours  était  fait  avec  un  bruit  de 
lèn'es,  et  la  sonnerie  des  clairons  imitée  dans  le  creux 
du  bras  replié.  Mais  ce  qu'il  y  eut  de  plus  beau,  ce  furent 
les  batailles  acharnées,  héroïques,  traversées  de  furieuses 
charges  à  la  baïonnette  avec  des  lattes  d'emballeur,  cou- 
ronnées de  la  lutte  suprême  :  le  combat  du  drapeau  ! 
Triomphe  d'Anatole,  où  serrant  contre  son  cœur  la 
flèche  de  son  lit,  il  luttait,  se  tordait,  se  disloquait,  et 
finissait  par  faire  passer  au-dessus  du  manche  à  balai 
vainqueur  tous  les  ennemis  de  la  France  I 


XX 


Deux  lettres  tombaient  le  même  jour  dans  cet  atelier 
et  cette  vie  d'Anatole  j 

«  Punaisiana,  route  de  Mairnésie 
Septembre  1845 

€  Gredin!  me  laisser,  depuis  le  temps  que  je  suis  ici. 
sans  un  bout  de  lettre,  san^  un  mot!  et  je  suis  sûr  que 
tu  n'es  pas  même  mort,  ce  qui  serait  au  moins  une  ex- 
cuse. Du  reste,  si  je  t'écris,  ce  n'est  pas  que  je  te  par- 
donne, au  contraire.  Je  t'écris  parce  que  je  ne  puis  pas 
dormir.  Sache  que  je  gîte,  pour  l'instant,  chez  le  Grec  /*^ 
Dosiclès,  lequel,  pour  m'honorer,  m'a  mis  dans  un  lit 
où  les  draps  sont  brodés  de  fleurs  en  or  d'un  relief  dé- 
sespérant. J'étais  si  éreinté  ce  soir,  que  je  commençais 
à  dormir  là-dessus,  je  me  gauffrais,  je  me  modelais  en 
creux,  mais  je  dormais...  quand  tout  à  coup,  je  me  suis 
aperçu  que  chacune  de  ces  fleurs  d'ôr  était  un  calice... 
un  vrai  calice  de  punaises!  Et  voilà  pourquoi  je  t'honore 
de  ma  prose,  sans  compter  que  j'ai  eu  ces  temps-ci  de« 
journées  qui  me  démangent  à  raconter,  et  qu'il  faut 
je  ûisse  avalçr  à  quelqu'un. 


H  MANETTE  SÀLOMON. 

»  Sur  ce,  suis-moi.  En  selle,  à  trois  heures  du  matÎQi 
une  escorte  d'une  douzaine  d'Albanais  et  de  Turcs,  et 
bien  entendu  mon  fidèle  Omar.  D'abord  des  sentiers, 
des  chemins  bordés  de  lauriers-roses  et  de  grenadiers 
sauvages,  au  milieu  desquels  je  voyais  passer  le  tout 
jeune  museau  d'un  petit  chameau  né  dans  la  nuit  et  gros 
.  comme  une  chèvre,  qui  venait  nous  dire  lonjour.  A 
r  huit  heures,  nous  commencions  à  monter  la  montagne  : 
i  alors  des  précipices,  des  chutes  d'eau  à  tout  emporter, 
I  des  pins  gigantesques,  admirables  de  formes,  des  arbres 
du  temps  de  la  création,  des  arbres  pleins  de  vie  et 
pleins  de  siècles,  de  vrais  morceaux  d'immortalité  de  la 
terre,  qui  font  le  respect  avec  l'ombre  autour  d'eux.  Je 
ne  te  parle  pas  de  tout  ce  que  nous  faisions  fuir  dans 
les  broussailles  et  les  feuilles,  serpents,  oiseaux,  écu- 
reuils, qui  se  sauvaient  et  se  retournaient  pour  nous 
voir,  comme  s'ils  n'avaient  jamais  vu  de  bêtes  d'une  es- 
pèce comme  nous.  En  haut,  malgré  un  froid  de  chien 
qui  nous  fait  grelotter  sous  nos  manteaux  et  nos  couver- 
tures, nous  restons  une  heure  à  regarder  ce  qu'on  voit 
de  là  :  le  Bosphore,  les  îles,  la  côte  de  Troie,  blanche, 
avec  des  éclals  de  carrière  de  marbre,  étincelante  dans 
ce  bleu,  le  bleu  du  ciel  et  de  la  mer  mêlés,  un  bleu 
pour  lequel  il  n'y  a  ni  mots  ni  couleur,  un  bleu  qui  se- 
rait une  turquoise  translucide,  vois-tu  cela? 

>  De  là,  dégringolade  dans  la  plaine.  Des  villages  do- 
minés par  de  grands  cyprès,  de  la  bonne  bête  de  grosse 
verdure,  comme  en  Normandie  ;  des  vergers  avec  de  l'eau 
sourcillante  sous  le  pied  de  nos  chevaux,  des  arbres  qui 
s'embrassent  de  leurs  branches  du  haut;  des  pêches 
jaunes,  des  prunes,  des  grenades,  des  raisins  de  toute 
couleur  glissant  des  vignes  emmêlées  aux  arbres;  partout 
sur  le  chemin,  des  fruits  suspendus,  tentants,  tombant  à 
la  portée  de  la  main;  entre  les  éclaircies  des  arbres,  des 
champs  de  pastèques  et  de  melons  que  mon  escorte  sabre 
à  grands  coups  de  yatagan  et  dont  elle  m'offre  le  cœur. 
Enfin,  il  me  semblait  être  sur  la  grande  route  du  paradis, 
ftnimé  par  un  peuple  de  paradis  qui  semblait  enchanté 


MANETTE  SALOMON-  Tl 

de  nous  voir  manger  ce  qui  lui  appartenait.  Nous  croisons 
des  zebécks  aux  étendards  rouges.  Nous  passons  de  pe- 
tites rivières  sur  des  ponts  en  ogive,  un  vrai  décor  de 
croisade.  Il  défile  des  hommes,  des  femmes,  de  tout, 
et  jusqu'à  un  déménagement  du  pays  :  cela  se  compose 
d'un  petit  âne  blanc  sur  lequel  est  un  grand  diable  de 
nègre,  le  cafetier,  et  sur  le  cafelier,  juché,  un  coq;  puis 
un  gros  Turc  écrasant  une  maigre  monture;  puis  la 
femme  n**  1,  montée  à  califourchon,  et  flanquée  devant 
et  derrière  d'un  enfant;  puis  la  femme  n°  2;  puis  un 
ànon  et  un  mouton  en  liberté^  qui  suivent  la  famille  à 
peu  près  comme  ils  veulent.  Le  soleil  se  met  à  baisser  : 
nous  tombons  dans  un  groupe  de  pasteurs,  à  la  grande 
immobilité  découpée  sur  le  ciel,  au  chant  grave,  les  yeux 
tournés  vers  une  musquée  :  je  t*assure  qu'ils  dessinaient 
une  crâne  silhouette  de  la  Prière  orientale.  C'est  seule- 
ment à  la  nuit,  à  la  pleine  nuit,  que  nous  atteiiinons 
Ailvatissa,  où  un  gros  dégoûtant  de  Turc,  qui  a  voulu 
absolument  nous  héberger,  nous  fourre  dans  la  bouche, 
avec  toutes  sortes  de  politesses,  les  boulettes  qu'il  se 
donne  la  peine  de  faire  avec  ses   doigts  sales  :  c'était 
comme  mon  lit  de  fleurs  ! 

»  Voilà  une  journée  pas  mal  pittoresque,  n'est-ce  pas? 
Eh  bien  !  elle  ne  vaut  pas  ce  que  nous  avons  vu  aujour- 
d'hui. Imagine-toi  une  immense  oasis,  un  bois  d'arbres 
énormes  et  si  pressés  qu'ils  donnent  l'ombre  d'une  forôt, 
des  platanes  géants  qui  ont  quelquefois,  autour  de  leur 
tronc  mort  de  vieillesse,  quarante  rejetons  enracinés  et 
rejaillissants  du  sol;  imagine  là-dessous  de  l'eau,  un  bruit 
de  sources  chantantes,  un  serpentement  de  jolis  ruisseaux 
clairs,  et  là-dedans,  dans  cette  ombre,  cette  fraîcheur, 
ce  murmure,  pense  à  l'eiTet  d'une  centaine  de  bohémiens 
ayant  accroché  aux  branches  leur  vie  errante,  campant 
là  avec  leurs  tentes,  leurs  bestiaux,  les  hommes,  le  torse 
nu,  fabriquant  des  armes,  forgeant  des  instruments  de 
jardinage  sur  une  petite  enclume  enfoncée  en  terre,  et 
charmant  le  battement  du  fer  avec  le  rhythme  d'une 
chanson  étrange,  de  belles  et  sauvages  jeunes  filles  dan- 

î. 


78  -  MANETTE  SALOiMON. 

sant  en  brandissant  sur  leur  tête  des  tambours  de  basque 
qui  leur  font  de  Tombre  sur  la  figure,  des  femmes  près 
de  flammes  et  de  foyers  vifs,  faisant  cuire  des  agneaux 
entiers  qu'elles  apportent  sur  des  brassées  de  plantes 
odoriférantes,  d'autres  occupées  à  donner  à  de  petites 
bouches  leurs  seins  bronzés,  des  petits  enfants  tout  nus 
avec  un  tarbourch  couvert  de  pièces  de  monnaie,  ou  bien 
n'ayant  sur  la  peau  que  l'amulette  du  pays  contre  le 
mauvais  œil  :  une  gousse  d'ail  dans  un  petit  morceau 
d'étoffe  dorée;  tous,  barbotant,  s'éclaboussant,  dans  le 
bois  d'eau  et  de  soleil,  courant  après  des  oies  effarou- 
chées... Et  aux  arbres,  des  berceaux  d'*enfanls,  nids  de 
loques  aux  mille  couleurs,  ramassés  brin  à  brin  dans  les 
trouvailles  des  routes... 

»  Mais  en  voilà  quatre  pages.  Et  je  dors.  Bonsoir! 

»  Ecris-moi  chez  le  consul  de  France^,  à  Smyrne. 

»  A  toi,  vieux. 

»  N.  DE  CORIOLiS.   9 


XXI 


«  fiome«  26  décembre  1844,  deux  heures  du  matin. 

a  Je  suis  à  Rome,  Je  suis  à  l'École  de  Rome!...  Ahl 
mon  ami,  si  je  l'ossùs,  je  pleurerais.  Mais  pas  de  phrases. 
Tu  vas  voir  ce  que  c'est  ! 

>  Nous  sommes  arrivés  ce  soir;  tu  sais,  Charagut  adCi 
l'écrire  cela,  nous  avions  pris,  il  y  a  près  de  trois  mois, 
un  voiturin  à  Marseille.  Nous  étions  les  cinq  prix  :  Jou- 
vency,  Salaville,  Froment,  Gouverneur  et  Charmond,  le 
musicien.  Nous  avons  passé  par  la  Corniche  et  pas  mal 
flâné  en  Toscane  :  c'a  été  charmant.  Enfin  aujourd'hui, 
c'était  le  grand  jour.  A  trois  heures,  nous  étions  dans  un 
endroit  appelé  Ponte  Molle.  Nous  savions  que  les  cama- 
rades viendraient  à  notre  rencontre  :  il  y  en  avait  quatre 


MANETTE  SALU.MON  is 

Mais  quel  drôle  de  changement  !  des  garçons  avec  qui 
nous  étions  à  Paris  à  tu  et  à  toi,  des  amis!  tu  ne  l'ima- 
gines pas  !  un  froid,.,  et  pas  seulemenl  du  froid,  un  air 
tout  gêné,  tout  inquiet,  tout  absorbé.  Avec  ça,  ils  étaient 
mis  comme  des  brigands,  (iigotés  à  faire  peur.  J\ai  de- 
mandé à  Guérinau  pourquoi  Férussac,  lu  sais,  Férussac 
qui  a  été  chez  nous,  n'élait  pas  venu.  Il  m'a  répondu, 
comme  mystérieusement,  qu'il  n'avait  pas  pu  venir-,  que 
j'allais  le  trouver  bien  changé,  qu'il  avait  une  espèce  de 
maladie  noire;  qu'on  craignait  un  peu  pour  sa  tête,  et 
qu'il  m'avertissait  de  ne  pas  le  contrarier  dans  ses  idées. 
Et  comme  ça  toute  la  route,  c'a  été  un  las  de  mauvaises 
nouvelles  des  uns  et  des  autres,  et  des  histoires  qui  nous 
ont  rais  tout  sens  dessus  dessous.  J'oublie  de  te  dire  qu'à 
Ponte  Mulle,  ils  nous  ont  montré  des  statues  de  Michel- 
Ange  :  je  t'avouerai  que  ni  moi  ni  Jouvency  n'y  avons 
rien  compris.  Ils  trouvent,  eux,  que  c'est  ce  qu'il  a  fait 
de  plus  beau.  Il  faut  que  je  te  dise  quelque  chose,  mais 
cela  tout  à  fait  entre  nous,  je  te  demande  le  secret  :  ils 
sont  ici  très-malheureux  d'une  aventure  arrivée  à  Filas- 
sîer,  le  prix  du  Joseph,  tu  te  rappelles.  A  ce  qu'il  paraît, 
il  est  entretenu  par  une  princesse  italienne,  et  publique- 
ment. Il  ne  s'en  cache  pas,  il  se  donne  en  spectacle.  Tu 
comprends  la  déconsidération  que  cela  jette  sur  l'Aca- 
démie, et  la  position  fausse  où  cela  nous  met  tous  à 
Rome. 

>  Nous  sommes  entrés  par  une  grande  porte  où  il  y  a 
des  obélisques  de  chaque  côté,  et  ils  nous  ont  de  suite 
conduit  dans  le  Corso  voir  Saint-Pierre.  Mon  Dieu  !  que 
cela  ressemble  peu  à  l'idée  qu'on  s'en  fait!  Je  me  figu- 
rais une  place  circulaire  avec  des  colonnes  devant  :  il 
paraît  que  c'a  été  démoli  par  le  gouvernement  pour  faire 
des  rues.  Et  puis,  nous  avons  monté,  et  nous  sommes 
arrivés,  comme  la  nuit  venait  à  la  villa  Médici.  On  nous 
a  menés  à  nos  chambres  :  tu  ne  te  figures  pas  des  cham- 
bres comme  ça  :  j'en  ai  une...  ignoble  !  Et  nous  en  avons 
pour  un  an,  à  ce  qu'il  paraît,  à  être  là  !  Là-dessus  VAve 
Maria  a  sonné  :  cela  sonne  le  dîner  ici,  VAve  Maria, 


80  MAr^ETTE  SALOMON. 

Nous  sommes  descendus  à  la  salle  à  manger.  C'était  lu- 
gubre; rien  que  de  mauvaises  chandelles,  pas  de  nappes; 
au  lieu  de  srrvietles,  des  torchons,  des  couverts  en  élain. 
Il  y  avail,  pour  servir,  deux  domestiques,  mais  si  sales, 
qu'ils  vous  ôtaient  d'avance  l'appétit.  J'ai  aperçu  que 
c'était  peint  en  rouge,  et  qu'il  y  avait  au  fond  le  Faune 
appuyé,  tu  sais,  avec  sa  flûte,  et  puis  en  haut  les  portraits 
des  ()ensiuniiaires.  Fleurieu  me  montrait  tous  ceux  qui 
étaient  morts  :  il  y  en  avait  des  Aies  de  sept  d'emportésl 
On  était  séparé  :  chaque  année  avait  sa  petite  table.  Les 
vieux  [)rix,  les  restants  à  l'école,  les  pr o fesse ur s,  comme 
on  les  appelle  ici,  en  avaient  une  un  peu  exhaussée. 
Ceux  que  j'ai  connus  dans  le  temps  m'ont  paru  terrible- 
ment vieillis  ;  et  puis,  ils  ont  un  teint  d'un  vert  affreux. 
Tu  as  bien  connu  Grimel?  Il  a  les  cheveux  tout  blancs, 
à  présent.  0I^  a  passé  la  soupe,  et  comme  les  nouveaux 
sont  ici  les  derniers  servis,  la  soupière  nous  est  arrivée  à 
peu  près  vide.  Personne  ne  se  parlait.  Il  y  avait  toujours 
un  silence  de  glace.  Ils  ont  l'air  de  se  détester  tous.  Les 
vieux,  autour  de  Grimel,  avaient  des  regards  perdus 
comme  s'ils  avaient  été  dans  la  lune.  Quebjues-uns  avaient 
de  petits  manteaux  de  laine,  et  paraissaient  avoir  froid 
dessous  comme  des  pauvres.  Enfin,  il  y  eut  une  voix  à 
la  table  des  professeurs  :  «  —  Ah  !  voilà  les  nouveaux... 
—  Il  est  bien  laid,  celui-là...  —  Lequel  ?  —  On  dit  que 
le  concours  était  bien  faible...  »  Nous  avions  le  nez  dans 
notre  assiette.  Il  nous  arriva  une  boîte  de  sardines  où  il 
n'y  avait  plus  rien  au  fond  que  des  arêtes  et  de  l'huile 
qui  sentait  l'huile  grasse.  Il  y  avait  dans  la  salle  un  grand 
brasier  plein  de  braise  :  voilà  que  je  vois  un  de  ceux  qui 
grelottaient  y  aller,  poser  les  pieds  sur  le  tour  de  bois 
du  brasier,  et  rester  là  à  trembler.  Cela  faisait  mal.  11  en 
vint  un  autre,  puis  un  autre.  Alors  il  partit  des  tables  : 
€  Sont-ils  embêtants,  avec  leur  fièvre,  ceux-là!  C'est 
agréable  pendant  qu'on  mange,  d'avoir  l'hôpital  à  côté 
de  soi  !  »  Il  faut  te  dire  que  les  domestiques  ne  pari  en 
qu'italien,  ce  qui  est  commode.  Nous  avions  attrapé 
quelques  tirans  du  bouilli,  de  ValessOy  comme  ils  disent, 


MANKTTE  SALOMON.  tt 

quand  Filassier  a  fait  son  entrée,  en  bottes,  en  culotte 
blanche,  en  veslede  velours,  des  éperons,  une  cravache, 
et  un  air  !  Faisant  des  effets  de  cuisse,  repoussant  ce 
qu'on  passait  comme  un  homme  qui  veut  dire  qu'il 
mange  mieux  ailleurs...  C'est  révoltant  !  Je  ne  comprends 
pas  qu'il  en  soit  arrivé  à  cette  impudeur-là.  Là-dessus, 
j'ai  entendu  des  cris  :  Michel-Ange!  Raphaël  !...  Je  n'ai 
entendu  que  cela,  et  j'ai  vu  toute  une  table  qui  se  levait 
pour  en  manger  une  autre...  11  y  avait  même  Châtelain 
qui  avait  son  couteau...  Et  personne  n'essayait  de  les 
séparer!  On  devient  de  vraies  bêles  féroces  ici.  Notre 
graveur,  qui  est  nerveux,  a  pris  le  trac  :  il  s'est  sauvé 
dans  la  cuisine.  Heureusement  qu'on  a  fait  apporter  du 
vin  cacheté,  qui  m'a  semblé  par  parenthèse  plus  mauvais 
que  l'ordinaire,  et  Grimel  a  proposé  gentiment  de  boire 
à  la  santé  des  nouveaux,  en  nous  disant  qu'il  €  espérait 
que  nous  ferions  honneur  à  l'Académie,  et  que  nous  re- 
connaîtrions la  généreuse  hospitalité  que  nous  y  rece- 
vions. 3  Aucun  de  nous  n'a  eu  le  courage  "de  répondre. 
On  est  passé  au  salon.  Qu'est-ce  qui  m'avait  donc  dit 
qu'il  y  avait  des  aquarelles  de  carnaval  au  salon  ?  C'est 
une  petite  chambre  nue,  très-petite.  Nous  avons  été 
obligés  de  nous  asseoir  par  terre,  tandis  que  Charmond 
jouait  son  prix,  et  on  m'a  conduit  à  ma  chambre  :  les 
quatre  murs,  mon  ami.  Mon  lit  et  ma  malle,  rien  de 
plus.  Je  t'écris,  assis  sur  ma  malle.  Je  te  dirai  encore 
que..,  » 

•  Dtt  même  endroit.  Octobre  1845. 

€  Ah!  mon  cher,  je  retrouve  ce  vieux  torchon  de  lettre 
oublié  dans  un  coin,  et  je  ris  bien!  Mais  il  faut  d'abord 
que  je  te  finisse  ma  nuit. 

»  Je  t'écrivais  donc  sur  ma  malle  lorsque,  crac!  ma 
bougie  s'éteint.  Je  la  tâte  :  froide  comme  un  mort!  Je 
cherche  des  allumettes  :  pas  une.  J'ouvre  ma  porte  . 
pas  de  lumière.  Je  me  risque  dans  de  grands  diables 
d'escaliers  et  des  corridors  qui  n'en  finissent  pas.  La 


f^  MâN£TT£  SÂLOMON. 

peur  me  prend  de  me  casser  le  cou,  je  retrouve  ma 
chambre  et  mon  lit  à  tâtons.  Je  prends  mon  meuble  de 
nuit  sous  mon  lit  :  c'est  un  arrosoir!  Enfin  je  me  couche, 
je  vais  fermer  l'œil...  voilà  de  la  lumière  qui  se  met  à 
:;erpenter  par  terre  entre  les  jointures  des  carreaux,  et 
il  part  sous  mon  lit  quelque  chose  comme  une  mine  qui 
saute!  Au  même  instant  la  porte  s'ouvre,  et  on  me  jette 
dans  ma  chambre  une  avalanche  de  meubles. 

j>  Une  farce  que  tout  cela,  tu  comprends;  une  farce 
depuis  le  commencement  jusqu'à  la  fin!  Les  soi-disant 
statues  de  Michel-Ange,  à  Ponte  Molle,  sont  de  n'im- 
porte qui.  Le  Saint-Pierre  qu'on  m'a  montré,  c'est 
l'église  San-Carlo.  Férussac  ne  songe  pas  plus  que  moi 
à  aller  à  Charenton.  Il  y  a  deux  bonnes  lampes  dans  la 
salle  à  manger,  et  des  nappes.  Les  cheveux  blancs  de 
Grimel  étaiei^t  faits  avec  de  la  farine.  Filassier,  l'honnête 
garçon,  n'est  entretenu  que  par  l'École  de  Rome.  Les 
fiévreux  étaient  de  faux  fiévreux.  Le  vrai  salon  a  bien 
des  aquarelles  de  carnaval.  La  dispute  à  table  était  en 
imitation.  Ma  chambre  n'était  pas  ma  chambre.  Le  meu- 
ble de  dessous  mon  lit  était  percé,  et  ma  bougie  était 
un  bout  de  bougie  sur  un  navet  ratissé!  Voilà!  Ah!  les 
scélérats!  les  ai- je  assez  amusés!  Car  on  vous  donne, 
pour  ces  occasions,  une  chambre  sans  volets,  sans  ri- 
deaux, et  où  on  peut  vous  voir  du  balcon  de  la  Loggia. 
Et  ils  m'ont  vu  !  je  leur  ai  donné  la  comédie  de  l'homme 
qui  rentre  désespéré  dans  sa  chambre,  ferme  la  porte, 
regarde,  fait  deux  ou  trois  tours,  met  la  main  dans  son 
gousset  pour  y  trouver  un  équilibre  dans  son  malheur, 
tire  lentement  une  manche  de  sa  redingote,  cherche  un 
meuble  où  la  poser,  et  finit  par  s'asseoir  sur  sa  malle 
comme  un  comlamné  à  cinq  ans  de  Rome!  Ils  m'ont  vu 
ouvrir  ^ma  malle,  en  tirer  un  pot  de  pommade,  et  me 
frotter  le  nez  pour  le  coup  de  soleil  qu'on  attrape  ordi- 
nairement dans  le  voyage,  avec  le  geste  imbécile  qu'où 
a  à  se  frotter  le  nez  quand  on  n'a  pas  de  glace!  Ils  m'ont 
vu,  me  graissant  bêtement  d'une  main,  tenir  et  retourner 
de  l'autre,  avec  agitation,  une  lettre!  Car,  je  n'avais  pa« 


-s. 


MANETTE  s ALOMOX  s3 

osé  fout  te  dire.  J'avais  eu  la  naïveté  de  leur  parler  cr 
cheaiin  d'une  Italienne  très-gentille  que  j'avais  rencon 
tree  dans  le  nord  de  l'Italie,  et  qui  m'avait  dit  qu'elle 
allait  à  Rome;  et  j'avais  trouvé  en  arrivant  à  l'Académie 
une  lettre,  une  lettre  à  cachet,  à  devise,  une  lettre  sen- 
tant la  femme  :  mais  le  diable,  c'est  que  ce  gueux  de        V 
poulet  était  en  italien,  en  un  polisson  d'italien  de  cuisine 
qui  me  faisait  venir  l'eau  à  la  bouche,  et  où  j'accrochais 
"in  mot  par-ci  par-là  sans  pouvoir  saisir  une  phrase... 
Uh!  non,  moi,  en  pan  de  chemise,  avec  la  caricature  d* 
mon  ombre  au  mur,  piochant  ma  lettre,  en  m'appro' 
chant  toujours  plus  près  de  la  bougie,  et  en  m'endui- 
sant  plus  fiévreusement  le  nez...  ça  devait  être   trop 
drôle  !  ' 

»  Le  lendemain,  ils  n'ont  pas  manqué  de  me  présenter 
à  la  dame-de  la  garde-robe  de  l'École,  comme  à  la  femme 
de  M,  Schnetz,  et  j'ai  été  très-nalté  qu'elle  me  parlât  de 
mon  concours  ! 

»  Oui,  c'est  moi,  mon  cher,  qui  ai  été  attrapé  comme 
ça!  Ça  doit  te  donner  une  assez  jolie  idée  de  la  manière 
dont  on  vous  met  dedans.  Vrai,  c'est  très-bien  fait,  cette 
scie  en  crescendo.  Ça  monte,  ça  monte;  ça  vous  pince 
tout  à  fait  a  la  fin,  et  ça  pince  tout  le  monde.  Et  puis 
tu  comprends,  on  arrive;  il  y  a  le  voyage  qui  vous  s 
remué,  la  fatigue,  1  éreintement.  On  a  l'émotion  de  l'ar- 
mée, de  tout  ce  qu'on  va  voir,  de  Rome.  On  ne  sait  pas 
on  se  sent  loin.  D  y  a  de  l'inconnu  dans  l'air,  un  tas  de 
choses  qui  vous  font  bête.  Bref,  ça  arrive  aux  plus  forts  i 
m  est  prêt  à  tout  avaler. 

»  Je  te  dirai  qu'il  y  a  ici  un  Beau  auquel  on  sent  qu'on 
ne  peut  atteindre  tout  de  suite  et  qui  vous  écrase.  C'est 
I  impression  générale,  à  ce  qu'on  me  dit,  ce  qui  me  con 
«Ole  un  peu.  Il  me  semble  que  je  n'ai  pas  encore  les 
yeux  ouverts.  Je  suis  dans  le  demi-jour  de  la  première 
année.  Il  parait  qu'ici  on  est  illuminé  subitement.  Un 
beau  jour  on  voit.  Grimel  m'a  expliqué  cela  :  il  arrive 
un  moment  où  tout  d'un  coup  ce  qu'on  a  partout  sous 
les  yeux  vous  est  révélé.  A  lui,  ça  est  arrivé  du  balcon 


14  MANETTE  SALOMON. 

de  la  Loggia.  En  regardant  de  là  toute  la  vieilfe  Rome, 
la  colonne  Antonine,  la  colonne  Trajane,  les  murs  de 
Rome,  la  campagne,  les  monts  de  la  Sabine,  le  bord  de 
la  mer  à  l'horizon,  il  a  vu,  il  a  compris,  il  a  senti  :  tout 
s'est  éclairé  pour  lui. 

»  En  attendant,  je  travaille  dur. 

»  Qu'est-ce  qu'on  devient  à  Paris? 
»  Ton  bon  camarade, 

>  Garnotelle.  » 


XXÎI 


Des  mois,  un  an  se  passaient.  Anatole  continuait  cette 
existence  au  jour  le  jour,  nourrie  des  gains  du  hasard, 
riche  une  semaine,  sans  le  sou  l'autre,  lorsqu'il  lui  arri- 
vait une  fortune.  Un  éditeur  belge  qui  avait  entrepris 
une  contrefaçon  des  modèles  de  têtes  de  Julien  à  l'usage 
des  pensions  et  des  écoles,  s'adressait  à  lui.  Le  modèle 
décalqué  sur  la  pierre,  la  pierre  passée  au  gras,  Anatole 
n*avait  guère  qu'à  repiquer  les  valeurs  qui  n'étaient  pas 
venues.  Il  en  expédia  près  d'une  centaine  dans  son  hiver. 
Chacune  de  ces  reproductions  lui  étant  payée  quatre- 
vingts  francs,  il  se  fit  ainsi  près  de  huit  mille  francs. 
C'était  pour  lui  une  somme  fabuleuse,  l'extravagance  de 
la  prospérité  :  il  avait  l'impression  d'un  homme  sans 
souliers  qui  marcherait  dans  l'or.  Tout  coula,  tout  roula 
dans  le  petit  atelier  qui  devînt  une  espèce  d'auberge 
ouverte,  de  café  gratuit,  à  grands  soupers  de  charcuterie, 
où  les  cruchons  de  bière  vidés  faisaient  à  la  fin  le  tour 
des  quatre  murs,  et  sortaient  sur  le  palier. 

Puis  ce  furent  des  fantaisies.  Anatole  se  livra  à  des 
acquisitions  de  luxe,  longtemps  rêvées.  II  acheta  suc- 
cessivement diverses  choses  étranges. 

Il  acheta  une  tête  de  mort  dans  le  nez  de  laquelle  il  pi- 
qua, sur  un  bouchon,  un  papillon. 


MANETTR  SÂLOMON.  85 

n  acheta  un  Traité  des  vertus  et  des  vices^  de  Tabbé 
de  Marolles,  dont  il  fil  le  signet  avec  une  chaussette. 

Il  acheta  un  cadre  pour  une  étude  de  Ganiutelle, 
peinte  un  jour  de  misère  avec  l'huile  d'une  boîte  à  sar- 
dines. 

Il  acheta  un  clavecin  hors  d'usage,  où  il  essaya  vaine- 
ment de  s'apprendre  à  Jouer  :  fai  du  bon  labnc.  Après 
le  clavecin,  il  acheta  un  grand  morceau  de  gn i|)Mre  his- 
torique; après  la  guipure  un  canot  qu'on  vendait  pour 
rien,  sur  saisie,  un  jour  de  janvier,  et  qu'il  fit  enlever, 
sous  la  neige,  de  la  cour  des  Commissaires-priseurs. 

Après  le  canot,  il  n'acheta  plus  rien;  mais  il  prit  un 
abonnement  à  une  édition  par  livraisons  des  œuvres  de 
Fourler,  et  se  commanda  un  habit  noir  doublé  en  salin 
blanc,  —  un  habit  qui  devait,  dans  l'atelier,  remplacer 
la  musique  :  pour  l'empêcher  de  prendre  la  poussière, 
Anatole  finit  par  le  serrer  dans  le  clavecin  dont  il  enleva 
rintérieur. 


XXIII 


—  Garçon!...  des  huîtres.. •  des  grandes...  comme 
TOtre  berceau!  Allez! 

C'était  Anatole  qui  lançait  sa  commande,  installé  dans 
la  grande  salle  du  restaurant  Philippe,  à  une  table  ei 
face  la  porte  d'entrée. 

Ce  jour-là  —  le  jour  de  la  mi-carême,  —  l'idée  d'al- 
ler au  bal  de  l'Opéra  s'était  emparée  de  hiî.  11  avait  réuni 
un  gilet  de  flanelle,  une  paire  d'ailes,  un  maillot,  un 
carquois,  et  avec  cela  il  s'était  déguisé  en  Amour.  Une 
seule  chose  l'embarrassait  :  sa  barbe  noire.  Ne  voulant 
pas  la  couper,  il  se  résolut  à  lui  donner  un  accompagne- 
ment qui  6tàt  le  manque  d'harmonie  à  son  costume  :  il 
aUa:ha  sur  son  gilet  de  flanelle,  au  creux  de  l'eslomac, 

8 


86  MANETTE  SALOMON. 

an  peu  de  crin  qu'il  prit  dans  son  matelas.  Ainsi  babillé, 
des  besicles  noires  peintes  autour  des  yeux,  un  ruban 
bleu  de  ciel  dans  les  cheveux,  des  pantoufles  de  bro- 
derie aux  pieds,  il  était  parti,  allant  devant  lui,  flânant. 
Malgré  la  gelée  qu'il  faisait,  il  n'avait  froid  qu'au  bout 
des  doigts,  et  rien  ne  le  gênait  que  l'ennui  de  ne  pou- 
voir mettre  ses  mains  dans  ses  poches  absentes.  Il  s'ar- 
rêtait devant  les  costumiers,  regardait  les  oripeaux  de 
carnaval  dans  le  flamboiement  du  gaz,  marchait  tran- 
quillement dans  l'escorte  d'honneur  des  gamins  :  i! 
n'était  pas  pressé.  Au  fond,  il  trouvait  le  bal  de  l'Opéra 
un  divertissement  d'une  distinction  un  peu  bourgeoise, 
un  plaisir  d'homme  du  mocJe;  et  il  se  demandait  s'il  ne 
devait  pas  aller  dans  un  bal  moins  bon  genre,  comme 
Valenlino,  Montesquieu.  Il  arriva  à  l'Opéra.  N'étant  pas 
encore  bien  décidé,  il  entra  dans  un  petit  café  du  voisi- 
nage, et  trouva,  dans  ce  qui  se  passait  là,  dans  le  carac- 
tère des  habitués,  dans  les  allées  et  venues  des  dominos 
qui  leur  apportaient  des  sucres  de  pomme  et  des  oranges, 
assez  d'intérêt  pour  y  rester  près  d'une  heure.  Arrivé  à 
l'entrée  de  l'Opéra,  et  salué  par  l'engueulement  des 
cireurs  de  bottes  que  les  nuits  de  bal  improvisent,  il  fit 
l'honneur  à  deux  ou  trois  de  ces  peintres  en  vernis, 
auxquels  il  reconnut  une  jolie  platine,  de  leur  répondre, 
aux  applaudissements  des  groupes  du  passage.  D'un  de 
ces  groupes,  il  sortit  à  la  fin  un  monsieur  qui  avait  l'air 
de  le  connaître,  et  qui^li'eut  aucune  peine  à  l'emmener 
faire  une  partie  de  billard  au  Grand-Balcon.  A  peine  sa 
le  monsieur  joua  :  Anatole  avait  ce  soir-là  un  jeu  étour- 
dissant; il  fit  des  séries  de  carambolages  interminables, 
en  ne  se  lassant  pas  d'admirer  combien  le  costume 
d'Amour,  avec  la  liberté  de  ses  entournures,  était  favo- 
rable aux  effets  de  recul.  Il  joua  ainsi  pendant  deux 
grandes  heures,  dans  le  café  troublé  de  voir,  à  travers 
son  demi-sommeil,  les  fantastiques  académies  dessinées 
par  les  poses  de  cet  Amour  à  barbe,  que  le  regard  des 
derniers  consommateurs  enfilait  si  étrangement,  lors 
des  raccourcis  du  jeu,  depuis  le  talon  jusqu'à  la  nuque. 


MANETTE  8AL0M0N. 

n  sorlît  de  là,  avec  la  ferme  intention  d'aller  décidé- 

entau  bal  de  l'Opéra;  mais  au  boulevard,  sa  curiosité 
se  laissait  accrocher,  arrêter  au  spectacle  du  mouvement 
entourant  le  bal,  à  ces  figures  qui  sortent  de  ces  nuits 
du  plaisir,  à  toutes  ces  industries  de  bricole  qui  ramas- 
sent des  gros  sous  et  des  bouts  de  cigare  derrière  le 
Carnaval. 

Et  il  était  en  train  de  suivre  et  d'escorter  une  femme 
qui  portait  dans  un  seau  du  bouillon  à  la  file  des  cochers 
de  fiacre,  quand  il  vit  au  cadran  de  la  station  :  quatre 
heures  moins  cinq...  —  Tiens!  dit-il,  c'est  l'heure 
d'avoir  faim,  —  et  renonçant  au  bal,  il  s'était  dirigé 
vers  Philippe. 

Les  masques  arrivaient.  Anatole  criait  : 

—  Oh  I  c'te  tète  !...  Bonjour,  Chose  1...  Et  tu  fais  tou- 
jours des  affaires  avec  le  clergé?  «  A  la  renommée  pour 
l'encens  des  rois  mages  !...]&  T'es  l'épicier  du  bon  Dieu  ! 
Tais-toi  donc!...  Et  lu  te  costumes  en  Turc! c'est  indé- 
cent!... 


Et  à  chaque  arrivant,  il  jetait  un  pareil  passe-port,  un 
signalement  grotesque  en  pleine  figure.  La  salle  jubilait. 
Les  soupeurs  se  poussaient  pour  entendre  de  plus  près 
cette  pluie  de  bêtises,  apostropiies  cocasses,  baptêmes 
saugrenus,  l'AImanach  Boltin  tombant  du  Catéchisme 
poissard  !  On  faisait  cercle,  on  entourait  Anatole.  Les 
tables  peu  à  peu  marchaient  vers  lui,  se  soudaient  l'une 
à  l'autre;  et  tous  les  soupers,  en  se  pressant,  ne  faisaient 
plus  qu'un  souper  où  les  folies,  débitées  par  Anatole, 
couraient  à  la  ronde  avec  les  bouteilles  de  Champagne 
passant  de  mains  en  mains  comme  des  seaux  d'incendie. 
On  mangeait,  on  pouffait.  Les  nappes  buvaient  de  la 
mousse,  des  hommes  pleuraient  de  rire,  des  femmes  se 
tenaient  le  ventre,  des  pierrots  se  tordaient. 

Anatole,  exalté,  jaillit  sur  la  table,  et  de  là,  dominant 
son  public,  il  se  mit  à  danser  la  danse  des  œufs  entre 
les  platSy  essaya  des  poses  d'équilibre  sur  des  goulots  de 


88  MANETTE  SALOMON. 

bouteille,  toujours  parlant,  débagoulant,  levant  pour  des 
liDasts  inouïs  un  verre  vide  au  pied  cassé,  piquant  un 
morceau  dans  une  assiette  quelconque,  chipant  sur  une 
épaule  de  femme  un  baiser  au  hasard,  criant  :  —  Ah  ! 
ça  me  donne  vingt  ans  de  moins...  et  trois  cheveux  de 
plus  ! 

Le  tout  petit  jour  pointait,  ce  jour  qui  se  lève  comme 
la  pâleur  d*une  orgie  sur  les  nuits  blanches  de  Paris.  Le 
noir  s'en  allait  des  carreaux  de  la  salle.  Dans  la  rue 
s'éveillaient  les  premiers  bruits  de  la  grande  ville.  Le 
travail  allait  à  Touvrage,  les  passants  commençaient. 
Anatole  sauta  de  la  table,  ouvrit  la  fenêtre  :  il  y  avait 
dessous  des  ombres  de  misère  et  de  sommeil,  des  gens 
des  halles,  des  ouvriers  de  cinq  heures,  des  silhouettes 
sans  sexe  qui  balayaient,  tout  ce  peuple  du  matin  qui 
passe,  au  pied  du  plaisir  encore  allumé,  avec  la  soif  de 
ce  qui  se  boit,  la  faim  de  ce  qui  se  mange,  Tenvie  de  ce 
qui  flambe  là-haut  ! 

—  Une...  deux...  trois...  ouvrez  le  bec,  mes  enfants  I 
—  cria  Anatole;  et  saisissant  deux  bouteilles  de  Cham- 
pagne, il  les  vida  sans  voir  dans  des  gosiers  vagues  qui 
buvaient  comme  des  trous.  Chaque  table  se  mit  à  l'imiter, 
et  des  trois  fenêtres  du  restaurant,  le  Champagne  ruis- 
sela quelque  temps  sans  relâche,  ainsi  qu'un  ruisseau 
d'orage  perdu,  à  mesure,  dans  une  bouche  d*égout.  La 
foule  s*amassait,  se  bousculait,  il  en  sortait  des  hourras, 
des  cris,  des  têtes  qui  se  disputaient  une  gorgée.  La 
rue  ivre  se  ruait  à  boire;  le  jour  montait. 

—  Gare  là-dessous!  — fît  Anatole;  et  tout  à  coup, 
lâchant  ses  bouteilles,  il  parut  avec  deux  têtes  encadrées 
dans  Tanse  de  ses  deux  bras  :  l'une  de  ces  têtes  était 
la  tête  d*un  monsieur  en  habit  noir,  Tautre  la  tête  d'une 
débardeuse;  et,  avançant  tout  le  corps  sur  l'appui  de  la 
fenêtre,  se  penchant  en  dehors  avec  les  élasticités  d'un 
pitre  sur  un  balcon  de  parade,  il  se  mit  à  débiter,  de  la 
Toix  exclamatrice  des  boniments  : 

—  Le  Parisien,  messieurs!  —  et  il  désignait  le  mon- 
sieur en  habit  se  débattant  sous  son  bras,  en  étouffant 


MANETTE  SALOMON. 

de  rire.  — Vivant,  messieurs  !  En  personne  naturelle  !f ... 
Grand  comme  un  homme!  surnommé  le  Roi  des  Fran^' 
çaisUt  Cet  animal!...  vient  de  province!  son  pelage! 
est  un  habit  noir!  II  n'a  qu'un  œil!  comme  vous  pouvei 
▼oir!  son  autre  œil!...  est  un  lorgnon  !  Cet  animal,  mes- 
sieurs, habite  un  pays!  borné  par  l'Académie!...  Sauf 
l'amour!  platonique!  on  ne  lui  connaît  pas!  de  maladies 
particulières!...  C'est  l'animal  du  monde!  du  monde!  le 
plus  facile  à  nourrir!  Il  mange  !  et  boit  de  tout  !  du  lait 
filtré!  du  vin  colorié!  du  bouillon  économique!  du  che- 
vfeuil  de  restaurant!!!  Il  y  en  a  même  des  espèces!  qui 
digèrent!  un  dîner  à  quarante  sous  !!!  Cet  animal  !  mes- 
sieurs! est  Irès-répandu!  Il  s'acclimate  partout!  sauf  à 
la  campagne  !  D'humeur  douce  !  il  est  facile  à  élever.  On 
peut  le  dresser,  quand  on  le  prend  jeune,  à  retenir  un 
air  d'orgue  et  à  comprendre  un  vaudeville!...  Inutile, 
messieurs,  de  vous  citer  des  traits  de  son  infelligonce  : 
il  a  inventé  la  savate  et  les  faux-cols!!!  Sa  cervelle! 
messieurs!  la  dissection  nous  Ta  fait  connaître!  On  y 
trouve  !  on  y  trouve  !  messieurs  !  le  gaz  d'une  demi-bou- 
teille de  Champagne  !  un  morceau  de  journal  !  le  refrain 
de  la  Marseillaise 1 1 1  et  la  nicotine  de  trois  mille  paquets 
de  cigares!!!...  Pour  les  mœurs,  il  tient  du  coucou!  il 
aime  à  faire  ses  petits  dans  le  nid  des  autres!!!...  Et 
▼'la  cet  animal!!!...  A  sa  dame,  à  présent! 

Et  Anatole  montra  à  la  rue  la  femme  qu'il  tenait,  en 
la  faisant  tourner  comme  une  poupée. 

— ...  La  Madame  à  ce  monsieur-là!  saluez!...  Une 
bête!  inconnue!  une  bête!!!  qui  enfonce  les  natura- 
listes!... La  Parisienne  !  mesdames  !  sauf  le  respect  que 
je  vous  dois!...  Des  pieds  et  des  mains  d'enfant!  des 
dents  de  souris!  une  patte  de  velours!  et  des  ongles  de 
chat!!!  Elle  a  été  rapportée  du  Paradis  terrestre!  h  ce 
qu'on  dit!  Quoique  très-délicale!  elle  résiste  aux  plus 
gros  ouvrages!  Elle. peut  frotter  dix  heures  de  suite! 
quand  c'est  pour  danser!!!...  Cette  petite  hôte!  mes- 
neurs!  se  nourrit  généralement!  de  tout  ce  qui  est  nui- 
sible à  sa  santé  I  Elle  mange  de  Ja  salade  !  et  des  ro- 


/^ 


90  MANETTE  SALOMON. 

manslll...  Sensible  aux  bons  traitements!  messieurst 
et  surtout  aux  mauvais!!!...  Beaucoup  de  personnes  !  nu 
grand  nombre  de  personnes!!!  messieurs!  sont  arrivées 
à  la  domestiquer!  en  lui  donnant  la  nourriture  !  le  loge* 
ment!  le  chauffage!  l'éclairage!  le  blanchissage!  leur 
conliance!  et  quelques  diamants!!!...  Très-facile  à  ap- 
privoiser! Généralement  caressante!  susceptible  de  ja- 
lousie! et  même  de  fidélité!...  Enfin!  messieurs!  cette 
charmante  petite  bète!  qui  marche  sans  se  crotter!  est 
vivipare!  pare!!!  pareill...  Et  v'ia  ce  que  c*est!  Allesl 
la  musique!!! 


XXIV 


—  Hein?  quoi?  —  fit  Anatole,  le  dimanche  qui  suivit 
ce  jeudi-là,  en  se  sentant  rudement  secoué  dans  son  lit. 
Il  ouvrit  la  moitié  d*un  œil,  et  aperçut  Alexandre,  dit 
Hélas,  revenu  d'Ëtampes,  où  il  était  allé  jouer. 

—  Tiens!  le  général!  c'est  toi?  Fait-il  jour? 

Et  il  sortit  à  demi  des  couvertures  une  figure  mécon* 
naissable,  qui  ressemblait  è  un  masque  déteint  du  caf^ 
naval.  La  sueur  avait  pleuré  sur  ses  grandes  lunettes 
noires,  et  le  blanc  de  céruse,  coulé  sur  sa  peau,  lui  don- 
nait des  luisants  de  poisson  raclé. 

—  D'abord,  lave-toi,  —  lui  dit  Alexandre,  —  çà  te 
débarbouillera  les  idées.  Tu  as  l'air  d'un  spectre  qui 
8'est  promené  sans  parapluie...  Sais-tu  que  tu  as  fait 
venir  des  cheveux  blancs  à  ton  portier? 

—  Moi?  Eh  bien,  je  les  lui  repeindrai,  voilà  tout... 
-^  Figure-toi  qu'hier  il  a  fait  monter  un  médecin... 

—  Tiens  ! 

—  Qui  ne  t'a  pas  trouvé  de  fièvre,  et  qui  a  dit  fd'oi 
le  laisse  dormir... 

—  Ah  ça  !  quel  jour  sommes^noust 
^»  IMmanchi. 


MANETTE  SALOMON.  9» 

—  Dimanche?  Mais  alors...  sapristi!  C'est  bien  ven- . 
dredi  malin  que  j'étais  raide... 

Et  il  répéta  :  Dimanche!  en  se  perdant  dans  ses  ré- 
flexions. 

—  Il  y  r  donc  des  trous  dans  l'almanach.  L'année  a 
des  fuites...  Ah!  bien,  voilà  deux  jours  dans  ma  vie 
qu'on  m*a  joliment  volés...  Le  bon  Dieu  me  les  doit,  ohî 
il  me  les  doit... 

—  Mais  qu'est-ce  que  tu  as  pu  faire?...  Car  tu  n'es 
rentré  que  dans  la  nuit  du  vendredi,  à  je  ne  sais  quelle 
heure...  Le  portier  ne  t'a  pas  vu... 

—  Je  crois  bien...  moi  non  plus...  Si  tu  crois  que  je 
me  voyais  ! 

-  Voyons!  tu  dois  te  rappeler  quelque  chose? 

-  Rien...  non,  là,  vrai,  rien...  Je  me  rap^ielle  Phi- 
lippe, le  balcon...  des  messieurs  qui  m'ont  mené  au 
café...  et  puis,  à  partir  de  là,  psit!  plus  rien.. 

—  Mais,  où  as-tu  été? 

—  Pas  devant  moi,  bien  sûr.  Attends...  Il  me  semble 
qu'on  m'a  fait  galoper  sur  un  cheval,  dans  une  allée  où 
fl  y  avait  de  grands  arbres...  comme  une  allée  de  parc. 
Et  puis,  voilà...  là,  là. 

Et  il  voulut  se  remettre  du  côté  du  mur. 

—  Est-ce  que  tu  vas  te  rendormir,  dis  donc? 

—  Ma  foi,  oui,  pour  me  rappeler,  c'est  le  seul  moyen... 
Ahl  attends,  çà  me  revient...  Oui,  une  chambre...  très- 
grande...  où  il  y  avait  des  portraits  de  famille...  des 
portraîls  de  famille  d'un  effrayant  I  II  y  en  avait  en  noir... 
des  magistrats,  avec  des  sourcils  et  des  nez  !...  El  puis, 
il  y  avait  surtout  une  dame,  toujours  aveclemêmenez, 
en  robe  jaune,  elles  joues  d'unrouge  ! ...  El  c'était  peint, 
mon  cher!  Imagine  la  famille  de  Barbe-Bleue,  sous 
Louis  XV,  peinte  par  un  vitrier  de  village...  des  Char- 
din byzantins,  vois-tu  çà?  Çà  me  faisait  peur,  d'autant 
plus  que  c'était  si  drôlement  éclairé  par  le  feu  d'une 
grande  cheminée. . .  Si  j'avais  des  parents  comme  çà,  par 
exemple,  c'eslmoi  qui  les  enverrais  àunelolerie  de  bien- 
faisance! Et  puis  je  crois  que  j'ai  rêvé  que  le  portrait 


MANETTK  SALOMON. 

de  la  dame  en  jaune  avait  la  colique,  et  que  ça  me  la 
donnait...  Et  puis,  et  puis  tout  à  coup  j'ai  cru  qu'on 
roulait  la  chambre  dans  une  voiture... 

—  C'est  ça,  on  t'aura  emmené  dans  quelque  château 
près  de  Paris.  Et  puis,  tu  étais  trop  saoul,  on  t'aura 
couché  et  on  t'aura  ramené... 

—  Possible.  .  Ça  ne  fait  rien,  c'est  embêtant  de  ne  pas 
savoir  tout  de  même...  Il  m'est  peut-être  arrivé  des  tîhoses 
Irès-amusanles...  Il  y  avait  peut-être  des  grandes  da- 
mes!... Et  puis,  dis  donc...  Ah  ça!  j'espère  que  ce  n'é- 
tait pas  des  tilous,ces  gens-là^..  Pourvu  qu'ils  ne  m'aient 
pas  fait  signer  des  billets,  les  imbéciles!...  Avec  tout  ça, 
je  vais  avoir  Tair  d'un  muffle  :  je  ne  pourrai  pas  leur 
envoyer  de  cartes  au  jour  de  l'an...  Heureusement  qu'il 
y  a  le  dernier  jugement  pour  se  retrouver!  Bonsoir!  Oh! 
laisse-moi.  dormir  encore  un  peu...  Je  dors  en  gros, 
moi...  Sais-tu  que  j'ai  passé  ces  jours-ci^  huit  jours  de 
suite  sans  me  coucher? 


XXV 


Dans  cette  année  1846,  au  milieu  du  €  coulage  >  de 
son  existence,  Anatole  eut  une  velléité  de  travail;  l'idée 
de  faire  un  tableau,  d'exposer,  lui  vint  comme  il  sortait 
du  Louvre,  le  dernier  jour  de  l'exposition,  échauffé  et 
monté  par  ce  qu'il  avait  vu,  la  foule,  le  public,  les  ta- 
bleaux, l'admiration  et  la  presse  devant  deux  ou  trois 
toiles  de  ses  camarades  d'atelier. 

Il  lui  restait  encore  quelque  argent  sur  l'affaire  des 
Julien.  L'occasion  était  bonne  pour  se  payer  une  œuvre. 
En  revenant  il  entra  chez  Desforges,  commanda  une 
toile  de  100,  choisit  des  brosses,  se  remonta  de  cou- 
leurs. Puis  il  dîna  vite,  et,  sa  lampe  allumée,  il  se  mit  à 
chercher  son  idée  dans  le  làtonnf^raent  et  la  bavochurc 
d'un  trait  au  lusain.  Le  lendeniain,  un  peu  mordu 


MANETTE  SALOMON.  M 

fièvre,  du  maUn,  du  commencemenl  du  jour  à  sa  tom- 
bée, il  couvrit  des  feuilles  de  papier  de  crayonnages  d'es- 
quisse. Ou  frappa  à  sa  porle,  il  n'ouvrit  pas. 

Le  soir,  au  lieu  d'aller  au  café,  il  alla  faire  une  petite 
promenade  sur  la  place  de  la  Bastille,  et,  rentré  chez 
lui,  il  donna  vivement  quelques  iniiications  dernières  à 
un  grand  dessin  choisi  parmi  les  autres,  et  qu'il  avait 
fixé  au  mur  avec  un  clou. 

Le  lendemain,  aussitôt  qu'il  eut  sa  toile,  il  reporta 
dessus  sa  composition  à  la  craie.  Les  amis  qu'il  laissa 
entrer  ce  jour-là  riaient,  assez  étonnés  de  le  voir  piocher, 
et  l'appelaient  c  l'homme  qui  a  un  chef-d'œuvre  dans 
le  ventre  ».  Anatole  les  laissa  dire  avec  la  majesté  de 
quelqu'un  qui  se  sentait  au-dessus  des  plaisanteries;  et 
il  passa  quelques  jours  à  assurer  consciencieusement 
toutes  ses  places. 

Ses  places  bien  assurées,  il  fuma  beaucoup  de  ciga- 
rettes devant  sa  toile,  avec  une  sorte  de  recueillement, 
tourna  autour  de  sa  boite  à  couleurs,  l'ouvrit,  la  ferma, 
et  à  la  fin  se  mit  à  jeter'  précipitamment  les  premiers 
dessous  sur  la  toile. 

—  Ça  me  démange,  vois-tu,  —  dit-il  au  camarade 
qui  était  là,  — je  reprendrai  cela  avec  le  modèle. 

Au  bout  de  quatre  ou  cinq  jours,  la  toile  était  coi^ 
Terte,  et  le  sujet  du  tableau  d'Anatole  apparaissait  clai- 
rement. 

Ce  tableau,  où  l'élève  de  Langibout  avait  mis  toute 
son  inspiration,  n'était  pas  précisément  une  peinture  : 
il  était  avant  tout  une  pensée.  Il  sortait  bien  plus  des 
entrailles  de  l'artiste  que  de  sa  main.  Ce  n'était  pas  le 
peintre  qui  avait  voulu  s'y  affirmer,  mais  l'homme;  et  le 
dessin  y  cédait  visiblement  le  pas  à  l'utopie.  Ce  tableau 
était  en  un  mot  la  lanterne  magique  des  opinions  d'Ana- 
tole, la  traduction  figurative  et  colorée  de  ses  tendances, 
de  ses  aspirations,  de  ses  illusions;  le  portrait  allégo- 
rique et  la  transfiguration  de  toutes  les  généreuses  bê- 
tises de  son  cœur.  Cette  sorte  de  veulerie  tendre,  qui 
Cûsait  sa  bienveillance  universelle,  le  vague  embrassa 


94  MANETTE  SALOMON. 

ment  dont  il  serrait  toute  rhumanité  dans  sesbrasi 
mollesse  de  cervelle  à  ce  qu*illisait,lesociali8nie  brouillé 
qu'il  avait  puisé  çà  et  là  dans  un  Fourier  de'complété  et 
dans  des  lambeauxdepapiersdéclamatoîre8,deconfuse8 
idées  de  fraternité  mêlées  à  des  effusions  diaprés  boire, 
des  apitoiements  de  seconde  main  sur  les  peuples,  les 
oppri  mes,  les  déshérités,  un  certain  catholicisme  libéral 
et  révolutionnaire,  le  €  Rêve  de  bonheur  »  de  Papety 
entrevu  à  travers  le  Phalanstère,  voilà  ce  qui  avait  fait 
le  tableau  d'Anatole,  le  tableau  qui  devait  s'appeler  aa  | 
Salon  prochain  de  ce  grand  titre  :  le  Christ  humanitaire. 
Étrange  toile  qui  avait  les  horizons  consolants  et  nua- 
geux des  principes  d'Anatole!  Imaginez  une  Salente  da 
progrès,  une  Thélème  de  la  solidarité  dans  une  Icarie 
de  feux  de  Bengale.  La  composition  semblait  commencer 
par  Tabbé  de  Saint-Pierre  et  finir  par  Eugène  Sue.  Tout 
en  haut  du  tableau,  les  trois  vertus  théologales,  la  Foi, 
l'Espérance,  la  Charité,  devenaient  dans  le  ciel,  où  l'é- 
charpe  d'Iris  se  plissait  en  façon  de  drapeau  tricolore» 
les  trois  vertus  républicaines  :  la  Liberté,  TÉgalité,  ia 
Fraternité.  De  leurs  robes  elles  touchaient  une  sorte  de 
temple  posé  sur  les  nuages  et  portant  au  fronton  le  mot: 
Harmonia,  qui  abritait  les  poêles  et  des  écoles  mutuelles,  v 
la  Pensée  et  TÉducatija.  Au-dessous  de  ce  nuage,  qui 
planait  à  la  façon  du  nu-ge  de  la  Dispute  du  Saint-Sa- 
crement, on  apercevait  ô.  gauche  un  forgeron  avec  les 
instruments  de  la  forge  \  assés  autour  de  sa  ceinture  de 
cuir,  et  dans  le  fond  la  Maturité,  l'Abondance,  la  Mois- 
son :  de  ce  côté,  un  soleil  se  levant  derrière  une  ruche 
éclairait  la  silhouette  d'une  charrue.  A  droite,  une  sœur  d« 
Bon-Secours  était  en  prières,  et  derrière  elle  se  voyaient 
des  hospices,  des  crèches,  des  enfants,  des  vieillards. 
Au  bas,  sur  le  premier  plan,  des  hommes  arrachaient 
d'une  colonne  des  mandements  d'évéque,  un  frère  igno- 
rantin  montrait  son  dos  fuyant;  un  cardinal  se  sauvait, 
tout  courbé,  avec  une  cassette  sous  le  bras;  et  d'un 
tombeau  qui  portait  sur  son  marbre  les  armes  papales, 
an  grand  Christ  se  dressait,  dont  la  main  droite  était 


MANETTE  SALOMON.  9o 

transpercée  d'un  triangle  de  feu  où  se  lisait  eu  le lires 
d'or  :  PaxI 

Ce  Christ  était  naturellement  la  lumière  et  la  grande 
figure  du  tableau.  Anatole  Tavait  fait  beau  de  toute  la 
beauté  qu'il  imaginait.  Il  l'avait  flatté  de  toutes  ses 
forces.  Il  avait  essayé  d'y  incarner  son  type  de  Dieu 
dans  une  espèce  de  figure  de  bel  ouvrier  et  de  jeune 
premier  du  Golgotha.  Il  y  avait  encore  mêlé  un  peu  de 
ressouvenirs  de  litliographies  d'après  Raphaël,  et  un 
reste  de  mémoire  d'une  lorette  qu'il  avait  aimée;  et  bat- 
tant le  tout,  il  avait  créé  un  fils  de  Dieu  avant  cuiiiine 
un  air  de  cabot  idéal  :  son  Christ  ressemblait  à  la  fois 
à  un  Arthur  du  paradis  et  à  un  Mélingue  du  ciel. 

La  toile  couverte,  Anatole  llàna  quelques  jours  :  il 
€  tenait  »  son  tableau.  Puis  il  arrêta  un  mudèle.  Le 
modèle  vint  :  Auatole  travailla  mal;  la  séance  terminée 
il  ne  lui  dit  pas  de  revenir. 

Anatole  n'avait  jamais  été  pris  par  l'étude  d'après 
nature.  Il  ne  connaissait  pas  ce  ravissement  d'attention 
par  la  vie  qui  pose  là  devant  le  regard,  l'effort  presque 
enivrant  de  la  serrer  de  près,  la  lutte  acharnée,  pas- 
sionnée, de  la  main  de  l'artiste  contre  la  réalité  visible. 
Il  ne  ressentait  point  ces  satisfactions  qui  reaverseut 
un  peu  le  dessinateur  en  arrière,  et  lui  font  contem- 
pler un  instant,  dans  un  mouvement  de  recul,  ce  qu'il 
croit  avoir  senti,  rendu,  conquis,  de  son  modèle. 

D'ailleurs,  il  n'éprouvait  pas  le  besoin  d'interroger, 
de  vérifier  la  nature  :  il  avait  ce  déplorable  aplomb  de 
la  main  qui  sait  de  routine  la  superficie  de  l'anatomie 
humaine,  la  silhouette  ordinaire  des  choses.  £t  depuis 
longtemps  il  avait  pris  l'habitude  de  ne  plus  travailler 
que  de  cAtc,  de  peindre  au  jugé  avec  l'acquis  des  sou- 
▼enirs  d'école,  une  habitude  de  certaines  couleurs,  un 
flux  courant  de  figures,  la  tradition  de  vieux  croquis. 
Malheureusement  il  était  adroit,  doué  de  cette  élégance 
banale  qui  empêche  le  progrès,  la  transformation,  et 
noue  l'homme  à  un  semblant  de  talent,  à  un  à  peu  près 
de  style  canaille.  Anatole,  pas  plus  qu'un  autre,  ne 


9G  MANETTfeSALOMO». 

devait  guérir  de  cette  triste  facilité,  de  cette  menteuse 
et  décevante  vocation  qui  met  au  bout  des  doigts  d*un 
artiste  la  production  d'une  mécanique. 

Il  remplaçait  le  modèle  par  une  maquette  en  terre 
sur  laquelle  il  ajustait,  pour  les  plis,  son  mouchoir 
mouillé,  et,  se  trouvant  plus  à  Taise  d'après  cela,  il  se 
mettait  à  économiser  les  extrémités  de  ses  personnages  : 
il  se  rappelait  le  magnifique  exemple  d'un  de  ses  cama- 
rades qui,  dans  un  tableau  de  la  Pentecôte,  avait  eu  le 
génie  de  ne  faire  qu'une  paire  de  mains  pour  les  douze 
apôtres. 

Pourtant  sa  première  fougue  était  un  peu  passée,  et 
0  commençait  à  trouver  que  la  tentative  était  ])énible, 
de  vouloir  faire  tenir  le  monde  de  l'avenir  et  la  religion 
du  vingtième  siècle  dans  une  toile  de  100.  Il  commença 
un  petit  panneau,  revint  de  temps  en  temps  à  sa  grande 
toile,  y  fit  toutes  sortes  de  changements  au  gré  de  son 
caprice  du  moment.  Puis  il  la  laissa  des  jours,  des  se- 
maines, n*y  touchant  plus  que  de  loin  en  loin,  et  s'en 
dégoûtant  un  peu  plus  à  mesure  qu'il  y  travaillait. 

L'idée  de  son  €  Christ  humanitaire  »  pâlissait  d'ail- 
leurs depuis  quelque  temps  dans  son  imagination  et 
faisait  place  au  souvenir,  à  l'imai^e  présente  de  Debu- 
reau  qu'il  allait  voir  presque  tous  les  soirs  aux  Funam- 
bules. Il  était  poursuivi  par  la  figure  de  Pierrot.  Il  re- 
voyait sa  spirituelle  tête,  ses  grimaces  blanches  sous 
le  serre-tête  noir,  son  costume  de  clair  de  lune,  ses 
bras  fiottants  dans  ses  manches  ;  et  il  songeait  qu'il  y 
avait  là  une  mine  charmante  de  dessins.  Déjà  il  avait 
exécuté  sous  le  titre  des  c  Cinq  sens  »,  une  série  de 
cinq  Pierrots  à  l'aquarelle,  dont  la  chromolithographie 
s'était  assez  bien  vendue  chez  un  marchand  d'imagerie 
de  la  rue  Saint-Jacques.  Le  succès  l'avait  poussé  dans 
cette  veine.  Il  pensait  à  de  nouvelles  suites  de  dessins, 
à  de  .petits  tableaux;  et  tout  au  fond  de  lui  il  caressait 
l'idée  de  se  tailler  une  spécialité,  de  s'y  faire  un  nom, 
d'être  un  jour  le  Maître  aux  Pierrots.  Et  chez  lui  ce 
n'était  pas  seulement  le  peintre,  c'était  l'homme  aussi 


MANETTE  SÀLOMON.  97 

qui  se  sentait  enliaîné  par  une  penle  de  sympathie  vers 
le  personnage  légendaire  incarné  dans  la  peau  de  De- 
bureau  :  entre  Pierrot  et  lui,  il  reconnaissait  des  liens, 
une  parenté,  une  communauté,  une  ressemblance  de 
famille.  Il  l'aimait  pour  ses  tours  de  force,  pour  son 
agilité,  pour  la  façon  dont  il  donnait  un  soufflet  avec 
son  pied.  Il  Taimait  pour  ses  vices  d'enfant,  ses  gour- 
mandises de  brioches  et  de  femmes,  les  traverses  de  sa 
yie,  ses  aventures,  sa  philosophie  dans  le  malheur  et 
ses  farces  dans  les  larmes.  Il  Taimait  comme  quelqu'un 
qui  lui  ressemblait,  un  peu  comme  un  frère,  et  beau- 
coup comme  son  portrait. 

Aussi  il  lâcha  bientôt  tout  à  fait  son  Christ  pour  ce 
nouvel  ami,  le  Pierrot  qu'il  tourna  et  retourna  dans 
toutes  sortes  de  scènes  et  de  situations  comiques  fort 
drôlement  imaginées.  Et  il  avait  presque  oublié  son  ta- 
bleau sérieux,  lorsqu'un  architecte  de  ses  amis  vint  lui 
demander,  de  la  part  d'un  curé,  un  Christ  pour  une  cha- 
pelle de  couvent  <i  dans  les  prix  doux  ».  Anatole  reprit 
aussitôt  sa  grande  toile,  enleva  tous  les  accessoires  hu- 
manitaires, troua  la  tunique  de  son  Christ  pour  lui  met- 
tre un  cœur  rayonnant  :  quoi  qu'il  fît,  le  curé  ne  trouva 
jamais  son  Bon  Pasteur  assez  évangélique  pour  le  prix 
qu'il  voulait  y  mettre. 

Quand  le  malheureux  tableau  lui  revint  :  —  Seigneur, 
—  fit  Anatole  en  allant  à  la  toile,  —  on  dit  que  Judas 
vous  a  vendu  :  ce  n'est  pas  comme  moi.  Et  maintenant, 
excusez  la  lessive  ! 

Disant  cela,  il  effaça  et  barbouilla  toute  la  toile  furieu- 
sement, jusqu'à  ce  qu'il  eût  fait  sortir  du  corps  divin 
un  grand  Pierrot,  l'échiné  pliée,  l'œil  émérillonné. 

Quelques  jours  après,  dans  les  caves  du  bazar  Bonne- 
Nouvelle,  le  public  faisait  foule  à  la  porte  d'un  nouveau 
spectacle  de  pantomime  devant  ce  Pierrot  s'.gné  :  il.  fi.f 
•—  et  qui  avait  un  Christ  comme  dessous! 


V 


9 


^  MANETTE  BALOMON, 


tvn 


Tenait  Tété  ;  Anatole  passait  de  la  peinture  aux  plai 
sirs,  aux  joies  de  l'eau,  à  la  passion  parisienne  du  cano- 

toge. 

Amarré  à  Asnières,  le  canot  qu'il  avait  acheté  dans 
sa  veine  de  richesse  s'emplit,  tous  les  jeudis  et  tous  les 
dimanches,  de  cette  société  d'amis  et  d'inconnus  fami- 
liers qui  se  groupent  autour  du  bateau  d'un  bon  enfant. 
et  renfoncent  dans  l'eau  jusqu'au  bordage.  Il  tombait 
dedans  des  passants,  des  passantes,  des  camarades  des 
deux  sexes,  desàpeu  près  de  peintres,  des  espèces  d'ar- 
tistes, des  femmes  vagues  dont  on  ne  savait  que  le  petit 
nom,  des  jeunes  premières  de  Grenelle,  des  lorettes 
sans  ouvrage,  prises  de  la  tentation  d'une  journée  de 
campagne  et  du  petit  bleu  du  cabaret.  Cela  sautait  d'une 
troisième  classe  de  chemin  de  fer,  surprenait  Anatole 
et  son  équipe  dans  leur  café  d'habitude;  et  s'ils  étaient 
partis,  les  ombrelles  en  s'agitant,  arrêtaient  du  bord  le 
canot  en  vue.  Tout  le  jour  on  riait,  on  chantait,  les 
manches  se  retroussaient  jusqu'aux  aisselles,  et  de  jolis 
bras  rerouants,  maladroits  à  ce  travail  d'homme,  bril- 
laient de  rose  entre  les  éclairs  de  feu  des  avirons  re- 
levés. 

On  goûtait  la  journée,  la  fatigue,  la  vitesse,  le  plein 
air  libre  et  vibrant,  la  réverbération  de  Teau,  le  soleil 
dardant  sur  la  tête,  la  flamme  miroitante  de  tout  ce  qui 
étourdit  et  éblouît  dans  ces  promenades  coulantes,  cette 
ivresse  presque  animale  de  vivre  que  fait  un  grand  fleuve 
fumant,  aveuglé  de  lumière  et  de  beau  temps. 

Des  paresses,  par  instants,  prenaient  le  canot  qui  sV 
bandonnait  au  fil  du  courant.  Et  lentement,  ainsi  que 
ces  écrans  où  tournent  les  tableaux  sous  les  doigts  d'en* 
fants,  se  déroulaient  les  deux  rives,  les  verdures  trouées 


V 


MANETTE  SALOMON  9» 

if  ombre,  les  petits  bois  marges  d^uiie  bande  d'herbe  usét^ 
par  la  marche  des  dituaiiches;  les  barques  aux  couleur^ 
vives  noyées  dans  Teau  tremblante,  les  moires  remuées 
par  les  yoles  attachées,  les  berges  éliucelantes,  les  bords 
animés  de  bateaux  de  laveuses,  de  chargements  de  sable, 
de  charrettes  aux  chevaux  blancs.  Sur  les  coteaux,  le 
jour  splendide  laissait  tomber  des  douceurs  de  bleu 
velouté  dans  le  creux  des  ombres  et  le  vert  des  arbres; 
une  brume  de  soleil  efTaçail  le  Mont-Valérien  ;  un  rayon- 
nement de  midi  semblait  mettre  un  peu  de  Sorrente  au 
Bas-Meudon.  De  petites  îles  aux  maisons  rouges,  à  vo- 
lets verts,  allongeaient  leurs  vergers  pleins  de  linges 
étincelants.  Le  blanc  des  villas  brillait  sur  les  hauteurs: 
penchées  et  le  long  jardin  montant  de  Bellevue. 

Dans  les  tonnelles  des  cabarets,  sur  le  chemin  de  ha- 
lage,  le  jour  jouait  sur  les  nappes,  sur  les  verres,  sur  la 
gaieté  des  robes  d'été.  Des  poteaux  peints,  indiquant 
l'endroit  du  bain  froid,  brûlaient  de  clarté  sur  de  petites 
langues  de  sable;  et  dans  Teau,  des  gamins  d*entanls, 
de  petits  corps  grêles  et  gracieux,  avançaient,  souriants 
et  frissonnants,  penchant  devant  eux  un  rellot  de  chair 
sur  les  rides  du  courant. 

Souvent  aux  petites  anses  herbues,  aux  places  de  fraî- 
cheur sous  les  saules,  dans  le  pré  dru  d'un  bord  de 
Teau,  l'équipage  se  débandait;  la  troupe  s'éparpillait  et 
laissait  passer  la  lourdeur  du  chaud  dans  une  de  ces 
siestes  débraillées,  étendues  sur  la  verdure,  allongées 
sous  des  ombres  de  branches,  et  ne  montrant  d'une  so- 
ciété qu'un  morceau  de  chapeau  de  paille,  un  bout  de 
▼areuse  rouge,  un  volant  de  jupon,  ce  qui  flotte  et  sur- 
nage d'un  naufrage  en  Seine.  Arrivait  le  réveil,  à  l'heure 
où,  dans  le  ciel  pâlissant,  le  blanc  doré  et  lointain  des 
maisons  de  Paris  faisait  monter  une  lumière  d'éclairage. 
Et  puis  c'était  le  dîner,  les  grands  dîners  du  canot,  les 
barbillons  au  beurre  et  les  matelotes  dans  les  chambres 
de  pêcheurs  et  les  salles  de  bal  abandonnées,  les  faims 
dévorant  les  pains  de  huit  livres,  les  soifs  des  cinq  heures 
de  nage,  les  desserts  débordants  de   bruit,  de  leu- 


iOO  MANETTE  SÂLOMON. 

dresses,  de  cris,  des  fraternités,  des  expansions,  des 
chansons  et  des  bonheurs  du  mauvais  via., 


)•• 


XXVII 


—  Hé!  là-bas,  mon  petit  ange,  toi...  —  dit  un  soir, 
à  un  de  ces  dîners,  Anatole  à  une  femme, —  tu  vas  bien 
sur  la  matelote.  Un  peu  de,  discrétion,  mon  enfant...' Je 
te  ferai  observer  que  nous  sommes  encore  trois  à  servie, 
et  qu'il  doit  venir  un  quatrième...  Hé!  Malambic?...  tu 
l'as  connu,  toi,  Chassagnol? 

—  Parbleu!  Chassagnol...  Tu  connais  ses  histoires^ 
dis  donc? 

^  Du  tout.  Je  l'ai  rencontré  hier.  Il  y  avait  bien  trois 
ans  que  je  ne  l'avais  vu,  on  aurait  dit  qu'il  m'avait 
quitté  la  veille.  Il  me  demande  :  Qu'est-ce  que  tu  fais 
demain?  Je  lui  dis  que  nous  dînons  ici.  J'irai  vous  re- 
trouver; et  il  file...  Avec  Chassagnol,  on  ne  sait  jamais... 
Il  ne  se  lâche  pas  sur  ses  affaires  de  famille,  celui-là... 

—  Eh  bien!  il  lui  en  est  arrivé,  figure-toi  1  D'abord 
un  héritage  de  trente   mille  francs   qui  lui  est  tombé. 

—  Vrai?  Tiens,  il  n'avait  pas  une  tête  à  ça,  —  fit 
Anatole,  et  se  tournant  vers  une  voisine  :  —  Julie,  vous 
allez  avoir  à  côté  de  vous  un  monsieur  qui  a  trente  mille 
francs...  ne  le  tutoyez  pas  la  première... 

—  Mais  il  ne  les  a  plus...  Voilà  l'histoire,  —  reprit 
Malambic.  -  Il  palpe  l'argent  d'un  oncle,  un  curé,  je 
ne  sais  plus...  Il  le  met  dans  sa  malle,  ce  n'est  pas  une 
blague,  et  il  part  voir  du  Rembrandt  dans  le  pays,  du 
vrai,  du  pur,  du  Rembrandt  conservé  sur  place,  du 
Rembrandt  dans  des  cadres  noirs.  Il  fait  la  Hollande,  il 
fait  l'Allemagne.  Il  flâne  des  mois  dans  des  villes  à  ta- 
bleaux...11  se  paye  des  rafles  de  bric-à-brac chezles  juifs... 
Des  musées  d'Allemagne,  il  tombe  sur  les  musées  dltalie, 
et  là,  une  flâne,  tu  pensesl...  dans  les  ghettos,  les  t«* 


MARIETTE  SALOMO!!.  fM 

bleaux,  la  rococofene,  des  enthousiasmes!  des  enthou- 
nasmes  de  six  heures  devant  une  toile  !  Avec  ça,  tu  sais 
qu'il  a  Fhabitude  d*aider  ses  admirations  en  se  donnant 
une  petite  touche  d'opium;  il  prétend  qu'il  est  comme 
les  gens  qui  vont  entendre  des  opéras  après  avoir  pris 
du  hatchisch  :  eux,  c'est  les  oreilles  ;  lui,  c'est  les  yeux 
qu'il  faut  qu'il  se  gprise...  La  fin  de  tout  cela,  c'est  qu'a- 
firès  s'être  flanqué  une  bosse  d'objets  d'art,  tout  battu 
les  palais,  les  collections,  les  chefs-d'œuvre,  les  villes, 
les  villages,  tous  les  trous  de  l'Italie,  éreiuté,  rafale,  à 
sec  d'argent,  vendant  pour  vivre,  sur  la  roule,  ce  qu'il 
traînait  après  lui,  il  est  allé  tomber  dans  la  maison  de 
Rouvillain,  Rouvillain  de  chez  nous,  tu  te  rappelles? 
qui  était  là-bas  pour  une  copie  du  Giolto,  que  sa  ville 
lui  avait  commandée.  C'est  lui,  Rouvillain,  qui  m'a  ra- 
eonté  ça...  Mais  c'est  la  fin  qui  est  superbe,  tu  vas  voir... 
Yoilà  donc  Chassagnol  à  Paduue.  Un  jour,  lui,  l'homme 
des  musées,  qui  avait  des  œillères  dans  la  rue,  qui  n'au- 
rait pas  pu  dire  si  les  femmes  portaient  des  chapeaux 
de  paille  ou  des  bonnets  de  coton...  enfui  Chassagnol, 
en  traversant  le  marché,  voit  une  jeune  fille  qui  vendait 
des  volailles,  mais  une  jeune  fille...  tu  ne  connais  pas 
ça,  toi...  la  beauté  du  nord  de  l'Italie,  mignonne,  mala- 
dive... une  vierge  de  primitif,  enfin  merveilleuse!  J'ai 
vu  l'esquisse  que  Rouvillain  en  a  faite,  comme  cela,  avec 
ces  volailles,  cet  évenlaire  de  crêtes  rouges...  ça  a  un 
caractère!  Chassagnol  ne  fait  ni  une  ni  deux  :  il  olTre  sa 
main.  La  vendeuse  de  poulets,  qui  était  Vinnaniorala 
d'un  très-beau  garçon  beaucoup  mieux  que  Chassagnol 
le  refuse  neL  Alors,  devine  ce  que  fait  Chassagnol!  Il  y 
avait  dans  la  maison  une  sœur  très-laide,  une  vraie  cari- 
cature de  la  beauté  de  l'autre...  De  désespoir,  mon  cher, 
et  pour  se  rattraper  à  la  ressemblance,  il  ré[)ouse!  il  l'a 
épousée!  Et,  là-dessus,  il  est  revenu  sans  un  sou,  avec 
une  paysanne  et  des  chambranles  de  cheminée  en  mar- 
bre provenant  de  la  démolition  d'un  palais  de  Gênes, 
marié,  pas  changé,  et...  parbleu  comme  le  voilà!  —  fil 
Malambic  en  coupant  sa  phrase. 

9. 


102  Manette  salomon. 

Chassagnol  entrait,  boutonné  dans  cet  éternel  habit 
noir  que  ses  plus  vieux  amis  lui  avaient  toujours  vu,  et 
qui  semblait  sa  seconde  peau. 

—  Ma  foi,  —  lui  dit  Anatole  en  lui  serrant  la  main,  — 
on  n'était  pas  sûr  que  tu  viendrais,  et  tUxVois,  on  ne  t*É 
pas  attendu. 

—  Oui,  oui...  je  n'ai  quitté  le  Louvre  qtt*à  quatre 
heures...  Je  sais,  je  suis  en  retard,  —  fit  Chassagnol,  et 
il  s'assit. 

Le  dîner  continua;  mais  le  froid  de  ce  monsieur  noir 
-qui  ne  parlait  pas,  tombait  sur  sa  gaieté. 

—  Ah  çàl  dis  donc,  —  fit  Anatole,  —  tu  as  donc  été 
en  Italie? 

—  Moi*?.  .  oui,  oui,  en  Italie...  En  Italie  certaine- 
ment... 

Et  Chassagnol  s'arrêta,  s'enfonçant  dans  un  de  cet 
silences  qui  repoussent  les  questions^  Penché  sur  son 
assiette,  il  avait  l'air  d'être  à  cent  lieues  des  gens  et  deà 
paroles  de  là,  d'être  ramassé  en  lui-même  et  tout  seul, 
absent  du  dîner,  ignorant  de  la  présence  des  autres.  Se$ 
sens  mêmes  paraissaient  concentrés  et  retirés  à  Tinté- 
rieur^  sans  contact  avec  un  voisinage  humain  de  sem- 
blables et  de  vivants. 

La  folie  du  dîner  ne  tardait  pas  à  revenir,  passant 
par-dessus  la  tête  de  ce  convive  qui  faisait  le  mort,  et 
que  les  femmes  ne  regardaient  même  plus.  Le  café  ve- 
nait d'être  apporté  sui^  la  table,  quand  Chassagnol  appe- 
lant à  lui,  d'un  bï*usque  coup  de  coude,  l'attention  d'A- 
natole : 

—  Mon  voyage  d'Italie,  heiu,  n*est-ce  pas  ?  Qu'est-ce 
que  tu  me  disais?  L'Italie?  Ah!  mon  cher!  Les  primi- 
tifs... vois-tu,  les  primitfs!  les  Vffizi!  Florence!  Ah!  les 
primitifs! 

—  Malambic!  Malattibiè!  —  cria  une  voix  de  femme 
interrompant  là  tirade,  —  la  ronde  du  Bas-Meudon!... 
Et  tout  le  monde  à  l'accompagnement!...  Le  monsieur 
qui  parle,  là-bas...  de  la  musique l  Voyons I  n'a  peu  d* 
couteau  sur  votre  verre! 


MANETTE  SALOMOW.  103 

Quand  la  ronde  fut  finie  :  —  Tiens  I  les  voilà  qui  vont 
être  embêlants,  à  parler  de  leurs  machines,  —  fit  une 
femme  qui  se  leva,  et  entraîna  les  autres  femmes  an 
dehors,  à  l'air,  au  crépuscule,  sur  le  chemin  barré  de 
bancs,  devant  le  cabaret. 

Ghassagnol  était  resté  penché  sur  Anatole  avec  une 
phrase  commencée,  arrêtée  sur  les  lèvres.  Il  reprit,  dans 
le  silence  fait  par  la  fuite  des  femmes  et  le  recueille- 
ment des  hommes  fumant  leurs  pipes  : 

—  Ah!  les  primitifs!...  Cimabué!  Des  tableaux 
comme  des  prières...  La  peinture  avant  la  science,  avant 
tout,  avant  l'art!  Ricco  de  Candie...  Les  Byzantins... 
les  mains  de  Vierge  comme  des  euslaches...  Tlngénu 
barbare... 

Il  s'arrêta,  et  revenant  à  son  habitude  de  parler  en 
manches  de  chemise,  il  ôta  son  habit,  et  s'asseyant  sur 
la  table,  ne  s'adressant  plus  trop  à  Anatole,  mais  par- 
lant à  tous  ceux  qui  étaient  là,  à  un  vague  public,  aux 
murs,  aux  têtes  coloriées  de  tirs  à  macarons  accrochés 
de  travers  sur  la  chaux  vive  de  la  pièce,  il  continua  :  — 
Oui,  la  mosaïque  byzantine,  la  cathèdre,  la  Mère  de 
Dieu  en  impératrice,  le  petit  Jésus  porphyrophore...  ado- 
rable! Des  ciels  d'or,  des  nimbes...  Ave  gratta t  une 
parole  d'or  qui  s'envole  d'un  tableau  de  Memmi...  des 
anges  d'orfèvrerie,  de  reliquaire,  les  ailes  arrosées  de 
rubis,  Memmi  1...  des  rêves...  des  rêves  qu'on  dirait  faits 
sous  le  grand  rosier  de  Damas  du  couvent  florentin  de 
Saint-Marc...  Et  Gaddi!  magnifique...  des  casques  de 
rois  à  barbe  pointue,  où  des  oiseaux  battent  des  ailes... 
Gaddi!  la  terreur  du  décor  de  la  Bible,  l'Orient  de  la 
Bible...  ttïl  dessinateur  de  Babylones...  des  femmes  aux 
mentonnières  de  gaze  près  de  grands  fleuves  verts,  des 
paysages  comme  celui  du  premier  meurtre,  des  firma- 
ments où  il  y  a  le  sang  d'Abel  sous  le  sang  du  Christ!... 
Et  Gentile  deFabriano!  La  chevalerie...  des  lances,  des 
chameaux,  des  singes,  tout  le  moyen  âge  de  Delacroix... 
Fiesole,  la  iram^guration  prêchée  par  Savonarole, 
l'ange  de  la  peinture  à  l'œuf.. •  le  miniaturiste  du  para-^ 


t04  MANETTE  SÀLOMON. 

dis...Des  saintes  comme  des  hosties...  des  hosties,  dei 
pains  à  cacheter  célestes,  hein,  c'est  ça?...  Botticelli... 
il  vous  prend  comme  Alfred  Durer,  celui-là...  des  plif 
cassés  d*un  style!  des  chairs  souffrantes...  des  lumières 
boréales...  Et  Lîppi,  l'amoureux  des  blondes...  Masac- 
cio...  un  grand  bonhomme!  le  trait  d'union  entre 
Giotto  et  Raphaël...  C'est  la  Foi  qui  va  à  l'Académie... 
l'Art  s*incarnant  dans  l'humanité...  Et  homo  factus 
est...  voilà,  hein?...  Et  ses  fonds!  des  rangées  de  crânes 
de  sénats  marchands...  des  profils  vuHurins  penchés  sur 
la  délibération  des  intérêts...  Et  une  variété  dans  tous 
ces  gens-là  !  Il  y  a  les  virgiliens...  Gosimo  Roselli...  Des 
tableaux  qui  vous  font  chanter  :  En  nova  progeniest... 
Baldovinetti...  la  Fête-Dieu  dans  une  toile...  Et  puis, 
des  embryons  de  Michel-Ange,  Pollaiolo  qui  vous  casse 
les  reins  il'Anlée  dans  le  cadre  d'une  carte  de  visite... 
toute  la  gestation  de  la  Renaissance,  ces  hommes-là  I... 
Et  Ghirlandaiu  !  le  saint  Jean-Baptiste,  le  Précurseur.., 
H  renoue  les  deux  Romes,  il  mène  Dieu  au  Panthéon, 
il  met  des  frises  d'amour  dans  le  gynécée  de  la  Nati- 
vité... Il  pose  le  toit  de  la  crèche  sur  les  colonnes  d'un 
temple,  il  berce  le  petit  Jésus  dans  le  sarcophage  d'un 
augure...  Ghirlandaio...  positivement,  n'est-ce  pas, 
hein? 

A  ce  «hein?  >  de  Chassagnol,  la  porte  s'ouvrit  vio- 
lemment. On  entendit  les  femmes  crier  :  «  En  barque  ! 
en  barque!  »  Et  pr  .sque  aussitôt  une  irruption  folle, 
prenant  les  hommes  par  les  bras,  les  soulevant  de  leurs 
tabourets,  les  traîna,  avec  Chassagnol,  jusqu'au  canot. 

—  La  Grande!  au  gouvernail!  —  commanda  Anatole 
à  une  femme;  et  il  passa  un  aviron  à  Chassagnol  pour 
qu'il  ne  parlât  plus. 

Et  le  canot  partit,  fou  et  bruyant  de  la  gaieté  du  café 
et  des  glorias,  dans  le  tralala  d'un  refrain  déchirant  un 
eouplet  populaire. 

Il  était  neuf  heures,  le  soir  tombait.  Le  ciel,  pâlis- 
sant d'un  côté,  s'éclairait  de  l'autre  du  rose  du  soleH 
couché.  Il  ne  semblait  plus  passer  que  des  roix  sur  les 


X 


MANETTE  SALOMON.  105 

fves;  et  sous  )es  arbres  du  bord  murmuraient  des 
causeries  basses  de  gens,  de  Tamour  qu'on  ne  voyait 
pas.  Tout  s'estompait  et  grandissait  dans  Tinconnu  et  le 
doute  de  l'ombre.  Les  gros  bateaux  amarrés  prenaient 
des  profils  bizarres,  menaçants  ;  de  grands  noirs  d'huile 
s'étendaient  sur  l'eau  dormante  ;  les  peupliers  se  mas- 
saient avec  l'épaisse  densité  de  cyprès,  et  soudain  à  la 
cime  de  l'un,  la  lune  apparut,  ronde,  pareille  à  une 
lanterne  jaune  accrochée  tout  en  haut  d'un  arbre.  Len- 
tement le  repos  de  la  nuit  descendit  en  s'épandant  sur 
le  sommeil  du  paysage  où  les  sonorités  s'éteignaient. 
L'haleine  des  industries  haletantes  se  tut  aux  fabriques. 
Le  bruit  du  passant  expii*a  sur  le  chemin  de  halage. 
Rien  ne  s'entendit  plus  qu'un  frissonnement  de  courant, 
un  tintement,  l'heure  qui  tombe  d'un  clocher  de  ban- 
lieue, l'agaçante  crécelle  d'une  grenouille,  le  roulement 
lointain  de  tonnerre  d'un  train  de  chemin  de  fer  sur  un 
pont.  La  lune  montait,  marchait  avec  le  canot,  comme 
si  elle  le  suivait,  jouait  à  cache-cache  derrière  les 
arbres,  surgissant  à  leur  bord  et  découpant  leurs  feuilles, 
puis  passant  derrière  leur  masse,  et  brillant  à  travers 
en  perçant  leur  noir  de  piqûres  d'or.  En  allant,  elle 
éclaboussait  de  gouttes  d'éclairs  et  d'argent  un  jonc,  le 
fer  de  lance  d'une  plante  d'eau,  un  petit  bras  de  la  ri- 
vière, une  pelite  anse  mystérieuse,  une  racine,  un  tronc 
mort;  et  souvent  les  rames,  en  entrant  dans  l'eau,  frap- 
paient dans  sa  lumière  tombée  et  coupaient  sa  face  en 
deux.  Le  ciel  était  toujours  bleu,  du  bleu  d'une  robe  de 
bal  voilée  de  dentelle  noire  ;  les  étoiles  de  l'été  y  fai- 
saient comme  un  fourmillement  de  fleurs  de  feu.  La 
terre  et  sa  rumeur  finissante  mouraient  dans  le  dernier 
écho  de  la  retraite  de  Courbevoîe.  Le  canot  glissait,  ba- 
lancé, bercé  par  le  clapoleraent  continu  de  l'eau  et  par 
l'égoulement  scandé  de  chaque  coup  d'aviron,  comme 
par  une  mélancolique  musique  de  plainte  où  tombe- 
raient des  larmes  une  aune.  Une  fraîcheur  se  levait 
dans  le  soir  comme  un  souffle  venant  d'un  autre  monde 
et  caressait  les  visages  chauffés  de  soleil  sous  là  peau. 


106  MANETTE  SALOMON. 

Des  branches  pendantes  et  balayantes  de  saules  roct* 
taiont  parfois  contre  les  joues  des  chatouillements  de 
chevelure... 

Peu  à  peu  l'obscurité,  la  vide  et  muette  grandeur 
dans  laquelle  les  canotiers  glissaient,  la  douceur  solen- 
nelle de  l'heure,  la  majesté  de  sommeil  de  ce  beau  si  • 
lence,  glaçaient  sur  les  lèvres  la  chanson,  le  rire,  la  pa- 
role. La  Nuit,  au  fond  de  cette  barque  de  Bohême^ 
embrassait  au  front  et  dégrisait  l'ivresse  du  vin  bleu* 
Les  yeux,  involontairement,  se  levaient  vers  cette  atti- 
rante sérénité  d'en  haut,  regardaient  au  ciel.«.  Et  la 
bêtise  même  des  femmes  rêvait. 


XXVIII 


L'hiver  arrivé,  les  commandes,  les  portraits  man- 
quant, Anatole  fut  obligé  de  descendre  aux  bas  métiers 
qui  nourrissent  Thommed'un  pain  qui  fait  d'abord  rou- 
gir l'artiste,  et  finissent  par  tuer  chez  tant  de  peintres, 
«ous  le  labeur  ouvrier,  le  premier  orgueil  et  la  haute 
aspiration  de  leur  carrière.  Il  accepta,  cliercha,  ramassa 
les  affaires  d'industrie,  les  travaux  de  rebut  et  d'avilisse- 
ment :  les  panneaux,  dont  on  déjeune,  les  paysages  de 
Suisse  qui  donnent  l'argent  d'une  paire  de  souliers.  Il 
fit,  dans  cette  misérable  partie,  tout  ce  qui  concernait  son 
état  :  des  portraits  de  morts,  d'après  des  photographies; 
des  dessins  décolletés,  pour  la  Russie;  des  dessus  de 
cartons  de  modes  pour  Rio-Janeiro.  Il  accrocha  des  en- 
treprises de  Chemins-de-Croix  au  rabais,  qu'il  peignait 
à  la  diable,  aidé  de  deux  ou  trois  camarades  de  l'atelier, 
avec  le  procédé  des  tableaux  de  nature  morte  exposés 
sur  le  boulevard  :  chacun  était  chargé  d*une  couleur, 
préposé  au  rouge,  au  bleu  ou  au  vert.  La  Passion  mar- 
chait ainsi  d*un  train  de  poste,  et  l'on  enlevait  les  $kh 
iions  pour  la  province  au  milieu  de  parodies  effroyables 


•  ANETTE  SALOMON.  |d7 

«t  de  eharges  du  crucifiement  qui  mettaient  dans  la 
bouche  de  Tagonie  du  Sauveur  la  pratique  de  Polih*  i- 
nelle! 

Pourtant,  mal^é  tout,  souvent  la  pièce  de  cent  sous 
manquait.  Mais  il  unissait  toujours  par  venir  un  hasard, 
une  chance,  quelque  occasion  ;  et,  dans  les  moments  les 
plus  désespérés,  un  petk  raanleau-bieu  apparaissait  dans 
l'atelier,  un  homme  providentiel,  singulièrement  informé 
des  nocei  et  des  dèches  d'artistes,  surgissant  le  matin 
devant  le  lit  où  ils  dormaient  encore,  et  pour  le  moins 
d'argent  possible,  leur  achetant  deux  ou  trois  esquisses 
qu'il  marquait  par  derrière  d'une  pointe  à  son  nom. 
L'homme  à  la  fabrique^  c'est  ainsi  qu'on  l'appelait,  était 
un  petit  homme,  habillé  de  couleurs  sobres,  portant  des 
guêtres  blanches,  les  souliers  vernis  d'un  faiseur  d'af- 
faires qui  a  toujours  une  voiture  pour  ses  courses.  D 
avait  du  militaire  en  bourgeois,  un  ton  net,  un  air  cou- 
pant, le  teint  bilieux,  les  yeux  bridés,  le  nez  d'un  gar- 
çon de  place  napolitain,  une  bouche  sans  dessin  dans 
une  barbe  noire.  Il  faisait  son  principal  commerce  de 
Texportation  des  tableaux  pour  les  pays  du  nouveau 
inonde  qui  boivent  du  Champagne  confectionné  à  Mont* 
morencj*  Ses  plus  gros  prix  étaient  soixante  francs; 
mais  il  ne  les  donnait  qu'aux  talents  qui  lui  étaient  sym- 
pathiques et  aux  peintres  de  style  ;  et  de  soixante  francs 
il  descendait  à  quatre  francs  juste  pour  les  petites  com- 
positions. Pour  peu  qu'il  crût  à  l'avenir  d'un  artiste,  U 
lui  faisait  faire  toutes  sortes  de  choses  ;  il  apportait  des 
esguisses  pour  qu'on  les  lui  finît,  qu'on  y  mit  du  piquant, 
quon  les  amenât  au  joli  :  il  payait  cela  cinq  francs.  Il 
faisait  peindre  des  gravures  d'Overbeck  sur  des  toiles  de 
six.  Il  venait  encore  souvent  avec  des  panneaux  sur  les* 
quels  étaient  lithographies  des  sujets  de  bergerie,  d^s 
Boucher  de  paravent,  qu'on  n'avait  plus  que  la  peine  de 
couvrir.  Il  traitait  vite,  ne  riait  jamais,  avait  des  opinions, 
s'asseyait  devant  une  copie,  critiquait,  disait  des  mots 
d'art:  «  C'est  creux...  ça  fait  lanterne...,  »  demandait 
plusde  plis  aux  robes  de  vierges,  des  lumières  da^  les 


108  nANËTTE  SALOMON. 

yeux,  du  modelé  partout,  un  tas  de  petites  touches  c  tic, 
eomme  ça  i>  au  bout  des  doigts  et  de  la  conscience,  et  de 
roulremer  dans  les  ciels. 

Bref,  il  demandait  tant  de  choses  pour  si  peu  d'argent, 
qu'Anatole,  à  la  fin,  préféra  travailler  pour  M.  Bernar- 
din. 


XXIX 


M.  Bernardin,  un  embaumeur,  le  rival  de  Gannal,  se 
trouvait  occupé  à  faire  des  préparations  anatomiques  pour 
le  musée  Orfila.  C'était  un  préparateur  d'un  grand  mé- 
rite, auquel  n'avait  guère  manqué  jusque-là,  pour  deve- 
nir célèbre  que  la  chance  d'embaumer  des  hommes 
eonnus.  Il  était  parvenu  à  conserver  le  poids  et  le  volume 
de  la  nature  à  ses  préparations;  seulement  il  ne  pouvait 
les  empêcher  de  prendre,  avec  le  temps,  une  couleur  de 
momification  qui  détruisait  toute  illusion.  Il  proposa  k 
Anatole  de  les  peindre  d'après  les  modèles  qu'il  lui 
fournirait.  Et  ce  fut  alors  qu'Anatole  alla  tous  les  jours  à 
une  belle  et  grande  maison  dans  la  rue  du  Faubourg-du- 
Temple.  Il  montait  au  cinquième,  à  une  petite  chambre 
de  domestique,  trouvait  là  le  membre  préparé,  et,  à 
côté,  le  membre,  écorché  frais  par  Bernardin,  et  qui  de- 
vait lui  servir  de  modèle  pour  les  tons. 

Quelquefois,  en  travaillant,  il  hasardait  un  regard  dans 
la  cour;  et  il  n'était  pas  trop  rassuré  en  voyant  toutes 
les  têtes  des  locataires  et  l'horreur  de  tous  les  étages 
tournées  vers  sa  mansarde. 

Un  jour,  s'étant  mis  un  peu  de  sang  aux  doigts  en 
changeant  de  place  son  modèle,  il  voulut  se  laver  dans 
une  grande  terrine,  dont  il  n'avait  pas  vu  dans  l'ombre 
la  teinte  sanguinolente.  Comme  il  retirait  ses  mains, 
lui  vint  aux  doigts  quelque  chose  comme  une  peau  qui 
ce  finissait  pas 


UâNETTE  SALOMON.  109 

—  Ah!  celle-là,  c'est  d'une  jeune  fille...  —  dit  négli- 
gemment M.  Bernardin,  en  train  de  préparer  de  l'ou- 
vrage pour  fe  lendemain.  —  Oui,  c'est  le  moment... 
après  le  carnaval...  le  passage  des  femmes  dans  les  hô- 
pitaux... 

Il  prit  un  tel  frisson  à  Anatole,  qu'il  ne  revint  plus. 
Cela  étonna  M.  Bernardin  qui  le  payait  bien. 

A  quelques  semaines  de  là,  il  n'était  bruit  à  Paris 
que  d'un  meurtre  mystérieux,  d'une  femme  coupée  en 
morceaux,  dont  on  avait  trouvé  la  tète  dans  la  fonlaine 
du  quai  aux  FleuES.  On  frappa  chez  Anatole  :  c'était 
M.  Bernardin.  D  avait  été  chargé  d'embaumer  cette 
femme,  que  la  police  voulait  faire  exposer  et  reconnaître. 
Mais  comme  elle  avait  séjourné  sous  l'eau  et  qu'elle  avait 
des  taches,  M.  Bernardin,  qui  voulait  faire  un  chef- 
d'œuvre,  frapper  un  coup  de  maître,  avait  pensé  à  faire 
raccorder  la  malheureuse;  il  venait  demander  à  Anatole 
de  passer  des  glacis  dessus. 

—  Mon  cher,  c'est  mon  avenir,  —  dit-il  à  Anatole. 
Et  il  lui  offrit  un  gros  prix. 

Anatole,  que  la  Morgue  avait  toujours  attiré,  et  qui 
était  naturellement  curieux  des  grands  crimes,  se  laissa 
décider.  Et  une  demi-heure  après,  derrière  le  rideau 
tiré  de  la  salle,  il  travaillait  à  couvrir,  en  couleur  chair, 
les  taches  de  la  morte,  à  laquelle  le  coiffeur  de  la  rue 
de  la  Barillerie,  plus  blanc  qu'un  linge,  faisait  la  raie, 
tandis  que  M.  Bernardin,  retirant  l'un  après  l'autre  de 
la  tête  ses  yeux  en  émail,  essuyait  dessus,  soigneuse- 
ment, la  buée  avec  son  foulard  I 


XXX 


Au  bout  de  tous  ces  travaux  de  raccroc  tombait  dans 
Tatelier  la  misère  que  l'artiste  appelle  de  son  petit  nom 
la  panne. 

10 


ilO  MANETTE  SÂLOMON. 

L'hiver  revint  cette  année-là  au  commencement  du 
printemps.  Tous  les  fournisseurs  du  quartier  étaient 
usés,  «  brûlés  ».  Anatole  condamna  au  feu  un  vieux 
fauteuil  qui  boitait.  Du  fauteuil,  il  passa  aux  tiroirs  du 
chifTonnier,  et  arriva  à  ne  laisser  de  ses  meubles  que 
les  deux  côtés  qui  ne  touchaient  pas  au  mur.  Les  amis 
avaient  fui  devant  le  froid  et  l'absence  de  tabac.  Alexan- 
dre était  parti  pour  Lille,  où  l'appelait  un  engagement. 
Et  il  ne  restait  plus  k  Anatole  qu'un  camarade,  qui  avait 
pris  dans  son  existence  la  place  d'Alexandre. 

Il  est  en  Russie  un  plat  national  et  religieux,  VAgiieau 
de  beurre^  un  agneau  à  ia  toison  faite  avec  du  beurre 
pressé  dans  un  torchon,  aux  yeux  piqués  de  petits  points 
de  truffe,  à  la  bouche  portant  un  rameau  vert.  Les 
Russes  attachent  une  grande  importance  à  la  confection 
artistique  de  cet  agneau  qu'on  sert  dans  la  nuit  de  Pâques. 
Un  cuisinier  français,  maître  de  cuisine  chez  le  prince 
Pojarski,  pendant  un  séjour  du  prince' à  Paris,  s'était 
mis  à  étudier  chez  un  sculpteur  d'animaux  pour  se  faire 
un  talent  de  modeleur  de  pareilles  pièces  en  beurre  et 
en  suif.  Au  milieu  de  ses  études,  saisi  par  Tamour  de 
Fart,  il  avait  donné  sa  démission  de  cuisinier  pour  se 
faire  artiste.  Et  ses  économies  mangées,  par  ce  hasard 
des  rencontres  qui  accroche  les  malheureux,  par  cet 
instinct  du  ménage  à  deux  qui  associe  presque  toujours 
par  paires  les  pauvres  diables  pour  faire  front  aux  duretés 
de  la  vie,  il  était  devenu  le  compagnon  de  lit  d'Anatole. 

La  panne  continuait  pendant  l'été  et  Pautomne.  Tout 
manquait,  jusqu'à  l'homme  à  la  fabrique.  Bardoulat  — 
c'était  le  nom  du  camarade  d'Anatole  —  commençait  à 
donner  des  signes  de  démoralisation. 

—  C'est  drôle!  décidément,  c'est  drôle I  —  répétait-il 
—  nous  voilà  à  ramasser  des  bouts  de  cigarettes  pour 
fumer,  à  présent.  Ah! c'est  drôle, l'art!  très-drôle  1  main- 
tenant, quand  je  sors  dehors,  je  marche  au  milieu  de  la 
rue  :  tu  comprends,  si  j'avais  le  malheur  de  casser  un 
carreau!.  .Oh!  très-drôle,  tout  çà! très-drôle, très-drôle I 

»—  Mon  cher  —  lui  disait  Anatole  pour  le  remonter — 


J 


MÂNBTTB  SÂLOMON.  fil 

ta  GoItWes  un  genre  qni  a  eu  du  succès  à  Jérusalem, 
mais  qui  est  mort  ayec  Jérémie...  Que  diable  !  nous  n'en 
sommes  pas  encore  à  la  misère  deDucharmel...  Duchar- 
mely  tu  sais  bien?  auquel  on  a  fait,  depuis  qu'il  est 
mort,  un  si  beau  tombeau  par  souscription...  Lui,  la 
Providence  l'ayait  affligé  d'un  enfant...  Sais-tu  ce  qu'un 
jour,  que  son  moutard  avait  faim,  il  a  trouvé  à  lui  don- 
ner à  manger ?•••  Une  boite  de  pains  à  cacheter  blancs! 


XXXI 


Le  soir,  fls  8*en  allaient  tous  les  deux  à  la  barrière,  an 
Désespoir,  chezTisserand  le  Danseur,  où  l'on  dînait  pour 
neuf  sous.  Et  l'estomac  à  demi  rempli,  sans  un  liard  pour 
une  consommation,  regardant  à  travers  les  rideaux  les 
gens  assis  dans  les  cafés,  ils  s'en  revenaient  tristement. 

Alors  commençait  la  veillée,  la  causerie,  et  presque 
toujours  l'ironie  d'une  conversation  succulente.  Curieux 
de  lout  ce  qui  avait  un  caractère  étranger,  enclin  d'ail- 
.leurs  à  cette  gourmandise  d'imagination  qui  lui  faisait 
demander  sur  les  cartes  des  restaurants  les  mets  incon- 
nus et  de  noms  chatouillants,  Anatole  mettait  l'ancien 
chef  du  prince  Pojarski  sur  son  passé  ;  et  le  cuisinier, 
s'animantau  souvenir  du  feu  de  ses  fourneaux,  et  comme 
repris  par  sa  première  profession,  lui  parlait  cuisine,  et 
cuisine  russe.  Les  yeux  brillants,  il  ônumérait  les 
cailles  des  gouvernements  de  Toul  et  de  Koursk,  les 
gelinottes  de  Wologda,  Arkhangel,  Kazan;  les  coqs  de 
bruyères,  les  bécasses  de  bois,  les  sangliers  des  gou- 
vernements de  Grodno  et  de  Minsk;  les  jambons,  les 
pattes  d'ours,  tout  le  gibier  conservé  gelé  toute  l'année 
dans  les  glacières  de  Pétersbourg.  D  dissertait  sur  la 
délicatesse  des  poissons  vivant  dans  ces  fleuves  de  glace  : 
les  sterlets  du  Volga,  l'esturgeon  du  lac  Ladoga,  les 
saumons  de  la  Newa,  les  lavarets,  le  soudac,  dont  le 


112  MANETTE  SALOMON. 

meilleur  apprêt  est  celui  dit  du  Cabaret  rouge,  et  les 
truites  de  Gatschina,  les  carassins  des  environs  de  Saint- 
Pétersbourg,  les  éperians  de  Ladoga,  les  goujons  per- 
chés, les  goujons  délicieux  de  Moscou,  les  riapouschka, 
les  chabots  de  Pskoff,  dont  on  se  sert  dans  le  carême 
pour  le  stschi  maigre,  et  dans  la  semaine  du  carnaval 
pour  les  blinis.  Et  de  l'énumération,  Bardoulat  passait 
impitoyablement  aux  détails  de  son  ancien  art,  avec  des 
termes  techniques,  des  explications,  des  gestes  qui  sem- 
blaient remuer  les  choses  dans  la  casserole,  des  mots 
qui  sentaient  bon  et  qui  fumaient.  C'était  le  potage  Ros- 
solnick,  le  potage  aux  concombres  liés,  au  moment  de 
servir,  avec  de  la  crème  double  et  des  jaunes  d'œuf, 
dans  lequel  on  met  les  membres  de  deux  jeunes  poulets 
cuits  dans  le  velouté  du  potage. 

—  Le  velouté  du  potage!  —  répétait  Anatole,  comme 
pour  se  faire  passer  sur  la  langue  la  friandise  de  Tex- 
Dression. 

Mais  Bardoulat  ne  Técoutait  pas  :  il  était  lancé  dans 
l'extravagance  des  soupes  :  le  potage  de  sterlet  aux  foies 
de  lotte,  mouillé  de  vin  de  Champagne,  les  borlsch,  les 
stschi  à  la  paresseuse,  le  bouillon  de  gribouis,  fait  de  ces 
exquis  champignons  qui  ne  viennent  que  sous  les  sapins, 
les  potages  au  gruau  de  sarrazin,  au  cochon  de  lait,  aux 
Inorilles,  aux  orties,  et  les  potages  à  la  purée  de  fraises, 
pour  les  grandes  chaleurs... 

Anatole  écoutait  tout  cela,  aspirant  l'exquisité  des 
plats  que  l'autre  évoquait  toujours,  les  petits  pâtés  de 
▼esiga,  les  coulibiac  de  feuilletage  aux  choux,  les  vare- 
nikis  lithuaniens,  les  vatrouschkis  au  fromage  blanc,  les 
saussehs  farcis  des  pellmènes  sibériens,  les  ciernikis  et 
nalesnikis  polonais  :  il  lui  semblait  être  au  soupirail 
d'une  cuisine  où  Carême  travaillerait  pour  Attila,  et  il 
lui  entrait  des  rêves  dans  l'estomac. 

—  Mais  vois-tu  ce  qu'il  faut  manger,  —  lui  dit  une 
fois  l'ancien  chef,  —  au  premier  argent  qui  nous  aurons, 
j'en  fais  un,  tu  verras!  Un  faisan  à  la  Géorgienne !••• 
C'est  qu'il  faut  du  raisin. 


A 


M15ETTE  SAL0M05.  lU 

—  Oh!  —  dit  négligemment  Anatole,  —  fen  ai  ti 
chez  Chevet...  vingt  francs  la  botte,  mon  Dieu.. 

—  Écoute  !  —  fil  le  chef,  et  se  mettant  à  parler  comm« 
on  livre  de  cuisine,  —  ta  vides,  tu  Ûarabes,  tu  trousses 
ton  faisan...  tu  le  bardes,  tu  le  mets  dans  une  casserole... 
ovale,  la  casserole...  tu  enlèves  avec  précaution  les  pel- 
licules d'une  trentaine  de  noix  fraîches,  et  tu  les  mets 
dans  la  casserole. 

—  Bon! 

^ —  Tu  écrases  dans  un  tamis  deux  livres  de  raisin  et 
la  chair  de  quatre  oranges...  tu  verses  cela  sur  ton  fai- 
san, tu  ajoutes  un  verre  de  Malvoisie,  aulaiil  d'infusion 
de  thé  vert...  Tout  cela  sur  le  feu,  une  heure  avanl  de 
servir,  et  lorsque  c'est  cuit...  tu  as  ajouté,  bien  entendu, 
gros  comme  un  œuf  de  beurre  fin...  Tu  passes  les  trois 
quarts  de  la  cuisson  à  la  serviette  pour  la  réduire  avec 
une  bonne  espagnole...  Tu  sers...  Et  ce  que  c'est  bon! 
Âh!  mon  ami! 

—  Assez!  —  dit  d'un  ton  impératif  Anatole. 

—  Oui,  assez,  —  dit  mélancoliquement  l'ancien  chef 
de  cuisine  du  prince  Pojarski. 

Tous  deux  commençaient  à  trop  souffrir  de  ce  sup- 
plice abominablement  irritant,  torture  de  tentation  pa- 
reille à  celle  qu'an nnent  des  naufragés  si,  dans  le  ciel 
au-dessus  d'eux,  le  Parfait  Cuisinier  s'ouvi-ait  avec  de» 
recettes  écrites  en  lettres  de  feu. 


XXXII 

Par  une  journée  de  froid  noir,  en  décembre,  où  ils 
étadent  restés  au  lit,  couchés  avec  leurs  vareuses,  à 
jouer  au  piqifet,  il  leur  prit  l'idée  d'aller  se  chauffer 
gratis  dans  un  endroit  public. 

Ils  étaient  sur  le  boulevard,  ne  sachant  trop  où  ils 
entreraient,  hésitant  entre  le  Louvre  et  un  bureau  d'om* 
nibus,  lorsque  Anatole  dit  : 

10. 


M  MANETTE  SALOMON. 

—  Tiens!  si  nous  allions  aux  commissaires- priseursî 
Il  y  a  longtemps  que  j'ai  envie  d'acheter  un  mobilier  en 
bois  de  rose... 

Bardoulat  ne  fit  pas  d'objection.  Us  arriyèrent  au  long 
corridor  de  la  rue  des  Jeûneurs,  entrèrent  dans  une 
première  salle  et  s'assirent  sur  deux  chaises,  les  pieds 
pesés  sur  la  bouche  d'un  calorifère,  le  corps  ramassé 
dans  la  chaleur  qu'il  faisait.  Au  bout  de  quelques  instants 
seulement  ils  regardèrent. 

—  Ah!  —  fit  Anatole,  —  une  esquisse  de  Lestonat... 
Tiens!...  une  autre...  C'est  encore  de  lui,  ça...  Et  ça 
aussi...  Une  crânement  bonne  chose,  cette  esquisse-là... 
Langibout,  je  me  rappelle,  quand  il  la  lui  a  montrée, 
était  joliment  content...  Que  c'est  drôle,  qu'il  lave  tout 
ça!...  Il  est  donc  connu  à  présent,  qu'il  se  paye  une 
vente...  Ah!  voilà  Grandvoinet...  là-bas,  dans  le  coin, 
ee  grand...  C'était  son  intime...  Il  va  nous  dire...  Ehl 
Crandvoinet... 

Grandvoinet  arriva  à  Anatole. 

—  Tiens!  c'est  toi?  Bonjour... 

—  Ça  se  vend-il? 

Grandvoinet  ne  répondit  que  par  un  signa  de  téta 
Iriste. 

—  Ah  ça!  pourquoi  vend-il? 

—  Pourquoi?...  Tu  n'as  donc  pas  lu  Tafflchet 

—  Non. 

—  Eh  bien!  il  est  mort...  simplement... 

—  Mort!  bah?... Comment,  lui!...  Sapristi!  Lestonat... 
un  garçon  auquel,  à  l'atelier,  le  père  Langibout  et  tout 
le  monde  croyaient  tant  d'avenir... 

—  Tiens!  le  voilà,  à  présent,  son  avenir! 

Et  Grandvoinet  montra  de  l'œil  à  Anatole,  au  bas  da 
bureau  du  commissaire-priseur,  une  pauvra  maigre 
jeune  femme,  vêtue  du  deuil  propre  et  pauvre  de  la  mi- 
sère, en  chapeau,  les  épaules  serrées  dans  un  chàle  re- 
teint. Elle  était  là,  droite,  ne  bougeant  pas,  les  mains 
dans  le  creux  de  sa  jupe,  avec  une  figure  d'une  pâleur 
jaune,  et  son  chagrin  à  peine  séché  dans  les  yenx.  A 


MANETTE  SALOMON.  ||5 

côté  d'elle,  et  de  fatigue  se  penchant  par  moments  contre 
son  bras,  un  enfant  de  deux  ou  trois  ans,  juché  sur  la 
chaise  trop  haute  pour  lui,  laissait  pendre  ses  deux 
jambes  qu'il  remuait,  et  dont  les  pieds,  en  se  tortillant, 
se  tournaient  l'un  sur  l'autre;  et  puis  il  regardait  vague- 
ment, d'un  air  étonné  et  distrait,  de  l'air  des  enliints 
trop  petits  pour  voir  la  mort,  et  qui  sont  amusés  d'être 
en  noir. 

—  De  quoi  est-il  mort?  —  demanda  Anatole. 

—  De  quoi?...  De  la  peinture,  mon  cher...  de  ce  joli 
métier  de  galère-là!  —  fit  Grand voinet  d'un  ton  d'amer- 
tume sourde.  —  Les  bourgeois  croient  que  c'est  tout 
rose,  notre  vie,  et  qu'on  ne  crève  pas  à  ce  chien  de  tra- 
vail-là! Tu  la  connais,  toi:  l'atelier,  depuis  le  matin  six 
heures  jusqu'à  midi;  à  déjeuner,  deux  sous  de  pain  et 
deux  sous  de  pommes  de  terre  frites;  après  ça,  le  Louvre, 
où  l'on  peint  toute  la  journée...  Et  puis,  le  soir,  encore 
l'école,  le  modèle  de  six  à  huit  heures,  et  ce  qu'on  fait 
en  rentrant  chez  soi...  Trouvez  le  temps  de  dîner  seule- 
ment là-dedans!  Ah!  elle  est  jolie,  l'hygiène,  avec  la 
gargotte,  les  embêtements,  les  échignements  pour  les 
concours,  les  éreintements  d'estomac,  de  tête,  de  pîo- 
chade,  de  volonté  et  de  tout...  Va,  il  faut  en  avoir  une 
santé  et  un  coiïre  pour  y  résister!...  Soixante-quinze 
francs!  Mais  c'est  son  plafond  pour  la  Tanucci,  l'esquisse, 
qu'on  vend...  Quatre-vingts!  Est-ce  fin  de  ton,  hein?... 
Quatre-vingt-cinq!  Je  suis  capable  de  ne  rien  avoir.. . 
Enfin,  j'ai  tout  de  même  eu  une  bonne  idée  de  mettre 
au  clou  ma  montre  et  ma  chaîne...  Si  je  n'avais  pas 
poussé,  ce  gueux  de  Lapaque  aurait  tout  eu  pour  rien... 
Quatre-vingt-quinze!...  On  n'a  pas  idée  de  ça:  il  n'v  a 
que  lui  de  marchand  ici... 

La  vente  se  traînait  péniblement  avec  l'horrible  ennui 
d'une  vacation  qui  ne  va  pas.  Les  enchères  misérables 
anguissaient.  Rien  n'avait  amené  le  public  à  cette  der- 
nière exposition  d'un  peintre  à  peu  près  inconnu  des 
amateurs,  qui  n'avait  de  talent  que  pour  ses  camarades, 
et  dont  les  autres  peintres  achetaient  les  esquisses  pour 


116  MANETTE  SÂLOMON. 

€  se  monter  le  coup  >.  D'ailleurs,  la  mode  n'existait  pas 
encore  des  ventes  d'artistes;  et  il  pesait  sur  le  marché 
de  Tart  les  préoccupations  politiques  de  la  fm  de  cette 
année  1847. 

Des  gens  qui  étaient  là,  des  vingt  personnes  espacées 
.  autour  des  tables,  la  nioitié  était  venue,  comme  Anatole 
et  son  ami,  pour  se  chauffer.  Â  peine  si  trois  ou  quatre 
faisaient  un  petit  mouvement  d'avance,  quand  une  toile 
passait  devant  eux;  et,  dans  un  coin,  un  homme  au 
chapeau  roux  dormait  tout  haut.  De  temps  en  temps,  un 
passant  regardait,  de  la  porte  de  la  salle,  les  cadres,  les 
panneaux,  le  chevalet  Bonhomme,  les  cartons,  le  man- 
nequin ;  et  voyant  si  peu  de  monde,  il  n'avait  pas  le 
courage  d'entrer.  Le  gros  commissaire-priseur,  renversé 
sur  son  fauteuil  et  se  grattant  le  dessous  du  menton 
avec  son  marteau  d'ivoire,  se  laissait  aller  à  bâiller;  le 
crieur  ne  donnait  plus  que  la  moitié  de  sa  voix  ;  et  jus- 
qu'au dos  des  lourds  Auvergnats  emportant  les  numéros 
adjugés,  tout  et  tous  semblaient  mépriser  cette  peinture 
qui  se  vendait  si  mal,  ce  talent  que  la  réclame  de  la 
mort  n'avait  pas  fait  monter. 

Enfin,  on  arrivait  â  la  fin  de  la  vente. 

La  pauvre  femme  était  toujours  là,  plus  douloureuse, 
plus  humiliée  à  chaque  nouvelle  adjudication,  comme  si, 
devant  les  morceaux  de  la  vie  de  son  mari  vendus  si  bon 
marché,  pleurait  et  saignait  l'orgueil  qu'elle  avait  placé 
sur  son  talent.  Le  commissaire-priseur  se  ranimait;  et, 
paraissant  sourire  à  l'idée  de  son  dîner  et  de  son  plaisir 
du  soir,  il  regardait  en  dessous  cette  douleur  de  jeune 
fcuve  avec  de  gros  yeux  sensuels  de  célibataire  scep- 
tique. Il  criait,  pressait  les  enchères,  disait  : 

—  Messieurs,  il  y  a  un  cadre  !  —  ou  bien  :  —  Une 
belle  femme  nue,  messieurs!...  Pas  d'erreur?...  Vu?... 
On  y  renonce?  —  Il  jetait  sur  les  toiles,  à  mesure 
qu'elles  passaient,  ces  lourdes  et  cyniques  plaisanteries 
de  son  niétier,  qui  enterrent  l'œuvre  d'un  mort  dans  une 
profanation  de  risée. 

—  Le  misérable!  —  fit  Grandvoinet  indigné,  —il 


MANETTE  SALOMOR.  117 

égayé  la  vente!...  Âh!  si  sa  femme,  avec  les  frais,  a  sea- 
lement  de  quoi  payer  les  dettes! 

Anatole  et  Baidoulat  restèrent  sons  l'impression  de 
cette  triste  scène.  Dans  la  rue  : 

—  Merci!  —  dit  Bardoulat,  —  ayez  donc  du  talent! 

Le  soir  après  dîner,  comme  Anatole  croyait  que  Bar- 
doulat, sa  vareuse  ôtée,  allait  se  coucher,  il  le  vit  prendre 
la  redingote  commune. 

—  Tu  prends  notre  redingote?  —  lui  dit-il. 

—  Oui,  je  sors  un  moment... 

—  A  cette  heure-ci?...  Coquin! 

Dans  la  nuit,  tout  en  dormant,  il  sembla  à  Anatole 
que  le  thermomètre  baissait  :  le  lendemain,  il  fut  étonné 
de  se  trouver  seul  dans  son  lit.  La  journée  se  passa  sans 
nouvelles  de  Bardoulat.  Le  soir,  il  ne  revint  pas.  Le 
matin  qui  suivit,  Anatole  inquiet  commençait  à  se  de- 
mander s'il  ne  ferait  pas  bien  d'aller  voir  à  la  Morgue, 
quand  il  reçut  un  petit  billet  de  Bardoulat.  Bardoulat 
s'avouait  dégoûté  de  l'art,  et  il  demandait  pardon  à  Ana- 
tole de  l'avoir  quitté  si  brusquement,  mais  il  n'osait 
plus  le  revoir;  il  n'en  était  plus  digne  :  il  s'était  replacé 
comme  cuisinier  chez  un  Russe  qui  le  faisait  partir  en 
courrier  pour  la  Russie. 

—  Cet  animal-là!  —  fit  Anatole,  —  il  aurait  bien  dû 
mettre  la  redingote  dans  sa  lettre,  d'autant  plus  qu*il  est 
parti  avec  les  derniers  quarante  sous  de  la  maison!... 
Enfin,  tant  mieux  qu'il  soit  parti  :  avec  ses  histoires  de 
eulïsine,  c'était  le  supplice  de  Cancalef... 


XXXIII 


Cependant  arrivait  cette  année  dure  à  Fart  :  1848,  la 
Révolution,  la  crise  de  l'argent. 

Anatole  n'en  souffrait  pas  trop  d'abord.  Il  trouvait  à 
l'employer  dans  une  série  de  portraits  des  députés  de  la 


118  HANETTE  SALOHON. 

Constituante.  Mais  après  cela,  des  semaines,  des  mois 
se  passaient  sans  qu'il  trouvai  autre  chose  à  faire  quê 
l'en-tête  d'une  romance  légitimiste  :  Où  est-il?  qu'il 
exécuta  en  faisant  violence  à  ses  opinions  républi- 
caines. Puis,  la  gène  des  temps  croissant,  il  arriva  à 
se  laisser  embaucher  par  un  individu  qui  avait  eu  l'idée 
de  placer  en  province  des  livres  invendables,  des  raS' 
\  signois  de  librairie,  avec  la  prfane  d'une  pendule  ou 
d'un  portrait  au  choix.  Chaque  portrait,  y  compris  les 
mains,  devait  être  payé  20  francs  à  Anatole,  et  l'on  com- 
mençait la  tournée  par  Poissy.  Anatole  et  son  meneur 
se  glissaient  dans  les  maisons,  furtivement,  sans  rien 
dire  du  pourquoi  de  leur  visite,  qui  les  eût  fait  jeter  à  la 
porte;  et  tout  à  coup,  Anatole  ouvrant  une  botte  qui 
contenait  son  portrait,  se  mettait  à  côté  dans  la  pose, 
tandis  que  son  compagnon,  levant  un  mouchoir  démas- 
quait la  pendule  de  la  prime.  Cette  pantomime  n'eut 
aucun  succès  auprès  des  bouchers  de  l'endroit.  Elle  ne 
réussit  guère  mieux  dans  les  autres  villes  du  départe- 
ment. Et,  peu  de  jours  avant  les  journées  de  Juin,  Ana- 
tole retomba  sur  le  pavé  de  Paris,  aussi  pauvre  qu'avant 
de  partir.  Les  journées  de  Juin  lui  donnaient  l'idée  de 
faire  d'imagination  un  faux  croquis  d'après  nature  de 
l'épisode  de  la  barrière  de  Fontainebleau  :  l'assassinat 
du  général  Bréa.  Un  journal  illustré  lui  payait  assez  bien 
ce  dessin  d'actualité.  Anatole  en  tirait  une  seconde 
moùtnrt  en  lithographiant  un  portrait  du  général,  dont 
il  vendait  pour  une  trentaine  de  francs. 

Mais  c'était  son  dernier  gain,  toute  aiïaire  s'arrêtait.  Il 
eut  beau  chercher,  courir,  solliciter  :  un  moment,  il 
n'y  eut  plus  que  la  faim  à  l'horizon  désespéré  de  son 
lendemain. 

Il  regarda  autour  de  lui.  Ses  effets,  sa  chambre  elle- 
même  avait  presque  toute  déménagé  au  mont-de-piété. 
Il  fouilla  machinalement  la  poche  de  son  gilet  :  le  poisson 
d'or  de  Coriolis,  qui  lui  avait  si  souvent  avancé  un  peu 
d'argent,  était  parti  pour  la  dernière  fois,  et  n'était  pas 
revenu.  Il  chercha  dans  la  pauvreté  de  ses  nippes  et  le 


BIANETTE  SALOMON.  lU 

vide  de  ses  meubles  :  rien,  il  ne  restait  plus  rien  dont 
le  clou  eût  voulu. 

Alors  il  eut  une  idée  :  ses  matelas  avaient  encore  le 
luxe  de  leurs  toiles;  il  se  mit  à  les  découdre,  trouva 
dessous  la  laine  assez  tassée  en  galette  pour  y  pouvoir 
coucher^  et  courant  les  engager  au  premier  bureau  de 
commissionnaire,  il  en  tira  quelques  sous.  Et  il  se  mit  à 
manger  un  pain  de  seigle  pour  son  déjeuner,  un  autre 
pour  son  dîner.  En  se  rationnant  ainsi,  il  calculait  qu'il 
avait  de  quoi  vivre  une  huitaine  de  jours.  Et  il  dormit 
sans  mauvais  rêve  sur  la  laine  de  ses  matelas. 

D  ne  trouvait  pas  qu'il  était  temps  de  s'inquiéter. 
C'était  simplement  une  situation  tendue,  une  faillite 
momentanée  de  chance.  Puis,  il  y  avait,  dans  ce  qui  lui 
arrivait,  une  sorte  de  caractère,  un  côté  pittoresque, 
comme  une  nouveauté  d'aventure,  qui  amusait  son  ima- 
gination. Cette  misère  absolue  lui  paraissait  une  extré- 
mité extravagante,  presque  drôle.  D'ailleurs,  il  avait 
toujours  adoré  le  pain  de  seigle  :  quand  il  en  achelait  uii 
au  Jardin  des  Plantes  pour  le  donner  aux  animaux,  il 
le  mangeait. 

Aussi  n'eût-il  point  de  tristesse.  Le  second  jour,  il  fut 
tout  heureux  d'avoir  failli  dîner  avec  un  camarade  enlevé 
par  «  une  ancienne  »  après  l'absinthe,  et  presque  sur  le 
pas  de  la  gargotte  où  ils  allaient  entrer.  Les  lenile mains 
se  succédèrent  pareils,  nourris  des  mêmes  deux  pains  de 
seigle,  également  déçus  par  des  rencontres  d'amis  qui 
le  menaient  jusqu'au  bord  d'un  dîner.  Anatole  supporta 
cet  allongement  de  déveine  et  cette  conjuration  de 
contre-temps  sans  se  laisser  abattre.  Il  se  roidissaitdans 
sa  philosophie,  se  disait  que  rien  n'est  éternel,  trouvait 
en  lui  de  quoi  se  plaisanter  lui-même,  et  n'avait  pas 
même  la  pensée  d'injurier  le  ciel  ou  d'en  vouloir  aux 
hommes.  Il  espérait  toujours  avec  une  confiance  vague, 
avec  un  ressouvenir  instinctif  du  système  des  compensa- 
tions d'Azaïs  qu'il  avait  autrefois  feuilleté  à  un  étalage 
sur  le  quai.  Deux  ou  trois  fois  il  trouva  en  rentrant,  cur 
porte^  écrit  avec  le  morceau  de  craie  posé  à  côté  dans 


120  MANETTE  SALOMON. 

une  petite  poche  de  cuir,  le  nom  d'amis  aisés  venus 
pour  le  voir  :  il  n'alla  point  chez  eux,  par  une  pudeur 
de  timidité,  et  aussi  de  belle  dignité,  qui  l'avait  toujoun  [ 
empêché  d'emprunter. 

Comme  à  la  longue  il  se  sentait  une  espèce  d'ennui 
ilans  les  entrailles,  il  songea  à  aller  chez  sa  mère,  avec 
laquelle  il  était  complètement  brouillé,  et  qu'il  ne  voyait 
plus  que  le  premier  jour  de  l'an.  Mais  pensant  au  sermon 
que  lui  coûterait  là  une  pièce  de  cent  sous,  il  prit  le 
parti  de  patienter  encore.  Il  attrapa  ainsi  la  fin  de  ses 
pains  de  seigle;  mais,  à  une  dernière  digestion,  des 
crampes  si  atroces  le  prirent  qu'il  fut  forcé  de  se  coucher. 

La  nuit  commençait  à  tomber;  et  avec  la  nuit,  la  dou- 
leur ne  s'apaisant  pas,  ses  réflexions  s'assombrissaient 
un  pru,  quand  la  clef  tourna  dans  la  porte.  Il  entendit 
un  frou-frou  de  soie  et  de  femme  :  c'était  une  vieille 
connaissance  de  ses  parties  de  canot,  qui  venait  lui 
demander  dix  sous  pour  aller  mani^er  une  portion  à  un 
bouillon.  Mais  quand  elle  eût  vu  ralclier,  elle  s'arrêta 
comme  honteuse  de  demander  à  plus  pauvre  qu'elle,  le 
regarda,  le  vit  jaune  d'une  jaunisse,  lui  dit  de  se  faire 
de  la  limonade,  et  s'en  alla. 

Anatole  resta  seul,  souffrant  toujours,  et  laissant 
aller  ses  idées  à  des  lâchetés,  à  des  tentations  de  s'adres- 
ser à  sa  mère. 

Sur  les  dix  heures,  la  femme  d'avant  le  dîner  rentra, 
ôta  ses  gants,  fouilla  dans  ses  poches,  et  en  retira  ce 
qu'elle  avait  rapporté  du  restaurant  où  quelqu'un  l'avait 
emmenée  :  le  citron  des  huîtres  et  le  sucre  du  café.  La 
limonade  faite,  elle  voulut  la  faire  chauffer,  demanda  où 
était  le  bois  :  Anatole  se  mit  à  rire.  Elle  réfléchit  un 
instant,  puis  tout  à  coup  sortit,  et  reparut  Tair  triom- 
phant avec  tous  les  paillassons  de  la  maison  qu'elle  était 
allée  ramasser  sur  les  paliers.  Elle  alluma  cela,  mit  la 
limonade  sur  le  feu,  en  apporta  un  verre  à  Anatole,  lui 
dit  :  —  //  m'attend  en  bas,  —  et  se  sauva. 

Le  lendemain,  la  crise  quijetie  la  bile  dans  le  sang 
était  passée.  Anatole  se  sentait  soula<^é,  et  il  se  laissait 


MANETTE  SALOMON.  12! 

aller  à  la  somnolence  de  bien-être  qui  suit  les  grandes 
souffrances,  quand  Chassagnol  entra  chez  lui 

—  Tiens  !  tu  es  malade? 

—  Oui,  j'ai  la  jaunisse. 

—  Ah  !  la  jaunisse,  —  reprît  Chassagnol  en  répétant 
machinalement  le  mot  d'Anatole,  sans  paraître  y  attacher 
la  moindre  idée  d'importance  ou  d'intérêt. 

C'était  assez  son  habitude  d'être  ainsi  indifférent  et 
sourd  au  dedans  à  ce  que  ses  amis  lui  apprenaient  d'eux, 
de  leurs  ennuis,  de  leurs  affaires,  de  leurs  maux.  Géné- 
ralement, il  paraissait  ne  pas  écouter,  être  loin  de  ce 
qu'on  lui  disait,  et  pressé  de  changer  de  sujet,  non  qu'il 
eût  mauvais  cœur,  mais  il  était  de  ces  individus  qui  ont 
tous  leurs  sentiments  dans  la  tête.  L'ami,  dans  ce  grand 
affolé  d'art,  était  toujours  parti,  envolé,  perdu  dans  les 
espaces  et  les  rêves  de  reslhéti(|ue,  planant  dans  des 
tableaux.  Cet  homme  se  promenait  dans  la  vie  comme 
dans  une  rue  grise  qui  mène  à  un  musée,  et  où  Ton 
rencontre  des  gens  auxquels  on  donne,  avant  d'entrer, 
de  distraites  poignées  de  main.  D'ailleurs  la  réalité  des 
choses  passait  à  côté  de  lui  sans  le  pénétrer  ni  l'attein- 
dre. Il  n'y  avait  pas  de  misère  au  monde  capable  de 
le  toucher  autant  qu'une  Famille  malheureuse  bien 
peinte. 

—  La  jaunisse,  ce  n'est  rien,  —  reprit-il  tranquille- 
ment. —  Seulement,  il  ne  faut  pas  te  faire  d'ein bête- 
ment... Je  voulais  toujours  venir  te  voir...  mais  j'ai  été 
pris  tous  ces  temps-ci  par  Gillain  qui  est  devenu  salon- 
mer  dans  un  journal  sérieux...  Et  comme  il  ne  sait  pas 
un  mot  de  peinture...  Si  on  publiait  dans  le  Charivari 
un  Albert  Durer,  sans  prévenir,  il  croirait  que  c'est  de 
Daumier...  Enfin,  il  fait  un  salon,  le  voilà  maintenant 
critique  artistique...  C'est  absolument  comme  un  homme 
qui  ne  saurait  pas  lire  qui  se  ferait  critique  littéraire... 
Alors  il  prend  séance  avec  moi...  Il  me  fait  causer,  il 
m'extirpe  mes  bonnes  expressions,  il  me  suce  tout  mon 
technique...  C'est  si  drôle,  un  homme  d'esprit!  c'est  si 
bète  en  art  !...  Enfin,  je  lui  ai  enfoncé  un  tas  de  mots  : 

11 


in  MAMËTTE  SâLOMON. 

^'^o^tis,  glacis,  clair-obscur...  Il  commence  à  s'en  seirir 
P^s  trop  mal...  Il  est  capable  de  finir  par  les  compren- 
^^e!...  Eh  bien,  vrai,  c'est  amusant!  Par  exemple,  je 
^'ai  seriné  à  la  sévérité,  raide...  Ça  sera  une  cascade 
d'éreintements...  Je  lui  ai  dit  qu'il  s'agissait  de  nettoyer 
le  Temple,  de  tomber  sur  le  dos  aux  fausses  vocations^ 
à  ces  milliers  de  tableaux  qui  ne  disent  rien  et  qui  en- 
combrent... Oh!  la  fausse  peinture!...  Du  talent  ou  la 
mort!  il  n'y  a  que  cela...  Il  faut  décourager  trois  mille 
peintres  par  an...  sans  cela,  dans  dix  ans,  tout  le  monde 
sera  peintre,  et  il  n'y  aura  plus  de  peinture...  Dans  toute 
ville  un  peu  propre,  et  qui  tient  à  son  hygiène, il  devrait 
y  avoir  un  baralhre,  où  Ton  jetterait  toutes  les  croûtes 
malvenues,  pas  viables,  pour  l'exemple!...  Mais,  nom 
d'un  chien  !  l'art,  ça  doit  être  comme  le  saut  périlleux  : 
quand  on  le  rate,  c'est  bien  le  moins  qu'on  se  casse 
les  reins!...  On  me  dira  :  Ils  mourront  de  faim...  Ils  ne 
meurent  pas  assez  de  faim!  Comment!  vous  avez  tous 
les  encouragements,  toutes  les  récompenses,  tous  les 
secours...  j'en  ai  lu  l'autre  jour  la  statistique,  c'est  ef- 
frayant... les  croix,  les  commandes,  les  copies,  les  por- 
traits officiels,  les  achats  de  l'Etat,  des  ministères,  du 
souverain  quand  il  yen  a  un,  des  villes,  des  Sociétés  des 
amis  des  arts...  plus  d'un  million  au  budget  !...  Et  vous 
vous  plaignez!  Tenez  !  vous  êtes  des  enfants  gâtés...  Ni 
tutelle,  ni  protection,  ni  encouragements,  ni  secours... 
voilà  le  vrai  régime  de  l'art...  On  ne  cultive  pas  plus  les 
talents  que  les  truffes...  L'art  n'est  pas  un  bureau  de 
bienfaisance...  Pas  de  sensiblerie  là-dessus  :  les  meurt- 
de-faim  en  art,  ça  ne  me  touche  pas...  Tous  ces  gens 
qui  font  un  tas  de  saloperies,  de  bêtises,  de  platitudes, 
et  qui  viennent  dire  au  public  :  Il  faut  bien  que  je  vive... 
Je  suis  comme  d'Argenson,  moi,  je  n'en  vois  pas  la  né- 
cessité !  Pas  de  larmes  pour  les  martyrs  ridicules  et  les 
vaincus  imbéciles!  Qu'est-ce  qui  resterait  aux  autres, 
alors?  Ft  puis,  est-ce  que  l'art  est  chargé  de  vous  faire 
manger?  Est-ce  que  vous  avez  pris  ça  pour  un  étal?  Je 
vous  demande  un  peu  les  secours  qu'on  donne  à  un  épi* 


MANETTE  SALOMON.  tSI 

der  lorsqu'il  a  fait  faillite!...  Mourez  de  faim,  sapristi! 
c'est  le  seul  bon  exemple  que  vous  ayiez  à  donner... 
Ça  servira  au  moins  d'avertissement  aux  autres!... Com- 
ment! vous  ne  vous  êtes  pas  afQrmé,  vous  êtes  anonyme, 
vous  le  serez  toujours!...  Vous  n'avez  rien  trouvé,  rien 
inventé,  rien  créé...  et  parce  que  vous  êtes  un  artiste, 
tout  le  monde  s'intéressera  à  vous,  et  la  société  sera 
déshonorée  si  elle  ne  vous  met,  tous  les  matins,  un  pain 
4e  quatre  livres  chez  votre  concierge!  Non,  c'est  trop 
fort!... 

Ces  sévères  paroles,  cruelles  sans  le  vouloir,  sans  le 
savoir,  tombaient  une  à  une  comme  des  coups  de  poing 
«ur  la  tête  d'Anatole,  Il  lui  semblait  entendre  le  juge- 
ment de  sa  \îe.  Cette  condamnation,  que  Chassagnol  je- 
tait en  l'air  sur  d'autres  vaguement,  c'était  la  sienne. 
Pour  la  première  fois,  il  se  sentit  l'amertume  des  misères 
méritées;  il  vit  le  rien  qu'il  était  dans  l'art;  sa  conscience 
Ini  montra  tout  à  coup,  pendant  un  instant,  son  parasi- 
tisme sur  la  terre. 

—  Si  tu  me  laissais  un  peu  dormir,  hein  ?  —  fit-il  en 
eoupant  brusquement  la  tirade  de  Chassagnol. 

—  Ah!  —  fit  Chassagnol  qui  prit  son  chapeau,  enpour- 
•uivant  son  idée  et  en  monologuant  avec  lui-même, 

A  quelques  jours  de  là,  Anatole  était  sur  pied.  Il  de- 
vait la  vie  à  sa  jeunesse  et  à  une  vieille  bonne  de  la 
maison,  sa  voisine  sur  le  carré;  brave  femme,  adorant 
les  deux  petits  entants  de  maître  qu'elle  élevait,  et  dont 
Anatole  avait  pris  les  têtes  pour  les  mettre  dans  des  ta- 
bleaux de  sainteté.  La  brave  femme  avait  cru  voir  ses 
deux  petits  chéris  dans  le  ciel;  et  elle  fut  trop  heureuse 
d'apporter  au  malade  ses  soins  et  le  bouillon  qui  lui  ren- 
dirent les  forces. 

Comme  il  était  convalescent,  une  rentrée  inespérée, 
le  payement  d'un  transparent  qu'il  avait  fait  pour  un 
bal  Willis  des  environs  de  Paris,  quatre-vingts  francs 
arriéré  le  sortaient  de  la  faim. 


/ 

/' 


lU  MÀI4ETTE  SÀLOMON 


XXXIV 


un  matin,  Anatole  fut  fort  étonné  de  voir  entrer  la 
petite  bonne  de  sa  mère  lui  apportant  une  lettre.  Sa  mère 
le  priait  de  venir  passer  la  soirée  chez  elle  avec  un  de 
ses  oncles,  un  frère  de  son  père,  qu'il  n'avait  jamais  vu, 
et  qui  désirait  le  connaître. 

Le  soir,  Anatole  trouva  chez  sa  mère  un  baba,  du  thé, 
les  deux  lampes  Carcel  allumées,  et  un  monsieur  à  col- 
lier de  barbe  noire  qui  l'invita  à  déjeuner  avec  lui  !• 
lendemain. 

Le  lendemain,  sur  les  deux  heures,  dans  un  cabinet 
du  Petit- Yéfour,  au  Palais-Royal,  les  deux  coudes  sur 
une  table  où  trois  bouteilles  de  Pomard  étaient  vides, 
l'oncle,  le  gilet  déboutonné,  contait,  avec  l'expansion  du 
Bourgogne,  ses  affaires  à  son  neveu,  la  part  qu'il  avait 
à  Marseille  dans  une  fabrique  de  produits  chimiques 
pour  la  savonnerie,  ses  déplacements  pour  la  commis- 
sion, le  charmant  voyage  fait  par  lui,  Tannée  précédente, 
en  Espagne,  moitié  pour  sa  maison,  moitié  pour  son 
plaisir.  Et  disant  cela,  il  laissait  tomber  sur  ses  souve- 
nirs, qu'il  semblait  revoir,  de  gros  sourires  scélérats. 
Maintenant,  il  avait  envie  d'aller  à  Constanlinople.  Il  ai- 
mait le  mouvement,  et  cela  lui  ferait  voir  du  pays.  Puis 
un  homme  comme  lui  devait  toujours  trouver  à  brasser 
quelque  chose  là-bas.  D'ailleurs,  comme  actionnaire  des 
paquebots,  il  comptait  bien  avoir  le  passage  gratuit  pour 
lui,  et  peut-être  pour  un  compagnon,  s'il  en  trouvait  un. 

Ce  dernier  mot,  jeté  en  l'air,  tombait  dans  une  demi- 
ivresse  d'Anatole,  soudainement  réconcilié  avec  les  idées 
de  famille,  et  qui  sentait  toutes  sortes  de  tendresses  fu- 
meuses aller  à  son  oncle.  Il  fit  :  —  A  Constantinople  ! 
—  Et  il  regarda  devant  lui,  fasciné. 

Il  avait  toujours  eu  un  désir  flottant,  une  sourde  dé- 
mangeaison, une  espèce  d'envie  de  bureaucrate  d'aller 


MANETTE  OAI.OM0N.  125 

à  du  merveilleux  lointain.  Il  caressait  depuis  longlemph 
la  pensée  vague,  confuse,  la  tentation  instinctive  de  faire 
quelque  grand  voyage,  de  partir  flâner  quelque  part, 
dans  des  endroits  bizarres,  dans  des  lieui  à  caractère,  à 
travers  des  paysages  dont  il  avait  respiré  rétrangeiédans 
des  récits  et  des  dessins  de  voyageurs.  Ce  qui  aspirait 
en  lui  à  l'exotique,  à  ces  horizons  attirants  déroulés  dans 
les  descriptions  qu'il  avait  lues,  c'était  le  Parisien  mu- 
sard  et  curieux,  le  badaud  avec  ses  imaginations  d'en- 
fant bercées  par  Robinsnn  et  les  Mille  et  une  Nuits. 
fonstantinople  L  ce  seul  mot  éveillait  en  lui  des  rêves  de 
poésie  et  de  parfumerie  où  se  mêlaient,  avec  les  lettres 
de  Coriolis,  toutes  ses  idées  d'Eau  des  Sultanes,  de 
pastilles  du  sérail,  et  de  soleil  dans  le  dos  des  Turcs. 

—  yh  bien!  si  tu  m'emmenais,  moi?  —  fit-il  à  brûle- 
pourpoint. 

L'oncle  et  le  neveu  se  tutoyaient  depuis  le  café. 

—  Mon  Dieu,  tout  de  même,  —  répondit  l'oncle  eu 
homme  désarçonné  par  la  brusquerie  de  la  demande.  — 
Mais  tu  ne  seras  jamais  prêt,  —  reprit-il. 

—  Quand  pars-tu? 

—  Mais...  demain,  à  cinq  heures. 

—  Oh!  j'ai  un  jour  de  trop. 

Anatole  fut  exact  au  chemin  de  fer.  Il  avait  arraché 
trois  cents  francs  à  sa  mère,  dont  la  vanité  de  bour- 
geoise était  humiliée  des  costumes  dans  lesquels  on  ren- 
contrait son  fils  à  Paris.  Il  paya  sa  place,  et  partit  avec 
son  oncle  pour  Marseille. 

A  Lyon,  la  glace  était  tout  à  fait  rompue  entre  les 
deux  voyageurs  :  l'oncle  et  le  neveu  s'étaient  confié  ré- 
ciproquement les  malheurs  de  leurs  bonnes  fortunes. 

Arrivés  à  Marseille,  à  cinq  heures,  ils  descendirent  à 
l'hôtel  des  Ambassadeurs.  On  dîna  à  table  d'hôte.  Ana- 
tole but  un  peu  trop  de  vin  de  Lamalgue,  un  vin  généra- 
lement fatal  aux  nouveaux  venus,  et  monta  se  coucher. 
Il  dormait,  lorsqu'une  voix  de  stentor  l'éveilla:  Anatole  I 
Anatole!  —  lui  criait  son  oncle  de  la  rue  —  nous  som- 
mes chez  Conception  1  le  pisteur  de  l'hôtel  t'y  mènera... 

il. 


4S6  MANETTE  SÂLOMON. 

Anatole  sauta  en  bas  de  son  lit,  s'habilla;  et  le  pisteur 
le  mena  au  troisième  élage  d'une  maison  de  la  rue  de 
Suffren,  où  se  trouvaient,  autour  d'un  bol  de  punch, 
son  oncle,  quatre  amis  de  son  oncle  et  la  maîtresse  da 
son  oncle,  mademoiselle  Conception,  une  petite  Maltaise, 
bnine  de  naissance,  et  danseuse  de  profession  au  Grand- 
Théâtre. 

Les  trois  ou  quatre  jours  qui  suivirent  parurent  déli- 
cieux à  Analole.  Des  promenades  sur  le  Prado,  aux 
Peupliers,  des  déjeuners  à  la  Réserve,  des  dîners  avec 
Conception  et  les  amis  de  son  oncle,  des  soirées  au 
spectacle,  au  café  de  l'Univers,  c'était  sa  vie.  Son  oncle 
se  montrait  charmant  pour  lui;  seulement,  Anatole  trou- 
vait assez  singulier  qu'il  ne  parût  point  s'occuper  du 
tout  de  la  façon  dont  il  allait  vivre  :  il  ne  parlait  pas  de 
l'aider,  et  n'ouvrait  plus  la  bouche  sur  le  voyage  de 
Constantinople. 

Au  bout  d'une  semaine,  Anatole  commençait  à  s'in- 
quiéter assez  sérieusement,  lorsque  le  maître  de  l'hôtel 
vint  lui  dire  qu'une  dame,  qui  venait  de  descendre  chez 
lui,  demandait  un  peintre.  Cette  brave  dame  avait  pour 
fils  un  maire  d'un  village  des  environs  qui,  dans  un  accès 
de  fièvre  chaude,  s'était  tailladé  à  coups  de  rasoir  la 
gorge  et  le  ventre.  La  gangrène  étant  venue,  les  méde- 
cins désespérant  du  malade,  elle  avait  fait  un  vœu  à 
Notre-Dame  de  la  Garde,  et  son  fils  ayant  été  sauvé,  elle 
venait  à  Marseille  faire  faire  Vex-voto,  Anatole  se  hâta  de 
brosser  l'apparition  de  la  bonne  Notre-Dame  à  la  mère 
près  de  son  fils  couché.  Il  eut  pour  cela  une  centaine  de 
francs. 

Cet  ex-voto  lui  amena  la  commande  d'un  épisode 
d'émeute  dans  les  rues  de  Marseille,  commande  faite 
par  un  monsieur  qui  s'y  fit  représenter  en  Horatius  Co- 
dés de  la  propriété,  pour  obtenir  la  croix.  Ce  tableau, 
ou  il  fallut  invester  une  insurrection,  lui  fut  très-bien 
payé.  Un  portrait  qu'il  fit  d'un  agent  maritime  lui  amena 
toute  la  série  des  agents  maritimes.  Des  figures  d'oda- 
lisques avec  des  sequins,  qu'il  exposa  à  la  devanture  de 


MANETTE  SALOMON.  tr 

tlévesle,  et  qu'on  acheta,  le  firent  connaître.  L'ouvrage 
lui  vint  de  tous  les  côtés.  Il  gagna  de  Targent,  mena 
large  et  joyeuse  vie  pendant  plusieurs  mois. 

voyait  tonjours  son  oncle,  il  allait  souvent  chez  Con- 
ception. Mais  Tonde  paraissait  fort  refroidi  à  son  égard. 
Il  était  intérieurement  offusqué  des  succès  de  son  neveu, 
de  la  façon  dont,  avec  sa  gaieté,  son  esprit,  sa  familia- 
rité, Anatole  avait  réussi  dans  sa  société,  au  cercle,  au 
café,  partout  où  il  l'avait  présenté.  Il  se  sentait  éclipsé, 
relégué,  au  second  plan,  par  cette  place  faite  au  Parisien, 
à  l'artiste;  les  histoires  marseillaises  qu'il  essayait  de  ra- 
conter, après  les  histoires  d'Anatoîe,  ne  faisaient  plus 
rire  :  il  ne  brillait  plus.  Outre  cela,  il  était  blessé  d'une 
<iertaine  légèreté  de  ton  que  son  neveu  prenait  avec  lui, 
le  traitant  par-dessous  la  jambe  avec  des  plaisanteries 
d'égalité  et  de  camaraderie  inconvenantes,  l'appelant,  à 
cause  d'un  vert  caisse  d'oranger  usuel  dans  son  com- 
merce, €  mon  oncle  Schwanfurt  >.  Il  trouvait  enfin  que 
mademoiselle  Conceplion  s'amusait  trop  avec  «  ce  cra- 
paud-là »,  qu'elle  riait  trop  quand  il  venait,  et  qu'elle 
avait  Tair  de  le  regarder  comme  le  plaisir  de  la  maison. 
Tout  cela  fit  qu'il  commença  par  ne  plus  inviter  Anatole, 
et  qu'il  finit  par  lui  remettre  un  beau  jour  la  note  de 
tous  les  dîners  qu'il  lui  avait  payés,  en  lui  faisant  re- 
marquer qu'il  avait  la  discrétion  de  ne  les  lui  compter 
que  trois  francs  pièce.  Cette  réclamation  arrivait  au  mo- 
ment où  la  vogue  de  l'artiste  de  Paris  commençait  à 
baisser.  Tous  les  agents  maritimes  s'étaient  fait  peindre; 
et  tous  les  Marseillais  qui  désiraient  une  odalisque  en 
avaient  acheté  une  chez  Ré  veste.  La  gêne  venait.  Et  c'était 
alors  que  se  déclarait  à  Marseille  le  choléra  qui  faisait 
fuir  à  Lyon  la  moitié  des  habitants,  et  l'oncle  d'Anatole 
un  des  premiers. 

Anatole,  lui,  était  forcé  de  rester  :  il  n'avait  pas  de 
quoi  se  sauver.  Il  se  trouva  heureusement  avoir  affaire 
à  un  hôtelier  qui  avait  encore  plus  peur  que  lui.  Cet 
homme  avait  voulu  lui  donner  son  compte  quelques 
jours  avant  le  choléra  :  Anatole  le  vit  venir  à  lui  avec 


nu  manëttë  salomon. 

une  contrition  piteuse,  le  soir  du  jour  où  Ton  avait  en- 
terré le  pisteur  de  Thôlel.  Il  y  avait  déjà  plusieurs  mois 
que,  forcé  de  faire  des  économies,  Anatole  allait  dîner  à 
Thôtel  de  la  Poste,  pour  vingt-cinq  sous,  avec  l'étal-ma- 
jor  des  paquebots.  Son  hôtelier  venait  le  supplier  de  dî- 
ner chez  lui,  avec  lui,  au  même  prix;  il  lui  offrait  même 
de  payer  ce  qu'il  devait  à  la  Poste.  Anatole  accepta,  et 
pour  ses  vingt-cinq  sous,  il  eut  un  dîner  à  trois  services, 
dans  la  grande  salle  à  manger  de  cent  couverts,  désolée 
et  désertée,  au  bout  de  la  grande  table,  où  ne  s'as- 
seyaient plus  que  cinq  convives,  son  maître  d'hôtel,  lui, 
et  trois  autres  personnes  dans  sa  situation  :  le  pâtre  cal- 
culateur Mondeux,  dont  les  représentations  étaient  ar- 
rêtées net,  et  qui  ne  faisait  plus  d'argent,  même  dans 
les  séminaires;  le  démonstrateur  du  pâtre,  un  nommé 
Regnault,  et  madame  Regnault. 

On  se  serrait  pour  s'empêcher  de  trembler,  on  se  ra- 
massait  les  uns  les  autres  :  tout  ce  petit  monde  étaii 
fort  épouvanté,  à  l'exception  du  petit  pâtre,  qui  n'avai; 
pas  l'idée  du  choléra  et  qui  planait  dans  le  septième  ciel 
des  nombres.  Chaque  nuit,  un  des  quatre  appelait  les 
autres. 

Le  thé,  le  rhum,  à  toute  heure,  courait  l'escalier  : 
rhôte  était  si  bouleversé  qu'il  n'y  regardait  plus.  A  la  fin, 
Anatole  eut  un  héroïsme  à  la  Gribouille  :  pour  échapper 
à  ces  terreurs,  il  résolut  de  plonger  dedans  à  fond  ;  et 
il  alla  tout  droit  se  faire  inscrire  au  bureau  des  cholé- 
riques, pour  visiter  les  malades  et  porter  des  secours. 

Il  passa  alors  des  jours,  des  nuits,  à  aller  où  on  l'ap- 
pelait, chez  des  pauvres  diables,  enragés  de  quitter  leur 
Tie  de  misère,  chez  des  poissonniers  et  des  poisson- 
nît^res  qui  s'éteignaient  le  visage  éclairé  par  les  bougies 
d'une  petite  chapelle,  au-dessus  de  leur  lit,  enguirlandée 
de  chapelets  de  coquillages.  Il  les  touchait,  les  friction- 
nait, leur  parlait,  les  plaisantait,  quelquefois  les  sauvait: 
souvent  il  fit  rire  la  Mort,  et  lui  reprit  les  gens.  Peu  k 
peu,  s'aguerrissant  dans  ce  métier  où  il  usait  ses  peurs, 
il  finit  par  lui  trouver  comme  un  sinistre  côté  comique; 


MANETTE  SÂLOMON.  129 

et  avec  sa  nature  comédienne,  sa  pente  à  Tin^tation, 
son  sens  d*  Ia  chArge,  il  faisait,  aussitôt  qu'il  lui  revenait 
un  moment  de  courage,  des  simulations  caricaturales  et 
terribles  de  ce  qu'il  avait  vu,  des  convulsions  qu'il  avait 
soignées,  des  morts  auxquels  il  avait  fermé  les  yeux  : 
cela  ressemblait  à  l'agonie  se  regardant  dans  une  cuiller 
à  potage,  et  au  choléra  se  tirant  la  langue  dans  une 
glace  ! 

L'épidémie  finie,  Anatole  revint  au  rêve  de  Constanti- 
nople,  qui  ne  l'avait  jamais  quitté.  11  avait  dîné  une  foi» 
chez  son  oncle  avec  un  écuyer  de  Paris,  le  fameux  La- 
lanne,  qui  dirigeait  un  cirque  à  Marseille.  Toutes  les 
iffinités  de  sa  nature  de  clown  l'avaient  aussitôt  porté 
lers  l'écuyer  et  le  personnel  de  sa  troupe  :  le  petit  Bach, 
rinventeur  du  célèbre  exercice  de  la  boule;  Emilie  Bach, 
qui  faisait  valser  son  cheval,  en  le  forçant  à  poser  de 
deux  tours  en  deux  tours  les  pieds  de  devant  sur  la  bar- 
rière des  premières;  Solié,  qui  courait  debout,  dans 
l'hippodrome  de  Marseille,  la  poste  à  trente-deux  che- 
vaux. Toute  cette  troupe  était  engagée  pour  aller  donner 
des  représentations  à  Constantinople,  dans  le  cirque  où 
madame  Bach  avait  gagné  presque  une  fortune,  en  lais- 
sant le  prix  d'entrée  à  la  générosité  des  Turcs,  et  en 
faisant  la  recette  à  la  porte  dans  un  turban. 

Anatole  vil  là  une  providence  :  il  n'avait  qu'à  monter 
en  croupe  derrière  le  cirque  pour  aller  là-bas.  L'adiure 
s'arrangeait  :  il  était  convenu  qu'on  le  prenait  pour  con- 
trôleur; mais  le  contrôleur  dans  la  troupe  devait,  en  cas 
de  besoin,  figurer  dans  le  quadrille,  et  même,  s'il  le 
fallait,  doubler  un  écuyer.  Anatole  n'était  pas  homme  à 
reculer  pour  si  peu.  D'ailleurs,  ce  qu'on  lui  demandait 
rentrait  dans  sa  vocation.  Il  était  naturellement  un  peu 
acrobate.  Chez  Langibout,  il  aimait  à  se  pendre  par  les 
pieds  à  la  barre  du  modèle.  Dans  tous  les  jeux,  il  était 
d'une  élasticité,  d'une  souplesse  merveilleuse.  Il  faisait 
très-bien  le  saut  périlleux  du  haut  de  son  poêle  d'atelier. 
Il  avait  à  la  fois  le  tempérament  et  l'enthousiasme  des 
tours  de  force.  Avec  ces  dispositions,  il  parvint  en  quel- 


190  MANETTE  SALOMON. 

ques  semaines  à  faire  le  manège  debout  et  à  se  tenir  sur 
un  pied  :  il  aurait  bien  voulu  aller  plus  loin,  quitter  le 
cheval  des  deux  pieds,  sauter  les  banderoles  ;  mais  au 
bout  de  six  mois,  il  n'en  avait  pas  encore  trouvé  le  cou- 
rage, lorsqu'on  apprit  la  mort  de  madame  Bach.  Cons- 
tantinople  lui  échappait  encore  une  fois! 

Accablé  de  la  nouvelle,  il  arpentait  tristement  le  quai 
au  port,  —  quand  tout  à  coup  un  homme  lui  tomba  dans 
les  bras  en  même  temps  qu'un  singe  sur  la  tête. 

L'homme  était  CorioUa. 


XXXV 


C'était  un  atelier  de  neuf  mètres  de  long  sur  sept  éê 

large. 

Ses  quatre  murs  ressemblaient  à  un  musée  et  à  un 
pandéraonium.  L'étalage  et  le  fouillis  d'un  luxe  baroque, 
un  entassement  d'objets  bizarres,  exotiques,  hétéroclites, 
des  souvenirs,  des  morceaux  d'art,  l'amas  et  le  contraste 
de  choses  de  tous  les  temps,  de  tous  les  styles,  de  toutes 
les  couleurs,  le  péle-mèle  de  ce  que  ramasse  un  artiste, 
un  voyageur,  un  collectionneur,  y  mettaient  le  désordre 
et  le  sabbat  du  bric-à-brac.  Partout  d'étonnants  voisi- 
nages, la  promiscuité  confuse  des  curiosités  et  des  re- 
liques :  un  éventail  chinois  sortait  de  la  terre  cuite  d'une 
lampe  de  Pompéi;  entre  une  épée  à  trois  trèfles  qui  por- 
tait sur  la  lame  :  Penetrabity  et  un  bouclier  d'hippopo- 
tame pour  la  chasse  au  tigre,  on  pouvait  voir  un  chapeau 
de  cardinal  à  la  pourpre  historique  tout  usée;  et  un  per- 
sonnage d'ombre  chinoise  de  Java  découpé  dans  du  cuir 
était  accroché  auprès  d'un  vieux  gril  en  fer  forgé  pour  la 
cuisson  des  hosties. 

Sur  l'un  des  panneaux  de  la  porte,  encadrée  dans  des 
arabesques  d'Alhambra,  une  tête  de  mort  couronnait  une 
panoplie  qui  dessinait  vaguement^  dessous,  l'ostéologie 


MANETTE  SALOMON  131 

d'uncoips.  Des  gabres  à  pommeaux,  arrangés  en  fémurs, 
des  lames  à  manches  d'ivoire  et  d'acier  niellé,  des  poi- 
gnards courbes  ébauchant  des  côtes,  des  yatagans,  des 
khandjars  albanais,  des  flissats  kabyles,  des  cimeterres 
japonais,  des  cama  circassiens,  des  khoussar  indous,  des 
kris  malais,  se  levait  une  espèce  de  squelette  sinistre 
de  la  guerre,  le  spectre  de  l'arme  blanche.  Au-dessus 
de  la  porte,  deux  bottes  marocaines  en  cuir  rouge  pen- 
daient, comme  à  califourchon,  des  deux  côtés  d'un  grand 
masque  de  sarcophage,  la  face  noire  et  les  yeux  blancs  : 
posés  sur  le  front  du  large  et  effrayant  visage,  des  gants 
persans  en  laine  frisée  lui  faisaient  une  sorte  d'étrange 
perruque  de  cheveux  blancs. 

A  côté  de  la  porte,  auprès  d'une  horloge  Louis  XIII 
à  cadran  de  cuivre  et  à  poids,  une  crédence  moyen  âge 
portait  un  n  oulage  d'Hygie  :  devant  elle,  un  ânon  de 
plâtre  semblait  boire  dans  un  gobelet  de  fer- blanc  plein 
de  vermillon.  Entre  les  jambes  d'un  écorché,  on  aper- 
cevait comme  un  coin  du  Cirque  :  un  petit  modèle  d'é- 
léphant et  uii  lutteur  antique  lancé  en  avant.  La  Lcda  de 
Feuchères,  les  jambes  furieusement  croisées  autour  du 
cygne,  ses  genoux  lui  relevant  les  ailes,  était  devant  le 
Mercure  de  Pigalle,  dont  l'épaule  coupait  la  gorge  d'une 
nymphe  de  Glodion.  Au-dessus  de  la  crédence,  une  po- 
chette en  ébène  enriciiie  d'incrustations  de  nacre,  re- 
présentant des  fleurs  de  lys  et  des  dauphins,  masquait 
à  demi  un  albâtre  de  Lagny,  du  xvi^  siècle,  ou  était  fi- 
guré le  songe  de  Jacob. 

De  Faute  côté  de  la  porte,  contre  une  autre  crédence, 
des  toiles  sur  châssis  empilées  et  retournées  portaient 
en  lettres  noires  :ly  rue  Childeberty  Paris,  Hardy  Alan, 
fabricant  de  couleurs  fines. 

Le  milieu  du  panneau  de  gauche  était  décoré  d'^un 
faisceau  d^oriflammes  et  de  drapeaux  d'or,  rouges  et 
bleus,  ayant  servi  à  quelque  représentation  de  théâtre, 
et  qui,  avec  la  fulgurance  de  leurs  plis,  avec  leurs  éclairs 
de  lame  de  cuivre,  avaient  des  lueurs  de  voûte  des  Inva- 
lides et  de  coupole  de  Saint-Marc.  Ce  faisceau,  sp len- 


132  MANETTE  SALOMOn. 

dide  et  triomphal,  sortait  de  casques,  de  masses  d^armes, 
de  boucliers,  de  rondaches.  Là-dessus,  une  tête  de  lion 
empaillée,  la  gueule  ouverte,  les  crocs  blancs,  sortait  du 
mur.  Elle  dominait  et  semblait  garder  un  fauve  chef- 
d'œuvre,  une  petite  copie  du  temps  du  Martyre  de  Saint- 
MarCy  de  Tintoret,  dont  le  riche  cadre  doré  se  détachait 
d'une  boiserie  noire  reliée  à  un  coffre  en  bois  de  chêne 
sculpté,  orné  de  petites  armoiries  peintes  et  dorées.  Sur 
un  coin  du  coffre  qui  portait  cela,  une  boîte  à  couleurs 
ouverte  faisait  briller,  du  brillant  perlé  de  i'ablette,  de 
petits  tubes  de  fer-blanc,  tachés  et  baveux  de  couleur, 
au  milieu  desquels  de  vieux  tubes  vides  et  dégorgés 
avaient  le  chiffonnage  d' un  papier  d'argent. Il  y  avait  en- 
core sur  le  coilre,  un  grand  plat  hispano-arabe,  à  reflets 
mordorés,  où  s'éparpillait  un  paquet  de  gravures,  un 
serre-papier  fait  d'un  pied  momifié  couleur  de  bronze 
florentin,  des  petites  fioles,  une  cruche  à  huile  en  grès 
à  dessins  bleus,  et  une  grande  statue  en  bois  de  sainte 
Barbe,  à  la  main  de  laquelle  était  suspendu,  par  un  co^ 
donnet,  un  petit  médaillon  en  cire,  le  portrait  d'us^ 
vieille  parente  de  Coriolis,  guillotinée  en  93, 

Le  reste  du  mur,  de  chaque  côté,  était  couvert  de 
plâtres  peints,  de  grands  écussons  bariolés  et  coloriés. 
Un  profil  de  Diane  de  Poitiers,  la  chair  rosée,  les  che- 
Yeux  blondissants,  sous  un  clocheton  gothique  et  flam- 
boyant, à  choux  frisés,  la  Poésie  légère  de  Piadier  sur 
un  socle  à  pivot,  des  pipes  accrochées  et  serrées  à  la 
gorge  par  deux  clous,  un  fragment  du  Parthénon,  un 
relief  du  vase  Borghèse,  un  sceptre  de  la  Mère  folle  de 
Dijon  en  bois  sculpté  et  peint,  garni  de  grelots;  une 
étngère  chargée  de  bouteilles  turques  zébrées  d'or  et 
d'azur,  un  houka,  enlacé  du  serpent  poussiéreux  de  son 
tuyau,  un  tas  de  petits  bouts  d'ambre,  une  planche  de 
iîoquilles,  mettaient  là  une  polychromie  étourdissante, 
traversée  d'éclairs  d'irisations. 

Par-dessus  une  haie  de  tableaux  commencés,  posés 
les  uns  devant  les  autres,  le  premier  sur  un  chevalet 
Bonhomme,  le  second  sur  la  peluche  rouge  de  deux 


MANETTE  SALOMûi^l.  133 

chaises,  le  dernier  appuyé  contre  le  mur,  rœii  allait^ 
sur  le  panneau  de  droite,  à  un  masque  de  Géricauit, 
sur  lequel  était  jeté  de  travers  un  feutre  de  pitre  à 
plumes  de  coq.  Après  le  masque,  c'était  une  petite 
Vierge  de  retable  qui  avait,  passée  derrière  le  dos,  une 
branche  de  buis  bénit  tout  jauni,  apportée  à  l'atelier  par 
un  modèle  de  femme,  un  dimanche  des  Rameaux.  A 
côté  de  la  Vierge,  une  mince  colonnette,  à  enroulements 
or,  argent,  bleu  et  rouge,  semée  de  croissants  de  lune 
argentés  et  de  fleurs  de  lis  d'or,  portait  en  haut  une 
boule  couverte  de  dessins  astrologiques. 

Après  la  colonnette,  s'étalait  une  grande  toile  orien- 
tale abandonnée,  sur  le  bas  de  la(juelle  étaient  écrits,  à 
la  craie,  des  adresses  d'amis,  des  noms  de  modèles,  des 
dates  de  rendez-vous,  des  mémentos  de  la  vie  parisienne, 
qui  entraient  dans  des  jupes  d'aimées.  Au  dessus  de  la 
toile  était  pendue  l'ossature  d'une  tète  de  chameau, 
avec  tout  son  harnachement  de  brides  mosaïquées  de 
pierres  bleues,  tout  un  entourage  de  sellerie  orientale, 
d'étriers  de  mameluck,  au  milieu  desquels  tombait  un 
manteau  de  peau  d'un  grand  chef  des  Pieds  noirs^ 
troué  d'un  trou  déballe,  et  qui  avait  été  échangé,  dans  le 
pays,  contre  vingt-deux  poneys. 

En  bas,  une  petite  armoire  vitrée  laissait  voir, 
pressées  et  mêlées,  des  étoffes  d'où  s'échappaient  des 
fils  d'or,  des  soieries  à  couleurs  de  fleurs,  des  vestes 
turques  dont  chaque  bouton  d'or  enserrait  une  perle 
fine.  Un  peu  plus  loin,  par  terre,  les  cassures  métalli- 
ques d'un  monceau  de  charbon  de  terre  étincelaicnt 
contre  le  poêle  qui  allait  enfoncer  le  coude  de  son  tuyau 
dans  le  mur,  au-dessus  d'un  bas-relief  de  saint  iMicliel 
terrassant  le  diable,  à  côté  de  l'inscription  philosophi- 
que, gravée  en  creux  dans  la  pierre  par  un  prédéces- 
seur de  Coriolis  : 

Quare 

Nec  time 

Hic  aut  iUic  in«rs 

Veniet. 

11 


iS4  MANETTE  SALOMON. 

Pais,  entre  le  moulage  de  la  tête  d'un  chauffeur  d'0^ 
gères  et  un  médaillon  bronzé  d'une  tournure  furieuse 
à  la  Préaulty  pendaient  une  paire  de  castagnettes  et 
deux  souliers  de  danseuse  espagnole,  qui  avaient  comme 
une  ombre  de  chair  au  talon.  La  décoration  continuait 
par  un  bas-relief  de  camarade,  un  sujet  de  prix  de 
Rome,  portant  le  cachet  en  creux,  au  haut,  à  gauche  : 
École  royale  des  Beaux-Arts,  Et  le  mur  finissait  par  un 
moulage  de  la  Vénus  de  Milo. 

Un  mannequin,  couvert  d*un  sale  costume  d'arlequin 
loué,  était  debout  devant  la  déesse,  et  il  en  écornait  un 
gralid  morceau  avec  sa  pose  de  bois  qui  faisait  la  cour  à 
Colombine. 

Le  fond  de  Tatelier  était  entièrement  rempli  par  un 
grand  divan-lit  qui  ne  laissait  de  place,  dans  un  coin, 
qu'à  une  psyché  en  acajou,  à  pieds  à  griffes.  Sous  le  jour 
de  la  baie,  une  sorte  d'alcôve  s'enfonçait  là  entre  deux 
grandes  cantonnières  de  tapisserie  à  verdure,  sous  un 
lari;e  tendo  de  toile  grise,  qui  rappelait  le  ton  et  le  grand 
pli  lâche  d'une  voile  sur  une  dunette  de  navire.  Ce  tendo 
pendait  à  des  cordes  que  paraissaient  tenir,  de  chaque 
côté  de  la  baie,  deux  grands  anges  de  style  byzantin, 
peints  et  nimbés  d'or.  Le  divan  était  recouvert  de  peaux 
de  panthères  et  de  tigres,  aux  têtes  desséchées.  Aux 
deux  encoignures  du  fond,  deux  moulages  de  femme  de 
grandeur  naturelle,  les  deux  moulages  admirables  du 
corps  de  Julie  Geoffroy  et  de  ses  deux  faces,  par  Rivière 
et  Vittoz,  se  dressaient  en  espèces  de  cariatides.  C'était 
la  vie,  c'était  la  présence  réelle  de  la  chair,  que  ces  em- 
preintes, celle  surtout  qu'éclairait  à  gauche  une  flltrée  de 
jour,  ce  dos  que  fouettait,  sur  tous  ses  reliefs  et  sur  le 
plein  de  ses  orbes,  une  lumière  chatouillante  allant  se 
perdre  le  long  de  la  jambe  sur  le  bout  du  talon.  Une 
ombre  flottante  dormait  tout  le  jour  dans  ce  réduit  de 
mystère  et  de  paresse,  dans  ce  petit  sanctuaire  de  l'ate 
lier,  qui,  avec  ses  odeurs  de  dépouilles  sauvages  et  sa 
couleur  de  désert,  semblait  abriter  le  recueillement  et  la 
rêverie  de  la  te^te. 


«A?«ETTESALOMOît.  »35 

Là-dedans,  dans  cet  atelier,  il  y  avait  le  grand  Coriolis 
«,i  peignait  debout;  -  Anatole,  qui  faisait  sur  un  al- 
bïn.;  en  fumant  une  cigarette,  un  croquis  d  après  un 
corps  dormant  et  perdu  dans  l'ombre  du  divan;  -  et  e 
S  de  Coriolis,ïimpé  et  juché  sur  le  doss.er  de  la 
chaise  d'Anatole,  fort  occupé  à  faire  comme  lui,  se  dé- 
pêchant de  regarder  quand  il  regardait,  crayonnant 
Tand  il  crayonnait,  appuyant  avec  rage  son  porte- 
Sm  ^'1*  Fge  blanche  d'un  petit  carnet.  A  tout  m»- 
S  iU^ait  d^  étonnements,  des  désespoirs;  il  jetait 
îepêtîts  cris  de  colère,  il  tapait  sur  le  FPjer  :  son 
crayon  était  rentré  et  ne  marquait  plus.  Il  voulait  le 
S?e  ressortir,  s'acharnait,  flairait  le  POrte-crayon  avec 
précaution,  comme  un  instrument  de  magie,  et  finissait 
nar  le  tendre  à  Anatole.  , 

*^Le  jour  insensiblement  baissait.  Le  bleuâtre  du  soir 
commençait  à  se  mêler  à  la  fumée  des  c^arettes  Ue 
vaneur  vague  où  les  objets  se  perdaient  et  se  noj  aient 
^doucement,  se  répandait  peu  à  Pe-  Sin-  es  mu- 
salis  de  traînée  de  fumée,  culottes  d  un  ton  d  esta 
mïet  dans  les  angles,  aux  quatre  coins  il  s'amassait 
unvd  e  de  brouillard.  La  gaieté  de  la  lumière  mourante 
it  en  s'éteignant.  De  l'ombre  tombait  avec  du  silence: 
on  eût  dit  qu'un  recueillement  venait  aux  choses. 

Coriolis  s'assit  sur  un  tabouret  devant  sa  to.l^,  et  se 
nerdU  dans  les  rêveries  que  l'heure  douteuse  fait  pass  r 
5  ns  les  yeux  d'un  peintre  devant  -n  œ--  A.i   o 
alli  s'étendre  à  la  p  ace  que  les  pieds  du  dormeur   ai» 
Ïent  liSre  sur  le  diva..  Le  singe  disparut  quelque 

^%  tableaux  semblaient  défaillir;  ils  étaient  pris  de 
ce  SOI  meil  du  crépuscule  qui  paraît  faire  .desceiidre 
dans  les  ciels  peints  le  ciel  du  dehors,  et  retirer  lente- 
ment des  couleurs  le  soleil  qui  s'en  va  de  la  journée.  La 
mélancolique  métamorphose  se  faisait,  changeant  sur 
les  toiles  l'azur  matinal  des  paysages  en  Pàlenrs  «'ne 
raudées  du  soir;  la  nuit  s'abaissait  ^^siblem  nt  dan  le 
cadres.  Bientôt  les  tableaux,  tus  sur  le  côté,  Orent  les 


t36  MANETTE  SALOiMON. 

taches  brouillées,  mêlées,  d'un  cachemire  ou  d'un  tapis 
de  Smyrne.  La  tournure  d'un  rêve  vint  aux  silhouettes 
des  compositions  qui  prirent,  dans  la  masse  de  leun 
ombres  un  caractère  confus,  étrange,  presque  fantas- 
tique. Les  petites  colonnes  encastrées  dans  le  mur,  les 
consoles  et  les  portoirs  des  statuettes,  arrêtaient  encore 
un  peu  de  jour  qui  se  rétrécissait  en  une  filée  toujours 
plus  mince  sur  leurs  nervures.  Au-dessus  de  la  copie  du 
Saint-Marc,  du  noir  était  entré  dans  la  gueule  ouverte 
du  lion  qui  paraissait  bâiller  à  la  nuit. 

Un  nuage  d'effacement  se  nouait  du  plancher  au  pla- 
fond. Les  plâtres  devenaient  frustes  à  l'œil,  et  des  appa- 
rences de  formes  à  demi  perdues  ne  laissaient  plus  voir 
que  des  mouvements  de  corps  lignés  par  un  dernier 
trait  de  clarté.  Le  parquet  perdait  le  reflet  des  châssis  de 
bois  blancs  qui  se  miraient  dans  son  luisant.  Il  conti- 
nuait à  pleuvoir  ce  gris  de  la  nuit  qui  ressemble  à  une 
poussière.  La  fm  de  la  lumière  agonisait  dans  les  ta- 
bleaux :  ils  s'évanouissaient  sur  place,  décroissaient 
sans  bouger,  mystérieusement,  dans  la  lenteur  d'un  tra- 
vail de  mort,  et  dans  l'espèce  de  solennité  d'une  silen- 
cieuse décomposition  du  Jour.  Comme  lassée  et  retom- 
bant sur  l'épaule,  la  tête  de  mort  sembla  se  pencher 
davantage  et  se  baisser  sur  un  manche  de  yatagan. 

Puis  ce  fut  ce  moment  entre  le  jour  et  la  nuit  où  ne 
se  voit  plus  que  ce  qui  est  de  l'or  :  l'ombre  avait  mangé 
tout  le  bas  de  l'atelier.  Il  n'y  reslait  plus  de  lumière 
qu'aux  deux  godets  de  la  palette  de  Coriolis,  posée  sur 
une  chaise.  Les  choses  étaient  incertaines  et  ne  se  lais- 
saient plus  retrouver  qu'à  tâtons  par  la  mémoire  des 
yeux.  Puis  des  taches  noires  couvrirent  les  tableaux. 
L'ombre  s'acrocha  de  tous  les  côtés  aux  murs.  Une 
paillette,  sur  le  côté  des  cadres,  monta,  se  rapetissa, 
disparut  à  l'angle  d'en  haut;  et  il  ne  resta  plus  dans 
l'atelier  qu'une  lueur  d'un  blanc  vague  sur  un  œuf  d'au- 
truche pendu  au  plafond,  et  dont  on  ne  voyait  déjà  plus 
ni  la  corde  ni  la  houppe  de  soie  rouge. 

A  ce  moment,  le  domestique  apporta  la  lampe. 


Le  djrncear  :u  Jîï-.n,  r-rTrL'ê  pir  U  lj:::!-'r-,  s'è.ira, 
se  leva  :  c'éLiil  Chi-s^nol. 

Quelque  temps,  il  se  promeai  dans  lV'^î;-^r  avec  les 
mouvements,  rtrspêce  de  frisson  d'un  hrir.me  a^iMnl  et 
secouant  la  derait-re  lâcheté  de  sa  Ss;'.:inoie;.oo.  Eî  tv  ul  à 
coup  :  lugresî  Debcroixî  —  il  jeta  ccs  d^a\  ^nmds 
noms  comme  s'il  revenait  d'un  rêve  à  Tècho  de  la  cau- 
serie sur  laquelle  il  s'êLàt  endormi. 

—  Ineres!  Ah!  oui,  Inin^s!  Le  dessin  d'T:ures!  Al- 
Ions  donc!  Lî^resî...  Il  v  a  trois  dessins  :  d'a'K  :d  l'ab- 
solu  du  beau  :  le  PliiJîas;  puis  le  dessin  iialii>n  de  la 
Renaissance  :  les  Ra^'haêl,  les  Léonard  de  Vinci;  pui^ 
le  dessin  reu^ine...  encore  beau,  mais  avec  des  indica- 
tions, des  appuiements,  des  souli^rnemenls  de  choses 
qui  doivent  être  perdues  dans  la  ligue,  foiuluos  dans  la 
coulée,  le  jet  de  toul  le  dessin...  Tenez!  pur  exemple, 
an  modèle,  mêliez- le  là  :  Léonard  de  Vinci  le  dessinera 
â^ec  ingénuilé...  tout  auprès...  poil  par  poil,  comme  un 
enfant...  Raphaël  y  mellra,  dans  rapros-nalnre  do  son 
dessin,  le  ressouvenir  de  formes,  rinslinct  d'un  noble  à 
lui...  Eh  bien!  dans  le  Vinci  comme  dans  le  Raphaël, 
dans  celui  qui  n*a  fait  que  copier  comme  dans  celui  qui 
a  interprété,  il  y  aura  plus  que  le  modèh\  quehiue 
chose  qu'ils  seront  seuls  à  y  voir...  Tenez!  voilà  une 
tête  de  cheval  de  Piiidias...  Eh  bien!  ça  a  l'air  de  n'être 
que  la  nature  :  moulez  une  tète  de  cheval  et  voyez-la  à 
côté!...  C'est  le  mvslère  de  toutes  les  belles  choses  de 
Fanliquité  :  elles  ont  l'air  moulées;  cela  semble  le  vrai 
et  la  réalité  même,  mais  c'est  de  la  réalité  vm;  par  de  li 
personnalité  de  génie...  Chez  Ingres?  Rien  de  cela...  Cfe 
qu'il  est,  je  vais  vous  le  dire  :  l'inventeur  au  dix- neu- 
vième siècle  de  la  photographie  en  couleur  pour  la  re- 
production des  Pérugin  et  des  R;ipliacl,  voilà  tout!... 
Delacroix,  lui,  c'est  l'autre  pôle...  Un  autre  homme !..• 
L'image  de  la  décadence  de  ce  temps-ci,  le  gAehis,  la 
confusion,  la  littérature  dans  la  peinture,  la  piîinhire 
dans  la  littérature,  la  prose  dans  les  vers,  les  vers  dans 
h  prose,  les  passions,  les  nerfs,  les  faiblesses  de  notr« 


^ 


138^  MANETTE  SALOMON 

icmps,  le  tourment  moderne...  Des  éclairs  de  sublimt 
dans  tout  cela...  Au  fond,  le  plus  grand  des  ratés...  Un 
homme  de  génie  venu  avant  terme...  Il  a  tout  promis, 
tout  annoncé...  L'ébauche  d'un  maître...  Ses  tableaux? 
des  fœtus  de  chefs-d'œuvre!...  l'homme  qui,  après  tout, 
fera  le  plus  de  passionnés  comme  tout  grand  incom- 
plet... Du  mouvement,  une  vie  de  fièvre  dans  ce  qu'il 
fait,  une  agitation  de  tumulte,  mais  un  dessin  fou,  en 
avance  sur  le  mouvement,  débordant  sur  le  muscle,  se 
perdant  à  chercher  la  boulette  du  sculpteur,  le  mode- 
lage d3  triangles  et  de  losanges,  qui  n'est  plus  le  contour 
de  la  ligne  d'un  corps,  mais  l'expression,  l'épaisseur  du 
relief  de  sa  forme...  Le  coloriste?  Un  harmoniste  dé- 
saccordé... pas  de  généralité  d'harmonie...  des  colora- 
tions dures,  impitoyables,  cruelles  à  l'œil,  qui  ont  besoin 
**?  s'enlever  sur  des  tonalités  tragiques,  des  fonds  tem- 
^tueux  de  crucifiement,  des  vapeurs  d'enfer  comme 
dans  son  Dante...  Une  bonne  toile,  ça!...  Pas  de  cha- 
leur, avec  toute  cette  violence  de  tons,  cette  rage  de 
palette...  Il  n'a  pas  le  soleil...  La  chair,  il  n'exprime 
pas  la  chair...  Point  de  transparence...  des  crépis  ro- 
sâtrcs,  des  rouges  d'onglée,  il  fait  de  cela  la  vie,  l'ani- 
mation de  la  peau...  Toujours  vineux...  des  demi-teintes 
boueuses...  Jamais  la  belle  pâte  coulante,  la  grande 
traînée  délavée  des  maîtres  de  la  chair...  Avec  cela  un 
insupportable  procédé  d'éclairage  des  corps  et  dés  objets, 
des  lumières  faites  avec  des  hachures  ou  des  traînées  de 
pur  blanc,  des  lumières  qui  ne  sont  jamais  prises  dans 
le  ton  lumineux  de  la  chose  peinte,  et  qui  détonnent 
comme  des  repeints...  Regardez  dans  le  Banie  ce  bril- 
lant de  bord  d'assiette  posé  sur  la  fesse  de  l'homme  re- 
poussant du  pied  le  ventre  de  la  femme. ..Delacroix  !  Dela- 
croix! Un  grand  maître?  oui,  pour  notre  temps...  Mais 
au  fond,  ce  grand  maître,  quoi?  C'est  la  lie  de  RubensI 

—  Merci  !  —  fit  Anatole.  —  Eh  bien?  alors,  qu'est-^^ 
qui  nous  restera  comme  grands  peintres? 

—  Les  paysagistes,  —  répondit  Chassagnol,  —  j^g 
paysagistes... 


k^  «"^ 


JVr^.*    *-LI..*    S.I^    .Lr:-.»f    M    n-tUli    jt^f   i-.  .   :_-<    .r 


IIÎYI 


Anatole  élsil  rerena  à  Psris,  r^poL-Iê  par  C.roîîs  q^ii 
avait  vo'jîa  alsilumenî  lui  payer  ses  icr.ess  M.irseille  et 
sen  Tova^e.  A'ii  résistances,  aux  sus'eptibîliu's,  aux 
délicatesses  Êères  d'Anaîzle,  Corirlis  avait  répandu  ^mt 
des  mots  d'une  brulalité  cordiale,  îui  disant  que  c  c'et.ûl 
trop  bête  >  et  qu'il  FemmenÀit. 

Pendant  que  Coriolis  était  en  Orient,  s.mi  oncle  ôiait 
mort;  et  il  revenait,  après  avoir  été  à  Bourbon  prendi^ 
possession  de  la  succession.  Il  était  riche,  il  a\-ait  main- 
tenant une  quinzaine  de  mille  livres  de  rentes.  Il  comp- 
tait prendre  un  grand  atelier.  Anatole  lof:crait  avec  lui; 
et  il  resterait  tant  qu'il  voudrait,  tant  qu*il  se  Irouvenit 
bien,  jusqu'à  ce  qu'il  y  eût  dans  sa  vie  une  chance,  uiio 
embellie.  La  chaleur  des  offres  de  Coriolis,  leur  simple 
et  rude  amitié  avaient  triomphé  des  scrupules  d'Anatole, 
qui,  se  laissant  faire,  était  devenu  l'hôte  de  Coriolis, 
dans  son  grand  atelier  de  la  rue  de  Vaugirard. 

Sans  être  tendre,  Coriolis  était  de  ces  hommes  (lui 
ne  se  suffisent  pas  et  qui  ont  besoin  de  la  présence,  do 
l'habitude  de  quelqu'un  à  côté  d'eux.  Il  avait  peine  à 


N 


I 


140  MAT9ETTE  SALOMON. 

passer  une  heure  dans  une  chambre  où  n'était  pas  an 
être  humain.  Il  était  presque  effrayé  à  l'idée  de  retrou- 
ver la  vie  enfermée  de  l'Occident  dans  un  grand  appar- 
tement où  il  serait  tout  seul,  seul  à  vivre,  seul  à  travail 
1er,  seul  à  dîner,  toujours  en  tête-à-tôte  avec  lui-même 
Il  se  rappelait  sa  jeunesse,  où  pour  échapper  à  la  soli^ 
tude,  il  avait  toujours  mis  une  femme  dans  son  intérieur 
et  fini  ses  liaisons  en  accoquinements.  Dans  le  compa- 
gnonnage d'Anatole,  il  voyait  une  gaie  et  amusante  so- 
ciété de  tous  les  instants,  qui  le  sauverait  de  l'enlace- 
ment d'une  maîtresse,  et  aussi  de  la  tentation  d'une  fiq 
qu'il  s'était  défendue  :  le  mariage. 

Coriolis  s'était  promis  de  ne  pas  se  marier,  non  qu'il 
eût  de  la  répugnance  contre  le  mariage  ;  mais  le  mariage 
lui  semblait  un  bonheur  refusé  à  l'artiste.  Le  travail  de 
l'art,  la  poursuite  de  l'invention,  l'incubation  silencieuse 
de  l'œuvre,  la  concentration  de  l'effort  lui  paraissaient 
impossibles  avec  la  vie  conjugale,  aux  côtés  d'une  jeune 
femme  caressante  et  distrayante,  ayant  contre  l'art  la 
jalousie  d'une  chose  plus  aimée  qu'elle,  faisant  autour 
du  travailleur  le  bruit  d'un  enfant,  brisant  ses  idées,  lui 
prenant  son  temps,  le  rappelant  au  fonctionarisme  du 
mariage,  à  ses  devoirs,  à  ses  plaisirs,  à  la  famille,  au 
monde,  essayant  de  reprendre  à  tout  moment  l'époux  et 
l'homme  dans  cette  espèce  de  sauvage  et  de  monstre  so- 
cial qu'est  un  vrai  artiste.  , 

Selon  lui,  le  célibat  était  le  seul  état  qui  laissât  à  l'ar- 
tiste sa  liberté,  ses  forces,  son  cerveau,  sa  conscience. 
n  avait  encore  sur  la  femme,  l'épouse,  l'idée  que  c'était 
par  elle  que  se  glissaient,  chez  tant  d'artistes,  les  fai- 
blesses, les  complaisances  pour  la  mode,  les  accommo- 
dements avec  le  gain  et  le  commerce,  les  reniements 
d'aspirations,  le  triste  courage  de  déserter  le  désinté- 
ressement de  leur  vocation  pour  descendre  à  la  pro- 
duction industrielle  hâtée  et  bâclée,  à  l'argent  que  tant 
de  mères  de  famille  font  gagner  à  la  honte  et  à  la  sueur 
d'un  talent.  Et  au  bout  du  mariage,  il  y  avait  encore  la 
paternité  qui,  pour  lui,  nuisait  à  l'artiste,  le  détournait 


«A5£TTI  SALH.  ?-  iH 

de  la  p^o*^J•:ti >îî  5r:r!*::'.>,  Ti:  i-^  î  i  rr*  crHt::-i 
d'or.ire  infêneur.  i^^Li-lsfèl:  a  lire  ri  :•:  ^r^-  :>  î'^za 
propriéié  charr.t-I>.  Ei-l-,  i]  t:  r;^:  î  -ites  >:r.*<  àt 
semluies,  d'ah  ilrvi.LS  eî  d-?  riLi.  ^>.r.  -r.is  pi'-zr 
l'artiste,  daas  crîte  f-1  rl.é  biiis^e  -î:  nirL:','-,  ffî  éli 
doux,  itfn:ûf,  celle  a:zî.5:  -re  e..  '.'-  e-.:e  «m  î^r  d  .fid 
la  fibre  nervi  use  et  uù  sV:e!::l  li  t-rrre  q-_l  :..  :  créer. 
Au  mariage,  il  eût  prês»TJ?  pr^fré,  r*.:r  '-n  îeir.jrr-a- 
menl  d'artiste,  une  de  ces  pi5-î:!i?  viiît^^-îe-,  !:jr:::ea- 
tées,  qui  fuuellent  le  laleLt  et  lui  fo"l  qurîr-efois  sai- 
gner des  chefs-d'œuvre. 

En  somme,  il  estinsil  q-je  la  s?^f^se  el  h  raison 
étaient  de  ne  demander  que  des  salis 'actions  sensuelles 
à  la  femme,  dans  des  lia-sorîs  sans  attache::.** aï,  à  part 
du  sérieux  de  la  vie,  des  a3"eclion$  e:  des  pe:i«-je>  pro- 
fondes, pour  carier,  réserver,  et  donner  lu-it  le  dévoue- 
ment intime  de  sa  tête,  toute  rimmaéria'.iié  de  son 
cœur,  le  foni  d'idéal  de  tout  son  élre,  à  l'Art,  à  TArt 
seul. 


XXXYII 


Assis  le  derrière  par  terre,  sur  le  parquet,  Anatole 
passait  des  journées  à  observer  le  singe  qu'on  appelait 
Vermillon,  à  cause  du  goût  qu'il  avait  pour  K^s  vessies 
de  minium.  Le  singe  s'épouillail  aUenlivemont,  allon- 
geant une  de  ses  jambes,  tenant  dans  une  de  ses  mains 
son  pied  tordu  comme  une  racine;  ayant  fini  de  se 
gratter,  il  se  recueillait  sur  son  séant,  dans  des  immo- 
bilités de  vieux  bonze  :  le  nez  dans  le  mur,  il  semblait 
méditer  une  philosophie  religieuse,  rêver  au  Nirvanià 
des  macaques.  Puis  c'était  une  pensée  infiniment  sé- 
rieuse et  soucieuse,  une  préoccupation  d'alfaire  couvée, 
creusée,  comme  un  plan  de  filou,  qui  lui  plissait  le 
front,  lui  joignait  les  mains,  le  pouce  de  Tune  sur  le 


U2  MANETTE  SALOMON. 

pouce  de  l'autre.  Anatole  suivait  tous  ces  jeux  de  sa 
physionomie,  les  impressions  fugaces  et  multiples  tra- 
yersant  ces  petits  animaux,  l'air  inquiétant  de  pensée 
qu'ils  ont,  ce  ténébreux  travail  de  malice  qu'ils  sem- 
blent faire,  leurs  gestes,  leurs  airs  volés  à  l'ombre  de 
l'homme,  leur  manière  grave  de  regarder  avec  une 
main  posée  sur  la  tête,  tout  l'indéchiffrable  des  choses 
prêtes  à  parler  qui  passent  dans  leur  grimace  et  leur 
mâchonnement  continuel.  Ces  petites  volontés  courtes 
et  frénétiques  des  petits  singes,  ces  envies  coléreuses 
d'un  objet  qu'ils  abandonnent,  aussitôt  qu'ils  le  tien- 
nent, pour  se  gratter  le  dos,  ces  tremblements  tout 
palpitants  de  désir  et  d'avidité  empoignante,  ces  appé- 
tences d'une  petite  langue  qui  bat,  puis  tout  à  coup  cet 
oublis,  ces  bouderies  en  poses  ennuyées,  de  côté,  les 
yeux  dans  le  vide,  les  mains  entre  les  deux  cuisses;  le 
caprice  des  sensations,  la  mobilité  de  l'humeur,  les 
prurigos  subits,  les  passages  de  la  gravité  à  la  folie, 
les  variations,  les  sautes  d'idées  qui,  dans  ces  bêtes, 
semblent  mettre  en  une  heure  le  caractère  de  tous  les 
âges,  mêler  des  dégoûts  de  vieillard  à  des  envies  d'en- 
fant, la  convoitise  enragée  à  la  suprême  indifférence, 
—  tout  cela  faisait  la  joie,  l'amusement,  Tétude  et  l'oc- 
cupalion  d'Anatole. 

Bientôt  avec  son  goût  et  son  talent  d'imitation,  il  ar- 
riva à  singer  le  singe,  à  lui  prendre  toutes  ses  grimaces, 
«on  claquement  de  lèvres,  ses  petits  cris,  sa  façon  de 
cligner  des  yeux  et  de  battre  des  paupières.  Il  s'épouil- 
lait  comme  lui,  avec  des  grattements  sur  les  pectoraux 
,ou  sous  le  jarret  d'une  jambe  levée  en  l'air.  Le  singe, 
d*abord  étonné,  avait  fini  par  voir  un  camarade  dans 
Anatole.  Et  ils  faisaient  tous  deux  des  parties  de  jeu 
de  gamins.  Tout  à  coup,  dans  l'atelier,  des  bonds,  des 
élancements,  une  espèce  de  course  volante  entri^ 
l'homme  et  la  bête,  un  bousculement,  un  culbutis,  un 
tapage,  des  cris,  des  rires,  des  sauts,  une  lutte  furieuse 
d'agilité  et  d'escalade,  mettaient  dans  l'atelier  le  bruit. 
le  vertige,  le  vent,  l'étourdissement,  le  tourbillon  i»  / 


\ 


MANETTE  SALOMON.  14t 

deux  singes  qui  se  donnent  ]a  chasse.  Les  meubles, 
les  plâtres,  les  mors  en  tremblaient.  Et  tons  deux,  au 
bout  de  la  course,  se  trouvant  nex  à  nex,  il  arriTaît 
presque  toujours  ceci  :  excité  par  le  plaisir  nerveux  de 
l'exercice,  Tirritalion  du  jeu,  l'enivrement  du  mouve- 
ment, Termillon,  piété  sur  ses  qualre  pattes,  la  queue 
roide,  sa  raie  de  vieille  femme  dessinée  sur  son  front 
qui  se  fronçait,  les  oreilles  aplaties,  le  museau  tendu 
et  plissé,  ouvrait  sa  gueule  avec  1a  lenteur  d'un  ressort 
à  crans,  et  montrait  des  crocs  prêts  à  mordre.  Mais  à 
ce  moment,  il  trouvait  en  face  de  lui  une  tète  qui  res- 
semblait tellement  à  la  sienne,  une  répétition  si  parf^iite 
de  sa  colère  de  inge,  que  tout  décontenancé,  comme 
«*il  se  voyait  dans  une  glace,  il  sautait  après  sa  corde 
et  s'en  allait  réfléchir  tout  en  haut  de  Tatelier  à  ce  sin- 
gulier animal  qui  lui  ressemblait  tant. 

C'était  une  vraie  paire  d'amis.  Us  ne  pouvaient  se  pas- 
ser l'un  de  l'autre.  Quand  par  hasard  Anatole  n'était  pas 
là,  Vermillon  restait  à  bouder  solitairement   dans  un 
coin,  refusait  de  jouer  avec  des  mouvements  grop:nons 
qui  touriiaient  le  dos  aux  personnes;  et  si  les  personnes 
insistaient,  il  leur  imprimait  la  marque  de  ses  dents  sur 
la  peau,  sans  mordre  tout  à  fait,  avec  une  douceur  d'aver- 
tissement. Quoiqu'il  eût  la  longue  mémoire  rancunière 
de  sa  race,  des  patiences  de  vengeance  qui  attendaient 
des  mois,  il  pardonnait  à  Anatole  ses  mauvaises  farces, 
«es  cadeaux  de  noisettes  creuses.  Quand  il  voulait  quel- 
que chose,  c'était  à  lui  qu'il  faisait  son  petit  cri  de 
demande.  C'était  à  lui  qu'il  se  plaignait  quand  il  était  un 
peu  malade,  auprès  de  lui  qu'il  se  réfugiait  pour  de- 
mander une  intercession,  quand  il  avait  fait  quelque 
mauvais  coup  et  qu'il  sentait  une  correction  dans  Tair. 
Quelquefois,  au  soleil  couchant,  il  lui  venait  de  petits 
gestes  de  câlinerie  qui  demandaient  pour  s'endormir  les 
bras  d'Anaiol*:.  El  il  adorait  lui  éplucher  la  tête. 

n  semblait  que  le  singe  se  sentait  comme  rapproché 
par  un  voisinage  de  nature  de  ce  garçon  si  souple,  si 
élastique,  i  la  physionomie  si  mobile  ;  il  retrouvaii  en 


À 


— ->^ 


144  MANETTE  SAL'OMOH. 

loi  un  peu  de  sa  race  :  c'était  bien  un  homme,  mais  pres- 
que un  homme  de  sa  famille;  et  rien  n'était  plus  curieux 
que  de  le  voir,  souvent,  quand  Anatole  lui  parlait,  es- 
sayer avec  ses  petites  mains  de  lui  toucher  la  langue, 
comme  s'il  avait  eu  l'idée  de  chercher  à  se  rendre  compte 
de  ce  mécanisme  étonnant  que  ce  grand  singe  avait,  et 
que  lui  n'avait  pas. 

À  la  longue,  les  deux  amis  avaient  déteint  l'un  sur 
l'autre.  Si  Vermillon  avait  donné  du  singe  à  Anatole, 
Anatole  avait  donné  de  l'artiste  à  Vermillon.  Vermillon 
avait  contracté,  à  côté  de  lui,  le  goût  de  la  peinture,  un 
goût  qui  l'avait  d'abord  mené  à  manger  des  vessies  de 
couleur;  puis  saisi  par  une  rage  de  gribouiller  du  papier, 
il  s'était  mis  à  arracher  des  plumes  aux  malheureuses 
poules  du  portier,  à  les  tremper  dans  le  ruisseau,  et  à 
les  promener  sur  ce  qu'il  trouvait  d'à  peu  près  blanc. 
Malgré  tout  ce  qu'Anatole  avait  fait  pour  encourager  ces 
évidentes  dispositions  à  l'art,  Vermillon  s'était  arrêté  à 
peu  près  là.  11  n'avait  pu  encore  tracer,  en  dessinant 
d'après  nature,  que  des  ronds,  toujours  des  ronds,  et  il  ' 
était  à  craindre  que  ce  genre  de  dessin  monotoai  ne  fût 
le  dernier  mot  de  son  talent. 


XXXYIII 


Tel  était  l'heureux  ménage  d'artistes  vivant  dans  cet 
atelier  de  la  rue  de  Vaugirard,  excellent  ménage  de  deux 
hommes  et  d'un  singe,  de  ces  trois  inséparables  :  Ver- 
millon, Anatole,  Coriolis,  —  les  trois  êtres  que  voici. 

Vermillon  était  un  macaque  RhésuSy  le  macaque  ap- 
pelé Memnon  par  Buffon.  Sur  sa  fourrure  brune,  aux 
épaules,  à  la  poitrine,  il  avait  des  bleuissements  de  poils 
rappelant  des  bleus  d'aponévroses.  Une  tache  blanche 
lui  faisait  une  marque  sous  le  menton.  Il  porlait  sur  la 
tète  des  espèces  de  cheveux  plantés  très-bas  avec  une 


XiSETTE  SALOXON.  IIS 

raie  q^JÎ  s'a;îjr..£:?'iit  sur  le  fr-i»!-  Tans  ses  cr.în.îs  veux 
bruns,  à  prunelles  noires,  br:.!ail  une  trar.sixireîioe  d'ua 
ton  marron  doré.  La  pinçure  de  son  pe:ii  nez  ap'r.îi  mon- 
Irail  comme  rindicali3n  d'un  traiî  dV^3uohoi^  dvias  uae 
cire.  Son  museau  éXidl  piqué  du  grenu  d'un  poulet  piumê. 
Des  Ions  fins  de  teint  de  Tieiliard  jouaient  sur  !e  rose 
jaunâtre  et  bleuâtre  de  sa  peau  de  vis -^^e.  A  ti-avers  se> 
oreilles  tendres,  chiffonnées,  des  crei!!es  de  pa-ner,  tra- 
versées de  fibrilles,  le  jour  en  passmt  devenait  orar^e. 
Ses  miniatures  de  mains,  du  violet  d'une  û^ue  du  Midi, 
avaient  des  bijoux  d'on-rles.  Et  quand  il  voulait  parler, 
il  poussait  de  petits  cris  d'oiseau  ou  de  petites  plaintes 
d'enfant. 

Anatule  avait  une  tête  de  gamin  dans  laquelle  la  mi« 
aère,  les  privations,  les  excès,  commençaient  à  dessiner 
le  masque  et  la  calvitie  d'une  tète  de  philosophe  cy- 
nique. 

Coriolis  était  un  grand  garçon  très-grand  et  très-maigr 
la  tête  petite,  les  jointures  noueuses,  les  mains  iongu 
un  garçon  se  cognant  aux  linteaux  des  portes  basses, 
■plafond  des  coupés,  aux  lustres  des  appartements 
Paris  ;  un  garçon  embarrassé  de- ses  jambes,  qui  ne  po 
vaient  tenir  dans  aucune  stalle  d'orchestre,  et  que,  dans 
ges  siestes  d'homme  du  Midi,  il  jetait  plus  haut  que  sa 
tête  sur  les  tablettes  des  cheminées  et  les  rebords  des 
poêles,  à  moins  qu'il  ne  les  nouât,  en  sarments  de  vigne, 
l'une  autour  de  l'autre  :  alors  on  lui  voyait  sous  son  pan- 
talon remonté,  un  tout  petit  pied  de  femme,  au  cou-de- . 
pied  busqué  d'Espagnole.  Cette  grandeur,  celte  maigreur 
flottant  dans  des  vêtements  amples,  donnaient  à  sa  per- 
sonne, à  sa  tournure,  un  dégingandement  qui  n*étail  pas 
tans  grâce,  une  sorte  de  dandinement  souple  et  fatigué, 
qpî  ressemblait  à  une  distinction  de  nonchalance.  Des 
cheveux  bruns,  de  petits  yeux  noirs  brillants,  pétillants, 
qui  éelairaient  à  la  moindre  impression  ;  un  grand  nez, 
le  signe  de  race  de  sa  famille  et  de  son  nom  patrony- 
mique, Naz,  naso;  une  moustache    dure,  des  lèvrek 
pleines,  un  peu  saillantes,  et  rouges  dans  la  pâîeur  lé- 

IJ 


U6  MANETTE  SALOMON. 

gèremenl  boucanée  de  son  visage,  metlaîent  dans  sa  fi- 
gure une  chaleur^  une  vivacité,  une  énergie  sympathiques, 
une  espèce  détendre  etmâle  séduction,  la  douceur  amou- 
reuse qu'on  sent  dans  quelques  portraits  italiens  du  sei- 
zième siècle.  A  ce  charme,  Coriolis  mêlait  le  caressant 
de  ce  joli  accent  mouillé  de  son  pays^  qui  lui  revenait 
quand  il  parlait  à  une  femme. 

Dans  ce  grand  corps,  il  y  avait  un  fond  de  tempéra- 
ment féminin,  une  nature  de  paresse,  de  volupté,  portée 
à  une  vie  sans  travail  et  de  jouissances  sensuelles,  une 
vocation  de  goûts  qui,  si  elle  n'eût  pas  été  contrariée 
par  une  grande  aptitude  picturale,  se  fût  laissée  couler 
à  une  de  ces  carrières  d'observation,  de  mondanité,  de 
plaisir,  à  un  de  ces  postes  de  salon  et  de  diplomatie  pa- 
risienne que  les  ministres  savaient  créer,  sous  Louis- 
Philippe,  pour  tel  séduisant  créole.  Même  à  l'heure  pré- 
sente, engagé  comme  il  l'était  dans  la  lutte  de  ses 
ambitions,  dans  le  travail  de  cet  art  qui  remplissait  sa 
vie,  tout  soutenu  qu'il  se  sentait  par  la  conscience  d'un 
vrai  talent,  il  lui  fallait  de  grands  efforts  pour  toujours 
vouloir.  La  continuité  lui  manquait  dans  le  courage  et  le 
labeur  de  la  production.  Il  éprouvait  à  tout  moment  des 
défaillances,  des  fatigues,  des  découragements.  Des 
journées  venaient  où  l'homme  des  colonies  reparaissait 
dans  le  piocheur  parisien,  des  journées  qu'il  usait, 
étourdissait,  perdait  à  faire  de  la  fumée  et  à  boire  des 
douzaines  de  tasses  de  café.  Dans  la  dure  et  longue 
violence  qu*il  venait  d'imposer  à  ses  goûts  en  Orient,  il 
avait  eu,  pour  se  soutenir,  l'enchantement  du  pays,  le 
bonheur  enivrant  du  climat,  et  aussi  le  far-nîente  bien- 
heureux d'une  contemplation  plus  occupée  encore  à  re- 
garder des  visions  qu'à  peindre  des  tableaux.  Travail- 
leur, son  tempérament  faisait  de  lui  un  travailleur  sans 
suite,  par  boutades,  par  fougues,  ayant  besoin  de  se 
monter,  de  s'entraîner,  de  se  lier  au  travail  par  la  force 
maîtresse  d'une  habitude;  perdu,  sans  cela,  tombant, 
de  l'œuvre  désertée,  dans  des  inactions  désespérées 
d'im  mois. 


.4" -:.m  îaI- -L  IV  K* 


dont  rûnrjr.f.!  ;é,  ilir?  i:-*.*  rrz^*.  iilsil:  sfis.::  :m 
parmi  le  peii;  c^rf.e  d'iziiî  ~  i'e:i*iii-^ri:  Tiirlff 
de  la  rue  de  Ti;.^:riri- 

II  rap;»:.r^î  zl  Crie:::  1;:::  Lfrrf-t  i*  rrl^:  r-f  î>^- 
cainps  âvil:  cz'iiré  £:li  y^^  i?  Pirli,  ;iz  •".'■:!:  i* 
lumière  STU  onb.' es  ïliLiirs.  tr^:  ré  .'ut  ir  :>  Ivurs 
tendres.  Aai  cl'rc:!:^s  ie  :rfzi!rrr  fir.r.-^r  e:  i -.:-- 

*  A  A. 

nernenl,  il  se  ciairi-iilî  ie  rè.  ...ire  :  —  Si,  c'est  :  ien 
cela:  et  souriait  des  tcti  à  ce  aue  sa  l:ile  U  fAis.vit 
revoir.  Il  n'aj-iiiâitrieL  de  ;^ijs.  P^.îs  p.-jr::.n!,  .7:  .ni 
on  le  poussait  :  —  Y^ye-i-T^ns  —  se  me:: iil-ii  à  dire  — 
cela,  je  le  sais...  et  je  s^is  sûr  que  je  le  sais  Tt*  suis 
une  mémoire.,.  Je  ce  suis  peul-èlre  pas  au  Ire  c'iose, 
mais  j*ai  cela  du  pei.,lre  :  la  m:iii:»ire...  Je  p;.  s  poser 
sur  la  toile  le  l^^a  ji:s:e.  rigoureux,  qu'a  tel  ir.ur  là- bas 
dans  telle  saison..  Tenez!  ce  Liane  qui  est  là  da\s  ce 
coin  de  raleiier,  eh  bien!  je  vais  vous  él:nner  :  c'est 
précisémeat  la  valeur  du  ton  de  l'ombre  à  Marine  Nie,  au 
mois  de  juillet...  C'est  malhêmalique,  vo}ez-\i  us... 
absolu  comme  deux  et  deux  foui  quatre...  —  Une  seule 
fois,  un  jour  où  la  discussion  s'était  animée,  et  où,  dans 
l'entraînement  des  paroles,  l'éloge  du  talent  do  Décampa 
avait  fini  par  être,  dans  la  bouclie  do  Chassai;nol,  la 
condamnation  de  l'Orieut  de  Goriolis,  Coriolis  assis  à  la 
turque  sur  le  divan,  le  doigt,  dans  un  quartier  de  sa 
pantoufle  qu'il  tourmentait,  laissa  tomber  une  à  une  ses 
idées  sur  un  grand  rival,  ainsi  : 

—  Decamps!...  Decamps  n'est  pas  un  naiT...  Il  n'est 
pas  arrivé  tout  neuf  devant  la  lumière  orienlalo...  U  n'a 
pas  appris  le  soleil,  là...  Il  n'est  pas  tombé  en  Orioiu 
avec  son  éducation  de  peintre  à  faire,  avec  des  \onx 


( 


MS  MANETTE  dALOMO». 

tout  à  t'ait  à  lui...  Il  était  formé,  il  savait...  H  a  vu  aver 
«n  parti  pris.  Il  a  emporté  avec  lui  des  souvenirs,  des 
iabitudes,  des  procédés.. «  Il  s'était  trop  rendu  compte 
comment  les  anciens  peintres  font  la  lumière  dans  les 
tableaux...  Il  avait  trop  vécu  avec  les  Vénitiens,  Técole 
anglaise,  Rembrandt...  Il  a  toujours  voulu  faire  le  coup 
de  soleil  du  Rembrandt  du  Salon  carré...  Enfin,  pour 
moi,  quand  il  a  été  là,  il  ne  s*est  pas  assez  livré,  oublié, 
abandonné...  Il  n'a  pas  assez  voulu  voir  comment  la 
lumière  qu'il  avait  devant  les  yeux  se  faisait,  et  alors, 
pour  avoir  sa  lumière  plus  vive^  il  a  forcé,  exagéré  ses 
ombres...  Des  coups  de  pistolet,  ses  tableaux...  Pas  de 
sincérité  :  il  n'a  pas  eu  Témotion  de  la  nature...  Tou- 
jours trop  de  lui  dans  ce  qu'il  faisait...  Il  n'a  jamais  su, 
tenez,  comme  Rousseau,  être  un  refléteur  en  restant 
personnel...  Puis,  Decamps,  il  a  fait  très-peu  de  chose 
en  pleine  lumière...  Dans  ses  tableaux,  il  n'y  a  jamais 
de  lumière  diffuse...  Il  ne  connaît  pas  ça,  les  bains 
de  jour,  les  pleins  soleils  aveuglant,  mangeant  tout...  Ce 
qu'il  fait  toujours,  ce  sont  des  rues,  des  culs-de-sac, 
des  compartiments  de  lumière  dans  des  corridors 
d'ombre...  Decamps?  Jamais  une  finesse  de  ton...  Des 
gris?  cherchez  ses  gris!...  Ses  rouges?  c'est  toujours  un 
rouge  de  cire  à  cacheter...  Coloriste?  non,  il  n'est  pas 
coloriste...  Criez  tant  que  vous  voudrez,  non,  pas  colo- 
riste... On  est  coloriste,  n'est-ce  pas,  tvec  du  noir  et 
du  blanc?...  Gavarni  est  un  coloriste  dans  une  litho- 
graphie... Partons  de  là...  Qu'est-ce  qui  fait  maintenant 
qu'une  chose  peinte  avec  des  couleurs  est  d'un  coloriste, 
paraît  d'un  coloriste  dans  une  reproduction  gravée  ou 
lithographiée?  Qu'est-ce  qui  fait  ça?  Une  seule  chose, 
absolument,  la  même  chose  que  pour  le  noir  et  le  blanc  : 
le  rapport  des  valeurs...  Par  exemple,  voici  un  Velas- 
quez... 

Et  Coriolis  prit  un  morceau  de  fusain,  dont  il  sabra 
une  feuille  d'album. 

—  •  11  combinera  d'abord  ses  valeurs  d'ombre  et  de 
iuirijèic,denoir  et  de  blanc...  Il  les  combinera  dans  une 


MANETTE  SALOMON.  149 

tête^  un  pourpoint,  une  écharpe,  une  culotte,  un  cheval, 
—  et  le  fusain  marchait  avec  sa  parole.  —  Puis,  de 
quelque  couleur  qu'il  peigne  ces  différentes  choses, 
orangé,  ou  jaune,  ou  rose,  ou  gris,  vous  pouvez  être  sûr 
qu'il  s'arrangera  toujours  pour  garder  les  valeurs 
d'ombre  et  de  lumière  de  son  noir  et  de  son  blanc... 
Decamps  ne  s'est  jamais  douté  de  ça...  Ce  qui  l'a  sauvé, 
c'est  que  presque  tous  ses  tableaux  sont  des  mono- 
chromies  bitumineuses  avec  des  réveillons,  des  espèces 
de  crayons  noirs  relevés  de  touches  de  pastel...  Ça  peut 
rendre  l'Orient  de  l'Afrique,  l'Orient  de  l'Egypte,  je  ne 
sais  pas,  je  n'ai  pas  étudié  ce  pays-là;  mais  pour  l'Asie 
Mineure...  l'Asie  Mineure  !  Si  vous  voyiez  ce  que  c'est! 
Un  pays  de  montagnes  et  de  plaines  inondées  une  partie 
de  l'année...  C'est  une  vaporisation  continuelle...  Tenez! 
une  évaporation  d'eau  de  perles...  tout  brille  et  tout  est 
doux...  la  lumière,  c'est  un  brouillard  opalisé...  avec 
rtes  couleurs,  tomme  un  scintillement  de  morceaux  de 
verre  coloré... 


XL 


Lors  de  son  retour  en  France,  vers  la  fin  de  Tannée 
1850,  Coriolis  s'était  trouvé  à  court  de  temps  pour 
exposer  au  Salon  qui  ouvrait,  cette  année-là,  le  30  dé- 
cembre. Anatole  avait  vainement  essayé  de  le  décider  à 
envoyer  au  Palais-Naiional  quelques-unes  de  ses  belles 
esquisses.  Coriolis  sentait  qu'à  son  âge,  n'ayant  jamais 
étalé,  il  lui  fallait  un  début  qui  fut  un  coup  d'éclat.  Il 
ne  voulait  arriver  devant  le  public  qu'avec  des  mor- 
ceaux faits,  où  il  aurait  mis  tout  son  effort.  Taché vc- 
ment  du  temps. 

L'année  1851  n'ayant  pas  d'Exposition,  il  eut  tout  le 
loisir  de  travailler  à  trois  toiles.  Il  les  remania,  les  ca- 
ressa, les  retoucha,  les  retournant  pour  les  laisser 
dormir,  y  revenant  avec  des  yeux  plus  froids  et  détachés 

13. 


i 

t 

I 


150  MANETTE  SÂLOxMON. 

de  la  griserie  du  ton  tout  frais,  y  mettant  à  tous  les  coins 
cette  conscience  de  l'artiste  qui  veut  se  satisfaire  lui-même. 

Le  premier  de  ces  trois  tableaux,  peints  d'après  ses 
souvenirs  et  ses  croquis,  était  le  campement  de  Bohé- 
miens dont  il  avait  envoyé  à  Anatole  Tébauche  écrite. 
Une  lumière  pareille  à  la  horde  qu'elle  éclairait,  er- 
rante et  folle,  des  rayons  perdus,  Téparpillement  du  so- 
leil dans  les  bois,  des  zigzags  de  ruisseau,  des  oripeaux  de 
sorcière  et  de  fée,  un  mélange  de  basse-cour,  de  dortoir 
et  de  forge,  des  berceaux  multicolores,  comme  de  petits 
lits  d'Arlequin  accrochés  aux  arbrei,  un  troupeau  d'en- 
fants, de  vieilles,  de  jeunes  filles,  le  camp  de  misère  et 
d'aventure,  sous  son  dôme  de  feuilles,  avec  son  tapage  et 
son  fouillis,  revivait  dans  la  peinture  claire,  cristallisée, 
pétillante  de  Coriolis,  pleine  de  retroussis  de  pinceau, 
d'accentuations  qui,  dans  les  masses,  relevaient  un  dé- 
tail, jetaient  de  l'esprit  sur  une  figure,  sur  une  silhouette. 

Sa  seconde  toile  faisait  voir  une  vue  d'Adramiti. 
D'une  touche  fraîche  et  légère,  avec  des  tons  de  fleurs, 
la  palette  d'un  vrai  bouquet,  Coriolis  avait  jeté  sur  la 
toile  le  riant  éblouissement  de  ce  morceau  de  ciel  tout 
bleu,  de  ces  baroques  maisons  blanches,  de  ces  galeries 
yertes,  rouges,  de  ces  costumes  éclatants,  de  ces  flaques 
d'eau  où  semble  croupir  de  l'azur  noyé.  Il  y  avait  là  un 
rayonnement  d'un  bout  à  l'autre,  sans  ombre,  sans  noir, 
un  décor  de  chaleur,  de  soleil,  de  vapeur,  l'Orient  fin, 
tendre,  brillant,  mouillé  de  poussière  d'eau  de  pierres 
précieuses,  l'Orient  de  l'Asie  Mineure,  comme  l'avait  vu 
et  comme  l'aimait  Coriolis. 

Le  troisième  de  ses  tableaux  représentait  une  caravane 
sur  la  route  de  Troie.  C'était  l'heure  frémissante  et  douce 
où  le  soleil  va  se  lever;  les  premiers  feux,  blancs  et  roses, 
répandant  le  matin  dans  le  ciel,  semblaient  jeter  les 
changeantes  couleurs  tendres  de  la  nacre  sur  le  lever  du 
jour  vers  lequel,  le  cou  tendu,  les  chameaux  respiraient. 

La  veille  de  son  envoi,  Coriolis  donnait  encore  ce  der- 
nier coup  de  pinceau  que  les  peintres  donnent  à  leurs 
tableaux  dans  leur  cadre  de  l'Exposition. 


iXm« 


MAKëTTëSàLÛMOX.  (51 


XLI 


Le  jury  du  Salon  fonctionnait  depuis  quelque  temps, 
quand  Coriolis  se  sentit  inquiet,  pris  de  l'impatience  de 
savoir  son  sort.  L'absence  de  toute  lettre  de  refus,  les 
promesses  de  réception  faites  à  ses  tableaux  par  ceux 
qui  les  avaient  vus,  ne  le  rassuraient  pas.  Anatole  avait 
vaguement  entendu  dire  dans  une  brasserie  que  son  ami 
était  refusé,  au  moins  pour  une  de  ses  toiles.  La  tête  de 
Coriolis  se  mit  à  travailler  là-dessus.  Il  était  embarrassé 
pour  sortir  de  cette  incertitude  qui  lui  taquinait  Timagi- 
nation  et  les  nerfs.  Anatole  lui  conseilla  d'aller  voir  leur 
ancien  camarade  Garnotelle,  qu'il  n'avait  pas  revu  de- 
puis son  retour  de  Rome,  et  qui  était  devenu  un  artiste 
posé,  lancé,  «  pourri  de  relations  j.  Coriolis  se  décidait 
à  aller  voir  Garnotelle. 

Il  arrivait  à  la  cité  Frochot,  à  ce  joli  phalanstère  de  pein- 
ture posé  sur  les  hauteurs  du  quartier  Saint-Gcurges; 
gaie  villa  d'ateliers  riches,  de  l'art  heureux,  du  succès, 
dont  le  petit  trottoir  montant  n'est  guère  foulé  que  par 
des  artistes  décorés.  Vers  le  milieu  de  la  cite,  à  une 
porte  en  treillage,  garnie  de  lierre,  il  sonna.  Un  domes- 
tique à  l'accent  italien  prit  sa  carte  et  l'introduisit  dans 
un  atelier  à  la  claire  peinture  lilas. 

Sur  les  murs  se-  détachaient  des  cadres  dorés,  des 
gravures  de  Marc-Antoine,  des  dessins  à  la  mine  de 
plomb  grise,  portant  sur  leur  bordure  le  nom  de  M.. In- 
gres. Les  meubles  étaient  couverts  d'un  reps  gris  qui 
s'harmonisait  doucement  et  discrètement  avec  la  pein- 
ture de  l'atelier.  Deux  vases  de  pharmacie  italienne,  à 
anses  de  serpents  tordus,  posaient  sur  un  grand  meuble 
à  glaces  de  vitrine,  laissant  voir  la  collection,  reliée  en 
volume  dorés  sur  tranche,  des  études  et  des  croquis  de 
Garnotelte.  Dans  un  coin,  un  ficus  montrait  ses  grandes 


tSÎ  MANETTE  SALOMON. 

feuilles  vernies;  dans  l'autre,  un  bananier  se  levait  d'une 
espèce  de  grand  coquetier  de  cuivre,  à  côté  d'un  piano 
droit  ouvert.  Tout  était  net,  rangé,  essuyé,  jusqu'aux 
plantes  qui  paraissaient  brossées.  Rien  ne  traînait,  ni 
une  esquisse,  ni  un  plâtre,  ni  une  copie,  ni  une  brosse. 
C'était  le  cabinet  d'art  élégant,  froid,  sérieux,  aimable- 
ment classique  et  artistiquement  bourgeois  d'un  prix  de 
Rome,  qui  se  consacre  spécialement  aux  portraits  de 
éames  du  monde.  < 

Au  milieu  de  l'atelier,  au  plus  beau  jour,  sur  un  che- 
talet  d'acajou  à  col  de  cygne,  reposait  un  portrait  de 
femme  entièrement  terminé  et  verni.  Devant  ce  portrait 
était  un  tapis,  et  devant  le  tapis,  trois  fauteuils  en  place, 
fatigués  d'un  passage  de  personnes,  formaient  un  hémi- 
cycle. Ces  fauteuils,  le  tapis,  le  chevalet,  mettaient  là 
un  air  d'exhibitio.,  religieuse,  et  comme  un  petit  coin 
de  chapelle.  Coriolis  reconnut  le  portrait  :  c'était  le  por- 
trait de  la  femme  d'un  riche  financier,  un  portrait  que 
îes  journaux  avaient  annoncé  comme  devant  être  le 
seul  envoi  de  Garnotelle  au  Salon. 

Garnotelle,  en  vareuse  de  velours  noir,  entra. 

—  Gomment!  c'est  toi?—  dit-il  en  laissant  voir  le 
malaise  d'équilibre  d'un  homme  qui  retrouve  un  ami 
•ublié.  —  Tu  as  été  longtemps  là -bas,  sais-tu?  Je  suis 
tnchanté...  Âh  !  tu  regardes  mon  exposition... 

—  Comment,  ton  exposition? 

—  Ah!  c'est  vrai...  tu  reviens  de  si  loin  !  lu  as  l'in- 
locence  de  ces  choses-là...  Eh  bien!  j'ai  tout  bonne- 
ment écrit  à  la  Direction  que  j'avais  besoin  d'un  délai 
pour  finir...  et  voilà...  Je  n'envoie  pas  comme  les  autres... 
et  je  fais  ici  ma  petite  exposition  particulière,  comme  tu 
fois...  Votre  tableau  ne  passe  pas  comme  cela  avec  le 
fommun  des  martyrs...  Vous  êtes  distingué  par  l'admi- 
BÎstration...  cela  fait  très-bien...  Je  l'enverrai  au  dernier 
Jour,  et  tu  verras,  il  ne  sera  pas  le  plus  mal  placé...  Ah 
fa!  et  toi?  Est-ce  qu'on  ne  m'a  pas  dit  que  tu  avais 
fuelque  chose  ? 

—  Oui,  trois  tableaux  de  là-bas,  et  c'est  justement 


I  >* 


dri. s  ^~T~  L-T^.  ?i'^.»îr  «'•!^It  ~f"ii-..» 
ctk  «  sccr —  C^  it:!!^-::"f<-n? 

—  Très-l:c3--  îr£:5-r:fn...  Le  c:i!:^r  de  perUs..* 
Oh!  il  est  é:.:--i:îî —  —  dit  Con:li$  Sdas  euthou<:A$:ue. 

—  Mrn  Kea  !  c'^  an  p?rxÀi:  s^neux.  s^uis  tapA^e... 
S  j'aurai?  Touîs,  ces  ten:ps-tri...  La  T.uiUvTÎ  m\\  ùil  vie- 
mander-..  Il  éîail  deux,  trois  heures.. •  enfin  une  heure 
hoîinèîe  p^^nr  se  présenter  chez  une  femme  qui  ne  Test 
pas...  Elle  était  au  lit...  Une  chambre  de  salin,  feu  et 
or...  éblouissante...  Elle  s'amus:\it  à  faire  niii^seler  dans 
une  grande  cassette  Louis  XIII,  tu  sais,  avec  du  cuivra 
aux  angles,  des  bijoux,  des  d  amants,  de  Tor...  Klle  élviil 
à  demi  sortie  du  lit,  les  épaules  nues,  des  cheveux  su- 
perbes, une  chemise...  tu  sais  de  ces  chemises  qu'elles 
ont!...  elle  m'a  demandé  son  porlniit  comme  une 
chatte...  fai  été  héroïque,  j'ai  refusé...  Vois-tu,  mon 
cher,  au  fond,  ces  portraits-là,  quand  on  voit  du  monde, 
quand  on  connaît  des  femmes  bien,  c'est  toujours  une 
mauvaise  aCFaire...  ça  jette  de  la  déconsidération  sur  uu 
talent...  il  faut  laisser  cela  aux  autres...  Tu  dis,.,  ton 
adresse  ? 

—  23,  rue  de  Vaugirard. 

—  Je  t'écris,  vois-tu,  pour  plus  de  sûreté...  parce  quo 
j'ai  tant  de  choses...  Et  puis,  je  veux  aller  te  voir...  Tu 
me  montreras  tout  ce  que  lu  as  rapporté...  Je  serais  Irés- 
curieux...  Veux-lu  que  nous  descendions  ensemble 
jusqu'aux  boulevards?  Je  suis  invité  à  d('\jouncr  ce  ma- 
tin... 

Il  sonna  son  domestique,  passa  un  habit,  et  quand 
ils  furent  dehors  :  —  Pourquoi,  —  dit-il  à  Coriolis,  — 
n'habites- tu  pas  par  ici? 

—  Pourquoi?  —  répondit  Coriolis.  —  Tiens,  regarde. .. 


15^  MANETTE  SALOMON. 

—  et  il  désigna  une  croisée.  —  Vois-tu  ces  bougies  rose» 
à  cette  toilette,  des  bougies  couleur  de  chair  qui  font 
penser  à  la  jambe  d'une  danseuse  dans  un  bas  de  soie? 
Vois-tu  cette  bonne  sur  le  trottoir  qui  promène  ce  petit 
chien  de  la  Havane?  La  bonne  a  du  blanc,  et  le  petit 
chien  a  du  rouge...  Sens-tu  cette  odeur  de  poudre  de 
riz  qui  descend  les  escaliers  et  sort  par  la  porte  comme 
l'haleine  de  la  maison?...  Eh  bien!  mon  cher,  voilà  ce 
qui  me  fait  sauver...  J'en  ai  peur...  11  flotte  trop  de  plai- 
sir pour  moi  par  ici...  La  femme  est  dans  l'air...  on  ne 
respire  que  cela  !  Je  me  connais,  il  me  faut  ma  rue  de 
Vaugirard,  mon  quartier,  un  quartier  d'étudiants  qui 
ressemble  à  l'hôtel  Cicéron  de  la  vache  enragée...  Ici, 
je  redeviendrais  un  créole...  et  je  veux  faire  quelque 
chose... 

—  Ah!  moi  pour  travailler,  il  n'y  a  que  Rome...  ma 
belle  Rome!  Quand  avec  l'école  nous  allions  acheter,  je 
me  rappelle,  aux  Quattro  Fontane,  des  oranges  et  des 
pommes  de  pin  pour  les  manger  dans  les  thermes  de 
Caracâlla... 

Et  disant  cela,  Garnotelle  quitta  Coriolis  avec  une 
poignée  de  main,  sur  la  porte  du  café  Anglais. 

Le  lendemain  matin,  Coriolis  reçut  une  carte  de  Car- 
notelle,  qui  portait  écrit  au  crayon  :  c  Les  trois  reçm.  > 


XLII 


Un  grand  jour  que  le  jour  d'ouverture  d'un  Salon! 

Trois  mille  peintres,  sculpteurs,  graveurs,  architectes 
l'ont  attendu  sans  dormir,  dans  l'anxiété  de  savoir  où 
l'on  a  placé  leurs  œuvres,  et  l'impatience  d'écouter  ce 
que  ce  public  de  première  représentation  va  en  dire. 
Médailles,  décorations,  succès,  commandes,  achats  du 
gouvernement,  gloire  bruyante  du  feuilleton,  leur  ave- 
nir, tout  est  là,  derrière  ces  portes  encore  fermées  de 


cipitenL 

banik,  en  fiz:  'e.  ri.  L'-i-;  .^^  i_"  '.cr*  îti^t^  i:ii  i: 
le  bras  à  d-frî  ^;:^*s  ;«-  :i:  Izî  ii^t-^  r^  :.;-.iiî. 
des  artistes  a^eù  ^-es  ii.^::f;^r-?  i  i  .  __liï  i:  r-  =  ;  :-:s 
chevelus  arrlérrs,  .es  ^.--rs  :*  l':.^zz  :.:  Ti?  i  «i 
feutre  poi::*.a;  j:uiî  ieîl:":_i^  :i  h.l:*  r^  ^i^r^: 
c  se  terir  a:i  ::~r2.i:  >;  .t.-  :  -  _t5  ic  -i  sii.r.r  îr.;- 
lées  à  J-rS  Cj'C-S=vîi:-:S  :r  -  :.t-,  e;  ^-.  :l.  :i^  ;-ia 
dans  leur  rie  tZriz^  k  ^i5.i.  :-.\,^-rr.]r;  iis  lié- 
geois vena:-!  se  tiIt  li^s  .r-:?  ^.zi:  .^  e:  rei-c^^  c« 
que  les  p^sai^ts  jeit^:::  a  '.z^r  -V-:r:  -i  t.z^i  iiifs 
sieurs  qui  Fr^iricL.*.  les  i.-i:rs  i-zz  ^lc  I:r^i^::f  de 
spectacle  ea  ivoire;  des  rl-11  ::s  iJsr.^es  îe  c::.i5.  a  la 
robe  tragique,  et  qu'on  i;:al:  1^....^  liis  la  nhe-  is 
de  mademoiselle  Duchesccis.  s'arré.iL*.,  le  z'L:e-L-:2  au 
nez,  à  passer  la  revue  des  lirîes  i  :..::.  :.::$  :u  ..rs 
critiquent  avec  des  mots  d'a^îi.irJe.  Dj  m.-.:e  de  tous 
les  mondes  :  des  mères  d'artistes,  aîteciries  devant  le 
tableau  filial  arec  deslarmjiemeaîs  de  p:rt:eres;  des  ac- 
trices fringantes,  curieuses  de  voir  de*  marq^ûses  ea 
peintures;  des  refusés  hérissés,  allumés,  sabrant  tout 
ce  qu'ils  voient  avec  le  verbe  bref  et  des  jugements 
féroces;  des  frères  de  la  Doctrine  chrétitane,  venus 
pour  admirer  les  paysages  d'un  gamin  ai:  |uel  ils  ont 
appris  à  lire;  et  çà  et  là,  au  milieu  de  tous,  coupant  le 
flot,  la  marche  familière  et  l'air  d'être  chez  elles,  des 
modèles  allant  aux  tableaux,  aux  staîues  où  elles  re- 
trouvent lenr  corps,  et  disant  tout  haut  :  f  Tiens!  me 
voilà!  1  à  Toreille  d'une  amie,  pour  que  tout  le  monde 
entende...  On  ne  voit  que  des  nez  en  Tair,  des  gens  qui 
regardent  avec  toutes  les  façons  ordinaires  et  extraordi- 
naires de  regarder  l'art.  Il  y  a  des  admirations  stupé- 
fiées, religieuses,  et  qui  semblent  prêtes  à  se  signer.  11 
y  a  des  coups  d'œil  de  joie  que  jette  un  concurrent  à  un 
tableau  raté  de  camarade.  Il  y  a  des  attentions  qui  ont 
les  mains  sur  le  ventre,  d'autres  qui  restent  en  arrêt, 


156  MANETTE  SALOMON. 

les  bras  croisés  et  le  livret  sous  un  bras,  serré  sous 
l'aisselle.  11  y  a  des  bouches  béantes,  ouvertes  en  o, 
devant  la  dorure  des  cadres  ;  il  y  a  sur  des  figures  l'hé- 
bétement désolé,  et  le  navrement  éreinlé  qui  vient  aux 
visages  des  malheureux  obligés  par  les  convenances 
sociales  d'avoir  vu  toutes  ces  couleurs.  11  y  a  les  silen- 
cieux qui  se  promènent  avec  les  mains  à  la  Napoléon 
derrière  le  dos;  il  y  a  les  professants  qui  pérorent,  les 
noteurs  qui  écrivent  au  crayon  sur  les  marges  du  livret, 
les  toucheurs  qui  expliquent  un  tableau  en  passant  leur 
gant  sale  sur  le  vernis  à  peine  séché,  les  agités  qui 
dessinent  dans  le  vide  toutes  les  lignes  d'un  paysage,  et 
reculent  du  doigt  un  horizon.  Il  y  a  des  dilettantes  qui 
parlent  tout  seuls  et  se  murmurent  à  eux-mêmes  des 
mots  comme  smorfia.  Il  y  a  des  hommes  qui  traînent 
des  troupeaux  de  femmes  aux  sujets  historiques.  11  y  a 
des  ateliers  en  peloton,  compactes  et  paraissant  se  tenir 
par  le  pan  de  leurs  doctrines.  Il  y  a  de  grands  diables  à 
cravates  de  foulard,  les  longs  cheveux  rejetés  derrière 
les  oreilles,  qui  serpentent  à  travers  les  foules  et  cra- 
chent, en  courant,  à  chaque  toile,  un  lazzi  qui  la  bap- 
tise. 11  y  a,  devant  d'affreux  vilains  tableaux  convaincus 
et  de  grandes  choses  insolemment  mal  peintes,  comme 
de  petites  églises  de  pénétrés,  des  groupes  de  catéchu- 
mènes en  redingotes,  chacun  le  bras  sur  l'épaule  d'un 
frère,  immobiles;  changeant  seulement  de  pied  de  cinq 
en  cinq  minutes,  le  geste  dévotieux,  la  parole  basse,  et 
tout  perdus  dans  ï'extatisme  d'une  vision  d'apôtres 
crétins... 

Spectacle  varié,  brouillé,  sur  lequel  planent  les  pas- 
sions, les  émotions,  les  espérances  volantes,  tourbil- 
lonnantes, tout  le  long  de  ces  murs  qui  portent,  le  tra- 
vail, l'effort  et  la  fortune  d'une  année! 

Coriolis  voulut  ce  jour-là  faire  «  l'homme  fort  ».  Il 
n'avança  pas  l'heure  du  déjeuner,  par  une  espèce  de 
déférence  pour  la  blague  d'Anatole.  Mais  au  dessert 
rimpatience  commença  à  le  prendre.  Il  trouvait  qu'Ana- 
tole  me  liait  des  éternités  à  prendre  son  café.  Et  to 


lui;  u  t:  -li-:  r*  tl-- 

œuvre  ei:»:'5ôt-  *:!r*:»:ii^.  iu-tij--  Tii:  I-^ilt^;. 
ileut  ce  rrrzlrr  rrLii  fii:'.-^i^:zdri^  if  st  LLisf  m 
chacun  t:::  e-  p^.^i»*:»  ^:r*s  :  x;c" 

bout  à'zn  zi^izAi.'  ÎL  riira  ri^  sl  zliir,  s  i*:ll^ 
qu'eue  fûu  ariiî  irs  iii^ii^zilii-f,  frs  T:ifi_i^f-^  :zi 
lui  nuiSiieLt.  La  î^mlrr*  z-i  iii^i.:  ::i^  '.sif  5^'  a 

âaîte  de  Bihéni^:!?:  >  ji^r  l'z :^:  ^ii.  ^t:i  i  :'^ -x. 

Sa  Vue  d'AL-izi-L  kriLi  /^i^zfir  :-  zrizî  S^.  ; 
mais  le  p:r*rî:-  rr'î  €l  '.crr  i^Tr-:  silre  ir  S  :i  t. 
placé  à  cité,  î-e  Liiii:  :.ir_:  -r  -i  Zru  ir:r  «  ^.u/i  a 
de  carafe  >.  Da  resi-?,  ses  :::li  i^.ri.x  t :."-'!  s.:r  li 
firr.aîse.  Sàzs  dz-i:e.  ce  l'- :i::  r:s  ::mî  ce  eu*:;  s:r:.:t 
voula  :  Coriolis  était  j^ei:.::e.  et,  ci-v.in?  î:u;  p.rir.re, 
il  ne  se  serait  est  nié  tcut  a  liiî  bien  liA-rê  ijiie  si:  saîl 
été  exposé  absolument  seol  dîzs  le  Sjioa  d'h:nueur. 
Mais  enfin  c'était  salisfaisiat,  il  n'avait  p  .s  à  se  plain- 
dre; et  tout  heureux  déire  débiiirassé  d'Anal  le  aocro 
ché  par  d'anciens  amis  d'alelier,  il  se  mil  à  se  prome- 
ner dans  le  voisinage  de  ses  tableaux  eu  faisant  semblant 
de  regarder  ceux  qui  étaient  à  côlé,  Foreille  aux  ajruots, 
essayant  d'attraper  des  mots  de  ce  qu'on  disait  de  lui» 
et  laissant  tomber  des  regards  d'affection  sur  les  gens 
qui  stationnaient  devant  sa  signature. 

Bientôt  lui  arriva  une  joie  que  donne  le  succès  direct, 
tout  vif  et  présent,  la  joie  chaude  de  l'homme  qui  so 
voit  et  se  sent  applaudi  par  un  public  qu'il  louche  des 
yeux  et  du  coude.  11  lui  passa  un  chatouillement  d'or- 
teil au  bruit  de  son  nom  qui  marchait  dans  la  foule. 
11  était  remué  par  des  bouts  de  phrases,  des  exclama- 

14 


f58  MANETTE  SÂLOMOM. 

lions,  des  chaleurs  de  sympathie,  des  riens,  des  geste», 
des  approbations  de  tête,  qui  saluaient  et  félicitaient  ses 
toiles.  Une  bande  de  rapinsen  passant  lança  des  hourras. 
Un  critique  s'arrêla  devant,  et  demeura  le  temps  de 
penser  un  feuilleton  sans  idées.  Peu  à  peu,  l'heure 
s'avançant,  les  passants  s^amassèrent;  aux  regardeurs 
isolés,  aux  petits  groupes  succéda  un  rassemblement 
grossissant,  trois  rangées  de  spectateurs*  tassés,  serrés, 
emboîtés  l'un  dans  l'autre,  montrant  trois  lignes  de  dos, 
froissant  entre  leurs  épaules  deux  ou  trois  robes  de 
femmes,  et  renversant  une  soixantaine  de  fonds  ronds 
de  chapeaux  noirs  où  le  jour  tombé  d'en  haut  lustrait  la 

soie.  ' 

Coriolis  serait  resté  là  toujours  si  Anatole  n'était  venu 
le  prendre  par  le  bras  en  lui  disant  : 

-*  Est-ce  que  tu  ne  consommerais  pas  quelque  chose? 

Et  il  l'emmena  dans  un  café  des  boulevards  où  Co- 
riolis, en  fumant  son  cigare  et  en  regardant  devant  lui, 
revoyait  tous  ces  dos  devant  ses  tableaux. 


XLIII 


A  ce  triomphe  du  premier  jour  succéda  bien  vite  une 
réaction. 

On  ne  trouble  point  impunément  les  habitudes  du 
public,  ses  idées  reçues,  les  préjugés  avec  lesquels  U 
juge  les  choses  de  l'art.  On  ne  contrarie  pas  sans  le  bles- 
ser le  rêve  que  ses  yeux  se  sont  faits  d'une  forme,  d'une 
couleur,  d'un  pays.  Le  public  avait  accepté  et  adopté 
l'Orient  brutal,  fauve  et  recuit  de  Decamps.  L'Orient  fin, 
nuancé,  vaporeux,  volatilisé,  subtil  de  Coriolis  le  dé- 
routait, le  déconcertait.  Cette  interprétation  imprévue 
dérangeait  la  manière  de  voir  de  tout  le  monde ,  elle 
embarrassait  la  critique,  géuait  ses  tirades  toutes  faites 
de  couleur  orientale. 


MÂ>£TT£  SALÛMON.  là» 

Vins  cette  peiature  avait  contre  elle  le  oûin  de  son 
tuteur,  ce  qu'un  nom  uubie  ou  d^appeirence  nobiliah^e 
inspire  contre  une  œu\Te  de  prévenUous  trop  souvent 
jusiiûécs.  La  signature  Naz  de  CorioliSy  mise  au  bas  de 
ces  tableaux,  faisait  imaginer  un  gentilhomme,  un 
homme  du  monde  et  de  salon,  occupant  ses  loisirs  et 
ses  lendemains  de  bal  avec  le  passe-temps  d'un  art.  A 
beaucoup  de  juges  de  goût  peu  fixé,  allant  pour  rencon- 
trer sûrement  le  talent  là  où  ils  croient  être  assurés  de 
rencontrer  le  travail,  l'application,  la  peine  de  tout  un 
homme  et  Tambilion  de  toute  une  carrière  d'artiste,  ce 
nom  donnait  toutes  sortes  d'idées  de  méliance,  une  pré- 
disposition instinctive  à  ne  voir  là  qu'une  œuvre  d'ama- 
teur, d'homme  riche  qui  fait  cela  pour  s'amuser. 

Toutes  ces  mauvaises  dispositions,  la  petite  presse, 
qui  a  ses  embranchements  sur  les  brasseries  de  la 
peinture,  les  ramassa  et  les  envenima.  Elle  fut  impi- 
toyable, féroce  pour  Coriolis,  pour  cet  homme  ayant 
des  rentes,  qu'on  ne  voyait  point  boire  de  chopes,  et 
qui,  inconnu  hier,  accaparait,  à  la  première  tentative, 
l'intérêt  d'une  exposition.  Le  petit  peuple  du  bas  des  arts 
ne  pouvait  pardonner  à  une  pareille  chance.  Aussi  pen- 
dant deux  mois  Coriolis  eut-il  les  attaques  de  tous  ces 
arrière-fonds  de  café,  où  se  baptisent  les  gloires  em- 
bryonnaires et  les  grands  hommes  sans  nom,  où  chauf- 
fent ces  succès  de  la  Bohême,  auxquels  chacun  apporte 
l'abnégation  de  son  dévouement,  comme  s'il  se  couron- 
nait lui-même  en  couronnant  quelqu'un  de  la  bande.  On 
le  déchira  spécialement  à  l'estaminet  du  Vert-de-gris,  le 
rendez-vous  des  ainers.  Les  amerSy  les  amers  spéciaux 
que  fait  la  peinture,  ceux-là  qu'enrage  et  qu'exaspère 
cette  carrière  qui  n'a  que  ces  deux  extrêmes  :  la  mi- 
sère anonyme,  le  néant  de  celui  qui  n'arrive  pas,  ou  une 
fortune  soudaine,  énorme,  tous  les  bonheurs  de  gloire  de 
celui  qui  arrive,  les  amers,  tout  ce  monde  d'avenirs 
aigris,  de  jeunes  talents  grisés  de  compliments  d'amis 
et  ne  gagnant  pas  un  sou,  furieux  contre  le  monde, 
exaspéré  contre  la  société^  la  veine  et  le  succès  des 


160  MA?5ETTE  SALOMON. 

autres,  haineux,  ulcérés,  misanthropes  qui  s'humanise- 
ront à  leur  première  paire  de  gants  gris-perle,  —  les 
amers  se  mirent  à  exécuter  tous  les  soirs  la  personne  et 
le  talent  de  Coriolis  jusqu'à  l'entière  extinction  du  gaz, 
soufflant  la.  technique  de  Téreintement  à  deux  ou  trois 
criticules  qui  venaient  prendre  là  le  mauvais  air  de  l'art. 

Coriolis  trouvait  enfm  une  dernière  opposition  dans  la 
réaction  commençant  à  se  faire  contre  l'Orient,  dans  le 
retour  des  amateurs  sévères,  posés,  au  style  du  grand 
paysage  encanaillé  à  leurs  yeux  par  un  trop  long  carna- 
val de  turquerie. 

En  face  de  celte  hostilité  presque  universelle,  Coriolis 
était  à  peu  près  désarmé.  Il  lui  manquait  les  amitiés,  les 
camaraderies,  ce  qu'une  chaîne  de  relations  organise 
pour  la  défense  d'un  talent  discuté.  Les  huit  ans  passés 
par  lui  en  Orient,  la  sauvagerie  paresseuse  qu'il  e'n  avait 
rapportée,  son  enfoncement  dans  le  travail  avaient  fait 
l'isolement  autour  de  lui.  Cependant,  comme  il  arrive 
presque  toujours,  des  sympathies  sortirent  des  haines. 
Ce  qui  se  lève  sous  le  contre-coup  de  l'injustice  et  de 
l'unanimité  des  hostilités,  le  sens  de  combattivité  et  de 
générosité  qui  se  révolte  dans  un  public,  mettaient  la 
dispute  et  la  violence  d'une  bataille  dans  la  discussion 
du  nouvel  Orient  de  Coriolis.  Devant  la  partialité  de  la 
négation,  les  éloges  s'emportaient  jusqu'à  Thyperbole; 
et  Coriolis  sortait  des  jalousies,  des  passions  et  de  la 
critique,  maltraité  et  connu,  avec  un  nom  lapidé  et  une 
notoriété  arrachée  à  une  sorte  de  scandale. 

Au  milieu  de  toutes  ces  sévérités,  des  attaques  des 
journaux,  de  la  dureté  des  feuilletons,  Coriolis  tombait 
presque  journellement  sur  l'éloge  de  Garnotelle.  Il  y 
avait  pour  son  ancien  camarade  un  concert  de  louanges, 
un  effort  d'admiration,  une  conspiration  de  bienveil- 
lance, d'aménités,  de  phrases  agréables,  de  douces  épi- 
thètes,  de  restrictions  respectueuses,  d'observations  en- 
velopppées.  Presque  toute  la  critique,  avec  un  ensemble 
qui  étonnait  Coriolis,  célébrait  ce  talent  honnête  de  Gar- 
notelle. On  le  louait  avec  des  mots  qui  rendent  justice  à 


MANETTE  dALOMON.  t61 

on  caractère.  On  semblait  vouloir  reconnaître  dans  sa 
façon  de  peindre  la  beauté  de  son  âme.  Le  blanc  d'ar- 
gent et  le  bitume  dont  il  se  servait  étaient  le  blanc 
d'argent  et  le  bitume  d'un  noble  cœur.  On  inventait  la 
flatterie  des  épithètes  morales  pour  sa  peinture  :  on 
disait  qu'elle  était  c  loyale  et  véridique  »,  qu'elle  avait 
la  €  sérénité  des  intentions  et  du  faire  ^.  Son  gris  deve- 
nait la  sobriété.  La  misère  de  coloris  du  pénible  peintre, 
du  pauvre  prix  de  Rome,  faisait  trouver  et  imprimer 
qu'il  avait  des  c  couleurs  gravement  chastes  ^.  On  rap- 
pelait, à  propos  de  cette  belle  sagesse,  l'austérité  du 
pinceau  bolonais;  un  critique  même,  entraîné  par  l'en- 
thousiasme, alla,  à  propos  de  lui,  jusqu'à  traiter  la 
couleur  de  basse,  matérielle  et  vicieuse  satisfaction  du 
regard;  et  faisant  allusion  aux  toiles  de  Coriolis  qu'il 
iésignait  comme  attirant  la  foule  par  le  sensualisme,  il 
déclarait  ne  plus  voir  de  salut  pour  TArt  contemporain 
que  dans  le  dessin  de  Garnotelle,  le  seul  artiste  de 
l'Exposition  digne  de  s'adresser,  capable  de  parler  c  aux 
esprits  et  aux  intelligences  d'élite  i. 


XLIY 


L'étonnement  de  Coriolis  était  naïf.  Cette  vive  et 
presque  unanime  sympathie  de  la  critique  pour  Garno- 
telle s'expliquait  naturellement. 

Garnotelle  était  l'homme  derrière  le  talent  duquel  la 
critique  de  ces  critiques  qui  ne  sont  que  des  littérateurs 
pouvait  satisfaire  sa  haine  d'instinct  contre  le  morceau 
peint,  contre  le  bout  de  toile  ou  le  panneau  de  couleur 
éclatante,  contre  la  page  de  soleil  et  de  vie  rappelant 
quelque  grand  coloriste  ancien,  sans  avoir  l'excuse  de 
la  signature  de  son  grand  nom.  Il  était  soutenu,  poussé, 
acclamé  par  tout  ce  qu'il  y  a  d'imperception  et  d'hosti- 
lité inavouée,   dans  les  purs  phraseurs  d'es'hétique, 

14. 


ÎQ^  MAN£TTË  SALÛMON. 

pour  riiarmoiiic  de  pourpre  du  Titien,  le  courant  de 
pâte  d'un  Rubens,  le  gâchis  d'un  Rembrandt,  la  touche 
carrée  d*un  Velasquez,  le  tripotage  de  génie  de  la  cou- 
leur, le  travail  de  la  main  des  chefs-d'œuvre.  Le  peintre 
satisfaisait  le  goût  de  ces  doctrines,  aimées  delà  France, 
sympathiques  à  son  tempérament,  qui  mènent  l'admi- 
ration de  l'estime  publique  et  des  gens  distingués  à  une 
certaine  manière  de  peindre  unie,  sage,  lisse,  blai- 
reautée,  sans  pâle,  sans  touche,  à  une  peinture  imper- 
sonnelle et  inanimée,  terne  et  polie,  reflétant  la  vie  dans 
un  miroir  dont  le  tain  serait  malade,  fixant  et  dessé- 
chant le  trait  qui  joue  et  trempe  dans  la  lumière  de  la 
nature,  arrêtant  le  visage  humain  avec  des  lignes  gra- 
phiques rigides  comme  le  tracé  d'une  épure,  réduisant 
le  coloris  de  la  chair  aux  teintes  mortes  d*un  vieux  da- 
guerréotype colorié,  dans  le  temps,  pour  dix  francs. 

Garnotelle  servait  de  drapeau  et  de  ralliement  à  la 
critique  purement  lettrée,  et  au  public  qui  juge  un 
peintre  avec  des  théories,  des  idées,  des  systèmes,  un 
certain  idéal  fait  de  lectures  et  de  mauvais  souvenirs  de 
quelques  lignes  anciennes,  l'estime  d'une  certaine  pro- 
preté délicate,  une  compétence  bornée  à  un  mépris 
acquis  et  convenu  pour  les  tons  roses  de  DubulTe. 
L'école  sérieuse,  puissante  et  considérée,  descendue  des 
professeurs  et  des  hommes  d'Etat  critiques  d'art,  l'école 
doctrinaire  et  philosophique  du  Beau,  l'armée  d'écrivains 
penseurs  qui  n'ont  jamais  vu  un  tableau  moine  en  le 
regardant,  qui  n'ont  jamais  goûté  devant  un  ton  cette 
jouissance  poignante,  cette  sensation  absolue  que  Che- 
vreul  dit  aussi  forte  pour  l'œil  que  les  sensations  des 
saveurs  agréables  pour  le  palais;  ces  juges  d'art  qui 
n'apprécient  jamais  l'art  par  cette  impression  spontai^ée, 
la  sensation,  mais  par  la  réflexion,  par  une  opération 
de  cerveau,  par  une  application  et  un  jugement  d'idées; 
tous  ces  théoriciens  ennemis  de  la  couleur  par  rancune, 
affectant  pour  elle  le  mépris,  répétant  que  cela,  cette 
chose  divine  que  rien  n'apprend,  la  couleur,  peut  s'ap- 
prendre en  huit  jours,  que  la  peinture  doit  être  simple- 


ment  en  J^^a  Uvè  à  l**:u:îe;  q,îe  U  jVn:?:V^  l*o!êvAîi  >n 
de  ridèe  doitenl  fxn?  et  rvalis.^r  ce::-*  chî^e  j^!.;<:  .y.:e 
ei  ifune  Aiir.ie  si  u:;.î;rivr*e  :  la  lV:.,îurt\  —  u ■$ 
étaient  les  p^us,  le^  lhi\  ri:  ;^  K^^  $y:îr,  Aîhi;  s,  le^  <\nj- 
rants  d'opiaiou  qui  coustiîiiàioiU  îe  ^raïui  jV.rù  de  GAr« 
uote)u\ 

De  là  le  5ucc<^s  do$  pv>rîrA:î$  de  GaraoloV.e,  Leur  aI>* 
seuoe  de  vie,  leur  deCv^nîivMi  ixisssiit  jv^iîr  du  $î\Io;  leur 
pUuilude  était  <a!uèecouune  une  îdcalis^ilion.  Ou  Vvvaîait 
trouxer  dans  leur  air  de  {x^pîer  peîut  je  ne  SsV.>  quvi 
d'humble,  de  ir.odesîe»  de  rt'îUioux,  rnc^MUMiilicm^Mil 
d'une  peinture,  pAle  d\uUvMion,  aux  p\\U  do  Iva.^MM. 
II  j  avait  une  entente  jvur  ne  pa.<  voir  toute  la  in!>v  re 
de  ce  dessin  mesquin,  tin.iHè  entre  la  i,aîuiY  et  Tevein- 
pie,  timide  et  applique,  cherchant  aux  per^onnajros  de 
basses  enjoUvuri^s  biHes;  car  GarnotcUe  ne  saxait  p:xs 
même  tirer  de  ses  nivHlîles  la  fv>rte  malênalilô  trapue, 
l'épaisse  granJeur  de  la  luuir^eoisie  :  il  arrar.iioaii  les 
bourçeois  qu'il  peii^nail  en  p^u  tiers  son^::eurs,  tra\ aillait 
aies  poétiser,  tùehait  de  nu^ttre  une  lueur  de  réNorie 
dans  un  ancien  député  du  juste-nùUeu  et  d'alaujruir  un 
ventru  avec  do  1\  lé^anoe.  Il  manierait  le  coaunun,  et 
Jetait  ainsi  sur  la  jjrosse  race  positive,  dont  il  était  le 
peintre  presque  mystique,  le  plus  divertissant  des  ridi- 
cules. 

Mais  les  portraits  les  plus  applaudis  de  Garnoiollo 
étaient  ses  portraits  de  femmes  :  minutieuses  et  laho- 
rieuses  copies  de  traits  et  do  plis  de  robes,  imai^es  pa- 
tientes de  dames  sérieuses  et  roides,  dans  des  intérieurs 
maigres.  Réunis,  ils  auraient  fait  douter  do  la  grAce.  do 
Tanimation,  de  l'esprit  qu'a  toute  la  personue  do  la 
Parisienne  du  xix*  siècle.  C'étaient  des  mauis  étalées 
gauchement  sur  les  genoux  avec  les  doij;ts  forcés  comnu» 
des  pincettes,  des  physionomies  ayant  un  air  do  cahne 
dormatit  et  de  placidité  ligée,  auipiel  s'ajoulait  une  seule 
de  morlilicalion  nu)rno,  pnweuani  des  longues  et  ncnn- 
breuses  séances  exigées  parle  cousrieucieux  porlrailislo^ 
II  semblait  y  avoir  un  travail  i)éuible,  triNs mal  éclair 


164  MANETTE  SALOMON. 

un  travail  de  prison,  dans  ce  douloureux  dessin,  dans 
ces  ostéologies  s'enlevant  sur  des  fonds  olive,  dans  ces 
femmes  décolletées  qu'on  eût  dit  posées  par  le  peintre 
sous  un  jour  de  souffrance.  Vaguement,  devant  ces  por- 
traits, ridée  vous  venait  de  bourgeoises  en  pénitence 
dans  les  Limbes.  Ce  que  Garnotelle  leur  mettait  pour 
pensée  et  pour  ombre  sur  le  front  avait  l'air  d'une  préoc- 
cupation de  ménage,  d'un  souci  d'addition,  ou  plutôt  de 
ces  réflexions  de  femme  qui  marchande  une  chose  trop 
chère.  Malgré  tout,  c'étaient  les  portraits  à  la  mode. 
Les  femmes,  en  dépit  de  toute  la  coquetterie  qu'elles 
ont  d'elles-même  et  de  cette  immortalité  de  leur  beauté, 
les  femmes  s'étaient  laissé  persuader  que  celte  façon 
rigoureuse  de  les  peindre  avait  de  la  sévérité  et  de  la 
noblesse.  Ce  qu'elles  perdaient  avec  Garnotelle  en  jeu- 
nesse et  en  piquant,  elles  pensaient  qu'il  le  leur  rendait 
en  autorité  de  grâce  et  en  transfiguration  sérieuse.  Et 
parmi  les  plus  élégantes,  les  plus  riches  et  les  plus  jalies, 
les  portraits  de  ce  peintre,  à  propos  duquel  elles  avaient 
entendu  nommer  si  souvent  Raphaël,  devenaient  un 
objet  de  jalousie,  d'envie,  une  exigence  imposée  à  la 
bourse  du  mari. 


XLV 


n  y  avait  encore,  pour  le  succès  de  Garnotelle,  d'autres 
raisons. 

Garnotelle  n'était  plus  l'espèce  de  sauvage  timide, 
marchant  dans  les  pas  d'Anatole,  attaché  et  collé  à  lui, 
vivant  de  sa  société  et  à  son  ombre.  Il  n'était  plus  ce 
pauvre  garçon,  ce  rustre  gêné,  mal  appris,  honteux  de 
lui-même,  qui  demandé,  par  hasard,  dans  un  château 
pour  une  décoration,  avait  passé  quinze  jours  sans  se 
laisser  arracher  une  parole,  avec  des  larmes  d'embarras 
tai  venant  presque  aux  yeux,  quand  l'attention  des  femmes 


■INETTE  SALOMON.  K»5 

f*occapail  de  lai,  et  qu'il  avait  peur  comme  nn  petit 
paysan  que  veut  embrasser  une  belle  dame.  L'École  de 
Rome  a  un  mérite  quMl  faut  reconnaître  :  si  elle  ne  fait 
rien  pour  le  talent  des  gens,  elle  fait  beaucoup  pour 
leur  éducation;  si  elle  n'inspire  pas  le  peintre,  elle  forme 
et  dégrossit  l'homme.  Par  la  vie  en  commun,  l'espèce 
de  frottement  d'un  club  académique,  le  façonnement 
des  natures  abruptes  au  contact  des  natures  civilisées, 
ce  que  les  gens  bien  nés  enseignent  et  font  gagner  aux 
antreSy  ce  que  les  lettrés  donnent  et  communiquent 
d'instruction  aux  illettrés,  par  son  salon,  ses  réceptions, 
laYilîâ  Médici  fabrique,  dans  des  tempéraments  de  peu- 
ple, des  espèces  de  gens  du  monde  que  cinq  ans  élèvent, 
en  apparence  de  manières,  en  superficie  de  savoir,  en 
Dolitesse  acquise,  au  niveau  du  commun  des  martyrs  et 
des  exigences  de  la  société  actuelle.  Là  avait  commencé 
M  métamorphose  de  Garnotelle,  encouragée  par  la  bien- 
veillance de  deux  ou  trois  salons  français  et  étrangers, 
où  les  gâteries  des  femmes  l'enhardissaient  à  prendre 
peu  à  peu  l'aplomb  du  monde.  Sa  tête  lui  servait  et  ai- 
dait à  ses  succès  :  il  plaisait  par  une  beauté  brune,  un 
peu  commune  et  marquée,  mais  de  ce  genre  qu'aiment 
les  femmes,  une  beauté  vulgairement  souffrante,  où  de 
la  pâleur,  presque  de  la  maladie,  un  reste  de  vieux 
malheurs  de  sang,  devenu  une  espèce  de  teint  fatal, 
mettaient  ce  caractère,  qui  l'avait  fait  surnommer  par 
ses  camarades  «  l'ouvrier  malsain  ».  Dans  ce  physique, 
le  monde  ne  voulait  voir  que  le  tourment  de  la  pensée, 
les  stigmates  du  travail,  l'émaciement  de  la  spiritualité. 
Et  pour  les  yeux  des  femmes,  Garnotelle  était  la  figure 
rêvée,  une  poétique  incarnation  du  pittoresque  et  roma- 
nesque personnage  qui  peint  avec  son  cœur  et  sa  santé, 
il  était  ce  malheureux  céleste  :  —  Yartistet 

A  Paris,  par  des  liaisons  nouées  à  Rome  dans  une 
famille  française,  il  était  entré  dans  un  monde  de  femmes 
du  haut  commerce  et  de  la  haute  banque,  un  monde  or- 
léaniste de  femmes  sérieuses,  intelligentes,  cultivées, 
mêlées  aux  lettres,  à  l'art,  tenant  le  haut  bout  de  l'opi- 


16c  MAT4ETTE  SALOMOIf. 

nion  publique  par  leurs  salons  et  leurs  amis  du  journa* 
lisnie.  Il  trouva  là  de  puissantes  protectrices,  supérieurea 
à  la  banalité,  ardentes  et  remuantes  dans  Tamitié,  met- 
tant leur  activité  et  leur  dévouement  d'esprit  au  service 
des  Infimes  habitués  de  leur  maison,  faisant  d'eux,  de 
leur  nom,  de  leur  célébrité,  de  leur  carrière,  l'intérêt, 
roccupatiou,  Torgueil  de  leur  vie  de  femme  et  la  petite 
gloire  de  leur  cercle.  Il  eut  toutes  les  bonnes  fortunes 
et  tout  le  profit  de  ces  liaisons  pures,  de  ces  attache- 
ments, de  ces  adoplions  qui  finissent  par  laisser  tomber 
sur  la  tête  d'un  peintre  le  sentimentalisme  ému  d'une 
bouri^^eoise  éclairée,  passionnent  ses  démarches,  ses 
prières,  ses  intrigues,  tout  ce  que  peut  une  femme  à 
l'époque  du  Salon  pour  le  lancement  d'un  succès. 

En  dehors  de  ce  monde,  Garnotelle  allait  encore  dans 
quelques  salons  de  la  haute  aristocratie  étrangère,  où 
il  rencontrait  de  grands  noms  avec  lesquels  il  pouvait 
peser  sur  le  ministère,  des  femmes  au  désir  despotique, 
habituées  à  tout  vouloir  dans  leur  pays,  et  qui  n'avaient 
perdu  qu'un  peu  de  celte  habitude  en  France.  C'était 
pour  Garnotelle  une  récréation  et  un  délassement,  que 
ce  monde  aimant  le  plaisir,  la  liberté,  les  artistes.  II  s'j 
sentait  entouré  de  la  naïve  admiration  des  étrangers 
pour  un  talent  de  Paris  :  il  était  le  peintre,  le  Français, 
l'homme  célèbre  que  les  femmes,  les  jeunes  filles  cour- 
tisaient avec  la  vivacité  de  l'ingénuité  ravissante  des 
coquetteries  russes.  On  le  choyait,,  on  l'enguirlandait. 
Il  était  le  cornac  des  plaisirs,  la  fêle  des  soirées,  l'invité 
annoncé  et  promis.  Les  sociétés  se  le  disputaient,  se 
l'arrachaient,  avec  des  jalousies  féminines  et  des  que- 
relles gracieuses  qui  chatouillaient  et  réjouissaient  sa 
vanité  jusqu'au  fond.  Il  était  là  comme  dans  une  déli- 
cieuse atmosphère  d'enchantement  amoureux.  On  ne  le 
voyait  dans  ces  salons  que  masqué  par  une  jupe,  la  tète 
à  demi  levée  derrière  un  fauteuil  de  femme,  mêlé  aux 
robes,  toujours  dans  une  intimité  d^aparté,  dans  une 
pose  d'enfant  gâté,  discret,  étouffant  de  petits  rires,  des 
demi-paroles,  des  chuchotements>  ce  qui  bruit  tout  bas 


MAiNETTE  SALOMON  167 

autour  d'un  secret,  d'une  confidence,  avec  >  petites 
mines,  des  silences,  des  contemplations,  des  yeux  d'ad- 
miration, tout  un  jeu  d'adoration  d'une  épaule,  d'un 
bras,  d'un  pied,  qui  touchait  les  femmes  comme  le  pla- 
tonisme et  le  soupir  d'un  amour  qui  leur  aurait  fait  la 
cour  à  toutes.  Aux  hommes  aussi  il  trouvait  moyen  de 
plaire  et  de  paraître  amusant  avec  un  rien  de  cet  esprit 
que  tout  peintre  ramasse  dans  la  vie  d'atelier.  Et  s'agis- 
aait-il  de  l'achat  d'un  de  ses  tableaux  par  quelques  gros 
banquier?  Une  conspiration  de  sympathies  s'organisait 
dans  l'ombre,  et  il  avait  non-seulement  la  femme,  mais 
les  experts,  les  familiers,  le  médecin  même  pour  lui, 
frafaillant  à  forcer  la  main  au  Million. 

Appuyé  sur  ces  relations  et  ces  protections,  persuadé 
que  tout  ce  qu'il  pouvait  avoir  à  demander  au  gouvorne- 
ment  serait  emporté  par  des  exigences  de  jolies  femmes, 
ou  des  transactions  de  femmes  influentes,  Garnotelle  qui, 
sous  sa  peau  de  mondain,  avait  gardé  de  la  finesse  et  de 
la  malice  du  paysan,  estimait  qu'il  était  inutile,  presque 
dangereux,  de  passer  pour  un  ami  du  gouvernement.  Il 
ne  se  montrait  pas  aux  soirées  officielles,  boudait  les 
avances,  jouant  la  réserve  et  la  froideur  d'un  homme 
appartenant  à  l'Institut  et  attaché  à  ses  doctrines. 

Près  du  maître  des  maîtres,  il  avait  une  humilité  par- 
faite. Avec  son  nom  et  sa  position,  il  sollicitait  de  l'aider 
dans  ses  travaux;  il  s'offrait  à  lui  peindre  des  fonds,  des 
à^laUy  à  lui  couvrir  des  ciels,  des  terrains,  à  lui  poncer 
des  draperies  €  pour  se  dévouer  et  apprendre  i,  disait-il. 
n  s'informait,  comme  d'une  cérémonie  sacrée  du  jour 
oà  il  y  avait  exposition  chez  lui.  Et  devant  le  tableau, 
dont  Û  semblait  ne  pas  oser  s'approcher  de  trop  près,  il 
restait  à  distance  respectueuse,  plongé  dans  une  muette 
contemplation.  Dans  ce  genre  d'admiration  accablée, 
écrasée,  la  seule  à  laquelle  pût  encore  se  prendre  la  va- 
nité du*maltre  blasé  sur  la  pantomime  enthousiaste,  les 
spasmes,  les  lèvements  d'yeux  extatiques,  les  mono- 
syllabes entrecoupés,  il  avait  imaginé  une  invention  su- 
blime, et  qui  avait  attaché  à  son  avenir  la  protection 


158  MANETTE  SALOMON. 

du  grand  h3mme.  A  une  exposition  intime^  il  avait  gardé 
devant  «:  Toeuvre  »  un  silence  morne;  puis,  rentré  chei 
lui,  il  avait  écrit  au  maître  une  lettre  où  il  laissait  naïve- 
ment échapper  son  découragement,  se  disait  désespéré 
par  cette  perfection,  cette  grandeur,  cette  pureté,  qui 
lui  étaient  l'espérance  de  jamais  rien  faire,  presque  la 
force  de  travailler  encore  ;  et  faisant  répandre  par  ses 
amis  le  bruit  de  son  découragement,  il  avait  attendu, 
cloîtré  dans  son  atelier,  jusqu'à  ce  qu'une  lettre  du  maître 
relevât  son  courage  avec  des  éloges,  l'encourageât  à  vivre 
et  à  peindre. 

De  plus,  Garnotelle  était  un  des  habitués  les  plus  assi- 
dus de  cette  société  de  Y  Oignon,  réunissant  et  reliant 
les  anciens  prix  de  Rome  avec  deux  grands  dîners  an- 
nuels et  quelques  petits  dîners  subsidiaires,  dans  cette 
espèce  de  franc-maçonnerie  de  la  courte-échelle,  où  Ton 
se  passait  les  travaux,  les  commandes,  les  voix  à  l'Institut, 
entre  la  poire  et  le  fromage,  entre  les  pièces  de  vers  en 
l'honneur  des  gloires  académiques  et  des  satires  contre 
les  autres  gloires. 

Avec  la  presse,  il  était  froidement  poli.  Il  ne  gâtait  pas 
les  critiques  de  lettres  ni  d'esquisses,  ne  les  recherchait 
pas  et  tenait  à  distance  ceux  qu'il  rencontrait  dans  les 
salons  avec  une  poignée  de  main  qui  leur  tendait  seule- 
ment le  bout  d'un  doigt  ou  de  deux.  Cette  attitude  de 
réserve  lui  avait  valu  le  respect  avec  lequel  la  plupart 
des  feuilletons  parlaient  de  son  talent. 

Ainsi  adulé,  respecté,  protégé,  appuyé,  rente  par  l'ar- 
gent de  ses  portraits,  renié  par  l'argent  de  son  atelier, 
un  atelier  aristocratique  de  jeunes  et  riches  étrangers 
payant  cent  francs  par  mois,  et  s'engageant  pour  six 
mois;  riche  et  parvenu  à  tous  les  bonheurs,  comblé  dans 
ses  désirs  et  ses  ambitions,  le  Garnotelle  du  succès,  le 
Garnotelle  des  chemises  brodées  et  des  parfums  à  base 
de  musc,  n'ayant  plus  rien  de  son  passé  que  ses  longs 
cheveux,  qu'il  gardait  comme  une  auréole  d'artiste,  Gar- 
notelle se  montrait  parfois  enveloppé  d'une  vague  tris- 
tesse. Il  paraissait  avoir  le  noble  et  solennel  fond  de 


MANETTE  SALOMON  109 

souffrance  d'un  homme  éloigné  €  de  l'objet  de  son 
culte  )>.  II  se  plaignait  à  demi-mot  de  n'être  plus  là  ou 
étaient  ses  regrets  et  son  amour;  et  de  temps  en  temps, 
il  laissait  échapper,  avec  une  voix  attendrie  et  un  re- 
gard d'aspiration  religieuse,  une  :  —  «  Chère  Rome,  où 
es-tu?  >  —  qui  apitoyait  autour  de  lui  un  public  d'im- 
béciles sur  cette  pauvre  âme  sombre  d'exilé. 


XLVI 


Le  talent,  Tambîtion,  Ténergie  de  Coriolîs  sortaient  de 
ces  contradictions,  de  la  contestation,  fouettés  et  aiguil- 
lonnés. La  bataille  autour  de  ses  tableaux,  de  son  nom, 
de  son  Orient,  ce  soulèvement  de  colères  soudaines  et 
d'ennemis  inconnus  lui  donnaient  la  surexcitation  de  la 
lutte,  le  poussaient  à  la  volonté  d'une  grande  chose, 
d'une  de  ces  œuvres  qui  arrachent  au  public  la  pleine 
reconnaissance  d'un  homme. 

On  ne  le  connaissait  que  par  les  côtés  de  coloriste 
pittoresque.  Il  voulait  se  révéler  avec  les  puissantes  qua- 
lités du  peintre  ;  montrer  la  force  et  la  science  du  dessi- 
nateur, amassées  en  lui  par  des  études  patientes  et 
acharnées  de  nature,  qui  mettaient  à  ses  moindres  cro- 
quis l'accent  et  la  signature  de  sa  personnalité. 

Abandonnant  le  tableau  de  chevalet,  il  attaquait  le  nu 
dans  un  cadre  où  il  pouvait  faire  mouvoir  la  grandeur  du 
corps  humain.  Le  décor  de  sa  scène  était  un  Bain  turc. 
Sur  la  pierre  moite  de  Tétuve,  sur  le  granit  suant,  il 
plia  une  femme,  sortant  comme  de  Tarrosement  d'un 
nuage,  de  la  mousse  de  savon  blanc  jetée  sur  elle  par 
une  négresse  presque  nue,  les  reins  sanglés  d'une  fou- 
tah  à  couleurs  vives.  La  baigneuse,  sur  son  séant,  se 
présentait  de  face.  Elle  était  gracieusement  ramassée  et 
rondissanle  dans  la  ligne  d'un  disque  :  on  l'eût  dite 
assise  dans  le  G  d'un  croissant  de  lune.  Ses  deux  mains 

15 


170  MANETTE  SALOMON. 

se  croisaient  dans  ses  cheveux,  au  bout  de  ses  bras  re« 
levés  qui  dessinaient  une  anse  et  une  couronne.  Sa  tète, 
penchée,  se  baissait  mollement,  avec  un  chatouillement 
d'ombre,  sur  sa  gorge  remontée.  Son  torse  avait  les 
deux  contours  charmants  et  contraires  de  cette  attitude 
penchée  :  pressé  d'un  côté,  serré  entre  le  sein  et  la 
hanche,  il  se  tendait  de  l'autre,  déroulait  le  dessin  de 
son  élégance;  et  jusqu'au  bout  des  deux  jambes  de  la 
baigneuse,  l'une  un  peu  repliée,  l'autre  longuement 
allongée,  l'opposition  des  lignes  se  continuait  dans  l'on- 
dulation d'un  balancement.  Derrière  ce  corps  ébauché, 
sorti  de  la  toile  avec  du  pastel,  Coriolis  avait  massé  au 
fond  des  groupes  de  femmes  qu'on  entrevoyait  dans  une 
buée  de  vapeur,  dans  une  aérienne  perspective  d'étuve 
rayée  de  traits  de  soleil  qui  faisaient  des  barres. 

Au  commencement  de  l'hiver,  Coriolis  avait  fini  ce 
tableau.  Anatole,  qui  n'était  pas  complimenteur  et  qui 
n'avait  guère  de  sympathie  pour  les  sujets  orientaux,  ne 
put  retenir,  devant  la  toile  achevée  : 

—  Très-bien,  ton  corps  de  femme...  c'est  ça! 
Coriolis  avait  l'horreur  de  certains  peintres  pour  le 

compliment  qui  porte  à  faux,  qui  toue  une  qualité  qu'ils 
n'ont  pas,  ou  un  coin  d'une  œuvre  qu'ils  sentent  n'être 
pas  le  bon  de  cettre  œuvre.  Un  éloge  à  c6té  avait  beau 
être  sincère  et  de  bonne  foi  :  il  jetait  Coriolis  dans  des 
colères  d'enfant. 

—  «  C'est  ça!  i>  dit-il  en  se  retournant  avec  un  geste 
violent.  — Ah!  tu  trouves  que  c'est  ça,  toi?...  Ça!  mais 
c'est  d'un  commun!...  ce  n'est  pas  plus  le  corps  que  je 
veux...  Voilà  six  semaines  que  je  m'échine  dessus...  Tu 
as  bien  fait  de  me  dire  que  c'était  bien...  Allons!  je  te 
dis,  c'est  béte...  bête  comme  une  académie  de  pari- 
sienne... et  tortillé...  Tiens!  Il  traîne  sur  les  quais  une 
Vénus  de  Goltzius...  qui  a  des  perles  aux  oreilles,  avec 
des  colombes  qui  volent  autour...  voilà!...  Je  sentais 
bien  que  c'était  mauvais.  Mais,  attends! 

El  Coriolis  commença  à  effacer  sa  figure,  Anatole 
essaya  de   l'arrêter,  l'injuria,  l'appela  c  imbécile  et 


MÀNETT£  SALOMUN.  171 

chercheur  de  petite  bête  ».  Coriolis  continuait  à  démolir 
sa  baigneuse  en  disant  : 

—  Après  cela,  c'est  le  diable,  un  torse  qui  vous  donne 
la  note...  C'est  dégoûtant  maintenant...  Il  n'y  a  plus  un 
corps  à  Paris...  Voyons!  voilà  six  mois  que  nous  n'avons 
pu  avoir  un  modèle  propre...  Une  femme  qui  ail  pour 
un  liard  de  race^  de  distinction,  un  ensemble  pas  trop 
canaille...  où  ça  se  trouve-t-il?  sais-tu,  toi?  Ohl  les  mo- 
dèles? une  espèce  finie...  Rachel  a  commencé  à  les 
perdre  avec  le  Conservatoire...  Il  n'y  a  plus  de  modèles! 
Ça  vous  donne  deux  séances...  et  puis,  à  la  troisième, 
vous  rencontrez  votre  étude,  dans  un  petit  coupé,  coiffée 
en  chien,  qui  vous  dit  :  <  Bonjour!...  >  Une  femme 
lancée,  plus  de  pose  !  Et  celles  qu'on  a  encore  la  chance 
d'attraper,  sont-cedes  modèles?Ça  ne  tient  pas  la  pose... 
ça  n'a  pas  de  tendons...  ça  ne  crispe  pas!...  ça  ne  crisve 
patsi. 


»••• 


XLVII 


L*hîver  de  Paris  a  des  jours  grîs,  d'un  gris  morne,  in- 
fini, désespéré.  Le  gris  remplit  le  ciel,  bas  et  plat,  sans 
une  lueur,  sans  une  trouée  de  bleu.  Une  tristesse  grise 
flotte  dans  l'air.  Ce  qu'il  y  a  de  jour  est  comme  le  cadavre 
du  jour.  Une  froide  lumière,  qu'on  dirait  filtrée  à  travers 
de  vieux  rideaux  de  tulle,  met  sa  clarté  jaune  et  sale  sur 
ies  choses  et  les  formes  indécises.  Les  couleurs  s'en- 
dorment comme  dans  l'ombre  du  passé  et  le  voile  du 
fané.  Dans  l'atelier,  un  mélancolique  effacement  ôte  le 
rayon  à  la  toile,  promène  entre  les  grands  murs,  une 
sorte  d'ennui  glacé,  polaire,  glisse  du  plâtre  qui  perd  ses 
lignes  à  la  palette  qui  perd  ses  tons,  et  finit  par  rem- 
placer, dans  la  main  du  peintre,  les  pinceaux  par  la 
pipe. 

Ces  jours-là,  on  voyait  à  Vermillon   des  attitudes 


172  MANETTE  SÂLOMON. 

paresseuses,  engourdies,  inquiètes  et  souffrantes.  Tra- 
vaillé par  le  malaise  de  ce  vilain  temps,  ayant  comme  le 
froid  de  la  neige  au  fond  de  lui,  il  se  postait  près  du 
poêle,  et  passait  des  demi-heures,  immobile,  en  équi- 
libre sur  son  derrière,  et  se  chauffant  ses  deux  pattes 
dans  ses  deux  mains.  Toute  son  attention  paraissait  con- 
centrée sur  le  rouge  du  poêle,  La  demi-heure  passée,  il 
tournait  sa  tête  sur  son  épaule,  regardait  de  côté,  avec 
méfiance,  cette  plaque  de  faux  jour  blanchissant  dans  le 
cadre  de  la  baie,  se  grattait  le  dessous  d'une  cuisse, 
poussait  un  petit  cri,  regardait  encore  un  peu  le  ciel,  et 
ne  le  reconnaissant  pas,  il  paraissait  y  chercher  une  se- 
conde le  souvenir, de  quelque  chose  de  disparu.  Puis  il 
revenait  à  la  chaleur  du  poêle,  et  s'enfonçait  dans  une 
espèce  de  nostalgie  profonde  et  de  méditation  concentrée, 
avec  un  air  confondu,  cette  espèce  de  peur  de  voir  le 
soleil  mort,  qu'ont  observée  les  naturalistes  chez  les 
singes  en  hiver. 

Tout  à  côté,  Anatole  faisait  comme  le  singe,  se  chauf- 
fait les  pieds,  en  se  pelotonnant  près  du  poêle,  se  regar- 
dait fumer,  entre  deux  cigarettes  essayait  de  taquiner  la 
plante  du  pied  de  Vermillon.  Mais  Vermillon,  grave  et 
préoccupé,  repoussait  ses  agaceries. 

Pour  Coriolis,  après  quelques  essais  de  travail  lâche, 
quelque  coups  de  brosse,  il  prenait  dans  une  crédence 
une  poignée  d'albums  aux  couvertures  bariolées,  gau- 
frées, pointillées  ou  piquées  d'or,  brochées  d'un  fil  de 
soie,  et  jetant  cela  par  terre,  s'étendant  dessus,  couché 
sur  le  ventre,  dressé  sur  les  deux  coudes,  les  deux  mains 
dans  les  cheveux,  il  regardait,  en  feuilletant,  ces  pages 
pareilles  à  des  palettes  d'ivoire  chargées  des  couleurs  de 
l'Orient,  tachées  et  diaprées,  étincelantes  de  pourpre, 
d'outremer,  de  vert  d'émeraude.  Et  un  jour  de  pays 
féerique,  un  jour  sans  ombre  et  qui  n'était  que  lumière, 
se  levait  pour  lui  de  ces  albums  de  dessins  japonais.  Son 
regard  entrait  dans  la  profondeur  de  ces  firmaments 
paille,  baignant  d'un  fluide  d'or  la  silhouette  des  êtres 
et  des  campagnes;  il  se  perdait  dans  cet  azor  où  sa 


MANETTE  SALOMON.  ITi 

noyaient  les  floraisons  roses  des  arbres,  dans  cet  émail 
bleu  sertissant  les  fleurs  de  neige  des  pêchers  et  des 
amandiers,  dans  ces  grands  couchers  de  soleil  cramoisis 
et  d'où  partent  les  rayons  d'une  roue  de  sang,  dans  ia 
splendeur  de  ces  astres  écornés  par  le  vol  des  grues 
voyageuses.  L'hiver,  le  gris  du  jour,  le  pauvre  ciel  fris- 
sonnant de  Paris,  il  les  fuyait  et  les  oubliait  au  bord 
de  ces  mers  limpides  comme  le  ciel,  balançant  des  danses 
sur  des  radeaux  de  buveurs  de  thé  ;  il  les  oubliait  dans 
ces  champs  aux  rochers  de  lapis,  dans  ce  verdoiement 
de  plantes  aux  pieds  mouillés,  près  de  ces  bambous,  de 
ces  haies  efflorescentes  qui  font  un  mur  avec  de  grands 
bouquets.  Devant  lui,  se  déroulait  ce  pays  des  maisons 
rouges,  aux  murs  de  paravent,  aux  chambres  peintes, 
à  l'art  de  nature  si  naïf  et  si  vif,  aux  intérieurs  miroi- 
tants, éclaboussés,  amusés  de  tous  les  reflets  que  font 
les  vernis  des  bois,  Témail  des  porcelaines,  les  ors  des 
laques,  le  fauve  luisant  des  bronzes  tonkin.  Et  tout  i 
coup,  dans  ce  qu'il  regardait,  une  page  fleurissante  sem- 
blait un  herbier  du  mois  de  mai,  une  poignée  du  prin- 
temps, toute  fraîche  arrachée,  aquarellée  dans  le  bour- 
geonnement et  la  jeune  tendresse  de  sa  couleur.  C'étaient 
des  zigzags  de  branches,  ou  bien  des  gouttes  de  couleur 
pleurant  en  larmes  sur  le  papier,  ou  des  pluies  de  carac- 
tères jouant  et  descendant  comme  des  essaims  d'insectes 
dans  l'arc-en-ciel  du  dessin  nué.  Çà  et  là,  des  rivages  mon- 
traient des  plages  éblouissantes  de  blancheur  et  fourmil- 
lantes de  crabes;  une  porte  jaune,  un  treillage  de  bam- 
bou, des  palissades  de  clochettes  bleues  laissaient  deviner 
le  jardin  d'une  maison  de  thé;  des  caprices  de  paysages 
Jetaient  des  temples  dans  le  ciel,  au  bout  du  piton  d'un 
Tolcan  sacré  ;  toutes  les  fantaisies  de  la  terre,  de  la  végé- 
tation, de  rarchiteclure,  de  la  roche  déchiraient  l'horizon 
de  leur  pittoresque.  Du  fond  des  bonzeries  partaient  et 
s'évasaient  des  rayons,  des  éclairs,  des  gloires  jaunes 
palpitantes  de  vols  d'abeilles.  Et  des  divinités  apparais- 
saient, la  tête  nimbée  de  la  branche  d'un  saule,  et  le 
eorps  évanoui  dans  la  tombée  des  rameaux. 

ii. 


17i  MANETTE  SALOMON. 

Coriolis  feuilletait  toujours  :  et  devant  loi  passaient 
des  femmes,  les  unes  dévidant  de  la  soie  cerise,  les 
autres  peignant  des  éventails;  des  femmes  buvant  à  peti- 
tes gorgées  dans  des  tasses  de  laque  rouge  ;  des  femmes 
interrogeant  des  baquets  magiques;  des  femmes  glissant 
en  barques  sur  des  fleuves,  nonchalamment  penchées 
sur  la  poésie  et  la  fugitivité  de  l'eau.  Elles  avaient  des 
robes  éblouissantes  et  douces,  dont  les  couleurs  sem- 
blaient mourir  en  bas,  des  robes  glauques  à  écailles,  ou 
flottait  comme  Tombre  d'un  monstre  noyé^  des  robes 
brodées  de  pivoines  et  de  griffons,  des  robes  de  plumes, 
de  soie,  de  fleurs  et  d'oiseaux,  des  robes  étranges,  qui 
s'ouvraient  et  s'étalaient  au  dos,  en  ailes  de  papillon, 
tournoyaient  en  remous  de  vague  autour  des  pieds,  pla- 
quaient au  corps,  ou  bien  s'en  envolaient  en  rhabillant 
de  la  chimérique  fantaisie  d'un  dessin  héraldique.  Des 
antennes  d'écaillé  piquées  dans  les  cheveux,  ces  femmes 
montraient  leur  visage  pâle  aux  paupières  fardées,  leurs 
yeux  relevés  au  coin  comme  un  sourire;  et  accoudées 
sur  des  balcons,  le  menton  sur  le  revers  de  la  main, 
muettes,  rêveuses,  de  la  rêverie  sournoise  d'un  Debureau 
dans  une  pantomime,  elles  semblaient  ronger  leur  vie, 
en  mordillant  un  bout  de  leur  vêtement. 

El  d'autres  albums  faisaient  voir  à  Coriolis  une  volière 
pleine  de  bouquets,  des  oiseaux  d'or  becquetant  des 
fruits  de  carmin,  —  quand  tombait,  dans  ces  visions  du 
Japon,  la  lumière  de  la  réalité,  le  soleil  des  hivers  de 
Paris,  la  lampe  qu'on  apportait  dans  l'atelier 


Il  VIII 


—  La  Bastille  !  l'Odéon  !  Montmartre  !  Saint-Laurent  f 
les  correspondances  !...  Personne  n'a  de  correspondance? 

—  Tiens  !  tu  fais  très-bien  la  charge,  —  dit  Anatole, 
étonné  d'entendre  faire  une  imitation  au  grave  Coriolis. 


MANETTE  SALOMON.  17S 

— r..  Et  Tomnibus  repart...  Une  suite  de  nialechance:» 
ce  soir-là...  Un  mauvais  dîner  chez  Gamotelle...  de  la 
pluie,  pas  de  voitures,  et  l'omnibus!...  C'est  peut-être 
l'habitude  qui  me  manque...  mais  je  trouve  ça  morlel, 
Tomnibus...  cette  mécanique  qui  fait  semblant  d'aller  et 
qui  s'arrête  toujours!  On  voit  les  gens  sur  le  trolluir  qui 
vont  plus  vite  que  la  voiture...  Et  puis  rien  que  l'odeur  !... 
Ça  sent  toujours  le  chat  mouillé,  un  omnibus!...  Eiifm, 
Je  m'embêtais...  J'avais  fini  d'épeler  les  annonces  qu'on 
a  sur  la  tète,  la  bougie  de  l'Etoile,  la  benzine  Collas... 
Je  regardais  stupidement  des  maisons,  des  rues,  de 
grandes  machines  d'ombre,  des  choses  éclairées,  des 
becs  de  gaz,  des  vitrines,  un  petit  soulier  rose  de  femme 
dans  une  montre,  sur  une  étagère  de  glace,  des  bêtises, 
rien  du  tout,  ce  qui  passait...  J'en  étais  arrivé  à  suivre 
mécaniquement,  sur  les  volets  des  boutiques  fermées, 
l'ombre  des  gens  de  l'omnibus  qui  recommence  éternel- 
lement... une  série  de  silhouettes...  Pas  un  bonhomme 
curieux...  tous,  des  têtes  de  gens  qui  vont  en  omnibus.. - 
Des  femmes...  des  femmes  sans  sexe,  des  femmes  à  pa- 
quet... Zing!  le  cadran  du  conducteur,  un  voyageur!  II 
n'y  avait  plus  qu'une  place  au  fond...  Zing!  une  voya- 
geuse... complet  !  J'avais  en  face  de  moi  un  monsieur 
avec  des  lunettes  qui  s'obstinait  à  vouloir  lire  un  jour- 
nal... Il  y  avait  toujours  des  reflets  dans  ses  lunettes... 
Ça  me  fit  tourner  les  yeux  sur  la  femme  qui  venait  de 
monter...  Elle  regardait  les  chevaux  par-dessous  la  lan- 
terne, le  front  presque  contre  la  glace  de  la  voiture... 
une  pose  de  petite  fille...  l'air  d'une  femme  un  peu  gênée 
dans  un  endroit  rempli  d'hommes...  Voilà  tout...  Je  re- 
gardai autre  chose...  As-tu  remarqué,  toi,  comme  les 
femmes  paraissent  mystérieusement  jolies  en  voiture,  le 
soir?...  De  l'ombre,  du  fantôme,  du  domino,  je  ne  sais 
pas  quoi,  elles  ont  de  tout  cela.^.  un  air  voilé,  un  empa- 
qu  ''lage  voluptueux,  des  choses  d'elles  qu'on  devine  et 
qu  on  ne  voit  pas,  un  teint  vague,  un  sourire  de  nuit, 
avec  ces  lumières  qui  leur  battent  sur  les  traits,  tous  ces 
demi-reflets  qui  leur  flottent  sous  le  chapeau,  ces  grandes 


176  MANETTE  SALOMON. 

touches  de  noir  qu'elles  ont  dans  les  yeux,  leur  jupe 
même  remuante  d'ombres...  —  La  Madeleine!  le  bou« 
levard  !  la  Bastille  !  Pas  de  correspondance  !...  —  Tiens! 
elle  était  comme  ça...  tournée,  regardant,  un  peu  bais- 
sée... La  lueur  de  la  lanterne  lui  donnait  sur  le  front... 
c'était  comme  un  brillant  d'ivoire...  et  mettait  une  vraie 
poussière  de  lumière  à  la  racine  de  ses  cheveux,  des 
cheveux  floches  comme  dans  du  soleil...  trois  touches  de 
clarté  sur  la  ligne  du  nez,  sur  un  bout  de  la  pommette, 
sur  la  pointe  du  menton,  et  tout  le  reste,  de  l'ombre... 
Tu  vois  cela?...  Très- charmante  cette  femme...  et  c'est 
drMe,  pas  Parisienne...  Des  manches  courtes,  pas  de 
gants,  pas  de  manchettes,  la  peau  des  bras...  une  toilette, 
on  n'y  voyait  rien  dans  sa  toilette...  et  je  m'y  connais... 
une  tenue  de  grisette  et  de  bourgeoise,  avec  quelque 
chose  dans  toute  la  personne  de  déroutant,  qui  n'était 
pas  de  l'une  et  qui  n'était  pas  de  l'autre...  —  Auleuil! 
Bercy!  Charentonlle  Trône!  Palais-Royal!  Vaugirardl 
n*  ITln^lSIn**  19!... — Ici,  une  éclipse...  elle  a  tourné 
le  dos  à  la  lanterne...  sa  figure  en  face  de  moi  est  une 
ombre  toute  noire,  un  vrai  morceau  d'obscurité...  plus 
rien,  qu'un  coup  de  lumière  sur  un  coin  de  sa  tempe  et 
sur  un  bout  de  son  oreille  où  pend  un  petit  bouton  de 
diamant  qui  jette  un  feu  de  diable...  L'omnibus  va  tou- 
jours son  train...  Le  Carrousel,  le  quai,  la  Seine,  un  pont 
où  il  y  a  sur  le  parapet  des  plâtres  de  savoyard...  puis 
des  rues  noires  où  l'on  aperçoit  des  blanchisseuses  qui 
repassent  à  la  chandelle...  Je  ne  la  vois  plus  que  par 
éclairs...  toujours  sa  pose...  son  oreille  et  le  petit  dia- 
mant... Et  puis  tout  à  coup,  au  bout  de  cette  vilaine  rue 
du  Vieux-Colombier,  elle  a  fait  signe  au  conducteur... 
Mon  cher,  elle  a  passé  devant  moi  avec  une  marche,  des 
gestes  de  statue,  paroles  d'honneur...  Et  ce  n'est  pas 
facile  d'avoir  du  style,  une  femme,  en  omnibus...  Je  ne 
l'aï  un  peu  vue  qu'à  ce  moment-là...  elle  m'a  paru  avoir 
un  type,  un  type...  Elle  est  entrée  dans  un  sale  magasin 
où  il  y  a  en  montre  des  lorgnettes  en  ivoire  et  du  plaqué, 
—  Des  lorgnettes?  Au  27  ou  au  29  alors? 


MANETTE  SALOMGS 

—  Ail.'  le  numoro,  je  n'en  sais  rien. 

—  Un  magasiQ  de  vieux  neuf,  enfin!,..  Brune  et  des 
yeux  bleus  bizarres,  (a -femme,  n'est-ce  pas?... 

—  Je  crois... 

—  Oh  !  elle  est  bonne  !  C'est  la  Salomon... 

—  Salomon?  Hais  il  y  avait  une  vieille  femme,  il  me 
semble,  je  me  souviens,  dans  le  temps,  qui  nous  appor- 
tait de  la  parfumerie... 

—  Ça,  c'est  la  mère...  qui  a  fait  des  enfants,  des  boi- 
tes... tous  qui  posent...  la  mère  au  magasin,  à  la  bro- 
cante... Elle,  c'est  la  fille,  c'est  sa  dernière...  une  dix- 
huitaine  d'années...  Ton  affaire,  au  fait...  Serin  que  je 
suis!  je  n'y  avais  pas  pensé...  Manetle...  Manette  Salo- 
mon... 

—  Si  lu  lui  écrivais  de  ma  pari,  de  venir,  hein?  de 
venir  lundi,  liens...  Je  verrai  si  elle  me  va... 

—  Parraitemenl.,,Ah!  plus  de  papier...  Voilà  la  lettre 
de  mort  de  Piiillardio...  Je  prends  la  page  blanche,..  Oui 
e'esl  au  27  ou  au  29...  La  mère  lui  remettra...  Je  crois 
qu'elle  ne  demeure  plus  avec  elle... 


Le  lundi,  Manette  Salomon  ne  vint  pas,  Coriolis  l'at- 
tendit le  lendemain  et  les  autres  jours  de  la  semaine  : 
elle  ne  parut  pas,  n'écrivît  pas,  ne  fit  rien  dire.  Coriolis 
se  décida  à  chercher  un  autre  modèle. 

Il  passa  en  revue  les  corps  connus.  Il  Gt  poser  lout  ce 
qui  se  présentait  à  son  atelier,  les  poseuses  d'occasion 
et  de  misère,  Jusqu'à  une  pauvre  femme  qui  monta  sur 
la  table  en  cos|ume  d'Eve,  avec  son  chapeau,  son  voile 
et  un  oiseau  de  paradis  sur  la  télé.  Aucun  de  ces  galbes 
de  flamme  n'avait  le  caractère  de  lignes  qu'il  clierchait; 
et,  découragé,  s'en  remetlant  au  temps,  à  quelque  heu- 
reuse rencontre  pour  Irouver  l'inspirutionde  nature  qu'il 


178  MANETTE  SÀLOMON. 

Toulaityil  lâcha  sa  figure  principale  et  se  mit  à  retravail- 
ler le  reste  de  son  tableau. 

Un  soir  qu'Anatole  et  lui  battaient  les  boulevards, 
avec  une  soirée  vide  devant  eux,  Anatole  tomba  en  ar- 
rêt devant  raffiche  d'un  grand  bal  à  la  salle  Barthélémy. 
-  Tiens!  —  dit-il,  —  c'est  le  Carnaval  des  juifs...  si 
nous  y  allions? 

Ils  entrèrent  rue  du  Château-d'Eau  dans  la  salle  où  la 
fête  de  la  Ponrime,  —  le  vieil  anniversaire  de  la  chute 
d'Aman  et  de  la  délivrance  des  Juifs  parEsther,  —  était 
célébrée  par  un  bal  public. 

Quelques  pauvres  costumes,  les  oripeaux  du  «  décro- 
chez-moi ça  »,  de  vieilles  vestes  de  débardeur  couleur 
de  raisin  de  Corinthe  usé,  sautaient  au  milieu  des  pale- 
tots et  des  redingotes.  La  famille  et  Thonnêteté  apparais- 
saient çà  et  là  par  places,  sur  les  côtés  de  la  danse,  dans 
des  coins  où  s'élevaient  comme  un  mâchonnement  de 
mauvais  allemand,  un  patois  demi-français  sonnant  de 
consonnes  tudesques,  dans  les  files  de  vieilles  femmes 
branlant  de  la  tète  à  la  mesure  de  la  musique,  les  mains 
posées  à  plat  sur  les  genoux  avec  la  rii^idité  de  statues 
d'Egypte,  dans  des  groupes  d'enfants  parsemés  sur  le 
gradin  de  la  banquette,  souriant  et  dansant  des  yeux,  en 
remuant  à  demi  les  bras.  C'était  un  bal  qui  ressemblait, 
au  premier  aspect,  à  tous  les  autres  bals  parisiens,  où 
le  cancan  fait  le  plaisir.  Cependant,  au  bout  de  deux  ou 
trois  tours,  Coriolis  commença  à  y  démêler  un  caractère. 
Cette  foule,  pareille  de  surface  et  d'ensemble  à  toutes 
les  foules,  ces  hommes,  ces  femmes  sans  particularité 
frappante,  habillés  des  costumes,  des  airs  de  Paris,  et 
lout  Parisiens  d'apparence,  laissèrent  voir  bientôt  à  son 
œil  de  peintre  et  d'ethnographe  le  type  effacé,  mais  en- 
core visible,  les  traits  d'origine,  la  fatalité  de  signes  où 
survit  la  race.  Il  remarqua  des  visages  brouillés,  sur  les- 
quels se  mêlait  la  coupe  fière  de  profil  des  peuples  de 
désert  à  des  humilités  louches  de  commerces  douteux 
ie  grande  ville,  des  teints  plombés  tout  à  la  fois  par  un 
ancien  soleil  et  par  une  réverbération  de  vieil  argent* 


MANETTE  SALOMON.  179 

des  jeunes  gens  aux  cheveux  laineux,  à  la  tête  de  bëliery 
des  figures  à  cheveux  papillotes,  à  gros  diamant  faux 
sur  la  chemise,  étalant  ce  luxe  de  velours  gras  qu'aiment 
les  marchands  de  choses  suspectes,  les  petits  yeux  al- 
lumés de  la  fièvre  du  lucre,  et  des  sourires  d'Arabes 
dans  des  barbes  de  crin.  Il  reconnut,  sous  les  capuchons 
et  les  palatines,  ces  femmes  qu'il  avait  vues  au  plein  air 
du  Temple  et  dans  les  boutiques  de  la  rue  Dupelit- 
Thouars.  C'étaient  des  blondes  d'Alsace,  à  la  blondeur 
dorée  du  blé  mûr,  des  chevelures  noires  et  crêpées,  des 
nez  busqués,  des  ovales  fuyant  dans  des  pâleurs  ambrées 
déjoue  et  de  cou  où  se  détachait  la  coquille  rose  de  l'o- 
reille, des  coins  de  lèvres  ombrées  de  poil  follet,  des 
bouches  poussées  en  avant  comme  par  un  souffle  :  des 
épaules  décolletées  avaient  une  ombre  de  duvet  dans 
le  creux  du  dos.  A  toutes,  il  voyait  ces  yeux  tout  rap- 
prochés du  nez  et  tout  cernés  de  bistre,  ces  yeux  allu- 
més comme  de  femmes  poudrées,  ces  yeux  vifs  de  bête 
aux  cils  sans  douceur,  Uiâaaiu  à  nu  le  noir  d'un  regard 
étonné,  parfois  vague. 

—  Tiens!  la  Manette...  —  fit  tout  à  coup  Anatole,  et 
il  montra  à  Coriolisune  femme  qui  regardait  de  la  galerie 
d'en  haut  danser  dans  la  salle.  Coriolîs  aperçut  un  bras 
enveloppé  dans  un  châle  dénoué,  un  coude  appuyé  sur 
la  balustrade,  une  main  soutenant  une  tête,  un  bout  de 
profil,  un  ruban  feu  nouant  des  cheveux  pris  dans  une 
résille  à  perles  d'acier.  Immobile,  Manette  laissait  le  bal 
venir  à  ses  yeux,  avec  un  air  de  contentement  paresseux 
et  de  distraction  indifférente. 

—  Eh  bien!  —  dit  Coriolîs  à  Anatole  —  monte  lui 
demander  pourquoi  elle  n'est  pas  venue. 

Anatole  redescendit  de  la  galerie  au  bout  de  quelques 
instants. 

—  Mon  cher,  elle  est  furieuse...  Il  paraît  que  notre 
lettre  n'était  pas  signée...  Elle  m'a  dit  qu'il  n'y  a  qu'aux 
chiens  qu'on  écrit  sans  mettre  son  nom...  Et  puis,  elle 
s'est  encore  vexée  que  nous  ne  lui  ayons  pas  fait  Thon- 
oenr  d'une  feuille  de  papier  à  lettre  toute  neuve...  Je 


180  MANETTE  SÂLOMON. 

lui  ai  tout  dit  pour  la  radoucir...  Enfin,  si  tu  y  tiens, 
montons  là-haul...  Tu  n'as  qu'à  lui  faire  des  excuses.. 
Mets  ça  sur  moi,  dis  que  c'est  moi,  appelle-moi  pignouf... 
tout  ce  que  tu  voudras!...  Au  fond,  je  crois  qu'elle  a 
envie  de  venir...  Il  n'y  a  que  sa  dignité...  tu  comprends? 
La  dignité  de  mademoiselle!. ..A  lafm,  elle  m'a  demandé 
si  c'était  bien  de  toi  que  les  journaux  avaient  parlé... 
—  Et  comme  ils  montaient  le  petit  escalier  qui  allait  à  la 
galerie  :  — Ah!  tu  vas  en  voir,  par  exemple,  deux  sibylles 
avec  elle...  de  vrais  enfants  de  Moïse  et  de  Polichinelle! 

Manette  était  assise  à  une  table  où  posaient  trois  verres 
de  bière  à  moitié  vidés,  à  côté  de  deux  vieilles  femmes. 
L'une,  les  yeux  troubles  et  louches,  le  visage  rempli  et 
gêné  par  un  nez  énorme  et  crochu,  avait  l'air  d'une  ter- 
rible caricature  encadrée  dans  la  ruche  noire  d'un  im- 
mense bonnet  noué  sous  son  menton  de  galoche  ;  un 
fichu  de  soie,  aux  ramages  de  madras,  d'un  jaune  d'œil- 
iet  d'Inde,  croisait  sur  son  cou  décharné.  Les  yeux,  la 
bouche,  les  narines  remplis  du  noir  qu'ont  les  tètes  des- 
séchées, la  figure  charbonnce  comme  par  le  poilu  hor- 
rible d'une  singesse,  l'autre  portail,  rejeté  en  arrière 
sur  des  cheveux  de  négresse,  un  chapeau  blanc  de  mar- 
chande à  la  toilette,  orné  d'une  rose  blanche;  et  des  effilés 
de  poils  de  chèvre  pendaient  des  épaulettes  de  sa  robe. 

Anatole  fit  la  présentation,  et  s'attabla  avec  son  ami  à 
la  table  des  trois  femmes  qui  se  serrèrent  pour  leur 
faire  place.  Coriolis  parla  à  Manette,  s'excusa.  Manette 
le  laissa  parler  sans  l'interrompre,  sans  paraître  l'en- 
tendre ;  puis  quand  il  eut  fini,  tournant  vers  lui  un  de 
ces  regards  <  grande  dame  »  qu'ont  tous  les  yeux  de 
femme  quand  ils  le  veulent,  elle  le  toisa  du  bout  des 
Lottes  jusqu'à  la  racine  des  cheveux,  détourna  la  tête, 
et,  après  un  silence,  elle  se  décida  à  lui  dire  qu'elle  vou- 
lait bien,  et  qu'elle  viendrait  c  prendre  la  pose  »  le 
lundi  suivant.  Et  presque  aussitôt,  tirant  de  sa  ceinture 
sa  petite  montre  pendue  à  la  chaîne  d'or  qui  battait  sur 
sa  robe  de  soie  noire,  elle  se  leva,  salua  Coriolis,  et  dis- 
parut suivie  de  ses  deux  monstres  gardiens. 


>NKTTK  SALÛMOJL  fM 


Le  iandi,  Manette  ftit  exacte.  Après  quelques  mots, 
eUe  commença  à  se  déshabiller  lentement,  rangeant  avec 
ordre  sur  le  divan  les  vêtements  qu*elle  quittait.  Puis 
elle  monta  sur  la  table  à  modèle  avec  sa  chemise  re- 
montée contre  sa  poitrine,  et  dont  elle  tenait  entre  ses 
dents  le  festonnage  d'en  haut,  dans  le  mouvement 
ramassé,  pudique,  d'une  femme  honnête  qui  change  de 
linge. 

Car,  malgré  leur  métier  et  leur  habitude,  ces  femmes 
ont  de  ces  hontes.  La  créature  bientôt  publique  qui  va 
se  livrer  toute  aux  regards  des  hommes,  a  les  rougeurs  de 
l'instinct,  tant  que  son  talon  ne  mord  pas  le  piédestal  de 
bois  qui  fait  de  la  femme,  dès  qu'elle  s'y  dresse,  une 
statue  de  nature,  immobile  et  froide,  dont  le  sexe  n'est 
plus  rien  qu'une  forme.  Jusque-là,  jusqu'à  ce  moment 
où  la  chemise  tombée  fait  lever  de  la  nudité  absolue  de 
la  femme  la  pureté  rigide  d'un  marbre,  il  reste  toujours 
un  peu  de  pudicité  dans  le  modèle.  Le  déshabillé,  le 
glissement  de  ses  vêtements  sur  elle,  Tidée  des  mor- 
ceaux de  sa  peau  devenant  nus  un  à  un,  la  curiosité  de 
ces  yeux  d'hommes  qui  ratlendent.  Fat-  lier  où  n'est  pas 
encore  descendue  la  sévérité  de  l'étude,  tout  donne  à  la 
poseuse  une  vague  et  involontaire  liinidilé  féminine  qui 
la  fait  se  voiler  dans  ses  gestes  et  s'envelopper  dans  ses 
poses.  Puis,  la  séance  finie,  la  femme  revient  encore,  et 
se  retrouve  à  mesure  qu'elle  se  rhabille.  Oa  dirait 
qu'elle  remet  sa  pudeur  en  remettant  sa  chemise.  Et 
celle-là  qui  donnait  à  tous,  il  n'y  a  qu'un  instant,  toute  la 
vue  de  sa  jambe,  se  retournera  pour  qu'on  ne  la  voie 
pas  attacher  sa  jarretière. 

C'est  dans  la  pose  seulement  que  la  femme  n'est  plus 
femme,  et  que  pour  elle  les  hommes  ne  sont  plus  des 
hommes.  La  représentation  de  sa  personne  (a  laisse  S4*tg 


m  MANETTE  SALOMOll, 

gêne  et  sans  honte.  Elle  se  voit  regardée  par  des  yeui 
d'artistes;  elle  se  voit  nue  devant  le  crayon,  la  palette, 
rébauchoir,  nue  pour  Fart  de  cette  nudité  presque  sacrée 
qui  fait  taire  les  sens.  Ce  qui  erre  sur  elle  et  sur  les  plus 
intimes  secrets  de  sa  cbair,  c'est  la  contemplation  sereine 
el  désintéressée,  c'est  l'attention  passionnée  et  absorbée 
du  peintre,  du  dessinateur,  du  sculpteur,  devant  ce 
morceau  du  Vrai  qu'est  son  corps  :  elle  se  sent  être 
pour  eux  ce  qu'ils  cherchent  et  ce  qu'ils  travaillent  en 
elle,  la  vie  de  la  ligne  qui  fait  rêver  le  dessin. 

De  là  aussi,  chez  les  modèles,  ces  répugnances,  cette 
défense  contre  la  curiosité  des  amis,  des  connaissances 
venant  visiter  un  peintre,  ces  peurs,  ces  alarmes  devant 
tous  les  gens  qui  ne  sont  pas  du  métier,  ce  trouble  sous 
ces  regards  embarrassants  d'intrus  qui  regardent  pour 
regarder,  et  qui  font  que  tout  à  coup,  au  milieu  d'une 
séance,  un  corps  de  femme  s'aperçoit  qu'il  est  nu  et  se 
trouve  tout  déshabillé.  —  Un  jour,  dans  l'atelier  de 
M.  Ingres,  une  femme  posait  devant  trente  élèves,  trente 
paires  d'yeux;  tout  à  coup,  oa  la  vit  se  précipiter  de  la 
table  à  modèle,  effarée,  frissonnante,  honteuse  de  toute 
la  peau,  el  courant  à  ses  vêtements  se  couvrir  bien  vite 
tant  bien  que  mal  du  premier  qu'elle  trouva  :  qu'avait- 
elle  vu?  Un  couvreur  qui  la  regardait  d'un  toit  voisin, 
par  la  baie  au-dessus  de  sa  tête. 

Cette  honte  de  femme  dura  une  seconde  chez  Manette. 
Soudain,  elle  laissa  tomber  de  ses  dents  desserrées  la 
fine  toile  qui  glissa  le  long  de  son  corps,  fila  de  ses 
reins,  s'aflaissa  d'un  seul  coup  au  bas  d'elle,  tomba  sur 
ses  pieds  comme  une  écume.  Elle  repoussa  cela  d'un 
petit  coup  de  pied,  le  chassa  par  derrière  ainsi  qu'une 
queue  de  robe;  puis,  après  avoir  abaissé  sur  elle-même 
un  regard  d'un  moment,  un  regard  où  il  y  avait  de 
Tamour,  de  la  caresse,  de  la  victoire,  nouant  ses  deux 
bras  au-dessus  de  sa  tête,  portant  son  corps  sur  une 
hanche,  elle  apparut  à  Coriolis  dans  la  pose  de  ce  mar- 
bre du  Louvre  qu'on  appelle  le  Génie  du  repos  éternel. 

La  riature  est  une  grande  artiste  inégale.  U  y  a  de» 


V 

\ 


MANETTE  SALOMON. 

milliers,  des  millions  de  corps  qu'elle  semble  à  peine 
dégrossir,  qu'elle  jette  à  la  vie  à  demi  façonnés,  et  qiii 
paraissent  porter  la  marque  de  la  vulgarité,  de  la  hâte, 
de  la  négligence  d'une  création  productive  et  d'une  fa- 
brication banale.  De  la  pâte  humaine,  on  dirait  qu'elle 
tire,  comme  un  ouvrier  écrasé  de  travail,  des  peuples  de 
laideur,  des  multitudes  de  vivants  ébauchés,  manques, 
des  espèces  d'images  à  la  grosse  de  l'homme  et  de  la 
femme.  Puis  de  temps  en  temps,  au  milieu  de  toute 
cette  pacotille  d'hnmnnilé,  elle  choisit  un  être  au  hasard, 
comme  pour  empcv  ;^^  de  mourir  l'exemple  du  Beau. 
Elle  prend  un  corps  <jirelle  polit  et  finit  avec  amour, 
avec  orgueil.  Et  c'est  alors  un  véritable  et  divin  être  d'art 
qui  sort  des  mains  artistes  de  la  Nature. 

Le  corps  de  Manette  était  un  de  ces  corps-là  :  dans 
Fatelier,  sa  nudité  avait  mis  tout  à  coup  le  rayonnement 
d'un  chef-d'œuvre. 

Sa  main  droite,  posée  sur  sa  tète  à  demi  tournée  et 
un  peu  penchée,  retombait  en  grappe  sur  ses  cheveux; 
sa  main  gauche,  repliée  sur  son  bras  droit,  un  peu  au- 
^  dessus  du  poignet,  laissait  glisser  contre  lui  trois  de  ses 
doigts  fléchis.  Une  de  ses  jambes,  croisée  par  devant^ 
ne  posait  que  sur  le  bout  d'un  pied  à  demi  levé,  le  talon 
en  l'air;  l'autre  jambe,  droite  et  le  pied  à  plat,  portail 
réquilibre  de  toute  l'attitude.  Ainsi  dressée  et  appuyée 
sur  elle-même,  elle  montrait  ces  belles  lignes  étirées  et 
remontantes  de  la  femme  qui  se  couronne  de  ses  bras. 
Et  l'on  eût  cru  voir  de  la  lumière  la  caresser  de  la  tête 
aux  pieds  :  l'invisible  vibration  de  la  vie  des  contours 
semblait  faire  frémir  tout  le  dessin  de  la  femme,  répan- 
dre, tout  autour  d'elle,  un  peu  du  bord  et  du  jour  de  son 
corps. 

Coriolis  n'avait  pas  encore  vu  des  formes  si  jeunes  et 
si  pleines,  une  pareille  élégance  élancée  et  serpentine, 
une  si  fine  délicatesse  de  race  gardant  aux  attaches  de 
la  femme,  à  ses  poignets,  à  ses  chevilles,  la  fragilité  et 
la  minceur  des  attaches  de  l'enfant.  Un  moment,  il 
•'oublia  â  s'éblouir  de  cette  femme,  de  cette  chair,  une 


184  MANETTE  SALOMON. 

chair  de  brune,  mate  et  absorbant  la  clarté,  blanche  de 
cette  chaude  blancheur  du  Midi  qui  efface  les  blancheurs 
nacrées  de  TOccident,  une  de  ces  chairs  de  soleil,  dont 
la  lumière  meurt  dans  des  demi-teintes  de  rose  thé  et  des 
ombres  d'ambre. 

Ses  yeux  se  perdaient  sur  cette  coloration  si  riche  et 
si  fine,  ces  passages  de  ton  si  doux,  si  variés,  si  nuancés, 
que  tant  de  peintres  expriment  et  croient  idéaliser  avec 
un  rose  banal  et  plat:  ils  embrassaient  ces  fugitives 
transparences,  ces  tendresses  et  ces  tiédeurs  de  couleurs 
qui  ne  sont  plus  qu'à  peine  des  couleurs,  ces  impercep- 
tibles apparences  d'un  bleu,  d'un  vert  presque  insensible, 
ombrant  d'une  adorable  pâleur  les  diaphanéités  laiteuses 
de  la  chair,  tout  ce  délicieux  je  ne  sais  quoi  de  l'épi- 
derme  de  la  femme,  qu'on  dirait  fait  avec  le  dessous  de 
l'aile  des  colombes,  l'intérieur  des  roses  blanches,  la 
glauque  transparence  de  l'eau  baignant  un  corps.  Len- 
tement, l'artiste  étudiait  ces  bras  ronds,  aux  coudes  rou- 
gissants, qui,  levés,  blanchissaient  sur  ces  cheveux  bruns, 
ces  bras  au  bas  desquels  la  lumière,  entrant  dans  l'om- 
bre de  l'aisselle,  montrait  des  fils  d'or  frisant  dans  du 
jour;  puis,  le  plan  ferme  de  la  poitrine  blanche  et  azurée 
de  veinules  ;  puis  cette  gorge  plus  rosée  que  la  gorge 
des  blondes,  et  où  le  bout  du  sein  était  de  la  nuance 
naissante  de  l'hortensia. 

Il  suivait  l'indication  presque  tremblée  des  côtes,  la 
ligne  à  peine  éclose  d'un  torse  de  jeune  fille,  encore 
contenu  et  comprimé  dans  sa  grâce,  à  demi  mûr,  serré 
dans  sa  jeunesse  comme  dans  l'enveloppe  d'un  bouton. 
Une  taille  à  demi  épanouie,  libre,  roulante,  heureuse, 
comme  la  taille  des  femmes  qui  n'ont  jamais  porté  de 
corset,  lui  montrait  cette  jolie  indication  molle  et  sans 
coupure,  la  ceinture  naturelle  marquée  d'un  sinus 
d'amour  dans  le  bronze  et  le  marbre  des  statues  antiques. 
De  cette  taille,  son  regard  allait  au  douillet  modelage, 
aux  inflexions,  aux  méplats,  à  la  rondeur  enveloppée,  à 
la  douce  et  voluptueuse  ondulation  d'un  ventre  de  vierge, 
d'un  ventre  innocent,  presque  enfantin,  sculpté  dans  sa 


MANETTE  SALOMON.  185 

mollesse  et  délicatement  dessiné  dans  le  flou  de  sa  chair  : 
une  petite  lumière,  à  demi  coulée  au  bord  du  nombril, 
semblait  une  goutte  de  rosée  glissant  dans  l'ombre  et 
le  cœur  d'une  fleur.  Il  allait  à  ce  bas  du  ventre,  où  il  y 
avait  de  la  convexité  d'une  coquille  et  du  rentrant  d'une 
vague,  à  l'arc  dos  hanches,  à  ces  cuisses  charnues,  ca- 
ressées, sur  le  doux  grain  de  leur  peau,  de  blancheurs 
tranquilles  et  de  lueurs  dormantes,  à  ces  genoux  moel- 
leux, délicats  et  noyés,  cachant  si  coquettement  sous 
leurs  demi-fossetles  l'agrafe  des  muscles  et  le  nœud  des 
os,  à  ces  jambes  polies  et  lustrées,  qui  semblaient  gar- 
der chez  Manette,  comme  chez  certaines  femmes,  le 
luisant  d'un  bas  de  soie,  à  ce  fuseau  de  la  cheville,  à  ces 
malléoles  de  petite  fille,  où  s'attachait  un  tout  petit 
pied,  maigre  et  long,  l'orteil  en  avant,  les  doigts  un  peu 
rosés  au  bout... 

Sous  cette  attention  qui  semblait  ne  pas  travailler, 
Manette  à  la  fin  éprouva  une  sorte  d'embarras.  Laissant 
retomber  ses  bras  et  décroisant  ses  jambes,  elle  parut 
demander  à  Coriolîs  de  lui  indiquer  la  pose. 

—  Nom  d'un  petit  bonhomme!  —  s'écria  Anatole 
dans  un  élan  d'admiration,  et  mettant  sur  ses  genoux 
un  carton,  il  commença  à  tailler  un  fusain. 

—  Tu  vas  faire  une  étude,  loi?  —  lui  dit  Corîolis  avec 
un  c  toi  »  assez  durement  accentué. 

—  Un  peu...  Je  ne  t'ai  pas  dît...  un  fabricant  de  pa- 
pier à  cigarettes...  II  m'a  demandé  une  Renommée  gran- 
deur nature...  Quatre  cents  balles!  s'il  vous  plaît. 

Coriolis,  sans  répondre,  alla  à  Manette,  la  mit  dans 
la  pose  de  sa  baigneuse,  revint  à  sa  place  et  se  mit  à 
travailler.  De  temps  en  temps,  il  s'arrêtait,  tirait  et 
froissait  sa  moustache,  regardait  de  côté  Anatole,  auquel 
il  finit  par  dire  : 

—  Tu  es  assommant  avec  ton  tic!...  Tu  ne  sais  pas 
comme  c'est  nerveux... 

Anatole  avait  pris  la  bizarre  habitude,  toutes  les  fois 
qu'il  peignait  ou  dessinait,  de  se  mordiller  perpétuelle- 
ment un  bout  de  la  langue  "^u'il  avançait  à  un  coin  de 

16. 


186  MANETTE  SALOMON. 

ta  bouche,   comme*  la  langue  d'un  chien  de  chaife, 

—  Je  vais  te  tourner  le  dos^  voilà  tout... 

—  Non,  tiens,  laisse-moi...  va-t'en,  veux-tuî  Au- 
jourd'hui... je  ne  sais  ce  que  j'ai...  j'ai  besoin  d'être 
seul  pour  faire  quelque  chose... 

Le  lendemain  et  pendant  tout  le  mois,  Anatole  alla  se 
promener  pendant  la  séance  de  Manette  :  il  avait  pria 
son  parti  de  faire  sa  Renommée  c  de  chic  >• 


LI 


—  Qu'est-ce  que  tu  as  fait  hier?  —  disait  un  matin  à 

la  fin  du  déjeuner  Coriolis  à  Anatole. 

—  Hier,  J'ai  été  au  Père-Lachaîse. 

—  Et  aujourd'hui? 

—  Ma  foi,  je  pourrais  bien  y  retourner...  je  trouve  ça 
très-amusant  comme  promenade... 

—  Ça  ne  te  fait  pas  penser  à  la  mort? 

—  Oh!  à  celle  des  autres...  pas  à  la  mienne...  —  fit 
Anatole  avec  un  mot  dans  lequel  il  était  tout  entier. 

Il  y  eut  un  silence.  Les  idées  de  Coriolis  semblèrent 
se  perdre  dans  la  fumée  de  sa  pipe;  puis  il  lui  échappa, 
eomme  s'il  pensait  tout  haut  : 

—  Un  drôle  d'être!  En  voilà  pas  mal  que  je  vois...  Je 
n'en  ai  pas  encore  vu  une  comme  ça... 

El  se  tournant  vers  Anatole  : 

—  Figure-toi  une  femme  qui  travaille  avec  vous  jusqu'à 
ce  qu'elle  soit  tombée  dans  votre  pose...  Et  une  fois 
qu'elle  y  est,  c'est  superbe!...  on  bûcherait  deux  heures, 
qu'elle  ne  bougerait  pas...  C'est  qu'elle  a  l'air  de  porter 
un  intérêt  à  ce  que  vous  faites...  Oh!  mon  cher,  c'est 
étonnant...  Tu  sais,  ça  se  voit  quand  ça  ne  va  pas...  D  y 
a  des  riens...  un  mouvement  de  lèvres,  un  geste...  On 
est  nerveux...  il  vous  passe  des  inquiétudes  dans  le 
«orps...  Enfin,  ça  se  VQit...  Eh  bieni  cette  màtine-U^ 


MANETTE  SALOMON.  18T 

quand  elle  voyait  que  ça  ne  marchait  pas,  elle  avait  l'air 
aussi  ennuyé  que  ma  peinture...  Et  puis  quand  j'ai  com- 
mencé à  m'écliaufFer,  quand  ça  s'est  mis  à  venir,  voilà 
qu'elle  a  eu  un  air  content!  Il  me  semblait  qu'elle  s'épa- 
nouissait... Tiens!  je  vais  te  dire  quelque  chose  de  stu- 
pide  :  on  aurait  dit  que  sa  peau  était  heureuseî ...  Vrai! 
je  voyais  le  reflet  de  ma  toile  sur  son  corps,  et  il  me 
semblait  qu'elle  était  chatouillée  là  où  ie  donnais  un 
coup  de  pinceau...  Une  bêtise,  je  te  dis...  quelque  chose 
de  bizarre  comme  le  magnétisme,  le  courant  de  caresse 
d'un  portrait  à  une  figure...  Et  puis,  à  chaque  repos,  si 
tu  avais  vu  sa  comédie!...  Tiens,  comme  ça...  son  jupon 
à  demi  passé,  la  chemise  serrée  à  deux  mains  sur  sa 
poitrine,  en  tas,  comme  un  mouchoir  de  poche.,  elle 
venait  regarder  avec  une  petite  moue,  en  se  penchant.. 
Elle  ne  disait  rien...  elle  se  reganiail...  une  femme  qui 
se  voit  dans  une  glace,  absolument...  Et  quand  cNi.n't 
fini,  elle  s'en  allait  avec  un  mouvement  d'épaules  con- 
tent... Elle  venait  toujours  les  pieds  dans  ses  petits  sou- 
liers, sans  mettre  les  quartiers...  C'est  très-gentil  les 
femmes  qui  boitent,  qui  clochent,  comme  ça...  lh\e 
drôle  de  femme  tout  de  même!...  Quand  je  la  fais  di^* 
jeûner,  elle  me  parle  tout  le  lemps  des  tableaux  où  elle 
est,  de  ce  qu'elle  a  posé...  Oh!  d'abord,  elle  n'aurait 
donné  qu'une  séance,  il  y  aurait  eu  dix  autres  femmes 
après  elle,  ça  ne  fait  rien,  c'est  elle,  et  pas  les  autres... 
Là-dessus,  il  ne  faut  pas  la  contrarier  :  elle  vous  grilTe- 
raît!  Elle  est  d'une  jalousie  sur  ces  questions-h^...  et 
éreinteuse!  Je  t'assure  que  c'est  amusant  de  l'entendre 
abîmer  ses  petites  camarades...  Elle  en  fait  des  portraits! 
Jusqu'à  des  noms  de  muscles  qu'elle  a  retenus  pour  les 
échigner!...  c'est  très-malin  ça...  Oh!  une  vraie  vanité... 
C'en  est  comique...  D'abord,  c'est  toujours  elle  qui  a 
trouvé  le  mouvement...  Elle  est  persuadée  que  c'est  son 
corps  qui  fait  les  tableaux...  Il  y  a  des  femmes  qui  se 
voient  une  immortalité  n'importe  où,  dans  le  ciel,  dans 
le  paradis,  dans  des  enfants,  dans  le  souvenir  de  qucl- 
qu'un...  elle,  c'est  sur  la  toile!  pas  d'autre  idée  que  ça... 


IB8  MANETTE  SALOxMON. 

L'autre  jour,  sais-tu  ce  qu'elle  m'a  fait?  Il  me  fallait  un 
dessin  de  draperie...  Je  l'arrange  sur  elle...  je  la  vois 
qui  fait  une  tête...  une  télé!  Figure-toi  une  reine  qu'on 
insulte!...  Moi,  je  ne  comprenais  pas  d'abord...  Et  puis 
c'est  devenu  si  visible!  Elle  avait  si  bien  l'air  de  me  dire  : 
Pour  qui  me  prenez- vous?  Est-ce  que  je  suis  un  manne- 
quin, moi?  Vous  n'avez  droit  qu'à  ma  nudité  pour  vos 
cinq  francs...  Et  avec  cela  elle  posait  si  mal,  et  une  fi- 
gure si  maussade...  j'ai  été  obligé  d*y  renoncer...  D 
faudra  que  j'en  prenne  une  autre  pour  les  draperies... 
Depuis,  elle  m'a  dit  qu'elle  ne  posait  jamais  pour  ça, 
qu'elle  n'avait  pas  osé  me  le  dire...  Et  si  tu  savais  de 
quel  ton  elle  m'a  dit  :  pour  ça!.,.  Elle  trouvait  que  je 
lui  avais  manqué,  positivement...  J'étais  pour  elle  un 
homme  qui  ferait  un  porte-manteau  de  la  Vénus  de 
HiloI 


LU 


Ce  jour-là,  Coriolis  avait  dit  à  Anatole  de  ne  pas  l'at- 
lendre.  Il  devait  dîner  dehors  et  ne  rentrer  que  fort 
tard,  s'il  rentrait. 

Anatole,  se  trouvant  seul,  alla  passer  sa  soirée  au  café 
de  Fleurus. 

Le  café  de  Fleurus,  dans  la  rue  de  ce  nom,  au  coin 
du  jardin  du  Luxembourg,  était  alors  une  espèce  de 
cercle  artistique  fondé  par  Français,  Achard,  Nazon, 
Schulzenberger,  Lambert,  et  quelques  autres  paysagistes, 
auxquels  s'étaient  joints  des  peintres  de  genre  et  d'his- 
toire, Toulmouclie,  Hamon,  Gérôme.  Dans  la  salle,  dé- 
corée de  peintures  par  les  habitués  et  ornée  d'une  figure 
de  la  grande  Victoire  entourée  de  l'allégorie  de  ses 
amours,  un  dîner  des  vendredis  s'était  organisé  sous  le 
nom  de  Dîner  des  grands  hommes.  Le  dîner,  restreint 
d'abord  à  un  petit  nombre  de  peintres,  puis  ouvert  à  des 


MANETTE  SALOHOll  I8t 

médecins,  i  des  internes  d'hôpitaux,  avait  bientôt  été 
égayé  par  la  surprise  d'une  loterie,  tirée  à  chaque  des- 
sert, et  imposant  au  gagnant  robligation  de  fournir  un 
lot  pour  le  dîner  suivant.  De  là,  une  succession  de  lois 
d'artistes,  d'objets  d'art,  de  meubles  ridicules,  de  des- 
sins et  de  pots  de  chambre  à  œil,  de  bronzes  et  de  cly- 
sopompes,  de  tableaux  et  de  bonnels  grecs,  une  tombola 
Ze  souvenirs  et  mystifications  qui  faisaient  éclater  chaque 
fois  de  gros  rires.  Peu  à  peu  la  table  s'agrandissait  :  elle 
arrivait  à  compter  une  cinquantaine  de  convives,  lors  du 
retour  de  la  colonie  pompéienne,  après  la  fermeture  de 
la  Boîte  à  théy  cet  essai  de  phalanstère  d'art,  sur  les 
terrains  de  la  rue  Notre-Dame-des-Champs,  licencié, 
dispersé  par  le  mariage,  l'envolée  des  uns  et  des  autres. 
Ce  dîner,  l'habitude  de  chaque  soir,  avait  fait  du  café  une 
sorte  de  club  gai,  spirituel,  où  la  cordialité  se  respirait 
dans  une  réunion  de  camarades  et  de  gens  de  talent. 
Anatole  y  jenait  souvent;  Coriolis  y  apparaissait  quel- 
quefois. 

—  Imaginez-vous  —  disait  un  des  habitués  —  imagi- 
nez-vous!... il  m'est  tombé  une  fois  un  bourgeois  qui 
m'a  dit  :  «  Monsieur,  je  voudrais  être  peint  sous  l'inspi- 
ration du  Dieu...  —  Comment,  sous  l'inspiration  du 
Dieu? —  Oui...  après  avoir  entendu  Rubini...  J'aime 
beaucoup  la  musique...  Pourriez-vous  rendre  cela?...  » 
Vous  croyez  que  c'est  tout?  Quand  je  l'ai  eu  peint,  sous 
rinspîration  du  Dieu,  il  m'a  amené  son  tailleur...  Oui, 
il  m'a  amené  Staub,  pour  vérifier  sur  son  portrait  la  pi- 
qûre de  son  gilet!...  Non,  on  ne  saura  jamais  combien 
ils  sont  bêtes  les  bourgeois! 

Après  cette  histoire,  ce  fut  une  autre.  Chacun  jetait 
son  anecdote,  son  mot,  son  trait;  et  chaque  nouveau 
récit  était  salué  par  des  hourras,  des  risées,  des  gro- 
gnements, des  rires  enragés,  une  sauvagerie  de  joie  qui 
avait  l'air  de  vouloir  manger  de  la  Bourgeoisie.  On  eût  cru 
entendre  toutes  les  haines  instinctives  de  l'art,  tous  les 
mépris,  toutes  les  rancunes,  toutes  les  révoltes  de  sang 
et  de  race  du  peuple  des  ateliers,  toutes  ses  antipathies 


190  MANETTE  SALOMON. 

foncières  et  nationales  se  lever  dans  un  toile  furieui 
eontre  ce  monstre  conoique,  le  bourgeois,  tombé  dans 
cette  Fosse  aux  artistes  qui  se  déchiraient  ses  ridicules  I 
—  El  toujours  revenait  le  refrain  :  —  Non,  non,  ils  sont 
trop  bêtes,  les  bourgeois! 

—  Tiens!  —  fit  Anatole  en  voyant  entrer  Coriolis  qui 
laissait  voir  un  air  mal  dissimulé  de  mauvaise  humeur. 

—  C'est  toi?  —  lui  dit-il.  —  Qu'est-ce  que  tu  prends? 

—  Rien..^ 

Et  Coriolis  resta  muet,  battant,  avec  les  ongles,  une 
mesure  de  colère  sur  le  marbre  de  la  table,  à  côté 
d'Anatole. 

—  Qu'est-ce  que  tu  as?  —  lui  demanda  Anatole  an 
bout  de  quelques  instants. 

—  Ce  que  j'ai?...  J'étais  avec  une  femme  à  la  porto 
Saint-Martin...  Elle  m'a  quitté  à  dix  heures...  pour  être 
rentrée  à  dix  heures  et  demie...  parce  qu'elle  tient  à  la 
considération  de  son  portier!  Comprends-tu?  Yoilàl 

—  Elle  est  drôle!...  Qui  ça  donc?  —  fit  Anatole. 
Coriolis  ne  répondit  pas,  et  se  lançant  dans  une  dis- 

<îussion  engagée  à  la  table  à  côte,  il  étonna  le  café  par 
une  défense  passionnée  de  la  momiey  des  éclats  de  voix 
terribles,  une  argumentation  agressive  et  violente,  un 
accent  de  contradiction  vibrant,  agaçant,  blessant.  D 
abîma  le  bilume  comme  un  ennemi  personnel,  comme 
quelqu'un  sur  lequel  il  aurait  voulu  se  venger;  et  il 
laissa  son  défenseur,  TinoiTensif  et  placide  Buchelet, 
étourdi,  aplati,  ne  sachant  ce  qui  avait  pris  à  Coriolis, 
d'où  venait  cette  subite  animosité,  cassante  et  fiévreuse, 
montée  tout  à  coup  dans  la  parole  de  son  contradicteur. 


LUI 


Quelques  semaines  après  cette  scène,  Coriolis  et  Ana- 
tole, revenant  de  chez  le  marchand  de  couleurs  Des- 


MANETTE  SALOMON 


■  ^ 


forges,  et  surpris,  dans  le  Palais-Royai,  par  une  ondée 
de  printemps,  se  promenaient  sous  les  galeries,  en 
attendant  la  fin  de  l'averse.  Ils  firent  un  tour,  deux  tours  ; 
puis  Goriolis,  s'appuyant  contre  une  grille  du  jardin,  se 
mit  à  regarder  devant  lui,  d'un  air  distrait  et  absorbé. 

La  pluie  tombait  toujours,  une  plaie  douce,  tendre, 
pénétrante,  fécondante.  L'air,  rayé  d'eau,  avait  une  la- 
▼are  de  ce  bleu  violet  avec  lequel  la  peinture  imite  la 
transparence  du  gros  verre.  Dans  ce  jour  de  neutre  al- 
teinte  liquide,  le  jet  d'eau  semblait  un  bouquet  de 
lumière  blanche,  et  le  blanc  qui  habillait  des  enfants 
avait  la  douceur  diflîise  d'un  rayonnement.  La  soie  des 
parapluies  tournant  dans  les  mains  jetait  çà  et  là  un 
éclair.  Le  premier  sourire  rif  du  vert  commençait  sur  les 
branches  noires  des  arbres,  où  l'on  croyait  voir,  comme 
des  coups  de  pinceaa,  des  touches  printanières  semant 
des  frottis  légers  de  cendre  verte.  Et  dans  le  fond,  le 
jardin,  les  passants,  le  bronze  rouillé  de  la  Chasseresse, 
la  pierre  et  les  sculptures  du  palais,  apparaissaient,  s'es- 
tompant  dans  un  lointain  mouillé,  trempant  dans  un 
brouillard  de  cristal,  avec  des  apparetices  molles  d'images 
noyées. 

Anatole,  qui  commençait  à  s'ennuyer  de  voir  son 
compagnon  planté  là  et  ne  bougeant  pas,  essaya  de  jeter 
quelques  mots  dans  sa  contemplation  :  Goriolis  ne  parut 
pas  l'entendre.  Anatole,  à  la  fin,  le  prenant  par  le  bras, 
l'entraîna  vers  une  voiture  d'où  descendait  du  monde, 
à  un  passage  de  la  rue  de  Valois.  Goriolis  monta  machi- 
nalement, et  laissa  encore  tomber  dans  le  silence  les 
paroles  d'Anatole. 

—  Ah  ça!  mon  cher,  —  lui  dit  au  bout  de  quelque 
emps  Anatole  impatienté,  —  sais-tu  que  ta  me  far 
l'efiet  d'un  homme  qu'on  met  dedans?  -" 

—  Moi?  —  dit  Goriolis. 

—  Toi-même...  avec  cette  petite...  Mais  Buchelet  lui 
a  plu  à  la  quatrième  séance!  Buchelet!  juge! 

—  Il  n'y  a  pas  que  Buchelet,  —  fit  Goriolis. 

—  Ah!  —  fit  Anatole  en  le  regardant.  Alors  quoi? 


I 


192  MANETTE  SALOMON. 

— Alors...  alors... — dit  Coriolis d'un  ton  sourd,  et  s'ac 
rêtant  avec  reffort  d*un  homme  habitué  à  garder  ses  [ 
pensées,  à  refouler  ses  émotions,  à  se  renfoncer  le  cœur 
dans  la  poitrine,  —  alors...  tiens,  laisse-moi  tranquille, 
hein,  veux-tu?  et  parlons  d'autre  chose. 

Ainsi  qu'il  venait  de  le  dire  à  Anatole,  Coriolis  avait 
été  aussi  vite  et  aussi  facilement  heureux  que  le  petit 
Buchelet.  Mais  ce  caprice,  qu'il  croyait  user  en  le  satis- 
faisant, s'était  enflammé,  une  fois  satisfait.  Il  s'était 
changé  en  une  sorte  d'appétit  ardent,  irrité,  passionné, 
de  cette  femme;  et  dès  le  lendemain,  Coriolis  se  sentait 
devenir  jaloux  de  ce  modèle,  du  passé  et  du  présent  de 
ce  corps  public  qui  s'offrait  à  l'art,  et  sur  lequel  il  voyait 
en  ne  voulant  pas  les  voir,  les  yeux  des  autres.  Des  co- 
lères auxquelles  ses  amis  ne  comprenaient  rien,  l'ani- 
maient contre  ceux  qui  avaient  fait  poser  cette,  femme 
avant  lui.  11  niait  leur  talent,  les  discutait,  parlait  d'eux 
avec  une  injustice  rancunière,  comme  des  gens  qui,  en 
lui  prenant  d'avance  pour  leurs  figures  un  peu  de  la 
beauté  de  cette  femme,  l'avaient  tronj^é  dans  leurs  ta- 
bleaux. 

Pour  l'enlever  aux  autres,  il  avait  pensé  à  la  prendre 
tous  les  jours,  à  la  tenir  dans  son  atelier,  sans  en  avoir 
besoin,  et,  en  travaillant  à  peine  d'après  elle  :  il  lui 
payait  des  séances  où  il  ne  donnait  que  quelques  coups 
de  crayon  ou  de  pinceau.  Mais  Manette  s'était  vite  aper- 
çue de  ce  jeu  où  elle  trouvait  une  sorte  d'humiliation  ; 
elle  avait  inventé  des  prétextes,  manqué  des  rendez-vous 
de  Coriolis,  pour  aller  chez  d'autres  artistes  quelle  voyait 
travailler  vraiment  et  s'inspirer  d'après  elle.  Et  c'est 
alors  qu'avait  commencé  pour  Coriolis  ce  supplice  dont 
le  monde  des  ateliers  a  plus  d'une  fois  pu  étudier  le 
tourment  ce  supplice  d'un  homme  tenant  à  une  femme 
possédée  par  les  regards  du  premier  venu. 

— Oui,  voilà,  —  fit  Coriolis,  quand  il  fut  arrivé,  dans 
le  roulement  de  la  voiture,  au  bout  de  toutes  ses  peir 
sées,  et  comme  s'il  les  avait  confiées  à  Anatole, —  voilà... 
—  et  il  se  retourna  nerveusement  vers  lui  sur  le  cous- 


MANETTE  SALOMON.  193 

sin  du  fiacre.' —  Un  mari  qui  voudrait  empêcher  sa 
femme  de  se  décolleter  pour  aller  dans  le  monde,  eh 
bien!  ça  lui  serait  encore  plus  facile  qu'à  moi  d'empô- 
cher  Manette  d*ôter  sa  chemise  pour  se  faire  voir... 


LIV 


Coriolis  aurait  voulu  avoir  Manette  toute  à  lui,  la  faire 
habiter  avec  lui.  Elle  avait  résisté  à  ses  prières,  à  ses 
promesses.  Devant  les  propositions  qu'il  lui  avait  faites, 
le  bonheur  de  femme  qu'il  lui  avait  offert,  un  large 
entretien,  une  vie  choyée,  la  haute  main  sur  l'intérieur, 
le  gouvernement  de  son  ménage  de  garçon,  il  avait  été 
étonné  de  la  trouver  si  peu  tentée.  Elle  resterait  sa  maî- 
tresse tant  qu'il  voudrait;  mais  elle  tenait  à  ne  pas  quit- 
ter son  «  petit  chez  elle  »,  le  petit  chez  elle  qu'elle 
s'était  arrangé  avec  l'argent  de  son  travail.  En  tout,  elle 
avait  l'idée  de  s'appartenir,  de  garder  son  coin  de  liberté'. 
Elle  ne  comprenait  la  vie  qu'avec  l'indépendance,  le 
droit  de  pouvoir  faire  tout  ce  qui  plaît,  la  permission 
même  des  choses  dont  on  n'a  pas  envie.  C'était  une  de 
ces  petites  natures  ombrageuses  qui  gardent  un  caractère 
de  jolie  sauvagerie  têtue,  et  ne  veulent  point  de  main  qui 
se  pose  sur  elles  :  il  semblait  à  Coriolis  la  voir  reculer 
devant  ses  offres,  ainsi  qu'un  fin  et  nerveux  animal, 
d'instincts  libres  et  courants,  qui  ne  voudrait  pas  entrer 
dans  une  belle  cage. 

Cette  volonté  qu'avait  Manette  de  garder  sa  liberté, 
Coriolis  ne  voyait  aucun  moyen  de  la  vaincre.  Il  se  trou- 
vait n'avoir  aucune  prise  sur  ce  singulier  caractère  de 
femme.  Elle  ne  semblait  pas  avide.  Pour  la  lier  à  lui,  il 
n'avait  pas  la  ressource  dont  use  à  Paris  l'amant  riche 
auprès  de  la  fille,  la  ressource  de  la  griser  de  luxe,  de 
plaisir,  et  de  tout  ce  qui  asservit  à  un  homme  les  co- 
quetteries et  les  sensualités  d'une  maîtresse.  Manelle 

17 


194  MANETTE  SALOMOH. 

n'avait  point  les  petits  sens  friands  de  la  femme.  De  sa 
race,  de  cette  race  sans  ivrognes,  elle  montrait  la  so- 
briété, une  espèce  d'indifférence  pour  le  boire  et  le 
manger.  De  coquetterie,  elle  ne  connaissait  que  la  co« 
quetteriede  son  corps.  L'autre  lui  manquait  absolument. 
Par  une  étrange  exception,  elle  était  insensible  aux 
bijoux,  à  la  soie,  au  velours,  à  ce  qui  met  du  luxe  sur 
la  femme.  Maîtresse  de  Coriolis,  elle  avait  gardé  sa  mise 
modeste  de  petite  ouvrière  honnête,  de  grisette.  Elle 
portait  des  robes  de  laine,  de  petits  châles  malheureux 
en  imitation  de  cachemire,  une  de  ces  toilettes  proprettes 
aux  couleurs  sombres  et  de  coupe  pauvre  qui  envelop- 
pent d'ordinaire  la  maigreur  des  trotteuses  de  magasin. 
La  toilette  d'ailleurs  lui  allait  mal  :  la  mode  faisait  sur 
son  admirable  corps  de  faux  plis  comme  sur  un  marbre. 
Parfois  Coriolis  lui  achetait  à  un  étalage,  en  passant,  une 
robe  de  soie  :  Manette  le  remerciait,  emportait  la  robe 
chez  elle,  et  la  serrait  en  pièce  dans  une  armoire. 

Presque  tous  les  goûts  de  la  femme  lui  faisaient  pareil- 
lement défaut.  Elle  était  paresseuse  à  désirer  les  distrac- 
tions. Elle  n'aimait  ni  le  plaisir,  ni  le  spectacle,  ni  le 
bal.  L'étourdissement,  le  mouvement,  la  vie  fouettée 
dont  a  besoin  la  nervosité  de  la  Parisienne  lui  paraissaient 
une  fatigue.  Il  fallait  qu'une  autre  volonté  que  la  sienne 
l'entraînât  à  s'amuser;  et  s'agissait-il  d'une  partie,  elle 
était  toujours  prête  à  dire  :  c  Au  fait,  si  nous  n'y  allions 
pas?  »  Sa  nature  apathique  et  sans  fantaisie  se  conten- 
tait de  goûter  une  espèce  de  tranquille  bonheur  stagnant. 
H  semblait  qu'il  y  eût  en  elle  un  peu  de  Thumeur  casa- 
nière et  ruminante  de  ces  femmes  du  Midi  qui  se  nour- 
rissent et  se  bercent  avec  un  ciel,  un  climat  de  paresse. 
Vivre  sur  place,  sans  remuer,  dans  une  sérénité  de 
bien-être  physique,  dans  l'harmonieux  équilibre  d'une 
pose  à  demi  sommeillante,  avec  du  linge  fin  et  blanc  sur 
la  peau,  c'était  toute  sa  félicité,  —  une  félicité  qu'elle 
pouvait  se  payer  avec  l'argent  de  sa  pose,  et  sans  avoir 
besoin  de  Coriolis. 


MANETTE  SALOMON.  195 


LV 


Créole,  Coriolis  avait  le  cœur  et  les  sens  du  créole. 

Dans  ces  hommes  des  colonies,  de  nature  subtile, 
délicate,  raffinée,  mettant  dans  les  soins  de  leur  corps, 
leurs  parfums,  Thuile  de  leurs  cheveux,  leur  toilette, 
une  recherche  qui  dépasse  les  coquetteries  viriles  et  les 
sort  presque  de  leur  sexe,  dans  ces  hommes  aux  appé- 
tits de  caprice  et  d'épices,  n'aimant  pas  la  viande,  se 
nourrissant  d'excitants  et  de  choses  sucrées,  il  y  a,  en 
dehors  des  mâles  énergies  et  des  colères  un  peu  sau- 
vages, une  si  grande  analogie  avec  la  femme,  de  si  in- 
times affinités  avec  le  tempérament  féminin,  que  l'amour 
chez  eux  ressemble  presque  à  de  Famour  de  femme. 
€es  hommes  aiment,  plus  que  les  autres  hommes,  avec 
des  instincts  d'attachement  et  d'habitude  tendre,  avec 
le  goût  de  s'abandonner  et  de  se  sentir  possédés,  une 
espèce  de  besoin  d'être  caressés,  enveloppés  continû- 
ment par  l'amour,  de  s'enrouler  autour  de  lui,  de  se 
tremper  dans  ses  lâches  douceurs,  de  s'y  perdre,  de  s'y 
fondre  dans  une  sorte  de  paresse  d'adoration  et  de  molle 
servitude  heureuse. 

De  là  les  prédispositions  naturelles,  fatales,  du  créole 
à  la  vie  qui  mêle  l'amant  à  la  maîtresse,  à  la  vie  du 
concubinage.  Coriolis  n'y  avait  pas  échappé.  Presque 
toutes  les  liaisons  de  sa  jeunesse  étaient  devenues  des 
chaînes*  £t  il  retrouvait  ses  anciennes  faiblesses  devant 
cette  vulgaire  et  facile  aventure,  cette  femme  d'une  es- 
pèce qu'il  connaissait  tant  :  un  modèle  ! 

Et  cette  fois,  il  était  lié  par  une  attache  toute  nouvelle, 

jet  qu'il  n'avait  point  connue  avec  ses  autres  maîtresses. 

A  son  amour  se  mêlait  l'amour  de  sa  vie,  l'amour  de 

'son  art.  L'artiste  aimait  avec  Thomme.  Il  aimait  cette 

femme  pour  son  corps,  pour  des  lignes  qu'elle  faisait, 


196  MANETTE  SALOMOM. 

pour  un  ton  qu'elle  avait  à  une  place  de  la  peau.  Il  aimait 
comme  s'il  entrevoyait  en  elle  une  de  ces  divines  maî- 
tresses du  dessin  et  de  la  couleur  d'un  peintre  dont  la 
rencontre  providentielle  met  dans  les  tableaux  des  maîtres 
un  type  nouveau  de  V éternel  féminin.  Il  l'aimait  pour 
sentir  devant  elle  une  inspiration  et  une  révélation  de 
son  talent.  Il  l'aimait  pour  lui  mettre  sous  les  yeux  cet 
Idéal  de  nature,  cette  matière  à  chefs-d'oBuvre,  cette 
présence  réelle  et  toute  vive  du  Beau  que  lui  montrait  sa 
beauté. 


LVI 


A  force  d'obstination,  de  prières,  d'ardente  insistance^ 
Coriolis  finissait  par  obtenir  de  Manette  qu'elle  vînt  habi- 
ter avec  lui.  Il  futheureux  de  cette  victoire  comme  d'une 
conquête  de  sa  maîtresse.  Il  tenait  maintenant  sa  vie. 
Tout  ce  qu'elle  ferait  serait  sous  sa  main,  sous  ses 
yeux.  Elle  lui  appartiendrait  mieux  et  de  plus  près  à 
toute  heure.  Elle  serait  la  femme  à  demeure,  qui  par- 
tage s[vec  le  domicile  l'existence  de  son  amant. 

Cependant,  Manette,  tout  en  venant  et  en  s'installant 
chez  lui,  ne  voulut  pas  donner  congé  de  son  petit  loge- 
ment de  la  rue  du  Figuier-Saint-Paul.  Coriolis  voyait 
là,  de  sa  part,  une  idée  de  méfiance,  une  réserve  de  sa 
liberté,  la  garde  d'un  pied-à-terre,  la  menace  de  ne  pas 
rester  toujours.  Puis  ce  logement  lui  déplaisait  encore 
pour  être  la  cause  des  absences  de  Manette  :  sous  le  pré- 
texte de  le  nettoyer  et  d'y  être  le  jour  du  blanchisseur,  elle 
allait  y  passer  une  journée  chaque  semaine.  Mais  quoi 
qu'il  fît,  il  ne  put  la  décider  à  l'abandon  de  ce  caprice. 

Elle  était  donc  à  peu  près  tout  à  fait  à  lui.  II  l'avait 
détachée  de  ses  habitudes,  de  son  intérieur.  Il  l'avait 
rapprochée  de  lui  par  une  intime  communauté  de  vie; 
mais  toujours  quelque  chose  (^e  cette  femme  qu'il  serrait 


MANETTE  SALOMON.  197 

contre  lui  lui  semblait  appartenir  aux  autres  :  elle  posait. 
Son  corps  était  prêt  pour  le  tableau  d'un  grand  nom  de 
l'art.  Quand  il  avait  essayé  d'obtenir  d'elle  le  sacrifice 
de  ne  plus  se  montrer,  le  renoncement  à  l'orgueil  d'être 
nue  et  belle  devant  des  hommes  qui  peignent,  elle  lui 
avait  simplement  dit  que  cela  était  impossible;  et  son 
regard,  en  disant  cela,  lui  avait  lancé  un  peu  du  dédain 
d'un  artiste  à  qui  l'on  proposerait  de  se  faire  épicier.  Il 
avait  voulu  exiger,  menacer  :  elle  s'était  redressée 
comme  une  femme  prête  à  un  coup  de  tête;  et  devant 
le  mouvement  de  révolte  qu'elle  avait  fait,  en  ébourif- 
fant méchamment  ses  cheveux  sur  ses  tempes  avec  une 
passe  rapide  des  mains,  Coriolis  avait  reculé.  Alors 
l'hypocrisie  de  sa  jalousie  s'était  rejetée  sur  de  misérables 
petits  moyens  de  mauvaise  foi,  des  exclusions  de  tel  ou 
tel  peintre,  des  camarades  qu'il  connaissait  et  chez  les- 
quels il  ne  voulait  pas  que  Manette  allât.  Et  de  défenses 
en  défenses,  d'exclusions  en  exclusions,  il  arrivait  au 
ridicule  de  ne  plus  lui  permettre  que  quelques  vieillards 
de  l'Institut.  Puis,  las  de  ces  ruses  indignes  de  lui,  il 
éclatait,  s'ouvrait  à  Manette,  lui  avouait  ses  fausses 
hontes,  ses  tortures,  les  mensonges  sous  lesquels  son 
cœur  saignait;  et  l'enveloppant  de  supplications,  de 
paroles  brûlantes,  de  baisers  où  passait  la  rage  de  ses 
colères  et  de  ses  souffrances,  il  lui  demandait  que  ce  fût 
fini. 

Manette,  à  la  longue,  avait  l'air  de  le  prendre  en  pitié. 
Tout  en  continuant  obstinément  à  poser,  et  à  poser  où 
il  lui  plaisait,  elle  montrait  une  espèce  d'apparente  con- 
descendance pour  ses  exigences,  paraissait  leur  céder, 
lui  faisant  des  promesses,  comme  à  ce  que  demande  un 
enfant  gâté  qui  pleure.  Mais  cette  compassion  exaspérait 
les  jalousies  de  Coriolis  au  lieu  de  les  apaiser. 

Quand  Manette  était  sortie,  une  inquiétude  qui  deve* 
nait  une  obsession  le  prenait  tout  à  coup.  Il  arrivait  tout 
courant  dans  l'atelier  d'une  connaissance  où  il  supposait 
qu'elle  était,  et  refermant  sur  son  dos  la  porte  comme 
Qa  agent  de  police  venant  saisir  la  cagnotte  d'une  lorette» 

17. 


198  MANETTE  SALOMON. 

il  passait  Tinspection  de  tous  les  recoins  de  l'atelier, 
furetait,  cherchait,  et  quand  il  avait  tout  vu  sans  rien 
trouver,  il  se  sauvait,  pour  aller  faire  sa  visite  chez  un 
autre  peintre.  Sa  manie  était  connue,  et  l'on  n'en  riait 
même  plus.  De  basses  envies  de  savoir  le  prenaient  :  il 
pensait  à  des  hommes  de  la  rue  de  Jérusalem,  dont  on 
lui  avait  parlé,  qui  suivent  une  femme  pour  cinq  francs 
donnes  par  un  mari  qui  soupçonne.  Dans  des  ateliers  de 
camarades,  il  s'arrêtait  à  des  dessins,  à  des  esquisses 
qui  lui  mettaient  brusquement  le  froncement  d'un  pli  au 
milieu  du  front,  et  devant  lesquels  il  restait  dans  une 
absorption  rageuse.  L'un  d'eux  avait  eu  la  délicate  pi- 
tié de  le  comprendre;  et  il  avait  retiré  une  étude  que 
Goriolis,  chaque  fois  qu'il  venait,  regardait  douloureuse- 
ment, avec  des  yeux  amers.  Mais  il  y  avait  à  d'autres 
UMTS  d'autres  études  que  cette  étude,  pour  tourmenter 
le  regard  de  Goriolis  et  lui  jeter  à  la  face  îa  publicité  de 
sa  maîtresse.  Il  la  retrouvait  partout,  toujours,  et  même 
où  elle  n'était  pas;  car  peu  à  peu  c'était  devenu  chez  lui 
une  idée  fixe,  une  folie,  une  hallucination,  de  vouloir  la 
voir  dans  des  toiles,  dans  des  lignes,  pour  lesquelles  elle 
n'avait  pas  posé  :  tous  les  corps,  d'après  les  autres  mo- 
dèles, finissaient  par  ne  lui  montrer  que  ce  corps,  et 
toutes  les  nudités  peintes  des  autres  femmes  le  bles- 
saient, comme  si  elles  étaient  la  nudité  de  cette  seule 
femme. 

Son  sang  se  retournait  à  la  pensée  qu'elle  posait  tou- 
jours. Il  ne  l'avait  pas  surprise,  personne  ne  le  lui  avait 
dit.  Tous  ses  amis,  autour  de  lui,  gardaient  le  secret  de 
sa  maîtresse.  Mais  quand  il  lui  disait  à  elle  :  c  Tu  as 
posé  chez  un  tel?  >  elle  lui  disait  un  «  Non  >,  qui  lui 
donnait  envie  de  la  tuer,  —  et  qu'il  aimait  encore  mieui 
^u'ua  ouL 


MANETTE  SALOMON. 


LVIl 


Ils  dînaient.  Il  sembla  à  Coriolis  que  Manette  se  pres- 
sait de  dîner.  Aussitôt  le  dessert  servi,  elle  se  leva  de 
table,  alla  dans  sa  chambre,  revint  avec  son  châle  et  son 
chapeau.  Coriolis  crut  voir  je  ne  sais  quelle  recherche 
dans  sa  toilette.  Il  remarqua  que  son  chapeau  était  neuf. 

Il  eut  envie  de  lui  demander  où  elle  allait;  puis  il  se 
dit  :  €  Elle  va  me  le  dire  ». 

Manette,  à  la  glace,  arrangeait  les  brides  de  son  cha- 
peau, chiffonnait  son  nœud  de  rubans,  lissait  d'un  coup 
de  doigt  ses  cheveux  sur  une  tempe,  faisait  ce  joli  mou- 
vement de  corps  des  femmes  qui  regardent,  en  se  re- 
tournant, si  leur  châle,  dont  elles  rebroussent  la  pointe 
du  talon  de  leurs  bottines,  tombe  bien, 

Coriolis  la  regardait,  interrogeait  son  dos,  son  châle, 
et  toutes  sortes  de  pensées  lui  traversaient  la  cervelle. 

Il  avait  dans  la  tête  comme  le  bourdonnement  de  cette 
idée  :  «  Où  va-t-elle?  > 

Il  attendait  que  Manette  eût  fini.  —  Où  vas-tu?  —  3 
avait  sa  phrase  toute  prête  sur  les  lèvres. 

Manette  donna  un  petit  coup  sur  un  pli  de  sa  rob«  : 
—  Je  sors,  —  fit-elle  simplement. 

Coriolis  n'eut  pas  le  courage  de  lui  dire  un  mot.  U 
récoula  faire  dans  l'antichambre  le  bruit  de  la  femme 
qui  s'en  va,  parler  aux  domestiques,  tourner  une  der- 
nière fois,  fermer  la  porte...  Elle  était  partie. 

Il  posa  sa  pipe  sur  la  table,  devant  Anatole  qui  le  re- 
gardait étonné,  la  reprit,  tira  deux  bouffées,  la  reposa 
sur  une  assiette,  et  brusquement  saisissant  un  chapeau, 
il  se  jeta  dans  l'escalier. 

Manette  était  à  une  quinzaine  de  pas  de  la  maison. 
Elle  marchait  d'un  petit  pas  pressé,  d'un  air  à  la  fois 
distrait  et  recueilli,  ne  regardant  rien.  Elle  prit  la  rue 


2U0  MAiN^TlE  SALOMOS. 

Uautefeuilie  :  elle  n'allait  pas  chez  sa  mère.  Elle  passa 
devant  une  station  de  voitures  sur  la  place  Saint- André- 
des-Arts  :  elle  ne  s'arrêta  pas.  Elle  prit  le  pont  Saint- 
Michel,  le  pont  au  Change.  Coriolis  la  suivait  toujours. 
Elle  ne  se  retournait  pas,  ne  semblait  pas  voir.  Il  y  eut 
un  moment  un  homme  qui  se  mit  à  marcher  derrière 
elle  en  lui  parlant  dans  le  cou  :  elle  n'eut  pas  Tair  dô 
Tentendre.  Coriolis  aurait  voulu  qu'elle  parût  se  sentir 
plus  insultée.  Au  coin  de  la  rue  Rambuteau,  elle  acheta 
un  bouquet  de  violettes.  Coriolis  eut  l'idée  qu'elle  por- 
tait cela  à  un  amant;  il  vit  le  bouquet  chez  un  homme, 
sur  une  cheminée,  dans  un  verre  d'eau.  Manette  prit  la 
rue  Saint-Martin,  la  rue  des  Gravilliers,  la  rue  Vaucan- 
son,  la  rue  YoUa.  Des  figures  d'hommes  et  de  femmes 
passaient  que  Coriolis  reconnut  pour  des  juifs,  et  aux- 
quels Manette  faisait  en  passant  un  petit  salut.  Tout  à 
coup,  passé  la  rue  du  Vertbois,  elle  tourna  une  grande 
rue  en  pressant  le  pas.  Dans  une  porte,  au-dessus  de 
laquelle  il  y  avait  un  drapeau  tricolore,  que  Coriolis  ne 
vit  pas,  elle  disparut.  Coriolis  se  lança  derrière  elle,  et, 
au  bout  de  quelques  pas,  il  se  trouva  dans  un  petit  préau 
bizarre,  un  patio  de  maison  d'Orient,  une  espèce  de 
cloître  alhambresque  :  Manette  n'était  plus  là. 

Il  eut  le  sentiment  d'un  cauchemar,  d'une  hallucina- 
tion en  plein  Paris,  à  quelques  pas  du  boulevard.  Il  lui 
sembla  apercevoir  une  porte  avec  des  points  de  lumière 
dans  un  fond.  Il  alla  à  cette  porte,  entra  :  dans  une  salle 
d'ombre,  il  aperçut  un  grand  chandelier  autour  duquel 
des  tètes  d'hommes  en  toques  noires,  en  rabats  de  den- 
telle, psalmodiaient  sur  de  grands  livres,  avec  des  voix 
de  nuit,  des  chants  de  ténèbres. 

Il  était  dans  la  synagogue  de  la  rue  Notre-Dame  de 
Nazareth. 

Une  lueur  éclairait  une  tribune  ouverte  :  la  première 
femme  qu'il  aperçut  là  fut  Manette. 

Il  respira,  et  tout  plein  de  la  joie  de  ne  plus  soupçon- 
ner, le  cœur  léger  dans  la  poitrine,  soudainement  heu- 
reux du]  bonheur  d'un  homme  dont  une  .iiauvaise  peu- 


MANETTE  SALOMON.  201 

sée  s'envole,  il  laissa  tout  ce  qu'il  y  avait  de  détendu 
et  de  délivré  en  lui  s'enfoncer  mollement  dans  cette 
demi-nuit,  ce  bourdonnement  murmurant  d'un  peuple 
qui  prie,  le  mystère  voltigeant  et  caressant  de  ces  demi- 
bruits  et  de  ces  demi-lumières  qui,  s'accordant,  se  ma- 
riant, se  pénétrant,  semblaient  chanter  à  voix  basse 
dans  la  synagogue  comme  une  soupirante  et  religieuse 
mélodie  de  clair-obscur. 

Ses  yeux  s'abandonnaient  à  cette  obscurité  crépuscu- 
laire venant  d'en  haut,  et  teinte  du  bleu  des  vitraux  que 
le  soir  traversait;  ils  allaient  devant  eux  aux  lueurs  de 
la  mourante  polychromie  effacée  des  murs  assombris  et 
noyés,  aux  reflets  rose  de  feu  des  bobèches  de  bougies 
scintillant  çà  et  là  dans  le  roux  des  ténèbres,  aux  petites 
touches  de  blanc,  qui  éclataient,  de  banc  en  banc,  sur 
la  laine  d'un  taleth.  Et  son  regard  s'oubliait  dans  quel- 
que chose  de  pareil  à  la  vision  d'un  tableau  de  Rem- 
brandt qui  se  mettrait  à  vivre,  et  dont  la  fauve  nuit 
dorée  s'animerait.  Il  revenait  à  la  tribune,  aux  figures  de 
femmes,  à  ces  tètes  qui,  sous  les  grands  noirs  que  leur 
Jetait  l'ombre,  n'avaient  plus  l'air  de  têtes  de  Parisiennes, 
et  paraissaient  reculer  dans  l'Ancien  Testament.  Et  par 
instants,  dans  le  marmottement  des  prières,  il  entendait 
se  lever'  des  roulements  de  syllabes  gutturales  qui  lui 
rapportaient  à  l'oreille  des  sons  de  pays  lointains... 

Puis,  peu  à  peu,  parmi  les  sensations  éveillées  en 
lui  par  ce  culte,  cette  langue,  qui  n'étaient  ni  son  culte 
ni  sa  langue,  ces  prières,  ces  chants,  ces  visages,  ce  mi- 
lieu d'un  peuple  étranger  et  si  loin  de  Paris  dans  Paris 
même,  il  se  glissa  dans  Coriolis  le  sentiment,  d'abord  indé- 
terminé et  confus,  d'une  chose  sur  laquelle  sa  réflexion 
ne  s'était  jamais  arrêtée,  d'une  chose  qui  avait  toujours 
été  jusque-là  pour  lui  comme  si  elle  n'était  pas,  et  comme 
s'il  ignorait  qu'elle  fût.  C'était  la  première  fois  que  cette 
perception  lui  venait  de  voir  une  juive  dans  Manette, 
qu'il  avait  sue  pourtant  are  juive  dès  le  premier  jour. 
Et  avec  cette  pensée,  il  remontait  à  des  souvenirs  dont 
il  n'avait  pas  conscience,  à  des  petits  riens  de  Manette 


204  M4NËTTESAL0M0N. 

—  Tu  iras? 

—  Oui...  sa  lettre  est  très' chaude...  Je  ne  peux  pai 
ne  pas  y  aller...  Ça  aurait  Tair... 

—  Très-malin^  sa  chapelle...  Il  a  senti,  à  son  dernier 
envoi  de  Rome,  qu'il  n'avait  pas  assez  de  reins  pour  la 
grande  peinture...  celle  qu'on  risque  en  pleine  exposi- 
tion à  côté  des  petits  camarades...  Comme  ça,  il  a  son 
petit  salon...  Et  puis,  c'est  commode...  on  dit  que  le 
jour  est  mauvais,  que  la  disposition  archîtectonique  vq;us 
a  empêché  d'être  sublime,  qu'on  a  fait  plat  pour  l'édifi- 
cation des  fidèles,  et  gris  pour  ne  pas  faire  de  tapage 
v^ans  le  monument.  Et  puis,  pas  de  public...  des  amis, 
rien  que  des  invités,  c'est  superbe!...  Très-malin,  Gar- 
notelle  ! 

A  une  heure,  le  lendemain,  Coriolis  arrivait  à  la  porte 
de  la  petite  église,  dans  le  vieux  quartier  pauvre  étonné, 
ébranlé  par  les  voitures  bourgeoises  et  les  fiacres  versant 
près  de  la  grille,  au  bas  des  marches,  des  hommes  bien 
mis  et  des  femmes  en  toilette.  Dans  Téglise,  sur  un  des 
bas- côtés,  la  petite  chapelle  était  encombrée  de  monde. 
On  y  voyait  des  niarguilliers,  des  ecclésiastiques,  des 
personnages  de  la  Fabrique,  des  vieillards  en  cravate 
blanche,  leurs  lorgnettes  en  arrêt  sur  les  pendentifs,  des 
femmes  académiques  à  cheveux  gris,  à  physique  profes- 
soral, et  des  femmes  littéraires,  maigres,  blondes  et  pla- 
tes, qui  semblaient  n'être  qu'une  âme  et  des  cheveux. 

Garnotelle,  qui  était  en  habit,  alla  au-devant  de  Co- 
riolis, lui  prit  le  bras,  lui  fit  voir  tous  les  compartiments 
de  sa  composition,  lui  demanda  son  avis,  sollicita  sa 
sévérité  sur  tout  ce  qu'il  sentait  lui-même  d'incomplet 
dans  son  œuvre.  Coriolis  lui  fit  deux  ou  trois  critiques  : 
Garnotelle  les  accepta.  Des  dames  arrivaient,  il  pria 
Coriolis  de  l'attendre,  cicérona  les  dames,  revint  à 
CorioHs.  Us  sortirent  ensemble.  Et,  en  marchant,  Gar- 
notelle devint  cordial,  presque  afTectueux.  Il  se  plaignit 
de  l'éloignement  que  fait  la  vie,  du  refroidissement  de 
leur  vieille  amitié  d'atelier,  de  la  rareté  de  leurs  ren- 
contres. Il  fit  à  Coriolis  de  «es  ccmpliments  bon  enfant, 


MANETTE  SALOMON.  2U5 

un  peu  brutaux,  et  comme  involontaires,  qui  entrent  au 
cœur  d*un  talent.  Il  lui  indiqua  un  article  ëlogieux  que 
Goriolis  n'avait  pas  lu.  Il  joua  Thomme  simple,  ouvert^ 
abandonné,  alla  jusqu'à  féliciter  Goriolis  d'avoir  à  de- 
meure,  auprès  de  lui,  la  gaieté  de  ce  brave  garçon  d'Ana- 
tole, rappela  les  légendes  de  chez  Langibout,  les  farces, 
les  rires,  les  souvenirs.  Et,  en  se  refaisant  l'ancien  Car- 
notelle  qu'il  avait  été,  il  le  redevint  tout  à  cou[ 

Goriolis  venait  de  prendre  des  londrës  chez  un  mar- 
chand de  tabac,  et  allait  les  payer.  Garnotelle  en  saisit 
un  dans  la  boîte  en  lui  disant  : 

—  Tu  sais,  moi,  je  suis  un  cochon. 

Goriolis  ne  put  s'empêcher  de  sourire.  11  retrouvait 
l'homme  qui  avait  l'habitude  de  sauver  ses  petites  ava- 
rices en  les  tournant  en  plaisanterie,  de  devancer  et  de 
parer  par  une  blague  la  blague  des  autres,  de  sauver  sa 
ladrerie  avec  du  cynisme  ;  le  Garnotelle  qui,  devenu  riche 
et  gagneur  d'argent,  disait  toujours:  —  «  Moi,  tu  sais,  je 
suis  un  cochon  >,  — et  continuait,  en  se  proclamant  un 
pingre,  à  faire  bravement  dans  la  vie  toutes  les  petites 
économies  de  la  pingrerie. 


LIX 


Manette  ressemblait  aux  juives  de  Paris.  Chez  elle,  la 
juive  était  presque  effacée;  elle  s'était  à  peu  près  ou- 
iliée,  perdue,  usée  au  frottement  de  la  vie  d'Occident, 
des  milieux  européens,  au  contact  de  tout  ce  qui  fusionne 
une  race  dépaysée  dans  un  peuple  absorbant,  avant  de 
loucher  aux  traits  et  d'altérer  tout  à  fait  le  type  de  cette 
race. 

Par-dessus  l'Orientale,  il  y  avait,  dans  sa  personne, 
une  Parisienne.  De  ses  langueurs  indolentes,  elle  se 
réveillait  quelquefois  avec  des  gamineries.  Sa  belle  lête 
brune,  par  instants,  s'animait  de  l'ironie  d'un  enfant  du 

18 


206  MANETTE  SALOMON. 

faubouif;  et  dans  le  mépris,  la  colère,  la  raillerie,  il 
passait  tout  à  coup,  sur  la  pure  et  tranquille  sculpture 
de  sa  figure,  des  airs  de  crânerie  et  de  petite  résolution 
rageuse,  le  mauvais  sourire  des  méchantes  petites  têtes 
dans  les  quartiers  pauvres  :  on  eût  dit,  à  de  certaines 
minutes,  que  la  rue  montait  ejt  menaçait  dans  son  visage. 

C'est  avec  cette  expression  qu'elle  était  peinte  dans 
un  portrait  qu'elle  avait  voulu  apporter  chez  Coriolis; 
singulier  portrait,  où,  dans  un  caprice  d'artiste,  son 
premier  amant  l'avait  représentée  en  gamin,  une  petite 
casquette  sur  la  tête,  le  bourgeron  aux  épaules,  le  doigt 
sur  la  gâchette  d'un  fusil  de  chasse,  regardant  par- 
dessus une  bèirricade,  avec  un  regard  effronté  et  homi- 
cide, le  regard  d*un  moutard  de  quinze  ans,  enragé  et 
froid,  qui  cherche  un  officier  pour  le  descendre.  La 
peinture  était  saisissante  :  on  gardait  dans  les  yeux, 
dans  la  tête,  cette  femme  en  blouse,  jetée  sur  les  pavés, 
et  qui  semblait  le  Génie  de  l'émeute  en  Titi. 

Coriolis  détestait  ce  portrait.  Il  n'y  trouvait  pas  seu- 
lement le  souvenir  blessant  d'un  autre;  il  y  reconnais- 
sait encore  malgré  lui,  et  tout  en  voulant  se  le  nier,  une 
ressemblance  mauvaise,  une  expression  de  quelque 
chose  qu'il  n'aimait  pas  à  voir,  et  qui  semblait  se  mettre 
entre  lui  et  Manette,  quand  il  regardait  Manette  après 
avoir  regardé  la  toile.  Il  avait  essayé  vainement  de  dé- 
cider Manette  à  s'en  séparer,  à  le  renvoyer  chez  sa  mère 
Manette  disait  y  tenir.  Alors  il  avait  tenté  de  faire  un 
portrait  d'elle  pour  oublier  celui-là;  mais  toujours  s'ar- 
rêtant  tout  à  coup,  il  avait  laissé  les  toiles  ébauchées.  Il 
lui  arrivait  de  temps  en  temps  encore  de  les  reprendre.  Il 
s'arrêtait  dans  l'entrain  et  la  chaleur  d'un  travail,  allait 
à  une  des  ébauches,  la  posait  sur  la  traverse  du  chevalet, 
et  la  palette  à  la  main,  la  tête  un  peu  penchée  de  côté 
sur  son  appui-main,  il  regardait  Manette. 

Des  cheveux  châtains  voltigeaient  en  boucles  sur  le 
front  de  Manette,  un  petit  front  qui  fuyait  un  peu  en 
haut.  Sous  des  sourcils  très-arqués,  dessinés  avec  la 
netteté  d'un  trait  et  d'un  coup  de  pinceau,  elle  avait  les 


MANETTE  SALOMON.  20) 

yeux  fendus  et, allongés  de  côté,  des  yeux  dans  le  coin 
desquels  coulait  le  regard,  des  yeux  bleus  mystérieux 
qui,  dans  la  fixité,  dardaient,  de  leur  pupille  contraclée 
et  rapetissée  comme  la  tête  d'une  épingle  noire,  on  ne 
savait  quoi  de  profond,  de  transperçant,  de  clair  et  d'aigu. 
Sous  la  pâleur  chaude  de  son  teint,  transparaissait  ce 
rose  du  sang  qui  parait  fleurir  et  pasteller  de  carmin  la 
joue  des  juives,  cette  lueur  de  rouge  en  haut  des  pom- 
mettes pareil  au  reste  essuyé  de  fard  qu'une  actrice 
s'est  posé  sous  l'œil.  Tout  ce  visage,  le  front  creusant  à 
la  racine  du  nez,  le  nez  délicatement  busqué,  les  narines 
découpées  et  un  peu  remontantes,  montrait  un  modelage 
ciselé  de  traits.  La  bouche,  froncée  et  chiffonnée,  légè- 
rement retombante  aux  coins  et  dédaigneuse,  à  demi 
détendue,  rappelait  la  bouche  respirante,  rêveuse, 
presque  douloureuse,  des  jeunes  garçons  dans  les  beaux 
portraits  italiens. 

Coriolis  voulait  peindre  cette  tête,  cette  physionomie, 
avec  ce  qu'il  y  voyait  d'un  autre  pays,  d'une  autre  nature, 
le  charme  paresseux,  bizarre  et  fascinant,  de  celte  sen- 
sualité animale  que  le  baptême  semble  tuer  chez  la 
femme.  Il  voulait  peindre  Manette  dans  une  de  ces  atti- 
tudes à  elle,  lorsque,  le  menton  appuyé  au  revers  de  sa 
main  posée  sur  le  dos  d'une  chaise,  le  cou  allongé  et 
tout  tendu,  le  regard  vague  devant  elle,  elle  montrait 
des  coquetteries  de  chèvre  et  de  serpent,  comme  les 
autres  femmes  montrent  des  coquetteries  de  chatte  et  de 
colombe. 

—  Ah!  toi,  —  finissait- il  par  lui  dire  en  reposant  sa 
palette,  —  tu  es  comme  la  fleur  que  les  faiseurs  d'aqua- 
relles appellent  le  «:  désespoir  des  peintres!  > 

Et  il  souriait.  Mais  son  sourire  était  ennuyé. 


SOS  MANETTE  SALOAlOll. 


LX 


Rentrant  un  soir,  Coriolis  trouva  Manette  couchée. 
Elle  ne  dormait  pas  encore,  mai?  elle  étail  dans  ce  pre- 
mier engourdissement  où  la  pensée  commence  à  rêver. 
Les  yeux  encore  un  peu  ouverts  et  immobiles,  elle  le 
regarda,  sans  bouger,  sans  parler.  Coriolis  ne  lui  dit  pas 
un  mot;  et  lui  tournant  le  dos,  il  se  mit  au  coin  de  la 
cheminée  à  fumer  avec  cet  air  qu'a  par  derrière  la  mau- 
vaise humeur  d'un  homme  en  colère  contre  une  femme. 

Puis  tout  à  coup,  d'un  mouvement  brusque,  jetant 
son  cigare  au  feu,  il  se  leva,  s'approcha  du  lit,  empoigna 
le  bâton  d'une  petite  chaise  dorée  sur  laquelle  avaient 
coulé  la  robe  et  les  jupons  de  Manette.  Manette  ne 
remua  pas.  Elle  avait  toujours  ce  même  regard  qui 
regardait  et  rêvait,  ces  yeux  tranquilles  et  fixes,  nageant 
à  demi  dans  le  bonheur  et  la  paix  du  sommeil.  Sa  tête, 
un  peu  renversée  sur  l'oreiller,  montrait  la  ligne  de  son 
visage  fuyant.  La  lueur  d'une  lampe  à  abat-jour  posée 
sur  la  cheminée  se  mourait  sur  la  douceur  de  son  profil 
perdu;  ses  traits  expiraient  sous  une  caresse  d'ombre 
où  rien  ne  se  dessinait  que  deux  petites  touches  de 
lumière  pareilles  à  la  trace  humide  d'un  baiser  :  le  des- 
sous de  la  paupière  se  reflétant  dans  le  haut  de  la  pru- 
nelle, le  dessous  rose  de  la  lèvre  d'en  haut  mouillant 
les  dents  d'un  reflet  de  perles;  et  sous  les  draps,  son 
corps  se  devinait,  obscur  et  charmant  ainsi  que  son 
visage,  rond,  voilé  et  doux,  tout  ranàassé  et  pelotonné 
dans  sa  grâce  de  nuit,  comme  s'il  posait  encore  pour 
lormir... 

Devant  ce  lit,  cette  femme,  Coriolis  resta  sans  parole; 
puis  sa  main  lâcha  la  chaise,  et  le  bâton  qu'il  avait  tenu 
tomba  cassé  sur  le  tapis. 

Le  lendemain,  en  dérangeant  les  habits  de  Coriohs 
qui  n'était  pas  encore  levé.  Manette  y  trouva  une  photo- 


MANETTE  SALOMON.  209 

graphie  de  femme  nue  —  qui  était  elle,  —  une  carte 
qu'elle  avait  laissé  faire,  croyant  que  Coriolis  n'en  saurait 
jamais  rien.  Elle  comprit  la  rage  de  son  amant,  remit  la 
carte,  et  attendit,  préparée  à  tout.  Elle  commença,  pour 
être  toute  prête  à  partir,  à  ranger  en  cachette  son  linge, 
ses  affaires. 

Mais  Coriolis  paraissait  avoir  oublié  qu'elle  était  là,  et 
ne  plus  la  voir.  Au  déjeuner,  il  ne  lui  adressa  pas  la 
par'île.  Au  dtner,  il  mit  le  journal  devant  son  verre  et 
lut  en  mangeant.  Manette  attendait,  muette,  impatiente, 
froissée  et  humiliée  de  ce  silence,  avec  des  mordille- 
ments  de  lèvres,  avec  ce  regard  qui  chez  elle,  à  la 
moindre  contrariété^  se  chargeait  d'implacabilité,  avec 
tout  ce  mauvais  d'une  femme  dont  elle  savait  s'enve- 
lopper et  qu'elle  dégageait  autour  d'elle  pour  faire  jaillir 
le  choc  et  l'étincelle  d'une  explication. 

' —  Qu'est-ce  qui  t'a  donné  cela?  —  lui  dit  tout  à  coup 
Coriolis  :  il  rentrait  de  sa  chambre  où  il  avait  été  chercher 
quelque  chose,  et  il  lui  montrait  une  petite  pièce  d'or 
qu'il  avait  ramassée  dans  le  désordre  de  ses  affaires 
tirées  hors  des  tiroirs. 

—  Je  ne  sais  plus...  —  répondit  Manette.  —  J'étais 
toute  petite...  Maman  me  menait  dans  les  ateliers  pour 
poser  les  Enfants  Jésus...  J'étais  blonde,  à  ce  qu'il 
parait,  dans  ce  temps-là...  Ahl  oui...  j'ai  accroché  la 
chaîne  d'un  monsieur,  sa  chaîne  de  montre...  Alors. •♦ 

—  C'était  moi,  ce  monsieur-là,  —  dit  Coriolis. 

—  Toi?  vrai,  toi? 

Et  les  yeux  de  Manette  retombèrent  à  terre.  Elle  resta 
un  instant  sérieuse,  sans  un  mot.  Des  pensées  lui  pas- 
saient. On  eût  dit  qu'elle  voyait,  avec  ses  idées  d'Orien-^ 
taie,  comme  la  volonté  divine  d'une  fatalité  dans  ce  lien 
de  leur  passé  et  ces  fiançailles  si  lointaines  de  leur 
liaison. 

Elle  se  répéta  à  elle-même  :  Lui...  Et  ses  yeux  allaient 
presque  religieusement  de  la  pièce  d'or  à  Coriolis,  et  de 
Coriolis  à  la  pièce  d'or,  grands  ouverts,  étonnés  et 
vaincus. 

18. 


•10  MANETTE  SALOMON. 

Puis  elle  se  leva  lentement,  gravement;  et  marchant 
avec  une  espèce  de  solennité  vers  Coriolis,  elle  lui  passa 
par  derrière  les  deux  bras  autour  du  cou,  et  lui  soule- 
vant un  peu  la  (ête,  tout  doucement,  elle  lui  mit  le  baiser 
de  soie  de  ses  lèvres  contre  l'oreille  pour  lui  dire  : 

—  Plus  jamais  I...  C'est  promis...  plus  jamais I  pour 
personne.  . 


LXI 


Le  tableau  du  Bain  turc  était  compléiement  terminé. 
Les  amis,  les  connaissances,  des  critiques  vinrent  le 
voir,  et  tous  admiraient,  s'exclamaient.  La  toile  arra- 
chait des  cris  aux  uns,  des  lambeaux  de  feuilleton  aux 
autres.  —  c  C'était  réussi,  c'était  superbe!...  11  faisait 
chaud  dans  le  tableau...  De  la  vraie  chair...  admirable! 
C'était  dessiné  avec  du  jour...  Le  fameux  coloriste  un 
tel  était  enfoncé...  »  —  on  n'entendait  que  ceia.  Quel- 
ques-uns regardaient  pendant  un  quart  d'heure,  et  al- 
laient serrer  les  mains  à  Coriolis  avec  une  force  enra- 
gée qui  lui  faisait  mal  aux  os  des  doigts. 

A  tous  les  compliments,  Coriolis  répondait  :  —  Vous 
trouvez?  —  et  ne  disait  que  cela. 

Quand  il  était  dehors,  s'asseyant  dans  des  endroits  de 
soleil,  il  restait  pendant  des  quarts  d'heure  les  yeux  sur 
un  morceau  de  cou,  un  bout  de  bras  de  Manette,  une 
place  de  sa  chair  où  tombait  un  rayon.  Il  étudiait  de  la 
peau,  —  les  mailles  du  tissu  réticulaire,  ce  feu  vivant  et 
miroitant  sur  l'épiderme,  cet  éclaboussement  splendide 
•Je  la  lumière,  cette  joie  qui  court  sur  tout  le  corps  qui 
la  boit,  cette  flamme  de  blancheur,  cette  merveilleuse 
couleur  de  vie,  auprès  de  laquelle  pâlit  ce  triomphe  de 
chair,  YAntiope  du  Corrége  elle-même. 

—  Dis  donc,  Chassagnol,  —  dit-il  un  jour  en  se  tour- 
nant vers  le  divan  où  le  noctambule   Chassagnol   se 


MANETTE  SALOMON.  211 

livrait,  quand  il  venait,  à  de  petites  siestes,  —  qu'est-ce 
que  tu  penses,  toi,  du  Jour  du  Nord  pour  la  peinture? 
—  Hein?  hé!  quoi?...  jour  du  Nord!...  peinture... 
hein? —  grogna  en  seréveillantChassagnol...  Tu  dis!... 
Qu'est-ce  que  tu  demandes?...  Le  jour  du  Nord,  qu'est- 
ce  que  je  pense?  Rien...  Ah!  le  jour  du  Nord?...  Eh 
bien,  le  jour  du  Nord...  Tous  les  ateliers,  jour  du  Nord  I 
Tous  les  artistes,  jour  du  Nord!  Tous  les  tableaux,  jour 
du  Nord!...  Mes  opinions?  Mes  opinions!  quand  je  les 
crierais  sur  les  toits...  Eh  bien,  après?  Les  idées  reçues, 
mon  cher,  les  idées  reçues!  Comment!  vous  voilà  pein- 
tres... c'est-à-dire  un  tas  de  pauvres  malheureux,  d'in- 
firmes, qui  avez  toutes  les  peines  du  monde  à  attraper  la 
nature  dans  sa  puissance  éclairante...  Il  n'y  a  pas  à  dire, 
vous  êtes  toujours  au-dessous  du  ton...  Eh  bien,  quand 
vous  avez  si  besoin  de  vous  monter  le  coup...  Comment! 
pour  faire  de  la  couleur,  pour  éclairer  de  la  peau,  des 
étoffes,  n'importe  quoi,  poury  voir,  enfin,  pour  peindre... 
pour  peindre!...  vous  allez  prendre  une  lumière...  ce 
cadavre  de  lumière-là!...  Un  jour  purifié,  clarifié,  dis- 
tillé, où  il  ne  reste  plus  rien,  riendeTorangé  de  la  lumière 
du  soleil,  rien  de  son  or...  quelque  chose  de  filtré... 
C'est  pâle,  c'est  gris,  c'est  froid,  c'est  mort!...  Et  par 
là-dessus  le  jour  du  nord  de  Paris,  le  jour  de  Paris!  un 
crépuscule,  une  lueur  d'éclipsé,  une  révcrbéralion  de 
murs  sales...  De  la  lumière,  ça?  Oui,  comme  de  Tabon- 
dance  est  du  vin...  Allons  donc!  les  théories,  les  ren- 
gaines, la  nécessité  d'un  jour  neutre,  d'un  jour  «  abs- 
trait... >  Un  jour  abstrait!  Et  puis  le  soleil  décompose 
le  dessin...  chimiquement,  c'est  prouvé...  Et  puis...  et 
puis...  Ils  disent  encore  que  ça  laisse  la  liberté  aux  co- 
loristes, qu'un  coloriste  est  toujours  coloriste,  qu'on 
peint  ce  qu'on  a  vu,  et  non  ce  qu'on  voit;  que  la  cou- 
leur est  une  impression  retrouvée...  est-ce  que  je  sais  ! 
un  tas  de  raisons...  Parbleu!  il  est  clair  qu'un  monsieur 
qui  n'a  pas  ça  dans  le  sang,  vous  lui  mettrez  devant  le 
nez  le  Régent  dans  un  feu  de  Bengale,  ça  ne  lui  fera 
pas  trouver  des  éclairs  sur  sa  palette...  Mais  je  réponds 


Sli  MANETTE  SALOMON. 

qu'un  grand  peintre  qui  peindra  avec  un  jour  vivant,  un 
peintre  qui  peindra  dans  du  vrai  soleil,  dans  un  jour 
coloré  par  du  soleil,  dans  la  lumière  normale  enfin,  verra 
et  peindra  autre  chose  que  s'il  peignait  dans  ce  joli  petit 
froid  de  lumîère-là  ce  nuançage  mixte  et  terne...  C'est- 
peut-être  ce  qui  fait  la  supériorité  des  paysagistes...  Eux 
ils  peignent,  ou  du  moins  ils  esquissent  au  plein  jour  de 
la  nature...  Âh!  mon  cher,  peut-être,  si  on  savait  la  dis- 
position des  ateliers  du  temps  de  la  Renaissance!... 
Tiens,  les  artistes  italiens...  Malheureusement,  il  n'y  a 
pas  un  document  là-dessus...  Voyons,  t*imagines-lu... 
prenons  les  grands  bonshommes...  Véronèse,  si  tu  veux, 
et  le  Titien...  qu'ils  peignissent  dans  des  conditions  de 
gris  bête  comme  ça,  et  si  contre  nature?...  Sais-tu  une 
choso,  toi?  une  chose  que  j'ai  découverte...  Un  autre 
aurait  mis  ça  dans  un  livre  et  serait  entré  à  rinstilut!... 
C'est  que  Rembrandt...  mon  maître  et  le  bon  dieu 
de  la  couleur,  —  fit  Chassagnol  en  saluant,  —  ô'est  que 
Rembrandt,  eh  bien,  il  avait  un  atelier  en  plein  midi.,. 
Ça,  c'est  comme  si  je  l'avais  vu...  et  avec  des  jeux  de 
rideaux,  il  faisait  la  lumière  qu'il  voulait  ..  Mais  regarde 
tous  ses  tableaux...  Il  faisait  poser  le  Soleil,  cet  homme- 
là,  c'est  évident! 

—  Est-ce  que  l'atelier  de  Delacroix,  rue  Furstemberg, 
n'est  pas  au  Midi? 

Chassagnol  fit  un  léger  mouvement  qui  semblait  in- 
diquer le  peu  d'importance  qu'il  attachait  à  ce  détail. 

Le  lendemain,  Coriolis  mettait  les  maçons  dans  une 
grande  chambre  au  midi  qu'il  avait  au  haut  de  la  mai- 
son. Les  maçons  changeaient  la  fenêtre  en  une  baie 
d'atelier. 

Et  là,  quelques  jours  après,  il  reprenait  le  corps  de  sa 
baigneuse,  d'après  le  corps  le  ManettOi  dans  le  jour  du 
soleil. 


MAiNËTTE  SALOMOM.  S13 


LXII 


Fidèle  à  la  promesse  qu'elle  avait  faite  à  Coriolis,  Ma- 
nette ne  posait  plus  pour  d'autres. 

Quand  Coriolis  sortait,  et  qu'elle  le  savait  parti  pour 
plusieurs  heures,  elle  restait  immobile  à  regarder  la 
pendule,  attendant  pendant  un  certain  temps  qu'elle 
comptait.  Puis,  se  levant,  elle  allait  à  la  porte  de  l'ate- 
lier dont  elle  ôlait  la  clef,  retirait  d'un  coffre  des  petits 
fagots  de  bois  de  genévrier,  qu'elle  jetait  sur  le  feu  du 
poêle,  en  regardant  autour  d'elle  comme  une  petite  fille 
qui  est  seule  et  qui  fait  une  chose  défendue. 

Elle  commençait  à  se  déchausser,  mais  tout  douce- 
ment, peu  à  peu,  avec  une  lenteur  où  elle  mettait  comme 
une  paresseuse  et  longue  coquetterie,  écoutant  complai- 
samment  le  cri  de  soie  de  son  bas,  qu'elle  arrachait 
mollement  de  sa  jambe.  Ses  bas  ôtés,  elle  prenait  tour  à 
tour  dans  ses  mains  chacun  de  ses  pieds,  des  pieds 
d'Orientale,  qui  semblaient  d'autres  mains  entre  ses 
mains;  puis  les  reposant  à  terre,  elle  les  enfonçait,  en 
se  dressant,  sur  le  tapis  de  Smyrne  :  le  bout  de  ses 
ongles  rougis  blanchissait,  et  un  peu  de  chair  rebroussait 
par  dessus.  Relevant  alors  sa  jupe  des  deux  mains,  Ma- 
nette se  penchait,  et  restait  quelque  temps  à  regarder 
au  bas  d'elle  ses  pieds  nus,  et  son  long  pouce,  écarté 
comme  le  pouce  d'un  pied  de  marbre. 

Puis  elle  marchait  vers  le  divan.  Elle  soulevait  son 
peigne,  qui  laissait  à  demi  descendre  sur  son  cou  le  flot 
de  ses  cheveux.  Elle  défaisait  son  peignoir,  elle  laissait 
tomber  sa  chemise  de  fine  batiste  :  ce  luxe  sur  la  peau, 
la  batiste  de  sa  chemise  et  la  soie  de  ses  bas,  était  son 
seul  et  nouveau  luxe. 

Elle  était  nue,  n'était  plus  qu'elle. 

EUe  allait  se  glisser  sur  les  peaux  fauves  garnissant 


211  MANETTE  SALOMO.N. 

le  divan,  s'étendait  en  se  frottant  sur  leur  rudesse  un 
peu  râpeuse,  et  là  couchée,  elle  se  caressait  d'un  regard 
jusqu'à  l'extrémité  des  pieds,  et  se  poursuivait  encore 
au  delà,  dans  la  psyché  au  bout  du  divan,  qui  lui  ren- 
voyait en  plein  la  répétition  de  son  allongement  radieuj. 
Et  quand  sur  ses  doigts,  ses  yeux  rencontraient  ses 
bagues,  elle  les  ôtait  d'une  main  avec  le  geste  de  se  dé- 
ganter, et  les  semait,  sans  regarder,  sur  le  tapis. 

Alors  elle  commençait  à  chercher  les  beautés,  les  vo* 
luptés,  la  grâce  nue  de  la  femme.  C'était,  sur  les  zé« 
brures  des  peaux,  un  remuement  presque  invisible,  un 
travail  sur  place  et  qui  semblait  immobile,  des  avan- 
céments  et  des  retraites  de  muscles  à  peine  perceptibles, 
d'insensibles  inflexions  de  contours,  de  lents  déroule- 
ments, des  coulées  de  membres,  des  glissements  ser 
pentins,  des  mouvements  qu'on  eût  dit  arrondis  par  d 
sommeil.  Et  à  la  fin,  comme  sous  un  long  modelag 
d'une  volonté  artiste,  se  levait  de  la  forme  ondulante  e 
assouplie,  une  admirable  statue  d'un  moment... 

Une  minute,  Manette  se  contemplait  et  se  possédai 
dans  cette  victoire  de  sa  pose  :  elle  s'aimait.  La  tête  un 
peu  penchée  en  avant,  la  poitrine  à  peine  soulevée  par 
sa  respiration,  elle  restait  dans  une  immobilité  d'extase 
qui  semblait  avoir  peur  de  déranger  quelque  chose  de 
divin.  Et  sur  le  bord  de  ses  lèvres,  des  mots  de  triomphe, 
les  complimenls  qu'une  femme  murmure  tout  bas  à  sa 
beauté,  paraissaient  monter  et  mourir,  expirer  sans  voix 
dans  le  dessin  parlant  de  sa  bouche. 

Puis  brusquement,  elle  rompait  cela  avec  le  capmce 
d'un  enfant  qui  déchire  une  image. 

Et  se  laissant  retomber  sur  le  divan,  elle  reprenait 
son  amoureux  travail.  L'odeur  doucement  entêtante  du 
bois  de  genévrier  qui  brûlait  montait  dans  la  chaleur  de 
l'atelier  :  Manette  recommençait  cette  patiente  création 
d'une  attitude,  cette  lente  et  graduelle  réalisation  des 
lignes  qu'elle  ébauchait,  remaniait,  corrigeait,  conqué- 
rait avec  le  tâtonnement  d'un  peintre  qui  cherche  Ten- 
semble,  l'accord  et  l'eurythmie  d'une  figure.  L'heure 


qui  passait,  le  feu  qui  tombait,  rien  ne  pouvait  Tarracher 
à  cet  enchantement  de  faire  des  transformations  de  son 
corps  comme  un  Musée  de  sa  nudité;  rien  ne  pouvait 
l'arracher  à  l'adoration  de  ce  spectacle  d'elle-même, 
auquel  allaient  toujours  plus  fixement  ses  deux  pupilles 
pareilles  à  deux  petits  points  noirs  dans  le  bleu  aigu  de 
ses  yeux. 

Quelquefois,  Coriolis  rentrant  brusquement  avec  sa 
elef,  la  surprenait.  Il  ne  disait  rien.  Mais  Manette  se  dé- 
pêchait de  lui  dire  : 

—  Bétel  puisqu'il  a*;  a  que  la  glace  qui  me  voitl^ 


LXIII 


Arrivait  l'Exposition  de  cette  année  1853.  Le  Bain 
Turc  de  Coriolis  y  obtenait  un  grand  et  franc  succès. 

Ceux  qui  n'avaient  voulu  voir  en  lui  qu'un  joli  «  fai- 
seur de  taches  »  étaient  forcés  de  reconnaître  le  peintre, 
le  dessinateur,  le  coloriste  puissant,  s'affirmant  dans 
une  toile  dont  les  dimensions  n'avaient  guère  été  abor- 
dées, pour  de  pareils  sujets,  que  par  Delacroix  et  Chas- 
seriau.  Tout  le  public  était  frappé  de  l'ensoleillement  de 
ce  corps  de  femme,  d'un  certain  lumineux  que  Coriolis 
avait  tiré  de  son  dernier  travail  dans  l'éclat  du  jour.  Les 
premiers  admirateurs  du  peintre,  tout  fiers  de  l'avoir 
pressenti  et  prophétisé,  se  répandaient  en  enthousiasme. 
Et  la  persistance  de  quelques  injustices  rancunières  pas- 
sionnait les  éloges. 

Il  fut  le  nom  nouveau,  le  lion  du  Salon.  Le  gouver- 
nement lui  acheta  son  tableau  pour  le  Musée  du  Luxem- 
bourg, et  les  journaux  dooaëreat  la  nouvelle  presque 
officielle  de  sa  décoration. 


:^1U  MANETTE  SALOMOK 


LXIT 


Ce  succès  de  Coriolis  fit  un  grand  changement  dans 
les  idées  et  les  sentiments  de  Manette. 

Elle  avait  accepté  Coriolis  pour  amant  sans  Taimer. 
Elle  l'avait  rencontré  dans  un  moment  où  elle  n'avait 
personne.  Abandonnée  par  Buchelet,  elle  l'avait  pris 
comme  une  femme  qui  a  l'habitude  de  l'homme  prend 
celui  que  l'occasion  lui  offre  et  que  son  goût  ne  repousse 
pas.  Coriolis  ne  lui  avait  ni  plu  ni  déplu  :  elle  n^avait 
Yu  en  lui  qu'une  chose,  c'est  qu'il  était  artiste,  c'est-à- 
dire  un  homme  de  son  monde,  et  qu'il  était  naturel  de 
connaître.  Elle  pensait  là-dessus  ainsi  que  beaucoup  de 
femmes  de  sa  profession,  qui  se  regarieiit  comme  ex- 
clusitenaent  vouées  à  la  corporation,  et  qui  n'imaginent 
pas  l'amour  hors  de  l'atelier.  A  ses  yeux,  l'univers  se 
divisait  en  deux  classes  d'hommes  :  les  artistes,  —  et 
les  autres.  Et  les  autres,  à  quelque  classe  qu'ils  appar- 
tinssent, qu'ils  fussent  n'importe  quoi  de  grand  et  d'of- 
ficiel dans  la  société,  ministre,  ambassadeur,  maréchal 
de  France,  n'étaient  rien  pour  elle  :  ils  n'existaient  pas. 
La  femme  chez  elle  n'était  sensible  qu'à  un  nom  d'art, 
à  un  talent,  à  une  réputation  d'artiste. 

Élevée  à  Paris,  dans  un  milieu  où  les  leçons  d'inno- 
cence lui  avaient  un  peu  manqué,  elle  n!avaît  eu  ni  l'idée 
dela^ertu  ni  l'instinct  de  ses  remords;  la  conscience 
qu'il  y  eût  le  moindre  mal  à  faire  ce  qu'elle  faisait  lui 
manquait  absolument.  Avoir  un  amant,  pourvu  qu'il  fût 
peinûre  ou  sculpteur,  lui  semblait  aussi  convenable  et 
aussi  honnête  que  d'être  mariée.  Et  pour  elle,  il  faut  le 
dire,  la  liaison  était  une  sorte  d'engagement  et  de  con 
trat.  Manette  était  de  l'espèce  de  ces  maîtresses  qu« 
mettent  l'honnêteté  du  mariage  dans  le  conc  binage. 
£lle  était  de  ces  femmes  qui  se  font  un  hor  eur  d'être, 


MANETTE  SALOMOH.  217 

fidèles  jusqu^au  jour  où  elles  en  aiment  un  autre.  Ce 
jour-là,  elles  ne  trompent  point  l'homme  avec  lequel 
elles  vivent  :  elles  le  quittent  et  s'en  vont  avec  leur  nou- 
vel amour.  Cette  loyauté  était  un  principe  chez  elle. 

Elle  avait  encore  d'autres  côtés  d'honnêteté  relative, 
de  certaines  élévations  d'âme.  Elle  se  donnait  sans  cal- 
cul, sans  arrière-pensée.  Elle  ne  regardait  point  à  l'ar- 
gent chez  un  homme. 

Les  douceurs,  les  gâteries  de  Coriolis  l'avaient  laissée 
assez  l'roide.  Le  bonheur  qu'il  lui  voulait,  les  caresses 
qu'il  mettait  dans  sa  vie  de  tous  les  jours,  l'agrément 
des  choses  autour  d'elle  ne  l'avaient  point  touchée  d'at- 
tendrissement et  de  reconnaissance.  Elle  se  sentait  bien 
lui  venir  avec  l'habitude  de  l'amitié  pour  Coriolis,  mais 
rien  que  de  l'amitié.  Elle  s'y  attachait  comme  à  un  bon 
garçon,  à  un  camarade,  à  quelqu'un  de  très-gentil.  Ce 
qui  lui  manquait  pour  l'aimer,  c'était  d'y  croire,  d'avoir 
foi  en  lui.  Habituée  jusqu'alors  à  vivre  avec  des  hommes 
brusques,  des  messieurs  assez  peu  commodes,  presque 
brutaux,  elle  voyait  à  Coriolis  des  habitudes,  un  ton, 
des  paroles  d'homme  du  monde  :  elle  se  demandait  s'il 
était  de  la  même  race,  et  elle  se  laissait  aller  à  croire 
qu'il  était  trop  bien  élevé  pour  devenir  jamais  célèbre 
comme  les  gens  célèbres  qu'elle  avait  connus.  Le  suc- 
cès de  Coriolis  tomba  sur  elle  comme  un  coup  de  lu- 
mière. 

Lorsqu'elle  vît  cette  unanimité  d'éloges,  des  journaux, 
des  feuilletons,  lorsqu'elle  toucha  cette  gloire,  grisée 
du  présent,  de  l'avenir,  de  ce  bruit  de  popularité  qui 
commençait,  l'orgueil  d'être  la  maîtresse  d'un  artiste 
connu  fit  tout  â  coup  lever  de  son  cœur  une  chaleur, 
une  flamme,  presque  de  l'amour. 


19 


218  WaNLIFE  SALOMOH. 


LX¥ 


Sans  éducation,  Manette  avait  la  pnre  ignorance  de  l'en- 
fant, de  la  femme  de  la  rue  et  du  peuple.  Mais  cette  igno- 
rance originelle  et  vierge  d'une  maîtresse,  si  blessante 
d'ordinaire  pour  l'amour-propre  d'un  homme,  ne  frois- 
sait pas  Coriolis.  A  peine  si  elle  l'atteignait  :  elle  glissait  et 
passait  sur  lui  sans  lui  donner  un  mouvement  d'impa- 
tience, sans  lui  inspirer  un  de  ces  retours,  un  de  ces 
regrets  où  l'amour  humilié  se  sent  rougir  de  ce  qu'il 

aime. 

Coriolis  était  un  artiste,  et  les  hommes  comme  lui, 
les  artisans  d'idéal,  les  ouvriers  d'imagination  et  d'in- 
vention, les  enfanteurs  de  livres,  de  tableaux,  de  sta- 
tues, sont  faciles  et  indulirents  à  de  pareilles  créatures. 
Il  ne  leur  déplaît  pas  de  vivre  avec  des  intelligences  de 
femme  incapables  d'atteindi  e  à  ce  qu'ils  cherchent,  à  ce 
qu'ils  tentent.  Leur  pensée  peut  vivre  seule  et  se  tenir 
compagnie.  Une  maîtresse  qui  ne  répond  à  rien  de  ce 
qu'ils  ont  dans  la  tête,  une  maîtresse  qui  est  unique- 
ment une  société  pour  les  repos  de  la  journée  et  les 
trêves  de  l'esprit,  une  maîtresse  qui  met,  autour  de  ce 
qu'ils  font  et  de  ce  qu'ils  rêvent,  une  espèce  d'incom- 
préhension soumise  et  instinctivement  respectueuse, 
cette  maîtresse  leur  suffit.  La  femme,  en  général,  ne 
leur  paraît  pas  être  au  niveau  de  leur  cervelle.  11  leur 
semble  qu'elle  peut  être  l'égale,  la  pareille,  et  selon  le 
mot  expressif  et  vulgaire,  la  moitié  d'un  bourgeois  : 
mais  ils  jugent  que,  pour  eux,  il  n'y  a  pas  de  compagne 
qui  puisse  les  soutenir,  les  aider,  les  relever  dans  l'ef- 
fort et  le  mal  de  créer;  et  aux  maladresses  dont  ne 
manquerait  pas  de  les  blesser  une  femme  élevée,  ils 
préfèrent  le  silence  de  bA*i>»:  d'une  femme  inculte.  Pres- 
que tous  n'en  suni  venus  là,  il  est  vrai,  qu'après  des 


MANETTE  SALOMON.  219 

illusions  mondaines,  des  essais  de  passion  spirituelle  ;  ils 
ont  rêvé  la  femme  associée  à  leur  carrière,  mêlée  à 
leurs  chefs-d'œuvre,  à  leur  avenir,  une  espèce  de  Béa- 
trice, ou  bien  seulement  une  madame  d'Albany.  Et  tom- 
bés meurtris,  blessés,  de  quelque  haute  déception,  ils 
sont  devenus  comme  cette  actrice  encore  belle,  encore 
jeune,  à  laquelle  on  demandait  pourquoi  on  ne  lui 
voyait  que  les  plus  bas  amants  au  tliéâtre  :  «  Parce  qu'ils 
sont  mes  inférieurs  »»  —  répondit-elle  d'un  mot  pro- 
fond. 

L'amour  avec  une  inférieure,  c'est-à-dire  l'amour  où 
l'homme  met  un  peu  de  l'autorité  du  supérieur,  et 
trouve  dans  la  femme  la  légère  et  agréable  odeur  de 
servitude  d'une  espèce  de  bonne  qu'il  ferait  asseoir  à  sa 
table,  1  amour  qui  permet  le  sans-gêne  de  la  tenue  et 
de  la  parole,  qui  dispense  des  exigences  et  des  déran- 
gements du  monde,  et  ne  touche  ni  au  temps,  ni  aux 
aises  du  travailleur,  l'amour  commode,  familier,  do- 
mestique et  sous  la  main,  —  c'est  l'explication,  le  se- 
cret de  ces  liaisons  d'abaissement.  De  là,  dans  l'art,  ces 
ménages  de  tant  d'hommes  distingués  avec  des  femmes 
si  fort  au-dessous  d'eux,  mais  qui  ont  pour  eux  ce 
charme  de  ne  pas  les  déranger  du  perchoir  de  leur  idéal, 
de  les  laisser  tranquilles  et  solitaires  dans  le  panier  des 
Nuées  où  l'Art  plane  sur  le  Pot-au-feu. 

Coriolis  était  de  ces  hommes.  Il  n'eût  pas  donné  vingt 
francs  pour  faire  apprendre  l'orlhographe  à  Manette.  Il 
prenait  sa  maîtresse  comme  elle  était,  et  pour  ce  qu'elle 
était,  une  bêle  charmante,  dont  le  parlage  ne  le  cho- 
quait pas  plus  que  les  notes  d'un  oiseau  qu'on  n*a  pas 
serine.  Même  cette  jolie  petite  nature,  sans  aucune  édu- 
cation, lui  plaisait  par  certains  côtés  de  spontanéité 
drôle  et  de  naïveté  personnelle  :  il  trouvait  dans  sa  fraîche 
niaiserie  une  originalité  d'enfance,  une  jeune  grâce.  Et 
souvent  le  soir,  en  s'endormant,  il  se  prenait  à  rire  tout 
haut,  dans  son  lit,  d'un  mot  bien  amusant  que  Manette 
avait  laissé  tomber  dans  la  journée,  et  qu'il  se  rappe- 
lait. 


t^  MANETTE  SALOMON. 

Manette,  d'ailleurs,  rachetait  auprès  de  lui  son  insuf- 
fisance spirituelle  par  une  qualité  qui,  aux  yeux  de 
Coriolis,  excusait  tout  chez  une  femme,  et  sans  laquelle 
îl  n'eût  pas  pu  vivre  trois  jours  avec  une  maîtresse.  Elle 
offrait  une  séduction  qui,  après  sa  beauté,  avait  attaché 
Coriolis  et  le  tenait  lié  à  elle.  Elle  possédait  ce  qui  sauve 
les  créatures  d'en  bas  du  commun  et  du  canaille  :  elle 
était  née  avec  ce  signe  de  race,  le  caractère  de  rareté 
et  d'élégance,  la  marque  d'élection  qui  met  souvent, 
contre  les  hasards  du  rang  et  de  la  destinée  des  for- 
tunes, la  première  des  aristocraties  de  la  femme,  Faris- 
tocratie  de  nature,  dans  la  première  venue  du  peuple  : 
—  ta  distinction. 


LXVI 

Le  nouvel  attachement  de  Manette  pour  Coriolis  eut 
oientôt  l'occasion  de  se  montrer  et  de  se  ^consacrer, 
comme  les   passions  de  femmes,  dans  le  dévouement. 

La  fatigue  surmontée  et  vaincue  par  Coriolis  pendant 
son  dernier  mois  de  travail,  son  effort  énorme  et  inquiet 
pour  arriver  à  temps,  avaient  amené  chez  lui  un  abatte- 
ment, un  vague  malaise.  Un  refroidissement  qu'il  prenait 
le  rendait  tout  à  fait  malade. 

Coriolis  avait  toujours  eu  de  bizarres  façons  d'être 
souffrant.  Il  se  couchait,  ne  parlait  plus,  regardait  les 
gens  sans  leur  répondre,  et  quand  les  gens  restaient  là, 
il  tournait  le  dos  et  se  collait  le  nez  dans  la  ruelle. 
C'était  sa  manière  de  se  soigner;  et  après  deux,  trois, 
quatre,  quelquefois  cinq  jours  passés  ainsi,  sans  une 
parole  ni  un  verre  de  tisane,  il  se  levait  comme  à  l'or- 
dinaire et  se  remettait  à  travailler  sans  parler  de  rien, 
ni  vouloir  qu'on  lui  parlât  de  rien. 

Mais  cette  fois  il  ne  put  se  soigner  à  sa  guise.  Au  se- 
cond jour,  Anatole  le  vit  si  malade  qu'il  alla  chercher 


MANETTE  SALOMON.  221 

an  médecin,  le  médecin  orJinaire  du  monde  de  l'art,  et 
que  la  moitié  des  hommes  de  lettres  et  des  artistes  trai- 
taient en  camarade.  Singulier  homme,  avec  sa  tête  mé- 
chante et  souriante  de  bossu,  son  œil  clignotant,  ses 
paupières  plissées  de  lézard  :  quand  il  était  là,  assis  au 
pied  du  lit  d*un  malade,  il  prenait  un  inquiétant  aspect 
de  vieux  juge  qui  regarderait  souffrir.  Il  avait  l'air  d'être 
content  de  tenir  un  homme  de  talent,  un  homme  connu, 
de  l'avoir  à  sa  discrétion,  de  pouvoir  lui  ausculter  h 
moral,  tâter  ses  peurs,  ses  lâchetés  devant  le  mal;  et  sur 
sa  mine  paterne  et  mielleus^  passaient  de  petits  éclairs 
froids  où  s'apercevaient  ensemble  la  rancune  implacable 
d'une  carrière  manquée,  d'une  vie  déçue,  blessée  à  la 
fortune  des  autres,  et  la  curiosité  d'une  étude  impie  et 
féroce  aux  prises  avec  l'instinct  de  guérir  d'une  grande 
science  rqédicale 

—  Ah!  sapristi,  mon  pauvre  enfant,  —  dit-il  à  Co- 
riolis,  —  pas  de  chance!  Dire  que  ta  réputation  allait  si 
bien!...  Tu  marchais,  tu  marchais...  Tu  commençais  à 
embêter  pas  mal  de  gens...  Ah  !  tu  étais  lancé... 

Il  suivait  ses  paroles  sur  le  visage  de  Goriolis. 

—  Je  suis  fichu,  hein?  n'est-ce  pas? —  dit  Goriolis 
en  relevant  sur  lui  des  yeux  braves. 

Le  médecin  ne  répondit  pas  tout  de  suite.  Il  paraissait 
tout  occupé  à  écouter  le  pouls  de  Goriolis,  à  en  compter 
les  battements.  Et  tous  deux  se  regardant  face  à  face,  il 
y  eut  un  instant  de  silence  et  de  lutte  au  bout  duquel  le 
médecin  sentit  faiblir  son  regard  sous  le  regard  appuyé 
sur  le  sien. 

—  Qu'est-ce  qui  te  parle  de  ça?  —  reprit-il  d'un  air 
bonhomme.  —  Mais  il  était  temps,  là,  vrai...  Tu  as  ce 
qu'on  fait  de  mieux  en  fait  de  fausse  fluxion  de  poitrine. 

Et  il  se  mit  à  écrire  une  terrible  ordonnance. 

Comme  Manette  le  reconduisait,  muette,  sans  oser  lui 
dire  :  Eh  bien?  —  Ah!  le  gaillard!  —  fit-il  en  prenant 
sur  un  tabouret  son  chapeau  de  philanthrope  à  larges 
bords,  et  jetant  un  regard  sur  les  murs  de  l'atelier  garnis 
d'esquisses: — On  ferait  une  jolie  vente  ici...  oui...  oui.., 

M. 


222  MANETTE  SALOMON. 

Et  sur  ce  mot  il  salua  Manette  avec  une  ironie  habituée 
à. laisser  tomber  dans  les  désespoirs  de  la  femme  les 
cupidités  de  la  maîtresse. 

Sous  l'impression  de  cette  visite,  sous  les  soufTrances 
aiguës  de  la  maladie  et  TafTaiblissement  des  saignées, 
Coriolis  se  crut  perdu.  Il  se  prépara  à  mourir,  et  il 
trouva,  pour  quitter  la  vie,  des  adieux  d'une  douceur 
étrange. 

Venu  tout  enfant  en  France,  Coriolis  avait  toujours  eu 
le  sentiment,  la  passion  de  l'exotique,  la  nostalgie,  le 
mal  du  pays  des  pays  chauds.  Il  s'était  toujours  senti 
l'envie  et  comme  le  regret  d'un  autre  ciel,  d'une  autre 
terre,  d'autres  arbres.  Sa  bouche  aimait  à  mordre  à  des 
fruits  étrangers;  ses  mains  allaient  aux  objets  peints  et 
teints  par  le  Midi,  ses  yeux  se  plaisaient  à  des  feuilles 
d'Asie.  L'Orient  l'avait  toujours  appelé,  tenté.  Il  aimait 
à  le  respirer  dans  les  choses  venues  d'outre-mer,  qui  en 
rapportent  la  couleur,  l'odeur,  le  souffle.  Son  rêve,  son 
bonheur,  l'illumination  et  la  vocation  de  son  talent,  la 
naturalisation  de  ses  goûts,  sa  patrie  de  peintre,  il  avait 
trouvé  tout  cela  là-bas.  Mourant,  il  voulut  charmer  son 
agonie  avec  ce  qui  avait  charmé  son  existence,  et  il  n'eut 
plus  que  cette  pensée  d'aspiration  suprême  :  rOrienll 
On  eût  dit  que,  comme  dans  les  religions  de  ses  peuples 
de  lumière,  il  tournait  sa  mort  vers  le  soleil. 

Il  voulait  avoir  sur  le  pied  de  son  lit  des  morceaux  de 
tissus  qu'il  avait  rapportés,  des  étoiïes  lamées  d'argent, 
des  soieries  safranées  où  couraient  des  fils  d'or;  et,  la 
tête  un  peu  aiïaissée  dans  les  oreillers,  avec  les  regards 
longs  des  mourants,  il  regardait  ces  choses  aimées.  De 
temps  en  temps  il  fermait  un  instant  les  yeux  pour  joui 
en  lui- môme  comme  un  buveur  qui  savoure  les  délice 
d'un  vin  ;  puis  il  les  rouvrait,  et  ne  pouvant  les  rassa 
sier,  il  suivait  ainsi  jusqu'au  jour  baissant  les  pas  du 
jour  sur  la  splendeur  des  soies.  Et  ce  qu'il  voyait,  ces 
étoffes,  ces  ors,  ces  rayons,  peu  à  peu  l'enveloppant, 
Tenlevaient  à  l'heure,  à  la  chambre,  au  lit  où  il  était  Sa 
fie^  il  ne  la  sentait  plus  battre  qu'au  cœur  de  ses  souve- 


f 

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r 


MAiNKTTE  SALOMOiN.  223 

airs.  Les  couleurs  qu'il  avait  devant  lui  devenaient  ses 
idées,  et  remportaient  à  leur  pays.  Il  était  là-bas  :  il 
revoyait  ce  ciel,  ces  paysages,  ces  villes,  ces  bazars,  ces 
caravanes,  ces  fleurs,  ces  oiseaux  roses,  ces  ruines  blan- 
ches; et  des  caquelages  de  femmes  assises  dans  un 
caïack  qu'il  avait  entendus  à  Ticliim-Brahé,  lui  revenaient 
dans  un  bourdonnement  de  faiblesse. 

Dans  ses  mains  il  se  faisait  mettre  des  amulettes,  des 
petits  flacons  d'essence,  des  bourses,  des  bijoux,  des 
grains  de  collier;  et  de  ses  doigts  détendus,  errant 
dessus  et  qui  avaient  peine  à  prendre,  il  les  palpait,  les 
retournait,  les  touchait  pendant  des  heures,  lentement, 
avec  des  attouchements  amoureux  et  dévots  qui  sem- 
blaient égrener  un  chapelet  et  caresser  des  reliques.  Ses 
yeux  se  fermaient  presque;  les  lèvres  chatouillées  d'un 
demî-sourire  heureux,  il  tâtonnait  toujours  vaguement. 
Et  quand  Manette  voulait  pour  qu'il  dormît  les  lui  re- 
prendre, il  les  serrait  de  ses  faibles  mains  avec  une  force 
d'enfant. 

Quelquefois  encore  il  approchait  de  ses  narines  le 
parfum  évaporé  qui  reste  à  ces  objets,  et  en  les  sentant, 
U  les  effleurait  de  ses  lèvres  pâlies  comme  pour  mettre 
dans  une  dernière  communion  le  baiser  de  son  agonie 
sur  l'adoration  de  sa  vie  1 

Cinq  jours  se  pjissèrent  ainsi.  Manette  ne  le  quittait 
plus,  ne  se  cou^-liait  pas.  Elle  le  soignait  comme  une 
femme  qui  ne  veut  pas  qu'on  meure.  Anatole  l'aidait 
admirablement  et  de  tout  cœur  :  il  avait,  lui  aussi,  des 
soins  de  femme,  les  merveilleux  talents  de  garde-malade 
d'un  bu  m  me  à  tout  faire. 

Coriuhs  fut  sauvé. 


LXVII 

Un  soir,  Coriolis,  qui  n'était  pas  encore  recouché,  li- 
sait, allongé  sur  le  divan.  Maneile  allant  et  venant,  ran- 


2£4  MANETTE  SALOMON. 

geaît  dans  l'atelier^  repliait  dans  la  petite  armoire  le 
étoffes  turques  éparpillées  sur  des  meubles;  et  de  tem^n 
en  temps,  se  mettant  devant  la  psyché  qu'éclairaient 
deux  bougies,  elle  essayait  sur  elle,  en  se  souriant,  des 
morceaux  de  costume  d'Orient,  —  quand  Anatole  ren- 
tra suivi  de  quelque  chose  de  blanc  à  quatre  pattes^ 
qui  avait  le  collier  de  faveur  rose  d'un  mouton  de  ber- 
gerie. 

—  Ah  ça!  qu'est-ce  que  vous  nous  amenez?  —  fit  Ma- 
nette en  poussant  un  petit  cri  de  peur. 

—  Oh!  mon  Dieu!  —  dit  Anatole,  —  rien...  un  co- 
chon... 

Le  goret  trottinait  déjà  dans  Talelier,  furetant,  le  nez 
en  terre,  avec  de  petits  grognements,  faisant  la  recon- 
naissance de  tous  les  recoins  et  de  tous  les  dessous  de 
meubles  de  la  grande  pièce. 

—  Tu  es  fou  !  —  fit  Coriolis. 

—  Parce  que  je  rapporte  un  cochon,  un  amour  de 
cochon,  un  cochon  qui  a  des  rubans  comme  une  boîte 
de  baptême?...  Tu  ne  méritais  pas  de  le  gagner,  par 
exemple...  Merci,  le  gros  lot,  plains-toi!...  Oui,  mon 
cher...  On  a  été  si  content  au  café  de  Fleurus  de  te  sa- 
voir remonté  sur  ta  bêle,  qu'on  t'a  conservé  ton  assiette 
au  dîner  et  qu'on  a  tiré  pour  toi  à  la  loterie...  Tu  as  eu 
la  chance...  et  tu  as  la  bête...  C'est  doux,  c'est  gentil, 
ça  aime  l'homme...  et  ça  sauve  de  la  tentation  :  vois 
saint  Antoine!...  El  puis  ce  sera  une  société  pour  Ver- 
millon... Il  faut  que  je  le  lui  présente...  Hop!  VermH- 
ton! 

Sur  cet  appel  d'Anatole,  Vermillon,  qui  avait  hasardé 
un  bout  de  son  museau  hors  de  sa  cage  à  "entrée  du 
goret  dans  l'ateher,  le  rentra  en  se  renfonca.it  précipi- 
tamment. 

—  Vermillon!  —  cria  impérieusement  Anatole 
Vermillon  se  pencha,  se  gratta  la  tête,  se  lança  après 

sa  corde,  descendit  vite  jusqu'au  milieu,  et  s'arrêta  là, 
en  liant,  comme  un  clown,  son  jarret  autour  du 
chanvre.  Anatole,  secoua  la  corde  :  le  singe  lui  tomba 


MANETTE  SALOMON.  «25 

sur  rëpaule,  et  de  là,  sautant  à  terre,  il  se  mit  de  loin, 
baissé  et  appuyé  sur  le  dos  de  ses  deux  mains,  à  regar- 
der cette  bête  imprévue  qui  ne  le  regardait  pas.  Il  en  fit 
le  tour  :  le  cochon  se  mit  à  marcher,  le  singe  le  suivit 
avec  de  petits  sauts,  se  penchant  de  temps  en  temps,  le 
regardant  en  dessous,  le  considérant  avec  une  attention 
profonde,  méditative,  presque  scientifique. 

—  Nous  étions  une  flotte,  —  reprit  Anatole,  —  au 
grand  complet...  Je  t'ai  excusé...  J'ai  dit  que  tu  étais 
encore  un  peu  patraque...  Oh!  ça  été  d^un  chaud!  On  a 
crié  à  faire  venir  les  sergents  de  ville! 

Le  singe  peu  à  peu,  suivant  le  cochon  pas  à  pas,  se 
familiarisait  avec  lui.  Il  le  flaira,  le  toucha  un  peu, 
aventura  sa  patte  dessus,  et  goûta  le  doigt  avec  lequel  il 
l'avait  touché,  t^uis,  tournant  derrière  lui,  il  lui  prit  dé- 
licatement la  queue,  la  releva,  regarda,  et,  comme  si 
son  instinct  de  la  ligne  droite  était  blessé  par  cette 
queue  en  vrille,  il  la  tira  pour  la  redresser,  la  lâcha 
pour  voir  s*il  avait  réussi  ;  et  voyant  qu'elle  restait  tire- 
bouchonnée,  la  retira  encore.  Le  cochon  restait  immo- 
bile, cloué  sur  ses  quatre  pattes,  effrayé  de  l'opération, 
plein  d'une  sorte  de  terreur  paralysée,  ne  donnant 
d'autre  signe  d'impatience  qu'un  émoustillement  d'o- 
reille. 

—  Vermillon!  à  ta  niche!  —  cria  Coriolis;  et  se  re- 
tournant vers  Anatole  :  —  Dis  donc,  qu'est-ce  qu'il  faut 
que  je  leur  donne  la  prochaine  fois...  quel  lot?  Je  vou- 
drais faire  les  choses  bien,  tu  comprends,  tout  à  fait 
bien...  Ça  serait  bêle  de  leur  donner  quelque  chose  de 
moi... 

—  Tiens!  si  tu  leur  donnais  ton  vilain  singe? —  lança 
Manette. 

—  Mon  fils  adoptif!  —  dit  Anatole.  —  Ah!  bien!... 

—  Un  bronze  de  Barbedienne?...  —  reprit  Coriolis, 
—  ce  n'est  pas  bien  neuf,  un  bronze  de  Barbedienne... 
Ma  foi!  si  je  leur  rendais,  comme  lot,  un  dîner  à  tous 
ici...  pour  la  fin  de  ma  convalescence? 

—  Hum!  un  dîner...  —  fil  Anatole,  —  ça  sent  la  fétt 


226  MANETTE  SALOMON. 

de  famille,  un  dîner...  Donne  donc  plutôt  nn  souper... 

c'est  toujours  plus  drôle. 

—  Oh!  mon  Dieu,  un  souper,  si  tu  yeux...  Hais 
qu'est-ce  qu'on  fera  avant  souper? 

—  Tout  ce  qu'on  voudra...  de  la  musique  religieuse... 
Une  idée!...  si  on  se  livrait  à  un  petit  tremblement  de 
jambes? 

—  Moi,  d'abord,  je  mets  ça,  si  on  danse. ..  —  dit  Ma- 
nette qui  venait  de  passer  sur  elle  une  magniQque  robe 
de  Smyrniote. 

—  Mais,  ma  chère,  tu  n'y  penses  pas...  ce  n'est  plus 
Tépoque  des  bals  masqués... 

—  Bah!  si  ça  l'amuse?  —  fit  Anatole.  —  Donne-lui 
cette  petite  fête-là...  Elle  ne  l'a  pas  volée...  Elle  n'a  pas 
eu  trop  d'agrément  ces  temps-ci...  Garnotelle  connaît  le 
préfet  de  police,  il  vient  de  faire  son  portrait...  Il  nous 
aura  une  permission...  Nous  aurons  un  municipal  à  la 
porte...  C'est  ça  qui  aura  de  l'œil!...  Enfoncés  les  bour- 
geois ! 

Manette,  sans  rien  dire,  s'était  posée  toute  costumée 
devant  Coriolis. 

—  Accordé!  —  dit  Coriolis,  —  bal  et  souper!  Voilà 
le  programme...  Par  exemple,  c'est  toi  que  ça  regarde- 
Analole...  tu  te  charges  de  tout...  Ah!  canaille  de  Ver- 
millon! 

Et  tous  les  trois  partirent  d'un  grand  éclat  de  rire. 

Après  s'être  acharné  à  vouloir  redresser  la  q<!eue  du 
cochon,  après  avoir  essayé  inutilement  de  grimper  sur 
ion  dos,  Vermillon  avait  paru  lâcher  sa  victime.  Grimpé 
sur  un  coiïre,  et  là  se  tenant  bien  tranquille  en  ayant 
l'air  de  ne  penser  à  rien,  il  avait  attendu  que  le  goret 
rassuré  passât  dans  sa  promenade  quêtante  juste  au- 
dessous  de  lui.  Il  avait  saisi  le  moment,  calculé  son 
saut,  bondi  juste  sur  le  pauvre  animal  qui,  de  terreur, 
faisait  en  cercles  éperdus,  comme  dans  le  manège  d'un 
cirque,  une  course  qu'aiguillonnaient  les  ongles  de  Ver- 
millon cramponné,  par  la  peur  de  tombei,  à  la  peau  du 
coureur.  Le  petit  cochon,  les  oreilles  rabattues  sur  les 


MANETTE  SALOMON.  fn 

yeux,  lancé  el  détalant  comme  s'il  avait  un  diablotin  en 
croupe,  le  petit  singe  avec  ses  inquiétudes  nerveuses, 
avec  sa  mine  de  voleur,  aplati,  rasé,  collé  sur  le  dos  de 
cette  bête  de  graisse,  se  rattrapant  el  se  raccrochant 
dans  des  pertes  d'équilibre  continuelles,  —  c'était  un 
spectacle  du  plus  prodigieux  comique,  où  un  philosophe 
aurait  peut-être  vu  l'Esprit  monté  sur  la  Chair  et  em- 
porté par  elle. 


LXVIII 


A  minuit,  le  20  juin,  commençait  dans  l'atelier  de 
Coriolis  ce  bal  qui  devait  devenir  historique  et  laisser 
dans  les  légendes  de  l'art  une  mémoire  encore  vivante. 

Entre  les  quatre  murs  rayonnant  de  lumière,  on  eût 
cru  voir  se  pressejrun  peu  de  toutes  les  nations  etde  tous 
les  siècles.  L'histoire  et  l'espace  semblaient  ramassés 
là.  L'univers  s'y  coudoyait.  C'était  comme  une  évocation 
où  le  peuple  d'un  Musée,  descendu  de  ses  cadres,  se 
cognait  au  Carnaval.  Les  étoffes,  les  modes,  les  dessins, 
les  lignes,  les  souvenirs,  les  pays,  tout  se  mêlait  dans  le 
tohubohu  étourdissant  des  couleurs.  11  y  avait  des  échan- 
tillons de  toutes  les  civilisations,  des  morceaux  de  toute 
la  terre,  et  des  robes  volées  à  des  statues.  Les  costumes 
allaient  d'un  pôle  à  l'autre,  et  de  Jupiter  à  un  garde  na- 
tional de  la  banlieue.  Ceux-ci  venaient  du  Niger;  ceux- 
là  avaient  été  détachés  d'une  page  de  Cesare  Vecellio.  11 
passait  des  cardinaux  et  des  Mohicans.  Des  couples  se 
parlaient  comme  de  la  distance  d'une  forêt  vierge  à 
Trianon.  Un  portrait  historique,  un  personnage  drapé 
dans  un  chef-d'œuvre,  prenait  la  taille  de  la  dernière  des 
débardeuses.  Des  bouts  de  chlamyde  flottaient  sur  des 
pointes  de  mules.  Yeddo  était  dans  cette  jupe,  un  bar- 
bare de  la  colonne  Trajane  dans  cette  braie.  La  fusta- 
nelle plissi  "  à  côté  de  1»  jupe  écossaise.  La  toge,  comme 


«8  MANETTE  SALOMON. 

la  porte  la  statue  de  Tibère,  voisinait  avec  la  ICbiUa 
d*Océanie.  Une  déesse  de  la  Raison,  une  Diane  de 
Poitiers  et  une  belle  écaillère  faisaient  un  groupe  des 
trois  Grâces.  Un  paysagiste  figurait  une  statue  antique 
avec  un  masque  de  plâtre  et  du  madapolam  amidonné. 
On  voyait  un  galérien  en  vareuse  rouge,  en  bonnet  vert, 
avec  la  chaîne  et  un  boulet  fait  d'un  ballon  d'enfant 
peint  en  noir.  Un  fou  de  Yélasquez  serrait  la  main  â  un 
Jean-Jean  de  l'Empire.  Deux  Égyptiens,  du  temps  de 
Rhamsès  II,  détachés  d'une  graphie  égyplienne,  frater- 
nisaient avec  un  Mezzetin.  De  la  toile  à  matelas  par 
instant  cachait  de  la  pourpre.  La  tête  d'un  lion,  qui 
coiffait  un  Hercule,  était  coupée  par  le  plumet  d'un 
Chicard.  Un  premier  communiant  à  barbe,  uans  un  ha- 
bit et  un  pantalon  de  collégien  trop  courts,  avec  le  bras- 
sard blanc,  donnait  le  bras  à  un  page  mi-parli  qui 
s'était  peint  les  jambes  à  la  colle,  en  noir  et  bleu.  Une 
femme,  en  Moluquoise,  avait  un  chapeau  de  six  pieds 
de  large,  tout  garni  de  nacre  et  de  coquillages.  Une  autre 
était  la  sainte  Cécile,  en  rouge,  du  Dominiquin. 

Et  â  tous  ces  costumes,  hommes  et  femmes  avaient 
ajouté,  avec  la  conscience  d'artistes  qui  se  déguisent,  la 
tournure,  l'air,  le  teint,  la  physionomie,  la  couleur  locale 
du  maquillage,  la  grimace  même  de  chaque  latitude. 
Toute  une  bande  d'atelier,  costumée  en  Peaux-Rouges, 
avait  passé  la  journée  à  se  peindre  religieusement, 
d'après  les  planches  de  Catlin,  tous  les  tatouages  rouges, 
verts  et  jaunes  des  Indiens  :  on  les  aurait  reçus  â  la 
danse  du  buffle.  Et  une  femme  qui  était  en  Chinoise 
s'était  donné  la  migraine  en  se  faisant  tirer  les  cheveux 
aux  tempes  pour  se  remonter  le  coin  des  yeux. 

Dans  ce  brouhaha  de  pittoresque  se  détachait  un  coin 
d'Olympe  :  la  beauté  d'un  modèle  de  femme  en  Ara- 
phitrile,  vêtue  d'Une  écume  de  mousseline  à  travers 
laquelle  paraissaient,  à  ses  chevilles,  des  péricelidès  d'or 
copiés  sur  la  Venus  physica  du  Musée  de  Naples;  la 
beauté  d'un  homme  dont  les  muscles  jouaient  dans  un 
maillot;  la  beauté  de  Massicot,  le  sculpteur,  dans  le 


MANETTE  SALOMOI^.  229 

costume  des  fromagiers  de  Parmesan,  la  chemise  bouil- 
lonnée,  coupée  sur  le  biceps,  le  petit  tablier  bleu  sur  le 
ventre,  le  caleçon  arrêté  au  genou,  les  jambes  nues, 
basanées,  nerveuses  et  parfaites,  dignes  de  son  costume 
?t  de  ce  type  de  race  qui  montre  le  Bacchus  indien  dans 
les  fermes  milanaises. 

Puis  çà  et  là,  c'étaient  des  apparitions,  des  fantaisies 
de  Mardi  gras,  comme  en  trouve  l'atelier,  des  carica- 
tures taillées  de  main  d'artiste,  des  parodies  cocasses, 
unMoyen  âge  à  la  Courtilie,  des  défroques  de  la  cheva- 
lerie du  sire  de  Franboisy,  des  valets  héraldiques  de  jeux 
de  cartes,  des  ombres  grotesques  de  l'Iliade,  des  héros 
qui  avaient  ramassé  un  casque  dans  un  Daumier,  des 
vengeances  de  pensum  sur  le  dos  d'Achille,  une  cour 
ie  Cucurbitus  I",  des  imaginations  de  travestissements 
volés  dans  la  cuisine  de  Grandville,  des  gens  qui  avaient 
l'air  d'être  tombés  dans  un  pot-au-feu,  la  tête  la  pre- 
mière, et  d'en  avoir  été  retirés  avec  une  couronne  da 
lauriers  et  de  carottes. 

Coriolîs  avait  la  grande  robe  de  brocard  à  pèlerine^ 
à  ramages  jaunes  et  verts,  du  seigneur  qui  lève  une 
coupe  dans  les  Noces  de  Cana. 

Manette  portait  un  des  costumes  rapportés  d'Orient 
par  Corîolis  :  les  jambes  dans  un  large  pantalon  de  soie 
flottant^  de  la  délicieuse  nuance  fausse  du  rose  turc,  elle 
avait  la  taille  dessinée  par  une  petite  veste  de  soie 
marron  soulachée  d'or,  d'où  sortaient  ses  bras  nus,  bat- 
tus par  les  grandes  manches  d'une  chemise  de  tulle 
sans  agrafes  qui  laissait  voir  en  jouant  la  moitié  de  sa 
gorge.  Sur  sa  tête,  elle  avait  le  charmant  tatikos  de 
Srayrne,  le  tarbouch  rouge  aplati,  tout  couvert  d'agré- 
ments et  de  broderies,  dans  lesquels  elle  avait  passé, 
noué,  enroulé  les  tresses  de  ses  cheveux  avec  l'art  et  la 
coquetterie  d'une  femme  de  là-bas.  Et  ravissante  ainsi, 
elle  semblait  la  vraie  femme  d'Ionie,  —  la  femme  de  la 
séduction. 

Garnolelle,  tout  en  gardant  ses  cheveux  longs,  s'était 
très-bien  arrangé  dans  le  pourpoint  de  brocard  noir,  aux 

20 


230  MANETTE  SALOMON. 

manches  violettes,  du  beau  portrait  de  Calcar  du  Louvre. 

Chassagnol  était  superbe  dans  son  costume  de  co- 
mique florentin,  en  Stenlerello  du  théâtre  Borgognisanti, 
avec  sa  perruque  rousse,  sa  petite  queue  remontante, 
ses  coups  de  noir  à  travers  la  figure,  ses  sourcils  ter- 
ribles, sa  veste  courte  à  carreaux. 

Pour  Anatole,  il  â'était  déguisé  en  saltimbanque,  eo 
saltimbanque  classique  de  baraque.  Il  avait  des  chaus- 
settes de  laine  noire,  sur  lesquelles  il  avait  fait  coudre 
un  lacet  d'or  en  triangle  et  de  la  fourrure,  un  maillot 
blanc,  un  caleçon  de  cachemire  rouge  bordé  de  velours 
noir,  des  bracelets  en  velours  noir  et  or,  une  collerette 
en  velours  noir  et  or,  un  diadème  en  or  sur  une  grande 
perruque,  et  une  trompette  dans  le  dos. 


LXIX 


Ce  costume  de  saltimbanque  était  le  vrai  costume  de 
la  danse  d'Anatole,  une  danse  folle,  éblouissante,  étour- 
dissante, où  le  danseur,  avec  une  fièvre  de  vif  argent  et 
des  élasticités  de  clown,  bondissait,  tombait,  se  ramas- 
sait, faisait  nn  nimbe  à  sa  danseuse  avec  le  rond  d'un 
coup  de  pied,  s'aplatissait  dans  un  grand  écart  au  solo 
de  la  pastourelle,  se  relevait  sur  un  saut  périlleux.  On 
riait,  on  applaudissait.  La  danse  autour  de  lui  s'arrêtait 
pour  le  voir.  Son  agilité,  sa  mobilité,  le  diable  au  corps 
qui  faisait  partir  tous  ses  membres,  mettait  comme  une 
joie  de  vertige  dans  le  bal. 

Tout  à  coup,  au  milieu  de  son  triomphe,  des  groupes 
qui  se  bousculaient  et  se  marchaient  sur  les  pieds,  Ana- 
tole disparut.  On  le  chercliait,  on  se  demandait  ce  qu'il 
était  devenu  :  il  reparut  en  cravate  blanche,  en  habit 
noir,  avec  la  figure  enfarinée  d'un  Pierrot,  et  grave- 
ment, il  recommença  à  d.mser. 

Ce  n'était  plus  sa  danse  de  tout  k  Vheure,  une  danse 


> 

MANETTK  SALOMON.  t3i 

de  tours  de  force  et  de  gymnastique  :  c'était  maintenant 
une  danse  qui  ressemblait  à  la  pantomime  sérieuse  et 
sinistre  de  sa  blague,  —  une  danse  qui  blaguait!  — 
Mouvements,  physionomie,  les  jambes,  les  bras,  la  tête, 
tout  son  être,  le  danseur  l'agitait  dans  le  jeu  d'une  in- 
dicible gouaillerie  cynique.  On  ne  savait  quoi  de  ^ar- 
donique  lui  courait  le  long  de  l'échiné.  De  toute  sa 
personne,  jaillissaient  des  charges  cruelles  d'infirmités  : 
il  se  donnait  des  tics  nerveux  qui  lui  détraquaient  la 
figure,  imitait  en  clopinant  le  bancal  ou  la  Jambe  de 
bois,  simulait,  au  milieu  d'un  pas,  le  gigottement  de 
pied  d'un  vieillard  frappé  d'apoplexie  sur  un  trottoir. 
Il  avait  des  gestes  qui  parlaient,  qui  murmuraient  : 
«  Mon  ange!  "»  qui  disaient  :  «  Et  la  sœuri  >  qui  sem- 
blaient secouer  de  l'ordure,  de  l'argot  et  des  dégoûts! 
n  tombait  dans  des  béatitudes  hébétées,  des  extases 
idiotes,  des  ahurissements  abrutis,  coupés  de  subites 
démangeaisons  bestiales  qui  lui  faisaient  se  battre  le 
haut  de  la  poitrine  avec  des  airs  d'un  naturel  de  la 
Terre-de-Feu.  Il  levait  les  yeux  au  plafond  comme  s'il 
crachait  au  ciel.  Il  avait  des  regards  qui  semblaient 
tomber  du  paradis  à  la  brasserie;  il  avait,  sur  le  front 
de  sa  danseuse,  des  bénédictions  de  mains  à  la  Robert 
Macaire.  Il  embrassait  la  place  des  pas  de  la  femme  qui 
lui  faisait  vis-à-vis,  il  se  gracieusait,  se  déformait,  faisait 
le  geste  de  cueillir  de  l'idéal  au  vol,  piétinait  comme 
sur  une  illusion  flétrie,  rentrait  sa  poitrine,  se  bossuait 
les  épaules,  jouait  don  Juan,  puis  Tortillard.  Il  impri- 
mait un  mouvement  de  rotation  mécanique  à  une  de 
ses  mains,  et  tournant  dans  le  vide,  il  paraissait  moudre 
un  air  qui  semblait  le  chant  de  l'alouette  de  Juliette 
sur  l'orgue  de  Fualdès.  Il  parodiait  la  femme,  il  paro- 
diait l'amour.  Les  poses,  les  balancements  de  couples 
amoureux,  consacrés  par  les  chefs-d'œuvre,  les  statues 
et  les  tableaux,  les  lignes  immortelles  et  divines  de 
caresse  qui  vont  d'un  sexe  à  l'autre,  qui  saluent  la 
femme  et  la  désirent,  Tenlacement  qui  lui  prend  la 
taille  et  se  noue  à  son  cœur,  la  prière,  l'agenouillé- 


232  MANETTE  SALOMOM. 

ment,  le  baiser^  —  le  baiser!  —  il  caricaturait  tout  cela 
dans  des  charges  d'artî«<e,  dans  des  poses  de  dessus 
de  pendule  et  de  troubadourisme,  dans  des  attitudes 
dérisoires  d'imploration,  de  pudeur  et  de  respect,  mo- 
q  Miit,  avec  un  doigt  de  Cupidon  sur  la  bouche,  toute 
là  Liidre  sentimentalité  de  l'homme...  Danse  impie,  où 
l'on  aurait  cru  voir  Satar -Chicard  et  Méphistophélès- 
Arsouillel  C'était  le  cancan  infernal  de  Paris,  non  le 
cancan  de  1830,  naïf,  l)rutal,  sensuel,  mais  le  cancan 
corrompu,  le  cancan  ricaneur  et  ironique,  le  cancan 
épileptique  qui  crache  comme  le  blasphème  du  plaisir 
et  de  la  danse  dans  tous  les  blasphèmes  du  temps! 

A  la  fin,  tout  le  bal  se  groupait  autour  du  quadrille 
oA  il  dansait;  et  les  femmes  qui  avaient  le  bonheur 
d'être  costumées  en  Turds  et  de  porter  des  pantalons, 
montées  sur  des  épaules  de  doges,  de  cardinaux,  de 
sénateurs  romains,  regardaient  de  là-haut,  criant  à 
force  de  rire. 


LXX 

Goriolis  avait  été  assez  rudement  secoué  par  sa  ma- 
ladie. Il  ne  reprenait  ses  forces  que  lentement,  travail- 
lant mal,  manquant  de  l'entrain  de  la  santé,  souflrant  de 
la  chaleur  de  l'été,  intolérable  cette  année-là. 

—  C'est  une  drôle  de  chose,  —  dit-il  un  jour  à  Ana- 
tole, —  quand  on  a  dix-huit  ans  on  ne  s'aperçoit  pas 
du  mois  de  juillet  à  Paris...  On  ne  sent  pas  qu'on  étouffe 
et  que  les  ruisseaux  puent;  du  diable  si  l'on  a  l'idée  de 
penser  à  des  endroits  où  il  y  a  de  l'air  et  de  l'ombre 
d'arbres... 

—  Ah  ça!...  —  fit  Anatole,  —  est-ce  que  tu  aurais 
le  projet  d'acheter  une  maison  de  campagne  avec  un 
jet  d'eau? 

— ^Non, — répondit  Coriolis,— ça  ne  va  pas  jusque-là... 
mais,  mon  Dieu,  si  ça  vous  convenait  à  Manette  et  à  toi... 


MANETTE  SALOMON.  233 

—  Quoi?  —  fit  Manetle. 

—  D'aller  à  la  campagne,  tout  bêtement,  comme  des 
boutiquiers  de  passage,  respirer... 

—  A  la  campagne?  oh?  oui...  —  dit  nonchalamment 
Manette,  à  laquelle  ce  mot  faisait  voir  quelque  chose 
au-delà  de  Saint-Cloud,  de  vert,  d'inconnu,  d'attirant, 
avec  de  l'herbe  où  l'on  peut  s'asseoir. 

Elle  reprit  aussitôt  : 

—  Où  ça? 

—  Ma  foi,  —  reprit  Corîolis,  —  je  ne  connais  pas 
Fontainebleau...  Il  parait,  à  ce  qu'ils  disent  .tous,  que 
c'est  une  vraie  forêt...  Kous  irions  dans  un  trou...  à 
Barbison,  à  l'auberge. .•  Une  installation,  ce  serait  le 
diable...  nous  laisserons  nos  domestiques  ici. 

—  Oh!  c'est  ça,  en  garçons!  —  fit  Manette,  à  laquelle 
ridée  d'aller  à  l'auberge  plaisait  comme  sourit  à  un 
enfant  l'idée  de  dîner  au  restaurant. 

Pour  Anatole,  il  faisait  de  joie  la  roue  d'un  bout  de 
l'atelier  à  l'autre.  Tout  à  coup,  il  s'arrêta  court  : 

—  Et  Vermillon. 

—  Tu  vas  vouloir  qu'on  l'emmène,  je  parie?  Tiens, 
au  fait,  —  dit  Coriolis,  —  on  ne  le  voit  plus. 

—  Mon  cher,  ce  que  je  vais  le  dire  est  tout  à  fait  con- 
fidentiel... Il  y  a  l'honneur  d'une  femme,  et  tu  com- 
prends... Vermillon  a  une  passion,  parole  d'honneur! 
malheureuse,  je  l'espère...  Il  brûle  pour  la  forte  épouse 
de  notre  concierge.  Oui,  il  a  été  séduit  par  sa  grosseur... 
D  passe  maintenant  tout  son  temps  à  lui  savonner  son 
Knge  dans  le  ruisseau  pour  lui  prouver  son  dévouement... 
C'est  touchant!...  Et  il  lui  fait  une  cour  dans  sa  loge, 
des  yeux  au  ciel,  des  airs  d'adoration...  un  homme  ne 
serait  pas  plus  bête,  quoi! 

—  Très-bien...  Tu  le  laisseras  en  pension  chez  son 
adorée. 

—  C'est  peut-être  très-grave...  Je  te  dirai  que  je  crois 
qu'ils  sont  jaloux  l'un  de  l'autre  :  le  mari  et  lui...  Le 
mari  est  sombre,  de  plus,  il  est  tailleur,  et  les  hommes 
qai  travaillent  toute  la  journée  les  jambes  croisées  sur 

20. 


234  MANETTE  SALOMON.  / 

une  table  sont  rangés  parles  criminalistes  dans  la  classe 
des  gens  concentrés,  dangereux,  capables  de  perpétra- 
tions... 

—  Imbécile! 

—  Aux  paquets!  —  cria  Anatole. 


LXXI 

Le  lendemain,  la  calèche  de  louage  que  Coriolîs  avait 
prise  à  Fontainebleau  débouchait,  au  bout  d'une  heure 
et  demie  de  voyage  à  travers  la  forêt,  d'une  route  de 
sable  sur  le  pavé. 

Des  vergers  touchaient  le  bois,  le  village  naissait  à  sa 
lisière.  De  petites  maisons  aux  volets  gris,  aux  toits  de 
tuile,  élevées  d'un  é(age\  avec  l'avance  d'un  auvent  sous 
lequel  causaient  à  l'ombre  des  femmes  sur  des  sièges 
rustiques,  des  murs  au  chaperon  de  bruyères  sèches, 
d'où  sortaient  et  se  penchaient  des  verdures  de  jardin, 
des  façades  de  fermes  avec  leurs  grandes  portes  charre- 
tières, commençaient  la  longue  rue.  Tout  à  l'entrée,  u» 
tout  jeune  enfant,  de  l'âge  des  enfants  qui  dessinent  des 
maisons  de  travers  avec  un  tirebouchon  de  famée,  assis 
par  terre  et  la  curiosité  de  deux  petites  filles  dans  le  dos, 
crayonnait  on  ne  savait  quoi  d'après  nature.  Les  maisons 
garnies  de  vignes,  prudemment  montées  et  plaquées  hors 
de  la  portée  de  la  main,  les  murailles  de  moellon  des 
granges  continuaient.  Çà  et  là,  une  grille  en  bois  cachait 
0^1  des  fleurs;  un  store  chinois  apparaissait  à  un  rez- 
de-chaussée;  des  fenêtres  à  moulure  étaient  encastrées 
dans  une  construction  paysanne.  Une  baie,  à  demi  bar- 
rée d'une  serge  verte,  laissait  voir  les  poutres  d'un  ate- 
lier. Par  une  porte  ouverte,  un  chevalet  s'apercevait  avec 
une  étude  sur  un  buiïet.  Coriolis  reconnaissait  des  toits 
de  bois  sur  des  portes,  des  cours,  des  molles  de  masures 
donnant  sur  la  campagne,  que  des  easx  fortes  lui  avaient 


MANETTE  SALOMON.  235 

déjà  montrées.  La  voiture  arrêta  devant  une  Ionp:ne  bâ- 
tisse où  la  vigne  repoussait  les  volets  verts  :  on  était  ar- 
rivé, c'était  l'auberge. 

Le  maîlre  de  l'auberge,  coiffé  d'un  feutre  d'artiste> 
mena  les  voyageurs  à  un  petit  pavillon  où  ils  trouvèrent 
trois  chambres  assez  proprettes,  dont  l'une  ouvrait  sur 
un  petit  atelier  au  nord,  meublé  ïl'un  canapé  en  noyer, 
recouvert  de  velours  d'Qtrecht  rouge,  dont  les  accotoirs 
avaient  des  sphinx  à  mamelles  du  Directoire  et  les  oieds 
des  griffes  en  terre  cuite. 

Coriulis  trouva  le  soir  les  draps  un  peu  gros,  mais  pé- 
nétrés de  la  bonne  odeur  du  linge  qui  a  séché  sur  des 
haies  et  sur  des  arbres  à  fruit;  et  il  s'endormit  au  bruit 
d'un  égoullement  d'eau  qui  ressemblait  à  un  chant  de 
caille. 

Pittoresque  et  riante  auberge  que  celte  auberge  de 
Barbison,  vrai  vîde-bouteille  de  l'Art!  une  maison  dans 
un  treillage  mangé  de  lierre,  de  jasmin,  de  chèvrefeuille, 
de  plantes  qui  grimpent  avec  de  grandes  feuilles  vertes! 
Des  bouts  de  tuyau  de  poêle  fument  dans  des  touffes  de 
roses,  des  hirondelles  nichent  sous  la  gouttière  et  frap- 
pent aux  carreaux;  dans  le  rentrant  des  fenêtres,  des 
torchis  de  pinceaux  font  des  palettes  folles.  La  verdure 
de  la  maison  saule  par-dessus  les  tonnelles,  monte  les 
escaliers  aux  petits  toits  de  bois,  garnit  les  pelits  ponts 
tremblants,  s'élance  aux  baies  des  petits  ateliers.  Des 
vignes  collées  au  mur  balancent  et  secouent  leurs  brin- 
dilles et  leurs  vrilles  sur  le  trou  noir  de  la  cuisine  et  les 
bras  bruns  d'une  laveuse.  Une  découpure  de  treille  en- 
cadre dans  des  feuilles,  une  tête  de  cerf  aux  os  blancs. 

Et  ce  sont,  dans  le  plein  air,  des  tables  où  traînent  des 
verres  tachés  de  vin  et  de  vieux  livres  usés  où  se  déchire 
le  papier  qui  fait  un  manche  au  gigot,  des  buffets,  des 
fontaines,  des  garde-mangers  remplis  de  viandes  sai- 
gnantes sous  l'abri  d'une  feuille  de  zinc;  des  rhoss,  des 
canettes,  des  verres  vides,  encombrant  le  dessus  de  la 
cave  ouverte  et  pleine.  La  poulie,  la  corde  et  le  grince- 
ment d'an  puits  sp  oerdent  dans  les  branches  d'un  abri- 


236  MANETTE  SÂLOMON. 

colîer.  Des  poules  montent  aux  échelles  pour  aller  pondre 
au  grenier  sans  fenêtre  ;  des  corbeaux  familiers  volent 
çà  et  là;  de  tout  petits  chats  jouent  entre  des  barreaux 
de  tabouret;  sur  la  traverse  d'un  chevalet  cassé,  un  coq 
jette  son  cri. 

Il  y  a  dans  le  fumier  des  canetons  en  tas,  des  chiens 
qui  dorment,  des  poussins  qui  courent.  Il  y  a  des  ton- 
neaux coulés  dans  des  mares  ;  et  çà  et  là  des  chaudrons 
noirs  de  suie,  des  seaux  de  fer-blanc,  des  terrines,  des 
cages  à  poulet,  des  arrosoirs,  des  écuelles  et  de  petits 
sacs  de  graines  renflés;  des  palissailes  ou  sont  fichés, 
dans  chaque  pieu,  des  goulots  de  bouteille  ;  une  herse  dé- 
manchée à  côté  d'un  débris  de  berceau  en  osier;  un  mou- 
lin à  café,  dans  un  bourdonnement  d'abeilles,  encore 
odorant  de  ce  qu'il  a  brûlé  ;  des  claies  de  fromages  séchant 
à  côté  de  brosses  à  peindre  et  de  torchons  bis  sur  des 
bourrées  sèches;  des  cordes  de  balançoire  pourries  pen- 
dant d'un  sureau; des  piles  de  bois, des  amoncellements 
de  solives,  des  appentis,  des  toils  de  branchages,  des 
poulaillers  rapiécés,  des  lapinières  improvisées,  des 
hangars  où  s'enfonce  l'établi  avec  du  soleil  sur  les  outils; 
des  portes  battantes,  dont  le  poids  est  une  pierre  dans 
un  morceau  de  mouchoir  bleu;  des  sentiers  ou  traînent 
des  morceaux  et  des  restes  de  tout;  des  resserres  en- 
combrées de  vieilles  choses  hors  de  service...  Bric-à-brac 
hybride  de  café  et  de  ferme,  de  capharnaûm  et  de  basse- 
cour,  de  marchand  de  vin  et  d'atelier,  qui,  avec  son 
fouillis  fourmillant,  animé,  batttu,  remué  par  l'air  ven- 
tilant du  pays,  fait  penser  à  la  cour  d'une  hôtellerie 
bâtie  par  les  pinceaux  d'Isabey. 


LXXII 


Les  premières  journées  passées  à  Barbîson  parurent 
à  Coriolis  douces  et  reposantes.  Il  avait  quitté  Paris  eu- 


MANETTE  SALOMON.  -      237 

core  convalescent,  dans  un  état  de  fatigue  de  corps  et 
de  tête,  à  une  de  ces  heures  de  la  vie  qui  poussent  le 
travailleur  à  aller  se  détendre  et  se  retremper  dans  Tair 
sain  et  calmant  de  la  vie  végétative.  La  bête,  chez  lui, 
avait  besoin  de  se  mettre  au  vert.  Aussi  eut-il  plaisir  à 
se  sentir  dans  cet  endroit  si  bien  mort  à  tous  les  bruits 
d'une  capitale,  et  ou  la  publicité  n'était  que  le  Moniteur 
des  communes.  Sa  vue  était  heureuse  de  cette  grande 
rue  avec  des  poules  sur  le  pavé,  et  de  ces  dernières  dili- 
gences dételées  sur  le  bord  de  la  chaussée.  Il  goûtait  des 
jouissances  d'oubli  à  voir  le  peu  qui  passe  là,  le  lent  tra- 
vail des  bêtes  et  des  gens,  cet  apaisement  particulier  que 
les  grandes  forêts  font  auprès  de  leur  lisière,  comme  les 
grandes  cathédrales  répandent  l'ombre  sur  les  maisons 
et  les  existences  de  leurs  places.  Il  aimait  ces  jours  qui  se 
succèdent,  sans  être  plutôt  un  jour  qu'un  autre,  ce  temps 
du  village  auquel  on  se  laisse  aller,  ces  heures  inoccu- 
pées qui  le  menaient  au  soir,  un  soir  sans  gaz  où  ne  res- 
tait de  lumière,  dans  le  noir  de  la  rue,  que  le  quinquet 
du  billard.  La  nuit  même,  dans  le  demi-sommeil  du  ' 
matin,  il  éprouvait  une  certaine  satisfaction,  lorsque  le 
conducteur  de  la  voiture  de  Melun  criait  à  l'aubergiste  : 

—  Rien  de  nouveau?  —  et  que  l'aubergiste  répondait: 

—  Rien  —  ce  rien  qui  disait  que  rien  là  n'arrivait. 
Pour  Manette,  la  campagne  était  comme  le  déballage 

de  la  première  boîte  de  joujoux  d'où  sortent  des  mou- 
tons, une  maison  qui  serait  une  ferme,  et  des  arbres 
frisés.  Elle  avait  des  curiosités  puériles,  des  questions 
d'une  raison  de  quatre  ans,  des  :  qu'est-ce  que  c'est  que 
ça?depetite  fille  au  spectacle.  Du  ciel  plein  les  yeux,  de 
la  terre,  des  arbres  partout,  un  jardin  qui  n'en  finissait 
pas,  des  oiseaux,  des  champs  remplis  de  choses  qui  pous- 
sent, c'était  pour  elle  comme  un  monde  nouveau  d'éton- 
nements  et  d'amusements. 

Elle  avait  la  virginité  bête  et  heureuse  d'impressions, 
l'allégresse  un  peu  oisonne  de  la  Parisienne  à  la  cam- 
pagne. Il  lui  paraissait  charmant  de  manger  à  genoux 
des  fraises  dans  le  plant.  A  tout  moment  elle  se  penchait 


«38  MANETTE  SALOMON. 

dans  le  mouvement  de  cueillir.  Elle  prenait  des  bêtes  à 
bon  Dieu,  les  embrassait  sur  le  dos,  les  mettait  un  in- 
stant dans  son  cou.  Elle  attrap^fft  une  branche  sur  un 
chemin  en  passant,  volait  ce  qui  pendait,  ramassait  la 
Nature  dans  un  fruit  comme  un  enfant  la  mer  dans  un 
coquillage. 

On  eût  dit  que  la  terre  avec  sa  vitalité  la  sortait  de 
son  apathie,  de  sa  nonchalance  sérieuse.  Elle  devenait^ 
dans  cet  air,  d'humeur  alerte,  dansante,  sautante,  pres- 
que grimpante.  Il  lui  passait  des  envies  de  monter  à  des 
cerisiers.  Avec  les  femmes  de  la  maison,  elle  s'en  alla 
faner,  et  revint  radieuse,  enchantée,  la  peau  heureuse 
de  soleil,  les  reins  chatouillés  de  fatigue.  Elle  allait  dans 
la  chambre  à  four  regarder  couler  la  lessive  dans  le 
grand  cuveau.  Elle  portait  de  l'herbe  à  la  vache  :  elle 
voulut  la  traire,  essaya;  ses  mains  eurent  peur,  elle 
n'osa  pas. 

Mais  le  plus  souverainement  heureux  des  trois  était 
Anatole.  Il  éclatait  en  gestes,  en  bouts  de  chansons,  en 
paroles  folles,  en  apostrophes  qui  ressemblaient  à  de  la 
griserie,  à  cette  ivresse  que  verse  à  certains  hommes  de 
bureau  et  de  théâtre  l'air  de  la  campagne.  Il  passait  des 
demi-journées  en  tête-à-tête  avec  les  bêtes  de  la  basse- 
cour,  les  étudiant,  notant  leurs  cris,  se  mettant  leurs 
voix  dans  la  bouche,  faisant  Técho  au  chant  du  fumier, 
et  laissant  les  chiens  lui  débarbouiller,  comme  à  un 
ami,  la  moitié  d'une  joue  d'un  coup  de  langue. 

Dans  les  champs,  dans  la  forêt,  on  le  voyait  étendu, 
étalé,  aplati  tout  de  son  long,  les  yeux  demi-clos  sous 
son  chapeau  de  paille  qui  lui  rabattait  de  l'ombre  sur 
la  figure,  la  tête  sur  ses  bras  en  manches  de  chemise. 
Il  restait  là,  bien  heureusement  immobile,  le  boulon  de 
sa  ceinture  lâché,  avec  de  petits  tressaillements  d'aise 
qui  lui  couraient  tout  le  corps.  Et  tout  enfoncé  dans  ce 
lazzaronisme  en  plein  air,  à  demi  extasié  dans  l'épa- 
nouissement d'une  jubilation  infinie,  il  cuvait  le  paysage. 
Il  «  vachait  »,  —  comme  il  disait  avec  l'expression  cra- 
puleuse qui  peint  ces  félicités  retournant  à  la  brute. 


V. 


MANETTE  SALOMON.  231 

fls  passèrent  ainsi  plusieurs  semaines,  pendant  les- 
quelles Coriolis  ne  se  serait  pas  aperçu  des  dimanclies, 
sans  les  boules  élaniées  qu'exposait,  ce  jour-là,  dans  un 
jardin,  un  employé  qui  les  apportait  le  samedi  soir  et 
les  remportait  le  lundi  matin. 


LXXIII 


Le  dîner  était  la  grande  récréation  de  la  journée,  de 
qui  le  sonnait,  c'était  le  coucher  du  soleil,  faisant  appa- 
raître tout  noir,  sur  son  rayonnement  de  feu  rouge,  le 
genévrier  mort  servant  d'enseigne  à  l'auberge. 

Un  à  un,  les  peintres  rentraient  dans  cet  éblouisse- 
ment  qui  pavait  de  lumière  la  rue  du  village.  Les  pre- 
miers arrivés  se  mettaient  à  l'ombre  sur  le  banc  de 
pierre  en  face,  à  côté  d'une  charrette,  et  se  tenaient 
dans  des  poses  lassées,  avec  des  silences  affamés,  bat- 
tant de  leurs  bâtons  leurs  semelles  pleines  de  sable.  La 
fille  de  la  maison,  sortant  sur  le  pavé,  la  main  devant 
les  yeux,  regardait  au  loin,  et,  sitôt  qu'elle  voyait  arri- 
ver les  derniers  attendus,  avec  le  bout  de  leurs  parasols 
dépassant  leur  sac,  elle  allait  tremper  la  soupe  et  l'ap- 
portait fun:ante  dans  la  sahc  à  manger. 

A  peine  si  l'on  se  donnau  le  temps  de  laver  les 
brosses.  On  jetait  ses  chapeaux,  ^*^n  démêlait,  au  petit 
bonheur,  les  grandes  serviettes  jaune^;  de  toile  de  mé- 
nage, on  attachait  avec  des  ficelles  les  chiens  aux  pieds 
des  chaises;  et  un  formidable  bruit  de  cuillers  sonnait 
dans  les  assiettes  creuses.  Le  grand  pain  posé  sur  le 
dessus  du  piano  passait,  et  chacun  s'y  coupait  un  mi- 
chon.  Le  petit  vin  moussait  dans  les  verres,  les  four- 
chettes piquaient  les  plats,  les  assiettes  couraient  à  la 
ronde,  los  couteaux  frappant  sur  la  table  demandaient 
des  suppléments,  la  porte  battait  sans  cesse,  le  tablier 
de  la  fiile  qui  servait  volait  sur  les  convives,  les  bou- 


240  MANETTE  SALOitfO». 

teilles  vides  faisaient  la  chaîne  avec  les  bouteilles  pleines, 
les  serviettes  fouettaient  les  chiens  qui  mettaient  effron- 
tément la  tête  dans  la  sauce  de  leurs  maîtres.  Des  rires 
tombaient  dai>6  les  plats.  Une  grosse  joie  de  jeunesse, 
une  joie  de  réfectoire  de  grands  enfants,  partait  de  tous 
ces  appétits  d'hommes  avivés  par  l'air  creusant  de  toute 
une  journée  en  forêt.  Et  le  tapage  ne  se  recueillait  qu'à 
la  solennelle  confection  de  la  salade  à  la  moutarde, 
pour  laquelle,  à  la  fin,  la  table  suppliante  obtenait  un 
jaune  d'œuf  cru. 

Et  autour  de  la  table  égayée,  tout  riait  :  le  grand 
buffet  avec  ses  soupières  à  coq  et  sa  grande  tête  de 
dix-cors;  la  salle  à  manger  avec  toutes  ses  peintures 
dans  des  baguettes  de  bois  blanc,  où  semble  encadré 
l'album  de  TÉcole  de  Fontainebleau.  Le  jour  mourait 
sur  tout  ce  petit  musée,  barbouillé  par  tous  les  hôtes  de 
Barbison,  et  qui  met  à  ces  murs,  derrière  les  chaises  de 
ceux  qui  dînent,  l'ombre  ou  le  souvenir,  le  nom  de  ceux 
qui  ont  dîné  là,  écrit  d'un  bout  de  pinceau,  un  jour  de 
pluie,  avec  un  reste  d'étude  et  la  verve  de  leur  premier 
talent,  dans  tous  ces  tableaux  qui  se  cognent .  paysages, 
moutons,  dessous  de  bois,  parapluies  gris  dans  la  forêt, 
chevaux,  chenils,  chasses  en  habits  rouges,  natures 
mortes,  crépuscules  mythologiques,  soleils  sur  le  Rialto, 
partie  de  canotage  sur  la  Seine,  amours  boiteux  frap- 
pant à  la  porte  de  Mercure.  Et  de  derniers  rayons  al- 
laient à  ces  panneaux  de  buffet  qui  montrent  la  pochade 
d'un  marché  aux  chevaux  à  côté  d'une  cueillette  de 
pommes  sur  des  échelles;  ils  allaient  à  ces  guirlandes 
où  le  pinceau  de  Brendel  a  noué  aux  pipes  du  Rhin  les 
verres  de  Bohême  ;  ils  quittaient,  comme  à  regret,  des 
esquisses  de  Rousseau  jetées  sur  le  bois  d'une  boîte  à 
cigares,  et  ces  panneaux  de  lumière  et  de  caprice,  ces 
bouquets  de  fleurs  et  de  femmes  écloses  sous  la  brosse 
de  Nanteuil  et  la  baguette  magique  de  Diaz,  ces  grappes 
de  fées  montrant  leurs  bas  de  femmes  sur  des  balan- 
çoires de  roses... 

Les  bougies  apportées  dans  des  chandeliers  de  cuivra 


MANETTE  SALOMDN.  Ui 

jaune^  le  fromage  de  gruyère  dévoré,  le  café  versé  dans 
les  demi-tasses  opaques,  les  pipes  s'allumaient.  Des 
aparté  se  faisaient  dans  des  coins  où  des  camarades  se 
parlaient  à  mi-voix,  tandis  que  des  farceurs  écrivaient 
des  vers  faux  sur  le  livre  de  souvenir  de  la  maison.  La 
nuit  endormait  la  rue,  les  charrettes,  le  village;  les  pa- 
roles devenaient  plus  rares;  le  sommeil  de  la  campagne 
tombait  peu  à  peu  dans  la  pièce.  Les  paysagistes,  dans 
leurs  yeux  à  demi  fermés,  sentaient  revenir  leur  étude, 
leui  motif,  leur  journée,et  souriaient  vaguement  à  leurs 
couleurs  du  lendemain,  avec  les  rêves  de  leurs  chiens 
grognants  entre  leurs  jambes.  La  fatigue  se  berçait  dans 
une  vision  de  travail.  Un  coude  faisait  un  accord  sur  le 
piano  ouvert...  Et  tous  allaient  se  coucher,  dormir  un 
de  ces  bons  sommeils  dans  lesquels  tombait  le  son  loin- 
tain de  la  trompe  du  corneur  de  Macherin,  et  qu'éveil- 
lait, avec  ses  bruits  du  malin^  le  réveil  de  la  basse-cour. 


LXXIV 


Coriolis  passait  ses  journées  dans  la  forêt,  sans  pein- 
dre, sans  dessiner,  laissant  se  faire  en  lui  ces  croquis 
inconscients,  ces  espèces  d'esquisses  flottantes  que  fixent 
plus  tard  la  mémoire  et  la  palette  du  peintre. 

Une  émotion,  une  émotion  presque  religieuse  le  pre- 
nait chaque  fois,  quand,  au  bout  d'un  quart  d'heure,  il 
arrivait  à  l'avenue  du  Bas-Bréau  :  il  se  sentait  devant 
ane  des  grandes  majestés  de  la  Nature.  Et  il  demeurait 
toujours  quelques  minutes  dans  une  sorte  de  ravisse- 
ment respectueux  et  de  silence  ému  de  l'âme,  en  face 
de  cette  entrée  d'allée,  de  cette  porte  triomphale,  où 
les  arbres  portaient  sur  l'arc  de  leurs  colonnes  superbes 
l'immense  verdure  pleine  de  la  joie  du  jour.  Du  bout  de 
l'allée  tournante,  il  regardait  ces  chênes  magnifiques  et 
sévèreS;  ayant  un  âge  de  dieux,  et  une  solennité  de  mo- 


«i-2  MANETTE  SALOMON. 

numents,  beaux  de  la  beauté  sacrée  des  siècles,  sortant, 
comme  d  une  herbe  naine,'des  forêts  de  fougère  écrasées 
de  leur  hauteur  :  le  matin  jouait  sur  leur  rude  écorce, 
leur  peau  centenaire,  et  passait  sur  leurs  veines  de  bois 
les  blancheurs  polies  de  la  pierre.  r4oriolis  se  mettait  à 
marcher  sous  ces  voûtes  qui  éclataient  au-dessus  de  loi, 
à  des  élévations  de  cent  pieds,  en  fusées  de  branches, 
en  cimes  foudroyées,  en  furies  échevelées  et  tordues, 
ayant  Tair  de  couronnes  de  colère  sur  des  têtes  de 
géant.  Il  marchait  sur  les  ombres  couchées  barrant  le 
chemin,  qui  tombaient  du  fut  énorme  des  troncs;  et  en 
haut,  le  ciel  ne  lui  apparaissait  plus  que  par  des  piqûres 
du  bleu  d'une  fleur  et  de  la  grandeur  d'une  étoile,  par 
de  petits  morceaux  de  beau  temps  que  la  verdeur  de  la 
fouillée  faisait  fuir  et  presque  pâlir  dans  un  infini  d'al- 
litude.  Des  deux  côtés  du  chemin,  il  avait  des  dessous 
de  bois,  des  fonds  de  ce  vert  doux  et  tendre  qu'a  Tom- 
bre  des  forêts  dans  la  transparence  pénétrante  du  midi, 
et  que  déchire  çà  et  là  un  zigzag  de  soleil,  un  rayon 
courant,  frémissant  jusqu'au  bout  d'une  branche,  vole- 
tant sur  les  feuilles,  en  ayant  l'air  d'y  allumer  une 
rampe  de  feu  d'émeraiule.  Plus  près  de  lui,  des  petits 
genévriers  en  pyramide  clincelaient  de  luisants  de  givre; 
et  les  houx  rampants  remmient  sur  le  vernis  de  leurs 
feuilles  une  lumière  niélallir|ue  et  liquide,  l'éblouîsse- 
ment  blanc  d'un  diamant  dans  une  goutte  d'eau. 

Le  radieux  spectacle,  le  bonheur  de  la  lumière  sur 
les  feuilles,  celte  gloire  de  l'été  dans  les  arbres,  cet  air 
vif  qui  passe  sur  les  tempes,  les  senteurs  cordiales, 
l'odeur  de  santé  et  la  fraîche  haleine  des  bois,  ce  qui 
passe  de  grave  et  de  doux  dans  la  caresse  de  la  solitude, 
enveloppaient Coriolis  qui  sentait  revenir  à  son  corps  l'al- 
légresse d'être  jeune.  11  passait  le  long  de  tous  ces  arbres 
aux  membres  d'athlètes,  au  dessin  héroïque,  ceux-ci 
qui  s'inclinaient  avec  les  lignes  penchées  des  grands  pins 
italiens  dans  les  villas,  ceux-là  qui  montaient  droits  dans 
un  jet  de  rigide  élancement.  Il  y  en  avait  de  solitaires 
comme  des  rois;  et  d'autres  qui,  réunis,  assemblés^ 


MANETTE  SALOMON.  243 

mêlant  et  nouant  leurs  bras  en  dôme  de  verdure,  sem- 
blaient dessiner  un  rond  de  danse  pour  des  hamadryades. 
Le  sable,  derrière  Coriolis, enterrait  son  pas;  elil  avan- 
çait dans  ce  silence  de  la  forêt  muette  et  murmurante^ 
où  tombe  des  arbres  comme  une  pluie  de  petits  bruits 
secSy  où  bourdonnent  incessamment,  pour  le  bercement 
de  la'rêverie,  tous  les  infiniment  petits  de  la  vie,  le  bat- 
tement du  rien  qui  vole,  le  bruissement  du  rien  qui 
marche.  Et  quand  il  s'étendait  sur  un  tertre  de  mousse, 
le  coude  sur  la  terre,  les  yeux  à  l'éternel  balancement 
des  branches  auprès  du  ciel,  de  petits  souffles  accou* 
raient  à  lui,  sur  l'herbe  et  les  feuilles  tombées,  avec  le 
pas  d'une  bête. 

L'allée  qu'il  reprenait  avait  au  bout,  sous  la  flamme  du 
jour,  la  jeune  clarté  d'un  bourgeonnement  de  printemps. 
Aux  (grands  chênes  succédaient  les  futaies,  aux 
les  petits  bois,  où  tout  à  coup,  en  passant,  il  fais.. 
sauter,  au  milieu  d'un  arbre,  un  écureuil  qui  le  regar- 
dait de  là;  où  bien,  c'était  un  grand  bruit  qu'il  faisait 
lever,  un  grand  remuement  de  branches  d'où  s'échap- 
pait au  galop  comme  un  grand  cheval  rouge,  qui  était 
un  cerf. 

Puis  la  forêt  s'ouvrait  :  un  âpre  plein  midi  brûlait, 
devant  lui,  dans  le  paysage  découvert,  les  gorges  sau- 
vages d'Apremont,  les  rochers  qui,  sous  le  bleu  afri- 
cain du  ciel  et  l'implacable  intensité  de  la  lumière,  se 
dressaient  en  masses  violettes,  avec  des  cernées  sèches. 
Alors,  quittant  le  grand  chemin,  il  grimpait  à  l'aventure 
au  hasard  de  la  route  serpentante.  Il  se  glissait  entre  les 
pierres  d'où  se  dressait  l'arbre  sans  terre  et  sans  ombre, 
le  grêle  bouleau.  Il  s'enfonçait  dans  les  fougères,  pres- 
que aussi  hautes  que  lui,  faisait  craquer  sous  son  pied 
la  mousse  grillée  et  grésillante,  se  glissait  entre  des 
écartements  de  roc,  marchait  sous  des  tortils  d'arbres 
étouffés,  étranglés  entre  deux  blocs  et  poussant  de  côté 
une  branche  sans  feuille  qui  courait  en  l'air  comme  une 
mèche  de  fouet.  Il  sondait  et  battait  de  son  bâton,  au 
passage,  l'inconnu  de  ces  arbustes  pareils  à  des  nœuds 


t44  MANETTE  SALOMON. 

de  serpents  lapidés,  et  dont  la  végétation  se  tord  avec 
des  airs  d'animalité  blessée,  ces  genévriers  aux  brin- 
dilles mortes,  aux  cassures  de  branchettes  semblables  à 
des  fœtus  de  chanvre  tilié,  à  l'emmêlement  de  chevelure 
noueuse  et  fileuse,  aux  rameaux  serrés,  excoriés,  à 
travers  lesquels  se  convulsionne  le  tronc  vert-de-grîsé 
avec  ces  arrachis  d'où  l'on  dirait  qu'il  s'égoutte  du 
sang. 

11  allait  par  des  sables,  par  de  hautes  herbes  ondu- 
lantes de  glissements  furtifs  et  de  rampements  suspects, 
par  des  sentiers  de  chèvre,  par  des  lits  de  torrents  sè- 
ches, par  des  montées  où  les  marches  étaient  faites  de 
réseaux  de  racines  pareilles  à  des  squelettes  de  lézards, 
par  des  escaliers  où  de  grandes  dalles  figuraient  des 
affleurements  de  fossiles  mal  enterrés  ;  et  l'instinct  de 
ses  pas  le  portait  presque  toujours,  au  bout  de  ses 
courses  errantes,  dans  la  vallée  étroite  et  creuse  qui 
va  à  Franchart.  Il  prenait  le  petit  chemin  d'un  blane 
de  chaux  calciné,  tout  miroitant  de  micas,  dont  l'écla- 
tante blancheur  n'était  rompue,  çà  et  là,  que  par  uir 
morceau  de  mousse  d'un  vert  humide  et  une  tache  de 
terre  de  bruyère  qui  avait  le  noir  de  la  traînée  d'un 
diarroi  de  charbon.  Et  alors,  à  sa  gauche  et  à  sa  droite 
ce  n'était  plus  que  des  roches.  De  la  crête  des  deux  col- 
lines, découpant  sur  le  ciel  la  déchiqaeture  de  leurs 
arêtes,  jusqu'au  bas  de  la  pente,  il  croyait  voir  l'éboule- 
ment,  l'avalanche,  la  cascade  de  morceaux  de  montagnes 
lâchés  par  une  défaite  de  Titans.  Un  pan  du  Chaos  sem- 
blait avoir  croulé  et  s'être  arrêté  là;  il  y  avait  dans 
le  tumulte  immobile  du  paysage  comme  une  grande 
tempête  de  la  nature  soudainement  pétrifiée.  Toutes  les 
formes,  tous  les  aspects,  toutes  les  formidables  fantaisies 
et  toutes  les  terribles  apparences  du  rocher,  étaient  ras- 
semblés dans  ce  cirque  où  les  grès  énormes  prenaieni 
des  profils  d'animaux  de  rêves,  des  silhouettes  de  lions 
assyriens,  des  allongements  de  lamentins  sur  un  pro- 
montoire. Ici,  les  pierres  entassées  figuraient  un  soulè- 
vement, un  écrasement  de  tortues  monstrueuses,  de 


\ 

MANETTE  Sa\omoN.  ^ 

carapaces  essayant  de  se  chevjLociété  un«  satisfaction 
camus  serraient  la  route  et  barraient  dans  la  fausse  dos' 
Les  vastes  galets  d'une  première  y  ur,  bonne  créature 
crânes  de  mammouths  troués  de  leu^  excellente  ten 
le  souvenir  et  le  dessin  des  grands  fltfadame  Coriolis  1i 
vaient  sur  ^îe  chemin  bordé  de  rochesVjgUe  croyait  ou 
remous  de  siècles,  fouillés  et  battus  pXitait  la  femme 
vague  antédiluvienne.  Vmabilités 

Au  haut  de  la  montée,  CorîoHs  sVrêtaîii  |gg  ranoro- 
de  Franchart,  qui  a,  à  son  seuil,  le  désordr\  ^q  la  com- 
culement  de  sièges  de  granit  renversés  par  tf^^yj  établit 
Lapithes.  Il  épelait  ces  pierres  qui  ont  le  frusfLy  môme 
anciennement  écrits,  ces  pierres  millénaires  gi\tû|^«|^ 
par  le  temps  d'indéchiffrables  graphies,  et  où  rSSuae 
l'éternité  a  creusé  l'apparence  de  sculpture  d'une  cave 
d'Elephanta.  Il  restait  devant  ces  grottes  béantes  où  le 
Désert  semble  rentrer  chez  lui,  devant  ces  antres  de 
bètes  féroces  auxquels  on  s'étonne  de  voir  aller,  au  lieu 
de  pas  de  lion,  des  traces  de  breàcks... 

De  rares  oiseaux  traversaient  l'air,  et  Coriolis  son- 
geait involontairement  à  des  oiseaux  qui  porteraient 
à  manger  à  un  Saint  dans  une  grotte  de  la  Thébaïde. 

Puis,  il  longeait  la  petite  mare  à  côté,  enfermant  une 
eau  fauve  dans  sa  cuvette  de  pierre  blanche,  à  la  marge 
mamelonnée,  ondulante  et  rongée.  Il  s'asseyait  quelques 
minutes  au  petit  café  de  Franchart,  repartait,  retrouvait 
les  arbres,  retraversait  encore  une  fois  le  Bas-Bréau. 

Il  se  faisait,  à  cette  heure,  une  magie  dans  la  forêt. 
Des  brumes  de  verdure  se  levaient  doucement  des  massifs 
où  s'éteignait  la  molle  clarté  des  écorces,  où  les  formes 
à  demi  flottantes  des  arbres  paraissaient  se  déraidir  et 
se  pencher  avec  les  paresses  nocturnes  de  la  végétation 
Dans  le  haut  des  cimes,  entre  les  interstices  des  feuilles, 
le  couchant  de  soleil  en  fusion  remuait  et  faisait  scintil* 
1er  les  feux  de  pierreries  d'un  lustre  de  cristal  de  roche. 
Le  bleuissement,  l'estompage  vaporeux  du  soir  montait 
insensiblement;  des  lueurs  d'eau  mouillaient  les  fonds  ; 
des  raies  da  lumière,  d'une  pâleur  électrique  et  d'une 

Si. 


146  MANETTE  SALOMOM. 

légèreté  de  rayons  de  lune,  jouaient  entre  les  fourrés» 
Des  allées,  du  sable  envolé  sous  les  voilures,  il  se  levait 
peu  à  peu  un  petit  brouillard  aérien,  une  fumée  de  rêve 
suspendue  dans  Tair,  et  que  peiçait  le  soleil  rond,  tout 
blanc  de  chaleur,  dardant  sur  les  arbres  toutes  les 
flammes  d'un  écrin  céleste...  La  fenêtre  de  Rembrandt, 
où  il  y  a  un  prisme,  et  où  jouerait  la  Titania  de  Shake- 
speare dans  une  toile  d'araignée  d'argent,  —  c'était  €• 
paysage  du  soir. 


LXXV 


Depuis  quelques  années,  les  hôtelleries  campagnardes 
de  l'art  ont  changé  d'aspect,  de  physionomie,  de  carac- 
tère. Elles  ne  sont  plus  hantées  seulement  parle  peintre; 
elles  sont  visitées  et  habitées  par  le  bourgeois,  le  demi- 
homme  du  monde,  les  afTarïiés  de  villégialure  à  bon 
marché,  les  curieux  désireux  d'approcher  celte  bête 
curieuse  :  l'artiste,  de  le  voir  prendre  sa  nourriture,  de 
surprendre  sur  place  ses  mœurs,  ses  habitudes,  son 
débraillé  intime  et  familier,  ses  charges,  un  peu  de  cette 
▼le  de  déclassés  amusants,  que  les  légendes  entourent 
d'une  auréole  de  licence,  de  gaieté  et  d'immoralité.  Peu 
à  peu,  on  a  vu  venir  loger  dans  ces  chambrettes,  manger 
à  cette  gamelle  de  la  jeunesse,  de  la  bonne  enfance  et  de 
l'étude  d'après  nature,  toutes  sortes  d'intrus,  des  pro- 
fesseurs, des  officiers  en  congé,  des  magistrats,  des  mères 
de  famille,  des  touristes,  de  vieilles  demoiselles,  des 
passants,  le  monde  composite  d'une  table  d'hôte. 

Ce  mélange  existait  dans  l'auberge  de  Barbison.  Au- 
tour de  la  table,  à  côté  de  sept  ou  huit  jeunes  gens,  tra-> 
vaillant  et  prenant  là  leurs  quartiers  d'été  et  d'automne, 
à  côté  de  deux  paysagistes  américains,  amenés  à  Barbison 
par  la  réputation  de  cette  forêt  de  Fontainebleau  popu- 
laire jusque  dans  la  patrie  des  forêts  vierges,  il  venait 


MANETTE^ALOMON.  247 

\ 

l'asseoir  une  vieille  demoisel)^  tenant  toujours  en  laisse 
un  écureuil,  et  qu'on  ne  connii^ssait  que  sous  le  nom  de 
c  la  demoiselle  de  Versailles  >  ;  uu  professeur  de  septième 
d'un  collège  de  Paris,  flanqué  de  son  épouse  et  de  deux 
grandes  asperges  de  fils  ;  un  vieillard  maniaque  passant 
sa  vie  à  rectifier  les  cartes  de  Dennecourt;  un  jeune 
sourd,  à  sourde  vocation  de  peinture,  sorti  de  la  grande 
école  des  Batignolles 

Cette  immixtion  de  gens  avait  éteint,  effarouché  Ten- 
Irain  de  la  société  :  devant  Tinconnu  des  convives,  l'im- 
posante présence  de  la  famille  et  de  la  virginité  bour- 
geoise, les  jeunes  peintres  avec  la  timidité  de  gens  sana. 
éducation,  craignant  de  laisser  échapper  une  inconve- 
nance, et  se  mettant  à  viser  à  une  sorte  de  commp  il  faUt, 
s'étaient  congelés  dans  une  de  ces  tenues  de  froideur  et 
de  bon  ton  qui  glacent  dans  l'artiste  poseur  le  rire  naturel 
de  l'art.  Ils  respectaient  le  comique  du  professeur,  une 
espèce  de  M.  Pel-de-Loup,  homme  sévère,  mais  juste,  qui 
passait  la  moitié  de  son  temps  à  morigéner  ses  deux  fils, 
et  l'autre  à  sculpter  des  têtes  de  cannes.  Ils  n'abusaient 
pas  de  la  crédulité  sans  fond  de  la  demoiselle  de  Ver- 
sailles. Ils  étaient  à  peu  près  polis  avec  l'infirmité  du 
jeune  sourd  qui  les  sciait  avec  ces  petits  gloussements 
qu'ont  les  sourds-muets  dans  les  cours,  essayant  d'attirer 
l'attention  sur  Técriteau  de  leur  infirmité  pendu  sur  leur 
poitrine. 

Avec  Anatole,  tout  changea.  Il  déchaîna  les  charges.  11 
criait  dans  l'oreille  du  sourd  des  choses  qui  le  faisaient 
rougir.  Il  rendait  à  tout  moment  des  visites  au  vieux 
monsieur  si  peureux  de  l'invasion-  de  quelqu'un  dans 
sa  chambre,  d'un  dérangement  de  ses  papiers,  de  ses 
notes,  de  ses  cartes,  qu*il  faisait  lui-même  son  liL  11 
abondait  avec  des  intonations  de  Prudhomme  dans  les 
anathèmes  du  professeur  contre  les  débordements  de  la 
jeunesse  actuelle;  et  il  prenait  ses  fils  à  part  pour  leur 
inculquer  les  plus  sataniques  principes  d'insoumission. 
Quant  b  la  vieille  fille  de  Versailles,  il  en  fit  sa  victime 
d'adoptlon.U  commença  par  lui  persuader  très-sérieuse- 


248  MANETTE /ALOMON. 

m 

ment,  avec  des  textes  de  1i^/es  de  médecine  à  l'appui,  que 
la  cohabition  avec  un  écuieull  donnait  à  la  longue  la  danse 
de  saint  Guy.  Il  lui  fit  mettre  des  bottes  d'hommes  con- 
tre la  morsure  des  vipères  pour  aller  se  promener  dans 
la  forêt.  Il  lui  fit  croire  qu'un  des  deux  Américains  de  la 
table  était  un  sauvage  ^défroqué  qui  avait  été  élevé  à 
manger  de  la  chair  humaine.  —  N'est-ce  pas?  —  disait-il  ; 
et  l'Américain,  dressé  à  la  charge,  répondait,  avec  des 
sourires  voraces  et  inquiétants,  que  c'était  bon,  que  cela 
avait  un  goût  entre  le  bœuf  et  le  turbot.  Un  soir,  après 
une  répétition  secrète  dans  la  journée,  Anatole  fit  danser 
au  Yankee  une  danse  effroyable  d'anthropophagie  :  les 
gros  yeux  bleus  écarquîUés  du  danseur,  son  nez  crochu, 
"soT^Uevçyy  et  ses  moustaches  jaunes,  son  air  de  Poli- 
chinelle vampire,  la  «  figure  »  où  il  faisait  sauter  comme 
un  morceau  délicat  l'œil  de  sa  victime,  mirent  l'horreur 
de  leur  cauchemar  dans  les  nuits  de  la  pauvre  demoi- 
selle. Mais  la  plus  belle  charge  que  lui  monta  Anatole  fut 
la  charge  de  la  lionne,  qui  l'enferma  quinze  jours  chei 
elle  dans  sa  chambre.  Elle  avait  lu  dans  un  journal  qu'une 
lionne  s'était  échappée  d'une  ménagerie  de  Melun  :  on 
lui  dit  que  la  lionne  s'était  sauvée  dans  la  forêt,  qu'elle 
avait  mis  bas  onze  lionceaux  déjà  très-gros  ;  et  pour  la 
bien  convaincre  du  péril,  Anatole,  tous  les  soirs,  faisait 
son  entrée  dans  la  salle  à  manger  avec  le  fusil  de  l'au- 
bergiste, comme  s'il  n'osait  s'aventurer  dehors  qu'avec 
une  arme. 


LXXVI 


Manette  se  trouvait  parfaitement  heureuse  entre  ces 
deux  vieilles  femmes,  au  milieu  de  cette  réunion  d'hom- 
mes. Les  attentions,  les  prévenances,  les  égards  allaient 
à  sa  jeunesse,  à  sa  beauté.  Elle  se  sentait  trôner  à  cette 
table  :  elle  y  était  comme  une  petite  reine. 


MANETTE  SALOMOIH.  249 

Elle  trouvait  encore  dans  cette  société  un«  satisfaction 
nouvelle  pour  elle,  et  qui  la  flattait  dans  la  fausse  posi- 
tion où  elle  était.  L'épouse  du  professeur,  bonne  créature 
ingénue,  s'était  laissé  prendre  à  son  excellente  tenue, 
au  nom  dont  on  l'appelait,  à  des  «  Madame  Coriolis  » 
qu'elle  avait  entendus  dans  l'escalier.  Elle  croyait  que 
le  couple  était  un  ménage,  que  Manette  était  la  femme 
du  peintre.  Aussi  avait-elle  répondu  à  ses  amabilités. 

Dans  ses  rapports  avec  elle,  ses  bonjours,  les  rappro- 
chements du  voisinage,  les  menues  relations  de  la  com- 
munauté des  repas,  elle  avait  mis  ce  liant  qui  établit 
comme  une  politesse  de  plain-pied  entre  femmes  du  même 
monde  et  de  pareille  situation  sociale.  De  temps  en  temps, 
sur  le  banc  de  pierre  où  l'on  attendait  le  dîner,  elle 
honorait  Manette  de  petits  bouts  de  conversation  familière. 
Manette  était  excessivement  touchée  d'être  ainsi 
traitée;  et  elle  s'appliquait  à  se  maintenir  dans  cette 
estime,  en  continuant  à  la  tromper,  en  jouant  avec  un 
art  admirable  cette  comédie  de  la  femme  honnête  qu'aime 
tant  à  jouer  la  femme  qui  ne  l'est  pas,  et  d'où  monte 
souvent  à  la  tête  d'une  maîtresse  la  tentation  de  devenûr, 
ce  qu'elle  essaye  de  paraître. 

Chaque  matin,  elle  avait  un  petit  moment  d'anxiété, 
de  peur  d'une  découverte,  d'ufe  indiscrétion,  en  interro- 
geant la  figure  de  l'épouse  légitime.  Elle  se  surveillait 
elle-même  dans  ses  gestes,  ses  paroles,  ses  expressions, 
s'enveloppait  de  robes  simples,  de  petits  fichus  modestes, 
faisait  des  raccommodages  de  ménage,  travaillait,  avec 
tous  les  airs  de  sa  personne,  au  mensonge  qui  devait 
entretenir  l'illusion  et  continuer  la  méprise  de  la  respec- 
table femme  du  professeur.  Et  une  joie  intérieure  la 
remplissait,  qui  se  gonflait  et  se  pavanait  en  une  espèce 
,       de  petit  orgueil  exubérant.  Cette  considération  de  l'hon- 
r       nèteté  qu'elle  rencontrait  pour  la  première  fois  lui  pro- 
!       curait  l'enivrement,  Tétourdissement  qu'elle  donne  aux 
j       créatures  qui  n'y  sont  pas  nées,  et  qui  n'ont  pas  toujours 
;       respiré,  naturellement,  comme  l'air  autour  d'elle,  l'at- 
mosphère de  l'estime. 


tSO  MANETTE  SALOMON. 

Aussi  adorait-elle  Barbison,  et  elle  ne  tarissait  pas  de 
rires  et  de  plaisanteries  pour  moquer,  comme  elle  disait^ 
ce  €  geignard  »  de  Coriolis  qui  commençait  à  86  plain- 
dre du  séjour. 


LXXVII 


L'homme  du  monde,  le  Parisien  gâté  par  son  intérieur, 
■'était  réveillé  chez  Coriolis.  Il  était  blessé  physique- 
ment de  riens  qui  ne  semblaient  atteindre  personne 
autour  de  lui,  ni  Anatole  ni  même  Manette.  La  rusticité 
de  l'auberge  lui  devenait  dure,  presque  attristante.  Il 
souffrait  du  bon  fauteuil  qui  lui  manquait,  de  toutes  les 
petites  insuffisances  de  l'insfallation,  de  cette  misère 
d'eau  et  de  linge  faite  à  sa  toilelfe,  des  serviettes  de 
huit  jours,  de  l'égueulement  du  pot  à  Teau,  de  la  cuvette 
de  faïence  si  vilainement  rosée  sur  le  bord. 

La  nourriture  l'ennuyait  par  la  monolonie  des  ome- 
lettes, les  taches  de  la  nappe,  la  fourchette  d'étain  qui 
salit  les  doigts,  les  assiettes  de  Creil  avec  les  mêmes 
rébus.  Le  pel'il  jinglet  du  cru  lui  irritait  l'estomac.  Il  se 
faisait  un  peu  lui-même  l'effet  d'un  homme  ruiné,  tombé 
à  la  table  d'hôte  d'une  ferme.  En  vivant  dans  sa  cham- 
bre, il  y  avait  découvert  tous  les  dessous  de  la  chambre 
garnie  des  champs  :  le  fané  des  sièges,  la  pauvreté  sale  du 
papier,  le  rapiéçage  du  couvre-pied,  la  couleur  mangée 
des  rideaux,  la  corde  de  la  descente  de  lit,  le  dépla- 
quage  de  la  commode  d'occasion.  Et  il  lui  venait  là  les 
instinctives  inquiétudes  qui  prennent  les  délicats  et  les 
souffreteux,  jelés  hors  de  cliez  eux  dans  ces  logis  de 
hasard  et  de  pauvreté,  entre  ces  quatre  murs  où  gondo- 
lent de  mauvaises  lithographies  dans  des  cadres  de  bois 
noir. 

Il  avait  usé  ce  premier  moment  de  contentement  qu'a 
le  Parisien  à  sortir  de  chez  lui,  à  changer  ses  aises  coii' 


MANETTE  SALOMOIV.  251 

tre  l'imprévu  et  les  privations  de  Tauberge.  Il  ne  se 
trouvait  plus  d'indulgence  pour  un  manque  de  tous  les 
bien-êtres  qu'il  eût  bien  encore  supportés  en  Orient, 
mais  qu'il  trouvait  dur  et  exorbitant  de  subir  à  dix  lieues 
de  Paris  :  sa  patience  d'un  mauvais  lit,  d'un  dîner  sans 
lampe,  du  carreau  sans  tapis,  avait  fini  avec  sa  distrac» 
lion,  avec  le  plaisir  de  la  nouveauté.  Il  ne  pouvait  s'em- 
pêcher, par  instant,  de  s'indigner  intérieurement  de 
V arriéré  du  pays,  de  ce  reste  de  sauvagerie  entêtée  et  de 
paysannerie  inculte  qui  reste  aux  bords  des  forêts,  s'y 
défend  si  longtemps  contre  la  civilisation  et  le  conforta- 
ble moderne,  et  garde  toujours  un  peu  de  cette  France 
d'il  y  a  cent  ans,  voisine  des  bois,  qui  couchait  les  cara- 
vanes d'artistes  sur  des  oreillers  de  coquilles  d'œufs. 

Puis  il  avait  une  habitude  d'élre  servi  qui  était  comme 
toute  dépaysée  par  le  service  de  l'endroit,  une  sorte  de 
service  bénévole  dont  on  semblait  faire  la  gracieuseté 
aux  gens,  et  où  se  trahissait  Tindcpendance  du  forestier, 
mêlée  à  la  supériorité  du  paysan  qui  a  du  bien.  On  sen- 
tait une  auberge  habituée  à  des  gens  de  vie  presque 
ouvrière,  au  ménage  à  peine  soigné  par  une  femme  de 
ménage,  tout  prêts,  au  besoin,  à  remplir  Tordre  qu'ils 
donnaient,  à  aller  chercher  une  assiette  au  buffet  et  l'eau 
de  leur  pot  à  l'eau  au  puits.  Les  hôtes,  hébergés  par  la 
maison,  y^emblaient  reçus  comme  des  amis  avec  les- 
quels on  ne  se  gêne  pas  ;  et  Taubergiste,  qui  leur  don- 
nait la  main,  paraissait  les  traiter,  quoiqu'ils  payassent, 
uniquement  pour  les  obliiîer,  et  continuer  à  mériter  le 
surnom  de  €  Bienfaiteur  des  artistes  y>y  inscrit  en  grandes 
lettres  sur  la  tonibe  de  son  prédécesseur. 


Lxxvm 

Coriolîs  en  était  à  ce  moment  de  désenchantement, 
quand  un  soir,  à  Theure  du  dîner,  il  aperçut  au  bout  de 


MANETTE  SALOMOM. 

la  rue  de  Barbîson  une  silhouette  de  sa  connaissAut  la 
silhouette  de  Chassagnol  ayant  pour  tout  bagage  une 
canne  qu'il  avait  coupée  en  chemin  dans  la  forêt. 

—  Bah!  c'est  toi?...  Ah!  c'est  gentil... 

—  Oui,  j'éprouvais  le  besoin  de  repasser  mon  Prima* 
tice...  voilà.  Je  suis  parti  pour  Fontainebleau...  deux 
jours  que  j'y  suis...  On  m'a  dit  que  vous  étiez  ici...  El 
je  viens  casser  une  croûte... 

—  Oh!  tu  resteras  bien  quelques  jours  avec  nous... 
Mous  te  ferons  voir  la  forêt. 

—  Moi...  Oh!  tu  sais  la  forêt...  j'ai  horreur  de  ça, 
moi...  A  Fontainebleau,  tout  le  temps  que  je  ne  pouvais 
pas  étudier  mon  bonhomme...  j'ai  été  dans  un  cabinet 
de  lecture  pas  mal  monté  pour  la  province...  Ils  ont  une 
collection  de  romantiques  de  1830...  C'est  bête,  mais  ça 
exalte...  Je  n'ai  pas  même  été  voir  les  carpes...  Tu 
sais,  moi,  je  suis  un  vrai  pourri...  je  n'aime  que  ce  qu'a 
fait  l'homme...  Il  n'y  a  que  cela  qui  m'intéresse...  les 
villes,  les  bibliothèques,  les  musées...  et  puis  après,  le 
reste...  cette  grande  étendue  jaune  et  verte,  cette  ma- 
chine qu'on  est  convenu  d'appeler  la  nature,  c'est  un 
grand  rien  du  tout  pour  moi...  du  vide  mal  colorié  qui 
me  rend  les  yeux  tristes...  Sais-tu  le  grand  charme  de 
Yenise?  C'est  que  c'est  le  coin  du  monde  où  il  y  a  le 
moins  de  terre  végétale...  Ah  çà!  Manette  va  bien?  Et 
Anatole? 

—  Oui,  oui,  tu  vas  la  voir...  Anatole  est  encore  eu  fo- 
rêt, il  va  revenir. 

Après  le  dîner,  quand  les  dîneurs  eurent  quitté  la 
table,  ceux-ci  pour  aller  faire  un  piquet  chez  des  amis, 
eeux-là  pour  se  promener,  d'autres  pour  se  coucher  : 

—  Mais  il  me  semble  que  vous  n'êtes  pas  mal  ici,  — 
fit  Chassagnol  qui  venait  de  dire,  sans  se  déranger  : 
C'est  bon!  à  l'aubergiste  qui  voulait  lui  montrer  sa 
chambre. 

—  Pas  mal  !...  Heu  !  heu  ! 

Et  Coriolis  raconta  à  Chassagnol  tous  ses  petits  dé- 
boires de  confortable 


TTE  SâLOMON.  f58 

—  Âh!  ah!  — jeta  tout  à  coup  au  milieu  de  ces  do- 
léances Chassagnol,  avec  l'explosion  de  son  éloquence  du 
soir  allumée  par  Timprudence  des  confidences  de  Corio- 
lis.  —  Ah!  ah!...  bien  fait!...  Grand  seigneur!  toi, 
grand  seigneur!  gentilhomme!...  toi  seul,  par  exemple' 
Et  tu  viens  ici  pour  être  bien?  Dans  un  endroit  où  il 
nent  des  peintres!  Les  peintres!  un  las  de  rats,  vivant 
mal...  Tous  des  pingres!...  Tous,  laisse  donc! 

—  Allons,  mon  cher,  —  essaya  de  dire  Coriolis,  — 
parce  qu'il  y  a  quelques  crasseux  parmi  nous,  ce  n'est 
pas  une  raison  pour  envelopper  toute  notre  classe... 

—  Moi,  les  peintres,  je  les  adore...  j'ai  passé  toute 
ma  vie  avec  eux...  Mais,  précisément  parce  que  je  les 
adore,  je  les  vois  et  je  les  juge...  tous  des  pingres...  sauf 
toi,  avec  une  douzaine  d'autres...  —  reprit  Chassagnol 
se  lançant  à  fond  dans  son  paradoxe.  —  Oh  !  les  préju- 
gés! les  préjugés  du  bourgeois!  Penses-tu  à  cela?  Tous 
ces  braves  gens  de  bourgeois  qui  ont,  sous  la  calotte  du 
crâne,  l'idée,  l'idée  enfoncée,  solide,  indéracinable,  che- 
villée, qu'un  artiste  est  un  homme  rempli  de  vices  coû- 
teux, un  mangeur,  un  dépensier,  un  luxueux  I...  un 
bourreau  d'argent  qui  le  jette  comme  il  le  gagne,  qui  se 
paye  tout  ce  qu'il  y  a  de  meilleur  et  de  plus  cher  à  boire, 
à  manger,  à  aimer!  Mais  ils  sont  ordonnés,  rangés,  ser- 
rés... ce  sont  des  papiers  de  musique,  que  les  artistes!... 
Ahl  la  calomnie,  mon  ami,  la  calomnie!...  Ils  dépen- 
sent... ils  dépensent  quand  ils  sont  jeunes  pour  faire 
comme  les  camarades;  ils  gaspillent  un  peu  d'argent 
envoyé  par  la  famille,  carotté  aux  parents,  prêté  par 
leur  bottier,  de  l'argent  aux  autres...  Mais  quand  c'est 
de  l'argent  à  eux,  quand  c'est  cet  argent  sacré  et  solen- 
nel, de  l'argent  gagné,  de  l'argent  de  leur  talent  et  de 
leur  travail;  quand  il  leur  descend  dans  la  case  du  cer- 
veau où  se  font  les  comptes  que  des  pièces  mises  sur 
des  pièces  ça  fait  des  piles,  et  que  des  piles  qu'on  pose 
sur  des  piles,  ça  fait  ces  choses  vénérées  et  considé- 
rables :  des  rentes,  des  maisons,  des  propriétés,  des 
propriétés!...  Oh!  alors,  il  entre  dans  l'artiste  une  éco- 

Î2 


f54  MANETTE  SALOMOiN. 

nomie...  mais  une  économie!...  la  magnifique  avarice 
bourgeoise  de  Tart!...  Enfin,  dans  toutes  les  autres  pro- 
fessions, il  y  a,  n'est-ce  pas?  un  certain  degré  de  fortune, 
de  bénéfices,  d'enrichissement,  qui  pousse  Thomme  à  la 
largeur,  le  parvenu  à  la  dépense,  le  joueur  heureux  à  la 
profusion...  Un  boursier,  je  prends  un  boursier,  un 
boursier  qui  fait  un  coup  de  bourse,  est  capable  d'en* 
voyer  deux  douzaines  de  chemises  garnies  de  Malines  à 
sa  maîtresse...  Mais  dans  l'art?  Cherche!  On  dirait  une 
industrie  de  luxe  où  les  riches  restent  pauvres  diables... 
L'argent  qui  leur  pleut  dessus  avec  le  succès,  ça  garde 
dans  leurs  mains  la  vilenie  et  la  crasse  de  ces  argents  de 
peine  qu'on  gagne  avec  de  la  sueur...  Il  y  en  a  beau- 
coup qui  font  des  années  de  chirurgiens,  des  recettes 
de  cent  mille  francs;  il  y  a  donc  dans  ce  monde-là  des 
signatures  de  cinquante  mille  francs  le  mètre  carré... 
Eh  bien!  sois  tranquille,  jamais  ça  ne  leur  donnera  la 
folie  de  la  dépense,  et  le  mépris  d'un  homme  né  riche 
pour  une  pièce  de  cent  sous...  Une  race  plate...  avec  des 
goûts  plats,  des  sens  plats,  des  appétits  plats...  Oui,  des 
gens  capables  de  faire  des  fortunes  de  ténors,  sans  avoir 
un  certain  jour  l'idée  de  fumer  un  cigare  de  trente  sous 
ou  de  boire  une  bouteille  de  bordeaux   de  dix-huit 
francs...  Au  fond,  des  natures  peuplCy  presque  tous... 
Une  pauvreté  de  goûts  d'origine,  de  première  éducation 
qui  va  très-bien  avec  leur  vie,  qui  simplifie  loul  dans 
leurs  arrangements  d'existence,  l'amour,  le  ménage,  la 
famille,  rintérieur.  Des  garçons  nés  avec  le  peu  de  raf- 
finement qui  permet  le  bon  marché  des  deux  choses  les 
plus  chères  de  la  vie:  le  Plaisir  et  le  Bonheur...  La 
femme,  je  prends  la  femme,  parce  que  c'est  Téliagc  de 
la  dislinctiou,  du  luxe  et  de  la  dépense  de  Thomme, 
est-ce  qu'elle  est,  dans  ce  monde-là,  la  grande  dépense 
qu'elle  est  ailleurs  dans  d'autres  couches  sociales?  Un 
peintre,  quanii  il  gagne  quarante,  cinquante  mille  francs 
par  an,  se  doime-t-il  cet  animal  de  luxe  et  de  paresse, 
broutant  des  billets  de  banque,  qui  passe  chez  un  jeune 
homme  de  vingt-cinq  mille  livres  de  rente  ?  Pour  i'arlistei 


HANETTË  SALOMON  255 

ta  maîtresse,  presque  toujours,  qu'est-ce  que  c'est?  Hein? 
qu'est-ce  que  c'est?  Une  utilité,  une  raccommodeuse, 
une  personne  de  compagnie,  une  femme  entre  la  gou- 
Ternanle  et  la  femme  de  ménage,  bonne  fille  qui  porte 
des  bijoux  d'argent  doré,  et  qu'on  entretient,  en  se  rat- 
trapant sur  ses  vertus  domestiques...  de  domestique, 
son  ordre,  sa  couture,  son  économie...  La  femme  légi- 
time? mon  Dieu,  c'est  ça...  avec  un  vernis...  Le  mé- 
nage? un  ménage  d'ouvrier...  Des  enfants  habillés  de 
mises  bas,  qu'on  endimanché  aux  fêtes...  morveux,  avec 
des  chandelles  sous  le  nez...  voilà!  Connais-tu  un  pein- 
tre qui  ait  eu  seulement  voiture,  toi?...  Pas  un,  n'est-ce 
pas?...  Enfin,  dans  tous  les  états,  dans  tous  les  métiers, 
dans  les  corporations  de  tanneurs  comme  dans  les  con- 
fréries d'huissiers,  jusque  dans  le  monde  des  lettres  o4 
l'on  gagne  moins  d'argent  qu'à  élever  des  couchers  de 
soleil,  et  où  l'on  paye  trois  sous,  une  fois  payée,  une 
idée  dont  un  peintre  se  ferait  trois  mille  francs  tous  les 
^s...  dans  les  lettres  même,  on  entend  dire  quelquefois 
à  des  gens  :  J*ai  dîné  hier  chez  Chose...  Et  il  y  a  eu  chei 
Chose  un  dîner  qui  avait  tout  ce  qui  constitue  un  dîner... 
Chez  les  peintres,  jamais!  Je  demande  quelqu'un  qui 
ait  fait  un  vrai  dîner  chez  un  peintre...  Qu'il  le  dise  et 
qu'il  le  prouve!  Mais  non,  la  cuisinière  d'un  peintre, 
c'est  mythique,  c'est  une  abstraction...  Depuis  le  com- 
mencement du  monde,  on  n'a  jamais  parlé  de  la  cuisi- 
nière d'un  peintre!...  Les  peintres,  on  sait  comment  ça 
reçoit  :  ça  vous  invite  à  des  soirées  où,  comme  rafraî- 
chissements, c'est  Gozlan  qui  a  dénoncé  celle-là,  on  passe 
des  eaux-fortes  et  des  dessins!...  Et  quand  il  y  a  des 
circonstances  impossibles  qui  les  forcent  à  vous  offrir  le 
pot-au-feu,  je  les  connais,  leurs  phrases  sur  le  «  pas  de 
cérémonie  »,  la  table  avec  une  toile  cirée,  le  bon  petit 
fricot  de  portier,  et  le  bon  petit  vin  du  pays,  si  bon  pour 
la  sanié!  le  pelit  vin  simple  et  naturel,  qui  se  boit  dans 
de  pelils  verres  ordinaires,  sans  prétention!...  Je  les 
connais,  leurs  pipes  en  terre!  Je  les  connais,  leurs  col- 
lections Ge  lieux  sous,  leur  bric-à-brac  de  faïence  de 


f56  MâN£TT£  SâLOMON. 

Rouen  !  Je  les  connais,  leurs  habitudes,  les  bouchons 
rustiques,  les  gargots  pittoresques,  les  cuisines  d*em- 
poisonnement  où  ils  vous  mènent  dans  les  campagnes, 
et  dont  vous  sortez  avec  l'idée  qu'ils  ne  se  sont  jamais 
assis  dans  un  restaurant,  avec  des  glaces  dans  le  dos  et 
des  trois  francs  devant  les  plats  de  la  carte  1  Les  pein- 
tres?... Les  peintres!  Âh!  oui,  les  peintres!...  Mais  si 
Solimène...  Oui,  si  Solimène  revenait... 

Et  s'interrompant  brusquement,  en  voyant  la  tète  de 
Goriolis  qui  s'inclinait  : 

Tu  dors? 

Pardon,  mon  cher...  il  est  deux  heures  du  matin... 
Et  ici,  on  prend  un  peu  les  habitudes  des  poules...  A 
neuf  heures,  tout  le  monde  est  en  paille  comme  on  dit 
dans  le  pays... 

--  Deux  heures?...  —  répéta  tranquillement  Chassa- 
gnol,  — deu;  heures...  La  voiture  part  à  six  heures... 
Ça  ne  vaut  guère  la  peine  de  se  coucher...  Je  vais  un 
peu  flâner  dehors  jusque-là...  Tiens!  au  fait,  si  je  réveil- 
lais Anatole?  Oui,  c'est  ça,  je  vais  réveiller  Anatole... 
Nous  ferons  un  tour  ensemble. 


LXXIX 


Anatole,  las  de  flâner  et  tourmenté  du  remords  de 
son  art,  avait  commencé  une  étude  dans  la  forêt.  Il  était 
parti  dans  une  de  ces  grandes  tenues  d'artiste  qui  don- 
nent aux  peintres,  sous  la  feuillée,  l'air  terrible  de  ban- 
dits du  paysage,  avec  une  vareuse  bleue,  un  chapeau  de 
chaufl'eur,  une  ceinture  rouge,  des  braies  de  toile,  des 
jambards  de  cuir,  son  parapluie  gris  en  sautoir  sur  son 
sac.  Et  il  avait  été  ainsi  bravement  piger  le  motif 

Cependant,  au  bout  de  deux  jours,  il  commença  à 
trouver  que  ce  qu'il  faisait  ne  marchait  pas,  que  la  nature 
l'enfonçait,  et  que  le  bon  Dieu  était  décidément  plus 


MANETTE  SALOMOiN.  257 

fort  que  la  peinture.  Il  se  coucha  sur  un  rocher,  regarda 
le  ciel,  les  lointains,  les  cimes  ondulantes  des  arbres, 
les  huit  lieues  de  la  forêt  jusqu'à  l'horizon;  puis  son 
regard  tomba  et  s'arrêta  sur  le  rocher.  Il  en  étudia  les 
petites  mousses  vert-de-grisées,  le  tigré  noir  de  gouttes 
de  pluie,  les  suintements  luisants,  les  éclaboussures  de 
blanc,  les  petits  creux  mouillés  où  pourrit  le  roux 
tombé  des  pins.  Puis  il  crut  voir  remuer,  épia,  chercha 
de  tous  ses  yeux  une  vipère,  et  finit  par  s'endormir  avec 
du  soleil  sous  les  paupières. 

Les  autres  jours,  il  recommença.  Il  appelait  cela 
c  dormir  d'après  nature  ï>. 

Puis  il  s'en  allait  faire  quelque  protestation  en  faveur 
du  pittoresque  à  l'instar  du  paysagiste  Nazon  :  il  s'ar- 
mait de  gros  souliers  oontre  les  plantations  déshonorant 
la  forêt,  et  piétinait  pendant  deux  heures  les  petites 
pousses  des  pins  en  ligne.  Il  passait  des  journées  avec 
l'homme  des  vipères,  le  vieux  aux  deux  bâtons  et  aux 
deux  boîtes  de  reptiles.  Il  aUait  causer  avec  le  vendeur 
d'orangine  de  la  Cave  aux  Brigands.  Il  était  familier 
dans  les  huttes  de  gardeurs  de  biches.  Il  jouait  aux 
boules  à  l'entrée  de  la  forêt  avec  des  gens  quelconques 
qui  connaissaient  des  peintres;  il  sonnait  du  cor  avec 
des  messieurs  qui  mettaient  le  soir  au  bout  de  Barbison 
l'écho  des  entre-sols  de  marchands  de  vin  au  Mardi-gras. 

La  nuit,  il  se  glissait,  vêtu  de  sombre,  au  bout  des 
futaies,  et  restait  sans  bouger,  sans  fumer,  sans  souffler, 
attendant  un  bramement,  espérant  voir  un  de  ces  fantas- 
tiques combats  de  cerfs  qui  sont  la  légende  du  pays. 

Jamais  il  ne  s'était  trouvé  une  si  douce  et  si  pleine 
existence.  La  forêt  le  nourrissait  de  spectacles,  d'émo- 
tions, de  distractions.  Il  se  fit  un  grand  plaisir  de  cher- 
cher tout  ce  qu'on  trouve  là,  ce  que  la  main  ramasse 
par  terre,  sous  le  bois,  avec  une  joie  étonnée.  De  la 
chasse  aux  vipères,  il  passa  à  la  récolte  des  champignons. 

Une  nuH  de  pluie  en  faisait  l'herbe  pleine,  en  gonflait 
d'énormes  aux  pieds  des  chênes  :  Anatole  ne  revenait 
plus  qu'avec  sa  vareu^^e  nouée  aux  quatre  coins,  toute 


tS8  MANETTE  SÂLOMON. 

pesante  et  bourrée  de  ces  giroles  d'or  que  le  pas  écrase, 
tant  elles  se  pressent.  Il  les  accommodait  lui-même,  à 
riiuile,  à  la  provençale  :  car  il  était  assez  cuisinier  de 
goût  et  de  vocation,  et  il  n'y  avait  pas  besoin  que  la  table  le 
priât  beaucoup  pour  qu'il  se  nt  un  tablier  d'une  serviette 
et  remuât  dans  une  casserole  son  fameux  gigot  à  la  juive. 

Le  temps  remis  au  sec,  les  champignons  finis,  Ana- 
tole revint  à  son  étude,  travailla  encore  un  jour  ou  deux. 
Puis  tout  à  coup,  en  plein  Bas-Bréau,  les  chênes  qui  le 
regardaient  virent  l'incorrigible  maître  aux  Pierrots 
accrocher  à  l'arbre  qu'il  avait  peint  un  Pierrot  pendu. 

Anatole  donna  cette  toile  à  son  nouvel  ami,  l'auber- 
giste. Et  ce  cadeau  resserra  l'intimité  qui  le  mêlait  à 
toute  la  famille;  car  il  était  pour  la  maison  un  cama- 
rade. D  vivait  un  peu  à  la  cuisine;  il  prenait  part,  le 
dimanche,  aux  soirées  du  ménage  et  des  connaissances 
en  blouse  de  la  ferme,  aux  parties  de  cartes  à  la  chan- 
delle des  petites  bonnes  en  madras,  avec  des  cartes 
grasses  et  des  châtaignes  sèches  pour  enjeu. 

Quand  l'aubergiste  allait  faire  son  marché  de  la  se- 
maine, le  samedi,  à  Melun,  il  emmenait  Anatole  dans 
sa  carriole,  et  lui  faisait  manger  dans  un  cabinet  cet 
extra  qui  est  un  rêve  pour  un  estomac  de  Barbison  :  un 
homard.  Et  tous  deux  ne  revenaient  qu'à  la  nuit,  un  peu 
gais,  fraternellement  liés  par  le  bras  de  l'un  passé  sur 
l'épaule  de  l'autre. 


LXXX 


—  Dis  donc,  —  fit  un  matin  Anatole,  en  frappant  à 
la  porte  de  Coriolis,  —  tu  ne  viens  pas  à  Jlarlotte?... 
une  partie  que  nous  venons  d'arrêter  devant  le  beau 
temps  qu'il  fait...  On  va  à  pied,  nous  allons  nous  payer 
la  Mare  aux  Fées,  le  Long  Rocher,  les  Ventes  à  la  Bmef 
Taffairc  de  deux  jours:  viens  donc,  heinî 


MANETTE  SALOMON.  259 

—  Non...  Ce  serait  trop  dur  pour  Manette...  Mais 
Tois  un  peu  ça,  si  Ton  est  mieux  là-bas  qu'ic 

Anatole  revenu  : 

—  Eh  bien?  —  lui  dit  Coriolis. 

—  Ah!  mon  cher,  superbe!  Le  Long  Rocher...  nous 
avons  été  voir  ça  la  nuit,  une  lune  magnifique!  Ah  I 
voilà  un  décor  pour  la  Porte-Saint-Marlin,  avec  un  beau 
crime  là-dedans... 

—  Et  les  auberges? 

—  Les  auberges,  délicieux!  un  monde!....  Pas  des 
bonnets  de  nuit  comme  ici...  d'un  jeune!...  et  un  train! 
Ah!  des  vrais,  ceux-là...  On  les  entend  à  une  demi- 
lieue  sur  la  roule,  jusqu'à  deux  heures  du  matin. 

—  Et  la  nouriture? 

—  Oh!  la  nourriture...  Je  leur  ai  péché  un  fameui 
plat  de  grenouilles,  va!...  La  nourriture?  Tu  sais,  moi, 
je  n'ai  pas  trop  fait  attention...  Par  exemple,  le  vin  est 
meilleur  qu  ici...  Un  vrai  père  Lajoie,  mon  cher,  l'au- 
bergiste là-bas...  pas  de  façons...  les  pieds  nus  dans 
ses  chaussons...  Oh!  une  honnêteté!...  Très-animé,  le 
pays...  il  tombe  des  convois  du  quartier  Latin,  des  ba- 
ladeuses qui  vous  arrivent  en  cheveux,  en  pantoufles  et 
avec  une  chemise  au  dos  pour  la  semaine.  Ça  met  des 
courants  d'air  de  Closerie  des  lilas  dans  la  forêt...  Enfin 
je  te  dis,  c'est  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  gai. 

—  Bon,  je  suis  fixé,  —  dit  Coriolis. 

—  Pas  moyen  de  s'embêter  une  minute  —  continua 
«ans  l'entendre  Anatole,  —  des  histoires  de  femmes  toute 
la  journée  ;  fa  maîtresse  de  Chose  qui  a  accusé  la  mat- 
tresse  de  Machin  de  lui  avoir  démarqué  ses  bas...  ça  a 
fait  une  scène  à  table!...  Les  lits?  je  n'y  ai  rien  senti... 
Ma  foi!  nous  n'y  serions  pas  mal,  —  dit  en  finissant 
Anatole  tourmenté  du  besoin  de  mouvement  qu'ont  les 
enfants,  et  toujours  prêt  à  changer  de  place. 

—  Merci,  —  fît  Coriolis,  —  que  j'emmène  Manette 
là? 

—  Âhl  c'est  vrai,  oui,  Manette...  Je  n'y  pensais  pas,— 


160  MANETTE  SALOMON. 

fil  Anatole  en  homme  subitement  éclairé  par  Coriolis, 
et  n'ayant  guère  des  convenances  de  la  vie  une  percep» 
tien  nette,  immédiate  et  personnelle. 


LXXXI 


Manette,  la  vieille  demoiselle,  le  vieux  monsieur,  1^ 
professeur  et  sa  famille  s'étaient  retirés  de  la  salle  à 
manger.  Et  Anatole  déployait  ses  talents  de  brûleur 
d'eau-de-vie,  en  promenant  la  p'oche  de  Ruolz  pleine 
de  sucre  sur  la  flamme  d'un  bol  de  punch  parié  et  perdu 
par  Coriolis. 

Les  récits,  les  souvenirs,  ce  qui  dans  une  société 
d'hommes,  dans  refîusion  bavarde  de  la  digestion,  se 
lève  de  la  mémoire  de  chacun  et  s'en  répand,  après 
la  première  pipe,  des  histoires  de  tous  les  pays  et  de 
toutes  les  couleurs,  se  croisaient  ^lutour  du  bol  de 
punch. 

Un  des  Américains,  dans  un  français  impossible,  ra- 
contait que  par  amour  pour  une  gitana,  il  s'était  engagé 
dans  une  troupe  de  bohémiens  courant  l'Amérique.  Et 
il  entrait  dans  les  plus  curieux  détails  sur  cette  vie  de 
trois  mois,  mélangée  de  vol,  d'aventures  et  de  bonne 
aventure,  interrompue  par  un  singulier  incident.  La 
femme  du  chef  vint  à  mourir  :  la  religion  de  la  bande 
exigeait  qu'elle  fût  enterrée  dans  du  sabl^,  et  iln'y 
avait  de  sable  qu'à  quinze  jours  de  marche  de  là,  au 
Potomac  :  dans  le  voyage,  son  amour  pour  la  gitana  di- 
minuant à  mesure  que  l'odeur  de  la  morte  augmentait, 
il  avait  fini  par  se  sauver  à  mi-chemin  des  bohémiens 
et  de  son  amante. 

Un  cosmopolite,  un  observateur  spirituel  et  charmant, 
un  garçon  connaissant  les  coins  et  recoins  des  capitales 
de  l'Europe,  parlait  de  deux  assassins  de  grand  chemin 
qu'il  avait  vu  pendre  à  Florence.  Ces  industriels  assassi- 


Manette  salomon.  26i 

naîent,  sans  se  salir  ni  se  compromettre.  Ils  avaient 
chacun  une  espace  de  fourreau  de  parapluie  qu'ils  rem- 
plissaient de  terre  tassée,  et  avec  lequel  ils  frappaient 
à  très-petits  coups,  tout  doucement,  sur  Tépigastre  de 
leur  victime,  de  manière  à  ne  jamais  déterminer  d'ec- 
chymose ni  d'extravasement  de  sang.  Vingt  minutes,  en 
moyenne,  suffisaient  à  leur  petite  opération.  Après 
quoi,  ils  rentraient  chez  eux,  comme  d'honnêtes  paysans, 
avec  leurs  gaines  de  parapluie  vides.  Puis  venaient  des 
descriptions  d'autres  pendaisons,  merveilleusement  ob- 
servées, contées  avec  tout  le  détail  impressionnant  et 
scientifique  de  la  chose  vue,  finissant  par  un  tableau 
sinistre  (f  un  lancement  dans  l'éternité  à  Londres,  avec 
le  bourreau  splénélique,  le  paletot  de  caoutchouc  sur  le 
condamné,  et  l'éternelle  petite  pluie  désolée  des  exécu* 
lions  de  là-bas. 

Un  autre  exposait  les  origines  de  Barbison,  remon- 
tait au  plus  lointain  des  légendes -du  pays,  attribuait 
l'immigration  des  peintres  à  une  espèce  de  précurseur 
mythique,  un  peintre  d'histoire  inconnu  du  temps  de 
l'empire,  un  élève  de  David  sans  nom,  qui  vint  habiter 
le  pays,  dans  des  époques  anté-historiques,  et  demanda 
un  sabre  à  un  certain  père  Ordet  pour  aller  dans  la  fo- 
rêt. Il  avait,  d'après  la  tradition,  un  petit  domestique 
qu'il  faisait  poser  nu  dans  les  bois  et  les  rochers;  et 
c'était  tout  ce  qu'on  savait  de  son  histoire.  Ses  succes- 
seurs avaient  été  Jacob  Petit,  le  porcelainier,  puis  un 
M.  Ledieu,  puis  un  M.  Dauvin.  Puis  venaient  Rousseau, 
Brascassat,  Corot,  Diaz,  arrivant  vers  1832,  deux  ans 
après  que  Tauberge,  fondée  en  1823,  avait  exhaussé  son 
rez-de-chaussée  d'une  chambre  à  trois  lits,  où  Ton  mon- 
tait par  une  échelle,  et  où  l'on  accrochait  le  soir  son 
étude  du  jour  au-dessus  de  son  lit.  C'est  à  cette  époque, 
ajoutait  l'historiographe,  qu'on  peut  fixer  le  commence- 
ment de  sûreté  du  pays  pour  les  artistes,  non  à  cause  des 
brigands,  mais  à  cause  des  gendarmes  qui,  jusque-là,  ar- 
rêtaient pour  trop  de  pittoresque  c  les  hommes  à  pique», 
que  le  père  de  V  aubergiste  actuel  était  obligé  de  réclamer. 


t6t  MANETTE  SALOMON. 

Anatole  avait  rempli  les  verres. 

—  Tiens!  sourd,  voilà  le  tien,  —  dit -il  au  Batignol- 
lais. 

—  Mais  dis  donc,  farceur!  tu  as  reçu  une  lettre  char- 
gée ce  matin...  Tu  vas  payer  quelque  chose...  Viens  un 
peu  par  ici  que  nous  reprenions  notre  conversation... 

Le  sourd  des  Batignolles  avait  une  corde  comique, 
l'avarice,  une  avarice  qu'on  eût  dite  amassée  par  plu- 
sieurs générations  paysannes  de  la  banlieue  de  Paris.  Il 
avait  une  défiance  terrible  de  ce  monde  où  il  s'était  aven- 
turé, et  qu'une  tante,  dont  il  rabâchait  en  neveu  respec- 
tueux et  en  héritier  affectionné,  lui  avait  peint  sans  doute 
comme  une  caverne.  Rien  n'était  plus  amusant  que  sa 
grossière  peur  d'être  carotté,  et  la  continuelle  préoccu- 
pation avec  laquelle  il  se  défendait  d'avoir  de  Targent  dans 
sa  poche.  Il  parlait  toujours  de  sa  misère,  des  sept  cents 
pauvres  malheureux  francs  de  la  pension  de  sa  tante,  de 
ses  créanciers  des  Batignolles.  Il  montrait,  comme  des 
contraintes,  des  en-têtes  de  contributions,  grommelait, 
mâchonnait  des  chiffres,  des  comptes  de  pauvre,  deman- 
dait le  prix  de  tout.  Quand  on  voulait  le  faire  jouer,  U 
demandait  à  ne  jouer  que  des  centimes;  et  quand  il 
avait  perdu  cinq  sous,  il  disait  qu'il  allait  mettre  en  gage 
sa  redingote  de  velours. 

La  plaisanterie  habituelle  d'Anatole  consistait  à  lui 
persuader  qu'il  voulait  épouser  sa  tante,  une  charge  qui, 
malgré  sa  monstruosité,  ne  laissait  pas  que  d'inquiéter 
vaguement,  par  son  retour  quotidien  et  Tâir  sérieux  d'A- 
natole, les  espérances  du  neveu. 

Quand  le  sourd  fut  assis  à  côté  de  lui,  Anatole  lui  em- 
poignant le  cou  à  lui  dévisser  la  tête,  approcha  sa  bouche 
de  la  meilleure  de  ses  deux  oreilles,  et  lui  cria  dedans  de 
ioute  sa  force  : 

—  Quel  âge  m'as-tu  déjà  dit  qu'avait  ta  tante?.... 

—  Trente-cinq. 

—  Mettons  quarante...  Est-elle  ragoùtantef 

—  Qui  çà? 

—  Ta  lante. 


MANETTE  SALOMON  2(^ 

—  Ma  tante?...  Elle  est  belle  femme. 

—  Aurait-elle  des  enfants,  si  je  l'épousais  ? 

—  Hein? 

—  Je  te  demande  :  aurait- elle  des  enfants  si  je  Té- 
pousais?  Parce  que  moi,  je  ne  veux  me  marier  qu'avec 
la  certitude  d'avoir  des  enfants... 

—  Ah!  dame...  je  ne  sais  pas,  moi... 

—  Ça  me  suffit...  tu  es  mon  ami...  il  faut  que  tu  me 
Caisses  épouser  ta  tante... 

Le  sourd  remua  la  tête  balourdement,  et  balança  un  r 
—  Non,  — à  demi  formulé  dans  un  so^irire  d'idiot. 
Anatole  lui  ressaisit  la  tête  : 

—  Tu  ne  me  trouves  pas  bien? 

Le  sourd  le  regarda,  et  continua  à  rire  d'un  rire  indé* 
flnissable. 

—  Où  demeures-tu  ? 

—  Rue  Cardinet...  14. 

—  Il  V  a  des  omnibus  ? 

—  Oui. 

—  J*irai  te  voir. 

Le  sourd  riait  toujours. 
Anatole  reprit  : 

—  Nous  irons  tous  te  voir...  Ça  fera  plaisir  à  tatante^ 
à  ta  brave  femme  de  tante...  un  cœur  d'or...  je  la  vois 
d'ici...  Elle  nous  fera  un  petit  dîner... 

—  Plus  la  cuisine  est  grasse,  plus  le  testament  est 
maigre...  —  murmura  le  sourd  avec  une  espèce  de  finesse 
malicieuse. 

—  Ah!  trèf-fort!  Est-il  roublard!  Un  proverbe  !...  La 
sagesse  des  nations  !...  Amour  de  sourd,  va  !...  Quelle  ca- 
naille, hein j  —  ajouta  Anatole  en  se  tournant  vers  les 
autres  qui,  arrivant  l'un  après  l'autre,  prenaient  la  tête 
du  Batignollais,  et  lui  criaient  dans  sa  bonne  oreille  : 

—  Nous  irons  tous  chez  votre  bonne  tante,  tousl 

—  Tenez,  —  dit  quelqu'un,  —  voulez-vous  que  je  vous 
dise?  Il  n'est  pas  sourd  du  tout...  Il  nous  fait  poser... 
c'est  un  truc  que  lui  a  montré  sa  tante  pour  qu'on  ne  lui 
emprunte  pas  cent  sous. 


f64  MANETTE  SALOMON. 

Anatole  I*avait  repris  par  le  cou  et  lui  jetait  dans  le 
tympan  avec  une  voix  caverneuse,  fatale  et  méphistO' 
phélique  : 

—  Tu  m'as  dit  que  tu  voudrais  être  un  homme  de 
génie...  Si,  tu  me  Tas  dit...  C'est  une  ambition  hon- 
nête... Il  n'y  a  qu'un  moyen...  c'est  de  commencer  par 
manger  ta  fortune... 

—  Toucher  à  mon  tapital!  —  s'écria,  dans  un  premier 
soubresaut  d'elTroi,  le  sourd  avec  une  inarticulatioa 
d'enfant.  Puis,  se  remettant  et  reprenant  sa  sérénité  à 
la  fois  bête  et  sournoise,  il  se  mit  à  dire,  comme  s'il 
parlait  avec  lui-même  à  ses  idées  :  —  Moi...  je  ne  veux 
pas  me  marier...  J'aime  les  gens  connus,  moi...  Je  les 
inviterai...  un  jour...  Et  puis,  je  voudrais  fonder  quelque 
chose  après  ma  mort... 

—  C'est  cela!  —  lui  beugla  Anatole,  —  une  fondation, 
bravo  !  Tiens  !  la  fondation  d'un  punch  perpétuel  à  Bar- 
bison  !  Trois  cent  soixante-cinq  bols  par  an!...  Superbe 
idée!  Tu  seras  la  flamme  de  ton  siècle!  Dans  nos  bras! 

Et  tous,  imitant  Anatole,  se  jetèrent  dans  les  bras  du 
sourd,  ahuri  et  se  débattant. 


LXXXII 


Voyant  son  monde  heureux,  Coriolis  s'était  résigné  à 
patienter.  Le  trio  restait  à  l'auberge,  continuant  sa  vie 
de  promenade  et  de  paresse,  jouissant  de  l'air,  de  la 
forêt,  de  la  campagne,  quand  un  soir  il  apparut  à  la  table 
deux  nouveaux  visages  :  un  gros  gaillard  épanoui,  de 
large  encolure,  les  mains  énormes  ;  et  une  petite  femme, 
sa  femme,  une  petite  brune,  toute  sèche  et  nerveuse,  aux 
grands  yeux  noirs,  aux  traits  fins,  découpés,  presque 
pointus,  à  l'amabilité  aigrelette,  à  l'œil  dédaigneux,  à  la 
parole  coupante,  à  l'élégance  correcte  et  pincée  du  haut 
commerce  parisien  ;  un  type  de  cette  femme  légitime  de 


NETTE  SALOMO  265 

l'artiste  chez  laquelle  une  sorte  de  puritanisme  grinchu, 
une  dignité  hérissée,  une  susceptibilité  agressive,  tou- 
jours en  garde  contre  un  manque  de  respect,  une  hon- 
nêteté nette,  aigué,  reiche,  presque  amère,  dessinent 
dans  la  petite  bourgeoise  une  petite  madame  Roland 
manquée. 

Du  premier  coup,  elle  vit  ce^  qu'était  Manette;  et,  pen 
dant  le  dîner,  elle  laissa  tomber  sur  elle  deux  ou  trois  d(k 
ces  regards  avec  lesquels  les  femmes  honnêtes  savent 
jeter  leur  mépris  et  leur  haine  à  la  figure  des  autres. 

En  sortant  de  table.  Manette  demanda  à  la  femme  de 
l'aubergiste  ce  que  c'était  que  ces  gens-là,  et  s'ils  reste- 
raient longtemps.  Elle  apprit  qu'ils  s'appelaient  M.  et  ma- 
dame Riberolles;  qu'ils  venaient  passer  tous  les  ans  une 
partie  de  la  saison.  Le  mari,  le  gros  homme,  par  un 
contraste  fréquent  dans  tous  les  arts  entre  la  tournure 
de  l'individu  et  le  genre  de  son  talent,  avait  la  spécialité 
de  peindre  des  branches  de  groseillier  et  de  cerisier  sur 
de  petits  panneaux,  dont  il  laissait  le  fond  et  les  veines 
de  bois.  Sa  femme  passait  toute  la  journée  avec  lui,  ne 
le  quittait  pas  :  elle  en  était  très-jalouse. 

Le  lendemain,  à  déjeuner.  Manette  retrouva  le  dédain 
ie  madame  Riberolles  se  reculant  de  son  voisinage,  se 
garant  d'elle,  affectant  de  ne  pas  la  voir,  de  ne  pas  Ten- 
tendre  ;  et  elle  remarqua  la  gêne,  l'embarras,  l'espèce 
de  honte  troublée  qu'avait  vis-à-vis  d'elle  la  femme  du 
professeur,  évitant  son  regard  et  se  levant,  la  première 
au  dessert,  pour  ne  pas  la  rencontrer. 

A  partir  de  ce  jour,  Coriolis  fut  tout  étonné  de  trouver 
chez  Manette  un  écho,  une  voix  qui  se  mêla  peii  à  peu  à 
ses  plaintes.  Les  choses  en  étaient  là,  quand  un  soir,  un 
des  Américains  se  mit  à  dire  que  dans  son  pays,  le  mé- 
lier  de  modèle  était  considéré  comme  honteux;  et, 
comme  exemple  du  préjugé,  il  conta  qu'un  jour  où  il 
avait  dessiné  un  modèle  de  femme  dans  une  académie 
de  New- York,  pas  une  jeune  personne,  à  un  petit  bal 
où  il  était  allé  le  soir,  n'avait  voulu  danser  avec  lui. 
L'honnête  Américain  avait  raconté  cela  fort  innocem- 


166  MANETTE  SALOMON. 

menty  et  en  toute  ignorance  du  passé  de  Manette.  Soa 
histoire,  malgré  tout,  blessa  Manette  à  fond  :  elle  y 
trouva  un  outrage  direct;  elle  voulut  absolument  y  voir 
une  intention  d'allusion  et  d'offense.  En  dépit  de  tout  ce 
que  Coriolis  put  lui  dire,  elle  resta  attachée  à  cette  idée, 
avec  rentêtement  bête  et  enragé,  enfoncé  pour  toujours 
dans  la  cervelle  d'une  femme  du  peuple,  et  que  rien  n'en 
arrache,  ni  le  raisonnement,  ni  l'évidence.  Elle  déclara  i 
Coriolis  qu'elle  ne  reparaîtrait  plus  à  une  table  où  on 
l'outrageait. 

Anatole  ne  disait  rien.  Au  fond,  il  n'eût  pas  été  trop 
fâché  qu'on  quittât  l'auberge  :  l'endroit  lui  reprochait  un 
crime.  En  grisant  d'eau-de-vie  le  corbeau  favori  de  la 
maison,  il  l'avait  foudroyé.  Le  croyant  échappé,  on  le 
cherchait  partout. 

Coriolis  promit  à  Manette  qu'elle  ne  dînerait  plus  à  la 
table  des  peintres.  Ils  se  feraient  servir  à  part,  tous  les 
trois.  Il  n'était  guère  plus  content  qu'elle  de  l'auberge; 
mais,  quoi  qu'il  fût  tout  prêt  à  s'en  aller,  il  lui  demandait 
de  rester  encore  quelques  jours.  On  lui  avait  parlé  de 
Chailly  :  il  irait  voir  par  là  s'ils  ne  pourraient  pas  s'éta- 
blir un  peu  mieux. 

Et  l'on  s'était  arrêté  à  cet  arrangement,  lorsqu'à  la 
suite  d'un  pannotage  pour  la  destruction  des  grands 
animaux  dont  se  plaignaient  les  paysans,  un  peintre  de 
l'endroit,  une  des  popularités  du  pays,  le  fameux  paysa- 
giste Crescent,  ayant  reçu  un  chevreuil  du  garde  général, 
invita  à  venir  le  manger  chez  lui  tous  les  artistes  faisant 
séjour  à  Barbison,  Coriolis,  4  sa  dame  >  et  Anatole. 


LXXXIII 


Crescent  était  un  des  grands  représentants  du  paysage 
moderne. 
Dans  le  grand  mouvement  du  retour  de  l'art  et  de 


MANETTE  SALOMON.  iffl 

rhoninie  du  xix'  siècle  à  la  nature  naturelle^  dans  cette 
étude  sympathique  des  choses  à  laquelle  vont  pour  se 
retremper  et  se  rafraîchir  les  civilisations  vieilles,  dans 
cette  poursuite  passionnée  des  beautés  simples,  humbles, 
ingénues  de  la  terre,  qui  restera  le  charme  et  la  gloire  de 
notre  école  présente,  Crescent  s'était  fait  un  nom  et  une 
place  à  part.  Un  des  premiers  il  avait  bravement  rompu 
avec  le  paysage  historique,  le  site  composé  et  tradition- 
nel, le  persil  héroïque  du  feuillage,  l'arbre  monumental, 
cèdre  ou  hêtre,  trois  fois  séculaire  abritant  inévitable» 
ment  un  crime  ou  un  amour  mythologique.  Il  avait  été 
au  premier  champ,  à  la  première  herbe,  à  la  première 
eau  ;  et  là,  toute  la  nature  lui  était  apparue  et  lui  avait 
parlé.  En  regardant  naïvement  et  religieusement  en  l'air 
et  à  ses  pieds,  à  quelques  pas  d'un  faubourg  et  d'une 
barrière,  il  avait  trouvé  sa  vocation  et  son  talent.  Dans 
la  campagne  commune,  vulgaire,  méprisée  du  rayon  de 
la  grande  ville,  il  avait  découvert  la  campagne.  Le  verger 
mêlé  aux  champs,  les  assemblages  de  toits  de  chaume 
dans  un  bouquet  de  sureaux,  les  maigres  coteaux  de 
vigne,  les  ondulations  de  collines  basses,  les  légers 
rideaux  de  peupliers,  les  minces  bois  clairs  de  la  grande 
banlieue  lui  avaient  suffi  pour  trouver  ces  chefs-d'œuvre 
€  qu'on  peut  faire,  —  disait  un  de  ses  grands  camarades, 
—  sans  quitter  les  environs  de  Paris.  » 

Pour  lui,  la  terre  n'avait  point  de  lieux  communs  :  le 
plus  petit  coin,  le  moindre  sujet  lui  donnait  l'inspira- 
tion. Une  ferme,  un  clos,  un  ruisseau  sous  bois  clapo- 
tant sous  le  sabot  d'un  cheval  de  charrette,  une  tranche 
de  blé  vert  plein  de  coquelicots  et  de  bluets  froissée  par 
l'âne  d'une  paysanne,  une  lisière  de  pommiers  en  fleur 
blancs  et  roses  comme  des  arbres  de  paradis  :  c'étaient 
ses  tableaux.  Une  ligne  d'horizon,  une  mare,  une  sil- 
houette de  femme  perdue,  il  ne  lui  fallait  que  cela  pour 
faire  voir  et  toucher  à  l'œil  la  plaine  de  Barbîson. 

Sa  peinture  faisait  respirer  le  bois,  l'herbe  mouillée, 
la  terre  des  champs  crevassée  à  grosses  mottes,  la  cha- 
leur et,  comme  dit  le  paysan,  le  touffe  d'une  belle  jour- 


26ft  MANETTE  SALOMON. 

née,  la  fraîcheur  d'une  rivière,  l'ombre  d'un  chemin 
creux  :  elle  avait  des  parfums,  des  fragrances,  des  ha- 
leines. De  l'été,  de  l'automne,  du  matin,  du  midi,  du 
soir,  Crescent  donnait  le  sentiment,  presque  Témotioni 
en  peintre  admirable  de  la  sensation.  Ce  qu'il  cherchait, 
ce  qu'il  rendait  avant  tout,  c'était  l'itnpression,  vive  et 
profonde  du  lieu,  du  moment,  de  la  saison,  de  l'heure. 
D'un  paysage  il  exprimait  la  vie  latente,  Teffet  pénétrant, 
la  gaieté,  le  recueillement,  le  mystère,  l'allégresse  ou  le 
soupir.  Et  de  ses  souvenirs,  de  ses  études,  il  semblait 
emporter  dans  ses  toiles  l'espèce  d'àme  variable,  circu- 
lant autour  de  la  sèche  immobilité  du  motif,  animant 
l'arbre  et  le  terrain,  —  l'atmosphère. 

L'atm^phère,  la  possession,  le  remaniement  continu, 
l'embrassement  universel,  la  pénétration  des  choses  par 
le  ciel,  avaient  été  la  grande  étude  de  ces  yeux  et  de 
cet  esprit,  toujours  occupés  à  contempler  et  à  saisir  les 
féeries  du  soleil,  de  la  pluie,  du  brouillard,  de  la  brume, 
les  métamorphoses  et  Tinfinie  variété  des  tonalités  cé- 
lestes, les  vaporisations  changeantes,  le  flottement  des 
rayons,  les  décompositions  des  nuages,  l'admirable  ri- 
chesse et  le  divin  caprice  des  colorations  prismatiques 
de  nos  ciels  du  Nord.  Aussi,  le  ciel  pour  lui  n'était-il 
jamais  un  fait  isolé,  le  dessus  et  le  plafond  d'un  tableau, 
il  étaill'enveloppement  du  paysage,  donnant  à  l'ensemble 
et  aux  détails  tous  les  rapports  de  ton,  le  bain  où  tout 
trempait,  de  la  feuille  à  imsecte,  le  milieu  ambiant  et 
diffus  d'où  se  levaient  tous  les  mirages  de  la  nature  et 
toutes  les  transfigurations  de  la  terre. 

Et  tantôt,  dans  ses  toiles,  qui  étaient  le  poëme  rustique 
des  Heures  retrouvé  au  bout  de  la  brosse,  il  répandait  le 
matin,  l'aube  poudroyante,  les  dernières  balayures  de  la 
nuit,  le  jour  timide  dans  un  brouillard  de  rosée,  la  lu- 
mière argentée,  virginale,  comme  tramée  de  fils  delà 
Vierge,  sous  laquelle  la  verdure  frissonne,  l'eau  fume, le 
village  s'éveille  :  on  eût  dit  que  sa  palette  était  la  palette 
do  V Angélus,  Tantôt  il  peignait  le  midi  ardent  et  poussié- 
reux, gris  de  chaleur  orageuse,  avec  ses  tons  neutres  et 


MANETTE  SÂLOMON.  269 

brûlants,  ses  soleils  sourds  faisant  peser  la  fadeur  écœu- 
rante de  l'été  sur  la  sieste  des  moissonneurs.  El  toute 
une  série  admirable  de  ses  tableaux  déroulait  le  soir, 
ses  incendies,  ses  roulées  de  nuages  de  rubis  sur  un 
horizon  d'or,  les  lentes  défaillances,  les  pâlissements  de 
jour,  la  descente  de  la  mélancolie  sereine  des  heures 
noires  dans  la  campagne  éteinte  et  presque  effacée. 

Là-dedans,  souvent  Crescent  jetait  une  scène,  quelque 
scène  champêtre,  les  semailles,  la  moisson,  la  récolte, 
—  un  de  ces  travaux  nourriciers  de  l'homme  dont  il 
essayait  d'indiquer  la  grandeur  et  l'antique  sainteté  avec 
l'austère  simplicité  des  poses,  avec  la  rondeur  d'une 
ligne  rudimentaire,  l'espèce  de  style  fruste  d'une  huma- 
nité primitive,  faisant  de  la  paysanne,  de  la  femme  de 
labour,  courbée  sur  la  glèbe,  de  ce  corps  où  le  labeur 
du  champ  a  tué  la  femme,  la  silhouette  plate  et  rigide 
fjabillée  comme  de  la  déteinte  des  deux  éléments  où  elle 
rt  :  —  du  brun  de  la  terre,  du  bleu  du  ciel. 


;xxxiv 

Le  dîner  donné  par  Crescent  eut  lieu  à  une  heure, 
l'heure  du  dîner  de  la  campagne,  sous  une  tente  faite 
avec  des  draps,  dressée  dans  le  jardin. 

On  mangea  gaiement  le  chevreuil  servi  à  toutes  les 
sauces.  Et  bientôt,  dans  l'expansion  de  ce  repas  en  plein 
air,  Crescent  et  Coriolis,  qui  avaient  d'avance,  sans  se 
connaître,  une  mutuelle  estime  de  leurs  talents,  devin- 
rent presque  des  amis,  se  parlant  dans  l'intimité  de 
l'aparté,  et  l'isolement  de  la  causerie  à  deux. 

Avec  son  rire,  sa  gaieté  gamine,  ce  mélange  de  fami- 
liarité bouffonne  et  de  galanterie  attentionnée,  qui  était 
on  charme  auprès  des  femmes,  Anatole  avait  fait  tout 
le  suite  la  conquête  de  madame  Crescent. 

Seule,  Man&tle,  un  peu    dépaysée  dans    ce  diner 

t3 


•t70  MANETTE  SALOMON. 

d'hommes,  où  il  n'y  avait  d'autre  femme  avec  elle  que 
madame  Crescent,  laissait  voir  une  espèce  de  gêne. 

La  femme  du  paysagiste  s'en  aperçut;  et  à  peine  le 
dessert  fut-il  sur  la  table  qu'elle  lui  dit  :  —  Ma  belle, 
venez  voir  ma  poulaille...  ça  vous  amusera  plus  que  de 
rester  avec  toutes  ces  horreurs  d'hommes...  Et  vous?  — 
fit-elle  en  se  tournant  vers  Anatole,  vous,  le  btticr,»» 

Madame  Crescent  avait  pour  la  volaille,  le  goût,  la 
passion,  répandus  et  vulgarisés  dans  tout  Barbison  par 
la  poulnmanie  de  Jacques,  le  peintre  graveur.  Au  bout 
du  jardin,  dans  le  champ,  elle  avait  créé  un  petit  parc 
divisé  en  quatre  compartiments,  et  dont  un  émondago 
de  peupliers  relié  par  des  perchettes  nouées  avec  de 
l'osier  faisait  le  palis  garni  en  bas  de  paille  de  seigle. 
Elle  mena  là  Manette  et  Anatole,  tira  le  gros  loquet  de  la 
porte,  et  leur  fit  voir  les  poulaillers  aux  murs  de  pier- 
railles, traversés  de  lattes,  couverts  de  chaume;  les 
petits  hangars  reliés  aux  poulaillers  par  une  rallonge  de 
refuge  contre  la  pluie;  les  juchoirs  mobiles,  les  pon- 
doirs  en  osier  attachés  au  mur  par  une  tringle  de  bois, 
les  boîtes  à  élevage.  Elle  leur  expliquait  ceci  et  cela, 
leur  disait  qu'il  fallait  un  terrain  ne  prenant  pas  l'eau, 
ne  gâchant  pas,  que  les  poulaillers  étaient  exposés  au. 
levant,  parce  que  l'exposition  au  midi  faisait  de  la  ver- 
mine; que  l'hiver,  il  fallait  mettre  une  bonne  couche  de 
fumier  sous  les  hangars,  pour  empêcher  les  poules 
d'avoir  froid.  Elle  les  arrêtait  à  la  petite  place,  au  milieu 
du  gazon,  où  elle  déposait  du  sable  fin  qui  servait  aux 
poules  à  se  poudrer.  Elle  leur  faisait  remarquer  une 
augette  recouverte  qu'elle  avait  inventée  pour  mettre  1^ 
grain  à  l'abri  de  la  pluie  et  des  piétinements. 

El  toute  contente  des  petits  étonnements  de  Manette, 
enchantée  d'Anatole,  de  son  air  et  de  ses  assentiments 
de  connaisseur,  des  cris  imitatifs  dont  il  inquiétait  la 
basse-cour,  des  cocoricos  avec  lesquels  il  faisait  se  piéter 
et  se  créter  batailJeusement  les  coqs,  elle  montrait  et 
remontrait  ses  Houdan,  ses  Crèvecœur,  ses  Cochin- 
^chine,  ses  Brahma,  ses  Bentham,  ses  espèces  indigènes. 


MANETTE  SALOMON.  271 

•exotiques,  ses  petites  poules  naines  :  des  boules  de  sole. 
Elle  appelait  toutes  ces  bêtes,  les  petites,  les  grandes, 
leur  pariait,  les  caressait  avec  une  sorte  d'attendrisse- 
4Denl  grisé  mêlé  à  un  sentiment  de  famille. 


LXXXV 


Madame  Crescent  était  une  petite  femme  grasse  et 
courte,  avec  une  tournure  boulotte  où  il  y  avait  quelque 
chose  de  fallot,  de  cocasse,  de  comique.  Deux  couettes 
de  cheveux  en  désordre,  couleur  de  chanvre,  s'échap- 
paient sur  son  front  de  la  ruche  de  son  bonnet.  Ses 
yeux  bleus  tout  clairs  montraient  un  grand  blanc 
quand  elle  les  levait.  Elle  avait  un  petit  nez  étonné,  un 
teiiit  tout  frais  avec  des  pommettes  du  rose  d'une 
pomme  d'api.  Il  restait  de  l'enfant  dans  ce  visage  d'une 
femme  de  quarante  ans,  où  l'on  croyait  voir  par  mo- 
ments comme  la  ligure  et  la  peau  d'une  petite  fille  sous 
un  bonnet  de  grand'mère. 

Paysanne,  elle  était  restée  paysanne  en  lout,  de  corps, 
d'habitude,  de  langue  et  d'âme.  Ses  robes,  faites  à 
Paris,  rappelaient,  sur  son  dos,  les  paquets  et  les  plis  du 
Yillage.  Elle  portait  des  souliers  qui  faisaient  le  bruit 
d'un  pas  d'homme.  Elle  racontait  que  son  premier  cha- 
peau l'avait  rendue  sourde,  et  qu'elle  avait  manqué  deux 
fois  d'être  écrasée  dans  la  journée.  Ses  idées  étaient  les 
idées  têtues  de  l'ignorance  du  peuple;  elle  en  avait  d'ex- 
centriques sur  la  médecine,  de  républicaines  sur  le 
gouvernement,  sur  une  façon  de  gouverner  à  elle,  de 
françaises  contre  les  étrangers,  d'économiques  pour  em- 
pêcher les  Anglais  d'acheter  ce  qu'on  mange  en  France. 
Contre  les  Anglais  particuUèrement,  elle  nourrissait 
toutes  sortes  de  préjugés  :  elle  était  persuadée  qu'on 
faisait  de  Paris  une  pension  de  cent  mille  francs  à  la 
iille  de  \a  reine  d'Angleterre.  Tout  cela  jaillissait  d'elle 


Itlt  MANETTE  SALOMOIf 

pêle-mêle,  avec  des  observations  fines  de  paysan ,  en 
saillies  drolatiques,  dans  une  langue  colorée  des  mots 
de  son  pays  et  des  expressions  faubouriennes  de  Paris, 
une  langue  moitié  entendue,  moitié  créée,  moitié  inven- 
tée, moitié  estropiée,  une  langue  de  raccroc  et  de 
chance  brouillée  avec  la  grammaire,  et  qui  avait  un  fond 
d'arrière-goût  des  champs,  l'originalité  native  et  brute 
de  cette  nature  restée  champêtre. 

Elle  riait  toujours  et  bougonnait  toujours.  C'était  an 
mélange  de  bonne  humeur  et  d'impatience,  de  grogneries 
sans  amertume  lui  montant  de  la  vivacité  de  son  sang, 
et  d'accès  d'hilarité  pouffante,  de  vraies  cascades  de 
rire,  qui  faisaient  dans  son  gosier  un  bruit  d'écroulement 
de  piles  de  cent  sous,  et  l'étranglaient  presque. 

Mais  le  plus  curieux  de  cette  créature,  c'est  qu'elle 
ne  pouvait  rien  retenir  de  sa  pensée.  Elle  ne  pouvait  la 
garder,  intime,  secrète,  enfermée,  cachée,  comme  tou' 
le  monde.  Une  sensation,  une  impression,  était  immé- 
diatement chez  elle  sur  ses  lèvres.  Son  cerveau  pensai: 
tout  haut  avec  des  paroles.  Tout  ce  qui  le  traversait,  les 
idées  les  plus  baroques,  les  plus  saugrenues,  les  plus 
f  endiablées  »,  comme  elle  disait,  lui  venaient  au  même 
moment  au  bout  de  la  langue.  Les  mots  de  choses  qui 
lui  passaient  dans  la  tête  s'échappaient  d'elle  par  un 
phénomène  étrange,  dans  l'espèce  de  bouillonnement 
d'un  pot  sans  couvercle.  Et  cela  était  chez  elle  aussi  in- 
volontaire qu'instantané.  Souvent,  aussitôt  après  un 
mauvais  compliment  lâché  à  la  première  vue  de  quel- 
qu'un, elle  devenait  rouge  comme  une  cerise,  et  mal- 
heureuse comme  les  pierres. 

Cette  singulière  organisation  faisait  qu'elle  parlait  du 
matin  jusqu'au  soir,  et  qu'elle  parlait  à  tout,  aux  murs, 
à  la  pièce  où  elle  se  trouvait.  Dans  un  éternel  monologue 
de  confession,  elle  disait  innocemment  toute  seule  ce 
qu'elle  faisait,  ce  qu'elle  allait  faire,  ce  qui  l'occupait,  ce 
qu'elle  regardait,  tous  les  riens  de  son  imagination, 
l'annonce  de  ses  moindres  intentions.  En  travaillant,  en 
faisant  la  cuisine,  elle  causait  avec  son  travail;  elle  dia« 


MANETTE  SÂLOMON.  273 

loguait  avec  tout  ce  que  touchaient  ses  mains  :  elle  pré- 
venait une  pom^ie  de  terre  qu'elle  allait  la  faire  cuire 
Elle  interpellait  le  charbon,  la  cheminée,  les  casseroles, 
grondait  toutes  sortes  d'objets  qui  la  mettaient  en  colère, 
et  qu'elle  appelait  sérieusement  €  horreurs  >,  un  mot 
universel  qu'elle  appliquait  à  tout. 

Un  amour,  une  passion  remplissait  la  vie  de  madame 
Crescent  :  l'adoration  des  animaux.  Les  bêtes  faisaient 
son  bonheur  et  comme  ses  enfants.  Il  semblait  qu'il  y 
eût  de  la  maternité  dans  sa  charité  et  sa  tendresse  pour 
eux. 

Elle  avait  été  nor^'^  ^  par  une  chèvre,  qui  ne  la  quit- 
tait pas,  qu'elle  menait  avec  elle  aux  champs,  dans  les 
^ois.  A  douze  ans,  elle  avait  vu  tuer  él  manger  sa  nour- 
rice par  ses  parents.  Depuis  ce  temps,  la  révolte,  l'hor- 
reur de  son  estomac  pour  la  viande  avait  été  telle 
qu'elle  avait  passé  toute  sa  jeunesse  sans  pouvoir  tou- 
cher à  un  creton  de  lard;  et  encore  maintenant,  elle  ne 
mangeait  pas  volontiers  de  ce  qui  était  de  la  chair,  refu- 
sant de  goûter  au  gibier,  à  ce  qui  lui  rappelait  un  oiseau, 
vivant  de  légumes  et  de  verdure,  comme  de  la  seule 
nourriture  innocente  et  sans  crime.  Son  instinct  avait 
naturellement  de  la  religieuse  répugnance  du  brahme 
pour  la  bête  qui  a  vécu  et  qu'on  a  tuée  :  pour  elle,  la 
boucherie  ressemblait  à  de  l'anthropophagie. 

Les  animaux  lui  tenaient  comme  physiquement  au 
cœur.  Il  y  avait  d'elle  à  eux  des  liens  secrets,  une  espèce 
de  chaîne,  des  rapports  comme  d'une  autre  vie  commune. 
Son  allaitement  par  une  chèvre,  ce  premier  sang  que  fait 
une  nourrice  animale,  ces  mystérieuses  attaches  natu- 
relles qu'elle  met  dans  un  être  humain,  lui  avaient  pres- 
que donné  une  solidarité  de  parenté,  une  communion  de 
souffrances  avec  les  bêtes.  Leurs  maux,  leurs  joies  lui 
remuaient  un  peu  les  entrailles.  Elle  sentait  vivre  de  sa 
vie  en  elles.  Quand  elle  en  voyait  maltraiter  une,  il  se 
levait  de  son  petit  corps,  de  sa  timidilé,  des  audaces, 
des  colères,  des  apostrophes  en  pleine  rue  à  se  faire  as- 
sommer Contre  les  bouchers  menant  leurs  bestiaux  à 


tu  MANETTE  SALOMOII. 

l'abattoir,  contre  les  charretiers  abîmant  de  coups  leurs 
attelages,  elle  entrait  dans  des  fureurs  qui  la  faisaient 
revenir  au  logis  tout  en  feu,  son  bonnet  de  travers, 
avec  des  indignations  terribles.  Elle  rêvait  la  nuit  de 
tous  les  chevaux  battus  qu'elle  avait  vus  dans  la  jour- 
née. 

Elle  ne  pensait  guère  qu'à  cela  :  les  animaux.  Sa 
grande  joie  était  de  voir  un  chien,  un  chat,  n'importe 
^uoi  de  vivant,  de  volant,  de  jouant,  d'heureux  d'un 
bonheur  de  bête  sur  la  terre  ou  dans  le  ciel.  Les  oiseaux 
surtout  lui  prenaient  ses  pensées.  Elle  avait  peur  pour 
eux  du  froid,  de  Thiver,  de  la  neige,  delà  faim,  de  l'orage 
qui  les  éparpille  piaillants. 

Un  oiseau  qui  chantait  sur  un  toit  lui  faisait  passer  une 
heure,  à  demi  cachée  derrière  une  persienne,  distraite, 
intéressée,  absorbée,  sans  bouger,  perdue  dans  une  at- 
tention amoureuse,  charmée,  avec  une  immobilité  de 
ravissement  dans  les  plis  de  sa  robe.  El  quand,  par  ub 
joli  soleil  de  printemps,  gaie  de  tout  le  corps,  elle  trotti- 
nait allègrement,  il  lui  sortait,  avec  une  voix  qui  avait 
l'air  de  remercier  le  beau  temps  et  les  premières  pousses 
de  verdure  comme  la  charité  du  bon  Dieu  pour  ces  petits 
pauvres  :  c  Les  oiseaux  sont  riches  cette  année,  il  y 
a  du  mouron;  ils  vont  se  faire  de  bonnes  petites 
panses.  » 


LXXXVI 


--Ah!  on  est  dans  la  bonliqmy  •—  dit  madame  Cres- 
cent  en  se  servant  du  mot  dont  son  mari  appelait  son 
atelier,  et  elle  rentra  du  jardin  avec  Manette  et  Ana- 
tole. 

Ils  trouvèrent  dans  l'atelier  Coriolis  et  Crescent  qui 
causaient  familièrement  :  Coriolis  enchanté  de  trouver 
enfin  un  peintre  qui  pariât  un  peu  de  son  art  ;  Crescent, 


«ANETTE  SALOMON.  275 

le  sauvage,  vivant  à  l'écart  des  habitants  du  pays,  tout 
heureux  de  rencontrer  un  causeur  intelligent  qui  Ten- 
tFCtenait  de  sa  peinture,  lui  rappelait  des  tableaux  vus  à 
des  vitrines  de  marchands,  les  analysait  en  homme  qui 
les  avait  étudiés,  flairés,  sentis.  De  la  peinture,  la  con- 
versation alla  au  pays,  au  manque  de  confortable  des 
auberges,  singulier  auprès  d'une  si  belle  forêt,  à  côté 
d'un  si  grand  rendez-vous  de  promeneurs  et  de  curieux, 
Goriolis  expliqua  à  Crescent  ses  regrets  d'avoir  fait  sa 
connaissance  juste  au  moment  de  s'en  aller,  de  retourner 
à  Paris.  Le  pays  lui  plaisait;  il  aurait  voulu  y  passer 
encore  un  mois  ou  deux,  mais  il  s'y  trouvait  matériel- 
lement trop  mal,  et  ne  voyait  pas  un  moyen  d'y  être 
mieux. 

— •  Un  moyen?  —  dit  vivement  madame  Crescent  qui 
trouvait  Manette  charmante.  — Mais  il  y  en  a  un...  Il 
faut  devenir  nos  voisins,  voilà  tout...  Si  au  lieu  de  rester 
à  l'auberge...  La  maison,  tu  sais  Crescent,  qui  est  là,  de 
l'autre  côté  de  notre  mur? 

—  Tiens,  c'est  vrai,  —  dit  Crescent.  —  Ils  m'ont 
écrit...  la  famille  anglaise  qui  l'habite  tous  les  ans.  Ils 
ne  viennent  pas  cette  année...  Je  suis  chargé  de  la 
louer...  Ainsi,  si  ça  vous  va...  Il  y  a  un  petit  atelier  où  le 
mari  faisait  de  l'aquarelle  d'amateur...  Mais  venez  la  voir, 
ce  sera  plus  simple. 

Et,  se  levant,  il  alla  leur  montrer  la  maison  voisine, 
une  petite  maison  gaie,  construite  avec  de  la  pierraille 
encastrée  dans  du  ciment  rouge,  aux  volets,  aux  por- 
siennes,  peints  en  acajou,  au  toit  Je  tuile  caclié  dans 
l'ombre  de  deux  grands  bouleaux,  plaisante  d'aspect 
par  la  confortable  rusticité  d'une  installation  ani;luise. 

—  Signons  le  papier,  —  dit  Coriolis  au  bout  de  la 
visite. 

Et,  dès  le  lendemain,  il  s*établissait  dans  la  maisoQ| 
où  la  cuisinière,  rappelée  de  Paris,  faisait  le  dîner. 


976  MANETTE  SALOMOH. 


LXXXVII 


Le  voisinage  porte  à  porte,  les  instructions  que  ma- 
dame Crescent  était  obligée  de  donner  pour  Tapprovi^ 
sionnement  fait  à  Barbison  par  des  fournisseurs  en 
voiture,  les  visites  à  toute  minute  pour  se  demander, 
s'emprunter,  se  rendre  quelque  chose,  mettaient  au  bout 
de  quelques  jours  la  plus  grande  intimité  entre  les  deux 
femmes. 

Manette  était  enchantée  de  la  connaissance.  Au  fond, 
elle  éprouvait  un  certain  soulagement  à  n'avoir  plus  be- 
soin de  €  se  tenir  »  comme  avec  la  femme  du  profes- 
seur, à  se  sentir  affranchie  de  la  réserve,  de  la  surveil- 
lance sur  elle-même,  de  toute  celle  manière  d'être 
cérémonieuse  qu'elle  avait  eu  tant  de  peine  à  soutenir. 
Elle  se  trouvait  à  Taise  avec  cette  femme  toute  rond3, 
ses  manières  à  la  bonne  franquette,  sa  langue  de  peuple» 
Cette  rude,  grossière  et  cordiale  compagnie  de  la  cam- 
pagnarde la  remettait  dans  son  milieu,  en  lui  laissant  sa 
supériorité  de  jeunesse,  de  beauté,  de  distinction  pari- 
sienne. 

Puis  Manette  était  encore  flattée  de  trouver  dans  cette 
relation  l'espèce  de  chaperonnage  d*une  femme  mariée, 
d'une  femme  honnête,  estimée,  aimée  par  tout  le  pays. 
Car  madame  Crescent  était  sans  préjugés  :  elle  avait 
cette  singulière  indulgence  de  la  femme  pour  la  maî- 
tresse, assez  ordinaire  dan^  le  monde  des  arts,  et 
qu'apprend  peut-être  là  aux  femmes  légitimes  l'exemple 
de  toutes  les  maîtresses  qui  finissent  par  y  être  épou- 
sées. 

De  son  côté,  la  brave  femme  trouvait  un  vif  agrément 
dans  la  société  de  Manette,  dans  une  espèce  d'autorité 
d'expérience  et  d'âge  sur  cette  jeune  et  jolie  femme  qui 
aurait  pu  élre  sa  ûlle.  Son  cœur  chaud  et  aimant  de 


MANETTE  SALOMON.  277 

paysanne  sans  enfant  allait,  de  lui-même,  à  cette  com- 
pagne sympathique  qui  lui  faisait  une  société,  un  audi- 
toire, prêtait  ses  deux  oreilles  au  bavardage  que  n'en- 
tendait même  pas  Crescent. 

Aussi  avait-elle  à  la  voir  un  épanouissement.  Quand 
Manette  arrivait  dans  l'après-midi,  une  sorte  de  gros 
bonheur  fou  la  prenait,  la  mettait  sens  dessus  dessous, 
lui  faisait  bousculer  tout,  et  crier  comme  la  plus  belle 
surprise  :  — Ma  belle,  nous  allons  nous  faire  une  bonne 
salade  à  la  crème  I 

Et  puis,  au  jardin,  au  milieu  des  fleurs,  dans  l'ombre 
chaude,  les  yeux  heureux  de  regarder  Manette,  de  sa 
voix  criarde  qui  se  faisait  toute  douce,  elle  laissait  échap- 
per celte  phrase  comme  une  musique. 

—  Est-on  bien  ici!...  c'est  comme  si  l'on  était  sur  de 
la  mousse  en  paradis... 


LXXXVIII 


Coriolis  passait  des  heures  dans  l'atelier  de  Crescent. 

D  ne  pouvait  s'empêcher  d'envier  cette  facilité,  le  don 
de  cet  homme  né  peintre,  et  qui  semblait  mis  au  monde 
uniquement  pour  faire  cela  :  de  la  peinture.  Il  admirait  ce 
tempérament  d'artiste  plongé  si  profondément  dans  son 
art,  toujours  heureux,  et  réjoui  en  lui-même  chaque  jour 
de  poser  des  tons  fins  sur  la  toile,  sans  que  jamais  il  se 
glissât  dans  le  bonheur  et  l'application  de  son  opération 
matérielle,  une  idée  de  réputation,  de  gloire,  d'argent, 
une  préoccupation  du  public,  du  succès,  de  l'opinion. 
Qu'il  y  eût  toujours  des  motifs,  des  effets  de  soir  et  de 
malin  dans  la  campagne  et  des  couleurs  chez  Desforges, 
c'était  tout  ce  que  Crescent  demandait.  Â  le  voir  tra- 
vailler sans  inquiétude,  sans  tâtonnement,  sans  fatigue, 
sans  effort  de  volonté,  on  eût  dit  que  le  tableau  lui  cou- 
lait de  la  main.  Sa  production  avait  l'abondance  et  la 

u 


rS  MANETTE  SALOMON. 

régularité  d'une  foaclion.  Sa  fécondité  ressemblait  au 
courant  d'un  travail  ouvrier. 

Et  véritablement^  de  la  vie  ouvrière,  de  l'ouvrier, 
l'homme  et  l'atelier  à  première  vue  montraient  le  carac- 
tère. 

L'atelier  était  une  grange  avec  une  planche  portant  à 
sept  ou  huit  pieds  de  haut  des  toiles  retournées,  trois 
chevalets  en  bois  blanc,  et  quelques  faïences  de  village 
écornées. 

L'homme  était  un  homme  trapu,  à  la  forte  tète  enca- 
drée dans  une  barbe  rousse,  avec  de  gros  yeux  bleus, 
des  yeux  voraœs^  comme  les  avait  appelés  un  de  ses 
amis.  Il  portait  le  pantalon  de  toile  et  les  sabots  du 
paysaa. 


LXXXIX 


Cependant,  à  bien  regarder  Crescent,  on  apercevait 
dans  l'homme  inculte  et  rustique  comme  un  Jean  Jour- 
nel  des  bois  et  des  champs.  Il  y  avait  encore  en  lui  de 
la  figure  de  ce  Martin,  le  visionnaire  laboureur  de  la  Res- 
tauration, qui  avait  entendu  des  voix  et  Dieu  lui  parler 
dans  un  pré.  Sa  tenue,  son  air,  ses  lourds  gestes,  Tes- 
pèccde  bouillonnement  de  son  front,  ses  silences,  les  sou- 
rires passant  sur  ses  grosses  lèvres,  ses  regards,  déga- 
geaient le  vague,  le  pénétrant,  le  troublant  qu'on  senti- 
rait auprès  d'un  paysan  apôtre. 

Sans  instruction,  sans  éducation,  ne  lisant  rien,  pas 
même  un  journal,  ignorant  de  tout  et  du  gouvernement 
qu'il  faisait,  replié  sur  lui,  ne  se  mêlant  point  aux  autres, 
ne  voyant  personne,  se  dérobant  aux  visites,  relire,  muré 
dans  sa  <l  barbisonnière  »,  étranger  au  monde,  n'ayant 
pas  mis  le  pied  depuis  une  douzaine  d'années  au  Luxem- 
bourg, ni  dans  les  Expositions,  sourd  au  bruit  de  sa 
femme,  Crescent  ét^it  arrivé,  par  l'excès  de  la  solitude 


MANETTE  SALOMON  Î79 

«t  de  la  contemplation,  à  Tespèce  de  mysticisme  auquel 
l'art  agreste  élève  les  âmes  simples. 

Une  griserie  d'un  panthéisme  inconscient  lui  était 
venue  de  ces  études  errantes  qu'il  faisait  hors  de  son 
atelier,  sans  peindre,  sans  dessiner,  plongé  dans  l'infini 
des  ciels  et  des  iiorizons,  enfoncé  du  matin  au  soir  dans 
rhérbe  et  dans  le  jour,  s' éblouissant  de  la  lumière,  bu- 
vant des  yeux  l'aurore,  le  coucher  de  soleil,  le  crépus- 
cule, aspirant  les  chaudes  odeurs  du  blé  mûr,  l'acre 
volupté  des  senteurs  de  forêt,  les  grands  souffles  qui 
ébranlent  la  tête,  le  Vent,  la  Tempête,  l'Orage. 

Cette  absorption,  cette  communion,  cet  embrassement 
des  visions,  des  couleurs,  des  fantasmagories  de  la  cam- 
pagne, avaient  à  la  longue  développé  dans  Crescent  l'es- 
pèce d'illumination  d'un  voyant  de  la.  nature,  la  religio- 
sité inspirée  d'un  prêtre  de  la  terre  en  sabols.  Le 
ruminement  des  songeries  d'un  berger,  l'exaltation  des 
perceptions  d'un  artiste,  la  ténacité  paysanne  de  la  mé- 
ditation, le  travail  surexcitant  de  l'isolement,  l'immense 
enivrement  sacré  de  la  création,  tout  cela,  mêlé  en  lui, 
lui  donnait  un  peu  de  l'extatisme  des  anciens  Solitaires. 
Gomme  chez  quelques  grands  paysagistes  à  existence 
sauvage,  à  idées  congestionnées,  on  eût  dit  que  la  sève 
des  choses  lui  était  montée  au  cerveau. 


XG 


Les  Coriolis  el  les  Crescent  prenaient  l'habitude  de  se 
réunir  le  soir,  en  passant  alternativement  la  soirée  les 
uns  chez  les  autres.  Les  hommes  causaient,  fumaient; 
les  deux  femmes  jouaient  aux  cartes.  Au  jeu,  madame 
Crescent  apporlail  ses  vivacités,  la  passion  la  plus  comi- 
que, montrant  des  désespoirs  d'enfant  quand  elle  per- 
dait, prenant  les  cartes  à  partie,  les  injuriant,  leur  don- 
nant des  coups  de  poing  sur  la  figure  en  disant  :  -« 


tSO  MANETTE  SALOMON. 

A-l-on  îd^e  de  ces  pierrots-  là,  de  ces  Machabées  !  Voyeï- 
vous  ça!  une  giboulée  de  piques,  le  roi  de  pique!  C'est 
ce  monstre-là  qui  m'a  fait  perdre!  Ah!  par  exemple,  la 
première  fois  que  j'attraperai  un  moricaud...  Eh  bien! 
cm,  un  chat  noir...  ça  porte  chance... 

Les  hommes  riaient,  et  dans  l'hilarité  le  gros  rire  de 
Crescent  éclatait,  sonore  et  large,  pareil  à  ce  rire  de 
Luther  qu'on  entend  dans  les  Propos  de  table. 

—  Voyons,  madame  Crescent,  calmez-vous,  —  disait 
Anatole,  —  nous  allons  faire  une  partie  ensemble,  vous 
serez  plus  heureuse. 

—  Ne  jouez  pas  avec  ma  femme,  —  criait  Crescent  en 
continuant  à  rire,  —  elle  triche! 

—  Je  triche.  Ah!  bon  sang!  —  s'exclamait  là-dessus 
madame  Crescent  avec  l'exclamation  barbisonnaise  dont 
elle  usait  à  tout  propos  :  —  Si  Ton  peut  dire  !  —  Elle 
éloufîait  d'indignation  et  de  colère.  —  Je  triche,  raoi.^ 
Dis  donc  encore  un  peu  que  je  triche?  Mais  tu  sais,  toi, 
un  jour  je  te  lâcherai  de  la  ficelle,  et  tu  courras  après 
la  pelote,  tu  verras! 

Elle  remuait,  se  levait,  allait,  revenait,  s'agitait,  ne 
pouvait  se  taire  ni  rester  en  place.  Des  trépidations  de 
nerfs  la  traversaient;  elle  était  tourmentée  par  dos  in- 
fluences atmosphériques,  prise  et  secouée  d'inquiétudes 
animales  qui  la  faisaient  se  jeter  à  la  fenêtre  et  regarder 
avec  peur. 

—  Tenez,  voyez-vous,  là  dans  le  coin,  ce  qui  est 
jaune  dans  le  ciel,  je  suis  sûre,  vous  allez  voir,  il  va  en- 
core en  avoir  un. ..Ah!  oui,  riez!  ilvaenfaireun,jevous 
dis...  Oh!  bon  Dieu,  que  je  suis  malheureuse!  Vous  ne 
me  croyez  pas,  monsieur  Anatole?  venez  donc  voir. 

—  Mais  non,  madame  Crescent,  ce  n'est  rien,  il  n'y 
aura  pas  d'orage...  Tenez!  la  revanche... 

—  Voyez-vous,  je  l'ai  dans  le  corps,  voilà  le  chien- 
dent... je  suis  comme  un  damné,  ça  me  soulève  sous  la 
plante  des  pieds...  et  puis  dans  les  bras...  J'ai,  vous 
savez...  j'ai  comme  des  fourmis  dans  les  ongles...  Ahl 
tant  pis!  le  roi,  je  le  marque. 


MANETTE  SALOMON.  281 

Elle  oubliail  Torage,  revenait  à  sa  préoccupation,  à  la 
monomanie  de  ses  tendresses.  —  Figurez-vous,  com- 
mençait-elle à  dire,  —  les  gens  d*ici,  c'est  si  canaille, 
c'est  si...  je  ne  sais  pas  quoi,  oh!  les  rendoublés!  s'ils 
avaient  les  moyens,  ils  feraient  un  carnage  de  toutes  les 
pauvres  bêtes  de  la  forêt.  Tenez!  il  y  a  Boichu...  Il  sort 
tous  les  soirs  à  la  tombée  de  la  nuit,  je  ne  sais  pas  ce 
qu'il  va  faire,  mais  Dieu  de  Dieu,  si  j'étais  le  garde! 
C'est  mon  choléra,  cet  homme-là...  avec  ça  qu'il  est 
laid  comme  la  bête.  Moi,  d'abord,  tous  les  gens  qui  font 
du  mal  aux  animaux,  je  les  sens...  Dans  le  temps,  à  Pa- 
ris, dans  une  maison  où  nous  habitions,  j'ai  dit  un  jour 
en  rentrant  à  mon  mari  :  Il  y  a  un^garçon  boucher  em- 
ménagé ici...  Mais  non...  Mais  si...  Et  c'était  vrai  :  je  le 
savais  bien,  je  l'avais  senti  dans  l'escalier!  Moi!  un 
honrjBE£  que  je  saurais  faire  souffrir  une  bête,  je  ne  suis 
pas  traître,  n'est-ce  pas?...  eh  bien!  je  lui  ferais  rouler 
la  tête  avec  mon  pied!  Ça  ne  me  ferait  pas  plus  que 
ça!...  Et  ici,  c'est  un  malheur.  Les  enfants,  des  tout 
petits  qu'on  les  moucherait,  il  leur  sortirait  du  lait,  ils 
ne  savent  que  manigancer  pour  faire  du  mal  :  c'est  tou- 
jours après  les  fusils,  les  pistolets...  de  la  mauvaise 
herbe  de  braconnier.  Et  les  petites  filles,  donc!  C'est 
encore  plus  enragé  que  les  garçons...  il  y  a  des  chasses.., 
ça  les  rend  mauvaises...  Voilà-t-il  pas  qu'aujourd'hiâ 
la  petite  à  Prudent,  cette  moucheronne,  elle  était  en 
train  de  tirer  avec  du  sable  dans  son  petit  fusil  sur  la 
biche  que  nous  avons  !  Vous  ne  l'avez  pas  vue,  ma  biche, 
quand  elle  me  suit  si  gentiment  derrière  la  carriole?  Ahi 
je  lui  ai  flanqué  une  touilley  à  cette  petite  coquine-là,,, 
qu'elle  n'aura  pas  bouffeté  de  la  journée,  je  vous  en 
réponds!  Monstres  d'enfants!  vouloir  abîmer  des  bêtes!.., 

Crescent  essayait  de  l'interrompre.  —  Allons,  laisse- 
nous  un  peu  Anatole,  tu  es  à  l'ennuyer  depuis  une 
heure... 

—  Ah!  monsieur  Anatole,  dites  donc,  —  faisait  en- 
core madame  Crescent  en  le  retenant  par  le  bras,  —  je 
suis  sûre  que  pour  cela  vous  serez  de  mon  avis...  Vous 

2i. 


•82  MANETTE  SALOMON. 

savez,  cet  orgue  dans  la  journée  qui  est  venu  jouer  de- 
vant chez  nous?...  Ça  vous  a-t-il  rendu  tout  crin  comme 
moiï...  Eh  bien!  n'est-ce  pas  que  le  gouvernement  de- 
vrait défeiRire  les  orgues?...  parce  que,  voyez-vous,  on 
le  voit  bien  par  soi,  ça  doit  avoir  une  influence  sur  les 
chiens  enragés,  hein,  n'est-ce  pas? 


ICI 


—  Oh!  madame!  madame!  des  peintres  avec  un 
groom!  —  criait  à  madame  Crescent  la  petite  bonne  qui 
l'aidait  dans  son  ménage. 

— Un  groom,  pour  groomer  quoi? — dit  madame  Cres- 
cent, et  elle  passa  par  la  fenêtre  une  tête  tout  ébou- 
rifTée  :  elle  vit  devant  la  porte  des  Coriolis  un  breack 
attelé  en  poste. 

C'était  Garnolelle  qui,  emmené  par  quelques-uns  de 
SCS  jeunes  élèves  aux  courses  de  Fontainebleau,  et  sa- 
chant que  Coriolis  était  à  Barbison,  venait  lui  dire  un 
petit  bonjour. 

—  Je  tombe  chez  toi  pour  une  heure,  —  lui  dît-il. 
Et  comme  Coriolis  voulait  qu'ils  revinssent  dîner,  lui 

et  son  monde  :  —  Impossible,  nous  dînons  à... — Et 
Garnotelle  jeta  le  nom  d'pn  des  grands  châteaux  des  en- 
virons. —  Ah  çà!  fais-tu  quelque  chose  ici? 

—  Rien  du  tout...  Je  pense  à  faire  quelque  chose... 
Et  toi? 

—  Moi,  je  travaille  tout  bonnement  à  m'arranger  un 
petit  séjour  à  Rome  pour  la  fin  de  l'automne,  parce  que 
Rome,  vois-tu...  c'est  le  seul  endroit  au  monde  pour 
vous  donner  le  dégoût  des  choses  trop  vivantes...  du 
succès  facile,  du  coin  de  bouche  retroussé...  Ici  on  y  va, 
on  y  glisse,  on  a  beau  se  roidir...  tandis  que  là-bas,  k 
style,  le  style...  ça  vous  entre,  ça  vous  pénètre...  c'est 
l'air'...  Rien  que  cette  grande  ligne  horizontale...  —  et 


MANETTE  SALOMON.  283 

de  la  main  il  dessina  la. sévérité  d'une  campagne  plane. 
—  La  grande  ligne  horizontale!...  Et  puis  ces  fonds  d'art, 
le  dessin  haut  et  concis  de  Michel-x\nge!...  Raphaël!... 
Mais,  dis  donc,  ces  messieurs  et  moi,  nous  serions  cu- 
rieux de  voir  les  peintures  de  l'auberge  d'ici... 

—  Nous  allons  vous  y  mener  avec  Anatole... 

On  partit.  En  chemin,  Anatole  s'empara  des  élèves  de 
Garnotelle,  qui  étaient  des  Russes  de  grande  famille 
s*amusant  à  apprendre  l'art;  et  arrivé  dans  la  grande 
pièce  de  l'auberge,  il  commença  : 

—  Il  n'y  a  pas  de  catalogue,  messieurs...  je  vais  vous 
en  servir...  Je  vous  dirai  qu'ici  c'est  un  vrai  petit  musée 
du  Luxembourg...  tous  les  noms,  toutes  les  tendances, 
l'école  moderne  au  complet...  tous  les  genres...  Ça,  la 
mort  d'un  hanneton  sous  Périclès...  le  néo-grec...  Un 
pifferare  italien...  la  queue  de  Léopold  Robert!  une 
femme  Louis  XV...  chic  Schlesinger  et  compagnie!  le 
Breton  qui  fume  sa  pipe...  la  Bretagne  àLeleux!...  un 
café  dans  la  Forêt  Noire...  école  de  la  bière  de  Stras- 
bourg!... la  Vérité  sortant  d*un  moss...  le  grand  mouve- 
ment des  brasseries!...  Le  temple  du  Réalisme,  au  fond 
du  jardin,  avec  une  porte  où  il  y  a  :  «  Cest  td...  > l'école 
de  l'allégorie!...  Et  des  noms!  Tenez!  cette  vue  de  Ve- 
nise, peinte  au  jaune  de  soleil..,  Bonington!  Ces  mou- 
tons... Brascassat!  Un  Tatar  dans  la  neige...  Horace 
Vernet  fecit  en  diligence!  Cette  danse  de  nymphe  au 
clair  de  la  lune...  Gleyre!  Ce  duel  au  moyen  âge...  De- 
lacroix! Vous  voyez  qu'il  se  servait  du  vert  cadavre  pour 
les  sujets  dramatiques...  Ces  deux  gendarmes...  Meisson- 
nier!  Ce  sabot  et  cette  lanterne  d'écurie...  là...  un  De- 
camps!...  un  pur  Decampsl...  Ce  qu'il  y  a  de  plus  cu- 
rieux, c'est  que  tous  ces  farceurs-là  ont  signé  avec  des 
pseudonymes... 

Il  montra  une  tête  à  grand  chapeau  fusinée  sur  le 
mur: 

—  Le  portrait  de  notre  hôte,  par  Flandrin,  ipse  Flan- 
drin  ! 

Les  charges  d'Anatole  aux  inconnus,  aux  étrangers, 


S84  MANETTE  SALOMOIf. 

causaient  presque  toujours  un  insupportable  agacemen 
de  nerfs  à  Coriolis.  Il  trouvait  cela,  selon  une  expression 
à  lui^  horriblement  c  perruquier  >,  et  s'il  ne  s'était  re- 
tenu, il  aurait  cédé  à  une  envie  de  le  battre.  Entraînant 
Garnotelle  dans  la  chambre  à  côté,  il  essaya  d'appeler 
ton  attention  sur  un  panneau  encadré  dans  le  mur. 

Anatole  continuait  :  —  Ça? 

Et  il  montrait  devant  la  cheminée  un  paravent  repré- 
sentant la  fin  d'un  dîner  à  Barbison,  où  l'on  voyait  des 
femmes  fumant  des  cigarettes,  des  baisers  de  maîtresse, 
des  artistes  pâles  et  rêveurs,  et  des  buveurs  sanguins, 
aux  bras  nus,  au  madras  rouge. 

—  C'est  de  M.  Ingres!...  Il  a  fait  ça,  quand  il  est 
fenu,  huit  jours  ici,  pour  sa  lune  de  miel,  lorsqu'il  a 
épousé  sa  seconde  femme,  l'Idéal...  pour  remplacer  sa 
première,  la  Ligne,  qui  était  morte...  Une  débauche  dans 
son  œuvre...  très-curieux...  Un  monsieur  en  a  déjà  offert 
vingt-cinq  mille  francs  et  une  pipe  en  écume  qui  lui 
venait  de  sa  mère... 

En  revc^Hnt  chez  Coriolis,  Garnotelle  prit  à  part  Ana- 
tole, et  lui  uh  :  —  Mon  cher...  que  tu  me  fasses  des 
charges  à  moi,  c'est  très-bien...  mais  que  tu  fasses  poser 
ces  messieurs,  je  trouve  ça  bête... 

—  Tiens,  Garnotelle,  tu  me  fais  de  la  peine...  les 
gens  du  monde  t'ont  perdu...  tu  désertes  les  grands 
principes  de  89...  TEgalité  devant  la  Blague! 


XCII 


Des  causeries  de  leur  art,  des  confessions  de  leur  mé- 
tier, Crescent  et  Coriolis  étaient  arrivés  à  se  parler  de 
leur  vie,  à  se  raconter  leur  passé  l'un  à  l'autre. 

—  Moi,  —  disait  Crescent,  —  je  suis  un  paysan,  fils 
de  paysan.  Quand  je  suis  arrivé  dans  le  pays,  un  jour, 
dans  un  champ,  des  faucheurs  se  fichaient  de  moi  :  iU 


MANETTE  SALOMON.  285 

in*appelaient  «  le  Parisien  >.  J'ai  été  à  un  de  ceux  qui  m'ap- 
pelaient  comme  ça,  je  lui  ai  pris  sa  faux  des  mains,  ea 
faisant  la  bête,  en  lui  demandant  si  c'était  bien  difficile, 
si  ça  coupait...  Et  puis,  v'ian!  j'ai  donné  un  coup  de  faux 
à  la  volée  ..  Ahl  il  a  vu  que  je  connaissais  son  métier 
mieux  que  lui,  et  que  je  n'avais  pas  du  poil  aux  mains 
pour  cet  ouvrage-là!...  Depuis  ça,  ils  me  tirent  tous  dev 
coups  de  chapeau... 

Une  histoire  simple  que  la  sienne:  Il  était  tombé  à  là 
conscription.  Enfant,  en  revenant  de  la  ville,  il  crayon- 
nait dans  son  village  les  images  qu'il  avait  vues  aux  bou 
tiques  de  Nancy.  Au  régiment,  il  avait  continué  à  dessi- 
nailler,  et  faisant  un  assez  mauvais  soldat,  il  avait  eu  It 
chance  de  tomber  sur  un  capitaine  qui  se  pâmait  à  ses 
charges.  Presque  tous  les  jours,  c'était  la  même  scène  : 
—  Eh  bien!  n...  de  D...  f...!  disait  le  capitaine,  qui 
l'avait  fait  appeler, —  qu'est-ce  que  c'est,  Crescent?  En- 
core un  manque  de  service...  Je  devrais  vous  faire  fusil- 
ler, s...  n...  de  D...!  Est-ce  que  vous  vous  f...  de  moi! 
f...  !  Tenez!  fichez-vous  là,  et  faites-moi  la  charge  de  U 
femme  de  l'adjudant...  —  La  charge  faite  :  —  Étonnant, 
ce  b...-là!  C'est  x>...  de  D...  n...  de  D...  bien  l'adju- 
dante...  —  Et  par  la  fenêtre  :  —  Lieutenant!  venez  voir 
la  charge  de  ce  b...  de  Crescent! 

En  sortant  du  régiment,  Crescent  avait  épousé  sâ 
femme,  une  payse,  pauvre  comme  lui,  qu'il  avait  re- 
trouvée sur  le  pavé  de  Paris.  Avec  l'admirable  instinct 
d'un  dévouement  de  femme  du  peuple,  elle  lui  avait 
laissé  faire  <l  ses  petites  machines  »  auxquelles  elle  no 
comprenait  rien,  en  apportant  au  ménage  tous  ses 
pauvres  gains  d'ouvrière. 

—  De  la  rude  misère  !  —  disait  Crescent,  en  parlant 
de  ce  temps-là,  —  et  des  bricoles!...  il  n'y  avait  pas  à 
dire...  Ah!  je  faisais  de  tout,  des  petites  femmes  nues 
dans  le  genre  Diaz  qui  me  font  sauter  à  présent  quand  je 
les  revois...  une  honte!  —  Et  sa  voix  avait  l'indignation 
d'un  rigorisme  sincère,  le  remords  d'une  nature  d'artiste 
austère  et  sévère.  — De  tout!  —  reprenait-il.  —  Et  puis 


286  MANETTE  SALOMON. 

de  la  gravure  à  l'eau-forte  d'ornements...  A-t-elle  trotté, 
ma  pauvre  bonne  femme,  par  tous  les  temps,  la  pluîe, 
la  neige,  à  courir  les  étalagistes,  les  marchands  sous  les 
portes  cochères,  trempée,  crottée,  avec  un  petit  carton 
et  son  bonnet  de  linge,  pour  attraper  quelques  sous 
par-ci,  par-là!...  Non,  ma  femme,  voyez-vous,  il  n'y  a 
que  moi  qui  sache  ce  qu'elle  vaut!...  Enfin,  un  peu  d'ar- 
gent nous  tomba...  Il  me  vint  l'idée  de  devenir  proprié- 
taire... oui,  propriétaire... 

Et  il  partit  d'un  de  ces  gros  éclats  de  rire  qui  faisaient 
trembler  la  baie  vitrée  de  son  atelier. 

—  J'achetai  pour  trente  francs  un  wagon  de  marchan* 
dise  mis  à  la  réforme  par  le  chemin  de  fer  d'Orléans... 
et  avec  ça,  cinquante  mètres  de  terrain  à  cinq  francs  au 
petit  Gentilly...  Je  mis  mon  v^agon  sur  mon  terrain,  une 
maison  comme  une  autre,  très-commode,  je  vous  as- 
sure... Quelquefois  un  gendarme  qui  voyait  là-dedans  de 
la  lumière  la  nuit  me  criait  :  Qui  est  là?  Je  répondais  : 
Propriétaire!...  Tenez!  je  la  loue  encore  maintenant 
soixante-dix  francs  à  un  marchand  de  copeaux,  et  les  ré- 
parations à  sa  charge...  Eh  bien!  c'est  cette  maison-là 
qui  a  fait  de  moi  un  paysagiste...  Elle  m'a  fait  découvrir 
la  Bièvre...  Et  je  sors  de  là...  Moi,  un  homme  de  la 
campagne,  je  n'avais  pas  du  tout  vu  la  campagne...  C'est 
ma  source,  je  vous  dis...  Oui,  cette  salope  de  petite  ri- 
vière, c'est  elle  qui  m'a  baptisé  ..  J'ai  commencé  à 
pêcher  dedans  ce  que  je  suis,  ce  que  je  sens,  ce  que  je 
peins...  Oui,  la  Bièvre,  c'est  ça  qui  m'a  ouvert  la  grande 
fenêtre... 

Et  tirant  d'une  huche  à  pain  un  tas  de  parneaux  d'é- 
tudes qu'il  essuya  avec  sa  manche  : 
-  Tenezl  voilà.,. 


MANETTE  SALOMON.  SB7 


XCIII 


Et  rétrange  coin  de  faubourg  et  de  campagne  dans 
lequel  Crescent  avait  ouvert  ses  yeux  et  trouvé  son  génie, 
86  développa  devant  Coriolis. 

C'étaient  les  tanneries  à  côté  du  théâtre  Saint-Marcel  : 
une  eau  brune,  rousse,  mousseuse,  une  eau  de  purin, 
encaissée  entre  des  revêtements  de  pierre,  une  espèce 
de  quai  plein  de  cuves  de  bois  plâtreuses,  salies  de  blan- 
cheurs verdâtres  de  glaise,  à  côté  desquelles  le  blanc  et 
le  noir  de  monceaux  de  toisons  étaient  triés  par  des 
femmes  en  camisole  lilas,  coiffées  de  chapeaux  de  paille. 
L'eau  lourde  et  sale,  trouble  et  sans  reflet,  coulait  entre 
de  hautes  masures  d'industrie,  des  tanneries  aux  tons  de 
vieux  plâtre,  replâtrées  de  chaux  vive  criarde  ;  les  fenêtres 
sans  persiennes  étaient  percées  comme  des  trous;  les 
couronnements  surhaussés  de  séchoirs  découpaient  en 
Fair,  au-dessous  du  toit  et  des  lucarnes,  des  silhouettes 
de  tonnelles  ;  des  peaux  blanches  pendaient  recroque- 
villées tout  en  haut  à  de  grandes  perches  ;  et  Teau  allait 
se  perdant  dans  un  fond  coupé  de  barrières  de  vieux 
bois  noir,  dans  un  encombrement  de  constructions  ra- 
piécées, d'architectures  grises,  de  cheminées  droites  et 
noires  d'usine,  de  grandes  cages  à  jours  baiTant,  dans 
le  ciel,  le  dôme  du  Yal-de-Grâce. 

De  là,  les  études  de  Crescent  avaient  remonté  la 
Biëvre.  Elles  avaient  été  par  les  boues  où  marchent  les 
petits  garçons  pieds  nus  et  les  petites  filles  dans  les 
grandes  savates  de  leur  mère,  par  tout  ce  quartier  Mouf* 
fêtard,  par  ces  rues  où  ne  s'aperçoivent,  à  travers  la 
baie  des  portes,  que  des  montagnes  de  tan  et  des  étages 
de  maisons  blafardes  à  toits  de  tuile  ;  et  elles  avaient 
trouvé  celte  espèce  de  malheureuse  nature,  la  nature  de 
Paris,  la  nature  qui  vient  après  les  rués  baptisées  Campa 


i^SiJ  MANETTE  SALOMON. 

gne-Première.  Les  esquisses  de  Crescent  rendaient  !• 
style  de  misère,  la  pauvreté,  le  rachitisme  mélancolique 
de  ces  prés  râpés  et  jaunis  par  places,  serrés  dans  de 
grands  murs,  arrosés  par  la  Bièvre  étroite,  sèchement 
ombragée  de  peupliers  et  de  petits  bouquets  de  saules. 
Elles  mettaient  devant  les  yeux  ces  chemins  noirs  d€ 
houille  qui  vont  le  long  de  ces  carrés  marécageux  où 
pâturent  des  rosses;  ces  lignes  d'horizon  et  de  collines 
bossues  où  éclate  un  blanc  brutal  de  maison  neuve, 
ces  sentiers  à  côté  de  champs  de  blé  blanchissant  au 
soleil,  où  finissent  les  réverbères  à  poteaux  verts;  ces 
bouts  de  paysage  plâtreux  où  le  rouge  d'une  cerise 
sur  un  cerisier  étonne  comme  un  fruit  de  corail  inat- 
tendu; ces  endroits  vagues,  verts  d'orties,  où  le  bleu 
d'un  bourgeron  qui  dort,  un  dos  d'homme  tapi  montre 
une  sieste  suspecte  de  pochard  ou  d'assassin. 

Au-dessus  des  ciels  de  banlieue  d'un  jour  aigu,  des 
nuages  aux  rondeurs  solides  et  concrétionnées,  des  ciels 
bas,  pesant  sur  les  coteaux,  étaient  coupés  par  des  bâ- 
tons de  blanchisserie.  Puis  on  retrouvait  encore  la 
Bièvre  charriant  des  morceaux  de  mousse  pareils  à  des 
champignons  pourris,  la  Bièvre  roulant,  comme  un  ruis- 
seau de  mégisserie,  une  eau  ouvrière  et  la  salissure 
d*une  rivière  qui  travaille.  Dans  ces  peintures  de  Cres- 
cent, elle  serpentait  et  courait,  encaissée,  sous  les  saules 
i  demi  morts,  les  sureaux  aux  bouquets  de  fleurs  frîs- 
ionnants,  entre  les  usines,  les  blanchisseries,  les  cahutes 
i  contre-forts  semblables  à  des  bâtiments  brûlés,  dont 
la  flamme  aurait  noirci  la  porte  et  la  fenêtre;  contre  les 
tonneaux  à  laveuses,  les  grandes  pierres  plates  à  battre 
&  linge,  le  bas  des  auvents  à  grands  toits  moussus  el 
moisis,  sous  lesquels  deux  mains  d'ouvriers  laminent  des 
peaux  sur  des  morceaux  de  bois  rond. 

De  cette  pauvre  rivière  opprimée,  de  ce  ruisseau  în- 
*çct,  de  celte  nature  maigre,  malsaine,  Crescent  avait 

à  dégager  l'expression,  le  sentiment,  presque  la  souf- 
â'ance. 


liiàNËTTË  SALOMON.  ^8)1 


XCIV 


Avec  la  prompte  adaptation  de  sa  nature  aux  lieux 
où  il  se  trouvait,  sa  facilité  à  entrer  dans  le  moule  de  la 
vie  environnante  et  des  habitudes  d'une  localité,  Anatole, 
un  peu  fatigué  de  la  forêt,  était  en  train  de  devenir  un 
vrai  Barbisonnais,  et  ses  journées  s'écoulaient  dans  des 
passe-temps  de  petit  bourgeois  de  village. 

Après  déjeuner,  passant  en  se  baissant  sous  la  porte 
basse  dont  l'avarice  du  paysan  avait  économisé  la  hau- 
teur, il  entrait  chez  la  rustique  débitante  de  tabac  de 
l'endroit,  et  y  achetait  régulièrement  ses  cinq  sous  de 
tabac  ;  puis,  se  juchant  en  face  de  la  débitante  sur  la 
cheminée  peinte  en  bois  noir,  il  se  donnait  le  plaisir, 
en  fumant  des  cigarettes,  de  voir  les  consommateurs 
qui  venaient,  causait  champs,  céréales,  mercuriales  de 
Melun,  attrapait  au  passage  les  nouvelles  du  pays,  appre- 
nait par  cœur  l'ameublement  de  la  pièce  blanchie  à  la 
chaux,  le  comptoir,  l'almajiach,  le  tableau  du  prix  deia 
vente /des  tabacs,  la  balance,  les  deux  pots  blancs  à  bor- 
dure bleue,  portant  :  TabaCy  les  verres  où  éîait  coulée 
la  tête  de  Louis-Napoléon,  président  de  la  république,  et 
d*où  sortaient  des  pipes  de  terre,  l'horloge  dans  sa  gaîne 
de  noyer,  avec  son  heure  arrêtée  et  son  cadran  immobile 
orné  du  cuivre  estampé  de  Jésus  et  de  la  Samaritaine. 
Et  son  regard  trouvait  toujours  le  même  amusement  sur 
le  mur  du  fond,  à  contempler  l'image  coloriée  de  la  rue 
Zacharie,  représentant  le  Catafalque  de  Vempereur  Na^ 
poléon  aux  Invalides ,  un  catafalque  jaune  à  guirlandes 
vertes,  à  renommées  roses,  éclairé  par  quatre  brûle- 
parfums,  avec,  au  premier  plan,  une  femme  en  chapeaa 
vert-pois,  un  boa  au  cou,  un  châle  bleu  de  ciel  à  franges 
9ranges  sur  une  robe  vermillon,  donnant  la  main  à  un 
Jeune  enfant  en  pantalon  collant  et  en  bottes  à  la  hussarde* 

25 


jaO  MANETTE  SALOMCN. 

De  temps  en  temps,  il  disait  des  paroles  à  la  débi- 
tante, et  la  vieille  femme  au  madras,  sortant  alors  d'entre 
ses  épaules  sa  tête  enfoncée,  lentement  et  de  côté,  avec 
le  mouvement  pénible  et  soupçonneux  d'une  tortue,  lui 
répondait  :  —  S'il  vous  plaitî 

Après  une  heure  ou  deux  usées  ainsi,  quand  il  avait 
assez  du  bureau  et  de  la  marchande,  il  raccrochait  un 
indigène  ou  un  artiste,  et  l'emmenait  près  de  l'auberge 
à  un  petit  billard  où  les  coqs  sautaient  de  la  cour  dans 
la  salie,  et  où  le  garçon  était  un  petit  paysan  en  chaus- 
sons. 

Pour  ses  soirées,  il  avait  trouvé  une  distraction.  Il 
existait  dans  l'endroit  un  charcutier  retiré  qui,  pour  se 
créer  des  relations,  une  popularité,  attirer  chez  lui  le 
inonde  de  Barbison,  et  8*ouvrir,  disait-on,  le  chemin  de 
la  mairie,  s'était  avisé  de  donner  des  séances  de  lanterne 
magique.  Anatole  devint  naturellement  le  démonstrateur 
des  verres  du  charcutier,  un  démonstrateur  étonnant,  le 
délirant  cicérone  de  lante^^e  magique,  qu*il  était  fait 
pour  être. 


xcv 


La  grande  amitié  de  madame  Crescent  pour  la  maî- 
tresse de  Coriolis  recevait  un  coup  soudain  et  mortel 
d'une  révélation  du  hasard  :  madame  Crescent  apprenait 
que  Manette  était  juive. 

Il  y  avait  dans  la  brave  femme  toutes  les  superstitions 
peuple,  et  d'un  peuple  de  vieille  province. 

Au  fond  d'elle  dormaient  et  revivaient  sourdement  les 
crédulités  du  passé  contre  les  juifs,  la  tradition  de  leur 
hostilité  contre  les  chrétiens,  les  fables  populaires  absur- 
dement  dérivées  de  l'article  du  Talmud  qui  permet  qu'on 
vole  les  biens  des  étrangers,  qu'on  les  regarde  comme 
das  br'ites,  qu'on  les  tue.  Elle  avait  dans  l'imagination 


MANETTE  SALOMON.  Î91 

le  vague  flottement  des  sacrifices  d'enfants,  des  blessures 
saignantes  aux  hosties,  des  cruautés  impies,  des  histoires 
de  Croquemitaine  enfoncées  dans  le  creio  de  barbarie 
et  d'ignorance  des  légendes  de  village. 

De  son  pays,  il  lui  était  resté  les  préjugés  envenimés, 
la  suspicion,  la  haine,  le  mépris  contre  cette  race  d'en- 
sorceleurs parasites,  ne  produisant  rien,  n'ensemençant 
pas,  ne  cultivant  pas,  et  surgissant  toujours,  sortant  tou- 
jours du  sillon,  partout  où  il  y  a  une  vache  à  vendre,  la 
part  d'un  marché  à  prendre.  De  son  enfance,  il  lui  r©- 
yenait  ce  qui  l'avait  bercée,  les  malédictions  de  la  France 
de  l'Est,  des  paysans  de  l'Alsace  et  de  la  Lorraine,  les 
deux  pays  de  sa  mère  et  de  son  père,  les  deux  provinces 
ou  l'usure  a  livré  une  partie  du  sol  aux  juifs.  Et  de  ces 
souvenirs,  de  ces  impressions,  de  ces  instincts,  il  avait 
fini  par  se  lever  en  elle  l'idée  obstinée,  irréfléchie,  que 
tout  ce  qui  était  juif,  homme  ou  femme,  était  mauvais 
et  marqué  du  signe  de  nuire,  apportait  aux  autres  de  la 
fatalité,  et  faisait  inévitablement  le  malheur  et  la  ruine 
de  tous  ceux  qui  s'en  laissaient  approcher. 

Tout  en  ne  voyant  rien  dans  Manette  qui  pût  justifier 
ses  préventions,  tout  en  cherchant  à  se  raisonner,  à  re- 
venir de  son  injustice,  à  se  faire  entrer  dans  la  tête,  en 
se  répétant,  qu'il  y  a  de  bonnes  gens  partout,  madame 
Crescent  ne  pouvait  vaincre  ses  leçons  d'enfance,  les 
antipathies  de  son  vieux  sang  de  Lorraine.  Et  son  obser- 
vation s'éveillant,  dans  Un  sentiment  soupçonneux,  avec 
ce  sens  pénétrant  de  jugement  que  donne  aux  natures 
de  bonnes  bêtes  la  simple  comparaison  d'elles-mêmes 
avec  les  autres,  elle  commença  à  découvrir  chez  Manette 
une  espèce  d'arrière-âme,  cachée,  enveloppée,  profonde, 
suspecte,  presque  menaçante,  pour  Favenir  de  Co- 
riolis. 

Madame  Crescent  avait  une  nature  trop  en  dehors, 
elle  était  trop  peu  maîtresse  de  ses  impressions  et  de  sa 
physionomie  pour  rester  la  même  personne  avec  Manette. 
Manette  s'aperçut  immédiatement  du  changement.  Sa 
réserve  amenait  la  contrainte  chez  madame  Crescent; 


\ 


\ 


m 


fJÎ  MINETTE  SAIOMON. 

«t,  en  quelques  jours,  il  se  fiiisait  un  grand  r,'*       _^ 

ment  iustinclif  entre  les  deux  femoies.  M'™^ 

XCTl 


-V,  Septembre  amenait  les  derniers  beaux  jours.  La  forljl, 
lous  les  cbalcurs  de  l'été,  avait  pris  des  rajonnemei 
plus  doux.  Des  touclifs  de  jauiie  ei  de  roux  courait 
sur  le  bout  des  feuillages,  rompani  les  crudités  du  veiî 
Le  âel  faisait  de  grands  Irons  dans  les   masses   p'Â 
légères.  Autour  des         —lies  dégagées  et  d'un  detfsiji 
plus  net,  les  feuilles       s  rares  ne  niellaient   plus  ({ue 
des    nuances.  Au-dr  les    houx   métalliques,   îles 

genévriers  à  verdur  ,  tout  se  fondait  en  montant 

dans  des  harmonies  jmes  et  pâlissantes,  qui  mâliùent 
tes  teintes  du  Midi  aux  brumes  du  Nord.  On  eût  cru  voir 
les  adieux  de  la  forêt.  L'arcade  de  ses  grands  chemins 
baignait  dans  une  tendresse  verte  et  rose;  elle  trempait 
dans  des  effacements  de  past^  4t  des  limpidités  de 
brouillard  éclairé.  Un  instant,  ct,ia  tremblait  comme  un 
décor  qui  va  s'éteindre;  et  les  chênes  avec  leurs  grands 
tiras,  la  route  avec  son  mystère,  le  bois  avec  sa  mou- 
rante lumière,  sa  transparence  d'enchantement,  semblait 
montrer  aux  pensées  de  Coriolis  le  chemin  d'un  conte 
de  fées,  l'avenue  d'une  Belle  au  bois  dormant.  Par  mo- 
ments, à  ces  heures,  la  forêt  n'avait  pour  lui  presque  plus 
rien  de  réel  ;  elle  enlevait  son  imagination  de  terre  :  un 
chevalier  noir  de  roman,  un  paladin  de  la  Table  ronde 
eût  débouché  à  un  détour  du  Bas-Bréau  qu'il  n'en  aurait 
pas  été  trop  suipris. 

Cependant,  peu  à  peu,  avec  l'automne,  ta  mélancolie 
qui  tombe  des  grands  bois  pénétrait  Coriolis  :  il  élail 
atteint  par  celte  lente  et  sourde  tristesse  qui  enlace  les 
habitués,  les  amoureux  de  Fontainebleau,  et  profile  des 
dos  d'artistes  si  désolés  dans  les  allées  sans  fin 


m 


i 


'.,t 


MANETTE  SALOMON.  293 


Il  commençail  à  trouver  à  la  forêt  le  recueillement, 
la  grandeur  muette,  Taridilé  taciturne,  l'espèce  de  som- 
meil maudit  d'une  forêt  sans  eau  et  sans  oiseau,  sans 
ni  joie  qui  coule,  sans  joie  qui  chante;  d'une  forêt  n'ayant 

*f  que  la  pluie  dans  la  boue  de  ses  mares,  et  le  croassement 

'  du  corbeau  dans  le  ciel  amoureux.  Sous  Tarbre  sans 

I  bonheur  et  sans  cri,  la  terre  lui  semblait  sans  écho  ;  et 

son  pas  s'ennuyait  de  ce  sol  de  sable  qui  efface  le  bruit 
avec  la  trace  du  promeneur,  et  où  toutes  les  sonorités 
de  la  vie  des  bois  viennent  goutte  à  goutte  tomber,  s'en- 
foncer el  se  perdre. 

Les  paysages  de  rochers  lui  apparaissaient  maintenant 
avec  leur  dureté  rude  et  leur  rigueur  nue.  Même  les 
magnificences  de  la  végétation,  les  arbres  énormes,  les 
chênes  superbes  ne  lui  donnaient  point  cette  heureuse 
impression  du  bonlieur  des  choses  qu'on  ressent  devant 
l'épanouissement  facile  et  béni  de  ce  qui  jaillit  sans  effort, 
et  de  ce  qui  monte  au  ciel  sans  souffrir.  A  voir  la  torsion 
de  leurs  branches  noires  sur  le  ciel,  la  convulsion  de 
leurs  forces,  le  désespoir  de  leurs  bras,  le  tourment  qui 
les  sillonne  du  haut  en  bas,  Y.\ït  de  colère  titanesque 
qui  a  fait  donner  à  l'un  de  ces  géants  furieux  du  bois  le 
nom  qu'ils  méritent  tous  :  le  Rageur,  Coriolis  éprouvait 
comme  un  peu  de  la  fatigue  et  de  l'effort  qui  avait  arra- 
ché à  la  cendre  ou  à  la  maigre  terre  toutes  ces  doulou- 
reuses grandeurs  d'arbres.  Etbieiitôl  tout,  jusqu'au  bruit 
de  rhomme,  lui  devenait  poignant  dans  cette  forêt  qui 
parlait  tout  bas  à  ses  idées  soHlaires.  Si,  à  quelque  hori- 
zon, à  quelque  coin  de  bois  du  côté  de  Belle-Croix  ou 
de  la  Reine-Blanche,  il  entendait  un  coup  de  pic  régulier 
et  résigné  sur  la  pierre,  il  pensait  malgré  lui  à  la  courte 
vie  que  fait  aux  carriers  cette  mortelle  poussière  de 
grès  filtrant  dans  les  ressorts  de  leurs  montres,  filtrant 
dans  leurs  poumons. 

Arrivaientles  jours  gris,  les  temps  de  pluie,  les  grands 
vents  frissonnants  jetant  leurs  gémissements  qui  se 
lamentent  dans  le  haut  des  arbres.  Sur  la  lisière  du  Bor- 
nage, déjà  les  petits  peupliers  faisaient  trembler  au  bout 

25 


\ 


Î04  MANETTE  SÂLOMOM 

de  leurs  branches  de  petits  paquets  de  feuilles  d'un  or 
maladif.  Dans  le  bois,  les  feuilles  tombaient  en  tour- 
noyant lentement,  et  voletaient  un  instant,  balayées, 
ainsi  que  des  papillons  desséchés;  toutes  rouillées,  elles 
laissaient  à  peine  paraître  le  velours  de  la  mousse  au 
pied  des  arbres,  et,  dans  les  clairières  au  loin,  amassées 
en  tas,  elles  faisaient  en  jaunissant  des  apparences  de 
grève,  pendant  que  le  vent  à  Thorizon  soulevait,  dans 
le  creux  de  la  forêt,  le  mugissement  de  la  mer.  Des 
branches  se  plaignaient  et  poussaient,  sous  des  rafales, 
le  cri  d'un  mât  qui  fatigue  sous  la  tempête. 

Partout  c'était  le  dépouillement  et  l'ensevelissement 
de  l'automne,  le  commencement  de  la  saison  sombre  et 
du  soir  de  l'année.  D  ne  faisait  plus  qu'un  jour  éteint, 
comme  tamisé  par  un  crêpe,  qui  dès  midi  semblait  vou- 
loir finir  et  menaçait  de  tomber.  Une  espèce  de  crépus- 
cule enveloppait  toute  cette  verdure  d'une  lumière  voilée, 
assoupie  et  sans  flamme.  Au  lieu  d'une  porte  de  soleil, 
les  avenues  n'avaient  plus  à  leur  bout  qu'une  éclaircie 
où  défaillait  le  vert;  et  les  grandes  futaies  hautes,  main- 
tenant abandonnées  de  tous  les  rayons  qui  les  éclablous- 
saient,  de  tous  les  feux  qu'elles  faisaient  ricocher  à 
perte  de  vue,  les  grandes  futaies,  endormies  avec  l'infinie 
monotonie  de  leurs  grands  arbres  inexorablement  droits, 
n'ouvraient  plus  que  des  profondeurs  d'ombre  bâtonnées 
éternellement  par  des  lignes  de  troncs  noirs.  Un  vague 
petit  brouillard  poussiéreux,  couleur  de  toile  d'araignée, 
s'apercevait  sous  les  bois  de  sapins  qui,  avec  leurs  troncs 
moisis  et  suintants,  leurs  dessous  de  détritus  pourris, 
leurs  jaunissements  d'immortelles,  mettaient  des  deux 
côtés  du  chemin  l'apparence  de  jardins  mortuaires 
abandonnés. 

Aux  gorges  d'Apremont,  dans  les  landes  de  bruyères 
aux  fleurs  en  poussière,  dans  les  champs  de  fougères 
brûlées  et  roussies,  les  routes  serpentant  à  travers  les 
rochers,  tout  à  l'heure  étincelantes  du  blanc  du  sable, 
mouillées  à  présent,  avaient  les  tons  de  la  cendre.  Au- 
dessus  pesait  le  ciel  d'un  froid  ardoisé,  pendaient  des 


^  MANETTE  SàLOMON.  295 

nuages  arrêtés,  plombés  et  lourds  d'avance  des  neigea 
de  l'hiver;  et  sur  les  rochers,  répétant  avec  leur  solidité 
de  pierre  le  gris  cendreux  du  chemin,  le  gris  ardoisé 
du  ciel^  çà  et  là,  le  feuillage  grêle  et  décoloré  d'uu 
bouleau  frissonnait  avec  la  maigreur  d'un  arbre  en 
cheveux.  Morne  paysage  de  froideur  sauvage,  où  l'âpre 
intensité  d'une  désolation  monochrome  montrait  tous 
les  deuils  de  nature  du  Nord  ! 

Mais  la  plus  grande  mort  de  tout  était  le  silence,  un 
de  ces  silences  que  la  terre  fait  pour  dormir,  un  si- 
lence plat  qui  avait  enterré  tous  les  bruits  des  silences 
de  l'été.  Il  n'y  avait  plus  le  bourdonnement,  le  vol- 
ligement,  le  sifflement,  le  stridulant  murmure  d'atomes 
ailés,  la  vie  invisible  et  présente  qui  fait  vivre  la  touffe 
d'herbe,  la  feuille,  le  grain  de  sable  :  le  froid  et  l'eau 
avaient  tué  l'insecte.  Le  cœur  de  la  forêt  avait  cessé  de 
battre;  et  le  vide  et  la  peur  d'un  désert,  d'un  sol  ina- 
nimé et  sourd,  se  levaient  de  celte  grande  paix  d'a- 
néantissement. 

De  bonne  heure  le  jour  s'en  allait;  l'ombre  déjà 
guettait  et  rampait,  tapie  au  bord  des  chemins,  sous  les 
arbres.  Le  soir  s'amassait  lentement  dans  le  lointain 
effacé  des  fonds.  Et  puis  un  moment,  comme  un  ago- 
nisant sourire,  une  dernière  lueur  de  la  maussade 
journée  passait  dans  le  bas  du  ciel  et  semblait  y  mettre 
la  nacre  d'une  porle  noire.  Une  faible  sérénité  d'argent 
se  levait,  dans  une  bande  longue,  sur  l'horizon  :  alors 
une  fausse  clarté  de  lune  passait  sur  la  route,  un  poteau 
détachait  sa  tache  de  blancheur  du  sombre  d'une  allée, 
un  éclair  mordoré  courait  sur  le  fouillis  rouillé  des 
fougères,  un  oiseau  perdu  jetait  son  bonsoir  dans  un 
petit  cri  frileux  au  ciel  déjà  refermé.  Et  presque  aus- 
sitôt, derrière  les  gros  chênes,  les  rochers  gris  avaient 
Fair  de  se  répandre  et  de  couler  dans  un  brouillard 
bleuâtre.  Puis  les  ornières  deyant  Coriolis  se  brouil- 
laient et  s'emmêlaient  en  s'éloignant. 

A  la  pleine  nuit,  toutes  ces  sévérités  de  l'automne 
se  perdant  dans  la  grandeur  du  noir,  devenaient  redou- 


.^ 


196  MANETTE  SALOMOS. 

tables  et  d'un  mystère  sinistre.  Quand  il  avait  marché 
sous  ces  voûtes,  où  rien  ne  guide  que  la  petite  fissuro 
du  ciel  entre  les  têtes  des  arbres,  quand  il  avait  des- 
cendu V Allée  aux  Vaches,  en  enfonçant  dans  le  sable, 
dans  le  vague  et  Tinconnu  du  terrain  mou,  entre  ces 
murs  d'obscurité,  à  travers  ce  sommeil  d^  Tavenue, 
réveillé  seulement  par  le  rire  du  hibou,  Coriolis  reve- 
nait avec  un  peu  de  cette  nuit  de  la  forêt  dans  la  tête, 
rêvant,  avec  une  certaine  sensation  troublée,  à  cette 
solennité  terrible  de  Timmense  silence  et  de  la  vaste 
immobilité. 


XCYII 


Au  milieu  des  journées  que  Coriolis  passait  à  pa- 
lesser  dans  Tatelier  du  paysagiste,  regardant  par- 
dessus l'épaule  du  travailleur  absorbé  ce  qui  naissait 
magiquement  sur  sa  toile,  —  c'était  souvent  un  effet 
qu'ils  avaient  vu  ensemble  la  veille,  —  Crescent,  de 
temps  en  temps,  appuyant  sa  palette  sur  sa  cuisse,  se 
retournait  vers  le  regardeur,  et,  lentement,  avec  l'ac- 
cent traînant  du  paysan,  il  disait  :  «  J'ai  toujours  les 
Brosses  et  la  palette  du  tableau  que  je  peins...  Changer 
de  palette  et  de  brosses  c'est  changer  d'harmonie...  Ma 
jwilette,  vous  le  voyez,  c'est  comme  une  montagne...  J'ai 
de  la  peine  à  la  porter...  La  brosse  sèche  mord  comme 
un  burin,  cela  devient  un  outil  résistant.  > 

Il  se  taisait,  revenait  au  mutisme  du  travail;  puis,  au 
tout  d'une  heure,  il  laissait  tomber,  mot  par  mot, 
eomme  du  fond  de  lui-même  et  du  creux  de  ses  ré- 
flexions :  «  Il  faut  poser  le  ton  sans  le  remuer,  arriver 
$  modeler  sans  remuer  la  couleur...  chercher  à  avoir  les 
veines  de  la  palette.  »  Il  s'arrêtait,  repeignait;  et  après 
d'autres  heures,  réchauffement  lui  venant  de  son  tra- 
vail, une  espèce  de  luisant  blanc  montant  à  son  front 


MANETTE  SALOMON.  297 

il  recommençait  à  parler  comme  s'il  se  parlait  à  lui- 
même.  Il  disait  alors  :  a;  La  palette  est  la  décomposition 
\  l'infini  du  rayon  solaire,  Fart  est  sa  recomposition.  » 

Des  secrets  de  la  pratique,  des  recettes  raffinées  de 
l'exécution,  des  superstitions  du  procédé,  il  passait  avec 
un  ton  de  révélation  à  des  axiomes  qui  lui  tombaient  des 
lèvres,  heurtés,  saccadés,  scandés  comme  des  versets 
l*un  évangile  à  lui.  Il  répétait  :  c  II  faut  faire  rentrer  la 
/ariété  dans  l'infini.  » 

De  loin  en  loin,  il  jetait  dans  le  silence  des  phrases 
énigmaliques,  enveloppées,  mystérieuses,  sur  le  sum- 
mum  et  la  conscience  de  l'art.  Des  fragments  de  théo- 
ries lui  échappaient,  qui  montaient  à  une  certaine  phi- 
losophie de  la  peinture,  allaient  à  Vau  delà  du  tableau, 
au  but  moral  de  la  conception,  à  la  spiritualité  supé- 
rieure dominant  l'habileté,  le  talent  de  la  main.  Il  par- 
lait des  vertus  de  caractère  de  la  [  inture,  de  la  sincé- 
rité qu'il  disait  la  vraie  vocation  pbur  peindre.  A  des 
bribes  d'esthétique,  à  un  fond  de  Montaigne,  le  bréviaire 
du  paysagiste  et  sa  seule  lecture,  il  mêlait  toutes  sortes 
de  convictions  arr'emment  personnelles,  de  croyances 
couvées,  fermenté  îs  dans  le  recueillement  de  son  tra- 
vail et  le  croupis^ement  de  sa  vie.  Peu  à  peu,  s'entraî- 
nant,  s'exaltan»,  mais  parlant  toujours  avec  de  grands 
arrêts,  de  longues  suspensions,  des  phrases  coupées, 
ècec  de  longs  ruminements  muets,  il  dogmatisait 
sans  suite,  s'élevait  par  de  courts  jaillissements  de  pa- 
roles aune  suspecte  et  nuageuse  formulation  d'idéalité 
d'art ^  et  ce  qu'il  disait  finissait  par  devenir  insaisissable 
et  inquiétant,  comme  le  commencement  de  l'entraîne- 
ment et  de  l'envolée  d'une  cervelle  vers  l'absurde, 
l'irrationnel,  le  fou. 

Coriolis,  qui  avait  l'esprit  carré,  droit  et  solide,  qui 
aimait  en  toutes  choses  la  simplicité,  la  clarté  et  la  lo« 
gique,  éprouvait  une  sorte  de  malaise  à  côté  de  ces  idées, 
de  ces  paroles,  de  cette  esthétique.  Les  fièvres  d'imagi- 
nation, les  griseries  de  cervelle,  les  théories  qui  perdent 
tçri'c  hii  avaient  toujours  insj)iré  une  répulsion  nplive  et 


!38  MANETTE  SALOMOM. 

l'isurmontable,  presque  un  premier  mouveineat  physique 
d'ilorreuF  et  de  recul. 

11  avait  peur  instinctivement  de  leur  contact  comme 
d'une  approche  dangereuse,  de  quelque  chose  de  malsain 
et  de  contagieux  qu'il  craignait  de  laisser  toucher  à  la 
santé  de  sa  têle,-à  l'équilibre  de  sa  pensée.  Et  il  arri- 
vait qu'au  même  moment  où  madame  Crescent  se  rerroi- 
lissait  pour  Manette,  Ûoriolis  sentait  pour  la  société  du 
[inysagistu,  tout  en  restant  l'ami  de  l'homme  et  de  soo 
Lalent,  une  espèce  d'involontaire  élcigaement. 


A.U  milieu  d'octobre,  Coriulis  rentrait  d'une  longue 
promenade  par  une  du  ces  nuits  humides  qui  font  appa- 
raître dans  un  hrouillard  la  lampe  des  petites  salles  à 
manger  du  village.  En  l'apercevant.  Manette  lui  cria  dU' 
coin  du  feu  auprès  duquel  elle  causait  avec  Anatole. 

—  Arrive  donc;  si  tu  savais  les  bêtises  qu'il  me  ditt 
Crois-lu  qu'il  a  l'idée  de  passer  l'biver  ici? 

—  Bah  !  L'hiver,  comment  fuî  Veux-tu  m'expliquer 
un  peu? 

—  Parfaitement, —  dit  Anatole  surmontant  l'espèce 
de  petite  honte  d'ua  enfant  surpris  dans  ces  tentations 
chimériques  auxquelles  la  lecture  des  voyages  entraîne 
les  premières  imaginations  de  l'homme.  Et  il  se  mit  à 
raconter  d'un  ton  moitié  sérieux,  moitié  plaisant,  comme 
s'il  se  moquait  de  lui-même,  un  de  ces  projets  qui  pas- 
saient de  temps  en  temps  dans  sa  cervelle  d'oiseau,  et 
lui  donnaient  deux  ou  trois  bonnes  soirées  de  rêvasserie 
Jans  son  lit  avant  de  s'endorlnir.  —  Tu  connais  bien  la 
cave  des  Barbissonnières?  Elle  a  une  cheminée  natu- 
relle... I!  n'y  a  qu'à  boucher  quelques  petites  fissures, 
t'aiïaire  d'une  poignée  de  bruyère...  Avec  ça  une  porte 
d'occasion...  je  serai  chez  moi.,.  11  v  a  bien  un  Améri- 


MANETTE  SALOMON.  299 

cain  qui  y  a  déjà  demeuré...  Je  l^rai  ma  cuisine...  Qu'est- 
ce  que  ça  me  coûtera?  Pas  db  uoîs  à  acheter,  tu  com- 
prends... L'hiver,  on  dit  que  c'est  si  beau...  Il  paraît 
qu'il  y  a  des  jours  de  givre  dans  la  forêt...  un  vrai  dé- 
cor en  cristal  !  Et  puis,  après  l'hiver,  j'attrape  le  prin- 
temps^., et  c'est  là  que  moi,  malin,  je  me  livre  à  ma 
petite  industrie...  Ici,  ils  n'ont  pas  d'idées, ils  ne  ramas- 
sent pas  les  champignons,  ils  les  laissent  perdre...  J'au> 
rai  une  petite  voiture  à  bras...  Eh  bien!  quoi?  Qu'est-ce 
qu'il  y  a  de  drôle  à  ça?...  C'est  que  je  connais  les  es- 
pèces à  présent...  et  bien...  Ce  n'est  pas  à  moi  qu'on 
repasserait  une  fausse  oronge...  Tu  vois  l'afTaire,  une 
affaire  énorme!...  Je  me.  mettrai  en  rapport  avec  un 
grand  marchand  de  la  halle...  je  lui  fournirai  des  ceps, 
des  têtes  de  nègre,  des  ombelles,.,  je  ne  te  parle  pas  des 
girolles...  Un  vrai  commerce...  Car  enfin  à  Paris,  un 
petit  panier  de  morilles  comme  la  main,  ça  vaut  deui 
francs...  et  c'en  est  plein  ici...  Calcule...  La  forêt...  ah! 
on  ne  sait  pas  tout  ce  qu'elle  peut  rapporter  I... 

Et  se  mettant  à  faire  peu  à  peu  la  caricature  de  ses 
projets  comme  pour  n'en  pas  laisser  la  moquerie  aux 
autres  : 

—  Non,  on  ne  le  sait  pas...  La  forêt  de  Fontainebleau! 
Hais  je  parie  qu'on  peut  s'en  faire,  comme  des  lapins, 
cinq  mille  livres  de  rente,  et  plus!...  Tiens!  une  idée... 
une  idée  magnifique  qdi  me  vient  à  l'instant...  Tu  sais 
bien?  ces  familles  d'étrangers  qui  ont  des  petits  bras  et 
qui  se  collent  huit  conV<^  l'écorce  pour  mesurer  le  tour 
d'un  arbre...  Eh  bien,  mon  cher,  voilà. un  revenu...  Je 
mets  sur  un  morceau  de  papier  :  le  Chêne  de  l'empe- 
reur... Élévation  :  tant...  Circonférence  à  hauteur 
d^ homme  :  tant...  Tous  les  chênes  célèbres  comme  ça... 
Je  fais  imprimer  à  Melun...  format  d'une  carte  de 
visite...  et  un  sou!  je  leur  vends  un  sou,  pas  plus...  Des 
gens  qui  sont  avec  des  femmes,  ils  n*y  regardent  pas... 
ils  m'achètent...  Il  y  a  des  milliards  d'étrangers  dans  le 
monde...  Ce  sont  les  patards  qui  font  les  millions...  Je 
gagne  un  argent  à  devenir  fou...  et  je  fais  bâtir  un  châ- 


8U0  MANETTE  SALOMON. 

teau  où  je  t'inviterai  à  passer  quinze  jours  :  on  dînera 
en  habit  I 

—  C'est  à  ce  moment-là  que  tu  ieras  ton  grand  ta- 
Oieau  pour  l'exposition,  n'est-ce  pas?  Tu  seras  donc 
toujours  aussi  bête,  vieil  imbécile?...  Eh  bien!  est-ce 
qu'on  va  diner?...  Moi,  c'est  bizarre,  je  ne  suis  pas 
comme  Anatole  :  à  mesure  que  je  me  promène  dans  la 
forêt,  je  trouve  que  ça  manque  de  gaieté... 

—  As-tu  vu  ce  temps  d'aujourd'hui?  —  dit  Manette. 

—  C'est  affreux  d'humidité...  Et  puis,  ces  maisons  en 
grès,  c'est  comme  une  ca  j... 

—  Allons  !  —  fit  Coriolis,  —  il  me  semble  que  voilà 
un  bien  joli  moment  pour  revenir  à  Paris  ?...  Le  temps 
d'installer  Anatole  dans  son  terrier...  —  et  Coriolis  se 
tourna  vers  lui  en  riant,  —  et  nous  partons,  n'est-ce 
pas.  Manette? 

—  Ah!  flûte!  —  dît  Anatole  dégrisé  de  ses  projets  en 
les  parlant  et  tourné  tout  à  coup  au  vent  de  Paris,  — 
les  champignons  n'auraient  qu'à  avoir  la  maladie  l'année 
prochaine!...  Et  puis,  mon  avenir!...  La  Postérité  re- 
marquerait mon  absence...  Rentrons  dans  l'Art! 

—  Alors,  le  départ  pour  après- demain,  par  la  voiture 
de  Melun,  à  deux  heuios?  Nous  serons  pour  dîner  à 
Paris... 


XCIX 

Revenu  à  Paris,  le  trio  eut  le  plaisir  du  retour,  la 
joie  de  retrouver  les  meubles,  les  objets  de  souvenir, 
les  choses  qui  paraissent  nouvelles  quand  on  revient. 

En  arrivant,  Coriolis  se  mit  à  retourner,  à  regarder 
de  vieilles  esquisses.  Anatole  alla  à  Vermillon  qui  ne 
venait  pas  à  lui,  et  qui,  sommeillant  dans  un  coin  de 
Tatelier,  sous  une  couverture,  s'était  contenté,  à  l'entrée 
de  son  ami,  d'ouvrir  ses  deux  grands  yeux  et  de  les  fixer 
avec  un  regard  de  reconnaissance. 


MANETTE  SALOMON.  301 

*   — Eh  LîenI  Vermillon,  qu'est-ce  que  c'est?  —  fit 
Anatole.  —  Voilà  tout?  Pas  plus  de  fête  que  ça?  Voyons, 

'voyons... 

'     Et  il  se  pencha  sur  la  bête  couchée. 

Vermillon  grimpa  après  lui  avec  des  gestes  engourdis 
et  pénibles,  et  lui  passant  les  bras  autour  du  cou,  il 
laissa  paresseusement  aller  sa  tête  sur  son  épaule,  dans 
un  mouvement  incliné  qui  semblait  chercher  à  y  dormir. 

—  Eh  bien!  quoi?  mon  pauvre  bibi?  ça  ne  va  pas?... 
des  chagrins?  C'est  vrai  qu'il  y  a  longtemps  que  tu  n'as 
eu  un  camarade...  je  t'ai  joliment  manqué,  hein?  mais 
attends... 

Et,  se  mettant  devant  VermiHon  qu'il  reposa  sur  sa 
couverture,  Anatole  commença  à  lui  faire  ses  anciennes 
grimaces.  Tout  à  coup  le  singe  se  mit  à  tousser,  et  une 
quinte,  coupée  de  petits  cris  d'impatience  et  de  colère, 
secoua  d'un  tremblement  convulsif  tout  son  corps  jus- 
qu'au bout  de  sa  queue. 

—  Ta  rosse  de  portier!  — lança  Anatole  à  Corîolis. 
—  Je  te  l'avais  bien  dit,  avant  de  partir...  Il  l'aura 
laissé  avoir  froid...  Pauvre  chou!  n'est-ce  pas  que  tu  as 
eu  froid? 

Et  prenant  le  malheureux  animal  qui  s'était  pelotonné 
et  ramassé  sur  sa  souffrance,  Temmaillottant  doucement 
dans  la  couverture,  il  l'apporta  devant  la  chaleur  du 
poêle.  Le  singe  était  entre  ses  jambes  :  Anatole  le  câli- 
nait, lui  adressait  des  mots,  des  douceurs  de  nourrice, 
et,  de  temps  en  temps,  lui  donnait  à  boire  une  cuillerée 
de  l'eau  sucrée  qu'il  avait  mise  tiédir  sur  la  plaque. 

Les  jours  suivants.  Vermillon  fut  à  peu  près  de  même. 
Il  eut  des  hauts,  des  bas,  de  bons  moments,  suivis  de 
mauvais,  des  réveils  de  vie,  des  heures  de  gaieté,  puis 
des  tousseries,  des  quintes  déchirées  et  entêtées  lui 
laissant  des  abattements  qu'Anatole  essayait  vainement 
de  distraire  et  d'égayer. 

Anatole  l'avait  monté  dans  sa  chambre  et  lui  avait  fait 
un  petit  lit  par  terre  à  côté  du  sien.  Quand  il  l'entendait 
tousser  la  nuit,  il  sautait  pieds  nus  par  terre,  et  lui 


802  MANETTE  SALOMON. 

donnait  du  lait  qu'il  tenait  chaud  sur  une  veilleuse. 

Le  matin,  lorsqu'il  se  levait,  l'œil  doux  et  clair  de 
l'animal  suivait  le  moindre  de  ses  mouvements.  Sa  tôl<» 
se  soulevait  peu  à  peu,  et  montait  tout  doucement  pour 
voir.  Au  moment  où  Anatole  allait  sortir,  le  singe  était 
presque  sur  son  séant,  tout  le  corps  tendu,  les  yeux 
attachés  sur  le  dos  d'Anatole,  sur  la  porte  qu'il  fermait, 
avec  l'expression  des  yeux  d'une  personne  qui  regarde 
la  tristesse  de  voir  s'en  aller  quelqu'un  et  venir  la  soli- 
tude. Un  jour,  Anatole  eut  la  curiosité  de  rouvrir  la 
porte  quelques  minutes  après  l'avoir  fermée  :  Vermillon 
était  toujours  dans  la  même  position,  le  regard  d'une 
pensée  fixe  tournée  vefs  la  porte,  tétant  mélancolique- 
ment un  doigt  de  sa  petite  main  entré  dans  sa  bouche  : 
on  eût  cru  voir  un  enfant  malheureux  qu'on  a  laissé  le 
matin  en  pénitence. 

Anatole  trouva  horrible  de  laisser  s'ennuyer  ainsi  cettî 
pauvre  bête.  Il  descendit  à  l'atelier,  établit  un  petï 
plancher  sur  le  poêle  de  fonte,  organisa  une  espèce  dt 
matelas  avec  des  couvertures,  remonta  : 

—  Viens,  Vermillon,  —  fit-il. 
Vermillon  le  regarda. 

—  Saute  donc,  vieux!  —  lui  dit-il  en  baissant  sa  poi- 
trine vers  lui. 

Le  pauvre  animal  s'élança  des  deux  bras,  mais  ce  fut 
tout  ce  qu'il  put  faire  :  le  bas  de  son  corps  ne  se  souleva 
pas.  Quelque  chose  semblait  le  clouer  par  les  pattes  au 
lit.  Il  resta,  jeté  en  avant,  poussant  des  petits  cris, 
essayant  vainement  de  bondir. 

—  Ahl  nom  d'un  chien!  —  dit  Anatole  en  le  dé* 
couvrant,  —  il  a  le  train  de  derrière  paralysé! 


Corîolis  sortait  avec  Chassagnol  d'une  exposition  de 
tableaux  et  de  dessins  modernes  qui  avait  attiré  aux 


MANETTE  SALOMON.  303 

Commissaires-priseurs,  dans  une  des  grandes  salles  de 
l'hôtel  Drouoty  tout  le  Paris  faisanl  de  Fart  sa  vie,  soq 
commerce,  son  goût  ou  son  genre. 

Us  marchaient  sur  le  trottoir  à  côté  l'un  de  l'autre, 
Chassagnol  absorbé,  avec  l'air  mal  éveillé  ;  Coriolis  silen- 
cieux et  laissant  échapper  des  gestes. 

Tout  à  coup  Coriolis  s'arrêta  : 

—  Oui,  une  feuille, une  tuile  sur  un  toit...  deux  choses 
comme  ça  dans  le  ciel...  —  et  il  dessina  du  doigt  l'acco- 
lade d'un  vol  d'oiseau  dans  l'air,  —  c'est  signé,  c'est 
de  lui...  Une  personnalité  du  diable  ce  mâtin-là! 

Et  il  se  remit  à  marcher  auprès  de  Chassagnol^  qui 
paraissait  ne  pas  l'avoir  entendu. 

Au  bout  de  vingt  pas,  il  s'arréla  une  seconde  fois  tout 
net,  et  faisant  faire  halte  à  Cliassaguol  : 

—  As-tu  remarqué,  mon  clier,  comme  tout  fiche  le 
camp  à  côté  de  lui?  Tous  les  autres,  ça  paraît  ce  que 
c'est  :  des  modernes...  Lui,  ses  tableaux...  ça  recule,  ça 
i'enfonce,  case  dore,  ça  se  culoUe  en  chcl-d'œuvre... 

—  Ah  çà!  de  qui  parles-tu? 

—  De  Decamps,  parbleu!  —  fit  sourdement  Coriolis. 
Chassagnol  le  regarda,  étonné  d'entendre  sortir  de  sa 

bouche  ce  nom  que  Coriolis  n'aimait  pas  dans  la  bouche 
des  autres. 

—  Eh  bien,  oui,  de  lui,  —  reprit  Coriolis,  —  Je  l'ai 
assez  discuté  et  chicané  pour  lui  rendre  justice. 

Et  son  admiration  jaillissant  de  sa  rivalité,  de  sa  jalou- 
isie  vaincue,  il  se  mit  à  vanter  ce  grand  talent  avec  cette 
langue  qu'ont  les  peintres,  ces  mois  qui  redouMeni 
l'expression,  ces  paroles  qui  ressemblent  à  une  succes- 
sion de  touches,  à  de  petits  coups  de  pinceau  avec  les- 
quels ils  semblent  vouloir  se  montrer  à  eux-mêmes  les 
choses  dont  ils  parlent. 

Il  parlait  du  tempérament,  de  l'originalité,  de  la  puis- 
sance pittoresque  de  ce  dessinateur  s'avouant  incapable 
de  c  flanquer  sur  ses  pattes  »  une  figure  de  prix  de  Rome, 
et  mettant  pourtant,  à  tout  ce  qu'il  touche,  cette  griffe, 
cette  marque,  ce  DC  qui,  sur  sa  peinture,  ses  toiles,  ses 


304  MANETTE  SALOMOM. 

dessins,  ses  fusains,  font  l'effet  des  lettres  du  maître 
imprimées  aux  flancs  brûlés  d'une  meute.  Il  parlait  du 
coloriste,  qu'il  avait  nié  lui-même  autrefois,  du  coloriste 
écrasant,  tuant  tout  autour  de  lui.  Il  trouvait  dans  sa 
peinture  la  vie,  la  vie  intime  et  pénétrante  des  choses, 
une  intensité  de  vitalité,  une  étonnante  àpreté  de  sen- 
timent. 

—  Des  ficelles  !  allons  donc  !  —  s*écriail-il.  —  Est- 
ce  qu'on  est  Decamps  avec  des  ficelles  ?  Qu'est-ce  que 
ça  fait  le  procédé?  Pourquoi  alors  ne  reproche-t-on  pas 
à  Delacroix  ses  pinceaux  à  l'aquarelle,  pour  avoir  les 
pleins  et  les  déliés  qu'il  n'attrape  pas  à  la  brosse,  et  la 
manière  dont  il  a  préparé  son  char  du  Soleil  dans  la 
galerie  d'Apollon?  Et  puis  on  vous  dit  :  Verdier!  qu'il 
a  volé,  Verdier!  un  faux  Lebrun  !...  Ils  me  font  mal  ! 

Et  il  remettait  sous  les  yeux  de  Chassagnol  ce  paysage 
vu  à  la  vente,  les  gardes-chasse,  ruisselants  d'eau,  loul 
le  désolé  de  la  pluie,  une  trombe  dans  le  buisson  de 
Ruysdaël,  la  crevée  de  l'ondée  au  bout  d'un  champ,  et 
sur  le  fond  qu'il  indiquait  devant  lui  d'un  mouvement 
de  main,  sur  le  liséré  de  blanc  blafard,  ce  tape-cul  fan- 
tastique, d'un  bourgeois  presque  effrayant,  ayant  l'air 
de  mener  le  diable  chez  un  notaire  de  campagne. 

Il  disait  le  paysagiste  saisissant  qu'est  Decamps,  comme 
il  fait  frissonner  la  nature,  comme  il  dramatise  le  bois 
et  l'horizon,  quel  grand  décor  mystérieux  et  sourd  il 
bâtit  avec  les  bois  de  cyprès  autour  des  lacs,  quels  arbres 
sacrés  il  tire  de  terre  pour  y  accrocher  le  carquois  de 
Diane,  quels  ciels  il  construit,  terribles,  puissants,  cyclo- 
péens,  roulant  des  colonnades,  des  architectures,  des 
bases  de  temple,  pareils  à  des  assises,  à  de  grands  esca 
liers,  à  des  gradins  de  Cirque  autour  d'une  arène  d'His- 
toire, tassés,  plissés  souvent  sur  l'horizon  comme  le  hai 
de  la  robe  des  tempêtes,  rayés  parfois  de  barres  d'or, 
de  sang  et  de  feu  comme  une  échelle  de  Jacob. 

11  disait  cette  grande  et  sauvage  poésie  qu'exhalent  ces 
sentiers  perdus,  ces  roules  abandonnées,  suspectes, 
aventureuses,  où  le  peintre  de  la  mélancolie  du  gmad 


MANETTE  SALOMCN.  805 

chemin  jette  ses  silhouettes  bohémiennes  :  le  Pâtre,  le 
Mendiant,  le  Braconnier,  les  derniers  nomades  et  les 
derniers  sauvages,  vus  plus  grands  que  nature,  élevés 
par  le  caractère,  l'aspect,  la  sculpture  du  haillon  à  une 
espèce  de  style  héroïque  moderne. 

Le  style,  c'était  là  la  grande  supériorité.^  le  signe  de 
force  suprême  quô  Goriolis  reconnaissait  à  Decaraps.  El 
toutes  les  pages  de  style  de  Decamps  lui  repassant  dans 
la  tête,  il  citait,  en  s'animant,  en  devenant  éloquent  sous 
une  espèce  d'amertume,  ces  batailles  bitumineuses,  fu- 
mantes de  massacres,  ces  mêlées  furieuses,  ces  chocs 
barbares  où  de  petits  chevaux  blancs  galopent  entre  des 
peuples  qui  se  broient.  Il  citait  les  dessins  du  Samson; 
il  les  proclamait  bibliques  avec  quelque  chose  de  fauve 
flans  l'épique,  il  criait  :  a  C'est  de  l'homérique  juif!  » 

En  revenant  au  souvenir  de  ce  Café  turc  dont  il  s'était 
empli  les  yeux  à  l'exposition  pendant  une  demi-heure, 
'i  rappela  à  Chassagnol  cette  bande  de  ciel  ouaté  zie 
Diane,  martelé  d'azur,  sur  lequel  semblait  trembler  un 
tulle  rose;  ces  petits  arbres  buissonneux,  pareils  h  des 
massifs  de  rosiers  sauvages,  le  cône  des  ifs,  des  cyprès 
noirs  percés  de  jours,  cette  rondeur  d'une  coupole,  là 
ligne  des  terrasses,  ce  rayon  vibrant -sur  des  plâtres 
(achosdu  velours  des  mousses,  ces  murs  ayant  des  tons 
de  peau  de  serpent  séchée  et  comme  des  écailles  de  rep- 
tile, ce  craquelé  de  la  muraille  chatoyant  sous  les  traî- 
nées du  pinceau,  Tégrenage  du  ton,  l'émail  de  la  pâte, 
les  gouttelettes  de  couleur  huileuse,  les  tons  coulant  en 
larmes  de  bougie,  jusqu'à  ce  petit  réduit  de  fraîcheur, 
où  le  coup  de  soleil  paillelait  d'or  les  nattes,  allumait 
le  fourneau  vermillonné  d'une  pipe,  le  blanc  ou  le  rouge 
d'un  turban,  une  veste  couleur  d'or  vert,  une  fleur  au 
fond  dans  un  Jardin  de  fleurs.  Il  évoquait,  ressuscitait, 
semblait  repeindre  tout  le  tableau,  sa  lumière,  son  ombre, 
la  grande  ombre  chaude,  vaporisée  de  chaleur,  et  au  bas 
des  colonnes  porphyrisées  et  marbrées  de  bleu  d'étain, 
ia  mare  sourde  et  fumante  aux  eaux  de  sombre  trans- 
parence, piquées  çà  et  là  d'un  feu  d'escarboucle,  d'un 

26. 


306  UAHETTÏ:  SALOJION. 

redetdBces  palets  de  pierre  pi  éi-leuseaTeclesquelsjoueul 
les  gamins  des  Mille  et  une  Nuils.  Au  bout  de  cela,  Corio- 
lis  (Ût  rSveusemeut  : 

—  Ah!  mon  cher,  l'Orient...  l'Orient I...  Ifoi  je  n'ai 
fait  que  de  la  cochonnerie... 

—  Laisse  donc,  —  fit  Chassagnol,  —  tu  as  tes  qua- 
lités à  toi...  de  très-grandes... 

—  De  la  cochonnerie,  je  te  dis!...  Une  turquerie  in- 
telligente, spirituelle,  coloriée,  avec  des  qualités  comme 
tu  dis...  oh!  beaucoup  de  qualités!  Mais  jamais  la  note 
extrême...  Et  sans  cette  note-là,  vois-tu  en  art...  Ce  qu'il 
fait,  lui,  ce  n'est  peut-Stre  pas  si  vrai  que  moi...  Mais 
c'est  mieux,  c'est...  tiens,  Je  ne  sais  pas  quelque  chose 
lU'dessus...  Vois-tu,  c'est  un  Orient...  un  Orient... 

—  L'Orient  de  la  poésie  de  Chili-Harold  et  de  Don 
Juan,  dans  du  soleil  à  Rembrandt,  c'est  ça,  hein?...  Du 
Child-Harold  rembrantsë...  —  répéta  deux  ou  trois  fois 
Ghissagnol. 

Coriolis  ne  répondit  pas,  pnt  le  bras  de  Chassagnol, 
et  l'emmena,  sans  lui  parler,  diner  chez  lui. 


—  Eh  bieni  comment  est-il  aujourd'hui? —  demanda 
Coriolb  à  Anatole  qui  apportait  Vermillon  pour  l'installer 
sur  le  poêle. 

Anatole,  pour  toute  réponse  remua  tristement  la  tête. 
Et  il  se  mit  à  arranger  la  couverture,  la  bourrant  en  tra- 
veisîn  sous  la  tète  du  singe. 

—  Oh!  qu'il  pue!  —  dit  Manette  en  regardant  Ver- 
millon par-dessus  l'épaule  de  Coriolis  qui  était  venu  le 
caresser,  et  elle  alla  se  rasseoir,  k  distance,  au  fond  de 
l'atelier. 

Le  triste  abattement  de  la  mobilité,  de  la  souplesse, 
de  l'élasticité  animale,  faisait  peine  à  voir  chez  Vermil- 


} 

I    MANETTE  SALOMON.  207 

Jon.  La  paress/* aolenle,  la  peine  de  ses  mouvements,  la 
paralysie  de  sis  gamineries  et  de  sa  diablerie,  ce  qu'il  y 
avait  de  la  do^  iur  d'un  visage  sur  sa  mine,  en  faisaient 
comme  un  petit  malade  approché  tout  près  de  Thomme 
et  de  sa  pitié  par  cet  air  de  souffrance  humaine  qu'a  la 
souffrance  des  animaux.  A  tout  moment,  le  pauvre  petit 
malheureux  soulevait  sa  tète,  se  retournait,  changeait  de 
pose  et  de  place,  donnant  le  déchirant  spectacle  de  l'agi- 
tation continue  dans  l'incessant  malaise  et  l'angoisse  de 
toujours  souffrir.  Il  se  lamentait,  se  plaignait,  poussait 
en  grognant  de  petits  :  hun,  hun.  Une  respiration  vi- 
sible et  pénible  courait  sous  la  maigreur  de  ses  côtes. 
Des  frémissements  nerveux  lui  fronçaient  le  front,  reîe* 
rant  au-dessus  de  ses  sourcils  sa  houppe  de  poils,  et  des 
crispations  plissaient  la  chair  de  poule  de  son  petit  mulle 
aux  coins  de  la  bouche.  Au  haut  de  leurs  orbites  caves, 
ses  yeux  fermés  laissaient  voir  une  tache  rouge ,  une 
meurtrissure  de  sang  extravasé,  qui  faisait  paraître  plus 
bleu  le  bleuissement  de  ses  paupières.  Il  restait  long- 
temps avec  un  seul  œil  ouvert  et  veillant;  puis,  il  s'en- 
fonçait dans  ce  sommeil  des  ntalades,  accablé,  assommé, 
qui  ne  dort  pas  ;  il  rouvrait  soudain  ses  paupières,  jetait 
de  côté  ses  yeux  agrandis  de  souffrance,  où  passait  du 
désespoir  et  de  la  prière  de  bête.  D'autres  fois,  il  avait 
dec  regards  circulaires  qui  faisaient  le  tour  de  la  pièce, 
et  s'arrêtaient  avant  de  finir  sur  Anatole,  des  regards 
pleins  de  toutes  sortes  d'expressions,  où  se  voyait  comme 
la  stupéfaction  de  sa  souffrance,  de  son  immobilité,  de 
la  corde  qui  pendait  du  plafond  sans  qu'il  s'y  balançât. 
On  eût  cru  que  par  moments,  dans  la  lente  douceur 
de  -ses  yeux  orange,  aux  grandes  pupilles  noires,  il  y 
avait  l'étonnement  de  voir  le  soleil  jouer  sans  lui  à  la 
fenêtre. 

De  petites  secousses  de  douleur  faisaient  donnera  ses^ 
mains  des  coups  nerveux  dans  Tair.  Des  frissons  lui  pas- 
saient qui  remuaient  ses  poils  et  en  ouvraient  les  épis 
comme  un  souffle.  Ses  jambes  avaient  des  allongements 
de  cuisse  de  lièvre  blessé  à  mort.  Sa  tête  se  mettait  à 


J 


808  MANETTE  SALOMON.  ' 

branler  d'un  horrible  tremblement,  au  i^iilieu  d'efforta 
pour  se  dresser  et  se  soutenir  sur  son  sér  .it,  à  l'aide  de 
ses  petites  mains  faibles  qui  se  soulevaie.  de  temps  en 
temps  et  mettaient  leurs  deux  petitspoings  crispés  contre 
ses  tempes,  —  un  mouvement  que  les  deux  amis  avaient 
vu  dire,  dans  des  agonies  d'hommes  :  Mon  Dieut  que  je 
iou/fre  t 

Coriolis  qui  regardait  cela,  sa  palette  à  la  main,  s'en 
retourna  à  son  chevalet.  Anatole  resta  près  de  Vermillon, 
lui  relevant  de  son  mieux  la  tête  sous  des  bourrelets  de 
couverture,  le  retenant  doucement  des  deux  mains  dans 
les  crises  convulsives  qui  l'agitaient.  Vermillon  se  jetait 
en  avant  comme  s'il  voulait  se  précipiter  en  bas  du  poêle. 
Puis,  il  restait  agenouillé  et  aplati  dans  la  pose  d'un  ani- 
mal qui  boit,  avec  son  petit  bras  pendant;  ou  bien  en- 
core, il  se  tenait,  de  grands  moments,  appuyé  sur  le  dos 
de  ses  mains  rebroussées  et  montrant  leur  paume  jau- 
nâtre, les  coudes  élevés  de  chaque  côté  de  son  dos 
comme  les  pattes  d'une  sauterelle  prête  à  sauter,  la  tête 
toute  en  dehors  de  la  plaque  du  poêle,  immobile,  en  ar- 
rêt sur  une  feuille  de  parquet. 

La  vie,  comme  il  arrive  chez  ces  petits  êtres  délicats, 
vivaces  et  nerveux,  se  débattait  cruellement  dans  ce 
malheureux  petit  corps.  C'étaient  des  secousses,  des 
Iressautements,  des  étirements,  des  tortillements  ina- 
paisables,  des  élancements,  tout  pareils  à  ces  dernières 
révoltes  oui  jettent  de  travers,  brusquement,  les  mem- 
bres d'uu  malade,  les  piods  hors  du  lit,  la  tête  dans  le 
mur.  Il  essayait  de  s'arc-bouter,  de  se  cramponner  tout 
autour  de  lui;  et  sa  main,  sortie  de  sa  couverture,  se 
nouait  à  l'anse  d'un  gobelet  de  fer-blanc  avec  l'étreinte 
d'une  griffe  d'oiseau  serrant  une  branche. 

Avec  les  heures,  presque  avec  les  minutes,  une  sorte 
de  vieillesse  descendait  dans  le  creux  de  l'amaigrissement 
de  ses  petits  traits.  Des  tons  malsains  de  corruption  se 
mêlaient  peu  à  peu  sur  sa  face  à  un  jaunissement  de 
vieille  cire.  Son  petit  nez  froncé  prenait  un  brun  de 
nèfle.  Un  peu  de  mousse  bava\t  à  son  mufle.  Des  com- 


MANETTE  SÂLOMON>  809 

mencements  d'immobilité  et  de  refroidissement  faisaient 
déjà  monter  de  la  mort  dans  le  petit  corps  où  la  vie 
n'était  plus  guère  que  le  mouvement  du  globe  de  l'œil 
sous  les  paupières  toutes  bleues,  le  battement  et  la  fièvre 
d'uh  regard  fermé.  Tout  à  coup,  il  roula  sur  le  côté  ;  sa 
tête  eut  un  renversement  suprême  :  elle  bascula  toute 
en  arrière,  avec  un  subit  renfoncement  dans  les  épaules, 
en  découvrant  le  dessous  blanc  de  son  menton.  Au  bout 
de  ses  deux  bras,  allongés  et  roidis,  ses  deux  mains  ser- 
rèrent leur  pouce  sous  leurs  doigts  ;  des  ondulations  af- 
freuses coururent,  en  serpentant,  tout  le  bas  de  son 
corps.  Un  mouvement  furieux,  semblable  à  la  détente 
d'un  ressort  qui  casse,  agita  une  de  ses  jambes  qui  battit 
désespérément  dans  le  vide...  Puis  ce  fut  une  immobilité 
où  rien  ne  bougea  plus  qu'un  petit  tremblement  de  la 
fiante  des  pieds. 

—  Tiens!  il  pleure!...  Anatole  qui  pleure  vraiment! 
—  fit  Manette. 

Une  larme  venait  de  tomber  de  la  joue  d'Anatole  sur 
le  cadavre  du  singe,  et  le  jour  la  faisait  briller  au  bout 
d'un  poil. 

—  Moi,  je  pleure?...  —  fit  Anatole  honteux,  et  se 
dépêchant  de  sécher  sa  larme  avec  du  cynisme  :  —  Ahl 
sacristi,  j'ai  oublié  de  lui  demander  s'il  voulait  un 
prêtre... 

—  Allons,  c'est  fini,  dit  Coriolis,  en  voyant  le  regard 
d'Anatole  revenir  au  singe;  et  il  jeta  la  couverture  sur 
le  singe. 

—  Alors  je  vais  sonner  pour  qu'on  nous  débarrasse 
de  ça?  —  fit  Manette. 

—  Pas  la  peine,  ma  petite,  —  lui  dit  Anatole  en  lui 
arrêtant  le  bras  d'un  geste  dramatique.  -^  C'est  papa  que 
ça  regarde! 


3!0  MANKTTE  SALOUOR. 


GII 


Anatole  atirapa  une  serge  verte  jetée  sur  an  plâtre 
dans  un  coin  de  Tatelier.  Il  coucha  dedans,  avec  dey 
mains  presque  pieuses,  le  cadavre  de  Vermillon,  ramena 
la  serge,  la  noua  aux  quatre  coins,  passa  un  paletot  sur 
sa  vareuse,  mit  son  chapeau. 

—  Où  vas-tu?  —  lui  demanda  Coriolis. 

—  Loin.  Je  vais  où  les  concessions  à  perpétuité  ne 
coûtent  rien. 

Quand  il  fut  dans  la  rue  de  Rivoli,  il  monta  sur  Fini- 
périale  d'un  de  ces  grands  omnibus  qui  jettent  les  Pari- 
siens dans  la  campagne.  Il  tenait  son  paquet  sur  ses  ge- 
noux, et  regardait  dedans,  de  temps  en  temps,  en  écartant 
un  petit  peu  de  la  toile. 

À  la  porte  Maillot,  il  descendît,  entra  dans  le  bois  de 
Boulogne,  prit  une  allée  adroite,  marcha,  cherchant  une 
place,  un  petit  morceau  de  solitude  où  Ton  pût  faire  une 
fosse  en  creusant  un  trou.  Il  y  avait  du  monde  partout, 
et'pas  un  bout  de  désert. 

Ce  n'était  pas  Theure.  II  sortit  du  bois,  s'en  alla  dans 
l'avenue  de  Neuilly,  s'attabla  dans  un  cabaret,  et  se  mit 
à  attendre  l'heure  du  diner  en  se  faisant  verser  une  ab- 
sinthe. 

Après  le  premier  verre,  il  en  redemanda  un;  après  le 
second,  un  autre.  Il  suffisait  d'un  chagrin  tombant  dans 
un  verre  de  n'importe  quoi  pour  griser  Anatole  :  au  troi- 
sième verre  d'absinthe,  il  était  €  raide  comme  la  justice  >. 

Il  mit  sa  tête  contre  le  mur  du  cabaret,  creusé,  dans 
le  plâtre,  de  trous  de  queues  de  billard  qui  y  avaient 
fouillé  du  blanc.  Il  regarda  le  paquet  de  serge  verte  posé 
sur  la  paille  d'un  tabouret  à  côté  de  lui,  et  Tattendrisse- 
ment  de  ses  pensées  lui  échappant  dans  un  monologue 
de  pocliard  :  — Mort!  toi,  mort!  Pauvre  bibi!  hein,  c'est 
vilain?...  Penser  que  tu  es  là!  ratatiné,  tout  froid...  C'est 


MANETTE  SALOMON.  311 

ça,  toi!  ça!,.,  plus  que  ça^  rien  que  ça!...  On  me  prend, 
vois-tu,  pour  un  garçon  bottier  qui  reporté  de  l'ouvrage 
en  ville...  Des  imbéciles,  laisse  donc...  Qu'est-ce  que  ça 
me  fait?  Pauvre  vieux,  te  voilà  donc  lancé  dans  réternité, 
dans  cette  grande  canaille  d'éternité!...  Te  laisser  ra- 
masser par  un  chiffonnier,  par  exemple...  comme  elle 
voulait,  elle...  pour  que  je  te  trouve  empaillé  sur  le  bou- 
levard Montmartre,  chez  le  naturaliste,  dans  une  scène  à 
personnages!...  Ah!  bien  oui,  plus  souvent!...  C'est  moi 
qui  vais  te  mettre  à  l'ombre  quelque  part  où  tu  ne  seras 
pas  embêté...  dans  un  joli  endroit  où  tu  n'auras  pas  des 
bottes  de  sergent  de  ville  sur  la  tète...  As  pas  peur!... 
Petit  gredini  tu  m'as  pourtant  mordu  une  fois...  C'est 
vrai  que  tu  m'as  mordu,  te  rappelles-tu? 

Des  maçons  mangeaient  un  morceau  à  une  table  à  côté 
de  la  sienne.  II  demanda  à  manger  à  la  fille  qui  servait. 
Hais  quand  il  eut  devant  lui  le  rata  du  jour,  il  ne  put  y 
goûter.  Il  avait  comme  un  malheur  qui  lui  barrait  l'es- 
tomac et  lui  bouchait  l'appétit  :  il  souffrait  d'une  impres- 
sion d'avoir  perdu  quelqu'un,  qu'il  n'avait  jamais  eue. 

n  demanda  un  litre,  après  le  litre  de  l'eau-de  vie,  et  en 
bavant  :  — -  Hein?  Vermillon,  —  fit-îl  en  se  penchant, 

—  plus  de  petits  verres,  c'est  fini...  Nous  ne  mettrons 
plus  notre  petite  langue  rose  là-dedans.  •• 

Et  il  se  leva,  dit  à  ce  qui  était  dans  le  paquet  :  —  Viens! 

—  et  allapaj'erau  comptoir. 

Dehors,  c'était  la  nuit.  Sur  le  ciel  violet  et  froid,  rou- 
lait et  moutonnait  le  caprice  d'un  grand  nuage  blanc, 
une  immense  nuée  flottante  et  transparente,  traversée, 
pénétrée,  rayonnante  de  la  lumière  diffuse  de  la  lune  qu'elle 
voilait. 

Anatole  se  trouvait  au  milieu  de  l'avenue  de  l'Impéra- 
trice, quand  un  morceau  de  la  lune  jaillit  du  nuage  dé- 
chiré. 

—  Bravo  l'effet!  —  fit  Anatole.  —  Le  tableau  de  Gî- 
rodet...  l'enterrement  d'Atala,  gravé  par  monsieur...  mon- 
sieur... Tiens,  voilà  que  je  ne  sais  plus  le  nom  de  la 
gravure  d'Atala...  Mais,  regarde  donc.  Vermillon,  vois- 


,^ 


■M 


311  MANETTE  SALOMON. 

tu? Le  soleil  avec  un  crêpe...  un  enterrement  nature,  et 
soigné!  Tu  as  le  ciel  à  ton  convoi...  la  lune,  rien  que  ça! 
Première  classe,  franges  d*argent,  tenture  et  tout,  les 
nuages  dans  des  voitures... 

La  lune  pleine,  rayonnante,  victorieuse,  s*était  tout  à 
fait  levée  dans  le  ciel  irradié  d'une  lumière  de  nacre  et 
de  neige,  inondé  d'une  sérénité  argentée,  irisé,  plein  de 
nuages  d'écume  qui  faisaient  comme  une  mer  profonde 
et  claire  d'eau  de  perles;  et  sur  cette  splendeur  laiteuse, 
suspendue  partout,  les  mille  aiguilles  des  arbres  dépouil- 
lés mettaient  comme  des  arborisations  d'agate  sur  un 
^:.  fond  d'opale. 

ï  Les  massifs  serrés  et  maigres  du  bois  commençaient  à 

:.  s'étendre.  Le  ruban  blanchissant  des  allées  s'enfonçait 

très- loin  dans  des  taches  de  noir.  Une  voiture  qui  riait 
passa  ;  puis  un  pas. 

Anatole  prit  à  gauche,  entra  dans  un  fourré,  marcha 
cinq  minutes,  s'arrêta  comme  un  homme  qui  a  trouvé . 
il  était  dans  une  petite  clairière.  L'éclaircie  était  mêlai 
colique,  douce,  hospitalière.  La  lune  y  tombait  en  plein. 
Il  y  avait  dans  ce  coin  le  jour  caressant,  enseveli,  presque 
angélique  de  la  nuit.  Des  écorces  de  bouleaux  pâlissaient 
çà  et  là,  des  clartés  molles  coulaient  par  terre  ;  des  cimes, 
des  couronnes  de  ramures  fines  et  poussiéreuses,  parais- 
saient des  bouquets  de  marabouts.  Une  légèreté  vapo- 
reuse, le  sommeil  sacré  de  la  paix  nocturne  des  arbres, 
ce  qui  dort  de  blanc,  ce  qui  semble  passer  de  la  robe 
d'une  ombre  sous  la  lune,  entre  les  branches,  un  peu  de 
cette  âme  antique  qu'a  un  bois  de  Corot,  faisaient  son- 
ger devant  cela  â  des  Champs-Elysées  d'Ames  d'en- 
fants. 

Rien  ne  déchirait  le  silence  qu'un  appel  de  canards,  ae 
loin  en  loin,  et  le  bruissement  de  la  nappe  d'eau  du  lac, 
frissonnante,  à  l'horizon. 

Une  rochée  de  trois  bouleaux  se  levait  sur  un  côté  de 
la  clairière,  se  détachant  du  massif;  la  lune  écaillait  un 
peu  le  bas  de  leur  écorce.  Anatole  défit,  tout  auprès,  le 
nœud  de  son  paquet  :  les  paupières  entr'ouvertes  de  Ver- 


MANETTE  SALOMON.  213 

inillon  laissaient  voir  ses  yeux,  ces  yeux  horriblement 
doux  de  siuge  mort  qui  avaient  encore  un  regard  ;  ses 
dents  blanches,  serrées,  avançaient  un  peu  sur  son  mu- 
geau  contracté  et  retiré. 

Anatole  s'agenouilla,  tira  son  couteau  et  se  mit  à 
creuser.  Et  tandis  qu'il  travaillait,  un  chanlonnement 
nègre  lui  vint  aux  lèvres,  une  espèce  de  bercement  fu- 
nèbre, comme  si,  avec  le  gazouillis  des  chansons  que 
Saïd  chantait  à  l'atelier,  il  espérait  s'approcher  de 
l'oreille  de  Vermillon. 

Il  marmottait  :  —  Dansez,  Canada!  fougoum,  fou- 
goum!  Vermillon  mouru,  moi  lui  faire  petit  trou,  petit 
nid,  petit,  petit...  bien  gentil!  Paradis  là-dessous... 
Bienheureux,  Vermillon...  paradis!  Dansez,  Canada! 
Plus  souffrir,  Vermillon  !  bon  petit  singe  s'en  aller,  s'en- 
voler... dans  le  bleu!  Asie,  Afrique,  Amériqup,  à  luit 
Dansez,  Canada!  dansez,  Cocoli,  Bengali,  Colibri!  Des 
Mississîpi,  des  forêts  vierges  à  Vermillon...  boire  aux 
rivières,  boire  au  soleil,  boire  aux  fruits  des  arbres! 
des  noix  de  coco,  tout  plein!  Dansez,  Canada!  Pays  où 
il  n'y  a  pas  d'hommes...  Le  bon  Dieu  pour  les  singes, 
tous  les  jours,  toute  la  vie...  Vermillon  courir.  Ver- 
millon avoir  bien  chaud  dans  le  dos...  Vermillon  re- 
trouver ses  amis...  Vermillon  là-haut!  Vermillon, 
amour!  oiseau!  étoile!...  petite  fleur  bleue!  pervenche! 
Psitt!...  plus  rien!  Dansez,  Canada! 

Le  trou  était  creusé  :  posant  au  fond  le  dos  de  sa 
main,  Anatole  làta  : 

—  Ah!  mon  pauvre  frileux,  —  dit-il  sérieusement  et 
tristement,  avec  un  son  de  voix  dégrisé,  —  tu  vas  trouver 
la  terre  bien  froide... 

Et  le  prenant  dans  ses  bras,  il  lui  ferma  les  paupières 
comme  à  une  personne.  Il  lui  déroidit  les  membres, 
plia  sa  queue  sous  lui,  le  mit  dans  la  petite  fosse,  ramena 
avec  les  mains  la  terre  sur  le  trou.  Et,  quand  il  eut 
marché  et  piétiné  dessus,  il  se  mit,  assis  à  la  turque^  à 
fumer  une  longue  cigarette  silencieuse. 

Il  était  plein  d'idées  qui  ne  pensaient  à  rien.  Cepen- 

27 


su  MANETTE  SâLOMON. 

dant  quelque  cho^e  de  lui  lui  paraissait  mort  et  fini  :  il 
y  avait  de  sa  gaminerie  sous  terre. 

Il  se  leva.  Il  était  ému  et  barbouillé.  D  avait  le  cœur 
ivre,  étourdi  et  remué.  Il  tomba  sur  le  premier  banc 
dans  une  grande  allée,  s'allongea  tout  de  son  long,  uq 
bras,  une  jambe  pendants,  et  là  s'endormît. 

Au  bout  de  quelques  heures,  il  se  réveilla.  Il  n'y  avait 
plus  de  lune,  et  il  pleuvait.  Il  se  tâta  :  il  était  trempé. 

Il  sauta  sur  ses  jambes,  courut  devant  lui,  jusqu'à 
une  porte  du  bois,  vit  de  la  lumière  à  un  poste  de 
douaniers,  entra  là,  demanda  à  se  chauffer,  envoya 
chercher  une  bouteille  d'eau-de-vie,  but  cette  bouteille- 
là  et  une  autre  avec  les  douaniers;  et  quand  il  rentra 
le  matin,  Coriolis  lui  demandant  ce  qu'il  était  devenu, 
ne  put  rien  tirer  de  ses  souvenirs  abrutis  que  cette 
phrase  :  —  Les  gabelous,  très-gentils !•••  très-gentils, 
'es  gabelous... 


cm 


Les  amis  ae  Coriolis  s'étaient  étonnés  de  ne  pas  le 
voir  commencer  quelque  grand  morceau,  une  œuvre 
importante  à  son  retour  de  Fontainebleau,  après  un  si 
long  repos.  Des  mois  se  passaient  :  Coriolis  continuait  à 
ne  rien  jeter  sur  la  toile.  Il  sortait  toute  la  journée,  et 
s'en  allait  errer  dans  Paris. 

Il  battait  les  quartiers  les  plus  éloignés  et  les  plus 
opposés;  il  coudoyait  les  populations  les  plus»  diverses. 
11  allait,  marchant  devant  lui,  fouillant,  d'un  œil  cher- 
cheur, dans  les  multitudes  grises,  dans  les  mêlées  des 
foules  effacées;  tout  à  coup,  s'arrêtant  et  comme  frappé 
d'immobilité  devant  un  aspect,  une  altitude,  un  geste, 
l'apparition  d'un  dessin  sortant  d'un  groupe.  Puis, 
accroché  par  un  individu  bizarre,  il  se  mettait  à  suivre, 
pendant  des  heures,  l'originalité  d'une  silhouette  excen- 


MANETTE  SALOMON.  31& 

trique.  Les  passants  se  troublaient,  s'inquiétaient  presque 
de  rinquisilion  ardente,  de  la  fixité  pénétrante  de  ce 
regard  qui  les  gênait,  se  promenait  sur  eux,  leur  fai- 
sait TefTet  de  les  creuser  et  de  les  pénétrer  à  fond 

Quelquefois,  tirant  de  sa  poche  un  petit  carnet  grand 
comme  ta  moitié  de  la  main,  il  jetait  dessus  deux  ou 
trois  de  ces  coups  de  crayon  qui  attrapent  l'instantanéité 
d'un  mouvement.  Il  fixait  d'un  trait  refTort  d'une  attelée 
de  maçons,  la  paresse  d'un  accoudement  sur  un  banc 
de  jardin  public,  l'accablement  d'un  sommeil  dans  des 
démolitions,  le  hanchement  d'une  blanchisseuse  au  panier 
lourd,  le  renversement  d'un  enfant  qui  boit  au  mufle  de 
bronze  d'une  fontaine,  la  caresse  enveloppante  avec  la- 
quelle un  ouvrier  herculéen  porte  son  enfant  dans  des 
bras  de  nourrice,  ce  qu'il  y  a  des  cariatides  du  Puget 
dans  un  fort  àe  la  Halle,  un  morceau  quelconque  du 
sculptural  naturel,  superbe,  ému,  qu'indique  et  montre 
le  spectacle  de  la  rue.  Journées  de  fatigue,  souvent  sté- 
riles, mais  qui  souvent  aussi  donnaient  à  l'artiste,  en 
quelque  coin  obscur,  sous  quelque  porte  cochère,  une 
de  ces  rencontres  soudaines  de  la  réalité  pareilles  à  une 
illumination  de  son  art. 

Une  fois,  par  exemple,  il  avait  passé  des  beures  à  se 
graver  dans  la  mémoire  une  tête  de  mendiante  aveugle, 
le  plus  beau  des  visages  douloureux  que  la  peinture  ait 
jamais  rêvés  :  un  profil  de  vieille  femme  octogénaire,, 
dans  la  ligne  rigide  du  dessin  de  Guidô  Reni  du  Louvre,, 
une  tête  décharnée,  fondue,  ciselée  par  la  maigreur, 
sculptée  par  toutes  les  misères,  les  joues  remuées  et 
^  tremblantes  du  souffle  d'une  petite  toux,  le  masque  de 
marbre  de  la  Vie  sans  yeux  et  sans  pain,  avec,  sur  la 
peau  d'un  blanc  de  vélin,  des  polissures  comme  d'une 
chose  usée;  une  tête  de  Niobé  aux  Petits-Ménages  et  de 
Reine  en  madras,  dont  les  cheveux  gris,  le  cou  tendu  et 
plein  de  cordes,  la  majesté  du  désespoir,  la  paralysie  de 
statue,  faisaient  retourner  jusqu'à  Télonnement  des 
gens  du  peuple  qui  passaient. 

D'un  bout  à  l'autre  de  Paris^  il  vaguait,  étudiant  les 


816  MANETTE  SÀLOMON. 

types  saillants,  essayant  de  saisir  au  passage,  dans  ce 
inonde  d'allants  et  de  venants,  la  physionomie  moderne, 
observant  ce  signe  nouveau  de  la  beauté  d'un  temps, 
d'une  époque,  d'une  humanité  :  —  le  caractère,  qui 
passe  comme  un  coup  de  pouce  artiste  sur  ces  figures 
fiévreuses,  agitées;  le  caractère  qui  marque  et  désigne 
pour  Tart  la  face  des  pensées,  des  passions,  des  intérêts, 
des  vices,  des  maladies,  des  énergies  d'une  capitale.  Sa 
curiosité  scrutait  ces  visages  de  civilisés,  qui  reportent 
le  regard  si  loin  du  vague  sourire  dormant  des  Eginètes 
et  de  la  divine  placidité  grecque;  ces  visages  travaillés 
d'idées,  de  sensations,  de  toutes  les  acquisitions  d'activité 
morale  de  l'homme,  éreintés  par  la  complexité  des 
préoccupations,  tourmentés  par  la  dureté  de  la  carrière, 
le  labeur  enragé,  la  peine  de  vivre.  Il  interrogeait  ces 
faces  de  gens  qui  courent  dans  les  rues,  comme  la 
fourmi  dans  la  fourmilière,  avec  un  paquet  sous  le  bras, 
ou  une  affaire  dans  la  poche,  les  hommes  de  misère  qui 
traînent  leur  faim  devant  les  changeurs,  ces  physiques 
de  voyou,  cachant  la  méchanceté  des  instincts  sous 
la  féminilité  d'une  tête  de  Faustine,  ces  tournures  d'in- 
venteurs, portés  par  leurs  jambes  qui  vont,  monologuant 
sur  le  trottoir,  avec  de  grands  gestes  d'acteur. 

Il  étudiait  celle  beauté  singulière,  spirituelle,  l'indé- 
finissable beauté  de  la  femme  de  Paris.  Il  suivait  ces 
apparitions  imprévues,  ces  mines  chiffonnées  et  rayon- 
nantes, ces  petites  personnes  étranges,  fleuries  entre 
deux  pavés,  ce  qui  s'enfonce  à  Paris,  comme  la  lumière 
d'une  grisette  et  l'aube  d'une  courtisane,  dans  le  noir 
d'un  escalier  à  rampe  de  bois.  Il  essayait  d'analyser  le 
charme  de  ces  jeunes  filles  maigres  ayant  aux  tempes 
le  reflet  des  lampes  de  l'atelier,  pâles  de  veilles,  et 
comme  vaguement  torturées  d'une  nostalgie  de  paresse 
et  de  luxe.  Parfois,  sous  un  mauvais  bonnet,  il  aperce- 
vait une  exquisité  de  grâce,  une  rareté  d'expression,  un 
air  de  cette  suavité  souffrante,  de  cette  mélancolie  vir- 
ginale que  la  vie  des  grands  centres,  le  raffinement  des 
civilisations,  la  fin  des  sangs  pauvres,  semblent  faire 


MANETTE  SALOMON.  317 

tomber  sur  le  visage  des  petites  ouvrières.  Un  jour,  il 
emporta  dans  son  souvenir,  pour  une  étude  qu'il  com- 
mença le  lendemain,  le  visage  de  la  fille  d'une  portière, 
une  pauvre  petite  lymphatique,  si  douce,  si  souffreteuse, 
8i  blanche,  les  yeux  si  pleins  de  ciel  dans  leur  grande 
ombre,  qu'elle  faisait  rêver  à  un  ange  malade. 

Au  fond  de  lui,  dans  cette  agitation  de  ses  promenades, 
il  y  avait  un  grand  malaise,  Tinquiétude  qui  prend  un 
homme  quitté  par  une  religion  de  jeunesse.  Il  était  à  ce 
moment  critique,  à  cette  heure  de  la  vie  d'un  artiste  où 
l'artiste  sent  mourir  en  lui  comme  la  première  con- 
science de  son  art  :  instant  de  doute,  de  tiraillement, 
d'anxiété  où,  tâtonnant  de  son  avenir,  tiraillé  entre  les 
habitudes  de  son  talent  et  la  vocation  de  sa  personnalité, 
il  sent  tressaillir  et  s'agiter  en  lui  le  pressentiment 
d'autres  formes,  d'autres  visions,  le  commencement  de 
nouvelles  façons  de  voir,  de  sentir,  de  vouloir  la  peinture. 


CIV 


—  Vrai,  la  terre  tounie? 

Manette  posait  pour  une  répétition  du  Bain  turc^  com- 
mandée par  un  banquier  de  Rotterdam  à  Coriolis  qui 
faisait  effort  dans  ce  travail  pour  se  rattacher  à  sa  pein- 
ture passée. 

Un  hasard  de  parole  l'avait  amené  à  dire  à  sa  mat- 
tresse  que  la  terre  tournait. 

—  La  terre  tourne? Ça  sur  quoi  je  suis?—  reprit 
Manette  en  regardant  en  bas  :  elle  avait  l'air  d'avoir 
peur  de  tomber.  —  Ça  tourne? 

Elle  releva  les  yeux  sur  Goriolîs  comme  pour  lui  de- 
mander s'il  ne  se  moquait  pas  d'elle. 

Coriolis  se  mit  à  vouloir  lui  expliquer  ce  qu'elle  ne 
savait  pasy  et  comme  il  le  lui  expliquait  aussi  mal  qu'il 
le  savait  : 

17 


S18  MANETTE  SÂLOMON. 

—  Ne  continue  pas,  —  lui  dit-elle  tout  à  coup,  —  il 
me  semble  que  j'ai  mal  au  cœur,  avec  tout  ce  que  to 
me  dis  qui  tourne... 

Coriolis  se  tut,  et  se  remit  à  peindre  Manette...  Mais 
il  n'était  pas  en  train.  H- grondait,  tout  en  brossant, 
contre  la  hâte  singulière  que  Manette  avait  de  le  voir 
finir  cette  toile. 

—  Ton  corps,  —  finit-il  par  lui  dire,  —  eh?  mon 
Dieu,  ton  corps,  il  ne  va  pas  changer  d'ici  à  huit  jours... 

—  Tu  crois?  —  fit  Manette.  Et  elle  laissa  tomber  de 
la  pointe  rose  de  sa  gorge  jusqu'au  bout  de  ses  pieds, 
sur  la  virginité  de  ses  formes,  le  dessin  de  sa  jeunesse, 
la  pureté  de  son  ventre,  un  regard  où  semblait  se  mêler 
l'amour  d'une  femme  qui  se  regrette  à  la  douleur  d'une 
statue  qui  se  pleure. 

—  Ah  !  —  fit  Coriolis. 
Il  avait  compris. 

—  Oui...  —  dit  Manette  en  baissant  la  tête,  avec  le 
ton  d'une  femme  qui  va  pleurer. 

Coriolis  se  sentit  une  secousse  au  cœur.  Mais  aussitôt, 
honteux  de  cette  émotion,  l'artiste  fit  taire  l'homme  avec 
une  ironie  : 

—  Eh  bien!  ma  pauvre  Manette,  qu'est-ce  que  tu 
Teux?  nous  sommes  dans  des  siècles  chipies  et  pru- 
dhommesques...  Autrefois,  dans  un  pays  d'antiques,  un 
pays  dont  tu  as  vu  les  statues  au  Musée,  il  y  avait  un 
modèle,  un  modèle  comme  toi,  aussi  bien,  à  ce  que  je 
me  suis  laissé  dire...  On  rappelait  Laïs...  Il  lui  arriva... 
ce  qui  t'arrive...  Cela  fit  une  révolution  dans  le  pays... 
L'Institut  de  l'endroil  où  il  y  avait  des  peintres  aussi  co- 
loristes que  M.  Picot,  et  des  marbriers  un  peu  plus  forts 
que  M.  Duret,  l'Institut  de  l'endroit  poussa  des  cris  de 
désolation...  Les  dessinateurs  en  masse  déclarèrent 
qu'ils  ne  trouveraient  jamais  la  correction  de  M.  Ingres, 
si  on  laissait  la  nature  abîmer  leur  modèle...  Il  y  eut 
des  rassemblements,  des  articles  de  petits  journaux,  des 
commissions,  des  sous- commissions,  tout  ce  qui  consli* 
lue  un  mouvement  national...  Et  Ton  finit  par  mener 


MANETTE  SALOMON.  SIS 

La!s  à  Cos,  chez  un  fameux  médecin  que  tu  as  peut- 
être  vu  dans  une  gravure,  le  nommé  Hippocrate... 

Et  comme  il  allait  continuer,  Goriolis  s'arrêta  dans  sa 
plaisanterie,  devant  l'expression  de  Manette,  la  fixité  de 
la  pensée  de  ses  yeux. 

Allant  à  elle,  il  lui  prit  la  tête,  la  lui  renversa  sur  ses 
genoux,  et  appuyant  sur  elle  le  sérieux  de  son  regard,  il 
fouilla  jusqu'au  fond  de  sa  tentation. 

Manette  se  cacha  dans  son  cou,  pour  qu'il  ne  la  vît 
pas  rougir. 


GY 


L'intérieur  de  Goriolis  était  toujours  heureux.  Anatole 
eontinuait  à  y  jeter  sa  gaieté,  ses  folies  gamines.  Manette 
Y  mettait  l'enchantement  de  sa  personne. 

Quand  elle  était  là,  dans  l'atelier,  vêtue  d'une  robe 
blanche,  sur  laquelle  tranchait  un  petit  châle  d'enfant 
d'un  rouge  sang  de  bœuf,  la  taille  dénouée  et  toute 
alanguie  des  paresses  de  la  femme  grosse,  belle  d'une 
beauté  nonchalante,  épanouie,  rayonnante^  —  Goriolis 
oubliait  tout. 

Une  tendresse  reconnaissante  s'était  peu  à  peu  ghssée 
dans  son  amour  pour  cette  femme  qui  remplissait  et 
animait  sa  maison,  lui  faisait  la  vie  coulante  et  facile, 
*  lui  épargnait  les  tracas  du  ménage,  mettait  chez  Im  un 
de  ces  gouvernements  légers  qu'on  ne  voit  pas  et  qu'on 
ne  sent  pas. 

Entre  Manette  et  lui,  il  y  avait  tous  les  rapproche- 
ments qui  font  du  modèle  la  maîtresse  naturelle  de 
l'artiste.  Au  milieu  de  cette  ignorance  de  peuple  qui  ne 
lui  déplaisait  pas,  Goriolis  lui  trouvait  le  charme  de  ces 
connaissances  qu'ont  les  femmes  grandies  dans  les  ate- 
liers. Manette  avait  vu  peindre  et  savait  comment  se  fait 
de  la  peinture.  Les  choses  du  métier  de  l'art  lui  étaient 


S20  MANETTE  SALOMON. 

familières  :  elle  en  connaissait  le  nom  et  l'usage.  Elle 
ne  disait  pas  de  bêtises  bourgeoises  devant  une  toile. 
Elle  respectait  le  silence  d'un  homme  à  son  chevalet. 
Elle  s'entendait  à  laver  des  brosses,  et  elle  reconnaissait 
vaguement  des  tons  distingués  dans  une  toile.  En  un 
mot,  elle  était  c  du  bdliment  >. 

Coriolis  lui  savait  encore  gré  d'autres  agréments.  Elle 
lui  plaisait  en  se  sufûsaiit  à  elle-même,  en  se  tenant 
compagnie,  en  se  passant  des  sociétés  de  femmes,  en 
ne  voyant  point  d'amies.  Elle  lui  plaisait  par  sa  froideur 
au  plaisir,  sa  paresseuse  sérénité,  son  air  content  dans 
celte  existence  paisible  et  monotone.  Elle  avait  un  en- 
semble de  qualités  soumises,  une  docilité  gracieuse  à  ce 
qu'il  disait,  à  ce  qu'il  voulait,  une  obéissance  à  ses 
idées,  une  sorte  d'aimable  effacement  de  caractère  :  elle 
ne  laissait  guère  échapper  que  de  petites  susceptibilités 
sur  des  mots,  des  phrases  qu'elle  ne  comprenait  pas  et 
qui,  tout  à  coup  lui  mettant  un  coup  de  rouge  aux  pom- 
mettes, la  rendaient  un  moment  boudeuse  ou  colère 
avec  de  petits  gestes  de  sauvagerie  méchante. 

Aussi  un  allacbement  de  gratitude  et  de  confiance 
venait-il  à  Coriolis  pour  celte  maîtresse  si  peu  absor- 
bante, d'apparence  si  détachée  de  tout  désir  de  domi- 
nation, et  qu'il  voyait,  repliée  sur  elle-même,  ennuyée 
d'en  sortir,  fatiguée  d'allonger  sa  pensée  aux  choses  à 
côté  d'elle.  Elle  était  pour  lui  dans  sa  vie  du  calme  et 
du  repos,  une  compagnie  bonne  pour  ses  nerfs  d'artiste. 
Dans  sa  société  Iranquille,  sa  douce  présence,  les  demi- 
paroles  de  sa  bouche,  les  demi-caresses  de  ses  mains, 
il  y  avait  comme  un  mol  apaisement  qui  berçait  les  fa- 
tigues du  peintre,  endormait  ses  contrariétés,  ses  pré- 
visions mauvaises,  ses  tourments  d'imagination... 

Et  il  lui  semblait  que  cette  jolie  créature  apathique 
dégageait  autour  d'elle  la  paix,  la  santé,  la  matérialité 
d'un  bonhe.ir  hygiénique. 


MANETTE  SALOMOM.  ""It 


CVl 


Coriolis  devenait  casanier^  presque  sauvage.  li  avait 
l*horreur  de  s'habiller,  refusait  les  invitations,  n'allait 
plus  nulle  part.  L'homme  de  travail,  d'incubation,  ne  se 
plaisait  plus  que  dans  le  recueillement  de  l'intérieur,  la 
tranquillité  du  coin  du  feu,  le  négligé  de  la  vareuse  et 
des  pantoufles. 

Le  soir,  après  diner,  dans  son  atelier,  il  fumait  de 
longues  pipes  méditatives;  puis,  au  milieu  de  la  causerie 
de  deux  ou  trois  amis  qui  étaient  venus  manger  sa 
soupe,  il  se  mettait  à  dessiner  et  crayonnait  jusqu'à 
minuit. 

Un  soir  qu'il  dessinait  ainsi,  seul  avec  Ghassagnol  et 
Anatole  : 

—  Eh  bien!  — lui  dit  Ghassagnol,  en  regardant  ce 
qu'il  jetait  sur  le  papier,  un  souvenir  de  la  rue,  —  loi 
qui  me  blaguais  quand  je  te  disais  qu'il  y  avait  quelque 
chose  là...  Il  me  semblp  que  tu  y  viens... 

—  Eh  bien!  oui,  j'y  viens...  Je  me  débattais  contre 
moi-même  en  te  combattant...  Je  me  gendarmais,  Je  ne 
voulais  pas...  J'étais  dans  une  autre  chose...  C'csl  le 
diable...  On  ne  veut  pas  reconnaître  qu'on  se  blouse... 
Tiens!  c'a  été  fini  à  ma  dernière  maladie...  La  turqucric, 
bonsoir!  Je  lui  ai  fait  mes  adieux  en  croyant  mourir... 
Maintenant,  c'est  mort... Et  tu  me  vois  depuis  ce  temps- 
là...  désorienté...  Tiens  1  c'est  le  mot...  un  homme  qui 
cherche...  qui  essaye  de  se  raccrocher...  Enfin,  ce  qu'il 
y  a  de  sûr,  c'est  que  je  vais  passer  à  d'autres  exercices,  «• 
Tu  verras  ce  que  je  veux  faire... 

—  Bravo!  Le  moderne.  .  vois-tu,  le  moderne,  il  ii'j 
a  que  cela...  Une  bonne  idée  que  tu  as  là...  Eh  bicnl 
vrai,  ça  me  fait  plaisir,  beaucoup  de  plaisir...  parce 
que...  écoute...  Je  me  disais  :  Coriolis  qui  a  ça,  un 


»22  MANETTE  SALOMON. 

tempérament,  qui  est  doué,  lui  qui  est  quelqu'un,  un 
nerveux,  un  sensitif...  une  machine  à  sensations...  lui 
qui  a  des  yeux...  Comment!  il  a  soiT temps  devant  lui, 
et  il  ne  le  voit  pas!  Non,  il  ne  le  voit  pas,  cet  animal- 
là...  Non,  non,  non...  —  répéta  Chassagnol  avec  un 
rire  bête  et  fou  qui  ricanait.  —  Mais,  est-ce  que  tous 
les  peintres,  les  grands  peintres  de  tous  les  temps,  ce 
n*est  pas  de  leur  temps  qu'ils  ont  dégagé  le  Beau?  Est* 
ce  que  tu  crois  que  ça  n'est  donné  qu'à  une  époque, 
qu'à  un  peuple,  le  beau?  Mais  tous  les  temps  portent  en 
eux  un  Beau,  un  Beau  quelconque^  plus  ou  moins  à 
fleur  de  terre,  saisissable  et  exploitable...  C'est  une 
question  de  creusage,  ça...  II  se  peut  que  le  Beau  d'au- 
jourd'hui soit  enveloppé,  enterré,  concentré...  Il  faut 
peut-être,  pour  le  trouver,  de  l'analyse,  une  loupe,  des 
yeux  de  myope,  des  procédés  de  physiologie  nouveaux... 
Voyons,  tiens,  Balzac?  Est-ce  que  Balzac  n'a  pas 
trouvé  des  grandeurs  dans  l'argent,  le  ménage,  la  sa- 
leté des  choses  modernes?  dans  un  tas  de  choses  où  les 
siècles  passés  n'avaient  pas  vu  pour  deux  liards  d'art? 
Et  il  n'y  aurait  plus  rien  pour  l'artiste  dans  l'ordre  des 
choses  plastiques,  plus  d'inspiration  d'art  dans  le  con- 
temporain !...  Je  sais  bien,  le  costume,  l'habit  noir...  On 
TOUS  jette  toujours  ça  au  nez,  Thabit  noir  !  Mais  s'il  y 
avait  un  Bronzino  dans  notre  école,  je  réponds  qu'il 
trouverait  un  fier  style  dans  un  Elbeuf.  Et  si  Rembrandt 
revenait...  crois-tu  qu'un  habit  noir  peint  par  lui  ne 
serait  pas  une  belle  chose?...  Il  y  a  eu  des  peintres  de 
brocard,  de  soie,  de  velours,  d'étoffes  de  luxe,  d'habits 
de  nuage...  Eh  bien  !  il  faut  maintenant  un  peintre  du 
drap  :  il  viendra...  et  il  fera  des  choses  superbes,  toutes 
neuves,  tu  verras,  avec  ce  noir  d'affaires  de  notre  vie 
sociale...  Ah!  cette  question-là,  la  question  du  moderne, 
on  la  croit  vidée,  parce  qu'il  y  a  eu  cette  caricature  du 
Vrai  de  notre  temps,  un  épatement  de  bourgeois  :  le 
réalisme!.,,  parce  qu'un  monsieur  a  fait  une  religion  en 
chambre  avec  du  laid  bête,  du  vulgaire  mal  ramassé  et 
sans  choix,  du  moderne...  bas,  ça  me  serait  égal,  mais 


/ 


MANETTE  SALOMON.  323 

commun,  sans  caractère,  sans  expression,  sans  ce  qui 
est  la  beauté  et  la  vie  du  Laid  dans  la  nature  et  dans 
Tart  :  le  style  !  dont  tu  faisais  si  justement  Tautre  jourle 
génie,  la  griffe  du  lion,  chez  un  peintre...  Et  puis  quoi, 
le  Laid?  ce  n'est  qu'une  ombre  de  ce  monde-ci,  si  vilain 
qu'il  soit.  Â  côté  de  la  rue,  il  y  a  le  salon...  à  côté  de 
rhomme,  il  y  a  la  femme...  la  femme  moderne...  Je  te 
demande  si  une  Parisienne,  en  toilette  de  bal,  n'est  pas 
aussi  belle  pour  les  pinceaux  que  la  femme  de  n'importe 
quelle  civilisation?  Un  chef-d'œuvre  de  Paris,  la  robe, 
l'allure,  le  caprice,  le  chiffonnement  de  tout,  de  la  jupe 
et  de  la  mine!...  et  dire  que  cette  femme-là,  la  femme 
du  dix-neuvième  siècle,  la  poupée  sublime,  tu  ne  l'as 
pas  encore  vue  dans  un  tableau  d'une  valeur  de  deux 
sous...  Pourquoi?  On  n'a  jamais  pu  savoir...  Ah!  les 
lisières,  les  exemples,  les  traditions,  les  anciens,  la 
pierre  du  passé  sur  Testomac!...  Sais-tu  sur  quoi  me 
semblent  donner  les  ateliers  d'à  présent?  tiens  !  sur  le 
cimetière  de  Tldéal...  Mais  vois  donc  David,  David  qui  a 
jeté  pour  trente  ans  d'Hersilie  dans  les  boites  à  couleur, 
David  n'a  fait  qu'un  morceau  de  passion,  qu'un  tableau 
qui  vit  :  son  Maratl...  Le  moderne,  tout  est  là.  La  sen- 
sation, l'intuition  du  comtemporain,  du  spectacle  qui 
TOUS  coudoie,  du  présent  dans  lequel  vous  sentez  fré- 
mir vos  passions  et  quelque  chose  de  vous...  tout  est  là 
pour  l'artiste,  depuis  Tàge  d'Égine  jusqu'à  Tàge  de  Tlns- 
titut...  Âh!  je  sais,  il  y  a  des  articles  de  rêveurs,  des 
enfileurs  de  phrases  à  sang  blanc  pour  vous  dire  qu'il 
faut  s'abstraire  de  son  époque,  remonter  au  répertoire 
du  canon  ancien  des  sujets  et  de  l'intérêt  !  L'hiératisme 
alors?  Des  farces  enfoncées  parla  vapeur  et  1789!...  ça 
rentre  dans  les  individus  métempsycosistes  et  transposés 
qui  ont  besoin  que  les  choses  où  les  gens  aient  cinq 
cents  ans  sur  le  dos  pour  leur  trouver  de  la  noblesse, 
de  l'actualité  ou  du  génie...  Le  dix-neuvième  siècle 
ne  pas  faire  un  peintre!  mais  c'est  inconcevable...  Je 
n'y  crois  pas...  Un  siècle  qui  a  tant  souffert,  le  grand 
siècle  de  l'inquiétude  des  sciences  et  de  l'anxiété  la 


.ji 


324  MANETTE  SALOHON. 

vrai...  Un  Proniélhée  raté,  mais  un  Prométhée.,.  un 
Tilan,  si  tu  veux,  avec  une  maladie  de  foie...  un  siècle 
comme  cela,  ardent,  tourmenté,  saignant,  avec  sa  beauté 
de  malade,  ses  visages  de  fièvre,  comment  veux-lu  qu'il 
ne  trouve  pas  une  forme  pour  s'exprimer  qu'il  ne 
jaillisse  pas  dans  un  art,  dans  un  génie  à  trouver,  et 
qui  se  trouvera...  Après  ce  grand  grisailleur  doulou- 
reux, Géricault,  il  y  a  eu  un  homme,  tiens!  Delacroix... 
c'était  peut-être  Thomme  à  cela...  un  tempérament  tout 
nerfs,  un  malade,  un  agité,  le  passionné  des  passionnés... 
Mais  il  n'a  rien  vu  qu'à  travers  le  romantisme,  une  bê- 
tise, un  idéalisme  de  pittoresque...  Et  pourtant,  que  de 
choses  dans  ce  sacré  dix-neuvième  siècle  !...  C'est  que, 
sacristi!  il  y  en  a  pour  tous  les  goûts...  Si  c'est  trop 
petit  pour  vous,  les  mœurs  du  temps,  les  scènes,  la  rue 
qui  passe,  vous  avez  aussi  du  grand,  du  gigantesque,  de 
l'épique  dans  ce  temps-ci...  Yous  pouvez  être  un  peintre 
d'histoire  du  dix-neuvième  siècle...  et  un  fier!  touchera 
des  émotions  humaines  qui  seront  un  jour  aussi  clas- 
siques, aussi  consacrées  que  les  plus  vieilles!  L'Empire, 
tenez!  il  y  a  de  quoi  se  promener,  même  après  Gros... 
Homère,  toujours  Homère!  Et  THomère  de  l'Institut! 
Hais  nous  avons  eu,  depuis  Achille,  un  monsieur  qui 
faisait  des  épopées  à  la  journée,  un  certain  Napoléon 
qui  ramassait  tous  les  jours  de  la  gloire  à  peindre...  L'in- 
^cendie  de  Moscou,  voyons,  ça  peut  bien  tenir  à  côté  de 
l'embrasement  de  Troie...  et  la  retraite  des  Dix  Mille  a 
peut-être  un  peu  pâli  depuis  la  retraite  de  Russie... 
Voilà  des  cadres!  voilà  des  pages!  Il  y  a  tous  les  soleils 
là-dedans,  et  de  l'homérique  tant  qu'on  en  veut!  Des 
grands  tableaux,  des  tableaux  d'histoire,  mais  le  mo- 
derne en  a  donné  des  programmes  aussi  magnifiques  que 
les  plus  beaux  du  monde...  Depuis  1789,  il  en  pleut  des 
scènes  dans  les  révolutions  de  France,  qui  sont  grandes. .. 
comme  nous!...  La  Terreur,  ce  sont  nos  Âtrides!... 
Tiens!  prends  la  Vendée,  et  dans  la  Vendée  le  passage 

ie  la  Loire    à   Saint-Florent-le-Vieux Figure-toi 

'Iliade  et  le  Dernier  des  Mohicanst...  le  demi- cercle 


I 

/ 


MANETTE  SALOMON. 

de  la  colline...  la  vaste  plage...  quatre-vingt  mille  per- 
sonnes entassées...  l'eau  où  l'on  entre..,  les  chevaux 
qu'on  pousse...  l'incendie,  la  fumée,  les  bleus  par  der- 
rière... La  Loire  jaune,  plate  et  large  avec  une  tle  au 
milieu  comme  un  radeau...  et  le  bord,  là-bas,  noir 
de  gens  passés  et  plein  de  leur  murmure...  Une  ving- 
taine de  mauvaises  barques  pour  passer  tout  cela...  les 
barques  de  Michel-Ange  dans  le  Jugement  dernier  t.. . 
Devant,  pêle-mêle,  les  prisonniers  républicains,  les 
chapeaux  avec  des  sacrés-cœurs,  Bonchamps  qui  ago- 
nise, Lescure  mourant  sur  un  matelas  porté  par  deux 
piques,  les  pieds  dans  des  serviettes...  et  des  femmes 
des  enfants,  des  vieillards,  des  blessés,  un  peuple,  la  mi- 
gration d'une  guerre  civile  en  déroute!...  Et  là-dedans 
des  déguisements,  comme  ces  cavaliers  avec  de  vieux 
jupons,  ces  officiers  avec  des  turbans  pris  au  théâtre  de 
la  Flèche,  la  défroque  du  Roman  comique  tombée  sur 
l'épaule  d'une  légion  thébaine...  Quel  tableau!  hein! 
quel  tableau!...  C'est  grand  comme  le  Passage  du  Nil! 

—  Oui,  dit  Coriolis  profondément  absorbé,  et  ne  pa- 
raissant pas  entendre.  —  Oui,  rendre  cela  avec  un 
dessin  qui  ne  serait  ni  antique  ni  renaissance... 

—  Ça  ne  te  satisfait  pas,  la  main  de  Michel-Ange? 
—  dit  Anatole  en  levant  le  nez,  dans  le  fond  de  Tatelier, 
d*un  volume  de  Y  Illustration. 

—  La  main  de  Michel- Ange,  qui  n*en  est  pas  d'abord, 
de  Michel-Ange...  Et  puis,  non,  ce  n*est  pas  ça...  Il 
faudrait  une  ligne  à  trouver  qui  donnerait  juste  la  vie, 
serrerait  de  tout  près  l'individu,  la  particularité,  une 
ligne  vivante,  humaine,  intime,  où  il  y  aurait  quelque 
chose  d'un  modelage  de  Houdon,  d'une  préparation  de 
La  Tour,  d'un  trait  de  Gavarni...  Un  dessin  qui  n'aurait 
pas  appris  à  dessiner,  qui  serait  devant  la  nature  comme 
un  enfant,  un  dessin...  Je  sais  bien,  c'est  bête  ce  que 
je  dis...  plus  vrai  que  tous  les  dessins  que  j'ai  vus,  un 
dessin.  ••  oui,  plus  humain,  ça  me  rend  mon  idée. 


f«A  MàMfiTTE  SALOMOM. 


CYII 


Lentement  Manette  avait  pris  sa  place  dans  Tinté* 
térieur.  Elle  s*y  était  peu  à  peu  et  de  jour  en  jour  in- 
stallée, établie.  De  cette  pose  dans  la  maison  qu'a  b 
maîtresse,  dont  le  paquet  d'affaires  est  tout  fait  dans  la 
commode,  de  la  pose  sur  la  branche  où  la  femme,  mal 
à  Taise  avec  les  gens,  effarouchée  de  ce  qui  entre, 
humble,  iiKjuiète,  furtive,  tremble  au  vent  comme  une 
chose  aux  ordres  d'un  caprice,  toute  prête  au  balayage 
du  lendemain,  elle  s'était  élevée  à  l'aisance,  à  l'équilibre, 
à  cet  air  de  maîtresse  de  maison  qui  laisse  voir  dans  toute 
une  femme,  dans  son  geste,  son  ton,  sa  voix,  dans  Tépa- 
nouissement  de  sa  robe  sur  un  divan,  qu'elle  est  chez 
elle  chez  son  amant.  Elle  avait  passé  le  temps  où  les  do- 
mestiques s'adressent  à  l'homme,  et  consultent  du  re^ 
gard  Monsieur  avant  de  faire  ce  que  dit  Madame  :  ses 
ordres  commençaient  à  être  pour  le  service  la  volonté 
de  Coriolis.  Les  camarades  qui  venaient  à  l'atelier  ne  la 
traitaient  plus  avec  leur  premier  sans-façon  :  il  y  avait 
chez  eux  comme  un  accord  tacite  pour  reconnaître  en 
elle  la  maîtresse  officielle,  la  femme  à  demeure,  ancrée 
dans  le  domicile,  dans  la  vie  de  leur  ami,  montée  à 
l'espèce  de  dignité  d'une  liaison  quasi-conjugale.  Devant 
elle,  la  conversation  devenait  moins  libre,  prenait  un 
ton  qui  la  respectait  à  peu  près  comme  une  personne 
mariée;  et  un  jour  qu'Anatole  avait  lancé  un  mot  un 
peu  vif,  Coriolis  lui  dit  un  :  «  Où  te  crois-tu?  >  si  sé- 
rieusement, que  Manette  elle-même  ne  put  s'empêcher 
d'en  rire. 

Manette  avait  eu  à  peine  besoin  de  travailler  à  ce 
changement.  Il  s'était  fait  presque  tout  seul,  par  le 
courant  naturel  des  choses,  par  la  lente  et  progressive  in- 
filtration de  l'influence  féminine,  par  l'habitude,  par 
l'oreiller,  par  la  succession  de  ces  accroissements,  pa- 


MANETTE  SALOMON  327 

reils  aux  allnvions  du  concubinage,  grandissant  la  po- 
gition,  le  pouvoir,  Tinitiative  de  la  maîtresse  avec  tout 
ce  qui  se  détache  à  la  longue,  dans  l'amollissement  du 
ménage,  de  la  force  de  l'homme  pour  aller  &  la  faiblesse 
de  la  femme. 

Et  maintenant  Manette  n'était  plus  seulement  la  mat- 
tresse  :  elle  était  une  mère. 


CVIII 


En  devenant  mère.  Manette  était  devenue  nne  autr» 
femme.  Le  modèle  avait  été  tué  soudainement,  il  était 
mort  en  elle.  La  maternité,  en  touchant  son  corps,  en 
avait  enlevé  l'orgueil.  Et  en  même  temps  une  grande  ré- 
volution intérieure  s'était  faite  secrètement  au  fond 
d'elle.  Elle  s'était  renouvelée  et  avait  changé  de  nature, 
comme  dans  un  dédoublement  de  son  existence  qui  au- 
rait porté  en  avant  d'elle  et  de  son  présent  tout  son  cœur 
et  toutes  ses  pensées.  Elle  avait  fini  d'être  la  créature 
paresseuse  d'esprit  et  de  corps,  d'instinct  bohème,  satis- 
faite d'une  inertie  de  bien-être  et  d'un  bonheur  d'Orien- 
tale. Des  entrailles  de  la  mère,  la  juive  avait  jailli.  Et  la 
persévérance  froide,  l'entêtement  résolu,  la  rapacité 
originelle  de  sa  race,  s'étaient  levés  des  semences  de 
son  sang,  dans  de  sourdes  cupidités  passionnées  de 
femme  rêvant  de  l'argent  sur  la  tête  de  son  enfant. 

Pourtant  ce  fond  de  son  amour  de  mère  restait  en- 
foncé et  caché  chez  Manette.  Elle  ne  montrait  rien  de 
ces  avidités  ambitieuses  qui  s'agitaient  en  elle.  Elle 
n'avait  point  demandé  au  père  de  reconnaître  son  fils. 
Même  à  ces  moments  d'effusion  qui  suivent  les  couches, 
dans  ces  heures  où  la  femme  est  comme  une  malade 
douce  el  sacrée,  elle  n'avait  pas  laissé  échapper  un  mot, 
une  allusion  au  sort  de  ce  fils.  Jamais  il  ne  lui  était 
échappé  une  de  ces  paroles  qui   cherchent  et  tâtent, 


3!8  MAHtTTE  SALOMON. 

dans  U  charité  ou  la  génêrosilé  d'un  homme,  le  |jère 
d'un  enrant  naturel.  Elle  avait  paru  vouloir  toujours,  au 
contraire,  écarter  de  Coriolis  toute  idée  d'avenir,  toute 
préoccupation  d'engagement  et  de  lipn.  Ce  qui  couvait 
en  elle,  les  nouvelles  et  hardies  convoitises  éveillées  par 
tes  sentiments  maternels,  ne  se  trahissaient  au  dehors 
qae  par  de  longues  absorptions  dans  lesquelles  brillait 
■on  regard  clair. 

Elle  attendait  :  elle  n'avait  ni  hâte,  ni  prêcrpilation. 
Le  temps  était  pour  elle,  le  temps  qu'elle  voyait  tous  les 
jours,  autour  d'elle,  apporter  à  ses  semhlables,  à  d'an- 
ciennes camarades,  la  Tortuue  de  leurs  rêves,  Taire  mon- 
ter des  modèles  à  la  société,  au  mariage,  à  la  richesse, 
donner  à  celle-ci  le  nom  et  l'argent  d'un  marchand  de 
châles,  à  celle-là,  un  château  et  une  couronne  de  com- 
tesse :  elle  le  laissait  agir,  patiente  et  ferme  dans  l'as- 
surance de  ses  espérances.  Elle  eo  conTiait  aux  circon- 
stances, aux  hasards  favorables,  à  la  Providence  de 
l'imprévu,  à  ces  pouvoirs  mjstérieui  qui  semblent  en- 
core, aux  héritiers  du  peuple  d'Israël,  chargés  de  mener 
à  bien  leurs  affaires;  elle  se  confiait  à  l'avenir  que  fait 
aux  Juifs  le  Dieu  des  Juifs.  Comme  toutes  ses  pareilles, 
elle  avait  ce  restant  de  croyances,  la  foi  insolente  dans 
sa  chance,  la  certitude  religieuse  de  son  bonheur,  de 
l'arrivée  de  tout  ce  qu'elle  désirait,  c  Moi,  d'abord,  -~ 
disait-elle  tranquillement,  —  je  suis  d'une  religion  où 
tout  réussit.  » 


A  peu  prés  vers  le  temps  oà  Chassagnol  avait  tut 
dans  l'atelier  sa  grande  tirade  sur  le  moderne,  CorioUs 
s'était  mis  à  attaquer  deux  grandes  toi'es.  Il  y  travaillait 
qninze  mois,  soutenu  dans  la  fatigue,  le  courage  d'uD 
a  long  effort,  par  la  perspective  de  l'Expositioa  ouiver- 


ANëTT£  SALOMON.  3-2^ 

jelle  de  1855,  qui,  en  rassemblant  l'Art  de  tous  les 
peuples,  allait  donner  le  monde  pour  public  à  sa  grande 
it  hardie  tentative. 

A  l'Exposition  du  15  mai,  ces  deux  toiles  montraient 
m  même  temps  que  le  dégagement  complet  du  coloriste 
annoncé  par  le  Bain  turCy  un  renouvellement  du  pein- 
tre, de  ses  procédés,  de  ses  aspirations,  de  son  genre. 
Dans  ces  deux  compositions,  intitulées,  l'une  :  Un  Con- 
seil de  révision  et  l'autre  :  Un  Mariage  à  l'église^  Co- 
riulis  apportait  une  pâte  de  couleur  se  rapprochant  de  la 
belle  pâte  espagnole,  de  larges  harmonies  solides  et  sé- 
vères, oà  ne  restait  plus  rien  des  tons  claquants  de  sa 
première  manière,  une  étude  rigoureuse  de  la  nature^ 
une  accusation  caractéristique  de  la  réalité. 

Le  sujet  de  la  première  de  ces  toiles,  la  Révision^  lui 
avait  permis  ce  mélange  de  rhabillé  et  du  nu  qu'auto- 
risent si  rarement  les  sujets  modernes.  Des  parties  de 
corps  superbes,  un  torse,  un  bras,  une  jambe,  un  frag- 
ment d'une  forme  qui  se  rhabillait  ou  se  déshabillait,  se 
détachaient  çà  et  là.  Au  centre  de  la  toile,  sur  l'estrade^ 
devant  les  personnages  du  bureau,  les  uniformes,  les 
habits  noirs  officiels,  les  têtes  de  fonctionnaires,  l'aca- 
démie d'un  jeune  homme  examiné  par  le  chirurgien 
dressait  la  figure  admirable  du  nu  martial  du  dix-neu- 
vième siècle.  Et  des  fonds  de  foule,  dans  la  grande  salle 
Saint-Jean,  s'agitaient  avec  les  turbulences  et  les  émo- 
tions des  loges  du  CtrgttedeGoya^dansses  lithographies 
de  Bordeaux. 

L'autre  tableau  de  corïoTIs,  tfn  Mariage  à  Véglîse, 
représentait  une  messe  de  première  classe  à  Saint- 
Germain-des-Prés.  Le  moment  choisi  par  Coriolis  était 
celui  où  le  prêtre,  faisant  face  au  public,  bénissait  le 
poêle  levé  par  deux  enfants,  deux  petites  figures  éphé- 
biques  ressemblant  à  des  génies  de  l'hyménée  en  collé- 
giens. Derrière  les  mariés,  se  voyaient  les  deux  familles 
sur  les  fauteuils  rouges  de  premier  rang.  Beaucoup  de 
femmes  étaient  complètement  retournées  ou  de  profil, 
regardant  les  toilettes  avec  la  vague  émotion  du  mariage 

98. 


330  MANETTE  SALOMON. 

et  de  la  messe  sur  la  flgure.  Des  jeunes  filles  maigres, 
des  virginités  séchées,  pointaient  çà  et  là.  Du  milieu  de 
la  légèreté  des  élégances,  se  levait,  dans  une    couleur 
puissante  et  magnifique,  un  suisstî  tenant  de  la  main 
gauche  une  hallebarde  dont  le  fer  de  lance  laissait  pendre 
un  ruban  de  satin  blanc  :  Coriolis  Tavait  peint  de  profil 
perdu,  la  bajoue  et  la  barbe  grise  rebroussées  par  son 
col  de  chemise,  sa  grosse  oreille  détachée  et  coupée  par 
le  linge  roide,  son  grand  baudrier  amarante  et  or  tra- 
versant son  habit  chamarré  et  lourd,  ses  basques  se 
perdant  sur  ses  mollets  bas  et  farnésiens,  enfermés  dans 
un  coton  blanc  dont  ils  faisaient  crever  les  mailles.  An 
delà  de  la  balustrade,  dans  les  stalles  de  bois,  au-des- 
sous  des  peintures,   se  dessinaient    deux   spirituelles 
silhouettes  de  prêtres,  en  surplis,  dont  Tun  se  chatouil- 
lait les  lèvres  avec  le  pompon  de  sa  barrette;  l'autre 
lisait  roffice  penché  sur  un  livre  dont  la  tranche  dorée 
avait  une   lueur  de  la  flamme  des  cierges.  Dans  le 
chœur,  comme  dans  une  rose  de  lumière,  se  perdaient 
des  enfants  de  chœur  à  ceintures  bleues,  à  robes  de 
dentelles,  l'officiant  en  chasuble  d'or,  l'autel  d'or,  avec 
son  petit  temple,  les  chandeliers,  les  candélabres  al- 
lumés et  dont  les  feux  montaient  dans  le  scintillement 
criard  des  verrières  modernes.  Pour  repoussoir  à  toutes 
ces  splendeurs,  un  coin  de  bas  côté  près  du  chœur  ras- 
semblait, au-dessous  d'un  tronc  d'offrande,  une  vieille 
femme  à  genoux  par  terre,  un  bonnet  sale  et  troué  lais- 
sant voir  ses  cheveux  gris;  une  espèce  de  petite  brune 
mystique,  en  deuil  de  laine,  les  yeux  au  ciel,  appuyée 
^ur  un  parapluie,  avec  un  geste  de  Sainte  d'ancien  ta- 
bleau qui  pose  ses  mains  sur  un  instrument  de  supplice; 
une  mère  du  peuple  portant  un  enfant  qui  dormait  tout 
roide  dans  ses  bras,  et  un  tout  jeune  ouvrier,  en  veste 
et  en  pantalon  de  cotonnade  bleue,  regardant  la  messe, 
les  deux  mains  dans  ses  pochesi  et  une  miche  de  paia 
^ous  le  bras 


MANETTE  SALOMOH.  tSI 


GX 


Coriolis  éprouvait  une  grande  et  cruelle  déception  do- 
tant l'indifférence  qui  accueillait  ses  deux  toiles  à  TEx- 
position. 

Lé  public,  cette  année-là,  allait  aux  g;rands  noms 
d'Ingres,  de  Delacroix,  de  Decamps.  Sa  curiosité  s'épar- 
pillait sur  les  écoles  allemandes,  anglaise,  sur  Tart 
étranger  d'outre-Rhin,  d'outre-mer.  Son  attention  avait 
trop  à  embrasser  pour  reconnaître  et  saluer  les  efforts 
nouveaux  de  l'art  français. 

n  eut  encore  contre  ses  tableaux  l'idée  générale,  l'o- 
pinion faite  que  la  question  de  la  représentation  du  mo- 
derne en  peinture,  soulevée  par  les  essais,  hardis  jusqu'au 
scandale,  d'un  autre  artiste,  était  déûnitivement  jugée. 
La  critique  ne  voulut  pas  y  revenir  ;  et  il  se  fit  entre  elle 
et  le  public  une  tacite  entente  de  parti  pris  pour  ne  pas 
tenir  compte  à  Coriolis  du  réalisme  nouveau  qu'il  ap- 
portait, un  réalisme  cherché  en  dehors  de  la  bêtise  do 
daguerréotype,  de  la  charlatanerie  du  laid,  et  travaillant 
à  tirer  de  la  forme  typique,  choisie,  expressive  des  images 
contemporaines,  le  style  contemporain. 

Son  exposition  n'eut  aucun  retentissement.  On  ne 
parla  de  lui  que  pour  le  plaindre  de  cette  singulière  idée. 
Et,  au  moment  de  clôturer  son  salon,  dans  un  méprisant 
post-scriptum,  le  patriarche  de  l'éreintement  classique 
l'accablait  sous  ce  cliché  de  sa  critique  : 

c...  Qu'il  nous  soit  permis  de  parler  ici,  en  finissant, 
de  deux  toiles  sur  lesquelles  notre  critique  nous  semble 
appelée  à  dire  un  dernier  mot.  Quoique  le  public  en  ait 
fait  justice,  il  nous  semble  de  notre  devoir  d'insister 
sur  le  caractère  de  ces  deux  malheureuses  tentatives^ 
osées  par  un  peintre  qui  avait  donné  quelques  promesses, 
et  autour  duquel  la  camaraderie  avait  essayé  de  faire 


332  MANETTE  SALOMON. 

luelque  bruit...  Quand  de  tels  symtômes  se  produisent 
quand  le  trouble  de  Tari  se  révèle  par  de  tels  signes,  il 
faut  les  enregistrer;  c'est  à  ce  prix  seulement  qu*on 
peut  suivre  les  déviations  et  les  défaillances  de  l'école 
moderne...  Comment  l'auteur  de  ces  deux  pauvres  el 
regrettables  toiles,  un  Conseil  de  révision  et  une  Messe 
ie  mariage,  n'a-t-il  pas  compris  que  la  grande  peinture 
était  incompatible  avec  la  vulgarité,  la  réalité  commune 
du  moderne?  Comment  n'a-t-il  pas  compris  qu'il  y  avait 
presque  un  blasphème  à  vouloir  faire  du  nu,  du  nu  divin, 
du  nu  sacré,  avec  le  nu  d'un  conscrit?  Comment  n'a- 
t-il  pas  compris  que  la  toilette  a  besoin  de  perdre  son 
actualité  et  sa  frivolité  dans  ce  caractère  de  noblesse 
éternelle  et  permanente  que  savent  seuls  lui  attribuer 
les  maîtres?...  A  Dieu  ne  plaise  que  nous  voulions  dé- 
courager les  jeunes  talents!  Mais  il  y  a  là,  nous  ne  pou- 
vons le  cacher,  quoi  qu'il  nous  coûte,  un  grand  abaisse- 
ment. Peindre  de  tels  sujets,  c'est  manquer  à  la  haute 
et  primitive  destination  de  la  peinture,  c'est  descendre 
l'art  à  la  photographie  de  ractualité.  A  quels  abîmes  de 
ce  qu'on  appelle  maintenant  c  le  vrai  contemporain  t 
veut-on  donc  nous  entraîner?  Supprimera-t-on  dans  la 
peinture  l'intérêt  moral,  la  perspective  du  passé,  tout  ce 
qui  force  l'esprit  à  s'élever  au  dessus  de  l'atmosphère 
commune?  Nous  ne  pouvons  nous  défendre  d'une  pé- 
nible impression,  en  songeant  que  c'est  devant  1  é- 
Iranger,  à  l'Exposition  des  grandes  œuvres  de  l'Europe, 
en  face  de  l'Allemagne,  celle  terre  de  la  pensée  qu*ua 
peintre  français  a  eu  le  triste  courage  d'exposer  de  pa- 
reils échantillons  de  la  décadence  de  notre  art...  Sans 
doute,  il  n'y  a  pas  à  craindre  que  de  tels  exemples  pré- 
valent jamais  :  la  France,  si  fidèle  au  sentiment  et  au 
bon  sens  de  l'art,  se  rappellera  toujours  qu'elle  est  la 
noble  patrie  du  Poussin  et  de  Le  Sueur.  Mais  les  esprits 
clairvoyants  ne  peuvent  s'empêcher  de  voir  l'art  actuel 
menacé,  comme  l'Ecole  grecque  après  la  mort  d'A- 
lexandre, d'une  invasion  de  ces  peintres  de  mœurs  vul- 
gaires qu'on  appelait  alors  des  rhyparographei...  Les 


MANETTE  SÂLOMON.  333 

barbares  sont  toujours  aux  portes  de  l'art,  ne  Toublions 
pas  ;  et  il  importe  à  tous  ceux  dont  c'est  la  charge,  à  la 
critique,  dont  c'est  la  mission,  au  gouvernement,  dont 
c'est  le  devoir,  de  redoubler  d'encouragements  pour  les 
talents  purs,  honnêtes,  se  vouant  dans  l'ombre  à  la 
peinture  sévère,  résistant  aux  basses  sollicitations  de  la 
mode,  du  succès  et  du  public,  défendant  la  tradition, 
disons-le,  la  religion  de  cet  art  élevé  dont  TÉcole  de 
Rome  est  le  sanctuaire^  l'asile  et  le  palladium.  > 


CXI 


Depuis  quelque  temps,  Garnotelle  venait  asseï  souvent 
dîner  chez  Goriolis. 

Manette,  qui  commençait  à  donner  sa  petite  opinion, 
le  soutenait  dans  la  maison,  disant  à  Goriolis  qu'elle  ne 
comprenait  pas  comment  il  vivait  entouré  de  gens  qui 
ne  lui  étaient  bons  à  rien,  et  pourquoi  il  repoussait  les 
avances  d'un  homme  de  talent,  ayant  un  nom,  une  po- 
sition, de  relation  honorable,  et  capable  plus  tard  de  lui 
être  utile  dans  le  chemin  de  son  avenir. 

Goriolis  laissait  Garnotelle  revenir,  non  sans  prendre 
un  secret  plaisir  aux  chamaillades,  aux  petites  disputes 
taquines,  aux  aslicolages  entre  Anatole  et  Garnotelle^ 
chaque  fois  qu'ils  se  rencontraient  ensemble.  Anatole 
se  trouvait  blessé  du  ton  de  Garnotelle  à  son  égard,  et 
il  était  bien  rare  que  sous  l'excitation  du  vin,  de  la  eau* 
série,  il  iCattrapàt  pas  son  ancien  camarade. 

Un  §oir,  il  ne  lui  avait  encore  rien  dit. 

—  Eh  bien  !  mon  vieux,  —  fit-il  après  diner,  en  a!» 
tant  s'asseoir  auprès  de  lui,  et  en  lui  frappant  amicale- 
ment sur  la  cuisse,  —  on  dit  donc  que  tu  te  présentes 
à  l'Institut. ..  Comment!  nous  allons  avoir  un  ami  qir. 
a  encore  des  cheveux  avec  des  palmes  vertes?...  Merci! 
de  la  chance 


tu  MANETTE  SÀLOMOM. 

—  Oh!  oh!  —  dit  Garnotelle,  —  je  me  présente... 
mais  voilà  tout...  Je  sais  que  je  n'ai  aucune  chance...  que 
je  suis  tout  à  fait  indigne...  Mon  Dieul  ce  sont  mes 
camarades...  On  m'a  un  peu  forcé  la  main...  Oh!  Je 
ne  serai  pas  nommé...  Mais  enfin,  je  l'ayoue,  je  se- 
rais très-content,  très-flatté,  si  tu  veux,  que  mon  nom 
fût  sur  la  liste  des  candidats... 

--  Tu  la  fais  à  la  modestie?  G*est  comme  tu  voudras*.. 
Farceur,  va!  laisse-moi  donc  tranquille...  Tu  as  des 
chances,  des  chances...  Tu  ne  te  figures  pas  toutes  tes 
«hances,  tiens! 

—  Eh  bien  !  veux-tu  me  faire  l'amabilité  de  me  les 
dire?  tu  m'obligeras... 

—  Voici...  D'abord,  mon  cher,  tu  n'es  pas  savant... 
Très-bon...  excellent...  L'Institut,  ça  lui  va...  Rien  à 
craindre...  Pas  d'articles  dans  la  Revue  des  Deua 
MondeSy  pas  même  une  brochure  de  cinquante  cen- 
times sur  la  fabrication  des  couleurs...  Tu  sais  cela 
aussi  bien  que  moi  :  un  monsieur  qui  écrit...  Tln- 
stilut,  jamais!  Et  d'une...  Comme  orateur,  tu  ne  tires 
pas  des  feux  d'artifice...  tu  es  tempéré  comme  méta- 
phores... tu  causes  môme  mal...  Encore  très-l}on, 
ça!  Tu  serais  brillant  dans  les  salons,  tu  ferais  de 
l'effet,  de  l'esprit,  du  bruit,  des  mots,  pour  défendre 
l'Institut...  Très-mauvais!  Tu  manquerais  à  la  gra- 
vité de  sa  cause,  tu  compromettrais  la  solennité  do 
corps...  Du  sérieux,  du  silence,  voilà  ce  qu'il  faut... 
et  ce  que  tu  as  de  naissance...  Et  de  deux!  Tu  ne  tra- 
vailles pas  dans  la  solitude...  Encore  une  très-bonne 
note...  Ça  leur  fait  toujours  peur  d'un  gaillard  bizarre, 
indépendant,  pas  soumis...  Le  monde  où  lu  vas,  parfait! 
On  n'y  a  jamais  dit  un  mot  contre  l'Institut,  c'est  connu... 
Et  puis,  encore  une  bonne  chose,  ce  n'est  pas  du  monde 
qui  lire  trop  l'œil...  Tu  l'as  très-bien  choisi...  Voilà 
quelque  temps  que  tu  n'as  pas  trop  de  Presse;  on  ne 
parle  pas  trop  de  toi...  une  chance  de  plus...  Ah  ça! 
qu'est-ce  qui  te  manque,  je  te  demande  un  peu?  Tout,  tu 
as  tout!...  Voyons,  tiens...  tu  ne  montes  pas  à  cheval... 


MANETTE  SALOMON.  33& 

Très-important...  Si  Ton  te  voyait  cavaîcader,  tu  com- 
prends... Tu  n'es  pas  d'une  élégance  exagérée...  Enfin, 
tu  n'as  pas  un  chic  de  gentleman..,  tu  n'es  pas  même... 
je  te  dis  cela  entre  nous...  tu  a'es  pas  même.  Dieu 
merci  pour  toi,  d'une  propreté  à  effrayer,  —  fit  Ana- 
tole en  lui  mettant  le  doigt  sur  des  taches  de  âon 
collet  d'habit.  —  Ahl  si  tu  n'appelles  pas  tout  cela  des 
chances!...  Comment!  tu  n'as  rien  qui  te  fasse  remar- 
quer, rien  dans  toute  ta  personne  qui  soit  voyant...  tu 
ressembles  à  tout  le  monde,  des  pieds  à  la  tête...  tu  es 
arrivé,  gros  malin!  à  n'avoir  pas  de  personnalité  du 
tout...  et  tu  viens  nous  dire  que  l'Institut  ne  voudra 
pas  de  toi!...  Mais  tu  es  l'idéal  de  l'Institut  :  ils  te  rê- 
vent ! 

^  Tu  es  très-amusant,  —  dit  Garnolelle  d'un  air 
piqué. 

—  Et,  quand  à  tout  cela  il  vient  s'ajouter  la  protection 
d'un  bonhomme  de  là,  qui  voit  dans  le  charmant  gargon 
qui  se  présente  le  mari  futur  de  mademoiselle  sa  fille... 

—  Oh  I  il  n'y  a  rien  de  fait,  -—  dit  vivement  Garno- 
telle,  tout  étonné  de  ce  que  savait  Anatole,  *-  et  îe  te 
prierai  de  ne  pas  parier  d'une  personne... 

—  Charmante!...  mais  pas  jolie,  à  ce  qu'on  dit...  Oh  ! 
je  la  laisse!  oh!  je  la  laisse!...  —  fit  Anatole  avec  une 
intonation  de  Sain  ville;  et  il  se  versa  le  second  verre 
d'eau-de-vie  qui  montait  la  verve  de  ses  charges,  les 
poussait  à  une  sorte  d'insistance  et  de  ténacité  acharnée. 

—  Enfin,  mon  cher,  mes  compliments.  Ce  ne  serait 
que  la  nièce  d'un  membre  de  l'Institut  que  tu  serais 
encore  un  veinard,  et  un  joU  !  II  y  a  des  camarades. .«  et 
qui  étaient  forts...  qui  n'ont  jamais  pu  arriver  à  s'appro- 
cher de  l'Académie  autrement  que  par  des  femmes  qui 
connaissaient  du  monde  de  la  boutique,  et  qui  assistaient 
aux  grandes  séances...  Mais  toi.. 

Garnotelle  fit  un  geste  d'impatience. 

—  Ah  çà  !  mon  cher,  est-ce  que  tu  me  crois  asse2 
bête  pour  que  je  ne  trouve  pas  ça  tout  simple...  qu'un 
beau-père  tâche  de  repasser  sa  contre-marque  à  son 


^ 


836  MANETTE  SÂLOMON. 

gendre,  et  de  lui  avoir  uq  petit  fauteuil  à  c6té  de  lui, 
sous  la  coupole?  Mais  ça  se  fait  dans  les  meilleures  so- 
ciétés... C*est  même  dans  les  lois  de  la  nature,  tu  ne 
trouves  pas?  Autrefois,  on  avait  des  idées  bétes  dans  ce 
corps  de  vieux  immortels  :  ils  se  figuraient  qu'un  artiste 
était  fait  pour  vivre  pour  Tart...  Un  jeune  artiste  qui  se 
mariait  dans  une  famille  chouette  et  posée,  c'était  pour 
eux  un  habilây  un  monsieur,..  Hais  aujourd'hui... 

—  Tiens  !  moi,  je  vais  te  dire  ce  que  tu  es,  toi...  — 
fit  Garnotelle,  avec  une  certaine  animation,  en  lui  cou- 
pant la  parole,  —  tu  es  un  blagueur  !  La  blague  t'a 
mangé,  mon  cher,  et  tu  ne  feras  jamais  que  cela,  des 
blagues  I 

—  Vous  êtes  assommant,  Anatole,  —  dit  Manette.  — 
Vous  êtes  toujours  à  tourmenter  Garnotelle,  n'est-ce  pas, 
Coriolis?  Moi,  qui  déteste  qu'on  se  dispute...  C'est  si  bon 
d'être  un  peu  tranquille,  après  son  dîner...  à  causer 
gentiment... 

—  Ah!  si  Ton  ne  peut  plus  rire  maintenant!  —  fit 
Anatole.  —  Eh  bien  !  quoi,  parce  qu'on  bave  un  peu  sur 
ses  contemporains?...  Et  puis  ça  l'amuse,  Garnotelle... 
K'est-ce  pas  que  ça  t'amuse,  mon  vieux  Garnotelle? 


CXII 

Lorsque  Manette  était  entrée  dans  la  maison,  Anatole 
8*était  effacé  devant  elle,  et  il  avait  mis  la  plus  aimable 
bonne  grâce  à  lui  céder  la  direction  de  l'intérieur,  cette 
espèce  de  rôle  de  gouvernante  que  peu  à  peu  il  s'était 
laissé  aller  à  remplir  auprès  de  Coriolis.  Manette  lui  en 
avait  su  gré.  Puis  Anatole  s'était  encore  bien  fait  venh 
d'elle  par  des  S'3ins,  des  attentions,  une  sorte  de  petitf 
cour. 

Sans  être  taillé  pour  la  passion,  Anatole  était  un  garçon 
de  tempérament  amoureux  et  de   nature  insinuante. 


T 

MANETTE  SÂLOMON.  337 

Prompt  à  s*enflainmer  en  dessous,  habile  à  se  glisser 
sans  en  avoir  Tair,  il  était  un  soupirant  dans  les  coins, 
un  patito  de  complaisance  infairgable,  un  de  ces  séduc- 
teurs à  petit  bruit,  sournois  et  modestes,  qui  peuvent  un 
jour  devenir  dangereux.  Il  se  chauffait  aux  femmes 
comme  au  feu  des  autres,  et  il  s'acoquinait  près  des 
maîtresses  de  ses  amis  comme  il  s'acoquinait  dans  leur 
atelier.  Cela  lui  semblait  sans  déloyauté  et  tout  simple. 
Dans  la  vie,  il  ne  s'était  guère  connu  la  propriété  de 
rien,  il  avait  toujours  un  peu  vécu  d'une  existence  à 
côté,  et  l'amour  auquel  il  assistait,  et  qui  se  passait  prè« 
de  lui,  lui  semblait  une  chose  à  partager  aussi  bien  que 
la  soupe  qu'on  mange  avec  un  camarade. 

Aussi  fut-il  avec  Manette  ce  qu'il  avait  été  avec  toutes 
les  femmes  rencontrées  ainsi  par  lui  en  demi-ménage 
avec  un  homme  :  un  désireur.  Et  Manette  ne  manqua 
pas  d'être  flattée  de  cette  adoration  humble,  muette, 
contemplative,  où  elle  trouvait  et  goûtait  l'aplatissement 
d'un  domestique.  Un  jour,  comme  on  revenait  de  la 
campagne,  où  l'on  avait  été  en  bande,  elle  s'amusa 
beaucoup  d'une  provocation  en  duel  d'Anatole  au  beau 
Massicot.  Massicot  avait  coqueté  avec  elle  toute  la  soirée 
d'une  façon  marquée  :  Anatole  s'en  était  aperçu,  puis 
s'en  était  indigné  au  nom  de  Coriolis  qui  n'avait  rien  vu; 
et  l'ivresse  lui  enlevant  un  instant  sa  peur  naturelle  et 
foncière  des  coups,  il  était  entré  dans  une  frénésie 
d'homme  qui  a  le  vin  mauvais,  et  qui  se  croit  un  peu 
l'amant  de  la  femme  d'un  ami.  Au  reste,  cet  accès  de 
jalousie  et  de  courage  dura  peu  :  dégrisé  le  lendemain, 
il  ne  songea  pas  à  se  battre.  Mais  il  avait  eu  un  mouve- 
ment dont  Manette  ne  put  s'empêcher  d'être  flattée  tout 
bas,  en  en  riant  tout  haut. 

Cependant,  comme  elle  ne  voulait  point  tromper  Co- 
riolis, qu'Anatole  d'ailleurs  était  le  dernier  homme  avec 
lequel  elle  l'eût  trompé,  un  homme  qu'elle  mésestimait 
pour  son  peu  de  talent,  et  surtout  pour  son  peu  de  noto- 
riété artistique,  elle  fut  vite  lassée  et  ennuyée  de  ce 
pauvre  et  bas  adorateur.  Aux  premiers  jours,  elle  avait 

29 


338  MANETTE  SALOMON. 

eu  pour  lui  des  yeux  indulgents,  des  pardons  de  <»uni* 
rade.  Maintenant  elle  voyait  tous  ses  mauvais  côtés.  Elle 
lui  trouvait  des  expressions,  des  mots,  des  manières  ab- 
jectes, populacières,  qui  la  dégoûtaient  comme  les  taches 
de  sa  blouse  blanche.  Avec  la  superbe  aristocratie  de  la 
femme  de  basse  classe,  ses  dédains  pour  tout  ce  qui  ne 
joue  pas  le  distinguéy  elle  finit  par  le  prendre  en  grippe 
et  en  mépris.  Elle  ne  lui  pardonna  plus  rien,  pas  même 
de  la  faire  rire.  Toutes  ses  vanités  féminines  se  soulevè- 
rent contre  l'idée  qu'un  homme  d'un  si  mauvais  genre  pût 
aspirera  elle,  et  elle  se  trouva,  au  bout  de  quelque  temps, 
honteuse  au  fond,  humiliée,  enragée  de  la  persistance  de 
cet  amoureux  patient  qui  continuait  à  faire  le  gentil  et 
l'aimable,  avec  l'air  de  ne  rien  demander  et  d'attendre. 
Mais  voyant  la  vive  affection  de  Coriolis  pour  Anatole, 
le  besoin  qu'il  avait  de  sa  bonne  humeur,  elle  dissimu- 
lait tous  ses  méchants  sentiments.  De  temps  en  temps 
seulement,  tout  doucement,  avec  son  tact  de  femme,  et 
sans  que  Coriolis  pût  y  trouver  une  intention,  elle  remet- 
tait et  faisait  redescendre  Anatole  à  l'humble  place  qu'il 
avait  dans  la  maison,  à  rinlériorité  et  au  parasitisme  de 
sa  position. 


CXIII 


A  la  fin  de  Tété,  Coriolis  partait  tout  à  coup  seul  pour 
les  bains  de  mer. 

11  y  restait  un  mois  et  en  rapportait  l'ébauche  Irès- 
âvanrée  d'un  tableau. 

C'était  la  plage  de  Trouville  par  un  beau  jour  d'août, 
vers  les  six  heures  du  soir,  à  l'heure  où  le  soleil,  s'abais- 
sant  sur  la  mer,  fait  remonter  de  chaque  vaiçue  les  feux 
d'un  ïT.iroir  brisé,  et  jette  dans  l'air  plein  de  reflets  une 
réverbération  où  les  couleurs  s'allument  avec  des  viva« 
<ités  de  fleurs. 


MANETTE  SÂLOMON.  339 

Au  premier  plan,  dans  le  coin  à  droite  et  à  Tabri 
d'ombre  de  deux  cabanes  de  bain  posées  à  angle  droit, 
un  bai^meur  aux  formes  athlétiques,  en  chemise  de  flanelle 
rouge  violacée  par  la  mer  et  noircie  de  mouillure  à  la 
ceinture,  était  debout  sur  ses  larges  pieds  tannés  s'en-* 
fonçant  dans  le  sable,  auprès  de  Normandes  assises,  en 
jupons  noirs  et  en  tricots  noirs,  le  bonnet  de  coton  tout 
blanc  sur  leurs  figures  au  teint  de  pomme,  aux  yeux 
d'avoués.  De  là  parlait  le  chemin  de  planches,  menant 
les  pieds  nus  à  la  mer,  qui  faisait  voir  au  bord  du 
tableau  comme  des  corbeilles  d'enfants  renversées  :  des 
grappes,  des  tas  de  jolis  bébés,  à  moitié  enterrés  dans 
les  trous  que  creusaient  leurs  petites  bêches  et  leurs 
grandes  cuillers  de  bois;  un  fouillis  de  chevelures 
blondes,  de  chairs  roses,  d'yeux  noirs,  de  bras  ronds, 
de  mollets  nus,  de  jupons  aux  dents  de  dentelles,  de 
chapeaux  de  petit  marin,  de  tabliers  pleins  de  coquiI« 
lages,  de  petites  maius  faisant  des  gâteaux  de  sable  dans 
des  bols  russes,  de  robes  blanches  au  gros  chou  de 
rubans  dans  le  dos,  un  pêle-mêle  d'où  se  détachaient 
deux  petits  garçons  Toués  au  Sacré-Cœur,  qui,  tout  en 
rouge  des  bottines  à  la  casquette,  semblaient  montrer  là 
de  la  pourpre  d'église. 

Au  milieu  de  ce  petit  monde  éparpillé  par  terre,  se 
levait  un  groupe  de  jeunes  gens  tout  habillés  de  velours 
noir,  et  dont  les  courtes  braies  laissaient  à  découvert 
des  bas  à  bandes  bleues  et  ronges.  Appuyés  sur  des  pa- 
rasols de  soie  »aune  doublés  de  vert,  ils  causaient  avec 
deux  jeunes  femmes  qui  laissaient  pendre  tout  épars  sur 
leurs  burnous  leurs  cheveux  encore  un  peu  pleurants  et 
moites  de  la  lame  du  matin;  et  Tune  des  deux,  tenant 
de  sa  main  retournée  la  corde  du  mât  des  bains,  faisait 
sécher  dessus  et  chatouiller  de  soleil  sa  blonde  cheve- 
lure annelée,  qu'elle  frottait,  la  tête  un  peu  renversée, 
en  se  balançant  doucement^  contre  le  chanvre  vi- 
brant. 

Jeté  en  avant,  ce  groupe  coupait  la  longue  ligne  de 
thaises  adossées  contre  le  front  des  cabanes  de  bains. 


3i0  MANETTE  SALOMON. 

et  qui  allongeaient  presque  jusqu'au  fond  de  la  toile  ta 
perspective  des  toilettes. 

Là,  sous  le  rose  tendre  et  doux  des  ombrelles  volti- 
geant sur  les  visages,  les  poitrines,  les  épaules,  étaient 
assises  les  baigneuses  de  Trouville.  Le  pinceau  du  pein- 
tre y  avait  fait  éclater,  comme  avec  des  touches  de  joie, 
la  gaieté  de  ces  couleurs  voyantes  qu'harmonise  la  mer, 
la  fantaisie  et  le  caprice  des  élégances  nouvelles  de  ces 
dernières  années,  cette  Mode,  prise  à  toutes  les  modes, 
qui  semble  mettre  au  bord  de  TinOni  un  air  de  bal 
masqué  dans  un  coin  de  Longchamp.  Tout  se  mêlait,  se 
heurtait,  les  lainages  bariolés  des  Pyrénées,  les  saute- 
cn-barque  aux  caracos,  les  mantelets  de  dentelle  noire 
à  des  vestes  de  jockey,  les  transparents  de  mousseline 
aux  vareuses  coquelicot,  les  jupes  de  gaze  de  Chambéry 
aux  paletots  de  cachemire  agrémentés  de  soies  du  Thibet. 
Çà  et  là,  s'apercevait  quelque  joli  détail  :  un  bout  de 
pied  sur  un  barreau  de  chaise  montrait  un  bas  écossais, 
un  chignon  s'échappait  d'un  tricorne  de  paille,  des 
lueurs  d'or  pâle  jouaient  dans  un  creux  de  jupe  maïs, 
la  plume  ocellée  d'un  papn  ou  l'aile  mordorée  d'un  fai- 
san courait  sur  un  chapeau,  un  peigne  d'or  à  lentilles  de 
corail  mordait  la  trie  d'une  brune,  de  grands  pendants  d'or 
remuaient  à  un  bout  d'oreille  rouge  d'avoir  été  percée 
le  matin;  et  les  lourds  colliers  d'ambre  à  gros  grains,  la 
grosse  et  riche  bijouterie  des  agrafes  normandes,  bril- 
laient sur  de  coquettes  roulières  rayées. 

En  avant  des  chaises  s'étendait  la  plage  avec  son 
sable  piétiné  et  plein  d'enfoncements  de  pas,  la  plage 
humide,  brunissant  vers  la  mer,  et  coupée  de  nau8  où 
se  noyaient  des  morceaux  de  ciel. 

Là  allaient  et  venaient,  avec  un  petit'  pas  rapide  qui 
se  réchauffait  du  frisson  du  bain,  des  promeneuses  ca- 
ressées de  leur  voile,  la  robe  troussée  sur  la  jupe  rouge, 
et  découvrant  leurs  hautes  bottines  jaunes.  D'autres 
marchaient  lentement,  s'appuyant  d'une  main  gauche  et 
coquette  sur  une  grande  canne,  enveloppées  les  unes  et 
les  autres  de  ce  flottement  d'étoifes,  de  ce  voltigement 


i 

MANETTE  SALOMQN.  341 

de  rubans  par  derrière  que  fait  la  brise  de  la  mer.  Et  là 
encore,  des  fillettes  déchaussées,  les  jambes  nues  et 
hâlées  sous  leur  robe,  couraient  après  les  chiens  erranti 
de  la  plage.  Puis,  sur  des  chaises  groupées  et  semées, 
de  petites  sociétés  ramassées  faisaient  ces  taches  de 
pourpre  et  de  blanc,  ces  taches  franches,  brutales, 
criardes,  qui  jettent  leur  vie  et  leur  fête  dans  l'aveuglante 
et  métallique  clarté  de  ces  paysages,  sur  le  bleu  dur  du 
ciel,  sur  le  vert  glauque  et  froid  de  la  Manche.  Au  loin, 
un  vieux  cheval  ramenait  au  galop  une  cabane  à  flot; 
plus  loin  encore,  au  delà  de  la  dernière  naUy  avec  cette 
touche  nette  et  ce  piquage  de  ton  que  l'horizon  de  la 
mer  donne  aux  promeneurs  microscopiques  qui  la  cô- 
toyent,  se  détachait  une  folle  cavalcade  d'enfants  sur 
des  ânes.  Et  tout  au  bout  de  la  plage,  au  bord  de  Técume 
de  la  première  vague,  tout  seul,  un  vieux  petit  curé 
s'apercevait  tout  noir,  lisant  son  bréviaire  en  longeant 
l'immensité. 


^1 

\ 
\ 


CXIY 


Pendant  l'absence  de  Corioiis  et  son  séjour  à  Trou- 
ville,  Anatole  avait  eu  Tétonnement  de  voir  changer  la 
manière  d'être  de  Manette  avec  lui.  La  femme  désa- 
gréable, froide  et  dédaigneuse,  le  tenant  à  distance, 
était  peu  à  peu  devenue  douce,  prévenante,  aimable. 
Corioiis  revenu,  elle  continua  à  parler  à  Anatole,  à  faire 
attention  à  lui,  à  le  traiter  en  ami  de  la  maison.  Et  il 
semblait  à  Anatole  que  chaque  jour  la  bonne  camara- 
ierie  de  Manette  prenait  avec  lui  plus  d'abandon  et  de 
familiarité.  Un  rien  de  coquetterie  lui  paraissait  s'échap- 
per d'elle.  Dans  ce  qu'elle  lui  disait,  dans  les  gestes 
dont  elle  le  frôlait,  dans  les  longs  silences  à  l'atelier, 
dans  ces  heures  où  elle  Tenveloppait  d'elle-même  sans 
lui  parler,  Anatole  sentait  quelque  chose  de  cette  femme 


.^42  MANETTE  SALOMON. 

lui  sourire,  Tirriter,  le  tenter,  l'appeler.  Et  un  reste  de 
ce  vieux  sentiment  qui  n'était  pas  tout  à  fait  mort  lui  re- 
venait. 

Une  après-midi,  il  n'avait  pas  déjeuné  ce  jour-là  à 
Tatelier:  —  Tieoçf  CorioliF  n'y  est  pa»?  —  fit-il  en 
trouvant  Manette  seule. 

—  Je  ne  Tai  pas  entendu  rentrer,  —  répondit  Ma- 
nette. 

Et  comme  Anatole  décrochait  sa  vareuse  de  travail: 

—  Oh!  vous  allez  travailler?  Il  fait  si  chaud  aujour- 
d'hui... Voyons,  faites-moi  une  cigarette...  et  mettei- 
vous  là...  là... 

Et  se  rangeant  un  peu  sur  le  divan,  où  elle  était  étalée 
dans  une  pose  dénouée  et  vaincue  par  la  paresse  du 
Midi,  elle  ne  se  retira  pas  assez  pour  qu'Anatole  n'eût 
pas  contre  lui  la  chaleur  de  sa  jupe  vivante.  A  la  fois 
renversée  en  arrière  et  penchée  sur  elle-même,  avec 
un  mouvement  qui  faisait  bâiller  un  peu  son  peignoir 
négligemment  déboutonné  d'en  haut,  elle  passait,  de 
temps  en  temps,  sur  le  commencement  de  rondeur  et 
Tentre-deux  moite  de  ses  seins,  la  caresse  distraite  du 
bout  de  ses  doigts. 

Elle  ne  parlait  pas  à  Anatole,  elle  ne  le  regardait  pas, 
elle  n'avait  pas  l'air  de  penser  qu'il  fût  là.  Rien  d'elle 
ne  s'occupait  de  lui.  Et  cependant,  il  paraissait  à  Ana- 
tole que  jamais  il  n'avait  été  si  près  de  la  minute  d'un 
caprice  et  de  la  faiblesse  d'une  femme.  Le  son  de  voix 
avec  lequel  Manette  lui  avait  dit  de  venir  s'asseoir  auprès 
d'elle,  sa  jupe  qu'elle  laissait  contre  lui  avec  un  peu  de 
son  corps,  son  abandon  de  rêve,  le  joli  jeu  animé  des 
muscles  de  ses  bras  à  demi  nus,  sa  main  laissant  pendre 
sa  cigarette  éteinte,  le  demi-jour  amoureux  de  la  tente 
de  Tatelier  où  elle  se  tenait  à  demi  couchée,  l'ombre 
tendre  allongeant  l'ombre  de  ses  paupières  sur  le  bleu 
adouci  de  ses  yeux,  ces  passes  lentes,  errantes,  dont 
elle  promenait  le  chatouillement  sur  sa  gorge,  tout  ap- 
portait peu  à  peu  à  Anatole  ces  séductions  de  volupté 
muette  avec   lesquelles  la  femme  allume  et  sollicite, 


\ 


MANETTE  SALOMO».  &43 

sans  un  mot,  sans  un  sourire,  rien  qu'avec  la  tentation 
de  sa  mollesse  et  de  son  silence,  Taudace  des  sens  de 
rhomme. 

Un  moment,  il  voulut  s'arrachm*  de  là.  Mais  son  re- 
gard rencontra  le  regard  de  Manette,  un  de  ces  regards 
troublants  qui  laissent  tout  lire,  une  provocation,  on 
défi,  une  ironie,  dans  l'énigme  d*un  éclair... 

D'un  mouvement  fou,  Anatole  se  jeta  sur  elle  et  vou* 
lut  l'enlacer;  mais  Manette,  glissant  entre  sesbras^  l'ar- 
rêta net  par  un  éclat  de  rire,  au  milieu  duquel  elle  cria 
deux  ou  trois  fois  :  —  Coriolis  ! 

Et,  debout,  posée  devant  Anatole,  elle  kii  Jetait  au 
fisage  rinsuUe  de  ce  rire  forcé  de  comédienne  qui  la 
lecouait  toute,  et  faisait  onduler  son  peignoir  aatour 
d'elle. 

—  Eh  bien  !  quoi?  —  fit  en  entrant  Coriolis. 

—  Elle  le  savait  rentré,  —  se  dit  Anatole. 

—  Qu'est-ce  qu'il  y  a?  —  reprit  Coriolis  intrigué  de 
Tair  penaud  de  son  ami,  du  rire  interminable  de  Ma- 
nette, et  ne  sachant  trop  quelle  figure  faire  entre  eux 
deux. 

—  Ah  l  mon  cher,  —  ricana  Manette^  -^  ta  as  an  ami 
qui  est  galant  aujourd'hui...  mais  galant  !«•• 

Elle  s'interrompit  pour  pouffer  encore. 

—  Ohl  une  plaisanterie...  —  fit  Anatole  en  cherchant 
ion  air  le  plus  naturel;  et  il  rougit. 

—  Certainement...  certainement...  une  plaisanterie, 
—  et  Manette  tapota  enfantinement  les  joues  de  Coriolis. 

Elle  avait  ce  qu'elle  voulait  :  une  histoire  qu'elle  pou- 
wt  empoisonner,  une  arme  traîtresse  en  réserve  pour 
combattre  et  tuer  quand  elle  voudrait  l'amitié  de  caur 
ie  CSorioIii  pour  Anatole. 


:342  MANETTE  SALOMON. 

lui  sourire,  rîrriler,  le  tenter,  l'appeler.  Et  un  reste  de 
te  vieux  sentiment  qui  n'était  pas  tout  à  fait  mort  loi  re- 
venait. 

Une  après-midi,  il  n'avait  pas  déjeuné  ce  jour-là  à 
l'atelier:  —  Tieu?!  Corioli?  n'y  e»t  pat?  —  flt-il  en 
•trouvant  Manette  seule. 

—  Je  ne  l'ai  pas  entendu  rentrer,  —  répondit  Ma- 
nette. 

Et  comme  Anatole  décrochait  sa  vareuse  de  travail: 

—  Oh!  vous  allez  travailler?  Il  fait  si  chaud  aujour- 
d'hui... Voyons,  faites-moi  une  cigarette...  et  mettea- 
vous  là...  là... 

Et  se  rangeant  un  peu  sur  le  divan,  où  elle  était  étalée 
dans  une  pose  dénouée  et  vaincue  par  la  paresse  du 
Midi,  elle  ne  se  retira  pas  assez  pour  qu'Anatole  n'eût 
pas  contre  lui  la  chaleur  de  sa  jupe  vivante.  A  la  fois 
renversée  en  arrière  et  penchée  sur  elle-même,  avec 
un  mouvement  qui  faisait  hâiller  un  peu  son  peignoir 
négligemment  déboutonné  d'en  haut,  elle  passait,  de 
temps  en  temps,  sur  le  commencement  de  rondeur  et 
Tenlre-deux  moite  de  ses  seins,  la  caresse  distraite  do 
bout  de  ses  doigts. 

Elle  ne  parlait  pas  à  Anatole,  elle  ne  le  regardait  pas, 
elle  n'avait  pas  l'air  de  penser  qu'il  fût  là.  Rien  d'elle 
ne  s'occupait  de  lui.  Et  cependant,  il  paraissait  à  Ana- 
tole que  jamais  il  n'avait  été  si  près  de  la  minute  d'un 
caprice  et  de  la  faiblesse  d'une  femme.  Le  son  de  voix 
avec  lequel  Manette  lui  avait  dit  de  venir  s'asseoir  auprès 
d'elle,  sa  jupe  qu'elle  laissait  contre  lui  avec  un  peu  de 
son  corps,  son  abandon  de  rêve,  le  joli  jeu  animé  des 
muscles  de  ses  bras  à  demi  nus,  sa  main  laissant  pendre 
sa  cigarette  éteinte,  le  demi-jour  amoureux  de  la  tente 
de  Tatelier  où  elle  se  tenait  à  demi  coucbée^^  l'ombre 
tendre  allongeant  l'ombre  de  ses  paupières  sur  le  bleu 
adouci  de  ses  yeux,  ces  passes  lentes,  erranteSi  dont 
elle  promenait  le  chatouillement  sur  sa  gorge,  tout  ap- 
portait peu  à  peu  à  Anatole  ces  séductions  de  volapté 
muette  avec  lesquelles  la  femme  allume  et  sollicitei 


\ 


MANETTE  SALOMO».  UZ 

sans  un  mot,  sans  un  sourire,  rien  qu'avec  la  tentation 
de  sa  mollesse  et  de  son  silence,  l'audace  des  sens  de 
rhomme. 

Un  moment,  il  voulut  s'arrachm*  de  là.  Mais  son  re- 
gard rencontra  le  regard  de  Manette,  un  de  ces  regards 
troublants  qui  laissent  tout  lire,  une  provocation,  un 
défi,  une  ironie,  dans  l'énigme  d'un  éclair... 

D'un  mouvement  fou,  Anatole  se  jeta  sur  elle  et  vou* 
lut  l'enlacer;  mais  Manette,  glissant  entre  ses  bras^  l'ar- 
rêta net  par  un  éclat  de  rire,  au  milieu  duquel  elle  cria 
deux  ou  trois  fois  :  —  Coriolis  ! 

El,  debout,  posée  devant  Anatole,  elle  kii  Jetait  au 
fisage  rinsulte  de  ce  rire  forcé  de  comédienne  qui  la 
lecouait  toute,  et  faisait  onduler  son  peignoir  aatour 
d'elle. 

—  Eh  bien  !  quoi?  —  fit  en  entrant  Coriolis. 

—  Elle  le  savait  rentré,  —  se  dit  Anatole. 

—  Qu'est-ce  qu'il  y  a?  —  reprit  Coriolis  intrigué  de 
Tair  penaud  de  son  ami,  du  rire  interminable  de  Ma- 
nette, et  ne  sachant  trop  quelle  figure  faire  entre  eux 
deux. 

—  Ah  l  mon  cher,  —  ricana  Manette,  -^  ta  as  an  ami 
qui  est  galant  aujourd'hui.. •  mais  galant!... 

Elle  s'interrompit  pour  pouffer  encore. 

—  Ohl  une  plaisanterie...  —  fit  Anatole  en  cherchant 
ion  air  le  plus  naturel;  et  il  rougit. 

—  Certainement...  certainement...  une  plaisanterie^ 
—  et  Manette  tapota  enfântinement  les  joues  de  Coriolis. 

Elle  avait  ce  qu'elle  voulait  :  une  histoire  qu'elle  pou- 
wt  empoisonner,  une  arme  traîtresse  en  réserve  pour 
combattre  et  tuer  quand  elle  voudrai!  l'aoïitié  de  caur 
ie  CSorioIii  pour  Anatole. 


844  MANETTE  SALOMOR. 


CXY 


Coriolis  avait  fini  son  tableau  de  la  plage  de  Trouville. 
Le  peintre  n'avait  pas  voulu  seulement  y  montrer  des 
costumes  :  il  avait, eu  l'ambition  d'y  peindre  la  femme 
du  monde  telle  qu'elle  s'exbibe  au  bord  de  la  mer,  avec 
le  piquant  de  sa  tournure,  la  vive  expression  de  sa  co- 
quetterie, Tosé  de  son  costume,  le  négligé  de  sa  robe  et 
de  sa  grâce,  l'espèce  de  déshabillé  de  toute  sa  personne. 
Il  avait  voulu  fixer  là,  dans  ce  cadre  d'un  pays  de  la 
mode,  la  physionomie  de  la  Parisienne,  le  type  féminin 
du  temps  actuel,  essayé  d'y  rassembler  les  figures  éva- 
porées, frêles,  légères,  presque  immatérielles  de  la  vie 
factice,  ces  petites  créatures  mondaines,  pâles  de  nuits 
blanches,  surmenées,  surexcitées,  à  demi  mortes  des 
iatigues  d'un  hiver,  enragées  à  vivre  avec  un  rien  de 
sang  dans  les  veines  et  un  de  ces  pouls  de  grande  dame 
qui  ne  battent  plus  que  par  complaisance.  Les  distinc- 
tions, les  lassitudes,  les  élégances,  les  maigreurs  aristo- 
cratiques, les  raffinements  de  traits,  ce  qu'on  pourrait 
appeler  l'exquis  et  le  suprême  de  la  femme  délicate,  il 
avait  tâché  de  l'exprimer,  de  le  dessiner  dans  l'attitude, 
la  nerveuse  langueur,  la  minceur  charmante,  le  caprice 
de  gestes,  la  distraction  du  sourire,  l'errante  pensée  de 
plaisir  ou  d'ennui  de  toutes  ces  femmes  épanouies  i 
l'air  salin«  au  vent  de  la  côte,  paresseuses  et  revivantes 
comme  ûes  piantes  au  soleil.  De  jolies  convalescentes 
au  milieu  des  énergies  de  la  nature,  —  c'était  le  con- 
traste qu'il  avait  cherché  en  faisant  lever  sous  ses  pin- 
ceaux, de  toutes  ces  marques  de  petits  talons  de  Ceih 
drillon  semés  sur  la  plage,  les  figures  qu'elles  font  rêver. 

Le  public  ne  vit  rien  de  cette  ambition  de  Coriolis 
dans  son  tableau  exposé  chez  un  grand  marchand  de  la 
me  Laffiite. 


MANETTE  SALÛUOH. 


CXVI 


Avec  la  pudeur  qull  avait'  de  ses  dScouragemeiits  el 
de  ses  amerluraes,  l'espèce  d'habiliide  sauvage  qui  lui 
faisait  dévorer,  sans  rien  dire,  le  chagrin  comirie  lu  ma- 
ladie, Coriolis  resta,  presque  un  mois,  après  l'huniilia- 
tion  de  cet  insuccès,  laciturne,  étendu  sur  son  divan, 
fumant,  ne  faisant  rien. 

Au  bout  d'un  mois  de  ce  far  nîente  rageur,  il  em< 
poigna  une  grande  toile,  et  se  mit  à  la  brouiller  impétueu- 
sement d'un  charbonnage  rehaussé  de  coups  de  craie 
Et  bientât  de  ce  travail  sabré,  sous  le  tâtonnement  et  la 
confusion  des  lignes,  des  contours,  des  accent  u:iliuiis, 
des  repentirs,  dans  le  nuage  de  crayonnage  et  le  iruu- 
ble  roulant  des  formes,  il  commença  à  sortir  coiiimi; 
['apparence  d'une  jeune  femme  et  d'un  homme,  d'un 
vieillard. 

Alors,  se  cèambrant  dans  son  atelier,  Coriolis  y  rcsia 
quinze  jours,  enfermé,  seul,  n'y  voulant  personne.  Le 
matin,  il  allumait  lui-même  son  poêle  pour  être  piOt  au 
travail  avec  le  jour.  Il  arrivait  au  diner,  las,  épuis>'-,  avec 
ces  alTaissements  qu'ont  les  grands  corps,  ces  faiigues 
éreintées  qui  les  répandent,  comme  hrisés,  sur  les  meu- 
bles. 

—  A  demain,  —  dit-il  un  soir  à  Manette  et  à  Arm- 
tole  en  se  levant  de  table  pour  aller  dormir,  —  vous 
verrez. 

—  C'est  cela,  —  leur  dit-il  brusquement  le  leiule- 
main  devant  sa  toile;  et  il  se  jeta  derrière  eux,  sur  lu 
divan,  dans  l'ombre. 

Cela,  Toicî  ce  que  c'était. 

Dans  un  arrangement  qui  rappelait  un  peu  U  Paris  et 
rmiènede  David,  se  voyait  un  couple  de  grandeur  na- 
ture :  une  jeune  fille  nue  au  bord  d'un  lit,  sur  laiiitille 
■e  penchait,  avec  des  bras  de  désir,  la  passion  d'un  vieil- 


n46  MANETTE  SALOMON. 

lard.  D'un  côlé,  une  lumière,  le  matin  d'un  corps,  la 
première  innocence  de  sa  forme,  sa  première  splen- 
deur blanche,  une  gorge  à  demi  fleurie,  ,des  genoux 
roses  comme  s'ils  venaient  de  s'agenouiller  sur  des 
roses,  un  éblouissement  comme  l'aurore  d'une  vierge, 
une  de  ces  jeunesses  divines  de  femmes  que  Dieu  sem- 
ble faire  avec  toutes  les  beautés  et  toutes  les  puretés 
comme  pour  les  fiancer  à  l'amour  d'une  autre  jeunesse  ; 
de  Tautre,  imaginez  la  laideur,  la  laideur  morale,  la  lai- 
deur de  l'argent,  la  laideur  des  cupidités  basses  et  des 
stigmates  ignobles,  la  laideur  froncée,  écrasée,  déprimée, 
ftbjecte,  de  ce  que  la  Banque  met  sur  la  face  de  la  Vieil- 
lesse, la  voracité  de  l'Usure  dans  le  Million,  ce  que  la 
caricature  physiologique  de  notre  temps  a  saisi  au  vif, 
élevé  à  la  grandeur,  presque  à  la  terreur*  nar  la  puis- 
sance du  dessin. 

Le  vieillard  créé  par  Corîolis  n'avait  rien  de  ce  grand 
désir  triste,  presque  mélancolique,  de  la  vieillesse  amou- 
reuse qu'on  voit  dans  l'ombre  des  vieux  tableaux  soupi- 
rer après  la  nudité  d'une  Suzanne.  Il  était  l'amoureux 
sinistre  peint  par  le  mot  des  femmes  :  €  un  vieux  i^.  On 
voyait  en  lui  la  paillardise,  le  libertinage  de  l'âge,  ces 
derniers  appétits  presque  féroces  de  la  fin  des  sens, 
'e  goût  des  amours  qui  tournent  en  affaires  de  mœurs 
et  se  dénouent  à  la  Correctionnelle.  La  galvanisation  de 
l'érotisme  sénile,  la  congestion  sanguinolente  d'yeux 
sans  cils,  le  hiatus  d'une  bouche  édentée  et  humide,  des 
morceaux  de  nudités  effrayants  et  grotesques  montraient 
ce  monstre  :  un  minotaure  dans  un  roquentin,  —  le  sa- 
tyre bourgeois. 

Cependant  la  femme  reposait  tranquille,  attendant, 
^ssive,  sans  se  détourner.  Sa  peau,  sans  dégoût,  ne  re- 
lulait  pas  ;  et  elle  paraissait  livrer,  avec  l'habitude  d'un 
Hétier,  avec  une  indifférence  ingénue,  le  rayonnement 
ti  la  pudeur  de  tout  son  corps  à  ces  yeux  de  viol. 

Dans  ce  contraste  de  la  femme  et  du  monstre,  da 
vieillard  et  de  la  jeune  fille,  de  la  Belle  et  de  la  Béte,  le 
|)eintre  avait  rais  l'espèce  d'horreur  de  l'approche  d'une 


MANETTE  SALOMON.  U7 

blanche  par  un  gorille.  L'opposition  élait  sans  pitié,  sans 
miséricorde,  et  pour  ainsi  dire  inhumaine.  On  voyait 
qu'une  volonté  mauvaise,  un  caprice  féroce  d'artiste, 
s'étaient  tendus  pour  faire  la  plus  épouvantable,  la  plus 
révoltante,  la  plus  sacrilège  et  la  plus  antinaturelle  des 
antithèses.  L'exécution  en  était  presque  cruelle.  D'un  bout 
i  l'autre,  la  main,  emportée  par  la  rage  de  l'idée,  avait 
voulu  frapper,  blesser,  épouvanter  et  punir.  Des  coups  de 
pinceau  çà  et  là  ressemblaient  à  des  coups  de  louet.  Les 
chairs  étaient  rayées  comme  avec  des  griffes.  Il  y  avait  du 
rouge  d'orage  et  de  sang  dans  les  rideaux  de  feu  du  lit, 
dans  les  flambées  de  la  soie  autour  du  corps  de  lafemme. 
La  lourde  atmosphère  de  volupté  d'un  Giorgione  pesait 
avec  son  étoulfement  dans  la  chambre.  Et  des  morceaux 
d'étoffes,  rigiilcs,  tordus,  serpentant,  faisaient  voir 
comme  les  redressements  de  lanières  et  les  envolées 
siiiknles  de  bouts  de  robes  d'Erynnis  et  de  vêtements 
d'anges  ven^^eurs... 

Ce  n'était  point  obscène  :  c'était  douloureux  et  blas- 
phématoire. 

Il  est  dans  la  vie  de  l'artiste  des  jours  qui  ont  de  ces 
inspirations,  des  jours  où  il  éprouve  le  besoin  de  répan- 
dre et  de  communiquer  ce  qu'il  a  de  désolé,  d'ulcéré  au 
fond  du  cœur.  Comme  l'homme  qui  crie  la  souffrance 
de  ses  membres,  de  son  corps,  il  faut  que  ce  jour-là 
l'artiste  crie  la  souffrance  de  ses  impressions,  de  ses 
nerfs,  de  ses  idées,  de  ses  révoltes,  de  ses  dégoûts,  de 
tout  ce  qu'il  a  senti,  souffert,  dévoré  d'amertume  au  con- 
tact des  êtres  et  des  choses.  Ce  qui  l'a  atteint,  froissé, 
blessé  dans  l'humanité,  dans  son  temps,  dans  la  vie,  \\ 
ne  peut  plus  le  garder.:  il  le  vomit  dans  quelque  page 
émue,  sai|;nanle,  horrible.  C'est  le  débridement  d'une 
plaie;  c'est  comme  si  dans  un  talent  crevait  le  fiel,  cette 
poche,  chez  certains  génies,  de  certains  chefs-d'œuvre. 
Il  y  a  des  jours  où,  sur  son  instrument,  violon,  ou  ta- 
bleau, ou  livre,  dans  une  création  où  frémit  son  âme, 
tout  artiste  exijuis  et  vibrant  jette  une  de  ces  pnges  pal- 
pitantes, coléreuses,  enragées,  où  il  y  a  de  l'agonie  et 


us  HANETTE  SALOMON. 

du  blasphème  de  crucifié;  des  jours  où  il  s'enchante 
à^ns  une  œuvre  qui  lui  fail  mal,  mais  qui  rendra  ce  mal 
qu'il  se  fait  au  public,  des  Jours  oà  il  cherche,  dans  son 
arl,  l'excès  de  la  sensation  péiiible,  l'émolion  de  la  dé- 
sespérance, une  vengeance  de  sa  sensibilité  À  lui  sur 
Id  sensibilité  des  autres...  Goriolis  était  à  un  de  cei 
jours-là. 

Manette  et  Anatole  restèrent  quelques  minutes  sileiH 
cieui,  plantés  là  devant. 

Anatole  finit  par  dire  : 

—  Superbe!  Mais,  qui  diable  a  pa  te  pousser  à  faire 
cela? 

—  Ça  m'est  venu,  —  dit  simplement  Coriolis. 

Au  bout  ie  quelques  jours,  le  bruit  de  ce  tableau  de 
Coriolis  était  le  bruit  de  Paris.  La  curiosilé  des  gens 
d'art  et  des  badauds  s'allumait  sur  cette  luite  étrange  à 
laquelle  les  commérases  de  la  presse,  les  légendes  du 
public,  prêtaient  le  scandale  d'un  Jules  Romain.  L'aie- 
lier  fut  assiégé  pendant  un  mois.  Le  dernier  des  ama- 
teurs fous,  un  grand  marchand  de  blanc,  offril  de  la 
toile  l'urgent  que  Coriolis  eu  voudrait. 

Coriolis  eut  d'aburd  de  ce  succès  une  lueur  de  joie, 
D  voulut  reprendre  son  esquisse.  Il  essaya  d'y  mettre  la 
dernière  main;  mais  sa  lièvre  était  passée  :  il  la  laissa, 
et,  au  bout  de  quelques  jours,  il  la  retourna  dans  un 
coin  contre  le  mur. 


La  «e  miVrtanlB  de  Vart  avait  développé  à  la  longue' 
une  singulière  scnsitiviié  maladive  chez  Coriolis,  Pou 
souffrir,  pour  sp  faire  Tnallieureux,  pour  s'empoisonner 
les  quelques  bonnps  heures  de  sa  vie,  il  se  découvrait 
une  eftrayante  richesse  d'imaginations  anxieuses  et  de 
perceptions  blessantes.  Des  sens  d'une  délicatesse  infiiiia 


MANETTE  SÂLOMOX  é^i 

semblaient  s'ouvrir  chez  lui  et  s'irriter  des  coups  d'épingle 
de  Texistence.  Les  plus  petits  contre-teraps,  les  riens 
fâcheux,  les  ennuis  insignifiants  prenaient,  dans  le  noir 
et  le  mécontentement  de  ses  idées,  les  proportions  dé- 
mesurées, le  grossissement  que  leur  attribuent  trop  sou- 
vent ces  natures  d'êtres  agitées,  frêles  et  violentes,  ces 
ftmes  inquiètes  d'artistes  qu'on  pourrait  appeler  des  Gé* 
nies  en  peine. 

Et  en  même  temps,  il  était  traversé  d'envies,  de  ca- 
prices. U  avait  des  désirs  d'enfant  et  de  malade.  Des 
velléités  soudaines,  des  appétits  lui  venaient  pour  des 
choses  dont  la  possession  lui  donnait  le  dégoût  immédiat. 
Il  entraînait  Anatole  dans  un  restaurant  bizarre  pour 
faire  un  repas  qu'il  avait  rêvé,  et  auquel  il  ne  touchait 
pas.  Il  l'emmenait  dans  de  petits  voyages  de  banlieue, 
dont  il  revenait  furieux,  exaspéré  contre  le  pays,  les 
hôteliers,  le  temps. 

Il  se  levait  avec  des  irritabilités  sans  cause  qui  ne  se 
dissipaient  qu'au  milieu  de  la  journée.  Presque  rien  ne 
l'intéressait  plus,  en  dehors  de  lui-même.  Le  cercle  de 
son  intérêt  se  rétrécissait  chaque  jour.  Les  autres,  peu 
à  peu,  semblaient  disparaître  autour  de  lui.  Il  n'avait 
plus  l'air  de  s'occuper  d'eux,  de  savoir  même  qu'ils  vi- 
vaient, qu'ils  souffraient,  qu'ils  travaillaient,  qu'ils  fai- 
saient quelque  chose.  Il  s'enfonçait,  s'enfermait  dans 
l'étroite  personnalité  de  son  moiy  avec  cette  absorption 
entière,  avec  cet  égolsme  profond  et  absolu,  carré  et 
fésistant,  Tégolsme  de  bronze  du  talent.  Chez  cet  homme 
né  sans  tendresse,  manquant  avec  les  hommes  d'ex- 
pansive  affectuosité,  et  dont  la  surface  d'insensibilité 
avait  été  déjà  remarquée  à  l'atelier,  chez  Langibout,  la 
dureté  finissait  par  se  montrer  dans  une  rudesse  âpre, 
presque  sauvage. 

Et  à  la  dureté  de  sa  nature,  le  peintre  joignait  peu  à 
peu  Tamerlume  dé  sa  carrière.  Dans  le  découragement, 
le  mécontentement  de  ses  œuvres,  avec  un  regard  aiguisé 
par  le  pessimisme,  il  s'était  mis  à  rendre  aux  autres  les 
cruelles  sévérités  qu'il  avait  pour  lui-même.  U  était  la 

90 


3oU  MANETTE  SÂLOMON. 

conseilleur  et  le  jugeur  terrible  qui,  devant  un  tableau, 
ineltail  le  doigt  sur  la  plaie,  jetait  sa  critique  à  Tendroif 
juste,  c  Un  casseur  de  bras  >,  disaient  de  lui  les  atelien 
qui  Tavaient  baptisé  :  Découragateur  II,  en  lui  donnani 
la  seconde  place  après  Chenavard,  Aussi,  presque  peu« 
reusement,  s'écartait-on  de  lui  comme  d'un  confrèrt 
dangereux,  faisant  toucher  les  impossibilités  de  l'art, 
glaçant  l'illusion  et  le  courage,  désespérant  la  toile  com« 
mencée,  capable  de  dégoûter  de  la  peinture  le  peintre  le 
mieux  doué. 

Curiolis,  qui  aimait  un  peu  plus  tous  les  jours  la  soli- 
tude et  ne  voyait  avec  plaisir  que  deux  ou  trois  intimes, 
avait  encore  provoqué  cet  ébignement  par  son  acuité 
d'esprit,  la  teinte  d'ironie  mordante  particulière  aux 
créoles.  Ce  que  le  succès,  des  satisfactions  de  travail  et 
d'amour-propre  avaient  contenu  en  lui  et  arrêté  sur  ses 
lèvres,  maintenant  lui  échappait.  Ses  mépris,  ses  ran- 
cunes, ses  dégoûts,  ses  colères  d'artiste  s'exhalaient  en 
paroles  fielleuses,  en  traits  empoisonnés.  Sur  les  cama- 
rades qu'il  n'aimait  pas,  les  gloires  qu'il  n'estimait 
pas,  un  tableau  à  la  mode,  il  jetait  le  baptême  d'un  ridi- 
cule mortel  dans  des  phrases  qui  mêlaient  la  couleur  de 
la  langue  du  peintre  à  la  barbarie  fme  d'une  observation 
de  femme,  avec  des  mots  qui  ne  se  pardonnaient  pas, 
comme  les  mots  d'Anatole,  mais  qui  restaient  plantés 
au  vif  des  vanités  saignantes. 


CXVIII 


11  n'avait  qu'une  joie,  une  joie  des  yeux  :  son  fils. 
Quand  son  enfant  était  né,  Coriolis  n'avait  pas  senti 
dans  ses  entrailles  cette  révolution  qui  fait  les  pères  el 
qui  semble  ouvrir  un  nouveau  cœur  dans  le  cœur  da 
l'homnïe.  Devant  l'enfant  qui  n'était  qu'un  «  petit  :>,une 
forme  ébauchée,  un  morceau  de  chair  vagissant  et  à 


MANETTE  SALOMOTr  35i 

aemi  moine,  ïl  n'avait  point  senti  la  paternité  tressaillir 
et  remuer  en  lui.  Il  était  resté  froid  à  cette  vie  qui  semble 
continuer  la  vie  fœlale,  à  ces  mouvements  encore  em- 
bryonnaires, à  ce  regard  à  peine  né  des  enfants  dans 
eurs  langes,  à  cette  formation  obscure  et  sommeillante 
ies  premiers  mois  qu'épie  et  surprend  la  tendresse  des 
mères.  Mais  quand  ce  petit  corps  commença  à  se  modeler 
comme  sous  Tébauchoir  de  François  Flamand,  quand 
ces  petits  bras,  ces  petites  jambes  rappelèrent  en 
l'essayant,  le  souvenir  des  lignes  rondissantes  que  Co- 
riolis  avait  vues  à  des  enfants  maures,  quand  cette  figure 
prit,  sous  les  frissons  de  ses  petits  cheveux,  l'expression 
d'un  amour  de  tableau  italien,  quand  la  beauté,  la  beauté 
du  Midi  commença  à  s'y  lever,  sourieuse  et  presque 
déjà  grave,  la  paternité  du  bourgeois  et  de  l'artiste 
s'éveilla  en  même  temps  chez  le  père. 

Son  fils  était  véritablement  un  de  ces  enfants  dont  une 
naïve  expression  populaire  dii  qu'ils  sont  beaux  comme 
le  jour,  un  de  ces  enfants  dont  le  teint,  les  mouvements, 
les  cheveux,  les  yeux,  la  bouche,  ont  Tair  de  s'épanouir 
dans  le  bonheur  et  rinnoccnce  d'une  lumière.  11  avait 
cet(e  douce  petite  peau  qui  rayonne  et  éclaire,  une  peau 
appelant  la  caresse  de  la  main  comme  une  peau  de  petite 
fille.  Ses  petits  cheveux,  frisés  en  toison,  des  cheveux 
de  soie  fine  et  d'or  pâle,  avec  des  clartés  de  poussière 
au  soleil,  se  tortillaient  sur  sa  tête  en  mille  boucles  dont 
l'une  toujours  lui  retombait  sur  le  front.  Autour  de  ses 
yeux,  sur  ses  tempes,  jouaient  des  transparences  de 
nacre.  Son  grand  petit  front  tout  pur,  sans  nuage  et  sans 
pensée,  semblait  plein  du  rien  auquel  rêvent  délicieuse- 
ment les  enfants.  La  tendresse  blonde  de  ses  sourcils  et 
Je  ses  ciî>  fiûsait  paraître  noirs  ses  yeux  bleus,  des  yeux 
i'enfanl  d'Orient,  légèrement  bridés  dessous  et  allongés 
rers  les  coins,  des  yeux  qui,  par  instant,  lui  remplis- 
saient le  visage.  L'ébauche  d'un  nez  arabe  s'apercevait 
ians  son  petit  nez  à  peine  formé.  Sa  bouche,  un  peu  en 
avant,  tendait  les  lèvrçs  d'un  petit  flùtcur  de  Lucca  délia 
Robia;  elle  était  petite  avec  un  rire  large  qui  inondait 


352  NANiTTE  SALOMON. 

Tenfant  de  rire.  Ses  petits  bras  bien  faits,  ronds  et 
pleins,  faisaient  de  jolis  gestes.  Il  remuait  de  la  grâce 
dans  ses  petites  niains. 

Son  père  le  voulait  toujours  à  demi  nu,  velu  seule- 
ment d'une  chemise  et  d*un  collier  de  corail;  et  quand, 
habillé  ainsi,  par  terre,  sur  un  tapis,  le  petit  garçon 
se  roulait,  il  était  adorable  avec  ses  jeux,  ses  câlineries, 
ses  paresses,  les  souplesses  qui  semblaient  lui  venir 
de  sa  mère,  ses  jambes,  ses  épaules,  ses  bras,  ses  petits 
pieds  se  cherchant  pour  s*embrasser,  sa  chair,  sa  peau 
ferme  et  douce  sortant  de  la  blancheur  écourtée  de  la 
toile. 

Personne  ne  lui  faisait  peur  :  il  allait  aux  nouveaux 
venus,  confiant,  les  bras  tendus,  avec  l'avance  d'un 
baiser  dans  la  bouche.  Il  donnait  le  plaisir  d'un  objet 
d'art.  Un  baby  de  Reynolds,  un  petit  Saint  Jean  du  Cor- 
rége,  YEnfarU  à  la  Tortue  de  Decamps,  il  évoquait  à  la 
fois  tous  ces  types  charmants  de  l'enfance  anglaise,  de 
Tenfance  turque,  de  l'enfance  divine. 

Le  soir,  lorsque  sa  mère  l'avait  endormi  en  le  berçant 
une  minute  sur  ses  genoux,  et  que,  glissé  sur  les  cous- 
sins du  divan,  il  dormait,  les  cheveux  ébouriffés,  la 
mine  fleurie  et  bouffie,  dans  une  de  ces  poses  où  se 
petits  bras  lui  faisaient  un  oreiller,  il  semblait  qu'on 
fût  à  côté  du  sommeil  d'un  petit  dieu,  auprès  de  ce  petit 
endormi  qui  avait  la  respiration  du  ciel  dans  la  bouche 
ouverte  et  le  coup  d'aile  des  songes  de  Paradis  sur  ses 
paupières  chatouillées. 


GXIX 


Le  petit  intérieur  n'était  plus  gai,  riant,  vivant,  commi 
autrefois.  Le  froid  de  la  gêne  s'y  glissait,  le  souvenit 
des  jours  heureux,  fous  et  jeunes,  y  semblait  mort  avci 
l'écho  des  bonds  de  Yermillon,  et  le  passé  paraissait  s'i 


MANETTE  SAL0M03t  Z:.: 

effacer  ainsi  qu'une  chose  ancienne  que  la  poussicic 
fait  peu  à  peu  lentement  oublier.  On  sentait  dans  lair 
de  la  maison  et  des  gens  un  commencement  de  déta- 
chement et  de  séparation.  La  vie  commune  du  trio  avait 
perdu  rintimité,  la  confiance;  elle  souffrait  de  ce  pre- 
mier éloignement  des  personnes  qui  se  fait  tout  douce- 
ment, avant  qu'elles  ne  se  quittent.  Manette  avait  des 
mutismes  guindés,  du  sérieux  de  projets  de  femme  sur 
la  figure.  Le  bel  enCant  même  était  sage,  et  ne  mettait 
pas  dans  l'intérieur  le  tapage  de  l'enfance.  Un  malaise 
pesait  sur  les  réunions  ;  Anatole  n'avait  plus  le  courage 
d'être  Anatole.  Son  esprit  était  contraint.  Le  blagueur 
pesait  ses  mots,  retenait  ses  gamineries  et  craignait 
l'effet  d'une  parole  lâchée.  Manette  avait  changé  sa 
familiarité  avec  lui  en  une  politesse  sèche,  coupée  d'al- 
lusions qui  le  renfonçaient,  sous  leur  intimidation,  dam 
le  faux  de  sa  position.  Chacun  se  tenait  sur  la  réserve, 
les  paroles  s'arrêtaient,  des  silences  tombaient,  de  grands 
silences  froids  qui  meUqiient  au-dessus  dès  têtes  la  me- 
nace muette  d'un  grand  changement. 

Souvent  en  eux-mêmes,  à  ces  moments,  Anatole  et 
Coriolis  repassaient  les  jours,  tout  pleins  du  présent 
teul,  où  ils  ne  croyaient  pas  se  quitter.  Ils  comprenaient 
que  c'était  fini,  que  leur  vie  allait  se  modifier  sans  qu'ils 
sussent  pourquoi,  qu'ils  étaient  près  d'un  lendemain 
qui  ne  les  verrait  plus  ensemble;  et  lâches  devant  cette 
idée,  aucun  des  deux  n'osait  la  dire  à  l'autre. 


cxx 


Et  dans  cet  intérieur  attristé  grandissait  le  découra* 
gement  de  Coriolis. 

Il  arrivait  à  ce  navrement  qui  semble  fatalement  cou- 
ronner dans  ce  siècle  la  carrière  et  la  vie  des  grands 
peintres  de  la  vie  moderne.  Il  était  dévoré  de  cette  fièvre 

30. 


r>4  MANETTE  SALOMON 

lie  déception,  de  cette  désolation  intérieure  que  Gros 
appelait  «  la  rage  au  cœur  >.  Il  souffrait  de  la  douleur 
suprême  de  ces  grands  blessés  de  l*art  qui  marchent 
la  fin  de  leur  chemin  en  serrant  dans  leurs  entrailles 
les  blessures  reçues  de  leur  temps.  A  côlé  des  autres, 
au  milieu  de  tant  de  contemporains  qu'il  voyait  comblés, 
gâtés  par  le  public,  lancés  tout  jeunes  à  la  renommée, 
courtises  par  Topinion,  adulés  par  le  succès,  écrasés 
sous  le  viager  de  la  gloire,  le  laurier  de  la  réclanae,  le 
Divo  qu'on  ne  donne  qu'aux  morts,  il  se  sentait  né  sous 
une  de  ces  malheureuses  étoiles  qui  prédestinent  à  la 
lutte  toute  Texislence  d'un  homme,  vouent  son  talent 
à  la  contesta  lion,  ses  œuvres  et  son  nom  à  la  dispute 
d'une  bataille.  L'épreuve  était  faite,  l'illusion  n'était 
plus  possible  :  tant  qu'il  vivrait,  il  était  destiné  à  n'être 
pas  reconnu;  tant  qu'il  vivrait,  il  ne  toucherait  pas  à 
cette  célébrité  qu'il  avait  essayé  de  saisir  avec  tous  ses 
elTorts,  toute  sa  volonté,  qu'il  avait  un  instant  touchée 
avec  ses  espérances. 

Alors  un  infini  de  tristesse  s'ouvrait  devant  Corîolis, 
et  dans  de  sombres  tête-à-tête  avec  lui-même  qui  avaient 
le  découragement  des  mélancolies  suprêmes  que  roulait 
à  la  fin  Géricault,  il  se  laissait  aller  à  un  sentiment 
affreux,  à  une  cruelle  obsession.  Une  idée  noire,  lui 
montrant  l'avenir  de  ses  ambitions  et  de  ses  rêves  au 
delà  de  sa  vie,  tenait  suspendu  l'artiste  sur  la  pensée 
et  presque  le  souhait  de  mourir,  comme  sur  la  promesse 
et  la  tentation  des  justices  de  la  Mort,  des  réparations 
de  cette  Postérité  vengeresse  que  les  vaincus  de  l'art 
attendent,  qu'ils  pressent,  qu'ils  appellent,  —  qu'ils 
hâtent  quelquefois. 


GXXI 

Bientôt  le  tourment  de   ces  heures,  0  eherchaità 
renfoncer  dans  le  travail,  la  lassitude,  le  brisenr/eiit  d'une 


MANETTE  SALOMON.  355 

espèce  d'art  mécanique.  Il  lui  venait  comme  une  manie 
de  Teau-forte  qu'il  avait  apprise  en  en  voyant  faire  à 
Crescent.  L'eau-forte  l'empoignait  avec  son  intérêt,  son 
bsorption  passionnée,  l'oubli  qu'elle  lui  donnait  de  tout, 
du  repas,  du  cigare,  l'espèce  d'effacement  du  temps 
qu'elle  faisait  dans  sa  vie.  Penché  sur  sa  planche,  à  gratter 
le  cuivre,  à  découvrir,  sous  les  tailles  et  les  égratignures, 
l'or  rouge  du  trait  dans  le  vernis  noir,  il  passait  des  jour- 
nées. El  c'était  comme  une  suspension  momentanée  de 
sa  vie,  que  ce  doux  hébétement  cérébral,  cette  espèce 
de  congestion  qu'amenait  en  lui  la  fatigue  des  yeux,  ce 
vide  qu'il  se  sentait  dans  le  cerveau  à  la  place  du  cha- 
grin. 

Au  bout  de  cela,  la  morsuTe,  ce  travail  de  l'acide  qui, 
selon  le  degré,  la  température,  des  lois  inconnues,  une 
chance,  un  hasard,  va  réussir  ou  manquer  la  planche, 
faire  ou  défaire  son  caractère,  creuser  ou  émousser  son 
style,  la  morsure  le  prenait  aux  émotions  de  son  mystère 
et  de  sa  chimie  magique.  Il  était  enlevé  à  lui-même 
quand,  baissé  sur  les  fumées  rousses,  les  bulles  d'air 
crevant  à  la  surface,  il  suivait  dans  l'eau  mordante  les 
changements  du  cuivre,  ses  pâlissements,  les  bouillon- 
nements verts  qui  moussaient  sur  les  traits  de  la  pointe. 
Et  aussitôt  la  planche  dévernie,  essencée,  il  avait  une 
hâle  à  sortir,  et  d'un  pas  affairé  qui  coupait  les  queues 
des  petites  filles  à  la  porte  des  frilurerics,  il  se  dépêchait 
d'arriver,  sa  planche  sous  le  bras,  tout  en  haut  de  la 
rue  Saint-Jacques. 

Là,  au  bout  d'un  jardinet,  dans  une  pièce  pleine 
d'un  jour  blanc,  dont  le  plafond  laissait  pendre  sur  des 
ficelles  des  langes  de  laine  pour  l'impression,  devant  une 
presse  à  grandes  roues,  dans  le  silence  de  l'atelier  ayant 
pour  tout  bruit  l'égouttement  de  l'eau  qui  mouille  le 
papier,  le  basculement  d'une  planche  de  cuivre,  les  pul- 
sations d'un  coucou,  les  coups  de  la  presse  à  satiner 
qa'on  tourne,  il  avait  unô  véritable  anxiété  à  suivre  la 
main  noire  du  tireur  encrant  et  chargeant  sa  planche 
lur  la  boîte,  l'essuyant  avec  la  paume,  la  tamponnant 


MANETTE  SALOMON. 

avec  de  la  gaze,  la  bordant  et  la  margeant  avec  du  blane 
d'Espagne,  la  passant  sous  le  rouleau,  serrant  la  presse, 
tournant  la  roue  et  la  retournant.  Il  était  tout  entier  à  ce 
qui  allait  se  lever  de  là,  à  ce  tour  de  roue,  la  fortune  de 
son  dessin.  L'épreuve  toute  mouillée,  il  l'arrachait  des 
mains  de  l'ouvrier. 

Et  toutes  les  fois,  il  sortait  de  chez  Timprimeur  avec 
une  sorte  de  prostration,  un  épuisement  physique  et 
moral  comparable  à  celui  d'un  joueur  sortant  d'une 
nuit  de  jeu. 


CXXII 


Tous  les  ans,  à  l'époque  où  Coriolis  avait  eu  sa  fluxion 
de  poitrine,  il  retoussait  un  peu;  Télé,  les  chaleurs  de 
juillet  emportaient  ce  rhume.  Mais  celle  année-là,  sa 
toux,  irritée  peut-être  par  les  émanations  de  l'eau-forte 
dans  lesquelles  il  avait  vécu  plusieurs  mois,  persista 
tout  Télé,  ne  disparut  pas,  et  ce  qu'il  fit,  ce  qu'il  se  dé- 
cida à  prendre,  sur  les  instances  de  Manette,  ne  l'en 
débarrassa  pas. 

Aux  premiers  froids  de  la  fin  de  l'automne,  sans  voir 
eacun  danger  dans  son  état,  son  médecin,  défiant,  par 
expérience,  de  la  délicatesse  des  poitrines  de  créole,  lui 
conseilla  de  ne  pas  rester  dans  le  froid  et  l'humidité  de 
Paris,  d'aller  passer  son  hiver  en  Egypte,  dans  quelque 
bon  pays  chaud,  d'où  il  rapporterait,  l'autre  année, 
quelque  pendant  à  son  Bain  turc,  Coriolis  s'emportait 
t  celle  idée  de  voyage,  y  opposait  une  résistance  presque 
colère,  disait  qu*ii  ne  pouvait  quitter  Paris,  que  toutes 
ses  études  étaient  maintenant  là,  qu'il  avait  de  grandes 
choses  en  tête. 

Du  temps  se  passait.  Il  n'éprouvait  pas  de  mieux.  U 
continuait  à  souffrir,  à  ne  pas  pouvoir  travailler.  Souvent, 
il  était  forcé  de  passer  des  journées  an  lit.  Et  dans  les 


MANETTE  SALOMON.  85? 

ioins  qui  penchaient  Manette  sur  son  amant  couché,  dans 
l'intimité,  ce  tête-à-tête  confidentiel,  ce  rapprochement 
de  petits  secrets  que  fait  la  maladie  entre  le  malade  et 
la  femme,  Anatole  sentait  s'échanger  auprès  de  ce  lit 
des  paroles  basses  qui  l'écartaient,  Téloigiiaient  de  son 
ami,  des  conversations  qui  se  taisaient  à  son  approche, 
des  espèces  de  consultations  mystérieuses,  des  signes 
furtifs  de  discrétion,  des  silences  qui  venaient  de  parler 
de  luiy  et  qui  s'en  cachaient. 


CXXIII 


Manette  s'était  levée  de  table  pour  aller  coucher  son 
enfant.  Goriolis  touchait  à  des  objets  sur  la  nappe,  les 
reposait  comme  il  les  avait  pris,  s*)ns  y  penser,  regar- 
dait de  temps  en  temps  Anatole,  et  je  disait  rien. 

Anatole  attendait.  Depuis  plusieurs  jours,  il  se  sentait 
mal  à  Taise  sous  ce  regard  de  Goriolis,  qui  avait  l'air  de 
vouloir  lui  parler  et  de  ne  pas  oser.  II  avait  le  pressenti- 
ment d'une  mauvaise  nouvelle,  dure  à  dire  pour  Goriolis, 
cruelle  à  entendre  pour  lui-même. 

Tout  à  coup  Goriolis  fil  un  de  ces  gestes  brusques  et 
décidés  avec  lesquels  on  ramasse  son  courage,  et  d'une 
voix  qui  se  pressait  pour  en  finir  plus  tôt  : 

—  Ma  foi,  mon  vieux,  voilà  huit  jours  que  ça  me 
pèse...  Je  me  lève  tous  les  matins  en  me  disant  :  Je  lui 
dirai  aujourd'hui...  Et  puis,  c'est  plus  fort  que  moi... 
Quand  je  suis  pour  te  le  dire,  ça  ne  passe  pas,  ça  reste 
là...  c'est  que  ça  me  coûte,  vrai...  Enfin,  je  quitte  Paris, 
voilà... 

—  Tu  quittes  Paris,  toi?  — fit  Anatole  tout  abasouri 
sous  le  coup. 

—  Ah  !  parbleu,  —  reprit  Goriolis,  —  si  nous  n'étiom 
pas  tant  de  monde...  l'enfant,  deux  domestiques...  je 
t'aurais  bien  emmené,  tu  comprends.  •• 


3ii8  MANETTE  SÀLOAION. 

—  Complet!...  oui,  je  comprends...  La  plaque  esi 
relevée  comme  dans  les  omnibus...  C'est  vrai  qu'on  ne 
peut  pas  me  prendre  sur  les  genouï,  j'ai  passé  l'âge... 
—  répondit  Anatole  sur  un  ton  de  bouffonnerie 
presque  amère.  Puis,  s'arrêtant  et  mettant  son  ami- 
tic  dans  sa  voix  :  —  Est-ce  que  tu  te  sens  plus  souf- 
frant? 

—  Oui  et  non...  C'esl-à-dire  que  certainement,  de- 
puis quelque  temps,  cane  va  pas  comme  je  veux...  Maïs 
ce  n'est  pas  ça...  Au  fond,  vois-tu,  il  y  a  un  grand  em- 
bêtement dans  mon  affaire...  Je  ne  sais  pas  où  j'en  suis 
de  ma  carrière,  de  mon  talent,  de  ma  peinture...  Va,  ça 
vaut  une  maladie,  et  c'en  est  une,  je  l'en  réponds  :  on 
souffre  assez...  Je  croyais  avoir  trouvé  le  moderne...  A 
présent,  je  n'y  vois  plus  ce  que  j'y  voyais...  et  peut-être 
que  ça  n'y  est  pas...  J'ai  besoin  de  repos,  de  recueille- 
ment... Ça  me  tue,  cette  maudite  température  de  fièvre 
de  Paris...  Je  resterai  un  an...  Nous  allons  à  Montpel- 
lier... C'est  Manette  qui  a  eu  cette  idée-là...  Je  t'assure, 
c'est  une  bonne  idée...  La  pauvre  fille!  c'est  du  dévoue- 
ment, car  la  vie  ne  sera  pas  bien  amusante  pour  elle... 
Si  j'étais  plus  soufïrant,  il  y  a  là  de  bons  médecins...  Et 
puis,  il  y  a  tout  près,  entre  Montpellier  et  la  mer,  la 
Camargue,  où  je  veux  faire  des  études...  Oh!  ça  me  fera 
beaucoup  de  bien...  Je  voulais  te  prévenir  plus  tôt... 
Mais  Manette  n'a  pas  voulu  que  je  t'en  parle  avant... 
parce  que  si  cela  ne  s'était  pas  fait,  ce  n'était  pas' la 
peine  de  te  faire  cet  ennui-là  pour  rien...  Et  puis,  nous 
n'avons  été  tout  à  fait  décidés  que  ces  jours-ci...  C'est 
égal,  mon  vieux,  quand  on  a  vécu  ensemble  comme 
nous,  on  ne  se  quitte  pas  comme  on  plie  ça! 

Et  Goriolis  jeta  sa  serviette  sur  la  table. 

--  Enfin,  je  ne  pars  pas  pour  la  Chine...  Et  quand  je 
reviendrai,  rien  ne  nous  empêchera  de  recommencer 
CCS  si  bonnes  années-là,  n'est-ce  pas? 

Et  disant  cela,  il  sentait  bien  que  leur  vie  à  deui 
était  à  jamais  finie,  et  que  c'était  un  dernier  adieu  qu'il 
faisait  ce  soir-là  à  la  grande  amitié  de  sa  vie 


MANETTE  SALOMON.  359 

—  Maïs,  —  reprit-il,  —  je  ne  puis  te  laisser  comme 
i^  sur  le  pavé...  sans  un  sou... 

—  Ohl  j'ai  ma  chambre...  j'ai  le  temps  de  me  re^ 
courner... 

—  C'est  que  je  vais  te  dire...  —  fit  Coriolîs  d'un  ton 
embarrassé.,  —  nous  avions,  tu  sais,  encore  une  année 
de  bail...  Eh  bien!  Manette  a  trouvé  moyen  de  relouer... 
Elle  a  tout  arrangé...  Il  y  a  un  marchand  qui  doit  venii 
prendre  les  meubles...  Par  exemple,  tu  sais,  les  liens... 
ceux  de  ta  chambre...  tu  me  feras  plaisir  de  les  garder... 
Oui,  je  me  remeublerai...  Nous  renvoyons  aussi  les 
domestiques...  Manette  a  trouvé  des  parentes  qui  ne  sont 
pas  heureuses,  des  cousines  à  elle...  Nous  serons  cent 
fois  mieux  servis...  Mais  voyons,  ce  n'est  pas  tout  cela, 
qu'est-ce  qu'il  te  faut? 

—  Rien,  —  dit  en  relevant  la  tête  Anatole,  blessé 
d'être  ainsi  chassé  par  la  femme  à  peu  près  de  la  même 
façon  que  les  domestiques  étaient  renvoyés.  —  Merci... 
J'ai  encore  les  cinq  cents  francs  que  tu  m*as  fait  gagner, 
le  mois  dernier,  pour  le  plafond  de  cet  imbécile... 

Le  mensonge  était  héroïque  :  les  cinq  cents  francs 
avaient  roulé  dans  ce  grand  trou  de  toutes  les  petites 
dettes  d'Anatole,  qui  semblait  se  creuser  sous  tous  les 
à  comptes  qu'il  y  jetait. 

— ■  Bien  vrai?  —  fit  Goriolis  soulagé,  débarrassé  de 
ridée  d'une  lutte  à  soutenir  avec  Manette.  —  Ah!  dis 
donc,  tu  sais,  si  tu  avais  des  moments  durs,  si  tu  étais 
brûlé  au  Spectre  solaire^  tu  peux  tout  prendre  chez 
Desforges  sur  mon  compte,  je  l'ai  prévenu...  Voyons, 
qu'est-ce  que  tu  vas  (iiire? 

.  —  Je  ne  suis  pas  encore  mort  de  faiin...  Je  vais 
(ftcher  que  ça  continue... 

—  Tiens,  je  me  fais  des  reproches  de  t'avoir  laissé 
paresser...  j'aurais  dû  te  faire  travailler...  Mais  tu  me 
Cûsais  tant  rire,  que  je  n'ai  jamais  eu  le  courage... 

—  Et  quand  partez-vous? —  demanda  Anatole  eu 
l'interrompant. 

—  Samedi...  ou  lundi...  Et  où  en  es  ^  avec  ta  mère? 


mO  MANETTE  SALOMON. 

—  Ah!  je  t'ea  prie,  pas  d'atlendrisseinent...  Voilà 
que  nous  allons  nous  quiller,  ça  suffit...  parlons  d'autre 
chose. 

Et  Tun  et  l'autre  se  lurent.  Leur  émotion  les  gênait 
tous  deux.  Anatole  avait  pris  au  hasard  un  album  sur 
lue  table  et  le  feuilletait. 

—  D'où  est-ce,  ça,  dis  donc?  —  demanda-t-il  k 
Eoriolis  pour  rompre  le  silence  en  lui  montrant  un  cro- 
{uis. 

—  Ça?...  Ah!  c'est  de  mon  voyage  à  Bourbon... 
juand  j'y  ai  été,  tu  sais,  avant  mon  retour  d'Orient... 

Et  comme  si,  à  cet  instant  de  séparation  et  de  cama- 
raderie brisée,  il  voulait  ressaisir  son  cœur  dans  le 
passé,  Coriolis  se  mit  à  raconter  à  Anatole  ce  qui  lui 
était  arrivé  là-bas,  aux  colonies,  avec  des  paroles  qui 
s'arrêtaient  et  s'attardaient  aux  choses,  des  mots  d'où 
semblait  tomber  le  souvenir  un  moment  suspendu. 

Sur  le  bâtiment  de  Sue?,  il  avait  rencontré  une  jeune 
fille.  —  Figure-toi...  elle  écrivait  un  journal  sur  les 
bandes  de  papier  de  sa  broderie...  et  elle  attachait  cela 
à  la  patte  des  oiseaux  fatigues  qui  venaient  se  reposer 
sur  le  bateau...  C'était  si  joli,  cette  idée-là,  vois-tu... 
ces  pensées  de  jeune  fille,  emportées  par  une  aile  d'oi- 
seau, jetées  de  la  mer  à  la  terre,  et  qui  devaient  tomber 
quelque  part  comme  du  ciel,  comme  une  lettre  d'ange  !..• 
Tu  sais,  on  ne  sait  pas  comment  on  devient  amoureux... 
Je  fus  très-bien  reçu  dans  la  famille...  Elle  avait  une 
grande  fortune...  Mais  il  y  avait  une  habitation...  Il 
fallait  mettre  sa  vie  là,  tout  laisser,  renoncer  à  la  pein- 
ture... et  je  dis  non. 

—  Et  ça  finit  ainsi? 

—  A  peu  près...  Seulement,  en  me  reconduisant  au 
bateau,  quand  je  partis,  la  nourrice  de  la  jeune  per- 
sonne, qui  m'avait  pris  en  adoration,  me  donna  un  petit 
l&c  de  farine  de  manioc  qu'elle  savait  que  j'aimais  beau- 
loup...  Tous  les  passagers  à  qui  j'en  offris  furent  em- 
poisonnés... un  peu  moins,  heureusement,  que  je  ne 
devais  l'être  à  moi  toot  geol...  C'est  égal,  —  reprit 


MANETTE  SÂLOMOIN.  361 

Coriolis  d'un  ton  moitié  ironique,  moitié  aérieux,  — il 
n'y  a  pas  de  dévouement  de  domestique  comme  ceux-là 
Jans  notre  Europe... 

Et  se  taisant,  il  sembla  s'enfoncer  dans  un  retour  sur 
lui-même  où  Anatole  crut  apercevoir  le  premier  regret 
de  l'amant  de  Manette. 


CXXIV 


—  Mère  Capitaine,  auriez-vous  un  endroit  à  m'indi-- 
quer  pour  coucher  pendant  quelques  jours? 

Anatole  disait  cela  à  la  maîtresse  d*un  petit  bistingo 
transféré  de  la  rue  du  Petit-Musc  au  quai  de  la  Tour- 
aelle,  et  qu'il  avait  décoré,  dans  le  temps,  de  fresques 
épisodiques  de  la  guerre  d'Afrique  et  d'exploits  de 
zouaves.  Depuis  ce  travail,  il  ne  passait  guère  devant  le 
cabaret  sans  y  entrer,  y  prendre  une  consommation  el 
causer  avec  la  mère  Capitaine. 

—  Ah!  bien,  tiens,  j'ai  justement  ton  affaire,  —  fil 
madame  Capitaine,  —  y  a  Champion,  un  honnête  garçon 
qui  vient  ici,  que  tu  le  connais  bien,  que  tu  as  bu  avec 
lui,  qu'il  a  une  grande  chambre,  que  ça  lui  ira  comme 
un  gant  de  t'en  céder  la  moitié...  C'est  son  heure,  il  vi 
venir... 

Un  sergent  de  ville  parut,  et  après  quelques  mots  de 
madame  Capitaine,  il  alla  à  Anatole,  lui  dit  que  c'était 
une  affaire  faite,  qu'il  pouvait  venir  le  soir  même  prendre 
l'air  du  c  bazar  j»,  qu'il  emménagerait  son  biblot  le  len- 
demain. Et  s'attablant  en  face  d'Anatole,  il  se  mit  à 
boire  avec  lui. 

C'est  ainsi  qu'en  dix  minutes,  Anatole  se  trouva  le 
locataire  d'une  moitié  de  chambre  inconnue,  dans  une 
maison  dont  il  ignorait  jusquau  quartier,  et  le  com- 
pagnon de  chambrée  d'un  individu  dont  il  ne  s'étail 
même  plus  rappelé  au  premier  moment  Tétat  de  ser- 
gent de  ville. 

Il 


96t  MANETTE  SALOMON 

A  minuit,  les  deux  hommes  passèrent  les  ponts, 
allèrent  vers  i'ilôlei  de  ville,  arrivèrent  à  une  petite  rue 
derrière  Saint-Gervais,  où,  dans  le  fond  d'un  marchand 
de  vin,  résonnait  la  musique  nasillarde  d*une  vielle,  avec 
l'accompagnement  de  la  bourrée  qu'elle  jouait,  scandé 
par  des  sabots.  Là,  à  une  petite  allée  noire,  n'ayant  que 
le  filet  blafard  du  gaz  sur  l'eau  du  ruisseau  qui  en  sortait, 
ils  entrèrent.  Le  sergent  -de  ville  alluma  une  allumette 
contre  le  mur;  et  ils  se  trouvèrent  dans  l'escalier, 
un  escalier  de  briques  sur  champ,  aux  arêtes  de 
bois. 

—  Bigre  I  —  fil  Anatole,  —  ce  n'est  pas  l'escaUer  da 
Louvre... 

Et  il  monta. 

Couché,  il  dormit  avec  l'admirable  don  qu'il  avait  de 
dormir  partout,  et  aux  côtés  de  n'importe  qui. 

—  Hein?  qu'est-ce  qu'il  y  a?  —  fit-il  à  cinq  heures  du 
matin,  en  s'éveillant  au  bruit  de  la  maison.  —  Qu'est-ce 
que  c'est?  Est  ce  qu'il  y  a  des  éléphants  ici? 

—  Ça?  —  fit  Champion  négligemment.  — Ah!  j'avais 
oublié  de  vous  dire....  C'est  une  maison  de  maçons,  ici. 
Au  jour,  ils  dégringolent...  11  y  a  trois  départs  tous  les 
matins... 

Au  bruit  des  souliers  des  maçons  se  mêlait  le  bruit 
du  bois  qu'on  sciait,  des  bûches  qui  tombaient,  du  feu 
qu'on  soufflait  pour  la  soupe. 

—  Oh!  on  s'y  fait,  — reprit  Champion,  —  demam 
vous  n'entendrez  plus  rien.  Moi,  il  faut  que  je  file... 

Son  camarade  parti,  le  jour  venu,  Anatole  regarda  sa 
chambre,  et  quelque  habitué  qu'il  fût  à  tous  les  logis, 
le  lieu  lui  fit  un  petit  froid.  Du  carrelage  sur  la  terre 
battue,  il  ne  restait  plus  que  trois  carreaux.  La  fenêtre 
était  à  guillotine  et  donnait  sur  un  mur  interminable 
qui  montait  à  dix  pieds  devant.  Au  mur,  uu  papier  dont 
il  était  impossible  de  discerner  la  couleur,  avait  été  ar- 
raché contre  le  lit,  à  cause  des  punaises,  et  remplacé 
par  une  grande  tache  blanche  faite  à  la  chaux.  Là-dedans 
tombait  un  jour  de  cave  avec  toutes  ses  tristesses,  ce 


MANETTE  SÀLOJyiON.  363 

qu*on  appelle  si  bien  (c  un  jour  de  soumance  »,  un^ 
lueur  où  il  n'y  avait  que  la  pauvreté  du  jour. 


cxxv 

A  dix  heureSyil  descendit  pour  découvrir  un  gargot,et 
tomba  dans  la  rue,  une  rue  étroite  aux  petits  pavés,  où 
îl4rouva  des  bornillons  resserrant  des  entrées  d'allées, 
le  ruisseau  libre  lavant  le  pied  des  constructions  en  sur- 
plomb sur  des  rez-de-chaussées-noirs  et  pleins  de  trous 
d'ombre.  Il  regarda  ces  maisons  de  moyen  âge  s'écarlant 
en  haut  pour  voir  un  peu  de  ciel,  les  bâlisses  rapiécées 
par  trois  ou  quatre  siècles  et  laissant,  sous  leur  plâtre 
d'hier,  repercer  les  saletés  de  leur  vieillesse,  des  croisil- 
lons voilés  d'un  morceau  de  calicot,  de  grandes  fenêtres 
aux  petits  carreaux  verdâtres  faisant  paraître  tout  hâves 
les  enfants  collés  derrière,  des  appuis  de  bois  où  séchaient 
pendus  des  pantalons  de  toile  bleue.  De  temps  en  temps, 
de  petites  filles  allaient  avec  le  bruit  de  sabots  de  ce 
quartier  sans  souliers.  La  cage  d'un  perruquier,  qui  fait 
tous  les  dimanches  la  barbe  aux  maçons,  était  accrochée 
en  dehors  de  la  boutique  sur  le  mur,  et  rappelait,  avec 
ses  deux  serins,  une  vieille  rue  abandonnée  de  province 
derrière  un  évêché.  Au  fond  d'une  petite  cour,  il  vit 
comme  un  reste  des  journées  de  Juin  dans  un  enfant 
îui  faisait  l'exercice  avec  un  morceau  de  ferraille,  coitfé 
d'un  shako  de  militaire  ramassé  dans  du  sang. 

Ce  pittoresque  intéressa  Anatole,  qui  aimait  le  carac- 
tère de  la  misère,  les  curiosités  des  recoins  pauvres  de 
Paris,  et  dont  la  badauderie  allait  instinctivement  aux 
quartiers,  aux  habitudes,  à  la  vie  du  peuple.  Il  s'amusa 
ï  se  reconnaître  ;  il  alla  le  long  des  rez-de-chaussée  où 
toutes  sortes  d'industries  pour  les  pauvres  étaient  ca- 
chées et  enfouies  :  il  y  avait  des  teintureries  pour  deuil, 
des  boutiaues  de  modes  aux  volets  desquelles  étaient 


m  MANETTE  SALOMON. 

accrochés  des  gueux  en  terre,  des  revendeurs  à  Ten- 
leigne  faite  d'unsaq  d'où  s'ébourifTalt  delà  laine  à  mate- 
ios,  des  étalages  de  fleurs  sous  globe,  de  vieilles  cages, 
de  vieux  lits  de  sangle,  de  vieilles  lanternes  de  voiture, 
toutes  sortes  de  friperies  flétries  et  pourries  coulant  au 
ruisseau  comme  un  fumier  de  brocantage.  C'était  des 
boutiques  de  taillandiers,  à  la  ^orge  allumée,  des  fabri- 
cants d'auges  et  d'outils  de  maçops,  des  boutiques  de 
confection  pour  les  hommes  d'ouvrage,  sur  lesquelles  était 
écrit  en  gros  caractères  :  Blouses,  Barreaux,  HabiHe- 
ments  de  fatigue.  A  côté  d'un  bureau  de  garçons  mar- 
chands de  vin,  Anatole  lut  une  annonce  à  moitié  effacée  de 
€  repassage  de  chapeaux  à  cinq  sous  ]»  ;  et  il  s'arrêta  av 
coin  de  la  rue  à  de  vieilles  affiches  de  quête  à  domicile 
pour  le  bureau  de  bienfaisance  de  cet  arrondissemeni 
chargé  de  dix-huit  mille  indigents. 

Il  trouva  de  grandes  distractions  dans  cette  explora* 
lion.  Ce  qui  eût  rendu  triste  un  autre,  l'amusait  presque, 
Il  était  là  en  pleine  misère,  et  se  sentait  à  l'aise.  Sot 
premier  sentiment  de  découragement,  de  mélancolie  du 
matin,  avait  disparu.  Il  ne  se  trouvait  plus  ni  dépaysé  ni 
désolé.  Plus  il  allait,  plus  ce  milieu  lui  paraissait  sympa- 
thique, Il  se  voyait,  dans  cette  rue,  libre,  débarrassé  de 
tout  respect  humain,  mêlé  à  des  travailleurs  n'ayant 
guère  plus  d'argent  devant  eux  qu'il  n'en  avait  lui-même. 
Il  fit  encore  deux  ou  trois  tours  dans  les  rues  envi- 
ronnantes, et  devint  décidément  enchanté  du  quar< 
tier. 

A  côté  de  sa  maison  était  une  crémerie  qui  portait 
écrit  sur  des  pancartes  :  Œufs  sur  le  plat,  Bœuf  ei 
Bouilli  à  emporter.  Il  entra,  se  mît  à  une  table  sani 
nappe,  arrosa  son  déjeuner  d'un  petit  «  noir  »  à  dix 
centimes;  et  quand  il  eut  fini,  il  laissa  aller  sa  pensée  i 
une  suite  de  réflexions  consolantes,  d'idées  tranquilles, 
satisfaites,  heureuses,  au  milieu  desquelles  tombaili 
sans  les  troubler,  le  bruit  des  morceaux  de  vitre  jetés 
dans  une  charrette  devant  un  marchand  de  verre  cassé 
àe  la  rue  Jacques-de-Brosse. 


HAHETTE  S&LOMOM 


Le  jour  même,  il  emménageait  son  petit  mobilier  dam 
ia  chambre  du  sergent  de  ville. 


Celte  vie  qui  devait  durer  dans  les  idées  d'Anatole 
quinze  jours,  un  mois  au  plus,  se  laissait  bientôt  cuuler, 
sans  compter  le  temps,  dans  cette  singulière  cumniu- 
naulé  avec  un  sergent  de 'ville. 

Champion  était  un  ancien  gendarme,  revonii  de 
Cayeime,  jaune  comme  un  coing.  Il  avait  des  hî^'loires 
de  patrouilles  dans  les  furets  vierges,  de  phènoiLiènes 
météo  roi  o;;iques,  de  requins,  de  serpents,  de  FlmiiveS" 
souris  vampires,  de  curiosités  d'histoire  Qaturelk',  loulei 
sortes  de  récits  embellis  d'imaginations  de  chamltr.'e  el 
de  légendes  de  gendarmerie  coloniale,  qu'il  contait  la 
soir  de  son  lit,  à  Anatole,  avec  les  rra  el  la  vibi-aliou 
tambourinante  du  troupier,  A  ce  fond  si  intéressant  da 
causerie,  te  sergent  de  ville  ajoutait  et  mêlait  le  narré 
détaillé  des  arrestations  galantes  qu'il  opérait  ::liaque 
soir;  car,  en  attendant  son  passage  à  la  Surveillance, 
Champion  se  trouvait  être  préposé  auï  mœurs.  Une  seule 
chose  l'embarrassait  :  ses  rapports.  Anatole  s'en  clhirgea, 
les  libella,  j  mit,  avec  son  esprit  de  farceur,  l'ortho- 
graphe et  le  style  d'un  ami  de  la  morale  ;  el  les  rapports 
d'ÂnaloIe  eurent  un  tel  succès  à  la  Préfecture  de  police 
que  Champion  fui  sur  le  point  de  passer  brigadier. 

Champion  élail  demeuré,  dans  l'exercice  de  ses  déli- 
cates et  sévères  fonctions,  un  vrai  militaire  français, 
f  L'honneur  et  les  dames  >,  —  il  pratiquait  la  devise 
nationale.  Il  respectait  le  sexe  dans  le  malheur.  Il  avait 
la  des  romans  sentimentaux,  portait  une  bague  en  che- 
veux. Aussi  avait-il,  avec  ses  subordonnées,  des  Tonnes, 
des  manières,  des  indulgences  même  qui  lui  fui.^iiicnt 
parfois  fermer  l'œil  sur  une  contravention.  De  là  sou\eiil 


366  MANETTE  SâLOMON, 

lui  venaient  des  visites  de  retnercîment,  la  reconnais- 
sance d'une  femme  qui  lui  apportait  timidement  ua 
bouquet  et  mettait  le  bruit  des  volants  de  sa  robe  de 
soie  dans  la  misérable  pauvre  petite  chambre  des  deux 
hommes. 

Alors,  c'était  cheç  Anatole  une  prodigieuse  comédie 
d'amabilité,  de  galanterie,  d'ironie,  une  dépense  de  ses 
bouffonneries  économisées.  Il  faisait  des  ronds  de  bras 
de  maître  de  danse  pour  mener  la  visiteuse  au  divan  — 
qui  était  le  lit.  Il  lui  mettait,  avec  le  geste  de  Raleigh, 
un  vieux  pantalon  sous  les  pieds.  Il  lui  demandait  par- 
don de  la  recevoir  dans  ce  petit  intérieur  de  garçon  :  on 
était  en  train  de  le  meubler,  le  tapissier  n'en  finissait 
pas  de  poser  ses  glaces  Louis  XV...  Il  pirouettait,  il  était 
Lauzun,  Richelieu,  talon  rouge.  Il  tirait  un  papier  de  sa 
poche,  disait  :  —  Encore,  une  invitation  de  la  du- 
chesse!... Il  époussetait  ses  souliers,  criait  :  —  Jean! 
je  vous  chasse!...  Madame,  il  n'y  a  plus  de  domesti- 
qucîs...  Voilà  où  mènent  les  révolutions!...  Il  madriga- 
lisait  avec  la  femme,  l'ahurissait,  Tétourdissait,  lui  faisait 
passer  dans  la  tête  la  confuse  idée  d'avoir  affaire  à  un 
gentilhomme  toqué  dans  la  débine. 

Et  s'il  y  avait  quelques  sous  ce  jour-là  au  logis,  on 
terminait  la  petite  fête  en  faisant  monter  du  vin  blanc 
et  des  huîtres. 


CXXVII 


Ce  compagnonnage  de  nuit  et  de  jour  avec  ce  nouvel 
ami,  des  repas  pris  aux  gargots  où  mangeait  Champion, 
les  soirées  passées  dans  les  cafés  où  ilallail,  ne  tar- 
daient pas  à  faire  d'Anatole,  si  prompt  à  accrocher  sa 
vie  à  la  vie,  aux  liaisons,  aux  habitudes  des  autres,  le 
camarade  de  tous  les  camarades  du  sergent  de  ville, 
ane  connaissance  de  toutes  ses  connaissances,  des  gardes 


MANETTE  SALOMON.  367 

de  Paris,  des  pompiers  fréquentant  les  mêmes  endroits 
que  lui.  Tout  monde  nouveau  où  pouvait  s'amuser  sa 
légèreté  d'observation  était  toujours  attirant,  intéressant 
pour  Anatole.  Entré  dans  celui-là,  il  le  trouva  tout  à  fait 
cordial  et  charmant.  Il  fut  séduit  par  la  rondeur,  la 
bonne-enfance  militaire  qu'il  y  trouvait,  la  franchise  de 
Tentrain  et  le  gros  de  ces  ridicules  épais  et  martiaux 
d'où  il  tira  une  militariana  avec  laquelle  il  faisait  rire 
ses  victimes  jusqu'aux  larmes.  Car  là,  dans  ce  monde 
fort,  il  désarmait  par  sa  faiblesse.  Ses  auditeurs  lui 
pardonnaient  tout,  et  jusqu'aux  blagues  des  récits  de 
bataille,  avec  une  indulgence  d'hommes  pardonnant  à 
un  gamin.  Et  puis,  il  les  amusait,  fouettait  leur  gaieté 
avec  des  charges  à  leur  portée,  faisait  leurs  caricatures, 
des  portraits  poétiques  et  penchés  de  leurs  épouses. 
Pour  les  bals  de  corps  donnés  à  la  fête  de  l'empereur,  il 
fabriquait  des  transparents  gratis.  On  le  connaissait,  on 
l'aimait,  on  le  traitait  dans  les  casernes  comme  un 
grand  enfant  de  troupe  du  régiment  :  il  avait  l'œil  à  la 
cantine. 

Mais  c'était  surtout  avec  les  pompiers  qu'il  était  lié  et 
que  ses  relations  devenaient  intimes.  Son  goût  de  gym- 
nastique l'avait  porté  vers  eux,  il  prenait  part  à  leurs 
exercices,  et  retrouvant  son  élasticité,  sa  souplesse  de  jeu- 
nesse, il  luttait  avec  eux,  faisait  le  cheval ^  les  barres  pa- 
rallèles^ la  poutre,  les  guirlandeSy  la  corde  à  nœuds,  Vé- 
cheUe  vacillante.  Et  il  n'était  pas  le  moins  agile  dans  ces 
courses  au  chat  coupé  de  la  caserne  des  Célestins,  ou  la 
partie  de  jeu  des  pompiers,  s'élançant  de  la  cour,  sautant 
après  les  murs,  bondissait  de  toit  en  toit  sur  les  maisons 
du  voisinage,  et  finissait  par  mettre  le  lendemain  deux  ou 
trois  éctoppés  à  l'infirmerie. 


J 


MANETTE  SÂLOMOR.  ^ 


CXXVIU 

Anatole  présentait  le  curieux  phénomène  psychologique 
f  un  homme  qui  n'a  pas  la  possession  de  son  individua- 
lité, d'un  homme  qui  n'éprouve  pas  le  besoin  d'une  vie  à 
part,  de  sa  vie  à  lui,  d'un  homme  qui  a  pour  goût  et  pour 
instinct  d'attacher  son  existence  à  l'existence  des  autres 
par  une  sorte  de  parasitisme  naturel.  Il  allait,  par  un  en- 
traînement de  son  tempérament,  à  tous  les  rassemble- 
ments, à  toutes  les  agréijations,  à  tous  les  enrégimente^ 
monts,  qui  mêlent  et  fondent  dans  le  tout  à  tous  l'iniliative, 
h  liberté,  la  personne  de  chacun.  Ce  qui  l'attirait,  ce  qu'il 
aimait,  c'était  le  Café,  la  Caserne,  le  Phalanstère.  Resté 
Son,  offrant  l'admirable  exemple  d'un  pauvre  diable  pur 
de  toute  haine  et  de  toute  amertume,  encore  plein  d'u- 
topies, quand  il  bâtissait  du  bonheur  pour  toute  l'huma- 
nité, c'était  ce  bonlieur-là  qu'il  lui  souhaitait,  qu'il  lui 
?oyait,  un  bonheur  de  communauté,  la  félicité  de  table 
d'hôte,  le  paradis  à  la  gamelle  que  rêvent,  pour  eux  et  les 
autres,  les  gens  roulés  dans  la  misère  d'une  grande  ville 
at  se  sentant  à  peine,  comme  dans  une  foule,  une  exis- 
tence, des  mouvements,  un  corps  à  eux.  Aussi,  de  ce 
compagnonnage  avec  les  pompiers,  de  sa  vie  avec  eux, 
presque  liée  à  leur  règle,  à  leur  ordre  du  jour,  amusée 
de  leurs  récréations,  de  leurs  plaisirs,  buvant  à  leur  table, 
emboîtant  leur  pas,  il  tirait  une  espèce  de  satisfaction,  de 
bien-être  difficile  à  exprimer,  une  sorte  d'allégement,  de 
libération  de  lui-même,  comme  s'il  faisait  à  moitié  partie 
de  la  caserne,  et  comme  s'il  avait  mis  un  peu  de  sa  per- 
sonne à  la  masse. 

Une  autre  heureuse  disposition  d'esprit  avait  encore 
«ntribué  à  lui  faire  tolérer  cette  vie  qu'un  autre  eût  été 
ytïer  à  la  Seine  coulant  si  près  de  là.  Il  était  soutenu  par 
fit  grâce  que  la  Providence  fait  aux  malheureux  :  il  avait 
m  suprême  point  le  sens  de  Yinvrài.  Une  prodigieuse 


MANETTE  SALOMON.  369 

imagination  du  faux  le  sauvait  de  Texpérience,  lui  gardait 
raveuglemenl  et  Tenfance  de  l'espérance,  des  illusions 
entêtées  que  rien  ne  tuait,  des  crédulités  idiotes  et  qui  le 
berçaient  toujours,  une  confiance  enragée  qui  lui  ôtait  la 
prévision  de  tous  les  accidents  de  la  vie ,  et  ne  faisail 
tomber  sur  lui  quele  coup  inattendu  des  malheurs.  Il  se 
fiait  à  tout  et  à  tous,  ne  pensait  jamais  le  mal.  Les  plus 
horribles  figures,  avec  lesquelles  le  hasard  le  faisait  ren- 
contrer, lui  apparaissaient  comme  des  visages  de  braves 
gens.  Il  voyait  une^afTaire  faite  dans  une  parole  en  Tair. 
Les  chances  les  plus  impossibles,  des  miracles  de  salut, 
il  les  attendait  (\e  pied  ferme.  Et  dans  sa  tête,  où  des 
restes  d'ivresse  flottaient  sur  des  mirages  de  commandes, 
c'étaient  des  échafaudages  de  forlune,  des  emmanche- 
ments de  hasards,  des  enfilades  de  travaux,  des  connais- 
sances de  grands  personnages,  des  rêves  à  la  piste  de 
millionnaires  offrant  des  sommes  fabuleuses  de  son  trans- 
parent des  pompiers,  et  dont  il  allait  chercher  le  nom  et 
1  adresse  dans  des  endroits  incroyables,  chez  des  min^ 
zingues  de  la  rue  Saint-Hilaire,  à  la  Bourse  des  marchands 
d'habits!  Et  en  tout,  il  poussait  si  loin  le  sens  du  faux, 
l'absence  du  flair  des  choses  et  des  gens,  qu'entre  plu- 
sieurs travaux  qui  s'offraient  à  lui,  il  choisissait  toujours 
celui  dont  il  ne  devait  pas  être  payé.  Ce  méco»jfiDte,  du 
reste,  ne  le  fâchait  pas;  ilsemellaitàla  place  de  l'homme 
qui  lui  devait,  liai  i»^^»-»a  ^Ah^  excuses,  et  en  faisait  son 
ami. 

Il  arrivait  que,  sauvé  du  désespoir  par  toutes  ces  res- 
sources de  caractère,  par  cette  vie  où  le  frottement  con* 
(inuel  des  autres  le  soulageait  de  lui-même,  Anatole  trou- 
vait dans  la  misère  les  coudées  franches  de  sa  nature,  la 
libre  expansion,  l'occasion  de  développement  de  goûts 
inavoués  qui  portaient  ses  familiarités  et  seg  amitiés  vers 
les  inférieurs.  Il  y  avait  pour  lui  le  plaisir  d'un  épanouis- 
sement sans  gêne  dans  les  fraternités  à  brûle-pourpoint, 
les  amitiés  improvisées  sur  le  comptoir,  les  tutoiements 
au  petit  verre.  Doucement,  et  sans  y  résister,  dans  ces 
milieux  d'abaissement,  il  s'abandonnait  à  cette  pente  de 


370  MANETTE  SALOMON. 

beaucoup  d'hommes  élevés  bourgeoisement,  et  qui,  par 
leurs  préférences  de  sociétés,  leurs  relations,  leurs  lieur 
de  rendez-vous,  descendent  peu  à  peu  au  peuple,  se  trem- 
pent à  ses  habitudes,  s'y  oublient  et  s'y  perdent.  Lui  aussi» 
était  de  ceux  qui  semblent  tirés  en  bas  par  des  attaches- 
d'orîgine,  de  ceux  qui  tombent  à  Tabsinthe  chez  le  mar» 
chand  de  vin.  Après  boire,  quand  parfois  il  se  voyait  ri- 
che et  faisait  des  projets,  il  parlait  de  festins  qu*il  donne- 
rait dans  de  grands  salons  de  Ménilmontant  ;  et  il  esquissait 
la  fête  avec  son  gros  luxe  de  femmes  à  chaînes  de  montre^ 
ses  grands  plats  de  harengs  saurs,  ses  saladiers  d'œuf». 
rouges,  ses  brocs  de  vin  bleu,  —  une  ripaille  de  barrière, 
une  apothéose  du  Cabaret,  où  il  semblait  savourer  ua 
idéal  de  canaillerie. 

A  ces  aspirations  d'Anatole,  les  hasards  de  son  exis- 
tence présente,  cette  maison,  cette  chambrée,  tous  ces- 
compagnonnages  donnaient  une  pleine  satisfaction.  l\ 
roulait  de  rencontres  en  rencontres,  d'accrochages  en  ac- 
crochages,  dans  des  sociétés  de  n'importe  qui.  Il  se  lais- 
sait emmener  par  des  noces  qui  avaient  pour  demoiselles- 
d'honneur  des  femmes  faisant  tirer  des  loteries  dans  des- 
gargots,  des  noces  qui  allaient  aux  Barreaux  verts  en 
arrêtant  les  «  sapins  »  et  la  mariée  pour  une  «  tournée  » 
à  la  porte  des  marchands  de  vin;  et  dans  ces  grossières 
parties  de  joie,  pelotonné  dans  le  fond  du  fiacre,  le  dos 
rond,  les  deux  mains  nouées  autour  de  ses  genoux  rele- 
vés, la  bouche  gouailleuse,  il  prenait  des  apparences  dft 
contentement  presque  fantastique,  l'air  d'ironique  bon- 
heur de  Mayeux. 


CXXIX 


Dans  les  lâchetés  et  les  dégradations  de  cette  exis- 
tence, Anatole  perdait  peu  à  peu  les  forces  de  sa  volonté. 
Il  devenait  paresseux  à  chercher  du  travail.  Il  n'osait 
plus,  dans  sa  timidité  de  pauvre  honteux^  aller  au-devanl 


MANETTE  SALOMON.  371 

d'une  affaire,  voir  les  gens,  emporter  une  commande. 

Il  se  faisait  en  lui  comme  un  écroulement  de  ses  der- 
nières énergies  et  de  ses  derniers  orgueils.  Sa  vocation 
mourait.  Ce  que  Tartîste,  au  plus  profond  de  ses  chutes 
et  de  ses  misères,  garde  du  rêve  et  des  illusions  de  sa 
earrière,  ce  qui  le  soutient  dans  la  bassesse  et  lé  mer- 
cantilisme des  travaux  forcés  du  gagne-pain,  la  confiance, 
la  foi  et  le  goût  de  revenir  un  jour  à  Tart,  l'orgueil  de 
se  sentir  toujours  un  artiste,  —  cela  même  Tabandon- 
nait.  La  misère  avait  dévoré  le  peintre  ;  et  dans  l'ancien 
élève  de  Langibout  se  glissait  et  commençait  à  s'établir 
un  nouvel  être  :  le  bohème  pur,  le  lazzarone  de  Paris, 
Thomme  sans  autre  ambition  que  la  nourriture  et  la 
subsistance,  Thomme  de  la  vie  au  jour  le  jour,  men- 
diante du  hasard,  à  la  merci  de  l'occasion,  et  dans  la 
main  de  la  faim. 

Il  vendait  petit  à  petit  de  ses  frusques^  de  ses  meu- 
bles; puis,  talonné  par  le  besoin,  il  descendait  à  ramas- 
ser les  plus  bas  deniers  et  la  plus  vile  obole  de  son  état. 
Il  faisait,  pour  un  marchand  d'estampes  du  quai  de  l'Hor- 
loge, des  portraits  destinés  à  l'illustration  des  livres,  les 
uns  avec  une  encre  rouillée  imitant  les  vieilles  gravures, 
les  autres  à  l'aquarelle  dans  le  goût  de  l'imagerie  et  des 
couleurs  de  confiserie,  les  premiers  aux  prix  de  soixante- 
quinze  centimes,  les  autres  aux  prix  de  deux  francs 
cinquante.  Ou  bien,  c'étaient  des  dessins  qu'il  mettait 
en  loterie  au  café  du  coin  de  l'Hôtel  de  Ville,  heureux 
quand  le  maître  du  café  arrachait  quelques  pièces  de 
cinquante  centimes  à  la  goguette  des  gardes  nationaux 
venant  là. 

Au  milieu  de  cette  dèchey  il  fut  fort  étonné  un  jour 
de  voir  tomber  dans  sa  chambre  la  visite  de  sa  mère  qui 
n'avait  jamais  mis  les  pieds  chez  lui  depuis  leur  sépara- 
tion; Elle  avait  fait  des  pertes  d'argent.  La  mode  et  l'in- 
dustrie qui  lui  donnaient  ses  revenus  étaient  complète- 
ment abandonnées,  perdues.  Il  ne  lui  restait  plus  qu'un 
petit  capital  à  peine  suffisant  pour  la  faire  vivre  dans 
une  petite  localité  des  environs  de  Paris.  Elle  fit  de  celte 


-^ 


s 


»72  MANETTE  SALOMON. 

situation  ua  exposé  pathétique  à  Anatole,  lui  demanda 
SOS  conseils,  ne  les  écouta  pas,  et  après  l'avoir  contredit 
tout  le  temps,  sortit  comme  une  femne  venue  pour  faire 
une  scène  à  effet,  en  se  drapant  dans  du  dramatique. 
Sur  le  pas  de  la  porte,  se  retournant  elle  dit  à  son 

fils: 

—  Je  ne  conçois  pas  comment  vous  restez  dans  une 
maison  comme  ça...  Si  du  monde  venait  vous  voir... 

—  Du  monde?  ah!  oui...  Des  pairs  de  France,  n'est- 
ce  pas? 


cxxx 


L'ètè  vînt,  et,  avec  Tété,  les  nuits  brûlantes,  mangées 
de  punaises,  lui  firent  découvrir  un  nouvel  agrément  de 
son  quartier,  de  son  logement  :  le  bain  gratis  à  deux 
pas,  dans  la  Seine, 

Vers  les  onze  heures,  il  descendait  de  chez  lui  en 
chemise  et  en  pantalon  de  toile,  emportant  sa  carafe  et 
son  pot  à  Teau,  allait  à  l'abreuvoir  du  quai,  et,  en  quel- 
ques brasses,  il  se  trouvait  dans  la  belle  eau  pleine  et 
profonde,  coulant  entre  l'Hôtel  de  Ville,  Tîle  Saint-Louis 
et  l'île  Notre-Dame. 

Les  quais  étaient  noirs  etcomme  morts;  quelques  fe- 
nêtres seulement,  ouvertes,  respiraient.  De  loin  en  loin, 
une  lumière  qui  se  noyait  dans  la  rivière  paraissait  y 
faire  trembler  la  lueur  d'une  fenêtre  de  bal.  Çà  et  là 
une  lanterne,  un  réverbère  était  un  point  de  feu  dans  le 
noir  de  la  rivière,  sous  les  grands  pâtés  des  maisons.  La 
lune,  un  milieu  d'un  courant  ridé,  se  mirait  et  rayon- 
nait. Anatole  nageait,  se  perdait  dans  l'ombre  avec  cette 
espèce  d'émotion  que  fait  chez  le  nageur  l'inconnu  et  le 
mystère  de  l'eau;  puis  il  allait  vers  la  lumière,  s'amusait 
à  couper  les  reflets  du  gaz,  dérangeait  de  la  main  le  feu 
blanc  de  la  lune  qui  s'égouttait  de  ses  doigts.  Il  faisait 


/ 


MANETTE  SALOMON.  373 

de  petites  brasses,  glissait,  s'abandonnait  à  l'eau  molle, 
et,  par  moments,  se  laissant  couler  sur  le  dos,  le  front 
à  demi  baigné,  il  regardait  en  l'air,  comme  du  fond  d'un 
puits,  les  tours  de  Notre-Dame,  les  toits  de  l'Hôtel  de 
Ville,  le  ciel,  la  nuit  d'argent.  Toutes  sortes  d'impres- 
sions de  paresse,  de  calme,  le  pénétraient  de  bien-être. 
Il  écoutait  s'éteindre  la  chanson  d'un  ivrogne  sur  un 
pont,  le  mélancolique  sifflement  d'un  écopeur  de  bateau, 
des  mots  que  l'écho  de  la  Seine  semblait  suspendre  en 
l'air,  ce  doux  petit  bruit  d'une  grande  eau  qui  va  dans 
une  grande  ville  qui  dort.  Des  heures  au  timbre  mourant 
tombaient  dans  Téloignement  :  minuit,  une  heure.  Il 
nageait  toujours,  se  disait  :  —  Je  vais  sortir,  —  et  res- 
tait encore,  ne  pouvant  se  lasser  de  boire  de  tout  le  corps 
et  de  tout  l'être  ce  bonheur  des  muets  enchantements 
nocturnes  de  la  Seine,  et  cette  délicieuse  fraîcheur  en- 
veloppante de  l'eau,  mise  là  pour  lui  au  milieu  de  ce 
Paris  aux  pierres  chaudes  étouffé  et  suant  du  soleil  du 
jour. 


CXXXI 


Au  fond,  Anatole  ne  se  trouvait  pas  trop  malheureux. 

Traitant  "sa  misère  par  l'indifférence,  il  n'avait  guère 
qu'un  ennui,  une  contrariété  qui  le  taquinait. 

Tant  que  Champion  avait  été  aux  mœurs,  Anatole  n'a- 
vait vu  dans  son  compagnon  de  chambre  qu'un  soldat 
civil  de  l'édilité,  une  espèce  de  douanier  de  la  maraude 
de  l'amour.  Mais  Champion  venait  de  passer  à  la  Sur- 
veillance :  l'employé  du  gouvernement  se  transformait 
alors  aux  yeux  d'Anatole;  il  prenait  une  couleur  poli- 
tique, il  devenait  l'homme  au  tricorne,  à  l'épée,  l'homme 
qui  empoigne,  l'homme  de  police  contre  lequel  se  soule- 
vaient toutes  les  instinctives  répugnances  du  Parisien  et 
du  vieux  gamin.  Anatole  se  mettait  à  souffrir  dans  sei 

8? 


/ 


374  MANETTE  SALÔMON. 

opinions  libérales  du  ménage  qu'il  faisait  avec  un  pareil 
homme  établi  aussi  à  fond  dans  son  intimité,  —  et  par- 
fois dans  ses  chemises. 

Il  lui  semblait  aussi  qu'il  était  venu  à  son  ami,  avec 
ses  nouvelles  fonctions,  de  la  roideur,  un  air  autori- 
taire, un  ton  caporal  qui  avait  brusquement  arrêté  ses 
tenta'lives  de  propagande  phalanstérienne,  et  coupé  net 
ses  plaisanteries  sur  le  gouvernement.  Anatole  avait  en- 
core contre  son  compagnon  un  autre  grief,  une  plus 
sourde  rancune.  Champion  qui  se  levait  avec  le  jour, 
qui  souvent  passait  la  nuit  en  essuyant  le  plus  dur  de 
rhiver,  et  méritait  rudement  son  pain  à  côté  de  ce  mon- 
sieur qui  se  levait  à  dix  heures,  flânait  toute  la  journée, 
faisait  semblant  de  chercher  de  l'ouvrage,  en  cherchait 
pour  ne  pas  en  trouver,  ne  s'occupait,  ne  s'inquiétait  de 
rien,  Champion  avait  à  la  longue  fini  par  concevoir  pour 
l'artiste  le  mépris  que  tout  homme  du  peuple  gagnant  sa 
vie  conçoit  pour  celui  qui  ne  la  gagne  pas.  Ce  profond 
et  violent  dédain  du  travailleur  pour  le  loupeur,  Cham- 
pion, avec  sa  grosse  et  lourde  nature,  le  laissait  échap- 
per à  toute  minute  dans  des  paroles  et  des  airs  qui 
étaient  un  reproche  et  une  humiliation  pour  Anatole. 
Aussi  Anatole  eut-il  la  joie  d'un  grand  débarras,  quand 
Champion,  craignant  peut-être  pour  son  avancement  le 
compagnonnage  d'un  garçon  aux  idées  dangereuses,  vint 
lui  annoncer  qu'il  le  quittait. 

Anatole  restait  seul  dans  la  chambre,  avec  son  mobi- 
lier réduit,  par  les  lavages  successifs,  à  un  lit,  à  une 
chaise  et  à  son  morceau  de  guipure  historique,  seul 
débris  de  son  opulence,  auquel  il  tenait  beaucoup  sans 
savoir  pourquoi.  11  fut  obligé  de  louer  vingt  sous  par 
mois  une  table  pour  quelques  dessins  qu'il  faisait  encore, 
par  hasardi  de  loin  en  loin. 


/ 


MANETTE  SâLOAION.  87& 


CXXXII 

n  y  a  au  bout  de  Tîle  Saiat<Louis,  du  côté  de  TArse- 
na],  un  coin  de  pittoresque  échappé  au  dessinateur 
parisien  Méryon,  à  son  eau  forte  ai  amoureuse  des  ponts^ 
des  berges,  des  quais. 

Une  grande  estacade,  vieille,  à  demi  pourrie,  rapiécée 
de  morceaux  de  fer,  à  demi  déboulonnée  pa/  les  voleurs 
de  nuit,  dresse  là  l'architecture  à  jour  de  son  treillis  de 
poutres.  Cette  masse  de  pilotis  arc-boutés  et  s'entremé- 
lant,  ce  fouillis  d^échafaudages,  ces  énormes  madriers 
goudronnés,  noirs  et  comme  calcinés  en  haut,  boueux, 
glaiseux,  tout  gris  en  bas,  les  mille  trous  des  niches  de 
*^armature,  font  songer  à  une  jetée  de  port  de  mer,  à 
me  machine  de  Marly  détraquée,  à  une  forôt  dont  l'in- 
tendîe  aurait  été  noyé  dans  Teau,  à  une  ruine  de  la 
Samaritaine  suspecte  et  hantée  par  la  maraude. 

Le  soleil,  tombant  dedans,  frappe  des  coups  splen- 
dides  qui  font  des  barres  dans  toutes  les  traverses  de 
Testacade,  entrent  dans  ses  creux,  la  battent,  la 
pénètrent,  y  allument  le  blanc  d'une  blouse,  chauffent 
de  violet  les  têtes  des  poutres,  dorent  en  bas  leur  pour- 
riture de  boue,  et  jettent  à  l'eau  bleuâtre  et  tendre  l'in- 
tensité noire  et  chaude  du  reflet  de  la  grande  char- 
pente. 

Anatole  devenu,  au  voisinage  de  la  Seine,  un  pêcheur 
à  la  ligne,  allait  pêcher  là. 

il  descendait  dans  les  embrasures  des  poutres,  s'amu- 
sant  de  la  gymnastique  périlleuse  de  la  descente;  et 
arrivé  à  son  endroit,  juché,  installé,  perché,  en  équili- 
bre sur  une  solive,  les  jambes  pendantes,  il  amorçait^ 
avec  une  pelote  d'asticots  dans  une  boule  de  glaise,  le 
gardon,  le  barbillony  la  brème,  le  chevenne.  Il  voisinait 
avec  les  autres  cases;  et  dans  le  ramas  bizarre  de  ces 
individus  que  le  goût  commun  de  la  pêche  à  la  ligne 


SiO  MANETTE  SâLOMON. 

assemble  et  mêle  dans  une  ville  comme  Paris,  il  trou- 
vait les  relations  imprévues  dont  la  Providence  semblait 
s'amuser  à  mettre  le  basard  et  Tironie  dans  les  rea- 
contres  de  sa  vie.  Bientôt  ses  amis  furent  un  facteur  de 
la  Halle  aux  veaux;  un  grand  jeune  homme  qui  refaisait 
les  éducations  incomplètes,  donnait  des  leçons  discrètes 
aux  personnes  surprises  par  la  fortune,  aux  lorettes 
d'orthographe  insuffisante  ;  un  inspecteur  de  la  fourrière, 
fort  curieux  à  entendre  sur  les  objets  inimaginables  qui 
se  perdent  tous  les  jours  sur  le  pavé  de  perdition  de 
Paris  ;  un  commis  d'un  magasin  de  la  rue  Coquillière,  où 
Ton  ne  vendait  que  des  rubans  reteints^  garçon  de 
talent  fort  bien  appointé  pour  imiter  avec  ses  lèvres,  ea 
aunant,  le  sifflement  de  la  soie  neuve;  et  avec  quelques 
autres  encore,  un  aide  préparateur  de  M.  Bernardin. 

Un  goût  singulier  avait  toujours  porté  Anatole  vers  les 
•hommes  à  professions  funèbres.  Il  avait  une  pente  vers 
Tembaumeur,  le  croque-mort,  le  nécrophore.  La  Mort, 
dont  il  avait  très- peur,  l'attirait.  Il  en  était  curieux, 
presque  friand.  La  Morgue,  la  salle  Saint-Jean  après  une 
révolution,  les  cimetières,  les  catacombes,  les  spectacles 
de  cadavres,  les  images  de  sqtielette,  avaient  pour  lui 
une  espèce  de  charme  affreux  qu'il  adorait.  Et  il  trouvait 
original  d'être  l'intime  d'un  homme  apportant  à  la 
société  de  gros  asticots,  sur  lesquels  personne  n'osait 
l'interroger,  et  qui  faisaient  faire  des  pêches  miracu- 
leuses. 


CXXXIII 

Dans  les  rues,  Anatole  avait  l'habitude  de  s'arrêter 
à  la  peinture  qu'il  voyait  faire.  Un  jour,  vaguant  devant 
lui,  le  long  du  faubourg  Montmartre,  il  fit  halte  pour 
regarder  la  boutique  d'un  pharmacien  où  un  décorateur 
était  en  train  de  représenter  le  dieu  d'Epidaure  ayec 
l'attribut  sacramentel  de  son  serpent  enroulé. 


MANETTE  SALOMON  877 

^-  Un  serpent,  ça? — fit-il,  —  mais  c'est  une  anguille 
de  Melun  ! 

Le  décorateur  se  retourna,  et  tendit  avec  un  sourire 
moqueur  sa  palette  à  Anatole. 

Anatole  saisit  la  palette,  d'un  bond  sauta  sur  la  chaise, 
et  en  quelques  coups  de  pinceau,  il  fit  un  superbe  trigo- 
nocéphale  qu'il  avait  vu  au  Jardin  des  Plantes. 

Du  monde  s'était  amassé,  le  pharmacien  était  venu 
iroir,  et  trouvait  le  serpent  parlant. 

Quand  Anatole  redescendit,  le  pharmacien  le  pria 
d'entrer  et  lui  montra  sa  boutique.  Il  en  voulait  faire 
décorer  les  six  panneaux  d'allégories  représentant  les 
éléments  de  la  chimie;  malheureusement,  il  commen- 
çait les  affaires,  et  ne  pouvait  pas  mettre  plus  de  cin- 
quante francs  par  panneau. 

Anatole  accepta  tout  de  suite,  et  le  lendemain,  il  ap- 
portait les  croquis  de  VEau,  de  la  Terrey  du  Feu,  de 
YAiVy  du  Mercure,  du  Soufre.  Le  pharmacien  était 
charmé  des  dessins.  On  causait,  des  noms  de  connais- 
sances communes  venaient  dans  la  conversation.  Le 
pharmacien  le  retenait  à  dîner,  et  au  dessert,  il  ne  l'ap- 
pelait plus  qu'Anatole  :  Anatole,  lui,  l'appelait  déjà 
Purgon. 

Le  lendemain,  Anatole  attaquait  un  panneau  avec 
l'ardeur,  la  verve,  le  premier  feu  qu'il  avait  toujours  au 
commencement  d'un  travail.  «  Messieurs,  —  criait-il  en 
peignant  là  première  figure  qui  était  TEau,  —  voilà  une 
peinture  immortelle  :  elle  ne  sera  jamais  altérée  !  »  Pen- 
dant ses  repos,  il  étudiait  la  boutique,  les  livraisons  des 
remèdes,  lisait  les  inscriptions  desl)Ocaux,les  étiquettes, 
questionnait  le  garçon  pharmacien,  l'étonnait  avec  la 
demi-science  qu'il  possédait  de  tout.  Bientôt,  son  ardeur 
i  peindre  baissant,  il  trôla  dans  le  magasin,  cacheta 
quelque  chose,  colla  par-ci  par-là  une  étiquette,  ficela  un 
paquet,  remua  un  pilon  en  passant,  mit  du  cérat  dans  un 
pot,  aida  à  recevoir  les  pratiques.  Et  peu  à  peu,  avec  la 
facihté  d'assimilation  qui  le  faisait  entrer,  glisser  dans 
toutes  les  professions  dont  il  approchait,  à  se  mêler  à 


/ 

878  MANETTE  SÂLOMON. 

tout  ce  qu'il  traversait,  il  devint  là  une  sorte  d*aida 
amateur  du  garçon  pharmacien.  Ce  semblant  de  métier 
lui  allait  à  merveille  :  il  y  avait  en  lui  un  fond  de  bouti- 
quier, une  vocation  à  une  carrière  de  paresse  dont  la 
peine  est  d'ouvrir  un  tiroir,  à  une  occupation  légère, 
distraite  par  le  dérangement,  le  mouvement  des  ache- 
teurs, le  bavardage  avec  les  clients.  Et  du  petit  com- 
merce de  Paris,  il  avait  non-seulement  le  goût,  mais  en- 
core le  génie  naturel  :  il  excellait  à  vendre,  à  «  entor- 
tiller ]»  le  consommateur. 

A  ce  train,  les  peintures  ne  marchaient  guère  vite» 
Anatole  resta  deux  mois  à  les  finir.  Il  ne  faisait  plus  que 
couclierrue  des  Barres.  Au  bout  des  deux  mois,  comme 
l'amilié  entre  lui  et  le  pharmacien  avait  pris  la  force 
d'habitude  «  d'un  collage  j>,  le  pharmacien,  n'ayant  plus 
rien  à  faire  décorer,  lui  proposait  de  lui  prêter  comme 
atelier  son  «  petit  salon  pour  les  accidents  ».  Ils  man- 
geraient ensemble,  et  Anatole  n'aurait  qu'à  répondre  i 
la  boutique  dans  les  moments  pressés,  à  donner  ui 
coup  de  main  en  cas  de  besoin.  L'arrangement  enchanti 
Anatole,  qui  s'oubliait  volontiers  partout  où  il  était, 
et  qui  se  trouvait  toujours  lâche  pour  sortir  d'une  habi- 
tude. 

Tout  d'ailleurs  lui  plaisait  dans  la  maison.  Jamais 
il  n'avait  rencontré  de  meilleur  enfant  que  le  pharma- 
cien, un  grand,  gras  et  paresseux  garçon,  avec  des  lu- 
nettes lui  coulant  le  long  du  nez,  et  qu'il  remontait  à 
tout  montrent  d'un  geste  gauche  des  deux  doigts  :  Théo- 
dule,  c'était  son  petit  nom,  passait  sa  vie  à  boire  de  la 
bière  qui  lui  avait  donné,  à  force  de  le  gonfler  et  de  le 
souffler,  l'apparence  comique  et  inquiétante  d'une  bau- 
druche. De  là  une  plaisanterie  journalière  d'Anatole  : 
—  Fermez  les  fenêtres,  Théodule  va  s'envoler!  Et  à 
côté  du  pharmacien,  il  y  avait  le  charme  de  sa  maîtresse, 
installée  dans  l'arrière-boutique  :  une  petite  femme 
grasse,  presque  jolie,  gracieuse  à  se  cacher  pour  pren- 
dre à  la  dérobée  une  prise  de  tabac,  faisant  dans  une 
bergère  des  ronrons  de  chatte,  bonne  fille,  ayant  da 


MANETTE  SALOMON.  37^ 

bagout^  une  espèce  d'air  comme  il  faut,  et  suffisamment 
de  coquetterie  pour  satisfaire  au  besoin  qu'Anatole 
avait  auprès  d'une  femme  d'en  être  un  peu  occupé  et  à 
demi  amoureux. 

Anatole  goûtait  l'embourgeoisement  de  cet  inté- 
rieur, le  bonheur  du  pot-au-feu,  bien  chauffé,  bien 
nourri,  bien  éclairé,  doucement  bercé  dans  la  mollesse 
d'un  bon  fauteuil  et  le  plaisir  d'une  agréable  digestion. 
Il  s'assoupissait  dans  un  engourdissement  de  félicité 
sommeillante,  dans  la  platitude  des  causeries  de  mé- 
nage et  du  petit  commerce,  dans  des  commérages,  des 
rabâchages,  des  conversations  de  vieux  parents  et  des 
provinciaux  de  Paris,  qui  paralysaient  ses  charges.  Sa 
verve  lassée  semblait  prendre  ses  Invalides.  Et  puis,  la 
pharmacie  l'amusait  :  il  trouvait  un  air  d'alchimie  rem- 
branesque  à  la  distillerie  de  Tarrière-boutique;  la  cui- 
sine des  remèdes  l'occupait,  ses  curiosités  touche-à- 
tout  s'intéressaient  au  bouillonnement  des  bassines,  aux 
filtrages,  aux  évaporations,  aux  manipulations.  Il  aimait 
à  dire  des  mots  de  médecine  à  des  gens  du  peuple,  à 
donner  des  consultations  pour  toutes  les  maladies,  à 
éblouir  de  vieilles  femmes  avec  des  bribes  de  Codex  et 
du  latin  de  Molière.  Les  accidents  mêmes,  les  blessés 
qu'on  apportait  dans  la  boutique  étaient  pour  lui  une 
distraction,  ei  jetaient  dans  ses  journées  l'aventure  du 
fait  divers.  Aussi,  rien  n'était-il  plus  beau  que  son  zèle 
à  donner  des  secours  :  il  était  un  père  pour  les  écrasés  ; 
il  leur  parlait,  les  palpait,  les  hissait  en  voiture.  Mais 
où  il  se  montrait  surtout  admirable  d'attention,  de  cha- 
rité, de  sang-froid,  c'était  dans  les  crises  de  nerfs  de 
femmes  foudroyées  de  la  nouvelle  du  mariage  d'un 
amant,  à  la  suite  d'un  dîner  à  quarante  sous  :  il  n'en 
perdit  aucune,  tout  le  temps  qu'il  resta  à  la  pharmacie. 
Attaché  par  ces  agréments  de  toutes  sortes,  Anatole 
restait  là,  croyant  y  rester  toujours,  lavant  de  temps  à 
-autre  quelque  aquarelle,  genre  xviii®  siècle,  dont  le 
pharmacien  lui  trouvait  le  placement  chez  des  commer- 
çants de  ses  amis.  Mais,  au  bout  de  six  mois,  un  matin. 


380  MANETTE  BALOMOlf. 

qu'il  apportait  des  dessins  pour  des  bouchons  de  fla- 
con qui  devaient  gagner  à  la  pharmacie  l'estime  des 
gens  de  goût,  le  garçon  lui  apprit  que  son  patron  était 
parti  pour  le  Havre,  avec  une  place  de  pharmacien 
de  troisième  classe,  attaché  à  l'expédition  de  Cochin- 
chine. 

Voici  ce  qui  était  arrivé.  L'ami  d'Anatole  avait  voulu 
remonter  avec  de  bons  produits  une  pharmacie  tombée, 
il  donnait  ce  qu'on  lui  demandait,  il  faisait  des  prépa- 
rations scrupuleuses,  il  livrait  du  sirop  de  gomme  fait 
avec  de  la  gomme  et  non  avec  du  sirop  de  sucre.  Cette 
conscience  l'avait  perdu  :  les  recettes  baissant  toujours, 
il  s'était  vu  obligé  de  vendre  son  fonds  à  vil  prix  et  de 
•'embarquer. 

Anatole  remit  dans  sa  poche  ses  modèles  de  bou< 
chons,  prit  la  boîte  d'aquarelle  et  le  stirator  dans  le 
salon  aux  accidents,  serra  la  main  du  garçon,  et  rentra 
rue  des  Barres  avec  le  premier  grand  découragement  de 
6a  vie,  et  cette  idée  qu'il  se  dit  à  lui-même  tout  haut  : 

-    Il  y  a  un  bon  Dieu  contre  moi! 


CXXXIV 


Anatole  passa  alors  des  journées,  des  journées  en- 
tières au  lit. 

Quand  il  s'éveillait,  et  qu'en  ouvrant  à  demi  les  yeux, 
il  apercevait  autour  de  lui  ce  matin  terne,  ce  jour  sans 
rayon  frissonnant  à  l'étroite  fenêtre,  ce  pan  de  mur  d'en 
face  reflétant  la  blancheur  d'un  ciel  glacé,  l'hiver  sans 
feu  dans  sa  chambre,  il  n'avait  point  le  courage  de  se 
lever.  Et  se  ramassant  dans  le  creux  et  le  chaud  de  ses 
draps,  pelotonné  sous  la  tiédeur  des  couvertures  et  du 
reste  de  ses  vêtements  jeté  et  bourré  par-dessus,  il  cher- 
chait à  perdre  la  conscience  et  le  sentiment  de  sa  vie, 
la  pensée  d'exister  réellement  et  présentement.  11  s'a- 


MANETTE  SALOMON.  381 

bandonnait  à  l'assoupissement,  aux  douceurs  mortes 
d'une  langueur  infinie,  au  lâche  bonheur  de  s'oublier 
et  de  se  perdre.  Ce  qu'il  goûtait,  ce  n'était  pas  le  plein 
sommeil,  c'était  une  bienheureuse  impression  de  gris, 
un  demi-balancement  dan3  le  vague  et  le  vide,  l'eiTace- 
ment  d'un  commencement  de  somnolence  qui  fait  re- 
culer les  ennuis  pressants  de  la  vie,  quelque  chose 
comme  Tattouchement  d'une  main  de  plomb  compri* 
mant  les  inquiétudes  sous  le  crâne  de  la  pauvreté. 

C'est  ainsi  qu'il  usait  les  jours  de  neige,  de  pluie,  les 
jours  mornes,  les  jours  couleur  d'ennui  où  il  faut  avoir 
un  peu  de  bonheur  pour  vivre.  Ce  qui  tombait  sur  lui 
des  tristesses  du  ciel,  de  la  rue,  de  la  chambre,  le  froid 
des  murs  qui  avait  comme  un  souffle  derrière  la  porte, 
la  vision  persécutante  des  créanciers,  il  oubliait  tout, 
dans  un  demi-rêve,  les  yeux  ouverts. 

De  temps  en  temps,  pendant  ces  heures  mêlées,  con- 
fuses et  pareilles,  il  sortait  un  peu  le  bras  de  dessous  la 
couverture,  prenait  une  pincée  de  tabac,  une  feuille  de 
papier  Job,  et  roulait,  sous  le  drap,  une  cigarette  qui 
brûlait  un  instant  après  à  ses  lèvres.  Alors,  il  lui  sem- 
blait que  sa  pensée  montait,  s'évaporait,  se  dissipait 
avec  la  fumée,  le  bleu  et  les  ronds  de  nuage  du  tabac. 
Et  il  demeurait  de  longs  quarts  d'heure,  laissant  char- 
bonner  le  papier  au  bout  de  sa  cigarette,  poursuivant 
à  la  fois  une  rêverie  et  un  songe;  et  comme  délicieuse- 
ment envolé  et  se  dépouillant  de  lui-même,  il  n'avait 
plus,  à  la  fin,  de  ses  membres  et  de  toute  sa  personne 
qu'une  sensation  de  moiteur. 

La  journée  se  passait  sans  qu'il  mangeât,  sans  qu'il 
prît  rien.  Ce  jeûne,  cette  débilitation  diminuaient  encore 
en  lui  le  sentiment  qu'il  avait  de  sa  personnalité  maté- 
rielle, l'allégeaient  un  peu  plus  de  son  corps  ;  et  le  vide 
de  son  estomac  faisant  travailler  son  cerveau,  surexcitant 
chez  lui  les  organes  de  l'imagination,  il  arrivait  à  s'ap- 
procher de  l'hallucination.  Le  jour  blafard  de  sa  cham- 
bre, parfois,  lui  faisait  croire  une  minute  qu'il  était 
noyé  dans  l'eau  jaune  de  la  Seine,  une  eau  qui  le  roulait| 


882  MANETTE  SALOMON. 

et  OÙ  il  lui  semblait  qu'on  ne  souffrait  pas  du  tout 
Quelquefois  pourtant,  il  ne  pouvait  atteindre  à  cet 
état  flottant  de  lui-même,  trouver  cette  songerie  et  cet 
assoupissement.  La  notion  de  son  présent  persistait  en 
lui  et  prenait  une  fixité  insupportable.  Alors  il  tirait  de 
sa  ruelle  quelqu'une  des  livraisons  à  quatre  sous  fourrées 
entre  la  couverture  et  le  froid  du  mur,  et  qui  bordaient 
tout  son  lit  du  pied  à  la  tète.  Plongé  dans  le  papier  gras 
une  heure  ou  deux,  il  lisait.  C'était  presque  toujours 
des  voyages,  des  explorations  lointaines,  des  courses  au 
bout  du  monde,  des  histoires  de  naufrages,  des  aven- 
tures terribles,  des  romans  gros  de  catastrophes,  toutes 
sortes  de  récits  qui  emportent  le  liseur  dans  le  péril, 
l'horreur,  la  terreur.  Là-dessus,  il  tâchait  de  dormir, 
avec  le  désir  et  la  volonté  de  retrouver  sa  lecture  dans 
le  sommeil,  et  d'échapper  tout  à  fait  à  ses  pensées  en 
grisant  jusqu'à  ses  rêves  de  l'étourdissante  apparition  de 
ses  peurs.  Même  à  de  certains  jours,  par  raffinement, 
après  ces  lectures,  et  pour  s'y  mieux  enfoncer,  il  se 
couchait  exprès  sur  le  côté  gauche;  et  forçant  à  se  mêler 
ainsi  le  malaise  et  le  souvenir,  le  cauchemar  de  son 
corps  au  cauchemar  de  ses  idées,  il  se  donnait  des 
demi-journées  anxieuses  et  troubles,  auxquelles  il  trou- 
vait un  charme  étrange  et  une  angoisse  presque  déli- 
cieuse :  le  charme  de  l'émotion  du  danger. 

Il  vécut  ainsi  un  mois,  s'escamolant  les  jours  à  lui- 
même,  trompant  la  vie,  le  temps,  ses  misères,  la  faim, 
avec  de  la  fumée  de  cigarette,  des  ébauches  de  rêves, 
des  bribes  de  cauchemar,  les  étourdissements  du  besoin 
it  les  paresses  ?ivachissantes  du  lit. 

11  ne  se  levait  guère  que  lorsque  le  reflet  d'une  chan- 
delle allumée  quelque  part  dans  la  maison  lui  disait 
qu'il  faisait  nuit.  Alors  il  s'habillait,  entrait  dans  l'ar- 
'ûère-boutique  de  quelque  marchand  de  vin,  mangeait 
un  rien  de  ce  qu'il  y  avait  à  manger,  puis  il  lui  prenait 
comme  une  soif  de  lumière.  Il  allait  où  il  y  avait  du  gaz. 
Il  se  promenait  une  heure  dans  quelque  rue  éclairée,  se 
remplissait  les  yeux  de  tout  ce  feu  flambant  et  vivant. 


MANETTE  SALOMON.  ;{83 

puis,  quand  il  en  avait  assez  de  cet  éblouissernerU,  il 
revenait  se  coucher. 


CXXXV 


Par  un  jour  de  soleil  de  la  fm  de  février,  Anatole 
était  à  se  promener  sur  le  quai  de  la  Ferraille,  longeant 
le  parapet,  badaudant,  le  dos  tendu  à  un  de  ces  chari- 
tables rayons  de  soleil  d'hiver  qui  semblent  avoir  pitié 
du  froid  des  pauvres. 

Il  entendit  derrière  lui  une  voix  de  femme  l'inter- 
peller, et,  se  retournant,  il  vit  madame  Crescenl  toute 
chargée  de  paquets  et  d'ustensiles  de  jardinage. 

—  Ah!  mon  pauvre  enfant!  —  fit-elle  avec  un  regard 
qui  alla  de  la  tête  aux  pieds  d'Anatole,  —  tu  n'es  oas 
riche.  •• 

La  toilette  d'Anatole  était  arrivée  au  dernier  déla- 
brement. Elle  avait  la  tristesse  honteuse,  sordide,  la 
mélancolie  sale  de  la  mise  désespérée  du  Parisien  ;  elle 
montrait  les  fatigues,  les  élimagos,  l'usure  ignoble  et 
crasseuse,  l'espèce  de  pourriture  hypocrite  de  ce  qui 
n'est  plus  sur  un  homme  le  vêtement,  mais  la  «  pelure  ». 
Il  portait  un  chapeau  cabossé  avec  des  cassures  d'arêtes, 
des  luisants  roux  et  mordorés  où  passait  le  carton;  à 
des  places,  la  soie  collée,  lissée,  avait  l'air  d'avoir  reçu 
la  pluie  par  seaux  d'eau;  et  de  la  vieille  poussière  res- 
pectée dormait  entre  ses  bords  gondolés.  A  son  cou,  une 
loque  sans  couleur  et  cordée  laissait  voir  la  cotonnade 
d'une  mauvaise  chemise  à  demi  voilée  d'un  bout  de  gilet 
galonné  du  large  galon  des  gilets  remontés  au  Temple. 
Son  paletot,  un  paletot  marron,  était  entièrement  dé- 
teint; une  espèce  de  ton  de  vieille  mousse  se  glissait 
dans  le  brun  effacé  du  drap  aux  omoplates,  et  de  grandes 
lignes  blanches  entouraient  le  tour  des  poches.  Les  lu- 
mières du  collet  de  velours  semblaient  nager  dans  la 


384  MANETTE  SALOMON. 

graisse;  et  au-dessous  du  collet,  le  gras  des  chereux 
s*était  dessiné  en  rond  dans  le  dos.  Des  taches  immé- 
moriales et  des  taches  d'hier,  tous  les  malheurs  et  toutes 
les  avaries  d'une  étoffe,  étalaient  leurs  marques  sur  le 
drap  flétri,  sur  ce  paletot  de  chimiste  dans  la  panne  : 
les  manches  cuirassées,  encroûtées  en  dessous  de  tout 
ce  qu'elles  avaient  ramassé  aux  tables  saucées  ou  pois- 
seuses des  gargotes  et  des  cafés,  paraissaient  avoir  la 
solidité  et  l'épaisseur  d'un  cuir  d'hippopotame.  Un  geste 
de  pauvreté,  l'instinctive  pudeur  qu'ont  les  malheureux 
de  leur  linge  et  de  leurs  dessous,  lui  faisait  croiser  avec 
les  deux  mains  ce  paletot  à  demi  boutonné  par  des  cap- 
sules de  boutons  tout  effiloqués.  Son  pantalon  chocolat 
flottant  s'en  allait  en  franges  sur  des  souliers  avachis, 
spongieux,  le  talon  usé  d'un  côté,  l'empeigne  déformée, 
la  semelle  décollée  et  feuilletée,  de  ces  souliers  aux- 
quels les  connaisseurs  reconnaissent  la  vraie  misère. 

Et  l'homme  avait  là-dedans  comme  le  physique  de 
son  costume.  L'éreintement  des  traits,  des  poils  blancs 
dans  sa  barbe  rare  et  noire,  des  plaques  près  des  oreilles; 
sur  le  cou,  rouges  et  grenées  comme  du  galuchat,  un 
teint  briqueté  sur  ce  fond  de  jaune  que  met  le  vide  et 
le  creusemeat  de  l'heure  des  repas  sous  la  peau  des 
meurt-de-faim  de  grande  ville,  les  privations,  les  stig- 
mates des  excès  et  des  jeûnes,  je  ne  sais  quoi  de  brûlé 
et  d'usé  donnaient  à  son  visage  quelque  chose  de  la  flé- 
trissure de  ses  habits. 

—  Mais  prends-moi  donc  ça...  —  reprit  vivement  ma- 
dame Crescent,  —  au  lieu  de  rester  là  comme  Saint  Im- 
mobile... Débarrasse-moi  un  peu...  Qu'est-ce  que  tu 
veux?  Avec  un  paresseux  comme  j'en  ai  un...  il  faut  la 
croix  et  la  bannière  pour  le  faire  sortir  de  sa  turne.,. 
î'est  des  affaires  pour  le  faire  venir  deux  ou  trois  foi? 
dans  l'année...  Alors,  c'est  moi  le  voyageur...  Dn  en- 
fant, tu  sais,  mon  homme...  un  vrai  petit  garçon...  il  lui 
faudrait  un  panier  avec  un  pot  déconfitures!...  Hein!  je 
suis  chargée?...  Pas  grand'chose  de  bon,  va,  dans  tout 
ça...  Maintenant  les  marchands,  ce  qu'ils  vendent?...  de 


MANETTE  SALOMJN.  385 

la  masticaille!,..  Oh!  les  gueux!  si  je  les  tenais!  ces 
muselés-là!...  Ça  ne  fait  rien,  mon  pauvre  garçon... 
as-tu  les  joues  maigres!  tu  pourrais  boire  dans  une 
ornière  sans  te  crotter!  ..  Tu  ne  viendrais  donc  jamais 
chez  nous  quand  ça  ne  va  pas?  Ce  n'est  pas  si  long  par 
le  chemin  de  fer...  Tu  trouveras  toujours  ton  lit  et  la 
soupe...  Nous  savons  ce  que  c'est,  nous...  nous  avons 
eu  aussi  nos  jours! 

—  Mon  Dieu,  madame  Crescent,  je  vais  vous  dire... 
Je  vous  remercie  bien...  Mais,  vous  savez...  je  suis 
comme  les  chiens  qui  se  cachent  quand  ils  sont  galeux... 

—  Galeux!  galeux I...  Tiens  bon!  —  Et  madame  Cres- 
cent éternua  à  se  faire  sauter  la  tête.  —  Ah  !  que  c'est 
bête  d'être  enrhumée  comme  ça...  j'ai  une  visite  dans 
le  nez  à  cha({ue  instant...  Dis  donc,  tu  sais,  nous  allons 
dîner  ensemble,.. 

Anatole  fit  un  geste  d'humilité  comique  en  montrant 
son  costume. 

—  Innocent!  —  fit  madame  Crescent.  —  Tiens, 
prends-moi  encore  ce  paquet-là...  Et  donne-moi  le 
bras...  Nous  allons  aller  comme  çà  tranquillement  sur 
nos  jambes  diner  au  Palais-Royal,  et  tu  me  reconduiras 
au  chemin  de  fer... 

—  Et  les  bêtes,  madame  Crescent? 

—  Ah!  ne  m'en  parle  pas...  Elles  remplissent  la  mai- 
son... Ah!  j'ai  une  alouette...  C'est-il  gentil!...  quelque 
chose  de  si  doux,  que  ça  vous  fait  dormir  de  Tentendre 
chanter... 

Arrivés  au  Palais-Royal,  ils  entrèrent  dans  un  restau- 
rant à  quarante  sous  :  pour  madame  Crescent,  le  dîner 
à  quarante  sous  était  le  premier  des  repas  de  luxe. 

—Eh bien!  —  dit-elle  à  Anatole  tout  en  mani;eant,  — 
I    es  donc  si  bas  que  ça,  mon  pauvre  garçon? 

—  Mon  Dieu!  une  déveine...  rien  en  vue...  Qu'est-co 
que  vous  voulez?...  Pas  moyen  de  décrocher  seulement 
un  portrait  de  vingt-cinq  francs!...  une  vraie  crise  coton- 
nière...  Mais  j'ai  bien  assez  de  m'embêter  tout  seul... 
ne  parlons  pas  de  ça,  hein?...  Il  y  avait  quelque  chose 

33 


4»6  MANETTE  SALOMON. 

<]ui  aurait  pu  me  remettre  sur  pattes...  une  copie  d'an 
portrait  de  l'empereur...  ça  se  donne  à  tout  le  monde... 
Je  n'avais  pas  Coriolis...  il  n'est  pas  à  Paris...  Garno- 
telle  n'aurait  eu  à  dire  qu'un  mot...  Mais  c'est  un  bon 
petit  camarade,  Garnotelle!...  Il  m'a.  fait  dire  deux  fois 
qu'il  n'y  était  pas...  et  la  troisième,  il  m*a  reçu  comme 
du  haut  de  la  colonne  Vendôme!...  Je  lui  ai  dit  :  Fais- 
toi  faire  une  redingote  grise,  alors  I 

—  Et  ta  mère?...  Elle  a  tonjonrs  quelque  chose,  ta 
mère?  fit  madame  Crescent,  et  remettant  vite  le  pain 
d'Anatole  à  plat  :  —  Le  bourreau  aurait  le  droit  de  le 
prendre... 

—  Ah!  ma  mère...  c'est  comme  mes  affaires...  ne 
touchons  pas  à  cette  corde-là,  madame  Crescent...  Te- 
nez! vrai,  c'est  pas  pour  moi,  c'est  pour  elle  que  j'ai  été 
chez  Garnotelle...  Et  ça  me  coûtait,  je  vous  en  ré- 
ponds!... Oui,  pour  elle...  car  je  la  vois  qui  aura  besoin 
dp  manger  de  mon  pain  d*ici  à  peu...  Mais,  je  vous  dis, 
n^  parlons  pas  de  ça...  Il  arrivera  ce  qui  arrivera... 
Nous  verrons  bien...  Qu'est-ce  qu'il  fait,  dans  ce  mo- 
ment-ci, monsieur  Crescent? 

—  Toujours  ses  50M5-6ofs...  Nous,  ça  va...  Il  gagne 
gros  comme  lui,  à  présent,  l'homme...  même"  que  c'est 
joliment  payé,  je  trouve,  de  la  couleur  comme  ça  sur  la 
toile...  Mais  c'est  pas  à  moi  à  leur  dire,  n'est-ce  pas?... 

Et  appelant  le  garçon:  —  Dîtes  donc,  garçon!... 
Votre  fromage  camousse.,.  Qu'est  ce  qu'il  a  donc,  ce 
grand  imbécile,  avec  ses  oreilles  comme  des  chaussons 
de  lisière*^...  Tout  le  monde  sait  ce  que  ça  veut  dire, 
que  c'est  du  fromage  qui  a  de  la  barbe. 

—  Je  crois  que  si  vous  voulez  arriver  à  l'heure  pour 
le  chemin  de  fer...  —  dit  Anatole. 

—  Non,  j'ai  changé  d'idée...  Je  ne  m'en  irai  que  de- 
main... J'avais  oubhé...  Il  faut  que  j'aille  au  ministère 
pour  Crescent...  C'est  moi  qui  les  amuse  au  ministère!... 
1  y  a  un  vieux  caîibot  qui  a  l'air  d'un  Bacchus  tout 

farce...  Ah!  c'est  que  je  ne  me  laisse  pas  entortiller!  Sa 
dernière  affaire,  sans  moi...  Il  n'a  pas  de  caboche,  mon 


' 


MANETTE  SALOMON.  387 

homme,  vois-tu...  Je  leur  dis  un  tas  de  bêtises...  Ah!  si 
tu  crois  qu'ils  me  font  peur!...  J'ai  attrapé  ce  que  je 
voulais,  et  il  faudra  hîen  que  ça  continue...  Nous  allons 
voir  demain...  Au  fait,  on  est  si  chose...  Les  garçons^ 
pourraient  trouver  étonnant  de  me  voir  payer...  Tiens,, 
paye,  toi... 

Et  elle  passa  à  Anatole  sa  bourse  sous  la  table. 

—  Merci!  —  lui  dit-elle  comme  ils  allaient  sortir  dut 
restaurant,  —  tu  oubliais  un  de  mes  paquets,  toil...  Ta 
vas  me  mener  jusqu'à  mon  petit  hôtel,  où  je  couche 
quand  je  couche  ici...  C'^st  tout  près...  rue  Saint-Roch... 
J'ai  l'habitude...  et  puis,  je  n'y  moisis  pas...  Allons! 
rappelle-toi  ça,  c'est  moi  qui  te  dis  qu'il  y  a  encore  une 
chance  pour  les  gens  qui  n'ont  jamais  fait  de  tort  à  per- 
sonne... Et  puis,  viens  donc  un  peu  là-bas...  Nous  au- 
rons tant  de  plaisir...  Il  y  a  une  bêtise  que  tu  as  dite 
dans  le  temps  à  Crescent,  je  ne  sais  plus...  il  en  rit  en- 
core chaque  fois  qu'il  y  pense...  Maintenant,  tu  peux  te^ 
donner  de  l'air...  Bonsoir,  mon  garçon., • 


GXXXVI 


A  ces  hommes  de  Paris,  vivant  au  petit  bonheur  des 
charités  du  hasard  et  des  aumônes  de  la  chance,  sur  le 
pavé  de  la  grande  ville  où  deux  cent  mille  individus  se 
lèvent  tous  les  matins,  sans  avoir  le  pain  de  leur  dîner; 
à  ces  hommes  dont  l'existence  n'est,  selon  le  grand  mot 
de  l'un  d'eux.  Privât  d'Anglemont,  t  qu'une  longue 
suite  d'aujourd'hui  »,  il  arrive  tout  à  coup,  vers  l'âge 
de  quarante  ans,  une  sorte  d'affaissement  moral  qui  fait 
baisser  l'insolente  confiance  de  leur  misère. 

La  Quarantaine  est  pour  eux  le  passage  de  la  Ligne. 
De  là,  ils  aperçoivent  l'autre  moitié  sévère  de  la  vie,  la 
perspective  des  réalités  rigoureuses.  De  l'inconnu  auquel 
ils  vont,  commence  à  se  lever  devant  eux  la  figure  re- 


888  Manette  sâlomon 

doutable  et  nouvelle  du  Lendemain.  Ce  qui  avait  été  jas« 
que- là  leur  force,  leur  patience,  leur  santé  d'esprit  et 
leur  philosophie  d'âme,  Tétourdissement,  la  verve, 
l'ironie,  la  griserie  de  tête  et  de  mots,  tout  ce  qu'ils 
avaient  reçu,  ces  hommes,  pour  se  faire  de  la  résignation 
et  du  bonheur  sans  le  sou,  ils  le  sentent  soudainement 
défaillir.  Ils  n'ont  plus  à  toute  heure  ce  ressort,  cette 
élasticité,  ce  rejaillissement  de  gaieté,  ce  premier  mou- 
vement d'insouci,  ce  scepticisme  et  ce  stoïcisme  de  far- 
ceurs qui  les  faisaient  rebondir  si  lestement  et  les  relan- 
çaient à  l'illusion.  Leur  instinct  de  blagueur  s'en  va,  et 
ne  revient  plus  que  par  saccades.  Pour  être  drôles,  il 
faut  à  présent  qu'ils  se  montent;  pour  se  retrouver,  il  faut 
qu'ils  s'oublient,  et  pour  s'oublier,  qu'ils  boivent.  Tris- 
tesses, amertumes,  inquiétudes,  menaces  d'échéances, 
vides  de  la  poche  et  du  ventre,  hier,  il  suffisait,  pour  les 
empêcher  d'en  souffrir,  d'une  bêtise,  d'un  rire,  d'up 
rien  :  aujourd'hui,  ils  ont  des  moments  qui  demandent  j 
être  noyés  dans  de  l'eau-de-vie  ! 

Tout  s'assombrit.  Les  dettes  ne  sont  prus  tes  dettef 
d'autrefois.  Elles  ne  paraissent  plus  avoir  l'amusemerf 
d'une  pantomime  où  l'on  ferait  le  c  combat  à  l'hache  i 
quatre  »  avec  des  bottiers,  des  tailleurs,  et  autres  mon* 
très  en  boutique.  Le  coup  de  sonnette  matinal  du  créan- 
cier, qui  faisait  dire  tranquillement,  en  se  retournant 
dans  le  lit  :  €  Mon  Dieu!  que  ces  gens-là  se  lèvent  de 
bonne  heure  I  sonne  à  présent  au  creux  de  l'estomac  ; 
et  le  billet  tourmente  :  il  donne  des  insomnies  de  com- 
merçant qui  rêve  à  des  protêts.  Le  corps  même  n'est 
plus  aussi  philosophe.  Il  perd  l'assurance  de  sa  santé. 
Les  excès,  les  privations,  les  malaises  refoulés,  tous  les 
reports  des  souffrances  passées,  commencent  à  y  revenir 
et  à  y  mettre  comme  une  vague  menace  de  l'expiation 
de  la  jeunesse.  La  vie  se  venge  de  l'abus  et  du  mépris 
qu'on  a  fait  d'elle.  L'estomac  ne  s'accommode  plus  de 
rester  vingt-quatre  heures  sans  manger,  avec  une  tasse 
de  café  U  matin  et  deux  verres  d'absinthe  avant  de  se 
coucher.  L'hiver  souffle  dans  le  dos  :  le  paletot  man« 


Manette  sâlomon.  389 

que...  Sinistre  rjBtour  d'âge  de  la  bohème,  oà  Ton  croi- 
rait voir  une  jeune  Garde  partie,  misérable  et  gaie,  pour 
la  victoire,  et  qui  maintenant,  s*enfonçant  dans  le  froid, 
commence  à  sentir  les  rhumatismes  des  gîtes  et  des 
épreuves  de  ses  premières  campagnes  ! 

Alors  sur  une  banquette  de  café,  dans  la  tristesse  de 
l'heure,  quand  lejour  descend  et  que  la  demi-nuit  d'une 
salle  encore  sans  gaz  brouille  sur  le  papier  Timprimë  des 
journaux,  il  y  a  de  lugubres  rêveries  de  ces  hommes  sî 
vieux  après  avoir  été  si  jeunes.  Ils  songent  à  des  amis 
riches  qu'ils  ont  connus^  à  des  tables  toujours  mises,  à 
des  maisons  où  il  y  a  un  piano,  une  femme,  des  enfants, 
du  feu,  une  lampe.  Ils  revoient  les  meubles  en  acajou 
les  tapis  sous  les  chaises,  le  verre  d'eau  sur  la  commode, 
le  luxe  bourgeois  du  marchand  en  gros  au  fils  duquel 
ils  vont  donner  des  leçons.  Ils  pensent  à  ce  qu'ont  les 
autres  :  un  intérieur,  un  ménage,  une  carrière... 

Et  alors,  peu  à  peu,  il  semble  qu'ils  aperçoivent  dans 
la  vie  d'autres  horizons.  Toutes  sortes  de  choses  mécon- 
nues par  eux  leur  apparaissent  pour  la  première  fois  sé- 
rieuses, solides  et  graves.  Le  propriétaire  ne  leur  semble 
plus  le  grotesque  Cassandre  du  loyer  dont  s'amusaient 
leurs  charges  de  rapins  :  ils  y  voient  l'homme  qui  vit  de 
ses  revenus,  et  le  Pouvoir  qui  fait  saisir.  Et  devant  la 
vision  qui  leur  montre  leurs  anciennes  risées,  la  Société, 
la  Famille,  la  Propriété,  le  Bourgeois;  devant  l'écrasante 
image  de  toutes  ces  existences  classées,  rentées,  confor- 
tables, prospères,  honorées,  —  il  leur  vient  comme  la 
désolante  idée,  le  regret  et  le  remords  de  n'être  que  des 
passants  et  des  errants  de  la  vie,  campés  à  la  belle 
étoile,  en  dehors  du  droit  de  cité  et  de  bonheur  des  au« 
très  hommes... 

Anatole  en  était  à  cette  quarantaine  du  bohênod... 


A 


390  MANETTE  SALOMOll 


CXXXVII 


n  faisait  un  de  ces  jours  de  printemps  de  la  fin  d'avril 
où  souffle  dans  l'air  la  dernière  aigreur  de  Thiver,  tan- 
dis que  s'essayent  sur  les  murs  de  Paris  de  pâles  cha- 
leurs et  les  premières  couleurs  de  rété. 

Anatole,  avec  un  chapeau  décent,  de  vrais  souliers 
une  redingote  neuve,  un  air  heureux,  traversait  en  cou- 
rant le  jardin  du  Luxembourg.  Il  se  cogna  presque 
contre  un  Monsieur  qui  se  promenait  à  petits  pas  dans 
un  paletot  à  collet  de  fourrure. 

—  Toi?...  comment,  c'est  toi?  —  fit-il,  —  à  Paris  !..< 
El  pas  un  mot?  pas  un  bout  de  nouvelles?...  Et  com- 
ment ça  va-t-il,  mon  vieux  ? 

Coriolis  eut  un  premier  moment  d'embarras,  et  rou- 
gissant un  peu,  comme  un  homme  brusquement  accroché 
par  une  rencontre  imprévue  : 

—  J'arrive...  —  répondit-il,  —  Manette  voulait  me 
faire  rester  jusqu'au  mois  de  juillet,  mais  j'en  avais 
assez...  Et  me  voilà...  oui...  tu  sais,  je  ne  suis  pas  écri- 
vassier,  moi...  Et  toi,  es-tu  heureux? 

—  Merci...  pas  mal...  Cette  brave  femme  de  madame 
Crescent  a  eu  la  bonne  idée  de  m'obtenir  une  copie  du 
portrait  de  l'empereur...  douze  cents  francs...  Ce  ^u'il 
y  a  de  plus  gentil,  c'est  qu'elle  a  fait  cela  sans  me  pré- 
venir... La  lettre  du  ministère  m'est  tombée  comme  un 
térolithe...  Ah  çà?  et  ta  santé? 

—  Oh  !  maintenant,  je  vais  très-bien...  je  suis  seule- 
ment frileux comjie  tout... 

Et  un  silence  se  fit,  amené  par  le  silence  de  Coriolis 
et  par  une  froideur  particuhère  de  toute  sa  personne. 
C'était  le  froid  de  glace  que  les  femmes  savent  si  bien 
mettre  dans  tout  un  homme  pour  un  autre  homme, 
l'indifférence    antipathique,    le    détachement  dégoûté 


MANETTE  SALOMON.  39r 

qu'elles  parviennent  à  obtenir  des  amitiés  d'un  an^ant. 
On  sentait  le  méchant  travail  sourd,  continu  et  creusant^ 
d'une  hostilité  de  maîtresse  contre  un  camarade  qu'elle 
n'aime  pas,  les  médisances  goutte  à  goutte,  les  attaques 
qui  lassent  la  défense,  le  lent  empoisonnement  du  sou- 
venir, les  coups  d'épingle  qni  tuent  l'habitude  dans  le 
cœur  et  la  poignée  de  main  de  l'ami. 

—  Si  nous  buvions  quelque  chose  là  pour  causer?  — 
fit  Anatole  en  montrant  le  café  auprès  duquel  ils  s'étaient 
rencontrés,  et  qui  se  dressait,  au  milieu  des  grands  ar- 
bres à  Técorce  verdie,  entouré  de  son  grillage  de  bois 
pourri,  avec  la  tristesse  d'hiver  des  lieux  de  plaisir  d'été. 
Et  prenant  le  brasde  Coriolis,  il  le  fit  entrerdansle  par- 
terre abandonné,  où  des  volailles  becquetaient  les  pié- 
destaux de  quatre  petits  candélabres  à  gaz.  Devant  eux, 
Us  avaient  un  de  ces  effets  de  lumiôre  qui  transfigurent 
souvent  à  Paris  la  grise  platitude  des.  maison  s  et  la  con- 
trefaçonde  grandeur  des  architectures  bctes. 

Le  ciel  était  d'un  bleu  si  tendre  qu'il  paraissait  verdir. 
Pour  nuages,  il  avait  comme  des  déchirures  de  gazes 
blanches  qui  traînaient.  Là-dedans  montait  la  coupole 
du  Panthéon,  baignée,  chaude  et  violette,  au  milieu  de 
laquelle  une  fenêtre  renvoyait  un  feu  d'or  au  soleil  cou- 
chant. Puis,  des  fusées  de  folles  branches  et  de  cimes 
emmêlées,  des  arbres  de  pourpre  aux  premiers  bour- 
geons verdissants,  les  deux  côtés  d'une  longue  et  vieille 
allée  du  jardin,  enfermaient  dans  leur  cadre  un  grand 
morceau  de  jour  au  loin,  un  coup  de  soleil  noyant  des 
bâtisses  et  glissant  par  places,  sur  la  terre  blonde,  jus- 
qu'à deux  statues  de  marbre  blanc  luisantes,  au  premier 
plan,  des  blancheurs  tièdes  de  l'ivoire.  On  eût  cru  voir, 
par  celte  journée  de  printemps,  le  rayon  d'un  hiver  de 
Rome  au  Luxembourg. 

—  Tiens  !  —  dit  Anatole  à  Coriolis  en  s'accotanl  contre 
le  mur  du  café  peint  en  rose,  —  nous  aurons  chaud  là 
comme  si  nous  avions  le  dos  au  poêle...  Garçon!  deux 
absinthes...  Non?  Veux-tu  de  la  Chartreuse,  hein?... 
Ah!  mon  vieux!  dire  quête  voilà!...  Eh  bien!  cré  nom^ 


XH  1IA\STTE  SALOMON 

ïPfli,  ça  me  fail  plaisir...  Tt  a-l-il  longlpm|is!  C'esl-iP 
vieux!  Comme  ça  passe!  Avons-nuus  bâliflé  ajiscmble, 
bcînî  Tiens,  ici...  voilà  un  café  qui  devr.iit  nuus  con- 
naître... Là,  par  lierriÈre,  te  rappelles-lu?  qnaml  nous 
avons  eu  notre  rage  de  billard  chez  Lungibout...  que 
nous  Taisions  des  parties  de  cinq  beurcs!...  El  Zaza?,.. 
Zaza,  tu  saÎBÎ  qui  était  si  rlrùle...  qui  m'appelait  tou- 
jours Georges,  et  qui  m'écrivait  Gorye  avec  une  cédille 
BOUS  le  g  pour  faire  Georges  1 
Et  voyant  que  Corîolis  ne  riait  pas  : 

—  Tuas  dil  travailler  lâ-bas?  As-tu  fini  une  de  les 
grandes  machines  modernes...  tu  sais...  dont  lu  étais  si 
toqué? 

—  Non...  non...  —  répondit  Corîolis  avec  un  accent 
de  tristesse.  — Oh!  j'en  ferai...  lu  verras...  j'en toïs.. 
Là-bas,   ce  que  j'ai  fait?  Mon  Dieu!  j'ai  fait  une  ving- 
taine de  petits  tableaux  du   midi  de  la  France...  Ëd  f 
joignant  une  quarantaine  de   mes  esquisses  d*OrienU 
tout  cela,  je   le  dirai,  ce  n'est  pas  mon  dermermaÇ 
mais  enfin  ca  ferait  une  vente,  tu  comprends...  Il  y  » 
rait  de  quoi  faire  un  jour  aux  Commissaires-PriseursS 
C'est  la  mode  à  prisent,  les  Commissaires-Priseurs... 
Et  je  croîs  que  ce  serait  une  bonne  chose  pour  moi,..  Ça 
me  feraitrevenîr  sur  l'eau,  et  j'en  ai  besoin...  depuis  Iroi^ 
«ns  que  je  n'aî  pas  exposé,  on  a  eu  le  temps  de  m'i^^ 
blier...  Il  y  a  un  catalogue,  les  journaux  parlent  deroa 
on  donne  les  prit...  Je   ferai   une  exposition  partit^ 
lifre...  Ohl  c'est  très-bon...  Ce  qui  ne  raonterw  pu 
des  sommes  considérables,  je  le  retirerai...  Il  fàul  h' 
faire  comme  tout  le  monde...  Je  n'y  aurais  pas  peu 
sans  Manette...  Elle   est  trés-inleUigcntc  pour  tout  p 
Manette...  Et  puis  ca  me  liquidera...  Et  maintenant  q 
me  voilà  ici,  avec  tous  mes  matériaux  sous  la  mainet^ 

bon  mauvais  air  de  Paris  qui  vous  fait  piocher,  je  te  A 

mande  un  peu,  —  dit-il  en  s'animant  et  comi.e  s'il  ae 
roidissait  dans  une  volonté  d'avenir,  —  je  te  demande 
un  peu,  qu'est-ce  qui  pourra  m'empêcherde  faire  ce  que 
je  vuulais  faire,  ce  que  js  me  sens  dans  le  ventre...  i" 


MANETTE  SALOMON.  VU 

choses...  tu  verras!...  Mais  jet*ai  assez  embêté  de  moi... 
Ah  çà!  qu'est-ce  qui  m'a  donc  dit  que  ta  mère  t'était 
tombée  sur  le  dos,  mon  pauvre  garçon  ? 

-Parfaitement...  J'ai  cette  croix-là,  la  croix  de  ma 
mère...  Enfin  !  on  n'a  qu'une  maman,  ce  n'est  pas  pour 
la  laisser  sur  le  pavé...  Et  puis,  je  ne  peux  pas  lui  en 
vouloir  de  m'avoir  donné  le  jour...  Elle  croyait  bien 
faire,  cette  femme... 

—  Mais  est-ce  qu'elle  n'avait  pas  une  certaine  aisance, 
ta  mère? 

—  Mais  si...  Il  y  a  eu  uh  temps  où  If  y  avait  quatre 
lampes  Carcel  à  la  maison...  Mais  maman  avait  une  ma- 
ladie, vois- tu,  qui  l'a  perdue...  Il  fallait  qu'elle  donnât 
à  jouer  au  whist...  La  rage  de  recevoir,  quoi!...  d'inviter 
des  chefs  de  bureau  à  dîner...  Tout  ce  qu'elle  gagnait  y 
a  passé.*.  A  la  fin  de  tout,  elle  avait  quelque  chose  en 
viager  pour  ses  vieux  jours  chez  une  perle  de  banquier  : 
il  a  levé  le  pied,  et  un  beau  jour,  plus  un  radis  !  voilà 
l'histoire...  Tu  comprends  que  ce  n'était  pas  le  moment 
de  lui  demander  des  comptes  de  la  fortune  de  papa... 
J'ai  pris  deux  chambres...  et,  quand  elle  a  l'air  trop 
ennuyé  le  soir,  je  lui  dis  :  Maman,  si  tu  veux,  je  vais  dire 
au  portier  de  monter  pour  faire  ton  whist  ! 

—  Allons  !  ne  blague  donc  pas...  il  paraît  que  tu  t'es 
conduit  admirablement,  et  toi  qui  es  si  vache ,  on  m'a  dit 
que  tu  t'étais  remué  comme  un  enragé,  que  tu  avais  fait 
des  pieds  et  des  mains  pour  vous  sortir  de  misère... 

—  Moi?  laisse  donc...  — -  fit  modestement  Anatole  à 
demi  humilié  d'être  complimenté  de  son  dévouement 
filial,  et  revenant  à  ses  idées  d'observation  comique  : 
—  Le  plus  drôle,  mon  cher,  c'est  que  ça  ne  l'a  pas 
changée,  c'est  toujours  la  même  femme...  Voilà  donc 
ses  malheurs  qui  arrivent...  plus  le  sou,  plus  rien  que 
les  meubles  de  sa  chambre...  Moi,  c'était  roide...  J'avais 
six  francs,  six  francs  net  pour  le  déménagement...  Eh 
bien  !  sais-tu  ce  qui  la  préoccupait  ?  C'était  d'envoyer 
des  cartes  de  visites  avec  P.  P.  C!  pour  prendre  congé  !... 
Maman,  je  te  dis,  —  et  sa  roix  prit  la  solennité  caver- 


194  MANETTE  SALOMON. 

neuse  du  Prudhomrae  de  Monnîcr,  —  c'est  la  victime  den 
convenances  sociales  ! 

—  Tais-toi,  imbécile  I  —  fit  Coriolis  saris  pouvoir  s'em- 
pêcher de  rire. 

Et  continuant  à  causer,  ils  laissaient  peu  à  peu  leurs 
paroles  retourner  au  passé  et  toucher  çà  et  là  à  ce  qui 
réchauffe  les  années  mortes.  Les  regards  d'Anatole, 
chargés  d'expansion,  enveloppaient  Coriolis,  et,  en  par- 
lant, il  appuyait  ce  qu'il  disait  de  pressions,  d'attouche- 
ments caressants,  de  gestes  posés  sur  quelque  endroit  de 
la  personne  de  son  interlocuteur.  A  ce  contact,  au  frot- 
tement de  ces  mains  qui  retâtaient  une  vieille  amitié,  au 
souffle  des  jours  passés,  sous  les  mots,  les  questions,  les 
souvenirs  d'effusion  qui  remuaient  une  liaison  de  vingt 
ans  et  leurs  deux  jeunesses,  Coriolis  sentait  mollir  et  se 
fondre  sa  froideur  première.  El  tu  viens  dîner  à  la  mai- 
son, n'est-ce  pas?  —  dit-il  à  la  fin. 

Ils  se  levèrent,  sortirent  du  Luxembourg  et  remon- 
tèrent la  rue  Notre-Dame-des-Champs,  cette  rue  d'ate- 
liers et  de  chapelles,  aux  grandes  maisons  conventuelles, 
aux  étroites  allées  garnies  de  lierre,  aux  loges  rustiques 
de  portiers,  aux  affiches  de  pommade  de  Sœurs,  la 
grande  rue  religieuse  et  provinciale  où  trébuchent  de 
vieux  liseurs  de  livres  à  tranches  rouges,  et  qui,  avec 
ses  cloches,  semble  sonner  l'heure  du  travail  avec  l'heure 
du  couvent.  r- 

Anatole  débordait  de  paroles;  Coriolis  parlait  moins 
et  se  renfermait  en  lui-même  avec  un  air  de  préoccupa- 
tion, à  mesure  qu'on  approchait  de  la  maison. 

—  Et  elle  va  bien.  Manette?  —  demanda  Anatole, 
quand  ils  furent  à  deux  ou  trois  portes  de  Coriolis 

—  Très-bien. 

—  Et  ton  moutard? 

—  Très-bien,  très-bien,  merci. 
Ils  montèrent. 

—  Tiens  !  veux-tu  attendre  un  instant  dans  râtelier, 
—  dit  Coriolis,  — je  vais  prévenir  Manette  que  tu  dînes. 

Anatole  entra  dans  l'atelier,  plein  d'une  tiède  chaleur, 


1 


MANETTE  SALOMON.  39d 

OÙ  se  levait,  d*une  bouilloire  sur  le  poêle,  une  forte 
odeur  de  goudron.  Il  était  à  peine  là  que,  par  une  petite 
porte,  un  enfant  se  glissa  comme  un  petit  chat;  et,  ayan' 
attrapé  le  coin  du  divan,  il  s'y  colla,  les  mains  derrière 
le  dos,  appuyées  contre  le  bois,  le  ventre  un  peu  ep 
avant,  avec  cet  air  des  enfants  que  leur  mère  envoU 
surveiller  au  salon  un  monsieur  qu^on  ne  connaît  pas. 

—  Tu  ne  me  reconnais  pas  î  —  dit  Anatole  en  s'avan- 
çant  vers  lui. 

—  Si...  tu  es  le  monsieur  qui  faisait  les  bêtes...  — 
répondit  sans  bouger  le  bel  enfant  de  Gorïolis  ;  et  il  fit 
le  silence  d*un  petit  bonhomme  qui  ne  veut  plus  parler. 
Puis,  comme  pour  se  reculer  d'Anatole,  il  se  renversa 
en  arrière  sur  le  divan,  avec  une  grâce  maussade,  et  de 
là,  se  mit  à  suivre,  sans  le  quitter  de  ses  deux  petits 
yeux  ronds,  tous  ses  mouvements. 

Un  peu  gêné  du  tête-à-tête  avec  ce  gamin  qui  le  tenait 
i  distance,  Anatole  se  mit  à  regarder  des  panneaux  po- 
sés sur  deux  chevalets,  des  paysages  aux  ciels  de  lapis, 
aux  verts  métalliques  d'émail. 

Il  avait  fini  son  examen,  et  commençait  à  trouver  Is 
temps  long,  quand  Coriolis  reparut  avec  un  air  singulier, 

—  Nous  dînerons  nous  deux,  —  fit-il,  —  Manette  a  la 
floigraine...  Elle  s'est  couchée. 

—  Tiens!..,  Ah!  tant  pis,  —  dit  Anatole.  —  Moi  qui 
me  faisais  un  plaisir  de  la  voir.».  Il  est  très-gentil,  ton 
fils...  Charmant  enfant  1 

—  Ah!  tu  regardais?...  C'est  de  là-bas,  tout  ça...  Tu 
sais,  nous  étions  à  Montpellier...  On  n'a  quà  descendre 
le  Lez,  une  jolie  petite  rivière  avec  des  iris  jaunes,  pen- 
dant une  heure...  Et  puis,  passé  les  saules  d'un  petit 
iiameau  qu'on  appelle  Lattes ^  c'est  ça,  mon  cher...  Ohi 
un  bien  drôle  de  pays...  une  vraie  Egypte,  figure-toi... 
Tiens!  voilà...  —  Et  il  touchait  dans  ses  études  les  effets 
et  les  couleurs  dont  il  lui  parlait.  —  Une  terre...  comme 
ca...  des  grandes  flaques  d'eau...  des  marais  avec  de 
l'herbe...  et  entre  l'herbe,  des  grandes  plaques  d'azur, 
4es  morceaux  de  ciel  très-crus...  aussi  crus  que  ça,..  Et 


\ 


896  MANETTE  SALOMOM. 

puis  à  côté,  tu  vois...  des  langues  de  sable  avec  dei 
touffes  de  soude...  un  tas  de  canaux  là-dedans,  avec  ce? 
bateaux-là,  à  drague,  avec  des  roues  à  godets...  des 
petits  îlots  brûlés...  de  temps  en  temps  un  grand  pré 
vague...  voilà...  où  il  n'y  a  que  deux  ou  trois  juments 
blanches  qui  filent,  ou  des  troupes  de  taureaux  qui 
s'effarent  quand  vous  passez...  une  fermentation  du 
diable  dans  toutes  ces  eaux- là...  une  végétation!  des 
joncs,  des  tamaris,  des  ronces,  des  roseaux!...  Et  des 
ciels,  mon  cher!  C'est  plus  bleu  que  ça  encore...  Enfin, 
tout  :  des  scorpions,  du  mirage...  il  y  a  du  mirage...  il 
y  a  même  des  flamants...  tiens,  diaprés  nature,  s'il  vous 
platt,  ces  flamants-là...  près  de  Maguelonne...  et  ils  vo- 
laient, je  te  réponds  !...  Ils  avaient  l'air  heureux,  comme 
moi,  de  retrouver  leur  Orient... 

—  Mais,  dis  donc,  —  fit  Anatole  en  regardant  hs 
murs  du  nouvel  atelier  de  Coriolis  à  peine  garnis  de 
quelques  plâtres,  —  qu'est-ce  que  tu  as  fait  de  tes  bibe- 
lots? 

—  Oh!  tout  a  été  vendu  quand  nous  sommes  partis... 
C'était  un  nid  à  poussière...  Viens- tu  dans  la  salle  à 
manger?...  ça  les  décidera  peut-être  à  nous  servir... 

Le  dîner,  un  dîner  de  restes  ou  rien  ne  rappelait 
l'ancienne  largeur  du  ménage  de  garçon  de  Coriolis,  fut 
servi  par  deux  filles  qui  répondaient  aigrement  aux  obser- 
vations de  Coriolis,  s'asseyaient  sur  un  coin  de  chaise, 
quand  les  dîneurs  s'oubliaient,  après  un  plat,  à  causer. 

—  Tiens!  —  dit  Coriolis,  quand  on  fut  au  café,  avec 
on  ton  d'impatience  qu'Anatole  ne  comprit  pas,  — 
prends  ta  tasse,  le  carafon  d'eau-de-vie...  Nous  serons 
Hieux  dans  l'atelier... 

Anatole,  en  effet,  s'y  trouva  bien.  Le  plaisir  d'être 
^vec  Coriolis,  quelques  petits  verres  qu'il  se  versa,  le 
firent  bientôt  s'épanouir;  et  ses  vieilles  gaietés  lui  reve- 
nant, il  recommença  ses  anciennes  farces,  bondissant, 
criant  :  Hou  1  hou  1  aboyant  comme  un  gros  chien  autour 
df  Coriolis,  Tétourdissant  de  tours  de  force  et  de  me- 
naces de  tapeSi  se  jetant  sur  lui  en  lui  disant  :  —  C'est 


MANETTE  SALOMON.  397 

donc  toi  !  a  voilà,  la  grosse  bête  !  —  le  chatouillant,  le 
pinçant,  et  tout  à  coup  s'arrêtant,  pour  jeter  sa  joie  dans 
ce  mot  :  —  Tiensi  je  suis  content  comme  si  j'étais  dé- 
coré! 

Tout  en  jouant,  Anatole  revenait  à  l'eau-de-vie.  A  la 
fin,  il  leva  le  carafon  à  la  lumière  de  la  lampe,  et  y 
chercha  du  regard  un  dernier  verre  :  le  carafon  était 
vide.  Coriolis  sonna.  Une  bonne  parut. 

—  De  Teau-de-vie... 

—  Il  n'y  en  a  plus, — dit  la  bonne  avec  une  voix  dont 
Anatole  lui-même  perçut  l'insolence. 

Au  bout  de  quelques  instants,  il  prenait  sur  un  fau- 
teuil le  chapeau  qu'il  y  avait  posé  à  plat  soigneusement 
sur  les  bords  :  c'était  chez  lui  un  principe  absolu  de 
poser  ses  chapeaux  ainsi,  pour  empêcher,  disait-il,  les 
bords  de  tomber;  et  il  partait  sans  que  Coriolis  cherchât 
à  le  retenir. 

Une  fois  dans  la  rue,  au  froid  de  l'air  fouettant  sa  gri- 
serie, le  mot  de  la  bonne  lui  retombant  dans  la  pensée 
avec  le  diner,  la  journée,  la  première  gène,  les  singu* 
larités  de  Coriolis,  Anatole  marcha  en  se  parlant  ti^ 
haut  à  lui-même,  se  répétant  tout  le  long  du  chemin  : 
—  (Il  n'y  en  a  plus!  Il  n'y  en  a  plus!  »  En  voilà  une 
bonne  que  je  retiens  !  c  II  n'y  en  a  plus  !»  Et  sa  ni- 
graine,  à  madame!...  €  H  n'y  en  a  plus!  »...  Et  touite 
la  maison...  ïoutre!  ïoutre!  ïoutres,  les  domestiques! 
foutre,  la  femme  !  loutre,  le  moutard,  loutre,  mon  anr.  i  t 
loutre!...  tous,  ïoutres!..,  pas  moi,  ïoutre... 


CXXXVIII 


La  maîtresse  avait  frappé  un  grand  coup  en  enlevant 
Coriolis  de  Paris,  en  brisant  brusquement  ses  habitudes, 
en  l'arrachant  aux  milieux  de  sa  vie,  en  l'isolant  et  en 
le  tenant  près  de  deux  années  sous  une  influence  que 

34 


3M  HATiETTE  SALOMOR. 

rien  IW  comlialtait,  dans  >ic-s  emlroits  oouvt-ain 
lui  parlaiPiil  pas  fie  l'imlôiK'n'Ianre  i!i«  ïmi  i-nss^ToiUe» 
les  facililf-s  s'iitaifttt  rt>ncoiilréCBlâpotirl*;iNM'i.issem,;ol 
d'un  homme  maîride,  se  croyant  plus  tnala.le  encore 
qu'il  n'^lait,  et  dïspuaé  à  accepier  la  volonté  de  r«rft 
qui  le  soignait,  comme  on  acct-pte  une  lasse  de  lisant, 
[■ar  fatigue,  par  ennui  de  luUer,  par  ce  reiioncemotilè 
vouloir  iiue  Tait  cliez  les  plus  forts  la  pensée  de  la  mon. 
Son  aulorilé  de  garde-malade,  la  maîtresse  l'avait  pea 
k  peu  loul  doucement  étendue  sur  l'homme.  Elle  avrit 
tuuclié  à  ses  sentiments,  i  ses  instincts,  à  ses  pensée». 
Coriolis  s'élail  laissé  lentement  enlacer,  envelupper,  do 
cœur  à  la  cervelle,  saisir  tout  entier,  par  ces  mains  de 
caresse  remonlant  son  drap  ou  lui  croisant  son  paletot 
Bur  la  poitrine,  l'entouranl  à  toute  heure  de  chaleut,  de 
tendresse,  de  dorloterie.  Les  attentions  maternelles,  â 
aiïeclueusement  grondeuses  de  Manclle,  la  sulitude,  le 
Wlc-à-tCte,  l'iioliîlude  que  chaque  jour  rami-ne,  ces  deux 
forces  lentes  et  dissolvantes  :  le  temps  et  la  femme, 
avaient  longuement  usé  les  résistances  de  son  caractère, 
ses  instincts  de  soulèvement,  ses  efforts  de  rébellion. 
Des  soumissions  que  la  femmo  lé^^limc  n'impose  pas  au 
mari  auquel  elle  est  lli^e  pour  toujours,  la  mallfeBse  -Im 
avait  imposées  à  l'amant  qu'elle  était  libre  de  quitter  ; 
elle  l'avait  plié  à  une  servitude  de  peur,  à  des  retours  ' 
CTwntifs  el  humiliés  devant  le  moindre  symplftme  d'irri- 
tition.  la  plus  petite  menace  de  fâcherie.  Un  abandon, 
une  rupture,  un  départ,  c'était  ce  que  Coriolia  voyait, 
aussitôt,  cl,  dans  une  fièvre  d'inquiétude,  la  terreur  l« 
prenait  de  perdre  cette  femme,  k  seule  dont  il  put  ftlre 
aimé  El  soigné,  celte  femme  nécessaire  ft  sa  vie,  eleaat 
laquelle  il  n'imaginait  pas  l'avenir.  Le  maltrisaiit  par  tt, 
le  tenant  lié  par  cet  immense  besoin  qu'il  avait  d'ell^ 
et  qu'elle  surexcitait,  en  l'înquiétanl,  avec  l'hab'ilelé  «" 
le  génie  de  tact  donnés  aux  plus  médiocres  înlelllgeOM 
de  son  seic,  Manette  avait  fini  par  faira  penclier  Corlo- 
lis  vers  ses  mani&res  de  voir  à  elle,  ses  faf.os  dBJW|ftr, 
tes  antipathies,  ses  pedtesses-  Ce  qu'elle  avait  obtenu' 


MANETTE    SALOMON  39f 

de  lui,  ce  n'avait  point  été  une  entière  et  brusque  abdi- 
cation de  ses  goûts,  de  ses  instincts,  de  ses  attaches  de 
cœur  :  ce  qui  s'était  fait  dans  Coriolis  était  plutôt  une 
diminution  dans  l'absolue  confiance  de  ses  opinions. 
Entre  elle  et  lui,  il  s'était  produit  l'effet  de  cette  loi  îro* 
nique  qui  veut  que  dans  la  communauté  de  deux  intel- 
ligences, rintelligence  inférieure  prédomine,  marche  à 
la  longue  fatalement  sur  l'autre,  et  donne  ce  spectacle 
étrange  de  tant  d'hommes  de  talent  ne  voyant  rien  que 
par  le  petit  objectif  de  la  femmô  qui  les  a. 

Il  avait  bien  encore  dans  la  tête,  tout  en  haut  de  Tes- 
prit  et  de  l'âme,  des  idées  auxquelles  il  ne  laissait  pas 
Manette  toucher;  mais  c'était  tout  ce  que  Manette  n'avait 
pas  encore  atteint,  abaissé  et  plié  en  lui,  A  mesure  qu'il 
vivait  de  la  société  de  cette  femme,  de  sa  causerie,  de 
ses  paroles,  il  perdait  le  mépris  carré  qui  le  défendait  au 
premier  jour  contre  l'impression  de  ce  qu'elle  lui  disait. 
Il  avait  commencé  par  ne  pas  l'entendre  quand  elle  lui 
parlait  de  choses  qu'il  ne  voulait  pas  entendre;  maîntS' 
nant  il  l'écoutait,  et,  malgré  lui,  il  l'entendait. 

Cependant,  quand  il  se  retrouva  à  Paris,  mieux  por- 
tant, armé  d'un  peu  plus  d'énergie  et  de  santé,  renoué 
à  ses  connaissances,  retrempé  dans  le  courant  parisien, 
fouetté  par  des  plaisanteries  d'amis  ;  quand  il  se  vit,  dans 
un  quartier  qu'il  n'aimait  pas,  avec  des  domestiques  in- 
supportables, tomber  à  cette  vie  que  lui  faisait  Manette, 
une  vie  antipathique  à  tous  ses  goûts,  mortelle  à  ses 
amitiés,  étroite,  retrillonnée  au-dessous  de  sa  fortune, 
indigne  de  ses  habitudes,  Coriolis  ne  put  réprimer  un 
mouvement  de  révolte.  Mais  alors,  il  rencontra  dans  la 
volonté  de  Manette  une  espèce  de  force  qu'il  n'avait  pas 
soupçonnée,  une  résistance  qui  paraissait  toujours  céder 
et  qui  ne  cédait  jamais,  un  entêtement  sans  violence,  une 
sorte  d'opiniâtreté  ingénue,  caressante,  presque  angé- 
lique.  A  tout,  elle  disait  :  Oui,  et  faisait  comme  si  elle 
avait  dit  :  Non.  S'il  s'emportait,  elle  s'excusait  :  elle 
avait  oublié,  elle  pensait  ne  pas  le  contrarier;  c'était  de 
si  peu  d'importance.  Et  pour  tout  ce  qu'elle  décidait, 


400  MANETTE  SALOMOM. 

ce  qu'elle  commandait  contre  les  ordres  de  Coriolis, 
contre  son  désir  tacite  ou  formel,  c'était  le  même  jeu, 
la  même  justification  tranquille  et  de  sang-froid.  U  y 
avait  dans  la  forme  de  sa  domination  comme  une  dou- 
ceur passive,  un  air  d'humilité  désarmante,  une  sorte 
d'indolence  apathique,  devant  lesquelles  les  colères  de 
Coriolis  étaient  forcées  de  se  dévorer. 


GXXXIX 


La  grande  distraction  de  Coriolis  avait  été  jusque-«là 
de  réunir  deux  ou  trois  amis  à  sa  table.  U  aimait  ces 
dîners  familiers  qu'égayaient  des  causeries  et  des  visages 
de  vieux  camarades;  il  avait  pris  une  chère  habitude  de 
ces  réceptions  sans  façon,  qui  étaient  pour  lui  la  fête  et 
la  récompense  de  sa  journée,  la  récréation  du  soir  où  il 
oubliait  la  fatigue  quotidienne  de  son  travail,  et  se  re- 
trempait à  la  verve  des  autres. 

Peu  à  peu,  les  dîneurs  d'habitude  devinrent  rares  et 
ne  parurent  plus  que  de  loin  en  loin  :  Coriolis  s'en  étonna. 
Qui  les  éloignait?  Il  montrait  toujours  le  même  plai- 
sir à  les  voir.  Et  il  ne  pouvait  accuser  Manette  de  les 
renvoyer  :  elle  n'avait  pas  avec  eux  la  migraine  qu'elle 
avait  eue  avec  Anatole.  Elle  les  recevait  aimablement,  lui 
semblait-il,  s'occupait  d'eux,  les  servait,  n'avait  jamais 
d'aigreur  ni  de  mauvaise  humeur.  Et  cependant  presque 
tous  un  à  un  désertaient.  Ses  plus  vieux  amis  ne  reve- 
naient pas.  Et  quand  Coriolis  les  rencontrait,  ils  essayaient 
de  se  dérober  à  la  chaude  insistance  de  son  invitation, 
en  s'excusant  sur  des  prétextes. 

Ce  qui  les  chassait,  c'était  ce  oui  chasse  les  amis  d'iin 
intérieur,  l'absence  de  cordialité  qui  se  répand  et  s'étend 
de  la  maîtresse  de  la  maison  à  la  maison  même,  l'ac- 
cueil maussade  et  rechigné  des  mars,  une  espèce  de 
mauvaise  volonté  des  choses  qu'on  gêne  et  qu'on  dérange, 


MANETTE   SÂLOMON.  401 

la  soirrde  hostilité  des  meubles  contre  les  hôles,  la 
chaise  boiteuse,  le  feu  qui  ne  prend  pas,  la  lampe  qui 
ne  veut  pas  s'allumer,  l'égarement  des  clefs  de  ménage 
qu'on  cherche,  l'ensemble  de  petits  accidents  conjurés 
pour  le  malaise  de  l'invité.  Les  délicats  étaient  encore 
blessés  de  l'accent  d'amabilité  de  Manette;  ils  y  sen- 
taient un  ton  d'effort  et  de  commande,  la  grâce  forcée 
d'une  maîtresse  obligée  de  les  subir,  leur  en  voulant 
comme  d'une  indiscrétion  de  s'être  laissé  inviter,  et  fai- 
sant, à  travers  son  sourire,  courir  sur  la  table  des  regards 
qui  semblaient  faire  des  marques  aux  bouteilles;  Ses 
attentions,  l'occupation  embarrassante  qu'elle  prenait 
d'eux,  les  plaintes  en  leur  présence  sur  les  plats  man- 
ques, les  réprimandes  sur  le  service,  étaient  chez  elle 
autant  de  façons  polies  de  les  prier  de  ne  pas  revenir» 
Et  pour  les  natures  moins  fines,  moins  sensibles,  que 
ces  façons  de  Manette  ne  blessaient  point,  il  y  avait  au- 
tour de  la  table,  pour  les  renvoyer,  l'insolence  des  deux 
grandes  bonnes,  leur  air  grognon  et  lassé  de  la  fatigue 
du  dtner,  le  dédam  de  leur  main  adonner  une  assiette, 
leur  impatience  à  attendre  la  fin  du  dessert,  leur  mine 
de  domestiques  à  des  gens  qui  ne  viennent  que  pour 
manger. 

Dans  l'espèce  de  rêve  et  d'échappement  à  la  réalité  où 
vivent  les  hommes  dont  la  tête  travaille  et  que  remplit 
une  œuvre,  Coriolis,  planant  au-dessus  de  tous  ces  dé- 
tails, ne  s'apercevait  de  rien.  Enfin,  un  jour  qu'il  invitait 
Massicot,  devenu  son  voisin  et  resté  l'un  de  ses  derniers 
fidèles  : 

—  Dîner?  —  lui  répondit  Massicot  — je  veux  bien... 
mais  au  restaurant. 

—  Pourquoi? 

—  Ah!  pourquoi?...  Eh  bien,  parce  que  chez  toi... 
chez  toi,  il  me  semble  qu'il  y  a  des  cents  d'épingles  an- 
glaises dans  le  crin  de  ma  chaise,  et  qu'on  me  met  quelque 
chose  dans  ma  soupe  qui  m'empêche  de  la  manger!... 
Tiens!  il  y  a  des  gens  qui  deviennent  fous  en  regardant 
ttu  anneau  de  rideau  dans  une  chambre  où  leurs  parents 


*02  BIANETTE   SALOMOR. 

les  ont  emoélés...  Moi,  quand  je  regarde  le  papier  fe  U 
salle  à  nnanger,  il  me  prend  des  envies  de  casser  mou 
assiette  sur  le  nez  de  tes  bonnes...  et  de  prier  ta  femme... 
pas  poliment...  daller  se  coucherl 


CXL 


Tout  avait  changé  dans  rintérieur  de  Coriolîs.  • 
Son  petit  logement  n'était  plus  son  grand  et  large  ap- 
partement delà  rue  de  Vaugirard.  Son  atelier,  dépouillé 
de  ce  clinquant  d'art  sur  lequel  Tœil  du  coloriste  aime 
â  se  promener,  semblait  vide  et  froid,  presque  pauvre. 
Là-dedans,  à  la  place  du  domestique  et  de  l'ancienne 
cuisinière,  étaient  installées  les  deux  cousines  de  Ma- 
nette,  deux  créatures  à  la  désagréable  tournure  hom- 
masse  de  bonnes  de  province,  l'une  retirée  d'un  ser- 
Tjce  de  ferme  des  Vosges,  l'autre  de  la  maison  de  Maré- 
ville,  où  elle  soignait  les  fous. 

Manette  avait  encore  établi  dans  la  maison  sa  vieille 
mère  dont  la  colonne  vertébrale  était  presque  entière- 
ment ankylosée,  et  qui,  clouée  et  roide,  restait  à  l'angle 
d'une  cheminée,  à  un  coin  de  feu,  avec  son  serre-téte 
noir  de  veuve  juive,  sa  figure  orange,  l'enfoncement 
sombre  de  ses  yeux,  l'automatisme  effrayant  de  ses 
mouvements,  le  marmotlage  grommelant  et  redoutable 
de  prières  incompréhensibles.  Dans  l'escalier,  à  la 
porte,  sans  cesse,  Coriolis  rencontrait  dans  ses  grandes 
jambes  un  jeune  homme  aux  cheveux  laineux,  portant 
toujours  un  petit  paquet  enveloppé  dans  un  mouchoir  de 
couleur  :  c'était  un  frère  de  Manette.  A  de  certains 
jours,  il  entrevoyait  dans  le  fond  de  la  cuisine  des  têtes 
pomtues,  des  yeux  louches  et  brillants,  des  lippes  do 
ces  nixkandlers,  de  ces  industriels  du  trottoir  et  du 
boulevard  sortis  du  petit  village  de  Bischeim,  près  de 
Strasbourg. 


MANETTE  SALOMON.  403 

Humblement,  à  pas  rampants,  la  juiveiie  se  glissait, 
montait  à  la  dérobée  dans  la  maison,  renveloppait  par- 
dessus, y  mettait  Tair  de  ses  habitudes  et  la  contagion 
de  ses  superstitions.  Les  deux  cousines,  conservées  par 
la  province  plus  près  de  leur  culte  et  de  leur  origine, 
défaisaient  peu  à  peu,  dans  Manette,  l'indilTérence  et 
les  oublis  de  la  Parisienne.  Elles  la  renfonçaient  aui 
pratiques  et  aux  idées  du  judaïsme,  fouillant,  retrouvant, 
ranimant  dans  la  juive  vieillissante  la  persistance  im- 
mortelle de  la  race,  ce  qui  reste  toujours  de  juif  dans 
le  sang  qui  ne  paraît  plus  du  tout  l'être. 

Depuis  le  jour  de  la  synagogue,  Coriolis  n'avait  rien 
Yu  en  elle  de  sa  religion  ni  de  son  peuple.  Manette  avait 
pourtant  toujours  gardé  de  ce  côté  de  secrètes  attaches. 
Il  ne  s'était  guère  passé  de  samedi  sans  qu'elle  menât  ce 
jour-là  sa  promenade  vers  une  petite  place  située  à  l'em- 
branchement de  la  rue  des  Rosiers,  de  la  rue  des  Juifs, 
de  la  rue  Pavée,  de  la  rue  du  Roi-de-Sicile,  dans  ce  ras- 
semblement au  soleil  de  l'après-midi  que  font  là  les 
juifs.  C'était  comme  un  besoin  pour  elle  de  passer  et  de 
repasser  une  ou  <ieux  fois  à  travers  ces  figures  de  gens 
qu'elle  ne  connaissait  pas,  auxquels  elle  ne  parlait  pas, 
mais  dont  elle  s'approchait,  qu'elle  touchait,  et  dont  la 
vue  lui  donnait  pour  toute  la  semaine  comme  une  es* 
pèce  de  communion  avec  les  siens  et  avec  une  humanité 
de  sa  famille. 

On  arrivait  à  ne  plus  servir  sur  la  table  que  des  viandes 
tuées  selon  le  rite  traditionnel  du  schechita;  on  allait 
chercher  de  la  choucroute  rue  des  Rosiers.  Maîlresses 
de  l'intérieur,  les  femmes  de  la  maison  ne  se  gênaient 
plus  pour  soumettre  Coriolis  à  la  tyrannie  des  usages 
pour  lesquels  il  avait  de  la  répugnance. 

Mais  ce  n'étaient  là  que  de  petits  despotismes,  ne  faisant 
quetaquiner,irriter,  impatienter  Coriolis.  De  plus  graves 
ennuis,  de  poignants  soucis  de  cœur  lui  venaient  d'un 
bien  autre  envahissement  de  sa  vie  :  il  sentait  la  domi- 
nation hostile  de  ces  femmes  toucher  à  l'aCTcclion  de  son 
enfant,  et  la  détourner  de  lui.  Son  ûis,  à  mesuie  qu'il 


404  MANETTE   SALOMON. 

grandissait,  lui  semblait  aller  à  ces  étrangères,  se  com- 
plaire dans  leurs  jupes,  comme  s'il  était  instinctivement 
attiré  par  une  sympathie  mystérieuse  de  consanguinité. 
Pour  l'avoir,  pour  en  jouir,  il  était  obligé  d'aller  le 
prendre,  l'arracher  à  sa  grand'mère  qui,  de  sa  vieille 
mémoire  chevrotante,  versant  à  la  jeune  imagination  de 
l'enfant  le  merveilleux  du  Zeanah  Surenahy  lui  rabâchant 
des  choses  de  vieux  livres  écrits  en  germanico-judaîque, 
le  tenait  charmé,  ébloui  devant  les  contes  de  l'Orient 
falmudique,  les  repas  dont  le  vin  sera  celui  d'Adam, 
dont  le  poisson  sera  leLéviathan  avalant  d'un  seul  coup 
un  poisson  de  trois  cents  pieds,  dont  le  rôti  sera  le  tau- 
reau Behemot  mangeant  tous  les  jours  le  foin  de  mille 
montagnes. 


CXLI 


Crescent  venait  à  peine  trois  ou  quatre  fois  par  an  à 
Paris  pour  faire  provision  de  toiles,  de  couleurs,  de 
brosses,  et  toucher  le  prix  d'un  tableau.  A  chacun  de  ces 
petits  voyages,  il  ne  manquait  pas  d'aller  voir  Corio- 
lis,  passant  le  plus  souvent  aves  lui  toute  une  demi- 
journée. 

Coriolis  avait  un  grand  plaisir  à  le  revoir.  Il  retrouvait 
en  lui  un  souvenir  du  bon  temps  de  Barbison.  Il  aimait 
ce  que  le  rustique  artiste  lui  apportait  de  l'odeur  et  de 
la  sérénité  des  champs.  Et  il  était  heureux  de  voir  un 
brave  homme  heureux. 

A  une  de  ces  visites  :  —  Et  Anatole?  —  se  mit  à 
dire  Crescent...  —  J'ai  été  si  habitué  à  le  voir  a-vec 
fous... 

-—Oh  !  il  y  a  bien  longtemps,  —  fit  Coriolis,  embar- 
rassé. —  Il  est  venu  dîner  un  soir...  Et  puis,  nous  ne 
l'avons  pas  revu...  je  ne  sais  pas  pourquoi... 

—  Oh  I  il  a  assez  mangé  ici.. .  —  dit  Manette. 


MANETTE  SÂLOMOli  409 

—  Pauvre  garçon.-.  —  reprit  Crescent  —  on  vient  de 
me  faire  des  plaintes  sur  lui  au  ministère  pour  la  com- 
mande que  je  lui  ai  fait  avoir...  Il  parait  qu'il  ne  finit 
pas  sa  copie.  On  lui  a  écrit  pour  l'inspection. 

—  Je  crois  bien,  —  dit  Manetlte,  —  il  est  si  pares- 
seux!... une  vraie  couleuvre... 

—  Après  ça,  peut-être,  qu'il  n*y  a  pas  de  sa  faute... 
Dans  sa  position,  il  faut  d'abord  manger,  il  faut  gagner 
son  pain  de  chaque  jour...  Gueuse  de  misère  tout  de 
même  dans  nos  états,  quand  on  reste  en  route... 

Et  changeant  de  ton  :  —  Ah  çà!  toi,  —  dit-il  brus- 
quement à  Coriolis,  -—  ta  m'as  toujours  promis  un  des- 
sin ..  Ce  n'est  pas  tout  ça...  il  me  faut  mon  dessin...  Où 
est  mon  dessin? 

—  Tiens!  là,  au  fond  de  l'atelier...  le  carton  rouge... 
C'est  ça... 

Crescent  se  baissa,  ouvrit  le  carton,  commença  à 
feuilleter  :  c'était  un  choix  des  plus  beaux  dessins  de 
Coriolis.  Machinalement,  il  leva  les  yeux  :  il  vit  dans  la 
psyché  devant  lui,  Manette  vivement  rapprochée  de  Co- 
riolis, lui  faisant  le  signe  de  colère  d'une  femme  furieuse 
de  voir  emporter  de  la  maison  un  objet  de  valeur,  quel- 
que chose  représentant  de  l'argent.  Et  presque  aussitôt  : 
—  Non,  pas  le  rouge,  —  lui  cria  Coriolis,  —  l'autre,  à 
à  côté...  le  vert...  tiens...  là... 

Crescent  prit  le  carton  vert,  l'apporta  à  Coriolis. 

Coriolis,  avec  un  geste  de  tristesse,  y  prit  un  dessin, 
le  mitsur  une  table,  le  retravailla,  le  recala  longuement, 
puis  le  rendit  à  Crescent. 

Quelques  minutes  après,  Crescent  lui  serrait  cbaude- 
menl  la  main  et  sortait  sans  saluer  Manette^ 


406  MANETTE  SÀLOMOll» 


CXLII 


Les  amis  ainsi  écartés,  l'isolement  refait  à  Paris  ra- 
tour  de  Coriolis,  le  travail  incessant  de  la  maîtresse  con- 
tinua, poursuivant  plus  hardiment  la  diminution,  Tanni- 
hilalion  du  maître  de  la  maison,  avec  cette  espèce 
d'écrasant  despotisme  que  la  femme  du  peuple  met  dans 
la  domination  domestique.  Manette  eut,  comme  la  femme 
du  peuple,  ces  tyrannies  affichées,  publiques,  montrée» 
devant  les  domestiques,  les  fournisseurs,  les  gens  qui 
passent,  et  ôtant  à  un  homme  la  dignité  qu'une  femme 
de  la  société  laisse  par  pudeur  à  la  faiblesse  d'un  mari. 
Coriolis  perdait  le  gouvernement  et  le  commandement 
de  son  intérieur;  on  lui  retirait  des  mains  la  direction  de 
la  maison  ;  on  lui  ôtait  de  la  bouche  les  ordres  à  donner. 
Il  ne  comptait  plus,  il  n'entrait  plus  dans  les  arrange- 
ments qui  se  faisaient.  Il  n'était  plus  consulté  pour  tout 
ce  que  voulait  Manette  que  par  un  :  «c  N'est-ce  pas, 
chéri?  »  qu'elle  lui  jetait  de  confiance,  sans  écouter  sa 
réponse^  11  n'eut  bientôt  plus  d'argent  :  la  femme  le 
prit  comme  dans  un  ménage  d'ouvrier,  le  serra,  le  retint, 
s'habitua  à  le  regarder  comme  une  chose  à  elle,  qu'elle 
lui  donnait,  et  dont  il  devait  lui  dire  l'usage.  Des  priva- 
tions, des  retranchements  furent  imposés  à  ses  goûts. 
Coriolis  avait  un  sentiment  d'élégance  de  créole.  Il  s'était 
toujours  mis  de  façon  distinguée  et  dépensait  largement 
pour  tout  ce  qu'un  homme  des  colonies  appelle  «  son 
linge  ».  On  le  contraria  là-dessus  jusqu'à  ce  qu'il  prît  un 
petit  tailleur  travaillant  à  bon  marché;  et  à  peu  de  temps 
de  là  commença  à  se  montrer  dans  sa  toilette  le  coup  de 
ciseau  d'ouvrières  de  la  maison. 

Toute  sa  vie  fut  rabaissée,  asservie  à  des  habitudes 
ménagères,  à  la  façon  de  vivre  de  ce  trio  de  femmes  qui, 
tous  les  jours,  le  tiraient  un  peu  plus  à  elles,  appro- 


MANETTE  SALOMON.  407 

chaient  de  lui  leur  familiarité,  rentraînaîent  dans  quel- 
que place  humble  à  un  spectacle  qui  l'assommait,  ou  le 
poussaient  à  une  soirée  ministérielle  pour  le  bien  de  ses 
affaires. 

Ce  fut  comme  une  longue  dépossession  de  lui-même, 
à  la  fin  de  laquelle  ïljie  s'appartint  presque  plus.  De  sou- 
mission en  soumission,  Manette  l'amenait  à  être  dans  la 
maison  un  de  ces  grands  enfants  qu'on  soigne  comme 
un  petit  enfant,  un  de  ces  êtres  vaincusi,  désarmés,  ab- 
sorbés, dociles,  qu'une  femme  mène,  manœuvre,  tapote, 
habille,  cravate,  embrasse,  et  qui.,  jusqu'au  dehors  et 
dans  la  rue,  emportent  la  marque  de  leur  humilité  et  de 
leur  sujétion  au  logis. 

Encore  Manette  le  dédommageait-elle  par  des  caresses, 
des  chatteries,  des  affectuosités,  des  douceurs  :  de  temps 
en  temps,  il  sentait  passer  dans  le  toucher  de  sa  main 
les  tendresse  dont  on  flatte,  pour  le  faire  obéir,  un  ani- 
mal domestique.  Mais  à  côté  de  Manette  il  y  avait  les 
deux  cousines,  les  deux  mauvaises  figures,  qui  semblaient 
mépriser  Coriolis  en  face,  et  rire  ironiquement  de  sa 
déchéance.  Avec  leur  air  de  dédaigner  ses  ordres,  l'ai- 
greur de  leurs  réponses,  leur  grossièreté  amère,  leur 
entente  sournoise  pour  blesser  ses  goûts,  ses  préférences, 
ses  manies,  leur  espèce  de  domination  en  sous-ordre, 
ces  femmes  entouraient  Coriolis  de  son  humiliation,  et 
la  lui  rapportaient  à  toute  heure.  Ce  qu'elles  lui  faisaient 
souffrir  et  dévorer,  cette  torture  qui  d'abord  l'avait  exas- 
péré, maintenant  lui  causait  comme  une  peur  :  il  se  re- 
tournait vers  Manette,  implorait  sa  présence  contre  elles, 
lui  demandait,  quand  par  hasard  elle  sortait  le  soir,  de 
revenir  de  bonne  heure,  pour  ne  pas  être  livré  aux  bonnes, 
leur  appartenir  toute  la  soirée. 

On  eût  dit  que,  dans  cet  avilissement,  les  forces  de 
résistance  de  Coriolis,  tous  les  appareils  de  la  volonté, 
tout  ce  qui  tient  debout  le  caractère  d'un  homme,  cé- 
daient peu  à  peu  ainsi  que  cède  la  solidité  d'un  corps  à  la 
dissolution  de  cette  maladie  d'Egypte  faisant  des  os  quel- 
que chose  de  mou  qu'on  peut  nouer  comme  une  corde» 


AM£TTË   SALOMOH. 


GXLIII 


Et  cette  domination  domestique^  cette  volonté  sub* 
stîtuée  à  la  sienne  dans  le  ménage,  Coriolis  commençait 
à  les  voir  se  glisser  peu  à  peu  jusqu'aux  choses  de  son 
métier,  de  son  art,  essayer  doucement  de  s'attaquer  à 
l'artiste,  s'approcher  de  son  chevalet,  toucher  presque 
à  son  inspiration. 

Quand  Manette,  à  une  ébauche  qu'il  lui  montrait,  je- 
tait un  glacial  encouragement;  quand,  à  côté  de  lui,  elle 
lui  semblait  faire  la  mine  à  ce  qu'il  brossait,  ou  bien 
seulement  quand,  avec  l'admirable  talent  des  femmes  à 
jouer  l'aveugle,  elle  affectait  de  ne  pas  voir  ce  qu'il  pei- 
gnait, Coriolis  était  pris  dans  son  travail  d'une  impa- 
tience nerveuse  qui  lui  faisait  gâter  son  esquisse  et  son 
tableau.  De  sa  toile,  il  ne  percevait  plus  queles  faibles- 
ses, les  difficultés,  les  côtés  décourageants,  ce  qui  arrête 
la  verve  en  tuant  rillusion;  et  il  ne  tardait  pas  à  aban- 
donner son  œuvre  commencée. 

Coriolis,  le  Coriolis  cabré  toute  sa  vie  sous  les  conseils 
des  autres,  avec  le  juste  orgueil  de  sa  valeur  ;  le  Coriolis 
si  dédaigneux  de  l'intelligence  et  des  goûts  d'art  de  la 
femme,  si  jaloux  de  ses  sensations  propres,  de  son  op- 
tique personnelle,  de  Tindépendance  et  de  l'ombrageuse 
originalité  de  son  tempérament,  Coriolis  acceptait  des 
découragements  lui  venant  de  cette  femme!  L'habitude 
de  lui  obéir,  de  la  consulter,  de  lui  soumettre  et  de  lui 
confier  tout  le  reste  de  sa  vie,  l'avait  mené  lentement  à 
cet  asservissement  où  les  faiblesses  de  l'homme  descen- 
dent dans  l'artiste,  mettent  sur  sa  peinture  le  nuage  du 
front  de  sa  maîtresse,  entament  sa  foi  en  lui-même  et 
finissent  par  lui  ôter  le  caractère  jusque  dans  le  talent. 

Il  n'osait  s'avouer  à  lui-même  cette  influence  de  Ma- 
nette. Il  en  repoussait  l'idée,  il  n'y  voulait  pas  croire,  il 


MANETTE   SALOMON.  409 

ge  débattait  sous  elle.  Et  cependant,  malgré  lui,  aux 
heures  de  ses  réflexions  solitaires,  il  se  rappelait  son 
exposition  de  1855,  cette  tentative  dans  laquelle  il  avait 
entrevu  un  nouvel  horizon  d*art.  Il  fallait  bien  qu'il  en 
convint  avec  lui-même  :  ce  n'étaient  point  la  presse,  les 
criailleries  des  journaux,  la  morsure  de  la  critique  qui 
l'avaient  fait  reculer  devant  le  moderne  et  abandonner 
le  grand  rêve  de  peindre  son  temps.  C'était  elle  avec  ses 
c  rengaines  i^  de  mauvaise  humeur,  avec  tout  ce  qu'elle 
lui  avait  dit  ou  laissé  voir  pour  le  détourner  de  l'art  qui 
ne  se  vend  pas,  et  le  pousser  à  des  tableaux  de  vente. 
Car  Manette,  comme  une  femme  et  comme  une  juive, 
ne  jugeait  la  valeur  et  le  talent  d'un  homme  qu'à  cette 
basse  mesure  matérielle  :  l'achalandage  et  le  prix  vénal 
de  ses  œuvres.  Pour  elle,  l'argent,  en  art,  était  tout  et 
prouvait  tout.  Il  était  la  grande  consécration  apportée 
par  le  public.  Aussi  travaillait-elle  infatigablement  à 
mettre  dans  la  carrière  de  Coriolis  la  tentation  de  l'ar- 
gent. Elle  comptait,  faisait  sonner  à  son  oreille  les  gains 
des  autres  :  elle  l'étourdissait,  l'humiliait  des  gros  prix 
de  celui-ci,  de  celui-là,  des  revenus  de  chaque  année 
de  la  peinture  de  Garnotelle.  Elle  approchait  encore  de 
lui  des  ambitions  mesquines,  des  aspirations  bourgeoi- 
ses, des  velléités  de  candidature  à  l'Institut^  toutes  sortes 
d'appétits  tournés  vers  le  succès. 

Vainement  Coriolis  essayait  de  ne  pas  l'entendre  et  de 
se  fermer  à  ces  excitations  incessantes,  à  ces  paroles  qui 
avaient  le  retour  et  la  patience  de  la  goutte  d'eau  qui 
creuse;  lui  qui  s'était  jusque-là  estimé  si  heureux  d'a- 
voir son  pain  sur  la  planche,  d'être  au-dessus  des  exi- 
gences, des  concessions  de  misère  qui  déshonorent  un 
talent;  lui,  plein  de  dégoût  et  de  mépris  pour  tout  ce  qui 
sentait  le  commerce  chez  les  autres;  lui,  l'amoureux  et 
le  religieux  de  son  art,  qui  avait  fait  de  la  peinture  sa 
chose  sainte  et  révérée,  la  religion  désintéressée  et  le 
vœu  sévère  de  son  existence;  lui  qui,  à  l'idéal  de  sa 
vocation,  avait  sacrifié  des  bonheurs  de  sa  vie,  du  plai- 
sir, un  amour,  les  paresses. du  créole;  lui,  l'artiste  raf- 

85 


410  MANETTE  SÂLOMOrt 

fine,  délicat,  rare,  qui  s'était  presque  fait  un  point 
d'honneur  de  tenir  à  distance  la  vogue  et  la  mode;  lui, 
dont  la  carrière  n'avait  été  que  fierté,  liberté,  pureté, 
indépendance,  —  il  commençait  à  éprouver  auprès  de 
cette  femme  comme  les  premiers  symptômes  d'un  ra- 
mollissement de  sa  conscience  d'artiste. 

Souvent  une  honte  enragée  le  prenait,  la  honte  d'une 
sorte  de  dégradation  morale  qui  s'accomplissait  graduel- 
lement en  lui,  la  honte  de  quelqu'un  qui  va  mettre  une 
mauvaise  action,  le  reniement  de  toute  sa  vie  dans  une 
vie  d'honneur!  11  s'en  allait,  ne  revenait  pas  dîner,  par 
horreur  du  contact  de  cette  femme;  et,  seul  avec  lui- 
même,  dans  quelque  promenade  de  solitude,  fouillant 
ses  lâchetés,  se  penchant  dessus,  en  sondant  le  fond,  il 
se  demandait  avec  angoisse  si,  à  force  d'entendre  ce  mot, 
cette  idée,  ce  maître  et  ce  dieu  de  cette  femme  :  l'Ax- 
genl!  revenir  toujours  dans  sa  bouche,  juger  tout,  excuser 
tout,  couronner  tout  pour  elle,  l'Argent  ne  lui  parlait 
pas  déjà  un  peu  aussi  à  lui 


CXLIV 


Un  moment  arrivait  où  le  talent  de  Coriolîs  paraissait 
vaincu,  dompté  par  Manette,  docile  à  ce  qu'elle  voulait 
de  lui.  L'artiste  semblait  se  résigner  aux  exigences  de 
la  femme.  De  l'art,  il  se  laissait  glisser  au  métier.  L'a- 
venir qu'il  avait  rêvé,  il  l'ajournait.  Ses  projets,  ses  am- 
bitions, la  haute  et  vivante  peinture  qu'il  avait  eu  l'idée 
de  tonler,  il  les  remettait,  les  repoussait  à  d'autres 
temps,  quand  un  hasard  vint,  qui  le  rattacha  violemment 
à  ses  œuvres  passées,  et,  redressant  l'homme  dans  le 
peintre,  faillit  lui  faire  briser  d'un  coup  sa  servitude. 

Dans  le  débarras  de  tout  le  cher  bric-à-brac  que  Ma- 
nette avait  su  obtenir  de  son  découragement,  de  son  af- 
faiblissement maladif,  lors  de  leur  départ  pour  le  midi 


« 


MANETTE  SALOMON.  411 

de  la  France,  Manette  avait  encore  voulu  qu'il  se  des- 
saisît de  ces  deux  toiles,  la  Révision  et  le  JUtariage,  qu'elle 
disait  encombrantes  et  invendables.  Coriolis,  auquel 
ces  deux  tableaux  rappelaient  un  insuccès  et  des  atta- 
ques, ennuyé  et  souffrant  de  les  voir,  n'avait  pas  fait 
grande  résistance;  et  les  deux  toiles  avaient  été  ven- 
dues, données  à  un  marchand  de  tableaux.  De  là,  l'une 
de  ces  toiles,  la  Révision,  passait  chez  un  amateur, 
homme  du  monde,  éléganj  brocanteur  en  chambre,  lit- 
térateur de  revue  à  ses  heures,  lequel  ramassait  depuis 
dix  ans  une  galerie  de  modernes  avec  un  sang-froid 
calculateur,  jouant  sur  les  noms  nouveaux  comme  un 
agioteur  joue  sur  des  valeurs  d'avenir,  et  résolu  à  faire 
de  sa  vente  un  «  grand  coup  »; 

Cette  vente  annoncée,  tambourinée  fit  grand  bruit.  Un 
débutant  littéraire,  brillant  et  déjà  remarqué,  voulant 
faire  son  trou  et  du  bruit,  cherchant  une  personnalité 
sur  laquelle  il  pût  accrocher  des  idées  neuves  et  re- 
muantes, crut  trouver  son  homme  dans  Coriolis.  Trois 
grands  articles  d'enthousiasme  tapageur  dans  le  petit 
journal  le  plus  lu  attirèrent  l'attention  sur  c  le  maître 
de  la  Révision  ».  Accouru  à  la  vente,  Paris,  qui  avait  à 
peine  retenu  le  nom  de  Coriolis  et  ne  savait  plus  sur 
quel  tableau  le  poser,  fit  la  découverte  de  cette  toile 
balayée  par  les  regards  indifférents  du  public  à  la  grande 
exposition  de  1855.  Des  polémiques  s'enflammèrent, 
coururent  de  journaux  en  journaux,  Coriolis  prit  les 
proportions  d'une  curiosité  et  d'un  grand  homme  mé- 
connu. 

L'heure  des  enchères  venue,  deux  concurrents  se 
trouvèrent  en  présence  :  un  monsieur  possédé  de  la  rage 
de  se  faire  connaître,  du  désir  furieux  d'une  publicité 
quelconque,  et  un  agent  de  change  ayant  besoin,  pour 
rasseoir  son  crédit  et  écraser  des  bruits  désastreux,  de 
faire  une  dépense  folle  bien  visible  et  annoncée  dans 
les  journaux.  Entre  cet  intérêt  et  cette  vanité,  le  tableau 
monta  à  une  quinzaine  de  mille  francs, 

Coriol's  avait  été  se  voir  vendre.  Quand  il  rentra,  Ma- 


412  MANETTE  SALOMON. 

nette  aperçut  en  lui  comme  un  autre  homme.  Sa  physio* 
nomie  avait  une  telle  expression  de  dureté  reconquise, 
de  dureté  résolue,  presque  méchante,  qu'elle  n'osa  pas 
lui  demander  des  nouvelles  de  la  vente.  Ce  fut  Coriolis 
qui,  le  premier,  rompît  le  silence,^  en  allant  à  elle. 

—  Ah!  vous  êtes  une  femme  qui  entendez  les  affaireti 
vous!  —  Et  il  laissa  tomber  avec  un  accent  de  mépris  : 
les  affaires, 

—  Ma  Révision  vient  de  se  vendre...  savez-vous  com- 
bien? Quinze  mille  francs  I...  Ah  !...  est-ce  que  vous 
croyez  que  ça  me  fait  quelque  chose?...  Mais  quand  j'ai 
fait  cela,  vous  n'étiez  rien  dans  ma  vie...  rien  que  la 
femme  qui  vous  sert  de  l'amour...  comme  elle  vous 
cirerait  vos  bottes!...  Eh  bien!  alors,  j'étais  quelqu'un, 
j'étais  un  peintre...  je  trouvais...  Ah!  vous  avez  eu  une 
jolie  idée  de  spéculation!...  Savez-vous  ce  que  vous 
avez  fait  de  moi?  Un  homme  de  métier,  un  faiseur  de 
peinture  au  jour  le  jour,  le  domestique  de  la  mode,  des 
marchands,  du  public  !...  un  misérable  !...  Tenez  !  pen- 
dant qu'on  promenait  ma  Révision  sur  la  table,  dans  les 
enchères,  je  regardais...  Il  y  a  des  choses  là-dedans... 
l'homme  nu,  le  coup  de  lumière,  le  dos  en  bas  dans 
l'ombre...  Je  me  disais:  Mais  c'est  beau,  ça!  Je  sens 
que  c'est  beau!...  On  se  pressait,  on  se  penchait...  et  je 
voyais  que  c'était  beau  dans  tous  les  yeux  qui  regar- 
daient!... A  présent?  Mais  je  ne  saurais  plus  fiche 
une  machine  comme  ça,  ma  parole  d'honneur!  je  crois 
que  je  ne  pourrais  plus...  Il  faut  pouvoir  vouloir...  Et 
c'est  vous  !  —  dit-il  en  s'avançanl,  d'un  air  menaçant, 
vers  Manette,  —  vous,  à  force  de  tourments,  en  étant 
toujours  là  derrière  mon  chevalet,  avec  vos  paroles  qui 
me  jetaient  du  froid  dans  le  dos...  Ah!  ce  que  je  serais 
aujourd'hui  avec  les  tableaux  que  vous  m'avez  empêché 
de  faire!...  et  l'argent  que  vous  auriez  gagné,  vousl.,. 
Vous  ne  savez  pas  tout  l'argent...  C'est  que  maintenant, 
j'y  pense  aussi,  moi,  à  ça...  Vous  m'avez  passé  de  votre 
sang,  tenez!  Dieu  me  pardonne!...  Ah!  vous  avez  bien 
vidé  l'artiste  I...  Je  vous  hais,  voyeï-vous,  je  vous  hais. .. 


MANETTE  SALOMON.  413 

Et  voulez-vous  que  je  vous  dise!  Il  y  a  des  jours...  — 
et  sa  voix  lente  prit  une  douceur  homicide  —  des  jours... 
où  il  me  vient  l'idée,  mais  Tidée  très-sérieuse  de  com- 
mencer par  vous,  et  de  finir  par  moi,  pour  en  finir  de 
cette  vie-là!... 

Puis,  après  deux  oa  trois  tours  agîtes  dans  l'atelier, 
revenant  à  Manette,  et  lui  parlant  avec  le  ton  d'une 
prière  égarée  : 

—  Mais  parle  donc  !...  dis  au  moins  quelque  chose  !... 
Parle-moi!...  ce  que  tu  voudras  !...  mais  parle-moi!... 
Tiens!  j'ai  peur  de  moi...  Manette!  Manette! 

Puis,  partant  d'une  espèce  de  rire  cruel  et  fou  : 

—  De  l'argent?  Ah  !  de  l'argent!...  Vrai,  tu  Taimes? 
tu  l'aimes  tant  que  ça?...  Eh  bien,  attends. 

II  sonna . 

Une  des  bonnes  parut  à  la  porte. 

—  Vous  allez  me  descendre  toutes  les  toiles  qui  sont 
dans  la  chambre  en  haut... 

La  bonne  ne  bougea  pas  et  regarda  Manette. 

Coriolis  fit  un  pas  vers  elle,  un  pas  terrible  qui  lui  fit 
dire  :  —  Oui,  monsieur... 

Quand  toutes  les  toiles  furent  descendues,  Coriolis 
s  assit  devant  le  poêle,  l'ouvrit,  y  jeta  une  toile,  la  re- 
garda brûler.  Il  prit  une  autre  toile,  l'arracha  de  son 
châssis.  Manette,  qui  s'était  levée,  voulut  la  lui  retirer 
des  mains. 

— Allons,  mon  cher, — lui  dit-elle  avec  son  petit  ton  su- 
périeur, — vous  avez  assez  fait  l'enfant...  En  voilà  assez... 

Coriolis  saisit  le  poignet  de  Manette.  Elle  cria.  Co- 
riolis ne  la  lâcha  pas,  et  la  serrant  toujours,  il  la  mena 
jusqu'au  divan,  et  là,  de  force,  il  la  fit  tomber  dessus, 
assise,  brusquement. 

Puis  il  revint  au  poêle,  arracha  d'autres  toiles,  les 
jeta  dans  le  feu.  Il  regardait  le  tableau  plein  d'huile  et  de 
couleurs  qui  se  tordait,  —  puis  Manette- 
Un  moment  Manette  fit  un  mouvement  pour  sortir. 

—  Restez  là  !  —  lui  dit  Coriolis,  ou  je  vous  attache 
tTecune  corde... 

15. 


414  MANETTE  SÀLOMON 

Et  lentement,  avec  im  visage  qui  avait  l'air  de  jouir 
de  ce  sacrifice  et  de  cette  agonie  de  ses  œuvi'es,  il  se 
remit  à  l)rûler  ses  tableaux.  Quand  le  dernier  fut  con- 
sumé, il  tracassa  lentement  ce  qui  restait  du  tout,  une 
espèce  de  morceau  de  minerai,  le  résidu  du  blanc  d'ar- 
gent de  toutes  les  toiles  brûlées;  puis,  prenant  cela 
entre  les  tiges  de  la  pincette,  il  alla  à  Manette  et  le  lui 
jeta  bnilalement  dans  le  creux  de  sa  robe. 

—  Tenez  !  voilà  un  lingot  de  cent  mille  francs!  —lai 
dit-il. 

—  Ah  !  —  fit  Manette  avec  un  saut  de  terreur  qui  fit 
glisser  à  terre  le  lingot  au  bas  de  sa  robe  brûlée,  —  me 
brûler!...  Il  a  voulu  me  brûler  ! 

—  Maintenant,  —  lui  dit  Coriolis,  —  vous  pouvez  voua 
en  aller...  Je  n'ai  plus  besoin  de  vous. 

Et  il  retomba,  brisé,  sur  le  divan. 


CXLV 


De  tous  les  anciens  amis  de  Corîolîs,  un  seul  n'avait 
pas  été  écarté  par  Manette:  c'était  Garnotelle.  Elle  avait 
pour  lui  Testime,  la  considération,  le  respect  que  lui 
inspirait  le  succès  d'argent.  Elle  le  recevait  avec  des 
attentions  complimenteuses,  des  coquetteries  d'infério- 
rité et  d'humilité  qui  blessaient  cruellement  Coriolis  dans 
Torgueil  de  sa  valeur  méconnue. 

Attiré  par  ses  amabilités,  n'ayant  plus  à  craindre  les 
hostilités  d'Anatole,  Garnotelle  fréquentait  assez  assidû- 
ment la  maison.  Il  avait  toujours  eu  pour  Coriolis  une 
sorte  de  déférence  ;  et  l'homme  arrivé  semblait  encore 
goûter,  avec  ses  instincts  de  paysan,  de  l'honneur  à  se 
frotter  à  l'amitié  du  gentilhomme. 

Puis  il  s'était  passé  dans  sa  vie,  depuis  un  an,  des 
événements  qui  le  portaient  à  ce  rapprochement.  Nommé 
4  l'Institut,  il  avait,  avec  une  admirable  adresse,  dé- 


MANETTE   SALOMON.  415 

noué  son  mariage  avec  la  fille  du  membre  de  rinslitul 
qui  avait  mené  et  emporté  son  élection.  Mais,  quoiqu'il 
eût  mis  dans  cette  affaire  délicate  l'apparence  des  buns 
procédés  de  son  côté,  ce  mariage  manqué  avait  fait  un 
assez  mauvais  effet,  d'autant  plus  que  la  rupture  concor- 
dait, par  une  malheureuse  coïncidence,  avec  un  revers 
de  fortune  dii  père.  Aussi  rencontrait-il  dans  le  corps 
où  il  venait  d'entrer  une  froideur,  une  réserve  presque 
hostile.  Il  se  retournait  alors  vers  le  ministère,  les  liai- 
sons gouvernementales;  et  avec  les  influences  qu'il  faisait 
jouer  là,  la  pesée  de  sa  personnalité  et  de  ses  recom- 
mandations, il  essayait,  par  les  récompenses,  les  com- 
mandes, de  gagner  des  reconnaissances,  des  sympathies, 
une  clientèle  avec  laquelle  il  pût  faire  contre-poids  i 
l'opinion  publique  et  regagner  de  la  considération. 

—  Allons!  mon  cher,  —  disaîtril  un  soir  a  Coriolîs 
dans  l'atelier  à  demi  sombre  et  qui  attendait  la  lampe, 
—  permets-moi  de  te  le  dire,  c'est  de  l'enfantillage.. • 

Coriolis  se  promenait  à  grands  pas. 

Manette,  à  côté  de  Gamotelle,  regardait  se  promener 
Coriolis;  et  elle  avait  on  sourire  méprisant,  presque 
<ïruel. 

Il  y  eut  un  long  silence. 

—  Tiens!  —  fit  à  la  fin  Coriolis,  — je  me  sens  trop 
Taniteux  pour  refuser... 

—  Ah!  c'est  bien  heureux,  —  dit  Manette. 

—  Mon  cher,  avant  huit  jours,  ta  nomination  sera  au 
Jlfomï^r...' Manette  peut  acheter  du  ruban  rouge...  Dès 
demain  on  aura  ta  réponse...  J'irai  moi-même... 

Quand  Coriolis  fut  couché,  sa  tète  se  mit  à  travailler, 
et  dans  la  petite  fièvre  qui  lui  vint,  peu  à  peu  ses  idées 
se  laissèrent  aller  à  une  irritation  d'amertume.  Il  pen- 
sait à  celte  croix  que  l'opinion  publique  lui  avait  donnée 
à  son  exposition  de  1853,  et  qu'on  pensait  lui  accorder 
après  tant  d'années,  seulement  maintenant,  sur  le  bruit 
de  celte  dernière  vente.  Il  songeait  à  tous  ceux  de  ses 
camarades  qui  l'avaient  obtenue  à  côté  de  lui,  derrière 
loi;  il  se  rappelait  des  nominations  qui  étaient  presque 


â 


416  MANETTE   SÂLOMON. 

des  ironies  ;  il  retrouvait  les  nomSy  revoyait  les  ta- 
bleaux des  individus.  Il  lui  montait  au  cœur  un  soulève- 
ment, la  révolte  légitime  d*un  homme  de  talent  qui  a  la 
conscience  d*avoir  mérité  la  croix  depuis  longtemps,  et 
qui  trouve  que  quand  le  ruban  attend  pour  lui  venir  ses 
cheveux  blancs,  ce  n'est  plus  qu'une  banale  récompense 
à  Tancienneté.  Il  se  demandait  alors  si  ce  n'était  pas  une 
lâcheté  d'avoir  accepté,  et  s'il  n'était  pas  digne  de  lui  de 
refuser  une  récompense  qui  arrivait  trop  tard  et  qu'il 
avait  trop  gagnée.  Et  peu  à  peu  son  orgueil  parlait  con- 
tre sa  vanité  :  il  était  tenté  par  l'éclat  de  refuser  la  croix, 
de  se  singulariser  par  le  mépris  de  ce  ruban  si  envié,  si 
quêté,  si  mendié.  Une  heure,  deux  heures,  il  y  eut  en 
lui  la  lutte  de  ses  répugnances,  le  débat  de  sa  nature,  de 
l'homme,  de  l'artiste  n'ayant  pas  la  philosophie  de  Cres- 
cent,  n'étant  pas  tout  rempli  et  tout  récompensé  par  l'art 
seul,  très-touché  par  toutes  les  faiblesses  humaines  de 
l'homme  de  talent,  très-sensible  au  désir  des  marques 
et  des  distinctions  offlcielles  de  la  célébrité. 

A  la  fin,  ses  répugnances  l'emportaient.  Il  lui  semblait 
voir  celte  chose  odieuse,  et  affreusement  humiliante  :  sa 
croix  au  bout  de  la  main  de  Garnotelle. 

Il  se  jeta  au  bas  de  son  lit,  alluma  une  bougie  et  se 
mit  à  écrire  une  lettre  où  la  dignité  orgueilleuse  de  son 
refus  se  cachait  sous  l'humilité  d'une  exagération  de 
modestie. 

Le  matin,  il  relut  la  lettre,  la  cacheta  et  l'envoya  sans 
en  dire  un  mot  à  Manette. 


CXLVI 


En  apprenant  ce  refus  de  la  croix,  Manette  fut  prise 
d'un  sentiment  singulier.  Il  lui  vint  un  profond  mépris, 
un  mépris  de  femme  d'affaires  pour  l'homme  qui  repous- 
sait la  chance  s'offrant  à  lui,  et  qui  manquait  tout  ce  que 


Manette  salomon.  417 

la  décoration  donne  à  un  artiste  :  la  consécration  offi- 
cielle, la  plus-value  de  la  signature,  l'achalandage  com- 
mercial, la  part  aux  commandes  ministérielles.  Dans  ce 
refus  que  rien  n'expliquait,  n'excusait  à  ses  yeux,  et  dont 
elle  était  incapable  de  comprendre  la  hauteur  et  la  dignité, 
elle  ne  vit  qu'une  bêtise.  Coriolis  était  désormais  pour 
elle  un  homme  jugé;  il  ne  lui  restait  plus  rien  de  ce 
qu'elle  respectait  et  reconnaissait  encore  en  lui  :  c'était 
un  pur  imbécile. 

De  ce  jour,  Manette  devint  une  autre  femme.  Sa  domi- 
nation n'eut  plus  de  caresse.  Elle  mit  dans  ses  rapports 
avec  Coriolis  une  sorte  d'autorité,  de  sécheresse.  Elle  ne 
sembla  plus  lui  demander  pardon  de  le  faire  obéir  :  ce 
qu'elle  voulait,  elle  le  voulut  sans  même  le  prier  de  le 
vouloir  avec  elle.  Elle  eut  avec  lui  des  ordres  brefs,  sans 
phrases,  sans  explication,  sans  réplique,  comme  avec 
quelqu'un  qui  n'a  pas  le  droit  de  demander  plus.  Elle 
prit,  d'un  air  dégagé,  l'assurance  et  le  commandement 
d'une  volonté  nette  et  tranchante;  de  sa  voix  se  dégagea 
un  ton  impératif  froid,  posé,  coupant.  Ce  fut  si  brusque, 
si  décisif,  que  Coriolis  en  reçut  comme  le  coup  d'une 
soudaine  interdiction  :  il  resta,  bras  cassés,  accablé, 
assommé. 

Quelques  jours  après,  un  marchand  de  tableaux  belge 
venait  le  voir  le  matin,  et  séance  tenante,  en  présence 
de  Manette  qui  débattait  toutes  les  conditions  de  l'acte, 
Coriolis  signait  un  traité  par  lequel  il  s'engageait  à  livrer 
un  nombre  de  tableaux  de  chevalet  par  an,  moyennant 
une  rente  annuelle. 

C'était  sa  vie  et  son  talent  que  Manette  venait  de  lui 
faire  vendre.  Il  avait  tout  accepté  sans  faire  une  objec- 
tion :  ses  révoltes  étaient  à  bout  de  forces,  son  énergie 
d'homme  s'était  brisée  à  jamais  dans  sa  dernière  scène 
avec  Manette. 


411  UÀiNLTTË   SâLOMOX 


CXLVII 


Alors  commençait  pour  tous  les  deux  le  suppliée  in 

-concubinage. 

Manette  apercevait  dans  Coriolis  comme  le  fond  noir 
des  haines  amassées  par  tout  ce  qu'elle  lui  avait  fait 
souirrir,  manger  de  hontes,  dévorer  d'avilissements,  de 
chagrins,  de  désespoirs.  Elle  discernait  distinctement  ce 
qui  couvait  en  lui  contre  elle,  toute  l'horreur  de  l'homme 
pour  la  femme  à  laquelle  il  rapporte  toutes  les  dégrada- 
tions d'une  chaîne  indigne.  Ce  qu'il  roulait  sans  rien  dire 
à  côté  d'elle,  les  mauvaises  pensées,  les  ressentiments 
de  son  orgueil  et  de  son  cœur,  les  injures  qu'il  retenait, 
les  révoltes  qu'il  taisait,  elle  les  sentait  sortir  de  lui, 
l'atteindre,  l'insulter.  Des  silences  de  Coriolis  lui  sem- 
blaient la  maudire.  Il  la  blessait  avec  ces  regards  qui 
vont  de  la  maîtresse  qu'on  a  au  bras  à  de  l'honnêteté  de 
femme,  à  des  ménages  qui  passent;  il  la  blessait  avec 
ses  rêveries  qu'elle  croyait  voir  aller  vers  quelque  pur 
amour,  vers  un  souvenir  de  jeune  fille,  vers  une  idée 
ancienne  de  mariage,  vers  la  vision  et  le  regret  d'une 
félicité  manquée. 

Sous  ces  reproches  muets  qui  sourfleltent  une  femme 
plus  outrageusement  que  les  brutalités  d'un  homme,  les 
derniers  liens  alt:\chant  Manette  à  Coriolis  se  rompaient. 
Ce  qui  reste  involontairement  d'habitude  aimante  chez 
une  femme  qui  n'aime  plus  un  amant,  mais  qui  a  été  et 
qui  demeure  sa  maîtresse,  qui  est  la  mère  de  son  enfant, 
qui  a  encore  la  chaleur  de  ses  bras  autour  du  cou,  se 
brisa  chez  elle  :  son  âme  se  referma,  avec  l'amertume 
de  la  femme  ulcérée  pour  toujours,  à  ces  douceurs  qui 
reviennent  de  la  mémoire  des  choses  partagées,  à  ces 
pardons  qui  montent  du  côte-à-côte  de  la  vie,  à  ce  qui 
se  laisse  attendrir,  désarmer  par  l'existence  à  deux  et  la 
contact  du  souvenir. 


MANETTE  SALGMON  419 

Et  alors  se  fit  dans  le  triste  foyer,  devant  les  cendres 
éteintes  de  leurs  années  vécues,  l'horrible  détachement 
de  mort  qui  s'établit  entre  deux  êtres  vivant,  mangeant, 
dormant  ensemble,  unis  à  tous  les  instants  de  Texis- 
tence,  et  se  sentant  séparés  à  jamais.  Ce  fut  cet  abomi- 
nable éloignement  du  père  et  de  la  mère,  que  rien  ne 
rapproche  plus,  pas  même  les  jeux  de  leur  enfant  à  leurs 
pieds;  ce  fut  cette  vie  double,  ennemie,  tiraillée  et  con- 
trainte, pareille  à  la  chaîne  qui  rive  la  haine  de  deux 
forçats,  cette  vie  en  commun  où  chaque  frottement  est 
une  irritation,  où  Tinstinct  même  des  corps  s'évite  et  se 
fuit,  où  rhomme  et  la  femme  mettent  la  séparation  d'un 
vide  entre  leurs  deux  sommeils,  comme  s'ils  avaient 
peur  de  mêler  leurs  rêves  ! 

Heure  épouvantable  de  ces  amours,  qui  donne  à 
l'amant  la  terreur  de  cette  moitié  de  lui-même,  assise 
dans  son  intérieur,  entrée  dans  sa  maison,  et  qui  est  là, 
contre  lui,  implacable,  concentrée,  lui  cachant  à  peine 
le  mal  qu'elle  lui  veut,  savourant  les  ennuis  qu'elle  lui 
fait  avec  les  chagrins  qu'elle  lui  souhaite,  le  défiant  de 
la  chasser,  et  sachant  bien  qu'il  la  gardera  parce  qu'elle 
le  lient  par  l'habitude,  parce  qu'elle  le  connaît  lâche  et 
se  manquant  de  parole  à  lui-même,  parce  qu'elle  sait 
que  son  cœur  est  à  l'âge  des  bassesses  de  cœur  d'homme 
et  qu'il  a  peur,  comme  les  enfants,  d'être  tout  seul! 

Et  à  mesure  que  les  deux  êtres  se  blessaient  davan- 
tage à  leur  accouplement,  à  l'indissolubilité  d'un  lien 
intime  intolérable  et  détesté,  il  semblait  se  dégager  de 
Manette  contre  Coriolis  une  espèce  d'hostilité  originelle. 
L'éloignement  de  la  femme  paraissait  se  compliquer  et 
s'aggraver  de  la  séparation  de  la  juive.  Sans  qu'elle  en 
eût  conscience,  sans  qu'elle  s'en  rendît  compte,  la  juive, 
en  revenant  aux  préjugés  des  siens,  revenait  peu  à  peu 
aux  antipathies  obscures  et  confuses  de  ses  instinclSi 
Une  sorte  de  sentiment  nouveau  et  naissant,  impersonnel, 
irraisonné,  lui  faisait  vaguement  apercevoir  dans  la  per- 
sonne de  Curiolis  le  chrétien  contre  lequel  toujours,  dans 
le  creux  de  toute  âme  juive,  persiste  la  tradition  des 


420  MANETTE  SÂLOMOM. 

haines,  I  amertume  de  siècles  d'humilk^ion,  tout  06 
Qa'une  rjice  éclaboussée  du  sang  d*un  Dieu  peut  avoir  de 
fiel  recuit.  Il  y  avait  au  fond  d'elle,  à  l'état  latent,  naturel, 
presque  animal,  un  peu  de  ces  sentiments  échappés  à  un 
roi  juif  de  TÂrgent,  lorsque  dans  un  moment  d'expan- 
tion,  dans  une  de  ces  ivresses  où  l'on  s'ouvre,  il  répon- 
dait à  des  amis  qui  lui  demandaient  le  plaisir  qu'il  pou« 
Tait  avoir  à  toujours  travailler  à  être  riche  :  c  Ah  !  vous 
ne  savez  pas  ce  que  c'est  que  de  sentir  sous  ses  bottes 
un  tas  db  chrétiens!  » 

Ce  plaisir  haineux,  cette  vengeance  réduite  à  la  me- 
sure d'une  feirime,  Manette  les  goûtait  en  sentant  Corio- 
lis  sous  le  talon  de  sa  bottine. 

La  juive  jouissait,  comme  d'une  revanche,  de  la  servi- 
tude de  cet  homme  d'une  autre  foi,  d'un  autre  baptême, 
d'un  autre  Dieu;  en  sorte  qu'on  aurait  pu  voir,  —  ironie 
des  choses  qui  finissent!  —  la  bizarre  survie  des  vieilles 
vendettas  humaines,  des  conflits  de  religions,  des  ran- 
cunes de  dix-huit  siècles,  mettre  comme  le  reste  des 
entre -mangeries  de  races,  de  la  race  indo-germanique 
et  de  la  race  sémitique,  là,  en  plein  Paris,  dans  un  ate- 
lier de  la  rue  Notre-Dame-des-Champs,  tout  au  fond  de 
ce  misérable  concubinage  d'un  peintre  et  d'un  modèle. 


CXLVIII 


Plus  de  deux  ans  s'étaient  écoulés  depuis  le  jour  où 
Anatole  avait  dîné  pour  la  dernière  fois  chez  Coriolis.  D 
sortait  du  palais  de  l'Industrie,  où  il  venait  de  com- 
mencer un  second  portrait  de  l'empereur,  dont  Crescenl 
lui  avait  fait  obtenir  la  commande,  et  il  parlait  à  une 
femme  encore  jeune  qui,  marchant  à  côté  de  lui,  sem- 
blait écouter  relii^ieusement  ses  paroles  : 

—  Oui,  ma  chère  dame,  —  disait  sentencieusement 


MANETTE  SALOMON.  itl 

Anatole ,  —  voilà  la  recette  pour  faire  un  Impereur 
dans  les  piix  doux...  La  première  fois,  on  fait  des  folies, 
on  se  laisse  aller,  on  s'enfonce...  Mais  la  seconde,  plus 
de  ça...,  on  devient  sage...  Et  comme  j'ai  un  véritable 
intérêt  pour  vous  —  son  sourire  eut  une  nuance  de  ga- 
lanterie, —  je  vais  vous  donner  mon  expérience  à  VœiL,. 
La  toile,  vous  savez,  c'est  cinquante-huit  francs,  plus  le 
calque,  acheté  à  part  cinq  francs...  Maintenant^  atten- 
tion !  Gnien  a  qui,  pour  le  pantalon  blanc  et  le  man- 
teau d'hermine,  se  fendent  de  huit  vessies  de  blanc 
d'argent  à  cinq  sous,  total  quarante  sous...  Moi,  malin, 
avec  quatre  vessies  de  blanc  de  plomb  à  quatre  sous, 
quatre  fois  quatre  font  seize,  je  fais  mon  affaire...  J'en 
suis  pour  lui  mettre  un  peu  de  jaune  de  Naples  dans  la 
culotte,  et  un  peu  de  bitume  dans  les  ombres  et  dans 
les  demi-teintes  de  l'hermine,  vous  comprenez?  Pour 
les  ors  de  l'épaulette,  du  collier,  des  parements,  de  la 
ceinture,  du  fauteuil,  de  la  couronne,  du  sceptre,  des 
crépines,  de  la  table,  c'est  bien  simple  :  une  préparation 
d'ocre  jaune  pour  les  lumières  et  de  bitume  pour  les 
ombres...  Toutes  les  ombres  de  la  toile,  bien  entendu, 
préparées  au  brun-rouge...  Alors  vous  repiquez  les  lu- 
mières avec  du  jaufia  de  chrome  foncé  et  du  jaune  de 
Naples,  et  les  brillants  cassés  avec  du  jaune  de  chrome 
brillant,  de  bonnes  vessies  de  chrome  à  quinze  et  vingt 
centimes...  Il  existe  des  gens  sans  économie  qui  fourrent 
là-dedans  du  jaune  indien,  qui  coûte  des  prix  fous  le 
tube,  vous  ne  l'ignorez  pas  :  c'est  la  ruine  des  familles... 
Point  de  siccatif  de  Harlem,  ni  de  siccatif  de  Courtray, 
tout  à  l'huile  grasse  ordinaire...  Inutile  de  vous  recom- 
mander cela...  Ah!  j'ai  encore  trouvé  le  moyen  de  rem- 
placer le  vert-émeraude  par  du  bleu  minéral,  qui  ne 
coûte  qu'un  sou  de  plus  que  le  bleu  de  Prusse... 

En  donnant  ces  conseils  à  la  copiste,  Anatole  était  ar- 
rivé dans  les  Champs-Elysées  à  la  place  d'un  jeu  de 
boules.  Tout  à  coup,  il  s'interrompit  et  s'arrêta,  en 
apercevant,  dans  le  groupe  des  spectateurs,  quelqu'un 
qui  suivait  le  roulement  des  boules^  la  tête  en  avant  et 

31 


MÂNETT£  SÀLOMON. 

décoayertc,  les  reins  plies,  son  chapeau  à  la  main  der- 
rière son  dos.  Il  regarda  cette  tête  où  des  cheveux 
presque  blancs,  coupés  ras,  contrastaient  avec  le  noii 
des  sourcils,  restés  durement  noirs.  Il  examina  tout  cet 
homme  cassé,  ravagé,  chargé  en  quelques  mois  'e 
iringt  ans  de  vieillesse  :  stupéfait,  il  reconnut  Coriolis. 
" —  Adieu  1  dit-il  brusquement  en  quittant  la  femme 
étonnée,  —  à  demain... 

A  quelques  pas,  il  lui  jeta  :  —  Hais  surtout,  ne  gla« 
eez  jamais  avec  de  la  capucine  rose,  de  la  laque  Robert, 
de  la  laque  de  Smyrnel...  rien  que  de  la  bonne  laque 
fine  à  neuf  sous!... 

Et  il  marcha  vers  Coriolis. 

—  Tu  n'en  as  pas  un...  un  cigare?  —  Ce  fut  le  pre- 
mier mot  de  Coriolis.  —  Non,  c'est  vrai,  toi  tu  fumes 
la  cigarette...  Elle  ne  me  donne  que  de  quoi  m'en  ache- 
ter deux,  figure-toi!... 

Et  saisissant  le  bras  d'Anatole,  s*y  accrochant,  s'atta- 
chant,  se  cramponnant  à  lui,  le  touchant  de  son  grand 
corps  penché,  avec  un  air  heureux  de  le  tenir  et  qui  ne 
voulait  pas  le  lâcher,  il  se  mit  à  lui  parler  de  «  cette 
femme  >,  comme  il  l'appelait,  de  cette  tyrannie  qui  ne 
lui  laissait  pas  un  sou,  qui  ne  lui  permettait  pas  de  voir 
ses  amis,  du  malheur  de  l'avoir  rencontrée,  de  tout  ce 
qu'il  souffrait  dans  cet  intérieur,  de  sa  vie,  une  vie 
d'aplatissement,  de  solitude,  de  lâcheté... 

Il  disait  cela  vivement,  précipitamment  avec  des  éclats 
de  voix  tout  à  coup  réprimés,  des  gestes  violents  qui 
s'arrêtaient  comme  effrayés. 

—  Tu  ne  Tas  pas  vue...  tu  ne  l'as  pas  vue  avec  soa 
visage  méchant,  le  visage  qu'elle  a  pour  moi...  Ah!  ce 
qui  vient  dans  une  figure  de  juive  avec  l'âge...  la  Parque 
qui  se  lève  dans  la  femme...  ce  nez  qui  devient  crochu., 
et  ses  yeux  aigus...  ses  yeux!  Les  as-tu  jamais  biea  re- 
gardés?... Ces  yeux!...  —  murmura  Coriolis  en  baissa  ni 
la  voix.  —  Ah!  les  femmes!...  Tu  étais  avec  une  femme 
tout  à  l'heure,  toi? 

—  Oui,  une  pauvre  diablesse...  Ça  a  été  riche,  élevée 


MANETTE  SALOMON.  iï3 

dans  le  Inxe^  au  piano.. .  Une  canaille  de  mari  qui  a  tout 
mangé  et  l'a  plantée  là  avec  deux  enfants...  Et  mainte- 
nant, il  faut  vivre  avec  un  talent  d'agrément... 

Le  triste  roman  de  misère  esquissé  dans  les  quelques 
mots  d'Anatole  ne  parut  pas  entrer  dans  roreille  de  Co- 
riolis.  Il  en  était  venu  à  cette  monstrueuse  surdité  des 
grandes  douleurs  qui  ne  laissent  plus  entendre  à  un 
homme  la  souffrance  des  autres.  Sans  dire  à  Anatole  un 
mot  d'intérêt,  sans  lui  parler  de  lui,  de  sa  mère,  sans 
«'inquiéter  de  ce  qu'il  était  devenu  depuis  deux  ans,  et 
s'il  avait  de  quoi  manger,  ib  se  mit  à  lui  repeindre  l'en- 
fer de  sa  vie.  Le  promenant,  le  repromenant  sous  les 
arbres  des  Champs-Elysées,  gardant  son  bras,  se  col- 
lant à  lui,  il  lui  rabâcha  ses  plaintes,  ses  lamentations, 
ses  jérémiades. 

Accoutumé  à  lui  voir  dévorer  ses  maladies  et  ses 
chagrins,  Anatole  ne  put  se  défendre  d'un  triste  étonne- 
ment,  en  retrouvant  cet  homme  si  fort,  si  concentré,  si 
maître  de  lui-même,  descendu  à  cela  :  -—  à  dire  peu- 
reusement du  mal  de  cette  femme,  à  s'en  venger  comme 
un  enfant  qui  cafarde  derrière  le  dos  de  son  tyran! 


CXLIX 

A  partir  de  cette  rencontre,  presque  tous  les  jours,  à 

sortie,  Anatole  trouva  Coriolis  TattendiTnt. 

Coriolis  était  là,  un  quart  d'heure  avant,  il  se  prome- 
nait de  long  en  large  devant  la  porte,  il  guettait,  et 
aussitôt  qu'Anotole  paraissait,  il  s'emparait  de  lui,  et 
tout  de  suite,  brusquement,  du  premier  mot,  il  soula- 
geait sa  misérable  faiblesse  dans  le  débordement  de  la- 
mentations où  il  essayait  de  vider  et  de  dégorger  ses 
souiTrances. 

—  Une  vraie  juiverie,  la  maison,  maintenant!  —  lui 
disait-il  un  jour.—  Non,  tu  n'as  pas  idée...  C'est  le  sab- 


iU  MANàtTE  SALOMON. 

bat  cTiez  raoî,  !e  sabbat  !...  D'abord  les  deux  cousines  qui 
sont  à  présent  plus  maîtresses  qu'dte,  et  qui  la  tournent 
et  la  retournent  comme  un  gant...  Il  y  a  la  vieille  pa- 
ralysée qui  fait  tourner  les  sauces  en  marmottant  de 
l'hébreu  dessus...  Et  puis,  c'est  le  scrofuleux  de  frère... 
Il  vient  une  parente...  qui  travaille  pour  la  synagogue, 
qui  est  brodeuse  en  sepharim...  Je  sais  de  leurs  mots^ 
tiens,  à  présent!...  Horrible,  celle-là!.. .  Et  puis,  un  tas 
de  revenants  de  l'Ancien  Testament,  des  parents,  des 
juifs  d* Alsace,  est-ce  que  je  sais  !  des  gens  qui  ont  des 
paletots  verts  avec  des  boutons  bleus  en  acier,  et  des  bâ« 
tons  avec  une  poignée  entourée  de  laine  rouge  et  de  fils 
de  laiton...  des  coreligionnaires  d'on  ne  sait  où,  qui 
viennent  manger,  «  s'asseoir  sous  la  lampe  »,  comme  ils 
disent...  Et  des  têtes!...  Ah!  je  suis  puni  d'avoir  aimé 
Rembrandt!  Il  me  semble  que  mon  intérieur  grouille  de 
ses  fonds  d'eau-fortes...  Et  les  cuisines  qu'ils  font,  si  tu 
savais!...  des  cuisines  à  eux,  comme  en  Alsace,  pour 
les  noces,  des  panades  où  ils  mettent  des  mèches  de 
bonnet  de  coton...  Oui!...  Ces  jours-là,  je  me  sauve  de 
chez  moi...  Non,  c'est  trop  fort,  que  toute  cette  abomi- 
nation de  marchands  de  lorgnettes  descende  chez  moi 
comme  à  l'auberge!...  Tiens!  tu  sais,  la  cousine,  la 
grande,  avec  ses  cheveux  comme  un  incendie,  son  vi- 
sage terrible...  celle  qui  ressemble  à  la  prostituée  de 
l'Apocalypse. ..  qui  a  été  chez  les  fous...  Ah!  les 
pauvres  fous,  ils  ont  dû  souffrir!...  est-ce  qu'elle  ne 
connaît  pas  des  infirmiers  de  Charenton?...  Et  elle  les 
amène  à  dîner!...  Us  viennent  avec  les  fous  qu'ils  sont 
chargés  de  promener...  Avant- hier,  il  y  en  a  eu  un  qui 
est  redevenu  fou  à  la  cuisine...  Il  a  fallu  aller  chercher 
la  garde...  C'est  amusant...  Des  fous,  conçois- tu?  On 
m'amène  des  fous  chez  moi!  Oui...  et  tu  veux  que  je 
continue  à  supporter  cela?.,. 

Et  voyant  qu'Anatole,  lassé  de  Técouter,  essayait  de 
se  dégager  ; 

—  Tu  me  quittes  déjà?...  Encore  un  quart  d'heure.  • 
Tiens ^  dix  minutes  rien  que  dix  minutes... 


MANETTE  SALOMON.  4K 

— •  Non,  je  l'assure...  je  vais  te  dire...  Il  y  a  une  heure 
quû  je  devrais  être  parti...  Tu  vas  comprendre...  figure- 
toi  qu'il  y  a  trois  jours  que  maman  a  cassé  ses  lunettes... 
Voilà  trois  jours  qu'elle  ne  peut  rien  faire,  ni  travailler, 
ni  lire...  J'ai  eu  seulement  ce  malin  de  quoi  lui  en  com- 
mander... je  dois  les  prendre  eu  route...  Elle  ra'&ttend 
comme  ses  yeux,  tu  penses... 

'  —  Toi?  —  dit  Coriolis  en  se  décidant  à  lui  lâcher  h 
bras.  —  Et  bien  ça  ne  fait  rien... 

Il  s'arrêta  et  le  regarda. 

—  Tu  es  tout  de  même  bien  heureux !•.• 


CL 


Puis  Coriolis  disparut.  Anatole  ne  le  revît  pas.  Deui 
mois  se  passèrent  sans  qu'il  le  trouvât  à  la  porte  du  pa- 
lais de  l'Industrie.  Il  ne  savait  ce  qu'il  était  devenu, 
lorsque,  par  un  jour  d'octobre,  il  fut  étonné  d'être  ac- 
costé par  lui,  à  sa  sortie. 

—  Tiens!  te  voilà?  —  fit-il.  —  Y  a-t-il  longtempsl.** 

—  Oui,  il  y  a  longtemps...  très-longtemps...  —  dît 
Coriolis  lentement,  comme  si  lui  seul,  dans  sa  vie,  pou* 
vait  mesurer  la  longueur  douloureuse  du  temps. 

En  passant  sous  son  bras  le  bras  d'Anatole,  en  lin 
retenant  amicalement  la  main  dans  la  sienne  : 

—  Es-tu  content?  Ça  va-t-il? 

—  Oui...  Et  toi?  —  fit  Anatole  surpris  de  cette  ten- 
dresse inaccoutumée  de  Coriolis. 

—  Moi?  Ah!  moi...  je  deviens  raisonnable...  —  dit-fl 
d'une  voix  sourde.  —  Tu  comprends  bien,  mon  |ami^ 
quand  il  y  a  un  homme  d'intelligence,  il  faut  qu'il  se 
trouve  une  femelle  pour  lui  mettre  la  patte  dessus,  le 
déchirer,  lui  mordre  le  cœur,  lui  tuer  ce  qu'il  y  a  de- 
dans, et  puis  encore  ce  qu'il  y  a  là...  et  il  se  toucha  le 
front,  —  enfin  le  manger!...  —  On  a  toujours  vu  ça.« 

36 


426  MANETTE  SALOMON. 

Ça  arrive  tous  les  jours...  Et  il  faut  vraiment  être  bien 
enfant  pour  s'en  plaindre...  c'est  ridicule... 
Il  jeta  cela  avec  une  ironie  presque  sauvage. 

—  Je  sais  bien...  il  y  un  moyen  de  casser  ces  ma- 
chines-là... 

Ses  mains  firent  devant  lui  le  mouvement  nerveux  et 
enragé  de  serrer,  comme  des  mains  qui  étranglent. 

—  Oui,  il  faudrait  des  choses...  pas  bien...  Il  fau- 
drait... des  meurtres...  Ah!  dans  le  temps!... 

Ses  yeux  brillèrent;  une  lueur  féroce  y  passa,  dans 
laquelle  Anatole  retrouva  le  feu  fauve  des  colères  de 
jeune  homme  de  son  ami.  Mais  aussitôt  cela  tomba. 

—  Maintenant,  je  suis  une... 
Et  il  dit  un  mol  ignoble. 

—  Ah!  si  tu  veux  voir  un  homme  qui  ne  trouve  pas 
la  vie  drôle... 

Il  essaya  de  faire  avec  les  doigts  le  geste,  le  balan- 
cement chinois  d'un  comique  en  vogue;  mais  de  l'eau 
monta  à  ses  paupières,  et  sa  blague  finit  dans  l'horrible 
étoulTcment  brisé  d'une  voix  d'homme  qui  se  mouille 
de  larmes  de  femme. 

Il  reprit  : 

—  Ah!  oui,  un  joli  instrument  pour  faire  souffrir  un 
homme,  cette  poupée-là!...  Tiens!  je  ne  sais  phis  si 
j'ai  du  talent...  Non,  vrai,  je  ne  sais  plus!...  Je  n'y  vois 
plus...  Je  suis  comme  un  homme  que  j'ai  vu  une  fois, 
assommé  dans  une  rixe  à  une  barrière,  et  qui  marchait 
devant  lui,  dans  un  sillon...  Il  ne  savait  plus,  il  allait... 
stupide,  comme  moi...  On  entre  dans  mon  atelier,  on 
me  trouve  à  mon  chevalet,  n'est-ce  pas?  Si  l'on  regar- 
dait mes  brosses  et  ma  palette,  on  verrait  que  c'est  sec... 
Je  dormais  dans  quelque  coin,  j'ai  entendu  qu'on  ve- 
nait... je  me  suis  levé  pour  faire  croire  que  je  peignais. 
Je  ne  peins  plus,  je  fais  semblant!...  comprends-tu?... 
Et  elle  est  toujours  là,  dans  mon  dos...  Quand  je  n'en 
peux  plus,  que  je  me  jette  sur  mon  divan,  elle  vient 
voir...  Elle  a  fait  des  trous  dans  le  mur  pour  me  mou- 
charder!... Quand  elle  sort^  j'ai  les  yeux  des  cousinea 


^VNETTE  SALOMON.  427 

fiur  moi,  je  les  sens...  Oh!  on  me  soigne..  Pailieul 
c'est  moi  qui  fais  aller  la  maison...  Je  suis  le  bœuf, 
moi!...  Quand  je  sors...  tiens!  aujourd'hui.  .  c'est 
comme  si  je  leur  mangeais  une  bouchée  dans  la  bou- 
che. . . 
Il  s'arrêta  un  moment;  puis  : 

—  Tu  sais,  mon  enfant?  mon  fils,  qui  était  si  beau?... 
Eh  bien,  il  est  affreux...  il  est  devenu  affreux!  —  dit-il 
avec  une  espèce  de  rire  amer  qui  fît  mal  à  Anatole.  — 
C'est  maintenant  un  vrai  mérinos  noir...  Ahî  je  te  ré- 
ponds qu'il  n'aura  pas  besoin  d'un  professeur  d'arith- 
métique, celui-là!...  Mon  fils,  ça!  mais  il  n'a  rien  de 
moi,  rien  des  miens...  rien!  Tiens,  il  y  a  des  moments 
où  je  crois  que  c'est  l'âme  de  quelque  grand- père  qui 
Tendait  de  la  ferraille  dans  un  faubourg  de  Varsovie... 
Un  affreux  petit  bonhomme,  vois-tu!...  Et  si  tu  l'enten- 
dais me  dire  ce  qu'elles  l'ont  dressé  à  me  dire  toute  la 
journée  :  Papa,  tu  ne  fais  rien,,,  si  tu  l'entendais! 

Et  passant  tout  à  coup  à  une  autre  idée  : 

—  Viens-tu  avec  moi  jusqu'à  la  rue  du  Bac?  Je  vou- 
drais te  faire  voir  un  tableau  nouveau  que  je  viens  d'ex- 
poser... 

Arrivé  rue  du  Bac,  il  poussa  Anatole  devant  la  devan« 
ture  où  était  son  tableau. 

Anatole  regarda,  et  après  quj^ques  compliments 
vagues,  il  se  dépêcha  de  se  sauve/Til  lui  semblait  qu'il 
venait  de  voir  la  folie  d'un  talents 


CLI 


Un  bizarre  phénomène  avait  fini  par  se  produire  chei 
Coriolis.  Avec  l'énervemehl  de  l'homme,  une  surexci- 
tation était  venue  à  l'organe  artiste  du  peintre.  Le  sens 
de  la  couleur,  s'exaltant  en  lui,  avait  troublé,  déréglé, 
enfiévré  sa  vision.  Ses  yeux  étaient  devenus  presque 


428  MANETTE  SALOMON. 

fous.  Peu  à  peu,  il  avait  été  pris  comme  (Tune  grande 
et  pénible  désillusion  devant  ses  admirations  anciennes. 
Les  toiles  qui  autrefois  lui  avaient  paru  les  plus  splen- 
dides  et  les  plus  éclairées,  ne  lui  donnaient  plus  de 
sensation  lumineuse  :  il  les  revoyait  éteintes,  passées. 

Au  Louvre  même,  dans  le  Salon  carré,  ces  quatre 
murs  de  chefs-d'œuvre  ne  lui  semblaient  plus  rayonner. 
Le  Salon  s'assombrissait,  et  arrivait  à  ne  plus  lui  mon- 
trer qu'une  sorte  de  momification  des  couleurs  sous  la 
patine  et  le  jaunissement  du  temps.  De  la  lumière,  il 
ne  retrouvait  plus  là  que  la  mémoire  pâlie.  Il  sentait 
quelque  chose  manquer  dans  le  rendez-vous  de  ces  ta- 
bleaux immortels  :  le  soleil.  Une  monotone  impression 
de  noir  lui  venait  devant  les  plus  grands  cql<>"stes,  et 
il  cherchait  vainement  le  Midi  de  la  Chair  et  de  la  Vie 
dans  les  plus  beaux  tableaux. 

La  lumière,  il  était  arrivé  à  ne  plus  la  concevoir,  la 
▼oîr,  que  dans  Fintensité,  la  gloire  flamboyante,  la  dif- 
fusion, l'aveuglement  de  rayonnement,  les  électricités 
de  l'orage,  le  flamboiement  des  apothéoses  de  théâtre, 
le  feu  d'artifice  du  grésil,  le  blanc  incendie  du  ma- 
gnésium. Du  jour,  il  n'essayait  plus  de  peindre  que 
réblouissement.  A  Texemple  de  certains  coloristes  qui, 
la  maturité  de  leur  talent  franchie,  perdent  dans  l'excès 
la  dominante  de  leur  talent,  Coriolis,  un  moment  arrêté 
à  une  solide  et  sobre  coloration,  était  revenu,  dans  ces 
derniers  temps,  à  sa  première  manière,  et  peu  à  peu, 
à  force  d'en  exagérer  la  vivacité  d'éclairage,  la  transpa- 
rence, la  limpidité,  Tensoleillement  féerique,  l'allumage 
enragé,  l'étincellement,  il  se  laissait  entraîner  à  une 
peinture  véritablement  illuminée;  et  dans  son  iregard, 
il  descendait  un  peu  de  cette  hallucination  du  grand 
Turner  qui,  sur  la  fin  de  sa  vie,  blessé  par  l'ombre  des 
tableaux,  mécontent  de  la  lumière  peinte  jusqu'à  lui, 
mécontent  même  du  jour  de  son  temps,  essayait  de 
s'élever,  dans  une  toile,  avec  le  rêve  des  couleurs,  à 
un  jour  vierge  et  primordial,  à  la  Lumière  avant  le 
Déluge. 


MANETTE  SALOMON.  4^ 

II  cherchait  partout  de  quoi  monter  sa  palette,  chauf- 
fer ses  tons,  les  enflammer,  les  brillanter.  Devant  les 
vitrines  de  minéralogie,  essayant  de  voler  la  Nature,  de 
ravir  et  d'emporter  les  feux  multicolores  de  ces  pétrifi- 
cations et  de  ces  cristallisations  d'éclairs,  il  s'arrêlait  à 
ces  bleus  d*azurite,  d'un  bleu  d'émail  chinois,  à  ces 
bleus  défaillants  des  cuivres  oxydés,  au  bleu  céleste  de 
la  lazulite  allant  du  bleu  de  roi  au  bleu  de  l'eau.  Il  sui- 
vait toute  la  gamme  du  rouge,  des  mercures  sulfurés, 
carmins  et  saignants,  jusqu'au  rouge  noir  de  l'hématite, 
et  rêvait  à  YamatitOy  la  couleur  perdue  du  xvi'  siècle^ 
la  couleur  cardinale,  la  vraie  pourpre  de  Rome.  Il  sui- 
vait les  ors  et  les  verts  queue  de  paon  des  poudingues 
diluviens,  les  verts  de  velours,  les  verts  changeants  et 
bleuissants  des  cuivres  arséniatés,  le  vert  de  lézard  du 
feldspath;  l'infinie  variété  des  jaunes,  du  jaune-serin  au 
jaune  miellé  des  orpiments  cristallisés  et  des  fluorines} 
les  couleurs  embrasées  des  cuivres  pyriteux,  les  couleurs 
de  pierres  roses  ou  violettes,  qui  font  penser  à  des  fleuri 
de  cristal. 

Des  minéraux,  il  passait  aux  coquilles,  aux  colora- 
tions mères  de  la  tendresse  et  de  l'idéal  du  ton,  à  toutes 
ces  variations  du  rose  dans  une  fonte  de  porcelaine,  de- 
puis la  pourpre  ténébreuse  jusqu'au  rose  mourant,  à  la 
nacre  noyant  le  prisme  dans  son  lait.  Il  allait  à  toutes 
les  irisations,  aux  opalisationsd'arc-en-ciel,  miroitantes 
sur  le  verre  antique  sorti  de  terre  comme  avec  du  ciel 
enterré.  Il  se  mettait  dans  les  yeux  l'azur  du  saphir,  le 
sang  du  rubis,  l'orient  de  la  perle,  Teau  du  diamant« 
Pour  peindre,  le  peintre  croyait  avoir  maintenant  besoin 
de  tout  ce  qui  brille,  de  tout  ce  qui  brûle  dans  le  Ciel| 
dans  la  Terre,  dans  la  Mer. 


430  HANETTE  SALOMOR. 


GLU 


—  Comment!  c'est  vous,  madame  Crescent?  —  fit 
Anatole  qui  était  couché.  La  brusque  entrée  de  madame 
Crescent  venait  de  le  réveiller  du  délicieux  sommeil  de 
dix  heures  du  matin.  —  Vous,  chez  moi?  chez  un  jeune 
homme  I 

—  Bêta!  —  dit  madame  Crescent,  — il  est  joli,  la 
jeune  homme!  Avec  ça  que  les  hommes  m'ont  jamais 
fait  peur...  Ouf!  —  fit-elle  en  soufflant  comme  si  elle 
allait  étouffer.  — Eh  bien!  ce  n'est  pas  sans  peine  qu'on 
te  déniche...  En  voilà  une  horreur,  ta  rue! 

—  La  rue  du  Oindre,  madame!.-..  La  porte  à  côté  du 
bureau  de  Bienfaisance...  Tappartement  à  côté  de  la 
pompe...  je  trouve  le  matin  des  têtards  dans  ma  cu- 
vette!... Quand  j'cternue,  ça  fait  lever  le  papier...  un 
détail!...  Une  boutique  de  porteur  d'eau  qu'on  ne  louait 
pas...  On  me  Ta  laissée  à  dix  francs  par  mois...  les 
champignons  compris...  Ça  ne  fait  rien,  ma  brave  ma- 
dame Crescent,  vous  voyez  quelqu'un  de  crânement 
heureux...  Ah!  j'en  ai  passé  de  dures  avant  ça!...  Trois 
jours,  pas  ce  qui  s'appelle  ça  sous  la  dent!...  Zéro  à 
l'heure  des  repas...  Je  me  couchais  gris...  Ah!  dame, 
gris,  vous  me  comprenez...  Mais,  psit!  un  changement 
à  vue,  une  fortune!  Be  la  chance!  Moi  qui  aurais  dû 
crever,  finir  par  la  Morgue...  Car,  voilà!...  Eh  bien! 
pas  du  tout...  Concevez-vous? M'amuser,  bien  dîner,  être 
heureux,  me  payer  des  dîners  à  vingt-cinq. sous!...  Cinq 
jours  de  noce,  là,  à  ne  rien  faire...  Ah!  rien...  On  aurait 
pu  venir  m'oiïrir  n'importe  quoi  pour  faire  quelque 
chose...  Le  premier  jour  je  me  suis  régalé  du  Jardin 
d'acclimatation,  et  je  n'en  suis  sorti  qu'à  six  heures... 
Il  y  a  un  oiseau,  voyez-vous,  madame  Crescent,  un  oi- 
seau... je  ne  vous  dis  que  ça...  Par  exemple,  cette  foi»* 


MANETTE  SÂLOMON.  i3i 

el,  mes  créanciers...  rien,  pas  un  monaco.  Trop  bète, 
de  ne  pas  garder  un  sou...  On  ne  m'y  repincera  plus... 
Quand  J'ai  reçu  mon  argent,  toc!  j*ai  acheté  un  parapluia 
d'abord...  C'est  drôle,  hein?  moi,  d'acheter  un  para- 
pluie? Comme  il  faut  que  j'ai  j  mûri!  Et  puis,  trois  che- 
mises à  quatre  francs  cinqi:  j[ite...  Pa''  mal,  hein?  ce 
petit  paletot-là  pour  dix-huil  francs?,  le  gilet,  quatre 
francs...  Et  deux  paires  de  bottines...  p&  une...  deux!... 
Ah  !  voilà  comme  je  m'y  mets,  moi,  quand  je  m'y  mets... 
Ah!  c'est  toi... 

Un  gamin  venait  d'entrer,  apportant  à  Anatole  une 
tasse  de  café  au  lait. 

—  Tu  reviendras  demain...  Aujourd'hui  congé,  pas 
de  leçon...  r'est  saint  Barnabe! 

Et,  revendait  à  madame  Crescent,  quand  Tenfant  fut 
parti:  —  ie  suis  très-bien  ici...  La  portière  miTfait 
mon  ménage  à  VœU,  pour  des  leçon?  que  je  donne  à 
son  moutard,  à  ce  petit  idiot-là...  Il  l'apas  la  moindre 
disposition...  Ça  ne  fait  rien...  CeU  vieille  béte  de 
femme  est  si  enchantée  que,  dans  les  {premiers  temps, 
elle  m'envoyait  un  verre  de  vin  avec  mon  café...  des 
attentions  à  toucher  un  frotteurl...  Ça  s'arrange  très- 
bien...  Pendant  qu'elle  est  là  qui  brosse  mes  affaires, 
qui  cire  mes  souliers,  je  colle  ma  leçon  au  petit...  Hein? 
de  beaux  draps?  Je  m'en  suis  aussi  payé  deux  paires 
avec  quatre  taies  d'oreiller...  Ohl  je  suis  requinqué... 
Voyez-vous!  maintenant,  je  mène  une  vie  d'un  rangé!  je 
rentre  tous  les  soirs  de  bonne  heure  pour  me  sentir  bien 
chez  moi,  jouir  de  tout  ça,  de  mon  petit  intérieur...  Je 
m'amollis  dans  le  bien-être,  quoi!...  Quand  je  suis  là- 
dedans,  dans  mes  draps,  avec  une  bougie,  je  me  sens 
un  bonheur!...  Dire  que  j'ai  encore  soixante  francs  en 
or,  là-haut,  sur  ce  cadre!...  Moi  qui  depuis  des  temps 
ne  me  suis  jamais  vu  d'avance  pour  plus  de  trois  jours... 
Enfin,  c'est  un  secours  de  deux  cents  francs  qui  m'est 
joliment  tombé... 

—  Ah  !  tu  es  si  heureux  que^  çà?  —  fit  madame  Cres- 
cent avec  un  air  embarrassé. 


fcJ2  MANETTE  SALOMOÎf.  - 

— ^  On  dirait  que  çà  vous  fait  de  la  pcînet 
~  Non...  mais  c'est  que... 
Elle  s'arrêta. 

—  C'est  que...  quoi? 

—  Je  t'apportais  quelque  chose. 

Et  elle  tira  gauchement  dé.  «a  poche  une  lettre  qui 
avait  l'apparence  d*une  lettre  ministérielle. 

—  Une  commande?  —  fit  Anatole  en  la  regardant 

—  Non,  tu  n'es  pas  assez  gentil  pour  çà...  Comment, 
petite  saleté^  nous  te  faisons  avoir  une  copie...  tu  ne 
viens  pas  nous  voir...  On  t'en  a  après  çà  une  seconde  : 
tu  ne  remues  ni  pied  ni  aile  pour  nous  donner  de  tes 
nouvelles...  Eh  bien!  moi,  je  pensais  à  toi,  animal...  Je 
ne  sais  pas  pourquoi...  Vois-tu,  au  fond,  il  n'y  a  que 
iKTB^deux  qui  aimions  vraiment  les  bêtes... 

—  Voyons,  ma  bonne  madame  Crescent...  cette 
lettre  I 

—  Ohl  c'est  rien,  —  dît  madame  Crescent,  —  c'est 
rien...  —  Et  elle  devint  rouge.  —  On  croit  souvent, 
comme  ça,  faire  pour  le  bien...  moi,  je  croyais...  et  puis, 
pas  du  tout...  tu  es  riche...  te  voilà  avec  soixante  francs... 
Je  pouvais  tomber,  un  jour,  n'est-ce  pas?  où  tu  n'aurais 
pas  été  si  fier...  Enfm,  que  veux-tu,  une  idée...  Si  ça 
ne  te  va  pas,  il  ne  faut  pas  pour  ça  m'en  vouloir...  Parce 
que,  vrai,  moi,  c'était  pour  toi...  —  fit  la  grosse  femme 
avec  une  adorable  humilité  honteuse.  —  Moi,  je  suis 
une  bête...  la  langue  me  brouille...  je  ne  sais  pas  tourner 
les  choses.  Eh  bien!  voilà  comme  ça  m'est  venu...  Nous 
étions  donc  comme  ça  à  avoir  de  tes  nouvelles,  de  bric 
et  de  broc,  par  les  uns,  par  les  autres...  Moi  j'ai  bien  vu 
qu'au  fond,  les  commandes,  tout  ça,  ça  ne  te  tirait  pas 
de  peine...  Ça  te  faisait  manger  deux  ou  trois  mois,  et 
puis  c'était  toujours  à  recommencer...  Eh  bien!  alors, 
moi  je  me  suis  mise  dans  mes  rêves...  Cest  devenu  ma 
colique  de  te  savoir  comme  ça...  je  me  suis  dit  :  Voilà 
un  homme  qui  aime  les  bêtes...  Si  on  voyait  à  lui  trouver 
une  petite  place,  où  il  serait  comme  qui  dirait  dans  ses 
amours,  avec  la  maman...  Au  fait,  et  la  maman? 


MANETTE  SALOMOIi.  49S 

r*  Je  l^i'emballée  pour  la  province,  chez  une  amie, 
en  attendant  une  emUellie...  C'était  trop  lourd,  à  la  fin 
le  ménagQ..,  je  me  suis  cliargpé  de  la  liquidation...  C'est 
elle  qui  m'a  mis  ^  sec. 

—  Eh  bien!  n'est-ce  pas,  si  vous  aviez  comme  ça, 
tous  les  deux,  It.  pain  et  la  caboulée...  Tu  sais,  moi, 
quand  j'ai  une  idée  dans  la  tête...  ça  me  trottait...  Voilà 
la  cour  qui  vient  à  Fontainebleau...  Il  nous  tombe  chez 
nous  quelqu'un  de  bien...  Merci!  ce  n'était  pas' de  la 
chenille...  un  ministre,  s'il  vous  plaît  t  de  je  ne  sais  plus 
quoi...  Oh!  un  homme  avec  un  front  comme  une  porte 
de  grange...  Il  voulait  absolument  avoir  une  décoration 
de  son  salon  par  Crescent...  Tu  sais  que  c'est  moi  qui 
fais  les  affaires...  Lui,  tu  le  connais,  sorti  de  sa  méca* 
nique  de  peinture,  cet  empoté-là!  le  sabot  d'un  cochon 
serait  aussi  malin  que  lui...  Si  je  n'étais  pas  là,  il  lais- 
serait tout  aller...  Alors,  quand  nous  avons  été  arrangés 
à  peu  près  sur  le  prix...  Ma  foi!...  il  avait  l'air  si  bon 
enfant,  ce  ministre...  je  lui  ai  dit  que  je  voulaw  mes 
épingles...  Il  m'a  dit  :  Quoi?...  Eh  bien!  que  je  lui  ai 
fait,  je  voudrais  une  petite  place  dans  votre  Jardin  des 
Plantes  pour  quelqu'un...  Il  a  commencé  à  me  dire  que 
ça  ne  se  donnait  pas  comme  ça.. .  que  c'était  difficile, 
qu'il  ne  savait  pas...  Un  tas  de  raisons...  Monseigneur, 
que  fe  lui  ai  dit...  Âh!  je  n'ai  pas  bronché,  je  lui  ai  dit  : 
Monseigneur  ..  rien  de  fait,  Crescent  ne  vous  fera  pas 
chez  vous  seulement  grand  comme  la  main,  sans  que 
j*aie  ça  pour  un  pauvre  garçon  qui  a  sa  mère  sur  les 
bras...  Et  voilà  ta  lettre...  je  n'ai  pu  que  ça...  Oh!  je 
me  mets  bien  dans  ta  peau,  va...  je  comprends...  je  me* 
rends  compte...  un  artiste,  ce  n'est  pas  tout  le  monde, 
je  sais  ce  que  c'est...  on  a  ses  idées,  on  tient  à  son  état... 
Quand  on  a  eu  le  courage  jusqu'à  quarante  ans,  qu'on 
s'est  fait  toute  la  vie  des  imaginations  à  ça...  Après  ça, 
tu  pourras  te  lever  plus  matin,  faire  encore  quelque 
chose...  Et  puis,  quelquefois,  on  peint  là-dedans,  à  ce 
qu'il  parait...  on  peint  quelque  chose...  un  modèle  de 
poisson...  C'est  du  pain,  vm%»i\x...  C'est  pour  manger 

37 


414  MANETTE  SALOMON. 

tous  les  jours...  Tu  n'es  pas  seul,  songe  donc!  Et  puis 
les  années  commencent  à  te  monter  sur  la  tête,  sais-tu? 

Et  elle  avança  timidement  la  lettre  sur  le  pied  du  lit. 

Anatole  prit  la  lettre,  la  retourna  dans  ses  mains, 
avec  une  expression  presque  douloureuse,  et  la  reposa 
^is  rouvrir.  Il  lui  semblait  qu'il  y  avait  là-dedans  la 
mort  honteuse  du  rêve  de  toute  sa  vie.  Madame  Crescent 
élait  allée  prendre  les  trois  pièces  d^or  posées  sur  le 
rebord  du  cadre.  Elle  revint  à  Anatole  en  les  tenant  dans 
sa  main  ouverte. 

< —  Sais-tu  y  — s>  dit-elle  doucement  à  Anatole,  —  ce 
que  c'est  que  cet  argent-là,  mon  enfant?  C'est  de  l'ar- 
gent qui  n'est  pas  gagné...  et  de  l'argent  qui  n'est  pas 
gagné,  c'est  de  la  charité...  une  vilaine  monnaie,  je  te 
dis,  dans  la  main  d'un  homme  qui  a  ses  quatre  pattes... 

Anatole  baissa  sur  son  drap  un  regard  sérieux,  reprit 
la  lettre,  l'ouvrit,  y  lut  sa  nomination  d'aide-préparateur 
au  Jardin  des  Plantes.  11  la  reposa  sur  son  drap,  la 
regarda  quelque  temps  de  loin  sans  rien  dire.  Puis  tout 
à  coup,  criant  :  —  Enfoncée  la  Gloire!  —  il  se  jeta  au 
bas  de  son  lit  pour  embrasser  madame  Crescent,  en 
oubliant  qu'il  était  en  chemise 

—  Veux-tu  te  refourrer  au  lit  tout  de  suite,  vilain 
singe!  —  fit  madame  Crescent  qui  reprit  bientôt  :  — 
Et  Coriolis?  C'est  bien  drôle  chez  lui,  à  ce  qu'il  parait... 
Pst-ce  qu'il  y  a  longtemps  que  tuae  l'as  vu? 

—  Des  temps  infinis. 

—  Eh  bien!  il  y  a  des  affaires...  mais  des  afïairesl... 
C'est  Garnolelle  que  j'ai  rencontré  qui  m'a  raconté  ça... 
Ah!  mais,  il  faut  te  dire  d'abord  qu'il  s'est  marié,  Car- 
notelie,  tu  ne  savais  pas?...  Oui,  marié...  Oh!  un  beau 
mariage...  Sa  (emme,  c'est  une  princesse...  Attends  : 
Moldave...  Oui,  c'est  bien  ça  qu'il  m'a  dit... Le  nom,  par 
exemple...  tu  sais,  c'est  des  noms  étrangers...  cherche, 
apporte...  Voilà  que  pour  se  marier,  il  va  demandera 
Coriolis  pour  être  son  témoin...  Un  ancien  camarade, 
je  trouve  que  c'était  gentil  comme  idée,  moi...  Il  parait 
que  Coriolis  l'a  reçu  I  qu'il  lui  a  dit  des  choses  I  qu'il 


MANETTE  SAtOMON.         ^  435 

menait  pour  l'insulter...  que  c'était  lui  faire  un  affront 
quand  il  savait  que  lui  allait  épouser  une...  Excusez  du 
mot!  —  dit  madame  Crescent  en  le  disant.  —  Une 
scène  abominable!...  Garnotelle  a  eu  peur  qu'il  ne  le 
battit...  Il  le  croit  devenu  fou  enragé...  Après  ça,  mon 
Dieu!  ça  ne  serait  pas  étonnant  avec  la  femme  qu'il  a... 
une  croquette  comme  ça!...  Allons!  tu  sais  qu'il  y  a 
encore  quelques  pièces  de  cent  sous  chez  nous...  Si  tu 
avais  des  créanciers  qui  t'ennuient  trop...  Mais  viens 
donc  les  chercher...  Voilà  ce  qu'il  faut  faire...  r^ous 
passerons  quelques  bons  jours...  Ta  verras  les  poules... 


CLIII 


—  Psit!  psit!  Chassagnoli 

Ainsi  interpellé  par  Anatole,  Chassagnol,  qui  allait 
sortir  de  la  mairie  du  Luxembourg^  se  retourna.  Il  avait 
à  côté  de  lui  une  bonne  portant  un  petit  enfant  sous  un 
voile  blanc. 

—  A  toi?  —  demanda  Anatole  à  Chassagnol  en  regar- 
dant l'enfant. 

—  Ma  septième  fille...  —  dit  le  père  avec  un  sourire 
qui  laissait  échapper  le  secret  si  longtemps  gardé  de  sa 
nombreuse  famille.  —  Ah  çàl  comment  es-tu  ici? 

—  Ohl  moi,  rien,  rien...  Une  petite  histoire  de  jus- 
tice de  paix,  un  arrangement  à  trois  mois...  le  dernier 
de  mes  créanciers...  C'est  que  maintenant,  tu  ne  sais 
pas,  j'ai  une  place... 

—  Et  moi,  c'est  bien  plus  fort!  J'ai  de  l'argent... 
Figure-toi  que  Cecchina... ah! pardon, c'est  ma  femme... 
me  voyant  sans  le  sou,  les  enfants  avaient  faim,  elle  a 
eu  une  idée,  ma  paysanne  de  femme...  Elle  a  trouvé  je 
ne  sais  pas  quoi  pour  nettoyer  la  paille  d'Italie,  elle  ait 
que  c'est  un  secret  qui  lui  vient  de  la  Madone...  Enfin, 
les  petites  ont  la  becquée  tous  les  jours,  il  j  a  toujours 


\ 


iSe  MANETTE  SALOMON. 

quelques  sous  dans  la  poche  de  mon  gilet,  et  je  puis 
flâner  tranquillement...  Ah  çà  !  je  t'emmène,  tu  vas  diner 
chez  nous... 

Et  comme  ils  causaient  ainsi  sur  le  pas  de  Tenlrée  de 
la  Justice  de  Paix  :  — Vois  donc...  —  dit  tout  à  coup 
Anatole. 

A  ce  moment,  en  haut  du  grand  escalier  de  pierre, 
qu'on  apercevait  par  le  cintre  de  la  porte  vHrée  du  pé- 
ristyle, sous  le  rayonnement  diiïus  et  blanc  d'une  large 
fenêtre,  au-dessus  de  la  rampe,  une  silhouette  noire 
s'était  montrée.  Celte  silhouette  s'enfonça  du  côté  du 
mur,  disparut  dans  le  retour  de  l'escalier  que  les  deux 
amis  ne  pouvaient  apercevoir^.  Puis  il  reparut,  contre 
le  carreau  de  la  porte,  un  chapeau  et  un  profil  se  déta- 
chant sur  la  carte  en  couleur  du  onzième  arrondisse- 
ment peinte  au  fond  dans  U  cage  de  l'escalier.  La  porte 
battante  s'ouvrit,  et  un  homme  se  mit  à  descendre  les 
douze  grandes  marches  de  l'escalier  de  la  mairie,  avec 
une  main  qui  traînait  derrière  lui  sur  la  rampe  d'acajou, 
et  des  pieds  de  somnambule,  distraits,  égarés,  tâtant  le 
vide.  Les  deuic  amis  se  rejetèrent  un  peu  dans  le  ves- 
tibule noir  de  la  Justice  de  Paix.  L'homme  passa  sans 
les  voir  :  c'était  Coriolis. 

A  quelques  pas  derrière  lui  venait  Manette  en  grande 
toilette,  suivie  d'un  groupe  de  quatre  individus,  vuf- 
gaires,  efîacés  et  vagues  comme  ces  comparses  des  act^s 
de  rÉtat  civil,  raccolés  au  plus  près  dans  les  fournisseurs 
du  voisinage. 

Sorti  de  la  mairie,  Coriolis  prit  machinalement  le  trot- 
toir, frôla,  sans  le  sentir,  des  blouses  qui  lisaient  le 
Monileiir  affiché  au  mur,  traversa  la  rue  Bonaparte,  et, 
comme  s'il  cherchait  l'ombre,  les  pierres  sans  fenêtres 
et  qui  ne  regardent  pas,  Anatole  et  Chassagnol  le  virent 
longer  le  grand  mur  du  séminaire  de  Saint-Sulpice.  lla- 
nelte  s'était  arrêtée  avec  les  témoins  au  coin  de  la  rue 
de  Mézières  et  semblait  les  remercier. 

Tout  à  coup,  les  quittant,  elle  courut  rattraper  Co- 
riolis, qu'elle  saisit  par  le  bras^  et  Ton  vit  les  deux  dos 


MANETTE  SALOMON  437 

de  la  femme  et  du  marié  aller  jusquW  boul  de  la  rue 
Bonaparte.  Puis,  le  couple  tourna  à  droite,  disparut. 

—  Rasé!  —  dit  Anatole  en  faisant  le  geste  énergique 
dn  ^^min  qui  pemt^  avec  !e  coupant  de  la  main,  une  vie 
d'homme  décapitée. 


CLIV 


—  Le  Beau,  ah!  oui,  le  Beau!...  s'y  reconnaître  dans 
le  Beau!  Dire  c'est  cela,  le  Beau,  l'affirmer,  le  prouver, 
l'analyser,  le  définir!...  Le  pourquoi  du  Beau?  D'où  il 
vient?  ce  qui  le  fait  être?  son  essence?  Le  Beau!  la 
splendeur  du  vrai...  Platon,  Plotin...  la  qualité  de  l'idée 
se  produisant  sous  une  forme  symbolique...  un  produit 
de  la  faculté  tVidéer.».  la  perfection  perçue  d'une  ma- 
nière confuse... la  réunion  aristotélique  des  idées  d'ordre 
et  de  grandeur...  Est-ce  que  je  sais!...  Le  Beau,  est-ce 
ridéal?  Mais  l'Idéal,  si  vous  le  prenez  dans  sa  racine, 
eido,  je  vois,  n'est  que  le  Beau  visible...  Est-ce  la  réa- 
lité retirée  du  domaine  du  particulier  et. de  l'accidentel? 
Est-ce  la  fusion,  l'harmonie  des  deux  principes  de  l'exis- 
fence,  de  Tidcc  et  de  la  forme,  de  l'essence  de  la  réalité, 
du  visible  et  de  l'invisible?...  Est-il  dans  le  Vrai?... 
Mais  dans  quel  Vrai?...  dans  l'imitation  du  beau  des 
êtres,  des  choses,  des  corps?  Mais  quelle  imitation?... 
l'imitation  par  élection  ou  par  élévalion?i'imitation  sans 
particularité,  sous  l'image  iconîque  de  la  personnalité, 
l'homme  et  pas  un  homme,  l'imitation  d'après  un  mo- 
.^le  collectif  de  perfections?  Est-il  là  beauté  supérieure 
à  la  beauté  vraie...  c  pnlchritudinem  quœ  est  supra  ve- 
ram.  .  >  une  seconde  nature  glorifiée?  Quoi,  le  Beau? 
L'objei  tivité  ou  l'infini  de  la  subjectivité?  l'expr^ssi/  de 
Gœthe?  Le  côté  individuel,  le  naturel,  le  caractéristique 
de  Hirtcli  et  de  Lcssing?  l'homme  ajouté  à  la  nature,  le 
mot  de  Bacon?  la  nature  vue  par  la  personnalité,  Tin- 

37 


438  •      MA^'KTTE  SALOMON. 

diviJùalité  d'une- sensation?.'..  Ou  le*  platonicisme  de 
Winckelmann  et  de  saint  Augustin?...  Ëst4I  un  ou  un  . 
ihuflîple?  absolu  ou  divers?..: Oh!  le  Beau!.;,  le  suprême 
de  rillimitéetde  l'2ndérinissable!.«.Uneg[0uttede  l'océan 
de  Dieu,  pour  Leibnitz...  pour  l'école  de  rfironie,  une 
création  contre  la  Création^  une  reconstruction  de  Tu- 
nivcrs  par  Thomme,  le  remplacement  de  l'œuvre  divine 
par  quelque  chose  de  plus  humain,  de  plus  conforme  * 
au  moi  fini,  une  bataille  contre  Dieu!...  Le  Beau!... 
Quelqu'un  a  dit  :  le  Beau  est  le  frère  du  Bien...  le  Beau 
rentrant  dans  le  point  de  vue  '^e  la  conform;ttion*au  Bien,  * 
une  préparation  à  la  morale,  les  idées  de  Fichte  :  le 
Beau  utile!...  Ab!  la  •philosophie  du  Beau!  Et  toutes  les 
esthétiques!...  Le  Beau,  tiens!  je  le  baptiserais  comme 
les  autres,  et  aussi  bien,  si  je  voulais  :  le  Rêve  du  Vrai  1 
Et  puis  après?...  Des  mots!  des  mots!...  Le  Beau!  le 
Beaui  Mais  d'abord,  qui  sait  s'il  existe?  EsVii  dans  les 
objets  ou  dans  notre  esprit?  L'idép  du  Beau,  ce  n'est 
peut-être  qu'un  sefntiment  immédiat,  irraisonné,  person- 
nel, qui  sait?^..  Est-ce  que  tu  crois  au  principe  réfléchi 
dû  Beau,  toi? 
C'est  ainsi  que  le  soindu  mariage  de  Éoriolis,  à*  des 
eures 'indues  (le  la  nuit,  dans  une  petite  chambre,  au- 
essus  de  l'atelier  où  séchaient  les  chapeaux  de  paille 
e  sa  femme,  Chass^gnol  parlait  à  Anatole  étendu  sur 
•  la  descente  de  lit,  et  qui  dormait,  une  cigarette  éteinte 
aux  lèvres,  avec  l'air  d'écouter. 


CLY 


Une  fenêtre,  dans  un  de  ces  jqlis  bâtiments  moitié 
briqué,  moitié  pierre,  à  l'air  d'ctable  et'  de  cottage,  où 
s'accrochent  les  bras  grimpants  d'une  glycine,  une 
fenêtre  s'ouvre  toujours  la  première  au  bout  du  Jardin 
des  Plantes.  Elle  s'ouvre  au  soleil,  au  matin  que   salue 


«ANETTE  SAiOMOtl.  439 

SOUS  elle  la  volière  des  vanneaux  siffleurs,  elle  s'ouvre 
à  ce  qui  revit  dans  le  jour  qui  ressuscite. 

Cette  fenêtre  est  ia  fenêtre  d'Anatole  qui,  déjà  descendu 
dans  le  jarjdin,  traîne  lentement  ses  pantoufles  pares- 
seuses dans  les  allées,  le  long  des  grilles.  Partout  c*esl 
un  épanouissement  d'êtres  ;*et  de  jardinet  en  jardinet, 
court. le  frémissement  du  réveil  animal,  charmant  de 
souplesse,  de  légèreté,  d'élasticité.  La  vie  saute  et  bon- 
dit de  tous  c6tés.  Les  mouflons  grimpent  sur  l'échelle 
de  leurs  kiosques,  de  jeunes  axis,  penchés  sur  le  côte, 
s'inclinent  en  patinant  sur  le  sol  où  ils  tournent  ;  les 
* lamas^  s'emportent  en  courses  folles;  le^s^ jeunes  che- 
vreaux, mal  d'aplomb  sur  leurs  jambes  pattues,  Irébu- 
thent  dans  des  essais  de  gàlop;  des/)nagres  en  gaieté, 
les  quatre  pattes  en  l'tiir,  font  de  grandes  roulées  par 
terre.  Tout  ce  qui  est  là,  dans  le  mouvement,  la  fièvre, 
la  vitesse,  Tétirement,.  la  course,  le  jeu  des  nerfs  et  des 
muscles,  retrouve  la  jouissance  d'être.  Et  les  petits  oi- 
seau]^, dans  leur  volière,  font  treml^ler,  sous  leur  volc- 
tage  incessant,  l'a'rbre  mort  qu'ils  fatiguent  sans  repos 
du  rapide  effleurement  d'une  seconde  de  pose. 

  des  places  de  fraîcheur  verte,  le  blanc  des  toisons 
et  des  plumes  montre  le  blanc  de  la,  neige;  le  trottine- 
ment  des  chèvres  d^Angora  Balance  comme  des  flocons* 
d'argent  mat;  des  paons  blancs  traînent,  étalées,  les 
lumières  de  satin  d'une  robe  de  marine  ;  et  toute  la  splen- 
dlde  blancheur  donnée  aux  bêtes  apparaît  là  dans  uire 
sorte  de  douceur  frissonnante,  avec  des  reflets  dormahts 
de  nuage  et  de  nacre.  Sur  les  petites  pelouses,  presque 
tntièrement  couvertes  de  l'ombre  allongée  des  arbres, 
Si  l'ombre  tremble  et  s.'envole  de  l'herbe  à  chaque  brise 
qui  secoue  en  haut  les  cimes,  Anatole*  s'amuse  à  voiV 
.  le  passage  des  animaux  au  soleil,  la 'promenade  de  leurs 
couleuirs  dans  des  éclairs,  la  fuite,  l'eSkcem^nt  instan- 
tané des  petites  lignes  fines*et  sèches  qui  se  dessineipt 
en  courant  derrière  les  pattes  des  gazelles.  Il  regarde 
les  vieux  boucs  agenouillés,  «t  faisant  gratter  leur  barbe 
au  bois  râpeux  de  leur  auge  ;  le  lèbre,  avec  son  élégance 


ÛO  MANKTTE  SALOMON. 

d'un  âne  de  Phidias,  ses  formes  pleines,  pures  et  son- 
pleSy  ses  impatiences  de  ruade  par  tout  le  corps;  les 
bisonSy  absorbés,  endormis  dans  leur  passivité  solide, 
laissant  tomber  de  leur  masse  le  sombre  d*un  rocher, 
laissant  emporter  à  Fair  des  rouleaux  de  leur  toison 
brûlée.  Des  biches  de  TAlgérie,  à  la  démarche  lente, 
élastique  et  scandée,  il  va  aux  grands  cerfs,  qui  se 
dressent  paresseusement  sur  leurs  jarrets  de  devant,  en 
levant  leurs  bois  comme  la  majesté  d'une  couronne.  Il 
va  à  ces  grands  bœufs  de  Hongrie,  aux  cornes  gi^n- 
tesques,  qui  semblent  la  paix  dans  la  force  et  dans  la 
candeur.  II.  va  au  dromadaire,  dont  le  regard  s'allonge 
au  bout  de  son  cou  de  serpent,  et  dont  Tœil  nostalgique 
a  l'air  de  chercher  devant  lui  la  liberté,  l'horizon,  l'in- 
fini, le  désert.  Et  sur  du  gazon,  il  suit  les  tortues  cou- 
leur de  bronze,  allant,  en  ramant  des  pattes,  à  travers 
des  brindilles  qu'elles  écrasent,  et  se  traînant,  avec  leur 
marche  qui  tombe,  jusqu'à  un  peu  desulcil. 

Au  bord  de  la  petite  rivière,  au  milieu  de  Therbe  nou- 
velle et  translucide,  sur  le  décor  mouillé  des  acacias, 
des  peupliers,  des  saules,  les  cigognes  tout  à  coup  rom- 
pant leurs  poses  et  leur  immobilité  empaillée,  les  ci* 
gognes  prennent  des  essors  boiteux;  et  courant,  trébu- 
chant, butant,  s'élançant,  s'ébattant  avec  des  sauts 
ridicules  et  de  grotesques  velléités  de  vol,  elles  illu- 
minent tout  ce  coin  de  jardin  des  couleurs  vives  qu'elles 
y  jettent,  du  blanc  palpitant  de  leurs  ailes  agitées,  du 
rduge  de  leurs  becs  et  de  leurs  pattes.  A  côté  des  cigogues, 
voici  le  petit  étang  et  les  oiseaux  d'eau;  Anatole  s'y 
attarde  comme  à  une  mare  du  paradis  :  rien  que  des 
frissonnements,  des  frémissements,  des  ondulations,  des 
ébats,  des  demi-plongeons,  le  lever,  le  bain  de  l'qiseau, 
la  toilette  coquette  à  coups  de  bec  sur  le  dos,  sous  les 
ailes,  sous  le  ventre,  les  contentements  gonflés,  les  ren- 
flements en  boule,  les  hérissements,  les  rengorgements 
qui  soulèvent  la  ouate  floche  de  tous  ces  petits  corps 
avec  le  souffle  d'une  brise;  et  cela^  dans  da  soleil  et 
dans  de  Tcau,  entre  deux  lumières,  a?ec  des  vois  qui 


MANETTE  SALOMON.  441 

4 

nagent  et  des  brilianls  de  plume  qui  se  noient,  avec  des 
reflets  qui  voguent  et  des  éclabousseinents  de  poussière 
humide  qui  semblent  briser^  tout  autour  de  Toiseau,  cii 
gouttes  de  cristal,  le  miroir  où  il  se  mire.  Une  divine 
joie  est  là,  la  joie  gracieuse  des  animaux  qui  échappcnl 
à  la  terre  et  ne  se  traînent  pas  sur  le  sol,  la  joie  sans 
fatigue  de  toutes  ces  existences  flottantes,  balancées,  por- 
tées sans  fatigue  par  un  soupir  de  Tair  ou  par  une  ride 
.  du  fleuve,  promenées  sur  Fonde  au  fil  du  nuage,  bercées 
dans  de  la  transparence  et  de  la  limpidité,  voyageant 
dans  du  ciel  qui  les  mouille. 

Un  peu  plus  loin,  Anatole  fait  halte  devant  Thippo- 
potame,  qui  dort  à  fleur  d'eau,  pareil,  dans  sa  cuve,  à 
une  île  de  granit  à  demi  submergée,  et  qui,  de  temps  en 
temps,  remuant  un  peu  sa  petite  oreille  et  clignant  son 
œil  rond,  montre,  en  ouvrant  son  immense  bouche  en 
serpe,  le  rose  énorme  d'une  immense  fleur  de  monde 
inconnu.  Le  pain  de  seigle. qu'Anatole  a  riiabitude  de 
grignoter  en  marchant  dans  le  jardin,  fait  v^.nir  tout  de 
suite  à  lui  l'éléphant  qui  s'avance  au  petit  trct,  avec  des 
éventements  d'oreille  semblables  au  jeu  puissant  d*un 
pounka  :  Anatole  flatte  de  la  main  la  béte  vénérable, 
aux  cils  de  momie,  et  il  caresse  presque  pieusement 
celte  peau  de  pierre  qui  a  la  couleur  et  le  grain  d'un 
bloc  erratique,  éraillé  çà  et  là  par  le  frottement  d'an 
siècle.  Et  puis,  il  passe. aux  pçtits  éléphants  qui,  se 
pressant  et  se  nouant  par  la  trompe,  se  poussent  front 
contre  front,  et  jouent  à  se  faire  reculer  avec  des  malices 
d'enfants  de  géants  qui  luttent  et  de  grosses  douceurs  de 
frères  qui  s'amusent. 

Le  soleil,  en  montant,  resserre  à  chaque  minute 
l'ombre  de  tout,  et  mordant  le  coin  de  cage,  l'angle  de 
nuit  où  sont  réfugiés  les  nocturnes  perchés,  il  allume 
un  feu  d'ambre  dans  l'œil  du  Jean-le-Blanc.  L'éblouis- 
sément  qu'il  verse  se  répand  sur  tous  les  animaux.  Au 
milieu  des  arbres,  où  l'on  vient  Je  les  déposer,  les  per- 
roquets éclatent.  Les  aras  rouges  font  reluire  sur. leur 
rouge  l'écarlate  d'un  piTnent;les  pluraagesdesarasblancs 


441  «MAHETTE  SALOnOR. 

« 

étincelient  de  la  blancheur  de  stalactites  de  cire  vierge  et 
de  larmes  de  lait.  Et  tandis  que  sur  le  haut  d'un  petil 
toit,  un  morcc^au  de  la  queue  d*un  paon  fait  scintiller  un 
Jeu  d'artifice  de  pensées  et  d'émeraudes,  l'aigrette  de  la 
grue  couronnée  tremble  dans  l'herbe  comme  un  bouquet 
d'épis  d'or. 

Sur  le  soly  encore  tout  ombreux  de  la.  grande  allée  de 
marronniers,  la  Iqmiëre  jette  de  distance  en  distance  des 
palets  de  jour;  et  sur  les  troncs  ensoleillés,  la  découpure 
digitée  des  feuilles  dessine  en  tremblant  des  fleurs  de  lis 
d'ombre. 

Assis  sur  un  banc,  sous  cette  épaisse  feuillée  où  la 
respiration.de  l'air  fait  courir  en  passant  comme  des  sou- 
lèvements d'ailes  qui  s'envolent  et  des  battements  de 
langues  qui  boivent,  Anatole  a  devant  lui  la  ménagerie 
enfermant  le  soleil  et  les  féroces  dans  ses  cages,  la  mé- 
nagerie où  le  roux  des  lions  marche  dans  la  flamme  de 
l'heure,  où  le  tigre  qui  passe  et  repasse  semble  emporter 
chaque  fois  sur  les  raies  de  sa  robe  les  raies  de  ses  bar- 
reaux, où  de  jeunes  panthères,  couchées  sur  le  dos,  s'é- 
tirent mollement  avec  des  voluptés  renversées  de  bac- 
chantes^  Il  est  enveloppé  du  gazouillement  des  oiseaux 
attirés  parle  pain  qu'on  donne  aux  animaux  et  les  miettes 
des  grosses  bêtes.  A  l'étourdissant  concert  des  moineaux 
gorgés,  répond,  de  tous  les  coins  du  jardin,  le  chant  de 
fifre  des  oiseaux  exotiques,  sifflante  piaillerie,  chanterelle 
infinie  qu'écrase  ou  déchire  t5ut  à  coup  le  beuglement 
sourd  d'un  grand  bœuf,  le  rugissement  a'un  lion,  le  bra- 
mement guttural  d'un  cerf,  le  barrit  strident  d'un 
éléphant,  le  cor  d'airain  *de  l'hippopotame,  —  bâillements* 
de  féroces  ennuyés,  soupirs  de  bétes  sauvages,  fauves 
haleines  de  bruit,  sonorités  Irâuques,  dont  Anatole  aime 
à  être  traversé,  et  qui'rq^nuent  dans  sa  poitrine  l'émo- 
tion, le  tressaillement  d'instruments  de  bronze  et  de 
notes  de  tonnerre.  Puis  cela  tombe,  et  bientôt  «'éteint 
dans  le  cri  d'un  petit  animal,  ainsi  qu'un  grand  souffle 
qui  mourrait  dans  le  dernier  petit  murmure  d'une  flûte 
de  Pan  ;  et  il  se  /ait  un  silence  où  l'on  entend  goutte  à 


MANETTE  SALOMON.  US 

{goutte  le  filet  d*eau  qui  renouvelle  le  bain  de  Tours 

blanc.  ,,        * 

En  errant,  ses  regards  rencontrent  dans  des  trouées 
de  verdure  des  têtes  aux  yeux  mourants,  à  la  langue 
rose  qui  passe  sur  des  babines  luisaiites,  des  bouches 
(lexibles  et  ardentes  d'hémiones,  se  tordant  et  se  cher- 
cliant,  dans  un  baiser  qui  mord,  à  travers  les  grillages. 
11  y  a  dans  Tair  qu'Anatole  re&pire  la  senteur  des  virgi- 
nias  en  fleur  qui  couvrent  des  allées  de  leur  effeuille- 
ment;  il  y  a  des  arômes  fumants,  des  émanations  mus- 
quées et  des  odeurs  farouches  mêlées  aux  doux  parfums 
des  roses  c  cuisse  de  nym{)he  t  qui  etnbaument  de  leurs 
buissons  l'entrée  du  jardin... 

Peu  à  peu,  il  .s'abandonno  à  toutes  ces  choses.  Il* 
s^oublie,  il  se  perd  à  voir,*  à  écouter,  à  aspirer.  Ce  qui 
est  autour  de  lui  le  pénètrf  j:  k  tous  les  pores,  et  la  Na- 
ture l'embrassant  par  tous  loi  sens,  il  se  laisse  couler 
en  elle,  et  reste  à  s'y  tremper.  Une  sensation  délicieuse 
lui  vient  et  monte  le  long  de  lui  comme  en  ces  métamor- 
phoses antiques  qui  replantaient  riioinme  dans  la  Terre, 
en  lui  taisant  pousser  des  brabch.eâ  aux  jamb8S.il  glisse* 
dans  l'être  des  êtres  qui  sont  là.  Il  lui  semble  qu'il  est 
un  peu  dans  tout  ce  qui  voie,  dans  tout  ce  qui  croit, 
dans  tout  ce  qui  court.  Le  jour,  le  piiiitcmps,  l'oiseau,, 
ce  qui  chante,  chante  en  lui.  il  croit  sùiilir  passer  dans 
ses  entrailles  l'allégresse  de  la  vie  des  bêles;  et  une  es- 
pèce de  grand  boniieur  animal  le  remplit  d'une  de  ces 
béatitudes  matérielles  et  rumiuanles  où  il  semble  que  la 
créature  commence  à  se  dissoudre  dans  le  Tout  vivant 
de  la  création. 

Et  parfois,  dans  ce  jour  du  commencement  de  la 
journée,  dans  ces  heures  lég<^.res,  dans  cette  lumière 
qui  boit  la  rosée,  dans  cette  fiaicheur  innocente  du  ma- 
tin, dans  ces  jeunes  clartés  qui  semblent  rapporter  à  la 
terre  l'enfance  du  monde  et  ses  premiers  soleils,  dans 
ce  bleu  du  ciel  naissant  où  l'otseau  sort  de  l'étoile,  dans 
la  tendresse  verte  de  mai,  dans  la  solitude  des  allées 
sans  public^  au  milieu  de  ces  cabanes  de  bois  qui  font 


AU       "  MAIIETTK  SALOHOIf. 

songer  i  la  primilive  maison  de  rhumanitë,  an  milieu 
de  cet  univei*s  d'animaux  familiers  et  confiants  comme 
sur  une  terre  divine  encore,  Tancien  Bohême  revit  des 
joies  d'Éden,  et  il  s'élève  en  lui,  presque  célestemenl, 
comme  un  peu  de  la  félicité  du  premier  homme  en  face 
de  la  Nature  vierge. 


Défiembrv  1864.  —  Aoàt  1166 


FIN. 


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Paris.  —  L.  Maiietheux,  imprimeur,  1^  rue  Cassette . 


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STANFORD  UNtVERSITY  LIBRÀRIES 

CECIl  H.  GREEN   LIBRARY 

STANFORD,  CALIFORNIA  94305-6004 

(415)  723-1493 

Ail  books  may  be  recalled  after  7  days 

DATE  DUE 


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SHMFORD-WMERSITy-UBRARY 


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ào  nothtng  for  bim.  Mademoiselle.'* 


THEROMWCES  OF 


COUNT  OF  MONTE 
CRISTO 


VOLUME  OM£ 


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BOSTON 

LITTLE  •  BROWN 
AND  •  COMPANY/ 


CùpgrigM,  1889,  189$, 
Bt  Littlb.  Bboww.  and  Compant. 


354370 


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Printed  in  THE  United  States  of  America 


FUBUSHER?   XOTK. 


myrOSTE  CRESIO  — tlieiiMisfcccMmtodwwkof 
^^-'^  JÊB  ijfli'iMilfd  anAor,  noi  even  exoepùnç  the 
lyAitagiHUi  lOBMTiPPu  —  has  hithoto  been  knovn 
ko  tlie  Engfah-gpeakJng  woild  <Mil7  throi^  the 
medimn  of  a  Toy  impeifeet  tnnslatioii,  wbidb  from 
time  to  tiine  bas  been  lepablished  wilboot  anj  ma* 
terial  improvemeaL  Tbe  great  stoiy  is  woithj  to  be 
pieeented  in  a  better  form.  K  leadeis  bave  foand 
it  admirahlft  in  a  crade  jMeaentatîon  they  will  find 
new  exoeDences  in  it  as  they  follow,  in  an  improved 
iiaoslation,  the  inimitable  style  of  its  anthor,— ob* 
aenring  bis  pecaliar  snoœss  in  tbe  employ ment  of 
words  fitted  to  bis  tbougbt;  bis  quiet  bamor,  often 
80  delicately  oonveyed  that  a  careless  rendering 
mnst  lose  it  altogetber;  and,  r^aiding  tbe  work 
as  a  wbole,  bis  aitistic  skill  in  proportion  and  per- 
spective, wbich  may  easily  be  made  of  no  effect  by 
>missions  in  translating. 

In  tbe  présent  édition  omissions  bave  been  sup« 
(«lieâ;  expansions  bave  been  rigorously  rednced  to 
the  autboii's  own  crisp  form  of  statement  ;  erroneous 


Vl  PUBLISHERS'  NOTE. 

and  misleadiiig  renderings  of  words  and  phrases  bave 
been  corrected  ;  and  where,  as  in  many  instances,  the 
translater  had  usurped  the  functions  of  the  autbor, 
he  has  been  remanded  to  his  proper  subordination. 

''The  style  is  the  man;"  and  no  smaU  part  of 
one's  pleasure  in  reading  cornes  through  the  sensé 
of  a  Personal  intercourse  with  the  man  who  thus 
pervades  the  book.  It  is  therefore  with  a  peculiai 
satisfaction  that  in  publishing  this  work  we  creatQ 
an  opportunity  to  make,  or  renew,  acquaintance  with 
Alexandre  Dubias,  through  a  translation  which  foL 
lows  him  instead  of  running  away  from  him,  ani 
reproduces  his  forms  of  thought  with  as  much  pr& 
cision  as  the  différences  betweec  English  and  FrencV 
idioms  will  allofw. 


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nsr  or  cDâRàCRBa 


Muvâras  Oonto  4(  MoravCo. 

D>wigbn^  m  Fuis  buber. 
Bkmaanm  Dasculb»  kis  wife^ 
MAsmmxnauLÊ,  SuGknx  DASOLâBa»  llieirdaitglM& 
LouisB  b'Abmillt,  her  music^todiCT  —d  fnMMJi 
u^lL  MouL^owneroftheThasMa.** 

JUUS  MOBXCL^  ) 

Emmavitkl  Hsbb&ut,  )  derks  m  tlie  konae  of  Mordl  «ni 

CocLÈs»  )  Sona,  Maiseilles* 

yyQàsvABD  Cabxboussx,  b  Maraeilles  tùlor,  «fterwaid»  iMkQord  ol 
tbe  Pont  du  Gard  Iniu 

Madblkinx,  his  wife,  otherwiae  known  m  Xa  Caroonte. 
^  Thx  Empxbob  Napouboh. 

Louis  XYU!. 


memben  of  the 

^  Bonàpartist  Club 

in  the  Rae  St. 

Jacques. 


Viii  UST  OF  CHARAC1XB8. 

Babov  Dahdbê»  Minister  of  Folioe,  )  jtoTalîsts. 

Duc  DE  Blacas,  I 

M.  NoiBTiEB  DE  YiLLEFORT»  an  adhèrent  of  Napoléon. 

M.  GÊBABD  DE  YiLLEFOBTi  his  son,  prœunwr  du  roi^ 

Marquis  de  Saint-Méran. 

Marquise  de  Saint-Mérah. 

Mademoiselle  Renée  de  Saint-MéraNi  their  daugbter.  be> 

trothed  to  M.  Gérard  de  Yillefort. 
Comte  de  Salvieux,  friend  of  M.  de  Saint-Menu. 
General  Plavien  de  Quesnel. 
Baron  Franz  d'Épinat,  his  son. 
Lieutenant-Colonel  Louis  Jacques 

Beaurefairr, 
Brigadier-General  Etienne  Duchampt, 
Claude  Lecharpal,  keeper  of  streams  and 

forests, 
/  Marêchel  Bertrand. 

M.  DE  BoviLLE,  inspecter  of  prisons.  i 

The  Governor  op  the  Château  d*If.  ] 

Abbé  Fabia,  a  prisoner  in  the  Château  dIL  ' 

A  Jailor,  at  the  Cliâteaa  d'If. 

The  Matob  of  Marseilles. 

Captain  Baldi,  of  "  La  Jeune  Amélie/'  a  (Senoese  smngg^. 

Jacopo,  one  of  his  crew. 

Maître  Pastrini,  proprietor  of  the  Hôtel  de  Londres,  Rome. 

Gartako,  a  Roman  sailor. 

CucuMETTO»  a  brigand  chief. 

Carlini,  )  ^f  Cucumetto's  troop. 

DiAVOLACCIO,   ' 

RiTA,  betrothed  to  Carlini. 

Luioi  Yampa,  a  shepherd  boy,  afterwards  a  Captain  of  Roman 

brigands. 
Teresa,  his  betrothed. 
Peppino,  a  shepherd. 
4ndrea  Rondola,  a  condemned  murderer 


UST  or  GHARACmS. 


I 


GOHIB  B8  8âV  WtUCE, 

Duc  OS  BsAGcuaio, 

Casmsla,  Comte  de  San  Felîoe's  ôaa^bAet, 

CoHTEsn  GUIGCIOU. 

Miiom  Baktolombo  Catalcabii,  «b  adfCDtarer. 
Bbhsdetto^  passing  ander  the  muie  of  Ândrea  de  GmlcutL 
M.  Lucixv  Dkbkat,  ptivate  aecretary  ^ 

to  the  Minister  of  the  Inteiior,        I  friends  of  Albert  de 
M.  Beauchamt,  an  editor,  t  MoioeiL 

Coim  SX  ChItsau-Bcviuii,  J 

HéLOisB,  YiUefort's  second  wîfe. 
ÉoouASJ),  her  son. 
ILloxmoisbllb  Yalbhtob,  YîDefort's  daughter  bj  hia  Ènà 

wife,  in  lore  with  Maximilian  MorelL 
DocTOB  d*Atri6ht,  YiQefoH's  phjskâan. 
IL  Dbschamfs,  a  notary. 
Au  TsHSLis,  Pacha  of  Janina. 
Yasujki,  hîs  wife. 

HATDiB,  daughter  of  Ali  Pacha  and  YasilikL 
Sxuic,  fiiTorite  of  Ali  Pàcha. 
BxBTuccio,  steward  to  the  Gonnt  of  Monte  Cristo. 
AssuvTAi  Bertttocio's  sister-in-law. 
BAPnsTiK,  Monte  Cristo's  yalet 
Ali,  a  Nabian  mnte,  slare  to  Monte  Crista 
ABBi  Adblmontx,  a  Sicflian. 
Gebmadi,  Albert  de  Moroerf  s  ndet 
ÉTiBNin,  Talet  to  Danglars. 
Barsois,  Noirtier's  servant. 
Faknt,  Mademoiselle  de  Yillefort's  maid. 
Pèrk  Pamphile,  of  La  Réserve  Inn. 
Câftain  Lxclerc,   \ 

PsNELOKy  a  sailor,     >  in  the  service  of  M.  Morell. 
Caftain  Gaumard,  J 
JoAiiXBS,  a  jewelier. 


CONTKN 


Ibaftsi  Pas 

L  Mabsetlles.  —  TuB  Arritu. 1 

II.  Fatmer  and  Son 13 

111.  The  Catalans 23 

IV.  GONSPIRACT 37 

V.  The  Mabbiage-Feast  .    • ^ 

VI.  The  Deputt  Pbocubeub  du  Roi     ....  65 

Vil.  The  Examination 80 

VIll.  The  Château  d'If ,  92 

IX.  The  Evenino  of  thb  Betrotral    •    ...  101 

X.  Tue  Small  Cabinet  of  thb  Tuilbro»    •    .  111 

XI.  The  Ogre  of  Corsica 122 

XII.  Fatheb  and  Son 133 

XIII.  The  Hundred  Dats 142 

XIV.  Thb  Two  Pbisonebb 15i 

XV.  No.  34  and  No.  27 161 

XVI.  A  Learned  Italian 183 

XVU.  Thb  Abbé's  Chambbr 197 

XVTIl  Thb  Treasurb 225 

XIX.  Thb  Third  Attack 241 

XX.  Thb  Cemetbrt  of  the  ChAtbau  o*If  .    .    .  254 

XXL  The  Isle  of  Tiboulen 261 

XXII.  The  Smugglebs 274 


XU  CONTENTS. 

Ohaftcr  Fiioa 

XXIli.  The  Isle  of  Monts  Gbjsto 884 

XXIV.  The  Secret  Cavs 994 

XXV.  The  Unknown 804 

XXVI.  The  Inn  or  Pont  du  Oasd 814 

XXVIL  The  Récital 834 

XXVIII.  The  Pbison  Registeb 853 

XXIX.  The  House  of  Morrel  and  8on     •    •    •  861 

XXX.  The  Fifth  of  Seftember 876 

XXX !•  Italt  :  SiNBAD  THE  Sailob 895 

XXXII.  The  Wakino 424 

XXXIII.  Roman  Bandits       432 

XXXIV.  An  Afpabition •    •    .  467 

XXXV.  La  Mazzolata 500 

XXXVI.  The  Cabnival  at  Rome 518 

XXXVII.  The  Catacombs  of  St.  Sébastian    •    .    .  540 


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OF   MOXIS  CSCSTa 


CHAFIES  L 


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Os  tiiB  nOk  of  FelnuT,  1815»  tbo  vatdiMB  m  tlK 
toww  of  Notre  DÉBe  de  k  Gode  a^gnllad  tlie  tiiree>BiM^ 
ter,  the  'Flianoii,*  from  Smjina»  THeote^  and  Ni^pka. 
A  pilot  pot  off  inunedîaidjy  and  loondÎQg  the  Cbâtean 
d'I(  got  on  boud  the  Teaed  betveen  Cipe  MoigkMi  «nd 
tbe  Ide  of  RîoiL 

The  phfcfoim  of  Foii  St  Jem  wm  eovered  with 
qiecUton;  ît  û  alwmys  en  event  et  MeienUee  for  a  ehip 
to  corne  inio  povt^  eepedaDj  wben  this  ehip,  like  the 
''Phenon,"  hed  heen  bnilt^  ngged,  end  leden  et  the 
wherree  of  the  old  Phooée,  end  helonged  to  en  owner  in 
the  cit  j. 

The  ship  diew  on;  H  hed  safely  pesaed  the  etieit 
which  aome  Tolcanic  ehock  hes  mede  l^tween  the  laie  of 
Calasaieigne  and  the  Isle  of  Jeios,  hed  doubled  Pomègue, 
end  appioeched  the  harbor  nnder  topseils,  jib»  end  fûresail» 
bat  80  dowly  and  sedately  that  the  idlera,  with  that  in- 
stinct which  misfortune  sends  before  it,  esked  one  enother 
what  miafortone  could  hâve  bappened  on  boaid.  How* 
eyer,  thoee  experienced  in  navigation  saw  plainly  that  if 

VOL.  L— -1 


2  THE  COUNT  OF  MONTXi  CRISTa 

•    •  • 

aay  accident  had  occuned,  it  was  p^t  to*the  vessel  beiaeli^ 
for  as  she  approached  she  gaye.Qvef  j  indication  of  beipg 
under  perfect  control.  Beaid^^IV^  pilot,  who  was  steering 
the  **  Pharaon  "  tbrough  tbou  ixttntow  entrance  of  the  port  of 
Marseilles,  was  a  younp^nah,  who,  gesticulating  rapidly, 
watched  with  a  vigilant  «ye  every  motion  of  the  ship,  and 
repeated  the  orderd'of  tîfe  pilot. 

The  vague  ^squiebide  which  prevailed  among  the  speo- 
tators  had  so  teuch  affected  one  of  the  crowd  that  he 
could  not'*4iyait*  the  arrivai  of  the  vessel  in  harbor,  but 
jumping^  il}lor*a  small  skifl^  desired  to  be  puUed  alongside 
the  *!  Pjiiarâon/'  which  he  reached  as  she  came  opposite 
tbê^JbXy  of  La  Réserve. 

«  \  WBen  the  young  man  on  board  saw  him  coming,  be  left 
bi))  station  by  the  pilot,  and  came,  bat  in  hand^  to  the  side 
of  the  ship.  He  was  a  tall  slim  young  fellow,  nineteen  or  ' 
twenty  years  old,  with  black  eyes,  and  hair  as  dark  as 
the  raven's  wing  ;  and  bis  whole  appearance  bespoke  that 
calmness  and  resolution  peculiar  to  men  accastomed  from 
their  cradle  to  contend  with  danger. 

**  Ah  !  is  it  you,  Dantès  )  "  cried  the  man  in  the  skifEl 
"  What  's  the  matter  1  And  why  bave  you  sach  an  air  of 
sadness  aboard  ?  " 

"  A  great  misfortune,  M.  Morrel  !  "  replied  the  young 
man,  —  ''a  great  misfortune,  for  me  especially !  Off 
Civita  Vecchia  we  lost  our  brave  Captain  Leclere." 

"And  the  cargo V'  inquired  the  owner,  eagerly. 

**  Is  ail  safe,  M.  Morrel  ;  and  I  tbink  you  will  be  sati»- 
fied  on  that  head.     But  poor  Captain  Leclere  —  '' 

**  What  happened  to  him  1  *'  asked  the  owner,  with  an 
air  of  relief.     '^  What  happened  to  the  worthy  captain  f 

"  He  is  dead." 

"  Fell  into  the  sea  r* 

**  No,  Monsieur,  he  died  of  tbe  brain  fever,  in  dreadfol 


agonj.*    TIhb  taniqg  to  ths  env,  hb  WÊàd,  "Look  ont 
thcre!  allmdjtodiopwdbor!" 

AH  haMM^Ê  obejed.  Ai  tlM  mmb  Boattnt  tbe  «^t  or 
ten  ttunen  iHm>  coaqKMBd  tho  crew,  a|KHii^  sone  to  the 
main  uIm  fte^  oUia»  to  tho  laaeea^  oHmes  to  the  balyanls» 
othen  to  tiiB  jîb^opa^  and  oUiob  to  the  tn^nail  bnils. 
The  JouDg  ai3or  gare  m.  lo<^  to  aee  thet  his  oïdeis  veie 
pRiii^tfy  and  aecnntdy  (iheyed,  aiid  then  tnnied  eg^ 
theowneK. 

''And  how  did  tfaia  nnsfoitiuie  œcnrt"  inqnired  the 
latter,  iwaimîng  the  ÎDqoiij  sospended  for  a  moBientk 

"Aka,  Monâeor!  in  the  mosi  nnexpected  sianner. 
Afier  a  long  oonTeisatîon  with  the  harbor-inaster,  Gaplain 
Ledere  left  Xapka  greatl j  disturbed  in  his  mind.  '  At  the 
end  of  twenty-fonr  honis  he  was  attacked  by  a  fever,  and 
died  thiee  days  afterwarda.  We  peifonned  the  nsual  banal 
service,  and  he  is  at  hisieat,  aewn  np  in  his  hammock  with 
two  ballets  of  thiity-siz  poands  each  at  his  head  and  heels, 
off  the  ishind  of  £1  Giglio.  We  bnng  to  his  widow  his 
swoid  and  cross  of  honor.  It  was  woith  whAe»  traly/* 
added  the  yoang  man  with  a  melancholy  amile^  ''to  make 
war  against  the  English  for  ten  yeara^  and  to  die  in  his 
bed  at  last,  like  eveiybody  else." 

"  Why,  yoa  see^  Edmond/'  replied  the  owner,  who  ap- 
peared  moie  comfoTted  every  moment^  *'  we  are  ail  mortaL 
and  the  old  most  make  way  for  the  yoang.  If  not»  why, 
there  wotdd  be  no  promotion  ;  and  as  you  hâve  aasored 
me  that  the  cargo — " 

"  Is  ail  safe  and  sonndy  M.  Morrel,  take  my  woid  for  it  ; 
and  I  advise  you  not  to  take  twenty-fiye  thoosand  livres 
for  the  profits  of  the  voyage." 

Then,  as  they  weie  jost  passing  the  Roond  Tower,  the 
yoang  man  shonted  oat^  ''  Ready,  there,  to  lower  topsails» 
foiesail,  and  jib  I  ^ 


4  THE  COUNT  OF  UOifffi  CRISTa 

The  order  was  executed  as  prompUy  as  if  on  boaid  • 
man-of-war. 

''Let  go!  and  biail  ail!'*  At  tbis  last  woid  àll  tho 
sails  were  lowered,  and  the  ship  moved  almost  impéicep* 
tibly  onwards. 

"Now,  if  you  will  corne  on  boaid,  M.  Morrel/*  said 
Dantès,  observing  tbe  owner^s  impatience,  **  bere  îb  yoor 
supercaigo,  M.  Danglars,  coming  out  of  bis  cabin,  wbo  will 
fumisb  you  witb  every  particular.  As  for  me,  I  muet 
look  after  the  anchoring,  and  dress  tbe  ship  in  mourning/  ' 

Tbe  owner  did  not  wait  to  be  twice  invited.  He  seized 
a  Tope  which  Dantès  flung  to  bim,  and  witb  an  activity  tbat 
would  bave  donc  crédit  to  a  sailor,  climbed  up  the  sîde 
of  the  ship,  while  tbe  young  man,  going  to  bis  task,  lefb 
tbe  conversation  to  tbe  individual  whom  be  bad  annoanced 
under  the  name  of  Danglars,  wbo  now  came  towards  the 
owner.  He  was  a  man  of  twenty-fivo  or  twenty-six  years 
of  âge,  of  uuprepossessing  countenance,  obsequious  to  bis 
superiors,  insolent  to  his  inferiors  ;  and  then  aside  firom 
bis  position  on  board  as  responsible  agent,  which  is  always 
offensive  to  tbe  sailors,  be  was  personally  as  much  disliked 
by  the  crew  as  Edmond  Dantès  was  beloved  by  them. 

"  WeU,  M.  Morrel,"  said  Danglars,  "  you  bave  beard  of 
tbe  misfortune  tbat  bas  befallen  us  1  " 

'^  Yes,  yes  !  poor  Captain  Leclere  !  He  was  a  brave 
and  an  honest  man  I  " 

*'  And  a  first-rate  seaman,  grown  old  between  sky  and 
océan,  —  a  proper  man  to  be  charged  witb  tbe  intere^ts  of 
a  bouse  so  important  as  tbat  of  Morrel  and  Son/'  r?]>lied 
Danglars. 

"  But,"  replied  tbe  owner,  following  witb  his  look  Dan- 
tès, wbo  was  watching  the  anchoring  of  his  ves^l,  "it 
seems  to  me  thnt  a  sailor  needs  not  to  be  so  old  as  you 
•ay,  Danglars,  to  understand  his  business,  for  our  Mend 


MâlWmJ^  —  THE  ABBIYAL.  5 

Bdmoiid  aeems  to  nndentiiid  it  tlioioii^j,  and  noi  to 
require  ioatroction  hom  anj  one." 

''Yea,"  aaid  Dangfani,  castiiig  towaids  Ediwnid  a  1<m^ 
in  which  gleamed  a  flash  of  hatred,  —  **  jeB^  he  is  yooi^ 
and  joath  is  inTuiaU j  self-confident.  Scaiœl j  was  the 
capfaûu's  bnsaih  ont  of  lus  bodj  when  he  assomed  ihe 
command  withoat  oonsolting  any  one,  and  he  caiiaed  os 
to  lose  a  day  and  a  half  at  the  Isie  of  Elha,  instead  of 
making  for  Maiseilles  direct." 

^  As  to  taking  the  oommand  of  the  Tessel,**  replied  Mor- 
ve!, **  that  was  lus  dntj  as  captain's  mate  ;  as  to  loûng  a 
day  and  a  half  off  the  Isle  of  Elbay  he  was  wiong,  onless 
the  ship  wanted  some  repair." 

**  Thë  ship  was  as  soond  as  I  am,  and  as  I  hope  yoa 
are,  IL  Morrel,  and  tlûs  day  and  a  half  was  wastod 
through  sheer  caprice,  — for  the  plessore  of  going  ashore^ 
and  nothing  else." 

''  Dantes  !  "  said  the  ship-owner,  toming  towaids  the 
yoang  man,  *'oome  this  way!" 

**  In  a  moment,  sir,"  answered  Dantés,  "  I  shall  he  at 
your  service."  Then  calling  to  the  crew,  he  said,  **  Let 
go!" 

The  anchor  was  instantly  diopped,  and  the  chaîn  ran 
rattling  throngh  the  port-hole.  Dantès  continued  at  hia 
post  in  spite  of  the  présence  of  the  pilot  until  this  ma- 
nœuvre was  coropleted,  and  then  hc  added,  '*  Lower  the 
pennant  to  half-mast  ;  pat  the  ensign  in  a  weft,  and  dope 
the  yards  !  " 

<*  You  see/'  said  Danglars,  ''he  fiuicies  himself  caprin 
alieady,  upon  my  word." 

''  And  eo,  in  fact,  he  is,"  said  the  owner. 

''Tes,  wanting  your  signature  and  your  partnei^s,  M. 
Morrel." 

''And  why  s^ould  he  net  hâve  itl*'  asked  the  owner^* 


6  THB  COUNT  OF  MO^E  CRISTO. 


it 


he  is  youngy  it  îs  true,  but  he  seems  to  me  a  thoroug^ 
seaman,  and  of  fuU  expérience." 

A  cloud  passed  over  Danglars's  brow. 

"  Your  pardon,  H.  Morrel/'  said  Dantès,  approaching  ; 
**  the  ship  now  rides  at  anohor,  and  I  am  at  jour  service. 
You  called  me,  did  you  not  1  " 
'  Danglars  retreated  a  step  or  two. 

**  I  wished  to  inquire  why  you  stopped  at  the  Isle  of 
Elba  î  " 

"  I  do  not  know,  sir  ;  it  was  to  fulfil  a  last  instruction  of 
Captain  Leclere,  who,  when  dying,  gave  me  a  packet  foi 
the  Maréchal  Bertrand.^' 

''Did  you  see  him,  Edmond f 

"Seewhomî'* 

"  The  marshaL" 

"Yes." 

Morrel  looked  around  him,  and  then  drawing  Dantès  on 
one  side,  he  said  suddeuly,  **  And  how  is  the  emperort*' 

**  Very  well,  as  far  as  I  could  judge  from  his  appearance.** 

"  You  saw  the  emperor,  then  1  " 

"  He  entered  the  marshal's  apartment  while  I  was  there.** 

"  And  you  spoke  to  him  î  " 

^'Why,  it  was  he  who  spoke  to  me,  Monsieur,"  said 
Dantès,  with  a  smile. 

'^  And  what  did  he  say  to  you  1  ** 

''  Asked  me  questions  about  the  ship,  —  when  she  would 
leave  for  Marseilles,  the  course  she  had  taken,  and  what 
was  her  cargo.  I  believe,  if  she  had  not  been  laden,  and 
I  had  been  her  master,  he  would  hâve  bought  her.  But 
I  told  him  I  was  only  mate,  and  that  she  belonged  to  the 
firm  of  Morrel  and  Son.  '  Ah,  ah  !  '  he  said.  '  I  know 
them  !  The  Morrels  hâve  been  ship-owners  from  father 
to  son  ;  and  there  was  a  Morrel  who  served  in  the  same 
régiment  with  me  when  I  was  in  garrison  at  Valence.'  " 


A«i  tkift  «w  Fq&v  Ifond,  BT 

à  rmphim      TliratHi  Tm  ■■at  feeu  bt 

tint  tlie  caqienr  OKabcnd  Lîb.  a^  tm  viL  «e  ît  wîH 

lin^tBBsnlotlieoUHUia'scTvi.     C^jae.  eone  !  ^  cxmi> 

tmoed  ht,  pattÛB^  FiffiTs  Aon^dcr  kîiidlT,  *  jkm  did 

I  TEfj  nc^  DlHitc%  to  ïoiEam  Capuîn  LBÙie's  î^tracdoB» 

sud  tondi  ai  tfae  Ue  of  Elln,  —  ahlioagli  if  h  skonld  be- 

eome  kaon  tint  joa  bad  eonTejed  a  packei  to  the  inar- 

I  shal,  and  had  conTqged  vixh  the  emperar;  joa  Biîgbt  find 

yomaclf  ccwepioiiiîaffd.* 

''Hov  coold  that  coMpimnîaB  mc^  Monsirart*  asked 
^  Dsntes.     ''Idid  noieTenkiiovof  vhat  I  wasthebeaTH*; 

^  and  tfae  empoor  menàj  made  sucli  inqniiies  as  be  woold 

I  of  the  ûbA  corner.     Bol,  jour  pardon,  hm  are  the  officeis 

of  bealth  and  the  cnstonw  oomii^  alongâde  I  "*  and  the 
yonng  man  went  to  the  gai^wa j. 
Ab  he  di^MBted,  Dansais  approached,  and  saîd«  — 
''Well,  it  appeais  that  he  bas  giren  yoa  satîsfactoiy 
leasona  for  bis  knding  at  Porto  Femjo  t  * 
**  Tea^  most  satisfiictorj,  my  dear  Danglais.** 
*'  Well,  so  mach  the  better,"  said  the  supereaigo  ;  ^  for 
>  it  is  always  painfbl  to  aee  a  comrade  who  does  not  do  bis 

duty.'' 

**  Dantès  bas  done  bis,"  replied  the  owner,  ''  and  that  is 
not  saying  much.  It  vas  Captain  Ledeie  who  gare  or- 
ders  for  tbis  delay." 

^  Talking  of  Captain  Leclere,  bas  not  Dantès  given  you 
a  letter  firom  bim  1  " 

"  To  me  1    No;  vas  tbere  one %  " 
^  I  believe  tbat  besides  the  packet  Captain  Ledere  had 
confided  a  letter  to  bis  care." 
**  Of  wbat  packet  are  yoii  speaking,  Danglars  %  " 
"  Why,  tbat  wbîcb  Dantès  left  at  Porto  Ferrajo." 


8  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

**  How  do  jou  know  be  had  a  packet  to  leave  at  Porto 
Ferrajo  %  " 

Dauglars  turned  very  red.  *'  I  was  pàssing  close  to  the 
door  of  the  captain's  cabin,  wbicb  was  balf  open,  and  I 
saw  bim  give  tbe  packet  and  letter  to  Dantès." 

**  He  did  not  speak  to  me  of  it/'  replied  tbe  sbîp-owner  ; 
*'  but  if  tbere  be  any  letter  be  will  give  it  to  me." 

Danglars  reflected  for  a  moment.  ^'Tben,  M.  Morrel, 
I  beg  of  you,"  said  be.  ''  not  to  say  a  word  to  Dantès  on 
tbe  subject  ;  I  may  bave  been  njkistaken." 

At  tbis  moment  tbe  young  man  retumed,  and  Danglars 
witbdrew. 

"  Well,  my  dear  Dantès,  are  you  now  fieel''  inquired 
tbe  owner. 

**  Tes,  Monsieur.* 

"  You  bave  not  been  long  detained.'' 

"  No.  I  gave  tbe  custom-bouse  oi&cers  a  copy  of  our 
bill  of  lading;  and  as  to  tbe  otber  papers,  tbey  sent  a 
man  oif  witb  tbe  pilot  to  wbom  I  gave  tbem.'' 

"  Tben  you  bave  notbing  more  to  do  bere  î  '* 

"  No  ;  ail  is  arranged  now." 

"  Tben  you  can  corne  and  dine  witb  me  1  " 

"  I  beg  you  to  excuse  me,  M.  Morrel  ;  but  my  first  vîsit 
is  due  to  my  fatber.  I  am  not  tbe  less  grateful  for  tbe 
honor  you  bave  done  me.*' 

**  Eigbty  Dantès,  quite  rigbt.  I  always  knew  you  were 
a  good  son.*' 

'^And/'  inquired  Dantès,  witb  some  hésitation,  '^do 
you  know  bow  my  fatber  isî" 

**  Well,  I  believe^  my  dear  Edmond,  though  I  bave  not 
seen  bim  lately." 

"  Yes,  be  likes  to  keep  himself  shut  up  in  bis  little  room.'* 

'*  That  proves,  at  least,  that  he  bas  wanted  for  notbing 
during  vour  absence." 


\ 


) 


Dtetra  fluled.  *Mj  frdKr  m  pmd,  or;  ud  if  he 
l«ad  Dot  m  Bol  kft^  I  doabi  îf  be  voold  Iats  asksd  anj- 
tiiîiig  fiom  sny  «ne,  ezeepi  God." 

''Wdl,  tiieD,  after  tlûs  fiiat  TÎôt  Im  1|»sq  anda  m 
vdj  on  joo.^ 

**!  BQfli  ignn  ezcme  mjmM,  IL  Mond»— Ibr  aftar 
I  thîs  fini  mit  has  been  pûd  I  bsie  «joUmbt  wbich  I  «m 

mort  anxîoiis  to  psy." 
t  **  TnH^  Butis^  I  fiMgoi  tint  tiwre  ÎB  ai  the  GrtakuB 

«ouïe  one  vbo  expecte  joa  no  lesB  impatieiitiy  tiian  jour 
fiitiier,  —  tiie  lordy  Meroédéa.'' 

Dantes  bloshed. 

''Âh,  ah  !  "  sud  the  ship-owner,  "thai  don  noi  asIoD- 
îflli  moy  for  ahe  has  been-to  me  thiee  times,  inqoiring  if 
tbeie  were  anj  news  of  the  '  Phaiaon.'    FtUe/  Edmond, 
you  hâve  a  very  handsome  mistiess  !  " 
i  '*She  ÎB  not  my  mistress,''  replied  the  yoang  saOor, 

gravely;  '^she  îs  my  betrothed." 

^'Sometimes  one  and  the  same  thingy"  said  Monel, 
with  a  amile. 

^  Not  with  us.  Monsieur,*  replied  Dantés. 

'*  Well,  well,  my  dear  Edmond/*  continaed  the  owner, 
''do  not  let  me  detain  you.  Tou  hâve  managed  my 
affiiira  80  well  that  I  ought  to  allow  you  ail  the  time  you 
Tequiie  for  yonr  own.     Do  you  want  any  money  t  *' 

"  No,  Monsieur  ;  I  hâve  ail  my  pay  to  leceive, — nearly 
three  months'  wages." 

*'  You  are  a  careful  fellow^  Edmond.** 

**  Say  that  I  hâve  a  poor  father,  Monsieur.** 

**  Tes,  yes,  I  know  that  you  are  a  good  son.  Qo,  then, 
to  see  your  father.  I  hâve  a  son  too,  and  I  should  be 
very  wroth  with  any  one  who  should  keep  him  from  me 
after  a  three  months'  voyage." 

"Then  I  hâve  your  leave,  Monsieur  V 


10  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

m 

"  Y^s,  if  you  hâve  notbing  more  to  say  to  me." 

«  Nothing." 

^*  Captain  Leclere  did  not^  befoie  be  died,  give  yoa  a 
letter  for  meî" 

''  He  was  unable  to  vrrîte,  sir.  But  that  reminds  me 
tbat  I  must  ask  leave  of  absence  for  a  fortnigbt." 

«  To  get  married  î  " 

"  Yes,  first,  and  tben  to  go  to  Paris." 

"  Very  good  ;  bave  wbat  time  you  require,  Dantès.  It 
will  take  quite  six  weeks  to  unload  tbe  cargo,  and  we  can- 
not  get  you  ready  for  sea  until  tbree  montbs  after  tbat  ; 
only  be  back  again  in  tbree  montbs,  —  for  tbe  '  Pbaraon/  " 
added  tbe  owner,  patting  tbe  young  sailor  on  tbe  back, 
"cannot  sail  witbout  ber  captain.'* 

"  Witbout  ber  captain  !  "  cried  Dantès,  bis  eyes  spark- 
ling  witb  animation  ;  "  pray  mind  wbat  you  say,  for  you 
are  toucbing  on  tbe  most  seci'et  wisbes  of  my  beart.  Is 
it  really  your  intention  to  make  me  captain  of  tbe 
*PbaraonM" 

"  If  I  were  sole  owner  I  would  appoint  you  tbis  mo* 
vient,  my  dear  Dantës,  and  say  it  is  settled  ;  but  I  bave 
a  partner,  and  you  know  tbe  Italian  proverb,  —  Chi  ha 
conipagno  ha  padrone,  'He  "wbo  bas  a  partner  bas  a  mas- 
ter/  But  tbe  tbing  is  at  least  balf  done,  since  of  tbe  two 
votes  you  bave  ali^dy  secured  one.  Rely  on  me  to  pro- 
cure you  tbe  otber  ;  I  will  do  my  best.*' 

"  Ab,  M.  Morrel,"  exclaimed  tbe  young  seaman,  witb 
tears  in  bis  eyes,  and  ^rasping  tbe  owner's  band,  —  "  M. 
Morrel,  I  tbank  you  in  tbe  name  of  my.fatber  and  of 
Mercedes." 

"  Good,  good,  Edmond  I  Devil  take  it,  tbere  *s  a  God 
in  beaven  for  good  fellows  !  Go  to  your  fatber;  go  and 
see  Mercedes,  and  come  to  me  afterwards." 

"  Sball  I  row  you  on  sbore  I  " 


MAR8EILLES.  —  TES  ARRIYALb  U 

**  No,  I  thank  you  ;  I  shall  remain  and  look  OTer  tha 
accounts  with  Danglars.  Hâve  you  been  satisfied  with 
him  this  voyage?" 

**  That  is  according  to  the  sensé  you  attach  to  tbe  ques« 
tien.  Monsieur.  Do  you  mean,  is  he  a  good  comradel 
No,  for  I  think  he  never  liked  me  since  the  day  when  I 
was  silly  enough,  after  a  little  quarrel  we  had,  to  propose 
to  him  to  stop  for  ten  minutes  at  the  Isle  of  Monte  Cristo 
to  settle  the  dispute, — a  proposition  which  I  was  wrong  to 
suggest,  and  he  quite  right  to  refuse.  If  your  question 
refers  to  hiô  conduct  as  supercargo,  I  belîeve  there  is  noth- 
ing  to  say  against  him,  and  that  you  will  be  content  with 
the  way  in  which  he  has  performed  his  duty." 

"  But  tell  me,  Dantès,  if  you  had  the  command  of  the 
'Pharaon,*  should  you  hâve  pleasure  in  retaining 
Danglars  î  " 

"  Captain  or  mate,  M.  Morrel/*  replied  Dantès^  **  I  shall 
always  bave  the  greatest  respect  for  those  who  possess  our 
owner's  confidence." 

"  Good,  good,  Dantës  I  I  see  you  are  at  ail  points  a 
good  fellow.  Let  me  detain  you  no  longer.  Go,  for  I  see 
bow  impatient  you  are." 

"  Then  I  bave  leave  î  '' 

"  Go,  I  tell  yoù." 

"  May  I  bave  the  use  of  your  skiff  t  ** 

**  Certainly." 

''Then,  for  the  présent,  M.  Morrel,  farewell,  and  a 
thousand  thanks!'' 

"I  hope  soon  to  see  you  again,  my  dear  Edmond. 
Good  luck  to  you  !  " 

The  young  sailor  jumped  into  the  skiff,  and  sat  down 
in  the  stem,  desiring  to  be  put  ashore  at  the  Canebière. 
The  two  rowers  bentto  their  work,  and  the  little  boat 
glided  away  as  rapidly  as  possible  in  the  midst  of  the 


12  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

tbousand  vessels  wbich  cboke  up  the  nanow  way  wbioh 
leads  between  tbe  two  rows  of  ships  from  tbe  moutb  of 
tbe  harbor  to  tbe  Quai  d'Orléans. 

The  8bip-owuer,  smiling,  foUowed  bim  witb  bis  eyes 
until  he  saw  bim  sprîng  out  on  tbe  quay  and  disappear  in 
tbe  midst  of  tbe  tbrong  wbicb  from  five  o'clock  in  tbe 
moming  until  nine  o'clock  at  nigbt  cbokes  up  tbis  famous 
Street  of  La  Canebiëre,  of  wbicb  tbe  modem  Pbocëens  are 
80  proud  tbat  tbey  say  witb  ail  tbe  gravity  in  tbe  world, 
and  witb  tbat  accent  wbicb  gives  so  mucb  cbaracter  to 
wbat  is  said,  '*  If  Paris  bad  La  Canebière,  Paris  would  be 
a  second  Marseilles."  On  tuming  round,  tbe  owner  saw 
Danglars  bebind  bim,  wbo  apparently  awaited  bis  orders, 
but  in  reality  foUowed,  as  be  did,  tbe  young  sailor  witb 
bis  eyes  ;  but  tbere  was  a  great  différence  in  tbe  expres- 
sion of  tbe  two  men  wbo  tbus  watched  tbe  movements  of 
Edmond  Dantès. 


FATHSB  AND  SON.  13 


CHAPTER  IL 

FATHER  AND  SON. 

Wb  wiU  leave  Danglars  struggling  with  the  feélingg  of 
hatredy  and  endeavoring  to  insinuate  in  the  ear  of  the 
shîp-owner,  Morrel,  evil  suspicions  against  his  comradey 
and  foUow  Dantès,  who,  after  having  traversed  the 
Canehière,  took  the  Rue  de  Noailles,  "and  entering  into 
a  small  house  situated  on  the  lefb  side  of  the  Allées  de 
Meillan,  rapidlj  ascended  four  stories  of  a  dark  staircase, 
holding  the  baluster  in  one  hand,  while  with  the  other 
he  repressed  the  heatings  of  his  heart  ;  he  paused  before 
a  half-opened  door,  which  levealed  the  interior  of  a  small 
apartment 

This  apartment  was  occupied  by  Dantès's  father.  The 
news  of  the  arrivai  of  the  ''  Pharaon  "  had  not  yet  reached 
the  old  man,  who,  mounted  on  a  chair,  was  amusing  him- 
self  bj  staking  with  tremulous  hand  some  nasturtiums, 
which,  mingled  with  clematis,  formed  a  kind  of  trellis  at 
his  window.  Suddenly  he  felt  an  arm  thrown  round  his 
body,  and  a  well-known  voice  behind  him  exdaimed, 
''  Father  1   dear  father  !  " 

The  old  man  uttered  a  cry,  and  tumed  round  ;  then, 
seeing  his  son,  he  fell  into  his  arms,  pale  and  trembling. 

**  What  ails  you,  my  dearest  father  1    Are  you  ill  1  '* 
inqti^d  the  young  man,  much  alarmed. 
'    **  No;  h'ô,  my  dear  Edmond  —  my  boy  -^  my  son  I  no  ; 
but  I  did  not  ezpect  you  ;  and  joy,  the  surprise  of  seeing 


H  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

you  80  suddenly  —  Ah  !  I  really  feel  as  if  I  were  going 
to  die." 

"Come,  corne;  cheer  up,  my  dear  fsither!  Tis  I, — 
really  I  !  They  say  joy  never  hurts,  and  so  I  come  to  you 
without  any  warning.  Come  now,  look  cheerfully  at  me, 
instead  of  gazing  as  you  do  with  wandering  looks.  Hère 
I  am  back  again,  aud  we  will  now  be  happy/' 

"  Yes,  yes,  my  boy,  so  we  will, — so  we  will,"  leplied  the 
old  man  ;  "  but  how  shall  we  be  happy  1  Will  you  never 
leave  mé  again  1  '  Come,  tell  me  ail  the  good  fortune  that 
bas  befallen  you.*' 

"  God  forgive  me,"  said  the  young  man,  "  for  rejoicing 
at  happiness  ddrived  from  the  misery  of  others;  but 
Heaven  knows  I  did  not  seek  this  good  fortune.  It  bas 
happened,  and  I  really  cannot  affect  to  lament  it.  The 
good  Captaiu  Leclere  is  dead,  Father,  and  it  is  probable 
that,  with  the  aid  of  M.  Morrel,  I  shall  bave  bis  place. 
Do  you  understand^  Father  1  Only  imagine  me  a  captain 
at  twenty,  with  a  hundred-louis  pay,  and  a  share  in  the 
profits  !  Is  this  not  more  than  a  poor  sailor  like  me  could 
bave  hoped  for î" 

"  Yes,  my  dear  boy,"  replied  the  old  man,  —  "yes,  it  is 
very  fortunate." 

"  Well,  then,  with  the  first  money  I  touch,  I  mean  l^at 
you  shall  bave  a  small  bouse,  with  a  garden  in  which  to 
plant  your  clematis,  your  nasturtiums,  and  your  boney- 
suckles.    But  what  ails  you,  Father?    Are  you  not  well  1" 

"  'T  is  nothing,  nothing  ;  it  will  soon  pass  away  ;  "  and 
as  be  said  so  the  old  man's  strengtb  failed  him,  and  he  fell 
backwards. 

"  Come,  come,*'  said  the  young  man,  "  a  glass  of  wine, 
Father,  will  revive  you.    Where  do  you  keep  your  winel  " 

"  No,  no,  thank  you.  You  need  not  look  for  it  ;  I  do 
not  want  it,"  said  the  old  man. 


f 

!» 

I  Me  jx»,*  and  die  old 

v^c^  tin  pBRpintmi  fios 
bis  biov;  —  '^J^  I  g^cve  jm  two  kvwinil  Km  vlna  I 
kll»  tinee  bobUm  agOL* 

«'Tes,  jBi,Ed»and,  tint  ktnie;  but  j«m  failli  ai  IbÉt 
time  a  lîttle  debi  to  oor  iMÎghbor  Gaderooww.  Hé  va- 
minded  me  of  ît^  ^dSàng  me  îf  I  did  mi  pa j  ibr  yoQ»  ba 
woald  applj  to  IL  Moml;  and  ao^  joa  aae^  kai  be  mî(^ 
do  yott  an  înjaiy  — " 

•«Weni- 

«  Why,  I  paid  Mm.* 

««Bnt^"  cried  Dantéa»  «'ii  waaa  Imndred  and  ibityfi?iaa 
I  owed  Gadeioiiaae.'' 

**  Tes,*  stammeied  the  <dd  man. 

'^And  joa  paid  him  ont  of  the  two  Irandred  liima  I 
Icft  yont" 

The  old  man  made  a  sign  in  the  affinnatÎTeb 

"So  that  you  bave  lîved  for  three  months  on  aizty 
livres]"  mntteied  the  yoang  man. 

**  Ton  know  how  little  I  lequire,"  said  the  old  man. 

"  Heaven  pardon  me  !  "  cried  Edmond»  going  on  hii 
knees  befoie  the  old  man. 

"  What  are  you  doing  %  ** 

"  Ton  hâve  wounded  my  very  heart  I  * 

**  Never  mind  it,  for  I  see  you  once  more,**  said  the  old 
man;  "and  now  ail  is  forgotten,  ail  is  well  again.** 


16  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

**  Yes,  hère  I  am,"  said  tbe  young  man,  "  witli  a  bappy 
prospect  and  a  little  money.  Hère,  Father,  hère  !"  he 
said,  "  take  this,  —  také  it,  and  send  for  something  imme- 
diately.**  And  he  emptied  his  pockets  on  the  table,  whose 
contents  consisted  of  a  dozen  pièces  of  gold,  five  or  six 
crowns,  and  some  smaller  coin.  The  couutenance  of  old 
Dantés  brîgbtened. 

"  To  whom  does  this  belong  ?  "  be  inquired. 

"  To  me  !  to  you  I  to  us  !  Take  it  ;  buy  some  pro- 
visions.    Be  bappy,  and  to-morrow  we  sball  bave  more.** 

^'Gently,  gently/*  said  tbe  old  man,  witb  a  smile^ 
"and  by  your  leave  I  wiU  use  your  purse  moderately,  — 
for  tbey  woùld  say,  if  tbey  saw  me  buy  too  many  things 
at  a  time,  tbat  I  bad  been  obliged  to  await  your  retum  in 
order  to  be  able  to  purcbase  tbem." 

"  Do  as  you  please  ;  but  first  of  ail,  pray  bave  a  ser- 
vant, Fatber.  I  wiU  uot  bave  you  lefb  alone  so  long.  I 
bave  some  smuggled  coffee  and  capital  tobacco  in  a  small 
cbest  in  tbe  bold,  wbicb  you  sball  bave  to-morrow.  But 
bushi  bere  comes  somebody." 

'*  'T  is  Caderousse,  wbo  bas  beard  of  your  arrivai,  and 
no  doubt  comes  to  congratulate  you  on  your  fortunate 
retum." 

"  Ab!  lips  tbat  say  one  tbing,  wbile  tbe  beart  tbinks 
anotber,"  murmured  Edmond.  ''  But  never  mind,  be  is 
a  neighbor  wbo  bas  done  us  a  service  on  a  time,  so  be  's 
welcome." 

As  Edmond  finisbed  bis  sentence  in  a  low  voice,  tbere 
appeared  at  tbe  door  tbe  black  and  sbock  head  of  Cade- 
rousse. He  was  a  man  of  twenty-five  or  twenty-six  years 
of  âge,  and  beld  in  his  band  a  pièce  of  clotb,  wbicb  in  bis 
capacity  as  a  tailor  he  was  about  to  turn  into  tbe  lining 
of  a  coat. 

"  Wbat  !  is  it  you,  Edmond,  retumed  t  "  said  be,  witb 


PATHKB  AND  SON.  17 


a  bioad  Maneillaîae  accent»  and  a  grin  that  di^dayed  hia 
teeth  as  white  as  ivoiy. 

**  Yea,  as  yoa  see,  neighbor  Caderonsse  ;  and  leady  to 

'  be  agreeable  to  yoa  in  any  and  eveiy  way/'  replied  Dantès, 

haidly  concealing  bis  feelings  under  Uiis  appeaiance  of 
civility. 

I  ''Thanks,   thanks  ;   but  fortunately»   I  do  not   vant 

for  anything.    It  even  bappens  sometimes  that  otbers  bave 
need  of  me."     Dantès  made  a  gesture.     '*  I  do  not  allude 

I  to  yooy  my  boy.     No,  no  1     I  lent  yoa  money,  and  you 

retumed  it;    tbat*3  like  good   neigbbors,   and  we  are 
quits." 

** We  are  never  quits  witb  tbose  wbo  oblige  us"  was 
Dantés's  leply,  —  *^  for  when  we  do  not  owe  tbem  money, 
we  owe  tbem  gratitude." 

"  Wbat  *s  the  use  of  mentioning  that  t  Wbat  is  doue 
is  done.  Let  us  talk  of  your  bappy  retum,  my  boy.  I 
bad  gone  on  the  quay  to  match  a  pièce  of  mulbeny  cloth, 
when  I  met  fnend  Danglars.  '  What  !  you  at  Marseillesl' 
I  exclaimed.  ^  Yes/  said  he.  '  I  thought  you  were  at 
Sniyma/  '  I  was  ;  but  am  now  back  agaiu.'  ^  And  where 
is  the  dear  boy,  our  little  Edmond  î  '  *  Why,  witb  hia 
iather,  no  doubt/  replied  Danglars.  And  so  I  came," 
added  Caderousse,  "  as  Êist  as  I  could,  to  hâve  the  pleas- 
ure  of  shakiug  banda  with  a  frîend." 

**  Worthy  Caderousse  !  *'  said  the  old  man  ;  ^'  he  is  so 
much  attached  to  us  !  " 

**  Yea,  to  be  sure  I  am.  I  love  and  esteem  you,  because 
honest  folks  are  so  rare  !  But  it  seems  you  hâve  come 
back  rich,  my  boy,"  continued  the  tailor,  looking  askance 
at  the  handful  of  gold  and  silver  which  Dantés  had  thrown 
on  the  table. 

The  young  man  remarked  the  greedy  glance   which 
shone  in  the  dark  eyes.  of  his  neighbor.     ''  £h  1  "  he  said 
VOL.  L  —  a 


20  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

rousse.  "  When  one  is  goîng  to  be  married,  there  îs  notli- 
ing  like  implicit  confidence.  But  never  mind  that,  my 
boy  ;  go  and  announce  your  arrivai,  and  let  her  share  your 
bopes." 

"  I  will  go  directly,"  was  Ëdmond's  reply.  He  embraced 
bis  father,  made  a  farewell  gesture  to  Caderousse,  and  left 
tbe  apartment. 

Caderousse  lingered  for  a  moment,  tben  taking  leave  of 
old  Dantès,  be  went  downstairs  to  rejoin  Danglars,  who 
awaited  bini  at  tbe  corner  of  tbe  Rue  Senac. 

"  Well,"  said  Danglars,  "  did  you  see  bim  î  ** 

"  I  bave  just  left  bim/'  answered  Caderousse. 

"  Did  be  allude  to  bis  bope  of  being  captain  1  '* 

**  He  spoke  of  it  as  a  tbing  already  decided.'* 

'*  Patience!  "  said  Danglars,  "  be  is  in  toc  mucb  huny; 
it  appears  to  me." 

''Wby,  it  seems  M.  Morrel  bas  promised  bim  tbe 
tbing." 

'*  So  tbat  be  is  quite  elated  about  it  ?  " 

**  He  is  actually  nnsolent  on  tbe  matter,  bas  already 
offered  me  bis  patronage  as  if  be  were  a  grand  personage, 
and  proffered  me  a  loan  of  money  as  tbougb  be  were  a 
banker." 

"  Whicb  you  refused  î  " 

'*  Most  assuredly  ;  althougb  I  migbt  easily  bave  accepted 
it,  for  it  was  I  wbo  put  into  bis  bands  tbe  first  silvQr  be 
ever  toucbed.  But  now  M.  Dantès  bas  no  longer  any 
occasion  for  assistance  :  be  is  about  to  become  a  captain." 

"  Poob  1  *'  said  Danglars,  "  be  is  not  one  yet." 

**  Mafoi/  and  it  will  be  as  well  be  never  sbould  be,** 
answered  Caderousse,  —  "  for  if  be  sbould  be,  tbere  will  be 
really  no  speaking  to  bim." 

"  If  we  cboose,"  replied  Danglars,  "  be  will  remain  wbat 
he  is,  perbaps  become  even  less  tban  be  is.'' 


,4k 


FATHÈR  ÂND  SON..  21 

^  Wbat  do  you  mean  î  " 

''Nothiug  ;  I  was  speaking  to  inysel£  And  fs  he  stiU 
in  love  with  the  beautiful  Catalane  ?  " 

**  Over  head  and  ears  ;  but  unless  I  am  much  mistaken, 
bhere  will  be  a  storm  in  that  quarter." 

"  Ëzplaîn  yourself." 

"Whyshouldlî" 

**  It  ifl  more  important  than  you  think,  perhape.  Yoq 
do  not  like  Dantès  1  " 

**  I  never  like  upstarts." 

^  Then  tell  me  ail  yoa  know  relative  to  tbe  Catalane." 

*^  I  know  uothing  for  certain  ;  only  I  bave  seen  thiuga 
whicb  induce  me  to  beliove,  as  I  told  you,  tbat  tbe  future 
captain  will  fiud  soma  annoyance  in  tbe  environs  of  tbe 
Vieilles  Infirmeries." 

**  Wbat  do  you  know  1    Corne,  tell  me  !  " 

'^  Welly  every  time  I  bave  seen  Mercedes  come  into  tbe 
dty,  àtiQ  bas  been  accompanied  by  a  tall  strapping  black* 
eyed  Catalan,  witb  a  red  complexion,  brown  skin,  and 
fierce  air,  wbom  sbe  calls  cousin.'* 

''  Really  !  and  do  you  tben  tbink  tbis  cousin  pays  ber 
attentions]" 

**  I  only  suppose  so.  Wbat  else  can  a  strapping  cbap 
of  twenty-one  mean  witb  a  fine  wencb  of  seventeen  ?  " 

^And  you  say  Dantès  bas  gone  to  tbe  Catalans  1  " 

"  He  started  before  I  came  down." 

'^Let  us  go  tbe  same  way  ;  we  will  stop  at  La  Réserve, 
and  wbile  we  drink  a  glass  of  La  Malgue,  we  will  wait  fox 


news." 


'^  Come  along/'  said  Caderousse  ;  "  but  mind  you  pay 
the  sbot." 

"Ceitainly,"  leplîed  Danglars;  and  goîng  quickly  to 
tbe  spot  alluded  to,  tbey  called  for  a  bottle  of  wine  and 
two  glasses. 


22  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

Père  Pamphile  had  seeu  Dantès  pass  uot  ten  minutes 
before.  Assured  that  be  was  at  tbe  Catalans,  tbey  sat 
down  under  tbe  budding  foliage  of  tbe  planes  and  syca- 
mores,  in  tbe  branches  of  wbicb  a  lively  cborus  of  birds 
were  celebrating  one  of  tbe  first  fine  days  of  spiing. 


THS  CATALANS.  SS 


CHAPTEB   m. 

THB  CATALANS. 

About  a  hondred  paoes  from  the  spot  wheie  the  two 
friendsy  with  tbeir  looks  fixed  on  the  distance  and  theii 
ears  attentivoy  imbibed  the  sparkling  wine  of  La  Malgae, 
behind  a  hare  and  weather-wom  wall  was  the  irillage  of 
the  Catalans.  One  day  a  mysterious  colonj  quitted  Spain, 
and  settled  on  the  tongue  of  land  on  which  it  remains  to 
this  day.  It  arrived  from  no  one  knew  wheie,  and  spoke 
an  unknown  tongue.  One  of  its  chiefs,  who  undeistood 
Provençal,  begged  the  commune  of  Marseilles  to  give  them 
this  bare  and  barren  promontory,  on  which,  like  the 
sailois  of  .the  ancient  times,  they  had  run  their  hoata 
ashore.  The  lequest  was  granted;  and  three  months 
afterwardsy  around  the  twelve  or  fifteen  small  vessela 
which  had  brought  thèse  gypsies  of  the  sea,  a  small 
rillage  sprang  up.  This  village,  constructed  in  a  sin- 
gular  and  picturesque  manner,  half  Moorish,  half  Span- 
ish,  is  that  which  we  behold  at  the  présent  day,  iuhabited 
by  the  descendants  of  those  men,  who  speak  the  language 
of  their  fathers.  For  three  or  four  centuries  they  bave 
loyally  clung  to  this  small  promontory,  on  which  they 
had  settled  like  a  flight  of  sea-birds,  without  mixing  with 
the  Marseillaise  population,  intermarryiug  among  them- 
selves  and  preserving  their  original  customs  and  the 
costume  of  their  mother-country,  as  they  bave  preserved 
its  language. 
Cor  readers  will  follow  us  along  the  only  street  of  thia 


24  THE  COUNT  OF  MONTE  CEISTO. 

little  village,  and  enter  with  us  one  of  the  houses,  on  tbe 
outside  of  which  the  sun  had  stamped  that  beautiful  color 
of  the  dead  leaf  peculîar  to  the  buildings  of  the  country, 
and  which,  within,  was  coated  with  limewash,  of  that 
white  tint  which  forms  the  only  ornanient  of  Spanish 
posadas.  A  young  and  beautiful  girl,  with  hair  as  black 
as  jet,  her  eyes  as  velvety  as  the  gazelle's,  was  leaning 
with  her  back  against  the  waiuscot,  rubbing  in  her  slender 
fingers,  moulded  after  the  antique,  a  bunch  of  heath- 
blossoms,  the  flowers  of  which  she  was  picking  ofif  and 
strewing  on  the  floor  ;  her  arms,  bare  to  the  elbow,  em- 
browned,  and  resembling  those  of  the  Venus  at  Arles, 
moved  with  a  kind  of  restless  impatience,  and  she  tapped 
the  earth  with  her  pliant  and  well-fonned  foot  so  as  to 
display  the  pure  and  full  shape  of  her  well-tumed  leg,  in 
its  red  cotton  stocking  with  gray  and  blue  clocks.  At 
three  paces  from  her,  seated  in  a  chair  which  he  balanced 
on  two  legs,  leaning  bis  elbow  on  an  old  worm-eaten 
table,  was  a  tall  young  man  of  twenty  or  two-and-twenty, 
who  was  looking  at  her  with  an  air  in  which  vexation  and 
uneasiness  were  mingled.  He  questioned  her  with  bis 
eyes,  but  the  firm  and  steady  gaze  of  the  young  girl 
controlled  bis  look. 

"You  see,  Mercedes,*'  said  the  young  raan,  "hère  is 
Easter  corne  round  again  ;  tell  me,  is  it  not  a  good  time 
for  a  wedding?"  ^    , 

"  I  hâve  answered  you  a  hundred  times,  Femand  ;  and 
really  you  must  be  your  own  enemy  to  ask  me  again/' 

"  Well,  repeat  it,  —  repeat  it,  I  beg  of  you,  that  I  may 
at  last  believe  it  1  Tell  me  for  the  hundredth  time  that 
you  refuse  my  love,  which  had  your  mother^s  sanction. 
Make  me  fuUy  comprehend  that  you  are  trifling  with  my 
happiness,  that  my  life  or  death  are  immaterial  to  you. 
Ah!  to  bave  dreamed  for  ten  years  of  being  your  hua* 


THE  CATALANS.  20 

band,  Mercedes^  and  to  lose  that  hope,  whîch  was  the 
8ole  aiin  of  niy  existence  I  " 

"  At  least  il  was  uot  I  who  ever  encomaged  yoa  in  that 
hope,  Femandy"  replied  Meioédès  ;  **  you  cannot  repioach 
me  with  the  slightest  coquetry.  I  bave  always  said  to 
yoa,  *  I  love  you  as  a  biother  ;  bat  do  not  ask  firom  me 
moie  than  sisterly  affection,  for  niy  beart  is  anotherV 
Hâve  I  not  always  told  yoa  tbat,  Fernand  %  " 

**  Yes,  I  know  it  well,  Mercedes,"  replied  tbe  yoang 
man.  **  Tes,  yoa  bave  been  craelly  firank  with  me  ;  bat 
do  yoa  forget  tbat  it  is  among  tbe  Catalans  a  sacred  law 
to  intermarry  1  ** 

<*  Yoa  mistake,  Fernand,  it  is  not  a  law,  but  merely  a 
custom  ;  and,  I  piay  of  you,  do  not  cite  this  custom  in 
your  favor.  You  are  included  in  the  conscription,  Fer- 
nand, and  are  at  liberty  only  on  sufferance,  liable  at  any 
moment  to  be  called  upon  to  take  up  arms.  Once  a 
soldier,  what  would  you  do  with  me, — a  poor  orphan, 
forlom,  witbout  fortune,  with  nothing  but  a  but  half  in 
ruins,  containing  some  ragged  nets,  a  misérable  inberitance 
lefb  by  my  fatber  to  my  mother,  and  by  my  motber  to 
me  %  Sbe  bas  been  dead  a  year,  and  you  know,  Fernand, 
I  havo  subsisted  almost  eutirely  on  public  charity.  Some- 
times  yoa  prétend  I  am  useful  to  you,  and  that  is  an 
excuse  to  share  with  me  the  produoe  of  your  fishing  ;  and 
I  aocept  it,  Fernand,  because  you  are  the  son  of  my 
£Either^s  brother,  because  we  were  brought  up  together,  and 
still  more  because  it  would  give  you  so  much  pain  if  I 
lefused.  But  I  feel  very  deeply  that  this  fish  whioh  I  go 
and  sell,  and  with  the  produce  of  which  I  buy  the  âax  I 
spin,  —  I  feel  very  keenly,  Fernand,  that  this  is  charity." 

**  And  if  it  were,  Mercedes,  poor  and  lone  as  you  are, 
you  suit  me  as  well  as  the  daughter  of  the  proudest  ship- 
owner,  or  of  the  richest  banker  of  Marseillaa  1    What  do 


26  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

8uch  as  we  désire  but  an  honest  woman  and  careful 
housekeeper  ;  and  where  can  I  find  anj  one  bett^r  than 
you  in  both  tbese  particulars ?" 

'*  Fernand,"  answered  Mercedes^  shaking  bor  bead,  "  a 
woman  may  become  a  bad  manager  ;  and  who  shall  say  she 
will  remain  an  bonest  womàn  when  sbe  loves  anotber  roan 
better  tbau  ber  husband  1  Eest  content  witb  my  friend- 
sbip,  for  I  repeat  to  you  tbat  it  is  ull  I  can  promise,  and 
I  will  promise  no  more  than  I  can  bestow." 

"I  miderstand,"  replied  Femand;  "you  can  endure 
your  own  wretchedness  patiently,  but  you  are  afraid  of 
mine.  Well,  Mercedes,  beloved  by  you,  I  would  tempt 
fortune;  you  would  bring  me  good  luck,  and  I  sbould 
become  ricb.  I  could  extend  my  occupation  as  a  fisber- 
man,  mîght  get  a  place  as  clerk  in  a  warehouse,  and 
become  myself  a  dealer  in  time." 

''You  could  do  no  such  thing,  Femand;  you  are  a 
soldier,  and  if  you  remain  at  tbe  Catalans  it  is  because 
tbere  is  no  war.  Continue,  tben,  to  be  a  fisherman; 
don't  cherisb  dreams  whicb  will  make  the  reality  still 
more  intolérable.  Be  content  witb  my  friendship,  since 
I  cannot  give  you  more." 

"  Well,  you  are  rigbt,  Mercedes.  I  will  be  a  sailor  ;  in- 
stead  of  the  costume  of  our  fatbers,  whicb  you  despise, 
I  will  wear  a  vamisbed  bat,  a  striped  shirt,  and  a  blue 
jacket,  witb  an  anchor  on  the  buttons.  Would  not  tbat 
dress  please  you  1  " 

**  What  do  you  mean  î  "  asked  Mercedes,  darting  at  him 
an  angry  glance,  —  "  what  do  you  mean  1  I  do  not  un- 
derstand  you." 

**  l  mean,  Mercedes,  that  you  are  tbus  harsb  and  cruel 
witb  me  because  you  are  expecting  some  one  who  is  tbus 
attired  ;  but  perhaps  be  whom  you  await  is  inconstant,  or 
if  be  is  not,  the  sea  is  so  to  him." 


THE  CATALANS.  27 

"  Femand  !  "  cried  Mercedes,  "  I  believed  you  were 
good-hearted,  and  I  was  mistaken  !  Fernand,  you  are 
wîcked  to  call  to  your  aid  jealousy  and  the  anger  of  God  ! 
YeSy  I  will  not  deny  it,  I  do  await,  and  I  do  love  him  to 
whom  you  allude  ;  and  if  he  does  not  retarn,  înstead  of 
acciising  him  of  the  inconstancy  which  you  insinuate,  1 
shall  maintain  that  he  died  loving  me  and  me  only.'* 

The  young  Catalan  made  a  gesture  of  rage. 

**  I  understand  you,  Femand  :  you  would  be  revenged 
on  him  because  I  do  not  love  you  ;  you  would  cross  your 
Catalan  knife  with  his  dirk.  What  end  would  that  an* 
swer?  You  would  lose  my  friendship  if  you  were  con- 
quered,  and  would  see  that  friendship  changed  into  hâte 
if  you  were  conqueror.  Belîeve  me,  to  seek  a  quarrel 
with  a  man  is  a  bad  way  to  please  the  woman  who  loves 
that  man.  No,  Fernand,  you  will  not  thus  give  way  to 
evil  thoughts.  Unable  to  hâve  me  for  your  wife,  you  will 
content  yourself  with  having  me  for  your  friend  and  sister; 
and  besides,"  she  added,  her  eyes  troubled  and  moistened 
with  tears,  "  wait,  wait,  Femand  !  You  said  just  now  that 
the  sea  was  treacherous,  and  he  has  been  gone  four  months, 
and  during  thèse  four  months  we  hâve  bad  some  temble 
storms." 

Femand  made  no  reply,  nor  did  he  attempt  to  check 
the  tears  which  flowed  down  the  cheeks  of  Mercedes,  al- 
though  for  each  of  thèse  tears  he  would  hâve  shed  his 
heart's  blood  ;  but  thèse  tears  flowed  for  another.  He 
arose,  paced  awhile  up  and  down  the  hut,  and  then  sud- 
denly  stopping  before  Mercedes,  with  his  eyes  glowing 
and  his  hands  clinched,  ^'Say,  Mercedes,"  he  said,  ''once 
for  ail,  is  this  your  final  détermination?" 

"I  love  Edmond  Dantès,"  the  young  girl  calmly  re- 
plied,  "  andnone  but  Edmond  shall  be  my  husband*'* 

"  And  you  will  always  love  him  1  " 


28  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTa 

*'  As  long  as  I  live.** 

Fernand  lowered  his  head  like  a  defeated  man,  iieaved 
a  sigh  which  resembled  a  groan,  and  tben  Buddenly  look- 
ing  hér  full  in  tbe  face,  with  clinched  teeth  and  ezpanded 
nostrils,  said,  **  But  if  he  is  dead  —  " 

**  If  he  is  deady  I  shall  die  too.'* 

"  If  he  has  foigotten  you  —  •* 

"  Mercedes  1  "  cried  a  voice,  joyoosly,  outside  fhe  house^ 
'*  Mercedes!" 

**  Ah  !  "  exclaimed  the  young  girl,  blushing  with  de 
ligbty  and  springing  up  with  love,  "  you  see  he  has  noi 
forgotten  me,  for  hère  he  is  1  "  And  rosbing  towards 
the  door,  she  opened  it,  saying,  *'Here,  Edmond,  hère 
laml" 

Femandy  pale  and  trembling,  fell  back,  like  a  travellet 
at  tbe  sight  of  a  serpent,  and  stumbling  against  his  chair, 
dropped  into  it.  Edmond  and  Mercedes  were  dasped  in 
each  otber's  arms.  The  buming  sun  of  Marseilles,  which 
penetrated  the  room  by  the  open  door,  covered  them  with 
a  flood  of  ligbi  At  first  they  saw  nothing  around  them: 
Their  intense  happiness  isolated  them  from  ail  the  rest  of 
the  world,  and  they  spoke  only  in  broken  words,  which 
are  the  tokeus  of  a  joy  so  extrême  that  they  seem  rather 
the  expression  of  sorrow.  Suddenly  Edmond  saw  the 
gloomy  countenance  of  Fernand,  as  it  was  defined  in  the 
sbadow,  pale  and  tbreatening  ;  and  by  a  movement  for 
which  he  could  scarcely  account  to  himself,  the  young 
Catalan  placed  his  hand  on  the  knife  at  his  belt 

**  Ah  !  your  pardon  1  "  said  Dantès,  frowning  in  his 
tum;  "t  did  not  perçoive  that  there  were  three  of 
us,"  Then,  tuming  to  Mercedes,  he  inquired,  "Who 
is  this  gentleman?** 

*'  One  who  will  be  your  best  friend,  Dantçs,  for  he  is 
my  friend,  my  cousin,  my  brother  ;  it  is  Fernand,  —  the 


*i 


THE  CATALA1I8.  29 

man  whom,  after  joa^  Edmond,  I  lofwe  tbe  besi  in  th« 
worid.    Do  yoa  not  remember  himf 

''Tes  !  "*  said  Edmond,  and  withont  idinquidûng  Mer- 
cédèai's  hand,  clasped  in  one  of  bis  own,  he  eztended  the 
bther  to  the  Catalan  with  a  cordial  air.  But  Femand, 
instead  of  lesponding  to  this  friendlj  gestare,  remained 
nient  and  immovable  as  a  statae.  Edmond  then  cast  his 
eyes  scnitinizînglj  at  Mercedes,  agitated  and  embarnssed, 
and  again  on  Femand,  gloomy  and  menacing.  This  look 
told  him  ally  and  bis  brow  became  soffosed  and  angiy. 

**  I  did  not  know  wben  I  came  with  sach  haste  to  yon 
tbat  I  was  to  meet  an  enemy  hère.** 

**  An  enemy  !  "  cried  Mercedes,  with  an  angiy  locA 
at  ber  cousin.  "An  enemy  in  my  bonse,  do  yoa  say, 
Edmond)  If  I  believed  tbat,  I  wonld  place  my  ann 
nnder  yonrs  and  go  with  yoa  to  Marseilles,  leaving  tbe 
bonse  to  retum  to  it  nb  more.** 

Femand's  eye  darted  ligbtning. 

''And  sbould  any  misfortune  occor  to  yoa,  dear  Ed- 
mond/' she  continaed  with  tbe  same  calmuess,  wbich 
proved  to  Femand  tbat  the  yoang  girl  bad  lead  the  veiy 
innerraost  depths  of  bis  sinister  thonght,  —  "if  misfortune 
sbould  occur  to  you,  I  would  ascend  tbe  highest  point  of 
Cape  Morgion,  and  cast  myself  headlong  fiom  it." 

Femand  became  deadly  pale. 

"But  you  are  deceived,  Edmond,*'  she  continued. 
*'You  bave  no  enemy  hère  —  there  is  no  one  but  Fer- 
nand,  my  brother,  who  will  grasp  your  band  as  a  devoted 
friend." 

And  at  thèse  words  the  young  girl  fixed  ber  imperîous 
look  on  tbe  Catalan,  who,  as  if  fascinated  by  it,  came 
slowly  towards  Edmond,  and  offered  him  his  band.  His 
batred,  like  a  powerless  though  furious  wave,  was  broken 
against  the  strong  ascendency  wbich  Mercedes  exercised 


30  THE  COUNT  OF  MONTE  (miSTO. 

over  him.  Scarcely,  however,  had  he  touched  Edmond'ft 
hand  when  he  felt  that  he  had  done  ail  he  could  do,  and 
rushed  hastily  out  of  the  house. 

**  Oh  I  "  he  exclaimed,  running  like  a  madman»  and  plnng- 
ing  his  hands  into  his  hair,  —  ''oh  !  who  will  deliver  me 
from  this  man  ?    Wretched,  wretched  that  I  am  !  " 

**  Holloa,  Catalan  !  Holloa,  Femand  1  where  are  you 
goingî"  exclaimed  a  voice. 

The  young  man  stopped  suddenly,  looked  around  him, 
and  perceived  Caderousse  sitting  at  table  with  Danglars 
under  an  arbor. 

"  Well,"  said  Caderousse,  "why  don't  you  corne  î  Are 
you  really  in  such  a  hurry  that  you  hâve  no  time  to  say 
*  Good-day  *  to  your  friends  î  " 

"  Particularly  when  they  hâve  still  a  full  bottle  before 
them,"  added  Danglars. 

Fernand  looked  at  them  both  with  a  stupefied  air,  but 
did'not  aay  a  word. 

'*  He  seems  besotted/'  said  Danglars,  pushing  Caderousse 
with  his  knee.  "  Are  we  mistaken,  and  is  Dantès  trium- 
phant  in  spite  of  ail  we  hâve  believed  1  " 

"Why,  we  must  inquire  into  that,"  was  Caderousse's 
reply;  and  turning  towards  the  young  man,  he  said, 
"Well,  Catalan,  can't  you  make  up  your  mindi" 

Fernand  wiped  away  the  perspiration  streaming  from  his 
brow,  and  slowly  entered  the  arbor,  whose  shade  seemed 
to  restore  somewhat  of  calmness  to  his  sensés,  and  whose 
coolness  refreshed  his  exhausted  body. 

*'  Good-day,"  said  he.  "  You  called  me,  did  n't  you  î  '* 
And  he  fell,  ratber  than  sat  down,  on  one  of  the  seats 
which  surrounded  the  table. 

**  I  called  you  because  you  were  running  like  a  mad- 
man,  and  I  was  afraid  you  would  throw  yourself  into  the 
sea,"  said  Caderousse,  laughing.     **  The  devil  !   when  a 


THE  GATALAinL  31 

Asn  has  friends,  ihej  aie  not  onlj  to  offer  him  a  ghaa  of 
wine,  bat,  moreoYer,  to  prevent  bis  swallowiog  tbiee  or 
four  piuts  of  water  annecessarily  !  " 

Fernand  gave  a  groan  wbicb  leaembled  a  sob,  and 
diopped  bis  bead  into  bis  bandsy  bis  elbows  leaniog  on 
the  table.' 

**  Welly  Fernand,  I  most  say/'  said  Caderoasse,  begin* 
ning  tbe  conversation  witb  tbat  brutality  of  tbe  conimon 
people  in  wbicb  cariosity  destroys  ail  diplomacy,  '^you 
look  nncommonly  like  a  rejected  lover;"  and  be  boist 
into  a  boarse  laugb. 

"  Bab  !  "  said  Danglars,  '*  a  lad  of  bis  make  was  not 
bom  to  be  anbappy  in  love.  Ton  are  langbing  at  bim, 
Caderonsse  !  " 

''No/'  be  replied,  '^only  listen  to  bis  sigbsl  Come, 
corne,  Fernand  !  ''  said  Caderonsse,  *^  bold  np  yonr  bead, 
and  answer  us.  It's  not  polite  not  to  reply  to  friends 
wbo  ask  news  of  your  bealtb." 

**  My  bealtb  is  well  enougb/'  said  Fernand,  dincbing 
bis  bands  witbout  raising  bis  bead. 

''Ab!  you  see,  Danglars,"  said  Caderousse,  winking  at 
bis  friend,  **  tbis  it  is  :  Fernand,  wbom  you  see  bere,  is  a 
good  and  brave  Catalan,  one  of  tbe  best  fisbermen  in  Mar- 
seilles,  and  be  is  in  love  witb  a  very  fine  girl  named  Mer- 
cedes ;  but  it  appears,  unfortunately,  tbat  tbe  fine  girl  is 
in  love  witb  tbe  second  in  command  on  board  tbe  ^  Pba- 
laon,'  and  as  tbe  'Pbaraon'  arrived  to-day  —  wby,  you 
understand  !  " 

''No,  I  do  not  understand,"  said  Danglars. 

''Poor  Fernand  bas  been  dismissed,"  continued 
Caderousse. 

**  Well,  and  wbat  tben  1  "  said  Fernand,  lifting  up  bis 
bead,  and  looking  at  Caderousse  like  a  man  wbo  looks  foi 
gome  one  on  wbom  to  vent  bis  anger.     ''  Mercéd&s  is  not 


32  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

accountable  to  any  person,  is  she  1  Is  she  not  free  to  love 
whomsoever  she  will  1  " 

*'  Oh  !  if  you  take  it  in  that  sensé,''  said  Caderousse,  **  it 
is  another  thing  !  But  I  thought  you  were  a  Catalan^  and 
they  told  me  the  Catalans  were  not  men  to  allow  them- 
selves  to  be  supplanted  by  a  rival.  It  was  evën  told  me 
that  Femand,  especially,  was  terrible  in  his  vengeauce." 

Fernaud  smiled  piteously.  "  A  lover  is  never  terrible," 
he  said. 

'^  Poor  fellow  I  ''  remarked  Danglars,  afifecting  to  pity 
the  young  man  from  the  bottom  of  his  heart  '^Why, 
you  aee,  he  did  not  expect  to  see  Dantès  retum  so  sud' 
denly.  He  thought  he  was  dead,  perhaps  ;  or  perchance 
faithless  !  Thèse  things  always  corne  on  us  more  severely 
when  they  come  suddenly." 

"Ah,  wia  foiy  under  any  circumstances,"  said  Cade- 
rcusse,  who  drank  as  he  spoke,  and  on  whom  the  fumes  ol 
the  wine  of  La  Malgue  began  to  take  effect,  — '^  under 
any  circumstances  Fernand  is  not  the  only  person  put  out 
by  the  fortunate  arrivai  of  Dantës  ;  is  he,  Danglars  ?  '* 

"  No,  you  are  right;  and  I  should  say  that  would  bring 
him  m  luck." 

"  Well,  never  mind/'  answered  Caderousse,  pouring  out 
a  glass  of  wine  for  Fernand,  and  filling  his  own  for  the 
eighth  or  ninth  time,  while  Danglars  had  merely  sipped 
his.  "  Never  mind  ;  in  the  mean  time  he  marries  Mer- 
cedes, the  lovely  Mercedes,  —  at  least,  he  retums  to  do 
that." 

During  this  time  Danglars  fixed  his  piercing  glance  on 
the  young  man,  on  whose  heart  Caderousse's  words  fell 
like  molten  lead. 

"  And  when  is  the  wedding  to  be  ?  "  he  asked. 

"  Oh,  it  is  not  yet  fixed  !  "  murmured  Fernand. 

''No,  but  it  will  be.'*  said  Caderousse,  "as  surely  as 


IHB  GATALASS.  33 

thafc  Duitès  will  be  capUin  of  the  «PhaMcm;*  d^ 
DasgUnt" 

Danglmn  àhnddeied  aft  this  nnexpected  «ttack,  and 
tamed  to  Cadeioiiâse^  whoae  ooantenance  bo  acratiniaed, 
to  diaoover  whether  the  blow  was  premediteted  ;  but  be 
lead  notbing  bat  envy  in  a  ooiintenauoe  alieady  rendered 
bmtal  and  stupid  by  dnmkenness. 

'^Well,*'  said  be,  filling  the  glasses»  **let  na  drink 
to  Capt.  Edmond  Dantès,  bnsband  of  the  beautiful 
Catalane  !  " 

GaderoQsse  raiaed  biâ  glasa  to  bis  mouth  with  nnsteady 
bandy  and  swallowed  the  contents  at  a  golp.  Feniand 
dashed  bis  on  the  gionnd. 

'*£b,  eh,  eh!"  stammered  Cadeiouaae.  '^What  do  I 
8ee  down  there  by  the  walI  in  the  diiection  of  the  Cata- 
lans f  Looky  Fernand  !  yonr  eyes  are  better  than  mine. 
I  believe  I  see  double.  You  know  wine  is  a  deceiver  i 
bat  I  should  say  it  was  two  lovera  walking  side  by  side, 
and  band  in  hand.  Heaven  foigive  me  I  they  do  not 
know  that  we  can  see  them,  and  they  are  actually 
embracîng  !  " 

Danglars  did  not  lose  one  pang  that  Fernand  endored. 

*'  Do  you  know  them,  M.  Fernand  1  "  be  said. 

^  Yes,"  was  the  reply,  in  a  low  voice,  "  It  is  M.  Ed- 
mond and  Mademoiselle  Mercedes  I  " 

"  Ah  !  see  there,  now  1  "  said  Caderousse  ;  "  and  I  did 
not  recognize  them  I  Holloa,  Dantès  I  holloa,  lovely  dam- 
sel  !  Come  this  way,  and  let  us  know  when  the  wedding 
is  to  be,  for  M.  Fernand  hère  is  so  obstinate  he  will  not 
tell  us  !  " 

"Hold  your  tongue,  will  youî"  said  Danglars,  pre- 
liending  to  restrain  Caderousse,  who,  with  the  tenacity  of 
drunkards,  leaned  ont  of  the  arbor.  **  Try  to  stand  up- 
right,  and  let  the  loyers  make  love  without  interruption! 

VOL.  L  —  « 


54  THE  COUNT  OF  MONTE  CBISTO. 

See,  look  at  M.  Fernand,  and  follow  his  example  ;  he  b 
well-behaved  I  " 

Fernand,  probably  excited  beyond  bearing,  pricked  hj 
Danglars,  as  the  bull  is  bj  the  banderilleros,  was  aboat  to 
rush  out  ;  for  he  had  risen  from  his  seat,  and  seemed  to 
be  coUecting  himself  to  dash  headlong  upon  his  rival, 
when  Mercedes,  smiling  and  graceful,  lifted  up  her  lovely 
head  and  showed  her  clear,  bright  eyes.  At  this  Femand 
recoUected  her  threat  of  dying  if  Edmond  died,  and 
dropped  again  heavily  on  his  seat.  Danglars  looked  at 
the  two  men,  one  after  the  other,  the  one  brutalized  by 
liquor,  the  other  overwhelmed  with  love. 

"I  shall  extract  nothing  from  thèse  fools/'  he  mut- 
tered  ;  "  and  I  am  very  much  afraid  of  being  hère  between 
a  drunkard  and  a  coward.  Yet  this  Catalan  bas  eyes  that 
glisten  like  the  Spaniards,  Sicilians,  and  Calabrians,  who 
practise  revenge  so  well.  Unquestionably  Ëdmond's  star 
is  in  the  ascendant,  and  he  will  marry  the  splendid  girl  *, 
he  will  be  captain,  too,  and  laugh  at  us  ail,  unless  —  " 
a  sinister  smile  passed  over  Danglars's  lips —•'' unless  I 
mingle  in  the  a£&iir/'  he  added. 

*'  HoUoa  !  "  continued  Caderousse,  half  rising,  and  with 
his  fist  on  the  table,  —  "  holloa,  Edmond  !  do  you  not  see 
your  friends,  or  are  you  too  proud  to  speak  to  them  1  " 

"  No,  my  dear  fellow,"  replied  Dantès,  "  I  am  not 
proud,  but  I  am  happy  ;  and  happiness  blinds,  I  think, 
more  than  pride." 

**  Ah  !  very  well,  that  's  an  explanation  !  "  said  Cade- 
rousse.    "  Well,  good-day.  Madame  Dantës  !  " 

Mercedes  bowed  gravely,  and  said,  ''That  is  not  my 
name  ;  and  in  my  country  it  bodes  ill  fortune,  they  say, 
to  call  a  young  girl  by  the  name  of  her  betrothed  before 
he  becomes  her  husband.  Call  me,  then,  Mercedes,  if 
yoii  please." 


1HBGATALARB.  35 

''We  muât  ezeuae  our  winthj  ndgiibor  CSudesouaBB^"* 
nid  Dantèa,  '^  he  k  ao  eaaàlj  mistaken.'* 

^  So,  then,  the  wedding  is  to  take  |daoe  immédiate^, 
IL  Dantèsy**  sud  Danglan,  bowing  to  the  young  couple. 

''As  soon  as  posnbl^  M.  Dui^^an ;  Uyàaj  ail  pielim- 
ioaries  wOl  be  ananged  at  mj  fiiiliei^s,  and  to-monoWy  or 
next  daj  at  latest^  the  wedding  festival  will  take  place 
heie  at  La  Béaenre.  M7  fiiends  will  be  there,  I  hope  ; 
that  is  to  say,  yon  aie  invited,  M.  Danglan^  and  yon, 
Cadeiousse.'* 

''And  Feniand,**  said  Gftderousaey  with  a  chuckle, 
"  Fernandy  too,  is  invited  f  * 

"My  wife's  biother  is  my  brother,^  said  Edmond; 
"and  we,  Mercedes  and  J,  sboold  be  very  sony  if  he 
weie  absent  at  snch  a  time." 

Femand  opened  his  mouth  to  replyy  bat  his  Yoice  died 
on  lus  lipSy  and  he  could  not  utter  a  word. 

"To-day  the  preliminaries,  to-morrow  or  next  day 
the  ceiemony  !  yoa  are  in  a  hoiryy  Captain  I  ** 

"Danglais,"  said  Edmond,  smiling,  "  I  will  say  to  you 
as  Mercedes  said  just  now  to  Gaderousse,  '  Do  not  give 
me  a  title  which  does  not  belong  to  me  ;*  that  may  bring 
me  bad  luck." 

^'  Yonr  pardon,**  replied  Danglars  ;  **  I  merely  said  yoa 
seemed  in  a  hurry.  We  bave  lots  of  time,  —  the  *  Pharaon  ' 
cannot  be  ready  to  sail  in  less  than  three  months." 
'  *'  We  are  always  in  a  hurry  to  be  happy,  M.  Danglars, 
for  when  we  bave  suffered  a  long  time,  we  bave  great 
difficolty  in  believing  in  good  fortune.  But  it  is  not  sel- 
fishness  alone  that  màkes  me  thus  in  hasto  ;  I  must  go 
to  Paris.»' 

** To  Parisf  really  I  and  will  it  be  yonr  fixât  visit  tbere^ 
Dantès  )  *' 


36  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTa 

"  Have  you  business  there  1  *' 

"  Not  of  my  own  ;  the  last  commission  of  poor  Gap« 
tain  Ledeie.  You  know  to  what  I  allude,  Danglars  ;  it 
is  sacred.  Besides,  I  shall  only  take  the  time  to  go  and 
return." 

'^Yes,  yes,  I  understand/' said  Danglars;  and  then  in 
a  low  tone  he  added,  ''  To  Paris,  no  doubt,  to  deliver 
the  letter  which  the  grand-marshal  gave  him.  Ah  !  this 
letter  gives  me  an  idea,  a  capital  idea!  Ah,  Dantës, 
my  friend,  you  are  not  yet  registered  Number  One  on 
the  good  ship  *  Pharaon  ;  '  "  then  tuming  towards  Ed- 
mond, who  was  walkiug  away,  ^' Bon  voyage!**  he 
cried. 

'*  Thank  you/'  said  Edmond,  with  a  friendly  nod;  and 
the  two  levers  continued  their  route,  calm  and  joyous 


€N>NflPIBAOT.  tr 


CHAPTEE  IV. 

OONSFIBAOT. 

Danolabs  foUowed  Edmond  and  Mercedes  with  his  ejea 
nntil  the  two  lovera  disappeared  behind  one  of  the  angles 
of  Fort  St.  Nicolas;  tlien  tuming  round,  he  perceived 
Femand,  who  had  fallen,  pale  and  trembling,  into  his 
chair,  while  Caderousse  stammered  out  the  words  of  a 
drinking-song. 

**  Well,  my  dear  sir,**  said  Danglars  to  Femand,  ^  hère 
is  a  marriage  which  does  not  appear  to  make  eveiybody 
happy." 

*'  It  drives  me  to  despair,"  said  Feraand. 

«  Do  you,  then,  love  Mercedes  î  *• 

«*  I  adore  her  ! '» 

"  Hâve  you  loved  her  long  1  ^ 

'*  Ever  since  I  hâve  known  her.** 

**  And  you  sit  there,  tearing  your  hair,  instead  of  seek- 
ing  a  remedy.  The  devil  I  I  did  not  think  ihat  people 
of  your  race  would  act  in  this  way.'* 

**  What  would  you  hâve  me  do  ?**  said  Femand. 

''How  do  I  knowl  Is  it  my  afifairi  I  am  not  in  love 
with  Mademoiselle  Mercedes,— it  is  you.  'Seeky'saya 
the  Gospel,  ^and  you  shall  find.*** 

•*  I  hâve  found  already." 

•«Whatr* 

**  I  would  hâve  stabbed  the  man,  but  the  woman  told 
me  that  if  any  misfortune  happened  to  her  betrothed  she 
would  kill  herselL'' 


38  TES  COUNT  OF  MONT£  CRISTO. 

**  Pooh  !  women  say  those  things,  but  never  do  them.*^ 

'^  You  do  not  know^  Mercedes  ;  what  she  threatens  she 
wiU  do.'' 

**  Idiot  !  "  muttered  Danglars  ;  *'  whether  she  kill  herself 
or  not  what  matter,  proyided  Dantès  is  not  captain  1  " 

''Eather  than  Mercedes  sbould  die/'  replied  Femand, 
with  the  accents  of  unsbaken  résolution,  ''I  would  die 
myselfl"  ' 

"  Tbat  's  wbat  I  call  love  I  "  said  Caderousse,  witb  a 
Voice  more  tipsy  than  ever.  ''Tbat 's  love,  or  I  don't 
know  wbat  love  is." 

"  Come,"  said  Danglars,  "  you  appear  to  me  a  good  sort 
of  fellow,  and  the  devil  take  me,  I  sbould  like  to  help  you, 
but—" 

"  Yes/'  Baid  Caderousse,  "  but  howl" 

"  My  dear  fellow,"  replied  Danglars^  **  you  are  tbree 
parts  drunk  ;  finish  the  bottle,  and  you  will  be  completely 
80.  Drink,  then,  and  do  not  meddle  with  wbat  we  are  dis- 
cussiug,  for  tbat  requires  ail  one's  wit  and  cool  judgment." 

'^I  drunk  1"  said  Caderousse;  '^well,  tbat 's  a  good 
one  I  I  could  drink  four  more  sucb  bottles  ;  tbey  are  no 
bigger  than  eau-de-cologne  fiasks.  Père  Pampbile,  more 
wine  !  **  and  Caderousse  rattled  bis  glass  upon  the  table. 

^'You  were  saying,  Monsieur?"  said  Femand,  await- 
ing  with  great  anxiety  the  end  of  the  interrupted  remark, 

**  Wbat  was  I  saying  1  I  forget  Tbis  drunken  Cade- 
rousse bas  made  me  lose  the  thread  of  my  tboughts." 

'^  Drunk,  if  you  like  ;  so  mucb  the  worse  for  those  wbo 
fear  wine,  for  it  is  because  tbey  bave  some  evil  thought 
which  tbey  are  afraid  the  liquor  will  extract  from  tbeir 
bearts  ;  "  and  Caderousse  began  to  sing  the  last  two  linei 
of  a  song  very  popular  at  the  time  :  — 

^  ^  '  Al\  the  wicked  are  drinkers  of  water  ; 

That  ia  well  proved  by  the  Déluge.'  ** 


C0N8PIRACY.  39 

^  Ton  saîd.  Monsieur,  tbat  you  would  like  to  help  me, 


r  but—" 


"  Tes  ;  but  I  was  about  to  add,  to  help  you  it  would 
be  sufficient  that  Daiitès  did  not  marry  her  you  love. 
Aud  tbe  marrîage  inay  easily  be  tbwarted;  metbinks,  and 
yet  Dantès  need  not  die." 

**  Deatb  alone  can  separate  tberu,"  remarked  Fernand. 

"  You  talk  like  a  noodle,  my  friend/'  said  Caderousse  ; 
"  hère  is  Dauglars,  who  is  a  wide-awake,  élever,  deep  fel- 
low,  who  will  prove  to  you  that  you  are  wrong.  Prove 
it,  Danglars.  I  bave  answered  for  you.  Say  there  is  no 
need  tbat  Dantès  sbould  die  ;  it  would,  indeed,  be  a  pity 
if  be  sbould.  Dantès  is  a  good  fellow.  I  like  Dantès  ; 
Dantès,  your  bealth  !  " 

Fernand  rose  impatiently.  "Let  bim  run  on,^  said 
Danglars,  restraining  the  young  man  ;  "  drunk  as  he  is, 
be  is  not  mucb  out  in  what  be  says.  Absence  severs  as 
well  as  deatb,  and  if  tbe  wàlls  of  a  prison  were  between 
Fdmond  and  Mercedes  tbey  would  be  as  effectually  sepa- 
lated  as  if  be  lay  under  a  tombstone." 

''Yes;  but  one  gets  out  of  prison,"  said  Caderousse, 
who,  witb  what  sensé  was  lefb  bim,  listened  eagerly  to 
tbe  conversation  ;  "  and  wben  be  gets  out,  if  bis  name  is 
Edmond  Dantès,  be  revenges — " 

"  What  mattera  thatî  "  muttered  Fernand. 

"And  wby,  I  sbould  like  to  know,"  persisted  Cade- 
rousse, "  sbould  tbey  put  Dantès  in  prison  ]  He  bas  neither 
robbed  nor  killed  nor  murdered." 

"  Hold  your  tongue  !  "  said  Danglars. 

"  I  won't  hold  my  tongue  !  "  replied  Caderousse  ;  "  I 
say  I  want  to  know  wby  tbey  sbould  put  Dantès  in 
prison.  I  like  Dantès  ;  Dantès,  your  bealth  !  "  and  he 
swallowed  anotber  glass  of  wine. 

Danglars  saw  in  the  muddled  look  of  the  tailor  tbe 


40  THE  COUNT  OF  MONTE  CRIOTO. 

progress  of  bis  intoxication,  and  tuming  towards  Femand, 
saidy  ''Well,  you  undeistand  tbere  is  no  need  to  kiU 
him." 

''Certaiuly  not,  if,  as  you  said  just  now,  you  bave 
the  meaus  of  baving  Dantès  arrested.  Hâve  you  tbat 
means  î  " 

"  It  is  to  be  found  for  tbe  searcbing.  But  wbat  in  tbe 
devil  bave  I  to  do  witb  it  )     It  is  no  affair  of  mine." 

"  I  know  not  wbether  it  is  your  affair/'  said  Femand^ 
seizing  bis  arm  ;  **  but  tbis  I  know,  you  bave  some  motive 
of  Personal  batred  against  Dantès,  for  be  wbn  bi'"*"^!^ 
bâtes  is  never  mistaken  in  tb»  ftftntîTflf nti»  nf  nfj^pi^^»* 

**I]  motives  of  liatred  against  Dantès?  l^one,  on 
my  Word  1  I  saw  you  were  unbappy,  and  your  unbappi- 
ness  interested  me  ;  tbat  's  alL  But  since  you  believe  I 
act  for  my  own  account,  adieu,  my  dear  friend,  get  out  of 
tbe  affair  as  best  you  may  ;  "  and  Danglars  rose  as  if  be 
meant  to  départ. 

**  No,  no  ;  "  said  Femand,  restraining  bîm,  **  stay  !  It 
is  of  very  little  conséquence  to  me  at  tbe  end  of  tbe  matter 
wbetber  you  bave  any  angry  feeling  or  not  against  Dantès, 
[  bâte  bim  !  I  déclare  it  openly.  Do  you  ffnd  tbe  mean^, 
I  will  exécute  it,  —  provided  it  is  not  to  kill  tbe  man,  for 
Mercedes  bas  declared  sbe  will  kill  berself  if  Dantès  is 
killed." 

Caderousse,  wbo  bad  let  bis  bead  drop  on  tbe  table, 
now  raised  it,  and  looking  at  Femand  witb  bis  dull  and 
fîsby  eyes,  be  said,  *'  Kill  Dantès  I  wbo  talks  of  killiug 
Dantès  î  I  won't  bave  bim  killed,  —  I  won't  1  He  's  my 
friend,  and  tbis  morning  offered  to  sbare  bis  money  witb 
me,  as  I  sbared  mine  witb  bim.  I  won't  bave  Dantès 
killed,  —  I  won't  !  " 

"  And  wbo  bas  said  a  word  about  killing  bim,  muddle- 
bead  1  "   replied  Danglars.     ''  We  were  merely  joking  ; 


CONSPIRACY.  41 

drînk  to  his  bealth/'  be  added,  fiUîng  Caderousse's  glasa^ 
'-'  and  do  not  interfère  with  us." 

"Yes,  yes,  Dantës's  good  health!"  said  CaderoossOy 
emptying  his  glaset,  "  hère  's  to  bis  bealth  I  bis  bealtb  I 
burrah  !  " 

"  But  tbe  meansy  —  tbe  means  ?  "  said  Femand. 

"  Hâve  you  not  bit  upon  any  ?  " 

"  No  ;  you  undertook  to  do  so/' 

•'True,"  replied  Danglars;  "tbe  Frencb  bave  tbe  su- 
periority  over  tbe  Spaniards,  tbat  tbe  Spaniards  ruminate^ 
while  tbe  Frencb  învent/* 

"  Do  you  invent,  tben  !  **  said  Femand,  impatiently. 

**  Waiter,"  said  Danglars,  "  pen,  ink,  and  paper." 

"  Pen,  ink,  and  paper  !  "  muttered  Femand. 

"  Yes  ;  I  am  a  supercargo.  Pen,  ink,  and  paper  are  my 
tools,  and  witbout  m}  tools  I  am  fit  for  notbing." 

"  Pen,  ink,  and  paper  !  "  called  Femand,  loudly. 

"Ail  you  require  is  on  tbat  table,"  said  tbe  waiter, 
pointiDg  to  thTwritiBg  materials. 

"Bring  tbem  bere."  Tbe  waiter  did  as  be  was 
desired. 

"  Wben  one  tbinks,''  said  Caderousso,  letting  bis  band 
drop  on  tbe  paper,  "tbat  bere  tbere  is  wbat  wîU  kill  a 
man  more  surely  tban  if  we  waited  at  tbe  corner  of  a 
wood  to  assassinate  bim  !  I  bave  always  bad  more  dread 
of  a  pen,  a  bottle  of  ink,  and  a  sbeet  of  paper  tban  of  a 
sword  or  pistol." 

"Tbe  fellow  is  not  so  drunk  as  be  appears  Id  be,"  said 
Danglars.     "  Give  bim  some  more  wine,  Femand." 

Femand  filled  Caderousse's  glass,  wbo,  toper  as  be  was, 
lifted  bis  band  from  tbe  paper  and  seized  tbe  glass.  The 
Catalan  watched  bim  until  Caderousse,  almost  overcome 
by  tbis  fresh  assault  on  his  sensés,  rested,  or  rather  allowed 
his  glass  to  fall  upon  tbe  table* 


42  THE  COUNT  OF  MONTE  OBISTO. 

**  Well  !  "  resumed  the  Catalan,  as  he  saw  tbe  final 
glimmer  of  Caderoosse's  reason  vanishing  before  the  last 
glass  of  wine. 

**  Welly  then,  I  should  say,  for  instance,*'  resamed  Dan- 
glarsy  '*  that  if  aftera  voyage  such  as  Dantès  bas  just  made, 
and  in  wbicb  be  touched  tbe  Isle  of  Elba,  some  one  were 
te  denounce  bim  to  tbe  procureur  duroi  aa  &  Bonapartist 
agent — " 

**  I  will  denounce  bim  !  "  exclaîmed  tbe  young  man, 
bastily. 

"  Yes,  but  tbey  will  make  you  tben  sign  your  déclara- 
tion, and  confront  you  with  bim  you  bave  denounced  ;  I 
will  supply  you  with  tbe  means  of  supportîng  your  ac- 
cusation,  for  I  know  the  fact  weU.  But  Dantès  cannot 
lemain  fore  ver  in  prison,  and  one  day  or  other  be  will 
leave  it  ;  and  tbe  day  wben  be  cornes  out,  woe  betide  bim 
wbo  was  tbe  cause  of  bis  incarcération  !  ** 

''  Ob,  I  should  wish  nothing  better  than  that  be  would 
corne  and  seek  a  quarrel  with  me." 

"  Yes,  and  Mercedes,  —  Mercedes,  wbo  will  detest  you 
if  you  bave  only  the  misfortune  to  scratch  the  skin  of 
ber  dearly  beloved  Edmond  1  " 

'*  True  1  "  said  Femand. 

"  No,  no  î  "  continued  Danglars  ;  "  if  we  résolve  on 
such  a  step,  it  would  be  much  better  tp  take,  as  I  now  do, 
tbis  pen,  dip  it  intb  tbis  ink,  and  write  with  tbe  lefb  band 
(that  the  writing  may  not  be  recognized)  the  denunciation 
we  propose.-'  And  Danglars,  unitîng  practice  with  theory, 
wrote  with  bis  lefb  band  and  with  a  backward  slant  in  a 
style  wbolly  unlike  bis  own,  tbe  following  lines,  wbicb 
be  banded  to  Femand,  and  wbicb  Femand  read  in  an 
undertone  :  ^ 

Monsieur,  —  Tbe  procureur  du  roi  is  informed  by  a  friend 
of  tbe  throne  and  of  religion,  that  one  Edmond  Dantès,  mate 


\  OONSPIRACY.  43 

of  the  ship  **  Phaiaon,"  who  arrived  this  morning  from  Smyma, 
I  after  haying  touched  at  Naples  and  Porto  Ferrajo,  has  been 

introsted  by  Murât  with  a  letter  for  the  usurper,  and  by  the 
usurper  with  a  letter  for  the  Bonapartist  committee  in  Paris. 

Proof  of  this  crime  will  be  found  on  arresting  him,  for  the 
ietter  will  be  found  upou  him,  or  at  his  father's,  or  in  bis  cabin 
on  board  the  ^  Pharaon." 


"  Very  good,"  resumed  Danglars  ;  "  now  your  levenge 
looks  like  common-sense,  for  in  do  way  can  it  Ml  back  on 
yoniself,  and  the  matter  will  work  its  own  way.  There  is 
nothing  to  do  now  but  fold  the  letter  as  I  am  doing,  and 
Write  upon  it,  '  To  M.  le  Procureur  Royal/  and  that  *s  ail 
set^led."    And  Danglars  wrote  the  address  as  he  spoke. 

**  Yes,  and  that  's  ail  settled  !  "  exclaimed  Gaderousse, 
whOy  by  a  last  effort  of  intellect,  had  foUowed  the  reading 
of  the  letter,  and  instinctively  comprehended  ail  the 
misery  which  such  a  denunciation  must  entail.  "Yes, 
and  that 's  ail  settled;  only  it  will  be  an  infamous 
shame  ;  "  and  he  stretched  eut  his  hand'  to  reach  the 
letter* 

''  Yes,"  said  Danglars,  taking  it  from  beyond  his  reach  ; 
''and  as  what  I  say  and  do  is  merely  in  jest^  and  I, 
amiong  the  first  and  foremost,  should  be  sorry  if  anything 
happened  to  Dantës,  the  worthy  Dantès,  look  hère  !  "  and 
taking  the  letter,  he  squeezed  it  up  in  his  hands  andthrew 
it  in(o  a  corner  of  the  arbor. 

**  Ail  right  I  "  said  Caderousse.  **  Dantës  is  my  fiiendi 
and  I  won't  hâve  him  ill-used." 

"And  who  in  the  devil  thinks  of  using  him  ill?  Cer- 
taînly  neither  I  nor  Femand  I  "  said  Danglars,  rising  and 
lookîng  at  the  young  man,  who  still  remained  seated,  but 
whose  eye  was  fixed  on  the  denunciatory  sheet  of  papei 
flung  into  the.  corner. 

''In  that  case,"  replied  Caderousse^  "let's  hâve  some 


44  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

more  wine.     I  wîsh  to  drînk  to  the  health  of  Edmond 
and  the  lovely  Mercedes." 

^'Tou  hâve  had  too  much  already,  drankard/'  said 
Danglars  ;  "  and  if  you  continue,  you  will  be  compelled 
to  sleep  hère,  because  unable  to  stand  on  yonr  legs." 

"11*^  said  Caderousse,  rising  with  ail  the  offended  dig- 
nity  of  a  drunken  man,  "  I  can't  keep  on  my  legs  ]  Why, 
I  '11  bet  a  wager  I  go  up  into  the  belfry  of  the  AccouleSy 
and  without  staggering,  too  !  " 

"  Well  done  !  "  said  Danglars^  "  Fil  take  your  bet  ; 
but  to-morrow,  —  to-day  it  is  time  to  retum.  Give  me 
your  arm,  and  let  us  go." 

'*  Very  well,  let  us  go,"  said  Caderousse  ;  "  but  I  don't 
want  your  arm  at  alL  Corne,  Femand,  won't  yon  retum 
to  Marseilles  with  us  ?  " 

**  No,"  answered  Femand  ;  **  I  shall  retum  to  the 
Catalans." 

'^You're  wrong.  Come  with  us  to  MarseiUes;  come 
along." 

«  I  will  not." 

"What  do  you  meani  You  will  notl  Well,  just  as 
you  like,  my  prince  ;  there  's  liberty  for  ail  the  world. 
Come  along,  Danglars,  and  let  the  young  gentleman  re- 
tum to  the  Catalans  if  he  chooses." 

Danglars  took  advantage  of  Caderousse*s  temper  at  the 
moment  to  take  him  off  towards  Marseilles  by  the  Porte 
St.  Victor,  staggering  as  he  went. 

When  they  had  advanced  about  twenty  yards,  Danglars 
looked  back  and  saw  Femand  stoop,  pick  up  the  cmmpled 
paper,  and  put  it  into  his  pocket,  then  rosh  out  of  thé 
arbor  towards  Pillon. 

"Well,"  said  Caderousse,  "why,  what  a  lie  he  told! 
He  said  he  was  going  to  the  Catalans,  and  he  is  goîng  to 
the  city.     Holloa,  Femand  I  " 


CONSPIRACY.  4* 

<*  Oh,  you  see  wrong,"  said  Danglars  ;  "  he  's  gone  riglit 
enoagh." 

"WeU/'  said  Cadeiousse,  "I  should  hâve  said  not; 
how  treacherous  ivine  is  I  " 

**  Come^  comei"  said  Dauglars  to  hirnself,  ''  now  I  think 
the  affidr  is  well  laanched«  aud  theie  is  nothiog  to  do  bat 
to  let  it  9  on*'' 


40  THE  COUSIT  OF  MONTE  CRISTa 


CHAPTER  V. 

THE  MABBIAGE-FEA8T. 

The  momîng'8  siin  rose  clear  and  lesplendent,  gîldîng  tbe 
heavens  and  eveu  the  foamy  waves,  with  its  bright  reful- 
geut  beams. 

The  plenteous  feast  had  been  prepared  at  La  Béserve, 
with  whose  arbor  the  leader  is  already  acquainted.  The 
apartment  destined  for  the  purpose  was  spacious  and 
lighted  by  a  number  of  Windows,  over  each  of  which  was 
written  in  golden  letters  the  name  of  one  of  the  principal 
cities  of  France  ;  beneath  thèse  Windows  a  wooden  balcony 
extended  the  entire  length  of  the  house.  Although  the 
entertainment  was  appointed  to  begin  at  twelve  o'clock, 
an  hour  previous  to  that  time  the  balcony  was  filled  with 
impatient  and  expectant  guests,  consisting  of  the  favored 
part  of  the  crew  of  the  "Pharaon,"  and  other  personal 
friends  of  the  bridegroom,  ail  of  whom  had  arrayed  them- 
selves  in  their  choicest  costumes,  in  order  to  do  grenter 
honor  to  the  day.  Varions  rumors  were  afloat  to  the 
effect  that  the  owners  of  the  "  Pharaon  "  had  promised 
to  attend  the  nuptial  feast  ;  but  ail  seemed  unanimous  in 
doubting  that  an  act  of  such  rare  and  exceeding  condo- 
scension  could  possibly  be  intended. 

Danglars,  however,  who  now  made  his  appearance,  ac- 
companied  by  Caderousse,  confirmed  the  report,  stating 
that  he  had  recently  conversed  with  M.  Morrel,  who  had 
himself  assured  him  that  he  intended  joining  the  festive 
party  upon  the  occasion  of  their  second  officer's  marriage* 


THE  MàRRIAQE-FEAST.  47 

In  &ct,  a  moment  laier  M.  Morrel  made  his  appearance 
in  the  chamber,  and  was  greeted  by  the  sailors  with  a 
nnanimoos  boist  of  applaose.  The  présence  of  the  ship- 
owner  was  to  them  a  saie  indication  that  the  man  whose 
wedding-feast  he  tbos  delighted  to  faonor  would  ère  long 
be  first  in  command  of  the  "  Pharaon  ;  "  and  as  Dantès 
7as  aniveisally  beloved  on  board  his  vessel,  the  sailors 
put  no  restraint  on  their  tumultaoos  joy  at  finding  the 
opinion  and  choice  of  their  superiors  so  ezactly  coincide 
with  their  wishes. 

This  noisy  thongh  hearty  welcome  over,  Danglars  and 
Caderousse  were  despatched  to  the  résidence  of  the  bride- 
groom  to  oonvey  to  him  the  intelligence  of  the  arrivai  of 
the  important  personage  who  had  recently  joined  them, 
and  to  désire  he  woold  hasten  to  reçoive  his  honorable 
guest. 

The  above-mentioned  individuals  started  off  upon  their 
errand  at  foll  speed  ;  but  ère  they  had  gone  many  steps 
they  perceived  a  group  advancing  towards  them,  composed 
of  the  betrothed  pair,  and  a  party  of  young  girls  in  at- 
tendance  on  the  bride,  by  whose  side  walked  Dautës's 
father.  Behind  them  came  Femand,  whose  lips  wore 
their  usual  sinister  smile. 

Neither  Mercedes  nor  Edmond  observed  the  strahge 
expression  of  his  countenance  ;  they  were  so  happy  that 
they  had  eyes  only  for  each  other  and  for  the  clear,  beau- 
tiful  sky  above  them. 

Having  acqnitted  themselves  of  their  errand  and  ex- 
changed  a  hearty  greeting  with  Eklmond,  Danglars  walked 
by  the  side  of  Femand,  and  Caderousse  joined  the  elder 
DantëSy  who  was  the  centre  of  gênerai  attention.  The 
old  man  was  attired  in  a  suit  of  black,  trimmed  with 
steel  buttons,  beautifully  eut  and  polished.  His  thin  but 
still  powerful  legs  were  arrayed  in  a  pair  of  richly  embroi* 


48  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

dered  clocked  etockings,  evidently  of  English  manufacture  ; 
from  bis  three-cornered  bat  depeiided  a  long  streaming 
kuot  of  wbite  and  blue  ribbons,  and  be  supported  bim- 
self  on  a  curiously  carved  stick.  By  bis  side,  as  we  bave 
said,  crept  Caderousse,  wbose  désire  to  partake  of  tbe 
good  tbings  provided  for  tbe  wedding-party  bad  induced 
bim  to  become  reconcîled  to  tbe  Dantës,  fatber  and  son, 
and  wbo  still  retained  in  bis  mind  a  faint  and  imperfect 
recollection  of  tbe  events  of  tbe  preceding  nigbt, — jiist 
as  tbe  brain  retains  on  waking  tbe  dîm  and  misty  outline 
of  a  dream. 

As  Danglars  approacbed  \he  disappointed  lover^  be  cast 
on  bim  a  look  of  deep  meaning.  Fernand,  as  be  slowly 
paced  bebind  tbe  bappy  pair,  wbo  seemed  in  their  own 
unmixed  content  to  bave  entirely  forgotten  tbat  sucb  a 
being  as  bimself  existed,  was  pale  and  abstracted.  Occa- 
sionally,  bowever,  a  deep  flusb  would  overspread  bis  coun- 
tenance^  and  a  nervous  contraction  distort  bis  features, 
wbile  witb  an  agitated  and  restless  gaze  be  would  glance. 
in  tbe  direction  of  Marseilles,  like  one  wbo  was  expecting 
8ome  striking  event. 

Dantes  bimself  was  sîmply  thougb  becomingly  clad  in 
tbe  dress  peculiar  to  tbe  mercbant  service,  —  a  costume 
somewbat  between  a  military  and  a  civil  garb  ;  and  witb 
bis  fine  countenance,  radiant  witb  joy  and  bappiness,  a 
more  perfect  spécimen  of  manly  beauty  could  scarcely  be 
imagined. 

Lovely  as  tbe  Greeks  of  Cyprus  or  Cbios,  Mercedes 
boasted  tbe  same  brîgbt  flasbing  eyes  of  jet,  and  ripe 
lound  coral  lips,  Sbe  walked  witb  tbe  frank,  free  step 
of  tbe  Andalusians.  One  more  practised  in  tbe  arts  of 
great  cities  would  bave  bid  ber  joy  beneatb  a  veil,  or  at 
least  bave  cast  down  ber  tbickly  fringed  lasbes,  so  as  to 
hâve  concealed  tbe  liquid  lustre  of  ber  animated  eyes  ;  but 


THE  MABRIAOE-FEAST.  49 

Mercedes  looked  around  hcr  with  a  smile  that  plainly 
8aid,  '^If  you  are  my  frîends  rejoice  with  me,  for  in 
truth  I  am  very  happy." 

As  soon  as  the  bridai  cortège  came  in  sight  of  La  Ré- 
serve, M.  Morrel  came  forth  to  meet  it,  foUowed  by  the 
soldiers  and  sailors  there  assembled,  to  whom  he  had  re- 
peated  the  promise  already  given,  that  Dantès  should  be 
the  successor  of  the  late  Captain  Leclere.  Edmond,  at  the 
approach  of  his  patron,  placed  the  arm  of  his  affianced 
bride  within  that  of  M.  Mon'el,  who  forthwith  conducting 
her  np  the  flight  of  wooden  steps  leading  to  the  chamber 
in  which  the  feast  was  prepared,  was  gayly  folloM^ed  by 
the  guests,  beneath  whose  thronging  numbers  the  slight 
structure  creaked  and  groaned  as  though  alarmed  at  the 
unusual  pressure. 

^'Father/'  said  Mercedes,  stopping  when  she  had 
reached  the  centre  of  the  table,  **  sit,  I  pray  you,  on  my 
right  hand;  on  my  left  I  will  place  him  who  has  ever 
been  as  a  brother  to  me,"  she  added  with  a  gentle  tender- 
ness  that  went  to  the  hear^  of  Fernand  like  the  stroke  of 
a  daggerr  His  lips  became  pale,  and  even  beneath  the 
dark  hue  of  his  complexion  the  blood  might  be  seen  re- 
treating  as  though  some  sudden  pang  drove  it  back  to  the 
heart. 

Meanwhile  Dantès,  at  the  opposite  side  of  the  table, 
had  been  occupied  in  similarly  placing  his  most  honored 
guests.  M.  Morrel  was  seated  at  his  right  hand,  Danglars 
at  his  left  ;  the  rest  of  the  company  ranged  themselves  as 
they  found  it  most  agreeable. 

And  now  began  the  work  of  dévastation  upon  the  many 
good  things  with  which  the  table  was  loaded.  Sausages 
of  Arles,  with  their  délicate  seasonîug  and  piquant  flavor, 
lohsters  in  their  dazzling  red  cuirasses,  prawns  of  large  size 
and  brilliant  color,  the  echinus,  with  its  prickly  outside 

VOT^    L 


50  THE  COUNT  OP  MONTE  CBISTO. 

and  clainty  morsel  withîn;  tbe  clovis,  esteemed  by  the 
epicures  of  the  South  as  mora  tban  rivalling  the  exquisîte 
flavor  of  the  oyster,  —  ail  thèse,  in  conjunction  with  the 
uumerous  delicacies  cast  up  by  the  wash  of  waters  on  the 
sandy  beach,  and  styled  by  the  grateful  fishermen  ^'sea- 
fruits/'  served  to  fumish  forth  this  marriage-table. 

''  A  pretty  silence  truly  !  "  said  the  old  father  of  the 
bridegroom,  as  he  carried  to  bis  lips  a  gkss  of  wine  of  the 
hue  and  brightness  of  the  topaz,  and  which  had  just  been 
placed  before  Mercedes  herself.  "  Now,  would  anybody 
think  that  there  are  hère  thirty  persons  who  désire  only 
to  laugh  î  " 

''  Ah  !  "  sighed  Caderousse,  '*  a  husband  is  not  always 

gay." 

**  The  truth  îs/'  replied  Dantès,  **  that  I  am  too  happy 
for  noisy  mirth  ;  if  that  is  what  you  meaut  by  your  obser» 
vation,  my  worthy  fnend,  you  are  rîght.  Joy  takes  a 
strange  efiect  at  times  ;  it  seems  to  oppress  us  almost  the 
same  as  sorrow." 

Danglars  looked  towards  Femand,  whose  «xcitable  na- 
ture received  and  betrayed  eacb  fresb  impression. 

"Why,  what  ails  you]**  asked  he  of  Edmond.  "Do 
you  fear  any  approaching  evil)  I  should  say  that  you  are 
the  happiest  man  alive  at  this  instant." 

"  And  that  is  the  very  thing  that  alarms  me,"  retumed 
Dantès.  **  Man  does  not  appear  to  me  to  be  intended  to 
enjoy  felicity  so  unmixed.  Happiness  is  like  the  enchanted 
palaces  we  read  of  in  our  childhoody  where  fierce  fiery 
dragons  défend  the  eutrance  and  approach,  and  monsters 
of  ail  shapes  and  kinds,  requiring  to  be  overcome  ère  vie- 
tory  is  ours.  I  own  that  I  am  lost  in  wonder  to  find  my- 
self  promoted  to  an  honor  of  which  I  feel  myself  unworthy, 
—  that  of  being  the  husband  of  Mercedes." 

**Ihe  husband,  the  husband)  "  said  Caderousae,  laugh- 


THE  UABBUGE-FEAST.  51 

ing  ;  '*  not  yet^  ,mj  captain.    Attempt  to  play  the  hosband 
a  little,  and  see  how  you  will  be  roceived/' 

Mercedes  blushed.  Fernande  restless  and  uneasy, 
atarted  at  the  least  noise,  and  from  time  to  time  wiped 
away  large  drops  of  sweat  that  appeared  on  his  forehead; 
like  the  iirst  drops  of  raîn  before  a  storm. 

"  Well,  never  mind  that,  neighbor  Caderousse  ;  it  is  not 
worth  while  to  contradict  me  for  such  a  trifle  as  that. 
*Tis  tnie  that  Mercedes  is  not  actually  my  wife;  but,** 
added  he,  drawing  ont  his  watch,  '<in  an  hour  and  a 
half  she  will  be." 

Ëvery  one  uttered  a  cry  of  surprise,  with  the  exception 
of  the  elder  Dantès,  whose  laugh  displayed  thestill  perfect 
beauty  of  his  Jarge  Ti^hite  teeth.  Mercedes  smiled,  and  no 
longer  blushed.  Femand  grasped  the  handle  of  his  knife 
with  a  convulsive  clutch. 

"  In  an  hour  1  "  inquired  Danglars,  tuming  pale. 
«  How  is  that,  my  friend  1  " 

"  Yes,  my  friends,"  replied  Dantès  ;  "  thanks  to  the  in- 
fluence of  M.  Morrel,  to  whom,  next  to  my  father,  I  owe 
ail  the  blessings  I  eiyoy,  every  diffîculty  has  been  re- 
moved.  We  hâve  purchased  permission  to  waive  the  usual 
delay;  and  at  half-past  two  o'clock  the  Mayor  of  Mar- 
seilles  will  be  waiting  for  us  at  the  Hôtel  de  Ville.  Now, 
as  a  quarter-past  one  has  already  struck,  I  do  not  consider 
I  bave  asserted  too  much  in  saying  that  in  another  hour 
and  thirty  minutes  Mercedes  wiU  hâve  become  Madame 
Dantès." 

Femand  closed  his  eyes,  a  buming  sensation  passed 
across  his  brow,  and  he  was  compelled  to  support  himself 
by  the  table  to  keep  from  falling  ;  but  in  spite  of  ail  his 
efforts,  he  could  not  refrain  from  uttering  a  deep  groan, 
which,  however,  was  lost  amid  the  noisy  félicitations  of 
the  Company. 


Ô2  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

"Upon  Tny  word,"  cried  the  old  man,  "you  make  shorl 
work  of  it.  Arrived  hère  only  yesterday  morningy  and 
married  to-day  at  three  o'clock  !  Commend  me  to  a  sailor 
for  going  the  quick  way  to  work  !  " 

"  But/'  asked  Danglars,  in  a  timid  tone,  *'  how  did  you 
manage  about  the  other  formalities,  —  the  contracta  the 
settlement?  '' 

**  Oh,  bless  you  !  "  answered  Dantës,  laughingly^  **  out 
papers  were  soon  drawn  up.  Mercedes  has  no  fortune  ;  I 
bave  none  to  settle  on  her.  So,  you  see^  our  papers  were 
quickly  written  out,  and  certainly  do  not  corne  very  ex- 
pensive."   This  joke  elicited  a  fresh  burst  of  applause. 

'*  So  that  what  we  presumed  to  be  merely  the  betrothal 
feast  tums  out  to  be  the  actual  wedding  dinnert"  said 
Danglars. 

"No,  no!"  answered  Dantès;  '^don't  imagine  I  am 
going  to  put  you  off  in  that  shabby  manner.  To-morrow 
morning  I  start  for  Paris.  Four  days  to  go^  and  the  same 
to  returU;  with  one  day  to  discharge  the  commission 
intrusted  to  me,  and  on  the  first  of  March  I  shall  bave 
retumed  ;  the  next  day  I  will  give  my  real  marriage-feast." 

This  prospect  of  fresh  festivity  redoubled  the  hilarity  of 
the  guests  to  such  a  degree  that  the  elder  Dantës,  wno,  at 
the  commencement  of  the  repast  had  commented  upon  the 
silence  that  prevailed,  now  fonnd  it  difficult  amid  the 
gênerai  din  of  voices  to  obtain  a  moment's  tranquillity  in 
whieh  to  drink  to  the  health  and  prosperity  of  the  bride 
and  bridegroom. 

Dantès,  perceiving  the  affectionate  eagemess  of  his 
father,  responded  by  a  look  of  grateful  pleasure;  while 
Mercedes,  whose  eyes  had  been  constantly  consulting 
the  clock  which  adorned  the  chamber,  made  an  express- 
ive gesture  to  Edmond. 

Around  the  festive  board  reigned  that  mirthful  freedom 


THE  MARRIA6&FEAST.  53 

from  ail  restraiiit  which  is  usually  fouud  at  the  teHnina- 
tion  of  social  meetings,  among  those,  at  least,  whose  in- 
ferior  station  in  tfae  world  gives  tbem  a  happy  dispensation 
from  the  frigid  rules  of  étiquette.  Those  who  were  dia- 
satisfied  with  their  places  at  the  table  had  sought  out  other 
neighbors.  Ail  spoke  at  once  ;  and  no  one  troubled  him- 
self  to  reply  to  what  his  interlocutor  was  saying,  but  each. 
spoke  to  his  own  thoughts. 

The  paleness  of  Feniand  appeared  to  bave  communicated 
itself  to  Danglars.  As  for  Fernand  himself,  he  seemed  as 
though  undergoing  the  tortures  of  the  damned.  Unable 
to  rest,  he  was  among  the  first  to  quit  the  table,  and  as 
though  seekiug  to  avoid  the  hilarious  mirth  that  rose  in 
such  deafening  sounds,  he  continued  in  utter  silence  to 
pace  the  farther  end  of  the  salon. 

Caderousse  approached  him  just  as  Danglars,  whom 
Fernand  seemed  most  anxious  to  avoid^  had  joined  him  in 
a  corner  of  the  room. 

"  Upon  my  word,"  said  Caderousse,  from  whose  mind 
the  friendly  treatment  of  Dautès,  united  with  the  effect  of 
the  excellent  wine  he  had  partaken  of,  had  effaced  every 
feeling  of  envy  or  jealousy  at  Dantès's  good  fortune, — 
"  upon  my  word,  Dantès  is  a  downright  good  fellow,  and 
when  I  see  him  sitting  there  beside  his  pretty  wife  that  is 
so  soon  to  be,  I  cannot  help  thinking  it  would  bave  beex 
a  great  pity  to  bave  served  him  that  trick  you  were  plan- 
ning yesterday." 

"  Oh,  there  was  no  harm  meant  I  "  answered  Danglars. 
"  At  first  I  certainly  did  feel  somewhat  uneasy  as  regarded 
what  Fernand  might  be  tempted  to  do  ;  but  when  I  saw 
how  completely  he  had  mastered  his  feelings,  even  so  far 
as  to  be  a  groomsman  at  his  rivales  wedding,  I  knew  there 
was  no  further  cause  for  appréhension."  Caderousse 
looked  full  at  Fernand  ;  he  was  ghastly  pal& 


54  THS  COUNT  OF  MONTB  CRISTO. 

• 

**  Certaînly/'  continued  Danglars,  **  the  sacrifice  was  ac 
trifling  one,  when  the  beauty  of  the  bride  is  concerned. 
Upon  mj  soûl,  that  future  captaiu  of  mine  is  a  lucky  dog  1 
Gad  !  I  only  wish  be  would  let  me  take  his  place." 

"  Shall  we  not  set  forth  î  "  asked  the  sweet,  silveTj  voice 
of  Mercedes  ;  "  two  o'clock  bas  just  struck,  and  you  know 
we  are  expected  at  the  Hôtel  de  Ville  in  a  quarter  of  an  bour." 

**  Yes,  yes  !  *'  cried  Dantès,  eagerly  quitting  the  table  ; 
"  let  us  go  directly  !  " 

His  words  were  le-ecboed  by  the  whole  party,  who  rose 
with  a  simultaneoiis  cheer,  and  began  forming  themselves 
into  a  procession. 

At  this  moment  Danglars,  who  had  closely  watcbed 
Fernand,  saw  bim  stagger  and  fall  back  with  an  almost 
convulsive  spasm  against  a  seat  plaoed  near  one  of  the 
open  Windows.  At  the  same  instant  was  heard  a  noise  on 
the  stairs,  foUowed  by  the  measured  tread  of  soldiery,  with 
the  clanking  of  swords  and  military  accoutrements  ;  then 
came  a  hum  and  buzz  as  of  many  voices,  so  as  to  deaden 
eyen  the  noisy  mirth  of  the  bridai  party,  which  immedi- 
ately  gave  place  to  an  uneasy  silence. 

The  noise  approached.  There  were  three  knocks  on  the 
panel  of  the  door.  Every  one  looked  at  his  neigbbor  with 
an  air  of  astonishment. 

**  In  the  name  of  the  law  !  **  cried  a  résonant  voice,  to 
which  there  was  no  response.  The  door  was  opened,  and 
a  magistrate,  wearing  bis  officiai  scarf,  presented  himself, 
followed  by  four  soldiers  and  a  corporal.  Uneasiness  now 
yielded  to  the  most  extrême  dread  on  the  part  of  those 
présent. 

**  May  I  venture  to  inquire  the  reason  of  this  onexpected 
visit  1  "  said  M.  Morrel,  addressiug  the  magistrate,  wbom 
he  evidently  knew  ;  "  there  is  doubtless  some  mistake 
easily  explained." 


TUE  MAKRIAGE-FEAST.  0A 

"If  it  be  80,  M.  Morrel,''  leplied  the  magistrate,  ''lely 
apon  eveiy  repaiation  being  made  ;  meanwhile,  I  am  the 
bearer  of  an  oïder  of  arrest»  and  althoogh  I  most  relactantly 
peiform  the  taak  assigned  me,  it  most  nevertheless  be 
fuI6Iled.  Who  among  the  persons  hère  assembled  answers 
to  the  name  of  Edmond  Dantès  t  "  Eveiy  eye  was  tnmed 
towards  the  young  man,  who,  though  much  distarbed, 
adyanced  with  dignity  and  said  in  a  6nu  Yoioe,  *'  I  am  he  ; 
what  is  your  pleasare  with  met  *' 

*' Edmond  Dantès,"  replied  the  magistiate,  ''I  aireat 
yoa  in  the  name  of  the  law  !  " 

"  Me  !  "  lepeated  Edmond,  slightly  changing  colori 
**  and  wherefore,  I  pray  1  " 

'^  I  do  not  know,  but  you  will  be  infonned  at  youi  fiist 
examination." 

M.  Moner  felt  that  faither  résistance  or  remonstrance 
was  useless.  A  commissary  girt  with  the  officiai  scarf  is 
no  longer  a  man  ;  he  is  a  statue  of  the  law,  cold  and 
dumb.  But  the  elder  Dantès  hastened  to  the  offioer,  —  for 
there  are  some  things  that  the  heart  of  a  father  or  of  a 
mother  cannot  comprehend.  He  prayed  and  supplicated  ; 
and  though  his  prayers  and  tears  could  avail  nothing,  his 
despair  was  so  great  that  the  commissary  was  moved  to 
sympathy.  '*  Monsieur,"  he  said,  '*  calm  your  appréhen- 
sions. Your  son  bas  probably  neglected  some  prescribed 
form  relàting  to  the  customs  or  to  quarantine  ;  and  it  is 
more  than  probable  he  will  be  set  at  liberty  afber  answer- 
ing  a  few  questions." 

"  What  is  the  meaning  of  ail  this  1  **  inquired  Caderousse, 
frowningly,  of  Danglars,  who  had  assumed  an  air  of  surprise. 

"  How  can  I  tell  you  î  '*  replied  he  ;  "I  am,  like  your- 
selfy  utterly  bewîldered  by  ail  that  is  going  on,  not  a  word 
of which  do  I  understand."  Caderousse  then  looked  around 
for  Femand,  but  he  had  disappeared* 


56  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

Tha  scène  of  the  previoas  night  now  came  back  to  his 
mind  wîth  startling  accuracy.  The  catastrophe  he  had 
just  witnessed  appeared  to  hâve  rent  away  the  veil  which 
tl)e  intoxication  of  the  evening  before  had  placed  between 
himself  and  his  memorv. 

"  So  !  80  !  **  said  he,  in  a  hoarse  and  choking  voice«  to 
Danglars,  "  this,  then,  I  suppose,  is  a  part  of  the  trick  you 
were  concerting  yesterdayî  In  that  case,  cursed  be  the 
performer  of  it  !     It  is  a  bad  action." 

"  Nonsense  !  "  returned  Danglars  ;  "  you  know  very  well 
that  I  tore  the  paper  to  pièces." 

"  No,  you  did  not  !  "  ahswered  Caderousse,  "  you  merely 
threw  it  by.     I  saw  it  lying  in  a  corner." 

"Hold  your  tongue!  You  saw  nothing.  You  were 
drunk  !  " 

"  Where  is  Fernand  1  "  inquired  Caderousse. 

"  How  do  I  know  1  "  replied  Danglars  ;  "  looking  after 
his  own  affairs,  most  likely.  Never  mind  where  he  is  ;  let 
us  go  and  see  what  is  to  be  done  for  our  poor  friends  in 
this  their  affliction." 

During  this  conversation,  Dantès,  after  shakîng  haiids 
with  ail  his  friends,  had  surrendered  himself  to  the  officer, 
saying,  "  Make  yourselves  qui  te  easy  ;  there  is  some  little 
mistake  to  clear  up,  and  very  likely  I  may  not  hâve  to  go 
so  far  as  the  prison  to  efifect  that.'' 

"  Oh,  to  be  sure  !  "  responded  Danglars,  who  had  now 
approached  the  group  ;  "  nothing  more  than  a  mistake,  I 
feel  quite  certain." 

Dantès  descended  the  staircase,  preceded  by  the  magis- 
trate,  and  followed  by  the  soldiers.  A  carriage  awaited 
him  at  the  door  ;  he  got  in,  followed  by  two  soldiers  and 
the  commissary,  and  the  vehicle  drove  oflF  towards  Marseilles. 

"  Adieu,  adieu,  dearest  Edmond  î  "  cried  Mercedes, 
stretching  eut  her  arms  to  him  from  the  balcony. 


THE  MARRIAGE-FEAST.  57 

The  prîsoner  lieard  tbat  last  cry,  \¥bich  came  lîke  a 
«ob  from  the  lacerated  beart  of  bis  betrotbed  ;  be  leaned 
from  tbe  coacb  and  cried,  "  Au  revoir,  Mercedes,"  and 
tbe  coacb  disappeared  round  one  of  tbe  corners  of  Fort 
St.  Nicolas. 

"  Wait  for  me  bere,  ail  of  you  !  "  cried  M.  Morrel  ;  *'  I  will 
take  tbe  first  conveyance  I  find  and  burry  to  Marseilles, 
wbence  I  will  bring  you  word  bow  ail  is  going  on." 

"  Tbat  's  rigbt  !  "  exclaimed  a  multitude  of  voices  ;  "  go^ 
and  retum  as  quickly  as  you  can  !  " 

Tbis  second  departure  was  foUowed  by  a  moment  of 
stupor  on  tbe  part  of  tbose  wbo  were  left  bebind.  Tbe 
old  fatber  and  Mercedes  remained  for  some  time  apart, 
eacb  absorbed  in  tbeir  sépara  te  griefs  ;  but  at  lengtb  tbe 
two  poor  victims  of  tbe  same  blow  raised  tbeir  eyes,  and 
witb  a  simultaneous  burst  of  feeling  rusbed  into  eacb 
otber's  arms. 

Meanwbile  Fernand  made  bis  reappearance,  poured  ont 
for  bimself  a  glass  of  water  witb  a  trembling  band,  tben 
bastily  swallowing  it,  went  to  sit  down  on  the  first  vacant 
chair  be  perceived.  By  chance  tbis  was  placed  next  to 
tbe  seat  on  whicb  Mercedes  bad  fallen  balf-fainting,  wben 
released  from  tbe  embrace  of  tbe  old  man.  Instinctively 
Fernand  drew  back  bis  chair. 

"  It  is  be  !  "  whispered  Caderousse,  wbo  bad  never 
taken  bis  eyes  off  Fernand,  to  Danglars. 

"  I  do  not  think  so,"  answered  tbe  other  ;  "  be  is  too 
stupid  to  imagine  such  a  scheme.  I  only  hope  tbe  rais- 
cbief  will  fall  upon  the  bead  of  wboever  wrought  it." 

"You  don't  speak  of  bim  wbo  planned  it,"  said 
Caderousse. 

"Ah,  surely,"  said  Danglars,  "one  can't  be  beld 
responsible  for  everything  be  may  speak  into  tbe 
•irl" 


58  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

"  YeSy  wlieu  that  which  is  spoken  into  the  air  falls  back 
point  first," 

Meautime  the  subject  of  the  arrest  was  being  canvacused 
in  every  différent  form. 

"What  think  you,  Danglars/'  said  one  of  the  party, 
"  of  this  event  î  " 

"I  think,"  said  Danglars,  "that  it  is  just  possible 
Dantès  may  bave  been  detected  with  some  triâing  article 
on  board  ship  considered  hère  as  contraband.'' 

"  But  how  could  he  bave  done  so  without  your  knowl- 
edge,  Danglars,  who  was  the  ship's  supercargo  î  " 

"  Why,  as  for  that,  I  could  only  know  what  T  was  told 
respecting  the  merchandise  with  which  the  vessel  was 
laden.  I  know  she  was  loaded  with-cotton,  and  that  she 
took  in  her  freight  at  Alexandria  from  the  warehouse  of 
M.  Pastret,  and  at  Smyma  from  M.  Pascal's  ;  that  is  ail 
I  was  obliged  to  know,  and  I  beg  I  may  not  be  asked  for 
any  further  particulars.** 

"  Now  I  recoUect  1  "  said  the  afflicted  old  father  ;  "  my 
poor  boy  told  me  yesterday  he  had  a  small  case  of  cofifee 
and  another  of  tobacco  for  me  I  " 

"  There,  you  see  !  *'  exclaimed  Danglars.  *'  Now  the 
mischief  is  out  ;  dépend  upon  it  the  custom-house  people 
went  rummaging  about  the  ship  in  our  absence,  and 
discovered  poor  Dantès's  hidden  treasures." 

Mercedes,  however,  paid  no  heed  to  this  explanation  of 
her  lover's  arrest.  Her  grief,  which  she  had  hitherto  tried 
to  restrain,  now  burst  out  in  a  violent  fit  of  hysterical 
sobbing. 

"  Corne,  come,"  said  the  old  man,  "be  comforted,  my 
poor  child  ;  there  is  still  hope  I  ** 

"  Hope  !  "  repeatod  Danglars. 

"  Hope  l  *'  Femand  tried  to  say,  but  the  word  was 
stifled;  his  lips  moved,  but  no  sound  came  forth. 


THE  MARBUGE-FEAST.  59 

^  Good  news  !  good  news  !  **  shouted  one  of  the  party 
Btationed  in  the  balcony.  "  Hère  cornes  M.  MorreL  No 
doubt  now  we  shall  bear  that  oar  fiîend  is  released  !  " 

Mercedes  and  the  old  man  rushed  to  meet  the  ship- 
owner,  and  met  him  at  the  door.  M.  Morrel  was  very 
pale. 

"  What  news  î  "  exclaimed  a  gênerai  burst  of  voices. 

"Alas,  my  friands,"  replîed  M.  Morrel,  with  a  motirn- 
ful  shake  of  his  head,  '*  the  affair  is  more  serions  than  we 
thought." 

"Oh,  indeed,  indeed,  sir,  he  is  innocent T'  sobbed 
Mercedes. 

"  That  I  believe  !  "  answered  M.  Morrel  ;  "  but  still  he  is 
charged  —  " 

With  what  î  '*  inquired  the  elder  Dantës. 

With  being  an  agent  of  the  Bonapartist  faction  !  '• 

Many  of  my  reâders  may  be  able  to  recoUect  how  for- 
midable sach  an  accusation  became  in  the  period  at  which 
our  story  is  dated.  A  despairing  cry  escaped  the  pale  lips 
of  Mercedes,  while  the  heart-stricken  father  fell  Hstlessly 
iuto  a  chair. 

"  Ah,  Danglars  !  "  whispered  Caderousse,  "  you  bave 
deceived  me,  —  the  trick  you  spoke  of  last  night  bas  been 
played  off,  I  see  ;  but  I  cannot  suffer  a  poor  old  man  or 
an  innocent  girl  to  die  of  grief  through  your  fault.  I  am 
determîned  to  tell  them  ail  about  it." 

"  Be  silent,  you  simpleton  I  *'  cried  Danglars,  grasping 
him  by  the  arm,  "  or  I  will  not  answer  for  your  own  safety. 
Who  can  tell  whether  Dantès  be  innocent  or  guilty  î  The 
vessel  did  toucli  at  Elba,  where  he  quitted  it,  and  passed 
a  whole  day  in  the  island.  Now,  should  any  letters  oi 
other  documents  of  a  compromising  character  be  found 
upon  him,  it  will  bo  taken  for  granted  that  ail  who  up- 
hold  him  are  his  accomplices," 


60  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

With  the  rapid  instinct  of  selfishness,  Cadermisrf»  per- 
ceived  the  solidity  of  thîs  reasoning;  he  looked  at  Dan- 
glars  with  eyes  dulled  by  fear  and  grief,  and  then  for  onc 
forward  step  he  had  taken,  he  took  two  in  retreat. 

"  We  will  wait,  then,"  he  murmured. 

"  To  be  sure  I  '*  answered  Danglars.  "  Let  us  "walt,  by 
ail  means.  If  he  be  innocent,  of  tîourse  he  will  be  setj  at 
liberty  ;  if  guilty,  why,  it  is  of  no  use  to  in  volve  ourselvea 
in  his  conspiracy.'* 

"  Then  let  us  go.     I  cannot  remain  hère  any  longer.'* 

"  With  ail  my  heart  1  "  replied  Danglars,  but  too  pleased 
to  find  a  partner  in  his  retreat.  "  Let  us  take  ourselves 
out  of  the  way,  and  leave  the  rest  to  withdraw  as  they 
please." 

After  theip  departure,  Fernand,  who  had  now  again 
become  the  protector  of  the  young  girl,  took  Mercedes 
by  the  hand  and  conducted  her  to  the  Catalans;  wliile 
some  friends  of  Dantès  conveyed  the  heart-broken  parent 
to  his  home. 

The  rumor  of  Edmond's  arrest  as  a  Bonapartist  agent 
was  not  slow  in  circulating  throughout  the  city. 

"  Could  you  ever  hâve  credited  such  a  thing,  my  dear 
Danglars  1  "  asked  M.  Morrel,  as,  on  his  retum  to  the  port 
for  the  purpose  of  gleaning  fresh  tidings  of  Dantès,  he 
overtook  his  supercargo  and  Caderousse.  "Could  you 
bave  believed  such  a  thing  possible  1" 

"  Why,  you  know  I  told  you,"  replied  Danglars,  **  that 
I  considered  the  circumstance  of  his  having  anchored  at 
the  Tsle  of  Elba  to  be  very  suspicions." 

"  And  did  you  mention  thèse  suspicions  to  any  person 
besîdes  myself  î  " 

**  Certainly  not  I  **  returned  Danglars,  then  added  în  a 
low  whîsper,  "  You  understand  that  on  account  of  yout 
uncle,  M.  Policar  Morrel,  who  served  under  the  othei 


THE  MARKIAGE-FEAST.  61 

goverumeiity  and  who  does  not  altogetber  conceal  what  he 
thinks  on  the  subject,  you  are  strongly  suspected  of  regret- 
tîng  the  abdication  of  Napoléon.  I  sbould  bave  feared 
to  injure  both  Edmond  and  yourself,  had  I  divulged 
my  own  appréhensions  to  a  soûl.  I  am  well  aware  that 
though  a  subordinate,  like  myself,  is  bound  to  acquaint 
the  sbip-owner  with  everything  that  occurs,  there  are 
many  things  he  ought  most  carefully  to  conceal  from  ail 
others." 

"  *  T  is  well,  Danglars  ;  *  t  is  well  !  "  replied  M.  Morrel. 
**  You  are  a  worthy  fellow  ;  and  I  had  already  thought  of 
your  interests  in  the  event  of  poor  Edmond  having  become 
captain  of  the  *  Pharaon.'  " 

"  In  what  way,  Monsieur  î  " 

"  Yes,  I  had  previously  inquired  of  Dantès  what  was 
his  opinion  of  you,  and  if  he  sbould  bave  any  reluctance 
to  continue  you  in  your  post,  —  for  I  bave  perceived  a 
sort  of  coolness  between  you.' 

"And  what  was  his  reply  î 

"  That  he  certainly  did  think  he  had  ground  of  com- 
plaint  against  you  in  an  afifair  which  he  did  not  explaiu, 
but  that  whoever  possessed  the  confidence  of  the  sbip's 
owners  would  bave  his  also." 

"  The  hypocrite  1  "  murmured  Danglars,  between  his 
teeth. 

"  Poor  Dantès  !  "  said  Caderousse.  **  No  one  can  deny 
his  being  a  noble-bearted  young  fellow  !  " 

"But  in  the  midst  of  ail  our  trouble,"  continued  M. 
Morrel,  "  we  must  not  forget  that  the  '  Pharaon  '  bas  at 
présent  no  captain." 

"  Oh  !  "  replied  Danglars,  "  since  we  cannot  leave 
this  port  for  the  next  three  months,  let  us  hope  that 
ère  the  expiration  of  that  period  Dantès  will  be  set  at 
liberty." 


9» 
99 


62  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

''  Of  that  I  entertain  no  doubt  :  but  in  the  mean  time 
what  are  we  to  do  î  " 

"  Well,  until  then  I  am  hère,  M.  Morrel,"  answered 
Danglars.  **  You  know  that  I  am  as  capable  of  manag- 
ing a  ship  as  the  most  ezperienced  captain  in  the  service  ; 
and  it  will  be  advantageous  to  you  to  accept  my  services, 
since  upon  £dmond*s  release  from  prison  no  further  change 
will  be  requisite  on  board  the  '  Pharaon  '  than  for  Dautès 
and  myself  each  to  résume  our  respective  posts." 

''Thanks,  thanks  !  my  good  friend,  for  y  our  excellent 
idea,  —  that  will  smooth  ail  difficulties.  I  authorize  you 
at  once  to  assume  the  command  of  the  'Pharaon'  and 
to  superintend  the  unloading  of  her  freight.  Business 
must  nol  be  allowed  to  suffer,  whatever  may  happen 
to  individuals." 

"  Dépend  upon  my  zeal  and  attention,  M.  Morrel  ;  but 
when  do  you  think  it  likely  we  may  be  permitted  to  visit 
our  poor  friend  in  bis  prison  1  " 

''  I  will  let  you  know  that  as  soon  as  I  bave  seen  M.  de 
Yillefort,  whom  I  shall  endeavor  to  iuterest  in  Edmond's 
favor.  I  am  aware  he  is  a  furious  Hoyalist  ;  but,  in  spite 
of  that  and  of  bis  being  the  procureur  du  roi,  he  is  a  man 
like  ourselves,  and  I  fancy  not  a  bad  one  1  " 

"  Perhaps  not,"  replied  Danglars  ;  "  but  I  bave  heard 
that  he  is  extremely  ambitions,  and  ambition  is  a  sore 
hardener  of  the  heart  !  " 

"  Well,  well  !  "  returned  M.  Morrel,  "  we  shall  see  ! 
But  now  hasten  on  board;  I  will  join  you  there,"  So 
saying,  the  worthy  ship-owner  quitted  the  two  friends,  and 
proceeded  in  the  direction  of  the  Palais  de  Justice. 

"  You  see,"  said  Danglars,  addressing  Caderousse,  "  the 
tum  things  bave  taken.  Do  you  still  feel  any  désire  to 
stand  up  in  bis  defence  %  '* 

^'Not  the  slightest;  but  yet  it  seems  to  me  a  shock- 


THE  MARRIAGE-FEAST.  63 

fng  thing  tliat  a  mère  joke  should  lead  to  such  irightful 
conséquences." 

"  But  who  perpetrated  that  joke,  let  me  ask  î  Neîther 
you  nor  myself,  but  Feruand.  You  know  very  well  that 
I  threw  the  paper  into  a  corner  of  the  loom,  — '  indeed, 
I  thought  I  had  destroyed  it." 

"  Oh,  no  !  "  replied  Caderousse,  "  that  I  can  answer  for, 
you  did  not  I  only  wish  I  could  see  it  now  as  plainly  as 
I  saw  it  lying  ail  crushed  and  crumpled  in  a  corner  of  the 
arbor." 

"  Well,  then,  if  you  did,  dépend  upon  it,  Femand  picked 
it  up,  and  either  copied  it  or  caused  it  to  be  copîed  -,  per- 
haps,  even,  he  did  not  take  the  trouble  of  recopying  it 
And  now  I  think  of  it,  by  Heaven  !  he  bas  perhaps  sent 
the  letter  itself  I  Fortunately  for  me,  the  handwriting 
was  disguised." 

''Yon  knew,  then,  that  Dantës  was  engaged  in  a 
conspiracy  î  " 

"  Not  I.  As  I  before  said,  I  thought  the  whole  thing 
was  a  joke,  nothing  more.  It  seems,  however,  that,  like 
Harlequin,  I  hâve  spokeu  the  truth  in  jest." 

"  Still,"  argued  Caderousse,  **  I  would  give  a  great  deal 
if  nothing  of  the  kind  had  nappened,  or  at  least  if  I  had 
had  no  hand  in  it.  You  will  see,  Danglars,  that  it  will 
turn  out  an  unlucky  job  for  both  of  us." 

'*  Nonsense  I  If  any  harm  cornes  of  it,  it  should  fall 
on  the  guilty  person  ;  and  that,  you  know,  is  Fernand. 
How  can  we  be  implicated  in  any  way  1  AU  we  hâve  got 
to  do  is  to  keep  our  own  counsel,  and  remain  perfectly 
quiet,  not  breathing  a  word  of  ail  thîs  ;  and  you  will 
see  that  the  storm  will  pass  away  without  in  the  least 
affecting  us." 

"  Amen  î  "  responded  Caderousse,  waving  bis  hand  in 
token  of  adien  to  Danglars,  and  bending  bis  steps  towards 


64  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

the  Allées  de  Meillan,  movîng  his  head  to  and  fro^  and 
muttering  as  he  went,  after  the  manner  of  those  who  are 
absorbed  in  thought. 

"  So  far,  then/'  said  Danglars  to  himself,  ''  ail  has  gone 
as  I  woùld  hâve  it.  I  am  teniporarily  commander  of  the 
'  Pharaon/  with  the  certainty  of  being  permaneiitly  so,  if 
that  fool  of  a  Caderousse  can  be  persuaded  to  hold  his 
tongae.  My  only  fear  is  that  Dan  tes  may  be  released. 
But,  bah  !  he  is  in  the  hands  of  Justice  ;  and,"  added  he, 
with  a  smile,  "  she  will  take  her  own/'  So  saying,  he 
leaped  into  a  boat,  desiring  to  be  rowed  on  boaid  the 
^'Pharaon,"  where  M.  Morrel  had  appointed  to  meet  him. 


TH£  DEPUTY  PBOCUREUB  DU  BOL       Od 


CHAPTEfi  VL 

THB  DEPUTT  PR0CUREX7B  DU  ROI. 

In  one  of  the  large,  aristocratie  mansions  situated  in  tne 
Rue  du  Grand  Cours  opposite  the  fountain  of  Médusa,  a 
second  marriage-feast  was  celebrated,  almost  at  the  same 
hour  with  the  ill-fated  nuptial  repast  given  by  Dantès. 
But  instead  of  sailors,  soldiers,  and  those  belongiug  to  the 
humblest  grade  of  life,  the  présent  réunion  was  composed 
of  the  very  flower  and  élite  of  Marseilles  society,  —  magis- 
trates  who  had  resigned  their  office  during  the  usurper's 
leign  ;  officers  who,  scorning  to  fight  under  bis  banners, 
had  offered  their  services  to  foreign  powers  ;  and  younger 
persons  who  had  been  brought  up  to  execrate  the  man 
whom  five  years  of  exile  would  bave  converted  into  a 
martyr,  and  fifteen  of  restoration  elevated  to  the  rauk  of 
a  demigod. 

The  guests  were  still  at  table,  and  the  heated  and  ener- 
getic  conversation  that  prevailed  betrayed  the  violent  and 
vindictive  passions  that  then  agitated  the  înhabitants  of 
the  South,  where  for  five  hundred  years  religions  strife  had 
given  increased  bitterness  to  the  violence  of  party  feeling. 

The  emperor,  now  king  of  the  Isle  of  Elba,  —  after  hav- 
îng  held  sovereign  sway  over  one  half  of  the  world,  reign- 
ing  over  five  or  six  thousand  soûls,  after  having  been  ac- 
customed  to  hear  the  "  Vive  Napoléons  I  "  of  one  hundred 
and  twenty  million  subjects,  and  in  ten  différent  lan- 
guages,  —  was  regarded  in  that  company  as  being  forevez 
lost  to  France  and  to  her  throne. 

VOL.   I.  —  6 


66  THE  COUNT  OF  MONTE  CRI&rrO. 

The  magistrates  freely  discussed  their  political  views  ; 
the  military  part  of  the  company  talked  of  Moscow  and 
Leipsic  ;  the  women,  of  the  divorce  of  the  Empress  José- 
phine«  That  Royalist  assemhly,  rejoicîng  and  triumphing 
over,  not  the  fall  of  a  man,  but  the  annihilation  of  a  prin- 
ciple,  believed  that  political  prosperity  was  opening  anew 
to  theniy  and  that  they  were  leaving  behind  a  painful  dream. 

An  old  man,  decorated  with  the  cross  of  Saint  Louis, 
rose  and  proposed  the  health  of  King  Louis  XYIIL  This 
aged  individual  was  the  Marquis  de  Saiut-Méran.  This 
toast,  recalling  at  once  the  patient  exile  of  Hartwell  and 
the  peaoe-loving  King  of  France,  excited  universal  enthu- 
giasm  ;  glasses  were  elevated  in  the  air  in  the  English  man- 
ner,  and  the  ladies,  snatching  bouquets  from  their  fair 
bosoms,  strewed  the  table  with  their  floral  treasures.  In 
a  Word,  an  almost  poetical  fervor  prevailed. 

^  Ah  I  "  said  the  Marquise  de  Saint-Méran,  a  woman 
with  a  stem,  forbidding  eye,  though  still  noble  and  ele- 
gant-looking,  despite  her  having  reached  her  flftieth  year, 
—  ''ah  !  theae  revolutionists,  who  bave  driven  us  from 
those  very  poissessions  they  afterwards  purchased  for  a 
mère  trifle  during  the  Reign  of  Terror,  would  be  com- 
pelled  to  own,  were  they  hère,  that  al]  true  dévotion  was 
on  our  sîde,  since  we  were  content  to  follow  the  fortunes 
of  a  falling  monarch^  while  they,  on  the  contrary,  made 
their  fortune  by  worshipping  the  rising  sun  ;  yes,  yes, 
they  could  not  help  admitting  that  the  king  for  whom  we 
sacrîficed  rank,  wealth,  and  station  was  tinily  our  ^  Louis 
the  well-beloved,*  while  their  wretched  usurper  has  been 
and  ever  will  be  to  them  their  evil  genius,  their  '  Kapo- 
leon  the  accursed/    A  m  I  not  right,  Yillefort)'' 

''I  beg  your  pardon.  Madame.  I  really  must  pray  you 
to  excuse  me,  but  —  in  truth  —  I  was  not  attending  to 
the  conversation.'* 


THE  DEPUT7  PROCUREUR  DU  ROL        67 

**  Maichioneas,  MarchioDess  !  "  interposed  the  same 
elderly  personage  who  had  proposed  the  toast,  **  let  the 
yoimg  people  alone  ;  let  me  tell  you,  on  one's  wedding  day 
theie  are  more  agieeable  subjects  of  conveisation  than 
diy  politics.*' 

**  Never  mind,  dearest  mother,"  said  a  young  and  love» 
^7  &^^  "^î^h  A  profusion  of  light  brown  hair,  and  eyes 
that  seemed  to  float  in  liquid  crystal,  *'  't  is  ail  my  fault 
for  seizing  upon  M,  de  Yillefort,  and  preventing  his  listen« 
ing  to  what  you  saiiL  But  there— rnow  take  bim  —  he 
is  your  own  for  as  long  as  you  like.  M.  de  Yillefort,  I  beg 
to  remind  you  that  my  mother  speaks  to  you.'* 

**  If  Madame  the  Marchioness  vill  deign  to  repeat  the 
words  I  but  imperfectly  caught,  I  shall  bîe  delighted  to 
answer,"  said  M.  de  Yillefort. 

**  Kever  mînd,  Renée/'  replîed  the  marchioness,  with 
such  a  look  of  tenderness  as  ail  were  astonished  to  see  upon 
her  harsh,  dry  features  ;  but,  however  ail  otber  feelinga 
may  be  withered  in  a  woman's  nature,  there  is  always  one 
brîght  smilîng  spot  in  the  maternai  breast,  «—  it  is  that 
which  God  hac  consecrated  to  maternai  love,  — *'  I  forgive 
you.  What  I  was  saying,  Yillefort,  was,  that  the  Bonapart- 
ists  had  neither  our  sincerity,  enthusiasm,  nor  dévotion.'^ 

**  They  had,  however,  what  supplied  the  place  of  those 
iîne  qualities,'*  replied  the  young  man  ;  "  and  that  was 
fenaticism.  Napoléon  is  the  Mahomet  of  the  West,  and 
is  worçhipped  by  his  commonplace  but  ambitions  fol- 
lowers,  not  ouly  as  a  leader  and  lawgiver,  but  aiso  as  the 
personifîcation  of  equality.'* 

'*  He  I  *  cried  the  marchioness,  "  Napoléon  the  type  of 
equality  I  For  mercy's  sake,  then,  what  would  you  call 
Robespierre  1  Come,  come,  do  not  strîp  the  latter  of  his 
just  rights  to  bestow  them  on  the  Corsioan;  there  bas 
been  usurpation  enough,  it  seems  to  me.** 


68  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

^'Nay,  Madame  ;  I  would  place  eacb  of  thèse  beroes  on 
his  right  pedestal,  —  that  of  Robespierre  to  be  built  wbere  ( 

bis  scaifold  was  erected  ;  that  of  Napoléon  on  the  column 
of  the  Place  Vendôme.  The  only  différence  consists  in 
the  opposite  character  of  the  equality  supported  by  thèse 
two  men,  —  the  one.advocatôs  the  equality  that  depresses^ 
the  other  professes  the  equality  that  élevâtes;  the  one 
brings  a  king  within  reach  of  the  guillotine,  the  other 
élevâtes  the  people  to  a  level  with  the  throne.  Ob- 
serve," said  Villefortj  smiling,  "  I  do  not  mean  to  deny 
that  both  the  individuals  we  bave  been  referring  to  were 
revolutionary  scoundrels,  and  that  the  9th  Thermidor 
and  the  4th  of  April  were  lucky  days  for  France,  worthy 
of  being  gratefuUy  remembered  by  every  friend  to  mon- 
archy  and  civil  order  ;  but  that  explains  how  it  cornes  to 
pass  that,  fallen,  as  I  trust  he  is,  forever,  Napoléon  bas 
still  preserved  a  train  of  parasitical  satellites.  Still,  Mar- 
chioness,  it  bas  been  so  with  other  usurpers,  —  Cromwell, 
for  instance,  who  was  not  half  so  bad  as  Napoléon,  had 
his  partisans  and  advocates." 

"  Do  you  know,  Villefort,  that  you  are  talking  in  a  most 
dreadfuUy  revolutionary  straini  But  I  excuse  it;  it  is 
impossible  to  expect  the  son  of  a  Girondin  to  be  free  from 
a  small  spice  of  the  old  leaven." 

A  deep  crimson  suffused  the  countenance  of  Villefort. 
••  *T  is  true,  Madame,"  answered  he,  "  that  my  father  was 
a  Girondin,  but  he  was  not  among  the  number  of  those 
who  voted  for  the  king's  death  ;  he  was  an  equal  sufferer 
with  yourself  during  the  Reign  of  Terror,  and  had  well- 
nigh  lost  his  head  on  the  same  scaffold  as  your  own 
father." 

**True,"  replied  the  marchioness,  without  wincîng  in 
the  slightest  degree  at  the  tragical  remembrance  thus 
called  up;  ''but  bear  in  mind,  if  you  please,  that  oui 


i 


THE  DEPUTY  PROCUREUR  DU  ROL       69 

respective  pareuts  underwent  persécution  and  proscription 
from  diametrically  opposite  principles.  In  proof  of  which 
I  may  remark  that  while  my  family  remained  among  the 
stanchest  adhérents  of  the  exiled  princes,  your  father  lost 
no  time  in  joining  the  new  government  ;  and  that  after 
the  Citizen  Noirtier  had  become  a  Girondin,  the  Comte 
Koirtier  appeared  as  a  senator  and  statesmau." 

"Dear  mother,"  interposed  Renée,  "y ou  know  very 
well  it  was  agi*eed  that  ail  thèse  disagreeable  réminiscences 
should  forever  be  laid  aside." 

"  Madame,"  replied  Villefort,  "  I  unité  with  Mademoi- 
selle de  Saint-Méran  in  bumbly  requesting  you  to  forget 
the  past>  What  avails  retrospection  and  récrimination 
touching  circumstances  whoUy  beyond  recallî  For  my 
own  part,  I  hâve  laid  aside  even  the  name  of  my  father, 
and  altogether  disown  his  political  principles.  He  was 
-^nay,  probably  still  is  —  a  Bonapartist,  and  is  called 
Noirtier  ;  I,  on  the  contrary,  am  a  stanch  Royalist,  and 
style  myself  Villefort.  Let  what  may  remain  of  revolu- 
tionary  sap  exhaust  itself  and  die  away  with  the  old 
trunk,  and  condescend  only  to  regard  the  young  shoot 
which  has  started  up  at  a  distance  from  the  parent  tree, 
without  having  the  power,.any  more  than  the  wish,  to 
separate  entirely  from  the  stock  from  which  it  sprung." 

"  Bravo,  Villefort  !  "  cried  the  marquis  ;  "  excellently 
well  said!  Corne,  now,  I  hâve  hopes  of  obtaining  what 
I  hâve  been  for  years  endeavoring  to  persuade  the  mar- 
chioness  to  promise  ;  namely,  a  perfect  amnesty  and 
forgetfulness  of  the  past." 

"With  ail  my  heart,"  replied  the  marchionessj  "let 
the  past  be  forever  forgotten  !  I  ask  nothing  better,  and 
let  it  be  so  agreed;  but  at  least,  Villefort  must  be  in- 
flexible in  the  future.  Remember,  Villefort,  that  we  hâve 
pledged  ourselves  to  his  Majesty  for  your  fealty  and  strict 


70  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

loyalty;  and  that  at  our  recommendation  the  kîng  con« 
sented  to  forget  the  past  [and  hère  she  extended  tu  him 
her  hand]  as  I  uow  do  at  your  entreaty.  But  bear  in 
mind  that  should  there  fall  in  your  way  any  one  guilty  of 
conspiring  against  the  Governmeut,  you  will  be  the  more 
bound  to  visit  the  offence  with  rigorous  punishment, 
because  it  is  known  you  belong  to  a  suspected  family." 

"  Alas,  Madame  !  "  returued  Villefort,  "  my  profession, 
as  well  as  the  times  in  which  we  live,  compel  me  to  be 
severe.  I  shall  be  so.  I  hâve  already  successfully  con- 
ducted  several  public  prosecutions,  and  brought  the  of- 
fenders  to  merited  punbhment.  Unhappily,  we  hâve  n» 
yet  reached  the  end." 

"  Do  you,  indeed,  thînk  so  1  **  inquired  the  marchioness. 

**  I  am,  at  least,  fearful  of  it.  Napoléon^  in  the  island 
of  Ëlba,  is  too  near  France,  and  his  proximity  keeps  up 
the  hopes  of  his  partisans.  Marseilles  is  iilled  with  half- 
pay  offîcers,  who  are  daily,  under  one  frivolous  pretext  or 
other,  getting  up  quarrels  with  the  Boyalists  ;  hence  arise 
duels  in  the  higher  classes,  and  àssassinations  in  the 
lower.*' 

"  You  hâve  heard,  perhaps,*'  saîd  the  Comte  de  Salvieux, 
one  of  M.  de  Saint- Mèran's  oldest  friends,  and  Chamberlain 
to  the  Comte  d'Artois,  "  that  the  Holy  Alliance  purpose 
removing  him?** 

"  Yes  ;  they  were  talking  about  it  when  we  left  Paris," 
said  M.  de  Saint-Méran;  ''and  where  will  they  send 
him  î  '• 

«To  St.  Helena.'' 

"To  St.  Helena»  Wliere  is  that»"  inquired  the 
marchioness. 

"  An  island  situated  on  the  other  aide  of  the  equator, 
at  least  two  thousand  leagues  from  hère,"  replied  the 
count 


THE  DEPUTY  PROCUREUR  DU  ROL       71 

**  80  much  the  better  I  As  Villefort  observes^  it  is  a 
great  act  of  folly  to  hâve  lefb  such  a  man  betweeu  Corsica, 
where  he  was  born,  and  Naples,  of  which  his  brothei^în-law 
18  king,  and  opposite  Italy,  tbe  sovereignty  of  wbicb  he 
coveted  for  his  son.'* 

"  Unfortunately,"  said  Villefort,  "  we  hâve  the  treaties 
of  1814,  and  we  cannot  move  against  Napoléon  without 
breaking  those  treaties." 

"  Very  well,  they  will  be  broken,"  said  M.  de  Salvieux. 
''Shall  we  be  so  very  précise  in  obligations  concerning 
him  who  caused    the    unhappy  Duc  d'£nghien  to  be 
hot  î  " 

''Well/'  said  the  marchioness,  "it  seems  probable  that 
by  the  aid  of  the  Holy  Alliance  we  shall  be  rid  of  Napo- 
léon ;  and  we  must  trust  to  the  vigilance  of  M.  de  Ville- 
fort  to  purify  Marseilles  of  his  partisans.  The  king  is 
either  a  king  or  no  king;  if  he  be  acknowledged  a& 
sovereign  of  France,  he  should  be  upheld  in  peace  and 
trauquillity.  And  this  can  best  be  effected  by  employing 
the  most  inflexible  agents  to  put  down  every  attempt  at 
conspiracy^  —  't  is  the  best  and  surest  means  of  preventing 
mischief 

"  Unfortunately,  Madame,"  answered  Villefort,  "  the 
strong  arm  of  the  law  is  not  called  upon  to  interfère  until 
the  evil  bas  taken  place." 

**  Then  ail  hà  bas  to  do  is  to  endeavor  to  repair  it." 

''  Nay,  Madame,  the  law  is  frequently  powerless  to 
e£fect  this  ;  ail  it  can  do  is  to  avenge  the  wrong  done." 

**  Oh,  M.  de  Villefort  I  "  cried  a  beautiful  young  créature, 
daughter  to  Comte  de  Salvieux,  and  the  cherished  friend 
of  Mademoiselle  de  Saint-Méran,  **  do  try  and  get  up  some 
famous  trial  while  we  are  at  Marseilles.  I  never  was  in 
a  law  court  ;  I  am  told  it  is  so  very  amusing  !  " 

''  Amusing^  certainly,"  replied  the  young  man,  ''  iuas- 


72  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

much  as,  instead  of  shedding  tears  as  at  the  fictitious  taie 
of  woe  produced  at  a  théâtre,  you  behokL  in  a  law  court 
a  case  of  real  and  genuine  distiess,  —  a  drama  of  life.  Tbe 
prisouer  wliom  you  there  see,  pale,  agitated,  and  alarmed, 
instead  of — as  is  the  case  whon  the  curtain  falk  on  a 
tragedy  —  going  home  to  sup  peacefully  with  his  family, 
and  then  retiring  to  rest  that  he  inay  reassume  his  mimic 
woes  on  the  morrow,  is  removed  from  your  sight  merely 
to  be  reconducted  to  his  prison  and  delivered  up  to  the 
executioner.  I  leave  you  to  judge  how  far  your  nerves 
are  calculated  to  bear  you  through  such  a  scène.  Of  this, 
however,  be  assured,  that  should  any  favorable  opportunity 
présent  itself,  I  will  not  fail  to  offer  you  the  choice  of 
being  présent  at  it/' 

"  For  shame^  M.  de  Villefort  !  "  said  Eenée,  becoming 
quite  pale  ;  **  don't  you  see  how  you  are  frightening  us  î 
and  y  et  you  laugh." 

"  What  would  you  havel  It  is  a  duel.  I  bave  already 
recorded  sentence  of  death  five  or  six  times  for  political 
or  other  ofifences;  and  who  can  say  how  many  daggers 
may  be  ready  sharpened,  and  only  waiting  a  favorable 
opportunity  to  be  buried  in  my  heartl" 

"  Gracious  heavens  !  M.  de  Villefort,"  said  Eenée,  be- 
coming more  and  more  terrified  ;  '^  you  surely  are  not  in 
eamest  î  " 

"  Indeed  I  am,"  replied  the  young  magistrate,  with  a 
smile;  ''and  in  the  interesting  trial  which  that  young 
lady  desires  to  satisfy  her  curiosity,  and  which  I  niyself 
désire  to  satisfy  my  ambition,  the  case  would  only  be 
still  more  aggravated.  Suppose,  for  instance,  the  prisoner 
to  bave  served  under  Napoléon,  —  can  you  believe  for  an 
instant,  that  one  accustomed  at  the  word  of  his  com^ 
mander  to  nish  fearlessly  on  the  bayonets  of  his  foe  will 
acruple  to  drive  a  stiletto  into  the  heart  of  cne  he  knows 


THE  DBPUTY  PROCUREUR  DU  ROL  *      73 

fto  be  his  personal  enemy,  more  than  he  would  to  kill  a 
Rusdian,  an  Austrian,  or  a  Huugarian^  whom  he  had  nevei 
before  seeni  And  besides^  that  antagonism,  you  see^  is 
essential  to  the  situation  ;  without  it  our  business  would 
be  without  excuse.  For  my  own  part,  when  I  see  gleam- 
ing  in  the  eye  of  the  accused  the  clear  light  of  anger,  I 
feel  encouraged^  I  am  exhilarated.  It  is  no  longer  a  trial  ; 
it  is  a  combat.  I  struggle  against  him,  he  returns  the 
attack  ;  I  redouble  my  energy,  and  the  combat  ends,  like 
ail  combats^  in  victory  or  defeat.  That  is  what  pleading 
^s;  therein  lies  the  danger  of  éloquence.  If  an  accused 
person  should  smile  upon  my  words  I  should  think  that  I 
had  spoken  badly,  that  what  I  had  said  was  pale^  without 
force^  inadéquate.  Imagine,  then^  the  sensation  of  pride 
experionced  by  an  advocate  convinced  that  the  accused 
is  guilty,  when  he  sees  him  blanch  and  bend  under  the 
thunders  of  his  éloquence!  That  head  is  bowed,  i^ 
wiU  fall—  » 

Renëe  uttered  a  slight  cry. 

"  Bravo  !  "  cried  one  of  the  guests  ;  *'  that  is  what  I  caU 
talking  to  some  purpose." 

'' Just  the  person  we  require  at  a  time  like  the  présent»** 
said  a  second. 

"  What  a  splendid  business  that  last  cause  of  yours  was, 
my  dear  Villefort  !  "  remarked  a  third  ;  "  I  mean  the  trial 
of  the  man  for  murdering  his  father.  Upon  my  word, 
you  killed  liim  ère  the  executioner  had  laid  his  hand  upon 
him." 

''Oh!  as  for  parricides,  and  such  dreadful  people  as 
that,"  interposed  Renée,  "  it  matters  very  little  what  is 
done  to  them  ;  but  as  regards  poor  unfortunate  créatures 
whose  only  crime  consists  in  having  mixed  themselves  up 
in  political  intrigues  —  " 

*  Why,  that  is  the  very  worst  offence  they  could  posai 


74  '     THE  COUNT  OF  MONTE  CRI8TQ. 

bly  commit;  for  don't  yon  see,  Renée,  the  king  is  tbe 
fiather  of  his  people,  and  he  who  shall  plot  or  contrive 
aught  against  the  life  and  safety  of  the  parent  of  thirty- 
two  million  people  is  a  parricide  on  a  large  scale  )  " 

''I  don't  know  anything  about  that,"  replied  Benée, 
"  but,  M.  de  Villefort,  you  hâve  promised  me  —  bave  you 
notl  — always  to  show  mercy  to  those  I  plead  for." 

**  Make  yourself  quite  easy  on  that  point,"  answered 
Villefort,  with  one  of  his  sweetest  smiles;  "you  and  I 
will  always  consult  upon  our  verdicts." 

"My  love,"  said  the  marchioness,  "attend  to  your 
doves,  your  lap-dogs,  and  embroidery,  but  do  not  meddle 
with  what  you  do  not  understand.  Nowadays  the  mili- 
tary  profession  bas  rest,  and  the  robe  wins  applause; 
there  is  a  Latin  saying  about  that,  of  profound  depth." 

"  *  Cédant  arma  togasy  "  said  Villefort,  bowing. 

''I  did  not  Ventura  to  speak  Latin,"  replied  the 
marchioness. 

**  Well,"  said  Renëe^  "  I  cannot  help  regretting  you  had 
not  chosen  some  other  profession  than  your  own,  —  that 
of  a  physician,  for  instance.  The  destroying  angel,  angel 
though  he  be,  bas  always  seemed  terrible  to  me." 

"  Dear,  good  Renée  I  "  whispered  Villefort,  as  he  gazed 
with  unutterable  tendemess  on  the  lovely  speaker. 

"  Let  us  hope,  my  child,"  cried  the  marquis,  "  that  M. 
de  Villefort  may  prove  the  moral  and  political  physician 
of  this  province;  if  so,  he  will  bave  achieved  a  noble 
work." 

''And  one  which  will  go  far  to  efface  the  recollée^ 
tion  of  his  father's  conduct/'  added  the  incorrigible 
marchioness. 

"  Madame,"  replied  Villefort,  with  a  moumful  smile, 
*'  I  bave  already  had  the  honor  to  observe  that  my  father 
bas  -^  at  least  I  hope  so  —  abjured  his  past  errors,  and 


THB  DEPUTT  PROCUREUR  DU  ROL       7d 

that  le  18  at  the  présent  moment  a  firm  and  sealons 
friend  to  religion  and  order,  —  a  better  Royalist,  possiblj, 
than  bis  son;  for  be  bas  to  atone  for  past  dereliction, 
while  I  bave  no  other  impulse  tban  warm,  dedded  préf- 
érence and  conviction.''  Having  made  tbis  well-tumed 
speecb,  Yillefort  looked  carefully  round  to  mark  tbe  effect 
of  hÎB  oratory,  mucb  as  be  would  bave  done  bad  be  been 
addressing  tbe  bencb  in  open  court. 

*^  Do  you  know,  my  dear  Yillefort,"  cried  tbe  Comte  de 
Salvieux,  **  tbat  is  as  nearly  as  possible  wbat  I  myself  said 
the  other  day  at  tbe  Tuileries,  wben  questioned  by  hia 
Majesty's  principal  Chamberlain  touching  the  singularity 
of  an  alliance  between  the  son  of  a  Girondin  and  the 
daughter  of  an  officer  in  the  army  of  Condé  ;  and  I  assure 
you  be  seemed  fully  to  comprehend  that  tbis  mode  of 
reconcilîng  political  différences  was  based  upon  sound  and 
excellent  principles.  Then  the  king,  who,  withont  our 
suspecting  it  bad  overheard  our  conversation,  interrupted 
us  by  sayiug  '  Villefort  '  —  observe  that  the  king  did  not 
pronounce  the  word  *  Noirtier,'  but  on  the  contrary  placed 
considérable  emphasîs  on  that  of  *  Villefort  '  —  *  Villefort,* 
said  bis  Majesty,  '  is  a  young  man  of  great  judgment  and 
discrétion,  who  will  be  sure  to  make  a  figure  in  bis  pro- 
fession ;  I  like  him  much,  and  it  gavQ  me  great  pleasure 
to  bear  that  he  was  about  to  become  the  son-in-law  of  M. 
le  Marquis  and  Madame  la  Marquise  de  Saint-Mëran.  I 
should  myself  bave  recommended  the  match,  bad  not  the 
noble  marquis  anticipated  my  wisbes  by  lequesting  my 
cousent  to  it.*  ** 

''  Did  tbe  king  say  that,  Count  t  "  asked  the  enraptured 
Villefort. 

"  I  gîve  you  bis  very  words  ;  and  if  the  marquis  chooses 
to  be  candid,  he  will  confess  that  they  perfectly  agrée 
with  what  bis  Majesty  said   to  him,  when  he  went  six 


76  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

montbs  ago  to  consiilt  him  upon  the  subject  of  youl 
espousing  his  daughter." 

"Certainly,"  answered  the  marquis;  "you  state  but 
the  truth." 

"  How  much  do  I  owe  thîs  gracious  prince  I  What  îs 
thore  I  would  not  do  to  évince  my  earaest  gratitude  !  " 

**  That  is  right,"  cried  the  marchioness.  "  I  love  to  see 
you  thus.  Now,  then,  were  a  conspirator  to  fell  into  your 
hands,  he  would  be  most  welcome." 

"For  my  part,  dear  mother,"  interposed  Renée,  "I 
pray  God  he  will  not  hear  you,  and  that  he  will  only 
permit  petty  offenders,  poor  debtors,  and  misérable  cheats, 
to  fall  into  M.  de  Yillefort's  hands;  then  I  shall  be 
contented.^' 

"  Just  the  same,^'  said  Villefort,  laughing,  **  as  though 
you  prayed  that  a  physician  might  only  be  called  upon 
to  prescribe  for  headaches,  measles,  and  the  stings  of 
wasps,  or  any  other  slight  affection  of  the  epidermis. 
If  you  wish  to  see  me  the  procureur  du  roi,  you  must  de- 
sire  for  me  some  of  those  violent  and  dangerous  diseases 
from  the  cure  of  which  se  much  honor  redounds  to  the 
physician." 

At  this  moment,  and  as  though  the  utterance  of  Ville- 
fort 's  wish  had  sufficéd  to  elfect  its  accompliehment,  a 
servant  entered  the  room  and  whispered  a  few  words  in 
his  ear.  Villefort  immediately  rose  from  the  table  and 
quitted  the  room  upon  the  plea  of  urgent  business  :  he  soon 
however  returned,  his  whole  face  beaming  with  delight. 
Renée  regarded  him  with  fond  affection  ;  and  certaiuly 
his  handsome  features,  lit  up  as  they  then  were  with 
more  than  usual  fire  and  animation,  seemed  formed  to  ex- 
cite the  innocent  admiration  with  which  she  gazed  on  bel 
graceful  and  intelligent  lover. 

*^  You  were  wishing  just  now/'  said  Villefort^  address* 


THE  DEPUTY  PROCUREUR  DU  ROI.  71 

ing  her,  *'  that  I  were  a  doctor  înstead  of  a  lawyer.  Well, 
1  at  least  resemble  the  disciples  of  iËsculapius  in  one 
thing,  —  that  of  uot  being  able  to  call  a  day  my  own,  not 
even  that  of  my  betrothaL" 

"And  wherefore  were  you  called  away  just  nowî" 
asked  Mademoiselle  de  Saint-Méran,  with  an  air  of  slight 
uneasiness. 

"  Alas  !  for  a  patient  who  must  be,  if  what  is  told  me 
is  true^  in  the  last  extremity.  It  is  a  serions  case,  and  the 
malady  touches  the  scaffold." 

**  How  dreadful  !  "  exclaimed  Renée,  her  cheeks,  that 
were  before  glowing  with  émotion,  becoming  pale  as 
marble. 

"Is  it  possible V  burst  simultaneously  firom  ail  who 
were  near  enough  to  the  magistrate  to  hear  his  words. 

"  Why,  if  my  information  prove  correct,  a  sort  of  Bona- 
partist  conspiracy  bas  just  been  discovered.** 

"  Can  I  believe  my  ears  ]  "  cried  the  marchioness. 

"  I  will  read  you  the  letter  containing  the  accusation, 
at  least,"  said  Villefort  :  — 

^The  procureur  du  roi  is  infonned  by  a  friend  of  the 
throne  and  of  religion,  that  one  Edmond  Dantès,  mate  of  the 
ship  *  Pharaon,'  who  arrived  this  moming  from  Smyma,  after 
having  touched  at  Napies  and  Porto  Ferrajo,  has  been  in- 
truBted  by  Murât  with  a  letter  for  the  usurper,  and  by  the 
usurper  with  a  letter  for  the  Bonapartist  committee  in  Paris. 

"  Proof  of  this  crime  will  be  found  on  arresting  him,  for 
the  letter  will  be  found  upon  him,  or  at  his  father's,  or  in  hia 
cabin  on  board  the  '  Pharaon.'  " 

**  But,"  said  Kenée,  "  this  letter,  which  after  ail  is  but 
an  anonymous  scrawl,  is  not  even  addressed  to  you,  but 
to  the  procureur  du  roV* 

"  True  ;  but  that  gentleman  being  absent,  his  secretary, 
by  his  orders,  opened  his  letters.     Thinking  this  on»  of 


78  THE  COUNT  OF  MONTB  CRISTO. 

importance,  he  sent  for  me^  but  not  finding  me,  took  i( 
upon  himself  to  give  the  necessary  orders  for  arresting  the 
accused  party." 

"Then  the  guilty  person  is  absolutely  in  custodyl" 
said  the  marchioness. 

**  That  Ib  to  say,  the  accused/'  said  Eenëe. 

"  He  is  in  safe  custody,"  answered  Villefort;  "and  as 
I  had  the  honor  of  saying  just  now  to  Mademoiselle 
Kenée,  if  the  letter  in  question  can  be  found,  the  patient 
is  a  very  sick  man  indeed." 

"  And  where  is  the  unfortunate  being  1  "  asked  Renée. 

"  He  is  at  my  house/' 

"  Come^  corne,  my  friend,"  intenupted  the  marchioness, 
"do  not  neglect  your  duty  to  linger  with  us.  You  are 
the  king's  servant,  and  must  go  whithersoever  that  service 
calls  you." 

"Oh,  M.  de  Villefort!"  cried  Renée,  clasping  her 
hands,  "  be  merciful  on  this  the  day  of  our  betrothal.'' 

The  young  man  passed  round  to  the  aide  of  the  table 
where  the  fair  pleader  sat,  and  leaning  over  ber  chair 
said  tenderly, — 

"  To  give  you  pleasure,  my  sweet  Renée,  I  promise  to 
show  ail  the  lenity  in  my  power;  but  if  the  charges 
brought  against  this  Bonapartist  hero  prove  correct,  why, 
then,  you  really  must  give  me  leave  to  order  bis  head  to 
be  eut  oflf.'* 

Renée,  with  an  almost  convulsive  shudder,  turned  away 
her  head,  as  though  the  very  mention  of  killing  a  fellow- 
creature  in  cold  blood  was  more  than  her  tender  nature 
could  endure. 

"  Never  raind  that  foolish  girl,  Villefort,"  said  the  mar^ 
chioness  ;  "  she  will  soon  get  over  thèse  things.''  So  say- 
ing, Madame  de  Saint-Méran  extended  her  dry  bony  hand 
to  Villefort,  which  he  kissed,  while  looking  at  Renée  and 


THE  DEPUTY  PROCUREUR  DU  ROL       79 

eaying  with  bis  eyes,  "  It  is  jour  hand  tbat  I  kiss,  or  at 
least  that  I  wish  I  were  kîssing,  at  this  moment." 

**  Thèse  are  mournf al  auspices  to  accompany  a  be- 
trotbal  !  "  sigbed  poor  Kenée. 

"  Upon  my  woi-d,  cbild  !  "  exclaimed  tbe  angry  mar- 
cbioDesSy  *^  your  folly  exceeds  ail  bounds.  I  sbould  be 
glad  to  know  wbat  connection  there  can  possibly  be  be- 
tween  youi  sickly  sentimentality  and  the  affairs  of  the 
State  !  " 

"  Oh,  Mother  !  '*  murmuied  Renée. 

"  Nay,  Madame,  I  pray  you  pardon  this  little  traiter,** 
said  Villefort  ;  **  I  promise  you  that  to  make  up  for  her 
want  of  loyalty  I  will  be  most  inflexibly  severe."  But 
while  the  magistrate  addressed  thèse  words  to  the  mar- 
chioness,  the  lover  threw  an  expressive  glance  at  bis  be- 
trothed,  which  said,  ''Be  tranquil,  Benëe;  for  the  sake 
of  your  love  I  will  be  merciful."  Renée  answered  that 
look  vith  her  sweetest  smile,  and  Villefort  went  out  with 
païadise  in  lus  heart. 


80  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 


CHAPTER    VIL 

THE  EZAMINATION. 

No  sooner  Lad  Yillefort  lefb  tbe  salon  than  be  assumed 
tbe  grave  air  of  a  man  wbo  bolds  tbe  balance  of  life  and 
deatb  in  bis  bauds.  Now,  in  spite  of  tbe  raobility  of  bis 
features,  —  a  mobility  wbicb  tbe  deputy  bad  cultivated 
ofben  before  tbe  mirror,  as  a  professional  speaker  sbould,  — 
at  tbis  moment  it  required  an  effort  for  bim  to  wrinkle 
bis  brows  and  assume  a  dignified  sobriety.  Except  for  tbe 
recollection  of  tbe  line  of  politics  bis  fatber  bad  adopted, 
and  wbicb  migbt  interfère^  unless  be  acted  witb  tbe  great- 
est  prudence,  witb  bis  owu  career,  Yillefort  was  as  bappy 
as  a  man  could  be.  Already  rîcb,  be  beld  a  bigb  offi- 
ciai situation,  tbougb  only  twenty-seven.  He  was  about 
to  marry  a  young  and  cbarming  woman,  wbom  be  loved 
not  passionately  but  reasonably,  as  a  deputy  procureur 
du  roi  is  able  to  love.  Besides  ber  beauty,  wbicb  was 
remarkable,  Mademoiselle  de  Saint-Méran,  bis  betrotbed, 
belonged  to  one  of  tbe  families  in  bigbest  standing  in 
tbe  court  of  tbat  period  ;  and  in  addition  to  tbe  political 
influence  of  ber  fatber  and  ber  motber,  wbo  baving  no 
otber  cbild  could  dévote  it  entirely  to  tbeir  son-inrlaw, 
sbe  brougbt  to  ber  busband  a  dowry  of  fîfty  tbousand 
crowns,  wbicb  migbt  some  day  be  increased  to  an  inberi- 
tance  of  balf  a  million.  Ail  tbese  éléments  combined 
constituted  for  Yillefort  a  ravisbing  sum  of  bappiness; 
80  tbat  when  witb  an  inward  view  be  contemplated 
steadily  bis  interior  life,  it  was  as  if  be  looked  at  spots  on 
tbe  sun. 


THE  BXAMINATION.  81 

Ât  the  door  Villefort  met  the  commissaiy  of  police, 
who  wafi  waiting  for  him.  The  sight  of  this  officer  re- 
called  him  from  the  third  heaven  to  eaith  ;  be  composed 
his  £Eu;e  as  we  hâve  before  described,  and  said,  ''  I  hâve 
read  the  letter,  Monsieur,  and  you  hâve  acted  rightly  ii> 
arrestiug  this  man  ;  now  inform  me  what  you  hâve  dis- 
covered  concerning  him  and  the  conspiracy." 

**  We  know  nothing  as  yet  of  the  conspiracy,  Monsieur  ; 
ail  the  papers  found  hâve  been  sealed  up  and  placed  on 
your  bureau.  The  prisoner  himself  is  named  Edmond 
Dantès,  mate  on  board  the  three-master  the  'Pharaon/ 
trading  in  cotton  with  Alexandria  and  Smyrna,  and  be- 
longing  to  Morrel  and  Son  of  Marseilles/' 

*'  Before  he  entered  the  navy,  had  he  ever  aerved  in  the 
marines  ]  " 

"  Oh,  no.  Monsieur  ;  he  is  very  young.* 

"  How  old  î  " 

"  Nîneteen  or  twenty  at  the  most*' 

At  this  moment,  as  Villefort  arrived  at  the  corner  of  the 
Rue  des  Conseils,  a  niau  who  seemed  to  bave  been  waiting 
for  him  approached  ;  it  was  M.  Morrel. 

"  Ah,  M.  de  VUlefort,"  cried  he,  "  I  am  delighted  to 
see  you  !  Some  of  your  people  bave  committed  the  strangèst 
mistake,  —  they  bave  just  arrested  Edmond  Dantès,  the 
mate  of  my  ship." 

"  I  know  it.  Monsieur,"  replied  Villefort,  "  and  I  am  now 
going  to  examine  him." 

**  Oh,"  said  Morrel,  carried  away  by  his  frîendship  for 
the  young  man,  **  you  do  not  know  him,  and  I  do.  He  is 
the  most  estimable,  the  most  trustworthy  créature  in  the 
world,  and  I  will  venture  to  say  there  is  not  a  better  sea- 
man  in  ail  the  merchant-service.  Oh,  M.  de  Villefort,  I 
beseech  your  indulgence  for  him  !  *' 

Villefort,  as  we  bave  seen,  belonged  to  the  aristocratie 

VOL.  I.  —  6 


82  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTa 

party  ai  Maiseilles,  Morrel  to  the  plebeian  ;  the  first  was 
a  Royalist,  tbe  other  suspected  of  Bonapartism.  Villefort 
looked  disdainfully  ai  Morrel,  aud  replied  coolly,  — 

"  You  are  aware,  Monsieur,  that  a  man  may  be  estima- 
ble and  trustworthy  in  private  life,  and  the  best  seaman 
in  the  merchant-service,  and  yet  be,  politically  speakîng,  a 
great  criminal.     Is  it  not  true  ?  " 

The  magistrate  laid  emphaâis  on  thèse  words,  as  if  he 
wished  to  apply  them  to  the  owner  himself,  while  his 
eyes  seemed  to  plunge  into  the  heart  of  him  who  intei^ 
ceded  for  another  when  be  ought  to  know  that  he  himself 
had  need  of  indulgence.  Morrel  reddened,  for  his  own 
conscience  was  not  quite  clear  in  political  matters  ;  besides, 
what  Dantès  had  told  him  of  his  interview  with  the 
grand-marshal,  and  what  the  emperor  had  said  to  him, 
embarrassed  him.  He  replied,  however,  in  tones  of  deep 
interest,  — 

"I  entreat  you,  M.  de  Villefort,  be,  as  you  always 
are,  kiud  and  équitable,  and  give  him  back  to  us  soon." 

This  "give  us  "sounded  revolutionary  in  the  sub-prefect's 
ears.  '^  Ah,  ah  !  "  murmured  he,  ''  is  Dantès  then  a  member 
of  some  Carbonari  society,  that  his  protector  thus  employs 
the  collective  form  1  He  was,  if  I  recoUect,  arrested  in  a 
cabaret,  in  company  with  a  great  many  others."  Then 
he  added,  ''  Monsieur,  you  may  rest  assured  I  shall  per- 
form  my  duty  impartially,  and  that  if  he  be  innocent  you 
shall  not  bave  appealed  to  me  in  vain  ;  sbould  he,  how- 
ever, be  guilty,  in  this  présent  epoch  impunity  would 
furnish  a  dangerous  example,  and  I  must  do  my  duty/' 

As  he  had  now  arrived  at  the  door  of  his  own  bouse, 
which  ac^oined  the  Palais  de  Justice,  he  entered  after 
having  saluted  the  ship-owner  with  icy  politeness,  who 
stood  as  if  petrified  on  the  spot  where  Villefort  had  left 
him.    The  aute-chamber  was  full  of  agents  of  police  and 


THE  EXAMINATION.  83 

gendarmes,  in  the  midst  of  whom,  caiefully  watched  but 
calm  and  smiling,  stood  the  prisoner.  ViUefort  traversed 
the  ante-chamber,  cast  a  aide  glance  at  Dantès,  aAd  taking  a 
packet  which  a  gendarme  offered  him,  disappeared,  saying, 
"  Bring  in  the  prisoner." 

Hapid  as  had  been  Villefort's  glance,  it  had  served  to 
give  bim  an  idea  of  the  man  be  was  about  to  interrogate. 
He  had  recognized  intelligence  in  the  high  forehead,  cour- 
age in  the  dark  eyo  and  bent  brow,  and  frankness  in  the 
thick,  balf-open  lips  that  showed  a  set  of  pearly  teeth. 
Yillefort^s  first  impression  waa;  favorable;  but  he  had 
been  so  ofben  wamed  to  mistrust  first  impulses  that  he 
applied  the  maxim  to  the  impression,  forgetting  the  dif- 
férence between  the  two  words.  He  stifled,  therefore, 
the  feelings  of  compassion  that  were  rising,  composed  bis 
featuresy  and  sat  down  at  his  bureau.  An  instant  afber 
Dantès  entered.  He  was  pale,  but  calra  and  smiling,  and 
salutiug  his  judge  with  easy  politeness,  looked  round  for  a 
seat,  as  if  he  had  been  in  the  salon  of  M.  Morrel.  It  wai 
tlien  that  he  encountered  for  the  first  time  Villefort's  look, 
—  that  look  peculiar  to  justice,  which  while  it  seems  to 
lead  the  culprit's  thoughts  betrays  nouglit  of  its  own. 

"  Who  and  what  are  you  1  "  demanded  Villefort,  turnîng 
over  a  pile  of  papers,  containing  information  relative  to 
the  prisoner,  that  an  agent  of  police  had  given  to  him  on 
bis  entry. 

*^  My  name  is  Edmond  Dantës,"  replied  the  young  man, 
calmly  ;  '^  I  am  mate  of  the  *  Pharaon,'  belonging  to 
MM.  Morrel  and  Son." 

"  Your  agel  *'  continued  Villefort. 

"  Nîneteeu,"  returned  Dantès. 

''What  were  you  doing  at  the  moment  you  were 
arrested  ?  ** 

"  I  was  at  the  festival  of  my  marriage.  Monsieur,"  sait] 


84  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

the  young  man,  his  voice  slightly  tremulous,  so  great  waa 
the  coiitrast  between  that  bappy  momQut  and  the  painful 
ceremony  he  was  now  undergoing  ;  so  great  was  the  con- 
trast  between  the  sombre  aspect  of  M.  de  Yillefort  and  the 
radiant  face  of  Mercedes. 

**  You  were  at  the  festival  of  your  niarriage  1  ''  said  the 
deputy,  shuddering  in  spite  of  himself. 

**  Yes,  Monsieur,  I  am  on  the  point  of  niarrying  a  young 
girl  I  bave  been  attached  to  for  three  years."  Villefort, 
impassive  as  he  was,  was  struck  with  this  coïncidence  ; 
and  the  tremulous  voice  of  Dantès,  surprised  in  the  midst 
of  his  happinesSy  struck  a  sympathetic  chord  in  his  own 
bosom.  He  also  was  on  the  point  of  being  married,  and 
he  was  summoned  from  his  own  happiness  to  destroy  that 
of  another.  "This  philosophie  reflection,"-  thought  he, 
^  wiU  make  a  great  sensation  at  M.  de  Saint-Méran's  ;  ''  and 
he  arranged  mentally,  while  Dantès  awaited  further  que9> 
tions,  the  antithesis  by  which  orators  often  create  a  repu- 
tatioii  for  éloquence.  When  this  speech  was  arranged, 
Villefort  smiled  at  its  probable  effectiveness,  and  retumed 
to  Dantès. 

"  Continue,  sir,"  said  he. 

"  What  would  you  hâve  me  continue  ?  ** 

"  To  give  ail  the  information  in  your  power.'* 

''  Tell  me  on  which  point  you  désire  information,  and  > 
will  tell  ail  I  know  ;  onl}^"  added  he,  with  a  smile,  ''  I 
warn  you  I  know  very  little." 

"  Hâve  you  served  under  the  usurper  ?  " 

"  I  was  about  to  be  incorporated  in  the  royal  marines 
when  he  fell.** 

"  It  is  reported  your  political  opinions  are  extrême," 
said  Villefort,  who  had  never  heard  anything  of  the  kind, 
but  was  not  sorry  to  make  this  inquiry  as  if  it  were  an 
accusation. 


THE  EXAMINATION.  85 

**  My  political  opinions  !  mine  t  "  replied  Dantës.  "  Alas, 
BÎr,  I  never  had  âny  opinions.  I  am  hardly  nineteen  ;  I 
know  nothiug  ;  I  hâve  no  part  to  play.  If  I  obtain  the  sit- 
uation I  désire,  I  shall  owe  it  to  M.  Morrel.  Thus  ail  my 
opinions  —  I  will  not  say  political,  but  private  —  are  con- 
fined  to  thèse  three  sentiments  :  I  love  my  father,  I  respect 
M.  Morrel,  and  I  adore  Mercedes.  This,  sir,  is  ail  I  can 
tell  you  ;  and  you  see  how  uninteresting  it  is." 

As  Dantès  spoke,  Yillefort  gazed  at  his  ingenuous  and 
open  conntenance,  and  recoUected  the  words  of  Renée, 
who  without  knowing  who  the  culprit  was,  had  besouglit 
his  indulgence  for  him.  With  the  deputy's  knowledge  of 
crime  and  criminals^  every  word  the  young  man  uttered 
convinced  him  more  and  more  of  his  innocence.  This 
lad,  —  for  he  was  scarcely  a  man,  —  simple,  natural,  élo- 
quent with  that  éloquence  of  the  heart  never  found  when 
sought  for,  fuU  of  affection  for  everybody  because  he  was 
happy,  and  because  happiness  renders  even  the  wicked 
good,  extended  his  affection  even  to  his  judge,  spite  of 
Yillefort's  severe  look  and  stem  accent. 

"Fardieu/"  said  Villefort,  '*  he  is  a  noble  fellow  I  I 
hope  I  shall  gain  Eenée*s  favor  eâsily  by  obeying  the  first 
command  she  ever  imposed  on  me.  It  will  win  me  a 
pressure  of  the  hand  in  public,  and  a  sweet  kiss  in  pri- 
vate," FuU  of  this  idea,  Villefort*s  face  became  so  joyous 
Ihat  when  he  turned  to  Dantès,  the  lattor,  who  had 
ifratched  the  change  on  his  physiognomy,  was  smiling 
also. 

"  Monsieur,"  said  Villefort,  "  are  you  aware  of  having 
enemies  'l '^ 

*'  I  hâve  enemies  I  ''  replied  Dantès  ;  ''my  position  is  not 
sufficiently  elevated  for  that  As  for  my  character,  that 
is,  perhaps,  somewhat  too  liasty;  but  I  hâve  striven  to 
SBpress  it.     I  hâve  ten  or  twelve  sailors  under  me  ;  and  if 


86  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

you  question  them,  they  will  tell  you  that  they  love  and 
respect  me,  not  as  a  father,  for  I  am  too  young,  but  as  an 
elder  brother." 

**  But  instead  of  enemies  you  may  bave  excited  jealousy. 
You  are  about  to  become  captain  at  nineteen,  —  an  ele- 
vated  post  for  one  in  your  condition;  you  are  about  to 
marry  a  pretty  girl  who  loves  you,  —  a  happiness  rare  in 
ail  conditions  in  tl^e  world.  And  thèse  two  pièces  of  good 
fortune  may  bave  excited  the  envy  of  some  one." 

"  You  are  right.  You  know  men  better  than  I  do,  and 
what  you  say  may  possibly  be  the  case,  I  confess  ;  but  if 
thèse  envions  ones  should  be  among  my  friends,  I  prefer 
not  knowing  them  to  being  forced  to  hâte  them." 

"You  are  wrong;  you  should  always  strive  to  see 
clearly  around  you.  You  seem  a  worthy  young  man  ;  I 
will  départ  from  the  strict  line  of  my  duty  to  aid  you  in 
discovering  the  author  of  this  accusation.  Hère  is  the 
paper;  do  you  know  the  writingî"  As  he  spoke.  Ville- 
fort  drew  the  letter  from  bis  pocket  and  presented  it  to 
Dantès.  Dantès  read  it.  A  cloud  passed  over  his  brow 
as  he  said,  — 

**  No,  Monsieur,  I  do  not  know  the  writing  ;  it  is  dis- 
guised,  and  yet  it  is  freely  written.  Whoever  did  it  writes 
well.  I  am  very  fortunate,"  added  he,  looking  gratefuUy 
at  Villefort,  "  to  be  examiued  by  such  a  man  as  you,  —  for 
this  envions  person  is  a  real  enemy."  And  by  the  rapid 
glance  that  the  young  man's  eyes  shot  forth,  Villefort  saw 
how  much  energy  lay  hid  beneath  this  mildness. 

"  Now,"  said  the  deputy,  '*  answer  me  frankly,  —  not 
as  a  prisoner  to  a  judge,  but  as  a  man  in  a  false  position 
to  another  who  takes  an  iuterest  in  him,  —  what  truth  is 
there  in  the  accusation  contained  in  this  anonymous  let- 
ter 1  "  And  Villefort  threw  disdainfully  on  his  bureau  the 
letter  Dantès  had  just  given  back  to  him. 


THE  EXAMINATION.  87 

'*  None  at  ail.     I  will  tell  you  the  real  facts.     I  sweai 
by  my  honor  as  a  sailor,  by  my  love  for  Mercedes,  by  the 
'  life  of  my  father  —  " 

"  Speak,  Monsieur,"  said  Villefort.  Then,  internally, 
*'  If  Renée  could  see  me,  I  hope  she  would  be  satisfied, 
and  would  no  longer  call  me  a  decapitator.*' 

**  Well,  when  we  quitted  Naples,  Captai  n  Leclere  was 
attacked  with  a  brain  fever.  As  we  had  no  doctor  on 
board,  and  he  was  so  anxious  to  arrive  at  £lba  that  be. 
would  not  touch  at  any  other  port,  his  disorder  rose  to 
such  a  height  that  at  the  end  of  the  third  day,  feeling  he 
was  dying,  he  called  me  to  hira.  'My  dear  Dan  tes,'  said 
he,  '  swear  to  perform  what  I  am  going  to  tell  you,  for  it 
is  a  matter  of  the  deepest  importance.' 

"  *  I  swear,  Captain,'  replied  I. 

"  *  Well,  as  after  my  death  the  command  devolves  on 
you  as  mate,  assume  the  command,  and  bear  up  for  the 
Isle  of  Elba;  disembark  at  Porto  Ferrajo,  ask  for  the 
grand-marshal,  give  hîm  this  letter;  perhaps  they  will 
give  you  another  letter,  and  charge  you  with  a  commission. 
You  will  accomplish  what  I  was  to  bave  done,  and  dérive 
ail  the  honor  and  profit  from  it/ 

"*I  will  do  it,  Captain;  but  perhaps  I  shall  not  be 
admitted  to  the  grand-marshaFs  présence  as  easily  as 
you  expect?' 

"  '  Hère  is  a  ring  that  will  obtaîn  audience  of  him,  and 
remove  every  diflBculty,*  said  the  captain.  At  thèse  worda 
he  gave  me  a  ring.  It  was  time,  —  two  hours  after  he 
was  delirious  ;  the  next  day  he  died."  * 

"And  what  did  you  do  thenî  " 

"What  I  ought  to  hâve  done,  and  what  every  one 
would  bave  done  in  my  place.  Everywhere  the  last  re- 
quests  of  a  dying  man  are  sacred  ;  but  with  a  sailor  the 
last  requests  of  his  superior  are  commands.     I  sailed  for 


88  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

the  Isle  of  Elba,  where  I  arrived  the  next  day  ;  I  oïdered 
everybody  to  remaiu  on  board,  and  went  on  ahore  alone. 
As  I  kad  expectedi  I  fouud  some  difiicalty  in  obtaining 
access  to  the  grand-marshal  ;  but  I  sent  the  ring  I  had 
leceived  from  the  captain  to  him,  and  was  instantly  ad- 
mitted.  He  questioned  me  concerning  Captain  Leclere's 
death,  and,  as  the  latter  had  told  me,  gave  me  a  letter  to 
carry  on  to  a  person  in  Paris.  I  undertook  it  because.  it 
was  what  my  captain  had  bade  me  do.  I  landed  hère, 
regulated  the  affairs  of  the  vessel,  and  hastened  to  visit 
my  affianced  bride,  whom  I  fouud  more  lovely  and  more 
loving  than  ever.  Thanks  to  M.  Morrel,  ail  the  forms 
7ere  got  over;  in  a  word,  I  was,  as  I  told  you,  at  my 
marrîage-feast.  And  I  should  bave  been  married  in  an 
hour,  and  to-morrow  I  intended  to  start  for  Paris,  when 
upon  that  denunciation,'  which  you  now  seem  to  despise 
as  much  as  I  do,  I  was  arrested." 

"  Ah  !  '^  said  Villefort,  "  this  seems  to  me  the  truth.  If 
you  bave  been  culpable,  it  was  imprudence,  and  this  im- 
prudence was  legitimized  by  the  orders  of  your  captain. 
Give  up  this  letter  you  hâve  brought  from  Elba,  and  pass 
your  Word  you  will  appear  should  you  be  required,  and  go 
and  rejoin  your  friends." 

"  I  am  free,  then,  sir  V^  cried  Dantès,  joyfully, 

"  Yes;  but  first  give  me  this  letter." 

"  You  bave  it  already  ;  for  it  was  taken  from  me  with 
some  others  which  I  see  in  that  packet." 

"  Stop  a  moment,"  said  the  deputy,  as  Dantès  took  his 
bat  and  glOves.     "To  whom  is  it  addressed  î  " 

"To  M.  Noirtier,  Rue  Coq-Héron,  Paris." 

Had  a  thunderbolt  Mien  into  the  room,  Villefort 
could  not  bave  been  more  stupefied.  He  sank  into  his  seat, 
and  hastily  turning  over  the  packet,  drew  forth  the  fatal 
letter,  at  which  he  glanced  with  an  expression  of  terror. 


THE  BXAMINATION.  89 

*'M.  Noirtier,  Rue  Coq-Héron,  Nç».  13,**  marmured  be, 
growing  still  paler. 

'*  Yes,"  said  Dantès,  astonished  ;  "  do  you,  then,  know 
him  ?  " 

"  No,"  replied  Villefort  ;  "  a  faithful  servant  of  the  king 
does  not  know  conspirators." 

"  It  is  a  conspiracy^  then  1  "  asked  Dantès,  who,  after 
believing  himself  free,  now  began  to  feel  a  greater  alarm 
than  at  first.  "  I  bave  already  told  you,  bowever,  Mon- 
sieur, that  I  was  ignorant  of  the  contents  of  the  letter." 

"  Yes,  but  you  know  the  nanie  of  the  person  to  whom 
it  was  addressed,"  said  Villefort 

^'  I  was  obliged  to  read  the  address  to  know  to.whom 
to  give  it." 

''  Hâve  you  shown  this  letter  to  any  one  1  "  asked  Ville- 
fort,  becoming  still  more  pale. 

"  To  no  one,  on  my  honor.*' 

'^Everybody  is  ignorant  that  you  are  the  bearer  of  a 
letter  from  the  Isle  of  Elba,  and  addi-essed  to  M.  Noirtier?" 

"  Everybody,  except  the  person  who  gave  it  to  me." 

"This  is  too  much,"  murmured  Villefort.  His  brow 
darkened  more  and  more;  his  white  lips  and  set  teeth 
filled  Dantès  with  appréhension.  Afber  reading  the  letter, 
Villefort  covered  his  face  with  his  hands. 

"  Oh  !  "  said  Dantès,  timidly,  "  what  is  the  matter  î  '' 
Villefort  made  no  answer,  but  raised  his  head  at  the  expi- 
ration of  a  few  seconds,  and  again  perused  the  letter. 

**  You  give  me  your  honor  that  you  are  ignorant*  of  the 
contents  of  this  letter  1  " 

"  I  give  you  ray  honor,  sir,"  said  Dantès;  "but  what 
is  the  matter  1  You  are  ill.  S  hall  I  nng  for  assistance; 
shall  I  call  ?  " 

"  No,"  said  Villefort,  rising  hàstily  ;  "  stay  where  you 
are.     It  is  for  me  to  give  orders  hère,  and  not  you." 


90  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

**  Monsieur,"  replied  Dautès,  proudly,  "  it  was  only  to 
summoD  assistance  for  you." 

'*  I  want  none  ;  it  was  a  temporary  indisposition.  At- 
tend to  yourself,  and  not  to  me  ;  answer  me." 

Dantès  waited,  expecting  a  question,  but  in  vain.  Ville- 
fort  fell  back  on  bis  cbair,  passed  bis  band  over  bis  brow, 
moist  witb  perspiration,  and  for  tbe  tbird  time  read  the 
letter.  **0b,  if  be  knows  tbe  coutents  of  this,"  mur- 
mnred  be,  "  and  tbat  Noirtier  is  tbe  fatber  of  Villefort, 
I  am  lost  !  "  and  be  fixed  bis  eyes  upon  Edmond  as  if  be 
would  bave  penetrated  bis  tbougbts. 

"  Ob  !  it  is  impossible  to  doubt  it,"  cried  be,  suddenl3\ 

"  In  Heaven's  name,"  cried  tbe  unbappy  young  m  an, 
"if  you  doubt  me,  question  me  ;  I  will  answer  you." 

Villefort  made  a  violent  efifort,  and  in  a  tone  be  strcve 
to  render  firm,  "  Monsieur,"  said  be,  "  very  grave  charges 
against  you  resuit  from  your  exaraination.  I  am  no 
longer  able,  as  I  bad  boped,  to  restore  you  immédiate! y 
to  liberty.  Before  doing  so,  I  must  consult  tbe  judge  of 
instruction;  but  you  see  bow  I  bebave  towards  you." 

"  Ob,  Monsieur,"  cried  Dantès,  "  you  bave  been  ratber 
a  friend  than  a  judge." 

"  Well,  I  must  detain  you  some  time  longer,  but  I  will 
make  it  as  sbort  as  possible.     Tbe  principal  cbarge  against 
you  is  tbis  letter,  and  you  seé  —  "    Villefort  approacbed  tbe 
fire,  cast  it  in,  and  waited  until  it  was  entirely  consumed. 
You  see  I  destroy  it." 

Ob  !  "  exclaimed  Dantès,  **  you  are  more  tban  justice, 
you  are  goodness  itself." 

"  Listen,'*  continued  Villefort  ;  "  you  can  now  bave 
confidence  in  me,  after  wbat  I  bave  donc." 

'*  Ob,  order  me,  and  I  will  obey  !  " 

"  Listen  !  tbis  is  not  an  order,  but  a  counsel  I  give  you.*' 

"Speak,  and  I  will  follow  your  ad  vice.'* 


ii 


THE  EXAMINATION.  91 

**  I  shall  detaîn  you  until  this  evening  in  the  Palais  de 
Justice.  Should  any  one  else  interrogate  you^  do  not 
breathe  a  word  of  this  letter." 

"I  promise." 

It  was  Villefort  who  seemed  to  entreat,  and  the  pris- 
oner  who  reassured  him.  "  You  see/'  continued  he,  "  the 
letter  is  destroyed  ;  you  and  I  alone  know  of  its  exis- 
tence. Should  you,  therefore,  be  questioned,  deny  ail 
knowledge  of  it." 

**  Fear  nothing  ;  I  will  deny  it/' 

"  It  was  the  only  letter  you  hadî  * 

"  It  was." 

"  Swear  it." 

"  I  swear  it." 

Villefort  rang.  An  agent  of  police  entered.  Villefort 
whispered  some  words  in  his  ear,  to  which  the  officer 
replied  by  a  motion  of  his  head. 

"  FoUow  him,"  said .  Villefort  to  Dautès.  Dantës  sa- 
luted  Villefort  and  retired.  The  door  had  hardly  closed 
behind  him  when  Villefort's  strength  gave  way  and  he 
threw  himself  into  a  chair  in  a  fainting  condition. 

Then,  after  a  moment,  "  Oh,  my  God  !  "  murmured  he, 
"  if  the  procureur  du  roi  had  beeû  at  Marseilles,  if  the 
judge  of  instruction  had  been  called  instead  of  me,  I 
should  hâve  been  ruined.  This  accursed  letter  would 
bave  plunged  me  into  an  abyss.  Oh,  my  futher,  must 
your  past  career  always  interfère  with  my  successes  î  " 
Suddenly  a  light  passed  over  his  face,  a  smile  played 
round  his  mouth,  his  haggard  eyes  became  fixed  and 
seemed  absorbed  in  the  contemplation  of  an  idea, 

"  This  will  do,"  said  ho  ;  "  and  from  this  letter,  which 
might  bave  ruined  me,  I  will  make  my  fortune."  And 
after  having  assured  himself  the  prisoner  was  gone,  the 
deputy  procureur  hastened  to  the  house  of  his  bride. 


92  THE  COQNT  OF  MONTE  CBISTO. 


OHAPTER  VIIL 

THE  CHÂTEAU  d'iF. 

Thb  commissary  of  police,  as  be  crossed  the  ante-chain 
ber,  made  a  sigu  to  two  gendarmes,  wbo  placed  tbem- 
selves  one  on  Dantès's  rîgbt  and  tbe  otber  on  bis  lefb. 
A  door  tbat  communicated  witb  tbe  Palais  de  Justice  waa 
opened,  and  tbey  traversed  a  long  range  of  gloomy  corri- 
dors, wbose  appearance  niigbt  bave  made  even  tbe  boldest 
sbudder.  Tbe  Palais  de  Justice  communicated  witb  tbe 
prison,  — -  a  sombre  édifice,  tbat  from  its  grated  Windows 
looks  on  tbe  clock-tower  of  tbe  Accoules.  Afber  number^ 
less  windings,  Dantës  saw  an  iron-  door.  Tbe  commissary 
knocked  tbrice,  every  blow  seeming  to  Dantës  as  if  struck 
on  bis  beart.  The  door  opened,  tbe  two  gendarmes  gen- 
tly  pusbed  bim  forward,  and  tbe  door  closed  witb  a  loud 
Sound  bebind  bim.  Tbe  air  be  inbaled  was  no  longer 
pure,  but  tbick  and  mepbitic,  —  be  was  in  prison.  He 
was  conducted  to  a  tolerably  neat  cbamber,  but  grated  and 
barred,  and  its  appearance  tberefore  did  not  greatly  alarm 
bim  ;  besides,  tbe  words  of  Villefort,  wbo  seemed  to  in- 
terest  bimself  so  mucb,  resounded  still  in  bis  ears  like  a 
promise  of  freedom.  It  was  four  o'clock  wben  Dantës 
was  placed  in  tbid  cbamber.  It  was,  as  we  bave  said,  tbe 
Ist  of  Marcb.  and  tbe  prisoner  was  soon  buried  in  dark- 
ness.  Tbe  obscnrity  augmented  tbe  acnteness  of  bis  beai^ 
ing.  At  tbe  slightest  sound  be  rose  and  bastened  to  tbe 
door,  convinced  tbat  tbey  were  about  to  liberate  bim  ;  but 
tbe  Sound  died  away,  and  Dantës  sank  again  into  his  seat 


u 

4t 


THE  CHÂTEAU  D'IF.  93 

Ai  last,  about  ten  o'clock,  and  just  as  Dantès  began  to 
despair,  steps  were  heard  in  the  corridor,  a  key  tumed  in 
the  lock,  the  bolts  creaked,  the  massy  oaken  door  flew 
open,  and  a  flood  of  light  from  two  torches  pervaded  the 
apartment.  By  the  torchlight  Dantès  saw  the  glitteriug 
sabres  and  carbines  of  four  gendarmes.  He  had  advanced 
at  first,  but  stopped  at  the  sight  of  this  fresh  accession  of 
force. 

Are  you  coma  to  fetch  me  1  "  asked  he. 
Yes,*'  replied  a  gendarme. 

''By  the  orders  of  the  deputy  of  the  procureur  du 
rai?'' 

"  I  believe  so." 

"  Very  well,"  said  Dantès,  *'  I  am  ready  to  follow 

you." 

The  conviction  that  they  came  from  M.  de  Villefort  re- 
lieyed  ail  Dantès's  appréhensions  ;  he  advanced  calmly, 
and  placed  himself  in  the  centre  of  the  escort.  A  carriage 
waited  at  the  door,  the  coachman  was  on  the  box,  and  an 
exeknpt  seated  behind  him. 

**  Is  this  carriage  for  me  1  "  said  Dantès. 

*'  It  is  for  you,'*  replied  a  gendarme. 

Dantès  was  about  to  speak  ;  but  feeling  himself  nrged 
forward,  and  having  neither  the  power  nor  the  intention 
to  resist,  he  mounted  the  steps,  and  was  in  an  instant 
seated  inside  between  two  gendarmes  ;  the  two  others 
took  their  places  opposite,  and  the  carriage  rolled  heavily 
over  the  stones. 

The  prisoner  glanced  at  the  Windows  ;  they  were  grated. 
He  had  changed  his  prison  for  another  that  was  conveying 
him  he  knew  not  whither.  Through  the  grating,  however, 
Dantès  saw  they  were  passing  through  the  Rue  Caisserie, 
and  by  the  Quai  St.  Laurent  and  the  Rue  Taramis,  to 
the  port.      Presently  he  perceived,  shining  upon  him. 


H  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

through  the  grating  of  the  Windows,  the  light  of  the 
Consigne. 

The  carnage  stopped,  the  exempt  descended  and  ap- 
proached  the  guard-house,  a  dozen  soldiers  came  out  and 
formed  themselves  in  order;  Dantès  saw  the  reflection  of 
their  niuskets  hy  the  light  of  the  lamps  on  the  quay. 

'*  Can  ail  this  force  be  summoued  on  my  account  1  " 
thought  he. 

The  exempt  opened  the  door,  which  was  locked,  and 
without  speaking  a  word,  answered  Dantès's  question,  —  for 
he  saw  between  the  ranks  of  the  soldiers  a  passage  formed 
from  the  carriage  to  the  port.  The  two  gendarmes  who 
were  opposite  to  him  descended  first,  then  he  was  ordered 
to  alight,  and  the  gendarmes  on  each  side  of  him  foUowed 
his  example.  They  advanced  towards  a  boat,  which  a 
oustom-house  officer  held  by  a  chain  near  the  qnay. 

The  soldiers  looked  at  Dantès  with  an  air  of  stupid 
curiosity.  In  an  instant  he  was  placed  in  the  stem  of 
the  boat  between  the  gendarmes,  while  the  exempt  sta- 
tioned  himself  at  the  bow  ;  a  shove  sent  the  boat  adrift, 
and  four  sturdy  oarsmen  impelled  it  rapidly  towards  the 
Pilon.  At  a  shout  from  the  boat,  the  chain  that  closes 
the  mouth  of  the  port  was  lowered,  and  in  a  second  they 
were  outside  the  harbor. 

The  prisoner's  first  feeling  was  joy  at  again  breathing 
the  pure  air,  —  for  air  is  freedom  ;  he  inhaled  with  a  fuU 
chest  that  lively  breeze  which  bears  upon  its  wings  the 
unknown  perfumes  of  the  night  and  of  the  sea.  But  soon 
he  breathed  a  sigh,  for  he  passed  before  La  Réserve,  where 
he  had  that  moniing  been  so  happy,  and  now  through  the 
open  Windows  came  the  laughter  and  revelry  of  a  bail. 
Dantès  folded  his  hands,  raised  his  eyes  to  heaven,  and 
prayed. 

The  boat  continued  her  voyage.     They  had  passed  the 


THE  CHÂTEAU  D'IF,  96 

Tête  de  Mort,  were  now  in  front  of  the  light-house,  and 
about  to  double  the  battery.  This  manœuvre  was  incom« 
prebensible  to  Dantès. 

"  Whither  are  you  taking  me  î  "  asked  be. 

"  You  will  soon  know." 

"Butstill— " 

"  We  are  forbidden  to  give  you  any  explanation." 

Dantès  knew  that  nothîng  would  be  more  absurd  than 
to  question  subordinates  who  were  forbidden  to  reply,  and 
remained  silent. 

The  most  vague  and  wild  thougbts  passed  through  his 
mind.  The  boat  they  were  in  could  not  make  a  long  voy- 
age ;  there  was  no  vessel  at  anchor  outside  the  harbor  ;  he 
thought  perhaps  they  were  going  to  leave  him  on  some  dis- 
tant point.  He  was  not  bound,  nor  had  they  made  any 
attempt  to  handcuff  him;  this  seemed  a  good  augury. 
Besides,  had  not  the  deputy,  who  had  been  so  kind  to 
him,  told  him  that  provided  he  did  not  pronounce  tne 
dreaded  name  of  Noirtier  he  had  nothing  to  apprehend  1 
Had  not  Villefort  in  his  présence  destroyed  the  fatal  letter, 
the  only  proof  against  him  î  He  waited  silently,  striving 
to  pierce  through  the  darkness. 

They  had  left  the  island  of  Ratonneau,  where  the  ligut- 
house  stood,  on  the  right,  and  were  now  opposite  the  Point 
des  Catalans.  It  seemed  to  the  prisoner  that  he  could 
distinguish  a  female  form  on  the  beach,  for  it  was  there 
Mercedes  dvvelt.  How  was  it  that  a  presentiment  did 
not  warn  Mercedes  that  her  lover  was  near  herî 

One  light  alone  was  visible,  and  Dantès  recognized  it  as 
coming  from  the  chamber  of  Mercedes.  In  ail  that  little 
colony  Mercedes  alone  was  still  awake.  A  loud  cry  could 
be  heard  by  her.  He  did  not  utter  it.  What  would  his 
guards  think  if  they  heard  him  shout  like  a  madman  1 

He  remained  silent,  his  eyes  fixed  upon  the  light  ;  the 


96  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

boat  went  on,  but  the  prisoner  thougbt  only  of  Mercedes. 
  rising  ground  hid  the  light.  Dantès  tumed  and  par- 
ceived  they  had  got  out  to  sea.  While  he  had  been 
absorbed  in  thought,  they  had  hoisted  the  saiL 

In  spite  of  his  répugnance  to  address  the  guards,  Dantès 
turued  to  the  nearest  gendarme,  and  taking  his  hand,  — 

"  Comrade,'*  said  he,  "  I  adjure  you,  as  a  Christian  and 
a  soldier,  to  tell  me  where  we  are  going.  I  am  Captain 
Dantès,  a  loyal  Frenchman,  though  accused  of  treason; 
tell  me  where  you  are  conducting  me,  and  I  promise  you 
on  my  honor  I  wiU  submit  to  my  fate." 

The  gendarme  looked  irresolutely  at  his  companion,  who 
retumed  for  answer  a  sigh  that  said,  ''  I  see  no  great  harm 
in  telling  him  now,"  and  the  gendarme  replied,  — 

"  You  are  a  native  of  Marseilles  and  a  sailor,  and  yet 
you  do  not  know  where  you  are  going  î  " 

"  On  my  honor,  I  hâve  no  îdea." 

"  That  is  impossible/* 
I  swear  to  you  it  is  true.     Tell  me,  I  entreat." 
But  my  orders." 

"  Your  orders  do  not  forbid  your  telling  me  what  I  must 
know  in  ten  minutes,  in  half  an  hour,  or  an  hour.  Spare 
me  meanwhile  âges  of  uncertainty.  See,  I  ask  it  of  you  as 
if  you  were  my  friend.  I  hâve  no  wish  to  resist  or  to  es- 
cape  ;  besides,  I  am  not  able.     Whither  are  we  going  î  " 

'*  Unless  you  are  blind  or  hâve  never  been  outside  the 
barbor,  you  must  know."  ' 

"  I  do  not." 

*'Look  round  yen,  then." 

Dantès  rose  and  looked  forward,  when  he  saw  lise 
"within  a  hundred  yards  of  him  the  black  and  frownîng 
rock  on  which  stands  the  Château  d'If.  This  gloomy  for^ 
tress,  which  bas  for  more  than  three  hundred  years  fur- 
nîshed  food  for  eo  many  wild  legends,  appearing  thus 


THE  CHATEAU  D'IF.  97 

saddenly  to  Dantes  h  ad  upon  bim  the  effect  whîch  a  viow 
uf  the  scaffold  bas  upon  one  condemned  to  deatb. 

"The  Château  d'If)"  cried  be;  "wbat  are  we  going 
there  for  î  " 

The  gendarme  smiled. 

''  I  am  not  going  tbere  to  be  imprisoned,"  saîd  Dantës  ; 
**  it  is  only  used  for  political  prisoners.  I  bave  committed 
no  crime.  Are  tbere  any  magiAtrates  or  judges  at  the 
Château  d'Ifî" 

*'  Tbere  are  only,"  said  tbe  gendarme,  "  a  governor,  a 
garrison,  tumkeys,  and  good  tbick  walls.  Come,  come, 
do  not  look  so  astonisbed,  or  you  will  make  me  tbink  you 
are  laugbing  at  me  in  return  for  my  good-nature." 

Dautès  pressed  tbe  gendarme's  band  as  tbougb  be  would 
crush  it. 

*'  You  tbink,  then/'  said  be,  "  tbat  I  am  conducted  to 
tbe  château  to  be  imprisoned  there  1  " 

'*  It  is  probable  ;  but  tbere  is  no  occasion  to  squeeze  se 
bard." 

**  Witbout  any  formality  î  " 

"Ail  tbe  formalities  bave  been  gone  throngb." 

"  In  spite  of  M.  de  Villefort's  promises  î  " 

"I  do  not  know  what  M.  de  Villefort  promised  you," 
said  tbe  gendarme,  **  but  I  know  we  are  taking  you  to  the 
Château  d'If.  But  what  are  you  doing?  '  Help,  com 
rades,  belp  !  " 

By  a  rapid  movement  which  tbe  gendarme's  practised 
eye  had  perceived,  Dantès  sprang  forward  to  precipitate 
himself  into  the  sea  ;  but  four  vigorons  arms  seized  bim 
as  bis  feet  quitted  the  flooring  of  tbe  boat.  He  fell  back 
foaming  with  rage. 

*^  Good  1  "  said  the  gendarme,  placing  bis  knee  on  his 
cbest  ;  **  this  is  bow  you  keep  the  word  of  a  sailor  !  P>e* 
lieve  soft-spoken  gentlemen  again  I     Hark  ye,  my  friend  ! 

voj..  j.  -  7 


98  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

I  have  disobeyed  my  first  order,  but  I  will  ixot  disoboy 
the  second;  if  you  move,  I  will  lodge  a  bullet  in  your 
brain."  And  be  levelled  bis  carbine  at  Dan  tes,  wbo  feit 
tbe  muzzle  touch  bis  bead. 

For  a  moment  be  entertained  tbe  idea  of  making  tbe 
forbidden  movement,  and  so  ending  tbe  evils  tbat  bad 
suddenly  overtaken  him  ;  but  just  because  the  evil  was 
unexpected,  Dantës  thougbt  tbat  it  cuuld  not  be  lasting. 
Tben  tbe  remembrance  of  M.  de  Villefort's  promises 
revived  bis  bopes;  and  tben  deatb  on  the  bottom 
of  a  boat  at  tbe  bands  of  a  gendarme  seemed  to  him 
ugly  and  prosaic.  He  fell  back,  therefore,  upon  the  seat, 
uttering  a  cry  of  rage  and  gnawing  bis  bands  with 
fury. 

At  tbis  moment  a  violent  sbock  made  tbe  bark  tremble. 
One  of  tbe  sailors  leaped  on  shore,  a  cord  creaked  as  it 
ran  througb  a  pulley,  and  Dantës  understood  tbat  they 
were  at  tbe  end  of  tbe  vcyage. 

His  guardians,  taking  bold  of  bis  arms,  forced  him  to 
rise,  and  dragged  him  towards  tbe  steps  that  led  to  the 
gâte  of  the  fortress,  while  the  exempt  followed,  armed 
witb  a  carbine  and  bayonet. 

Dantës  made  no  résistance  ;  be  was  like  a  man  in  a 
dream.  He  saw  soldiers  wbo  stationed  themselves  on  the 
sides  ;  be  was  aware  of  stairs  whicb  obliged  him  to  lift  his 
feet  ;  be  perceived  that  be  passed  under  a  door,  and  that 
the  door  was  closed  behind  him,  but  saw  everything  as 
in  a  mist,  without  distinguishing  anytbing  clearly.  He 
no  longer  saw  even  the  sea,  —  that  spectacle  so  mournful 
to  tbe  captive,  wbo  looks  into  space  witb  the  painful  re- 
flection  tbat  he  is  powerless  to  traverse  it. 

They  balted  for  a  minute,  during  whicb  be  strove  to  col- 
lect  his  thoughts.  He  looked  around  ;  be  was  in  a  square 
court  surrounded  by  bigh  walls.     He  beard  the  measured 


THE  CHATEAU  D'IF.  99 

tread  of  sentînels,  and  as  they  passed  befoie  tbe  ligbt  he 
saw  the  barrels  of  their  muskets  shîne. 

They  waited  upwaids  of  ten   minutes.     Certain  that 
Dantès  could  not  escape,  the  gendarmes  released  him. 
They  seemed  awaiting  orders.    The  orders  arrived. 
'   "  Where  is  tbe  prisoner  ?  "  said  a  voice. 

"  Hère,"  replied  tbe  gendarmes. 

"Let  him  follow  me;  I  am  going  to  conduct  bim  to 
bis  room." 

"  Go  !  **  said  tbe  gendarmes,  pushing  Dantèa. 

The  prisoner  followed  bis  conductor,  who  led  bim  into 
a  room  almost  underground,  wbose  bare  and  reeking  walls 
seemed  as  though  impregnated  with  tears  ;  a  lamp  piaced 
on  a  stool  illumined  tbe  apartment  faintly,  and  showed 
Dantès  tbe  features  of  bis  conductor,  an  under-jailer,  ill< 
clothedy  and  of  suUen  appearance. 

"  Hère  is  your  chamber  for  to-night,"  said  he.  "  It  is 
late,  and  Monsieur  the  Governor  is  asleep.  To-morrow, 
wben  be  awakes  and  is  iuformed  of  tbe  orders  concern- 
ing  you,  be  will  perhaps  change  your  lodging.  In  the 
mean  time  there  is  bread,  water,  and  fresh  straw;  and 
that  is  ail  a  prisoner  can  wish  for.  Good-night."  And 
before  Dantès  could  open  bis  mouth,  before  be  bad  no- 
ticed  where  the  jailer  piaced  bis  bread  or  the  water,  be- 
fore he  bad  glanced  towards  the  corner  where  the  straw 
was,  the  jailer  bad  disappeared,  taking  with  bim  the 
lamp. 

Dantès  was  alone  in  the  darkness  and  the  silence, 
dumb  and  still  as  those  vaults  wbose  icy  atmosphère  he 
felt  upon  bis  burning  brow.  With  the  first  dawn  of  day 
tbe  jailer  returned  with  orders  to  leave  Dantès  where  he 
was.  He  found  the  prisoner  in  the  same  position,  as  if 
fixed  there,  bis  eyes  swollen  with  weeping.  He  bad 
passed  the  nîght  standing,  and  without  sleep.     The  jailer 


100  THE  COUNT  DP  MONTE  CRISTO. 

advanced  ;  Dantès  appeared  not  to  perceive  hîm.  He 
touched  him  on  the  shoulder;  Edmond  started. 

"  Hâve  you  not  slept  î  "  said  the  jailer. 

'*  I  do  not  know,"  replied  Dantès.     The  jailer  stared. 

"  Are  you  hungry  î  **  continued  he. 

"  I  do  not  know.** 

"  Do  you  wish  for  anythingî  " 

•*  I  wish  to  see  the  governor." 

The  jailer  shrugged  his  shoulders  and  lefb  the  chamber. 

Dantès  followed  him  with  his  eyes,  and  stretched  forth 
his  hands  towards  tlie  open  door;  but  the  door  closed. 
Ail  his  émotion  then  burst  forth  :  he  cast  himself  on  the 
ground,  weeping  bitterly,  and  asking  himself  what  crime 
he  had  committed  that  he  should  be  thus  punished. 

The  day  passed  thus;  he  scarcely  tasted  food^  but 
walked  round  and  round  the  cell  like  a  wild  beast  in  its 
cage.  One  thought  in  particular  tormented  him  ;  namely, 
that  during  his  journey  hither  when^  not  knowing  whither 
they  were  conducting  him,  he  had  remained  so  calm  and 
inactive,  he  might  a  dozen  times  hâve  plunged  into  the 
sea,  and  thanks  to  his  powers  of  swimming,  for  which  he 
was  famous,  hâve  gained  the  shore,  concealed  himself  un- 
td  the  arrivai  of  a  Genoese  or  Spanish  vessel,  escaped  to 
Spain  or  Italy,  where  Mercedes  and  his  father  could  hâve 
joined  him.  He  had  no  fears  as  to  how  he  should  live  ; 
good  seamen  are  welcome  everywhere.  He  spoke  Italian 
like  a  Tuscan,  and  Spanish  like  a  Castilian.  He  would 
then  hâve  been  happy^  whereas  he  was  now  confîned 
in  the  Château  d'If,  ignorant  of  the  future  destiny 
of  his  father  and  Mercedes  ;  and  ail  this  because  he  had 
trusted  to  Villefort's  promise.  The  thought  was  mad- 
dening,  and  Dantès  threw  himself  furiously  down  on 
his  straw.  The  next  morning  the  jailer  made  his 
appearance.     \ 


.'  •. 


*  • 


THE  CHiTSAU  D'IF.  101 

**Well,"  said  the  jailer^  *|aré  you  more  reasonable  to- 
day?"     Dantès  made  no  reply^; 

'^ Corne,  take  courage;  do  you '}irant  anything  in  my 
çower  to  do  for  youî"  /''  !-, 

"I  wish  to  see  the  govemor."         'l.*'/-. 

''£h!"  said  the  jailer,  impatîently,  ''l;h^N^  aiready 
told  you  it  is  impossible."  -•' 

"Whysoî"  /' 

''  Because  it  is  not  allowed  by  the  rules.'' 

<*  What  is  allowèd,  then  î  " 

''Better  fare,  if  you  pay  for  it;  books,  and  leave  to 
walk  about." 

^^I  do  not  want  books,  I  am  satisfied  with  my  food, 
and  I  do  not  care  to  walk  about  ;  but  I  wish  to  see  the 
govemor." 

^*  If  you  worry  me  by  repeating  the  same  thing,  I  wiU 
not  bring  you  any  more  to  eat." 

"Wdl,  then,"  said  Edmond,  "if  you  do  not,  I  shall  die 
of  hunger,  —  that  is  ail.'' 

The  tone  in  which  Dantès  uttered  thèse  words  showed 
the  jailer  that  his  prisoner  was  quite  willing  to  die  ;  and 
therefore,  since  every  prisoner  is  worth  ten  sous  a  day  to 
his  jailer,  he  replied  in  a  more  subdued  tone,  "What 
you  ask  is  impossible  ;  but  if  you  are  very  well-behaved 
you  will  be  allowed  to  walk  about,  and  some  day  you  will 
meet  the  govemor  ;  and  if  he  chooses  to  reply,  that  is  his 
affair." 

"  But,"  asked  Dantès,  "  how  long  shall  I  bave  to 
waitl" 

f*  Ah  I  a  month  —  six  months  —  a  year." 

**  It  is  too  long  a  time.     I  wish  to  see  him  at  once." 

**  Ah,"  said  the  jailer,  "  do  not  brood  always  over  what 
is  impossible,  or  you  will  be  mad  in  a  fortnight" 

«Youthinksoî" 


'   • 


102  THE  COUNT  OP' MONTE  CRISTO. 

*'  Tes,  mad  :  madness  always'  bedns  in  tbat  way.    We 

'         '  ""  ' ,     ^  ' 

hâve  au  instance  of  ît -iiera.*^  It  was  by  otfering  continuallj 
a  million  of  livres  jtôri&» 'governor  for  his  liberty  that  an 
abbë  became  mad  ^'ho'  was  in  this  cbamber  before  you.** 

'*  How  long^^i^3ie  be  left  itî  " 

«  Two  yeâni> 

"  Was  heàiberated  tbenl" 

■ 

^  **  No*;  be  was  put  in  a  dungeon.** 
.  -.^.^^isten,"  said  Dantès  :  "  I  am  not  an  abbé,  I  am  not 
*.*&)&d;  perhaps  I  sball  be,  but  at  présent  unfortunately  I 
' .  àm  not.     I  will  make  you  anotber  proposition." 

"  What  is  that  ?  " 

"  I  do  not  ofiTer  you  a  million,  because  I  bave  n't  it  to 
give  ;  but  I  will  give  you  a  hundred  crowns  if  the  first 
time  you  go  to  Marseilles  you  will  seek  out  a  young  girl 
named  Mercedes,  at  tbe  Catalans,  and  give  ber  two  lines 
from  me." 

**  If  I  took  tbem,  and  were  detected,  I  sbould  lose  my 
place,  wbich  is  worth  two  tbousand  livres  a  year  ;  I  sbould 
be  a  great  fool  to  run  such  a  risk  for  three  hundred." 

"  Well,"  said  Dantès,  "  mark  this  :  if  you  refuse  to 
carry  two  lines  to  Mercedes,  or  at  least  to  tell  ber  that  I 
am  hère,  I  will  some  day  bide  myself  behînd  the  door, 
and  when  you  enter  I  will  dash  out  your  brains  with  this 
stool." 

"Threats!"  crîed  the  jailer,  retreating  and  putting 
himself  on  the  défensive  ;  **  you  are  certainly  going  mad. 
The  abbé  began  like  you,  and  in  three  days  you  will  want 
a  strait-waistcoat,  like  hîm;  but  fortunately  there  are 
dungeons  hère."  Dantès  seized  the  stool  and  whirled  it 
round  his  head, 

'*  Good  !  "  said  the  jailer,  "  very  good  !  Sînce  you  will 
hâve  it  so,  I  will  go  and  notify  the  governor." 

''That  is  right,"  returned  Dantès,  dropping  tbe  stool 


•         THE  CHÂTEAU  D'IP.  103 

I  4ind  sîtting  on  ît  wîth  drooping  head  and  haggard  eyes,  as 

i  kt  he  were  indeed  becoming  insane.     The  jailer  went  ont, 

and  retumed  in  an  instant   with  a  corporal  and  four 

vAdiers. 

.       "By  the  goveraoï's   orders,"   said  he,  "conduct  the 

V)risoner  to  the  story  beneath." 

"  To  the  dungeon,  then,"  said  the  corporaL 
"  Yes  ;  we  must  put  the  madman  with  the  madmen." 
'  The  soldiers  seized  Dantès,  who  fell  into  a  sort  of  atony, 

and  went  with  theni  without  résistance. 

He  descended  fifbeen  steps,  the  door  of  a  dungeon  was 
opened,  and  he  entered,  murmuring,  "  He  is  right  ;  the 
mad  should  be  placed  with  the  mad."  The  door  closed, 
and  Dantès  advanced  with  outstretched  hands  until  he 
touched  the  wall  :  he  then  sat  down  in  the  corner  until 
his  eyes  became  accustomed  to  the  darkness.  The  jailei 
was  right;  Dantès  wanted  but  little  of  being  utterly 
itnad. 


;fH  7HE  COUNT  OF  MONTE  CBIST0 


CHAPTER  IX. 

THE  EVENING  OF  THE  BETROTHAL. 

ViLLEFORT  had«  as  we  hâve  said,  bastened  back  to  the 
Place  du  Grand  Cours,  and  on  entering  the  house  found 
that  the  guests  whom  he  had  left  et  table  had  passed  into 
the  salon.  Renée,  wîth  ail  the  rest  of  the  Company,  was 
anxiously  awaiting  him,  and  on  bis  entrance  he  was 
greeted  by  a  gênerai  exclamation. 

''  Well,  decapitator,  guardian  of  the  State,  BrutuSi 
what  is  the  matter?"  said  one. 

'^Are  we  threatened  with  a  fresh  Reign  of  TerrorT* 
asked  another. 

*'  Has  the  Corsican  ogre  broken  loose  1  '*  cried  a  tbîrd. 

*'  Madame  the  Marchioness/'  said  Villefort,  approaching 
bis  future  mother-in-law,  "  I  request  your  pardon  for  thus 
leaving  you.  Monsieur  the  Marquis,  honor  me  by  a  few 
moments'  private  conversation  !  " 

**  Ah  !  this  affair  is  really  serions,  then  1  **  asked  the 
marquis,  remarking  the  cloud  on  Villefort's  brow. 

''So  serious  that  I  must  take  leave  of  you  for  a  few 
fiuys  ;  so,"  added  he,  turning  to  Renée,  "  judge  for  your- 
self  if  it  be  not  important" 

"  You  are  going  to  leave  us  î  "  cried  Renée,  unable  to 
hide  her  émotion. 

^*'  Alas  !  "  retumed  Villefort,  "  I  must  !  •• 

^  Where,  then,  are  you  going  9  "  asked  the  marchioness. 

''  That,  Madame,  is  the  secret  of  justice  ;  but  if  you 


THE  EVENING  OF  THE  BETROTHAL.  105 

bave  any  commissions  for  Paris/  a  friend  of  mine  is  going 
there  to-night."     The  guests  lookecl  at  each  other. 

^  You  wish  to  speak  to  me  alone  ?  "  said  the  marquis. 

'' Yes,  let  us  go  into  your  cabinet."  The  marquis  took 
bis  arm  and  left  the  salon. 

"  Well  !  "  asked  he,  as  soon  as  they  were  in  his  closet, 
"teUme,  whatisitî" 

''An  affair  of  the  greatest  importance,  that  demands 
my  immédiate  présence  in  Paris.  Now,  excuse  the  in- 
discrétion, MarquiSy  but  bave  you  any  property  in  state 
securities  ?  " 

"Ail  my  fortune  is  in  the  Funds,  —  seven  or  eîgbt 
hundred  thousand  livres." 

'*  Then  sell  out  ;  sell  out.  Marquis,  as  soon  as  you  can." 

"  Eh  !  how  can  I  sell  out  bere  î  " 

**  You  bave  a  broker^  bave  you  not  1**    " 

"Yes." 

**  Then  give  me  a  letter  to  bim,  and  tell  bim  to  sell  out 
without  an  instant's  delay;  perhaps  even  now  I  sball 
arrive  too  late." 

"  The  devil  !  "  said  the  marquis,  "  let  us  lose  no  time, 
then  !  " 

And,  sitting  down,  be  wrote  a  letter  to  bis  broker^ 
ordering  bim  to  sell  out  at  any  price. 

"  Now,  then/'  said  Yillefort,  pkcing  the  letter  in  bis 
pocket-book,  "  write  anotherP 

"  To  whom  ?  " 

'*  To  the  king.»* 

"  I  dare  not  write  to  bis  Majesty." 

**  I  do  not  ask  you  to  write  to  bis  Majesty  ;  but  ^osk 
M.  de  Salvieux  to  do  so.  I  want  a  letter  that  will  euable 
me  to  reach  the  king's  présence  without  ail  the  formalities 
of  demanding  an  audience  j  that  wouid  occasion  a  losa  of 
precious  time." 


106  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

**  Addrefls  yourself  to  the  keeper  uf  the  seals  ;  he  bas 
tlie  right  of  entry,  and  caii  procure  you  audience." 

''Doubtless;  but  there  is  no  occasion  to  divide  the 
merit  of  ray  discovery  with  him.  The  keeper  would  leave 
me  in  the  background^  and  take  ail  the  honor  to  himself. 
I  tell  you,  Marquis,  my  career  is  assured  if  I  only  reach 
the  Tuileries  the  first,  for  I  shall  bave  lendered  the  king 
&  service  which  .he  cannot  forget" 

"  In  that  case  make  your  préparations  ;  I  will  call' 
Salvieux  and  bave  him  write  the  letter  you  require." 

"Be  as  quick  as  possible,  I  must  be  en  route  in  a 
quarter  of  an  hour." 

"  Make  your  carriage  stop  at  the  dôor." 

**  You  will  présent  my  excuses  to  the  marchioness  and 
Mademoiselle  Kenéci  whom  I  leave  on  such  a  day  with 
great  regret." 

"  They  are  both  in  my  room  ;  you  can  say  ail  this  for 
yourself." 

**  A  thousand  thanks  ;  busy  yourself  with  the  letter.** 

The  marquis  rang,  a  servant  entered. 

"  Inform  the  Comte  de  Salvieux  I  am  waiting  for  him/' 

"  Now,  then,  go  !  '*  said  the  marquis. 

^  Yes,  but  I  shall  retum  immediately." 

Yillefort  hastily  quitted  the  apartment,  but  reflecting 
that  the  sight  of  the  deputy  procureur  walking  precipi- 
tately  would  be  enough  to  throw  the  whole  city  into 
confusion,  he  resumed  his  ordinary  pace,  which  was 
altogether  magisteriaL  At  his  door  he  perceived  a  figure 
in  the  shadôw  that  seemed  to  wait  for  him.  It  was 
Meçcédès,  who  hearing  no  news  of  her  lover,  had  corne 
herself  to  leam  the  cause  of  his  arrest» 

As  Yillefort  drew  near,  she  advanced  and  stood  before 
him.  Dantès  had  spoken  of  his  bride,  and  Villefort  in- 
«tantly  lecognized  her.     Her  beauty  and  high  bearing 


THB  EVENING  OP  THE  BETROTHAL.      107 

isurprised  hiro,  and  when  she  inquired  what  had  become 
of  her  lover,  it  eeemed  to  him  that  she  was  the  judge,  and 
he  the  accused. 

"  The  young  man  you  speak  of,"  said  Villefort,  abrupUy, 
^'is  a  great  crimînal,  and  I  can  do  nolhing  for  him, 
Mademoiselle."  Mercedes  burst  into  tears,  and  as  Ville- 
fort  strove  to  pass  her,  again  addressed  him. 

"  But  at  least  tell  me  where  he  is,  that  I  may  leam  if 
he  is  alive  or  dead,"  said  she. 

**  I  do  not  know  ;  he  is  no  longer  in  my  hands,''  replied 
Villefort. 

And  désirons  of  putting  an  end  to  the  interview,  he 
pushed  by  her  and  closed  the  door,  as  if  to  exclude  the 
pain  he  felt.  Bat  remorse  is  not  thus  banished  ;  Hke  the 
fatal  shaft  of  which  Yirgil  speaks,  the  wounded  man 
earrîed  it  with  him.  He  entered  and  closed  the  door, 
but  having  reached  his  salon,  his  strength  gave  way  ;  he 
gave  vent  to  a  sigh  which  was  like  a  sob»  and  sank  into 
a  chair. 

Then,  at  the  bottom  of  that  dîseased  heart  was  produced 
the  first  germ  of  a  mortal  nlcer.  The  man  he  sacrificed 
to  his  ambition,  that  innocent  victim  he  made  pay  the 
penalty  of  his  father's  faults,  appeared  to  him  pale  and 
threatening,  leading  his  af&anced  bride  by  the  hand,  pale 
like  himself,  and  bringing  with  him  remorse,  —  not  such 
as  the  ancients  figured,  furious  and  terrible,  but  that  slow 
and  consuming  agony  whose  pangs  increase  until  the  end 
of  life.  Then  he  had  a  moment's  hésitation.  He  had 
frequently  called  for  capital  punishment  on  criminals, 
and  owing  to  his  irrésistible  éloquence  they  had  been 
condemned  ;  and  yet  the  slightest  shadow  of  remorse  had 
never  clouded  Villefort's  brow,  because  they  were  guilty, 
-—  at  least,  he  believed  so*  But  now  the  affair  was  very 
différent.     He  had  doomed  an  innocent  man  to  the  ho^ 


108  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

rors  of  perpetaal  imprisonment,  —  an  innocent  man  who 
was  on  the  threshold  of  happiness  ;  in  tliis  case  he  was 
Dot  the  judge,  but  the  executioner. 

As  he  thus  reflectod,  he  felt  the  sensation  we  hâve  de- 
scribed,  and  w&ich  had  hitherto  been  unknown  to  him, 
rise  in  his  bosom,  and  it  filled  him  with  vague  appréhen- 
sions. It  is  thus  that  a  wounded  man  trembles  instinc- 
tively  at  the  approach  of  the  finger  to  his  wound  until  it 
be  healed.  But  Villefort's  was  one  of  those  that  never 
dose,  or  if  they  do,  only  close  to  reopen  more  agoniziug 
than  ever.  If  at  this  moment  the  sweet  voice  of  Renée 
had  sounded  in  his  ears  pleading  for  mercy,  or  the  fair 
Mercedes  had  entered  and  said,  '^  In  the  name  of  God,  I 
conjure  you  to  restore  me  my  affianced  husbandi"  his 
cold  and  trembling  hands  would  hâve  signed  his  release, 
at  the  risk  of  whatever  conséquences  might  ensue.  But 
no  voice  broke  the  stillness  of  the  chamber,  and  the  door 
was  opened  only  by  Villefort's  valet,  who  came  to  tell 
him  the  travelling-carriage  was  in  readiness. 

Villefort  rose,  or  rather  sprang  from  his  chair  like  a 
man  who  bas  triumphed  in  an  internai  struggle,  hastiiy 
opened  one  of  the  drawers  of  his  êecrétaire,  emptied  ail 
the  gold  it  contaîned  into  his  pocket,  stood  motionless  an 
instant,  his  hand  pressed  to  his  head,  muttered  a  few 
inarticulate  sounds,  and  then  perceiving  that  his  servant 
had  placed  his  cloak  on  his  shoulders,  he  sprang  into  the 
carnage,  ordering  the  postillons  to  go  to  Rue  du  Grand 
Cours,  to  the  house  of  M.  de  Saint-Mëran. 

So  the  unhappy  Dantès  was  condemned. 

As  the  marquis  had  ptomised,  Villefort  found  the  mar- 
chioness  and  Renée  in  the  cabinet.  He  started  when  he 
saw  Renée,  for  he  feincied  she  was  again  about  to  plead 
for  Dantës.  Alas  !  she  was  only  thinking  of  Villefort's 
departure. 


THE  EVENING  OF  THS  BETBOTHAL.      109 

8he  loved  Villefori,  and  be  was  leaving  her  ai  the 
moment  he  was  about  to  become  ber  bnsband*  Yillefoii 
knew  not  wben  be  sbould  return,  and  Renée,  far  from 
pleading  for  Dantès^  bated  tbe  man  wbose  crime  aepaiated 
her  from  ber  lover. 

Wbaty  then,  bad  Meioédès  to  say  t  Sbe  bad  met  Fei^ 
nand  at  tbe  corner  of  tbe  Rue  de  la  Loge  ;  sbe  bad  re- 
tumed  to  tbe  Catalans,  and  bad  despairingly  cast  berself 
on  ber  coacb.  Femand,  kneeling  by  ber  side,  took  ber 
band,  and  covered  it  witb  kisses  tbat  Mercedes  did  not 
even  feeL  Sbe  passed  tbe  night  tbus.  Tbe  oil  in  tbe 
lamp  bumed  out,  but  sbe  did  not  notice  tbe  darkness, 
and  wben  tbe  day  retomed  sbe  was  not  aware  of  its 
ligbt.  Grief  bad  made  ber  blind  to  ail  but  one  object  ; 
tbat  was  Edmond. 

"  Ab,  you  are  tbere  !  "  said  sbe,  at  lengtb. 

"I  bave  not  quitted  you  since  yesterday,"  retumed 
Fernand,  sorrowfuUy. 

M.  Morrel  bad  not  given  up  tbe  battle.  He  bad  learned 
that  Dantès  bad  been  conducted  to  prison,  and  be  bad 
gone  to  ail  bÎB  friends,  and  to  tbe  influential  persons  of 
tbe  city  ;  but  the  report  was  already  in  circulation  that 
Dantès  was  arrested  as  a  Bonapartist  agent,  and  as  the 
most  sanguine  looked  upon  any  attempt  of  Napoléon  to 
remount  tbe  throne  as  madness,  he  met  witb  notbiug  but 
refusai,  and  bad  returned  borne  in  despair. 

Caderousse  also  was  restless  and  uneasy,  but  instead  of 
seeking  to  aid  Dantès,  be  bad  shut  himself  up  witb  two 
bottles  of  wine,  in  tbe  bope  of  drowning  reflection.  But 
be  did  not  succeed^  and  became  'too  intoxicated  to  fetch 
any  more  wine,  and  yet  not  so  intoxicated  as  to  forget 
what  bad  bappened. 

Danglars  alone  was  neitber  troubled  nor  uneasy;  bq 
was  even  joyous,  —  be  bad  got  rid  of  an  enemy  and  pre 


110  THE  COUNT  OP  MONTE  CBISTO. 

servecl  his  situation  on  board  the  '*  Pharaon.'*  Danglara 
was  one  of  those  men  of  calculation  who  are  bom  with  a 
pen  bebind  the  ear,  and  an  iiikstand  in  place  of  a  heart 
Ëverything  with  him  was  multiplication  or  subtraction  ) 
and  he  estimated  the  life  of  a  man  as  less  precious  than  a 
figure,  when  that  figure  could  increase,  and  that  life  would 
diminish,  the  total  of  the  amount 

Villefort,  after  having  received  M.  de  Salvieux's  letter, 
embraced  Renée,  kissed  the  marchioness's  hand,  and 
shaken  hands  with  the  marquis,  started  for  Paris. 

The  fisither  of  Dantès  was  dying  with  grief  and  anxietj. 


THE  SBIALL  CABINET  OF  THE  TUILEBIEa.        îl! 


CHAPTEE  X. 

THE  SMALL  CABINET   OF   THE  TUILERIES. 

Wb  will  leave  Villefort  on  the  road  to  Paris,  travelling 
with  ail  speed,  will  cross  two  or  three  apàrtments,  and 
enter  tbe  small  cabinet  of  the  Tuileries  with  the  arched 
window,  80  wéll  known  as  baving  been  the  favorite  cabi- 
net of  Napoléon  and  of  Louis  XVIII.,  —  as  it  is  also  to-day 
that  of  Louis  Philippe. 

There,  in  this  cabinet,  seated  before  a  walnut-tree  table 
he  had  brought  with  him  from  Hartwell,  and  to  which, 
through  one  of  those  fancies  uot  uncommon  to  great  people, 
he  was  particularly  attached,  the  king,  Louis  XVIIL^  was 
carelessly  listening  to  a  man  of  fifty  or  fifty-two  years  of 
âge,  with  gray  hairs,  aristocratie  bearing,  and  exceedingly 
gentlemanly  attire,  whilo  he  was  makiug  a  note  in  a 
volume  of  Horace,  Gryphius's  édition,  which  was  much 
indebted  to  the  sagacious  philological  observations  of  his 
Majesty. 

"  You  say,  sir  —  **  said  the  king. 

"  That  I  am  exceedingly  disquieted,  Sire.'* 

^'  Eeally  )  Hâve  you  had  a  dream  of  the  seven  îbX  kine 
and  seven  lean  kine  %  " 

"No,  Sire,  for  that  would  only  betoken  for  us  seven 
years  of  plenty  and  seven  years  of  scarcity  ;  and  with  a 
king  as  full  of  foresight  as  your  Majesty,  scarcity  is  not 
a  thing  to  be  feared." 

"  Then  of  what  other  scourge  are  you  afraid,  my  deai 
Bkcasr' 


112  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

''Sire,  I  bave  every  reason  to  believe  that  a  Btoma  is 
brewing  in  tbe  South." 

«  Well,  my  dear  duke,"  replied  Louis  XVIIT.,  «  I  think 
you  are  wrongly  informed,  and  I  know  positively  tbat 
on  tbe  contrary  it  is  very  fine  weatber  in  tbat  direction.** 
Man  of  ability  as  be  was,  Louis  XVIIIi  liked  a  pleasant 
jest. 

"  Sire,"  continued  M.  de  Blacas,  "  if  it  only  be  to  re- 
assure a  faitbful  servant,  will  your  Majesty  send  into 
Languedoc,  Provence,  and  Daupbiné,  trusty  men  wbo 
will  bring  you  back  a  faitbful  report  as  to  tbe  feeling  in 
tbese  tbree  provinces?" 

"  Canimus  surdis,**  replied  tbe  king,  continuing  tbe 
annotations  in  bis  Horace. 

"  Sire,"  replied  tbe  courtier,  laugbing,  in  order  tbat  be 
inigbt  seem  to  comprebend  tbe  quotation,  "  your  Majesty 
may  be  perfectly  rigbt  in  relying  on  tbe  good  feeling  of 
France,  but  I  fear  I  am  not  altogetber  wrong  in  dreading 
some  desperate  attempt." 

«  By  wbom  1  " 

"  By  Bonaparte,  or  at  least  bis  party." 

**  My  dear  Blacas,"  said  tbe  king,  "  you  with  your 
alarms  prevent  me  from  working." 

"And  you,  Sire,  witb  your  security  prevent  me  fix)m 
deeping." 

"  Wait,  my  dear  sir,  wait  a  moment,  —  for  I  havo  sucb 
a  deligbtful  note  on  tbe  Pastor  quum  traheret,-'-^  wait,  and 
I  will  listen  to  you  afterwards." 

Tbere  was  a  brief  pause,  during  wbicb  Louis  XVIIIr 
wrote  in  a  band  as  small  as  possible  anotber  note  on  tbe 
margîn  of  bis  Horace  ;  and  tben,  looking  at  tbe  duke  witb 
tbe  self-satisfied  air  of  a  man  wbo  tbinks  be  bas  an  idea  of 
bis  own  wbile  be  is  but  commenting  upon  tbe  idea  of 
anotber^  be  said,-* 


THE  SMALL  CABINET  OF  THË  TUILEBIES.        113 

**  Go  on,  my  dear  duke,  go  on  ;  I  listen." 

"8ire/'  said  Blacas,  who  had  had  for  a  moment  tbe 
hope  of  confiscating  Villefort  to  bis  own  profit,  **  1  am 
compelled  to  tell  you  that  tbese  are  not  mère  rumors  desti- 
tute  of  foundation  which  tlms  disqaiet  me  ;  but  a  reflective 
man  deserving  ail  my  confidence,  and  cbaiged  by  me  to 
watcb  over  tbe  Soutb  [tbé  duke  besitated  as  be  pronounced 
thèse  words],  bas  arrived  in  baste  to  tell  me  a  great  péril 
tbreatens  tbe  king,  and  tben  I  basten  to  you,  Sire." 

** Mala  duds  avi  dcymum^^ continued  Louis  XYIII.,  still 
annotating. 

"Does  your  Majesty  wisb  me  not  to  continue  tbis 
Bubject  %  " 

'^  By  no  means,  dear  duke;  but  reacb  out  your  band." 

'*  Wbich  î  " 

"  Whiobever  you  please  ;  tbere,  to  tbe  lefb." 

«  Hère,  Sirel  " 

''  1  tell  you  to  tbe  lefb,  and  you  seek  on  tbe  rigbt.  I 
mean  on  my  left,  —  yes,  tbere  ;  you  will  find  yesterday's 
report  of  tbe  minister  of  police.  But  bere  is  M.  Dandré 
bimself  ;  "  and  M.  Dandré,  announced  by  tbe  cbamberlain- 
in-waiting,  entered. 

"  Come  in,"  said  Louis  XVIII.,  witb  an  imperceptible 
smile,  —  ''  come  in,  Baron,  and  tell  tbe  duke  ail  you  know^ 
—  tbe  latest  news  of  M.  de  Bonaparte.  Do  not  conceal  any- 
tbing,  bowever  serions  ;  let  us  see,  tbe  island  of  Elba  is 
a  volcano,  and  we  may  expect  to  bave  issuing  tbence 
flaming  and  brîstling  war, — helUi^  horrida  beUa"  M. 
Dandré  leaued  very  respectfuUy  on  tbe  back  of  a  cbair 
witb  bis  two  bands,  and  said,  — 

"  Has  your  Majesty  perused  yesterday's  report  1  " 

"  Yes,  yes  ;  but  tell  tbe  duke  bipiself,  wbo  cannot  find 
it,  wbat  tbe  report  contains.  Give  bim  tbe  particulars  of 
what  tbe  usurper  is  doing  in  bis  islet." 

VOL.    I.  —  « 


114  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

*'  Monsieur,"  said  the  baron  to  tbe  duke,  "  ail  the  ser. 
vants  of  bis  Majestj  should  be  gratified  by  the  latest 
intelligence  which  we  hâve  from  the  island  of  Elba. 
Bonaparte,"  M.  Dandré  looked  at  Louis  XVI 11.,  who, 
employed  in  writing  a  note,  did  not  even  raise  bis  head,  — 
"  Bonaparte,"  continued  tbe  baron,  "  is  mortally  wearied, 
and  passes  wbole  days  in  watching  bis  miners  at  work  at 
Porto  Longone." 

''And  scratcbes  himself  for  amusement,"  added  tbe  king. 

*'  Scratcbes  himself  ?  "  inquired  tbe  duke,  ''  wbat  does 
your  Majesty  mean  ?  " 

"  Yes,  indeed,  my  dear  duke.  Do  you  forget  that  tbis 
great  man,  this  bero,  tbis  demigod,  is  attacked  witb  a  mal- 
ady  of  the  skin  which  worriea  him  to  death,  prurigo  ?  " 

"  And  moreover,  Monsieur  the  Duke,"  continued  the 
minister  of  police,  "  we  are  almost  assured  that  in  a  very 
short  time  the  usurper  will  be  insane/' 

"Insaneî" 

"  Insane  to  a  degree  ;  bis  head  becomes  weaker.  Some- 
times  be  weeps  bitterly,  sometimes  laugbs  boisterously  ; 
at  other  times  be  passes  bours  on  tbe  sea-sbore,  flinging 
stones  in  the  water,  and  wben  tbe  flint  makes  '  duck-and- 
drake  '  fîve  or  six  times,  be  appears  as  deligbted  as  if  be 
bad  gained  another  Marengo  or  Austerlitz.  Now,  you 
must  agrée  thèse  are  indubitable  symptoms  of  weakness." 

"  Or  of  wisdom.  Monsieur  the  Baron,  —  or  of  wisdom," 
said  Louis  XVIII.,  laugbing.  "The  greatest  captains  of 
antiquity  amused  tbemselves  with  casting  pebbles  into  tbe 
océan  ;  see  Plutarcb's  Life  of  Scipio  Africanus." 

M.  de  Blacas  pondered  deeply  on  this  blind  repose  of 
monarcb  and  minister.  Villefort,  who  did  not  choose  to 
reveal  the  wbole  secret,  lest  another  should  reap  ail  tbe 
benefit  of  tbe  disclosure,  bad  yet  communicated  euougb  to 
cause  bim  tbe  greatest  uneasiness. 


THE  SMALL  CABIKET  OF  THE  TUILERIES.         115 

«  Well,  well,  Dandré,"  said  Louis  XVIII.,  "  Blacas  is  not 
yet  convinced  ;  proceed,  therefore,  to  the  usurper's  con- 
version."    The  minister  of  police  bowed. 

"  The  usurper's  conversion  ?  "  murmured  the  duke, 
looking  at  the  king  and  Dandré,  who  spoke  alternately, 
like  Virgil's  shepherds.     "  The  usurper  converted  I  ** 

"  Decidedly,  my  dear  duke.*' 

"  In  what  waj  converted  î  " 

"  To  good  principles.     Explain  it,  Baron." 

"  Why,  this  it  is,  Monsieur  the  Duke,"  said  the  minis- 
ter, with  the  gravest  air  in  the  world  :  "  Napoléon  lately 
had  a  review,  and  as  two  or  three  of  his  old  vétérans  showed 
a  désire  to  return  to  France,  he  gave  them  their  dismissal, 
and  exhorted  them  to  *  serve  their  good  king.'  Thèse  were 
his  own  Avords,  Monsieur  the  Duke,  I  am  certain  of  that." 

•*  Well,  Blacas,  what  do  you  think  of  it  î  "  inquired  the 
king  triumphantly,  and  neglecting  for  a  moment  the  volu- 
minous  scholiast  before  him. 

"  I  say,  Sire,  that  Monsieur  the  Minister  of  Police  is 
greatly  deceived,  or  I  am  ;  and  as  it  is  impossible  it  can 
be  the  minister  of  police,  since  he  has  the  guardianship 
of  the  safety  and  honor  of  your  Majesty,  it  is  probable 
I  am  in  error.  However,  Sire,  if  I  might  advise,  your 
Majesty  will  interrogate  the  person  of  whom  I  spoke 
to  you,  and  I  will  urge  your  Majesty  to  do  him  this 
honor." 

"  Most  willingly,  Duke  ;  under  your  auspices  I  Avill 
reçoive  any  person  you  please,  but  with  arms  in  haud. 
Monsieur  the  Minister,  hâve  you  any  report  more  récent 
than  thisi  This  is  dated  February  20,  and  we  hâve 
reached  the  3d  of  March." 

*'  No,  Sire,  but  I  ara  hourly  expecting  one  ;  it  may  hâve 
arrived  since  I  left  my  office  this  moming." 

"  Go  thither,  and  if  there  be  none  —  well,  well,"  con- 


116  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

tinued  Louis  XVII L,  ''make  one;  that  is  the  usual  way, 
is  it  not  1  "  and  the  king  laughed  facetiouslj. 

"  Oh,  Sire,"  replied  the  minister,  "  we  hâve  do  occasion 
to  invent  any  ;  every  day  our  desks  are  loaded  ^vith  most 
circumstantial  denunciations  coming  from  crowds  of  indi- 
viduals  who  hope  for  some  retum  for  services  which  they 
do  not  rendër,  but  would  like  to.  They  trust  to  fortune, 
and  hope  that  some  unexpected  event  will  give  a  kind  of 
reality  to  their  prédictions." 

**Well,  sir,  go,"  said  Louis  XVIII.,  "and  remember 
that  I  am  waiting  for  you." 

"  I  will  but  go  and  return.  Sire  ;  I  shall  be  back  in  ten 
minutes/' 

"  And  I,  Sire/*  said  M.  de  Blacas,  *'  will  go  and  find  my 
messenger." 

"  Wait,  sir,  wait,"  said  Louis  XVIIL  "  Really,  Blacas, 
I  must  change  your  armoriai  bearings  ;  I  will  give  you  an 
eagle  with  outstretched  wings,  holding  in  its  claws  a  prey 
which  tries  in  vain  to  escape,  and  bearing  this  device,  — 
Tenaxr 

"Sire,  I  listen,''  said  M.  de  Blacas^  biting  his  nails 
with  impatience. 

"  I  wish  to  consult  you  on  this  passage^  '  MoUi  fugienê 
aniielùu  ;  *  you  know  it  refers  to  a  stag  flying  from  a  wolf. 
Are  you  not  a  sportsman  and  a  great  wolf-hunter  ?  Well, 
then,  what  do  you  think  of  the  molli  anhelitu  ?  ** 

"Admirable,  Sire;  but  my  messenger  is  like  the  stag 
you  refer  to,  for  he  bas  posted  two  hundred  and  twenty 
leagues  in  little  more  than  three  days." 

"Which  is  undergoing  great  fatigue  and  anxiety,  my 
dear  duke,  when  we  hâve  a  telegraph  which  takes  only 
three  or  four  hours,  and  that  without  pùtting  it  in  the 
least  in  thé  world  out  of  breath." 

"  Ah,  Sire,  you  recompense  but  badly  this  poor  young 


THE  SMALL  CABINET  OF  THE  TUILERIES.        119 

maa,  who  bas  corne  so  far,  and  with  so  much  ardor^  to 
give  your  Majestj  useful  information.  If  only  for  the 
sake  of  M.  de  Salvieux,  who  recommends  him  to  me^  I 
entreat  your  Majesty  to  receive  him  graciously." 

"  M.  de  Salvieux,  my  brother's  Chamberlain  î** 

«Yes,  Sire." 

**  He  is  at  MarseiUes." 

"  And  writes  me  thence." 

"  Does  he  speak  to  you  of  this  conspiracy  1  *** 

"No;  but  strongly  recommends  M.  de  Villefort^  and 
begs  me  to  présent  him  to  your  Majesty." 

"  M.  de  Villefort  !  "  cried  the  king,  "  is  the  messenger's 
name  M.  de  Villefort  î  " 

"  Yes,  Sire." 

"  And  he  comes  from  Marseilles  1  ** 

"  In  person." 

**Why  did  you  not  mention  bis  name  at  oncel**  te- 
plied  the  king,  betraying  some  uneasiness. 

**  Sire,  I  thought  bis  name  ivas  unknown  to  your 
Majesty." 

**  Noy  no,  Blacas  ;  he  is  a  man  of  strong  and  elevated 
understanding,  ambitious  too,  and,  pardieul  you  know 
his.  father's  name." 

"  His  father  ?  " 

«  Yes,  Noîrtier." 

"  Noirtier  the  Girondin  1    Noirtier  the  senator  !  ^ 
/^Hehimself." 

"And  your  Majesty  bas  employed  the  son  of  such  a 
man  ?  " 

"Blacas,  my  friend,  you  bave  but  limited  compréhen- 
sion. I  told  you  Villefort  was  ambitious  ;  to  win  succesa 
Villefort  would  sacrifice  everything,  even  bis  father." 

"  Then,  Sire,  may  I  présent  him  ?  *' 

"  This  instant,  Duke  1     Where  is  he  t  ** 


118  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTa 

"  Waiting  below,  in  my  carriage." 

**  Go  for  him  at  once." 

"  I  will  do  80." 

The  duke  left  the  royal  présence  witb  tbe  speed  of  a 
young  man  ;  bis  really  sincère  royalism  made  bim  youtb- 
ful  again.  Louis  XVIII.  remained  alone,  and  tuming 
bis  eyes  on  bis  balf-opened  Horace,  muttered,  *'  Jtutum  et 
tenacem  proponti  virumy 

M.  de  Blacas  returned  ^'itb  tbe  same  rapidity  be  bad 
descended,  but  in  tbe  ante-cbamber  be  was  forced  to 
appeal  to  tbe  king's  autbority.  Yillefort's  dusty  garb; 
bis  costume,  wbich  was  not  of  courtly  eut,  excited  tbe 
susceptibility  of  M.  de  Brézë,  who  was  ail  astonisbment 
at  finding  that  tbis  young  man  bad  tbe  pretension  to 
enter  before  tbe  king  in  sucb  attire.  Tbe  duke,  bowever, 
removed  ail  difïiculties  witb  a  word,  —  bis  Majesty's  order; 
and  in  spite  of  tbe  observations  wbicb  tbe  master  of  tbe 
cérémonies  made  for  tbe  bonor  of  bis  office  and  principles, 
Villefort  was  introduced. 

Tbe  king  was  seated  in  the  same  place  wbere  tbe  duke 
bad  lefb  him.  On  opening  the  door,  Villefort  found  him- 
self  facing  bim,  and  the  young  magistrate's  first  impulse 
was  to  pause. 

"Come  in,  M.  de  Villefort,"  said  the  king,  "corne. in." 
Villefort  bowed,  and  advancing  a  few  steps,  waited  until 
the  king  should  interrogate  him. 

"M.  de  Villefort,"  said  Louis  XVIIL,  "tbe  Duc  de 
Blacas  assures  me  you  bave  some  important  information 
to  communicate." 

"Sire,  tbe  duke  is  right;  and  I  believe  your  Majesty 
will  recognize  its  importance." 

"  In  tbe  first  place,  and  before  everything  else,  sir,  is 
tbe  evil  as  great  in  your  opinion  as  they  wish  to  make  me 
believe  ï  " 


THE  SMALL  CABINET  OF  THE  TUILERIES.        II VI 

**  Sire,  I  believe  the  evil  to  be  great,  bjat  I  hope,  thanks 
ko  the  speed  I  bave  used,  that  it  ia  not  irréparable/' 

''  Speak  as  fully  as  you  please,  sir/'  said  the  king,  who 
began  to  give  way  to  the  émotion  which  bad  showed  it- 
self  in  Blacas's  facQ  and  affscted  Yillefort's  yoice.  **  Speak, 
sir,  and  pray  begin  at  the  beginning;  I  like  order  in 
everything." 

"  Sire,"  said  Villefort,  "  I  will  render  a  faithful  report 
to  jour  Majesty,  but  I  must  entreat  your  forgiveness  if 
my  anxicty  créâtes  some  obscurity  in  my  language."  A 
glance  at  the  king  after  this  discreet  and  subtle  exordiiim 
assured  Villefort  of  the  benignity  of  bis  august  auditor,  and 
heoontinued,  — 

''  Sire,  I  bave  corne  as  rapidly  to  Paris  as  possible,  to 
inform  your  Majesty  that  I  bave  discovered  in  the  exer- 
cise of  my  duties,  not  a  commonplace  and  insignificant 
plot,  such  as  is  every  day  got  up  in  the  lower  ranks  of  the 
people  and  in  the  army,  but  an  actual  conspiracy,  —  a 
storm  which  menaces  even  the  throne  of  your  Majesty. 
Sire,  the  usurper  is  anhing  three  ships  ;  be  méditâtes  some 
project,  which,  bowever  mad,  may  yet  be  terrible.  At 
this  moment  he  will  bave  lefb  Elba,  to  go  — whitherl  I 
know  not,  but  assuredly  to  attempt  a  landing  either  at 
Naples,  or  on  the  coast  of  Tuscany,  or  perhaps  on  the 
shore  of  France.  Your  Majesty  is  well  aware  that  the 
sovereign  of  the  Isle  of  Elba  bas  maintained  bis  relations 
with  Italy  and  France!" 

''  I  am,  Monsieur,"  said  the  king,  much  agitated  ;  ''and 
recently  we  bave  had  information  of  Bonapartist  réunions 
in  the  Rue  St.  Jacques.  But  proceed,  1  beg  of  you. 
How  did  you  obtain  thèse  détails?" 
.  '*  Sire,  they  are  the  results  of  an  examination  which  I 
hâve  made  of  a  man  of  Marseilles,  whom  I  hâve  watched 
for  some  time,  and  arrested  on  the  day  of  my  departure. 


120  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

This  person,  a  saUor  of  turbulent  character,  and  whom  1 
suspected  of  Bonapartism,  bas  been  secretly  to  the  Isle  of 
£lba.  There  be  saw  tbe  grand-marsbal,  wbo  cbarged  lûm 
witb  a  verbal  mission  to  a  Bonapartist  in  Paris,  wbose 
iiame  I  could  not  extract  from  bim  ;  but  tbis  mission  was 
to  prépare  menfs  minds  for  a  retum  (it  is  tbe  man  wbo 
says  tbis,  Sire),  —  a  retum  wbicb  will  soon  occur.** 

''  And  wbere  is  tbis  man  )  *' 

"  In  prison.  Sire." 

*'  And  tbe  matter  seems  serions  to  you  1" 

**  So  serious,  Sire,  tbat  wben  tbis  event  surprised  me 
in  tbe  midst  of  a  family  festival,  on  tbe  very  day  of  my 
betrotbal,  I  left  my  bride  and  friends,  postponing  every- 
tbing  tbat  I  migbt  basten  to  lay  at  your  Majesty's  feet 
tbe  fears  wbicb  impressed  me,  and  tbe  assurance  of  my 
dévotion." 

"True,"  said  Louis  XVIII.  ;  "was  tbere  not  a  mar- 
riage  engagement  between  you  and  Mademoiselle  de 
Saint-Méran  1  " 

"  Paugbter  of  one  of  your  Majesty*s  most  faitbful 
servants." 

"  Yes,  yes  ;  but  let  us  talk  of  tbis  plot,  M.  de  Yillefort.** 

''Sire,  I  fear  it  is  more  tban  a  plot;  I  fear  it  is  a 
conspiracy." 

"A  conspiracy  in  tbese  times,"  said  Louis  XVIII., 
smiling,  ^^  is  a  tbing  very  easy  to  meditate,  but  more  diffî- 
cuit  to  conduct  to  success,  inasmucb  as,  re-establisbed  so 
recently  on  tbe  tbrone  of  our  ancestors,  we  bave  our  eyea 
open  at  once  upon  tbe  past,  tbe  présent,  and  tbe  future. 
For  tbe  last  ten  montbs  my  ministers  bave  redoubled 
tbeir  vigilant  watcb  of  tbe  sbore  of  tbe  Mediterranean,  al- 
tbougb  it  is  well  guarded.  If  Bonaparte  landed  at  Naples, 
tbe  wbole  coalition  would  be  on  foot  before  be  could 
even  reacb  Piombino  ;  if  be  land  in  Tuscany,  he  will  be 


THE  SMALL  CABINET  OF  THE  TUILERIES.        121 

in  an  unfriendly  territory  ;  if  he  land  in  France,  it  must 
be  with  a  handful  of  men,  and  the  resuit  of  that  is  easily 
foretoldy  execrated  as  he  is  by  the  population.  Take 
courage,  sir;  but  at  the  same  time  relj  on  our  royal 
gratitude." 

*'  Ahy  hère  is  M.  Dandrë  !  *'  cried  Blacas.  At  this  in- 
stant the  minister  of  police  appeared  at  the  door,  pale, 
trembling,  and  as  if  ready  to  faint.  Yillefort  was  about 
to  retire,  but  M.  de  Blacas,  taking  his  hand,  restrained 
hinL 


122  THS  COUNT  OF  MONTS  CRI8I0. 


CHAPTER  XL 

THB  OGBB  OF  0OB8ICA. 

âT  the  sîght  of  this  agitation  Louis  XYIIL  violentl^ 
pushed  away  the  table  at  ivliicb  he  was  writisg. 

**  Wbat  ails  you.  Monsieur  tbe  Baron  1  "  be  exclaimed. 
"  You  appear  quite  agbast.  Tbis  trouble,  tbis  besitatiouy-— 
bave  tbey  anytbing  to  do  ifvitb  wbat  M.  de  Blacas  bas  told 
me,  and  M.  de  Villetbrt  bas  just  coufirmed  1  ** 

M.  de  Blacas  moved  suddenly  towards  tbe  baron,  but 
tbe  frigbt  of  the  courtier  dominated  tbe  trîumpb  of  tbe 
statesman;  and  besides,  as  matters  were,  it  was  mucb 
more  to  bis  advantage  that  tbe  prefect  of  police  sbould  trî- 
umpb over  bim  tban  that  be  sbould  bumiliate  tbe  prefect. 

**  Sire  —  **  stammered  tbe  baron. 

" Well,  wbat  is  itl"  asked  Louis  XVIIL  Tbe  minis- 
ter  of  police,  giving  way  to  an  impulse  of  despair,  was 
about  to  throw  bimself  at  tbe  feet  of  Louis  XVIIL,  wbo 
retreated  a  step  and  frowned. 

**  Will  you  speak  î  "  be  said. 

''  Oh,  Sire,  wbat  a  dreadful  misfortune  !  I  am  indeed 
to  be  pitied.     I  can  never  foigive  myself  !  " 

**  Monsieur,"  said  Louis  XVIIL,  "  I  command  you  to 
speak  I  " 

«  Well,  Sire,  tbe  usurper  left  Elba  on  the  26tb  of  Feb 
ruary,  and  landed  on  tbe  Ist  of  Marcb.'* 

'*  And  wbere,  —  in  Italy  ?''  asked  tbe  king,  eagerly. 

*'  lu  France,  Sire  ;  at  a  small  port,  near  Antibes,  in  tbe 
Gulf  cf  Juan." 


THE  OGRE  OF  CORSICA.  123 

''The  usurper  landed  in  France  near  Antibes,  in  the 
Gulf  of  Juan,  two  hundred  and  fifty  leagues  from  Paris^  on 
the  Ist  of  March,  and  yoa  acquired  this  information  only 
to-day,  the  4th  of  March  I  Well,  sir,  what  you  tell  me  is 
impossible.  You  must  hâve  received  a  &lse  report,  or 
you  hâve  gone  mad." 

"  Alas,  Sire,  it  is  but  too  true  !  '* 

Louis  made  a  gesture  of  indescribable  anger  and  alarm, 
and  then  drew  himself  up  as  if  this  sudden  blow  had 
striick  him  at  the  same  moment  in  heart  and  countenance. 

"  In  France  !  '*  he  cried,  "  the  usurper  in  France  I  Then 
they  did  not  watch  over  this  man.  Who  knows  ?  they 
were  perhaps  in  league  with  him  !  " 

**  Oh,  Sire  I  **  exclaimed  the  Duc  de  Blacas,  "  M.  Dan- 
dré  is  not  a  man  to  be  accused  of  treason  !  Sire,  we  hâve 
ail  been  blind,  and  the  minister  of  police  has  shared  the 
gênerai  blindness, — that  is  ail." 

"But  —  **  said  Villefort,  and  then  suddenly  checked 
himself.  "  Your  pardon,  Sire,"  he  said,  bowîng  ;  "  my 
zeal  carried  me  away.  Will  your  Majesty  deign  to  excuse 
mer' 

"  Speak,  sir,  speak  boldly,"  replîed  Louis.  **  You  alone 
forewarned  us  of  the  evil  ;  advise  us  now  while  we  look 
for  the  remedy  I  " 

"  Sire,"  said  Villefort,  "  the  usurper  is  detested  in  the 
South  ;  and  it  seems  to  me  that  if  he  ventures  thither, 
it  will  be  easy  to  raise  Languedoc  and  Provence  against 
him." 

"  Yes,  assuredly,"  replied  the  minister  ;  "  but  he  is  ad- 
vancing  by  Gap  and  Sisteron." 

"Advancingi  he  is  advancîngl"  said  Louis  XVIIL 
**  Is  he  then  advancing  on  Paris  î  " 

The  minister  of  police  kept  a  silence  which  was  équiva- 
lent to  a  fuU  admission. 


Î24  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTa 

''And  Dauphinë,  Monsieur  1"  inquiied  the  kîng,  oi 
Villefort  ''Do  you  think  it  possible  to  rouse  that  as 
well  as  Provence  î** 

**  Sire,  I  am  sorry  to  tell  your  Majesty  a  cruel  fact  ;  but 
the  feeling  in  Dauphiné  is  far  from  resembling  that  of 
Provence  or  Languedoc  The  mountaineers  are  Bonapart- 
ists,  Sire." 

"Then/*  murmured  Louis,  "he  was  well  informed 
And  how  many  men  had  he  with  himl" 

"I  do  not  know,  Sire,"  answered  the  niinister  of 
police. 

"  What  I  you  do  not  know  1  Hâve  you  neglected  to 
obtain  information  of  this  circumstance  1  It  is  true  this 
is  of  small  importance/'  he  added  with  a  withering 
smile. 

''  Sire,  it  was  impossible  to  leam  ;  the  despatch  simply 
stated  the  fact  of  the  landing  and  the  route  taken  by  the 
usurper." 

"And  how  did  this  despatch  reach  yout"  inquired  the 
king. 

The  minister  bowed  his  head,  and  while  a  deep  color 
overspread  his  cheeks,  he  stammered  out,  **  By  ^the  tele- 
graph,  Sire.** 

Louis  XVIII.  advanced  a  step,  and  folded  his  arms 
over  his  chest  as  Napoléon  would  bave  donc.  **  So,  then," 
he  exclaimed,  tuming  pale  with  anger,  ''soven  allied 
armies  overthrew  that  man.  A  miracle  of  Heaven  re- 
placed  me  on  the  throne  of  my  fathers  afber  twenty-five 
years  of  exile.  I  bave,  during  those  fîve  and  twenty 
years,  studied,  sounded,  analyzed  the  men  and  things  of 
that  France  which  was  promised  to  me  ;  and  when  I  bave 
attained  the  end  of  ail  my  wishes,  the  power  I  hold  in  my 
hands  bursts  and  shatters  me  to  atoms  !  ** 

"  Sire,  it  is  &tality  1  ''  murmured  the  minister,  feelîns 


THE  OGRE  OF  OOBSICA.  125 

thaï  sach  a  pressure,  however  light  for  destiny,  was 
sufficient  to  overwhelm  a  man. 

**  What  our  enemies  say  of  us  is  then  true  :  we  bave 
leamed  nothing,  forgotten  nothing  !  If  I  were  betrayed 
as  he  was,  I  would  console  myself  ;  but  to  be  in  the 
midst  of  persons  elevated  by  myself  to  dignities,  who 
ought  to  watch  over  me  more  carefuUy  than  over  thern* 
selves,  —  for  my  fortune  is  theirs  ;  before  me  they  were 
nothing,  afber  me  they  will  be  nothing,  —  and  perish 
miserably  from  incapacity,  ineptitude  I  Oh,  yes.  Mon- 
sieur, you  are  right,  —  it  is  £Eitality  1  " 

The  minister  was  bowed  beneath  this  crushing  sarcasm* 
M.  de  Blacas  wiped  the  moisture  from  bis  brow.  Ville- 
fort  smiled  within  himself,  for  he  perceived  his  increased 
importance. 

"  To  fall  !  **  continued  King  Louis,  who  at  the  first 
glance  had  sounded  the  abyss  over  which  the  monarchy 
hung  suspended,  —  "  to  fall,  and  learn  that  fall  by  tele- 
graph  1  Oh  I  I  would  rather  mount  the  scaffold  of  my 
brother,  Louis  XYI.,  than  thus  descend  the  staircase  of 
the  Tuileries  driven  away  by  ridicule.  Eidicule,  Mon- 
sieur !  wby  you  know  not  its  power  in  France,  and  y  et 
you  ought  to  know  itl" 

"  Sire,  Sire,"  murmured  the  minister,  "  for  pîty's  —  '^ 

"  Approach,  M.  de  Villefort,"  resumed  the  king,  ad- 
dressing  the  young  man,  who,  motionless  and  breathless, 
was  listening  to  a  conversation  on  which  depended  the 
destiny  of  a  kingdom,  —  "approach,  and  tell  Monsieur 
that  it  was  impossible  to  know  beforehand  ail  that  he  bas 
not  known." 

''Sire,  it  was  really  impossible  to  leam  secrets  which 
that  man  concealed  from  ail  the  world/' 

''  Really  impossible  !  Yes  ;  that  is  a  great  word,  Mon- 
sieur.    XJnfortunately,  there  are  great  words,  as  there  are 


J26  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO 

great  men  ;  I  hâve  measured  them.  Really  impossible 
for  a  minister  wlio  bas  au  office,  agents,  spies,  and  fiflbeen 
hundied  thousand  francs  for  secrelrservice  money,  to 
know  wbat  is  going  on  at  sixty  leagues  from  tbe  coast  of 
France  !  Well,  tben,  see  ;  bere  is  a  gentleman  wbo  bad 
iione  of  tbese  resources  at  bis  disposai,  —  a  gentleman, 
onlj  a  simple  magistrate,  wbo  leamed  more  tban  you 
witb  ail  your  police,  and  wbo  would  bave  saved  my  crown, 
i^  like  you,  be  bad  tbe  power  of  directing  a  telegrapb." 

The  look  of  tbe  minister  of  police  was  tumed  witb  an 
expression  of  concentrated  batred  ou  Yillefort,  wbo  bent 
bis  bead  witb  tbe  modesty  of  triumpb. 

**  I  do  not  mean  tbat  for  you,  Blacas,"  continued  Louis 
XVIII. ;  "for  if  you  bave  discovered  notbing,  at  least 
you  bave  bad  tbe  good  sensé  to  persévère  in  your  suspi- 
cions. Any  otber  tban  yourself  would  bave  considered 
tbe  disclosure  of  M.  de  Yillefort  as  insignificant,  or  else 
dictated  by  a  vénal  ambition." 

Tbese  words  were  meant  to  allude  to  tbose  wbicb  tbe 
minister  of  police  bad  uttered  witb  so  mucb  confidence  an 
bour  before.  Yillefort  understood  tbe  drift  of  tbe  king's 
remarks.  Any  otber  person  would  perbaps  bave  been 
too  mucb  overcome  by  tbe  intoxication  of  praise  ;  but  be 
feared  to  make  for  bimself  a  mortal  enemy  of  tbe  police 
minister,  altbougb  be  perceived  tbat  Dandré  was  irrevoca- 
bly  lost.  In  fact,  tbe  minister,  wbo  in  tbe  plénitude  of 
bis  power  bad  been  unable  to  peuetrate  Napoleon*s  secret, 
migbt  in  tbe  convulsions  of  bis  dying  tbroes  penetrate  bis 
(Villefort's)  secret,  for  wbicb  end  be  bad  but  to  interrogate 
Dantës.  He  tberefore  came  to  tbe  rescue  of  tbe  crest- 
fallen  minister,  instead  of  aiding  to  crusb  bim. 

"  Sire,"  said  Yillefort,  '*  tbe  rapidity  of  tbe  event  must 
prove  to  your  Majesty  tbat  God  alone  can  prevent  it,  by 
raising  a  tempest  ;  wbat  your  Majesty  is  pleased  to  attri- 


THE  OGRE  OF  CORSICA,  1!:7 

bute  to  me  as  profound  perspîcaoity  is  simply  owing  to 
chance,  and  I  hâve  profited  by  that  chance  like  a  good 
and  devoted  servant,  —  that  's  alL  Do  not  attribute  to 
me  more  than  I  deserve.  Sire,  that  your  Majesty  may 
never  bave  occasion  to  recall  the  first  opinion  yoa  bave 
been  pleased  to  form  of  me.'' 

The  minister  of  police  thanked  the  young  man  by  an 
éloquent  look,  and  ViUefort  understood  that  he  had  suc- 
coeded  in  bis  design  ;  that  is  to  say,  that  without  forfeit- 
ing  the  gratitude  of  the  king  he  had  made  a  friend  of  one 
on  wbom,  in  case  of  necessity,  he  might  rely. 

'''T  is  well  I  "  resumed  the  king.  '*  And  now,  gentle- 
men," he  continued,  turning  towards  M.  de  Blacas  and 
the  minister  of  police,  ''I  bave  no  further  occasion  for 
you,  and  you  may  retire  ;  what  now  remains  to  do  must 
be  done  through  the  department  of  the  minister  of  war." 

"  Fortunately,  Sire,"  said  M.  de  Blacas,  "we  can  rely 
on  the  army  ;  your  Majesty  knows  bow  every  report  con- 
firms  their  loyalty  and  attachment." 

''  Do  not  mention  reports,  Monsieur,  to  me  !  for  I  know 
now  what  confidence  to  place  in  them.  Yet,  à  propos  of 
reports.  Monsieur  the  Baron,  what  intelligence  bave  you  as 
to  the  affair  in  the  Rue  St.  Jacques  V* 

**  The  affair  in  the  Rue  St.  Jacques  I  "  exclaimed 
ViUefort,  unable  to  repress  an  exclamation.  Tben,  sud- 
denly  pausing,  he  added,  ''Your  pardon,  Sire,  but  my 
dévotion  to  your  Majesty  bas  made  me  forget,  not*  my  re- 
spect towards  you,  for  that  is  too  deeply  engraven  in  my 
heart,  but  the  rules  of  étiquette." 

"  Say  and  act,  sir  !  "  replied  the  king  ;  "  you  bave 
acquired  to-day  the  rîgbt  to  ask  questions." 

"Sire,"  replied  the  minister  of  police,  **I  came  this 
moment  to  give  your  Majesty  fresh  information  which  I 
had  obtained  on  this  bead,  wben  your  Majesty's  attention 


128  THB  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

was  attracted  by  this  terrible  affair  of  the  gulf  ;  aad  now 
thèse  facts  will  cease  to  inteiest  your  Majesty." 

"  On  the  contrary,  Monsieur,  —  on  the  contrary,"  said 
Louis  XY III.y  **  this  affair  seems  to  me  to  hâve  a  decided 
connection  with  that  which  occupies  our  attention  ;  and 
the  death  of  General  Quesnel  will  perhaps  put  us  on  the 
direct  track  of  a  great  internai  conspiracy." 

At  the  name  of  Greneral  Quesnel,  Yillefort  trembled. 

"  In  fact,  Sire,"  said  the  minister  of  police,  **  ail  évi- 
dence leads  to  the  conclusion  that  this  death  is  not  the 
resuit  of  a  suicide,  as  we  at  first  believed,  but  of  an  assas- 
sination.  General  Quesnel  had  quitted,  as  it  appears,  a 
Bonapartist  club  when  he  disappeared.  An  unknown 
person  had  been  with  him  that  moming,  and  made  an  ap- 
pointment  with  him  in  the  Rue  St.  Jacques;  unfortu- 
nately,  the  générales  valetrde-charnbrey  who  was  dressing 
his  hair  at  the  moment  when  the  stranger  entered, 
though  he  heard  the  street  mentioned,  did  not  catch  the 
number." 

As  the  police  minister  related  this  to  the  king,  Yille- 
fort, who  followed  the  récital  as  if  his  very  existence  hung 
upon  it,  tumed  altemately  led  and    pale.    The    king^ 
lobkçd  towards  him. 

"  Do  you  not  think  with"  me,  M.  de  YiHefort,  that  Gen- 
eral Quesnel,  whom  they  believed  attached  to  the  usurper, 
but  who  was  really  entirely  devoted  to  me^  bas  perished 
the  viotim  of  a  Bonapartist  ambush  ?  '* 

"It  is  probable,  Sire,"  replied  Yillefort  "But  is  this 
ail  that  is  known  1  " 

.  "  They  are  on  the  traces  of  the  man  who  appoînted  the 
meeting  with  him." 

"  On  his  traces  î  "*  said  Yillefort. 

^  Yes,  the  servant  bas  given  his  d^criptîon.  He  is  a 
aian  of  from  fifty  to  fifby-two  years  of  âge,  brown,  with 


) 


THE  OGRE  OF  CORSICA.  129 

black  eyes  covered  with  shaggy  eyebrows,  and  a  thick 
mostache.  He  was  dressed  in  a  blue  frock-coat,  buttoned 
up  to  the  chin,  and  wore  at  his  button-hole  the  rosette  of 
an  officer  of  the  Légion  of  Honor.  Yesterday  an  individ- 
ual  was  followed  exactly  corresponding  with  this  descrip- 
tion,  but  he  was  lost  sight  of  at  the  corner  of  the  Rae  de 
la  Jussienne  and  the  Eue  Coq-Hëron." 

Yillefort  leaned  on  the  hock  of  an  armchair,  for  as 
the  minister  of  police  spoke  he  felt  his  legs  bend  under 
him  ;  but  when  he  leamed  that  the  unknown  had  escaped 
the  vigilance  of  the  agent  who  fuUowed  him,  he  breathed 
again. 

'^  Continue  to  seek  for  this  man,  Monsieur/'  said  the 
king  to  the  minister  of  police;  ''for  if,  as  ail  conspires  to 
convince  me,  General  Quesnel,  who  would  bave  been  so 
useful  to  us  at  this  moment,  bas  been  murdered,  his  assas- 
sins, Bonapartists  or  not,  shall  be  cruelly  punished." 

It  required  ail  Villefort's  mng-frmd  not  to  betray  the 
terror  with  which  this  déclaration  of  the  king  inspired 
him. 

''  How  strange  1  "  continued  the  king,  with  some  asper- 
ity.  ^'  The  police  thinks  ail  is  said  when  it  says,  '  A  mur- 
der  bas  been  committed  ;  '  and  particularly  when  it  adds, 
*  We  are  on  the  trace  of  the  guilty  persons.'  " 

"  Sire,  your  Majesty  will,  I  trust,  be  amply  satisfied  on 
this  point  at  least." 

''We  shall  see.  I  will  no  longer  detain  you,  Baron. 
M.  de  Yillefort,  you  must  be  fatigued  after  so  long  a  jour- 
i^^y^  go  fti^d  rest  yourself.  Of  course  you  stopped  at 
your  father^sî" 

A  faintness  came  over  Villefort  "No,  Sire,"  he  re- 
plied  ;  "  I  alighted  at  the  Hôtel  de  Madrid,  in  the  Rue  de 
Toumon." 

"  But  you  bave  seen  him  1  '' 

TOL,  L  —  9 


130  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTa 

^Sîie^  I  went  siiaîght  to  M.  le  Duc  de  Blacas.'' 

'^  Bat  you  wîll  see  him,  then }  '' 

"  I  thbk  not,  Sire." 

''  Ahy  I  forgot/'  said  Louis,  smiling  in  a  manner  which 
proved  that  ail  thèse  questions  were  not  made  without  a 
motive  ;  ''  I  forgot  you  and  M.  Noiitier  are  not  on  the  best 
terms  possible  ;  that  is  another  sacrifice  made  to  the  royal 
cause,  and  for  which  you  should  be  recompensed." 

"Sire,  the  kindness  your  Majesty  deigns  to  évince 
towards  me  is  a  recompense  which  so  far  surpasses  my 
utmost  ambition  that  I  hâve  nothing  more  to  request.'^ 

«  Never  mind,  Monsieur,  we  will  not  forget  you  ;  make 
your  mind  easy.  In  the  meanwhile  [the  king  hère  de- 
tached  the  cross  of  the  Légion  of  Honor  which  he  usually 
wore  over  his  blue  coat  near  the  cross  of  Saint  Louis,  above 
the  order  of  Notre  Dame  du  Mont  Carmel  and  St.  Lazare, 
and  gave  it  to  Yillefort]  —  in  the  meanwhile  take  this 


cross." 


''Sire,*'  said  Yillefort^  "your  Majesty  mistakes;  thia 
cross  is  that  of  an  offîcer." 

"  Ma  foi  I  "  said  Louis  XVIIL,  "  take  it,  such  as  it  is, 
for  I  hâve  not  the  time  to  procure  you  another.  Blacas, 
let  it  be  your  care  to  see  that  the  brevet  is  made  out  and 
sent  to  M.  de  Villefort." 

Villefort's  eyes  were  fiUed  with  tears  of  joy  and  pride  ; 
he  took  the  cross  and  kissed  it.  ''  And  now,"  he  said, 
"may  I  inquire  what  are  the  orders  with  which  your 
Majesty  deigns  to  honor  me)" 

''Take  what  rest  you  require;  and  lemember  that, 
unable  to  serve  me  hère  in  Paris,  you  may  be  of  the 
greatest  service  to  me  at  Marseilles.'* 

"Sire,"  replied  Yillefort,  bowing,  "in  an  hour  I  shall 
bave  quitted  Paris." 

"  Gro,  sir,"  said  the  king  ;  *'  and  should  I  forget  you 


THE  OGRE  OF  CÛBSICA.  131 

(kii]g*8  memorîes  aro  short),  do  net  be  afraid  to  brîng 
yourself  to  my  recollection.  MoLéiear  the  Baron,  send 
for  the  mînister  of  war.    Blacas,  remain.'' 

"  Ah,  sir/'  said  the  minister  of  police  to  Yillefort,  as 
they  lefb  the  Toileries,  "you  enter  by  the  right  door; 
your  fortnne  is  made." 

*'  Will  it  continue  ]  "  muttered  Yillefort,  salating  the 
minister,  whose  career  was  ended,  and  looking  about  him 
for  a  hackney-coach.  One  passed  at  the  moment,  which 
he  hailed.  He  gave  his  address  to  the  driver,  and  spring- 
ing  in,  threw  himself  on  the  seat,  and  gave  loose  to  dreams 
of  ambition. 

Ten  minutes  afberwards  YiUefort  reached  his  hôtel, 
ordered  his  horses  in  two  hours,  and  deaired  to  bave  his 
breakfast  brought  to  him.  He  was  about  to  commence 
his  repast  when  the  sound  of  the  bell,  rang  by  a  free  and 
firm  hand,  was  heard.  The  valet  opened  the  door,  and 
Yillefort  heard  his  name  pronounced. 

*^  Who  could  know  that  I  was  hère  alreadyf  **  said  the 
young  man. 

The  valet  entered. 

«  Well,"  said  Yillefort,  «  what  îs  ît  »  Who  rang  1  Who 
asked  for  me  1  " 

"  A  stranger,  who  will  not  sènd  in  his  name." 
.  "  A  stranger  who  will  not  send  in  his  name  I    Wha< 
can  he  want  with  me]'' 

**  He  wishes  to  speak  to  yoo." 

««Tomeî" 

"  Yes." 

''  Did  he  mention  my  name  t  ^ 

"Tes." 

"  What  sort  of  person  is  he  1  " 

"  Why,  sir,  a  man  of  about  fifty." 

"Short  or  talir 


132  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTa 

/f  About  your  own  height,  sir." 

"  Dark  or  fair  1"  ^ 

"  Dark,  —  very  dark  ;  with  black  eyes,  black  hair,  black 
eyebrows." 

"  And  how  dressed  î  "  asked  Villefort,  quîckly. 

'^  In  a  blue  fiock-coat,  buttoned  up  closeï  decorated  \^ith 
the  Légion  of  Honor." 

"  It  is  he  !  "  said  Villefort,  turning  pale. 

"  Eh,  pardieu  I  "  said  the  individuàl  whose  description 
we  hâve  twice  given,  entering  tbe  door,  **  what  a  great 
deal  of  ceremony  !  Is  it  the  custom  in  Marseilles  for  sons 
to  keep  their  fathers  waiting  in  their  ante-rooms  1  " 

"  Father  !  "  cried  Villefort,  "  then  I  was  not  deceived  ; 
I  felt  sure  it  must  be  yoii." 

"  Well,  then,  if  you  felt  so  sure,*'  replied  the  new-comer, 
putting  his  cane  in  a  corner  and  bis  bat  on  a  chair,  "  allow 
me  to  say,  my  dear  Grérard,  that  it  was  not  very  filial  of 
you  to  keep  me  waiting  at  the  door." 

•*  Leavo  us,  Germain,"  said  Villefort  Tbe  servant  quit- 
ted  tbe  apartment  with  évident  signs  of  astonishmenL 


FATHER  AND  SON.  133 


CHAPTEE   XIL 

FATHEB  AND  SON. 

M.  NoiBTiEB  —  for  it  was  indeed  he  who  enteied  —  fol- 
lowed  with  his  eyes  the  servant  until  be  had  closed  the 
door,  and  then,  fearing,  no  doubt,  that  be  might  be  over- 
heard  in  tbe  ante-cbamber,  be  opened  the  door  again  ;  nor 
was  tbe  précaution  useless,  as  appeared  from  tbe  rapid 
retreat  of  Germain,  who  proved  that  be  was  not  exempt 
from  the  sin  whicb  ruined  our  first  parents.  M.  Noirtier 
tben  took  the  trouble  to  close  carefully  tbe  door  of  the 
ante-chamber,  then  that  of  the  bed-chamber,  and  tben 
extended  bis  hand  to  Villefort,  who  had  followed  ail  bis 
motions  witb  a  surprise  from  whicb  be  had  not  yel 
recovered. 

"  Well,  now,  my  dear  Gérard,"  saîd  tbe  visiter  to  the 
young  man,  with  a  very  signiôcant  look,  "  do  you  know, 
y  ou  seem  as  if  you  were  not  very  glad  to  see  me  î  ** 

"  My  dear  father,"  said  Villefort,  "  I  am,  on  tbe  con- 
trary,  deligbted  ;  but  I  so  little  expected  your  visit  that 
it  bas  somèwhat  overcome  me." 

"But,  my  deap  fellow,"  replied  M.  Noirtier,  seating 
bimself,  "  I  might  say  the  same  thing  to  you,  when  you 
announce  to  me  your  wedding  for  the  28th  of  February^ 
and  on  the  4tb  of  Marcb  are  bere  in  Paris." 

"  And  if  I  bave  corne,  my  dear  father,"  said  Gérard, 
di'awing  doser  to  M.  Noirtier,  "  do  not  compkdn,  for  it  is 
for  you  that  I  came,  and  my  journey  will  perbaps  be  youi 
salvation." 


f 


134  THE    COUNT  OF  MONTE  CRISTa 

''  Ah,  îndeed  !  "  saîd  M.  Noirtier,  stretching  bimself  out 
at  his  ease  in  tho  chair.  '*  Eeally,  pray  tell  me  ail  about 
it^  Monsieur  the  Magistrate,  for  it  must  be  iuteresting." 

'^  Father,  you  hâve  heard  of  a  certain  club  of  Bonapar- 
tists  held  in  the  Rue  St.  Jacques  )  '* 

^'  No.  53  ;  yes,  I  am  its  vice-président'' 

"  Father,  your  coolness  makes  me  shudder." 

*^  Why,  my  dear  boy,  when  a  man  bas  been  proscribed 
by  the  mountaineers,  bas  escaped  from  Paris  in  a  hay-cart, 
been  hunted  in  the  wildemess  of  Bordeaux  by  M.  Robes- 
pierre's  bloodhounds,  he  becomes  accustomed  to  most 
things.  But  go  on,  what  about  the  club  in  the  Rue  St. 
Jacques  %  " 

''  Why,  they  induced  General  Quesnel  to  go  there  ;  and 
General  Quesnel,  who  quitted  his  own  bouse  at  nine 
o'clock  in  the  evening,  was  found  the  next  day  in  the 
Seine." 

"  And  who  told  you  this  fine  story  %  " 

«  The  king  bimself." 

"Well,  then,  in  return  for  your  story,"  continued 
Noirtier,  "  I  will  tell  you  another." 

"  My  dear  Mher,  I  think  I  already  know  what  you  are 
about  to  tell  me." 

''  Ah,  you  bave  heard  of  the  landing  of  his  Majesty  the 
Emperor  ?  " 

"Not  80  loud,  Father,  I  entreat  of  you,  —  for  your  own 
sake  as  well  as  mine.  Yes,  I  heard  this  news,  and  knew 
it  even  before  you  could  ;  for  three  days  ago  I  posted  from 
Marseilles  to  Paris  with  ail  possible  speed,  and  half- 
desperate  because  I  could  not  send  with  a  wish  two 
hundred  leagues  ahead  of  me  the  thought  which  was 
agitating  my  brain." 

"Three  days  ago!  You  are  crazy.  Why.  three  days 
^0  the  emperor  had  not  landed." 


FATHER  AND  SON.  135 

**  No  matter  ;  I  was  aware  of  his  pioject.'' 

"  How  did  you  leam  it  1  " 

*'  By  a  letter  addressed  to  you  from  the  Isle  of  Elba.** 

"  To  me  î  " 

"  To  you  ;  and  which  I  discovered  in  the  pocket-book 
of  the  messenger.  Had  that  letter  fiedlen  into  the  hands 
of  another,  you,  my  dear  father,  would  probably  ère  this 
hâve  been  shot." 

Villefort*8  father  laughed.  "  Corne,  corne,"  said  he,  "  ît 
appears  that  the  Restoration  has  learned  from  the  Empire 
the  mode  of  settling  affaira  speedily.  Shot,  my  dear  boy  I 
you  go  ahead  with  a  vengeance.  Where  is  thiâ  letter  you 
talk  about  )  T  know  you  too  well  to  suppose  you  would 
allow  such  a  thing  to  pass  you." 

"  I  burned  it,  for  fear  that  some  fragment  might  remain, 
for  that  letter  would  hâve  been  your  condemnation." 

"And  the  destruction  of  your  prospects,"  leplied 
Noirtier;  "yes,  I  can  easily  comprehend  that.  But  I 
hâve  nothing  to  fear  while  I  hâve  you  to  protect  me." 

"  I  do  better  than  that.  Monsieur  ;  I  save  you  !  " 

"  You  do  î  Why,  really,  the  thing  becomes  more  and 
more  dramatic  ;  explain  yourself  !  " 

"  I  must  refer  again  to  the  club  in  the  Eue  St.  Jacques." 

"  It  appears  that  this  club  is  rather  a  bore  to  the  police. 
Why  did  n't  they  search  more  vigilantly  1  They  would 
hâve  found  —  " 

"  They  hâve  not  found  ;  but  they  are  on  the  track." 

"  Yes,  that  's  the  usual  phrase  ;  I  know  it  well.  When 
the  police  is  at  fault  it  déclares  that  it  is  on  tho  track,  and 
the  Government  patiently  awaits  the  day  when  it  comes  to 
say  with  a  sneaking  air  that  the  track  is  lost." 

"  Yes,  but  they  hâve  found  a  corpse  ;  General  Qnesnel 
has  been  killed,  and  in  ail  countries  they  call  that  a 
murder." 


I 


136  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

"A  murder,  do  you  sayl  Why,  tbere  is  nothing  to 
prove  that  the  gênerai  was  murdered.  People  are  found 
every  day  in  the  Seine,  baving  thrown  themselves  in,  or 
been  drowned  througb  not  knowing  bow  to  swim." 

"  Fatber,  you  know  very  well  that  the  gênerai  was  not 
a  man  to  drown  hiraself  in  despair  ;  and  people  do  not 
bathe  in  the  Seine  in  the  month  of  January.  No,  no  I  do 
not  mistake  ;  this  death  was  clearly  a  murder." 

"  And  wbo  thus  designated  it  1  " 

"Thekinghimself." 

"  The  king  !  I  tbought  he  was  philosopher  enough  to 
allow  that  tbere  was  no  murder  in  politics.  In  politics, 
my  dear  fellow,  you  know  as  well  as  I  do  there  are 
no  men,  but  ideas  ;  no  feelings,  but  interests  ;  in  politics 
we  do  not  kill  a  man,  we  remove  an  obstacle.  Would 
you  like  to  know  what  has  really  happened?  Well,  I 
will  tell  you.  It  was  thought  that  reliance  might  be 
placed  on  General  Quesnel  ;  he  was  recommended  to  us 
from  the  Isle  of  Elba.  One  of  us  went  to  him  and  invited 
him  to  the  Rue  St.  Jacques,  where  be  would  find  some 
friends.  He  came  there,  and  the  plan  was  unfolded  to 
him,  —  the  departure  from  Elba,  the  projected  landing, 
etc.  When  he  had  beard  and  comprehended  ail  to  the 
fullest  extent,  he  replied  that  he  was  a  Royalist.  Then  ail 
looked  at  each  other,  —  he  was  made  to  take  an  oath,  and 
did  80,  but  with  such  an  ill  grâce  that  it  was  really  tempt- 
ing  Providence  to  swear  thus  !  And  yet  in  spite  of  that, 
the  gênerai  was  allowed  to  départ  free,  —  perfectly  free. 
Yet  he  did  not  return  home.  What  could  that  mean  1 
Why,  my  dear  fellow,  only  that  on  leaving  us  he  lost  bis 
way.  A  murder  !  really,  Villefort,  you  surprise  me.  You, 
a  deputy  procureur,  to  found  an  accusation  on  such  bad 
promises  !  Did  I  ever  say  to  you,  when  you  were  fulfill- 
ing  your  character  as  a  Eoyalist,  and  eut  off  the  head  of 


FATHER  AND  SON.  137 

one  of  my  party,  '  My  son,  you  hâve  committed  a  mar- 
der  '  î  No  ;  I  said,  '  Very  well,  Monsieur,  you  hâve  gained 
the  victory  ;  to-morrow,  perchance,  it  will  be  our  tum.*  *' 

''But,  Father,  take  care;  when  oui  tum  cornes,  om 
revenge  will  be  sweeping." 

"  I  do  not  understand  you." 

"  You  rely  on  the  usurperas  retum  î  ** 

"  We  do." 

**  You  are  mistaken  ;  he  will  not  advance  two  leagues 
into  the  interior  of  France  withoiit  being  followed, 
tracked,  and  caught  like  a  wild  beast." 

"  My  dear  fellow,  the  emperor  is  at  this  moment  on  the 
way  to  Grenoble  ;  on  the  lOth  or  12th  he  will  be  at  Lyons, 
and  on  the  20th  or  25th  at  Paris." 

*'  The  population  will  rise." 

*'  Yes,  to  go  to  meet  him." 

'*  He  bas  but  a  handful  of  men  with  him  ;  and  armies 
will  be  despatched  against  him." 

"Yes,  they  will  escort  him  into  the  capital  Really, 
my  dear  Gérard,  you  are  but  a  child  ;  you  think  yourself 
well  informed  because  a  telegraph  has  told  you  three  days 
after  the  landing,  '  The  usurper  has  landed  at  Cannes  with 
several  men.  He  is  pursued.'  But  where  is  he  ;  what  is 
he  doing  ?  You  know  nothing  about  it.  He  is  pursued  ; 
that  is  ail  you  know.  Very  well,  in  this  way  they  will 
pursue  him  to  Paris  without  drawing  a  trigger." 

"  Grenoble  and  Lyons  are  faithful  cities,  and  will  oppose 
to  him  an  impassable  barrier." 

"  Grenoble  will  open  her  gâtes  to  him  with  enthusiasm  ; 
ail  Lyons  will  hasten  to  welcome  him.  Believe  me,  we  are 
as  well  informed  as  you  ;  and  our  police  is  as  good  as  youi 
own.  Would  you  like  a  proof  of  it  î  Well,  you  wished 
to  conceal  your  journey  from  me  ;  and  yet  I  knew  of  youi 
arrivai  half  an  hour  after  you  had  passed  the  barrier.    You 


138  THS  COUNT  OF  MONTE  CRISTa 

gave  your  direction  to  no  oue  but  jour  postilion  ;  jet  I  hâve 
your  address,  and  in  pioof  I  am  hère  the  very  instant  you 
are  going  to  sit  at  tabla  Ring,  then,  if  you  please,  for  a 
second  knife,  fork,  and  plate,  and  we  will  dine  together." 

"  Indeed  !  "  replied  Villefort,  looking  at  his  fiEttber  with 
astonishment^  ''  you  really  do  seem  very  well  informed." 

*'  £h  !  the  thing  is  simple  enough.  Tou  who  are  in 
power  hâve  only  the  means  that  money  produces;  we 
who  are  in  expectation  hâve  those  which  dévotion 
promptsL" 

"  Dévotion  ]  "  said  Villefort,  smiling. 

*'  Tes,  dévotion  ;  that  is,  I  believe,  the  word  for  hope- 
ful  ambition."  And  Villefort's  father  extended  hiR  hand 
to  the  bell-rope  to  summon  the  servant  whom  his  son  had 
not  called.     Villefort  arrested  his  arm. 

''Wait,  my  dear  £Either/'  said  the  young  man;  ''one 
other  word." 

«  Say  it." 

'*  However  ill-Ksonducted  is  the  Royalist  police,  they  yet 
know  one  terrible  thing." 

«What  is  that?" 

**  The  description  of  the  man  who,  on  the  moming  of 
the  day  when  General  Quesnel  disappeared,  presented 
himself  at  his  house." 

"  Oh,  the  admirable  police  hâve  found  that  eut,  hâve 
they  1    And  what  may  be  that  description  ?  " 

^'Brown  complexion;  hair,  eyebrows,  and  whiskers, 
black  ;  blue  frock-coat,  buttoned  up  to  the  chin  ;  rosette 
of  an  offîcer  of  the  Légion  of  Honor  in  his  button-hole  ; 
a  hat  with  wide  brim,  and  a  Malacca  cane." 

''Ah,  ah  I  they  know  that]"  said  Noirtier;  ''and 
why,  then,  hâve  they  not  laid  hands  on  the  manl" 

"  Because  yesterday,  or  the  day  before,  they  lost  sight 
of  him  at  the  corner  of  the  Rue  Coq-Hëron." 


FATHER  AND  SON.  139 

''Didn't  I  say  your  police  was  good  for  nothmgV 

"  Yes  ;  but  still  it  may  lay  hands  on  him." 

"  True,"  said  Noirtier,  looking  carelessly  around  hîm,  — 
"  true,  if  this  individual  were  not  wamed  ;  but  he  1b.'' 
And  be  added  witb  a  smile,  '*  He  will  consequently  change 
looks  and  costume."  At  thèse  words  be  rose  and  put 
off  bis  frock-coat  and  cravat,  went  towards  a  table  on 
which  lay  bis  son's  toilet  articles,  lathered  bis  face,  took 
a  razor,  and  witb  a  firm  hand  eut  off  the  treacberous 
whiskers  which  gave  tbe  police  so  plain  a  mark  of  de- 
scription. Villefort  watched  bim  with  alarm  not  unmixed 
witb  admiration. 

His  whiskers  eut  off,  Nuirtier  gave  bis  bair  a  ii|w  tum, 
took,  instead  of  his  black  cravat,  a  colored  necKerchief 
which  lay  at  tbe  top  of  an  open  portmanteau,  put  on,  in 
lieu  of  bis  blue  and  bigh-buttoned  frock-coat,  a  coat  of 
YiUefort's  of  dark  brown  and  sloped  away  in  front,  tried 
on  before  the  glass  a  narrow-brimmed  bat  of  his  son's 
which  appeared  to  fit  bim  perfectly  ;  and  leaving  his  cane 
in  the  corner  where  be  had  deposited  it,  be  made  to 
whistle  in  bis  powerful  hand  a  small  bamboo  switch, 
which  the  dandy  deputy  usod  when  he  walked,  and  which 
aided  in  giving  bim  that  easy  swagger  which  was  one  of 
bis  principal  characteristics. 

'^Well,"  be  said,  tuming  towards  bis  wondering  son 
when  this  disguise  was  completed,  —  "  well,  do  you  tbink 
your  police  will  recognize  me  nowl 

**  No^  Father,"  stammered  Villefort  ;  "  at  least,  I  hope 
not." 

"  And  now,  my  dear  boy,"  contînued  Noirtier,  "  I  rely 
on  your  prudence  to  remove  ail  the  tbings  which  I  leave 
in  your  care." 

"Oh,  rely  on  me,"  said  Villefort. 

''  Yes,  yes  1  and  now  I  believe  you  are  right,  and  that 


140  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

you  hâve  really  saved  my  life  ;  but  be  assaied  I  will  re 
turn  the  obligation  to  you  very  soon." 

Villefort  shook  his  head. 

**  You  are  not  convinced  yet  î  *' 

*^  I  hope,  at  least,  that  you  may  be  mistaken.** 

*'  Shall  you  see  the  king  again  f  " 

*'Perhaps." 

**  Wottld  you  pass  in  his  eyes  for  a  prophet  î  '* 

*^  Prophets  of  evil  are  not  in  favor  at  the  court, 
Father." 

''True,  but  some  day  justice  is  done  to  them;  and 
supposing  a  second  restoration,  you  would  then  pass  for  a 
great  m^n." 

"  Well,  what  should  I  say  to  the  king  î  " 

**  Say  this  to  him  :  *  Sire,  you  are  deceived  as  to  the  feel- 
ing  in  France,  as  to  the  opinions  of  the  towns  and  the 
préjudice  of  the  army;  he  whom  in  Paris  you  call  the 
Ogre  of  Corsica,  who  at  Nevers  is  styled  the  usurper^  is  al- 
ready  saluted  as  Bonaparte  at  Lyons^  and  emperor  at  Gre- 
noble. YoU  think  he  is  tracked,  pursued,  captured  ;  he  is 
advancing  as  rapidly  as  his  own  eagles.  The  soldiers  you 
believe  dying  with  hunger,  worn  out  with  fatigue,  ready 
to  désert,  increase  like  atoms  of  snow  about  the  rolling 
bail  which  hastens  onward.  Sire,  go  I  leave  France  to  its 
real  master,  —  to  him  who  did  not  buy,  but  conquered  it. 
Go,  Sire  !  not  that  you  incur  any  risk,  —  for  your  adversary 
is  powerful  enough  to  show  you  mercy,  —  but  because  it 
would  be  humiliating  for  a  grandson  of  Saint  Louis  to 
owe  his  life  to  the  man  of  Arcola,  Marengo,  Austerlitz.' 
Tell  him  this,  Gérard  ;  or  rather,  tell  him  nothing.  Keep 
your  journey  a  secret  ;  do  not  boast  of  what  you  hâve 
corne  to  Paris  to  do,  or  hâve  done.  Return  with  ail  speed  ; 
enter  Marseilles  at  night,  and  your  house  by  the  back- 
door/  and  there  remain,  quiet,  submissivé,  secret,  and. 


fâther  and  son.  141 

aboYe  bH,  inoffensive,  for  this  tinie,  I  swear  to  you,  we 
shall  act  like  powerful  men  "who  know  their  enemies.  Gu, 
my  son  ;  go,  my  dear  Gérard  ;  aud  through  your  obédience 
to  my  patemal  orders  —  or,  if  you  prefer  it,  friendly  coun- 
sels — we  shall  be  able  to  keep  you  in  your  place.  This 
wiU  be,"  added  Noirtier,  with  a  smile,  "a  means  by  whicb 
you  may  a  second  time  save  me  if  the  political  balance 
should  one  day  place  you  high  and  me  low.  Adieu,  my 
dear  Gérard,  and  on  your  next  journey  alight  at  my  door.'^ 
Noirtier  left  the  room  when  he  had  finished,  with  the 
same  calmness  that  had  characterized  him  during  the 
whole  of  this  remarkable  and  trying  conversation.  Ville- 
fort,  pale  and  agitated,  ran  to  the  window,  put  aside  the 
curtain,  and  saw  him  pass,  cool  and  collected,  by  two  or 
three  ill-looking  men  at  the  corner  of  the  street,  who 
were  there,  perhaps,  to  arrest  a  man  with  black  whiskers 
and  a  blue  frock-coat  and  hat  with  broad  brim. 

yillefoi*t  stood  watching,  breathless,  until  his  father 
had  disappeared  at  the  Rue  Bussy.  Then  he  turned  to 
the  varions  articles  he  had  left  behind  him,  put  at  the 
bottom  of  his  portmanteau  his  black  cravat  and  blue 
frock-coat,  threw  the  hat  into  a  dark  closet,  broke  the 
cane  into  smali  bits  and  flung  it  in  the  fîre,  put  on  his 
travelling-cap,  and  calling  his  valet,  checked  with  a  look 
the  thousand  questions  he  was  ready  to  ask,  paid  his  bill, 
sprang  into  his  carriage,  which  was  ready,  learned  at 
Lyons  that  Bonaparte  had  eutered  Grenoble,  and  through 
the  midst  of  the  tumult  which  prevailed  along  the  road, 
at  length  reached  Marseilles,  a  prey  to  ail  the  hopes  and 
fears  which  enter  into  the  heart  of  an  ambitions  man  amid 
lus  first  successes. 


142  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTa 


CHAPTEB   Xra. 

THE  HUNDRED  DAYB. 

M.  NoiRTiER  was  a  tnie  prophet,  and  things  progroseeil 
rapidly,  as  he  had  predicted.  Ëvery  one  knows  the  bis- 
tory  of  the  famous  leturn  from  Elba,  —  that  strange  and 
wonderful  return,  which,  withoiit  example  in  the  past, 
will  probably  lemain  without  imitation  in  the  future. 

Louis  XVIII.  made  but  a  faint  attempt  to  parry  this 
unezpected  blow.  The  monarchy  whicb  he  had  scaroely 
reconstructed  tottered  on  its  precarious  foundation,  and  it 
needed  but  a  sign  of  the  emperor  to  hurl  to  the  grouud  ail 
this  édifice  incongruously  constructed  of  ancient  préjudices 
and  new  ideas.  Villefort  therefore  gained  nothing  save 
the  king's  gratitude  (whicb  was  rather  likely  to  injure 
him  at  the  présent  time)  and  the  cross  of  the  Légion  of 
Honor,  which  he  had  the  prudence  not  to  wear,  althougb 
M.  de  Blacas  had  duly  forwarded  the  brevet. 

Napoléon  would  doubtless  bave  deprived  Villefort  of 
bis  office  had  it  not  been  for  Noirtier,  who  was  all- 
powerful  at  the  court  ;  and  thus  the  Girondin  of  '93  and 
the  senator  of  1806  protected  him  who  so  lately  had  been 
bis  protector.  AU  Villefort's  power  was  devoted  during 
that  revival  of  the  empire — of  which,  however,  it  wa» 
easy  to  foresee  the  second  fall — to  stifling  the  secret 
whicb  Dantès  had  so  nearly  divulged.  The  proeuretér  du 
roi  alone  was  deprived  of  bis  offce,  being  suspected  of 
loyalism. 

However,  scarcely  was  the  impérial  power  re-estab- 


THE  HUNDRED  DATS.  143 

lished,  —  that  is,  scarcely  had  the  emperor  re-entered  the 
Tuileries  and  issued  his  numerous  orders  from  that  little 
cabinet  into  which  we  hâve  introduced  our  leadeis,  and 
on  the  table  of  which  he  found  Louis  XVIIL's  snuff-box 
half-full, — when  Marseilles,  notwithstauding  the  attitude 
of  the  magistrates,  became  aware  that  the  embers  of  civil 
war  (only  partly  extinguished  in  the  South)  were  be- 
ginning  to  glow  again  ;  it  would  require  but  little  to  ex- 
cite the  populace  to  acts  of  more  decided  violence  than 
the  shouts  and  insults  with  which  they  assailed  the 
Royalists  whenever  they  ventured  abroad. 

Owing  to  this  change,  the  worthy  ship-owuer  became  at 
that  moment,  we  will  not  say  all-powerful,  because  Morrel 
was  a  prudent  and  rather  a  timid  man,  —  so  much  so 
that  many  of  the  most  zealous  partisans  of  Bonaparte  ac- 
cused  him  of  "  modération/'  —  but  sufficiently  influential 
to  make  his  voice  heard  in  the  ntterance  of  a  demand; 
and  that  demand,  we  may  easily  divine,  had  Dantès  for 
its  subject. 

Villefort  retained  his  place^  notwithstanding  the  fall  of 
his  chief,  but  his  marriage  was  put  off  until  a  more  favor- 
able opportunity.  If  the  emperor  reroained  on  the  throne, 
Gérard  would  need  a  différent  alliance  to  aid  his  career, 
and  his  father  had  undertaken  to  procure  one  for  him  ;  if 
Louis  XVIIL  should  return  to  the  throne,  the  influence 
of  M.  de  Saint-Méran  would  be  much  increased,  as  well 
as  his  owu,  and  the  marriage  would  be  more  désirable 
than  ever. 

-  The  deputy  procureur  was,  then,  the  first  magistrats 
of  MarseilleSy  when  one  morning  his  door  opened,  and 
M.  Mortel  was  announced.  Any  one  else  would  hâve  has- 
tened  to  receive  him  ;  but  Villefort  was  a  man  of  ability, 
and  he  knew  this  would  be  a  sign  of  weakness.  He  made 
Morrel  wait  in  the  ante-chamber,  although  he  had  no  one 


144  THE  COUNT  OF  MONTE  CRI8T0. 

with  him,  for  the  simple  reason  that  the  procureur  du  roi 
always  makes  every  one  wait  ;  and  afber  a  quarter  of  an 
hour  passed  in  leading  tho  papers,  he  ordered  M.  Morrel 
to  be  admitted. 

Morrel  expected  Yillefort  woald  be  dejected  ;  he  found 
him,  as  he  had  found  him  six  weeks  before,  calm,  firm, 
and  full  of  that  glacial  politeness,  the  most  insurmountable 
of  ail  barrierSy  -which  séparâtes  the  well-bred  and  the  vol- 
gar  man.  He  had  penetrated  into  Villefort's  cabinet,  con- 
vinced  the  magistrate  would  tremble  at  the  sight  of  him  ; 
on  the  contrary,  he  felt  a  cold  shndder  ail  over  him  when 
he  beheld  Yillefort  seated,  his  elbow  on  his  desk,  and  his 
head  leaning  on  his  hand.  He  stopped  at  the  door. 
Yillefort  gazed  at  him  as  if  he  had  some  difficulty  in  rec- 
ognizing  him;  then^  after  a  brief  interval,  during  which 
the  honest  ship-owner  turned  his  bat  in  his  hands,  — 

"  M.  Morrel,  I  believe  1  "  said  Yillefort. 

^  Yes,  Monsieur." 

"  Come  nearer,"  said  the  magistrate,  with  a  patronizing 
wave  of  the  hand,  '*and  tell  me  to  what  circumstance  I 
owe  the  honor  of  this  visit.** 

"  Do  you  not  guess,  Monsieur  î  "  asked  MorreL 

"  Not  in  the  least  ;  but  if  I  can  serve  you  in  any  way  I 
shaU  be  delighted." 

"  Everything  dépends  on  you.** 

"  Explain  yourself,  pray." 

"  Monsieur,**  said  Morrel,  recovering  his  assurance  as  he 
proceeded,  "  you  recollect  that  a  few  days  before  the  land- 
ing  of  his  Majesty  the  Emperor  I  came  to  intercède  for  a 
young  man,  the  mate  of  my  ship,  who  was  accused  of 
having  relations  with  the  Isle  of  Elba.  Those  relations, 
which  were  then  a  crime,  are  to-day  titles  to  favor.  You 
then  served  Louis  XYIIL,  and  you  showed  no  favor,  —  it 
was  your  duty  ;  to-day  you  serve  Napoléon,  and  you  ouglit 


THE  HUNDRED  DATS.  145 

to  piotect  hîm,  —  it  is  equally  your  duty.  I  corne,  theie 
foie^  to  ask  what  has  becomo  of  that  young  man?" 

Yillefort  made  a  violent  effort  over  hirnsell  '*  What  is 
his  name  1  **  said  he.     "  Tell  me  his  name." 

"  Edmond  Dantès/' 

Villefort  would  certainly  hâve  rather  stood  opposite  the 
mnzzle  of  a  pîstol  at  five  and  twenty  paces  than  hâve  heard 
this  name  pronounced  ;  but  he  betrayed  no  émotion. 

"Dantès?"  repeated  he,  "Edmond  Dantès?»* 

"  Yes,  Monsieur." 

Villefort  opened  a  large  register,  then  went  to  a  table, 
from  the  table  turned  to  his  registers,  and  then  turning 
to  Morrel, — 

"  Are  ybu  quite  sure  you  are  not  mistaken,  Monsieur  1  " 
said  he,  in  the  most  natural  tone  in  the  world. 

Had  Morrel  been  a  more  quick-sighted  man,  or  better 
versed  in  thèse  matters,  he  would  hâve  been  surprised  at 
the  procureur  du  roi  answeriug  him  on  such  a  subject, 
instead  of  referriug  him  to  the  governors  of  the  prison  or 
the  prefect  of  the  department.  But  Morrel,  disappointed 
in  his  expectations  of  exciting  fear,  saw  in  its  place  only 
condescension.     Villefoit  had  calculated  rightly. 

"  No,"  said  Morrel,  "  I  am  not  mistaken.  I  hâve  known 
him  ten  years,  and  the  last  four  he  has  been  in  my  service. 
I  came  about  six  weeks  ago,  as  you  may  remember,  to 
beseech  your  clemency,  as  I  come  to-day  to  beseech  your 
justice.  You  received  me  very  coldly.  Oh,  the  Roy- 
alists  were  very  severe  with  the  Bonapartists  in  those 
days." 

"Monsieur,"  returned  Villefort,  "  I  was  then  a  Royalist, 
becauso  I  believed  the  Bourbons  not  only  the  heirs  to  the 
throne,  but  the  chosen  of  the  nation.  The  miraculous 
retum  of  Napoléon  has  proved  that  T  was  mistaken  ;  the 
legitimate  monarch  is  he  who  is  loved  by  his  people." 

VOL.    T.  — 10 


146  THE  OOUNT  OF  MONTE  CBI8T0. 

'*That'8  rightl'^  crîed  MorreL  ''I  like  to  beat  you 
speak  thus,  and  I  augur  well  for  Edmond  from  if 

"Wait  a  moment,"  said  Villefort,  turning  over  the 
leaves  of  a  register  ;  ''  I  bave  it,  —  a  sailor,  who  was  about 
to  marry  a  young  Catalan  girL  I  lecoUect  now,  it  waa  a 
very  serions  charge.'* 

"  HOW  80  î  " 

"  You  know  tbat  wben  be  left  bere  be  was  taken  to  tbe 
prison  of  the  Palais  de  Justice." 

«  Well  î  " 

^'  I  made  my  report  to  tbe  autborities  at  Paris  ;  I  sent 
the  papers  found  upon  bim.  That  was  my  duty,  as  you 
must  admit.     A  week  later  be  was  carried  off." 

**Carried  ofif!"  said  MorreL  "Wbat  can  tbey  bave 
done  with  the  poor  ladl" 

"  Ohy  be  bas  been  taken  to  Fenestrelle,  to  Pignerol,  or 
to  the  island  of  Ste.  Marguerite.  Some  fine  moming  be 
will  return  to  assume  the  command  of  your  vessel." 

'^  Come  when  be  will,  it  sball  be  kept  for  bim.  But 
bow  is  it  be  is  not  already  returned  \  It  seems  to  me  the 
first  care  of  Bonapartist  justice  should  be  to  set  at  liberty 
those  who  bave  been  imprisoned  by  Royalist  injustice." 

"  Do  not  be  too  basty,  M.  Morrel,"  replied  Villefort. 
''  We  must  in  ail  things  proceed  according  to  law.  The 
order  of  imprisonment  came  from  bigh  authority,  and  the 
order  for  bis  libération  must  proceed  &om  the  same  source  ; 
and  as  Napoléon  bas  scarcely  been  reinstated  a  fortnight, 
the  letters  bave  not  yet  been  forwarded." 

"But,"  said  Morrel,  "is  there  no  way  of  expediting 
thèse  formalities,  now  that  we  bave  triumphedi  I  bave 
a  few  friends  and  some  influence  ;  I  can  obtain  a  witb 
drawal  of  bis  arrest." 

**  There  bas  been  no  arrest." 

"  Of  bis  enrolment,  then,  on  the  prison  register." 


THE  HUNDBED  DAYB.  147 

'*  In  political  matters  theie  is  no  prison  legistry.  It  ia 
sometimes  essentîal  to  Government  to  cause  a  man's  diaap- 
pearance  withont  leaving  any  traces.  A  registry  might 
guide  investigation.'' 

"  It  was  perhaps  like  that  under  the  Bourbons,  but  at 
présent  —  " 

''  It  is  always  the  same,  my  dear  Morrel,  since  tbe  reign 
of  Louis  XIV.  Tbe  emperor  is  more  strict  in  prison  dis- 
cipline than  even  Louis  bimself,  and  the  number  of  pris- 
oners  whose  names  are  not  on  the  register  is  incalculable." 

Had  Morrel  even  any  suspicionsi  so  much  kindness 
would  bave  dîspelled  them.  ''  Well,  M.  de  Yillefort,  bow 
would  you  advise  me  to  act  to  basten  the  retum  of  poor 
Dantès  1  *'  asked  he. 

"  Pétition  the  minister." 

*'  Oh,  I  know  what  that  is  ;  the  minister  leoeives  two 
hundred  every  day,  and  does  not  read  three." 
•  '^  That  is  true  ;  but  he  will  read  a  pétition  countersigned 
and  presented  by  me." 

"  And  will  you  undertake  to  deliver  it  î  " 

''  With  the  greatest  pleasure.  Dantès  was  tben  guilty, 
but  now  he  is  innocent  ;  and  it  is  as  muoh  my  duty  to 
free  bim  as  it  was  to  condemn  him." 

In  this  way  Yillefort  avoided  the  danger  of  an  investi- 
gation—  not  very  probable  indeed,  but  possible— which 
would  bave  mined  hira. 

"  But  how  sball  I  address  the  minister  1  " 

**  Sit  down  there,"  said  Yillefort,  giving  up  his  place  to 
Morrel,  "  and  write  what  I  dictate." 

"  Will  you  be  so  good  1  " 

"  Certainly.  But  lose  no  time  ;  we  bave  Idst  too  much 
already." 

**  That  is  true.  Let  us  remember  that  the  poor  youn|f 
man  is  waiting,  sufifering,  perhaps  despairing." 


U8  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

Villefort  shuddered  ai  the  idea  of  that  prisoner  cuTsing 
him  in  the  silence  and  the  darkness  ;  but  be  had  gone  too 
far  to  recède,  —  Dantès  must  be  crushed  beneath  the  weight 
of  Villefort*8  ambition. 

Villefort  dictated  a  pétition  in  whîch  with  an  excellent 
intention,  no  doubt,  he  exaggerated  Dantës's  patriotism 
and  his  services  to  the  Bonapartist  cause.  In  that  péti- 
tion Dantès  appeared  to  bave  been  one  of  the  most  active 
agents  in  the  retum  of  Kapoleon.  It  was  to  be  presumed 
that  at  the  sight  of  this  document  the  minister  would  in- 
stantly  release  him.  The  pétition  finished,  Villefort  read 
it  aloud. 

*'  That  will  do,"  said  he  ;  "  leave  the  rest  to  me." 

"  Will  the  pétition  go  soon  1  " 

«  To-day." 

**  Couutersigned  by  you  1  " 

**  The  best  thing  I  can  do  will  be  to  certify  the  tmth  of 
the  contents  of  your  pétition."  And  sitting  down.  Villa- 
fort  wrote  the  certificate  at  the  bottom. 

"  What  more  is  to  be  done  î  "  asked  Morrel. 

"  Wait,"  replied  Villefort  ;  "  I  will  answer  for  every» 
thing." 

This  assurance  charmed  Morrel,  who  took  leave  of 
Villefort,  and  hastened  to  announce  to  old  Dantès  that 
he  would  soon  see  his  son. 

But  Villefort,  instead  of  sending  it  to  Paris,  carefully 
preserved  the  pétition  that  so  fearfully  compromised 
Dantès,  in  case  an  event  should  occur  that  seemed  not 
unlikely;    that  is,  a  second  restoration. 

So  Dantès  remained  a  prisoner  lost  in  the  depths  of  his 
dungeon  ;  hé  heard  nothing  of  the  commotion  attending  the 
fall  of  Louis  XVIII.'s  throne,  or  of  the  disturbances  even 
more  terrible  when  the  empire  was  overturned. 

But  Villefort  had  followed  everything  with  a  vigilant 


THE  HUNDRED  DATB.  149 

«ratchfulnesB,  and  had  listened  to  eyerythîng  with  an  at- 
tentive ear.  Twice  during  the  Hundred  Days  had  Morrel 
renewed  bis  demand,  and  twice  had  Yillefort  soothed  him 
with  promises.  At  last  there  was  Waterloo,  and  Morrel 
came  no  more  ;  he  had  done  ail  that  was  in  his  power,  and 
auy  fresh  attempt  would  only  compromise  him  uselessly. 

Louis  XVIII.  remounted  the  throne;  Villefort,  to 
whom  MarseiUes  suggested  too  many  remorsefui  remem- 
brances^  demanded  and  obtained  the  situation  oî  procu- 
reur du  roi  at  Toulouse,  and  a  fortnight  afberwards  mar* 
ried  Renée,  wbose  father  stood  better  at  court  than  ever. 
Thus  is  explained  how  Dantès  dunng  the  Hundred  Days 
and  after  Waterloo  remained  in  prison  forgotten  by  God, 
if  not  by  men. 

Danglars  comprehended  the  full  estent  of  the  wretched 
fite  that  overwhelmed  Dantès,  and  like  ail  men  of  small 
abilities  he  termed  this  a  decree  of  Providence.  But  when 
Napoléon  returned  to  Paris,  Danglars's  heart  failed  him, 
and  he  feared  at  every. instant  to  behold  Dantès  eager  for 
vengeance  ;  he  therefore  informed  M.  Morrel  of  his  wish  to 
quit  the  sea,  and  obtained  a  recommendation  from  him  to 
a  Spanish  merchant,  into  whose  service  he  entered  at  the 
end  of  March,  —  that  is,  ten  or  twelve  days  after  Kapo- 
leon's  return.  He  then  left  for  Madrid,  and  was  no  more 
heard  oL 

Fernand  understood  nothing  except  that  Dantès  was 
absent.  What  had  become  of  him  he  cared  not  to  inquire. 
Ouly,  during  the  respite  the  absence  of  his  rival  afforded 
him,  he  refiected,  partly  on  the  means  of  deceiving  Mer- 
cedes as  to  the  cause  of  that  absence,  partly  on  plans  of 
émigration  and  abduction,  as  Êrom^^ime  to  time  he  sat  sad 
and  motionless  on  the  summit  of  Cape  Pharo,  at  the  spot 
whence  MarseiUes  and  the  village  of  the  Catalans  tare  visi- 
ble, watching  for  the  apparition  oif  a  young  and  handsome 


160  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

mau,  who  was  for  hîm  also  the  messenger  of  vengeance. 
Fernand's  mind  was  made  up .  he  would  shoot  Dantès, 
and  then  kill  himself.  But  Feruand  was  mistaken  ;  he 
would  not  hâve  killed  himself,  for  he  still  cherished 
certain  hopes. 

During  this  time  the  empire  made  a  last  appeal,  and  ail 
the  men  in  France  capable  of  bearing  arms  rushed  to  obey 
the  summons  of  their  emperor.  Fernand  departed  with 
the  rest,  bearing  with  him  the  terrible  thought  that  per- 
haps  his  rival  would  corne  in  his  absence,  and  would  marry 
Mercedes.  Had  Fernand  really  meant  to  kill  himself,  he 
would  hâve  done  so  when  he  parted  from  Mercedes.  His 
dévotion,  and  the  compassion  he  showed  for  her  misfor- 
tunes  produced  the  effect  they  always  produce  on  noble 
minds  ;  Mercedes  had  always  had  a  sincère  regard  for 
Fernand,  and  this  was  now  strengthened  by  gratitude. 

**  My  brother,"  said  she,  as  she  placed  his  knapsack 
on  hifl  shoulders,  "  be  careful  of  yourself,  for  if  you  are 
killed,  I  shall  be  alone  in  the  world."  Thèse  words  in- 
fused  a  ray  of  hope  into  Femand's  heart.  Should  Dantès 
not  return,  Mercedes  might  one  day  be  his. 

Mercedes  was  lefb  alone  to  gaze  on  this  vast  plain  that 
had  never  seemed  so  barren,  and  the  sea  that  had  never 
seemed  so  vast  Bathed  in  tears,  she  might  be  seen  wan- 
dering  continually  about  the  little  village  of  the  Catalans. 
Sometimes  she  stood  mute  and  motionless  as  a  statue, 
gazing  towards  Marseilles  ;  at  other  times  sitting  by  the 
shore  she  listened  to  the  groanings  of  the  sea,  eternal  like 
her  sorrow,  and  asked  herself  whether  it  were  not  better 
to  cast  herself  into  the  abyss  of  océan  than  thus  to  suffer 
the  cruel  vicissitudes  of  a  waiting  without  hope.  It  was 
not  want  of  courage  that  prevented  her  putting  this  idea 
into  exécution  ;  but  her  religions  feelings  came  to  her  aid 
and  saved  her. 


THE  HUNDRED  DAYS.  151 

Caderousse  was,  like  Feraand,  enroUed  in  the  army,  but 
beîng  married  and  eight  years  older,  he  was  merely  sent 
to  the  frontier.  Old  Dantès,  who  was  only  sustained  by 
hope,  lost  ail  hope  at  Napoleon's  downfall.  Five  months 
after  he  bad  been  separated  from  bis  son,  and  almost  at 
the  very  hoiir  at  which  he  bad  been  arrested,  he  breathed 
bis  last  in  Mercédès's  arms.  M.  Morrel  paid  the  expenses 
of  bis  fiineral  and  a  few  small  debts  the  poor  old  man  bad 
contracted. 

There  was  more  than  benevolence  in  tbis  action  ;  there 
was  courage,  —  for  to  assiat  even  on  bis  death-bed  tbe 
father  of  so  dangerous  a  Bonapartist  as  Dantës,  wa£ 
stigmatized  as  a  crime. 


152  TH£  COUNT  OF  MONTE  GBISTa 


CHAPTEE   XIV. 

THE  TWO  PBISONEBS. 

A  YEAR  after  Louis  XVIIL's  restoration,  a  visit  was 
made  to  the  Château  d'If  by  the  inspector-general  of 
prisons.  Dantës  heard  from  tbe  recesses  of  bis  cell  the 
noises  made  by  tbe  préparations  for  receiving  bim,  — 
sounds  tbat  at  the  deptb  wbere  be  lay  would  bave  been 
inaudible  to  any  but  tbe  ear  of  a  prisoner  accustomed  to 
hear  in  the  silence  of  night  tbe  spider  weave  bis  web,  and 
the  periodic  fall  of  tbe  drop  of  water  tbat  formed  every 
hour  on  tbe  ceiling  of  bis  dungeon.  He  guessed  some- 
thing  uncommon  was  passing  among  tbe  living  ;  be  bad 
80  long  ceased  to  bave  any  intercourse  witb  tbe  world 
tbat  be  looked  upon  bimself  as  dead. 

The  inspector  visited  the  cells  and  dungeons,  one  afber 
another^  of  several  of  tbe  prisoners,  wbose  good  bebavior 
or  stupidity  recommended  them  to  tbe  clemency  of  the 
Government  ;  the  inspector  inquired  bow  they  were  fed, 
and  if  they  bad  anything  to  detnand.  The  universal  re- 
sponse  was  tbat  tbe  fare  was  détestable,  and  that  they 
required  tbeir  freedom.  The  inspector  asked  if  they  bad 
anything  else  to  demand.  They  shook  tbeir  beads! 
What  could  they  désire  beyond  tbeir  libertyî  Tbe  in- 
spector turned  smilingly  to  tbe  governor  :  — 

''I  do  not  know  what  reason  Government  can  assign 
for  thèse  useless  visits  ;  wben  you  see  one  prisoner,  you 
see  ail,  —  always  the  same  thing,  ill  fed  and  innocent 
Are  tbere  any  othersl" 


THE  TWO  PBISONEB&  153 

^Tes;  the  dangeroos  and  mad  prisonere  are  in  the 
dàngeons." 

*^  Let  us  visit  them/'  said  the  înspector,  with  an  air  of 
ûitigue.     "  I  mnst  fulfil  my  mission.     Let  us  descend." 

<'  Let  us  iirst  send  for  two  soldiers,"  said  the  govemor. 
''  Tbe  prisoners  sometimes,  through  mère  uneasiness  of 
life,  and  in  order  to  be  sentenced  to  death,  commit  acts  of 
useless  violence,  and  you  might  fall  a  victim." 

**  Take  ail  needful  précautions,"  replied  the  inspector. 

Two  soldiers  were  accordingly  sent  for,  and  the  inspec« 
tor  desceuded  a  stair  so  foui,  so  humid,  so  dark  that  the 
mère  descent  through  such  a  place  affected  painfnlly  thç 
eye,  the  smell,  and  the  respiration. 

**  Oh  !  "  cried  the  inspector,  stopping  midway,  **  what 
devil  can  be  lodged  hère  1  " 

*'  A  most  dangerous  couspirator,  a  man  we  are  ordered 
to  keep  tlie  most  strict  watch  over,  as  he  la  daring  and 
resolute." 

"  He  is  alone." 

"  Certainly.'' 

"  How  long  has  he  been  hère  î  '• 

"  About  a  year.*' 

"  Was  he  placed  hère  when  he  first  arrived  V* 

'^  No,  not  until  he  attempted  to  kill  the  tumkey.** 

"  To  kill  the  turnkey  1  " 

"  Yes  ;  the  very  one  who  is  lighting  us.  Is  it  not 
true,  Antoine  î  "  asked  the  governor. 

"  True  enough  ;  he  wanted  to  kill  me  I  **  replied  the 
turnkey. 

^'  He  must  be  mad/'  said  the  inspector. 

"  He  is  worse  than  that,  —  he  is  a  devil  !  "  retumed 
the  turnke}'. 

"  Shall  I  complain  of  him  î  "  demanded  the  inspector. 

"Oh,  no;    it  is  useless.     He  is  suffîciently  punished 


154  THE  COUNT  OF  MONTE  CBISTO. 

alreadj.     Besides,  he  is  almost  mad  now,  and  in  anothei 
year  he  will  be  quite  so." 

"  So  much  the  better  for  him,  —  he  will  suffer  leas," 
said  the  inspector.  He  was,  as  this  remark  shows,  a  man 
full  of  philanthropy,  and  in  every  way  fit  for  his  office. 

"  You  are  right,  Monsieur,"  replied  the  governor  ;  "  and 
this  remark  proves  that  you  hâve  deeply  considered  the 
subject.  New,  we  hâve  in  a  dungeon  about  twenty  feet 
distant;  and  to  which  you  descend  by  another  staii,  an 
abbé,  ancient  leader  of  a  party  in  Italy,  who  bas  been 
hère  siuce  1811,  and  in  1813  went  mad,  and  who  from 
that  time  haç  undergone  an  astonishing  change.  He  used 
to  weep  ;  he  now  laughs.  He  grew  thin,  he  now  grows 
fat.  You  had  better  see  him  rather  than  the  other,  for 
his  madness  is  amusing." 

"I  will  see  them  both,'*  returned  the  inspector;  "I 
must  conscientiously  perform  my  duty."  This  was  the 
inspector 's  first  visit  ;  he  wished  to  display  his  authority. 
**  Let  us  visit  this  one  first,"  added  he. 

^  "  Willingly,"  replied,  the  governor  ;  and  he  signed  to 
the  tumkey  to  open  the  door.  At  the  sound  of  the  key 
turning  in  the  lock,  and  the  creaking  of  the  hinges,  Dantës, 
who  was  crouched  in  a  corner  of  the  dungeon,  where  he 
received  with  unspeakable  happiness  the  slight  ray  of 
light  that  pierced  through  his  grating,  raised  his  head. 
At  the  sight  of  a  stranger,  lighted  by  two  turnkeys,  ac- 
companied  by  two  soldiers,  and  to  whom  the  governor 
spoke  bareheaded,  Dantës,  who  guessed  the  truth,  and 
that  the  moment  to  address  himself  to  the  superior  au- 
thorities  was  come,  sprang  forward  with  clasped  hands. 

The  soldiers  presented  their  bayonets,  for  they  thought 
he  was  about  to  attack  the  inspector,  and  the  latter  re- 
coiled  two  or  three  steps.  Dantès  saw  that  he  was  repre- 
sented  as  a  dangerous  prisoner.      Then,  uniting  in  the 


THE  TWO  PRISONEBS.  155 

expression  of  his  features  ail  that  the  heart  of  man  can 
coutain  of  gentleness  and  humility^  and  speaking  with  a 
sort  of  pious  éloquence  that  astonished  the  attendants,  he 
tried  to  touch  the  soûl  of  the  inspecter. 

The  inspecter  listened  attentively  ;  then  tuming  to  the 
governor,  observed,  "  He  will  become  religions  ;  he  is  al- 
ready  more  gentle.  He  is  afraid^  and  retreated  before  the 
bayonets  ;  madmen  are  not  afraid  of  anything.  I  made 
some  curions  observations  on  this  at  Charenton."  Then 
tuming  to  the  prisoner,  "  What  do  you  demand  î  "  said  he. 

^*  I  demand  a  knowledge  of  my  crime  ;  I  demand  to  be 
brought  to  trial  ;  I  demand,  in  short,  that  I  may  be  shot 
if  I  am  guilty,  aud  may  be  set  at  liberty  if  innocent.'' 

"  Are  you  well  fed  î  "  said  the  inspecter. 

'^I  believe  so;  I  know  not,  but  that  matters  little. 
What  matters  really,  not  only  to  me,  an  unhappy  prisoner, 
but  even  more  to  the  offîcers  administerîng  justice,  and 
still  more  to  the  king  who  rules  over  us,  is  that  an  inno- 
cent man  ôhall  not  be  the  victim  of  an  infamous  denunci- 
ation,  and  shall  not  die  in  prison  cursing  his  executioners.** 

"  You  are  very  humble  to-day/''remarked  the  governor. 
"  You  are  not  so  ulways  ;  the  other  day,  for  instance,  when 
you  tried  to  kill  the  turnkey." 

"  It  is  true,  sir,  and  I  beg  his  pardon,  for  he  bas  always 
been  very  good  to  me  ;  but  I  was  mad,  I  was  furious.^' 

"  And  you  are  not  so  any  longer  V* 

''No;  captivity  has  bent,  broken,  annihilated  me.  I 
hâve  been  hère  so  long.'' 

"So  long]  When  were  you  arrested,  then)"  asked 
the  inspecter. 

"The  28th  of  February,  1815,  at  half-past  two  in  the 
afternoon."  . 

«To-day  is  the  30th  of  June,  1816;  why,  it  is  but 
Beventeen  monthg." 


166  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

**  Only  seventeen  months  !  "  replîed  Dantès.  "  Oh, 
you  do  not  know  what  is  aeventeen  months  in  prison  ! 
Seventeen  âges  rather,  especially  to  a  man  who,  like  me,  had 
arrived  at  the  summit  of  his  amhition  ;  to  a  man  who,  like 
me,  was  on  the  point  of  marrying  a  woman  he  adored,  who 
saw  an  honorable  career  open  before  him,  and  who  loses 
ail  in  an  instant,  —  who  from  the  eiijoyment  of  a  day  the 
most  beautiful  falls  into  profoundest  night  ;  who  sees  his 
prospects  destroyed,  and  is  ignorant  of  the  fate  of  his 
affianced  wife,  and  whether  his  aged  father  be  still  living  ! 
Seventeen  months'  captivity  to  a  man  accustomed  to  the 
air  of  the  sea,  to  the  independence  of  a  sailor's  life,  to 
space,  to  immensity,  to  infinity  !  Monsieur,  seventeen 
months  in  prison  is  a  greater  punishment  than  is  deserved 
by  ail  the  most  odious  crimes  recognized  in  human  speech. 
Hâve  pity  on  me,  then,  and  ask  for  me,  not  indulgence^ 
but  a  trial.  Monsieur,  I  ask  only  for  judges  ;  they  cannot 
lefuse  judgment  to  one  who  is  accused." 

'*We  shall  see,"  said  the  inspector;  then  turning  to 
the  govemor,  "  On  my  word,  the  poor  devil  touches  me. 
You  must  show  me  the  register." 

*'  Certainly  ;  but  you  will  find  terrible  notes  against  hîm.** 

"  Monsieur,"  continued  Dantès,  "  I  know  it  is  not  in 
your  power  to  release  me,  but  you  can  plead  for  me,  you 
can  hâve  me  tried  ;  and  that  is  ail  I  ask." 

"  Light  me,''  said  the  inspector. 

"  Monsieur,"  cried  Dantès,  "  I  can  tell  by  your  voice 
you  are  touched  with  pity  ;  tell  me  at  least  to  hope," 

"  I  cannot  tell  you  that,'*  replied  the  inspector  ;  "  I 
can  only  promise  to  examine  into  your  case/' 

"  Oh,  I  am  free  then  !     I  am  saved  I  " 

"  Who  arrested  you  1  " 

*'  M.  de  Yillefort.  See  him,  and  hear  what  be 
says." 


THE  TWO  PRISOKERS.  157 

^  M.  de  Yillefort  is  no  longer  ai  Marseilles  ;  he  is  now 
ai  Toulouse.'' 

''I  am  no  longer  surprîsed  at  my  détention,"  mur- 
mured  Dantès,  "  since  my  ouly  protector  is  removed.'* 

"  Had  he  any  cause  of  persoual  dislike  to  you  1  " 

"  None  ;  on  the  contrary,  he  was  very  kind  to  me." 

**  I  can,  then,  rely  on  the  notes  he  has  lefb  conceming 
you,  or  which  he  may  give  me  î  " 

"  Entirely." 

•*  That  is  well  ;  wait  patiently,  then." 

Dantès'  fell  on  his  knees,  and  murmured  a  prayer  in 
which  he  commended  to  God  that  man  who  had  de- 
scended  to  his  prison,  like  the  Saviour  going  to  deliver 
the  soûls  in  helL  The  door  closed  ;  but  now  a  new  in- 
mate  was  lefb  with  Dantès,  —  hope. 

'^  Will  you  see  the  register  at  once,''  asked  the  gov- 
emor,  "  or  proceed  to  the  other  cell  1  " 

"  Let  us  visit  them  ail,"  said  the  inspector.  '*  If  I 
once  mounted  the  stairs,  I  should  never  hâve  the  courage 
to  descend." 

**  Ah,  this  one  is  not  like  the  other  ;  and  his  madness  is 
less  affecting  than  the  reason  of  his  neighbor." 

"  What  is  his  folly  î  " 

''He  fancies  that  he  possesses  an  immense  treasure. 
The  first  year  he  offered  Government  a  million  livres  for 
his  release  ;  the  second,  two  ;  the  third,  three  ;  and  so  on 
progressively.  He  is  now  in  his  fifth  year  of  captivity  ; 
lie  will  ask  to  speak  to  you  in  private,  and  offer  you  five 
millions." 

**  Ah,  that  is  indeed  quîte  interesting.  Ai^d  what  is  the 
naine  of  this  millionnaire  ?  ** 

"The  Abbë  Faria." 

"No.  27,"  said  the  inspector. 

"  It  is  hère  ;  unlock  the  door,  Antoine.** 


168  THE  COUNT  OF  MONTE  CRÎSTO. 

The  tumkey  obeyed,  and  the  inspector  gazed  curiously 
into  the  chamber  of  *'  the  mad  abbé/'  lu  the  centre  of 
the  cell,  in  a  cirde  traced  upon  the  floor  with  a  fragment 
of  plaster  detached  from  the  wall,  sat  a  man  whose  tat- 
tered  garments  scarcely  covered  him.  He  was  drawing  in 
this  circle  geometrical  lines,  and  seemed  as  much  absorbed 
in  his  problem  as  Archimedes  when  the  soldier  of  Marcel- 
lus  slew  him.  He  did  not  move  at  the  sound  of  the  door, 
and  continued  his  problem  until  the  flash  of  the  torches 
lighted  up  with  an  unwonted  glare  the  sombre  walls  of  his 
cell  ;  then,  raising  his  head,  he  perceived  with  astonish- 
ment  the  number  of  persons  in  his  cell.  He  hastily  seized 
the  coverlid  of  his  bed,  and  wrapped  it  round  him. 

"  What  do  you  demand  î  "  said  the  inspector. 

"  I,  Monsieur  !  "  replied  the  abbë,  with  an  air  of  sur- 
prise, "  I  demand  nothing." 

"  You  do  not  understand,'*  continued  the  inspector  ;  "  I 
am  sent  hère  by  Government  to  visit  the  prisons,  and  hear 
the  requests  of  the  prisoners." 

"  Oh,  that  is  différent,"  cried  the  abbé  ;  "  and  we  shall 
understand  each  other,  I  hope." 

"  There,  now,"  whispered  the  governor,  "  he  begins  just 
as  I  told  you  he  would." 

"Monsieur,"  continued  the  prisoner,  "  I  am  the  Abbé 
Fana,  bom  at  Rome.  I  was  for  twenty  years  Cardinal 
Spada*s  secretary  ;  I  was  arrested  —  why  I  know  not  — 
in  1811  ;  since  then  I  bave  demanded  my  liberty  from 
the  Italian  and  French  governments." 

**  Why  from  the  French  Government  ?  " 

"  Because  I  was  arrested  at  Piombino  ;  and  I  présume 
that,  like  Milan  and  Florence,  Piombino  bas  become  the 
capital  of  some  French  department." 

The  inspector  and  the  governor  looked  at  each  other 
with  a  smile. 


THE  TWO  PRISONERS.  159 

*'  The  devil  f  my  good  fellow,"  said  tbe  inspector,  "  youi 
news  from  Italy  is  not  fresh  I  " 

"It  dates  from  the  day  on  which  I  was  arrested," 
retumed  the  Abbë  Faria  ;  *'  and  as  the  empeior  had  cre- 
ated  the  kingdom  of  Rome  for  his  infant  son,  I  présume 
that  he  has  realîzed  the  dream  of  Machiavel  and  Csesar 
Borgia,  which  was  to  make  Italy  one  solid  kingdom." 

"Monsieur,"  returned  the  inspecter,  "Providence  has 
changed  this  gigantic  plan  which  you  advocate  so  warmly." 

"  It  is  the  only  means  of  rendering  Italy  happy  and 
independent." 

"  Very  possibly  ;  but  I  bave  not  corne  to  take  with  you 
a  course  in  ultramontane  politics  ;  I  bave  come  to  ask  you 
if  you  bave  any  complaints  to  m^ke  in  regard  to  food  and 
lodging." 

"  The  food  is  the  same  as  in  otber  prisons,  —  that  is, 
very  bad  ;  the  lodging  is  very  unwbolesome,  but  on  the 
whole  passable  for  a  dungeon.  No  matter  about  that  ; 
what  I  would  speak  of  is  a  secret  which  I  bave  to  reveal 
of  the  greatest  importance." 

"  We  are  coming  to  the  point,"  whispered  the  govemor. 

"  It  is  for  that  reason  I  am  delighted  to  see  you,"  con- 
tinued  the  abbë,  "  although  you  bave  disturbed  me  in  a 
most  important  calculation,  which  if  it  succeeded  would 
possibly  change  Newton  *8  System.  Could  you  allow  me 
a  few  words  in  private  1  " 

"  What  did  I  tell  you  1  "  said  the  govemor. 

"You  knew  him,"  retumed  the  inspecter. 

"  What  you  ask  is  impossible.  Monsieur,"  continued  he, 
addressing  Fana. 

"  But,"  said  the  abbé,  "  I  would  speak  to  you  of  a  large 
eum,  amounting  to  five  millions." 

"The  very  sum  you  named,"  whispered,  in  bis  turn,  the 
inspecter. 


160  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

"However,"  continued  Faria,  perceivîng  tbe  inspectoi 
was  about  to  départ,  **  it  is  not  absolutely  necessarj  we 
should  be  alone  ;  Monsieur  tbe  Governor  can  be  présent." 

"  Unfortunately/*  said  tbe  governor,  "  I  know  beforo- 
hand  what  you  are  about  to  say  ;  it  concems  your  treas- 
ures,  does  it  not  1  " 

Faria  fixed  bis  eyes  on  bim  witb  an  expression  tbat 
would  bave  convinced  any  one  else  of  bis  sanity. 
"  Doubtless,"  said  be  ;  "  of  wbat  else  sbould  I  speak  î  " 

"  Monsieur  tbe  Inspector,"  continued  tbe  governor,  "  I 
eau  tell  you  tbe  story  as  well,  for  it  bas  been  dinned  in 
my  ears  for  tbe  last  four  or  five  years." 

"  Tbat  proves,"  returned  tbe  abbé,  "  tbat  you  are  like 
tbose  of  whom  tbe  Bible  speaks,  wbo  bave  eyes  and  see 
not,  wbo  bave  ears  and  bear  not." 

"  Tbe  Government  does  not  want  your  treasures,"  replied 
the  inspector  ;  "  keep  them  until  you  are  liberated." 

Tbe  abbe's  eyes  glistened  ;  be  seized  tbe  inspector's 
band.  "But  if  I  am  not  liberated,"  cried  be,  "if,  con- 
trary  to  ail  justice,  I  am  kept  in  tbis  dungeon,  if  I  die 
bere  wîtbout  baving  disclosed  to  any  one  my  secret,  tbat 
treasure  will  be  lost  !  Would  it  not  be  better  tbat  tbe 
Government  sbould  get  soxne  profit  from  it,  and  myself 
also  1  I  will  go  as  far  as  six  millions.  Monsieur  ;  yes,  I 
will  relinquisb  six  millions,  and  content  myself  witb  wbat 
remains,  if  I  may  gain  my  liberty." 

"  On  my  word,"  said  the  inspector,  in  a  low  tone,  "  bad 
I  not  been  told  beforeband  tbis  man  was  mad,  I  sbould 
believe  wbat  be  says." 

"  I  am  not  mad  !  "  replied  Faria,  wbo,  witb  tbat  acute- 
ness  of  bearîng  peculiar  to  prisoners,  bad  not  lost  one  of 
the  inspector^s  words.  "The  treasure  I  speak  of  really 
exists  ;  and  I  ofifer  to  sign  a  treaty  witb  you  in  whicb 
I  promise  to  lead  you  to  tbe  spot  where  you  sball  dig, 


THE  TWO  PRISONERS.  161 

and  if  I  deceive  you,  bring  me  heie  agaîn,  — I  aak  no 
more." 

The  govemor  laughed.     '*  Ja  the  spot  far  from  hère  t  " 

**  A  hundred  leagues." 

"  It  is  net  a  bad  idea,"  said  the  govemor.  "  If  every 
prisoner  took  it  into  his  head  to  travel  a  hundred  leagues, 
and  their  guardians  consented  to  accompany  them,  they 
would  hâve  a  capital  chance  of  escaping." 

**  The  scheme  is  well  known,"  said  the  inspecter  ;  "  and 
Monsieur  the  Abbé  has  not  even  the  merit  of  its  invention." 
Then  tuming  to  Faria,  "  I  inquired  if  you  are  well  fed  î  " 
said  he. 

"  Swear  to  me,"  replied  Faria,  "  to  free  me,  if  what  I  tell 
you  prove  true,  and  I  will  stay  hère  while you  go  to  the  spot." 

"  Are  you  well  fed  î  "  repeated  the  inspecter. 

"  Monsieur,  you  run  no  risk,  for,  as  I  told  you,  I  will 
stay  hère  ;  so  there  is  no  chance  of  my  escaping." 

"  You  do  not  reply  to  my  question,"  replied  the  inspec- 
ter, impatiently. 

"  Nor  you  to  mine,"  cried  the  abbé.  "  A  curse  upon 
you,  then  !  as  upon  the  other  doits  who  hâve  refused  to 
believe  me.  You  will  not  accept  my  gold  ;  I  will  keep  it 
for  myself.  You  refuse  me  my  liberty  ;  God  will  give  it 
me.  Go  !  I  hâve  nothing  more  to  say."  And  the  abbé, 
casting  away  his  coverlid,  resumed  his  place,  and  contin- 
ued  his  calculations. 

*'  What  is  he  doing  there  ?  "  said  the  inspecter. 

"  Counting  his  treasures,"  replied  the  govemor. 

Faria  replied  to  this  sarcasm  by  a  glance  of  profound 
contempt. 

They  went  out,  and  the  tumkey  closed  the  door  behind 
them. 

"He  has  been  wealthy  once,  perhaps,"  said  the  inspecter 

"  Or  dreamed  he  was,  and  awoke  mad.^ 

VOL.  L  —  u 


162  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO- 

"  After  ail/'  said  the  inspector,  with  the  nûveté  of  cor- 
ruption, "  if  he  had  been  rich,  he  would  not  hâve  been  hère." 

Thus  ended  the  adventure  for  the  Abbë  Faria.  He  re- 
mained  in  his  cell,  and  this  visit  only  iucreased  the  belief 
of  his  insanity. 

Caligula  or  Nero,  those  great  treasure-seekers,  those 
desirers  of  the  impossible,  would  hâve  accorded  to  the 
poor  wretch  in  exchange  for  his  wealth  the  liberty  and 
the  air  he  so  earnestly  prayed  for.  But  the  kings  of 
modem  âges,  retained  within  the  limita  of  probability, 
hâve  no  longer  the  courage  of  their  desires.  They  fear 
the  ear  that  hears  their  orders  and  the  eye  that  scrutinizes 
their  actions.  Formerly  kings  believed  themselves,  or  at 
least  called  themselves,  sons  of  Jupiter,  and  retained  in 
some  degree  the  manners  of  the  god  their  father.  What 
takes  place  beyond  the  clouds  is  not  readily  controlled  ; 
but  the  kings  of  to-day  hold  themselves  answerable  to  ail 
persons. 

It  has  always  been  agaînst  the  polîcy  of  despotio  gov- 
ernments  to  suffer  the  victims  of  their  policy  to  reappear. 
As  the  Inquisition  rarely  suffered  its  victims  to  be  secn 
with  their  limbs  distorted  and  their  flesh  lacerated  by 
torture,  so  madness  is  always  concealed  in  its  cell,  or 
should  it  départ,  it  is  conveyed  to  some  gloomy  hospital, 
where  the  doctor  recognizes  neither  man  nor  mind  in  the 
deformed  remnant  of  a  human  being  which  the  jailer  de- 
livers  to  him.  The  very  madness  of  the  Abbé  Faria,  gone 
mad  in  prison,  condemned  him  to  perpétuai  captivity. 

The  inspector  kept  his  word  with  Dantès.  He  examined 
the  register,  and  foond  the  following  note  conceming  him  : 

{Violent  Bonapartist  ;  took  an  active  part 
in  the  retum  from  Elba. 
The  greatest  watchfulness  and  caie  to  be 
exercised. 


Edmond  Dantès. 


THE  TWO  PRISONERS.  163 

This  note  was  in  a  différent  hand  from  the  rest,  whicli 
proved  it  had  been  added  fdnce  hîs  confinement.  The 
inspecter  coold  not  contend  against  this  accusation;  he 
simply  wrote,  "  Nothiiig  to  be  done." 

That  visit  had,  so  to  speak,  recalled  Dantès  to  life. 
Since  he  had  entered  the  prison  he  had  forgotten  to  count 
the  days  ;  but  the  inspector  had  given  him  a  new  date, 
and  he  had  not  forgotten  it.  He  wrote  on  the  wall  with 
a  pièce  of  plaster  broken  from  the  ceiling,  "  July  30,  1816," 
and  from  that  time  he  made  a  mark  every  day,  in  order 
not  to  lose  his  reckoning  again.  Days  and  weeks  passed 
away,  then  months  ;  Dantès  still  waited.  He  at  first  ex- 
pected  to  be  freed  in  a  fortnight  ;  this  fortnight  expired. 
He  then  reflected  that  the  inspector  would  do  nothing 
until  his  retum  to  Paris,  and  that  he  would  not  reach 
there  nntil  his  circuit  was  finished  ;  he  therefore  fixed 
upon  three  months.  Three  months  passed  away,  then  six 
more.  During  ail  thèse  months  no  favorable  change  had 
taken  place  ;  and  Dantès  began  to  fancy  the  inspecteras 
visit  was  but  a  dream,  an  illusion  of  the  brain. 

At  the  expiration  of  a  year  the  governor  was  removed  ; 
he  had  obtained  the  government  of  Ham.  He  took  with 
him  several  of  his  subordinates^  and  among  them  Dantès's 
jailer.  A  new  governor  arrived.  It  would  hâve  been  too 
tedious  to  acquire  the  names  of  the  prisoners  ;  he  Icarned 
their  numbers  instead.  This  horrible  place  consisted  of 
fifty  chambers  ;  their  inhabitants  were  designated  by  the 
nnmber  of  their  chamber.  And  the  unhappy  young  man 
was  no  longer  called  Edmond  Dantès  ;  he  was  now 
•  *  No.  SV 


164  THE  COUNT  OF  MONTE  CBISTO. 


CHAPTEB    XV. 

NO.  34  AND  NO.  97. 

Dantès  paased  through  ail  the  degrees  of  misfortune  that 
prisoners  forgotten  in  tbeir  dungeon  sufifer.  He  com- 
nienced  with  pride,  —  a  natural  conséquence  of  hope  and 
a  consciousness  of  innocence  ;  then  he  began  to  doubt  bis 
own  innocence^  —  a  doubt  whicb  justified  in  some  measure 
tbe  governor's  belief  in  bis  mental  aliénation  ;  and  then 
he  fell  from  the  height  of  bis  pride,  —  he  prayed,  not 
yet  to  God,  but  to  men.  The  nnhappy  man,  who  sbould 
begin  bj  seeking  the  Lord,  puts  trust  in  hîm  only  afbeï 
exhausting  ail  other  hopes. 

Dantès  prayed,  then,  that  he  mîght  be  removed  from 
his  présent  dungeon  into  another,  —  for  a  change,  how- 
ever  disadvantageous,  was  still  a  change,  and  would  afford 
him  some  distraction.  He  entreated  to  be  allowed  to 
vfaWi  about,  to  bave  books  and  instruments.  Nothing 
was  granted  ;  no  matter,  he  asked  ail  the  same.  He  ac- 
customed  himself  to  speak  to  his  new  jailer,  although  he 
was,  if  possible,  more  taciturn  than  the  former  ;  but  still, 
to  speak  to  a  man,  even  though  mute,  was  something. 
Dantès  spoke  for  the  sake  of  hearing  his  own  voice  ;  he 
had  tried  to  speak  when  alone,  but  the  sound  of  bis  voice 
terrified  him.  Often,  before  his  captivity,  Dantès's  mind 
had  revolted  at  the  idea  of  those  assemblages  of  prisone», 
composed  of  thieves,  vagabonds,  and  murderers.  He  now 
wished  to  be  among  them,  in  order  to  see  some  other  face 
besides  that  of  his  jailer,  who  would  not  speak  to  him  ; 


NO.  M  AND  NO.  V.  160 

he  sigbed  for  tbe  galleys,  with  tbeir  infamons  costamey 
their  chain,  and  the  hnod  on  tbe  shoulder.  The  galley- 
slaves  breatbed  tbe  fiesb  air  of  beaven,  and  saw  each 
otber.  They  were  very  happy.  He  besougbt  tbe  jaile» 
one  day  to  let  bim  bave  a  companion,  were  it  even  tbe 
mad  abbë. 

Tbe  jailer,  tbougb  rade  and  bardened  by  tbe  constant 
sîgbt  of  80  mucb  suffering,  was  yet  a  man.  At  tbe  botton 
of  bis  beart  be  bad  often  compassionated  tbe  unbap^y 
young  man  wbo  sufifered  tbus  ;  and  be  laid  tbe  request 
of  No.  34  before  tbe  governor.  But  tbe  latter,  as  pru- 
dent as  if  be  bad  been  a  politician,  imagined  tbat  Dantéa 
wisbed  to  conspire  or  attempt  an  escape,  and  refused 
bis  request.  Dantès  bad  exbausted  ail  buman  resources  ; 
he  tben  turned  to  God. 

Ail  the  pious  ideas  that  bad  been  so  long  forgotteq 
returned.  He  recollected  the  prayers  bis  motber  bad 
taught  bim,  and  discovered  in  tbem  a  meaning  until  tben 
unknown  to  bim  ;  for  in  prosperity  prayers  seem  but  a 
mère  assemblage  of  woi'ds,  until  the  day  when  misfortuna 
comes  to  explain  to  the  unhappy  sufiferer  the  sublimo 
language  by  which  be  invokes  the  pity  of  Heaven  I  H« 
prayed,  not  with  fervor,  but  with  rage.  He  prayed  alouà, 
no  longer  terrified  at  the  sound  of  bis  voice.  Tben  he  fi^ll 
into  a  apecies  of  trance.  He  saw  God  listening  to  every 
Word  be  uttered  ;  be  laid  every  action  of  bis  life  before 
tbe  Almighty,  proposed  tasks  to  accomplish,  and  at  the 
end  of  every  prayer  introduced  the  entreaty  oftener  ad- 
dressed  to  man  than  to  God,  "  Forgive  us  our  trespasses 
as  we  forgive  them  that  trespass  agaiust  us."  Spite  of  bis 
earnest  prayers,  Dantès  remained  a  prisoner. 

Tben  a  gloomy  feeling  took  possession  of  him.  He  was 
simple,  and  without  éducation  ;  he  could  not,  therefore,  in 
the   solitude  of  his  diingeon  and  of  bis   own   tbougb ts, 


166  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

leconstruct  the  âges  that  liad  passed,  reaniraate  the  nar 
lions  that  had  perished,  and  rebuild  the  ancieut  cities  that 
imagination  renders  so  vast  and  stupendous,  and  that  pass 
before  our  eyes,  illuminated  "bj  the  fires  of  heaven,  as  in 
Marti un's  pictures.  He  could  not  do  this,  his  past  life 
was  80  short,  his  présent  so  melancholy,  and  his  future 
so  doubtful.  Nineteen  years  of  light  to  reâect  upon  in 
eternal  darkness  !  No  distraction  could  corne  to  his  aid  ; 
his  energetic  spirit,  that  would  hâve  exulted  in  thus  re- 
visiting  the  past,  was  imprisoned  like  an  eagle  in  a  cage. 
He  clung  to  one  idea,  —  that  of  his  happiness,  destroyed 
without  apparent  cause  by  an  unheard-of  fatal ity  ;  he 
considered  and  reconsidered  this  idea,  devoured  it  (so  to 
speak)  as  Ugolino  dey  ours  the  skull  of  the  Archbishop 
Roger  in  the  Inferno  of  Dante. 

Rage  succeeded  to  asceticism.  Dantès  uttered  blas- 
phemies  that  made  his  jailer  recoil  with  horror,  dashed 
himself  furiously  against  the  walls  of  his  prison  ;  he 
turned  his  fury  against  everything  around  him,  and  es- 
pecially  against  himself,  against  the  least  thing  that  an- 
noyed  him,  —  a  grain  of  sand,  a  straw,  or  a  breath  of  air. 
Then  the  letter  of  denunciation  which  Villefort  had 
showed  to  him  recurred  to  his  mind,  and  every  Une 
seemed  visible  in  fiery  letters  on  the  wall,  like  the  Mené, 
Tekel,  Upliardn  of  Belshazzar.  He  said  to  himself  that  it 
was  the  enmity  of  man,  and  not  the  vengeance  of  Heaven, 
that  had  thus  plunged  him  énto  the  deepest  misery.  He 
devoted  thèse  unknown  persecutors  to  the  most  horrible 
tortures  he  could  imagine,  and  found  them  ail  insufficient, 
because  after  torture  came  death,  and  after  death,  if  not 
repose,  at  least  that  insensibility  that  resembles  it. 

By  dint  of  constantly  dwelling  on  the  idea  that  repose 
was  deathy  and  that  in  order  to  punish  cruelly  other  tor- 
tures than  death  must  be  invented,  he  began  to  reflect 


HO.  M  AND  NO.  27.  167 

on  suicide.  UnLappy  Le  wLo  on  thé  brink  of  misfor- 
tune  broods  over  thèse  ideas  !  The  idea  of  suicide  is  one 
of  those  dead  seas  that  seem  clear  and  smooth  to  the  eye  ; 
but  be  who  unwarily  ventures  withîn  its  embrace  finds 
bimself  entangled  in  a  quagmire  that  attracts  and  swallows 
him.  Once  thus  ensnared,  nuless  the  protecting  hand  of 
God  snatch  him  thence,  ail  is  over^  and  his  struggles  but 
tend  to  hasten  his  destractîon.  This  state  of  mental 
anguish  is,  however,  less  terrible  than  the  sufiferings  that 
précède  and  the  punishmenb  that  perhaps  awaits  it  ;  it  is 
a  sort  of  consolation  that  points  to  the  yawning  abyss,  at 
the  bottom  of  which  is  darkness. 

Edmond  found  some  solace  in  this  idea.  AU  his  sor- 
rows,  ail  his  sufferings,  with  tbeir  train  of  gloomy  spectres, 
fled  from  his  cell  when  the  angel  of  death  seemed  about 
to  enter.  Dantès  reviewed  with  composure  his  past  life, 
and  looking  forward  with  terrer  to  his  future,  chose  that 
middle  line  that  seemed  to  afford  him  a  refuge. 

"  Sometimes,"  said  he,  "  in  my  voyages,  when  I  waa 
still  a  man,  free  and  powerful,  and  commauded  othei 
men,  I  bave  seen  the  heavens  become  overcast,  the  sea 
rage  and  foam,  the  storm  arîse,  and  like  a  monstrous  bird 
cover  the  sky  with  its  wings.  Then  I  felt  that  my  vessel 
was  a  vain  refuge,  for  like  a  feather  in  the  hand  of  a 
giant,  it  trembled  and  shook  before  the  tempest.  Soon 
the  fury  of  the  waves  and  the  sight  of  the  sharp  rocks 
announced  the  approach  of  death,  and  death  then  terrified 
me  ;  and  I  used  ail  my  skill  and  intelligence  as  a  man 
and  a  sailor  in  a  struggle  against  the  Almighty  !  I  did  so 
because  I  was  happy  ;  because  a  returu  to  life  was  a  return 
to  eujoyment  ;  because  I  had  not  courted  that  death,  had 
not  chosen  it  ;  because  this  repose  on  a  .bed  of  rocks  and 
seaweed  seemed  terrible  ;  because  I  was  unwilling  that  I, 
a  créature  made  in  the  image  of  God,  should  serve  foi 


168  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

» 

food  to  the  guUs  and  ravens.  But  now  it  la  différent.  I 
bave  lost  ail  tbat  bound  me  to  life  ;  deatb  smiles  and  in- 
vites me  to  repose.  I  die  after  my  own  manner,  I  die 
exbausted  and  broken-spirited,  as  I  fall  asleep  after  one 
of  tbose  evenings  of  despair  and  rage  wben  I  bave  paced 
tbree  tbousand  times  round  my  celL" 

No  sooner  bad  tbis  idea  taken  possession  of  bira  tban  be 
became  more  composed  ;  be  arranged  bis  coucb  to  tbe  beçt 
of  bis  power,  ate  and  slept  little,  and  found  tbis  existence 
almost  supportable,  because  be  felt  be  could  tbrow  it  off 
at  pleasure,  like  a  worn-out  garraent.  He  bad  two  means 
of  dying,  —  one  was  to  bang  bimself  witb  bis  bandkercbief 
to  tbe  stancbions  of  tbe  window  :  tbe  otber  to  refuse  food 
and  starve  bimself.  But  tbe  former  project  was  repug- 
nant  to  bim.  Dantès  bad  always  entertained  a  borror  of 
pirates,  wbo  are  bung  up  to  tbe  yard-arm  ;  be  would  not 
die  by  wbat  seemed  an  infamous  deatb.  He  resolved  to 
adopt  tbe  second,  and  began  tbat  day  to  exécute  bis  ré- 
solve. Nearly  foui  years  bad  passed  away  ;  at  tbe  end  of 
tbe  second  be  bad  fallen  again  into  ignorance  of  dates, 
from  wbicb  tbe  inspector  bad  lifbed  bim. 

Dantës  bad  said,  "  I  wisb  to  die,"  and  bad  cbosen  tbe 
manner  of  bis  deatb  ;  and  fearful  of  cbanging  bis  mind, 
be  bad  taken  an  oatb  so  to  die.  ^'Wben  my  moming 
and  evening  meals  are  brougbt,"  tbougbt  be,  "  I  will  cast 
tbem  ont  of  tbe  window,  and  I  sball  be  believed  to  bave 
eaten  tbem." 

He  kept  bis  word;  twice  a  day  be  cast  ont,  by  tbe 
barred  aperture,  tbe  provisions  bis  jailer  brougbt  bim,  — 
at  first  gayly,  tben  witb  délibération,  and  at  last  witb 
regret.  Notbing  but  tbe  recollection  of  bis  oatb  gave 
hini  strengtb  to  proceed.  Hunger  rendered  tbese  viands, 
once  so  répugnant,  appetizing  to  tbe  eye  and  exquisite  to 
tbe  sensé  of  smell  ;  sometimes  be  beld  tbe  plate  in  bia 


KO.  34  AND  Ha  ST.  169 

hand  fur  an  hour  at  a  time,  and  gazed  on  the  moreel  of 
bad  méat,  of  tainted  fish,  of  black  and  mouldy  biead. 
The  deeper  instincts  of  self-preservation  yet  strove  within 
him,  and  oocasionally  Tanquished  his  résolve  ;  then  his 
dtuigeon  seenied  less  sombre,  his  condition  leas  despeiate. 
He  was  still  young,  —  he  was  only  four  or  five  and 
tweiity  ;  he  had  nearly  fifty  yeais  to  live.  In  tbat  vast 
space  of  time  what  unforeseeu  events  might  not  open  his 
prison  door,  and  restore  him  to  liberty  1  Then  he  raised 
to  his  lips  the  repast  that,  like  a  volnntary  Tantalus,  he 
had  refused  himself  ;  bat  he  thought  of  his  oath,  and  that 
gênerons  rature  had  too  great  fear  of  despising  himself  to 
be  able  to  break  his  oath.  Ue  persisted,  then,  rigorons 
and  pitiless,  until  at  last  he  had  not  sufficient  force  to 
cast  his  sup^t^r  out  of  the  loophole.  The  next  morning 
he  could  not  see  or  hear  ;  the  jailer  feared  he  was  dan- 
gerously  ilL     Edmond  hoped  he  was  dying. 

The  day  passctd  away  thus.  Edmond  felt  a  species  of 
stupor  creeping  o-rer  him  ;  the  gnawing  pain  àt  his  stomacb 
had  ceased  ;  his  thirst  had  abated  ;  when  he  closed  his 
eyes  he  saw  myilads  of  lights  dancing  before  them,  like 
the  meteors  that  play  about  the  marshes.  It  was  the 
twilight  of  that  mysterious  country  called  Death  ! 

Suddenly,  about  nine  o'clock  in  the  eNening,  Edmond 
heard  a  hollow  Sound  in  the  wall  against  which  he  was 
lying. 

So  many  loathsome  animais  inhabited  the  prison  that 
their  noise  did  not  in  gênerai  awake  him  ;  but  now, 
whether  abstinence  had  quickened  his  faculties,  or  wheth- 
er  the  noise  was  really  louder  thau  usual,  or  whether  in 
that  suprême  moment  everything  gained  in  significance, 
Edmond  raised  his  head  and  listened.  It  was  a  con- 
tinuai scratching,  as  if  made  by  a  huge  claw,  a  powerful 
tooth,  or  some  iron  instrument  attacking  the  stones. 


170  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

Although  weakened,  the  young  man's  braîn  instantlj 
lecurred  to  tlie  idea  that  haunts  ail  prisoners,  — -  libertj  I 
It  seemed  to  him  that  Ueaven  had  at  length  taken  pity 
on  him,  and  had  sent  this  noise  to  wam  him  on  the  verj 
brink  of  the  abyss.  Perhaps  one  of  those  beloved  oues 
he  had  so  ofben  thought  of  was  thinking  of  him,  and  striv- 
ing  to  diminish  the  distance  that  sepaiated  them. 

No,  no  !  doubtless  he  was  deceived,  and  it  was  but  one 
of  those  dreams  that  hover  at  the  gâte  of  death  1 

Edmond  still  heard  the  sonnd.  It  lasted  about  three 
hours  ;  he  then  heard  a  noise  of  something  falliug,  and  ail 
was  silent. 

Some  hours  afterwards  it  begau  nearer  and  more  dis- 
tinct; Edmond  became  already  interested  in  that  labor, 
which  afforded  him  companionship.  Suddenly  the  jailer 
entered. 

During  the  week  in  which  he  was  forming  his  resolu- 
tion to  die,  and  the  four  days  since  he  began  to  put  his 
résolve  into  exécution,  Edmond  had  not  spoken  to  this 
man,  had  not  answered  him  when  he  inquired  what  was 
the  matter  with  him,  and  had  tumed  his  face  to  the  wall 
when  he  looked  too  curiously  at  him  ;  but  now  the  jailer 
might  hear  this  noise,  and  t>aking  alarm,  might  put  an  end 
to  it,  thus  destroying  a  ray  of  something  like  hope  that 
soothed  his  last  moments. 

The  jailer  brought  him  his  breakfast.  Dantes  raised 
himself  up,  and  began  to  speak  on  ail  possible  subjects,  — 
on  the  bad  quality  of  his  food,  on  the  coldness  of  his 
dungeon,  grumbling  and  complaining  in  order  to  bave  an 
excuse  for  speaking  louder,  and  wearying  the  patience  of 
the  jailer,  who  that  very  day  had  solicited  some  broth  and 
white  bread  for  his  prisoner,  and  had  brought  it  to  him. 

Fortunately  the  jailev  fancied  that  Dantès  was  déliri- 
ons ;  and  placing  his  food  on  the  rickety  table,  he  with- 


NO.  34  AND  NO.  27-  171 

drew.  Free  at  last,  Edmond  agaîn  eagerly  listened.  The 
iioise  began  again,  and  was  now  so  distinct  tliat  he  could 
hear  it  without  effort. 

"  There  can  be  no  doubt,"  thougbt  be  ;  "  it  is  somc  prîso- 
iier  who  is  striving  to  obtain  bis  freedom.  Ob^  if  I  were 
'witb  bim  bow  I  would  belp  !  ** 

Suddenly  a  cloud  darkened  tbat  dawn  of  bope  in  a 
mind  so  used  to  misfortune  tbat  it  could  scarcely  uuder- 
Btand  bope  ;  the  idea  possessed  bim  tbat  tbe  noise  arose 
from  tbe  workmen  tbe  governor  bad  ordered  to  repair  tbe 
neigbboring  dungeon. 

It  was  easy  to  ascertain  tbis  ;  but  bow  could  be  risk  tbe 
question  ?  It  was  easy  to  call  bis  jailer's  attention  to  tbe 
noise,  and  watcb  bis  countenance  as  be  listened  ;  but 
might  be  not  by  tbis  means  betray  precious  bopes  for  a 
sbort-lived  satisfaction?  Unfortunately,  îkimond's  brain 
was  still  80  feeble  tbat  be  could  not  bend  bis  tbougbts  to 
anytbing  in  particular. 

He  saw  but  one  means  of  restoring  lucidity  and  clear- 
ness  to  bis  judgment.  He  tumed  bis  eyes  towards  tbe 
soup  bis  jailer  bad  brougbt  bim,  rose,  staggered  towards 
it^  raised  the  vessel  to  bis  lips,  and  drank  off  the  contents 
with  an  indescribable  sensation  of  comfort  ;  tben  be  bad 
tbe  courage  to  abstain.  He  bad  beard  tbat  sbipwrecked 
persons  bad  died  through  baving  eagerly  devoured  too 
mucb  food.  Edmond  replaced  on  tbe  table  tbe  bre&d 
he  was  about  to  devour,  and  retumed  to  bis  couch  ;  be 
no  longer  wished  to  die.  He  soon  felt  tbat  bis  ideas  be- 
came  ^gain  collected  ;  be  could  tbink,  and  strengthen  bis 
thoughts  by  reasoning.  Tben  he  said  to  himself,  "  I  must 
put  tbis  to  the  test,  but  without  compromising  anybody. 
If  it  is  a  workman,  I  need  but  kuock  against  tbe  wall, 
and  be  will  cease  to  work  in  order  to  find  out  who  is 
knocking  and  wby  be  does  so  ;  but  as  bis  occupation  is 


172  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

sauctioned  by  tlie  governor,  he  wîU  soon  résume  it.  li^ 
on  the  contrary,  it  is  a  prisoner,  the  noise  I  make  wiU 
alarm  hivi  ;  he  wiU  cease,  and  not  résume  until  he  thinks 
every  one  is  asleep." 

Edmond  rose  again,  but  this  time  his  legs  did  not  trem- 
ble, and  his  eyes  were  free  from  mists  ;  he  advanced  to 
a  corner  of  his  dungeon,  detached  a  stone  loosened  by 
the  moisture,  and  with  it  knocked  against  the  wall  at 
the  place  where  the  noise  was  most  audibla  He  struck 
thrice  ;  at  the  first  blow  the  sound  ceased,  as  if  by  magie. 

Edmond  listened  intently.  An  hour  passed,  two  hours 
passed,  and  no  sound  was  heard  from  the  wall,  —  ail  was 
silent  there. 

FuU  of  hope,  Edmond  swallowed  a  few  mouthfuls  of 
bread,  drank  some*  water,  and  thanks  to  the  excellence 
of  his  constitution,  found  himself  well-cigh  recovered. 

The  day  passed  away  in  utter  silence;  night  came 
without  the  noise  having  recommenced. 

"  It  is  a  prisoner  !  "  said  Edmond,  joyfully. 

The  night  passed  in  unbroken  silence.  Edmond  did 
not  close  his  eyes. 

In  the  moming  the  jailer  brought  his  rations — he  had 
already  devoured  those  of  the  previous  day  ;  he  ate  thèse, 
listening  anxiously  for  the  sound,  walking  round  and 
round  his  cell,  shakîng  the  iron  bars  of  the  loophole, 
restoring  by  exercise  vigor  and  agility  to  his  limbs,  and 
preparing  himself  thus  for  what  might  lie  before  him.  At 
intervais  he  listened  for  a  récurrence  of  the  noise,  and 
grew  impatient  at  the  prudence  of  the  prisoner,  who  did 
not  guess  he  had  been  disturbed  by  a  captive  as  anxious 
for  liberty  as  himself. 

Three  days  passed,  —  seventy-two  mortal  hours,  reck- 
oned  minute  by  minute  ! 

At  length,  one  evening  just  after  the  jailer^s  last  visita 


KO.  M  AND  NO.  27.  173 

as  for  the  hundredth  time  Dantes  placed  bis-  ear  against 
the  waU,  he  fancied  that  he  heard  an  almoet  imperceptible 
movement  among  tbe  stones.  He  recoiled  from  tbe  wall, 
walked  up  and  down  bis  cell  to  coUect  bis  tbougbts,  and 
replaced  bis  ear  at  tbe  same  spot 

Tbere  could  be  no  doubt  tbat  sometbing  was  taking 
place  on  tbe  otber  side  ;  tbe  prisoner  bad  disoovered  tbe 
danger,  and  to  continue  bis  work  in  greater  security,  bad 
Bubstituted  tbe  lever  for  tbe  cbisel. 

Encouraged  by  tbis  discovery,  Edmond  determined  to 
assÎBt  tbe  indefatigable  laborer.  He  began  by  moving  bis 
bed,  bebind  wbicb  it  seemed  to  bim  tbe  work  of  deliye^ 
ance  was  going  on,  and  sougbt  witb  bis  eyes  for  sometbing 
witb  wbicb  be  migbt  pierce  tbe  wall,  penetrate  tbe  cernent, 
and  displace  a  stone. 

He  saw  notbing.  He  bad  no  knife  or  sbarp  instrument  ; 
tbe  grating  of  bis  window  alone  was  of  iron,  and  be  bad 
too  often  assured  bimself  of  its  solidity.  Ail  bis  furni- 
ture  consisted  of  a  bed,  a  cbair,  a  table,  a  pail,  and  a  jug. 
Tbe  bed  bad  iron  clamps  ;  but  tbey  were  screwed  to  tbe 
wood,  and  it  would  bave  required  a  screw-driver  to  take 
tbem  oS.  Tbe  table  and  cbaîr  bad  notbing  tbat  would 
serve;  tbe  pail  bad  bad  a  bandle,  but  tbat  bad  been 
removed.  Tbere  remaîned  but  one  resource,  wbicb  was 
to  break  tbe  jug,  and  witb  one  of  tbe  sbarp  fragments 
attack  tbe  walL  He  let  the  jug  fall  on  tbe  floor,  and  it 
broke  in  pièces.  He  concealed  two  or  tbree  of  tbe  sbarp- 
est  fragments  in  bis  bed,  leaving  tbe  rest  on  the  floor. 
The  breaking  of  bis  jug  was  too  natural  an  accident  to 
excite  suspicion.  He  bad  ail  tbe  nigbt  to  work  in,  but 
in  tbe  darkness  be  could  not  do  much,  and  be  soon  per- 
ceived  tbat  bis  instrument  was  blunted  against  sometbing 
bard;  be  pusbed  back  bis  bed,  and  awaited  tbe  day. 
Witb  bope,  patience  bad  retumed  to  bim. 


174  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

Ail  nigbt  he  heard  the  subterranean  workman,  whc 
coutinued  to  mine  his  way.  The  day  came;  the  jailei 
entered.  Dantès  told  him  the  jug  had  fallen  from  hia 
hands  in  drinking,  and  the  jailer  went  grumblingly  to 
fetch  another,  without  giving  himself  the  trouble  to  re- 
move  the  fragments  of  the  broken  one.  He  retumed 
speedOy,  recommended  the  prisoner  to  be  more  carefu), 

/d  departed. 
Dantès  heard  joyfully  the  key  grate  in  the  lock  ;  he  lis- 
teued  until  the  sound  of  steps  died  away,  and  then,  hastily 
displacing  his  bed,  saw  by  the  faint  light  that  penetrated 
into  his  cell  that  he  had  labored  uselessly  the  previous 
evening  in  attacking  the  stone  instead  of  removing  the 
plaster  that  surrounded  it.  The  damp  had  rendered  it 
friable,  and  he  saw  joyfully  the  plaster  detach  itself,  —  in 
small  morsels,  it  is  true  ;  but  at  the  end  of  half  an  hour 
he  had  scraped  off  a  handfuL  A  mathematician  might 
liave  calculated  that  in  two  years,  supposing  that  the  rock 
was  not  encountered,  a  passage  twenty  feet  long  and  two 
feet  broad  might  be  formed.  The  prisoner  reproached 
himself  with  not  having  thus  employed  the  hours  which 
he  had  passed  in  prayers  and  despair.  In  the  six  years  — 
as  he  reckoned  —  of  his  imprison  ment,  what  might  he  not 
hâve  accoraplished  î 

In  three  day  s  Dantès  hàd  succeeded,  with  the  utmost 
précaution,  in  removing  the  cément  and  exposing  the 
stone.  The  wall  was  formed  of  rough  stones,  to  give 
solidity  to'  wliich  were  imbedded  at  intervais  blocks  of 
hewn  stone.  It  was  one  of  thèse  he  had  uncovered,  and 
which  he  must  remove  from  its  sockets.  He  strove  to  do 
80  with  his  nails,  but  they  were  too  weak  ;  the  fragments 
of  the  jug,  inserted  in  the  opening,  broke,  and  after  an 
hour  of  useless  toil  he  paused.  Was  he  to  be  thus  stopped 
at  the  beginning,  and  was  he  to  wait  inactive  until  bis 


HO.  S4  AND  NO.  27.  175 

neighbor,  wearj,  perhapsy  with  toi],  had  accomplished 
everytbing?  Suddenlj  an  idea  occarred  to  him;  Le 
smiledy  and  the  perspiiation  dried  on  bis  foiebead. 

The  jailer  alwajs  brought  Dantès's  soup  in  an  iron 
saucepan  ;  tbis  saucepan  contained  tbe  soup  of  a  second 
prisoner,  —  for  Dantès  bad  lemarked  tbat  it  was  eitber 
quite  fuU  or  balf  emptj,  according  as  the  tumkey  gave 
it  to  himself  or  bis  compauion  first  The  bandle  of 
tbis  saucepan  was  of  iron  ;  Dantès  would  bave  given  tén 
jears  of  bis  life  in  excbange  for  it. 

The  jailer  poured  tbe  contents  of  tbis  sancepan  into 
Dantès's  plate,  wbo,  after  eating  bis  sonp  with  a  wooden 
sp<x)n,  wasbed  the  plate,  which  thns  served  for  every  daj. 
In  tbe  evening  Dantès  placed  bis  plate  on  tbe  ground  near 
the  door;  tbe  jailer,  as  be  entered,  stepped  on  it  and 
broke  it.  Tbis  time  be  could  not  blâme  Dantès.  He  bad 
done  wrong  in  leaving  it  there,  but  tbe  jailer  was  at  fault 
in  not  noticing  wbere  be  stepped. 

The  jailer  therefore  contented  himself  witb  grumbling. 
Then  be  looked  about  him  for  somctbing  to  pour  tbe  soup 
into  ;  Dantès's  wbole  fumiture  consisted  of  one  plate»  — 
there  was  no  alternative. 

''  Leave  tbe  saucepan,"  said  Dantès  ;  **  you  can  take  it 
away  wben  you  bring  me  my  breakfast.''  Tbis  advice 
was  to  the  jailer's  taste,  as  it  spared  him  tbe  necessity  of 
ascending,  descending,  and  ascending  again.  He  lefb  the 
saucepan. 

Dantès  was  besîde  himself  with  joy.  He  rapidly  de- 
Youred  bis  food,  and  after  waiting  an  hour,  lest  the  jailer 
should  change  bis  mind  and  retum^  be  removed  bis  bed, 
took  the  bandle  of  the  saucepan,  inserted  tbe  point  be- 
tween  the  hewn  stone  and  rougb  stones  of  the  wall,  and 
employed  it  as  a  lever.  A  sligbt  oscillation  showed  Dantès 
that  bis  plan  was  a  good  one.     At  the  end  of  an  hour  the 


176  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

stone  was  extricated  from  the  wall,  leaving  a  cavity  ol  a 
foot  and  a  half  in  diameter. 

Dantës  carefully  collected  the  plaster,  carried  ît  iuto 
the  corners  of  his  eell,  and  «overed  it  with  earth.  Then, 
wishing  to  make  the  beat  use  of  this  night,  in  whicb 
chance,  or  rather  his  own  stratagem,  had  placed  so  pre- 
cious  an  instrument  in  his  hands,  he  continued  to 
work  without  ceasing.  At  the  dawn  of  day  he  replaced 
the  stone,  pushed  liis  bed  against  the  wall,  and  lay 
down.  The  breakfast  consisted  of  a  pièce  of  bread;  the 
jailer  entered  and  placed  the  bread  on  the  table. 

"  Well,  y  ou  do  not  bring  me  another  plate,"  sail 
Dantès. 

"  No,"  replied  the  turnkey,  "  you  destroy  everythinj^. 
First  you  break  your  jug,  then  you  make  me  break  your 
plate;  if  ail  the  prisoners  followed  your  example  the  Go\r- 
ernment  would  be  ruined.  I  shall  leave  you  the  saucepan 
and  pour  your  soup  into  that  ;  under  that  arrangement 
you  will  perhaps  avoid  breaking  dishes/' 

Dantès  raised  his  eyes  to  heaven  and  clasped  his  hands 
beneath  the  coverlid.  He  felt  more  gratitude  for  the  pos- 
session of  this  pièce  of  iron  than  he  had  ever  felt  for  any- 
thing.  He  had  however  remarked  that  the  prisoner  on 
the  other  side  had  ceased  to  labor.  No  matter,  this  was 
a  greater  reason  for  proceeding  ;  if  his  neighbor  would  not 
corne  to  him,  he  would  go  to  him.  AU  day  he  toiled  on 
untiringly,  and  by  the  evening  he  had  succeeded  in  ex- 
tracting  ten  handfuls  of  plaster  and  fragments  of  stone. 
When  the  hour  for  his  jailer's  visit  arrived,  Dantès 
straightened  the  handle  of  the  saucepan  and  put  that  ré- 
ceptacle in  its  accustomed  place.  The  turnkey  poured  into 
it  the  customary  ration  of  soup  and  méat,  or  rather  of 
ioup  and  fish,  for  it  was  a  fast  day  ;  three  times  a  week 
the  prisoners  were  made  to  fast.      This  would  hâve  beeii  a 


NO.  84  AND  NO.  27.  177 

method  of  leckoning  time,  had  not  Dantes  long  ceafied  to 
do  so.  Having  poured  out  the  soup,  the  turnkey  retired. 
Dantès  wîshed  to  ascertaîn  whether  bis  neighbor  had  really 
ceased  to  work.  '  He  listened  ;  ail  was  sileiit,  as  it  had 
been  for  the  last  three  days.  Dantès  sighed  ;  it  was  évi- 
dent that  bis  neighbor  distrusted  bim.  However,  he  toiled 
on  ail  the  night  without  being  discouraged  ;  but  afber  two 
or  three  hours  he  encountered  au  obstacle.  Tlie  iron  made 
no  impression,  but  glided  on  a  smooth  surface;  Dantès 
touched  it  with  bis  hands,  and  found  it  was  a  beam.  This 
beam  crossed,  or  rather  blocked  up,  the  hole  Dantès  had 
made  ;  it  was  necessary,  therefore,  to  dig  above  or  under 
it.  The  unhappy  young  man  had  not  expected  this  ob- 
stacle. "  Oh,  my  God  !  my  God  !  "  murmured  he,  "  I 
hâve  so  earnestly  prayed  to  thee  that  I  hoped  my  prayers 
had  been  heard.     After  having  deprived  me  of  my  liberty, 

after  having  denied  to  me  the  repose  of  death,  after  having 

recalled  me  to  existence,  —  my  God  !  bave  pity  on  me, 

and  do  not  let  me  die  in  despair  !  " 

"  Who  talks  of  God  and  despair  at  the  same  time  1  " 

said  a  voice  that  seenied  to  corne  from  beneath  the  earth, 

and  deadened  by  the  distance,  sounded  hoUow  and  sepul- 

chral  in  the  young  maii's  ears.     Edmond's  hair  stood  on 

end,  and  he  recoiled  on  bis  knees. 

"  Ah  I  "  said  he,  **  I  hear  a  human  voice."     He  had  not 

heard  any  one  speak  save  bis  jailer  for  four  or  five  years  ; 

and  to  a  prisoner  the  jailer  is  not  a  man,  —  he  is  a  living 

door  added  to  bis  door  of  oak,  a  barrier  of  flesh  and  blood 

added  to  his  barriers  of  iron. 

"  In  the  name  of  Heaven,"  cried  Dantès,  "  speak  again, 

though  the  sound  of  your  voice  terrifies  me  ;  who  are  youî" 
"  Who  are  you  î  "  said  the  voice. 
**  An  unhappy  prisoner,"  replied  Dantès,  who  made  no 

hésitation  in  answering. 

VOL.   1.  —  12    , 


178  THE  COUNT  OF  MONTE  CBISTa 

"  Of  what  country  î  '• 

"  A  Frenchman." 

"  Your  name  ?  " 

"  Edmond  Dantès." 

"  Your  profession  ?  " 

"  A  saUor." 

"  How  long  hâve  y  ou  been  hère  f  * 

"  Since  the  28th  of  February,  1816.*» 

**  Your  crime  î  " 

"  I  am  innocent/' 

"  But  of  what  are  youaccused  1  ** 

"  Of  having  conspired  to  aid  the  emperor's  retum.* 

"  What  !  the  emperor's  return  î  ïhe  emperor  ia  no 
longer  on  the  throne,  then  î  " 

'*  He  abdicated  at  Fontainebleau  in  1814,  and  was  sent 
to  the  island  of  *£lba.  But  how  long  hâve  you  been  hère 
that  you  are  ignorant  of  ail  this  ?  " 

"Since  1811." 

Dantès  shuddered  ;  this  man  had  been  four  yean 
longer  than   himself  in   prison. 

"Do  not  dig  any  more,"  said  the  voice;  "only  tell 
me  how  high  Mp  is  your  excavation?* 

"  On  a  level  with  the  floor," 

"  How  is  it  concealed  î  " 

"  Behind  my  bed." 

"  Has  your  bed  been  moved  since  you  hâve  been  a 
prisoner  î  " 

"  No." 

"  What  does  your  chamber  open  on  f 

"A  corridor." 

"  And  the  corridor  î  *' 

**  On  the  court." 

"  Alas  !  "  murmured  the  voice. 

"  Oh,  what  is  the  matter  1  "  cried  Dantës. 


KO.  84  AND  NO.  27.  179 

**  I  am  deceived  ;  and  the  imperfection  of  my  plans  has 
ruined  ail.  An  error  of  a  Une  in  the  plan  lias  been 
équivalent  to  lifteen  feet  in  reality,  and  I  took  the  wall 
y  ou  are  mining  for  the  wall  of  the  fortress." 

**  But  then  you  would  be  close  to  the  sea  1  ** 

"Thatiswhatlhoped." 

"  And  supposing  you  had  succeeded  1" 

'*  I  should  hâve  thrown  myself  into  the  sea,  gained  one 
1 1  the  islands  near  hère, —  the  Isle  de  Daume  or  the  Isle 
dh  Tiboulen,  —  and  then  I  should  hâve  been  safe.'' 

'*Could  you  hâve  swum  so  farl" 

**  Heaven  would  hâve  given  me  streugth  ;  and  now  ail 
is  lost  !  " 

«  Ail  ?  " 

'*  Yes  ;  stop  up  your  excavation  carefùlly.  Do  not  worfc 
any  more  ;  and  wait  until  you  hear  from  me." 

"  Tell  me,  at  least,  who  you  are.** 

"  I  am  —  I  am  No.  27." 

'*  You  mistrust  me,  then  ?  *'  said  Dantès.  He  fancied 
he  heard  a  bitter  laugh  proceed  from  the  unknown. 

**  Oh,  I  am  a  Christian,"  cried  Dantès,  guessing  instinc- 
tively  that  this  man  meant  to  abandon  him.  **  I  swear  to 
you  by  Christ  that  I  will  let  them  kill  me  rather  than 
Buffer  your  executioners  and  mine  to  get  a  glimpse  of  the 
truth;  but  in  the  name  of  Heaven,  do  not  deprive  me 
of  your  présence,  do  not  withdraw  your  voice  from  me,  or 
I  swear  to  you  —  for  I  hâve  reached  the  end  of  my 
endurance  —  that  I  will  dash  my  brains  out  against 
the  wall,  and  you  will  hâve  my  death  to  reproach  your- 
self  with." 

"  How  old  are  you  1  Your  voice  is  that  of  a  young 
man  1  " 

"  I  do  not  know  my  âge,  for  I  bave  not  counted  the 
years  I  bave  been  hère.     Ail  I  know  is  that  I  was  just 


180  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

nineteen  when  I  was  arrested,  the  28th  of  Febmaij, 
1815." 

"Not  quite  twenty-six  !  "  murmured  the  voice;  "at 
that  âge  one  cannot  be  a  traitor." 

'*  Oh,  no,  no  !  "  cried  Dantès.  "  I  swear  to  you  again, 
rather  than  betray  you  T  will  let  tbem  bew  me  to  pièces  !  " 

**  You  bave  done  well  to  speak  to  me  and  entreat  me, 
for  I  was  about  to  form  anotber  plan,  and  leave  you  ;  but 
your  âge  réassures  me.  I  will  come  again  to  you. 
Ëzpect  me." 

"  When  ?  "  . 

"I  must  calculate  our  chances;  I  will  give  you  tbe 
signal." 

''  But  you  will  not  leave  me  ;  you  will  come  to  me,  or 
you  wiU  let  me  go  to  you.  We  will  escape  together,  and 
if  we  cannot  escape  we  will  talk,  —  you  of  those  wbom 
you  love,  and  I  of  those  wliom  I  love.  You  must  love 
somebody  î  " 

"  No,  I  ara  alone  in  the  world." 

"  Then  you  will  love  me.  If  you  are  young,  I  will  be 
yoar  comrade  ;  if  you  are  old,  I  will  be  your  son.  I  bave 
a  father,  who  is  seventy  if  he  yet  lives  ;  I  love  only  him 
and  a  young  girl  called  Mercedes.  My  father  bas  not  yet 
forgotten  me,  I  am  sure;  but  God  alone  knows  if  she 
loves  me  still.     I  shall  love  you  as  I  loved  my  father." 

"  It  is  well,"  retumed  the  voice  ;  *'  to-morrow." 

Thèse  few  words  were  uttered  with  an  acceât  that  lefb 
no  doubt  of  his  sincerity.  Dantès  rose,  buried  the  frag- 
ments with  the  same  précaution  as  before,  and  pushed 
back  his  bed  against  the  wall.  He  then  gave  himself  up 
to  his  happiness.  He  would  no  longer  be  alone  ;  he  was 
perhaps  about  to  regain  his  liberty.  Ât  the  worst,  if  he 
remained  a  prisomer,  be  would  hâve  a  compauion;  and 
captivity  that  is  shared  is  but  half  captivity. 


NO.  34  AND  NO.  27.  181 

All^  daj  Dantëa  walked  up  and  down  hîs  cell,  his  heart 
boonding  with  joy.  From  time.  to  lime  his  joy  stifled 
him  ;  he  sat  down  on  Lis  bed,  pressing  his  hand  on  his 
breast  At  the  slightest  noise  he  bounded  towards  the 
door.  Once  or  twice  the  fear  crosscd  his  mind  that  he 
might  be  separated  from  this  unknown,  whom  he  loved 
already.  In  that  case  his  resolution  was  formed  :  when 
the  jailer  moved  his  bed  and  stooped  to  examine  the 
opening,  he  would  kill  him  with  hia  water-jug.  He  would 
be  condemned  to  die,  but  he  was  already  about  to  die  of 
grief  and  despair  when  this  miraculous  noise  recalled  him 
to  life. 

The  jailer  came  in  the  evening;  Dantës  was  on  his 
bed.  It  seemed  to  him  that  thus  he  better  guarded 
the  unfinished  opening.  Doubtless  there  was  a  strauge 
expression  in  his  eyes,  for  the  jailer  said,  '^Come,  are 
you  going  mad  again?" 

Dantës  did  not  answer  ;  he  feared  that  the  émotion  of 
his  voice  would  betray  him.  The  jailer  retired,  shaking 
his  head.  The  night  came  ;  Dantës  hoped  that  his  neigh- 
bor  would  profit  by  the  silence  to  address  him,  but  he 
was  mistaken.  The  next  moming,  however,  just  as  he 
removed  his  bed  from  the  wall,  he  heard  three  knocks  ; 
he  threw  himself  on  his  knees. 

"  Is  it  you  î  "  said  he  ;  "I  am  hère." 

"  Is  your  jailer  gone  î  " 

''Yes/'  said  Dantës;  ''he  will  not  return  until  thd 
evening.    We  bave  twelve  hours  of  liberty.* 

"  I  can  work,  then  ?  **  said  the  voice. 

"Oh,  yes,  yes ;  this  instant,  I  entreat  you  1** 

In  an  instant  the  portion  of  the  floor  on  which  Dantës 
(half-buried  in  the  opening)  was  leaning  his  two  hands, 
began  to  yield  under  him  ;  lie  cast  himself  back,  while  a 
maas  of  stones  and  earth  disappeared  in  a  hole  that  opened 


182  THE  COUNT  OF  MONTE  GKI8T0. 

beneath  the  aperture  he  himself  had  fonned.  Then  froni 
the  bottom  of  this  passage,  tbe  depth  of  wbich  it  was  im- 
possible to  measure,  be  saw  appear,  first  tbe  bead,  tben 
tbe  sboulderSy  aud  lastly  tbe  body  of  a  man,  wbo  sprang 
ligbtiy  into  bia  cdL 


▲  LSABNED  ITALIAN.  183 


CHAPTER   XYL 

A  LBARNSD  ITALIAIT. 

Dantès  received  in  bis  arms  the  friend  8o  long  «nd 
ardently  desired,  and  drew  him  towards  the  window,  in 
order  to  obtain  a  better  view  of  bis  features  by  the  aid  of 
the  imperfect  light  that  struggled  throagh  the  grating  of 
the  prison.  He  was  a  man  of  small  stature^  with  hair 
blanched  rather  by  suffering  and  sorrow  than  by  years, 
witb  deep-set,  penetrating  eyes,  almost  buried  beneath  the 
thick  gray  eyebrows,  and  a  long  (and  still  black)  beard 
reaching  down  to  his  breast.  His  worn  countenance, 
deeply  furrowed  by  care,  joined  to  the  bold  oùtliue  of  his 
strongly-marked  featnresy  announced  a  man  more  accus- 
tomed  to  exercise  his  moral  fisiculties  than  his  physical 
strength.  Large  drops  of  perspiration  were  now  standing 
on  his  brow,  while  his  garments  hung  aboat  him  in  such 
rags  as  to  render  it  useless  to  form  a  guess  as  to  their 
primitive  description. 

The  stranger  might  hâve  numbered  sixty  or  sixty-five 
years  ;  but  a  certain  vigor  in  his  movements  made  it  prob- 
able that  he  was  aged  more  by  long  captivity  than  bj 
mère  lapse  of  years.  He  received  the  enthusiastic  greet- 
ing  of  his  young  acquaintance  with  évident  pleasure  ;  his 
chilled  affections  seemed  rekindled  and  invigorated  by 
contact  with  that  glowing  soûl.  He  thanked  him  with 
grateful  cordiality  for  his  kindly  welcome,  although  his 
disappointment  must  hâve  been  sevcre  on  finding  anothei 
dimgeon  where  he  had  ezpected  to  find  liberty. 


184  THE  COUNT  OF  MONTE  CBISTO. 

"  Let  us  first  see,"  said  he,  "  whether  ît  is  possible  ta 
remove  the  traces  of  my  entrance  hère  ;  ail  our  security 
dépends  upon  our  jailers'  being  entirely  ignorant  of  it." 
Advancing  to  the  opening,  he  stooped  and  raised  the  stone 
as  easilj  as  though  it  had  not  weighed  an  ounce  ;  then, 
fitting  it  into  its  place,  he  said, — 

"You  removed  this  stone  veiy  carelessly;  but  I  sup- 
pose you  had  no  tools  to  aid  you." 

**  Why/'  exclaimed  Dantès,  with  astonishment,  **  do 
you  possess  any?" 

"  I  made  myself  some  ;  and  with  the  exception  of  a  file, 
I  hâve  ail  that  are  necessary,  —  a  chisel,  pinceis,  and 
lever." 

"  Oh,  I  should  like  to  see  thèse  products  of  your  industry 
and  patience  !  " 

"  Well,  in  the  first  place,  hère  is  my  chiseL*'  So  say- 
ing,  he  displayed  a  sharp  strong  blade,  with  a  handle  made 
of  beechwood. 

''And  with  what  didyou  contrive  to  makethatt"  in« 
quired  Dantès. 

''  With  one  of  the  clamps  of  my  bedstead  ;  and  this  very 
tool  has  sufficed  me  to  hollow  out  the  road  by  which  I 
came  hither,  a  distance  of  at  least  fifty  feet.'' 

**  Fifty  feet  !  "  re-echoed  Dantès,  with  a  specîes  of 
terror. 

**  Do  not  speak  so  loud,  young  man  ;  don't  speak  so  loud  } 
It  frequently  occurs  in  a  state  prison  like  this  that  persons 
are  stationed  outside  the  doors  of  the  cells  purposely  to 
overhear  the  conversation  of  the  prisoners." 

"  But  they  believe  I  am  shut  up  alone  hère." 

''  That  makes  no  difiference." 

"  And  you  say  that  you  penetrated  a  length  of  fifty  feet 
to  arrive  hère  1  *' 

"  I  do  ;  that  is  about  the  distance  that  séparâtes  your 


A  LEABNED  ITALIAN.  185 

chamber  from  mine.  Only,  nnfortunately,  I  dîd  not  curve 
aright  ;  for  want  of  the  necessary  geometrical  instruments 
to  calculate  my  scale  of  proportion,  instead  of  taking  an 
ellipsis  of  fortj  feet,  I  bave  made  fifty.  I  expected,  as  I 
told  yon,  to  reach  the  outer  wall,  pierce  through  it,  and 
throw  myself  iuto  the  sea;  I  hâve,  however,  kept  along 
the  corridor,  on  which  yOur  chamber  opens,  instead  of  go- 
ing  beneath  it.  My  labor  is  ail  in  vain,  for  I  find  that  the 
corridor  looks  into  a  courtyard  filled  with  soldiers." 

"  That  's  true,"  said  Dantès  ;  "  but  the  corridor  you 
speak  of  bounds  oiily  one  side  of  my  cell  ;  thore  are  three 
others.     Do  you  know  anything  of  their  situation  1  " 

^  This  one  is  built  against  the  solid  rock  ;  and  it  would 
take  ten  experienced  miners,  duly  furnished  with  the  re- 
quisite  tools,  as  many  years  to  penetrate  it  This  other 
vrall  adjoins  the  lower  part  of  the  governor's  apartments, 
and  were  we  to  work  our  way  through,  we  should  only  get 
into  some  lock-up  cellars,  where  we  must  necessarily  be  re- 
captured/  The  fourth  and  last  side  of  your  cell  faces  — 
stop  a  minute  ;   now  what  does  it  face  î  " 

The  side  which  thus  excited  curiosity  was  the  one  in 
which  was  fixed  the  loophole  by  which  the  light  was  ad- 
mitted  into  the  chamber.  This  loophole,  which  gradually 
diminished  as  it  approached  the  outside,  until  there  re- 
maiued  only  an  opening  through  which  a  child  could  not 
hâve  passed,  was  for  better  security  furnished  with  three 
iron  bars,  so  as  to  quiet  ail  appréhensions  even  in  the 
mind  of  the  most  suspicions  jailer  as  to  the  possibility 
of  a  prisoner*s  escape.  As  the  stranger  spoke,  he  dragged 
the  table  beneath  the  window.  "  Climb  up,"  said  he  to 
Dantès. 

The  young  man  obeyed,  mounted  on  the  table,  and 
diviniug  the  intentions  of  his  companion,  placed  bis  back 
securely  against  the  wall  and  hold  out  both  hands.     The 


1«6  THE  COUNT  OP  MONTB  CRISTO. 

giianger,  whom  ad  yet  Dantès  knew  oulj  bj  the  numbiBi 
of  bis  cell,  sprang  up  witb  an  agility  by  no  means  to  be  ex- 
pected  in  a  person  of  bis  apparent  âge,  and  witb  tbe  easy 
movement  of  a  cat  or  a  lizard,  climbed  from  tbe  table  to 
tbe  outstretcbed  bands  of  Dantès,  and  from  tbem  to  bia 
sboulders  ;  tben,  bending  bimself  almost  double,  -—  for  tbe 
ceiling  of  tbe  dungeon  prevented  bis  bolding  bimself  erect, 
—  be  managed  to  slip  bis  bead  tbrougb  tbe  top  bar  of  tbe 
window^  so  as  to  be  able  to  command  an  unobstracteà 
view  from  top  to  bottom. 

An  instant  afterwards  be  bastily  drew  back  bis  bead, 
saying,  **  I  tbougbt  so  !  "  and  sliding  from  tbe  sboulders 
of  Dantès  as  dexterously  as  be  bad  ascended,  be  nimbly 
leaped  from  tbe  table  to  tbe  gronnd. 

"Wbat  did  you  expect  to  findî"  asked  tbe  young 
man,  in  an  anxious  tone,  in  bis  turn  descending  &om 
tbe  table. 

Tbe  elder  prisoner  appeaied  to  meditate.  ''  Yes,"  siùd 
be  at  lengtb,  "  it  is  so.  Tbis  side  of  your  cbamber  looks 
out  upon  a  kind  of  open  gallery,  wbere  patrols  are  con- 
tinually  passîng,  and  sen tries  keep  watcb  day  and  nigbt." 

"Are  you  quite  sure  of  tbat  î " 

"  Certain.  I  saw  tbe  soldier's  sbako  and  tbe  top  of  bis 
musket  ;  tbat  made  me  draw  in  my  bead  so  quickly,  —  for 
I  was  fearful  be  migbt  also  see  me.'' 

"  Well  1  "*  inquired  Dantès. 

*'  You  perceive  tben  tbe  utter  impossibility  of  escaping 
tbrougb  your  dungeon  V* 

**  Tben  1  ''  pursued  tbe  young  man,  witb  a  questioning 
accent. 

"  Tben,"  answered  tbe  elder  prisoner^  "  tbe  will  of  God 
be  done  !  **  and  as  tbe  old  man  slowly  pronounced  tbose 
words,  an  air  of  profound  résignation  spread  itself  over 
bis  care-wom  countenance.     Dantès  gazed  on  tbe  indi- 


A  LEÂRNED  ITALIAN.  187 

vidoal  who  could  thos  philosophîcally  resign  hopes  so  long 
and  ardeutly  nourished,  with  an  astonishment  mingled 
ii^ith  admiration. 

"Tell  me,  I  entreat  you,  who  yon  are^''  said  he^  at 
lengtL 

"  Willingly,"  answered  the  stianger;  "if  indeed  you 
feel  auy  curiosity  respecting  me,  now  that  I  am  powerless 
to  aid  you  in  any  way." 

**  Yon  can  console  and  support  me,  —  for  you  appear  to 
me  to  be  a  strong  man  among  the  strong." 

The  stranger  smiled  sadly.  "Then  listen,"  said  he, 
"  I  am  the  Abbë  Faria,  and  hâve  been  imprisoned  in  this 
Château  d'If  since  the  year  1811  ;  previously  to  which  I 
had  been  confîned  for  three  years  in  the  fortress  of  Fenes- 
t'relle.  In  the  year  1811 1  was  transferred  to  Piedmont  in 
France.  At  this  period  I  learned  that  the  destiny  which 
seemed  subservient  to  every  wish  formed  by  Napoléon 
had  bestowed  on  him  a  son,  named  King  of  Bome  even  in 
his  cradle.  I  was  very  far  then  from  expecting  the  change 
of  which  jon  hâve  just  informed  me  ;  namely,  that  four 
years  afberwards  this  colossus  of  power  would  be  over- 
thrown.  Then  who  reigns  in  France  at  this  moment, 
—  Napoléon  IL  1  " 

"  No,  Louis  XVIII.'* 

"  The  brother  of  Louis  XVI.  I  How  inscrutable  are 
the  ways  of  Providence  !  For  what  great  and  mysterious 
purpose  has  it  pleased  Heaven  to  abase  the  man  once  so 
elevated,  and  raise  up  the  individual  so  beaten  down  and 
iepressedi" 

Dantës's  whole  attention  was  riveted  on  a  man  who 
;ould  thus  forget  his  own  misfortunes  while  occupying 
himself  with  the  destinies  of  others. 

**But  so  it  was,"  continued  he,  "in  England.  After 
Cliarh*8  I.  came  Cromwell  ;  to  Crorowell  succeeded  Charles 


188  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

IL,  and  then  James  IL,  who  was  succeeded  bj  some  son- 
in-law,  some  relative,  some  prince  of  Orange, — a  stadt- 
holder  who  made  himself  king  ;  and  then,  new  concessions 
to  the  people,  then  a  constitution,  then  libertyl  You 
will  see  that,  young  man,"  said  he,  turningtowards  Dantès 
with  the  kindling  gaze  of  a  propbet  ;  **  yoa  are  still  young 
enough,  —  you  will  see  it." 

**  Yes,  if  ever  I  get  out  of  prison  î  ** 

**  True,"  replied  Fana,  "  we  are  prisoners  ;  but  I  forget 
this  sometimes,  and  there  are  even  moments  when  my 
mental  vision  transports  me  beyond  thèse  walls,  and  I 
&ncy  myself  at  liberty." 
•    "  But  wherefore  are  you  herel  " 

''Because  in  1807  I  meditated  the  very  scheme  Napo- 
léon wished  to  realize  in  1811  ;  because,  like  Machiavel, 
I  desired  to  alter  the  political  face  of  Italy,  and  instead  of 
allowing  it  to  be  split  up  into  a  number  of  petty  principal- 
ities,  each  held  by  some  weak  or  tyrannical  ruler,  I  sought 
to  form  one  large,  compact,  and  powerful  empire;  and 
lastly,  because  I  fancied  I  had  found  my  CsBsar  Borgia  in 
a  crowned  simpletoii,  who  feigned  to  enter  into  my  views 
only  to  betray  me.  It  was  projected  equally  by  Alexan- 
der  VI.  and  Clément  VIL  ;  but  it  will  never  succeed  now, 
for  they  attempted  it  fruitlessly,  and  Napoléon  was  unable 
to  complète  his  work.  Italy  seems  fated  to  be  unlucky.." 
The  old  man  uttered  thèse  last  words  in  a  tone  of  deep 
déjection,  and  his  head  fell  listlessly  on  his  breast. 

To  Dantès  ail  this  was  incompréhensible  ;  he  did  not 
understand  how  a  man  could  risk  his  life  for  interests 
such  as  thèse.  Napoléon,  indeed,  he  knew  something  of, 
inasmuch  as  he  had  seen  and  spoken  with  him;  but 
Clément  VIL  and  Alexander  YI.  he  had  never  heard  o£ 

'*  Are  you  not,"  said  Dantès,  beginning  to  partake  of 
the  jailer's  opinion  touching  the  state  of  the  abbë's  brain, 


A  LEABNSD  ITALIAN.  189 

'^thë  piiest  who  is  considered  thioughont  the  Ch&teatt 
d'If  to  be  — mi" 

^  Mad|  you  mean,  dou't  you  1  " 

"  I  did  not  like  to  say  so,"  answeied  Dantes,  smiling. 

"  Well,  then/'  lesamed  Fana,  with  a  bitter  smile,  "  let 
me  answer  yoar  question  iu  full,  by  acknowledging  that  I 
am  the  poor  mad  prisoner  of  the  Château  d*If,  for  many 
years  permitted  to  amuse  the  dififerent  visitants  to  the 
prison  with  what  is  said  to  be  my  insanity  ;  and  in  ail 
probability  I  should  be  promoted  to  the  honor  of  making 
sport  for  the  children,  if  children  could  be  found  in  an 
abode  devoted  like  this  to  suffering  and  despair." 

Dantès  remaiued  for  a  short  time  mute  and  motionless  ; 
at  length  he  said,  "Then  you  abandon  ail  hope  of 
flightr' 

"  I  perceive  its  utter  impossibility  ;  and  I  consider  it 
impious  to  attempt  that  which  the  Almighty  evidently 
does  not  approve." 

**  Nay,  be  not  discouraged.  Would  it  not  be  expecting 
too  much  to  hope  to  succeed  in  your  first  attempt  1  Why 
not  try  to  find  an  opening  in  another  direction  1  " 

*'  But  do  you  know  what  I  hâve  done,  when  you  talk 
so  lightly  of  beginnîng  again  ?  In  the  first  place,  I  was 
four  years  making  the  tools  I  possess,  and  hâve  been  two 
years  scraping  and  digging  out  earth,  hard  as  granité  it- 
self  ;  then  I  had  to  remove  hugestones  I  should  once  hâve 
deemed  impossible  to  loosen.  Whole  days  hâve  I  passed 
in  thèse  titanic  efforts,  considering  my  labor  well  repaid  if 
by  night-time  I  had  contrived  to  carry  away  a  square 
inch  of  this  hard-bound  cément,  changed  by  âges  into  a 
substance  unyielding  as  the  stones  themselves.  Then, 
to  conceal  the  mass  of  earth  and  rubbish  I  dug  up,  I  was 
compelled  to  break  through  a  staircase,  and  throw  the 
fruits  of  my  labor  into  the  hollow  part  of  it  ;  but  the  well 


190  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

is  now  80  Giomplétely  choked  up  that  I  scàicely  think  ît 
would  be  possible  to  add  another  handful  of  dust  without 
leading  to  a  discoveiy.  Consider  also  that  I  fullybelieved 
I  had  accomplished  the  end  and  aîm  of  my  nndertakingy 
for  which  I  hàd  so  exactly  husbanded  my  strength  as  to 
make  it  just  hold  out  to  the  termînation  of  my  enterprise  -, 
and  just  at  the  moment  when  I  leckoned  upon  saccess; 
my  hopes  are  forever  dashed  fiN)m  me.  "No,  I  repeat, 
nothing  shalL  induce  me  to  lenew  attempts  evidently  at 
varianee  with  the  Almighty's  pleasure."  > 

Dantès  held  down  his  head  that  his  companîon  might 
not  perceive  how  little  of  real  legret  at  the  failure  of  the 
scheme  was  expressed  on  his  countenance;  but  in  truth, 
the  young  man  could  entertain  no  other  feeling  than  dé- 
light  at  finding  his  prison  would  be  no  longer  solitary  or 
uncheered  by  human  participation. 

The  abbé  rested  upon  Edmond's  bed,  whilé  Edmond 
himsclf  remained  standing.  Flight  had  never  once  oc- 
curred  to  him.  There  are  indeed  some  things  which 
appear  so  impossible  that  the  mind  does  not  dwell  on 
them  for  an  instant.  To  undermine  the  ground  for  fifty 
feet  ;  to  dévote  three  years  to  a  labor  which  if  successful 
would  conduct  one  to  a  précipice  overhangîng  the  sea; 
to  plunge  into  the  waves  from  a  height  of  fifty  or  sixty 
or  perhaps  a  hundred  feet,  at  the  risk  of  being  dashed  to 
pièces  against  the  rocks,  should  the  fugitive  be  fortunate 
enough  to  hâve  escaped  the  halls  from  the  sentinel's  mùs- 
ket,  and  theu,  thèse  périls  past,  to  bave  to  swim  three 
miles,  —  thèse  were  difficulties  so  formidable  that  Dantës 
had  never  even  dreamed  of  such  a  scheme,  but  had  re- 
signed  himself  to  his  fate.  But  the  sight  of  an  old  màh 
clinging  to  life  with  so  desperate  a  courage  gave  a  new 
direction  to  his  ideaS;  and  inspired  him  with  courage  aiid 
energy.     Another  man  had  attempted  whàt  he  had  nôt 


A  LEARNED  ITALIAlf.  191 

even  tbought  of  tryiug  ;  another  man,  not  so  yoang  nor 
80  strong  nor  so  adroit  as  he,  by  the  exercise  of  skill  and 
patience  had  provided  himself  with  ail  the  tools  necessary 
for  that  astonishing  work,  which  an  erroneous  measure- 
ment  only  had  brought  to  nought  Another  man  had 
done  ail  that  ;  nothing,  then,  was  impossible  to  Dantès  ! 
Faria  had  made  bis  way  througb  fifty  feet  of  the  prison  ; 
Dantës  resolved  to  penetrate  througb  double  that  distance. 
Faria,  at  the  âge  of  fifby,  had  devoted  three  years  to  the 
task  ;  he,  wbo  was  but  half  as  old,  would  sacrifice  six. 
Faria,  a  churchman  and  philosopher,  had  not  shrunk  from 
risking  his  life  by  tryîng  to  swim  a  distance  of  thrëe  miles 
to  reach  the  isles  of  Daume,  Eatonneau,  or  Lemaire; 
sbould  a  hardy  sailor,  an  experienced  diver,  like  himself, 
shrink  from  a  similar  task  ;  sbould  he,  wbo  had  so  ofben 
for  mère  amusement's  sake  plunged  to  the  bottom  of  the 
sea  to  fetch  up  the  bright  coral-branch,  hesitate  to  swim  a 
distance  of  three  miles t  He  could  do  it  in  an  hour,  and 
how  many  times  had  he  for  pure  pastîme  continued  in  the 
water  for  more  than  twîce  as  long  !  At  once  Dantès  re- 
solved to  follow  the  brave  example  of  his  energètic  corn- 
panion,  and  to  remember  that  what  bas  once  been  done 
may  be  done  again. 

After  continuing  some  time  in  profound  méditation,  the 
young  man  suddenly  exclaimed,  *^  I  bave  found  what  you 
were  in  search  of  !  " 

Fana  started.  *^  Hâve  you,  indeed  1  "  cried  he,  raising 
his  head  with  quick  anxiety  ;  **  pray  let  me  know  what 
it  is  you  bave  discovered." 

"  The  corridor  througb  which  you  bave  bored  your  way 
from  the  cell  you  occupy  extends  in  the  same  direction  as 
the  outer  gallery,  does  it  not  1  " 

''  It  does." 

^  And  18  not  abo ve  fifteen  steps  from  it  t  ** 


192  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

''Aboutthat." 

"Well,  then,  I  will  tell  you  what  we  mnst  do.  We 
must  make  a  way  throogh  the  middle  of  the  corridor,  like 
the  arm  of  a  cross.  This  tioie  you  will  make  your  meas- 
urements  more  accurately  ;  we  shall  get  out  into  the  gai- 
lery  you  hâve  described,  kill  the  seutinel  who  guards  it, 
and  make  our  escape.  Ail  we  require  to  insure  success 
is  courage,  which  you  possess,  and  strength,  in  which  I  am 
not  déficient  ;  as  for  patience,  you  hâve  abundantly  proved 
yours,  —  you  shall  now  see  me  prove  mine/' 

"  One  instant,  my  dear  friend,''  replied  the  abbé  ;  **  it 
is  clear  you  do  not  understand  the  nature  of  the  courage 
with  which  I  am  endowed,  and  what  use  I  intend  making 
of  my  strength.  As  for  patience,  I  think  I  hâve  abun- 
dantly exercised  that  in  taking  up  again  every  moming 
the  task  of  the  préviens  night,  and  every  night  beginning 
again  the  task  of  the  day.  But  then,  young  man,  —  listen 
to  me,  —  then  I  thought  I  could  not  be  doing  any thing 
displeasing  to  the  Almighty  in  trying  to  set  an  innocent 
being  at  liberty,  —  one  who  had  committed  no  offence 
and  merited  no  condemnation." 

''And  hâve  your  notions  changedi"  asked  Dan  tes. 
"Do  you  think  yourself  guilty  since  you  hâve  encoun- 
tered  me  î  " 

''No ;  but  I  do  not  wish  to  become  so.  Hitherto  I 
hâve  fancied  myself  merely  waging  war  against  circum- 
stances  ;  now  you  propose  an  enterprise  against  men. 
I  hâve  beeu  able  to  bore  through  a  wall,  or  destroy  a 
staircase  ;  but  I  will  not  pierce  a  heart  or  take  away  a 
lifa" 

A  slight  movement  of  surprise  escaped  Dantès.  **  Is  it 
possible^"  said  he,  "that  where  your  liberty  is  at  stake 
you  can  be  restrained  by  a  scruple  snch  as  thati" 

"  Tell  me,'^  replied  Faria,  "  what  has  hindered  you  from 


▲  LKABNKD  ITALIAK.  193 

knocking  down  yoar  jailer  with  a  pièce  of  wood  tom  from 
your  bedsteady  dressing  youraelf  in  his  dothes^  and  en- 
deavoring  to  escape  1  " 

"Simplj  that  I  never  thought  of  such  a  scheme^" 
answered  Dantes. 

**  Because,"  said  the  old  man,  '^the  natoial  répugnance 
to  tbe  commission  of  such  a  crimo  prevented  its  bare  idea 
from  occorring  to  you.  In  ail  simple  and  allowable  tbings 
our  natoial  instincts  keep  us  from  deviating  from  the  stnct 
line  of  duty.  The  tiger,  whose  nature  teaches  him  to  de- 
light  in  shedding  blood,  needs  but  the  oigan  of  smelling 
to  know  when  his  prey  is  within  his  leach  ;  he  springs 
upon  his  vîctim  and  teais  it  to  pièces.  That  is  his  in- 
stinct, and  he  obeys  it;  man,  on  the  contrary,  shrinks 
fiom  blood.  Not  social  law  only,  but  natuial  law  is 
opposed  to  murder.'* 

Dantes  lemaîned  confused  and  silent  by  this  explana» 
tîon  of  the  thoughts  which  had  unconsciously  been  woïk- 
ing  in  his  mind,  or  rather  soûl;  for  there  are  ihoughta 
that  proceed  from  the  head,  and  thoughta  that  emanata 
from  the  heart. 

^'Since  my  imprisonment^'^  said  Faria,  ''I  hâve  gone 
over  in  my  mind  ail  the  most  celebrated  instances  of  es- 
cape  from  prison.  Attempted  escapes  hâve  succeeded  but 
rarely.  Those  that  bave  been  crowned  with  full  success 
bave  been  long  meditated  upon  and  carefully  arranged,  — 
for  instance,  the  escape  of  the  Duc  de  Beaufort  from  the 
Château  de  Vincennes,  that  of  the  Abbé  Dubuquoi  from 
For  rÉvôque,  and  Latude's  from  the  Bastille.  Chance 
frequently  affords  opportunities  we  should  never  ourselves 
hâve  thought  of  Let  us,  therefore,  wait  patiently  for 
8ome  favorable  moment  ;  rely  upon  it,  you  will  not  find 
me  more  backward  than  yourself  in  seizing  it.** 

''Ah!"   said  Dantes,   "you  might  well  endure  the 

VOL.  L  —  M 


194  THE  COUNT  OF  MONTE  CBISTO. 

tedioufl  delay  ;  you  were  constantlj  employed  in  tbe  task 
yoa  set  yourseli^  and  when  weary  with  toil,  yoa  had  youi 
bopes  to  lofresh  and  encourage  you." 

"  I  aasure  you,'*  leplied  the  old  man,  '*  I  did  net  tum 
to  that  source  for  récréation  or  support*' 

«  What  did  you  do,  then  V 

"  I  wrote  op  studied." 

**  Were  you  tben  permitted  the  use  of  pens,  ink,  and 
paperl" 

**  Oh,  no  I  "  answered  the  abbé  ;  ''  I  had  none  but  wbat 
I  made  for  myself." 

<<Do  you  mean  to  tell  me,**  exclaimed  Dantës»  ''that 
you  bave  made  paper,  pens,  and  iukl" 

«  Yes." 

Dantès  looked  upon  him  with  admiration  ;  some  doubt» 
however,  still  lingered  in  bis  mind,  which  was  quickly 
perceived  by  tbe  penetrating  eye  of  tKe  abbé. 

**  When  you  pay  me  a  visit  in  my  cell,"  said  he,  "  I  will 
show  you  an  entire  work»  tbe  fruits  of  tbe  thoughts  and 
reflections  of  my  whole  life,  —  formed  in  tbe  ruins  of  tbe 
Coliseum  of  Rome,  at  the  foot  of  St.  Mark's  column  at 
Yenice,  and  on  tbe  borders  of  the  Amo  at  Florence.  I 
did  not  anticipate  that  sometime  my  jailers  would  give 
me  leisure  to  write  them  out  witbîn  the  walls  of  tbe  Châ- 
teau d'If.  Tbe  work  I  speak  of  is  called  *  A  Treatise  on 
the  Practicability  of  forming  Italy  into  one  General  Mon* 
aichy/  and  will  make  one  laige  quarto  volume." 

"  And  on  what  bave  you  written  ail  tbis  t  " 

''Ob  two  of  my  shirts.  I  invented  a  préparation  that 
makes  linen  as  smooth  and  as  easy  to  write  on  as 
parchmenf 

"  You  are,  tben,  a  chemist  î  •• 

"Somewbat  ;  I  knew  Lavoisier»  and  was  the  intimate 
friend  of  Cabanis." 


A  LBARNED  ITALIAIL  195 

'But  fer  sach  a  wdk  yoa  mmi  hsTS  naedad  books; 
fcad  yon  anyt* 

"Ipossessed  neaily fiye  thonaand toIoiimb in  mjUhmrj 
at  Home  ;  bat  after  reading  ihem  otbt  many  tiinea,  I  feond 
ont  thaft  with  one  hondied  and  ûfkj  wéU-chosen  booka  a 
man  pooDOOBOO  a  complète  analyaia  of  ail  hnman  knowledge» 
or  at  least  ail  tbat  is  either  uaeM  or  desiiable  to  be  ai»- 
qiiainted  with.  I  devoted  three  yeais  of  my  life  to  read- 
ing and  stadying  thèse  one  hondied  and  fifty  ydamea,  tîll 
I  knew  them  nearly  by  heart  ;  ao  that  ainoe  I  bave  been 
in  prison,  a  yery  slight  effort  of  memoiy  bas  enabled  me  to 
recall  their  contents  aa  readily  aa  though  the  pages  were 
open  before  me.  I  could  recite  to  yoa  the  whole  of  Tha« 
cydides,  Xenophon,  Plutarch,  Titoa  livios,  Tacitus,  Strada, 
Jomandèfi^  Dante,  Montaigne,  Shakspeare,  Spinosa»  Machi* 
avely  and  Boasuet  I  name  only  the  most  important 
writers." 

**  Ton  most  be  aoqaainted,  fhen,  with  asveral 
langnagesf'* 

**  Yesy  I  speak  five  of  the  modem  tongnes  ;  that  ia  to 
aay,  German,  French,  Italian,  English,  and  Spanish,  By 
the  aid  of  ancient  Greek  I  leamed  modem  Greek;  I 
dou't  speak  it  so  well  aa  I  could  wish,  but  I  am  now 
atudying  it.** 

**  You  are  stadying  it  t"  lepeated  Dantës. 

''Yes^  I  made  a  vocabolaiy  of  the  worda  I  knew^ 
tomed,  re-tamedy  and  arranged  them^  so  as  to  enable  me 
to  express  my  thoaghts  with  them,  I  know  aboat  one 
thoosand  woids^all  that  are  absohitely  necessaiy»  althoogh 
I  believe  there  are  nearly  one  hundred  thoasand  in  the 
dictionariea.  I  cannot  hope  to  be  very  fluent^  but  I  ahall 
be  able  to  make  myself  understood,  and  that  ia  enough." 

Stronger  grew  the  wond^  of  Dantès,  who  almoet  fiuisîed 
be  had  to  do  with  one  gîfted  with  supematuial  powen| 


196  THE  COITNT  OF  MONTE  CBISTa 

stilL  hoping  lo  find  some  imperfection  which  might  bring 
him  down  to  a  lovel  witli  human  beings,  he  added,  "  But 
if  you  were  not  fomÎBhed  witb  pens,  bow  did  you  manage 
to  Write  the  work  you  speak  of  î* 

^'  I  made  znyself  some  excellent  ones,  wbîcb  would  bo 
univeisally  preferred  to  ail  otbeis  if  once  known.  Yott 
are  aware  wbat  bage  wbitings  are  served  to  os  on  fast- 
days.  Well,  I  selected  tbe  cartilages  of  tbe  beads  of  tbese 
fisbes,  and  you  can  scarcely  imagine  tbe  deligbt  witb 
wbicb  I  welcomed  tbe  arrivai  of  eacb  Wednesday,  Friday, 
and  Saturday,  as  afTording  me  tbe  means  of  increasing  my 
stock  of  pens,  —  for  I  will  freely  confess  tbat  my  bistorical 
labors  bave  been  my  greatest  solace  and  relief.  Wbile  re- 
tracing  tbe  past»  I  forget  tbe  présent  ;  and  wbile  coursîng 
tbrougb  bistory,  free  and  independent^  I  lemejuber  no 
longer  tbat  I  am  a  prisoner.** 

"But  tbe  ink,"  said  Dantès,  **how  hâve  you  procured 
tbatï" 

"  I  will  tell  you,**  replied  Faria.  **  Tbere  was  formerly 
a  fireplace  in  my  dungeon,  but  closed  up  long  ère  I  be- 
came  an  occupant  of  tbis  prison.  Still,  it  must  bave  been 
many  years  in  use,  for  it  was  tbickly  covered  witb  a  coat- 
ing  of  soot  ;  tbis  soot  I  dissolved  in  a  portion  of  tbe  wîue 
brougbt  to  me  every  Sunday,  and  I  assure  you  a  better 
ink  cannot  be  desired.  For  very  important  notes,  in- 
tended  to  attract  spécial  observation,  I  bave  pricked  one 
of  my  fingers,  and  written  witb  my  blood." 

**  And  wben,"  asked  Dantés,  **  will  you  sbow  me  ail  tbis  1  ** 

**  Wbènever  you  please,"  replied  tbe  abbé. 

**  Oby  tben  let  it  be  directly  1  "  exclaimed  tbe  young 
man. 

"FoUow  me,  tben,**  said  tbe  abbë,  as  be  re-entered 
tbe  subterranean  passage^  iu  whicb  be  soon  disappeared 
Dantès  followed  bim. 


ÎS»7 


CHAPTEB  XVIL 


hsTug  pond  with  tokable  «ne  OuRMigli  te 
pmwÊ9gp,  wliîcli,  liovevei^  dîd  not  admil  of  tlMà 
hoUiiig  theiiMBlf»  ered^  the  two  fiiewls  nteliel  Um 
£uther  end  of  tiie  eoRÎdw,  inlo  wliîch  tiio  oall  of  Um 
abbéopened;  front  tiiat  point  the  openiog  beouM  mKh 
mnower,  baidj  pennittiiig  one  to  cra^  tiuoc^  on  litt 
huds  mnd  kneea.  The  floor  of  the  &bbe  d  oeU  vas  pAT«ii« 
and  ît  had  been  br  eûsîi^  one  of  tiie  abnes  in  Um  moai 
obacniB  eomer  tfaat  Fana  had  been  able  to  eommenoe  Ibe 
laborioos  task  of  wfaîdi  Dantcs  bad  wiftneaaed  Um  oon* 
pl^on.  As  he  entered  the  ohamber  of  bis  ftiend,  Dantèa 
cast  aioand  one  eager  and  aearching  ^anœ  in  qnost  ot 
the  ezpected  manrela^  bot  nothing  more  than  eommon 
met  bis  view. 

''Itiswell^'said  the  abbé;  ''we  baye  aome  homaba» 
fine  nsy  —  it  is  now  jnst  a  qoarter  past  twelve  o'doek.** 

InstinctÎTely  Dantés  tnmed  round  to  observe  by  wbat 
watcb  or  dock  the  abbé  bad  been  aUe  ao  aocumtolj  to 
specify  the  bonr. 

**  Look  at  this  lay  of  ligbt  which  enters  by  my  window»** 
aaîd  the  abbé,  ''and  then  observe  the  Unes  tiaoed  on  the 
wall.  Well,  by  means  of  thèse  Unes,  which  axe  in  ae- 
cordanoe  with  the  double  motion  of  the  eaith,  as  weQ  as 
the  ellipse  it  describes  round  the  sun,  I  am  enabled  to 
ascertain  the  précise  hour  with  more  minuteness  than  if  I 
sjossessml  a  watch  ;  for  that  might  be  broken  or  deranged 


109  THE  COUNT  OF  MONTE  GBISia 

in  its  movements,  wbile  the  sun  and  earth  are  nevet  out 
of  order." 

This  last  explanation  was  wliolly  lost  upon  Dantès,  who 
had  always  imagined,  from  seeing  the  sun  rise  from  be- 
hind  the  mountains  and  set  m  the  Mediterranean,  tbat  it 
moved,  and  not  the  earth.  A  doable  movement  in  the 
globe  he  inhabited,  and  of  which  he  coold  feel  nothing, 
appeared  to  him  almost  impossible;  still,  though  unable 
to  compiehend  the  full  meaning  of  his  companion's  alliï- 
sions,  each  word  that  fell  from  his  lips  seemed  fraught 
with  the  wonders  of  science,  as  admirably  deserving  of  be- 
ing  brought  fully  to  light  as  were  the  glittering  treasures 
he  could  just  recollect  having  visited  daring  his  earliest 
youth  in  a  voyage  he  made  to  Guzerat  and  Golconda. 

"  Gome/'  said  he  to  the  abbë,  *'  show  me  the  wonderfîil 
inventions  you  told  me  of  ;  I  am  ail  impatience  to  behold 
them." 

The  abbé  smiled,  and  proceeding  to  the  disused  fire- 
place,  raised  by  the  help  of  his  chisel  a  long  stone,  which 
had  doubtless  been  the  hearth,  beneath  which  was  a  cavity 
of  considérable  depth,  serving  as  a  safe  depository  of  the 
articles  mentioned  to  Dantès. 

"  What  do  yoa  wish  to  see  £rst  t  **  asked  the  abbé. 

"  Show  me  your  great  work  on  monarchy  in  Italy," 

Faria  then  drew  forth  from  his  hiding-place  three  '  oi 
four  rolls  of  linen,  laid  one  over  the  other,  like  the  folds 
of  papyrus  found  in  mummy-cases.  Thèse  rolls  consisted 
of  slips  of  cloth  about  four  inches  wide  and  eîghteen  long  ; 
they  were  ail  carefully  numbered  and  closely  covered  with 
writing,  so  legible  that  Dantès  could  easily  read  it,  as  well 
as  make  out  the  sensé,  —  it  being  in  Italian,  a  language 
which  he,  as  a  Provençal,  perfectly  understood. 

"  There  !  "  said  he,  "  there  is  the  work  complète  ;  1 
wrote  the  word  '  finis  '  at  the  end  of  the  sixty-eighth  stri^' 


THE  ABBÉ'S  CHAMBKR.  199 

abont  a  week  ago.  I  hâve  tom  np  two  of  my  shiits  and 
ail  my  handkeichiefs,  to  complète  the  precious  pages. 
Shoald  I  ever  get  out  of  prison  and  find  a  printer  cour- 
ageous  enough  to  pnblish  what  I  liave  composed,  my  répu- 
tation is  made." 

''  I  see/'  answered  Dantès.  **  Now  let  me  behold  the 
pens  with  which  you  hâve  written  your  work." 

*'  Look  !  "  said  Farià,  showing  to  the  young  man  a 
slender  stick  abont  six  inches  long,  and  much  resem* 
bling  in  size  the  handle  of  a  fine  painting-brush,  to  the 
end  of  which  was  tied  by  a  pieoe  of  thread  one  of  thoee 
cartilages  of  which  the  abbe  had  before  spoken  to  Dantës  ; 
it  was  pointed  and  divided  at  the  nib  like  an  ordinary 
pen.  Dantès  examined  it  and  looked  around  for  the 
instrument  with  which  it  had  been  shaped  so  correctly 
into  form. 

"Ah,  yes,"  said  Faria,  "you  are  wondering  where  I 
found  my  penknife  ?  It  is  my  masterpiece  ;  I  made  it, 
as  well  as  this  knife,  out  of  an  old  iron  candlestick." 
The  penknife  was  sharp  and  keen  as  a  razor  ;  as  for  the 
other  knife,  it  possessed  the  double  advantage  of  being 
capable  of  serving  either  as  a  dagger  or  a  knife. 

Dantës  examined  the  varîptis  articles  shown  to  him  with 
the  same  attention  he  had  bestowed  on  the  curiosities  and 
strange  tools  exhibited  in  the  shops  at  Marseilles  as  the 
Works  of  the  savages  in  the  South  Seas,  whence  they  had 
been  brought  by  the  sea-captains. 

"  As  for  the  ink,"  said  Faria,  "  T  told  you  how  I  man- 
aged  to  obtain  that;  I  make  it  from  time  to  time,  as  I 
require  it." 

"There  is  one  thing  that  puzzles  me  still,"  observed 
Dantës,  "and  that  is  how  you  managed  to  do  ail  thia 
by  daylight." 

"  I  worked  at  night  also,"  replied  Faria. 


200  THE  COUNT  OF  MONTE  GRIBTO. 

*'  Night  !  are  your  eyes  like  cats',  that  you  casa  «ec  to 
work  in  the  darkf 

"  Indeed  they  aie  not  ;  but  6od  has  supplied  man  wilh 
intelligence  to  supplément  the  povertj  of  tbe  senaes;  I 
provided  niyself  with  light." 

«  You  did  ?    Pray  tell  me  how  I  " 

**  I  separated  the  fat  from  the  méat  served  to  m^,  melted 
it,  and  raade  a  most  capital  oil;  hère  is  my  lamp.**  Bo 
âaying,  the  abbé  exhibited  a  sort  of  vessel  very  similai:  xo 
those  employed  upon  the  occasion  of  public  illuminations. 

"  But  how  do  you  procure  a  light  î  " 

'*  Oh,  hère  are  two  flints  and  a  morsel  of  bumt  linen.,'* 

"  And  your  matches  î  ** 

<<Were  easily  prepàred.  I  feigned  a  disorder  ol  the 
skin,  and  asked  for  a  little  sulphur,  which  was  isaaàïly 
supplied." 

Dan  tes  laid  gently  on  the  table  the  différent  tliings  he 
had  been  looking  at,  and  stood  with  his  head  drooping  on 
his  breast,  overwhelmed  by  such  persévérance  and  energy 
of  character. 

"  You  hâve  not  seen  ail  yet,"  continued  Farià,  "  for  I 
did  not  think  it  wise  to  trust  ail  my  treasures  in  the  samo 
hiding-place.     Let  us  close  this." 

Bantès  helped  him  to  replace  the  stone  as  they  first 
found  it  ;  the  abbë  sprinkled  a  little  dust  ovei  it  to  con- 
ceal  the  traces  of  its  removal,  rubbed  his  foot  i»ell  on  it  to 
make  it  assume  the  same  appearance  as  the  other,  and 
then  going  towards  his  bed,  he  removed  it  from  the  spot 
where  it  stood.  Behind  the  head  of  the  bed,  and  con- 
cealed  by  a  stone  fitting  in  so  closely  as  to  defy  ail  sus- 
picion, was  a  hoUow  space,  and  in  this  space  a  laddei 
of  cords,  between  twenty-five  and  thirty  feet  in  length. 
Dantès  closely  and  eagerly  examined  it.  He  found  it 
firm,  solid,  and  compact  enough  to  bear  any  weight 


THE  ABBÉ*S  CHÂlfBEB.  201 

**  Who  supplîed  you  with  the  cord  you  needed  in  mak- 
ing  thîs  wonderful  work  ?  "  asked  Dantès. 

*'  No  ODe  but  myself.  I  tore  up  several  of  my  sliirta 
and  unravelled  the  sheets  of  my  bed  during  my  three 
years'  impriaonment  at  Feuestrelle  ;  and  when  I  was  re- 
moved  to  the  Château  d'If,  I  managed  to  bring  the  ravel- 
lings  with  me^  se  that  I  hâve  been  able  to  finish  my  work 
hère." 

''And  was  it  not  discovered  that  your  sheets  were 
anhemmed  1  " 

"  Oh,  no  I  for  whcn  I  had  taken  out  the  thread  I 
requiredy  I  hemmed  the  edges  over  again.** 

"Withwhatr' 

"With  this  needle,"  said  the  abbé,  as  opening  his 
ragged  vestments  he  showed  Dantès  a  long  sharp  fish- 
bone,  with  a  small  perforated  eye  for  the  thread,  a  small 
portion  of  which  still  remained  in  it.  "  I  once  thought/' 
continued  Faria,  "  of  removing  thèse  iron  bars,  and  letting 
myself  down  from  the  window,  which,  as  you  see,  is  some- 
what  wider  than  yours,  although  I  should  hâve  enlarged 
it  still  more  preparatory  to  my.  flight  ;  however,  I  discov- 
ered that  I  should  merely  hâve  dropped  into  a  sort  of 
inner  court,  and  I  therefore  renounced  the  project  alto- 
gether  as  too  fuU  of  risk  and  danger.  Nevertheless,  I 
carefuUy  preserved  my  ladder  against  one  of  those  uufore- 
seen  opportunities  of  which  I  spoke  just  now,  and  which 
sudden  chance  frequently  brîngs  abqut.*' 

While  affecting  to  be  deeply  engaged  in  examining  the 
ladder,  the  mind  of  Dantès  was  in  fact  busily  occupied 
by  the  idea  that  a  person  so  intelligent,  ingénions,  and 
clear-sighted  as  the  abbé  might  perhaps  be  able  to  cleai 
np  the  mystery  of  his  own  misfortunes^  which  he  had  in 
vain  endeavored  to  penetrate. 

^  What  are  you  thinking  of)*'  asked  the  abbé,  smil 


202  THB  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

ingly,  imputing  the  deep  abstraction  in  which  his  visitoi 
was  plunged  to  the  excess  of  his  awe  and  wonder. 

*'I  was  reflectingy  in  the  first  place,"  replied  D&ntés^ 
"upon  the  enonnous  degree  of  intelligence  and  ability 
yoii  must  hâve  employed  to  attain  to  thèse  achievements. 
What  would  you  not  hâve  accomplished  had  you  been  free  ]  " 

''Nothing,  perhaps;  the  overflow  of  my  brain  would 
hâve  evaporated  in  futilities.  Trouble  is  needed  to  de- 
velop  the  niines  of  human  intelligence.  Pressure. is  le* 
quired  to  ignite  powder  ;  captivity  has  collected  into  one 
single  focus  ail  the  floating  faculties  of  my  mind.  They 
hâve  corne  into  close  contact  in  a  narrow  space  ;  and,  you 
kuow,  from  the  collision  of  clouds  cornes  electricity  ;  from 
electhcity,  lightniug  ;  from  lightning,  illumination." 

'*  No,  I  know  nothing,"  said  Dantès,  humiliated  by  his 
ignorance.  "  Some  of  the  words  you  hâve  used  are  to  me 
words  without  sensé.  You  must  be  very  happy  in  know- 
ing  so  much." 

The  abbé  smiled.  "Well,"  said  he,  "but  you  had 
another  subject  for  your  thoughts  besides  admiration  for 
me  ;  did  you  not  say  so  just  now  t  ** 

«  I  did.'* 

"You  hâve  told  me  as  yet  but  one  of  them;  let  me 
hear  the  other." 

"  It  was  this  :  that  while  you  hâve  related  to  me  your 
history,  you  are  unacquainted  with  mine." 

"  Your  life,  my  young  friend,  has  not  been  of  sufficient 
length  to  include  any  very  important  events." 

'* It  includes  an  immense  calamity,"  said  Dantës,  —  "a 
calamity  which  I  hâve  not  deserved  ;  and  that  I  may  no 
longer  curse  God,  as  I  sometimes  hâve,  I  wish  to  refer  my 
wretchedness  to  the  men  who  are  responsible  for  it." 

"  Then  you  profess  to  be  innocent  of  the  crime  with 
which  you  are  chargedi*' 


THB  ABBira  CHAMBKR.  903 

^Eniiiely  innocent;  I  swear  by  the  two  beings  mort 
dear  to  me  upon  eaith,  —  mj  fiither  and  Meroédës.** 

^'Ck)mey''  said  the  abbë,  closing  bis  hiding-place  and 
pnsbing  the  bed  back  to  its  original  aitoation,  ^let  me 
bear  yonr  atoiy/* 

Dantès  obeyed,  and  commenced  what  he  called  bis  bÎB- 
toiy,  which  oonsiated  onlj  of  the  account  of  a  Yoyage  to 
India,  and  two  or  thiee  in  the  Levant,  until  he  arrived  at 
the  lecital  of  bis  last  croise  ;  the  death  of  Captain  Lecleie  ; 
the  receipt  of  a  packet  to  be  delivered  by  bimself  to  the 
giand-maisbal  ;  bis  interview  with  that  personage,  and  his 
leceiving,  in  place  of  the  packet  brought,  a  letter  addressed 
to  M.  Ncirtier;  his  arrivai  at  Marseilles  and  interview 
with  bis  father  ;  his  love  for  Mercedes  and  their  nuptial 
fête  ;  bis  arrest  and  subséquent  examination  in  the  tempo- 
iary  prison  of  the  PalaÎB  de  Justice  ;  and  finally,  his  im- 
prisonment  in  the  Château  d'Ifl  From  the  period  of  his 
arrivai  ail  was  a  blank  to  Dantës  ;  be  knew  nothing,  not 
even  the  length  of  time  he  had  been  imprisoned.  His 
récital  finished,  the  abbé  reflected  long  and  eameetly. 

"  There  is"  said  be,  at  the  end  of  his  méditations,  **  a 
clever  maxim,  which  beats  upon  what  I  was  saying  to 
you  a  litUe  while  ago»  and  that  is,  that  save  where  wick- 
edness  originates  in  a  distorted  organization,  buman  na* 
ture  revolts  at  crime.  Still,  from  an  artificial  civilization 
bave  sprung  wants,  vices,  and  false  tastes,  which  occasion- 
ally  become  so  powerfal  as  to  stifle  within  us  ail  good 
feelings,  and  ultimately  to  lead  us  into  guilt  and  wicked* 
ness.  Uenoe  the  maxim:  If  you  wish  to  discover  the*", 
aathor  of  any  bad  action,  seek  first  to  discover  the  person  ^ 
to  whom  the  perpétration  of  that  bad  action  might  be 
profitable.  To  whom  could  your  disappearance  bave  beec 
serviceable  ?  ** 

**  My  God  I  to  no  one.    I  was  so  insignificant»'' 


204  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTa 

"Do  not  speak  thus,  for  jour  reply  lacks  at  the  saine 
time  logîc  and  philosophj.  Everjthing  is  relative,  mj 
dear  friand,  from  the  king  who  is  in  the  way  of  his  suc- 
cessor  to  the  employée  who  is  in  the  way  of  his  substitute. 
If  the  king  dies,  his  successor  inherits  a  crown;  if  the 
employée  dies^  the  substitute  steps  into  his  shoes,  and 
receives  his  salary  of  twelve  thousand  livres.  Well,  thés» 
twelve  thousand  livres  are  his  civil  list,  and  are  as  essen* 
tial  to  him  as  the  twelve  millions  to  a  king.  Every  indi' 
vidual,  from  the  highest  to  the  lowest  degree,  has  his  plact 
in  the  ladder  of  social  life,  and  around  him  are  grouped  a 
little  world  of  interests,  composed  of  vortices  and  hooked 
atoms,  like  the  worlds  of  Descartes.  But  thèse  worlds  are 
always  laiger  in  proportion  to  their  élévation.  They  con- 
stitute  an  iiiverted  spiral,  which  rests  on  its  point  by  a 
trick  of  equilibrium.  But  let  us  retum  to  your  world. 
You  say  you  were  on  the  point  of  being  appointed  captain 
of  the 'Pharaon r" 

"  I  was." 

''And  about  to  become  the  husband  of  a  yonsg  and 
lovely  girll" 

«  True." 

"  Now,  could  any  one  hâve  had  any  interest  în  prévenir 
ing  the  accomplishment  of  thèse  two  events  1  "Was  it  for 
any  one's  interest  that  you  should  not  be  captain  of >  the 
'Pharaon  M" 

"  No  ;  I  wos  generally  liked  on  board,  and  had  the 
sailors  possessed  the  right  of  selecting  a  captain  them- 
selves,  I  am  sure  they  would  hâve  chosen  me.  There  was 
only  one  man  who  had  any  feeling  of  ill-will  towards  me. 
T  had  quarrelled  with  him  some  timè  prevîously,  and  had 
even  chaUenged  him  to  fight  me  ;  but  he  had  îefused." 

"  Now  we  are  getting  on.  And  what  w&s  this  man'a 
nameT' 


THE  ABBÉ^  CHAMBER.  S05 

<«  What  lank  did  he  hold  on  boaid  t** 

**  He  was  sapenaugo." 

"And  had  yoa  been  captain,  shonld  joa  hâve  letained 
bim  in  his  employment  t  " 

''l^ot  if  the  choice  had  remained  with  me,  for  I  had 
freqnenfjy  obeerved  inaccnrades  in  his  aoooonta" 

"  Good  agaîn  I  Now  then,  tell  me,  was  any  penon 
présent  dnring  yoor  last  conversation  with  Captain 
Leclere  1  " 

"  No,  we  weie  quite  alone." 

^  Conld  your  conversation  be  overheard  by  any  one  f 

''It  migbt,  for  the  cabin  door  was  opeu,  and — stay  ; 
now  I  recollect  —  Danglars  himself  passed  by  just  as 
Captain  Leclere  was  giving  me  the  packet  for  the  grand- 
marshal." 

^That  win  do/'  cried  the  abbé;  ^'now  we  aie  on  the 
right  scent.  Did  you  take  anybodyashore  with  yoa  when 
yoa  pat  into  the  port  of  Ëlba  )" 

"  Nobody." 

**Somebody  there  gave  yoa  a  letterî" 

^  Tes  ;  the  grand-marshal  did." 

'^  And  what  did  you  do  with  that  letter  1  ** 

**  Pat  it  into  my  pocket-book." 

**Yoa  had  your  pocket-book  with  you,  thent  Now, 
how  could  a  pocket-book,  large  enough  to  contain  au 
officiai  letter,  find  sufficient  room  in  the  pockets  of  a 
sailorr* 

**  Ton  are  rîght  :  my  pocket-book  was  left  on  board." 

*'  Then  it  was  only  on  your  retum  to  the  ship  that  you 
placed  the  letter  in  the  pocket-book  )  " 

''Tes.'» 

'' Aûd  what  did  you  do  with  thîs  letter  while  letaming 
fix>m  Porto  Ferngo  to  your  vessel  1  " 


205  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTa 

^'I  carried  it  in  mj  hand." 

"So  that  when  jou  went  on  board  the  'Phaiaon^^ 
everybody  could  peiceiTe  you  held  a  letter  in  youi 
handî" 

**  To  be  sure  they  could." 

'*  Danglars,  as  well  as  the  rest  1  '' 

*'  Yes  ;  he  as  well  as  others.** 

''New,  listen  to  me,  and  try  to  recall  every  circum- 
stance  attending  your  arrest.  Do  you  recoUect  the  words 
in  which  the  infonnation  against  you  was  couchedi" 

**  Oh,  yes  !  I  read  it  over  three  times,  and  the  words 
sank  deeply  into  my  memory." 

"  Repeat  it  to  me." 

Dantès  paused  a  few  instants,  as  though  collecting  his 
ideas,  then  said,  "  This  is  it,  word  for  word  :  *  The  procu» 
reur  du  roi  is  informed  by  a  friend  of  the  throne  and  of 
religion^  that  one  Edmond  Dantès,  mate  of  the  ship  **  Pha- 
raon,'* who  arrived  this  morning  from  Smyma,  afber  hav- 
ing  touched  at  Naples  and  Porto  Ferrajo,  bas  been  in* 
trusted  by  Murât  with  a  letter  for  the  usurper,  and  by  the 
usurper  with  a  letter  for  the  Bonapartist  committee  in 
Paris.  Proof  of  this  crime  will  be  found  on  arresting 
him,  for  the  letter  will  be  found  upon  him,  or  at  bis 
Êtther's,  or  in  hi&  cabin  on  board  the  "  Pharaon."  *" 

The  abbë  shrugged  his  shoulders.  **  The  thing  is  clear 
as  day,"  said  he  ;  ''and  you  must  bave  had  a  very  unsus- 
pecting  nature,  as  well  as  a  good  beart,  not  to  bave  sus- 
pected  the  origin  of  the  whole  affair.** 

"  Do  you  leally  think  so  1    Ah,  that  would  indeed  ht 
the  treachery  of  a  villain.** 

"How  did  Danglars  usually  writeï" 

**  A  handsome  running  hand." 

^  And  bow  was  the  anonymous  letter  written?" 

«*  With  a  backward  slant.- 


THE  ABBÊ'S  CHAMBEB.  207 

Again  ihe  sbbë  smiled.  ''  In  &ct»  it  was  a  di^goised 
oandl" 

^I  don*t  know;  it  was  yery  boldly  written,  U 
disguLsed." 

"Stop  a  bity''  said  tbe  abbë.  He  took  up  what  hé 
called  bis  pen  and  after  dippîng  it  into  tbe  ink,  wrote  on 
a  morsel  of  prepared  linen  witb  bis  left  band  tbe  first  two 
or  tbree  wotds  of  tbe  accusation.  Dantes  drew  back,  and 
gazed  on  tbe  abbé  witb  a  sensation  ahnost  amoonting  to 
terror. 

"  How  very  astonisbing  !  "  cried  he,  at  lengtb.  **  Why, 
yonr  writing  exactly  resembles  tbat  of  tbe  accusation  !  '' 

"  Simply  because  tbat  accusation  bad  been  written  witb 
tbe  lefb  band  ;  and  I  bave  always  remarked  one  tbing  —  " 

"  Wbat  is  tbat  î  '* 

^  Tbat  wbereas  ail  writings  done  witb  tbe  rigbt  hand 
are  dissimilar,  tbose  performed  witb  tbe  lefb  hand  invari- 
ably  resemble  eacb  otber.'' 

"  Ypu  bave  evidently  seen  and  observed  eveiything.* 

"  Let  us  proceed" 

"  Ob,  yes,  yes  !  let  os  go  on,** 

"Now  as  regards  tbe  second  question.  Was  tbere  any 
person  wbo  migbt  be  interested  in  preventing  your  mar- 
lîage  witb  Mercedes  1  " 

"  Yes,  a  young  man  wbo  loved  ber,'* 

"  And  bis  name  was  —  " 

"  Femand." 

"  Tbat  is  a  Spanisb  name.'* 

**  He  was  a  Catalan.** 

''Do  you  tbink  tbat  he  was  capable  of  writing  the 
letter  î  " 

**  Oh,  no  I  be  would  more  likely  bave  got  xid  of  me 
by  sticking  a  knife  into  me.** 

''Tbat  is  in  strict  accordance  with  the  Spanish  char 


208  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

acter;  an  assassination  they  will  unhesitatingly  commit^ 
but  an  act  of  cowardice,  never." 

''Besides,"  said  Dantès,  'Hhe  yarious  circumstances 
mentioned  in  the  letter  were  whoUy  unknown  to  him." 

*'Tou  had  never  spoken  of  them  youiself  to  any 
onef** 

"  To  no  peison  whatever.** 

"  Not  even  to  your  mistress  1  '* 

"  No,  not  even  to  my  betrothed  bride,** 
Then  it  is  Danglars,  beyond  a  doubt.** 
I  feel  quite  sure  of  it  now." 

''Wait  a  little.  Was  Danglars  at^all  acquainted  with 
Fernand  1  " 

"  No  ;  yes,  be  was.     Now  I  recoUect  —  " 

«Whatr  — 

**  I  saw  tbem  botb  sitting  at  table  together  beneatb 
an  arbor  at  Père  Pampbile's  the  evening  before  the  day 
fixed  for  my  wedding.  They  were  in  eamest  conversa- 
tion. Danglars  was  joking  in  a  friendly  way,  but  Fer- 
nand looked  pale  and  agitated." 

"  Were  they  alone  1  " 

"There  was  a  third  person  with  them  whom  I  knew 
well|  and  who  had  in  ail  probability  made  their  acquaint- 
ance,  —  a  tailor  named  Caderousse  ;  but  he  was  already 
quite  intoxicated.  Stay  !  stay  I  How  strange  that  it 
should  not  bave  occurred  to  me  before  !  On  the  table 
round  which  they  were  sitting  were  pens,  ink,  and  paper. 
Oh,  the  heartless,  treacherous  scoundrels  !  *'  exclaimed 
Dantès,  pressing  bis  hand  to  bis  throbbing  brows. 

''Is  there  anything  else  you  would  like  to  knowl" 
asked  the  abbé,  smiling. 

"  Yes,  yes,"  replied  Dantès,  eagerly  ;  "  I  would  beg  of 
you,  who  see  so  completely  to  the  depths  of  things,  and 
to  whom  the  greatest  mystery  seems  but  an  «asy  riddle,  to 


THE  ABBÊ'S  CHAMBER.  20d 

explain  to  me  why  I  had  no  second  examinatîon,  why  I 
was  never  brought  to  trial,  and,  above  ail,  why  I  was  con- 
demned  withoùt  process  ?  " 

"  That  is  altogether  a  différent  and  more  serions  matter,'* 
responded  the  abbë.  '*  The  ways  of  justice  are  frequently 
toc  dark  and  mysterious  to  be  easUy  penetrated.  AU  we 
hâve  hitherto  done  in  the  matter  has  been  child's  play. 
If  yoa  wish  me  to  enter  upon  the  more  difficult  part  of 
the  basmess,  yoa  must  assist  me  by  the  most  minute  in- 
formation on  eVery  point." 

^^That  I  will  gladly.  So  pray  begin,  my  dear  abbé,  and 
ask  me  whatever  questions  you  please  ;  for  in  good  truth 
you  see  more  clearly  into  my  life  than  I  do  myselfl" 

"In  the  first  place,  then,  who  examined  you,  —  the />ro- 
eureur  du  roi^  his  deputy,  or  a  magistrate  1  " 

"  The  deputy." 

"  Was  he  young  or  old  1  " 

"  About  twenty-seven  or  twenty-eight  years  of  ege,  I 
should  say." 

"  To  be  sure,'*  answered  the  abbë,  —  "  not  yet  corrupt, 
but  already  ambitions.     And  how  did  he  treat  you  )  " 

"  With  more  of  mildness  than  severity," 

"  Did  you  tell  him  your  whole  story  %  ** 

"  I  did." 

*'  And  did  his  conduct  change  at  ail  in  the  course  of 
your  examination  1 '' 

"Yes;  certainly  he  did  appear  much  disturbed  when 
he  read  the  letter  that  had  brought  me  into  this  scrape. 
He  seemed  quite  overcome  at  the  thoughts  of  the  daui 
ger  I  was  in.'* 

"You  were  înf* 

"  Yes.'» 

"  Then  you  feel  very  sure  that  it  was  yoiv  misfortune 
that  he  regrettedl" 

VOL.   I.  —  14 


210  THE  œUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

**  Wby,  he  gave  me  one  gteat  proof  of  his  sympathy,  al 
least/' 

"  And  what  was  that  T* 

''  He  bumed  the  sole  pioof  that  could  at  ail  hâve  crimî- 
nated  me." 

**  Do  you  mean  the  letter  of  accusation  1  ** 

"  Oh,  no  I  the  letter  that  I  was  intrusted  to  convey  to 
Paris." 

"  Are  you  sure  he  bumed  ît  ï  * 

"  He  did  so  before  my  eyes.** 

**  Ay,  indeed  !  that  alteis  the  case.  That  man  might  be 
a  greater  scoundrel  than  you  think." 

"  Upon  my  word/'  said  Dantès,  *'  you  make  me  shudder. 
Is  the  world  indeed  peopled  by  tigers  and  crocodiles  1  " 

^<  Yes,  but  the  two-legged  tigers  and  crocodiles  are  mors 
dangerous  than  others." 

"  Let  us  go  on.** 

'*  With  ail  my  heart  !  Ton  tell  me  he  bumed  the  letter 
in  your  présence  î  " 

**  He  did,  —  saying  at  the  same  time,  '  Tou  see  I  thus 
destroy  the  only  proof  existiug  against  you.'  '* 

**  This  action  is  somewhat  too  sublime  to  be  natuiaL*' 

«  You  think  so î" 

**  I  am  suro  of  it    To  wbom  was  this  letter  addressed  1  ** 

"To  M.  Noirtier,  No.  13  Rue  Coq-Héron,  Paris." 

"Now  can  you  think  of  any  interest  that  your  deputy 
procureur  could  hâve  had  in  the  destruction  of  that 
letter  1  " 

*'  Why,  it  is  not  altogether  impossible  he  might  hâve 
had,  for  he  made  me  promise  several  times  never  to  speiik 
of  that  letter  to  any  one,  assuring  me  that  he  so  advised 
me  for  my  own  interest  ;  and  more  than  this,  he  insisted 
on  my  taking  a  solemn  oath  never  to  utter  the  name 
written  in  the  address.** 


THE  ABBfi*S  CHAMBER.  811 

"  Noirtier  !  "  repeated  tbe  abbë,  —  "  Noirtier  I  I  knew  a 
person  of  that  name  at  the  court  of  the  Queen  of  Etniria, 
—  a  Noirtier  who  had  been  a  Girondin  daring  the  Revo* 
lution  !    What  was  the  name  of  jour  deput j  t  " 

"  ViUefort." 

The  abbé  burst  into  a  fit  of  laughter,  while  Dantèi 
gazed  on  him  in  utter  astonishment. 

^ What  ails  youf"  said  he,  at  length. 

**  Do  you  see  this  lay  of  lightl" 

"I  do." 

^' Well  I  I  see  my  way  into  the  full  meaning  of  ail  the 
proceedings  against  you  more  dearly  than  you  even  dis- 
cern  that  sunbeam.  Poor  fellow  !  poor  young  maa  ! 
And  you  tell  me  this  magistrate  ezpressed  great  symr 
pathy  and  commisération  for  youf 

«  He  did." 

''And  the  worthy  man  destroyed  your  compiomising 
letterî" 

"  He  bumed  it  before  me." 

''  That  honest  purveyor  for  the  scaffold  made  yoo 
Bwear  never  to  utter  the  name  of  Noirtier  V 

"  Certainly." 

**  Why,  you  poor  short-sighted  simpletoui  do  yoQ  know 
who  this  Noirtier  was  %" 

"  Indeed,  I  do  not  I  " 

"That  Noirtier  was  his  father  I" 

Had  a  thunderbolt  fallen  at  the  feet  of  Dantès,  or  hell 
opeued  its  yawning  gulf  before  him,  he  could  not  hâve 
been  more  completely  transfixed  with  horror  than  at  the 
Sound  of  words  so  whoUy  unexpected,  revealing  as  they 
did  the  fiendish  perfidy  which  had  consigned  him  to  wear 
out  his  days  in  the  dark  cell  of  a  prison  that  was  to  him 
as  a  living  grave.  Starting  up,  he  clasped  his  hands 
around  his  head  as  though  to  prevent  his  very  biain  ftom 


212  THE  COUNT  pP  MONTE  CRISTO. 

Luisting,  as  in  a  choked  and  almost  înarticulate  voîce  he 
exclaimed,    ''His  £Either  !  his  father!*' 

"  His  own  father,"  replied  the  abbé^  "  whose  name  is 
Noirtier  de  Villefort." 

Ai  this  instant,  a  bright  ligbt  sbot  tbrough  the  mind  of 
Dantès,  and  cleared  up  ail  that  bad  beeu  dark  and  obscure 
before.  The  change  that  had  corne  over  Villefort  during 
the  examination,  the  destruction  of  the  letter,  the  exacted 
promise,  the  almost  supplicating  tones  of  the  magistrate, 
who  seemed  rather  to  implore  mercy  than  denounce  pun- 
ishment,  —  ail  retumed  to  his  memory.  A  cry  of  mental 
agony  escaped  his  lips,  and  he  staggered  against  the  wall 
almost  like  a  drunken  man  ;  then,  as  the  paroxysm  passed 
away,  he  hurried  to  the  opening  couducting  from  the  abbé's 
cell  to  his  own,  and  said;  "  Oh  I  I  must  be  alone  to  think 
over  ail  this." 

When  he  regaîned  his  dungeon,  he  threw  himself  on  his 
bed,  where  the  tumkey  found  him  at  his  evening  vlsit, 
sitting  with  lixed  gaze  and  contracted  features,  still  and 
motionless  as  a  statue.  During  those  hours  of  médita- 
tion, which  to  him  had  seemed  but  as  minutes,  he  had 
formed  a  fearful  resolution,  and  bound  himself  to  its  ful- 
filment  by  a  solemn  oath.  Dantës  was  at  length  roused 
from  his  revery  by  the  voice  of  Fana,  who,  having  also 
been  visited  by  his  jailer,  had  come  to  invite  his  fellow- 
sufferer  to  share  his  supper.  In  his  character  as  madman, 
and  especially  as  an  amusing  madman,  the  abbé  enjoyed 
certain  privilèges.  He  was  supplied  with  bread  of  a  finer, 
whiter  description  than  the  usual  prison  fare,  and  even 
regaled  each  Sunday  with  a  small  quantity  of  wine.  The 
présent  day  chanced  to  be  Sunday;  and  the  abbé  came 
to  invite  his  young  companion  to  share  his  bread  and 
wine.  Dantès  foUowed  him  with  a  firm  and  assured  step. 
His  features  had  lost  tkeir  almost  spasmodic  contraction. 


THE  ABBÊ*S  CHAMBER.  213 

and  now  woie  theîr  osual  ezpiession  ;  but  he  had  aoqairod 
a  certain  rigidity  and  sternness  which  announced  the 
forming  of  a  deep  and  settled  porposa  Faria  bent  on 
nim  bis  penetiating  eje.  "  I  regret  now/'  said  he,  *'  hav- 
ing  helped  yoa  in  jour  late  inquiriesy  or  having  given 
you  tbe  information  I  did." 

"Why  80 !"  inqoired  Dantès. 

'*  Because  it  bas  instilled  a  new  passion  in  yoor  beart, 
—  that  of  vengeance.'' 

A  bitter  smile  played  over  the  featnies  of  tbe  young 
man.     **  Let  us  talk  of  something  else,"  said  be. 

Again  tbe  abbé  looked  at  bim,  tben  mournfully  sbook 
bis  bead;  but  in  accordance  witb  Dantès's  request,  be 
began  to  speak  of  otber  matters.  Tbe  elder  prisoner  was 
one  of  tbose  persons  wbose  conversation,  like  tbat  of  ail 
wbo  bave  experienced  many  trials,  contained  many  useM 
and  important  bints  as  well  as  sound  information  ;  bat  it 
was  never  egotîstical,  for  tbe  unfortunate  man  never  alluded 
to  bis  own  sorrows.  Dantës  listened  witb  admiring  atten- 
tion to  ail  be  said.  Some  of  bis  remarks  corresponded 
witb  wbat  be  already  knew,  or  applied  to  tbe  sort  of  knowl- 
edge  bis  nautical  life  bad  enabled  bim  to  acquire  ;  otbeis 
related  to  tbings  unknown  to  bim,  but  like  tbose  auror» 
boréales  whicb  serve  to  ligbt  tbe  navigators  in  nortbem 
latitudes,  tbey  suffîced  to  open  fresb  views  to  tbe  inquiring 
mind  of  tbe  Ustener,  and  to  give  a  glimpse  of  new  borizons 
illumined  by  tbe  wîld  meteoric  flasb.  He  justly  estimated 
tbe  deligbt  an  intelligent  mind  would  bave  in  foUowing 
tbat  lofty  spirit  along  tbe  moral,  pbilosopbical,  or  social 
heigbts  wbere  it  found  exercise. 

'^Tou  must  teacb  me  a  small  part  of  wbat  you  know,** 
said  Dantès,  **  if  only  to  prevent  your  growing  weary  of 
me.  I  can  well  believe  tbat  so  leamed  a  person  as  your- 
self  would  prefer  absolute  solitude  to  being  tormented 


/ 


214  THE  OOUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

with  the  Company  of  one  as  ignorant  and  unînformed  an 
myself.  If  you  will  only  agrée  to  my  request,  I  pronsise 
you  ne  ver  to  mention  another  word  about  escaping." 

The  abbé  smiled.  '^  Alas,  my  child  !  "  said  he,  ^*  human 
kuowledge  is  coniined  within  very  narrow  limits  ;  and  "when 
I  bave  taught  you  mathematics,  physics»  bistory,  and  the 
three  or  four  modem  languages  with  which  I  am  acquainted, 
you  will  know  as  much  as  I  do  myself.  Now,  it  will  scarcely 
require  two  years  for  me  to  commiiniçftte  to  you  the  stock 
of  leaming  I  possess.'* 

"  Two  years  !  "  exclaimed  Dantës  ;  "  do  you  really  be- 
lieve  I  can  acquire  ail  thèse  things  in  so  short  a  time  )  '' 

"Not  their  application,  certainly,  but  their  principles 
you  may  ;  to  learn  is  not  to  know.^There  are  the  learned 
and  the  knowing.  Memory  makes  the  one,  philosophy  the 
other/'^ 

"  But  cannot  one  learn  philosophy  1  " 

"  Philosophy  is  not  to  be  learned  ;  it  is  the  combinatîon 
of  sciences  acquired  by  the  genius  which  applies  them. 
Philosophy,  —  it  is  the  dazzling  cloud  on  which  Christ 
placed  bis  foot  to  mount  into  the  heavens." 

"  Well,  then,"  said  Dantès,  "  what  will  you  teach  me 
first?    I  am  eager  to  begin;  I  thirst  for  knowledge." 

"  Good  !  "  said  the  abbé. 

That  very  evening  the  prisoners  sketched  a  plan  of  édu- 
cation to  be  entered  upon  the  foUowing  day.  Dantès  pos- 
sessed  a  prodigious  memory  combined  with  an  astonishing 
quickness  and  readiness  of  conception.  The  mathematical 
turn  of  bis  mind  rendered  him  apt  at  ail  kinds  of  calcula- 
tion,  while  bis  imagination  imbued  with  interest  the  dry 
reality  of  arithmetical  computation  or  the  rigid  severity  of 
Unes.  He  already  knew  Italian,  and  had  also  picked  up 
a  little  of  the  Komaic  dialect  on  bis  voyages  to  the  £ast  ; 
and  by  the  aid  of  thèse  two  languages  he  easily  compre- 


THE  ABBâ^  CHAMBER.  215 

hended  the  constraction  of  ail  the  others,  so  that  at  the 
end  of  six  months  he  began  to  speak  Spanish,  English, 
and  Grerman.  In  strict  accordance  with  tbe  promise  made 
to  thé  abbë,  Dantës  never  even  alluded  to  flight.  It  migbt 
bave  been  tbat  tbe  deligbt  bis  studies  afforded  bim  sap- 
plied  the  place  of  liberty,  or  tbat  tbe  recollection  of  bis 
pledged  word  (a  point,  as  we  bave  already  seen,  to  which 
be  paid  a  rîgid  attention)  kept  bim  from  reverting  to  any 
plan  for  escape.  Tbe  instractive  days  passed  rapidly^  and 
at  the  end  of  a  year  Dantès  was  a  new  man. 

As  to  tbe  Abbé  Faria,  Dantès  remarked  tbat  spite  of 
tbe  relief  bis  society  afforded,  be  daily  grew  sadder  ;  one 
tbougbt  seemed  incessantly  to  barass  and  distract  bis 
mind.  Sometimes  he  would  fall  into  long  rêveries,  sigh 
beavily  and  involuntarily,  tben  suddenly  rise,  and  witb 
folded  arms  begin  pacing  the  confined  space  of  bis  dun- 
geon.  One  day  be  stopped  ail  at  once  in  tbe  midst  of 
thèse  so  ofben-repeated  promenades,  and  exclaimed^  *'  Ab, 
if  there  were  no  sentinel!" 

''There  sball  not  be  one  a  minute  longer  tban  you 
please,"  said  Dantès,  wbo  bad  foUowed  bis  tbougbt 
tbrougb  tbe  covering  of  bis  brain  as  if  tbrougb  a  crystal. 

"Ah  !  I  bave  already  told  you,"  answered  tbe  abbé^ 
"that  I  revolt  at  murder." 

**  But  tbis  murder,  if  committed,  will  be  for  our  safety, 
prompted  by  tbe  instinct  of  self-defence/* 

"  No  matter  ;   I  could  never  agrée  to  if 

"  Still,  you  bave  tbougbt  of  it  î  " 

**  Incessantly,  alas  I  "  cried  tbe  abbé. 

'^And  you  bave  discovered  a  means  of  regaining  oui 
freedom,  bave  you  not  )  "  asked  Dantès,  eagerly. 

"  I  bave  ;  if  tbey  sbould  bappen  to  place  a  blind  and 
deaf  sentinel  in  tbe,  gallery  beyond  us." 

"He  sball  be  blind,  be  sball  be  deafl"  leplied  tbe 


216  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

yoang  man,  with  an  air  of  determined  résolution  that 
made  his  companion  shudder. 

"  No,  no  !  "  cried  the  abl)é  ;  "  it  is  impossible  1  "  In 
vain  did  Dantès  endeavor  to  renew  the  subject  ;  thé  abbé 
shook  his  head  and  lefused  any  further  conveisation  le- 
specting  it. 

Three  months  passed  away. 

"Do  you  feel  yourself  strongl**  inquîred  the  abbé  of 
Dantès.  The  young  man,  in  leply,  took  np  the  chisel, 
bent  it  into  the  form  of  a  hoiseshoe,  and  then  as  readily 
straightened  it. 

"  And  will  you  engage  not  to  do  any  haim  to  the  sen* 
try,  except  in  the  last  extremity  1  ^ 

"  Yes,  upon  honor." 

"  Then/'  said  the  abbé,  '*  we  may  hope  to  put  our  d& 
sign  into  exécution.*' 

''And  how  long  shall  we  be  in  accompUshing  the 
necessary  work?" 

"  At  least  a  year." 

**  And  shall  we  begin  at  once  1  ** 

"  Directly." 

•*  We  bave  lost  a  year  to  no  purpose  !  "  cried  Dantès. 

"  Do  you  considep  the  last  twelve  months  as  wasted  î  " 
asked  the  abbë,  in  a  tone  of  mild  reproach. 

"  Forgive  me  1  "  cried  Edmond,  blushing. 

"  Tut,  tut  !"  answered  the  abbé  ;  "  man  is  but  man  at 
last,  and  you  are  about  the  best  spécimen  of  the  genus  I 
hâve  ever  known.  Corne,  let  me  show  you  my  plan."  The 
abbé  then  showed  Dantès  a  design  ivhich  he  had  drawn. 
It  consisted  of  a  plan  of  his  own  cell  and  that  of  Dantès, 
with  the  corridor  which  uuited  thera.  In  this  passage  he 
proposed  to  form  a  tunnel,  such  as  is  employed  in  mines  ; 
this  tunnel  would  conduct  the  two  prisoners  immediately 
beneath  the  gallery  where  the  sentry  kept  watch.     Once 


THE  ABBfi*S  CHAMBER.  217 

tbere,  s  large  excavation  would  he  made,  and  nne  of  the 
flag-stones  with  wbich  the  gallery  was  paved  be  80  corn- 
pletely  loosened  that  at  the  desiied  moment  it  would  give 
way  beneath  the  soldier's  feet,  wbo,  falling  into  the  exca- 
vation below,  woold  be  immediately  bound  and  gagged  ère, 
stunned  by  the  efifects  of  bis  fall,  be  had  power  to  offer 
any  résistance.  The  prisoners  were  then  to  make  their 
way  througb  one  of  the  gallery  Windows,  and  to  let  them- 
selves  down  from  the  outer  walls  by  means  of  the  abbé*8 
ladder  of  cords.  The  eyes  of  Dantès  sparkled  with  joy, 
and  be  rubbed  bis  hands  with  delight  at  the  idea  of  a  plan 
80  simple,  yet  apparently  so  ceilain  to  succeed. 

That  very  day  the  miners  commenced  their  labor,  and 
with  the  more  ardor  because  it  succeeded  to  a  long  reet  from 
fatigue,  and  was  destined,  in  ail  probability,  to  fulfil  their 
dearest  wish.  Nothing  interrupted  the  progress  of  their 
work  except  the  necessity  of  returning  to  their  respective 
cells  against  the  hour  in  wbich  their  jailer  was  in  the 
habit  of  visiting  them  ;  they  had  leamed  to  distinguish 
the  almost  imperceptible  sound  of  bis  footsteps  as  be  de- 
scended  towards  their  dungeons,  and  bappily,  never  failed 
beîng  prepared  for  bis  coming.  The  fresh  earth  excavated 
during  their  présent  work,  and  wbich  would  bave  entirely 
blocked  up  the  old  passage,  was  thrown  by  degrees  and 
with  the  utmost  précaution,  out  of  the  window  in  either 
Faria's  or  Dantès's  cell,  the  rubbish  being  first  pulverized 
so  finely  that  the  night  wind  carrîed  it  far  away  without 
permitting  the  smallest  trace  to  remain. 

More  than  a  year  had  been  consumed  in  tbîs  under- 
taking,  the  only  tools  for  wbich  had  been  a  cbisel,  a  knife, 
and  a  wooden  lever,  —  Faria  still  continuing  to  instruct 
Dantès  by  conversing  with  bim,  sometimes  in  one  lan- 
guage,  sometimes  in  anotber;  at  others,  relating  to  him 
the  history  of  nations  and  of  the  great  men  who  from 


218  THK  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

time  to  time  hâve  lefb  behind  them  one  of  those  bright 
tracks  called  glory.  The  abbë  was  a  man  of  the  world, 
and  had  moreover  mixed  in  the  first  society  of  the  day; 
his  appearance  was  impressed  with  that  air  of  melan- 
choly  dignity  which  Daiitès,  thanks  to  the  imitative  pow- 
ers  bestowed  on  him  by  nature,  easily  acquired,  as  well  as 
that  élégant  politeness  which  he  had  previously  lacked, 
and  which  îs  seldom  possessed  except  by  those  who  bave 
been  placed  in  constant  intercourse  with  persons  of  high 
birth  and  breeding. 

At  the  end  of  fifteen  months  the  tunnel  was  made 
and  the  excavation  completed  beneath  the  gallery,  and 
the  two  workmen  could  distinctiy  hear  the  measured  tread 
of  the  seDtinel  as  he  paced  to  and  fro  over  their  heads. 
Compelled  as  they  were  to  await  a  night  sufficiently  dark 
to  favor  their  flight,  they  were  obliged  to  defer  their  final 
attempt  till  that  auspicious  moment  should  arrive.  Their 
greatest  dread  now  was  lest  the  stone  through  which  the 
sentry  was  doomed  to  fall  should  give  way  before  its 
right  time,  and  this  they  had  in  some  measure  provided 
against  by  placing  under  it,  as  a  kind  of  a  prop,  a  sort  of 
bearer  they  had  discovered  among  the  foundations  through 
which  they  had  worked  their  way.  Dantès  was  occupied 
in  arranging  this  pièce  of  wood  when  he  heard  Fana,  who 
had  remained  in  Edmond's  cell  for  the  purpose  of  cutting 
a  peg  to  secure  their  rope-laddor,  call  to  him  in  accents  of 
distress.  Dantès  hastened  to  his  dungeon,  where  he  found 
him  standing  in  the  middle  of  the  room,  pale,  his  fore- 
head  streaming  with  perspiration,  and  his  hands  clinched 
tightly  together. 

''  Gracions  heavens  I  "  exclaimed  Dantës,  ''  what  is  the 
matter  1  what  bas  happened  1  " 

"  Quick  !  quick  I  "  returned  the  abbé,  "  listen  to  me  !  •* 

Dantès  looked  in  fear  and  wonder  at  the  livid  counte- 


TES  ABBfrS  CHAMBBR.  S19 

Danœ  of  Faria,  bis  eyes  ciided  b  j  a  balo  of  a  Uiiiah  east» 
bis  wkite  lips,  bis  disoidered  bair,  and  teirified,  let  îblU 
to  tbe  gioond  tbe  cbisel  be  waa  bolding  in  bis  band. 
"^Yfhai,  tben,  is  itl"  be  cried. 

**  I  am  lost  !  "  said  tbe  abbé.  **  liston  to  ma.  I  am 
seized  witb  a  terrible,  perbape  moital  illness  ;  I  can  feel 
that  tbe  paroxysm  is  Êist  approacbing.  I  bad  a  similar 
attack  tbe  year  pievions  to  mj  impiisonment.  Tbia 
malady  admits  of  but  one  remedj;  I  will  tell  yoa  wbat 
that  is.  Go  into  my  cell  as  quickly  as  yoa  can  ;  lift  one 
of  the  feet  tbat  support  tbe  bed.  Ton  will  find  it  bas 
been  bollowed  ont  for  tbe  porpose  of  containing  a  small 
phial  you  will  see  tbere  balf-lilled  with  a  red  fluid.  Bring 
it  to  me  —  or  rather,  no,  no  !  I  may  be  found  bere  — 
belp  me  back  to  my  room  while  I  bave  still  some  strengtb. 
Who  knows  wbat  may  bappen  wbile  tbe  fit  continues  1  ** 

Spite  of  tbe  magnitude  of  the  misfortune  whicb  tbus 
suddenly  frustrated  bis  bopes,  Dantès  did  not  lose  bis 
présence  of  mind,  but  descended  into  the  corridor,  drag* 
ging  bis  uiifortunate  companion  witb  bim;  tben,  balf- 
carrying,  balf  supporting  him,  be  managed  to  reacb  tbe 
abbé's  cbamber,  wheu  be  immediately  laid  tbe  sufferer 
on  bis  bed. 

**  Thanks  !  "  said  tbe  poor  abbë,  sbivering  as  tbougb 
bis  veins  were  filled  witb  ice.  '^  I  am  seized  witb  a  fit  of 
catalepsy;  wben  it  cornes  to  its  beight,  I  shall  perbaps 
lie  still  and  motionless  as  tbough  dead,  uttering  neither 
sigh  nor  groan.  On  tbe  otber  band,  tbe  symptoms  may 
be  mucb  more  violent,  and  cause  me  to  fall  into  fearful 
convulsions,  cover  my  lips  witb  foaming,  and  force  from 
me  the  most  piercing  sbrieks.  This  last  evil  you  must 
carefuUy  ^ard  against,  for  were  my  cries  to  be  beard,  it 
is  more  than  probable  I  should  be  removed  to  anotbet 
part  of  the  prison,  and  we  should  be  separated  foreyeE 


220  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

Wben  I  become  quite  motionless,  cold,  and  ligid  as  a 
coTpse,  tben,  and  not  before,  you  undersiaud,  force  open 
my  teeth  witb  a  cbisel,  pour  from  eight  to  ten  drops  of 
tbe  liquor  contained  in  tbe  phial  down  my  tbroat»  and 
perbaps  I  sball  revive.*' 

**  Perbaps  ?  "  exclaimed  Dantès,  in  grief-strîcken  tones. 

"  Help  1  belp  !  "  cried  tbe  abbé,  «  I  _  I  —die  —  I  — " 

So  suddeu  and  violent  was  tbe  fit  that  tbe  uufortunate 
prisoner  was  unable  to  complète  tbe  sentence  begun;  a 
violent  convulsion  sbook  bis  wbole  frame,  bis  eyes  started 
from  tbeir  sockets,  bis  moutb  was  drawn  on  one  side,  bîa 
cbeeks  became  purple,  be  struggled,  foamed,  dasbed  bim" 
self  about,  and  uttered  tbe  most  dreadful  cries,  wbicb, 
bowever,  Dantès  prevented  from  being  beârd  by  covering 
bis  bead  witb  tbe  blanket.  Tbe  fit  lasted  two  bonrsj 
tben,  more  belpless  tban  an  infant,  and  colder  and  palei 
tban  marble,  more  crusbed  and  broken  tban  a  reed  tram- 
pied  under  foot,  be  stretcbed  bimself  ont  in  a  last  convuL 
sion  and  became  livid. 

Edmond  waited  till  life  seemed  extinct  in  tbe  body  of 
bis  friend,  tben,  taking  up  tbe  cbisel,  be  witb  diffîculty 
forced  open  tbe  closely-fixed  jaws,  carefuUy  poored  tbe 
appointed  number  of  drops  down  tbe  rigid  tbroat,  and 
anxiôusly  awaited  tbe  resuit.  An  bour  passed  a^ay 
witbout  tbe  old  man's  giving  tbe  least  sign  of  retuming 
animation.  Dautès  began  to  fear  be  bad  too  long  de- 
layed  administering  tbe  remedy,  and  tbrustiug  bis  banda 
into  bis  bair,  continued  gazing  on  tbe  lifeless  features  of 
bis  frîend  in  an  agony  of  despair.  At  lengtb  a  sligbt 
color  tinged  tbe  livid  cbeeks,  consciousness  retumed  to 
tbe  duU,  open  eyeballs,  a  faint  sigb  issued  from  tbe  lipe, 
and  tbe  sufierer  made  a  feeble  efifort  to  move. 

'*  He  is  saved  !  be  îb  saved  1  "  cried  Dantès,  in  a  par- 
nxysm  of  deligbt 


THE  ABBÈ'S  CHAMBEK.  221 

The  sick  man  was  not  yet  able  to  speak,  but  he  pointed 
with  évident  anxiety  towaids  the  door.  Dantes  listened, 
and  plainlj  distingoished  the  appioaching  steps  of  the 
jailer.  It  was  therefoie  near  seven  o'clock;  but  £dmond*8 
anxiety  had  put  ail  thoughts  of  time  ont  of  bis  head. 
The  yoang  man  sprang  to  the  entiance,  darted  thiough 
it^  carefoUy  dfawing  the  atone  over  the  opening,  and  hur« 
lied  to  bis  celL  He  had  scarcely  done  80  when  the  door 
opened,  and  disclosed  to  the  jailer's  inquisitorial  gaze  the 
prisoner  seated  as  nsnal  on  the  aide  of  his  bed.  Aknost 
before  the  key  had  tumed  in  tbe  lock,  and  before  the  de- 
parting  steps  of  the  jailer  had  died  away  in  the  long  cor- 
ridor he  had  to  traverse,  Dantès,  whose  restless  anxiety 
concemîng  his  fnend  left  him  no  désire  to  touch  the  food 
bronght  him,  hurried  back  to  the  abbé'&  chamber,  and 
raising  the  atone  by  pressing  his  head  against  it,  was  soon 
beside  the  sick  man's  couch.  Faria  had  now  fully  re- 
gained  his  conscioosness,  but  he  still  lay  helpless  and 
exhausted  on  his  misérable  bed. 

*^  I  did  not  expect  to  see  you  again,**  saîd  he,  feebly,  to 
Dantès. 

''Ând  why  notl**  asked  the  young  man.  '^Did  you 
expect^  then,  to  dieV 

**NOf  but  ail  is  ready  for  flight;  and  I  thought  you 
would  escape." 

The  deep  glow  of  indignation  suffused  the  cheeks  of 
Dantës.  '^  And  did  you  really  think  so  meanly  of  me/' 
cried  he,  "  as  to  believe  I  would  départ  without  you  1  " 

^^  At  least,'  said  the  abbe,  '^I  now  see  that  I  was  mis- 
taken.  Alas,  alas  I  I  am  fearfully  exhausted  and  debili- 
tated  by  this  attack.'' 

**  Be  of  good  cheer,"  replied  Dantës  ;  "  your  strength 
will  letum."  And  as  he  spoke  he  seated  himself  on  the 
bed  beside  Faria,  and  tenderly  chafed  his  chilled  hands. 


222  THE  COUNT  OF  MONTE  CBISTO. 

The  abbë  shook  hîs  head.  ''  The  fermer  of  thèse  fitS|^' 
said  he,  '*  lasted  but  half  an  hour,  at  the  termination  of 
which  I  experienced  no  other  feeling  than  a  great  sensar 
tion  of  hunger,  and  I  lose  from  mj  bed  without  help  ; 
now  I  can  neither  move  mj  rîght  arm  nor  leg,  and  my 
head  is  confused,  which  indicates  a  rush  of  blood  to  the 
braîn.  The  next  of  thèse  fits  wiU  either  carry  me  off  or 
leave  me  paralyzed  for  life." 

**  No,  no  I  "  ciied  Dantès  ;  "  you  are  mistaken  ;  you  will 
not  die  I  And  your  third  attack  (if  indeed  you  should 
hâve  another)  will  find  you  at  liberty,  We  shall  save  you 
another  time,  as  we  hâve  done  this,  only  with  a  better 
chance,  because  we  shall  be  able  to  command  every  requi- 
site  assistance." 

**  My  good  Edmond,"  answered  the  abbë,  "  be  not  de- 
ceived.  The  attack  which  bas  just  passed  away  con- 
demns  me  to  perpétuai  imprisonment.  None  can  e&- 
cape  but  those  who  can  walk." 

"  Well,  we  will  wait  a  week,  a  mouth,  two  months,  if 
necessary.  In  the  mean  time  your  strength  will  return  ; 
and  as  it  only  remains  with  us  to  fix  the  hour  and  minute, 
we  will  choose  the  first  instant  that  you  feel  able  to  swim 
to  exécute  our  project." 

"I  shall  never  swim  agaîn,'*  replied  Farîa.  "This 
arm  is  paralyzed;  not  for  a  time,  but  forever.  Lift  it^ 
and  judge  by  its  weight  if  I  am  mistaken." 

The  young  man  raised  the  arm,  which  fell  back  by 
Its  own  weight,  inanimate  and  helpless.  A  sigh  escaped 
him. 

*'You  are  convinced  now,  Edmond,  are  you  notî" 
asked  the  abbé.  "  Dépend  upon  it,  I  know  what  I  say, 
Since  the  first  attack  I  experienced  of  this  malady,  I  hâve 
continually  reflected  on  it.  Indeed,  I  expected  it,  for  it 
Is  a  family  inheritance  ;  both  my  father  and  grandfathei 


THE  ABBÉ'S  CHAM6EB.  223 

were  taken  off  by  it.  The  physician  who  piepaied  for  me 
the  remedy  I  hâve  twice  successfuUy  taken  was  no  other 
than  the  celebrated  Cabanis  ;  and  he  predicted  a  similar 
end  for  me." 

**  The  physicîan  may  be  mistaken  !  "  exclaimed  Dantës. 
'^  And  as  for  your  poor  arm,  what  différence  will  that  make 
in  our  escape  1    Never  mind  if  you  cannot  swim  ;  I  can- 
take  you  on  my  shoolders,  and  swim  for  both  of  us.** 

"  My  son,"  said  the  abbé,  "  you,  who  are  a  sailor  and  a 
swim  mer,  must  know  as  well  as  I  do  that  a  man  so  loaded 
would  sink  ère  he  had  advanced  fifby  yards  in  the  sea. 
Cease,  then,  to  deceive  yourself  with  vain  hopes  that  even 
your  own  excellent  heart  refuses  to  believe  in.  Hece  I 
shall  remain  till  the  hour  of  my  deliverance  arrives  ;  and 
that,  in  ail  human  probability,  will  be  the  hour  of  my 
death.  As  for  you,  who  are  young  and  active,  delay  not 
on  my  account,  but  fly  —  go  !  1  give  you  back  your 
promise." 

"  It  is  welJ,"  said  Dantès.  "  And  now  hear  my  déter- 
mination also."  Then  rising  and  extending  bis  hand  with 
an  air  of  solemnity  over  the  old  man's  head,  he  slowly 
added,  "  By  the  blood  of  Christ  I  swear  that  I  will  not 
leave  you  while  you  live  I  " 

Fana  looked  at  that  young  man,  so  noble,  so  simple, 
of  so  lofty  a  spirit,  and  read  in  bis  honest  open  counte- 
nance  ample  confirmation  of  truthfulness,  as  well  as  sin- 
cère, affectionate,  and  faithful  dévotion. 

"Thanks,"  murmured  the  invalid,  extending  the  one 
hand  of  which  he  still  retaîned  the  use.  ''Thanks  for 
your  gênerons  ofièr,  which  I  accept  as  frankly  as  it  was 
made."  Then,  after  a  short  pause  he  added,  "  You  may 
one  of  thèse  days  reap  the  reward  of  your  disinterested 
dévotion.  But  as  I  cannot,  and  you  will  not,  quit  thia 
place,  it  becomes  necessary  to  fill  up  the  excavation  b» 


224  THE  GOUNT  OF  MONTE  CRISTa 

neath  tbe  soldier's  gallery  ;  he  niighty  by  chance,  notice  a 
hoUow  Sound  produced  by  bis  footsteps  over  the  excavated 
ground,  and  call  tbe  attention  of  bis  officer  to  tbe  circum- 
stance.  Tbat  would  bring  abont  a  discovery  wbicb  would 
inevitably  lead  to  our  being  separated.  Go,  tben,  and  set 
about  tbis  work,  in  wbicb  unbappily  I  can  offer  you  uo 
assistance  ;  keep  at  it  ail  nigbt,  if  necessary,  and  do  not 
retum  beie  to*morrow  till  after  tbe  jailer  bas  visited  me. 
I  sball  bave  sometbing  important  to  communicate  to  you." 
Dantès  took  tbe  band  of  tbe  abbé  in  bis,  and  affection- 
ately  pressed  it.  Faria  smiled  encouragingly  on  bim,  and 
tbe  young  man  retired  io  bis  task,  filled  witb  a  religions 
détermination  faitbfuUy  and  unflincbingly  to  discbaige 
tbe  Yow  whiob  bound  bim  to  his  afflicted  Mend. 


THB  TREASURE.  22lk 


CHAPTER    XVra. 

THE  TBEASUBB. 

When  Daniës  retumed  next  morning  to  the  ohamber  of 
bis  companion  in  captivity^  be  found  Fana  aeated  and 
looking  composed.  In  tbe  ray  of  ligbt  wbicb  entered  by 
tbe  narrow  window  of  bis  cell,  be  beld  open  in  bis  left 
band,  of  wbicb  alone,  it  wiU  be  recollectedy  be  letained 
tbe  use,  a  morsel  of  paper,  wbicb  from  being  constantly 
rolled  into  a  small  compass,  bad  tbe  form  of  a  cylinder, 
and  was  not  easily  kept  opea  He  did  not  8peak«  but 
sbowed  tbe  paper  to  Dantèa. 

*'  Wbat  is  tbat  1  "  inquired  tbe  latter. 

''Look  at  it^''  said  tbe  abbé,  witb  a  smile. 

''  I  bave  looked  at  it  witb  alL  possible  attention,**  said 
Dantës,  ''and  I  only  see  a  half-burned  paper,  on  wbicb* 
are  traces  of  Gotbic  cbaracterSy  traced  witb  a  peculiai 
kind  of  ink.** 

"Tbis  paper,  my  friend,**  said  Faria,  "I  may  now 
avow  to  you,  since  I  bave  proved  you,  —  tbis  paper  is  my 
treasure,  of  wbicb,  firom  tbis  day  fortb,  one  balf  belongs 
to  you." 

A  cold  damp  started  to  Dantes's  brow.  TJntil  tbis  day 
— tbiougb  wbat  a  period  of  tîme  !  — be  bad  avoided  talk- 
ing  to  tbe  abbé  of  tbis  treasuie,  tbe  souice  of  tbe  imputa- 
tion of  madness  against  bim.  Witb  bis  instinctive  delicacy 
Edmond  bad  preferred  avoiding  any  toucb  on  tbis  painfui 
cbord,  and  Fana  bad  been  equally  silent.  He  bad  taken 
tbe  silence  of  tbe  old  man  for  a  return  to  leason,  and  now 

VOL.  L  — 15 


226  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

thèse  few  words,  uttered  by  Faria  afber  80  puinful  a  crisii, 
seemed  to  annoimce  a  serious  relapse  of  mental  aliénation. 

**  Your  treasure  1  '*  stammered  Dantès.     Faria  smiled. 

"Yes,"  said  Le.  "You  are  indeed  a  noble  heart, 
Edmond  ;  aud  I  see  by  your  paleness  and  your  shudder 
what  is  passing  in  your  heart  at  this  moment.  No,  be 
assured  ;  I  am  not  mad.  This  treasure  exists,  Dantës  ; 
and  if  I  bave  not  been  allowed'to  possess  it,  you  will. 
Yes;  you.  No  one  would  listen  to  me  or  believe  me» 
because  they  thought  me  mad  ;  but  you,  who  must  know 
that  I  am  not,  listen  to  me,  and  believe  me  afterwards  if 
you  will." 

"  Alas  !  "  murmured  Edmond  to  himself^  "  this  is  a  ter- 
rible relapse  !  There  was  only  this  blow  wanting/'  Then 
he  said  aloud,  '^  My  dear  friend,  your  attack  bas  perhaps 
fatigued  you  ;  bad  you  not  better  repose  a  while  î  To- 
morrow,  if  you  will,  I  will  hear  your  narrative  ;  but  to-day 
I  wish  to  nurse  you  carefuUy.  Besides/'  be  said,  "a  treas- 
ure is  not  a  matter  very  urgent  for  us." 

"  It  is  very  urgent,  Edmond  !  "  replied  the  old  man. 
•"Who  knows  if  to-morrow,  or  the  next  day  afber,  the 
third  attack  may  not  come  on  ?  Eemember  that  then  ail 
will  be  over.  I  bave  often  thought  with  a  bitter  joy  that 
thèse  riches,  whicb  would  make  the  wealth  of  a  dozen 
families,  will  be  forever  lost  to  those  men  who  persécute 
me.  This  idea  was  revenge  to  me,  and  I  tasted  it  slowly 
in  tbe  night  of  my  dungeon  and  the  despair  of  my  captiv- 
ity.  But  now  that  I  bave  forgiven  the  world  for  the  love 
of  you  ;  now  that  I  see  you  young  and  full  of  hope  and 
prospect  ;  now  that  I  think  of  ail  that  may  resuit  to  you 
in  the  good  fortune  of  such  a  disclosure,  —  I  shudder  at 
any  delay,  and  tremble  lest  I  should  not  assure  to  one  as 
worthy  as  yourself  the  possession  of  so  vast  an  amount 
of  hidden  treasure." 


THE  TBEASURE.  227 

Edmond  tumed  away  his  head  with  a  dgh. 

"  You  persist  in  your  incredulity,  Edmond,'*  continu  ed 
Faria.  "My  words  hâve  not  convinced  you.  I  see  you 
require  proofs.  Well,  then,  read  tbis  paper,  which  I  bave 
never  shown  to  any  one.'' 

"To-morrow,  my  dear  firiend,'*  said  Edmond,  unwill- 
ing  to  yield  to  the  old  man's  madness.  *'I  thoagbt  it 
was  understood  tbat  we  ahould  not  talk  of  tbat  until 
to-morrow." 

**  Tben  we  will  not  talk  of  it  until  to-morrow  ;  but  read 
tbis  paper  to-day." 

**  I  will  not  irritate  bim,**  thought  Edmond,  and  taking 
tbe  paper,  of  wbicb  half  was  wanting,  baving  been  bumed, 
no  doubt^  by  some  accident,  be  read,  — 

This  treasore,  wbicb  may  amount  to  two 
of  Roman  crowns  in  tbe  most  distant  a 
of  the  second  opening  wh 
déclare  to  belong  to  )ùm  alo 
beir. 
25th  Apiil,  149 

^'  Well  !  "  said  Faria,  wben  the  yonng  man  had  finisbed 
reading  it. 

"Wby,"  replied  Dantës,  "I  see  notbîng  but  broken 
lines  and  unconnected  words,  wbicb  are  rendered  illegible 
by  fire." 

"  Yes,  to  yon,  my  friend,  wbo  read  them  for  tbe  first 
time  ;  but  not  for  me,  wbo  bave  grown  pale  over  them 
by  many  nigbts'  study,  and  bave  reconstructed  every 
phrase,  completed  every  thought." 

'^  And  do  you  belieye  you  bave  discovered  the  concealed 
sensel" 

^I  am  suie  I  hâve,  and  you  shall  judge  for  youiBdf; 
but  first  listen  to  tbe  bistory  of  tbis  paper.*^ 


228  THE  COUNT  OP  MONTE  CBIBTO. 

'' Silence  1"  exclaîmed  Dantës.    ''Steps  approaeh-  i 
^go— adieu." 

And  Dantës,  happy  to  escape  the  history  and  expla4«ar 
tion  which  could  not  fail  to  confirm  his  appréhensions, 
glided  like  a  snake  along  the  narrow  passage,  while  Faria, 
restored  by  his  alarm  to  a  kind  of  activity,  pushed  with 
his  foot  the  stone  into  its  place,  and  covered  it  with  a  mat 
in  order  the  more  efifectually  to  avoid  discovery. 

It  was  the  govemor,  who,  hearing  of  Faria's  accident 
from  the  jailer,  had  corne  in  person  to  see  him. 

Faria  sat  up  to  receive  him,  avoided  every  movement 
that  might  betray  his  condition,  and  continued  to  conceal 
from  the  govemor  the  paralysis  that  had  already  stricken 
with  death  one  half  of  his  body.  His  fear  was  lest  the 
govemor,  touched  with  pity,  might  order  him  to  be  re- 
moved  to  a  prison  more  wholesome,  and  thus  separate  him 
from  his  young  companion.  But  fortunately  this  did  not 
happen,  and  the  govemor  lefb  him,  convinced  that  the 
poor  madman,  for  whom  in  his  heart  he  felt  a  kind  of 
affection,  was  only  affected  with  a  slight  indisposition. 

During  this  time  Edmond,  seated  on  his  bed  with  his 
head  in  his  hands,  tried  to  collect  his  scattered  thoughts. 
Ail  was  so  rational,  so  grand,  so  logical,  with  Faria  since 
he  had  known  him,  that  he  could  not  understand  how  so 
much  wisdom  on  ail  other  points  could  be  allied  to  mad- 
ness  in  any  one.  Was  Faria  deceived  as  to  his  treasure, 
or  was  ail  the  world- deceived  as  to  Faria  1 

Dantës  remained  in  his  cell  aU  day,  not  daring  to  re- 
tum  to  his  friend,  thinking  thus  to  defer  the  moment 
when  he  should  acquire  the  certainty  that  the  abbë  was 
Qiad,  — -that  conviction  would  be  so  terrible  to  him  ! 

But  towards  the  evening,  afber  the  usual  visitatios^ 
Faria,  not  seeîng  the  young  man  appéar,  tried  to  ge«  ovei 
the  distance  which  separated  them.     Edmond  shuddered 


THB  !rEEAST7B&.  229 

when  he  heard  the  painful  efforts  wbicb  the  old  man 
made  to  drag  himself  aloDg  ;  his  leg  was  inert,  and  he 
could  110  longer  make  use  of  one  arm.  Edmond  was 
compelled  to  draw  him  towards  himself,  for  otherwise  he 
could  uot  enter  by  the  small  aperture  whîch  led  to 
Dantès's  chamber. 

"Hère  I  am,  pursuing  you  remorselessly/'  he  said 
with  a  benignant  smile.  "You  thought  to  escape  my 
munificence,  but  it  is  in  vain.     Listeh  to  me." 

Edmond  saw  there  was  no  escape,  and  placing  the  old 
man  on  his  bed,  he  seated  himself  on  the  stool  beside 
him. 

"  You  know/'  said  the  abbé,  "  that  I  was  the  secretary 
and  intimate  friand  of  Cardinal  Spada,  the  last  of  the 
princes  of  that  name.  I  owe  to  this  worthy  lord  ail 
the  happiness  I  ever  knew.  He  was  not  rich,  although 
the  wealth  of  his  family  had  passed  into  a  proverb,  and  I 
heard  the  phrase  very  ofben,  '  As  rich  as  a  Spada.'  But 
he,  like  public  rumor,  lived  on  this  réputation  for  wealth. 
His  palace  was  my  paradise.  I  instructed  his  nephews, 
who  are  dead;  and  when  he  was  alone  in  the  world,  I 
returned  to  him,  by  an  absolute  dévotion  to  his  wiU,  ail 
he  had  done  for  me  during  ten  years.  The  house  of  the 
cardinal  had  no  secrets  for  me.  •  I  had  ofben  seen  my 
noble  patron  annotating  ancient  volumes,  and  eagerly 
searching  among  dusty  family  manuscripts.  One  day 
when  I  was  reproaching  him  for  his  unavailing  searches, 
and  the  kind  of  prostration  of  mind  that  followed  them, 
he  looked  at  me,  and  smiling  bitterly,  opened  a  volume 
relating  to  the  history  of  the  city  of  Eome.  There,  in  the 
twenty-ninth  chapter  of  the  Life  of  Pope  Alexander  VI., 
were  the  foUowing  lines,  which  I  can  never  forget  :  -— 

'''The  great  wars  of  Romagna  had  ended;  Cœsar  Borgîai 
who  had  completed  his  conqueat,  had  need  of  money  to  pur- 


230  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

ehase  ail  Italy.  Th.e  pope  had  also  need  of  money  to  main 
a  final  aettlement  with  Louis  the  twelftb,  king  of  France,  for- 
midable Btill  in  spite  of  bis  récent  reverses.  It  was  necessary, 
tberefore,  to  hâve  recourse  to  some  profitable  spéculation, 
wbich  was  a  matter  of  great  difilculty  in  the  impoverished 
condition  of  exhausted  Italy.     His  Holiness  bad  an  idea;  be 

determined  to  make  two  cardinalsi 

• 

**  In  cboosing  two  of  the  greatest  personages  of  Rome, 
especially  rich  meu,  the  holy  father  looked  for  the  follow- 
ing  profits  from  his  spéculation.  In  the  first  place  he 
had  to  sell  the  great  appointments  and  splendid  offices 
which  thèse  two  cardinals  held;  and  then  he  had  the 
two  hats  to  sell  besides.  There  was  a  third  profit  in  the 
spéculation,  which  will  appear  hereafber.  The  pope  and 
Cœsar  Borgia  first  found  the  two  future  cardinals;  they 
were  Jean  Eospigliosi,  who  held  four  of  the  highest  digni- 
ties  of  the  holy  seat,  and  CsBsar  Spada,  one  of  the  noblest 
and  richest  of  the  Roman  nobility.  Both  felt  the  high 
honor  of  such  a  favor  from  the  pope.  They  were  am- 
bitions. Thèse  having  been  selected,  Cœsar  Borgia  soon 
found  purchasers  for  their  appointments.  The  resuit  was 
that  Rospigliosi  and  '  Spada  paid  for  being  cardinals,  and 
eight  otber  persons  paid  for  the  offices  the  cardinals  held 
before  their  élévation,  and  thus  eight  hundred  thousand 
crowns  entered  into  the  cofiers  of  the  speculators. 

"  It  is  time  now  to  proceed  to  the  last  part  of  the  spécu- 
lation. The  pope  having  almost  smothered  Rospigliosi  and 
Spada  with  caresses,  having  bestowed  upon  them  the  in» 
signia  of  cardinals  and  induced^  them  to  realize  their  for- 
tunes and  fix  themselves  at  Rome,  —  the  pope  and  Cœsar 
Borgia  invited  the  two  cardinals  to  dinner.  This  was  a 
matter  of  contest  between  the  holy  father  and  his  son. 
Ceesar  thought  they  could  make  use  of  one  of  the  meana 
which  he  always  had.  ready  for  his  friends  ;  that  is  to  say 


THE  TREASURE.  231 

in  the  fi/dt  place  the  farnoos  kej  with  wbich  they  lequested 
certain  persons  to  go  and  open  a  particular  cupboard.  This 
key  was  furnished  with  a  small  iron  point,  —  a  négligence 
on  the  part  of  the  locksmith.  When  this  was  pressed  to 
effect  the  opening  of  the  cupboard,  the  lock  of  whieh  was 
diffîcult,  the  person  was  •  prieked  by  this  small  point,  and 
the  next  day  he  died.  Then  there  was  the  ring  with  the 
lion's  head,  which  Csesar  wore  when  he  meant  to  give  cer- 
tain squeezes  of  the  hand.  The  lion  bit  the  hand  thus 
favored,  and  at  the  end  of  twenty-four  hours  the  bite  was 
mortal.  Cœsar,  then,  proposed  to  his  father  either  to  ask 
the  cardinals  to  open  the  cupboard,  or  to  give  each  a  cor- 
dial squeeze  of  the  hand  ;  but  Alexander  YI.  replied  to 
him  :  *  While  we  are  thinking  of  thèse  worthy  cardi- 
nals, Spada  and  Rospigliosi,  let  us  ask  ^oth  of  them  to 
a  dinner.  Somethîng  tells  me  that  we  shall  regain  this 
nioney.  Besides,  you  forget,  Cœsar,  an  indigestion  dé- 
clares itself  immediately,  but  a  prick  or  a  bite  only  after 
one  or  two  days.'  Caesar  gave  way  before  such  cogent 
roasoning;  and  the  cardinals  were  consequently  invited 
to  dinner. 

"The  table  was  laid  in  a  vineyard  belonging  to  the 
pope,  near  St.  Pierre  es  Liens,  —a  charming  retreat  which 
the  cardinals  knew  very  well  by  report.  Rospigliosi,  quite 
giddy  with  his  dignity,  prepared  his  stomach  and  assumed 
his  best  looks.  Spada,  a  prudent  raan,  and  greatly  attached 
to  his  only  nephew,  a  young  captain  of  highest  promise, 
took  paper  and  peu  and  made  his  will.  He  then  sent  to 
his  nephew  to  await  him  in  the  vicinity  of  the  vineyard  ; 
but  it  appeared  the  servant  did  not  find  him. 

"  Spada  knew  the  meaning  of  thèse  invitations  ;  since 
Christianity,  so  eminently  civilizing,  had  made  progress  in 
Rome,  it  was  no  longer  a  centurion  who  came  from  the 
tyrant  with  a  message,  '  Cœsar  wills  that  you  die/  but  it 


232  THE  COUNT  OF  HONTE  CRISTO. 

was  a  legate  a  latere  wbo  came  with  a  smile  on  his  Kps  to 
8ay  from  the  pope,  *  His  Holiness  requests  you  will  dine 
with  him.' 

*^  Spada  set  ont  about  two  o'clock  to  St.  Pierre  es  Liens. 
The  pope  awaited  him.  The  first  figure  that  struck  the 
eyes  of  Spada  was  that  of  his  nephew  in  full  costume, 
and  Cœsar  Borgia  paying  him  most  marked  attentions. 
Spada  tumed  pale,  as  Caeaar  looked  at  him  with  an  ironical 
air,  which  proved  that  he  had  anticipated  ail,  and  that 
the  snare  was  well  spread.  They  began  dinner,  and 
Spada  was  only  able  to  inquîre  of  his  nephew  if  he  had 
received  his  message.  The  nephew  replied  no,  —  perfectly 
comprehending  the  meaning  of  the  question.  It  was  too 
latc,  for  he  had  already  drunk  a  glass  of  excellent  wine, 
placed  for  him  e'xpressly  by  the  pope*s  butler.  Spada  at 
the  same  moment  saw  another  bottle  approach  him,  from 
which  he  was  liberally  supplied.  An  hour  afberwards  a 
physician  declared  they  were  both  poisoned  through  eating 
mushrooms.  Spada  died  on  the  threshold  of  the  vine- 
yard  ;  the  nephew  expired  at  his  own  door,  making  signs 
which  his  wife  could  not  comprehend. 

''  Then  Caesar  and  the  pope  hàstened  to  lay  hands  on 
the  héritage,  under  pretence  of  seeking  for  the  papers  of 
the  dead  man.  But  the  inheritance  consisted  in  this  only, 
-*  a  scrap  of  paper  on  which  Spada  had  written  :  '  I  be- 
queath  to  my  beloved  nephew  my  coffers,  my  books,  and, 
among  them,  my  breviary  with  the  gold  corners,  which  I 
beg  he  will  préserve  in  remembrance  of  his  affectionate 
uncle.* 

"The  heirs  sought  everywhere,  admîred  the  breviary, 
laid  hands  on  the  fumiture,  and  were  greatly  astonished 
that  Spada,  the  rich  man,  was  really  the  most  misérable  of 
uncles.  There  were  no  treasures,  except  those  of  science, 
comprised  in  the  library  and  laboratories.     This  was  ail  : 


THE  TREASURS.  233 

Caesar  and  his  &ther  searched,  examîned,  seratinized,  but 
found  nothingy  or  at  least^  veiy  little,  — -  iiot  exceedîng  a 
few  thoosand  crowns  in  plate,  and  about  the  same  in 
ready  monej  ;  bat  the  nephew  had  time  to  say  to  his  vife 
bef  oie  he  expiied  :  *  Look  well  among  my  uncle's  papeis  ; 
there  is  a  wilL' 

^'They  songht  even  more  thoroughl/ than  the  august 
heira  had  done,  but  it  was  fruitless.  There  were  two 
palaces  and  a  vineyaid  behind  the  Palatine  Hill  ;  but  in 
thèse  days  landed  property  had  not  much  value,  and  the 
two  palaces  and  the  vineyaid  lemained  to  the  family  as 
beneath  the  lapacity  of  the  pope  and  his  son.  Months 
and  yeais  rolled  on.  Alexander  YL  died,  poisoned, — 
you  know  by  what  mistake.  Csesar,  poisoned  at  the  same 
time,  escaped  with  his  skin  colored  like  that  of  a  snake, 
and  assumed  a  new  cuticle,  on  which  the  poison  left 
spots,  like  those  we  see  on  the  skin  of  à  tigeij  then, 
compelled  to  quit  Borne,  he  went  and  killed  himself  in 
obscurity  in  a  night  skirmish  scaicely  noticed  in  history. 
After  the  pope's  death  and  his  son's  exile,  it  was  supposed 
the  Spada  &mily  would  again  make  the  splendid  fîguie 
they  had  before  the  cardinal's  time  ;  but  this  was  not  the 
case.  The  Spadas  lemaîned  in  doubtful  ease  ;  a  mystery 
hung  over  this  dark  affair  ;  and  the  public  lumoi  was  that 
CsBsar,  a  better  politician  than  his  father,  had  carrîed  off 
from  the  pope  the  fortune  of  the  two  cardinals.  I  say  the 
two  because  Cardinal  Eospigliosi,  who  had  not  taken  any 
précaution^  was  completely  despoiled. 

"  Up  to  this  time,"  said  Farîa,  interruptîng  the  thread 
of  his  narrative^  "  this  seems  to  you  very  ridiculous,  no 
doubt  î  ^ 

"Oh,  my  friend,**  cried  Dantës,  "on  the  contrary,  it 
seems  as  1^  I  were  reading  a  most  iuteresting  narrative  ;  go 
on,  I  pray  of  you." 


234  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

**  I  continue  :  The  family  began  to  feel  acciistomed 
to  this  obscurity.  Years  roUed  on^  and  among  the  de- 
scendants some  were  soldieis,  others  diplomatists  ;  some 
churchmen,  some  bankers;  some  grew  rich,  and  some 
were  ruined.  I  come  now  to  the  last  of  the  famîlj,  whose 
secretary  I  was,  —  the  Comte  de  Spada.  I  had  offcen  heard 
him  complain  of  the  disproportion  of  his  rank  with  his 
fortune  ;  and  I  advised  him  to  sink  ail  he  had  in  an  annuity. 
He  did  so,  and  thus  doubled  his  income.  The  celebrated 
breviary  remained  in  the  family,  and  was  in  the  count's 
possession.  It  had  been  handed  down  from  father  to  son^ 
—  for  the  siugular  clause  of  the  only  will  that  had  been 
found,  had  rendered  it  a  real  relique,  .preserved  in  the  fam- 
ily with  superstitions  vénération.  It  was  an  illuminated 
booky  with  ]beautiful  Gothic  characters,  and  so  weighty 
with  gold  that  a  servant  always  carried  it  before  the  car- 
dinal on  days  of  great  solemnity. 

*^  At  the  sight  of  papers  of  ail  sorts,  —  titles,  contracts, 
parchments,  which  were  kept  in  the  archives  of  the  fam- 
ily ail  descending  from  the  poisoned  cardinal^  —  I,  like 
twenty  servitors,  stewards,  secretaries  before  me,  in  my 
tum  examined  thé  immense  bundles  df  documents  ;  but 
in  spite  of  the  most  accurate  reseàrches,  I  found  —  nothing. 
Yet  I  had  read,  I  had  even  written  a  précise  history  of 
the  Borgia  family,  for  the  sole  purpose  of  assnring  myself 
whether  any  increase  of  fortune  had  occurred  to  them  on 
the  death  of  the  Cardinal  Csesar  Spada  ;  but  could  trace 
only  the  acquisition  of  the  property  of  the  Cardinal  Bos- 
pigliosî,  his  companion  in  misfortune. 

*'I  was  then  almost  assured  that  the  inheritance  had 
profîted  neither  the  Borgias  nor  the  family,  but  had  re- 
mained without  an  owner,  like  the  treasures  of  the  Arabian 
Nights,  which  slept  in  the  bosom  of  the  earth  under  the 
eyes  of  a  génie.     I  searched,  ransacked,  counted,  calcula ted 


THE  TREASUBE.  235 

a  thoosand  and  a  thousand  times  the  income  and  expendi- 
ture  of  the  family  for  three  hundred  years  ;  it  was  useless. 
I  remained  in  my  ignorance,  and  the  Coiàte  de  Spada  in 
his  poverty.  My  patron  died.  He  had  reserved  from  his 
annuity  his  family  papers,  his  lihrary  composed  of  five 
thousand  volumes,  and  his  famous  breviary.  AU  thèse  he 
beqneathed  to  me,  with  a  thousand  Roman  crowns  which 
he  had  in  ready  money,  on  condition  that  I  would  hâve 
nnniversary  masses  said  for  the  repose  pî  his  soûl,  and  that 
I  would  draw  up  a  genealogical  tree  and  history  of  his 
house.  Ail  this  T  did  scrupulously.  Be  easy,  my  dear 
Edmond,  we  are  near  the  conclusion. 

**  In  1807,  a  month  before  I  was  arrested,  and  fifteen 
days  after  the  death  of  Comte  de  Spada,  on  the  25th  of 
December  (you  will  see  presently  how  the  date  became 
fixed  in  my  memory),  I  was  reading  for  the  thousandth 
time  the  papers  I  was  arrangîng,  —  for  the  palace  was  sold 
to  a  stranger,  and  I  was  going  to  leave  Rome  and  settle 
at  Florence,  intending  to  take  with  me  twelve  thousand 
livres  I  possessed,  my  library  and  famous  breviary,  ^  when 
tired  with  my  constant  labor  at  the  same  thing  and  over- 
come  by  a  heavy  dinner  I  had  eaten,  my  head  dropped  on 
my  hands  and  I  fell  asleep  ;  it  was  about  three  o'clock 
in  the  afternoon.  I  woke  as  the  clock  was  striking  six. 
I  raised  my  head  ;  ail  was  in  darkness.  I  rang  for  a  light, 
but  as  no  one  came,  T  determined  to  find  one  for  myself. 
It  was  indeed  a  philosophical  habit  which  I  should  soon 
be  under  the  necessity  of  adopting.  I  took  a  wax  candie 
in  one  hand  and  with  the  other  groped  about  for  a  pièce 
of  paper  (my  match-box  being  empty),  with  which  I  pro- 
posed  to  procure  a  light  from  the  small  flame  still  playing 
on  the  embers.  Fearing,  however,  that  in  the  darkness  I 
might  use  some  valuable  paper,  I  hesitated  for  a  moment, 
then  zecollected  that  I  had  seen  in  the  famcus  breviary. 


236  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

which  was  on  the  table  beside  me,  an  old  paper  qaite 
yellow  witb  âge,  and  wbicb  bad  served  as  a  marker  for 
centuries,  kept  'in  its  place  bj  tbe  vénération  of  tbe 
heirs.  I  felt  for  it,  found  it,  twisted  it,  and  patting  it 
into  tbe  expiring  flame,  set  ligbt  to  it. 

**  But  beneatb  my  fingers,  as  if  by  magie,  as  tbe  fire 
ascended  I  saw  yellowlsb  cbaracters  appear  on  tbe  paper. 
Tben  terror  seized  upon  me.  I  grasped  tbe  paper  in  my 
band,  put  out  tbe  fjame  as  quickly  as  I  could,  ligbted  my 
taper  in  tbe  fire  itself,  and  opened  tbe  crumpled  paper 
vrith  inexpressible  émotion.  I  found  tbat  tbese  cbaracters 
bad  been  traced  in  mysterious  and  sympatbetic  ink,  Tisi« 
ble  only  wben  exposed  to  tbe  fire.  A  little  more  tban 
one-tbird  of  tbe  paper  bad  been  consumed  by  tbe  flame. 
It  was  tbat  paper  you  read  tbis  morning  ;  read  it  again, 
Dantes,  and  tben  I  will  complète  for  you  tbe  broken 
pbrases  and  unconnected  sensé." 

Faria  witb  an  air  of  triumpb  offered  tbe  paper  to  Dan- 
tes, wbo  tbis  time  read  tbe  foUowing  words,  tiaced  witb 
a  rust-colored  ink:^ 

Tbis  26th  day  of  April,  1498,  be 
Alezander  YI.  and  fearing  tbat  not 
he  may  désire  to  become  my  beir  and  !• 
and  Béntivoglio,  wbo  were  poisoned, 
my  sole  beir,  tbat  I  bave  bu 
and  bas  visited  witb  me  (tbat  is,  in 
island  of  Monte  Oristo)  ail  I  poss 
jewels,  diamonds,  gems;  tbat  I  alone 
may  amount  to  nearly  two  mil 
will  fînd  on  raising  tbe  twentietb  ro 
creek  to  tbe  east  in  a  rigbt  line.    Two  open 
in  thèse  caves;  the  treasure  is  in  the  farthest  a 
whicb  treasure  I  bequeatb  and  leave  en 
as  my  sole  beir. 

25th  April,  1498. 


THE  TREASURE.  237 


a 


And  now,**  saîd  the  abbë,  *'  read  this  other  paper  ;  •* 
and  he  presented  to  Dantès  a  second  leaf  with  fragments 
of  linas  written  on  it,  whîch  Edmond  read  as  foUows  : 

ing  invited  to  diLO  by  bis  Holiness 

content  with  making  me  pay  for  my  hat, 

serves  for  me  the  fate  of  Csûxlinals  Caprara 

I  déclare  to  my  nephew,  Quido  Spada, 

ried  in  a  place  he  knows 

the  caves  of  the  email 

essed  of  ingots,  gold,  money, 

know  of  the  existence  of  this  treasure,  which 

'        lions  of  Boman  crowns,  and  which  he 

ck  from  the  small 

ings  hâve  been  made 

ngle  in  the  second; 

tire  to  him 

AB  t  Spapa. 

Fana  followed  him  with  excited  look.  ^  And  now/'  he 
said  when  he  saw  that  Dantès  had  read  the  last  line, 
'*put  the  two  fragments  together,  and  judge  for  your- 
self."  Dantès  obeyed;  and.  the  coi\ioined  pièces  gave 
the  following  :  — 

This  25th  day  of  April,  1498,  be—  ing  invited  to  dîne  by  his 
Holiness  Alezander  VI.,  and  fearing  that  not —  content  with 
making  me  pay  for  my  hat,  he  may  désire  to  become  my  heir 
and  re —  serves  for  me  the  fate  of  Cardinals  Caprara  and  Ben- 
tivoglioy  who  were  poisoned, —  I  déclare  to  my  nephew,  Quido 
Spada,  my  sole  heir,  that  I  hâve  bu —  ried  in  a  place  he  knows 
and  bas  visited  with  me  (that  is,  in —  the  caves  of  the  small 
island  of  Monte  Cristo)  ail  I  poss —  essed  of  ingots,  gold, 
money,  jewels,  dîamonds,  gems;  that  I  alone —  know  of  the 
existence  of  this  treasure^  which  may  amount  to  nearly  two 
mil — lions  of  Roman  crowns,  and  which  he  will  find  on 
laising  the  twentieth  ro —  ck  from  the  small  creek  to  the  east 
in  a  zdght  line.    Two  open —  ings  hâve  been  made  in  thèse 


238  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

caves  ;  the  treasure  îs  in  the  farthest  a —  ngle  in  the  second^ 

wbich  treasure  I  bequeath  and  leave  en —  tire  to  him  as  my 

sole  heir. 

Cjes— AB  t  Spada 
25th  April,  1498. 

**  Well,  do  you  comprehend  now  î  *'  iuquîred  Farîa. 

**  It  is  the  déclaration  of  Cardinal  Spada,  and  the  will 
so  long  sought  for?"  replied  Edmond,  still  incredulous. 

"  Yes  !  a  thousand  times  yes  I  " 

"  And  who  completed  it  as  it  now  is  1  " 

''  I  did.  Aided  by  the  remaining  fragment,  I  guessed 
the  rest,  —  measaring  the  length  of  the  lines  by  that  of 
the  paper,  and  divining  the  hidden  meaning  by  means  of 
what  was  in  part  revealed,  as  we  are  guided  in  a  cavern 
by  the  small  ray  of  light  above  us." 

''  And  what  did  you  do  when  you  arrived  at  this 
conclusion  î  " 

"  I  resolved  to  set  eut,  and  did  set  eut  that  very  in- 
stant, cgrrying  with  me  the  beginning  of  my  great  work 
on  the  unity  of  Italy;  but  for  some  time  the  impérial 
police,  —  who  at  this  period,  quite  contrary  to  what  Napo- 
léon dosired  so  soon  as  he  had  a  son  born  to  him,  wished 
for  a  partition  of  provinces,  —  had  their  eyes  on  me.  And 
my  hasty  departure,  thô  cause  of  which  they  were  unable 
to  guess,  having  aroused  their  suspicions,  I  was  arrested 
at  the  very  moment  I  was  leaving  Piombino.  Now,'* 
continued  Faria,  addressing  Dantës  with  an  almost  pater- 
nal  expression,  —  "  now,  my  dear  fellow,  you  know  as 
much  as  I  do  myself.  If  we  ever  escape  together,  half 
this  treasure  îs  yours  ;  if  I  die  hère,  and  you  escape  alone, 
the  whole  belongs  to  you/' 

"But,"  inquired  Dantès,  hesitating,  "bas  this  treas* 
ure  no  more  legitimate  possessor  in  this  world  than 
ouTselves  }  ^ 


THE  TREASUBE.  S39 

''No,  no^  be  easj  on  that  score;  the  fimifly  la  ex- 
iinct.  TLe  last  Comte  de  Spada^  moreover^  tuade  me 
his  heir;  bequeathîng  to  me  this  symbolic  breviaiy.  he 
bequeathtfd  to  me.all  it  contained.  N%  no,  be  assuxad  ; 
if  we  laj  banda  on  thia  fortune,  we  may  eiJDy  it 
witbout  lemorse." 

«  And  you  say  this  treasure  amonnts  to  — ** 

^'Two  millions  of  Eoman  crowns,  —  abont  thirteea 
millions  of  our  money." 

"  Impossible  I  "  said  Dantëa,  staggered  at  the  enor- 
mous  amount. 

**  Impossible  !  and  why  1  **  asked  the  old  man.  **  The 
Spada  family  was  one  of  the  oldest  and  most  powerful 
families  of  the  fifleenth  century  ;  and  in  those  times  when 
ail  spéculative  and  industrial  euterprises  were  wanting, 
those  accumulations  of  gold  and  jewels  were  by  no  means 
rare.  There  are  at  this  day  Roman  £unîlies  perishing  of 
hunger^  though  possessed  of  nearly  a  million  in  dia* 
monds  and  jewels  handed  down  as  beirlooms,  which 
they  cannot  touch." 

Edmond  thought  he  was  in  a  dream  ;  he  wavered  be- 
tween  iucredulity  and  joy. 

**  I  hâve  only  kept  this  secret  so  long  from  yon,*  oon- 
tinued  Faria,  "  that  1  might  prove  you  and  then  surprise 
you.  Had  we  escaped  before  my  attack  of  catalepsy,  I 
should  hâve  conducted  you  to  Monte  Cristo;  now/'  he 
added  with  a  sigh,  **  it  is  you  who  will  conduct  me  thither, 
Well  I  Dantès,  you  do  net  thank  me." 

"This  treasure  belongs  to  you,  my  dear  friend,"  re- 
plied  Dantès  ;  ''  and  to  you  only.  I  hâve  no  right  to  it. 
I  am  no  relative  of  yours." 

^  You  are  my  son,  Dantës  !  **  exclaîmed  the  old  man. 
"You  are  the  child  of  my  captivity.  My  profession 
condemns  me  to  ceHbacy.     God  bas  sent  you  to  me  to 


240  THS  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

console,  at  one  and  the  same  time^  the  man  who  could 
not  be  a  fatber  and  the  prisoner  who  could  not  get  fiee.'* 
And  Faria  extended  tbe  ann  whicb  be  still  could  use 
to  tbe  young  man,  who  tiuew  himaelf  on  hit  neck  and 
wept. 


THE  THIRD  ATTACX.  241 


CHAPTER    XIX. 

THE  THIRD  ATTAOK. 

Now  that  this  treasure  which  had  so  long  been  the  object 
of  the  abbé's  meditatioDS  could  insure  the  future  happi- 
ness  of  him  whom  Faria  reallj  loved  as  a  son,  it.  had 
doubled  its  value  in  his  eyes,  and  everj  day  he  expatiated 
on  the  amount,  explaining  to  Dantës  ail  the  good  which 
with  thirteen  or  fourteen  millions  of  livres  a  man  could  do 
in  thèse  days  to  his  friends  ;  and  then  Dantès's  counte- 
nance  became  gloomy,  for  the  oath  of  vengeance  he  had 
taken  recurred  to  Ms  memory,  and  he  reflected  how  much 
ill  in  thèse  times  a  man  with  thirteen  or  fourteen  millions 
could  do  to  his  enemies. 

The  abbë  did  not  know  the  Isle  of  Monte  Cristo  ;  but 
Dantës  knew  it  and  had  often  passed  it^  situated  twenty- 
five  miles  from  Pianosa,  between  Corsica  and  the  Isle  of 
Eiba,  and  had  once  touched  at  it.  This  island  was,  always 
had  been,  and  still  îs,  completely  deserted.  It  is  a  rock  of 
almost  conical  form,  which  seems  as  though  projected  by 
some  volcanic  effort  from  the  depth  to  the  surface  of  the 
océan.  Dantës  traced  a  plan  of  the  island  for  Faria,  and 
Faria  gave  Dantès  ad  vice  as  to  the  means  he  should  emplo^ 
to  recover  the  treasure.  But  Dantès  was  far  from  being  as 
enthusiastic  and  confident  as  the  old  man.  It  was  cer- 
tain indeed  that  Faria  was  not  a  lunatic,  and  the  way  in 
which  he  had  achieved  the  discovery  which  had  given 
rise  to  the  suspicion  of  his  madness  increased  Dantës's 
admiration  of  him  ;  but  at  the  same  time  he  could  not 

VOL.  I.  — 16 


242  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

believe  that  that  deposit^  supposîng  it  had  ever  existed, 
still  existed;  and  though  he  considered  the  treasure  as 
by  no  means  chimericaly  he  yet  belle ved  it  was  no  longez 
there. 

However,  as  if  fate  resolved  on  depriving  the  prisoners 
of  their  last  chance,  and  maklng  them  understand  that 
they  were  condemned  to  perpétuai  imprisonment,  a  new 
misfortune  befell  them  ;  the  gallery  on  the  sea  side,  which 
had  long  been  in  ruins,  was  rebuilt.  They  lepaired  it 
completely,  and  stopped  up  with  vast  masses  of  stone  the 
holo  Dantès  had  pcurtly  filled  in.  But  for  this  précaution, 
which  it  will  be  remembered  had  been  suggested  to  Ed- 
mond by  the  abbë,  the  misfortune  would  hâve  been  still 
greater,  —  for  their  attempt  to  escape  would  bave  been  dis- 
covered,  and  they  would  undoubtedly  bave  been  sepa- 
rated.  Thus  a  new  and  even  stronger  door  was  dosed 
upon  them. 

"  You  see,"  said  the  young  man,  with  an  air  of  sorrow- 
iul  résignation^  to  Faria,  *^  that  God  deems  it  right  to  take 
from  me  even  what  you  call  my  dévotion  to  you.  I  bave 
promised  to  remain  forever  with  you,  and  now  I  could  not 
break  my  promise  if  I  would.  I  shall  no  more  hâve  the 
treasure  than  you;  and  neither  of  us  will  quit  this  prison. 
But  my  real  treasure  is  not  that,  my  dear  friend,  which 
awaits  me  beneath  the  sombre  rocks  of  Monte  Cristo, 
but  it  is  your  présence,  —  our  living  together  five  or  six 
hours  a  day,  in  spite  of  our  jailers  ;  it  is  those  rays  of  in- 
telligence you  bave  elicited  from  my  braîn,  the  languages 
you  hâve  implanted  in  my  memory,  and  which  spring 
there  with  ail  their  philological  ramifications.  Thèse 
différent  sciences  that  you  hâve  made  so  easy  to  me 
by  the  depth  of  the  knowledge  you  possess  of  them  and 
the  cleamess  of  the  principles  to  which  you  bave  reduced 
them,  —  this  is  my  treasure,  my  beloved  friend,  and  with 


THE  THIRD  ATTACK.  243 

thîs  jou  hâve  made  me  rîch  and  happy.  Belîeve  me^  and 
take  comfort  ;  this  is  better  for  me  than  tons  of  gold 
and  cases  of  diamonds,  even  were  they  iiot  perhaps  delu- 
sive,  -^  like  the  clouds  we  see  in  tlie  morning  floating  over 
the  sea,  which  we  take  for  terra  firma^  and  which  evapo- 
rate  and  vanish  as  we  draw  near  to  them.  To  bave  you 
as  long  as  possible  near  me  ;  to  bear  your  éloquent  voice 
enricbing  my  mind,  strengthening  my  soûl,  and  making 
my  whole  frame  capable  of  great  and  terrible  tbings  if  I 
sbould  ever  be  free,  so  filling  my  soûl  that  the  despair  to 
which  I  was  just  on  the  point  of  yielding  wben  I  knew 
you  bas  no  longer  any  hold  over  me,  — this  is  my  for- 
tune, and  there  is  nothing  uncertain  about  ît.  I  owe  it 
ail  to  you  ;  and  ail  the  sovereigns  of  the  earth,  were  they 
Csasar  Boigias,  could  not  take  it  from  me." 

Tbus  the  days  which  thèse  two  unfortunates  passed  to* 
gether,  if  they  were  not  happy  days,  at  least  went  as  quickly 
as  the  days  that  foUowed.  Faria,  who  for  so  long  a  time 
had  kept  silence  as  to  the  treasure,  now  perpotually  taiked 
of  it  As  he  had  foreseen,  he  remained  paralyzed  in  the 
right  arm  and  the  lefb  leg,  and  had  given  up  ail  hope  of 
ever  enjoying  it  himself.  But  he  was  cootinually  think- 
ing  over  some  means  of  escape  for  bis  young  companion, 
and  he  enjoyed  it  for  him.  For  fear  the  letter  might  be 
some  day  lost  or  abstracted,  he  compelled  Dantës  to  leafn 
it  by  heart  ;  and  he  thus  knew  it  from  one  end  to  the 
other.  Then  he  destroyed  the  second  portion,  assured 
that  if  the  first  were  seized,  no  one  would  be  able  to  pene- 
trate  its  real  meaning.  Whole  hours  sometimes  passed 
while  Faria  was  giving  instructions  to  Dantës,  —  instruc- 
tions which  were  to  serve  him  when  he  was  at  liberty. 
Then^  once  free,  from  the  day  and  hour  and  moment  when 
he  was  so,  he  could  bave  but  one  only  thought,  which 
was  to  gain  Monte   Cristo  by  some  means  and  remain 


244  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

there  alone  under  some  pretext  whîch  would  give  no  sus- 
picioDs  ;  and  once  there,  to  endeavor  to  find  the  wonderful 
cavems  and  search  in  the  appointed  spot,  -—the  appointed 
spot,  be  it  remembered,  being  the  fiirthest  angle  in  the 
second  opening. 

In  the  mean  while  the  hours  passed,  if  not  lapidly,  at 
least  tolerably.  Faria,  as  \ve  hâve  said,  without  having 
recovered  the  use  of  his  hand  and  foot,  had  resumed  ail 
the  clearness  of  his  understanding,  and  had  gradually^ 
besides  the  moral  instructions  we  hâve  detailed^  taught 
his  youthfal  companion  the  patient  and  sublime  duty  of 
a  prisoner,  who  learns  to  make  something  from  nothing. 
They  were  thus  perpetually  employed,  ^  Faria,  that  he 
might  not  see  himself  grow  old  ;  Dantès,  for  fear  of  recal- 
ling  the  almost  extinct  past  which  noW  floated  in  his 
memory  like  a  distant  light  wandering  in  the  night  So 
the  days  passed  by  as  in  lives  which  hâve  not  been  dis- 
ordered  by  calamity  and  which  glide  on  mechanically  and 
tranquilly  l)eneath  the  eye  of  Providence. 

But  beneath  this  superficial  calm  there  were  in  the 
heart  of  the  youug  man^  and  perhaps  in  that  of  the  old 
man,  ihany  repressed  desires,  many  stifled  sighs  which 
found  vent  when  Faria  was  lefT  alone,  and  when  Edmond 
retumed  to  his  celL  One  night  Edmond  awoke  suddenly, 
believing  he  heard  some  one  calling  him.  He  opened  his 
eyes  and  tried  to  pierce  through  the  gloom.  His  name,  or 
rather  a  plaintive  voice  which  essayed  to  pronounce  his 
name,  reached  him.  "  Great  OqjLJi  *'  murmured  Edmond^ 
"whàt  does  it  meanî" 

He  moved  his  bed,  dtew  up  the  stone,  rushed  into  the 
passage,  and  reached  the  opposite  extremity;  the  secret 
entrance  was  open.  By  the  light  of  the  wretched  and 
wavering  lamp  of  which  we  hâve  spoken,  Dantès  saw 
the  old  man,  pale  but  yet  erect,  clin<;iug  to  the  bedstead. 


THE  THIBD  ATTACK.  245 

llis  leatures  were  writhing  with  those  horrible  symptoms 
which  Dautès  already  knew,  and  wbicli  liad  so  seriouâly 
alarmed  liiui  when  he  saw  them  for  the  first  tirne. 

"  Well,  my  friend,"  said  Fai-iji,  in  a  resîgned  tone,  "  you 
understand,  do  you  not  ;  and  I  need  not  attempt  to  ex« 
plain  to  youî" 

Edmond  uttered  a  cry  of  agony,  and  quite  ont  of  his 
senseSy  rushed  towaids  the  door,  exclaiming,  *'  Help  I 
help  !  **  Faria  had  just  soffîcient  atrength  to  retain 
him. 

"  Silence  !  **  he  said,  "  or  you  are  lost  Think  now  o£ 
yourself,  —  of  making  your  captivity  supportable  or  your 
flight  possible.  It  would  require  years  to  renew  only 
what  I  hâve  done  hère,  and  which  would  be  instantly 
destroyed  if  our  jailers  knew  we  had  communlcated  with 
each  other.  Besides,  be  assured,  my  dear  Edmond,  the 
dungeon  I  am  about  to  leave  will  not  long  remain  empty  ; 
some  other  unfortunate  being  will  soon  take  my  place, 
and  to  him  you  will  appear  like  an  angel  of  salvation. 
Perhaps  he  will  be  young,  strong,  and  enduring,  like 
yourself,  and  will  aid  you  in  your  escape  ;  while  I  should 
only  hinder  it.  You  will  no  longer  hâve  a  half-deaà  body 
tied  to  you  to  paralyze  all^our  movements.  At  length 
Providence  bas  done  something  for  you;  he  restores  to 
you  more  than  he  takes  away,  and  it  is  time  for  me 
to  die.'' 

Edmond  could  only  clasp  his  hands  and  exclaim,  ''  Oh, 
my  friend  !  my  friend  I  spâ||c  not  thus  I  ''  And  then  re- 
suming  ail  his  présence  of  mind,  which  had  for  a  moment 
staggered  under  this  blow,  and  his  strength,  which  had 
failed  at  the  words  of  the  old  man,  he  said,  "  Oh,  I  bave 
saved  you  once,  and  I  will  save  you  again  1  "  And  rais- 
ing  the  foot  of  the  bed,  he  drew  out  the  phial,  still  con- 
tûning  some  of  the  red  liquor. 


246  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

*'  See  !  "  he  exclaimed  ;  *'  there  remains  still  some  of  thîa 
saving  draught  Qaick,  quick  !  tell  me  what  I  must  do 
ihis  time  ;  are  there  any  fresh  instructions  9  Speak^  my 
friend  ;  I  listen." 

**  There  is  no  hope,^  replied  Faria,  shaking  his  head  ; 
''but  no  matter.  God  wills  it  that  man,  whom  he  has 
created  and  in  whose  heart  he  has  so  profoundlj  rooted 
the  love  of  life,  should  do  ail  in  his  power  to  préserve 
that  existence,  which  however  painful  it  may  be  is  yet 
always  so  dear." 

"  Oh,  yes,  yes  !  "  exclaimed  Dantès,  "  and  I  tell  you 
you  shall  yet  be  saved  1  " 

"  Well,  thei),  try,  The  cold  gains  upon  me.  I  feel  the 
blood  flowing  towards  my  brain.  This  horrible  trembling 
which  makes  my  teeth  chatter  and  seems  to  dislocate  my 
bones,  begins  to  pervade  my  whole  finme  ;  in  five  minutes 
the  malady  will  reach  its  height,  and  in  a  quarter  of  an 
hour  there  will  be  nothing  left  of  me  but  a  dead  body.*' 

"  Oh!  "  exclaimed  Dantès,  his  heart  wrung  with  anguish. 

"  Do  as  you  did  before,  only  do  not  wait  so  long.  Ali 
the  springs  of  life  are  now  exhausted  in  me,  and  death," 
he  continued,  looking  at  his  paralyzed  arm  and  leg,  ''  has 
but  half  its  work  to  do.  If  afber  having  made  me  swal- 
low  twelve  drops  instead  of  ten,  you  see  that  I  do  not 
recover,  then  pour  the  rest  down  my  throat.  Now  lift  me 
on  my  bed,  for  I  can  no  longer  support  myself  " 

Edmond  took  the  old  man  in  his  arms,  and  luid  him  on 
the  bed. 

"  And  now,  friend,"  said  Faria,  "  sole  consolation  of  my 
wretched  existence,— you  whom  Heaven  gave  me  some- 
what  late,  but  still  gave  me,  a  priceless  gift,  and  for  which 
I  am  most  grateful,  —  at  the  moment  of  separating  from 
you  forever,  I  wish  you  ail  the  happiness  and  ail  the 
prosperity  you  so  well  deserve.     My  son,  I  bless  thee  1  " 


THE  THIRD  ATTACK.  247 

The  young  man  cast  Inmself  on  liis  knees,  leaning  his 
head  against  the  old  mau's  bed. 

''  Listen  now  to  what  I  say  in  this  niy  dyîng  moment 
The  treasure  of  the  Spadas  exista.  By  the  grâce  of  God 
there  is  no  longer  for  me  either  distance  or  obstacle.  I 
see  it  in  the  depths  of  the  ianer  cavem.  My  eyes  pierce 
the  inmost  recesses  of  the  earth  and  are  dazzlod  at  the 
sight  of  80  much  riches.  If  you  do  escape,  remember 
that  the  poor  abbë  whom  ail  the  world  called  mad  was 
not  so,  Hasten  to  Monte  Cristo  ;  avail  yourself  .of  the 
fortune,  — for  you  hâve  indeed  suffered  long  enough." 

A  violent  shock  înterrupted  the  old  man.  Dantès 
raised  his  head  and  saw  Faria's  eyes  injected  with  blood. 
It  seemed  as  if  a  wave  of  blood  had  ascended  from  the 
chest  to  the  head. 

''  Adieu  !  adieu  !  "  murmured  the  old  man,  clasping 
Edmond's  hand  conVulsively ;  "adieu!" 

"  Oh,  no,  no  I  not  yet  !  "  he  cried  ;  "  do  not  forsake 
me  î  Oh,  help  him  !    Help  I  help  !  " 

"  Hush  I  hush  I  "  murmured  the  dying  man,  "  that 
they  may  not  separate  us  if  you  save  me  !  " 

"  You  are  right.  Oh,  yes,  yes  I  be  assured  I  shall  save 
you  1  Besides,  although  you  suffer  much,  you  do  not  seem 
in  such  àgony  as  before." 

''Do  not  mîstake  !  I  suffer  less  because  there  îs  in  me 
less  strength  to  endure.  At  your  âge  we  hâve  faith  in 
life  ;  it  is  the  privilège  of  youth  to  belîeve  and  hope,  but 
old  men  see  death  more  clearly.  Oh!  'tis  hère  —  'tis 
hère  —  'tis  over— my  sight  îs  gone — my  reason  escapes! 
Your  hand,  Dantès  !  Adieu  1  -^  adieu  !  "  And  raising 
himself  by  a  final  effort  in  which  he  united  ail  his  facul- 
ties,  he  said,  ''  Monte  Cristo  I  forget  not  Monte  Cristo  !  " 
and  he  fell  back  on  his  bed.  The  crisis  was  terrible  ; 
on  that  bed  of  pain  were  twisted  limbs,  awollen  eyelids. 


248  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTa 

bloody  foam,  and  a  body  without  motioiiy^-infitead  ofthe 
iutelligent  being  who,  a  moment  before,  was  lying  there. 

Dantès  took  tbe  lamp,  and  placed  it  on  a  projecting 
stoue  above  the  bed,  whence  its  tremulous  lîgbt  fell  with 
étrange  and  fantastic  ray  on  this  discomposed  countenance 
and  tbis  motionless  and  stiffened  body.  With  fixed  eyes 
he  awaited  boldly  the  moment  for  administering  the  sav^ 
ing  remedy. 

When  he  believed  the  instant  had  arrived,  he  took  the 
knife,  unclosed  the  teeth,  which  oiïered  less  résistance 
than  before,  counted  one  after  the  other  twelve  drops, 
and  watched.  The  phial  contained,  perhaps,  twice  as 
much  more.  He  waited  ten  minutes,  a  quarter  of  an 
hour,  half  an  hour;  nothing  moved.  Trembling,  his 
hair  erect,  his  brow  bathed  with  perspiration,  he  counted 
the  seconds  by  the  beatings  of  his  heart.  Thén  he 
thought  it  was  time  to  make  the  last  trial,  and  he  put 
the  phial  to  the  violet  lips  of  Faria;  and  without  hav- 
ing  occasion  to  force  open  his  jaws,  which  had  remained 
extended,  he  poured  the  whole  of  the  liquid  down  his 
throat. 

The  draught  produced  a  galvanic  effect  ;  a  violent  trem- 
bliijg  pervaded  the  old  man's  limbs  ;  his  eyes  opened  uutil 
it  was  fearful  to  gaze  upon  them  ;  he  heaved  a  sigh  which 
resembled  a  shriekj  and  then  ail  this  vibrating  frame 
returned  gradually  to  its  state  of  immobility,  the  eye$ 
remaining  open. 

Half  an  hour,  an  hour,  an  hour  and  a  half  elapsed; 
and  during  this  time  of  anguish  Edmond  leaued  over  his 
friend,  his  hand  applied  to  his  heart,  and  felt  the  body 
gradually  grow  cold,  and  the  heart's  pulsation  become 
more  and  more  deep  and  dull,  until  at  length  ail  stopped. 
The  last  movement  of  the  heart  ceased  ;  the  face  became 
livid  ;  the  eyes  remained  open,  bat  the  look  was  glazed. 


THE  THIRD  ATTACK.  249 

It  was  six  o'clock  in  the  morning;  the  dawn  was  just 
breaking,  and  its  weak  ray  came  into  the  dungeon  and 
paled  the  dying  light  of  the  lamp.  Singular  ahadows 
passed  over  the  countenance  of  the  dead  man,  which  at 
times  gave  it  the  appearauce  of  life.  Whîle  this  struggle 
between  day  and  night  lasted,  Dantës  still  doubted  ;  but 
as  soon  as  the  daylight  gained  the  pre-eminence  he  saw 
that  he  was  alone  with  a  corpse.  Then  an  invincible  and 
extrême  terrer  seized  iipon  him,  and  he  dared  net  again 
press  the  hand  that  hnng  ont  of  bed  ;  he  dared  no  longer 
to  gaze  on  those  fixed  and  vacant  eyes  which  he  tried 
many  times  to  close,  but  in  vain,  —  they  opened  again 
always.  He  extinguished  the  lamp,  carefuUy  concealed 
it,  and  then  went  away,  closing  as  well  as  he  conld  the 
entrance  to  the  secret  passage  by  the  large  stone,  as  he 
descended. 

It  was  time,  for  the  jailer  was  coming.  On  this  occa- 
sion he  began  his  rounds  at  Dantès's  cell,  and  on  leaving 
him  he  went  on  to  Faria's  dungeon,  where  he  was  taking 
breakfast  and  some  linen.  Nothing  indicated  that  the  man 
knew  anything  of  what  had  occurred.    He  went  on  his  way. 

Dantès  was  then  seized  with  an  indescribable  désire  to 
know  what  was  going  on  in  the  dungeon  of  his  unfortu- 
nate  friend.  He  therefore  retumed  by  the  subterranean 
gallery,  and  arrived  in  time  to  hear  the  exclamations  of 
the  turnkey,  who  called  out  for  help,  Other  turnkeys 
came,  and  then  was  heard  the  regular  tramp  habituai  to 
soldiers  even  when  not  on  duty  ;  behind  them  came  the 
governor. 

Edmond  heard  the  noise  of  the  bed,  on  which  they  were 
moving  the  corpse,  heard  the  voice  of  the  governor,  who 
desired  them  to  throw  water  on  the  face,  and  seeing 
that  in  spite  of  this  application  the  prisoner  did  not  re- 
cover,  sent  for  the  doctor.     The  governor  then  went  out^ 


250  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

and  some  words  of  pity  fell  on  Dantès's  listenîng  ears^ 
mingled  with  brutal  laughter. 

*^  Well,  well  !  "  said  one,  ''  the  madman  has  gone  ta 
look  after  bis  treasure.     Good  jouruey  to  bim  I  " 

'^  Witb  ail  bis  millions,  be  will  not  bave  enougb  to  pay 
for  bis  sbroud  1"  said  anotber. 

''  Ob  !  "  added  a  tbird  voice,  ''  tbe  sbiouds  of  ibe  Cbâ- 
teau  d'If  are  not  dear  I  ** 

"  Perbaps/'  said  one  of  tbe  previous  speakers,  **  as  be 
Dvas  a  priest,  tbey  may  go  to  some  expense  in  bis  bebalf." 

*'  Tbey  may  give  bim  tbe  bonors  of  tbe  sack." 

Edmond  did  not  lose  a  word^  but  comprebended  very 
little  of  wbat  was  said.  Tbe  voices  soon  ceased  ;  and  it 
seemed  to  bim  as  if  tbe  persons  bad  ail  left  tbe  celL  Still 
be  dared  not  to  enter,  as  tbey  migbt  bave  left  some  tum- 
key  to  watcb  tbe  dead.  Ho  remained,  tberefore,  mute  and 
motionless,  restraiuiug  even  bis  respiration.  At  tbe  end 
of  an  bour  be  beard  a  faint  noise,  wbicb  increased.  It 
was  the  governor,  wbo  returned,  folio wed  by  tbe  doctor 
and  other  attendants.  Tbere  was  a  moment*s  silence; 
it  was  évident  that  tbe  doctor  was  examining  tbe  dead 
body.     The  inquiries  soon  commenced. 

Tbe  doctor  analyzed  tbe  symptoms  of  tbe  malady  undei 
wbicb  tbe  prisoner  bad  sunk,  and  declared  be  was  dead. 
Questions  and  answers  followed  in  a  careless  tone  tbat 
Tuade  Dan  tes  indignant,  for  be  felt  tbat  ail  tbe  world 
sbould  expérience  for  the  poor  abbë  the  love  be  bore  bim. 

"  I  am  very  sorry  for  wbat  you  tell  me,*'  said  tbe  gov- 
ernor, replying  to  the  assurance  of  the  doctor  tbat  tbe  old 
man  was  really  dead;  '*for  be  was  a  quiet,  inoffensive 
prisoner,  bappy  ïn  bis  folly,  and  requirod  no  watcbing." 

"  Ah  I  "  added  tbe  turnkey,  **  tbere  was  no  occasion  foi 
watching  bim  ;  be  would  bave  stayed  bere  fifby  years,  l 'U 
answer  for  it,  without  any  attempt  to  escape." 


THE  THIBD  ATTACK.  251 

'^Stilly**  said  the  goyemor,  ^'I  believe  it  will  %e  vequi- 
site,  notwithBtandiDg  your  cerfcainty,  and  not  that  I  doubt 
your  science,  but  for  my  own  lesponsibility's  sake,  that 
we  should  be  perfectly  assuied  that  the  pnsoner  is 
dead." 

There  was  a  moment  of  complète  silence,  duiing  which 
Dantès,  still  listening,  conjectured  that  the  doctor  was 
examining  and  touching  the  corpse  a  second  time. 

*'Yoa  may  make  your  mind  easy,"  said  the  doctor; 
''he  is  dead.     I  will  answer  for  that," 

**  Yon  knoWy  Monsieur/'  said  the  govemor,  persisting, 
**  that  we  are  not  content  in  such  cases  as  this  with  a  sim- 
ple examination.  In  spite  of  ail  appearances,  be  so  kind 
therefore  as  to  finish  your  duty  by  fulfilling  the  formali- 
ties  prescribed  by  law.** 

"  Let  the  irons  be  heated,"  said  the  doctor  ;  **  bot  really 
it  is  a  useless  précaution." 

This  order  to  beat  the  irons  made  Dantës  shudder.  He 
heard  hasty  steps,  the  creaking  of  a  door,  people  going 
and  coming  ;  and  some  minutes  afterwards  a  turnkey  en« 
tered,  saying,  "Hère  is  the  brazier,  lighted." 

There  was  a  rooment*s  silence,  and  then  was  heard  the 
noise  made  by  buming  flesh,  of  which  the  peculiar  and 
nauseous  smell  penetrated  eveu  behind  the  wall  where  Dan- 
tès  was  listening  horrified.  At  this  smell  of  human  flesh 
carbonized,  the  damp  came  over  the  young  man's  brow, 
and  he  fait  as  if  he  should  faint. 

**  You  see,  Monsieur,  he  is  really  dead,**  said  the  doc- 
tor; "this  burn  in  the  heel  is  décisive.  The  poor  fool  is 
cured  of  his  folly,  and  delivered  irom  his  captivity/' 

"  Was  n't  his  name  Faria  1  "  inqnired  one  of  the  oflScen 
who  accompanied  the  governor. 

" Yes,  air;  and  according  to  his  pretension^  it  was  an 
ancient  name.    He  was,  toc,  very  leamed,  and  rational 


252  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

enougb  on  ail  points  whîch  dîd  not  relate  to  hîs  treasnre  ] 
but  on  that  indeed  he  was  obstînate." 

*'  It  is  tbe  sort  of  malady  vhicb  we  call  mouomania/' 
said  the  doctor. 

"  You  never  found  anytbing  in  hîm  to  complain  of  1" 
said  the  govemor  to  tbe  jailer  wbo  bad  charge  of  tbe 
abbé, 

"Kever,  sir,"  replîed  tbe  jailer,  "never;  on  the  con- 
trary,  he  sometimes  amnsed  me  very  much  by  telling  me 
stories.  One  daj  too  when  my  wife  was  ill,  he  gave  me 
a  prescription  whicb  cured  her/* 

"  Ah,  ah  !  "  said  tbe  doctor,  "  I  was  ignorant  that  I  bad 
a  competitor;  but  I  hope,  Monsieur  tbe  Govemor,  that 
you  will  show  him  ail  proper  respect  in  conséquence." 

"  Yes,  yes,  make  your  mind  easy  ;  he  sball  be  decently 
interred  in  the  newest  sack  we  can  find.  Will  that  sat* 
îsfy  youî" 

"Must  we  perform  that  last  ceremony  in  your  près* 
ence,  siri"  înquired  a  tumkey. 

"  Certainly.  But  make  baste  !  I  cannot  stay  bere  ail 
day.''  There  was  a  renewed  sound  of  footsteps  ;  and  a 
moment  afterwards  tbe  noise  of  rustling  clotb  reacbed 
Dantès's  ears,  tbe  bed  creaked  on  its  hinges,  and  tbe 
beavy  foot  of  a  man  who  lifts  a  weight  resounded  on 
the  floor;  then  the  bed  again  creaked  under  the  weight 
deposited  tipon  it.  ^ 

"  This  evening/'  said  the  govemor. 

^'  Will  there  be  mass  1  "  asked  one  of  the  attendants. 

"That  is  impossible,"  replied  the  govemor,  "The 
chaplain  of  the  château  came  to  me  yesterday  to  b^  for 
leave  of  absence,  in  order  to  take  a  trip  to  Hyères  for  a 
week.  I  told  him  I  would  attend  to  the  prisoners  in  bis 
absence.  If  the  poor  abbé  bad  not  been  in  such  a  hurry, 
be  might  bave  bad  his  requiem." 


THE  THIRD  ATTACK,  253 

'^Poohy  pooh  f  8aid  the  doctor,  with  the  aocnstomed 
impiety  of  persons  of  bis  profession,  ''  he  is  a  churchman. 
God  irill  respect  his  profession,  and  not  give  the  Devil  a 
wicked  pleasure  bj  sending  him  a  priest."  Ashout  of 
laughter  followed  this  bratal  jest  D«ring  this  time  the 
opération  of  shronding  the  body  was  continued. 

''This  evening,"  said  the  govemor,  when  the  taak  waa 
ended. 

''  At  what  o'clock  1  "  inquired  a  tamkej, 

**  Why,  about  ten  or  eleven  o'clock." 

**  Shall  we  watch  by  the  corpse?" 

'^  Of  what  use  would  it  be  1  Shut  the  dungeon  as  if  he 
were  alive  ;  that  is  ail/* 

Then  the  steps  retreated,  and  the  voices  died  away  in 
the  distance.  The  noise  of  the  door,  witli  its  creaking 
Muges  and  bolts,  ceased  ;  and  a  silence  duUer  than  any 
solitude  ensued, — the  silence  of  death,  which  embraced 
everything,  even  to  the  young  man's  frozen  souL  Then 
he  raised  the  flag-stone  cautiously  with  his  head,  and 
looked  carefuUy  round  the  chamber.  It  was  empty; 
and  Dautès,  quitting  the  passase.  entared  it. 


254  THE  COUNT  ÛF  MONTE  G&IâTa 


CHAPTER  XX. 

THB  OEMBTBBT  OF  THE  CHÂTEAU  d'IF. 

On  the  bed^  at  full  length,  and  faintly  lighted  by  the  pale 
ray  that  penetrated  the  window,  was  visible  a  sack  of 
coarse  cloth,  under  the  large  folds  of  which  were  stretched 
a  long  and  atiffened  form;  it  was  Faria's  last  winding- 
sheet,  —  that  winding-sbeet  which,  as  the  turnkey  said, 
cost  80  lîttle.  AU,  then,  was  completed.  A  materia] 
séparation  had  taken  place  betweeu  Dantës  and  his  old 
friend  ;  he  could  no  longer  see  tbose  eyes  which  had  rei- 
mained  open  as  if  to  look  even  beyond  death  ;  he  could  no 
longer  clasp  that  hand  of  industry  which  had  lifted  for  him 
the  veil  that  had  concealed  hidden  and  obscure  thinga 
Faria,  the  nseful  and  the  good  companion  with  whom  he 
was  accnstomed  to  live  so  intimately,  no  longer  breathed. 
He  seated  himself  on  the  edge  of  that  terrible  bed,  and  feli 
into  a  melancholy  and  gloomy  revery. 

Alone  I  he  was  alone  again  !  —  fallen  back  into  silence  ! 
He  found  himself  once  again  in  the  présence  of  nothing- 
ness  I  Alone,  —  no  longer  to  see,  no  longer  to  hear  the 
yoice  of  the  only  human  being  who  attached  him  to  life  ! 
Was  it  not  better,  like  Faria,  to  go  and  ask  of  God  the 
meaning  of  life's  enîgma  at  the  risk  of  passing  through  the 
moumful  gâte  of  sufTeringf  The  idea  of  suicide,  driven 
away  by  his  fnend  and  forgotten  in  his  présence  while 
living,  arose  like  a  phantom  before  him  in  présence  of 
his  dead  body.  "  If  I  could  die,"  he  said,  **  I  should  go 
where  he  goes,  and  should  assuredly  find  him  again.     But 


THE  CEMETERT  OF  THE  CHÂTEAU  D'IF.    255 

how  to  diet  It  is  veiy  easy^"  he  continued  with  a 
smile  of  bittemess  ;  "  I  will  remain  heie  ;  I  will  rush  on 
the  fiist  person  who  opens  the  door;  I  will  stnmglo 
him,  and  then  they  will  guillotine  me." 

But  as  it  happons  that  in  excessive  griefs,  as  in  great 
tempests,  the  abyss  is  found  between  the  tops  of  the 
loftiest  waves,  Dantès  recoiled  from  the  idea  of  this  in- 
famous  death  and  passed  siiddenly  from  despair  to  an  ar- 
dent désire  for  life  and  liberty. 

''  Die  !  oby  no  !  "  he  exclaimed  ;  **  not  die  now,  after  hav- 
ing  lived  so  long,  and  saffered  so  much  !  It  niight  hâve 
been  good  to  die  when  I  formed  the  purpose  to  do  so, 
years  ago  ;  but  now  it  would  be  indeed  to  give  way  to 
my  bitter  destiuy.  No,  I  will  live  ;  I  will  struggle  to  the 
very  last  ;  I  will  reconquer  the  happiness  of  which  I  hâve 
been  deprived.  Before  I  die  I  must  not  forget  that  1  hâve 
my  executioners  to  punish,  and  perhaps  too,  who  knows, 
some  friends  to  reward.  But  hère  I  am,  forgotten  ;  and 
I  shall  go  out  from  my  duiigeon  only  as  Faria  goes."  As 
he  said  this  he  remained  motionless,  his  eyes  fixed  like  a 
man  struck  with  a  sudden  idea,  but  whom  this  idea  fills 
with  amazement.  Suddenly  he  rose,  lifted  his  hand  to 
his  brow  as  if  his  brain  were  giddy,  paced  twice  or  thrice 
round  his  chamber,  and  then  paused  abruptly  at  the  bed. 
"  Ah  !  ah  !  "  he  muttered,  "  who  inspires  me  with  this 
thought  ?  Is  it  thou,  gracions  God  1  Since  none  but  the 
dead  pass  freely  from  this  dungeon,  let  me  assume  the 
place  of  the  dead  1  " 

Witbout  giving  himself  time  to  reconsider  his  décision, 
and  indeed  that  he  might  allow  his  thoughts  to  be  dîs- 
tracted  from  his  desperate  resolution,  he  bent  over  the  appal- 
ling  sack,  opened  it  with  the  knife  which  Faria  had  made, 
drew  the  corpse  from  the  sack,  and  carrîed  it  to  his  cell, 
laid  it  on  his  couch,  passed  round  its  head  the  strîp  of 


256  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTa 

doth  he  wore  at  nîght  round  hîs  own^  covered  it  witb 
counterpane,  once  again  kîssed  the  ice-cold  brow  and  tried 
vainly  to  close  the  resisting  eyes,  which  lemained  open, 
turned  the  head  towards  the  wall,  so  that  the  jailer  might, 
when  he  brought  his  evening  meal,  believe  that  he  was 
asleep,  as  was  his  fréquent  custom,  returned  along  the  gal- 
lery,  drew  the  bed  against  the  wall,  returned  to  the  other 
celly  took  from^he  hiding-place  the  needle  and  thread,  flung 
off  his  ragSy  that  they  might  feel  naked  flesh  only  be- 
neath  the  coarse  sackcloth,  and  getting  inside  the  sack, 
placed  himself  in  the  posture  in  which  the  dead  body  had 
been  laid«  and  sewed  up  the  mouth  of  the  sack  on  the 
inside. 

The  beating  of  his  heart  might  bave  been  heard  if  by 
any  mischance  the  jailers  had  entered  at  that  moment. 
He  might  bave  waited  until  the  evening  visit  was  over, 
but  he  was  afraid  the  govemor  might  change  his  resolu- 
tion and  order  the  dead  body  to  be  removed  earlier  ;  in 
that  case  his  last  hope  would  bave  been  destroyed.  Now 
his  projsct  was  settled  under  any  circumstances,  and  he 
hoped  thus  to  carry  it  into  effect.  If  on  the  way  out  the 
grave-diggers  should  discover  that  they  were  oonveying  a 
liVe  instead  of  a  dead  body,  Dantès  did  not  intend  to  give 
them  time  to  recognize  him,  but  with  a  sudden  eut  of  the 
knife  he  meant  to  open  the  sack  from  top  to  bottom  and 
profiting  by  their  alarm,  escape;  if  they  tried  to  catch 
him,  he  would  use  his  knife.  If  they  conducted  him  to 
the  cemetery  and  laid  him  in  the  grave,  he  would  allow 
himself  to  be  covered  with  earth;  and  then,  as  it  was 
nighty  the  grave-diggers  could  scarcely  bave  turned  their 
backs  ère  he  would  work  his  way  through  the  soft  soil  and 
escape.  He  hoped  that  the  weight  would  not  be  too  heavy 
for  him  to  support.  If  he  was  deceived  in  this,  and  the 
earth  proved  too  heavy,  he  would  be  stifled,  and  then  ao 


THE  CEMETEBT  OF  THE  CHÂTEAU  D'IF.    20) 

mucb  the  better  ;  ail  would  be  over.  Dantës  had  not  eaten 
since  the  previous  evening,  but  he  had  not  thought  of 
hunger  or  thirst,  nor  did  he  now  think  of  it.  His  position 
wag  too  precarioos  to  allow  him  time  to  think  of  anything 
else. 

The  first  risk  that  Dantès  lan  was  that  the  jailer,  when 
he  bibught  his  snpper  at  seven  o'clock,  might  perceive  the 
substitution  he  had  e£fected  ;  fortunately,  twenty  times  at 
least,  from  misanthropy  or  fatigue,  Dantès  had  received 
his  jailer  in  bed;  and  then  the  man  placed  his  bread 
and  soup  on  the  table,  and  went  away  without  saying 
a  Word.  This  time  the  jailer  might  not  be  silent  as  usual, 
but  speak  to  Dantès,  and  seeing  that  he  received  no  reply, 
go  to  the  bed  and  thus  discover  ail. 

When  seven  o'clock  came,  Dantès's  agony  really  com- 
menced.  His  hand  placed  upon  his  heart  was  unable  to 
repress  its  throbbings,  while  with  the  other  he  wiped  the 
perspiratîon  from  his  temples.  From  time  to  time  shud- 
derings  ran  through  his  whole  frame  and  oppressed  his 
heart  as  if  it  were  seized  in  an  icy  grasp.  Then  he 
thought  he  was  going  to  die.  Tet  the  hours  passed  on 
without  auy  stir  in  the  château,  and  Dantès  perceived  that 
he  had  escaped  this  first  danger  ;  it  was  a  good  augury. 
Ât  length,  about  the  hour  the  govemor  had  appointed, 
footsteps  were  heard  on  the  stairs.  Edmond  understôod 
that  the  moment  had  arrived,  and  summoning  up  ail  his 
courage,  held  his  breath  ;  he  would  hâve  been  glad  to  re- 
press at  the  same  time  the  rapid  pulsations  of  his  arteries. 

The  footsteps  paused  at  the  door  ;  there  were  steps  of 
two  persons,  and  Dantès  guessed  it  was  the  two  grave- 
diggers  who  came  to  seek  him*  This  idea  was  soon  con- 
verted  into  certainty  when  he  heard  the  noise  they  made 
in  putting  down  the  hand-bier.  The  door  opened,  and  a 
dim  light  reached  Dantès's  eyes  through  the  coarse  sack 

vol..   T.  — .  ÎT 


258  THE  COUNT  OF  MONTE  CBISTO. 

tkat  covered  him  ;  he  saw  two  sbadows  approach  bis  bed, 
a  third  remaining  at  the  door  with  a  torch  in  bis  hand. 
£acb  of  tbese  two  men,  approacbing  tbe  ends  of  tbe  bed^ 
took  tbe  sack  bj  its  extremities. 

**  He  '8  beavy,  tbougb,  for  an  old  and  tbin  man/'  said 
one,  as  be  raised  tbe  bead. 

**  Tbey  say  eveiy  year  adds  balf  a  pound  to  tbe  weigbt 
of  tbe  bones/'  said  anotber,  lifting  tbe  feet. 

'*  Haye  you  tied  tbe  knot  1  "  inquired  tbe  first  speaker. 

"Wbat  would  be  tbe  use  of  carrying  so  mucb  more 
weigbt?"  was  tbe  reply;  "I  can  do  tbat  wben  we  get 
tbere." 

"  Yes,  you  *re  rigbt/^  replied  tbe  companion. 

"  Wbat  's  tbe  knot  forl"  tbougbt  Dantës. 

Tbey  deposited  tbe  supposed  corpse  on  tbe  bîer.  Ed- 
mond stiffened  bimself  in  order  to  play  bis  part  of  a  dead 
man,  and  tben  tbe  party,  ligbted  by  tbe  man  witb  the 
torcb,  wbo  went  first,  ascended  tbe  stairs.  Suddenly 
Dautès  felt  tbe  fresb  and  sbarp  nigbt  air,  and  be  recognized 
tbe  mistral,  It  was  a  sudden  sensation,  at  tbe  same  time 
replète  witb  deligbt  and  agony.  Tbe  bearers  advanced 
twenty  paces,  tben  stopped,  puttîng  tbeir  bier  down  on 
tbe  ground.  One  of  them  went  away,  and  Dantès  beard 
bis  sboes  on  tbe  pavement. 

"  Wbere  am  I,  tben  ?  "  be  asked  bîm.selfl 

''Really,  he  is  by  no  means  a  light  load!**  said  tbe 
other  bearer,  sitting  on  tbe  edge  of  tbe  band-barrow. 
Dantës's  first  impulse  was  to  escape^  but  fortunately  be 
did  not  attempt  it. 

'*  Ligbt  me,  stupid,"  said  tbe  otber  bearer,  "  or  I  sball 
not  find  wbat  I  am  looking  for."  The  man  witb  tbe  torcb 
complied,  altbpugb  not  asked  in  the  most  polite  tenus. 

"Wbat  can  be  be  looking  fori"  tbougbt  Edmond 
"Tbe  spade,  perbaps." 


THE  CEMETERT  OF  THE  CHÂTEAU  D*IF.  259 

An  exclamation  of  satisfaction  indicated  that  the  grave- 
digger  bad  found  the  object  of  bis  searcb.  **  Hère  it  is  at 
last,**  be  said,  ''  not  witbout  some  trouble,  tbongb.** 

**Ye8f^  was  the  answer;  ''but  it  bas  lost  notbing  by 
waiting.** 

As  be  said  tbis,  tbe  man  came  towards  Edmond,  wbo 
heard  a  beavy  and  sounding  substance  laid  down  beside 
bim,  and  at  the  same  moment  a  cord  was  fastened  round 
bis  feet  witb  sudden  and  painfîil  violence. 
.  "Well,  bave  you  tied  the  knotl*'  înquired  the  grave-, 
digger  vbo  was  looking  on. 

**Yes,  and  pretty  tight  too,  I  can  tell  you,"  was  the 
answer. 

"  Move  on,  then.**  And  the  hier  was  lifted  once  more, 
and  they  proceeded.  They  advanced  fifty  paces  ferther, 
and  then  stopped  to  open  a  door,  then  went  forward  again. 
The  noise  of  the  waves  dashîng  against  the  rocks  on  which 
the  château  is  built^  reacbed  Dantès's  ear  distinctly  as 
they  proceeded. 

"  Bad  weather  I  "  observed  one  of  tbe  béarers  ;  "  not  a 
pleasant  night  for  a  dip  in  the  sea." 

"  Why,  yes,  the  abbé  runs  a  chance  of  being  wet,"  said 
the  other  ;  and  then  there  was  a  burst  of  laughter.  Dan- 
tès  did  not  comprehend  the  jest,  but  bis  bair  stood  erect 
on  bis  bead. 

"  Well,  bere  we  are  at  last,"  said  one  of  them. 

^'A  little  fartherl  a  little  fartherl"  said  tbe  other. 
''You  know  very  well  that  the  last  was  stopped  on  bis 
way,  dashed  on  the  rocks,  and  the  govemor  told  us  next 
day  that  we  were  careless  fellows." 

They  ascended  five  or  six  more  steps,  and  then  Dantès 
felt  that  they  took  him,  one  by  the  bead  and  tbe  other  by 
tbe  heels,  and  swung  him  to  and  fro.  '*  One  1  **  said  tbe 
grave-diggers,  "  two  1  three,  and  away  !  "  And  at  the  same 


260  THE  COUNT  OF  HONTE  CRISTO. 

instant  Dantës  felt  himself  flung  into  the  vast  void,  paas* 
ing  through  the  air  like  a  wounded  bird,  —  falling,  falHng 
with  a  rapiditj  that  made  his  blood  curdle.  Although 
drawn  downwards  bj  some  heavy  weight  wbich  hastened 
liis  rapid  descent,  it  seemed  to  him  that  the  fall  continued 
through  a  hundred  years.  At  last,  with  a  terrifie  dash 
he  entered  the  ice-cold  water;  and  as  he  did  so  he  ut- 
tered  a  shriU  cry,  etifled  in  a  moment  by  his  immei^ 
sion  beneath  the  waves. 

Dantës  had  been  flung  into  the  sea,  into  whose  depths 
he  was  dragged  by  a  thirty-six  pound  shot  tied  to  his  fibot 
The  sea  is  the  cemetery  of  Château  d  '!£ 


TES  ISLE  OF  TIBOULSN.  961 


CHAPTEE  XXL 

THE  ISLB  OF  TIBOULXN. 

Dantês,  although  gîddy  and  almost  sufTocated,  had  jet 
Bufficient  présence  of  mind  to  hold  bis  breath  ;  and  as  bis 
rîght  hand  (prepared  as  be  was  for  everj  cbance)  beld  bis 
knîfe  open,  be  rapidly  ripped  np  tbe  sack  and  extricated 
bis  arm  and  tben  bis  bodj  ;  but  in  spite  of  ail  bis  efforts 
to  free  bimself  from  tbe  bail,  be  continued  to  sinL  He 
tben  bent  bis  bodj  and  by  a  desperate  e^ort  severed  tbe 
cord  tbat  bound  bis  legs,  at  tbe  moment  be  was  snffoca- 
ting.  Witb  a  vigorous  spring  be  rose  to  tbe  surface  of 
tbe  sea,  wbile  tbe  bullet  bore  to  its  deptbs  tbe  sack  tbat 
bad  so  nearly  become  bis  shroud. 

Dantès  merely  paused  to  breatbe,  and  tben  dived  again, 
in  order  to  avoid  being  seen.  Wben  be  rose  a  second 
time,  be  was  fifby  paces  from  wbere  be  bad  first  sunk. 
He  saw  overbead  a  black  and  tempestuous  sky,  over  wbicb 
tbe  wind  was  driving  tbe  fleeting  vapors  tbat  occasionally 
suffered  a  twinkling  star  to  appear  ;  before  bim  was  tbe 
vast  expanse  of  waters,  sombre  and  terrible,  wbose  waves 
foamed  and  roared  as  if  before  tbe  approacb  of  a  storm. 
Bebind  bim,  blacker  tban  tbe  sea,  blacker  tban  tbe  sky, 
rose  like  a  pbantom  tbe  giant  of  granité,  wbose  projecting 
crags  seemed  like  arms  extended  to  seize  tbeir  prey  ;  and 
on  tbe  bigbest  rock  was  a  torcb  tbat  lighted  two  figures. 
He  fancied  tbese  two  forms  were  looking  at  tbe  sea; 
doubtless  tbese  strange  grave-diggers  bad  beard  bis  cry. 
Cantès  dived  again^  and  remained  a  long  time  beneatb  tbe 


262  THB  GOUNT  OF  MONTE  CBlBTa 

water.  Tbis  manœuvre  was  aiready  familiar  to  biiOy  aiid 
usuallj  attracted  a  crowd  of  spectators  in  the  bay  before 
tbe  lîgbtbouse  at  Marseilles  when  be  swam  tbere,  who 
witb  one  accord  pronounced  bim  tbe  best  swimmer  in  tbe 
port     Wben  be  reappeared  tbe  ligbt  bad  disappeared. 

It  was  necessary  to  strike  out  to  sea.  Ratonneau  and 
Pomègue  are  tbe  nearast  isles  of  ail  tbose  tbat  eurround 
tbe  Cbâteau  dlf  ;  but  Ratonneau  and  Pomègue  are  in- 
babited,  and  so  is  tbe  little  island  of  Daume.  Tiboulen  or 
Lemaire  \rere  tbe  most  secure.  Tbese  islands  are  a  league 
from  tbe  Cbâteau  d'If;  Dantès  nevertbeless  determined 
to  make  for  tbem.  But  bow  could  be  find  bis  way  in  tbe 
darkness  of  tbe  nigbt  1  At  tbis  moment  be  saw  before  bim, 
like  a  brilliant  star,  tbe  ligbtbouse  of  Planier.  By  leaving 
tbis  ligbt  on  tbe  rigbt,  be  kept  tbe  Isle  of  Tiboulen  a 
little  on  tbe  lefb;  by  turning  to  tbe  left,  tberefore,  be 
would  find  it.  But  as  we  bave  said,  it  was  at  least  a 
league  from  tbe  Cbâteau  dlf  to  tbis  island.  Ofben  in 
prison  Faria  bad  said  to  bim  wben  be  saw  bim  idle  and 
inactive,  "  Dantës,  you  must  not  give  way  to  tbis  listless- 
ness  ;  you  will  be  drowned  if  you  seek  to  escape  and  your 
strengtb  bas  not  been  properly  exercised  and  prepared  for 
exertion."  Tbese  words  sounded  in  Dantës's  ears,  even 
beneatb  tbe  waves  ;  be  bastened  to  cleave  bis  way 
tbrougb  tbem  to  see  if  be  bad  not  lost  bis  strengtb.  He 
found  witb  pleasure  tbat  bis  captivity  bad  taken  away 
notbing  of  bis  power,  and  tbat  be  was  still  master  of 
tbat  élément  on  wbose  bosom  be  bad  so  often  sported 
as  a  boy. 

Fear,  tbat  relentless  pursuer,  doubled  Dantës's  efforts. 
He  listened  to  ascertain  if  any  noise  was  audible  ;  eacb 
time  tbat  be  rose  over  tbe  waves  bis  looks  scanned  tbe 
borizon  and  strove  to  penetrate  tbe  darkness.  Ëvery 
wave  a  little  higher  than  otbers  seemed  a  boat  in  ïna 


THS  ISLE  OF  TIBOUIiEBr.  269 

panait^  and  then  be  redôubled  exertiona  tbat  încreased 
bis  distance  from  tbe  cbâteau,  but  tbe  répétition  of  wbich 
reduced  bis  strengtb.  He  swam  on  still,  and  abready  tbe 
terrible  cbâteau  bad  disappeared  in  tbe  darkness.  He 
eould  not  see  it,  but  be  felt  its  présence. 

An  hour  passed,'  during  wbicb  Dantès,  excited  by  tbe 
feeling  of  freedom,  continued  to  cleave  tbe  waves.  '*  Let 
us  see,"  said  be,  **  I  bave  swum  above  an  bour,  but  as  tbe 
wind  is  against  me  tbat  bas  retarded  my  speed  ;  bowever, 
if  I  am  not  mistaken,  I  must  be  close  to  tbe  Isle  of 
Tiboulen.  But  wbat  if  I  were  mistaken  1"  A  sbudder 
passed  over  bim.  He  sougbt  to  float  on  tbe  water,  in 
order  to  rest  bimself  ;  but  tbe  sea  was  too  violent,  and 
be  saw  tbat  be  could  not  make  use  of  tbis  means  of 
repose. 

"  Well,"  eaid  be,  "  I  will  swim  on  until  I  am  wom  ont, 
or  tbe  cramp  seizes  me,  and  tben  I  sball  sink.''  And  he 
struck  out  wîtb  tbe  energy  of  despair. 

Suddeuly  tbe  sky  seemed  to  bim  to  become  still  darker 
and  more  dense,  and  compact  clouds  lowered  towards  bim  ; 
at  tbe  same  time  be  felt  a  violent  pain  in  bis  knee.  His 
imagination  told  bim  a  bail  bad  struck  bim,  and  tbat  in  a 
moment  be  would  bear  tbe  report  ;  but  he  heard  nothing. 
He  put  eut  bis  hand  and  felt  résistance  ;  he  tben  extended 
bis  leg  and  felt  tbe  land  ;  he  saw  tben  wbat  tbe  object  was 
whicb  he  had  taken  for  a  cloud. 

Before  bim  rose  a  mass  of  strangely-formed  rocks  tbat 
resembled  nothing  so  much  as  a  vast  fire  petrified  at  tbe 
moment  of  its  most  fervent  combustion.  It  was  tbe  Isle 
of  Tiboulen.  Dantës  rose,  advanced  a  few  steps,  and  with 
a  fervent  prayer  of  gratitude  stretched  himself  on  tbe  gran- 
ité, wbich  seemed  to  him  softer  than  down.  Then,  in  spite 
'  of  tbe  wind  and  rain,  be  fell  into  tbe  deep,  sweet  sleep  of 
ibose  worn  out  by  fatigue.     At  tbe  expiration  of  an  hour 


264  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

Edmond  was  awakened  by  tbe  roar  of  tbe  thunder.  The 
tempest  was  unchained  and  let  loose  in  ail  its  fury  ;  from 
time  to  time  a  flash  of  lightning  lan  across  the  heavens 
like  a  fiery  serpent,  lighting  up  the  clouds  that  roUed  on 
like  the  waves  of  an  immense  chaos. 

Dantès  had  not  been  deceived  ;  he  had  reached  tbe  first 
of  the  two  isles,  which  is  in  fact  Tiboulen.  He  knew 
that  it  was  barren  and  without  shelter  ;  but  when  the  sea 
sbould  become  more  calm,  he  would  plunge  into  its  waves 
again  and  swim  to  Lemaire,  equally  arid,  but  larger  and 
consequently  better  adapted  for  coucealment. 

An  overhanging  rock  offered  him  a  temporary  shelter, 
and  scarcely  had  he  availed  himself  of  it  when  the  tem- 
pest burst  in  ail  its  fury.  Edmond  felt  the  rock  beueath 
which  he  lay  tremble  ;  the  waves,  dashing  themselves 
against  the  granité  rock,  wet  him  with  their  spray. 
In  safety  as  he  was,  he  felt  himself  become  giddy  in 
the  midst  of  this  war  of  the  éléments  and  the  dazzling 
brightness  of  the  lightning.  It  se«raed  to  him  that  the 
island  trembled  to  its  base,  and  that  it  would  like  a 
vessel  at  anchor  break  its  moorings  and  bear  him  ofl 
into  the  centre  of  the  storm.  He  then  recoUected  that 
he  had  not  eaten  or  drunk  for  four  and  twenty  hours. 
He  extended  his  hands  and  drank  greedily  of  the  rain* 
water  that  had  lodgod  in  a  hoUow  of  the  rock. 

As  he  roscy  a  flash  of  lightning,  that  seemed  to  open 
the  sky  even  to  the  foot  of  the  dazzling  throne  of  God, 
illumined  the  darkness.  By  its  light,  between  the  island 
of  Lemaire  and  Cape  Croiselle,  a  quarter  of  a  league  dis- 
tant, Dantès  saw,  like  a  spectre,  a  fishing-boat  driven  rap- 
idly  on  by  the  force  of  the  winds  and  waves.  A  sec- 
ond after,  he  saw  it  again,  approaching  nearer.  Dantès 
cried  at  the  top  of  his  voice  to  warn  them  of  their  danger, 
but  they  saw  it  themselves.     Another  flash  showed  him 


THE  ISLE  OF  TIBOULEN.  265 

four  men  clînging  to  the  «hattered  mast  and  the  rigging, 
while  a  fifbh  cluiig  to  the  broken  rudder. 

The  men  he  beheld  saw  him  doubtless,  for  their  cries 
were  carried  to  his  ears  by  the  wind.  Above  the  splin- 
tered  mast  a  sail  rent  to  tatters  was  waving;  suddenly  the 
ropes  that  still  held  it  gave  way,  and  it  disappeared  in  the 
darkness  of  the  night  like  a  great  sea-bird.  At  the  same 
moment  a  violent  crash  was  heard,  and  cries  of  distress 
reached  his  ears.  Perched  on  the  summit  of  the  rock, 
Dantès  saw,  by  the  lightning,  the  vessel  in  pièces;  and 
among  the  fragments  were  visible  heads  with  despairing 
faces,  and  arms  stretched  towards  the  sky.  Then  ail  be- 
came  dark  again  ;  the  terrible  spectacle  had  been  brief  as 
the  lightning. 

Dantès  ran  down  the  rocks  at  the  rîsk  of  beîng  himself 
dashed  to  pièces.  He  listened,  he  strove  to  examine  ;  but 
he  heard  and  saw  nothing.  AU  human  cries  had  ceased, 
and  the  tempest  alone  continued  to  rage.  £y  degrees  the 
wind  abated,  vast  gray  clouds  roUed  towards  the  west^  and 
the  blue  firmament  appeared,  studded  with  bright  stars. 
Soon  a  red  streak  became  visible  in  the  horizon;  the 
waves  whiteuedy  a  lîght  played  over  them  and  gilded 
their  foaming  crests  with  gold.     It  was  day. 

Dantès  stood  silent  and  motionless  before  thîs  grand 
spectacle,  for  since  his  captîvity  he  had  forgotteu  it.  He 
turned  towards  the  fortress  and  looked  both  at  the  sea 
and  the  land.  The  gloomy  building  rose  from  the  bosom 
of  the  océan  with  that  imposing  majesty  of  things  ini- 
movable,  which  seem  at  once  to  watch  and  to  command. 
It  was  about  five  o'clock.  The  sea  continued  to  grow 
calmer. 

"  lu  two  or  three  hours,"  thought  Dantès,  "  the  tumkey 
wiU  enter  my  chamber,  find  the  body  of  my  poor  friend, 
recognize  it,  seek  for  me  in  vain^  and  give  the  alarm. 


266  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

Tben  the  passage  will  be  discovered  ;  tbe  men  wbo  cast 
me  iiito  tbe  sea,  and  wbo  must  bave  beard  tbe  cry  I 
utteredy  will  be  questioned.  Tben  beats  filled  witb 
armed  soldiers  will  pursue  tbe  wietcbed  fugitive.  Tbe 
cannon  will  wam  every  one  to  refuse  sbelter  to  a  man 
wandering  about  naked  and  famisbed.  Tbe  police  of 
Marseilles  will  be  on  tbe  alert  by  land  wbile  tbe  governor 
pursues  me  by  sea.  I  am  cold,  I  am  bungry;  I  bave 
lost  even  tbe  knife  tbat  saved  me.  Ob,  iny  God,  I  bave 
suffered  enougb  surely  !  Hâve  pity  on  me,  and  do  for  me 
wbat  I  am  unable  to  do  for  myself!" 

As  Dantès  (bis  eyes  tumed  in  tbe  direction  of  tbe  Cbâ* 
teau  d*If  )  uttered  tbis  prayer  in  a  sort  of  delirium  brougbt 
on  by  exhaustion,  be  saw  appear  at  tbe  extremity  of  tbe 
Isle  of  Pomègue,  like  a  bird  skimming  over  tbe  sea,  a 
small  vessel  tbat  tbe  eye  of  a  sailor  alone  could  recognize 
as  a  Genoese  tartan.  Sbe  was  coming  ont  of  Marseilles 
barbor,  and  was  standing  ont  to  sea  rapidly»  ber  sbarp 
prow  cleavîng  tbrougb  tbe  waves.  "  Oh  !  **  cried  Edmond, 
"  to  tbînk  tbat  in  balf  an  hour  I  could  join  ber,  did  I  not 
fear  being  questioned,  detected,  and  conveyed  back  to 
Marseilles  t  Wbat  can  I  do  1  Wbat  story  can  I  invent  1 
Under  prétest  of  trading  along  tbe  coast,  tbese  men,  wbo 
are  in  reality  smugglers,  will  prefer  selling  me  to  doing  a 
good  action.  I  must  wait.  But  X  cannot  ;  I  am  starving. 
In  a  few  bours  my  strengtb  will  be  utterly  exhausted  ; 
besides,  perbaps  I  bave  not  been  missed  at  tbe  fortresa 
I  can  pass  as  one  of  tbe  sailors  wrecked  last  nigbt.  Tbis 
story  will  pass  current,  for  there  is  no  one  left  to  contra- 
dict  me." 

As  be  spoke  Dantës  looked  towards  tbe  spot  wbere  tbe 
fisbing-vessel  bad  been  wrecked,  and  started.  Tbe  red 
cap  of  one  of  tbe  sailors  buug  to  a  point  of  tbe  rock,  and 
Home  fragments  of  tbe  vessePs  keel  floated  at  tbe  foot  of 


THE  ISLE  OF  TIBOULEN.  267 

fche  crags.  In  an  instant  Daritës*s  plan  was  formed.  He 
swam  to  the  cap,  placed  it  on  bis  head,  seized  one  of  the 
fragments  of  the  keel,  and  struck  ont  so  as  to  cross  the 
Une  the  vessel  was  taking.  '*!  am  saved!"  marmured 
he.    And  this  conviction  restored  his  strength* 

Edmond  soon  perceived  the  vessel,  which  having  the 
vind  right  ahead  was  tacking  between  the  Château  d'If 
and  the  tower  of  Planier.  For  an  instant  he  feared  that 
instead  of  keeping  in  shore  she  would  stand  ont  to  sea  ; 
but  he  soon  saw  by  her  manœuvres  that  she  wished  to 
pass,  like  most  vessels  bound  for  Italy,  between  the  islands 
of  Jaros  and  Calaseraigne.  However,  the  vessel  and  the 
swîmmer  insensibly  neared  one  another^  and  in  one  of  its 
tacks  the  vessel  approached  within  a  quarter  of  a  mile  of 
him.  He  rose  on  the  waves,  making  signs  of  distress; 
but  no  one  on  board  perceived  him  and  the  vessel  stood 
ou  another  tack.  Dantès  would  bave  cried  ont,  but  he 
reflected  that  the  wind  would  drown  his  voice.  Then  he 
rejoiced  at  his  précaution  in  taking  the  beam,  for  without 
it  he  would  bave  been  unable  perhaps  to  reach  the  vessel, 
—  certainly  to  return  to  shore,  should  he  be  unsuccessful 
in  attracting  attention. 

Dantès,  although  almost  sure  as  to  what  course  the  bark 
would  take,  had  yet  watched  it  anxiously  until  it  tacked 
and  stood  towards  him.  Then  he  advanced  ;  but  before 
they  had  met,  the  vessel  again  changed  her  direction.  By 
a  violent  effort  he  rose  half  ont  of  the  water,  waving  his 
cap  and  utterîng  a  loud  shout  peculiar  to  sailors.  This 
time  he  was  both  seen  and  heard,  and  the  tartan  instantly 
steered  towards  him.  At  the  same  time  he  saw  they  were 
about  to  lower  the  boat.  An  instant  after  the  boat,  rowed 
by  two  men,  advanced  rapidly  towards  him.  Dantës  aban- 
doned  the  beam,  which  he  thought  now  useless,  and  swam 
vigorously  to  meet  them.     But  he  had  reckoned  too  mucfa 


268  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTa 

upon  hîs  strength,  and  then  he  felt  how  serviceable  the 
beam  bad  been  to  bim.  His  anns  grew  stiff,  bis  legs  bad 
lost  tbeir  flexibility,  and  be  was  almost  breatbless. 

He  uttered  a  second  cry.  Tbe  two  sailors  redoubled  tbeir 
efforts,  and  one  of  tbem  cried  in  Italian,  **  Courage  I  ** 

Tbe  Word  reacbed  bis  ear  as  a  wave  whicb  be  no  longer 
bad  tbe  strengtb  to  surmount  passed  over  bis  bead.  Ho 
rose  again  to  tbe  surface,  supporting  bimself  by  one  of 
tbose  desperate  efforts  a  drowning  man  makes,  uttered  a 
tbird  cry,  and  felt  bimself  sink  again,  as  if  tbe  fatal  bullet 
were  again  tied  to  bis  feet.  Tbe  water  passed  over  bis 
bead,  and  tbrougb  the  water  be  saw  a  pale  sky  and  black 
clouds.  A  violent  effort  again  brougbt  bim  to  tbe  surface. 
He  felt  as  if  sometbing  seized  bim  by  tbe  bair  ;  but  be  saw 
and  beard  nothing.     He  bad  fainted. 

Wben  be  opened  bis  eyes  Dantès  found  bimself  on  tbe 
deck  of  tbe  tartan.  His  first  care  was  to  see  wbat  direc- 
tion they  were  pursuing.  Tbey  were  rapidly  leaving  tbe 
Château  d'If  bebind.  Dantës  was  so  exhausted  tbat  tbe 
exclamation  of  joy  be  uttered  was  mistaken  for  a  sigh  of 
pain. 

As  we  bave  said,  be  was  lying  on  tbe  deck.  A  sailor 
was  rubbing  bis  limbs  with  a  wooUen  clotb;  another, 
whom  be  recognized  as  tbe  one  wbo  bad  cried  ont  "  Cour- 
age !  "  beld  a  gourd  full  of  rum  to  bis  moutb  ;  wbile  tbe 
third,  an  old  sailor,  at  once  tbe  pilot  and  captain,  looked 
on  with  that  egotistical  pity  men  feel  for  a  misfortune 
that  they  bave  escaped  yesterday  and  whicb  may  over- 
take  tbem  to-morrow.  A  few  drops  of  tbe  rum  reanimated 
the  young  man's  failing  beart,  wbile  tbe  friction  applied 
to  bis  limbs  restored  their  elasticity. 

**  Wbo  are  you  1  "  said  the  captain,  in  bad  Frencb. 

''I  am,"  replied  Dantës,  in  bad  Italian,  ''a  Maltese 
sailor.    We  were  coming  from  Syracuse  laden  with  graiiu 


THE  ISLE  OF  TIBOULEN.  269 

The  stonn  of  last  nigbt  overtook  us  at  Cape  Moigioiii  and 
we  were  wrecked  on  thèse  rocks." 

"  Where  do  you  come  from  î  *' 

**  From  thèse  rocks  that  I  had  the  good  luck  to  cling  io 
whîle  our  captain  and  the  rest  of  the  cretr  were  ail  lost. 
I  saw  jour  ship,  and  fearful  of  beîng  lefb  to  perish  on  the 
desolate  island,  I  swam  off  on  a  fragment  of  the  vesseli 
trying  to  reach  you.  You  hâve  saved  my  life,  and  I 
thank  you/'  continued  Dantes  ;  "  I  was  lost  when  one  of 
your  sailors  caught  hold  of  my  hair." 

^  It  was  I/'  said  a  sailor  of  a  frank  and  manly  appear- 
ance;   "and  it  was  time,  for  you  were  sinking." 

**Yes,'*  returned  Dantes,  holding  out  his  hand,  "I 
thank  you  again." 

"I  almost  hesitated,  though,"  replied  the  sailor;  "you 
looked  more  like  a  brigand  than  an  honest  man,  with 
your  beard  of  six  inches  and  your  hair  a  foot  long.** 
Dautès  recoUected  that  his  hair  and  beard  had  not  been 
eut  ail  the  time  he  was  at  the  Château  d'I£ 

"  Yes,"  said  he,  "  I  made  a  vow  to  our  Lady  of  the 
Grotto  not  to  eut  my  hair  or  beard  for  ten  years  if  I 
were  saved  in  a  moment  of  danger  ;  but  to-day  the  vow 
expires." 

"  Now  what  are  we  to  do  with  you  1  "  said  the  captain. 

"  Alas  I  anything  you  please.  My  captain  is  dead.  I 
hâve  barely  escaped  ;  but  I  am  a  good  sailor.  Leave  me 
at  the  first  port  you  make  ;  I  shall  be  sure  to  find  employ- 
ment  on  some  merchant-vessel." 

**  Do  you  know  the  Mediterranean  1  " 

•*  I  hâve  sailed  over  it  since  my  chUdhood.* 

^  You  know  the  best  harbors  î  * 

'*  There  are  few  ports  that  I  could  not  enter  or  leavi 
with  my  eyes  shut." 

"I  say,  Captain,"  said  the  sailor  who  had  cried  "Cour- 


270  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

âge  I  **  to  Dantès^  **  if  what  he  says  is  true,  what  hinden 
his  staying  with  us  1  " 

*'  If  he  says  tme,"  said  the  captain^  doubtingly.  "But 
in  the  condition  of  this  poor  devil|  one  promises  much  and 
does  what  he  can.** 

"  I  will  do  more  than  I  promise,"  said  Dantès. 

"We  shall  see,"  retumed  the  other,  smiling. 

"  Where  are  you  going  ?  "  asked  Dantès. 

"To  Leghom.'* 

"  Then  why,  instead  of  tacking  so  frequently,  do  you 
not  sail  nearer  the  windl** 

''Because  we  should  run  straight  on  to  the  island  of 
Rion." 

"  You  will  pass  it  more  than  twenty  fathoms  from  the 
shore." 

"  Take  the  helm,  and  let  us  see  what  you  know." 

The  young  man  took  the  helm,  ascertained  by  a  slight 
pressure  that  the  vessel  answered  the  rudder,  and  seeing 
that  without  being  a  first-rate  sailer,  she  yet  was  tolerably 
manageable,  he  cried  out,  ''  To  the  braces  1  '' 

The  four  seamen  who  composed  the  crew  obeyed, 
while  the  captain  looked  on. 

"  Haul  taut  I  "  Dantès  continued. 

The  sailors  promptly  ol»eyed. 

"  Belay!  " 

This  order  was  also  executed;  and  the  vessel  passed, 
as  Dantès  h  ad  predicted,  twenty  fathoms  to  the  right. 

"  Bravo  1  "  said  the  captain. 

'*  Bravo  I  "  repeated  the  sailors.  And  they  ail  regarded 
with  astonishment  this  man,  whose  eye  had  recovered  an 
intelligence  and  his  body  a  vigor  they  were  far  from 
suspecting. 

*'  You  see,"  said  Dantès,  quitting  the  helm^  **  I  shall  be 
of  Bome  use  to  you.  at  least  dunng  the  voyage.     If  you  do 


THE  ISLE  OF  TIBOULEN.  271 

not  want  me  at  Leghom,  you  can  leave  me  there  ;  and  1 
will  pay  you  out  of  the  first  wages  I  get  for  my  food  and 
the  clothes  you  ]end  me." 

"  Ah,"  said  the  captain,  "  we  can  agrée  very  well,  if  you 
are  reasonable.'* 

**  Give  me  vrhat  you  gîve  the  others,  and  ail  will  be 
arranged/'  retumed  Dantës. 

"That's  not  faîr,"  said  the  seaman  who  had  saved 
Dantës  ;  "  for  you  know  more  than  we  do.*' 

"What  in  the  devil  is  that  to  you,  Jacopol"  re- 
tumed the  captain«  ''  Every  one  is  free  to  ask  what  he 
jDleases." 

"That 's  true,"  replied  Jacopo  ;  "I  only  made  a 
remark.'* 

"  Well,  you  would  do  much  better  to  lend  hîm  a  jacket 
and  a  pair  of  trousers,  if  you  hâve  them  to  spare.** 

"  No/'  said  Jacopo  ;  "  but  I  hâve  a  shirt  and  a  pair  o£ 
trousers." 

"Thai  is  ail  I  want,"  interrupted  Dantès.  «Thank 
you,  my  friend." 

Jacopo  dived  into  the  hold  and  soou  retumed  with  the 
two  garments,  which  Dantès  assumed  with  unspeakable 
pleasure. 

**  Now,  then,  do  you  wish  for  anything  else  î  "  said  the 
captain. 

'*  A  pièce  of  bread  and  another  glass  of  the  capital  rum 
I  tasted;  for  I  hâve  not  eaten  or  drunk  for  a  long  time." 
He  had  not  tasted  food  for  forty  hours.  A  pièce  of  bread 
was  brought,  and  Jacopo  offered  him  the  gourd. 

"  Larboard  your  helm  !  "  cried  the  captain  to  the  steers- 
man.  Dantès  glanced  to  the  same  side  as  he  lifbed  the 
gourd  to  bis  mouth  ;  but  bis  hand  stopped. 

"HoUoa!  what's  the  matter  at  the  Château  à'IîV 
said  the  captain. 


272  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTa 

A  small  white  cloud,  which  bad  attracted  Dantës's  atten^i 
tion,  crowned  the  summit  of  the  bastion  of  the^  Château 
d'Ifl  At  the  same  moment  the  faint  report  of  a  '§pin  was 
beard.     The  sailors  looked  at  oue  another. 

''What  does  tbat  meanl"  asked  the  captain. 

''A  prisonei  bas  escaped  from  the  Château  d'If,  and 
tbey  are  firing  the  alarm  gun/'  replied  Dantès.  The  cap- 
tain glanced  at  bim;  but  be  bad  lifted  tbe  rum  to  bis 
lips  and  was  drinking  it  witb  so  mucb  composure  tbat 
bis  suspicions,  if  be  bad  any,  died  away. 

"  This  rum  is  devilish  strong,**  said  Dantës,  wiping  the 
perspiration  from  bis  brow  with  bis  shirt-sleeve. 

**  At  any  rate/'  murmured  tbe  captain,  watcbing  bim, 
*'  if  it  is  be,  so  mucb  tbe  better,  for  I  bave  made  a  rare 
acquisition.'* 

Under  pretence  of  being  fatigued,  Dantës  asked  that  be 
might  take  tbe  belm;  tbe  steersman,  enchanted  to  be 
relieved,  looked  at  tbe  captain,  and  the  latter  by  a  sign 
indicated  tbat  be  might  abandon  it  to  bis  new  comrade, 
Dantès  could  thus  keep  bis  eyes  on  Marseilles. 

*'  What  is  the  day  of  the  montb  1  "  asked  be  of  Jacopo, 
wbo  sat  down  beside  bim. 

"  Tbe  28th  of  February." 

"  In  wbat  year  ?  " 

**  In  wbat  year  I  y  ou  ask  me  in  wbat  year  1" 

"  Yes,"  replied  the  young  man  ;  "  I  ask  you  in  wbat 
year/' 

"  You  bave  forgotten  it,  tben  ?  " 

"  I  was  80  frightened  last  nigbt,"  replied  Dantës,  smil« 
ing,  **  tbat  I  bave  almost  lost  my  memory.  I  ask  you 
wbat  year  îs  it  1  " 

"  The  year  1829,"  retumed  Jacopo.  It  was  fourtean 
years  day  for  day  since  Dantès's  arrest.  He  was  nineteen 
wben  be  entered  tbe  Château  d'If^  be  was  tbirty-tbree 


THE  ISLE  OF  TIBOULEN.  273 

when  he  escaped.  A  dorrowful  smile  passed  over  his  &ce  ; 
he  asked.Jiimself  what  had  become  of  Meicëdès,  who  must 
believevhim  dead.  Then  his  eyes  lighted  up  with  hatred 
as  he  thought  of  the  three  men  who  had  caosed  him  so 
long  and  wretched  a  captivity.  He  renewed  agaînst  Dan- 
glars,  Fernand,  and  Villefort  the  oath  of  implacable  ven- 
geance he  liad  niade  in  hh  dungeon.  This  oath  was  no 
longer  a  vain  menace  ;  for  the  fastest  sailer  in  the  Méditer- 
ranean  woold  hâve  been  unable  to  overtake  the  little  tar- 
tan, that  with  everj  stitch  of  cauvas  set  was  flying  befon 
tbâ  ^ind  to  Leghorn. 


Dl..  I.  -    i'< 


374  THE  COUNT  OF  MONTE  GBISTa 


CHAPTER  XXIL 

THE  8MUGGLEB& 

Dantès  had  not  been  a  day  on  board  before  he  was  wéS 
acquaiuted  vriih  the  persons  with  whom  he  sailed.  With- 
ont  having  been  in  the  school  of  the  Abbë  Fana,  the 
worthy  master  of  ''  La  Jeune  Amélie  "  (the  name  of  the 
Genoese  tartan)  had  a  smattering  of  ail  the  tongues  spoken 
on  the  shores  of  that  large  lake  called  the  Mediterranean, 
from  the  Arabie  to  the  Provençal;  and  this,  while  it 
spared  him  the  necessitj  of  employing  interprétera,  —  per- 
sons always  troublesome  and  frequently  indiscreet^  —  gave 
him  great  facility  in  communication,  either  with  the  vessels 
he  met  at  sea,  with  the  small  barks  sailing  along  the  coast, 
or  with  those  persons  without  name,  country,  or  apparent 
calling,  who  are  always  seen  on  the  quays  of  seaports,  and 
who  live  by  those  hidden  and  mysterious  means  which  we 
must  suppose  corne  straight  from  Providence,  as  they  hâve 
no  visible  resources.  We  may  conclude  that  Dantès  was 
on  board  a  smuggling  lugger. 

For  the  reason  given  above,  the  captain  had  received 
Dantès  on  board  with  a  certain  degree  of  mistrust.  He  was 
very  well  known  to  the  custom-house  officers  of  the  coast  ; 
and  as  there  was  between  thèse  worthies  and  himself  a 
compétition  in  strategy,  he  had  at  first  thought  that  Dantès 
might  be  an  emissary  of  the  revenue  department,  who  em- 
ployed  this  ingénions  means  of  penetrating  some  of  the 
secrets  of  his  trade.  But  the  skilful  raanner  in  which  Dnntès 
had  manœuvred  the  little  bark  had  entirely  reassured  him  . 


and  Ilifln  what  Im  anr  ihm  l^it  amolm  flostii^  Bk»  • 
plume  aboYe  tiie  bastioQ  oC  the  Château  d'If  and  haud 
the  dklaiii  ezploâan,  be  «aa  imtantlj  stiudc  witk  tiM 
idea  tiiaft  lie  bâd  on  boaid  liis  Teasel  one  for  vliom  tlN|f 
aoctnd  aaloles  ci  cannon  aa  for  kii^s-  "Hua  made  bim 
less  aneaqrf  H  mmi  be  owned,  tban  if  tbe  new-comer  bad 
pioved  a  custiHD-boaae  <^fioer  ;  bot  tbîs  ktter  sapposition 
alao  diaappeaied  lika  the  fiist^  when  be  bebeU  tbA  pofe^ 
oanquillîtj  of  hk  recnûL 

Edmond  thoa  bad  tbe  adrantage  of  knowing  what  the 
owner  wws,  witboat  tbe  owner  knowing  wbat  be  was  ;  and 
in  wbaterer  manner  tbe  old  sailor  and  bis  erow  atlacked 
him,  be  beld  finn  and  betrayed  notbing,  gÎTing  aoeniate 
descriptions  of  Naples  and  Malta,  wbicb  be  knew  as  well 
as  Maiaeilles,  and  peisisting  stonUy  in  bis  fiist  statemenl 
Tbus  the  Genoese,  snbtle  as  be  was,  was  duped  by  Ed* 
mond,  wfao  was  aided  by  bis  mild  demeanor  and  bis  nau- 
tical  skill.  Moreover,  it  îa  possible  tbat  tbe  Genoese  waa 
.  one  of  those  shrewd  peisons  who  know  notliing  but  wbat 
they  shonld  know,  and  believe  nothing  but  wbat  it  ia  for 
theîr  inteiest  to  belieYe. 

It  was  thus,  in  tbis  recîprcN»l  position,  tbat  tbey 
reacbed  L^hom.  Hère  Edmond  was  to  undeigo  anotber 
trial  ;  it  was  to  see  if  be  should  recognize  bimself  afler 
fourteen  years  in  whicb  be  bad  not  seen  bis  own  features, 
He  had  preserved  a  tolerably  good  remembrance  of  what 
tbe  youth  had  been^  and  was  now  to  find  wbat  the  man 
had  become.  His  comrades  belieyed  that  bis  vow  was 
fulfilled.  He  had  previously  touched  twenty  times  at 
Leghom  ;  he  remembered  a  barber  in  the  Rue  St.  Fenli- 
nand,  and  went  there  to  bave  his  beard  and  hair  eut  The 
barber  gazed  in  amazement  at  this  man  with  the  long  hair 
and  thick  and  black  beard,  who  reserabled  one  of  Titian*a 
glorious  heads.     At  this  period  it  was  not  the  fiishion  to 


276  THE  COUNÏ  OF   MONTE  CRISTO. 

wear  so  laige  a  beard  and  baîr  so  long  ;  now  a  barber  wouU 
onlj  be  surprised  if  a  man  gifted  witb  such  advantagea 
sbould  consent  yoluntarily  to  deprive  bimself  of  tbem. 
The  Legborn  barber  went  to  work  without  a  single 
observation. 

When  the  opération  was  concluded,  when  Edmond  felt 
his  chin  was  completely  smooth  and  bis  hair  reduced  to 
its  usual  lengthy  he  called  for  a  lookîng-glass  in  whicb  he 
might  see  bimself.  He  was  now,  as  we  bave  said,  three 
and  thirty  years  of  âge,  and  his  fourteen  years*  imprison- 
ment  bad  produced  a  great  moral  change,  so  to  speak,  in 
his  appearance.  Dantès  bad  entered  the  Château  d'If 
witb  the  round  open  smiling  fSace  of  a  young  and  happy 
man  witb  whom  the  early  paths  of  life  bave  been  smooth, 
and  who  expects  the  future  to  be  a  natural  séquence  of 
the  past.  This  was  now  ail  changed.  His  oval  face  was 
lengtbened  ;  bis  smiling  mouth  bad  assumed  the  firm*and 
marked  Unes  whicb  betoken  resolution  ;  above  his  arched 
eyebrows  appeared  a  solitary  wrinkle,  expressing  thought- 
fulness  ;  his  eyes  were  full  of  melancholy,  and  from  their 
depths  occasionally  sparkled  gloomy  fires  of  misanthropy 
and  hatred  ;  his  complexion,  so  long  kept  from  the  sun, 
bad  now  that  pale  color  whicb  produces  when  the  fea« 
tures  are  encircled  witb  black  hair  the  aristocratie  beauty 
of  the  man  of  the  North  ;  the  deep  leaming  he  bad  ac- 
quired  bad  besides  diffused  over  his  features  the  light  of 
calm  intelligence  ;  naturally  tall,  be  had  acquired  also  the 
vigor  possessed  by  a  franie  whicb  bas  so  long  concentrated 
ail  its  force  within  itself. 

To  the  élégance  of  a  nervous  and  sligbt  form  had  suc- 
ceeded  the  solîdity  of  a  rounded  and  muscular  figure.  As 
to  bis  voice,  his  prayers,  sobs,  and  imprécations  bad 
changed  it,  now  into  a  soft  and  singularly  touching  tone, 
«nd  now  into  a  sound  rude  and  almost  boarse.    Moreovei; 


THE  SMTJGOLEBS.  277 

beiiig  perpetoally  in  twilight  or  darkness,  his  eyes  had 
acquired  that  singular  faculty  of  distinguishing  objecta  in 
the  night  common  to  the  hyena  and  the  wolf.  Edmond 
smiled  when  he  beheld  himself  ;  it  was  impossible  that  bis 
beat  friend  —  if  indeed  be  had  any  friend  lefb — shonld 
recognize  him  ;  he  could  not  recognize  himself. 

The  captain  of  "  La  Jeune  Amélie/*  who  was  very  dé- 
sirons of  retaining  in  bis  crew  a  man  of  Edmond's  value, 
had  offered  to  him  some  advances  out  of  bis  future  profits 
which  Edmond  had  accepted.  His  next  care  on  leaving 
the  barberas  who  had  achieved  his  first  metamorphosis  wa» 
to  enter  a  shop  and  buy  a  complète  sailor's  suit,  —  a  garb, 
as  we  ail  kuow,  very  simple,  and  consisting  of  white  trous- 
ers,  a  striped  sbirt,  and  a  cap.  It  was  in  tbis  costume, 
when  bringing  back  to  Jacopo  the  sbirt  and  trousers  be 
had  lent  him,  that  Edmond  reappeared  before  the  captain 
of  "La  Jeune  Amélie,"  who  had  made  him  tell  his  story 
again.  The  captiain  could  not  recognize  in  the  neat  and 
trim  sailor  the  man  with  thick  and  matted  beard,  bis  hair 
tangled  with  sea-weed,  and  his  body  soaking  in  sea  brine, 
whom  he  had  picked  up  naked  and  nearly  drowned. 
Attracted  by  his  prepossessing  appearance,  he  renewed  bis 
offers  of  an  engagement  to  Dantès  ;  but  Dantës,  who  had 
bis  own  projects,  would  not  agrée  for  a  longer  time  tban 
three  months. 

"  La  Jeune  Amélie  "  had  a  very  active  crew,  very  obe* 
dient  to  their  captain,  who  was  accustomed  to  lose  as  little 
time  as  possible.  He  had  scarcely  been  a  week  at  Leg- 
horn  before  thé  hold  of  bis  vessel  was  fdled  with  painted 
muslins,  probibited  cottons,  Englisb  powder,  and  tobacco 
on  which  the  crown  had  forgotten  to  put  its  mark.  The 
xnaster  was  to  get  ail  tbis  out  of  Leghom  free  of  duties 
and  land  it  on  the  shores  of  Corsica^  where  certain  specu- 
lators  undertook  .to  forward  the  cargo  to  France.    Tbey 


278  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

sailed  ;  Edmond  was  again  cleaving  the  azuré  sea  whiclk 
had  been  the  first  horizon  of  his  youth,  and  of  which  he 
had  80  often  dreamed  in  prison.  He  lefb  Gorgone  on  his 
right  and  La  Pianosa  on  his  left,  and  went  towards  the 
country  of  Paoli  and  Napoléon.  The  next  moming^  going 
on  deck,  which  he  always  did  at  an  early  hour,  the  captain 
found  Dantès  leaning  agaiust  the  bulwarks  gazing  with 
intense  eamestness  at  a  pile  of  granité  rocks  which  the 
rising  sun  tinged  with  rosy  light.  It  was  the  Isle  of 
Monte  Cristo.  "  La  Jeune  Amélie  *'  left  it  three-quarters 
of  a  league  to  the  larboard,  and  kept  on  for  Corsica. 

Dantës  thought  as  they  passed  thus  closely  the  island 
whose  name  was  so  iuteresting  tô  him  that  he  had  only 
to  leap  into  the  sea  and  in  half  an  hour  he  would  be  on 
the  promised  land.  But  then  what  could  he  do  without 
instruments  to  discover  his  treasure,  without  arms  to  de« 
fend  himself?  Besides,  what  would  the  sailors  say; 
what  would  the  captain  think  )  He  must  wait.  Fortu- 
nately,  he  had  leamed  how  to  wait  ;  he  had  waited  four* 
teen  years  for  his  liberty,  and  now  that  he  was  free  ho 
could  wait  at  least  six  months  or  a  year  for  wealth. 
Would  he  not  bave  accepted  liberty  without  riches  if  it 
had  been  offered  to  him  1  Besides^  were  not  those  riches 
chimerical  ;  offspring  of  the  brain  of  the  poor  Abbë  Faria, 
had  they  not  died  with  himl  It  is  true  that  letter  of  the 
Cardinal  Spada  was  singularly  circumstantial,  and  Dantès 
lepeated  to  himself  from  one  end  to  the  other  the  letter, 
of  which  he  had  not  forgotten  a  word. 

The  cvening  came  on,  and  Edmond  saw  the  island  pass, 
covered  with  the  tints  that  twilight  brings,  and  disappear 
in  the  darkness  from  ail  eyes  except  his  own;  but  he, 
with  his  gaze  accustomed  to  the  gloom  of  a  prison,  con- 
tinued  to  see  it  afber  ail  the  others,  and  he  remained  lost 
upon  deck.     When  the  morning  broke  they  were  off  the 


THE  SMUQGLEBS.  279 

ooast  of  Aleria  ;  ail  day  they  coasted,  and  in  the  evening 
saw  the  firea  lighted  on  land.  By  the  arrangement  oi 
thèse  fires  they  were  probably  informed  that  it  was  practi- 
cable  to  land,  —  for  a  ship's  lantem  was  hung  up  at  the 
mast-head  instead  of  the  streamer,  and  they  neared  the 
shore  within  gunshot.  Dantès  remarked  that  the  cap- 
tain  of  **  La  Jeune  Amélie  "  had  as  he  neared  the 
land  mounted  two  small  culverines^  which  without  mak- 
ing  much  noise  can  throw  a  bail  of  four  to  the  pound 
a  thousand  paces  or  so. 

But  on  this  occasion  the  précaution  was  superfluous,  and 
everything  proceeded  with  the  utmost  smoothness.  Four 
shallops  came  off  with  very  little  noise  alongside  the  bark, 
whichy  no  doubt  in  acknowledgment  of  the  compliment, 
lowered  her  own  shallop  into  the  sea  ;  and  the  five  beats 
worked  so  well  that  by  two  o'clock  in  the  morning  ail  the 
cai^  was  out  of  "La  Jeune  Amélie"  and  on  terra 
firma.  The  same  night,  so  systematic  was  the  captain 
of  "La  Jeune  Amélie,"  the  profits  were  divided;  and 
each  man  had  a  hundred  Tuscan  livres,  —  that  is  to  say^ 
about  eighty  livres  of  our  money.  But  the  voyage  was 
not  ended;  they  turned  the  bowsprit  towards  Sardinia, 
where  they  intended  to  take  in  a  cargo,  which  was  to 
replace  what  had  been  discharged.  The  second  opération 
was  as  successful  as  the  first  ;  "  La  Jeune  Amélie  "  was  in 
luck.  This  new  cargo  was  destined  for  the  coast  of  the 
Duchy  of  Lucca,  and  consisted  almost  entirely  of  Havana 
cigars,  sherry,  and  Malaga  wines. 

There,  in  going  out  they  had  a  bit  of  a  skîrmish  with 
the  revenue  police,  that  relentless  enemy  to  the  captain  of 
"La  Jeune  Amélie."  A  custom-house  officer  was  laid  low 
and  two  sailors  were  wounded;  Dantës  was  one  of  the 
latter,  a  bail  having  touched  him  in  the  lefb  shoulder. 
Dantès  was  almost  glad  of  this  affray  and  almost  pleased 


280  THE  COUNT  OF  MONTE  CBISTO. 

at  being  wounded  ;  they  were  rude  lessons  \vhich  taugkt 
liim  with  what  eye  he  could  view  danger,  and  with  what 
endurance  he  could  bear  sufferlng.  He  bad  contemplated 
danger  with  a  smile,  and  when  wounded  had  exclainied 
with  the  great  philosopher,  "  Pain,  thou  art  not  au  evil  !  " 
He  had  moreover  looked  upon  the  custom-house  ofïicer 
wounded  to  death,  and  whether  from  beat  of  blood  pro- 
duced  by  the  rencontre,  or  the  dulness  of  bis  humane  sen- 
timents, this  sîgbt  bad  made  but  slight  impression  upon 
him.  Dantès  was  on  the  way  he  desired  to  follow,  and 
was  môving  towards  the  end  he  wished  to  achieve,  —  '  bis 
beart  was  in  a  fair  way  of  becoming  petrified.  Jacopo, 
seeing  him  fall,  had  believed  him  killed,  and  rushing 
towards  him  raised  him  up,  and  then  attended  to  him 
with  ail  the  kindness  of  an  attached  comrade. 

This  world  was  not  then  so  good  as  Doctor  Pangloss 
believed  it  to  be,  neither  was  it  so  wicked  as  Dantës  had 
considered  it,  since  this  man,  who  had  nothing  to  expect 
from  bis  comrade  but  the  inheritance  of  bis  share  of  the 
prîze-money,  testified  so  much  sorrow  when  he  saw  bim 
fall.  Fortunately,  as  we  bave  said,  Edmond  was  only 
wounded  ;  and  with  certain  herbs  gathered  at  certain 
seasons,  and  sold  to  the  smugglers  by  the  old  Sardinian 
women,  the  wound  soon  closed.  Edmond,  wishing'to  test 
Jacopo,  offered  bim  in  retum  for  bis  attention  a  share  of 
his  prize-money  ;  but  Jacopo  refused  it  indignantly. 

It  resulted  therefore  from  this  kind  of  sympathetic 
dévotion,  which  Jacopo  had  bestowed  on  Edmond  fix)m 
the  first  time  be  saw  bim,  that  Edmond  felt  for  Jacopo  a 
certain  degree  of  affection;  it  was  sufficient  for  Jacopo, 
who  already  instinctîvely  perceived  Edmond's  superior 
rank,  —  a  superiority  conceaJed  from  ail  others  ;  and  with 
that  measure  of  regard  which  Edmond  bestowed  upon 
bim  the  brave  sailor  was  content 


n 


THE  SMUGGLEBS.       i  281 

Then  in  the  long  days  on  board  ship  when  the  vessel, 
gliding  on  with  secarity  over  the  azuré  sea^  requîred  noth« 
ing,  thanks  to  the  favorable  wind  that  swelled  her  sails, 
but  the  hand  of  the  helmsman^  Edmond  with  a  chart  in 
hîs  hand  became  the  instructor  of  Jacopo,  as  the  poor 
Abbé  Farîa  had  been  his  instructor.  He  pointed  out  to 
him  the  bearings  of  the  coast,  explained  to  him  the  varia- 
tions of  the  compass,  and  taught  him  to  read  in  that  vast 
book  opened  over  our  heads,  called  "  the  heavens,"  where 
God  has  written  upon  the  azuré  with  letters  of  diamond. 
And  when  Jacopo  asked  him^  "  What  is  the  use  of  teach- 
ing  ail  thèse  thiugs  to  a  poor  sailor  like  mel"  Edmond 
replied,  "  Who  knows  î  You  may  one  day  be  the  captain 
of  a  vesseL  Your  fellow-countryman,  Bonaparte,  became 
emperor."  We  hâve  forgotten  to  say  that  Jacopo  was  a 
Corsican. 

Two  months  and  a  half  elapsed  in  thèse  trîps,  and 
Edmond  had  become  as  skilful  a  coaster  as  he  had  been  a 
hardy  seaman  ;  he  had  formed  an  acquaîntance  with  ail 
the  smugglers  on  the  ooast,  and  leamed  ail  the  masonic 
signs  by  which  thèse  half-pirates  recognize  each  other. 
He  had  passed  and  repassed  his  Isle  of  Monte  Cristo 
twenty  tira  es,  but  not  once  had  he  found  an  opportunity 
of  landing  there.  He  then  formed  a  resolution  :  as  soon 
as  his  engskgement  with  the  captain  of  La  Jeune  Amélie" 
ended,  he  would  hire  a  small  bark  on  his  own  account,  — 
for  in  his  several  voyages  he  had  amassed  a  hundred  pias- 
tres, —  and  under  some  pretext  land  at  the  Isle  of  Monte 
Cristo.  Then  he  would  be  free  to  make  his  researches,  — 
not  perhaps  entirely  free,  for  he  would  be  doubtless 
watched  by  those  who  accompanied  him;  but  in  this 
world  we  must  risk  something.  Prison  had  made  Ed- 
mond prudent,  and  he  was  désirons  of  runuing  no  risk 
whatever.     But  in  vain  did  he  rack  his  imagination  ;  fer- 


282  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

tile  as  ît  waSy  he  coold  not  devise  any  plan  for  reaching 
the  wished-for  isle  without  being  accompanied  thither. 

Dantës  was  tossed  about  on  thèse  doubts  and  wishes 
when  the  captain,  who  had  gieat  confidence  in  him  and 
was  very  désirons  of  retaining  him  in  his  service,  took  him 
by  the  arm  one  evening  and  led  him  to  a  tavern  on  the 
Via  del'  Oglio,  where  the  leading  smugglers  of  Leghom 
used  to  congregate.  It  was  hère  thty  discussed  the  affairs 
of  the  coast.  Already  Dantës  had  visited  this  maritime 
Bourse  two  or  three  times,  and  seeing  ail  thèse  hardy  free- 
tradersi  who  supplied  the  whole  coast  for  nearly  two  han« 
dred  leagues,  he  had  asked  himself  what  power  might  not 
that  man  attain  who  should  give  the  impulse  of  his  will  to 
ail  thèse  contrary  and  diverging  links.  This  time  it  was 
a  great  matter  that  was  under  discussion,  —  connected 
with  a  vessel  laden  with  Turkey  carpets^  stuf&  of  the 
Levant,  and  cashmeres.  It  was  necessary  to  agrée  upon 
some  neutral  ground  on  lYhich  an  exchange  could  be 
made,  and  then  to  try  and  land  thèse  goods  on  the  coast 
of  France.  If  successfnl^  the  profit  would  be  enormous  ; 
there  would  be  a  gain  of  fifty  or  sixty  piastres  each  for 
the  crew. 

The  captain  of  **  La  Jeune  Amélie  "  proposed  as  a  place 
of  landing  the  island  of  Monte  Cristo,  which  being  com- 
pletely  deserted  and  having  neither  soldiers  nor  revenue 
officers  seemed  to  bave  been  placed  in  the  midst  of  the 
océan  since  the  time  of  the  heathen  Olympus  by  Mercury, 
the  god  of  merchants  and  robbers,  —  classes  which  we  in 
modem  times  bave  separated,  if  not  made  distinct,  but 
which  antiquity  appears  to  bave  included  in  the  same 
category.  At  the  mention  of  Monte  Cristo  Dantës  started 
with  joy  ;  he  rose  to  conceal  his  émotion,  and  took  a  tum 
round  the  smoky  tavern,  where  ail  the  languages  of  the 
known  world  were  jumbled  in  a  lingua  franco.    When  he 


THE  SMnGGLEB&  ^3 

again  joined  the  two  penons  who  had  been  discossing^  it 
had  boeu  decided  that  thej  should  touch  at  Moute  Cristo^ 
and  set  ont  on  the  following  night.  Edmond,  being  con- 
sultedy  was  of  opinion  tbat  tbe  island  offeied  eveiy  possi- 
ble securîtjy  and  tbat  gieat  enterprises,  to  be  well  done, 
should  be  done  quickly.  Notbing^  then,  was  alteied  in 
the  plan  arranged,  and  it  was  agreed  that  they  should  get 
under  way  next  night,  and  wind  and  weather  permitting, 
try  to  gain  on  the  evening  of  the  following  day  the  waters 
of  ^«he  neutral  isle. 


284  THE  COUNT  OW  MONTE  CBISTa 


CHAPTER  XXIII. 

THE  ISLE  OF  HONTE  CRISTO. 

Thus,  at  lengthy  by  one  of  those  pièces  of  unlookea-toi 
good  fortune  which  sometimes  occur  to  those  on  whom 
misfortune  bas  for  a  long  time  spent  itself,  Dantès  was 
about  to  arrive  at  bis  wished-for  opportunity  by  simple 
and  natural  means,  and  laud  on  the  island  witbout  incur- 
ring  any  suspicion.  One  nigbt  only  separated  bim  from 
bis  expédition  so  ardently  wished  for. 

Tbat  nigbt  was  one  of  tbe  most  feverisb  tbat  Dantès 
bad  ever  passed,  and  during  its  progress  ail  tbe  possibilities, 
favorable  and  unfavorable,  passed  tbrougb  bis  brain.  Il 
be  closed  bis  eyes,  be  saw  tbe  letter  of  Cardinal  Spada 
written  on  tbe  wall  in  cbaracters  of  flame  ;  if  be  slept  for 
a  moment,  tbe  wildest  dreams  baitnted  bis  brain.  He 
descended  înto  grottos  paved  witb  emeralds,  witb  walls 
of  rubies,  and  tbe  roof  glowing  witb  diamond  stalactites. 
Pearls  fell  drop  by  drop,  as  subterranean  moisture  îs  wont 
to  drop.  Edmond,  amazed,  wonderstruck,  filled  bis  pockets 
witb  tbe  radiant  gems  and  tben  retumed  to  dayligbt,  wben 
bis  prizes  were  ail  converted  înto  common  pebbles.  He 
tben  endeavored  to  le-enter  tbese  marvellous  grottos,  but 
now  tbe  way  serpentined  Into  countless  patbs,  and  tbe 
entrance  bad  become  invisible.  In  vain  did  be  tax  bis 
memory  for  tbe  magie  and  mysterious  word  wbicb  opened 
tbe  splendid  cavems  of  Ali  Baba  to  tbe  Arabian  fisberraan. 
Âll  was  iiseless  ;  tbe  treasure  bad  disappeared,  and  bad 


THE  ISLE  OF  MONTE  CRISTO.  285 

again  reverted  to  the  genii  from  whom  for  a  moment  he 
had  hoped  to  carry  it  off. 

The  daj  came  at  length^  and  was  almost  as  feverish  aa 
the  nîght  had  been  ;  but  it  brought  reason  to  the  aid  of 
imagination,  and  Dantès  was  then  enabled  to  arrange  a 
plan  which  had  hitherto  been  vague  and  unsettled  in  his 
brain.  The  appoihted  evening  arrived,  and  préparations 
were  made  for  setting  out.  Thèse  préparations  served  to 
conceal  Dantès's  agitation.  He  had  by  degrees  assumed 
such  authorîty  over  his  companions  that  he  was  almost 
like  a  commander  on  board  ;  and  as  his  orders  were  always 
clear,  distinct,  and  easy  of  exécution,  his  comrades  obeyed 
him  with  celerity  and  pleasure. 

The  old  captain  did  not  interfère,  for  he  too  had  recog- 
nized  the  superiority  of  Dantès  over  the  crew  and  himself. 
He  saw  in  the  young  man  his  natural  successor,  and 
regretted  that  he  had  not  a  daughter,  that  he  might  hâve 
bound  Edmond  to  him  by  a  distinguished  alliance.  At 
seven  o'clock  in  the  evening  ail  was  ready,  and  at  ten 
minutes  past  seven  they  doubled  the  lighthouse  just  as 
the  light  was  kindled.  The  sea  was  calm,  and  with  a 
fresh  breeze  from  the  southeast  they  sailed  beneath  a 
bright  blue  sky  in  which  God  also  lighted  up  in  tum 
his  beacon-lights,  each  of  which  is  a  world.  Dantès  told 
them  that  ail  hands  might  tum  in,  and  he  would  take  the 
helm.  When  the  Maltese  (for  so  they  called  Dantès)  had 
said  this,  it  was  sufficient,  aud  ail  went  to  their  cots  con- 
tentedly.  This  frequently  happened.  Dantès,  rejected 
by  ail  the  world,  sometimes  felt  an  imperious  désire  for 
solitude  ;  and  what  solitude  is  at  the  same  time  so  com- 
plète and  so  poetical  as  that  of  a  vessel  floating  isolated 
on  the  sea  in  the  obscurity  of  night,  in  the  silence  of 
immensity,  and  uuder  the  eye  of  Heaven  ] 

At  this  time  the  solitude  was  peopled  with  his  thoughts, 


286  THB  COUNT  OF  HONTE  CRISTO. 

the  night  lighted  up  by  his  illusions,  and  the  silence  ant* 
mated  bj  liis  anticipations.  Wheu  the  captain  awoke,  tiie 
vessel  was  hunjing  on  with  every  sail  set  and  every  înch 
of  cloth  blown  upon  by  the  wind.  They  were  making 
nearly  ten  knots  an  hour.  The  island  of  Monte  Cristo 
loomed  large  in  the  horizon.  Edmond  resigned  the  vessel 
to  the  master*s  care  and  went  and  lay  down  in  his  ham- 
mock  ;  but  in  spite  of  his  previous  night  without  sleep, 
he  could  not  close  his  eyes  for  a  moment.  Two  hours 
afterwards  he  came  on  deck  as  the  boat  was  about  to 
double  the  island  of  Ëlba.  They  were  just  abreast  of 
Mareciana,  and  beyond  the  flat  but  verdant  Isle  of  La 
Pianosa.  The  peak  of  Monte  Cristo,  reddened  by  the 
buming  sun,  was  seen  against  the  azuré  sky.  Dantès 
desiied  the  helmsman  to  port  the  helm,  in  order  to  leave 
La  Pianosa  on  the  right  hand,  expecting  thus  to  decrease 
the  distance  by  two  or  three  knots.  At  about  five  o'clock 
in  the  evening  the  view  of  the  island  was  quite  distinct 
and  everything  on  it  was  plainly  perceptible,  owing  to 
that  atmospheric  brightness  which  is  peculiar  to  the  light 
which  the  rays  of  the  sun  cast  at  its  setting. 

Edmond  gazed  most  eamestly  at  the  mass  of  rocks  which 
gave  out  ail  the  variety  of  twilight  colors  from  the  brightest 
pink  to  the  deepest  blue  ;  and  from  time  to  time  his  cheeks 
flushed,  his  brow  became  purple,  and  a  mist  passed  over 
his  eyes.  Kever  did  gamester  whose  whole  fortune  is 
staked  on  one  cast  of  the  die  expérience  the  anguîsh 
which  Edmond  felt  in  his  paroxysms  of  hope.  Kight 
came;  and  at  ten  o'clock  they  anchored.  "La  Jeune 
Amélie  **  was  the  first  at  the  rendezvous.  In  spit«  of  his 
usual  command  over  himself,  Dantès  could  not  restrain 
his  impetuosity.  He  was  the  first  who  jumped  on  shore  ; 
and  had  he  dared,  he  would,  like  Lucius  Brutus,  bave 
**  kissed  his  mother  earth."     It  was  dark  ;  but  at  eleven 


THE  ISLE  OF  MONTE  CBISTO.  287 

•  <lock  the  moon  rose  in  the  midst  of  the  ooean,  whose 
e^^Tj  wave  she  silvered,  and  then,  as  she  ascended.  played 
Ir  floods  of  pale  light  on  the  rocky  hiUs  of  this  second 
Pelion. 

The  island  was  familiar  to  the  crew  of  ''La  Jeune 
Amélie  ;  **  it  was  one  of  her  halting-places*  As  to  Dantès, 
he  had  passed  it  on  bis  voyages  to  and  from  the  Levant, 
but  never  touched  atit.  He  questioned  Jacopo.  *'Where 
shaU  we  pass  th3  night  ?  "  he  inquired. 

"  Why,  on  board  the  tartan,**  replied  the  sailor* 

**  Should  we  not  be  better  in  the  grottes  )  " 

"*  What  grottes  ]  ' 

"  Why,  the  grottes  of  the  island/ 

"  I  do  not  know  of  any  grottos/'  replied  Jacopo. 

A  cold  damp  sprang  to  Dantës's  brow.  **  What  1  an 
there  no  grottes  at  Monte  Cristoî"  he  asked. 

«  None." 

For  a  moment  Dantès  was  speechless  ;  then  he  remem- 
bered  that  thèse  caves  might  hâve  been  fiUed  up  by  some 
accident,  or  even  stopped  up  for  the  sake  of  greater  se- 
curity,  by  Cardinal  Spada.  The  point  was,  then,  to  dis- 
cover  the  lost  opening.  It  was  useless  to  search  at  night^ 
and  Dantès  therefore  delayed  ail  investigation  until  the 
morning.  Besides,  a  signal  made  half  a  league  out  at 
sea,  and  to  which  ''  La  Jeune  Amélie  "  also  replied  by 
a  similar  signal,  indicated  that  the  moment  was  anived 
for  business.  The  vessel  waiting  outside,  assured  by  the 
answering  signal  that  ail  was  as  it  should  be,  soon  came 
in  sight,  white  and  silent  as  a  phantom,  and  cast  anchoi 
within  a  cable's  length  of  shore. 

Then  the  landing  began.  Dantès  reflected  as  he  worked 
on  the  shout  of  joy  which  with  a  single  word  he  could 
produce  from  among  ail  thèse  men  if  he  gave  utterance 
to  the  one  unchanging  thought  that  iilled  hisheart;  but 


288  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

far  from  disclosing  this  precious  secret,  he  almost  feared 
that  he  had  already  said  too  much,  and  that  bj  his  rest- 
lessness  and  continuai  questions^  his  minute  observations 
and  évident  préoccupation,  he  had  aroused  suspicions. 
Fortunatelj,  as  regarded  this  circumstance  at  least,  with 
him  the  painful  past  reflected  on  his  countenance  an  in- 
delible  sadness  ;  and  the  glimmerings  of  gayetj  seen  be- 
neath  this  cloud  were  indeed  but  transitory. 

No  one  had  the  slightest  suspicion  ;  and  when  next 
day,  taking  a  fowling-piece,  powder,  and  shot,  Dantës 
testified  a  désire  to  go  and  kill  some  of  the  wild  goats  that 
were  seen  springing  from  rock  to  rock,  his  wish  was  con- 
stinied  into  a  love  of  sport  or  a  désire  for  solitude.  How- 
ever^  Jacopo  insisted  on  foUowing  him  ;  and  Dantës  did 
not  oppose  this,  fearing  if  he  did  so  that  he  might  arouse 
distrust.  Scarcely,  however,  had  he  gone  a  quarter  of  a 
league  than  having  killed  a  kid,  he  begged  Jacopo  to 
take  it  to  his  comrades  and  request  them  to  cook  it,  and 
when  ready  to  let  him  know  by  firing  a  gun,  Some  dried 
fruits  and  a  flask  of  the  wîne  of  Monte  Pulciano  would 
complète  the  repast.  Dantës  went  forwards^  looking  be- 
hind  and  round  about  him  from  time  to  time.  Having 
reached  the  summit  of  a  rock,  he  saw,  a  thousand  feet  be- 
neath  him,  his  companions,  whom  Jacopo  had  rejoined, 
and  who  were  ail  busy  preparing  the  repast  which  Ëdmond's 
skill  as  a  marksman  had  augmented  with  a  capital  dish. 

Edmond  looked  at  them  for  a  moment  with  the  sad  and 
soft  smile  of  a  man  superior  to  his  fellows.  "  In  two 
hours*  time,"  said  he,  "  thèse  peraons  will  départ  richer  by 
fifty  piastres  each,  to  go  and  risk  their  lives  again  by  en- 
deavoring  to  gain  fifty  more  such  pièces  ;  then  they  will 
retum  with  a  fortune  of  six  hundred  livres  and  waste  this 
treasure  in  some  city  with  the  pride  of  sultans  and  the 
insolence  of  nabobs.     At  this  moment  hope   makes  ma 


THE  ISLE  OF  MONTE  CRISTO.  289 

despise  their  riches,  which  seem  to  me  contemptible.  Yet 
perchance  to-morrow  disillusion  will  so  act  on  me  that  I 
shall  be  compelled  to  consider  such  a  contemptible  posses- 
sion as  the  utmost  happiness.  Oh,  no  !  '*  he  exclaimed, 
'*  that  will  not  be.  The  wise,  unerring  Fana  could  uot  be 
mistaken  in  this  one  thing.  Besides,  it  wcie  better  to  die 
than  to  continue  to  lead  this  low  and  wretched  life." 
Thus  Dantès,  who  but  three  months  before  had  no  désire 
but  liberty,  had  now  not  liberty  enough,  and  panted  for 
wealth,  The  cause  was  not  in  Dantès,  but  in  Providence, 
who  whiie  limiting  the  power  of  man  has  fiUed  him  with 
boundless  desires. 

Meanwhile,  by  a  way  hidden  between  two  walls  of 
rock,  following  a  path  worn  by  a  torrent,  and  which  in 
ail  human  probability  human  foot  had  ne  ver  before  trod, 
Dantès  approached  the  spot  where  he  supposed  the  grottos 
must  hâve  existed.  Keeping  along  the  coaiBt,  and  exaniin- 
ing  the  smallest  object  with  serions  attention,  he  thought 
he  could  trace  on  certain  rocks  marks  made  by  the  hand 
of  man. 

Time,  which  incrusts  ail  physical  substances  with  îts 
mossy  mantle,  as  it  invests  ail  thiugs  moral  with  its  man- 
tle  of  forgetfulness,  seemed  to  hâve  respected  thèse  signs, 
traced  with  a  certain  regularity,  and  probably  with  design. 
Occasionally  thèse  marks  disappeared  beneath  tufts  of 
myrtle,  which  spread  into  large  bushes  laden  with  bloa- 
soms,  or  beneath  parasitical  lichen.  It  was  thus  requisite 
that  Edmond  should  remove  branches  or  remove  the 
mosses  in  order  to  perçoive  the  indicating  marks  which 
were  to  be  his  guides  in  this  labyrinth.  Thèse  signs  had 
renewed  hope  in  his  mind.  Why  should  it  not  hâve  been 
the  cardinal  who  had  first  traced  thera,  in  order  that  they 
migbt,  in  the  event  of  a  catastrophe  which  he  could  not 
foresee  would  hâve  beer\  so  complète,  serve  as  a  guide  for 

VOL.  I.  —  1» 


2VU  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

his  nephew  1  This  solitary  place  was  clearly  one  likely 
to  be  selected  by  a  man  desirous  of  burying  a  treasure. 
Only»  niight  not  thèse  betrayiug  marks  hâve  attiacted 
other  eyes  than  those  for  whom  they  were  made  ;  and  had 
the  dark  and  wondrous  isle  indeed  faithfally  guarded  its 
precious  secret? 

It  seemed  however  to  Edmond,  who  was  hiddén  from 
his  comitides  by  the  inequalities  of  the  ground,  that  àt 
sixty  paces  from  the  harbor  the  marks  ceased  ;  nor  did 
they  termiuate  at  any  grotto.  A  large  round  rock,  placed 
Bolidly  ou  its  base,  was  the  only  spot  to  which  they  seemed 
to  lead.  Edmond  reflccted  that  perhaps  instead  of  having 
reached  the  end,  he  had  only  touched  on  the  beginning, 
and  he  therefore  turned  round  and  retraced  his  steps. 

During  this  time  his  comrades  had  prepared  the  repast, 
had  got  some  water  from  a  spring,  spread  ont  the  fruit 
and  bread,  and  cooked  the  kid.  Just  at  the  moment  when 
they  were  taking  the  dainty  animal  from  the  spit,  they 
saw  Edmond,  who,  lîght  and  daring  as  a  chamois,  was 
springing  from  rock  to  rock,  and  they  fired  the  signal 
agreed  upon.  The  sportsmaii  instautly  changed  his  direc- 
tion and  ran  quickly  towards  them.  But  at  the  moment 
when  they  were  ail  folio wing  with  their  eyes  his  agile 
bounds,  the  boldness  of  which  alarmed  them,  Edmond's 
foot  slipped,  and  they  saw  him  stagger  on  the  edge  of 
a  rock  and  disappear.  They  ail  rushed  towards  him,  for 
ail  loved  Edmond  in  spite  of  his  superiority  ;  but  Jacopo 
reached  him  first. 

He  found  Edmond  stretched  bleeding  and  almost  sense- 
less.  He  had  rolled  down  a  height  of  twelve  or  fifteen 
feet.  They  poured  some  drops  of  rum  down  his  throat, 
and  this  remedy,  which  had  before  been  so  bénéficiai  to 
him,  produced  the  same  effect  as  formerly.  He  opened 
his  eyes,  complained  of  great  pain  in  his  knee,  a  feeling  oi 


THE  ISLE  OF  MONTE  CBISTO.  '2\il 

heavîness  in  his  head,  and  severe  pains  in  hîs  loîns.  They 
wished  to  carry  him  to  the  shore^  but  when  they  touched 
him,  although  under  Jacopo's  directions,  he  declared  with 
beavy  groans  that  he  could  not  bear  to  be  moved. 

It  may  be  supposed  that  Dantës  did  not  now  think  of 
his  dinner,  but  he  insisted  that  his  comiades,  who  had  not 
his  reasons  for  fasting,  should  bave  theîr  meal.  As  for  him- 
self,  he  declared  that  he  had  only  need  of  a  little  rest,  and 
that  when  they  returned  he  should  be  easier.  The  sailors 
did  not  require  much  urging.  They  were  hungry,  and 
the  smell  of  the  roasted  kid  was  very  savory,  and  your 
tars  are  not  very  ceremonious.  An  hour  afterwards  they 
returned.  Ail  that  Edmond  had  been  able  to  do  was  to 
drag  himself  about  a  dozen  paces  forward  to  lean  against 
a  mosa-covered  rock. 

But,  far  from  being  easier,  Dantès's  pains  had  appeared 
to  increase  in  violence.  The  old  captain,  who  was  obliged 
to  sail  in  the  morning  in  order  to  land  his  cargo  on  the 
frontiers  of  Piedmont  and  France^^between  Nice  and  Fre- 
jus,  urged  Dantès  to  try  and  rise.  Edmond  made  great 
exertions  in  order  to  comply;  but  at  each  effort  he  fell 
backy  moaning  and  turning  pale. 

**  He  bas  broken  his  ribs/'  said  the  captaîn,  in  a  low 
voice.  "No  matter;  he  is  an  excellent  fellow,  and  we 
must  not  leave  him.  We  will  try  to  carry  him  on  board 
the  tartan."  Dantès  declared  however  that  he  would 
rather  die  where  he  was  than  undergo  the  agony  caused 
by  the  slightest  movement  he  made. 

'*Well,"  said  the  captain,  "let  what  may  happen,  it 
shall  never  be  said  that  we  deserted  a  good  comrade  like 
you.     We  will  not  go  tiU  evening." 

This  very  much  astonished  the  sailors,  although  not  one 
opposed  it.  The  captain  was  so  strict  that  this  was  the 
first  time  they  had  ever  seen  him  give  up  an  enterprise,  or 


292  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

even  delay  an  arrangement.  Dantës  would  not  allow  that 
any  Ruch  infraction  of  regular  and  proper  rules  should  be 
made  in  his  favor.  "  No,  no,"  he  said  to  the  captain,  **  I 
was  awkward,  and  it  is  jost  that  I  should  pay  the  penalty 
of  my  clumsiness.  Leave  me  a  small  supply  of  biscuit,  a 
gun,  powder,  and  balls,  to  kill  the  kids  or  défend  myself 
at  need,  and  a  pickaxe,  to  build  me  something  like  a  shed 
if  you  delay  in  coming  back  for  me." 

"  But  you  '11  die  of  hunger,"  said  the  captain. 

"I  would  rather  do  so,'*  was  Edmond's  reply,  "than 
suffer  the  inexpressible  agonies  which  the  slightest  motion 
brings  on." 

The  captain  turned  towards  his  vessel,  which  was  lying 
in  the  small  harbor  wîth  her  sails  partly  set,  and  nearly 
ready  for  sea. 

"  What  are  we  to  do,  Maltese  î  "  asked  the  captain.  '*  We 
cannot  leave  you  hère  in  this  condition,  and  yet  we  can- 
not  stay." 

"  Go,  go  !  "  exclaimed  Dantës. 

**  We  shall  be  absent  at  least  a  week,"  said  the  captain, 
**  and  then  we  must  run  out  of  our  course  to  come  hère 
and  take  you  up  again." 

"  Why,"  said  Dantës,  "  if  in  two  or  three  days  you  bail 
any  fishing-boat,  désire  them  to  come  hère  to  me.  I  will 
pay  twfenty-five  piastres  for  my  passage  back  to  Leghom. 
If  you  do  not  come  across  one,  retum  for  me." 

The  captain  shook  his  head. 

"Liaten,  Captain  Baldi;  there's  one  way  of  settlîng 
this,"  said  Jacopo.  "Do  you  go,  and  I  will  stay  and 
take  care  of  the  wounded  man." 

"  And  give  np  y  our  share  of  the  venture,"  said  Edmond, 
"to  remain  with  meV* 

"Yes,"  said  Jacopo,  "and  without,  any  hésitation." 

"  You  are  a  good  fellow  and  a  kind-hearted  messmate." 


THB  ISLE  OF  MONTE  CRIBTO.  293 

replied  Edmond,  ^and  Heaven  will  recompense  you  foi 
your  gênerons  intentions  ;  but  I  do  not  wish  any  one  to 
stay  with  me.  A  rest  of  one  or  two  days  will  set  me  up, 
and  I  hope  I  shall  find  among  the  rocks  certain  herbs  most 
excellent  for  contusions  ;  '*  and  a  singular  smile  passed 
over  bis  lips.  He  squeezed  Jacopo's  hand  warmly  ;  but 
notbing  could  sbake  bis  détermination  to  remain, — and 
remain  alono. 

Tbe  smugglers  lefb  witb  Edmond  wbat  be  bad  ïequested 
and  departeil,  but  not  witbout  turning  about  several  times, 
and  eacb  time  making  signs  of  a  cordial  leave-taking,  to 
wbicb  Edmond  replied  witb  bis  band  only,  as  if  be  could 
not  move  tbe  rêst  of  bis  body.  Tben,  wben  tbey  bad 
disappeared,  be  saîd  witb  a  smile,  '^'Tis  strange  tliat  it 
sbould  be  among  sucb  men  tbat  we  find  proofs  of  friend- 
sbip  and  dévotion."  Tben  be  dragged  bimself  cautiously 
to  tbe  top  of  a  rock  from  wbicb  be  bad  a  full  view  of  tbe 
sea,  and  tbence  be  saw  tbe  tartan  complète  ber  prépara- 
tions for  sailing,  weigb  aucbor,  and  balancing  berself  as 
gracefully  as  a  water-fowl  ère  it  takes  to  tbe  wing,  set  sail. 
At  tbe  end  of  an  bour  sbe  was  completely  out  of  sigbt;  at 
least,  it  was  impossible  for  tbe  wounded  man  to  see  ber 
any  longer  from  tbe  spot  wbere  be  was.  Tben  Dantès 
rose,  more  agile  and  ligbt  tban  tbe  kid  among  tbe  myrtles 
and  sbrubs  of  tbese  wild  rocks,  took  bis  gun  in  one  band, 
bis  pickaxe  in  tbe  otber,  and  bastened  towards  tbe  rock 
on  wbicb  tbe  marks  be  bad  noted  terminated.  ''And 
now,"  be  exclaimed,  remembering  tbe  taie  of  tbe  Ara- 
bian  fisberman  wbicb  Faria  bad  related  to  bim,  —  ''now, 
open  sésame  1  " 


294  TES  COUNT  OF  MONTE  CRI8T0. 


CHAPTER    XXIV. 

THE  SEGBET  OAYB. 

Thb  8im  had  nearly  reached  the  meridîan,  and  hîs  scorch* 
ing  lays  fell  full  on  the  rocks,  'vrhicb  seemed  themselves 
sensible  of  the  heat.  Thousands  of  grasshoppers,  hidden 
in  the  bushes,  chirped  with  a  monotonous  and  dull  note  ; 
the  leaves  of  the  myrtle  and  olive  trees  waved  and  rustled 
in  the  wind.  At  every  step  that  Edmond  took  he  dis- 
kurbed  the  lizards  glittering  with  the  hues  of  the  emerald; 
afar  off  he  saw  the  wild  goats  bounding  from  crag  to  crag. 
In  a  Word,  the  isle  was  inhabited,  y  et  Edmond  felt  him- 
self  alone,  guided  by  the  hand  of  God.  He  felt  an  in- 
describable  sensation  somewhat  akin  to  dread,  —  that 
dread  of  the  daylight  which  even  in  the  désert  inakes 
us  fear  that  we  are  observed.  This  feeling  was  so  strong 
that  at  the  moment  when  Edmond  was  about  to  commence 
his  labor,  he  stopped,  laid  down  bis  pickaxe,  seized  his 
gun,  mounted  to  the  summit  of  the  highest  rock,  and 
from  thence  gazed  round  in  every  direction. 

But  it  was  not  upon  Corsica,  the  very  houses  of  which 
he  could  distinguish,  nor  on  Sardinia,  nor  on  the  Isle  of 
Elba  with  its  historical  associations,  nor  upon  the  almost 
imperceptible  line  that  to  the  experienced  eye  of  a  sailor 
alone  revealed  the  coast  of  Genoa  the  proud  and  Leghom 
the  commercial,  that  he  gazed.  It  was  upon  the  brigan- 
tine  that  had  left  in  the  moming,  and  the  tartan  that 
had  just  set  sail,  that  Edmond  fixed  his  eyes.  The  first 
was  just  disappearing  in  the  straits  of  Boni&cio  ;    the 


THE  SECRET  CAVE.  295 

otlier,  folIowÎDg  an  opposite  directîou,  was  about  to  rouud 
the  îsland  of  Corsîca.  This  sight  reassured  him.  He 
then  looked  ai  the  objecta  near  him.  He  saw  himself 
on  the  highest  point  of  the  isle,  a  statue  on  this  vast 
pedestal  of  granité,  nothing  human  in  sight  ;  while  the 
blue  océan  beat  against  the  base  of  the  island  and  cov- 
ered  it  with  a  fringe  of  foam.  Then  he  descended  with 
cautions  and  slow  step,  for  he  dreaded  lest  an  accident 
similar  to  that  he  had  so  adroitly  feigned  should  happen 
in  reality. 

Dantès,  as  we  hâve  said,  had  traced  back  the  marks  in 
the  rock  ;  and  he  had  notîced  that  they  led  to  a  small 
creek,  hidden  like  the  bath  of  some  ancient  nymph. 
This  creek  was  sufficiently  wide  at  its  mouth  and  deep 
in  the  centre  to  admit  of  the  entrance  of  a  small  vessel 
of  the  spéronare  class^  which  would  be  perfectly  concealed 
from  observation. 

Then  following  the  clew  that  in  the  hands  of  the  Abbé 
Faria  had  been  so  skilfully  used  to  guide  him  through  the 
Daedalian  labyrinth  of  probabilities,  he  thôught  that  Car- 
dinal Spada,  anxious  not  to  be  watched,  had  entered  the 
creek,  concealed  his  little  vessel,  followed  the  line  marked 
by  the  notches  in  the  rock,  and  at  the  end  of  it  had  buried 
bis  treasure.  It  was  this  idea  that  had  brought  Dantës 
back  to  the  circular  rock.  One  thing  only  perplexed 
Edmond  and  went  against  his  thcory.  How  could  this 
rock,  which  weighed  several  tons,  bave  been  lifted  to  this 
spot  without  the  aid  of  many  meni  Suddenly  an  idea 
flashed  across  his  mind.  ''  Instead  of  raising  it,"  thought 
he,  "  they  lowered  it."  And  he  sprang  from  the  rock  in 
order  to  inspect  the  base  on  which  it  had  formerly  stood. 
He  soon  perceived  that  a  slope  had  been  formed,  and  the 
rock  had  slid  along  this  until  it  stopped  at  the  spot  it  now 
occupied     A  large  stone  had  served  as  a  wedge;  flinta 


296  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

and  pebbles  had  been  inserted  around  it  so  as  to  con- 
ceal  the  orifice  ;  this  species  of  masonry  had  been  covered 
with  earth,  and  grass  and  weeds  had  grown  there,  moss 
had  clung  to  the  stones,  niyrtle-bushes  had  taken  root, 
and  the  old  rock  secmed  fixed  to  the  earth. 

Daiitès  raised  the  earth  carefully,  and  detected,  or  fan* 
cied  he  detected,  the  ingenious  artifice.  He  attacked  this 
wall,  ceniented  by  the  hand  of  Time,  with  his  pickaxe. 
Afber  ten  minutes*  labor  the  wall  gave  way,  and  a  hole 
large  enough  to  insert  the  arm  was  opened.  Dan  tes  went 
and  eut  the  strongest  olive-tree  he  could  fiud,  stripped  off 
its  branches,  inserted  it  in  the  hole,  and  used  it  as  a  lever. 
But  the  rock  was  too  heavy  and  too  firmly  wedged  to  be 
moved  by  any  one  man,  were  he  Hercules  himself.  Dan- 
tès  saw  that  he  must  attack  thia  wedge  ;  but  how  1  He 
cast  his  eyes  around,  and  saw  the  hom  full  of  powder 
which  his  friend  Jacopo  had  left  him.  He  smiled  ;  the 
infernal  invention  would  serve  him  for  this  purpose. 
With  the  aid  of  his  pickaxe  Dantès  dug  between  the 
upper  rock  and'  the  one  that  supported  it  a  mine  similar 
to  those  formed  by  pioneers  when  they  wish  to  spare 
human  labor,  fiUed  it  with  powder,  then  made  a  match 
by  rolling  his  handkerchief  in  saltpetre.  He  lighted  it 
and  retired.  The  explosion  was  instantaneous  ;  the  upper 
rock  was  lifbed  from  its  base  by  the  terrifie  force  of  the 
powder;  the  lower  one  flew  into  pièces;  thousands  of 
insects  escaped  from  the  aperture  Dantès  had  previously 
formed,  and  a  huge  snake,  like  the  guardian  démon  of 
the  treasure,  rolled  himself  along  with  a  sinuous  motion 
and  disappeared. 

Dantès  approached  the  upper  rock,  which  now  witbout 
anv  suDDort  leaned  towarda  the  sea.  The  intrepid  treaa- 
ure-seeRer  walked  round  it,  and  selectlng  the  spot  where 
it  seemed  most  open  to  attack^  placed  his  lever  in  one  of 


THB  SECRET  GÂTE.  297 

tbe  crevices,  and  strained  every  nerve  to  move  the  mafis. 
The  rocky  already  shaken  by  the  explosion^  tottered  on 
its  base.  Dautès  redoubled  bis  eiforts;  be  seemed  like 
one  of  tbe  ancient  Titans,  wbo  uprooted  tbe  mountains  to 
burl  them  against  tbe  &tber  of  tbe  gods.  Tbe  rock 
yielded,  rolled,  bounded,  and  finally  disappeared  in  tbe 
océan. 

On  tbe  spot  it  bad  occupied  were  visible  a  circular 
place  and  an  iron  ring  let  into  a  square  âag-stone.  Dan- 
tes  uttered  a  cry  of  joy  and  surprise  ;  ne  ver  bad  a  first 
attempt  been  crowned  with  more  perfect  success.  He 
would  fain  bave  continued,  but  bis  knees  trembled,  bis 
beart  beat  so  violently,  and  bis  eyes  became  so  dim  that 
be  was  forced  to  pause.  Tbis  feeling  lasted  but  for  a 
moment.  Edmond  inserted  bis  bver  lu  tbe  ring  and 
exerted  ail  bis  strengtbj  tbe  flag-stone  yielded  and  dis- 
closed  a  kind  of  stair  tbat  descended  until  it  was  lost  in  tbe 
obscurity  of  a  subterranean  grotto.  Any  one  else  would 
bave  rushed  on  with  a  cry  of  joy.  Dantës  tnrned  pale, 
hesitated,  bnd  reflected.  *'  Come/'  said  be  to  bimself,  '<  I 
will  be  a  man.  I  am  accustomed  to  adversity  ;  I  must 
not  be  cast  down  by  disappointment.  What,  then,  would 
be  tbe  use  of  ail  I  bave  suffered  ?  Tbe  beart  breaks  wben 
after  having  been  elated  by  flattering  hopes,  it  sees  ail 
thèse  \llusion8  destroyed.  Faria  bas  dreamed  tbis;  Car- 
dinal Spada  buried  no  treasure  hère.  Perhaps  be  never 
came  bere  ;  or  if  be  did,  Caesar  Borgîa,  tbe  intrepid  adven- 
turer,  tbe  stealtby  and  indefatigable  plunderer,  bas  fol- 
io wed  bim,  discovered  bis  traces,  pursued  them  as  I  bave 
done,  like  me  raised  tbe  stone,  and  descending  before  me, 
bas  lefb  me  notbing."  He  remained  motionless  and  pen- 
sive, bis  eyes  fîxed  on  tbe  sombre  aperture  tbat  was  opeo 
at  bis  feet,  and  said,  "  Now  tbat  I  expect  notbing,  now 
tbat  I  bave  said  to  niyself  that  it  would  be  fully  to  enter 


298  THB  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

tain  any  liope,  the  end  of  this  adventure  becomes  a  simple 
matter  of  curiosity."  And  he  still  remained  motionless 
and  thoughtful. 

"  Yes,  yes  ;  this  is  an  adventure  worthy  a  place  in  the 
lights  and  sbades  of  the  life  of  this  royal  bandit.  This 
fabulons  event  has  formed  but  a  link  of  a  vast  chain. 
YeSy  Borgia  has  been  hère,  a  torch  in  one  hand^  a  sword 
in  the  other,  and  within  twenty  paces,  at  the  foot  of  this 
rock  perhaps,  two  guards  kept  watch  on  land  and  sea 
while  their  master  descended  as  I  am  about  to  descend, 
dispelling  the  darkness  before  his  terrible  advance.'' 

'*  But  what  was  the  fate  of  thèse  guards  who  thus  poa- 
sessed  his  secret  )  '*  asked  Dantès  of  himself. 

"  The  fate,"  replied  he,  smiling,  "  of  those  who  buried 
Alaric." 

"  Yet  had  he  corne,"  thought  Dantës,  "he  would  hâve 
found  the  treasure  ;  and  Borgia,  he  who  compared  Italy  to 
an  artichoke  which  he  could  devour  leaf  by  leaf,  knew 
too  well  the  value  of  time  to  waste  it  in  replacing  this 
rock.     I  will  go  down.*' 

Then  he  descended  with  a  smile  of  doubt  on  his  lîps, 
and  murmuring  that  last  word  of  human  philosophy, 
"  Perhaps!''  But  instead  of  the  darkness  and  the  thick 
and  mephitic  atmosphère  he  had  expected  to  lind,  Dantës 
saw  a  dim  and  bluish  light  which,  as  well  as  the  air, 
entered,  not  merely  by  the  aperture  he  had  just  formed, 
but  by  interstices  and  crevices  of  the  rock  which  were 
invisible  from  without,  and  through  which  he  could  dis- 
tinguish  the  blue  sky  and  the  waving  branches  of  the 
evergreen  oaks  and  the  tendrils  of  the  creepers  that  grew 
from  the  rocks.  Afber  having  stood  a  few  minutes  in  the 
cavem,  the  atmosphère  of  which  was  rather  warm  than 
damp,  Dantès's  eye,  habituated  as  it  was  to  darkness,  could 
pierce  even  to  the  remotest  angles  of  the  cavem,  which 


THS  SBCBET  CAYX.  899 

iras  of  granité  that  spaïUed  like  diamonds.  ''Aks!* 
said  Edmond,  smiling,  **  thèse  are  the  treasaies  tlie  cudi- 
nal  bas  left  ;  and  the  good  abbë,  aeeing  in  a  draam  tben 
glittering  waUa^  bas  indulged  in  iallacious  hopes." 

Bat  he  called  to  mind  the  woids  of  the  will,  whicfa  ho 
knew  hj  heaiL  ^In  the  f&rthest  angle  of  the  second 
opening"  aaid  the  caidinal's  wilL  He  had  found  onlj 
the  first  grotto  ;  he  had  now  to  aeek  the  second.  Dantès 
began  bis  seaich.  He  leflected  \hai  this  second  grotto 
would  naturall/  penetiate  deeper  into  the  island;  he 
ezamined  the  stones  and  sounded  one  part  of  the  wall 
wbere  be  ûincied  the  opening  existed,  masked  for  piecaa- 
tion*s  sake.  The  pickaxe  sonnded  for  a  moment  with  a 
duU  Sound  that  coyered  Dantès's  foehead  with  laige 
drops  of  perspiration.  At  last  it  seemed  to  him  that  one 
part  of  the  wall  gaye  forth  a  more  hollow  and  deeper 
eebo;  be  eagerlj  adyanced,  and  with  the  qoickness  of 
perception  that  no  one  but  a  prisoner  possesses^  saw  that 
it  was  there  in  ail  probabOitj  the  opening  mnst  bei 

Howeyer,  be^  like  Caesar  Boigia,  knew  the  yaloe  of 
time;  and  in  oïder  to  ayoid  a  froitless  toil,  be  sounded  ail 
the  other  walk  with  bis  pickaxe,  stmck  the  earth  widi 
the  batt  of  bis  gon,  and  finding  nothing  that  appeared 
suspicionsy  letnmed  to  that  part  of  the  wall  wbence  iasoed 
the  encomaging  soond  be  had  befiore  heaid.  He  again 
strack  it^  and  with  greater  foroa  Then  a  nngolar  si^t 
presented  itselt  As  be  stmck  the  wall,  a  spedes  of  stnoeo 
similar  to  that  nsed  as  tiie  gnmnd  of  aiabesqnes  detacfaed 
itself,  and  fell  to  the  gnmnd  in  flakes^  ezpoông  a  large 
white  stone.  The  apertore  of  the  rock  had  been  doeed 
with  stones^  then  this  stncco  had  been  applied,  and 
painted  to  imitate  granité»  Dantès  stmck  wî  the  shaip 
end  of  bis  pickaxe,  which  entered  some  waj  between  the 
interstices  of  the  stone.    It  was  there  be  mnst  dig.    Bol 


300  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

by  some  strange  phenomenon  of  the  human  organization, 
in  proportion  as  the  proofs  that  Faria  had  not  been  de- 
ceived  became  stronger^  so  did  bis  heart  give  way  and  a 
feeliug  of  diâcouragement  steal  over  bim.  This  last  proof 
instead  of  giving  him  fresb  strengtb  deprived  bim  of  it 
Tb&  pickaxe  fell,  almost  dropping  ont  of  bis  bauds;  be 
placed  it  on  tbe  ground,  passed  bis  band  over  bis  brow, 
and  remoonted  tbe  stairs,  alleging.to  bimself  as  an  excuse 
a  désire  to  be  assured  tbat  no  one  was  watcbing  bim,  but 
in  reality  because  be  felt  be  was  ready  to  faint.  Tbe  isle 
was  deserted,  and  tbe  sun  seemed  to  cover  it  witb  its 
fiery  glance;  afar  off  a  few  sinall  fisbing-boats  studded 
tbe  bosom  of  tbe  blue  océan. 

Dantès  bad  tasted  notbing,  but  be  tbougbt  not  of  bun- 
ger  at  sucb  a  moment  ;  be  bastily  swallowed  a  few  drops 
of  rum  and  again  entered  tbe  cavern.  Tbe  pickaxe  that 
had  seemed  so  beavy  was  now  like  a  featber  in  bis  grasp  ; 
be  seized  it  and  attacked  tbe  wall.  After  several  blows 
be  perceived  tbat  tbe  stones  were  not  cemented,  but 
merely  placed  one  upon  tbe  other  and  covered  witb 
stucco  ;  be  inserted  the  point  of  bis  pickaxe,  and  using 
tbe  bandle  as  a  lever,  soon  saw  witb  joy  the  stone  turn  as 
if  on  binges  and  fall  at  bis  feei  He  bad  notbing .  more 
to  do  now  but  witb  tbe  iron  tootb  of  tbe  pickaxe  to  draw 
tbe  stones  towards  bim  one  by  one.  Tbe  tirst  aperture 
was  suffîciently  large  to  enter,  but  by  waiting,  he  could 
still  cling  to  bope  and  retard  the  certainty  of  déception. 
At  last^  after  fresb  hésitation  Dantës  entered  t)ie  second 
grotto.  Tbe  second  grotto  was  lower  and  more  gloomy 
than  tbe  other;  the  air,  tbat  could  enter  only  by  tbe 
newly-formed  opening,  bad  that  mepbitic  smell  Dantës 
was  surprised  not  to  find  in  the  first.  He  wàited  in  order 
to  allow'pure  air  to  displace  the  foui  atmosphère^  and  tbén 
entered.    At  the  left  of  tbe  opening  was  a  dark  and  deep 


THE  SECRET  CAVE.  dOl 

angle.  Bat  to  Dantès's  eye  there  was  no  darkness.  He 
glanced  round  this  second  grotto  ;  it  was^  like  the  first, 
empty. 

The  treasure,  if  it  existed^  was  buried  in  that  dark 
corner.  The  time  had  at  length  arrived;  two  feet  of 
eartb  removed^  and  Dantès's  fate  would  be  decided.  He 
advaneed  towards  the  angle,  and  summoning  ail  his  resolu- 
aon,  attacked  the  grouud  with  the  pickaxe.  At  the  fiilth 
or  sixth  blow  the  pickaxe  sttuck  against  an  iron  substance. 
Never  did  funeral  knell,  never  did  alarm-bell  produce  a 
greater  effect  on  the  hearer.  Had  Dantès  found  nothing, 
he  could  not  bave  become  mofe  ghastly  pale.  He  again 
struck  his  pickaxe  into  the  eartb,  and  encountered  the 
same  résistance,  but  not  the  samo  sound..  *'  It  is  a  casket 
of  wood  bound  with  iron,"  thought  he.  At  this  moment 
a  shadow  passed  rapidly  before  the  opening  ;  Dantès 
seized  his  gun,  sprang  through  the  opening^  and  mounted 
the  stair.  A  wild  goat  had  passed  before  the  mouth  of 
the  cave,  and  was  feeding  at  a  little  distance.  This  would 
bave  been  a  favorable  opportunity  to  secure  his  dintier; 
but  Dantès  feared  lest  the  report  of  his  gun  should  attract 
attention. 

He  reflected  an  instant,  eut  a  branch  of  a  résinons  treo, 
Hghted  it  at  the  fire  at  which  the  smugglers  had  prepared 
their  breakfast,  and  descended  with  this  torch.  He  wished 
to  see  ail.  He  approached  with  the  torch  the  hole  he  had 
formed,  and  saw  that  his  pickaxe  had  in  reality  struck 
against  iron  and  wood.  He  planted  his  torch  in  the 
ground  and  resumed  his  labor.  In  an  instant  a  space 
three  feet  long  by  two  feet  broad  was  cleared,  and  Dantès 
could  see  an  oaken  coffer,  bound  with  eut  steel;  in  the 
jnidst  of  the  lid  he  saw  engraved  on  a  silver  plate,  which 
was  stlll  untamished,  the  arms  of  the  Spada  &imily; 
namely,  a  sword,  pale,  on  an  oval  shield,  like  ail  the 


Wi  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

Italian  armoriai  bearings,  and  surmounted  by  a  cardmal*B 
hat.  Dantës  easily  recognized  tbem.  Fana  bad  so  often 
drawn  tbem  for  }iim.  There  wa8  no  longer  any  doubt,  — 
tbe  treasure  was  tbere  ;  no  one  would  bave  been  at  sucb 
pains  to  conceal  an  empty  casket.  In  an  instant  be  bad 
cleared  every  obstacle  away,  and  be  saw  successively  tbe 
lock,  placed  between  two  padlocks,  and  tbe  two  bandles 
at  eacb  end,  ail  carved  as  tbings  were  carved  at  tbat  epocb, 
wbeu  art  rendered  tbe  commonest  metals  precious.  Dantès 
seized  tbe  bandles,  and  strove  to  lift  tbe  coffer;  it  was 
impossible.  He  sougbt  to  open  it  ;  lock  and  padlock  were 
closed,  —  tbese  faitbful  guardians  seemed  unwilling  to  sur- 
render  tbeir  trust  Dantès  inserted  tbe  sbarp  end  of  tbe 
pickaxe  between  tbe  coffer  and  tbe  lid,  and  pressing  witb 
ail  bis  force  on  tbe  bandle,  burst  open  tbe  fastenings. 
Tbe  binges  yielded  in  tbeir  tuni  and  fell,  still  bolding 
in  tbeir  grasp  fragments  of  tbe  planks,  and  ail  was  open. 

A  vertigo  seized  Edmond  ;  be  cocked  bis  gun  and  laid 
it  beside  bim.  He  tben  closed  bis  eycs  as  cbildren  do  in 
order  to  perceive  in  tbe  sbining  nigbt  of  tbeir  own  imagi- 
nation more  stars  tban  are  visible  in  tbe  firmament  ;  tben 
be  reopened  tbem  and  stood  motionless  witb  amazement. 
Tbree  compartments  divided  tbe  coffer.  In  tbe  fîrst,  blazed 
piles  of  golden  coin  ;  in  tbe  second,  bars  of  unpolisbed 
gold,  wbicb  possessed  notbing  attractive  save  tbeir  value, 
were  ranged  ;  in  tbe  tbird,  Edmond  grasped  bandfuls  of 
diamonds,  pearls,  and  rubies,  wbicb  as  tbey  fell  on  one 
anotber  sounded  like  bail  against  glass.  After  baving 
toucbed,  felt,  examined  tbese  treasures,  Edmond  rusbed 
tbrougb  tbe  caverns  like  a  man  seized  witb  frenzy;  be 
leaped  on  a  rock  wbence  be  could  bebold  tbe  sea.  He 
was  alone,  —  alone  witb  tbese  countless,  tbese  unbeard-of 
treasures!    Was  be  awake,  or  was  it  but  a  dreami 

He  would  fain  bave  gazed  upon  bis  gold,  and  yet  be 


THE  SECRET  CAVE.  303 

had  not  strength  enougb.  For  an  instant  he  leaned  his 
head  in  his  liands  as  if  to  prevent  his  sensés  from  leaving 
him,  and  then  rushed  madly  about  the  rocks  of  Monte 
Cristo,  terrifying  the  wild  goats  and  scaring  the  sea-fowls 
witb  his  wild  cries  and  gestures  ;  then  he  returned,  and 
still  unable  to  believe  the  évidence  of  his  sensés,  rushed 
into  the  grotto  and  found  himself  before  this  mine  of 
gold  and  jewels.  This  time  he  fell  on  his  knees,  and 
clasping  his  hands  convulsively,  uttered  a  prayer  intelb'gi- 
ble  to  God  alone.  He  soon  felt  himself  calmer  and  more 
bappy,  for  now  only  he  began  to  crédit  his  felicity.  He 
then  set  himself  to  work  to  count  his  fortune.  There 
were  a  thousand  ingots  of  gold,  each  weighing  from  two 
to  three  pounds  ;  then  he  piled  up  twenty-five  thousand 
crowns,  each  worth  about  eighty  livres  of  our  money  and 
bearing  the  effigies  of  Alexander  YI.  and  his  predecessors^ 
and  he  saw  that  the  compartraent  was  only  half  empty. 
Then  he  measured  ten  double  handfuls  of  precious  stones, 
many  of  which,  mounted  by  the  most  famous  workman 
of  that  period,  exhibited  in  their  artistic  setting  a  value 
that  was  remarkable  even  by  the  side  of  their  intrinsic 
value.  Dantès  saw  the  light  gradually  disappear,  and 
fearing  to  be  surprised  in  the  cavern,  left  it,  his  gun  in 
his  hand.  A  pièce  of  biscuit  and  a  small  quantity  of  rum 
formed  his  supper,  and  he  snatched  a  few  hours'  sleep, 
lying  across  the  mouth  of  the  cave. 

This  night  was  a  delicious  and  yet  terrible  one,  like 
two  or  three  others  which  that  man  of  strong  émotion 
had  alroady  ezperienced  in  his  previpUB  life. 


304  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTa 


^  CHAPTEE  XXV. 

THE   UNKNOWN. 

Daylight,  for  which  Dantès  had  so  eagerly  and  impa- 
tiently  waited,  agaiu  dawned  upon  the  désert  shores  of 
Monte  Cristo.  In  the  earliest  ligbt  Dautès  rose,  climbed 
the  rocky  height  he  had  ascended  the  previous  evening, 
and  strained  his  view  to  catch  every  peculiarity  of  the 
landscape  ;  but  it  wore  the  same  wild,  barren  aspect  when 
seen  by  the  rays  of  the  niorning  sun  which  it  had  done 
when  surveyed  by  the  fading  glimmer  of  eve.  Returning 
to  the  cave,  he  laised  the  stone,  iilled  his  pockets  with 
precious  stones,  put  the  box  together  as  well  and  securely 
as  he  could,  sprinkled  fresh  saud  over  the  spot  froni  which 
it  had  been  taken,  and  carefully  trod  down  the  ground  to 
give  it  every where  a  similar  appearance;  then^  quitting 
the  grotto,  he  replaced  the  stone,  heaped  on  it  broken 
masses  of  rocks  and  rough  fragments  of  crumbling  granité, 
fiUing  the  intervais  with  earth,  planted  myrtle  and  flower- 
ing  thorn  in  thèse  intervais,  watered  the  new  plants  so 
that  they  should  seem  of  long  standing,  effaced  the  traces 
of  his  footsteps  around  the  place,  and  awaited  with  impa- 
tience the  return  of  his  companions.  He  had  no  désire 
to  spend  his  days  looking  at  that  gold  and  those  diamonds, 
or  to  remain  at  Monte  Cristo  like  a  dragon  watching  over 
useless  treasures.  It  was  now  necessary  for  him  to  return 
to  life,  to  be  among  men,  and  to  assume  in  society  the 
rank,  influence,  and  power  which  in  this  world  wealth 


THE  UNKNOWN.  305 

alone  can  give,  —  the  first  and  grandest  of  the  foic<^  at 
ihe  disposai  of  man. 

On  the  sixth  day  the  smugglers  retomed.  Frora  a  dis- 
tance Dantès  recognized  ''  La  Jeune  Amélie/'  and  dragging 
himself  with  affected  difficulty  towards  the  landing-place, 
he  met  his  companions  with  an  assurance  that  althpugh. 
considerably  better  than  when  they  quitted  him,  he  still 
suffered  acutely  from  his  late  accident.  He  then  inquired 
how  they  had  £ired  in  their  trip.  To  this  question  the 
smugglers  replied  that  although  successful  in  landing 
their  cargo  in  safety,  they  had  scarcely  done  so  when  they 
reccived  intelligence  that  a  guard-ship  had  just  quitted  the 
port  of  Toulon  and  was  crowding  ail  sail  towards  them  ; 
this  obliged  them  to  niake  ail  the  speed  they  could  to 
évade  the  enemy,  —  lamenting  the  absence  of  Dantès, 
whose  superior  skill  in  the  management  of  a  vessel  would 
•hâve  availed  them  so  materially.  In  fact,  the  chasing 
vessel  had  almost  overtaken  them  when  fortunately  night 
came  on,  and  enabled  them  to  double  the  Cape  of  Corsica, 
and  80  élude  ail  further  pursuit.  Upon  the  whole,  how- 
ever,  the  trip  had  been  sufficiently  successful  to  satisfy  ail 
concerued;  the  crew,  and  particularly  Jacopo,  expressed 
great  regret  that  Dantès  had  not  been  with  them,  so  that 
he  might  hâve  been  an  equal  sharer  with  themselves  in 
the  profits,  amounting  to  no  less  a  sum  than  fifty  piastres 
each. 

Edmond  remained  impénétrable,  —  not  even  smiling  at 
the  enumeration  of  ail  the  benefits  he  would  hâve  reaped 
had  he  been  able  to  quit  the  isle  ;  but  as  **  La  Jeune 
Amélie  "  had  merely  corne  to  Monte  Cristo  to  fetch  him 
away,  he  embarked  that  same  evening  and  proceeded  with 
the  captain  to  Leghorn.  Arrived  at  Leghom,  he  repaired 
to  the  bouse  of  a  Jew,  a  dealer  in  precious  stones,  to  whom 
he  disposed  of  four  of  his  smallest  diamonds  for  five  thou- 

VOL.  I.  —  ao 


306  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

sau(l  livres  each.  Dantës  half  feared  that  such  valuable 
jewels  in  the  hands  of  a  poor  sailor  like  himself  might  ex- 
cite suspicion  ;  but  the  cunning  purcbaser  asked  no  trouble- 
some  questions  concerning  a  bargain  by  which  be  gaiued 
at  least  four  tbousand  livres. 

The  following  day  Dantès  presented  Jacopo  with  an  en- 
tirely  new  vessel,  accompanying  the  gift  by  a  donation  of 
one  hundred  piastres,  that  he  might  provide  himself  with 
a  suitable  crew  and  other  requisites  for  bis  outfit, —  upon 
condition  that  be  should  go  direct  to  Marseilles  and  in- 
quire  afber  an  old  man  named  Louis  Dantès,  residing  in 
the  Allées  de  Meillan,  and  also  a  young  woman  called 
Mercedes^  an  inhabitant  of  the  Catalan  village. 

It  was  Jacopo's  tum  to  think  that  be  was  dreaming, 
Dantès  told  him  that  he  had  been  a  sailor  merely  from 
whim  and  a  désire  to  spite  bis  friends,  who  did  not  allow 
him  as  much  money  as  he  liked  to  spend  ;  but  that  on  bis 
arrivai  at  Leghorn  he  had  corne  iuto  possession  of  a  large 
fortune,  left  him  by  an  uncle,  whose  sole  beir  be  was. 
The  superior  éducation  of  Dantès  gave  an  air  of  such 
extrême  probability  to  this  statement  that  it  never  once 
occurred  to  Jacopo  to  doubt  its  accuracy.  The  term  for 
which  Edmond  had  engaged  to  serve  on  board  "  La  Jeune 
Amélie  "  having  expired,  Dantès  took  leave  of  the  captain, 
who  at  first  tried  ail  bis  powers  of  persuasion  to  induce 
him  to  remain  one  of  the  crew,  but  having  been  told  the 
history  of  the  legacy,  he  ceased  to  importune  him  further. 
The  succeeding  moming  Jacopo  set  sail  for  Marseilles, 
with  directions  from  Dantès  to  join  him  at  the  island  of 
Monte  Cristo. 

Having  seen  Jacopo  fairly  out  of  the  barbor,  Dantès  pro- 
ceeded  to  make  bis  final  adieux  on  board  ''La  Jeune 
Amélie/'  distributing  so  libéral  a  gratuity  among  ber  crew 
as  procured  him  the  unanimous  good  wishes  and  exprès 


THE  UNKKOWN.  307 

sions  of  cordial  înterest  in  ail  that  ooncemed  hini.  To 
the  captain  he  promised  to  write  when  he  had  made  up 
his  mind  as  to  his  future  plans.  This  leave-taking  over, 
Dantès  departed  for  Grenoa.  At  the  moment  of  his  arrivai  a 
email  yacht  was  making  its  trial  trip  in  the  hay  ;  it  had  been 
built  by  order  of  an  Englîshman,  who,  having  heard  that  the 
Genoese  excelled  ail  other  builders  along  the  shores  of  tho 
Mediterranean  in  the  construction  of  fast-sailing  vessels, 
was  desirous  of  possessing  a  spécimen  of  their  skill.  The 
price  agreed  upon  between  the  Englishman  and  the  Geno- 
ese builder  was  forty  thousand  livres.  Dantès  offered 
sixty  thousand  livres  for  it  upon  condition  that  it  should 
be  delivered  to  him  immediately.  The  person  for  whom 
the  yacht  was  intended  had  gone  upon  a  tour  through 
Switzerland,  and  was  not  ezpected  back  in  less  than  three 
weeks  or  a  month,  by  which  time  the  builder  reckoned 
upon  being  able  to  complète  another.  A  bargain  wbs 
therefore  struck.  Dantès  led  the  owner  of  the  yacht  to 
the  dwelling  of  a  Jew,  retired  with  the  latter  iudividual 
£)r  a  few  minutes  to  a  small  back  parlor,  and  upon  their 
return  the  Jew  counted  out  to  the  ship-builder  the  sum  of 
fiizty  thousand  livres. 

The  builder  then  offered  his  services  in  providing  a  suit- 
able  crew  for  the  little  vessel,  but  this  Dantès  declined 
with  thanks,  saying  he  was  accustomed  to  cruise  about 
quite  alone,  and  his  principal  pleasure  consisted  in  manag* 
ing  his  yacht  himself  ;  the  only  thing  he  wished  was  that 
the  builder  would  contrive  a  sort  of  secret  closet  in  the 
cabin  at  his  bed's  liead,  which  should  contain  three  secret 
compartments.  He  gave  the  measure  of  thèse  compart- 
ments,  which  were  completed  on  the  following  day. 

Two  hours  afterwards  Dantès  sailed  from  the  port  of 
Genoa,  under  the  gaze  of  an  immense  crowd  of  the  curions 
who  wished  to  see  the  rich  Spanish  nobleman  who  pre- 


308  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

ferred  managing  hîs  vessel  himself.  Dantës  handled  hia 
vessel  admîrably  ;  and  by  aid  of  the  helm,  and  without 
having  occasion  to  leave  it,  he  made  his  yacht  perfonn  ail 
the  movements  he  wished.  It  seemed,  indeed,  to  be  in- 
spired  by  intelligence,  so  promptly  did  it  obey  the  slight- 
est  impulse  given  ;  and  Dantès  required  but  a  short  trial 
of  his  beautiful  craft  to  convince  himself  that  the  Genoese 
deserved  their  high  réputation  in  the  art  of  ship-building. 
The  spectators  foUowed  the  iittle.  vessel  with  their  eyes  so 
long  as  it  remained  visible  ;  they  then  tumed  their  conjec- 
tures upon  her  probable  destination.  Some  insisted  she 
was  making  for  Corsica,  others  for  the  island  of  £lba  : 
bets  were  oifered  that  she  was  bound  for  Spain,  while 
some  maintained  that  she  was  going  to  Africa  ;  but  no  one 
thought  of  Monte  Cristo. 

Nevertheless  it  was  to  Monte  Cristo  that  Dantès  went. 
He  arrived  at  the  close  of  the  second  day  ;  his  yacht  had 
proved  herself  a  first-class  sailer,  and  had  come  the  dis- 
tance from  Genoa  in  thirty-five  hours.  Dantës  had  care- 
fully  noted  the  gênerai  appearauce  of  the  shore,  and 
instead  of  landing  at  the  usual  place,  he  dropped  anchor 
in  the  little  creek.  The  isle  was  utterly  deserted,  nor  did 
it  seem  as  though  human  foot  had  trodden  on  it  since  he 
quitted  it.  His  treasure  was  just  as  he  had  left  it.  Early 
on  the  folio wing  morning  he  began  the  removal  of  his 
riches,  and  ère  nightfall  the  whole  of  his  immense  wealth 
was  safely  deposited  in  the  secret  compartments  of  his 
hidden  closet. 

A  week  passed  by.  Dantës  employed  it  in  trying  the 
sailing  qualities  of  his  yacht, —  studying  it  as  a  skilfui 
hoFseman  would  the  animal  he  destined  for  some  impor- 
tant service,  —  till  at  the  end  of  that  time  he  was  per^ 
fectly  conversant  with  its  good  and  bad  qualities.  The 
former  he  proposcd  to  augment,  the  lâtter  to  remedy. 


THE  UNKNOWK.  309 

TJpon  the  eighth  daj  he  discemed  a  small  vessel  ciowd- 
ing  ail  sail  towards  Monte  Cri&to.  As  it  neared,  he  recog- 
nized  it  as  the  vessel  which  he  had  giveu  to  Jacopo.  He 
immediatelj  sigDalled  it.  Uis  signal  was  retumed,  and 
in  two  hoois  afterward  the  bark  laj  at  anchor  near  the 
yacht.  A  moumful  answer  awaited  each  of  Ëdmond's 
eager  inquiries.  Old  Dantès  was  dead  ;  Mercedes  had 
disappeared.  Dantès  listened  to  thèse  melancholy  tid- 
ings  with  outward  calmness;  but  when  he  went  ashore 
lie  signîfied  his  désire  to  be  quite  alone.  In  a  couple  of 
hours  he  returned.  Two  of  the.  men  from  Jacopo'^  bark 
came  on  board  the  yacht  to  assist  in  navigating  it,  and 
he  commanded  that  she  sbould  be  steered  direct  to  Mar- 
seilles.  For  his  father's  dsath  he  was  in  some  manner 
prepared;  but  what  had  become  of  Mercedes? 

Without  divulging  his  secret,  Dantès  could  not  give 
suffîciently  clear  instructions  to  an  agent.  There  were, 
besides,  other  particulars  he  was  désirons  of  ascertaining, 
and  those  were  of  a  nature  he  alone  could  investigate  in 
a  manner  satisfactory  to  himself.  His  looking-glass  had 
assured  him  during  his  stay  at  Leghorn  that  he  ran  no 
risk  of  récognition  ;  and  besides,  he  had  now  the  means 
of  adopting  any  disguise  he  thought  proper.  One  fine 
moming,  then,  his  yacht,  foUowed  by  the  little  vessel, 
boldly  entered  the  port  of  Marseilles,  and  anchored  ex- 
actly  opposite  the  mémorable  spot  whence,  on  the  never- 
to-be-forgotten  night  of  his  departure  for  the  Château  d'If, 
lie  had  been  put  on  board  the  vessel  destined  to  convey 
him  thither.  Dantès  could  not  view  without  a  shudder 
the  approach  of  a  gendarme  in  the  quarantine  boat  ;  but 
with  that  self-possession  which  he  had  acquired  durifig 
his  acquaiutance  with  Faria,  Dantès  cooUy  presented 
an  English  passport  he  had  purchased  at  Leghorn,  and 
by  means  of  that  foreign  passport,  much  more  respected 


810  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

in  Frauce  than  our  own,  Dantës  was  able  to  land  with 
out  diffîculty. 

The  first  ubject  that  attracted  the  attention  of  Dantèa 
as  he  landed  on  the  Canebière  was  one  of  the  crew  of  the 
**  Pharaon."  Edmond  hailed  the  appearance  of  this  man, 
who  had  served  under  himself,  as  a  sure  test  of  the  changes 
which  had  been  wrought  in  his  own  appearance.  Going 
straight  towards  hini,  he  began  a  variety  of  questions  on 
différent  subjects,  carefully  watching  the  man*8  counte- 
nance  as  he  did  so  ;  but  not  a  word  or  look  implied  his 
havi^g  the  slightest  idea  of  ever  having  seen  before  the 
individual  with  whom  he  was  then  conversing.  Giviiig 
the  sailor  a  pièce  of  money  in  retum  for  his  civility, 
Dantës  proceeded  onwards;  but  ère  he  had  gone  many 
steps  he  heard  the  man  running  afber  him.  Dantès  in- 
atautly  tumed  to  meet  him.  "  I  beg  your  pardon,  Mon- 
sieur/' said  the  honest  fellow,  in  almost  breathless  haste, 
'*but  I  believe  you  made  a  mistake;  you  intended  to 
give  me  a  two-franc  pièce,  and  you  gave  me  a  double 
napoléon." 

"  Thank  you,  my  good  friend.  I  see  that  I  hâve  made 
a  trifling  mistake,  as  you  say  ;  but  by  way  of  rewarding 
your  honest  spirit  I  give  you  another  double  napoléon, 
that  you  may  drink  to  my  health  with  your  comrades." 

So  extrême  was  the  surprise  of  the  sailor  that  he  was 
unable  even  to  thank  £dmond,  whose  receding  figure  he 
continued  to  gaze  afber  in  speechless  astonishment.  At 
length,  when  Dantës  had  whoUy  disappeared,  he  drew 
a  deep  breath,  and  with  another  look  at  his  gold,  he 
rotumed  to  the  quay,  saying  to  himself^  ''It  is  some 
nabob  arrived  from  India." 

Dantës  meanwhile  continued  his  route.  Each  step  he 
trod  oppressed  his  heart  with  fresh  émotion.  His  first  and 
most  indelible  recollections  were  of  that  place  ;  not  a  tree, 


^1 


THE  UNKNOWN.  311 

not  a  street  that  he  passed  failed  to  awaken  dear  and  cher- 
ished  réminiscences.  When  he  reached  the  end  of  the  Rue 
de  Noailles  and  perceived  the  Allées  de  Meillan,  his  knees 
tottered  under  him,  and  he  nearly  fell  under  the  wheels  of 
a  carnage.  At  length  he  came  to  the  house  in  which.  hb 
father  had  lived. 

The  nasturtiums  and  other  plants  which  the  good  man 
had  delighted  to  train  before  his  window,  had  ail  disap- 
peared  from  the  npper  part  of  the  hoase.  Leaning  against 
a  tree,  Dantès  remained  a  long  time  gazing  at  that  poor 
little  house  ;  then  he  advanced  to  the  door,  and  inquired 
whether  there  were  any  chambers  to  be  let  in  the  house. 
Though  answered  in  the  négative,  he  begged  so  earnestly 
to  be  permitted  to  visit  thiose  on  the  fifth  floor  that  the 
concierge  went  up  and  asked  the  occupants  of  the  two 
rooms  to  allow  a  stranger  to  inspect  them.  The  tenants 
were  a  young  couple  married  only  a  week  previdusly; 
upon  seeing  them  Dantès  breathed  a  deep  sigh. 

Nothing  in  the  two  small  chambers  forming  the  apart- 
ment  remained  as  it  had  been  in  the  time  of  the  elder 
Dantès  ;  the  very  paper  was  différent.  The  old  furniture, 
familiar  to  his  childhood,  présent  in  ail  their  détails  to 
his  remembrance,  had  disappeared  ;  the  walls  aloue  re- 
mained the  same.  The  bed  belonging  to  the  présent 
occupants  was  placed  as  the  former  tenant  of  the  chamber 
had  been  accustomed  to  hâve  his  ;  and  in  spite  of  his 
efforts  to  prevent  it,  the  eyes  of  Edmond  were  suffused 
with  tears  as  he  reâected  that  on  that  spot  the  aged  man 
had  expired,  vainly  calling  for  his  son.  The  young  couple 
beheld  with  astonishment  this  man  with  a  stem  counte- 
nance,  on  whose  cheeks  tears  were  flowing  down  ;  but 
they  felt  the  sacredness  of  his  grief,  and  refrained  from 
questioning  him.  They  leffc  him  to  indulge  his  sorrow 
alone.     When  he  withdrew,  they  both  accompanied  him 


312  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

downstairs,  expressÎDg  theîr  hope  that  he  would  come 
again  whenever  he  pleased,  and  assuring  him  that  their 
poor  dwelling  should  ever  be  open  to  him.  As  Edmond 
passed  the  doors  on  the  fourth  floor,  he  paused  at  one  of 
them  to  inquire  whether  Caderousse  the  tailor  still  dwelt 
there  ;  but  he  was  informed  that  the  individual  in  ques- 
tion had  got  intÔ  difficulties,  and  at  the  présent  time  kept 
a  small  inn  on  the  route  from  Bellegarde  to  Beaucaire. 

Having  obtained  the  address  of  the  person  to  whom  the 
house  in  the  Allées  de  Meillan  belonged,  Dan  tes  next  pro- 
ceeded  thither,  and  under  the  name  of  Lord  Wilmore  (the 
name  and  title  given  in  his  passport),  purchased  the  small 
dwelling  for  the  sum  of  twenty-five  thousand  livres,  at 
least  ten  thousand  more  than  it  was  worth  ;  but  had  its 
owner  asked  ten  times  the  sum  he  did,  it  would  unhesi- 
tatingly  hâve  been  given.  The  very  same  day,  the  occu- 
pants of  the  apartments  on  the  fifth  floor  of  the  house, 
now  become  the  property  of  Dan  tes,  were  duly  informed 
by  the  notary  who  had  arranged  the  necessary  transfer  of 
deeds  that  the  new  landlord  gave  them  their  choice  among 
the  rooms  in  the  house  without  any  increase  of  rent,  upon 
condition  of  their  giving  up  to  him  the  two  small  chambers 
they  at  présent  inhabited. 

This  strange  event  furnished  food  for  wonder  and  curi- 
osity  in  the  neighborhood  of  the  Allées  de  Meillan,  and 
gave  rise  to  a  thousand  conjectures,  not  one  of  which  was 
correct.  But  that  which  raised  public  astonishment  to  a 
climax  and  set  ail  spéculations  at  défiance  was  the  cir- 
cumstance  that  the  same  stranger  who  had  in  the  morn- 
Ing  visited  the  Allées  de  Meillan  had  been  seen  in  the 
evening  walking  in  the  little  village  of  the  Catalans,  and 
afterwards  had  entered  a  poor  fisherman's  hut  and  spent 
more  than  an  hour  in  inquiring  after  persons  who  had 
either  been  dead  or  gone  away  for  more  than  fîfteen  or 


THE  UNKNOWN.  813 

sixteen  years.  On  the  foUowing  day  the  family  from 
whoiu  ail  thèse  particulars  had  been  asked  received  a 
handsome  présent,  consisting  of  an  entirely  new  fishing- 
boat,  with  a  full  8i:^piy-of-exeellfiûLJi©t8r'''TEe  deligl 
reclpîeBts  ùf  tLffBu-Buuiificent  gifts  would  gladly  hâve 
poured  out  their  thanks  to  their  geneîDus  benefactor; 
but  they  had  seen  him,  upou  quitting  the  hut,  merely 
give  some  orders  to  a  sailor,  and  then^  springing  lightly 
«n  horsebacky  qiiit  Marseilles  by  the  Porte  d'Aix. 


314  THE  COUNT  OF  MONTE  CBISTO. 


CHAPTER    XXVL 

THE  INN  OF  PONT  DU  GABD. 

SuoH  of  my  readers  as  hâve  made  a  pedestrîan  ezcuision 
to  the  south  of  France  may  perchance  bave  noticed,  mid- 
way  between  the  town  of  Beaucaire  and  the  village  of 
Bellegarde,  a  small  roadside  inn,  from  the  front  of  whîch. 
hangs,  ci'eaking  and  flapping  in  the  wind,  a  sheet  of  tin 
covered  with  a  caricature  resemblance  of  the  Pont  du 
Gard.  This  little  inn,  if  we  take  our  direction  from 
the  course  of  the  Khone,  is  situated  on  the  left-hand  side 
of  the  road,  with  its  back  to  the  river.  Âttached  to  it 
is  what  in  Languedoc  is  styled  a  garden,  consisting  uf  a 
small  plot  of  ground,  a  full  view  of  which  might  be  ob- 
tained  from  a  door  immediately  opposite  the  grand  poi*tal 
by  which  travellers  were  ushered  in  to  partake  of  the  hos- 
pitality  of  mine  host  of  the  Pont  du  Gard.  In  this  plai- 
sance, or  garden,  scorched  beneath  the  ardent  sun  of  a 
latitude  of  thirty  degrees,  a  few  dingy  olives  and  stunted 
fig-trees  struggle  hard  for  existence^  but  their  withered, 
dusty  foliage  abundantly  proves  how  unequal  is  the  con- 
flict.  Between  thèse  sickly  shrubs,  grows  a  scanty  supply 
of  garlic,  tomatoes,  and  eschalots  ;  while  lone  and  solitary, 
like  a  forgotten  sentinel,  a  tall  pine  raises  its  melancholy 
head  in  one  of  the  corners  of  this  unattractive  spot  and 
displays  its  flexible  stem  and  fan-shaped  summit,  dried 
and  cracked  by  the  withering  influence  of  the  mistral, 
that  scourge  of  Provence. 

In  the  surrounding  plain,  which  mcre  resembles  a  dusty 


THE  TNN  OF  PONT  DU  GARD.  315 

take  than  solid  ground,  are  scattered  a  few  misérable  stalks 
of  wheat,  the  effect^  no  doubt,  of  a  ciirious  désire  on  the 
part  of  the  agriculturists  of  the  country  to  see  whether  the 
raising  of  grain  in  those  parched  régions  is  practicable. 
The  scanty  stalks,  however,  serve  to  accommodate  the 
numerous  grasshoppers  who  follow  the  unfortunate  inva^ 
der  of  this  bare  soil  with  untiring  persécution,  resting 
themselves  afber  thsir  chase  upon  the  stunted  spécimens 
of  horticulture,  while  they  fill  the  ear  with  their  sharp, 
shrill  cry. 

For  about  eight  years  this  little  inn  was  kept  by  a  man 
and  his  wife,  with  two  servants  r  one,  who  was  called 
Trinette,  offîciated  in  the  capacity  of  chamber-maid;  while- 
the  other,  named  Pacaud,  took  charge  of  the  stable.  But, 
alas  !  the  occupation  of  each  domestic  was  but  nominal, 
for  a  canal  recently  made  between  Beaucaire  and  Aigue- 
mortes  had  led  to  the  substitution  of  canal-boats  for  wagons 
and  barges  for  the  diligence.  And  as  though  to  add  to 
the  daily  misery  which  this  prospérons  canal  inflicted  on 
the  unfortunate  innkeeper,  whose  utter  ruin  it  was  fast 
accomplishing,  it  was  situated  not  a  hundred  steps  from 
the  forsaken  inn,  of  which  we  hâve  given  a  brief  but 
faithful  description. 

The  innkeeper  was  a  man  of  from  forty  to  forty-five  years 
of  âge,  tall,  strong,  and  bony,  a  good  spécimen  of  the  na- 
tives of  those  southem  latitudes;  he  had  dark,  sparkling, 
and  deep-set  eyes,  curved  nose,  and  teeth  white  as  those 
of  a  carnivorous  animal  ;  his  hair,  which  in  spite  of  the 
light  touch  time  had  as  yet  left  on  it  seemed  reluctant  to 
whiten,  was  like  his  beard,  which  he  wore  under  his  chin, 
thick  and  curly,  and  but  slightly  mingled  with  a  few  sil- 
▼ery  threads.  His  naturally  murky  complexion  had  as- 
sumed  a  still  further  shade  of  brown  from  the  habit  the 
p':>or  devil  had  acquîred  of  stationing  himself  from  mont 


316  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

ing  to  night  at  the  threshold  of  hîs  door,  in  eager  hope 
that  some  traveller,  either  equestrian  or  pedestrian,  might 
bless  bis  eyes,  and  give  him  the  delight  of  once  more  sec)- 
ing  a  gaest  enter  his  doors.  His  patience  and  his  expec- 
tations  were  alike  useless  ;  yet  there  he  stood,  day  after 
day,  exposed  to  the  méridional  raya  of  a  burning  sun,  with 
no  other  protection  for  bis  head  tban  a  red  handkerchief 
twisted  around  it  after  the  manner  of  the  Spanish  mule- 
teers.  Tbis  man  was  our  former  acqoaintance  Caderousse* 
His  wife,  on  the  contrary,  whose  maiden  name  had  been 
Madeleine  Eadelle,  was  pale,  meagre,  and  sickly-looking. 
Born  in  the  neighborbood  of  Arles,  she  had  sbared  in 
the  beauty  for  which  its  women  are  proverbial;  bat 
that  beauty  had  gradually  withered  beueath  tbe  devastat- 
ing  influence  of  one  of  those  slow  fevers  so  prévalent  in 
the  vicinity  of  the  waters  of  the  Aiguemortes  and  the 
marshes  of  Camargue.  She  remained  nearly  always  in 
her  chamber,  situated  on  the  flrst  floor,  sitting  shivering 
in  her  chair,  or  extended  languid  and  feeble  on  her  bed, 
while  her  husband  kept  his  daily  watch  at  the  door,  «• 
a  duty  he  performed  with  the  greater  willingness,  as  it 
saved  him  the  necessity  of  listening  to  the  endless  plaints 
and  murmurs  of  his  helpmate,  who  never  saw  him  with- 
out  breaking  out  into  bitter  invectives  against  fate  and 
the  unmerited  hardships  she  was  called  upon  to  endure  ; 
to  ail  of  which  her  husband  would  calmly  retum  an 
unvarying  reply,  couched  in  thèse  philosophie  words: 
'*Be  silent,  La  Carconte;  it  is  God  who  bas  arranged 
thèse  matters." 

The  sobriquet  of  Lai^  Carconte  had  been  bestowed  on 
Madeleine  Eadelle  on  account  of  her  birth  in  a  village  so 
calledy  situated  between  Salon  and  Lambesc;  and  as  a 
custom  existed  among  the  inhabitants  of  that  part  oi 
France  where  Caderousse  lived  of  styLing  everj  person  by 


THE  INN  OF  FONT  DU  GARD.  817 

aome  particular  and  distinctive  appellation,  ber  busband 
had  bestowed  on  her  the  name  of  La  Carconte  instead  of 
Madeleine,  which  perhaps  was  too  smooth  and  euphonious 
for  bis  rougb  longue.  Still,  let  it  not  be  suppoeed  that 
in  spite  of  bis  affected  résignation  to  tbe  will  of  Provi- 
dence, tbe  iinfortunate  innkeeper  was  not  profoundly 
aware  of  tbe  misery  to  wbicb  be  bad  been  reduced  by 
tbat  wretched  canal  of  Beaacaire,  or  tbat  be  was  invul- 
nérable to  tbe  incessant  complaints  of  bis  wife,  did  not 
writbe  under  tbe  double  misery  of  seeing  tbe  bateful  canal 
carry  off  alike  bis  customers  and  profits,  and  tbe  daily 
implication  of  bis  peevisb  partner's  murmurs  and  lamenta- 
tions. Like  otber  dwellei*s  in  tbe  Soutb,  be  was  a  man  of 
sober  babits  and  moderato  desires,  but  fond  of  extemal 
sbow,  vain,  and  addicted  to  display.  During  tbe  days  of 
bis  prosperity,  not  a  fête,  festivity,  or  cérémonial  took 
place  witbout  bimself  and  wife  beiug  among  tbe  specta- 
tors.  He  dressed  in  tbe  picturesque  costume  wom  upon 
grand  occasions  by  the  inbabitants  of  tbe  soutb  of  France, 
bearing  equal  resemblance  to  tbe  style  adopted  botb  by 
the  Catalans  and  Andalusians  ;  while  La  Carconte  dis- 
played  tbe  cbarming  fasbion  prévalent  among  tbe  women 
of  Arles,  a  mode  of  attire  borrowed  equally  from  Greece 
and  Arabia.  But  by  degrees,  watch-chains,  necklaces, 
many-colored  scarfs,  embroidered  bodices,  velvet  vests, 
elegantly-worked  stockings,  striped  gaiters,  and  silver 
buckles  for  the  shoes,  ail  disappeared  ;  and  Gaspard  Ga- 
derousse,  unable  to  appear  abroad  in  bis  pristiue  «plendor, 
bad  given  up  any  further  participation  in  thèse  pomps  and 
vanities,  botb  for  bimself  and  bis  wife,  althougb  a  bitter 
feeling  of  envions  discontent  filled  bis  mind  as  the  sound 
of  mirth  and  merry  music  from  the  joyous  revellers 
reached  even  the  misérable  bostelry  to  wbicb  he  still 
dung,  —  more  for  the  sbelter  than  tbe  profit  it  afforded. 


318  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

Caderousse  vas,  as  usnal,  at  his  place  of  observation 
before  the  door,  Lis  eyes  glancing  listleasly  from  a  pièce  of 
closely-shaven  grass,  on  which  some  fowls  were  indus- 
triously  though  fruitlessly  endeavoring  to  turn  up  some 
grain  or  insect  suited  to  their  taste,  to  the  deserted  road, 
the  two  extremities  of  which  pointed  riespectivèly  north 
and  south,  when  he  was  roused  from  his  daily  spécula- 
tions as  to  the  possibility  of  the  inn  of  the  Pont  du  Gard 
ever  again  being  called  upon  to  exercise  its  hospitable 
capabilities  to  any  chance  visitant,  by  the  shrili  voice  of 
his  wife  summoning  him  to  her' présence  with  ail  speed. 
Murmuring  at  the  disagreeable  interruption  to  his  not  very 
agreeable  thoughts,  he  however  proceeded  to  thi  story 
on  which  was  situated  the  chamber  of  his  better  half,  — 
taking  care  however^  preparatory  to  so  doing,  to  set  the 
entrance-door  wide  open,  as  if  to  invite  travellers  not  to 
foiget  him  in  passing. 

At  the  moment  Caderousse  quitted  his  sentry-like  watch 
before  the  door,  the  road  on  which  he  so  eagerly  strained 
his  sight  was  void  and  lonely  as  a  désert  at  uiidday. 
There  it  lay  stretched  out,  one  interminable  line  of  dust 
and  sand^  with  its  sides  bordered  by  tall^  meagre  trees, 
altogether  presenting  so  uninviting  an  appearance  that  no 
one  in  their  sensés  could  hâve  imagined  that  any  traveller 
at  liberty  to  regulate  his  hours  for  journeying  would 
choose  to  expose  himself  to  the  scorch  of  a  meridiau  sun 
in  that  formidable  Sahara.  Nevertheless,  had  Caderousse 
but  retained  his  post  a  few  minutes  longer,  he  might  hâve 
caught  a  dim  outline  of  something  approaching  from  the 
direction  of  Bellegarde.  As  the  moving  object  drew  nearer, 
he  would  easily  hâve  perceived  it  consisted  of  a  man  and 
horse,  between  whom  the  kindest  and  most  amiable  under- 
standing  appeared  to  exist.  The  horse  was  of  Hungarian 
breed,  and  anibled  along  with  the  easy  pace  peculior  to 


THE  INN  OP  PONT  Df  GARD.  319 

that  race  of  animais.  His  rider  was  a  priest,  dressed  in 
block,  and  wearing  a  tbree-coruered  hat  ;  and  spite  of  the 
ardent  rays  of  a  noonday  sun,  the  pair  came  on  at  a  tolei- 
ably  Smart  trot. 

Having  arrived  before  tbe  inn  of  the  Pont  du  Gard, 
the  horse  stopped,  but  whether  for  his  own  pleasure  or 
that  of  his  rider  it  would  hâve  been  difficult  to  say. 
However  that  might  bave  been,  the  priest,  dismounting, 
led  his  steed  by  the  bridle  in  search  of  some  place  to 
"which  he  could  secure  him.  Availing  himself  of  a  handle 
that  projected  from  a  half-fallen  door,  he  tied  the  animal 
safely,  patted  him  kindly,  and  having  drawn  a  red  cotton 
handkerchief  from  his  pocket,  wiped  away  the  perspira- 
tion  that  streamed  from  his  brow  ;  then  advancing  to  the 
door,  he  struck  thrice  with  the  end  of  his  iron-shod  stick. 
At  this  unusual  sound,  a  huge  black  dog  came  rushing  to 
meet  the  daring  assailant  of  his  ordinarily  tranquil  abode, 
snarling  and  displaying  his  sharp  white  teeth  with  a 
determined  hbstility  that  abundantly  proved  how  little 
he  was  accustomed  to  society.  At  that  moment  a  heavy 
footstep  was  heard  descending  the  wooden  staircase  that 
led  from  the  upper  floor,  and  with  roany  bows  and  cour- 
teous  smiles  appeared  the  landlord  of  that  small  inn,  at 
the  door  of  which  the  priest  was  waiting. 

"  Hère  I  am  !  "  said  the  astouished  Caderousse.  ''  Hère 
I  am  1  Be  quiet,  Margotin  t  Don't  be  afraid,  Monsieur  ; 
he  barks,  but  he  never  bites.  I  make  no  doubt  a  glass  of 
good  wine  would  be  acceptable  this  dreadfully  hot  day  !  ^ 
Then  perceiving  for  the  tirst  time  the  description  of  trav- 
eller  he  had  to  entertain,  Caderouse  hastily  exclaimed  : 
**  A  thousand  pardons,  your  Révérence  !  I  did  not  observe 
whom  I  had  the  honor  to  receive  under  my  poor  roof.  What 
would  you  please  to  hâve,  Monsieur  the  Abbé  1  What  re- 
freshment  can  I  offei  you  1    Ail  I  hâve  is  at  your  service.'' 


320  THE  COUNT  OF  MONTE  CKISTO. 

The  prîest  gazed  on  the  individual  addressing  bîm  with 
a  long  and  searching  gaze  ;  he  even  appeared  to  court  a 
similar  scrutiny  on  the  part  of  the  innkeeper.  Then,  le- 
marking  in  the  countenance  of  the  latter  no  other  expres- 
sion than  extrême  surprise  at  his  own  want  of  attention  to 
an  inquiry  so  courteously  worded^  he  deemed  it  as  well  to 
terminate  this  dumb  show,  and  therefore  said,  speaking 
with  a  strong  Italian  accent,  ''  You  are,  I  présume,  M. 
Caderousse  1  " 

**  Your  Révérence  is  quite  correct,^  answered  the  host, 
even  more  surprîsed  at  the  question  than  he  had  been  bj 
the  silence  which  had  preceded  it  ;  ''I  am  Gaspard  Cade- 
rousse, at  your  service." 

"  Gaspard  Caderousse  !  "  rejoined  the  prîest  **  Yes, 
that  agrées  both  with  the  baptismal  appellation  and  sur^ 
name  of  the  individual  I  allude  to.  You  formerly  lived, 
I  believe,  in  the  Allées  de  Meillan,  on  the  fourth  floor  of 
a  small  house  situated  there  ?  " 

"  I  did.  " 

^*  Where  you  foUowed  the  business  of  a  tailorl" 

**  Yes,  I  was  a  tailor,  till  the  trade  fell  off  so  as  not  to 
afford  me  a  living.  Then,  it  is  so  very  hot  at  Marseilles 
that  reallj  I  could  bear  it  no  longer  ;  and  it  is  my  idea 
that  ail  the  respectable  inhabitants  will  be  obliged  to  fol- 
low  my  example  and  quit  it.  But  talking  of  beat,  is  there 
nothing  I  can  offer  you  by  way  of  refreshment  1  " 

**  Yes  ;  let  me  bave  a  bottle  of  your  best  wine,  and 
then,  with  your  permission,  we  will  résume  our  conversa- 
tion where  we  leave  it." 

^As  you  please,  Monsieur  the  Abbé,'*  said  Caderousse, 
who,  anxious  not  to  lose  the  présent  opportunity  of  findinga 
customer  for  one  of  the  few  bottles  of  the  wine  of  Cahors  still 
remaining  in  his  possession,  hastily  raised  a  trap-door  in 
the  floor  of  the  room  they  were  in,  which  served  both  as 


THE  INN  OF  PONT  DU  GARD.      .  321 

parlor  and  kitchen.  Upon  issuing  forth  from  his  subter- 
raneau  retieat  at  the  expiration  of  iive  minutes,  he  found 
the  abbé  seated  on  a  species  of  stool,  leaning  his  elbow  on 
a  table,  while  Margotin,  whose  animosity  seemed  to  bave 
been  appeased  by  the  unasual  order  for  refreshments,  had 
crept  up  to  him^  and  had  established  himself  yery  corn- 
fortably  between  his  knees,  his  long  skinny  neck  resting 
on  his  lap,  while  his  dim  eye  was  fixed  earnestly  on  the 
traveller's  face. 

"  Aie  you  quite  alone  1  "  inquired  the  guest,  as  Cade- 
rousse  placed  before  him  the  bottle  of  wine  and  a  glass. 

"  Quite,  quite  alone,"  replied  the  man,  "  or  at  least,  very 
near  it,  Monsieur  the  Abbë  ;  for  my  poor  wife  is  laid  up 
with  illness,  and  unable  to  render  me  the  least  assistance, 
poop  thing  I  " 

'*  You  are  married,  then  ?  '^  said  the  priest,  with  a  spe- 
cies of  interest,  glancing  round  as  he  spoke  at  the  scanty 
style  of  the  accommodation  and  humble  furnishing  of  the 
room. 

"  Ah,  Monsieur  the  Abbé,"  said  Caderousse,  with  a  sigh, 
"  you  perceive  that  I  am  not  a  rich  man  ;  but  to  thrive  in 
this  world  it  is  not  enôugh  to  be  an  honest  man." 

The  abbé  fixed  on  him  a  penetrating  glance. 

"  Yes,  honest  man,  —  I  can  certainly  say  that  much  for 
myself,''  continued  the  innkeeper,  fairly  sustaining  the 
scrutiny  of  the  abbé  ;  "  and,"  continued  he,  significantly 
nodding  his  head,  ''  that  is  more  than  every  one  can  say 
nowadays." 

"  So  much  the  better  for  you,  if  what  you  assert  be 
true,"  said  the  abbé  ;  "  for  I  am  finiily  pérsuaded  that 
Booner  or  later  the  good  will  be  rewarded  and  the  wicked 
punished." 

"  Such  words  as  those  belong  to  your  profession.  Mon- 
sieur the  Abbé,"  answered  Caderousse,  '^  and  you  do  well  to 

VOL.  I.  —  21 


322  .     THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

repeat  them  ;  but,"  added  he,  with  a  bitter  expression  of 
counteuance,  '*  any  one  is  privileged  not  to  believe  them." 

"  You  are  wrong  to  speak  thus,"  said  tlie  abbë  ;  "  and 
perhaps  I  may  in  my  own  person  be  able  to  prove  to  yoa 
the  trath  of  what  I  bave  said." 

^'Wbat  do  you  meanl"  inquired  Caderoosse,  with  a 
look  of  surprise. 

"  In  the  first  place,  I  must  be  satisfied  that  you  are  the 
person  I  am  in  search  of." 

"  What  proofs  do  you  require  1  " 

"Did  you,  in  the  year  1814  or  1815,  know  anything 
of  a  young  sailor  named  Dantès  ?  '^ 

'^Dantès!  Did  I  know  him,  that  poor  Edmond?  I 
should  think  I  did.  He  was  even  one  of  my  best  friends  1  " 
exclaimed  Caderousse,  whose  'ïountenance  assumed  an  al- 
most  purple  hue,  while  the  clear  calm  eye  of  the  questioner 
seemed  to  dilate  until  it  completely  covered  him. 

"You  remind  me,"  said  the  priest,  "that  the  young 
man  conceming  whom  I  asked  you  was  said  to  bear  the 
name  of  Edmond." 

"  Said  to  bear  the  name  !  "  repeated  Caderousse,  be- 
coming  excited  and  eager.  "  Why,  he  was  so  called  as 
truly  as  I  myself  am  called  Gaspard  Caderousse.  But, 
Monsieur  the  Abbé,  tell  me,  I  pray,  what  bas  become  of 
poor  Edmond.  Did  you  know  him  ?  Is  he  alive  and  at 
liberty  î     Is  he  prospérons  and  happy  î  " 

^'He  died  a  prisoner,  more  wretched,  hopeless,  heart- 
broken  than  the  félons  who  pay  the  penalty  of  their 
crimes  at  the  galleys  of  Toulon." 

  deadly  paleness  succeeded  the  deep  suffusion  which 
had  before  spread  itself  over  the  counteuance  of  Cade- 
rousse, He  turned  away,  and  the  priest  saw  him  wipe 
away  a  tear  with  the  corner  of  the  red  handkerchief  twisted 
round  bis  head. 


THE  INN  OP  PONT  DU  GARD.  323 

*•  Poor  fellow  !  "  murmured  Gaderousse.  "  Well,  there, 
Monsieur  the  Abbé,  is  another  proof  of  what  I  told  yoa,  — 
tbat  the  good  God  is  good  only  to  the  wicked.  Âh,"  con- 
tinued  Gaderousse,  speaking  in  the  highly-colored  language 
of  the  South,  "  the  world  grows  worse  and  worse.  Why 
does  not  €rod,  if  he  really  hâtes  the  wicked,  as  he  is  said 
to  do,  send  down  brimstone  and  fire,  and  consume  them 
altogether  ?  " 

''You  speak  as  though  you  had  loved  thia  young 
Dantès,"  observed  the  abbé. 

"  And  so  I  did,"  replied  Gaderousse  ;  **  though  once,  I 
confess  I  envied  him  his  good  fortune.  But  I  swear  to 
you,  Monsieur  the  Abbé,  that  I  hâve  since  then  deeply  and 
sincerely  lamented  his  unhappy  fate." 

There  wâs  a  brief  silence,  during  which  the  searching 
gaze  of  the  abbé  questioned  the  mobile  features  of  the 
innkeeper. 

"  You  knew  the  poor  lad,  thenî**  continued  Gaderoussa 

"I  vas  called  to  his  dying  bed  that  I  might  admin- 
îster  to  him  the  consolations  of  religion." 

"And  of  what  did  he  diel"  asked  Gaderousse,  in  a 
choking  voice. 

**  Of  what  does  one  die  in  prison  at  the  âge  of  thirty 
years,  if  not  of  the  prison  itselfl" 

Gaderousse  wiped  away  the  large  beads  of  perspîration 
that  gathered  on  his  brow. 

"  But  the  strangest  part  of  the  story  is,*'  resuraed  the 
abbé,  "  that  Dantès,  even  in  his  dying  moments,  swore  by 
the  Ghrîst  whose  feet  he  kissed  that  he  did  not  kuow 
the  cause  of  his  imprisonraent.** 

"It  is  true,  it  is  true!"  murmured  Gaderousse,  *'he 
could  not  know  it.  Ah,  Monsieur  the  Abbé,  the  pooi 
fellow  told  you  the  truth." 

*'  And  he  besought  me  to  try  and  clear  up  a  myster]f 


324  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTa 

he  had  never  been  able  to  penetrate,  and  to  cleai  bis 
memoTy,  should  any  stain  bave  fallen  on  it"  And  bere 
tbe  look  of  tbe  abbë,  becoming  more  and  more  fixed, 
devoured  tbe  expression,  almost  gloomy,  wbicb  appeared 
on  tbe  face  of  Caderousse. 

"  A  ricb  Englisbman/'  continued  tbe  abbë,  **  wbo  bad 
been  bis  companion  in  misfortune,  but  was  released  from 
prison  upon  tbe  second  restoration,  vas  possessed  of  a 
diamond  of  immense  vaine.  On  leaving  prison  be  gave 
tbis  diamond  to  Dantës  as  a  mark  of  bis  gratitude  for 
tbe  kindness  and  brotberly  care  witb  wbicb  Dantës  bad 
uursed  bim  tbrougb  a  severe  illness.  Instead  of  employ- 
ing  tbis  diamond  in  attempting  to  bribe  bis  jailers,  wbo 
indeed  migbt  bave  taken  it  and  tben  betrayed  bim  to  tbe 
govemor,  Dantès  carefully  preserved  it,  tbat  in  tbe  event 
of  bis  getting  out  of  prison  be  migbt  bave  wberewitbal 
to  live;  for  by  selling  tbe  diamond  be  could  make  bis 
fortune." 

'*  Tben,  I  suppose,"  asked  Caderousse,  witb  eager  looks, 
"  tbat  it  was  a  stone  of  immense  value  f  " 

"Wby,  everytbing  is  relative,"  ansWered  tbe  abbé. 
"  To  one  in  Edmond's  position  tbe  diamond  certainly  was 
of  great  value.     It  was  estimated  at  fifby  tbousand  livres.*' 

**  Bless  me  !  "  exclaimed  Caderousse  ;  "  wbat  a  sum  ! 
Fifty  tbousand  livres!  it  must  bave  been  as  large  as  a 
nut  I  " 

"  No,''  replied  tbe  abbë,  "  it  was  not  ôf  sucb  a  size  as 
tbat.  But  you  sball  judge  for  yourself  ;  I  bave  it  witb 
me.'' 

Tbe  sbarp  gaze  of  Caderousse  was  instantly  directed 
towards  tbe  priest's  garments,  as  tbougb  boping  to  discover 
tbe  treasure.  Calmly  drawing  fortb  from  bis  pocket  a 
small  box  covered  witb  black  sbagreen,  tbe  abbé  opened 
it  and  displayed  to  tbe  deligbted  eyes  of  Caderousse  tbe 


THE  INN  OF  PONT  BU  GARD.  325 

sparkling  jewel  it  contaîhed,  set  in  a  ring  of  admirable 
workmanship.  *'And  that  diamond,''  cried  Caderousse, 
ftlmost  breathless  with  eager  admiiatioiiy  ''you  say  is 
woith  fifty  thousand  livres  1" 

^'It  is,  without  the  setting,  whîch  is  also  valuable,'' 
replied  the  abbé,  as  he  closed  the  box  and  retumed  it  to 
lus  pocket,  while  its  brilliant  hues  seemed  still  to  dance 
before  the  eyes  of  the  fascinated  innkeeper. 

"  But  how  cornes  this  diamond  in  your  possession,  Mon- 
sieur the  Abbë  ?    Did  Edmond  make  you  his  heir?  '' 

''No,  but  his  testamentary  executor.  When  dying^  the 
nnfortunate  youth  said  to  me,  *  I  once  possessed  four  dear 
and  faithful  friends,  besides  the  maiden  to  whom  I  was 
betrothed  ;  and  I  feel  convinced  they  hâve  ail  unfeignedJy 
grieved  over  my  loss.  The  name  of  one  of  the  four 
fiîends  I  allude  to  is  Caderousse."' 

The  innkeeper  shivered. 

"  *  Another  of  the  number/  "  continued  the  abbé,  with- 
out seeming  to  notice  the  émotion  of  Caderousse,  '^'is 
called  Danglars  ;  and  the  third,  although  my  rival,  enter- 
tained  a  very  sincère  affection  for  me.'  " 

A  sinister  smile  played  over  the  features  of  Caderousse^ 
who  was  about  to  break  in  upon  the  abbë's  speech  when 
the  latter,  waving  his  hand,  said,  ^^Allow  me  to  finish 
first,  and  then  if  you  hâve  any  observations  to  make,  you 
can  do  so  afterwards.  *  The  third  of  my  friends,  although 
my  rival,  was  muéh  attached  to  me  ;  his  name  was  Fer* 
nand  ;  that  of  my  betrothed  was  —  '  Stay,  stay,''  con- 
tinued the  abbë,  '*  I  hâve  forgotten  what  he  called  her/' 

"  Mercedes,"  cried  Caderousse,  eagerly. 

**  True,"  said  the  abbé,  with  a  stifled  sigh,  **  Mercedes 
it  was." 

**  60  on,"  urged  Caderousse. 

^Bring  me  a  carafe  of  water,"  said  the  abbé. 


326  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

Caderousse  quickly  performed  the  stranger's  bidding  ; 
and  after  pouriiig  some  into  a  glass  and  slowly  swallowing 
its  contents,  the  ahhé,  resuming  bis  usual  placidîty  of 
nianner,  said,  as  be  placed  bis  empty  glass  on  tbo  table, 
"  Where  were  we  î  " 

**  The  betrothed  of  Edmond  was  called  Mercedes.*' 

**To  be  sure.  *You  will  go  to  Marseilles,' —  it  iâ 
Dantès  who  speaks,  you  understandi" 

"Perfectly." 

"  *  For  the  purpose  of  selling  tbis  diamond,  the  proceedb 
of  wbich  you  will  divide  into  five  equal  parts,  and  give 
an  equal  portion  to  the  only  persons  who  bave  loved  me 
upon  earth.'" 

"But  why  into  five  parts?*'  asked  Caderousse;  "you 
mentioned  only  four  persons." 

"  Because  the  fifth  is  dead,  as  I  bear.  The  fifbh  sharer 
in  Edmond's  bequest  was  bis  own  father." 

"Too  true,  too  true!"  ejaculated  Caderousse,  almost 
suffocated  by  the  contending  passions  wbich  assailed  bim, 
"  the  poor  old  man  is  dead." 

"I  learned  so  much  at  Marseilles,"  replied  the  abbé, 
making  a  strong  effort  to  appear  indiffèrent  ;  "  but  from 
the  length  of  time  that  bas  elapsed  sînce  the  death  of  the 
elder  Dantës,  I  was  unable  to  obtaîn  any  particulars  of  bis 
end.  Do  you  know  anything  about  the  last  days  of  tbat 
old  man  9  " 

"  Eh  I  "  said  Caderousse,  "  who  sbould  know  better 
than  1 9  Why,  I  lived  almost  on  the  same  floor  with  the 
poor  old  man.  Ah,  yes  I  it  was  hardly  a  year  after  the 
disappearance  of  bis  son  when  the  poor  old  man  died." 

"  Of  what  did  be  die  r 

"Why,  the  doctors  called  bis  complaint  an  internai 
inflammation,  I  believe.  His  acquaintances  say  be  died  of 
grief;  but  I,  who  almost  saw  bim  die,  I  say  be  died  of —  ^ 


THE  INN  OF  PONT  PU  GABD.  827 

**  Of  what  î  **  asked  the  priest,  eftgetly. 

"Why,  of  starvation." 

*'  Starvation  !  **  exclaimed  the  abbë,  spriDgîng  from  hîa 
seat.  "  Why,  the  vilest  animais  are  not  suffered  to  die 
of  starvation.  The  very  dogs  that  wander  houseless  and 
homeless  in  the  streets  find  some  pitying  hand  to  cast 
them  a  mouthful  of  bread  ;  and  that  a  man,  a  Christian, 
should  be  allowed  to  perish  of  hunger,  siirrounded  by 
other  men  who  call  themselves  Christian  !  impossible  I 
Oh,  it  is  impossible  I" 

"What  I  hâve  said,  I  hâve  said,"  answered  Caderousse. 

"  And  you  are  wrong/*  said  a  voice  from  the  top  of  the 
stairs.  "Why  should  you  meddle  with  what  does  not 
concem  youV 

The  two  men  tumed  and  perceived  the  sickly  counte- 
nance  of  La  Carconte  leaning  over  the  rail  of  the  staircase. 
Âttracted  by  the  sound  of  voices,  she  had  feebly  dragged 
berself  down  the  stairs,  and  seated  on  the  lower  step,  she 
had  listened  to  the  foregoing  conversation. 

"  Why  do  you  meddle  yourself,  Wife  1  ''  replied  Cade- 
rousse. "  This  gentleman  asks  me  for  information  which 
common  politeness  will  not  permit  me  to  refuse.** 

*'  Yes,  but  whicL  prudence  requires  you  to  refuse.  How 
do  you  know  the  motives  that  person  may  hâve  for  making 
you  speak,  simpleton  1  " 

"I  pledge  you  my  sacred  word,  Madame,"  said  the  abbé, 
"  that  my  intentions  are  free  from  ail  sorts  of  harm  or 
injury  to  you  or  yours;  and  that  your  husband  bas  nothing 
to  fear,  provided  he  answers  me  candidly." 

"  Kothing  to  fear,  yes  !  You  begin  with  fine  promises, 
then  come  down  to  '  nothing  to  fear,'  then  go  away  and 
forget  what  you  hâve  said  ;  and  some  fine  morning  down 
cornes  misfortuDe  on  the  heads  of  the  poor  wretches,  who 
do  not  even  know  whence  it  cornes." 


328  THE  COUNT  OF  MONTE  CBISTO. 

"Nay,  nay,  my  good  woman,  calm  your  anxiety;  no 
misfortune  will  ever  corne  to  you  through  me,  I  assure 
you." 

Some  inarticulate  sounds  escaped  La  Carconte,  thefi 
letting  her  head,  which  she  had  raised  during  the  excite- 
ment  of  conversation,  again  droop  on  to  her  lap,  she  con> 
tinued  her  feverish  trembling,  and  left  the  two  speakers 
to  résume  the  conversation,  but  still  remaining  where  she 
could  hear  every  word  they  uttered.  Again  the  abbé  had 
been  obliged  to  swallow  a  draught  of  water  to  calm  the 
émotions  that  threatened  to  overpower  him.  When  he 
had  sufficiently  recovered  himself,  he  said,  **  It  appears, 
then,  that  the  misérable  old  man  you  were  telling  me 
of  was  forsaken  by  eveiy  one,  since  he  died  in  that 
wayl** 

**  Why,  he  was  not  altogether  forsaken,''  replied  Gade- 
rousse  ;  ''  for  Mercedes  the  Catalane  and  M.  Morrel  were 
yery  kind  to  him  ;  but  somehow  the  poor  old  man  had 
contracted  a  profound  antipathy  to  Fernand,  —  the  very 
person/'  added  Caderousse,  with  a  bitter  smile,  "  that  you 
named  just  now  as  being  one  of  Dantès's  faithful  and 
attached  friends." 

**  And  was  he  not  so  1  "  asked  the  abbé. 

**  Gaspard  !  Gaspard  !  "  murmured  the  woman  from  het 
seat  on  the  stairs,  "  miud  what  you  are  saying  !  " 

Caderousse  made  no  reply  to  thèse  words^  though  evi- 
dently  irritated  and  annoyed  by  the  interruption,  but 
addressing  the  abbé,  said,  ^'Can  a  man  be  faithful  to 
another  whose  wife  he  desires  for  himself  t  Dantës,  who 
was  a  heart  of  gold,  believed  everybody's  professions  of 
friendship.  Poor  Edmond  !  but  it  is  well  that  he  never 
found  them  out  ;  it  would  hâve  been  too  difficult  to  pardon 
them  in  the  hour  of  death.  And  whatever  people  may 
say,"  continued  Caderousse,  in  his  native  language^  which 


THB  INN  OF  PONT  DU  GARD.        329 

was  not  altogether  devoid  of  rude  poetry,  '*  I  cannot  help 
fearing  more  the  malédiction  of  the  dead  than  the  hatred 
of  tlie  living." 

*^  Simpleton  !  "  ezclaimed  La  Carconte. 

**  Do  yovL,  then,  know  in  what  manner  Femand  iiguied 
Dantès  1  "  inquired  the  abbë  of  Caderousse. 

"Dolî    No  one  better." 

"  Speak  ont,  then  ;  say  what  it  was  !  ** 

"  Gaspard  I  "  cried  La  Carconte,  "  do  as  you  please,  — 
you  are  the  master  ;  but  if  you  are  guided  by  me,  you 
will  hâve  nothing  to  say  on  this  subject." 

"  Well,  well,  Wife,"  replied  Caderousse,  "  1  believe  you 
are  right.    I  shall  foUow  your  advice." 

**  Then  you  are  determined  not  to  reveal  the  circum- 
stances  you  alluded  toi"  said  the  abbé. 

*•  Why,  what  good  would  it  do  î  "  asked  Caderousse. 
'*  If  the  poor  lad  were  living,  and  came  to  me  to  beg  that 
I  would  candidly  tell  him  who  were  his  true  and  who  his 
false  frîendSy  why  perhaps  I  should  not  hesitate.  But 
you  tell  me  he  is  no  more  ;  he  can  hâve  nothing  to  do  witb 
hatred  or  revenge,  so  let  ail  such  feelings  be  buried  with 
him." 

"You  are  willing,  then,"  said  the  abbë,  "that  I  should 
bestow  on  men  who  you  say  are  false  and  treacherou»  the 
reward  intended  for  fiiithful  friendship  ?  '* 

"That  is  true  enough,"  returned  Caderousse.  "You 
say  truly,  the  gifb  of  poor  Edmond  was  not  meant  fur 
such  traitors  as  Femand  and  Danglars  ;  besides,  what 
would  it  be  to  theml^no  more  than  a  drop  of  water 
in  the  océan." 

"  Without  considcring,"  said  the  woman,  "  that  those 
two  men  can  crush  you  with  a  single  movement." 

"How  soi"  inquired  the  abbé.  "Are  thèse  peraons, 
then,  so  rich  and  powerful 


n»f 


330  THE  CODNT  OF  MONTE  CElBTa 

"Do  you  not  know  their  hîstory t  ** 

"  I  do  not,     Pray  relate  it  to  me  1  " 

Caderousse  seemed  to  reflect  an  instant,  then  suid,  '*  No^ 
truly,  it  would  take  up  too  much  time." 

**  Well,  my  good  &iend/'  retumed  the  abbé,  in  a  tone 
that  indicated  utter.  indifférence  on  his  part,  '*you  are  at 
liberty  either  to  speak  or  be  silent,  just  as  you  please  ;  for 
my  own  part,  I  respect  your  sçruples  and  admire  your  sen- 
timents, 80  let  tbe  matter  end.  I  shall  do  my  duty  as 
conscientiously  as  I  can,  and  fulfil  my  promise  to  tbe 
dying  man.  My  first  business  will  be  to  dispose  of  tbis 
diamond."  So  saying,  tbe  abbé  again  drew  the  small 
box  from  bis  pocket,  opened  it,  and  contrived  to  hold 
it  in  such  a  light  tbat  a  brigbt  flash  of  brilliant  hues 
passed  before  the  dazzled  gaze  of  Caderousse. 

"  Wife,  Wife  !  "  cried  he,  in  a  voice  almost  hoarse 
with  eager  émotion^  ''come  hither  and  behold  tbis  rich 
diamond  !  '* 

"  Diamond  !  **  exclaimed  La  Garconte,  rising  and  de- 
scending  to  the  cbamber  with  a  tolerably  firm  step; 
"what  diamond  are  youtalking  abouti" 

"  Why,  did  you  not  hear  ail  we  said  î  "  inquired  Cade- 
rousse. "It  is  a  diamond  left  by  poor  Edmond  Dantës  to 
be  sold,  and  the  money  divided  among  bis  father,  Mercedes, 
bis  betrothed  bride,  Feruand,  Danglars,  and  mysel£  The 
jewel  is  worth  at  least  fifty  thousand  livres." 

"  Oh,  what  a  splendid  diamond  !  "  cried  tbe  woman. 

"  The  fifth  part  of  tbe  proceeds  of  tbis  stone  belongs  to 
us,  then,  does  it  not  1  "  asked  Caderousse,  stili  devouring 
tbe  glittering  gem  with  bis  eyes. 

"It  does,"  replied  the  abbé;  "with  the  addition  of  a 
share  in  the  part  intended  for  the  elder  Dantës,  which  I 
conceive  myself  at  liberty  to  share  equally  with  the  four 
surviving  person»*' 


THE  INN  OP  PONT  DU  GABD.        331 

•'And  wherefore  among  us  fourî"  înquîred  Caderoussa 

**  Because  you  were  the  four  friends  of  Edmond" 

"  I  don't  call  those  friends  who  betray  and  ruin  you," 
murmured  the  wife,  in  a  low,  muttering  voioe. 

"  Of  course  not  I  *'  rejoined  Caderousse,  quickly  ;  "  no 
more  do  I.  And  that  was  what  I  vas  observing  to  this 
gentleman  just  now.  I  said  I  looked  upon  it  as  a  sacri- 
legions  profanation  to  reward  treachery,  perhaps  crime.** 

^'Remember/'  answered  tbe  abbé,  calmly,  as  he  replaced 
the  jewel  and  its  case  in  the  pocket  of  his  cassock,  "  it  is 
your  fault,  not  mine,  that  I  do  so.  You  will  hâve  the 
goodness  to  fumish  me  with  the  address  of  Edmond's 
friends,  in  order  that  I  may  exécute  his  last  wishes." 

The  agitation  of  Caderousse  became  extrême,  and  large 
drops  of  perspiration  roUed  from  his  heated  brows.  As 
he  saw  the  abbé  rise  from  his  seat  and  go  towards  the 
door,  as  though  to  ascertain  if  his  horse  were  sufficient- 
ly  refreshed  to  continue  his  journey,  Caderousse  and 
his  wife  ezchanged  looks  of  deep  meaning  with  each 
other. 

**  This  splendid  diamond  might  be  ail  our  own,**  said 
Caderousse. 

"  Do  you  belîeve  it  î  ** 

**  Why,  surely  a  man  of  his  holy  profession  would  not 
deceive  us  1  ^ 

"  Well/*  replîed  La  Carconte,  **  do  as  you  like.  For 
njy  part,  I  wash  my  hands  of  the  afiFair."  So  saying,  she 
once  more  climbed  the  staircase  leading  to  her  chamber, 
her  frame  shuddering  with  aguish  chills,  and  her  teeth 
rattling  in  her  head,  notwithstanding  the  intense  beat 
,Qf  tbe  weather.  Arrived  at  the  top  stair,  she  tumed 
round,  and  called  eut  in  a  waming  tone  to  her  bus- 
bimd»    ^' Oaspieird,    consider   well   what    you    are    about 

to   dol^  .:. 


332  THE  COUNT  OP  MONTE  CRlSTa 

**  I  have  decided/*  answered  Oaderousse. 

La  Oarconte  then  entered  ber  chamber,  the  flooring  of 
which  creaked  beneath  ber  beavy,  uncertain  tread,  as  sbe 
proceeded  towards  ber  armcbair,  into  wbicb  sbe  fell  as 
tboagb  ezbausted. 

'*  Wbat  bave  you  decided  f  "  asked  tbe  abbé. 

**  To  tell  you  ail  I  know/*  was  tbe  reply. 

"  I  certaiiily  tbink  you  act  wisely  in  so  doing,**  said 
tbe  priest*  **  Not  because  I  bave  tbe  least  désire  to  learn 
anytbing  you  may  désire  to  couceal  from  me,  but  simply 
because  if  you  can  assist  me  to  distribute  tbe  legacy  ac- 
eording  to  tbe  wisbes  of  tbe  testator,  wby,  so  mucb  tbe 
better." 

**  I  bope  I  can/'  replied  Gaderousse,  bis  &ce  flusbed 
witb  bope  and  cupidity. 

"  Now,  tben,  begin  if  you  please,"  said  the  abbé  ;  "  I 
am  waiting." 

"  Stop  a  minute,"  answered  Caderousse  ;  "  we  miigbt 
be  interrupted  in  tbe  most  interestîng  part  of  my  récital, 
wbicb  would  be  a  pity  ;  and  it  is  as  well  tbat  your  visit 
bitber  sbould  be  known  only  to  ourselves."  Witb  tbese. 
words  be  went  stealtbily  to  tbe  door,  wbicb  be  closed, 
and  by  way  of  still  greater  précaution  bolted  and  barred 
it  as  be  was  accustomed  to  do  at  nigbt.  During  tbis 
time  tbe  abbë  bad  cbosen  bis  place  for  listening  at  bis 
ease.  He  removed  bis  seat  into 'a  corner  of  tbe  room 
wbere  be  bimself  would  be  in  deep  sbadow,  wbile  tbe 
ligbt  would  be  fully  tbrown  on  tbe  narrator  ;  tben  witb 
bead  bent  down  and  bands  clasped,  or  ratber  clincbed 
togetber,  be  prepared  to  give  bis  wbole  attention  to 
Caderousse,  wbo  seated  bimself  on  a  litUe  stool  opposite 
to  bim. 

'^Remember,  I  did  not  urge  you  to  tbis,''  said  tbe 
trembling  voice  of  La  Carconte,  as  tbougb  tbrougb  tbe 


THE  INN  OF  PONT  DU  GARD.  333 

flooring  of  her  chamber  she  could  see  wbat  was  taking 
place  below. 

"Enough,  enough  !"  replied  Caderousse  ;  "say  no  more 
about  it  I  will  take  ail  tbe  conséquences  upon  myself." 
And  he  began  bis  storj. 


834  TH£  COCJNT  OF  MONTE  CBISTO. 


CHAPTER  XXYU. 

THE  RECITAL. 

•*  First,"  said  Caderousse,  "  I  must  beg  you,  Monsieur,  to 
promise  me  one  thiiig." 

"  What  is  that  ?  "  inquired  the  abbë. 

''It  is  that  if  you  ever  make  use  of  the  détails  I  am 
about  to  give  you,  you  will  never  let  any  one  know  that 
it  was  I  who  supplied  tbem  ;  for  the  persons  of  whom  I 
am  about  to  talk  are  ricb  and  powerful,  and  if  they  only 
laid  the  tips  of  their  fingers  on  me,  I  should  break  to 
pièces  like  glass." 

"Make  yourself  easy,  my  friend,"  replied  the  abbé. 
"I  am  a  priest,  and  confessions  die  in  my  breast.  Recol- 
lect,  our  only  désire  is  to  carry  out  in  a  fitting  manner 
the  last  wishes  of  our  friend.  Speak,  then,  without  re- 
serve, as  without  hatred  ;  tell  the  truth,  the  whole  truth. 
I  do  not  know,  never  may  know,  the  persons  of  whom 
you  are  about  to  speak.  Besides,  I  am  an  Italian  and  not 
a  Frencliman,  and  belong  to  God  and  not  to  man  ;  and  I 
retire  to  my  couvent,  which  I  bave  only  quitted  to  fulfil 
the  last  wishes  of  a  dying  man.'' 

This  last  assurance  seemed  to  give  Caderousse  courage. 
"  Well,  then,  under  thèse  circumstances,"  said  he,  "  I  will, 
indeed,  I  must  undeceive  you  as  to  the  friendship  which 
poor  Edmond  believed  so  sincère  and  unquestionable." 

"  Begin  with  his  father,  if  you  please,"  said  the  abbé  ; 
"  Edmond  talked  to  me  a  great  deal  about  the  old  man, 
for  whom  he  had  the  deepest  love." 


THE  RECITAL.  335 


w 


The  histoTj  îs  a  sad  one,  sir/'  said  Caderousse,  sbaking 
hifl  head  ;  '*  perhaps  you  know  ail  the  earlîer  part  of  it  ?  ^ 

"  Yes,"  answered  the  abbé  ;  "  Edmond  related  to  me 
everything  until  the  moment  when  he  was  arrested  in  a 
smaÛ  cabaret  close  to  Marseilles." 

'^  At  La  Réserve  I  Oh,  yes  1  I  can  see  it  ail  before  me 
this  moment." 

'*  Was  it  not  bis  betrothal  feast  9  *' 

''  It  was  ;  and  the  feast  that  began  so  gayly  had  a  veiy 
sorrowful  euding  :  a  commissary  of  police,  foUowed  by 
four  solditiFS,  entered,  and  Dan  tes  was  arrested." 

*'  Yes  ;  and  up  to  this  point  I  know  ail,"  said  the  priest 
**  Dantès  himself  knew  only^what  had  happened  to  him 
personally,  for  he  never  beheld  again  any  of  the  five  per- 
sons  I  bave  named  to  you,  nor  heard  them  mentioned.*' 

''  Well,  when  Dantës  was  arrested,  M.  Morrel  hastened 
to  obtain  the  particulars,  and  they  were  very  sad.  The 
old  man  returned  alone  to  his  home,  folded  up  bis  wedding 
sait  with  tears  in  his  eyes,  and  paced  up  and  down  bis 
chamber  the  whole  day,  and  would  not  go  to  bed  at  ail, 
—  for  I  was  uudemeath  him  and  heard  him  walking  the 
whole  night;  and  for  myself,  I  assure  you  I  could  not 
sleep  eitber,  for  the  grief  of  the  poor  father  gave  me  great 
uneasiness,  and  every  step  he  took  went  to  my  heart  as 
really  as  if  his  foot  had  pressed  against  my  breast.  The 
next  day  Mercedes  came  to  MarseUles  to  implore  the  proteo* 
tion  of  M.  de  Yillefort  ;  she  obtained  nothing.  She  then 
went  to  visit  the  old  man.  When  she  saw  him  so  miséra- 
ble and  heart-broken,  and  leamed  that  he  had  not  been  in 
bed  nor  tasted  food  since  the  previous  day,  she  wished 
him  to  go  with  her  that  she  might  take  care  of  him  ;  but 
the  old  man  would  not  consent.  'No,'  was  his  reply, 
*  I  will  not  leave  this  bouse,  —  for  my  poor  dear  boy  loves 
me  better  than  anything  in  the  world,  and  if  he  gets  ont 


336  THE  COUNT  OP  MONTlfi  CRISTO. 

of  prison  he  will  corne  to  see  me  the  fiist  thing  ;  and  what 
would  he  think  if  I  did  not  wait  hère  for  him  1  *  I  heard 
ail  this  froni  the  window,  for  I  was  anxious  that  Mercedes 
should  persuade  the  old  man  to  accompany  her  ;  his  foot- 
steps  over  my  heàd  night  and  day  did  not  leave  me  a 
moment's  repose." 

'^  But  did  you  not  go  upstairs  and  try  to  console  the 
poor  old  man  9"  asked  the  abbé. 

"Ah,  sir,"  replied  Caderousse,  "we  cannot*  console 
those  who  will  not  be  consoled,  and  he  vas  one  of  thèse  ; 
besides,  I  know  not  why,  but  he  seemed  to  dislike  seeing 
me.  One  night,  however,  I  heard  his  sobs,  and  I  could 
not  resist  my  désire  to  go  up  to  him  ;  but  when  I  reached 
his  door  he  was  no  longer  weeping,  he  was  praying.  I 
cannot  now  repeat  to  you,  sir,  ail  the  éloquent  words 
and  imploring  language  he  made  use  of.  It  was  more 
than  piety,  it  was  more  than  grief;  and  I,  who  am  no 
canter,  and  hâte  the  Jesuits^  said  then  to  myself,  '  It  is 
really  fortunate  that  I  am  alone,  and  that  the  good  6od 
bas  not  sent  me  children  ;  for  if  I  were  a  father^  and  if  I 
should  suffer  a  grief  like  that  of  this  poor  old  man,  not  find- 
ing  in  my  memory  or  in  my  heart  ail  that  he  is  saying  to 
the  good  God,  I  should  throw  myself  into  the  sea  at  once, 
to  escape  from  my  grief.*  " 

**  Poor  father  !  '*  murmured  the  priesto 

''From  day  to  day  he  lived  on  alone^  and  more  and 
more  solitary.  M.  Morrel  and  Mercedes  came  ofben  to  see 
him,  but  his  door  was  closed  ;  and  although  I  was  certain 
he  was  at  home,  he  would  not  make  any  answer.  One 
day,  when  contraiy^to  his  custom  he  had  admitted  Mer- 
cedes^ and  the  poor  girl,  in  spite  of  her  own  grief  and 
despair,  endeavored  to  console  him,  he  said  to  her,  *  Be 
assured,  my  dear  daughter,  he  is  dead  ;  and  instead  of  oui 
awaiting  him^  he  is  awaiting  us.     I  axù.  quite  happy,  for  I 


THE  BECrrAL.  337 

am  the  oldest,  and  of  course  shall  see  him  first.*  However 
well  disposed  we  may  be,  we  soon  cease  visiting  those 
who  make  uà  sad.  And  so  at  last  old  Dantès  was  lefb  ail 
to  himself,  and  I  only  saw  from  time  to  time  strangers  go 
up  to  him  and  corne  down  again  with  some  biindle  which 
they  tried  to  bide  ;  but  I  guessed  what  thèse  bundles  were  : 
he  was  selling  pièce  by  pièce  ail  that  he  had,  to  get  money 
for  food.  At  length  the  poor  old  fellow  reached  the  end  of 
his  possessions  ;  he  owed  three  quarters'  rent,  and  they 
threatened  to  tum  him  out.  He  begged  for  another  week» 
which  was  granted  to  him.  I  know  this,  because  the  land- 
lord  came  into  my  apartment  when  he  left  his.  For  the 
first  three  days  I  heard  him  walking  about  as  usual,  but  on 
the  fourth  I  heard  him  no  longer.  I  then  resolved  to  go 
up  to  him  at  ail  risks.  The  door  was  closed  ;  but  I  looked 
through  the  keyhole,  and  saw  him  so  pale  and  haggard  that 
believing  him  very  ill  I  went  and  told  M.  Morrel,  and  then 
rail  on  to  Mercedes.  They  both  came  immediately,  M. 
Morrel  bringing  a  doctor;  and  the  doctor  said  it  was  an 
affection  of  the  stomach,  and  ordered  him  a  limited  diet 
I  was  there  too,  and  I  never  shall  forget  the  old  man's 
smile  at  this  prescription.  From  that  time  he  opened  his 
door  ;  he  had  an  excuse  for  not  eating  any  more,  as  the 
doctor  had  put  him  on  a  dief 

The  abbé  uttered  a  kind  of  groan. 

"  The  story  interests  you,  does  it  not,  sir  1  '*  inquired 
Caderousse. 

"  JTes,"  replied  the  abbé  ;  "  it  is  very  affecting." 

**  Mercedes  came  again,  and  she  found  him  so  altered 
that  she  was  even  more  anxious  than  before  to  bave  him 
taken  to  her  own  abode.  This  was  M.  Morrel's  wish  also, 
who  would  fain  bave  conveyed  the  old  man  against  his 
consent  ;  but  the  old  man  resisted,  and  cried  so  that  they 
were  afraid  to  persévère.      Mercedes  remained  therefore 

you  I.  —  22 


338  THE  COUKT  OF  MONTB  CBISTa 

bj  his  bedsîde,  and  M.  Moirel  went  away,  making  a  sign 
to  her  that  he  had  left  his  purse  on  the  chininey-pieca 
But  availing  himself  of  the  doctor's  order,  the  old  man 
would  not  take  any  sustenance.  At  length  (after  nine 
days'  despair  and  fasting)  the  old  man  died,  cursing  those 
who  had  caused  his  mlBery,  and  saying  to  Mercedes,  '  If 
you  ever  see  my  Edmond  again,  tell  him  I  die  blessîng 
him.'  " 

The  abbé  rose  from  his  chair,  made  two  tama  round 
the  ohamber,  and  pressed  his  trembling  hand  against  hia 
parched  throat.     "  And  you  believe  he  died  —  '* 

"  Of  hunger,  sir,  of  hunger,*'  said  Caderousse.  **  I  am 
as  certain  of  it  as  that  we  two  are  Chrîstians." 

The  abbé  with  a  shaking  hand  seized  a  glass  of  water 
that  was  standing  by  him  half-fuU,  emptied  it  at  one  gulp, 
and  then  resumed  his  seat  with  red  eyes  and  pale  cheeks. 
*^  This  was  indeed  a  horrible  event/'  said  he,  in  a  hoarse 
voice. 

^  "The  more  so,  sir,  as  it  was  men*s  and  not  God's 
doing." 

"  Tell  me  of  those  men,"  said  the  abbé  ;  "  and  remem- 
ber,"  he  added  in  a  voice  that  was  nearly  menacing  in  its 
tone,  "  you  hâve  promised  to  tell  me  everything.  Tell  me 
therefore  who  are  thèse  men  who  hâve  killed  the  son  with 
despair,  and  the  father  with  famine  9  " 

"Two  men  jealous  of  him,  Monsieur,  one  through 
love,  and  the  other  through  ambition,  —  Fernand  and 
Danglars." 

"  Tell  me,  how  was  this  jealousy  manifested  1  " 

"  They  denounced  Edmond  as  a  Bonapartist  agent'' 

"  Which  of  the  two  denounced  him  î  Which  was  the 
real  delinquent  1  " 

"  Both,  sir  ;  one  wrote  the  letter,  and  the  other  put  H; 
in  the  post/' 


THE  RECITAL.  339 

**  And  where  was  tbis  letter  written  ?  ^ 

"At  La  Eëserve,  the  day  before  tbe  festival  of  tbe 
betrotbîng/' 

"  'T  was  30y  tben  ;  't  was  so^  then/'  murmured  tbe  abbë. 
''Ob,  Faria,  Farîa!  bow  well  did  you  judge  men  and 
things  !  " 

"  Wbat  did  you  please  to  say,  sir  l '^  asked  Caderousse, 

"  Notbing,  notbing,"  replied  tbe  priest ;  "go  on." 

"  It  was  Danglars  wbo  wrote  tbe  denunciation  witb 
bis  left  band,  that  bis  writing  mîgbt  not  be  recognized,  and 
Feruand  wbo  put  it  in  tbe  post.** 

"  But,"  exclaimed  tbe  abbé,  suddenly,  "  you  were  tbere 
yourself!" 

"II"  said  Caderousseï  astonisbed;  "wbo  told  you  I 
was  tbere  1" 

Tbe  abbé  saw  tbat  be  bad  gone  too  far,  and  be  added 
quickly,  "  No  one  ;  but  in  order  to  bave  known  every- 
tbing  so  well,  you  must  bave  been  an  eye-witness." 

" True,  true  !"  said  Caderousse,  in  a  cboking  voice,  " lii 
was  tbere." 

''  And  did  you  not  remonstrate  against  sucb  infamy  1  " 
asked  tbe  abbé  ;  "  if  not,  you  were  an  accomplice." 

"Monsieur,"  replied  Caderousse,  "tbey  bad  made  me 
drink  to  sucb  an  excess  tbat  I  nearly  lost  ail  perception. 
I  bad  only  an  indistinct  understanding  of  wbat  was  passing 
arouud  me.  I  said  ail  tbat  a  man  in  sucb  a  state  could 
say  ;  but  tbey  botb  assured  me  tbat  it  was  a  jest  tbey  were 
carrying  on,  and  perfectly  barmless." 

"Next  day,  Monsieur,  next  day,  you  must  bave  seen 
plainly  enougb  wbat  tbey  bad  been  doing  ;  yet  you  said 
notbing,  tbougb  you  were  présent  wben  Dantès  was 
ai'rested." 

"  Yes,  sir,  I  was  tbere,  and  very  anxious  to  speak  ;  but 
Danglars  restrained  me.     *  If  be  should  really  be  guilty.^ 


540  THE  COUNT  OF  MONTE  CBISTO. 

nid  he,  '  and  did  really  land  on  the  ialand  of  Elba  ;  if  he 
is  really  charged  with  a  letter  for  the  Bonapartist  commit- 
tee  at  Paris,  and  if  they  find  this  letter  upon  him,  — those 
who  l)ave  supported  him  will  be  regarded  as  his  accom- 
plices.'  I  was  afraid,  —  the  political  condition  being  full 
of  hidden  dangers, — and  I  held  my  tongue.  It  vas 
cowardly,  I  confess,  but  it  was  not  criminaL" 

''I  comprehend,  —  you  allowed  matters  to  take  their 
course,  that  was  ail." 

"Yes,  Monsieur,"  answered  Caderousse,  "and  I  think 
of  it  with  remorse  night  and  day.  I  often  ask  pardon  of 
God  for  it,  I  swear  to  you,  and  with  the  more  reason  be- 
cause  I  believe  that  this  action,  the  only  one  with  which 
I  bave  seriously  to  reproach  myself  in  ail  my  life,  is  the 
cause  of  my  abject  condition.  I  am  expiating  a  moment 
of  selfishness  ;  and  thus  it  is  I  always  say  to  Carconte 
when  she  complains,  'Hold  your  tongue,  woman!  it  is 
the  will  of  God.'  "  And  Caderousse  bowed  his  head  with 
every  sign  of  leal  repentance. 

"  Well,  sir,"  said  the  abbé,  "  you  hâve  spoken  frankly  ; 
thus  to  accuse  yourself  is  to  deserve  pardon." 

/^  Unfortunately,  Edmond  is  dead,  and  bas  not  par* 
doned  me." 

"He  did  not  know  about  it,"  said  the  abbé. 

"But  he  knows  it  ail  now,"  interrupted  Caderousse; 
"they  say  the  dead  know  everything." 

There  was  a  brief  silence  ;  the  abbé  rose  and  paced  up 
and  down  pensively,  and  then  resumed  his  seat.  "  You 
hâve  two  or  three  times  mentioned  a  M.  Morrel,"  he  said  ; 
"who  was  he?" 

"  The  owner  of  the  '  Pharaon  '  and  the  patron  of  Dantès." 

"And  what  part  did  he  play  in  this  sad  dramal"  in- 
quired  the  abbé. 

**  The  part  of  an  honest  man,  full  of  courage  and  affe& 


THB  RECITAL.  341 

tioxL  Twenty  times  he  interceded  for  Edmond.  When 
the  emperor  returnedy  he  wrote/implored,  threatened,  and 
so  energetically  tbat  ou  the  second  restoration  he  was  per- 
secuted  as  a  Bonapartist.  Ten  times,  as  I  told  jou,  he 
came  to  see  Dantès's  father,  and  offered  to  receive  him  iu 
bis  own  house  ;  and  the  night  or  two  before  liis  death,  as 
I  bave  akeady  said,  he  lefb  bis  puise  on  the  mantel-piece, 
with  the  contents  of  whicb  they  paid  the  old  man's  debts 
and  buried  him  decently.  So  tbat  Ëdmond's  father  died 
as  he  had  lived,  without  doing  harm  to  any  one.  I  bave 
the  purse  still  by  me,  —  a  large  one,  made  of  red  silk." 

"And,"  asked  the  abbé,  "is  M.  Morrel  still  aliveî" 

"Yes,"  replied  Caderousse. 

"  In  tbat  case,''  replied  the  abbé,  "  he  should  be  a  man 
favored  of  God.     Is  he  rich,  happyî" 

Caderousse  smiled  bitterly.  "  Yes,  happy,  —  like  me/' 
said  he. 

"Wbat,  M.  Morrel  unhappy!"  exclaîmed  the  abbé. 

"He  is  reduced  almost  to  the  last  extremity,  — nay,  he 
is  almost  at  the  point  of  dishonor." 

"Is  it  as  bad  as  tbat)'' 

"Yes,"  continued  Caderousse,  "it  is  as  bad  as  tbat. 
After  twenty-five  years  of  labor,  after  bavîng  acquired  a 
most  honorable  name  in  the  trade  of  Marseilles,  M.  Morrel 
is  utterly  ruined.  He  bas  loat  five  ships  in  two  years,  bas 
Buffered  by  the  bankruptcy  of  three  laige  bouses,  and  bis 
only  hope  now  is  in  tbat  very  *  Pharaon'  which  poor 
Dantès  commanded,  and  whicb  is  expected  from  the  In- 
dice with  a  cargo  of  coehineal  and  indigo.  If  this  sbip 
founders  like  the  others,  he  is  a  ruined  man." 

"And  bas  the  unfortunate  mau  wife  or  children?"  in- 
quîred  the  abbé. 

"  Yes,  he  bas  a  wife,  who  in  ail  this  bas  bebaved  like 
an  angel  ,*  he  bas  a  daughter  who  was  about  to  marry  the 


342  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

man  she  loved,  but  whose  family  now  will  not  allow  hiui 
to  wed  the  daughter  of  a  ruiued  mau  ;  he  bas  besides  a 
son,  a  lieutenant  in  the  army  ;  and  as  you  may  suppose, 
ail  this,  instead  of  sootbiug,  doubles  bis  grief.  If  he  were 
alone  in  the  world  he  would  blow  out  his  brains,  and  there 
would  be  an  end." 

"  Horrible  !  "  ejaculated  the  priest. 

'*  And  it  is  thus  that  Heaven  récompenses  virtue.  Mon- 
sieur/* added  Caderousse.  '*  You  see  I,  who  never  did  a 
bad  action  but  that  I  bave  told  you  of,  am  in  destitution  ; 
afber  having  seen  niy  poor  wife  die  of  a  fever,  unable  to 
do  anything  in  the  world  for  her,  I  shall  die  of  hunger 
as  old  Dantès  did,  while  Feruand  and  Dangkrs  are  roll- 
ing  in  wealth.** 

''And  how  bas  that  happened?*' 

"  Because  with  them  everything  tums  out  well,  while 
with  those  who  are  honest  everything  goes  wrong." 

''What  bas  become  of  Danglars,  the  instigator,  and 
therefore  the  most  guilty?" 

"  What  bas  become  of  him  1  Why,  he  left  Marséilles, 
and  was  taken  on  the  recommendation  of  M.  Morrel,  who 
did  not  know  his  crime,  into  a  Spanish  bank  as  cashier. 
During  the  war  with  Spain  he  was  employed  in  the  com- 
missariat of  the  French  army  and  made  a  fortune  ;  then 
with  that  money  he  speculated  in  the  Funds  and  trebled 
or  quadrupled  his  capital,  and  having  first  married  bis 
banker's  daughter,  who  left  him  a  widower.  bas  married 
a  second  time,  a  widow,  a  Madame  de  Nargonne,  daugh- 
ter of  M.  de  Servieux,  the  king's  Chamberlain,  who  is  in 
high  favor  at  court.  He  is  a  millionnaire,  and  they  )iave 
made  him  a  count  ;  and  now  he  is  the  Comte  Danglars, 
with  a  botel  in  the  Rue  de  Mont  Blanc,  with  ten  borses  in 
his  stables,  six  footmen  in  his  ante-chamber,  and  I  know 
not  how  many  hundre<ls  of  thousands  in  his  strong-box." 


THE  RECITAL.  343 

'^Ab!**  said  the  abbé,  with  â  peculiar  tone;  ''and  îs 
be  bappyî" 

'*HappyI  Wbo  can  answer  for  that?  Happîness  or 
unbappîness  is  tbe  secret  known  but  to  one's  self  aiid  the 
waUs  ;  walls  bave  ears  but  no  tongue.  If  a  large  fortune 
produces  bappiness,  Danglars  is  bappy." 

"And  Femandr* 

**  Fernaud  !   Wby,  tbat  is  still  anotber  bistory/* 

"But  bow  could  a  poor  Catalan  fisber-boy,  vitbout 
éducation  or  resources,  make  a  fortune)  I  confess  tbis 
surprises  me.'* 

"And  it  bas  surprised  everybody.  Tbere  must  bave 
been  in  bis  life  some  strange  secret  no  one  kuows." 

"  But  by  wbat  visible  steps  bas  be  attained  tbis  bigb 
fortune  or  bigb  position  V 

"  Botb,  Monsieur  ;  be  bas  botb  fortune  and  position.** 

"You  are  giving  me  a  taie  of  fiction!** 

"It  would  seem  so;  but  listen,  and  you  will  under- 
stand.  Some  days  before  tbe  return  of  tbe  emperor, 
Femand  was  drawn  in  tbe  conscription.  The  Bourbons 
left  bim  quietly  enougb  at  tbe  Catalans  ;  but  Napoléon  re- 
tumed,  an  extraordinary  muster  was  determined  on,  and 
Femand  was  compelled  to  join.  I  went  too  ;  but  as  I 
was  older  tban  Femand,  and  bad  just  married  my  poor 
wife,  I  was  sent  only  to  tbe  coast.  Fernand  was  enrolled 
in  tbe  active  forces,  went  to  the  frontier  with  bis  régiment, 
and  was  at  tbe  battle  of  Ligny.  The  night  afber  that  bat- 
tle  be  was  sentry  at  the  door  of  a  gênerai  wbo  carried  on  a 
secret  correspondence  with  the  enemy.  That  same  night 
the  gênerai  was  to  go  over  to  the  English.  He  proposed 
to  Femand  to  accompany  bim;  Fernand  agreed  to  do  so, 
deserted  bis  post,  and  followed  the  gênerai.  That  which 
would  bave  brought  Femand  to  a  court-martial  if  Napo- 
léon had  remained  on  tbethrone,  served  for  bis  recommon* 


^ 

^ 


344  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

dation  to  the  Bourbons.  '  He  retumed  to  France  with  the 
epaulette  of  sub-lieutenant,  and  as  the  protection  of  the 
gênerai,  who  is  in  the  bighest  favor,  was  accorded  to  him, 
he  was  a  captain  in  1823  during  the  Spanish  war;  that 
is  to  say,  at  the  time  when  Danglars  made  bis  early  spécu- 
lations. Fernand  was  a  Spaniard;  and  being  sent  to  Spain 
to  ascertain  the  feeling  of  bis  fellow-countrymen,  found 
Danglars  there,  became  on  very  intimate  terms  with  bim, 
procured  for  bis  General  support  from  the  Eoyalists  of 
the  capital  and  the  provinces,  received  promises  and  made 
pledges  on  bis  own  part,  guided  bis  régiment  by  paths 
known  to  bimself  alone  in  gorges  of  the  mountains  held 
by  tho  Royalists,  and  in  fact  rendered  such  services  in 
this  brief  campaign  that  after  the  taking  of  Trocadero  he 
was  made  colonel,  and  received  the  title  of  count  and  the 
cross  of  an  officer  of  the  Légion  of  Honor.'* 

"  Destiny  !  destiny  !  '*  murmured  the  abbë. 

"  Yes,  but  listen  ;  this  was  not  ail.  The  war  with 
Spain  being  ended,  Fernand's  career  was  checked  by  the 
long  peace  which  seemed  likely  to  continue  througbout 
Europe.  Greece  only  had  risen  against  Turkey  and  had 
begun  her  war  of  indépendance  ;  ail  eyes  were  turned 
towards  Athens,  —  it  was  the  fasbion  to  pity  and  support 
the  Greeks.  The  French  Government,  without  protecting 
them  openly,  as  you  know,  tolerated  partial  migrations. 
Fernand  sought  and  obtained  leave  to  go  and  serve  in 
Greece,  still  having  bis  name  kept  in  the  ranks  of  the 
army.  Some  time  after  it  was  stated  that  the  Comte  de 
Morcerf — this  was  the  name  he  bore — had  entered  the 
service  of  Ali  Pacha,  with  the  rank  of  instructor-general. 
Ali  Pacha  was  killed,  as  you  know  ;  but  before  he  died  he 
recompensed  the  services  of  Fernand  by  leaving  bim  a 
considérable  sum,  with  which  he  retumed  to  France, 
when  bis  rank  of  lieutenant-general  was  confirmed." 


THS  RECITAL.  S4II 

^  So  that  now— ••  inquiied  tbe  abbé. 

**  So  that  now,"  continued  Caderuusse,  **  be  possesses  a 
magnificent  botel,  —  No.  27  Rue  du  Helder,  Paris.'' 

Tbe  abbé  opeued  bis  moutb,  lemained  for  a  moment 
like  a  man  who  hésitâtes,  then,  makîng  au  effort  over 
bimself,  be  said,  *'  And  Mercedes,  —  they  tell  me  that  sbe 
bas  disappeared  1  " 

"  Dîsappeared,"  said  Caderousse,  '^  yes,  as  tbe  sun  dis- 
appears,  to  rise  tbe  next  day  with  still  more  splendor." 

''Has  sbe  also  made  a  fortune?"  Inquired  tbe  abbé, 
witb  an  ironical  smile. 

<<  Mercedes  is  at  this  moment  one  of  tbe  greatcst  ladies 
in  Paris,"  replied  Caderousse. 

^^Go  on,"  said  tbe  abbë;  ''it  seems  as  if  I  were 
hearing  tbe  récital  pf  a  dream.  But  I  hâve  seen  things 
80  extraordinary  that  tbose  you  mention  to  me  seem 
less  astonisbing." 

'^Mercedes  was  at  first  in  tbe  deepest  despair  at  tbe 
blow  whicb  deprived  her  of  Edmond.  I  bave  told  you  of 
ber  attempts  to  propitiate  M.  de  Yillefort,  her  dévotion  to 
tbe  father  of  Dantës.  In  the  midst  of  her  despair,  a  fresh 
trouble  overtook  her.  This  was  the  departure  of  Fernand, 
—  of  Femand,  whose  crime  sbe  did  not  know,  and  whom 
sbe  regarded  as  ber  brother.  Fernand  went^  and  Mercedes 
remained  alone.  Three  montbs  she  spent  in  weeping; 
no  news  of  Edmond,  no  news  of  Fernand,  nothiug  before 
her  but  an  old  man  who  was  dying  witb  despair.  One 
evening,  after  having  been  seated,  as  was  ber  custom,  ail 
day  at  the  angle  of  two  roads  that  lead  to  Marseilles  from 
tbe  Catalans,  she  returned  to  ber  home  more  depressed 
than  ever  ;  neitber  her  lover  nor  ber  friend  returned  by 
either  of  thèse  roads,  and  she  bad  no  intelligence  of  either. 
Suddenly  sbe  beard  a  step  she  knew,  turned  round  anx* 
iously,  tbe  door  opened,  and  Fernand,  dressed  in  the  ani* 


346  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

forrn  of  a  sub-lieutenaut,  stood  before  her.  It  was  not 
the  half  of  her  life  for  which  she  mourned  ;  but  it  wae 
still  a  portion  of  her  past  which  was  thus  retumed  to  her. 
Mercedes  seized  Femand's  hands  with  a  transport  which 
he  took  for  love,  but  which  was  only  joj  at  beîng  no 
longer  alone  iu  the  world,  and  seeing  at  last  a  friend,  af- 
ter  long  hours  of  solitary  sorrow.  And  then,  it  must  be 
confessed,  Fernand  had  never  been  an  object  of  dislike  to 
her  ;  only  she  had  not  loved  him.  Another  possessed  ail 
Mercédès's  heart  ;  that  other  was  absent,  had  disappeared, 
perhaps  was  dead.  At  this  last  idea  Mercedes  burst  into 
a  flood  of  tears  and  wrung  her  hands  in  agony  ;  but  this 
idea,  which  she  had  always  repelled  before  when  it  was 
suggested  to  her  by  another,  came  now  in  fuU  force  upon 
her  mind;  and  then  too  old  Dantès  incessantly  said  to 
her,  'Our  Edmond  is  dead;  if  he  were  not  he  would 
retum  to  us/  The  old  man  died,  as  I  bave  told.you; 
had  he  lived,  Mercedes,  perchance,  had  not  become  the 
wife  of  another,  for  he  would  hâve  been  there  to  reproach 
her  infidelity.  Fernand  saw  this,  and  when  he  leamed 
the  old  man's  death  he  retumed.  He  was  now  a  lieuten- 
ant. At  his  first  coming  he  had  not  said  a  word  of  love 
to  Mercedes  ;  at  the  second  he  reminded  her  that  he  loved 
her.  Mercedes  begged  for  six  months  more  to  expect  and 
bewail  Edmond." 

'^So  that,"  said  the  abbë,  with  a  bitter  smile,  ''that 
makes  eighteen  months  in  ail.  What  more  could  the  most 
devoted  lover  désire  î"  Then  he  murmured  the  words 
of  the  English  poet,  "  '  Frailty,  thy  name  is  woman.*  " 

^^  Six  months  afterwards,"  continued  Caderousse,  "  the 
marriage  took  place  in  the  church  of  Accoules." 

"  The  very  church  in  which  she  was  to  hâve  married 
Edmond,"  murmured  the  priest;  ''there  was  only  a 
change  of  bridegroom.** 


THE  RECITAL.  347 

"  Well,  Mercedes  was  married,"  proceedod  Caderousse  ; 
^'but  altbough  in  the  eyes  of  the  world  sbe  appeared 
calm,  sbe  nearly  fainted  as  sbe  passed  La  Eëserve,  wbere 
eigbteen  montbs  before,  tbe  betrotbal  bad  been  celebrated 
witb  bim  wbom  sbe  would  bave  seen  sbe  still  loved  bad 
sbe  dared  to  searcb  ber  beart  Femand,  more  bappy,  but 
not  more  at  bis  ease,— for  I  saw  at  tbis  time  be  was  in 
constant  dread  of  Edmond's  letum,  —  was  very  anxious 
to  get  bis  wife  away  and  to  départ  bimself.  Tbere  were 
too  many  dangers  and  recollections  associated  witb  tbe 
Catalans,  and  eigbt  days  after  tbe  wedding  tbey  left 
Marseilles." 

**  Did  you  ever  see  Mercedes  again  ?  "  inquîred  tbe  priest. 

"Yes,  during  tbe  war  of  Spain,  at  Perpignan,  wbere 
Femand  bad  left  ber;  sbe  was  attending  to  tbe  éduca- 
tion of  ber  son." 

Tbe  abbë  started.     **  Her  son  1  **  said  be. 

"  Yes,"  replied  Caderousse  ;  "little  Albert." 

**  But,  tben^  to  be  able  to  instruct  ber  cbild/'  continued 
tbe  abbë,  "  sbe  must  bave  received  an  éducation  berself. 
I  understood  from  Edmond  tbat  sbe  was  tbe  daugbter  of 
a  simple  fisberman,  beautiful  but  uneducated.'' 

"  Ob  !  **  replied  Caderousse,  "  did  be  know  so  little  o£ 
bis  betrotbed  )  Mercedes  migbt  bave  been  a  queen,  Mon- 
sieur, if  tbe  crown  were  to  be  placed  on  tbe  beads  of  tbe 
loveliest  and  most  intelligent.  Her  fortune  bad  increased, 
and  sbe  bccame  greater  witb  ber  fortune.  Sbe  leamed 
drawing,  music,—  everytbing.  Besides,  I  believe,  between 
ourselves,  sbe  did  tbis  in  order  to  distract  ber  mind,  tbat 
sbe  migbt  forget  ;  and  sbe  only  fiUed  ber  bead  to  alleviate 
tbe  weigbt  on  ber  beart.  But  now  everytbing  must  be 
told/'  continued  Caderousse;  '^no  doubt  fortune  and 
bonors  bave  comforted  ber.  Sbe  is  ricb,  a  countese^ 
and  yet  — " 


348  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

**  And  yet  what  ?  "  asked  the  abbé. 

*'  Yet  I  am  sure  sbe  is  not  bappj/*  said  Cadeiotusse. 

"  What  makes  you  believe  this  î  " 

"Why,  wben  I  bave  found  myself  very  wretcbed,  1 
bave  tbougbt  my  old  friends  would  perbaps  assist  me. 
So  I  went  to  Danglars,  wbo  would  not  even  receive  me  ; 
I  called  on  Fernand,  wbo  sent  me  a  bundred  livres  by 
bis  valet  de  chambre,** 

"  Tben  you  did  not  see  eitber  of  tbem  ?  ** 

"  No  ;  but  Madame  de  Morcerf  saw  me." 

"How  wastbatr* 

**  As  I  went  away  a  purse  fell  at  my  feet  ;  it  contained 
five  and  twenty  louis.  I  raised  my  bead  quickly  and  saw 
Mercedes,  wbo  sbut  the  blind  directly." 

"  And  M.  de  Villefort  1  "  asked  the  abbé. 

"  Oh,  he  never  was  a  friend  of  mine  ;  I  did  not  know 
bim,  and  I  bad  notbing  to  ask  of  bim." 

"  Do  you  not  know  what  became  of  bim,  and  the  share 
be  bad  in  Edmond's  misfortuues  1  " 

"No ;  I  only  know  that  some  time  after  baving  arrested 
bim,  be  married  Mademoiselle  de  Saint-Méran,  and  soon 
after  left  Marseilles.  No  doubt  but  be  bas  been  as  lucky 
as  the  rest  ;  no  doubt  be  is  as  ricb  as  Danglars,  as  bigb 
in  station  as  Fernand.  I  only,  as  you  see,  bave  remained 
poor,  wretcbed,  and  forgotten." 

"  You  are  mistaken,  my  friend,"  replied  the  abbé. 
"  God  may  seem  sometimes  to  forget  for  a  while,  while 
bis  justice  reposes,  but  there  always  comes  a  moment 
wben  he  remembers  —  and  behold  a  proof."  As  he 
spoke,  the  abbé  took  the  diamond  from  bis  pocket, 
and  giving  it  to  Caderousse,  said,  "Hère,  my  friend, 
take  this  diamond  ;  it  is  yours." 

"What  I  for  me  only?"  cried  Caderousse.  "Ah,  Moi^ 
sieur,  do  not  jest  with  me  1  " 


THE  RECITAL.  349 

''This  diamond  was  to  bave  been  sbared  among  bis 
friendâ.  Edmond  bad  one  friend  only,  and  thus  it  cannot 
be  divided.  Take  tbe  diamond,  then,  and  aell  it.  It  is, 
as  I  bave  said,  wortb  fifty  tbousand  livres  ;  and  I  trust 
tbat  tbis  sum  may  suffice  to  release  you  from  your 
wretcbedness." 

"  Oh,  Monsieur/'  said  Caderoiisse,  putting  out  one  band 
timidly,  and  witb  tbe  otber  wiping  away  tbe  perspiration 
wbicb  bedewed  bis  brow,  —  "  ob,  Monsieur,  do  not  make 
a  jest  of  a  man's  bappiness  or  despair  1  " 

''  I  know  what  bappiness  and  wbat  despair  are,  and  I 
never  make  a  jest  of  sucb  feelings.  Take  it,  tben,  but  in 
excbange — " 

Caderousse,  wbo  toucbed  tbe  diamond,  witbdrew  bis 
band.  Tbe  abbé  smiled.  "  In  excbange,"  be  contiuued, 
^'give  me  tbe  red  silk  purse  tbat  M.  Morrel  left  on  old 
Dantès's  cbimney-piece,  and  wbicb  you  tell  me  is  still  in 
your  bands." 

Caderousse,  more  and  more  astonisbed,  went  to  a  laige 
oaken  cupboard,  opened  it,  and  gave  tbe  abbé  a  long  purse 
of  faded  red  silk,  round  wbicb  were  two  copper  runners 
tbat  bad  once  been  gilt.  The  abbé  took  it,  and  in  retura 
gave  Caderousse  tbe  diamond. 

"  Ob  I  you  are  a  man  of  God,  sir,'*  crîed  Caderousse  ; 
''for  no  one  knew  that  Edmond  bad  given  you  tbis 
diamond,  and  you  miglit  bave  kept  it." 

"  Wbicb,"  said  the  abbé  to  bimself,  "  you  would  bave 
done,  it  appears."  He  rose  and  took  bis  bat  and  gloves. 
"  Well,"  be  said,  "  ail  that  you  bave  told  me  is  perfectly 
true,  tben,  and  I  may  believe  it  in  every  particular  1  " 

"See,  Monsieur  tbe  Abbé,"  replied  Caderousse,  "in  tbis 
corner  is  a  crucifix  of  boly  wood  ;  bere  on  this  sbelf  is  my 
wife's  Bible.  Open  tbis  book,  and  I  will  swear  upon  it  witb 
my  band  on  tbe  crucifix,  by  my  soul's  salvation^  my  faitb  as 


350  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

a  Christian,  that  I  bave  told  everytbing  to  yon  as  it  oo- 
curred,  and  as  the  angel  of  m  en  will  tell  it  to  the  ear  of 
God  at  the  day  of  the  last  judgment  !  " 

"  *T  is  well,"  said  the  abbe,  convinced  by  bis  manner 
and  tone  that  Caderousse  spoke  the  truth.  '^  'T  is  well, 
and  may  this  money  profit  you  !  Adieu  !  I  retum  to  my 
place  apart  from  men  who  thus  do  evil  to  one  another." 

The  abbé  with  diffîculty  got  away  from  the  enthusiastic 
thanks  of  Caderousse,  opened  the  door  himself,  got  out 
and  mounted  bis  horse,  once  more  saluted  the  innkeeper, 
who  kept  uttering  bis  loud  farewells,  and  then  retumed 
by  the  road  be  had  travelled  in  coming.  When  Cade- 
rousse tumed  round,  be  saw  behind  him  La  Carconte, 
paler,  and  trembling  more  than  ever. 

''Is,  then,  ail  that  I  bave  heard  leally  truel"  sbe 
inquired. 

"  What  !  that  be  bas  given  the  diamond  to  us  only  f 
inquired  Caderousse,  half-bewildered  with  joy. 

"  Yes." 

"  Nothing  more  true  I    See  !  bere  it  is." 

The  woman  gazed  at  it  a  moment,  and  then  said  in  a 
gloomy  voice,  **  Suppose  it  's  false  î  " 

Caderousse  started  and  tumed  pale.  "  False  I  "  be  mut- 
tered.  "  False  1  why  should  that  man  give  jaae  a  false 
diamond  )  " 

"To  possess  your  secret  without  paying  for  it,  you 
blockbead  1  " 

Caderousse  remained  for  a  moment  aghast  under  the 
weight  of  such  an  idea.  ''Oh  !  "  be  said,  taking  up  bis 
bat,  which  he  placed  on  the  red  bandkerchief  tied  round 
bis  bead,  "  we  will  soon  learn  that." 

"  In  what  way  î  " 

"  Why,  it  is  the  fair  of  Beaucaire  ;  tbere  are  always 
jewellers  from  Paris  tbere,  and  I  will  show  it  to  theoo. 


THE  RECITAL.  351 

Take  care  of  the  house,  Wife,  and  I  will  be  back  in  two 
hours."  Caderousse  left  the  house  in  haste,  and  ran 
rapîdly  in  a  direction  contrary  to  that  wbich  the  un^ 
known  had  taken. 

"  Fifty  thousand  livres  I  "  muttered  La  Carconte,  when 
left  alone  ;  ''  it  is  a  lai^e  sum  of  money,  but  it  is  not  a 
fortune.*' 


362  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 


CHAPTER    XXVIIl. 

THB  FRISON   REQI8TEB. 

The  day  after  that  on  whicb  occurred  the  interview  de- 
scribed  above,  a  nian  about  tbirty  or  thirty-two  years  of 
âge,  dressed  in  a  brigbt  blue  frock-coat,  nankeen  trousers, 
and  a  wbite  waistcoat,  baving  tbe  appearance  and  accent 
of  an  Englisbman,  presented  himself  before  tbe  mayor  of 
Marseilles.  "  Monsieur,"  said  be,  "  I  am  cbief  clerk  of 
the  bouse  of  Tbomson  and  Frencb,  of  Rome.  We  are, 
and  bave  been  thèse  ten  years,  connected  witb  the  bouse 
of  Morrel  and  Son,  of  Marseilles.  We  bave  a  bundred 
thousand  livres  or  tbereabouts  engaged  in  spéculation 
witb  tbem,  and  we  are  a  little  uneasy  at  reports  that 
bave  i*eacbed  us  that  tbe  firm  is  on  tbe  eve  of  ruin.  I 
bave  corne,  therefore,  express  from  Rome,  to  ask  you  for 
information  as  to  tbis  bouse." 

"Monsieur,"  replied  tbe  mayor,  "I  know  very  well 
that  during  tbe  last  four  or  five  years,  misfortune  seems 
to  pursue  M.  Morrel.  He  bas  lost  four  or  five  vessels, 
and  suffered  by  three  or  four  bankruptcies  ;  but  it  is  not 
for  me,  altbough  I  am  a  creditor  myself  to  the  amount 
of  ten  thousand  livres>  to  give  any  information  as  to  tbe 
state  of  bis  finances.  If  you  ask  of  me,  as  mayor,  what  is 
my  opinion  of  M.  Morrel,  I  sball  say  be  is  a  man  honora- 
ble to  tbe  last  degree,  wbo  bas  up  to  tbis  time  fulfiUed 
every  engagement  witb  scrupulous  punctuality.  Tbis  is 
ail  I  can  say,  Monsieur  ;  if  you  wisb  to  leam  more,  ad- 


THE  PRISON  REOISTER*  353 

dresB  yourself  to  M.  de  Boville,  the  inspector  of  prisons, 
No.  15  Euo  de  Noaailles.  He  has,  I  believe,  two  hundred 
ihousand  livres  placed  in  the  hands  of  Morrel;  and  if  there 
be  any  grounds  for  appréhension,  as  this  is  a  greater  amount 
than  mine,  you  will  most  probably  find  him  better  informed 
than  myselt" 

The  Englishman  seemed  to  appreciate  this  extrême  deli- 
cacy,  made  hîs  bow,  and  went  away,  walking  with  that 
step  peculiar  to  the  sons  of  Great  Britain  towards  the 
stl^et  mentioned.  M.  de  Boville  was  ifi  his  private  room, 
and  the  Englishman  on  perceiving  him  made  a  gesture  of 
surprise  which  seemed  to  indicate  that  it  was  not  the  first 
time  he  had  been  in  his  présence.  As  to  M.  de  Boville, 
he  was  in  such  a  state  of  despair  that  it  w^s  évident  that 
ail  the  faculties  of  his  miud  were  absorbed  in  the  thought 
which  occupied  him  at  the  moment,  and  that  neither  his 
memory  nor  his  imagination  had  leisure  for  recarring  to 
the  past.  The  Englishman,  with  the  coolness  of  his 
nation,  addressed  him  in  terms  nearly  similar  to  those 
with  which  he  had  accosted  the  mayor  of  Marseilles. 

"  Oh,  Monsieur,"  exclaimed  M.  de  Boville,  "  your  fears 
are  unfortunately  but  too  well  founded,  and  you  see  before 
you  a  man  in  despair.  I  had  two  hundred  thousand  livres 
placed  in  the  hands  of  Morrel  and  Son  ;  thèse  two  hundred 
thousand  livres  were  ray  daughter's  dowry,  who  was  to  be 
manîed  in  a  fortnight,  and  they  were  payable,  half  on  the 
15th  of  this  month,  and  the  other  half  on  the  15th  of 
next  month.  I  had  informed  M.  Morrel  of  my  désire  to 
hâve  thèse  payments  punctually;  and  he  has  been  hère 
within  the  last  half-hour  to  tell  me  that  if  his  ship,  the 
*  Pharaon/  did  not  come  înto  port  on  the  15th,  he  would 
be  whoUy  unable  to  make  this  payment." 

"But,"  said  the  Englishman,  "this  looks  very  mucb 
like  a  suspension  of  payments  1  ^ 

VOL.  L  —  2» 


V- 


354  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

"SsLjf  Monsieur,  that  it  lesembles  a  bankraptcyl" 
exclaimed  M.  de  Boville,  despairingly. 

The  Ënglîshman  appeared  to  reflect  a  moment,  and 
then  said,  '*  So,  Monsieur,  this  crédit  inspires  you  with 
considérable  appréhension?" 

"  To  say  truth,  I  consider  it  lost.** 

"  Well,  then,  I  will  buy  it  of  you." 

"Your 

«  Yes,  L'' 

*'  But  at  a  tremendous  discount,  of  course  f* 

**  No,  for  two  bundred  thousand  livres.  Our  bouse,'* 
added  the  Ënglishman,  with  a  laugh,  *'  does  not  do  things 
in  that  way."      ^ 

"  And  you  will  pay  —  •• 

''  Eeady  money."  And  the  Englisbman  drew  from  hia 
pocket  a  bundlt..  of  bank-notes,  which  might  bave  been 
twice  the  sum  M.  de  Boville  feared  to  lose. 

A  ray  of  joy  passed  across  M.  de  Boville's  countenance, 
yet  be  made  an  effort  over  bimself  and  said,  "  Monsieur, 
I  ought  to  tell  you  that  in  ail  probability  you  will  not 
hâve  six  per  cent  of  this  sumu" 

*'  That  's  no  àffair  of  mine,"  teplied  tbe  Englisbman  ; 
*'  that  is  the  affair  of  the  bouse  of  Thomson  and  French, 
in  wbose  name  I  act.  They  bave  perhaps  some  motive  to 
serve  in  hastening  the  ruin  of  a  rival  firm.  But  ail  I 
know.  Monsieur,  is  that  I  am  ready  to  band  you  over  this 
sum  in  exchange  for  your  assignaient  of  the  debt.  I 
only  ask  a  brokerage.'' 

"  Of  course  that  is  perfectly  just,"  cried  M.  de  Boville. 
''The  commission  is  usuallyone  and  a  balf  ;  will  you  bave 
two,  three,  five  per  cent,  or  even  more  î     Speak  I  " 

"  Monsieur,"  replied  tbe  Englisbman,  laughing,  "  I  am 
like  my  bouse,  and  do  not  do  such  things  ;  no,  the  com- 
mission I  ask  is  quite  différent." 


THE  PRISON  BE6ISTER.  S5fi 

*  Nome  'it,  Monsieur^  I  beg." 

"  You  are  tlie  ÎDspector  of  prisons  î" 

"  I  hâve  been  so  thèse  fourteen  years." 

**  Yoa  keop  the  registers  of  entries  and  departuies  1  ** 

«Ido.» 

''To  thèse  registers  there  aie  added  notes  relative  to 
the  prisoners?" 

"  There  are  spécial  reports  on  everj  prisoner." 

"  Well^  Monsieur,  I  was  educated  at  Rome  by  a  poor 
devil  of  an  abbé,  who  disappeared  suddenly.  I  hâve  since 
learned  that  he  was  confined  in  the  Château  d'If,  and  I 
should  like  to  learn  some  particulars  of  his  death." 

"  What  was  his  name  %  '* 

"  The  Abbé  Faria." 

**  Oh,  I  recoUect  him  perfeotty/'  ciied  M.  de  Boville  ; 
"he  was  crazy." 

"  So  they  saîd." 

•*  Oh,  he  was,  decidedly.*' 

**  Very  possibly  ;  but  what  sort  of  madness  was  ît  î  *• 

"  He  pretended  to  know  of  an  immense  treasuf*e,  and 
offered  vast  sums  to  Government  if  they  would  liberate 
him.'' 

**Poor  devil  I  and  he  is  deadî" 

**  Yes,  sir  ;  five  or  six  months  ago  last  February,** 

'^You  hâve  a  good  memory,  sir,  to  recollect  dates  so 
welL" 

''I  recollect  this  because  the  poor  devil's  death  was 
iccompanied  by  a  singular  circumstance." 

''May  I  ask  what  that  wasi"  asked  the  Englishman, 
with  an  expression  of  curiosity  which  a  close  observer 
would  hâve  been  astonished  at  discovering  in  bis  phleg* 
matic  countenance. 

"Oh,  dear,  yes,  Monsieur;  the  abbë's  dungeon  was 
Cbrty  or  fifty  feet  distant  from  that  of  an  old  agent  ot 


356  THB  COUNT  OP  MONTE  CBISTa 

Bonaparte,  one  of  thcNse  who  had  contributed  most  actîyely 
to  the  return  of  the  usurper  in  1815^ — a  verj  resolute 
and  very  dangerous  man." 

*'  Indeed  !  "  saîd  the  Ënglishman. 

"  Yes,"  replied  M.  de  Boyille;  "I  myself  had  occasiou 
to  see  this  man  in  1816  or  1817,  and  we  could  go  into  his 
dungeon  only  with  a  file  of  soldiers.  That  man  made 
a  deep  impression  on  me.  I  shall  never  forget  his 
countenance  !  " 

The  Englishman  smiled  imperceptibly.  ''And  you 
say,  Monsieur,"  he  said,  "that  the  two  dungeons  —  " 

"  —  Were  separated  by  a  distance  of  fifty  feet  ;  but  it 
fippears  that  this  Edmond  Dantès  —  ** 

"  This  dangerous  man's  name  was  —  " 

''Edmond  Dantès.  It  appears,  Monsieur,  that  this 
Edmond  Dantès  had  procured  tools,  or  made  them, 
for  they  found  a  passage  by  which  the  prisoners 
communicated." 

"This  passage  was  fonned,  no  doubt,  with  an  inten- 
tion of  escapel" 

"No  doubt;  but  unfortunately  for  the  prisoners,  the 
Abbë  Fana  had  an  attack  of  catalepsy  and  died." 

"I  see;  that  would  naturally  eut  short  the  projects  of 
escape." 

"  For  the  dead  man,  yes,"  replied  M.  de  Boville  ;  "  but 
not  for  the  survivor.  On  the  contrary,  this  Dantès  saw  a 
means  of  accelerating  his  escape.  He  no  doubt  thought 
that  prisoners  who  died  in  the  Château  d'If  were  interred 
in  a  burial-ground  as  usual  ;  and  he  conveyed  the  dead 
man  into  his  own  cell,  assumed  his  place  in  the  sack  in 
which  they  had  sewn  up  the  defunct,  and  awaited  the 
moment  of  interment." 

"  It  was  a  bold  step,  and  one  that  indicated  some 
courage,"  remarked  the  Englishman. 


THE  PRISON  REGISTER.  357 

"  As  I  haye  already  told  you^  Monsieur^  he  was  a  yery 
dangerous  man  ;  and  fortuoately  by  his  own  act  diseni- 
barrassed  the  Government  of  the  feara  it  had  on  bis 
account." 

"  How  was  that  î  '' 

"  How  %  do  you  not  comprehend  1  ** 

"  No." 

*^  The  Château  d'If  bas  no  cemetery  ;  and  they  simply 
throw  the  dead  into  the  sea,  after  having  Êistened  a  thirty- 
six  pound  ballet  to  their  feet" 

''  Well  )  "  observed  the  Englîshman,  as  if  be  weie  slow 
of  compréhension. 

''  Well,  they  fastened  a  thirty-six  pound  bullet  to  his 
feet  and  threw  him  into  the  sea." 

**  Really  ?  "  exclaimed  the  Englishman. 

''Yes,  Monsieur/'  contiuued  the  inspector  of  prisons. 
'*  You  may  imagine  the  amazement  of  the  fugitive  when 
be  fouud  himself  ûung  headlong  down  towards  the  rocks. 
I  should  like  to  bave  seen  his  face  at  that  moment." 

"  That  would  bave  been  difficulté 

"  No  matter/'  replied  M.  de  Boville  in  suprême  good- 
bumor  at  the  certainty  of  recovering  his  two  bundred 
tbousand  livres,  —  **  no  matter  ;  I  eau  fancy  it."  And  be 
sbouted  wibb  laughter. 

''  So  can  I,"  said  the  Englishman,  and  he  laugbed  too  ; 
but  he  langhed  as  the  English  do,  at  the  end  of  bis  teeth. 
'^And  so/'  continued  the  Englishman^  wbo  first  gained 
bis  composure,  ''be  was  drowuedi" 

"  Unquestionably." 

^'So  that  the  govemor  got  rid  of  the  fierce  and  the 
crazy  prisoner  at  the  same  timel" 

"  Precisely.** 

**  But  some  officiai  document  was  drawn  up  as  to  tbis 
afiiur,  I  supposer'  iuquired  the  Euglisbman. 


358  THE  COUNT  OF  MONTE  CBISTO. 

*'  TeSy  yes  ;  the  mortuaiy  déposition.  You  under&tanâ 
that  Dautès's  relatives,  if  he  had  any,  might  bave  some 
interest  in  knowing  if  he  were  dead  or  alive.*' 

'*  So  that  now,  if  there  were  anything  to  inherit  from 
hiniy  they  may  do  so  with  easy  conscience.  He  is  dead, 
and  no  mistake  about  iti'' 

**  Oh,  yes  ;  and  they  may  hâve  the  fact  attested  when- 
ever  they  please." 

''So  be  it/'  said  the  Englishman.  ''But  to  letom  to 
thèse  legisters." 

"  True,  this  story  has  diverted  oui  attention  from  them. 
Excuse  me." 

"  Excuse  you  for  what,  —  for  the  story  î  By  no  means  ; 
it  really  seems  to  me  very  curious." 

"  Yes,  indeed.  So,  Monsieur,  you  wish  to  see  ail  relat- 
îngto  the  poor  abbé,  who  really  was  gentleness  itself?" 

"Yes,  you  will  much  oblige  me." 

**  Go  into  my  study  hère,  and  I  will  show  it  to  you  ;  * 
and  they  both  entered  M.  de  Boville's  study.  AU  was 
hère  arranged  in  perfect  order  ;  each  register  had  its  num- 
ber,  each  file  of  paper  its  place.  The  inspector  begged  the 
Englishman  to  seat  himself  in  an  armchair,  and  placed  be- 
fore  him  the  register  and  documents  relative  to  the  Châ- 
teau d'If,  givîng  him  ail  the  time  he  desired  to  examine  it, 
while  he  seated  himself  in  a  corner  and  began  to  read  his 
newspaper.  The  Englishman  easily  found  the  entries  rela- 
tive to  the  Abbé  Faria  ;  but  it  seemed  that  the  history 
which  the  inspector  had  related  interested  him  greatly, 
for  after  having  perused  the  first  documents  he  tumed 
over  the  leaves  until  he  reached  the  déposition  respecting 
Edmond  Dautès.  There  he  found  everything  in  its  place, 
—  the  denunciation,  examination,  Morrel's  pétition,  M.  de 
Villefort's  marginal  notes.  He  folded  up  the  denunciation 
quietly  and  put  it  as  quietly  in  bis  pocket,  read  the  ez> 


THE  PRISON  REGI8TEB.  359 

amination  and  saw  that  the  name  of  Noirtîer  was  not 
mentioned  in  it,  perased  too  the  application,  dated  lOth 
April,  1815,  in  which  Morrel,  by  the  deputy  procureur^ê 
advice,  exaggerated  with  the  best  intentions  (for  Napoléon 
was  then  on  the  throne)  the  services  Dantès  bad  rendered 
to  the  impérial  cause,  —  services  which  Yillefort's  certifi- 
cates  rendered  indisputable.  Then  he  understood  the 
matter.  This  pétition  to  Napoléon,  kept  back  by  Ville- 
fort,  had  become  nnder  the  second  restoration  a  terrible 
weapon  against  him  in  the  hands  of  the  procureur  du 
roi.  He  was  no  longer  astonished  when  he  searched  on 
to  fînd  in  the  register  this  note,  placed  in  a  bracket 
against  his  name  :  *- 

Violent  Bonapartist  ;  took  an  active  part 
in  the  return  from  Elba. 
Edmond  Dantès.'^  ^he  greatest  watchfuhiess  and  care  to  be 

exercised. 

Beneath  thèse  lines  was  written  in  another  hand  :  ''See. 
note  above,  —  nothing  can  be  done."  He  compared  the 
writing  in  the  bracket  with  the  writing  of  the  certificate 
placed  beneath  Morrers  pétition,  and  discovered  that  the 
note  in  the  bracket  was  in  the  same  writing  as  the  certifi- 
cate,  —  that  is  to  say,  was  in  Villefort's  handwriting.  As 
to  the  note  which  accompanied  this,  the  Englishman  un- 
derstood thàt  it  might  hâve  been  added  by  some  inspector 
who  had  taken  a  momentary  interest  in  Dantès's  situation, 
but  who  had,  on  account  of  the  records  we  bave  given, 
found  it  impossible  to  give  any  effect  to  the  interest  he 
experienced. 

As  we  hâve  said,  the  inspector,  from  discrétion,  and 
that  he  raight  not  disturb  the  Abbë  Faria's  pupil  in 
his  lesearches,  had  seated  himself  in  a  corner  and  was 
reading  '*  Le  Drapeau  Blanc."     He  did  not  see  the  Eng- 


860  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

lishman  fold  np  and  place  in  his  pocket  tLe  denunciation 
written  by  Danglars  uuder  the  aïbor  of  La  Réserve,  and 
which  had  the  post-mark  o^  Marseilles,  March  2,  delivery 
six  o'clock  p.  M.  But  it  must  be  said  that  if  he  had  seen 
it,  he  attached  so  small  importance  to  this  scrap  of  paper, 
and  80  great  importance  to  his  two  hundred  thousand 
livres,  that  he  Would  not  hâve  opposed  what  the  Engliâh- 
man  did,  however  irregular  it  might  be. 

*'  Thanks  !  "  said  the  latter,  closing  the  registet  with  a 
noise,  *'  I  hâve  ail  I  want  ;  now  it  is  for  me  to  perform 
my  promise.  Give  me  a  simple  assignment  of  your  debt, 
acknowledge  therein  the  receipt  of  the  cash,  and  I  will 
hand  you  over  the  money."  He  rose,  gave  bis  seat  to 
M.  de  Boville,  who  took  it  without  ceremony  and  quickly 
drew  up  the  required  assignment,  while  the  Englishman 
was  counting  ont  the  bank-notes  on  the  other  aide  of 
the  desk. 


tHK  HOOaK  OF  MOBKKL  AHii  60N.  86] 


CHAPTER    XXIX. 

THB  HOUSB  OF  MORREL  AND    BON. 

• 

Ant  one  who  had  quitted  Marseilles  a  few  years  pie- 
viouâly,  well  acquainted  with  the  house  of  Morrel  and  Son^ 
and  had  letnrned  at  this  date,  would  bave  found  a  great 
change  in  It.  Instead  of  that  air  of  life,  of  comfort,  and 
of  happiness  that  exhales  from  a  flourishing  and  prospér- 
ons house  ;  instead  of  the  merry  faces  seen  at  the  Windows  ; 
instead  of  the  busy  clerks  hurrying  to  and  fro  in  the  long 
corridors  ;  instead  of  the  court  611ed  with  baies  of  goods, 
re-echoing  the  cries  and  the  jokes  of  the  porters,  —  he 
would  hâve  at  once  perceived  an  air  of  sadness  and  gloom. 
In  the  deserted  corridor  and  the  empty  ofUce,  out  of  ail 
the  numerous  clerks  who  used  to  fill  the  office  but  ^wo 
remained.  One  was  a  young  man  of  three  or  four  and 
twenty,  named  Emmanuel  Herbaut,  who  was  in  love  with 
M.  Morrel's  daughter,  and  had  remaiued  with  him  against 
the  efforts  of  his  friends  to  induce  him  to  withdraw  ;  the 
other  was  an  old  one-eyed  cashier,  named  Codes,  a  nick- 
name  given  him  by  the  young  men  who  used  to  înhabit  this 
vast  bee-hive,  now  almost  deserted,  and  which  had  so  com- 
pletely  replaced  his  real  name  that  he  would  not  in  ail  prob- 
ability  hâve  replied  to  any  one  who  addressed  him  by  it. 

Codes  remained  in  M.  MorreVs  service,  and  a  most  sin- 
gular  change  had  taken  place  in  his  situation  ;  he  had  at 
the  same  time  risen  to  the  rank  of  casliier  and  suuk  to  the 
irnk  of  a  servant.  He  was,  however,  the  same  Coclès^ 
good,  patient,  devoted,  but  inflexible  on  the  subject  of 


362  THE  COUNT  OF  MONTE  CBISTO. 

aritbmetîc,  the  only  point  on  which  he  would  hâve  stood 
finn  agaiust  the  world,  even  against  M.  Morrel,  and  strong 
in  the  multiplication  table,  which  he  had  at  his  ûngeis' 
ends,  no  matter  what  scheme  or  what  trap  was  laid  to 
catch  him.  In  the  midst  of  the  distress  of  the  house. 
Codés  was  the  only  one  unmoved.  This  did  not  anse 
from  a  want  of  afifection,  but  on  the  contrary  from  a  firm 
conviction.  Like  rats  that  leave  by  degrees  the  vessel 
doomed  to  perish  at  sea,  until  ail  thèse  egotistical  guests 
hâve  completely  abandoned  the  ship  at  the  moment  when 
the  vessel  weighs  anchor,  so  ail  thèse  numerous  clerks  had 
by  degrees  deserted  the  bureaux  and  warehouse.  Coclès 
had  seen  them  go  without  thinking  of  inquiring  the  cause 
of  their  departure.  Everything  was,  as  we  hâve  said,  a 
question  of  arithmetic  to  Coclès  ;  and  during  twenty  years 
he  had  always  seen  ail  payments  made  with  such  exacti- 
tude that  it  seemed  as  impossible  to  him  that  the  house 
should  stop  payment  as  it  would  to  a  miller  that  the  river 
that  had  so  long  turned  his  mill  should  cease  to  flow. 

Kothing  had  as  yet  occurred  to  shake  Coclès's  belief  ; 
the  last  month's  payments  had  been  made  with  the  most 
scrupulous  exactitude.  Coclès  had  detected  an  error  of 
fourteen  sous  to  the  préjudice  of  Morrel,  and  the  same 
evening  he  had  brought  them  to  M.  Morrel,  who  with 
a  melancholy  smile  threw  them  into  an  almost  empty 
drawer,  saying,  '^Thanks,  Coclès;  you  are  the  pearl  of 
cashiers.** 

Coclès  letired  perfectly  happy,  for  by  this  eulogium  of 
M.  Morrel,  himself  the  pearl  of  the  honest  men  of  Mar- 
sciUes,  he  was  more  pleased  thah  he  would  hâve  been  by 
a  présent  of  fifty  pounds.  But  since  the  end  of  the  month 
M:  Morrel  had  passed  many  an  anxious  hour.  In  ordez 
to  meet  the  end  of  the  month,  he  had  coUected  ail  his  rè- 
aoorces  ;  and  fearing  lest  the  report  of  his  distress  should 


THE  HOUSE  OF  MORBEL  AND  SON.  d63 

get  bruited  abroad  at  Marseilles  when  he  was  known  to 
hâve  recourse  to  such  measures,  he  went  to  the  &ir  of 
Beaucaire  to  sell  his  wife's  and  daugl^ter's  jewels,  and  a 
portion  of  his  plate.  By  this  means  the  honor  of  the  house 
was  still  maintaîned  ;  but  his  resources  were  now  ex- 
hausted.  Crédit,  owing  to  the  reports  afloat,  was  no  longer  to 
be  had  ;  and  to  meet  the  one  hundred  thousand  livres  due  on 
the  15th  of  the  présent  month  to  M.  de  Boville,  and  the 
one  hundred  thousand  due  on  the  15th  of  the  next  month, 
M.  Morrel  had  in  reality  no  hope  but  the  retum  of  the 
**  Pharaon/'  whose  departure  he  had  learned  from  a  vessel 
which  had  weighed  anchor  at  the  same  tinie,  and  which  had 
already  arrived  in  harbor.  llBut  this  vessel,  which  like. 
the  "  Pharaon  "  came  firom  Calcutta,  had  arrived  a  fort- 
night  before,  while  no  intelligence  had  been  received 
of  the  "Pharaon." 

Such  was  the  state  of  things  when,  the  day  after  his  in- 
terview with  M.  de  Boville,  the  conMential  clerk  of  the 
house  of  Thomson  and  French,  of  Home,  presented  him- 
self  at  M.  Morrel's.  Emmanuel  received  him  ;  the  young 
man  —  whom  every  new  face  alarmed,  for  each  new  face 
announced  a  new  créditer  coming  in  alarm  to  question 
the  head  of  the  house  —  wished  to  spare  his  employer  the 
pain  of  this  interview,  and  questioned  the  new-comer  ;  but 
the  stranger  declared  he  had  nothing  to  say  to  Emmanuel, 
and  that  his  business  was  with  M.  Morrel  in  person.  Em- 
manuel sighed,  and  summoned  Coclës.  Codes  appeared  ; 
and  the  young  man  bade  him  conduct  the  stranger  to 
M.  MorrePs  apartment.  Coclës  went  first,  and  the 
stranger  foUowed  him.  On  thé  staircase  they  met  a  beau- 
tiful  girl  of  sizteen  or  seventeen,  who  looked  with  anxiety 
at  the  stranger. 

''M.  Morrel  is  in  his  ofiSce,  is  he  not.  Mademoiselle 
Julie  )  "  said  the  cashier. 


364  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

'*  Yes  ;  I  think  so,  at  least/'  said  the  young  gîrl,  hésita 
tingly.  "  Go  and  see.  Codes  ;  and  if  my  father  is  there 
announce  thîs  gentjeman/' 

*'  It  will  be  useless  to  announce  me.  Mademoiselle,'*  le- 
turned  the  Englishman.  ''  M.  Morrel  does  not  know  my 
name;  this  worthy  gentleman  bas  onlyto  announce  tbe 
confidential  clerk  of  the  bouse  of  Thomson  and  Frencb, 
of  Rome,  witb  whom  your  father  does  business." 

The  young  giii  turned  pale^  and  continued  to  descend, 
while  tbe  stranger  and  Codes  continued  to  mount  the 
staircase.  She  eutered  the  office  where  Emmanuel  was, 
while  Codés,  by  the  aid  of  a  key  be  possessed;  opened  a 
*door  in  the  corner  of  a  landing-place  on  tbe  second  stair- 
casOy  conducted  tbe  stranger  iuto  an  ante-chamber,  opened 
a  second  door,  whicb  be  dosed  behind  bim,  and  after  hav- 
ing  left  tbe  clerk  of  the  bouse  of  Thomson  and  French 
alone  for  a  moment,  returned  and  signed  to  bim  that  be 
could  enter.  The  Englishman  entered,  and  found  Morrel 
seated  at  a  table,  turning  over  tbe  formidable  columns 
of  bis  ledger,  whicb  contained  the  list  of  bis  liabilities. 
Ât  tbe  sight  of  the  stranger,  M.  Morrel  closed  tbe  ledger, 
rose,  and  offered  a  seat  to  tbe  stranger  ;  and  wben  be  bad 
seen  bim  seated,  resumed  bis  owu  chair.  Fourteen  years 
bad  changed  the  worthy  merchant,  who,  in  bis  tbirty-sixtb 
year  at  the  opening  of  this  bistory,  was  now  in  bis  fiftîeth. 
His  hair  had  turned  white  ;  time  and  sorrow  bad  ploughed 
deep  furrows  on  bis  brow  ;  and  bis  look,  once  so  firm  and 
penetrating,  was  now  irresolute  and  wandering,  as  if  be 
feared  being  forc0d  to  fix  bis  attention  on  an  idea  or  a 
man.  Tbe  Englishman  looked  at  bim  with  an  air  of  curi- 
osity  evidently  mingled  witb  interest.  "  Monsieur,"  said 
Morrel,  wbose  uneasiness  was  iucreased  by  this  examiner 
tion,  **you  wish  to  speak  to  meî  " 

**  Yesy  Monsieur  ;  you  are  a\yare  from  wbom  I  oome  )  ** 


THB  HOUSE  OF  MORREL  AND  BON.  365 

^  The  bouse  of  Thomson  and  French  ;  at  least  so  my 
eashier  tells  me." 

"  He  bas  told  you  rightly.  The  bouse  of  Thomson  and 
French  had  three  or  four  hundred  thousand  livres  to  pay 
this  month  in  France,  and  knowing  your  strict  punctuality, 
bave  collected  ail  the  bills  bearing  your  signature,  and 
chaiged  me  as  tbey  became  due  to  présent  them,  and  to 
make  use  of  the  money."  Morrel  sighed  deeply  and 
passed  bis  band  over  bis  forehead,  which  was  coyered  with 
perspiration. 

**  So,  then,  sir,"  said  Morrel^  ''you  bold  bills  of  minet* 

"  Yes,  and  for  a  considérable  suni." 

''  What  is  the  amount  ?  "  asked  Morrel,  with  a  Toice  he 
strove  to  render  firm. 

"  Hère  is,"  said  the  Englishman,  taking  a  quantity  of 
papers  from  bis  pocket,  **  an  assignment  of  two  hundred 
thousand  livres  to  our  bouse  by  M.  de  Boville,  the  in- 
spector  of  prisons,  to  whom  tbey  are  due.  You  acknowl- 
edge,  of  course,  that  you  owe  this  sum  to  bim  1  " 

"  Yes  ;  he  placed  the  money  in  my  bands  at  four  and 
a  half  per  cent  nearly  fi  ve  years  ago." 

"  When  are  you  to  pay  1  " 

"Half  the  15th  of  this  month,  half  the  16th  of  next." 

^'Just  80  ;  and  now  bere  are  32,500  livres  payable 
fibortly.  Tbey  are  ail  signed  by  you  and  assigned  te 
our  bouse  by  the  holders." 

''I  recognize  them,"  said  M.  Morrel,  whose  face  wos 
sufifused  as  be  thought  that  for  the  first  time  in  bis  life 
be  vould  be  unable  to  honor  bis  ovn  signature.  ''Is 
this  ail  î" 

"  No  ;  I  bave  for  the  end  of  the  month  thèse  bills,  which 
bave  been  assigned  to  us  by  the  bouse  of  Pascal,  and  the 
bouse  of  Wild  and  Turner,  of  Marseilles,  amounting  to 
neasly  fifty-five  thousand  livres,  —  in  ail,  287,500  livres.** 


366  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

It  is  impossible  to  describe  what  Morrel  suffered  during 
this  enumeratioD.     "  287,600  livres  I  "  repeated  he. 

**  Yes,  Monsieur,"  replied  the  Ënglishman.  '*  I  will 
noty"  continued  he,  after  a  moment's  silence,  ''conceal 
from  you  that  while  your  probity  and  exactitude  up  to 
this  moment  are  universally  acknowledged,  yet  the  report 
is  current  in  Marseilles  that  you  are  not  able  to  meet  your 
engagements.'' 

At  this  almost  brutal  speech  Morrel  turned  deathly  pale. 
"  Monsieur,"  said  he,  "  up  to  this  time  —  and  it  is  now 
more  than  four  and  twenty  years  since  I  received  the  di- 
rection of  this  house  from  my  father,  who  had  himself  con- 
ducted  it  for  five  and  thirty  years — never  bas  anything 
bearing  the  signature  of  Morrel  and  Son  been  dishonored.*' 

"  I  know  that,"  replied  the  Ënglishman.  "  But  as  a 
man  of  honor  should  answer  another,  tell  me  fairly,  shall 
you  pay  thèse  with  the  same  punctuality  î  " 

Morrel  shuddered,  and  looked  at  the  man  who  had 
spoken  thus  wîth  more  assurance  than  he  had  hitherto 
shown.  "  To  questions  frankly  put,"  said  he,  "  a  straight- 
forward  answer  should  be  given.  Yes,  I  shall  pay  if,  as  I 
hope,  my  vessel  arrives  safely,  —  for  its  arrivai  will  again 
procure  me  the  crédit  which  the  numerous  accidents  of 
which  I  hâve  been  the  victim  hâve  deprived  me  ;  but  if 
the  'Pharaon*  should  be  lost,  and  this  last  resource  be 
gone — "    The  poor  man's  eyes  filled  with  tears. 

"  Well,"  said  the  other,  "  if  this  last  resource  fail  you  î  " 

"Well,''  retumed  Morrel,  **it  is  a  cruel  thing  to  be 
forced  to  say^  but  already  used  to  misfortune,  I  must 
habituate  myself  to  shame.  I  fear  I  shall  be  forced  to 
suspend  my  payments." 

"  Hâve  you  no  friends  who  oould  assîst  you  1  * 

Morrel  smiled  mournfuUy.  "In  business,  Monsieur,** 
said  he,  ''one  has  no  friends,  only  correspondents.". 


THE  HOUSE  OF  MORREL  AND  SON.      S67 

''It  is  true/'  murmuied  the  Engliabinan;  ^then  y  ou 
bave  bat  one  bope)** 

"  But  one." 

«Tbelastî»' 

«  Tbe  last" 

«Sothatiftbisfail  — •• 

*'  I  am  ruined,  completely  niined  ?  * 

*'  As  I  came  bere,  a  vessel  was  entering  tbe  port.** 

^'  I  know  it^  Monsieur  ;  a  young  mau  wbo  still  adberes 
to  my  £eJlen  fortunes  passes  a  part  of  bis  time  in  a  cupola 
at  tbe  top  of  tbe  bouse,  in  bopes  of  being  tbe  first  to 
announce  good  news  to  me.  He  bas  informed  me  of  tbe 
entrance  of  tbis  sbip.'' 

"  And  it  is  not  yours  î  ^ 

"No,  it  is  a  vessel  cf  Bordeaux,  'La  Gironde;*  it 
cornes  from  India  also,  but  it  is  uot  mine." 

**  Perhaps  it  bas  spoken  tbe  '  Pbaraon,'  and  brings  yoa 
8omc  tidings  of  it." 

"Sball  I  tell  yoa  plainly  one  tbing;  Monsieur  1  I 
dread  almost  as  mucb  to  receive  any  tidings  of  my  vessel 
as  to  lemain  in  doubt.  Incertitude  is  still  bope."  Tben 
in  a  low  voice  Morrel  added,  ''  Tbis  delay  is  not  natural. 
Tbe  '  Pbaraon  '  left  Calcutta  on  tbe  5tb  of  February  ;  it 
ougbt  to  bave  been  bere  a  montb  ago." 

''  Wbat  is  tbat  1  "  asked  tbe  Englisbman.  **  Wbat  J8 
tbe  meaning  of  tbis  noise  1  " 

"Ob,  ob  I"  cried  Morrel,  tumîng  pale,  "wbat  is  tbîsl** 
A  loud  noise  was  beard  on  tbe  stairs,  of  people  moving 
bastily,  and  balf-stifled  sobs.  Morrel  rose  and  advanced 
to  tbe  door  ;  but  bis  strengtb  failed  bim  and  he  sank  into 
a  cbair.  Tbe  two  men  remained  opposite  one  anotber,  — 
Morrel  trembling  in  every  limb,  tbe  stranger  ga2dng  at  bim 
witb  an  air  of  profound  pity.  Tbe  noise  bad  ceased  ;  but 
ît  seemed  tbat  Morrel  expected  sometbing:  sometbing 


3Gë  THE  COUNT  OF  MONT£  CBISTO. 

had  ocoasioned  the  noise,  and  sometbîng  must  foUow. 
The  stranger  fancied  he  heaid  footsteps  on  the  stairs, 
and  that  the  steps,  which  were  those  of  several  persons, 
stopped  at  the  door.  A  key  was  inserted  in  the  lock  of 
the  first  door,  and  the  creaking  of  hiuges  was  audible. 

*'  There  are  only  two  peisons  who  bave  the  key  of  tbe 
door,"  murmured  Morrel,  —  "  Codes  and  Julie."  At  thîs 
instant  the  second  door  opened,  and  the  young  girl,  ber 
eyes  bathed  with  tears,  appeaied.  Morrel  rose  trem- 
blingly,  supporting  bimself  by  tbe  arm  of  tbe  chair.  He 
would  bave  spoken;  but  bis  voice  failed  bim.  "Oh, 
Father!**  said  she,  clasping  ber  bands,  "forgive  your 
child  for  being  the  messenger  of  ilL" 

Morrel  again  ebanged  colon  Julie  threw  berself  into 
bis  arms. 

"  Oh,  Father,  Fatber  !  "  murmured  sbe,  "  courage  !  * 

**  The  '  Pharaon  *  bas  then  perisbed  1  *'  said  Morrel,  in  a 
boarse  voice.  Tbe  young  girl  did  not  speak  ;  but  sbe 
made  an  affirmative  sign  with  ber  bead  as  she  lay  on  ber 
fatber's  breast. 

"  And  the  crew  1  "  aaked  MorreL 

"Saved,"  said  the  girl;  "saved  by  tbe  crew  of  the 
vessel  that  bas  just  entered  tbe  barbor." 

Morrel  raised  bis  two  bands  to  beaven  witb  an  expres- 
sion of  résignation  and  sublime  gratitude.  **  Thanks,  my 
Ood/^  said  be  ;  "  at  least  thou  strikest  but  me  alone  !  ** 

Notwithstanding  bis  habituai  impassiveness,  a  tear 
moistened.  the  eye  of  tbe  Englisbman. 

"  Corne  in,  corne  in  1  "  said  Morrel  ;  "  for  I  présume 
you  are  ail  at  tbe  door." 

Scarcely  bad  be  nttered  tbose  words  wben  Madame 
Morrel  entered,  weeping  bitterly;  Emmanuel  foUowed 
ber,  and  in  tbe  ante-cbamber  were  visible  tbe  rougb  fEUses 
of  seven  or  eight  balf-naked  sailors.    At  the  sigbt  of  thèse 


THE  HOUSE  OF  MORREL  AND  SON.      369 

men  the  Engliâhman  started  and  advanced  a  step,  then 
restrained  himself  and  retiied  into  the  farthest  and  most 
obscaie  corner  of  the  room.  Madame  Morrel  sat  down  by 
her  husband  and  took  one  of  his  hands  in  heis  ;  Julie 
still  lay  with  her  head  on  his  shoulder  ;  Emmanuel  stood 
in  the  centre  of  the  chamber  and  seemed  to  serve  as  a 
link  between  Morrel's  family  and  the  sailors  at  the  door. 

''  How  did  it  happen  ?  "  said  MorreL 

"Draw  nearer,  Penelon/'  said  the  young  man,  ''and 
relate  alL" 

An  old  seaman  bronzed  by  the  tropical  sun  advancedy 
twirling  the  remains  of  a  hat  between  his  hands.  ''  Good- 
day.  M,  Morrel,"  said  he,  as  if  he  had  quitted  Marseilles 
the  previous  evening,  and  had  just  returned  from  Aix 
or  Toulon. 

"  Good-day,  Penelon  !  "  returned  Morrel,  who  could  not 
refrain  from  smiling  through  his  tears;  "where  is  the 
captain  1  " 

"The  captain,  M.  Morrel,— -hé  has  stayed  behînd  sîck 
at  Palma  ;  but  please  God,  it  won't  be  much,  and  you  will 
3ee  him  in  a  few  days  ail  alive  and  hearty.** 

"  Well,  now  tell  your  story,  Penelon." 

Penelon  rolled  his  quid  in  his  cheek,  placed  his  hand 
before  his  mouth,  tumed  his  head,  sent  a  long  jet  of 
tobacco-juice  into  the  ante-chamber,  advanced  his  foot, 
and  began  :  "  You  see,  M.  Morrel,"  said  he,  "  we  were 
somewhere  between  Cape  Blanc  and  Cape  Bogador,  sail- 
ing  with  a  fair  breeze  south-southwest  after  a  week's  calm, 
when  Captain  Gaumard  comes  up  to  me,  —  I  was  at  the 
helm  I  should  tell  you,— and  says,  'Penelon,  what  do 
you  think  of  those  clouds  that  are  rîsing  there  1  '  I  was 
just  then  looking  at  them  myself.  '*What  do  I  think, 
Captain  1  why,  I  think  that  tbey  are  rîsing  &ster  than 
they  hâve  any  businoss  to,  and  that  they  would  not  be  sa 

VOL.  L  —  M 


370  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTa 

black  if  they  did  not  mean  mischief.'  *  That  *8  my  opinioa} 
too>'  said  the  captain^  '  and  I  'II  take  précautions  accord- 
ingly.  We  are  carrying  too  much  canvas.  Hollôa  !  ail 
hauds  to  slacken  sail  and  lower  the  âying  jib  I'  It  wa£ 
time  ;  the  squall  was  on  us,  and  the  vessel  began  to  heel. 
'  Ah/  said  the  captain,  '  we  hâve  still  too  much  canvas 
set  ;  ail  hands  to  lower  the  mainsail  !  '  Five  minutes  after, 
it  was  down  ;  and  we  sailed  under  mizzen-topsails  and  top- 
gallant-sails.  *  Well,  Penelon/  said  the  captain,  ^  what 
makes  you  shake  your  head  1  '  '  Why,'  I  says,  *  I  don't 
think  that  we  shall  stop  hère/  'I  think  you  are  right/ 
answered  he  ;  '  we  shall  hâve  a  gale.'  '  A  gale  1  more  than 
that  i  we  shall  hâve  a  tempest,  or  I  know  nothing  about 
it/  You  could  see  the  wind  coming  like  the  dust  at 
Montredon  ;  luckily  the  captain  understood  his  business. 
'  Ail  hands  take  in  two  reefs  in  the  topsaik  I  '  cried  the 
captain  ;  '  let  go  the  bowlines,  brace  to,  lower  the  topgal- 
lant-sails,  haul  out  the  reef-tackles  on  the  yards  !  '  " 

''That  was  not  enough  for  thoso  latitudes/'  said  the 
Ënglishman  ;  ''  I  should  bave  taken  four  reefs  in  the  top- 
sails  and  lowered  the  mizzen." 

His  firm,  sonorous,  and  unexpected  voice  made  every 
one  start  Penelon  put  his  hand  over  his  eyes,  and  then 
stared  at  the  man  who  thus  criticised  the  manœuvres  of 
his  captain*  '*  We  did  better  than  that,  sir/*  said  the  old 
sailor,  with  a  certain  show  of  respect  ;  **  we  put  the  helm 
to  the  wind  to  run  before  the  tempest  Ten  minutes  after, 
we  struck  our  topsails  and  scudded  under  bare  pôles." 

**  The  vessel  was  very  old  to  rigk  that/'  said  the 
Ënglishman. 

''  £hy  it  was  that  that  wrecked  us  ;  after  having  been 
tossed  about  for  twelve  hours  we  sprang  a  leak.  '  Pene- 
lon/ said  the  captain,  *  I  t))ink  we  are  sinking  ;  give  me 
the  helm  and  go  down  into  the  hold.'    I  gave  him  the 


THE  HOUSE  OF  MORREL  AND  SON.  371 

helm  and  descended;  there  was  aiready  three  feet  of 
water.  I  crîed,  *  Ail  hands  to  tbe  pumps  !  *  but  it  was  too 
late,  and  it  seemed  the  more  we  pamped  the  more  came 
in.  '  Ah,'  said  I,  after  four  hours'  work,  '  since  we  are 
sinking,  let  us  sink  ;  we  can  die  but  once.*  *  Is  that  the 
example  yen  set,  Penelon  1  *  cries  the  captain  ;  •  very  well, 
wait  a  minute.'  He  went  into  bis  cabin  and  came  back 
witb  a  brace  of  pistols.  *  I  will  blow  tbe  brains  out  of 
the  first  man  wbo  leaves  tbe  pump/  said  be.'* 

**  Well  done  1  *'  said  tbe  Ënglisbman. 

'*  There  's  notbing  gives  you  so  much  courage  as  good 
reasons/'  continued  the  sailor.  **  During  that  time  tbe  wind 
bad  abatedy  and  the  sea  bad  gone  down  ;  but  tbe  water 
kept  rising,  —  not  much,  only  two  incbes  an  bour,  but 
still  it  rose.  Two  incbes  an  bour  does  not  seem  much,  but 
in  twelve  hours  that  makes  two  feet  ;  and  two  feet  witb 
tbe  three  we  bad  before  make  five.  '  Corne/  said  tbe  captain, 
*  we  bave  done  ail  in  our  power,  and  M.  Morrel  will  bave 
notbing  to  reproacb  us  witb  ;  we  bave  tried  to  save  tbe  sbîp, 
let  us  now  save  ourselves.  To  tbe  boats^  my  lads,  as  quick 
as  you  can  !  '  Now,"  continued  Penelon,  **  you  see,  M.  Mor- 
rel, a  sailor  is  attached  to  bis  sbip,  but  still  more  to  bis 
life  :  so  we  did  not  wait  to  be  told  twice.  Tbe'more.so  that 
tbe  sbip  was  sinking  under  us,  and  seemed  to  say,  'Get 
along  ;  save  yourselves  I  *  We  soon  launcbed  tbe  boat,  and 
ail  eight  of  us  got  into  it.  Tbe  captain  descended  tbe 
last,  or  ratber  be  did  not  descend,  be  would  not  leave  tbe 
vessel;  so  I  took  bim  round  the  waist  and  threw  bim 
into  tbe  boat>  and  then  I  jumped  after  bim.  It  was  time, 
for  just  as  I  jumped,  the  deck  burst  witb  a  noise  like  tbe 
broadside  of  a  man-of-war.  Ten  minutes  after  she  pitched 
forward,  then  tbe  other  way,  spun  round  and  round,  and 
then  good-by  to  tbe  '  Pharaon.'  As  for  us,  we  were 
three  days  without  anytbing  to  eat  or  drink,  so  that  we 


372  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

began  to  think  of  drawing  lots  who  sbould  feed  the  lest^ 
when  we  saw  '  La  Gironde  ;  '  we  made  signala  of  distress, 
she  perceived  us,  made  for  us,  and  took  us  ail  on  board. 
There  now,  M.  Morrel,  that  's  the  whole  truth,  on  tbe 
bonor  of  a  sailor  ;  is  not  it  true,  you  fellows  tbere  1  " 

A  gênerai  murmur  of  approbation  sbowed  tbat  tbe 
narrator  bad  Êdtbfully  detailed  tbeir  misfortunes  and 
sufferings. 

**  Well,  well/'  said  M.  Morrel,  *'  I  know  tbere  was  no 
one  in  faalt  but  destiny.  It  was  tbe  will  of  God  tbat  tbis 
sbould  bappen  ;  blessed  be  bis  name  !  Wbat  wages  are 
due  to  you  î  " 

"  Ob,  don't  let  us  talk  of  tbat,  M.  MorreL" 

"  On  tbe  contrary,  let  us  speak  of  it." 

"  Well,  tben,  for  tbree  montbs/'  said  Penelon. 

*'  Codés  !  pay  two  bundred  livres  to  eacb  of  tbese  good 
fellowsy"  said  Morrel.  ''At  anotber  time/'  added  be» 
'*  I  sbould  bave  said,  Givetlhem,  besides,  two  bundred 
livres  over  as  a  présent  ;  but  times  are  cbanged,  and  tbe 
little  money  tbat  remains  to  me  is  not  my  own." 

Penelon  turned  to  bis  companions,  and  excbanged  a 
few  words  witb  tbem. 

^  As  for  tbat,  M.  Morrel,"  said  be,  again  tuming  bis 
quid,  —  "  as  for  tbat  —  '* 

«As  for  wbat  I" 

**  Tbe  money.** 

«Wellî" 

"  Well,  we  ail  say  tbat  fifty  livres  will  be  enougb  for  us 
at  présent,  and  tbat  we  will  wait  for  tbe  rest." 

"  Tbanks,  my  friends,  tbanks  !  "  cried  Morrel,  toucbed 
to  tbe  beart.  ''Take  it,  take  it!  and  if  you  can  find 
anotber  employer,  enter  bis  service.  Tou  are  free  to 
do  so.** 

Tbese  last  words  produced  a  prodigious  efifect  on  tbe 


j 


THE  HOUSE  OF  MORREL  AND  SON.  373 

Beamen  ;  Penelon  nearly  swallowed  his  qmà  ;  fortu- 
natelj  he  recoveied.  **  What  !  ML  Morrel,"  said  he,  in 
a  low  Yoice,  ''you  send  us  awajl  you  are  then  angry 
with  us!" 

**  No,  no,"  said  M.  Morrel,  "  I  am  not  angry.  I  do  not 
send  you  away  ;  but  I  hâve  no  more  ships,  and  therefore  I 
do  not  want  any  sailors." 

"  No  more  ships  !  "  retumed  Penelon  ;  "  well,  then, 
you'll  build  some.     We*ll  wait  for  you," 

"  I  hâve  no  money  to  build  ships  with,  Penelon,"  said 
the  owner,  with  a  sad  smile,  "so  that  I  cannot  accept  your 
kind  ofifer." 

"  No  more  money  !  then  you  must  not  pay  us.  We  can 
go,  like  the  '  Pharaon,*  under  bare  pôles.'' 

**  Enough  I  enough,  my  friends  !  ^  cried  Morrel,  almost 
overpowered.  "Leave  me,  I  pray  you;  we  shall  meet 
again  in  a  happier  time.  Emmanuel,  accompany  tbem, 
and  see  that  my  orders  are  CAecuted.'^ 

*' At  least,  we  shall  see  each  other  again,  M.  Morrel  1** 
askeft  Penelon. 

"  Yes,  my  friends  ;  I  hope  so,  at  least,  Now  go.*'  He 
made  a  sign  to  Coclès,  who  marched  first;  the  seamen 
followed  him,  and  Emmanuel  brought  up  the  rear.  "  Now," 
said  the  owuer  t<o  his  wife  and  daughter,  "leave  me;  I 
wish  to  speak  to  this  gentleman."  And  he  glanced  towards 
the  clerk  of  Thomson  and  French,  who  had  remained 
motionless  in  the  corner  during  this  scène,  in  which  he 
had  takeu  no  part  except  the  few  words  we  bave  meh- 
tioned.  The  two  women  looked  at  this  person,  whose 
présence  they  had  entirely  forgotten,  and  retired  ;  but  as 
she  left  the  room,  Julie  gave  the  stranger  a  supplicating 
glance,  to  which  he  replied  by  a  smile  that  an  indiffèrent 
spectator  would  bave  been  surprised  to  see  on  his  stem 
features.     The  two  men  were  left  alone.     ''Well,  sir,^ 


374  THE  OOUNT  OF  MONTE  CBISTQ. 

said  Morrel,  einking  into  a  chair,  ''you  hâve  heaid  ail] 
aod  I  hâve  nothing  further  to  tell  you." 

'*  I  see/'  returned  the  Ënglishman,  'Hhat  a  new  and  un- 
merited  misfortuue  bas  overwhelmed  you  ;  and  this  only 
increases  vfïj  désire  to  serve  you." 

"  Oh,  Monsieur  I  "  cried  MorreL 

''  Let  me  see/*  continued  the  stranger,  ''  I  am  one  of 
your  largest  creditors,  am  I  not?" 

"  Your  bills,  at  least,  are  the  first  that  will  fall  due.** 

•*Do  you  wish  for  time  to  payî" 

**  A  delay  would  save  my  honor,  and  consequently  xny 
life.- 

"  How  long  a  delay  do  you  wish  for  1  *' 

Morrel  reflected.     *'  Two  nionths,"  said  he. 

"  I  will  give  you  three,"  replied  the  étranger. 

"  But,*^  asked  Morrel,  "  will  the  house  of  Thomson  and 
French  consenti'* 

''  Oh,  I  take  everything  on  mysel£  To-day  is  the  5th 
of  June." 

"Yes." 

**  Well,  renew  thèse  bills  up  to  the  6th  of  September  ; 
and  ou  the  5th  of  September,  at  eleven  o'clock  [the  hand 
of  the  clock  pointed  to  eleven],  I  shall  come  to  reçoive  the 
money." 

"I  shall  expect  you,"  returned  Morrel;  "and  I  will 
pay  you — or  I  shall  be  dead."  Thèse  last  words  were 
uttered  in  so  low  a  tone  that  the  stranger  could  not  hear 
thèm.  The  bills  were  renewed,  the  old  ones  destroyed  ; 
and  the  poor  ship-owner  found  himself  with  three  months 
before  him  to  collect  his  resources.  The  Ënglishman  re- 
celved  his  thanks  with  the  calmness  peculiar  to  his  race  ; 
and  Morrel,  overwhelming  him  with  grateful  blessings, 
oonducted  him  to  the  staircase.  The  stranger  met  Julie  on 
the  atairs;  she  affected  to  be  descending,  but  in  reality 


THE  HOUSE  OF  MORREL  AND  SON.  37^ 

she  was  waiting  for  him.  ''  Ob,  Monsieur  I  "  saîd  she»  dasp- 
ing  her  hands. 

''  Mademoiselle/'  said  the  étranger,  *'  one  day  yoa  will 
reçoive  a  letter  signed  *  Sinbad  tbe  Sailor.'  Do  exactly 
wbat  tbe  letter  bids  you,  bowever  strange  it  may  ap- 
pear  to  you." 

"  Yes,  sir,"  retumed  Julie. 

**  Do  you  promise  î  '* 

**  I  swear  to  you  I  will  !  •* 

''It  is  well.  Adieu,  Mademoiselle!  Remain  as  pure 
and  virtuous  as  you  are  at  présent,  and  I  bave  great  bopes 
tbat  beaven  will  reward  you  by  giving  you  Emmanuel  for 
a  busband." 

Julie  uttered  a  faint  cry,  blusbed  like  a  rose,  and  leaned 
against  tbe  baluster.  Tbe  stranger  waved  bis  band,  and 
continued  to  descend.  In  tbe  court  be  found  Penelon, 
wbo,  witb  a  rotileau •  of  a  bundred  livres  in  eitber  band, 
seemed  unable  to  make  up  bis   raind   to  retain  tbem. 

"  Come  witb  me,  my  friend,'*  said  tbe  Englisbman  ;  **  J 
wisb  to  speak  to  you." 


376  THE  COUNT  OF  UONTB  CBISXa 


CHAPTER    XXX. 

THB  FIFTH   OF  SEPTEMBEB. 

The  délay  afforded  bj  the  agent  of  the  house  of  Thomson 
and  French,  ai  the  moment  when  Morrel  expected  it  least, 
appeared  to  the  poor  ship-owner  one  of  those  returns  of 
good  fortune  which  annoance  to  a  man  that  Fate  is  at 
length  weary  of  wasting  her  spite  upon  him.  The  same 
daj  he  related  to  his  wife,  to  Emmanuel,  and  his  daughter, 
what  had  occurred  to  him  ;  and  a  ray  of  hope,  if  not  tran- 
quillity,  returned  to  the  family.  Unfortunately,  however, 
Morrel  had  engagements  not  alone.with  the  house  of 
Thomson  and  French,  who  had  shown  themselves  so  con- 
siderate  towards  him  ;  and  as  he  had  said,  in  business  one 
has  correspondents,  and  not  frîends.  When  he  reflected 
deeply,  he  could  by  no  means  account  for  this  gênerons 
conduct  on  the  part  of  Thomson  and  French  towards  him, 
and  could  only  attribute  it  to  the  selfish  reflection  which 
that  house  might  hâve  made  :  "  We  had  better  support 
a  man  who  owes  us  nearly  three  hundred  thousand  livres, 
and  hâve  those  three  hundred  thousand  livres  at  the  end 
of  three  months,  than  hasten  his  ruin,  and  get  but  six  or 
eight  per  cent  of  the  debt**  Unfortunately,  whether  from 
hâte  or  blindness,  ail  MorreFs  correspondents  did  not  re- 
flect  sîmilarly  ;  and  some  made  even  a  contrary  reflection. 
The  bills  signed  by  Morrel  were  therefore  presented  at  his 
office  with  scrupulous  exactitude,  and  thanks  to  the  de- 
lay  granted  by  the  Ënglishman,  were  paid  by  Codés  with 
equal  punctuality.     Coclès  thus  remained  in  his  accus* 


THE  FIFTH  OF  SEPTEMBER.  377 

tomed  tranquillity.  It  was  Morrel  alone  who  remembered 
with  aldrm  that  if  he  had  to  repay  on  the  lôth  the  fifty 
thoasand  livres  of  M.  de  Eoville,  and  on  the  30th  the 
32,500  livres  of  bills,  for  which,  as  well  as  the  debt  due 
to  the  inspector  of  prisons,  he  had  time  granted,  he  niust 
be  a  ruined  man. 

The  opinion  of  ail  the  commercial  men  was  that  under 
the  reverses  which  had  successively  weighed  down  Morrel, 
it  was  impossible  for  him  to  stand  securs.  Great  there- 
fore  was  the  astonishment  when  they  saw  the  end  of  the 
month  corne,  and  that  he  fulfilled  ail  his  engagements  with 
his  usual  punctuality.  Still,  confidence  was  not  restored 
to  ail  minds,  and  the  gênerai  voice  postponed  only  untii 
the  end  of  the  month  following,  the  complète  ruin  of  the 
unfortunate  ship-owner.  The  month  passed  amid  un-^ 
heard-of  efforts  on  the  part  of  Morrel  to  get  in  ail  his 
resources.  Formerly  his  paper,  at  any  date,  was  taken 
with  confidence,  and  was  even  in  request.  Morrel  now 
tried  to  negotiate  bills  at  ninety  days  only,  and  found  ail 
the  banks  closed.  Fortunately  Morrel  had  some  moneys 
coming  in  on  which  he  could  rely  ;  and  as  they  reached 
him,  he  found  hiniself  in  a  condition  to  meet  his  engage- 
ments when  the  end  of  July  came.  The  agent  of  Thom- 
son and  French  had  not  been  agaîn  seen  at  Marseille^ 
The  day  after,  or  two  days  after,  his  visit  to  Morrel,  he 
had  disappeared  ;  and  as  ia  that  city  he  had  had  no  inter- 
course  but  with  the  mayor,  the  inspector  of  prisons,  and 
M.  Morrel,  his  appearance  left  no  other  trace  than  the 
differeut  remembrances  of  him  which  thèse  three  persons 
retained.  As  to  the  sailors  of  the  "  Pharaon,"  it  seemed 
that  they  must  hâve  found  some  engagement,  for  they 
had  disappeared  also.  * 

Càptain  Gaumard,  recovered  from  his  illness,  had  re- 
turned  from  Pal  ma.     He  hesitated  to  présent  himself  at 


378  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTa 

Morrel*8|  but  the  owner,  hearing  of  hîs  arrivai*  went  to 
hini.  The  worthy  ship-owner  knew  from  Peiielon*s  lecital 
of  the  captain's  brave  condact  duriug  the  storm,  and  tried 
to  console  him.  He  brought  him  also  the  amoont  of  his 
wages,  which  Captain  Gaumard  had  not  dared  to  apply 
for.  As  he  descended  the  staircase,  Morrel  met  Penelon, 
who  was  going  up.  Penelon  had,  it  would  seem,  made 
good  use  of  his  monej,  for  he  was  newly  clad.  When 
he  saw  his  employer,  the  worthy  tar  seemed  much  embar> 
rassed,  drew  on  one  side  into  the  corner  of  the  landing- 
place,  passed  his  quid  from  one  cheek  to  the  other,  stared 
stupidly  with  his  great  eyes,  and  only  acknowledged  the 
squeeze  of  the  hand  which  Morrel  as  usual  gave  him  by 
a  slight  pressure  in  return.  Morrel  attributed  Penelon's 
embarrassment  to  the  élégance  of  his  attire;  it  wa£  évident 
that  the  good  fellow  had  not  gone  to  such  an  expense  on 
his  own  account.  He  was  no  doubt  engaged  on  board 
some  other  vessel,  and  thus  his  bashfulness  arose  from 
the  fact  of  his  not  having,  if  we  may  so  express  ourselves, 
wom  mourning  for  the  *^  Pharaon  "  longer.  Perhaps  he 
had  corne  to  tell  Captain  Gaumard  of  his  good  luck,  and 
to  offer  him  employment  from  his  new  master.  **  Worthy 
fellows  !  "  said  Morrel,  as  he  went  away,  "  may  your  new 
master  love  you  as  I  loved  you,  and  be  more  fortonate 
than  I  hâve  been  !  " 

Angust  roUed  by  in  unceasîng  efforts  on  the  part  of 
Morrel  to  renew  his  crédit  or  open  new  accounts.  On  the 
20th  of  August  it  was  known  at  Marseilles  that  he  had 
taken  a  place  in  the  malle-poste^  and  then  it  was  said  that 
it  was  at  the  end  of  the  month  the  docket  was  to  be 
stnick  ;  and  Morrel  had  gone  away  that  he  might  not  be 
présent  at  this  cruel  act,  but  had  left  his  chief  clerk, 
Emmanuel,  and  his  cashier  Coclès  to  meet  it.  But  con- 
trary  to  ail  expectation,  when  the  31st  of  August  came 


THE  FIFTH  OP  SEPTEMBER.  379 

fehe  bouse  opened  as  usual,  and  Coclès  appeaied  behind 
the  grating  of  the  counter,  examined  ail  bills  presented 
with  the  same  scrutînyy  and  from  fiist  to  last,  paid  ail 
with  the  same  précision.  There  came  in,  moreover,  two 
iiidorsed  notes  which  M.  Morrel  had  discounted,  and  which 
Coclès  paid  as  punctually  as  those  bills  on  which  the  ship- 
o  wner  was  directly  liable.  AU  this  was  incompréhensible  ; 
and  then,  with  the  tenacity  peculiar  to  prophète  of  evil, 
the  failare  was  fixed  to  take  place  at  the  end  of  September. 
On  the  Ist,  Morrel  returned  ;  he  was  awaited  by  his  family 
with  extrême  anxiety,  for  on  this  journey  to  Paris  they 
had  rested  their  last  hopes.  Morrel  had  thought  of  Dan- 
glarSy  who  was  now  immensely  rich,  and  had  been  under 
great  obligations  to  Morrel  in  former  days,  since  to  him 
it  was  owing  that  Danglars  entered  the  service  of  the 
Spanish  bankor  with  whom  his  immense  fortune  had  its 
beginning.  It  was  said  at  this  moment  that  Danglars 
was  worth  from  six  million  to  eight  million  livres,  and 
had  unlimited  crédit.  Danglars  then,  without  taking  a 
crown  from  his  pocket,  could  save  Morrel  ;  he  had  but  to 
pass  his  Word  for  a  loan,  and  Morrel  was  saved.  Morrel 
had  long  thought  of  Danglars  ;  but  there  are  instinctive 
revoltings  impossible  to  control,  and  Morrel  had  delayed 
as  long  as  possible  before  he  had  recourse  ta  this  last 
resource.  Ând  Mon*el  was  right,  for  he  returned  home 
borne  down  by  ail  the  humiliation  of  a  refusai.  Yet  on 
his  arrivai  Morrel  did  not  utter  a  complaint,  nor  say  one 
harsh  word  ;  he  embraced  his  weeping  wife  and  daughter, 
pressed  EmmanueFs  hand  with  friendly  warmth,  and  then 
going  to  his  private  room  on  the  second  floor,  had  sent 
for  Coclès. 

**  Then,"  said  the  two  women  to  Emmanuel,  "  we  are 
indeed  ruined." 

It  was  agreed  in  a  brief  council  held  among  them  that 


380  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

Julie  sliould  write  to  her  brother,  who  was  in  ganîson  ai 
Nkmes,  to  corne  to  them  as  speedily  as  possible.  The  pooi 
women  felt  iustinctively  that  they  would  need  ail  their 
strengtb  to  support  the  blow  that  impended.  Besides, 
Maximilian  Morrel,  though  hardly  two  and  twenty,  had 
great  influence  over  his  father.  He  was  a  strong-minded, 
upright  young  man.  At  the  time  when  he  decided  on 
his  profession  his  father  had  no  désire  to  choose  for  him, 
but  had  consulted  young  Maximilian's  taste.  He  had  at 
once  declared  for  a  military  life  ;  he  had  afterwards  studied 
hard,  passed  brilliantly  through  the  Ecole  Polytechnique, 
and  left  it  as  sub-lieutenant  of  the  Fifty-third  of  the  lina 
For  a  year  he  had  held  this  rank,  and  expected  promotion 
on  the  first  vacancy.  In  his  régiment  Maximilian  Morrel 
was  noted  as  a  most  rigid  observer,  not  only  of  the  obli- 
gations imposed  on  a  soldier,  but  also  of  the  duties  of  a 
inan  ;  and  he  thus  gained  the  name  of  **  the  Stoic.**  We 
need  hardly  say  that  many  of  those  who  gave  him  this 
epithet  repeated  it  because  they  had  heard  it,  and  did  not 
even  know  what  it  meant. 

This  was  the  young  man  whom  his  mother  and  sîster 
called  to  their  aid  to  sustain  them  under  the  grave  circum- 
stances  which  they  felt  they  would  soon  hâve  to  endure. 
They  had  not  mistaken  the  gravity  of  this  event,  for  the 
moment  after  Morrel  had  entered  his  office  with  Coclès, 
Julie  saw  the  latter  leave  it,  pale,  trembling,  and  his  fea- 
tures  betraying  the  utmost  consternation.  She  would 
hâve  questioned  him  as  he  passed  by  her,  but  the  worthy 
créature  hastened  down  the  staircase  with  unusual  précipi- 
tation, and  only  raised  his  hands  to  heaven  and  exclaimed, 
**  Oh,  Mademoiselle,  Mademoiselle  !  what  a  dreadful  mis- 
fortune  !  Who  could  ever  hâve  believed  it  !  ''  A  moment 
afterwards  Julie  saw  him  go  upstairs  carrying  two  or  thiea 
heavy  ledgers^  a  pocket-book,  and  a  bag  of  money. 


THE  FIFTH  OP  SEPTEMBER.  381 

Morrel  examined  tlie  ledgers,  opened  the  pocket-book, 
and  counted  the  money.  Ail  his  funds  amounted  to  six 
thousand  or  eight  thousîTnd  livres,  his  expectancies  up  to 
the  5th  to  four  thousand  or  five  thousand,  which,  making 
the  best  of  everjthing,  gave  him  fourteeu  thousand  livres 
to  meet  bills  amountiug  to  287,500  livres.  He  could  not 
make  such  a  proposai.  However,  when  Morrel  went 
down  to  his  dinner,  he  appeared  very  composed.  This 
calmness  was  more  alarming  to  the  two  women  than  the 
deepest  déjection  would  hâve  been.  At'ter  dinner  Morrel 
usually  went  out,  and  used  to  take  his  cofifee  at  the  club 
of  the  Phocéens,  and  read  the  **  Sémaphore  ;  "  but  this 
day  he  did  not  leave  the  house,  he  retumed  to  his  office. 

As  to  Codes,  he  seemed  completely  bewildered.  For 
part  of  the  day  he  went  into  the  courtyard,  seated  himself 
on  a  stone  with  his  head  bare,  and  exposed  to  a  sun  of 
thirty  degrees.  Emmanuel  tried  to  comfort  the  women; 
but  his  éloquence  faltered.  The  young  man  was  too  well 
acquainted  with  the  business  of  the  house  not  to  feel  that 
a  great  catastrophe  hung  over  the  Morrel  family.  Night 
came.  The  two  women  had  watched,  hoping  that  when  he 
left  his  room  Morrel  would  come  to  them  ;  but  they  heard 
him  pass  before  their  door,  trying  to  conceal  the  noise  of 
his  footsteps.  They  listened  ;  he  went  into  his  sleeping- 
room  and  fastened  the  door  inside.  Madame  Morrel 
sent  her  daughter  to  bed  ;  and  half  an  hour  after  Julie 
had  retired  she  rose,  took  off  her  shoes,  and  went  stealthily 
along  the  passage  to  seè  through  the  keyhole  what  her 
husband  was  doing.  In  the  passage  she  saw  a  retreating 
shadow  ;  it  was  Julie,  who,  uneasy  herself,  had  anticipated 
her  mother.  The  young  lady  went  towards  Madame 
Morrel.  "He  is  writing,"  she  said.  They  had  under- 
stood  each  other  without  speaking.  Madame  Morrel 
looked  again  through  the  keyhole.     Morrel  was  writing; 


382  THE  COUNT  OF  MONTE  CMSTO. 

but  Madame  Morrel  remarked  what  her  daugliter  had  not 
observed,  that  her  husband  was  writiug  on  stamped  paper. 
The  terrible  idea  that  he  was  writing  his  will  flashed  across 
her;  she  shuddered,  and  yet  had  not  streugth  te  utter 
a  Word.  Next  day  M.  Morrel  seemed  as  calm  as  ever, 
went  into  his  office  as  usual,  and  came  to  his  breakfast 
punctually  ;  but  after  dinner  heplaced  his  daughter  beside 
him,  took  her  head  in  his  arms,  and  held  her  for  a  long 
time  against  his  bosom.  In  the  evening  Julie  told  her 
mother  that  althoùgh  he  was  so  calm  in  appearauce,  she 
had  remarked  that  her  father's  heart  beat  violently.  The 
next  two  days  passed  in  the  same  manner.  On  the  even- 
ing of  the  4th  of  September,  M.  Morrel  asked  his  daughter 
for  the  key  of  his  office.  Julie  trembled  at  this  request» 
which  seemed  to  her  of  bad  omen.  Why  did  her  father 
ask  for  this  key  which  she  always  kept,  and  which  was 
only  taken  from  her  in  childhood  as  a  punishment  ?  The 
youug  girl  looked  at  Morrel.  "  What  bave  I  done  wrong, 
Father,"  she  said,  "  that  you  should  take  this  key  from  moV* 

"Notldng,  my  dear,"  replied  the  unhappy  man,  the 
tears  starting  to  his  eyes  at  this  simple  question  ;  ''  noth- 
ing,  only  I  want  it." 

Julie  made  a  pretence  to  feel  for  the  key.  ''I  must 
hâve  left  it  in  my  room/'  she  said.  And  she  went  out  ; 
but  instead  of  going  to  her  apartment  she  hastened  to 
consult  Emmanuel.  '^Do  not  give  this  key  to  your 
father,"  said  he  ;  **  and  to-morrow  morning,  if  possible,  do 
not  quit  him  for  a  moment."  She  questioned  Emmanuel, 
but  he  knew  nothing,  or  would  not  say  anything.  During 
the  night  between  the  4th  and  5th  of  September  Madame 
Morrel  remained  listening  for  every  sound,  and  until 
three  o'clock  in  the  morning  she  heard  her  husband  pac- 
ing  the  room  in  great  agitation.  It  was  three  o'clock 
when  he  threw  himself  on  the  bed.     The  mother  and 


THE  FIFTH  OF  8EFTEMBEB.  383 

daughter  passed  the  night  togetber.  Thej  had  expected 
Maximilian  since  the  previous  eveniug.  At  eight  o'clock 
in  the  moming  Morrel  eiitered  their  chainber.  He  was 
calm;  but  the  agitation  of  the  night  was  legible  in  bis 
pale  and  careworn  visage.  They  did  not  dare  to  ask  bim 
bow  be  had  slept.  Morrel  was  kinder  to  bis  wife,  more 
affectionate  to  bis  daughter,  than  he  had  ever  been*  He 
could  not  cease  gazing  at  and  kissing  the  sweet  girL 
Julie,  mindful  of  EmmanuePs  request,  was  folio wing  ber 
father  when  be  quitted  the  room,  but  be  said  to  ber 
quickly,  "  Remain  with  jour  mother.''  Julie  wished  to 
accompany  bim.     ''I  wish  it,"  be  said. 

This  was  the  first  time  Morrel  had  said  to  bis  daughter, 
*'I  wish  it  ;"  but  be  said  it  in  a  tone  of  patemal  kindness, 
and  Julie  did  not  dare  refuse  compliance.  She  remained 
on  the  same  spot,  standing  mute  and  ntotionless.  An 
instant  afterward  the  door  opened,  she  felt  two  arms  en- 
circle  ber,  and  lips  were  pressed  upon  ber  forehead.  She 
looked  np  and  uttered  an  exclamation  of  joy.  ''  Maximil- 
ian I  my  brother  1  "  she  cned.  At  thèse  words  Madame 
Morrel  rose  and  threw  berself  into  ber  son's  arms. 

*'  Mother,''  said  the  young  man,  looking  altemately  at 
Madame  Morrel  and  ber  daughter,  '*  what  bas  bappened  ? 
Your  letter  bas  frightened  me,  and  I  bave  come  hither 
with  ail  speed." 

''Julie,"  said  Madame  Morrel,  making  a  sign  to  the 
young  man,  '*go  and  tell  your  father  that  Maximihan 
bas  just  arrived.*'  The  young  lady  rushed  out  of  the 
apartment,  but  on  the  first  step  of  the  staircase  she  fouud 
a  man  holding  a  letter  in  bis  hand. 

"Are  you  not  Mademoiselle  Julie  Morrel  1**  inquired 
the  man,  with  a  strong  Italian  accent 

"  Yes,  sir,"  replied  Julie,  with  hésitation  ;  *•  what  is 
your  pleasuiel    I  do  not  know  you." 


384  THK  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

**  Read  this  letter/'  he  said,  handing  it  to  her.  Julie 
hesitated.  *'  It  concerna  the  best  interests  of  joor  fàiher,** 
said  the  messenger. 

The  young  girl  hastîly  took  the  letter  from  him.  8he 
opened  it  quickly  and  read  :  — 

€k>  this  moment  to  the  Allées  de  MeiUan;  enter  the  house 
No.  15;  ask  the  porter  for  tbe  key  of  the  room  on  the  fifth 
floor;  enter  the  apartment,  take  from  the  corner  of  tbe  mantel- 
piece  a  purse  netted  in  red  silk,  and  give  it  to  your  father.  It 
is  important  that  he  should  receive  it  before  eleven  o'clock. 
You  promised  to  obey  me  implicitly.  Bemember  youi 
promise.  _  „ 

^  SiNBAD  THE  SaILOB. 

The  young  girl  uttered  a  joyful  cry,  raised  her  eyes, 
looked  round  to  question  the  messenger,  but  he  had  di& 
appeared.  She  cast  her  eyes  again  over  the  note  to 
peruse  it  a  second  time,  and  saw  there  was  a  postscript, 
She  read  :  — 

It  is  important  that  you  should  fulfil  this  mission  in  persoi» 
and  alone.  If  you  go  accompanîed  by  any  other  person,  oi 
should  any  one  else  présent  himself,  the  porter  will  teply  that 
he  does  not  know  anything  about  it* 

This  postscript  was  a  great  check  to  the  young  girPa 
joy.  Was  there  nothing  to  fear;  was  there  not  some 
snare  laid  for  her?  Her  innocence  had  kopt  her  in  igno- 
rance of  the  dangers  that  might  assail  a  young  girl  of  her 
âge.  But  there  is  no  need  to  know  danger  in  order  to 
fear  it  ;  indeed,  it  may  be  observed  that  it  is  usually  uu- 
known  périls  that  inspire  the  greatest  terror. 

Julie  hesitated,  and  resolved  to  take  counsel.  Yet,  by 
a  singular  feeling,  it  was  neither  to  her  mother  noi  her 
brother  that  she  applied,  but  to  EmmanueL  She  bas* 
tened  down  and  told  him  what  had  occurred  on  the  daj 
when  the  agent  of  the  house  of  Thomson  and  French  had 


THE  FIFTH  OF  SKPTEMBEB.  385 

come  to  Ler  father's,  related  the  scène  on  the  staîrcase, 
repeated*  the  promise  she  bad  made,  and  showed  him 
the  letter. 

**  You  must  go,  then,  Mademoiselley"  said  EmmanueL 

**  Go  thereT*  murmured  Julie. 

"  Yes  ;  1  will  accompany  you.** 

''  But  did  you  not  read  that  I  must  be  alone  ?  "  said  Julie. 

"  And  you  shall  be  alone/'  leplied  the  young  man.  **  I 
will  await  you  at  the  corner  of  the  Rue  du  Musée  ;  and  if 
you  are  so  long  absent  as  to  make  me  uneasy,  I  will  hasten 
to  rejoin  you,  and  woe  to  bim  of  whom  you  shall  bave 
cause  to  complain  to  me  !  " 

"  Then,  Emmanuel,*'  said  the  young  gîrl,  with  hésitation, 
'*  it  is  your  opinion  that  I  should  obey  this  injunction." 

"  Yes  ;  did  not  the  messenger  say  that  it  concerns  you; 
father's  safety?" 

''But  what  danger  threatens  him,  then,  Emmanuell'' 
she  asked. 

Emmanuel  hesîtated  a  moment  ;  but  bis  désire  to  make 
Julie  décide  immediately  urged  him  on. 

^'Listen,"  be  said;  '*to-day  is  the  5th  of  September, 
is  it  notî" 

"  Yes." 

**  To-day,  then,  at  eleven  o'clock,  your  father  bas  nearly 
three  bundred  thousand  livres  to  pay." 

"Yes,  we  know  that." 

"Well,"  continued  Emmanuel,  "we  bave  not  fifteen 
thousand  livres  in  the  bouse." 

"What  w-m  bappen  theni" 

"  Why,  if  to-day  before  eleven  o'clock  youp  father  bas 
lîot  found  some  one  who  will  come  to  bis  aid,  he  will  be 
compelled  at  twelve  o'clock  to  déclare  himself  a  bankrupt." 

**  Oh,  come,  come  !  "  cried  she,  bastening  away  with  the 
young  man. 

VOL.  L  —  «3 


386  THE  COUNT  OF  MONl'B  CRISTO. 

Duiing  this  tîme,  Madame  Morrel  had  told  her  sa» 
everything.  The  young  man  knew  quite  well  tliat  afte\ 
the  succession  of  misfortunes  which  had  befedlen  hU 
father,  great  changes  had  taken  place  in  the  style  of 
living  and  housekeeping  ;  but  he  did  not  know  that 
matters  had  reached  such  a  point.  He  was  thunder* 
struck.  Then,  mshing  hastily  eut  of  the  apartment,  he 
ran  up  the  stairs,  expecting  to  find  his  father  in  his  of- 
fice, but  he  rapped  there  in  vain.  While  he  was  yet  at 
the  door  of  the  office  he  beard  the  bedroom  door  open, 
tomed,  and  saw  his  father.  Instead  of  going  direct  to 
his  office,  M.  Morrel  had  returned  to  his  bed-chamber, 
which  he  was  only  this  moment  quitting.  Morrel  uttered 
a  cry  of  surprise  at  the  sight  of  his  son,  of  whose  arrivai 
he  was  ignorant.  He  remained  motionless  on  the  spot, 
pressing  with  his  left  hand  something  he  had  concealed 
undei  his  coat.  Maximilian  sprang  down  the  staircase 
and  thiew  his  arms  round  his  &thefs  neck;  but  sud- 
denly  he  recoiled  and  placed  his  right  hand  on  MorrePs 
breast.  "  Father  I  "  he  exclaimed,  tuming  pale  as  death, 
**  what  are  you  going  to  do  with  the  brace  of  pistols  under 
your  coatr* 

'^Oh,  this  is  what  I  feared!*'  said  Morrel. 

Tather,  Father!  in  Heaven's  name,**  exclaimed  the 
young  man,  ''what  are  thèse  weapons  for?" 

^'Maximilian,"  replied  Morrel,  lookîng  fixedly  at  his 
son,  ''you  are  a  man,  and  a  man  of  honor.  Come,  and 
I  will  explain  to  you." 

And  with  a  firm  step  Morrel  went  up  to  his  office^ 
while  Maximilian  foUowed  him,  trembling  as  he  went. 
Morrel  opened  the  door,  and  closed  it  behind  his  son, 
then,  Crossing  the  ante-room,  went  to  his  desk,  on  which 
he  placed  the  pistols,  and  pointed  with  his  finger  to  an 
open  ledger.     In  this  ledger  was  made  out  an  exact 


THK  FIFTH  OF  SEPTKMBBB.  387 

balanoe-sbeet  of  afiaira.  Monel  had  to  pay,  vithin  balf 
au  hour,  287,500  livres.  AU  he  possessed  was  15,257 
Uvres.     «^  Read  !  ''  said  MoneL 

The  young  man  was  overwhelmed  as  he  read.  Monel 
said  not  a  woid.  What  coold  he  sayl  What  need  he 
add  to  such  a  despeiate  proof  in  figures  1 

^'And  hâve  you  done  ail  that  is  possible,  Father,  to 
meet  this  disastroos  resoltr'  asked  the  young  man,  aftei 
a  moment* s  pause. 

"I  bave,"  replied  MorreL 

**  You  bave  no  money  coming  in  on  which  you  can  lelyf  ** 

"lî^one." 

''Ton  bave  exhausted  eveiy  zesouicel'* 

«'AU." 

''And  in  balf  an  hour/'  said  Maximilian,  in  a  gloomy 
voice,  "  our  name  is  disbonored  !  " 

"filood  wasbes  ont  disbonor,"  8ai4  MorreL 

"You  are  right,  Father;  I  understand  you.**  Then 
extending  bis  hand  towards  one  of  tbe  pistols,  he  said, 
"  Tbere  is  one  for  you  and  one  for  me  ;  thanks  I  ^ 

Morrel  checked  his  hand.  "  Your  motber  !  your  sister  1 
Wbo  wiU  support  tbem  1  " 

A  shudder  ran  tbrougb  tbe  young  man's  frame. 

'•Father,"  he  said,  "do  you  reflect  that  you  are  bid- 
ding  me  to  UveV 

"  Yes,  I  do  bid  you,**  answered  Morrel  ;  "  it  is  your  duty. 
You  bave  a  calm,  strong  mind,  Maximilian.  Maximilian, 
you  are  no  ordinary  man.  I  désire  notbing  ;  I  command 
notbing  ;  I  only  say  to  you,  examine  my  position  as  if  it 
were  your  own,  and  then  judge  for  yoursel£** 

Tbe  young  man  reflected  an  instant  ;  then  an  expression 
of  sublime  résignation  appeared  in  bis  eyes,  and  witb  a 
ilow  and  sad  gesture  he  took  off  bis  two  epaulettes,  tbe 
marks  of  bis  rank.     "  Be  it  so,  then,  mv  fitther/'  he  said, 


888  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTa 

extending  his  hand  to  Monel  ;  "  die  in  peace,  xnj  fathec 
'.  will  live.** 

Morrel  ^was  about  to  cast  liîmself  on  his  knees  befoie 
his  son,  but  Maximilian  caugbt  bim  in  bis  arms,  and  tbose 
two  noble  bearts  were  pressed  against  eacb  otber  for  a 
moment.     "  You  know  it  is  not  my  fault,**  said  Morrel. 

Maximilian  smiled.  "I  know,  Fatber,  you  are  tbe 
most  bonorable  man  I  bave  ever  known.'' 

'^Goody  my  8on.  And  now  ail  is  said;  go  now  and 
rejoin  your  motber  and  sister." 

*^  My  father/'  said  tbe  young  man,  bending  bis  knee, 
"  bless  me  !  " 

Morrel  took  bis  bead  between  bis  two  bands,  drew  bim 
towards  bim,  and  kissing  bis  forebead  several  times,  said, 
**  Oby  yeSy  yes  ;  I  bless  you  in  my  own  name  and  in  tbe 
name  of  tbree  générations  of  irreproacbable  men,  wbo  say 
by  my  voice,  *  Tbe  édifice  wbicb  misfortune  bas  destroyed. 
Providence  may  build  up  again.'  On  seeing  me  die  such 
a  deatb  tbe  most  inexorable  will  bave  pity  on  you,  To 
you,  perbaps,  tbey  will  accord  tbe  time  tbey  bave  refused 
to  me.  Try  tbat  tbe  word  of  disgrâce  be  never  pronounced. 
Go  to  work,  labor,  young  man  ;  struggle  ardently  and  coura- 
geously  ;  live,  yourself,  your  motber  and  sister,  witb  tbe 
most  rigid  economy,  so  that  from  day  to  day  tbe  property 
of  tbose  to  wbom  I  am  indebted  may  augment  and  fruc- 
tify  in  your  bands.  Reflect  bow  glorious  a  day  it  will  be, 
bow  grand,  bow  solemn,  tbat  day  of  complète  restoration 
on  wbicb  you  will  say  in  tbis  very  office,  *  My  fatber  died 
because  be  could  not  do  wbat  I  bave  tbis  day  done  ;  but 
be  died  calmly  and  peaceably,  because  in  dying  be  knew 
wbat  I  sbould  do.*" 

"  My  fatber  !  my  fatber  !  **  cried  tbe  young  man,  **  wby 
sbould  you  not  live  V* 

^'  If  I  live,  ail  would  be  cbanged  ;  if  I  live,  int^vest 


THE  FIFTH  OF  SEPTEMBER.  389 

vould  be  conveited  into  doubt^  pity  into  hostîHty.  If  I 
live,  I  am  onlj  a  man  who  bas  broken  bis  woid,  fiûled 
in  bis  engagements,  —  in  fact,  only  a  bankrupt.  If  on  tbe 
contrary  I  die,  lemembery  Maximilian,  my  corpse  is  that 
of  an  bonest  but  anfortuoate  man.  Living,  my  best  friends 
would  avoid  my  bouse  ;  dead,  ail  Marseilles  will  foUow  me 
in  tears  to  my  last  bome.  Living,  you  would  feel  sbame 
at  my  name  ;  dead,  you  may  laise  your  bead  and  say,  '  I 
am  tbe  son  of  bim  wbo  killed  bimself  because  for  tbe 
first  time  be  bas  been  compelled  to  fail  in  bis  word.'  " 

Tbe  young  man  uttered  a  groan,  but  appeared  resigned. 
For  tbe  second  time  conviction  entered,  not  bis  beart,  but 
bis  mind. 

"And  now/*  saîd  Morrel,  "leave  me  alone,  and  en- 
deavor  to  keep  your  motber  and  sister  away." 

"  Will  you  not  see  my  sister  once  more  î  "  asked  Max- 
imilian.  A  last  dull  bope  was  concealed  by  tbe  young 
man  in  tbe  effect  of  tbis  interview,  and  be  bad  suggested 
it  for  that  reason.  Morrel  sbook  bis  bead.  "  I  saw  bei 
tbis  morning,"  be  said,  "  and  bade  ber  adieu." 

"  Hâve  you  no  particular  commands  to  leave  witb  me, 
my  fatbei  1  **  inquired  Maximilian,  in  a  faltering  voice. 

**  Yes,  my  son,  and  a  sacred  command." 

*'  Say  it,  my  fatber.'* 

**Tbe  bouse  ofTbomson  and  Frencb  is  tbe  only  one  wbo 
from  bumanity,  or  it  may  be  selfisbness,  —  it  is  not  for 
me  to  read  men's  bearts,  — bas  bad  any  pity  for  me.  Its 
agent,  wbo  will  in  ten  minutes  présent  bimself  to  receive 
tbe  amount  of  a  bill  of  287,500  livres,  I  will  not  say 
grantéd,  but  offered  me  three  montbs.  Let  tbis  bouse  be 
tbe  first  repaid,  my  son,  and  let  that  man  be  sacred  to 
you." 

"  Fatber,  I  will,'*  said  Maximilian. 

^  And  now  once  more,  adieu,"  said  Morrel.    "  Go  !  leave 


390  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

ma  I  would  be  alone.  Ton  will  find  xny  will  in  the 
secretary  in  my  bedroom." 

The  young  man  remained  standing  and  motionless,  hav- 
ing  only  the  force  to  will  but  not  the  power  to  exécute. 

"  Hear  me,  Maximilian/'  said  his  &ther.  ''  Suppose  I 
were  a  soldier  like  you,  and  ordered  to  carry  a  certain  re- 
doubt,  and  ydu  knew  I  must  be  killed  iu  the  assault, 
would  y  ou  not  say  to  me,  as  y  ou  said  just  now,  '  Go, 
Father;  for  you  are  dishonored  by  delay^  and  death  is 
préférable  to  shameM" 

"  Yes,  yes  l '^  said  the  young  man,  "  yes  !  "  and  once 
again  embracing  his  father  with  convulsive  pressure,  he 
said,  *'  Be  it  so,  my  father."  And  he  rushed  out  of  the 
cabinet. 

When  his  son  had  lefb  him,  Morrel  remained  an  instant 
standing  with  his  eyes  fixed  on  the  door  ;  then  putting 
forth  his  arm,  he  puUed  the  bell.  Afber  a  moment's 
interval,  Coclès  appeared. 

He  was  no  longer  the  same  man  ;  the  fearful  convictions 
of  the  last  three  days  had  crushed  him.  This  thought  — 
the  house  of  Morrel  and  Son  is  about  to  stop  payment  — 
bent  him  to  the  earth  more  than  twenty  yeais  would 
otherwise  hâve  done. 

''  My  worthy  Coclès,"  said  Morrel,  in  a  tone  impossible 
to  describe,  "do  you  remain  in  the  ante-chamber.  When 
the  gentleman  who  came  three  mdnths  ago  —  the  agent  of 
the  house  of  Thomson  and  French  —  arriveS|  announce 
his  arrivai  to  me."  Coclès  made  no  reply;  he  made  a 
sign  with  his  head,  went  into  the  anteroom,  and  seated 
himself.  Morrel  fell  back  in  his  chair,  his  eyes  fixed  on 
the  clock  ;  there  were  seven  minutes  lefb,  that  was  alL 
The  hand  moved  on  with  incredible  rapidity  ;  it  seemed 
to  him  as  if  he  saw  it  move. 

What  then  passed  at  this  final  moment  of  time  in  ibe 


THE  FIFTH  OF  SEPTEMBER.  391 

mînd  of  this  man,  who,  still  young,  by  a  course  of  reason- 
ing,  false  perhaps,  bat  at  least  specious,  was  about  to  sepa- 
rate  himself  from  ail  he  loved  in  tbe  world,  and  quit  life, 
wbicb  possessed  for  him  ail  domestic  delîgbts,  it  is  im- 
possible to  express.  To  form  any  idea  of  bis  feeliBgs,  be 
must  bave  been  seen  witb  bis  brow  batbed  in  perspira- 
tion,  yet  resigned,  bis  eyes  moistened  witb  tears  and  yet 
raised  to  heaven.  Tbe  clock-band  moved  on.  Tbe  pistols 
wei*e  cocked  ;  be  stretclied  fortb  bis  band,  took  one  ap,  and 
murmared  bis  daugbter's  name.  Tben  be  laid  down  tbe 
mortal  weapou,  took  up  bis  pen,  and  wrote  a  few  words.  It 
seemed  U)  bim  as  if  be  bad  not  taken  a  sufficient  farewell  of 
bis  beloved  daugbter.  Tben  be  turued  again  to  tbe  clock  ; 
be  no  longer  counted  by  minutes,  but  by  seconds.  He 
took  up  tbe  deadly  weapon  again^  bis  moutb  balf-opened 
and  bis  eyes  fixed  on  tbe  clock,  and  tben  sbuddered  at  tbe 
click  of  tbe  trigger  as  be  cocked  tbe  pistol.  At  tbis  mo- 
ment a  colder  perspiration  moistened  bis  brow  ;  a  more 
mortal  agony  clutcbed  at  bis  beart-strings.  He  beard  tbe 
door  of  tbe  staircase  creak  on  its  biuges  ;  tbe  clock  gave 
its  waming  to  strike  eleven  ;  tbe  door  of  bis  cabinet 
opened.  Morrel  did  not  tum  round  ;  be  expected  tbese 
words  of  Codes,  "  Tbe  agent  of  Tbomson  and  Frencb." 
He  placed  tbe  muzzle  of  tbe  pistol  between  bis  teetb. 
Suddenly  be  beard  a  cry,  —  it  was  bis  daugbter's  voice. 
He  turned  and  saw  Julie.  Tbe  pistol  fell  from  bis 
bands. 

"  My  fatber  I  "  cried  tbe  young  girl,  out  of  breatb  and 
balf  dead  witb  joy  ;  "  saved  !  you  are  saved  1  *'  And 
sbe  tbrew  berself  into  bis  arms,  bolding  in  ber  extended 
hand  a  red  netted  silk  purse. 

"  Savedy  my  cbild  I  **  said  Morrel  ;  "  wbat  do  you 
mean  ?  " 

"  Yes,  saved  —  saved  !  see,  see  1  "  said  tbe  young  girl 


392  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

Morrel  took  the  puise,  and  staited  as  he  did  so,  for  a 
Tague  remembrance  reminded  him  that  it  once  belonged 
to  himself.  At  one  end  was  the  bill  for  the  287,500  livres. 
The  bill  was  receipted.  At  the  other  end  was  a  diamond  as 
large  as  a  hazel-nut,  with  thèse  words  on  a  small  slip  of 
parchment  :  "  Julie*s  Dowry." 

Morrel  passed  his  hand  over  his  brow  ;  it  seenied  to  him 
a  dream.  At  this  moment  the  clock  struck  eleven.  The 
Sound  vibrated  through  him  as  if  each  stroke  of  the  ham- 
mer  struck  on  his  heart.  ''  Ëxplain,  my  child,"  he  said, 
"  explain  !   where  did  you  find  this  purse  ?  " 

**  In  a  house  in  the  Allées  de  Meillan,  No.  15,  on  the 
corner  of  a  mantelpiece  in  a  small  room  on  the  fifth  floor.*' 

"But/'  cried  Morrel,  **this  purse  is  not  yours  !  " 

Julie  handed  to  her  father  the  letter  she  had  received 
in  the  moming. 

"  And  did  you  go  alone  1  "  asked  Morrel,  after  he  had 
read  it. 

"  Emmanuel  accompanied  me,  Father.  He  was  to  hâve 
waited  for  me  at  the  corner  of  the  Rue  du  Musée,  but 
strange  to  say,  he  was  not  there  when  I  returned." 

"  M.  Morrel  1  "  exclaimed  a  voice  on  the  stairs,  —  "  M. 
Morrel  I  " 

"  It  is  his  voice  !  "  saîd  Julie.  At  this  moment  Em- 
manuel entered,  his  countenance  fuU  of  animation  and 
joy.     "  The  '  Pharaon  '  !  "  he  cried  ;  "  the  '  Pharaon  *  !  " 

"  What  !  —  what  1  the  *  Pharaon  !  '  Are  you  mad, 
Emmanuel?    You  know  the  vessel  is  lost." 

**  The  *  Pharaon,*  sir  î  they  signal  the  *  Pharaon  *  ! 
The  *  Pharaon  '  is  entering  the  harbor  !  " 

Morrel  fell  back  in  his  chair.  His  strength  was  failing 
him  ;  his  understanding  refused  to  comprehend  such 
incredible,  unheard-o^  fabulons  events.  But  bis  soii 
came  in.> 


THE  FIFTH  OF  SËPTEMBER.  393 

**  Father  I  "  cried  Maximilian,  **  how  could  yoa  say  the 
'Pharaon'  was  lost?  Sbe  has  been  sîgnalled  from  the 
svatch-tower,  and  they  say  she  is  now  coming  into  port/' 

"  My  dear  friends  I  ''  said  Morrel,  ''  if  this  wére  so,  it 
most  be  a  miracle  of  Heaven  I    Impossible  !  impossible  1  " 

But  what  was  real  and  not  less  incredible  was  the  purse 
he  held  in  his  haud,  the  acceptance  receipted^  the  splendid 
diamond. 

'' Ah,  Monsieur! ''  exclaimed  Coclës,  ^'what  can  it  mean, 
—  the*  Pharaon  T 

"Come,  my  dear,**  said  Morrel,  rising  from  his  seat, 
'*  let  os  go  and  see,  and  Heaven  bave  pity  upon  us  if  it 
be  false  intelligence  I  " 

They  ail  went  out,  and  on  the  stairs  met  Madame 
Morrel,  who  had  been  afraid  to  go  up  into  the  office.  In 
an  instant  they  were  at  the  Canebière.  There  was  a 
crowd  on  the  pier.  AU  the  crowd  gave  way  before 
MorreL  "The  *  Pharaon  M  the  *  Pharaon'!"  said  every 
voice. 

And  wonderful  to  say,  in  front  of  the  tower  of  St.  Jean 
was  a  vessel  bearing  on  her  stern  thèse  words,  priuted  in 
white  lettersy  "  The  '  Pharaon,'  Morrel  and  Son,  of  Mar- 
seilles."  It  precisely  resembled  the  other  **  Pharaon,"  and 
was  loaded,  as  that  had  been,  with  cochineal  and  indigo.  It 
cast  anchor,  brailed  ail  sails,  and  on  the  deck  was  Captain 
Gaumard  giving  orders,  and  Maître  Penelon  makîng  signais 
to  M.  Morrel.  To  doubt  any  longer  was  impossible  ;  there 
was  the  évidence  of  the  sensés,  and  ten  thousand  persons 
who  came  to  corroborate  the  testîmony.  As  Morrel  and 
his  son  embraced  on  the  pier-head  in  the  présence  and 
amid  the  applause  of  the  whole  city  witnessing  this  pro- 
digy,  a  man  with  his  face  half-covered  by  a  black  beard, 
and  who,  concealed  behind  the  sentry-box,  watched  the 
scène  with  delight,  uttered  thèse  words  in  a  low  tone^ 


r 


hitik  Thtù  OOuN'JL   OF  MOlNliÙ  CKldlV. 

**  Be  happy^  noble  heart  !  be  blessed  for  ail  tbe  good  tbou 
hast  done  and  wîlt  do  bereafter,  and  let  my  gratitude  rest 
in  the  sbade  witb  your  kindness  !  " 

And  witb  a  smîle  in  wbicb  joy  and  bappiness  were 
reveaied,  be  left  bis  biding-place,  and  witbout  being 
observed  descended  one  of  tbose  fligbts  of  steps  wbicb 
serve  for  debarkation,  and  bailiug  tbree  times,  sbouted 
'^  Jacopo  !  Jacopo  !  Jacopo  !  "  Tben  a  sballop  came  to 
abore,  took  bim  on  board,  and  conveyed  bim  to  a  yacbt 
aplendidly  fitted  up,  on  wbose  deck  be  sprang  witb  tbe 
fictivity  of  a  sailor  ;  tbence  be  once  again  looked  towards 
Morrely  wbo  weeping  witb  joy  was  sbaking  bands  most 
^ordiaLy  witb  ail  tbe  crowd  around  bim,  and  tbauking 
witb  11  look  tbe  unknown  benefactor  wbom  be  seemed 
to  be  seeking  in  tbe  skies. 

^'And  now/'  said  tbe  unknown,  ^'farewell  kindnoss, 
bumanity,  and  gratitude  !  Farewell  to  ail  tbe  feelings 
tbat  expand  tbe  beart  1  I  bave  been  Heaven's  substitute 
to  récompense  tbe  good  ;  now  tbe  god  of  vengeance  yields 
to  ma  bis  power  to  punisb  tbe  wicked  !  "  At  tbese  words 
be  gave  a  signal^  and  as  if  only  awaiting  tbis  signal,  tbe 
yacbt  instantly  put  out  to  sea. 


JB'M.Y  :  SINBAD  THB  SAIlOft-  39ft 


CHAPTER  XXXt 


italt:  bixbad  the  sailob. 


PowARDS  the  begînning  of  the  year  1838,  two  young  men 
belonging  to  the  first  society  of  Paris,  the  Vicomte  Albert 
de  Morcerf  and  the  Baron  Franz  d'Epi nay,  were  at  Flor- 
ence. They  had  agreed  to  see  the  Carnival  at  Rome  that 
year,  and  that  Franz,  who  for  the  last  three  or  four  years 
had  inhabited  Italy,  shoald  act  as  cicérone  to  Albert.  As 
it  is  no  slight  affair  to  spend  the  Carnival  at  Rome,  es- 
pocially  when  you  hâve  no  great  désire  to  sleep  on  the 
Place  du  Peuple,  'or  the  Campo  Vaccino,  they  wrote  to 
Maître  Pastrini,  the  proprietor  of  the  Hôtel  de  Londres, 
Place  d'Espagne,  to  reserve  comfortable  apartments  for 
theou  Maître  Pastrini  replied  that  he  had  only  two 
rooms  and  a  cabinet  al  seconda  pmno,  which  he  offered 
at  the  low  charge  of  a  louis  per  diem.  They  accepted  his 
offer  ;  but  wishing  to  make  the  best  use  of  the  time  that 
was  lefb,  Albert  started  for  Naples.  As  for  Franz,  he 
remained  at  Florence.  After  having  passed  several  days 
hère,  when  he  had  walked  in  the  Eden  called  the  Casines, 
wlien  he  had  passed  two  or  three  evenings  at  the  houses  of 
the  nobles  of  Florence,  he  took  a  fancy  into  his  head  after 
having  already  visited  Corsica,  the  cradle  of  Bonaparte, 
to  visit  Elba,  the  halting-place  of  Napoléon. 

One  evening  he  loosened  a  boat  from  the  iron  ring  that 
secured  it  to  the  port  of  Leghom,  laid  himself  down, 
wrapped  in  his  cloak,  at  the  bottom,  and  said  to  the  crew, 


396  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTa 

"  To  the  Isle  of  Elba  !  "  The  boat  shot  out  of  the  harboi 
like  a  bird,  and  the  next  momîng  Franz  disembarked  at 
Porto  Ferrajo.  He  traversed  the  island  afler  having  fol- 
io wed  the  traces  which  the  footsteps  of  the  gîant  hâve 
left,  and  re-embarked  for  Marciana.  Two  hours  after  he 
landed  at  Pianosa^  where  he  waA  assured  that  red  par> 
trîdges  abounded.  Tlie  sport  was  bad  ;  Franz  succecded 
in  killing  only  a  few  partridges,  and  like  every  unsuccess- 
fui  sportsman,  he  returnod  to  the  boat  very  much  out  of 
temper. 

"  Ah,  if  your  Excellency  chose,**  said  the  captain,  "  yon 
mîght  hâve  capital  sport.*' 

«  Where  î  »* 

**  Do  you  see  that  island  ?  "  continued  the  captain, 
poînting  to  a  conical  pile  that  rose  from  the  blue  sea. 

"  Well  ;  what  is  this  island  1  " 

"  The  island  of  Monte  Cristo." 

*'  But  I  bave  no  permission  to  shoot  over  this  island." 

^' Your  Elxcellency  does  not  require  a  permission,  for  the 
island  is  uninhabited." 

**  Ah,  indeed  I  "  said  the  young  man.  **  A  désert  island 
in  the  midst  of  the  Mediterranean  must  be  a  curiosity,*' 

"  It  is  very  natural  ;  this  isle  is  a  mass  of  rocks,  and 
does  not  contain  an  acre  of  land  capable  of  cultivation/* 

"  To  whom  does  this  island  belong  1  ^ 

"  To  Tuscany." 

«  What  game  shall  I  fînd  there  f  * 

"  Thousands  of  wild  goats.** 

"  Who  live  by  lickîng  the  stones,  I  suppose,**  said  Frani^ 
with  an  incredulous  smile. 

"  No  ;  but  by  browsing  the  shrubs  and  trees  that  grow 
out  of  the  crevices  of  the  rocks." 

"  Where  can  I  sleep  1  " 

"  On  shore,  in  the  grottos,  or  on  board  in  your  cloak  ; 
besides,  if  your  Excellency  pleases,  we  can  leave  as  soon 


ITALY  :    8INBAD  THE  SAILOR.  397 

as  tbe  chase  is  finisbed.  We  can  sail  as  well  by  uigbt  m 
by  day,  and  if  the  wiud  drops  we  can  use  our  oars." 

As  Franz  had  sufficient  time  before  rejoining  bis  com- 
panion,  and  bad  no  fartber  occasion  to  trouble  bimself 
about  bis  apartment  in  Rome,  be  accepted  tbe  proposition. 
Upon  bis  answer  in  tbe  affirmative,  tbe  sailors  excbanged 
a  few  words  togetber  in  a  low  tone.  "  Well,"  he  asked  ; 
"  wbat  î  is  tbere  any  difficulty  to  be  surmounted  î  " 

"No,"  replied  tbe  captain,  "but  we  niust  wam  your 
Excellency  tbat  tbe  island  is  contumacious." 

"  Wbat  do  you  mean  î  " 

"  Tbat  Monte  Cristo,  altbougb  uninbabited,  yet  serves 
occasionally  as  a  refuge  for  tbe  smugglers  and  pirates  wbo 
corne  from  Corsica,  Sardinia^  and  Africa  ;  and  tbat  if  any- 
tbing  betrays  tbat  we  bave  been  tbere,  we  sball  bave 
to  perform  quarantine  for  six  days  on  oar  return  to 
Leghorn." 

"  Tbe  devil  !  tbat  is  quite  anotber  tbing  !  Six  days  ! 
just  tbe  time  wbicb  God  required  to  create  tbe  world. 
It  is  somewbat  long,  my  cbildren." 

"  But  wbo  will  say  tbat  your  £xcellency  bas  been  to 
Monte  Cristof" 

"  Ob,  I  sball  not,"  cried  Franz. 

"  Nor  I  !  nor  I  !  "  cborused  tbe  sailors. 

"  Tben  steer  for  Monte  Cristo." 

Tbe  captain  gave  bis  ordess;  tbe  bow  was  tumed 
towards  the  island  ;  and  tbe  boat  was  soon  sailing  in  tbat 
direction.  Franz  waited  until  ail  was  finisbed  ;  and  wben 
tbe  sail  was  fiUed  and  tbe  four  sailors  had  taken  their 
places,  tbree  forward  and  one  at  the  belm,  be  resumed 
the  conversation.  "Gaetano,"  said  be  to  tbe  captain, 
"  you  tell  me  Monte  Cristo  serves  as  a  refuge  for  pirates, 
wbo  are,  it  seems  to  me,  a  very  différent  kind  of  gam* 
fsom  tbe  goats.'^ 


398  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

"  Yes,  your  Excellency  ;  and  it  îs  true.* 

^'I  knew  there  were  emugglers;  but  I  tboughi  that 
since  the  capture  of  Algîers  and  the  destruction  of  the 
regency,  pirates  existed  only  in  tbe  romances  of  Cooper 
and  Captain  Marryat." 

''Your  Excellency is  mistaken ;  tbere  are  pirates,  just  as 
tbere  are  bandits,  —  wbo  were  believed  to  bave  been  ex- 
terminated  by  Pope  Léo  XII.,  and  wbo  yet  every  day  rob 
travellers  at  tbe  gâtes  of  Eome.  Has  not  your  Excellency 
heard  that  tbe  Frencb  chargé  (Tafaireê  was  robbed  six 
nionths  ago  witbin  five  bundred  paces  of  YelletriT' 

«  Ob,  yes,  I  beard  tbat" 

"  Well,  tben,  if  like  us  your  Excellency  lîved  at  Leg- 
horn,  you  would  bear  from  time  to  time  tbat  a  little  mex"- 
cbant  vessel,  or  an  Englisb  yacht  tbat  was  expected  at 
Bastia,  at  Porto  Ferrajo,  or  at  Civita  Veccbia,  bas  not 
anived  ;  tbat  no  one  knows  wbat  bas  become  of  it^  and 
tbat  doubtless  it  bas  struck  on  a  rock  and  foundered. 
Now,  this  rock  it  bas  met  is  a  long  and  narrow  beat 
manned  by  six  or  eigbt  men,  wbo  bave  surprised  and 
plundered  it  some  dark  and  stormy  night  near  some  dés- 
ert and  gloomy  isle,  as  bandits  plunder  a  carriage  at  tbe 
corner  of  a  wood." 

"  But,"  asked  Franz,  wbo  lay  wrapped  in  bis  cloak  at 
the  bottom  of  tbe  bark,  "why  do  not  those  wbo  bave 
been  plundered  complain  to  the  Frencb,  Sardinian,  ci 
Tuscan  governments  î  " 

**  Wby  1  "  said  Gaetano,  with  a  smile. 

*'  Yes,  wby  î  " 

"  Because  in  tbe  first  place  tbey  transfer  from  tbe  vessel 
to  their  own  boat  whatever  tbey  tbink  wortb  taking,  tben 
tbey  bind  the  crew  band  and  foot  ;  tbey  attacb  to  every 
one's  neck  a  four  and  twenty  pound  bail  ;  a  large  bole  is 
pierced  in  the  vessel's  bottom,  and  tben  tbey  leave  ber« 


TIALY  :   SINBAD  THE  SAILOR.  399 

At  the  end  of  ten  minutes  the  vessel  begins  to  roll,  labor, 
and  then  siiik  ;  then  one  of  the  sides  plunges  and  then 
the  other.  It  rîses  and  sinks  again;  suddenly  a  noise 
like  the  report  of  a  cannon  is  heard,  —  it  is  the  air  break- 
ing  the  deck.  Soon  the  water  rushes  out  of  the  scupper- 
holes  like  a  whale  spouting  ;  the  vessel  gives  a  last  groan, 
spins  rouiid  and  round  and  disappears,  forming  a  vast 
Whirlpool  in  the  océan,  and  then  ail  is  over.  So  that  in 
five  minutes  nothing  but  the  eye  of  God  can  see  the  vessel 
where  she  lies  at  the  bottom  of  the  sea.  Do  you  unde^ 
stand  now,"  said  the  captain,  laughing,  "why  no  com- 
ptai nts  are  made  to  the  Government,  and  yfhy  the  vessel 
does  not  arrive  at  the  portî" 

It  is  probable  that  if  Gaetano  had  related  this  previously 
to  pi'oposing  the  expédition,  Franz  would  hâve  hesitated 
ère  he  accepted  it;  but  now  that  they  had  started,  he 
thought  it  would  be  cowardly  to  draw  back.  He  was  one 
of  those  men  who  do  not  rashly  court  danger,  but  if  dan- 
ger présents  itself,  encounter  it  with  imperturbable  cool- 
ness.  He  was  one  of  those  calm  and  resolute  men  who 
lookupon  a  danger  as  an  adversary  in  a  duel;  who  cal- 
culate  its  movements  and  study  its  attacks  ;  who  retreat 
sufficiently  to  take  breath,  but  not  to  appear  cowardly; 
who^  understandîng  ail  their  advantages,  kill  at  a  single 
blow.  "  Bah  !  ''  said  he,  "  I  hâve  travoUed  throngh  Sicily 
and  Calabria,  I  hâve  sailed  two  months  in  the  Archipel- 
ago  ;  and  yet  I  never  saw  even  the  shadow  of  a  bandit  oi 
a  pirate." 

*'  I  did  not  tell  your  Excellency  this  to  doter  you  from 
your  project,"  replied  Gaetapo  ;  "  but  you  questioned  me, 
and  I  bave  answered,  —  that 's  alL" 

**  Yes,  my  dear  Gaetano,  and  your  conversation  îs  most 
interesting  ;  and  as  I  wish  to  enjoy  it  as  long  as  possible, 
Bteer  for  Monte  Crîsto/ 


400  THE  COUNT  OF  MONTE  CBISTO, 

The  wind  ble^v  strongly  ;  the  bpat  sailed  six  or  seven 
knots  an  hour  j  and  thej  were  rapidly  nearîng  the  end  of 
their  voyage.  As  they  approached,  the  island  seemed  to 
lise  a  huge  mass  from  the  bosom  of  the  sea  ;  and  through 
the  dear  atmosphère  in  the  light  of  closing  day,  they 
could  distinguish  the  rocks  heaped  on  one  another  like 
buUets  in  an  arsenal,  in  whose  crevices  they  could  see  the 
green  bushes  and  trees  that  were  growing.  As  for  the 
sailorSy  although  they  appeared  perfectly  tranquil,  yet  it 
was  évident  that  they  were  on  the  alert,  and  that  they 
very  carefully  watched  the  glassy  surface  over  which  they 
were  sailing,  and  on  which  a  few  fishing-boats  with  their 
white  sails  were  alone  visible.  They  were  within  fifteen 
miles  of  Monte  Cristo  when  the  sun  began  to  set  behind 
Corsica,  whose  mountains  appeared  against  the  sky,  and 
showing  their  rugged  peaks  in  bold  relief;  this  mass  of 
stoneSy  like  the  giant  Adamastor,  rose  threateningly  before 
the  boat,  from  which  it  hid  the  sun  that  gilded  its  higher 
peaks.  By  degrees  the  shadow  rose  from  the  sea  and 
seemed  to  drive  before  it  the  last  rays  of  the  expiring 
day.  At  last  the  reflection  rested  on  the  summit  of  the 
mountain,  where  it  paused  an  instant,  like  the  fiery  crest 
of  a  volcano  ;  then  the  shadow  gradually  covered  the 
summit  as  it  had  covered  the  base,  and  the  island  now 
appeared  to  be  a  gray  mountain  that  grew  continually 
darker.    Half  an  hour  later,  and  the  night  was  quite  dark. 

Fortunately  the  mariners  were  used  to  thèse  latitudes 
and  knew  every  rock  in  the  Tuscan  archipelago,  for  in 
the  midst  of  this  obscurity  Franz  was  not  without  uneasi- 
ness.  Corsica  had  long  since  disappeared,  and  Monte 
Cristo  itself  was  invisible  ;  but  the  sailors  seemed,  like 
the  lynx^  to  see  in  the  dark,  and  the  pilot  who  steered 
did  not  évince  the  slightest  hésitation.  An  hour  had 
passed  since  the  sun  had  set,  when  Franz  fancîed  he  saw, 


ITALY  :    SINBAD  THE  SAILOR.  401 

at  a  quarter  of  a  mile  to  tbe  left,  a  dark  mass  ;  but  it  waa 
impossible  to  make  ont  wbat  it  was,  and  fearing  to  excite 
tbe  mirtb  of  tbe  sailors  bj  mistaking  a  floating  cloud  for 
land,  be  lemained  silent.  Suddenly  a  great  ligbt  appeared 
on  tbe  stiand  ;  laud  migbt  lesemble  a  cloud,  but  tbe  fire 
-was  not  a  meteor.     *'  Wbat  is  tbis  ligbt  ?  "  be  asked. 

**  Silence  I  **  said  tbe  captain  ;  "  it  is  a  fire." 

*'  Bat  yoa  told  me  tbe  island  was  uninbabîted  I  '' 

''I  said  tbere  were  no  fixed  habitations  on  it;  but 
I  said  also  tbat  it  served  sometimes  as  a  barbor  for 
smuggleis." 

"  And  for  pirates  t  •• 

''And  for  pirates,"  retumed  Gaetano,  repeating  Franz's 
words.  **  It  is  for  tbat  reason  I  bave  given  orders  to  pass 
tbe  isloy  for,  as  you  see,  tbe  fire  is  bebiud  us.** 

**  But  tbis  fire^''  continued  Franz,  **  seems  to  me  a  tbing 
tbat  sbould  ratber  assure  tban  alarm  us  ;  men  wbo  did  not 
wisb  to  be  seen  would  not  ligbt  a  fire." 

"  Ob,  tbat  goes  for  notbing,"  said  Gaetano.  "  If  you 
can  guess  tbe  position  of  tbe  island  in  tbe  darkness,  you 
will  see  tbat  tbe  fire  cannot  be  seen  from  tbe  side,  or  from 
Pianoso,  but  only  from  tbe  sea." 

^*  You  tbink,  tben,  tbat  tbis  fire  announces  unwelcome 
neigbbors  1  " 

*^  Ibat  is  wbat  we  must  ascertaîn,"  retumed  Gaetano^ 
fix&g  bis  eyes  on  tbis  texrestrial  star. 

"How  can  you  ascertainî*' 

«Ton  sball  see." 

Gaetano  consulted  witb  bis  companîons  ;  and  after  five 
minutes'  discussion  a  manœuvre  was  executed  wbicb  caused 
tbe  boat  to  tack  about.  Tbey  retumed  in  tbe  direction  from 
wbicb  tbey  bad  come,  and  in  a  few  minutes  tbe  fire  disap- 
peared,  bidden  by  a  rise  in  tbe  land.  Tbe  pilot  again 
ebanged  tbe  course  of  tbe  little  vessel,  wbicb  rapidly  ap 


402  THE  COUNT  OF  MONTE  CBI8T0. 

pToached.  tbe  island,  and  was  soon  withîn  fifty  paces  of  it. 
Gaetano  lowered  the  sail,  and  the  boat  remained  station- 
ary.  Ail  tbis  was  done  iu  silence,  and  siuce  tbeir  course 
bad  been  cbanged  not  a  word  was  spoken. 

Gaetano,  wbo  bad  proposed  tbe  expédition,  bad  taken 
ail  tbe  responsibility  on  bimself  ;  tbe  four  sailors  fixed 
tbeir  eyes  on  bim,  wbile  tbey  prepared  tbeir  oars  and  beld 
tbemselves  in  readiness  to  row  away,  wbicb,  tbanks  to  tbe 
darkness,  would  not  be  diffîcult.  As  for  Franz,  be  exam- 
ined  bis  arms  witb  tbe  utmost  coolness.  Ho  bad  two 
double-barrelled  guns  and  a  rifle  ;  be  loaded  tbem,  looked 
at  tbe  locks,  and  waited  quietly.  During  tbis  time  tbe 
captain  bad  thrown  off  bis  vest  and  sbirt,  and  secured  bis 
trousers  round  bis  waist  ;  bis  feet  were  naked,  so  be  bail 
no  sboes  and  stockings  to  take  off.  Afber  tbese  prépara- 
tions be  placed  bis  finger  on  bis  lips,  and  lowering  bim- 
self noiselessly  into  tbe  sea,  swam  towards  tbe  sbore  witb 
sucb  précaution  tbat  it  was  impossible  to  bear  tbe  sligbt* 
est  Sound  ;  be  could  be  traced  only  by  tbe  pbospborescent 
line  in  bis  wake.  Tbis  track  soon  disappearedj  it  was 
évident  tbat  be  bad  toucbed  tbe  sbore.  Every  one  on 
board  remained  motiouless  during  balf  an  bour,  wben  tbe 
same  luminous  track  was  again  observed,  and  in  two 
strokes  be  bad  regained  tbe  boat. 

"  Well  ?  "  exclaimed  Franz  and  tbe  sailors  ail  togetber 

"Tbey  are  Spanisb  smugglers,"  said  be;  "tbey  havt 
witb  tbem  two  Corsican  bandits." 

'^And  wbat  are  tbese  Corsican  bandits  doing  bere  witb 
Spanisb  smugglers?" 

"  Alas  !  "  returned  tbe  captain,  witb  an  accent  of  pro- 
found  Cbristian  cbarity,  "we  ougbt  always  to  belp  one 
anotbér.  Very  ofben  tbe  bandits  are  hard  pressed  by 
gendarmes  or  carbineers;  well,  tbey  see  a  boat,  and 
good  fellows  like  us  on  board.     Tbey  corne  and  demand 


ITALY  :   SINBAD  THE  SAILOR.  403 

hospitality  of  us.  How  can  you  refuse  help  to  a  pooi 
hunted  devill  We  receive  them,  and  for  greater  security 
we  stand  out  to  sea.  This  costs  us  nothing,  and  saves 
bhe  life,  or  at  leeist  the  liberty,  of  a  fellow-créature,  who 
on  the  fiist  occasion  returns  the  service  by  pointing  ont 
some  safe  spot  where  we  can  land  our  goods  withoùt 
interruption." 

*'  Ah  1  "  said  Franz,  ''  then  you  are  a  smuggler  occasîon- 
ally,  Gaetanol" 

**  Your  Excellency,  one  does  a  little  of  everything  ;  we 
luust  live  somehow,"  returned  the  other,  smiling  in  a  way 
impossible  to  describe. 

"Then  you  know  the  men  who  are  now  on  Monte 
Cristo  ?  " 

'*  Oh,  yes,  we  sailors  are  like  freemasons,  and  recognize 
^ach  other  by  certain  signs." 

"  And  do  you  think  we  hâve  nothing  to  fear  if  we  land  î  *• 

"  Nothing  at  ail  !  smugglers  are  not  thieves." 

"  But  thesë  two  Corsican  bandits  î  "  said  Franz,  calcu- 
lating  the  chances  of  péril. 

"Ehl"  said  Gaetano,  "it  is  not  their  fault  that  they 
are  bandits  ;  it  is  that  of  the  authorities." 

"How  sol" 

''  Because  they  are  pursued  for  having  made  a  peau,  as 
if  it  was  not  in  a  Corsican's  nature  to  revenge  himself." 

"  What  do  you  mean  by  having  made  a  peau,  — 
having  assassinated  a  man?"  said  Franz,  continuing  his 
investigation. 

"  I  mean  that  they  bave  killed  an  enemy,  which  is  a 
very  différent  thing,"  returned  the  captain. 

"Weli,"  said  the  young  man,  "let  us  demand  hospi- 
tality of  thèse  smugglers  and  bandits.  Do  you  think 
they  will  grant  it?" 

'*Without  doubt* 


404  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 


99 


••How  many  are  theyl" 

''Four,  and  the  two  bandits  make  six.' 

'' Judt  our  number,  so  that  if  they  prove  troublesome 
we  shall  be  able  to  check  them;  so  for  the  last  time 
steer  to  Monte  Cristo." 

"  Yes;  but  your  Ëxcellency  will  permit  us  to  take  some 
précautions." 

''  By  ail  means  ;  be  as  wise  as  Nestor  and  as  prudent  as 
Ulysses.     I  do  more  than  permit,  I  exhort  you." 

*'  Silence,  then  !  **  said  Gaetano. 

Every  one  obeyed.  For  a  man  who,  like  Franz,  viewed 
his  position  in  its  true  light,  it  was  a  grave  one.  Ha  was 
alone  in  the  darkness  with  sailors  whom  he  did  not  know 
and  who  had  no  reason  to  be  devoted  to  him  ;  who  knew 
that  he  had  in  his  belt  several  thousand  livres  ;  and  who 
had  often  examined  his  arms,  which  were  very  beautiful, 
if  not  with  envy,  at  least  with  curiosity.  On  the  other 
hand,  he  was  about  to  land  without  any  other  escort  than 
tbese  men,  on  an  island  which  bore  a  very  religions  name, 
but  which  did  not  seem  to  oflFer  Franz  any  other  hospi- 
tality  than  that  of  Calvary  to  Christ,  thanks  to  the  smug- 
glers  and  bandits.  The  history  of  the  scuttled  vessels, 
which  had  appeared  improbable  during  the  day,  seemed 
very  probable  at  nîght.  Placed  as  he  was  between  two 
imaginary  dangers,  he  did  not  quit  the  crew  with  his  eyes, 
or  his  gun  with  his  hand. 

However,  the  sailors  had  again  hoisted  the  sail,  and  the 
vessel  was  once  more  cleaving  the  waves.  Through  the 
darkness  Franz,  whose  eyes  were  now  more  accustomed  to 
it,  distinguished  thé  granité  giant  by  which  the  boat  was 
sailing  ;  and  then,  turning  an  angle  of  the  rock,  he  saw  the 
fire  more  brilliant  than  ever,  round  which  five  or  six  per- 
sons  were  seated.  The  blaze  illumined  the  sea  for  a  hun- 
dred  paces  round.     Gaetano  skirted  the  light,  carefuUy 


ITALY  :    SINBAD  THE  SAILOR.  405 

keeping  the  boat  oui  of  its  rays  ;  then,  'wben  they  were 
opposite  the  fire,  he  entered  into  the  centre  of  the  circle, 
sîngîng  a  fishing-song,  of  whîch  his  companions  sang  the 
chorus.  At  the  iirst  words  of  the  song,  the  men  seated 
round  the  fire  rose  and  approacbed  the  landing-place,  theii 
eyes  fixed  on  the  boat,  of  whicb  tbey  evidently  sougbt  to 
judge  the  force  and  divine  thô  intention.  Tbey  soon  ap- 
peared  satisôed  ànd  retumed  (witb  the  exception  of  one, 
who  remained  at  tbe  shore)  to  tbeir  ûve,  at  whicb  a  whole 
goat  was  roaating.  Wben  the  boat  was  within  twenty 
paces  of  the  shore,  tbe  man  on  tbe  beacb  made  witb  bis 
carbine  tbe  movement  of  a  sentinel  who  sees  a  patrol,  and 
cried,  "Who  goes  thereî"  in  Sardinian.  Franz  coolly 
cocked  both  barrels.  Gaetano  tben  excbanged  a  few 
words  with  this  man,  whicb  tbe  traveller  did  not  un- 
derstand,  but  whicb  evidently  concemed  him. 

"  Will  your  Excellency  give  your  name,  or  remain  incog- 
nito 9  "  asked  tbe  captain. 

"My  name  must  rest  unknown;  merely  say  I  am  a 
Frencbman  travelling  for  pleasure." 

As  soon  as  Gaetano  bad  transmitted  this  answer,  tbe 
sentinel  gave  an  order  to  one  of  the  men  seated  round  tbe 
lire,  who  rose  and  disappeared  among  the  rocks.  Not  a 
Word  was  spoken;  every  one  seemed  occupied,  —  Franz 
witb  bis  disembarkment,  the  sailors  with  tbeir  sails,  tbe 
smugglers  witb  tbeir  goat,  —  but  in  tbe  midst  of  ail  this 
carelessness  it  was  évident  that  tbey  mutually  observed 
each  other.  Tbe  man  who  bad  disappeared  returned  sud- 
denly  on  the  opposite  side  to  that  by  whicb  he  bad  lefb  ^ 
be  made  a  sign  with  bis  bead  to  tbe  sentinel,  who,  tum- 
ing  to  the  boat  uttered  thèse  words,  "  S^accommodi.^*  The 
Italian  iaccommodi  is  untranslatable  ;  it  means  at  once  s 
**  Come  ;  enter  ;  you  are  welcome  \  make  yourself  at 
borne;  you  are  the  master."     It  is  like  that  Turkisb 


406  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

phrase  of  Moliëre*s  tbat  so  astonished  le  bourgeois  genti» 
homme  by  the  iiumber  of  things  it  contained.  The  sailois 
did  not  wait  for  a  second  invitation  ;  four  strokes  of  the 
oar  brought  tbem  to  the  land.  Gaetano  sprang  to  shore, 
exchanged  a  few  words  with  the  sentinel  ;  then  bis  com- 
rades  disembarked,  and  lastly  came  Franz's  tum.  One  of 
bis  guns  was  swung  over  bis  sboulder,  Gaetano  bad  tbe 
otber,  and  a  sailor  held  bis  rifle  ;  bis  dress,  balf  aitist, 
balf  dandy,  excited  no  suspicion,  and  consequently  no 
disquietude.  Tbe  boat  was  moored  to  tbe  sbore,  and 
tbey  advanced  a  few  paces  to  flnd  a  -comfortable  bivouac  ; 
but  doubtless  tbe  spot  tbey  chose  did  not  suit  tbe  smug* 
gler  wbo  iîlled  tbe  post  of  sentinel,  for  be  cried  out,  '*  Not 
tbat  way,  if  you  please.'* 

Gaetano  &ltered  an  excuse,  and  advanced  to  tbe  op- 
posite side,  wbile  two  sailors  kindled  torches  at  tbe  fire  to 
light  tbeni  on  tbeir  way.  Tbey  advanced  about  tbirty 
paces,  and  then  stopped  at  a  smaU  esplanade  surrounded 
with  rocks,  in  wbich  seats  bad  been  eut,  not  unlike  sentry. 
boxes.  Around  in  tbe  ère  vices  of  tbe  rocks  grew  a  few 
dwarf  oaks  and  tbick  busbes  of  myrtles.  Franz  lowered 
a  torcb  and  saw  by  tbe  lîgbt  of  a  mass  of  cînders  tbat  be 
was  not  tbe  first  to  discover  tbis  retreat,  wbich  was  doubt- 
less one  of  tbe  halting-places  of  tbe  wandering  visitors  of 
Monte  Cristo.  As  for  bis  anticipation  of  events,  once  on 
terra  firma^  once  tbat  be  bad  seen  tbe  indifleient  if  not 
friendly  appearance  of  bis  bosts,  bis  préoccupation  had 
disappeared,  or  ratber  at  sîgbt  of  tbe  goat  had  tumed  to 
appetite.  He  mentioned  tbis  to  Gaetano,  wbo  replied  tbat 
notbing  could  be  more  easy  than  to  prépare  a  supper,  since 
tbey  bad  in  tbeir  boat  bread,  wîne,  half  a  dozen  partridges, 
and  a  good  fire  to  roast  them  by.  *^  Besides,"  added  be, 
"  if  tbe  smell  of  tbeir  roast  méat  tempts  you,  I  will  go  ana 
offer  tbem  two  of  our  birds  for  a  slice." 


ITALY  :   SINBAD  THE  SAILOR.  407 

»  Yoa  seem  bom  for  negotiation/'  xetuined  Fianz  ; 
"go  and  try," 

During  this  time  tbe  saiilors  had  collected  dried  sticks 
and  branches,  with  whicb  they  made  a  iire.  Franz 
waited  impatiently,  smelling  tbe  odor  of  tbe  goat,  wbea 
tbe  captain  returned  witb  a  mjsterîous  air. 

"  Well,"  inquired  Franz,  "  anytbing  new  t  Do  tbey 
refuse  ?  " 

"  On  tbe  contrary/'  returned  Gaetano,  "  tbe  cbief,  wbo 
was  told  you  were  a  young  Frencbman,  invites  you  to  sup 
witb  bim." 

"  Well,"  observed  Franz,  "  tbis  cbief  is  very  polite  ;  and 
I  see  no  objection,  —  especially  as  I  bring  my  sbare  of  tbe 
supper." 

**  Ob,  it  îs  not  tbat,  —  be  bas  plenty  and  to  spare  for 
supper;  but  be  attaches  a  singular  condition  to  your 
présentation  at  bis  bouse." 

**  His  bouse  !  bas  be  built  one  bere,  tben  1  ** 

**  No,  but  be  bas  a  very  comfortable  one  ail  the  same, 
80  tbey  say." 

"  You  know  tbis  cbie(  tbenî  " 

**  I  bave  beard  bim  spoken  ofl** 

«lUorweUr' 

«  Botb." 

"  The  devil  !  and  wbat  îs  tbis  condition  1  " 

*'  Tbat  you  are  blindfolded,  and  do  not  take  off  tbe 
bandage  until  be  bimself  bids  you."  Franz  looked  at 
Gaetano,  to  see,  if  possible,  wbat  be  thougbt  of  tbis 
proposai  "  Ah/'  replied  be,  guessing  Franz's  thougbt, 
*^  I  know  tbis  merits  reflection." 

"  What  should  you  do  in  my  place  1  " 

"  I,  wbo  bave  nothing  to  lose,  —  I  should  go.*' 

"  You  would  accept  1  " 

"  Yes,  were  it  only  out  of  curiosity.** 


408  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

^'There  is  something  very  curîous  about  this  chiei, 
then  1  '• 

"  Listen,"  saîd  GaetaDo^  lowering  his  yoîce  ;  "I  do  not 
kiiow  if  what  they  say  is  true — **  Ue  stopped  to  see  if 
any  one  w^  near. 

"  What  do  they  say  T* 

"  That  this  chief  inhabits  a  cavem  to  whîch  the  Pitti 
Palace  is  nothing." 

"  What  nonsense  !  '*  said  Franz,  reseating  himself. 

"  It  is  no  noDsense  ;  it  is  quite  true.  Cama,  the  pilot 
of  the  *  St.  Ferdinand,'  went  in  once,  and  he  came  back 
amazed,  vowing  that  such  treasures  were  only  to  be  heard 
of  in  fairy  taies." 

"Do  you  know,"  observed  Franz,  **that  with  such 
stories  you  would  make  me  enter  the  enchanted  cavern 
of  Ali  Baba  1  " 

"  I  tell  you  what  I  bave  been  tpld.'* 

"  Then  you  ad  vise  me  to  accept  ?  ** 

"  Oh,  I  don't  say  that  ;  your  Excellency  wîll  do  as  you 
please.    I  should  be  sorry  to  advise  you  in  the  matter." 

Franz  reflected  a  few  moments,  felt  that  a  man  so  rîcb 
could  not  hâve  any  intention  of  plunderîng  him  of  what 
little  he  had  ;  and  seeing  only  the  prospect  of  a  good 
supper,  he  accepted.  Gaetano  departed  with  the  reply. 
Franz  was  prudent,  and  wished  to  leam  ail  he  possibly 
could  concerning  his  host.  He  tumed  towards  the  sailcir 
who  during  this  dialogue  had  sat  gravely  plucking  the 
partridges  with  the  air  of  a  man  proud  of  his  office,  and 
asked  him  how  thèse  men  had  landed,  as  no  vessel  of  any 
kind  was  visible. 

"  Never  mind  that,"  returned  the  sailor  ;  **  I  know  their 
vesseL** 

**  Is  it  a  very  beautîful  vessel  ^  ** 

**  I  would  not  wish  for  a  better  to  sail  round  the  world." 


ITALY  t   SINBAD  THE  SAILOR.  409 

«  Of  what  burden  is  she  ?  " 

**  About  a  hundred  tons  j  but  she  is  built  te  stand  anj 
weather.     She  is  what  the  Ënglish  call  a  yacht." 

**  Where  was  she  built  î  " 

**  I  do  not  know  ;  but  mj  own  opinion  is  she  is  a 
Genoese." 

"  And  how  did  a  leader  of  smugglers,"  continued  Franz, 
'*  venture  to  build  a  vessel  designed  for  such  a  purpose  at 
Genoa 1  " 

*'  I  did  not  saj  that  the  owner  was  a  smuggler,"  replied 
the  sailor. 

No  ;  but  Gaetano  did,  I  thought." 
Gaetano  had  only  seen  the  vessel  from  a  distance  ;  he 
had  not  then  spoken  to  any  one/' 

"  And  if  this  person  be  not  a  sniuggler,  who  is  he  î  " 

"  A  wealthy  signor,  who  travels  for  his  pleasure.*' 

"  Corne,"  thought  Franz,  "  he  is  still  more  mysterious, 
since  the  two  accounts  do  not  agrée.    What  is  his  name  1  " 

"  If  you  ask  him  he  says  Sinbad  the  SaxLoi  ;  but  I  doubt 
its  being  his  real  name." 

"  Sinbad  the  Sailor  1  •* 

••  Yes.'' 

**  And  where  does  he  réside  1  ** 

**  On  the  sea." 

"  What  country  does  he  corne  fromî* 

"  I  do  not  know." 

"  Hâve  you  ever  seen  him  1  " 

"  Sometimes." 

"  What  sort  of  a  man  îs  he  î  " 

"  Your  Excellency  will  judge  for  yourselfc* 

"  Where  will  he  receîve  me  1  " 

*'  No  doubt  in  the  subterranean  palane  Gaetano  tolc? 
you  of." 

•*  Hâve  you  never  had  the  curiosity,  when  you  hâve 


#10  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

landed  and  found  thîs  island  deserted,  to  seek  for  this  en- 
chanted  palace  1  '' 

**  Oh,  yes,  more  tban  once,  but  always  in  vain  ;  we  ex- 
amined  the  grotto  ail  over,  but  we  never  could  find  the 
alightest  trace  of  any  opening.  They  say  that  the  door 
ifi  not  opened  by  a  key,  but  by  a  magie  word." 

"  Decidedly,"  muttered  Franz,  "  this  la  an  adveiiture  of 
the  •  Arabian  Nights.'  " 

"  His  Excellency  waits  for  you,"  said  a  voice  vhich 
Franz  recognized  as  that  of  the  sentinel.  He  was  accom- 
panied  by  two  of  tho  yacht's  crew.  Franz  drew  his  hand- 
kerchief  from  his  pocket  and  presented  it  to  the  man  who 
had  spoken  to  him.  Without  uttering  a  word  they  ban- 
daged  his  eyes  with  a  care  that  showed  their  appréhension 
of  his  committing  some  indiscrétion.  Afberwards  he  was 
made  to  promise  that  he  would  not  make  any  attempt  to 
raise  the  bandage.  Then  his  two  guides  took  his  arms, 
and  he  advanced,  guided  by  them  and  preceded  by  the 
sentinel.  After  advancing  about  thirty  paces  he  perceived 
the  appetizing  odor  of  the  kid  that  was  roasting,  and  knew 
thus  that  he  was  passing  the  bivouac  ;  they  then  led  him 
on  about  fifby  paces  farther,  evidently  advancing  in  the 
direction  forbidden  to  Gaetano,— a  prohibition  which  he 
could  now  comprehend.  Presently,  by  a  change  in  the 
atmosphère  he  perceived  that  they  were  entering  a  cave  ; 
afber  going  on  for  a  few  seconds  more  he  heard  a  crack- 
ling,  and  it  seemed  to  him  as  though  the  atmosphère 
again  changed,  and  became  balmy  and  perfumed.  At 
length  his  feet  touched  on  a  thick  and  soft  carpet,  and 
his  guides  let  go  their  hold  of  him, 

There  was  a  moment's  silence,  and  then  a  voice^  \n 
excellent  French,  although  with  a  foreign  accent,  said, 
**  Welcome,  Monsieur  !  I  beg  you  will  remove  your  ban- 
dage."   As  may  be  easily  imagined,  Franz  did  not  wait 


ITALY  :   SINBAD  THE  SAILOR.  411 

for  a  répétition  of  tliis  permission,  but  took  off  the  hand- 
kerchief  and  found  himself  in  the  présence  of  a  man  from 
thirty-eight  to  forty  years  of  âge,  dressed  in  a  Tunisian 
costume,  —  that  is  to  say,  a  red  cap  with  a  long  blue  silk 
tassely  a  vest  of  black  cloth  embroidered  with  gold,  panta- 
loons  of  deep  red,  large  and  full  gaiters  of  the  same  color, 
embroidered  with  gold  like  the  vest,  and  yellow  slippers  ; 
he  had  a  splendid  cashmere  round  his  waist,  and  a  small 
cimeter,  sharp  and  curved,  was  passed  through  his  girdle. 
Although  of  a  paleness  that  was  almost  livid,  this  man 
bad  a  remarkably  handsome  face  ;  his  eyes  were  penetra- 
ting  and  sparkling  ;  bis  nose,  straight  and  almost  in  Une 
with  his  brow,  exhibited  the  Greek  type  in  ail  its  purity, 
while  his  teeth,  as  white  as  pearls,  were  well  set  off  by 
the  black  mustache  that  covered  them. 

But  that  paleness  was  striking  ;  it  might  be  imagined 
that  he  had  been  imprisoned  for  a  long  time  in  a  tomb, 
and  was  unable  to  recover  the  healthy  glow  and  hue  of 
the  living.  He  was  not  particularly  tall,  but  extremely 
well  made,  and  like  the  men  of  the  South,  had  small 
hands  and  feet.  But  what  astonished  Franz,  who  had 
treated  Gaetano's  description  as  a  fable,  was  the  splendor 
of  the  apartment  in  which  he  found  himself.  The  entire 
chamber  was  lined  with  crimson  brocade  worked  with 
flowers  of  gold.  In  a  recess  was  a  kind  of  divan,  sur- 
mounted  by  a  stand  of  Arabian  swords  in  silver  scabbards, 
the  handles  resplendent  with  gems  ;  from  the  ceiling  hung 
a  lamp  of  Yenetian  glass,  of  beautiful  shape  and  color, 
while  the  feet  rested  on  a  Turkey  carpet,  in  which  they 
8unk  to  the  instep  ;  tapestry  was  suspended  before  the 
door  by  which  Franz  had  entered,  and  also  in  front  of 
another  door,  leading  into  a  second  apartment,  which 
seemed  to  be  brilliantly  lighted  up^ 

The  bost  left  Franz  for  a  moment  absorbed  in  his  sur* 


412  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

prise,  and  moreover  leiidered  him  look  for  look,  not  tak< 
ing  his  eyes  off  him.  **  Monsieur/'  he  said  at  lengtb,  "  a 
tbousand  excuses  for  the  précaution  taken  in  jour  intro- 
duction hither;  but  as  during  tbe  greater  portion  of  the 
year  tbis  island  is  deserted,  if  tbe  secret  of  this  aboda 
were  discovered,  I  should  doubtless  on  my  return  bitber 
iînd  my  temporary  retirement  in  a  state  of  great  disorder, 
wbich  would  be  exceediugly  annoying,  not  for  tbe  loss  it 
migbt  occasion,  but  because  I  should  not  bave  tbe  cer- 
tainty  I  now  possess  of  being  able  to  separate  myself  at 
pleasure  from  ail  the  rest  of  mankind.  Let  me  now  en- 
deavor  to  make  you  forget  this  temporary  unpleasantness, 
and  offer  you  what  no  doubt  you  did  not  expect  to  find 
hère,  —  that  is  to  say,  a  tolerable  supper  and  pretty  com- 
fortable  beds." 

'^Ma  foi!  my  dear  host/'  replied  Franz,  "make  no 
apologies.  I  bave  always  observed  that  they  bandage  the 
eyes  of  those  wbo  penetrate  enchanted  palaces,  —  for  in- 
stance, those  of  Raoul  in  '  The  Huguenots  ;  '  and  really  I 
bave  nothing  to  complain  of,  for  what  I  see  is  a  sequel  to 
the  wonders  of  the  '  Arabian  Nights.'  " 

"  Alas  !  I  may  say  "with  Lucullus,  *  If  I  couid  bave  an- 
ticipated  the  honor  of  your  visit,  I  wouid  bave  prepared 
for  it.'  But  such  as  is  my  bermitage,  it  is  at  your  dis- 
posai ;  such  as  is  my  supper,  it  is  yours  to  share  if  you 
will.     Ali,  is  the  supper  readyl" 

At  this  moment  the  tapestry  was  moved  aside,  and  a 
Nubian,  black  as  ebony,  and  dressed  in  a  plain  white 
tunic,  made  a  sign  to  bis  master  that  ail  was  prepared  in 
the  dining-hall. 

"  Now,"  said  the  unknown  to  Franz,  "  I  do  not  know 
il  you  are  of  my  opinion,  but  I  think  nothing  is  more 
annoying  than  for  two  persons  to  remain  two  or  three 
bours  face  to  face  without  knowing  by  what  name  or  title 


ITALY  :    SINBAD  THE  SAILOR.  413 

to  address  one  another.  Praj  observe  that  I  too  much 
respect  the  laws  of  hospitality  to  ask  your  name  or  title. 
I  only  request  you  to  give  me  one  by  which  I  may  hâve 
the  pleasure  of  addressing  you.  As  for  myself,  that  I 
may  put  you  at  your  ease,  I  tell  you  that  I  am  generally 
called  'Siiibad  the  Sailor.*" 

"  And  I,"  replied  Franz,  "  will  tell  you,  as  I  only  re- 
qilire  his  wonderful  lamp  to  make  me  precisely  like  Alad- 
dîn,  that  I  seo  no  reason  why  at  this  moment  I  should 
uot  be  called  Aladdin.  That  will  keep  us  from  going 
away  from  the  East,  whither  I  am  tempted  to  think  I 
hâve  been  conveyed  by  some  good  genius." 

"  Well,   then,   Signor  Aladdin,"   replied  the  singular 
amphitryon,  "you  heard  our  repast  announced;  will  you 
now  take  the  trouble  to  enter  the  dining-hall,  your  humble 
servant  going  first  to  show  the  way  î  "     At  thèse  words, 
moving  aside  the  tapestry,  Sinbad   preceded  his  guest. 
Fmnz  proceeded  from  one  encliantment  to  another;  the 
table  was  splendidly  covered,  and  once  convinced  of  this 
important  point,  he  cast  his  eyes  around  him.     The  din- 
ing-hall was  scarcely  less  striking  than  the  boudoir  he  had 
just  left  ;  it  was  entirely  of  marble,  with  antique  bas- 
reliefs  of  priceless  value,  and  at  the  two  ends  of  the  hall, 
which  was  oblong,  were  two  magnificent  statues  having 
baskets  in  their  hands.     Thèse  baskets   contained  four 
pyramids  of  magnificent  fruit  ;  there  were  the  pine-apples 
of  Sicily,  pomegranates  from  Malaga,  oranges   from  the 
Balearic  Isles,  peaches  from  France,  and  dates  from  Tunis. 
The  supper  consisted  of  a  roast  pheasant  garnished  with 
Corsican  blackbirds  ;  a  boar's  ham,  à  la  gelée,  a  quarter  o{ 
a  kid,  à  la  tartare,  a  glorious  turbot,  and  a  gigantic  lobster. 
Between  thèse  large  dishes  were  smaller  ones  containing 
varions  dainties.     The  dishes  were  of  silver  and  the  plates 
of  Japanese  porcelain. 


414  THB    COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

Franz  rubbed  hîs  eyes  to  assure  hîmself  that  ihis  was 
not  a  dream.  Ali  alone  was  présent  to  wait  at  table,  and 
acquitted  himself  so  admirably  that  tha  guest  compli- 
mented  bis  bost  thereupon. 

"  Yes,"  be  replied,  wbile  be  did  tbe  bonors  of  tbe  sup- 
per  witb  mucb  ease  and  grâce,  —  **  yes,  be  is  a  poor  devil 
wbo  is  much  devoted  to  me,  and  does  ail  be  can  to  prove 
it.  He  remembers  that  I  saved  bis  life,  and  as  be  bas  a 
regard  for  bis  bead,  be  feels  some  gratitude  towards  me 
for  baving  kept  it  on  bis  shoulders/* 

Ali  approacbed  bis  master,  took  bis  band,  and  kissed  it. 

"  Would  it  be  impertinent,  Signer  Sinbad,"  said  Franz, 
'Ho  ask  you  under  what  circumstances  you  performed  tbat 
excellent  deed  1  " 

"  Ob  !  it  is  a  simple  matter,"  replied  tbe  bost.  "  It 
seems  tbe  fellow  bad  been  caugbt  wandering  nearer  to  tbe 
barem  of  tbe  Bey  of  Tunis  tban  étiquette  permits  to  one  . 
of  bis  color  ;  and  be  was  condemned  by  tbe  bey  to  bave 
bis  tôngue  eut  out^  and  bis  band  and  bead  eut  off,  •—  tbe 
tongue  tbe  first  day,  tbe  band  tbe  second,  and  tbe  bead 
tbe  tbird.  I  always  bad  a  désire  to  bave  a  mute  in  my 
service.  I  waited  until  bLs  tongue  bad  been  eut  ont,  and 
then  proposed  to  tbe  bey  tbat  be  sbould  sell  me  Ali  for 
a  splendid  double-barrelled  gun  wbicb  I  knew  he  was 
very  eager  to  possess.  He  besitated  a  moment,  so  intent 
was  he  on  finishing  up  witb  tbe  poor  deviL  But  wben  I 
added  to  tbe  gun  an  Ënglisb  cutlass  witb  which  I  had 
shivered  bis  Highness*s  yataghan,  tbe  bey  yielded,  and 
agreed  to  forgive  tbe  band  and  bead,  but  on  condition  tbat 
be  would  never  again  set  foot  in  Tunis.  Tbis  was  a  useless 
clause  in  tbe  bargain,  for  wbenever  tbe  coward  sees  tbe 
first  glimpse  of  the  shores  of  Africa,  be  runs  down  below, 
and  can  be  induced  to  appear  again  only  wben  we  are  ont 
of  sight  of  the  tbird  part  of  tbe  globe." 


ITALY:    SINBAD  THE  SATLOR.  415 

Franz  remained  a  moment  mute  and  pensive,  liardly 
knowing  what  tq  think  of  the  cruel  bonhomie  with  which 
his  host  had  lelated  this  incident.  ''  And  like  the  cele- 
brated  sailor  whose  name  y  ou  hâve  assumed/'  he  said^  by 
way  of  changing  the  conversation,  "you  pass  your  life  in 
travelling  î  " 

'^  Yes.  It  is  in  fulfilment  of  a  vow  which  I  made  at  a 
time  when  I  little  thought  I  should  ever  be  able  to  accom- 
plish  it/'  said  the  unknown,  with  a  singular  smile.  '*  I 
made  some  others  also,  which  I  hope  I  may  fulfil  in  due 
season." 

Although  Sinbad  pronounced  thèse  words  with  much 
3almness,  his  eyes  darted  gleams  of  singular  ferocity. 

"  You  hâve  suffered  a  great  deal,  Monsieur  1  "  said  Franz, 
inquiringly. 

Sinbad  started  and  looked  fixedly  at  him,  as  he  replied, 
•'"What  makes  you  suppose  so  1  ** 

" Every thing ! "  answered  Franz,  "your  voice,  your  look, 
your  pallid  complexion,  and  even  the  life  you  lead." 

"III  live  the  happiest  life  I  know,  —  the  real  life  of 
a  pacha.  I  am  king  of  ail  création.  I  am  pleased  with 
one  place,  and  stay  there  ;  I  get  tired  of  it,  and  leave  it. 
I  am  free  as  a  bird,  and  hâve  wings  like  one.  My  attend- 
ants obey  me  at  a  signal.  Sometimes  I  amuse  myself  by 
carrying  off  from  human  justice  some  bandit  it  is  in  quest 
of,  some  criminal  whom  it  pursues.  Then  I  hâve  my 
mode  of  dispensing  justice,  silent  and  sure,  without  respite 
or  appeal,  which  condenms  or  pardons,  and  which  no  one 
sees.  Ah  !  if  you  had  tasted  my  life,  you  would  not  de- 
sire  any  other,  and  would  never  retum  to  the  world  unless 
you  had  some  great  project  to  accomplish  there." 

"  A  vengeance,  for  instance  I  "  observed  Franz. 

The  unknown  fixed  on  the  young  man  one  of  those 
looks  which    penetrate    into    the  depth   of   the    heart 


416  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

and  of  the  thoughts.      "And  why  a  vengeance  1**  he 
asked. 

*'  Because/'  replied  Franz,  "  you  seem  to  me  like  a  man 
who,  persecuted  by  socîety,  bas  a  fearful  account  to  setUe 
witb  it." 

"  Ab  !  **  responded  Sinbad,  langbing  witb  bis  singular 
laugb,  wbîcb  displayed  bis  wbite  and  sbarp  teetb.  "  You 
bave  not  gnessed  rigbtly.  Sucb  as  you  see  me,  I  am  a 
sort  of  pbilosopber;  and  one  day  perbaps  I  sball  go  to 
Paris  to  rival  M.  Appert  and  tbe  man  in  tbe  Little  Blue 
Cloak." 

*'  And  will  tbat  be  tbe  first  time  you  will  bave  made 
that  journey  1  " 

"  Yes,  it  will.  I  must  seetn  to  you  by  iio  means  curîous, 
but  I  assure  you  tbat  it  is  not  my  fault  I  bave  delayed  it 
60  long  ;  I  sball  get  around  to  it  some  day/' 

"  And  do  you  propose  to  make  tbis  journey  soon  1  " 

''  I  do  not  know  ;  it  dépends  on  circumstances  wbicb 
are  subject  to  uncertain  contingencies." 

'^  I  sbould  like  to  be  tbere  at  tbe  time  you  corne,  and  I 
will  endeavor  to  repay  you  as  far  as  lies  in  my  power  for 
your  libéral  bospitality  at  Monte  Cristo." 

"I  sbould  avail  myself  of  your  oflfer  witb  pleasure," 
replied  tbe  bost  ;  "  but  unfortunately,  if  I  go  tbere,  I  sball 
perbaps  prefer  to  remain  unknown." 

Meantime  tbey  were  proceeding  witb  tbe  supper,  wbicb 
bowever  appeared  to  bave  been  supplied  solely  for  Franz, 
for  tbe  unknown  scarcely  toucbed  one  or  two  disbes  of  tbe 
splendid  banquet  to  wbicb  bis  unexpected  guest  did  ample 
justice.  Tben  Ali  brougbt  on  tbe  dessert,  or  ratber  took 
tbe  baskets  from  tbe  bands  of  tbe  statues  and  placed  tbem 
on  the  table.  Between  tbe  two  baskets  be  placed  a  small 
silver  cup,  closed  witb  a  lid  of  tbe  same  métal.  Tbe  care 
witb  wbicb  Ali  placed  tbis  cup  on  tbe  table  roused  Franz's 


ITALT  :   8INBAD  THE  SAILOR.  4 1 7 

f 

ouriosity.  He  raised  the  lid  and  saw  a  kind  of  greenish 
paste,  something  like  preserved  angelica,  but  which  waa 
eutirely  unknown  to  him.  He  leplaced  the  lid,  as  ignorant 
of  what  the  cup  contaiued  as  he  was  before  he  had  looked 
at  it,  and  then  casting  bis  eyes  towards  his  host  he  saw 
him  smile  at  his  disappointment. 

"  You  cannot  divine  what  sort  of  confection  is  contained 
in  that  little  vase  ;  and  it  perplexes  you,  does  it  not  1  " 

"  I  confess  it." 

*'  Well,  then,  that  green  confection  is  nothing  less  than 
the  ambrosia  which  Hebe  served  at  the  table  of  Jupiter." 

"  But,"  replied  Franz,  "  thia  ambrosia,  no  doubt,  in 
passing  through  mortal  hands  bas  lost  its  heavenly  appel- 
lation and  assumed  a  human  name  ;  in  vulgar  phrase, 
what  may  you  tenu  this  composition  1  —  for  which,  to 
say  the  truth,  I  du  not  feel  any  particukr  désire.*' 

''  Ah  !  thus  it  is  that  our  material  origin  is  revealed," 
cried  Sinbad  :  ''  we  frequently  pass  so  near  to  happiness 
without  seeing,  without  regarding  it  ;  or  if  we  do  see  and 
regard  it,  yet  without  recognizing  it.  Are  you  a  man  for 
the  substantials,  and  is  gold  your  god  1  taste  this,  and  the 
mines  of  Peru,  Guzerat,  and  Golconda  are  opened  to  you. 
Are  you  a  man  of  imagination,  —  a.  poet  1  taste  this,  and 
the  boundaries  of  possibility  disappear  ;  the  fields  of  in- 
finité space  open  to  you  ;  you  advance  free  in  heart,  ftee 
in  mind,  into  the  boundless  realms  of  unfettered  revelry. 
Are  you  ambitions,  and  do  you  seek  to  reach  the  high 
places  of  the  earthl  taste  this,  and  in  an  hour  you  will 
he  a  king,  —  not  a  king  of  a  petty  kingdom  hidden  in 
Borne  corner  of  Europe,  like  France,  Spaiu,  or  England, 
hut  king  of  the  world,  king  of  the  universe,  king  of  créa- 
tion ;  your  throne  will  be  established  on  the  mountain 
to  which  Jésus  was  takon  by  Satan,  and  without  being 

obliged  to  do  homage  to  Satan,  without  being  compelied 
vou  1.  —  2ï 


418  THE  COUNT  OF  MONTE  CRJfâTO. 

to  kisa  Lis  claw,  you  will  be  sovereîgn  lord  of  ail  the  king 
douis  of  the  earth.  Is  it  not  tempting  %  And  is  it  net  an 
easy  thing,  siuce  it  is  ouly  to  do  thus  1  look  !  "  At  thèse 
words  he  uncovered  the  small  cup  which  contained  the 
substance  so  lauded,  took  a  teaspoonful  of  the  magie  sweet- 
meaty  raised  it  to  his  lips,  and  swallowed  it  slowly,  with  his 
eyes  half  shut  and  his  head  bent  backward.  Franz  did 
nut  disturb  him  while  he  absorbed  his  favorite  bonne  bouche^ 
but  when  he  had  finished,  he  inquired,  — 

"  What,  then,  is  this  precious  stuff  1  " 

"  Did  you  ever  hear,"  asked  the  host,  **of  the  Old  Man 
of  the  Mountain,  who  attempted  to  assassinate  Philippe 
Augustus  ]  " 

"  Of  course  I  hâve.** 

"  Well,  you  know  he  reigned  over  a  rich  valley  which 
was  overhung  by  the  mountain  whence  he  derived  his 
picturesque  name.  In  this  valley  were  niagnificent  gar- 
dens  planted  by  Hassen-ben-Sabah,  and  in  thèse  gardens 
isolated  pavilions.  luto  thèse  pavilions  he  admitted  the 
elect  ;  and  there,  says  Marco  Polo,  he  gave  them  a  certain 
herb  to  eat,  which  transported  them  to  Paradise  to  the 
midst  of  ever  blooming  shrubs,  ever  ripe  fruit,  and  ever 
lovely  virgins.  Now,  what  thèse  happy  persons  took  for 
reality  was  but  a  dream,  but  it  was  a  dream  so  soft,  so 
voluptuous,  so  enthralling,  that  they  sold  themselves  body 
and  soûl  to  him  who  gave  it  to  them.  They  were  as  obedient 
to  his  orders  as  to  those  of  God  ;  they  went  to  the  ends 
of  the  earth  to  strike  down  the  victim  indicated  to  them  ; 
and  they  died  in  torture  without  a  murmur,  —  believing 
that  death  was  but  a  quick  transition  to  that  life  of  delights 
of  which  the  holy  herb  now  before  you  had  given  them 
a  slight  foretaste." 

"  Then,'*  cried  Franz,  "  it  is  hashish  !  1  know  that  —  by 
name  at  least." 


ITALY  :   SINBAD  THE  SAILOR.  *19 

*^That  is  it  precisely,  Signor  Aiaddin;  it  is  hashisb, 
—  the  best  and  purest  hashish  of  Aiexandrîa  ;  the  hasliiâh 
of  Abou-Gor,  the  celebrated  maker,  the  unique  man,  the 
xnan  to  whom  there  should  be  built  a  palace  inscrîbed  with 
thèse  wordsy  '  A  grateful  world  to  the  dealer  in  happiness.'  " 

**  Do  you  know,"  said  Franz,  "  I  bave  a  very  great  in- 
clination to  judge  for  myself  of  the  truth  or  exaggeration 
of  your  eulogies.** 

"Judge  for  yourself,  Signor  Aiaddin  ;  judge,  but  do  not 
confine  yourself  to  one  trial.  As  in  everytbing  else,  we 
must  habituate  the  sensés  to  any  new  impression^  gentle 
or  violent,  sad  or  joyous.  There  is  a  struggle  in  nature 
against  this  divine  substance,  —  in  nature,  which  is  not 
made  for  joy,  and  clings  to  pain.  Nature,  subdued,  must 
yield  in  the  combat  ;  reality  must  succeed  to  the  dream  ; 
and  then  the  dream  reigns  suprême.  Then  the  dream  be* 
comes  life,  and  life  becomes  the  dream.  But  what  a  change 
is  wrought  by  that  transfiguration,  on  comparîng  the  pains 
of  actual  being  "with  the  joys  of  the  fictîtious  existence  I 
you  désire  to  live  no  longer,  but  to  dream  thus  forevor. 
When  you  return  to  this  mundane  sphère  from  your  vis- 
ionary  world,  you  seem  to  leave  a  Neapolitan  spring  for  a 
Lapland  winter,— «to  quit  paradise  for  earth,  heaven  for 
heU  !  Taste  the  hashish,  guest  of  mine,  —  taste  the 
hashish  !." 

Franz's  only  reply  was  to  take  a  teaspoonful  of  the  mai"- 
vellous  préparation,  about  as  much  in  quantity  as  his  host 
had  eaten,  and  lifb  it  to  his  mouth.  '*  The  devil  !  "  he 
said  after  having  swallowed  the  divine  confection,  "  I  do 
not  know  if  the  resuit  will  be  as  agreeable  as  you  describe, 
but  the  thing  does  not  appear  to  me  as  succulent  as  you 
say." 

'^  Because  your  palate  has  not  yet  attained  the  snblimity 
of  the  substance  it  tastes.     Tell  me,  the  first  time  you 


420  THB  COUNT  OF  MONTE  CRISTa 

tasted  oysters^  tea,  porter,  truffles,  and  sundry  othex 
dainties  which  you  now  adore,  did  you  like  tbem  %  Cau 
yoa  comprelieud  how  the  Komans  stuifed  theîr  pheasanta 
with  assafœtida,  and  the  Chinese  eat  swallows'  nests  )  £h, 
no  I  Welly  it  is  the  same  "with  hashish  ;  only  eat  for  a 
week,  and  nothing  in  the  world  "will  seem  to  you  to  equal 
the  delicacy  of  its  flavor,  which  now  appears  to  you  taste- 
less  and  nauseating.  Let  us  now  go  into  the  side-chamber, 
—  that  is,  into  your  chamber,  —  and  AU  will  bring  us  coffëo 
and  pipes." 

They  both  arose,  and  while  he  who  called  himself  Sîn- 
bad  —  and  whom  we  hâve  occasionally  so  named,  that  we 
niight  like  his  guest  bave  some  title  by  which  to  dis- 
tinguish  him  —  gave  some  orders  to  the  servant,  Eranz 
entered  the  adjoining  chamber.  It  was  simply  yet  richly 
furnished.  It  was  round,  and  a  large  divan  completely 
encircled  it.  Divan,  walls,  ceiling,  floor,  were  ail  covered 
with  magnificent  skins,  as  soft  and  downy  as  the  richest 
carpets  ;  there  were  skins  of  the  lions  of  Atlas,  with  thcir 
large  mânes  ;  skins  of  the  Bengal  tigers,  with  their  striped 
hides  ;  skins  of  the  panthers  of  the  Cape,  spotted  beauti- 
fully  like  those  that  appeared  to  Dante  ;  skins  of  the 
bears  of  Siberia,  and  of  the  foxes  of  Norway  ;  and  ail  thèse 
skins  were  strewn  in  profusion  one  on  the  other,  so  that  it 
seemed  like  walking  over  the  most  mossy  turf,  or  reclining 
on  the  most  luxurious  bed.  Both  laid  themselves  down 
on  the  divan  ;  chiboiiques  with  jasmine  tubes  and  amber 
mouthpieces  were  within  reach,  and  ail  prepared  so  that 
there  was  no  need  to  smoke  the  same  pipe  twice.  Each 
of  them  took  one,  which  Ali  lighted  ;  Ali  then  retired  to 
prépare  the  cofifee.  There  was  a  moment's  silence,  during 
which  Sinbad  gave  himself  up  to  thoughts  that  seemed  to 
occupy  him  incessantly,  even  in  the  midst  of  his  conversa- 
tion ;  and  Franz  abandoned  himself  to  that  mute  rever3f 


ITALY  :    SINBAD  THE  8AIL0R.  421 

f  nto  wUch  we  always  sink  when  smoking  excellent  tobacoo, 
which  seems  to  remove  with  its  smoke  ail  the  troubles 
of  the  mindy  and  to  give  tbe  smoker  in  exchange  ail  the 
visions  of  tbe  soûl. 

Ali  brought  in  tbe  coffee. 

'*  îLow  do  you  take  it  ]  "  inquiied  tbe  unknown  ;  "  à  to 
française  or  à  la  turqtie,  strong  or  weak,  with  sugar  or 
without,  cool  or  boiling  )  As  you  please  ;  it  is  ready  in 
ail  ways.*' 

"  I  will  take  it  à  la  turque,^'  replied  Franz. 

^^  And  you  are  right,"  said  bis  bost  ;  "  it  shows  you 
bave  a  taste  for  Oriental  life.  Ah  !  those  Orientais,  —  they 
are  the  only  nien  who  know  how  to  live.  As  for  me," 
he  added  with  one  of  those  singular  smiles  which  did  not 
escape  the  young  man,  '^  when  I  bave  completed  my  af- 
fairs  in  Paris,  I  sball  go  and  die  in  the  East  ;  and  should 
you  wish  to  see  me  again,  you  must  seek  me  at  Cairo, 
Bagdad,  or  lapahan." 

"  Ma  foi/"  said  Franz,  "  it  would  be  the  easiest  thing 
in  tbe  world,  —  for  I  feel  eagle*s  wings  springing  out  at  my 
sboulders,  and  with  thèse  wings  I  could  make  a  tour  of  tbe 
world  in  four  and  twenty  bours." 

'^Ah,  ahl  it  is  the  bashisb  that  is  operating.  Well, 
nnfurl  your  wings,  and  fly  into  superbuman  régions.  Fear 
nothing,  —  there  is  a  watch  over  you  ;  and  if  your  wings, 
like  those  of  Icarus,  melt  before  the  sun,  we  are  hère  to 
receive  yon." 

He  then  said  some  Arabian  words  to  Ali,  who  made  a 
sîgn  of  obédience  and  withdrew,  but  remained  near.  As 
to  Franz,  a  strange  transformation  bad  taken  place  in  bim. 
AU  the  bodily  fatigue  of  the  day,  ail  tbe  préoccupation  of 
mind  which  the  events  of  the  evening  bad  brought  on, 
disappeared,  as  they  do  in  the  early  moments  of  repose, 
when  we  are  still  suffîciently  conscious  to  be  aware  of  th€ 


422  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

coming  of  slumber.  His  body  seemed  to  acquire  an  airy 
lightness  ;  his  perception  brightened  in  a  remarkable  man- 
ner;  his  sensés  seemed  to  redouble  their  power.  The  hori- 
zon continued  to  expand  ;  it  was  net  that  gloomy  horizon 
over  which  hovers  a  vague  terror,  and  which  he  had  seen 
before  he  slept,  but  a  blue,  transparent,  uubounded  hori* 
zon,  with  ail  the  blue  of  the  océan,  ail  tha  spangles  of  the 
sun,  ail  the  perf urnes  of  the  summer  breeze.  Then,  in  the 
niidst  of  the  songs  of  his  sailors,  —  songs  so  clear  and 
sounding  that  they  would  hâve  made  a  divine  harmony 
had  their  notes  been  taken  down,  —  he  saw  the  island  of 
Monte  Cristo,  no  longer  as  a  threatening  rock  in  the  midst 
of  the  waves^  but  as  an  oasis  lost  in  the  désert.  Then,  as 
the  boat  approached,  the  songs  became  louder,  —  for  au  en- 
chanting  and  mysterious  harmouy  rose  to  heaven  from  this 
island,  as  if  some  &y-like  Loreley  or  some  enchanter  like 
Amphion  had  wished  to  attract  thither  a  soûl  or  build 
there  a  city. 

At  length  the  boat  touched  the  shore,  but  without  ef- 
fort, without  shock,  as  lips  touch  lips  ;  and  he  entered  the 
grotto  amid  continued  strains  of  most  delicious  melody. 
He  descended,  or  rather  seemed  to  descend,  several  steps, 
inhaling  the  fresh  and  balray  air,  like  that  which  may  be 
supposed  to  reîgn  around  the  grotto  of  Circe,  formed  from 
such  perfumes  as  set  the  mind  a-dreaming,  and  such  fires 
as  burn  the  veiy  sensés  ;  and  he  saw  again  ail  he  had  seen 
before  his  sleep,  from  Sinbad,  his  singular  host,  to  Ali, 
the  mute  attendant.  Then  ail  seemed  to  fade  away  and 
become  confused  before  his  eyes,  like  the  last  shadows  of 
the  magie  lantem  before  it  is  extinguished  ;  and  he  was 
again  in  the  chamber  of  statues,  lighted  only  by  one  of 
those  pale  and  antique  laraps  which  watch  in  the  dead  of 
the  night  over  sleep  or  pleasure.  They  were  the  same 
statues,  lich  in  form,  in  attraction,  and  poesy,  with  eyes 


ITALY  :   SINBAD  THE  SAILOB.  423 

of  fascination,  smiles  of  love,  and  flowîng  hair.  They 
were  Phryne,  Cleopatra,  Messalina,  those  three  celebrated 
courtesans.  Then  among  them  glided  like  a  pure  ray, 
like  a  Christian  angel  in  the  midst  of  Olympus,  a  chaste 
figure,  a  calm  shadow,  a  soft  vision,  which  seemed  to  veil 
its  viigin  brow  before  thèse  marble  wantons.  Then  thèse 
three  statues  advanced  towards  him  with  looks  of  love, 
and  approached  the  couch  on  which  he  was  reposing,  — 
their  feet  hidden  in  their  long  tunics,  their  throats  bare, 
hair  flowing  like  waves,  and  assuming  attitudes  which  the 
gods  could  not  resist,  but  which  saints  withstood,  and  looks 
inflexible  and  ardent  like  the  serpent's  on  the  hità;  and 
then  he  gave  way  before  thèse  looks,  as  painful  as  a  power- 
fui  grasp  and  as  delightful  as  a  kiss.  It  seemed  to  Fianz 
that  he  closed  his  eyes,  and  that  in  his  last  look  around  he 
saw  the  modest  statue  completely  veiled  ;  and  then  his  eyes 
being  closed  to  ail  reality,  his  sensés  were  opened  to  le- 
ceive  strange  impressions. 


424  THB  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 


I 


CHAPTER   XXXII. 

THE  WAKING. 

When  Franz  leturned  to  himself  exterior  objecta  seemed 
a  second  portion  of  bis  dream.  He  thougbt  bimself  in  a 
sepulcbre  into  wbicb  scarcely  penetrated,  like  a  look  of 
pity,  a  ray  of  tbe  sun.  He  stretcbed  fortb  bis  band  and 
toucbed  stone;  be  rose  to  a  sitting  posture,  and  found 
bimself  on  bis  bumoose  in  a  bed  of  dry  beatber,  very  soft 
and  odoriferous.  Tbe  vision  bad  entirely  fled  ;  and  as  if 
tbe  statues  bad  been  but  sbadows  coming  from  tbeir  tomb 
during  bis  dream,  tbey  bad  vanisbed  at  bis  waking.  He 
advanced  several  paces  towards  tbe  point  wbence  tbe  light 
came,  and  to  ail  tbe  excitement  of  bis  dream  succeeded 
tbe  calmness  of  reality.  He  found  tbat  be  was  in  a  grotto, 
went  towards  tbe  opening,  and  tbrougb  an  arcbed  door- 
way  saw  a  blue  sea  and  an  azuré  sky.  Tbe  aï?  and  water 
were  sbining  in  tbe  beams  of  tbe  morning  sun  ;  on  tbe  shore 
tbe  sailors  were  sitting,  cbatting  and  laugbing  ;  and  at  ten 
yards  from  tbem  tbe  boat  was  gracefully  ridii^  at  ancbor. 
Tbere  for  some  time  be  enjoyed  tbe  fresb  breeze  wbicb 
played  on  bis  brow,  and  listened  to  tbe  gentle  noise  of  tbe 
waves,  wbicb  came  up  on  tbe  beacb  and  lefb  on  tbe  rocks 
a  lace  of  foam  as  wbite  as  silver.  He  abandoned  bimself 
for  some  time  witbout  reflection  or  tbougbt  to  tbe  divine 
cbarm  wbicb  is  in  tbe  tbings  of  Nature,  especially  afber  a 
fantastic  dream  ;  tben  gradually  tbis  outward  life,  so  calm, 
80  pure,  so  grand,  sbowed  bim  tbe  unreality  of  bis  dream, 
and  remembrances  began  to  return  to  bim.     He  recalled 


THE  WAKINO.  425 

Lis  arrivai  on  the  island,  his  présentation  to  a  smuggler 
chief,  a  subterranean  palace  full  of  splendor,  an  excellent 
supper,  and  a  spoonful  of  hashish.  It  seemed  however, 
even  in  the  face  of  open  day,  that  at  least  a  year  had 
elapsed  since  ail  thèse  things  had  happened,  so  deep  was 
the  impression  made  in  his  mind  by  the  dream,  and  so 
strong  a  hold  had  it  taken  of  his  imagination.  Thus 
every  now  and  then  his  Êincy  placed  amid  the  sailors, 
seated  on  a  rock,  or  saw  on  the  boat,  moving  with  its 
motion,  one  of  those  shadows  which  had  shared  his 
dreams  with  their  looks  and  their  kisses.  Otherwise,  his 
head  was  perfectly  clear  and  his  body  completely  rested. 
There  was  no  dulness  in  his  brain  ;  on  the  contrary,  he 
felt  a  certain  degree  of  lightness,  a  faculty  of  absorbing 
the  pure  air  and  ei\joying  the  bright  sunshine  more  viv- 
idly  than  ever. 

He  went  gayly  up  to  the  sailors,  who  rose  as  soon  as 
they  perceived  him  ;  and  the  captain,  accosting  him,  said, 
^'The  Signor  Sinbad  bas  left  his  compliments  for  your 
Ëxcellency,  and  desires  us  to  express  the  regret  he  feels 
at  not  being  able  to  take  his  leave  in  person;  but  he 
trusts  yoa  wiU  excuse  him,  as  very  important  business 
calls  him  to  Malaga." 

''So  then,  Gaetano,"  said  Franz,  'Hhis  is,  then,  ail 
reality  ;  there  exists  a  man  who  has  received  me  on  this 
islaud,  entertained  me  right  royally,  and  has  departed 
while  I  was  asleepl" 

^'He  exists  so  really  that  you  may  see  his  little  yacht 
with  ail  her  sails  spread  ;  and  if  you  will  use  your  glass, 
you  will  in  ail  probability  récognize  your  host  in  the 
midst  of  his  crew." 

So  saying,  Gaetano  pointed  in  a  direction  in  which  a 
small  vessel  was  making  sail  towards  the  southem  point 
of  Corsica.     Franz  adjusted  his  télescope  and  directed  it 


426  THE  COUNT  OF  HONTE  CBISTO. 

towards  the  place  indicated.  Gaeiano  was  not  mistaken. 
At  the  stern  the  mysterious  stranger  was  standing  up, 
looking  towaids  the  shore,  aud  holding  a  spy-glass  in  his 
hand.  He  was  attired  as  he  had  been  on  the  previous 
cveningy  and  waved  bis  pocket-handkerchief  to  his  guest 
in  token  of  adieu.  Franz  returned  the  salute  by  shaking 
his  handkeichief  in  like  mannei.  After  a  second  a  sliglit 
cloud  oif  smoke  was  seen  at  the  stem  of  the  vessel,  which 
rose  gracefnlly  as  it  expanded  in  the  air,  and  then  Fianz 
heard  a  light  report.  "There,  do  you  hearl"  observed 
Gaetano;  ^'he  is  bidding  you  adieu."  The  young  man 
took  his  carbine  and  fired  it  ut  the  air,  but  without  any 
idea  that  the  noise  could  be  heard  at  the  distance  which 
separated  the  yacht  from  the  shore. 

''  What  axe  your  Ëxcellency's  orders  1  "  inquiied 
Gaetano. 

"  In  the  first  place^  light  me  a  torch." 

'^Ahy  yes,  I  understand/'  replied  the  captaîn;  "to  find 
the  entrance  to  the  enchantod  apartment.  With  much 
pleasure,  your  Excellency,  if  it  would  amuse  you  ;  and  I 
will  get  you  the  torch  you  ask  for.  I  too  bave  had 
the  idea  you  bave,  and  two  or  three  times  the  same  fancy 
bas  corne  over  me  ;  but  I  bave  always  given  it  up.  Gio- 
vanni, light  a  torch/'  be  added,  "and  give  it  to  his 
ExcoUency." 

Giovanni  obeyed.  Franz  took  the  lamp  and  entered 
the  suoterranean  grotto,  foUowed  by  Gaetano.  He  reçog- 
nized  the  place  where  be  had  slept  by  the  bed  of  beather 
that  was  there;  but  it  was  in  vain  that  he  carried  bis 
torch  ail  over  the  exterior  surface  of  the  grotto.  He  saw 
nothing  except,  by  traces  of  smoke^  that  others  had  before 
bim  attempted  the  same  thing,  and  like  bim,  in  vain. 
Yet  he  did  not  leave  a  foot  of  this  granité  wall,  as  iropen* 
etrable  as  futurity,  witbout  strict  scrutiny  ;  be  did  not  see 


THE  WAKINO.  427 

a  fissure  wîthoufc  introducing  the  blade  of  hîs  linntîng- 
sword  into  it,  nor  a  projecting  point  on  ivhich  he  did  net 
lean  and  press,  in  the  hope  that  it  would  give  way.  AU 
waa  vaînj  and  he  lost  two  hours  in  that  examinatîon 
without  results.  At  the  end  of  this  tîme  he  gave  up  his 
research;  Gaetano  was  triamphant. 

When  Franz  appeared  again  on  the  shore,  the  yacht 
seeroed  like  a  small  white  speck  on  the  horizon.  He 
(ooked  again  through  his  glass,  but  even  then  he  could 
not  distinguish  anything.  Gaetano  reminded  him  that  he 
had  corne  for  the  purpose  of  shooting  goats,  —  which  he 
had  utterly  forgotten.  He  took  his  fowling-piece  and 
began  to  hunt  over  the  island  with  the  air  of  a  man  who 
is  fulfilling  a  duty  rather  than  enjoying  a  pleasure  ;  and 
at  the  end  of  a  quarter  of  an  hour  he  had  killed  a  goat  and 
two  kids.  Thèse  animais,  though  wild  and  agile  as  cha- 
mois, were  too  much  like  domestic  goats,  and  Franz  could 
not  consider  them  as  game.  Moreover,  other  ideas,  much 
more  powerful,  occupied  his  mind.  Since  the  evening  be- 
fore,  he  had  really  been  the  hero  of  one  of  the  taies  of  the 
"  Thousand  and  One  Nights,"  and  he  was  îrresistibly  at- 
tracted  towards  the  grotto.  Then,  in  spite  of  the  failure 
of  his  first  search,  he  began  a  second,  after  having  told  ^ 

Gaetano  to  roast  one  of  the  two  kids.  The  second  visit  was 
a  long  one,  and  when  he  retumed  the  kid  was  roasted  and 
the  repast  ready.  Franz  was  sitting  on  the  spot  where  he 
was  on  the  préviens  evening  when  his  mysterious  h(9t  had 
invited  him  to  supper  ;  and  he  saw  the  little  yacht,  now 
like  a  searguU  on  the  wave,  continuing  her  fiight  towards 
Corsica.  "  Why,"  he  lemarked  to  Gaetano,  "  you  told  me 
that  Signer  Sinbad  was  going  to  Malaga  ;  but  it  seems  to 
me  that  he  is  going  straight  to  Porto  Vecchio." 

"  Don't  you  remember,"  said  the  captain,  *'  I  told  you 
Ihat  among  the  crew  there  were  two  Corsican  brigands  1  ** 


«  f 


A 


428  THE  COUNT  OP  MONTE  CBISTa 

**  True  I  and  be  is  goîng  tp  land  them  1  **  added  Franz. 

"  Frecisely  so,"  replied  Gaetano.  '*  Ah  !  he  is  a  maii 
who  fears  neither  God  nor  Devil,  they  a&j,  and  would  at 
fmy  time  run  fifbj  leagues  out  of  his  course  to  do  a  pool 
devil  a  service/ 

**  But  such  services  as  thèse  mîght  involve  him  with 
the  authorities  of  the  country  in  which  he  practises  thîs 
kind  of  philanthropy/'  said  Franz. 

"Ah,  well,"  replied  Gaetano,  with  a  laugh,  "what  does 
he  care  for  the  authorities)  He  smiles  at  them.  Let 
them  try  to  pursue  him  !  why,  in  the  first  place,  his  yacht 
is  not  a  ship  but  a  bird,  and  he  would  beat  any  frigate 
three  kuots  in  every  twelve;  and  if  he  were  to  throw 
himself  on  the  coast,  why,  isu't  he  certain  of  findîng 
friends  every where  1  '*        . 

It  was  évident  from  alrH^his  that  the  Signor  Sinbad, 
Franz's  host,  had  the  honor  of  being  on  excellent  terms 
with  the  smugglers  and  bandits  along  the  whole  coast  of 
the  Meditenanean,  —  which  placed  him  in  a  position  sin- 
gular  euough.  As  to  Franz,  he  had  no  longer  any  induce- 
ment  to  remain  at  Monte  Cristo.  He  had  lost  ail  hope 
of  detecting  the  secret  of  the  grotto.  He  consequently 
despatched  his  breakfast,  and  his  boat  being  ready,  he 
hastened  on  board,  and  they  were  soon  under  way.  At 
the  moment  the  boat  began  her  course  they  lost  sight  of 
the  yacht,  as  it  disappeared  in  the  gulf  of  Porto  Yecchio. 
With  it  was  efifaced  the  last  trace  of  the  preceding  night  ; 
supper,  Sinbad,  hashish,  statues, — ail  became  bhrîed  in  the 
same  dream.  The  boat  went  on  ail  day  and  ail  nigl^f* 
and  next  mornîng  whén  the  sun  rose,  they  had  lost  sight 
of  Monte  Cristo.  When  Franz  had  once  agaio  set  foot 
on  shore,  he  forgot,  for  the  moment  at  least,  the  events 
which  had  just  passed,  while  he  finished  his  affairs  of 
pleasure  at  Florence,  and  then  thought  of  nothing  but 


THE  WAKINO,  429 

how  he  ahould  rejoin  his  companion,  wbo  was  awaiting 
him  at  Eome.  He  set  oui  therefore,  and  on  the  Satoiday 
evening  leached  the  Place  de  la  Douane  hj  the  malle- 
poste.  ApartmentB,  as  we  hâve  said,  had  been  retained 
beforehandy  and  thus  he  had  but  to  go  to  the  hôtel  of 
Maître  PastiinL  But  this  was  not  so  easj  a  matter,  fox 
the  streets  veie  thionged  with  people,  and  Borne  was 
alieadj  a  piej  to  that  low  and  feverish  murmur.  which 
précèdes  aU  great  events.  At  Rome  there  are  four  great 
events  in  every  year,  —  the  Garni  val,  the  Holy  Week,  the 
Fête  Dieu,  and  the  St.  Peter.  AU  the  rest  of  the  year 
the  city  ia  in  that  state  of  dull  apathy,  between  life  and 
death,  which  renders  it  similar  to  a  kind  of  station  between 
this  world  and  the  next,  —  a  sublime  spot,  a  resting-place 
full  of  poetry  and  character,  ^  which  Franz  had  already 
balted  five  or  six  tîmes,  and  w  each  time  found  it  more 
marvellous  and  striking.  At  last  he  made  his  way  through 
this  mob,  which  was  contînually  increasing  and  becoming 
more  agîtated,  and  reached  the  hoteL  On  his  first  inquiry^ 
he  was  told,  with  the  impertinence  pecnliar  to  coachmen 
who  hâve  plenty  of  employment,  and  innkeepers  whose 
houses  are  filled,  that  there  was  no  room  for  him  at  the 
Hôtel  de  Londres.  Then  he  sent  his  card  to  Maître  Ta»-; 
trini,  and  demanded  Albert  de  Morcer£  This  plan  suc- 
ceeded  ;  and  Maître  Pastrîni  himself  ran  to  him,  excusiog 
himself  for  having  made  his  Excellency  wait^  scolding  the 
waiters,  taking  the  candlestick  in  his  hand  from  the  cicérone, 
who  was  ready  to  poonce  on  the  traveller^  and  was  about 
to  lead  him  to  Albert,  when  Moroerf  himself  appeared. 

The  apartments  consisted  of  two  small  rooms  and  a 
closet  The  two  looms  looked  on  to  the  street^  -*a  taei 
which  Maître  Pastrinieommentedapon  as  an  ini^)pi6ciable 
adTantagB.  The  lemainder  of  the  ttory  was  bired  by  a 
rerj  rieh  gentleman,  who  was  saoposed  to  be  a  Sidliaa  or 


430  THE  COiJNT  OF  MONTE  CRISTO. 

Maltése  ;  but  the  host  was  unable  to  décide  to  which  of 
the  two  nations  the  traveller  belonged. 

"  Very  good,  Maître  Pastriiii,"  said  Franz  ;  *  but  we 
must  hâve  some  supper  inâtantly,  and  a  carnage  for 
to-morrow  and  the  following  days." 

"As  to  supper,"  replied  the  landlord,  "you  sball  be 
served  immediately  ;  but  as  for  the  carriage  —  " 

"What  as  to  the  carriage  î"  exclainied  Albert.  **  Corne, 
corne,  Maître  Fastrini,  no  joking;  we  must  bave  a  carriage." 

"  Monsieur,"  replied  the  host,  "  we  will  do  ail  in  our 
power  to  procure  you  one  ;  that  is  ail  I  can  say." 

"  And  when  shall  we  know  %  "  iiiquired  Franz. 

"  To-morrow  morning,"  answered  the  innkeeper. 

"  Oh,  the  devii  !  "  said  Albert,  **  then  we  shall  pay  the 
more,  that  's  ail  ;  I  see  plainly  enough.     At  Drake  and 
Aaron's  one  pays  twenty-five  livres  for  common  days,  and 
thirty  or  thirty-five  livres  for  Sundays  and  fêtes  ;  add  îïs^ 
j^  livres  for  extras,  —  that  will  make  forty,  —  and  there  's  an 

eud  of  it." 

"I  fear,"  said  the  landlord,  "that  those  gentlemen, 
even  if  you  offer  them  twice  that  amount,  will  not  be  able 
to  procure  you  a  carriage." 

"Then  they  must  put  horses  to  mine,"  said  Albert. 
"  It  is  a  little  worse  for  the  journey,  but  that  's  no  matter." 

"  There  are  no  horses." 

Albert  looked  at  Franz  like  a  man  who  hears  a  reply  he 
does  not  understand.  "  Do  you  uuderstand  that,  my  dear 
Franz  î  —  no  horses  !  "  he  said  ;  "  but  can't  we  hâve  post- 
horses  1  " 

"  They  bave  been  ail  hired  this  fortnigbt,  and  there  are 
none  left  but  those  absolutely  necessary  to  the  service." 

"  What  do  you  say  to  that  1  "  asked  Franz. 

"  I  say  that  when  a  thing  completely  surpasses  my 
compréhension,  I  am  accustomed  not  to  dw«li  on  that 


THE  WAKING.  431 

thlDg,  but  to  pass  to  another.  Is  supper  ready,  Maître 
Pastrini  î  " 

"  Yes,  your  Excellency." 

"  Wedl,  then,  let  us  su  p." 

**  But  the  carnage  and  boises  î  "  said  Franz. 

"  Be  easy,  my  dear  boy  ;  tbey  will  coma  in  due  season. 
It  is  only  a  question  of  bow  mucb  sball  be  chaiged  for 
tbem." 

Morcerf  then,  with  tbat  admirable  philosophy  wbich 
believes  that  nuthing  is  impossible  to  a  full  purse  or  a 
well-lined  pocket-book,  supped,  went  to  bed,  slept  soundly, 
and  dreamed  that  he  rode  througb  the  Carnival  in  a  coacb 
with  six  horses. 


432  THE  COUNT  OF  MONTE  CBISTa 


CHAPTER  XXXIIL 

ROMAN  BANDITS. 

The  next  morning  Franz  woke  fiist,  and  instantlj  Tang 
the  bell.  The  sound  had  not  yet  died  away  when  Maître 
Pastrini  himself  eiitered. 

"Well,  Excellency,"  said  the  landlord,  triumphantly, 
and  witbout  waiting  for  Franz  to  question  him,  '*  I  feared 
yesterday,  when  I  would  not  promise  you  anything,  that 
you  were  too  late  ;  there  is  not  a  single  carriage  to  be  had 
—  that  is,  for  the  last  three  days." 

'*  Yes/'  retumed  Franz  ;  '*  that  is,  for  those  on  which  it 
is  absolutely  necessary." 

'*  What  is  the  matterl"  said  Albert,  entering;  ^'no  car 
liage  to  be  bad)" 

"Precisely,  my  dear  fellow,"  said  Franz;  "you  bave 
hit  it  the  first  time." 

"  Well  l  your  Ëtemal  City  is  a  devilisb  nice  city." 

"  That  is  to  say,  Excellency/'  replied  Pastrini,  who  was 
desirous  to  keep  up  the  digiiity  of  the  capital  of  the  Chris- 
tian world  in  the  eyes  of  bis  guest,  "there  are  no  carnage'^ 
to  be  had  from  Sunday  to  Tuesday  evening,  but  from  now 
till  Sunday  you  can  bave  fifty  if  you  please." 

"Ah!  that  is  something,"  said  Albert;  "to-day  i» 
Thursday,  and  who  knows  what  may  arrive  between 
tbis  and  Sunday  1" 

"  Ten  or  twelve  thousand  travellers  will  amve,"  repliea 
Franz,  "whicb  will  make  it  still  more  difficult." 

"  My  friend,"  said  Morcerf,  "  let  us  enjoy  the  présent 
witbout  gloomy  forebodiugs." 


BOMAK  BANDITS.  433 

^  At  leasty"  asked  Fian^  **  we  oan  hâve  a  window  I  ** 

«Wherer 

''Looking  on  the  Rue  du  Coois,  to  be  sure.* 

**Âh,  a  windowl"  exclaimed  Maître  Pastrmi,-- >^atterly 
impossible  ;  there  was  onlj  one  leffc  on  the  fifth  floor  of  the 
Dorîa  Palace,  and  that  has  been  let  to  a  Russian  prince  for 
twentj  sequins  a  day." 

The  two  young  men  looked  at  each  other  with  an  aii 
of  stupéfaction. 

'*  Well,"  said  Franz  to  Albert,  **  do  you  know  what  ia 
the  best  thing  we  can  do  9  It  is  to  pass  the  Camival  at 
Yeuice;  there  we  are  sure  of  obtaining  gondolas  if  we 
cannot  bave  carnages." 

''Ah,  the  devil  !  no,"  cried  Albert;  '*I  came  to  Rome 
to  see  the  Carnival,  and  I  wiU,  though  I  see  it  on  stilts." 

''  Bravo  !  an  excellent  idea  !  We  will  disguise  ourselvec 
as  monster  Punchinellos  or  shepherds  of  the  Landes,  and 
we  shall  bave  complète  success." 

''Do  your  Excellencies  still  wîsb  for  a  carnage  éx)» 
now  to  Sunday  moming?"*  * 

**  Parhhu  I  "  said  Albert,  **  do  you  think  we  are  gding 
to  run  about  on  foot  in  the  streets  of  Rome  like  law 
yers'  derksl" 

''  I  hasten  to  compTy  with  your  Excellencies*  wishes  [ 
only  I  tell  you  beforehand  the  carriage  will  cost  you  si^t 
piastres  a  day." 

''And  as  I  am  not  a  millionnaire  like  our  neighbor,** 
said  Franz,  "  I  warn  you  that  as  ï  bave  been  four  timev 
before  at  Rome,  I  know  the  priées  of  ail  the  carriages. 
We  will  give  you  twelve  piastres  for  to-day,  to-morrow, 
and  the  day  after,  and  then  you  will  make  a  good  profit." 

''  But,  Ibccellency — "  said  Pastrini,  stiU  striving  to  gain 
bis  point. 

"  Now  go,"  returaed  Franz,  "  or  I  shall  go  myself  and 

VOL.   L-*88 


434  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

bargain  wîth  jour  affeUatore^  who  is  mine  ako.  He  is  aïk 
old  friend  of  mine,  who  has  plundered  me  pretty  well 
already  ;  and  in  the  hope  of  making  more  ont  of  me  he 
will  Hx  upon  a  price  smaller  than  I  am  now  offering 
you.  You  will  then  lose  the  différence,  and  that  will 
be  your  fault." 

"Do  not  give  yourself  the  trouble,  Excellency,"  re- 
turned  Maître  Pastrini,  with  that  smile  of  the  Itàlian 
speculator  who  avows  hiraself  defeated  ;  "  I  will  do  ail 
I  can,  and  I  hope  you  will  be  satisfied." 

"And  now  we  understand  each  other." 

"When  do  you  wish  the  carriage  to  be  herel" 

"In  an  hour." 

"In  an  hôur  it  will  be  at  the  door.** 

An  hour  later,  the  carriage  was  in  fact  awaiting  the 
two  young  meu.  It  was  a  modest  fiacre^  which  was  ele- 
vated  to  the  rank  of  a  private  carriage  in  honor  of  the 
occasion  ;  but  in  spite  of  its  humble  exterior,  the  young 
men  would  hâve  thought  themselves  happy  had  they  been 
able  to  procure  such  a  carriage  for  the  last  three  days  of 
the  CamivaL 

"  Excellency,"  cried  the  cicérone^  seeing  Franc  ap- 
proach  the  window,  "shall  I  bring  the  carriage  searer 
to  the  palace  1" 

Accustomed  as  Franz  was  to  the  Italian  phraseology, 
his  first  impulse  was  to  look  round  him,  but  thèse  words 
were  addressed  to  him.  Franz  was  the  "Excellency,** 
the  vehicle  was  the  "  carriage/'  and  the  Hôtel  de  Londres 
was  the  "  palace."  The  laudatory  habit  of  the  people  was 
well  exhibited  in  that  single  sentence. 

Franz  and  Albert  descended;  the  carriage  approached 
the  palace  ;  their  Excellencies  stretched  their  legs  along  tlie 
Beats  ;  the  cicérone  sprang  into  the  seat  behind.  "  Where 
do  your  Excellencies  wish  to  go  )  "  asked  he. 


ROMAN  BANDITS,  435 

"  To  St.  Peter's  first,  and  then  to  the  Colosseum,'*  re» 
turned  Albert. 

But  Albert  did  not  know  that  it  takes  a  day  to  see 
St  Peter's,  and  a  tnonth  to  stiidy  it.  Tlie  day  was  passed 
at  St.  Peter's  alone.  Suddenly  the  daylîght  began  to 
fade  away.  Franz  took  ont  liis  \iratch  ;  it  ^^as  half^^pst 
four.  They  retumed  to  the  hôtel  ;  at  the  door  Franz  or- 
dered  the  coachman  to  be  ready  at  eight.  He  wished  to 
show  Albert  the  Colosseum  by  moonlight,  as  he  had  shown 
him  St.  Peter's  by  daylight.  When  we  show  to  a  friend 
a  city  we  hâve  already  visited,  we  feel  the  same  pride  as 
when  we  point  out  a  woman  whose  lover  we  bave  been. 
He  was  to  leave  the  city  by  the  Porta  del  Popolo,  skirt 
the  outer  wall,  and  re-enter  by  the  Porta  San  Giovanni  ; 
thus  they  would  behold  the  Colosseum  without  being  in 
some  measure  prepared  by  the  sight  of  the  Capitol,  the 
Forum,  the  Arch  of  Septimius  Soverus,  the  Temple  of 
Antoninus  and  Faustina,  and  the  Via  Sacra. 

They  sat  down  to  dinner.  Maître  Pastrini  had  prom- 
ised  them  a  banquet;  he  gave  them  a  tolerable  repast 
At  the  end  of  the  dinner  he  entered  in  person.  Franz 
concluded  he  came  to  hear  bis  dinner  praised,  and  began 
accordingly;  but  at  the  first  words  the  landlord  inter- 
rupted  him.  "  Excellency,"  said  he,  "  I  am  delighted  to 
bave  your  approbation  ;  but  it  was  not  for  that  I  came." 

"  Did  you  come  to  tell  us  you  bave  procured  a  carriage  î  " 
àsked  Albert,  lighting  bis  cigar. 

''  No  ;  and  your  Excellencies  will  do  well  not  to  thînk 
of  that  any  longer.  At  Rome  things  can  or  cannot  be 
done  ;  when  you  are  told  anything  cannot  be  done,  there 
la  an  end  of  it.'* 

*'  It  îs  much  more  convenient  at  Paris, —  when  anything 
sannot  be  done,  you  pay  double  and  it  is  done  directly." 

*'That  is  what  ail  the  French  say,"  returned  Maître 


436  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

Pastrini,  somewhat  piqued  ;  "  for  that  leason  I  do  not  uH' 
derstand  why  they  travel" 

"But,"  Baid  Albert,  emitting  a  volume  of  smoke  and 
balancing  lus  chair  on  its  hind  legs,  "only  madmen,  or 
blockheads  such  as  we  are,  travel.  Men  in  their  sensés 
do  uot  quit  their  hôtel  in  the  Rue  du  Helder,  their  walk 
on  the  Boulevard  de  Gand,  and  the  Cafë  de  Paris." 

It  is  of  course  understood  that  Albert  resided  in  the 
Street  mentioned,  appeared  every  day  on  the  fashîonable 
walk,  and  dined  frequently  at  tlie  only  café  where  you 
can  l'eally  dine,  —  that  is,  if  you  are  on  good  terms  with 
the  waiters.  Maître  Pastrini  remained  silent  a  short  time  ; 
it  was  évident  that  he  was  musing  over  this  answer,  which 
diil  not  seem  very  clear. 

*'  But,"  said  Franz,  in  his  tum  interrupting  his  host's 
méditations,  '*  you  had  some  motive  for  coming  hère  ;  may 
I  beg  to  know  what  it  was  ?  " 

''Ah,  yes;  you  hâve  ordered  your  carriage  for  eight 
o'clock  î  " 

«I  hâve." 

"You  intend  visiting  il  Colosseo** 

"That  is  to  say,  le  Coliséef*' 

"  It  is  the  same  thing.  You  bave  told  your  coachman 
to  leave  the  city  by  the  Porta  del  Popolo,  to  drive  round 
the  walls,  and  re-eiiter  by  the  Porta  San  Giovanni  1  ** 

"  Thèse  are  my  words  exactly." 

"  Well,  this  route  is  impossible." 

"  Impossible  !  " 

"  Very  dangerous,  to  say  the  least." 

"  Dangerous  I  and  why  1  " 

"  On  account  of  the  famous  Luigi  Vampa." 

"  Pray  who  may  this  famous  Luigi  Vampa  be  î  "  in- 
quired  Albert  ;  "  he  may  be  very  famous  at  Kome,  but  1 
can  assure  you  he  is  quite  unknown  at  Paris." 


ROMAN  BANDm.  ^37 

**  What  !  do  yoa  not  know  him  9  " 

**  I  hâve  not  that  honor." 

^  Tou  bave  never  heaid  his  namet** 

•«  Never." 

''Welly  theiiy  he  ia  a  bandit  compared  to  whom  the 
Decesaris  and  the  Gasparones  were  mère  children." 

^'Now,  then,  Albert»"  cried  Franz,  "hère  is  a  bandit 
for  you  at  last  1  " 

'*  I  forewam  you,  Maître  Pastrini,  that  I  shall  not  be- 
lieve  one  word  of  what  yoa  are  going  to  tell  us.  That 
point  being  settled  between  us,  you  may  say  ail  you  wish  ; 
I  will  listen.     Once  upon  a  time,  —  well,  go  ahead  I  " 

Maître  Pastrini  turned  round  to  Franz,  who  seemed  to 
him  the  more  reasonable  of  the  two.  We  must  do  him 
justice  ;  he  had  had  a  great  many  Frenchmen  in  his  houso, 
but  had  never  been  able  to  comprehend  them.  ^'  Excel- 
lency,"  said  he,  gravely,  addressing  Franz,  "  if  you  look 
upon  me  as  a  liar,  it  is  useless  for  me  to  say  anything  ;  it 
was  for  your  interest  I  —  " 

"  Albert  does  not  say  you  are  a  liar.  Maître  Pastrini,*' 
saîd  Franz  ;  **  he  says  he  will  not  believe  you,— that 'a  alL 
But  I  will  believe  ail  you  say;  so  proceed." 

*^  But  your  Excellency  well  understands  that  if  any  one 
doubts  my  veracity  —  " 

''  Maître  Pastrini,"  returned  Franz,  "  you  are  more  sus- 
ceptible than  Cassandra,  who  was  a  prophetess,  and  yet 
no  one  believed  her,  while  you  at  least  are  sure  of  the 
credence  of  half  your  auditory.  Come,  make  an  effor^, 
and  tell  us  who  this  M.  Vampa  is." 

**  I  hâve  told  your  Excellency  ;  he  is  the  most  &mous 
bandit  we  bave  had  since  the  days  of  Mastrilla.** 

^'Well,  what  bas  this  bandit  to  do  with  the  order  I 
hâve  given  the  coachman  to  leave  the  city  by  the  Porto 
4el  Popolo,  and  to  re-enter  by  the  Porta  San  Giovanni  1  " 


438  THE  COUNT  CF  MONTE  CRISTO. 

"  This,"  replied  Maître  Pastriui,  —  "  that  you  will  go  out 
by  one,  but  I  very  much  doubt  your  retuming  by  tbe  otber." 

"  Why  1  "  asked  Franz. 

''Because  after  nigbtfall  you  are  not  safe  fifby  yards 
from  the  gâtes." 

"  On  your  bonor,  is  tbat  true  )  '*  cried  Albert 

''Monsieur  the  Viscount,"  returned  Maître  Pastrîuiy 
hurt  at  Albert's  repeated  doubts  of  the  trutb  of  bis  asser- 
tions, **  I  do  not  say  this  to  you,  but  to  your  companion, 
who  knows  Eome,  and  kuows  too  tbat  thèse  tbings  are 
not  to  be  laughed  at." 
^  ;  "  My  dear  fellow,"  said  Albert,  tuming  to  Franz,  "bere 
is  an  admirable  adventure  ;  we  will  fill  our  carnage  with 
pistols,  blunderbusses,  and  double-barrelled  guns.  Luigi 
Vampa  cornes  to  take  us,  and  we  take  bim  ;  we  bring  him 
back  to  Rome  and  présent  bim  to  bis  Holiness  tbe  Pope, 
who  aaks  how  be  can  recompense  so  great  a  service  ;  then 
we  merely  ask  for  a  carnage  and  a  pair  of  borses,  and  we 
see  the  Carnival  in  a  carriage,  and  doubtless  tbe  Roman 
people  will  crown  us  at  the  Capitol,  and  proclaim  us, 
like^urtius  and  Hoiatius  Codes,  the  preservers  of  tbe 
co^try." 
,)  Wbile  Albert  proposed  this  scbeme,  Maître  Pastrini'f 
face  assumed  an  expression  impossible  to  describe. 

"  And  pray,"  asked  Franz,  "  where  are  thèse  pistols, 
blunderbusses,  and  other  deadly  weapons  with  which  you 
intend  filling  the  carriage  T' 

''  Not  in  my  armory,  for  at  Tenacina  !  was  plundered 
even  of  my  buntîng-knife." 

"  I  shared  the  same  fate  at  Aquapendente.'' 

**  Do  you  know.  Maître  Pastrini,"  said  Albert,  ligbting 
a  second  cigar  at  the  first,  "  that  this  practice  is  very  con- 
venient  for  robbers,  and  that  it  bas  the  appearance  of  b 
plan  for  sharing  with  them?" 


ROMAN  BANDITS.  439 

Doubtless  Maître  Pastrîni  found  tbis  pleasantry  corn- 
promising,  for  he  answered  only  half  the  question,  ad« 
dressing  himself  to  Franz,  as  the  only  one  likely  to  listen 
with  attention  :  *'  Your  Excellency  knows  that  it  is  not 
castomary  to  offer  defence  wben  attacked  by  bandits.'* 

"  What  !  "  cried  Albert,  whose  courage  revolted  at  the  idea 
of  being  plundered  tamely,  ''not  make  any  résistance  !" 

"  No,  for  it  would  be  useless.  What  can  you  do  against 
a  dozen  bandits  who  spring  ont  of  some  pit,  ruin,  or  aque- 
duct,  and  attack  you  ail  at  once?** 

**  Eh,  parbleu  !  I  will  make  them  kill  me.** 

The  innkeeper  tumed  to  Franz  with  an  air  that  seemed 
to  say,  "  Your  friend  is  decidedly  mad." 

"My  dear  Albert,"  returned  Franz,  "your  answer  is 
sublime,  and  worthy  the  *  Let  him  die,'  of  Corneille.  But 
when  Horace  made  that  answer  the'safety  of  Eome  was 
concemed,  while  hère  there  is  only  the  question  of  grati- 
fying  a  caprice  ;  and  it  would  be  ridiculous  to  risk  our 
lives  for  a  caprice.** 

"  Ah,  per  Bacco  /**  cried  Maître  Pastrinî,  "  that  îs  good  ! 
that  is  speaking  to  some  purpose  !  '* 

Albert  poured  himself  out  a  glass  of  lacryma  Christi, 
which  he  sipped  at  intervals,  muttering  some  unintel- 
ligible  words. 

"Well,  Maître  Pastrini,**  said  Franz,  "now  that  my 
companion  is  quieted,  and  you  bave  seen  how  peaceful  my 
intentions  are,  tell  me  who  is  this  Luigi  Vampa.  Is  he  a 
shepherd  or  a  nobleman;  young  or  old;  tall  or  short  1 
Describe  him,  in  brder  that  if  we  meet  him  by  chance, 
like  Jean  Sbogar  or  Lara,  we  may  recognize  him.** 

"  You  could  not  apply  to  any  one  better  able  to  inform 
you  on  ail  thèse  pointis  ;  for  I  knew  him  when  he  was  a 
child,  and  one  day  when  I  fell  iuto  bis  hands  going  from 
ï'erentino  to  Alatri,  he,  fortunately  for  me,  recollected  m0, 


440  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

and  not  only  set  me  free  wîthout  ransom^  but  made  me 
a  présent  of  a  very  splendid  watch^  and  related  Lis  history 
to  me." 

"  Let  us  see  the  watcb/'  said  Albert. 

Maître  Pastrini  drew  from  bis  fob  a  magnificent  Bre- 
guet,  bearing  tbe  name  of  its  maker,  the  Parisian  stamp, 
and  a  count's  coronet. 

"  Hère  it  is,"  said  he. 

"  Peste  I  "  returned  Albert,  "  I  compliment  you  on  it  ; 
I  bave  its  fellow,"  —  he  took  bis  watctb.  from  bis  waist- 
coat  pocket,  —  "  and  it  cost  me  three  thousand  livres." 

"  Let  us  bear  the  bistory,"  said  Franz,  drawing  up  an 
easy-chair  and  making  a  sign  to  Maître  Pastrini  to  seat 
bimself. 

"  Your  Excellencies  permit  it  1  *'  asked  the  bost. 

"  Fardieu  !  "  cried  Albert,  "  you  are  not  a  preacber,  to 
speak  standipg!" 

The  bost  sat  down,  after  baving  made  eacb  of  tbem  a 
respectful  bow,  which  meant  to  say  he  was  ready  to  tell 
tbem  ail  tbey  wished  to  know  concerning  Luigi  Vampa. 
.  ''  You  tell  me,"  said  Franz,  at  the  moment  Maître  Pastrini 
was  about  to  open  bis  mouth,  "that  you  knew  Luigi 
Vampa  wben  be  was  a  cbild  ;  be  is  still  a  young  man, 
then  ?  " 

**  A  young  man  !  be  is  bardly  two  and  twenty.  Oh,  be  is 
a  rattling  blade,  wbo  will  hâve  a  career,  you  may  be  sure." 

"What  do  you  think  of  that,  Albert, — at  two  and 
twenty  to  be  thus  fanious  1  " 

''  Yes,  at  bis  âge  Alexander,  Cœsar,  and  Kapoleon,  wbo 
bave  ail  made  some  noise  in  tbe  world,  were  not  se 
advanced." 

"So,"  continued  Franz,  "tbe  bero  of  tbis  bistory  is 
only  two  and  twenty  î" 

"  Scarcely  so  mucb,  as  I  bave  bad  tbe  bonor  to  tell  you." 


BOMAK  BANDITS.  441 

•*  la  he  tall  op  short  ?  *• 

'^  Of  the  middle  height,  —  about  the  same  stature  as 
bis  Ëxcellency,*'  retunied  the  host,  pointing  to  Albert. 

^^Thanks  for  the  comparison/'  said  Albert,  with  a 
bow. 

^^  Go  on,  Maître  Pastrini,"  continued  FranZ;  smiling  at 
liis  friend's  susceptibility.  ^^  To  what  class  of  societj  does 
he  belong  1  ** 

^^  He  was  a  shepherd-boy  àttached  to  the  farm  of  the 
Comte  de  San  Felice,  situated  between  Palestrina  and  the 
Lake  of  Gabri.  He  was  born  at  Pampinara,  and  entered  the 
count's  service  when  he  was  five  years  old  ;  his  father  was 
also  a  shepherd,  who  owned  a  small  flock  and  lived  by  the 
wool  and  the  milk  which  he  sold  at  Rome.  When  quite  a 
child,  the  little  Yampa  was  of  a  most  extraordinary  disposi- 
tion. One  day,  when  he  was  seven  years  old,  he  came  to 
the  cure  of  Palestrina,  and  prayed  him  to  teach  him  to 
read.  It  was  somewhat  difficult,  for  he  could  not  quit  his 
flock  ;  but  the  good  curé  went  every  day  to  say  mass  at  a 
little  hamlet  too  poor  to  pay  a  priest,  and  which  having 
no  other  name  was  called  £orgo.  He  told  Luigi  that  he 
might  meet  him  on  his  return,  and  that  then  he  would 
give  him  a  lesson,  warning  him  that  it  would  be  short,  and 
that  he  must  profit  as  much  as  possible  by  it.  The  child 
accepted  joyfully.  Every  day  Luigi  led  his  flock  to  graze 
on  the  road  that  leads  from  Palestrina  to  Borgo;  every 
day,  at  nine  o'clock  in  the  moming,  the  priest  and  the  boy 
sat  down  on  a  bank  by  the  wayside,  and  the  little  shep- 
herd  took  his  lesson  out  of  the  priest's  breviary.  At  the 
end  of  three  months  he  had  learned  to  read.  This  was 
not  enough,  —  he  must  now  leam  to  write.  The  priest 
procured  from  a  teacher  of  writing  at  Rome  three  alphabets, 
— -  one  in  large  letters,  one  in  letters  of  médium  size,  and 
one  in  small  letters,  —  and  showed  him  how  by  the  help 


442  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

of  a  sharp  instrument  he  could  trace  the  letters  on  a  slate^ 
and  thus  leam  to  write.  The  same  evening,  when  the 
flock  was  safe  at  the  farm,  the  little  Luigi  hastened  to  the 
smith  at  Palestrina,  took  a  large  nail^  forged  it,  sharpenod 
it,  and  fornied  a  sort  of  antique  stylus.  The  next  morning, 
haviug  coUected  a  quantity  of  slates,  he  began  his  lessons. 
At  the  end  of  three  months  he  had  leamed  to  write.  The 
curé,  astonished  at  his  quickness  and  intelligence,  made 
him  a  présent  of  pens,  papér^  and  a  penknife.  This  in- 
volved  new  study,  but  nothing  compared  to  the  Rrst }  at 
the  end  of  a  week  he  wrote  as  well  with  the  pen  as 
with  thd  stylus.  The  curé  related  thi^^  anecdote  to  the 
Comte  de  San  Felice,  who  sent  for  the  little  éhepherd,  made 
him  read  and  write  before  him,  ordered  his  attendant  to 
let  him  eat  with  the  domestics,  and  to  give  him  two 
piastres  a  month.  With  this  Luigi  purchased  books  and 
pencils.  He  applied  to  cverything  liis  imitative  powers, 
and  likc  Giotto,  when  young,  he  drew  on  his  slate  shèep, 
houses,  and  trees.  Then,  with  his  knife,  he  began  to 
carve  ail  sorts  of  objects  in  wood  ;  it  was  thus  that  Pinelli, 
the  famous  sculptor,  had  commenced. 

"  A  girl  of  six  or  seven  —  that  is,  a  little  younger  than 
Yampa  —  tended  sheep  on  a  farm  near  Palestrina;  she 
was  an  orphan,  born  at  Valmontone,  and  was  named 
Teresa.  The  two  children  met,  sat  down  near  each  other, 
let  their  flocks  mingle  together,  played,  laughed,  and  con- 
versed  together  ;  in  the  evening  they  separated  the  flock 
of  the  Comte  de  San  Felice  from  those  of  the  Baron  de 
Cervetri,  and  the  children  returned  to  their  respective 
farms,  promising  to  meet  the  next  niorning,  and  the  next 
day  they  kept  their  word.  Thus  they  grew,  side  by  side, 
until  Yampa  was  twelve  and  Teresa  eleven.  Meantime, 
their  natural  dispositions  revealed  themselves.  While  he 
still  followed  his  inclination  for  the  fine  arts^  which  Luigi 


BOMAN  BANDITS.  443 

oad  carrîed  as  far  as  he  could  in  his  solitude,  he  was  sad 
by  fits,  ardent  by  starts,  angry  by  caprice,  and  always  sar- 
castîc.  None  of  the  lads  of  Pampinara,  of  Palestrina,  or  oi 
Yalmontoue  Lad  been  able  to  gain  any  influence  over  him, 
or  even  to  become  his  companion.  His  disposition  (al- 
ways inclined  to  exact  concessions  rather  than  to  make 
them)  kept  him.  aloof  from  ail  friendships.  Teresa  alone 
ruled  by  a  look,  a  word,  a  g^sture,  this  impetuous  character, 
whicli  was  pliant  under  the  hand  of  a  woman,  but  under 
the  hand  of  any  man  whatever  would  bave  resisted  until 
it  hroke. 

"  Teresa  was,  on  the  contr^y,  lively  and  gay,  but  coquet- 
tish  to  excess.  The  two  piastres  that  Luigi  received  every 
month  from  the  Comte  de  San  Felice's  steward,  and  the 
price  of  ail  the  little  carvings  in  wood  he  sold  at  Eome, 
were  expended  in  ear-rings,  necklaces,  and  gold  hair^pins  ; 
so  that  thanks  to  her  friend^s  generosity,  Teresa  was 
the  most  beautiful  and  the  best  attired  peasant  near 
Rome. 

'^  The  two  children  continued  to  grow  up  together,  pass- 
ing  ail  their  time  with  each  other,  and  giving  themselves 
up  to  the  wild  ideas  of  their  différent  characters.  Thus 
in  ail  their  dreams,  their  wishes,  and  their  conversations, 
Yampa  saw  himself  the  captain  of  a  vessel,  gênerai  of  an 
army,  or  govemor  of  a  province.  Teresa  saw  herself  rich, 
superbly  attired,  and  attended  by  a  train  of  liveried 
domestics.  Then,  when  they  had  thus  passed  the  day  in 
building  castles  in  the  air,  they  separated  their  flocks  and 
descended  from  the  élévation  of  their  dreams  to  the  reality 
of  their  humble  position. 

"  One  day  the  young  shepherd  told  the  count's  stew- 
ard that  he  had  seen  a  wolf  come  out  of  the  Sabine  Moun- 
tains  and  prowl  around  his  flock.  The  steward  gave  him 
a  gun  ;  thîa  was  what  Vampa  longed  for.     This  gun  ha^ 


444  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

an  excellent  barrel,  made  at  Btescbia)  and  carrjing  a  bail 
with  the  précision  of  an  English  rifle  ;  but  one  day  the 
count  broke  the  stocks  and  had  tben  cast  the  gun  aside. 
This»  bowever,  was  nothing  to  a  sculptor  like  Yampa.  He 
examined  the  ancient  stock^  calculated  what  change  it  would 
require  to  adapt  the  gun  to  bis  shoulder,  and  made  a  fresb 
stocks  80  beautifully  car^ed  that  it  would  bave  brougbt 
fifbeen  or  twenty  piastres,  bad  be  chosen  to  sell  it  ;  but 
nothing  could  be  &rtber  from  bis  thoughts.  For  a  long 
time  a  gun  bad  been  the  young  man's  greatest  ambition. 
In  every  country  wbere  independence  bas  taken  the  place 
of  liberty,  the  first  désire  o{^a  manly  beart  is  to  possess  a 
weapon^  which  at  once  renders  bim  capable  of  defen<je  et 
attacky  and  by  rendering  its  owner  terrible  often  makes 
bim  feared.  From  this  moment  Yampa  devoted  ail  bis 
leisure  time  to  perfecting  bimself  in  the  use  of  this  pre- 
cious  weapon  ;  he  purchased  powder  and  bail,  and  every- 
thing  served  bim  for  a  mark,  —  the  trunk  of  some  old  and 
moss-grown  olive-tree  that  grew  on  the  Sabine  Mountains  ; 
the  fox,  as  he  quitted  bis  earth  on  some  marauding  excur- 
sion ;  the  eagle  that  soared  above  their  beads.  And  thus 
be  soon  became  so  expert  that  Teresa  overcame  the  terror 
she  at  first  felt  at  the  report,  and  amused  herself  by  watcb- 
ing  bim  wbile  be  directed  the  bail  wherever  be  pleased, 
with  as  much  accuracy  as  if  placed  by  the  band. 

'*  One  evening  a  wolf  emerged  from  a  pine  wochI  neat 
which  they  were  usually  stationed,  but  bad  scarcely  ad* 
vanced  ten  yards  ère  be  was  dead.  Proud  of  this  exploit, 
Yampa  took  the  dead  animal  on  bis  sboulders,  and  carried 
bim  to  the  farm.  AU  thèse  circumstances  had  gained 
Luigi  considérable  réputation.  The  man  of  superior  abili- 
ties  always  finds  admirers,  go  wbere  be  will.  He  waa 
spoken  of  as  the  most  adroit,  the  strongest,  and  the  most 
courageous  caniadino  for  ten  leagues  round  ;  and  altbougb 


ROMAK  BANDITS.  445 

Tersas  was  aniversaUy  allowed  to  be  the  most  beautifal 
girl  of  the  Sabines,  no  ona  had  ever  spoken  to  her  of  love, 
because  it  was  known  that  she  was  beloved  by  Vampa. 
And  yet  thesa  two  had  never  confessed  their  love  to  one 
auother  ;  they  had  growu  up  side  by  side,  like  two  trees 
which  intertwine  their  roots  in  the  ground  and  their 
branches  in  the  air^  and  whose  perfume  rises  together  to 
the  heavens.  Only  their  wish  to  see  each  other  had  be- 
corne  a  necessity,  and  they  would  bave  preferred  death  to 
a  day's  séparation.  Teresa  was  sixteen  and  Vampa  eigh- 
teen.  About  this  time  a  band  of  brigands  that  had  estab- 
lished  itself  in  the  Lepini  Mountains  began  to  be  much 
spoken  of.  The  brigands  had  never  beeu  really  extirpated 
from  the  neighborhood  of  Kome.  Sometimes  a  chief  is 
wanted^  but  when  a  chief  présents  himself  he  rarely 
wants  a  band. 

"The  celobrated  Cucumetto,  pursued  in  the  Abruzzo, 
driven  out  of  the  kingdom  of  Naples,  where  he  had  carried 
on  a  regular  war,  had  crossed  the  Garigliano^  like  Maufred, 
and  had  corne  between  Sonnino  and  Jupemo  to  take  refuge 
on  the  banks  of  the  Amasine.  He  strove  to  reorganize  a 
band,  and  foUowed  in  the  footsteps  of  Decesaris  and  Gas- 
perone,  whom  he  hoped^to  surpass.  Many  young  men  of 
Palestrina,  Frascati,  and  Pampinara  disappearéd.  Their 
disappearance  at  first  caused  much  inquiétude  ;  but  it  was 
soon  known  that  they  had  joined  the  band  of  Cucumetto. 
After  some  time  Cucumetto  became  the  object  of  uni  versai 
attention  ;  the  most  extraordinary  traits  of  ferocious  daring 
and  brutality  were  related  of  hirc.  One  day  he  carried 
off  a  young  girl,  the  daughter  of  a  surveyor  of  Frosinone. 
The  bandits'  laws  r«re  positive  :  a  young  girl  belongs  first 
to  hîm  who  carnes  her  off;  then  the  rest  draw  lots  for  her, 
and  she  is  abandoned  to  their  brutality  until  death  relievos 
her  sufferings.     When  her  parents  are  suffîciently  rich  to 


446  THE  COUNT  OF  MONTE  CRlSTO. 

pay  a  lansom,  a  messeûger  is  sent  to  trea^'  concerning  it 
The  prisoner  is  hostage  for  the  securitj  of  the  messen* 
ger;  should  the  ransom  be  refused,  the  prisoner  is  irre« 
vocably  lost.  The  young  girl's  lover  was  in  Cucumetto's 
troop  ;  his  name  was  Carlini.  When  she  recognized  her 
lover,  the  poor  girl  extended  her  arms  to  him  and  believed 
herself  safe  ;  but  Carlini  felt  his  he^rt  sink,  fur  he  but 
too  well  knew  the  fate  that  awaited  her.  However,  as 
he  was  a  favorite  with  Cucumetto  ;  as  he  had  for  three 
years  faitiifully  served  him;  and  as  he  had  saved  his  life 
by  shooting  a  dragoon  who  was  about  to  eut  him  down,  — 
he  hoped  he  would  bave  pity  on  hinu  He  took  him  apart» 
while  the  young  girl,  seated  at  the  foot  of  a  huge  pine 
that  stood  in  the  centre  of  the  forest^  formed  with  hei 
picturesque  head-dress  a  vcil.  to  hide  her  face  f^m  the 
lascivious  gaze  of  the  bandits.  There  he  told  him  ail,  — 
his  affection  for  the  prisoner,  their  promises  çî  mutual 
fidelity,  and  how  every  night  siuce  he  had  been  near 
they  had  met  in  a  ruin.. 

**  It  80  happened  that  night  that  Cucumetto  had  sent 
Carlini  to  a  neighboring  village,  so  that  he  had  been 
nnable  to  go  to  the  place  of  meeting.  Cucumetto  had 
been  there,  however,  —  by  accident^  as  he  said,  —  and 
had  candéd  the  maiden  off.  Carlini  besought  his  chief  to 
make  an  exception  in  Rita's  favor,  as  her  father  was  rich, 
and  could  pay  a  large  ransom.  Cucumetto  seemed  to 
yiold  to  his  friend*s  entreaties,  açd  bade  him  fiud  a  shep- 
herd  to  send  to  Kita's  father  at  Frosinone.  Carlini  flew 
joyfully  to  Rita,  telling  her  she  was  saved,  and  bidding 
her  Write  to  her  father  to  infonn  him  what  had  occurred, 
and  that  her  ransom  was  £xed  at  three  hundred  piastres 
Twelve  hours'  delay  was  ail  that  was  granted,  — -  that  is, 
until  nine  the  next  moming,  The  instant  the  letter  was 
written  Carlini  seized  it,  and  hastened  to  the  plain  to  Uud 


ROMAN  BANDITS.  447 

a  messenger.  Hb  found  a  young  shepherd  watching  bis 
flock.  The  natural  messengers  of  the  bandits  are  tbe 
sbepherds,  wbo  live  between  the  city  and  the  mouutains, 
between  civilized  and  savage  life.  The  boy  undertook 
the  commission,  promising  to  be  in  Frosinone  iu  less  than 
an  hour.  Carliiii  returned,  eager  to  see  bis  mistress,  and 
aunounce  the  joyful  intelligence.  He  found  the  troop  iu 
the  glade,  supping  off  the  provisions  exacted  as  contribu- 
tions from  the  peasants  ;  but  bis  eye  vainly  sought  Rita 
and  Cucumetto  among  them.  He  inquired  where  they 
were,  and  was  answered  by  a  burst  of  laughter.  A  cold 
perspiration  burst  from  every  pore,  and'  bis  hair  stood  on 
end.  He  repeated  bis  question.  One  of  the  bandits  rose 
and  offered  him  a  glaâs  filled  with  wine  of  Orvietto,  saying, 
'To  the  health  of  the  brave  Cucumetto  and  the  fair  Rita  T 
At  this  moment  Carlini  heard  the  cry  of  a  woman  ;  he 
divined  the  truth,  seized  the  glass,  broke  it  across  the  face 
of  him  wbo  presented  it,  and  rushed  towards  the  spot 
wbence  the  cry  came.  After  going  a  hundred  yards  he 
turued  the  corner  of  the  thicket  ;  he  found  Rita  senseless 
in  the  arms  of  Cucumetto.  At  the  sight  of  Carlini,  Cucu- 
metto rose,  a  pistol  in  each  hand.  The  two  brigands 
looked  at  each  other  for  a  moment,  —  the  one  with  a  smile 
of  lasciviousness  on  bis  lips,  the  other  with  the  pallor  of 
death  on  liis  brow.  It  seemed  that  something  terrible 
was  about  to  pass  between  thèse  two  men  ;  but  by  degrees 
Carlini's  features  relaxed.  His  hand,  which  had  grasped 
one  of  the  pistols  in  his  belt,  fell  to  his  side.  Rita  lay 
between  them.     The  moon  lighted  the  group. 

"  *  Well,'  said  Cucumetto,  *  bave  you  executed  your  corn*- 
mission  1'  'Yes,  Captain,'  returned  Carlini.  'At  nine 
o'clock  to-morrow,  Rita's  father  will  be  hère  with  the 
money.'  '  It  is  well  ;  in  the  mean  time,  we  will  bave  a 
merry  uight.    This  yuung  girl  is  charming,  and  does  crédit 


448  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

to  yôur  taste.  Now,  as  I  am  not  selfish,  ^e  "will  lettum 
to  our  comrades  and  draw  lots  for  ber/  '  You  bave  deter- 
xnîned,  then,  to  abandon  ber  to  the  common  law  )  *  saîd 
CarliuL  'Wby  sbould  an  exception  be  made  in  bet 
fevorl'  *I  tbongbt  tbat  my  entreaties  — *  *What 
TÎgbt  bave  you,  any  more  tban  tbe  lest,  to  ask  for  an 
exception  1*  *  It  is  true/  *  But  never  inînd/  continued 
Cucumetto^  langbing,  'sooner  or  later  your  tum  will  corne/ 
Carlini's  teetb  clincbed  convulsively,  '  Now,  tben/  said 
CucumettOj  ad  vancing  towards  tbe  otber  bandits,  *  are  yoq 
comingî'  '  I  follow  you.'  Cucumetto  departed  witbout 
losing  sigbt  of  Carlini,  for  doubtless  be  feared  lest  be 
sbould  strike  bim  unawares  ;  but  notbing  betrayed  a  bos- 
tile  design  on  Carlini's  part.  He  was  standing,  bis  arms 
foldedy  near  Rita,  "wbo  was  still  insensible.  Cucumetto 
fancied  for  a  moment  tbe  youug  man  was  about  to  tak 
ber  in  bis  arms  and  ûy  ;  but  tbis  mattered  little  to  him 
nr>w  Kita  bad  been  bis,  and  as  for  tbe  money,  tbree  bun- 
dred  piastres  distributed  among  tbe  band  was  so  small  a 
sum  tbat  be  cared  little  about  it.  He  continued  to  follow 
tbe  patb  to  tbe  glade  ;  but  to  bis  great  surprise,  Carlini 
arrived  almost  as  soon  as  bimsel£  *  Let  us  draw  lots  ! 
let  us  draw  lots  I  '  cried  ail  tbe  brigands,  wben  tbey  saw 
tbe  cbie£ 

^'Tbeir  demand  was  fair;  and  the  cbief  iuclined  bis 
bead  in  sign  of  acquiescence.  Tbe  eyes  of  b11  sbone 
fiercely  as  tbey  made  tbeir  demand,  and  tbe  red  ligbt  of 
tbe  fire  made  tbem  look  like  démons.  Tbe  names  of  ail, 
including  Carlini,  were  placed  in  a  bat,  and  tbe  youngest 
of  tbe  band  drew  fortb  a  ticket  ;  tbe  ticket  bore  tbe  name 
of  Diavolaccio.  He  was  tbe  man  wbo  bad  proposed  to 
Carlini  tbe  bealtb  of  their  cbief,  and  to  wbom  Carlini  bad 
replied  by  breaking  tbe  glass  across  bis  face.  A  large 
wound,  extending  from  tbe  temple  to  tbe  moutb,  wa» 


n 


BOICAN  BANDITS.  449 

bleeding  profuselj.  Diavolaccio,  seeÎDg  himself  thus  &• 
vored  by  fortune,  burst  into  a  loud  laugh.  '  Captain,'  said 
he,  '  just  now  Carlini  would  not  drink  your  health  wheu 
I  proposed  it  to  him  ;  propose  mine  to  bim,  and  let  us  see 
if  be  will  be  more  condescending  to  you  tban  to  me.' 
£very  one  expected  an  explosion  on  Carlini's  part  ;  but 
to  tbeir  great  surprise,  be  took  a  glass  in  one  band  and  a 
flask  in  tbe  otber,  and  lilling  it»  ^  Your  bealtb,  Diavo- 
laccio/  said  be^  calmly,  and  be  drank  it  off  witbout  bis 
band  trembling  in  tbe  least  Tben  sitting  down  by  tbe 
fire^  *  My  supper/  said  be  ;  '  my  expédition  bas  given  me 
an  appetite/  *  Well  done,  Carlini  !  '  cried  tbe  brigands  ; 
'  tbat  is  acting  like  a  good  fellow  ;  '  and  tbey  ail  formed  a 
circle  round  tbe  ûre,  wbile  Diavolaccio  disappeared.  Car- 
lini ate  and  drank  as  if  notbing  bad  bappened.  Tbe 
bandits  looked  at  bim  witb  astonisbmeut,  not  understaud- 
ing  bis  strange  impassiveness,  wben  upon  tbe  ground 
bebiud  tliem  tliey  beard  a  beavy  footstep.  Tbey  turned 
round  and  saw  Diavolaccio  bearing  tbe  young  girl  in  bis 
arms.  lier  bead  bung  back,  and  ber  long  bair  swept  tbe 
ground.  As  tbey  entered  tbe  circle,  tbe  bandits  conld  per- 
ceive  by  tbe  firelight  tbe  uneartbly  pallor  of  tbe  young 
girl  and  of  Diavolaccio.  This  apparition  was  sp  strange 
and  so  solemn  tbat  every  one  rose  witb  tbe  exception  of 
Carlini,  wbo  remained  seated,  and  ate  and  drank  calmly. 
Diavolaccio  advanced  amid  tbe  most  profound  silence  and 
laid  Rita  at  tbe  captain's  feet.  Tben  every  one  could 
understand  tbe  cause  of  tbat  pallor  of  tbe  young  girl  and 
of  tbe  bandit.  A  knife  was  plunged  up  to  tbe  bilt  in 
Rita's  lefb  breast.  Every  one  looked  at  Carlini;  tbe  sbeatb 
at  bis  belt  was  empty.  '  Ab,  ab  !  '  said  tbe  cbief^  *  I 
now  understand  wby  Carlini  stayed  bebind.' 

''AU  Savage  natures  appreciate  a  desperate  deed.  No 
other  of  tbe  bandits  would  perbaps  bave  done  tbe  eame; 

VOL.  I.  -  2d 


450  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

but  they  ail  understood  what  Carlini  had  done.  *  Now, 
then/  cried  Carlini,  nsing  in  his  turn  and  approaching 
the  corpse,  his  haud  on  the  butt  of  one  of  his  pistoky 
'  does  any  one  dispute  the  possession  of  this  woman  with 
me  )  '  *  No/  returned  the  chief,  '  she  is  thine/  Carlini 
laised  her  in  his  arms  and  carried  her  out  of  the  circle  of 
light  around  the  fire.  Cucumetto  placed  his  sentinels  for 
the  night,  and  the  bandits  wrapped  thernselves  in  their 
cloaks  and  lay  down  before  the  fire.  At  midnight  the 
sentînel  gave  the  alarm,  and  in  an  instant  ail  were  on  the 
alert.  It  was  Kita's  father,  who  brought  his  daughter^s 
lansoni  in  person.  *  Hère,'  said  he  to  Cucumetto,  —  *  hère 
are  three  hundred  piastres  ;  givo  me  back  my  child.'  But 
the  chief,  without  taking  the  money,  made  a  sign  to 
him  to  follow  him.  The  old  nian  obeyed.  They  both 
advanced  beneath  the  trees,  through  whose  branches 
streamed  the  moonlight.  Cucumetto  stopped  at  last  and 
pointed  to  two  persons  grouped  at  the  foot  of  a  tree. 
*  There/  said  he,  *  demand  thy  child  of  Carlini  ;  he  will 
tell  thee  what  lias  become  of  her  ;  '  and  he  returned  to  his 
companions. 

'*  The  old  man  remained  motionless  ;  he  felt  that  some 
great  and  unforeseen  misfortune  hung  over  his  head.  At 
length  he  advanced  towards  the  group,  which  he  could 
not  comprehend.  As  he  approached,  Carlini  raised  his 
head,  and  the  forms  of  two  persons  became  visible  to  the 
old  man's  eyes,  A  female  lay  on  the  ground,  her  head 
restiug  on  the  knees  of  a  man  who  was  seated  hy  her;  as 
he  raised  his  head  the  female's  face  became  visible.  Tfa^ 
old  man  recognized  his  child,  and  Carlini  recognized  the 
old  man.  'I  expected  thee/  said  the  bandit  to  Rita's 
father.  '  Wretch  !  '  returned  the  old  man,  '  what  hast  thou 
done  î  '  and  he  gazed  with  terror  on  Rita,  pale  and  bloody, 
a  knife  buried  in  her  bosom.    A  ray  of  moonlight  poured 


BOMAN  BANDITS.  451 

fcbiongb  the  trees  and  lîghted  up  the  face  of  the  dead» 
'  Cacumetto  had  violated  thy  danghter/  said  the  bandit  ; 
*  I  loved  her,  therefore  I  dew  her,  —  for  she  would  hâve 
Aîrved  as  the  sport  of  the  whole  band.*  The  old  man 
spoke  noty  and  grew  pale  as  death.  'Kow/  contînued 
Carlini,  '  if  I  bave  done  wrongly,  avenge  her  ;  *  and  with- 
drawing  the  knife  from  the  wound  in  !Rita's  bosom,  be 
held  it  ont  to  the  old  man  with  one  hand,  "wbile  with  the 
other  be  tore  open  bis  vest  '  Thou  hast  done  well  î  '  ro- 
turned  the  old  man,  lu  a  boarse  voice  ;  '  ëmbrace  me,  my 
son*'  Carlini  thiew  himself,  sobbiug  like  a  child,  into 
the  anus  of  bis  mistress's  father.  Thèse  were  the  first 
tears  the  man  of  blood  had  ever  wept.  *  Now/  said  the 
old  man,  '  aid  me  to  buiy  my  cbild/  Carlini  fetched  two 
pickaxes,  and  the  &ther  and  the  lover  began  to  dig  at  the 
foot  of  a  buge  oak^  beneath  which  the  young  girl  was  to 
repose.  When  the  grave  wàs  formed,  the  fathér  embraced 
her  firsty  and  then  the  lover  ;  afterwards,  one  taking  the 
bead,  the  other  the  feet,  they  placed  her  in  the  grave. 
Then  they  knelt  on  each  side  of  the  gravé  and  said  the 
prayers  of  the  dead.  Then,  when  they  had  finisbed,  they 
cast  the  earth  over  the  corpse  until  the  grave  was  fiUed. 
Then,  extending  bis  band,  the  old  man  said,  'I  thank  you, 
my  son;  and  now  leave  me  alone/  *Yet —  *  replied 
Carlini.  'Leave  me,  I  command  you.*  Carlini  obeyed, 
rejoined  bis  comrades,  folded  bimself  in  bis  cloak,  and 
soou  appeared  as  deep  asleep  as  the  rest. 

''>lt  bad  been  resolved  the  night  before  to  change 
their  encampment.  An  bour  before  day break  Cucometto 
aroased  bis  men  and  gave  the  word  to  march.  But  Car- 
lini would  not  quit  the  forest  without  knowing  what  had 
become  of  Rita's  father.  He  went  towards  the  place  wbere 
he  had  left  bim.  He  found  the  old  man  suspended  from 
one  of  the  branches  of  the  oak  which  shaded  bis  daugb 


452  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

ter's  grave.  He  then  took  an  oath  of  bîtter  vengeance 
over  the  dead  body  of  tbe  one  and  tbe  tomb  of  tbe  otber. 
But  be  was  unable  to  complète  tbis  oatb,  for  two  days 
afberwards,  in  a  rencontre  witb  tbe^Eoman  carbineers, 
Carlini  was  kiUed.  There  was  some  surprise^  bowever, 
that  as  be  was  witb  bis  face  to  tbe  enemy  be  sboiild  bave 
received  a  bail  between  bis  sboulders.  Tbat  astonisbment 
ceased  wben  one  of  tbe  brigands  remarked  to  bis  comrades 
tbat  Cucumetto  was  stationed  ten  paces  in  Carlini's  rear 
wben  be  fell.  On  the  momiiig  of  the  departure  from  tbe 
forest  of  Frosiiioue  he  bad  foUowed  Carlini  in  tbe  dark* 
ness,  bad  heard  bis  oatb  of  vengeance,  and  like  a  wise 
man  bad  prevented  its  fulfilment. 

**  They  told  ten  other  stories  of  tbis  bandit  cbief  nofc 
less  strange  tban  tbis.  Thus,  from  Fond!  to  Perouse, 
every  one  trembled  at  tbe  iiame  of  Cucnmetto.  Thèse 
narratives  were  frequently  tbe  thèmes  of  conversation 
between  Luigi  and  Teresa.  The  young  girl  trembled  very 
much  at  ail  thèse  taies.  But  Vampa  reassured  ber  witb  a 
smile,  tapping  tbe  bntt  of  bis  good  fowling-piece,  wbicb 
threw  its  bail  so  well  ;  and  if  tbat  did  not  restore  ber 
courage,  be  pointed  to  a  crow  percbed  on  some  dead 
branche  took  an  aim,  toucbed  the  trigger,  and  the  bird  fell 
dead  at  tbe  foot  of  tbe  tree.  Time  passed  on  ;  and  tbe 
two  young  persons  bad  agreed  to  be  married  wben  Vampa 
should  be  twenty  and  Teresa  nineteen  years  of  âge.  They 
were  botb  orphans,  and  bad  only  tbeir  employer's  leave  to 
ask,  wbich  bad  been  already  sought  and  obtained.  One 
day  wben  they  were  talking  over  tbeir  plans  for  the 
future,  they  heard  two  or  three  reports  of  fire-arms,  and 
then  suddenly  a  man  came  ont  of  tbe  wood  near  wbich 
the  two  young  persons  used  to  graze  tbeir  flocks,  and 
burried  towards  them.  Wben  be  came  within  bearing, 
be  exdaimed,  'I   am  pursued;   can  you  conceal  mef 


BOICAN  BANDITS.  453 

They  knew  full  well  that  thîs  fugitive  must  be  a  bandit  ; 
bat  there  is  a  natural  sjmpathj  between  the  Eoman  bri- 
gand and  tbe  Roman  peasant^  and  the  latter  is  alwaya 
ready  to  aid  the  former.     Vampa,  without  saying  a  word, 
hastened  to  the  stone  that  closed  up  the  entrance  to  their 
grotto,  drew  it  away,  made  a  sign  to  the  fugitive  to  take 
refuge  there  in  a  retreat  unknown  to  every  one^  closed 
èhe  stone  upon  him,  and  then  went  and  resumed  his  seat 
by  Teresa.     Instantly  afberwards  four  carbineers  on  horse- 
back  appeared  on  the  edge  of  the  wood  ;  three  of  them 
appeared  to  be  looking  for  the  fugitive,  ^hile  the  fourth 
dragged  a  brigand  prisoner  by  the  neck.     The  three  car- 
bineers looked  around  them  on  ail  sides,  saw  the  young 
peasants,  and  galloping  up,  iuterrogated  thera.     They  had 
seen  no  one.     *  That  is  very  annoying/  said  the  brigadier  ; 
*for  the  man  we  are  looking  for  is  the  chief.*     'Cucu- 
metto  )  *  cried  Luigi  and  Teresa  at  the  same  moment. 
'  Yes/  replied  the  brigadier  ;  '  and  as  his  head  b  valued 
at  a  thousand  Koman  crowns,  there  would  hâve  been  five 
hundred  for  you  if  you  had  helped  us  to  catch  him.'    The 
two  young  persons  exchanged  looks.     The  brigadier  had  a 
moment's  hope.     Five  hundred  Roman  crowns  are  three 
thousand  livres,  and  three  thousand  livres  are  a  fortune 
for  two  poor  orphans  who  are  going  to  be  married.     '  Yes, 
it  is  very  annoying/  said  Vampa;   *but  we  hâve  not 
seen  liim/ 

*'  Then  the  carbineers  scoured  the  country  in  différent 
directions,  but  in  vain;  then  after  a  time  they  disap- 
peared.  Yampa  then  removed  the  stone,  and  Cucumetto 
came  ont.  He  had  seen,  through  the  crevices  in  the 
granité,  the  two  young  peasants  talking  with  the  carbi- 
neers,  and  guessed  the  subject  of  their  parley.  He  had 
read  in  the  counténances  of  Luigi  and  Teresa  their  stead- 
ùsi  résolution  not  to  surrender  him,  and  he  drew  from 


454  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

his  pocket  a  pui-se  fuU  of  gold,  which  he  offered  to  them. 
But  Yampa  laised  his  head  proudlj;  as  to  Teresa,  ber  eye£ 
sparkled  when  she  thought  of  ail  the  fine  gowns  and  gay 
jewelry  she  could  buy  with  this  purse  of  gold. 

'*  Cucumetto  was  a  cunning  fiend  who  had  assumed  the 
form  of  a  brigand  instead  of  a  serpent  ;  and  this  look  of 
Teresa  revealed  to  biin  that  she  was  a  worthy  daughter  of 
Eve.  He  retumed  to  the  forest,  pausing  sevéral  times  on 
his  way  under  the  pretext  of  saluting  his  protectors.  Sev- 
éral days  elapsed,  and  they  neither  saw  nor  heard  of  Cucu- 
metto. The  time  of  the  Camival  was  at  haud.  The  Comte 
de  San  Felice  announced  a  grand  masked  bail,  to  whicb  ail 
that  were  distinguished  in  Rome  were  invited.  Teresa  had 
a  great  désire  to  see  this  balL  Luigi  asked  permission  of 
his  protector,  the  steward,  that  she  and  he  might  be  prés- 
ent among  the  servants  of  the  bouse.  This  was  grauted. 
The  bail  was  given  by  the  count  for  the  particular  pleaa- 
ure  of  his  daughter  Carmela,  whom  he  adored.  Carmela 
was  precisely  the  âge  and  figure  of  Teresa,  and  Teresa  was 
as  handsdme  as  Carmela.  On  the  evening  of  the  bail 
Teresa  was  attired  in  her  best,— her  most  brilliant  haïr 
omaments  and  gayest  glass  beads;  she  was  in  the  cos- 
tume of  the  women  of  FrascatL  Luigi  wore  the  very 
picturesque  garb  of  the  Eoman  peasant  at  holiday  time. 
They  both  mingled,  as  they  had  leave  to  do,  with  the 
servants  and  peasants. 

"The  fête  was  magnificent,  —  not  only  was  the  villa 
bnlliantly  illuminated,  but  thousands  of  colored  lantems 
were  suspended  firom  the  trees  in  the  garden  ;  and  very 
soon  the  palace  overflowed  to  the  terraces,  and  the  terraces 
to  the  garden- walks.  At  each  cross-path  were  an  orchestra, 
and  tables  spread  with  refreshments  ;  the  guests  stopped, 
formed  quadrilles,  and  danced  in  every  part  of  the  grounds 
they  pleased.     Carmela  was  attired  like  a  woman  of  Son- 


ROMAN  BANDITS.  465 

Aîno.  Her  cap  was  embroidered  with  pearls»  the  pins  in 
her  hair  were  of  gold  and  diamonds,  her  girdle  was  ol 
Tarkey  silk  with  large  embroidered  flowers,  her  bodice 
and  skirt  were  of  cashmere,  her  apron  of  Indian  muslin, 
and  the  buttons  of  her  corset  were  of  jewels.  Two  of  her 
companions  were  dressed,  the  one  as  a  woman  of  Nettuno, 
aud  the  other  as  a  woman  of  La  Riccia.  Four  young  men 
of  the  richest  and  noblest  families  of  Rome  accompanied 
them  with  Italian  freedoro,  which  bas  not  its  parallel  in 
any  other  country  of  the  world.  They  were  attired  as 
peasants  of  Albano,  Yelletri,  Civita  Castellana,  and  Sora. 
I  need  not  tell  you  that  thèse  peasant  costumes,  lika  those 
of  the  women,  were  bnlliant  with  gold  and  jewels. 

**  Carmela  wished  to  make  a  uniform  quadrille,  but  there 
was  one  woman  wanting.  She  looked  ail  around  her,  but 
not  one  of  the  guests  had  a  costume  similar  to  her  own  or 
those  of  her  companions.  The  Comte  de  San  Felice  pointed 
out  to  her,  în  the  group  of  peasants,  Teresa,  who  was  hang« 
ing  on  Luigi's  arm.  '  Will  you  allow  me,  Father  )  '  said 
Carmela.  'Certainly,'  replied  the  count;  'are  we  not  in 
Camival  time  1  '  Carmela  tunied  towards  the  young  man 
who  was  talking  with  her,  and  saying  a  few  words  to  him, 
pointed  with  her  finger  to  Teresa.  The  young  man  fol- 
lowed  with  bis  eyes  the  lovely  hand  which  made  this  in- 
dication, bowed  in  obédience,  and  then  went  to  Teresa 
and  invited  her  to  dance  in  a  quadrille  directed  by  the 
count's  daughter.  Teresa  felt  something  like  a  flame  pass 
over  her  face  ;  she  looked  at  Luigi,  who  could  not  refuse 
liis  assent.  I^uigi  slowly  relinquished  Teresa's  arm,  which 
he  had  held  beneath  his  own,  and  Teresa,  accompanied  by 
her  élégant  cavalier,  took  her  appointed  place  with  much 
agitation  in  the  aristocratie  quadrille.  Certainly,  în  the  ' 
eyes  of  an  artist  the  exact  and  severe  costume  of  Teresa 
had  a  very  dififerent  character  from  that  of  Carmela  and 


456  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

her  compauions  ;  but  Teresa  was  frivolous  and  coquettisb, 
and  thus  the  embroidery  and  muslius,  tbe  cashmere  waist- 
girdles,  ail  dazzled  her,  and  tbe  reflectîon  of  sappbîres  and 
diamonds  almost  tumed  her  gîddy  brain. 

*'  Luigi  felt  a  sensation  bitherto  unkuown  arising  in  bis 
mind.  It  was  ïike  an  acute  pain  wbicb  gnawed  at  bis 
beait,  and  then  passed  thrillingly  tbrougbout  bis  frame, 
cbasing  througb  bis  veins,  and  pervading  bis  entire  body. 
He  folloMi^ed  witb  bis  eyes  each  movement  of  Teresa  and 
ber  cavalier.  When  their  bands  toucbed,  be  felt  as  tbougb 
be  sbould  swoon  ;  every  puise  beat  witb  violence,  and  it 
seemed  as  tbougb  a  bell  were  ringing  in  bis  ears.  Wbcn 
tbey  spoke,  althougb  Teresa  listened  timidly  and  witb 
downcast  eyes  to  tbe  conversation  of  ber  cavalier,  as  Luigl 
could  read  in  tbe  ardent  looks  of  tbe  good-looking  young 
man  tbat  bis  language  was  tbat  of  praise,  it  seemed  as  if 
thé  wbole  world  was  tuming  round  witb  bim,  and  ail  tbe 
voices  of  bell  were  wbispering  in  bis  ears  ideas  of  niur- 
der  and  assassination.  Tben  fearing  tbat  bis  paroxysm 
migbt  get  tbe  better  of  bim,  be  clutcbed  witb  one  band 
tbe  brancb  of  a  tree  against  wbicb  be  was  leaning,  and 
witb  the  other  convulsively  grasped  tbe  dagger  witb  a 
carved  bandle  wbicb  was  in  bis  belt,  and  wbicb,  unwit- 
tingly,  be  drew  from  tbe  scabbard  from  time  to  time. 
Luigi  was  jealous  !  He  felt  tbat  influenced  by  ber  ambi- 
tion and  coquettish  disposition,  Teresa  migbt  escape  bim. 

"The  young  peasant  girl,  at  first  timid  and  almost 
frightened,  soon  recovered  berself.  I  bave  said  tbat 
Teresa  was  handsome,  but  tbis  is  not  ail;  Teresa  bad 
the  fascination  of  those  wild  grâces  wbicb  are  ao  mucb 
more  potent  tban  our  afiected  and  studied  elegaucies. 
She  bad  almost  ail  tbe  bonors  of  tbe  quadrille,  and  if  sbe 
was  envions  of  tbe  Comte  de  San  Felice's  daughter,  I  will 
not  undertake  to  say  tbat  Carmela  was  not  jealous  of  ber; 


âOMAN  BANDITS.  457 

and  witb  overpowering  compliments  her  handsome  cava- 
lier led  ber  back  to  the  place  wbence  be  bad  taken  lier 
and  wbere  Laigi  awaited  ber.  Twice  or  tbrice  duriug  tbe 
dance  tbe  young  girl  bad  glanced  at  Luigi,  and  eacb  time 
sbe  saw  tbat  be  was  pale  and  tbat  bis  featoies  were  agi- 
tated  ;  once  even  tbe  blade  of  bis  knife,  balf  drawn  frum 
its  sbeatby  bad  dazzled  ber  eyes  witb  its  sinister  gleam. 
Tlios  sbe  was  almost  trembliug  wben  sbe  resumed  ber 
lover's  arm.  Tbe  quadrille  bad  been  very  successful;  and 
it  was  évident  tbere  was  a  great  demand  for  a  répétition  of 
it.  Carmela  alone  objected  to  it  ;  but  tbe  Comte  de  San 
Felice  begged  bis  daugbter  so  eamestly  tbat  sbe  acceded. 
One  of  tbe  cavaliers  tben  bastened  to  invite  Teresa,  witb- 
out  wbom  it  was  impossible  to  form  the  quadrille,  but  tbe 
young  girl  bad  disappeared.  In  fact,  Luigi  bad  net  the 
strengtb  to  support  another  sucb  trial,  and  Lalf  by  persua- 
sion and  balf  by  force,  be  bad  removed  Teresa  to  another 
part  of  tbe  garden.  Teresa  bad  yielded  in  spite  of  her- 
self  ;  but  wben  sbe  looked  at  tbe  agitated  countenance  of 
th  3  young  man,  sbe  understood  by  bis  silence  and  trem- 
bliug Voice  tbat  sometbing  strange  was  passing  witbin 
Iiim.  Sbe  berself  was  not  free  from  internai  émotion, 
and  without  baving  donc  anytbing  wrong,  yet  fully  com- 
prebended  tbat  Luigi  would  be  in  the  right  if  be  sbould 
reproacb  her.  Wby,  sbe  did  not  know,  but  sbe  did  not 
thi  less  feel  that  sbe  bad  somehow  deserved  to  be  blamed. 
However,  to  Teresa^s  great  astonishment  Luigi  ^maiued 
mute,  and  not  a  word  escaped  bis  lips  tbe  rest  of  tbe  even- 
ing.  But  wben  the  chiU  of  tbe  night  bad  driven  away 
the  guests  from  the  gardens,  and  the  gâtes  of  tbe  villa 
were  closed  for  the  fête  indoors,  lie  took  Teresa  away  ;  and 
as  be  left  her  at  her  home,  be  said,  'Teresa,  what  were 
you  tbinking.  of  as  you  danced  opposite  the  young  Com- 
tesse de  San  Fcliceî*     *I  thougbt,*  replied  the  young  g\r\ 


458  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

with  ail  tbe  frankness  of  her  naturel  'that  I  would  give 
half  my  life  for  a  costume  auch  as  she  wore/  'And  what 
said  your  cavalier  to  yout'  'He  said  it  ouly  depended 
on  myself  to  bave  it,  and  I  had  only  one  word  to  say/ 
*  He  was  light/  said  Luigi  ;  '  do  you  désire  it  as  ardently 
as  you  say  )  '     *  Yes.'    *  Well,  tben,  you  sball  bave  it  I  * 

**  Tbe  young  girl^  mucb  astonisbed,  raised  ber  bead  to 
look  at  bim  ;  but  bis  face  was  so  gloomy  and  terrible  tbat 
ber  words  froze  to  ber  lips.  As  Luigi  spoke  tbus,  be  lefb 
ber.  Teresa  followed  bim  witb  ber  eyes  into  tbe  darkness 
as  long  as  sbe  could,  and  wben  be  bad  quite  disappeared 
sbe  entered  ber  apartment  witb  a  sigb. 

**  Tbat  uight  a  great  accident  bappened,  no  doubt  from 
tbe  imprudence  of  some  servant  wbo  bad  ueglected  to  ex- 
tinguisb  tbe  ligbts.  Tbe  Villa  de  San  Felice  took  fire  in 
tbe  rooms  adjoining  tbe  very  apartment  of  tbe  lovely  Car- 
meUu  Wakened  in  tbe  night  by  tbe  ligbt  of  tbe  fiâmes,  sbe 
bad  sprung  out  of  bed,  wrapped  berself  in  a  dressing>gown, 
and  attempted  to  escape  by  tbe  door  ;  but  tbe  corridor  by 
wbicb  sbe  boped  to  fly  was  already  a  prey  to  tbe  fiâmes. 
Sbe  bad  tben  retumed  to  ber  room,  calling  for  belp  as 
loudly  as  sbe  could,  wben  suddenly  ber  window,  wbicb  was 
twenty  feet  from  tbe  ground,  was  opened  ;  a  young  peasaut 
jnmped  into  tbe  cbamber,  seized  ber  in  bis  arms,  and  witb 
superbuman  skill  and  strengtb  oonveyed  ber  to  tbe  turf  of 
tbe  grass-plot,  wbere  sbe  Êtinted.  Wben  sbe  recovered, 
ber  fatber  was  by  ber  side.  AU  tbe  servants  surrounded 
ber,  ofiering  ber  assistance.  An  entire  wing  of  tbe  villa 
was  bumed  down  ;  but  wbat  was  tbat,  since  Garmela  was 
safe  and  uninjured  f  Her  préserver  was  everywbere  sougbt 
for,  but  did  not  appear;  be  was  inquired  for  everywbere, 
but  no  one  had  seen  bim.  Garmela  was  greatly  troubled 
tbat  sbe  had  not  recognized  bim.  As  tbe  count  was 
immensely  rîcb.  aetting  aside  tbe  péril  to  Garmela,  -^ 


BOMAN  BANDITS.  459 

which  in  view  af  her  miracnlons  escape  seemed  io  bim 
rather  a  new  favor  of  Providence  than  an  actual  misfor» 
tune,  — the  loes  occasioned  hj  the  conflagration  waà  to 
bim  but  a  trifle. 

**  Tbe  nezt  day  at  tbe  nsnal  bour  tbe  two  young  peas- 
ants  were  on  tbe  bordera  of  tbe  forest  Luigi  arrived 
firat.  He  came  iowards  Teresa  in  bigb  spirits,  and  seemed 
to  bave  completely  forgotten  tbe  events  of  tbe  previons 
evening.  Tbe  young  girl  was  visibly  tboagbtfol  ;  but  see- 
ing  Luigi  so  cbeerful,  sbe  on  ber  part  assumed  a  smiling 
air,  wbicb  was  natural  to  ber  wben  no  excitement  of  pas- 
sion came  to  disturb  ber.  Luigi  took  ber  arm  beneatb 
his  own,  and  led  ber  to  tbe  door  of  tbe  grotto.  Tbere  be 
pansed.  Tbe  young  girl,  perceiving  tbat  tbere  was  some- 
thing  extraordinary,  looked  at  bim  steadfastly.  '  Teresa,' 
said  Luigi,  'yesterday  evening  you  told  me  you  would 
give  ail  tbe  world  to  bave  a  costume  similar  to  tbat  of  tbe 
count's  daugbter.'  'Yes,'  replied  Teresa,  witb  astonisb- 
ment  ;  *  but  I  was  mad  to  utter  sucb  a  wisb.'  '  And  I  re- 
plied, "  Very  well,  you  sball  bave  it"  *  *  Yes,*  replied  tbe 
young  girl,  wbose  astonisbment  increased  at  every  word 
uttered  by  Luigi,  *  but  of  course  your  reply  was  only  to 
please  me.'  '  I  bave  promised  no  more  tban  I  bave  given 
you,  Teresa,*  said  Luigi,  proudly.  *  Gro  into  tbe  grotto  and 
dress  yourself/  At  thèse  words  be  drew  away  tbe  stone 
and  sbowed  Teresa  tbe  grotto,  ligbted  up  by  two  wax 
ligbtSi  wbicb  burned  on  eacb  side  of  a  splendid  mirror; 
on  a  rustic  table,  made  by  Luigi,  were  spread  out  tbe  peail 
necklace  and  tbe  diamond  pins,  and  on  a  cbair  at  tbe  side 
was  laid  tbe  rest  of  the  costume. 

^'Teresa  uttered  a  cry  of  joy,  and  without  inquîrîng 
wbence  tbis  attire  came,  or  oven  tbanking  Luigi,  darted 
into  tbe  grotto,  transformed  into  a  dressing-room.  Luigi 
posbed  tbe  stone  behiutl  her,  for  be  saw  on  the  créât  of  a 


460  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

aroall  adjacent  hill  between  bim  and  Palestrina,  a  tiavellei 
on  horseback,  who  stopped  a  moment  as  if  uncertain  of  bis 
road,  and  was  tbus  visible  against  tbe  azuré  sky  with  tbat 
distinctness  of  outline  peculiar  to  tbe  perspective  of  soutb- 
ern  conntries.  When  be  saw  Luigi,  he  put  bis  borse  into 
a  gallop  and  advanced  towards  bim.  Luigi  was  not  mis- 
taken.  Tbe  traveller,  wbo  was  going  firom  Palestrîna  to 
Tivoli,  bad  mistaken  bis  way.  Tbe  young  man  directed 
bim  ;  but  as  at  tbe  distance  of  a  quarter  of  a  mile  tbe  road 
again  divided  into  tbree  ways,  and  on  reacbing  tbese  tbe 
traveller  migbt  again  stray  from  bis  route,  be  begged  Luigi 
to  be  bb  guide.  Luigi  tbrew  bis  cloak  on  tbe  ground, 
placed  bis  carbine  on  bis  sboulder,  and  freed  from  bis 
heavy  covering,  preceded  tbe  traveller  witb  tbe  rapid  step 
of  a  mountaineer,  whicb  a  borse  can  scarcely  keep  up 
witb.  In  ten  minutes  Luigi  and  tbe  traveller  reacbed  tbe 
cross-roads  alluded  to  by  tbe  young  sbepberd.  On  ar« 
riving  tbere,  witb  an  air  as  majestic  as  tbat  of  an  em- 
peror  be  stretcbed  bis  band  towards  tbat  one  of  tbe  roads 
wbicb  tbe  traveller  was  to  folio w.  'Tbat  is  your  road, 
Excellency  ;  and  now  you  cannot  again  mistake.'  *  And 
bere  is  your  recompense/  said  tbe  traveller,  offerîng  tbe 
young  berdsman  some  pièces  of  small  money.  *  Thank 
you/  said  Luigi,  drawing  back  bis  band  ;  ^  I  render  a  serr 
vice,  I  do  not  sell  it.*  *  Well,'  replied  tbe  traveller,  wbo 
seemed  used  to  tbis  différence  between  tbe  servility  of  a 
man  of  tbe  cities  and  tbe  pride  of  tbe  mountaineer,  '  if  you 
refuse  pay,  you  will  perbaps  accept  of  a  présent.'  •  Ab, 
yes,  tbat  is  anotber  tbing.'  'Tben,*  said  tbe  traveller, 
*  take  tbese  two  Venetian  sequîns  and  give  tbem  to  your 
bride,  to  make  berself  a  pair  of  ear-rings.*  *  And  tben  do 
you  take  tbia  poniard,'  said  tbe  young  berdsman  ;  ^  you 
will  not  find  one  better  carved  between  Albana  and  Civita 
Castellana.'  '  I  accept  it,'  answered  tbe  traveller  ;  '  but 
tben  tbe  obligation  will  be  on  my  side,  for  tbis  poniard  is 


i 


ROMAN  BAKDITB.  461 

irorth  more  tban  two  sequins.'  '  For  a  dealer,  perhaps  ; 
bat  for  me,  who  engraved  it  myself,  it  is  hardly  worth  a 
piastre/  '  What  is  your  name  1  '  inquired  the  traveller. 
*  Luigi  Yampa/  replied  the  shepherd^  in  the  same  manner 
in  which  he  would  bave  said,  *  Alexandei,  King  of  Mace- 
don  ;  '  '  and  yours  )  '  '1/  said  the  traveller,  '  am  called  Sin- 
bad  the  Sailor.»  " 

Franz  d'Epinay  started  witb  surprise.  '*  Sinbad  the 
SaUor  1  "  he  said. 

"Yes,"  replied  the  narrator;  "that  was  the  name  which 
the  traveller  gave  to  Vampa  as  bis  own." 

"Well,  and  what  may  you  bave  to  say  against.tbis 
name  î  "  inquired  Albert.  "  It  is  a  very  pretty  name  ;  and 
the  adventures  of  the  gentleman  of  that  name  amused  me 
very  mucb  in  my  youth,  I  must  confess." 

Franz  said  no  more.  The  name  of  Sinbad  the  Sailor,  as 
may  well  be  supposed,  awakened  in  him  a  world  of  recol- 
lections.    "  Proceed  !  "  said  he  to  the  bost. 

''  Vampa  put  the  two  sequins  haughtily  into  bis  pocket, 
and  slowly  returned  by  the  way  he  bad  gone.  As  he 
came  within  two  or  three  hundred  paces  of  the  grotto,  he 
thougbt  he  heard  a  cry.  He  listened  to  know  whence 
this  Sound  could  proceed.  A  moment  afterwards  and  he 
heard  bis  own  name  pronounced  distinctly.  The  cry  pro- 
ceeded  from  the  grotto.  He  bounded  like  a  chamois, 
cocking  bis  carbine  as  be  went»  and  in  a  moment  reached 
the  summit  of  a  hill  opposite  to  that  on  which  be  bad 
perceived  the  traveller.  There  the  cries  for  help  came  to 
him  more  distinctly.  He  cast  bis  eyes  around  him,  and 
saw  a  man  carrying  off  Teresa,  as  the  Centaur  Nessus  car- 
ried  Dejanira.  This  man,  who  was  bastening  towards  the 
wood^  was  already  three-quarters  of  the  way  on  the  road 
fronx  the  grotto  to  the  forest.  Vampa  measured  the  dis- 
tanee  ;  the  man  was  at  least  two  hundred  paces  in  advance 
of  him,  and  there  was  not  a  chance  of  overtaking^  him. 


*b:j  THE  COUNT  OP  MONTB  CRISTO. 

The  joung  shepherd  stopped  as  if  hia  feet  had  been  rooted 
to  the  grouiid  ;  then'  he  put  the  butt  of  his  carbine  to  his 
ehoulder^  took  àim  at  the  ravisher,  foUowed  him  for  a 
second  in  his  track,  and  then  fiied.  The  ravisher  stopped 
suddenly,  his  knees  bent  under  him,  and  he  fell  with 
Teresa  in  his  arms.  The  young  girl  rose  instantly  ;  but 
the  man  lay  on  the  earth  struggling  in  the  agonies  of 
death.  Yampa  then  rushed  towards  Teresa,  —  for  at  ten 
paces  from  the  dying  man  her  legs  had  failed  her  and  she 
had  dropped  on  her  knees  ;  so  that  the  young  man  feared 
that  the  bail  that  had  brought  down  his  enemy  had  also 
wounded  his  betrothed.  Fortunately,  she  was  unscathed  ; 
nnd  it  was  fiîght  alone  that  had  overcome  Teresa.  Wheu 
Luigi  had  assured  himself  that  she  was  safe  and  unharmed, 
he  turned  towards  the  wounded  man.  He  had  just  ex- 
pired,  with  clinched  hands,  his  mouth  in  a  spasm  of 
agony,  and  his  hair  on  end  in  the  sweat  of  death.  His 
cyea  reroained  open  and  menacing.  Yampa  approached 
the  body  and  recognized  Cucumetto. 

**  From  the  day  on  which  the  bandit  had  been  saved  by 
the  two  young  peasants,  he  had  been  enamoured  of  Teresa, 
and  had  sworn  she  should  be  his.  From  that  time  he  had 
watched  them,  and  profiting  by  the  moment  when  her 
lover  had  left  her  alone  while  he  guided  the  tiaveller  on 
his  way,  had  carried  her  off,  and  believed  he  at  length  had 
lier  in  his  power,  when  the  bail,  directed  by  the  unerring 
skill  of  the  young  herdsman,  had  pierced  his  heart.  Yampa 
gazed  on  him  for  a  moment  without  betraying  the  slightest 
émotion  ;  while  on  the  contrary  Teresa,  shuddering  in 
every  limb,  dared  not  approach  the  slain  niffian  but  by 
degrees,  and  threw  a  hesitating  glance  at  the  dead  body 
over  the  shoulder  of  her  lover.  Suddenly  Vampa  tomed 
towards  his  mistress  ;  '  Ah,  ah  1  '  said  he,  '  good,  good  1 
you  are  attired  ;  it  is  now  my  turn  to  dress  myself.' 

*' Teresa  was  clothed  from  head  to  foot  in  the  garb  of 


ROBfAN  BANDITS.  463 

the  Comte  de  San  Felice's  daughter.  Yampa  took  Caca 
oietto's  body  in  bis  arms  and  conveyed  it  to  the  grotto, 
while  in  her  tum  Teresa  remained  oatside.  If  a  second 
traveller  had  paa^ed  he  would  hâve  seen  a  strange  thing, 
—  a  shepherdess  watching  her  flock,  clad  in  a  cashmere 
gown,  with  ear-rings  and  necklace  of  pearls,  diamond  pins, 
and  battons  of  sappbires,  emeralds,  and  rubies.  He 
would  no  doubt  hâve  believed  that  he  had  returned  to  the 
times  of  Florîan,  and  would  bave  declared  ou  reaching  Paris 
that  he  had  met  a  shepherdess  of  the  Alps  seated  at  the 
foot  of  the  Sabine  Hill.  At  the  end  of  a  quarter  of  an 
hour  Vampa  qaitted  the  grotto  ;  bis  costume  was  no  less 
élégant  than  that  of  Teresa.  Ue  wore  a  vest  of  gamet- 
colored  velvet^  with  buttons  of  eut  gold  ;  a  silk  waistcoat 
covered  with  embroidery  ;  a  Roman  scarf  tied  round  bis 
neck  ;  a  cartouche-box  worked  with  gold  and  red  and  green 
silk;  sky-blue  velvet  breeches  fastened  above  the  kneo 
with  diamond  buckles  ;  garters  of  deer-skin  worked  with 
a  thousand  arabesques  ;  and  a  bat  whereon  bung  ribbons 
of  ail  colors.  Two  watches  hung  from  his  girdle,  and  a 
splendid  poniard  was  in  his  belt.  Teresa  attered  a  cry  of 
admiration.  Yampa  in  this  attire  resembled  a  painting  by 
Leopold  Robert  or  by  Schnetz.  He  had  assumed  the 
entire  costume  of  Cucumetto.  The  young  man  saw  the 
effect  produced  on  his  betrothed,  and  a  smile  of  pride 
passed  over  his  lips.  '  Now/  he  said  to  Teresa,  '  are  you 
ready  to  share  my  fortune,  whatever  it  may  bel*  'Oh, 
yes!'  exclaimed  the  young  girl,  enthusiastically.  'And 
folio w  me  wherever  I  gol*  *To  the  world's  end.*  *Then 
take  my  arm  and  let  us  go  on  ;  we  bave  no  time  to  lose.' 
The  young  girl  took  her  loveras  arm  without  asking  him 
whither  he  was  conducting  her, — for  he  appeared  to  her  at 
this  moment  as  handsome,  proud,  and  powerful  as  a  god. 
They  went  towards  the  forest  and  soon  entered  it.  AU  the 
paths  of  the  mountain  were  of  course  well  known  to  Yam* 


464  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

pa.  He  therefore  went  forward  without  a  moment's  hés- 
itation, although  there  was  no  beaten  track  ;  but  be  knew 
his  patb  by  looking  at  the  trees  and  bushes,  and  tbus  they 
kept  on  advancing  for  nearly  an  hour  and  a  half.  At  tbe 
end  of  this  time  they  had  reached  the  thickest  of  the  for- 
est.  A  torrent,  whose  bed  was  dry,  led  into  a  deep  goige. 
Vampa  took  this  wild  road,  which,  enclosed  between  two 
ridges  and  shadowed  by  the  tufbed  umbrage  of  the  pines, 
seemed,  but  for  the  difiiculties  of  its  dcscent,  that  path  to 
Avernus  of  which  Virgil  speaks.  Teresa  had  become 
alarmed  at  the  wild  and  deserted  look  of  the  plain  aronnd 
her,  and  pressed  closely  against  her  guide,  not  uttering  a 
syllable  ;  but  as  she  saw  him  advance  with  even  step  and 
composed  countenance^  she  endeavored  to  repress  her  émo- 
tion. Suddenly,  about  ten  paces  from  them,  a  man  ad- 
Tanced  from  behind  a  tree  and  aimed  at  Vampa.  *  Not 
another  step,'  he  said,  *  or  you  are  a  dead  man  1  '  *  What, 
then  !  '  said  Vampa,  raising  his  hand  with  a  gesture  of 
disdain,  while  Teresa,  no  longer  able  to  restrain  her  alarm, 
ching  closely  to  him  ;  '  do  wolves  rend  each  other  )  ' 
'Who  are  you?'  inquired  the  sentinel.  'I  am  Luigi 
Vampa,  shepherd  of  the  farm  of  San  Felice.*  *  What  do 
you  wantî'  *I  would  speak  with  your  companions 
who  are  in  the  recess  at  Rocca  Bianca.'  'Follow  me, 
then,'  said  the  sentinel  ;  '  or  as  you  know  your  way,  go 
first.'  Vampa  smiled  disdainfully  at  this  précaution  of 
the  bandit,  went  before  Teresa,  and  continued  to  advance 
with  the  same  firm  and  easy  step  as  before.  At  the  end^ 
of  ten  minutes  the  bandit  made  them  a  sign  to  stop.  The 
two  young  persons  obeyed.  Then  the  bandit  thrice  imi- 
tated  the  cry  of  a  crow;  a  croak  answered  this  signaL 
*  Gk>od  1  '  said  the  sentry  ;  '  you  may  now  advance.'  Luigi 
and  Teresa  again  set  forward  ;  as  they  advanced,  Teresa 
clung  tremblingly  to  her  lover  as  she  saw  through  the 
tiees  arms  appear  and  the  barrels  of  carbines  shine.     Tha 


1 


ROMAN  BANDITS.  *ôô 

retreat  of  Rocca  Biauca  was  at  the  top  of  a  amall  moui^ 
tain,  which  no  doubt  in  former  days  had  been  a  yolcano^ 
—  a  Yolcano  extinct  before  the  days  when  Remus  and 
Homulus  had  deserted  Alba  to  corne  and  found  the  city 
of  Rome.  Teresa  and  Luigi  reached  the  summit,  and  ail 
at  once  found  themselves  in  the  présence  of  twenty  ban- 
dits. '  Hère  is  a  young  man  who  seeks  and  wishes  to 
speak  to  you/  said  the  sentineL  *  What  has  he  to  say  1  ' 
inquired  the  young  man  who  was  in  command  in  the 
chief  s  absence.  '  I  wish  to  say  that  I  am  tired  of  a  shejv* 
herd's  life/  was  Vampa's  reply.  *  Ah,  I  understand/  said 
the  lieutenanjt  ;  ^and  you  seek  admittance  into  our  ranksT 
*Welcome!'  cried  several  bandits  of  Ferrusino,  Pauipi- 
nara,  and  Anagni,  who  had  recognized  Luigi  Vampa.  *Yes, 
but  I  corne  to  ask  something  more  than  to  be  your  com- 
panion.'  *  And  what  may  that  be  ]  *  inquired  the  bandits, 
with  astonishment.  *  I  come  to  ask  to  be  your  captain,' 
said  the  young  man.  The  bandits  shouted  with  laughter. 
*  And  what  hâve  you  done  to  aspire  to  this  honor  1  '  de- 
manded  the  lieutenant.  *  I  hâve  killed  your  chief,  Cueu- 
metto,  whose  dress  I  now  wear;  and  I  set  fire  to  the 
Villa  de  San  Felice  to  procure  a  wedding-dress  for  m  y 
betrothed.'  An  hour  afberwards  Luigi  Vampa  was  chosen 
captain,  vice  Cucumetto  deceased." 

"  Well,  my  dear  Albert,"  said  Franz,  tumîng  towards 
his  frîends,  "  what  think  you  of  citizen  Luigi  Vampa  ?  " 

*'  I  say  he  is  a  myth,"  replied  Albert,  *'  and  never  had 
an  existence." 

"  And  what  may  a  myth  be  î  "  inquired  Pastrinî. 

"  The  explanation  would  be  too  long,  my  dear  landlor  J,'* 
replied  Franz.  "  And  you  say  that  Maître  Vampa  exer- 
cises his  profession,  at  this  moment  in  the  environs  oi 
Rome  ]  " 

"  Yes,  with  a  boldness  of  which  no  bandit  before  hiu' 
ever  gave  an  example." 

VOU  I.  —  30 


466  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

"  Then  the  police  hâve  vainly  tried  to  lay  hands  on 
himî'' 

**  Why,  you  soBi  lie  has  a  good  understanding  witL  the 
shepherds  in  the  plains,^  the  fishermen  of  the  Tiher^  «nd 
the  smogglers  of  the  coast.  They  eeek  for  him  in  the 
monutainsy  and  he  is  on  the  waters  ;  they  follow  him  on 
the  waterSi  and  he  is  on  the  open  sea.  Then  they  pursae 
him,  and  he  has  suddenly  taken  refuge  in  the  Isle  of  Giglio, 
of  Guanouti,  or  Monte  Cristo  ;  and  when  they  hunt  for 
him  there,  he  reappears  suddenly  at  Albano,  Tivoli,  or 
La  Riccia." 

'^  And  how  does  he  behave  towards  travellpTS  %  " 

*'  Alas  I  his  plan  is  very  simple.  It  dépends  on  the 
distance  he  may  be  from  the  city  whether  he  gives  eight 
hours,  twelve  honrs,  or  a  day  wherein  to  pay  their  ransom  ; 
and  when  that  time  has  elapsed  he  allows  another  hour's 
grâce.  At  the  sixtieth  minute  of  this  hour,  if  the  money 
is  not  forthcoming  he  blowa  out  the  prisoner's  brains  with 
a  pistol-shot,  or  plants  his  dagger  in  his  heart,  and  that 
settles  the  account." 

"  Well,  Albert,"  inquired  Franz  of  his  companion,  "are 
you  still  disposed  to  go  to  the  Golosseum  by  the  outei 
boulevaidsl" 

**  Certainly/*  said  Albert,  "if  the  way  be  pîcturesque.^ 

The  clock  struck  nine  as  the  door  opened,  and  a  coach- 
man  appeared.  " Excellencies,"  said  he,  "the  coach  is 
ready." 

"  Well,  then,"  said  Franz,  "  let  us  to  the  Golosseum." 

"By  the  Porta  del  Popolo,  or  by  the  streets,  youx 
Excellencies  1  *' 

"  By  the  streets,  morbleu  t  by  the  streets  !  **  cried  Franz. 

"  Ah,  my  dear  fellow,"  said  Albert,  rising  and  lighting 
his  third  cigar,  "really,  I  thought.you  had  more  courage." 
So  saying,  the  two  young  men  went  down  the  staircase^ 
and  got  into  the  carriage» 


Mî 


CHAPTER  XXXIV. 


Franc  had  ao  appointed  bû  route  tlifti  dnring  the  lida  to 
the  Golosaeaiii  they  |wi— fd  oot  a  am^^  andent  rain  ;  80 
that  no  graduai  piepanlicHi  waa  made  on  ihe  mind  fiir  the 
colossal  proportîona  of  the  gigantifi  building  tbey  came  to 
admiie.  The  road  aeJected  waa  a  oontînuatton  of  ihe  Via 
Sistina  ;  then,  by  cotting  oflF  the  light  an^  of  the  stieet 
in  which  standa  Santa  Maria  Maggioiey  and  proœeding  by 
the  Via  Urbana  and  San  Pietro  in  Yinooli,  the  tiaveileia 
would  find  themselvea  diiectly  oppoeite  the  Colosseam* 
Thîs  itinerary  poasesaed  another  gieat  advantage^ — thaï 
of  leaving  Franz  at  fîill  liberty  to  indolge  hia  deep  xevery 
upon  the  subject  of  the  story  lecotmted  by  Maître  Pftstrini» 
lu  which  his  mysterions  host  of  the  Isle  of  Monte  Oisto 
was  80  strangely  mixed  np.  Seated  with  folded  arma  in 
a  corner  of  the  carriage,  he  continued  to  ponder  over  the 
singular  history  he  had  so  hitely  listened  to,  and  to  ask 
himself  an  interminable  number  of  questions  touching  ita 
varions  circnmstances,  without,  however,  arriving  at  a 
satisfactory  reply  to  any  of  them,  One  fact  more  than 
the  rest  brought  his  friend  "  Sinbad  the  Sailor  *'  back  to 
hia  recoUection,  and  that  was  the  mysterious  sort  of  iuti- 


■* 


f .    ■* 


468  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

macj  tbat  seemed  to  exist  between  the  brigands  and  tbe 
sailors  ;  and  Pastrini's  account  of  Yampa's  baving  found 
refuge  on  board  tbe  vessels  oi  smugglers  and  fisbermen, 
reminded  Fianz  of  tbe  two  Corsican  bandits  be  bad  found 
supping  80  amîcably  witb  tbe  crew  of  tbe  little  yacbt,  wbich 
bad  even  deviated  from  its  course  and  toucbed  at  Porto 
Veccbio  for  tbe  sole  purpose  of  landing  tbem.  Tbe  very 
name  assumed  by  bis  bost  of  Monte  Cristo,  and  repeated 
by  tbe  landlord  of  tbe  Hôtel  de  Londres,  proved  to  bim 
tbat  ^is  îsland  friend  was  playing  tbe  same  pbilantbropic 
paiii  on  tbe  sbores  of  Piombino,  Civita  Yeccbia,  Ostia,  and 
Gaeta,  as  on  tbose  of  Corsica,  Tuscany,  and  Spain  ;  and  fur- 
tber,  Franz  remembei'ed  tbat  be  bad  sppken  of  Tunis  and 
Palermo,  wbicb  sbowed  bow  far  bis  circle  of  acquaintances 
extended. 

But  bowever  tbe  mind  of  tbe  young  man  migbt  be  ab- 
sorbed  in  tbese  reflections,  tbey  wera  at  once  dispersed  at 
tbe  sigbt  of  tbe  dark  frowning  ruins  of  tbe  stupendons 
Colosseum,  tbrougb  tbe  varions  opeiiings  of  wbicb  tbe 
pale  nioonligbt  played  and  flickered  Uke  tbe  uneartbly 
gleam  from  tbe  eyes  of  tbe  wandering  dead.  Tbe  carriage 
stopped  near  tbe  Mesa  Sudans;  tbe  door  was  opened;  and 
tbe  young  men,  eagerly  aligbting,  found  tbemselves  oppo- 
site a  dcerone,  wbo  appeared  to  bave  sprung  up  from  tbe 
ground. 

Tbe  usual  guide  from  tbe  botel  baving  followed  tbem, 
tbey  bad  two  of  tbem  ;  nor  is  it  possible  at  Rome  to  avoid 
tbis  superfluity  of  guides.  Besides  tbe  ordinary  dcerone 
wbo  seizes  upon  you  wben  you  set  foot  in  your  botel  and 
never  quits  you  wbile  you  remain  in  tbe  city,  tbere  is  also 
a  spécial  dcerone  belonging  to  eacb  monument, — nay, 
almost  to  eacb  part  of  a  monument.  It  may  tberefore 
be  easily  imagiued  tbat  tbere  is  no  scarcity  of  guides  at 
tbe  Colosseum,  —  tbat  wonder  of  ail  âges,  whicb  Martial 


AN  APPARITION.  469 

thu8  eiilogîzes  :  "  Let  Memphis  cease  to  boast  the  barbar- 
0U8  miracles  of  her  pyramids,  and  let  the  wonders  of 
Babylon  be  talked  of  no  more  among  us  ;  ail  other  works 
must  give  place  to  the  immense  amphithéâtre  of  the 
Cœsars,  and  ail  voices  of  Famé  shoold  unité  to  celebrato 
that  monument." 

As  for  Albert  and  Franz,  they  essayed  not  to  escape 
from  their  ciceronian  tyrants  ;  and  indeed  it  would  hâve 
been  especially  diffîcult  to  do  so,  since  the  guides  alone 
are  permitted  to  visit  thèse  monuments  with  torches  in 
their  hands.  The  young  men  made  no  résistance,  but 
surrendered  themselves  unreservedly  to  their  conductors. 
Fraûz  had  already  made  ten  similar  excursions  to  the 
Colosseum,  while  his  companion  trod  for  the  first  time 
the  classic  mémorial  of  Flavius  Yespasian;  and  to  his 
crédit  be  it  spoken,  his  mind,  even  amid  the  glib  loquacity 
of  the  guides,  was  strongly  impréssed.  In  fact,  without 
seeing  it  no  one  can  form  any  idea  of  the  majesty  of  such 
a  ruin,  ail  whose  proportions  appear  twice  as  large  in  the 
mysteriuus  light  of  that  southern  moon,  whose  rays  hâve 
the  effect  of  a  twilight  in  the  east.  Scarcely  therefore 
had  the  reflective  Franz  walked  a  hundred  steps  beneath 
the  interior  porticos  of  the  ruin,  when  abandcning  Albert 
to  the  guides,  who  would  by  no  means  yield  their  pre- 
scriptive  right  to  exhibit  to  him  the  Den  of  lions,  the 
Gladiators'  Chamber,  and  the  Gallery  of  the  Cœsars,  he 
ascended  a  dilapidated  staircase,  and  leaving  them  to  their 
prescribed  course  of  sight-seeing,  went  quietly  to  sit  in 
the  shadow  of  a  column  and  opposite  a  large  chasm, 
which  permitted  him  to  enjoy  a  full  and  undisturbed 
view  of  the  gigantic  dimensions  of  this  majestic  ruin. 

Franz  had  remained  nearly  a  quartér  of  an  hour  hidden 
by  the  shadow  of  a  coluq^n,  whence  his  eyôs  foUowed  the 
motions  of  Albert  and  his  guides,  who,  holding  torches  in 


470  THE  COUNT  Oy  MONTE  CRISTO. 

their  hands,  had  emerged  from  a  vomitarium  placed  at  the 
opposite  extremity  of  the  Colosseum,  and  then  again  dis* 
appeared  dowu  the  steps  conducting  to  the  seats  reserved 
for  the  Yestal  Yirgins,  resembling,  as  they  glided  along, 
some  lestless  shades  foUowing  the  flickering  glare  of  so 
many  ignes-fatoi,  when  ail  at  once  his  ear  caaght  a  sound 
resembling  that  of  a  stoue  roUing  down  the  staircase  op- 
posite the  one  by  vhich  he  had  himself  ascended.  There 
was  nothing  remarkable  in  the  circumstauce  of  a  pièce  of 
granité  giving  way  and  falling  heavily  below  ;  bat  it  seemed 
to  him  that  the  substance  that  fell  gave  way  beneath  the 
pressure  of  a  foot,  and  also  that  some  one  who  endeavored 
as  much  as  possible  to  prevent  his  footsteps  from  being 
heard,  was  approaching  the  spot  where  he  sat.  Conjecture 
soon  became  certainty,  —  for  the  figure  of  a  man  appeared, 
gradually  emerging  from  the  darkness  as  he  ascended  the 
staircase,  the  summit  of  which  was  lighted  by  the  moon, 
while  its  steps  descended  into  obscurity.  He  might  be  a 
traveller  who  like  Franz  preferred  the  enjoyment  of  soli- 
tude and  his  own  thoughts  to  the  frivolous  gabble  of  the 
guides, — so  that  his  appearance  there  was  not  surprising; 
but  the  hésitation  with  which  he  proceeded  onwards,  stop- 
ping  and  listening  with  anxious  attention  at  every  step  he 
took,  convinced  Franz  that  he  had  corne  with  a  definite 
purpose,  and  that  he  was  expecting  some  one.  By  an 
instinctive  impulse  Franz  withdrew  as  much  as  possible 
behind  his  pillar.  Âbout  ten  feet  from  the  spot  where 
himself  and  the  stranger  were  placed,  the  loof  had  given 
way,  leaving  a  large  round  aperture  through  which  might 
be  seen  the  blue  vault  of  heaven  thickly  studded  with 
stars.  Around  thîs  opening,  which  had  possibly  for  âges 
permitted  a  free  outrance  to  the  moonlight,  grew  a  quanti  ty 
of  cieeping  plants,  whose  délicate  green  branches  stood  out 
in  bold  relief  against  the  clear  azuie  of  the  firmament^ 


AN  APPARITION.  471 

VrliU»  large  masses  of  thick  strong  fibrons  shoots  forced 
tbdb  way  through  the  chasm  and  hung  floating  to  and  fro 
likd  80  many  waving  strings.  The  person  whose  mysteri- 
ous  arrivai  had  attracted  the  attention  of  Franz  stood  in  a 
kind  of  haK-light  that  rendered  it  impossible  to  distinguish 
his  features,  although  his  dress  was  easily  made  out.  He 
wore  a  large  brown  mantle^  one  fold  of  which  thrown  over 
his  left  shoulder  served  likewise  to  mask  the  lower  part  of 
his  couutenance,  while  the  upper  part  was  completely 
hidden  by  his  broad-brimmed  hat.  The  lower  part  of  his 
dress  was  more  distinctly  visible  by  the  bright  rays  of  the 
moon,  which  entering  through  the  broken  ceiling  showed 
that  he  wore  boots  of  polished  leather,  over  which  de- 
scended  trousers  of  black  cloth.  Evidently  he  belouged 
to  high  Society,  if  not  to  the  aristocracy. 

After  a  few  moments  the  stranger  began  to  show  signs 
of  impatience,  when  a  slight  noise  was  heard  outside  the 
aperture  in  the  roof,  and  almost  immediately  a  dark  shadow 
seemed  to  obstruct  the  light,  and  the  figure  of  a  man  was 
clearly  seen  gazing  with  eager  scrutmy  on  the  immense 
space  beneath  him  ;  then,  as  he  perceived  the  man  in  the 
mantle^  he  grasped  a  floating  mass  of  thickly-matted  boughs 
and  glided  down  by  their  help  to  within  three  or  four  feet  of 
the  ground,  and  then  leaped  lightly  on  his  feet.  He  wore 
the  costume  of  a  Ti-ansteverian. 

*^  I  beg  your  Excellency's  pardon  for  keeping  you  waît- 
îng,"  said  the  man,  in  the  Roman  dialect  ;  "  but  I  don't 
think  I  *m  many  minutes  after  my  time.  Ten  o'clock  has 
just  struck  by  the  clock  of  St  Jean  de  Latran.** 

"  Say  not  a  word  about  being  late,"  replied  the  stranger, 
in  purest  Tuscan  ;  "  't  is  I  who  am  too  soon.  But  even  if 
you  had  caused  me  to  wait  a  little  while,  I  should  hâve 
felt  quite  sure  th^t  the  delay  was  not  occasioned  by  any 
faolt  of  yours." 


472  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

**  Tour  Ezcellency  is  right,"  said  the  man  ;  "  I  cama 
hère  direct  from  the  Château  St.  Ange,  and  I  had  an  im- 
mense deal  of  trouble  before  I  could  get  to  speak  to 
Beppo." 

"  And  who  is  Beppo  î** 

''  Oh,  Beppo  is  employed  in  the  prison  ;  and  I  give  him 
80  much  a  year  to  let  me  know  what  is  going  on  within 
his  Holiness's  château/' 

"  Indeed  1    You  are  a  provident  person,  I  see." 

''Why,  you  see,  no  one  knows  what  may  happen. 
Perhaps  some  of  thèse  days  I  may  be  eutrapped  like  poor 
Peppinoy  and  may  be  very  glad  to  bave  some  little  nibbling 
mouse  to  gnaw  the  meshes  of  my  net." 

"  Briefly,  what  did  you  leam  î  *• 

'*  That  two  exécutions  of  considérable  interest  will  take 
place  on  Tuesday^  at  two  o'clock,  as  is  customary  at  Eome 
at  the  commencement  of  ail  great  festivals.  One  of  the 
culprits  will  be  mazzolcUo;  he  is  an  atrocious  yillain^ 
who  murdered  the  priest  who  brought  him  up,  and  de- 
serves  not  the  smaUèst  pity.  The  other  sufferer  is  sen- 
tenced  to  be  decapitato  ;  and  he,  your  Excellencyi  is  poor 
Peppino.'* 

*'  What  can  you  expect  1  Tou  hâve  inspired  not  only 
the  pontifical  Grovernment,  but  also  the  neigbboring  States, 
witb  such  fear  that  they  are  glad  of  an  opportunity  to 
make  an  example." 

''But  Peppino  did  not  even  belong  to  my  band;  he 
was  merely  a  poor  shepherd,  whose  only  crime  consisted 
in  furnishing  us  with  provisions." 

''  Which  makes  him  your  accomplice  to  ail  intenta  and 
purposes.  But  mark  the  distinction  with  which  he  is 
treated  :  instead  of  being  knocked  on  the  head  as  you 
would  be  if  once  they  caught  hold  of  you,  he  is  simpiy 
sentenced  to  be  guillotiued.     In  that  way  the  amusements 


AN  APPARITION,  473 

of  the  day  are  diversified,  and  there  is  a  spectacle  to  pleaae 
every  spectator.** 

''Without  leckoningthe  wholly  unexpected  one  I  am 
pi^eparing  to  surprise  them  with." 

<<My  good  friend,"  said  the  man  in  the  cloak,  '^  excuse 
me  for  saying  that  you  seem  to  me  precisely  in  the  mood 
to  commit  some  act  of  folly." 

''I  am  in  the  mood  to  prevent  the  exécution  of  the 
poor  devil  who  has  got  into  this  scrape  solely  through 
having  served  me.  By  the  Madonna  !  I  should  despise 
myself  as  a  coward  did  I  désert  the  brave  fellow  in  his 
présent  extremity." 

•'  And  what  do  you  mean  to  dol" 

**  To  surround  the  scaffold  with  twenty  of  my  best  men, 
who  at  a  signal  Irom  me  will  rush  forward  when  Peppino 
is  brought  for  exécution,  and  by  the  assistance  of  their  sti- 
lettos  drive  back  the  guard  and  carry  off  the  prisoner.'* 

''That  seeros  to  me  as  hazardous  as  uncertain,  and  I  am 
quîte  sure  that  my  scheme  is  far  better  than  yours." 

"And  what  is  your  Excellenc/s  projectl* 

"  Just  this  :  I  will  so  advantageously  bestow  ten  thou- 
sand  piastres  that  the  person  receiving  them  shall  obtain 
a  respite  till  next  year  for  Peppino  ;  and  during  that  year 
I  will  so  bestow  one  thousand  additional  piastres  that  he 
will  escape  from  prison.^ 

*' And  do  you  feel  sure  of  succeedingî'* 

"  Pardieu  /  "  exclaimed  in  French  the  man  in  tha 
cloak. 

"What  did  your  Excellency  sayt"  înquired  the  other. 

"  I  say,  my  good  fellow,  that  I  will  do  more  single* 
handed  with  my  gold  than  you  and  ail  your  band  could 
effect  with  stilettos,  pistols,  carbines,  and  blunderbusses 
included.  Leave  me,  then,  to  act^  and  hâve  no  fears  for 
tbe  result.** 


474  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

**  Very  good  !  but  if  you  faU,  we  shall  be  ready." 

"  Take  what  précautions  you  please,  but  rely  upou  my 
obtaining  the  reprieve." 

"  Remember  the  exécution  is  fixed  for  the  day  after  to- 
morrow,  and  that  you  hâve  but  one  day  to  work  in." 

"And  what  then?  Is  not  a  day  divided  into  twenty- 
fouT  hours,  each  hour  into  sixty  minutes,  aud  every  min- 
ute subdivided  into  sixty  seconds  1  Now,  in  86,400 
seconds  very  many  things  can  be  done," 

"  And  how  shall  I  know  whether  your  Excellency  has 
succeeded  or  notî" 

"  Oh  !  that  is  very  easily  arranged.  I  hâve  engagea  the 
three  lower  Windows  at  the  Café  Hospoli  ;  should  I  hâve 
obtained  the  requisite  pardon  for  Peppino,  the  two  outside 
Windows  will  be  hung  with  yellow  damask,  and  the  centre 
with  white  having  a  lai^e  cross  in  red  marked  on  it." 

"  And  whom  will  you  employ  to  carry  the  reprieve  to 
the  ofl&cer  directing  the  exécution?" 

**  Send  one  of  your  men  disguised  as  a  pénitent  friar, 
and  I  will  give  it  to  him  ;  in  that  dress  he  can  approach 
the  scaffold  îtself  and  deliver  the  officiai  order  to  the  ofii- 
cer  who  in  his  tum  will  hand  it  to  the  executioner.  lu 
the  mean  time,  acquaint  Peppino  with  what  we  hâve  de- 
terniined  on,  to  prevent  his  dying  of  fear  or  losing  his 
sensés;  in  either  case  a  useless  expense  will  hâve  been 
incurred  for  him." 

"Your  Excellency,"  saîd  the  man,  "you  are  fuUy  per- 
suaded  of  my  entire  dévotion  to  you,  are  you  not  î  " 

"Nay,  I  flatter  myself  that  there  can  be  no  doubt  of 
It,"  replied  the  cavalier  in  the  cloak. 

"Well,  then,  if  you  save  Peppino,  henceforward  you 
shall  reçoive  not  only  devotedness,  but  obédience." 

"  Hâve  a  care  how  far  you  pledge  yourself,  my  good 
friend,  for  I  may  remind  you  of  your  promise  at  some  per 


AN  APPARITION.  47Ô 

haps  iiot  veiy  distant  period,  when  I,  in  my  tnni,  may 
require  your  aid  and  influence." 

''Let  that  day  oome  sooner  or  later,  your  Excellency 
will  find  me  what  I  bave  found  you  in  this  my  heavy 
trouble  ;  and  if  irom  the  other  end  of  the  world  you  but 
Write  me  word  to  do  sucb  or  such  a  thiug,  oonclude  it 
done»  for  done  it  sball  be,  on  tbe  word  and  fskitb  of  —  " 

*'  Uusb  1  "  interrupted  the  étranger  ;  ''  I  bear  a  noise." 

'"Tis  8ome  travellers  wbo  are  visiting  the  Colosseum 
by  torchlight." 

*'  *T  were  better  we  should  not  be  seen  together.  Those 
guides  are  nothing  but  spies,  and  might  possibly  recognize 
you  ;  and  bowever  I  may  be  honored  by  your  friendship, 
my  worthy  friend,  if  once  the  extent  of  our  intimacy 
were  known,  I  am  afraid  my  réputation  would  sujSer 
tbereby.'* 

"  Well,  then,  if  you  obtain  the  reprieve  î  " 

"  The  middle  window  at  the  Café  Rospoli  will  be  hung 
with  white  damask  bearing  on  it  a  red  cross." 

«And  if  you  feill" 

"  Then  ail  three  Windows  will  hâve  yellow  draperies." 

«  And  then  î  " 

"And  then,  my  good  fellow,  use  your  daggers  in  any 
way  you  please  ;  and  I  further  promise  you  to  be  there  as 
a  spectator  of  your  prowess." 

''AU  is  then  understood  between  us.  Adieu,  your 
Çxcellency;  dépend  upon  me  as  firmly  as  I  do  upon 
you." 

Saying  thèse  words,  the  Transteverian  disappeared 
down  the  staircase;  while  bis  companion,  muffling  his 
features  more  closely  than  before  in  the  folds  of  his 
mantle,  passed  almost  close  to  Franz,  and  descended  to 
the  arena  by  an  outward  flight  of  steps.  The  next  min- 
ute Franz  heard  himself  called  by  Albert,  who  made  the 


476  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

lofty  building  le-echo  with  the  sound  of  his  fnend's  namei 
Franz,  however,  did  not  obey  the  summons  till  he  had 
eatisfied  himself  the  two  men  had  goue,  —  not  wishing 
them  to  leam  that  theie  had  been  a  Mritness  of  theîr  in- 
terview Vfho,  if  unable  to  recognize  their  faces,  had  at 
least  heard  every  word  that  passed.  Ten  minutes  later 
Franz  was  on  the  road  to  the  Hôtel  d'Espagne,  listening 
Mrith  indifférence  to  the  learned  dissertation  delivered  hj 
Albert,  after  the  manner  of  Fliny  and  Calpurnius,  touch- 
ing  the  iron-pointed  nets  used  to  prevent  the  ferocious 
beasts  from  springing  on  the  spectators.  Franz  let  him 
proceed  without  interruption  ;  he  longed  to  be  alone  that 
he  might  without  interruption  ponder  over  ail  that  had 
occurred.  One  of  those  two  men  was  an  entire  stranger 
to  him,  but  not  so  the  other  ;  and  though  Franz  had  been 
unable  to  distinguish  his  features,  wrapped  in  liis  mantle 
or  obscured  by  the  shadow,  the  tones  of  his  voice  had 
made  too  powerful  an  impression  on  him  the  first  time 
he  heard  them  for  him  ever  to  forget  them.  There  was 
especially  in  his  tones  of  raillery  a  certain  metallio  vibra- 
tion which  had  startled  him  among  tho  ruins  of  the  Colos- 
seum  as  in  the  grotto  of  Monte  Cristo.  He  was  therefore 
well  satisfied  that  this  man  was  no  other  than  "  Sinbad 
the  Sailor." 

Kow,  under  any  other  ciicumstances,  so  great  was  his 
curiosity  about  this  strange  being,  Franz  would  hâve  made 
himself  known  to  him  ;  but  in  the  présent  instance,  t^ye 
confidential  nature  of  the  conversation  he  had  overheard 
suggested  to  him  the  reasonable  appréhension  that  his  ap^ 
peaAince  at  such  a  time  would  be  anything  but  agreeable. 
As  we  hâve  seen,  therefore,  he  had  allowed  the  man  to  de- 
part  without  addressing  him,  —  promising  himself  that  if 
he  should  meet  him  again  he  would  not  allow  him  to  es- 
cape  a  second  time.     In  vain  did  Franz  endeavor  to  forget 


/ 


y 


AN  APPARITION,  477 

the  man j  perplexing  thoughts  which  assailed  him  ;  in  yain 
<did  he  court  the  refreshment  of  sleep.  Slumber  refused 
to  Yisit  his  eyelids,  and  his  nîght  was  passed  in  feverish 
contemplation  of  the  chain  of  circumstances  tendiug  to 
prove  the  identity  of  the  mysterious  visitant  to  the  Golos- 
seum  and  the  inhabitant  of  the  grotto  of  Monte  Cristo  ; 
and  the  more  he  thought,  the  firmer  grew  his  opinion  on 
the  subject.  Worn  out  at  length,  he  fell  asleep  at  day- 
break  and  did  not  awake  till  late.  Like  a  genuine  French- 
man,  Albert  had  employed  his  time  in  arranging  for  the 
eveniug's  diversion,  He  had  sent  to  engage  a  box  at  the 
Teatro  Argentino  ;  and  Franz,  having  a  number  of  letters 
to  write^  relinquished  the  carriage  to  Albert  for  the  whole 
of  the  day.  At  five  o'clock  Albert  returned  ;  he  had  de- 
livered  his  letters  of  introduction,  had  received  invitations 
for  ail  his  evenings,  and  had  seen  Rome.  A  day  had  suf- 
fi ced  Albert  for  ail  that  ;  and  he  had  also  had  time  enough 
to  ascertain  the  name  of  the  pièce  to  be  played  that  night 
at  the  Teatro  Argentino,  and  also  what  performers  appeared 
in  it. 

The  opéra  of  "  Farisina  "  was  announced  for  représen- 
tation, and  the  principal  actors  were  Coselli,  Moriani, 
and  La  Spech.  The  young  men  had  reason  to  con- 
sider  themselves  fortunate  in  having  the  opportunity  of 
hearing  one  of  the  best  works  by  the  composer  of  "  Lucia 
di  Lammermoor,"  supported  by  three  of  the  most  renowned 
vocalists  of  Italy.  Albert  had  never  been  able  to  endure 
the  Italian  théâtres,  which  hâve  orchestras  from  which  it 
is  impossible  to  see,  and  no  balconies  or  open  boxes  ;  {hese 
defects  pressed  hard  on  a  man  who  had  his  stall  at  the 
Bouffes,  and  his  share  in  the  omnibus-box  at  the  opéra. 
Nevertheless,  Albert  displayed  his  most  dazzling  and  effec- 
tive costume  whenever  he  visited  the  théâtres.  It  was 
wasted  splendor,  —  for  it  must  be  confessed  that  one  of  the 


\ 


\ 


478'  THE   COUNT  OF   MONTE  CRISTO. 

most  worthy  représentatives  of  Parisian  fashion  had  oTe^ 
run  Italjc  for  four  months  without  meeting  with  a  single 
adventure. 

Sometimcs  Albert  would  affect  to  make  a  joke  of  his 
want  of  success,  but  intemally  he  was  deeply  mortified 
tbat  be,  Albert  de  Morcerf,  one  of  tbe  young  men  most 
sougbt  after,  sbould  still  bave  only  bis  labor  for  bis  pains. 
And  tbe  tbing  was  tbe  more  annoying  because  witb  tbe 
cbaracteristic  modesty  of  a  Freucbman,  Albert  bad  quitted 
Paris  vritb  tbe  fuU  conviction  tbat  be  bad  only  to  sbow 
bimself  in  Ttaly  to  carry  ail  before  bim,  and  tbat  upon  bis 
return  be  sbould  astonisb  tbe  Parisian  world  witb  tbe  ré- 
cital of  bis  numerous  love  affairs.  Alas  !  none  of  tbose 
interesting  adventures  fell  in  bis  way,  Tbe  lovely  coun- 
tesses  — Genoese,  Florentine,  and  Xeapolitan — were  ail 
faitbfuly  if  not  to  tbeir  busbands,  at  least  to  tbeir  loyers  ^ 
and  Albert  bad  gained  tbe  pain  fui  conviction  tbat  tbç 
women  of  Italy  bave  at  least  tbis  advantage  over  tbose  o! 
France,  tbat  tbey  are  faitbful  to  tbeir  infidelity.  I  would 
not  venture  to  deny  tbat  in  Italy,  as  everywbere  else,  tbere 
are  exceptions.  Albert,  besides  being  an  élégant,  well- 
looking  young  man,  was  also  possessed  of  considérable 
talent  and  ability  ;  moreover,  be  was  a  viscount,  —  a  re- 
cently  created  one,  certainly,  but  in  tbe  présent  day  it  is 
of  no  conséquence  wbctber  one  dates  from  1399'orfrom 
1815.  But  to  crown  ail  tbese  advantages,  Albert  de 
Morcerf  commanded  an  income  of  fifty  tbousand  livres,  a 
more  tban  sufficient  sum  to  render  bim  a  personage  of  con- 
sidérable importance  in  Paris.  It  was  tberefore  no  small 
mortification  to  bim  not  to  bave  been  seriously  regarded 
by  any  one  in  any  of  tbe  cities  wbicb  be  bad  visited.  He 
boDed,  however,  to  recover  bimself  at  Rome,  — tbe  Garni  val 
V^ing,  in  ail  tbe  countries  of  tbe  eartb  wbicb  celebrate 
tbat  excellent  institution,  a  period  of  liberty  in  wbicb  even 


/ 


AN  APPABITION.  479 

the  wisest  and  gravest  tlirow  off  tbe  usual  rigidity  of 
their  lives,  and  suifer  themselves  to  be  drawn  into  acts 
uf  foUy. 

The  Carnival  was  to  commence  on  the  morrow  ;  there- 
foie  Albert  bad  not  an  instaui  to  lose  in  setting  fortb  the 
programme  of  bis  hopes,  expectations,  and  claims  to  notice. 
With  this  design  be  bad  engaged  a  box  in  the  most  con- 
fipicuous  part  of  tbe  théâtre,  and  exerted  bimself  to  set  ol! 
bis  Personal  attractions  bj  tbe  aid  of  an  elaborate  toilet 
Tbe  box  taken  by  Albert  was  in  tbe  iirst  circle,  wbich  with 
us  is  tbe  gallery.  Tbe  first  three  tiers  of  boxes  are  equally 
aristocratie,  and  are  called  for  that  reason  *'  tbe  boxes  of 
the  noBility."  The  box  engaged,  wbich  would  contain  a 
dozen  persons  easily,  bad  cost  the  two  friends  a-little  less 
tban  a  box  for  four  would  cost  at  tbe  Ambigu.  Albert 
had  still  another  hope.  If  be  could  engage  the  affection 
of  some  fair  Eoman,  tbat  would  lead  naturally  to  a  seat  in 
a  carnage,  or  a  place  in  a  princely  balcony  from  wbich  be 
might  behold  the  gayeties  of  tbe  Carnival.  Thèse  united 
considérations  made  Albert  more  lively  and  apxious  to 
please  tban  be  bad  bitherto  been.  Totally  disregarding 
the  business  of  the  stage,  be  leaned  from  bis  box  and 
began  attentively  scrutinizing  the  beauty  of  each  pretty 
woman,  aided  by  a  powerful  lorgnette.  But  alas  1  this  at- 
tempt  to  attract  similar  notice  wbolly  failed,  —  not  even 
curiosity  bad  been  excited  ;  and  it  was  but  too  apparent 
tbat  tbe  lovely  créatures  into  wbose  good  grâces  be  was 
désirons  of  stealing  were  ail  so  much  engrossed  with 
themselves,  their  levers,  or  their  own  thoughts,  that  they 
bad  not  so  much  as  remarked  bim  or  tbe  pointing  of 
bis  glass. 

The  truth  was  tbat  tbe  anticipated  pleasures  of  tlie 
Carnival.  with  tbe  "  Holy  Week  "  tbat  was  to  succeed  it, 
Bo  fiUed  evcry  fair  breast  as  to  prevent  tbe  least  attention 


\ 


480  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

being  bestowed  even  on  the  business  of  the  stage;  the 
actors  niade  their  entries  and  exits  unobserved  or  un- 
thought  ofl  At  certain  conventional  moments  the  specta- 
tors  would  suddenly  cease  their  conversation,  or  rouse 
tliemselves  fiom  their  musings  to  listen  to  some  brilliant 
effort  of  Moriani*s,  a  well-executed  recitative  by  Coselli* 
or  to  join  in  loud  applause  at  the  wonderful  powers  of  La 
Spedh  ;  but  that  momentary  excitement  over,  they  quickly 
relapsed  into  their  former  state  of  préoccupation  or  inter- 
esting  conversation.  Towards  the  close  of  the  first  act 
the  door  of  a  box  whicb  had  been  hitherto  vacant  was 
opened  ;  a  lady  entered  to  whom  Franz  had  been  intro- 
duced  in  Paris,  where  indeed  he  had  imagined  She  still 
was.  The  quick  eye  of  Albert  caught  the  involuntary 
Rtart  with  which  bis  friend  beheld  the  new  arrivai, 
and  turning  to  him,  he  said  hastily,  **  Do  you  know  that 
woman  1  " 

"  Yes  ;  what  do  yxju  thînk  of  her  1  *' 

"  She  is  supremely  beautiful  ;  what  a  complexion  1 
And  such  magnificent  hair  I    Is  she  French  f 

"No ;  a  Venetian." 

"  And  her  name  is —  '* 

«  Comtesse  G " 

"Ah  !  I  know  her  by  name,"  exckimed  Albert  ;  **  she 
is  said  to  possess  as  much  wit  and  cleverness  as  beauty  ! 
Ah  1  when  I  think  that  I  might  hâve  been  presented  to 
her  at  the  last  bail  of  Madame  de  Yillefort,  where  she  was 
présent,  and  neglected  the  opportunity,  —  what  a  ninny 
I  was  I  " 

''Shall  I  assist  you  in  repairing  your  négligence  1  ** 
asked  Franz. 

"  My  dear  fellow,  are  you  really  on  such  good  terms 
with  her  as  to  venture  to  take  me  to  her  boxt" 

**Why,  I  bave  had  the  honor  of  speaking  to  be^ 


AN  APPARITION.  481 

tbiee  or  four  tîmes  in  my  life  ;  but  you  know  tbat  even 
8ucb  an  acquaintance  as  tbat  migbt  warrant  my  doing 
wbat  you  ask." 

At  tbis  instant  tbe  oountess  perceived  Franz  and 
graciously  waved  ber  band  to  bim^  to  wbicb  be  replied 
by  a  Tespectfîil  inclination  of  tbe  bead. 

''Upon  my  word,"  said  Albert,  "you  seem  to  be  on 
excellent  terms  witb  tbe  beautiful  countess  !  " 

''Tou  are  mistaken  in  tbiuking  so/'  retumed  Franz, 
calmly  ;  "  but  you  fall  into  tbe  same  error  wbicb  leads  so 
many  of  our  countrymen  to  commit  tbe  most  egregious 
blunders,  —  I  mean  tbat  of  judging  tbe  babits  and  customs 
of  Italy  and  Spain  by  our  Parisian  notions.  Believe  me, 
notbing  is  more  fallacious  than  to  form  an  estimate  of  tbe 
degree  of  intimacy  existing  among  persons  by  tbe  &miliar 
manner  of  their  intercourse  ;  tbere  is  a  similarity  of  feel- 
ing  at  tbis  instant  between  ourselves  and  tbe  countess,  — 
notbing  more." 

**  Is  tbere,  iudeed,  my  good  fellow  t  Piay  tell  me,  ia  it 
aympatby  of  heart  1  " 

''  No  ;  of  taste  !  "  continued  Franz,  grayely* 

**  And  wbat  is  tbe  cause  of  it  1  " 

''  A  visit  to  tbe  Colosseum,  like  tbat  wbiob  we  made 
togetlier." 

'*  By  moonligbt  1  '• 

"  Yes." 

"  Alone  î  •• 

*'  Very  nearly  so.** 

"Andyoutalkedof— " 

"  The  dead." 

"  Ab  I  "  cried  Albert,  *^  tbat  must  bave  been  exhilar 
lating.  Well,  I  promise  you  tbat  if  I  bave  tbe  good 
fortune  to  attend  tbe  beautiful  countess  on  sucb  a  prome- 
nade, I  sball  talk  to  ber  of  tbe  living." 

VOL..  I.  —  31 


482  THE  COCNT  OF  MONTE  CRISTa 

*^  And  yoa  will  make  a  mîstake,* 

^  In  the  mean  time  jou  will  présent  me  to  her>  as  7011 
hâve  piomisedi" 

**  As  soon  as  the  cortain  faUs."* 

**  The  first  act  is  devilishly  long." 

"Hear  the  end;  it  is  very  fine,  and  CoseUi  sipga 
admirahly." 

"  Yes  ;  but  what  a  figure  !  ** 

^'La  Spech,  then;  it  is  impossible  to  be  more 
dramatic." 

**  But  you  must  imderstand  that  when  one  has  heard 
Sontag  and  Malibran — " 

''At  least  you  must  admire  ^[oriani*s  style  and 
exécution/' 

^  I  never  fancied  men  of  his  dark,  pondérons  appear* 
ance  singing  with  a  voice  like  a  vromanV 

"My  good  friand,"  said  Franz,  turning.to  hîm,  wbile 
Albert  continued  to  point  his  glass  at  every  box  in  the 
théâtre,  ''you  seem  determined  net  to  approve;  you  are 
really  too  diffîcult  to  please.'' 

The  curtain  at  length  fell  on  the  performances,  to  tbe 
infinité  satisfaction  of  the  Vicomte  de  Morcerf,  wLo 
seized  his  bat,  rapidly  passed  his  fingers  through  his  hair, 
arranged  his  cravat  and  wristbands,  and  signified  to  Franz 
that  he  was  waiting  for  him  to  lead  the  way.  Franz,  who 
had  mutely  interrogated  the  countess  and  receîved  from 
her  a  gracions  smile  in  token  that  he  would  be  welcome, 
did  not  delay  the  gratification  of  Albert's  eager  impa- 
tience, but  began  at  once  the  tour  of  the  bouse  closely 
followed  by  Albert,  who  availed  himself  of  the  few  min- 
utes reqnired  to  reach  the  opposite  side  of  the  théâtre  te 
adjust  his  collar  and  to  arrange  the  lappets  of  his  coat  ; 
this  important  task  was  jnst  completed  as  they  arrived 
at  the  oountess*s  box.     The  young  man  who  was  seated 


AH  APPARinOlf.  409 

bemde  tbe  eonnteaB  in  the  fimit  oî  the  loge  instantlj  laae^ 
in  obédience  to  the  Itelian  costom,  and  soifendend  hii 
place  to  the  stiangen,  who^  In  tam,  woold  be  ezpected  to 
retire  npon  the  arrivai  of  other  TÎsîton. 

Fianz  piesented  Albert  9B  one  ol  the  mort  diatingaiahed 
yoong  men  of  the  day,  both  as  legaided  bis  poôtion  in 
Society  and  extraordinaiy  talents;  nor  did  he  aay  more 
than  the  troth,  for  in  Paria  and  the  cirde  in  which  the 
viscount  moved^  he  was  looked  npon  and  dted  as  a  model 
of  perfection.  Franz  added  that  bis  oompanion,  deeply 
grieved  becanse  he  had  not  been  presented  to  the  ooontess 
during  her  sojonm  in  Paris,  had  reqoested  him  (Franz) 
to  remedy  that  misfortone  by  oondneting  him  to  her  box, 
and  concladed  by  asking  pardon  for  bis  presnmption  in 
doiag  80.  The  coonteas  replied  by  a  charming  bow  to 
Albert»  and  eztended  her  hand  with  cordial  kindness  to 
Franz.  Albert,  being  invited  by  her,  took  the  vacant 
place  by  her  side,  and  Franz  sat  in  the  second  row  behind 
her.  Albert  was  soon  deeply  engrossed  in  discomsing 
upon  Paris  and  Paris  matters,  speaking  to  the  ooontess  of 
the  varions  persons  tbey  both  knew  there.  Franz  perceived 
bow  completely  he  was  in  bis  élément,  and  unwilling  to 
interfère  with  the  pleasnrd  he  so  evidently  felt,  took  np 
Albert's  lorgneUe^  and  began  in  bis  tnm  to  snrvey  the 
audience.  Sitting  alone,  in  the  front  of  a  box  immedi- 
ately  opposite,  but  sitnated  in  the  third  tier,  was  a  woman 
of  exquisite  beanly,  dressed  in  a  Greek  cortume,  which 
it  was  évident  from  the  ease  and  grflce  with  which  she 
wore  it  was  her  national  attire.  Behind  her,  but  in  deep 
shadow,  was  the  outline  of  a  maie  figore  ;  but  the  features 
of  this  latter  personage  it  was  not  possible  to  distinguish* 
Franz  could  not  forbear  breaking  in  upon  the  apparently 
interesting  conversation  passing  between  the  countess  and 
Albert,  to  inqnire  of  the  former  if  she  knew  who  was  th« 


484  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

faix  Âlbanian  opposite,  since  beauty  such  as  Lexs  was  weii 
worthy  of  being  remarked  by  either  sex. 

'^  AU  I  can  tell  you  about  her/*  replied  the  countesa^ 
*'  is  tbat  she  bas  been  at  Eomo  since  tbe  beginning  of  the 
seasou,  —  for  I  saw  her  wbere  she  now  sits  the  very  first 
uight  of  the  theatre's  opeuing  ;  aud  since  then  she  bas 
ne  ver  missed  a  performance.  Sometimes  she  is  accom- 
panied  by  the  individual  who  is  with  her,  and  at  others 
merely  attended  by  a  black  servant." 

*' And  vrhat  do  you  think  of  her  personal  appearance  ?  ** 

"  Oh,  I  Gonsider  her  perfectly  lovely,  —  she  is  just  my 
idea  of  what  Medora  must  bave  been." 

Franz  and  the  countess  exchanged  a  smile  ;  and  then  the 
latter  resumed  her  conversation  with  Albert,  while  Franz 
retumed  to  bis  previous  survey  of  the  house  and  company. 
The  curtain  rose  on  the  ballet,  which  was  one  of  those 
excellent  spécimens  of  the  Italian  school,  arranged  and  put 
on  the  stage  by  Henri,  who  bas  established  for  bimself  a 
great  réputation  throughout  Italy  for  his  taste  and  skill  in 
the  chorogiaphic  art,  —  one  of  those  masterly  productions 
of  grâce,  method,  and  élégance  in  which  the  whole  corps 
de  balletf  from  the  principal  dancers  to  the  humblest  super- 
numerary,  are  ail  engaged  on  the  stage  at  the  same  time  ; 
and  a  hundred  and  fifty  persons  may  be  seen  exhibiting 
the  same  attitude,  or  elevating  the  same  arm  or  leg  with  a 
simultaneous  movement.  The  ballet  was  called  "  Poliska." 
However  much  the  ballet  might  baye  claimed  his  attention, 
Franz  was  too  deeply  occupied  with  the  beautiful  Greek 
to  take  any  note  of  it,  whUe  she  seemed  to  expérience  an 
almost  childlike  delight  in  watching  it;  her  eager,  animated 
looks  contrasted  strongly  with  the  utter  indifférence  of  her 
companion,  who  during  the  whole  time  the  pièce  lasted 
never  even  moved,  spite  of  the  furious  crashing  din  pro- 
daced  by  the  trumpcts,  cymbals,  and  Chinese  bells,  made 


J 


AN  APPAEinON.  48A 

to  produce  theîr  loudest  sonnd  from  the  orchestra.  The 
apathetic  companîon  of  tbe  fair  Greek  took  no  heed  of  the 
deafening  sounds  that  prevailedy  but  was  apparently  en- 
joying  soft  repose  and  bright  oelestial  dreams.  The  ballet 
at  length  came  to  a  close  ;  and  the  curtain  fell  amid  the 
frenzied  plaudits  of  an  enthusiastic  audience.' 

Owing  to  the  very  jndicious  plan  of  dividing  the  two  acts 
of  the  opéra  with  a  ballet,  the  pauses  between  the  perform- 
ances are  Tery  short  in  Italy,  —  the  singers  in  the  opéra 
having  time  to  rest  themselves  and  change  their  costume 
"when  necessary,  while  tbe  dancers  are  executing  their  pir- 
ouettes and  exhibiting  their  graceful  steps.  The  overture 
to  the  second  act  began  ;  and  at  the  first  sound  of  the 
leader's  bow  across  bis  violin,  Franz  observed  the  sleeper 
slowly  arise  and  approach  the  Greek  girl,  who  tumed 
round  to  say  a  few  words  to  him,  and  then  leaning  for- 
ward  again  on  the  railiug,  became  as  absorbed  as  beforo 
in  what  was  going  on.  The  countenance  of  the  person 
who  had  addressed  her  remained  so  completely  in  the 
shade  that  Franz  could  not  distinguish  bis  features.  The 
curtain  was  raised,  and  the  attention  of  Franz  was  attracted 
by  the  actors  ;  bis  eyes  wandered  for  a  moment  from  the 
box  containing  the  beautiful  Greek  to  watch  the  scène  on 
the  stage. 

Most  of  my  readers  are  aware  that  the  second  act  of 
^'  Parisina  "  opens  with  the  celebrated  and  effective  duet 
in  which  Parisina,  while  sleeping,  betrays  to  Azzo  the 
secret  of  her  love  for  Ugo.  The  injured  husband  goes 
through  ail  the  workiugs  of  jealousy  until  conviction 
seizes  on  bis  mind  ;  and  then  in  a  frenzy  of  rage  and 
indignation,  he  awakens  bis  guilty  wife  to  tell  her  he 
knows  her  guilt,  and  to  threaten  her  with  bis  vengeanca 
This  duet  is  one  of  the  most  beautiful,  expressive,  and 
terrible  that  hâve  emanated  from  the  fruitful  pen  of  Doni 


486  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

zetd.  Fianz  now  lîstened  to  ît  for  the  tLird  time  ;  and 
though  be  was  not  especially  susceptible  to  tbe  power  of 
music,  it  produced  upon  bim  a  profound  effect.  He  rose 
witb  the  audience  and  was  about  to  join  in  tbe  loud, 
entbusiastic  applause  that  foUowed,  but  suddenly  bis 
purpose  was  arrested,  bis  bands  fell  bj  bis  sides,  and  tbe 
balf-uttered  ''  bravos  "  expired  on  bis  lips.  Tbe  occupant 
of  tbe  box  in  wbicb  the  Greek  girl  sat  appeared  to  sbare 
the  universal  admiration  that  prevailed,  for  be  left  bis  seat 
to  stand  up  in  tbe  front  ;  so  that  bis  countenance  beîng 
fuUy  revealed,  Franz  bad  no  diffîculty  in  recognizing  bim 
as  tbe  xnyâterious  inbabitant  of  Monte  Cristo,  and  tbe 
man  wbose  voice  and  figure  be  bad  thougbt  be  recognized 
the  preceding  evening  in  the  ruins  of  tbe  Golosseum.  AU 
doubt  of  bis  identity  was  now  at  an  end  ;  tbe  mysterious 
traveller  evidently  resided  at  Rome.  Tbe  surprise  and 
agitation  occasioned  by  tbis  full  confirmation  of  Franz^s 
former  suspicion  bad  no  doubt  imparted  a  corresponding 
expression  to  bis  features,  —  for  the  countess,  after  gazing 
vith  a  puzzled  look  on  bis  speaking  countenance,  burst 
into  a  fit  of  laugbter,  and  begged  to  know  wbat  bad 
bappened. 

**  Madame  tbe  Countess/'  retumed  Franz,  "  I  asked  you 
a  short  time  since  if  you  knew  any  particulars  respecting 
tbe  Albanian  lady  opposite  ;  I  ask  now  if  you  know  ber 
busband  î  *' 

**  Nay/'  answered  tbe  countess,  ''  I  know  no  more  of 
bim  tban  of  ber." 

"  Perhaps  you  never  before  remarked  bim  1  ** 

"  Wbat  a  question,  —  so  truly  Frencb  !  Do  you  not 
know  that  we  Italians  bave  eyes  only  for  tbe  man  we 
love  ?  " 

"  True,"  replied  Franz. 

**  Ail  I  can  say,"  continued  tbe  countess,  taking  up  tbe 


AN  APPARITION.  487 

lorgnette^  aad  diiecting  it  to  the  box  in  question,  **  is  that 
the  gentleman  seems  to  me  as  though  he  had  just  been 
dug  up  ;  he  looks  more  like  a  corpse  permitted  by  some 
friendly  grave-digger  to  quit  bis  tomb  for  a  while  and 
revisit  this  earth  of  ours  than  anythiug  buman.  How 
ghastly  pale  be  is  !  '* 

**  Oh,  he  is  always  as  colorless  as  you  now  see  him/' 
said  Franz. 

*'  Tben  you  know  him  ]  '*  asked  tbe  countess.  ^'  Tben 
I  will  inquire  of  you  who  be  is.** 

"  I  fancy  I  bave  seen  bim  before  ;  and  I  eyen  think  he 
recoguizes  me." 

'*  And  I  can  well  understand,'*  said  tbe  countess,  sbrug- 
ging  up  ber  beautiful  sboulders,  as  tbougb  an  involuntary 
sbudder  passed  tbrougb  ber  veins,  *'  that  tbose  wbo  bave 
once  seen  tbat  man  will  never  be  likely  to  forget  bim.** 

Tbe  sensation  experienced  by  Franz  was  «vidently  not 
peculiar  to  bimself;  anotber,  and  wbolly  uuinterested 
person,  felt  tbe  same  unaccountable  awe  and  mîsgiving. 
"  Well/'  be  inquired  after  tbe  countess  had  a  second  time 
directed  ber  lorgnette  at  tbe  loge  of  tbeir  mysterious  vis-à-vis, 
"  wbat  do  you  tbink  of  tbat  man  1  " 

"  Why,  tbat  be  is  no  otber  than  Lord  Eutbven  bimself 
in  a  living  form." 

This  fresb  allusion  to  Byron  interested  Franz.  If  any 
luan  could  lead  bim  to  believe  in  tbe  existence  of  vampires, 
it  was  the  man  before  bim. 

"I  must  iind  out  wbo  and  wbat  be  is,"  said  Franz, 
rising  from  bis  seat. 

"  No,  no  1  "  cried  tbe  countess  ;  "  you  must  not  leave 
me  !  I  dépend  upon  you  to  escort  me  home.  Oh,  indeed, 
I  cannot  permit  you  to  go  1  '' 

**  Is  it  possible,'*  whispered  Franz,  "  tbat  you  entertaio 
any  fear  î  '* 


488  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTa 

''  1 11  tell  you/'  answered  the  coante88.  ''  Byion  swoie 
to  me  that  he  believed  in  the  existence  of  yampires,  and 
even  assured  me  that  he  had  seen  them.  He  described  to 
me  their  appearance;  it  i&  precisely  like  his,  — the  coal 
black  hair,  large  bright  glittering  eyes  in  which  a  wild, 
unearthly  lire  seems  burning,  that  ghastly  paleness.  Then 
observe,  too,  that  the  very  woman  he  bas  wîth  him  is 
altogether  iinlike  ail  others  of  her  sex.  She  is  a  foreigner 
— a  Greek  —  a  heretic  —  probably  a  magician  like  him- 
self.  I  entreat  of  you  not  to  go  near  him,  — at  least  to- 
night.  And  if  to-morrow  your  curiosity  still  continues  as 
greaty  pursue  your  reseaiches  if  you  will  ;  but  now  I  mean 
to  keep  you." 

Franz  protested  that  he  could  not  defer  bis  puisuit  till 
the  foUowing  day  for  many  reasons. 

''  Listen  to  me/'  said  the  countess  ;  ''  I  am  going  home. 
I  bave  a  party  at  my  bouse  to-night,  and  therefore  canuot 
possibly  remain  till  the  conclusion  of  the  opéra.  Will  you 
be  so  discourteous  as  to  refuse  me  your  company  1  " 

There  was  nothing  lefb  for  Franz  to  do  but  to  take  up 
bis  bat,  open  the  door  of  the  loge,  and  offer  the  countess 
bis  arm.  It  was  quite  évident  from  the  countess's  man- 
ner  that  her  uneasiness  was  not  feigned  ;  and  Franz  him- 
self  oould  not  resist  a  species  of  superstitions  dread,  —  the 
stronger  in  him,  as  it  arose  from  a  variety  of  oorroborating 
recollections,  while  the  terror  of  the  countess  sprang  from 
an  instinctive  feeling.  Franz  could  even  feel  her  arm 
tremble  as  be  assisted  her  into  the  carriage.  He  conducted 
her  to  her  home.  No  company  was  there  ;  and  she  was 
not  expected.     He  reproached  her  about  it. 

''In  very  truth,"  she  said,  "I  am  not  well,  and  i 
need  to  be  alone  ;  the  sight  of  that  man  bas  completely 
upset  me." 

Franz  began  to  laugb. 


1 


AN  APPARITION.  489 

"Do  not  laugb,**  she  said  ;  "  you  reallj  do  not  feel  like 
laughing.     Now  make  me  a  promise.** 

** What  is it ?" 

**  Promise  me.** 

"  I  wiU  do  anything  you  désire  except  relinquish  my 
détermination  of  finding  out  who  this  man  la.  I  hâve 
more  reasons  than  you  can  imagine  for  desiriiig  to  know 
who  he  isy  whence  he  came,  and  whither  he  is  goîng.* 

**  Where  he  comes  from  I  don't  know  ;  but  I  can  tell 
you  where  he  is  going,  —  he  is  going  to  hell,  without  the 
least  doubt.** 

''Let  us  retum  to  the  promise  you  wished  me  to 
make/'  said  Franz. 

"Well,  theh,  you  must  give  me  your  word  to  retum 
immediately  to  your  hôtel,  aud  make  no  attempt  to  follow 
this  man  to-night.  There  are  certain  affînities  between 
the  persons  we  quit  and  those  we  meet  afterwards.  For 
Heaven's  sake,  do  not  serve  as  a  conductor  between  that 
man  and  me  !  Pursue  him  to-morrow  as  eagerly  as  you 
please;  but  never  bring  him  near  me  if  you  would  not 
see  me  die  of  terror.  And  now  good-night;  retire  to 
your  apartment  and  try  to  sleep  away  ail  recollections  of 
this  evening.  For  my  own  part,  I  am  quite  sure  I  shall 
not  be  able  to  close  my  eyes.'*  So  saying,  the  countess 
quitted  Franz,  leaving  him  unable  to  décide  whether 
she  was  merely  amusing  herself  at  his  expense  or  was 
disturbed  by  actual  appréhensions. 

Upon  his  retum  to  the  hôtel,  Franz  found  Albert  in  his 
dressing-gown  and  slippers,  listlessly  extended  on  a  sofa, 
smoking  a  cigar.  "  My  dear  fellow  !  "  cried  he,  springing 
11  p,  "  is  it  really  you  ?  Why,  I  did  not  expect  to  see  you 
before  to-morrow." 

"  My  dear  Albert  !  "  replied  Franz,  "  I  am  glad  of  this 
opportnnity  to  tell  yon,  once  and  forevcr,  that  you  enter- 


490  THB  COUNT  OF  MOITTE  CRISTO. 

tain  a  most  erroneous  notion  concerning  Italian  women. 
I  should  hâve  thought  the  continuai  failures  yoa  bave 
met  with  in  ail  your  own  love  affaira  niîght  hâve  taughb 
you  better  by  tbis  time." 

"  Upon  my  soûl  !  tbese  women  would  puzzle  tbe  very 
Devil  to  read  tbem  arigbt.  Wby,  bere,  —  tbey  give  you 
tbeir  band,  tbey  press  youra  in  retum,  tbey  keep  np  a 
wbispering  converaation,  pennit  you  to  accompany  tbem 
bomel  Wby,  if  a  Parisian  were  to  do  one  quarter  as 
mucb  sbe  would  lose  ber  réputation  I  " 

"And  tbe  very  reieuson  wby  tbe  women  of  tbis  fine 
country  put  so  little  restraint  on  tbeir  words  and  actions 
is  tbat  tbey  live  so  mucb  in  public,  and  bave  really  notb- 
ing  to  conceal.  Beaides,  you  must  bave  perceived  tbat 
tbe  countess  was  really  alarmed." 

^' At  wbat,  — -at  tbe  sigbt  of  tbat  respectable  gentleman 
sitting  opposite  to  us  witb  tbe  lovely  Greekf  Now, 
fur  my  part,  I  met  tbem  in  tbe  lobby  afber  tbe  con^ 
clusion  of  tbe  pièce  ;  and  bang  me,  if  I  can  guess  wbere 
you  got  your  notions  of  tbe  otber  world  I  He  is  a  fine- 
looking  fellow,  well  dressed,  witb  tbe  air  of  one  wbo 
dotbes  bimself  in  France,  witb  Blin  or  witb  Humann,  — ■ 
a  trifle  pale,  indeed,  but  you  know  tbat  paleness  is  a  mark 
of  distinction." 

Franz  smiled,  —  for  be  well  remembered  tbat  Albert 
particularly  prided  bimself  on  tbe  entire  absence  of  color 
in  bis  own  complexion.  "  Well,  tbat  tends  to  confirm  my 
own  ideas,*'  said  be,  '*  tbat  tbe  countess's  suspicions  were 
destitute  alike  of  sensé  and  reason.  Did  be  speak  in  your 
bearing;  and  did  you  catcb  any  of  bis  words  1" 

**  I  did  ;  but  tbey  were  uttered  in  tbe  Romaic  dîalect 
I  knew  tbat  irom  tbe  mixture  of  broken  Greek  words. 
I  must  tell  you,  my  boy,  tbat  wben  I  was  at  collège  I 
was  rather  strong  in  Greek." 


AN  APPABinON.  4&i 

^  He  spoke  the  Bomaic  language,  dîd  he  t  * 

«  I  think  80." 

''That  settles  it,"  marmoied  Franz.  **TiB  he,  pas! 
aU  doubt." 

.«Whatdoyousayr' 

"Nothingy  nothingl  But  tell  me^  what  were  jou 
doing  heref 

^  Ohy  I  was  arranging  a  little  surprise." 

**  Indeed  !     Of  what  nature  1  " 

''Why,  jou  know  it  is  quite  impossible  to  procure  a 
sarriage." 

**  I  should  think  so,  when  we  hâve  in  vain  made  every 
possible  endeavor." 

"  Well,  I  hâve  had  a  marvellous  idea." 

Franz  looked  at  Albert  as  though  he  had  not  much  con- 
fidence  in  the  suggestions  of  his  imagination. 

"  My  dear  fellow,"  said  Albert,  "  you  honor  me  with  a 
look  which  well  deserves  that  I  should  demand  satis- 
faction of  you." 

**  And  I  promise  to  give  you  the  satisfaction  of  a  gentle- 
man if  your  scheme  tums  out  as  ingénions  as  you  say 
it  is." 

"WeD,  then,  listen." 

«  I  listen." 

"  You  agrée,  do  you  nût»  that  obtaining  a  carnage  is  ont 
of  the  question  1" 

**  I  do." 

"  Neither  can  we  procure  horses  1  '* 

«  True.'* 

**  But  we  might  procure  a  oart  1  ** 

«  Perhaps.'* 

"  And  a  pair  of  oxen  î  •* 

«  Probably." 

^'Then  you  see,  my  good  fellow,  with  a  cart  and  i 


492  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

couple  of  ozen  oar  business  can  be  managed.  The  cart  must 
be  tastefully  omamented  ;  and  if  you  and  I  dress  ourselves 
as  Neapolitan  reapers,  we  may  get  ap  a  striking  tableau, 
after  the  manner  of  that  splendid  picture  by  Léopold  Robert 
It  would  add  greatly  to  the  efifect  if  the  countess  wovdd 
join  us  in  the  costume  of  a  peasant  fiom  Puzzoli  or  Sorrento. 
Our  group  would  then  be  quite  complète,  more  especially 
as  the  countess  is  quite  beautiful  enough  to  be  taken  for 
the  original  of  '  The  Mother  of  the  Child.'  '' 

"Well,"  said  Franz,  "this  timé,  M.  Albert,  I  am 
bound  to  give  you  crédit  for  having  hit  upon  a  capital 
idea." 

**  And  quite  a  national  one,  too,"  replied  Albert,  with 
gratified  pride.  ''A mère  mask  borrowed  from  our  own 
festivities.  Ha,  ha  1  Messieurs  the  Romans  ;  you  thought 
to  make  us  unhappy  strangers  trot  at  the  heels  of  your 
processions,  like  so  many  lazzaroni,  because  no  carnages  or 
horses  are  to  be  had  in  your  beggarly  city.  Yery  well  ;  we 
hâve  invented  them." 

.  ''  And  hâve  you  communicated  your  triumphant  idea  to 
any  person  ?" 

^  Only  to  our  host.  Upon  my  retum  home  I  sent  for 
him  and  explained  to  him  my  wishes.  He  assured  me 
that  nothing  would  be  easier.  I  wanted  him  to  hâve  the 
horns  of  the  oxen  gilded,  but  he  told  me  there  would  not 
be  time,  as  it  would  require  three  days  to  effect  that; 
80  you  see  we  must  do  without  that  little  superfluity/' 

"  And  where  is  he  now  î  ** 

«  Who  1  '' 

«  Our  host/* 

**  Oone  out  in  search  of  our  équipage  ;  by  to-monow  it 
might  be  too  late." 

"  Then  he  will  be  aUe  to  give  us  an  answer  to- 


AN  APPARITION.  493 


u 


Oh,  I  expect  bîm  every  minute," 

At  this  instant  the  door  opened,  and  the  head  (A 
Maître  Pastrini  appeared.     ^'Fermetèof  inquired  he. 

"  Certainly,  certainly  !  "  dried  Franz. 

*^  Now  then/'  asked  Albert^  eagerly^  *'  hâve  you  found 
the  desired  cart  and  oxenf 

''  Bettei  than  that  1  "  replied  the  Maître  Pastrini,  with 
the  air  of  a  man  perfectly  well  satisfied  with  himself. 

"  Take  care,  my  worthy  host,"  said  Albert  ;  "  better  is  a 
«nre  enemy  to  toell.^ 

**  Let  your  Excellencies  only  leave  the  matter  to  me,** 
letumed  Maître  Pastrini,  in  a  tone  indicative  of  unbounded 
self-confidence. 

"  But  what  bave  you  donc  1  *'  asked  Franz. 

"  Your  Excellencies  are  aware,"  responded  the  landlord, 
fiwelliug  with  importance,  'Hhat  the  Count  of  Monte 
Cristo  is  living  on  the  same  floor  with  yourselves  !  " 

^*  I  should  think  we  did  know  it,"  exclaimed  Albert, 
**  since  it  is  owing  to  that  circumstance  that  we  are  packed 
into  thèse  small  rooms  like  two  poor  students  in  the  back 
stieets  of  Paris." 

**  Well,  then,  the  Count  of  Monte  Cristo,  hearing  of  the 
dilemma  in  which  you  are  placed,  bas  sent  to  offer  you 
seats  in  bis  carriage  and  two  places  at  bis  windowB  in  the 
Palace  Rospoli." 

Albert  and  Franz  looked  at  each  other.  ''  But  do  you 
think,"  asked  Albert,  "  that  we  ought  to  accept  such  offers 
from  a  stranger  1  " 

^'  What  sort  of  person  is  this  Count  of  Monte  Cristo  î** 
asked  Franz  of  bis  bost. 

**  A  very  great  nobleman,  but  whether  Maltese  or  Sicilian 
I  cannot  exactly  say  ;  but  this  I  know,  that  he  is  noUe  aa 
à  Borghese  and  rich  as  a  gold  mine.'' 

** It  seems  to  me"  said  Franz,  speaking  in  an  ondertone 


194  THE  COUNT  OF  MONTE  CRI8T0. 

to  Albert,  "  tbat  if  this  man  xnerîted  the  liigh  panegyrio 
of  our  landlord,  he  would  bave  conveyed  bis  invitation 
tbrougb  anotber  cbannel,  and  not  permitted  it  to  be 
brought  to  us  in  tbis  unceremonious  way.  He  would 
bave  written,  or- — " 

At  tbis  instant  some  one  knocked  at  tbe  door.  ''  Conie 
in  !  "  said  Franz.  A  servant,  wearing  a  livery  of  peculiar 
élégance,  appeared  at  tbe  tbresbôld  ;  and  placing  two  cards 
in  tbe  landlord*s  bands,  wbo  fortbwitb  presented  tbem  to 
tbe  two  joung  men,  be  said,  **  From  M.  le  Comte  de  Monte 
Cristo  to  M.  le  Vicomte  Albert  de  Morcerf  and  M.  Franz 
Epinay.  M.  le  Comte  de  Monte  Cristo,"  continued  tbe 
servant,  "  begs  tbese  gentlemen's  permission  to  wait  upon 
tbem  as  tbeir  neigbbor  to-morrow  morning,  and  be  desires 
to  know  at  wbat  time  tbey  will  please  to  receive  bim." 

"  F^itb,  Franz,"  wbispered  Albert,  **  tbere  is  not  mucb 
to  find  fault  witb  bere." 

<*  Tell  tbe  count,"  replied  Franz,  "  tbat  we  will  do  our- 
selves  tbe  pleasure  of  calling  on  bim."  Tbe  servant  bowed 
and  retired. 

"  Tbat  îs  wbat  I  call  an  élégant  mode  of  attack,"  said 
Albert.  "You  were  quite  correct  in  wbat  you  stated. 
Maître  Pastrini  Tbe  Count  of  Monte  Cristo  is  unques- 
tionably  a  man  of  good  breedîng." 

'*  Tben  you  accept  bis  offer  ]  "  said  tbe  bost. 

"  Of  course  we  do,"  replied  Albert  "  Still,  I  must  own 
I  am  sony  to  be  obliged  to  give  up  tbe  cart  and  tbe  group 
of  reapers  ;  it  would  bave  produced  sucb  an  effect  !  And 
were  it  not  for  tbe  Windows  at  tbe  Palace  Rospoli^  by  way 
of  recompense  for  tbe  loss  of  our  beautiful  scbeme,  I  don't 
know  but  wbat  I  sbould  bave  beld  on  by  my  onginal  plan. 
Wbat  say  you,  Franz  1  " 

''Ob,  I  agrée  witb  you;  tbe  Windows  in  tbe  Palace 
Sospoli  alone  decided  me^" 


AN  APPARITION.  495 

The  mention  of  two  places  in  the  Palace  Rospoli  had 
recaUed  to  Frauz's  mind  the  conversation  he  had  overheard 
the  preceding  evening  in  the  ruins  of  the  Golosseum  he- 
tween  the  mysterious  unknown  and  the  Tiansteverian,  in 
which  the  stranger  in  the  cloak  had  engaged  himself  to 
obtain  the  freedom  of  a  condemned  crimiual.     Now,  if  the 
man  with  the  cloak  was,  as  everything  led  Franz  to  he- 
lîeve,  the  same  as  the  person  he  had  just  seen  in  the  Teatro 
Argentino,  he  would  clearly  recognize  him  ;  and  then  noth- 
ing  would  prevent  his  satisfying  his  curiosity  concerning 
him.     Franz  passed  the  night  in  dreaming  of  those  two 
apparitions  and  longing  for  the  morrow.     The  next  day 
must  clear  up  every  doubt  ;  and  unless  his  host  of  Monte 
Cristo  possessed  the  ring  of  Gyges,  and  by  its  power  were 
able  to  render  himself  invisible,  it  was  very  certain  he 
coold  not  escape  this  time.     Eight  o'clock  found  Franz  up 
and  dressed,  while  Albert,  who  had  not  the  same  motives 
for  early  rising,  was  still  profoundly  asleep.    The  first  act 
of  Franz  was  to  summon  his  landlord,  who  presented  him- 
self with  his  accustomed  obsequiousness. 

''Pray,  Maître  Pastrini,*'  asked  Franz,  "îb  not  some 
exécution  appointed  to  take  place  to-dayt" 

"  Yes,  your  Excellency  ;  but  if  your  reason  for  inquiry 
is  that  you  may  procure  a  window^  you  are  much  too 
late." 

''  Oh,  no  !  ''  answered  Franz,  "  I  had  no  such  intention  ; 
and  even  if  I  had  felt  a  wish  to  witness  the  spectacle,  I 
might  hâve  done  so  from  Monte  Pincio,  could  I  not  1  " 

"Oh!  I  thonght  your  Excellency  would  not  wish  to 
mîngle  with  the  rabble,  to  whom  that  hill  is  a  sort  of 
natural  amphithéâtre." 

*'Very  possibly  I  may  not  go,"  answered  Franz;  "but 
give  me  some  particulars." 

**  What  particulars  would  your  Excellency  like  to  hear  t '^ 


y 


496  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

'' Why,  the  number  of  persons  condemned  to  suffer,  their 
naines,  and  description  of  the  death  they  are  to  die." 

''  That  happens  well,  jour  Ëzcellency  !  Only  a  few  min- 
ntes  ago  they  brought  me  the  tavalettas" 

"  What  are  they  1  " 

**  Wooden  tablets  hung  up  at  the  corners  of  streets  the 
eveuing  before  an  exécution,  on  which  is  pasted  a  paper 
containing  the  names  of  the  condemned  persons,  their 
crimes,  and  mode  of  punishment.  '  The  purpose  of  this 
notification  is  to  summon  the  faithfui  to  pray  tfiat  God 
will  grant  to  the  culprits  a  sincère  repentance." 

''  And  thèse  tablets  are  brought  to  you  that  yon  may 
add  your  prayers  to  those  of  the  faithfui,  are  they?"  asked 
Franz,  somewhat  incredulously. 

"  Oh,  dear,  no,  your  Excellency  ;  I  hâve  an  agreement 
with  the  man  who  pastes  up  the  papers,  and  he  brings 
them  to  me  as  he  would  the  play-bills;  se  that  in  case 
any  person  staying  at  my  hôtel  should  like  to  witness 
an  exécution^  he  may  obtain  every  requisite  information 


in  season." 


ti 


Upon  my  word,  that  is  most  délicate  attention  on 
your  part,  Maître  Pastrini,"  cried  Franz. 

"  Why,  your  Excellency,"  retumed  the  landlord,  smil- 
ing,  "I  think  I  may  take  upon  myself  to  -say  that  I 
neglect  nothing  to  deserve  the  support  and  patronage  of 
the  noble  visitors  to  this  poor  hôtel." 

^'I  see  that  plaiuly  enough,  my  most  excellent  host, 
and  you  may  rely  upon  my  repeating  so  striking  a  proof 
of  your  attention  to  your  guests  wherever  I  go.  Mean- 
while,  oblige  me  by  a  sight  of  one  of  thèse  tavolettcu" 

**  Kothing  can  be  easier  than  to  comply  with  your  Ex- 
cellency's  wish,"  said  the  landlord,  opening  the  door  of 
the  chamber;  '*I  hâve  caused  one  to  be  placed  on  the 
landing,  close  by  your  apartments."     Then,  taking  the 


■e  caOed  S«Ba  PhtiEi:  tbe  iiaiiKsr  in 

of  ike  **"**'^  rf  fil.  JCMI  Qfc 

iuMMMijiliii  ii'Tnr 
Tmb|h,  and  lôi  land.  Tne 
malpJMiinr  will  be  — aphta,  liie  »caiid  cailygit  rfirwjiiif  irti  Tfatt 
pojcB  cf  aU  càflâtaUb  «mU  »e  nilwlini  for  ûteÊt  mdata- 
nate  Bo^  AiÉ  ît  ni^  floK  Gfid  tfi  «r^kta  ilieB  Ui  A  aeufc  ci 
theîr  gidlt,  flBd  to  gmt  likem  alieK^aiid 
linrtiiar 


This  vas  pwlBelj  wiai  Fnnz  ksd  kend  tiie  croui^ 
befoie  in  the  mios  et  ïàt  CokMBnm.  Xo  pnt  <â  tfaa 
prognnuBe  difEend.    The  bomb  oC  tlie  «ndeomed  per- 


80I18,  their  enmei^  «nd  mode  of  paniduiieiii;  ail  itgieed 
with  hû  pnerioas  infonnttioii.  In  aH  probabQitj,  tlieie- 
foie,  the  TooMteTeiMn  wis  no  ollier  tlian  the  huidit 
Lnigi  Yampa  hiniael^  and  the  man  ahionded  in  the 
mantle  "Sinbad  the  Sailoi;''  wfao  no  doabfc  was  atiU 
punning  hia  phi]anthio|He  undertakingB  in  Rome  aa  he 
had  already  done  at  Porto  Yeechio  and  Tnnia.  Time  waa 
getting  CD,  however;  ift  waa  nine  o'docky  and  Fiant  waa 
going  to  awaken  Albert,  when  to  hia  gnat  astonîahment 
he  saw  him  corne  ont  of  hia  chamber  fîilly  dreeaed.  The 
auticipated  delighta  of  the  CarniTal  had  ao  ran  in  Albert*s 
head  as  to  make  him  leave  hia  pillow  earlier  thau  hia 
frieud  had  ezpected. 

''Now,  my  excellent    Maître   Fastrini,**  aaid    Fnmti 
addieaaing  hia  landlord,  ''since  we  are  both  leady,  do 

VOL.  1.  —  32 


498  THE  COUNT  OF  MONTE  CBISTO. 

you  think  we  may  proceed  at  once  to  visit  the  Connt 
of  Monte  Cristo  ?  " 

"Most  assuredlyi"  replied  he.  **The  Coimt  of  Monte 
Cristo  îs  always  an  early  riser  ;  and  I  can  answer  for  his 
îiaving  been  up  thèse  two  hours." 

"  Then  you  really  think  that  we  shall  commit  no  impro- 
priety  if  vre  pay  our  respects  to  him  immediately  ?  " 

"Nottheleast." 

"  In  that  case,  Albert,  if  you  are  ready  —  •* 

"  Entirely  ready,"  said  Albert. 

"  Let  us  go  and  thank  our  neighbor  for  bis  courtesy." 

"  Corne  on." 

The  landlord  preceded  the  friends  across  the  landing, 
which  was  ail  that  separated  them  from  the  apartmenta 
of  the  count,  rang  at  the  bcll,  and  upon  the  door  being 
opened  by  a  servant,  said,  "  /  Signori  Francesi,^* 

The  domestic  bowed  respectfully  and  invited  them  to 
enter.  They  passed  through  two  rooms  furnished  with 
a  style  and  luxury  they  had  not  expected  to  find  under 
the  roof  of  Maître  Pastrini^  and  were  shown  into  an  ele. 
gantly-fitted-up  salon.  The  rîchest  Turkey  carpets  covered 
the  floor,  and  the  softest  and  most  inviting  couches,  her- 
ghres,  and  sofas  ofifered  their  high-piled  and  yîelding  cusb- 
ions  to  such  as  desired  repose  or  refreshment.  Splendid 
paintings  by  the  first  masters  were  ranged  against  the 
walls,  intermingled  with  magnificent  trophies  of  war, 
while  heavy  curtains  of  costly  tapestry  were  suspended 
before  the  différent  doors  of  the  room.  "  If  your  Excel- 
lencies  will  please  to  be  seated,"  said  the  man,  ''I  will 
let  Monsieur  the  Count  know  that  you  are  hère." 

And  with  thèse  words  he  disappeared  behind  one  of  tbe 
tapestried  portières.  As  the  door  opened  the  sound  of  a 
guzla  reached  the  ears  of  the  young  men,  but  was  almost 
immediately  lost,  for  the  rapid  closing  of  the  door  merely 


AN  APPARITION.  *9» 

allowed  one  lich  swell  of  hannony  to  enter  the  salon. 
Franz  and  Albert  looked  inquirînglj  at  each  otber,  tben 
at  tbe  gorgeous  fomiture  of  the  apartmeut.  Ail  seemed 
even  more  splendid  on  a  second  view  tban  it  had  at  first. 

''  Well/'  saîd  Franz  to  bis  friend,  '-  what  do  jou  tbink 
of  ail  tbisl" 

"  Wby,  apon  my  soûl,  my  dear  fellow,  it  strikes  me  our 
neigbbor  must  eitber  be  some  successful  stock-jobber  wbo 
bas  speculated  in  tbe  fall  of  tbe  Spanisb  fonds,  or  some 
prince  travelling  incognito" 

"Husb!"  replied  Franz,  '^tbat  is  wbat  we  sball  soon 
discover,  —  for  hère  be  comes." 

As  Franz  spoke,  be  beard  tbe  sound  of  a  door  tnming 
on  its  hinges  ;  and  almost  immediately  afberwards  the  tap- 
estry  was  drawn  aside,  and  tbe  owner  of  ail  thèse  riches 
stood  before  the  two  young  men.  Albert  instantly  rose 
to  meet  bîm;  bat  Franz  remained  spell-bound  on  bis 
chair.  He  wbo  entered  was  tbe  mysterious  visitant  to 
the  Colosseum,  the  occupant  of  the  box  at  tbe  théâtre^ 
and  the  mysterious  bost  of  Monte  Ciisto. 


500  TH£  COUNT  OF  MONTE  CRISTa 


CHAPTER  XXXV. 

LA  HAZZOLATA. 

"  Gentlemen/'  said  the  Count  of  Monte  Giisto  as  he  en- 
teredy  '^  I  pray  you  to  excuse  me  for  suffering  my  visit  to 
be  anticipated  ;  but  I  feared  to  disturb  you  by  piesenting 
myself  earlier  at  your  apartments.  Besides,  you  sent  me 
Word  you  would  corne  to  me  ;  and  I  hâve  held  myself  at 
your  disposai." 

"Franz  and  I  bave  to  tbank  you  a  thousand  times. 
Monsieur  the  Count/'  retumed  Albert  '*  You  extricated 
us  from  a  great  dilemma  ;  and  we  were  on  the  point  of 
inventing  some  very  fantastic  vehicle  when  your  fiiendly 
invitation  reached  us." 

*'  Indeed  1  **  retumed  the  count,  motioning  the  two 
young  men  to  sit  down.  '*  It  was  the  fault  of  that 
blockhead  Pastrini  that  I  did  not  sooner  assist  you  in 
your  distress.  He  did  not  mention  your  embarrassment 
to  me,  who,  alone  and  isolated  aJs  I  am,  seek  every  oppor- 
tunity  of  making  the  acquaintance  of  my  neighbors.  As 
soon  as  I  learned  I  could  in  any  way  assist  you,  I  eagerly 
seized  the  opportunity  of  ofifering  my  services." 

The  two  young  men  bowed.  Franz  had  as  yet  found 
nothing  to  say.  He  had  formed  no  plan  of  action  ;  and  as 
nothing  in  the  count's  manner  manifested  the  wish  that 
he  should  recognize  him,  he  did  not  know  whether  to 
make  any  allusion  to  the  past,  or  to  wait  until  he  had 
more  proof     Besides,  although  sure  it  was  he  who  had 


LA  IIÂZZOLATA.  501 

been  in  the  box  the  previous  evening,  lie  could  not  be 
eqaally  positive  that  he  was  the  man  he  had  seen  at  the 
Colosseum.  He  resolvéd,  theiefore,  to  let  things  take  their 
course  without  making  any  direct  overture  to  the  count. 
Besides,  he  had  this  advantage  over  him, — Le  was  master 
of  his  secret,  while  he  had  no  hold  on  Franz,  who  had 
nothing  to  conceaL  However,  he  resolved  to  lead  the 
conversation  to  a  subject  which  might  pcssibly  clear  np"^ 
his  doubts. 

'*  Monsieur  the  Count^"  saîd  he,  *'  jon  hâve  offered  ns 
places  in  your  carriage,  and  at  your  Windows  of  the  Rospoli 
Palace.  Can  you  tell  us  where  we  can  obtain  a  sight  of 
the  Place  del  Popolo  î  " 

*'  Ah  !  "  said  the  count,  negligently,  looking  attentively 
at  Morcerf,  ''  is  there  not  something  like  an  exécution  upon 
the  Place  del  Popolo  1  " 

"Yes,**  retumed  Franz,  finding  that  the  count  was 
coming  to  the  point  he  wished. 

''  Stay,  I  think  I  told  my  steward  yesterday  to  attend 
to  this;  perhaps  I  can  render  you  this  slight  service  also/' 
He  extended  his  hand,  and  rang  the  bell  thrice.  '*  Did 
you  ever  occupy  yourself,"  said  he  to  Franz,  "wîth  the 
employment  of  time  and  the  means  of  simplifying  the 
snmmoning  your  servants  ?  I  hâve  :  when  I  ring  once,  it 
ia  for  my  valet  ;  twice,  for  my  maître  cPhâtel  ;  thrice,  for 
my  steward.  Thus  I  do  not  waste  a  minute  or  a  word. 
Hère  he  isl** 

A  man  from  forty-five  to  fifty  years  old  entered,  who 
exactly  resembled  the  smuggler  who  had  introduced  Franz 
iuto  the  cavem  ;  but  he  did  not  appear  to  recognize  him. 
It  was  évident  he  had  his  orders. 

"M.  Bertuccio,"  said  the  count,  "hâve  you  procured 
me  a  window  looking  on  the  Place  del  Popolo,  as  I  ordered 
you  yesterday  î  " 


©02  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

**  Tes,  Ezcellencf/'  returned  the  steward  ;  '*  but  it  wai 
very  late." 

^'Did  I  not  tell  yoû  I  wished  for  oneî"  Teplied  the 
couDt,  frowning. 

''  And  jour  Excellency  has  oue,  which  had  been  let  to 
Prince  Lobanieff;  bnt  I  was  obliged  to  pay  a  hundred — " 

*'  That  wiU  do,  —  that  will  do,  M.  Bertuccio  ;  spare 
thèse  gentlemen  ail  such  domestic  arrangements.  You 
hâve  the  window  ;  that  is  suffîcient.  Give  orders  to  the 
coachman  ;  and  be  in  readîness  on  the  stairs  to  conduct 
ns  to  it."  The  steward  bowed,  and  was  aboat  to  quit  the 
room.  **  Ah  I  "  continued  the  count,  ''  be  good  enoUgh 
to  ask  Pastrini  if  he  has  received  the  tavoletta,  and  if  he 
can  send  us  an  account  of  the  exécution." 

"  There  is  no  need  to  do  that/'  said  Franz,  taking  out 
his  tablets  ;  '*  for  I  saw  the  account,  and  copied  it  down." 
'  "  Very  well,  you  can  retire,  M.  Bertuccio  ;  let  us  know 
when  breakfast  is  ready.  Thèse  gentlemen,'*  added  he, 
tuming  to  the  two  friends,  "will,  I  trust,  do  me  the  honor 
to  breakfiEist  with  me  î  " 

"But,  Monsieur  the  Count,**  said  Albert,  "we  shall 
abuse  your  kindness." 

"  Kot  at  ail  ;  on  the  contrary,  you  will  give  me  great 
pleasure.  You  will,  one  or  the  other  of  you,  perhaps 
both,  retum  it  to  me  at  Paris.  M.  Bertuccio,  lay  covera 
for  three."    He  took  Franz's  tablets  out  of  his  hand. 

**  '  The  public  is  informed/  "  he  read  in  the  same  tone  with 
which  he  would  hâve  read  a  newspaper,  *'  '  that  on  Wednesday, 
February  23,  being  the  first  day  of  the  Camival,  two  exécutions 
will  take  place  in  the  Place  del  Popolo,  by  order  of  the  Tribunal 
de  la  Rota,  of  two  individuals,  named  Andréa  Rondola,  aod 
Peppino,  otherwise  called  Rocca  Priori  ;  the  former  found 
goilty  of  the  murder  of  a  vénérable  and  exemplaiy  priest, 
named  Don  César  Torlini,  canon  of  the  church  of  St.  Jeao 


I^  MAZZOLATA.  503 

de  Latna  ;  «nd  the  latter  convicted  of  being  an  aecomplioe 
of  the  atrocîoiis  and  sangiiinaiy  bandit,  Loigi  Vampa»  and  bis 
band.*  Hum  !  *  Tbe  first-named  malefiBctor  will  be  mazzoUio, 
the  second  colprit  deeapiUUoJ 

"  Yes,"  coutinued  the  oount,  **  it  was  at  first  ananged 
in  thifl  way  ;  bat  I  tbink  since  yesterday  aome  change  bas 
taken  place  in  tbe  order  of  the  ceremony." 

"  ReaUy  I  "  said  Franz. 

**  Yes  ;  I  passed  the  evening  at  tbe  Cardinal  Rospigliosi's, 
and  there  mention  was  made  of  sometbing  like  a  pardon 
for  one  of  tbe  two  men," 

"  For  Andréa  Rondolo  î  "  asked  Franz. 

"  No,"  replied  tbe  count,  carelessly  ;  "  for  tbe  otber  [be 
glanced  at  tbe  tablets  as  if  to  recall  the  name],  for  Peppino, 
called  RoGca  FriorL  Yon  are  thns  deprived  of  seeing  a 
mau  guillotined  ;  but  tbe  tnazzolcUo  still  remains,  which  is 
a  very  curions  punishment  wben  seen  for  the.  first  time, 
and  even  tbe  second,  wbile  tbe  otber,  as  you  must  know, 
is  very  simple.  The  mandata  never  fails,  never  trembles, 
never,  strikes  tbirty  times  ineffectually,  like  tbe  soldier 
who  beheade^  tbe  Comte  de  Chalais,  and  to  whose  tendet 
mercy  Eichelieu  bad  doubtless  recommended  tbe  sufferer. 
Ah  !  "  added  tbe  count,  in  a  contemptuous  tone,  "  do  not 
tell  me  of  European  punishments  ;  they  are  in  tbe  infancy, 
or  ratber  tbe  old  âge,  of  cruelty.'' 

"  Really,  Monsieur  tbe  Count,"  replied  Franz,  "  one 
would  tbink  that  you  bad  stud^ed  the  différent  torturée 
of  ail  tbe  nations  of  tbe  world.^' 

**  TherQ  «ire,  at  least,  few  that  I  bave  not  seen,**  said  tbe 
count,  coldly. 

'^And  you  took  pleasure  in  bebolding  thèse  dreadfui 
speetacles  î  " 

''  ilLy  fii^t  âtotiment  was  horror  ;  tbe  second  indifférence.; 
ÀÎWitWrd  cmiosity."    ...  , 


504  THE  COUNT  OF  MONTB  CRISTO. 

••  Curîosity  !  tbat  is  a  terrible  word," 

**  Why  so  1  In  life,  our  greatest  préoccupation  is  deatk 
Is  it  not,  then,  curions  to  study  the  différent  ways  by  which 
the  soûl  and  body  can  part  ;  and  how,  according  to  tbeii 
différent  characters,  tempéraments,  and  even  tbe  différent 
customs  of  their  countries,  individuals  bear  tbe  transition 
from  life  to  death,  from  existence  to  annihilation!  As 
for  myself,  I  can  assure  you  of  one  tbing,  —  tbe  more 
men  you  see  die,  tbe  easier  it  becomes  to  die  ;  and  in 
mv  opinion,  deatb  may  be  a  torture,  but  it  is  not  an 
expiation.  "" 

"  I  do  not  quite  understand  you,"  replied  Franz;  "pray 
explain  your  meaning,  for  you  excite  my  curiosity  to  tbo 
highest  pitcbr 

**  Listen,"  said  tbe  count,  and  deep  batred  mounted  to 
bis  face  as  tbe  blood  would  to  the  face  of  any  otber.  "  If 
a  man  bad  by  unbeard-of  and  excruciating  tortures  de- 
stroyed  your  father,  your  motber,  your  mistress,— in  a 
Word,  one  of  tbose  beings  wbo  wben  tbey  are  torn  from 
you  leave  a  désolation,  a  wound  tbat  never  closes,  in  your 
breast,— do  you  consider  suf&cient  tbe  réparation  tbat 
Society  gives  you  by  causing  the  knife  of  tbe  guillotine 
to  pass  between  tbe  base  of  tbe  occiput  and  tbe  trapezal 
muscles  of  tbe  murderer,  and  by  inflicting  a  few  seconds* 
physical  pain  upon  bim  wbo  bas  caused  you  years  of 
moral  sufferings)" 

''Yes,  I  know,*'  said  Franz,  'Hbat  buman  justice  is 
insuf&cient  to  console  us.  She  can  give  blood  in  retum 
for  blood,  —  tbat  is  ail;  but  you  must  demand  from  ber 
only  wbat  it  is  in  ber  power  to  grant.'^ 

*'  I  will  put  another  case  to  you,"  continued  tbe  count  : 
**  tbat  wbere  society,  attacked  by  tbe  deatb  of  a  person, 
avenges  deatb  by  deatb.  But  are  tbere  not  a  tbousand 
tortures  by  which  a  man  may  be  made  to  suffer  without 


LA  MAZZOLATA«  505 

Society  taking  the  least  cognizance  of  them,  or  offering 
bim  even  the  insufficient  means  of  vengeance  of  which  we 
hâve  just  spoken)  Are  there  not  crimes  for  which  the 
impaiement  of  the  Turks,  the  augers  of  the  Persians,  the 
stake  and  the  brand  of  the  Iroquois  Indians^  wonld  be 
inadéquate  punishment,  aud  which  nevertheless  society, 
indiffèrent^  leaves  unpnnished  1  Answer  me,  do  not  thèse 
crimes  exist  )*'' 

"Yes,"  answered  Franz;  "and  it  is  to  punish  them 
tbat  dueliing  is  tolerated.'' 

*'Ah,  dueliing!'^  cried  the  coont^  —  "a pleasant  manner, 
upon  my  soûl,  of  arriving  at  your  end  when  that  end  is 
vengeance  !  A  man  bas  carried  off  your  mistress  ;  a  man 
bas  seduced  your  wife  ;  a  man  bas  dishonored  your  daugh- 
tcr,  —  be  bas  rendered  the  whole  life  of  one  who  had  the 
right  to  expect  from  Heaven  that  portion  of  bappiness 
God  bas  promised  to  every  one  of  bis  créatures  an  exist- 
tence  of  misery  and  infamy;  and  you  think  you  are 
avenged  because  you  send  a  bail  througb  the  head,  or  pass 
a  sword  througb  the  breast  of  that  man  who  bas  planted 
madneas  in  your  brain  and  despair  in  your  beart^  «-  with- 
out  considering  that  it  is  often  be  who  comes  off  victorious 
from  the  strife,  cleared  in  the  eyes  of  the  world,  and  in  a 
manner  absolved  by  God  !  No,  no/'  continued  the  count; 
"  had  I  to  avenge  myself,  it  is  not  thus  I  would  take 
revenge.** 

"Then  you  disapprove  of  dueliing;  you  would  not 
fight  a  duel  1  "  asked  Albert,  in  bis  turn,  astonisbed  at 
ibis  strange  tbeory. 

"  Ob|  yes  !  "  replied  the  count  ;  **  underatand  me,  I  would 
fight  a  duel  for  a  trifle,  for  an  insuit,  for  a  blow  ;  and  the 
more  readily  because,  thanks  to  my  skill  in  ail  bodily 
exercises  and  the  indifférence  to  danger  I  bave  gradually 
•cqoired,  I  sbould  be  almost  certain  to  kill  my  man.    Oh, 


506  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

I  wonld  fight  for  Buch  a  cause  ;  but  in  retum  for  a  bIow, 
profoundy  etemal  torture,  I  would  give  back  the  same, 
were  it  possible  :  an  eye  for  an  eye,  a  tooth  for  a  tooth| 
as  the  Orientalists  say,  —  our  masters  in  eveiything  ; 
those  favored  créatures  wbo  bave  formed  for  themselves  a 
life  of  dreams  and  a  paradise  of  realities." 

'*But/'  said  Franz  to  the  count^  ''with  this  theory, 
which  renders  you  at  once  judge  and  executioner  of  your 
own  cause,  it  would  be  difficult  to  adopt  a  course  in  which 
you  would  always  avoid  falling  under  the  power  of  the 
law.  Hatred  is  blind;  rage  carries  you  away;  and  he 
who  pours  eut  vengeance  runs  the  risk  of  tasting  a  bitter 
drauglit." 

"  Yea,  if  he  be  poor  and  inexperienced  ;  not  if  he  be 
rich  and  skiîfuL  Besldes,  the  worst  that  could  happen  to 
him  would  be  the  punishment  of  which  we  bave  already 
spoken,  and  which  the  philanthropie  French  Révolution 
bas  substituted  for  being  torn  to  pièces  by  horses,  or 
broken  on  the  wheel.  What  matters  this  punishment,  as 
long  as  he  is  avenged  1  On  my  word,  I  almost  regret  that 
in  ail  probability  this  misérable  Peppino  will  not.  be  de^ 
capttato,  as  you  might  hâve  had  an  opportunity  then  of 
seeing  how  short  a  time  the  punishment  lasts,  and  whether 
it  is  worth  even  mentioning«-but  really  this  is  a  most 
singular  conversation  for  thé  Carnival,  gentlemen;  how 
did  it  arise  î  Ah,  I  recoUect  )  you  asked  for  a  place  at 
my  window.  You  shall  bave  it  ;  but  let  us  first  sit  down 
to  table,  for  hère  comes  the  servant  to  inform  us  that 
breakfast  is  ready."  As  he  spoke,  a  servant  opened  one 
of  the  four  doors  of  the  salon,  saying,  '^  Al  suo  eom- 
modo  !  "  The  two  young  men  rose  and  entered  the 
breakfast-room. 

Duriiig  the  meal,  which  was  excellent,  and  admiraUj 
served,  Franz  looked  repeatedly  at  Albert,  in  order  to 


LA  ICAZZOLATA.  d07 

remanc  the  impression  which  he  doabted  not  bad  been 
made  on  him  by  the  words  of  their  entertainer;  but 
whether  with  bis  usual  carelessness  be  bad  paid  but  little 
attention  to  bim  ;  wbotber  the  explanation  of  the  Count  of 
Monte  Cristo  witb  regard  to  duelling  bad  satisfied  bim  ;  or 
whether  the  events  which  Franz  knew  of  bad  redoubled  for 
him  alone  the  effect  of  the  count's  théories^  —  he  remarked 
that  bis  companion  was  not  at  ail  preoccupied,  but  on  the 
contrary  ate  like  a  man  wbo  for  the  last  four  or  five 
months  had  been  condemned  to  partake  of  Italian  cookery, 
—  that  is,  the  worst  in  the  world.  As  for  the  count,  he 
just  touched  the  dishes  ;  it  seemed  as  if  he  fulfilled  the 
duties  of  an  entertainer  by  sitting  down  with  bis  guests, 
and  awaited  their  departure  to  be  served  with  some  strange 
or  more  délicate  food.  This  brought  back  to  Franz,  in 
spite  of  himself,  the  recollection  of  the  terror  with  which 

the  count  bad  iuspired  the  Comtesse  6 ,  and  her  firm 

conviction  that  the  man  in  the  opposite  box  was  a 
vampire.  At  the  end  of  the  breakfast  Franz  took  out  his 
watch. 

"  Well,"  said  the  count,  "  what  are  you  doing  î  " 

"  You  must  excuse  us,  Monsieur  the  Count,"  retumed 
Franz;  ''but  we  bave  still  much  to  do." 

**  What  may  that  be  r* 

'*  We  hâve  no  disguises  ;  and  it  is  absolutely  necessary 
to  procure  them." 

"  Do  not  concern  yourself  about  that  ;  we  bave,  I  think, 
a  private  room  in  the  Place  del  Popolo.  I  will  bave  what- 
ever  costumes  you  choose  brought  to  us^  and  you  can 
dress  there." 

"  Afiter  the  exécution  î  "  crîed  Franz. 

"  Before  or  after,  as  you  please." 

"  Opposite  the  scaffold  t  *' 

^  The  scaffold  forma  part  of  the  fête.^ 


508  THS  GOUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

''  Monsieur  the  Count^  I  hâve  leflected  on  the  matter,** 
said  Franz.  "  I  thank  you  for  jour  courtesy,  but  I  shall 
content  myself  with  aocepting  a  place  in  your  carriage  and 
at  your  window  at  the  Rospoli  Palace  ;  and  I  leave  you  at 
liberty  to  dispose  of  my  place  at  the  Place  del  Popolo." 

"  But  I  wam  you^  you  will  lose  a  veiy  curions  sight," 
retumed  the  count 

''You  will  relate  it  to  me/*  replied  Franz;  ''and  the 
récital  from  your  lips  will  make  as  great  an  impression  on 
me  as  if  I  had  witnessed  it.  I  hâve  more  than  once 
intended  witnessing  an  exécution,  but  I  hâve  never  beea 
able  to  make  up  my  mind;  and  you,  Albert  1** 

"  I,"  replied  the  viscount,  —  "I  saw  Castaing  executed  ; 
but  I  think  I  was  rather  intoxicated  that  day,  for  I  had 
quitted  collège  the  same  moming,  and  we  had  passed  the 
préviens  night  at  a  tavern.** 

"  Besides,  the  fact  that  you  hâve  not  done  a  thing  in 
Paris  is  no  reason  for  your  not  doing  it  abroad  ;  when  you 
travel,  it  is  to  see  everything.  Think  what  a  figure  you 
will  make  when  you  are  asked,  '  How  do  they  exécute  at 
Rome  )'  and  you  reply,  'I  do  not  know  '  !  And  they  say 
that  the  culprit  is  an  infamous  scoundrel,  who  killed  with 
a  log  of  wood  a  worthy  canon  who  had  brought  him  up 
like  his  own  son.  The  devil  !  whon  a  churchman  is  killed, 
it  should  be  with  a  différent  weapon  than  a  log,  especially 
when  he  has  behaved  like  afather.  If  you  went  to  Spain, 
would  you  not  see  the  bull-fights  )  Well,  suppose  it  is  a  bull- 
fight  that  we  are  going  to  see.  RecoUect  the  ancient  Ro- 
mans of  the  Circus,  and  the  sports  where  they  killed  three 
hundred  lions  and  a  hundred  men.  Think  of  the  eighty 
thousand  applauding  spectators,  the  sage  matrons  who  took 
their  daughters,  and  the  charming  Vestals  who  made  with 
the  thumb  of  their  white  hands  the  fatal  sign  that  said, 
*  Corne,  no  idlingl  kill  me  that  man,  already  nearly  dead.'" 


LA  MAZZOLATA.  509 

••  Shall  you  go,  then,  Albert  î  "  aaked  Franz. 

**  Ma  foi  /  yes.  Like  you,  I  hesitated,  but  the  count'a 
éloquence  décides  me  !  " 

"  Let  us  go,  then,"  said  Franz,  "  since  you  wish  it  ;  but 
ou  our  way  to  the  Place  de!  Popolo,  I  wish  to  pass  through 
the  Rue  du  Cours.   Is  this  possible.  Monsieur  the  Count  1  ** 

"  On  foot,  yes  ;  in  a  carriage,  no  I  " 

"  I  will  go  on  foot,  then  I  " 

''Is  it  important  that  you  should  pass  through  this 
Street  1" 

**  Yes,  there  is  something  I  wish  to  see." 

"  Well,  we  will  pass  by  the  Eue  du  Cours.  We  will 
send  the  carriage  to  wait  for  us  on  the  Place  del  Popolo, 
by  the  Strada  del  Babuino,  for  I  shall  be  glad  to  pass,  my- 
self,  through  the  Rue  du  Cours,  to  see  if  some  orders  I  hâve 
given  bave  been  executed." 

"  Excellency,"  said  a  servant,  opening  the  door,  ''  a  man 
in  the  dress  of  a  pénitent  wishes  to  speak  to  you." 

**  Ah,  yes  !  "  retumed  the  count  ;  "  I  know  whb  he  is, 
gentlemen.  Will  you  retum  to  the  salon  î  Youwillfindon 
the  centre-table  some  excellent  Havana  cigars.  I  will  be 
with  you  directly.** 

The  young  men  rose  and  retumed  into  the  salon,  while 
the  count,  again  apologizing,  lefb  by  another  door.  Albert 
who  was  a  great  smoker,  and  who  had  considered  it  no 
small  sacrifice  to  be  deprived  of  the  cigars  of  the  Café  de 
Paris,  approached  the  table,  and  uttered  a  cry  of  joy  at 
perceiving  some  véritable  puros. 

"  Well,**  asked  Franz,  "  what  do  you  think  of  the  Count 
of  Monte  Cristoî" 

"  What  do  I  think  î  **  said  Albert^  evidently  surprised 
at  such  a  question  from  his  companion.  ''  I  think  that  he 
is  a  delightful  fellow,  who  does  the  honors  of  his  table 
admiiably  ;  who  bas  travelled  much,  read  much,  la,  like 


510  ..  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

Brutus,  of  the  Stoic  school;  and  moreover,"  added  he, 
sending  a  volume  of  smoke  up  towards  the  ceiling,  *^  that 
he  has  excellent  cigars.*' 

Such  was  Albert^s  opinion  of  the  count  ;  and  as  Fkanz 
well  kuew  that  Albert  professed  ne  ver  to  form  an  opinion 
except  upon  long  reflection,  he  made  no  attoinpt  to  change 
it  "  But,'*  said  he,  "  did  you  remark  oife  very  singular 
thing  ?  " 

"Whatr 

"  How  attentively  he  looked  at  you.** 

«Atme?" 

"  Yes." 

Albert  leflected.  "  Ah  !  "  replied  he,  sighing,  '*  that  ia 
not  very  surprising.  I  hâve  been  more  than  a  year  absent 
from  Paris,  and  my  clothes  are  of  a  most  antiquated  eut  ; 
the  count  takes  me  for  a  provincial.  The  fîrst  opportu- 
nity  you  hâve,  undeceive  him^  I  beg,  and  tell  him  I  am 
nothing  of  the  kind." 

Franz  smiled  ;  an  instaét'after,  the  count  entered.  "  I 
am  now  quite  at  your  service,  gentlemen,'*  saiJ'he.  '*  The 
carriage  is  going  one  way  to  the  Place  del  Popolo,  and  we 
will  go  another  ;  and  if  you  please,  by  the  Rue  du  Cours. 
Take  some  of  thèse  cigars,  M.  de  Morcerf." 

**  With  ail  my  heart,"  returned  Albert  ;  "  thèse  Italian 
cigars  are  horrible.  When  you  come  to  Paris,  I  will  ro- 
turn  ail  this." 

''  I  will  not  refuse.  I  intend  going  there  soon  ;  and  since 
you  allow  me,  I  will  pay  you  a  visit.  Come;  we  hâve 
not  any  time  to  lose,  it  is  hedf-past  twelve,  —  let  us  set 
oflf!'* 

Ail  three  descended  ;  the  coachman  received  his  master^a 
•rders,  and  drove  down  the  Via  del  Babuino,  while  the 
Mree  gentlemen  walked  towards  the  Place  d'Espagne  and 
he  Via  Frattîna,  which  led  directly  between  the  Fiano 


LA  MAZZOLATA.  511 

and  Rospoli  Palaces.  AU  Franz's  attention  was  directed 
towards  the  w^indows  of  the  palace  last  named,  for  he  had 
not  forgotten  the  signal  agreed  upon  between  the  man  in 
the  mautle  and  the  Transteverian  peasant.  ''  Which  are 
jour  Windows  )  "  asked  he  of  the  count,  with  as  niuch  in- 
différence as  he  could  assume. 

'*  The  last  three,"  retumed  he,  with  a  négligence  evi- 
dently  unaffected,  —  for  he  could  not  imagine  with  what 
intention  the  question  was  put.  Ftanz  glanced  rapidly 
towards  the  three  Windows.  The  side  Windows  were  hung 
with  yellow  damask,  and  the  centre  one  with  white  dam- 
ask  and  a  red  cross.  The  man  in  the  mantle  had  kept  his 
promise  to  the  Transteverian,  and  there  could  now  be  no 
doubt  that  he  was  the  count  The  three  Windows  were 
still  untenanted.  Préparations  were  making  on  every 
side  ;  chairs  were  placed,  scaffolds  were  raised,  and  Win- 
dows were  hung  with  flags.  The  masks  could  not  ap- 
pear  ;  the  carnages  could  not  move  about  until  the  strik- 
ing  of  the  clock  ;  but  the  masks  were  visible  behind  the 
Windows,  the  carnages  behind  ail  the  gâtes. 

Franz,  Albert,  and  the  count  continued  to  descend  the 
Rue  du  Cours.  As  they  approached  the  Place  del  Popolo 
the  cjowd  became  more  dense,  and  above  the  heads  of  the 
multitude  two  objects  were  visible,  «- the  obelisk,  sur- 
mounted  by  a  cross,  which  marks  the  centre  of  the  place  ; 
and  before  the  obelisk  at  the  point  where  the  three  streets, 
del  Babuino,  del  Corso,  and  di  Ripetta  meet,  the  two  up- 
rights  of  the  scaffold,  between  which  glittered  the  curved 
knife  of  the  mandaia.  At  the  corner  of  the  street  they 
met  the  count's  steward,  who  was  awaiting  his  master. 
The  window,  hired  doubtless  at  an  exorbitant  price, 
which  the  count  had  wished  to  conceal  from  bis  guests,  was 
on  the  second  floor  of  the  great  palace,  situated  between 
the  Rue  del  Babuino  and  the  Monte  Pincio.     It  belonged» 


612  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

as  we  hâve  said,  to  a  small  dressing-Toom,  openîug  ïnt^ 
a  bedroom  ;  and  when  the  door  of  communication  was 
shuty  the  inmates  were  quite  alone.  On  the  chairs  were 
laid  élégant  costumes  of  paillasse^  in  blue  and  wbite 
satin. 

"  As  you  left  the  choice  of  your  costumes  to  me/'  said 
the  count  to  the  two  friends,  **  I  hâve  had  thèse  brought, 
as  they  will  be  the  most  wom  this  year  ;  and  they  are  most 
suitable,  on  account  of  the  œn/eUi,  as  they  do  not  show  the 
flour.'* 

Franz  heard  the  words  of  the  count  but  imperfectly,  and 
he  perhaps  did  not  fully  appreciate  this  new  attention,  for 
he  was  wholly  absorbed  by  the  spectacle  that  the  Place  del 
Popolo  presentedy  and  by  the  terrible  instrument  which  at 
that  moment  was  its  principal  omament.  It  was  the  first 
time  Franz  had  ever  seen  a  guillotine,  —  we  say  guillotine 
because  the  Eoman  manddia  is  formed  on  almost  the  same 
model  as  the  French  instrument  ;  the  knîfe,  which  is  shaped 
like  a  crescent,  that  cuts  with  the  convex  side,  falls  from 
a  less  height,  and  that  is  ail  the  différence.  Two  men, 
seated  on  the  movable  plank  on  which  the  culprit  is  laid, 
were  eating  their  breakfast  while  waiting  for  the  criminal. 
Their  repast  consisted  apparently  of  bread  and  sausagea 
One  of  them  lifbed  the  plank,  took  thence  a  flask  of  wine, 
drank  some  and  then  passed  it  to  bis  companion.  Thèse 
two  men  were  the  executioner's  assistants.  At  this  sight 
Franz  felt  the  perspiration  start  forth  upon  his  brow. 

The  prisoners,  •  transported  the  préviens  evening  from 
the  Carceri  Nuovo  to  the  little  church  of  Santa  Maria 
del  Popolo,  had  passed  the  night,  each  accompanied  by 
two  priests,  in  a  chapel  closed  by  a  grating  before  which 
were  two  senti  nels,  relieved  at  intervais.  A  double  line 
of  carbineers,  placed  on  each  side  of  the  door  of  the  church, 
reachèd  to  the  «caffold  and  formed  a  circle  round  it^  leay- 


LA  MAZZOLATA.  513 

Ing  a  path  ubout  ten  feet  nvide,  and  aroand  the  guillotine 
a  space  of  nearly  a  hundred  feet.  Ail  the  lest  of  the  place 
was  paved  with  heads  of  men  and  women.  Many  women 
held  their  infants  on  their  shoulders,  and  thus  the  chil- 
dren  had  tlie  beat  view.  The  Monte  Pincio  seemed  a 
vast  amphithéâtre  filled  Mrith  spectators.  The  balconies 
of  the  two  churches  at  the  corner  of  the  Rue  del  Babuino 
and  the  Bue  di  Ripetta  were  cranimed;  the  steps  even 
seemed  a  parti-colored  sea^  that  was  impelled  towards 
the  portioo;  every  niche  in  the  wall  held  its  living 
statue.^  What  the  count  said  was  true,  —  the  most  curi- 
ons spectacle  in  life  is  that  of  death. 

And  yet,  instead  of  the  silence  which  the  solemnity  of 
the  spectacle  would  seem  to  demand,  a  great  noise  arose 
from  that  crowd,  —  a  noise  composed  of  laughter  and  joy- 
ous  shouts  ;  it  was  évident  that  this  exécution  was  in  the 
eyes  of  the  people  only  the  commencement  of  the  Carni- 
val.  Suddenly  the  tumult  ceased  as  if  by  magie;  the 
doors  of  the  church  opened.  A  brotherhood  of  pénitents 
dothed  from  head  to  foot  in  robes  of  gray  sackcloth,  with 
holes  for  the  eyes  alone,  and  holding  in  their  hands  lighted 
tapers,  appeared  first  ;  the  chief  marched  at  the  head.  Be- 
hind  the  pénitents  came  a  man  of  lofty  stature.  He  was 
naked,  with  the  exception  of  cloth  drawers,  at  the  left 
side  of  which  hung  a  large  knife  in  a  sheath,  and  ho  bore 
on  his  right  shoulder  a  heavy  mace.  This  man  was  the 
executioner.  He  had,  moreover,  sandals  bound  on  his  feet 
by  cords.  Behind  the  executioner  came,  in  the  order  in 
which  they  were  to  die,  first  Peppino,  and  then  Andréa. 
Each  was  accompanied  by  two  priests.  Neither  had  his 
eyes  bandaged.  Peppino  walked  with  a  firm  step,  doubt- 
less  aware  of  what  awaited  him.  Andréa  was  supported 
by  two  prîests.  Each  of  them  kissed  from  time  to  time 
the  crucifix  a  confessor  held  out  to  them.  At  this  sight 
vuL.  I.  —  ;j.t 


514  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

aloBe  Franz  felt  his  legs  tremble  under  him.  He  looked 
at  Albert;  he  was  wbite  as  his  sbirt,  and  mecbanically 
cast  away  his  cigar,  altbough  he  had  not  balf  sinoked  it 
The  count  alone  seemed  unmoved,  —  nay,  more,  a  sligbt 
color  seemed  striving  to  nse  in  his  pale  cheeks.  His  nos- 
tril  dilated  like  that  of  a  \rild  beast  that  scents  its  prey  ; 
and  his  lips,  half-opened,  disclosed  his  wbite  teeth,  small 
and  sharp  like  those  of  a  jackaL  And  yet  his  features 
wore  an  expression  of  smiling  tendemess,  such  as  Franz 
had  never  before  witnessed  in  them;  his  black  eyes  es* 
pecially  were  full  of'kindness  and  pity.  However,  the 
two  culprits  advanced,  and  as  they  approached,  their  faces 
became  visible.  Peppino  was  a  handsome  young  man, 
twenty-four  or  twenty-five  years  old,  bronzed  by  the  sun  ; 
he  carried  his  head  erect,  and  seemed  to  sniff  the  air  to  as- 
certain  on  which  side  his  liberator  would  appear.  Andréa 
was  short  and  fat  ;  his  visage,  marked  with  brutal  craelty, 
did,  not  indicate  âge;  he  might  be  thirty.  In  prison  he 
had  suffered  his  beard  to  grow  ;  his  head  fell  on  his  shoul- 
der,  bis  legs  bent  beneath  him,  and  he  seemed  to  obey  a 
mechanioal  movement  of  which  he  was  unconscious. 

"  I  thought,"  said  Franz  to  the  count  "  that  you  told 
me  there  would  be  but  one  exécution." 

"  I  told  you  the  truth,"  replied  he,  coldly. 

**  However,  hère  are  two  culprits." 

''  Yes  ;  but  only  one  of  thèse  two  is  about  to  die.  The 
other  bas  long  years  to  live/' 

"  If  the  pardon  is  to  corne,  there  is  no  time  to  lose." 

**  And  see,  hère  it  cornes  !  "  said  the  count. 

At  the  moment  when  Peppino  airived  at  the  foot  of  the 
mandaiaf  a  pénitent,  who  seemed  to  arrive  late,  forced  his 
way  tbrough  the  soldiers,  and  adyançing  to  the  chief  of 
the  brotherhood,  gave  him  a  folded  paper.  The  piercing 
eye  of  Peppino  had  noticed  ail.    The  chief  took  the  paper, 


tk  MAZZOLATA.  515 

onfolded  it,  and  laising  his  hand,  ''Heaven  be  pndsedi 
and  his  Holiness  also  !  "  said  he,  in  a  loud  voice.  **  Hère 
is  a  pardon  for  one  of  the  prisoners  !  " 

*'A  pardon  1'*  czied  the  people,  with  one  voice^  —  ''a 
pardon  l  " 

At  thifl  cry  Andréa  raised  his  head.  ''  Pardon  for  whomi '* 
crîed  he.    Peppino  remained  breathless. 

"A  pardon  for  Peppino,  called  Eocca  Priori/'  said  the 
principal  friar;  and  he  pasaed  the  paper  to  the  officer 
commanding  the  carbineers»  who  read  and  retumed  it 
to  him. 

**  For  Peppino  !  "  cried  Andréa,  who  seemed  aroused 
from  the  torpor  in  which  he  had  been  plunged.  *•  Why 
for  him  and  not  for  me  ?  We  ought  to  die  together.  I 
was  promised  he  should  die  with  me.  You  hâve  no  right 
to  put  me  to  death  alone.  I  will  not  die  alone  !  I  will 
not!"  And  he  broke  from  the  priests,  struggling  and 
raving  like  a  wild  beast^  and  striving  desperately  to  break 
the  cords  that  bound  his  hands.  The  executioner.  made 
a  sign,  and  his  assistants  leaped  from  the  scaffold  and 
seized  him. 

*' What  is  the  matter  with  him?  "  asked  Franz  of  the 
count,  for  as  ail  had  been  spoken  in  the  Roman  dialect, 
he  had  not  perfectly  comprehended  it 

"  Do  you  not  see  î  "  retumed  the  count.  "  Thîs  human 
créature  who  is  about  to .  die  is  furious  that  his  fellow- 
sufiferer  does  not  perish  with  him  ;  and  were  he  able,  he 
would  rather  tear  him  to  pièces  with  his  teeth  and  naila 
than  let  him  enjoy  the  life  he  himself  is  about  to  be  de- 
prived  of.  Oh,  man,  man  !  race  of  crocodiles  I  '*  cried  the 
Qount^  extending  his  clinched  ha^ds  towards  the  crowd» 
''I  recognize  youwell  in  that.  At  ail  times  you  axe 
worthy  of  yourselves  I  " 

AU  this  time  Andréa  and  the  two  executioi^ers  wjers 


916  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

straggling  on  the  ground  ;  and  he  kept  exclaiming,  "  He 
ought  to  die  !  be  shall  die  1  I  will  not  die  alone  !  " 

"  Look,  look  !  "  crîed  the  couut,  seizing  the  young  men's 
hands,  —  "  look  !  for  on  my  soûl,  it  is  cuiious,  Hero  ia  a 
man  who  had  resigned  himself  to  bis  fate,  who  was  golng 
to  the  scaffold  to  die,  —  like  a  coward,  it  is  true,  but  he 
was  about  to  die  without  résistance.  Do  you  know  wbat 
gave  him  strengtb  ;  do  you  know  what  consoled  bim  1 
It  was  that  another  partook  of  bis  punishment  ;  that 
another  partook  of  bis  anguisb;  that  another  was  to 
die  before  him!  Lead  two  sheep  tothe  butcber^s,  two 
oxen  to  the  slaugbter-house,  aud  make  one  of  them  under- 
stand  bis  companion  will  not  die,  —  the  sheep  will  bleat 
for  pleasure,  the  ox  will  bellow  with  joy.  But  man,  — 
man,  whom  God  created  in  bis  own  image;  man,  upon 
wbom  God  bas  laid  bis  first,  bis  suprême  commandment, 
to  love  bis  neighbor;  man,  to  whom  God  bas  giveu  a 
Yoice  to  express  bis  thoughts,  «-  wbat  is  bis  first  cry  when 
be  bears  bis  fellow-man  is  saved  )  A  blasphemy  !  Houor 
to  man,  this  masterpiece  of  nature,  tbis  king  of  the  créa- 
tion 1  "  And  the  count  burst  into  a  laugh,  but  a  terrible 
laugb,  that  showed  he  must  bave  sufEered  borribly. 

In  the  mean  time  the  struggle  continued,  and  it  was 
dreadful  to  witness.  The  people  ail  took  part  against 
Andréa,  and  twenty  thousand  voîces  cried,  "  Kill  bim  ! 
Kill  bim  !"  Franz  sprang  back ;  but  the  count  seized 
bis  arm  and  beld  bim  before  the  window.  ''Wbat  are 
you  doing  î  "  said  be.  "  Do  you  pity  bim  î  If  you  beard 
the  ciy  of  '  Mad  dog  !  •  you  would  take  your  gun,  you 
would  unbesitatingly  shoot  the  poor  beast,  who  afber  ail 
would  be  guilty  only  of  baving  been  bitten  by  another 
dog.  And  yet  you  pity  a  man  who,  without  being  bitten 
by  one  of  bis  race,  bas  yet  murdered  bis  benefactor  ;  and 
wbOy  now  unable  to  kill  any  one  because  bis  bands  are 


LÀ  MAZZOLATA.  517 

boondy  wishes  to  see  hîa  companion  in  captiyity  perish. 
No,  no  ;  look,  look  !  " 

This  lecommendation  was  needless.  Franz  was  fasci* 
nated  by  the  horrible  spectacle.  The  two  assistants  had 
borne  Andréa  to  the  scaffold,  and  there,  in  spite  of  his 
fitraggles,  his  bites,  and  his  cries,  had  forced  him  to  his 
knees.  Meanwhile  the  executioner  had  put  himself  in 
position  by  his  side,  and  lifting  his  mace,  he  signed  to 
them  to  get  out  of  the  way  ;  the  crimiual  strove  to  rîse, 
but  ère  he  had  time,  the  mace  fell  on  his  lefb  temple.  A 
dull  and  heavy  sound  was  heard,  and  the  man  dropped  like 
an  ox,  with  his  face  to  the  ground,  and  then  tumed  over 
on  his  back.  The  executioner  let  fall  his  mace,  drew  his 
knife,  and  with  one  stroke  opened  his  throat,  and  mount- 
ing  on  his  stomach,  stamped  violently  on  it  with  his  feet. 
At  every  stroke  a  jet  of  blood  sprang  from  the  wound. 

Franz  could  sustain  himself  no  longer,  but  sank  half- 
faiuting  into  a  seat.  Albert,  with  his  eyes  dosed,  was 
standing  grasping  the  window-cartaîns.  The  count  was 
erect  and  triumphant,  like  the  avenging  angeL 


(18  THE    COUNT  OF  MONTS  CRISTO. 


CHAPTER  XXXVI. 

THE  OâRNIVAI*  AT  ROME. 

Whbn  Franc  recovered  his  sensés,  he  saw  Albert  drinking 
a  giass  of  wator»  of  wbich  his  paleness  showed  he  stood  in 
great  need,  and  the  count  assuming  his  costume  of  pa- 
illdsse.  He  glanced  mechanîcally  towards  the  place.  AU 
had  disappeared, — scaffold,  executioners,  victims;  nought 
reinained  but  the  people,  full  of  noise  and  excitement. 
The  bell  of  Monte  Citorîo,  which  sounds  only  on  the 
pope's  decease  and  the  openlng  of  the  Carnival,  was  ring- 
ing  a  joyous  peaL  "  Well,"  asked  he  of  the  count,  "  what 
bas  then  bappened  ?  " 

"Nothing,"  replîed  the  count;  "only,  as  you  see, 
the  Gamival  bas  commenced.  Make  baste  and  dress 
yourself.** 

**In  reality,"  said  Franz^  "tbis  horrible  scène  bas 
passed  away  like  a  dream." 

**  It  is  indeed  nothing  but  a  dream,  — a  nightmare  that 
bas  disturbed  you." 

"  Tes,  as  to  myself  ;  but  the  culprit  t  •* 

**  That  is  a  dream  also.  Only  he  bas  remained  asleep, 
while  you  bave  awakened  ;  and  who  knows  which  of  you 
is  the  most  fortunatel" 

"  But  Peppino, — what  bas  become  of  hîm  t  ^ 

"  Peppino  is  a  lad  of  sensé  who  unlike  most  men,  who 
are  furious  if  they  pass  unnoticed,  was  delighted  to  see 
that  the  gênerai  attention  was  directed  towards  bis  com- 
panion.    He  profited  by  tbis  distraction  to  slip  away 


THE  CARNIVAL  AT  ROME.  ^19 

among  the  crowdy  without  even  thanking  the  vorthy 
priesta  who  had  accompanied  him.  Decidedly,  man  is  an 
ungratciful  and  egotistical  animal.  But  dress  yourself  ; 
see,  M.  de  Morcerf  sets  yoa  tbe  example." 

Albert  was  in  fact  drawing  on  the  satin  trousers  over 
his  black  trousers  and  vamisbed  boots.  **  Well,  Albert/' 
said  Franz,  ^^  do  you  feel  much  incliued  to  join  the  revels  1 
Corne  ;  answer  frankly." 

"Ma  foi!  no,"  retumed  Albert  "But  I  am  really 
glad  to  hâve  seen  such  a  sight  ;  and  I  undersband  what 
Monsieur  the  Count  said,  —  that  when  you  haye  once 
habituated  yourself  to  such  a  spectacle,  it  is  the  only  one 
that  causes  you  any  émotion." 

"Without  reflecting  that  it  is  the  only  moment  in 
which  you  can  study  characters/'  said  the  count.  "  On 
the  steps  of  the  scaffold  death  tears  off  the  musk  that  bas 
been  wom  through  life,  and  the  real  visage  is  disclosed. 
It  must  be  allowed  Andréa  was  not  very  handsome,  —  the 
hideous  scoundrel!  Corne,  dress  yourselves,  gentlemen; 
dress  yourselves!" 

Franz  felt  that  it  would  be  ridîculous  not  to  follow  his 
two  companions'  example.  He  assumed  his  costume  and 
fÎEistened  on  his  mask,  which  certainly  was  not  paler  than 
his  own  face.  Their  toilet  finished,  they  descended  ;  the 
carnage  awaited  them  at  the  door,  filled  with  confetti  and 
bouquets.  They  fell  into  tbe  line  of  carnages.  It  is  diffi- 
cult  to  form  an  idea  of  the  perfect  change  that  had  taken 
place.  Instead  of  the  spectacle  of  gloomy  and  silent 
death,  the  Place  del  Popolo  presented  a  spectacle  of  gay 
and  noisy  revelry.  A  crowd  of  masks  flowed  in  from  ail 
sides,  escaping  from  the  doors,  descending  from  the  win* 
dows.  From  every  street  and  every  tum  drove  carnages 
filled  with  pierrotSy  harlequins,  dominos,  marchionesses, 
Transteveriansy  knights,  and  peasants,  screaming,  fighting 


520  THB  COUNT  OF  MONTE  CRISTa 

gesticulating,  whirling  eggs  filled  with  flonr,  eQnfdJf\ 
bouquetoy  attacking  with  their  sarcasms  and  missiles 
friends  and  foes,  companions  and  strangers,  indiscrimi- 
uatelj,  witbout  any  one  taking  offence,  or  doing  anything 
else  than  laugb. 

Franz  and  Albert  were  like  men  who  to  drive  away  a 
violent  sorrow  bave  rocourse  to  wine^  and  wbo^  as  tbey 
drink  and  become  intoxicated,  feel  a  tbick  veil  diawn 
between  tbe  past  and  the  présent.  Tbey  saw  always,  or 
ratber  tbey  continued  to  perceive  witbin  tbemselves  tbe 
reflection  of  wbat  tbey  bad  witnessed  ;  but  little  by  little 
tbe  gênerai  excitement  gained  upon  tbem,  and  tbey  felt 
tbemselves  obliged  to  take  part  in  tbe  noise  and  confusion. 
A  bandful  of  confetti  tbat  came  from  a  neigbboring  car- 
riage,  and  wbicb,  wbile  it  covered  Morcerf  and  bis  two 
companions  witb  dust,  pricked  bis  neck  and  tbat  portion 
of  bis  face  uncovered  by  bis  mask  like  a  bundred  pins, 
plunged  bim  into  tbe  gênerai  combat^  in  wbich  ail  tbe 
masks  around  bim  were  engaged.  He  rose  in  bis  tum, 
and  seizing  bandfuls  of  confetti^  with  wbich  tbe  carnage 
was  ûlledy  cast  tbem  at  bis  neigbbors  witb  ail  tbe  force 
and  address  be  was  master  of.  Tbe  strife  bad  fairly  com- 
menced  ;  and  tbe  recollection  of  wbat  tbey  bad  seen  hall 
an  bour  before  was  gradually  eflaced  from  the  young 
men's  minds,  so  much  were  tbey  occupied  by  tbe  gay  and 
glittering  procession  tbey  now  beheld.  As  for  the  Count 
of  Monte  Cristo,  be  bad  never  for  au  instant  sbown  any 
appearance  of  baving  been  moved. 

Imagine  the  large  and  splendid  Rue  du  Cours  bordereà 
from  one  end  to  the  other  with  lofby  palaces,  witb  their 
balconies  bung  with  carpets^  and  their  Windows  with 
flags;  at  thèse  balconies  and  Windows  three  hundred 
thousand  spectators,  —  Romans,  Italians,  strangers  from 
ail  parts  of  tbe  world;  tbe  united  aristocracy  of  birth 


THE  CARNIVAL  AT  BOMB.  521 

wealth;  and  genius  ;  lovely  vomen  who,  yielding  to  th€ 
influence  of  the  scène,  bend  over  their  balcon ies  or  lean 
from  their  Windows  and  shower  down  upon  the  passing 
carriages  confetti^  which  are  retumed  by  bouquets  ;  the 
air  seems  darkened  with  falling  confetti  and  ascending 
flowers;  in  the  streets  the  lively  crowd,  dressed  in  the 
most  fantastic  costumes,  —  gigantic  cabbages  walk  gravely 
about,  buffaloes'  heads  bellow  from  men's  shoulders,  dogs 
walk  on  their  hind  legs  ;  in  the  midst  of  ail  this  a  mask 
is  lifbed,  and  as  in  Callot's  ''  Temptation  of  Saint  Anthony/' 
a  lovely  face  is  exhibited  which  we  would  fain  follow,  but 
from  which  we  are  separated  by  troops  of  fiends,  —  this 
will  give  a  faint  idea  of  the  Camival  at  Rome. 

At  the  second  tum  the  count  stopped  the  carnage  and 
asked  of  his  companions  permission  to  quit  them,  leaving 
the  vehicle  at  their  disposai.  Franz  looked  up  ;  they  were 
opposite  the  Rospoli  Palace.  At  the  centre  window,  the 
one  hung  with  white  damask  with  a  red  cross,  was  a  blue 
domino,  beneath  which  Franz*s  imagination  easily  pictured. 
the  beautiful  Greek  of  the  théâtre. 

"Gentlemen,"  said  the  count,  springing  ont,  "when 
you  are  tired  of  being  actors,  and  wish  to  become  specta- 
tors  of  this  scène,  you  know  you  bave  places  at  my  Win- 
dows. In  the  mean  time,  dispose  of  my  coachman,  my 
carnage,  and  my  servants." 

We  hâve  forgotten  to  mention  that  the  count's  coach- 
man  was  attired  in  a  bear-skin  exactly  reserabling  Odry's 
in  *'  The  Bear  and  the  Pacha  ;''  and  the  two  footmen  be- 
hind  were  dressed  up  as  green  monkeys,  with  spring  masks 
with  which  they  madé  grimaces  at  every  one  who  passed. 

Franz  thanked  the  count  for  his  attention.  As  foi 
Albert,  he  was  busily  occupied  throwing  bouquets  at  a 
carriage  full  of  Roman  peasants  that  had  halted  near  him. 
Unfortunately  for  him,  the  line  of  carriages  moved  on 


522  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

again,  and  while  he  descended  towards  the  Place  del  Popolo^ 
the  other  ascended  towards  the  Palais  de  Venise.  '*  Ah  ! 
my  dear  fellow  1  "  said  he  to  Franz  ;  *'  you  did  not  see  )  " 

"  What  î  " 

*«  There^  —  that  calèche  ûlled  with  Boman  peasants." 

"No." 

"  Well,  I  am  convinced  they  are  charming  women." 

"  How  unfortunate  you  were  masked,  Albert  !  "  said 
Franz  ;  **  hère  was  an  opportunity  of  making  up  for  past 
disappointments.'' 

"  Oh  !  "  replied  he,  half  laughing,  half  serions  ;  "  I 
hope  the  Camival  will  not  pass  without  bringing  me 
8ome  compensation." 

Bat  in  spite  of  Albert's  hope,  the  day  passed  unmarked 
by  any  incident,  excepting  meeting  two  or  three  times  the 
calèclie  vith  the  Roman  peasants.  At  one  of  thèse  en- 
counters,  accidentally  or  by  Albert's  intention,  his  mask 
fell  off.  He  instantly  rose  and  cast  the  remainder  of  the 
bouquets  into  the  carnage.  Doubtless  one  of  the  charming 
women  Albert  had  divined  beneatb  their  coquettish  dis- . 
guise  vas  touched  by  his  gallantry,  —  for  in  ber  tum,  as 
the  carriage  of  the  two  friends  passed  hor,  she  threw  a 
bunch  of  violets  into  it.  Albert  seized  It  ;  and  as  Franz 
had  no  reason  to  suppose  it  was  sent  to  him,  he  sufiered 
Albert  to  retain  it.  Albert  placed  it  in  his  button-hole, 
and  the  carriage  went  triumphantly  on. 

"  Well,"  said  Franz  to  him,  '^  hère  is  the  commencement 
of  an  adventure/* 

**  Laugh  if  you  please  ;  I  really  think  so.  80  I  will 
not  abandon  this  bouquet" 

**Fardieti/"  retumed  Franz,  laughing,  **  I  bélieTe  you  ; 
it  is  a  sign  of  récognition.'' 

The  jest,  however,  soon  appeared  to  become  eamest,  — 
for  when  Albert  and  Franz  again  encountered  the  carnage 


TU£  CARNIVAL  AT  ROBOL  523 

mth  the  eantadini,  tlie  one  vho  had  thrown  the  Tioleis 
to  Albert  clapped  her  hands  when  shè  beheld  them  in  his 
button-bole. 

''  Bravo  !  bravo  I  "  said  Franz  ;  "  tbings  go  vonderfully. 
Sball  I  leave  you  )    Perhaps  y  ou  would  prefer  beiug  alone  1  " 

**  No,"  replied  be  ;  ''I  will  not  be  caught  like  a  fool 
at  a  fiist  démonstration,  by  a  rendezvous  under  the  clock, 
as  they  say  at  the  opera-balls.  If  the  fair  peasant  wishes 
to  carry  matters  any  farther,  we  sball  find  ber,  or  rather 
she  will  iind  us  to-morrow  ;  tben  sbe  will  give  me  some 
sign,  and  I  sball  know  wbat  I  bave  to  do." 

"On  my  word,"  said  Franz,  "you  are  wise  as  Nestor  and 
prudent  as  Ulysses  ;  and  your  fair  Circe  must  be  very  skil- 
f ul  or  very  powerful  if  sbe  succeed  in  changing  you  into 
a  beast  of  any  kind." 

Albert  was  right;  the  fair  unknovm  bad  resolved, 
doubtless,  to  carry  the  intrigue  no  farther  on  that  day  ; 
for  although  the  youDg  men  made  several  more  turns, 
they  did  not  again  see  the  calèche,  whicb  bad  tumed  up 
one  of  the  neighboring  streets.  Tben  they  retumed  to  the 
Kospoli  Palace  ;  but  the  count  and  the  blue  domino  bad 
also  disappeared.  The  two  Windows,  hung  witb  yellow 
damask,  were  still  occupied  by  persons  wbom  probably 
tbe  count  had  invited.  At  tbis  moment  the  same  bell 
that  had  proclaimed  the  opening  of  the  Camival  sounded 
the  retreat  The  file  on  tbe  Corso  broke  tbe  line,  and 
in  a  second  ail  the  carriages  bad  disappeared.  Franz 
and  Albert  were  opposite  the  Via  délie  Maratte;  tbe 
coachman,  without  saying  a  word,  drove  up  it,  passed 
along  the  Place  d'Espagne  and  the  Rospoli  Palace  and 
stopped  at  the  door  of  tbe  boteL  Maître  Pastrini  came 
to  tbe  door  to  reçoive  bis  guests.  Franz's  first  care 
m»  to  inquire  afber  the  count,  and  to  express  bis  regret 
ttat  be  had  not  retumed  in  time  to  take  bim  ;  but  Pastrini 


524  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

reassured  him  by  sayîng  that  the  Count  of  Monte  Crbto 
had  ordered  a  second  carriage  for  himself,  and  that  it  had 
gone  at  four  o'clock  to  fetcL  him  from  the  Rospoli  Palace. 
The  coant  had  moreover  chaiged  him  to  offer  the  two 
fnends  the  key  of  his  box  at  the  Argentina.  Franz  ques- 
tioued  Albert  as  to  his  intentions  ;  but  Albert  had  great 
projects  to  put  into  exécution  before  going  to  the  théâtre, 
and  instead  of  making  any  answer,  he  inquired  if  Maître 
Pastrini  could  procure  him  a  t«ilor. 

"  A  tailor  1  "  said  the  host  ;  "  and  for  what  1  ** 

"  To  make  us  between  now  and  to-morrow  two  costumes 
of  Eoman  peasants,''  returned  Albert. 

The  host  shook  his  head.  '*  To  make  you  two  costumes 
between  now  and  to-morrow  1  I  ask  your  Excellencies' 
pardon,  but  this  is  a  demand  quite  French  ;  for  the  next 
week  you  will  not  find  a  single  tailor  who  would  consent 
to  sew  six  buttons  on  a  waistcoat  if  you  paid  him  a  crown 
for  each  button/' 

^  Then  I  must  give  up  the  idea  t  * 

**  No  ;  we  bave  them  ready-made.  Leave  ail  to  me  ; 
and  to-morrow,  when  you  wake,  you  shall  find  a  collection 
of  costumes  with  which  you  will  be  satisfied.'* 

"  My  dear  Albert,"  said  Franz,  **  leave  ail  to  our  host  ; 
he  bas  already  proved  himself  full  of  resources.  Let  us 
dine  quîetly,  and  afberwards  go  and  see  the  *  Italienne  à 
Alger.'  •» 

^'  Agreed,"  returned  Albert  ;  **  but  recollect,  Maître  Pas- 
trini, that  both  my  friend  and  myself  attach  the  greatest 
importance  to  having  to-morrow  the  oostumes  we  bave 
asked  for/' 

The  host  again  assured  them  they  might  lely  on  him, 
and  that  their  wishes  should  be  attended  to  ;  upon  which 
Franz  and  Albert  mouuted  to  their  apartments,  and  pro- 
ceeded  to  disencumber  thernselvos  of  their   oostumes. 


THE  CABNIVAL  AT  ROME.  525 

Âlbeity  as  he  took  off  hîs  dress,  carefallj  preserved  the 
bunch  of  violets  ;  it  was  his  sign  of  recognitioii  for  the 
morrow.  The  two  friends  sat  down  to  table.  Albert 
coold  not  refrain  from  remarkîng  the  différence  between 
the  table  of  the  Count  of  Monte  Cristo  ani  that  of  Maître 
Pastrini  ;  and  Franz,  notwithstanding  the  dislike  he  seemed 
to  hâve  taken  to  the  count,  was  obliged  to  confess  that  the 
advantage  vas  not  on  Pastrini's  side.  During  dessert  the 
servant  inquired  at  what  time  they  wished  for  the  carnage. 
Albert  and  Franz  looked  at  each  other,  feàring  indeed  to 
abuse  the  count's  kindness.  The  servant  understood  them. 
''  His  Excellency  the  Count  of  Monte  Cristo,"  he  said, 
**  bas  given  positive  orders  that  the  carriage  shall  reniain 
at  their  Lordships'  orders  ail  the  day  ;  and  their  Lordships 
therefore  can  use  it  without  fear  of  indiscrétion." 

They  resolved  to  profit  by  the  count's  courtesy,  and 
ordered  the  horses  to  be  harnessed,  vhile  they  substituted 
an  evening  costume  for  that  which  they  had  on,  and  which 
was  somewhat  the  worse  for  the  numerous  combats  they 
bad  sustained.  This  précaution  taken,  they  went  to  the 
théâtre^  and  installed  themselves  in  the  count's  box.  Dur- 
ing the  first  act  the  Comtesse  G entered  hers.     Her 

first  look  was  at  the  loge  where  she  had  seen  the  count  the 
previous  evening,  so  that  she  perceived  Franz  and  Albert 
in  the  box  of  the  very  person  conceming  whom  she  had 
expressed  so  strange  an  opinion  to  Franz.  Her  opera-glass 
was  80  fixedly  directed  towards  them  that  Franz  saw  it 
would  be  cruel  not  to  satisfy  her  curiosity  ;  and  availing 
himself  of  one  of  the  privilèges  of  the  spectators  of  the 
Italian  théâtres,  which  consists  in  using  their  boxes  as 
reception-rooms,  the  two  fiiends  quitted  their  box  to  pay 
their  respects  to  the  countess.  Scarcely  had  they  entered 
the  loge  wben  she  motioned  to  Franz  to  assume  the  seat 
ol  honor.     Albert  in  his  turn  sat  behind. 


526  THU  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

^'  Well/'  said  she,  hardly  giving  Franz  time  to  8Ît  down, 
"  it  seems  you  bave  nothing  better  to  do  than  to  make  tbe 
acquaintance  of  tbis  uew  Lord  Rutbven  ;  and  hère  you  are, 
tbe  beat  frîends  in  tbe  world.** 

^^  Witbout  being  so  far  advanced  as  tbat^  Madame  tbe 
Countesa,"  retorned  Franz,  *'  I  cannot  deny  tbat  we  bave 
abused  bis  good-nature  ail  day.'* 

«AU  dayr* 

«  Tes  ;  tbis  moming  we  breakfasted  witb  bim  ;  we  rode 
in  bis  carriage  ail  day,  and  now  we  bave  taken  possession 
of  bis  box.*' 

"  You  know  bim,  tben  ^  » 

"  Yes,  and  no." 

"Howsoî*' 

^<  It  is  a  long  story.* 

«  Relate  it  to  me.'' 

**  It  would  frigbten  you  toc  mnoh.'' 

"  Anotber  reason." 

*^  At  least  wait  until  tbe  story  bas  a  conclusion.** 

"  Very  well.  I  prefer  complète  bistories  ;  but  tell  me 
bow  you  made  bis  acquaintance  9  Did  any  one  introduoe 
you  to  biml** 

^  No  ;  it  was  he  who  introduced  bimself  to  ua/' 

••  Wben  1  " 

*^  Last  nigbt,  afber  we  lefb  you."* 

**  Througb  wbat  médium  1  *' 

"  Tbe  very  prosaic  one  of  our  landloid.** 

**  He  is  stayingy  tben,  at  tbe  Hôtel  des  Lcmdiea  witfa 
you  î  " 

"  Not  only  in  tbe  same  botel,  but  on  tks  mme 
floor.'' 

^  Wbat  ÎB  bis  name,  —  for  of  course  you  knovl** 

**  Tbe  Count  of  Monte  Cristo." 

**  Wbat  kind  oi  a  name  is  tbat  )  it  bnot  a  famil^Mne.* 


THB  CARNIYAL  AT  BOME.  d27 

^Noy  h  û  the  Dame  of  an  îslaiid  he  bas  poichased.** 

^  And  he  is  a  oooni  1  ** 

**  A  Tnacan  cooni." 

''  WeU,  we  most  put  np  with  that^**  aaid  tbe  coontess, 
wbo  was  heraelf  of  one  of  the  oldeet  Êunilies  of  Yenioe. 
**  What  sort  of  a  man  is  het" 

**  Afik  the  Vicomte  de  Moroeifl'' 

**  Tou  hear,  M.  de  Morccrf  ;  I  am  leferred  to  yon,**  aaid 
tbe  conntess. 

**  We  should  be  veiy  haid  to  please.  Madame^"  retomed 
Albert,  ^  did  we  not  think  him  delightfol  ;  a  friend  of  ten 
years'  standing  conld  not  bave  done  more  for  n%  — and 
tbat  with  a  grâce,  a  delicacy,  a  conrtesy  wbich  indicate 
clearly  a  man  of  sodety." 

**  Comey"  observed  tbe  conntess,  smiling,  **  I  aee  tbat 
my  vampire  is  only  some  millionnaire,  wbo  bas  taken  tbe 
appearance  of  Lara  in  order  to  avoid  being  oonfounded 
with  M.  de  Rothschild.    And  you  bave  seen  hert** 

"Hert" 

**  The  beautif ul  Greek  of  yesterday.** 

'*No;  we  heard,  I  tbink^  tbe  sound  of  ber  gmztOf  bot 
she  remainéd  invisible." 

**  Wben  you  say  invisible,"  iutermpted  Albert,  **  it  is 
only  to  keep  up  the  mystery;  for  whom  do  you  take 
tbe  blue  domino  at  the  window  with  tbe  white  cuitaîns  )" 

<<  Where  was  tbis  window  with  white  bangings  t  ''  said 
the  countess. 

'' At  the  Bospoli  Palace." 

**  The  count  had  three  Windows  at  tbe  Bospoli  Palace  1  * 

**  Tes.    Did  you  pass  through  the  Hue  du  Cours  1  " 

"Tes." 

**  Well,  did  you  remark  two  Windows  bung  with  yelkw- 
damask,  and  one  with  white  damask  with  a  red  ctoasi 
Those  were  the  couut'a  Windows." 


528  THE  COUNT  OF  MONTB  GBISTO. 

''  Why,  he  must  be  a  nabob  !  Do  you  know  what  those 
ihiee  Windows  were  worth  î  ** 

**  Two  or  three  hundred  Roman  crownsl** 

"  Two  or  three  thousand  !  " 

"Thedevil!" 

**  Does  hîs  island  produce  him  such  a  revenue  1* 

•*  It  does  not  bring  him  a  penny.** 

"  Then  why  did  he  purchase  it  1  * 

"  For  a  whim.** 

"  He  is  an  original,  then  1  " 

"  In  fact,"  observed  Albert,  "  he  seemed  to  me  some- 
what  eccentric  ;  were  he  at  Paris,  and  a  fréquenter  of  the 
théâtres,  I  should  say  that  he  was  a  malicious  joker  play- 
ing  a  part,  or  that  he  was  a  poor  devil  whom  literature  had 
ruined,  —  in  fact,  this  moming  he  made  two  or  three  exits 
worthy  of  Didier  or  Anthony." 

At  this  moment  a  new  visitor  entered,  and  according  to 
custom,  Franz  gave  up  his  seat  to  him.  This  circumstance 
had  moreover  the  effect  of  changing  the  conversation  ;  an 
hour  afterwards  the  two  friends  retumed  to  their  hoteL 
Maitre  Pastrini  had  already  set  about  procuring  their  dis- 
guises  for  the  morrow  ;  and  he  assured  them  they  would 
be  perfectly  satisfied. 

The  next  moming,  at  nine  o^dock,  the  host  entered 
Franz*s  room,  followed  by  a  tailor,  who  had  eight  or  ten 
costumes  of  Roman  peasants  on  his  arm  ;  they  selected 
two  exactly  alike,  and  charged  the  tailor  to  sew  on  each  of 
their  hats  about  twenty  yards  of  ribbon,  and  to  procure 
them  two  of  those  long  silken  sashes  of  différent  colors 
with  which  the  lower  orders  decorate  themselves  on  fête 
days.  Albert  was  impatient  to  see  how  he  looked  in  his 
new  costume  ;  it  was  a  jacket  and  breeches  of  blue  velvet, 
silk  stockings  with  clocks,  shoes  with  buckles,  and  a  silk 
waistcoat     This  picturesque  attire  set  him  off  to  great  ad 


THE  CARNIVAL  AT  BOME.  529 

vantage  ;  and  when  he  had  bound  tbe  scarf  around  liîs 
waîst,  and  hiâ  bat,  placed  coquettisblj  on  one  side,  let 
fall  on  bis  sboulder  a  stream  of  rîbbons^  Franz  was  forced 
to  confess  tbat  costume  bas  mucb  to  do  witb  tbe  pbysical 
superîorîty  we  accord  to  certain  nations.  Tbe  Turks,  vbo 
used  to  be  80  picturesque  witb  tbeir  long  and  flowing  robes, 
—  are  tbey  not  now  bideous  witb  tbeir  blae  frocks  but- 
toned  up  to  tbe  cbin,  and  tbeir  red  caps^  wbicb  make 
tbem  look  like  a  bottle  of  wine  witb  a  red  seal  1  Franz 
complimented  Albert,  wbo  looked  at  bimself  in  tbe  glass 
witb  an  unequivocal  sniile  of  satisfaction.  Tbej  were  tbus 
engaged  wben  tbe  Count  of  Monte  Cristo  entered. 

**  Gentlemen/'  said  be,  "  altbougb  a  companion  is  agree- 
able,  perfect  freedom  is  sometimes  still  more  agreeable.  I 
corne  to  say  tbat  to-day  and  durîng  tbe  remainder  of  tbe 
Carhival,  I  leave  tbe  carrîage  entirely  at  your  disposaL 
Tbe  bost  will  tell  you  tbat  I  bave  tbree  or  four  more,  so 
tbat  you  do  not  deprive  me  in  taking  it.  Ëmploy  it,  I 
pray  you,  for  your  pleasure  or  your  business.'* 

Tbe  young  men  wisbed  to  décline,  but  tbey  could  fiud 
no  good  reason  for  refusing  an  offer  wbicb  was  so  agree- 
able to  tbem.  Tbe  Count  of  Monte  Cristo  remained  a 
quarter  of  an  \omt  witb  tbem,  conversing  on  ail  subjects 
witb  tbe  greatest  ease.  He  was,  as  we  bave  already  said, 
well  acquainted  witb  tbe  literature  of  ail  countries.  A 
glance  at  tbe  walls  of  bis  salon  proved  to  Franz  and 
Albert  tbat  be  was  a  lover  of  pictures.  A  few  words  be 
let  fall  sbowed  tbem  be  was  no  stranger  to  tbe  sciences, 
and  be  seemed  especially  interested  in  cbemistry.  Tbe 
two  friends  did  not  venture  to  retum  to  tbe  count  tbe 
breakfisist  be  bad  given  tbem  ;  it  would  bave  been  too  ab- 
surd  to  offer  bim  in  excbange  for  bis  excellent  table  tbe 
very  inferior  one  of  Maître  Pastrini.     Tbey  told  bim  so 

^nkly,  and  be  received  tbeir  excuses  witb  tbe  air  of  a 
vou  I.  — 34 


550  THE  COUNT  OP  MONTE  CBISTa 

man  vho  apprecîated  their  delicacy.  Albert  was  charmed 
with  tbe  count's  mannersy  and  he  was  only  prevented  from 
recognizing  him  for  a  véritable  gentleman  by  bis  scientific 
knowledge.  Tbe  permission  to  do  wbat  bé  liked  witb  tbe 
earriage  pleased  bim  abôve  ail,  —  for  tbe  fair  peasants  bad 
appeared  in  a  verj  élégant  carriage  tbe  preceding  evening» 
and  Albert  was  not  sorry  to  be  upon  an  equal  footing  witb 
them.  At  balf-past  one  tbey  descended  ;  tbe  coacbman  and 
footman  bad  put  on  tbeir  livery  over  tbeir  disgaises,  wbicb 
gave  tbem  a  more  ridiculous  appearance  tban  ever,  and 
wbicb  gained  tbem  tbe  applause  of  Franz  and  Albert. 
Albert  bad  fastened  tbe  faded  buncb  of  violets  to  bis 
button-bole.  At  tbe  ûrst  sound  of  tbe  bell  tbey  bastened 
into  tbe  Eue  du  Cours  by  tbe  Via  Vittorîa.  At  tbe  sec- 
ond tum,  a  buncb  of  fresb  violets,  tbrown  from  a  carriage 
filled  witb  paillcusineSf  îndicated  to  Albert  tbat,  Hke  bim- 
self  and  bis  friend,  tbe  peasants  bad  cbanged  tbeir  costume 
also  ;  and  wbetber  it  was  tbe  resuit  of  cbance,  or  wbetber 
a  similar  feeling  bad  possessed  botb  parties,  wbile  be  bad 
taken  tbeir  costume,  tbey  bad  taken  bis. 

Albert  placed  tbe  fresb  bouquet  in  bis  button-bole,  but 
be  kept  tbe  faded  one  in  bis  baud  ;  and  wben  be  again 
met  tbe  calèche  be  raised  it  expressively  to  bis  lîps,  —  an 
action  wbicb  seemed  greatly  to  amuse  not  only  tbe  fair 
lady  wbo  bad  tbrown  it,  but  ber  joyous  companions  also. 
Tbe  day  was  as  gay  as  tbe  preceding  one,  perbaps  even 
more  animated  and  noisy;  tbey  saw  tbe  count  for  an 
instant  at  bis  wîndow,  but  wben  tbey  again  passed  be 
bad  disappeared.  It  is  needless  to  say  tbat  tbe  flirtation 
between  Albert  and  tbe  fair  peasant  continued  ail  day. 
In  tbe  evening,  on  bis  retum,  Franz  found  a  letter  from 
tbe  embassy,  to  inform  bim  be  would  bave  tbe  bonor  of 
being  received  by  bis  Holiness  tbe  next  day.  At  eacb 
ptevious  visit  be  bad  made  to  Rome  be  bad  solicited  and 


THE  CARNIVAL  AT  BOME.  531 

obtained  the  same  &vor  ;  and  incited  as  much  by  a  leli- 
gious  feeling  as  by  gratitude,  he  was  anwillîng  to  quit  the 
capital  of  the  Christian  world  without  laying  his  respect- 
ful  bornage  at  the  feet  of  one  of  Saint  Peter's  successors, 
who  bas  set  a  rare  example  of  ail  virtues.  For  that  day, 
then,  he  was  not  in  a  mood  to  think  much  of  the  Garni* 
val,  —  for  in  spite  of  his  condescension  and  touchiug  kind- 
ness,  one  cannot  incline  one's  self  without  awe  before  the 
vénérable  and  noble  old  man  called  Gregory  XVI. 

On  his  retum  from  the  Vatican,  Franz  carefully  avoided 
the  Bue  du  Cours  ;  he  brought  away  with  him  a  treasure 
of  pious  thoughts,  to  which  the  mad  gayety  of  the  Carni- 
val  would  bave  been  profanation.  At  ten  minutes  past 
five  Albert  entered.  He  was  at  the  summit  of  joy.  The 
patllasdne  had  reassumed  her  peasant's  costume,  and  as 
she  passed  she  had  raised  her  mask.  She  was  charming. 
Franz  congratulated  Albert,  who  received  his  congratula- 
tions with  the  air  of  a  man  conscious  they  are  merited; 
He  had  recognized  by  certain  unmistakable  signs  that  the 
beautiful  unknown  belonged  to  the  aristocracy.  He  had 
made  up  his  mind  to  write  to  her  the  next  day.  Franz 
remarked,  while  he  gave  thèse  détails,  that  Albert  seemed 
to  bave  something  to  ask  of  him,  but  that  he  was  unwil- 
ling  to  ask  it.  He  insisted  upon  it,  declaring  beforehand 
that  he  was  willing  1k>  make  any  sacrifice  he  required. 
Albert  let  himself  be  pressed  just  as  long  as  frîendship 
required,  and  then  avowed  to  Franz  that  he  would  do  him 
a  great  favor  by  allowing  him  to  occupy  the  carriage  alone 
the  next  day.  Albert  attributed  to  Franz's  absence  the 
extrême  kindness  of  the  fair  peasant  in  raising  her  mask. 
Franz  was  of  course  not  selfîsh  enough  to  stop  Albert  in 
the  middle  of  an  adventure  that  promised  to  prove  so 
agreeable  to  his  curiosity  and  so  flattering  to  his  vanity. 
He  felt  assured  that  the  complète  unreserve  of  his  friénd 


^ 


532  TH£  œUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

would  doly  inform  hiiu  of  ail  tbat  happened;  and  as 
diiring  two  or  three  years  that  lie  liad  travelled  in  Italy 
he  had  found  no  opportunity  to  start  such.  au  intrigue  on 
his  own  account,  Franz  was  by  no  nieans  sorry  to  learn  how 
to  act  on  such  an  occasion.  He  therefore  promised  Albert 
that  he  would  content  himself  on  the  morrow  with  witness- 
ing  the  Carnival  from  the  Windows  of  the  Rospoli  Palace. 

The  next  moruing  he  saw  Albert  pass  and  repass.  He 
held  an  enormous  bouquet,  which  he  doubtless  meant  to 
make  the  bearer  of  his  amorous  epistle.  This  belief  was 
changed  into  certainty  when  Franz  saw  the  bouquet  (re* 
markable  by  a  circle  of  white  camellias)  in  the  hand  of  a 
charming  paiUasdne  dressed  in  rose-colored  satin.  And 
so  when  evening  came  Albert  was  elated,  not  with  joy, 
but  with  delirium  ;  he  had  no  doubt  that  the  fiûr  unknown 
would  reply  in  the  same  manner.  Franz  anticipated  his 
wishes  by  telling  him  that  the  noise  fatigued  him,  and 
that  he  should  pass  the  next  day  in  writing  and  looking 
over  his  journal 

Albert  was  not  wrong  in  his  expectations,  for  the  next 
evening  Franz  saw  him  enter  shaking  triumphantly  a 
folded  paper  he  held  by  one  corner.  ''  Well»**  said  he, 
''was  I  mistakeni'' 

''  She  has  answered  you  1  "  cried  Franz. 

''  Read  !  "  This  word  was  prooounced  in  a  manner 
impossible  to  describe.     Franz  took  the  letter,  and  read  : 

Tuesday  evening»  at  seven  o'clock,  descend  from  your  car- 
nage opposite  the  Via  dei  Pontefici,  and  follow  the  Roman 
peasant  who  snatches  your  moccoïetto  from  you.  When  you 
arrive  at  the  first  step  of  the  church  of  San  Giacomo,  be  sure 
to  fasten  a  knot  of  rose-colored  ribbons  to  the  shoulder  of  your 
costume  of  paillassey  in  order  that  you  may  be  recognized. 
Until.then  you  wHl  not  see  me. 

CONSTANCT  AKD  DlBCBXTIOH. 


THE  CARNIVAL  AT  ROME.  533 

**  WeU,"  asked  he,  when  Franz  bad  finished,  **  what  do 
you  think  of  that  î  " 

**  I  think  that  the  adventure  la  assuming  a  yery  agree- 
rble  appeaiance.'* 

**  I  think  80  too,"  replied  Albert  ;  "  and  I  very 
moch  fear  you  will  gq  alone  to  tbe  Dac  de  Bracciano's 
bail." 

Franz  and  Albert  bad  received  that  moming  an  invita- 
tion from  the  celebrated  Roman  banker.  ''Take  care, 
Alberty**  said  Franz.  "  Ail  tbe  nobility  of  Rome  will  be 
présent  ;  and  if  your  fair  unknown  belongs  to  the  higher 
class  of  Society,  she  nmst  go  there." 

"  Whether  she  goes  there  or  not^  my  opinion  is  still  the 
same,"  retumed  Albert 

"  You  bave  read  the  letter  î  * 

"  Yes." 

^*  You  know  how  imperfectly  the  women  of  ihe  middle 
class  are  educated  in  Italy  )  ** 

"  Yes/' 

''Well;  read  tbe  letter  again.  Look  at  the  wrîting, 
and  find  a  &alt  in  the  language  or  orthography.**  The 
writing  was  in  iact  charming,  and  the  orthography 
irreproachable. 

*'  You  are  bom  to  good  fortune/'  said  Franz,  as  he 
retumed  the  letter. 

**  Laugb  as  mucb  as  you  willy**  replied  Albert,  "  I  am 
in  love.*'  '' 

**  You  alarm  me,**  cried  Franz.  *'I  see  that  T  shall  not 
only  go  alone  to  the  Duc  de  Bracciano's,  but  also  return 
to  Florence .  alone." 

**  If  my  unknown  be  as  amiable  as  she  is  beautiful," 
said  Albert,  "  I  shall  fix  myself  at  Rome  for  six  weeks  at 
least.  I  adore  Rome,  and  I  bave  always  had  a  great  taste 
for  archseology." 


r 


534  THE  COU,NT  OP  MONTE  CRISTO. 

^  Corne,  two  or  three  more  sucli  adventures,  and  I  d« 
net  despaii  of  seeing  you  a  member  of  the  academy.'' 

Doubtless  Albert  was  about  to  discuss  serionsly  hia 
rîght  to  the  académie  chair  when  they  were  informed  that 
dinner  was  ready.  Albert's  love  bad  not  taken  away 
bis  appetite.  He  hastened  with  Franz  to  seat  himself, 
intending  to  résume  the  discussion  after  dinner.  Afber 
dinner  the  Count  of  Monte  Cristo  was  announced.  They 
had  not  seen  him  for  two  days.  Maître  Pastrini  informed 
them  that  business  had  called  him  to  Civita  Vecchia.  He 
had  started  the  previous  evening,  and  had  retumed  only 
an  hour  since.  He  was  charming.  Whether  he  kept  a 
watch  over  bimself,  or  whether  accident  did  not  sound 
the  acrimonious  chords  that  certain  circumstances  had 
already  touched,  he  was  like  everybody  else.  This  man 
was  an  enigma  to  Franz.  The  count  must  feel  sure  he 
recognized  him,  and  yet  had  not  let  fall  a  single  word 
that  indicated  he  had  seen  him  anywhere.  On  bis  side, 
bowever  great  Franz's  désire  was  to  allude  to  their  former 
interview,  the  fear  of  its  being  disagreeable  to  the  man 
who  had  loaded  himself  and  bis  friend  with  kindness  pre- 
vented  him  from  mentioning  it.  The  count  bad  leamed 
that  the  two  friends  had  sent  to  secure  a  box  at  the 
Aigentina  Théâtre,  and  were  told  they  were  ail  let  In 
conséquence,  he  brought  them  the  key  of  bis  own;  at 
least  such  was  the  apparent  motive  of  bis  visit.  Franz 
and  Albert  made  some  difficulty,  alleging  their  fear  of 
depriving  him  of  it;  but  the  count  replied  that  as  he 
was  going  to  the  Palli  Théâtre,  the  box  at  the  Argentina 
Théâtre  would  not  be  used  if  they  did  not  occupy  it. 
This  assurance  determined  the  two  friends  to  accept  it. 

Franz  bad  become  by  degrees  accustomed  to  the  count's 
palenessy  which  had  so  forcibly  struck  him  the  first  time 
he  aaw  him.     He  could  not  refrain  from  admiring  the 


THE  CABNIVAL  AT  BOMB.  b'ôù 

severe  beauty  of  hîs  features,  tbe  only  defect,  or  rather  the 
principal  quality  of  which  was  the  pallor.  Véritable  hero 
of  Byron  I  Franz  could  not,  we  will  not  say  see  him,  but 
even  think  of  him  without  representing  his  stem  head 
on  tbe  sboulders  of  Maufred,  or  beneath  the  casque  of 
Lara.  His  forehead  "was  marked  by  the  Une  tbat  indi- 
cates  the  constant  présence  of  a  bitter  thought  ;  he  had 
those  fiery  eyes  that  seem  to  penetrate  to  the  heart,  and 
the  haughty  and  disdainful  upper  lip  that  gives  to  the 
words  it  utters  a  peculiar  chai£K;ter  that  impresses  them 
on  the  minds  of  those  to  whom  they  are  addressed.  The 
Gount  was  no  longer  young.  He  was  at  least  forty  ;  and 
yet  it  was  easy  to  understand  that  he  was  formed  to  rule 
the  young  men  with  whom  he  was  now  associated.  In 
reality,  to  complète  his  resemblance  with  the  fantastic 
heroes  of  the  Ënglish  poet,  the  count  seemed  to  bave  the 
power  of  fascination.  Albert  was  constantly  expatiating 
on  their  good  fortune  in  meeting  such  a  man.  Franz  was 
less  enthusiastic  ;  but  the  count  exercised  over  him  also 
the  ascendency  a  strong  mind  always  acquires.  He  thought 
•everal  times  of  the  project  the  count  had  of  visiting  Paris; 
and  he  had  no  doubt  but  that  with  his  eccentric  character, 
his  characteristic  face,  and  his  colossal  fortune,  he  would 
produce  a  great  effect  there.  And  yet  he  did  not  wish  to 
be  at  Paris  when  the  count  was  there. 

The  eirenings  passed  as  evenings  mostly  pass  at  Italian 
théâtres;  that  is,  not  in  listening  to  the  music,  but  in  pay- 

ing  visits  and  conversing.     The  Comtesse  G wished 

to  revive  the  subject  of  the  count,  but  Franz  announced 
he  had  something  far  newer  to  tell  her  ;  and  in  spite  of 
Albert's  démonstrations  of  affected  modesty,  he  informed 
the  countess  of  the  great  event  which  had  preoccupied 
them  for  the  last  three  days.  As  sîmilar  intrigues  are  not 
oncommon  in  Italy,  if  we  may  crédit  travellers,  the  count 


536  THE  COUNT  OF  MONTE  OEISTa 

ess  did  not  manifest  the  least  incredulity,  but  congiatulated 
Albert  on  bis  success.  Tbey  promised,  upon  eepaiating, 
to  meet  at  the  Duc  de  Bracciano's  bail,  to  wbich  ail  Rome 
was  invited.  The  beroine  of  tbe  bouquet  kept  ber  word; 
neither  on  tbe  morrow  nor  on  tbe  daj  foUowing  did  sbe 
give  Albert  any  sign  of  ber  existence. 

At  lengtb  arrived  tbe  Tuesday,  tbe  last  and  most  tnmult* 
nous  day  of  tbe  Camival.  On  Tuesday  tbe  tbeatres  open 
at  ten  o'clock  in  tbe  mornîng,  as  Lent  begins  at  eigbt  at 
nigbt.  On  Tuesday  ail  tbose  wbo  tbrougb  want  of  money, 
time,  or  entbusiasm  bave  not  been  to  see  tbe  Camival 
before,  mingle  in  tbe  gayety,  and  contribute  to  tbe  noiae 
and  excitement.  From  two  o'clock  till  five  Franz  and 
Albert  foUowed  in  tbe  procession,  excbanging  handfuls  of 
confetti  witb  tbe  otber  carnages  and  tbe  pedestrians,  wbo 
crowded  among  tbe  borses'  feet  and  tbe  carriage-wbeels 
witbout  a  single  accident|  a  single  dispute,  or  a  single  figbt. 
Tbe  fêtes  are  véritable  days  of  pleasure  to  tbe  Italians. 
Tbe  autbor  of  tbis  bistory,  wbo  bas  resided  five  or  six 
years  in  Italy,  does  not  recoUect  to  bave  ever  seen  a  cere- 
mony  interrupted  by  one  of  tbose  events  wbicb  so  often 
accompany  célébrations  among  ourselves.  Albert  was  tri- 
umpbant  in  bis  costume  olpaiUasse,  A  knot  of  rose-colored 
ribbons  fell  from  bis  sboulder  almost  to  tbe  ground.  In 
order  tbat  tbere  migbt  be  no  confusion,  Franz  woro  bis 
peasant's  costume. 

As  tbe  day  advanced,  tbe  tumult  became  greater.  Tbere 
was  not  on  tbe  pavement,  in  the  carnages,  at  tbe  Windows, 
a  single  tongue  tbat  was  silent,  a  single  arm  tbat  did  not 
move.  It  was  a  buman  storm,  composed  of  a  tbunder  of 
<;ries,  and  a  bail  of  confectionery,  flowers,  eggs,  oranges, 
and  bouquets.  At  tbree  o'clock  tbe  sound  of  fireworks, 
let  off  on  tbe  Place  del  Popolo  and  tbe  Palais  de  Venise, 
heard  with  difficulty  amid  the  din  and  confusion,  announced 


THE  CARNIVAL  AT  ROME.  637. 

that  tl)6  races  were  about  to  begin.  The  races,  like  the 
moceolif  are  one  of  the  épisodes  peculiar  to  the  last  days  of 
the  Carnival.  At  the  sound  of  the  iireworks  the  carriages 
instantly  broke  the  ranks,  and  retired  by  the  adjacent 
Btreets.  AU  thèse  évolutions  are  executed  with  an  incon- 
ceivable  address  and  marvelloas  rapidity,  without  the 
police  interfering  in  the  matter.  The  pedestrians  ranged 
themselves  against  the  walls  ;  then  the  trampling  of  horses 
and  the  clashing  of  steel  -were  heard.  A  detachment  of 
carbineers,  fifbeen  abreast,  galloped  up  the  Rue  du  Cours 
in  order  to  clear  it  for  the  harheri,  When  the  detachment 
arrived  at  the  Palais  de  Venise,  a  second  voUey  of  fireworks 
was  discharged,  to  announce  that  the  street  was  clear. 
Almost  instantly,  in  the  midst  of  a  tremendous  and  gên- 
erai outcry,  seven  or  eight  horses,  excited  by  the  shouts  of 
three  hundred  thousand  spectators,  passed  by  like  light- 
ning.  Then  the  Castle  of  St.  Angelo  fired  three  cannons 
to  indicate  that  Number  Three  had  won.  Immediately, 
without  any  other  signal,  the  carriages  moved  on,  flowing 
on  towards  the  Corso,  down  ail  the  streets,  like  torrents 
pent  up  for  a  while,  which  again  flow  into  the  parent 
river;  and  the  immense  stream  again  continued  its 
course  between  its  two  banks  of  granité. 

A  new  source  of  noise  and  movement  was  added  to 
the  crowd.  The  sellers  of  moecoletti  entered  on  the  scène. 
The  moccoliy  or  moecoletti,  are  .candies  which  vary  in  size 
from  the  paschal  taper  to  the  rushlight,  and  which  stimulate 
the  actors  in  the  great  scène  which  terminâtes  the  Carnival 
to  two  diverse  enterprises  :  (1)  to  préserve  their  moecoletti 
alight;  (2)  to  eztinguish  the  moecoletti  of  others.  The 
mocçoletto  is  like  life  :  man  has  found  but  one  means  of 
transmitting  it,  and  that  one  comes  from  God  ;  but  he  has 
discovered  a  thousand  means  of  taking  it  away,  although 
tb«  Devil  has  somewhat  aided  him.     The  moceoletto  is 


538  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

kindled  by  approaching  ît  to  a  light.  But  wlio  can  de- 
acribe  the  thousand  means  of  extinguishing  the  moeco- 
lettof  —  the  gigantic  bellows,  the  monstrous  extinguishers, 
the  superhuniau  fans.  Every  one  hastened  to  purchase 
moccolettiy^Y'nJiz  and  Albert  among  the  lest. 

The  night  was  lapidly  approaching;  and  already,  at 
the  cry  of  "  Moccoli  !  "  repeated  by  the  shrill  voices  of  à 
thousand  venders,  two  or  three  stars  began  to  bum  among 
the  crowd.  It  was  a  signal.  At  the  end  of  ten  minutes 
fifty  thousand  lights  glittered,  descending  from  the  Palais 
de  Venise  to  the  Place  del  Popolo,  and  mounting  from 
the  Place  del  Popolo  to  the  Palais  de  Venise.  It  seemed 
the  fête  of  Jack-o'-lantems.  It  is  impossible  to  form  any 
idea  of  it  without  having  seen  it.  Suppose  ail  the  stars 
had  descended  from  the  sky  and  mingled  in  a  wild  dance 
on  the  face  of  the  earth, — the  whole  accompanied  by  cries 
that  were  never  heard  in  any  other  part  of  the  world, 
The /accAmo  follows  the  prince,  the  Transteverian  the  citi- 
zen, every  ono  blowing,  extinguishing,  relighting.  Had 
old  iËolus  appeared  at  this  moment,  he  would  hâve  been 
proclaimed  king  of  the  moccoli^  and  Aquilo  the  heir- 
presumptive  to  the  throne.  This  flaming  race  continued 
for  two  houTS  ;  the  Rue  du  Cours  was  light  as  day  ;  the 
features  of  the  spectators  on  the  third  and  fourth  storics 
were  visible.  Every  five  minutes  Albert  took  eut  his 
watch  ;  at  lengtb  it  pointed  to  seven.  The  two  friends 
were  in  the  Via  dei  PonteficL  Albert  sprang  out,  bearing 
his  moccoletto  in  his  hand.  Two  or  three  masks  strove  to 
knock  his  moccoletto  out  of  his  hand  ;  but  Albert^  a  first- 
rate  pugilist,  sent  them  rolling  in  the  street,  one  after  the 
other,  and  continued  his  course  towards  the  church  of  San 
Giacomo.  The  steps  were  crowded  with  masks,  who  strove 
to  snatch  each  other's  torches.  Franz  foUowed  Albert  with 
his  eyes,  and  saw  him  mount  the  first  step.     Instantly  a 


TES  CABNIVAL  AT  BOME.  539 

masky  wearîng  the  well-known  costume  of  a  female  peasant» 
snatched  his  moccolelto  from  him  without  bis  oifering  any 
resistaDce.  Franz  was  too  far  off  to  hear  what  they  said, 
bat  without  doubt,  nothing  hostile  passed,  for  he  saw  Albert 
disappear  arm-ln-arm  witb  tbe  peasant  gîrl.  He  watched 
them  pass  tbrough  tbe  crowd  some  time,  but  at  leugtb  be 
lest  sight  of  them  in  tbe  Via  Macello.  Suddenlj  tbe  bell 
that  gives  tbe  signal  for  tbe  end  of  tbe  Camival  sounded, 
and  at  tbe  same  instant  ail  the  moccoletti  were  extinguisbed 
as  if  by  encbantment.  It  seemed  as  tbougb  one  immense 
blast  of  the  wind  bad  extinguisbed  every  one.  Franz 
found  bimself  in  utter  darkness.  No  sound  was  audible 
flave  that  of  tbe  carnages  that  conveyed  tbe  masks  home  ; 
notbing  was  visible  save  a  few  ligbts  that  bumed  behind 
the  Windows.    The  Camival  was  over« 


i 


540  THB  OOUNT  OF  MONTifi  CiUSTJ. 


CHAPTER  XXXVIL 

THB  OATA0OMB8  OF  ST.   SEBASTIAN. 

In  Lis  whole  life  perhaps  Franz  had  never  experionced 
Bo  sadden  an  impression,  so  rapid  a  transition  from  gayety 
to  sadness  as  in  this  moment.  It  seemed  as  though  Rome, 
under  the  magie  breath  of  some  démon  of  the  night,  had 
suddenly  been  changed  into  a  vast  tomb.  By  a  chance, 
which  added  yet  more  to  the  intensity  of  the  darkness, 
the  moon,  which  was  on  the  wane,  would  not  rise  until 
eleven  o'clock,  and  the  streets  which  the  young  man  tray- 
ersed  were  plunged  in  the  deepest  obscurity.  The  distance 
was  short  ;  and  at  the  end  of  ten  minutes  his  carrîage,  or 
rather  the  count's,  stopped  before  the  Hôtel  de  Londres. 
Dinner  was  waiting  ;  but  as  Albert  had  told  him  that  he 
should  not  return  so  soon,  Franz  sat  down  without  him. 
Maître  Pastrini,  who  had  been  accustomed  to  see  them 
dine  together,  inquired  into  the  cause  of  his  absence,  and 
Franz  replied  that  Albert  had  received  on  the  previous 
evening  an  invitation  which  he  had  accepted.  The  sud- 
den  extinction  of  the  moccoleiti,  the  darkness  which  had 
replaced  the  light,  and  the  silence  which  had  succeeded 
the  turmoil  had  lefb  in  Franz's  mind  a  certain  dépression 
which  was  not  free  from  uneasiness.  He  thereforo  dined 
very  sîlently,  in  spite  of  the  officions  attention  of  his  host, 
who  presented  himself  two  or  three  times  to  inquire  if  he 
wanted  anything. 

Franz  resolved  to  wait  for  Albert  as  late  as  possible.    He 
ordered  the  carnage,  therefore,  for  eleven  o'clock,  desiring 


THE  CATACOMBS  OF  ST.  SEBASTIAN.  541 

Maître  Pastrinî  to  inform  hîm  the  moment  Albert  retumed 
to  the  hôtel.  At  eleven  o'clock  Albert  had  not  come  back. 
Franz  dressed  himself  and  went  out,  telling  his  host  that 
he  was  going  to  pass  the  nîght  at  the  Duc  de  Bracciano's. 
The  house  of  the  Duc  de  Bracciano  is  one  of  the  most 
delightful  in  Rome  ;  his  lady,  one  of  the  last  heiresses  of 
the  ColonnaSy  does  its  honors  with  the  most  consummate 
grâce,  and  thus  their  fêtes  bave  a  European  celebrity. 
Franz  and  Albert  had  brought  to  Rome  letters  of  intro- 
duction to  them  ;  and  the  first  question  on  Franz's  arrivai 
was,  where  was  his  travelling  companîon.  Franz  replied 
that  he  had  lefb  him  at  the  moment  they  were  about  to 
extinguish  the  moccoUf  and  that  he  had  lost  sight  of  him 
in  the  Via  Macello. 

"  Then  he  bas  not  retumed  ?  "  said  the  duke. 

''  I  waited  for  him  until  this  hour,"  replied  Frans. 

"  And  dp  you  know  whither  he  went  1  *• 

*'  No,  not  precisely  ;  however,  I  thiuk  it  was  something 
very  like  an  assignation." 

**  The  devil  I  "  said  the  duke,  **  this  is  a  bad  day,  or 
rather  a  bad  night,  to  be  out  late  ;  is  it  not,  Countess  )  *' 

Thèse  words  were  addressed  to  the  Comtesse  G ,  who 

had  just  arrived,  and  was  leaning  on  the  arm  of  M.  Tor- 
lonia,  the  duke's  brother. 

**  I  thînk,  on  the  contrary,  that  it  is  a  charming  nîght," 
replied  the  countess  ;  "  and  those  who  are  hère  will  com- 
plain  of  only  one  thing,  —  its  too  rapid  flight." 

'*  I  am  not  speaking,"  said  the  duke,  with  a  smile,  **  of 
the  pensons  who  are  hère.  The  only  danger  hère  is, — for 
the  men,  that  of  falling  in  love  with  you  ;  and  for  the 
women,  that  of  falling  ill  of  jealousy  ai  seeing  you  so 
lovely.  I  allude  to  those  who  are  out  in  the  streets 
of  Rome." 

'^Ahl"  asked  the  countess,   ^'who    is  out   in   the 


^ 


542  THE  COUNT  OP  MONTE  CRISTO. 

streets  of  Rome  at  this  hour,  unless  it  be  to  go  to  a 
balir 

''  Our  friendy  Albert  de  Morcerf,  Countess,  whom  I  left 
in  pursuit  of  bis  unknown  about  seven  o*clock  tbis  even- 
ing,"  said  Franz,  ''  and  wbom  I  bave  not  seen  since." 

'*  And  don't  you  know  where  be  is  1  '' 

«  Not  at  ail.'* 

"  la  be  armed  %  " 

'*  He  is  en  parlasse,'* 

"  You  sbould  not  bave  allowed  bim  to  go,"  said  tbe  dnke 
to  Franz,  —  '^  you,  wbo  know  Eome  better  tban  be  does." 

"  You  migbt  as  well  bave  tried  to  stop  Number  Tbree 
of  tbe  barheri,  wbo  gained  tbe  prize  in  tbe  race  to-day/' 
replied  Franz;  ''and  besides,  wbat  could  bappen  to  biml" 

''  Wbo  can  tell  1  Tbe  nigbt  is  gloomy,  and  tbe  Tiber 
is  very  near  tbe  Via  Macello." 

Franz  felt  a  sbudder  run  tbrougb  bis  veins  at  observing 
tbe  feeling  of  tbe  duke  and  tbe  countess  so  mucb  in  uni- 
son  witb  bis  own  anxiety.  "  I  informed  tbem  at  tbe  botel 
tbat  I  bad  tbe  bonor  of  passing  tbe  nigbt  bere,  Duke," 
said  Franz,  **  and  desired  tbem  to  corne  and  inform  me  of 
bis  retum;" 

*'  Ab  !  "  replied  tbe  duke,  **  bere,  I  tbink,  is  one  of  my 
servants  wbo  is  seeking  you." 

Tbe  duke  was  not  mîstaken  ;  wben  be  saw  Franz  tbe 
servant  came  up  to  bim.  "Your  ExceUency,"  be  said, 
'*  tbe  master  of  tbe  Hôtel  de  Londres  bas  sent  to  let  you 
know  tbat  a  man  is  waiting  for  you  witb  a  letter  from  tbe 
Vicomte  de  Morcerf." 

"  A  letter  from  tbe  viscount  1  "  exclaimed  Franz. 

«Yes." 

**  And  wbo  is  tbe  man  î  " 

*'  I  do  not  know." 

*•  Wby  did  he  not  bring  it  to  me  bere  t  • 


THE  CATAC0M6S  OF  ST.  SEBASTIAN.  543 

^  The  messenger  did  not  say." 

**  And  where  is  the  messenger  )  " 

**  He  weiit  away  as  soon  as  he  saw  me  enter  the  hall- 
rcx)m  to  find  you." 

" Oh  ! "  saîd  the  coantess  to  Franz,  ''go  with  ail  speed  ! 
Poor  young  man  I  perhaps  some  accident  lias  happened 
to  him." 

"I  will  hasteu,"  replied  Franz. 

"Shall  you  retom  to  give  us  any  information)"  in- 
quîred  the  countess. 

''  Yes,  if  it  is  not  any  serions  affair  ;  otherwise  I  cannot 
answer  as  to  whal  I  may  do  myself.*' 

"  Be  prudent,  in  any  event,"  said  the  countess. 

"Oh  !  be  assured  of  that." 

Franz  took  his  hat  and  went  away  in  haste.  He  had 
sent  away  his  carnage  with  orders  for  it  to  fetch  him  at 
two  o'clock  :  fortunately  the  Palace  Bracciano,  which  is 
on  one  side  in  the  Rue  du  Cours  and  on  the  other  in  the 
Place  des  Saints  Apôtres,  is  hardly  ten  minutes'  walk 
from  the  Hôtel  de  Londres.  As  he  came  near  the  hôtel 
Franz  saw  a  man  in  the  middle  of  the  street.  He  had  no 
doubt  that  it  was  the  messenger  from  Albert  The  man 
was  wrapped  up  in  a  large  cloak.  He  went  up  to  him, 
but  to  his  extrême  astonishment,  the  man  first  addressed 
him.  "What  does  your  Excellency  want  of  mel"  he 
asked,  retreating  a  step,  as  if  to  keep  on  his  guard. 

"Are  not  you  the  person  who  brought  me  a  letter,'*  in- 
quired  Franz,  "  from  the  Vicomte  de  Morcerf  î  " 

"  Your  Excellency  lodges  at  Pastrini's  hôtel  1  ^ 

"Ida''  , 

"  Your  Excellency  is  the  travelling  companion  of  the 
viscounti" 

"  I  am." 

"  Your  Excellency's  name — •• 


y 


544  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

''Ib  the  Baron  Franz  d'Épinay." 

''Then  it  is  to  your  Excellency  that  this  letter  îb 
addressed." 

'*  Is  there  any  answer  1  "  iuquired  Franz,  taking  the 
letter  from  him. 

''  Yes;  your  friand  at  least  hopes  8o." 

''Corne  upstairs  "with  me  and  I  will  give  it  to  you." 

*'  I  prefer  waiting  hère/'  said  the  mes&enger,  with  a 
smile. 

"And  whyf" 

"  Your  Excellency  will  know  when  you  hâve  read  the 
letter." 

"  Shall  I  find  you,  then,  hère  1  *• 

"  Certainly." 

Franz  entered  the  hôtel.  On  the  staircase  he  met  Maître 
Pastrinl     "  Well  %  "  said  the  landlord. 

"  Well,  what  î  "  responded  Franz. 

"  You  hâve  seen  the  man  who  desired  to  speak  with  you 
from  your  friend  1  "  he  asked  of  Franz. 

"  Yes,  I  hâve  seen  him,"  he  replied,  "  and  he  has  handed 
this  letter  to  me.  Light  the  candie  in  my  apartmen^if 
you  please." 

The  innkeeper  gave  orders  to  a  servant  to  go  hefore 
Franz  with  a  candie.  The  young  man  had  found  Maître 
Pastrini  looking  very  much  alarmed,  and  this  had  only 
made  him  the  more  anxious  to  read  Alhert's  letter;  and 
thus  he  went  instantly  towards  the  waxlight,  and  unfolded 
the  letter.  It  was  written  and  signed  by  Albert  Franz 
read  it  twice  before  he  could  comprehend  what  it  contained. 
I);  was  thus  conceived  :  — 

Mt  deab  Fellow,  —  The  moment  you  hâve  received  this, 
hâve  the  kindness  to  take  from  my  pocket-book,  which  you 
will  find  in  the  square  drawer  of  the  secretary,  the  letter  of 
crédit  ;  add  your  own  to  it,  if  it  be  not  sufficient.    Run  to 


THS  CATACOMBS  OF  ST.  SEBASTIAN.  545 

Torlonia,  draw  from  him  instantly  four  thousand  piastres,  and 
give  them  to  the  bearer.  It  is  urgent  that  I  should  bave  this 
money  withoifc  delay.  I  do  not  say  more,  relying  on  you  as 
you  may  rely  on  me.    Your  friend,  , 

ÀlbeiIt  de  Morcebf. 

P.  S.     l'^ow  believe  in  Italian  bandittL 

Below  tbese  lines  were  written  in  a  étrange  hand  the 
following  in  Italian  :  — 

Se  aile  sei  délia  mattina  le  quattro  mila  piastre  non  sono 
nelle  mie  mani,  aile  sette  il  Conte  Alberto  avrà  cessato  di 


vivere.* 


Luioi  Vampa. 


Tbis  second  signature  explained  ail  to  Fran^  wbo  now 
understood  tbe  objection  of  tbe  me&senger  to  coming  up 
into  tbe  apartment  :  tbe  street  was  safer  for  him.  Albert, 
tben,  had  fallen  into  the  hands  of  the  famoos  chief  of 
banditti  in  wbose  existence  he  had  for  so  long  a  time  re- 
fused  to  believe.  There  was  no  time  to  lose.  He  hastened 
to  open  the  secretary,  and  found  the  pocket-book  in  the 
drawer,  and  in  it  the  letter  of  crédit.  It  was  for  six  thou- 
sand  piastres  in  ail  ;  but  of  thèse  six  thousand  Albert  had 
already  expended  three  thousand.  As  to  Franz,  he  had 
no  letter  of  crédit,  as  he  lived  at  Florence,  and  had  corne 
to  Home  to  pass  only  seven  or  eîght  days  ;  he  had  brought 
but  a  hundred  louis,  and  of  thèse  he  had  not  more  than 
fifby  lefb.  Thus  seven  or  eight  hundred  piastres  were 
wanting  to  them  both  to  make  up  the  sum  that  Albert 
required.  True,  he  might  in  such  a  case  rely  on  the  kind- 
ness  of  M.  Torlouia.  He  was  therefore  about  to  retum 
to  the  Palace  Bracciano  without  loss  of  time,  when  sud- 

1  If  by  six  in  tbe  mornlng  the  four  thousand  piastres  are  not  in  my 
hands,  by  seven  o'clock  the  Vicomte  Albert  de  Moipcerf  will  hâve  ceased 
to  live, 

VOL.  L^HD 


1 


946  THE  COUNT  OF  MONTE  CBISTO. 

denly  a  luminous  idea  crossed  bis  mînd.  He  remembefed 
the  Count  of  Monte  Cristo.  Franz  was  aboat  to  ring  foi 
Midtre  Pastriui,  when  that  worthy  presented  himsel£ 
'*My  dear  sir/'  he  said  hastilj,  '^do  jon  know  if  the 
count  is  withini** 

**  Yes,  jour  Excellency  ;  he  has  this  moment  letomed.** 

"Isheinbedr 

•*  I  sbould  say  na* 

**  Then  ring  at  his  door,  if  yoa  please,  and  xeqaest  him 
to  be  80  kînd  as  to  give  me  an  audience.'' 

Maître  Pastrini  did  as  he  was  desired,  and  leturning 
five  minutes  afiter,  he  said,  **  The  count  awaits  youîr 
Excellency.'* 

Franz  went  along  the  corridor,  add  a  serrant  introduced 
him  to  the  count.  He  was  in  a  small  cabinet  which  Franc 
had  not  yet  seen,  and  which  was  surrounded  with  divans. 
The  count  came  towards  him.  "  Well,  what  good  wind 
Uows  you  hither  at  this  houri''  said  he;  ^'have  you 
come  to  sup  with  meî    It  would  be  very  kind  of  you." 

''No  ;  I  bave  come  to  speak  to  you  of  a  very  serions 
matter." 

**  A  serions  matter  !  **  said  the  count,  looking  at  Franz 
with  the  earnestness  usual  to  him;  "and  what  may 
it  be?" 

"Are  we  aloneî" 

"  Yes,"  replied  the  count,  going  to  the  door,  and  retum- 
ing.    Franz  gave  him  Albert's  letter. 

"  Read  that,"  he  said. 

The  count  read  it.     "  Ah,  ah  !  "  said  he» 

"  Did  you  see  the  postscript  t  " 

**  I  did,  indeed,  — 

Se  aile  sei  délia  mattina  le  quattro  mila  piastre  noo  sono 
nélle  mie  mani,  aile  sette  il  Conte  Alberto  avrà  ^««sato  di 
vivere.  L»'im  y>iir«i. 


THB  GATAGOMBS  OF  ST.  SEBAS^UH.  647 

**  What  do  yoa  thiuk  of  that  t  "  inqniied  Fiana 

**  Hâve  you  the  money  he  demanda  1  " 

**  YeSf  aU  but  eight  hundied  piastres.** 
.-    The  ooant  went  to  his  secretaiy,  opened  it,  and  pnlling 
out  a  diawer  filled  with  gold,  said  to  Franz,  **  I  hope  you 
will  not  offend  me  by  applying  to  any  one  bat  myself/* 

"You  see^  on  the  contiary,  I  corne  to  you  first  and 
instantly/'  replied  Franz. 

''And  I  thank  you;  help  yoorself;'*  and  he  made  a 
sign  to  Franz  to  take  what  he  pleased* 

**  Is  it  absolutely  necessary^  then,  to  send  the  money  to 
Luigi  Yampa  ?  "  asked  the  young  man,  looking  fixedly  m 
his  tam  at  the  count. 

''Jndge  for  yourself^"  replied  he  ;  ''the  postscript  is 
explicit." 

.  **  I  think  that  if  you  woold  take  the  troable  of  reflect- 
îngy  you  could  find  a  way  of  simplifying  the  negotiation,** 
said  Franz. 

"  How  80 1  **  retumed  the  count,  with  surprise. 

"If  we  were  to  go  together  to  Luigi  Yampa,  I  am  sure 
he  would  not  refuse  you  Albert's  freedom*'* 

"  What  influence  can  I  po^ibly  hâve  over  a  bandit  f 

"  Hâve  you  not  just  rendered  him  one  of  those  services 
that  are  never  forgotteni  ^ 

*' What  is  that  » '* 

"  Hâve  you  not  saved  Peppino's  li&  t  * 

"  Ah,  ah  V*  said  the  coonf^  "  who  told  you  thatf 

"  No  matter  ;  I  know  it." 

The  count  knit  his  brows  and  remained  silent  an 
instant.  "And  if  I  went  to  seek  Yampa,  would  you 
accompany  met* 

"  If  my  Society  would  not  be  disagreeable.** 

*Be  it  80.  It  is  a  lovely  night  ;  and  a  walk  in  the 
snburbs  of  Rome  will  do  us  both  good." 


548  THE  COUNT  OF  MONTE  CKISia 

**  Shall  I  take  any  arma  t  " 

**  For  what  purpose  I" 

**  Any  money  î  " 

'*  It  is  useless.    Wheie  is  ihe  man  vrho  biought  tl 
letterî" 

*'  In  the  Street." 

**  He  awaits  the  answer  t** 

«  Yes." 

''I  must  leam  wbere  we  are  going.  I  will  suxnmon 
him  hither." 

'*  It  is  nseless  ;  he  would  not  conie  up." 

"  To  your  apartments,  perhaps  ;  but  he  will  not  make 
any  diffîculty  in  entering  mine." 

The  count  went  to  the  window  of  the  apartment  that 
looked  on  to  the  street,  and  whistled  in  a  peculiar  manner. 
The  man  in  the  mantle  quitted  the  wall  and  advanced 
into  the  centre  of  the  street.  *^  ScUite/"  said  the  count, 
in  the  same  tone  in  which  he  would  bave  giyen  an  ord&t 
to  bis  servant.  The  messengcr  obeyed  without  the  least 
hésitation,  but  rather  with  alacrity,  and  mounting  the 
steps  of  the  passage  at  a  bound,  entered  the  hôtel  ;  five 
seconds  afberwards  he  was  at  the  door  of  the  cabinet 
"  Ah,  it  is  you,  Peppino^"  said  the  count.  But  Peppîno, 
instead  of  answering,  threw  himself  on  bis  knees,  seized 
the  count's  hand  and  covered  it  with  kisses. 

"Ah,"  said  the  count,  "you  bave  then  not  forgotten 
that  I  saved  your  life  ;  that  is  strange,  for  it  is  a  week 
ago!" 

"  No,  Excellency  ;  and  never  shall  I  forget  it,"  retumed 
Peppino,  with  an  accent  of  profound  gratitude. 

'' Never  I  That  is  a  long  time;  but  it  is  something 
that  you  believe  so.  Eise  and  answer."  Peppino  glanced 
anxiously  at  Franz.  <  "  Oh,  you  may  speak  before  bis 
Ex<cellency,"  said  the  count;  "1m  is  one  of  my  frienda 


THB  CATàGOMBS  OF  ST.  SEBASTIAN.  549 

7oa  allow  me  to  giye  you  this  titlef  coutinoed  tha 
couDty  in  French;  'Mt  is  necessaiy  in  oïder  to  gain  ihia 
man's  confidence." 

**  Ton  can  speak  befoxe  me," said  Fianz;  **  I  am  a  friend 
of  the  count's." 

**  Qood  !  "  retumed  Peppîno.  "  I  am  leady  to  answer 
anj  questions  your  Excellency  may  address  to  me.** 

^'How  did  the  Vicomte  Albert  &11  into  Lnigi's 
handsl** 

'^  Excellency,  the  Frenchman's  carnage  passed  aeyeral 
times  the  one  in  which  was  Teresa.** 

''The  chiefs  mistressV* 

**  Tes.  The  Frenchman  threw  her  a  bouquet  ;  Teresa 
retumed  it,  —  with  the  consent  of  the  chief,  who  was  in 
the  carnage.** 

^*  What  I  **  cried  Franz  ;  ''  was  Luigi  Yampa  in  the  car* 
riage  with  the  Roman  peasantsi" 

'*It  was  he  who  drove^  disguised  as  the  coachman,** 
replied  Peppino. 

"Welir*  said  the  count 

''  Well,  then,  the  Frenchman  took  off  his  mask  ;  Teresa, 
with  the  chiefs  consent,  did  the  same.  The  Frenchman 
asked  for  a  rendezvous  ;  Teresa  gave  him  one,  —  only,  in- 
stead  of  Teresa,  it  was  Beppo  who  was  on  the  steps  of 
the  church  of  San  Giacomo." 

''What!"  exclaimed  Franz,  "the  peasant  girl  who 
snatched  his  moccoletto  from  him  —  ** 

"  Was  a  lad  of  fifteen,"  replied  Peppino.  "  But  it  was 
no  disgrâce  to  your  friend  to  hâve  been  deceived  ;  Beppo 
bas  taken  in  plenty  of  others.'' 

"And  Beppo  led  him  outsîde  the  waUsf  said  the 
count. 

"  Exactly  so  ;  a  carnage  was  waiting  at  the  end  of  Via 
Macello.     Beppo  got  in,  inviting  the  Frenchman  to  follow 


550  THE  COUNT  OF  MONTE  CBISTO. 

him,  and  be  did  uot  wait  to  be  asked  twice.  He  gaUantly 
offered  the  right-hand  seat  to  Beppo,  and  sat  by  bim. 
Beppo  told  bim  be  was  going  to  take  bim  to  a  villa  a 
league  from  Rome  ;  tbe  Frencbman  assured  bim  be  would 
foUow  bim  to  tbe  end  of  tbe  world.  Tbe  coacbman  went 
up  tbe  Rue  di  Ripetta  and  out  by  tbe  Porta  San  Paolo. 
Wben  tbey  were  two  bundred  yards  outside^  as  tbe  Frencb- 
man became  somewbat  too  forward,  Beppo  put  a  brace  of 
pistols  to  bis  bead  ;  tbe  coacbman  puUed  up  and  did  tbe 
same.  At.  tbe  same  time  four  of  tbe  band,  wbo  were  con- 
cealed  on  tbe  banks  of  ibe  Almo,  surrounded  tbe  carriage. 
Tbe  Frencbman  made  some  résistance  and  nearly  strangled 
Beppo  ;  but  be  could  not  resist  five  armed  men^  and  was 
forced  to  yield.  Tbey  made  bim  get  out,  walk  along  tbe 
banks  of  tbe  river,  and  tben  brougbt  bim  to  Teresa  and 
Luigi,  wbo  were  waiting  for  bim  in  tbe  catacombs  of 
St.  Sébastian.'' 

*'Well,"  said  tbe  count,  tuming  towards  Franz,  ^'it 
seems  to  me  tbat  tbis  is  a  very  pretty  story.  Wbat  do 
you  say  to  itî" 

"  Wby,  tbat  I  sbould  tbink  it  very  amusing,''  replied 
Franz,  '*  if  it  bad  concemed  any  one  but  poor  Albert" 

''  And  in  trutb,  if  you  bad  not  found  me  bere,"  said 
tbe  count,  '*  it  migbt  bave  proved  a  gallant  adventure 
wbicb  would  bave  cost  your  friend  deai:;  but  now,  be 
assured,  bis  alarm  will  be  tbe  only  serions  conséquence." 

**  And  sball  we  go  and  find  bim  1  "  inquired  Franz. 

"  Ob,  decidedly.  He  is  in  a  very  picturesque  place  ;  do 
you  know  tbe  catacombs  of  St.  Sébastian  1" 

*^1  was  never  in  tbem,  but  I  bave  often  resolved  to 
visit  tbem." 

"  Well,  bere  is  an  opportunity  made  to  your  band,  and 
it  would  be  diffîcult  to  contrive  a  better.  Hâve  you  a 
carriage  9  " 


1 
j 


TES  CÀTAGOM^  OF  ST.  SEBASTIAN.  .551 

«No.*» 

**  That  is  of  no  conséquence  ;  I  always  hâve  one  leady, 
day  and  night.'* 
Always  readyl" 

Yes.  I  am  a  yery  capricious  being  ;  and  I  should  tell 
you  that  sometimes  when  I  rise,  or  after  my  dinner,  or  în 
the  middle  of  the  night,  I  résolve  on  starting  for  sonie 
particular  point,  and  away  I  go."  The  count  rang,  and  a 
footman  appeared.  "Order  ont  the  carnage,"  he  said, 
"  and  remove  the  pistols  which  are  in  the  holsters.  You 
need  not  awaken  the  coachman  ;  Ali  will  drive.*' 

In  a  moment  the  noise  of  wheels  was  heard,  and  the 
carriage  stopped  at  the  door.  The  count  took  out  his 
watch.  ''Half-past  twelve,"  he  said.  ^^We  might  start 
at  five  o'clock  and  be  in  time  ;  but  the  delay  may  cause 
your  friend  to  pass  an  uneasy  night^  and  therefore  we  had 
better  go  with  ail  speed  to  extricate  him  from  the  hands 
of  the  infidels.  Ara  you  still  resolved  to  accompany 
mel** 

**  More  determîned  than  ever." 

"  Well,  then,  corne  along." 

Franz  and  the  count  went  downstairs,  accompanied  by 
Peppino.  At  the  door  they  found  the  carriage.  Ali  was 
on  the  box,  in  whom  Franz  recognized  the  dumb  slave  of 
the  grotto  of  Monte  Cristo.  Franz  and  the  count  got  into 
the  carnage.  Peppino  placed  himself  beside  Ali,  and  they 
set  off  at  a  rapid  pace.  Ali  had  received  his  instructions, 
and  went  down  the  Rue  du  Cours,  crossed  the  Campo 
Vaccino,  went  up  the  Strada  San  Gregorio,  and  reached 
the  gâtes  of  St.  Sébastian.  There  the  porter  raised  some 
difficulties,  but  the  Count  of  Monte  Cristo  produced  an 
authority  from  the  govemor  of  Rome  to  quit  or  enter  the 
city  at  any  and  ail  hours  of  the  day  or  night  ;  the  portcullis 
was  therefore  raised,  the  porter  had  a  louis  for  his  trouble, 


r 


552  THE  COtJNT  OF  MQNTE  CBI8T0. 

and  they  went  on  their  way.  The  road  which  the  ca» 
nage  now  traveiBed  was  the  ancient  Appian  Way,  and  bor- 
dered  with  tomba.  From  time  to  time,  by  the  light  of 
the  moon,  which  began  to  rise,  Franz  imagîned  that  he 
saw  a  sentinel  stand  ont  from  the  ruin,  and  suddenly 
retreat  into  the  darkness  on  a  signal  from  Peppino.  A 
short  time  before  they  reached  the  circus  of  Caracalla  the 
carriage  stopped,  Peppino  opened  the  door,  and  the  count 
and  Franz  alighted. 

"In  ten  minutes/'  said  the  count  to  his  companion,  '^we 
shall  arrive  there.** 

He  then  took  Peppino  aside^  gave  him  some  order  in 
a  low  voice,  and  Peppino  went  away,  taking  with  him  a 
torch^  brought  with  them  in  the  carriage.  Five  minutes 
elapsed,  during  which  Franz  saw  the  shepherd  advance 
along  a  narrow  path  in  the  midst  of  the  irregular  ground 
formed  by  upheavals  in  the  plain  of  Rome,  and  disappear 
in  the  midst  of  the  high  red  herbage,  which  seemed  like 
the  bristling  mane  of  some  enormous  lion.  "  Now/'  said 
the  count,  **  let  us  follow  him."  Franz  and  the  count  in 
their  turn  then  advanced  along  the  same  path,  which  at 
the  end  of  a  hundred  paces  led  them  by  a  dedivity  to  the 
bottom  of  a  small  valley.  They  then  perceived  two  men 
conversing  in  the  shade. 

"  Ought  we  to  advance  1  "  asked  Franz  of  the  count  ; 
*'  or  should  we  pause  %  " 

*'  Let  us  go  on  ;  Peppino  will  hâve  wamed  the  sentry 
of  our  coming." 

One  of  thèse  two  men  was  Peppino,  and  the  other  a 
bandit  on  the  lookout.  Franz  and  the  count  advanced, 
and  the  bandit  saluted  them. 

"  Your  Excellency,"  said  Peppino,  addressing  the  count, 
''  if  you  will  follow  me,  the  opening  of  the  catacombs  is 
dose  at  hand." 


THE  CATACOMBS  OF  ST.  SEBASTIAN.  553 

*'  Go  on,  then,"  replied  the  count. 

Thej  came  to  an  opening  behind  a  clump  of  busbes, 
and  in  the  midst  of  a  pile  of  rocks  by  which  a  man  could 
scarcely  pass.  Peppino  glided  first  into  tbis  crevice  ;  but 
after  advancing  a  few  paces  the  passage  widened.  Then 
he  paused,  lighted  bis  torch,  and  turned  round  to  see  if 
tbey  came  after  bim.  The  count  first  reacbed  a  kind  of 
square  space,  and  Franz  followed  bim  closely.  The  pàth 
sloped  in  a  gentle  descent,  and  widened  as  they  proceeded; 
still  Franz  and  the  count  were  compelled  to  advance  stoop- 
ing,  and  scarcely  able  to  proceed  two  abreast.  They  went 
on  a  hundred  and  fifty  paces  thus,  and  then  were  stopped 
by  "  Who  goes  tbere  î  "  At  the  same  time  they  saw  the 
reflection  of  their  torch  on  the  barrel  of  a  carbine. 

"  A  friend  !  "  responded  Peppino  ;  and  advancing  alone 
towards  the  sentry,  he  said  a  few  words  to  bim  in  a  low 
tone,  and  then  he,  like  the  first,  saluted  the  nocturnal 
visitors,  making  a  sign  that  they  might  proceed. 

Behind  the  sentinel  was  a  staircase  with  twenty  steps. 
Franz  and  the  count  descended  thèse,  and  found  tbemselves 
in  a  kind  of  cross-roads,  forming  a  burial-ground.  Five 
roads  diverged  like  the  rays  of  a  star,  and  the  walls,  dug 
ilito  niches  in  the  shape  of  coffins,  showed  that  they  were 
at  last  in  the  catacombs.  In  one  of  the  cavities  whose 
extent  it  was  impossible  to  détermine  some  rays  of  light 
were  visible.  The  count  laid  bis  hand  on  Franz's  shoulder. 
"  Would  you  like  to  see  a  camp  of  bandits  in  repose  î  "  he 
^nquired. 

"  Certainly/'  replied  Franz. 

"Come  with  me,  then.    Peppino,  extinguish  the  torch." 

Peppino  obeyed,  and  Franz  and  the  count  were  suddenly 
in  utter  darkness;  but  fifty  paces  in  advance  of  them  tbere 
played  along  the  wall  some  reddish  beams  of  light,  more 
visible  since  Peppino  had  put  out  bis  torch.     They  ad- 


654  THE    COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

vanced  silenlly,  the  count  guiding  Franz  as  if  he  had  tbe 
singular  faculty  of  seeing  in  the  dark.  Franz  himself, 
bowever,  distinguished  his  way  more  plainly  in  proportion 
as  he  advanced  towards  the  rays  of  light,  which  served 
them  as  a  guide.  Three  arcades,  of  which  the  middle 
served  as  a  door,  gave  them  passage.  Thèse  arcades 
opened  on  one  side  into  the  corridor  in  which  were  the 
count  and  Franz,  and  on  the  other  into  a  large  square 
chamber  entirely  surrounded  by  niches  similar  to  those 
of  which  we  bave  spoken.  In  the  midst  of  tbis  chamber 
were  four  stones,  which  bad  formerly  served  as  an  altar, 
as  was  évident  from  the  cross  which  still  surmounted  them. 
A  lamp,  placed  at  the  base  of  a  pillar,  ligbted  up  with  its 
pale  and  flickering  flanie  the  singular  scène  which  presented 
itself  to  the  eyes  of  the  two  visitors  concealed  in  tbe  shadow. 
A  man  was  seated  with  bis  elbow  leaning  on  the  column, 
and  was  reading  with  bis  back  tumed  to  the  arcades, 
through  the  openings  of  which  tbe  new-comers  contem- 
plated  bim.  This  was  tbe  chief  of  the  band,  Luigi  Vampa. 
Aronnd  bim  and  in  groups,  according  to  their  fancy,  lying 
in  their  mantles,  or  with  their  backs  against  a  kind  of 
stone  bench  which  went  ail  around  the  Columbarium, 
were  to  be  seen  twenty  brigands  or  more,  eacb  baving  bis 
carbine  within  reacb.  At  the  farther  end,  silent,  scarcely 
visible,  and  like  a  shadow,  was  a  sentinel,  wbo  was  walking 
up  and  down  before  a  kind  of  openiug,  which  was  distin- 
guishable  only  as  in  tbat  spot  tbe  darkness  seemed  thicker. 
When  tbe  count  thought  Franz  bad  gazed  sufficiently  on 
tbis  picturesque  tableau,  he  raised  bis  finger  to  bis  lips,  to 
wam  bim  to  be  silent,  and  ascending  the  three  steps  wbicb 
led  to  tbe  corridor  of  tbe  Columbarium,  entered  tbe  cham- 
ber by  tbe  centre  arcade,  and  advanced  towards  Vampa, 
wbo  was  so  intent  on  the  book  before  bim  tbat  be  did  net 
bear  tbe  noise  of  bis  footsteps. 


I 


THE  CATAGOHBS  OF  ST.  SEBASTIAN.  bbb 

^'Who  gooB  there?"  cried  the  sentinel,  less  occupied,  and 
who  saw  by  the  lamp's  light  a  shadow  which  approached 
his  chief.  At  this  sound,  Yampa  rose  quickly,  drawing 
%t  the  same  moment  a  pistol  from  his  girdle.  In  a  moment 
ail  the  bandits  were  on  their  feet,  and  twenty  carbines 
weie  levelled  at  the  count.  ''  Well,"  said  he,  in  a  voice 
perfectly  cahUi  and  no  muscle  of  his  count^nance  disturbed, 
—  "  well,  my  dear  Vampa,  it  appears  to  me  that  you  re- 
ceive  a  fnend  with  a  great  deal  of  ceremony  I  " 

"  Ground  anns  I  "  exclaimed  the  chief,  with  an  impera- 
tive  sign  of  the  hand,  while  with  the  other  he  took  off  his 
bat  respectfully  ;  then  tuming  to  the  singular  peisonage 
who  had  caused  this  scene^  he  said,  "  Your  pardon.  Mon- 
sieur the  Count,  but  I  was  so  far  from  expecting  the  honor 
of  a  visit  that  I  did  not  recognize  you." 

**  It  seems  that  your  memory  is  equally  short  in  every- 
thing,  Yampa/'  said  the  count,  ''and  that  not  only  do  you 
forget  people's  faces,  but  also  the  agreements  you  make 
with  them." 

**  What  agreements  hâve  I  forgotten.  Monsieur  the 
Count  f"  inquired  the  bandit,  with  the  air  of  a  man 
who  having  committed  an  error  is  anxious  to  repair  it. 

"  Was  it  not  agreed/'  asked  the  count,  ''  that  not  only 
my  person,  but  also  that  of  my  friends,  should  be  respected 
by  you  î  " 

"And  how  bave  I  broken  that  treaty,  your  Excellency ï** 

''You  hâve  this  evening  carried  off  and  conveyed  hithei 
the  Vicomte  Albert  de  Morcerf.  Well,"  continued  the 
count,  in  a  tone  that  made  Franz  shudder,  "  this  young 
gentleman  is  one  of  my  friends  ;  this  young  gentleman 
lodges  in  the  same  hôtel  as  myself  ;  this  young  gentleman 
bas  been  up  and  down  the  Corso  for  eight  hours  in  my  pri< 
vate  carriage, — and  yet,  I  repeat  to  you,  you  bave  carried 
him  off  and  conveyed  him  hither,  and,''  added  the  counif 


056  THE  COUNT  OF  MONTE  CBISTa 

taking  the  letter  firom  his  pocket^  **  you  hâve  set  a  lansc^ir 
on  bim,  as  if  he  were  an  indiffèrent  person." 

"  Why  did  you  not  tell  me  ail  this,  —  you  1  "  inquired 
the  brigand  chie^  tuming  towards  his  men,  who  ail  re- 
treated  before  his  look.  "Why  bave  you  exposed  me  thus 
to  fail  in  my  word  towards  a  gentleman  like  the  count,  who 
bas  ail  our  lives  in  bis  bands  9  By  the  blood  of  Christ  1 
if  I  thought  that  any  one  of  you  knew  that  the  young 
gentleman  was  the  fnend  of  bis  Ëxcellency,  I  would  blow 
bis  brains  ont  with  my  own  band  !  " 

*'  Well,"  said  the  count,  tuming  towards  Fram^  **  I  told 
you  there  was  some  mistake  in  this.** 

''  Are  you  not  alone  1  "  asked  Yampa,  with  uneasiness. 

"I  am  with  the  person  to  wbom  this  letter  was  ad- 
dressedy  and  to  wbom  I  desired  to  prove  that  Luigi  Yampa 
was  a  man  of  his  word.  Come,  your  Excellency,  hère  is 
Luigi  Yampa,  who  will  bimself  express  to  you  his  deep 
regret  at  the  mistake  he  bas  committed." 

Franz  approacbed,  the  chief  advancing  several  steps  to 
meet  bim.  "  Welcome  among  us,  your  Excellency  !  ''  he 
said  to  bim  ;  "  you  beard  what  the  count  just  said,  and 
also  my  reply.  Let  me  add  that  I  would  not  bave  such  a 
thing  as  this  happen  for  the  four  thousand  piastres  at 
which  I  had  fixed  your  friend's  ransom.'' 

"  But,"  said  Franz,  looking  round  bim  uneasily,  "  where 
is  the  viscount  )    I  do  not  see  bim." 

"Kotbing  bas  bappened  to  bim,  I  hopet"  said  the 
count,  frowning. 

"  The  prisoner  is  there/'  replied  Yampa,  pointing  to  the 
bdlow  spaoe  in  fiont  of  which  tbe  bandit  was  on  guard  ; 
"  and  I  will  go  myself  and  tell  bim  that  he  is  £ree.''  Tbe 
chief  went  towards  tbe  place  he  had  pointed  out  as  Alberi'f 
prison,  and  Franz  and  the  count  folio wed  bim.  "  Whil 
ia  tbe  prisoner  doing  9  "  inquired  Yampa  of  tbe  sentincL 


THE  GATAC0MB8  OF  ST.  SEBASTIAN.  557 

•*  J/a  f(At  Captain,**  replied  the  sentrj,  "I  do  not 
know;  for  the  last  hour  I  hâve  not  heard  him  stir.** 

'^  Corne  in^  your  £xcellency,"  said  Yampa. 

The  count  andTranz  ascended  seven  or  eight  steps  after 
the  chief,  who  drew  back  a  boit,  and  opened  a  door.  Then, 
by  the  gleam  of  a  lamp  similar  to  that  which  lighted  the 
Columbarium,  Albert  was  to  be  seen  wrapped  up  in  a 
cloak  which  one  of  the  bandits  had  lent  him,  lying  lu 
a  corner  in  profound  slumber. 

"  Come  !  "  said  the  count,  smiling  with  his  own  pecu- 
liar  snïile,  "  not  so  bad  for  a  man  who  is  to  be  shot  at 
seven  o'clock  to-morrow  moming  1  * 

Yampa  looked  at  Albert  with  a  kind  of  admiration  ;  he 
tvas  not  insensible  to  such  a  proof  of  courage. 

'*  You  are  right,  Monsieur  the  Count,"  he  said  ;  ^'  this 
must  be  one  of  your  friends."  Then,  going  to  Albert,  he 
touehed  him  on  the  shoulder,  saying,  '*  Will  your  Excel- 
lency  please  to  awaken?" 

Albert  stretched  ont  his  arms,  rubbed  his  eyelids,  and 
opened  his  eyes.  ''  Ah,  ah  I  ''  said  he,  *^  is  it  you, 
Captain  \  You  should  hâve  allowed  me  to  sleep.  I  had 
such  a  delightful  dream  :  I  was  dancing  the  galop  at  Tor- 

lonia's  with  the  Comtesse  G ."    Then  he  drew  from 

his  pocket  his  watch,  which  he  had  kept  that  he  might 
eee  how  time  sped. 

**  Half-past  one  only  I  '*  said  he.  "  Why  the  devîl  do 
you  touse  me  at  this  hourl'^ 

"  To  tell  you  that  you  are  free,  your  Excellency.** 

^'My  dear  fellow/'  replied  Albert,  with  perfect  ease 
of  mind,  "remember  for  the  future  Napoleon's  maxim, 
'  Never  awaken  me  but  for  bad  news  ;  '  if  you  had  let  me 
sleep  on  I  should  hâve  finished  my  galop,  and  hâve  been 
grateful  to  you  ail  my  life.    So,  then,  they  hâve  paid  my 


558  XHE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

*  KOf  jour  Excellency.** 

**  Wdl,  thon,  how  am  I  freel* 

**  Some  one  to  whom  I  can  refuse  nothing  lias  corne  ta 
demand  you/' 

"  Corne  hither  »  ** 

«  Yes,  hither." 

**  Beally  !  that  some  one  is  a  most  amiable  person.'* 
Albert  looked  round,  and  perceived  Franz.  **  What  !  " 
said  he,  *'  la  it  you,  my  dear  Franz,  whose  dévotion  and 
friendship  are  thus  displayedî'' 

"  No,  not  I,"  replied  Franz  ;  **  but  our  neighbor,  the 
Count  of  Monte  Cristo." 

"  Ah,  ah  !  Monsieur  the  Count,**  said  Albert,  gayly, 
and  arranging  his  cravat  and  wristbands,  *^  you  are  really 
most  kind,  and  I  hope  you  will  consider  me  as  etemally 
obliged  to  you,  —  in  the  first  place  for  the  carriage,  and 
in  the  next  for  this;**  and  he  put  ont  his  hand  to  the 
count,  who  shuddered  as  he  gave  his  own,  but  who  never- 
theless  did  give  it.  The  bandit  gazed  on  this  scène  with 
amazement  ;  he  was  evidently  accustomed  to  see  his  pris- 
oners  tremble  before  him,  and  yet  hère  was  one  whose 
gay  humor  was  not  for  a  moment  altered.  As  for  Franz, 
he  was  enchanted  at  the  way  in  which  Albert  had  sus' 
taîned  the  national  honor  in  the  présence  of  the  bandit 
^  My  dear  Albert,"  he  said,  **  if  you  will  make  haste,  we 
shall  yet  bave  time  to  finish  the  night  at  Torlonia's. 
You  may  conclude  your  interrupted  galop^  so  that  you 
will  owe  no  ill-will  to  Signer  Luigi,  who  has  indeed 
throughout  this  whole  affair  acted  like  a  gentleman." 

'^You  are  decidedly  right;  and  we  may  reach  the 
palace  by  two  o'clock.  Signor  Luigi,"  continued  Albert, 
**  is  there  any  formality  to  fulfil  before  I  take  leave  of 
your  Excellency  t  ** 

**  None,  sir,"  replied  the  bandit;  ^  you  aie  as  free  as  air.** 


THE  CATAOOMBS  OT  ST.  SBBASErUX.  MJ 

WcUy  theD,  a  happj  and  wuesij  life  to  jm  !    Oui» 


And  Albert^  fiilknred  Ivf  nam  and  tlM  ooont^  de* 
•waided  the  staîrene^  eam&dd  Ihe  square  dninbei^  wheia 
•tood  an  the  bandita,  hat  in  Ittnd.  ««PBppiDQ^'aaid  Ihe 
iHJgmd  étàeS,  "give  me  the  tcreh.* 

"Wfaaftaieyoa  goii^  to  dG^thent"*  inqmied  tiie  ooaDt. 

''I  vin  show  jGQ  the  vay  back  mjsel^''  aûd  the  tmp- 
tain;  ^that  is  ihe  least  hmior  I  can  testify  to  yoor  £zoel- 
Ibocj/'  And  taking  the  lig|ited  tcxch  from  the  hands  of 
tiie  heidaman,  he  pieoeded  hie  goest^  not  as  a  serrant 
who  petCMms  an  act  of  âynUity,  bat  like  a  kiog  who  pro- 
cèdes ambassadon.  On  leaching  the  door  he  bowed. 
'^Andnow^MonsieiirtheCoiint^'added  he,  "attownieto 
lepeat  mj  apokgieB;  and  I  hope  yoa  wiU  not  entertain 
anj  iGsentment  at  what  bas  ooconed." 

''Xo^  my  dear  Yampa,"  lepUed  ihe  coont ;  'besidefl^ 
yoa  ledeem  yoar  enon  so  poUtely  ihat  one  almost  feeb 
obliged  to  yoa  fw  having  oommitted  them."* 

**  Gentlemen,''  added  the  chie^  toming  towaids  Ab 
yoang  men,  ''perfaaps  the  effet  may  not  appear  Toiy 
tempting  to  yoa  ;  bat  if  you  shoald  ever  fbel  indined 
to  pay  me  a  second  râi^  wherever  I  may  be^  yoa  shan 
be  weloQme.** 

Fnnz  and  Albert  bowed.  The  coont  went  ont  fiisl^ 
tb^  Albert.  Franz  paosed  for  a  moment  **  Has  yooi 
KxueUem^  anyihii^  to  ask  met"  said  Yampa,  with  a 
smile. 

**  Yea,  I  haYo^**  replied  Franz  ;  **  I  am  carioos  to  know 
wbat  work  yoa  were  perosiiig  with  so  much  attention  aa 
we  enteredf 

*"  CsBsai's  Commentarie%"' said  the  bandit  ;  «"itismi 
fiiTorite  work." 

**  WeU,  aie  yoa  comîngl  "  asked  Albeit 


«7 
r 


560  THE  COUNT  OF  MONTE  CRISTO. 

*'  Tes/'  leplied  Franz,  "  hère  I  am  !  ^  and  he  in  his  turn 
left  the  caves. 

They  advanced  to  the  plain.  *'  Ah,  jour  pardon  I  "  said 
Albert^  tuming  round  ;  "  will  you  allow  me^  Captain  1  " 
Aud  he  lighted  his  cigar  at  Vampa's  torch.  **  Now,  Mon- 
sieur the  Count/'  he  said,  .jt  us  on  with  ail  the  speed 
we  may.  I  am  enormously  anxious  to  finish  my  night  at 
the  Duc  de  Bracciano's." 

They  fouud  the  carriage  where  they  had  left  it.  The 
count  said  a  word  in  Arabie  to  Ali,  and  the  horses  went 
off  at  great  speed.  It  was  just  two  o'clock  by  Albert's 
watch  ^yhen  the  two  fiiends  entered  into  the  dancing- 
room.  Their  return  was  quite  an  event  ;  but  as  they  en- 
tered together,  ail  uneasiness  on  Albert's  accouat  ceased 
instantly. 

"  Madame/'  said  thé  Vicomte  de  Morcerf,  advancing  to- 
wards  the  countess,  "  yesterday  you  were  so  coudesceuding 
as  to  promise  me  a  galop  ;  I  am  rather  late  in  claiming 
tliis  gracions  promise,  but  hère  is  my  friend,  whose  charac- 
ter  for  veracity  you  well  know,  and  he  will  assure  you 
the  delay  arose  from  no  fault  of  mine."  And  as  at  this 
moment  the  music  gave  the  waming  for  the  waltz,  Albert 
put  his  arm  round  the  waist  of  the  couutess,  and  disap- 
peared  with  her  in  the  whirl  of  dancers.  In  the  mean 
while  Franz  was  considering  the  singular  shudder  that 
had  pervaded  the  Count  of  Monte  Cristo's  frame  at  the 
moment  when  he  had  been,  in  some  sort,  forced  to  giye 
his  hand  to  Alberti 


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