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Full text of "Manifestations yougoslaves contre l'imperialisme italien"

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L'impérialisme  Italien 


PARIS 

IMPRIMERIE    "  GRAPHIQUE' 

;5,  Rue  .S-iiut-Gilles,  i5 


COIVTRE 


L'impérialisme  Italien 


IQIQ 

IMPRIMERIE    «  GRAPHIQUE  » 

i5,  Rue  Saint-(îilles,  i5 

PARIS 


Manifestations  Yougoslaves 


COINTRE 


L'IMPERIALISIVIE      ITALIEN 


La  nouvelle  qui  s'est  propagée  au  commence- 
ment du  mois  de  juin  de  l'approche  du  dénoue- 
ment du  problème  angoissant  de  Fiume  et  que, 
en  méconnaissance  de  leurs  droits  plusieurs  fois 
séculaires  et  des  aspirations  nationales  légitimes 
de  leurs  habitants,  des  territoires  entiers,  incon- 
testablement yougoslaves,  allaient  être  attribués 
au  royaume  d'Italie,  a  causé  un  vif  émoi  dans 
toute  la  Yougoslavie.  Une  violente  émotion  s"est 
emparée  du  peuple  yougoslave  tout  entier,  émo- 
tion qui  s'est  traduite  par  des  manifestations  pu- 
bliques, par  des  meetings  et  par  de  véhémentes 
protestations.  C'est  particulièrement  à  Zagreb, 
capitale  de  la  Croatie,  que  la  protestation  contre 
les  tendances  impérialistes  de  l'Italie  a  pris  le 
caractère  le  plus  aigu.  Un  grand  meeting  a  été 
tenu  le  9  juin  sur  la  principale  place  de  cette  ville 
qui  porte  le  nom  du  Président  Wilson.  20,000  per- 
sonnes, comprenant  toutes  les  classes  de  la  popu- 
lation, ont  pris  part  à  cette  manifestation.  On  y  a 
remarqué  surtout  la  présence  d'un  très  grand 
nombre  de  corporations,  venues  avec  leur  ban- 
nière déployée  et  portant  des  écriteaux  avec  ins- 
criptions significatives.  On  y  lisait  des  devises 
enflammées,  telles  que  :  «  Notre  vie  et  notre  sang 


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pour  TAdriatique  »  ;  «  Nous  voulons  la  Yougosla- 
vie intégrale  et  indivisible  »  ;  «  Contre  la  vio- 
lence, la  violence  »  ;  «  Achevons  l'œuvre  de  Taf- 
franchissement  ».  Certaines  inscriptions  manifes- 
taient en  faveur  de  la  solidarité  et  de  la  fraternité 
avec  les  autres  peuples  slave,  russe,  polonais  et 
tchéeo-slovaque.  Certaines  clamaient  l'espoir  de 
la  renaissance  du  peuple  russe  ;  d'autres  accla- 
maient la  fraternité  avec  les  frères  slaves  du 
Nord  ;  on  lisait  aussi  des  appels  chaleureux  aux 
gr^.ndes  démocraties  de  l'Occident,  accompagnés 
de'  l'espoir  qu'elles  empêcheront  que  les  Balkans, 
por  l'intrusion  de  nouveaux  conquérants,  ne  re- 
devint le  foyer  de  troubles  et  une  menace  perma- 
nente pour  la  paix  européenne. 

Le  maire  de  Zagreb,  le  docteur  Srkiili,  acclamé 
président,  ouvrit  le  meeting  par  ces  brèves  pa- 
roles :  «  Peuple  !  Des  nuages  noirs  se  sont  élevés 
au-dessus  de  notre  mer  Adriatique,  en  assombris- 
sant son  azur.  L'ennemi  millénaire  veut  rompre 
notre  artère,  veut  faire  de  nous  des  esclaves.  » 
(Cris  :  Nous  ne  le  voulons  pas  !) 

Après  ces  quelques  mots,  M.  Srkulj  invita  les 
assistants  à  manifester  leur  volonté.  Il  donna  la 
parole  à  M.  le  docteur  Hinko  Hinkovic  qui,  dans 
son  discours,  relata  l'historique  du  Comité  yougo- 
slave à  l'étranger.  «  Ce  Comité,  dit-il,  a  été  orga- 
nisé par  des  patriotes  you?:oslaves  ayant  échappé 
aux  griffes  du  bourreau  habsbourgeois.  Le  Co- 
mité, au  cours  de  son  activité,  pendant  la  guerre, 
ne  s'est  heurté  qu'à  un  seul  ob.stacle  :  l'Italie,  et  il 
a  eu  à  soutenir,  dans  sa  propagande  en  Europe 
et  en  Amérique,  une  lutte  des  plus  pénibles  et  des 
plus  difficiles  contre  les  agissements  de  l'Italie 
officielle  qui  n'a  pas  même  hésité  à  recourir  à  des 


—  o  — 

dénonciations  calomnieuses  à  l'endroit  des  mem- 
bres du  Comité.  Ces  derniers  étaient  même  repré- 
sentés comme  des  agents  à  la  solde  de  l'Autriche 
dont  la  diplomatie  italienne  demandait  l'ex- 
pulsion de  France  et  de  Grande-Bretagne,  sous 
prétexte  qu'ils  troublaient  l'union  entre  les  Alliés. 
C'est  seulement  après  la  défaite  de  l'armée  ita- 
lienne, à  Caporetto,  que  le  gouvernement  italien 
changea  quelque  peu  son  attitude  à  l'égard  des 
émigrés  yougoslaves.  Par  l'intermédiaire  des 
Tchèques,  il  demanda  au  Comité  yougoslave 
d'agir  sur  les  soldats  serbes,  croates  et  Slovènes 
dans  les  rangs  de  l'armée  autrichienne,  afin  qu'ils 
83  rendent  aux  Italiens,  ainsi  qu'ils  l'avaient  fait 
précédemment  en  Russie  et  en  Serbie.  Aux  ins- 
tances pressantes  des  Italiens,  le  Comité  yougo- 
slave répondit  que  les  troupes  yougoslaves  ne  ces- 
seront pas  de  combattre  contre  les  Italiens  aussi 
longtemps  que  ceux-ci  convoiteront  leur  pays,  et 
que  ce  serait  peine  inutile  que  de  chercher  à  les 
amener  à  changer  de  conduite  tant  que  les  Ita- 
liens eux-mêmes  n'auront  pas  renoncé  d'une  <a- 
çon  formelle  à  leur  politique  de  conquête  sur  la 
côte  orientale  de  l'Adriatique.  Mais  à  cette  renon- 
ciation demandée,  les  Italiens  ne  consentirent 
pas.  Il  est  vrai  que  dans  un  esprit  d'humilité 
feinte,  ils  entreprirent,  au  cours  d'un  pèlerinage  à 
Londres,  de  se  rendre  auprès  du  Président  du 
Comité,  M.  Trumbitch,  et  qu'au  fameux  congrès 
de  Rome,  ils  adoptèrent  un  principe  ayant  pu 
donner  une  satisfaction  pleine  aussi  bien  aux 
Yougoslaves  qu'au  monde  entier. 

Le  roi  convoqua  chez  lui  M.  Trumbitch,  et  le 
généralissime  de  l'armée  italienne,  Diaz,  l'amena 
sur  le  front.  Des  proclamations  révolutionnaires, 


—  6  — 

rédigées  par  le  Comité  yougoslave,  furent  lancées 
en  masse  par  les  avions,  à  l'arriére  du  front  au- 
trichien. Tous  ces  efforts  ont  été  couronnés  de 
succès  et  accélérèrent  la  débâcle  de  TAutriche- 
Hongrie  et  la  fin  de  la  guerre  mondiale.  Malgré 
tous  ces  services  indéniables  et  reconnus  de  tout 
le  monde,  rendus  par  les  Yougoslaves  à  la  cause 
alliée,  les  Italiens  poursuivirent,  après  Tarmis- 
tice,  leur  politique  impérialiste.  En  voulant  fer- 
mer à  la  Yougoslavie  l'Adriatique,  l'Italie  tend 
à  subjuguer  économiquement  le  nouvel  Etat  qui 
s'est  créé  sur  les  débris  de  TAutriche-Hongrie,  sur 
le  rivage  oriental  de  cette  mer.  Leur  but,  en 
outre,  est  de  créer  dans  les  Balkans  un  monoyole 
commercial  et  industriel  à  leur  profit.  Ils  ont  ^a 
prétention  de  devenir  le  seul  et  unique  maître  du 
marché  balkanique,  persuadés  qu'ils  sont,  que, 
par  leur  domination  économique,  ils  domineront 
aussi  politiquement  la  Péninsule.  Est-ce  que  nous 
pouvons  permettre  cela  ?  (Cris  :  Non  !  Non  !)  Notre 
problème  est  posé  d'une  façon  heureuse,  car,  non 
seulement  nous,  m.ais  même  la  France  et  l'Angle- 
terre y  sont  hautement  intéressés.  Le  sentiment 
est  général  que  de  cette  guerre  ne  peut  résulter 
un  état  de  choses  qui  reposerait  sur  l'injustice, 
car  ce  serait  le  germe  de  nouveaux  conflits  san- 
glants. La  Serbie,  par  la  vaillance  de  ses  fils,  a, 
non  seulement  provoqué  l'admiration  universelle, 
mais  elle  a  de  plus  obligé  le  monde  à  son  égard. 
Personne  n'a  autant  de  mérite  dans  la  débâcle 
de  l'empire  austro-hongrois  que  la  Serbie.  Je  ne 
peux  pourtant  pas  oublier  les  volontaires  yougo- 
slaves qui  ont  répandu  leur  sang  à  flots  dans  la 
Dobroudja  et  sur  le  front  macédonien  en  défen- 
dant la  sainte  cause.  Est-ce  que  tous  ces  sacrifices 


seront  inutiles  et  Tinjustice  leur  récompense?... 
Cette  injustice  peut  nous  être  faite,  mais  en  vio- 
lentant notre  volonté,  nous  ne  consentirons  ja- 
mais à  souscrire  à  une  paix  injuste.  Nous  avons 
combattu  pour  l'unité  yougoslave  ;  la  Yougoslavie 
nous  l'avons,  mais  son  unité  n"est  pas  complète 
encore.  Nous  la  voulons  libre  et  intégrale.   » 

Ce  discours  fut  acclamé  par  de  vifs  applaudis- 
sements de  toute  l'assemblée. 

Après  M.  Hinkovic.  c'est  un  autre  membre  du 
Comité  Yougoslave,  AI.  Jovo  Banjanin.  qui  monta 
à  la  tribune. 

«  L'idée  de  l'unité  nationale,  dit  l'orateur-  a 
vu  aujourd'hui  son  couronnement.  Cette  idée  n'a 
pas  besoin  d'être  défendue,  car  elle  a  été  réalisée 
dans  un  Etat  uni  et  indivisible.  Nous  protestons 
contre  tous  ceux  qui  veulent  arracher  les  lam- 
beaux les  plus  vifs  de  notre  chair.  Les  Italiens 
ont  réussi  :  ils  nous  ont  uni  dans  une  même  haine 
contre  eux.  Aux  Slovènes,  ils  demandent  Trieste 
et  Goritz  ;  aux  Croates,  l'Istrie  et  la  Dalmatie  ;  et 
ils  provoquent  l'hostilité  de  la  Serbie  à  leur  égard 
en  favorisant,  au  Monténégro,  les  ambitions  de 
l'ancien  satrape,  au  Banat,  les  aspirations  méga- 
lomanes roumaines,  et,  à  l'est,  les  instincts  sour- 
nois bulgares.  Partout  ils  creusent  notre  tombe  : 
avant  la  guerre,  l'Italie  a  fait  une  politique  d'en- 
chère et  de  marchandages  sans  scrupule  avec 
l'Entente  et  avec  l'Autriche  ;  c'est  la  page  la  plus 
honteuse  de  cette  guerre.  La  victoire  sur  la  Piave 
a  eu  lieu,  moins  par  le  mérite  des  soldats  italiens, 
que  par  les  efïorts  des  nations  opprimées  par 
l'Autriche-Hongrie.   » 

L'orateur  rappela  ensuite  l'attitude  équivoque 
des  Italiens  lors  des  grandes  offensives  à  l'ouest. 


—  8  — 

Le  Docteur  Ivo  Krnic,  député  au  Parlement 
central  de  Belgrade  et  membre  du  «  Club  natio- 
nal »,  dit  que  les  Italiens  n'ont  été  guidés  dans 
cette  guerre  que  par  l'idée  de  «  sacro  egoismo  ». 
«  L'œuvre  de  l'unité  nationale,  continua  l'ora- 
teur, n'est  pas  achevée  et  ne  le  sera  pas  tant  que 
le  peuple  yougoslave  tout  entier  ne  se  trouvera 
pas  réuni  sous  le  même  toit.  Aucune  force  en  ce 
monde  ne  sera  capable  d'empêcher  la  réalisation 
de  ce  droit.  » 

C'est  au  nom  du  parti  démocratique  que  parla 
ensuite  M.  Milan  Kresic,  ancien  secrétaire  de  la 
Chambre  de  commerce  de  Zagreb.  Il  indiqua  les 
conséquences  néfastes  qu'entraînerait  à  coup  sur 
l'exécution  du  traité  de  Londres.  «  Le  peuple 
yougoslave  doit  s'unir  pour  protester  contre  l'im- 
périalisme italien.  Au  nouveau  Shylock,  nous 
refusons  le  moindre  lambeau  de  notre  chair. 
Nous  pouvons  plier  pour  l'instant,  mais  la  re- 
vanche n'en  sera  pas  moins  certaine.  » 

Le  Docteur  Horvat,  parlant  au  nom  du  parti 
paysan  croate,  protesta  avec  véhémence  contre 
les  empiétements  des  Italiens  sur  la  côte  Est  de 
l'Adriatique. 

L'orateur  qui  lui  succéda  fut  M.  Lovric.  lieu- 
tenant ayant  perdu  la  vue  au  cours  de  la  guerre. 
Il  parla  au  nom  de  ceux  qui,  en  Russie,  s'étaient 
unis  sous  l'étendard  de  la  liberté  et  au  nom  des 
légions  des  volontaires  yougoslaves  ayant  mené 
une  lutte  âpre  sur  le  territoire  russe,  dans  les 
marécages  de  la  Dobroudja  et  sur  le  front  de  Sa- 
lonique.  Il  éleva  une  protestation  violente  contre 
l'impérialisme  italien.  Il  ajouta  que  22,000  de  ces 
volontaires,  qui  avaient  combattu  vaillamment 
sur  tant  de  champs  de  bataille  pour  la  cause  al- 


—  9  - 

liée,  moisi'ssent  actuellement  dans  les  g'eôles  ita- 
liennes. 

Le  Docteur  Decak  prit  ensuite  la  parole  au  nom 
des  Sokols  yougoslaves  et  dit  que  ceux-ci  s'élève- 
ront contre  les  Italiens  —  s'ils  ne  renoncent  pas 
à  leurs  prétentions  chauvines  —  avec  le  même 
enthousiasme  que  celui  avec  lequel  ils  contribuè- 
rent, par  leurs  etïorts,  à  re»!ïondrement  de  l'édi- 
fice vermoulu  de  la  monarchie  habsbourgeoise. 
«  Les  Sokols  yougoslaves  ne  seront  pas  seuls  dans 
cette  lutte,  mais  soutenus  par  quatre  millions  de 
leurs  frères  slaves.  »  Ceci  n'est  pas  une  simple 
phrase  ni  une  vaine  menace,  dit  l'orateur,  et, 
comme  preuve,  il  rappela  les  paroles  prononcées 
par  M.  Scheiner,  ancien  membre  de  la  Fédéra- 
tion des  Sokols  panslaves,  à  l'occasion  de  la  fête 
commémorative  de  Zrinjski  Frankopan.  M.  Schei- 
ner, qui  rem.plit  actuellement  les  fonctions  d'ins- 
pecteur général  de  l'armée  tchéco-slovaque,  a  fait, 
en  s'adressant  aux  Sokols  yougoslaves,  la  déclara- 
tion suivante  :  «  Frères  !  nous  sommes  avec  vous 
et,  s'il  faut  combattre  à  vos  côtés,  nous  combat- 
trons et  nous  ne  vous  abandonnerons  pas.  » 

Après  ces  paroles,  qui  ont  été  vigoureusement 
applaudies,  M.  Decak  a  donné  lecture  de  la  ré- 
solution suivante,  adoptée  dans  un  enthousiasme 
indescriptible  : 

«  La  population  de  la  ville  de  Zagreb  et  des 
environs,  réunie  le  29  juin  1919,  sur  la  place 
Wilson.  prend,  en  présence  des  nouvelles  parve- 
nues de  Paris,  et  d'après  lesquelles  les  territoires 
de  Goritz,  Trieste,  Pola,  ainsi  que  des  parties  de 
la  Dalmatie  avec  des  îles,  seraient  annexés  au 
royaume  d'Italie  et  que  des  parties  d'Istrie,  de 
Piume  et  du  littoral  croate  on  formerait  un  Etat 


—  10  — 

particulier,  a  voté  à  runanimité  la  résolution  sui 
vante  : 

«  Attendu  que  le  p-tys  dans  lequel  depuis  des 
siècles  vit  le  peuple  yougoslave,  au  triple  nom 
serbe,  croate  et  slovène,  constitue  une  entité  in- 
divisible au  point  de  vue  ethnique,  économique  et 
géographique  ;  attendu  que  ce  même  peuple  a 
toujours  manifesté  la  tendance,  qu'il  a  d'ailleurs 
accentuée  par  d'immenses  sacrifices  au  cours  de 
la  guerre  qui  vient  d'avoir  lieu,  k  réaliser  un  Etat 
unitaire  ;  attendu  que  le  monde  civilisé  tout  entier 
a  adopté  le  nouvel  évangile  du  président  Wilson 
de  l'auto-détermination  des  peuples  ;  attendu  en- 
fin que  le  militarisme  conquérant  et  l'impéria- 
lisme économique  des  Italiens  tendent  à  lui  ar- 
racher les  régions  adriatiques  les  plus  importan- 
tes et  à  transformer  cette  mer  qui  devrait  être 
ouverte  et  accessible  à  tous,  en  un  lac  fermé,  nous 
protestons  contre  toute  solution  de  la  Conférence 
pouvant  étendre  la  domination  étrangère  suil 
n'importe  quelle  partie  de  notre  peuple.  Et  nous 
déclarons  n'avoir  pas  secoué  le  joug  austro-hon- 
grois pour  l'échanger  contre  celui  de  l'Italie. 
Nous  désirons  vivre  en  peuple  digne  d'entrer  dans 
le  concert  et  dans  la  société  des  autres  nations 
et  nous  lutterons  désespérément  contre  toute  vio- 
lence et  toute  injustice,  dans  le  ferme  espoir  que 
notre  Délégation  près  la  Conférence  de  la  paix  ne 
signera  pas  une  paix  violente  ou  injuste.  » 

Après  le  meeting,  les  assistants  se  sont  form-îs 
en  long  cortège  qui,  avec  la  musique  des  Sokols 
en  tête,  parcourut  les  principales  rues  de  la  ville. 
Sur  tout  le  passage,  la  foule  faisait  retentir  des  ac- 
clamations  à  l'adresse  de  la  France,  de  l'Angle- 
terre, de  Wilson  et  de  la  Russie.  Dans  le  cortège 


—  li- 
on remarquait  la  présence  de  nombreux  réfugiés 
yougoslaves  des  contrées  du  littoral  adriatique 
occupées  par  les  troupes  italiennes.  Le  cortège 
s'arrêta  sur  la  place  Yelacitch  au  milieu  de  la- 
quelle se  dresse  la  statue  équestre  du  héros  na- 
tional croate.  De  nombreux  discours  y  furent 
prononcés,  entre  autres  par  M.  Milan  Marjanovic, 
ancien  membre  du  Comité  yougoslave  de  Lon- 
dres, délégué  aux  Etats-Unis.  Il  déclara  «  qu'as- 
sez de  mots  avaient  été  prononcés,  qu'il  était 
temps  de  passer  aux  actes  ;  que  le  peuple  yougo- 
slave ne  doit  pas  espérer  trop  des  discours,  mais 
que  son  salut  dépendait  de  lui-même.  Et  pour 
cela,  il  faut  qu'il  concentre  et  rassemble  ses  for- 
ces en  vue  peut-être,  d'une  lutte  imminente  ". 
Le  cortège  se  dirigea  ensuite  vers  le  bâtiment  du 
«  Ban  »,  le  Docteur  Palecek,  chef  du  gouverne- 
ment provincial  de  Croatie.  Le  maire  de  Zagreb, 
le  Docteur  Srkulj,  salua  le  «  Ban  »  et  porta  à  sa 
connaissance  le  texte  de  la  résolution  ci-dessus 
en  le  priant  de  le  transmettre  aux  autorités  com- 
pétentes, à  quoi  M.  Palecek  répondit  par  le  dis- 
cours suivant  :  «  Il  va  de  soi  que  je  transmettrai 
votre  résolution  sans  délai  et  par  la  voie  la  plus 
directe  aux  autorités  qualifiées  pour  en  prendre 
connaissance,  et  je  le  ferai  d'autant  plus  volon- 
tiers que  le  gouvernement,  à  la  tête  duquel  je  me 
trouve  placé,  partage  le  sentiment  de  notre  peu- 
ple tout  entier  des  Serbes,  des  Croates  et  des 
Slovènes,  et  se  trouve  solidaire  de  ses  aspirations 
irréductibles  vers  la  complète  libération  et  l'uni- 
fication intégrale  de  notre  nation.  De  ces  mêmes 
sentiments  et  tendances  est  pénétré  le  gouverne- 
ment da  notre  royaume  à  Belgrade,  dont  sont  'out 
particulièrement  solidaires  les  vaillants  membres 


—  12  — 

do  notre  dynastie  nationale,  les  glorieux  Kara- 
georgevitch,  qui,  dans  toute  leur  action,  et  no- 
tamment au  cours  de  cette  guerre,  dans  les  tran- 
chées, ont  donné  une  preuve  éclatante  de  leur  at- 
tachement inébranlable  à  la  cause  nationale. 
Nous  avons  accepté  avec  enthousiasme  l'idée  da 
Tauto-détermination  des  peuples,  l'idée  que  cha- 
que peuple,  petit  ou  grand,  a  le  droit  incontes- 
table de  décider  de  son  sort  et,  si  la  question  .■^e 
pose  à  la  Conférence  de  la  paix,  nous  pourrons 
nous  présenter  le  front  haut  devant  ce  suprême 
tribunal  international  après  avoir  accompli,  au 
delà  de  nos  forces,  notre  devoir  national.  S'il 
existe  une  lueur  de  justice  en  ce  monde,  la  moin- 
dre parcelle  de  notre  chair  ne  doit  devenir  l'objet 
d'aucun  marchandage  de  la  politique  interna- 
tionale. Notre  peuple  ne  pourrait  jamais  oublier 
qu'en  dépit  de  tant  de  sacrifices  consentis  en  fa- 
veur de  la  cause  commune  de  justice  et  de  li- 
berté, on  lui  arrache  ce  qui  est  sien.  Je  vous  re- 
mercie, au  nom  du  gouvernement,  pour  l'appui 
que,  par  votre  manifestation  sans  précédent,  vous 
avez  prêté  à  ses  efforts  incessants  et  inlassables, 
faits  en  vue  de  parachever  l'œuvre  de  l'unité  na- 
tionale. » 

Le  meeting  se  termina  par  un  salut  des  frères 
yougoslaves  des  Etats-Unis  apporté  par  le  Doc- 
teur Leontic,  leur  délégué,  et  par  des  ovations 
chaleureuses  à  l'adresse  de  la  mission  améri- 
caine qui  se  trouve  logée  au  Palace  Hôtel  de 
Zagreb. 

Ainsi  que  nous  l'avons  dit  plus  haut,  des  réu- 
nions similaires  furent  tenues  dans  la  plupart 
des  villes  du  Royaume  des  Serbes,  Croates  et 
Slovènes,  et  des  centaines  de  dépêches,  conçues 


—  13  — 

en  des  termes  à  peu  près  analogues,  furent  adres- 
sées, du  sein  même  de  ces  meetings  locaux,  au 
Comité  organisateur  du  grand  meeting  central  de 
Zagreb,  en  témoignage  de  la  solidarité  nationale 
et  de  l'unanimité  du  peuple  yougoslave  dans  son 
geste  de  protestation  contre  les  velléités  de  l'im- 
périalisme italien. 

La  ville  de  Split  (Spalato)  qui,  pendant  la  lutte 
pour  l'affranchissement  du  peuple  yougoslave, 
s'est  signalée  par  son  patriotisme  ardent,  adressa 
au  maire  de  Zagreb,   la  dépêche  suivante   : 

«  La  douleur,  en  raison  du  morcellement  des 
memxbres  vitaux  de  notre  corps  national,  emplit 
notre  âme.  Aussi  nous  nous  élevons  avec  toute 
notre  énergie  contre  cette  injustice.  Gomment 
pourrions-nous  consentir  à  ce  qu'on  nous  enlève 
une  grande  partie  de  nos  frères  Slovènes,  à  'a 
perte  de  l'Istrie,  de  Fiume  avec  ses  environs, 
ainsi  que  deux  villes  dalmates  occupées,  avec 
leurs  îles  les  plus  importantes?  De  cette  façon, 
l'Adriatique  serait  transformée  en  lac  italien. 
Nous  y  serions  enfermés  et  neutralisés  sans 
moyens  de  communiquer  avec  le  reste  du  monde. 
A  l'époque  critique,  avant  même  que  l'Italie  se 
fût  décidée  en  faveur  de  la  partie  qui  lui  offrait 
le  plus  d'avantages,  on  nous  offrait  à  nous-mêmes 
d'améliorer  notre  sort  sous  le  régime  austro-hon- 
grois en  sauvegardant  et  même  en  agrandissant 
la  Serbie.  Toutefois  nous  et  nos  frères  de  la  Ser- 
bie avons  repoussé  cette  offre  insidieuse  en  ac- 
ceptant la  lutte  jusqu'à  la  mort  pour  l'affranchis- 
sement et  l'unification  de  toute  la  nation  serbo- 
croato-slovène.  Nous  avons  enduré  dans  l'escla- 
vage des  souffrances  surhumaines.  La  Serbie, 
d'autre  part,  a  été  écrasée  et  envahie,  mais  la  foi 


—  14  — 

de  nous  tous  dans  la  victoire  de  la  juste  cause 
n'a  jamais  fléchi.  Aujourd'hui,  alors  que  la  vic- 
toire est  réalisée,  grâce  aussi  à  nos  efforts  et  aux 
innombrables  héros  et  martyrs  de  notre  nation, 
nous  ne  pouvons  pas  accepter  qu'on  nous  impose 
une  situation  pire  que  celle  que  nous  subissions 
sous  la  terreur  germano-magyare.  Au  moins,  sous 
le  régime  austro-hongrois,  pouvions-nous  nourrir 
l'espoir  d'une  prochaine  délivrance,  tandis  que 
maintenant  on  nous  demande,  au  nom  de  la  jus- 
tice et  de  la  liberté,  d'abandonner  nos  régions 
les  plus  importantes  et  d'être  ainsi  privés  des  con- 
ditions essentielles  de  notre  vie  politique  et  éco- 
nomique, au  profit  de  l'impérialisme  étranger, 
imitateur  des  méthodes  allemandes  de  la  force 
brutale  aujourd'hui  périmées.  Nous  protestons  de 
toute  notre  force  contre  un  voisin  rapace  qui,  se 
basant  sur  les  promesses  de  tiers,  veut  nous  ra- 
vir des  parties  incontestablement  yougoslaves  de 
notre  territoire,  dans  l'espoir  de  nous  subjuguer 
économiquement  et  politiquement.  Jamais  !  Voilà 
le  cri  que  nous  lançons  à  Paris  et  dans  le  monde 
entier.  C'est  le  cri  unanime  de  tout  notre  peuple. 
C'est  aussi  celui  des  habitants  de  la  commune  et 
de  la  ville  de  Spalato. 

«  Le  Président  du  Conseil  municipal, 
«  Signé  :  Docteur  Tartaglia.  » 

Le  président  de  la  municipalité  de  Raguse  té- 
légraphia, de  son  côté,  au  nom  de  la  population 
de  la  commune  de  Raguse  : 

«  Je  proteste  contre  les  convoitises  impudentes 
de  l'impérialisme  italien  sur  notre  mer,  sur  notre 
côte  et  sur  nos  îles.  La  population  de  Raguse  ex- 


—  15  — 

prime  sa  pleine  confiance  en  la  délégation  yougo- 
slave à  Paris.  Elle  la  prie  instamment  de  porter 
à  la  connaissance  des  puissances  alliées  et  amies 
que  notre  peuple  est  déterminé,  dans  les  cas  où 
les  Italiens  ne  renonceraient  pas  à  leurs  préten- 
tions sur  nos  territoires,  à  prendre  entre  ses  pro- 
pres mains  la  défense  de  son  unité. 

«   Signé   :  Piigliesi,  maire.   » 

La  municipalité  de  Cattaro,  où  une  réunion  de 
protestation  fut  tenue  le  9  juin,  fit  parvenir  au 
Docteur  Srkulj  un  télégramme  conçu  dans  les 
termes  suivants  :  «  Nous  protestons  également 
contre  toute  décision  de  nature  à  entraver  le  dé- 
veloppement régulier  de  notre  vie  économique  et 
à  restreindre  lindépendance  de  notre  Etat  sou- 
verain. La  politique  italienne  dirigée  contre  nos 
intérêts  vitaux  doit,  dans  un  avenir  prochain, 
provoquer  infailliblement  un  conflit  ouvert,  car 
ne  peuvent  subsister  côte  à  côte  l'impérialisme 
italien  et  le  libre  Royaume  des  Serbes,  Croates 
et  Slovènes.  Ax\  cas  où  une  pression  serait  exer- 
cée sur  notre  Délégation  près  la  Conférence  de 
la  paix,  en  vue  de  l'amener  à  sacrifier  une  partie 
quelconque  de  notre  territoire  ehtnographique, 
nous  l'invitons  instamment  à  refuser  sa  signa- 
ture a  une  paix  de  cette  nature  qui  constituerait 
pour  nous  un  véritable  suicide. 

Signé  :  Conseil  jnimicipal  de  Cattaro.   » 

A  cette  protestation  de  la  ville  de  Cattaro,  se 
joignirent  les.  autres  villes  de  la  région  des  Bou- 
ches de  Cattaro,  à  savoir  Erceg-Novi,  Dobrota, 
Budua  et  Percanj. 


--  16  — 

Parmi  les  dépêches  protestataires,  nous  re- 
marquons celles  adressées  par  les  villes  et  bourgs 
de  la  Dalmatie  narentaine  et  du  territoire  de  l'an- 
cienne république  de  Raguse.  Un  appel  ardent  à 
la  justice  arrive  d'une  ville  très  patriote  de  Dal- 
matie :  Makarska,  où  une  immense  foule  acclama 
les  puissances  démocratiques  occidentales,  ex- 
prima son  espoir  en  la  justice  et  protesta  contre 
les  convoitises  italiennes  dans  l'Adriatique.  On 
retrouve  les  mêmes  accents  patriotiques  dans  les 
télégrammes  envoyés  par  les  autres  localités  de 
la  même  région,  telles  que  Vrgorac,  Imoski,  Gra- 
dac  et  des  localités  situées  au  sud  des  Bouches 
de  la  Narenta,  comme  Janinna,  Kuna  Slano, 
Ston,  Opuzen,  Trpanj,  Zaton,  Orasac  et  Cavtat, 
ancienne  Epidaure.  La  région  de  Spalato  ne  resta 
pas  non  plus  en  arrière  dans  les  manifestations 
de  ce  patriotisme.  Les  villes  de  Omis,  de  Klis, 
Sinj,  des  châteaux  de  Luksic,  Kambelovac,  Stari, 
Stafîlic,  Sucuraj,  de  Zadvarje  et  Poglice,  par  l'or- 
gane de  leur  municipalité,  de  leur  clergé,  de  leurs 
caisses  d'épargne  et  sociétés  de  bienfaisance,  so- 
ciétés ouvrières,  confréries  religieuses,  sociétés 
musicales,  cabinets  de  lecture,  sociétés  de  gym- 
nastique, caisses  rurales,  adressèrent  des  dépê- 
ches enflammées  dans  lesquelles  elles  expriment 
leur  espoir  en  la  victoire  finale  de  la  juste  cause 
yougoslave. 

De  même  l'île  de  Brac  (Brazza),  la  plus  étendue 
de  toutes  les  îles  dalmates,  organisa  des  meetings 
de  protestation  contre  les  aspirations  ambitieuses 
de  l'Italie  dans  l'Adriatique  et  envoya  des  dépê- 
ches de  protestation.  Le  clergé  de  cette  île,  réuni 
le  9  juin  à  Supetar,  envoya  au  maire  de  Zagreb 
l'appel  télégraphique  suivant  :  «  Faites  connaître 


—  17  — 

à  M.  le  Président  VVilson  notre  indignation  au 
sujet  du  projet  de  morcelienient  de  notre  patrie. 
Rappelez-lui  la  devise  de  sa  propre  nation  ;  «  L'A- 
mérique aux  Américains  »,  qui  se  traduit  chezi 
nous  par  «  La  Yougoslavie  aux  Yougoslaves  ». 
Des  dépêches  de  ce  genre  furent  adressées  par 
les  municipalités,  corporations  ouvrières  et  pay- 
sannes, sociétés  vinicoles  d'autres  localités  de 
cette  île,  Nerezise,  Selca,  Milna,  Postire,  Pucisce, 
Bol,  BolDorisce  et  de  Lozisce.  L'île  voisine  de  Solta 
envoya,  par  l'organe  de  ses  municipalités  et  de 
ses  corporations  professionnelles,  des  dépêches 
protestataires  contre  l'impérialisme  italien.  De 
même  la  ville  de  Trogir  (Trau),  d'où  partirent 
des  télégrammes  pleins  d'indignation  contre  'a 
politique  de  conquête  de  l'Italie  signés  par  la 
municipalité  avec  le  clei'^é  séculaire  et  régulier, 
des  sociétés  ouvrières  et  paysannes,  des  Sokois 
yougoslaves,  pompiers,  etc.  Ces  protestations  sont 
d'autant  plus  importantes  que  des  publicistes  ita- 
liens ont  souvent,  dans  leurs  correspondances, 
représenté  cette  ville  comme  ayant  des  sentiments 
ultra  italiens. 

Un  groupe  important  de  Dalmates  habitant 
l'arrière-pays,  qui,  devant  l'occupation  italienne, 
s'était  réfugié  en  Bosnie,  envoya  du  meeting  tenu 
à  Sarajevo  une  énergique  protestation  contre  la 
politique  de  convoitise  que  l'Italie  poursuit  sur  la 
côte  est  de  l'Adriatique.  On  trouve  parmi  les  si- 
gnataires les  noms  des  principaux  notables  des 
villes  de  Knin,   Obrovatz  et  Vrlika. 

Des  dépêches  analogues  parvinrent  au  meeting 
de.  Zagreb,  émanant  d'un  grand  nombre  de  villes 
et  de  localités  d'Jstrie,  du  littoral  croate  et  des 
îles  du  Quarnero.  Le  nombre  des  manifestations 


18 


de  ces  régions  eut  été  bien  plus  considérable  '^i 
les  autorités  d'occupation  italiennes  n'y  avaient 
pas  mis  obstacle. 

Le  Comité  des  réfugiés  istriens  à  Susak  envoya 
une  protestation  ainsi  conçue  :  «  Au  nom  de  l'Is- 
trie  qui,  enchaînée,  ne  peut  guère  élever  sa  voix, 
nous  protestons  contre  le  morcellement  inquali- 
fiable de  cette  partie  de  la  Yougoslavie  et  nous 
demandons  que  notre  Istrie  soit  incorporée  à  la 
mère-patrie  :  Pioyaume  des  Serbes,  Croates  (it 
Slovènes.  » 

Le  Comité  du  Conseil  national  yougoslave  ?le 
Lussin,  de  son  côté,  télégraphia  :  «  Nous  protes- 
tons solennellement  contre  le  projet  de  livrer 
notre  île  de  Lussin  à  l'impérialisme  italien  ou  de 
la  placer  sous  la  souveraineté  de  la  Ligue  des 
nations.  Nous  demandons  son  incorporation  à  la 
mère-patrie  :  la  Yougoslavie.   » 

D'autre  part,  les  délégués  de  l'île  de  Lussin  et 
des  îles  avoisinantes  adressèrent  au  ministre  des 
Affaires  étrangères  du  Royaume  des  Serbes, 
Croates  et  Slovènes,  un  mémoire  protestant  con- 
tre toute  annexion  de  l'île  de  Lussin  à  l'Italie  et 
contre  le  projet  de  confier  à  l'Italie  le  mandat, 
au  nom  de  la  Ligue  des  nations,  d'administrer 
Lussin  et  les  petites  îles  voisines,  ainsi  que  d'at- 
tribuer l'île  de  Cres  à  l'Etat  fiumain  à  créer,  en 
laissant  seulement  l'île  de  Krk  (Veglia)  à  la  You- 
goslavie. Les  auteurs  du  mémorandum  déclarent 
ces  solutions  comme  étant  préjudiciables  aux  in- 
térêts de  TEtat  yougoslave,  qui  perdrait  ainsi  un 
important  point  d'appui  tant  au  point  de  vue 
stratégique  qu'au  point  de  vue  du  commerce  ma- 
ritime, Lussin  étant  la  clef  du  Quaenero,  domi- 
nant le  trafic  avec  Fiume,  également  donc  avec  la 


—  19  — 

Yougoslavie.  L'incorporation  de  Lussin  à  l'Italie 
aurait  une  autre  grave  conséquence  pour  les  You- 
goslaves parce  qu'elle  entraînerait  la  ruine  des 
pêcheries,  non  seulement  dans  les  îles  de  Krk, 
Arbe,  mais  aussi  dans  le  littoral  croate.  Ethni- 
quement,  l'île  de  Lussin  appartient  à  la  Yougo- 
slavie, toute  sa  population  étant  d'origine  croate, 
alors  que  les  parties  italianisantes  ne  sont  que  ]e 
produit  de  la  politique  italophile  de  l'ancien  gou- 
vernement autrichien. 

La  ville  de  Bakar  iBuccari),  où  un  meeting  de 
protestation  fut  tenu  le  10  juin,  envoya  le  texte 
de  la  résolution  suivante  :  «  Aux  nouvelles  par- 
venues de  Paris  d'après  lesquelles  Goritz,  Trieste, 
Pola  et  des  parties  de  la  Dalmatie  avec  des  îles 
seraient  réunies  à  l'Italie,  que  d'autre  part  une 
partie  de  l'Istrie  et  du  littoral  croate  avec  Fiume, 
formerait  un  Etat  particulier,  nous  protestons 
unanimement  et  solennellement  contre  ces  pro- 
jets, conscients  que  nous  sommes  que  le  droit  et 
la  vérité  sont  de  notre  côté.  Nous  demandons  l'in- 
corporation à  l'Etat  yougoslave  de  toutes  les  ré- 
gions habitées  par  le  peuple  uni  aux  trois  noms. 
Nous  avons  pleine  confiance  en  notre  Délégation 
à  Paris,  persuadés  que  nous  sommes  qu'elle  em- 
ploiera toutes  ses  forces  à  empêcher  une  paix  de 
violence. 

«  Signé  :  Pavesic.  » 

La  municipalité  de  Kraljevica  (Porto  Re)  adresse 
au  «  Ban  »  de  Croatie  la  dépêche  suivante  :  «  Une 
réunion  publique  à  laquelle  ont  assisté  800  ha- 
bitantg  de  Kraljevica  et  de  Smricanane  a  orga- 
nisé une  manifestation  solennelle  en  faveur  de 
Fiume,  sans  laquelle,  pour  des  raisons  nationales 


—  20  — 

et  économiques,  nous  ne  pouvons  pas  exister,  at- 
tendu que  c'est  le  seul  port  approprié  de  la  You- 
goslavie. Sans  elle,  nous  serions  des  esclaves  dans 
une  ère  de  justice  et  de  liberté.  L'avidité  de 
l'Italie  qui  demande  des  terres  d'Istrie  et  de  Dal- 
matie,  est  en  opposition  flagrante  avec  les  prin- 
cipes de  justice  et  d'honneur.  Nous  voulons  que 
nos  frères  asservis  actuellement  reviennent  dans 
le  giron  de  notre  mère  yougoslave.  En  même 
temps,  nous  protestons  le  plus  énergiquement 
contre  les  persécutions  honteuses  de  notre  brave 
et  patriotique  population  dans  les  régions  occu- 
pées par  les  Italiens  et  contre  les  tortures  bar- 
bares infligées  au  vaillant  peuple  Slovène  par  les 
Allemands.  Nous  exprimons  enfin  notre  plus  vive 
reconnaissance  à  l'éminent  président  Wilson  qui 
a  pris  d'une  façon  aussi  décisive  la  défense  de 
nos  droits  incontestables. 

«  Pour  la  municipalité  de  Kraljevica  : 

«  Signé  :  Capponi,  maire.  » 

Le  Conseil  national  yougoslave  de  Rieka 
(Fiume)  fit  parvenir,  par  les  soins  de  son  prési- 
dent. Docteur  Bakarcic,  le  message  suivant  : 
«  20,000  Yougoslaves  fiumains  ont  manifesté,  au 
milieu  de  la  terreur  italienne,  leur  volonté  iné- 
branlable que  Rieka  soit  annexée  à  la  Yougoslavie. 
En  leur  nom  et  au  nom  des  milliers  de  ceux  qui, 
empêchés  par  la  terreur  d'une  foule  brutale, 
n'ont  pas  pu  donner  libre  carrière  à  leur  vouloir, 
le  Conseil  national  soussigné  élève  sa  protesta- 
tion énergiqite  contre  toute  solution  qui  n'impli- 
querait pas  l'incorporation  de  Fiume  à  la  Yougo- 
slavie. » 


—  21  — 

D'autres  villes  du  littoral  croate  telles  que 
Cirkvenica,  Senj  (Segna)  et  Bribir  exhalèrent  en 
des  dépêches  vibrantes  de  patriotisme  yougoslave 
leur  indignation  contre  les  visées  impérialistes 
italiennes. 

Suivant  l'exemple  qui  leur  fut  donné  par  leur 
capitale,  toutes  les  villes  et  toutes  les  localités 
de  quelque  importance  en  Croatie  et  Slavonie  or- 
ganisèrent des  meetings  publics  pour  protester 
contre  les  visées  de  l'Italie  impérialiste. 

Nous  lisons  la  dépêche  suivante  de  Karlovatz  • 
«  Une  réunion  populaire  des  Yougoslaves  de  la 
ville  de  Karlovatz  et  des  environs,  tenue  en  plein 
air  le  9  juin,  proteste  avec  la  plus  grande  énergie 
contre  les  convoitises  impérialistes  italiennes  o.i 
contre  toute  formation  d'un  Etat  particulier  par 
Il  réunion  de  Fiume,  du  littoral  et  de  l'Istrie,  fit 
demande  que  la  Conférence  de  la  paix  solutionne 
d'une  façon  équitable  le  problème  des  frontières 
de  l'Etat  des  Serbes,  Croates  et  Slovènes,  en  s'ins- 
pirant  des  principes  nationaux  et  du  droit  d'au- 
todétermination  des  peuples. 

«  Signé  :  Modrusan,  Maire.  » 

La  ville  de  Susak  adressa  au  Comité  des  régions 
occupées,  à  Zagreb,  la  dépêche  suivante  :  «  Les 
paysans  et  les  citadins  de  la  ville  et  du  district 
de  l'arrondissement  politique  de  Susak,  réunis 
en  meeting  populaire,  élèvent  unanimement  leur 
voix  contre  le  dépècement  projeté  de  la  Dalmatie, 
d'une  grande  partie  de  l'Istrie  et  du  littoral  croate 
et  se  déclarent  opposés  à  toute  formation  d'un 
Etat  particulier  au  sein  de  notre  peuple  unitaire. 

«  Nous  invitons  notre  Délégation  à  Paris  à  ne 


22 


consentir,  sous  aucun  prétexte,  aux  propositions 
contraires  au  principe  d'autodétermination  des 
peuples,  car  tel  consentement  équivaudrait  à  un 
malheur  pour  notre  peuple  entier. 

«    Signé    :    Docteur    Valentekovic, 
«  Maire  et  Président  du  meeting.   » 

La  ville  de  Krizeveci  envoya  au  «  Ban  »  de 
Croatie  le  télégramme  ainsi  conçu  :  «  Les  habi- 
tants de  la  ville  libre  et  royale  de  Krizevici  se 
rallient  à  l'unanimité  à  la  protestation  de  leur 
capitale  contre  les  empiétements  ennemis  sur 
les  territoires  croates  et  expriment  leur  ferme  es- 
poir que  les  protestations  du  peuple  entier  ne  res- 
teront pas  sans  fruit  à  Paris.  » 

La  population  de  la  ville  d'Ogulin  et  de  ses 
environs,  réunis  en  meeting  de  protestation,  le 
9  juin,  adopta  une  résolution  par  laquelle,  après 
avoir  exprimé  son  attachement  à  la  maison  royale 
des  Karageorgevitch  et  sa  reconnaissance  à  la 
vaillante  armée  serbe,  aux  volontaires  des  légions 
croates,  Slovènes  et  serbes,  aux  grandes  nations 
alliées  de  l'Europe  occidentale,  aux  Etats-Unis 
et  enfin  aux  membres  de  la  Délégation  yougoslave 
près  la  Conférence  de  la  paix,  proteste  contre  le 
projet  de  livrer  à  l'Italie  300,000  Yougoslaves  de 
ristrie,  de  Zara,  Sebenico,  de  Lissa  et  d'autres 
îles  dalmates,  pour  des  raisons  stratégiques,  ainsi 
que  contre  l'idée  de  former  de  Piume,  de  Buccari 
et  des  parties  d'Istrie  et  du  littoral  croate  un  Etat 
particulier,  car  la  réalisation  d'un  tel  projet  équi- 
vaudrait à  la  ruine  économique  de  toute  la  You- 
goslavie, qui  resterait  privée  de  tout  raccorde- 
ment ferroviaire  avec  ses  principaux  ports  et  de 


—  23  — 

ses  débouchés  les  plus  importants  au  point  de 
vue  de  son  commerce  .extérieur.  Proteste  en  outrer 
qu'en  dépit  des  principes  admis  du  grand  Wilson 
relatifs  à  l'autodétermination  des  peuples,  des 
raisons  d'ordre  stratégique  impérialistes  soient 
encore  décisives  et  que  Fiume,  Zara,  Sebenico  et 
Buccari  puissent  devenir  des  points  d'appui  du 
capitalisme  italien  qui  a  pour  but  d'appauvrir 
notre  élément  afin  de  le  dénationaliser  plus  aisé- 
ment. Proteste  enfin  contre  le  fait  que  des  sociétés 
de  navigation  maritime,  qui  sont  propriété  privée 
des  ressortissants  du  Royaume  des  Serbes,  Croa- 
tes et  Slovènes,  soient  traitées  comme  objets  de 
négociation  de  la  part  de  la  Conférence  et  surtout 
que  des  propriétés  privées  de  nos  citoyens  soient 
considérées  comme  partie  de  la  marine  mar- 
chande de  l'ancienne  monarchie  austro-hongroise 
en  fixant  indûment  et  sans  leur  consentement  au 
détriment  de  leurs  propriétaires  et  du  commerce 
maritime  de  notre  royaume,  un  tonnage  de  200,000 
tonnes  comme  suffisant  à  ses  besoins.  » 

La  ville  de  Samobor  adresse,  à  la  suite  de  son 
meeting  du  9  juin,  un  appel  à  la  Délégation  you- 
goslave à  Paris  «  la  suppliant  de  continuer  avec 
toute  l'énergie  manifestée  ju.squ'alors,  son  travail 
pénible,  jusqu'au  triomphe  complet  de  notre  juste 
cause.  Exprime  sa  foi  dans  la  victoire  de  la  vé- 
rité et  des  principes  éminents  de  nos  grands  al- 
liés et  protecteurs,  et  l'espoir  qu-'ils  n'abandon- 
neront pas  notre  peuple  dans  un  moment  aussi 
décisif  ». 

La  ville  de  Zemun  (Semlm),  par  les  soins  de 
sa  municipalité,  proteste  auprès  du  gouverne- 
ment provincial  de  Zagreb  contre  l'abandon  de 
Goritz,   Trieste,   Zara,    Sebenico  et  de  l'Istrie  et 


—  24  — 

des  îles  dalmates,  et  contre  toute  formation  ab- 
.surde  d'un  Etat  autonome  fiumain. 

Des  dépêches  conçues  en  termes  analogues  par- 
vinrent encore  de  Pozega,  Varasdin,  Glina,  Gos- 
pic,  Bjelovar,  Ilok,  Otocac,  Djakovo,  Virovitica, 
Petrinja,  Sunja,  Vinkovci,  Slunj,  Kostajnica,  Vu- 
kovar, Kutina,  St.  Pazova,  Gen.  Stol.,  Delnice, 
Slatina,  Rakovica,  Kamenica,  Kom.  Moravice, 
Vojnic,  Vel.  Gorica,  Sv.  Ivan  Zelina,  etc.,  etc. 

On  pourrait  ainsi  continuer  l'énumération  des 
protestations,  mais  ce  serait  superflu,  étant  donné 
que  le  langage  des  grandes  municipalités  dalma- 
tes et  croates  qu'on  vient  de  lire  est  celui-là  même 
que  tiennent  les  autres  municipalités  de  la  You- 
goslavie libre.  Il  vaut  cependant  la  peine  de  citer 
encore  la  lettre  officielle  adressée  à  la  Délégation 
du  Royaume  des  Serbes,  Croates  et  Slovènes,  à 
Paris,  par  le  chef  du  gouvernement  provincial  de 
Croatie  :  «  Quand,  au  mois  de  mars,  la  nouvelle 
des  aspirations  italiennes  sur  les  îles  et  la  côte 
yougoslave  a  été  connue,  le  peuple  croate  a  im- 
médiatement organisé  dans  toutes  les  communes 
des  meetings  de  protestation  contre  les  préten- 
tions  italiennes.    » 

Le  même  mouvement  s'est  reproduit  spontané- 
ment à  la  nouvelle  du  projet  d'un  irréalisable 
Etat  fiumain,  ainsi  que  de  la  cession  aux  Italiens 
des  îles  et  d'une  partie  des  côtes  dalmates.  Dans 
toutes  les  régions  croates,  sans  dictinction  de 
parti  politique,  le  peuple,  obéissant  à  une  impul- 
sion spontanée  d'indignation,  qui  s'est  manifes- 
tée par  d'importants  meetings,  a  pris  des  résolu- 
tions de  protestation  énergiques. 

Comme  preuve  à  l'appui  de  ce  qui  précède,  j'ai 


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l'honneur  de  vous  adresser  ci-inclus  les  originaux 
des  télégrammes  envoyés  par  les  centres  croates 
principaux,  qui  attesteront  l'état  d'esprit  du 
peuple. 

Zagreb.,  le  23  juin  1919. 

Signé   :  Palecek. 


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