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3S
i
MANUEL BIBLIQUE
i
l
[
^ NOUVEAU TESTAMENT
DU MÊME AUTEUR
Les Apôtres, Histoire, Doctrine, Prophétie. 6* édii. iD-12^ 720 pages.
IV* vol. du Manuel biblique, Roger et Chernoviz, 1886.
Questions sur rËeriture sainte, oa programme détaillé pour
servir de guide dans Fétade des saints Livres.
Première partie : introduction et Ancien Testament, ln-8*, 410 pag.
Seconde partie : Nouveau Testament, In-8*, 418 pages, Roger et
Chemorâ.
Du divin Sacrifioe et du prêtre qoi le célèbre. In-12, 1888,
p. XTi*462. Roger et Chemovii.
Du saint Office, considéré an point de vue de la piété. In-12.
3* édition, Poassielgue.
The dimme Office^ edited by the Rer. Tannton, vith a préface by his Emin.
the Gard. ArchilHaohof of Westminster. London, Bonis and Oates.
VOffieio dioinOy reddito in eompendio da an professore del Seminario di
VeroelU. Torino, Corso Palostro, 14.
Manuel des vacances, à Tasage des Séminaires. 8« édition, Roger
et Chernoviz.
Tkê Semimtritm's Mamuai for taeation , by a Direetor of a Seminary.
Albany, United SUtes.
MamuU de la» vacoetones, por nn Direotor de Seminario. Paris, Roger et
ChernoTix.
Saint François de Sales, modèle et gnide du prêtre et du pas-
teur. In-12. Roger et Chernovix.
X«e petit Office de la sainte Vierge, avec introduction, notes
et avis pratiques, à Tusage des Séminaires, ln-32. Nouvelle édition.
Poussielgue.
Du Sacerdoce et du saint Ministère, par les Pères de TÉglise,
avec une introduction et une notice pour préparer à la lecture des
Saints Pères. In-12. Vives.
Des Ordinations et des saints Ordres. Instructions et Médi-
tations à r usage des Ordinands. Roger et Chernoviz.
Première partie : Tonsure, In-32, 300 pages.
Deuxième partie : Ordres mineurs. In-32, 400 pages.
3e8ançon. — Imprimerie OaiheniK-Cbalandre fils et G>*,.
y^
MM. BAGUEZ et VIGOUROUX
MANUEL
BIBLIQUE
OU
COURS D'ÉCRITURE SAINTE
A LTSAGE DES SÉMINAIRES
NOUVEAU TESTAMENT
Par L. BACrfiZ
PRÊTRK DE SAINT-SULPIGE
SIXIÈME ÉDITION, REVUE ET ACaMENTÉE
TOME TROISIÈME
Jésus - Christ — Les saints Évangiles
PARIS
MAISON JOUBY ET ROGER
A. ROGER ET F. CHERNOVÏZ, ÉDITEURS
Libraires de la Facalté de Théologie de Paris
7, RUE DES GRANDS-AUGUSTINS^ 7
1888
DroltoTrésenrés
é
AVANT-PROPOS
IDE LA SIXIÈME ÉDITION *
Quant Dieu permet qu'on attaque nos Ecritures ou
qu'on en dénature le sens, il a en vue le bien de son
Eglise et l'avantage de ses ministres : il veut nous forcer
d'étudier sa parole et de nous rendre compte de notre foi.
Les objections qu'on soulève nous imposent cette né-
cessité. Elles nous obligent d approfondir nos saints
Livres, d'en préciser la signification, d'en constater
l'exactitude ; par conséquent d'y appliquer notre esprit et
de nous en pénétrer. Tel a été, dit saint Augustin, le ré-
sultat de toutes les hérésies *.
Nous sommes à même de confirmer cette observation ;
car le fait signalé par le saint Docteur s'est renouvelé
avec éclat sous nos yeux. Jamais on n'avait attaqué les
1 La Préface et les Avis qu'on a pu lire au premier volume du
Manuel nous permettent de supprimer rAvant-propos de notre
première édition (1878), et Taccueil que cet ouvrage a reQu nous
dispense d'en Justifier la publication. — > Tdeo divina Providentia
multos diversi erroris hœreticos esse permittit, ut cum insultant
nobis et interrogant nos ea quaB nescimus, vel sic excutiamus
pigrltiam et divinas Scripturas nosse cupiamus. Propterea et Apos-
tolos diclt : Oportet hœreses esse. De gen, cùnU Manich. Infra, n. 842.
3S
MANUEL BIBLIQUE
NOUVEAU TESTAMENT
2 INTRODUCTION At NOUVEAU TESTAMENT. [n<> 1
l'autre, à tous ceux qui voudraient s'attacher à lui et le
servir dignement*. Cette promesse fut nommée Testament
chez les chrétiens, comme la première l'avait été chez les
Juifs; et l'on appela ce Testament Nouveau, parce qu'il était
substitué au premier, comme l'Eglise l'était à la synagogue.
Néanmoins, la signification de ce terme ne tarda pas à
s'élargir, et l'usage s'établit de donner aussi le nom de Tes-
tament aux livres inspirés, où ces promesses ont été consi-
gnées et qui en sont comme les titres authentiques. Ce der-
nier sens est depuis longtemps le plus usitée
C'est à tort que certains auteurs affectent de remplacer le
mot Testament par celui d'Alliance, le seul, à leur avis, qui
réponde au terme hébreu Bérith^ que ce mot doit traduire ^
Bérith, il est vrai, signifie proprement alliance*, et AiaOy)?.»;,
par lequel les Septante Font traduit, pourrait désigner un
pacte, un contrat aussi bien qu'un testament; mais il ne faut
pas oublier que les auteurs sacrés ont modifié et précisé la
signification de ce mot. En l'employant, ils n'ont pas laissé
ignorer qu'ils avaient en vue une disposition d'un genre
particulier, analogue au testament, que cette disposition
était toute en faveur d'une partie, que le bénéfice en devait
échoir, par voie de succession, comme un héritage ou un
legs^ et que la mort seule devait la rendre irrévocable et
exécutoire ^ Telle est, sans aucun doute, l'idée de Notre-
Seigneur, lorsqu'il dit à ses apôtres, la veille de sa mort,
dans la première oblation de son sacrifice : Voici le sang du
Nouveau Testament : Touxo eaxi tc ai[i.x xr^ç /.atvr^ç AiaôîjxYjç''.
1 Heb,, IX, 15. Cf. KXTjpovopLTjffexe Tir]v YiTOi[jLao"pL£vYiv ujaiv paêîXetav.
Mattli., XXV, 34.— « Cf. Il Cor., m. 14; Melito (Euseb., i/., iv, 26);
S. Iren., IIl, xii, 12; IV, xii, 3; Tertull., Adv, Mure, iv, 1. — a Exod.,
XXIV, 8. — * S. HierojD,, In Mal., u, 5. — ^ cf. Exod., xv, 17; Ps.
cxxxiv, 12. Profcctus Jésus in Galiiœam discipulis Sciipturas patefecit,
qnfiB, antequam pateretur, perspici nullo modo poterant. Idcirco Moyses
et prophetœ Legem Testamentum vocant, qùia, nisi testator mortuus
fuerit, testameatum clausum et obsignatum est. Lact., Divin, Inst,, iv,
20. — 6 Heb., IX, 16. Remarquer que BéHihy venant de Barahy immoler,
sacrifier, donnait par lui-môme l'idée de victime et de mort. Infra,
n. 821. — T Matth., xxvi, 28. Cf. Marc, xiv, 24; Luc, xxii, 20; I Cor.,
XI, 25. Cf. Gai., IV, 24; Heb., ix, 15, etc.
NO 2] DES LlViiEâ DU NOUVÉAU tÉStAMENt. 3
Or, c'est précisément ce qu'avait dit Moïse dans l*acte qui a
figuré le sacrifice du Sauveur au pied du Sinaï, Bou to at[i.a
tT)? Aix6y;xiqç ; et puisque les Septante ont rendu en cet en-
droit le mot Bérith^ dont s'est servi Moïse, par At^Sr^xy;, le
terme même employé par Notre-Seigneur au cénacle, com-
ment pourrions-nous voir en ce mot une autre signification
et le traduire d'une autre manière?
16 Des diverses parties du Nouveau Testament.
Livres. — Date. — Valeur. — Division.
2. — - LÎYres du Nouveau Testament : comment se divisent-ils et dans
quel espace de temps ont-ils été écrits?
I. Le Nouveau Testament se compose de vingt-sept livres,
suivant les catalogues du concile de Trente (1546), du con-
cile de Florence (1441), du troisième Concile de Garthage
(397), et môme du concile d'Hippone (393), gue S. Augustin
appelle un concile de toute l'Afrique et auquel il assista*.
Ces vingt-sept livres, 260 chapitres, 7,959 versets, ont pour
auteurs huit écrivains inspirés^ dont six étaient apôtres,
S. Matthieu, S. Jean, S. Jacques, S. Pierre, S. Jude, S. Paul,
et les deux derniers, S. Marc et S. Luc, disciples des apôtres.
Celui qui a le plus écrit est S. Paul. Après lui viennent par
ordre, S. Jean, S. Luc, S. Matthieu, S. Marc, S. Pierre,
S. Jacques, S. Jude. Leurs écrits furent dès l'origine placés
par les chrétiens au même rang que les livres de l'Ancien
Testament et cités de la même manière : cd<; y.ai Ta? Xoi^raç
II. Si Ton se borne à considérer la nature de ces ouvrages,
on les rapportera logiquement à trois chefs : — 1° Histoire :
Evangiles et Actes. — 2** Doctrine : Epîtres apostoliques. —
3» Prophéties : Apocalypse. — Mais si l'on tient compte en
même temps de la dignité du sujet et de la chronologie, il
semblera plus naturel de placer sur un premier plan ce
* s; Aug., Retract, y i, H, Cf. Epist.^ lxiv, 3, et ogxiii, 1; de Dod,
christ., II, 13; A. T,, n. 35-42. — » I Tim., v, 18; II Pet., m, 15, 16;
S. Theoph., AdAittolyc, m, 12. Cf. S. Justin., ^/îo/., r, 67,
4 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n® 3
qu'Eusèbe appelle la divine quaternité des évangiles, conte^
nant la vie, la doctrine et la passion du Sauveur*, puis, en
seconde ligne, les Actes, les Épitres et les prophéties apos-
toliques. On aura ainsi deux parties bien distinctes : —
1° Jésus-Christ. — 2<* Les Apôtres. — C'est la division que
nous avons adoptée ^
III. Tous ces livres ont paini dans Tespace d'une cinquan-
taine d'années, 45-98, et l'on pourrait dire de vingt-cinq
ans, 4S-70, si l'on exceptait les écrits de S. Jean qui sont de
la fin du siècle. Ils se répandirent très rapidement dans
toute l'Eglise. Néanmoins il faut reconnaître qu'il y eut au
moins deux générations de chrétiens qui ne purent arvoir le
Nouveau Testament en entier, et qu'un certain nombre
d'églises étaient fondées et florissantes avant d'en posséder
la moindre partiel
• 3. — Est-ce de concert et d'un commun accord que ces livres ont été
composés ?
Rien n'indique que les auteurs du Nouveau Testament
aient écrit de concert, d'après un plan commun; au contraire,
tout démontre qu'un pareil dessein n'a jamais existé.
D'après les prophètes, ce n'était pas avec des lettres mortes
ni sur un objet matériel que la loi chrétienne devait être
écrite ; Dieu avait prédit qu'il la graverait dans le cœur des
fidèles en caractères vivants*. Aussi le divin Maître n'a-t-il
enseigné que de vive voix ^; et ce qu'il a recommandé à ses
Apôtres, ce n'est pas de mettre sa doctrine par écrit, mais
de continuer sa prédication®. Ses instructions furent fidèle-
ment suivies. Jamais le collège apostolique, jamais aucun
Apôtre n'entreprit d'écrire une histoire complète du chris-
tianisme ou un exposé général du dogme et de la morale
révélés. Quand quelqu'un d'entre eux prit la plume, ce fut
1 Euseb., H.y III, 25. To TStpatiopfov eua*)nrcXiov. S. Iran., III, 8. — > Elle
paraît avoir été en usage parmi les premiers chrétiens. Cf. S. Ignat.,
Ad Philadelph., 5. S. Iren., I, 3 ; Tert., De Prxsc, 36. — » S. Iren., III.
IV, 2. Cf. Matth., xxvii, 8; xxviii, 15. — ♦ Cf. Jer., xxxi, 33; Joan., vi,
45; II Cor., m, 3; Heb., viii, 8-H. — s Euseb., îf., m, .24. S. Thom.,
p. 3, q. 42, a. 4. — 6 Matth,, xxviii, 9; Marc, xvi, 1$. ^
y^i] DES LIVRES DU NOUVEAU TESTAMENT. S
presque toujours par un motif accidentel, imprévu, pour un
certain nombre de fidèles seulement, afin de pourvoir à cer-
tains besoins ou de répondre à quelque demande. Ainsi les
auteurs sacrés firent leurs livres, comme le Sauveur faisait
ses discours, au gré des circonstances. S. Jean est le seul qui
semble tenir compte des écrits de ses devanciers et s'appli-
quer à combler leurs lacunes. Encore dit-il en finissant
qu'il a dû laisser dans l'ombre la plus grande partie de son
sujet*.
On ne serait donc pas fondé à prétendre que nous avons
dans le Nouveau Testament un sommaire complet de ce que
le Fils de Dieu a fait et dit, ou de ce qu'ont enseigné les
Apôtres. Il y a lieu de croire que, si d^autres occasions s'é-
taient présentées, les auteurs sacrés nous auraient enseigné
d'autres vérités et que nous serions fixés sur un plus grand
nombre de questions historiques, dogmatiques et morales.
4. — Avant d'avoir lo Nouveau Testament, TEgliso avait-ello déjà une
possession pleine et assurée des vérités chrétiennes?
Dès son origine, l'Eglise fut en possession de toutes les
vérités qui forment le fond de sa croyance. Elles lui avaient
été préchées et démontrées; elle en avait l'intelligence et la
conviction-. On ne les lisait pas comme aujourd'hui dans les
textes sacrés; mais les pasteurs les enseignaient et les fidèles
y croyaient comme aujourd'hui. On en voyait partout des
mémoriaux et des emblèmes, dans les fêtes et les cérémonies
du culte, dans les pratiques de la piété, dans les prières
qu'on récitait en public et en particulier, dans les rites
sacramentels, dans le symbole de la foi, dans les lois et les
usages de la société chrétienne. Les Apôtres n'ont donc fait
que consigner par écrit, en faveur de la postérité, ce qui était
notoire pour les chrétiens de leur temps; et sitôt qu'ils
furent composés, leurs livres tiouvèrent, dans la prédica-
tion des pasteurs, dans la croyance des fidèles et dans la pra-
tique commune, leur complément et leur commentaire.
* Joan., XXI, 25, Infra, n° 578. — 3 Marc, xvi, 15-20; II Cor., m, 2-3;
Gai, I, 8, 9; Col., i, 5-7.
6 INTRODUCTION . AU NOUVEAU TESTAMENT. [n® 5
On voit par là quel a toujours été le rôle de la tradition
dans le christianisme et combien les protestants ont tort de
rejeter comme étranger à la foi et à la révélation tout ce qui
ne se lit pas dans les livres inspirés*. Puisque, à l'origine,
FEglise avait autorité pour discerner, entre les croyances
et les pratiques dés fidèles, celles dont l'Esprit-Saint était
l'auteur, pourquoi les Apôtres, en consignant dans leurs
écrits une partie de ces pratiques et de ces croyances, l'au-
raient-ils dépouillée de cette prérogative*?
5. — Les Uvres du Nouveau Testament sont-ils liés onsomblo et se
soutiennent-ils les uns les autres ?
En attendant que nous établissions l'authenticité, la véra-
cité historique et l'intégrité du Nouveau Testament, il im-
porte de remarquer que, sous ces trois rapports, les livres
dont il se compose, sans avoir été écrits en même temps ni
dans un même dessein, sont liés entre eux. et se soutiennent
mutuellement.
Si les Epîtres. de S. Paul sont authentiques et substantiel-
lement intègres, on ne saurait contester l'authenticité des
Actes, dans lesquels elles s'encadrent avec une précision si
parfaite. Si l'on reconnaît dans les Actes l'œuvre de S. Luc,
il faut lui attribuer également le troisième Evangile, dont
ils sont la continuation ' ; et si l'on attribue à S. Luc le troi-
sième Evangile, on ne peut pas contester à S. Matthieu et à
S. Marc le premier et le second, qui sont certainement anté-
rieurs. Dès lors l'histoire évangélique, attestée par ces trois
auteurs, est authentique et indubitable. Que gagnerait-on à
nier l'authenticité du quatrième Evangile, constatée du reste
par la première Epitre de S. Jean et reconnue, jusqu'à ces
derniers temps, par la plupart des rationalistes?
On peut faire une observation semblable par rapport à la
véracité historique. Ou tous les livres sont vrais, ou tous
1 « L'Eglise les a précédés, les a reçus, les a transmis à la postérité
avec leur véritable sens. Là donc est la source de la foi. » Bossuct,
l'e Inst, sur les promesses. Cf. Conf. avec Claude, — 2 s. Iren., HI, iv, 1.
— 3 Act„ I, 1 ; Infra^ n, 476.
NO 6] DES LIVRES DU NOUVEAU TESTAMENT. 7
sont faux ; car on trouve partout au fond la itiéme histoire.
Les Actes supposent et confirment la plupart des faits évan-
géliques*. Les Epîtres de S. Paul ont pour base les récits des
Actes comme ceux de l'Evangile ^ Les Epîtres de S. Pierre,-
de S. Jacques et de S. Jean ont une liaison intime avec celles
de S. Paul. Il n'est pas jusqu'à celle de S. Jude qui dans ses
vingt-cinq versets ne rappelle l'essentiel de la religion. Ce
ne sont donc pas les quatre évangélîstes seulement, mais
avec eux S. Paul et tous les écrivains du Nouveau Testament,
qui attestent la vérité de l'histoire du Sauveur. Ainsi il faut
tout rejeter ou tout admettre. Le peu qu'on garderait ramè-
nerait tout le reste.
6. — Quels sont les livres ou les fragments deutérocanoniqucs du
Nouveau Testament?
On donne le nom de deutérocanoniques aux livres ou aux
fragments dont l'autorité a d'abord été l'objet de quelques
contestations, et sur l'inspiration desquels l'Église ne s'est
prononcée absolument qu'après un certain temps.
Celte dénomination, dont l'usage s'est répandu à l'origine
du protestantisme', suggère l'idée qu'il y aurait eu un
premier canon d'où ces livres auraient été exclus, puis un
second où ils auraient été compris, ce qui n'est pas con-
forme à la vérité*. La qualification d*antilégomènes ou con-
testés que les protestants empruntent à Eusèbe*, a un autre
inconvénient qui n'est pas moindre: celui d'insinuer que
les contestations auxquelles ils ont donné lieu à une certaine
époque ont toujours existé et persistent toujours.
Les livres deutérocanoniques du Nouveau Testament sont
au nombre de sept. Ce sont les derniers, en commençant
parTEpître aux Hébreux, et en retranchant la première de
S. Pierre et la première de S. Jean. Pour les fragments, il
n'y en a que trois auxquels on donne ce nom : — 1** la fin de
S. Marc, xvi, 9-20 ; — 2° la sueur de sang de Notre Seigneur
» Infra, n. 561, 568, 569, — ^ « InfrUy n. 832. — 3 Sixt. Sen., Bibl.
sancta, i, 1. — * A. T., n. 24, 46. — s Euseb , H., m, 3 et 25. Ils les
appellent aussi fréquemment apocryphes, dans la môme intention.
8 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n<* 7
et rapparition de TAnge durant son agonie, Luc. xxn, 43,
44; — 3** rhistoire de la femme adultère, Joan., vm, 1-11.
* 7. — Comment se fait-il qu'un certain nombre d'Églises aient douté
d'abord légitimement de l'inspiration de ces livres et de ces frag-
ments, et que ces mêmes Eglises l'aient admise depuis comme un
point de foi?
I. On a pu et dû douter de la valeur de ces livres, tant
qu'on n'a pas eu de preuves péremptoires de leur authen-
ticité. Or, pour concevoir que ces preuves se soient fait
attendre en certains endroits, il suffit de considérer : —
1° Qu'il était assez difficile d'avoir sur ces écrits des rensei-
gnements certains, la plupart d'entre eux n'ayant pas de
destination particulière, et aucune Eglise n'en pouvait
rendre témoignage comme en ayant reçu et conservé le
dépôt. — 2** Que partout les pasteurs avaient à se tenir en
garde contre les fraudes des hérétiques et devaient exiger
des preuves bien certaines, avant d'admettre un livre au
rang des Ecritures *. — 3^ Que ces livres réunis ne forment
pas la sixième partie du Nouveau Testament, et qu'ils ne
sont pas, en comparaison des autres, d'une extrême impor-
tance. — 4° Que les hésitations auxquelles les livres deuté-
rocanoniques donnèrent lieu ne s'étendirent jamais à toute
l'Eglise et ne furent pas de longue durée. « Le gros de
l'Eglise, comme dit Bossuet, c'est-à-dire les Eglises les mieux
informées, les plus anciennes et les plus graves, l'Eglise
romaine, en particulier, leur a toujours été favorable ^ »
En effet, la version Italique les comprenait tous, dès l'ori-
gine, et pour le Nouveau Testament, la Vulgate de S. Jérôme
n'est que l'Italique revisée ^
II. Bien des faits s'éclaircissent et se constatent, après un
certain temps de recherches et d'examen. On n'a jamais
douté nulle part que tous les écrits des Apôtres ne fussent
inspirés; on doutait seulement en certains endroits si tout
1 Cf. n Thess., iT, 1, 2; I Joan., iv, 1 ; Apoc, xxii, 18, 19. — 2 Bossuet,
Lett, à Leihnitz. Cf. A. T., n. 38, 39. — 3 S. Hieron., In iv Evang.^ Praef.,
et Epist. XXVII, 1; A. T., n. 40-45; Sabatier, Vêtus ïtalica, t. IH, Praef.
N^S] DES LIVRES DU NOUVEAU TESTAMENT. 9
ce qui leur était attribué venait d'eux. C'est ce fait (^'il
fallait éclaircir. Le jour se fit peu à peu, dès que la paix fut
rendue aux chrétiens et que les relations entre les pasteurs
devinrent faciles. Les Eglises qui doutaient consultèrent
celles qui croyaient, et déférèrent aux raisons que celles-ci
donnèrent de leur foi. Puis, quand tous les préjugés furent
dissipés et que l'accord fut établi, les Conciles et les Sou-
verains Pontifes dressèrent officiellement et firent recevoir
partout le canon ou catalogue complet des livres inspirés.
Ainsi, pour être constante et perpétuelle, la foi catholique
ne laisse pas de se développer, d'avoir ses progrès ^
8. — Quel est à cet égard le sentiment des Grecs schismatiques et des
protestants ?
L L'Eglise grecque a le même canon que nous. Il en faut
dire autant de l'Eglise russe et de toutes les sectes qui sub-
sistent encore en Orient.
II. Il n'en est pas de même des protestants. Luther a nié
l'inspiration de tous les livres deutérocanoniques des Ecri-
tures. Calvin maintint celle du Nouveau Testament tout
entier. Mais les sentiments de Luther et de Calvin ne sont
que des sentiments particuliers. Les protestants, rejetant
l'autorité, et ne voyant ^dans la tradition qu'un moyen d'in-
formation tout humain, ne sauraient avoir de symbole fixe
ni de canon ^ commun. Leurs professions de foi sont pure-
ment individuelles. Elles doivent changer et elles changent
avec le temps et avec les lieux. Les sociétés bibliques d'An-
gleterre, qui depuis 1826 rejettent les livres deutérocano-
niques de l'Ancien Testament, retiennent encore ceux du
Nouveau, et un grand nombre de ministres continuent de
les citer comme divins. Cependant, on ne peut pas dire que
ces livres conservent parmi eux la même autorité que les
protocanoniques ^ Quant aux protestants d'Allemagne, de
* Bossnet, Lett. à f^ibn. — * Kavwv, régula. Cf. II Cor., x, 13; Gai.,
VI, 16. — 3 Le protestantisme, négatif do sa nature, ne sait guère pro-
gresser que dans la négation. Dans la dernière édition officielle doéa
version du Nouveau Testament, en 1881, VEglise anglicane a fait de
1.
10 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT, [n<> 9
Suisse, d'Amérique et même de France, il n'est pas facile
de dire quels sont les livres qu'ils admettent. Pour les doc-
teurs rationalistes, les plus nombreux aujourd'hui, il n'y a
plus, à proprement parler, de livre divin, puisque toute
inspiration manque ou est limitée, et qu'il n'y a pas de pro-
messe qui les garantisse contre toute erreur. Les plus
avancés ne voient presque pas d'écrit, même dans le Nou-
veau Testament, dont l'origine, l'intégrité et l'exactitude
ne donnent lieu aux plus graves difficultés,
2^ Du texte du Nouveau Testament.
Etades critiques. — Procédés. — Résultats i.
9. — En quelle langue lès livres du Nouveau Testament ont-ils été
composés?
I. Si l'on excepte l'évangile de S. Matthieu et, suivant
quelques auteurs, l'épître aux Hébreux, il est certain que
tous les livres du Nouveau Testament furent écrits en grec.
A l'époque des Apôtres, cette langue était le principal lien
qui unissait entre eux les peuples connus. Elle était en usage,
non seulement dans les colonies juives et toutes les grandes
villes dont le littoral de la Méditerranée était semé, mais
dans toute l'étendue de l'empire romain, sauf l'Afrique,
l'Espagne, le nord de l'Italie et une partie des Gaules. On
parlait grec, même en Palestine; et à Rome les classes les
moins lettrées entendaient cette langue ^ Aucune n'était
plus riche ni plus polie. Aucune ne convenait mieux pour
prêcher un évangile qui s'adressait à tous les peuples. Dieu
voulut qu'elle servît à formuler nos mystères et à consigner
par écrit la doctrine du salut. Elle resta la langue officielle
•
nouvelles concessions à la critique rationaliste et opéré divers retran-
chements. L'histoire de la femme adultère est mise entre parenthèse ;
les douze derniers versets de S. Marc sont séparés du corps de l'Evan-
gile , et au chapitre v de l'Evangile de S. Jean, comme de sa première
Epître, le verset 7 est totalement supprimé.
* Critique : l'art de vérifier l'authenticité d'un texte et d'en apprécier
la crédibilité. — ? Graeca leguntur in omnibus ferme gentibus ; latina
suisfinibus, exiguis sane, continentur. Cicero, ProArckia, 10. Cf. Joseph,
A. et B., Praef.
.\0 9] . DD TEXTE DU NOUVEAU TESTAMENT, H
de TEglise romaine jusqu'à la fin du troisième siècle. Le
pape Corneille (f 252) est le premier dont on lise l'épitaphe
en latin dans les catacombes. Minutius Félix (166-190) et
Tertullien (190-230), africains d'origine, sont les premiers
auteurs que l'Italie fournisse à la Patrologie latine*.
II. Nous sommes loin de prétendre, comme quelques pro-
testants du dix-septième siècle, que le grec de nos Saints
Livres soit celui de Platon et des auteurs classiques. Il est
au contraire très corrompu *. Avec un mélange confus de
tous les dialectes, il offre des termes et des locutions bar-
bares, empruntés aux diverses populations qui se trouvaient
confondues dans l'empire; mais ce qu'on remarque surtout,
et ce qui en fait comme un idiome à part, ce sont les hé-
braïsmes et les tournures orientales. Aussi est-il appelé par
Richard Simon un grec de synagogue ou judaïsant. Com-
munément, on le désigne sous le nom de langue hellénis-
tique, ou propre aux Juifs hellénistes ', répandus dans l'em-
pire. C'était le résultat naturel du mélange des Gentils avec
les Hébreux, et de l'établissement de nombreuses colonies
juives au milieu de populations habituées à la langue grecque.
Le plus ancien monument que nous ayons de cet idiome est
la traduction des Septante, faite en Egypte sous Ptolémée
Philadelphe, près de trois siècles avant Jésus-Christ. Au
temps des apôtres, cette version était répandue partout où
il y avait des Juifs hellénistes, et même elle suppléait aux
textes hébreux pour les lectures officielles dans les syna-
gogues*. Ce ^ grec altéré et plein d'hébraïsmes était donc,
après le syrochaldéen, la langue la plus familière aux apôtres
et celle que la plupart de leurs auditeurs et de leurs lecteurs
entendaient le mieux.
1 Si d'autres Pères ont écrit en latin avant eux, leurs ouvrages ont
péri. S. Hieron.y De vir, iUust., un, — 2 s. Isid. Pelus. Episl. iv, 28. —
' Hellénistes, surnom donné par les Grecs aux étrangers qui adoptaient
leur langue et leurs mœurs, et par les Juifs aux Israélites qui parlaient
la langue grecque de quelque pays quils fassent. Act., vi, 1; ix» 29;
n, 20. — * La plupart des citations de TAncien Testament dans le Nou-
veau sont d'après les Septante. U n'y en a pas une sur sept qui soit faite
sar l'hébreu directement.
12
INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT.
[no 10
'*' 10. — Quelles sont les autres langues dont les termes apparaissent
dans le Nouveau Testament?
1* Outre les noms propres, soit de lieux, soit de per-
sonnes, Abaddon, Armageddon^ Béelzébub, Bélial^ Emma-
nuel, etc., on trouve cités littéralement, avec une terminai-
son grecque, un assez grand nombre de mots hébreux ou
syro-chaldéens :
a66a, Marc., xiv, 36;
AxeXôapia, Act., i, 19;
aXXyiXouia, Apoc, xix, 1 ;
«(/.Yiv, Luc, IV, 24, etc;
patoç, Marc, xii, 26 ;
poavepyeç* Marc., m, 17;
ra6ê«6a, Joan., xix, 13;
roX^cÔat, Matth., xxvii, 33;
EXwi, EXwi, etc., Marc, xv, 34;
e<pçaèa, Marc, vu, 34;
y)Xi, Matth., XXVII, 46;
Kriçac, Joan.,i, 43;
xop6av, Marc, vu, II;
xop6avaç, Matth., xxvii, 6;
xopo;, Luc, xvi, 7;
XluiTri;, Luc, x, 32;
(jLa[ji[i.&)va;, Matth,, vi, 24;
{i.avva, Joan., vi, 31 ;
jxapav aAcL, I Cor., xvi, 22;
MapOa, Luc, x, 38;
Mejaiac, Joan., i, 41 ;
ira<7xa, Joan., ii, 13, etc.;
pftêêi, paêêouvi, Joan., i, 30 ; xx, 16;
paxa, Matth., y^22\
(xaêawO, Matth., xxvii, 46;
<raê6aTwv, Matth., xxviii, 1 ;
att66aTi7{JLOC, Heb., iv, 9;
daôôouxaioç, Matth., m, 7;
Satavaç, Matth., iv, 10;
(jixepa, Luc, i, 15;
raXiÔa xv{jlC, Marc, v, 41 ;
TaêiÔa, Act., ix, 40;
çaptoatoç, Mat h., m, 7;
(oaavva, Matth., xxi, 9, etc.
2** On remarque aussi un certain nombre de termes d'ori-
gine latine, ayant rapport, pour la plupart, à l'adminis-
tration, aux impôts, à l'art militaire :
Affaaptov, Matth., x, 29;
Srivapiov, Marc, vi, 37;
loiKTTOç, Act., I, 33;
xevTvpiwv, Marc, xv, 39;
xYivffoç, Matth., XVII, 24;
xoSpavTTiç, Matth., v, 20;
xoXwvia, Act., XVI, 12;
xou(7TU)5ia, Matth., xxvii, 65;
xpaêaTo;, Marc, ii, 9;
Xeyewv, Matth., xxvi, 53 ;
XevTiov, Joan., xiii, 4;
XiêspTivoç, Act., VI, 9;
XiTpa, Joan., xii, 3;
(AttxeXXov, I Cor., x, 25 ;
{jLÊfjLêpava, IITim., iv, 13;
(jLtXiov, Matth., V, 31;
(xo6tov, Matth., v, 15;
ÇeoTo;, Marc, vu, 4;
TrpaiTwpiov, Matth., xxvii, 27;
peÔY), Apoc, xviii, 13;
(ry)(i.txivOtov, Act., xix, 12;
(Ttxapto;, Act., xxi, 38;
ffouôapiov, Luc, XIX, 2;
aiTExouXatbûp, Marc, vi, 29;
Taêepva, Act., xxviii, 15;
titXo;, Joan., xix, 19;
«pXayeXXiov, Joan., ii, 15, etc.
]VM1| DU TEXTE DU NOUVEAU TESTAMENT. 13
3** De plus,' on signale cpmme égyptiens :
TaÇa, Act., viii, 27; oOoviov, Luc,, xxiv, 12;
paiov, Joan., xii, 13; divSwv, Matth., xxvii, 59;
puff(7ov, Luc, 19; ÇiÇfliviov, Matth., xiii, 25;
Et comme persans :
AyYapeueiv, Matth., xxvii, 32; ii.apYapiTYiç, Matth., vu, 6;
yeewa, Matth., v, 22; irapaÔeiGoç, Luc, xxiii, 43;
{tayoi, Matth , ii, 1 ;
Ce mélange de mots de provenances diverses, surtout de
mots hébreux et latins, semés dans le grec, indique l'ori-
gine de ces écrits et en fixe la date S
* 11. — Comment écrivait-on au temps des Apôtres?
S. Jean écrivait per chartam, atramentum et calamum %
c'est-à-dire au roseau, au moyen d'encre, sur du papyrus,
sorte de papier préparé avec les pellicules du papyrus égyp-
tien'. S. Paul parle aussi de parchemins et de livres''. Mais
le parchemin (peaux d'animaux qu'on préparait à iPergame)
était plus coûteux et moins usité que le papyrus. Il est à
croire que les premiers exemplaires du Nouveau Testament
furent écrits sur papier commun ^ On tarda peu néanmoins
à en faire des copies sur parchemin pour l'usage des Eglises.
Dès le quatrième siècle, l'usage des Bibles en parchemin
était assez général. Eu^sèbe nous apprend que Constantin en
fit confectionner cinquante exemplaires avec un soin et une
richesse* extraordinaires pour les principales Eglises®. C'est
à cette date que remontent nos plus anciens manuscrits ^
— Quant aux caractères, on n'écrivait les ouvrages de prix
et les documents publics qu'en lettres majuscules, dites
onciales^^ et cet usage se conserva jusqu'au neuvième siècle.
»/n/ra, n. 56, 183, 414. — 2 II Joan., 12; III Joan., 13.— 3 PHn., H. AT.,
xin, H-17. — * II Tim., rv, 13. — ^11 ne. nous est parvenu en papyrus
qu'un fragment de la 1" Epitre aux Corinthiens. Nos manuscrits anciens
sont sur parchemin, et à partir "du xii« siècle, sur papier de vieux linge.
— * Enseb., Vita Constant. ^ I, iv, 36. — ^ Le P. Vercellono pcrfso que le
manuscrit du Vatican peut nous venir de là. — 8 ^^ uncia, id est pcdis
daodecima parte constantes. Ducange, Diction.
14 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [N** 11
A cette époque, on commença à se servir d'une écriture
cursive, minuscule, plus prompte à tracer, mais plus diffi-
cile à lire, semée d'abréviations de diverses sortes. Le plus
ancien manuscrit où l'on trouve ces caractères est daté de
890. Un certain nombre oscillent entre les deux formes
d'écritures, Tonciale et la cursive. — Enfin, ce qu'on appe-
lait livres, volumes, n'était d'abord que des rouleaux ^ dans
lesquels les feuilles s'ajoutaient les unes aux autres, et où
l'écriture se succédait sans interruption, ni division, ni ac-
cents d'aucune sorte. On comprend quelle difficulté en ré-
sultait pour la lecture et pour l'interprétation des textes ^
Mais, dès le quatrième siècle, les Bibles se composèrent de
feuilles reliées en cahiers, comme nos in-folio.
Pour la division des livres et la ponctuation des phrases,
on s'y essaya de bonne heure ; mais la difficulté fut d'arri-
ver à une ponctuation et à des divisions uniformes. On fit
d'abord, pour les lectures publiques dans les offices, des
péricopeSy ou sections qu'on nomma leçons, anagnoses. Les
recueils de ces leçons formèrent plus tard les Lectionnaires,
les Evangéliaires, les Epistoliers. En même temps, il se fit
pour l'usage des particuliers une division suivie par cha-
pitres, xspxXaia, ou par titres, TtT)vOt, c'est-à-dire par sec-
tions précédées de sommaires. Dès le commencement du
troisième siècle, Ammonius d'Alexandrie (f 250) divisa
ainsi les évangiles en un grand nombre de chapitres, afin
de pouvoir indiquer sur la marge de S. Matthieu les en-
droits parallèles des autres évangélistes et à former une
sorte de Concorde. Eusèbe (f 340) profita de cette division
pour dresser ses Canons qui devinrent célèbres et qu'on
retrouve dans presque tous les manuscrits grecs ^ Ce sont
dix colonnes ou tableaux, dans chacun desquels il indiqua
i Apoc, VI, 14. — 2 Ainsi les uns Usaient ouv eTiKjxowoi;, les autres,
tJVYein<yxoitoiç, Pliil., i, l: les uns o ti, les autres oxi, Joan.. viii, 25; les
uns Ôta iravToç, les autres Siawavtoç, Phil., i, 1 ; ceux-ci exa^toi axonouvteç,
ceux-là exaorrotc xoitouvxe;; Phil., ii, 4. Cf. S. Iren., HI, vu, 1, sur II Cor.,
IV, 4; S. Aug., In Joan.f I, 6, sur Joan., I, 3. — » Euseb., Epist. ad Cav-
pianum; S. Hieron., De vir ilL, lv; Prsef. in Ev.; Martigny, 2c édition.
Canons 5».
N° H] DU TEXTE DU NOUVEAU TESTAMENT. 15
les passages propres à chaque èvangéliste, ou ceux qui sont
communs à tous, ou seulement à trois ou à deux d'entre
eux uniformément combinés*. Vers 460, Euthalius, diacre
d'Alexandrie, qui devînt évéque en Sardaigne (t 495), mit
des sommaires aux chapitres des Actes et des Epîtres, et
publia, pour l'usage liturgique, des Evangiles et des Actes
divisés en stiques, cti/oç, c'est-à-dire de courtes phrases ou
membres de phrases, dont chacun formait une ligne et de-
vait être lu sans aucun repos. Cette méthode, nommée sti-
chométrie, s'étendit et se généralisa. On y joignit bientôt la
supputation des stiques, à l'imitation de la massore hé-
braïque, qui est de la môme époque *. Dès le cinquième siècle,
on sépara les phrases par un point en haut. Au sixième, on
essaya de remplacer les stiques par un système de ponctua-
lion régulier. Toutes ces particularités doivent être remar-
quées comme autant d'indices propres à déterminer l'âge des
manuscrits '.
* Cf. s. Hieron.» t. x, In iv Evang.y Praef. Les sections d'Ammonius
et les canons d'Eusèbe sont marqués dans A et t( à la marge par une
main qu'on croit contemporaine. C a les TiT>ot aussi bien qu'A, mais B
n'a ni tit).oi ni xeçaXata, ni canons d'Eusèbe , ni sections d'Ammonius,
bien qu'il ait, pour les Evangiles et les Actes, une division très ancienne.
— ^ A, T., n. 87-90. ^ ^ A, T., n. 92. Notre division actuelle par cha-
pitre remonte au treizième siècle. Elle est l'œuvre d'Hugues de Saint-
Cher(f 1262), qui en sentit la nécessité pour la rédaction de sa Concor-
dance. Elle a le défaut de 'séparer quelquefois des textes qui devraient
être unis; par exemple Matth., ix, 35-38 et x, 1 ; xix, 30 et xx, 1 ; Marc,
II, 23-28 et m, 1-5; viii, 39 et ix, 1; Luc, xx, 45-47 et xxi, 1-4; Joan.,
vu, 53 et VIII, 1; Act., iv, 32-37 et v, 1 ; vu, tiO et viii, 1-2; I Cor., x,
33 et XI, l ; xiii, 13 et xiv, 1 ; II Cor., iv, 18 et v, 1 ; Gai., v, 26 et vi, 1 ;
VI, 18 et VII, 1 ; Col., m, 25 et iv, 1. La division des chapitres en versets,
faite en 1551 par Robert Etienne pour le Nouveau Testament, permet
d'indiquer les renvois avec plus de précision encore ; mais on convient
qu'elle n'a pas plus d'autorité et qu'elle pourrait également induire en
erreur dans l'explication des textes. Elle sépare assez souvent des versets
qui devraient être unis : Joan., x, 14, 15; xii, 23, 24; Rom., ix, 22, 23;
I Cor., m, 1, 2; II Cor., m, 7, 8; vu, 13, 14; Gai., iv, 13, 14; Heb., i,
1,2; n, 23; m, 9, 10; vi, 5, 6; vu, 9, 10; vni, 4, 5; ix, 27, 28; ix, 13, 14;
et plus souvent encore elle en unit qui devraient être séparés. On peut
Wre la môme remarque sur la ponctuation. Elle est douteuse on bien
des endroits : Joan!, i, 3, 4 ; xiv, 31 ; Rom., iv, 1 ; Gai., iv, 12, etc. Ajou-
tons que les divisions de la Vulgato ne coïncident pas toujours avec
16 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n» 12
* 12. — Les premiers exemplaires des livres saints dta^ent-ils de la
main des auteurs sacrés, et se conservèrent-ils dans l'Eglise?
1' Il était rare qu'on écrivît soi-même ce qu'on voulait
publier. Au moins l'écrit était-il mis au net par un calli-
graphe avant d'être livré au public. S. Paul témoigne lui-
même aux destinataires de ses Epîtres qu'elles sont d'une
autre main que la sienne. Dans l'Epître aux Romains, le se-
crétaire est nommé*. Ordinairement l'Apôtre se bornait à
écrire à la fin, comme garantie d'authenticité, une formule
de salutation avec sa signature ^ L'Epître à Philémon et
celle aux Galates semblent pourtant avoir été écrites tout
entières de sa main '.
2° On ne voit pas qu'on ait attaché grande importance à
conserver les manuscrits originaux, ni qu'on y ait jamais
recouru pour convaincre de falsification aucun hérétique.
Comme ils étaient sur un papier commun, probablement %
ceux même que les auteurs avaient écrits de leur main
durent être bientôt détériorés et remplacés par des copies,
faites avec plus de soin. Plusieurs savants sont, il est vrai,
d'un autre avis. Reitmayer cite Tertulien, disant à la fin du
second siècle : Percurre eclesias apud qtias ipsœ authenticœ
Apostolorum litterœ recitantur '^, et soutient que par authen-
ticœ litterœ il faut entendre la minute même des Epîtres
apostoliques. Mais ce sens est contesté. On entend par là
communément le texte original ^ans son intégrité, par oppo-
sition aux exemplaires suspects ou moins autorisés.
celles du texte grec. Voir Matth.^ xvii, 15, etc.; Marc, viii, 39; ix, etc.;
Joan., I, 37, etc. ; vi, 52, etc.
1 Rom., XVI, 22. — 2 I Cor., xvi, 21 ; Col., iv, 18; II Thess., m, 17. —
3 Gai., VI, 11; Phileoi., 19. — * I Joan., 12. Les écrits sur papyrus,
sans cesse menacés par Thumidité et par les vers, duraient peu, géné-
ralement. Pline cite comme une rareté un livre qui av^it duré deux
siècles. Cf. S. Hieron., Epist. xxxvi. II Tim., iv, 13, ne prouve pas que
nos Epîtres aient été écrites sur parchemin. Le parchemin servait sur-
tout pour les ouvrages de prix. — 3 Tert., de Prsçscrip,^ xxxvi. Cf. de
Monog.y xi. S. Hieron., In Isai.^ lxiv, 4.
N® 13] . DU TEXTE DU NOUVEAU TESTAMENT. 17
13. — Comment constater que le texte do nos saints livres est encore
aujourd'hui tel qu'il était aux premiers siècles.
Il y a trois moyens principaux pour s'assurer directement
de l'intégrité du texte ou pour la démontrer scientifique-
ment; les Versions, les Pères et les Manuscrits.
i" Les Versions. Elles donnent, aux nuances près, le sens
du texte tel qu'il existait à l'époque où elles ont été compo-
sées. Or, nous en avons toute une série qui commence à la
fin du premier siècle ou dans la première partie du second.
Les versions latines en usage avant S. Jérôme touchent aux
temps apostoliques*. L'Italique en particulier ne saurait être
retardée au delà de 150 ^ Si elle n'a pas été faite sur les ma-
nuscrits des Apôtres, elle a dû l'être sur leurs premières
copies. La Version syriaque Péchito, à laquelle il ne manque
que les cinq derniers livres deutérocanoniques, l'Apoca-
lypse, l'Epître de S. Jude, la 11^ et la IIP de S. Jean et la IP
de S. Pierre, est a peu près de la même époque ^ Il en est
d'autres du troisième siècle : les trois versions cophtes ou
égyptiennes. Il en est du quatrième : la version éthiopienne
qui remonte à l'époque de la propagation de la foi dans l'A-
byssinie, et la version gothique (360), dont l'auteur, Ulfîlas,
assista au I" Concile de Constantinople en 381. Il en est du
cinquième : la version arméniennne, etc.*. On peut consul-
ter ces versions, les confronter avec le texte grec, et voir si
elles s'accordent au moins pour le sens.
2" Les citations des Pères et des auteurs ecclésiastiques.
Quoique la plupart des travaux des Pères soient perdus, on
compte encore, de la fin du premier siècle à la fin du qua-
trième, de S. Clément à S. Jérôme, plus de deux cents au-
teurs ecclésiastiques, grecs, latins, syriaques, de l'Asie Mi-
neure, de l'Italie, de l'Afrique, de la Palestine, dont il nous
• Primis fidei temporibus. S. Aug., de T)oct. Christ., ii, 16. — 2 Cf.
A. r, n. 125 et Infra^ n, 33. — 3 ^. T., n. 122. La traduction actucHo
de CCS livres ost d'un auteur moins ancien ; cependant rien ne prouve
absolument qn elle n*en remplace pas une autre de la même époque que
celle des autres livres. Infra, n. 23, note. — ^ A. T., n. 140-152.
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20 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n^ 13
est parvenu quelque écrit. Or presque tous citent le Nouveau
Testament ; et un grand nombre en reproduisent ou en com-
mentent une partie considérable; par exemple, au second
siècle, S. Justin, S. Iréné, S. Théophile d'Antioche; au troi-
sième, Clément d'Alexandrie, Tertullien, Origène ; au qua-
trième, S. Hilaire de Poitiers, S. Grégoire de Nysse, S. Atha-
nase, S. Cyrille de Jérusalem, S. Ambroise, etc. Il est vrai
que les Pères s'attachent aux pensées plus qu'aux expressions,
qu'ils citent de mémoire, qu'ils fondent souvent ensemble les
endroits parallèles, que leurs manuscrits peuvent n'avoir
pas été corrects, que leurs textes peuvent être altérés. Au
moins donnent-ils, la plupart du temps, le sens des passages
qu'ils allèguent; et quand ils sont d'accord ou qu'ils attes-
tent que leur leçon est la bonne, on ne peut guère avoir
de doute à cet égard. Aussi ne faut-il pas aller bien loin
dans les Pères pour se convaincre de l'intégrité substantielle
de nos évangiles, et même de tous les passages importants
du Nouveau Testament *.
2° Les Manuscrits. A défaut des minutes tracées par les
Apôtres, nous avons des copies manuscrites plus ou moins
anciennes. Scholtz (1774-1853) comptait de 1200 à 1300 ma-
nuscrits, contenant le Nouveau Testament, en tout ou en
partie, sous une forme ou sous une autre: 675 pour les Evan-
giles, 200 pour les Actes, 250 pour les Epîtres de S. Paul,
une cinquantaine pour l'Apocalypse. On en connaît mainte-
nant près de 2,000 ^ De ces manuscrits, une centaine au
moins sont en lettres onciales et d'une époque antérieure au
onzième siècle. Ce sont ceux qui attirent le plus l'attention
et qu'on a le plus étudiés.
Deux remontent au quatrième siècle : B, qui est au Vatican
depuis 1475 et qui a été publié par le P. Vercellone (1869-
1881), et K, du Sinaï, découvert et pulilié.par Tischendorf
(1859-1863).
1 Voir comme spécimon, l'abbé Gainet, La Bible sans la Bible, t. IV,
ch. 9.-2 Scrivcncr, Introd. io the textual Cnlicism of the N. T.
NO 13] Dt TEXÎE t)U NOUVEAU TESÎAMENT. H
B. ~ Jean., I, 1-3 *.
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K. — Joan., I, 1-3 *.
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TOCHN eN APX H
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Deux sont du cinquième, l'Alexandrin du Musée britan-
nique, A, acheté, en 1628, par Charles I" au patriarche
d'Alexandrie % Cyrille Lucar, et publié en 1707-1720 ; et le
Codex regiîis^ de la Bibliothèque Nationale de Paris, C, pa-
limpseste*, publié en 1843, et souvent appelé Codex
Ephrœmeticiis^ parce qu'au douzième siècle, on avait
cherché à faire disparaître la première écriture, qui était
celle des livres saints, pour écrire dessus les œuvres de
S. Ephrem en langue syriaque.
* Volume de parchemin, in-4o, que la bibliothèque du Vatican possède
depuis sa fondation» 1475. Outre le texte du N. T., il comprend les
Septante. Chaque page est divisée en trois colonnes. — 2 Tischendorf
a trouvé ce manuscrit en 1859 au couvent de Sainte-Catherine sur le
mont Sinaï. 11 a 346 feuillets à 4 colonnes de 48 lignes. Avec le N. T.,
il renferme les Septante. S. Barnabe et Hermas. — 3 Depuis patriarche
de Gonstantinople. — * MP*6ffToç, raclé, poli ; 7ta).iv de nouveau. Cf. Mar-
tigny, Palimpseste f 2e édition.
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INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMUNT. [N'O 13
A. — Joao., 1, 1-3 '.
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Il en est un du sixième, celui de Bèze ou de Cambiidge,
D, qu'on a publié en 1793. Il fut enlevé parles protestants
■ Co manuacrit so trouve au Britiab Muséum do Londres, et comprend
aussi les Septante. — * Le Codex regius, dit de S. Eplirep, n'est pss moins
«ncien que l'Alexandrin. Mais il est fort incomplet, On n'a pu n
que 147 Teuilleia du Nouveau Testament et 62 des livres Sapien
X* 13j DU TEXTE DU NOUVEAU TESTAMENT. ii3
au couvent de Saint-Irénée de Lyon, en 1562, et donné par
Bèze à l'Université de Cambridge, en 1581. A la différencedes
quatre manuscrits précédents, qui renferment, à quelques
lacunes près, tous les livres du Nouveau Testament et même
ceux de l'Ancien, en grec ou selon les Septante, D ne ren-
ferme que les Évangiles et les Actes, avec une partie des
Epîtres. Mais il est bilingue, grec-latin, et écrit stichométri-
quement.
D. — Mattli., V, 3 *.
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Ce manuscrit a pour complément celui de Clermont, Cla-
romontanus^ D^ , qui est à peu près de la même époque et
qui contient les Epîtres de S. Paul. Enlevé aussi par les
protestants au monastère de Clermont, près Beauvais, celui-
ci est revenu des mains de Bèze à la Bibliothèque Nationale
de Paris.
On a encore du même siècle quelques palimpsestes qui
contiennent une partie des Evangiles P, Q, R, en particu-
lier celui de Dublin Z. L'âge de ces manuscrits, quand il
n'est pas indiqué dans le manuscrit même^ se détermine par la
nature du parchemin ou du papier, par la forme des lettres,
les divisions, s'il y en a, les abréviations, la ponctuation, etc.^
* Les pages n'ont qu une colonne. Le latin est en stiques comme le
grec. Fac simile de 1793. — 2 Supra, n. 11. Les plus anciens manuscrits
auxquels on a pu les comparer, sont : — 1° Ceux d'une bibliothèque
décoarcrte à Uerculanum dans la villa des Pisons. Sur 341 de ces ma-
nuscrits qu'on a pu dérouler, 18 sont latins, 323 sont grecs. De ceux-ci,
43 contiennent des écrits de Philodème , philosophe et poëte contem-
porain de Cicéron. Us paraissent être de Tépoque, sinon de la main de
l'auteur. — 2» Des papyrus du premier siècle de notre ère et môme
quelques-uns du second siècle avant Jésus-Christ. Les premiers, décou-
Terts en Égjrpte, contiennent quelques chants de l'illiade avec trois dis-
wurs de l'orateur Hypéride. On trouve dans les seconds des morceaux
fort incorrects d'Euripide et d'autres poètes grecs, avec un traité astro-
ooffiiqne et des fragments de dialectique*
ii INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [N» 14
Quant aux manuscrits en caractères cursifs ou minuscules,
ils sont en bien plus grand nombre, dix-huit cents au moins,
plus ou moins complets ; mais les plus anciens ne remontent
pas au delà du ix*» siècle.
Voilà donc un troisième moyen de connaître quel était
le texte des livres saints, au quatrième, au troisième et
même au second siècle, car les manuscrits que nous avons
ont été copiés sur des exemplaires plus anciens *. Joint aux
deux précédents, ce moyen nous met à môme de constater
d'une manière certaine que le Nouveau Testament n'a pas
été altéré dans sa substance,
14. — Est-il facile de faire par soi-mcme ua pareil examen?
Une étude sérieuse des manuscrits grecs demanderait à
elle seule plus que la vie d'un savant. Mais on peut s'épar-
gner ce travail sans manquer de prudence, et trancher la
question par voie d'autorité. C'est ce que font généralement
les catholiques ^
L'Eglise, chargée de faire connaître les livres inspirés,
est autorisée par cela même à dire quels sont les véritables
textes. Or, on sait qu'au concile de Trente, elle a déclaré
irrépréhensible et authentique la version Vulgate%et que
le concile du Vatican a frappé d'anathème ceux qui n'admet-
traient pas comme inspirés, avec toutes leurs parties, les
livres contenus dans cette version*. La Vulgate étant notoi-
rement conforme aux textes grecs actuels du Nouveau Tes-
tament, ou n'en différant que par des détails insignifiants,
on doit conclure de ces décrets : 1^ Qu'on ne peut rencontrer,
ni dans le texte grec, ni dans la version latine en usage
dans l'Eglise, aucune altération doctrinale qui porte atteinte
à la pureté de la croyance; 2^ Qu'il ne s'y trouve aucun frag-
ment notable ou de quelque étendue qui n'ait pour auteur
. 1 Supra^ n. 12. — ^ Auctoritati credere magnum compendium est, et
nullus labor. S. Aug., De qitant. animœ^ 12. — 3 Statuit et déclarât ut
hœc ipsa vêtus et vulgata editio, quœ longo tôt sfeculorum usu in ipsa
Ecclesia probata est, pro authentica Ua]}eatur et nemo illam rejic&ro
praesumat. Gonc. Trid., Sess. IV, — * Gonc. Vatic, de ReveL, can. 4.
N<> 15J 1)U tEXtE DU NOUVEAU tESTAMENt. H^
an écrivain inspiré. Ces deux principes établis, un fidèle
peut être tranquille dans sa croyance, et étudier en paix la
parole de Dieu.
Quant aux protestants, qui ne veulent pas reconnaître
l'aulorité de l'Eglise, force leur est de s'en rapporter à celle
des hommes et de prendre pour base de leur foi le témoi-
gnage de la critique. Voilà où les conduit leur prétention de
ne croire à nulle autre chose qu'à la pure parole de Dieu.
15. -^ A quel résultat est-on arrivé par rétade combinée des ma-
nuscrits, des Pères et des Versions?
Depuis deux siècles, un grand nombre de savants d'An-
gleterre et d'Allemagne se sont voués à cette étude, d'au-
tant plus zélés pour la lettre, qu'ils se désintéressent davan-
tage du sens et de l'inspiration des livres *. Les plus connus
sont Mill, professeur à Oxford (t 1707), qui releva dans le
Nouveau Testament plus de 30,000 variantes * ; Bengel
(t 1752), auteur d'un Apparatus critictcs adNovUm Testamen-
tum '; Griesbach (f 1812), dont le Nouveau Testament grec
fut fait sur plus de 200 manuscrits * ; Scholtz, de Breslau
(t 1853), qui en a donné un autre, sur un bon nombre de
manuscrits non encore étudiés, mais qu'on trouva trop fa-
vorable aux manuscrits byzantins *; Lachmann ® (f 1855),
Tregelles "^ (f 1875), Tischendorf (f 1874), dont le Nouveau
Testament est précédé d'une savante Introduction et suivi
de Notes critiques • ; enfin Wescott et Hort *. Voici les obser-
vations et les conclusions les plus importantes auxquelles
leurs travaux les ont conduits :
1" Des deux cent mille variantes que pourrait fournir
l'étude des manuscrits, des versions et des Pères, il n'y en
* Excolantes cnlicem. Matth., xxiii, 24; Infra, n. 27. — > Novum
Tettamentum grxcum, cum ledionibus variantibtts, Oxford, ld45, 1701.
— 3 Sovum Tettamentum grâce, cum apparatu, etc. Tub., 1734. —
* Halle 3 vol., 1774-75-77. — « 2 vol., Leipsik, 1831-35-38. Scholtz est
catholique. — «Sf în-8», Berol., 1831. Grœce et latine, Berol., 1842-50. —
' Tke greek Test., in-4«, 1857, 1860. — « Editio critica major, et Editio
nrinor, 1858 ; souvent rééditées. — * The New Testament in the original
greek, the text revised, 2 iu-12, London, 1881.
2
26 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n<> 15
a pas plus d'une centaine qui méritent attention, et sur
cette centaine, il en est une douzaine au plus qui ont une
certaine gravité, sans qu'aucune mette le moins du monde
en péril la pureté de la doctrine. Les autres sont purement
orthographiques ou grammaticales *.
2^ Ce petit nomhre de variantes auxquelles nous recon-
naissons quelque gravité sont de deux sortes : 1° Les pre-
mières ont pour objet les fragments deutérocanoniques que
nous avons signalés % les douze derniers versets de S. Marc,
deux versets de S. Luc sur l'agonie du Sauveur, et l'histoire
de la femme adultère. On n'a fait là-dessus aucune décou-
verte. Nul n'ignorait, en effet, qu'il y avait eu, dans les
premiers siècles, une certaine diversité dans les manuscrits
et quelque divergence dans les sentiments. Loin de rendre
l'authenticité de ces fragments plus suspecte, les recherches
des critiques modernes la confirment au contraire par de
nouvelles raisons, de sorte qu'à cet égard, la croyance de
l'Eglise se trouve aujourd'hui pleinement justifiée ^ —
2* Les autres variantes de quelque importance se réduisent
à deux versets de l'Evangile de S. Jean, sur l'ange qui des-
cendait dans la piscine*, et à un verset de sa première
Épître, sur les trois témoins ^ On peut admettre avec beau-
coup d'auteurs catholiques que sur ce verset, la critique n'a
pas encore éclairci tous les doutes; mais en attendant qu'elle
achève son œuvre, la raison ne demande-t-elle pas qu'on
défère au sentiment de l'Eglise et qu'on la laisse en posses-
sion de textes dont elle fait paisiblement usage depuis douze
à quinze siècles? Lors même qu'on rejetterait son infailli-
bilité ou qu'on croirait son enseignement désintéressé dans
la question, on devrait se souvenir du soin extrême qu'elle
a toujours eu d'écarter des Ecritures toute altération et
toute nouveauté *. Comme elle a pu montrer aux incrédules
qu'elle a conservé dans leur pureté les autres parties des
1 Wescott et Hort, Introd.., p. 2, 1818. -- ^ $M/>Jti, n. 7. — 3 Dis-
cours X, sur V accord des sciences^ etc. — * Joau., v, 3, 4. — s i Joan.,
V, 7. — 6 Cf. Mattli., V, 18 ; Luc, xvi, 17. S. Aug., Epist, lxxi, 5, Infra^
ii. 24.
N<» 15] DU TEXTE DU NOUVEAU TESTAMENT. 27
livres saints, n'est-il pas à croire qu'elle aura également
préservé cet endroit de toute falsification?
3<^ En dehors de ces passages, on a peine à citer un terme
ou deux pouvant servir à confirmer un dogme, et dont les
recherches critiques infirmeraient la . valeur. Indiquons
cependant un verset des Actes, xx, 28. Au lieu de l'Eglise
de Dieu^ comme dans la Vulgate, on devrait lire, suivant
certains critiques, l'Eglise du Seigneur : KO (-/.uptou) en grec
au lieu de Ou (©-su) *. Par contre, dans la première Epître à
Timothée, m, 16, au lieu de 5, quod, admis par l'auteur de la
Vulgate, un grand nombre soutiennent qu'il faut lire Oç,
(6eoç), et par conséquent traduire : Deus manifestatus est in
came, au lieu de : Quod manifestatum est '.
4" Au jugement d'un bon nombre de savanfe,^de Tischen-
(lorf en particulier, les manuscrits se partagent en deux
classes ou forment deux familles, qui ont leur centre ou
leur origine en deux villes célèbres par le nombre et l'habi-
leté de leurs copistes, celle d'Alexandrie et celle de Byzance;
La dernière de ces villes a commencé plus tard à se livrer à
cette industrie, mais elle a supplanté l'autre. Les manus-
crits sortis de cette source sont moins anciens, en caractères
cursifs, minuscules, ou du moins en petites majuscules, du
huitième siècle, du septième au plus. Ils se répandirent
surtout en Asie et dans la Grèce. A l'autre famille, celle
d'Alexandrie, appartiennent les manuscrits en lettres on-
ciales, plus répandus en Afrique et en Italie, celui du Vati-
can, le Codex regius, comme aussi, malgré certaines va-
riantes dans l'écriture, celui du Sinaï, celui de Cambridge,
l'Alexandrin, etc. ^ Griesbach admettait trois familles qu'il
appelait recensions, bien que ce mot convînt mieux pour in-
diquer le travail critique d'où il les faisait sortir : la recen-
sion alexandrine, la recension byzantine, et une troisième,
* Addo Marc, i, 1. — ' înft'a, n. 776. — 3 On a fait remarquer
qn'Easèbc se trouvait à Alexandrie, quand Constantin le chargea de
faire confectionner, aux frais du trésor, 50 Bibles qu'il destinait aux
principales églises do Vempire. Euseb., Vilà Constantini^ iv, 34-37;
Theodoret, H. E., i, 16; Supra^ n. 11.
28 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n® 15
intermédiaire quant à la date, qu'il appelait occidentale.
MM. Wescott et Hot reconnaissent pareillement trois recen-
sions, qu'ils appellent alexandrine, occidentale et. neutre.
Dans la pensée de ces critiques, il doit y avoir ressemblance
aussi bien que parenté entre les manuscrits de chaque fa-
mille. Mais ce principe est loin d'être un critérium, et d'or-
dinaire il est bien difficile de discerner d'où vient tel ma-
nuscrit ou quelle est sa généalogie.
50 L'édition grecque du Nouveau Testament, connue sous
le nom de Textus receptm, n'est autre que la troisième édi-
tion de Robert Etienne, réimprimée à Leyde par les Elzé-
virs, en 1624, avec les corrections de Bèze, jointes à celles
d'Erasme ^ Or^ les manuscrits assez peu nombreux sur les-
quels elle a été faite étaient presque tous minuscules ou
d'origine bizantine, par conséquent d'une date moins an-
cienne que nos manuscrits alexandrins. De là deux apprécia-
tions tout opposées dont cette édition est l'objet. Les uns, et
c'est encore le grand nombre, persuadés que les manuscrits
les plus anciens doivent être les plus purs, pensent qu'en
fait de variantes, elle n'a pas grande valeur. Ils préfére-
raient de beaucoup une édition faite sur les seuls manuscrits
onciaux du quatrième et du cinquième siècle, et pour cette
raison, ils la mettent au-dessous de l'édition de Complute %
donnée en 1514 par le cardinal Ximenès. Mais d'autres cri-
tiques, aussi érudits et non moins judicieux, s'appuyant
* Erasme avait donné son Nouveau Testament grec à Bâle, 1516-19-22-
27-35, d'après trois ou quatre manuscrits seulement Robert Etienne re-
produisit en 1550, la troisième édition, en y ajoutant les variantes qu'il
avait recueillies dans une quinzaine de manuscrits de la bibliothèque
de Paris. L'année suivante, il réimprima cette édiiion et en distingua les
versets. En 1551 et 1555. Bèze y inséra de nouvelles corrections prises
de dÎK manuscrits nouveaux, en particulier do D et A. La première édi-
tion donnée par les Elzévirs parut à Leyde en 1C24 : H xaivr, AiôcOyjxyj.
Lugd. Bat., Ex officina Elzeviriana. Elle ne différait de la troisième
d'Erasme que par l'adjonction d'une centaine de corrections, empruntées
à Bèze pour la plupart. Le succès de cotte édition fut tel, que dans la
préface de la seconde, on la qualifiait de textus ab omnibus receptus,
titre que continuent à lui donner ceux même qui se plaignent le plus
de l'imperfection de l'ouvrage. — « Ou Alcala.
N« 15] DU TEXTE DU NOUVEAU TESTAMENT. 29
d'une part sur le fait avéré que le texte reçu ne s'écarte
presque pas de celui des églises grecques actuelles, et d'autre
part sur l'aveu fait par leurs adversaires que le texte de ces
églises ne différé pas de celui de S. Ghrysostome et des autres
Pères grecs de la fin du quatrième siècle, soutiennent que
cet attachement constant d'une grande église à son texte
officiel et sa fidélité à le conserver daiis sa pureté depuis
quatorze siècles donnent à ce texte une autorité supérieure
à celle d'un petit nombre de manuscrits qui n'ont pour eux
qu'une antiquité relative, qui ne paraissent pas avoir été
faits avec un grand soin, et qui, n'ayant pour eux aucune
garantie officielle, pourraient être des copies d'exemplaires
peu exacts, comme il s'en trouvait un grand nombre dans
les premiers siècles *.
6" Le fruit de ces récherches et le résultat de ces débats
ne peuvent qu'être avantageux à l'Église. A ceux qui mettent
leur confiance dans les documents les plus anciens, elle
peut montrer sa version officielle, faite dès le commence-
ment du second siècle sur des manuscrits du premier, et re-
vue à la fin du quatrième par le plus savant des docteurs ^
A ceux qui reconnaissent que le texte le plus sûr est le texte
traditionnel, elle a droit de dire qu'il n'est ni tradition ni
autorité comparables à celles qui attestent la fidélité et l'in-
tégrité de cette version. Si donc l'énorme travail que tant
de critiques protestants et rationalistes ont exécuté depuis
deux siècles sur le Nouveau Testament n'a pas produit pour
eux tout ce qu'ils attendaient, il a eu du moins pour nous
un avantage inappréciable : celui de justifier et de mettre à
l'abri de toute atteinte nos Ecritures et nos livres liturgiques.
Ainsi les protestants, comme les Juifs, rendent hommage au
catholicisme. Ceux-ci nous viennent en aide, en attestant
l'authenticité de l'Ancien Testament et en indiquant l'objet
des prophéties, ceux-là en démontrant l'intégrité du Nouveau
et sa divinité. Les uns et les autres témoignent que nous avons
conservé dans toute sa pureté le dépôt de la parole de Dieu ^
* F. H, Scrivener, loc. ciL — 2 s. Hieron., Prssf, IV in Evang. —
5 Nom., XXIII, 11. 12. MM. Wescott et Hort confirment cette conclusion
2.
30 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n° 16
16. — Si les variantes du Nouveau Testament ne sont pas d'une grande
importance, chacune en particulier, la somme n'en est^elle pas con-
sidérable ?
Naturellement, le nombre des variantes s'accroît avec ce-
lui des copies. On en a trouvé plus de trente mille, dit un
auteur, dans les comédies de Térence, quoique ce poète n'ait
que six pièces et qu'on les ait copiées mille fois moins que
le Nouveau Testament. Si donc on n'avait pas apporté à la
transcription de ce livre des soins particuliers, le nombre
des fautes que nous retrouverions dans ses 7,959 versets se-
rait incalculable. Qu'on n'oublie pas que, pour produire une
variante, il suffit de la moindre inexactitude, par exemple
de l'omission, de l'addition, du changement, non pas d'un
mot ou d'une syllabe, mais d'une lettre ou d'un accent ; ces
sortes de faute n'échappent-elles pas à tout instant aux co-
pistes même les plus vigilants? Qu'on se souvienne aussi
que les anciens manuscrits, ne faisant aucune distinction,
ni de phrases, ni de mots, étaient difficiles à déchiffrer et
donnaient lieu, dans la lecture, à des méprises inévitables.
Ajoutons qu'on pouvait souvent altérer le texte en croyant
le rétablir, en insérant dans un évangile ce qu'on avait lu au
même endroit d'un autre évangile, en changeant l'ordre des
mots, en remplaçant un terme par un autre, en insérant dans
les lignes une glose placée à la marge pour l'éclaircir, etc. *.
Quoi qu'il en soit des causes et du nombre des variantes,
nous avons aujourd'hui un moyen facile d'en prendre con-
naissance et même d'en apprécier la nature et l'importance.
dans rédition critique du Nouveau Testament qu'ils ont récemment pu-
bliée, 1881. Suivant eux, nous avons entre les mains, à quelques versets
près, le même texte que les fidèles des premiers siècles. Aucune alté-
ration n'a été faite de mauvaise foi, dans Tintention de porter atteinte à
la doctrine. Néanmoins , comme la plupart des protestants, ils tiennent
pour interpolés les passages suivants qu'ils croient provenir de docu-
ments extracanoniques, Joan., v, 4; vu, 53-viii, 11; Joan., v, 1; Marc,
XVI, 9-20; Luc, xxii, 43, 44; Matth., xxvii, 49. Les versets : Matth.,
XVI, 23, et Luc, XXII, 19, 20, 31 ; xxiii, 34; xxiv, 3, 6, 12, 36, 40, 51, 52,
seraient des transpositions ou des intercalations des autres Evangiles,
ayant pour cause Tusage habituel des anciennes concordances.
1 Voir A. r., n.»J8.
nM6] du texte du nouveau testament. 31
On est convenu de désigner chaque manuscrit par une lettre
ou une combinaison de lettres et de chiffres. Les manuscrits
majuscules sont indiqués par une lettre romaine, grecque
ou hébraïque, celui du Vatican par B, celui du Sinaï par K,
l'Alexandrin par A, le Codex de S. Ephrem par C, celui de
Cambridge par D, celui de Dublin par Z, etc. Grâce à ce pro-
cédé, rien n'était plus aisé que d'indiquer en marge ou en
notes les principales variantes du texte, avec les manuscrits
qui les contiennent. C'est ainsi que Tischendorf a pu, sans
trop grossir son Nouveau Testament grec S en indiquer plus
de quarante mille dans son édition critique et faire con-
naître en même temps les leçons qu'il préfère ^
* Editio critica major^ 1858. — 8 Remarquez toutefois que la plupart
des manuscrits du Nouveau Testament étant incomplets , on en fait
quatre classes, ceux des Evangiles, des Actes, des Epîtres et de l'Apo-
calypse; et que le manuscrit désigné par une lettre pour les Evangiles
ou les Actes, peut être très différent de celui qui est désigne par la
môme lettre pour les Epltres et pour l'Apocalypse. — 3 Scribe antique,
d'après une pierre gravée du Cabinet des Antiques; h droite une écritoiro
et on roseau, à gauche un- cahier.
32 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [N<> 17
CHAPITRE IL
DES SYSTEMES RATIONALISTES PAR RAPPORT AU NOUVEAU
TESTAMENT.
10 Fondement du rationalisme.
A l'égard des miracles. — A l'égard de noB saints livres»
17. — Sur quels principes s'appuient les rationalistes actuels pour
éliminer des Evangiles et des Actes tout élément surnaturel?
I. On entend par rationalistes ceux qui ne veulent rien
croire que sur le témoignage delà raison ou des facultés
naturelles ^ Suivant eux, nulle doctrine n'a le droit de s'im-
poser à l'esprit humain comme révélée ou inspirée de Dieu,
parce qu'il n'en est aucune qui apporte en sa faveur des
miracles certains. L'absence de miracles, voilà la base de
leur système, sa condition essentielle. « Si le miracle a quel-
que réalité, dit le plus connu et le plus autorisé de leurs doc-
teurs ^ notre méthode est détestable, et mon livre n'est
qu'un tissu d'erreurs. »
Les conséquences de ces principes par rapport au Nou-
veau Testament sont manifestes. Non seulement l'Écriture
ne contient pas un seul fait miraculeux, mais, à proprement
parler, il n'y a plus d'Ecriture ou de livre inspiré. « L'ins-
piration, dit le même écrivain, impliquant un miracle, ne sau-
rait se soutenir. » La Bible n'est plus qu'un livre d'origine
humaine, comme les autres, où le vrai se mêle au faux, et
la prudence et le discernement sont nécessaires pour ne pas
s'y tromper.
Il est vrai que tous les rationalistes n'exposent pas leur
système d'une manière aussi claire. Un bon nombre conti-
1 Parum est miseris ut œgrotent, nisi se in sua ctiam aegritudino
cxtollant et de medicina qua sanari potcrant erubescant. S. Aug., De
Cio. Dei, x, 29. Cf. de Utilitate credendi, 9-18. — 2 m. Renan.
nM7] systèmes rationalistes. 33
naeût à parler de la Bible comme d'un livre divin et d^en ci-
ter le texte comme parole de Dieu ; mais c'est affaire d'ha-
bitude et de ministère, la plupart de ceux qui s'occupent des
Ecritures étant ministres du saint Evangile ou professeurs
de théologie chrétienne. Cette inconséquence ne les empêche
pas, d'ailleurs, d'inculquer leur doctrine et de l'appliquer
largement, c L'Ecriture, disent-ils, est la vérité même, mais
à la condition de la bien entendre, c'est-à-dire dans un sens
raisonnable, de manière qu'elle n'offre rien de choquant et
que l'esprit n'ait pas d'effort à faire pour y adhérer. » Grâce
à ce détour, on évite le scandale d'une négation radicale et
et on ne laisse pas d'arriver au but, c'est-à-dire à éliminer
comme fabuleux tout ce quidemande, pour être cru, un acte
de foi proprement dit ou l'assujettissement de l'homme aux
enseignements de Dieu *.
Où est le vice de ce système et en quoi consiste-t-il ? Il
est à son point de départ. Il consiste à affirmer gratuitement
et à faire accepter sans preuve ce qui aurait besoin d'être
bien démontré, savoir qu'il ne s'est jamais fait rien de sur-
naturel, ou que tous les miracles prétendus, si accrédités
qu'ils soient, doivent être régardés comme des illusions ou
des impostures.
Nul n'a droit de donner pour un axiome, ou pour un fait
avéré, un principe opposé au sentiment commun des hommes
les plus éclairés et les plus sincères de tous les temps
et de tous les lieux. Telle est pourtant la prétention des ra-
tionalistes. On a beau leur demander des preuves de leur
principe; on a beau en chercher dans leurs écrits, on n'en
découvre aucune. Ils combattront bien à l'occasion tel ou tel
miracle, mais la réalité ou la possibilité du miracle en géné-
ral, ils se défendent même de l'attaquer \ Ce serait, disent-
ils, une peine superflue.
' De là le canon iv" do concile du- Vatican, De fide : Si quis dixerit
mirarala noilafieripossc, proindoquc omncs de lis narrationcs, etiani in
Scriptora sacra contentas, in ter fabulas Tel mythes ablcgandas esse,
aoathema sit. — ^ « Nous ne nions pas les miracles parce qu'ils sont
impossibles, dit M. Renan, mais parce qu'ils n'existent pas. » En réalité
pourtant, ils ne croient pas devoir en discuter les preuves, et quand on
34 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n<» 17
Au lieu d'établir leur principe, ils se bornent à le répéter
ou à le traduire de mille manières, en le donnant pour in-
dubitable et universellement admis.
« Le miracle, disent-ils, n'appartient pas à l'histoire, mais
à la légende. Admettre un miracle, c'est accepter une explica-
tion qui n'a rien de scientifique. La négation du surnaturel
est l'essence même de la critique. On n'a pas le sentiment
de l'histoire, tant qu'on ne reconnaît pas l'impossibilité
du miracle. Tout récit où se mêle un élément surnatu-
rel implique nécessairement crédulité ou imposture. L'exis-
tence du miracle est impossible à maintenir en présence des
idées arrêtées du bon sens moderne. La négation du surna-
turel est devenue un dogme absolu pour tout esprit cul-
tivé*. »
IL Dételles assertions, si répétées qu'elles soient et avec
quelque assurance qu'on les donne, ne forment pas une
preuve. Qu'il y ait aujourd'hui plus ou moins d'incrédules
parmi les esprits cultivés, ce n'est pas de quoi il s'agit. Il
ne suffit pas du nombre pour avoir raison S et d'ailleurs le
nombre même fait défaut. Aux négations ou aux doutes des
rationalistes, nous pouvons opposer la foi de tous les
croyants, celle des convertis de tous les temps, celle des
premiers chrétiens en particulier. Assurément ces conver-
tis, ces confesseurs, ces martyrs ont cru à l'Evangile, à la
résurrection du Sauveur, à ses miracles et à ceux des Apôtres.
On ne saurait douter de leur conviction. Pour la sincérité,
leur apporte des témoignages, ils ne manqnent guère de les récuser
sous prétexte que les faits allégués sont inadmissibles. « La critique
commence par proclamer que tout dans l'histoire a son explication hu-
maine. » Henan, Etud, d'hist. relig.^ Préf. « Nous maintiendrons ce
principe qu'un récit surnaturel no peut être admis comme tel; qu'il
implique toujours crédulité ou imposture. » Vie de Jésus^ Introd.
* M. Ronan, passim. (Vest le Credo naturaliste, celui do l'homme
charnel, selon S. Augustin : In homine carnali tota régula intclligendi
est consuetudo cernendi. Quod soient videro, credunt; quod non soient,
non credunt. Serm. ccxlii, 1. Cf. S. Greg. m., Moral., IV, xv. — 2 « si
jamais, ce qu'à Dieu ne plaise, Thumanité mettait sa religion au suffrage
universel, le grand lama obtiendrait au moins la majorité relative. »
M. Renan, Nouvelles études.
NO 17] SYSTEMES RATIONALISTES. 3S
ils sont au-dessus de tout soupçon. Pour rintelligence,
quelle raison aurait-on de les mettre au-dessous des incré-
dules et des sceptiques? N'y a-t-il d'éclairés, ou de dignes de
foi, que ceux qui ont abjuré toute croyance? Les premiers
chrétiens avaient vécu avec Jésus-Christ et les Apôtres: que
leur manquait-il pour être garants de leurs miracles et de
leurs prophéties? N'avaient-ils pas été à môme de voir et
d'entendre, ou avaient-ils intérêt à se laisser tromper?
Ceux qui les ont suivis n'ont pas eu, pour croire, des rai-
sons moins décisives. Pour ne parler que de celles qui leur
furent communes à tous, ne voyaient-ils pas, dans l'accom-
plissement des prophéties, dans l'établissement de l'Église,
dans la dispersion des Juifs et la conversion des Gentils, des
miracles incontestables annoncés par d'autres miracles * ? En-
fin, à toutes les époques et dans tous les pays, de notre
temps encore et parmi nous, non seulement on trouve des
hommes sensés qui croient aux prophéties et aux miracles,
mais on peut en citer un bon nombre qui témoignent en
avoir vu et entendu, ou même, si l'on en désire, qui attes-
tent en avoir fait ^ Et les hommes qui rendent ce témoignage
sont précisément ceux qui jouissent de plus d'estime et qui
méritent le plus de confiance ^ Et loin que les rationalistes
les convainquent de crédulité ou de fourberie, ils se déro-
bent à l'examen des faits et récusent tous les témoins, sous
prétexte que ces faits ne rentrent pas dans les cadres de la
science, que ces témoins sont en contradiction avec les lois
de l'histoire, telle qu'ils la conçoivent et qu'ils prétendent
l'écrire I
Cela suffit pour montrer à nos adversaires que l'impos-
sibilité du miracle n'est pas un premier principe, une vérité
évidente par elle-même, comme ils osent le soute-
* Infra, n. 256, 931. — ^ „ Le caractère de la vraie religion est d'ôtro
également certaine et merveilleuse. » Fleury, fl. E„ Préf. Voir les Vies
de» Saints et les procès de canonisation, Infra^ n. 455. -^ 3 Par exemple,
S. Paul, Rom., xv, 18, 19; Infra, n. 506; S. Augustin, Serm. 321, 322;
S.Grégoire, EpUt, XI, xxvm; S. Bernard, De Consid., III, ii, 1 (De
Ratisbonne, Hist. de S. Bern., III, v, vi); Ste Thérèse; S. François de
Sales...; M. Dupont, do Tours, f 187G.
36 iNïRotouctioN AU Nouveau testament. [n<> 17
nir. Mais il y a quelque chose de plus fort à leur opposer,
c'est que la réalité même du miracle, son existence et sa cer-
titude, ont toujours été et sont encore tenus pour indubi-
tables par tous les esprits qui n'ont pas répudié les notions
les plus claires de la science et de la raison.
Qu'est-ce au fond qu'un miracle ? C'est un fait qui déroge
aux lois de la nature, qui est produit en dehors d'elles, par
une action dont elles ne sauraient rendre compte. Eh bien î
est-ce qu'il n'y a pas mille faits de ce genre dont la nature
atteste la réalité et dont les savants^ signalent l'existence et
les caractères ?
1° La création du monde. Si le monde n'est pas éternel,
il a commencé d'être. S'il a commencé d'être, à qui doit-il
l'existence ? Ce n'est pas aux lois de la nature qui n'exis-
taient pas avant lui, mais à une action qui leur est étrangère,
à l'exercice d'une volonté toute-puissante, en d'autres
termes à un miracle.
2** La production de la vie-sur la terre. Tous les savants re-
connaissent qu'à une certaine époque notre globe n'était
qu'une masse minérale, d'où la vie était absente ^ Ils con-
viennent également que, suivant les lois de la nature, un
être vivant ne peut venir que d'un autre être vivant. Com-
ment donc la vie a-t-elle pu apparaître tout d'un coup sur
la terre, si ce n'est par miracle ou contrairement aux lois
de la nature^?
3° Les diverses espèces végétales et animales. La science at-
teste qu'elles ne diffèrent pas seulement par des ^caractères
accidentels, que les animaux ne peuvent venir des végétaux,
et que si, dans chaque ordre, les individus naissent des in-
dividus, les espèces ne sauraient venir d'autres espèces '.
* A. r., n. 274. — 2 (( Point d'autro alternative pour expliquer la vie.
Qui ne croit pas à la génération spontanée ^ ou plutôt à révolution sé-
culaire de la matière inorganique en matière organique, admet le mi-
racle. » Soury, Preuves du transformisme^ Préf. - ^ A, T., n. 282, 283.
Nous n'entendons pas affirmer rimmutabilité absolue des espèces : tout
le monde sait que, dans certaines conditions et sous certaines influences)
elles produisent des variétés et des races. Nous no voulons pas non plus
garantir que toutes les espèces admises par les savants soient des
NO 17] SYSTÈMES RATION ALlStËS. à7
Donc les premiers individus de chaque espèce, le premier
homme, la première femme, avant tout, n'ont pu être pro-
duits que d'une manière miraculeuse, et nous avons sous les
yeux autant de preuves sensibles de la réalité du miracle
que nous voyons dans la nature d'espèces différentes d'ani-
maux ou de végétaux.
Ainsi, dans l'ordre physique comme dahsl'ordre religieux,
tout ce que nous voyons repose sur lé miracle, et rien ne se
conçoit que par lui. Loin que l'impossibilité du miracle soit
aujourd'hui un dogme pour tout homme de bon sens, la
réalité, la certitude et le nombre indéfini des faits miracu-
leux sont aujourd'hui un dogme pour tous les savants ; et
aux yeux mêmes de la science la plus profane, la nature est
comme un miracle visible, toujours subsistant, qui en im-
plique et en révèle une infinité d'autres.
On dira, je pense, qu'il ne s'agit pas de l'origine des choses,
que les rationalistes se bornent à nier les miracles accom-
plis dans le cours des temps, par dérogation aux lois
naturelles et dans le but d'attester la vérité de la révélation.
— Mais cette réponse n'a aucune valeur ; elle accuse une
inconséquence, et laisse toute leur force à nos raisonne-
ments. Ce que Dieu a fait à l'origine, il est évident qu'il peut
le faire dant le cours du temps, et l'on n'a aucune raison
pour le lui interdire. S'il â pu former le monde matériel
par miracle, pourquoi n'aurait-il pas pu fonder d'une ma-
nière miraculeuse le monde religieux? S'il a opéré une in-
finité de miracles pour répandre dans la nature la vie et le
mouvement, pourquoi n'aurait-il pas pu en opérer un cer-
tain nombre pour faire fleurir dans l'Eglise la foi et la sain-
teté? S'il a pu agir à son gré, indépendamment de toute
règle, au commencement du monde pour rendre manifestes
son existence, sa bonté, sa puissance et ses perfections essen-
tielles, pourquoi n'aurait-il pu agir de même plus tard,
espèces yéritables ou primitives : mais nous disons, et toute la science
en est coovoaae jusqu'ici, qu'il y a toujours eu dans le règne organique
dlTersité d'espèces aussi bieà que d'ordre, ou que toutes les espèces
D*ont jamais pu et ne pourront jamais js'identifier en une setile.
m. 3
38 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n» 18
pourquoi ne le pourrait-il pas encore maintenant, pour
montrer sa liberté, pour faire connaître ses desseins, pour
révéler ses volontés, pour porter ses créatures à l'honorer
et à le bien servir? Enfin, s'il est raisonnable de recon-
naître Taction libre de sa puissance, quand elle se révèle
certainement dans l'ordre physique, comment serait-il con-
traire à la raison d'y croire, lorsqu'elle est attestée par des
témoignages non moins certains dans l'ordre moral ou sur-
naturel?
Ce n'est donc pas le principe chrétien relatif au miracle
qui est contraire à la raison, mais bien le principe rationa-
liste. Rien n'est moins rationnel que de proclamer l'action
libre de Dieu dans la formation du monde et de ne vouloir
pas l'admettre dans l'établissement de l'Eglise ou dans
son gouvernement.
18. — Commsat les rationaUstes qui ne rejettent pas ouvertement nos
saints livres peuvent-ils expliquer les récits miraculeux qu'ils con-
tiennent?
Les interprètes rationalistes se divisent en deux branches,
les naturalistes et les mythologues.
1° Suivant les naturalistes, représentés par Paulus (1761-
1850), les auteurs sacrés n'auraient fait, dans leurs récits
les plus merveilleux, qu'user de figures, d'hyperboles,
d'ornements poétiques, qu'embellir par l'imagination des
faits de l'ordre naturel : au lieu d'écrire l'histoire, ils au-
raient composé des amplifications poétiques. Pour avoir la
vérité, il faut ramener ces auteurs aux lois essentielles de
la nature et réduire aux proportions normales leurs descrip-
tions enthousiastes ^
2° A l'amplification les mythologues substituent l'idéal.
Selon eux, le récit miraculeux ne renferme presque rien de
réel. Ce sont des symboles, des fictions dont la significatioti
fait l'essence. « J'appelle mythe, dit Strauss, tout récit dé-
1 Les plus connus de ces naturalistes sont : Eichorn (f 1821), et Paulus
(f 1851). On peut voir dans M. Wallon, La croyance à l'Evangile, II,
11^ 2, des exemples curieux de leurs interprétations.
N« 18] SYSTEMES RATIONAUStEâ. 39
nué d'âiilorité historique, quelle que soit son origine, dans
lequel une communauté religieuse reconnaît un élément
fondamental de sa foi, parce qu'il contient l'expression de
ses principaux sentiments et de ses plus chères idées. » Ce
nom de mythe est un mot grec qu'on était habitué à traduire
par fable *; mais, entendu comme il l'est ici, le mythe n'est
pas tout à fait identique avec la fable. La fable n'est prise à
la lettre par personne : tout le monde sait que c'est une fic-
tion imaginée à dessein pour voiler une vérité et la rendre
plus agréable en la faisant deviner. Le mythe est une fiction,
dont le plus grand nombre ignore le caractère fictif. Il s'est
formé spontanément, sans intention déterminée, de sorte
qu'il a toujours été pris au sérieux et qu'il est passé à l'état
de croyance ou de tradition religieuse aux lieux mêmes où
il est né..
Strauss (t 1874), qui s'est fait un système de ce genre
d'interprétation et qui l'a appliqué au Nouveau Testament,
était professeur de Théologie protestante à l'université de
Tubingue. Il a publié une Vie de JésuSy en quatre volumes
(4835-18^4), et d'autres ouvrages critiques où il s'est montré
de plus en plus iacroyant. Suivant lui, l'origine du chris-
tianisme se cache, comme celle des peuples primitifs, dans
le clair-obscur de récits fabuleux, et l'on ne peut voir, dans
les miracles du Sauveur et des Apôtres, qu'une grande pro-
duction mythologique, calquée sur les légendes du peuple
ancien et produite par le fanatisme et la crédulité du peuple
nouveau. La plupart de ces mythes sont engendrés par d'au-
tres mythes. Car on a tort de conclure de l'harmonie des
deux Testaments à l'origine divine de l'un et de l'autre. La
vraie raison de cette harmonie, ce n'est pas, comme on le
suppose, le soin que Dieu aurait pris d'indiquer d'avance
par des figures ce qu'il avait dessein d'accomplir dans l'ave-
nir : ce sont les préjugés des chrétiens et l'influence exer-
cée par ces préjugés sur leur imagination. Prévenus de cette
idée que le Messie réunirait toutes les grandeurs en sa per-
1 I Tim., IV, 7; II Tim., iv, 4; Tit., i, U; II Pet., i, 10.
40 iNTRODUCtlON AU NOUVEAU TESTAMENT. [N** 18
sonne et que sa gloire surpasserait celle des personnages les
plus illustres, ils lui ont attribué de bonne foi ce qu'ils
lisaient de plus merveilleux dans l'histoire des patriarches et
les oracles des prophètes. Des thaumaturges avaient multi-
plié les aliments, traversé les fleuves à pied sec, ressuscité
des morts ; comment le Sauveur n'aurait-il pas opéré de
semblables merveilles avec plus d'éclat encore? Isaïe avait
annoncé ^ qu'à l'époque dé la rédemption, les aveugles recou-
vreraient la vue, les sourds entendraient, les muets parle-
raient : si l'on reconnaissait Jésus-Christ pour Messie, pouvait-
on ne pas penser, pouvait-on ne pas dire qu'il avait accom-
pli ces prédictions et opéré ces miracles * ? C'est donc de
lui-même et naturellement que le Nouveau Testament s'est
modelé sur l'Ancien ; et pour tout ce qu'il a de miraculeux,
le Christ est le produit spontané de la foi de ses premiers
disciples. « Il n'y a pas d'autre interprétation, dit Strauss,
qui puisse faire accepter par la raison les récits évângé^
liques ; et c'est ainsi que tous les anciens peuples se sont
rendu compte, à un certain moment, des faits merveilleux
dont l'imagination de leurs ancêtres avait entouré leur
berceau. *
Moins simple que le précédent, moins précis dans sa for-
mule, mais d'une apparence plus savante, ce système d'in-
terprétation s'est plus longtemps soutenu parmi les rationa-
listes. Néanmoins, il a beaucoup perdu de son prestige et
le mot de légende est plus usité aujourd'hui que celui de
i Isai.y xxxY) 5. ->» 2 (t On raisonna ain&i : Lo Messie doit faire teUe
chose; or, Jésus 6st le Messie; donc Jésus a fait telle chose. Quelque-
fois on raisonna à l'inverse : Telle chose est arrivée h. Jésus, or Jésus
est le Messie; donc telle chose devait arriver au Messie. » M. Renan,
Vie de Jésus. Ainsi, les rationalistes expliquent la croyance aux miracles
et aux prophéties par la croyance à la mission divine du Sauveur; et ils
ne remarquent pas que pour expliquer la croyance à cette divine mis-
sion, il faut déjà la croyance aux miracles et aux prophéties. Us oublient
aussi qu'on a. vu bien plus de thaumaturges depuis Jésus-Christ qu'avant,
et que tes vingt-cinq à trente miracles de TËvangile se sont multipliés
Ïl l'infini dans le sein de l'EgUse, les Saints les ayant reproduits dans
tous les lieux et dans tous les temps , môme en notre pays et à notre
époque, /n/j'a, n. 452.
^^ 19] SYSTÈMES RATIONALISTES. 41
mythe. Les admirateurs de Strauss eux-mêmes avouent que
l'œuvre de leur maître n'est pas parfaite ; et ils s'efforcent
de la compléter, tantôt par des explications naturalistes, re-
nouvelées de Paulus, tantôt en recourant aux hypothèses
historiques de Baur.
19. — Le témoignage des auteurs sacrés est-il compatible avec cette
idée que le christianisme s'est fondé sans miracles et que Jésus-
Christ n*a été, pour ses premiers disciples , qu'un homme éminent.
d'une vertu extraordinaire?
Si Ton accorde que ces livres sont l'œuvre des auteurs
auxquels ils sont attribués et qu'ils n'ont pas été altérés,
on est forcé de reconnaître que, dés l'origine même de
l'Eglise, on croyait généralement à l'histoire miraculeuse du
Sauveur; et cela posé, il n'y a plus moyen de révoquer en
doute la réalité de ces prodiges *. Aussi les rationalistes en
viennent-ils tous à nier, non seulement l'inspiration, mais
même l'authenticité ou l'intégrité de la plus grande partie
du Nouveau Testament. Leurs docteurs les plus avancés
n'admettent guère comme authentiques que les quatre pre-
mières Épîtres de S. Paul, c Pour celles-là; disent-ils, elles
défient toute contestation ; mais ce sont les seules. » Quant
aux Evangiles et aux Actes des Apôtres, ils avoueront bien
que leurs auteurs prétendus ont pu en écrire quelques
pages : mais le reste, tout ce qui est miracle ou prophétie,
ils le tiennent pour supposé ou interpolé par des hommes
moins éclairés et moins sincères ^ de sorte que ces livres
n'auraient pris leur forme actuelle qu'à la fin du premier
siècle ou même vers le milieu du second.
Ces paradoxes leur semblent établis, par cela seul qu'ilssont
nécessaires pour nier les miracles et pour retarder d'une
* <« L'histoire évangcliquo serait inattaquable, s'il était constant qu'elle
a été écrite par des témoins oculaires ou du moins par des hommes
voisins dos événements. » Strauss, Vie de Jésus ^ Introd., 13. Or cette
histoire est essentiellement miraculeuse, dit M. Renan. « On a beau
faire, Thistoire du peuple juif et celle de Jésus, môme passcesau creuset
de l'exégèse la plus libérale, laissent un reliquat de surnaturel qu'aucune
opération ne peut ni supprimer ni transformer. » Marc Aurèle^ 1882. —
? Cf. S. Aug., Cont. Faust:, xi, 2; xxxii, 2, 6; xxxiii, 3,7.
42 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n^ 20
centaine d'années la croyance à la divinité du Sauveur. Ce
dogme capital n'a pu être affirmé nettement, suivant eux,
que dans des écrits de seconde main, c'est-à-dire composés
ou remaniés après la mort du dernier des Apôtres. C'est
alors seulement que le parti pauliniste aurait. eu l'idée de
faire un Homme-Dieu du grand réformateur, et qu'on aurait
commencé à lui attribuer non plus seulement, comme aux
prophètes, des rapports intimes avec l'Esprit saint, mais une
union strictement personnelle avec le Verbe divin.
20. — Qui a imaginé et mis au jour une pareille histoire des livres
du Nouveau Testament.
C'est le D^ Baur, autre professeur de Tubingue (tl861).
Assez sympathique aux idées de Strauss sur la nature des
faits évangéliques, Baur se préoccupa surtout de l'origine
du christianisme. La conclusion de ses recherches fut que
la doctrine de l'Eglise s'est formée peu à peu, et que l'éclo-
sion de nos dogmes, comme celle de la plupart de nos
livres, est le résultat des luttes et des compromis auxquels
les démêlés des chrétiens donnèrent lieu tour à tour pendant
la durée des premiers siècles. « C'est dans la formation pro-
gressive du dogme, dit-il, qu'on trouve la clé de l'histoire
du Nouveau Testament *. »
1. Suivant lui, le christianisme ne fut d'abord qu'une secte
delà religion juive, la secte ébionite, peu différente de celle
des Esséniens. Tout ce que se proposaient son fondateur et
ses premiers Apôtres, c'était la réforme et la propagation du
judaïsme. Dans leur sentiment, la pratique de la Loi restait
une condition de salut pour tout le genre humain, et leur
mission se bornait à en propager la pratique. Leur doctrine
se réduisait à ces trois points : — caractère obligatoire et
vertu sanctifiante des observances légales, — restriction de
la grâce aux enfants d'Abraham et aux membres acloptifs du
peuple de Dieu, — exaltation et dilatation de la nation juive
par toute la terre. Après la mort du Christ, cette doctrine
. ^ « Le dogme chrétien s'est fait, comme toute autre chose, lentement,
peu à peu, par une sorte de végétation intime. » M, Renan, l®*" nov, 188Î.
NO 20] SYSTÈMES IlATiONALISTES. 43
se personnifia surtout, aux yeux des fidèles, dans S. Pierre,
chef du collège apostolique, et dans S. Jacques, évéque de
l'église de Jérusalem.
Mais bientôt surgit un nouvel apôtre, qui s'insurge contre
le caractère exclusif de cette conception, et dont le prosé-
lytisme s'exerce d'une manière beaucoup plus large. D'après
S. Paul, toutes les différences fondées sur la race ou la na-
tionalité sont abolies. C'est à tort qu'on distingue, par rap-
port au salut, le Gentil du Juif : l'un et l'autre ont un égal
besoin de la miséricorde du ciel, et Dieu ne veut plus faire
acception de personne. La mission de Jésus-Christ n'est donc
pas de restaurer et d'étendre le mosaïsme; mais bien de
fonder un nouveau culte, d'établir une religion nouvelle, la
religion universelle et définitive. Comme Sauveur, il est la
source de la véritable vie, de la vie de la grâce et de la gloire,
et pour avoir part à cette vie, il suffit de croire à sa doctrine
et de se soumettre à sa loi.
Ce sentiment s'accordait avec le besoin d'unité qui se fai-
sait sentir après le mélange et la fusion de tous les peuples
au sein de l'empire romain : il devait l'emporter. Néanmoins
il ne triomphe pas sans difficulté. Pendant plus d'un demi-
siècle, une lutte ardente, dont le conflit d'Anlioche * n'est
qu'un incident, divise l'Eglise en deux partis contraires, celui
de Paul ou des universalistes, qui appelle à lui les Gentils,
en proclamant l'abolition des préceptes mosaïques, et celui
de Pierre, c'est-à-dire des ébionites ou judaïsants, qui s'ef-
force de maintenir les pratiques légales et les prérogatives
du peuple ancien.
Comme preuve de ces divisions entre les Apôtres, Baur
signale tous les passages où S. Paul se plaint d'être voué à
la haine et aux persécutions par de faux docteurs, où il parle
do sa prédication comme d'un évangile à lui, oii il fait Tapo-
logie de son apostolat ^ Il ne manque pas de représenter les
judaïsants comme formant à cette épo([uc la majeure partie
de l'Église, sinon l'Eglise entière, et S. Pierre comme résu-
* Gai., II, 11. — 3 fiom., II, 16; xvi, 25; II Cor., x, 7-12; Gal.,'i, 11;
n, 7, 8,' 11; II Cor., m, 1 ; xi, 5; lUlicss , n, 13; etc.
44 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n® 20
mant en sa personne toutes les antipathies auxquelles son
collègue est en butte.
II. Mais ce que Baur s'attache surtout à inculquer, ce qui
donnerait à cette lutte prétendue une importance capitale,
c'est la supposition ou l'altération de la majeure partie du
Nouveau Testament qui en aurait été le principal résultat.
Telle est la confiance de ce Docteur en son sens critique
qu'il croit pouvoir déterminer, à là seule inspection des livres,
d'après leurs particularités, leur langage, leur style, leurs
allusions, leurs tendances, dans quel milieu, sous quelle
influence, à quelle époque et par qui ils ont été composés * .
Sans se mettre en peine du silence de l'histoire, ou plutôt
sans écouter le démenti que lui donne toute l'antiquité chré-
tienne, il n'hésite pas à prononcer que presque tous les
écrits attribués aux Apôtres, les Evangiles de S. Matthieu, de
S. Marc, de S. Luc, les Épîtres pastorales, celle de S. Jacques,
n'ont été à l'origine que des machines de guerre, de faux
titres, fabriqués, soit par le parti de Pierre, soit par celui de
Paul, pour se donner du crédit et s'assurer le triomphe ^
« Evidemment, dit-il, le premier évangile, qui établit si for-
tement la prééminence de Pierre et restreint la mission du
Sauveur a la maison d'Israël, tout en étant moins ébionite
que l'évangile des Nazaréens et celui des Egyptiens auxquels
il succède, est l'œuvre du parti judaïsant. Il en faut dire
autant de l'Epître de S. Jacques, dirigée contre celles de
S. Paul aux Romains et aux Galates. Aux écrits ébionites, le
parti universaliste opposa d'autres écrits. Ses principaux
auteurs sont S. Luc, toujours favorable aux Gentils, et S. Paul,
l'apôtre des nations, , dont les grandes Epitres, sont comme
celle aux Gala tes, remplies de plaintes, d'apologies, d'invec-
tives contre ses ennemis.
» Cependant la lutte ne pouvait durer toujours. Après un
siècle entier de divisions, le besoin d'un accord commence
1 II n'est pas le seul critique qui ait cette prétention. « J'ai pris en
Bretagne, dit M. Renan, Thabitude de voir sous terre et de discerner des
bruits que d'autres oreilles n'entendent pas, » 1" déc. 1876. — 2 cf.
S, Aug., Cont, Faust. f ?:i, 2,
y^iO] SYSTÈMES RATIONALISTES. 45
à se faire sentir, et les hommes sages des deux partis cher-
chent à se rapprocher par des concessions mutuelles. L'es-
prit de transaction inspire l'évangile de S. Marc, également
bienveillant pour les Juifs et pour les Gentils, les Epitres
pastorales, faites pour donner la sanction de l'Apôtre aux
distinctions hiérarchiques et aux pratiques religieuses déri-
vées de la loi, la IP Epitre de S. Pierre, où l'on a soin d'in-
sérer l'éloge de S. Paul, enfin l'Évangile de S. Jean, et sur-
tout les Actes des Apôtres, attribués à S. Luc. Ce dernier
livre a évidemment pour but d'effacer jusqu'aux derniers
vestiges des divisions primitives. Loin d'y voir la moindre
lutte, la plus petite divergence entre S. Pierre et S. Paul,
on remarque partout entre les deux Apôtres le plus parfait
accord. Ils agissent de concert; ils ont les mêmes principes ;
ils tendent au même but. Pierre baptise les premiers Gen-
tils *, et prend la défense de Paul dans le Concile *. Paul fait
le vœu de nazaréat; il apporte des aumônes aux saints de
Jérusalem ; il monte au temple pour prier ^ Du commen-
cement à la fin, l'historien a grand soin de tenir la balance
égale entre l'un et l'autre, soit pour le succès, soit pour le
nombre et l'éclat des miracles. Ainsi on se fait des conces-
sions de part et d'autre, et les prétentions de chaque parti
se modèrent. Cependant ce sont les judaïsants qui ont à faire
les sacrifices les plus sensibles. L'idée de Paul finit par
triompher à tel point, qu'il est permis devoir en lui, plutôt
qu'en Jésus-Christ même, le fondateur du christianisme
actuel.
> Malheureusement, l'esprit de concorde ne subsiste pas
longtemps dans l'Eglise. Après une période de tolérance
assez courte, l'esprit d'exclusivisme renaît, en même temps
que le goût des formules dogmatiques. On se met à anathé-
matiser les sectes * . Le despotisme doctrinal s'établit et va
croissant, du troisième siècle jusqu'au seizième, où Luther
restaure et couronne l'œuvre de Paul, en laissant toutefois
* Act., X, 48. — s Act., XV, 11. — 3 Act., xviii, 18; xxi, 2C; xxiv, 17.
-* Cf. Matth., xviu, 17; Marc, xvij 16; Rom., i, 5; Gai., i, 8, 9; v, 2;
Tlt., m, 10 ; U Joan.; 10.
3.
46 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n® 21
à ses disciples de Tubingue l'honneur d'émanciper l'esprit
humain à l'égard des Ecritures, comme il l'a lui-même
affranchi à l'égard de l'Eglise.»
Telles sont les idées qui ont créé, parmi les protestants
d'Allemagne, comme un nouveau protestantisme, sans aucun
reste de foi chrétienne. Voilà ce que nos rationalistes ont
essayé de naturaliser parmi nous, dans ces derniers temps,
et ce que certains esprits s'obstinent encore à exploiter,
mais avec une confiance visiblement décroissante *•
20 Réfutation des rationalistes.
lU se contredisent eux-mêmes. — Ils sont contredits par les faits.
21. — Les rationalistes sont-ils conséquents, en admettant conimo
authentique une partie du Nouveau Testament?
Les rationalistes se contredisent dans l'énoncé de leurs
idées; ce qu'ils s'imaginent renverser d'un côté, ils le
relèvent de l'autre.
Pourquoi rejettent-ils nos Evangiles et la plus grande par-
tie des écrits des Apôtres? Pourquoi prétendent-ils que ces
livres ont été supposés ou altérés? Parce qu'ils ne veulent
pas croire aux miracles, aux prophéties, aux mystères, au
surnaturel en un mot, et qu'ils seraient forcés d'y ajouter foi
1 Sans, renoncer à ses idées, M. Renan traite parfois les études aux-
quelles il s'est livré de petites sciences conjecturales, qui se défont sans
cesse après s'être faites et qu'on négligera dans cent ans. A son avis, il
sera bien difficile d'ayoir jamais rien de certain sur des faits qui se sont
passés si loin de nous. » 15 déc. 1881. l\ reproche plus que personne h
la science allen^ande son défaut de mesure dans l'induction. « On re-
pousse, dit-il, de solides témoignages et on y substitue do faibles
hypothèses. Du nouveau, voilà ce qu'on veut à tout prix, et le nouveau,
on Tobtient par l'exagération. D'un faible courant bien constaté dans
quelque baie écartée, on conclut à l'existence d'un grand courant océa-
nique, n faut y regarder de très près et y appliquer un grand esprit de
discernement. U faut surtout être bien décidé à ne tenir aucun compte
des critiques hautaines d'hommes à systèmes, qui vous traitent d'igno-
rants et d'arriérés, parce que vous n'admettez pas d'emblée la dernière
nouveauté, écloso du cerveau d'un jeune docteur, et qui peut être bonne
tout au plus à servir d'excitation à la recherche dans un cercle d'éru-
dits. ') Les Evangiles ^ 1877.
N^^SOJ RÉFUTATION DES RATIONALISTES. 47
s'ils leur étaient attestés par des témoins oculaires de la vie
du Sauveur, tels qu'étaient les Apôtres : résolus de nier ces
vérités, ils sont dans la nécessité d'en rejeter les preuves.
Or, les livres qu'ils acceptent, dont ils avouent' ne pouvoir
contester l'authenticité, les quatre premières Epitres de
S.Paul, par exemple, l'Apocalypse, etc., contiennent la même
doctrine, enseignent les mêmes mystères, attestent les
mômes prodiges que les Evangiles et les Actes.
Ainsi il est impossible de n'y pas voir : — 1<* En fait de
dogmes : la Trinité \ la divinité de Jésus-Christ ^ la person-
nalité du Saint-Esprit % la rédemption du monde \ la néces-
sité et l'efficacité de la grâce % celle des Sacrements, le Bap-
tême % la Confirmation', l'Eucharistie'', l'Ordre % la
résurrection des corps *^ le jugement^*, la vie éternelle*-.
— En fait de miracles : l'Incarnation du Verbe *^ la Résur-
rection du Sauveur**, sa glorification dans le ciel*^ l'éta-
blissement de TEglise *®, la conversion subite de Saul *^ celle
des peuples infidèles *S les révélations faites à S. Paul *% et
à S. Jean ^°, les prodiges de toutes sortes qui confirmèrent
la prédication de l'Evangile'^*. On pourrait étendre cette
énumération; car la plupart des rationalistes admettent en-
core comme tout à fait authentiques les Epîtres aux Philip-
piens, aux Thessaloniciens, à Philémon, celle de S. Jacques,
' Rom., VIII, 11; xv, 30; II Cor., xiii, 13. — 2 Rom , i, 3, 4, 9; viii, 3;
IX, 5; I Cor., i, 9; viii, 6; Il Cor., viii, 9; xi, 31 ; Apoc, i, 6, 8, 18; ii,
18-27; m, 2. 12-14, 21; vm, 10, 12; xii, 10; xiv, i ; xix, 13. — 3 Rom.,
vin, 15, 16; I Cor., ii, 10, 11; xii, 4, 7, H ; Gai., iv, 6. — * Rom , m,
25, 26; IV, 25; v, 9, 10, 12-18; vm, 32; I Cor., xv, 3; Gai., ii, 20. —
* I Cor., XV, 10; II Cor., m, 5; xii, 9.-6 Rom., vi, 3, 4, 6; I Cor., vr,
il; Gai., m, 27. — ^ II Cor., i, 21, 22. — « 1 Cor., x, 16, 17; xi, 24-29.
- 9 1 Cor., IV, 1 ; II Cor., v, 20. - lo i Cor., xv, 1-58; II Cor , iv, 14.
-»Ulom.,ii, 2,6, 16; xiv, 10; I Cor., i, 8; II Cor., v, 10. — 12 II Cor.,
IV, 18; Gai., vi, 8. — 13 Rom., i, 2, 3; x, 6; II Cor., vm, 9; Gai., iv, 4.
— ** Rom., IV, 24,25; vi, 4; vm, 11, 34; xiv, 9; I Cor., vi, 14; xv, 4, 12,
H, 17; II Cor., iv, 14; v, 15. — is Rom., vi, 4, 5; vm, 17, 34; Apoc ,
I, 13, 18, etc. — »6 1 nor., xii, 2S; xiv, 5, 7; Gai., i, 18; 11, il. —
" Gai., i, 13, 16. — 18 Rom., x, 19; xv, 9, 18-21. - l'J I Cor., xv, 8;
UCor., IV, 6; xii, 1-4; Gai., i, 12; 11, 2. — 20 Apoc, i, I ; iv, 1; v, 1 ;
xvu; xvm, etc. — 2* Rom., xv, 18, 19; I Cor., 11, 4; xii, 9, 10; xiv, 22;
Gai . iii, 5.
48 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n^ 22
la première de S. Pierre; et s'ils attribuent à S. Barnabe ou
à ApoUo l'Epître aux Hébreux, ils ne la font pas moins
antérieure à la destruction du temple *.
Voilà donc, incontestablement, de l'aveu des rationalistes,
ce que croyaient et prêchaient S. Paul et ses collègues dans
l'apostolat, vingt à vingt-cinq ans après la mort du Sauveur.
Voilà les dogmes qu'ils enseignaient, les faits qu'ils attes-
taient. Voilà la foi professée dans l'Eglise dès l'an 50 de l'ère
chrétienne. Est-ce que nous disons autre chose? Nos Evan-
giles et nos Actes contiennent-ils une autre histoire? Y
trouve-t-on des miracles plus étonnants ou de plus grands
mystères? Non, assurément. C'est donc sans raison comme
sans profit qu'on prétend faire un choix entre nos livres,
accepter ceux-ci et répudier ceux-là. Si les uns sont con-
traires à la raison, comment les autres ne le seraient-ils
pas? Et si l'on est forcé d'en admettre une partie, que ga-
gne-t-on à rejeter le reste ^ ?
22. — Est-il concevable que nos livres aient été supposés, pour la
plupart, à lorigino de TEglise ?
Il répugne d'admettre que le Nouveau Testament ait été
supposé en majeure partie, surtout au premier siècle et
pour les livres historiques.
Si l'Evangile et les Actes étaient, comme on le prétend,
non seulement apocryphes, mais tout à fait erronés sur les
points les plus essentiels, sur la prédication du Sauveur, sur
ses miracles, sur ceux des Apôtres, sur le témoignage que
ceux-ci rendaient à sa divinité, comment les auteurs de ces
livres auraient-ils pu les faire accepter par l'Eglise avec
1 Infra^ n. 790. — 2 « C'est une grande source d'erreurs dans l'étude
des faits de ne savoir pas s'arrêter à leurs traits généraux et essentiels
et de les oublier pour mettre en saillie les traits partiels et secondaires.
On peut, par exemple, au sujet de la divinité de Jésus-Christ contester
le sens précis et la portée de tel ou tel mot; on peut éliminer, comme
suspecte d'interpolation, telle ou telle épître : il en restera toujours
infiniment plus qu'il n'en faut pour établir que ceux qui croient à la
divini^ de Jésus-Christ ne font que croire ce qu'ont cru et dit les
Apôtje^, ;et que les Apôtres eux-mêmes ont cru et dit, il y a bientôt
dix-neuf '^iècles^ ce que leur disait Jésus-Christ. » Guizot, Méditât, , I.
N* 23] RÉFUTATION DES RATIONALISTES. 49
J'autorité. d'Ecriture inspirée? Il eût fallu, pour cela, que
les Apôtres du Sauveur, S. Jean en particulier, et leurs dis-
ciples immédiats, eussent ignoré la fraude ou connivé à
l'imposture, au moins par le silence. Or, tout proteste contre
une pareille idée : leur nombre, leur intérêt, leurs livres,
leur succès.
1® Leur nomlyre. Quand le Sauveur et les Apôtres n'au-
raient eu que quatre ou cinq disciples, il leur eût déjà été
difficile de s'accorder entre eux pour accréditer l'erreur, et
de persévérer tous jusqu'à la mort dans cette imposture
sacrilège. Mais c'est par milliers qu'on les comptait. Il y en
avait en Judée, dans toute l'Asie-Mineure, dans la Grèce, à
Alexandrie, à Rome, partout. Loin de pouvoir s'unir pour
un tel dessein, ils ne pouvaient pas même délibérer et
prendre une décision commune.
2" Leur intérêt. Eussent-ils tous été des fourbes, des
hommes sans probité, sans honneur, sans religion, sans
conscience, tout différents de ce qu'on les a toujours crus,
jamais ils ne se seraient accordés pour propager l'erreur,
s'ils n'avaient eu quelque intérêt à la répandre. Or, quel
avantage pouvaient-ils voir à substituer un culte austère
et pénible à un culte agréable et commode, à se faire les pré-
dicateurs d'une religion manifestement en horreur à Dieu et.
aux hommes, à professer un culte qui les exposait à tous les
supplices en ce monde et à des peines éternelles dans l'autre?
On serait moins déraisonnable en taxant de mauvaise foi le
jeune homme qui renonce aux agréments de la famille et de
la vie mondaine pour s'astreindre aux austérités de la vie
religieuse.
3<> La nature des livres dont il s'agit. Gomment admettre
que le christianisme, c'est-à-dire tout l'HommeDieu, sa vie
ses œuvres, sa vertu, sa doctrine, son Eglise aient été ainsi
imaginés tout d'un coup, et tout d'un coup accrédités par
des hommes de ce caractère, et qu'il faille attribuer à des
fourbes ignorés et ignorants l'honneur d'avoir converti le
monde, c'est-à-dire éclairé et sanctifié les âmes?
4* Le buccès qu'ils ont obtenu. Il est certain que, loin d'être
50 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n° 23
confondus par leurs adversaires, ils les ont réduits au sir
lence et qu'ils ont convaincu un grand nombre de leurs per-
sécuteurs. Or, si les faits qu'ils attestaient et dont le Nou-
veau Testament contient le récit, étaient imaginaires, s'il
n'était pas possible de les accorder avec la nature des choses
et les événements du temps, par quelle fascination seraient-
ils parvenus à en persuader ainsi leurs contemporains?
Aussi les rationalistes n'osent-ils faire remonter jusqu'au
premier siècle la supposition ou la falsification dont ils pré-
tendent que nos livres ont été l'objet.
23. — Au second siècle, la supposition des livres du Nouveau
Testament répugnerait-elle moins?
Le fait de cette supposition reste également inadmissible,
lia contre lui des raisonnements décisifs et des témoignages
péremptoires. Les raisonnements prouvent que nos livres ne
peuvent avoir été supposés à cette époque; les témoignages
en établissent directement l'authenticité.
lo Preuve du raisonnement.
L'hypothèse des rationalistes implique deux choses qui
ne se peuvent soutenir, savoir que nos livres ont été fabri-
qués et reçus au second siècle, et que la foi aux miracles et
à la divinité du Sauveur ne s'est établie que peu à peu, grâce
à la transformation des faits réels en légendes et en
mythes.
i** Ces livres n'ont pu être ni fabriqués ni reçus par les
chrétiens au second siècle, après la mort de S. Jean.
S'ils avaient été fabriqués à cette époque, ils auraient des
caractères différents. On y verrait moins d'inexpérience,
moins de simplicité, plus d'art, de culture d'esprit, de litté-
rature. Le langage des écrivains n'accuserait pas à ce point
une origine, une éducation et des habitudes juives. Leurs
récits n'offriraient pas cette vivacité et cette forme (h^ama-
tique qui dénote le témoin et l'acteur. Ils n'auraient pas cette
couleur des temps et des lieux. Leur origine ne se rattache-
rait pas à des circonstances si fortuites. Ils ne s'accorderaient
N'O 23] RÉFUTATION DES RATIONALISTES. 51
pas aussi parfaitement, clans tous lesdétails, avec l'état poli-
tique des pays dont ils parlent, avec la législation, avec la
topographie, avec les idées, les mœurs, les personnes ^
Les eût-on fabriqués, on n'aurait pu les faire recevoir. On
était encore, au second siècle, trop près des Apôtres ; on
avait trop de moyens de savoir s'ils avaient écrit et quels
livres ils avaient laissés. En ISO, il y avait à Ephèse, à Pat-
mos, à Jérusalem, à Smyrne, une foule d'hommes qui
avaient vécu avec S. Jean. Le plus célèbre de ses disciples,
S. Polycarpe, disait^ en 155 S au proconsul d'Asie, Statius
Quadratus, qui le pressait de blasphémer Jésus-Christ : « Il y
a quatre-vingt-six ans que je le sers et il ne m'a jamais fait
que du bien ^ » En 125, tous les chrétiens octogénaires ete
Rome, d'Antioche, de Judée, avaient vu S. Pierre et S. Paul,
entendu leurs instructions et recueilli leur doctrine, fré-
quenté leurs disciples. Gomment ces chrétiens, fidèles et
prêtres, auraient-ils reçu, comme l'œuvre des Apôtres, des
écrits en opposition avec ce qu'on avait appris et retenu
d'eux? Ne fût-il question que d'un seul livre, de S. Matthieu
par exemple, l'absurdité de cette supposition serait mani-
feste ; combien plus quand il s'agit d'une vingtaine d'écrits
attribués à différents auteurs?
2® On ne peut pas dire que la foi aux miracles et à la divi-
nité du Sauveur soit le résultat des mythes et des légendes
auxquels sa vie a donné lieu.
Cent ans, l'intervalle qui nous sépare de Louis XVI et de
Voltaire, sont évidemment trop courts pour clianger en lé-
gendes toute une histoire et pour faire éclore la mythologie
qu'on suppose. Prétendre que cette transformation s'est
opérée au premier siècle et dans la première partie du second,
est un paradoxe d'autant moins admissible qu'on ne voit
nulle part à cette époque le moindre mythe se produire et
* Mgr Mcignan, Les Evangiles ^ Leç. ix-xiii. On verra dans le cours
du Manuel les marques d'authenticité de cliaquc livre en particulier.
— ^Mémoires de l'Acad. des Inscriptions. Nouv. série, xxvi, p. 1. —
' Lettre de l'Eglise de Smyrne sur le martyre de S. Polycarpe , écrite
Tannée môme de sa mort, en 155, n. 18; Euseb., H»^ iv, 15.
52 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n® 23
qu'on ne conçoit pas comment il eût pu s'en former. Le
siècle d'Auguste, de Tibère, de Vespasien, était l'âge de
l'histoire proprement dite, de l'histoire écrite: les Mémoires,
les Commentaires, les Actes officiels, les documents de toute
sorte abondaient dans tout l'empire *. Or, comme l'a très
bien dit le P. Lacordaire, l'écriture, en décrivant tes évé-
nements et en les fixant, rend la formation des légendes
impossible ^
D'ailleurs les faits les plus indubitables de l'histoire ec-
clésiastique attestent que la foi aux miracles et à la divinité
du Sauveur est antérieure au second siècle. Pour ce qui est
des miracles, il suffit de citer S. Quadratus, païen converti
qui faisait encore l'office d'évangéliste sous Trajan (fil?),
mais qui avait vu la ruine de Jérusalem et la mort des pre-
miers apôtres. Dans son Apologie, présentée à l'empereur
Adrien, quatre-vingts ans après l'Ascension de Notre-Sei-
gneur (117-126), il affirme qu'un bon nombre d'hommes
guéris ou ressuscites par Jésus-Christ lui ont survécu et sont
morts depuis peu, dans la génération dont il fait partie ^
Quant au dogme de la divinité du Sauveur, on peut citer à
toutes les époques les témoignages de foi les moins suspects,
ceux des martyrs qui se sont fait égorger plutôt que d'y re-
noncer. Le 17 juillet de l'an 180 S le proconsul Saturnin,
1 A César (f — 44), à Salluste (f — 34), à Varron (f — 16), succédaient
Tite-Live (f 19) Valère Maxime (f 28), Vclleius Paterculus (f 30),
Quinte Curco (f 70), Josèphe (n. 37), Tacite (n. 61), Pline le jeune
(n. 62), Plutarque (n. 66)^ Suétone (n. 70), etc. Quant aux monuments
et aux médailles, nul n'en peut dire le nombre. Cf. Mesmain, Connais-
sance des temps évangéliques, p. 1, eh. 2. — 2 Lacordaire, Conf, xuii®.
Cicero ideo dicit divinitatem Romuli mirabiliter fuisse creditam, quod
erudita jam tempera fuerint quas falsitatem non reciperent fabularum...
Quanto magis ipsius tempore Ciceronis, maximeque postea sub Auguste
atque Tiberio, eruditioribus utique temporibus, resurrectionem carnis
Cliristi atque in cœlura ascensionem! etc. S. Aug., De civ, Dei.^ xxii,
6, 7. — 3 Non soluni quamdiu in terris moratus est Salvator nostor,
verum etiaoi post ejus discessum, adeo ut nonnulli eorum etiam ad
nostra usque tempera pervenerint. Euseb., H., iv, 3. Cf. m, 37; v, 17 ;
S. Hieron., de Vir. illuslr., i9, 20. — * Usener, Acla mart. ScylL,
graece, Bonn, 1881; Aube, Étude sur un nouveau texte des Actes des
martyrs sciUitains^ 1881. Suivant M. Aube, ce texte grec, découvert par
NO 23] RÉFUTATION DES RATIONALISTES. 83
interrogeant à Carthage les premiers confesseurs de TEglise
d'Afrique, arrêtés à Scyllium, leur dit : « Jurez par le génie
de l'empereur et sacrifiez aux Dieux. > Ils répondent : « Nous
honorons César comme César; mais notre culte, nous le
rendons à notre Dieu, qui est le seul Dieu véritable. —
Quels sont vos livres sacrés ? — Ce sont nos Evangiles et les
Epîtres de S. Paul, ai xpO' r<(JLaç P16X01 *, xai eTricToXai llauXou.i
Et leurs Actes finissent par ces mots : Gloire, honneur,
adoration à notre Roi et Seigneur Jésus-Christ avec le Père'
et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles. En 120,
sainte Symphorose, immolée avec ses sept fils, proteste de-
vant l'empereur Adrieij qu'elle meurt pour le Christ, son
Dieu. En 110, S. Ignace, évéque d'Antioche, se glorifie au
tribunal de Trajan de porter dans son cœur le Sauveur son
Dieu, celui qui a dit : « J'habiterai en eux et je vivrai au
milieu d'eux ^.
Au témoignage des martyrs, nous pourrions joindre celui
des bourreaux. On sait ce qu'a écrit, en 112 au plus tard *,
Pline le Jeujne, le plus consciencieux des persécuteurs. A
son arrivée en Bithynie, comme légat impérial, il s'effraie
devoir la multitude de ceux qui se sont mis en contravention,
en adorant Jésus-Christ^ comme Dieu, et déplore la néces-
sité que la loi lui impose, de les envoyer au supplice; d'autant
plus qu'il s'en trouve qui ont renoncé au christianisme
depuis une vingtaine d'années déjà. Il se fait donc un devoir
de recourir à l'empereur, et de lui demander quelle con-
H. Usener dans un manascrit de notre Bibliothèque nationale, est une
pièce originale , non traduite d'un texte latin. Il a dû être écrit peu de
temps après les faits, entre 180 et. 200.
* Les mots Ai xaô'TjvLotç pt6Xoi, sont rendus dans los Actes latins par
libn evanf^eliorum j et Ton ne peut douter que ce ne soit le sens. —
* Le Père n'est pas nommé dans le texte groc, mais seulement dans les
Actes latins. Ce peut être un oubli ; et quand Tomission serait volon-
taire, elle n'empêcherait pas que la divinité du Sauveur ne soit clai-
rement énoncée, aussi bien que celle du Saint-Esprit. — 3 Voir Héfclé,
Pair. Apost., Tubing., 1857, sur Tauthenticité des Actes de S. Ignace.
On trouve ces Actes et ceux que nous avons cités précédemment dans
don Ruynart : Acta martyrum sincera et selecla. GinoulhiaCi Hi^L du
dogme, I, 8. f— * Plusieurs disent i04.
5'ir INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n<^ 23
duite il doit tenir*. Ce témoignage, reproduit par Tertul-
lien, Eusèbe et S. Jérôme, ne saurait être plus précis ni plus
incontestable *,
2** Preuve de témoignage.
Mais tous les raisonnements, si concluants qu'ils puissent
être, sont superflus; car les témoignages les plus variés et
les plus nombreux établissent directement l'existence et
l'autorité de nos saints livres, au moment même où l'on
prétend qu'on aurait songé à les fabriquer.
1° Documents officiels.
1° Les Versions. — Il est certain que tous ces livres
étaient refermés dans l'Italique et les anciennes versions
latines en usage avant S. Jérôme, aussi bien que dans la
version syriaque appelée Péchito, sauf quelques écrits de
moindre importance et peu étendus ^ Or, on convient que
les versions latines remontent au commencement ou tout au
moins au milieu du second siècle, et que la Péchito ne leur
cède pas en antiquité, même pour le Nouveau Testament *.
2* Le canon de Muratori. — C'est une liste des livres
sacrés dont on faisait officiellement là lecture dans les églises
d'Italie vers le milieu du second siècle. Elle a dû être écrite,
entre l'an 160 et l'an 170, par un contemporain du pape
S. Pie I (141-151). Or, cette liste comprend presque tous les
1 Probablement clans la persécution de Domitien. ns avaient cto cvan-
gclisés par S. Pierre quarante à cinquante ans plus tôt. I Pet., i, 1 ;
/n/>'rt, n. 456. Visa est mihi res digna consultaliono, maxime propter
pcriclitantium nuraeruni. Xeque enim civitates tantum, scd tîcos atque
agros superstitionis istius contagio pervagata est, Dconim templa dé-
serta et sacra diu intermissa. Affirmabant quod csscnt soliti stato dio
anto solem conveniro, carmenque Ghristo quasi Deo dicero secum invi-
com. Pjin. jun. Ef)ist. X, xcvii. Cf. Lucian., Pereg., H, 13; Alcx.^ I.
Psalrni ot CiUilira fratrum jampridom a fidolibus ronscripta Cliristum
Vorbnni l)(i colobrant, divinitatem ei tribucndo. Kusob., //., v, 'iS. <lf.
V, 8; S. .Uistin, IHal.y C8 ; Origen., Cont. Cels.^ ir. 9. — - Cf. Tort.,
Apolog.^2\ Enscb., //., m, 33; S. Uieron., Chron. Ensch., ann. 110. —
3 Les quatre derniers et la seconde Epîtrexic S. Pierre. On peut môme
croire que ces livres étaient renfermés dans le Péchito; car S. Ëphrem
(f 380) en fait des citations en syriaque. Supra^ n. 17. — * ^4. T,
n. 20, 125, et N. T, n. 13 et 33. Cf. Euseb., U. E , iv, 22.
N®23] RÉFUTATION DES RATIONALISTES. 55
livres qui composent actuellement le Nouveau Testament.
L'Epître aux Hébreux, celle de S. Jacques et les deux Epîtres
de S. Pierre font exception, quoique S. Pierre soit nommé.
On n'y trouve pas non plus les noms de S. Matthieu et de
S. Marc, parce que les premières lignes du catalogue sont dé-
tachées ; mais S. Luc est donné pour le troisième évangéliste
et S. Jean pour le quatrième * .
2° Témoignages des plus anciens Pères.
Les plus anciennes citations des Pères ont pour objet les
Evangiles. On ne connaît pas d'auteur chrétien des premiers
siècles qui ne leur ait fait quelque emprunt ou quelque allu-
sion visible. Nous ne disons pas : qui les ait désignés en
nommant les auteurs ; car l'usage de joindreaux citations le
nom du livre et celui de l'auteur ne s'établit que plus tard.
On n'en sentit pas d'abord l'importance. La plupart du temps,
on citait par forme d'allusion, ou l'on se contestait de dire,
comme chez les Juifs : Scrip^ww est,.. Legitur.,. Scriptura
dicit... Dkit Dominus^. Nous nous bornerons aux Pères les
plus anciens et les plus célèbres.
S. Clément, pape, disciple de S. Pierre et de S. Paul '
(t 98). — Dans sa première Epître aux fidèles de Corinthe,
cette grande et admirable Epître *, de Tan 93 à l'an 97 au plus
tard% qu'on lisait chaque dimanche dans les assemblées re-
ligieuses, selon le témoignage de S. Denys, qui fut évéque
de Corinthe une soixantaine d'années après S. Clément ^
les trois synoptiques sont cités littéralement comme Ecriture
Sainte, et S. Matthieu l'est au moins trois fois\ On v trouve
encore, outre une mention expresse de la première Epître
de S. Paul aux Corinthiens '^ de nombreux passages de l'E-
* Muratori, Antiquitales italicx medhv œlatis, t. m, p. S.'ii. Modio-
lani, 1740.. Cf. A. T.. ii. 30. Lo maiiiisrrit parait viro, du viii* si^do, —
2 S. Clem., I EpisL, 2, 3, 4, 13, 40. Cf. Rom., i, 17; II, 2\\ Ikb., vtii, S;
X, 15, etc. — 3 S. Jrcn., m, 3; Eiiseb , //., m, 15; v, 0. G airoTTo)©;
K>ri{&Tiç. Clcm. Alex. Strom., iv, 17. — * Mey^/TQ te xai Oau(JLa'7ia, Eiiscb ,
//., m, 16. — s s. Iren , III, m, 3.-6 Euscb., //., iv, 23 Cf. m, 33;
IV, 23 et ïnfra, n. 662. — ^ S. Clora., / Epist., 13, 27, 46. — » Ibid..
37, 47, 49.
I
56 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [N^ 23
pître aux Hébreux*, des allusions visibles à TÉpitre aux
Romains S aux Epitres de Timothée ^ et à Tite * et même à
celles de S. Pierre ^ et de S. Jacques *.
DocTïiiNE DES Apôtres, antérieure à TEpitre de S. Barnabe,
sinon à celle de S. Clémente — S. Matthieu y est cité incon-
testablement, sans y être nommé. La Trinité et la divinité de
Jésus-Christ y sont clairement enseignées.
Epitre de s. Barnabe. — Le premier Evangile est cité en
plusieurs endroits de TEpître de S. Barnabe, et une fois avec
la formule : Scriptum est *i Or cette Epître, dont l'original
grée a été complété par une découverte récente', date de
Tan 72, si elle est authentique comme on le croyait dès le
troisième siècle *^, ou, si elle ne l'est pas, du commencement
du second. Celse paraît s'en être servi dès l'an 170 au plus
tard *».
S. Ignace, homme tout apostolique^ disent ses Actes *^, dis-
ciple de S. Jean et troisième évéque d'Antioche (f 107). —
L'authenticité des sept Epîtres qu'il a écrites en se rendant
à Rome, où Trajan l'envoyait pour subir le martyre *S l'au-
thenticité de l'Epitre aux Romains surtout, citée par S. Iré-
née soixante-dix ans plus tard**, a résisté à toutes les
attaques et reste appuyée sur des témoignages irréfragables*^.
Or, non seulement ces Epîtres contiennent toute la subs-
tance de l'Evangile, et attribuent expressément le nom de
Dieu à Nôtre Seigneur en une dizaine d'endroits *^ mais en-
1 s. Clem., I Epist, 9, 1^, i7, 23, 43. — a Ibid , 35, 46. — 3 ibid.,
29, 47, 49. — * ïbid., n. 2. - s Ibid., 19, 49, 57. - « Ibid., 30, 49. Cf.
Euseb.,ff.,iii,38. — "ïXVI chapitres» publiés récemment par. Ph. Bryenne
(110-130) Cf. fn/ra,'n. 650. — » Q; -it^çaniai. S. Barnab., Epist.y 4, 5,
19. (An. 97, M. Renan, Evang.^ 170). — ^ Publié en grec en 1645, et
complété par Tischendorf. en 1 859-62 ,. après son voyage au Sinai. —
10 Clem. Alox., S/row., il. G, 15, 18, 20; v, 8, 10 ; vi, 8 (194) ; Orig., Cont,
Cels., I, 63; de Princip., m, 24 (239). — ** Orig., Cont. Gels,, i, 63. —
12 Pièce du vi« siècle. — • i3 Ad Ephes.; Ad Magnes,; Ad TralL; Ad
Rom.; Ad Philad.; Ad Smyni.; Ad Polyc. — ** S. Iren., V, xxviii, 4.
—, 15 s. Polyc, Ad Philip.y xni; S Iren., V, xxviii, 4; Orig., In Luc.y
Hom. VI. Euseb., IL, m, 36; S. Clirys., Orat. in Ign.; S. Hicron., de
Vir. ill., XVI. — '« Le Sauveur est appelé o 0eoç jiou, o 0eo; r,\Lu>v,
AdEph., 15, iS; Ad Hom., 3, 6; Ad Polyc, 8, etc.
N*23] RÉFUTATION DES ^IATIONaUSTES. 57
core il est facile d'y démêler des allusions formelles à la
doctrine de S. Jean, à certains passages de S. Matthieu *, à
diverses Epitres de S. Paul, par .exemple aux Corinthiens * et
aux Ephésiens *.
S. PoLYCARPE, évéque de Smyrne (f 158). — Lui-même
avait été formé par les Apôtres et longtemps mêlé aux dis-
ciples immédiats du Sauveur*. Peu après la mort de
S. Ignace, les fidèles de Philippes le prièrent de leur com-
muniquer les Epîtres de ce saint Martyr, dont il avait le re-
cueil. La lettre assez courte qu'il leur écrit en les leur adres-
sant ^ (116 ou 117) et qu'on voit citée dans S. Irénée et dans
Eusèbe, est remplie de textes extraits des livres du Nouveau
Testament, de S. Matthieu, de S. Luc^ des Actes des Apôtres,
de la première Epître de S. Jean, des Epitres de S. Paul aux
Romains, aux Corinthiens, aux Galates, aux Ephésiens, aux
Philippiens, aux Thessaloniciens, à Timothée. La première
de S. Pierre y est citée en une dizaine d'endroits '
Papias, évéque d'Hiérapolis en Phrygi^ (120). — On
ignore l'année de sa mort, mais on sait par S. Irénée qu'il
avait connu S. Jean et les disciples des Apôtres *, notamment
S. Polycarpe, un prêtre du nom de Jean, Aristion et les filles
du diacre Philippe. Il a écrit dans la première moitié du
second siècle une Explication des discours du Seigneur^ en
cinq livres % dont Eusèbe nous a conservé quelques frag-
ments. On y lit expressément, comme un fait attesté par les
anciens, par le prêtre Jean en particulier, que S. Matthieu a
composé son Evangile en hébreu, et que S. Marc a rédigé de
mémoire, mais avec fidélité, la prédication de S. Pierre.
1 Cf. Ad Eph.^ 14; Ad Magn., é, 19; Ad Smym., 6; Ad Poiyc, 2. -
* Ad TrulL, 10 ; Ad Rom,y 5. — » Ad Eph., in tjtulo ; Ad Polyc, 5. « Nul
doate, dit M. Renan, à propos de l'Ëpitre de S. Ignace aux Romains,
qu'Ignace ne (It sa lecture habituelle des grandes Epitres de S. Paul. »
Les Evangiles; Ginoulhiac, Orig. du Christian, ^l, n/5; Funk., Opéra PP.
aposL., Indices locorum. — * S. Iren,,.IU, lu, 4; Tert., De prœsc, 325;
Euseb , H., III, 36; iv, 14, 15; S. Hieron., de Vir. illustr., 17.— s S. Poljrç.,
Ad Philipf, 13; Ëuseb., H., iv, 14. — s Apx«^<>< «viîp, personnage des
premiers temps; JLdvvvqu axou<mf)c, IIo>vxapicouSe etatpoç. S. Iren., v,
33, 34; Ettseb., H., m, 39. — ? S. Hieron., de Vir..illust,, 18.
88 iNtRODUGTioN AU Nouveau testament. [n^^ 23
Eusèbe nous apprend de plus qu'on y voyait citée la pre-
mière Epître de S. Jean, la première de S. Pierre et l'his-
toire d'une femme adultère *.
S. Jlstin, né à Sichem en Palestine^ (f 166). — C'est à
Ephèse qu'il rencontra le juif Tryphon, avec un grand
nombre de disciples de S. Jean '\ mais c'est à Rome qu'il jeta
le plus d'éclat et qu'il obtint la palme du martyre. L'an 138,
suivant les uns, 147, suivant les autres, une quarantaine
d'années après la mort de S. Jean, il présenta à Antonin le
Pieux sa première Apologie pour les chrétiens. Dans cet
écrit, il mentionne l'usage où sont les fidèles de lire chaque
dimanche, durant les saints mystères, les Evangiles ou Mé-
moires des Apôtres * ; puis il cite aux païens, pour les leur
faire admirer, les plus beaux passages de nos Evangiles,
celui de S. Jean compris. Trois de ses paragrairfies con-
tiennent près de quarante textes des synoptiques ^ Rien ne
serait plus facile que de composer en entier le symbole de
l'Eglise, de textes extraits de ses ouvrages ^ Dans son Dia-
logue avec Tryphon, il affirme la divinité du Sauveur plus de
cent fois avec une clarté qui défie toute contradiction \
S. Irénée, né à Smyrne, vers 120, successeur de S. Pothin
à Lyon (177-202). — Naturellement observateur et perspi-
cace ^ héritier de la doctrine de S. Polycanpe ®, en rapport
direct avec le Siège Apostolique et tous les Evêques des
Gaules ^°, il était mieux instruit encore des croyances et des
pratiques, de l'Eglise que des variétés et des artifices de l'hé-
résie. Or, voici ce qu'il écrivait sous le pontificat de S. Eleu-
thère, quatre-vingts ans après la mort de S. Jean (184-
192)** : « Il y a quatre évangiles, comme il y a quatre
points cardinaux, quatre vertus morales, quatre figurés de
chérubins *^ L'autorité de nos Evangiles est si bien établie
1 Euseb., H., III, 39. — « Euseb., H., iv, 8, 11, 12, 16, 18. — 3 Euseb.,
H., IV, 18. — * A7coiJ.vi(i(ji.ov«uiJLaTa. S. Just., 1* Apol.y 66, 67; Dial., 106.
— 8 Apolog.y 15, 16, 17, 61; Cf. Dial., 88. — « Mgr Freppel, S. Justin.,
leç. XXI. — T Cf. Justin., ApoL^ i, 23. 31, 63, etc.; Gratry, Sophistique,
— 8 Irenaeas, omnium doctrinarum curiosissimus explorator. TcrtnH.,
Adv. Vatentin., v. — 9 Eusob., ff., v, 8, 20. — lo Ibii., v, 4, 22. —
11 S. Iren., ÏII, m, 3. — i^ Ibid., HI, xi, 8.
A» 23] HEFDTATION DES RATIONALISEES.
que les hérétiques eux-mêmes lui rendent hommage et que,
tout en se détachant de l'Eglise, ils ne laissent pas de s'ap-
puyer autant qu'ils peuvent sur ces saints livres ' . » Il cite
ces Évangiles trois à quatre cents fois, S. Luc et S. Jean près
de cent fois, S. Matthieu, plus de deux cents. Il loue la
beauté de TEvangile de S. Luc et dit qu'il est dans toutes les
mains ^ Il analyse les Actes des Apôtres ^ Quant aux Epîtres,
il leur fait des emprunts à toutes, sauf TEpître à Philémon *,
et peut-être celle de S. Jacques. Ajoutons que dans les frag-
ments qu'il emprunte à des docteurs plus anciens, c'est-à-
dire de la première partie du même siècle, on trouve des
citations non moins expresses de S. Matthieu, de S. Marc,
de S. Jean, des Epîtres aux Romains, aux Corinthiens, aux
Ephésiens ^
Clément, prêtre d'Alexandrie (t 217). — Il appartient à la
même époque que S. Irénée; car ses écrits ont été composés
pour la plupart avant la fin du second siècle. Dans ceux de
ses ouvrages qui ont survécu, les Stromates, le Pédagogue,
VExhortation aux Gentils, tous nos livres et tous nos auteurs
sacrés sont cités, à l'exception de la troisième Epître de
S. Jean ®.
Tertullien, prêtre de Carthage, mais qui a passé à Rome
une grande partie de sa vie (145-230). — - Il tient dans l'E-
glise d'Afrique le même rang que S. Irénée dans celle
des Gaules et Clément dans celle d'Alexandrie; et l'on
serait plus étonné de son savoir, si l'on était moins frappé
de son éloquence \ Il commença d'écrire vers 189 et publia
son Apologétique sur la fin du second siècle (197). Or, tous
ses ouvrages sont semés de citations et d'allusions au Nou-
veau Testament ; et ces citations s'étendent à tous les livres
1 s. Iren., III. xi, 7. — 2 ibid., III, xiv, 1, 3. — 3 ibid., III, xiii-xv. —
* Massaet, Dissertatio pravia ad Irenœi libros. Diss., m, art. 6, 7, 10.
- * Appendix ad S. Iren. libros. — 6 Euseb., H., v, 11; vi, 13, 14. —
"î Vir legum pomanarum- peritissimas et intcr Latinos celeberriinus.
Eoseb., ff , II, 2. Quid Tcrtulliano eniditius? Quid acutius? S. Hicron.,
Epist, Lzx, 5. Sicut Origen«s inter Graecos, ita Tertuilianus iuter latinos
nostroram omaium facUe princepa judicandus est. S. Vinc. Lerins.,
Commonit., I. 18.
60 liNTRofatCtlON AU NOUVEAU tESTAMÉNT. j N» 23
inspirés. « Dans ce seul auteur, dit Lardner, le Nouveau
Testament est cité en plus d'endroits et avec plus d'étendue
que toutes les œuvres de Cicéron ne l'ont été par tous les
écrivains du monde dans l'espace de plusieurs siècles*. »0n
en a publié récemment le recueil sous ce titre : Le Nouveau
Testament tiré des écrits de Tertullien *. Bien plus, il ne se
borne pas à citer les livres, il nomme tous les auteurs sacrés
et tous leurs écrits, sauf l'Epître de S. Jacques, la seconde
de S. Pierre, la seconde et la troisième de S. Jean. Pour les
Évangiles, il affirme que l'Eglise les possède depuis sa fon-
dation ^
Origène (186-254), la gloire de l'école chrétienne d'Alexan-
drie % YAdamantius des Pères. Il succéda à Clément l'année
môme de la mort de saint Irénée et remplit toute la première
moitié du troisième siècle. Le sixième livre de l'Histoire
d'EusèbQ roule en grande partie sur ses travaux et sur ses
écrits. Ce grand homme, bien supérieur à tous ses maîtres
par son érudition comme par son génie '% commençant en
210 son commentaire sur S. Matthieu, prend soin de cons-
tater ce que la tradition enseigne sur les quatre Evangiles
« seuls reconnus sans contestation comme authentiques dans
l'Eglise de Dieu, répandue par tout l'univers. »0r, cequ'ila
recueilli sur ce sujet ne diffère pas de ce que dit S. Irénée,
ni de ce qu'atteste l'histoire ecclésiastique sur la foi de tous
les chrétiens ^ Il cite comme divins presque tous les autres
livres du Nouveau Testament et il en explique un très
grand nombre. Nous avons encore la plus grande
partie de son commentaire sur S. Matthieu \ trente-
neuf de ses homélies sur S. Luc, neuf tomes sur divers en-,
droits de S. Jean, et un abrégé de son Exposition de VEpitre
aux Romains, De plus, on a lieu de croire qu'il fit pour le
. 1 Credibil. of the Gospel History, II, iv, 37. — » D' Rœnsh, 1871-,
Leipsik. — 3 Apud ecclesias ia cxordio fuerunt. Tert. Adv. Marc, IV, v.
— * To'j xaô' AXeÇavSpiav ôiÔotffxaXetou. Ëaseb., fl., v, 10; Martigny,
Écoles. — ^ Magnus vir ab infantia. Quis unquam tanta Icgero potuit
quanta ipse conscripsit! S. Hier.,£/>. xxxiir, 4.-6 Euseb., /f., vi, 24,
25, 32. — "ï /n Matth,, xiii, 36-xxviii.
.N*> 23] RÉFUTATION DES RATIONALISTES. ttl
Nouveau Testament un travail analogue à celui qu'il avaitfait
pour l'Ancien. Il confronta un certain nombre de manuscrits
afin (l'en épurer le texte *; mais les variantes qu'il releva,
comme celles qu'on a recueillies depuis, n'étaient pas de na-
ture à altérer l'histoire ni la doctrine; et Ton n'y aurait pas
attaché d'importance, si l'on avait eu moins de sollicitude
pour conserver la parole de Dieu dans toute sa pureté.
* 3« Auteurs étrangers à l'Eglise.
1** Les hérétiques, — On ne voit pas qu'une seule secte du
second siècle ait révoqué en doute l'histoire évangélique,
ou contesté l'authenticité d'une partie importante de nos
Saints Livres. Les hérétiques s'efforcent d'en dénaturer la
doctrine; plusieurs en mutilent le texte ou en récusent l'au-
torité; mais aucun ne les déclare apocryphes ou supposés.
Bien plus, quoique les écrits des hérésiarques ne nous soient
guère connus que par les réfutations des saints Pérès, il est
facile de recueillir, comme l'a fait le D' Hug ^ dans les pas-
sages qu'ils en ont extraits, des citations de tous les livres
du Nouveau Testament, sauf une Epître ou deux des plus
courtes.
On sait que les sectes judéo-chrétiennes s'attachaient à
S. Matthieu '.On trouve plus de cent citations de son Evan-
gile dans les Homélies Clémentines (190) *. S. Marc et S. Lue
y sont cités rarement ; ils le sont cependant. S. Jean Test
aussi, malgré son opposition ardente à Ferreur des Ebio-
nites sur la divinité du Sauveur^. Pour S. Paul, ces héré-
tiques rejetaient absolument ses Epitres, non qu'ils ne les
regardassent; pas comme son œuvre, mais parce qu'ils
ne voulaient pas le reconnaître comme, véritable Apôtre ^
Cerdon (t30Ti40) ^ reconnaissait . pour inspiré tout le
Nouveau Testament et/ rejetait l'Ancien qu'il disait y être
1 -et. s. Hieron., In Matth., xxiv, 36, et In Galat., m, 1. Cf. A. T.,
n. 116-120. — 2 Hug., Introd. au JV. T., p. I, sect. I. — a S. Iren., î,
XXVI, 2. S. Epiph., Hjeres., xxx. — * Jnfra, n. 5S7, 848. — s Homil.,
iir, 52; xix, 23. — 6 s. Iren., iU, xi, 7; xxvi, 2; III, xv, 1. — ^ Euseb.,
ir.,iv, II.
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Nota. — Le signe + îDdiqae que le livre a été cité un certain
nombre de fois ; les chiffres font connaître le nombre des citations
par chaque auteur
PORPHYRE
233
Anteur des
iPHILOSOPHOMBRi
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Anteur des
CLéMENTINCS
190
TATIEN
t 180
THEODOTE
150-180
PTOLÉMéc
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160-170
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6i INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n^ 23
opposé. Marcion, qui vint à sa suite du Pont à Rome (140) ',
et dont les idées étaient également contraires à celles des
Ebionites, n'admit dans son canon que TEvangile de S. Luc
et dix Epîtres de S. Paul, plus ou moins mutilées. Tatien
(•{• 180), qui finitpar se rallier à Valentin, avait composé une
Harmonie des quatre Evangiles, AtaT6aaapo)v*, lorsqu'il était
encore disciple de S. Justin, c'est-à-dire vers l'an 160, une
douzaine d'années avant que S. Théophile d'Antioche(t 186)
publiât la sienne ^
Montan. qui parut dans la seconde moitié du second siécle\
recevait toutes les Ecritures sans exception ^
Il paraît qu'il en fut de même des Gnostiques^ Ils déna-
turaient la pensée de nos écrivains sacrés, mais ils subis-
saient leur joug. Basilide (113-138) "^ cite, dans les vingt-
quatre livres qu'il a écrits sur l'Evangile ^ S. Luc, S. Paul,
les épîtres aux Romains, aux Corinthiens et aux Ephésiens ®.
Il se disait disciple d'un certain Glaucias, secrétaire de
S. Pierre **', et prétendait même avoir été en relation avec
S. Matthias ^\ Valentin, que S. Irénée réfute en tant d'en-
droits, et qui vint à Rome sous le pape S. Hygin (135-140) *^,
faisait remonter sa doctrine à un disciple de S. Paul qu'il
nommait Théodas *^ Il citait continuellement S. Jean, et ad-
1 s. Justin , /a ApoL, 26. Euseb., //., iv, 14. In Tibcrira defluxit
Orontes. Javen., Sat.^ m, 65. — 2 2^1^ xefforapwv est evangelium ex
quatuor evangeliis contextum, Eusèb., H., iv, 29. Cet ouvrage, écrit en
isyriaque, était fort répandu en Syrie et en Mésopotamie. Théodoret, De
fab. hœret., xx. On en avait en latin une version dans VHarmonie de
Victor de Capoue. Patrol. lat.^ clxxxvi. On en a retrouvé une autre
dans un commentaire de S. Ephrcm, en arménien. Mœsinger, Evangelii
concoManti, expositio,\S16. De plus, le P. Ciara vient d'en publier une
version arabe sur un manuscrit du Vatican. Rome, 1888. Partout Tou-
vrage commence par ces mots de S. Jean : In principio erat verbiim.
Ce n'est donc pas, comme le prétendait M. Renan, un amalgame des
trois synoptiques et d'un évangile apocryplio, l'évangile aux Hébreux
ou celui de S. Pierre. — 3 Cf. S. Hier., De vir, ilL, xxv. — * Eu-
seb., H., lY, 27; V, 3, 4. — ^ S. Epipb., Hocres.^ xlviii, n. 1. —
6 S. Epipb., Uxres.y xxvi, 6. — "^ Euseb., //., iv, 7; S. Hier., de Vir, ill,^
3ixi. — 8 Euseb., //. E., iv, 7; Orig., In Luc, Hom., I, ii. — 9 Clem.
Alex., Slrom. Philosoph.j vu, 21, passim — lo Clem. Alex., 5/ror/?.,
VII, 17. — 11 Clem. Alex., Slrom., vu, 106, 108; Philosoph., vu, 20. —
12 Euseb., H.j IV, 11. — i3 Clem. Alex., Slrom. , vu, 17.
NO 23] RÉFUTATION DES RATIONALISTES. 68
mettait toutes nos Ecritures *. Héracléon, son associé ou son
disciple S réfuté par S. Irénée dans son second livre (180) ',
avait écrit deux commentaires, TunsurS. Luc*, et l'autre sur
S. Jean, tous deux réfutés par Origène ^ Ces écrits doivent
être de 150 à 160. Ptolémée et Théodote, autres disciples de
Valentin, ont paru un peu plus tard (180) : mais le premier
cite expressément S. Matthieu' et S. Jean, et le second a plus
de quatre-vingts citations du Nouveau Testament, dans les
fragments que Clément d'Alexandrie nous a conservés de
lui *. Enfin on n'en compte pas moins de cent soixante dans
ce que l'auteur des Philosophumena rapporte des Ophites,
des Pérates et des Sothiens ''.
2* Les Juifs et les pdiens. — Ils ne mettent pas davantage
en doute l'authenticité de nos saints Livres; ils n'en con-
testent que la véracité. Leurs auteurs supposent l'origine de
ces livres parfaitement avérée ; ils les attribuent même ex-
pressément aux premiers disciples du Sauveur; mais ils
cherchent à les prendre en défaut et à les mettre en contra-
diction les uns avec les autres.
C'est ce qu'on remarque dans l'argumentation de Try-
phon contre S. Justin ^ comme dans celle du Juif dont
Celse se fait l'interprète contre les chrétiens \ Tryphon dit
qu'il connaît les Evangiles, qu'il les a lus plusieurs fois,
mais qu'il ne saurait en accepter la doctrine, parce que ce
serait renier Moïse et les prophètes ***. Le Juif de Celse
reproche au Sauveur de s'être donné pour Fils de Dieu
et pour Dieu même **, et à ses disciples de s'être concertés
pour accréditer des impostures *^; puis il se met à faire
contre le christianisme une série d'objections qui em-
brassent toute la vie de Jésus-Christ et qui supposent la con-
naissance de nos quatre Evangiles.
* s. Iren., I, vm, ix. — 2 g. Epiph., Uœres., xxxvi. — 3 S. Treu., II,
IV, 1. — * Mignc, Patrol. grœc.^ t. VII, p. 1291. — s Orif»., In Joan.^
t. V, 8 et passim. — ^ Mignc, Patrol. grœc.^ t. IX, p. 651-698. —
' Philosoph., V, 2. — 8 S. Just., Dialog.' conl. Tryph. — » Origen.,
Coni, Ceis., i, ^; 11, passim, — 10 s. Just., Uial. cont. Tryph., 10. —
»i Orig., Cont. Cels., i, 28; 11, 9, etc. — ^2 Orig., Cont. Cels,, 11,
15, 26, etc. ' •
4.
66 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n^ 23
Gelse fait de même, quand il parle en son nom, par exemple
pour relever des contradictions dans les divers récits de
la résurrection du Sauveur Ml dit qu'il prend ses objections
dans les livres des chrétiens afin de les percer de leurs
propres armes^Nulle difficulté ne lui échappe ^Om?^^awc^r/,
dit-il, lui-même, en parlant de nos dogmes et de nos Ecri-
tures *. Jamais pourtant il ne récuse un texte, et s'il parle
d'altération ou de supposition, ce reproche tombe sur les
hérétiques. On peut faire une remarque analogue sur les
objections de Porphyre (290-300), qui se borne toujours à
attaquer la véracité des Evangiles ^ Aussi suffirait-il, sui-
vant S. Chrysostome, de ce qu'ont écrit ces deux incré-
dules, pour mettre hors de doute l'authenticité de nos saints
Livres ^
En définitif, tous les auteurs du second siècle, orthodoxes
et hérétiques, infidèles et chrétiens, rendent hommage à
l'authenticité du Nouveau Testament. Un tel accord est
d'autant plus décisif, que ce fait a plus d'importance, qu'il
était plus facile à constater, et que les intérêts étaient plus
divers- Si nos saints Livres avaient été supposés récem-
ment, depuis vingt, trente ou même cinquante ans, conçoit-
on qu'aucun de ces auteurs n'eût soupçonné l'imposture;
et s'ils l'avaient connue, conçoit-on qu'ils l'eussent con-
firmée par leur silence, alors que tous y trouvaient leur
condamnation ^ ?
* Orig., Cont. Cels.y i, 1, 12, 40, 54; i, 16. — ^M. Renan le loue comme
un maître en exégèse. — 3 m. Renan, Marc-Awèle, xxi. — * Cf. Orig..
Cont. Cels., ",27; Ginoulhiac, Orig. dû Christ.^ I, m, 6; Wallon,
Croyance à lEvang.; 1. i. Orîgène dit (242-258) au début de son livre
contre Gelse (Prœf., 4, et i, 8, 26), que ce philosophe est mort depuis
assez longtemps; qu'il a vécu peu après Jésus-Christ, sous Adrien (107-
138) et depuis. — ^ Julianus aperte fatetur Pétri, Pauli, Matthaei, Lucœ
esse ea quaB Christiani legunt iisdem nominibus inscripta. S. Cyrill.
Alex., Advers. Julian.j x. — 6 s. Chrys., In I Cor. y Hom. vi. Nous
n'avons de Porphyre (290-300) que des fragments dans Eusèbe, S. Au-
gustin, ïhéodoret. Voir sur Celse, Porphyre, etc., Etudes religieuses des
PP. Jésuites, 1856, p. 323, etc. — ' Nous n'alléguons pas ici la preuve
des monuments archéologiques du christianisme, parce qu'ils remontent
moins haut et sont moins décisifs que les témoignages qu'on vient de
lire. Cependant, comme il est d'un grand intérêt de voir renseignement
yo 24] RÉFUTATION DES RATIONALISTES. 67
24- — S'il est impossible que les livres du Nouveau Testament aient été
supposés en entier, rép\igne-t-il également qu'ils aient été altérés par
des interpolations?
Il répugne davantage encore qu'ils aient été interpolés
comme l'entendent les rationalistes; car il n'est pas question
entre eux et nous d'une altération légère, sans conséquence
pour la doctrine : il s'agit d'une altération profonde, subs-
tantielle, capitale; il s'agit d'une fraude qui eût bouleversé et
doublé en étendue le premier texte, de manière à faire d'un
pur homme un Dieu et d'une vie ordinaire une vie surhu-
maine et toute miraculeuse.
On accorde que ce changement n'a pu se faire au premier
siècle sous les yeux de S. Jean et des disciples immédiats
des Apôtres. Or, il n'est pas moins impossible qu'il ait eu
lieu au second. Nous le prouverons de deux manières, d'une
manière positive et d'une manière négative.
io Preuve positive.
L'intégrité d'un livre n'est autre chose que son authenti-
cité complète, l'authenticité de toutes ses parties. Or, si l'on
s'en tient aux parties de quelque importance, en faisant abs-
traction des fragments deutérocanoniques, nous croyons
avoir établi solidement que le Nouveau Testament a cette
authenticité. En effet :
1» La version italique et la Péchito, qui datent de la pre-
mière partie ou au moins du milieu du second siècle, ne
renferment pas seulement les mêmes livres que la Vulgate :
elles en ont toujours compris tous les chapitres et tous les
versets. Il n'y a aucune différence entre elles et le texte grec.
Il est vrai que la II* Epître de S. Pierre, la IV et la IIP de
S. Jean, celle de S. Jude et l'Apocalypse ne firent pas d'a-
bord partie de la Tersion syriaque, mais on peut les né-
gliger sans inconvénient pour la doctrine; et leur absence
des premiers temps confirmé et expliqué par les productions de Tart ,
nous aurons soin d'en signaler les monuments les plus remarquables,
quand. Toccasion s'en présentera.
68 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n° 24
peut s'expliquer par cette raison, qu'à l'époque où cette
version se fit, ces écrits étaient récents, et Fon n'était pas
encore parfaitement d'accord sur leur authenticité*.
2** Si 1 on consulte les Pères, on verra que, non seulement
ils donnent pour authentiques tous les livres du Nouveau
Testament, mais qu'ils en citent comme divins presque tous
les versets ^ De plus, il est certain qu'au moment où S. Jé-
rôme fit sa révision du Nouveau Testament ^ en se servant
des manuscrits d'Origène et de Piérius S il ne resta en sus-
pens sur aucun passage essentiel au dogme; et bien qu'il se
soit plaint souvent de la variété des leçons dans la version
latine, il n'a jamais fait entendre qu'elles missent en péril
la pureté de la foi '\ Enfin nous avons vu que les critiques
qui ont repris ce travail depuis un siècle sont arrivés au
même résultat*.
3° Les hérétiques et les infidèles se joignent aux catho-
liques pour attester l'intégrité de nos saints Livres ; car il
n'est pas un endroit de quelque importance dans le Nouveau
Testament, dans l'Evangile surtout, qui n'ait été cité par
quelqu'un d'eux, dès les temps les plus anciens: Qu'on lise
seulement le traité de Celse contre le christianisme, recons-
titué presque en entier d'après la réfutation d'Origène% on se
convaincra que ce philosophe avait sous les yeux nos quatre
Evangiles, tels que nous les avons aujourd'hui. Pas un fait,
un détail, une circonstance de quelque valeur de la vie du
Sauveur, d'où il ne tire une objection contre les chrétiens.
2^ Preuves négatives.
Il répugne d'attribuer à l'Eglise un acte absolument con-
^ A, T.jii. Ai; Suprùf n. 23. — ^ Supra, n, 13 et 23. Voir un spécimen
des citations des Pères au second siècle dans Gainct : La Bible sans la
Bible, et dans Rœnsh., Swpra,n.23. — ^ Iniv Evang.yPrsBÎ. — * In Mattk.,
XXIV, 36. — s Stultissime tibi persuasisti graecos codices esse falsatos,
dit-il à Helvidius, xvi. Paucse et sacrarum litterarum studiosis notissimse
sententiarum varietates, dit S. Augustin, Cont. Faust., xi, 2.-6 Supra^
n. 16.-^ "ï Th. Kcim ; et Aube, Hist. des perstlciUions de V Eglise, t. If, ch. v,
Bibliothèque de CeUe, etc.; Etudes des PP, Jésuites, 1856, p. 360, etc.;
Ginoulbiac, Orig. du Christ.; Wallon, Croyance à. H Evangile, i, 1.
K<> 24] RÉFUTATION DES RATIONALISTES. 69
traire aux dispositions des pasteurs et des fidèles. Or, tel
serait celui d'avoir altéré les livres des Apôtres, ou de les
avoir laissé altérer essentiellement entre ses mains. Les pas-
teurs ont toujours regardé comme leur devoir le plus sacré
de conserver et de communiquer aux fidèles, dans toute sa
pureté, la divine parole. S. Paul n'a rien recommandé avec
plus d'instance à Timothée *. On connaît les imprécations de
S. Jean contre quiconque ajouterait ou retrancherait le
moindre mot à son Apocalypse^ On sait que S. Justin com-
parait le crime d'altérer les. Ecritures à celui de substituer
le veau d'or au Seigneur, et qu'un des plus graves reproches
qu'on fit aux hérétiques, c'était de violer la parole de Dieu,
d'en altérer le sens, s'ils n'en falsifiaient pas le texte ^ Les
fidèles eux-mêmes étaient à cet égard d'une susceptibilité
extrême. Ils étaient si éloignés d'altérer les Livres saints,
qu'ils redoutaient ce qui pouvait en mettre le moins du
monde l'intégrité en péril. Nous avons vu quel soin on a de
tout temps apporté à la transcription des Ecritures. On peut
lire dans Sozomène ce qui arriva à Tryphylle, évéque de
Lèdre en Chypre, pour avoir remplacé le mot grabat par le
mot lit, qui lui paraissait plus noble, dans la lecture de
S. Jean*. Un fait plus significatif encore, c'est la diffi-
culté qu'éprouva S. Jérôme à faire recevoir sa version de
l'Ancien Testament à la place de l'Italique. Il dût même y
renoncer pour le Psautier ; et, quant aux livres du Nou-
veau Testament, il crut devoir s'en tenir à quelques cor-
rections grammaticales ^ Quelle opposition n'eût-il pas sou-
levée, s'il avait entrepris d'en refondre tous les livres et d'en
changer à la fois le sens et la lettre I
2" Si l'Eglise avait jamais altéré ses livres, c'aurait été
pour y insérer ce qu'on donne pour apocryphe^ ou pour en
« I Tim.. IV, 20. Cf. Matth., xxvin, 20. — 2 Apec, xxii, 18, 19. —
3 S. Justin., Dinl., 73. Cf. Eusob., //. v, 28. — * Sozom., // E., i, 11.
Cf. S. Aug., Epist, Lxxi, 5; Euseb., //., iv, 29. — s Quia vulo opcrari
ribnm qui non pcrit et antiquam divinorum volUminum viam scntibus
Tirgiiltisqùe puigarc, falsarius vocor et crrorcs non aufcrrc scd screrc.
S. Hieron., In Job.^ Prol. Epist. xxvii, 1. Cf. S. Aug.. Epist. lxxi et
Lxxu, 34, 35. A. T., n- 129, 136.
70 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n<^ 24
en retrancher ce qui l'exposait à la dérision de ses ennemis.
Or, on rie peut admettre ni l'une ni l'autre de ces supposi^
tions. Déjà nous avons montré qu'à la fin du premier siècle,
ce que les rationalistes voudraient retrancher du Nouveau
Testament, ce qui, suivant eux, ne remonterait pas jus-
qu'aux Apôtres, les miracles du Sauveur et sa divinité ne
faisait pas l'ombre d'un doute dans l'Eglise. Qu'on se rap-
pelle les grandes Epîtres de S. Paul, celles de S. Clément et
de S. Ignace, la lettre de Pline à Trajan. le fragment de Qua-
dratus; qu'on songe aux écrits dont les cationalistes con-
testent l'authenticité, mais qu'ils reconnaissent être du
premier siècle, comme l'Epître aux Hébreux; qu'on songe
à l'Apocalypse dont ils placent la composition en l'an 68, et
l'on reconnaîtra que ce qu'on voudrait faire inventer au se-
cond et au troisième siècle a toujours été cru et professé
hautement chez les chrétiens. D'un autre côté, ne voit-on
pas qu'on peut faire encore aujourd'hui et qu'on fait tous
les jours contre le Nouveau Testament les mêmes objections
que faisaient Julien, Porphyre et Gelse*? Gomment donc
imputer à l'Eglise d'avoir ajouté aux saints Livres ce qu'on
y censure ou d'en avoir retranché ce qu'elle avait intérêt à
supprimer comme inexact, contradictoire, opposées aux idées
communes !
3° Enfin, si une telle altération avait eu lieu, elle ne serait
pas passée inaperçue et il en resterait quelque trace. Nous
saurions à quelle époque elle se serait faite, quelles diffi-
cultés elle aurait rencontrées, par quels moyens elle aurait
réussi. Comme rien ne touche de plus près à la foi, rien
n'eût excité davantage les plaintes des fidèles, les résistances
des pasteurs, les récriminations des hérétiques. Quel est le
sectaire qui n'eût opposé le vrai texte des Ecritures, le texte
ancien et pur, aux textes falsifiés, allégués contre lui ? Le
1 « On ne vit jamais mieux Thonn^leté de l'Eglise. 11 est impossible que
quelqacs-uncs des contradictions des Evangiles n'aient pas dès lors crevé
les yeux. Celse les relève déjà finement. On aima mieux s'exposer pour
l'avenir aux' plus foudroyantes objections, que de condamner des écrits
tenus pour inspirés par tant de personnes. » M. Renan, CEffiise^ 50O-f)Ol!
N» 24] RÉPUTATION DES RATIONALISTES. 71
scandale causé par cette fraude aurait été d'autant plus
grand et les luttes d'autant plus vives, que les exemplaires
du Nouveau Testament étaient plus nombreux et mieux con-
nus "^ et que l'altération aurait dû porter non sur un livre
seulement, mais sur tous à la fois, poifr qu'on ne pût pas les
mettre en opposition les uns avec les autres. Or, a-t-on
jamais rien vu de semblable dans l'Église? Un auteur quel-
conque, catholique ou hérétique, juif ou païen, lui a-t-il
jamais reproché sérieusement une pareille altération? Peut-
être Marcion a-t-il essayé quelque part de dire que nos Evan-
giles étaient altérés; mais c'était pour se disculper des
mutilations qu'on lui reprochait très justement à lui-môme;
c'était d'une manière vague, sans rien préciser, sans rien
prouver surtout; c'était en confessant que l'essentiel au
moins restait intact, puisqu'il était forcé de conserver en
substance l'histoire du Sauveur dans son Evangile de S. Luc.
Aussi nos apologistes n'ont-ils jamais cessé de proclamer l'in-
tégrité des livres de l'Eglise et d'affirmer hautement que
les hérétiques seuls ont essayé d'y porter atteinte ^
Concluons qu'à aucune époque, nos saints Livres n'ont
été ni pu être altérés dans leur substance, et qu'attribuer
à des interpolations les miracles et les mystères, qui y sont
contenus, c'est de toutes les assertions la plus téméraire, la
plus mal avisée et la moins soutenable ^
* s. Chrys., In Joan.^ Homil., xxxiii, 3 et In Ad., Hom., m; Eusèbe,
H., lUf 24. Suivant le D' Norton, il devait y avoir à la fin du second
siècle plus de soixante mille copies des Evangiles, disséminées dans le
moade. Genuiness of the GospelSy p, 28. Vers 270, S. Optât écrivait à
propos des Tradileurs, que l'Eglise n'avait souffert aucun préjudice de
leur chute, qu'elle n'avait rien perdu de ses documents sacrés. « Biblio-
tbecje refert» sunt libris ; nihU deest Ecdesiae.: per loca singula divinum
soiuit ubique prœconium ; non silent ora iectorum ; inanus omnium codi-
cibas plen» sunt. » De Schism. Donat.y 7, in fine. — » Non alios novi
qui evangelii contextum immuta verunt quam Marcionis, Valentini fbr-
sitan et Lucanî sectatores. Id vero crimîni nostrœ doctrinie non est im-
paundom. Orig., Cimi. Cels,, ii, 27. Cf. Tert., Adv. Marc., i, 28; iv, 2;
De Prjesc,,S7-29; de Catm, CAm/.,2;Euseb.,ff., iv,23; v,28; S. Epiph.,
Hxres., xui, 9, i\ ; Bossuet, H. U.^ ii, 27.-3 Nihil videtur ab eis im-
podentîas dici, vcl, ut mitius loquar, imbecillius, quam divinas Scrip-
taras esse cormptas, cum in noUis tam recenti memoria extantibus
7^ iNtroduct^iop»? au Nouveau tEstAMKNT. [n^* 25
Nota. Ce que nous avons dit * ne démontre pas absolu-
ment l'authenticité et l'intégrité de chacun de nos Livres.
Aux difficultés spéciales, il reste à opposer les solutions par-
ticulières. Mais les raisons que nous avons données suffisent
pour établir, en général ou quant à la substance, l'origine
apostolique du Nouveau Testament, et par conséquent la
certitude de son histoire et la pureté de sa doctrine.
25. — Quand les Doctours rationalistes ont reproché à nos saints
Livres dos erreurs et des contradictions, ont-ils été heureux dans
leurs allégations?
Quand ils ont voulu signaler des erreurs, ils ont dû se
borner, comme leurs devanciers, à relever des difficultés ou
à signaler des invraisemblances. Au lieu de preuves évi-
dentes et de faits incontestables, ils n'ont apporté que des
doutes, des conjectures, des objections vaines et sans
portée.
En effet, il faut regarder comme absolument vaine, toute
objection qui tend seulement à prouver que nos écrivains
sacrés étaient sujets aux mêmes défauts que les écrivains or-
dinaires; par exemple qu'ils ne sont pas d'accord entre eux
sur certaines circonstances, qu'ils se contredisent sur
quelques détails. Quand cela serait démontré, quel avan-
tage les rationalistess en pourraient-ils tirer contre nous?
Avons-nous à établir 'contre eux que nos auteurs sont ins-
pirés et divinement infaillibles? Non; il nous suffitdeles con-
vaincre qu'en attestant les faits principaux de la vie du
Sauveur, ces témoins n'ont été ni trompés ni trompeurs.
Pour cela, il n'est pas nécessaire de les supposer inspiré3
de Dieu ni absolument infaillibles. Eh ! qulmporte une lé-
gère inexactitude dans le récit d'un miracle, dans l'indi-
cation du lieu, du temps, des circonstances, si Ton convient
que le fait est réel, et s'il est constant qu'il est miraculeux?
Qu'importe même qu'on puisse contester le caractère sur-
exemplarlbus possunt convincere. S. Aug., de VtUit, credendi, 77. Cf.
Vont. Faust. y xi, 2; xxxïii, 6.
1 Supra, n. 22-24.
N<) ^5] REFUTATION DES RâTIONAUSTES. 73
ttaturel de tel prodige opéré par le Sauveur, si Ton est
obligé de reconnaître ce caractère dans une foule d'autres, si
Ton ne peut mettre en doute que Jésus-Christ est mort et qu'il
est ressuscité, si l'on se voit en présence d'une Eglise dont
il a prédit la destinée, et dont il est impossible d'expliquer
naturellement la fondation, la durée et les œuvres?
Du reste, nous nions absolument qu'on ait jamais con-
vaincu les auteurs sacrés d'erreur ou de contradiction sur
aucun point. En vain y travailie-t-on depuis dix-huit siècles.
Chaque année voit surgir un nouvel incrédule qui prétend
faire ce qui n'a pas été fait jusqu'à lui; mais son objection est
réfutée aussitôt qu'exposée; puis, tombant dans l'oubli,
elle fait place à une autre qui n'a pas un meilleur sort.
Sans doute il y a des difficultés dans l'histoire évangélique
comme dans toutes les autres; mais on n'en trouve aucune
qu'on ne puisse résoudre de manière à contenter les hommes
(le bonne foi. « J'ai lu Strauss avec attention, dit le P. La-
cordaire, dans les belles Conférences qu'il a consacrées à la
réfutation de ce docteur. Après avoir étudié un paragraphe
(il y en a 149, distribués en quatre volumes), je fermais le
livre, pour me remettre de la fatigue, et d'une sorte de
frayeur causée par l'abondance de ^érudition. Puis ouvrant
l'Evangile, je lisais respectueusement le texte, objet de la
discussion, pour voir si je ne parviendrais pas, sans le se-
cours d'aucun commentaire, à rompre le nœud de la diffi-
culté. Eh bien ! à part trois ou quatre passages, il ne me
fallait pas plus de dix minutes pour dissiper le charme d'une
vaine science, et sourire au dedans de moi de l'impuissance
à laquelle Dieu a condamné l'erreur. »
Ce qui résulte de ces inexactitudes apparentes et de ces
prétendues contradictions, c'est l'authenticité même de nos
saints Livres. En effet, les premiers convertis n'étant ni
moins éclairés ni plus crédules que nous, les difficultés
qu'on nous objecte ne leur ont pas échappé ; elles devaient
même les frapper davantage. D'où vient qu'elles ne les ont
pas empêchés de recevoir ces livres pour divins, sinon
parce qu'ils leur étaient donnés de la main des Apôtres et qu'ils
III. o
74 INTRODUCTION AU NOUA'ÏIAU TESTAMENT. [n<* 26
ont sûrement pour auteurs les écrivains; sacré& dont ils
portent le nom * ?
26. — De quelque mauière qu on explique le christianisme, qu'on fixe
au premier siècle ou au second l'origine de. ses dogmes et de ses
livres, est-il possible de nier absolument la réalité de faits miraculeux?
Telle est Tévidence du miracle qu'il est impossible d'y
échapper. C'est une remarque de S. Augustin, reproduite
par S. Thomas et par beaucoup d'autres. Si l'on refuse d'ad-
mettre à l'origine les miracles évangéliqués qui dérogent
aux lois du monde physique, on est forcé de supposer une
foule d'autres miracles équivalents, ou de dérogations non
fuôins certaines aux lois de Tordre moral. Que dis-je? Ce
qu'on suppose est plus étonnant que ce qu'on rejette; car si
l'on trauve incroyable que Dieu ait fait des miracles pour
convertir le monde, comment peut-on croire que le monde
ait donné sa foi à tant de miracles, lorsqu'il n'en voyait au-
cun^? Si le surnaturel est contraire à la raison, comment tant
d'hommes raisonnables y ont-ils cru, avec cette sincérité,
avec cette constance, avec cette ténacité?
Tout considéré, l'hypothèse la plus vraisemblable pour
expliquer l'origine du christianisme est bien celle d'une fon-
dation divine. Comme lies miracles de Jésus-Christ et des
Apôtres obligeaient leurs contemporains à croire d'avance
à l'établissement et au règne futur de l'Église, l'établissement
de l'Eglise et son règne actuel nous obligent à croire aux mi-
racles anciens de Jésus-Christ et des Apôtres ; tellement que,
si l'histoire du Sauveur nous était inconnue, si elle n'avait
pas été écrite par les Apôtres, nous devrions la supposer
telle qu'elle est, pour nous rendre compte des faits qui l'ont
1 Qui noccre intendant .Ecclesiœ, prosunt.et nolentes.; S. B(Qrn., In
CmU., XXX, \. — 2 Si miracula facta esse non credunt, hoc unum nobis
grande miraculum sufticit, quod terrarum ôrbis sine ullis miraculis.cre-
diderit. S. Aug., De cimt'. O^e, xxn, 5. Saltem buic miraculô èreden-
dum est, mundum sine uiiraculis fuisse conversum. Ibid. Ëssetautem
omnibus signis mirabiliusj si ad credendum tam ardua, et operandum
tam difficilia, et ad sperandum tam alta, mundus absque mirabîlibus
Bignis inductus fuisset a simplicibus et ignobilibus liominibus. S. Thom.,
vCoat. Gen.^ I, 6. Bourdaloue, ï/mcrédule convaincu par lui-même.
S^ 27] RÉFUTATION DES RATIONALISTES. 78
suivie. Faire de son <Buvre, comme les rationalistes, une en-
treprise purment humaine, c'est se mettre hors d'état d'en
comprendre le succès. En excluant le prodige, on le ramène.
27, — Inspiration des aatobrs sacres : est-cHe complète et continue? et
doit-on à leurs récits la inôme foi quà leur doctrine?
Les protestants ont commencé par exagérer le dogme de
rinspiration des Ecritures. L'écrivain sacré n'avait été qu'un
instruinent entre les mains de Dieu ; les mots lui avaient été
dictés aussi bien que les pensées \ Aujourd'hui, leur senti-
ment est tout différent. Ou ils né croient plus à l'inspiration
proprement dite, ou ils la font intermittente et la res-
treignent aiix parties doctrinales. La plupart au moins ne
font pas difficulté d'admettre que lès auteurs inspirés ont pu
suivre les préjugés régnants et se tromper comme les autres,
en matière d'histoire, de science, etc. Heureusement ils n'ont
fait, dit-on, que dés méprises légères, et des inexactitudes
sanâ^^nsëquence: les erreurs dans lesquelles ils sont tombés
en certains endroits sont d'ailleurs corrigées en d'autres, de
sorte que l'ensemble est irréprochable *.
. Sans àUer aussi loin, quelques-uns de nos docteurs,
Erasme au xvi'' siècle, Holden au xvn" ', et plus récemment
Feilmoser^ etc., n'ont pas laissé de s'écarter de la doctrine
reçues Ils n'affirment pias qu'on trouve en l'Ecriture des er-
rears réellies, mais ils tiennent à dire qu'il pourrait y en
avoir ; ils prétendent qu'on ne doit pas mettre sur la même
ligne, par rapport à l'inspiration et à l'infaillibilité, les as-
sertions doctrinales, se rapportant directement au dogme
ou à la morale, et les propositions purement historiques ou
scientifiques qui ne concernent ni la foi ni les mœurs. Que
penser de ce sentiment?
< Gausseiif Théopneuêtte. — > Horne, Introd.y Tischendorf, Sffnop»
Evang.'j Pr»f.; Guizot, Médit. .i' I> de )»res8en»é,Cf. Bossuet. Vl« Avert.,
p. ^, n. 97; Infra^ n^ 94. C'est ainsi qu'après avoir nié le purgatoire pour
n'admettre qu'an enfer, là> .plupart des protestants nient maintenant
Tenfer et ne veulent plus reconnaître qu'un purgatoire. Infra^ n. 666. •—
» AnalyM fideif I, v, i'. Cf. Bergier, Ditt, ihéoL, Inspir. — * Introd*,
76 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [N^ 27
On ne le voit nulle part condamné en termes exprès, la
question n'ayant jamais été posée au tribunal de TEglise,
mais on Ta toujours regardé comme un paradoxe d'une té-
mérité excessive, et tout à fait inadmissible *. Quoi de plus
contraire, en effet, à la croyance et à l'enseignement com-
muns 2? .
1° Il n'y a pas moyen de le concilier avec la parole de
Notre Seigneur : Non potest solvi Scriptura % ni avec celle
de S. Paul: Omnis Scriptura divinitm inspirata, etc., de
quelque manière qu'on l'explique * ; ni, ce semble, avec la
définition du concile du Vatican : Si qtielqu'un ne reconnaît pas
pour sacrés et canoniques les livres de la sainte Ecriture avec
toutes leurs parti-es, ,,^ou sHl nie qu'ils ont été inspirés de Dieu^
qu'il soit anathème^ , Ces termes sont généraux; loin de faire
aucune réserve, le concile étend expressément sa définition
à toutes les parties des saints Livres; quel moyen d'en exclure
la partie historique qui est la principale ?
2** Il est opposé à la pratique comme à la conviction de tous
les docteurs catholiques. Jamais les pasteurs de l'Eglise ne
se sont crus désintéressés dans les objections qu'on a faites
contre la véracité des Ecritures, quel qu'en fût l'objet.
Jamais ils n'ont enseigné,, jamais ils n'ont admis ni supposé
que les auteurs sacrés aient pu se contredire ou se tromper
en aucun endroit. Loin de là, ils ont toujours été convaincus
qu'en fait d'exactitude tous les passages comme tous les au-
teurs sont solidaires, et ils se sont efforcés de concilier en-
* W est bon de rappeler ici les deux propositions suivantes, dont la
première a été censurée par l'Assemblée du clergé de France en 1700,
et la seconde par Pie IX dans le Syllabus de 1864. « Non sunt scanda-
losae aut erronae opinioncs quas Ecclesia non corrigit. » « Obligatio
qua catholici magistri et scriptores omnino astringuntur, coarctatur in
ils tantum que ab infallibili EcclesisB judicio veluti dogmata ab omnibus
credenda proponuntur. » Cf. Bossuet, Déf. de la trad. I, 22 ; VU, 14. —
2 S. Th., p. 1 , q. 32, a. 4 Cf. In TU , m, 2; QuodL, q. 2, a. 26, ad 1 ;
Melchior Gan., de Loc. theol.y II, xvi-xvni; Bellarm., De Verb. Dei^ i, 6;
S. Lig., Cont» Héer.y I, § v; Gard. Fraozelin, de Trad. et Script., append.
— 3 Joan., X, 33. — * II Tim., m, 16. Infra, n. 781. Cf. Luc, xvi, 7;
XXII, 37 ; XXIV, 27.-5 Libros integros cum omnibus partibus, prout
illos Tridentina synodus recensuit. Conc. Vatican., de ReveL, can. 3.
Nû27] RÉFUTATION DES RATIONALISTES. 77
semble les généalogies aussi bien que les discours du Sau-
veur *. c Le respect religieux qui m'a été inspiré pour les
saints Livres, dit S. Augustin, ne me permet pas de penser
qne les auteurs sacrés se soient écartés de la vérité sur aucun
point. Ce ne sont pas seulement les mensonges formels
qu'il répugne d'admettre dans TEvangile, c'est toute espèce
d'erreur, même de mémoire ', sur le passé aussi bien que
sur l'avenir; car si l'on admet que l'écrivain a pu tromper
une fois, il y a aura toujours lieu de mettre en doute son
témoignage et de se demander s'il ne trompe pas : Tota
Sctipturarum vacillaret auctoritas. » Telle est également la
doctrine de S. Jérôme ', ou plutôt celle de tous les Pères ; car
tous donnent pour divines les moindres paroles de nos saints
Livres et demandent qu'on s'y soumette d'esprit et de cœur *.
* Euseb., H,, 1, 7. — « S. Aug., de Consensu evang,^ ii, 29; vu, 13-48;
Episl. xxvni, 3; xl, 3 et lxxxii, 3, 5, 7, 22, 24; In Joan,y cxii; De
Gènes, ad Litt., i, 4; De civit, Dei, xviii, 40; Serm. cxxxiii, 6; De
Morih. Ecdes., i, 62-69. Cf. S. Greg. Naz., Orat. Iï«, De fuga sua, n. 105;
Origen., De principiiSj iv, 7, etc. — 3 Non adeo hebetis sum cordis ut
aliquid de dominicis verbis, aut corrigendam putaverim aut non divi-
nitus inspiratum. Hoc enim impiorum est, Cclsi, Porphyrii, Juliani,
5. Hier., Ep, xxvii, lvii. Scripturam mentiri nefàs est diccre. In Nahiim,
I, 10. Cf. Epist. Lvii, 9; cxxvi, cxxxviii, et In Philem., Prsef. Item
S. Clem.. I Epist. 45; S. Justin., DiaL, 65; Origen., In Rom., m, 3; De
princip., iv, 7; S.. Greg. Naz., De fugâ sud, Orat. ii, 105. — * Le système
de l'inspiration relative ou restreinte a été embrassé avec éclat dans
an oavrage récemment mis à l'Index : Origines deVhistoire, suivant
la Bible, etc., 1880-83, par. M. Fr. Lonormant. Suivant l'auteur, la Bible
contiendrait des erreurs nombreuses et des contradictions manifestes ;
mais ces contradictions et ces erreurs seraient sans préjudice pour la
religion, parce qu'elles porteraient sur des faits historiques et non sur
les données essentielles du dogme ou de la morale. « S. Augustin et
s. Chrysostome n'ont pas hésité, dit-il, à admettre des discordances de
ce genre jusque dans les Evangiles. » A cet égard, l'illusion de M. Le-
Dormantest évidente. Le livre de S. Augustin qu'il allègue : De consen:su
evangelisiarum, a précisément pour but do réfuter son sentiment et de
montrer que les évangélistos ne sont en contradiction sur aucun point.
« Evangelista non est evangclistœ contrarius in his quae narrât, dit
ce Père, quamvis non concordct. >> In Matth., Serm. xxi; De consensu
Evang.j i, 35. Tel est aussi on réalité le sentiment de S. Chrysostome :
Sacra Scriptura cohaeret sibi tota. la Marc, Hom. iv. A l'endroit qu'on
objecte (In Matth., Prsef, Hom., i, 2, 3), le saint docteur fait remarquer,
comme tous les conimentateurs, que les récits évangéliqucs offrent des
78 1NT1\ÔDUCTI0N AU NOUVEAU TESTAMENT. [.^« 27
3^ Ajoutons que le petit nombre de docteurs qui ont ha-
saifdjé à cet égard un autre sentiment n'ont jamais, su le
formuler d'une manière précise, et qu'on ne vpit paai quelle
règle pratique on en pourrait tirer. On convient qu'on doit
regarder comme infaillibte toute parole qui intéresse la foi
pu les mœurs. Mais quels sont les textes qui peuvent pas-
ser pour indifférents à ce double point de vue? S., Paul ne
4it-il pa? que tout ce qui est dam les Ecritures a été écrit
pour notre instruction et notre édification * ? Prétendre que
l'histoire s'y distingue nettement du dogme, c'est mécon-
naître la nature de la révélation chrétienne. Qui ne sait,
qu'un grand nombre de faits sont pour nous. des dogmes,
que la doctrine est mêlée aux faits, et qu'ainsi, les asser-»
tiens historiques et les enseignements dogmatiques étant
liés ensemble, comme les fils. d'un même tissu, la certitude
dés uns dépend essentiellement de la' vérité dès autres?
Est-il un livre qui contienne plus dé récits et qu'on puisse
moins soupçonner d'erreur que l'Evangile? Ignore-t-on que
les œuvres du Sauveur sont pour les chrétiens autre chose
que des faits historiques, qu'elles leur sont proposées par
le divin Maître lui-même, tantôt comme des preuves de sa
mission, tantôt comme des exemples et des leçons S et que
leur valeur, sous ce double rapport, dépend de leur réalité?
Un grand nombre ont une signification symbolique et même
prophétique. « Les miracles ont leur langage, dit S. Augus-
tin : eh frappant nos regards, ils parlent à nos cœurs '. »
variantes, qu'ils difTèrcnt les uns des autres, quant aux circonstances et
h la suite dos faits; mais loin d'en conclure qu'ils so contredisent ou
qu'ils donnent dans l'erreur, il affirme expressément que tous leurs
récits sQiît conformes à la vérité, et il s'engage à montrer en temps ot
lieu qu'ils ne sont en contradiction sur aucun point. On peut voir qu'il
tient parole, en consultant la table des matières. Cf. Mgr Freppel, sur
Oriyèno,^ I. xr, p. 230.
1 Qiiaîçumque srripta sunt, ad nostram doctrinam scripta sunt. Rom.,
XV, 4. Scripta sunt autem ad correptionem nostram. I Cor., x, 6, li. —
2. Joan.,xin, 15. — 3 Habent miraeula, si intelligantun, linguam suani;
riani quia Christus Vrrbum Dci est, etiam factum Christi vcrbum nobis
est. S. Aug., In Joan.^ xxiv, 2. Sicut hùmana consuctudo verbis, ita.
divina potentia factis loquitur. Item Episl. en, 33.
N« 27] RÉFUTATION DES RATIONALISTES. 79
Bien pins, le Sauvefûr et les Apôtres attribuent le même carac-
tère aux faits de rAncien Testament, et souvent aux moindres
circonstances de c6s faits: Qu'on se rappelle le serpent d'ai-
rain *, Agâr chassée de. la maison d'Abraham % le voyage des
Israéliteè dans le déserf ', etc. Qu'on songe , dit Tertullien ,
que Jésiis-Christ a.èté figuré en môme temps que prédit
dès l'origine du monde *. Il ne saurait donc y avoir rien de
purement humain dans nos saints Livres; et toutes les par-
ties, ayant la mêm3 origine, ont aussi la même infaillibilité *.
On est libre, dit-on, de ne pas étendre l'inspiration jus-
qu'aux mots, et il faut bien reconnaître en beaucoup d'en-
droits des expressions figurées, de la poésie, des paraboles,
des allégories, des hyperboles, etc. — Sans doute, et c'est
pourquoi on doit laisser une certaine latitude aux inter-
prètes; mais ce n'est pas de mots ni de style qu'il s'agit ici :
il s'agit de. pensées, de significations. Si toutes sont inspi-
rées, toutes sont divines, vraies par conséquent et irréfor-
mables. D'ailleurs, si tous les catholiques ne disent pas que
les termes de l'Ecriture sont inspirés, est-ce que tous ne
reconnaissent pas au moins qu'ils sont d'utie justesse et
d'une exactitude irréprochables, comme ceux de l'Eglise
dans ses définitions?
ConcluTons-nous qu'il n'est jamais permis de mettre en
doute l'exactitude d'une expression, d'un nom, d'un chiffre,
dans la Vulgate ou dans le grec actuel ? Non. De ce que Dieu
a préservé d'erreur les écrivains sacrés, il ne suit pas qu'il
ait également préservé de toute faute les copistes qui les ont
transcrits ou les auteurs qui les ont traduits ^ C'est assez
» Joan., m, U. — 2 Gai., iv, 29, 30. — a I Cor., x, 1-12; Heb., iv,
i-l!. — * Scimus, nt vocibus, ita ot rébus Cliristum prophetatnm.
Tert-, Adv, Marc^ -^ ^ Cf. Gai.,' m, 16; Heb., vu, 3: xii, ?7. Infra,
n. 44. On a parlé à ce sujot d'obiter dicta; mais on ne conçoit d'obilei*
dicta, de « choses dites en passant, accidentellement, » que L\ oii il y a
certaines propositions distingnccs des autres, en tant que définies et im-
posées à la croyance; comme dans les décrets dés papes et des conciles.
Rien de semblable dans les livres saints, -rr <> Cf. .11 Ucg., vi, 23 et
XXI, 8. --- IV Reg., VIII, 2\ et II Parai., xxii, 2. — IV-Reg., xxiv, 8
et II Parai., xxvi, 9. La chronologie de la Vulgate, des Septante et du
Martyrologe. ...
80 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n<> 28
pour donner aux critiques toute liberté d'exercer leur talent.
L'Eglise ne nous garantit absolument que trois choses :
l'inspiration complète et continue des Livres canoniques,
l'exactitude doctrinale de la Vulgate, et l'intégrité parfaite
des passages dont elle a défini la valeur ou le sens *. Hinc si
quid absurdum occurrit^ dit S. Augustin, non licet dicere :
Aicctor hujus libri non tenuit veritatem; sedaut codex men-
daim est, aut interpres erravit, aut tu non intelligis ^
CHAPITRE III.
î ^
DE L ETUDE DU NOUVEAU TESTAMENT.
1^ Importance de cette étude et méthode à suivre.
* 28. — Le Nouveau Testament ne mérite-t-il pas spécialement
notre application et notre respect ?
Nul objet plus digne de notre respect et de notre applica-
tion. — i^ En lui-même, il n'est pas moins supérieur à
l'Ancien que la mission du Fils de Dieu ne l'est à celle de
Moïse et des prophètes '. Comme doctrine, c'est la révéla-
tion complète des mystères que la loi se bornait à faire en-
trevoir. Comme histoire, c'est le couronnement des œuvres
de Dieu dans l'ordre surnaturel; c'est la réalisation des
promesses faites aux patriarches, des espérances de l'ancien
peuple, des figures et des ombres du culte lévitique *. —
go p^y. rapport à nous, il n'est rien dont la connaissance
nous soit plus nécessaire. Nous sommes les ministres du
Nouveau Testament ^ ; c'est sa doctrine que nous avons à
1 Par exemple, Concile de Trente, sess. v, 4; sess. vu, de Bapl.y
can. 2; sess. xiv, De pcsnit.y can. 3, 10, et de Extr. unct.^ can. 4, etc.
— as. Aug., Cont. Faust. ^ xi, 4; Jn Psalm., cxvii; Serm. xxxi, 5. —
3 Heb., I, t. — * Joan., i, 17; Heb., vu, 11 ; vm, 8. — s II Cor., m, 6.
Pour les fidèles, voir PU VI Lilterai ad Arch, Florent,^ Grcg. XVI,
Encycl. 8 mai 1844 ; et Bossuet, Instr» sur la lect. de lEcnt, sainte.
y^ 29] ÉTUDE DU NOUVEAU TESTAMENT. 81
prêcher * ; c'est sa morale, ses lois, ses conseils, ses exemples,
que nous devons exposer, pratiquer, défendre; c'est donc le
Nouveau Testament que nous devons étudier et connaître
avant tout '. L'Ancien n'a plus guère d'intérêt que parce
qu'il sert à établir et à expliquer le Nouveau '.
29. — Qu'est-ce qu'an ecclésiastique doit se proposer dans l'étude du
Nouveau Testament et quelle méthode doit-il suivre?
!• Abstraction faite de toute vocation particulière, ce
qu'un ecclésiastique doit chercher avant tout dans le Nou-
veau Testament, c'est la science du salut et de la perfection
pour lui et pour les autres ; c'est le moyen de bien servir
Dieu et de lui gagner dès âmes. Ce qu'il doit le plus étudier
par conséquent, c'est l'Homme-Dieu, le maître et le modèle
suprême. Qu'il s'efforce de le connaître d'une manière com-
plète, non seulement dans sa double nature, dans sa doc-
trine, dans ses maximes, mais encore dans sa vie, dans ses
mystères, dans ses perfections, dans ses vertus, dans ses
amabilités, dans ses bienfaits *. Qu'il considère la vérité, la
1 Bonie margaritae \e\ et prophets : una prctiosa Salvatoris scicntia,
Hag. a S. Vict., In Matlh, — * Lecto evangelio, codex evangelicus
apertiis datur sacerdotibus osculandus, cœteris vero clausus, ac si ipso
temporc dlcatur ei : « Tibi datum est nosse mysterium regni Dei, ose-
teris vcro in parabolis. « Hildeb., Serm.^ xcvi, 6. Infra^ n. 213. Fénelon,
Iiï« Dial. sur Véloq. — 3 Ce qui le recommando est trop souvent ce qui
lo fait négliger. Comme beaucoup de savants ne veulent qu'être savants,
qu'ils chorohent surtout à augmenter leurs connaissances et à faire
briUer leur talent» un sujet moins pratique a pour eux plus d'attrait. Hs
aiment mieux TAncien Testament et les études accessoires d'archéologie,
de chronologie, de philologie, etc., qui exercent l'esprit, sans toucher la
conscience. L'Evangile les attirerait aussi, s'il n'était qu'une histoire;
mais c'est une doctrine et une exhortation. Au lieu de compter pour
rien, comme S. Paul, les études qui ne mènent pas au divin Maître^ ils
n'ont de goût que pour ce qui les tient à distance. Au trésor caché et à
la perle sans prix, ils préfèrent sans hésiter une question curieuse, une
découverte sans importance, une conjecture ou un paradoxe d'un auteur
juif ou païen. Tout les attire, tout pique leur attention, excepté ce qui
le mérite. Cf. S. Bern., Epist. \i. — * Joan., xvii, 3; xx, 31; I Cor.,
II, 2, 12; Phil., m, 8; II Pet., m, 18. In illo sunt omnes thesauri sa-
pientiae et scientise absconditi. Quse non propterea abscondit ut neget,
sed ut absconditis excitct desiderium. Hsec est utilitas secreti. S. Aug.,
Serm. u, 4.
5.
82 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [N® 29
beauté, la portée de ses instructions et de ses exemples K
Qu'il étudie ensuite ses Apôtres, tout remplis de son esprit,
comme d'autres lui-même. Par là il se rendra capable de
le faire connaître et aimer des fidèles ; ir acquerra la science
du royaume des Cieux et il réalisera dans sa personne le
type du prédicateur, du directeur, du pasteur des âmes :
Scriba doctus in regno cœlorum, qui profert de thesaura suo
nova et vetera ^
2** Est-ce à dire qu'on doive négliger lès Introductions et
les ouvrages critiques? Nullement ; mais nous tenons à en
faire remarquer Tinsùffisance. La première chose à faire,
sans doute, c'est de reconnaître l'autorité des saints Livres,
d'en constater l'authenticité, l'intégrité, l'inspiration ; de les
savoir défendre contre les objections des incrédules^ ; néan-
moins ce n'est qu'un préliminaire, et l'on aurait tort de s'y
trop attarder. A quoi servirait d'entrer en possession d'un
trésor, si l'en ne devait pas en faire usage; d'avoir la clé
d'un palais, si Ton ne voulait pas y entrer et en contempler
les merveilles? L'Ecriture est un temple où Dieu rend ses
oracles. On ne saurait mettre trop de zèle à défendre l'édi-
fice; mais si l'on devait toujours rester au dehors. pour
veiller à sa sûreté, quel avantage tirerait-on des révélations
qui se font au dedans? Ce n'est qu'à l'intérieur qu'on entend
la voix de la divine sagesse. Les ecclésiastiques judicieux et
1 In iis quidquid docetur, Veritas, qaidquid prœcipitur, bonitas,
quidquid promittitur, félicitas est. Hug. a S, Vict., de Anim, — 2 Matth.,
XIII, 51, 52. Cf. Matth., xii, 35. Haec inanna in mane juventutis débet
coUigi : non enim invenitur nisi mane. Hug. Gard., de Isai.y lv, l. —
3:Fo)'te de via mala, hoc est dé vita mala, fatigatus, nescio quis amîcus
tuus, non invenicns vcritatem, venit ad te et dicit : « Reddc mihî ratio-
nem; fac me christianum. » Et interrogat quod forte tu per simpjici-
tatcm fîdei ncscicbas, et non est unde refîcias esurientem, et çam vis
docere, cogeris discere. Ubi quseras, nisi in dominicis libris? Fortassis
quod ille interrogavit in libre positum est, sed obscurum est. Forte dixit
Itoc Apostolus in Ëpistola sua. Urget amicus esuriens. Tibi sufficiebat
simplex fldes; illi non suffi cit : numquid deserendus est? S. Aug.,
Senn, cv, 2, 3. Dans une encyclique aux évêques d'Italie, Léon XIII leur
recommande d'avoir soin que la jeunesse cléricale soit pleinement ins-
truite dans les matières qui touchent à Tinterprétati on et à Tautorito
des écritures sacrées. » 15 fév. 1882.
N** 29J ÉTUDE DU NOUVEAU TESTAMENT. 83
pratiques recommandent de s'attacher aux textes inspirés,
de lire de préférence les plus beaux endroits, qui sont les
plus clairs S dç les lire posément, avec réflexion, en en
pesant tous les termes, de les relire le plus possible, dans
des langues et des dispositions diverses, de manière à les
voir sous tous les aspects, à en découvrir tous les sens ; de
les rapprocher d'autres passages analogues ou opposés en
apparence, afin d'en saisir les ^apports et les différences ;
enfin de s'en pénétrer, de s'en nourrir et de les graver pro-
fondément dans sa mémoire ^
3* Quant aux dispositions que demande cette étude, il n'y
a pas de doute qu'il ne faille y apporter, avec l'esprit de foi ^y
de piété % d'humilité % un certain degré d'ardeur et d'ap-
plication ^. « Creusez les Ecritures, disait le divin Maître ;
approfondissez les saints Livres \ » Les textes les plus
1 In iis quse apcrte posita sunt^ inveniiintur omnia quae continent
fidcm moresque vivendi, spem scilicct et caritatenrj. S. Aug., de Doct.
christs ^ II, 14. — 2 Joan.) v, 39; H Tini.. m, 13. Habes qnod primum
bibas; habes quod socundum; habes quod posteruni. S. Âmb , Epist. ad
Const.^ I, II, 3. De his vcrbis vcrissimum est non esse numeranda, sed
ponderanda. S. Aug., In Joan., cxliii. — 3 Sic audiamns Evangolium
qaasi pneseateai Dominam. S. Aug., In Joan.j xxx, 5. Dicit niihi home :
IntcUigam ut credam. Respondeo : Crcde ut intoUigas. Intellcctus est
merccs fidei. S. Aug., Serm. xuu, 4. Cf. cxlvii, 2. — * Prov., ii, 3, etc.
On connaît remblèmc que M. Olier fit mettre sur sa Bible : le livre
inspiré en regard de TAgoeau divin, avec la devise : Par cuUus et amor
utrique. Cf. S. Aug., Serm. ccc. Apocr. — * Prov., xi, 2. Non intclligis;
param intelligis : honora Scripturam Dei, honora verbum Dei etiam non
apertum; differ pietate intelligentiam. Noii accusare obscuritatcm aut
qoasi pcrrersitatem Scriptnrae. Perversum hic nihil est; obscurum
aatem aliquid est, non ut tibî negetur, sed ut exerceat accepturum.
Mcdicus fecit hoc ut puises. Voluit ut esercereris in puisando; voluit
ut pnlsanti apériret. Érgo noli indignari quod clausum est ; mitis esto ;
mansoetus esto. Noli rccalcitrare adversus obscura et diccro : Melius
diccretur, si sic dicereturl Quando eniin potes tu sic dicere aut judicarc
qnomodo dîci expédiât? Sic dictum est quomodo dici debuit. Non cor-
rigat aeger medicamenta sua : ei crede qui te curât. S. Aug., In Psalm.^
cxLvi, 12. Cf. Serm. li, 5 Infra^ n. 585. — <» Joan., vu, 17 ; Act., xvii,
il, 12; 1 Thess., n, 13; Heb., xi, 1; Fénelon, Médit. y i. Etude de
rEvangiie. — "^ Joan., v, 39. Non dixit : Legite Scripturas, sed scruta-
mioi. DÎTiDa cnim summa indigent diligentia. Idcirco effodere profundius
jnbet, ut quaï altc delitescunt, invenire possimus. S. Chrys., In Joan.^
HOID , XUj 1.
84 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n<* 30
clairs ont souvent une grande profondeur*. Dans toute
étude, l'application est une condition de succès. On ne réus-
sit guère, en quoi que ce soit, si Ton ne s'y met de toute
son âme, avec une volonté déterminée et généreuse *.
• 30. — Science des langues : est-elle nécessaire pour bien entendre
le Nouveau Testament?
I. Il n'est pas inutile de savoir un peu d'hébreu, soit pour
entendre les termes syrochaldéens et les étymologies, sbit
pour préciser les expressions grecques, calquées sur l'hé-
breu, soit pour apprécier les citations, ou pour se rendre
compte des irrégularités dont le Nouveau Testament est
semé. Les interprètes donnent bien l'explication de ces idio-
tismes, et l'on s'y habitue assez vite; mais on les comprend
toujours mieux quand on les a appris par l'étude de la langue
hébraïque ^
IL II est à désirer qu'on entende le grec, et qu'on ait sous
la main les textes originaux. Si l'on est forcé de s'en tenir
au latin, on sera exposé à plusieurs inconvénients :
. i° On aura peine à s'expliquer les héllénismes que le tra-
ducteur a inséré dans la Vulgate, en calquant servilement
le latin sur le grec *. On n'entendra qu'imparfaitement les
mots grecs qu'il a cru devoir faire passer dans sa traduc-
tion % et quelques fois on ne saura pas reconnaître le cas ou
1 Eph., III, 14-19. Sicut in cœlo celatur Deus^ sic in Scriptura abscon-
ditur. S. Chrj's., In Matih,, Honi iv. — 2 pjus vous aurez de cœur,
d'esprit, de pénétration, de science de bonne volonté, de courage, d'expé-
rience, de charité surtout, d'amour des âmes, plus vous verrez le texte
évangéliquo s'étendre, s'agrandir pour vous. » Gratry, Sources. —
3 A. T., n. 78, 667; Schilling, De hebraism. N. T., 1886; S. Aug., De
doct, christ. y ii, 11, 16. Cf. Bossuet, !'• Inst., sur le livre qui a pour
titre : Le N. Testament^ yii« Remarque. Supra^ n. 10 ; InfrUf n. 35, 38, 584.
— * Cf. Matth., XII, 12; Luc, xii, 24; xxii, 25; Act., xix, 26; I Cor.,
II, 14; n Cor., x, 15; Gai., iv, 24; II Thess., n, 1; Heb., m, 3; ix, 2,
4, 5, 9, etc. — 3 Par exemple : agoniaj allegoria, anatkema^ angeltis,
antkhHsius^ apocalypsis, aporiarij apostata^ azyma, baptismusy blas-
phemiay bravium, cauteriare, colàphizare^ charisma^ christus^ diabolus,
diaconus^ ecclesia, evangelium^ karesis, holocaustum, idolium, idolo-
latria, judaizare, martyr , iieophytus^ parabola, presbytet^ proselytus,
scandalum, schisma, synagoga^ etc.
N<> 30] ÉTUDE DU NOUVEAU TESTAMENT. 85
le genre des noms, le latin ne pouvant, les indiquer, faute
d'articles *.
2" On pourrait ne pas saisir parfaitement la pensée des
auteurs inspirés ; car les termes latins n'équivalent pas tou-
jours parfaitement aux termes grecs, et en rendant l'idée
principale, ils laissent souvent échapper les sens acces-
soires, lesnuances, les insinuations, etc. '. Ainsi, il n'a pas
été possible de rendre en latin la précision que donne à
quelques mots l'article défini, qui existe en grec aussi bien
qu'en français ^ Or, la force de certaines preuves ou la fai-
blesse de certaines objections dépendent de ces particula-
rités, de cette précision, de ces nuances. Il faut donc mettre
la connaissance du grec au nombre de celles qui sont le
plus désirables dans un exégète, un théologien, un polé-
miste, etc.
III. Mais ce serait une exagération de prétendre que sans
la science du grec, et surtout de l'hébreu, on n'a pas l'intel-
ligence du Nouveau Testament, ou qu'on n'est pas capable
d'en établir et d'en défendre solidement la doctrine. En
effet :
1* Au seizième siècle, on déféra à l'Université de Paris ces
deux propositions : c L'Ecriture ne s'entend guère sans les
langues grecque, hébraïque et semblables. » « Sans lesdites
langues, un prédicateur ne saurait expliquer exactement
les Evangiles et les Epîtres. » Toutes deux furent condam-
nées, la première comme téméraire et scandaleuse, la se-
* Cf. Mattli., m, 9; Luc, i, 54; Act., i, 6; Rom., v, 7; ix, 28; xvi, 23;
U Cor., V, 13; I Thcss., m, 7; Il Tim., iv, 3.-2 Proprietatcm grae-
cam latious sormo non cxplicat. S. Hieron., /n Philem.y 20. Cf. In Gai.,
T, 8, etc. Comparer avec les termes correspondants du texte grec :
regere, Matth-, ii, 6; venire, m, 1; ientare^ Matth., iv, 1; multum
ioqui; gtuerere; sollicitus esse; Matth., vi, 7, 33, 34; s tare; misereHy
xvni, 1^, 29; negligere, xxii, 5; possiderey xxv, 34; observare^ Marc.,
nj, 2; susciperej Luc, i, 54; parcere, Joan., xxi, 1; ministrare^ Act.,
xin, 1 ; avarilia, I Cor., v, 11 : Eph., v, 3, etc , et Infra^ n. 38. — 3 Par
exemple, aux mots Beoç, utoç, Xptaxo;, Tfpo^vjTY);, Kuptoç, ^aaiXeur, nvev(i.a,
Ilapdrivoc, apTOC) Ç^C ic9t(iY)v, ayioc, Sixaioc, epxo[i£voç, ôtSaaxaXo;, icoXic,
£a|ta;>ta. Infra, n. 158, 159, 239, 389, 544. Cf.Apoc, xviii, 10, 16, 19;
XIX, 1, etc.
86 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n® 30
oonde comme impie et pernicieuse. L'auteur fiit déclaré
suspect de luthéranisme *.
2° Nous avons assez de moyens de nous instruire des
vérités chrétiennes pour pouvoir en négliger quelqu'un
sans inconvénient. Ce qu'on ne saura pas voir dans un texte
grec qui l'insinue ou l'affirme implicitement, on le trou-
vera clairement énoncé dans un autre passage ou dans
renseignement de l'Eglise. « La tradition, dit Bossuet, tient
lieu de tout à ceux qui la savent, pour établir le fond de la
religion. Sans hébreu et avec assez peu de grec, S. Au-
gustin n'a pas laissé de devenir le plus grand théologien
de l'Occident^ et de combattre toutes les hérésies par les
démonstrations les plus convaincantes ^ » Un catholique
ne doit pas oublier que la connaissance des vérités chré-
tiennes a été donnée à l'Eglise avec la lettre des saints
Livres et .même avant ces livres. Cette connaissance vit
toujours dans son sein. Elle se transmet par l'enseignement,
c'est-à-dire par la prédication, par la liturgie, par la litté-
rature chrétienne. Soupçonner les pasteurs et les fidèles
d'avoir mal entendu le grec et l'hébreu au commencement,
alors que la plupart étaient Hébreux ou Grecs de naissance,
est une méfiance ridicule; et prétendre qu'à moins de con-
naître ces langues, on ne peut entendre la Bible, quand on a
soi-même pour principe, comme les protestants, que chaque
fidèle est obligé de la lire et capable de la comprendre, c'est
la plus flagrante des contradictions.
1 Duplessis d'Argcntré, Collectio judic. de novis error., 30 april. 1530.
— * AntiquîB rursus fidei conditor. S. Hier., Epist. cxli. Notons pourtant
la romarqae suivante de ses savants éditeurs : Constat S. Augastinum ad
intelligentiam Novi Tcstamenti subsidio grœcsB linguae satis instructum
fuisse, ut probant variae Icctioncs quas in locis dubiis aut mendosis adlii>
buit. Fatetur quidom in Confessionibus suis, i, 14, vir modestissimus se,
Gum pucrulus latinas litteras adamarot, grœcas odisse, SQÛjam episcopus,
jam senex^ ait Krasmus, ad puero sibi fastidilas grxcas litteras reversus
est. Qua in re cgregium dédit spécimen suse in sacra s Scripturas sedu-
litatis et rcverontisB. Pi^xf. t. m. Cf. Vita S. Aug,, I, ii, 5, ab Edit.
Bénédictin., t. xi, p. 5. — 3 Bossuet, !'• Instruction sur la version du
N. T, impHmée à Trévoux ^ vii« passage; Dé^. de la trad.y iv, 16, 18;
VII, 58; sur la Biblioth. de 3f. Dupin, S. Augustin et S. Jérôme.
*t<* 31] ÉTl'UE DU NOUVEAU TESTAMENT. 87
3" Pour être certain d'une chose, est-il nécessaire de
l'avoir découverte et reconnue par soi-même? Faut-il pren-
dre pour progrannne ce cri d'un professeur allemand : Pe-
rçant qui ante nos? L'homme n'est pas fait pour vivre seul,
ni de son seul travail. Dieu a voulu que la vie de l'esprit
nous vînt du dehors comme celle du corps. L'enfant profite
des lumières de ses parents aussi bien que de leur fortune.
La famille participe à celles de la société, et la société à celles
de l'Eglise, qui est infaillible. Vouloir que chacun se suffise,
et forme ses croyances par un travail tout personnel, sans
se fier à aucune autorité, c'est méconnaître notre nature et
rendre la foi impossible à la plupart des hommes. « Si un
protestant qui est seul au monde, en présence de la Bible,
a un besoin logique d'en connaître les sources et par consé-
quent les idiomes, il n'en est pas ainsi du catholique qui
sait ce qu'il est. Vivant dans l'Eglise, perpétuellement as-
sistée par l'Esprit de Dieu, il lui suffit qu'elle connaisse ce
qu'il ignore. La lumière lui appartient, et il trouve dans
l'immense communion des siècles et des Docteurs chrétiens
le glorieux avantage de parler toutes les langues et de ré-
soudre toutes les difficultés ^ »
29 Secours : commentaires et versions.
* 3i. — A-t-on expliqué de bonne heure le Nouveau Testament, et qnello
est la valeur des premiers commentaires?
1** Aucune partie des Ecritures n'a été ni si tôt, ni si
souvent, ni si soigneusement commentée. Pour s'en con-
vaincre, il suffit de parcourir les tables de la Patrologie.
Les instructions des pasteurs dans les premiers temps rou-
laient presque toujours sur quelques textes des saints
Livres, et ce qu'on s'appliquait surtout à faire connaître aux
1 Lacor^ire, Leit. sur la vie chrét.,u. Loquor omnium linguis, audeo
dicere. In corpore Ghristi sum. In Ecclesia Ghristi sum. Si corpus Christi
jam omnium linguis loquitur, et ego in omnibus linguis sum; mea est
gneca, mea est syra, mea est hebrsa, mea est omnium gentium, quia in
aoitatc sam omnium .gentium. S. Âug., In Ps. cxh^ih 19< Gf. EpisL ci, 4;
de Trinit., m, 1 ; S. Grpg. M., Eyist. VU, xl\ Infra, n. 44.
88 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n<* 31
fidèles, c'était la vie du Sauveur, sa doctrine et celle de ses
apôtres. Rien ne prête davantage à Thomélie : rien n'est plus
fécond en instructions, ni plus salutaire à méditer. Car ce
que S. Augustin a dit de toute VEcrïiure, omnibus accessibilis,
paucissimis penetrnbilis *, convient surtout au Nouveau Tes-
tament. Les endroits les plus clairs donnent infiniment à
réfléchir, et les esprits les plus éclairés eux-mêmes sont
bien aises d'être aidés, quand ils veulent en scruter les pro-
fondeurs ^
2° Il faut reconnaître que les Pères de l'Eglise se sont
trouvés dans les meilleures conditions pour bien entendre
cette partie de la Bible. Outre le secours de la tradition, si
récente encore et si pure dans une société où l'on faisait
profession de ne rien enseigner que ce qu'on avait appris
des pasteurs plus anciens, et de renoncer à la vie plutôt que
de laisser altérer l'intégrité de la foi % la plupart possédaient
à un haut degré les connaissances, les talents, la fermeté et
le zèle qui font les docteurs. Ils vivaient dans les contrées
qu'avaient évangélisées les Apôtres ; ils avaient les mêmes
mœurs; ils entendaient les mêmes langues, ils participaient
au même esprit. C'est donc avec raison qu'on place encore
aujourd'hui en première ligne les commentaires qu'ils nous
ont laissés. Selon Bossuet, si l'on veut devenir un solide
interprète de la parole de Dieu, on ne saurait trop lire et
relire leurs écrits *.
3° Il ne faudrait pas croire cependant qu'ils n'ont rien
laissé à faire. Les saints Pères n'étaient pas des exégètes et
des écrivains de profession : c'étaient, pour la plupart, des
pasteurs et des prédicateurs qui expliquaient la parole de
Dieu pour l'édification des fidèles, qui accommodaient leurs
explications aux besoins de leur auditoire. De là leur supé-
riorité sur le point essentiel et leur insuffisance sur les
* s. Aug., Epist. cxxxvii, 8. — ^ À. T., initio. — 3 Quis mcdullns
Scripturarum magis nossct quani ipsa Chrîsti schola? Quos et sibi dis-
cipulos adoptavit omnia utique edocendos, et nobis magistros adornavit,
omnia utique docturos. Tertull., Scorpiace^ 12. -^ ♦ Bossuet, Défense
de la tradiUon^ IV, xyiii. Cf. A. T,, n. 204-210.
N° 32] ÉTUDE DU NOUVEAU TESTAMENT. 89
points secondaires. Ils ont parfaitement saisi l'esprit et la
substance de nos saints Livres. Ils en ont exposé la doctrine
avec intérêt et solidité. Ils en ont déduit, avec autant de
justesse que de simplicité, le dogme et la morale ; et Ton
réussira difficilement à être plus clair, plus convaincant, plus
touchant qu'ils ne le sont. Mais ils n'ont pas tout dit, même
sur l'Evangile, la partie qu'ils ont commentée avec le plus
de soin. Les mines qu'ils ont ouvertes peuvent être exploitées
indéfiniment. Il reste d'ailleurs à collationner leurs explica-
tions, à en montrer l'accord, à les compléter. Il reste à mettre
leurs pensées en lumière, à les exposer méthodiquement, à
en déduire les raisons et les conséquences, à les dégager de
beaucoup de considérations et de développements qui ne
conviennent plus à notre époque, à les adapter aux dispo-
sitions et au langage actuels. Il reste enfin à discuter et à
résoudre une foule de questions d'authenticité, d'histoire, de
chronologie, de géographie, de langue, qui, pour n'être pas
essentielles à la foi ni à portée de tous, ne laissent pas
d'avoir de l'intérêt pour un grand nombre, surtout pour
ceux qui sont appelés à instruire leurs frères et à défendre
la foi de l'Eglise. C'est pourquoi la science des Ecritures peut
progresser comme les autres; et pour ne pas rester en ar-
rière, il importe de joindre à l'étude des Pères celle des
commentateurs moins anciens et même des meilleurs interr
prêtes contemporains *.
Tout le monde convient d'ailleurs que les interprétations
des Pères ne sont infaillibles et incontestables que lorsqu'elles
portent dans leur caractère dogmatique et leur unanimité le
sceau de l'enseignement doctrinal de l'Eglise ^
* 32. — Quels sont les auteurs qu'on pourrait lire utilement sur les
diverses parties du Nouveau Testament?
Si mérité que soit l'éloge qu'on a toujours fait des Pères,
nous ne conseillerions pas d'en entreprendre la lecture im-
médiatement et sans choix. Pour être faite avec fruit, cette
» Cf. A. r, n. 225. — 2 Conc. Trid., Sess. IV, De can. Scjnpt. Cf.
S. Aug., Cont, Julian,^ ii, 7.
98 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n<^ 32
étude demaïidJB quelque préparation et un certain ordre;
Après ùné Introduction générale à TEcriture sainte *, on
devrait lire une Introduction au Nouveau Testament ^ puis
quelque ouvrage ayant pour buty soit d'établir l'autorité des
écrits apostoliques % soit de faire voir les rapports du Nou^
veau TiSstaûiertt avec l'Ancien *.
Pour l'étude des divers livres, nous recommanderions auit
jeùrieé ecclésiastiques, suivant les dispositions et les circons-»
tances, quelqu'un dés commentateurs . suivdntâ : -^ Sur lé
Nouveau Testament tout entier : Cornélius a Lapide, Cîïr^ti^
corïiplelm de Mighe, Tirin, Menochius, Wôuters. — Sut les
Évangiles réunis : Janséniiis de 6and,Patrizi,Deliaut,Mastaï.
— Sur chacun des quatre Évangiles: Maldonat, Filion. -^-'
Sur S. Matthieu en particulier: S. Ghysostome, LucdeBruge^
Klofutar. — Siir S. Marc : Pàtcizi, Bèze. -^.Siir-S. Luc : Luc
dé Brùge, S. Ambrorsé. -^,Sur S. Jean': Tplêt, Corliiy, Pa-?
trizi, Klofutar, S- Augustin, S. Chrysostomë, Origéne. — >.
Sur les Actes des Apôtres : Grampori, Beeleh,Patrizi,S.Chry-»
sostonle. — Sur toutes les Epîtres : Estlûs, Drach. — Sur
celles dé S. Paul en particulier : Vaii Steenkiste, Bernardin
dePequigny,S. Ghrysostomé, S. Thomas. — Sur l'Apocalypse :
Bossuet, de Bovet, La Ghetàrdie (ch. i, iv, v, xn-xx)*.
1 M. Lamy, par exemple. — 2 p. Corncly, Valroger, etc. — 3 Wallon;
Croyance à l'Evangile; Duvoisin, Démonst. évangélique; Duguet, Prin-^
cipes de la foi, etc. — * Becan ou Acosta. — s Cf. A. T., n. 20.4 et Qttes-f
lions sw VEcriture sainte ou programme détaillé ^ t. ii, Nouv. Test. Pour
les auteurs hétérodoxes, nous ne les conseillerions jamais à des commen-
çants. « Nemo inde strui potest unde destruitur. » Tert;, rf<? Prsese., 2i
Il y a du bon dans quelques-uns , et nous n'hésitons' pas â mettre k
profit ce qu'ils peuvent fournir d'utile « ea tanquam ab injustis posses-
soribus vindicando, » S. Aug., rfe Doct, christ., ii, 60; mais le bon osf
toujours plus ou moins mélangé. Pour en profiter, il faut savoir cjioisîr
et être en état de juger. Le mieux est de s'en tenir à rancicnnc' règle :
« Quaîramus in nostro et a nostris et'denostro.'Qiris sôrvus cibaria ab
extranco, no dicam ab inimico domini sui, spcrat? » Tort.» De prfpsc.-y xii.
La tradition de lEglise , l'enseignement catholique : voilîi la mine' la
plus riche, sans comparaison. Cf. Bossuet, Lettre au P. Maitduil, clxv.
Ilistoriam bebraeis et graecis fontibiis hauslam -
Hicronymo diaces duce;
Allegoriam, aDagogiaraqaerecladcht - .' ".'..* '
Origenes et Ambrosius ; .'.:.•. . '. , • ' . "_-
5«33] ÉTUDE DU NOUVEAU TESTAMENT. 91
33. — Où s'est faite la première version latine des Ecritures et quelle
roôâifiti(tion a-t-elle reçue à Vendroît-du Nouveau Testament?
f • • • ,
1. On né saurait dire avec certitude quelle a été la pre-
mière version latine des saintes Ecritures. Il parait que, dès
les premiers temps de l'Eglise, il s'en fit un certain nombre,
à l'usage des fidèles de la classe inférieure et de ceux despro^
rinces qui n'avaient pas l'habitude du grec *. Toutes ces ver-
sions laissaient à désirer ; mais il en est une qui obtint la pré-
férence pour sa clarté et sa fidélité, et qui devint x)fficielle
dans l'Eglise latine, même en Afrique ^ S. Augustin l'appelle
l'Italique, sans doute parce qu'elle venait d'Italie, et qu'elle
y avait été composée ou retouchée \ Puisque S. Jérôme l'ap-
pelle ancienne^ ^ qu'elle était généralement reçuede son temps
et qu'il craignit de heurter les habitudes en y faisant trop de
corrections ^, nous avons .lieu de croire que, si elle ne sur-
ExpoDent sensns formaodis moribns aptoi
_ ' ChrysostoniQi, Gregorius; '
In dubiis, alt«qtfe oalîgine marsis,
Âurelias lacom ferei.
Los rationalistes sont encore plus dangereux que les protestanta, et ce
n'est pas chez eux qu'on doit aller chercher des lumières. « Nihil est
profecto temeritatis plehius qtiam quprùmquc librorum cxpositofes dese-
rere qui eos so tcnore ac discipuli« tradere posso profitentur, et eorum
sentcntiam requirore ab his qui conditorjbus illorum atquc auctoribus
acerbissimum, nescioqiia cogente causa, bclluni indixcrunt. Quis enim
»bi uDquam libros Aristotciis rccônditos et obscuros âb ojusinîmico
eiponendos putavit? Quis geomctricas Utteras Archimedi^ légère, ma-
gistro Epicuro, aut discere voluit? Contra quas illc multum pertinaciter,
whil earum, quantum arbitrer intcUigens, disscrcbat. » S. Aug., de Util,
credendi, 13. Cf. de Morih, ecel.,j.
^ Latini interprètes numcrari non possunt. S. Aug., de Doct. christ. y
II, 11, 13, 16; Cont, Faust. ^ xi, 2. Selon quelques auteurs, S. Augustin
parlerait jci, non de version complète de la Bible, mais de traduction de
certains passages plus ou moins obscurs. — ^ Massuet prouve qu'elle
est antérieure à Tertullicn. Dissert, u de S. Iren.^ art. 2, n. c3 et
Dissert, m, art. \^^y ii, 10. Cf. Tort. De Monogam., xi, Adv. Prax., v;
A. T., D. 125, etc, — 3 Jtala caîtoris praeferatur, quœ est vorborum tcna-
rior cum perspicuitatc scntcntise. S. Aug., de Doct. christ. , ir, 22. (inrd.
Wiseman, Mélanges ^ l""» Ictt. sur la l"^* cp. de S. Jean. — *.Anti-
9flam intcrpretationcm scqucntcs, quod non noccbat.mutarc noiuimus.
S. Hicrôn., Epist. cvi, G6. — /► Ne multum a lectionis latinaB consuo-
todine discrcparent , ita calamo temperavimus , , ut his tantupi ()uie
[
92 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n<» 34
passait pas toutes les autres en antiquité, elle ne leur était
pas non plus beaucoup inférieure *. L'auteur de cette ver-
sion avait porté l'exactitude jusqu'à la servilité, au point
de rendre des génitifs absolus du texte grec par des génitifs
latins ^
II. Comme il s'était déjà glissé un grand nombre de va-
riantes dans les exemplaires manuscrits de cette version,
S. Jérôme, à la demande du pape S. Damase, la revit avec
soin et la corrigea sur le grec pour le Nouveau Testament ',
avant de faire une traduction nouvelle des anciens livres
hébreux (383-385) . Le saint Docteur n'entreprit pas de donner
de l'Evangile et des écrits des Apôtres une traduction
nouvelle, soit parce que, l'Italique étant très répandue, il
eût craint de choquer les fidèles par des innovations, soit
parce qu'il ne voyait pas tant de rectifications à faire dans le
Nouveau Testament que dans l'Aticien.
34. — Qu'est-ce qui a porté le concile de Trente à demander la cor-
rection de la Vulgate plutôt qu'une traduction nouvelle des Livres
saints?
1° La considération qui a inspiré le concile de Trente est
la même qui avait détourné S. Jérôme de traduire à neuf le
Nouveau Testament et empêché l'Eglise de mettre entre les
mains des fidèles sa version du Psautier *. Il a jugé qu'il y
avait moins d'inconvénient à laisser dans une traduction en
usage depuis mille ans quelques imperfections sans consé-
quence, qu'à tenter de la remplacer par une autre version dif-
férente de celle qu'avaient suivie les premiers fidèles et les
sensum videbantur rautaro corrcctis, reliqua manere pateremur ut fue-
rant. S. Hieron., In Ev. Prœf. Hoc enira quod septuaginta transtulerunt,
propter vetustatem in ecclcsiis decantanduno est; et illud (quod in fonte
ïegitur) ab cruditis sciendum, propter notitiam scripturarum. Epist.
cvi, 46.
1 Pri-nis fidci temporibus apparuit. S. Aug., De Doct. christ.^ 11. Nas-
centis Ecclesiae fidem roboravit, S. Hieron., Cont. Rufin.j ii. — 2 n Cor.,
X, 15: ni Joan., 4, etc. Cf. Act., xix, 26. Maluit pius interpres minus
latine aliquid dicere quam minus proprie. S. Aug., Jn Ps, l. Infra^ n. 330.
— 3 S. Hier., Prœf, in Evang,; de Vir, illust.y 132; Epist, xxii, 1;
Lxxi, 5, — * Sess. 4,
N<> 34J ÉTUDE DU NOUVEAU TESTAMENT. 93
auteurs ecclésiastiques K La pratique est la môme pour
Tére chronologique ^
2* Du reste, les critiques instruits et Impartiaux sont loin de
faire peu d'estime du travail de S. Jérôme ou de penser qu'il
doive toute sa valeur à son antiquité. Les protestants les plus
savants rendent hommage à son mérite, comme ont fait les
Juifs, ses contemporains (346-420) *. On reconnaît qu'il se-
rait difficile de prendre aujourd'hui pour base un texte plus
sûr que celui de ce Docteur *. Il ne Tétait pas moins alors
de trouver un traducteur plus instruit et plus soigneux '.
Rien d'étonnant que le concile de Trente ait préféré cette
version à toutes les autres, qu'il y ait reconnu le fond
ou la substance du texte sacré par rapport à la foi, et qu'il
Tait, dans ce sens, déclarée authentique •.
* Sicut nonnuUa consulto mutata, ita ctiam alia qaœ mutanda vide-
banlur consulto immutata relicta sunt, quod ita faciendum esse ad offen-
sîpnem populomm vitandam, S. Hieronymus non seniel admonuit. Praf.
€id édition. Clément. VIU. Cf. S. Hieron., Epist. cvi. — * Cf. înfra^ n. 47.
— 3 Cf. A. T., n. 132-137; S. Aug., De Civ. Dei., xvui, 43. — * S. Jérôme
ne manqua pas de se procurer les meilleurs maauscrits, soit de Tlta*
lique, soit du texte grec; non tant pulchros quant emendatos. S. Hier.,
In Job.^ Prol.; In Evang., Prœf.; Jn Matth.^ xxiv ; Epist. xxiv. Il pouvait
aisément en avoir de plus anciens, de plus corrects et de plus nombreux
qac ceux que nous possédons. Nous sommes réduits à deux manuscrits
grecs du iv« siècle, deux du v«, et un du sixième ; et rien ne nous au-
torise à leur attribuer une grande exactitude. Dans le manuscrit du
Vatican, parfaitement peint d'ailleurs, on a relevé un nombre étonnant
de fautes de transcription. Dans les Evangiles seulement, dit un critique
anglais, il omet au moins 2877 mots; il en ajoute 536, en change 935,
en transpose 2098, en modifie 1132. Total, 7578 fautes. Pour ((, les
chiffres correspondants sont 3455, 829, 1114, 2299, 1265. Total, 8962. —
• Qaani Deus Ëcclesiae in exponendis Scripturis doctorem maximum
providcre dignatus est. Eccles. orat. Philosophus, rhetor, grammaticus,
hebraicus, grscus, latinus, trilinguis. S. Hier., Adv. Rufin., m; A. 7.,
n. 131-137. — < ÂvOsvTiQç, qui a autorité, qui fait foi : ex omnibus latinis
editianibtts qu» circumferuntur. 5^?**. iv. Cf. S. Greg., In Job,, W,G^.
En France y la traduction en langue vulgaire la plus répandue est peut-être
encore celle de Sacy (1682). Malgré les préventions soulevées par le nom de
l'auteur, dont Tesprit janséniste est assez connu, elle ne fut jamais con-
damnée, comme Ta été le Nouveau Testament de Mons (1665). Une édition
accompagnée de notes a même été approuvée en 1701 par De Noaillcs,
archevêque de Paris; et le P. de Carrières Ta suivie dans sa Paraphrase
(1701-1716) aussi bien que Don Calmet dans son Commentaire (1707-16).
04 INTRODUCTION AU NOUVEAU 'fESTAMENT. [n® 3S
3° La difficulté était de rétablir le texte de S. Jérôme
dans toute sa pureté, après toutes les attei^ites qu'il avait su-
bies depuis mille ans dans les manuscrits-. On y travailla à
Rome à plusieurs reprises pendant quarante ans, dé Paul iïî
à Clément VII (1550-1605). Le texte que nous avons au-
jourd'hui est lefruit'de tous ces travaux; mais on n'a jamais
prétendu qu'il soit irréformable *. ...
* 35. — D'où viennent les analogies.de style qu'on remarque entre l'An-»
cien Testament et le Nouveau, soit dans le texte grec soit dans la
• Vulgate? ', " ..
1° Pour les textes originaux, il faut remarquer que tous
les livres ir\spi.r$s, ceux du. Nouveau-Testament comine ceux
de l'Ancien, ont ppur auteurs des Juife habitués dès l'eiifance
à parler hébreu. Un seul écrivain, S. Luc, fait exception :
encore était-il né en Syrie ^ et s'était-il familiarisé depuis
longtemps , comme prosélyte ', avec, la littérature juive. Il
est vrai que le Nouveau Testament tout entier, sauf un évan-
gile, a été écrit en grec; mais il a été conçu en hébreu aussi
bien que l'Ancien, et il n'a guère de grec que les mots. La
syntaxe, les tournures, les images, etc., sont hébraïques. Il
doit donc avoir avec les Septante la plus grande analogie.
a** Quant à la Vulgate, on sait, d'une part, que saint Jé-
rôme, tout en faisant une nouvelle traduction des îlivres hé-
breux de l'Ancien Testament, s'est écarté le moins qu'il a
pu de la version Italique, calquée sur le grec des Septante
et reçue partout avant lui ; et, . d'autre .pprt, il est constant
que pour le Nouveau Testament, il n'a fait autre ehose que
revoir et modifier légèrement cette même version \ Ce doit
donc être encore partout la même gramnaaire et le même
* Sdas velim, dit BoUèrmin, Biblia Vulgata non esse a nobîs accura-
tissime castigata. Multa enim de industria, justis de causis, protennisi-
mus,quœcorrectioneindigere'videbantui^. Vercollone, Varùe lectiones^ II.
t— .2 Lucas nationè Syrus, Antiochensis.'Eurri dicunt magis graecas litteras
servisse quam hebraicas. S. Hier., In Isai.y lxv; Euseb., H., III, iv. — ^
» Cf. Col., IV, 10, il et 11 et 12; S. Hieron., Qiuest in Gen., xLvr, —
.*» A..T,, n. 1SJ9, 165. S. Hier., de Script, ecci:, 135; Epist. vxxi; 5.
.V» 36] . ÉTUDE BU NOtlVEÀU- TESTAMENT. ÔS
3* Si cette uniformité rfe^t pas nn mérite au poiiit dé vue
littéraire, il en résulte un avantage pour l'étude des Livres
saints. C'est qu'on est bientôt habitué à leurs irrégularités,
que la lecture du -Nouveau Testament prépare à celle de
l'Ancien, et qiie celui qui a bien saisi le génie d'un auteur
possède à peu près celui des autres.
' 36. — Est ce seulement par ses idiotismes hébreux et grecç que le latin
do la Vulgate diffère de celui des auteurs classiques?
Il j a aussi. dans la Vulgate un certain nombre de parti-
cularités qui tiennent à d'autres- causes.
Dès le siècle d'Auguste, il y avait une grande différence
entre le latin des hommes lettrés, des auteurs, et le latin
rulgair.e\ rùstictis i^celni que parlaient les hommes du com-
mun, soit à Rome, soit surtout dans les provinces. L'Italie
avait son patois, comme la France a le sien ; ou plutôt on en
distinguait un grand nombre qui s'éloignaient plus ou moiîis
dli langage poli. Les gens du peuple s'épargnaient les in-
versions; ils ne s'astreignaient guère à la distinction des
conjugaisons dans les verbes et des déclinaisons dans les
noms. Au lieu de jsous-entendre les prépositions, on s'habi-
tuait à les exprimer. On les employait les unes pour, les
autres, ou on leur faisait régir des cas inusités. On disait :
inebriari a vino^ misereri ou gaudere super, lœtari in, cœtera
de hoc génère. Les verbes déponents étaient souvent ein-
ployés au passif ou conjugués sous la forme active. Habere
servait d'auxiliaire, comme avoir en français. Lorsqu'un
verbe était régi par un autre vert)e, au lieu de le mettre à
l'infinitif, on le joignait au preiïiier par quod^ quia, quoniam^
comme dans la langue grecque; pu bien, on supprimait la
conjonction et l'on employait l'infinitif : facite discumbere;
ou euntes emere, comprehendere. Le mélange des popula-
tions, qui alla toujours croissant dansles. armées et dans
les villes, ne tarda pas à produire le n^élange des idiomes
et altéra de plus en plus la langue primitive. Enfin les va-
* s. Aug., de Vit, beat., 20; S. Hieron., Epùt, lxiv, 11.
96 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n<* 37
riantes de vocabulaire et de syntaxe se multiplièrent telle-
ment, qu'au sixième siècle, S. Isidore disait qu'en s'incor-
porant à l'empire, chaque nation avait contribué à vicier
son langage et ses mœurs *. Les versions latines, faites pour
le peuple et par des écrivains peu versés dans la haute
littérature, n'ont pu se préserver de ces altérations ^ ; et
S. Jérôme, en revisant l'Italique, n'a pas pris sur lui de les
faire entièrement disparaître ^ Il ne faut donc pas s'étonner
d'y trouver, avec la plupart des hébraïsmes du texte grec,
une foule de termes étrangers au latin et empruntés au lan-
gage populaire de l'époque.
Au moyen de la Vulgate, ces irrégularités ont passé dans
les discours des prédicateurs, et un grand nombre se sont
naturalisées dans les langues des peuples chrétiens *,
* 37. — Quels sont les endroits du Nouveau Testament dans lesquels
la Vulgate s'écarte du texte grec?
Pour l'Ancien Testament, on a une édition officielle de la
version grecque des Septante : c'est celle que Sixte V a don-
née en 1587, en défendant d'y faire aucun changement;
mais pour le Nouveau, il n'existe pas de texte grec authen-
tique, ni reconnu officiellement, ni universellement admis.
Chaque édition, comme chaque manuscrit, diffère des autres
1 Du Gange, Glossarium, Praef. — ^ A. T., n. 127. Cf. S. Greg. m., In
Job., Praef. 5. S. Aug., De doct. christ. ^ 12, 13, 14. — ^ Praef. in Evang.,
ad Damas.; Supra, n. 19. — * ^4. T., n. 144, 145. Un docteur allemand
fuit remarquer combien de locutions sont passées de la Bible dans la
langue do son pays. Nous n'en avons pas puisé un moins grand nombre
à cette source ; par exemple : prudent comme le serpent^ le denier de la
veuve, venir au monde^ avoir des talents, faire miséricorde, abonder en
t>on sens, être un bon pasteur, faire un discours, dire en soi-même,
semer la zizanie, porter sa crvix, .bâtir sur le sable, être sur le chan-
délier ou sous le boisseau, servir deux maîtres, jeter la première pierre^
suivre la voie large, s'en laver les mains, aller de Caïphe à Pilate,
donner un baiser de Judas, regarder de mauvais œil, trouver son che-
min de Damas, n^avoir qu'un cœur et qu'une âme, ils se nomment légion,
ses entrailles s'émurent , son heure est venue , les écailles lui tombèrent
des yeux, etc. Il en est de même des tours de phrase et des idiotismes
de la Vulgate : Date illis manducare; dicebanl quia; in audiendo;
habeo baplizare ; faciam fieri: facile discumbere; impleri de siliquis, etc.
MO 37] ÉTUDB DU NOUVEAU TESTAMENT. 97
et peut être récusée sur quelque point. On doit convenir ce-
pendant que les travaux faits par les critiques dans ces der-
niers temps ont mis en lumière, en plusieurs endroits, les
véritables leçons et donné aux éditions i-écentes beaucoup
(l'autorité. La Vulgate, qui n'est au fond, pour le Nouveau
Testament, que l'ancienne Italique, traduite sur des manus-
crits du premier siècle, peut parfois s'écarter justement de
ces éditions ; mais, parfois aussi, les règles de la critique
obligent à leur donner la préférence.
D'où viennent donc^ les différences de signification qu'on
signale entre le grée et le latin pour un certain nombre de
versets? De. diverses causes : — quelquefois de la différence
[ des manuscrits : celui qu'avait le traducteur pouvait différer
de ceux qu'on préfère aujourd'hui ; — quelquefois d'une
ôute de fcopiste qui se sera introduite dans le texte grec ou
dans la version ; — <I'autres fois de l'imperfection de la
langue latine, qui n'a pas d'expression ou de tournure tout
à fait équivalente à l'expression ou à la tournure de Torigi-
nal; — d'autres fois enfin, de l'inhabileté ou de l'inattention
du trâducteut-.
. . , . • , - - • • •
Ces différences sont généralement de peu d'importance ;
Béanmoind îl ferait "utile de siavoir d'avance les versets où
elles se rencontrent, afin dé confrontei* en ces endroits la
yer^ipn latine avec le texte grec ou ses diverses leçons, et
d'étttdierle passage avec un soin particulier *.
^ Les plus iinpQPtftntes sont Rom., vni, 25; Act., xx, 28; I Cor., xv,
5i;.I Tim., ui, 16; et les passages deutérocanoniques. Supra, n. 6. Nous
poavODS iodiqucir en outre : Matth^, i, M ; ii, i; v, 22, 32, 44; vi, 1, 5,
6, 13, 18,25$ vil,. 24? viii, 13, 28, 30; ix, 35, 36; x, 3; xi; 16; xi\r, 21;
xy, 31^. XVI,. 2-4, 13; xvii, 2, 21.; xvih, 35; xix, 9; xx, 7, 15, 16, 28;
m, 29S31, 44; xxhi, 10,13, 14; xxiv, ô,-» xxv, 13; xxvi, 34. 61; xxvii,
9^%,;»,.49.j xxvïii, î, 2..^.Ma«i.,^ii,.17î m, 21, 29; v, 23; vi, 5, 20,
43;vn,.31,.32;Tio,J25,26;.ix,:44, 49; x, 27, 30, 35-, 44; ii, 3,26; xii,
*0; rni, U; xiv, 3, 4» 58, 70;. xv, 3, 12, 27, 28, 39; xvi, 8, 9, 20, etc- —
Uci, 1/4, 28t; .Ii,.i4,. 30, 43; uù 22,^ 23 ; ïv, 2, 4, 18, 41, 44 ; v, 34 ; vi, 4,
19, 43.;-viu, 26;.iX, 25,' 54-56 ;.x, 1, 15; xi^ 2, 3, 13, 53, 54; xiv, 5;
XT,30;jLVi,.26;. x^n,, 19-21, 43,: 4; kxm; 34, 38, 54; xxiv, 3, 6, 12, 13,
36, 40, 51, 52. — Jean., i, 3. 9, 48, 21, 28; lir, 5, 7, 13; iv, 1,10; v, 2,
.3. 4» .7,. 16, ,4G; vi, 17, 7Q ; vu, 3, 39; yiii, 1-il, 25, 27, 88, 39, 45, 59 ;
a, 9, 24, 27; X. 8, 10, 29; xii, 15, 32,* ^lu, 18, 25? xiv, 7^ 10, 11, 26;
6
98 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n® 38
* 38. — Quels sont les principaux idiotisines de la Vulgate dans
le Nouveau Testament *.
Ils peuvent se ranger en six classes. Nous indiquerons ici
les plus remarquables, en laissant de côté ceux qui sont
propres aux Epîtres de S. Paul. La plupart sont des hé-
braïsmes; quelques-uns cependant viennent du grec.
1» Idiotismes relatifs aux noms.
On trouve en beaucoup d'endroits :
1° Des noms pris en un sens détourné, propre à l'hébreu
et à la langue ecclésiastique. Ainsi quelquefois, malgré les
corrections faites par saint Jérôme :
Acquisitio signifie gain, Act., xix, 25;
anima^ vie, Matth., vi, 25; x, 39; xx, 28; Luc, xii, 20; Marc, in, 4;
Joan., X, 11; Act., xv, 26; xx, 24; — ou personne, Matth., xii, 18;
Luc, VI, 9; Act., II, 41, 43; vu, 14;
arida, la terre, Matth., xxiii, 15;
éemalatiay indignation, Heb., x, 27;
aùditus, prédication, Joan., xii, 38;
brachium^ puissance, Luc, i, 51 ; Joàn., xii, 38; Act., xiii, 17;
calumnia^ mauvais traitement, Luc, m, 14;
XVI, 2; XIX, 14, 38; xx, 5; xxi, 16, 18, 22, 25. — Act., i, 4; ii, 30, 42, 43
VI, 10; VII, 44; viii, 36, 37, 39; ix, 5, 6; x, 25. 30, 32, 33; xi, 2; xii, 8
XIV, 6, 19; XV, 2; 34; xvi, 1, 31, 38; xvii, 15, 23; xviii, 5, 27; xix, i
19,35; XX, 18, 28; xxi,25; xxii, 3.9, 25, 26; xxiii, 9, 24, 25, 30; xxiv
6, 14, 23; XXV, 7, 16, 24; xxvii, 33; xxvm, 6, 16. — Rom., i, 4, 20
11, 3; IV, 12; v, 16; vu, 4, 6, 15, 25; viii. 7, 9, 23; xi,8; xii, 1; xv, 16
XVI, 5, 23, 25-27. — I Cor., i, 13; ii, 13; m, 5; vi, 4, 7, 20; vii, 5. 33
IX, 21, 23; X, 28; xi, 19; xui, 5; xiv, 18; xv, 5, 31, 34, 38, 47, 51, 53
55; XVI, 2. — II Cor., i, 8; m, 13, 18; v, 10; vu, 8, 10, 12, 13 ; ix, 10
XI, 25; XII, 7, 9. — Gai., ii, 2, 5; m, 1, 17, 24, 27; iv, 13, 17, 25; v, 19.
— Eph., I, 22; 11, 10; m, 9; iv, 9, 13, 28. - Phil., ii, 30; iv, 7, 13. —
Col., I, 1, 7, 10; II, 2, 18. — I Tliess., ii, 7; v, 24. — II Thess., m, 5.
— I Tim., i, 1, 17; m, 3, 16; iv, 12j vi, 5, 20. — II Tim., ii, 3, 4, 10, 14,
23. — Tit., II, 13. — Heb., iv, 2; v, 11; ix, 1, 9, 28; xi. 11, 24, 34, 36;
XII, 18, 20; XIII, 16 — Jac, i, 4, 13; u, 17, 18; v, 15, 20. — I. Pet., i,
6, 12, 22; II, 23; m, 13.15. 19;iv, 12. 14. — II Pet., i, 1, 10, 16; ii, 10.
— I Joan., I, 4 ; m, 4; v, 7, 9, 13, 17. — II Joan.. 7. — III Joan., 4, 9.
— Jud., V, 22. — Apoc, I, 7; v, 10, 12, 14; vi, 7, 8, 11; viii, 7, 13;
XVII, 17; XVIII, 18; xxi, 13; xxii, f, 14.
1 Habet Scriptura linguam suam; quicumque hanc lingaam nescit,
turbatur. S. Aug., In Joan., x, 2.
N^'SS] ÉTUDE DU NOUVEAU TESTAMENT. 99
eapiUaturay chevelure, I Pet.., m, 3;
caro, la nature humaine, Matth., xxiv, 22; xvi, 17; Luc, m, 6; Joan.,
vl4; XVII, 2; — ou le corps, Jud., 8;
colentes, prosélytes, Act., xiii, 43;
concupiscentia, penchant vicieux, Marc, iv, 19; I Joan., ii, 16;
cornu, force, instrument puissant, Luc, i, 69;
craSf craslinum^ avenir, Matth., vi, 30, 34;
custodia^ prisonnier, Act., xxvii, 1 ;
eœlum. Dieu, Luc, xv, 18;
dieseihora, temps, Matth., xviii, 1; Marc, iv, 35; Joan., ii, 23; iv,
21; V, 25, 28; vu, 30; viii, 56; xii, 23; xiv, 20; xvi, 23;
domihationes, princes, II Pet., ii, 10; Jud., 8;
domuSj famille, Luc, i, 32, 69; demeure, Luc, xiii, 35;
cxcessuSy mort, Luc, ix, 31 ;
fideSy évangile, Act., vi, 7;
filins, descendant, Matth., i, 1; v, 45, 48; xv, 22; Luc, v, 34; — par-
tisan, sectateur, adhérent, disciple, ami, etc., Matth., viii, 12; Marc,
n, 19; Luc, v, 34; Joan., xvii, 12; Apec, ir, 23;
forlis armatuSy homme de guerre, Luc, xi, 21 ;
frater, parent, même éloigné, Matth., xii, 46; Joan., vu, 5; Act.. i,
14;— chrétien, Joan., xxi,23; Act., xiv, 2; xvii, 6; Jac, i, 9; ii, 15;
fraiêrnitas, réunion de frères, chrétienté, I Petr., ii, 17; v, 9;
generatiOt vie, conduite, Luc, xvi, 8; — temps, époque, Luc, i, 48;
Act., xin, 36,'
génies, les Gentils, les infidèles, Matth., vi, 32;
gratta, faveur divine, Luc, i, 28, 30;
m/î?pnM*, mort, sépulcre, Act., ii. 24;
interrogation examen, Act., xxv, 26; xxviii, 18; I Petr., m, 21;
tVfl, peine, Luc, xxi, 23; Joan., m, 36;
lier sabbatif Act., i, 12;
judiciuniy condamnation, punition, Matth., xxiii, 14, 33; Marc, xn,
40; Joan., v, 24, 29; Jae., m, 10;
justitia, piété, bonne œuvre quelconque, Matth., v, 6; Luc, i, 75;
liber gêner ationis, généalogie, Matth., i, 1 ;
lignum, arbre, Luc, xxiii, 31 ; Act., v, 30 ; x, 39;
lingua, nation, Apec, v, 19;
manus, pouvoir, Joan., m, 35; Act., iv, 28;
nultiloquium^ Matth., vi, 7;
mors, mortalité, peste, Apec, vi, 8;
mendacium, idolâtrie, iniquité, Apoc, xxii, 15;
nativitas, conception, Matth., i, 20; xxvi, 24 ;
nowen, autorité, vertu, Matth., vu, 22; Act., m, 6, 16; iv, 7, 10; —
la chose ou la personne nommée, Matth., vi, 9; x, 22; Joan., i, 12;
y, 13; Apoc, m, 4, 5;
obligatio, lien, Act,, viii, 23;
opinio, bruit, rumeur, Matth., iv, 24;
os gladii, tranchant du glaive, Luc, xxi, 24 ;
panis, aliment, Matth., vi, U; xv, 2; Joan., xin, 18;
100 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [N*^38
paschOf victime pascale, Matth-, xxvi, iT; Marc , xiv; 12 j Luc, xxii,
7; Joan., xvuiv-28; •>
' pax, toutes sortes de biens, Luc, x, 5; Eph., vi, 15;
porta^ puissance, Mattli., xvi, 18; ^
propheiia^ prédication,- manifestation des desseins et des secrets de
Dieu, Matth., vu, 22; Act., xv, 32; xix, C; Joan., xi, 51 ;. .
puer^ serviteur ou fils, Matth., viii, G; xii, lé; xiv, 2; Luc, i, 54; 3pi,
-7; Act., IV, 25, 27; ■
purification baptême, Joan., m, 25; • . >
re^«é?2'/z<zo, résurrection, Matth., XIX, 28;
repromissio^ promesse, Jac, i, 12; I Joan., h, 25;
sabbatuirif semaine, Luc, xvm, 12; xxiv, 1 ; Mt., xvi, 13;xx, 7; ^
sacramentum, secret, Apoc, xvii, 7; •.
sanctuSj chrétien, Act., ix, 41 ; \
semen, postérité, Matth., xxii, 24, 25; ;
«p-m^m-, miracle, Luc, II, 29; ,
.5o;'0r, chrétienne, Jac, II, 15;
5<a5M/Mm, auberge, Luc, X, 34;
^MÔ^/anria, richesses, Luc, XV, 12;
. 2ina sabbcLtorunir le premier jour de la semaine, le lendemain du sab-
bat, Marc, XVI, 2; Luc, xxiy, 1 ;
vaSy corps, instrument, objet quelconque; Marc, m, 27; Act., ix, 15;
venierf intérieur, Joan., vu, 3i8;
verburriy évangile, Joan., v, 24, 38; Act., iv, 4; xi, 19; —• la chose nom-
mée, ou un objet quelconque, Matth., rv, 4; xvm, 16; xix,, 14;
via, religion, Matth'., xxii, 16; Act.,ix, 2; xix, 9; Jac, i,8;.
virtus, prodige, Matth., vu, 22; xi, 21; Marc, ix, 38; Luc, xix, 37;
uiice?"», cœur, 1,-8;
zeluSj indignation, Act., xiii, 45* • , \
2" Les- noms abstraits à la place des noms concrets, qui
manquent souvent en hébreu :
circumcisiopôvir circumcisit Act., XI ^ 2;
Zwa; pour i7/Mmmator; Joan., yiii, 12; •.
propitialio pour propitiaior^ I Joan., ii, 2; iv, 10; .
carOj caro et sanguis, Matth., xvi, 17; xxiv, 2î: Luc , ni,G^
coinquinaiiones et maculse^ W PatT. y II, ïi\ :
nomen, Matth., x. 22; xii, 21 ; Joan.» i, 11; xii, 23;
tenebrsBjhViC.., xxii, 53'; Joan., i, 5;
voXy Joan., i, 23; Act., ix, 4, 7; xxyi, 14, etc. ■ . .
3° Les* substantifs. â la place des adjectifs, .soit que ceux-
ci fassent défaut, soit qu'on veuille rendre l'idée avec pjus
de force :
abominatio pour abomihabiliSy Luc, xvi, 15; ^ ^
dominaiio \ionv daminantes, iuà^jS;
N° 38] ÉTUDE DU NOUVEAU TESTAMENT. 101
mendadum pour fàlsum, Apoc», xxi, 27;
Veritas pour verurrif Joan., m, 21 ; xvii, 17; xiv, 6, etc.
4* Des substantifs avec un génitif dans le sens de l'adjectif,
comme :
aàominatio desolationis pour abominanda desolatio, Matth , zxn, 15;
altitudo terrsgy Matth., xiii, 5;
cornu saluiiSj Luc, i, 69. Cf. Apoc, xvn, 12, 13;
dextera virtutis Dei, Mattb., xxvi, 64; Luc, xxii, 69;
fallacia divitiarum, Matth., xiii, 22;
mammona iniquitatis^ Luc, xvi, 9;
oàedientia caritatis, I Pet., i, 22;
pater luminum, spirituum^ Isa., i, 17; Heb., xn, 6;
plaga mortis^ Apoc, xiii, 3;
pleniludo panni^ Matth., ix, 16 ;
spirUus veritalis^ Joan., xiv, 17;
umbra mortis^ Matth., iv, 16; Luc, i, 19. Cf. Apoc, xiii, 3;
vas electionis, Act., ix, 15. Cf. II Tim., ii, 20, 21;
verbagratiXf Luc.., lY, 22;
vUlicus iniquitatis^ Luc, xvi, 8. Cf. II Thess., ii, 3.
5* Des. mots qu'on redouble pour leur donner plus de
force :
Amen, amen!... Eloi! EloU... Marlka, Martha!... Saule j Saule!... Si'
mon, Simon!... Jérusalem, Jérusalem!..,
6" Des noms sous-entendus :
Jacobus Alphâsi, Zebedœi, Matth., x, 3; Marc, i, 19;
omnis igné salietur, Marc, ix, 18;
Simon Joannis, Joan., xxi, 15;
vapulabit muliis, paucis, Luc, xii, 47, 48.
7* Des cas employés pour d'autres, parce que les Hé-
breux, n'en ayant pas, en connaissaient peu la valeur, comme
pusillus grex, pour grex pmille,
Matth., XII, 36; xvii, 12; xx,25; xxv, 42; Marc, vi, 16; xii, 31 ; Luc,
I, 55-73; VI, 8; Joan., vu, 1; Act., v, 11, 16; vu, 45; vm, 11; xii, 8;
xxiii, 16; xxv, 2; 1 Joan., iv, 16; Apoc, i, 5; vi, 1; vu, 9; xi, 5,
8* Le singulier pour le pluriel, ou le pluriel pour le sin-
gulier :
Matth., VI, 17; xxv, 41; Luc, iv, 3; Joan., i, 29; ii, 23; viii, 21; xix,
11; Act., XI, 9; xvm, 15; Apoc, xviii, 17;
6.
iô2 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n*' 38
Matth., n, 20; ix, 8, 38; xii, 1; xxn, 30;\xxiv, 1: xxvi, 8; xxvii, 44;
Joan., I, 13; iir, 11; xv, 17; xvnï, 25; xix, 29; Act.,.i, 20; v, 16;
XIII, 40; XVII, 2; xxv, 24; xxvi, 10.
» .'■■• . '■• •'--
2» Idiotismes qui ont rapport aux adjectifs,
1<» Lés Hébreux sont très pauvres en adjectifs : nous avons
vu comme ils y suppléent pour rordinâire.. ^
On trouve cependant des adjectifs employés comme sub-
stantifs :
duplicia, Apoc, xviii, 6; ; in nlbis^ Joao., xx, 12;
woWm, Matth., xi, 8;- . in modicOy Luc^xis, 17..
mortui, Apoc, xx, 13;
On en voit aussi qui sont employés dans un sens inu-
sité: :''*'• '
communiSt pour impur, profane, Act., xiy, 15; .
omnis^ pour quelque, ,2<^U9, Matth.,. v,- 10;.Marc., xiii, 20; — ou pour
complet, Matth.^ m, 15;
. non amnis, pour nemo^ nullus^ ApDC, 3iix, 23; '
novus, pour extraordinaire, Apoc, xix, 23;
nuduSy sans le vêtement ordinaire, Matth., xxv, 36; Act., x,9, 16;
0<20*w«, pour vain, Matth., XII, 86; . ;
sûhjugale^ pour habitué au jouf, II Pet., ii, 16; .
timorati^ pour craignant Dieu, Luc, ii, 25; Act., viii, 2;
unm^ pour premier, Marc, xvi,-2.
2** Quant aux comparatifs et aux superlatifs, l'hébreu en
manque totalement. Pour les remplacer, on a recours à di-
verses tournures.
e
1» Pour melius est quam, on dit : bonum est quam^ Matth., xvm, 8;
- bonum est si^ Matth., xxvi, 24; îta erit quam^ Luc, xy, 7. On dit
aussi beatus magis, Act , xx, 35; tanto magis pluSfM&rc,, vu, 36;'
supei% Matth., x, 24; ab\ Luc, xviii, 14,
2o PovLTmaximuSy on dira : magnuSf le grand, Matth., xxii, 36; magnus
valde, Matth., ii, 10, ou eh grec, (jLetCcov, major ^ Matth., xvm, 1 ;
Luc, xxii, 24; — pour maxime^ multum^ Luc, vu, 47; xii, 47; —
pour sasvissimiy sxvi nimis^ Matth., vm, 28; Marc, ix, 2; — pour
. benediciionibus cumulatay benedicta inter omnes, Luc, i, 42 ; — pour
tam multi^ tahti, Joan., vi, 9; — pour pulcherrimus, pûlcker Dèo,
Act., VII, 20.
3° Pour aimer moins ^ on dit : odisse, Luc, xiv, 26; Joan., xii, 25; —
pour je désire moins : nolo^ Matth., ix, 13; — ^ pour vous perdrez
moins: bonum tibi estj Matth.. xviii, 9; etc. /n/r«, n. 631, note, .
N° 38] ÉTUDE DU NOUVEAU TESTAMENT. 103
4» On se sort aussi de pléonasmes et de. répétitions' pour renforcer
le sens des termes et remplacer le superlatif : Luc.,.jif 9; xi, 42;
XII, 24; XXII, 15, 25; Joan., i,. 20; m, .29; Act., iv, 17; v, 4, 28;
Gai., I, 5; I Pet , m, 14; H Pet., ii, 17; Apoc, xvii, 6, 14.*
3« Idioiismes relatifs aux pronoms.
1» Ils ne s'accordent pas toujours avec les noms, — ni
pour le genre ni pour le nombre :
Matth., xiii, 8; xx, 25; Luc, xxii, 25; Joan., i, 41;
Marc, xn, .42 ; Joan., xvii, 2; Act., xv, 35.
2^ Ils sont quelquefois répétés sans motif :
Matth., XXII, 9; Luc, m, 17; Joan., i, 27..
3* Les noms auxquels ils se rapportent peuvent être sous-
entendus :
Joan., VIII, 44; Act., m, 15.
4" Idiotismes relatifs aux verbes.
On trouve quelquefois ; .
1** Des verbes employés dans une acception inusitée :
Abnegare^ Luc, xxii, 34; faciem firmare, Luc, ix, 51;
agere, Luc;, xxiii,'15,* • fiangere panem, Act., ii, 46;
addere^ Luc, xx, 11, 12; gnstare mortem^ Matth., viii, 39;
ambulare^ Matth., iv; 18; Joan., habere, Luc., xii, 50;
vn, 1 ; vm, 12; I Joan., i, 6; ' impleri, Matth., i, 22;
angariare, Matth., xxvii, 3; • tngredi et egrediy Joan., x, 9;
apporterez Act», xii, 3; intrare et exire^ Act., i, 21 ;
ascendere^ Act., xviii, 22 \ judicare, Joan., m, 18; vu, 51 ;
attenderef ' Matth», vii , 15 ; Luc; . magnificare^ Matth., xv, 31 ; xxiii,
xii, 1 ; XX, 46; xxi, 34; . .5; Luc, i, 46; iv, 15; Act., v, 13;
audire^ Joan., vi, 45; «lanica/'c, Luc, xxi, 38;
bojulare, Act., m, 2; minarCf Jac, m, 4;
capere, Luc, xiii, 33; . minorare^ Heb.,ii, 7;
communicare, Marc, vii, 15; odisse, Joan., xii, 25;
confiteri, Matth., xi, 25; parère^ Matth., xxiii, 27; Jac, iv,
eonfundi, I Joan.,.ii, 28; 15; I Pet., iv, 18;
coiiti, Joan., iv, 9; non posse^ Marc, ii, 19; vi, 5;
dicere^ Matth., xxvi, 25, 64; putas, Matth., xxiv, 45; Marc, iv,
dicere intra se, Matth., m, 9 ; 40; Luc, i, 66; etc.;
diffamare, Matth., ix, 31; recipere, Matth., xi, 4 ;
dividere, Matth.. xxiv, 51; respondere^ Matth., xi, 25; xvii,
esse, Luc, viii, 9; Act., x, 17 ; 4; xxii, 1; .
104 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n<» 38
sanctificare^ Mattb., vi, 9; traducere, Maith., i, 19;
silercj Luc, xxiii, 56; vellCy Matth., xv, 28; xix, 17;
^i^de»*e, Matth., XXVIII, 14; IJoan., Luc, x, 24; xvi, 26;
III, 19; nidere^ Joan., m, 36; II Joan., 8;
subinferre, II Pet., i, 5 ; visiiare, Luc, i, 68;
superare^ II Pet., i, 8; vocari, Matth., v, 9; Luc, i, 35;
suscitarCf Matth., m, 9; vi, 24; zelare^ Act., xvii, 5; Jac, iv, 2;
XXVI, 38; éemularij Apoc, m, 19;
siisiinere, Act., xx, 5; œruginare^ Jac, v, 3.
2^ Des verbes répétés pour en accroître l'énergie :
Matth., XIII, 14; Luc, xxii, 15; Joan., i, 20; m, 29; vu, 24; Act., v,
4, 28; vil, 34.
3° Des verbes neutres dans le sens actif, ou bien des verbes
actifs ou passifs dans des sens que le grec ne connaît pas :
Matth., V, 45; xxiii, 10; Jac, m, 2; Apoç., xi, 5.
¥ Diverses locutions pour suppléer au verbe réfléchi :
Exemple : perdere animant suam, pour perdere seipstim, vitam suam,
Matth., X, 39; Joan., xii, 25; Act., xv, 26; xx, 24; Apoc, xii, 11.
5* Enfin des temps substitués à d'autres temps :
Le pi'ésent pour le passé :Msiiih.f xi, II; Marc, xv, 25; Luc, i, 70;
VI, 15; Joan., i, 15; I Joan., iv, 17; Apoc. ix, 17; xiii, 14.
Le passé pour le présent : Matth., xi, Î5; xxiii, 2; Marc, i, 15; vu,
3; Luc, I, 47, 51; Joan., i, 26; x, 41 ; xi, 27, 41, 42; xv, 10, 15; xvii,
14; XIX, 35; XX, 17; IJoan., i, 10; Apoc, i, 2; XI, 9; XIX, 6.
Le présent pour le futur : Matth.^ xviii, 14; xx, 22; xxvi, 11, 18;
Marc, i, 27 ; x, 38; xiv, 7; Luc, vu, 42; xi, 10; xiii, 30; xxiv, 48;
Joan., m, 36; v, 24, 28; vi, 47; vu, 27, 33; viu, 14, 21; x, 15, 28;
XIV, 3, 19; XIX, 12; xx, 17, 23; Act., m, 18; II Pet., m, 78; IJoan.,
II, 18; IV, 3; II Joan., 1.
Le futur pour le présent : Joan., viii, 12; xi, 12. Cf. Heb., xi, 1.
V impératif pour le futur : Act., xiii, 41.
Le futur pour l'impératif: Matth., xix, 18; xxiii, 11 ; xxvi, 52 ; Marc,
IX, 34; X, 43 ; Luc, xix, 17; I Pet., i, 6.
Le passé pour le futur : Marc, xiii, 30; Luc, xii, 12; xvii, 20; Joan.,
IV, 38; XIII, 30; xvi, 22; xvii, 18; Jac, v, 2; Jud., xi, 14; Apoc,
XIV, 7; XVII, 8.
Le parfait pour le plus-que-parfait : Marc, m, 16; iv, 40; Luc, viii,
25; IX, 36; x, 13; xxiv, 56; Joan., iv, 47, 51; xviii, 24.
L'indicatif pf^ésent ou l'imparfait pour le conditionnel : vis, volebam
pour velleSj vellem, voluissem. Act., xxv, 9, 22.
V infinitif pour le supin ; Luc, xiv, 19.
L'impératif pour le conditionnel : Luc, x, 28.
^'<».38J , ÉTUBE DU NOUVEAU TESTAMENT. t05
La cause de ces irrégularités est que, .le$ verbes ne se con-
juguant pas en hébreu, comme dans lé grec, les Juifs hellé-
BÎstesf tenaient- peu compte des inflexions gui indiquent lès
temps, les modes et les persoiïnes. Bien souvent ils les né-
gligeaient ou les confondaient
50 Idiotismes relatifs aUx particules : propositions et conjonctions.
1® Comme les Hébreux ri-ont qu'un petit n^mb^e de pré-
positions, ils sont forcés dé donner à chacune dés significa-
tions multiples eVtrès diverses. Les Juifs hellénistes ne .dis-
tinguaient guère mieux les prépositions grecques que les
prépositions hébraïques; et les. auteurs sacrés ont adopté
leur langage. Exe.mples :
a, airo, : Matth., xyiu, 7; Luc, x.vin, 14.-
ad, icpoç, Êfç : Matth., xix, 8; Luc, xix, 9; xx, 19; Act., xxiv, 16.
a facie, \\ Thess., i, 9;* Apoc.; xii, 14.
• ' - • ■ ■ •■.,,.'.'■
circOf Act., V, 42.
coram, Luc, xv, 18. •
- contra : Mattli., xxr, 2 ; Marc, m, 3; Luc, xix, 30.
è et dCy êÇ, Luc... xv., 16; Joan., viii, '47; x, 33 ; xvi,* 26| TIÏ J6an., 2;
Apoc, viiii 5, 13; XXI, 16.
- m, ev, etç; Matth., vi, 4, 7; vit, 15; xii, 24, 28; xxu, 37; xyv, 16;
Marc, V, 2; v, 2; Luc., i, 14; iv, 42; viir, 15;xi, 19; xxu; 20;
xxiii, 44; Joan., i, 14; m, 2f ; v, 39; xm, 31 ; Act.; i, 3; iv, 9; Vu.
29; viii, 23; xi, .23; xm, IT; xvii, 28; icix, 2ï ; xx, 32 ; Jaç., 11, l;
v^" 1 ; I Pet., i,. 13; Jad.,'14, ]^4 ; Apoc, VIII, 7.
nisi, Mattli,, xii, 39; Joan., v, 19. Cf. I Cor., vii, 17: Gai., -11, 16.
per, 5ca, Matth , xxyii, IJJ; Act., r, 2, 3; xiV, 21 ; JI Pet;, m, 5,
pi^opter : Marc, n, 27; Joan., vi, 58; I Joan., 11, 12; Apoc, xii, M.
super : Matth., x, 24, 37 ; xxiii, 35; xxiv, 47; Marc, viii, 2; Luc, 11,
8; IV, 39; ix, 5; x, 19; xi, 17; Joan., i, 51 ; Act., v, 28; xv,2; xviii, 6.
2<* Il en est à peu près de même pour les conjonctions.
On trouve :
ei pour ffi/^:Joan., vi, 54; Act., m, 6; I Cor., xi, 27; — pour nempe :
Matth., xiii, 41 ; xxiv, 31; Luc, m, 16; Joan., x, 33; Act., x, 14 ;
— pour pvêeci pue : Marc, xvi, 7; Act., i, 14; — pour/«w^;2 : Apoc,
m, 8: — pour ideo : Joan., iv, 24; xii, 16; Act,, v, 38; vu, 43;
I Joan., II, 27; — pour ila : Joan., x, 15; xv, 9.
forsilan pour versimiliterf utique : Joan,, iv, 10; v, 46; viii, 19.
106 INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT. [n<ï 38
ne pour num : Luc, v, 12; m, 15.
nisij même sens : Matth., xii, 39; Joan., xviii, 36.
nunc pour sed : Luc, xi, 39; Joan., xvii, 5; xviii, 36; Act., xiii, 17;
V, 38; VII, 34; xin, 11; xx, 25.
propter quod pour eo quod : Jac, iv, 2.
quamdiu pour in quantum : Matth., xxv, 40.
quasi pour tanquam : Marc, i, 22; Joan., i, 14.
quia^ redondant i Luc, xix, 9, etc.
si pour an, Marc, xv, 44; Luc, vi, 9 ; xiii, 23; xxii, 49.
sine causa pour frustra : Matth., xv, 9.
M^pour ita ut : Matth., v, 16; xiii, 35; Marc, iv, 12; Luc, xiv, 10;
Joan., IX, 2; V, 20.
6® Idiotismes relatifs aux nombres.
Souvent, au lieu du nombre précis, les Hébreux em-
ploient un nombre rond qui en approché :
ter, pour à plusieurs reprises y II Cor., xii, 8.
post très dieSy pour le ti^isième jour, Matth., xxvii, 63.
quinque pour un petit nombre, I Cor., xiv, 19.
septem dœmonia pour une multitude ou toutes sortes de démons, Matth.,
XII, 45 ; Luc, viii, 2 ; xi, 26.
septuaginta, pour septante deux ou septante cinq, Luc, x, 1.
septuagies septies pour un nombre de fois indéterminée, mais considé-
rable, Matth., xviii, 22.
centuplum pour beaucoup plus, Matth., xix, 29.
mille pour un grand nombre, Apec, xx, 2.
quinque millia pour environ cinq mille, Matth., xiv, 21 ; Joan., vi, 10.
omnes pour presque tous, la totalité, moralement parlant : Matth., ii,
3; m, 5; xxiv, 14; Marc, i, 5,' Luc, iv, 22; xix, 7; Àct., xix, 10.
JESUS-CHRIST'
SBLOS l'*YM6IlE
SES PREMIERES «NHEES, SA PRËDICItTIOH , SES DERNIERS MYSTÈRES
FRËLIMmAnfES
lo. Da l'Évangile «a général «t de l'Atudn
iin'il faut «n faJva.
I — TiCret, ordre chronologique, divUton des Evangiles.
39. — Que signifient ces mots : l'Evangile, les Evangiles'^
1. Le sens du mot Evangile s'est modifié par l'usage,
comme celui de Testament ', Employé d'abord pour expri-
mer la bonne nouvelle de l'accomplissement des divines pro-
■ Cette ligure de Notre Seigneur, ilessinâc par Perret dans ses Cata-
eomb^i et aouveat reprodaiie, est prise d'une lorre cuite, trouvée dan»
des fouiUca pniiqnée) au-doasus du cimetière do iite-Agn6s. On conteste
Tsutheaticité de rcean-c, et plusieurs ne la croient pas antérieure à la
Bn da zv siècle; rpais tout le monda s'accorde à louer la beauté de ce
Titagc, >on caractère noble, religieui, surhumain. — ' Supra, n. 1.
108 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. {n^ 39
messes *, ou l'annonce de la fédemption du monde par les
mérites du Sauveur % il servit bientôt à désigner les quatre
livres inspirés qui nous retracent Thistoire de cette grande
œuvre et ses diverses phases : l'incarnation du Fils de Dieu,
sa prédication, son sacrifice ^ Cette dernière signification
est aujourd'hui la plus, commune.
II. Gomme il importait souverainement de conserver un
souvenir exact et certain de cet événement capital, Dieu a
pris soin de l'entourer des garanties les plus sûres et des
témoignages les plus convaincants. Il a voulu :
1° Que la vie de son Fils fût écrite peu de temps après sa
mort *, non par un auteur seulement, mais par quatre écri-
vains ^ dont deux, le premier .et le dernier, étaient témoins ®
oculaires des faits qu'ils rapportent, et les deux autres,
compagnons de ses Apôtres.
2** Que ces écrits reçussent' aussitôt la plus gï*ande publi-
cité ; qu'ils fussent, non seulement lus dans une église avec
solennité, mais répandus dans le monde entier, mis sous les
yeux de tous, dei^éux mêmes qui étaient les plus intéressés
à les contredire et les plus aptes à les contrôler.
3° Que, dès leur apparition, ils fussent placés, par l'ordre
des Apôtres et la pratique de l'Eglise, au même rang que
les livres les plus vénérés de l'Ancien Testament, comme
inspirés par le même Esprit et réclamant la même foi \
4° Que les auteurs de ces livres, avec une niultitude de
pasteurs et de fidèles instruils par eux, consumassent leur
vie et répandissent leur sang pour attester la vérité des faits
qui y sont consignés.
Ainsi rien ne manque à ràutorité des saints Evangiles ; et
* EuaYY«5^tov Ivi<Tov Xpiorou, Ytou tou 0eou. Marc, i, 4;Ilom., i, .9. Cf.
U Reg., IV, 10, Grâce, — 2 Luc., ii, 10, i\. Deus in terra, horao in
cœlis : quid par esse potest? S. Chrys. In Matth., Hom. i. — 3 Cf. Apoc,
XIV, 6; S. Clèm. Epist, II» 8; Epist, ad Diogn., xi, S. Justin., I^ApoL,
I, 6ô; DiaL\ 10. ^~ ^ « Dieu a toujours gardé cet ordre admirable de
faire écrire les choses dans le temps qu'elles étaient arrivées et que la,
mémoire en était récente. u.Bossuet, fi, (/*, 11, 27» — * Joan., viii, 17;
Heb., X, 28. — « Aurowmi, Luc, xii. Cf. Deut.,^xvii, 6; — ' Supra, h. 23
et 2k
S<* 4iJ .' LES QUATRE EVANGILES. lOÔ
« il n'a pas failli d'autre quadrige ati Seigneur, pour sou-
mettre tous lés peuples à son joug doux et léger *. »
40. — Les titres donnés à chacan des Eyangiles : selon S, Matthieu ^
selon saint Marc^ etc., n'indiquefaient-ils pas qu'ils ont été rédigés
après les Apôtres et suivant leur récit, plutôt que composés par eux ?
On ne peut entendre les titres des Evangiles autrement
que les entendaient les Pères de qui nous les tenons. Or, il
est constant qu'on a toujours dit dans l'Eglise indifférem-
ment Evangile de S. Matthieu ou Evangile de Notre Seigneur
selon S. Matthieu, etc; ^
Ce n'est pas pourtant que le sens de ces mots soit tout à
fait identique. Quand on dit : l'Evangile de S. Matthieu, on
entend Técrit de S. Matthieu sur le Sauveur et sa prédica-
tion; et quand on dit : l'Evangile selon S. Matthieu, on
entend l'avènement du Sauveur et sa prédication décrits
par S. Matthieu. Ainsi cette expression : selon ^ secundum^
xaTût, fait entendre que l'Evangile a existé comme fait avant
d'être rédigé par écrit, et qu'il a été écrit par plusieurs
auteurs et de plusieurs manières, sans rien perdre de son
unité objective. C'est dans ce sens que nous disons : L'An-
cien Testament selon les Septante; le Nouveau Testament selon
ritaHque, selon la Vulgate^ etc ^
4kl. — Dans quel ordre et dans quel espace de temps les Evangiles
ont-ils paru?
4
L'ordre selon lequel les Evangiles ont été publiés est
marqué par le rang qu'ils occupent dans le Nouveau Testa-
ment; car la disposition actuelle de ces livres remonte aux
premiers temps *, et ne peut guère s'expliquer autrement.
« s. Aog., De consensu Evangelisl», i, 10. S. Hieron., Epist. lui, 4, 5. On
peut voir ce sujet parmi les sculptures de N.-D. de Brou. M. Rossi a publié,
en 1871, une figure du môme genre, détachée d*un sarcophage des pre-
miers siècles : c'est Notre Seigneur porté par un vaisseau qui a les quatre
évangélistes pour rameurs. — 2 Cf. Marc, j, 1. S. Iren., 1, xxvi, 2;
m, I. Clem., Strom., i, 21. — 3 Cf. S. Aug., Cont. Faust., xxxii, 2. —
* On peut alléguer les premières versions, les Canons les plus anciens, le
fragment de Muratori, S. Irénée, III, i, 1, Origène, In Matlh., 1, etc.
III. 7
140 JÉSUS-CHRIST SELON L^ÉVANGILE. [n<> 42
Si s. Jean, par exemple, avait écrit avant les synoptiques,
quelle raison aurait-on eue de le placer après eux? Et si
S. Marc avait écrit avant S. Matthieu, comment S. Matthieu
ne viendrait-il pas après lui * ? C'est du reste le témoignage
bien exprès de la tradition ^
On sait que les Evangiles synoptiques ont paru dans un
espace de vingt à vingt-cinq ans, de l'an 45 à l'an 65 envi-
ron, longtemps avant l'Evangile de S. Jean. S. Matthieu a
écrit le premier et de très bonne heure, avant de quitter la
Judée pour aller prêcher la foi parmi les Gentils ^ S. Marc
a fait sa rédaction un peu plus tard, mais pourtant bien
avant la mort de S. Pierre (f 67). D'après Papias S Clément
d'Alexandrie, Tertullien, etc., son livre fut rédigé avec le
concours et sous la direction du prince des Apôtres. Eusèbe*
et S. Jérôme ^ disent que S. Pierre a donné sa sanction à
cet ouvrage et qu'il en a autorisé la lecture pour toutes les
Eglises. Le troisième Evangéliste, qui débute en disant qu'il
existe déjà plusieurs écrits sur la vie de Notre-Seigneur\ qu'il
s'attachera à être complet et bien suivi, n'a écrit qu'après
S. Marc. Cependant il fait mention de son livre, au com-
mencement des Actes, comme d'un ouvrage déjà publié. Or,
les Actes ont été terminés visiblement avant l'an 67 et pro-
bablement vers 63 ^ Cet évangile, comme celui de S. Marc,
a donc été écrit du temps des Apôtres et approuvé par eux.
41. — Evangiles synoptiques : leur caractère. Quelles raisons donne-
t-on des diiTércnc3s et des analogies qu'on remarque entre eux?
I. Les Allemands ont donné le nom de synoptiques ® aux
trois premiers évangiles, à cause d'une particularité qui leur
est commune et qui les distingue de S. Jean. Ayant tous
1 înfrdy n. 02. — 2 Canon de Muratori, A. T., n. 40. —3 Euseb.,
//., m, 39. — * Euseb., Ibid. — « Euseb., H., ii, 14, 15; vi, 14, 25. — .
"6 S. Hier., de Vv\ illust., 8. 9. — "^ Luc, i, 1. — * Eo tempore scripse-
runt Marcus et Lucas quo non solum ab Ecclesia Dei, sed ab ipsis adhuc
in carne remanentibus apestolis, probari potuerunt. S. Aug., De consensu
"Evangel.f iv, 9; Tert., Adv. Marclon.j iv, 2, 3. ïnfra, n. 52, 53, 62, 63,
'138, 475, 476, 557» — • Corrélatifs ou parallèles, do cvvoij/i;, vue simul-
tanée.
MO 42] Les QtAtRE EVANGILEâ. lll
trois le même objet et suivant la même méthode, ils sein-
blent marcher de front dans leurs récits, sur des lignes pa-
rallèles, de sorte qu'à toutes les époques de la vie du Sau-
veur, on en trouve au moins deux en regard l'un de l'autre
pour s'éclairer et se soutenir.
II. Les Synoptiques se distiguent encore du quatrième
évangile par d'autres caractères. Outre qu'ils sont d'un autre
style S ils se proposent un autre but et se placent sur une
autre scène.
i** Le. dessein des Synoptiques est de faire connaître le di-
vin Maître, ses œuvres et sa doctrine, toute sa doctrine sans
distinction, afin de lui gagner des disciples. S. Jean a sur-
tout en vue de réfuter ceux qui niaient la divinité du Sau-
veur; il se propose d'éclairer et de soutenir la foi de l'Eglise
sur ce dogme en particulier. Ce but est manifeste, et l'au-
teur s'en explique clairement à plusieurs reprises *.
2» Les Synoptiques s'attachent à retracer la prédication
du Sauveur dans' la Galilée, patrie dés Apôtres, sans laisser
ignorer néanmoins qu'il a fait plusieurs voyages et même
plusieurs séjours à Jérusalem et aux environs ^ Ils nous le
montrent occupé à former ses premiers disciples sur les bords
du lac de Génésareth, à Gapharnaûm, près de Tibériade, à
Nalîim^ à Bethsaïde ; quelquefois dans la Décapole, à Gadare,
à Césarée de Philippe ; quelquefois dans la Pérée: mais ils
ne le suivent dans la Judée qu'une seule fois, à la fin de sa
vie, lorsqu'il y vient pour y faire sa dernière Pâque et y su-
i Infray n. 71, 72. — 2 Joan., xx, 31. Cf. i, 7; m, 16; iv, 42; xii, 37.
— 3 ]i suffirait de citer cette plainte du Sauveur à l'approche de sa Pas-
sion : Jerutalem, Jérusalem^ quoties volui!.., Malth., xxiii, 37; Luc,
xm, 34. Mais de plus S. Luc nous apprend qu'il faisait des voyages en
Judée, Luc, x, 38-42, à Jérusalem, Luc, ix, 51, etc., qu'il avait coutume
de se retirer sur le mont des Oliviers, Luc, xxii, 39; Joan., xviii, 2.
Nous voyons aussi qu'il comptait dans la ville des amis, Matth., xxvi> 18;
XXVII, 57 ; Marc, xiv, 12; Luc, xix, 32-34 et des disciples, Matth., iv, 25 ;
XXI, 3; Marc, m, 7; Luc, vi, 17; xxii, 11, 12, qu'il y était connu du
peuple, Matth., xxi, 38; Luc, xix, 38, et des autorités, Mattli., xxvi,
3, 4; XXVII, 62, 63. Dans les six derniers mois de sa vie, Jésus vint trois
fois à Jérusalem, en octobre, décembre et mars, pour lafôtc des Taber-
nacles, pour celle de la Dédicace et pour celle de Pâques.
M2 JÉSUS-CHHKT SELON L*ÉVANGILE. [n<^ 42
bir sa Passion. S. Jean a!un aiitre:plari et se tient sur un
autre théâtre. Il s'attache à ce que Jésua-Ghrist a dit et fait
en Judée et à Jérusalem, à roccasiondes quatre solennités
qu'il signale dans son Evangile *. Il:rapporte les. discours
qu'il a tenus dans le temple, ses discussions avec les docteurs
sur sa dignité et sur sa mission, ses miracles à la piscine, à
la fontaine de Siloé, à Béthanie. Il s'étend sur le séjour
qu'il a fait dans la ville ou dans les environs, aux approches
de sa mort, etc. ^ . . :
III. Quant aux différences qu'on observe entre les trois
Synoptiques, il suffit, pour s'en rendre compte, de penser
que le premier écrivait pour les Hébreux, le second pour
les Romains, le troisième pour les Grecs ^ Mais les :ana-
logies qu'ils présentent étonnentdavantage*. On se démande
comment il se fait qu'en tant d'endroits ces trois auteurs se.
ressemblent à ce point, non seulement pour le fond de
l'histoire et pour la doctrine, mais encore pour l'ordre du
récit, pour la forme du langage, et même pour les expres-
sions ^ Les Allemands se sont beaucoup exercés sur cette
question : .
1^ Certains docteurs se bornent à dire qu'il a dû exister à
l'origine une sorte d'évangile oral, c'est-à-dire un fond de
1 Joan., il, 13-25; vi, 4-72; vu, 2, 10; x. 22, 23, etc. — » U ne laisse
pas néanmoins de faire mention de son séjour en Galilée, Joan., ii^ 3;
IV, 3, 45-47; vi, 1; vu, 1, etc. Le désir exprimé parles Galiléens de le
voir à Jérusalem, xi, 55, 56, témoigne des prédications qu'il avait faites
parmi eux. Cf. vu, 32. — 3 Infra^ n. 461. — ^ Près de la moitié du
.premier évangile appartient uniquement à S. Matthieu, comme un peu
plus de la moitié du troisième à S. Luc ; mais il y a peu de choses en
S. Marc (24 versets), qu'on ne lise également ou en S. Matthieu, ou en
S. Luc, ou dans Tun et Tautre à la fois. Ce dernier cas est mètne le plus
fréquent. L'identité des choses n'emporte pas pourtant Tidentité des
termes. La plupart du temps, cinq fois sur six, quand les évangiles rap-
portent un môme fait, ils l'énoncent en termes différents. C'est surtout
dans les discours du Sauveur, et particulièrement dans ses maximes,
que Ton trouve Tidentité des mots jointe à l'identité des pensée^. —
5 Gf. Matth., XI, 4-6 et Luc, vu, 22-23; — Matth., xi, II, et Luc, vu,
28; — Matth., xi, 16-19 et Luc, vu, 31-35; — Matth., m, 7-9 et Luc,
III, 7-8; — Matth., xii, 43-45 et Luc, xi, 24-26; — Matth., viii, 9, 40 et
Luc , VII, 8. 9, etc.
^•^42] . LES QUATRE ÉVANGILES. 113
prédkùtiùti' commun entre les.Apùtréa^ et que ce protévan-
gile a passé naturellement d^la mémoire des prédicateurs ^
dans les écrits des auteurs sacrés. Mais cette explication
n'en est pas une. Tout le monde convient que les Ap<itres
devaient, avoir au fond les iriêmes souvenirs sur la vie de
leur Maître et que leurs écrits résument leur prédication*.
Ce qu'on voudrait savoir, c'est comment il se fait que, pour
les détails et pour les expressions, S. Matthieu, S. Marc et
S. Luc se rencontrent si souvent deux à deux, et méma
qu'en plus de quarante passages leurs écrits soient parfaite-
ment identiques. .
2''Eichôrn imagina qu'il y avait eu un premier évangile
écrit, une histoire dû Sauveur composée en hébreu par le
collège apostolique, et que c'était -ce protévangile qui avait
fourni à chacun des Synoptiques teioiïd de son récit et aux
Pères des preniiers temps leurs citations, toujours un peu
difiérentés dés textes actuels'. Mais cette idée est abandon-
née. Si ce protévangilé avait existé, s'il avait eu pour au-
teurs les douze Apôtres, c'eût été pour l'Eglise le plus vé-
nérable de tous les livres; et comment Tàurait-oii répudié?
conunent aurait-il disparu sans laisser aucun souvenir?
3' Un mot d'un homme apostolique, recueilli par Pâpias
et rapporté par Eusèbe',.a fait hasarder par les rationalistes
une autre supposition. S. Matthieu aurait écrit les discours
ou les maximes .du Sauveur, taXo^^a; S. Marc aurait retracé
les faits ; et de la combinaison de ces deux éléments seraient
sorties trois rédactions différentes, faites par des auteurs
inconnus, et attribuées, la première à S. Matthieu, la se-
conde à S. Marc et la troisième à S. Luc... C'est encore là
une hypothèse sans solidité. Papias lui-même, sur lequel on
s'appuie, proteste contre l'interprétation qu'on donne à ses
* Cf. Aico|tviii(iov£U|xaT2, s. Justin. , I*. ApoL, 66. — ^ H ôiSa/Tj twv
A«o(TTo>40v. Act., II, 42. On voit on effet par les discours de S. Pierre
à Césarée, X, 33-43 et de S. Paiil à Afttioche de Pisidié, xiir, 23-36, que
la prédication des Apôtres consistait presque uniquement à rapporter
les faits de la vie dh Sauveur, et îi s'en déclarer les garants. — *Eu$eb.,
H.,in, 39. ... : : . i
114 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANCULE. [n» 42'.
paroles. Après avoir dit que S. Marc a rapporté les discours
comme les actions du Sauveur, Ta y; XexOsvta y; 'îrpaxOîvtï, il
ajoute qu'il n'a pas fait néanmoins une histoire suivie de sa
prédication : ou)/ oi^Tc^p cuvtxÇiv twv xupîa/wv 7cotoyii.svoç Xofwv.
il est vrai qu'il oppose S. Matthieu à S. Marc, mais ce n'est
pas comme ayant traité un sujet différent ou plus restreint :
c'est comme ayant écrit en hébreu, dans un idiome peu ré-
pandu. S'il dit qu'il a écrit Ta Xo^ta XptaTou, les oracles ou
les iastmclioiis du Seigneur, plutôt que ses actions, il y en
a une raison fort ^mple : cHkI que ks disoears in Sauveur
sont l'objet principal du premier évangile.
En définitif, la meilleure explication des analogies que les
Synoptiques ont entre eux est encore la plus ancienne. Ces
écrits se sont suivis dans l'ordre où l'Eglise les a rangés.
Le second évangéliste a connu le premier, et le troisième.
les deux précédents ^ Le dernier a profité du travail de ses
devanciers, comme le second de celui du premier ^ Il ne le
nomme pas néanmoins, parce qu'il n^a besoin d'aucun appui
pour se faire recevoir et que son inspiration suffit. Ce qui
ne va pas à son but, il l'omet ; il intercale dans son récit ce
qu'il a vu personnellement et ce qu'il a appris de vive voix
des Apôtres ou des premiers disciples ^ On peut croire, en
* Luc, I, 2 ; S. Aug , De cons. Evang., i, 3, 4, 6, etc. — 2 Luc, i, 1, 2.
— 3 Ainsi chaque évangéliste a des récits qui lui sont propres et il n'en
faut négliger aucun, si Ton veut connaître tout ce que rÈsprit-Saint a
voulu nous apprendre de la vie du Sîiuveur. Il faut lire : — 1° Dans
S. Matthieu : l'adoration des Mages, la fuite en Egypte, le massacre des
Innocents, la pièce de monnaie dans la bouche du poisson, Pilate averti
par sa femme, et se lavant les mains devant lé peuple, le^ défunts qui
ressuscitent à la mort du Sauveur, les gardes mis h son tombeau, huit
de ses paraboles, celles de l'ivraie, du trésor caché, de la perle, du filet,
des vignerons, des deux fils, des deux débiteur^, des dix vierges. —
2' Dans S. Marc : deux guérisons miraculeuses, celle du. sourd-muet de
la Pentapole et celle de l'aveugle de Bethsaïde, la fuite précipitée d'un
jeune homme à l'arrestation du Sauveur et la parabole de la semence
qui croît sans qu'on s'en aperçoive. — S*» Dans S. Luc : la naissance
miraculeuse de S. Jean-Baptiste, Tannonciation de la sainte Vierge, les
cantiques de Marie, de Zacharie et de Siméon, la première manifesta-
tion de Jésus au temple, l'histoire de Marie et de Marthe, celle de Zachée,
celle du bon larron, la vocation des soixante-douze disciples, la guérison
des dix lépreux, celle d'un homme hydropique, celle d'une femme que
fî<»431 LES QUATRE ÉVANGILES. 113
outre, pour expliquer certaines nuances, que S. Marc et
S. Luc n'ont connu de S. Matthieu que le texte hébreu, ou
qu'ils Tont reproduit de mémoire * ; mais pour Tun et pour
l'autre, S. Matthieu a été une source aussi bien qu'un mo-
dèle.
II. — Autorité de l'histoire évangëlique,
43. — Ne pourrait-on pas démontrer directement et à la fois rautheQ«
ticitô, rintégrité et la véracité des quatre évangiles?
On démontre solidement l'autorité des quatre Evangiles
dans les traités théologiques : De vera religions, et dans les
Introductions au Nouveau Testament ^ Mais nou§ croyons
pouvoir nous en tenir sur ce sujet aux raisons que nous
avons données ^ et aux observations qui nous restent à
faire au début des Evangiles et à la fin de ce livre *.
Il nous semble d'ailleurs que, pour un esprit intelligent
et droit, l'Evangile n'a plus à établir ses titres de créance.
Nous ne sommes plus au temps de Gelse. A quoi bon recom-
mencer ce qu'on a fait tant de fois avec tant de soin? La
cause a été jugée, il y a dix-huit cents ans : quelle raison y
aurait-il de révoquer l'arrêt? Les peuples civilisés ont ac-
cepté l'Evangile^ ils lui ont donné leur foi, la foi la plus
l'esprit mauvais rendait infirme, la résurrection du jeune homme de
Naîm, l'apparition dô Notre Seigneur aux disciples d'EramaUs, les sept
paraboles du bon Samaritain, de l'enfant prodigue, de l'économe infidèle,
du riche surpris par la mort, du mauvais riche, du juge inique, du pha-
risien et du publicain. — 4° Dans S. Jean : outre la durée de la prédi-
cation de TEvangile on trouve la vocation de Philippe et de Nathanaël,
l'entretien avec Nicodème, l'épisode de la Samaritaine, le lavement des
pieds, suivi du discours de la dernière Cène, le côté du Sauveur ouvert,
son apparition à S. Thomas et sa manifestation sur les bords de la mer
de Tîbériade, enfin cinq miracles, deu^ à Cana, un à la Piscine proba-
tique, un autre près de Té tan g de Siloô et le dernier à Béthanie où
Lazare est ressuscité. Cf. S. Aug., De œnsensu Evang., I, iv, etc.
1 Cf. Act., TX, 2; XXII, 4. Cf. de Val-Roger, i, 352; Lamy, ii, 248;
Wallon, Mgr Meignan. — » Quand on fait attention au début de S. Luc,
au séjour et au yoyage de S. Pierre à Jérusalem et à la rapidité avec la-
quelle nos saints Livres se propagèrent, il est difficile de se persuader
qae le premier évangile était inconnu à Fauteur du second, et les deux
premiers à Tauteur du troisième. — ' Supra y n. 22-25. — * Infra, n. 53,
61, m, 68, 459, 559-562, 832.
116 JÉSUS-CHRIST SELON, l'évangile. [n? ik
vive, la plus universelle et la plus constante, au moment où
il en coûtait le plus de le reconnaître pour vrai, où il 'eût
été le plus facile de le convaincre de fausseté, si c'était une
imposture ou une erreur. Pour se faire accepter ainsi, avec
une telle conviction, par les esprits les plus éclairés et lès
moins crédules S il a fallu que l'histoire évangélique fût
non seulement authentique et certaine, mais la plus au-
thentique et la plus certaine de toutes les histoires: Le ju^
gement que le monde a porté alors contre lui-même con-
serve toute sa valeur, et la foi toujours.persistante des espiSts
sages et clairvoyants est la plus convaincante des démons-
trations ^
Supposez que vous ayez devant vous un vaste édifice,;
dont l'antiquité sbît notoire, doiit la masse n'ait jamais subi
le moindre ébranlement, qui soit battu en brèche depûià
des milliers d'années et qui brave tous les coups, sans rien
perdre de sa fermeté ni de son élévation : aurez-vous besoin-
dé creuser le sol et de fouiller profondément pour être as-
.suré que la base en est solide et que ses premières assises
ont été bien cimentées? Que pehserait-on de celui qui n'ose^
rait en franchir le seuil avant d'avoir fait cette exploration,^
et de s'être assuré par lui-même qu'il ne sera pas enseveli
sous des ruines ? ?
44. — Les évangélistes n' ont-ils rien écrit que sur des témoignages
et des renseignements certains?
On peut distinguer dans l'Evangile deux sortes de faits :'
1 Temporibus eruditis et omne quod fiori non potest.respuentibus,
S. Aug., De civit. Dei.^ xxii, 6, "7. — 2 Unius et certi institui infinita
inquisitio non potost esse : quaerendum est ergo donec invenias, et cre-
dendum ubi inveneris, et nihil amplius, nisi custodiendum quod credi-
disti. Tert., De prsBSC.^ 9, etc. Nihil omnino humanse societatis incolume,
remanet, si nihil credere statuerimus quod non possumus tenere per-
ceptum. Quœro enini, si quod nescitur credcndum non est, quompdo
scrviant parentibus liberi, eosque mutua pietatc diligant, etc. S. Aug.,
De util, credendi, 26. Si autem rationabile est ut ad magna quaedam ,
qu8B capi nondum possnnt, fldes prœcedat rationcm, procul dubio quan-
tulacumque ratio quœ hoc persuadet, etiam ipsa antocedit ftdem. Epis(.
cxx, 3.— 3 n Tim., m, 7. Cf. Mgr Perrault, Lettre à M, A. Lemann^ 1881.
N**44] LES QUATRE ÉVANGILES. 117
1* Des faits capitaux, d'une importance majeure, comme
les principales œuvres du Sauveur, sa prédication, ses mi-
racles les plus éclatants, sa passion, sa mort, sa résurrec-
tion. — Pour ceux-ci, si Ton s'en tient à la substance, on
doit dire que les auteurs sacrés les ont rapportés sur des
preuves historiquement certaines et sur des témoignages
au-dessus de tout soupçon. Et il importe de bien établir ce
fait, aiin de montrer aux incrédules que l'histoire évangé-
lique n'a pas moins de garantie que les autres, ou qu'avant
d'être des dogmes de foi, les événements qui servent de
base au christianisme sont des réalités manifestes et incon-
testables.
2** Des faits moins saillants, d'un moindre intérêt, mais
infiniment plus nombreux, comme incidents, détails, cir-
constances, discours, maximes, etc. — Il en est beaucoup qui
ne sont pas susceptibles d'une telle constatation et sur les-
quels une histoire ordinaire ne donnerait que des probabi-
lités. Citons pour exemple les sentiments intimes des per-
sonnages évangéliques, les actes secrets du Sauveur et ceux
qui n'ont pu avoir qu'un témoin ou deux *. Des faits de ce
genre ne sauraient être allégués avec avantage à des incré-
dules qui n'admettent pas l'inspiration des Ecritures. Com-
ment ont-ils pu être connus avec certitude des évangélistes
et devenir, avec les autres, un objet de foi obligatoire pour
les chrétiens? C'est que, comme nous distinguons deux
sortes de faits, il faut distinguer aussi, avec Notre Seigneur * ,
deux témoignages, celui des hommes et celui de Dieu. Sur
les faits importants et publics, les évangélistes peuvent allé-
guer le premier avec le second ; pour les autres, le second
leur suffit.
Il n'y a pas de doute que l'Esprit-Saint, qui inspirait les
auteurs sacrés dans le récit même des faits les mieux con-
nus, ne les ait éclairés, autant qu'il fallait, sur ceux qui
avaient laissé un souvenir moins précis; et qu'au besoin il
I Matth., I, 20, 25; ii, 10, 13, 19, 20; m, 16; iv, 2-11; xiv, 23-25;
XXVI, 39, 42, 44; xxvlii, 13, 14; Marc., x, 21 ; Luc, i, 8-10, 26-38; xxn,
42; Joan., iv, 7-29; xi, 33; xiii, 21, etc. — « Joan., v, 36, 31.
7.
118 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [N° 4S
n'ait suppléé par ses lumières aux garanties naturelles et
aux renseignements humains ^ Le Sauveur avait promis cet
Esprit aux Apôtres, et ils pouvaient compter sur son secours
dans leurs récits historiques aussi bien que dans leurs ins-
tructions doctrinales ^ Ils ont reconnu et attesté l'accomplis-
sement de cette promesse en S. Marc et en S. Luc comme en
leur propre personne, puisqu'ils ont donné à l'Église nos
évangiles pour divins, qu'ils les ont mis au même rang que
les livres de l'Ancien Testament. Le Ciel a sanctionné par
ses miracles et la parole des uns et lés écrits des autres'.
Voilà pourquoi nous croyons sans réserve aux quatre
évangiles, au second comme au premier, au dernier comme
aux trois autres. Voilà pourquoi ces livres sont pour nous
un objet de foi dans toutes leurs parties, sans distinction.
Dieu a tout inspiré; et sa véracité, qui nous répond de tout,
nous oblige à tout croire. Car la foi que nous leur devons a
essentiellement pour motif son témoignage et son autorité.
Ce serait faire acte de bon sens, mais non pratiquer la vertu
de foi, que d'adhérer à une vérité, par cette seule considé-
ration qu'elle a pour garants des hommes qui ne peuvent
être ni trompeurs ni trompés.
* 45. — Evangiles apocryphes * : quel rapport ont-ils avec les Evan-
giles authentiques?
On connaît une quarantaine d'évangiles apocryphes; mais
un petit nombre seulement nous sont parvenus en entier.
C'est : Le Protévmgile de S. Jacques^ le mineur, connu de
Clément d'Alexandrie; VErangile de S, Thomas, cité par
Origène; celui de l'Enfance de Notre Seigneur, écrit en
arabe, au v® siècle (56 chapitres) ; celui de la Nativité de la
Sainte Vierge, beaucoup plus court ; ceux de Joseph, le Char-
* Gai., I, H, 12, — 2 Spiritus veritatis docebît vos omnem veritatem.
Joan., XVI, 13. Spiritus sanctus vos docebit omnia et suggeret vobis
omnia quaecumque dixero vobis. Joan., xiv, 26. — 3 Domino coopérante
et sennonem confirmante sequentibus sîgnis. Marc, xvi, 20. Contcstanto
Deo signis ot portentis et variis virtutibus et Spiritus Sancti distiibu-
tionibus. Heb,, ii, 4, — * Artoxpuçoç, caché.
>o 45] L£S QUATRE ÉVANGILES. 119
pentier, de S. Thomas^ de Nicodème^ Tous ces livres ont
pour objet l'enfance et la jeunesse de Notre Seigneur, sauf
le dernier, qui se rapporte à la Passion. Loin de jeter du
doute sur l'authenticité de nos quatre évangiles, ils en font
ressortir le caractère original et divin ' : un regard sufflt
pour reconnaître la contrefaçon '.
Ils prouvent en même temps, de la manière la plus sen-
sible, l'impossibilité qu'il y a toujours eu de faire recevoir
comme inspiré un écrit qui n'avait pas en sa faveur le
témoignage des Apôtres et la tradition de l'Eglise. Tout apo-
cryphes qu'ils sont, en effet, plusieurs de ces ouvrages né
laissent pas d'avoir un certain mérite. Sans être du premier
siècle, ils remontent assez haut dans l'antiquité; ils sont
presque toujours d'accord avec nos saints Livres ; ils y font de
fréquentes allusions et s'efforcent d'en reproduire le langage.
On pouvait donc s'édifier et s'instruire en les lisant*. On
peut encore y reconnaître certaines traditions respectables *.
Néanmoins l'Eglise s'est bien gardée de les mettre au même
rang que les quatre évangiles ou d'en faire le même usage.
Elle a pu en témoigner quelque estime, comme des Vies des
Saints et des Actes des Martyrs; mais jamais elle ne les
a insérés dans ses Canons; jamais elle n'a souffert qu'on leur
attribuât l'autorité des Écritures; et quand on a prétendu
les faire passer pour canoniques ou qu'on les a attribués sé-
rieusement à des écrivains inspirés, elle n'a pas hésité à pu-
nir les imposteurs qui en imposaient à la crédulité des
simples, f ertullien nous apprend que S. Jean fit déposer uii
prêtre, dans l'Asie-Mineure, pour avoir attribué à S. Paul
une Histoire qu'il croyait édifiante et glorieuse pour
l'Apôtre '^; et Sérapion, qui gouvernait l'Église d'Antioche
* A. T.j n. 6i-69. Gomme il y a eu de faux prophètes dans rAncicu
Testament, dit Origène, il y a eu des faussaires dans le Nouveau. —
* Wallon, Croyance à rEvangite, ir, 2. — 3 In quantum falsum corraptio
est veri, in tantum praecedat necesse est veritas falsum. Tert . Adv.
Marc.f IV, 4. — * Nous exceptons ceux qui ont été condamnes dès leur
apparition, comme des productions hérétiques, l'Ëvangile de Nicodcme et
celui de la Nativité de la S« Vierge.— s Par exemple les noms dos parents
de la sainte Vierge, sa Présentation au temple> etc. — « Sciant in Asia
120 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n<^ 47
du temps de ce Docteur, nous fait connaître le principe qui
dirigeait tous les pasteurs, lorsqu'à propos d'un évangile
apocryphe publié sous le nom de S. Pierre, il dit : « Nous
sommes attachés à S. Pierre et à tous les Apôtres, mais cela
ne nous empêche pas de rejeter les écrits qu'on leur attri-.
bue faussement, étant certains de n'avoir rien reçu de sena-
blable de ceux qui nous ont précédés *. »
ni. — Chronologie et géographie.
* 46. — Importe-t-il de connaître la chronologie de la vie de Notre
Seigneur et de la rattacher exactement à Thistoire profane?
La chronologie et la géographie sont les deux yeux ou
les deux flambeaux de l'histoire. Dans la vie du Sauveur,
les questions chronologiques ont une importance particu-
lière, au point de vue de l'exégèse et de l'apologétique. Si
Ton donne aux faits de l'Evangile leur véritable date, on
voit s'évanouir une foule de difficultés relatives à la nais-
sance, à la prédication, à la mort de Notre Seigneur. Elles
ne se présentent même pas; et les synchronismes indi-
qués par les auteurs sacrés attestent l'exactitude de leur
récit. Au contraire, ces difficultés sont insolubles et
deviennent autant de protestations contre l'histoire évangé-
lique, si les faits sont transposés ou si l'on ne met pas entre
eux l'intervalle qui les a séparés réellement ^
47. — A quelle époque a-t-on commencé à dater de la naissance de
Notre Seigneur et comment a-t-on déterminé cette date?
L'ère chrétienne, adoptée aujourd'hui dans toutes les con-
trées de l'Europe, sauf la Turquie, n'est en usage que depuis
presbyterum, convictum atque confessum id se amore Pauli fecisso, loco
discessisse. Tert., de Bapt.j xvii. Cf. S. Hieron., de Vir. ill., vu.
* Oti Ta ToiavTtt ou irapeXaSojjLev. Euseb., H., vi, 12. Cf. iv,.22. Nolite in
scandalum mittere Ecclesiam, légende in populis Scripturas quas canon
apostolicus non recepit. S. Aug., Epist. lxiv, 3. Cf. S. Iren., RI, xi, 8;
S. Justin., / Apol.j 66, 67; Tert., de Prxscr.y 36; De anima^ n; Orig.,
In Luc, y Hom. i; Euseb., H, y m, 25; S. Hieron., Epist, cvii, i2. Concil.
Laod., can. 60. {363J. — ?, S. Aug., de docL Christ, u, 28.
JV0 47] LES QUATRE ÉVANGILES. 121
le septième sîjècle. Jusque-là, chaque État avait supputé le
temps par la série de ses princes et les années de leur
règne '. On jugea meilleur et plus convenable pour les chré-
tiens de partir tous-d'un point commun et de compter par
les années de l'Eglise, ou de l'empire de Jésus-Christ. Le
vénérable Bède (t 735), suivit ce système dans son Histoire
d'Angleterre. Pépin et Charlemagne l'adoptèrent pour leurs
I actes officiels : Som Vempire de Notre Seigneur Jésus-Christ,
l'an de grâce, etc.^.
C'est un prêtre de l'Église de Rome, aussi savant que
pieux, Denys le Petit (t 540), qui eut l'honneur d'imaginer
et de proposer cette innovation '. Malheureusement, son
point de départ ne fut pas déterminé d'une manière bien
exacte. Non seulement Denys commença son année au pre-
mier janvier, au lieu de la commencer au vingt-cinq décem-
bre *, mais encore, de l'aveu de tous les chronologistes, il
retarda la naissance de Jésus-Christ de quatre ans au moins,
et probablement de six : car il l'a placée en l'an de Rome
754; et il est prouvé par la date certaine de la mortd'Arché-
laùs et de Philippe, fils et successeur d'Hérode, et par la durée
connue du règne de l'un et de l'autre % que leur père est
mort quatre ans plus tôt, l'an de Rome 750. Ce n'est donc pas
en 754 qu'a eu lieu la naissance du Sauveur, mais au plus
tard en 749 et probablement en 747, Hérode ayant ordonné
an départ des Mages qu'on massacrât les enfants de Bethléem
jusqu'à l'âge de deux ans ®.
L'erreur de Denys le Petit est excusable, sans doute : mais
elle n'est pas sans inconvénient. Elle vient surtout de ce
qu'il a cru devoir prendre à la rigueur ce qu'on lit dans le
troisième évangile que Jésus-Christ avait une trentaine
' Lnc, III, 1, 2. — ^ Inopérante Domino nostro Jesu Cliristo, anno...
Cf. Ps. II. 6; Ps. XI, 12; Joan., xvm, 26; I Cor., xv, 25; I Tim., i, 17;
I Pet., V, 2, etc., MartyroL rom.^ 25 déc. — 3 Migne, Patrol. lat.,
t. Lxvii, p. 487, 493, etc.; Bossuet, f/. t/., I, x. — * Sur le début de
l'année, on ne s'accorda qu'assez tard. Plusieurs voulaient commencer
à Pâques et dater de la Résurrection. Un édit royal de 1505 prescrit de
commencer en France au 1«» janvier. — 5 Joseph., A., xvii, 15;^ xvm, 6.
— * Juxta tempas^ qaod exquisierat a magis. Mattii., u, 16.
122 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n» 48
d'années en Tan 15 délibère *. S. Luc semble pourtant n'avoir
eu d'autre intention en cet endroit que de constater que
Notre Seigneur n'a pas commencé son ministère avant d'a-
voir atteint l'âge requis pour l'exercice du sacerdoce '.
48. — Est-on d'accord sur l'année où le Sauveur a coinm6ncé à
prêcher et sur celle où il est mort?
On discute sur la date de la mort du Sauveur, comme sur
celle de son baptême, et sur celle de sa naissance.
1° Un certain nombre d'auteurs pensent que la tradition
nous a conservé fidèlement le nombre d'années que Notre
Seigneur a vécu ; et, le faisant naître quatre ans avant notre
ère, ils sont forcés, pour ne pas dépasser la mesure de
trente-trois ans, de placer sa mort en l'an 29 ^ Par suite,
ils font commencer sa carrière évangélique en l'an 26 ou à
la fin de l'an 25, la plupart donnant à sa prédication trois
ans et demi, plutôt que trois ans. Pour concilier ce senti-
ment avec le texte de S. Luc, qui place le baptême du Sau-
veur en l'an 15 de Tibère *, ils disent que le règne de Tibère
commença officiellement, non à la mort d'Auguste, mais
trois ans plus tôt, au moment où Auguste l'associa a l'em-
pire. Telle est l'opinion de Sepp, de Rorbacher, etc. ^ Le
1 Erat incîpiens, quasi, oxxei, annorum triginta. Luc, m, 1, 23. Cf.
(jLe6^ T)(Jiepa; eÇ^ Matth., xvii, 1; (ovet, Marc, ix, 2 et cuTei Yipiepai oxto).
Luc, IX, 28. Scriptura non facit vim in minutls numerorum. S. Th..
Opusc, Cf. S. Aug., Quxst. xlvii in Exod, — 2 a triginta annis et
supra. Num., iv, 3, 23. 30, 35; I Parai., xxiii, 3; Ezech., i, 1. Ajoutez
qu'il n'est pas certain que Notre Seigneur fut baptisé dès le commen-
cement du ministère de S. Jean -Baptiste. Cf. Luc, m, 1, 21; Act.^
XIII, 25. — 3 An de Borne, 782. La tradition n'a rien d'assuré à cet
égard. La plupart des Pères donnent à Notre Seigneur au moment de
sa mort une trentaine d'années; mais suivant S. Irénée, il en aurait eu
quarante au moins, peut-être cinquante. II, xxii, 5. Cf. Joan., viii,
56, 57; S. Chrys., Hom, lv in Joan.; S. Aug., rfe doc t. Christ. ^ ii, 28.
— * Luc, m, 1. — 5 Tibère, disent-ils, commença d'exercer Tautorité
souveraine en Orient, aussitôt qu'il eut reçu d'Auguste le titre de pro-
consul; et S. Luc écrivant sur des renseignements et des mémoires
recueillis en Palestine, a dû suivre la manière de compter usitée dans
cette partie de l'empire, plutôt que celle qu'on suivait en Occident.
Par là, ils se mettent d'accord avec un certain nombre d'auteurs anciens,
Tertullien, Adv. Jud,, 8; Laçtance, InsiiLj iv^ 10; S. Aug,, De civ. Der^
ii°i8] LES QUATRE ÉVANGILES. 123
P.Patrizi place également la mort de Notre Seigneur en Tan
29 ; mais comme il réporte sa naissance six ans avant notre
ère, il lui donne alors trente-cinq ans.
2» Un grand nombre d'historiens et de commentateurs,
persuadés qu'on ne peut faire commencer les années du
règne de Tibère avant la mort d'Auguste *, soutiennent que
le Sauveur a commencé sa prédication à la fin de Tan 29, et
qu'il est mort en 33 ', mais ils sont forcés de direquMl avait
à sa mort 36 ou 38 ans et quelques mois, selon qu'ils le font
naître en 749 ou 747 de Rome, quatre ans ou six ans avant
notre ère. Le dernier de ces sentiments était celui du P.
Pagi, au XVII® siècle, de Sanclementi ', au xviii*. C'est au-
jourd'hui celui de MM. Mesmain *, Wallon, Alzog ; et nous le
suivrons dans les dates que nous aurons à indiquer. On
conçoit, du reste, qu'on s'accorde sur la date de la mort du
Sauveur, sans s'accorder sur celle de sa naissance et des
divers faits de son histoire ; mais l'époque de sa mort est
déterminée par celle de son baptême.
Suivant le sentiment commun, c'est de l'an 29 à l'an 33,
une dizaine d'années après la mort de Tite-Live, dans le
temps où Tibère (f 37) avilissait à Caprée * sa vieillesse et
l'empire, que le divin Maître prêchait son Evangile et le
confirmait par ses miracles. Les auteurs qui s'éloignent le
plus de ce sentiment avancent de trois ans sa vie publique
et sa mort.
XVUI,cap. ult. etc., qui placent la mort du Sauveur sous le consulat
des deux Gémi nus.
* An 7ÔT de Rome, 14 de Tère chrétienne. — 2 An 186 de Rome,
33 de l'ère chrétienne. Ceux-ci tiennent pour certains que cette année 33,
est la seule do Tan 21 à Tan 38, ofi la Pàque ait eu lieu un vendredi;
et ils croient pouvoir attribuer à un faux calcul, et non à une autorité
historique, le sentiment qui rapporte la mort du Sauveur au consulat
des deux Geminus. Cf. Wallon, Ci*oyance à FEvang., 11, 4. — 3 De
volgaris «erae omendatione, 1790. — ^Etudes chronol. sur la vie de J.-C.j
1867.— 5 CaprinuSf « Le bouc de Caprée, » comme le peuple l'appelait
i Rome, en dépit de Séjan. Suet., Tib.j 43; ïacit., A , vi, 1 ; unn. 26-37.
lafruj n. 141.
124 JÉSU3-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [N^ 49
* 49. — Importe-t-il aussi de connaître la situation politique et les divi-
sions géographiques de la Palestine au temps de Notre Seigneur?
Il importe d'en connaître non seulement la constitution
politique, mais encore la position géographique et les prin-
cipales divisions, avec la distance de la capitale aux diver-
ses localités nommées dans l'Evangile *.
La Palestine, où se sont passés tous les faits de la vie du
Sauveur ^ est une petite contrée de l'Asie, d'une soixantaine
de lieues de longueur sur vingt-cinq à trente de largeur au
plus ^ ; mais sa situation à l'entrée de l'Orient et à proximité
de l'Occident, au point de jonction des trois grandes par-
ties du monde ancien, l'Asie, l'Europe et l'Afrique, aussi
bien que les mœurs du peuple qui l'habitait, la mettait en
relation avec toutes les contrées du globe *. Le Jourdain, qui
coule en ligne droite du mont Hermon jusqu'à la mer Morte,
en traversant au milieu de son cours le lac de Génésareth,
la divise dans toute sa longueur en deux parties inégales,
dont la principale s'étend, à l'Ouest, des bords du fleuve
jusqu'à la Méditerranée. Au temps de Notre Seigneur, on
distinguait, de ce côté du Jourdain, trois provinces : la Ga-
lilée, au Nord ; la Judée, au Sud, la Samarie entre l'une et
l'autre * ; et, du côté opposé du fleuve jusqu'au désert et à
l'Arabie, une seule province, qui s'étendait depuis Césarée
de Philippes jusqu'à la mer Morte et qu'on nommait la
Pérée, quoique ce nom appartint surtout à la partie méri-
dionale. Des quatre provinces que baignait le Jourdain,
celle où l'on voyait le plus de Gentils était la Pérée; la plus
peuplée et la plus riante était la Galilée, la moins juive
était la Samarie, mais la plus célèbre était la Judée, dont la
1 Quemadmoduni grsecorum historias melius intelligunt qui Athenas
viderunt, ita Sacram Scripturam lucidius intuebitur qui Judœam oculis
contemplatus est. S. Hieron., Prol. in Parai.; Epist XLni, 2; Breviar.,
30 sept., lect. iv. — 2 Terra sanctificata, Zac, 11, 12. Terra proniissionis.
Heb., XI, 9. — 3 Pudet dicere latitudinem terrae reproniissionis , no
ethnicis occasionem blaspheinandi dedisso videamur. S. Hieron., Epist.
cxxix. — * Cf. A. r., n. 345, 432, etç, — « Joseph., A.y 1, x, 1. fi,,
m, X, 7.
N^ 49] LES QUATRE EVANGILES. 127
capitale, bâtie dans les montagnes \ était comme le point
central et culminant de toute la région *.
Autour de Jérusalem, on voyait : — le mont des Oliviers,
à un peu plus d'un kilomètre, sàbbati hahem iter ', E.; —
Béthanie *, à trois kilomètres, E. ; — Bethléem *, à deux
lieues. S.; — Emmaûs % trois lieues, 0.; — le désert de la
quaraQtaine^ six lieues, E.; — • Jéricho ^ six lieues, E. E. N.
— Hébron*, neuf lieues. S.; — Arimathie',dix lieues, N.-O.;
— Lydda *^ onze lieues, N.-Oi; — Joppé ", douze lieues, N.-O.
En Samarie se trouvaient : Sichar ou Sichem'S 12 lieues,
N. — Samarie *', 13 lieues, N.
Dans la Galilée étaient : Césarée de Palestine **, 27 lieues,
N.-E.; — Naïm ", 32 lieues, N.; — Nazareth *• et le mont
Thabor, 33 lieues, N.; — Cana '\ 34 lieues N.; — Tibé-
riade *% rebâtie par Antipas en l'honneur de Tibère,
3S lieues, N.; — Magdala ^^ et Capharnaûm ", 37 lieues,
côté occidental du lac de Génésareth ; — Bethsaïde ", à Test
du Jourdain et au nord du lac.
Césarée de Philippes'^ était à 48 lieues, N.; -— Tyr, à la
même distance sur la Méditerranée, N.; — Sidon ", à 50
lieues sur la même côte. N.; — Damas ^\ à 55 lieues, N.-O. ;
— Gadara, Gerasa, ou Gergesa ", ville de la Pérée, à 28
lieues, Nord, au S.-O. du lac de Génésareth ".
Ce lac, stagnum, appelé par les Hébreux mer de Tibériade
ou de Galilée ", à une trentaine de lieues N. de Jérusalem, à
six cents pieds au-dessous de la Méditerranée, a la forme d'un
ovale assez régulier. Il peut avoir quatre à cinq lieues de
long sur trois de large ".
t Montes in circuitu cjus et Dominas in circuitu populi sui. Ps. cxxiv,
2. Cf. Ps. Lxxm, 2; Lxxv, 1,2; lxxxvi, 1,2; Ezcc, xlviii, 3, 5. —
s 7 à SOO ™ d'altitude : d'où le sens particuUcr du mot ascendere dans
la Bible. — * Marc, xi, 1 ; Act., i, 12. — * Matth., xxi, 17. — » Matth.,
Il, 6. — « Lac, XXIV, 13. — 7 Matth., iv, 1. — « Matth., xx, 29. —
» Mattli., XXVII, 57. — *<> Act., ix, 32. — »! Act., ix, 38. — i« Joan.,
IV, 5. — ** Act., VIII, 40. — »♦ Luc, vu, 11. — *» Luc, ii, 39. —
«« Joan., II, i. — " Joan., vi, 1. — i» Matth., iv, 13. — «» Matth., xr, 21.
— «0 Ibid. — " Matth., xvi, 13. — « Matth., xv, 21. - «» Act., ix, 2.
— n Matth., viii, 28; Luc, viii, 26. — «s Luc, v, 1. — 26 Joan., xxi, 1.
^ »7 Joan., VI, 1. — " A. T., n. 436.
128 JÉSUS-CHRIST SELON L'ÉVANCILE. [n® 5Û
La mer Morte; à sept lieues, S.-E., de Jérusalem, et à
1200 mètres plus bas, a environ vingt lieues de longueur
§ur quatre delargeur*. L'Egypte commence à une centaine
de lieues, 8:^0., de la Judée.
Il est. facile aujourd'hui .de constater l'exactitude des
Evangiles $ouS le rapport géographique. Il ne le fut .guère
inojns de s'en assurer dès le commencement. La topogra-
phie de la Judée. était aussi connue à Rome que celle des
Gaules. Ponipée-avait Conquis la Palestine; Auguste en avait
dressé le cadastre; Strabori venait de la visiter et Tacite en
faisait la description ^
• • ■ - ■ •
, - . IV. ^ Beauté des Evangiles/'
. " • " ' , . •
* 50. — TToù vieht le charme' attaché au saint Evangile, l'intérct qu'il
' . * . excite, lo fruit qu'on en retire?
On. a attribué le charme du saint Evangile à la tiàiveté des
légendes et au vague exquis du langage ^ , Il .lient au con-
traire, comme, l'intérêt qu'on y trouve et le fruit qu'on en
retiré, à l'évidente réalité de l'histoire, à l'excellence de l^
doctrine, au caractère sublime et divinement aimable qui y
est dépeint *. .
1^ En nous tenant en présence du Sauveur, ce livre nou5
le fait connaître, non seulement dans sa vie extérieure, mais
dans ce qu'il a dé plus intimé et de plus ravissant, dans ses
sentiments, dans ses vertus, dans son esprit, dans son lan-
gage. S'il est si doux de rencontrer une belle âme, combien
plus d'étudier et de contempler à loisir celle du Fils de
Dieu, le Saint des saints, la grandeur et la sainteté mêmes M
•
.* A, T., n.. 437. Cf. S. Hier., fn Ezech.y xlvii, 9.-2/4. T., n. 345,
432-444. Pour les sites, voir V. Guérin, La Terre Sainte. Planches.
2 in-fol. 1882-84. Cf. Joseph., fi., iv, 8; Tadi . Ann.y v,.6, Mgr Meignan»
Evangiles, leç. xi et xiii. — . 3 M. Renan, Evangilei^ p.. 198, Cf. p. 101.
— * Ps. xLiy, 5; cxviii; 85. Trahitur ad Chriâtum qui delecta^tur veri-
tate, delcctatuf justitia, delectatur sempitcma vjta, quod totuni Çhris-
tus est. Quid enim fortius desiderat anima quani veritatçm? S. Aug.;
In Joan,, xxyi, 4, 5. Brev., Fe7\ iv infra Oçlati. Pentec.^ leçt. i-iii. —
^ Audiendo te felix sum; de tua voce felix s\km\ intus bibcndo felix
suna. S. Aug., In Joan.y xxv, 17, • . : •
N° 50] LES QUAtRE EVANGILEâ. 12Ô
2® En nous faisant connaître Notre Seigneur, l'Evangile
nous le fait aimer; car comment ne pas s'attacher à celui
qu'on voit si aimable et si parfait? Ceux qui lui ont été les
plus affectionnés sur la terre sont ceux cjui l'ont vu de plus
près et fréquenté davantage '. Quand on n'a plus d'autre
science que Jésus-Christ, peut-on avoir un autre amour et une
autre vie ^ ?
. 3** De plus, en étudiant le divin Maître, on s'anime de son
esprit; on se remplit de ses dispositions; on se conforme
à ses exemples. On apprend à s'occuper des mêmes objets
que lui, à les voir du même point de vue, à en juger comme
il en jugeait. On s'habitue à parler de tout comme il en
parlait; chose capitale pour un prêtre, appelé à continuer
son ministère, et qui a besoin, pour le faire avec succès, non
seulement de prêcher la même doctrine, mais de la prêcher
avec le même accent, la même simplicité, la même charité.
4*» Pour tout dire en un mot, l'Evangile est le complément
de l'Eucharistie, ou plutôt TEvangile et l'Eucharistie se
complètent l'un Tautre, pour le soutien et la consolation
des âmes. L'Evangile ravit notre esprit; néanmoins une
chose y manque pour contenter notre cœur: il faudrait sous
ses récits une réalité vivante. Après avoir admiré ces dis-
cours et ces miracles, on en cherche l'auteur. C'est dans
l'Eucharistie qu'on le trouve : Ego qui loquebar, ecce ad-
sum ^.Réciproquement, l'âme, en présence de l'Eucharistie,
ne laisse pas d'éprouver encore certains désirs. Il y a mille
choses qu'elle voudrait apprendre du divin Maître. Que sou-
haite-t-il de moi? Quelles sont ses pensées et ses vues
à mon égard? Qu'ai-je à faire pour lui plaire? C'est dans
l'Evangile qu'est la réponse à ces questions : Qui loquitur
tecum^ Ipseest *. Aussi, quoi de plus cher à l'âme fervente,
après le Saint-Sacrement ! S. Augustin rapporte qu'un bar-
bare, fait prisonnier par les Romains et converti au chris-
* Multo intuitu. ïsaî., xxi, 7. — 2 in evangelicis sermonîbus semper
litterœ adjunctus est spiritus, et quidquid primo frigere videtur aspectu,
si tetigeris, calet. S, Hieron., In Matth,, xiv, 14. Legebam et ardebam,
S. Aug., Conf, IX, 4.-3 Isai., lu, 6. — * Joan., ix, 37.
lâO JESU5-CHRIST SELON L*ÉVANiGILÉ. [N<> Si
tianisme, fut si touché de cette pensée que l'Evangile est la
parole de Dieu, qu'il obtint du ciel, par ses prières, d'ap-
prendre à lire en trois jours, afin de se rassasier à son gré
de cette nourriture sacrée *.
* 51. — D'où vient qu'un si grand nombre trouvent peu d'attraits
dans TEvangile et n'en voient pas la beauté?
Si l'on trouve peu d'attraits dans l'Evangile, ce défaut
tient à la mauvaise disposition de l'esprit ou du cœur.
I. Souvent on a, par rapport à r Evangile^ le même préjuge'
que les Juifs avaient à regard du Sauveur, Ceux-ci, sachant
que le Messie devait descendre du ciel, et appliquant à
son premier avènement ce que les prophètes ont dit du
second, ou à son humanité ce qui se rapporte à sa nature
divine, s'imaginaient qu'il serait entouré d'un éclat tout
divin, qu'il effacerait les monarques du monde par sa ma-
gnifience. Aussi s'indignèrent-ils de la prétention du fils
du charpentier. Sa pauvreté les choquait; sa simplicité les
faisait rougir. Ils voulaient des merveilles et ils ne voyaient
que des haillons. Aufer hinc sordidos pannos, disaient-ils
comme Marcion ^ Ainsi en est-il encore de beaucoup de
chrétiens à qui l'on présente l'Evangile comme l'œuvre du
Saint-Esprit. Ils s'imaginent qu'un livre qui a Dieu pour
auteur doit posséder au plus haut degré toutes les qualités
qu'on admire dans les productions humaines, surpasser en
éloquence, en poésie, en perfection littéraire les chefs-
d'œuvre les plus vantés. Et lorsque, au lieu des beautés
qu'ils ont rêvées, ils trouvent dans ces pages tant de sim-
plicité, si peu de littérature, si peu d'art, un tel dédain de
* De doctrina Christi., Prol., 4. « Je me rappelle le moment où après
avoir lu les dernières pages des anciennes Ecritures, j'ouvris pour la
première fois le Nouveau Testament. Il était neuf heures du soir. Mon
âme s'attacha si fortement à cette lecture, que je rie pus la quitter
durant une partie de la nuit; et d'un seul trait j'uvalai la coupe d'eau
vive de l'évangile de S. Matthieu. H m'en arriva de même avec révangile
de S. Jean; et à deux reprises, je ne pus le laisser qu'après l'avoir lu
tout entier. » Th. Ratisbonne, PkiL du Christ. Préf. Cf. Brev., S. Cécile,
Resp. m; MarUgny, Evangile, — s Tert., De came Chnsti^ ii.
NO^l] LES OtATRË EVANGILES. 131
J'élégance et de Téclat, ils s'étonnent : c'est un mystère qui
les confond. — Qu'ils réfléchissent cependant; qu'ils con-
sultent leur foi : ils verront que ce livre a réellement les
caractères qu'il doit avoir. Si le Fils de Dieu a voilé sa
grandeur pour habiter parmi nous, s'il a été humble et ca-
ché dans son humanité, s'il s'anéantit chaque jour sur nos
autels, ne doit-il pas s'humilier aussi, se voiler dans son
langage, dans le récit de ses actes, dans l'énoncé de ses
maximes ? N'est-il pas naturel qu'il adopte l'idiome des pe-
tits, après s'être réduit à leur petitesse ? Ce qui ne veut
pas dire que ses discours manquent d'élévation ou d'éner-
gie. Puisque l'humilité de sa vie ne l'a pas empêché de rem-
plir sa mission, d'abattre l'idolâtrie, et défaire régner sa loi
d'un bout du monde à l'autre, la simplicité de son langage
n'empêchera pas non plus que sa parole ne devienne ce qu'elle
doit être, la lumière des intelligences et le principe de
toutes les vertus, la force et le soutien des âmes, la règle et
le mobile du monde surnaturel ^ « La grandeur du Sauveur
* Rien ne montre mieux la valeur de nos saints livres que les Histoires
ou les Vies de Notre Seigneur qu'on a composées, en Joignant aux récits
des évangélistes les renseignements fournis parles auteurs profanes et
les descriptions de lieux tracés par les voyageurs. Ces ouvrages ont leur
raison d'ôtre sans aucun doute. Plusieurs ont été publiés de nos jours
par des hommes d'une foi profonde et d'un grand talent. Néanmoins,
quel est celui qui pourrait remplacer dans l'Eglise nos saints Evangiles,
dont la lecture produirait dans les âmes la même impression religieuse
et la môme édification? Presque partout, la main do l'auteur se montre
trop. Kn faisant du Fils de Dieu une histoire suivie et complète, comme
l'histoire d'un héros ou la vie d'un saint, on court risque de le réduire,
de l'humaniser plus qu'il ne convient. Ce qu'il y a en lui d'extérieur et
d'accidentel prend du relief; mais à proportion, ce qu'il y a d'intime et
de divin se voile. Los paroles de vie qui sortent de ses lèvres se petdent
^ians une multitude de paroles oiseuses et stériles. Qu'importent an
fidèle les particularités de la vie de Gaîphe, l'origine de Pilate et d'Hé-
rode, le site de Tibériade et les paysages du lac de Génésareth? A côté
de l'Homme-Diea toute particularité s'efface. L'horitou de la Palestine
est trop étroit iraur sa grandeur. S'il devait y paraître , ce n'était pas
pour y demeurer. Le cadre qui lui convient, c'est celui que S. Jean loi
a tracé dans soa premier chapitre et que le fidèle sous-entend dans les
synoptiques. C'est sur ce fond qu'il faut le voir, si l'on veut se faire une
Joste idée de son élévation, de sa sainteté et de sa perfection infinies.
I« motif qui porte les rationalistes à décrire avec tant da sain le milieu
132 JÉSUS-tiHRIST âELON. L*ÉVANG1LÊ. [n?^ Bt
n'est pas de ce moiide, dit Pascal. Si' Ton eiï comprend la
nature, on le verra si grand, qu'on ne sera pàs'tenté de se
scandaliser de sa bassesse. » •
II. Souvent aussi le cœur est mal disposé. Il indiXiqne de
pureté, de droiture, d'élévation, d'ardeur pour la vérité et
pour la perfection. On ne cherche pas dans l'Evangile ce
qu'on devrait y chercher; on n'a pas les sentiments qu'on
devrait avoir. On lit par curiosité, pour éclairer et orner
son esprit K On lit par amour-propre, afin de se distinguer
dans la prédication. On lit par un goût naturel, pour occu-
per le temps ou faire diversion à des travaux qui fatiguent.
Ce qu'on voudrait trouver, ce sont les agréments de livres
profanes. Avec ces dispositions, est-il étonnant que l'Evan-
gile contente peu, qu'on y rencontre des déceptions, de
Tennui, du dégoût? Pour s'y plaire, il faudrait avoir les
mêmes vues que les Evangélistes, n'y chercher que ce qu'ils
se proposaient : notre sanctification, notre avancement dans
la vertu, l'établissement du règne du Sauveur en nous.
Quœrant inveniendum ^ Si c'est notre vrai bien que nous
voulons, nous l'y trouverons ^ Rien ne fait mieux connaître
le Verbe fait chair, ses mystères, ses vertus, sa doctrine,
ses œuvres, rien ne le fait plus aimer *.
dans lequel se sont produits les faits ôvangéliques, n'est-ce pas qu'ils
croient y trouver la raison et Texplication naturelle de ces faits? — ' Sur
la beauté des Evangiles, consulter S. Augustin, De doct. Christ.^ ii;
Bossuet, Panég. de S. Paul, ii^ point; Lacordaire, 11* Lettre sûr la vie
chrétienne. Etudier, entre tous, les morceaux suivants : dans S. Mafthiou,
les trois principaux discours, sur la montagne, v-yn, aux Apôtres, x,
sur les pharisiens, xxiii; en S. Luc, les tableaux et les cantiques, i-in,
X, 38-42, XXIV ; dans l'un et l'autre les paraboles, Matth., xm, 6; xxv,
1-30* surtout l'enfant prodigue, Luc, xv, et le bon Samaritain, x, 30-39';
enfin dans S. Jean, ses récits si touchants et si dramatiques, la Sama-
ritaine, IV, l'aveugle-né, ix, la résurrection de Lazare, xi, la dernière
cène, xiii, les apparitions du Sauveur ressuscité^ xx, xxi, etc.
1 Qui loquendi arte caeteris excellere videntur, sedulo monendi sunt
no sordeat eis solidum eloquium, quia non est inflatum. His maxime
utile est nosse ita esse prseponendas verbis sententias, ut prseponitur
animus corpori. S. Aug., De catech. rud.y 13. — 2 s. Aug., In Joan.,
Lxiii, 1. — 3 Petcnti datur, pulsanti aperitur, quœrens invenit. S. Hicron.,
Ep. LUI, 9. — ♦ Inter hœc vivere, ista meditari, nihil aliud nosse, nihii
quaerere, nonne tibi videtur jam hic in terris regni cœlestis habita-
kvaNûiliï dk Saint hatthiki;.
2» D«s ËvangilsB on partioaU«r ■.
1» SAINT BATTBIEn.
Ongine cl abjel. — MarqDei d suthenlicili, — Tvxt? origiml. — Soa ébloDiliune
prflendu.
58. — Origino et olijel du premier Évangile.
L'auteur du premier évangile est l'apâtre S. Matthieu.
Il y a qu'une voix à cet égard dans la tradition *. Les Pères
s'accordent également à dire que cet évangile a paru avant
tous les autres ', que S. Matthieu l'a écrit en hébreu pour
l'usage des chrétiens de Judée ', avant de quitter ce pajs
pour aller prêcher la Toi parmi les Gentils, entre l'an 4S et
l'an 48, un peu avant que S. Paul écrivit ses premières
Epitres '. Sur ce dernier point, on a dit souvent que S. Iré-
edIdid?... Discaniu9 io terris ((iiorum nobis scienlia pcracverct in coelii.
S. Hieron., Ibid. In eccicsiis, quand» iGecndum c»t Evangellant, accen-
dniitnr lamioaria, jam soie rntilanlc, ad signum l«tititt démon ■tnadoin.
AdB. VigiL, 7. Cf. U Mac, iv, 22.
I On voit coRimcnt les quatre évangiles sont représentai dans nos plus
indens monumeRts, peintures, mosaïques, sarcopliagcs. L'Agneaa de
Dien est deboot sur la montagne do Sion, et de dessous ses pieds
wnent quatre fleuves qui vont dâsaltérer le monde et arroser toute la
terre. Cf. Geo., ii, 10; Pa. xia, 2; I Cor., x. 4.
Da quà Hiuiri quilun foDlei nHui
EfingBliUs, Tivi Chrisli Bamioa. S, Pinlin., Bpitt. ail.
ia» le quatrîËmc siède, on commenta h désigner cliuque évangéliste
par an emblème emprunté à l'Apocalypse, iv, 7, en rapport arec son
Jébot et son caractère particulier. — » EuKb., H., m, W, 39; v, 8,
W.etc.; Supra, n. 23. — ' Eusob., H., m. 2i; S. Iren., 111, i, 1 ; Orig.,
inJoi,, Nom. vii; S. Aug., de comeniu Evang., 1, 2, etc.; Sapiv, a. 11.
-' Euaeb., H., iii,at;S. Iren.. Orig., S. Hioron., etc. — • Cf. Euseb.,
V, ni, 2i, etc.. Supra, 41.
134 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n» 82
née était en opposition avec le sentiment commun; mais c'est
à tort. Ses paroles se concilient sans peine avec ce que nous
venons de aire. En faisant cette remarque que S. Matthieu
« écrivit l'Evangile en hébreu pour les Juifs, tandis que
S. Pierre et S. Paul le prêchaient de vive voix aux Ro-
mains *, * il ne paraît pas qu'il ait eu l'intention d'affirmer
la simultanéité des travaux accomplis par le premier évan-
géliste et les deux principaux apôtres, mais bien de signa-
ler la manière différente dont eux et lui exercèrent leur
zèle. Quant à la version grecque . du texte hébreu de
S. Matthieu, il est certain que, si l'auteur ne l'a pas faite lui-
même, comme Josèphe a fait la traduction de sa Gusrre dès
Juifs ^ elle date du moins du temps des apôtres et a dû être
approuvée par eux; car dès le premier siècle, et avant la
mort de S* Jean, elle était citée et reçue par toute l'Eglise
avec l'autorité des textes inspirés ^ S'il en était autre-
ment, on aurait peine à s'expliquer la disparition du texte
hébreu.
II. L'évangile de S. Matthieu n'est pas proprement une
histoire, une biographie. On y trouve bien une esquisse de
la vie du Sauveur et un sommaire de sa prédication. Mais les
faits n'y tiennent pas une grande place ; ils sont peu circons-
tanciés et souvent groupés, comme les discours, suivant
leurs analogies. L'ordre chronologique fait défaut, aussi bien
que les dates. Le dessein de l'auteur est donc, avant tout,
dogmatique et moral. Il se propose de montrer à ses lec-
. leurs ce qu'il prêche à tous de vive voix, que Jésus est le
Messie promis au peuple Juif, qu'il faut croire à sa parole,
accepter ses maximes, entrer dans son Eglise, et se confor-
mer à ses lois *. Aussi s'attache-t-il à signaler dans sa per-
sonne toutes les prérogatives que les prophètes ont attri-
buées au Messie, celles de roi ^ de législateur % de
1 Tou TIsTpou xai xou IlauXov ev Po>(i,v) euayYsXiCopievcdv. S. Iren., QI, i,
1; Euseb., H., v, 8. — » Joseph., B., Prsef., 1. — 3 cf. S. Clem., ad
Cor,^ 4(5; S. Ign., ad Smyrn.y 1 ; ad Polyc, 2; ad Rom, , 6; ad Philipp,, 2.
— * Matth., II, 1 ; xxvi, 18; i^viu, 19. — 8 isaï., ix, 6, 7; Jer., xxiii, 5;
Dan., ir, 44; Mi h., iv, 7. 8; v, 2. — ^ Isaï.. iï,3, 4; xxxiii, 22; lv, 3, 4-
a^oi] ÉVANGILE DE SAINT MATTHIEU. 135
thaumaturge S de prophète % de souverain prêtre '; A tous
ces points de vue, il a soin de faire remarquer l'accord des
prophéties avec les faits qu'il décrit : Tune adimpletum est...
Ut adimpleretvr.., Sicut scriptum est... etc.
Cet évangile a été appelé quelquefois l'évangile du
royaume des cièu.r/\ parce qu'on y voit annoncée et souvent
désignée sous ce nom là grande œuvre du Fils de Dieu qui
I est son Eglise ; mais l'auteur ne laisse pas ignorer que son
i royaume est spirituel et ouvert à tous les peuples *. Il a soin
' aussi de faire remarquer que les Juifs s'en excluent eux-
j mêmes par leurs préjugés et par leurs passions.
Ses vingt-huit chapitres se divisent en trois parties : les
' premières années du Sauveur, sa prédication, ses derniers
jours. Les premières années du Sauveur remplissent trois
; chapitres, dans lesquels il est surtout représenté comme
roi^ i-iu. Ses derniers jours, depuis lé commencement de sa
! Passion jusqu'à son retour au ciel, en occupent trois égale-
ment, xxxvi-xxxvm : Notre Seigneur y parait comme prêtre
et victime. La partie intermédiaire, la seconde, est de beau-,
coup plus considérable, iv-xxv. Si l'on en fait deux sections,
i on aura d'abord sa prédication dans la Galilée, iv-xvui, puis
son ministère, si laborieux et si combattu, dans la Judée,
xïx-xxv. La première fait voir en lui le législateur, iv-vu, et
le thaumaturge, vjii-xvm. Dans la seconde, xix-xxv, il agit
en prophète : il enseigne, il reprend, il prédit. Mai« ces
points de vue s'entremêlent, et il paraît plusieurs fois sous
le même aspect.
53. — Les caractères du premier évangile confirment-ils le témoignage
de la tradition à son égard?
Les caractères de cet évangile s'accordent sur tous les
points avec le témoignage de la tradition. On ne peut s'em-
pêcher de reconnaître, en le lisant, que l'auteur était juif,
* Isaï., XXXV, 3-6; xlii, 16-18. — 2 Deut., xvni, 15; Isaï., xlii, 1-4;
Lxi, 1, etc.; Joël., ii, 23; I Mac, xiv, 41. — '^ Ps. cix, 4; Zac, vi, 13.
— * Ce terme, tj BaaiXeia tcov oupavcov, est répété 32 fois dans S.. Mat-
thieu; oupavoç, 80 fois. Infra, n. 168, — 8 Malth., xm.
136 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [N» 53
qu'il avait été témoin des faits, qu'il écrivait pour les Juifs
de Palestine, à une époque peu éloignée de la mort du Sau-
veur, enfin qu'il avait bien le caractère et les dispositions
que devait avoir S. Matthieu *.
1** Vauteur était juif de naissance, — Ses citations indi-
quent un homme versé dans l'étude de l'Ancien Testament
et dans la méditation des prophètes ^ Son langage dénote
un habitant de la Palestine qui a reçu une éducation juive
et qui est habitué à parler l'idiome de son pays. A ses yeux,
la maison d'Israël est toujours la maison du Dieu ^; tous ceux
qui en font partie ont le Seigneur pour père *. Jérusalem est
encore la cité sainte^ malgré son déicide ^; le temple est en-
core le lieu saint ®. Les hébraïsmes ^ et les répétitions ou
oppositions paralléliques ® surabondent dans son style. En-
fin l'aspect de la Galilée, son ciel, ses campagnes, son sol,
ses troupeaux, ses figuiers, ses montagnes, ses torrents, son
lac, s'y reflètent comme ils durent se refléter dans les dis-
cours de notre Sauveur, dans ses paraboles, ses comparai-
sons et ses images ".
2* // a été témoin des faits qu'il rapporte, — C'est ce qu'il
suppose évidemment, en retraçant en détail *° lés actions du
divin Maître, et surtout en reproduisant ses discours avec
1 Si nous nous bornons ici à la preuve intrinsèque, ce n'est pas que
nous la préférions à la preuve de témoignage; mais en voici les raisons :
— {©Les témoignages ont déjà été cités. Supra, n. 23-25, 44. — 2«.Nous
sommes bien aise de montrer à nos adversaires, qui ne goûtent que ces
preuves intrinsèques, qu'elles ne nous font pas défaut. — 3o Rien no dis-
pose mieux à lire avec attention les Livres saints que d'en connaître
d'avance les caractères et les particularités. — ^ W en a une quaran-
taine. Les prophètes sont cités 20 fois, i, 22, 23; ii, 5, 6, 15, 17, 18,
23; III, 3; iv, 14, 15; yiii, 17; xi, 5, 10; xn, 17-2! ; xiii, 35; xxi, 4, 5, 16,
42; xxii, 43, 44; xxvi, 31; xxvii, 9, 35, 43, 46. S. Marc ne les cite que
5 fois, S. Luc, 8; S. Jean, 11. — 3 x, 6; xv, 24. — * O iratyip Yipiûv ev xot;
oupavoiç, 16 fois. — s iv, 5; v, 35; xxiv, 5; xxvii, 53. Cf. Ps. lxxv, 2 ;
Lxxxvi, 3; Isaï., xlviit, 3, etc. — ^ xxiv, 15. Cf. v, 23; xxiii, 16, 18.
— 7 I. t,22; II, 10, 10-17, 20; m, 1, 9; iv, 2; viii, 12; xi, 29, 30;xviii,
14; XXII, 16. 35, etc.; /n/Vûr, n. 55. — s y, 19; vi, 14, 15, 19, 20, 22, 23 ;
VII, 13, 14, 17, 18, 24, 27, etc. — 9 m, 13; iv, 8, 13, 18; v, 1 ; vi, 26, 28 ;
vu, 24, 25; viii, 23; xi, 7; xiii, 3-9; xvi, 2, etc. — i^ cf. Mattli., ix, xn,
9-10, 13, 49; xiii, 1 ; xiv, 25-32, etc,
>°53] ÉVANGILE DE SAINT MATTHIEU. 137
tant d'étendue, sans jamais indiquer aucune source, ni
donner d'autre garantie que son témoignage. A la vérité,
ses récits sont moins circonstanciés que ceux de S. Marc, et
il ne suit pas l'ordre des temps aussi fidèlement que S. Luc;
mais cette particularité s'explique par le but spécialement
dogmatique de sa composition. Quant aux discours, qui
tiennent h plus grande partie de son ouvrage, si l'auteur ne
les avait pas recueillis de la bouche du Sauveur, il faudrait
dire qu'il les a inventés ou qu'il les a rédigés d'après la
tradition; mais s'ils étaient supposés, conviendraient-ils
si bien au caractère du Fils de Dieu, à sa dignité, à ses lu-
mières, à sa sainteté ? Y trouverait-on ce naturel, cette élé-
vation, cette placidité, ce charme ? Il nous semble voir trop
d'unité dans le fond et dans la forme, trop de pureté dans
la doctrine, trop de noblesse et de simplicité dans le lan-
gage, pour n'y pas connaître une reproduction directe de
renseignement du divin Maître. C'est un assez grand honneur
pour Tévangéliste d'avoir reproduit sans altération cette mor
raie et ce style.
3"* // écrivait pour ses compatriotes, c'est-à-dire pour les
Juifs, de Palestine convertis au christianisme. — S'il avait
destiné son évangile aux Gentils, il se proposerait un autre
but; il suivrait une autre marche ; il insisterait sur d'autres
points ; il ferait moins d'emprunts à l'Ancien Testament ; il
parlerait un autre langage. A qui peut-il s'adresser, sinon à
des Juifs, quand il annonce la venue du royaume de Dieu,
quand il établit l'autorité du Sauveur sur sa qualité de
Messie, quand il lui applique les prédictions des prophètes,
quand il 'commence par écrire sa généalogie S quand il
l'appelle le fils de David S quand il parle du lieu saint ^ et
de la sainte cité \ quand il mentionne sans nulle explication
les localités % les lois ® et les usages du pays \ quand il
* I. l-i7. — 2 Huit fois : i, 1; IX, 27; xii, 23; xv, 22; xx, 30, 31;
XXI, 9, t5. — 3 XXIV, 15. — ♦ IV, 5; xxiv, 15; xxvii, 53. — s u^ 22,
23; X, 15; xvi, 13; xxiv, 16, etc. — s y, 21, 27, 31, 33, 38, 42; xii, 5;
xxvu,6. - ^ V, 22, 23, 34, 36; vi, 2, 5. lô; xix , 3, 7; xxii, U, 12;
xxiii, 2, 2, 8, 15, 18, 29; xxv, 1,
8.
138 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n« 83
met les Gentils sur la même ligne quelespublicains *, quand
il rapporte avec tant de détails les invectives du Sauveur
contre les Pharisiens ^ quand il fait entendre que le règne de
la Synagogue est fini et qu'une autre Eglise, une Eglise uni-
verselle, va s'élever sur ses ruines, etc. ^ ? Mais si c'est à des
Juifs convertis qu'il destine son évangile, ce ne peut être
qu'à ceux de la Palestine, car ils ne formaient une église
particulière qu'en Judée, et partout ailleurs ils étaient mê-
lés avec les Gentils *.
4® // a composé son livre de bonne heure, assez peu de temps
après Vascension du Sauveur, — Puisque l'auteur est un
apôtre, et qu'il destine son livre aux Juifs de la Palestine, il a
dû l'écrire lorsqu'il était au milieu d'eux, avant la dispersion
du collège apostolique, de l'an 45 à l'an 48 au plus tard *.
Si Ton compare cet évangile avec les deux autres synop-
tiques, on est conduit à la même conclusion, car il est visi-
blement le plus ancien. On conçoit S. Marc, disciple de
S. Pierre, abrégeant S. Matthieu et retranchant de l*évan-
gile hébreu ce qui était sans intérêt pour les Romains. On
conçoit S. Luc, disciple de S. Paul, complétant les Mémoires
des premiers évangélistes, et s'efforçant de mettre dans
leurs récits l'ordre et la correction qui y manquent ^. Mais
on ne concevrait pas S. Matthieu, un témoin oculaire, un
apôtre, prenant pour guide dans beaucoup d'endroits un
simple disciple, paraphrasant S. Marc, traduisant S. Luc
dans un langage moins correct et s'écartant à dessein de
l'ordre chronologique. Matthieu le publicain a donc été- le
premier à écrire l'Evangile, comme Madeleine la pécheresse
a été la première à annoncer la résurrection.
5® Les dispositions qu'il manifeste conviennent parfaitemeiit
à S. Matthieu. — Le style de cet écrit est simple, uniforme
et peu soigné. C'est partout la même manière de passer des
1 XVIII, 17. Cf. V, 47; vi, 7, 32; x, 5. — 2 vi, 2, 5; xxiii, 2, 6, 7, 14,
23, 27, 29, 44. — 3 x, 17; xvi, 18; xxiii, 34, 35, 38; xxviii, 10. — * Les
explications données aux versets i, 23; xxii, 23; xxvii, 8, 15, 33, sont
attribuables au traducteur. — s of. Act., ix^ 26, 27, et Gai., i, 18, 19.
— 6 Luc, I, 3. .
>«S3] ÉVANGILE DE SAINT MATTHIEU. 139
faits aux discours et des discours aux faits. Le mot tots,
tmc, se trouve répété près de cent fois. Néanmoins cette
rédaction, et surtout les citations de l'Ancien Testament
dont elle est semée, supposent une culture d'esprit que la
plupart des apôtres n'avaient pas. Or, l'emploi que S. Mat-
thieu remplissait, avant son apostolat, demandait précisé-
ment un degré particulier d'instruction. Rien d'étonnant
qu'il soit le premier à qui on ait demandé et qui ait entre-
pris de tracer une esquisse de k prédication du Sauveur.
De plus, on fait observer que l'auteur du premier évangile
s'exprime avec une précision remarquable, lorsqu'il s'agit
de cens et d'impôt *. — Sa modestie n'est pas moins re-
marqucible. S. Matthieu trouvait, comme S. Paul, un sujet
de confusion dans la première partie de sa vie S et il est à
croire que lui seul, entre les disciples du Sauveur, pouvait
se plaire à rappeler son ancienne profession de publicain. Or
c'est précisément ce qui a lieu. Gomme il avait changé son
nom de Lévi en celui de Matthieu, don de Dieu, au moment
où il s'attachait à Notre Seigneur, lorsque S. Marc et S. Luc
rapportent le fait de sa vocation et qu'ils font connaître son
premier emploi, ils ont soin de ne le désigner que par son
ancien nom, afin de ne pas associer dans l'esprit des fidèles
l'idée d'un apôtre avec le souvenir d'une profession odieuse ^
Mais le premier évangélistene songe pas à rien dissimuler:
il dit simplement Matthieu, MatOaioç >xeYoiJi£voç, ou le publi-
cain, 0 Tc/.wvr^ç; et il indique le bureau qu'il occupait à
Capharnaûni, ewTOTsXwvtov *. Cette observation a été faite
de bonne heure : nous la trouvons dans Eusèbe ^ S. Jé-
rôme ^ et S. Chrysostôme \ On peut y joindre une autre re-
marque du même genre. On sait que le Sauveur envoya ses
Apôtres prêcher l'Evsingile deux à deux : binos ^ Les trois
* To ôiSpaxfLa, xvii, 24-26 ; To vo(j.t(T|jia xov xifjvffou xxii, 19. — 2 Matth.,
xvni, 17. — 3 Marc, ii, 14; Luc, v, 27. — * ix, 4, Capliarnaûm, étant
une place de commerce considérable, devait avoir, connue Jéricho, patrie
dcZacliéc, un bureau de douane important. — s Ëuseb., Demonsir,,
m, 5.-6 Hier., In Maith., ix, 9. — ''S. Clirys., In Matth., Hom. xlviii.
<^r. Op, hnperf., initie. — » Luc, x, 1.
140 JÉSUS-CHRIST SELON l'Évangile. [n<* 54
synoptiques qui rapportent ce fait mettent, comme compa-
gnons d'aspostolat, au quatrième rang, S. Matthieu et S. Tho-
mas, mais avec cette différence que le premier évangéliste
donne la première place à S. Thomas et que les deux der-
niers là donnent à S. Matthieu. Quiconque tiendra compte
des leçons données par le Sauveur à ses apôtres et du sen-
timent qu'on a toujours eu de leur vertu, croira volontiers
que c'est S. Matthieu lui-même qui s'est mis ici au second
rang, tandis que ses collègues le plaçaient au premier ' .
* 54. — L'authenticité des deux premiers chapitres est-elle moins
certaine que celle du reste du livre ?
On l'a prétendu; mais ces chapitres sont ceux dont l'au-
thenticité est le mieux constatée: — 1** Ils sont le début
naturel du livre. S. Matthieu, voulant prouver que Jésus-
Christ est le Messie, ne devait-il pas faire connaître son
origine et montrer l'accomplissement des prophéties relati-
1 M. Renan, forcé de reconnaître que cet évangile est antérieur à la
ruine de Jérusalem, Infra^ n. 62, 248, se rabat à dire qu'il s'en est fait
plusieurs rédactions successives, et que la nôtre ne date que de Tan 85
environ {/nrftfj;, 1884, p. 284) : assertion équivoque et gratuite dont il
essaie en vain d'étayer son système. En effet, s'il veut parler simplement
d'une nouvelle rédaction, si l'on n'a fait en 85 que modifier l'ordre, le
style, les détails du texte original, quel avantage un rationaliste en
peut-il tirer et quelle conséquence en résulte-t-il en faveur de ses idées?
Et s'il s'agit d'une transformation, de la substitution d'un nouvel évan-
gile à l'ancien, de l'histoire d'un Homme-Dieu, mise à la place de celle
d'un docteur ou d'un prophète ordinaire, si M. Renan prétend attribuer
au dernier rédacteur, les miracles dii Sauveur, ses prophéties, sa nais-
sance virginale, sa résurrection, les témoignages de sa divinité, qui ne
voit à quel point cette hypothèse est inadmissible et de combien d'im-
possibilités elle est remplie? Impossible qu'on ait conçu un tel dessein
vingt ans après la mort de l'auteur et qu'on ait pu Texécuter ainsi sous
les yeux de ses disciples. Cf. Supra ^ n. 23. Impossible qu'une telle
fraude n'ait pas révolté toute l'Eglise, que S. Jean ne l'ait pas confondue
avec plus de vigueur encore que l'erreur des Cérinthiens , qu'on soit
parvenu à détruire tous le« exemplaires anciens, sans qu'on ait réclamé
ou qu'il soit resté aucune trace des réclamations. Impossible enfin de
faire inventer .en 85 ce. qu'il y a de surnaturel dans la vie de Jésus-
Christ, quand oa le lit déjà dans l'Epitre aux Hébreux, dans TApocalypse,
dans S. Marc et dans les Epîtros de S. Pierre et de S. Paul , qu'on
reconnaît soi-même avoir été écrits vingt à trente ans auparavant.
N« oS] ÉVANGILE DE SAINT MATTHIEU. Hl
vement à sa naissance et à ses premières années ? — 2* Ils
sont supposés par les premiers mots du chapitre troisième:
In diebus autem illis^ et même par le verset 43 du chapitre
suivant : Et relicta civitate Nazareth, car on n'a été averti
qu'au chapitre second, 23, que Nazareth était la patrie
du Sauveur. — 3** Dans tous les manuscrits, comme dans
Jes versions les plus anciennes, Tévangile de S. Matthieu
commence par ces deux chapitres *. — 4<> Ils sont cités par
un grand nombre de Pères des premiers âges, S. Justin ^
S. Irénée *, Tertullien *, en particulier par tous ceux qui se
sont préoccupés de concilier ensemble les deux généalogies.
Quant à Tadoration des Mages, c'est un des sujets les plus
fréquemment reproduits dans les Catacombes dès le com-
mencement du ni*» siècle. Les fidèles v vovaient un symbole
de leur vocation à la foi en même temps qu'un hommage à.
la divinité de Jésus-Christ et à la maternité de la très sainte
Vierge. — 5** Celse en a tiré une objection contre le chris-
tianisme S aussi bien que Julien. — 6** Les objections qu'on
apporte ne sont pas sérieuses. Le style de ce début, loin
d'être en opposition avec celui du livre, porte visiblement
Fempreinle de S. Matthieu et respire le génie hébreu *.
Il est vrai que S. Marc ne reproduit pas les faits qu'il con-
tient : mais a-t-il promis de suivre en tout S. Matthieu et de
le résumer complètement ? Il est vrai encore que les Ebio-
nites l'avaient retranché de leur évangile ; mais n'avaient-
ils pas intérêt à le faire? Et S. Epiphane ne leur en fait-il
pas un reproche ' ?
* 55. — Est-il certain que saint Matthieu ait écrit son Evangile
en hébreu?
Les Pères disent unanimement que le premier évangile
a été composé en hébreu ', et il ne parait pas qu'il y ait lieu
« s. Aug., Cont. PansL, xxviii, 2. — « I ApoL, i, 33, 34; iHal., 88,
100, 102, 103. — 3 S. Iren., DI, xi. — * Tert., ^d». Marc, 9.-5 Orig.,
Cont. CeU., i, 23, 32, 40, 66. -^ « tt adimpleretur, i, 22; ii, 5, 15, 17;
ToDC, II. 7, 16, 17, etc. — 7 S. Epiph., Adv. Hxres, xxx, 13. — * Euseb .
B.j in, 39; v, 10; vi, 25; S. Ireo., ili, i, 1; S. Cyrill., Catech,, xiv, 15;
S. Hier , De vir. ilL, 2, etc.
142 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n<> 56
de récuser leur témoignage. Les caractères du livré l'attes-
tent également. Il est visible qu^il a un Juif pour autetir,
et qu'il a été écrit pour les Juifs, avant la dissolution de
l'organisation juive. Il est plein d'hébraïsmes et de citations
de l'Ancien Testament d'après l'hébreux *. Quelle apparence
qu'il ait été composé en grec ?
Mais le texte hébreu, ou plutôt syrochaldéen ^, ne s'est
jamais beaucoup répandu. Traduit en grec de très bonne
heure par un écrivain dont S. Jérôme et Papias lui-même
ignoraient le nom% il fut lu en cette langue par toute.
l'Eglise, et c'est sur cette traduction qu'ont été faîtes les
versions et les citations les plus anciennes qui nous soient
parvenues *. Bientôt le texte original se perdit, comme
s'étaient perdus ceux de Tobie, de Judith, de l'Ecclésias-
tique et du premier livre des Machabées. Il disparut vers là
fin du premier siècle avec le petit groupe de chrétiens ortho-
doxes qui eh faisaient usage ^; ou plutôt il en resta assez
longtemps une édition entre les mains des isectes judaïsantes,
mais édition altérée et sans valeur dans les endroits qui
diffèrent dé notre version grecque ^.
* 56. — Quelle langue parlait-on en Palestine au temps de Notre
Seigneur? Etait-ce l'hébreu, le syrochaldéen, le grec?
1** L'hébreu pur, ou proprement dit, s'est conservé jus-
qu'à la captivité; et même un' peu au delà, puisque nous
voyons les auteurs de cette époque, Jérémie, Esdràs, Michée,
Aggée, Zacharie, Malachie, écrire encore en cette langue.*
Mais déjà il commençait à s'altérer, par suite des rapports
que les Juifs avaient avec les Chaldéens et des alliances
qu'ils ne tardèrent pas à contracter avec les peuples syriens
De là l'emploi du chaldéen dans plusieurs livres inspirés,
0
1 Ecce, ecce^ plus de soixante fois. — 2 infra^ n. 56. — 3 Supra, n. 53.
S. Hieron., de .Vù\ ilL, ni. -^ * S. Xllem., S. îgnat:, S. Polyc, etc. —
5 Cf. Euseb,. H , iv, 5, 6. — <> Ihfra, n. 57, Ainsi so sont perdus uri
grand nombre d'ouvrages latins hien connus, de Varron, Ennius, Cicoron,
Pline TAncion, Tite-Llve, Tacite, ceux d'une multitude de philosophes
grecs très renompiés,.et les textes originaux de beaucoup d'auteurs
ecclésiastiques. . , : .
No56] . ÉVANGILE DE SAINT MATTHiEtJ, 143
Tobie, Judith probablement, et quelques fragments de
Daniel et d'Esdras. De là bientôt la formation d'un dialecte
nouveau, le syrochaldéen, mélange du chaldéen et du sy-
riaque avec l'ancien hébreu. G'e§t sans doute en cet idiome
que fut écrit le premier livre des Machabées.
2« Au temps de Notre Seigneur, le syrochaldéen était la
langue ordinaire des Juifs, le seul hébreu usité en Palestine ^
C'est celui qui fut employé, avec le grec et le latin, dans
rinseription de la croix % celui auquel appartiennent tous
les mots prononcés littéralement par Notre Seigneur, ou
cités dans l'Evangile comme originaux : Boanergès, Eph-
pheta, Tabitha cumi, Eli^ Eli^ larrnna sabbactani^ Rabboni^
Barjona, Golgoiha, Haceldama^ etc. ^ Une preuve qu'à Jéru-
salem on parlait encore généralement cet idiome, c'est ce
qui est dit dans les Actes, que S. Paul, voulant haranguer le
peuple, de l'escalier delà tour Antonia, s'exprima en hébreu *.
Josèphe rapporte aussi qu'ayant été chargé de porter aux
Juifs les propositions de Titus ou de leur traduire ses pa-
roles pendant le siège, il leur parla dans la langue du pays*.
3** Néanmoins il est certain que la connaissance du grec
et même du latin se répandait dans les villes et les princi-
paux centres, parmi les hommes instruits et d'un certain
rang. C'était la conséquence des rapports que les habitants
de la Judée étaient forcés d'avoir, soit avec les étrangers
amenés par la conquête et par le commerce, soit avec les
magistrats qui les gouvernaient et les armées qui mainte-
naient la population dans la dépendance de l'empire. Les
monnaies d'Hérode le Grand, comme celles d'Hérode Agrippa,
son petit-fils, portent une inscription grecque ^ Josèphe
dit qu'il n'a appris le grec qu'assez tard, mais qu'il le sait
assez pour traduire lui-même en cette langue ce qu'il a
composé en hébreu : ttj xaiptw yXc(J3ï)\ Il nous apprend de
* Act., I, 19, — * Joan., xix, 20. — 3 Supra^ n. tO. — * Act., xxi, 40;
-XXII, 2. Cf. Joan., xij, 20; Act., x, 21, 22; xxvi, 14. — 3 Joseph.. B.,
V, IX, 2; VI, VI, 2. Cf. B., VI, ii, 4, 5. — « Infra, n. 78, 183; Cf. Joseph,
A., XV, viir, 1 ; B., I, xxj, 8. — ^ Ei; aXXo8a7criv x«t Çevrj; v){ji.ou 6ia)).exTOV
cv TjOeiav. Joseph., A.. PrfBf^, 2; et XX, xi, 2.
144 JÉSUS-CHRISt SELON L*ÉVANGILI^. [n^ 87
plus qu'on avait placé dans le temple, entre le parvis des
Gentils et celui des Juifs, des inscriptions grecques et la-
tines pour défendre aux étrangers de passer outre et de se
mêler au peuple de Dieu *.
• 57. — L'Evangile selon les Hébreux, dont parlent les Pèros et qui a
subsisté jusqu'au cinquième siècle, est-il roriginal syrochaldcon de
saint Matthieu? -
C'est le sentiment de la plupart des auteurs ecclésiastiques
que l'Evangile selon les Hébreux a pour origine le texte syro-
chaldéen de S. Matthieu. Au temps de S. Jérôme, on disait
indifféremment Evangile hébreu de S. Matthieu ou Evangile
selon les Hébreux^, Mais, à en juger par la peine qu'a prise
ce saint docteur d'en faire une traduction en grec et en
latin % et par les fragments de ce livre recueillis dans ses
écrits*, dans ceux d'Origène, d'Eusèbe, deS. Epiphane, etc. ^
l'Evangile selon les Hébreux AiiïèTdiit dè}k notablement de
notre premier évangile. Ces différences consistaient, non
dans la substitution d'un mot ou d'une tournure à une
tournure ou à un mot équivalent, mais dans des lacunes,
des additions, des modifications- importantes. D'où venait
cette altération? S. Epiphane en indique sans doute l'ori-
gine et la raison lorsqu'il dit que l'Evangile hébreu était
à l'usage de deux sectes de judaïsants, les Nazaréens et les
Ebionites^ Il est vraisemblable que ces hérétiques, assez
peu éclairés, qui voulaient être à la fois chrétiens et juifs,
et qui finirent par n'être plus ni l'un ni l'autre, dit S. Au-
gustin"', avaient cherché à mettre leurs Écritures en har-
monie avec leurs principes et, par ce motif, corrompu le
texte de S. Matthieu. On explique ainsi tout à la fois l'estime
de certains Pérès pour l'Evangile hébreu, la défiance que cet
Evangile inspire à d'autres ^• les différences qu'il présente
* Joseph., B., V, V, 2; VI, ii, 5. Infra, n. 126. — 2 Patrizi, de Evang.^ 1. 1,
c. I, q. 7, a. 102. — » S. Hieron., de Vir, illust,, 2, 3, 36; in MatL, xii, 13 ;
xxiH, 35. — * /n Matt., xxvii, 9, 10, 15 ; In Eph., v, 5; Epist. xx. — 5 Hil-
genfeld, Nov. Test, extra can. re^eptum. — ^ S. Epiph., Haires., îxix,7-9,
et XXX, 3, 9, 13. Cf. Iren., I, xxvi, 2; Euseb., //., vi, 17. — "^ S. Aug.,
Lxxxii, 15, — 8 Orig., Jn Matt.y xix, 19. Cf. S, Hier., Cont. Pelag.j m, 2.
N<>S9J ÉVANGILE DE âAlNT MATTHIEU. 148
avec celui de S. Matthieu, et enfin le désaveu que l'Eglise
en a fait, et sa disparition au cinquième siècle.
* 58. — D'où sont tirés les textes de l'Ancien Testament, cités par
s. Matthieu, et dans quel sens doivent-ils être entendus?
I. Dans les endroits où les Septante sont conformes à
l'hébreu, les citations de S. Matthieu semblent empruntées
aux Septante; dans ceux où ils s'écartent du texte original,
m observe que l'évangéliste s'attache à l'hébreu, encore
ju'il ne le cite pas toujours littéralement ^
II. Plusieurs croient reconnaître en S. Matthieu des cita-
lions accommodatices ou de pur agrément *. Mais ce serait
ane erreur de prétendre que c'est le grand nombre et sur-
tout qu'il n'y en a pas d'autres *. Ainsi, lorsque l'évangé-
liste cite un passage à l'appui d'une assertion*, ou lorsqu'il
affirme d'une prophétie qu'elle a été réalisée, iva ou oi:w;
zATjpwOt; TQ prfivf^, comment douter qu'il n'allègue la pensée
de l'Esprit saint et le sens véritable du passage?
* 59. — Pourquoi les rationalistes prétendent-ils que cet Evangile a
pour auteur un ébionite, un écrivain judaisant et antipaulinien?
Ils allèguent plusieurs raisons : — l^Cet évangile s'adresse
aux Juifs d'une manière spéciale, sinon exclusive. — 2° Il
affecte, à leur avis, de relever S. Pierre, le principal repré-
sentant du nationalisme juif*. — 3<> Il présente Jésus-Christ
moins comme le Sauveur du genre humain que comme le
Messie promis à la maison d'Israël. — 4<> Enfin, il recueille
avec une sollicitude particulière toutes les paroles favorables
aux juifs, ou de nature à leur plaire ^
Ces docteurs ne font pas attention que les autres évan-
giles, qu'ils disent universalistes, contiennent les paroles
mêmes qui leur semblent ébionites en S. Matthieu, ou
d'autres équivalentes ^ Quant aux passages du premier
1 1, 23; II, 6, 15, 18, 23; iv, 15, 16; viii, 17; xii, 17-21; xiii, 14-35;
Ui, 14; xxvii, 9-10. — 2 u, 18; vu, 23; xiii, 35. -- » Supra, n. 52. — •
^ 1, 23; XXI, 42. — » i, 22; ii, 15, 17, 23; iv, 14; viii, 17, eic. - « x, 2;
x?i, 17*19. — T V, 17-20; vu, 6 ; x, 5, 6, 23; xv, 24, 26. - » Cf. Marc,
VI, 26-28 ; Joan., iv, 22, etc.
ui. 9
146 JESUS-CHRIST SELON L*ÉVANGILË. [n^ 60
évangile qui prêteraient à des inductions tout opposées S
ils affectent de ne pas les voir ou de n'en pas tenir compte.
Observons néanmoins que les critiques rationalistes
semblent aujourd'hui moins décidés pour ce sentiment ^
D'après leurs publications les plus récentes, ou S. Matthieu
n'a jamais été ébionite, comme le prétendait Baur, ou bien
on a revu et modifié son livre de manière à en dissimuler
l'esprit primitif ^
2» SAINT MARC.
Personnalité de l'auteur. — Authenticité. — Date de l'ouvrage.
* 60. — Saint Marc révangcliste est-il le même que Jean Marc, parent
de Barnabe * ?
Bien des savants distinguent S: Marc, l'évangéliste, de
Jean Marc, parent de Barnabe. Le Bréviaire romain ne
tranche pas la question^; mais communément on admet
l'identité. D'après les Actes, Jean ou Jean Marc était lié avec
S. Pierre avant de se lier avec S. Paul. C'est chez la mère de
ce disciple que le prince des Apôtres, au sortir de la prison
d'Hérode, trouve les chrétiens réunis % et cette circonstance
fait supposer que Jean Marc n'était pas sans fortune, ni
probablement sans instruction. S. Pierre l'aura vraisembla-
blement pris pour son interprète; selon le mot du prêtre.
Jean dans Papias^ ou pour son secrétaire, comme le dit
S. Jérôme^ après que ce jeune disciple se fut séparé de
S. PauP. De là le nom d'Evangile de Pierre^ donné par
TertuUien à sa composition *^ S'il n'est pas nommé Jean
1 II, 1; m, 9; V, 21, 27; viii, 10-12; ix, 6, 13, 16, 17; xi, 13; xii,
1-13; XV, 11, 16-20, 28; xvi, 18, 19; xix, 8; xx, 1-16; xxi, 43; xxii,
37-40; XXIII, 23-36; xxiv, 2, 14; xxviii, 16, 18-19, etc. Infra^ n. 452. —
2 M. Renan, Les Evangiles, — « 3 L'auteur de l'Evangile selon Matthieu
n'a pas de parti arrêté dans les grandes questions qui divisaient TEglise.
11 n'est ni Juif exclusif, à la manière de Jacques, ni Juif relâché à la
façon de Paul. » M. Renan, Evangiles^ 206. — * Act., xii, 12; xv, 37,
— s 25 april. — 6 Act., xii, 12. Cf. xiii, 5, 13. — ^ Euseb., £f., m, 39;
VI, 14, 25. Cf. I Cor., xiv, 5; Iren., III, i, 1. Tert., Cont. Marc,^ iv, 5.
— 8 s. Hier., Epist. cxx, q. U ; Euseb., Demonstr, evang.^ m, 5. —
9 Act., XV, 39. Cf. S. Thom., 2«-2« , q. 176, a. 1. [nfra, n. 529. — *<> Tert.,
^■€ont. Marc, iv, 5.
H^U] ÉVANGILE DE SÀÎNf MaRC. 147
mais simplement Marc, comme évangéliste et compagnon
de S. Pierre, c'est sans doute qu'il avait pris ce nom latin
en entrant dans l'empire, et qu'il n'était pas connu autre-
ment à Rome et parmi les Gentils*. S. Luc nous avertit que
c'est un surnom '^ Il a pu aller en Egypte quelques années
après la venue de S. Pierre à Rome, y fonder l'Eglise
d'Alexandrie ^ puis se retrouver à Rome pendant la pre-
mière captivité de S. Paul et à Ephèse pendant la seconde*.
S. Pierre l'appelle son fils^ Son Evangile, composé peu de
temps après celui de S. Matthieu *, dut être présenté à
l'Eglise par le prince des Apôtres, comme objet de foi et
livre inspiré \
61. — Les particularités du second évangile en désignent-elles
Tanteur?
Si l'on s'en rapporte aux caractères de sa composition,
Tauteur du second évangile était originaire de Judée, con-
temporain des Apôtres, et disciple de S. Pierre; il a écrit
pour les Gentils, spécialement pour les Romains, sans autre
souci que d'unir l'exactitude et la précision à la brièveté et
à la simplicité.
1" L'auteur était Juif d'origine et contemporain des Apôtres.
— On distingue sa nationalité à ses nombreux hébraïsmes,
* Cf. Act., XV, 39 et Col., iv, 10. /n/ra, n. 161 et 518. — ^ Act.,
xn, 25. — 3 Euseb., H., i, 16; ii, 24; v, 10. Alexandrie avait une colonie
jaive très considérable, Joseph., A., XII, i; XIV, vii, 21 ; XIX, v, 2. 11 est
certain que le christianisme s'y établit de bonne heure; car au second
siècle, les chrétiens y avaient déjà une école florissante et des docteurs
renommés. — * Cf. Col., iv, 10; II Tim., iv, H. — 5 i Pet., v, 13. —
' S. Irénée dit qu'il fut composé post exitum SS, Pétri et Pauliy [Ltxct
Ï71V TouTwv eÇoSov. m, I, 1. Le mot eÇoSoç ne signifie pas ici ti^épas^
comme en d'autres endroits : il a pour objet, non le départ de S. Pierre
de Rome, mais la dispersion des Apôtres pour la prédication de l'Evan-
gile. C'est une allusion à ce qu'il vient de dire : Aposioli exieimnt in
fines terrée y evangelizantes et pacem annuntiantes. — "^ Ann. 46^50.
Euseb., H,f II, 15; m, 24; vi, 14. Supra, n. 41. Comme S. Marc passe
sous silence l'enfance et la jeunesse de Notre Seigneur, si l'on divise le
second évangile comme le premier, on aura deux parties bien distinctes :
1® La vie apostolique du Sauveur en Galilée, wx, et en Judée, x. 2° Sa
vie «ouifrante, xi-xy, et glorieuse, xvr.
148 JÉSUS-CHRISt SELON L^ÉYANOlLË. [n» 61
à ses citations syrochaldéennes, ii, 9; m, 17; v, 41; vu, 11,
34; X, 46; xiv, 36; xv, 34, etc., et à la connaissance qu'il
montre des usages de la Judée, v, 3; vu, 2-4, 11; xui, 3;
XIV, 12 ; XV, 42 ; etc. On reconnaît un contemporain des
Apôtres aux particularités de ses récits. Ils sont vifs, précis,
circonstanciés, comme devaient l'être ceux des premiers té-
moins de la vie du Sauveur. Il ne néglige aucun détail. Il
indique nettement les moindres particularités de temps S
de lieux ^, de nombre S de personnes ^ d'attitude ^ de
disposition ^ Par exemple, il remarque que Jaïre était chef
de synagogue*^, que la femme du pays de Ghanaan était une
grecque syrophénicienne ^ que l'aveugle de Jéricho s'ap-
pelait Bartimée, fils de Timée \ que les enfants de Zébédée
furent nommés Boanerges, que le crime de Barabbas était
le meurtre *^ que Joseph d'Arlmathie était membre du
sanhédrin, et Simon de Cyrène père d'Alexandre et de
Rufus*^ Il rapporte même en langue syrochaldéenne cer-
taines paroles de Notre Seigneur *^ Plusieurs pensent qu'il
parle de lui-même dans le récit de la Passion *% sans se
nommer, comme fait aussi S. Jean ** et peut-être S. Luc *^
2° // était particulièrement attaché à S. Pierre, — Il ex-
pose avec la plus grande précision les faits qui concernent
cet Apôtre, ceux dont il a été l'auteur ou le témoin *^ Là où
les autres évangélistes nomment les Apôtres en général,
S. Marc désigne S. Pierre séparément et tout d'abord, par
exemple dans la guérison de sa belle-mère, dont il indique
le jour", dans la résurrection de la fille de Jaïre **, dans la
prédiction de la ruine de Jérusalem *% dans les recomman-
dations du Sauveur ressuscité*^. Une autre remarque, faite
par S. Ghrysostome, c'est qu'il nomme S. Pierre dans les
1 I, 22, 35, 36; iv, 35; vi, 2; xi, 11, 19; xv, 25;vxvi, 8. — * ii, 13
m, 7 ; IV, 1 ; V, 20 ; vi, 38 ; vu, 31 ; xi, 21 ; xii, 41 ; xiii, 3 ; xiv, 66 ; xv, 40
XVI, 5, 7. — 3 V, 13; vi, 7, 40; xiv, 30. — * i, 29, 36; m, 22; xii, 13
XV, 21. — « m, 5, 34; v, 32; ix, 34, 35; x, 16, 23, 32; xi, 11. — « m, 5
VI, 14; vm, 12; x, 14. 21. — 7 v, 22. — « vu, 26. — » x, 46. — io xv, 7
— ti XI, 21, 23. — 12 SuprUy n. 10. — 13 Eiç xiç veaviaxo;, xiv, 51, 52
T- 1* Joan., I, 40; xix, 26. — « Luc, xxv, 13-35. — is i, 10; xiii, 3;
XVI, 7, etc. — " I, 29, 36. - i» y, 37, 38. - i» xra, 3. — ^ xvi, 7.
N«61] ÉVANGILE DE SAINT MARC. 149
circonstances les plus propres à l'humilier, quand Notre
Seigneur lui dit : Vade rétro, Satâna^, quand il s'endort au
Jardin des Olives % quand il renie son Maître % tandis qu'il
ne dit rien de sa marche sur les eaux près de Tibériade*,
ni des prérogatives que Notre Seigneur lui accorde en ré-
compense de sa foi et de son amour ^ Du reste, S. Marc
rapporte les actions de Notre Seigneur avec plus de soin
que ses discours; il semble surtout frappé des prodiges
qu'il opérait et de l'empire qu'il exerçait sur les possédés*.
Cette particularité, en le distinguant de S. Matthieu, lui
donne un rapport de plus avec le prince des Apôtres^ qui
se montre toujours préoccupé de la pratique. C'est ce qui
a fait dire que cet Evangile n'était que la réalisation du
programme tracé par S. Pierre au Cénacle*^ et le dévelop-
pement de l'instruction donnée par le même Apôtre à Cor-
neille sur la vie de l'Homme-Dieu : « Il a passé en faisant
le bien et en guérissant tous ceux que le démon tourmen-
tait».»
3" // écrivait pour tous les peuples Gentils, vq TcacY) xtioiq*,
mais spécialement pour les Romaim. — C'est la principale rai-
son pour laquelle il s'appuie rarement sur l'Ancien Testa-
ment et ne le cite presque pas, contrairement à la pratique de
S. Pierre. Il ne présente pas le Sauveur comme Messie, mais
comme souverain du monde : il ne rappelle pas Fils de Da-
vid *°, mais Fils de l'homme ou Fils de Dieu, coname S. Jean qui
» Marc, viii, 33.-8 xiv, 37. — ^ xiv, 68, 72. On voit ce même fait
représenté en une foule d'endroits des Catacombes. — ♦ Matth., xiv,
28-31.— s Cf. Matth., xvi, 17-19; Luc, xxii, 31, 32; Joan., xxi, 15. 17.
Non solum raagistri, delictum non occuUavit, sed exquisitius etiam
qaam cœteri conscripsit. Hoc ab ipso magîstro Petrus didicerat : disci-
pnlus enim Pétri fuit. S. Chrys., In Matth. Hom. lxxxv. Cf Clément.
Recogn,, n, 1, 10. l\ est. bien remarquable cependant que le glorieux
témoignage rendu par S. Pierre à Notre Seigneur : Su ei o uioc tou ©eou,
devient comme le texte de S.Marc,i,l ; et qu'on l'entend répéter dans cet
évangile par la terre, xv, 39, par l'enfer, m, 11, 12 et par Dieu môme,
I, 11. ~ 6 I, 23, 27, 32, 34, 39: m, 10, 11, 15; v, 1, 15; vi, 13; vu, 29;
IX, 16, 25; XVI, 9, 17. — ^ Oportet ex his viris, incipiens a baptismate
Joannis usque ad diem qua assumptus est, testera resurrcctionis ejus
nobiscum fieri. Act., i, 21, 22. — » Act., x, 38. — » Marc, xvi, 16. —
** Sauf une fois, x, 47.
ISO JÉSUS-GHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n<* 61
destinait aussi son écrit aux Gentils. Il omet, comme lui, les
généalogies et l'adoration des Mages, qui intéressaient spé-
cialement les Juifs çt commence son récit par la prédication
de TEvangile. Il ne nomme pas une seule fois la Loi ; il ne
dit pas l'abomination dans le sanctuaire, in sancto. \ mais ubi
non débet ^ Dans le récit de la Passion, il passe sous silence
le voile du temple déchiré, le tremblement de terre, et le
brisement de la pierre, qui ne se pouvaient constater qu'à
Jérusalem. Il explique les usages juifs, dont il fait mention ^,
il évalue les pièces grecques en monnaies latines, Xstutx Sj^,
0 £axi Y.olpTnT^<;\ et traduit les termes araméens qu'il insère
dans son récit % tandis qu'il n'explique aucune des expres-
sions latines qu'il fait entrer dans ses phrases grecques, 8r,va-
piov ® x£vxupiu)v *^, YXfVOoq *, xoâpavxr^ç % xpaSaxo; *^, Çcgtyjç **,
A^Y^wv *^, 7:pa'.Ta)ptov *^, (fKa-^eWoiti **, CTZtY.wuXx-.bip *^, etc. Il
prend soin de dire que le Jourdain est un fleuve *^ et que
le mont des Oliviers est en face du temple ^\ Il avertit que
les Sadducéens ne croient pas à la résurrection *^ que les
Pharisiens jeûnent fréquemment ^\ que les Juifs immolent
l'Agneau pascal le premier jour des Azymes ^^, qu'ils sont en
possession de remettre en liberté un prisonnier à Pâques ^*.
Les quatre paraboles qu'il reproduit ont rapport à la prédica-
tion de l'Evangile, à l'établissement de l'Eglise et à la voca-
tion des Gentils. Enfin il désigne Alexandre et Rufus comme
fils de Simon de Gyrène ^% et l'on sait par S. Paul qu'ils
étaient venus s'établir à Rome ^^
4° Son écrit est rédigé comme un simple mémorial, — On
n'y remarque aucune- tendance spéciale, soit apologétique,
soit polémique. S. Jérôme dit que S. Marc n'a fait qu'un
abrégé de l'Evangile ^*, Papias qu'il s'est borné à mettre par
1 Matth., XXIV, 15. — 2 xiii, 14. — !* vu, 2, 4; xiv, 12; xv, 6, 42, etc.
— * XII, 42. — s m, 17; v, 41 ; vu, 34; x, 46; xii, 42; xiv, 30; xv, 22,
34, 42. — 6 VI, 37. — "7 XV, 39, 44, 45. — » xii, 14. — 9 Marc, xii, 42. —
10 „^ 9. _ 11 VII, 4, 8. — 12 V, 9, 15. — la XV, 16. — i * xv, 15. — ^s vi, 27.
— 16 1, 5. _ 17 xin, 3. — 18 x.ii, 18. — 19 II, 18. — 2» xiv, 12. — 21 xv, 6, etc.
— 22 XV, 21. — 23 Rom., XVI, 13. S. Polycarpo parle aux Philippiens de
Rufus, comme d'un illustre martyr. Episl. 9. — 2* Brève sciipsit evan-
gelium, S. Hieron.^ De vir. Ulust,^ viii, Cum solo Jeanne nihil dixit,
N^ 61j ÉVANGILE DE SAINT MARC. le^l
écrit les prédications de S. Pierre *. S. Augustin l'appelle
pedissequtis Matthœi ^ et Bossuet le plus divin des abrevia-
teurs ^ Cependant S. Marc ne se borne pas à résumer, ou
bien ce qu'il résume est plutôt l'histoire du Sauveur que le
livre de S. Matthieu. En certains endroits, il change Tordre
suivi par son devancier ; en d'autres, il rafraîchit ses ta-
bleaux en les complétant par de nouveaux traits; par
exemple, dans la guérison de l'hémorroïsse *, dans la déli-
vrance des possédés Géraséniens % dans le récit de la mort de
S. Jean-Baptiste ^ Encore qu'il n'ait pas plus de vingt-sept
versets dont on ne trouve pas l'équivalent dans S. Matthieu
ou dans S. Luc, on lui doit cependant une parabole \ deux
guérisons miraculeuses, celles du sourd-muet de la Déca-
pole ^ et de l'aveugle de Bethsaïde % et un des incidents de
l'arrestation du Sauveur, auquel l'évangéliste semble ne pas
être étranger *°.
5® Pour le style, S. Marc est net, précis, serré, mais sec et
négligé. — Constamment il emploie dans ses récits le lan-
gage direct **, et remplace le passé par le présent *M1 aime
les diminutifs, y.opa7iov, Kuvxpia, i^OuBia, toxapiov, etc. ". Il
répète souvent les mêmes idées et les mêmes termes, soit à
dessein pour en renforcer le sens ^*, soit par négligence **,
comme xai, et^ qui reparaît à tout moment, zaXiv, rursum,
iterum, et, euOswç, statim, qu'on trouve neuf fois dans le
premier chapitre. On cite encore parmi ses expressions fa-
solus ipse perpauca, cutn solo Luca pauciora, cum Mattliaeo vero plu-
rima et multa pêne totidem atque ipsis verbis, sive cum solo, sive cum
ceteris consonante. S. Au g., De consensu evangel.., i, 4.
* Euscb., H., 11, 15. Imitatus magistri sui Pétri verborum paucitatem,
uti Lucas Pauli ubertatem loquendi. S. Chrys., In Matth.^ Hom. iv. —
' De cons. Evang., i, 4. — 3 Cf. II Marc, ii, 24-27. S. Marc n'a que fort
peu de passages qui fassent défaut en S. Matthieu : i, 21-28, 35-39; iv,
21,24, 26-29; vu, 31-37; viii, 22-26; ix, 38-42; xu, 41-44; xiv, 51, 52.
- * V, 25, 29, 32. — s V, 4, 18, 19. - s vi, 20, 29. — *? iv, 26-29. -
' VII, 32-35. — 9 VIII, 22-26. — lo xiv, 51, 52. — li iv, 39; v, 8, 9, 12;
VI, 2, 3, 31; IX, 25; xu, 6. — 12 1, 40; 11, 3, 10, 17; vi, 1; xiv, 43, 66.
- «V, 41, 42; VII, 27, 28; viii, 7; xiv, 47. — 1* i, 45; 11, 27, 28;
ni, 26; iv, 8; vu, 12, grâBce; xiv, 68. — *5 j^ 45; n^ ig, 22, 25; viii, 15.
Cf.ii, 19, 20, 27; m,' 1, 3; iv, 15; v, 41, 42; vi, 17, 18; x, 13; xiv,
66,67.
152 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n» 62
vorites, cœpit, immundm spiritiiSy interrôgare, prœdicare,
co7nminari, etc.
Ainsi les caractères intrinsèques du second évangile jus-
tifient pleinement la croyance de l'Eglise sur l'origine et
sur l'auteur de ce livre K
62. — D'après certains critiques, S. Marc n'aurait-il pas écrit son
Evangile bien plus tôt que S. Matthieu?
Un certain nombre de rationalistes ^ attribuent aujour-
d'hui à l'Evangile de S. Marc la priorité d'origine. En cela,
ils sont forcés de rompre avec Baur, d'après lequel l'Evan-
gile le plus ancien devrait être plus que tout autre impré-
gné de l'esprit judaïsant, personnifié dans S. Pierre';
mais ils ont l'avantage de mettre en question l'authenticité
de S. Matthieu, et par ce moyen de contester à l'Eglise
l'autorité d'un témoin oculaire des faits évangéliques, de je-
ter du doute sur les principales prédictions du Sauveur * et
de gagner du temps pour l'éclosion de leurs mythes ou lé-
gendes. L'intérêt du système explique donc ce sentiment,
Ce n'en est pas moins un paradoxe, opposé à toutes les vrai-
semblances, et démenti par tous les témoignages.
I. Ce sentiment est contraire à toute vraisemblance.
1» C'est aux Hébreux que le christianisme fut d'abord
prêché ; c'est dans la Judée que se formèrent les premières
églises ; c'est là plus tôt qu'ailleurs qu'on dut avoir l'idée et
sentir le besoin d'un évangile écrit. Il y a donc lieu de croire
que le premier évangile n'a pas été fait à Rome pour les
Romains, mais, comme on l'a toujours dit, en Judée, pour
les Juifs.
2° On n'a pas attribué à S. Pierre l'Evangile de S. Marc,
ni à S. Paul celui de S. Luc, malgré la part prise à chacun
de ces ouvrages par l'un et l'autre de ces apôtres: com-
ment donc admettre, ce qu'on suppose ici, qu'on ait attribué
unanimement à S. Matthieu un écrit composé longtemps
après lui, et auquel il n'aurait coopéré en aucune manière?
* Supra, n. 23. — 2 Wolkmar, Wille, Renan, Les Evangiles, 1877. —
3 Supra, n. 21. — * Infra, n. 257.
N°62] ÉVANGILE DE SAINT MARC. 153
On prétend que le faussaire a usurpé ce nom pour donner
crédit à son ouvrage. Mais comment a-t-il pu tromper l'E-
glise entière? D'ailleurs, ce n'est pas le nom de Matthieu, le
publicain, que devait prendre l'auteur d'un livre écrit pour
les Juifs : c'était celui de Jacques, l'évêque de Jérusalem,
ou celui de Pierre, l'apôtre de l'ancien peuple. Dira-t-on que
S. Matthieu avait fourni le fond de cette composition dans
un Evangile hébreu primitif? Alors la difficulté se double.
Comment a-t-on pu répudier cet évangile authentique, ou-
vrage d'un Apôtre et le plus ancien de tous, et lui substi-
tuercelui d'un inconnu, d'un faussaire, sans que personne
ait aperçu la fraude ou crié à l'imposture ?
30 Si l'on renvoie ainsi la rédaction du premier évangile
à la fin du premier siècle, ses caractères intrinsèques, aussi
bien que sa diffusion par toute l'Eglise dès cette époque,
sont inexplicables. — Comment croire, en effet, qu'après la
ruine du temple et la dispersion du peuple juif, on ait en-
core composé un évangile spécial pour les Hébreux ; qu'on
l'ait écrit dans leur langue ou du moins conformément à
leurs usages ; qu'on y ait parlé de cité sainte *; qu'on se soit
arrêté à en prédire la ruine en même temps que la fin du
mondes à montrer les Pharisiens en possession des hon-
neurs, à stigmatiser leurs défauts ^ ? On ne voit pas cela dans
S. Jean. — D'un autre côté, il suffît de la moindre notion
des premiers auteurs ecclésiastiques .pour être convaincu
que S. Matthieu leur était connu. On le trouve cité dès
l'origine, et sans comparaison plus que les autres évan-
gélistes ensemble. Ainsi, en S. Barnabe, il l'est trois fois
et il Test seul. En S. Clément, trois textes sur six sont de
lui; en S. Ignace, c'est cinq textes sur six; en S. Poly carpe,
six sur sept; en S. Justin, cinquante sur soixante-cinq, etc.
Pourquoi S. Matthieu serait-il le plus cité, s'il n'avait
pas été répandu, et comment aurait-il été répandu, s'il
n'avait pas été le plus ancien, surtout s'il n'était pas anté-
rieur à S. Luc, s'il n'avait été publié qu'à la fin du siècle,
1 Matth., IV, 5; v, 35; xxiv, 15; xxvii, 1, 53. — 2 Matth._, xxiv, 2-34.
- 3 Matth., xxiii, 2, 3, 5, i5, 16, 18, 21, 23, 27, 29, 34.
9.
154 JÉSUS-GHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n^ 62
s'il était encore inconnu à Rome vers 97, comme on le
prétend *?
II. Ce sentiment est démenti par la tradition la plus univer-
selle et la plus expresse.
Les Pères et les écrivains ecclésiastiques, à commencer
par les plus anciens, les maîtres de Papias S S. Irénée ^
Clément d'Alexandrie*, Origène%S. Epiphane^ Eusèbe^
S. Cyrille de Jérusalem ^ S. Chrysostome®, S. Jérôme*®,
S. Augustin **, affirment expressément que l'auteur de notre
premier évangile est S. Matthieu, qu'il l'a écrit en hébreu,
dans la Judée, avant d'aller prêcher la foi chez les nations,
par conséquent que son livre est le plus ancien de ceux du
Nouveau Testament. Contre un témoignage aussi positif et
aussi universel, contre la tradition tout entière, aucune
conjecture, aucun système, aucune habileté ne saurait pré-
valoir. Il s'agit d'un fait public qui intéressait l'Eglise au
plus haut degré : il est impossible qu'elle n'en ait pas gardé
un fidèle souvenir. La tradition, en effet, est unanime et
remonte jusqu'aux Apôtres. En 210, Origène, énumérant
nos quatre évangiles et plaçant S. Matthieu avant tous les
autres, invoque, en faveur de leur authenticité, le témoignage
de r Eglise de Dieu répandue par toute la terre *^
D'ailleurs celui de l'Eglise romaine suffirait ici, à lui seul.
Evidemment, si le plus ancien évangile avait paru à Rome,
s'il avait été composé en faveur de l'Eglise de Rome, sous
l'influence et la direction de S. Pierre, cette Eglise n'aurait
pas manqué de publier un fait si important et si glorieux
pour elle. Jamais elle ne l'aurait oublié; jamais elle n'aurait
eu l'idée d'attribuer la priorité d'origine à un autre é.van-
gile composé pour les Juifs, trente ans plus tard, par un
1 M. Renan, Evang.^ 214. Aujourd'hui M. Renan dit que la dernière
rédaction de S. Matthieu remonte à l'an 85, d'où Ton peut conclure, ce
semble, que la première est antérieure à 70 et à la mort de S. Matthieu.
Supra, n. 53.-2 Euseb., //., m, 39. — 3 Adv. Hseres., IIJ, i; Fragm, xxix.
— * Euseb., H.f VI, 14. — ^ In Jos,, Hom., vu, 1; in Matth , i. Cf. Euseb.,
H., VI, 25. — 6 Hxres., u, 5-7. — ^ H., m, 24. — « Catech., xiv, 15. —
9 In Matth. y Hom., m. — *o In Matth, ^ praef.; de Vv\ illust,^ nu —
11 De consensu Evang., i, 2. — ^^ In Matth, , i.
P&i] ÉVANGILE DE SAINT LUC. 155
J ...
faussaire inconnu; jamais elle ne lui aurait donné la pre-
mière place dans ses recueils et sès^ catalogues ; jamais enfin
elle n'aurait souffert qu'on appelât S. Marc un imitateur ou
un abréviateur de S. Matthieu *, de celui à qui il aurait, au
contraire, servi de modèle et fourni ses plus précieux maté-
riaux..
Il est donc hors de doute que l'Evangile de S. Matthieu
est antérieur à celui de S. Marc.
30 SAINT LUC.
Date. — Soarces. — Authenticité. — Tendance.
* 63. — Date du troisième évangile.
Tous les auteurs ecclésiastiques, sauf Clément d'Alexan-
drie \ attestent que cet évangile a paru après celui de
S. Marc, et qu'il vient en troisième lieu. L'auteur dit lui-
même qu'il n'est pas le premier qui ait essayé d'écrire la
Vie du Sauveur ^ Ailleurs il nous apprend qu'il a publié
son évangile avant d'écrire les Actes des Apôtres *. Or, le
livre des Actes a été terminé, suivant toutes les apparences,
en l'an 62 ou 63, époque à laquelle son récit s'arrête brus-
quement. Il est donc probable que le troisième évangile a
été écrit entre l'an 55 et l'an 60, une huitaine d'années
après celui de S. Marc, une quinzaine après celui de
S. Matthieu. A cette date, le christianisme était déjà établi
dans beaucoup de contrées de l'empire; mais, comme nous
l'avons fait observer, la plupart des Apôtres étaient encore
en vie ^
On peut distinguer dans l'Evangile de S. Luc quatre par-
ties : — 1° Enfance et jeunesse de Notre Seigneur, i, 5-iv, 13.
— 2* Prédication dans la Galilée, iv, 14-ix, 50. — 3° Voyage
de Galilée à Jérusalem, ix, 51-xvni, 30. — 4® Derniers mys-
tères, xvui, 31-xxiv.
* Pedisseqiius et breviator Matthaei. S. Aug., De cons. Evang.y i, 4.
— * Euseb., H., m, 24; vi, 14. — 3 Luc, i, 1. — * Act., i, 1. — s Supra,
n, ÏA, Cf. Luc, X, 7; I Tim., v, 18; Clément., Ad Cor., 29.
186 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n<> 64
* 64. — Sources de S. Luc : comment a-t-il pu connaître naturellement
les faits qu'il rapporte?
S. Luc n'avait pas connu Notre Seigneur, ni observé par
lui-môme les faits évangéliques * ; mais il avait à sa dispo-
sition les écrits de S. Matthieu et de S. Marc, qui pouvaient
le guider dans la plupart de ses récits. Quant aux faits qu'il
rapporte seul, et aux circonstances qu'il ajoute aux récits
de ses devanciers, il a eu pour s'en assurer diverses auto-
rités ^ :
!• S. Paul, si bien instruit de tout ce qui concernait le
Sauveur, soit par ses révélations % soit par les rapports des
premiers disciples*. On sait que S. Luc a longtemps vécu
avec l'Apôtre ^ qu'il l'a suivi dans la plus grande partie de
ses voyages®. Les premiers chrétiens étaient si persuadés
de la part que S. Paul avait prise à la composition du troi-
sième évangile, qu'ils lui en faisaient honneur et que Ter-
tulien l'appelle illuminator Lucœ\
2** Plusieurs personnages apostoliques* : S. Barnabe, l'un
des premiers lévites convertis qui devint fondateur de l'E-
glise d'Antioche où S. Luc apprit les éléments de la doctrine
chrétienne ®; S. Philippe, diacre de Césarée *•*, chez lequel
S. Luc logea avec S. Paul en se rendant à Jérusalem, et au-
près de qui il demeura les deux premières années de la cap-
tivité de l'Apôtre; S. Jacques le Mineur, évêque de Jérusa-
lem **; S. Pierre et les autres Apôtres *% avec lesquels S. Luc
fut en rapport *^
3° La sainte Vierge et les parents de S. Jean-Baptiste.
C'est à cette dernière source qu'a dû être puisé en. particu-
lier le récit des faits qui ont précédé la naissance du Sau-
veur**; récit dont la couleur toute hébraïque contraste avec
1 Canon de Muratori. — 2 s. Iren., m, xiv, 1, 2. — 3 Act., ix, 16;
II Cor., IV, 9; Gai., i, 12; Eph., m, 4.— * Act., ix, 19. — » Col., iv, 14;
II Tim., IV, 9-12; Pliilem., 24. — « Act., xvi, 10; xx, 5; xxviii, 7, 16.
— 7 s. Iren., III, xiii, 3 ; Tert., Adv. Marc.j iv, 2, 4, 5; Euseb., H., m, 4.
— 8 Qui ministri fuerunt sermonis, Luc, i, 2. — » Cf. Act., xi, 20-24;
Col., IV, 14; Euseb., ff., m, 4. — lo Act., xxi, 8. — ** Act., xxi, 18. —
18 Gai., II. — 13 S. Hieron., de Vtr. illust, 7. — i* Luc, i, 5-11, 39. Ideo
N<>6S] ÉVANGILE DE SAINT LUC. 167
le prologue de l'Evangile*. Aussi S. Luc atteste-t-il quMl a
remonté jusqu'aux origines S et fait-il remarquer à deux
reprises que la mère de Dieu conservait dans son cœur le
souvenir de tout ce qu'elle voyait et entendait \
65. '- Que trouve-t-on de particuUer dans le troisième
évangile ?
Le troisième évangile offre des marques très nombreuses
d'authenticité. On sait que S. Luc était médecin *, et qu'il
avait fait par conséquent quelques études, qu'il était Gentil
d'origine ^ qu'il fut disciple de S. Paul, qu'il se consacra
comme son maître à la conversion des Gentils ®, enfin
qu'après avoir écrit son évangile, il a composé les Actes des
Apôtres"^. Or, ces qualités, ces habitudes d'esprit, ces dis-
positions, ces particularités, se reflètent d'une manière
visible dans le troisième évangile.
1? On reconnaît la profession de Vauteur à la manière dont
il parle des maladies et de leur guérison; et il est facile de
cmtater la culture de son esprit aux qualités de sa composi-
tion. — Cet évangile décrit les maladies guéries par le Sau-
veur avec bien plus de précision que les autres ^ en des
termes qui lui sont propres et qui appartiennent au langage
médical de l'époque'. En outre, il a plus qu'aucun autre la
coQceptus Elisabeth Marise nuntiatus est^ ut dum nunc Salvatoris, nunc
Prœcursoris edocetur adventus, rem m tcmpus et ordinem tonens, ipsa
melius postmodam scriptoribus ac prœdicatoribus ovangolii reseraret
Teritatem. S. Bern. Hom., v, 6, super Missus est,
' Luc, I, 1-4. — s I, 3-8. — 3 II, 19, 51. Cf. F. Hilaire, La Madone de
S.Luc, 1886. — * Col., IV, 14. Bis medicus Lucas, prius arto, deinde
loquela. S. Paulin., Carm., xxiv. — » Cl. Col., iv, 10, 11, 14; Act., i, 19.
— • Cttjus laus est in Evangelio, dit S. Paul. II Cor., viii, 18. Cf. Act.,
XVI, 10, etc.; U Tim., iv, H ; Pliilem., 24, etc. — ? Act., i, 1. — « Cf.
Luc., IV, 38-40 et Mattli., viii, 16; Marc, xiii, 34. — Luc, v, 18-31, et
Matth., IX, 2-8; — Luc, vu, 10, et Matth., viii, 13; — Luc, ix, 11, et
Matth., XIV, 14, grœce, etc. Infra, n. 479, note. — * On peut citer ici,
entre les noms seulement, un certain nombre d'exemples : aywvia,
un, 44; avaXo<|/ic, ix, 51; «vaToipoç, xiv, 13, 21; airopia, xxi, 25;
«exvoç, XX, 28-30; 0990;, ix, 39; éoXri, xxii, 41; ôurj^Tidiç, i, 1; Çeuyo;,
iiv, 19; 6ea>pia, xxiii, 48; lacriç, xiii, 32; t^pax;, xxii, 14; ix(jiac, viii, 6;
xiipiov, xxiv^ 42; xpamaXT)^ xxi, 34; oivo; xai eXatov, x, 34; ofpu;.
138 JÉSLS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE, [n» 65
forme de l'histoire. — Il commence comme Josèphe par
un prologue, suivant Tusage des Grecs, et par une dédicace
à un Théophile qu'il nomme Excellence, ou excellent, xpa-
T17XS, optime *. Ce Théophile pourrait être un chrétien de
Rome ou d'Achaïe, honoré d'un emploi civil. Ce pourrait bien
être aussi, comme le pense Origène et comme on en trouve
des exemples vers cette époque S un personnage fictif, re-
présentant tous les fidèles désireux de servir et d'aimer
Dieu. Si Deum diligis^ ad te scriptum est^ dit S. Àmbroise,
qui suivait ce sentiment ^ — L'auteur remonte au com:
mencement des faits évangéliques, avwOsv *; et il conduit
son récit jusqu'à la fin \ en le rattachant aux événements
contemporains ^ et en suivant autant qu'il peut l'ordre na-
turel, ex ordine scribendo'^. C'est un soin que S. Matthieu
avait négligé et dont l'importance commençait à se faire
sentir. Déjà S. Marc avait essayé de rétablir cet ordre. S. Luc
profite de son travail et cherche à le compléter. Il distribue
tout autrement les faits rapportés par S. Matthieu du cha-
pitre vni au chapitre XI. — Il s'efforce aussi.de combler les
lacunes de ses devanciers. Un tiers de ses récits, cinq mi-
racles et douze paraboles lui appartiennent en propre ^ Il
est le seul qui parle des soixante-douze disciples et de leur
mission. C'est peut-être ce qui a fait dire à plusieurs auteurs,
à S. Epiphane en particulier, qu'il en faisait partie, bien
que S. Luc lui-même semble affirmer le contraire, suivant
S. Grégoire le Grand ^ — Pour le style, quoique son grec
IV, 24; TrapaTYipyjmç , xvii, 20; TtvpeToç tieyaç, iv, 38; pY]Y(jLa, vi, 49;
(laXoç, XXI, 25; areipa, i, 7; ovyxupia, xv, 6; Tpau{i.a, x, 34; vôptuTcixoç,
XIV, 2; x^^M-^j XVI, 26; toov, xi, 12. Hobard, The médical language.
1 Cf. Act., xxiJi, 26; xxiv, 3; xxvi, 25. — 2 s. Justin.; Dialog. 141
et Epist. ad Diogn.^ 1. — 3 S. Amb., In Luc. y i. Cf. S. Franc, de Sales,
Préf. du traité de Vamour de Dieu. — * i, 3, — 5 xxiv, 53. — 6 m, 1, 2.
— "^ i, 3, 5, U; II, 2; m, 1 ; vi, 1; xii, 7; xxvi, 23, etc. — ^ i; n; vu,
11-18; x, 25-42; xi, 1-13; xii-xvi, 19; xviii, 1-14; xix, 3, 11-28; xxiii,
6-12; XXVI, 12, 50-53, etc. \\ omet cependant plusieurs faits remarquables
qu'on lit dans les deux premiers synoptiques, la Chananéenne, la se-
conde multiplication des pains, la marche du Sauveur sur les eaux, la
malédiction du figuier, etc. Supra^ n. 42. — ^ Luc., i, 2. S. Grég., DiaL^
lib., I Prol,
N'^CS] ÉVAPiGlLE DE SAINT LUC. 159
ait encore bien des hébraïsmes, surtout au commencement,
dans les cantiques, en particulier *, il est notablement plus
pur que celui des écrivains du Nouveau Testament. Il ne
les reproduit presque jamais sans leur donner plus de cor-
rection et d'élégance ^
2" On reconnaît un disciple de S. Paul, — Gomme le
Docteur des Gentils, il donne au divin Maître le titre de
Seigneur, o Kup'.o; % titre qui suppose l'habitude de le consi-
dérer au ciel, dans sa gloire, plutôt que le souvenir de sa
vie sur la terre. — Il insiste sur la nécessité et l'efficacité de
la foi '% sur l'universalité de la rédemption % sur le mérite de
l'aumône et de la pauvreté évangélique *, sur la générosité
nécessaire aux Apôtres ^ — Le récit qu'il fait de l'institution
de l'Eucharistie diffère de ceux de S. Matthieu et de S. Marc;
mais il est presque identique avec celui que S. Paul fit vers
la même époque aux Gorinthiens * ; les paroles sacramen-
telles sont suivies, dans l'un comme dans l'autre, de la même
reconunandation : Boc facile^ etc. Il est aussi, avec l'Apôtre,
le seul qui mentionne l'apparition de Notre Seigneur à
S. Pierre après la Résurrection ^ — Enfin, on a remarqué
que son élocution a quelque chose de l'abondance et de la
facilité de S. Paul, de même que celle de S. Marc tient de
la concision et de la fermeté de S. Pierre *°, et l'on a relevé
de nombreuses .coïncidences de pensée et d'expression "
avec les épîtres de l'Apôtre *^
' I, 32; II, 23; v, 34; x, 6; xiv, 1 ; xv, 21; xvi, 8; xxii, 42, etc. —
' Cf. Luc, V, 18, 19, 25, et Marc, ii, 4, U, 12; — Luc, v, 32, et Matth.,
IX, 13; — Luc, VII, 8, et Matth., viii, 9; — Luc, vu, 25, et Matth..
xii8; — Luc, XX, 7 et Matth., xxi, 26; Marc, xi, 32; — Luc, xx, 46,
et Marc, xii, 38, etc — 3 vu, 31 ; xiii, 15; xxii, 31; xxiv, 3, 34, etc.
.- * I, 20, 45; V, 20; vu, 9, 50; viii, 48; xvii, 5, 19, etc — s „, 30-52;
vu, 36; ix, 51-56; xvii, 11, etc — « ii, 7, 24; vi, 20; xi, 4; xii, 15, 20,
33; XVI, 9, 14, 25. — ^ Luc, x, 1-20; xviii, 22. — « Cf. Luc, xxii, 19,
et I Cor., XI, 23, etc. Cf. Luc, xxiv, 2Q, 27 et I Cor., xv, 3, 4. - 9 Cf.
Luc, XXIV, 34 et I Cor., xv, 5. — lo S. Chrys., In Matth.y Hom.iv. —
** Par exemple, x^PKi 8io ti, e).eoç, Xarpeueiv, fiiaxoveiv, yvwoiç, 6ia0irixTri,
fiiaxovia. — 12 Cf. Luc, x, 7, 8, et I Tim., v, 18; Luc, xii, 35, et Eph.,
VI, 14; — Luc, xviii, 1, et I Thess., v, 17; — Luc, xxi, 34, et Rom.,
XIII, 11-14; — Luc, XVI, 18, et 1 Cor.^ vu, 10, 11, etc
160 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n^ 65
3° U ouvrage n'est pas fait pour les Juifs. — L'hauteur ne
suppose pas à ses lecteurs une grande connaissance de la
langue, des mœurs, de la géographie de la Palestine. Il ne
cite aucune parole du Sauveur en hébreu. Il nomme toutes
les localités par leur nom grec. Il dit : le mont appelé des
Oliviers \ la bourgade qu'on nomme Bethléem ^ la fête des
azymes, connue'sous le nom de Pâques^, Il fait connaître la
distance d'Emmaûs*. Il avertit qu'Arimathie est en Ju-
dée^, que Capharnaûm est en Galilée®, aussi bien que Naza-
reth'', mais non Gadare^ Il évite de dire comme S. Matthieu :
la cité sainte, les anciens. Il remplace JfîaWi par Maître^ ^ Ho-
sanna par une périphrase *^ Il présente Jésus-Christ comme
le Sauveur du genre humain plutôt que comme le Messie
de la nation juive. Sa généalogie ne s'arrête pas à Abraham;
elle remonte jusqu'à Adam, et montre que tous les hommes
sont de la famille du Sauveur ". Ce n'est pas par les rois de
Juda, mais par une ligne collatérale qu'elle le rattache à
David. Zacharie à la naissance de son précurseur, comme
Siméon dans le récit de sa Présentation, annonce l'aurore
du salut au genre humain tout entier *^ Enfin les faits qui
n'ont qu'un intérêt temporaire et local, comme les longues
disputes des Pharisiens avec le Sauveur", sont constamment
écartés.
4** // est destiné aux Gentils **. — Tout ce qui eût pu les
choquer ou donner lieu aux Juifs de se mettre au-dessus
d'eux est passé sous silence*". Au lieu d'opposer aux enfants
de Dieu les nations ou les GentilSy comme S. Matthieu, il
leur oppose les pécheurs, terme qui peut s'appliquer aux
Juifs comme au reste des hommes *^ Dans plusieurs endroits,
il fait mention de l'empire, de ses magistrats, de ses offi-
ciers, et toujours avec une considération bien marquée".
1 XIX, 29. — 2 II, 4. — 3 xxii, 1. — * XXIV, 13. — « xxiii, 51. — « iv, 31.
— 7 j, 26. — 8 viii, 26. - 9 vu, 40 ; viii, 24. — lo xix, 38. — n m, 23-38.
Cf. i, 7-9; II, 32; Act., xvii, 26. — *» ii, 32. — is Matth., xv, 1-20. —
*^ Gr8Bcis scripsit. S. Hieron., EpisL xx, 4. — is Cf. Matth., v, 47;
XV, 26; Marc, vu, 24-30. — 16 vi, 33, 34; xxi, 17. — " n, i, 2 ; m, 1 ;
vii^ 1-5; xxii, 25.
N« 65] ÉVANGILE DE SAINT LL'C. 161
Il évite de leur attribuer le supplice du Sauveur*. Quand il
est question du royaume de Dieu, il fait remarquer qu'il est
spiritueP. Il recueille avec soin un grand nombre de traits
négligés par S. Matthieu, qui étaient de nature, soit à humi-
lier les Juifs % soit à toucher les païens et à leur donner
confiance : le salut promis à Zachée * et au bon larron ^;
le pardon accordé au prodigue® et à la pécheresse'; la pfé^
férence donnée au pùblicain sur le pharisien * et au Sama- -
Titain sur le prêtre et le lévite®; les paraboles de la brebis
égarée, de la drachme perdue, du figuier tardif*^; l'éloge
fait par le Sauveur de plusieurs Gentils "; sa prière pour
ses bourreaux *^; la conversion d'un larron sur la croix*', et
celle du centenier à la mort du Fils de Dieu **. Aussi a-t-on
dit de cet évangile en particulier qu'il est l'évangile de la
miséricorde*^ et que les paroles dlsaïe, lues dans la syna-
gogue de Nazareth *^ pourraient lui servir d'épigraphe.
L'Homme-Dieu y paraît comme le divin médecin *^ S. Mat-
thieu l'avait présenté aux Hébreux comme Messie, et
S. Marc aux Romains comme Fils de Dieu : S. Luc le pré-
sente aux Grecs, c'est-à-dire aux autres peuples civilisés
comme Sauveur du genre humain tout entier.
5** Quant au style, cet évangile, plus correct, plus soigné
que le reste du Nouveau Testament, sauf l'Epi tre aux Hébreux,
a une grande analogie avec le livre des Actes, On remarque
des deux côtés des passages empruntés à des pièces officielles
ou à des écrits plus anciens **. des paroles touchantes, affec-
tueuses, pleines de délicatesse, des tableaux admirables de
naturel, de simplicité et de grâce, qui font penser au talent
de peintre attribué à l'auteur par la tradition *^ Des deux
1 XXIV, 10. — 2 XVII, 20. — 3 X, 30; xvii, 16. — * xix, 1-10. —
ï XXIII, 39-43. — « XV, 11-32. — ^ vu, 44-48. — » xviii, 10-14. Cf. xv, 7;
XVI, 15. — 9 X, 30-37. Cf. IX, 52; xvii, 18; Joan., iv, 9; viii, 48; Act.,
VIII, 25. — 10 XIII, 6-9. — " vil, 2, 9. Cf. Àct., x, etc. — 12 xxiii, 34.
— i3 xxiii, 93, 42. — i* xxiii, 47. — »5 xV, 7. Cf. Matth., v, 48 et Luc,
VI, 36. — *6 IV, 18, 19. — l'ï Luc, iv, 18; v, 17, etc. Act., ix, 34; x, 38.
— 18 Cf. Luc, i, 1-3; 5-80; 11, 1-38; m, 23-38, et Act., 11, 14-36; vu,
l-vTii, 2; XII, etc. — ** L'Evangile de S. Luc est le plus beau livre qu'il
y ait, dit M. Renan. Evangile y p. 283. Cf. Luc, i; 11; x, 38-42; vu,
162 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n« 66
Côtés, TAncien Testament est cité d'après les Septante ; Jé-
sus-Christ est appelé le Seigneur, et la foi en sa médiation
est préconisée comme la condition et le moyen du salut *. On
trouve même dans les deux livres des membres de phrases
identiques ^ et des périphrases communes, SanctusDei, ser-
mones prophetœ^ liber psalmorum, non multum, etc. Ce sont
aussi les mêmes mots favoris, gratia, multitudo, salus, vh\
cor, supervenire^ evangelizare^ coram eo, in conspectu, etc.
69 verbes sont répétés 254 fois dans le troisième évangile et
427 fois dans les Actes, tandis que dans tout le reste du Nou-
veau Testament, ils ne le sont que 271 fois ; 33 mots se
trouvent dans Tun et l'autre de ces livres, sans qu'on les
rencontre en aucun autre ^
* 66. — A-t-on quelque raison pour mettre en doute Tauthenticito des
deux premiers chapitres de S. Luc?
Ces premiers chapitres sont annoncés par le prologue *,
et non moins cités que les autres par les saints Pères. On
les trouve dans les premières versions comme dans les plus
anciens manuscrits. Loin d'offrir aucune trace de supposi-
tion, ils ont, au contraire, des marques spéciales d'authen-
ticité. Les hébraïsmes dont les cantiques de la sainte
Vierge, de Zacharie et de Siméon sont remplis, et certains
traits qui semblent au premier abord peu en harmonie avec
les prédications de S. Paul et les dispositions des Juifs con-
temporains % s'expliquent par cette considération que S. Luc
s'est borné à mettre ici en œuvre, comme en plusieurs en-
droits des Actes ^ quelque document rédigé par un écrivain
juif, au moment même de l'accomplissement des faits.
Il est vrai que Marcion (140) rejetait de son évangile ces
37-00; X, 38-42; xxiv, 13-35, et Act., ii, 1-13; m, 1-14; iv, v, 11-42;
1 Luc, VII, 9; XVII, 19; xxiii, 42, 43, et Act., viii, 37; x, 33, etc. —
2 Cf. Luc, I, 39, et Act., i, 15; — Luc, ii, 9, et Act., xii, 7; — Luc,
XXI, 35, et Act., xvii, 26; — Luc, xxiii, 5, et Act., x, 37; — Luc,
XXIX, 4, et Act., I, 10, etc. — 3 Infra, n 480. — * i, .3. -- « i , 17, 54^
55, 73, 74; ii, 10, 32. — « Par exemple, Tapologio de S. Etienne et
plusieurs discours de S, Paul.
WO 67] ÉVANGILE DE SAINT LUC. 163
premiers chapitres : S. Justin, TertuUien et S. Epiphane le
lui reprochent expressément * ; mais comment les aurait-il
admis, lui qui niait l'Incarnation, qui ne voulait pour
Christ qu'un pur Eon, incapable de souffrir, de mourir et
par conséquent de naître; sans parents, sans précurseur,
n'ayant de l'humanité qu'une apparence fantastique?
* 67. — Sur queUe raison s'appuient les rationalistes pour prétendre
que cet évangile a été compose pour contrebalancer celui de saint
Matthieu?
Après avoir avancé que S. Matthieu avait écrit pour sou-
tenir le parti de S. Pierre et la loi mosaïque, il était naturel
de prétendre que S. Luc, disciple de S. Paul, s'était proposé
de défendre les universalistes ou de combattre le parti ju-
daïsant. Mais la première hypothèse étant gratuite, la se-
conde tombe par là même. Ce qu'il y a de réel, c'est que
S. Luc, écrivant sob évangile pour les Gentils, au salut des-
quels il travaille, choisit de préférence, entre les actions et
les discours du Sauveur, ce qu'il voit de plus propre à les
gagner au christianisme ou à les affermir dans la foi ; c'est
qu'il s'attache, par conséquent, à confirmer la prédication
de son Maître sur l'universalité de la rédemption, sur l'éga-
lité des peuples de\ânt Dieu, sur la miséricorde divine en-
vers les pécheurs, sur la nécessité et l'efficacité de la foi
dans l'œuvre du salut. De là à une opposition et surtout à une
attaque ouverte contre le premier évangile et les premiers
apôtres, il y a loin. Si S. Luc avait eu une pareille préoccu-
pation, il n'aurait pas inséré dans son livre, comme il a fait,
une foule de traits qui pouvaient fournir aux judaïsant; des
arguments contre lui ^
n s'en faut du reste que les rationalistes soient unanimes
et invariables à cet égard. L'un des plus connus prétend
qu'au moment où il écrivait, S. Luc n'avait aucune connais-
sance de l'ouvrage de S. Matthieu % malgré les recherches
* s. Ircn.,1,27; III, xi, 7; xiv,4; Tert., De prêesc, xxxviii; Cont. Marc,
IV, 2-7; S. Epiph., //^r., xlii, 9. — 2 i, 6, 15-17, 32, 33, 74-78 ; ii, 21-
23 ; X, 25, 26; xvi, 29; xxii, 30, 32; xxni, 56; xxiv, 53, — 3 M, Ilenaq,
164 JÉSUS-CHRIST SELON L'ÉVANGILE. [n° 68
qu'il avait faites et les renseignements qu'il avait recueillis
sur la vie du Sauveur K
40 SAINT JEAN.
Authenticité. — But. — Unité. — Style. — Rapport avec les synoptiques. — Données
historiques.
68. — L'authenticité da quatrième évangile est-eUe moins facile
à établir que celle des synoptiques?
Rien de plus décisif que les raisons, soit extrinsèques,
soit intrinsèques, sur lesquelles elle s'appuie.
1« Preuves extrinsèques.
Tous les Pères qui parlent de l'auteur de cet évangile
désignent S. Jean. Il en est de même des manuscrits et des
canons, à commencer par celui de Muratori. S. Théophile,
septième^ évoque d'Antioche ^ (f 180), S. Irénée ' (t 202),
Clément d'Alexandrie * (t 217), Tertuliien (190) ^ nomment
sans hésitation l'Apôtre bien-aimé. S. Irénée nous apprend
qu'il composa ce livre à Ephèse, où il vécut jusqu'au règne
de Trajan (98-117). Suivant S. Jérôme, il fut le dernier des
écrivains sacrés et il se mit à l'œuvre au retour de Patmos,
à la prière des pasteurs et des fidèles de TAsie-Mineure *.
Il avait 90 ans \ suivant S. Epiphane, et probablement da-
vantage.
Beaucoup d'écrivains ecclésiastiques, sans nommer S. Jean,
attestent l'existence et l'inspiration de son livre, soit en di-
EvangileSf p. 215, 217 ; ce qui ne Ta pas empêché de dire un peu plus
haut, 108 : « Luc retourne habilement contre les Juifs le mot par lequel
Matthieu désigne les réprouvés, avo{xoi, moi avoy-iaç, violateurs de la
loi, VII, 2; XIII, 41, en remplaçant cette expression par celle de epyaTai
adixtaç, ouvriers d'iniquité, xiii, 27. » C'est à tort, du reste, qu'il attribue
au mot avo|jLoi, le sens de violateurs de la loi mosaïque. Cf. Matth., xxv,
41-43; Rom., IV, 7; vi, 19; ICor.,ix, 23; II Thess., ii, 1,8; Tit., ii, 14;
Heb., I, 9; x, 17; II Pot., ii, 8.
1 Luc, T, 3.— 2 s. Theoph., ad Autolyc.^ ii, 22. Ann. 170. — 3 S. Iren.,
Il, xxii, 5; III, i, 1; xi, 9; Supra, n. 24. — * Clem. Alex., Strom., m,
Ann. 180. — 8 Tert., Adv. Marc, iv, 2, 5. — « S. Hicron., de Vir,
illust,, IX. Cf. Eusob., m, 4, — ? S. Epiph., Hxres., u, 12,
NO 68] JEVANGILE DE SAINT JKaN. 168
sant qu'il y a quatre évangiles reconnus par TEglise, comme
Tatien * dans le titre de sa Concorde : soit en affirmant que
les Apôtres ont laissé des Mémoires qu'on nomme évangiles,
comme S. Justin, qui cite ces Mémoires jusqu'à dix-huit
fois^; soit en empruntant des passages au dernier évan-
gile, et en le citant de la même manière que les livres
inspirés, comme l'auteur de la Lettre des Eglises de Vienne
et de Lyon ^ (177), Athénagore* (176), Hermas^ et même
S. Ignace dont les Epitres ne sont postérieures à S. Jean
que d'une dizaine d'années ^
A ces autorités, nous pourrions joindre un autre témoi-
gnage non moins convaincant, celui des écrivains hétéro-
doxes de la même époque : l'auteur pseudonyme des Home-
lies Clémentines % Valentin le Gnostique ou du moins ses
disciples *, en particulier Théodote, qui allègue S. Jean
vingt-six fois dans les fragments de ses écrits que Clément
dAlexandrie nous a transmis % et Héracléon, qui fit de
notre évangile un Commentaire réfuté par Origène '^; enfin
Basilide, prédécesseur de Valentin *S qui se donnait pour
disciple des Apôtres *% et Gelse le philosophe, qui doit être
né peu après la mort de S. Jean et qui a écrit à la même
époque que Basilide ^'^ sous le régne d'Adrien **.
On voit que dès le milieu du second siècle, cinquante ans
après sa publication, cet évangile était partout connu comme
Toeuvre de S. Jean.
go Preuves intrinsèques.
Le témoignage de la tradition se trouve confirmé de tout
point par les caractères de l'ouvrage. Il suffit de l'étudier
* Cl. Tatian.» Orat. xm et xix» Ann. 170. Supra^ n. 23. — ^ S. Justin.,
Wfl/., 25, 88. Cf. I» ApoL, 22, 23, 31, 61, 63, 67 ; II ApoL, 6, 10, 33, 55;
ffl« Apol., Ann. 138-161. — 3 Euseb , H. v, 1. Ann., 177. — * S. Athen.,
Ugat. pro christ., x. — 8 Hermas, Simil., ix, 12. — « S. Ignat., ad
fioTO., vn; ad Philad,, vu, ix. — "^ Homn., m, 52; xix, 18; Ann. 190.
— • Philosoph.y VI, 33 et Appendix ad V Irenxi libros. — » S. Iren.,
m, XI, 7. Cf. Tert., de Prxsc, 38; Philosopha, vi, 35, — lo Supra, n. 23.
- " n cite Joan., i, 4 et ii, 4. — la Philosoph., vu, 22, 27. — " cf.
S.Hieron., de Vir. illust,,y xxi. — ** Cont, Cels,, Pr«f. 4 et i, 8, 26.
^vpra, n. 24.
166 JESUS-CHRIST SELON L^ÉVANGILÉ. [n<* 68
avec attention pour se convaincre qu'il a paru après les trois
autres, sur la fin du premier siècle ; que celui qui Ta écrit
bien qu'il vécût parmi les Gentils, était né en Judée, qu'il
avait été témoin des faits qu'il rapporte, qu'il faisait partie
du collège apostolique, enfin qu'il ne saurait être que
S. Jean.
1* Cet évangile a été composé après les trois synoptiques.
— Il en révèle l'existence de deux manières : par son si-
lence sur certains points et ses allusions sur d'autres*. —
1° D'abord son silence le suppose. Quoiqu'il sache très bien
la durée de la prédication du Sauveur et qu'il en distingue
les années par l'indication des solennités pascales, les faits
qu'il rapporte n'atteignent guère qu'une trentaine de jours
disséminés dans cet espace de temps. On voit qu'il se tient
dispensé de tout dire ou- plutôt qu'il ne cherche qu'à suppléer
aux omissions des synoptiques relativement au but qu'il se
propose. Aussi est-il très bref sur le ministère du Sauveur
en Galilée, et passe-t-il sous silence des périodes entières de
son ministère ^ tandis qu'il rapporte longuement ses
voyages à Jérusalem aux principales fêtes. Aussi quoiqu'il
ait en vue d'établir la divinité de JésusrChrist, quoiqu'il en
donne pour preuve ses miracles ^ et qu'il les suppose très
nombreux*, il se borne à en décrire un petit nombre, sept
seulement, la plupart négligés dans les écrits de ses devan-
ciers. Il omet la délivrance des possédés,- la déclaration du
Père éternel au Jourdain et au Thabor, l'adjuration du grand-
prêtre, la prophétie sur Jérusalem, etc.— 2<^I1 fait plusieurs
allusions aux autres évangélistes. Par exemple, au chapitre i,
il met sur les lèvres de Jean-Baptiste ces paroles : « J'ai vu
l'Esprit-Saint descendre sur la tête du Sauveur. > Or, ce fait
n'est connu que par S. Matthieu et S. Luc. Au chapitre m,
après avoir dit que Jean-Baptiste et Notre Seigneur bapti-
saient en même temps, il fait observer que le Précurseur
* Euseb., fl., IV, 6, 7. Ann. H7. — a m, 22; iv, 1-3,- vii, i; x, 40-42;
XI, 54. — 3 Joan., v, 20, 36; rx, 3, 4; x, 25-38; xiv, 10-13; xv, 24;
XX, 30. — * Joan., ii, 23 ; m, 2; iv, 45; t, 20; vi, 2; vn, 3, 31; ix, 16;
X, 41; XT, 47; xii, 37; xx, 30, 31; xxi, 25.
NO 68] EVANGILE DE SAINT JEAN. 167
n'était pas encore incarcéré : or l'emprisonnement de Jean-
Baptiste n'est rapporté que par les synoptiques, et l'obser-
vation faite en cet endroit paraît avoir pour fin d'écarter
l'idée, qui pourrait venir en les lisant, que le ministère de
S.Jean a fini aussitôt qu'a commencé celui du Sauveur *. Au
chapitre xi, il dit que Lazare était de Béthanie, bourg de
Marie et de Marthe -. Or, il n'a pas encore parlé de ces deux
sœurs, et elles ne peuvent être connues du lecteur que par
d'autres récits. Au chapitre xviii, le premier verset semble
renvoyer aux synoptiques pour la scène de l'agonie, et le
trente-deuxième rappelle expressément une prédiction qui
n'est rapportée que par eux. Il parle, en divers endroits, des
douze' comme d'une société bien connue, sans en mention-
ner l'origine nulle part * Enfin on peut remarquer que dans
tout son récit, il est attentif à deux choses : à ne pas redire
ce que les autres ont dit ^ ou bien à les confirmer et à les
compléter par de nouveaux détails ^. Ainsi il ne répétera pas
le récit de l'institution de l'Eucharistie ; mais il rapportera
la promesse que Notre Seigneur en avait faite, après la mul-
tiplication des pains. Il passera sous silence la naissance du
Sauveur à Bethléem, la confession de S. Pierre à Césarée, les
paroles du Père éternel au Jourdain et au Thabor, la résur-
rection de la fille de Jaïre et du fils de la veuve de Naïm,
l'entrée triomphante du Sauveur à Jérusalem et l'application
qu'il se fait de la figure de Jonas : mais il mentionnera la
croyance oii l'on était sur le lieu où le Messie devait naître "^5
le nom de Céphas imposé à S. Pierre *, la mission que son
Maître lui donne de paître les agneaux et les brebis ^ la
promesse qu'il fait de relever en trois jours le temple de son
corps*®, la résurrection de Lazare qui donne lieu au triomphe
du Fils de Dieu, la voix du Père éternel s'engageant à le glo-
* Cf; Matth., IV, 12; Marc, i, 14. — « Cf. Matth., xxvi, 6, 13; Luc,
X, 38-42. — 3 VI, 12; xx, 24. — * Cf. WaUon, Crw/ance de VEvangiie,
I, 5. — 5 s^ Jean n'a guère de commun avec les synoptiques que la
nmltiplicaiioa des pains et la Passion de Notre Seigneur. — * Cf. Joan.,
xm, 8, 9, 36, 37 et Matth., xvi, 21 ; Luc, xxii, 31. — ^ vu, 52, — « i,
42. - 9 XXI, 15-18. — 10 II, 19.
168 JÉSUS-CHRIST SELON L^ÉVANGlLE. [^^ 68
rifier. C'est ainsi que nos évangiles, loin de se combattre,
s'expliquent et se soutiennent les uns les autres *.
2<* Il a écrit vers la fin du premier siècle. — 1** En effet, il
suppose que tout est changé à Jérusalem et dans la Judée*.
Quand il parle des ennemis du Sauveur, il ne dit pas le
peuple ou la foule^^ mais les Juifs \ comme pour rappeler
un peuple qui a perdu sa nationalité et auquel il a cessé d'ap-
partenir. Il dit la Pâque des Juifs^ comme s'il en connais-
sait déjà une autre ^ et il nomme les chrétiens, les frères^
sans crainte d'équivoque ^ — 2° Il rappelle les principales
prophéties dont on vit l'accomplissement dans la der-
nière partie du premier siècle : le martyre de S. Pierre^ ; la
réprobation des Juifs®; la vocation des Gentils®; l'universa-
lité du christianisme *^. Sur tous ces points il est plus ex-
près que S. Paul lui-même, et nul n'est plus attentif à mon-
trer comment les Juifs ont mérité leur malheureux sort".
— 3** Le style de cet évangile et ses analogies avec celui des
trois épitres qui portent le nom de S. Jean donnent lieu de
penser qu'il est de' la même époque, et que S. Jean l'a écrit
lorsqu'il était déjà dans un âge fort avancé ". Déjà le bruit
courait qu'il ne mourrait pas". Déjà l'on voyait s'accomplir
les prédictions de S. Paul à Milet ** : on commençait à parler
d'Antéchrist *• ; les mots Verbe^ vie, lumières^ ténèbres^ deve-
naient familiers aux Gnostiques, et l'on voyait se propager
les erreurs que l'évangile réfute.
3^ L'auteur vivait parmi les Gentils et il écrivait pour etix,
— De là plusieurs particularités, qu'on chercherait en vain
dans le premier évangile. Ainsi il a soin de traduire en grec
1 Infra. n. 843. — ^ xi, 18; xviii, 1; xix, 41. Au Ueu de eori, v, 2,
UQ bon nombre de manuscrits portent y]V) et c'est la leçon suivie par les
versions syriaques et la version arménienne. — 3 La foule qui Tentourait
lui était plutôt sympathique. — * xi, 19; xiii, 33 ; xviii, 20, 36. Cf. i, 10.
— 5 n, 13. Cf. II, 6; V, 1; yii, 2; xix, 42. — 6 xxi, 2a. — ' xxi, 19. —
8 I, 11 ; X, 25, 26. — » vi, 37, 45 ; x, 16; xii, 33. — *» vi, 23 ; xxi, 51, 52.
— 11 III, 19; V, 23; ix, 39-44; xix, 11, 15. — *« Cf. I Joan., i, 1; ii, 18;
m, 18; IV, 4; U. Joan., 1. — " Joan.. xxi, 23. — ** Act., xx, 29. Cf.
II Petr., m, 3 et I Joan., ii, 22; iv, 13, etc. — . i» I Joan., ii, 18, 22;
IV, 3; II Joan.^ 7.
N"68] EVANGILE DE SAINT JEAPJ. l69
tous les noms hébreux qu'il emploie *. Il dit : la mer de
Galilée, la même que celle de Tibériade *. Il donne un grand
norabre de détails géographiques qui eussent été superflus,
s'il s'était adressé à des habitants de la Judée ^ Enfin il a
soin de relever, dans les discours ou dans la vie de Notre
Seigneur, tout ce qui a trait aux Gentils et qui est de nature
à leur donner confiance*.
4'* îl était Juif d'origine. — C'est ce que prouvent :
1" Les idiotismes de son langage. Quoique le dernier évan-
gile ait moins d'hébraïsmes que l'Apocalypse, il en contient
pourtant un grand nombre. Citons : Amen, amen^ qui re-
vient vingt-cinq fois et qu'on ne trouve ainsi redoublé que
chez lui : gaudio gaudere^, filius perditionis^, a sœculo''^
amndere^^ non posse^, et les passages de l'Ancien Testa-
ment cités assez librement, mais d'après l'original. — 2^ Le
caractère profondément hébraïque de sa composition. On
peut remarquer l'uniformité des phrases, l'emploi fréquent
du parallélisme ^% l'absence de toute période, des séries de
propositions juxtaposées à la suite l'une de l'autre, sans
coordination, sans liaison exprimée", ou qui ne se lient que
par un mot commun '*, parfois des phrases répétées comme
des refrains**, certaines irrégularités dans la construction**,
les sens les plus inusités donnés aux particules. Et est
presque avec ergo la seule conjonction employée*'; il est mis
pnrsed^*, pournam", pour tcf^o •*, poursîc*', pour itaque^^,
pour sictit **, pour id est ", etc. — 3° La foi religieuse, les
idées, les sentiments, les images dont l'âme de Técrivain
*i, 38, 42; V, 2; ix,7; xi, 16; xiii, 13; xix, 17; xxi, 2.— 2 vi, 1. —
»ii,6. 13; III, 23; iv. 5, 6, 8, 9; v, 2-4; vi, l; vu, 37; xi, 18; xix, 14,
n, 20, 31, 42. — * IV, 21, 23; vu, 35; x, 16; xi, 52; xii, 20; xvii, 2;
xvni, 37. — » m, 29. — « xvii, 12. — ^ ix, 32. — » vu, 8, 10. — » vin,
43. — 10 m^ 11; V, 37; vi, 35, 56; xii, 44, 45; xiii, 16; xiv, 2Q, 27;
XV, 20; XVI, 20. — ** i, 10; ii, 9; m, 19; vi, 22-24; viii, 32; xv, 1-20;
xvn,25. — i2 i, 1-7, 10, 11, 12; iv, 22; x, 11, 14; xiii, 20; xv, 13;
XVII, 2, 3, 9, 11, 15, 16. — 13 III, 15, 16; vi, 39, 40, 44. — ** vi, 39;
VII, 38; XVII, 2. — *» Cf. Joan., iv, 10, 35; xi, 34, 35; xiv, 16; xv,
1, 20, etc. A. T., n. 78, 667; Ergo est répété 137 fois. — is vu, 4, 30;
XVI, 82. — 17 IV, 35; xii, 35. — i» iv, 24; v, 30; xii, 16. — i» x, 15;
XV, 9. - 20 X, 29. - 21 VI, 57. — 22 x, 33; xiv, 17.
10
170 JÉSUS-CHRiST SELON l'ÉVANGILE. [n^ 68
est remplie. On sent que l'auteur a été élevé dans Tat-
tente du Messie * et dans la méditation de l'Ancien Testa-
ment*. Les figures de la Loi et les oracles des prophètes
abondent, comme dans l'Apocalypse. Le Sauveur est le vrai
temple % le serpent d'airain*, la manne du désert % l'eau
du rocher ^ la colonne de feu% la source de la vie S le
Pasteur des âmes \ l'Agneau pascal **, etc.
5'' // avait habité la Palestine, — C'est ce que prouve
surtout la connaissance qu'il montre de la topographie et
des usages de la Terre Sainte. La Galilée, les bords du lac
de Génésareth**, son étendue", l'existence simultanée de
deux localités du nom de Cana *^ et de Bethsaïde **, l'éléva-
tion relative de Cana et de Capharnaûm ^^ lui sont connus.
11 connaît également la Judée et l'a Samarie *•. Il dit la dis-
tance de Jérusalem à Béthanie. Il indique avec précision la
vallée de Cédron et le jardin de Gethsémani *', l'étang de
Siloé**, la porte des brebis^^, les travaux faits dans le temple*^
le gazophylacium", le portique de Salomon", le Prétoire"
et le Golgotha**. En fait de mœurs, il sait les sentiments des
Juifs à l'égard des Samaritains et des infidèles ", l'opposi-
tion et le caractère des partis qui divisaient la nation", le
mépris des pharisiens pour la multitude ignorante", les
usages introduits par la conquête et la domination ro-
maines ", l'usage des ablutions chez ses compatriotes ",
celui des excommunications dans la synagogue '®, la posses-
sion où elle était encore d'arrêter les prévenus et d'infliger
certains châtiments'*, la fête de la Dédicace, d'origine assez
récente ", Taffluence des prosélytes à l'époque des solen-
i I, il, 21; IV, 25; vi, 14; xu, 34, etc. — 2 n, 17; xii, 14, 15, 38;
XIX, 23, 24, 28, 29, 36. — 3 n, 19. — * m, 14. — 6 vi, 32, 49. —
6 VII, 38. — 7 VIII. 12. — 8 X, 10. — 9 X, 11. - 10 I, 36. — u vi, 1, 17.
— 12 VI, 19. — 13 II, 1 ; IV, 46. — 1* I, 28; xii, 21. — i8 u^ 12. — te iv,
5, 35. — n XVII, 1. — 18 IX. 7. - 1» V, 2. — 80 n^ go. — 21 viii, 20. —
22 X, 23. - 23 XIX, 9. - 24 XIX, 17. — 25 jy, 27; ix, 25, 26, — 26 j,
19, 24; VII, 32, 45, 47; viii, 13; ix, 13, 18, 22; xi, 47; xii, il, 42;
xvjii, 35; XIX, 5, 15, 21. — 27 vu, 48, 49. — 28 xviii, 29, 31; xix, l,
6-15, 19, 20, 23. — 29 II, 6. - 3o ix, 22. — 3i vu, 32; xviii, 3, 12. -
32 X, 22.
îf^SS] ÉVANGILE DE SAINT JEAN. 171
nités*, l'usage de vendre dans le parvis du temple les ani-
maux destinés au sacrifice', celui de donner la circoncision
le jour du sabbat', la manière de garder les troupeaux
dans la Palestine*, celle de célébrer les mariages*, de so-
lenniser la fête des Tabernacles*, de se préparer à la Cène
et à la fête pascale% le droit laissé au peuple de rendre la
liberté à un prisonnier*, l'impureté légale qu'on encourt
par le commerce avec les infidèles •, la manière d'embau-
mer chez les Juifs ", de fermer les sépulcres ", de hâter la
mort des crucifiés ", etc.
6* // faisait partie du collège apostolique, — En effet : —
l' Il se donne pour témoin des faits qu'il retrace *•; et l'on
ne saurait douter qu'il ne le fût, quand on considère la
fraîcheur de ses tableaux, la vivacité de ses traits, la préci-
sion de tous les détails **. Nul ne caractérise mieux les
scènes et les acteurs; nul n'indique avec plus de détails les
circonstances de temps**, de lieux", de nombre". Tous les
portraits sont vivants, et tous les faits sont localisés. Telle
parole fut dite à Béthanie, à Ennon ou sur les bords du Jour-
dain^*; telle autre auprès du puits de Jacob**. Ce discours
fut prononcé aux approches de Pâques dans la synagogue de
Capharnaûm**; cet autre, un jour de fête solennelle"; cet
autre au temple, dans la Trésorerie ". Telle discussion eut
lieu sous le portique de Salomon, à cause de la rigueur de
la saison. Pour plusieurs incidents, il indique l'heure de la
journée*'. Si ces remarques sont vraies, elles ne peuvent
venir que d'un témoin oculaire. Or, elles sont d'autant
moins suspectes qu'elles étaient indifférentes au but de l'au-
» XII, 20. — 2 II, 14. — 3 VII, 22, 23. — * x, 1-5. — s m^ 27. — s vu,
3T, 38; VIII, 12. — ' xi, 55. — » xviii, 39. — 9 xviii, 28. — *o xi, 17-44;
XIX, 39-42. — " XI, 38; xx, 1. — 12 xix, 31. — " i, 14; xix, 35. —
**Cf. i, 35-51; XIII, 1-20; xvii. 15-27; xxi, 1-14. - « i, 29, 35, 43;
H, 1, 12, 13; IV, 35, 40, 43; v, 1; vi, 4, 16; vu, 14, 37; xi, 6, 17, 39;
xn, l, 12; XIX, 14, 31 ; xx, 1, 26, etc. — »« i, 28; 11, 12 ; m, 23; iv, 3,
5, 6, 45, 46; vi, 12. 60; vm, 20 ; x, 23; xi, 18, 54. — i? i, 35; 11, 6;
^1 9, 16, 19; IX, 23; xxi, 8, 11 ; iv, 8; v, 5; xii, 5; xix, 39; xxi, 8, 11.
- »« I, 28; m, 23. — i» iv, 6. — 20 vi, 4, 60. — 2i vm, 37. —
" VIII, 20. — 23 i^ 40; m, 2; iv, 6, 52; xix, 14; xiii, 30; xviii, 28;
u, 1, 19; XXI, 4.
i72 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n<* 68
teur et qu'elles eussent compromis son succès, si Ton eût
pu les trouver fausses. — 2° Il parait même se donner pour
Apôtre K C'est ce qui semble résulter des détails minutieux
où il entre sur la vie intime du Sauveur, sur ses rapports
secrets avec ceux qui lui sont le plus unis. Depuis les pre-
miers jours de sa prédication, jusqu'aux derniers moments
de son séjour sur la terre, rien de ce que ce divin Maître a
dit ou fait ici-bas n'a échappé à ses regards. Il rapporte de
préférence les incidents les plus secrets, ses paroles à
André, à Nathanael, à la Samaritaine; ses avis à Judas, ses
prières à son Père, ses confidences de la dernière Gène*, etc.
Comment eût-il connu tous ces détails, s'il n'avait vécu dans
l'intimité du Sauveur, avec ses plus familiers amis?
7° Enfin, il ne peut être que l'auteur de V Apocalypse et de
VEpitre catholique, dite ad Parthos, le second des fils de Zé-
bédée^ le disciple bien-aimé, le fils adoptif de Marie, en un
mot l'apôtre S . Jean.
1° Tout le monde convient aujourd'hui de l'authenticité
de l'Apocalypse, et jamais on n'a mis en doute celle de la
première Epître attribuée à S. Jean ^ Or, il y a entre ces
écrits et le quatrième évangile des rapports aussi nombreux
que frappants. On trouve dans chacun les mômes préoccu-
pations, les mêmes tendances dogmatiques et polémiques.
Le style présente les mêmes caractères, la même naïveté
unie à la même élévation et à la même profondeur. C'est le
même langage au fond, sauf, dans l'Apocalypse, plus de
poésie et des irrégularités plus nombreuses. .
2" Si l'évangéliste est un des fils de Zébédée, c'est le
second, sans aucun doute, le premier ayant été mis à mort
avant la dispersion des Apôtres. Or, il ne paraît pas douteux
que l'auteur du quatrième évangile n'eût cette qualité. Ce
qui le prouve, c'est surtout le silence qu'il garde sur ces
deux frères. Quoiqu'ils aient dû intervenir bien des fois
1 I, 14; XIX, 35. — 2i, 38-50 ; II, H , 17, 22, 24; iv, 27, 31-38; v,6;vi,
5-9, 19, 61, 64, 70; VII, 1 ; ix, 2; xi, 8, 12, 16, a3; xi, 54; xii, 16, 21, 22;
xiii, 1, 3, 6-9, 22-25, 27, 30; xiv, 5, 8, 22; xvi, 17, 18, 19, 29; xviii, 16;
XIX, 28; XX, 3-8, 25, 28 ; xxi, 3, 5, 12, ctç, — a infra, n. 886, 908,
N0 68J ÉVANGILE DE SAINT JEAN. 173
dans les scènes qu'il retrace, comme étant des amis privi-
légiés du Sauveur, quoiqu'ils tiennent une place si consi-
dérable dans l'Evangile et dans les Actes *, jamais il ne
les signale dans ses récits. Il ne nomme pas môme leur
mère parmi les personnes qui assistèrent au crucifiement,
hien que nous soyons assurés de sa présence par les synop-
tiques '. Une fois seulement il mentionne les enfants de Zé-
bédée; mais c'est au dernier chapitre, dans une sorte d'ap-
pendice; et il ne les met pas à la tête des apôtres, comme ils
sont toujours ailleurs, mais au dernier rang, entre les
apôtres et de simples disciples '. Comment expliquer cette
particularité? Elle ne peut avoir pour cause, ce semble,
que la modestie de l'auteur, qui veut imiter celle de son
Maître et s'effacer autant qu'il lui est possible*.
3* Le nom de S. Jean ne paraît nulle part. Dans les en-
droits où l'on croit devoir le trouver, on lit : un disciple %
hutre disciple^ celui qui a vu le fait de ses yeux ^ Non seule-
ment il évite de mêler ce nom à ceux des apôtres, il semble
même oublier qu'on le lui donne ; car vingt fois, en parlant
du Précurseur, il l'appelle simplement Jean, sans ajouter à
ce nom, comme les synoptiques, comme Josèphe lui-même,
le titre qui le caractérise, o BaxxKTioç; singularité d'autant
plus remarquable que cet évangéliste a coutume de désigner
ses personnages de la manière la plus précise : Thomas
Didyme \ Géphas qu'on appelle Pierre *, Judas non Vlsca-
riote \ Nicodème qui vint à Jésus la nuit *°. La raison de
cette différence est la même que nous avons indiquée plus
haut. Ce n'est pas que l'évangéliste avait connu le Pré-
curseur avant qu'on lui donnât ce surnom; car S. Matthieu
nel'avait-il pas aussi connu à la même époque? C'est que,
tandis que les synoptiques croient devoir distinguer Jean-
Baptiste de Jean l'Apôtre, lui n'a pas cette idée : il n'ima-
gine pas que personne puisse confondre avec lui, ou seu-
* Act., m, 1 ; IV, 13, 19; xii, 2. Cf. Gai., ii, 9.-2 cf. Joan., xix, 25;
Matth., xxvn, 56; Marc, xv, 40. — ^ xxi, 2. — * Matth., xviii, 3, 4;
XX, 26, 27; xxiii. 3, 6-12. — « i, 40; xviii, 15; xx, 2, 4; xxi, 20. --
* XIX, 35. - ^ XI, 16. -r- s i, 42. - » xiv, 22. — io yii, 50; xix, 39.
10.
174 JÉSDS-GHRIST SELON l'ÉVAJNGILE. [n» 69
lement rapprocher de sa personne, l'illustre précurseur du
Messie.
4° Un dernier indice, plus convaincant encore, c'est l'amour
tendre, délicat, religieux, qui respire dans cet^ évangile
pour Jésus et pour sa Mère. Il suffit de lire le récit du mi-
racle de Gana, celui de la résurrection de Lazare ou delà der-
nière Gène, et surtout l'entrevue suprême du Sauveur et de
sa mère, au Galvaire, pour reconnaître l'affection pieuse,
émue, reconnaissante de l'Apôtre bien-aimé et de l'enfant
adoptif. Marie apparaît au commencement de. l'Evangile
comme à la fin. C'est bien S. Jean qui a dû nous transmettre
ces touchants détails. Lui seul devait y attacher cette im-
portance, les recueillir avec cette sollicitude et nous les
transmettre avec cette fidélité.
Ainsi l'étude du quatrième évangile confirme pleinement
le témoignage de la tradition. Il ne faut donc pas s'étonner
si nos rationalistes n'osent plus en nier ouvertement l'au-
thenticité^ s'ils se réduisent à dire que les disciples de S. Jean
ont pu l'écrire quelques années aprèssa mort, une trentaine
d'années au plus. Ewald, très tranchant dans son langage, dit
qu'il faut avoir perdu l'esprit pour en contester la propriété
à celui dont il porte le nom.
69. — Quel a été précisément le dessein de saint Jean?
Plusieurs Pères ont dit que le premier dessein de S. Jean
a été de combler une lacune des synoptiques, en retraçant
la partie de la prédication du Sauveur qui a précédé l'em-
prisonnement de son Précurseur *, et en mettant en relief le
côté spirituel et mystique de sa vie et de sa doctrine •. Mais
si l'on étudie l'évangile même, on sera convaincu que la
principale intention de l'auteur a été de venger la personne
du divin Maître des attaques des premiers hérétiques, ou
plutôt de fortifier la foi des chrétiens à l'égard des dogmes
contestés à cette époque, la divinité de Jésus-Ghrist, son
union substantielle avec son Père et celle qu'il veut avoir
1 Euseb., H., m, 24; S. Hîor., In Mûtth,, Proœm. — s Euseb., U,^
VI, 14.
N0 69] ÉVANGILE DE SAINT JEAN. 17S
avec nous par son esprit et par sa grâce *. L'évangéliste
l'affirme lui-même expressément : Hœc scripta sunt ut cre-
datis quia Jésus est Christus Filius Dei, et ut credentes vitam
habeatis in nomine ejus *.
Nous savons par ses Epitres qu'il y avait alors dans TAsie-
Mineure beaucoup d'antechrists, nicolaïtes, ébionites, cérin-
tbiens, docètes •. Les sectes judaïsantes et gnostiques alté-
raient de diverses manières, sous prétexte de Téclaircir ou
de la compléter, la doctrine enseignée par S. Paul. Disser-
tant hardiment sur la nature de la divinité, sur le mode et
la mesure de ses communications , un grand nombre dis-
tinguaient Christy Fils de Dieu, de Jésu^, fils de Joseph *. Ils
reconnaissaient qu'il y avait eu entre l'un et l'autre une
étroite union ; mais cette union avait été de courte durée.
« Commencée au baptême du Sauveur, elle avait cessé au
début de sa passion, sans que les fidèles y aient aucune
part ou puissent en tirer aucun fruit. » C'était une né-
cessité de réfuter ces erreurs et de mettre en lumière la
vraie doctrine. Saint Jean l'entreprit. De là le caractère dog-
matique et polémique de son évangile. De là la sphère par-
ticulière où il se renferme, les faits qu'il passe sous silence,
les vérités qu'il met en relief, les maximes sur lesquelles il
insiste.
Il n'avait pas besoin, pour arriver à son but, d'écrire l'his-
toire du Sauveur en entier, ni de reproduire tout son ensei-
gnement. Aussi fait-il un choix et s'a t tache- t-il de préférence à
ce que les autres omettent. Les discours qu'il rapporte sont
ceux où le divin Maître atteste sa dignité de Fils de Dieu %
et l'union que ses membres doivent avoir avec lui *; les mi-
racles qu'il retrace, ceux où paraissent avec le plus d'éclat
ses perfections et ses desseins \ Divinité du Sauveur, ré-
^Cf. Joan., I, 1-18; xx, 31; S. Iren., III, xi, 1, 2; S. Hier., de Vir.
illiut , IX. — 8 Iva TCiGTTçurjTe, non TriareuaviTe, xx, 31. Cf. vi^ 29 ; I Joan.,
V, 13. Le nom de Fils de Dieu est répété 30 fois. — 3 i Joan., ii, 18, 22.
Cf. Act., XX, 29; I Tiin., iv, 1 , 2. — * I Joan., iv, 3, 15; v, 1,5. Cf.
Apoc, II, 6, 15. — 5 Joan., vi, 35-70; viii, 23-58; x, 25-38. Cf. Eph., i,
3-6,20; II, 7, 8; iv, 9; v, 5; Col., i, 14-20, 26; ii, 3, 8-10; m, 14-17;
Heb., I, 1-14. - 6 Joan., v, 17-47. — ^ Joan., i, 33, 34, 48, 49; ii, 11, 23;
176 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n® 70
demption universelle par la vertu de son sang, adoption des
fidèles comme enfants de Dieu, justification intérieure par la
grâce, à la seule condition d'une foi sincère et pratique:
tels sont les dogmes auxquels il s'attache et sur lesquels il
s'efforce d'affermir la foi du lecteur. Tous les récits comme
tous les discours se rapportent là. Croire à Jésus-Christ,
comme au Messie et au Fils de Dieu S croire à sa nature di-
vine, à sa puissance, à sa charité, à sa résurrection : voilà le
but constant et la conclusion inévitable de tous le^ cha-
pitres '.
70. — L'ouvrage répond-il bien au dessein de Tauteur?
Quelles que soient les limites dans lesquelles il se resserre
et les lacunes que présente son récit, l'œuvre répond au
dessein de l'auteur. Il est difficile de trouver un livre qui
offre plus d'unité, une marche plus droite, un progrés
plus constant, une cohésion plus étroite de toutes les
parties.
1» Dans un prologue aussi bref que sublime, l'évangéliste
dit ce que le Verbe a toujours été dans l'éternité et ce qu'il a
voulu devenir dans le temps. Lumière et vie par essence,
connaissance et activité infinies, il s'est fait par l'Incarnation
principe de foi et source de vie surnaturelle pour les âmes •.
Telle est la grande vérité, dont l'ouvrage fournit le déve-
loppement et la preuve. L'auteur entre aussitôt en matière.
Rien sur l'origine temporelle ni sur la jeunesse du Sauveur.
Il commence par l'histoire de sa prédication. Les faits et
les discours dont elle se compose sont en harmonie avec le
programme de l'évangéliste. Mais de cette révélation progres-
sive du Verbe fait chair *, résultent deux effets contraires :
III, 2; IV, 19, 42, 53; vi, 14, 15, 69, 70; vu, 40, 41, 46; ix, 32, 33, 38;
XI, 27, 32, 38, 42; xii, 11.
1 Ce nom est répété 30 fois. — 2 i, 50; n, 2, 11, 23; ly, 39-42, 53;
VI, 14, 70; viii, 30, 46; ix, 38; xi, 15, 27. 45; xx, 29-31, etc. — s i, 4;
9, 12. — * Le mot Ego sum est répété une vingtaine de fois par le
divin Maître. « Ego sum Christus, iv, 26; panis vitae, vi, 35, 48; panis
vivus, VI, 41, 51 ; lux raundi, viii, 12 ; de supernis, viii, 23, an te Abraham,
viii, 56; ostium, x, 9; ostium ovium, x, 7; bonus pastor, x, 11, 14 ; re-
NO 70] ÉVANGILE DE SAINT JEAN. 177
dans les âmes droites une foi qui devient de plus en plus
ferme; dans les esprits prévenus et orgueilleux une hostilité
de jour en jour plus menaçante. Le Sauveur apparaît comme
source de vie à Cana, au puits de Jacob, dans la multiplica-
tion des pains, dans la guérison des malades, dans la résur-
rection des morts *. Il s'annonce comme principe de lumière
en guérissant Taveugle-né ', mais surtout dans son ensei-
gnement et dans les révélations, en faisant voir que rien ne
lui est caclié, en disant qu'il vient rendre témoignage de la
vérité, qu'il est la Vérité même, qu'il donnera son esprit à
ses apôtres pour instruire le monde entier *. L'opposition ne
tardant pas à éclater, ses auditeurs se divisent en deux par-
tis contraires. Un certain nombre, destinés à former le
noyau de son Eglise et à lui fournir des ministres, ouvrent
leur cœur à ses paroles et se montrent dociles à ses ensei-
gnements. Les autres, plus nombreux et en possession
de l'autorité, ferment les veux à la lumière et s'irritent
contre le prédicateur. Le divin Maître s'efforce de dissiper
leurs ténèbres et de désarmer leur hostilité : eux ne songent
qu'à le prendre en défaut et à le convaincre d'erreur. C'est
une lutte continuelle de la lumière contre les ténèbres, de
la vie contre la mort. A la fin, leur malice, toujours déjouée,
éclate d'une manière terrible. lisse décident à le mettre à
mort: ils le crucifient. Mais son immolation devient son
triomphe. En sortant vivant du tombeau, il confirme la foi
de ses disciples et fonde inébranlablement son Eglise.
2° La liaison des parties n'est pas moins parfaite que l'u-
nité du but. Tous les faits rapportés dans l'évangile ont
pour fin d'amener un discours, de symboliser une idée, de
rendre une instruction plus frappante; tous les discours ont
dans les faits un complément ou une traduction sensible;
surrectio et vita, xi, 25; via, vcritas ot vita, xiv, 6; vitis, xv, 5; vitis
vera, xv, 1, etc. Ego revient h. cliaque instant pour faire ressortir la
personnalité du Sauveur : Ego dico; ego lavi; ego rogo; ego sanctifîco
meipsum, etc. Cf. Apoc., i, 8, 17; ii, 23; xxi, 6; xxii, 13, 16.
» II, 8, 9; III, 1-16; iv, 10, 16, 42, 46-54; v, 1-16; vi, 1-15; 35, 48, 51 ;
XI, 25. Cf. XIV, 6; xvii, 2, 20. — « ix, 5, — 3 ,, 48; iv, 16, 17; viii, 12;
XIV, 6 ; xvm, 37,
178 JÉSUS-CHRIST SELON L'ÉVANGILE. [n^ 7i
et par les uns comme par les autres, Tévangéliste tend à
son but, en montrant comment la foi s'est établie dans les
cœurs droits, et quels ont été la malice, Tobstination et le
malheur de ceux qui sont restés incrédules *. Aussi Thistoire
et la doctrine sont-elles fondues ensemble d'une manière in-
dissoluble, et l'on ne conçoit pas qu'on ait pu dire que les
discours étaient des interpolations, c L'évangile de S. Jean
est comme la robe sans couture du Sauveur, a dit Strauss
lui-même. Il n'y a pas moyen d'en rien détacher : il faut ac-
cepter tout comme authentique ou tout rejeter. »
* 71. — Quelles remarques a-t-on faites sur le langage, le style,
la manière de saint Jean?
I. S. Jean a un langage qui le distingue des autres évan-
gélistes. Les discours qu'il rapporte et les tableaux qu'il
trace ont, pour la forme et pour le fond, un caractère par-
ticulier.
1* Son vocabulaire est peu abondà'nt •. Les mêmes termes
reviennent sans cesse, parce que la doctrine roule constam-
ment sur les mêmes idées; mais tous ces termes saisissent
l'âme, toutes ces idées relèvent et la tiennent en présence
des plus grandes et des plus saintes réalités.
2<* Il a des tournures qu'il affectionne et qu'il répète : In
hoc. *, Hoc est ^; et des expressions qui lui sont propres,
surtout pour rendre les rapports du Père avec le Fils et du
Fils avec nous : Esse apud Deum,,.^ esse in Pâtre.,., in Fi-
lio..., Manere in Deo... in Christo... in caritate... Esse ex
Deo... ex veritate... ex caritate... ex diabolo... Nasciex Deo...
ex Spiritu... ex carne... Nosse, cognoscere Deum... Facere
veritaiem... Ambulare... ambulare in lucc... in tenebris. Il
dit le Père, le Fils, d'une manière absolue. Quant à ces mé-
1 II, li, 12; IV, 6, 7, 21, 26, 35; v, 1-16, 19, 21, 26; vi, 1-15, 32-59;
IX, 1-7, 39-41; xi, 25-27, 42-44, etc. — s On trouve répétés : connaître,
55 fois, croire, 98, aimer, 45, vérité, 25, lumière, 23, vie, 36, monde, 78.
ténèbres, 13, nom, 25, parole, 50, œuvre, 27, signe, 17, témoignage et
témoigner, 47, vie, vivifier et vivre, 52, gloire et être glorifié, 42. —
3 I, 19, 30; III, 19; vi, 29, 39, 50; xv, 8; xvii, 3. — ♦ xv, 8. Cf. I Joan.,
III, 10, 16, 19; IV, 2, 9, 10, 13, 17; v, 2.
N« 7iJ EVANGILE DE SAINT JEAN. l79
taphores si souvent employées, lux^ vita, tenebrœ, mors,
mendacium^ plénitude, on ne peut pas dire qu'elles lui soient
propres ; car on les trouve aussi dans les prophètes, dans
S. Paul et même dans les synoptiques ; mais elles se lisent à
toutes les pages de cet évangile. Comme elles étaient fami-
lières aux gnostiques qu'il avait à réfuter, c'était pour lui
une nécessité d'y revenir souvent, en revendiquant pour
l'Homme-Dieu et pour sa doctrine les perfections que ces
hérétiques attribuaient aux créations fantastiques de leur
imagination.
3* Il aime les sentences brèves et détachées, il se plait à
énoncer ses pensées simplement, à la suite Tune de l'autre,
comme autant d'intuitions, sans conjonctions ni pronoms
relatifs, ce qui n'empêche pas qu'étant unies par le fond,
elles ne produisent dans leur ensemble un grand effet. Au
lieu de déduire, il affirme, ou plutôt il atteste ce qu'il voit
ou ce qu'il a yu ; et il se plaît à répéter les mots et les pen-
sées \ comme les vieillards, dit Michaëlis, qui ont recours
à ce moyen pour graver leurs maximes dans les esprits.
40 En fait de figures, il emploie souvent l'antithèse, pour
faire ressortir ses idées. Il oppose les lumières aux ténèbres*,
ceux qui sont nés de Dieu à ceux qui sont nés des hommes ',
Jésus-Christ k Moïse \ la loi à la grâce ^ les fidèles aux incré-
dules^; ou bien, après avoir affirmé une chose, il nie la
chose opposée ^ Il paraît aimer aussi l'apposition, qui se
formule par c'est-à-dire, à savoir.
II. Mais ce qui caractérise S. Jean, c'est moins la forme
extérieure du langage que le fond de la pensée.
La simplicité, la naïveté, la négligence même se joignent
chez lui à una finesse, à une pénétration, à une profondeur,
à une élévation sans égales.
Ses récits sont autant de drames pleins de vérité et de
mouvement. Tout ce qu'il décrit est sensible et vivant. On
» I, 1,7,8, 10, 14; 111,11, 17; IV, 22; V, 31-39, 44-47; vi, 27; viii, 13,
14, 18,21, 24; x, 7, 11, 54; xi, 33; xv, 1, 5; xvii, 6; xviii, 15, 16; xix,
35; XXI, 24. — 2 i. 5, 8. — 3 i, 13, — * i, 17; v, 46; vi, 32. - » 11, 17.
-•m, 36. — "^ i, 3, 20; 11, 24; m, 16; v, 24; vin, 35; x, 5, 28.
180 JÉSUS-dHRISt SELON L^ÉVANÔILE. [n^ IÎ
assiste aux scènes qu'il retrace; on a les acteurs sous les
yeux \ Il fait parler tous ses personnages, comme S. Marc *,
et un mot lui suffit pour les faire connaître '.
Avec le talent de peindre, au degré le plus éminent, il a
le don d'éveiller la pensée et de s'énoncer d'une manière
frappante. ïl sait donner un corps aux choses les plus abs-
traites et faire apparaître le monde idéal et surnaturel à
travers les réalités de l'ordre naturel et terrestre. Tout
tableau est un emblème; chaque mot renferme une pro-
phétie, une leçon, un mystère *; l'importance des faits
qu'il rapporte est dans les idées qu'ils suggèrent; le présent
figure l'avenir.
Vivacité, profondeur, sublimité, voilà «e qui distingue
cet évangile, ce qui l'a fait appeler par les saints Pères
V Evangile de l'Esprit % ce qui fait que les cœurs purs y trou-
vent tant de charmes. Il n'en est pas où la divinité du
Verbe rayonne avec tant d'éclat. (Euvre merveilleuse, sans
modèle comme sans égale, qui porte en soi la preuve de
son inspiration, et qu'on né pouvait mieux caractériser que
par cette figure d'aigle qu'elle a reçue pour emblème ^
Volat avis 3Îhe meta Tarn implenda quam impleta
Quo nec vates nec propheta Nunquam vidit tôt socreta
Evolavit altîus. Puru^ horao parîus '.
* 72. — D'où vient cette subUmité de pensées qui caractérise ce
dernier évangile?
On peut en indiquer plusieurs : le but que S. Jean se pro-
posait, ses dispositions personnelles et les vues de la Provi-
aence par rapport à l'Eglise.
■ * IV, IX, etc. — 2 Joan., iv, 7; vii, 40, 41; vin, 22; ix, 3; xiii, 24;
xxi, 20. Nous ne voyons qu'un passage où il emploie dans son récit le
le langage indirect, iv, 5, 52. — 3 Voir S. Pierre vv, 69; xiii, 6,. 9;
S. Thomas, xi, 16 ; xx, 28 ; Caiphe, xi, 49, 50, etc. — * S. Âmb., de Sac,
m, 11. Cf. Joan., xi, 51; xix; 21, 22; xxi, 19, 22. — 6 Clem. Alex.;
Euseb., fT., VI, 14. — ^ Vt très primes videas evangelistas in terra cum
Christo conversari, illum autem transcendisse nebulam qua tegitur
omnis terra et pervenisse ad liquidum cœlum. S. Aug., De cons. evang.y
I, 7. Cf. In Joan. y xxxvi, 1; Bourdal., Panégyr. de S, Jean, !•' point.
— "^ Un disciple d'Adam de S. Victor.
N» 72] EVANGILE m âAlNT IEaN. 184
i" Les moyens employés par S. Jean devaient être en rap-
port avec sa fin. Les négations des hérétiques portant sur
les dogmes, et sur les dogmes les plus élevés, il fallait bien
les suivre sur ce terrain, pour corriger leurs erreurs et rec-
tifier leurs expressions. Voiler les mystères du Christia-
nisme, parler un langage humble et populaire, n'était pas
le moyen de confondre ces docteurs superbes, infatués de
lear gnose, et dédaigneux de tout ce qui leur semblait vul-
gaire, soit pour l'expression, soit pour la pensée. — Que le
ton du Sauveur s'élève comme celui de Tévangéliste, que
ses discours paraissent plus sublimes et plus mystiques que
dans les autres évangiles, c'est également ce qui doit être.
Dans les synoptiques, le divin Maître s'adresse à des Gali-
léens peu instruits, souvent à des habitante des campagnes :
il parle de choses terrestres; il ne saurait être trop familier
et trop simple. Dans S. Jean, il est presque toujours à Jéru-
salem, près du temple ou sous ses portiques; il discute avec
les docteurs de la loi, c'est-à-dire avec les esprits les plus
cultivés et les plus subtils : n'est-ce pas le moment de parler
ks choses du a>/*? Au lieu de recourir aux paraboles ou
de s'énoncer en courtes maximes^ n'est-il pas naturel qu'il
présente à leur esprit des vérités capables de les frapper et
de les ravir *? S. Paul ne prend-il pas un ton plus solennel et
plus sublime lorsqu'il s'adresse aux gnostiques d'Ephèse ou
de Colosses que lorsqu'il exhorte ses humbles disciples de
Philippes ou de Thessalonique *?
2* A la différence des autres Apôtres, S. Jean eut une vie
tout intérieure, toute contemplative. Il avait un cœur af-
fectueux et pur, une âme noble par conséquent. Sa pureté
virginale donnait à son esprit une aptitude spéciale pour la
méditation et un essor puissant vers la lumière^ :Ùœ$eràt
me angélus, dit S. Augustin ^ De plus, son amour |rôiir le
Sauveur, pour l'Agneau de Dieu % comme il s'est toujours
> Joan., m, 12, Cf. Luc, viii, 19. — 2 Jnfra.n. 277, etc. — s I Cor., m,
10: Heb., v, 11, 14. — * Perspiciator erat prœrogativa puritatis. Eutbym.
h Joan.^ XXI, 7. — ** g. Aug., In Joan.f i, 4. — 6 « Ecce Âgnus Dei »
avait dit le Précurseur en le lui montrant. Joan., i, 36. Cf. Apoc. 30 fois.
m. ii
182 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. | n° 72
plu à nommer son Maître, (levait lui attirer les plus hautes
faveurs ^ Il s'était donné à lui de bonne heure avec une
grande générosité *. Il Tavait suivi partout sur la terre,
comme les vierges le suivent au ciel. Il l'avait accompagné
au Calvaire comme au Thabor. Et ce qui l'avait le plus
frappé, ce qu'il avait le mieux senti dans ses discours
comme dans ses mystères, c'est ce qu'il y voyait de surhu-
main. Plus d'une fois, il avait obtenu du divin Maître des
connaissances que d'autres n'osaient demander •. Ajoutez
que depuis l'Ascension il avait vécu longtemps auprès de la
très sainte Vierge dans le recueillement et la prière, et que
la gloire du Sauveur au ciel était plus souvent présente à
leur esprit que son état d'humiliation sur la terre *. Ajoutez
encore qu'il avait passé par le martyre, et que, dans son ra-
vissement de Patmos, le Fils de Dieu s'était montré à lui,
plus longtemps et plus pleinement qu'à S. Paul lui-même,
dans l'éclat de sa vie triomphante.
3® Enfin et surtout, il faut voir ici une attention du Sau-
veur envers les âmes pures et ferventes. Il était à désirer
que l'Evangile fût pour les chrétiens ce qu'était la manne
pour les Israélites, que tous les fidèles trouvassent dans les
exemples et dans les discours du Fils de Dieu un aliment en
rapport avec leurs besoins et conforme à leurs attraits ^
Faut-il s'étonner si, dans l'un des récits qu'il en a fait faire,
il a songé àr ceux qui l'aiment davantage, s'il a tenu compte
de leurs aspirations, et si, pour se révéler plus pleinement
à eux, il s'est servi de celui à qui il avait donné sur la terre
la plus grande part à ses lumières et à son amour? Les trois
premiers évangélistes avaient posé la base du christianisme
et tracé sa voie à la vie active, en consignant dans leurs
écrits la vie extérieure du Sauveur et son enseignement
populaire. Pour couronner cette œuvre, que restait-il à
l'Apôtre de la dilection, sinon de pourvoir aux besoins de
la vie contemplative *, en reproduisant dans sa sublimité la
1 s. Thom., p. l, q. 20, a. 4, ad. 3. — « Marc, i, 20. — 3 Joan., xin,
24, 25. — * Cf. S. Amb., de Inst. virg., i. — 5 Omne habens delecta-
mentum et omnis saporis suavitatem. Sap., xvi, 20. — c Restât aqaila,
N» 73] EVANGILE DE SAINT JEAN. 183
doctrine théologique du divin Maître, en révélant aux âmes
ferventes et généreuses ce qui le ravissait lui-même davan-
tage, rintérieur de THomme-Dieu, sa sainteté infinie, son
union avec son Père, et par-dessus tout sa charité pour les
âmes et les communications qu'il veut leur faire de son Es-
prit et de sa grâce? C'est ce qu'on trouve dans son Epître
comme dans son Evangile : Prope omnia de caritate. Qui
habet in se audire, audiat : erit illi lectio ista tanqxmm oleum
injlamma\
Du reste ce serait se faire illusion de juger de S. Jean par
les premiers versets et de penser qu'il est partout égale-
ment sublime. Quand il est question de sujets ordinaires,
de guérisons, de discours au peuple, son style n'a pas moins
de simplicité que celui des synoptiques'. Ce serait aussi
mal apprécier les synoptiques, que de penser qu'ils n'ont
jamais rien de l'élévation et de l'éclat de S. Jean •.
73. -^ La physionomie du Sauveur n'étant pas la môme dans saint
Jean et dans les synoptiques, quelle est celle qu'on doit tenir pour
vraie?
La physionomie d'un homme n'est pas invariable comme
celle d'une statue. Un personnage peut être tour à tour
grave, riant, impérieux, irrité. Quelle que soit celle de ces
sublimium prœdicator et lucis internée atque aeternse fixis oculis conr
templator. S. Aug., In Joan,, xxxvi, 5. Cf. De cons. evang.^ iv, 20.
1 S. Aug., In Ëp. ad Parth., Praef. — 2 Joan., i, 29-51 ; ii, 1-17; iv,
V, !-17; VI, 1-27; viii, 1-12; ix, 6-39; xi, 17-56; xii, 1-22; xm, 12-17,
21-31 ; XVI, 1-5; xviii, 21. — 3 Cf. Matth., xi, 28, 29 et Joan., vu, 37;
— Matth., x, 30 et Joan., xii, 25; — Mattli., xi, 27; Luc, xi, 21, 22 et
Joan., xiii, 1, 18; vi, 45; xiii, 3 ; — Matth., v, 6; Luc, vi, 21 et Joan.,
VI, 35; Matth., xi, 25-30 et Joan., xiv, 18-23; — Matth., xm, 57 et
Joan., IV, 44; — Marc, xvi, 16 et Joan., m, 18; — Matth., xxviii, 18
et Joan.,*, XVII, 2; — Matth., xvi, 19 et Joan., xxi, 15; Mattli., x, 40 et
Joan., xm, 20; — Matth., x, 22 et Joan., xv, 21; — Matth., x, 25 et
Joan., XV, 20; — Matth., xxvi, 55 et Joan., xviii, 20; — Matth., xxvi,
52 et Joan., xviii, 11; Matth., x, 29; Marc, viii, 35; Luc, ix, 24; xvii,
33 et Joan., xu, 24; — Matth., xxvi, 46 et Joan., xiv, 31; — Matth.,
XXVI, 34; Marc, xiv, 30; Luc, xxii, 34 et Joan., xm, 38; — Matth.,
XXVI, 52 et Joan., xviii, 11; — Matth., xxviii, 18-20; Marc, xvi, 1.V20
et Joan., xx, 19-23; xxi, 15-17.
l84 JESUS-CHRIâT SELON L*ÉVANG1LE. [n® 73
physionomies qu'on lui donne, s'il est placé dans les condi-
tions qui lui conviennent, elle n'aura rien que de vrai. Un
même homme peut aussi posséder bien des qualités diverses,
la grandeur et la bonté, la fermeté et la patience, réléva-
tion de la pensée et la simplicité du cœur; et chacune de
ces dispositions peut se révéler successivement dans son
extérieur et dans son langage.
D'un autre côté, tous ne sont pas frappés des mômes
choses ; tous n'en conservent pas le même souvenir, et ce
que chacun exprime le plus sûrement, le plus fidèlement
dans sa mémoire et dans ses écrits, c'est lui-même. Jésus-
Christ est un : c'est le soleil de justice, c'est la perfection
même ; mais les évangélistes différaient les uns des autres,
comme des miroirs de nature et de dimensions diverses.
Chacun d'eux reflète ce divin soleil, mais à son heure et à
sa manière, suivant sa capacité et ses dispositions. S. Jean
étant celui dans l'esprit duquel l'image du Sauveur s'est
reflétée avec le plus d'éclat, n'est-il pas naturel qu'il l'ait
représenté avec l'auréole la plus brillante et la physionomie
la plus divine * ?
Toutefois, si brillant qu'il paraisse, qui ne reconnaît en
lui le Fils de Marie, le docteur, le prophète, le thaumaturge
des synoptiques? Est-ce que nous n'avons pas des Histoires
du Sauveur, où les quatre évangiles fondus ensemble
forment un tout harmonique? Jésus-Christ est toujours con-
forme à lui-même et différent de tout autre j d'une éléva-
tion, d'une sainteté, d'une sérénité, d'une onction sans
égales. Il a partout la même prudence*, la même modestie',
la même douceur envers ses ennemis *, le même ascendant
sur ses disciples', la même idée de sa personne et de son
1 Vidimus gloriam ejus, gloriam quasi unigcniti. Joan., i, 14. Audeo
dicere, fratres mei : forsitan nec ipse Joannes dixit ut est, sed et ipse
ut potuit, quia de Deo hoino dixit, et quidem inspiratus a Deo, sed
tamen homo. S. Aug., In Joan., i, 1. — * Cf. Joan., x, 24, 25; Matth.,
XVI, 20; Marc, m, 12; Luc, iv, 41. — a Joan., v, 13, 30; vi, 15;
Matth., XIV, 22; xxvi, 39; Luc, v, 15, 16. — * Joan., xviii, 20; Marc,
XIV, 48; Luc, xxii, 52. — * Joan., xvi, 16; xxi, 12; Marc, ix, 31;
Luc, IX, 45.
j
N<»741 ÉVANGILE DE SAINT JEAN. 185
ministère ^ le môme langage figuré et parabolique', la
même manière d'opérer des miracles ", d'enseigner *, de
prouver ^ d'expliquer ses actes ®. Un bon nombre de ses
paroles qu'on croirait propres à S. Jean, ont été reproduites,
à peu près identiquement, par les synoptiques \
74. — L'évangUe de S. Jean, tout dogmatique qu* il est, n'offre-t-il pas
des données précieuses pour Thistoire du Sauveur, et n'a-t-il pas des
parties bien distinctes?
I. S. Jean fait connaître, plus précisément que les synop-
tiques, la durée de la prédication du Sauveur et ses diverses
phases. Dans ses vingt et un chapitres, il fait mention de
quatre solennités, dont trois Pâques au moins, et il signale
chacune d'elles parce qu'elle a fourni au Sauveur l'occasion
de donner plus d'éclat à sa mission et à sa doctrine *. A la
première, n, 13, il chasse les vendeurs du temple, et entre
eo rapport avec un Docteur de la loi. A la seconde, v, 1,
il guérit un paralytique et proclame sa divinité. A la troi-
sième, VI, 4, il multiplie les pains et annonce l'Eucharistie.
Il l'institue à la quatrième, xiii.
IL Les vingt et un chapitres de cet évangile débutent par
un prologue assez court et se divisent naturellement en deux
Uoan., m, 17; v, 22, 24, 45; viii, 12; ix, 39; xin, 20; Matth , v, 14;
vn, 22; x, 40; xiii,^ 13; xi, 27; xxvi, 63; xxvni, 19; Luc, ix, 56. —
* Joan., II, 34; m, 8; v, 25; ix, 39; xi, 11 ; xv, 1 ; xvi, 21, 25. Cf. Joan.,
ni, 3 et Matth., xiii, 3; Joan., x, 7 et Matth., xviii, 12; Joan., xiii, 1 et
Lac, xii, 37; Joan., xni, 16 et Matth., x, 24, 25; Joan., m, 29 et Matth-,
xxn, 2; Joan., xv, 2 et Matth., xvii, 19. — 3 Joan., v, 8; vi, 12; xi, 43;
Matth., viiî, 3; ix, 6; xiv, 19; Luc, vu, 14, etc. — * Joan., iv, 31;
▼,14; VI, 25; ix, 1-5, 25-41; xiii, 3, etc; Matth., xn, 47-50; xiii, 43, 45;
XV, 11-20; xviii, 1; Marc, i, 16, 17; ix, 35; x, 13, 15; Luc, n, 2T;
IX, 47; xiii, 1-5; etc. - » Joan., iv, 23, 24 ; Matth., v, 25, 31 ; vi, 31 ;
XTin, 33; xxiv, 42; xxv, 31; Marc, vni, 33; xiii, 37; Luc, xii, 15, 21,
35, 48; xvni, 1, etc. — « Joan., iv, 31 ; vi, 25; ix, 1-5, 35, 40; xiii, 3;
Matth., XII, 47, 50; xv, 1-20; xvi, 5; xviii, I ; Marc, i, 16, 17; x, 13-15;
Uc., XI, 27; xiii, 1-5; xiv, 15, etc — ^ Cf. Joan., ii, 19; iv, 24; v, 8;
▼1,20, ^,37, 46; xn, 8, 25, 27; xiii, 1, 16, 20, 21, 38; xiv, 18, 28, 31;
XV, 20, 21; xvii. 11, 20,^37 et Matth., xxv, 61; xiti,47; ix, 6; xiv, 27;
V, 6; XI, 27, 28, 29; xxvi, H ; x, 39; xxvi, 38; xi, 27; x, 24, 40; xxvi,
21, 34; xxvni, 20; xiii, 32; xxvi, 46; x, 22, 25; xxvi, 31; xxviii, 18;
avi, 52, 55; xxxii, H, etc — » Infra, n. 141.
i
186 JÉStiS-CHRIST SELON l'évanoile. [n» 74
parties; — 1" Dans la première, qui est la plus considé-
rable, I, i9-xir, Jésns-Ghrist se révèle au monde comme la
vraie source de la lumière ' et de la vie ' : un certain nombre
croient à ses paroles; mais la plupart ferment l'oreille à sa
prédication et demeurent incrédules. — 2° Dans la seconde,
xm-xxi, le Sauveur se manifeste à ses disciples en particu-
lier; on j voit l'achèvement de sa prédication, la consom-
mation de son sacrifice et le couronnement de sa vie mortelle.
Après avoir ouvert son âme à ses Apétres dans la dernière
cène, xiii-xvii, il endure avec courage tous les tourments
que ta haine et l'envie lui font subir, xvni, xix, puis, sor-
tant du tombeau, il ranime la foi de ses disciples et leur
donne ses dernières instructions, xx, xxi.
» Cf. Jo»n., 1,48, 51; 11, 24; iv. 17, ZS; vii, 15,20, «; viii. 12; n.
1-41. — î Joan,, II, 1-18. 19, 22; m, 1-16; iv, 10-U, 46^; v, i-16, 21, 25;'
VI, 1-15, 35, 48, 51; ï, 1-51; xi, 1,45, etc. — » Croii de Tégliao Saînte-
Maria k Home, cnfourôc des quatre évangéUslos, sous lours symboles
ordinaires. Au milieu, entre l'a et u, l'emblème de l' Esprit-Saint ;
Digilui palei-as dexlcrx.
PREMIÈRE PARTIE
DE L'INCARNATION DU VERBE A LA PRÉDICATION
DE L'ÉVANGILE
CHAPITRE PREMIER.
veuve. DU fils de dieu dans le monde.
ARTICLE I.
Attont« Au H«Bala.
FtaitoD de celle itlente. ~ La Jadée à l'époque da Sanvei
Toutes les raisons de ce délai ne nous sont pas connues *,
mais nous savons que Dieu avait en vue sa gloire, et qu'il
s'est proposé tous les bons effets qui ont résulté de sa con-
1 Médaille d' Auguste divinisé : iète radiée, avec one étoile sur le front.
Le titre de Palei- patrùr lui fut donné deux ans avant l'ère chrétienne,
après ïingt-cinq ans de règne. Le nier» k droite, pris d'une autre mé-
daille, donnée par F. Sacchi {Thesauriu mtiguilalum, in-fol.), représente
l'autel do Janus.dont le temple fut fermé quelque temps avsni la naissance
de Jcsus-Chrisl, le Prince de la paix. Légende : Pane perpétua, et au-
dessous, Auguttut. On trouve des médailles semblables dans Cohen, Deicr.
des médailUi romninei. t. i, p. 53, n. J03, !• éd., ot p. 61, n. 182, 183,
8«éd.— 'Bon)., xi,33. Voir sur ce sujet S. Thomas, In GaJai., III, leet. 7.
188 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [N^ 76
duite. Si la Rédemption s'était accomplie immédiatement
après le péché : — 1* L'homme aurait pu s'imaginer que cette
grâce lui était due, ou que c'était une nécessité pour Dieu
de le relever de sa chute. — 2° Nous connaîtrions moins
bien nos maux dont le péché est la source; nous serions
moins touchés de ce que Notre Seigneur a fait pour nous,
moins convaincus de notre impuissance à remédier par
nous-mêmes à notre misère \ — 3** Nous n'aurions pas dans
la conduite de Dieu un exemple aussi frappant de la cons-
tance avec laquelle nous devons poursuivre nos bons des-
seins et avancer dans la perfection *.
Du reste, il ne faut pas oublier que Dieu n'a pas attendu
l'immolation de son Fils pour en appliquer les mérites aux
hommes. On a cru à la venue du Sauveur avant qu'il fût
descendu sur la terre, et les fruits de la rédemption ont re-
flué jusqu'à l'origine du monde. Si l'on n'avait pas alors la
lumière de son Evangile et le secours de ses sacrements, on
ne laissait pas de participer à sa grâce et l'on pouvait pra-
tiquer ses vertus '.
76. — A la naissance du Sauveur, en quel état se trouvait la Judée,
au point de vue politique et au point de vue religieux?
I. Le sceptre était sorti de Juda *. Non seulement la fa-
mille de David avait cessé de régner, mais la Judée avait
perdu son autonomie. Le pouvoir souverain était aux mains
des étrangers. Hérode l'Ancien, fils d'Antipater, Iduméen
de la race d'Esaû S avait été fait roi par les Romains, deve-
nus maîtres du monde *. Grâce à la puissance de ses protec-
teurs et à une politique sans scrupule, il s'était débarrassé des
. 1 Rom., V, 20; Gai., iv, 3, 4; Epist. ad Diogn., 9. — 2 g. Thom., In
Gal.f III, lect. 7.-3 Sap., x, l ; Apoc. ,xiii, 8. Vérbi incarnatio hocton-
tnllt facienda quod facta, nec sero impletum est qiiod seinper est cre-
ditum. S. Léo., de Nativ. Dom. Serm. xxiii, 4; S, Aug., de Civ, Dei^
XVIII, 47; S. Thom., p. 3, q. 1, a. 5. — * Gen., xux, 10. A. T., n. 360.
InfrOf n. 110. — 8 Gen., xxvi, 43. Euseb., H., i, 6. — « Maxime con-
grucbat ut multa régna una confederarentur imperio et cito pervios
iiaberet populos prsedicatio generalis, quos unius teneret regimen civi-
tatis. S. Léo, Serm, ;.xx3çm, 2. Cf, Origen., Cont, Cels,^ 11, 30.
]V<> 76] SA VIE CACHÉE. — DATE DE LA RÉDEMPTION. 189
derniers rejetons des rois asmonéens et avait fini par établir so-
lidement sa domination *. Tandis que les oracles du Seigneur
sur les Juifs infidèles ' commençaient à s'accomplir, la Provi-
dence faisait approcherles Gentils, pour assister à la naissance
de THomme-Dieu, être témoins de la Rédemption du monde
et s'unir aux vrais Israélites dans la fondation de l'Eglise.
II. Sous le rapport religieux, le peuple juif se divisait en
un certain nombre de sectes rivales. On distinguait : —
1" Les pharisiens, qui affectaient une plus grande rigidité
dans l'observance de la loi, mais qui, à peu d'exceptions
près, ne tenaient qu'à l'estime des hommes, à la réputation,
au crédit que donnent les pratiques extérieures et les dehors
de la sainteté •. — 2** Les sadducéens, qui ne croyaient qu'à
la matière et ne reconnaissaient comme divins que les livres
de Moïse. Ils avaient pour eux la fortune, et par la fortune
les dignités, même religieuses. Leur morale ne différait
pas de celle d'Epicure *. — S'* Les esséniens, secte mystique,
qui se tenait à l'écart et s'exerçait à la vie ascétique, silen-
cieuse, contemplative ^ — 4** Les hérodiens qui cherchaient
la faveur du prince et mettaient sa loi au-dessus de celle de
Dieu. Ils se rattachaient au parti des sadducéens, comme les
esséniens à celui des pharisiens. L'Evangile en fait mention
en deux occasions «.
Ces sectes s'étaient propagées avec d'autant plus de faci-
lité que Dieu n'avait suscité aucun prophète depuis Mala-
chie(420), et que les multitudes d'étrangers qui s'établis-
saient dans la Judée apportaient avec eux de nouvelles
idées et de nouvelles mœurs.
Jérusalem était une ville de deux cent mille âmes, toute
religieuse, adoratrice du vrai Dieu, du Dieu unique, au mi-
lieu du monde polythéiste \ Elle avait des centaines de
* Jos., A. y XV, IX, 3. — 8 Deut., xxviii, 48. — 3 AxpiêecrraTr) aipedtç.
Act., xxYi, 5. Cf. Joseph., ^., XIII, v, 9; x, 5; XVII, ii, 4. — * Joan.,
VII, 48; Act., XXIII, 8; Jos., A., XIII, v, 9; x, 6; XVIII, 4. — « Joseph.,
i., XVUI, I, 4; V, 9; 5., II, viii, 2-13. Josèphe initié à la littérature
grecque, compare ies Pharisiens aux Stoïciens, les Sadducéens aux Epi-
curiens et les Esséniens aux Pythagoriciens, A.^ XV, x, 4. — 6 Marc,
m, 6 et xu, 13. — '^ Ps. xlvii, 2, 3, 9; xcviii, 2; cxxxi, 13; Matth., iv, 5.
11.
190 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n<* 77
synagogues, avec des légions de prêtres, de lévites et de doc-
teurs. Chaque année, aux grandes solennités, son temple
attirait, de toutes les contrées du monde, des millions de
visiteurs ^ Ses habitants ne s'occupaient guère dé commerce;
et s'ils s'intéressaient aux questions politiques, c'était sur-
tout à cause de leur rapport avec la loi et le culte divin.
* 77. — Quel fut le gouvernement de la Judée pendant la vie du
Sauveur?
Hérode l'Ancien avait été maintenu près de quarante ans
sur le trône de Judée par la volonté toute-puissante d'Au-
guste, dont il s'était fait le flatteur et le valet *. Il légua en
mourant son royaume à son fils Archelaûs ; mais celui-ci
dut se contenter du titre d'ethnarque ', avec le gouverne-
ment du pays sous la surveillance de l'autorité romaine.
Bientôt même il se vit banni pour sa tyrannie *, et la Judée,
réunie à la Syrie, commença d'être gouvernée par des pro-
curateurs '. Tel est le titre donné par Tacite à Ponce-Pilate,
qui fut placé à la tête de cette province pendant dix ans, de
l'an 26 à l'an 36 *. Durant ce temps, le reste de la Palestine
demeura dans les conditions où l'avait placé le testament
d'Hérode. Antipas était, comme le dit S. Luc, tétrarque de
la Pérée et de la Galilée, et Philippe, tétrarque de la Tracho-
nitide et de l'Iturée. En l'an 39, Agrippa I, petit-fils d'Hé-
1 Joseph., B.y m, m j VI, ix, 3 ; A. T., n. 345 ; Infra, n. U3. — 2 Hérode
ne négligeait rien pour témoigner sa reconnaissance à ses protecteurs
et pour se les attacher de plus en plus. En même temps qu'il restaurait
le Temple, dans la vue de plaire aux Juifs, Joan., iv, 20, il bâtissait poar
les romains à Jérusalem un théâtre et un amphithéâtre. Non content
d'y célébrer en Thonneur d'Auguste des jeux solennels, comme on faisait
dans toutes les grandes villes. Jos., A.^ XV, vin, 1, 2; XVI, v, 13; J5.,
I, XXI, 8; il lui consacrait encore des temples, Kaidapeta, à Samarie, à
Césarée, à Panéas et en d'autres lieux, A., XV, x, 2; J5 , I, xxi, 2, 3, 4,
7. Dans Jérusalem même, il lui dédiait, à lui et à son gendre Agrippa^
des édifices plus somptueux que les temples les plus magnifiques : tov
piev Kaidapeiov, tovôs AyptTCTceiov. B.\ I, xxi, i; et dans toute la Palestine
il donnait à ses places des noms césariens, Antonia, Juliopolis, Césarée,
Sébaste, etc. — 3 Matth., ii, 22; Jos., A,, XV, m; v, 4. — * An 6 do
J.-C, après onze ans de règne. — ^ Dion., H. R., lv^ 27. — « AnnaL,
XX, 44; Joseph., A.j XVIII, m.
1^ 78] SA VIE CACHÉE. — DATE DE LA RÉDEMPTION. 191
rode par Aristobule, recouvra le gouvernement de la Judée
avec le titre de roi \ grâce à la faveur de Caligula et de
Claude. Mais cet état de choses n'eut pas de durée ; à sa
mort, en 44, le royaume de Judée fut réuni définitivement à
la province impériale de Syrie. Son fils Agrippa II hérita de
son titre, sans hériter de son domaine *.
* 78. — Quel était Tobjet des préoccupations des Juifs?
A l'inverse des autres peuples, les Juifs virent toujours
leur âge d'or dans l'avenir. S'ils aimaient leur passé, c'était
surtout parce qu'ils y voyaient l'annonce et le gage de ce
qu'ils attendaient. Or toutes leurs espérances se résumaient
dans la venue d'un Messie, qui, prince et pontife tout en-
semble, feraîit dans l'ordre temporel pour leur nation en
particulier, ce qu'il devait faire comme rédempteur pour le
genre humain dans l'ordre spirituel. L'attente de ce Messie
était le fond de leur culte, le principal objet de leur foi. Elle
était entretenue par la méditation des divins oracles " et par
la vue des cérémonies sacrées, encore qu'un grand nombre
en comprissent peu le sens. A l'époque du Sauveur, elle était
aussi vive que générale *. La domination étrangère, dont on
portait le joug, en présageant l'approche du libérateur *, en
faisait désirer impatiemment la venue ^ On savait que les
soixante-dix semaines d'années fixées par DanieP touchaient
à leur terme * ; et nul n'était étonné d'entendre Jean-Bap-
tiste annoncer l'approche du royaume de Dieu. La foule
n'hésitait à lui donner le titre de précurseur \ Bien plus,
les Gentils eux-mêmes, initiés par la version des Septante et
1 Act., XII, 1. — 2 Act., XXV, 13. — 3 Joan., v, 35-46. Cf. Mal., m, t ;
Agg., II, 3, 10 ; I Mach., iv, 46; xiv, 41. — * Matth., ii, 3, 6, 16; m, 3,
5, 15; XI, 2, 3; xvii, 10; xxvi, 63; Luc, i, 19, 20, 76; ii, 25, 26, 36, 38;
H, 25, 38; xxii, 66; xxiii, 51; xxiv, 21; Joan., i, 19-21, 25, 41, 45; iv,
25; VI, 14,. 26; vn, 27, 31, 40, 41 ; x, 24; xi, 27; xii, 34; Act., xxviii,
20, etc. — 5 Gen , xlix, 10. — « Marc, xi, 10; Luc, i, 74; m, 4, 6;
xnv, 21; Act., i, 6; xxviii, 20. Six mille Pharisiens, exaspérés par la
domination des étrangers et par les coutumes nouvelles qu'elle intro-
daisait dans le pays, refusèrent le serment à Auguste et à Hérode.
Joseph., A., XVU, ii, 4, etc. — ^ Dan., ix, 25. — » A. T., n. 1061. —
* Matth., XI, 10; Marc, i,2; Luc, i, 17, 76; vu, 27; Joan., m, 28.
192 IÉSU8-CHR19T 3EL0^ l'évangile. [n" 79
par lenr rapports avec les Juifs à la connaissance des pro-
phètes, étaient dans l'attente de ceqiii allait arriver .-P/uri-
bus persuasio inerat, dit Tacite, au sujet de la révolte des
Juifs sous Vespasien, eo ipso tempore fore ut valesceret Orimu,
profectique a Judœa rerum potire»tur\ Suétone constate
également ce fait : Percrebuerat in Oriente loto vêtus et cons-
tans opinio esse in fatis ut eo tempore Judœa profecti rerum
potirentur •, Ainsi le Sauveur ne fut pas seulement l'espé-
rance d'Israël ', il fut encore l'attente des nations, et lui seul
l'a été, dit Origène *. C'est au moment flxé et à l'heure
précise qu'il est venu dire au monde : Me voici, et voici le
temps '.
ARTICLE II.
Origln« divine du SanTenr, Joao., i, 1-18.
Le Verbe fut eh»it. — L«« entanU de Dien.
79. — Le début de siiiiit Jean ne rappel le- t--il pas celui de Moïse
dans la Genèse?
L'allasion est manifeste. Comme l'auteur de la Genèse,
l'évangèliste se transporte à l'origine des choses : In prin-
cipio. Mais tandis que Moïse s'arrête à décrire l'œuvre de la
création, S. Jean s'élève plus haut. Il dit ce qui était en
iTaeit., Hi«(.,v, 13. Cf. Joseph.,B.,UI, VKi, 9; VI.v, 3, 4.— » Vila
Veipaa., iv, 3. — ' Act., ixvm, 20. - * Orig , Cont. Celi., i, 53. —
* Pascal, Feméei, Cf. Gai., iv, 4. Meamain, Conaaiaance des tempt
éoangHiqim, ^. I, cli. 3, — b Monnaie d'Hérade l'Ancien. D'une part,
un casque avec jagulaires; une étoile au-dessus et deux paluies aui
cités; d'autre part, nn aulel en forme de trépied avec un feu alluraé;
& gaucbe, la date ; à droite, un jnonogramniQ ; autour, BoaiXeui; IIpuSou.
De Saulcy, Numiimatiqve judaïque; Ann. de phil, ckrel., 1849, 1850.
N® 79] SA VIE CACHÉE. -^ SON ORIGINE COMME VERBE. 193
Dieu avant toute créature, ce qui a toujours été '. Avec
Féternité du Verbe ', il affirme sa personnalité. Il était en
Dieu, non comme un mode inhérent à une substance, mais
comme un être actif et intelligent, comme une personne
consubstantielle à une autre personne '. De là ressort sa
divinité et la part qu'il a eue dans l'action créatrice ♦. Vie
et lumière en lui-même, toute vie et toute lumière, il veut
être pour chaque homme venant en ce monde ^ une source
de vérité et de grâces *.
Après avoir caractérisé la mission du Précurseur ^ et in-
diqué l'avantage que le genre humain, les Juifs comme les
Gentils, pouvaient tirer de la venue du Verbe parmi nous •,
S. Jean signale avec tristesse l'accueil qu'on lui a fait à son
arrivée sur la terre, £i<; Ta tStii, l'aveuglement des hommes,
et surtout l'endurcissement du peuple choisi '. Ensuite il
énonce expressément le mystère de l'Incarnation, avec la
double nature du Sauveur ; et donnant pour preuve de sa
' Attendit Joannes cœluin et terram. Volens dicere de Filio Dei, atten-
dit et transcendit. Transcendit nniversam. sicut aquila nubes, sic sua
mente creaturam ; pervenit ad illud quod majus est omnibus et dicit :
lo principio erat Verbum. S. Aug., In Joan.^ xyiii, 6. Cf. xxzvi, 1. Erat,
erat, erat; ecce quater erat. Qùod crat in principio, non includitur
tempore. Ergo Arias conticescat. S. Amb., de Fide, i, 56. Cf. Joan.,
ivii, 5. — ' Joan., i, 1, 2, 3, 15, 18. Cf. viii, 58; Ps. lxxx, 2; Col., i, 17.
— 3 Erat apud Dcum, irpo; tov Bsov, ut alius apud alium, dit S. Tiiomas.
Prspositio in signiflcat quamdam conjunctionem intrinsecaro ; praepositio
ajpud quamdam conjunctionem extrinsecam importât; idco per utramque
consabstantialitas in natura designatur et distinctio in pcrsonis. In
hinc loc. Cf. I Joan., i, 2. 6eo; y)v, et non o Beoç, pour ne pas identifier
les deux personnes. L'absence de Tarticle n'indique nullement que le
mot Oeoç soit pris dans un sens impropre. Cf. Matth., iv, 4 ; v, 9; vi, 24 ;
xn, 28; Joan., i, 6, 1?, 13, 18; I Thess., i, 9. — * Joan., i, 3, 2, 10. Cf.
V. 19, 26; Col., i, 16 ; Heb., i, 2, 10. — s Cf. xii, 46. — « Joan., i, 4, 5,
14. Cf. vm, 12; ix, 5; Luc, ii, 32; Act., m, 15. — "^ Missus a Deo, seu
apostolus Dei. S. Hier., /n Gai., 1. Propter caecos lucerna diei testimo-
niam perhibebat. S. Aug., Serm. lxvii, 5. Quomodo plerumque fit ut in
aliquo corpore radiato cognoscatur ortus esse sol , quem oculis videre
non possumus. In Joan., ii, 7. Ule lucerna, id est res illuminata, acconsa
Qt luceret. Serm. gccxli, 2. Potest quidem dici lumen Joannes, sed illu-
mioatam, non illuminans. Lumen illuminans a seipso lumen est et non
indiget alio lumine ut lacère possit, sed ipso indigent caetera ut luccant.
In Joan,, xiv, 1. — « jQan., i, 9, 12, 13, 16. — » Joan., i, 5, 10, 11.
194 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILB. [n<^ 80
qualité de Fils unique de Dieu * et de la réalité de sa venue
Téclat glorieux qu'il a jeté par sa doctrine et par ses mi-
racles ', il annonce les fruits de grâce et de vérité qu'il veut
répandre ici-bas, en élevant au' rang d'enfants de Dieu • tous
ceux qui croiront en son nom et qui recevront de lui la vie
nouvelle qu'il leur apporte*. En finissant, Tévangéliste
proclame la source d'où il a tiré sa doctrine et qui en ga-
rantit la véracité ^
Ainsi S. Jean pose en thèse au début ce qu'il répétera
comme conclusion à la fin •, la divine grandeur de celui
dont il écrit l'histoire ; c'est comme le piédestal sur lequel
il veut qu'on le considère. Ce prologue annonce le carac-
tère dogmatique de l'évangile ; et l'on peut résumer en trois
mots la substance de l'un et de l'autre : personnalité divine
du Sauveur, funeste incrédulité des Juifs, foi docile et bénie
des premiers disciples \
On récite chaque jour, à la fin de la messe, cette page de
S. Jean comme un mémorial des grandeurs du Verbe in-
carné et des fruits de son sacrifice ®. On le lisait autrefois,
en certaines églises, dans l'administration du Baptême '.
80. — Qu'est-ce qui porte saint Jean à désigner le Sauveur par ce nom
de Verbe, que nul des Synoptiques ne lui a donné?
S. Jean n'appelle ainsi le Sauveur que lorsqu'il le pré-
sente comme Dieu, ou plutôt comme seconde personne de
la Trinité, lorsqu'il veut donner une idée de ses rapports
avec le Père. Les synoptiques n'ayant pas décrit son ori-
gine divine, et le considérant toujours comme uni à la na-
ture humaine, il n'est pas étonnant qu'ils lui donnent de
1 û; (i,ovoYcvou;, 14 Cf. Û; avÔçwTCo; Phil., n, 7; Marc, i, 22; I Cor.,
IV, 1 ; Philem., 9. — * E<nt7iva)<rac ev ujitv, i, 14. Cf. Is., ix, 1, 2; Agg.,
II, 6; Zac , i, 17; ii, 14; viii, 3; xiii, 1; Mal., m, 1. — ^ Cf. Rom.,
VIII, 15; Eph., i. 5. — * Joan , i, 3, 14. Cf. Jac, i,8; I Pet., i, 3, 23. —
8 Joan.. I, 18. Cf. vi, 46; Heb., i, 1; I Joan., i, 1. — * Joan., xx, 28, 31.
— f Bossuet, Elév. xi. Semaine xii. Supra^ n. 69. — * Depuis la réforme
de S. Pie V. — 9 Quod initium sancti Evangelii, quidam Platonicus,
sicut a sancto sene Simpliciano solebamus audire, aureis litteris coqs-
cribcndum et per omnes ecclesias in locis eminentissimis ppoponendum
esse dicebat. S, Aug., De civ» Dei., x, 29.
N<> 80] SA VIE CACHÉE. — SON ORIGINE COMME VERBE. 195
préférence le nom qu'il portait ici-bas et qui indique le but
de sa mission sur terre.
Quant au choix de ce mot, Verbum, Asvo;, S. Jean ne Ta
pas fait au hasard, ni d'une Aanière arbitraire.
("Il paraît lui avoir été révélé. Que le Fils de Dieu Tait
fait connaître à S. Jean avant de sortir de ce monde, ou que
la révélation en ait été faite à cet Apôtre au moment où il
écrivait l'évangile, c'est ce que rien ne détermine avec cer-
titude; mais nous savons qu'à Patmos, S. Jean reçut des
assurances particulières à cette égard : Vocatur nomen ejus
Yerbum Dei *.
2" Certains passages de l'Ancien Testament pouvaient
suffire pour en suggérer Tidée*. Dans ces textes, la créa-
tion est attribuée au Verbe ou à la parole de Dieu. Ce Verbe
est personnel. Il s'identifie avec la Sagesse ', et avec l'Ange
de Dieu *. Quoi d'étonnant qu'au temps du Sauveur ce mot
fût employé chez les Juifs pour désigner le Fils éternel du
Père? S. Paul paraît sanctionner cet usage, aussi bien que
S. Jean, en parlant de la parole de Dieu vivante et agissante,
gui discerne les pensées de l'esprit et les intentions du cœur *.
Aussi la difficulté pour l'évangéliste n'était pas de faire re-
connaître aux Juifs qu'il y a en Dieu un Verbe personnel et
tout-puissant, mais de les convaincre que Jésus était ce
Verbe.
3" D'ailleurs, la connaissance de la doctrine révélée sur
les trois personnes divines étant donnée, le nom de Verbe
ne devait-il pas s'offrir de lui-môme à l'esprit pour désigner
la seconde ? Les rapports du Père avec le Fils ont une ana-
logie frappante avec ceux qui existent entre notre esprit et
* Apoc, XIX, 13. Cf. I Joan., i, 1; v, 7. — 2 Gen., i, 3; Exod., xxiii,
20, 21; Ps. XXXII, 6; cvi, 20; cxviii, 89; cxlvii, 15; Prov., viii, 22, 31 ;
Sap., vil, 22-30 ; xviii, 15; Éccli., xxiv, 5; Isai., lv, 11. — 3 Sap., vu,
24-30; viii, 1-4; Eccli., i, 4; viii, I-IO; ix, 1, 9. — * Gep., xxviii, 11-22;
xxxii, 24-30; Exod., m, 2-6; v, 4; xxxiii, 12, 20; Jos., v, 13-1; vi, 2;
Isai., Lxiu, 9; Malac, m, 1. — s Hebr.^ iv, lî. Quoiqu'il ait écrit qua-
rante ans plus tôt, S. Paul n'est pas moins exprès que S. Jean sur la
divinité de Notre Seigneur, dans ses Epîtres aux églises d'Asie et aux
Hébreux. Supra, n. 21, 69.
196 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [N<» 80
notre parole ou notre verbe. Le Fils, le Verbe incréé, est
l'expression parfaite du Père, son image vivante*; image
spirituelle et invisible par elle-même^ devenue visible et
corporelle par l'incarnation. Gonsubstantiel à son principe
et aussi essentiel que lui, il existe avec lui de toute éternité
et ne peut exister sans lui. Il habité en lui, et lors môme
qu'il est envoyé et produit au dehors, il ne cesse pas de de-
meurer en lui. N'en est-il pas de même de notre parole ou de
notre verbe par rapport à notre âme ? C'en est l'expression
naturelle et l'image vivante : imago viva mentis cogitantvs.
Etre naturellement pensant, sitôt que je pense, je me parle
à moi-même, je prononce une parole. Cette parole émanede
mon intelligence et participe à sa nature. Elle est de moi,
en moi, et en quelque sorte moi-même. Distincte de mon
esprit, lors même qu'elle y est renfermée, elle n'en sort pas
quand elle s'exprime ou se produit au dehors '. On voit
combien il était naturel d'appeler le Fils de Dieu, la Parole
du Père. Quel terme plus propre à en donner l'idée? N'est-
ce pas désigner la copie pour faire concevoir le modèle?
S. Jean n'avait donc pas d'emprunt à faire, ni à Platon
(429-348), ni à Philon (t 45). Et que leur aurait-il emprunté?
— Si Platon parle de Aoyoç dans sa théorie de la création ou
plutôt de la disposition originelle des choses, il donne à ce
terme un sens fort différent de celui de S. Jean. Le Aoyo;
du philosophe grec n'est pas une personne, mais une abs-
traction, la raison de Dieu, réceptacle de toutes ses idées :
il n'a pas conscience de son existence. — Il en est de même
de celui de Philon, autant qu'on peut saisir la pensée de cet
auteur, dans les nuages de ses allégories. Philon ne le
nomme pas Dieu, le vrai Dieu ; il ne l'identifie pas avec le
Messie. Du reste, s'il avait une vraie connaissance du Verbe
personnel, on devrait penser qu'il l'a puisée aussi dans la
révélation, c'est-à-dire dans les écrits des prophètes et dans
les traditions de leurs écoles.
1 Heb., I, 3. Vorbum dicitur quia ita se habet ad Patrem ut sermo ad
mentem. S. Greg. Naz., Ot^at. xxxvi. Cf. Ginoulhiac^ fjis^, dy, dogme,^
p. 1; 1. VI, 1, 7; 1. XII, 9, 10. - « Cf. Ps. iv, 5.
N» 8i] SA VIE CACHÉE. — SON ORIGINE COMME VERBE. 197
81. — Le Verbe étant égal au Père, comment saint Jean peut-il dire
que le Père a tout fait par lui : per ipsum^ i, 3?
1. Quand saint Jean dit que le Père a tout fait par son
Verbe, il ne l'entend pas en ce sens que le Père aurait agi
sans la coopération du Verbe, ou que le Verbe aurait moins
agi que lui, ou que son action aurait été moins libre, ou
qu'elle se serait exercée plus tard ; mais il le dit et on l'a
toujours entendu dans ce sens que l'action du Verbe dans
la création, comme dans toute œuvre ad extra, a été subor-
donnée ou plutôt subséquente à celle du Père ; de manière
que, sans qu'il y ait aucune différence de temps, elle s'inter-
pose néanmoins et tient un certain milieu, dans nos idées,
entre la volonté du Père et sa réalisation extérieure *. Ce
qui résulte de cette expression, c'est que l'action créatrice,
tout en étant commune aux trois personnes, n'est pas triple
pour celaj que le Fils n'agit pas d'une manière collatérale
ou parallèle à celle du Père, mais qu'il opère, comme se-
conde personne, secondairement, par l'action môme du
Père, duquel il tient tout ce qu'il a, et qui ne peut rien
faire qu'avec lui et par lui *.
IL Si la volonté du Fils est subordonnée à celle du Père,
ce n'est dotic pas par infériorité, mais en vertu de ce prin-
cipe, que tout ce qui est dans le Fils, les idées et les opéra-
tions aussi bien que la nature, est originaire du Père '. La
nature divine ayant sa source dans le Père et étant par lui
communiquée au Fils, il en doit être de même des actes :
car ce n'est pas par leur personnalité, mais par leur nature
que les personnes divines agissent. Ainsi, parce que le Fils
est personnellement subordonné au Père *, il ne peut agir
que subséquemment au Père ; et parce que le Père engendre
éternellement son Fils, il ne peut faire aucune œuvre exté-
rieure qu'avec «on Fils et par son Fils : per ipsum. C'est par
* Cf. Euseb., Prsep. evang., vu, 5. — ' Gf. Col., i, 16 ; Heb., i, 2. Quid-
qnid Filius habet ut faciat, a Pâtre habet ut faciat, quia ex Patrc habet
Dt possit, a Pâtre habet ut sit. S. Aug., In Joan.j xx, 4. — 3 Deus de
Dec, luQien de luinine. — ♦ 0 wv icgtpa tov 6eov, Joan., v, 46,
198 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n<> 82
là qu'on explique plusieurs paroles de Notre Seigneur : A
meipso non loquor,., A meipso non fado quidquam *, etc. Le
Fils n'est pas, comme le Père, principium sine principio, « Il
n'est pas de lui-même, dit Bossuet ; autrement il ne serait
pas Fils. Il ne parle donc pas de lui-même. Il dit ce que son
Père lui dit. Son Père lui dit tout en l'engendrant *. »
82, •— Que signifient ces mots : In ipsa vita erat, et vita çrat lux
hominum.., Erat luo vera^ etc? i, 4, 9,
In ipso vita erat, — Quand S. Jean dit la vie, iq Zwy;, il
entend toujours la vie de Dieu et des amis de Dieu, cette
vie supérieure que Dieu nous donne au baptême, qui nous
rend ses enfants, qui nous destine et nous dispose à le con-
naître, à l'aimer, à le posséder d'une manière surnaturelle
dans l'éternité. Toute autre vie, la vie rationnelle même,
n'est rien dans son estime, en comparaison de celle-là.
Nomen habes quod vivas etmortuus est^ dit-il au pécheur, qui
en est privé '. Cette vie surnaturelle, nous l'avons perdue
par le péché; mais elle nous est rendue par Notre Seigneur
Jésus-Christ. Il en possède la plénitude, non seulement
comme Verbe, en sa nature divine, mais encore comme
Sauveur, en son humanité; car son âme a de quoi remplir
à cet égard la capacité de tout être créé; et nulle créature
n'en peut recevoir la moindre mesure, que lui-même ne la
possède déjà et d'une manière incomparablement plus
parfaite*.
Et vita erat lux hominum. — Cette vie est la lumière des
âmes. En les éclairant, elle les anime ; elle les orne d'une
beauté céleste ; et Notre Seigneur nous en fait part en même
temps qu'il nous associe à sa dignité de Fils du Père éternel ^
Erat lux vera qui illuminât omnem hominem. — La vraie
1 Joan., V, 19, 26, 30; vu, 16, 17; viii, 28; xiv, 10. — 2 Cf. Joan.,
Bossuet, Serm. pour la Trinité y 2« p. xvi, 14, 15. — 3 Apoc, iii, 1.
C'est pour la mémo raison que le Saint-Esprit est dit simplement vivi-
fiant. — * Cf. Joan., III, 15, 16, 36; iv, 14; v, 24, 40; vi, 40, 47; viii, 12;
X, 28, XI, 25, 26; xii, 50; xiv, 6, 19; xvii, 3; Act., m, 15; Rom., v, 18;
Il Cor., IV, 10; Col., m, 3; I Tim., i, 16; II Tim., i, 10; I Joan., i, 2; v,
U, 12, 20. — 8 Joan., i, 9; viii, 12,
N<> 84 1 SA VIE CACHÉE. — SON ORIGINE COMME VERBE. 199
lumière, celle qui éclaire et qui vivifie, ce n'est pas Jean-
Baptiste, mais Jésus-Christ, le. Verbe fait chair, qui en est le
principe. Le premier n'a brillé qu'un instant dans la Judée
pour annoncer l'Homme-Dieu ; le second remplit de sa lu-
mière l'univers entier, et il n'est pas un homme sur la terre
qui ne soit à même de s'éclairer de ses rayons et de marcher
à sa clarté *.
33. — Pourquoi saint Jean rapproche-t-il ces deux faits : rincamatioa
du Verbe et la régénération de rhommei ou sa vocation k la dignité
d'enfant de Dieu?
Parce que, d'après les desseins de Dieu, il fallait que le
Verbe s'incarnât, se fît homme et devînt notre Sauveur,
pour qu'il nous fût possible de nous incorporer à lui, d'en-
trer en participation de sa vie divine, d'être associés, autant
que des créatures en sont capables, à sa dignité de Fils
unique du Père *. Ainsi ces deux mystères sont unis, et le
second est le résultat du premier. Avec le Sauveur com-
mence une nouvelle génération, une nouvelle race, un nou-
veau règne, xatvrj xitaiç*. t Les trois grands règnes de la
nature, minéral, végétal, animal, s'étaient développés suc-
cessivement sur notre globe; puis étaif survenu le règne
de l'homme, roi de la terre : voici maintenant le règne de
Dieu et des enfants de Dieu * ! »
84. — Qu'est-ce que devenir enfant de Dieu, et à qui appartient cette
dignité, Joan., i, 12?
Dans la société civile, être adopté par quelqu'un, c'est
entrer dans sa famille, c'est prendre rang parmi ses enfants
ou lui en tenir lieu et acquérir un droit plus ou moins
étendu sur son héritage. Dans l'ordre surnaturel, devenir
enfant de Dieu ou être adopté par lui, c'est quelque chose
de plus : c'est être incorporé à l'Homme-Dieu, ou devenir
un de ses membres; c'est être initié à sa vie divine, avoir
* Luc, I, 78, 79; ii, 32; Joan., xvii, 2. Cf. S. Aug., In Joan., i, 19 et
n, lî. - 2 II Pet., I, 4. — 3 Gai., vi, 15. Cf. II Cor., v, 17. — * Gratiy,
*Mr S. Malih, Cf. S, Aug«, In Joan.^ ii, 15.
200 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n*' 84
part à son esprit et à ses mérites; c'est être appelé à parta-
ger son héritage, c'est-à-dire sa gloire et son bonheur*.
« Dieu ne peut engendrer qu'un Fils^ dit S. Augustin;
mais il veut que ce Fils ait des frères, et il lui en donne, en
nous adoptant pour enfants*. » Cette dignité nous vient avec
la grâce sanctifiante, dans la justification ' ; et la justification,
en dehors du sacrement, s'obtient en s'attachant au Sauveur
par un acte de foi animé d'une vraie charité*. La faculté de
devenir enfant de Dieu, r^ uicôiaix^, est donc offerte à tous,
sans exception, aussi bien que là foi®. Tous les hommes,
Juifs ou Gentils, ont pu acquérir cette dignité dans tous les
temps, mais toujours avec dépendance de l'.Homme-Dieu, à
qui elle appartient essentiellement, éminemment, et toujours
à condition de croire en lui et de se confier en sa médiation^
Il est vrai qu'en certains endroits, S. Jean et S. Paul semblent
dire que la grâce de l'adoption était réservée aux chrétiens;
mais c'est pour faire remarquer qu'elle est le fruit de l'In^
carnation, et parce qu'ils regardent comme chfétienis tous
ceux qui ont cru en Jésus-Ghrist, soit avant sa naissance,
soit après, de môme qu'on dit éclairés du soleil tous ceux
qui participent à sa lumière, avant comme après son
lever*.
1 s. Th., p. 2, q. 23, a. 1. Infra, n. 358..— ^ Unicùm Dcus genuit,
sed unum esse noluit. Fecit ei frâtres, non ,gignendo sed adoptando.
Fecit ei cohaeredes. S. Aug., In Ps. lxvi, 9. — 3 Per hœc efftcimar di-
vinae consortes naturse. II Pet., i, 4. Cf. Rom , viii, 15-17, 23; Gai., iv,
5-7; Eph., 1,3-8; Hcb., ii, 10. — * Statim ut quis inseritur et adhœ-
rescit Christo, a Spiritu Ghristi qui est ejus divinitas, veluti animatur
et vivificatur,. ac proindo efficitur filius Dei. Quicumque enim Spiritu
Dei aguntur^ hi sunt filii Dei. Eodem enim Spiritu vivunt quo Deus
ipse et quo Christus Filius Dei naturalis vivit, etsi hic Spiritus diverse
modo istis communicetur. Lessius, de Perf, divin., xii, 11, n. 74. /n/ra,
n. 592. — 8 Gai., iv, 5. — « Joan., i, 12. — ' Teiûpora variata sunt,
non fidcs. S. Àug., In Joan., xlv, 9. Olim salvi facti sunt credendo quia
veniet, sicut nos credendo quia venit, de Catec. rud., 28. Epist. clvii, 14.
Cf Matth., VIII, li ; Joan., m, 15; Act., xv, 11 ; Rom., m, 22; Gal.,ii, 16;
IV, 5, ô; I Joan., v, 1 ; S. Thom., 1*2», q. 106, a. 1, ad 3; 2*2», q. 2,
a. 7; p. 3, q. 52. a. 5, ad 2; q, 68, a. 1, ad 1. — * Par exemple, Job,
Mclchisédech, Abimolech, les Ninivitcs réellement convertis, etc. Non-
dura nomine, sed reipsa Christiani. S. Aug., Ad Boni f., m, 11. Prae-
cesserunt adventum Ghristi quedam membr$i Ghristi, sicut ia Qascentc
N*» 88] SA VIE CACHÉE. — SON ORIGINE COMME VERBE. 20l
Au reste, rien n'empêcherait de voir dans ce titre d'en-
fant de Dieu un privilège de l'Eglise chrétienne ; car pour
les membres de l'Eglise, cette dignité est réellement comme
un bien propre et naturel. Ils en jouissent dès leur naissance,
sans aucun acte de leur part; et pour entrer en possession
de la gloire du Sauveur dès l'instant même de leur mort, il
suffit qu'ils n'aient pas mis volontairement obstacle à leur
félicité K
* 85. — Quel est le sens de ces mots : Qui non ex sangui-
nibus, etc. 13?
S. Jean oppose à la descendance naturelle, à la génération
charnelle qui fait l'orgueil des enfants d'Abraham ', la régé-
nération surnaturelle, sacramentelle, céleste des enfants de
Dieu. La génération charnelle, à laquelle toute l'humanité,
le peuple d'Israël comme les autres, doit son existence a sa
source, sa cause matérielle dans les éléments du sang, in
mnguinibus. Elle a pour mobile la passion déréglée ou l'ins-
tinct aveugle des sens, voluntas carnis^ tout au plus une
volonté humaine éclairée par la raison : voluntas viri. La
génération chrétienne, au contraire, celle qui donne nais-
sance au peuple nouveau, a pour principe Dieu lui-même et
sa divine charité : Ex Deo nati sunt^ 13- Voluntarie genuit
nos verbo veritatis •. L'Esprit de Dieu répand sa lumière
dans nos âmes, et si nous adhérons sans réserve à sa
parole, nous entrons en participation de sa vie et nous
devenons ses enfants*. Qui ne sent quelle distance il y a
de l'esprit à la chair, de la vie de Dieu à celle de l'homme
déchu M
qaodam, Gen., xxxviii, 27-30, nondum qaidem précédente capite, prœ-
cessit manus sed tamen caplti connectebatur et manus. In Psalm, lxi, 4.
* il Cor., V, 6^; Heb., xi, 39, 40. Cf. Joan., m, 21 ; Rom., viii, 15-17;
Gai., nr, 1-7; Jac, i, 8; I Pet., m, 22; I Joan., m, 1, 2, 9; v, 1. Cf.
Lessius, De perfecl. div.^ xii, 18. — ^ Joan., viii, 39. — 8 jac, i, 18. —
^ Joao., I, 12, 13. Sicat homincs non nascerentur injusti, nisi ex seminc
Ad» propagarentur, ita nisi in Christo renascerentur justi non cfflce-
rentur. Conc. Trid., Se$8. vi, 3.-5 Joan., m, 6. Cf. S. Aug., In Joan.,
n, 14, 15.
i02 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n<> 87
* 86. — Verbum caro factum est^ i, 14. Quelles sont les hérésies
condamnées par ce verset?
Ce verset condamne toutes les hérésies qui ont nié ou
l'humanité du Sauveur, ou sa divinité, ou l'union de la
divinité et de Thumanité en la personne du Verbe. Les do-
cètes disaient : Le verbe ne s'est fait homme qu'en apparence;
Ebion : Jésus n'est qu'un homme; Arius : C'est plus qu'un
homms, mais il n'est pas Dieu; Cérinthe : L'union de l'huma-
nité et du Verbe en Jésu^ n'a été qu'un accident transitoire.
Nestorius : Le Verbe s'est uni à un homme de l'union la plus
étroite, mais sans se faire homme; Eutychès : L'homme a été
absorbé dans sa divinité. S. Jean prononce : Le Verbe s'est
fait chair; il est uni à une nature humaine de manière à
n'être plus qu'une seule personne avec elle *.
En disant : Verbum caro factum est, S. Jean entend par
caro toute l'humanité du Sauveur, mais il la considère dans
le sein de sa mère, au premier moment de son existence,
au suprême degré de l'abaissement et de l'infirmité.
87. — Que signifient ces mots : Gratta et veritas per Jesum
Christum.iy 17?
Plusieurs auteurs disent que gratia et veritas est un hé-
braïsme, équivalant à gratia vera, comme spiritus et ignis
équivaut à spiritus ignitus '. Mais il est vraisemblable que
S. Jean a pris ces deux mots dans leur sens ordinaire, afin
d'opposer le christianisme à la loi de Moïse, comme grâce
et comme révélation à la fois *. Sa pensée n'est pas qu'avant
Jésus-Christ il n'y ait eu ici bas ni vérité révélée ni grâce;
il veut dire seulement que, sous ce double rapport, l'An-
cien Testament est très inférieur au Nouveau; que le règne
de Moïse était le règne du commandement, de la loi, du
châtiment, tandis que le règne du Sauveur est proprement
celui de la grâce et de la révélation, de la vie et de la lu-
mière, 4 *. Le sens de ces paroles s'éclaircit par ce qui pré-
1 Cf. s. Thom., p. 3, q. 16, a. 6. — a Supra, n. 38. — » Cf. Joan., i, 14.
— * Justiiia fidei non pro merito datur hominibus sed pro misencorîdia;
N« 88] SA VIE CACHÉE. — CONCEPTION DU PRÉCURSEUR. 203
cède et par ce qui suit. Moïse, étant homme comme nous et
n'ayant jamais vu Dieu, 18 S ne possédait qu'une petite
mesure de connaissances et de grâces : il n'a pu contenter
qu'en partie notre esprit et notre cœur ; mais Jésus-Christ
étant le Fils de Dieu, engendré par lui et toujours habitant
en lui, voit à découvert tous les mystères et possède tous les
biens, 16, 18, Ayant donc en plénitude la lumière et la grâce,
il peut nous les communiquer sans mesure et rassasier tous
nos désirs : Ek tcu ir>sY)p(i)ii.aTOç auTou Y;txîtç xavieç 6Aa6ofjL£v •.
Par ce mot : Nous, HiJistç luavîeç, 16, l'Evangile entend les
chrétiens baptisés, d'origine païenne pour la plupart : il les
oppose aux disciples de la synagogue, si fiers de leur ori-
gine, mais si pauvres de véritables biens •.
ARTICLE III.
Conception de saint Jean-Baptiste, Luc, i, 5-25.
* 88. — Zacharie : quelle était sa dignité et quelle fonction
remplissait-il ?
Zacharie était un simple prêtre ou sacrificateur de la race
d'Aaron, tout au plus chef de la classe d'Abias *. On sait
qu'au teiùps de David il y avait vingt-quatre familles de
prêtres, descendants d'Eléazar et d'Ithamar, fils d'Aaron.
Ces familles se succédaient de semaine en semaine dans le
service du temple. Celle d'Abias était la huitième ^ Après la
captivité, il fut impossible de reconstituer les vingt-quatre
familles; mais de la totalité des prêtres survivants, on
forma vingt-quatre classes nouvelles ou éphéméries de
prêtres auxquelles on donna le nom des familles anciennes.
Ces prêtres avaient diverses fonctions qui se tiraient au sort
entre ceux d'une même classe. Ils devaient immoler les vic-
ct gratia Dei non erat popularis, antequam Dominus intcr homines nas-
ceretur. S. Aug., In Gai. y m, 20. C'est la doctrine que saint Paul établit
daos ses Epitres aux Romains, aux Galates et aux Hébreux.
* Cf. Exod , xxxiu, 18-20. — 2 Cf. I Cor., vi, 17; Col., i, 19; 11, 9;
Epli., I, 22, 23 ; iv, 7, 15. — 3 Joan., i, 13. Cf. S. Thom., p. 3, q. 7, a. 7,
ad 1; a. 9 et a. 10 et 12. — * Luc, i, 8, 9. — s I Par., xxiv, 7-10. Cf.
IV Reg., XI, 9; 1 Par., ix, 25; Joseph., A., VII, xv, 7.
204 jÉsus-dURist SeLoN L^ÉVANGiLË. [n<>90
times, entretenir les lampes \ renouveler les pains de pro-
positions', offrir l'encens ', etc.
L'autel des parfums était près du Saint des saints, mais
en deçà, dans l'enceinte qu'on nommait le Saint, avec le
chandelier d'or et la table des pains de proposition. Cette
enceinte était fermée en avant par un premier voile *. L'en-
cens y était offert matin et soir. Pendant l'oblation, le peuple
se tenait dehors, dans le parvis ou la partie antérieure du
temple ^ Les jours de sabbat surtout, il devait y avoir foule;
mais le voile qui séparait le parvis du Saint dérobait aux
regards le prêtre qui s'acquittait de cette fonction *.
* 89. — Pourquoi les plus grands personnages de l'Ancien Testament
sont-ils nés par miracle de personnes stériles?
En voulant que les principaux personnages du peuple de
Dieu naquissent par miracle, Dieu s'est proposé plusieurs
fins. Il avait en vue : — l"" De rendre plus certaine et plus
frappante l'action de la Providence sur eux. — 2** De les
pénétrer de cette vérité qu'ils devaient leur existence au
Seigneur et qu'ils étaient plus obligés que personne à lui
consacrer leur vie. — 3** Surtout d'en faire des figures plus
complètes de Celui qui devait naître d'une vierge et n'avoir
pas de Père sur la terre "^ .
* 90. — Qu'est-ce que saint Jean-Baptiste eut de commun avec Elie et
pourquoi dut-il s'interdire toute liqueur enivrante? Luc, i, i6-17.
L Ce qu'il a de commun avec le prophète Elie, c'est la
* Lev., XXIV, 2.-2 Lev., xxiv, 5. — * Ex., xxx, 7. — ♦ Num., xvin, 1;
Joseph., B.y VI, VI. — 5 Luc, i, 21. Cf. Lev., xvi, 17; Heb., x, 19-23.
— 6 Lac, I, 10, 21, 22. Parentum virtutes describit Evangelista ut ex
gencratorum meritis dignitas germinis cognoscatur. S. Pet. Chrysoi.,
Serm. xci. Utinam nobis quoque adolentibus altaria assistât angélus,
imo praabeat se videnduml Nam ne dubites assistere angelum, quando
Christus immolatur! S. Amb., In Luc, i, 28. — ' Cf. Gen., xviii, 10;
xxx, 22-54; Jud., xm, 3, 7; I Reg., i, 5, 17, 20; Luc, i, 3d. Quia ven-
turus erat per Virginem Deus homo, prœcessit eum de sterili mirabilis
liomo. S. Aug., Serm. ccxci, 1. Ambo mirabilitor nati, prœco et judex,
lucerna et dies, vos et verbum, servus et Dominus. De sterili servus,
de virgine Dominus. Setnn, ccxc, 1.
N<»91] SA Vie GACHEE. — L* ANNONCIATION. 208
vertu et le ministère. — 1° Il montre en face d'Hérode le
même courage qu'Elie devant Achab ', et en présence des
Pharisiens et des Juifs, le même zèle qu'Elie devant les
prêtres de Baal et les Israélites apostats '. — 2* Gomme Elle
doit annoncer le second avènement du Sauveur, S. Jean-
Baptiste annonce le premier et s'efforce d'y préparer ses
compatriotes. C'est ainsi qu'il rétablit l'union entre les pa-
triarches et leurs descendants, et qu'il forme au Messie de
dignes disciples, héritiers de la foi et de la docilité de leurs
ancêtres '.
IL Le Précurseur s'abstiendra de toute liqueur enivrante,
pour la même raison que les Prêtres s'en abstenaient pen-
dant toute la durée de leur service dans le temple *, et les
Nazaréens durant le temps de leur consécration au Seigneur ^
Ainsi témoignera-t-il qu'il ne cherche pas ses inspirations
ni ses délices ici-bas, qu'il sait dompter sa chair et tenir ses
sens sous le joug de l'Esprit de Dieu. On sait quelle autorité
conciliait aux prophètes la vie austère dont ils faisaient
profession. On sait aussi combien la mortification donne de
force à l'âme et de quel secours elle est pour la pratique
des grandes vertus : Amans Dei^ osor carnis^.
ARTICLE IV.
Annonciation de la sainte Vierge, Lnc, i, 26-38.
{Nazareth t 7 ans avant l'ère chrétienne, 25 mars,)
Condition dé la sainte Vierge. -^ Ciroonatanees du mystère. •^ Paroles de l'Ange.
* 91. — D*o& vient qu il y avait dans la GaUlée tant de Jaifs orthodoxes,
tant de membres de la tribu de Juda et même de la maison de
David?
Depuis la captivité, ce n'était plus parles territoires qu'on
* Cf. ra Reg.. XXI, 19 et Matth., xiv, 4.-2 Cf. HI Reg., xviii et
Matth.,ra. — 'Lac, i, 15-17. Cf. Mal., iv, 6. S. Jean-Baptiste est figuré
par Elle, Matth., xi, 14, comme Notre Seigneur Test par David, Act.,
ïv, 16, rEglise par Sion ou Jérusalem, Gai., iv, 26; Heb., xii, 22 ^ Rome
parBabylone, 1 Pet., v, 13, l'enfer par la géhenne, Matth., v, 22;
X, 2S; etc. — * Lev., x, 9; Ezech., xuv, 21. — « Num., vi, 3. Cf. Jud.,
lui, 7. - 6 S. Aug., Cf. Boss., Elevai., xv* Sem., 7« Elév.
12
206 JÉSUS-CHRIST SELON l'évancîile. [n^ 92
pouvait distinguer les tribus. Beaucoup de Juifs de Juda
et de Benjamin avaient fondé des établissements au loin. On
en trouvait sur toutes les côtes de la Méditerranée : à plus
forte raison y en avait-il dans la Galilée, pays très fertile et
très peuplé, au nord-ouest de la Palestine ^ Il restait d'ail-
leurs dans la Basse-Galilée un certain nombre d'Israélites
orthodoxes, issus d'anciennes familles du royaume d'Israël;
car tous les habitants n'avaient pas été conduits en Assyrie,
après la prise de Samarie, «t plusieurs avaient persévéré,
comme Tobie, dans la fidélité au culte du Seigneur*. De
plus, des troupes de captifs, revenus de Ninive avec Zoroba-
bel et Esdras, avaient regagné . leur pays et repris les pra-
tiques religieuses de leurs ancêtres. Enfin les Machabées
avaient soumis cette province et fait reconnaître partout
l'autorité du pontificat juif. Il n'est donc pas étonnant que
Dieu y eût alors un grand nombre d'adorateurs fidèles. On
ne doit pas non plus être surpris que le Sauveur y ait choisi
ses apôtres et formé ses premiers disciples '. N'est-ce pas
là qu'il avait passé sa jeunesse et qu'il devait exercer princi-
palement son apostolat *? Ajoutons que les Galiléens, moins
pénétrants peut-être et moins subtils que les Juifs de Jéru-
salem % avaient plus de droiture et de docilité d'esprit, qu'ils
étaient moins dépendants du sanhédrin ou de la secte qui y
dominait, moins hostiles aux étrangers et moins éloignés
d'entrer en relation avec eux; enfin qu'ils jouissaient d'une
grande réputation de bravoure ®. C'est plus de raisons qu'il
n'en fallait pour justifier la préférence dont ils étaient ho-
norés;
92. — Marie avait-elle fait vœu de virginité avant TAnnonciation, et
peut-on dire qu'elle a préféré Tétat virginal à la maternité divine?
I. Il est de foi que Marie a toujours été vierge ^ : et le titre
par lequel l'Eglise la désigne, y) llapOsvoç, témoigne qu'elle
est bien celle qu'Isaïe annonçait comme devant être la mère
i Joseph,, A,y XVI, VI, 2; B., III, m. — a Cf. UI Reg., xix, 18.-
3 Joan., VII, 52; Act.. i, II. — * Matth., iv, 23; Luc, xxiii, 49. — « Jean.,
vn, 52. — 6 Joseph., B., m, 2. — ' Symb. Apost.
N«93J SA VIE CACHÉE. — l' ANNONCIATION. 207
d'Emmanuel *. — De plus, on tient pour certain qu'elle a
fait vœu de virginité et que sa volonté a toujours été de res-
ter vierge*; par conséquent qu'elle n'a accepté S. Joseph
pour époux que sur une assurance particulière de la volonté de
Dieu '. Les paroles qu'elle dit à l'Ange en l'Annonciation et
l'explication qu'elle lui demande supposent qu'elle avait
pris cet engagement *. Suivant S. Augustin et la plupart des
Docteurs, elle avait fait ce vœu avant son mariage *. Suivant
S. Thomas, elle ne l'aurait fait qu'après, du consentement de
son époux ^ Plusieurs auteurs ajoutent qu'aucune femme ne
l'avait fait avant elle^; mais ce point, loin d'appartenir à
la foi, est moins certain que le précédent.
IL Jamais la sainte Vierge n'eut à choisir entre la mater-
nité divine et la virginité. L'idée qu'un Homme-Dieu pût
avoir un autre père que Dieu ne put pas même se présenter
à son esprit. Cette supposition eût révolté ses sentiments,
autant qu'elle répugnait aux oracles des prophètes *. Au
moment de l'Annonciation, Marie ne songe donc pas à
mettre une condition à l'accomplisement des desseins de
Dieu ; mais le vœu qu'elle a fait et qu'il a ratifié lui reve-
nant à la pensée, elle demande à l'Ange, pour prévenir
toute inquiétude, de lui faire connaître plus pleinement la
volonté du Ciel ".
93. — Au moment de rincarnation, la sainte Vierge était-elle mariée
ou seulement fiancée à Joseph?
Il n'est pas permis de mettre en doute la réalité du ma-
riage de Marie et de Joseph *^; mais on peut demander si ce
* Matth., I, 23. Cf. Gen., m, 15; Apec, xn, 17; S. Iren., III, ixiv-
xxœ; IV, XXXIII, 11. Tert. De came christ,^ 17, 18. — s Virgo erat
caroe, virgo mente, virgo professione. S. Bern., Hom. m, super missus
est. — 3 S. Thom., In IV, dist. 30, q. 2, a. 1, q. 2. — * Luc, i, 34. Cf.
Tob., V, 12. — » S. Aug., de Virginitate, 4. — « S. Thom.^ p. 3, q. 28,
a. 4. — "î Orig., In Maith.y x. — « Gen., m, 15; Is., vu, 14. — • Quid
si diceret : Nube, conjungere viro? Non diceret Deus ; accepit enim
Totum Virginis. Et hoc ab illa accepit quod ipse donavit. S. Aug.,
Serm. ccxci, 5. Cf. Theologia Mariana» — *o Luc, ii, 4, 5; S. Thom.,
p. 3, q. 29, a. 2.
208 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n^ 93
mariage existait au moment de rincarnation ou s'il n'a été
contracté qu'après la révélation de l'Ange à Joseph '.
; 1» L'Ecriture ne tranche pas expressément la question ;
car si l'on voit en S. Luc, i, 27, que Marie était fiancée,
desponsata, lisiAvr^areoiJLevY;, lorsqu'un Ange se présenta de-
vant elle, on y voit aussi, ii, 5, que le nom de fiancée se
donnait quelquefois à des femmes mariées*. Le titre d'époux,
vtr, avr^p^ donné à S. Joseph *, ne détermine pas davantage
sa qualité à l'égard de Marie ; car il paraît constant que chez
les Juifs, il suffisait d'avoir été fiancé pour être appelé époux
ou mari *.
2° Quant aux interprètes, ils sont partagés sur cette <iues-
tion. — Les anciens admettent communément l'existence du
mariage à l'époque de l'Incarnation. Dès lors ils entendent
par convenir e ^ consommer le mariage, et entendent par
antequam^ icpiv, sans que, comme en plusieurs endroits de
l'Ecriture ®. — Parmi les modernes, un certain nombre
préfèrent le sentiment contraire. Ils pensent que le ma-
riage n'eut lieu que sur la parole de l'Ange : Noli timere
accipere Manam conjtigem tuarn % etc., et ils prennent con-
Tenire dans le sens d'habiter dans la même demeure. —
Suivant le P. Patrizi et d'autres commentateurs, il ne pour-
rait y avoir d'incertitude que sur le moment de la célébra-
tion des noces. Chez les Juifs, disent-ils, l'union légale avait
lieu en même temps que les fiançailles , généralement du
moins; mais les noces, la célébration du mariage, ou la
remise solennelle de l'épouse à l'époux , se faisaient plus
tard. La sainte Vierge était donc déjà l'épouse de Joseph
au jour de l'incarnation; elle lui avait été fiancée et mariée.
Seulement les noces n'étaient pas encore célébrées •. Marie
continuait à demeurer dans la maison de ses parents, a Na-
zareth '. C'est à ce point de vue qu'on se place dans ce
1 Matth., I, 20. — 9 Cf. Deut., xxii, 23. — 3 Luc, i, 26. — * S. ffieron,,
In Matth. ^ i. — 8 Matth., i, 18. •— » Prov., xxx, 7; Jer., xxxviii, 10;
S. Thom., p. 3, q. 29, a. 2, ad 3. — ? Matth., i, 20. — 8 cf. Gen.,
XXIV, 55; XXIX, 2i, 26; Tob., vi, 22; Jer., vu, 34; xxx, 10; I Mac,
IX, 37, Supra, A* T., n, 406, — « Cf. Martyrol, rom., 10 Déçemb.,
N<>94] SA VIE CACHÉE. — L' ANNONCIATION. 209
sentiment pour expliquer ces mots : ArUequam coiivenirent
et Noli timere accipere Mariam.
94. — Pourquoi le Fils de Dieu a-t-il voulu que sa Mère fût vierge et
néanmoins engagée dans le mariage?
I. Le Fils de Dieu a voulu que sa mère fût vierge pour
deux raisons : — 1° Afin de montrer dès sa naissance son
amour pour les âmes pures, et Thorreur qu'il a de tout ce
qui porte la trace du vice charnel *. — 2® Afin de rendre
sensible cette vérité qu'il prenait la nature d'Adam sans
participer à ses souillures ; qu'avec la vie naturelle, dont sa
mère était le principe, il en avait une autre qui lui venait
de plus haut, non ex sanguinibus^ neque ex voluntate carnis^
neque ex voluntate viri*; et qu'ainsi, tout enfant d'Adam
qu'il était, il serait ici-bas comme un autre Adam, source
d'une vie nouvelle, tige d'une nouvelle race, bien supé-
rieure à l'ancienne par son origine, sa noblesse et sa desti-
née surnaturelles •.
Aux rationalistes qui ne peuvent goûter ces raisons, ni
voir dans le récit de l'Annonciation autre chose qu'une
fiction des chrétiens pour glorifier le Sauveur, on peut op-
poser cette considération : Si une telle origine s'accorde
mieux avec la dignité, le caractère, la mission du Verbe
incarné, pourquoi Dieu ne l'aurait-il pas voulue pour son
•
de domo Lauretana; et Bcned. XIV, De canon. IV, ii, 10 et De fest,j
n, 16.
Hic Virgo genitara Denin, geniiricis ab alvo
Prodiit, et blandis maUit vagitibus auras.
Hio qooqve, virginei senrata lande padoris,
Sancta salatifero tnmoeront viscera fœta.
Ant. MaRiT.
* Decebat hune purissimum puritatis doctorem ex puris prodire tha-
lamis. Si enim qui apud Jesum bonc fungitur sacerdotio abslinet a mu-
fiere, ipse Jésus quomodo ex viro et muliere proditurus esset? S. Cyril.
Hierps., Catech., xii, 25. — * Joan., i, 13. — 3 Joan., i, 12; m, 6; iv, 24;
1 Cor., XV, 45, 47. Non hoc débet offendere quod mirabilis mirabiliter
natus est. S. Aug., De Civ. Dei, x, 29. Dcum hujusmodi decebat nativi-
tas qua nonnisi de Virgine nasccretur : talis congruebat et Virgini
parlas ut non pareret nisi Deum. S. Bern., Super Missus est y ii. Cf.
Bossuet, Insi, sur. la version du N, T., xx.
12.
210 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n^ 95
Fils? Et si elle n'est en rien préférable à l'origine naturelle
des enfants des hommes, pourquoi les chrétiens l'auraient-
ils supposée et attribuée au Sauveur ? D'ailleurs, doit-on
s'étonner, dit S. Augustin, que le Fils de Dieu ait une telle
origine, lui qui a fait en sorte que ses membres naquissent
à la vie de la grâce par la vertu du Saint-Esprit et d'une
Eglise toujours vierge *?
II. Il a voulu que sa Mère, tout en restant vierge, eût un
époux : — 1<» Pour qu'elle ne fût pas d'abord exposée au
déshonneur, ni lui avec elle. — 2' Afin qu'elle eût un ga-
rant non suspect de son innocence et de sa virginité. —
3*» Afin d'être lui-même protégé et nourri dans son enfance,
comme les autres hommes. — 4° Afin que Marie honorât
l'état du mariage, qui est celui de la plupart des hommes,
et qu'elle pût servir à la fois de modèle aux vierges, aux
épouses et aux veuves *.
95. — Comment s'est vérifiée cette prédiction : Que le Fils de Marie
monterait sur le trône de David, et qu'il régnerait b, jamais dans la
maison de Jacob y Luc, i, 32?
Nous voyons Jésus-Christ régner sur lés Israélites fidèles
qui l'ont reconnu pour le Messie et sur les Gentils qui
forment avec eux une même société religieuse. L'Eglise est la
vraie maison de Jacob, la postérité spirituelle d'Abraham,
l'Israël de Dieu •, où le Sauveur doit dominer à jamais. On
l'appelle la maison de Jacob, pour rappeler son origine * et
honorer son premier état ^ Elle est le royaume éternel pro-
1 Oportebat caput nostrum secundum carnem nasci de Virgino, quo
significaret membra sua do virgine Ecclesia secundum spiritum nasci-
tura S. Aug., de Virgin.^ vi. Non dubitabitis virginem parientem,si ve-
litis credere Deum nascentem. Et Ecclesia parit et virgo est; et Christum
parit, quia membra ejus sunt qui baptizantur. Ërgo Marias simillima est.
De fide rerum quse non videntur^ 5. Cf. Set^mo ccxiii, 7. Idem Spiritus
replet fontem qui replevit et virginem. S. Léo, Sei^m. iv de Nativ.
Brev., Vigil. Pent., lect. 5. — 2 Uno tali consilio et admittitur testis et
excluditur hostis et intégra servatur forma virginis matris, S. Bern.,
Super missus est y Hom. II, 13. Cf. Brev. rom., Vigil. Nativ, D. N., lect. 1;
et fer. iv hebd. 3* Adv.; S. Thom., p. 3, q. 28 et 29. — s Gai., iv, 6. —
* Ut commendetur origo seminis. S. Aug., Serm. cxviu. — • Non tu ra-
^
y>96] SA VIE CACHÉE. — l'aNNONCIATION. 211
mis par Nathan à David pour celui de ses descendants qui
de?ait faire sa gloire et recueillir le fruit des promesses *.
Elle est l'empire qu'Isaïe annonçait, lorsqu'il disait : « A la
fm des temps, la montagne sur laquelle sera bâtie la maison
d« Seigneur s'élèvera par dessus toute hauteur, et les na-
tions y viendront en foule. On dira: Allons à la montagne
du Seigneur, et il nous enseignera ses voies et nous mar-
cherons dans ses sentiers. Car la loi sortira de Sion et la pa-
role du Seigneur viendra de Jérusalem *. Le Fils qui nous
est donné portera sur son épaule le signe de sa principauté.
Il s'appelera l'admirable, le Conseiller, Dieu, le Fort, le
Père du siècle à venir. Son empire s'étendra : il siégera sur
le trône de David et il possédera son royaume •. » Enfin elle
e^t la puissance indestructible que Daniel décrivait, comme
formant l'apanage du Fils de l'homme et devant braver la
durée des siècles*.
C'est dans ce sens que la sainte Vierge entendit les paroles
de l'Ange. Car elle ne partagea jamais les préjugés des Juifs
charnels. Elle savait bien que le royaume temporel de Da-
vid était détruit et que celui qui était promis à son Fils
n'était pas un royaume terrestre, mais un royaume spirituel
différent de celui des rois et des princes de la terre ^
* 96. — L'humanité du Sauveur a-t-cHe été unie hypostatiquement au
Verbe divin dès le premier moment de son existence?
L'Évangile ne permet pas d'en douter : Quod nascetur ex
te sanctum ; vocabitur Filius Dei **. Quod in ea natum est de
Spiritu Sancto est ^. To ev auty; ysvvtjOsv, c'est-à-dire l'enfant
qui est en elle, mais qui n'est pas un enfant ordinaire; qui
a été conçu, animé, sanctifié tout à la foi. f L'humanité du
dicem portas, scd radix te. Rom., xi, 18. Prascisus est oleaster, ut
iosereretur in olivam. Jam ad olivam pertinent; jam non dcbent dici
gentes, sed una gens in Christo, gens Jacob, gens Israël. S. Aug., In
Pt. cxLvii, 28.
* U Reg , VII, 12-14. — 2 isai., ii, 2, 3. — 3 Isai., ix, 6, 7. — ♦ Dan.,
n, 4; VII, 14. Cf. Ps. xliv, 8; lxxxviii, 7 ; cxxxi, il ; Jor., xxiii, 5;
Eiec, XXXIV, 22; Hcb., i, 8. — * Luc, i, 33. Cf. Ps. ii, xuv, lxxi, gix.
- • Luc, i, 35. — ^ Matth., i, 20.
212 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n» 97
Sauveur n'a pas été tirée du néant pour être unie au Verbe,
dit S. Augustin : elle lui a été unie à l'instant même où elle a
été créée*. » « Quand l'Ange disait à Marie : Ce qui naîtra
en vous sera saint et on l'appellera Fils de Dieu, il avait
en vue, non la chair du Sauveur, dit Tertullien, mais sa di-
vine personne *. » La même conclusion résulte des paroles
de S. Paul : Ubi venit plenitudo temporis, mmt Dms Filium
suum, factum ex muliere ', et même du Symbole des Apôtres :
Credo in Jesum Christum.,. Filium Deiunicum, quicanceptus
est Spiritu de Sancto, Celui que Marie a conçu est donc un
Homme-Dieu, non un homme dont Dieu aurait fait son Fils;
c'est pourquoi la sainte Vierge est proprement Mère de Dieu,
0£oxoy.O(; *. Le concile d'Ephèse (421) a condamné comme hé-
rétiques ceux qui ont prétendu que Jésus-Christ avait d'abord
existé comme homme et mérité dans cet état l'union hypos-
tatique ^
97. — D'où vient que la conception du Fils de Dieu est attribuée au
Saint-Esprit, sans qu'il soit jamais appelé le Père de Jésus-Christ?
La conception du Fils de Dieu ou la production de son
humanité dans le sein de Marie est une œuvre des trois per-
sonnes, comme toute œuvre divine ad extra. Si l'Eglise
l'attribue spécialement au Saint-Esprit, c'est la conséquence
d'un principe général qui fait rapporter à l'Esprit saint tous
les actes de la sainteté, de la charité et de la miséricorde di-
vines. Ce n'est pas d'ailleurs une raison pour donner à la
troisième personne le titre de Père du Sauveur *. Comme
Dieu, c'est par le Père seul que Jésus-Christ est engendré;
et comme homme, il ne saurait avoir la qualité de fils qu'à
l'égard de sa mère, nul n'ayant été proprement son père,
1 Nec sic assumptus est ut prius crearetur, postassumeretur, sed ut
in ipsa assumptione crearetur. S. Aug., Cont. Semiarian., vi. Non solum
unus Christus, sed semper unus. Vinc. Lirin., Comrnonit,^ 15. — * Tert.,
Adv. Prax., 27. — 3 Gai., iv, 4. — * Cyrill. Hierosol., Catech., x, 19.
Pudore afficiatur Nestorius : puer hic Deus est. S. Joan. Damasc, Brev.,
FesL S. Joachim, lect. vi. — « S Thom., p. 3, q. 27, a. 2, ad 2; q. 33,
a. 3, et Cont. Gent., IV, 4 et 28. Brcv,, 9 Fev., lect. iv-vi. — « Quis
hoc dicere audebit? S, Aug., Enchir.^ i2,
N«98] SA VIE CACHÉE. — L' ANNONCIATION. 213
c'est-à-dire ne lui ayant communiqué sa vie, secundum simi-
îitudinem speciei^ sicut fit homini nascenti de pâtre suo^.
On ne saurait trop admirer dans ces récits le langage pur,
surnaturel, céleste du saint Evangile. Gomme il tient Tâme
élevée au-dessus de la terre et des sens î Qui de cœlo venit,
mper omnes est '.
* 98. — Voit-on dans TEcriture un témoignage de respect pour une
créature, comparable à celui de l'ange Gabriel pour la sainte Vierge '?
II y a dans les paroles de l'Ange à Marie, comme dans tout
ce récit de l'Annonciation, une expression de respect qu'on
ne trouve nulle par ailleurs à ce degré: Soli Mariœ hœc sa-
lutatio servabatur^ dit S. Ambroise*. Le mot grec xs^apt-
Tu>jx£VTQ (dexapi'fow^), digne objet de l'amour et des faveurs
du ciel, mot rendu par speciosa dans la version de Luther,
fdirgratiam consecuta dans celle de Calvin, pargra^w dilecta
dans celle de Bèze, est traduit par gratia plena ou par un
équivalent ^ non seulement dans l'Italique et la Vulgate,
maig dans toutes les anciennes versions, syriaque, cophte,
éthiopienne, arménienne, etc. Ces mots: Dominus tecum'^,
aussi bien que Benedicta tu^ sont pris comme exprimant,
non un souhait, mais un fait admiré en Marie par l'envoyé
céleste et proclamé à sa gloire. En effet, l'Ange ne vient pas
pour lui donner des encouragements, mais pour lui révéler
les décrets divins, et ces décrets supposent déjà en elle une
perfection incomparable *. Les paroles d'Elisabeth ajoutées
par l'Eglise et également inspirées du ciel : Benedicta tu in
mlieribus et benedictus fructus ventris tui^, expriment la
* Non enim de substantia Spiritus sancti, sed de potentia, nec ge-
neratione, sed jussione et benedictione conccptus est. Op. S. Aug.,
Serm. ccxxxiv, 5. Apoc. Cf. S. Thom., p. 3, q. 32, a. 3. — 2 Joan., m, 31.
A cette époque, Ovide publiait à Rome ses poésies lubriques, et Auguste
était forcé d'exiler sa fille Julie qui avait trop imité son père. Ann. de
phil. chrét., t. lxxviii, 181, etc. Infra, n. 598. — ? Cf. Dan., ix, 21;
inc, 1 , 19-26. — * Sola gratia plena dicitur, quœ sola gratiam quam
nulla alia menierat consecuta est, ut gratiœ rcpleretur auctorc. S. Amb.,
In Luc, hoc loc. — « Cf. Ephes., i, 6. — « Cf. Ps. xliv, 12. Cf. Conc
Trid., sess. vi, can. 23. — ^ Magis quam mecum. S. Aug. — ^ Cf. Jos.,
1, 17; Jer., i, 8; xv, 20. — 9 Luc, i^ 4?.
214 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n^ 100
même idée. Tout en rapportant à Dieu la gloire, de ce qu'il
opère, la Mère du Seigneur, vj Mtqttgp 'fo^ Kuptou \ fait voir
en son cantique qu'elle comprend la portée de ces félicita-
tions *.
* 99. — Marie, étant de la famille de David, pouvait-elle être parente,
ouy^eviri;, d'Elisabeth de la famille d'Aaron?
Il est possible que la mère d'Elisabeth ait été de la fa-
mille de David, tante ou cousine de la sainte Vierge, comme
il est possible que la mère de la sainte Vierge fût de la famille
d'Aaron '. La loi défendait aux prêtres de prendre pour
épouse une femme qui ne fût pas née de parents hébreux*;
mais ils n'étaient pas plus tenus que les autres à se marier
dans leur tribu ^ On voit même un grand-prêtre, Joïada,
épouser Josabeth, fille du roi Joram ^ Quant à la femme, la
loi ne restreignait sa liberté à cet égard que lorsqu'elle
était unique enfant ou héritière des biens de sa famille"', et
ce cas ne pouvait même pas se présenter dans la tribu de
Lévi, qui n'avait pas eu sa part du territoire de Chanaan.
ARTICLE V.
Visitation, Luc, i, 39-56 ».
* 100. — Pourquoi TEvangéliste retrace-t-il avec tant de soin cette scène
do la Visitation?
C'est dans ce mystère que le Sauveur fait la première
communication visible de son divin Esprit *. S. Jean reçoit
dès- lors la faveur la plus insigne : l'infusion de la grâce
sanctifiante *°. Elle lui est conférée en vue 4e sa vocation,
1 Luc, I, 43. Elisabeth indignam se adventu Deiparse, ttiç ©eotoroy,
dicit, quemadmodum et Joannes indignum se dicet qui Ghristo minis-
traret. Orig , In hune Icc. — ^ Cf. S. Thom., p. 3, q. 30, a. 2, ad i;
p. 1, q. 25, a. 6, ad 4. — 3 C'est le sentiment de S. Augustin : Firmis-
sime tcnendum est carncm Christi ex utroque génère propagatum, et
rogum aciliçet et sacerdotum. De consens. Evang., ii, 4. — * Lev., xxi,
14. — 8 Juj., XXI, l. — 6 II Parai., xxii. 11. — ^ Num., xxxi, 6, 7. —
8 Hébron est à 25 lieues de Nazareth, au sud. — » Cf. Il Reg., vi, 9, 11.
— 10 Luc, I, 15.
.J
N» loi] SA VIE CACHÉE. — LA VlSltAf ION. H^
pour le mettre en étal de glorifier Dieu et de sanctifier les
âmes; et elle est accompagnée des consolations les plus
donces pour ses parents et pour lui. Or, c'est par Marie que
cette grâce lui est faite: Ad vocem Mariœ exultavit infan-
tulvs, obsecuttis anteqvum genitus *. L'Evangéliste a pu
croire que cette indication nous serait utile. De saints Doc-
teurs ont vu dans ce fait un exemple de la conduite que
Dieu a coutume de tenir sur les âmes qui lui sont chères,
en particulier sur ceux qu'il destine à Thonneur de devenir
ses ministres : Utproinde si quid spei in nobis est, si quid sa-
/ttfc, ab ea noverimus redundare ".
101. — QueUes remarques a-t-on faiteis sur le cantique de la
sainte Vierge?
1° Le Magnificat est le premier cantique du Nouveau Tes-
tament : il pourrait servir de conclusion à l'Ancien.
ï» Il a du rapport avec plusieurs autres, surtout avec
ceux de Marie, soeur de Moïse, et d'Anne, mère de Samuel ^;
mais combien l'âme de la sainte Vierge parait plus unie à
Dieu et plus sainte 1 Combien son langage a plus de majesté,
d'élévation et de câline ! C'est bien le prélude de la voix du
Sauveur *.
3" La conduite de Dieu dans l'établissement du christia-
nisme y est admirablement dépeinte. Marie a devant les
yeux tous les événements qui vont s'accomplir : la syna-
gogue réprouvée, l'Eglise fondée, les Apôtres glorifiés, les
Gentils comblés de grâce, enfin toutes les promesses magni-
fiquement accomplies.
4* A la salutation de sa parente : Benedicta tu in mulieri-
hê^y la sainte Vierge répond par une prédiction aussi pré-
cise que merveilleuse : Beatam me dicent omnes generationes ®.
* s. Amb., De insiit, Virg., 50. — * S. Bern., Serm. in Nativ. B, M,,
n. 6. — s I ^eg.y n, 1-10. — * Gecinit Debora vicloriam a Sisara, Judith
Holophernum cxtinctum, Moysis soror Pharaonem submersum; Anna
quoque pro iilio Samuele longiores Deo gratias edidit; sed non sic
Hebneas illas audire canentes, ut Prophetissam nostram, delectat.
S. Th. a Villanov., Serm. in Visit. — * Luc.^ i, 43, 45. — * Luc,
1,48.
ièl6 JESUS-CHRIST SELON l'eVANGILE. [n^ 102
Or, elle a vu pendant sa vie ^ et nous voyons encore tous les
jours l'accomplissement de cet oracle *.
5° Les sentiments exprimés dans ce cantique sont bien
ceux qui devaient pénétrer la mère de Jésus, après la faveur
incompréhensible qu'elle avait reçue. Telles devaient être
sa foi, son humilité, sa reconnaissance; tel son ravissement
sur la sagesse, la puissance, la bonté de Dieu dans la ré-
demption du monde ^ Quel admirable modèle pour les âmes
intérieures que le Ciel favorise de ses grâces !
6^ Enfin le langage des écrivains sacrés paraît naturel à
la très sainte Vierge. Elle n'emploie pas une expression
qu'on ne lise dans le Psalmiste et dans les Prophètes. Toute
la différence est dans la profondeur de ses pensées et dans
la sublimité de ses sentiments.
* 102. — Que signifie ce dernier verset : Sicut locutus est..,
Luc, I, 55?
Le dernier verset de ce cantique rappelle la promesse
faite par le Seigneur à Abraham de lui donner une posté-
rité, un fils, aTuepjjia, semen, proies, en qui seraient bénies
toutes les nations de la terre : Benedicentur in te et in setnine
tuo cunctœ tribus terrœ *. S. Paul, en citant ce passage, fait
remarquer ce mot, semen. « Le Seigneur ne dit pas : dans
vos rejetons^ mais dans votre postérité, » Non dicit : et setni-
nihuSy quasi in multis, sed quasi in uno : Et semini tuo, qui
est Christus ^ La sainte Vierge prend ce terme dans le même
sens ; elle signale l'accomplissement de cet oracle dans le
mystère qu'elle porte en son sein.
Mais ce n'est pas à Abraham seulement que le Messie a été
promis ; il Ta été à tous les patriarches : Ad patres nostros.
Il a été prédit par tous les prophètes : Per os sanctorum qui
a sœculo sunt^. On n'est pas seulement averti de l'approche
1 Luc, XI, 27.-2 Dans la récitation de VAve Maria, — » Cf. S. Aug.,
de Cil}. Deif xxii, 8. — * Gen., xxviii, 14. Cf. Gen., xii, 3; xviii, 18;
XXII, 18; XXVI, 2, 4; Luc, i, 32; Gai., m, 8, 16. — 8 Gai., m, 16, 29.
Cf. II Reg., VII, 12, 13. — 6 Luc, i, 70; Act., xxvm, 20. Prœvidens
quosdam futures qui miracula ejus magicis artibus tribucrcnt, propfaetas
ante prsemisit. Numquid enim, si magus crat, et magicis artibus fecit
?îM02] SA viÉ CAdH^E. — La viôiîaîion. Î47
do divin Rédempteur; on a son signalement. Pour prévenir
toute méprise et toute usurpation, Dieu a tracé d'avance les
principaux traits de son histoire. Ainsi Ton sait qu'il aura
lin précuseur ', qu'il doit naître enfant*, d'une mère vierge ',
dans la ville de Bethléem * ; qu'il doit descendre d'Abraham S
sortir de la tribu de Juda • et de la famille de David ^ ; qu'il
paraîtra quand Juda aura perdu le sceptre de l'autorité * et
que les soixante-dix semaines d'années fixées par Daniel
seront écoulées •. On est averti qu'il viendra à Jérusalem,
dans le temple de Zorobabel *% qu'un autre Elie le précé-
dera ", qu'il annoncera l'Evangile aux pauvres et aux pe-
tits *-, qu'il commencera sa prédication sur les confins de
Zabulon et de Nephtali *^, qu'il ouvrira les yeux aux aveu-
gles et rendra la santé aux infirmes **, qu'il enseignera la
voie parfaite^*, qu'il parlera en paraboles**, qu'il sera le
précepteur des Gentils ^\ qu'il les convertira **, qu'il aveu-
glera les sages et les prudents et qu'il éclairera ceux qui
étaient dans les ténèbres *• ; qu'il sera la pierre précieuse qui
servira de fondement à Sion ^*, en même temps que la pierre
d'achoppement et de scandale sur laquelle Israël viendra se
heurter et se briser " ; que ceux qui devaient bâtir l'édifice
la rejetteront ", mais que Dieu en fera la pierre angulaire ";
que cette pierre croîtra et deviendra une montagne im-
mense qui couvrira toute la terre **. Enfin on sait qu'il sera
renié par les Juifs *% abreuvé d'opprobres et de tourments *%
mis à mort " et transpercé ^* ; mais qu'il ressuscitera ",
qu'il montera au ciel ^% pour s'asseoir à la droite de son
ot coleretur et mortuus, niagus erat etiam antequam natus? S. Aug.
In Joan.y xxxv, 8.
* Mal., III, I. — a Is , IX, 6. — » Is., vu, 14. — * Mich., v, 2.
^Gen., XVIII, 18. — « Gen., xlix, 8. — "ï h Reg., vu, 12; Is., vu, 13.
- * Gen., XLIX, 10. - » Dan., ix, 24-27. — io Mal., m, 1 ; Agg., ii, 10
- »i Mal., IV, 5. — 12 l8., Lxi, 1. — 13 Is., IX, 1, — 1* Is., XXXV, 5, 6*
■^ » Is., XXX, 21. — *« Ps. Lxxvii, 2. — n Is., Lv, 4. — «8 Ps, XXI, 28 j
Is,, xvii, 7, 8. — 1» Is., VI, 10; ix, 2. — *o Is., xxviii, 16. — ai U.]
vm, 14, 15. — *2 Ps. cxvi, 22. — 23 is., xxviii, 16. — 2* Dan., 11, 35. —
" Ps. cxvii, 22; Dan., ix, 26. — 26 p». xxi, 1-20; lxviii, 22, — i^ Dan.,
11,26. — 28 Ps. XXI, n. — 29 Ps. XV, 10; Osée, vi, 3. — 3o Ps. xxiii, 7;
uvn, 19.
m. 1 3
àl8 réSUS-CHRIST SELON L*ÉVANGILE. [n« 103
père *; que les rois de la terre et tous les peuples Tadore-
ront *, que les temples des idoles seront abattus et que les
sacrifices lévitiques cesseront'; qu'un peuple venu avec
son chef détruira Jérusalem et son temple % que les Juifs
leur • survivront *, mais dispersés et errants par tout le
mondes sans prophètes % sans rois, sans sacrifices, sans
autel •, comme frappés d'aveuglement % cherchant le salut
et ne le trouvant pas. On sait tout cela dans la Judée : du
moins on peut le savoir et l'on en a quelque idée. Le détail
se lit dans les prophètes *°.
»
ARTICLE YI.
Naissance de saint Jean-Baptiste, Luc, i, 57-80.
{Béi>rofi^ 7 ans avant l'ère chrétienne, iAjuin.)
• 103. — Quel est le sujet du cantique de Zacharie et que faut-il
entendre par ces mots : Oriens ex alto?
I. Zacharie rend grâces à Dieu pour le bienfait de la ré-
demption et pour la manière dont elle doit s'opérer. Dans
la première partie *^ il signale les maux dont le Messie
vient délivrer son peuple et les biens dont il va le combler.
Dans la seconde ", il célèbre la destinée du Précurseur, ses
qualités, ses travaux, la part qu'il doit prendre à l'oeuvre
du Sauveur. Avec les préoccupations communes à tous les
Israélites fidèles, ce cantique reflète la joie du père, ravi
par la naissance miraculeuse de son fils, la religion du
prêtre qui ne voit de grand que le service de Dieu et la
sanctification des âmes, enfin les lumières, l'inspiration, le
ravissement des prophètes *^ Il suffirait pour montrer que
1 Ps. cix, 1. — 8 Ps. Lxxi, 11. — 8 Mal., I, 11; Dan., ix, 27. — ♦ Dan.,
IX, 26. — * Jerem., xxxi, 36. — • Amos., ix, 9. — "^ Ps. ijcxin, 9. —
8 Osée, m, 4. — » Deut., xxviii, 28, 29. — lo Quanto major judex
veniebat, tanto prœconum longior séries prsecedero debebat. S. Aug.,
In Joan.y xxxf. Cf. A. T., n. 902, 903. S. Justin., Dial.; Euseb., DemonsL;
S. Aug., Cont. Faust. f xii, xiii ; Bossuet, H. V., II, iv; Pascal, Pensées;
Lamennais, Essai sur lindiff.^ xxxii. — ii Luc, i, 68-75. — ** Luc,
I, 76-79. — ** Prophetavit, dit S. Luc, i, 67. Quid est prophetia? Rcrum
H^ 104] SA VIE CACHJEE. — SOUfrÇONS DE S. JOSEPH. îilô
le Messie résumait en lui tout Tespoir d'Israël et que la
conviction la plus profonde du peuple Juif avait pour objet
le rôle glorieux, réservé dans l'histoire du monde à Celui
dont il attendait la venue *.
IL Quelques interprètes font observer que le terme
grec avaToXî), rendu par oriens, est quelquefois employé
pour germen '. Mais il paraît bien traduit en cet endroit.
Zacharie semble faire allusion aux passages de TAncien
Testament où il est dit que le Seigneur se lèvera sur son
peuple comme un astre brillant ', et suivre l'idée qu'il a
énoncée dès son premier verset : Dem Israël visitavit, etc.
Quelle image plus naturelle pour désigner celui qui se dira
la lumière du monde et qui disipera les ténèbres de l'igno-
rance et de l'erreur! Quoi qu'il en soit, ces mots : ex
alto, assignent évidemment au Sauveur une origine plus
qu'humaine et une existence antérieure à son apparition sur
la terre.
L'Eglise chante chaque jour ce cantique avec ceux de la
sainte Vierge et de Siméon, comme un témoignage de sa
reconnaissance pour les mystères de Tlncarnation du Verbe
et de la rédemption du monde. Elle les doit tous trois à
S. Luc, aussi bien que Y Ave Maria et l'hymne des anges:
Gloria in excelsis '\
ARTICLE VIÎ.
Retour de Marie à Nazareth, Matth.^ i, 18-25.
■ 104. — Faut-il penser que saint Joseph a connu l'état de la très sainte
Vierge avant la Visitation, ou qu'au retour de Marie il ignorait en-
core le mystère opéré en elle?
La sainte Vierge s'étant rendue auprès de sa parente aus-
sitôt après l'Annonciation, cum festinatione ^ il est évident
latentium, prœteritarum, prsesentium aut futurarunoi ex divina inspira-
tione manifestatio. Junil., de Part, divin, leg.y i, 4.
* Act., XXVIII, 20. Cf. Isai., xlv, 8.-2 Zac, ïii, 8; vu, 12. — ^ Is.,
Lx, 19; Malac, iv, 2. — * Cf. Martigny, Doxologie. — s Luc, i, 39.
Non quasi incredula de oraculo, nec quasi incerta de nuntio, nec quasi
2â0 jEâus-CHRisf SELON l'évaNGilë* [n^ 108
qu« les soupçons de Joseph, n'ont pu avoir lieu avant la Vi-
sitation. A Hébron , Marie semble s'être trouvée seule :
S. Joseph ne paraît nulle part dans le récit de l'Evangile,
ni à l'arrivée ni au départ. C'est une des raisons qu'on
allègue pour soutenir que le mariage n'avait pas encore
eu lieu, ou n'était pas encore célébré. S. Joseph pouvait
donc ignorer ce qui s'était dit dans la maison de Zacharie.
Supposé môme qu'il en eût appris quelque chose, il pou-
vait hésiter à y croire. Fallait-il moins qu'une révélation
pour lui apprendre d'une manière certaine un événement
si prodigieux?
* 105. — Pourquoi saint Joseph songe-t-il à se séparer de son Epouse,
et à s'en séparer sans éclat, occulte^ Matth., i, 19?
S. Joseph ne pouvait pas rester auprès de Marie, pour en
partager le déshonneur ^ ; mais il avait à cœur de ne pas la
diffamer, parce qu'il connaissait sa vertu et que, malgré les
apparences, il ne pouvait pas la juger coupable- Telle est
l'interprétation commune.
Suivant S. Bernard *, S. Joseph n'aurait jamais eu aucun
soupçon pénible à l'égard de son épouse : mais ayant été
instruit de ce qui avait eu lieu et de la dignité à laquelle elle
était élevée, il aurait cru que ce serait une présomption à
lui de rester à ses côtés et de se conduire comme s'il était le
père de Celui auquel elle devait donner le jour. Dès lors son
humilité l'aurait porté à dire à Notre Seigneur comme
S. Pierre : Exi a ine^ quia homo peccator sum. Domine^ ou
comme le cenlenier : Non sum dignus ut intres sub tectum
meum \ Cette explication, dit Maldonat, souriait à la piété du
saint docteur ; mais comment la concilier avec le sentiment
commun et avec le sens naturel du texte : Cum nollet eam
dubitans de exemplo, sed quasi Iseta pro voto, religiosa pro officio,
festina pro gaudio. S. Amb., De Virgin,, ii, 12.
1 Cf. Deut., xxn, 20, 21; EccU., xix, 3; Dan., xiii, 41, 45. Hoc testi-
monium Mari» est, quod Joseph, sciens iUius castitatem et admirans
quod evenerat, celât silentio cujus mysterium nesciebat. S. Hieron.,
In Maith., i. — 2 s. Bern., Hom, ii Super Missus est, — ^ Luc, v, 8. —
:* Mattli., viti, 8.
N» 106] SA VIE CACHÉE. — RÉVÉLATION A S. JOSEPH. 221
traduceref Un ange est enveyé à Joseph pour le rassurer;
il l'exhorte à chasser toute crainte. Et par quel moyen le
rassure-t-il ? En lui certifiant la réalité du fait qu'on suppose
être la cause de ses anxiétés, savoir : que Marie a conçu par
l'opération du Saint-Esprit et qu'elle va mettre au monde le
Sauveur des hommes, l'Emmanuel prédit par Isaïe. Dès ce
moment, ses inquiétudes cessent... Joseph ignorait donc au-
paravant ce mystère ; la cause de son trouble n'était donc
pas la connaissance qu'il en avait acquise. D'ailleurs qui ne voit
à quel péril il eût exposé Marie et l'enfant en les abandon-
nant ? Bien loin de les honorer comme on le prétend et de
leur témoigner un juste respect, il les aurait voués l'un et
l'autre à l'opprobre et à la misère.
106. — Est-K^e pour prouver la divinité du Sauveur, ou pour attester la
virginité de sa Mère, qulsaie est cité en S. Matthieu, i, 23?
Le texte d'Isaïe prouve bien la divinité du Sauveur, comme
S. Justin l'établit déjà contre les Juifs : Yocabunt nomen ejus
Emmaniiel *. Etre appelé Emmanuel, c'est, suivant le lan-
gage des prophètes, en mériter le titre, en réaliser la
signification, avoir la dignité exprimée par ce terme '. Mais
la citation faite en S. Matthieu a pour objet direct sa concep-
tion miraculeuse , et par conséquent la virginité de Marie.
C'est ce qui résulte du contexte en en outre du dessein de
l'ange, si c'est l'ange qui parle encore au verset 22 ; car il
n'est venu que pour calmer l'inquiétude de Joseph au sujet
de son épouse.
Au verset 23, le mot Virgo^ y) IIxp6svoç, il/mdlA, doit être
pris littéralement, et in sensu composito^ d'une vierge res-
tant vierge *. Il est clair que l'ange et S. Matthieu l'entendent
ainsi. Quant au prophète, s'il l'entendait autrement, s'il
voulait seulement parler d'une femme ordinaire, qui ne
se distinguerait en rien sous le rapport de la virginité, qui
' Is., VII, 14. Cf. s. Justin., Dial., n. 55, 67, 77, 84; S. Iren., m,
xvi, 2; XXI, 6. — 2 Cf. Is., i, 26; ix, 6; lx, 14; lxii, 4; Jcr., m, 17;
xxin, 6; Eiech., xlviii, 35; Zac, viii, 3. — ' Cf. Gen., xxiv, 43; Ex.,
n, 8; Gant., i, 3; vi, 8; Prov., xxx, 19.
222 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n® 107
devait concevoir et enfanter comme les autres femmes,
qu'est-ce qui Tautoriserait à appeler signe ^ prodige, miracle
et miracle tout divin le fait qu'il annonce* ? La virginité de
la Mère de Dieu a donc étô prédite par les prophètes; la
voilà nettement affirmée au . début de l'Evangile; plus tard
elle sera enseignée par les Apôtres, définie et célébrée par
l'Eglise : Virgo concepit^ tirgo peperit, virgo post partum,
quem genuit, adoravit *.
* 107. — N'y a-t-il pas dos auteurs qui appliquent ce passage d'Isaîe,
VII, 14, à la feramo et au fils du prophète, ou bien à la femme et au
fils du roi Achaz?
Parmi les interprètes orthodoxes, plusieurs voient deux
sens dans ce passage, le premier vérifié du temps d'Isaîe, le
second accompli par la naissance du Sauveur, et ils dis-
cutent entre eux sur la nature de ces deux sens, c'est-à-dire
si tous deux sont littéraux ou si l'un des deux est spirituel.
Mais c'est le petit nombre qui admet ces deux sens'. En gé-
néral, les auteurs catholiques n'y voient qu'un sens littéral,
ayant Jésus-Christ et sa mère pour objet. Ils appuient leur
sentiment : — sur la signification du mot almâh, r^ Ilapôevo;,
Virgo *, sur l'application que l'ange en fait à Marie % -- sur
les autres passages d'Isaîe où il est question du même enfant,
et où il est donné clairement pour, le Messie %^ enfin sur
les circonstances dans lesquelles ces paroles ont été pro-
noncées. Jérusalem se voyait menacée par les troupes du roi
d'Israël et du roi de Syrie. Isaïe annonce à Achaz de la part
de Dieu qu'il sera épargné, et il lui montre ses enfants
comme gage de la délivrance qu'il lui promets Mais à cette
occasion, les vues du prophète s'élèvent : il lui prédit un
prodige bien plus surprenant; il parle d'un autre enfant,
1 Dabit ipse Deus signum. Is., vu, .11^14. — s Ofi". B. M. Virginis.
Cf. Isai., XLV, 5; Jer., xxxi, 42; Micli., v, 2, 3; Gai., iv, 4; Apoc.»
XII, 17. A. T., 926-929; Infra, n. 736. — 3 Cf. S. Hier., In hune loc.
— * Ostendant mihi ubi hoc verbo appellentur et nuptae, et imperi-
tiam confitebor. S. Hieron., Adv, Jovin., i, 32. — s ut adimpleretur.
Matth., i, 22-23. Cf. Luc, i, 31. — « Is., viii, 8; ix, 6, 7. — ' Is., vni,
3, 4, i8,
N» 108] SA VIE CACHÉE. — RÉVÉLATION A S. JOSEPH. 223
d'un enfant nïerveilleux qui doit avoir pour mère, non une
simple prophétesse, mais une vierge, la Vierge, et qui sera
le gage d'une délivrance bien autrement désirable*. Aussi
cette naissance n'est-elle pas annoncée seulement à Achaz,
mais à toute la maison d'Israël *, et est-elle donnée pour le
signe le plus prodigieux qui puisse lui venir du ciel : Signum
in excelsum supra *. Autant il est certain que ce grand libé-
rateur, déjà tant de fois prédit, viendra dans son temps, au-
tant est-il assuré que Jérusalem sera préservée des attaques
du roi de Syrie *.
On n'est pas obligé d'admettre cette interprétation, et cer-
tains détails peuvent être contestés ; mais il ne serait pas
permis de récuser l'application de ce passage d'Isaïeà Notre
Seigneur et à la sainte Vierge. Spirituel ou littéral, le sfens
allégué par l'ange et par S. Matthieu '^ est certainement réel.
En faire une accommodation purement esthétique, ce serait
contredire cette parole ; Hoc totum factum est ut adimple-
rdur quod dictum est a Domino, et braver la censure
portée en 1779 par Pie VI contre le D' Isenbielh, prêtre de
Mayence. . . .
* 108. — Cetto révélation faite à S. Joseph n'est-cUe pas un songe, et ne
serait-ce pas la raison pour laquelle elle est omise par S. Luc?
i
I.La révélation faite à S. Joseph est bien un songe, puis-
qu'elle eut lieu pendant son sommeil; mais c'est un songe
divin, et S. Joseph était aussi certain de ce qui lui avait
été dit que s'il avait reçu cette communication dans Fétat
de veille. Dieu, qui dirige les hommes comme il lui plaît
et qui agit à son gré sur leur esprit et sur leur cœur, l'éclai-
rait de telle sorte qu'il n'en pouvait douter. On trouve dans
les livres inspirés, comme dans les Vies des Saints, un grand
nombre de songes de ce genre, également miraculeux et
prophétiques ®.
» •
* l8., VII, 14. — a Is., VII, 13. — 3 Isa!., vu, 11, 14. Cf. L. B. Dracli.,
Harmonie entre V Eglise, et la synagogue j t. ii. -^ * Cf. Ex., m, 12;
I Reg.,.n, 34; Jer., xuv, 29. Voir Bossuet, Explie, de la proph, dTÎsaïe,
— * Matùi.j I, 23. — * Si quis fuerit inter vos propbeta Domini, iiii
224 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n<» 109
II. s. Matthieu ne pouvait omettre cette révélation. N'ayant
pas rapporté comme S. Luc les paroles de l'Ange à la sainte
Vierge*, il devait expliquer d'une autre manière comment
il faut entendre ce qu'il a écrit au verset 16 : Joseph, vinim
Mariœ de qua natus est Jésus ^ D'ailleurs il entrait dans
son dessein de faire voir en Notre Seigneur Taccomplis-
sement des prophéties messianiques. Or, le texte d'Isaïe
sur la virginité de Marie et la naissance de l'Emmanuel
est une des principales. Ni Tune ni l'autre de ces raisons
n'existait pour S. Luc. Il écrivait pour les Gentils, qui se
préoccupaient assez peu des prophéties anciennes; et ce
que S. Matthieu dit en cet endroit, il l'avait dit équivalem-
ment, et même avec plus d'étendue, en retraçant la scène
de l'Annonciation.
109. — Puisque Marie a gardé sa virginité jusqu'à sa mort, comment
Notre Seigneur est-il appelé son premier-né^ Matth., i, 25?
Premier-né dans l'Ecriture, ne signifie pas précisément
celui qui a un frère puîné, mais celui qui n'a pas de frère
plus âgé'. Le premier-né avait cette qualité dès sa nais-
sance : il en portait le nom. A ce titre, il avait droit à cer-
tains avantages et il était sujet à certaines obligations*.
C'est donc à dessein et avec raison que l'évangéliste dit ici
que Jésus était premier-né, xov 7:pwTOTcxov, 25. Il le désigne
par là comme héritier de David, comme ayant un droit pri-
vilégié sur son héritage *. Loin de faire difficulté, cette
expression devient un signe d'authenticité. Très naturelle
sous la plume d'un juif, elle ne se serait pas présentée à un
visione apparebo ei, vel per somnium loquar ad illum. Nura., xii, 6.
Cf. A, T.f n. 846; Gen., xv, 12-17; xx, 3; xxviii, 11-13; xxxvii, 5-7;
xLi, 1-16; m Reg., m, 5; Esth , x, 5; xi, 5; Dan., iv, 7; vu, 7;
II Mac, XV, 12-16; Act., ix, 10-16. S. Th., 2» 2« , q. 171, a. 5. Dictionn.
de mystique chrët.y Songes.
* Luc, I, 35, 37. - 2 Cf. Marc, vi, 3.-3 Non quem fratres sequun-
tur, sed qui prius omnium natus est. S. Hier., In Mattk.^ i, et Adv.
Uelv.y X. — * JLuc, II. 23. — » cf. Gen., x, 15; xxi, 12;xxii, 21;
xxvii, 19; Exod., iv, 23; vi, 14; xiii, 2; Num., xviii, 15; Deut., i, 6;
XXI, 17; Hob., 1. De là l'usage d'appeler premier-né tout ce qui rem-
porte par ses (juaUtés ou ses prérogativeSf
S^ 109j SA VIE CACHÉE. — RÉVÉLATION A S. JOSEPH. 225
écrivain d'une autre nationalité, ou il Taurait écartée avec
soin.
On doit faire une observation analogue sur les mots qui
précèdent : Donec peperit, 25. Donec, noz eu, indique la per-
sistance d'un état de choses jusqu'à un certain temps, mais
n'implique pas la cessation de cet état de choses après cette
époque*. Les mots antequam convenirent, i, 18, s'expliquent
de même '.
* Sic enim cain a Noe corvus ex arca esset emissus : Non est, inquit,
reversus donec siccaretur terra. Et certe nec postea invenitur rcdiisse.
S. Chrys., Jn Malth.^ hom. v. Cf. Gen., viii, 7; Deut., xxxiv, 6; II Reg.,
71,23; III Reg., xxii, 27; II Par., xviii, 10; Ps. xvii, 23; cxxii, 2; Is.,
XXII, 14; Matth., v, 25; I Cor., xv, 25; Apoc., xx, 3. Plusieurs ex-
pliquent dans ce sens le fameux texte de la Genèse : Non aufcretur
sceptrum de Juda, donec... Juda dominera toujours, tiendra encore le
sceptre .. Cf. Ps. cix, 1. — 2 ita negat praeteritum ut non ponat futu-
rum. S. Hieron., Cont. Helvid.y 5, 6. Quasi si velimus dicere : Holvidius,
antequam pœnitentiam ageret» morte praeventus est, statim Helvidio
pœnitentia sit agenda post mortem. Ibid 3. Cf. Ps. lvii, 10; Is., xxvii, 27 ;
Lxvi, 7. S. Thom., p. 3, q. 28, a. 3; Brev. Rom., 19 mart., lect. viii;
Supra^ n. 93.
13.
226 JÉSUS-CHHI8T SELON l'ÉVANGILE. [n" 110
CHAPITRE n.
ENFANCE ET PREMIÈRE JEUNESSE DU SAUVEUR.
Sa nalssaBce, Uc, i[, 11-11.
{BeIhUam, 2K tUeemtrt, 7 aiu avanl notre irt, an de Bime 7«T, d'Auguilt 39.)
110. — Recensement montioniié par S. Luc '. Comment Quirinus l'eùt-
il fait en Jad6eà la naissance du Sauveur, puisqu'il n'est devenu gou-
verneur de Syrie, suivant Josèphe, qu'à la mon d'ArcliélaOs s?
I. On n'est pas fondé à nier la réalité du recensement.
1° Le silence des historiens, fùt-il absolu à cet égard, ne
serait qu'une raison négative, et l'on expliquerait ce silence
par ces deux considérations : — Que Dion est le seul qui
nous ait laissé une biographie détaillée d'Auguste, et que
nous avons perdu la partie de son ouvrage ayant pour objet
les dix années dans lesquelles a dû se faire ce dénombre-
ment. — Que ce dénombrement pourrait n'avoir pas eu
< Médaille d'Auguste, sous le nom de Céiai; son grand-oncle avec le
titre de Grand Pontife, qu'il reçut douîo ans avant notre ère. Elle a été
souvent reproduite avec des variantes. Revers : Image d'un autel élevé
vers cette époque, au cojiQuent du BhAne et de la SaAne, par les aoiiante
nations gauloises, et consacré par elles à Rome et à l'Emperear,i:ommi
gage et symbole de leur lldélité. Suéton, Claude, S. Sur le devant de
Tautel était une couronne soutenue par deux génies; de chaque cûté,
deui hautes colonnes surmontées de victoires qui supportaient d'autres
victoires. Ces colonnes ont été sciées, et servent depuia longtemps, do
piliers pour soutenir la voûte du choeur dans l'église d'Ainaf,k Lyon,
(Riblioth. nationale). — « Luc, ii, 1, - "Joseph,, A., XVIU, i.
.nMIO] sa vie cachée. — sa naissance. 227
rimportance qu'on lui attribue, et qu'ici, comme en beau-
coup d'autres endroits de l'Ecriture, l'auteur sacré a pu dé-
signer par ces mots, toute la terre, %o.fs% iq oixcutieviQ, la pro-
vince de Judée qui venait d'être réunie à l'empire*.
2' Hais le silence n'est pas réel. On a trouvé à Ancyre, en
Galatie, sur les murs d'un temple consacré à Auguste, un
résumé de l'histoire de son règne, écrit par lui pour être
placée dans son mausolée'. Or, dans ce résumé il men-
tionne un recensement qu'il a fait des citoyens romains,
recensement qui semble supposer un dénombrement général
de l'empire. Il indique, la date de cette opération, et cette
date coïncide avec celle de la naissance du Sauveur. Nous
avons de plus le témoignage de plusieurs auteurs. Suétone
(t 140), dans son Histoire des douze Césars^ rapporte qu'Au-
guste a fait trois fois le recensement de l'empire et qu'il en
a laissé un cadastre : breviarium^. Tacite (f 130) dit à peu
près la même chose *. S. Justin, né à Sichem, à 12 lieues de
Jérusalem, écrivait vers 138, dans son apologie pour l'em-
pereur Antonin : Jésus-Christ est né à Bethléem. Vous pouvez
votis en assurer^ en consultant le recensement de Quirinus,
votre premier gouverneur en Jvâée *. TertuUien disait de même
aux Marcionites, 160 ans après la mort d'Auguste : Les pièces
originales du dénombrement d'Atiguste sont conservées dans
les archives de Rome. Leur déposition fournit un témoignage
authentique relativement à la naissance du Sauveur *. D'après
cet auteur, ce serait sous le gouvernement de Saturninus
que le dénombrement aurait eu lieu ; mais cela n'empêche
pas qu'il ait pu être exécuté par les soins de Quirinus, asso-
cié ou subordonné pour cet effet au gouverneur.
* Cf. Gen , XIII, 15; Jos., ii, 3; I Reg., xxx, 16; Luc, iv, 25; Act.,
vui, 11. — 2 Infra; n. 722. ~ 3 Censum ter egit, primum ac tertium cum
coUega, médium solus. Suet., Aug.^ xxviii et ci. — * Tacit., Ann,^ I, xi.
— * s. Justin., I Apoi.y 35. Cf. Dial. Ev <TiiT]>ai(i> Ttvi, 73. Lieu obscur,
caché au fond d'une vallée de notre globe (in pan'O tcrrsB foramine,
S. Hier., Epist. xlvi, 10), comme notre globe lui-même est caché, perdu
parmi les myriades de mondes , semés dans Timmensité de Tespace :
digne berceau d'un Dieu qui veut s'anéantir. P. Faber, Précieux Sang.
^ * Tert., Adv, Març,^ iv, 7, 19.
228 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n^ 110
IL On n*est pas plus fondé à soutenir que Quirinus n'a pu
y prendre la part que lui attribue S. Luc. En effet :
1** Il n'est pas croyable que l'évangéliste qui parait avoir
recueilli le plus de renseignements et donné le plus d'atten-
tion à la chronologie, se soit trompé d'une quinzaine d'an-
nées, ou qu'il ait cherché sans motif à tromper ainsi ses lec-
teurs sur un fait important, public, qui s'était passé sous les
-yeux de ses contemporains, et dont il parle très exactement
ailleurs K
2* Quant à ses paroles, il y a diverses manières de les
accorder avec Josèphe ^ parce qu'on peut les entendre en
divers sens. On peut traduire sur le texte grec de S. Luc :
Ce recensement est le premier qui se fit sous le gouvernement
de Quirinus, en Syrie ^. Or, on a des raisons de croire que
Quirinus a été deux fois gouverneur de Syrie, ou du moins
qu'avant son gouvernement, mentionné par Josèphe, il avait
exercé dans cette province une autorité qui s'étendait jus-
<|u'en Judée. Où bien : Ce recensement^ commencé à la nais-
sance du Sauveur, fut achevé plus tard par Quirinus, qui
attacha son nom aux actes officiels. Ou bien encore : Il
fut fait avant que Quirinus fût gouverneur de la Syrie :
prior prueside Cyrino, xpoir^ étant mis pour Tipcoispa *. Ce
dernier sens est adopté par un bon nombre d'interprètes,
quoiqu'il ait contre lui S. Justin et les premiers commen-
tateurs.
Quelle que soit la traduction qu'on préfère, il est certain
que le dénombrement indiqué par S. Luc peut avoir eu lieu
du vivant d'Hérode. Or, il convenait que l'évangéliste en fit
mention, soit pour commencer son histoire par une date
connue, soit pour signaler les actes ou titres authentiques
qu'on pouvait consulter sur la naissance du Sauveur, soit
enfin pour constater que le sceptre de Juda était bien dès
lors, suivant la prophétie de Jacob, aux mains des étran-
gers.
1 Act., V, 36, 37. — 2 Joseph., A., XVill, i, 1 et n, 1. — 3 IlpiiDTY),
équivalant à Tcptoiov. — * Cf. Joan., i, 15, 30; xv, 18.
^^ Hl] SA. VIE CACHÉE. — SA NAISSANCE. 229
111. — Que signifient les noms de Jésus, de Christ et de Seigneur,
donnes par l'Ange au Sauveur, Luc, ii, 11?
- I. Jésus signifie Sauveur, ou plutôt Dieu Sauveur, Domi-
nm Sahator S nom évidemment prophétique, car nul autre
ne caractérise mieux la destinée du Verbe fait chair. Il lui
fut donné à la circoncision ^ C'était Tusage de donner leur
nom aux enfants au moment où ils devenaient membres du
peuple de Dieu ^
II. Le Christ est comme son surnom. C'est la traduction
grecque du mot Messie, c'est-à-dire oint ou sacrée Les rois
comme les pontifes étaient consacrés par l'onction de l'huile,
symbole de l'infusion de la grâce. Comme roi et comme
pontife, le Sauveur dut recevoir en son âme l'onction Ja
plus auguste et la plus sainte ^ Aussi son nom de Christ
est-il toujours précédé de l'article, o Xpiarcc, le Christ, celui
qui est oint ou sacré par excellence. Jamais l'Ecriture ne
l'appelle simplement Christ, comme les protestants affectent
de le faire ^
III. Quant axi titre de Seigneur, Dominus, o Kupioç, il ex-
prime sa grandeur et sa souveraineté \ Comme S. Paul en
ses Epitres, S. Luc le lui donne dans son Evangile et dans
les Actes, de préférence à celui de Christ ou de Messie, au-
quel les Gentils n'étaient pas habitués *. Dans les Septante,
le mot Dominus^ o Kupioc, est employé d'ordinaire comme
l'équivalent de Jéhovah : il implique la possession de la
divinité®. On doit lui reconnaître le même sens dans le
Nouveau Testament, quand il est employé d'une manière
absolue et appliquée au Sauveur par un des disciples ou par
1 Jésus, forme grecque du mot Jehosua, différent de Hoschea, Sau-
veur, par l'addition du mot Jéhovah. — ^ Circumciditur tanquam Abrahœ
filius, Jésus vocatur tanquam Filius Dei. S. Bern., De circumc,^ Senn. i, 2.
S. Thora., p 3, q. 37, a. 1 et 2. — 3 Cf. Gen., xvii, 5, 10; xxi, 3, 4; Luc,
1, 59, 63; Act., x, 38. — ♦ Cf. Ps. civ, 15 ; Is., xlv, 1 ; Dan., ix,25; Joan.,
IV, 25. — * Ps. xuv, 8; Luc, iv, 18. — « Nomen ipsum non ponunt^
quod est nobis amicius et dulcius nominare. S. Aug., De civ. Dei.,,
XVrU, 32. — ' Cf. Tacit., A., ii, 87. — « Cf. Matth., vu, 20, 21; Joan.,
XX, 2, 13, 18, 28. — » Cf. Exod., vi, 2; Ps. ii, 2; cix, 2; Jer., xvi, 21;
xxiD, 6; Mal., iv, 5; P. Peteau, De Trinit., III, i, 14; Jnfra, n. 686.
230 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n® lH
l'évangéliste. Dans ce cas, il est précédé de Tarticle en grec,
ou il est joint au mot ChristmK Quelquefois, bien qu'assez
rarement, ce nom est donné à Notre Seigneur par des Juifs
ou des Gentils qui ne le reconnaissent pas pour Fils de
Dieu ^ Alors il est employé au vocatif, dans un sens im-
propre et restreint, comme chez nous, quand on donne le
titre de Seigneur à un personnage qu'on veut honorer.
ARTICLE II.
Généalogie du Sauveur, MaUb.\ i, 1-18; Luc, m, 23-28.
Difficaltés. — Principes de solution. — E^olaircissenients.
112. — Est-il croyable qu'il y eût, au temps du Sauveur, une généalogie
certaine remontant à quatre mille ans?
Si la généalogie donnée par S. Luc était évidemment in-
croyable, il faudrait taxer de déraison non seulement les
auteurs sacrés qui la rapportent, mais encore les chrétiens
qui y ont cru et les Juifs qui n'ont pas protesté. Rien de
plus plausible au contraire, si Ton tient compte du lieu et
des circonstances.
Pour la majeure partie, pour les trois quarts au moins,
la généalogie de Jésus^îhrist échappe à toute objection,
puisqu'elle ne diffère pas de celle des patriarches et qu'on
la trouve tout entière dans les saints Livres. Il ne pourrait
donc y avoir de difficulté que pour les huit derniers siècles,
depuis Salomon. Or, en réalité, même pour cette période,
il n'y en a pas de solide. C'est sur la foi des généalogies que
reposaient chez les Juifs la propriété des familles, les droits
des particuliers et la principale espérance de la nation. La
constitution du peuple de Dieu rendait continuellement né-
cessaire à chacun la connaissance de ses ancêtres. Par là,
elle en assurait la transmission ^ Ce n'était pas les per-
1 Cf. Matth., XXII, 42-44: Luc, i, 43; ii, dl, 38; x, 36; Jud., 4. —
2 Matth., VIII, 2, 6, 8; xv, 22; Luc, xiii, 23; xvii, 36; Joan., iv, il, 19;
IX, 36. Cf. I Pet., m, 6. — 3 Joseph., Cont. App.^ i, 7; Fleury, Mœw'9
des Isi^aéliies,
5« 113] SA VIE CACHÉE. — SA GÉNÉALOGIE. 231
sonnes les plus illustres seulement qui savaient de qui elles
descendaient ; Anne n'ignorait pas qu'elle était de la tribu
d'Aser*; Elisabeth savait qu'elle appartenait à la famille
d'Aaron*. Pour écarter toute erreur et toute fraude, les
généalogies étaient disposées dans le temple comme des
choses sacrées et placées sous la surveillance des prêtres'.
Il est vrai qu'on en perdit une partie à l'époque de la
captivité; mais nous apprenons d'Esdras qu'un grand
nombre aussi se conservèrent. L'historien Josèphe lisait
encore la sienne dans les archives publiques *. Aucune ne
doit avoir été gardée avec plus de soin que celle de la mai-
son de David. On l'ignorait si peu, à l'époque de Notre Sei-
gneur, qu'il était appelé communément Fils de David dans
toute la Judée *, et qu'on s'en souvenait encore sous Domi-
tien, après la ruine de Jérusalem. Hégésippe (f i81), nous
apprend qu'on conduisit à Rome, sous le règne de cet em-
pereur, des descendants de David^ dénoncés comme tels au
tyran par les hérétiques ^
On peut croire que les généalogies des Evangiles sont de
simples extraits des archives publiques, et que les auteurs
sacrés n'ont voulu y rien ajouter pour les éclaircir, comme
il eût été facile de le faire. Le premier verset de S. Matthieu
semble le dire. Néanmoins, en les insérant dans leur ou-
vrage comme un témoignage de l'accomplissement des pro-
phéties, ils les ont adoptées et sanctionnées de leur autorité.
L'Eglise en garantit de même le caractère divin par l'usage
qu'elle en fait dans sa liturgie.
113. — Les rationaUstes ont-ils droit d'exiger que nous leur
démontrions l'exactitude de ces généalogies?
La réalité de la vie du Sauveur et sa divinité, dont il
* Lac, II, 36.-2 Luc, i, 5. Cf. Rom., xi, 1; Phil., m, 5, etc. — ^ Cf.
Esdras, ii, 62; Néhémias, vu, 5, 64; xii, 23 ; I Mac, xiv, 40. — * Joseph.,
; VilOf I. — « Manifestum est quod ex Juda ortus est Dominus noster.
\ Hcb., VII, 14. Cf. Matth., IX, 27; xii, 23; xv, 22; xx, 30, 31 ; xxii,42, 45;
I Marc, X, 47, 48; xii, 3S; Luc, i, 69; xviii, 38; Act., ii, 30; xiii, 23;
; Rom., 1, 3; xv, 12; II Tim., ii, 8. — « Euseb., ff., III, 12, 19, 20, 32.
Cf. Brev., 18_fév., 5. Siméon.
232 JÉSUS-CHRIST SELON L'ÉVANGILE. [n® 114
s'agit entre les rationalistes et nous, ne dépendent nulle-
ment de l'exactitude de sa généalogie. L'autorité de nos
Evangiles, comme livres historiques, n'en dépend pas non
plus. La seule chose qui en dépende, c'est l'inspiration de
ces livres ou plutôt des généalogies elles-mêmes. Cette ques-
tion n'a d'intérêt que pour les chrétiens, et les rationalistes
n'ont pas à s'y entremettre.
Dans la science biblique, comme dans toutes les sciences
morales, on peut distinguer trois sortes de questions : des
questions faciles et de première importance, des questions
difficiles dont l'importance est secondaire, et des questions
insolubles qui sont sans importance au point de vue reli-
gieux. « Le grand art de la sophistique, dit M. Valroger, est
de mettre au premier plan celles qui sont obscures, et de
cacher derrière celles qui sont claires et nettement résolues:
le mérite de l'apologiste consiste en grande partie à faire le
discernement de ces questions et à restituer à chacune son
rang et sa valeur *. »
* 114. — N'est-il pas certain à priori qa'on ne saurait trouver, dans ces
généalogies, d'erreurs ou de contradictions évidentes?
S. Matthieu, qui était juif et qui connaissait l'Ancien Tes-
tament, n'aurait pas présenté à ses compatriotes un tableau
de la race de David en opposition avec les Livres saints.
S. Luc, qui n'a pu ignorer la généalogie de S. Matthieu, ne
se serait pas mis sciemment en opposition avec cet apôtre.
Enfin l'Eglise, qui a toujours reçu l'une et l'autre de ces gé-
néalogies, ne les aurait pas données constamment pour in-
dubitables, si elles avaient été évidemment fausses. Il est
donc certain à priori qu'on n'y saurait trouver de contradic-
tions ni d'erreurs évidentes.
On a avancé récemment qu'Origéne reconnaissait des
contradictions entre les deux généalogies. C'est une erreur.
* De Valroger, Introd,^ Préf. xxiii. « Que faire donc? Faire dans la
religion ce qu'on fait dans la science : s'assurer des principes, des vé-
rités décisives, et abandonner les difficultés aux discussions des sa-»
vants. » Ozanam, Lettres,
nM16] sa vie Gâchée. — sa généalogie. 233
Origéne, à l'endroit cité*, se borne à montrer en quoi ces
généalogies diffèrent Tune de l'autre.
115. — N'est-il pas étonnant que, dans Tune ot dans l'autre généalogie,
Joseph soit donné pour le père de Jésus, et Marie passée sous silence
ou nommée seulement d'une manière accessoire?
Comme les femmes ne donnent pas chez nous leur nom à
leurs enfants, ce n'était pas l'usage chez les Hébreux de les
compter au nombre des ascendants ou d'insérer leur nom dans
les généalogies pour y représenter une génération. On ne
doit donc pas s'étonner si Marie n'est pas nommée dans la
ligne ascendante du Sauveur, mais au contraire y voir une
marque d'authenticité '.
La mère du Sauveur n'est cependant pas entièrement
passée sous silence ; et quand l'Evangile la nomme, ce n'est
pas d'une manière accessoire, comme Rahab et Ruth^
S. Matthieu dit, en finissant sa généalogie, que Joseph est
l'époux de Marie, dont Jésus est le fils *, et immédiatement
après, il précise le sens de ses paroles par la révélation de
l'Ange à Joseph ^ Pour S. Luc, un sentiment fort commun
est qu'il rapporte la généalogie de la sainte Vierge, et qu'il
ne nomme S. Joseph que comme le père putatif de Notre
Seigneur.
116. — D'où vient que de David à saint Joseph les deux généalogies ne
sont pas identiques?
Pour rendre compte des différences qu'on remarque entre
ces deux généalogies, il y a deux sentiments :
I. Le premier tient que S. Matthieu a donné la généalogie
de S. Joseph, et S. Luc celle de la sainte Vierge ^ Cette hy-
pothèse semble plausible pour deux raisons :
1° 11 était naturel que S. Matthieu, écrivant pour les Juifs
* In Luc. y Hom., xxviii. — 2 Brev. rom., In Fest. S. Joachim^ lect. 7-9.
— » Matth., ï, 5. — * Matth., i. 6. — 5 Matth., i, 20. — « Multi voluut
geneiutionem quam enunierat Matthaeus deputari Joseph, et gencratio-
nem quam enumerat Lucas deputari Mariœ, ut quia caput mulioris vir
dicitar, viro etiam ejusdom generatio nuncupetur. S. Hilar. Pict., Biblioth.
nova Pat,^ Gard. Maii, 1. 1.
234 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n<> 116
fît voir que Jésus était Théritier de David, et qu'il prouvât,
par sa généalogie légale ou paternelle, qu'on ne pouvait
contester au Christ le droit de succession. Il convenait éga-
lement que S. Luc, qui écrivait pour les Gentils, considérât
le Sauveur comme né de la femme, semen mulieris *, et qu'il
leur exposât sa généalogie réelle. Après avoir annoncé si
expressément * que Jésus n'avait pas de père sur terre, il
serait étonnant qu'il eût donné sa généalogie légale par son
père putatif. Ajoutez que, dans le cas où il aurait voulu la
citer, on ne verrait pas pourquoi il n'aurait pas suivi la
même ligne que S. Matthieu.
2° Les termes employés par S. Luc : Jésus erat^ ut puta-
batur, films Joseph, qui fuit Heli, se prêtent sans effort à
cette explication, soit qu'on traduise simplement : Jésm
passait pour être le fils de Joseph, lepiel l'était d'Héli, en
rapportant à Joseph le relatif gm, soit qu'on entende : Jésm
était regardé comme né de Joseph, mais il Vêtait d*Héli, en rap-
portant le pronom relatif au mot Jésus énoncé précédem-
ment '. — Dans le premier cas, il faut admettre que Joseph
tient la place de Marie son épouse ou qu'il est nommé comme
gendre d'Héli, mais on sait que tel était l'usage chez, les
Hébreux * ; et S. Luc n'avait pas à craindre de tromper per-
sonne, par cette substitution, les chrétiens étant avertis par
S. Matthieu que le véritable père de S. Joseph était Jacob,
et la tradition assignant au père de la sainte Vierge préci-
sément le nom de Joachim, synonyme d'Eliachim ou d'Héh '.
— Dans le second cas, les termes de la traduction écartent
la difficulté et l'empêchent même de s'offrir à l'esprit. Il est
vrai que ces mots : Qui fuit Heli, ne doivent pas s'entendre
d'une filiation stricte, mais d'une simple descendance, puis-
que Héli serait l'aïeul de Notre Seigneur et non son père
proprement dit ; mais c'est le sens qu'on donne à ces mots
1 Gen., III, 15. — * Luc, i, 35. — 3 Comme au début de la généalogie
de S. Matthieu : Liber generationis Jesu Christi, fllii David, fllîi Abraham,
I, li et au premier chapitre de S. Jean : Fuit homo missus a Deo, cui
nomen erat Joannes, i, 6.— * Cf. I Reg., xxiv, 17 et Ruth., i, 11 ; IV Reg.,
XXIII, 34 et Judith, iv, 5, 7, 11 ; xv, 9. — « Cf. IV Reg., xviii, 26.
f(M161 SA VIE GACHEE, -r SA GÉNÉALOGIE. 235
dans une foule d'endroits de l'Ecriture * et le seul qui s'offre
ici, si l'on continue de rapporter à Jésus les mots qui sui-
yent : Qui fuit Mathat^ qui fuit Dei. Il est vrai encore que
cette traduction aurait peine à s'accorder avec le grec, si
l'on s'attachait au texte reçu : wv, a); evoiJ-cÇcTo, utoç Iwayjç, xou
HXi, mais l'accord devient facile si l'on admet une leçon qui
ne parait pas avoir moins d'autorité, celle des manuscrits du
Vatican et du Sinaï, les plus anciens de tous : wv uioç, w;
ropwÇsTo, lu>jY;(p, tou HXi. Il est naturel de voir ici dans le tou
qui précède HXi, non un relatif qu'on doive rapporter à
iwflTj?, mais un simple article dépendant de utoç, aussi bien
pe tous les articles suivants jusqu'au dernier terme de la
généalogie, 6scu. On voit un article semblable avant chaque
nom de la généalogie de S. Matthieu ; et il est remarquable
que dans celle de S. Luc le nom de Joseph seul en est privé,
comme n'étant cité qu'accidentellement et à un titre parti-
culier.
IL Un second sentiment, très ancien et très commun chez
les Docteurs jusqu'au quinzième Siècle, regarde les deux gé-
néalogies comme propres à S. Joseph, et elle en explique
les différences par un usage juif, celui du lévirat. En Judée,
quand une femme restait veuve et sans enfant, elle deve-
nait l'épouse de son beau-frère ou d'un de ses proches, et
les enfants qui naissaient de cette union prenaient le nom
du premier mari défunt ; ils étaient censés les siens •. De là
pour un grand nombre la pluralité des généalogies, les
lignes fictives ou légales s'adjoignant aux lignes naturelles
ou à la descendance réelle. De là pour S. Joseph une double
filiation, Jacob étant son père naturel indiqué par S. Mat-
thieu, et Héli, frère utérin de Jacob et mort avant lui sans
entant, étant son père légal, désigné par S. Luc *, De môme
pour Salathiel *.
* Gen., XXIX, 5; xxxi, 43, 55; Num., xvi, 1 ; W Reg., xix, 24; III Reg.,
IV, 2; XIX, 16; IV Reg., ix, 20; x, 1; I Par., i, 17," ix, 12; Il Par., xxii,
7, 9; l Esd., v, 1 ; vi,.14; II Esd., xi, 12 ; Dan., v, 22. — a Deut., xxv, 5.
— * Euseb., H., I, 7. — * Quelques-uns des auteurs qui rapportent à
S. Joseph les deux généalogies en expUquent les divergences d'une autre
236 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. - [N^ 118
117. — Dans cette seconde hypothèse, quelle assurance aurait-on
que Marie descendait de David aussi bien que Joseph?
C'était un fait avéré et public que Joseph et Marie étaient
de la même famille. Nous en avons pour garants : — 1° La
tradition qui veut que Marie ait été fille unique, héritière,
et pour cette raison obligée de se marier à un de ses pa-
rents, de même que Sara, fille de Tobie *. — i^ Deux évan-
gélistes : D'abord S. Matthieu, qui annonce la généalogie
de Jésus, fils de David, et qui, après avoir donné celle de
Joseph, ajoute que Jésus est né de Marie, mais non deJo:
seph, son époux - ; €ar quel moyen d'accorder ces deux as-
sertions, si Marie n'était pas de la même famille que Joseph
et n'avait pas les mêmes ancêtres^? Ensuite S. Luc, qui
rapporte les paroles de l'Ange à la sainte Vierge sur la des-
tinée de son fils : Dabit illi sedem David patris ejus *, et qui
fait remarquer que Marie dut aller à Bethléem, patrie de
David, pour se faire inscrire avec Joseph : Vt profiteretur
cum Maria "^.
lis. — Pourrait-on avoir omis quelques générations dans ces
généalogies^, dans celle de saint Matthieu surtout 6?
Il n'y a aucun inconvénient à supposer dans ces généalo-
gies quelques générations omises. En effet :
manière. Ils supposent qu'u4 des Evangélistes^ au lieu de suivre la
descendance réelle de David, s'en est écarté, non pour tracer la descen-
dance légale à laquelle le lévirat pouvait donner lieu, mais pour indiquer
la suite des héritiers ou des membres de la famille ayant droit au trône.
On conçoit en effet que ce droit ait passé plus d'une fois d'une branche
dans une autre par défaut d'héritier direct. Cf. Fillon, sur S. Luc, m.
* Tob., VI, 12; VII, 14; Cf. Nnm., xxvii, 8-11 ; xxxvi, 6-8. — « Matth ,
I, 16, 20. - 3 Cf. Matth., ix, 27; xv, 22 ; xx, 30, 31 ; xxi, 9, 15. — * Luc,
1, 32. — 8 Luc, II, 5. Cf. Marc, x, 47, 48; Luc, i, 27, 69; ii, 4; xvm,
33, 39; Rom., i, 3; II Tim., ii, 8; Heb., vu, 14; Apec, y, 5; xxii, 16;
S. Hiepon , In Matlh.^ c 1 , et S. Augi, Cont. Faust. ^ xxiii, 8, 9. Leur
parenté pouvait néanmoins être assez éloignée pour qu'ils eussent chacun
leur généalogie particulière. Eussent-ils été cousins germains, leurs
pères pouvaient n'être que frères utérins ou par alliance, ou bien encore
être enfants d'un même père, mais avoir des mères différentes et porter
différents noms, suivant la loi du lévirfit. — « S. Luc énumèrc 41 gêné-
rations de David à Notre Seignqur; S. Matthieu n'eu indique que 26.
I
J
NO 119] SA VIÉ GÂCHÉE. — SA GÉNÉALOGIE. 237
l^Cela se voit en bien des endroits de l'Ancien Testa-
ment. Le but de ces généalogies étant de fixer la descen-
dance, ou de constater qu'on était de telle race, qu'on avait
tel ou tel ancêtre, il n'était pas nécessaire d'énumérer
toutes les générations; il suffisait que la ligne de succession
fût tracée d'une manière sûre. Aussi passait-on assez fré-
quemment de l'aïeul au petit-fils ou à Tarrière-petit-fils *.
2» On aurait tort d'attacher rigoureusement au mot ge-
nuit le sens précis de génération immédiate ou de relation
de père à fils. On voit que S. Matthieu unit par ce terme
Joram et Ozias^ quoiqu'on n'ait jamais ignoré chez les Juifs
qu'il y eut entre l'un et l'autre trois générations : Ochosias,
Joas et Amasias. De même il fait naître Jéchonias de Josias %
quoiqu'il ne soit que son petit-fils par Joachim*. On peut
faire la même observation sur d'autres généalogies, par
exemple celles du chap. n d'Esdras, du chap. vu de Néhé-
mie et celle d'Esdras lui-même '^ qu'on fait remonter à Aaron
par quinze générations seulement. Genuit dans une généa-
logie peut donc signifier simplement : Il eut pour descen-
dant ^; de même que souvent pater signifie simplement
ascendant, ancêtre, etfilim descendante
* 119. — Pourquoi saint Matthieu a-t-il omis dans sa liste les trois
premiers descendants de Joram, qui ne pouvaient lui être inconnus?
Les trois descendants de Joram, omis par S. Matthieu,
étaient sans doute retranchés de la liste officielle qu'il re-
produit. Mais quelle est la raison de ce retranchement?
C'est probablement, dit S. Jérôme, l'horreur qu'on avait
pour le sang d'Achab et de Jézabel, dont Joram avait épousé
la fille, l'impie Athalie, et le désir de se conformer à l'ar-
rêt porté par le Seigneur contre leur postérité *. Ainsi voit-
* Gen., XI, 2 (cf. Luc, m, 36) ; xxix, 5 ; xxxi, 43, 55; Ruth., iv, 18-22;
iPar., 1, 17; iv, 1; vi, 3-15. (Cf. Esd., vu, 1-15); ix, 12; I Esd., v, 2
(cf. I Par., m, 17-19) ; vu, 1-5; U Esd., xi, 12 (cf. I Par., ix, 12). —
' Matth., I, 8. — 3 Matth., i, U. — * I Par., m, 16. — « I Esd., m, 1-5.
- * Cf. Isai., XLix, 21. — "ï Cf. Matth., i, 20 ; Luc, xvi, 24 ; Rom., iv, 1 ;
Supra, n. 38 et ^. T., n. 316. — « In tertiam et quartam generationem.
Ex., XX, 5. Cf. III Reg., xv, 29; xxi, 21, 22; IV Reg., ix, 7, 8.
Îâ8 JESUS-CHRIST SELON L*ÉVANGILÊ. [n» 120
on que Gain n'est pas nommé parmi les enfants d'Adam K
Quoi qu'il en soit, rien ne démontre mieux l'authenticité et
l'intégrité de la généalogie rapportée par S. Matthieu, que
la fidélité avec laquelle on a conservé une lacune si mani-
feste et si facile à remplir.
* 120. — Pour quel motif saint IVfatthieu fait-il la récapitulation de
ces générations par doubles septaines?
La récapitulation des générations par doubles septaines
est un usage propre à la nation juive et une marque d'au-
thenticité. On n'en aurait pas eu l'idée au second siècle, ni
hors de la Palestine. L'intention de l'auteur était sans doute
d'aider la mémoire et d'empêcher toute altération du texte.
On sait que les Juifs mirent de même à la fin de leurs livres
sacrés la somme des mots et des lettres qui y sont conte-
nus •. Le nombre de 14 (7 x 2), était un nombre sacré qui
éveillait l'idée de certains mystères, et les trois séries ou
doubles septénaires répondent à trois périodes bien dis-
tinctes de l'histoire juive : d'Abraham à David, de David à
la captivité, de la captivité à la naissance du Sauveur. —
Une chose plus surprenante, c'est que, pour trouver ce
nombre de quatorze dans la seconde série, celle des Rois, il
faut ajouter un noïn. Beaucoup d'auteurs croient qu'il y a
ici une omission de copiste; et, se fondant sur I Par., m, 16,
ils disent qu'il faut lire au verset 11 : Josias genuit Joachim
et fratres ejus; Joachim autem genuit Jechoniam... in trans-
migratione Babylonis. D'autres supposent qu'il faut compter
David deux fois, parce qu'il termine la première série, celle
des patriarches, et qu'il ouvre la seconde, celle des rois.
D'autres enfin pensent qu'il faut joindre le nom de Marie à
ceux des ancêtres de Jésus, parce que c'est par elle qu'il se
rattache à Joseph, comme c'est par Joseph qu'il appartient à
la race royale, issue de David.
1 I Par., I, 1. — 2 A. T., n. 87, 90.
N» 121] SA VIE CACHEE. — LES MAGES. 239
ARTICLE m.
Adoration des Mages et massacre des Innocents S
Matih., II, 1-12.
Epoqae. — Circonstances. — Difficultés.
121. — L'adoration des Mages a-t-elle ea lieu avant la Parification ?
I. Rien n'empêche de croire, suivant la persuasion com-
mune et la liturgie de l'Eglise, que l'adoration des Mages a
en lieu avant la Purification. L'usage de célébrer ce mys-
tère le six janvier, treize jours après la Nativité, remonte
certainement aux premiers siècles, et il s'accorde avec les
paroles de S. Matthieu : Cum natus esset Jésus in Bethléem
Juda^. On peut donc penser que les Mages arrivèrent ce
jour-là à Bethléem, qu'ils y demeurèrent jusqu'à la fin du
mois, que S. Joseph, au quarantième jour, conduisit la très
sainte Vierge et Notre Seigneur à Jérusalem, et que de là,
ou de Nazareth où il retourna bientôt, 4i s'enfuit en Egypte
sur un avis reçu du ciel '.
II. Néanmoins nous devons dire qu'un grand nombre de
savants et même d'anciens Docteurs, par exemple S. Léon,
pape, S. Epiphane, Ammonius dans sa Concorde, sont d'un
autre sentiment. Ils pensent que les Mages n'arrivèrent
qu'après la Purification, un an peut-être après la naissance
du Sauveur. Par ce moyen, ils conçoivent mieux : — 1° Com-
ment les Mages ont eu le temps de se concerter, de faire
leur voyage, a.T.o avaroAwv *, de prendre leurs informations.
— 2* Pourquoi Hérode fit tuer les enfants de Bethléem jus-
qu'à l'âge de deux ans : Secundum tempus quod exquisierat a
Magis ^ — 3° Comment S. Joseph et la sainte Vierge ne
craignirent pas d'aller à Jérusalem, d'y offrir publiquement
* Supra, n. 54. — 8 Matth., ii, 4. Cf. Luc, ii, 15. — a Matth., ii, 13.
— ^ Des contrées oHentales^ nom commun par lequel on entend ordinal-
fement la Perse ot la Babylo-nie. Dans ces pays, le nom de mage, dérivé
<i'an mot persan, synonyme de fASYaç, grand, était donné à tous les
membres de la tribu sacerdotale. Dans Tempire romain, il signifiait un
magicien ou un sorcier. Act., xiii, 9. — ^ Matth., ii, 16.
è4Ô JÉSUS-CHRIST SELOÎ^ L^ÉVANÔÏLË. [n<> i2f
Notre Seigneur au temple, quarante jours après sa nais-
sance.
Aux raisons des contradicteurs, ils opposent : l** Que toute
fête n'est pas un anniversaire, par exemple celle de Pâques,
des Innocents, de la Visitation, etc. *, et que d'ailleurs Ta-
doration aurait pu avoir lieu à la môme époque, l'année
suivante. — 2' Qu'il ne parait pas vraisemblable que lès
Mages soient restés près d'un mois à Bethléem, et qu'Hérode
ait passé tout ce temps sans s'occuper d'une,affaire qui in^
quiétait si vivement sa jalousie ambitieuse. — 3"* Qu'une la-
cune dans l'Evangile ne serait pas une erreur, et que les
paroles de S. Luc : Utperfecerunt. . . , reversi sunt. . . Nazareth \
n'empêchant pas les partisans du. premier sentiment de
placer l'exil en Egypte entre la Purification et le retour à
Nazareth, rien ne peut les empêcher eux-mêmes de placer
un intervalle semblable entre la Purification et l'Adoration
des Mages.
Ce sentiment amène à conclure que Notre Seigneur est
né en l'an de Rom 74i^, deux à trois ans avant la mort d'Hé-
rode, et que l'erreur de Denys le Petit est de six ans ^
• 122. — Quelle est l'étoile qui apparut aux Mages, et comment
en connurent-ils la si gnifl cation, Matth., ii, 2?
Plusieurs supposent que l'étoile qui conduisit les Mages
au berceau du Roi des deux fut un astre véritable, une
comète par exemple, et que ces Mages ou ces savants *, ha-
bitués à observer le ciel, furent frappés 'de son éclat en
même temps que de son apparition* D'autres pensent que
c'était un météore, brillant comme une étoile, mais assez
rapproché de terre pour qu'on pût en suivre le mouvement
comme la colonne de feu du désert ^ — Quant à sa signifi-
1 Au iii« siècle et au iv«, les Orientaux célébraient, le 6 janvier, tout
à la fois la naissance de Notre Seigneur, son Epiphanie et son baptôme.
Cf. Gassien., Coll. x, 2. — ^ Luc, ii, 39. Nazareth était dans la tétrarchie
d'Antipas dont le gouvernement passait pour assez doux. — 3 Supra,
n. 47, 48. — * Cf. Dan., i, 20; ii, 2. — « Matth., ii, 9. Eo nascente, lax
nova orta est, quo moriente, lux antiqua fuit in sole velata. S. Aug.,
Serm., cxcix, 3. Ula luce inchoata est fides gentium; in his tcnebris
J
nM23] sa vie Cachée. — LEà mages. 241
cation, il est certain que, pour la connaitre, les Mages
eurent besoin d'une révélation, soit intérieure, soit exté-
rieure K La prophétie de Balaam ' était loin d'être assez pré-
cise pour donner Tintelligence d'un pareil signe; il n'est
pas même certain qu'elle y eût rapport. Mais Dieu lit ce qui
était nécessaire pour amener ces rois aux pieds de son Fils
et le leur faire adorer ^ Ainsi s'annonçait l'union prochaine
des Gentils et des Juifs dans son royaume, qui est l'Eglise *.
123. — Quel est le Conseil convoqué par Hérode, et d'où est tirée
cette prophétie sur la patrie du Sauveur, Matth., ii, 4, 6?
I. Ce conseil est le sanhédrin, le tribunal suprériie de la
nation, qui parait avoir été institué du temps des Macha-
bées ^ à l'instar de celui des soixante-dix anciens, établi par
Moïsedans le désert*. Il comprenait soixante-douze membres
répartis en trois chambres : — 1° La chambre des prêtres,
dont faisaient partie les grands-prétres en exercice, les pon-
tifes démissionnaires, et les chefs des vingt-quatre familles
sacerdotales, ap^cspctç'. — 2<> La chambre des docteurs et des
scribes, YpapLixaTetç, c'est-à-dire des hommes lettrés et savants,
à la fois jurisconsultes et théologiens, qui faisaient une
étude particulière de la loi de Dieu ; il y en avait de toutes
les tribus : la plupart étaient attachés à la secte de phari-
siens *; — 3° Enfin la chambre des anciens, r.ps,(s6\jiepoi, ou
des magistrats et des notables de la nation '. S. Matthieu ne
accusata est perfidia Judseorum. Serm,^ cci, t. Cf. Vies de S. Charles,
de s. Pierre d'Alcantara, etc.
< Matth., II, 14. Dédit aspicicntibus intcllectum qui prsestitit signum.
Léo, Seiin, in Epiph.^ 31. — 2 Nura., xxiv, 17. Cf. Bar Cochebas, fils de
rétoile. — 3 Cf. S. Th., p. 3, q. 30; Bossuot, l'* Jnst» sur une version
du N. Test.^ Àddit. l'« Remarque. — * Bethléem fit hodic, totius Ec-
clesiae nascentis exordium. Mis. Epiphanie. — ^ SuveSpiov, mot d'origine
grecque. H Mac, i, 10; iv, 44. Cf. Jos., A, /., XIY, ix, 4. 11 est appelé
aussi ^ouXt), Marc, xv, 43; et Yepou^ia, Act., v, 21, etc. — ^ Nuni.,
XI, 16. — 7 Cf. I Mac, XIV, 35; Matth., xxvi, 3; Act., iv, 6. Il y eut six
grands-prètres déposés pendant la vie d'Hérode, et huit pendant la vie
da Sauveur : dans Josèphe, comme dans nos Livres saints, ils conservent
leur titre après leur déposition. B., II, xx, 4; IV, ix, 11, Infra, n. 804.
— » Cf. Matth., XII, 38 ; xv, 1 ; xxii, 34, 85 ; xxiii, 2, etc. — » Cf. Matth.,
XVI, 21; Marc, xiv, 53; xv, 1; Act., iv, 5.
14
242 JÉSUSrCHRIST SELON l'évangile. [n^ 124
fait pas ici mention de cette troisième chambre. Hérode
n'avait pas intérêt à la consulter en cette occasion, parce
qu'il s'agissait d'une question purement religieuse.
II. Le texte allégué par le Conseil est du prophète Michée.
Il n'est pas cité littéralement, mais quant au sens. Le con-
texte : Egressm ejus ab initia^ a diebus œternitatis, prouve que
c'est bien une prophétie messianique *. Il ne faut donc voir
qu'un sentiment particulier, le sentiment d'un petit nombre
et des moins instruits, dans les paroles rapportées par S.Jean,
vu,' 27, 52. Généralement on était persuadé que le Messie
naîtrait en Judée, dans la patrie môme de David, son aïeul
et sa figure '.
* 124. — D'od vient que saint Matthieu rapporte longuement ce fait et
que saint Luc le passe sous silence?
1** L'adoration des Mages rentrait dans le plan du premier
évangile, pour deux raisons : elle montrait l'accomplisse-
ment de plusieurs prophéties relatives au Messie ^ et elle
était de nature à plaire aux Juifs, à diminuer le scandale de
la croix, à faire pressentir les hautes destinées de l'Eglise.
2* S. Luc n'avait pas les mêmes motifs que S. Matthieu
pour en faire le récit. Il avait déjà rapporté assez de traits
merveilleux sur l'Incarnation et l'enfance du Dieu-Homme :
l'Annonciation, la révélation faite à sainte Elisabeth, aux
bergers, etc. Les prophéties ne faisaient pas la même impres-
sion sur les Gentils que sur les Juifs. D'ailleurs ne conve-
nait-il pas au disciple de S. Paul de laisser dans l'ombre
un fait qui semblait à l'avantage de l'ancien peuple, et qu'on
pouvait prendre pour un présage de sa prédominance sur le
reste du monde ? — Il est vrai que les Pères y ont vu plus
tard une figure de la substitution des Gentils aux Juifs:
mais au moment où S. Luc écrivait, l'Evangile commençait
à peine à s'établir hors de la Judée, et un tel présage n'avait
pas la vraisemblance en sa faveur.
1 Mich., V, 2. Cf. Joan., xi, 49-52. — 2 Joan., vu, 41, 42. Cf.
S. Thom., p. 3, q. 37, a. 7. — 3 Num., xxiv, 17; Ps. Lxxi, 10; Isai.,
Lx, 6, etc.
NO 123] SA VIE CACHÉE. — LES MAGES. 243
3» Quoi qu'il en soit, Tauthenticité des deux premiers cha-
pitres de S. Matthieu est incontestable *. Quanta la véracité,
outre que les faits dont nous venons de parler sont en har-
monie avec le reste des Ecritures, il répugne de supposer
qu'un auteur Juif, écrivant en Judée, pour des Juifs, une
douzaine d'années après la mort de Jésus-Christ, cinquante
ans au plus après celle d'Hérode, ait eu l'audace de les in-
venter et de les proposer à la foi de ses compatriotes, quand
personne n'en avait l'idée et que tous les documents comme
tous les souvenirs en démontraient la fausseté.
* 125. — Est-il croyable qu'un prince ait fait mettre à mort tant
d'enfants, sur un simple soupçon, causé par Tambition?
Le massacre des Innocents ', tout horrible qu'il est, n'a
rien d'incroyable pour ceux qui connaissent les mœurs de
l'époque et le caractère d'Hérode. La vie d'un enfant était
alors si peu respectée que Tacite regarde comme une sin-
gularité le scrupule que se faisaient les Juifs de mettre à mort
leurs enfants nouveaurnés ^ Pour des ennemis vaincus ou
des rivaux dangereux, les politiques avaient bien moins d'é-
gards encore. Nous apprenons d'Eusèbe * qu'après la ruine de
Jérusalem, l'empereur Vespasien fît rechercher et massacrer
tous les membres survivants de la maison de David. Quant
à Hérode, sa vie offre une foule de traits non moins affreux
que le massacre des Innocents, c En comparaison de ce
* Suprùf n. 54 — * On leur donne le nom de martyrs (S. Iron.,
m, 18), parce que, s'ils n'ont pas eu le mérite de se dévouer pour Jésus-
Christ, ils ont eu l'avantage de verser leur sang à sa place et d'être
victimes de la haine qu'on lui portait. Cf. Luc, ix, 24; S. Thom., 2*-2«;
q. 124, a. 1 ; et p. 3, q. 96. — » Tacit , Hist., v, 5. Quot vultis ex his
circamstantibus et in christianorum sanguinem hiantibus, ex ipsis
etiam severissimis in non prssidibus apud conscientias puisera qui
natos sibi liboros enecent? Tert., Apol.y ix. Rabidos effligimus canes,
trucem bovem caedimus, portentosos fœtus extinguimus, libères quoque,
si débiles monstruosiquc editi sunt , mcrgimus. Non ira sed ratio est.
Senec, de Ira, i, 15. Auguste fit tuer le fils de sa petite- fille, qu'il
soupçonnait être le fruit d'un adultère. Suéton., August., 65, 94. Cf.
Clandiusy 37; Act., xxvii, 42, 43; Juvenal^ v, 551; vi, 603; xii, 115;
Terent., Heautontim,, Act., iv, se. 1, v. 14; Codex, 1. ix, tit. 17. —
* Euseb., //., III, xn, xx.
244 JÉSUS-GHRIST SELON l'évangile. [n® 126
tyran, dit Voltaire, Néron fut un homme doux. » Il fit périr
presque toute la famille de Marianne, sa seconde femme,
qui descendait des Machabées. Après avoir mis à mort Hyr-
can, son grand-pére, Alexandre, son père, Antigone, son
oncle, Aristobule, son frère, Alexandra, sa mère, il finit par
égorger Marianne elle-même, et étrangler les deux fils qu'il
en avait eus *. Le mot d'Auguste rapporté par Macrobe, auteur
païen du quatrième siècle : Malle se Herodis esse porcum, uv,
quam filium, u'.ov * ; montre de quoi on le croyait capable.
Pour ce tyran, le meurtre d'une vingtaine d'enfants ou même
d'une quarantaine, pro abundantia cautionis ^ dans une pro-
vince qu'il traitait en pays conquis et qu'il pouvait appeler
indocile, était une bagatelle ; et l'on comprend que Josèphe
n'ait pas remarqué ce trait de cruauté au milieu de tant
d'autres *. Il est possible d'ailleurs qu'il ait omis à dessein
de parler d'un fait qui touchait de trop près à la personne
du Sauveur, et qui établit entre Moyse et lui un rapport
frappant ^
ARTICLE IV.
Présentation au Temple, Luc, ii^ 32-39.
(6 ans avant notre ère, 2 févri,fr.)
126. — Quel est le temple où Notre Seigneur fut offert, et pourquoi
saint Luc n'en fait-il pas la description?
Si S. Luc avait écrit après la ruine du temple et la sup-
pression du culte mosaïque, il aurait dû donner quelques
détails sur la cérémonie de la Présentation ^ et sur la partie
du temple où elle eut lieu ; mais lorsqu'il composa son livre
rien n'était plus familier aux Juifs, ni plus facile à connaître
pour tous les chrétiens.
Le temple, to ispov, où Notre Seigneur est allé tant de fois,
1 Cf. Joseph., A., XV, vi, 7; XVI, xi, 7; XVII, vii-xiii; J5., I, xvi;
XXII, 2; XXXIII, 7.-2 Macrob., Saturn.^ ii, 4. Cf. Sueton., In August,
xciv. — 3 S. Chris., In Maith.y hom. vu. — * De même du massacre
des Galiléens mentionné en S. Luc, xiii, 1, 2. Cf. Joan., xxi, 25.—
fi Exod., I, 16, 22; ii, 3, 10. — s Ex„ xii, 29, 30; xm, 2, 11-15; Num.,
xviii, 15, 16.
N^ 126] SA VIE CACHÉE. — LA PRÉSENTATION. 245
n'était plus l'édifice bâti par Salomon * ; celui-ci avait été dé-
truit par Nabuchodonosor (584). Ce n'était même plus, à pro-
prement parler, celui de Zorobabel ; du moins Hérode avait
employé pendant de longues années plus de dix-huit mille
ouvriers à le transformer ^ Mais c'était toujours le temple du
vrai Dieu ^. Gomme le premier et le second, il était situé sur
le mont Moria, où l'on croit qu'Abraham avait offert Isaac.
Il renfermait plusieurs parvis ou terrasses, élevés les uns
au-dessus des autres comme autant de degrés superposés. Le
premier parvis, appelé par Josèphe le temple extérieur,
était celui des Gentils, où tout le monde pouvait entrer :
c'est là que se tenaient les marchands auxquels on achetait
des victimes et qui changeaient les monnaies. G'est là, dans
quelque salle destinée à cette usage, que les Docteurs confé-
raient entre eux ^ Le second parvis était celui des Israélites.
On y voyait le Trésor, signalé par S. Jean *. Défense était
faite aux Gentils d'y pénétrer ; et l'on a retrouvé en 1871
une pierre que Notre Seigneur a dû voir, sur laquelle cette
défense se lisait en grec *. Ce parvis était divisé en deux
parties, l'une pour les femmes, l'autre pour les hommes.
Plus haut était un troisième parvis : celui des prêtres. Il
contenait l'autel des holocaustes et touchait au temple pro-
prement dit. C'est dans le dernier parvis qu'on immolait
les victimes , qu'on bénissait , qu'on chantait des cantiques
et des psaumes. Au-dessus de ces trois parvis, s'élevait la
maison de Dieu, ou l'édifice sacré qui servait au culte divin,
* in Reg., vi-viii; II Par., iii-vii. — 2 Le travail entrepris par Hérode
dix-sept ans avant Jésus-Christ ne fut achevé que par son petit-fils, Tan
soixante-quatre. Josèphe nous a laissé une longue description de ce
temple. « C'était certainement^ dit-il, Tédifice le plus magnifique qui
existât sous le soleil. » A., V, xi, 1; B., V, v, 1. — 8 Agg., 11, 10. —
* Luc, II, 46. — 3 Jban., viii, 20. — « La pierre a été transportée à
Constantinople , mais on peut en voir au Louvre un moulage parfait,
Musée judaïque y n. 8. On y lit: M^jÔeva aXXoifevTj eiaitopeuetiôai evTOç xou
xepi To lepov xpuçaxTou xat irspiêoXou* oç ô' av XtiçOiq eauTw aiTio; etjcai ôta
To eÇaxoXouôeiv Oavatov. C'est la première inscription grecque recueillie
à Jérusalem : aussi est-ce aux Grecs qu'elle s'adresse. Clermont-Ganneau,
La stèle du Temple. Cf. Act., xxi, 28. Infra, n. 394, 547 et Joseph., .4.,
XV, XI, 57; B., V, v, 2j VI, 11, 4.
14.
246 jÉsus-GHRiSï SELON l'evangile. [n^ 127
0 vaoç *. Il était tourné vers l'Occident, et il comprenait,
d'abord un large vestibule ou portique plus élevé que tout
le reste ; puis derrière un voile, le lieu saint, renfermant le
chandelier d'or, la table d'or pour les pains de proposition
et l'autel d'or des parfums; enfin, derrière un second voile,
le sanctuaire ou lieu très saint, qui aurait dû contenir l'arche
de l'alliance , mais d'où cette arche était absente depuis
la captivité ^
127. — Siméon. Gomment faut-il entendre ce qu'il dit : Que Notre
Seigneur sera un signe de contradiction^ une cause de ruine et de ré'
surrection pour plusieurs, Luc, ii, 34?
Quoique l'Evangile ne l'affirme pas, on est fondé à croire
que Siméon était prêtre : il en fait les fonctions, en prenant
l'enfant dans ses bras pour l'offrir au Seigneur et en bénis-
sant ses parents ^ Aux versets 34 et 35, il se montre pro-
phète. Il annonce à Marie les inimitiés et les traverses aux-
quelles son Fils sera en butte, in signum *. Il prédit ensuite
le résultat de sa venue sur la terre, la réprobation du peuple
juif et le salut ou la résurrection des Gentils. Cette dernière
prophétie s'accorde avec ce qu'il dit dans son cantique:
Lumen ad revelationem gentium ^ et avec ce qu'avait déjà
annoncé Zacharie : Illuminare his qui in tenebris et in umbra
mortis sedent ®.
C'est la loi ou le peuple ancien qui semble parler par la
bouche de Siméon. Ce saint vieillard n'appelle pas Dieu son
Père, mais son Seigneur ; il ne se dit pas son enfant, mais
son serviteur. La venue du Sauveur a été l'objet de son at-
tente, et doit être le terme de son existence. Son cantique
est comme la conclusion de l'Ancien Testament et la préface
du Nouveau ^
1 De vaio), habito; la demeure du Seigneur, le sanctuaire. — ^ Cf.
II Mac, II, 5; Joseph., A.^ VIII, m, 9; B., V, v, 4; A. T., n. 497. —
3 Luc, II, 34. S. Epiph., S. Cyrill. Hieros. — * Cf. Thren , m, l2;'Heb.,
XII, 3. — s Luc, II, 32. Cf. Isai., xxviii, 16; Dan., ii, 54. — 6 Luc, i, Î9.
— ^ Supra, n. 103.
.\M28J SA VIE CACHÉE. — FUITE EN EGYPTE. 247
ARTICLE V.
Fuite en Egypte et retour, Matth., ii, 14-23.
* 128. — Ne voit-on pas une figure et un sens spirituel dans le
passage de saint Matthieu, ii, 14-23?
I. Le passage d'Osée, cité par S. Matthieu, est pris dans le
sens spirituel. Littéralement, il a pour objet la postérité
d'Abraham, que Dieu a délivrée de la tyrannie de Pharaon ^
C'est une preuve de ce que dit S. Augustin, que le peuple d'Is-
raël a été la figure du Messie, aussi bien que ses patriarches \
II.La persécution, que subit le Sauveur est elle-même le
présage et comme la figure de celles auxquelles l'Eglise et
ses membres doivent être en butte. En effet, il y a trop d'a-
nalogies entre l'histoire de l'Eglise et celle de son divin
chef, pour que cette conformité ne soit par l'effet d'un. des-
sein providentiel. Comme Notre Seigneur, l'Eglise naît
dans la pauvreté et la souffrance ; comme lui elle est ex-
posée, dès son berceau, à la haine et à la violence. On veut.
1 étouffer dans le sang. On la réduit à se cacher *. Elle at-
* Denier d'Auguste, jEgypto capta. Depuis une huitaine d'années,
l'Egypte n'était plus qu'une province romaine, gouvernée par un préfet.
U nom d'Auguste se lit dans plusieurs temples d'Egypte et de Nubie.
Le crocodile, personnification du Nil, était la divinité principale du
pays. — * Puer Israël, et dilexi eum et ex iEgypto vocavi filium meuni.
Osée., XI, 1. — 3 Dicoillorum non tantum linguam, verum etiara vitam
fuisse propheticam, totumque illud regnum magnum quemdam, quia et
Diagni cujusdam, fuisse prophetam. S. Aug., Cont. Faust. ^ xxii, 24. Vult
enim Scriptura non solum auribus doceri populum, sed et oculis. Magis
enim mente retinetur quod visu quam quod auditu ad animum pervenit.
S. Hieron., In Jerem., iv, 19. Cf. Gen., xxviii, 5. Exod., ii, 15; iv, 22,
23; I Reg., xix, 10. — * Apoc, xii, 6. Latebrosa ac lucifugax natio.
Minut. FeUx.
248 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n<^ 129
tend pour se montrer que Dieu ait frappé ses persécuteurs.
Alors, elle fait éclater sa sagesse, elle excite l'admiration
par l'éclat de sa doctrine. Ainsi, la vie de l'Eglise est en
germe dans la vie de Jésus *. C'est le mystère commencé de
leur éternelle union ^ On trouverait des rapports de même
genre entre la vie du Sauveur et celle des saints ^ Avouons
néanmoins que ces rapports sont incomplets, de diverses
sortes, et que ce serait exagérer de vouloir en déduire des
données précises sur l'avenir de l'Eglise, à plus forte raison
des particuliers.
* 129. — Comment doit-on traduire ce mot de saint Matthieu : Ul adim-
pleretur : Quoniam Nazarsetis vocabitur^ ii, 23, et comment le faut-il
entendre?
Il faut traduire, ici comme ailleurs, NaÇïjpaioc par Naza-
réen, Nazarenus. Il est évident que ce nom doit être justifié
par le séjour de Notre Seigneur à Nazareth , et s'accorder
avec le surnom de Nazaréen qui lui est donné plus de quinze
fois dans l'Evangile et les Actes, qui a été inscrit au sommet
de sa croix, et dont les païens se servaient pour désigner
ses disciples.
Mais où lit-on dans les Prophètes que le Sauveur doit s'ap-
peler ainsi ? Les Prophètes ne disent nulle part qu'il doit
porter ce nom : seulement ils disent qu'on lui attribuera ce
que ce mot signifiait en Judée. En effet il paraît que le nom de
Nazaréen était, chez les Juifs de Jérusalem *, ce qu'il fut plus
1 C'est pour cette raison qu'on peut appliquer à l'un et à l'autre les
mômes figures, celle de Jonas par exemple, qu'on voit en<^tant d'endroits
des catacombes. Celle-ci a Notre Seigneur pour premier objet; /n/m,
n. 229, 4^9; mais elle convient aussi parfaitem€nt à TEglise. Perdue et
comme ensevelie dans le sein de Tempire romain, le géant des mers^
suivant le langage de S. Jean, Apoc, xiii, 1; xvii, 15, TEglise en sort
après trois siècles, Apoc.^ xx, 4, 5, reprend une nouvelle vie, et opère
en peu de temps la conversion du monde. Cette seconde signification
n'est peut-être pas colle qui frappait le moins les premiers chrétiens.
De même du sacrifice d'Abraham, des trois enfants d'Israël dans la four-
naise do Babyloné, etc., Heb,, xiii, 8. — * Sustinet corpus quod pr»-
çessit in capite. S. Aug., In Psalm, xxxvi; Serm, ii, 18. — 3 Joan.,
XV, 20; Rom., viii, 29. — * Joan., i, 46;.vii, 52.
j
N» 130] SA VIE CACHÉE. — IL RESTE DANS LE TEMPLE. 249
tard parmi les païens, au temps de Julien l'Apostat, un terme
de mépris, à peu près comme celui de Béotien était chez les
Grecs*. Or, les prophètes n'annonçaient-ils pas en bien des
endroits que le Sauveur serait méprisé, injurié, tourné en
dérision^?
S. Jérôme donne à ce mot une autre signification. Par son
étymologie, dit-il, ce terme donne Tidée d'un arbrisseau,
d'un rejeton ; et cela s'accorde avec ce que dit Isaïe : Egre-
dietur virga de radice Jesse ^ Mais cette explication nous
semble moins naturelle. Quant à l'interprétation qu'il pro-
pose ailleurs *, et qui consiste à prendre Nazaréen pour con-
sacré à Dieu par le nazaréat, NiÇwpaioc, Nazarœus, ainsi que
le fut Samson ^ elle ne parait pas s'adapter au texte de
S.Matthieu. On peut dire de plus qu'elle ne s'accorde pas
avec l'histoire du Sauveur ; car si Jésus-Christ a été consa-
cré à Dieu plus parfaitement que personne, nous ne voyons
nulle part qu'il se soit assujetti aux observances particulières
qu'imposait le vœu du nazaréat *.
ARTrCLE VI.
Jésus-Christ parmi les Docteurs, Luc, ii, 41-52.
{An 6, 2" Jour de mai.)
* 130. — Où était Notre Seigneur quand il fut retrouvé par ses .
parents?
L'Evangile dit que Jésus fut trouvé dans le temple^ sv -w
i£?«, ce qu'il faut entendre de quelqu'une des salles renfer-
mées dans l'enceinte du temple \ Il y en avait plusieurs le
long du pavis, où l'on enseignait la science sacrée. Les
maîtres les plus renommés y donnaient leurs leçons. C'est
donc là. dans une de ces salles, que Jésus se trouvait, non
pas debout comme un disciple ordinaire, ni comme S. Paul
au pied de la chaire de Gamaliel ', mais assis comme les
' Cf. Joao., I, 46; vu, 52; xix, 19; Act., xxiv, 5. — ^ isai., ui , 14;
uii, 3.-3 ïsai., XI, 1 ; lx, 21. ~ ♦ Brev., de Vigil. Epiph.y lect. ix. —
» Judic , xm, 5.-6 Cf. Luc, i, 15; vu, 33, 34. — ' Joseph., fl, VJ, vi.
— • Act,, XXII, 3.
250 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n« 131
docteurs sur le même rang qu'eux, et même au milieu
d'eux *.
Les paroles qu'il adresse à ses parents ne sont pas moins
profondes que celles qu'il a pu dire aux docteurs. Il n'est
pas étonnant qu'ils n'en comprennent pas toute la portée K
Celles de Marie rendent admirablement sa tendresse respec-
tueuse envers son divin Fils et son affectueux respect pour
son saint époux. Le silence de S. Joseph, en cette circons-
tance, et la peine qu'il avait ressentie le peignent également
bien : Sicut illa caste mater ^ sic ille caste pater,,, Quod Spiri-
tus operatus est ^ ut risque operatm est *. Entre les paroles du
Sauveur, on remarquera le mot Pater meus, après celui de
pater tuus, prononcé par la sainte Vierge.
I3d. — Comment faut-il entendre ce verset de saint Luc : Jésus profi-
ciebat sapientia et œtate et gratia apud Deum et komines, 52?
L Pour ce qui est de l'intelligence, nous entendons S. Luc
en ce sens qu'ayant, comme homme, les mêmes facultés que
nous et se trouvant ici-bas dans des conditions analogues
aux nôtres, le Sauveur éprouvait des impressions de même
genre, voyait les mêmes objets, se formait les mêmes idées,
acquérait la même science ; et que laissant paraître cette
science au dehors selon qu'il l'acquérait et n'en faisant pas
paraître d'autre, il donnait de jour en jour à ceux qui l'ob-
servaient de nouvelles preuves de ses connaissances et de sa
sagesse ^ Les Docteurs donnent à cette science le nom d'ex-
périmentale, à cause de la manière dont on l'acquiert pour
l'ordinaire. Elle était pour Notre Seigneur la conséquence
naturelle de la condition où il s'était mis, et elle rend compte
de ce qu'ont dit l'Ecriture et les Pères sur son enfance et sur
le développement graduel de son intelligence. Puisqu'il ac-
1 Luc, II, 46. Quasi fons sapientiae doctorum médius sedet, sed quasi
exemplar humilitatis vidcre potius et interrogare doctoros quam ins-
truere quaerit indoctos. Ven. Beda., In hune loc. — 2 Luc, ii, 50. Cf.
Luc, II, 33. — 3 Luc, I, 35. — * S. Aug., Serm. li, n. 2^, 30. — 5 Sc-
cundum profectum aetatis, perfectiora opéra facicbat et in eis quaB sunt
ad Deum et in eis quaB sunt ad Iiomines. S. Thom., p< 3, q. 7, a. 12,
ad 3 et q. 12, a. 2.
N*' tU\ SA VIE CACHÉE. •— IL RESTE DANS LE TEMPLE. 281
quérait réellement cette sorte de science, il devait aussi en
donner des marques, y faire des progrès, apprendre cer-
taines choses, y appliquer son esprit, interroger, admirer,
s'étonner, etc. *.
Cela n'empêche pas de reconnaître en son âme dès le pre-
mier moment de l'Incarnation une . science surhumaine et
des lumières d'un ordre supérieur ^ Les principaux Doc-
teurs et tous les théologiens enseignent qu'il avait reçu par
infusion, à la manière des prophètes et des saints, mais
dans une mesure incomparablement plus grande, un degré
de science proportionné à sa dignité et à sa mission'. De
plus, ils s'accordent à dire que son âme jouissait de la vision
intuitive de l'essence divine, d'une manière plus parfaite et
plus pleine que tous les esprits du ciel *. Ils regardent ces
privilèges comme une conséquence naturelle de l'union hy-
postatique, et par conséquent ils ne sauraient admettre qu'il
ait dû les mériter par ses œuvres, ni qu'il en ait été un seul
instant privé. A plus forte raison n'admettraient-ils pas que
son esprit partageât à son entrée dans le monde l'ignorance
commune à tous les enfants d'Adam. Ingrediens mundum di-
cit: Ecce venio ut faciam, Deus, voluntatem tuam. In qua ro-
luntate sanctificati sumus ^ Dans l'Apocalypse, on entend les
élus du ciel célébrer sa sagesse et ses lumières en même
temps que sa divinité *.
IL Quant à la grâce dont l'âme de. Notre Seigneur a été
ornée, nous distinguons de même, avec les théologiens, les
habitudes et les actes surnaturels, les principes et les effets.
Les œuvres de grâce ou les actes de vertus croissaient et se
multipliaient sans cesse; mais les habitudes infuses, les dis-
positions vertueuses, la grâce sanctifiante, tout ce qu'exi-
geait en son âme sa dignité d'Homme-Dieu , ne pouvait
. * Cf. Matth., vin,.lO; Marc, ix, 20, xt, 13; Joan., xi, 34; Heb., v, 8.
8. Thom., p. 3, q. Il , a. 1 ; a. 4, q. 9, et q. 15, a. 8. — * Isai., xi, 2;
Joan., I, 14; m, 34; vi, 65. — » Bossuet, Médit , 79, dern. sem.; Infray
n. 239.259. - ^ Joan., m, il ; vi, 45 ; viii, 38, 55 ; S. Thom., p. 3, q. 7,
a. 3 et q. 10, a. 1. Gf. q. 9, a. 4. — 3 Heb., x, 5-10. Cf. Joan., vi, 49;
xviu, 4; XXI, 17; Col., ii, 3. — « Apoc, v, 12. Gf. S. Greg. M., EpisL,
lib. X. 35 et 39.
28^ JESUS-CHRIST SELON L*ÉVANGILE. [n^ 132
croître. Le Sauveur a toujours possédé ces dons au degré le
plus élevé * : Verbum caro factum est, plénum gratiœ et teri-
tatis, et de plenitudine ejusnos omnes accepimus ^
CHAPITRE m.
PRÉPARATION PROCHAINE A LA PRÉDICATION DE l'ÉVANGILE.
ARTICLE L
Prédication de saint Jean-Baptiste, Lac, m, 1-18;
Malth., m, 1-12.
{An 781-782 de Rome; 15 de Tibère; 28-29 de notre ère.)
* 132. — Pourquoi saint Luc marque-t-il avec tant de soin sous quels
princes et sous quels pontifes eut Ueu la prédication de saint Jean-
Baptiste, III, i-2?
En commençant par donner une idée de la situation poli-
tique du monde et de la Judée en particulier, S. Luc se pro-
pose à la fois plusieurs fins : — 1^ De bien fixer son point
de départ ou la date de ses premiers récits et de mettre ses
lecteurs à même d'en vérifier l'exactitude. Ainsi débutent
les prophètes dans l'Ancien Testament. — 2** De prouver que
cette époque est bien celle où le Messie devait paraître, le
sceptre étant sorti de Juda et la Judée n'étant plus qu'une
province de l'empire romain. — 3° De faire remarquer
1 In Christonon poterat esse gratiœ augmentum, sicut nec in beatis...,
nisi secundum effectua, in quantum sciUcet aliquis sapicntiora et vir-
tuosiora opéra facit. S. Thom., p. 3, q. 7, a. 12. — 2 Joan., i, 14.—
3 Médaille de Tibère : Ti. Csesav, divi Augusti filiuSy Augustus. Au revers
Pontifex maximus; et au milieu, Rome ou Livie, tenant d'une main un
sceptre, de Vautre une fleur. Tibère succédait à Auguste depuis l'an 14.
(Biblioth. nationale.)
N» 134] SA VIE CACHEE. — I»RIÈDICATI0N DU PRÉCURSEUR. 283
rhumble origine du royaume de Dieu, au milieu de ces illus-
trations terrestres, et peut-être aussi l'éclatante lumière au
sein de laquelle s'accomplirent les événements de l'histoire
évangélique*.
La mention qu'il fait du règne de Tibère et du gouverne-
ment de Ponce-Pilate ' donne à penser que cet évangéliste
n'est pas un Juif de Galilée, et qu'il écrit pour les chrétiens
répandus dans l'empire, plutôt que pour les habitants de la
Palestine.
133. — La loi et Thistoire des Juifs permettent-elles d'admettre qu'il y
ait eu deux souverains Pontifes à la fois, comme le dit saint Luc,
m, 2?
Quoique ce fait n'ait pas été fréquent et qu'un auteur
moins assuré de ses renseignements se fût bien gardé de
l'avancer, il est certain que Caïphe et, Anne portèrent à la
fois le titre de grand-prêtre. Anne, élevé au pontificat en
l'an 7 par Quirinus, en avait été déposé en l'an 15 par Vale-
rius Gratus, commissaire de Tibère. Il fut remplacé dans sa
dignité par Caïphe, son gendre, de l'an 25 à l'an 36. Néan-
moins il conservait son titre avec une partie de ses fonc-
tions, probablement comme vicaire officiel de Caïphe ^ Il
présidait le sanhédrin, et continuait à jouir d'une grande
influence. Cet état de choses est confirmé par les autres évan-
gélistes *, et par l'historien Josèphequi faitconnaître unautre
fait analogue à celui-ci ^
* 134. — Qu'avons-nous à remarquer dans le discours de saint
Jean-Baptiste?
On peut remarquer dans les discours du Précurseur :
^ Neque enim in angulo quidquam horum gestum est. Act., xxvi, 26»
Egopalamlocutus sum mundo. Joan., xviii, 20. Supra, n. 23. — ^ S. Luc,
ui, 1, comme S. Matthieu, xxvu, 2, l'appelle Hyst&cov, au lieu d'ËntTpoico;,
MO titre officiel. — 3 Cf. Jer., ui, 24 et I Reg., xxi, 6, Marc, ii, 26.
Supra, n. 123. — * Luc, m, 2; Joan., xviii, 13; Act., iv, 6. Le nom de
Caïphe parait être une forme de Taraméen Géphas. l\ le prit proba-
blement à son entrée dans le pontificat, à la place de celui de Joseph
<ia'il avait reçu à sa naissance. Joseph., A., XVIII, n? 2; iv, 2. —
' Joseph., B., U, XII, 6 et A., XVIII, ii, 2; XX, ix, 2.
m. 13
254 . JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n» 134
1» La citation d'Isaïe *. En inspirant ces paroles au pro-
phète, TEsprit saint avait sans doute en vue la captivité des
Juifs à Babylone et leur retour en Palestine ; mais ce qu'il
considérait surtout, c'était la captivité des âmes sous le
joug du démon et leur affranchissement par le Rédemp-
teur ^
2* Un hébraïsme : Baptizabit spiritu et igné ^, pour bapti-
zabit spiritu qui ignis est ou igné spiritus *. Le Sauveur doit
plonger les âmes dans des flammes ardentes qui les puri-
fieront tout autrement que l'eau du Jourdain ^ Par ces
flammes, il entend toutes les communications que l'Esprit
saint fera aux apôtres et aux fidèles, à la Pentecôte, et par les
sacrements.
3** Cette locution : Securis adradicem arborum posita est\,
qui fait allusion à plusieurs passages des prophètes, où les
princes d'Israël sont comparés aux cèdres du Liban \
4** Ces paroles rapportées par S. Jean : Qui post me ven-
turUs est, ante me factm est ®, quia prior me erat, paroles qui
attribuent au Sauveur non seulement une autorité supérieure
à celle du Précurseur, mais une existence antérieure *, par
conséquent l'éternité. [JpwToç [acu, sans comparaison *®.
5» Enfin le titre que S. Jean-Baptiste donne à Jésus-Christ :
Agnus Dei, qui tollit peccatum mundi ".Il entend que Jésus-
Christ est la grande victime, donnée de Dieu et demandée
par Dieu, Thostie sans tache, figurée par les victimes du
temple et surtout par l'Agneau pascal, dont l'immolation a
mis fin à la première captivité ; qu'il doit être offert en sacri-
fice perpétuel à la majesté divine, afin d'expier, avec les pé-
chés d'Israël, les iniquités du monde entier. Ce mot Agnus Dei
est toujours précédé de l'article dans le texte grec : o Apivoç
i Matth., m, 3. — ^ /n/ra, n. 178. — 3 Luc, m, 16. — * Cf. Act.,
I, 5. Supra, n. 38, 5«. — s Matth., m, 6; Act., i, 5; vi, 10; xix, 3, 4.
Cf. Mal., III, 2.-6 Matth., m, 10. — ^ Isai., x, 33, 34; Ezec, xxx, 5.
— 8 Fortior me est, Matth.. m, 10; Luc, m, 16. — « Prior Joanne, prior
Abraham, prior quam Adam, prior quam cœlum et terra, prior quam
Angeli, Scdes, Dominationes, Priocipatus et Potestates. S. Aug., Senn.
GGGLxxx, 5. Cf. Col., I, 16; Jnfra, n. 333. — lo Joan., i, 15, 80. Cf. i, 21 ;
VIII, 5^. — ** Joan., i, 29.
. j
N" J3S] SA VIE Cachée. — pri^dication du prhccrseur. 258
au6e«j'.0aip(i>v, quitollU,qm6teet qui prend sur soi, qui
enlève en se chargeant.
n en différait essentiellement. Ce n'était pas un sacre-
ment, ayant en lui-même la vertu de remettre le péché ou
de conférer la grâce, mais une simple pratique de religion,
ifhtunilité et de pénitence, par laquelle on témoignait le
besoin qu'on avait d'être purifié, et la disposition où l'on
étail de commencer une vie meilleure '. Cette cérémonie ne
pouvait donc pas tenir lien du baptême du Sauveur; mais elle
ypréparait'. Beaucoup d'auteurs pensent que le Précurseur
p'avait fait qu'étendre à ses disciples un des rites auxquels on
Bonmettait les Gentils qui renonçaient au paganisme et qui
demandaient à s'agréger au peuple de Dieu. Par cette obser-
vance, les uns et les autres faisaient profession de renoncer
i lenrs habitudes coupables, d'aspirer à une vie meilleure,
d'en accepter les conditions et d'en implorer la grâce.
I Cf. Nom., ixvm, 3, 6; Isai., LVii, 7,11, 1Ï; Dan., vm. Ii-i3; Josn.,
t, », aajIPet., I, 19; Apoc, v, 12, 13; xii, il;^iii, 8; xiv, 1. Infra,
B. It7. — * Act., Il, 3, 8, ixn, 16; Gai., m, 27. — > Bapliamaa Joannis
xlnti pans fuit qao > bapliaiiiiB Jadaids ad baptismum cbristianom
transitai factus est. S. Cbrya., Rom. de flofif. chrùl., 3, — ' Moanaio
d'Hérode Antipas, tétrarqne de Galilée, sous lequel pr&cbait Baint Jean-
Bipijst« et & qui il reprocha son m ar) âge avec nérodïâds. Sur la face,
Uie branche de palmier, entourée de cea mots, npw&au iETpapx''<'. Aui
deni cOtes de la palme, les lettres, AAF, indfquant la 33* année du
i+gna d'Anlipas,0Q]a!9"derère chrétienne et la première de la prédi-
cition du Sauveur. Le premier lambda est Tinitialo et l'abrégé de ïuxkSii;,
synonjnie de ito;, année. Cf. n. 2^1, 264, etc. Surlo revers, an iniliou
ifnae couronne de laurier, Tifriipiot, nom donné par lui, en l'Iinnneur do
l'empereor régnant, à la capitale do sa tétrarchie.
286 JÉStS-CHRIST SELON l'évangile. [n» 137
ARTICLE IL
Baptême de Notre-Seigneur, Matth., m, 13-17; Luc, m, 21^ 22,
(An 29 de notre ëre, 35 de J.-C.)
136. ' — Gomment saint Jean-Baptiste ne connaissait-il pas le Sauveur
avant son baptême, Joan., i/3^3, puisqu'il lui a dit à lui-môme qu'il
ne méritait pas de le baptiser, Matth., m, 14?
Voulant faire entendre qu'il n'a pu se concerter avec le
Sauveur, S. Jean affirme qu'il ne l'a pas vu avant le jour et
l'heure de son baptême, owx vjSeiv *. Il est vrai qu'à ce mo-
ment, Jésus se présentant à lui, l'Esprit saint le lui fit con-
naître aussitôt par une lumière intérieure semblable à celle
qui découvrit Sâûl au prophète Samuel *. Dès lors S. Jean
eut voulu lui rendre publiquement l'honneur qu'il lui devait ;
mais le Sauveur n'y consentant pas, il attendit pour le dési-
gner au peuple le signe miraculeux qui lui avait été pro-
mis*. Ce qui résulte de là, c'est que Jean unit ici dans sa
pensée le moment où Jésus-Christ s'est adressé à lui et celui
où il l'a baptisé. Il ne distingue pas la lumière intérieure
qui a éclairé son esprit du signe qui a frappé ses regards
quelques moments après *. De cette manière tout s'explique
et se concilie sans peine.
* 137. — Pourquoi Jésus-Christ dit-il à saint Jean qu'ils doivent
Tun et Tautre accomplir toute justice?
Notre Seigneur apprend au Précurseur à régler sa con-
duite, non sur la dignité de celui qui demande son baptême,
mais sur le bon plaisir et les desseins du ciel. Il lui fait en-
tendre que ce qui leur convient à l'un et à l'autre et ce qu'ils
peuvent faire de mieux dans l'intérêt de leur ministère,
c'est de donner l'exemple des plus hautes vertus, surtout
, 1 Joan., I, 31, 33. Cf. i, 49, grsece; de etâeco, intuitus sum, minime
vidi. Cf. Act., xxiii, 5. Le fait rapporté aux versets 33, 34, est évidem-
ment antérieur à celui qui est décrit au verset 29. — ^ I Reg., ix, 15-18.
r^ 3 Joan., I, 33, 34. — ^ Cum dicit : Nesciebam eum, superiora tem-
pora respicit) non qu» circa baptismum fuerunt. S. Chrys., In Joan*t
Hom. XVI, 3.
nM38] sa vie cachée. — son baptême. 257
de l'humilité, de la pénitence, de la soumission*. Telle est
la raison pour laquelle, avant de commencer sa prédication,
le Fils de Dieu veut être baptiisé' publiquement au mi-
lieu des pécheurs qui confessent leurs fautes, xaç apiapTia;
«uTwv ', et de la main d'un homme qui paraît avoir à peine
sur lui la supériorité de l'âge. Résolu d'expier nos péchés sur
la croix, il commence par en accepter la charge; il en prend
puWiquèment la responsabilité devant Dieu*. Omnis jmtitia
signifie vertu pleine et parfaite *.
138. — Poarquoi les troîis Personnes divines se montrent-eUes
en ce baptême?
Le baptême du Sauveur étant le type et comme l'inaugu-
ration du baptême chrétien, conféré au nom du Père, du
Fils et du Saint-Esprit, il convenait qu'on y vit d'une ma-
nière sensible ce que le sacrement de la régénération opère
dans les âineset la part que ces divines personnes y prennent.
C'est ce qui a lieu en eflfet ^ On voit le Père désigner le
Sauveur comme son Fils et l'objet. de toutes ses complai-
sances, 0 Tioç |Aou 0 aYaiCTTiToç, 22, le Saint-Esprit descendre
sensiblement pour s'établir dans son âme et en prendre la
conduite •, le Fils se dévouer au service de la majesté divine
et à l'œuvre de la rédemption du monde ^ Ainsi quoique
tout le prodige soit l'œuvre de la Trinité^ chaque personne
s'y manifeste séparément et témoigne y prendre part '.
* Gœpit facere et docero, Act., i, 1. — * Cf. Lev., iv, 14 ; Num., v, 7;
Pfov., xxYiii, 13. Pars salatis est sua cohflteri et nosse peccata. S. Hier.,
Al Verem., i. — » S. Thom., p. 3, q. 39. — ♦ Cf. Matth., xxvni, 18;
Rom., I, 18; vn, 8; I Cor., xiii, 2; Ephes., i, 3, 8; iv, 2; Phil., i, 9;
Col, I, 28; I Tim., i, 16; in, 4; Jac, i, 2. — « Cf. Gen., i, 26, 27. Tune
corpus suum, id est Ëcclesiam suam, prsefigurare dignatus est. S. Aug.,
ûc ÎVm., XV, 46. — 6 L'Esprit saint a. toujours été désigné dans l'Eglise
par le symbole sous lequel il s'est ici montré. Néanmoins la colombe
signifie aussi quelquefois ses dons, comme dans la Vierge aux sept
colombes , ou les âmes pures , douces , célestes , animées par le Saint-
Esprit. Bossuet, Serm. sur la Trinité y 1«' point, fin. — r ^ Accepit ut
homo, effndit ut Deus. S. Athan., De hum, nat. suscepta. Ut ex his cor
gnosceremus, post aquœ lavacrum et de cœlestibus portis sanctum in
DOS Spiritum involare et paternœ vocis adoptione Del Hlios non flcri.
Cf. s. Thom., p. 3, q. 39, a. 5-8. — 8 Trinitas fccit de cœlo voccm, sed
288 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n® 139
Les premières sectes attachaient une grande importance
à ce mystère *. En ce moment l'Eon céleste, le Christ, était
descendu sur le Sauveur, suivant les gnostiques ', et suivant
les Ebionites, un feu céleste avait enflammé tout le fleuve du
Jourdain '.
ARTICLE III.
Notre Seigneur au désert, MaUh., iv, 1-11; Lac, iv, 143.
* 139. — Pourquoi cette retraite au désert après son baptême?
Jésus-Christ se retire au désert * : -^ pour suivre le mou-
vement de l'Esprit de Dieu qui est descendu en lui *, —
pour expier par la pénitence les péchés dont il vient de se
charger, — pour combattre le démon, auteur du péché,
dont il 4oit abattre l'empire % -^ enfin pour se préparer à
son ministère, comme les prophètes se préparaient au leur,
par l'éloignement du monde, le recueillement, la prière et
la mortification \ Là, il jeûne rigoureusement quarante
jours et quarante nuits, comme a fait Moïse avant de publier
la loi, comme a fait Elie avant de s'entretenir avec le Sei-
gneur '. Il passe tout ce temps parmi les bêtes sauvages, dit
S. Marc, i, 13, ne vivant que de la vie de l'esprit, occupé de
non pertinet vox nisi ad Patrem. Trihîtas fçcit de cœlo columbam, sed
non pertinet nisi ad solum Spiritum. S. Au.g.^- Serm, lu, 21. Infra^
n. 566'.
i L'Ëglise primitive Thonorait aussi beaucoup, mais, pour d'autres
motifs. Elle Foffrait partout aux regards des fidèles comme le modèle
du grand Sacrement qui d'enfants de colère nous rend enfants de Dieu
et héritiers du royaume éternel. Martigny, Baptême, — s Cf. S. Iren.,
m, XI, 1; S. Ëpipb., Useres.^ xxx, 3, 34; Philosoph.y lib. VU, vm, 35, etc.
— 3 Evang. secund, Hebrseos. Cf. Matth., m, 11; S. Justin., Dial., 88,
103; S. Epiph.> H/eres., xxx, 13. — * Lieu voisin de Jéricho, auquel on
donnait ce nom. — s Matth., iv, 1. — 6 Matth., iv, 2-11. — ^ Cf. Act.»
I, 4, 5, 14; S. Thom., p. 3, q. 41, a. 3, ad i ; Bossuet, Elév.^ Som , xxni.
— 8 Exod., XXIV, 18; Deut., ix, 9; III Reg., xix, 8; Apec, ix, 19. Cf.
S. Léo, Sei*m, xl, 3. Brev. rom., 30 apr., lect. iv. Ce fait étonnant,
rejeté comme incroyable par les rationalistes, est confirnié par un grand
nombre de faits de môme genre de THistoire des Saints. Acta SS.,
5 janv., t. I, p. 276; 6 mars, t. vu, p. 653 ; 3 août, t. j, p. 220. Die/, de
Mystique chrét,^ Abstinence, Jeûne, Eucharistie.
N» 140] SA VIE CACHÉE. — SA RETRAITE AU DÉSERT. 259
Dieu, méditant sa parole et opposant ses maximes aux sug-
gestions du tentateur *.
140. — Pourrait-on penser que les tentations du Sauveur ont été inté-
rieures, et que le récit do TKvangile n'est qu'une parabole?
Prétendre que les tentations du Sauveur ont été tout inté-
rieures et spontanées, comme le sont communément les
nôtres, à plus forte raison soutenir qu'elles ne sont qu'une
parabole, ce serait embrasser un sentiment contraire au
texte de l'Ecriture, à l'interprétation générale des Pères et
à la croyance commune. De plus, ce serait porter atteinte à
la dignité et à la sainteté du Fils de Dieu •; car il ne conve-
nait pas qu'il fût comme nous en butte aux attaques des pas-
sions, et nous voyons par plusieurs passages de TEvangile
qu'il avait sur elles l'empire le plus absolu •. Jésus-Christ
n'a donc pu être tenté que par suggestion. Mais de cette
manière, on conçoit qu'il ait pu et voulu l'être, soit pour
nous avertir des épreuves auxquelles notre condition nous
soumet *, soit pour nous montrer par son exemple les moyens
que nous avons d'échapper au péril, soit pour nous mériter
la grâce de tirer profit des attaques même du démon *. Car
notre condition ici-bas nous expose à être tentés, d'abord
par la sensualité, puis par la vanité et l'orgueil, enfin
par l'ambition et l'amour delà fortune ^
On conçoit aussi que Satan se soit aveuglé un certain
temps sur la divinité du Sauveur, qu'il n'ait pu croire à une
•
» Matth., IV, 3. 6, 9; Eph., vi, 17. Cf. S. Tliom., p. 3, q. 40, a. 2 et 3.
- * Luc, I, 35; Heb., vu, 26. — 3 Joan., xi, 33; xiv, 30. Turbaris tu
nolens : turbatus est Christus quando voluit. S. Aug.,/n Joan.^ xlix, 18.
— * Vita nostra non potcst esse sine tentatione , quia profectus nostor
fit per tentationcm , nec sibi quisquam innotescit, nisr tentatus, ncc
potest coronari nisi vicerit, nec vincere nisi certaverit, nec certare nisi
inimicum et tentationes habuerit. S. Aug., In Ps. lx, 3. Cf. In Ps. xxi, 5.
" * Heb., IV, 14, 15. — « Matth., iv, 10. A ces trois concupiscences
sont opposés les trois vœux de religion, qui sont le grand chemin de
la perfection chrétienne. S. Matthieu paraît avoir suivi , dans le récit
des trois tentations, l'ordre des faits ; S. Luc suit la gradation dos lieux,
je désert, la montagne, le pinacle du temple. Le P. Patrizi attribue
l'interversion aux copistes.
260 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n<> 140
telle grandeur dans un tel abaissement, ou du moins qu'il
n'ait pas regardé le fait de Tlncarnation comme indubitable,
et que pour s'assurer de la vérité, aussi bien que pour sa-
tisfaire son instinct, il n'ait pas craint de s'exposer à la con-
fusion d'une défaite *. Dès lors le récit des évangélistes n'a
plus rien d'invraisemblable ou dont on puisse contester la
réalité \
1 Matth., lY, 3, 10; Luc, xxiy, 16. Tantum Christus innotait dseino-
nibqs quantum voluit; tantum voluit quantum oportuit. S. Aug., Ife
Civ. Deiy ix, 21. Cf. S.'Hilar., In Matth., m, 1; S. Chrys., In Malth.,
hom. xin; S. Hieron., In Matth.^ iv, 6, etc. — * Quid mirum si se
permisit a diabolo duci, qui se pertulit a membris illius crucifigi?
S. Greg. M., In Evang,, Hom. xvi, 1. Cf. Dan., xiv, 35; Act., viii, 39;
Brev., Dom. Quinq.y lect. vii-ix; S. Thom., p. 3, q. 15, a. 2 et q. 41.
Infray n. 194 et 662.
DEUXIÈME PARTIE
PRÉDICATION DE L'ÉVANGILE
CHAPITRÉ PREMIER.
FAITS DE CETTE PÉRIODE.
ARTICLE L
Faits naturels.
Epoque, dorée, théâtre, ordre chronoïogtqae des prédicatioDs da Sauveur.
141. — A quel âge Notre Seigneur commença-t-il à prêcher l'Evangile,
et combien de temps consacra-t-il à ce ministère ?
I. NotreSeigneur n'a commencé à prêcher, comme S. Jean-
Baptiste, qu'après avoir atteint l'âge de trente ans: Inci-
piensy qitasi annorum triginta '. Il ne voulut donc pas pré-
venir^l'âge^equis chez les Juifs pour les fonctions sacerdo-
tales *.
IL Sa prédication a duré un peu plus de trois ans. — Si
l'on s'en tenait aux Synoptiques, comme ils ne signalent
aucun anniversaire durant ses courses évangéliques, on
« Médaille de Tibère, empereur, Augusti filius. Au revers, temple
d'Auguste Nicéphore, assis sur un piédestal, Junon à gauche, Minerve
à droite. Aux deux côtés du fronton , un soldat et une victoire. (Bibl.
nationale). — « Luc, m, 23. — 3 Num., iv, 3, 23, 30, 35; I Par., xîiii, 3;
Ezec, I, i ; S. Th., p. 3, q. 29, a. 3. Supra, n. 41.
15.
262 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n» 141
pourrait peut-être la réduire à une seule année A nnm re-
demptionis^ ; et c'est ce qu'ont fait plusieurs anciens*. Mais
S. Jean ne le permet pas. Car, entre le baptême de Jésus-
Christ et son Ascension, il mentionne expressément trois
Pâques : — la première, peu après le miracle de Cana;
Prope eratpascha,,, et ascendit •, — la seconde, vers le temps
de la multiplication des cinq pains : Eratproxmumpascha%
— la troisième, à l'époque de sa mort ^ Ces trois Pâques
supposent deux ans complets de prédication, ; et, en tenant
compte du baptême de Notre Seigneur, de son jeûne au dé-
sert et de la vocation des Apôtres, qui ont précédé, près de
deux ans et demi. De plus, S. Jean mentionne une qua-
trième fête, dies festus Judœorum % qui donne lieu à un
voyage du Sauveur à Jérusalem ; et cette fête oblige d'ajou-
ter une troisième année aux deux précédentes. A la vérité,
il n'est pas dit que ce fut une fête de Pâques, et Notre Sei-
gneur aurait pu aller également à Jérusalem pour la Pente-
côte ou pour la fête des Tabernacles ; mais on ne peut ad-
mettre que ce voyage ait eut lieu la première année, ni à
l'une ni à l'autre de ces deux fêtes, soit parce que l'intervalle
qui les sépare de Pâques ne paraît pas suffisant pour y placer
tout ce qui est rapporté par S. Jean et le^ synoptiques
comme s'étant passé avant le dies festusy soit surtout parce
que, la moisson se faisant en Palestine entre la fête de
Pâques et celle des tabernacles \ le Sauveur n'a pas pu dire
en cette saison qu'elle aurait lieu dans quatre mois ^ D'un
autre côté, il n'est pas possible de renvoyer le dies festm
après la Pâque du chapitre vi ; il faut nécessairement le placer
auparavant, c'est-à-dire l'année précédente. Donc, il y a eu
* Isai., Lxi, 2; lxiii, 4; Luc, xiv, 19; S. Iren., Il, xxii, 5. ToutefoU
les Synoptiques signalent plusieurs changements de saisons, et S. Mat-
thieu, mentionne dans le cours de son récit deux faits dont cliacun a dû
SG passer au printemps, vers la fôte de Pâques : les épis cueillis par les
Apôtres, xu, i ; et le recouvrement de l'impôt pour le temple, xvii, 24.
— 2 Glem. Alex., Strom., i, 22, Cf. Orig., de Princip,^ iv, 5; Tert., Adv,
Jud., viii. — 3 Joan., ii, 13. — * Joan., vi, 4. Cette fois, le Sauveur no
va pas à Jérusalem. -. s Joan., xin, 1. — s Joan., v, 1» — "^ Gif. Exod.,
XXIII, 16 et Levit., xxui, 34. — 8 Joan., iv, 36.
.j
NM42] sa yiE PUBLIQUE. — FAITS NATURELS. 263
une fête de Pâque entre celle du chapitre vi et celle du cha-
pitre II *. Cela suffit pour donner à la prédication de Notre
Seigneur la durée que nous lui avons assignée. Peu importe,
après cela, que le dies festus soit une solennité pascale ou
une fêle différente ; mais puisque ce fut pour Notre Seigneur
roccasion d'un voyage à Jérusalem, il semble plus naturel de
Tentendre d'une fête de Pâque que de toute autre solennité.
C'est ainsi que S. Irénée l'entendait dès le second siècle et
c'est ce que portent d'anciens manuscrits*. Le ministère pu-
blic du divin Maître a donc duré trois ans et demi environ,
et ses Apôtres, appelés à le suivre dès le commencement ',
n'ont pu passer que trois ans et quelques mois à son
école *.
Un travail si court pour une pareille œuvre, une base
si étroite pour un si haut édifice, ne se concevrait pas, si
Dieu n'en était l'auteur. Comment les Evangélistes auraient-
ils imaginé gratuitement une telle invraisemblance ?
142. — Où habitait le Sauveur dans l'intervalle de ses courses
apostoliques ?
!• Il n'habitait pas à Nazareth, quoiqu'il y eût été élevé
dans la maison de ses parents *. Il vint dans cette ville au
début de sa prédication, et la lecture d'Isaïe qu'il fit dans la
synagogue ^ causa une vive émotion ; mais il n'opéra ni
* Joan., VI, 4 et ii, 13. Cf. Matth., xxvi, 5 ; Marc, xv, 6 ; Luc, xxiii, 17.
— ^ S. Iren., II, xxiii 3. Cf. S. Hieron., In hune toc» et Théodoret, In
Dan,, IX. On lit y) eopxY), la grande fête, la fête de Pâques, v, 1, dans un
certain nombre de manuscrits, fc{, C, E, F. Les autres. A, B, D, G, etc.,
IKHtent e»pni sans article. Cf. Mattli., xxtii, 15, grssce; Joan., iv^ 45.
-» Act., I, 21, 22. — * Cf. Dan., ix, 27; Matth., xxiv, 27; Luc, xiii,
7-8; Euseb., Demonst,y viii, et jH., i, 10. — ^ C'est dans ce sens que
Nazareth est dite son pays^ v) icaTpiç avTou. Matth., xiii, 14. Supra, n. 91.
— 8 Matth., XIII, 54; Marc, vi, 1; Luc, iv, 17, etc. Synagogue : édifice
où les Juifs se réunissaient le jour du sabbat pour prier, pour lire la loi
et les prophètes, pour commenter la parole de Dieu. Chaque synagogue
avait son président, apxiwvaywYoç, Marc, v, 22, son collège d'anciens,
speaêurepoi, son ministre, unTipEXTic, Joan., vu, 15. L'usage des synagogues
paraît remonter à la captivité do Babylone. Ezec, xix , 1 ; xx , 1 , 31 ;
U Esd., Yui, 18. On en avait construit dans toutes les colonies, Act.,
^i 21, et même à Jérusalem, il y en avait un grand nombre, vi, 9. Aprè^
264 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n« 143
conversion ni miracle ^ Ses concitoyens ne voulurent voir
en lui que le fils de Joseph ; et non contents de le chasser
de leur cité, ils cherchèrent à le jeter dans un précipice qui
borde la route *.
2* Il demeurait habituellement à Capharnaûm, sur le bord
occidental du lac de Génésaretb, près de l'embouchure du
Jourdain, à deux lieues de Tibériade, résidence d'Hérode le
tétrarque. C'est là qu'il se rendit en quittant Nazareth*.
S. Matthieu appelle Capharnaûm sa cité, t; iBia -rcoXiç, dvitas
ejus *. C'est là qu'il séjournait l'hiver, probablement dans la
maison de Simon ^ Car Simon Pierre, bien qu'originaire
de Bethsaïde®, y avait une maison \ C'est là qu'il opéra le
plus grand nombre de miracles *. Il profitait, pour répandre
sa doctrine, du concours des Juifs et des Gentils que le com-
merce attirait dans cette ville, de l'une et l'autre Galilée.
Dans la belle saison, il faisait des excursions dans les vil-
lages et les bourgs voisins % et quelquefois des voyages
assez longs qui le ramenaient à la ville sainte, ou qui le con-
duisaient jusqu'aux confins de Tyr et de Sidon ^^, ou dans
la Décapole, au-delà du Jourdain **.
En somme, il n'a guère demeuré dans la Judée. Bien
qu'il fût né à Bethléem, aux portes de Jérusalem, il ne
tarda pas à s'en éloigner. Il se rapprocha de la gentilité
pour prêcher son évangile et de Jérusalem pour terminer
sa vie.
143. — Combien remarquert-on de voyages dans la vie publique
du Sauveur?
Les Synoptiques ne parlent que d'un voyage de Notre
la destruction du temple , elles offrirent un refuge au peu qui resta du
culte et du sacerdoce mosaïques. A côté de la synagogue se trouvait
presque toujours une école où Ton enseignait la loi.
1 Luc, IV, 23-27. -^ 2 Cf. Matth., iv, 13; xiii, 54.-3 Matth., iv, 13;
Joan.. II, 12. — * Matth., ix, 1; xin, 54. Bethléem Ipsum tulit, Nazareth
educavit, sed Capharnaûm ipsius fuit habitaculum. S. Ghrys., In Matth.,
Hom. XXIX, 1. — 8 Cf. Matth., xvii, 24 et ix, 10, 28. — * Joan., i, 44. —
7 Marc, I, 29. — 8 Matth., ix, 2; Marc, i, 23, 34; ii, 4 ; Luc, iv, 3S-41.
Cf. Luc, X, 13, 15. — 9 Matth., iv, 13. — lo Matth., xv, 21. — *» Marc,
V, a0;vii,31.
MER DE GALILËE.
I< ■'Mm miruDleoM it S, Pierre, prèi de BeUiwIde, Luc,, v, II. — î. Tempête
•piiiée d'oDiuot.Matlh., VIII, î3-i'J. — 3. Démoni chutèt prêt Gadve, inrtgioae
Ctroinigrim. Matth.. viii, îi-3i. — i. Retour k Caphirnaùm, Matth., ii, I, —
S.Truméeet marchedinaledéjert, Matih., xiv, U. — 6. Première maUiplic»-
lioildH I»». Matth., mv, 14-11 ; Joap., vi. <-l!t. — 7. Marehe da Samenr >ar leg
Holà, Mallh., xiv, ll-ïi. — 8. Seconde mmiiplicatioD de> paini, Matth.. nv, iî-3i.
- ». Retonr tan Dalmanntba, Matth., xv, 39. — 10. Faauga h l'orient. Mallh.,
"ii 1- — il. iDatrnotiim aprèa la traTenèo, Matlh., xvi, fl-to.
N® 144] SA VIE PUBUOUE. — FAITS NATURELS. 267
Seigneur à Jérusalem, celui qui se termina par son crucifie-
ment *. Dans l'intérieur de la Galilée et aux environs, ils se
bornent à indiquer quelques déplacements dont il est diffi-
cile de suivre la trace. Hug distingue dans leurs évangiles
quatre voyages principaux, qu'il rattache aux quatre Pâques*;
mais tous ces arrangements sont plus ou moins systéma-
tiques. On a beau solliciter les faits : ils ne laissent pas de
protester d'une manière ou. d'une autre. S. Jean, qui s'at-
tache à compléter les Synoptiques, s'en tient presque à men-
tionner les voyages du Sauveur en Judée. Pour une fois qu'il
le montre à Samarie *, il signale quatre fois sa venue et son
séjour à Jérusalem avant l'époque de sa Passion : — !<> Au
début de sa prédication * ; — 2° A l'époque de la fête qu'il ne
nommç pas *; — 3® A la fête des Tabernacles *; — 4* Pour
la Dédicace \
144. — Que faut-il entendre par Concorde ou Harmonie des Evangiles?
Une Concorde est une Histoire du Sauveur dans laquelle
on a tâché de fondre les récits des quatre Evangiles, en les
rangeant selon l'ordre des temps. On comprend l'importance
de cette composition. Il n'y a pa^ d'autre moyen de connaître
la vie de Jésus-Christ et d'éviter les répétitions dans l'exposé
de sa doctrine et de ses oeuvres. Aussi a-t-on essayé de
bonne heure de faire ce travail. L'histoire ecclésiastique
fait mention de deux Concordes du second siècle, l'une de
S. Théophile (+ 186), septième évoque d'Antioche*, l'autre,
plus répandue et plus ancienne peut-être, queTatien (f 172),
paraît avoir composée avant de se séparer de S. Justin pour
s'attacher à Marcion *. Ammonius d'Alexandrie (f 220), au
commencement du troisième siècle, en donna une nouvelle
qui devint fort célèbre *°.
* Matth., XX, 17; Luc, xvii, 11. — ^ Matth., ix, 1 et Marc, ii, 1; —
Matth., xn, 9 et Marc, m, 1; — Matth., xiii, 54 et Marc, vi, 1; —
Matth.y xvn, 24 et Marc, ix, 32. — 3 Joan., iv, 5, 40. — * Joan., ii, 13.
— 5 Joan., Y, 1. — 6 Joan., vu, 2-10. — ^ Joan., x, 22. — « Cf. Euseb.,
//., IV, XXIX ; S. Hieron., Epist, çxxi, q. 6; de Vir. ill., 25; Galland,
Biôlioth. veL Pat, t. u, Prole^ 51. - » Euaeb., ^., iv, 29. — lo Voir
Tcsquisse d'une Concorde à la fin du Tolumc.
268 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n° 145
Depuis le dix-septième siècle, on en a publié un grand
nombre, la plupart composées avec beaucoup de soin. Nous
nous bornerons à citer parmi les auteurs catholiques : Cor-
nélius a Lapide, Jansénius de Gand, Dubuisson, Arnauld,
P. Amelotte, P. Lamy, D. Calmet, P. Dufour, Toynard, deLi-
gny, Leroux,Mastaï, Rambaut, Fillion etc.; et toutes les Vies
de Notre Seigneur où l'on a reproduit purement ou avec des
additions le texte évangélique *.
145. — Est-il possible de tracer avec précision la suite des faits qoi
ont rempli la période évangéliqae de la vie du Sauveur?
Il est impossible de tracer avec certitude la suite de ces
faits. Souvent même on ne peut faire à cet égard de con-
jectures bien probables, comme on en fait sur ceux qui
remplissent les jours de sa passion et les premières années
de sa vie. La raison de douter, c'est que, d'un côté, cette
période comprend, dans l'Evangile, un grand nombre de
faits et de discours sans date précise ; et que, d'autre part,
chacun des évangélistes suit une marche qui liii est propre,
sans qu'on puisse dire sûrement quel est celui qui se con-
forme à l'ordre chronologique, ou môme si quelqu'un d'eux
l'a suivi autrement que par intervalle et approximative-
ment '. Les mots : tune^ ecce, postea^ statim, in illis diebus^ in
1 Les Concordes diffèrent des Concordances. On nomme Concordance
an ouvrage qui indique par ordre alphabétique tous les mots contenus
dans la sainte Ecriture, et par ordre de livres, de chapitre et de ver-
sets tous les endroits où ces mots sont contenus. On en a composé pour
Thébreu (J. Buxortf, Berlin, 1862), pour le Nouveau Testament grec
(Bruder, Leipzik, 1842), pour la Vulgate (Dutripon, Bar-le-Duc, 1866, etc.)
et pour le français. — 2 Ces divergences et ce défaut d'ordre sont une
marque de plus d*aathentîcité. Les Orientaux ne savent pas s'astreindre
à notre marche régulière et uniforme. Dans leurs récits, ils devancent
les temps ou reviennent en arrière; ils s'étendent ou. ils abrègent sui-
vant leurs dispositions. Josèphe n'est pas exempt de ce défaut, si versé
qu'il fût dans la littérature grecque. Mais c'est dans les discours et dans
les écrits doctrinaux qu'il se manifeste principalement. Les Hébreux
ignorent Tart de se tracer un plan, de préciser le sujet, de le diviser,
d'en distinguer et d'en bien disposer les diverses parties. Or nos évan-
giles sont des écrits doctrinaux , plus encore qu'historiques , et ils ont
été composés par des auteurs Juifs. On doit donc s'attendre que l'ordro
a^ 145J SA VIE PUBLIQUE. — FAITS NATURELS. 269
illo die, semblent employés presqae partout comme simples
transitions : ils ne peuvent donc constater la connexion des
faits, ni même leur succession. De plus, on trouve chez les
Synoptiques beaucoup de récits qui se ressemblent plus ou
moins, sans qu'on puisse dire s'ils ont ou non un objet iden-
tique, ou si tels faits ou tels discours, rapportés avec des
variantes en plusieurs évangiles, ont été répétés ou non en
diverses occasions *. On comprend par là comment les au-
teurs de Concordes diffèrent de sentiment ou restent dans
l'incertitude sur tant de points.
IL Si Ton compare entre eux les quatre évangélistes, quel
est celui qui s'est le mieux conformé à l'ordre des temps ? Il
n'est pas facile de le dire. S. Jean fournit les données né-
cessaires pour déterminer la durée de la vie publique du
Sauveur ; mais il rapporte peu de faits et ne s'occupe guère
de la prédication de Notre Seigneur en Galilée. Entre les
Synoptiques, S. Matthieu paraît à quelques-uns offrir plus de
garantie, comme étant témoin oculaire et ayant écrit peu de
temps après les faits. Communément, pourtant, on donne la
préférence à S. Luc, parce qu'il a eu S. Matthieu entre les
mains, qu'il est souvent appuyé par S. Marc, et que, connais-
sant mieux la forme de l'histoire et faisant profession de
composer son récit ex ordine^ xaÔeÇfjç ', il semble n'avoir eu
d'autre motif pour changer l'ordre suivi par ses devanciers
que le désir de reproduire plus exactement la suite des faits*.
Néanmoins on a sujet d'hésiter dans bien des cas, et les au-
teurs de Concorde qui croient devoir le plus de confiance à
S. Luc restent divisés sur beaucoup de points. En somme, les
évangélistes font peu d'attention à l'ordre chronologique des
actions du Sauveur, et jamais ils ne supposent que le lec-
y manque plus ou moins et que les récits et les discours ressemblent à
une série de fragments négligemment assortis, plutôt qu'à un ensemble
bien conçu et parfaitement suivi.
* Par exemple, l'onction des pieds, Matth., xxvi, 6; Luc, vii, 36;
Joan., XII, 1; la vocation des Apôtres, Matth., iv, 18; Marc., i, 6; les
vendeurs chassés du temple, Joan., ii, 13; Maith., xxi, 12; le discours
sur la «montagne, Matth., v-vii; Luc , vi, 17; l'aveugle guéri, Marc,
XVI, 45; Luc, xviii, 35, etc. — * Luc, i, 3. — 8 Supra, 52,
270 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n^ 147
teur s'en préoccupe. Leur point de vue est plus élevé et plus
pratique K
146. — Si Ton met de côté les œuvres miraculeuses du Sauveur, quels
sont les faits les plus remarquables de sa carrière évangôlique?
Ces faits se rattachent pour la plupart à un certain nombre
de personnes avec lesquelles Notre Seigneur eut des rap-
ports particuliers : — le Précurseur, — les Apôtres, —
S. Pierre, leur chef, 7— ses disciples, entre autres Nicodème
et Madeleine, — les membres de sa famille, — deux péche-
resses qu'il convertit, la Samaritaine et la femme adultère,
— enfin les ennemis de son Père et les siens : les profana-
teurs du temple, les Hérodiens, les Sadducéens et les Phari-
siens. Autant de sujets d'étude, autant de paragraphes.
§ I. — S. Jean-Baptiste. MaUh., m; iv, î-19; Joan., i, 19-35.
Ses rapports avec Notre Seigneur. — Avec Hérode Antipas.
147. — Comment saint Jean-Baptiste a-t-il rendu témoignage
au Sauveur?
S. Jean-Baptiste a fait connaître le Sauveur, comme Fils
de Dieu ^ comme rédempteur du monde ' et comme Epoux
de l'Eglise * ; et il lui a rendu témoignage en cinq occasions
différentes mentionnées par le quatrième évangéliste, qui
parait avoir été son disciple :
• 1° Lorsqu'on lui demande s'il est le Christ, ou le Prophète,
c'est-à-dire celui des prophètes dont on attendait la réappa-
rition sur la terre, Enoch, Elle ou Jérémie ^ il répond qu'il
n'est qu'un souffle, qu'une voix, préchant dans le désert *,
que son baptême n'est qu'une ablution symbolique ^ ; mais
il se hâte d'ajouter qu'il y a quelqu'un au milieu d'eux,
av/;p, vir, qui lui est incomparablement supérieur en dignité
et en puissance ^ et qui fera ce que lui-même ne saurait faire.
1 Comparer Vie des Pères du désert. — 2 Joan., i, 34. — 3 Joan., i,
29. 36. — * Joan., m, 29. — s Deut., xviii, 15. — « ïollo verbum : quid
est vox? S. Aug., Serm, ccxçiii, 4. Cf. Serm. gclxxxviii, 4; Bossnet,
Sei-m. IIIo dim. d'Àvent, — ' Act., xix, 4. — 8 Joan., i, 19-27. Cf. Matth.,
in, 11; Luc, m, 16; Joan., vi, 14; Supra, n. 136.
^^ 148] SA VIE PCBUQUE. — SAINT JEAN-BAPTISTE. 271
2* Lorsqu'il désigne le Sauveur comme étant FAgneaû de
Dieu, la grande victime donnée au monde * pour le décharger
de ses iniquités : o atpwv xrjv a(ji.apTi(xv tou xoapioo '. Dans cette
occasion, il dit que celui qu'il annonce a commencé d^exister
avant lui ', par conséquent qu'il a une autre nature que la
nature humaine.
3* Quand il iatteste qu'il a vu l'Esprit saint descendre sur
la tête Au Sauveur, et que c'est lui qui est le vrai Fils de
Dieu qui doit donner le baptême du Saint-Esprit *.
40 Lorsqu'il le montre à deux de ses disciples et que ceux-
ci, se mettant à la suite de Jésus, passent le reste du jour
auprès de lui •.
5* Enfin, quand ses disciples viennent lui dire que le Sau-
veur commence à baptiser au-delà du Jourdain, et que tout
le monde court à lui ^ Dans toutes ces circonstances, le té-
moignage du Précurseur porte l'empreinte dé l'humilité, de
la droiture, de la générosité et du dévouement le plus admi-
rable envers le divin Maître ^ Pas d'exemples plus parfaits
pour un ministre de Jésus-Christ, même dans la vie des
Apôtres.
148. — Pourquoi Jean-Baptiste envoie-t-il demander à Jésus s'il est
Celui qui doit venir * ?
Quand le Précurseur envoie de la prison où il était de ses
disciples • à Jésus, ce n'est pas qu'il doute de la mission ni de
la divinité du Sauveur. Après avoir vu l'Esprit de Dieu des-
cendre sur sa tête et l'avoir lui-mtême désigné, à plusieurs
reprises, comme l'Agneau de Dieu, comment pourrait-il
* Exod., XXIX, 38; Num., xxviii, 3, 6; Dan., viii, 11-13; I Pet., i, 9.
Cf. I Cor., V, 7. Supra f n. 134. — 2 Joan., i, 29, 36. — 3 Joan., 1, 29-31.
— ♦ Joan.y I, 32-34. — « Joan., i, 35, 36. Brev. rom , 28 nov., Vigil,
S. And,, lect. i-iv. — « Joan., m, 35-36. Sicut enim lux solis non ex-
pectat occasum lucifcri, sed eo précédente egreditur et suo lumine obs-
ciirat iUius candorem, sic Ghristus non expectavit ut cursum suum
Joannes impleret, sed adbuc eo loquente et bapUzante apparuit. S. Thom.,
I^ 3, q. 39, a. 3, ad 4. — ? Lucerna erat et vento superbi» timebat cx-
tiogui. s. Aug.j Serm, gclxxxvii, 3. ^ 8 q epxo(xsvoç, ce terme indique
l'assorance et l'impatience do l'attente universelle; — ^ AyyeXoi. Luc,
vn, 24. Cf. Marc, 1,2.
272 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n® 149
avoir la moindre hésitation à cet égard? D'ailleurs, quelle
valeur aurait à ses yeux le témoignage qu'il sollicite, s'il ne
connaissait bien d'avance celui à qui il le demande ? Son but
principal est donc de mettre ses disciples en rapport avec le
Sauveur lui-même, de les rendre témoins de sa prédication,
et de les convaincre qu'il fait réellement toutes les œuvres
que le Messie doit faire : opéra Christi *. Il lui tarde devoir
accompli le décret divin qu'il a lui-même proclamé : Illum
oportet crescere, me autem minui ^ Jésus-Christ entre dans
ce dessein. Sans dire expressément qu'il est le Messie, ce qui
aurait pu le faire accuser de provoquer des séditions, il fait
devant les envoyés de Jean-Baptiste l'énumération de ses mi-
racles, en leur donnant toute facilité de les constater et en
les invitant à les faire connaître à leur maître, afin qu'il leur
dît lui-même son sentiment. C'était bien la réponse la plus
prudente, la plus modeste et la plus convaincante qu'on pût
leur donner ^
L'éloge qu'il fait ensuite des vertus de S. Jean-Baptiste*
devait avoir pour effet d'exciter ses Apôtres à la perfection
et de confirmer dans tous les esprits le témoignage que le
Précurseur lui avait rendu.
* 149. — Comment faut-il entendre ces mots : Non surrexit inter natos
mulierùm major Joanne Baptista : qui autem minor est in regno cœ-
lorum major est illo. Matth.^ xi, 11?
On explique de diverses manières ces paroles du divin
Maître, sur la personne du Précurseur :
1* Suivant un grand nombre d'interprètes, fondés sur un
verset parallèle de S. Luc : Major prôpheta Joanne Baptista
nemo est *, Notre Seigneur aurait ici en vue la dignité de
S. Jean, la grandeur de sa vocation. Il le comparerait sous ce
rapport avec tous ceux qui ont été honorés d'un ministère
ï Mattb., XI, 2. Cf. Is., xxxv, 1-6 ; lxi, 1, et Joan., x, 51 . — ^ Joan., m, 30.
Cf. Matth., XVII, 5, 8. Odit se amari pro eo. S. Aug., 5erm. cclxxxvih, 2.
— 3 S. Aug., Serm. lxvi, 3. Cf. S. Th., 2«-2» , q. 2, a. 7, ad 2. — ♦ Matth.,
XI, 7-15. Ne forte aliquis dicat : Bonus erat primo Joannes, et Spifitus
Dei deseruit illum. S. Aug., Serm, lxvi, 3. — s Luc, vu, 28.
N« 149] SA VIE PUBUQUE. — SAINT JEAN-BAWISTE. 273
surnaturel. Sa pensée serait que le Précurseur tient un cer-
tain milieu entre les ministres de la loi ancienne et ceux
de la loi nouvelle. Supérieure à ce que le peuple de Dieu a
vu de plus grand, sa vocation le cède cependant à celle du
moindre des ministres de l'Eglise, le vrai royaume de Dieu
ici-bas *. Il est le flambeau dans la maison de Dieu, auxvoç ',
eux sont la lumière du monde, xo çwç too xogiioo % parce qu'ils
continuent la mission du Verbe incarnée Son baptême
n'est qu'une figure et a peu d'action sur les âmes : celui que
donneront les Apôtres sanctifiera par lui-même et conférera
la grâce •.
2» Suivant d'autres auteurs, il s'agit bien ici de la dignité
du Précurseur ou du rang qu'il occupe devant Dieu : mais ce
ne sont pas seulement les ministres de la loi nouvelle que le
diyin Maître place au-dessus de lui : ce sont tous les chré-
tiens, tous les membres de Jésus-Christ. Telle est la supé-
riorité de l'Eglise sur la synagogue : la moindre place aux
côtés du Sauveur est préférable à la première parmi les dis-
ciples de Moïse : on y reçoit plus de lumières, on y jouit de
bien plus de faveurs.
3* D'autres pensent qu'il s'agit de vertu, de mérite sur-
naturel. A leur avis, le divin Maître considéré S. Jean^Bap-
tiste comme représentant de la loi, comme membre de la
synagogue, ou plutôt comme un simple descendant d'Adam,
natus miUierum ; il fait abstraction de tout ce que le Précur-
seur tient de lui, de ce qu'il lui a mérité et qu'il lui commu-
nique, de la grâce de la Rédemption dont la source appar-
tient à la loi nouvelle ; et le comparant ainsi avec les enfants
de Dieu, qui sont régénérés par son baptême et qui font
partie de son royaume, qui ex Deo nati sunt % il prononce,
comme S. Paul le fait souvent dans ses Epitres, qu'en réalité
le moins favorisé des chrétiens, par cela seul qu'il est
membre de l'Eglise et qu'il est uni à son divin chef, à plus
* Cf. Mtttli., xin, 17. — 8 Matth., v, 15; Joan., i» 8; v, 36. Ûc Xuxvo;
Çfluvttiv ev ocux|Jkif)p<ii Tona>. II Pet., i, 19. — 3 Matth., y, 14, 45; Phii., ii, 15.
NoQ lux ipse quidem , sed tanti luminis indexe. Vida. — ^ Cf. Joan., i ,
9, 16. - • Matth., m, 11. - « Joan., i, 13.
274 JÉSUS-CHRIST SELON L*ÉVANG1LE. [n» ISO
de titres que lui à l'estime, à Tamitié et à là possession de
Dieu.
Les deux premiers sentiments, peu différents l'un de
l'autre, ont pour eux des raisons d'une grande valeur. Le
troisième allègue de nombreuses autorités, mais il est moins
facile d'en faire comprendre la justesse.
Quoi qu'il en soit, il ne paraît pas que par minor in regno
cœlorum, on puisse entendre, comme plusieurs l'ont proposé,
le Fils de Dieu, ni rendre regnum cœlorum parle ciel,- le sé-
jour des Anges et des Saints béatifiés. Dans le royaume de
Dieu, le Verbe fait chair, si humilié qu'il soit aux yeux du
monde, n'est pas le plus petit, mais le plus grand, et même
le seul grand * . Quant au royaume des cieux, celui dont il est
ici question est évidemment le même que prêchait le Pré-
curseur, celui que le Sauveur fondait sur la terre et dont il
parle au verset suivant, c Depuis que Jean-Baptiste a para,
dit-il, ce royaume souffre violence et ce sont les forts qui
l'emportent ; » pour faire entendre qu'il y a des sacrifices à
faire pour y entrer, ou bien, suivant certains interprètes,
qu'il est persécuté en la personne du Précurseur.
150. — - Union d'Hérode Antipas et d'Hérodiade : h quel titre
ôtait-eUe condamnable ^ ?
Il est certain que l'union d'Hérode et d'Hérodiade avait
la passion pour principe, et qu'elle était regardée comme
illégitime; mais en quoi était-elle contraire à la loi de
Dieu?
i* Si Hérode était Juif de religion, s'il était incorporé au
peuple de Dieu, comme beaucoup d'auteurs le pensent, son
alliance avec une nièce qui était devenue sa belle-sœur et qui
avait donné un enfant à son frère était un inceste^; c'était
de plus un adultère, et peut-être un rapt ; car on ne saurait
invoquer le divorce. Il ne paraît pas que la femme eût le
* Non numeratup natus Virginis înter natos mulienim. S. CyriU. Hîeros.
— 2 M atth., XIV, 4. — 3 Lev., xviii, 15, 16, 20. Hérodiade était fille d'Aris-
tobule» petite-fille d'Hérode rAnoien et de Marianne, nièce de Philippe
et d'Hérode Antipas. Philippe éuit ftU d'Hérode pA^ €léô^re.
N° ISl] SA VIE PKBUOUE. — SAINT JEAN -BAPTISTE. 27S
droil de répudier son mari ', et il n'y avaiteu ni répudiation
ni consentement de la part de Philippe.
3' Si Hérode ne professait pas la religion juive, il était
an moins soumis, aussi bien qu'Hérodiade, à la loi natu-
relle. Or, n'est-il pas contraire au droit naturel qu'un
mari renvoie sa femme sans raison et qu'il prenne celle
d'un autre, soit par séduction, soit par violence, surtout
qoand cet autre est un proche parent, qu'il s'y oppose et
qa'ij a un enfant de )a femme qu'on lui ,
Hilève '? Philippe n'était pas assez puis-
sant pour résister à son rival ^ mais on
sa!tparJosèphe,qu'Arétas, roi des Arabes
el pèi-e de la première femme d'Hérode,
déclara la guerre à son gendre pour ven-
ger l'injure de sa fille, sacrifiée à Héro-
diade *.
' Ifil. — Pourquoi s
Le Précurseur ne devait pas attirer sur lui l'admiration
des Juifs, dit S. Thomas, ni détourner leur attention de la
vie du Sauveur '. On peut d'ailleurs lui appliquer le mot
de S. Augustin sur S. Etienne : sa vie suffisait pour auto-
riser ses discours; c'était un miracle continuel '. S'il ne fut
pas un autre Elle par les prodiges, il le fut par son minis-
< Quoique plusieurs y prélondUsent , dit Josèplie, XV, vii, 10. —
• MMth., iiv, Ift. — ' Josepli., B. J., I, xïx, ^. Ce Philippe n'était pas
le télrarque nommé par S. Luc, m, 1; mais un fils d'Hérode ot de
Marianne à qui son père n'avait légué aucun domaine et qui lirait h
Borne e» simple particulier. — ' Joseph., A., XVIll, iv-vii. Infra, n. iS2,
1S3, i05, 410. — ' Médaille commâinoratlve de la soumission d'Arétas
k la république romaine sur la fin des Sâlcucides. Entre te nom du roi .
et celui de M. Scaurus, son vainqueur, on voit les lettres, Ex. S. G. :
Ex lenattu conaulto. Cl. Joseph., A., Xni, \m, 3; fi., 1, vi, £: Eckol,
V, p. 131. — < Si miracula Tecisset, Joanni et Clirislo ei œquo attendis-
unt,p.3,q. 38, ». 2,ad2;etq. 4U, a.£, adi.Cf.Joan., m, 30; x, 40, 41.
— ' Omni miraculo majus ipse miraculum. Cf. Uatth., xi, 18. ViW
■non^aticœ auctor PquIus, illustrator Antonius, princeps auteoi Joannes
Baprïsta. S. Hier., EpUt. xxii, 36.
276 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n<> 152
tère S par ses vertus *, par son zèle ^ par sa fermeté *, par sa
mortification ^ par son humilité et son dévouement à son di-
vin Maître ^ Sa parole était, comme celle d'Elie, une flamme
ardente et luisante \ Aussi fut-il vénéré comme les pro-
phètes et plus que les prophètes. Sa sainteté Ta fait honorer
de ceux même qui n'ont pas cru à sa parole. « C'était, dit
Josèphe, un homme d'une perfection éminente, tout occupé
à porter le peuple à la justice et à la piété. Il baptisait ceux
qui venaient à lui et leur apprenait à joindre la pureté de
l'âme à celle du corps. HérodeAntipas, qui redoutait son in-
fluence *, l'enferma dans le château de Macheronte, la place
la plus forte de ses Etats ; puis, à l'instigation de Salomé \
il lui fit trancher la tète. Mais à la suite de ce meurtre, son
armée fut taillée en pièces par Arétas, roi d'Arabie, qui s'em-
para de cette forteresse et d'une partie des états d'Hérode.
Enfin, il mourut en exil, et sa mort fut regardée comme le
juste châtiment de son crime *^ »
§ II. — Le» Apôtres. Maith.^ iv, 18-Î2; Luc, vi, 12-16;
Joan.^ 1, 55-51.
Choix. — Appel. ^ Formation. -^ Promesses.
152. — Est-ce au hasard ou sans tenir compte de leurs dispositions
que le Sauveur choisit ses Apôtres?
Notre Seigneur n'a rien fait à l'aveugle. Tous ses actes
sont conformes aux règles de la divine sagesse, le choix des
Apôtres en particulier, parce qu'il a une importance capi-
1 Cf. Mal., IV, 5; Matth., xi, 10, 14; Luc, i, 17, 76. — « Joan., v, 35.
Cf. Eccli., XLviii, 1. — 3 Matth., m, 7-12; xi, 14; Luc, m, 3-14.—
* Mattli., m, 7-12; xiv, 3-5; Luc, m, 19. — « Matth., m, 4; xi, 18; Luc,
VII, 25. — 6 Matth., m, 14; Luc, m, 15, 16; Joan., m, 26-31. Fuit jeju-
nus, humilis, parcus et virgo. S. Amb., Set'm, lu, 4. — "ï Eccli., xlviii, 1;
Joan., V, 35. — » Marc, vi, 20. Cf. I Reg., xviii, 12. — « Cf. Ecdi., ix, 4;
Horat., Od, III, vi, 20; Valer. Max. IX, ii, 2. Cf. Joseph., A., XU, ly.
Idem fecerunt et Fulvia in Ciceronem et Herodias in Joannem; quia
veritatem non poterant audire, linguam veriloquani discriminai! acu
eonfoderunl. S. Hieron., In Ruff, apolog,, m, 42. — *<> Joseph., A.,
XVm, V, 1. Cf. Marc, vi, 14, 16
N^l^î] Sa vie t»UBLlQUË. — LES APOTRES. 27?
taie, et qu'il doit servir d'exemple à ceux qui auront à le re-
présenter dans la conduite de son Eglise.
i'» Avant d'appeler ses Apôtres, il passe une nuit entière
à s'entretenir avec son Père dans la prière la plus fervente,
in oratione Dei, afin d'appeler sur eux toutes les bénédic-
tions du Ciel ^ — 2° Il les choisit au nombre de douze, pour
que le peuple chrétien ait comme le peuple d'Israël ses
douze patriarches ^ Il les choisit d'aptitudes et de caractères
divers, afin qu'ils sentent le besoin qu'ils ont les uns des
autres pour se soutenir et se compléter. — 3** Tous sont Is-
raélites de naissance, non étrangers ni prosélytes, parce
que c'est la race d'Abraham qui doit communiquer aux Gen-
tils la bénédiction du Ciel ^ Plusieurs sont de la tribu de Juda,
ceux de sa famille par exemple; mais c'est dans la Galilée
qu'il les prend et non dans la Judée, pour les raisons que
nous avons dites * ; c'est hors de la famille d'Aaron et même
de la tribu de Lévi, parce qu'il veut fonder un sacerdoce
nouveau ^ — 4* Dans le choix des individus, il n'y a pas
de doute que le divin Maître ne tienne compte des qualités
personnelles. Il n'admet pas môme au rang de ses dis-
ciples, pour le suivre habituellement, tous ceux qui se
présentent. Il en est qu'il écarte % il en est qu'il éprouve %
il en est qu'il diffère *. S'il n'appelle pas à l'apostolat des
hommes riches, éclairés, puissants, habiles dans les affaires
et dans la conduite des hommes, c'est qu'ils ne conviennent
pas à une œuvre où la main de Dieu doit seule paraître ®.
Ce qu'il faut pour fonder l'Eglise, ce sont des hommes
du peuple, sans autorité, sans instruction, sans grands
talents *°, mais vertueux, sincères, généreux, vides d'eux-
mêmes. Aussi quelle foi éclate en eux dès leur début I
quelle abnégation ! quelle simplicité de cœur I quelle doci-
* Luc,, VI, 12. — 2 Luc, VI, 13; Act., i, 17, 26; Apoc, xxi, 14. Cf.
Ps.xLiv, 18. — 3 isai., II, 3; Joan., iv, 22; Rom., ix, 4, 5. — * Supra^
n. 91. — s Heb., vu, 12-14. — « Marc, v, 19. — ^ Matth., vin, 19, 22.
- » Matth., XIX, 21. — 9 I Cor., ;, 19. — lo Act., iv, 13. Idiotas elegit
unde confandcret mundum. S. Aug., in Joan.^ vu, 17. Ut quidquid
magDam essent aat facerent, ipse in eis esset et faceret. De civ. Dei^
XVffl, xijx.
10
278 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n° 153
lité * I Et plus tard quel zèle ! quelle constance ! quelle in-
trépidité ^ !
Voilà par qui le Sauveur veut instruire, convaincre et
soumettre le monde. Non per oratores docuit piscatores^ dit
S. Grégoire le Grand % sed mira potentia per piscatores sube-
git oratores.
* 153. -- Quels sont les douze apôtres?
Les douze apôtres sont : Pierre, toujours nommé le pre-
mier *, quoiqu'il ne soit ni le premier appelé, ni le plus âgé;
André, qui l'amena au divin Maître ^; Jacques, fils deZébé-
dée, le Majeur ^ mis à mort par Hérode Agrippa "^ ; Jean,
son frère *; Philippe, de Betlisaïde comme Pierre et André';
Barthélemi ^^ ; Thomas ** ; Matthieu *^ ; Jacques, fils d'Alphée,
ou le Mineur, o |j.t>tpoç, auteur de la première épître catho-
lique ", l'une des colonnes de V Eglise, comme Pierre et
Jean ** ; Jude, son frère " ; Simon, de Gana, dit Zélote, qui ne
figure que dans les canons des Apôtres *^ et Judas Iscarioth
ou de Kérioth, toujours placé en dernier lieu *% comme
celui qui a fait défection et qui n'a pas reçu l'esprit de
l'apostolat **.
Plusieurs étaient liés entre eux par l'affection ou la pa-
renté. André et Philippe étaient d'intimes amis, aussi bien
que Philippe et Barthélemi. Pierre et André étaient frères,
comme Jacques le Majeur et Jean, comme Jacques le Mineur
et Jude ; et de plus, ces deux derniers étaient parents de
1 Matth., IV, 19, 20; ix, 9; xiv, 28; Joan , i, 49; xi, 16; xx, 28; xxi,
7, 17, Brev. rom.» Comm. Apost.y lect. vii-ix, primo loco. — * Act., u,
14; IV, 13, 24; viii, 1, etc. — ^ Moral., xxxiii, 18. Cf. Bossuet, Panég.
de S. André; et Bourdaloue, Serm. sur la religion chrétienne. — * Non
primus inter pares, dit Cornélius à Lapide, sed primus ante omnes. Cf.
Matth., X, 2; xvi, 16; xvii, 1; xxvi, 37; Marc, m, 16; v, 37; ix, 1;
Luc, VI, 14 ; viii, 51; ix, 28; Act., i, 13, 15; ii, 14. — s Joan., i, 42. —
6 Luc, V, 10. — T Act., xii, 2. — 8 Joan., i, 37. — « Joan., i, 44. —
10 Joan., I, 45. — i* Joan., xi, 16. — i» Matth., ix, 9. — " Luc, vi, 15.
— 1* Gai., Ji, 9. - i5 Matth., xiii, 55, — i* Luc, vi, 15, 16. — «^ Non
frustra ultimus nuraeratus, S. Aug., -Serm. x, 6. — ^^ O irapoSovc,
o wapoStSwç , Matth., xxvii, 3; 6ia6o>bc, adversarius^ Joan , vi, 70. Cf.
xiii, 2, 27.
^
nM64] sa vie publique. — les apôtres. 279
Notre Seigneur. La plupart avaient plusieurs noms. On di-
sait indifféremment Barthélemi ou Nathanael, Thomas ou
Didyme, Lévi ou Matthieu, Simon ou Zélote, Jacques et
Jean ou Boanerges. S. Pierre et S. Jude en avaient trois :
Simon, Pierre et Céphas étaient synonymes aussi bien que
lude, Thaddée ou Lebbée *. Dans les Synoptiques comme
dans les Actes, les douze Apôtres sont énumérés deux à deux
dans un ordre à peu près constant, sans doute parce qu'ils
étaient envoyés ainsi dans leur première mission. C'est à
l'époque de cette mission qu'ils reçurent le nom d'Apôtres '.
* 154. — Sur quoi se fondc-t-on poar identifier Nathanael
avec Barthélemi ?
La plupart pensent que Nathanel n'est pas différent de
Barthélemi. Ils se fondent sur les considérations suivantes :
— !• Barthélemi n'est pas un nom, mais un qualificatif, . un
surnom comme Barjonas : il signifie fils de Ptolémée, nom
alors usité chez les Juifs. Nathanael est un nom propre qu'on
trouve en divers livres de l'Ancien Testament et qui répond
à Théodore, comme celui de Matthieu. — 2* S. Jean place
Nathanael entre les Apôtres, lorsqu'il énumère comme pé-
chant ensemble, Pierre, Thomas, Nathanael, Jacques et
Jean, et deux autres disciples '. — 3* Les Synoptiques qui
parlent de Barthélemi ne prononcent pas le nom de Natha-
nael, et S. Jean, qui parle de Nathanael, ne profère pas ce-
lui de Barthélemi. — 4* Barthélemi est associé à Philippe
dans le catalogue des Apôtres donné par les Synoptiques,
comme Nathanael l'est dans l'évangile de S. Jean *. — 5* A
quel titre Nathanael figurerait-il dans le récit que fait
S.Jean', et pourquoi y tiendrait-il une si grande place, si-
non parce qu'il est associé à la vocation de Pierre et d'An-
dré?—6* Si Nathanael n'avait pas déjà été apôtre, on eût
dû le mettre avec S. Matthias sur les rangs pour l'apostolat
* Cf. Luc, VI, 15; Matth., x, 3. — * Marc, vi, 7; Luc, vi, 13. Sicut
gnece angcli, latine nuntii vocantur, ita grœce apostoli, latine missi
appeUantur. S. Aug., In Joan., nv, 3. Cf. Prov., xviii, 19; Eccl., iv, 9.
— ' Joan., XXI, 2. — * Jean-, i, 45. — * Joan., i, 35-51.
280 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n^ 155
après l'Ascension du Sauveur. — T Enfin, si Barthélemi
n'est pas Nathanael, on ne voit nulle part, dans l'Evangile,
que Notre Seigneur l'ait appelé à l'apostolat.
Néanmoins, un certain nombre de commentateurs re-
gardent Nathanael et Barthélemi comme deux personnages
distincts. Leurs raisons sont : — 1** Que le nom de Barthé-
lemi se trouve dans les quatre canons des Apôtres S tandis
que celui de Nathanael ne se voit dans aucun. — 2^ Que nul
évangéliste ne dit que Nathanael ou Barthélemi ait un second
nom, tandis que pour que S. Pierre, pour S. Matthieu, pour
S. Jude, plusieurs ont soin de nous avertir de cette parti-
cularité.
* 155. -- Comment Judas se trouve-t-il parmi ces douze apôtres?
On ne peut dire que le Sauveur ait été trompé sur le mé-
rite de Judas : il voyait l'intérieur de chacun *; il connais-
sait l'avenir comme le présent, comme le passé. Mais il a
voulu se conduire à l'égard de ce disciple comme il fait or-
dinairement envers nous. Le trouvant dans ce moment digne
de son choix, il l'appela avec les autres, malgré la prévision
qu'il avait de son infidélité future ^
Par cette conduite : — 1** Le Sauveur entre dans les des-
seins du Père éternel, qui voulait que son Fils fût dans sa
Passion en butte à tous les coups, à ceux de ses amis comme
à ceux de ses ennemis*. — 2° Il apprend à son Eglise à ne
pas s'étonner de voir quelquefois dans son sanctuaire des
ministres indignes ^ et à supporter patiemment ceux qui la
dépouillent et la trahissent, au lieu de la servir ^ — 3^* Il
nous fait sentir de quelle bonté il use à notre égard, en nous
comblant de mille grâces dont il sait que nous abuse-
rons, et nous avertit de ne pas regarder notre vocation, si
1 Mattlî., X, 3; Marc, m, 18; Luc, iv, 4; Act., i, 13. — ^ Joan.,n, 25.
— 3 Joan., VI, 71. PrîBsentia enim judicat, non. futura; nec condamnât
ex prœscientia, dans potestatem convorsionis et pœnitentise. S. Hieron.,
Adv. Pelag.f m, 6. — * Ps. liv, 13. — * Joan., x, 12; Rom., ii, 28. —
6 Furem ideo admisit ut ejus Ecclesia fures patienter toleret. S. Aug.,
In Ps. xxxiii. Eligitur, non per imprudentiam, sed per providentiam.
S. Amb., In Luc, v, 45. Cf. Matth., xiii, 24-30; I Cor., iv, 2.
Jf^'lS?] SA VIE PUBLIQUE. — LES APOTRES. 281
éminentë qu'elle soit, comme une marque assurée de prédes-
tination*.
156. — N*y a-t-il pas des Apôtres qui furent appelés plusieurs fois?
On peut dire qu'André et Simon furent appelés une pre-
mière fois dans la Judée, lorsqu' André, ayant reconnu Jésus
pour le Messie ', lui amena son frère '. A ce moment, ils ne
quittèrent ni leur demeure ni leur état ; et la parole du Sau-
veur : Tu vocaberis Cephas^ fut plutôt une prédiction qu'un
appel proprement dit. Mais après la pêche miraculeuse *,
Notre Seigneur leur ayant dit qu'il les ferait pécheurs
d'hommes ^, ils laissèrent leur barque, leurs filets et tout
ce qu'ils avaient pour le suivre : Ex hocjam adhœserunt illiy
ut non recédèrent *. Ce fut leur seconde vocation. De plus,
quelques-uns, distinguant la pêche rapportée par S. Luc de
celle que décrit S. Matthieu, croient que celle-ci donna lieu
à iHi appel distinct. C'est le sentiment de S. Thomas, suivant
lequel les Apôtres auraient été tous appelés trois fois '.
157. «^ Notre Seigneur s'est-il hâté de donner à ses apôtres les
pouvoirs qn'il leur destinait?
Le premier soin du Sauveur fut de faire acquérir à ceux
qu'il avait appelés à l'apostolat les connaissances, les vertus,
les habitudes dont ils avaient besoin pour le bien exercer.
1* // s'applique à les instruire. — Pendant plus de trois
ans, il les tient à ses côtés. Ils assistent à ses discours; ils
entendent ses entretiens •. S'ils trouvent des difficultés
* Act., I, 25. Jadas filins regni erat, audivitque una cum aliis disci-
polis illnd : Sedebitis saper sedes duodecim ; factos est autem gchennœ
filius. s. Chrys., In Matth,^ Hom., xxvi, 7. — * Eupijxainev tov Me<roiav.
ioan., I, 42. — ' Andréas cœlibem vîtam ducens, Joannis Baptistœ factas
est discipulus Petrus negotiis intcndebat, qui uxori et familiae et patris
Benio providebat. Sophron., De cetl. Pet. et Paul. — * Luc, v, i-11. —
* Cf. Jer., XVI, 16; Ezec , xLvn, 10. — « S. Aug., In Joan., vii, 9. —
' Triplex* fuit vocatio Apostolorum : primo enim rocati sunt ad Christi
familiaritatem , in primo anno praedicationis Christi; secundo vocati
sont ad discipulatum ; tertia vocatio fuit ut totaliter Christo adhœrerent.
8. Thom., In Matth., iv, 18-22. Cf. S. Aug., de Cons. evang.y ii, 41. —
» Joan., XV, 15, 16.
16.
282 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n® 157
dans son enseignement public, il les leur explique en par-
ticulier, cum esset singularis ^ Il y ajoute des instructions
spéciales sur leur ministère et ses obligations ^ Il pro-
cède avec lenteur, par ménagement pour leurs préjugés
et pour leur faiblesse ^ Néanmoins il ne tarde pas à ré-
former leurs sentiments et à préciser leurs idées sur le
royaume qu'il vient fonder *, sur les dignités qu'ils y
doivent avoir ^ sur les récompenses qui leur sont offertes ^
Il leur fait entendre peu à peu qu'il ne faut exclure per-
sonne de ce royaume, ni les Gentils ^ ni les Samaritains \
ni les pécheurs ^; que le but et le fruit de son régne,
c'est la sanctification de l'âme ici-bas *°, et sa félicité éter-
nelle dans le ciel**. Enfin, il leur communique, avec
son saint Esprit, toutes les lumières dont ils ont besoin
pour l'exercice de leur ministère et le succès de leur mis-
sion *^
2° // travaille à leur sanctification : — en les tirant du mi-
lieu où ils ont vécu jusqu'alors *^ et en leur mettant conti-
nuellement ses exemples sous les yeux ** ; en leur faisant re-
marquer que la perfection a dans l'âme son principe et son
siège *^; qu'elle dépend de l'intention ** plutôt que de l'ob-
servation littérale de pratiques extérieures d'une importance
relative "; en animant vivement leur foi **; en les exerçant
1 Matth., XIII, 10-12, 16, 18, 36; xv, 15; xvi, 15, 16; Marc, iv,34;
Luc, viii, 9; Joan., xx, 27. — 2 Matth., x, 5-42; xvi, 20; xvn, 9;
xviii, 22; Luc, ix, 1-6; x, 2-24; Joan., xiv, xv, xvi; xxi, 15-17; Act,
i, 3. — 3 Joan., XVI, 12. — * Matth., v, 3, 10; Luc, xii, 31 ; xxii, 25, 26,
— 8 Matth., X, 16; xx, 23, 25, 26 ; Marc, ix, 34, 35. — 6 Matth., xvm,
19; XXV, 34; Luc, x, 20;.xii, 32. Reges gentium dominaatur eorom et
qui potestatem habent super eos ôeneficij euep^sTot, vocantur, Luc,
XXII, 25. ÂHusion aux inscriptions qu'on lisait alors sur les monnaies
des rois de Syrie, successeurs d'Alexandre. On voit encore sur plusieurs
BacrtXecoç Avxioxou euepyETou (140-127 av. J.-C.) — "^ Matth., vin, 11; Luc,
xm, 29, 30; Joan., x, 16. — 8 Luc, ix, 55, 61 ; Joan., iv, 21. — « Matth.,
xiii, 29, 30; XXI, 31, 32. — lo Luc, xii, 31 ; xvii, 21. — " Matth., xxv, 34;
xxvi, 29; Luc, xxii, 29, 30. JnfrOf n. 170. — 12 Joan., xiv, 19; ix, 9;
Joan., I, 43. — i3 Matth., iv, 19; ix, 9; Joan., i, 43. — 1* Joan., xiu, 14.
— 15 Matth., V, 20; Luc, xvii, 21. — i« Matth., vi, 22; xv, 18. -
*'ï Matth., XII, 7, 8; Marc, vu, 19; Luc, xvm, 12. — is Matth., viii, 26;
xvn, 20; xxi, 20; Marc, iv, 40; xi, 22; Luc, xvii, 5, 8.
N<» 157] SA VIE PUBLIQUE. — LES APOTRES. 283
au détachement S à Tobéissance S au sacrifice % à Thumi-
pté*, à la confiance S au zèle S à la prière % à la pratique
de toutes les vertus; en leur faisant partager sa vie labo-
rieuse et toutes ses privations *; en leur signalant leurs dé-
fauts " ; en leur inspirant du mépris et de l'aversion pour
les vices des pharisiens *^; en louant hautement toutes les
vertus dont il est témoin **; en les avertissant des épreuves
qui les attendent *^; enfin, en priant peureux d'une manière
spéciale *\
3** // les forme à leur ministère : — la première année, en
exerçant seul ce ministère sous leurs yeux **; la seconde, en
les envoyant deux à deux prêcher le royaume du ciel, en di-
vers lieux de la Judée **; la troisième, en leur associant les
soixante-douze disciples. Ainsi le Sauveur se montre réel-
lement le Maître des Apôtres ; il en remplit parfaitement les
devoirs **.
Rien de plus admirable que la charité dont il use envers
eux. ,11 les appelle ses amis ^\ ses frères *®, ses chers en-
fants *®. Il ne peut les voir dans Taffliction, sans compatir
à leurs peines ^®. Il leur fait prendre du repos quand il en
est besoin ^\ et veille à leur sûreté, aux dépens môme de la
sienne ^^ Il les console dans leur tristesse ". Il prend leur
1 Matth., VIII, 22 ; x, 37 ; xn, 48, 49 ; Luc, v, 11. — » Matth., xiv, 28 ;
Luc, IX, 62. — 3 Matth., xx, 23. — * Matth., xviii, 2; xx, 26; xxii,
1-12; Marc, x, 43; Luc, x, 18; xxii, 24; Joan., xm, 12. — « Matth.,
XIV, 31; XVI, 9, 10; xxi, 21; Marc, xi, 23; Joan., xx, 27. — « Luc,
X, 1; Joan., iv, 32, 38. — "^ Matth., xiv, 23 ; xxvi, 41 ; Luc, x, 2 ; xi, 2.
— 8 M^rç, VI, 31; Joan., iv, 8, 32; vi, 9. — » Matth., viii, 26; xiv, 31;
XV, 16; XVI, 8, 23; xvii, 16; xviii, 3; xxv, 40; xxvi, 33; Marc, ix,
32-3Ô; X, 14; Luc, ix, 48-55; xxiv, 25; Joan., xii, 7; xiv, 9, 21, 22. —
10 Matth., vil, 29; xvi, 6, 11; Luc, xii, 42-48, etc. — " Matth., viii, 10;
Marc, XII, 43; Luc, vu, 44; Joan., xii, 7. — *2 Matth., x, 16-26; Joan.,
XV, 20-24; xvi, 1-5, etc. — « Luc, vi, 12-13; xxn, 32; Joan., xvii, 9.
— ** Luc, VIII, 1. — *5 Matth., x, 5, 6; Marc, vi, 7; Luc, ix, 1, 2. —
** Matth., xvii, 23; xxiii, 8, 10; Marc, iv, 38; ix, 37; Luc, v, 5; viii,
24, 45; IX, 33, 49; xxi, 7; Jôan., xiii, 13, 14. — ^^ Matth., xxvi, 50;
Joan., XV, 14, 15. — *8 Matth., xxvm, 10; Joan., xx, 17. — i» Joan.,
an, 33; xxi, 5: — ao joan., xvi, 6, 22; xx, 16, 20. — 2> Marc, vi, 31.
— 2î Matth., XXVI, 52; Joan., xviii, 8. — ^3 Matth., xxviii, 10; Luc,
XXIV, 17; Joan., xiv, 18, 27.
284 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n<» 158
défense contre les pharisiens *, il les recommande à la gé-
nérosité de ses disciples ^ il leur donne toutes sortes d'en-
couragements ' et leur fait toutes sortes de promesses *. Il
va jusqu'à leur révéler ses secrets les plus intimes *.
D'un autre côté, rien de plus édifiant que la docilité avec
laquelle les Apôtres reçoivent sa parole ^, que le dévoile-
ment respectueux dont ils entourent leur divin Maître \
Enfin, après sa résurrection, le Sauveur, se montrant à eux
dans sa gloire, leur donne leur dernière mission et les in-
vestit de tous ses pouvoirs ®.
* 158. — Pourquoi ces avis du Sauveur à ceux qui veulent le suivre :
Qu'il n*a pas où reposer sa tête, Luc, ix, 58; Que celui gui regarde
en arrière n*est pas propre à son œuvre, ix, 62 ; Qu'ils doivent laisser
les morts ensevelir les morts, Matth., viu, 22?
Ces trois maximes du Sauveur, exprimées, suivant l'usage
de l'Orient, dans un style figuré et hyperbolique, avaient
pour but de faire comprendre : — 1® Qu'il ne veut pour mi-
nistres que des hommes généreux, détachés de toute affec-
tion naturelle et de tout intérêt humain *. — 2* Que la
pureté dé vues, la fermeté et la constance sont nécessaires
à son service, surtout dans le ministère apostolique, et
qu'on ne doit pas s'y engager inconsidérément ". — 3* Que
son intérêt et son bon plaisir doivent passer, dans l'estime
de ses ministres, avant toute convenance et toute affection
naturelle **.
Touchant ce dernier avis en particulier, nous ferons ob-
server : — 1** Que, sous la loi de Moïse, il était défendu au
1 Matth., XVII, 16, 17. — a Matth., x, 40, 41. — 3 Matth., v, 12-14;
XI, 11; XIII, 16-17; I^uc, xii, 32. — * Matth., x, 19; xix, 28; Luc,
X, 24; XII, 32; Joan., xiv, 1, 2; xv, 7.-5 Matth., xiii, 16, 17; xvi,
21; Joan,, xiii, 26; xv, 14, 15. — « Matth., xiv, 28; Marc, iv, 10;
IX, 31; Luc , XI, 1; xxii, 62; Joan., iv, 27; vi, 69; xiii, 9, 13; xiv,
8, 9; XVI, 29; xxi, 12, etc. — "^ Matth., xix, 13; xxvi, 35; Marc, ix,
37; XIV, 31; Luc, ix, 54; xviii, 15; Joan., iv, 31; xi, 8, 16; xiii, 13;
xvm, 10; XX, 3, 4, 28; xxi, 7, 12, 17, etc — « Matth., xxvni, 18-20;
Joan., XXI, 15-17. •— » Cf. Luc, ix, 58, — ^o Cf. Gcn., xix, 26; Luc,
XIV, 28; XVII, 32; Phil., m, 13, 21. — ii Cf. Deut., xxxiii, 8, 9; UI Reg.,
XIX, 19-21.
N«i59] SA VIE PUBLIQUE. — LES APOTRES. 285
grand-prêtre d'assister aux funérailles de son père S et que
le Nazaréen ne devait prendre part à aucune cérémonie fu-
nèbre jusqu'à l'expiration de son voeu *. — 2° Que, suivant
m sentiment assez commun, le jeune homme auquel s'a-
dresse Notre Seigneur (S. Philippe, apôtre, d'après Clément
d'Alexandrie ^), ne demandait pas seulement un jour ou
deux pour rendre les derniers devoirs à son père défunt,
mais un délai infini pour rester auprès d'un vieillard chargé
d'années, afin de pourvoir à ses besoins jusqu'à la fin de ses
jours. Quoi qu'il en soit, l'intention du Sauveur n'était pas
de priver un père d'une assistance dont il avait besoin et que
la nature demandait en sa faveur : les paroles du divin
Maître font supposer qu'il y avait dans la famille d'autres
parents disposés à rendre ce service, et que ceux-ci, ne son-
geant qu'à la vie présente, ne seraient pas détournés par là
de travailler pour la vie éternelle *.
* i59. — N'a-t-on pas prétendu que Notre Seigneur avait commencé
par condamner les richesses et faire de la pauvreté une condition de
salQts?
C'est ce qu'affirment encore des rationalistes, au juge-
ment desquels les Ebionites ont seuls persévéré dans sa doc-
trine à cet égard. A l'appui de leur sentiment, ils allèguent
un certain nombre de textes, soit contre les riches ® ou leurs
richesses % soit en faveur des pauvres * et de la pauvreté ^
On leur répond : — Que l'erreur des Ebionites ou la ré-
probation absolue des richesses ne ressort pas de ces textes ;
— que jamais le Sauveur n'a condamné tous les riches à
l'enfer, ni fait de l'indigence une condition ou un gage as-
suré du ciel ; qu'il suppose bien clairement, au contraire,
que les riches peuvent se sauver *° et les pauvres se perdre ** ;
* Lev., XXI, 10-11. — 2 pfum., vi, 6, 7. — 3 Clem. Alex., Sb'om., m.
— * Cf. s. Thom., 2a-2* , q. 101. a. 4, ad 2. — s m. Renan, EvangileSy
p. 44, 275, etc. -^ 6 Matth., xix, 21-24; Luc, vi, 24, 25; xvi, 19, 20;
xvm, 24, 25, 27. — ? Matth., xiii, 22; Luc, viii, 14; xvi, 9, 13. —
» Matth., V, 3; vi, 19, 24, 25, 29; xi, 5; Luc, vi, 20, 21. — » Matth.,
VIII, 20; X, 9, 10; Luc, ix, 3. — lo Matth., xix, 26; Luc, xvm, 27;
XIX, 9.-11 Luc, xxiii, 39-42.
286 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n<* 159
— que parmi ses disciples, plusieurs avaient quelque for-
tune, par exemple les femmes pieuses qui fournissaient à ses
besoins et à ceux des Apôtres S Marie-Madeleine % Zachée ^
Nicodème *, Joseph d'Arimathie ^, celui chez lequel il cé-
lébra la cène ® ; que lui-môme n'était pas tout à fait sans res-
source \ quoiqu'il ne portât pas d'argent pour l'ordinaire*,
qu'il recommande souvent l'aumône à ceux qui le suivent ';
qu'il veut que les ministres soient entretenus par les fidèles
comme il l'a été par ses disciples ***; — que lorsqu'il com-
pare les pauvres aux riches et qu*il donne la préférence aux
premiers c'est qu'il les considère tels qu'ils se présentent
à lui, les riches avec leur orgueil, leur cupidité, leur sen-
sualisme "; les pauvres avec leur docilité, leur foi, leur
humilité *-; — que la fortune, qui est toujours une épreuve
et un péril pour l'âme ", rendait alors très difficile, l'entrée
du royaume de Dieu, c'est-à-dire de l'Eglise et du ciel **;
— que le. détachement des biens de la terre ou la pau-
vreté d'esprit n'a pas cessé d'être nécessaire pour la perfec-
tion et même, dans une certaine mesure, pour le salut;
— enfin que la pauvreté effective est toujours d'un grand
secours et d'un grand mérite, quand elle est embrassée
dans rintérét de la gloire de Dieu; et qu'il n'est pas éton-
nant, que le divin Maître l'ait encouragée ou même qu'il
l'ait exigée d'un certain nombre, à une époque où il avait
un si grand besoin d'ouvriers apostoliques, dévoués à son
service et prêts à porter son Evangile dans toutes les con-
trées du monde *^
On voit qu'au fond l'Eglise n'a pas cessé d'enseigner ce
que Jésus-Christ enseignait^ qu'elle conserve toujours des
richesses, du détachement, de la pauvreté, l'idée qu'il lui
en a donnée, et que l'Evangile ne contient rien sur ce sujet
1 Luc, viii, 2, 3. — 2 Mattli., xxvi, 9-H. — ; 3 Luc, xix, d-8. —
* Joan., m, 1; xix, 39. — * Matth., xxvii, 57. — s Luc, xxii, 10-12, etc.
— 7 Joah., XII, 6; xiii, 29. — 8 Matth., xvii, 26; xxii, 19. — » Matth.,
VI, 3; XXV, 35; Luc, vi, 35; xi, 41; xvi, 9, 21. — »o Matth., x, 10;
Marc, VI, 10; Luc, ix, 4; x, 7. — ** Luc, vi, 25. — '2 Luc, vi, 20. —
13 Matth., VI, 21 ; xiii, 22. ^ i* Matth., v, 3; xix, 24; Luc, vi, 25. -
Matth., IX, 19; viii, 20; xix, 29.
J
N» 160] SA VIE PUBLIQUE. — LES APOTRES. 287
dont les socialistes ou les incrédules aient droit de se pré-
valoir K
160. — Comment faut-il entendre cette promesse de Notre Seigneur
aux apôtres, qu'ils seront assis sur douze trônes, qu'ils recevront
le centuple de leurs sacrifices 3, et qu'ils jugeront les, douze -tribus
d'Ispaél, Matth., xix, 28?
1* Le nombre douze n'a pas un sens plus strict ici que
le nombre sept dans l'Apocalypse. Il exprime simplement la
totalité. Par les douze apôtres, il faut entendrei tous les
apôtres, ou même tous les prédicateurs de la foi ; comme
par les douze tribus, en entend l'EgHse de tous les temps
et de tous les lieux, dont le peuple ancien a formé le pre-
mier noyau '.
2' Notre Seigneur se borne ici à promettre leur récom-
pense aux apôtres. Il ne parle pas de l'obligation où ils sont
de la mériter ; mais il est bien entendu qu'ils ne recevront
leur couronne qu'à la condition de marcher à sa suite et de
répondre à ses desseins *.
3" Quant à ces trônes, c'est le symbole de la gloire qui
leur est réservée au ciel, et qui éclatera à tous les regards
au jour de la résurrection, in regeneratione *. En ce jour, ils
environneront le souverain Juge, partageront son zèle
contre le péché et s'associeront à sa sentence. On peut voir
aussi dans ces paroles une allusion à l'autorité spirituelle
que les Apôtres devront exercer ici-bas, en faisant dans l'E-
glise ce que les Juges ont fait en Israël ®.
1 Brev. rom., Dedic. Eccles.^ die ii*, lect. vii-ix. — * Cf. Matth.,
X, 39; XVII, 25. Brev. rom., Hom. vu, Pro abbat. — 3 Rom., xi, 17,
18, 24. Cf. Rom., ii, 28, 29; iv, 12-16. — * Joan., xiii, 17; xv, 14. Brev.,
Oct. SS. omnium^ lect. 7, 8. — * Cf. Ps. cxlix, 5, 9; Sap., v, 1; I Cor.,
|vi, 2, 3; II Thess., i, 10. — « Brev. rom., 25 janv., lect., 7-9 et 23 juill.,
ect. 8.
288 JIESUS-CHRIST SELON L^ÉVANGILÊ. [n^ 161
§ III. — Saint Pierre. Matth,, xvi, 18; Luc, xxiii, 81;
Joan., 1^ 42; XXI, 15.
Ses privilèges personnels. — Sa foi. -~ Son autorité.
161. — Saint Pierre n'a-t-il pas été distingué des autres apôtres
par plusieurs privilèges?
Bellarmin compte vingt-huit privilèges propres à S. Pierre,
onze fondés sur les Evangiles, neuf sur les Actes des Apôtres
et TEpître aux Galates, huit sur la tradition *. Voici les onze
premiers :
1* Le Sauveur a changé son nom, comme Dieu a changé
celui d'Abraham, pour dire qu'il était devenu à son service
un homme nouveau, et pour indiquer sa destinée dans l'E-
glise ^ — 2® Il tient le premier rang parmi les Apôtres et se
conduit comme leur chef. C'est lui qui parle pour tous, lui
qui répond au nom de tous ^ ; et quoiqu'ils soient en garde
contre toute prétention et toute préférence, quoiqu'ils s'in-
dignent contre l'ambition de Jacques et de Jean quand ceux-
ci aspirent aux premières places, nous ne voyons pas qu'au-
cun d'eux ait jamais réclamé contre sa primauté ; au con-
traire, les évangélistes marquent expressément que le
premier rang lui appartient *. — 3^ Il paie le tribut avec le
Sauveur et comme le Sauveur, une drachme pour l'un et une
drachme pour l'autre *. — 4* Il est à la tête des deux pêches
miraculeuses et figuratives. La barque où elles se font est à
lui, et il reçoit l'ordre de la conduire en haute mer *.—
5^ Il est spécialement éclairé de Dieu sur la grandeur du Sau-
veur et sur la gloire de son règne ^ Il confesse sa divinité
au moment où elle est encore ignorée en Judée, même de la
1 Bellarm., Controv,, De rom. Pont. — * Matth., xvi, 18; Joan., i, 42.
Cf. Gen., XVII, 5; xxxii, 28; xxxv, iO; xli, 45; xlvih, 7; IV Reg.,
XXIII, 34; Dan., i, 6, 7. — ^ Matth., xv, 15; xvi, 16; xvii, 4; xix, 27;
Joan., VI, 69. Cf. Joseph., Cont, App., ii. — * Primus Simon, qui dicitur
Petrus. Matth., x, 2. Petrus et qui cum illo erant. Marc, i, 36; Luc,
VIII, 45. Cf. Marc, m, 16; Luc, vi, 14; Act., i, 13; I Cor., ix, 5; xv, 5.
Oi irepi IleTpov. S. Ign., ad Smym., 3.-8 Mattli., xvii, 23-26. — ^ Luc,
v, 4; Joan., xxi, 3. — ' Matth., xvi, 17.
N« l&à] SA VIE t>tBLIQUË. — SAINT PIERAË. iS^
plupart des disciples qui ont entendu ses discours ou appris
ses miracles *. — 6** Il marche sur les eaux, comme le Saur
veur lui-même au plus fort de la tempête, et Notre Seigneur
Ty soutient de sa main, d'une manière visible et miracu-
leuse *. — 7° C'est à lui que le Sauveur lave les pieds en
premier lieu: circonstance qui explique l'étonnement et
les représentations de S. Pierre *. — 8* Notre Seigneur prie
spécialement en sa faveur, afin que sa foi ne défaille pas et
qu'il puisse confirmer ses frères *. — 9** Après sa résurrec-
tion, il se montre à cet apôtre avant de se montrer aux
autres *. — 10° Il lui prédit sa mort, et un genre de mort
semblable à celle qu'il a lui-même soufferte. — !!• Enfin il
lui donne l'assurance que son siège subsistera toujours, le
fondement de l'Eglise devant être inébranlable comme
l'Eglise elle-même.
Tous ces faits sont significatifs : ils indiquent la destinée
des successeurs de S. Pierre et le rôle qu'ils auront à rem-
plir comme chefs de l'Eglise.
162. — Quand saint Pierre donne au Sauveur le titre de Fils de Dieu 6,
entend-il reconnaître en lui la nature divine?
C'est ainsi qu'on a toujours entendu ses paroles : c'est
donc ainsi qu'on doit les entendre ^ ; d'autant plus qu'on ne
peut les expliquer autrement sans violer toutes les règles de
l'interprétation. L'article joint au mot Fils dans l'original,
0 Vtoc, indique bien, dit Théophylacte, qu'il s'agit du Fils
unique de Dieu, de son Verbe ■; de même que l'article qui
précède le mot Christ, o Xpiatoç,, montre qu'il s'agit, non
d'un roi ou d'un prêtre ordinaire, consacré par une onction
quelconque, mais du Messie, c'est-à-dire du Roi et du Prêtre
par excellence, qui a reçu du ciel l'onction et la grâce la
«Matth., XVI, 16, 17. — « Matth., xiv, 28-31-. Cf. Apoc, xvii, 1, 15.
Cf Brev. rom., 18 janv., lect. 5; 23 janv., lect. 6. — 3 Joan., xiii, 6-9. —
* Luc., xxn, 32. — « Luc, xxiv, 34. — « Matth., xvii, 16. — "^ Conc.
Trid., sess. iv. — > Non enim dicit : Tu es Ghristus, Filius Dei, absque
tfticok)^ sed cum articuk) ^ ilie Filius, hoc est ille ipse qui solus est et
UHtQs, non gratia filkiS) sed ex ipsa Patris âubstantia genitus. Theophyl.,'
Enarr. in Matth. -'
m. ' 17
iè90 JËSUS-CHRIST âELON L*ÉYANÔ1LÊ. [n^ Ifô
plus parfaite *. — D'ailleurs, si S. Pierre disait seulement
que Jésus-Christ est un enfant de Dieu, fils d'adoption comme
nous le sommes tous, que dirait-il de plus à sa gloire que
ceux qui l'appellent un prophète, Elie, Jérémie, Jean-Baptiste?
Quelle raison aurait Notre Seigneur de louer sa foi, de le
féliciter des lumières qu'il a reçues du ciel, de dire qu'il ne
suit pas les enseignements de hommes : Caro et sanguis non
revelavit tibi •?
* 163. — Saiat Pierre est-il le premier qui ait confessé la divinité
de Jésus-Christ?
Notre Seigneur était connu depuis longtemps des Apôtres,
non seulement comme Messie *, mais encore comme Fils de
Dieu et comme Dieu ^. Il leur avait été signalé en cette qua-
lité par S. Jean-Baptiste ^ D'ailleurs ce n'est pas en son nom
seulement, mais au nom de tous ses collègues, que S. Pierre
rend témoignage au Sauveur *. — Mais ce qu'on peut affir-
mer à son éloge, c'est qu'en cette circonstance, il devance
tous les autres, que son témoignage est plus exprés, plus so-
lennel, que sa foi est plus ardente et plus énergique. Dans
ce sens, il est juste de dire avec S. Léon : Primus estDomini
cmfessione qui primm erat in apostolicadignitate'^. Quand
Notre Seigneur demande : Quem me esse dicitis? il ne répond
pas : Dico te esse CAm^um^ mais de la manière la plus ferme :
Tu es Christu^ : « Vous êtes le Messie promis; » puis, après
avoir répété les paroles de Nathanael : Tu es Filius Dei^
0 ïtoç Toj Beou % il ajoute ce mot, tou Çwvto; par lequel les
Israélites distinguaient le Dieu véritable des vaines divinités
du paganisme ^ Il est probable que pour un certain nombre
1 Nam multi erant christi, sacerdotes et reges, sed Christus cum arti-
cule unus est. Theophyl., In Matth., xvi, 16. — * Cf. Matth., xi, 27;
Gal.,i, 16; II Cor., xi, 23. Brev. rom., 18/flnv., lect. m; 22 feb,^ 29 /«"-i
lect. vu-ix; Infra, n. 464, 465. — 3 Joan,, i, 41; iv, 29. — ♦ Cf. Mattli.,
I, 23; XIV, 33; Luc, i, 32, 43; m, 15-17;. v, 8j JoaQ., i, 49; vi, 70. —
6 Joan., I, 32-34. Cf. Matth., su, 17; Joan., m, 31, 35, 36. — « MatUi.,
XVI, 15. Cf. S. Hieron., In hune loc, — "^ S, Léo., Serm. iv, n. 2. —
s Joan., 1 , 49. — 9 Ad diBtinctioaem eorom dâomiQ • qui pujbiatur dii s
sed mortui sunt. S. Hieron., In hune loc.
ïî» 164] SA VIE PDBUQUE.' — SAINT PIERRE. 291
de disciples, ce dogme u'avait pas la même certitude que pour
S. Pierre, et que sa profession de foi, à Césajrée comme à
Gapharaaûm, est une protestation contre leurs hésitations et
leur infidélité '.
164. — Pourquoi Notre Seigneur défend-il à ses apôtres de prêcher qu'il
est le Christ, Fils du Dieu vivant, comme l'a confessé S.' Pierre *?
Notre Seigneur avait plusieurs raisons pour recommander
aui ÀpQtres dé ne pas commeacer sitôt à le faiire connaître
comme Messie et. comme Fils de Dieu : — 1*» U intérêt des
dmes. Ce diviû Maître leur disait encore au dernier jour de
sa vie qu'il y avait des vérités qu'ils n'étaient pas disposés à
entendre, et qu'il ne devait pas Jeur révéler ' : est-il éton-
nant que le peuple ne fût pas préparé, dès le début de son
minisfere, à reconnaître sa nature divine et à se soumettre à
son autorité? Qu'on remarque avec quelle prudence il pro-
cède dans la révélation de ses mystères, de celui de l'Eucha-
ristie par exemple. Il commence par y faire allusion ; il en
parle ensuite d'une manière voilée.; puis il en montre
comme une ébauche dans la multiplication des pains. Qe-
vait-il user de moins de circonspection dans la révélation
de sa divinité? Pour en convaincre les Juifs, ne convenait-
il pas qu'il relevât d'abord la bassesse de sa condition par
Téclat de sa doctrine et de ses miracles*?. Ne.valaitril pas
mieux leur persuader ce dogme par ses œuvres que de
le faire proclamer par ses disciples *? — 2* L'intérêt des
Apôtres. Avant d'avoir reçu son Esprit, ils n'avaient ni
assez de lumières pour bien exposer les preuve de cette vé-
rité, ni assez de constance pour supporter les persécutions
qu'elle leur eût attirées, ni assez de force pour triompher
des violences et des ruses de leurs ennemis. •— 3° L'intérêt
même de son œuvre, si l'on peut parler aîn«i d'une œuvre di-^
yine. En se donnant ouvertement dès le début pour le Fils
* Cf. MatO^M m, 13; Joan., vi, 65, 66, 68, 7Q. — à.Matth.,. xvi, 2Qi
Cf. Marc, i, 25 ; l-uc, ïv, 35. Infia, n. 194, 327, — a Sap., vm, J ;.xi, U ;
Joan.,.x,vr, 12. — * Cf. Mat^h., xi, i, 5; xxi, 14, 15. — » Matth., j^h 33;
Joan., IV, 29; vi, 31#.46,
292 JÉsuâ-GHïiist SELON l'ëVangilë. [n® 165
de Dieu, ou même pour le Messie, il eût fourni occasion à
des soulèvements populaires en Galilée et à des dénoncia-
tions perfides à Jérusalem *. Il eût déchaîné contre lui les
passions les plus furieuses *. Les hommes religieux eux-
mêmes l'auraient traité de blasphémateur, et, loin devenir
l'entendre, se seraient fait uii mérite de fermer l'oreille à ses
discours ou de le lapider avec ses Apôtres. A moins de pro-
diges continuels, quels succès eût-on pu attendre de sa pré-
dication*? Là ou ces périls sont moins à craindre, l'on peut
remarquer qu'il est aussi moins réservé \
L'Eglise, en établissant dans les premiers siècles la loi du
secret sur les saints mystères, a conformé sa discipline aux
exemples du divin Maître aussi bien qu'à ses maximes *.
* 165. — Jésus-Christ a-t-il conféré dès ce moment à saint Pierre
son autorité et ses prérogatives?
S. Pierre a toujours été à la tête du collège apostolique;
mais il n'a pas toujours été le Vicaire de Jésus-Christ. Le
Sauveur ne l'a investi de son autorité sur l'Eglise entière
qu'après l'avoir fait prêtre, au moment où lui-même allait
disparaître et remonter à son père *. Ainsi le divin Maître
s'est conduit à son égard comme à l'égard des autres Apôtres.
Avant de lui faire exercer son autorité, il a pris soin de l'y
préparer, de l'en rendre digne. Pierre avait de grandes qua-
1 Matth., XXVI, 60; xxvii, 40. — ^ Joan., x, Î4, 39. — 3 Matth., x, 27,
37, 38; XII, 16. Sciebat et docere quod proderat et non docere quod
obérât. S. Aug., In Ps. xxxvi, 1. Cf. Lemann , le Christ rejeté, 1881.
Infra, n. 333, 337. — ^ Joan., iv, 42. — » Nous voyons en effet que les
premiers fidèles, tout en reconnaissant et en invoquant explicitement
la sainte Trinité, étaient fort réservés sur la divinité du Fils et du Saint-
Esprit en présence des païens. Ils se bornaient souvent à donner le
nom de Dieu au Père, de peur de faire penser qu'ils n'admettaient
pas Tunité de Dieu ou que leur foi renfermait des contradictions. Cf.
Matth., VII, 6; xiii, li; xv, 20; Marc, iv, 10; Luc, ix, 36; I Cor., m,
i, 2; Heb., v, 2; Constit, Apost,, ii, 57; Omnibus mysteriis silentii
fides adhibetur. TertuU., Apol. 7; Prxscript.y 41; Orig., Cont. Cels.-,
I, 7; VI, 10; S. Basil. De spir, sanctOy 21; S. Cyrill. Hieros., Pr«/.
Catech. et Catech. vi; S. Aug., In Ps. cm; Breviar., 3 maiit lect viii;
Wi«eman, Confi xvi«. Transsubstantiation; Martigny, Sea^et. Infini^
n. 194, 280, 450. — « Joan., xxi, 15-17. Infra, n. 4,
N«I66] SA VIE PUBLIQUE. — NIGODÈME. 293
lités. II est iinpossible de ne pas admirer sa foi S son humi-
lité *, sa générosité •, son amour pour son Maître *. Notre
Seigneur Tencourage, l'affermit, l'anime dans la pratique de
ces vertus ». Mais là ne se bornent pas ses soins : il lui si-
gnale ses imperfections et ses défauts ' ; il le reprend de ses
moindres fautes ''; et suivant la remarque des saints Docteurs,
il fait en sorte que ses chutes même, par le repentir qu'elles
lui inspirent, contribuent à sa sanctification et le disposent
à son ministère.
§ IV. — NicoDÈME. Joan., m, 1-21.
* 166. — Qu'est-ce que Jésus-Christ apprend à ce docteur?
On ne saurait trop étudier l'instruction du divin Maître à
ce docteur de la Synagogue. Elle résume les vérités les plus
essentielles et les plus relevées du christianisme :
I. Tout ce qui concerne le baptême : — 1* La nécessité
pour chaque homme de renaître ' spirituellement, c'est-à-
dire de mourir à lui-même, aux inclinations déréglées qu'il
tient de la nature, et d'acquérir un nouvel être, un nouvelle
vie, une vie surnaturelle et divine, afin d'arriver au ciel,
3-7. — 2** Le rite extérieur par lequel la grâce de la régéné-
ration doit être conférée, ou le sacrement de baptême, sa
nécessité absolue et universelle, sa matière et son effet par-
ticuliers*. '- — 3* La cause efficiente de cette régénération,
qui est l'Esprit saint, 5. — 4^ Sa cause méritoire, qui est
la croix du Sauveur ou le sacrifice de l'Homme-Dieu, 14, 17.
— 5" Sa cause déterminante, qui est la charité de Dieu
envers nous, 16-17. — 6" L'opposition qu'on peut mettre
4 Matth., XIV, 28, xvi, 16; Joan., vi, 69. — « Luc, v; 8; xxn, 61, 62;
Joan., xin, 6.-8 Matth., iv, 20; xix, 27; Joan., xiii, 37. — * Matth.,
XVI, 22; XXVI, 58.; Luc, xxii, 33; xxiv, 12. — s Matth., xiv, 29; xvi, 18;
XIX, Î8. — « Matth., XIV, 31; xxvi, 40. — ^ Matth,, xvi, 23; xxvi,
54, 40; Marc, viii, 33; Luc., xxii, 61. — * Tewa^Ooti avco6ev, nasci denuo.
Cf. Gai., IV, 9. Sicut homines non nasceréntur injusti , nisi ex semine
Adç propagarentur, ita niai in Christo renascerentur, justi non cUice'
reatur. Conc. Trid., sess. vi, 3. — • Cf. Conc Trid., aess. vu, can. 2;
P9. L, 9; Ezec, XXXVI, 25.
294 j^sts-CHRïST SELON l'évangile: [A« 167
aux desseins de Dieu, eh fermant les yeux à la lumiète
de la foi du en refusant d'observer les préceptes qu'elle
impose, 18-21 *. Toute cette doctrine implique ce principe,
que celui qui a fait l'homtne peut seul lé réformer, ou que
celui qiii nous a dbntié la vie de la grâce peut seul nous la
rendre *.
II. Plusieurs autres dogmes très importants : -— La Tri-
nité, 8, 17, 18; — rincarnation, 13, 18; — la divinité du
Sauveur, 16-18; — l'universalité de la Rédemption, 18-17;
— la nécessité de la foi pour le salut, 14, 18.
167. — Qaelles sont les paroles les plus remarquables du divin
Maître à Nicodème?
Plusieurs paroles du divin Maître, non moins profondes
que simples, demandent une attention particulière.
1** Le verset 8 : Spiritus uM vult spirat. — Par «ptnftw,
S. Augustin et un bon nombre d'interprètes entendent l'Es-
prit saint, To IlvsuiJia •. Maïs S. Chrysdstome et le plus grand
nombre des commentateurs l'entendent de l'air en mouve-
ment ou du vent, spiritia, image du Saint-Esprit. Suivant
eux, Nicodème s'étonnant des effets mystérieux que Notre
Seigneur attribue à rEsprit saint et se demandant où l'on
voit des hommes régénérés par lui, le divin Maître lui
montre une chose non moins mystérieuse dans la nature.
« Le vent, dit-il, souffle librement; et quoique les effets en
soient sensibles, nul ne peut dire son point de départ ni
son point d'arrêt. Tel est l'esprit de Dieu ; tels sont ceux qui,
par une nouvelle naissance, lui sont devenus semblables. On
ne voit pas les principe qui les régénère, ni la fin à la-
quelle il les conduit; mais son influence sur eux est mani-
* s. Aog., In Joan.f xii. — ' Ego creavi, ego recreo; ego fonnavi, ego
reforme ; ego feci, ego rcficio. S. Aug., In Ps, xlv, U. — » Nemo videt
Spiritum sanctum; et quomodo audimus Vocem Spiritas? Sonat psal-
mas : vox est Spiritus ; sohat evàhgelium : vox est Spiritus ; sonat
sermo divinùs : vox est Spiritus. Vocem ejus audis, et nescis unde
veniat aut quo vadat. Sic si nasearis et tu dé Spîritu , hoc eris ut HVq.
Qui non est adhuc natus de Spiritu, non sciet de te unde venias aut
quo eas. In Joan.^ xii, 5.
nM67] sa vie publique. — nicodème. 298
feste et constante. » Le mot èic semble en effet exiger une
comparaison *.
2* Le verset 14 : Sicut Moyses eœaltavit, etc., qui nous met
devant les yeux une des plus belles figures du sacrifice du
Sauveur et de ses effets salutaires *. Il répugnerait, en effet,
de ne voir qu'un jeu de hasard dans les rapports signalés
entre le serpent d'aîrain et la croix du Sauveur, et Fon est
forcé de reconnaître en cet endroit une prophétie expliquée
par une autre prophétie. Non seulement le Fils de Dieu s'est
rendu semblable aux pécheurs et à Adam leur père en toutes
choses, sauf le péché, comme le serpent d'airain était sem-
blable aux serpents venimeux sans en avoir le venin ; non
seulement il a voulu être élevé et fixé sur la croix aux yeux
du monde entier, comme le serpent d'airain l'a été devant
le peuple d'Israèl ; mais comme cette image, comme ce signe
figuratif, il gUérit de toute morsure envenimée quiconque
élève vers lui un regard de confiance et d'amour, et nul
de ceux qui sont infectés du péché ne peut se sauver sans
se tourner vers lui et invoquer sa grâce •. D'uii côté comme
de l'autre, la vie naît de la mort, et c'est la vue d'un mort
qui rend la vie.
3* Le verset 16 : Sic Deus dilexit mnndum, dans lequel
S. Jean, parlant en son nom ou continuant à résumer les
paroles du divin Maître, nous montre, dans l'Incarnation et
le dévouement du Rédempteur, l'indice et la mesure de
l'amour de Dieu pour les hommes. Jamais, en effet, on n'a
eu l'idée de cet amour sans la connaissance de ces mystères,
et quiconque les connaît se sent obligé d'admirer et de bénir
infiniment la divine bonté. On ne conçoit pas d'amour plus
spontané, plus généreux, plus libéral. Ce n'est pas un ange
que Dieu donne aux hommes pour expier leurs crimes :
c'est son Fils, son Fils unique, infiniment parfait *. Ce n'est
* Cf. Eiec, XXXVII, 9; Joan., xx, 22; Act., ii, 2. Infra, n. 474, avant-
dernière note. — s Num., xxi, 5-9. — 3 Sap., xvi, 6; Joan., vi, 40. Ad
figuras Ghristus remisit, ut discerent veteram cum noyis cognationem,
wirentque hœc non esse aliéna. S. Clirys,, In Joan., xxvii, 2, —
^Matth., m, 17; Rom., vm, 32. Cf. Gen., xxii,i, 2; Heb., xi, 17-19:
296 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n^ 168
pas un prêt ou un échange qu'il daigne leur faire en l'en-
voyant sur la terre : c'est un don et un abandon sans ré-
serve. Ce n'est pas à des sujets soumis, respectueux, dis-
posés à lui rendre hommage, qu'il le livre : c'est à des
rebelles qui doivent l'attacher à une croix et le mettre à
mort. Et il ne lui suffit pas de nous délivrer du plus grand
des maux au prix du sang de son Fils : il daigne encore, en
considération de son sacrifice, nous mettre en possession du
souverain bien. Tout ce que le Sauveur a mérité, tout ce
qu'il possède et qu'il peut nous donner, nous est offert en
partage, à la seule condition de croire en lui et de l'aimer *.
Gomment ne pas reconnaître ce que dit ailleurs S. Jean, que
Dieu est la charité môme et que notre premier devoir est de
l'aimer de tout notre cœur * t
168. — Quel est le sens de ce mot : royaume de Dieu, employé ici par
Notre Seigneur et tant de fois répété dans le Nouveau Testament?
I. Ce mot, royaume de Dieu, employé plus de cinquante
fois par S. Marc et S. Luc; celui de royaume des cieux^ non
moins souvent répété par S. Matthieu '; ceux de royaume du
Christ * ou simplement du royaume par excellence, r, ^aoi-
Xeta •, semblent pris indistincteuïent ou à peu près dans le
même sens. Ils sont propres à la révélation chrétienne, dit
S, Augustin ^ Néanmoins l'expression royaume des cieux
.1 Cf. II Cor., V, 14, 15. Tit., îii, 4-7; I Jean., iv, 1, 2, 9, 16, 42. -
2 Si totuffl me debeo pro facto , quid pro relecto et rofecto tali modo?
S. Bèrn., De dilig. DeOy 6. Cum ei donavero quidquid sum, quidqnid
poâsum, nonne istud totum est sicut Stella ad solcm, gutta ad fliivium?
Non habeo nisi minuta duo, imo minutissima, corpus et animam, vel
potios unum minutum , voluntatem meam ; et non dabo illum ad Tolun-
tatem illius qui tantus tantillum tantis beneficiis prevenit ! Serm. de
quadr. debUo. Cf. Lesëius, De pei^f, divin,, ix, 4; Tolet, In Joan. —
3 S. Jean n'emploie que cinq fois celui de royaume de Dieu ou de
royaume du Christ. — * Matth., xx, 21 ; Luc, xxii, 30; Joan., xviii, 36;
Eph., V, 5; Col., i, 13; II Tim., iv, 1, 18; II Petr., i, 11. — 5 Matth.,
IV, 23; vni, 12; ix, 35; xxiv, 14; Luc, xxii, 29. — ^ Regnum codonim
ori ejus nominandum servabatur quem rcgem ad regendos et sacerdoteiu
ad sanctificandum fidèles sues universus ille apparatus veteris Instni-
menti in generationibus, factis, dictis, sacriflciis et rébus gestis etreruni
llguris parturjebat esse yenturum. Cont, Faust, ^ JUJC, ^ixi. Cf, IX, x,
'û
NO 168] SA VIE Pl'BLlQDE. — NICODÉME. 297
était déjà employée par le Précurseur pour annoncer Tavè-
nement du Sauveur*, et nous avons lien de croire qu'elle
était dès lors en usage pour désigner Tœuvre du Messie ou
le nouvel état religieux et politique qu'on s'attendait à lui
voir fonder.
II. Dans l'esprit de Notre Seigneur, ces mots avaient un
sens non moins précis qu'étendu. Ils signifiaient la société
chrétienne, l'Eglise dont il devait être le fondateur et le
chef; le grand royaume prédit par Daniel •, comme supé-
rieur à tout autre : royaume véritablement céleste, qui ne
tire d'ici bas ni son origine, ni son autorité, ni sa constitu-
tion, ni sa hiérarchie; royaume surnaturel, qui n'admet
dans son sein que des hommes régénérés, élevés à la dignité
d'enfants de Dieu*; royaume universel, dont l'autorité
s'étend sur le monde entier et qui aspire à s'incorporer tous
les peuples * ; royaume toujours combattu et toujours in-
complet sur la terre; royaume éternel néanmoins, qui ne
finira pas ici-bas avant la fin des temps, et qui doit se per-
pétuer et se consommer dans le ciel pour l'éternité. Mais il
s'en faut que ces expressions aient éveillé dès lors des idées
aussi nettes et aussi exactes dans tous ceux qui les enten-
daient. Comme elles n'énonçaient clairement qu'une chose
à savoir que le Messie régnerait et que sa royauté ne serait
pas terrestre comme les autres, elles permettaient à chacun
de faire ses conjectures et de garder les vues qu'il pouvait
avoir sur les caractères, les prérogatives et les destinées de
cette royauté à venir. On ne Ten désirait pas avec moins
d'ardeur : au contraire. Ce qu'il y avait de vague dans l'idée
p'on s'en formait servait à écarter les difficultés ; et les
ennemis du Sauveur, comme ses disciples, s'accordaient
pour désirer de voir bientôt s'accomplir les desseins du ciel.
m. Notre Seigneur aurait pu sans doute préciser son
langage et dire nettement ce qu'il se proposait; mais il ne
crut pas le devoir faire à son début, soit pour ne pas exciter
trop vivement la haine de ses ennemis, soit pour ne pas
m
* Matth., m, 2. — » Dan., n, 44; vu, 13, 14, 22, 27. — » Joan., ui, 5.
- * Matth., XXVIII, 18-20.
i7^
898 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [NM68
mettre la foi de ses disciples à mie trop grande épreuve. H
prend donc son temps et met tous ses soins à disposer les
esprits. A mesiire que les préjugés des Apôtres, se dis^ipeotj
il leur découvre l-objet de sa mission et le caractère de son
œuvre. Il leur fait sentir que le salut dont il est le principe
est celui des âmes ; que les ennemis qu'il doit soumettre,
c'est le démon, la chair et le péché ; que ce qui importe à la
gloire de Dieu, ce n'est pas que tel prince ait l'empire ou
que telle nation domine : c'est que son nom soit respecté et
qu'il ait pour toute la terre des adorateurs en esprit ^t en
vérité. Ses paraboles du royaume des cieux ' lui,serveut ad-
mirablement à éclaircir et préciser son dessein, m montrant
en quoi ce royaume est conforme ou opposé aux divers
types auxquels il peut être comparé. Ainsi parvient*il à
faire comprendre que la société dont il sera le fondateur,
bien qu'extérieure et visible ', aura pour uniques fin la per-
fection intérieure et le bien spirituel des âmes'; que cette
société, qui existe déjà en germe *, va recevoir bientôt un
vaste accroissement*; que le bien et le mal qui se mêlent
dans son sein continueront à être mêlés sur la terre •, mais
qu'elle doit être un jour épurée avec soin ' ; que la vie pré-
sente est pour elle un temps de travail et d'épreuve, et la
vie future celui de la récompense et du bonheur *. Toutefois
ces éclaircissements sont encore loin de dissiper toute obs-
curité. Il ne parait pas que Notre Seigneur se soit expliqué
complètement avant sa mort sur la constitution de l'Eglise
sur son organisation, sur sa hiérarchie. Pour découvrir
tout à fait ses plans, il voulut attendre que sa résurrection
en eût rendu le succès indubitable, en faisant éclater sa
toute-puissance et sa divinité. Encore fallut-il la venue du
Saint-Esprit pour en donner aux Apôtres une pleine intelli-
gence et pour les rendre capables de les réaliser.
i Matth., xiiK — 3 Mattli., xiii, 31, 32; xvi, i8. — ' Luc, xvii, 21.
Cf. Rom., XIV, 17; I Cor., iv, 20. — * Mattb., xi, 12; Luc, xvi, 16. —
7 Matth., XIII, 31-33; Marc, iv, 30; Luc, xiii, 19, 29. — « Matth., xxn,
1-14 ; Luc, XV, 1-7. — ^ Maith., xiii, 40-43, 47, 48. — « Matth., xx, 1-16;
XXV, 14-30; Luc, xix, 12-27.
N0 169J SA VIE PUBLIQUE. — MARIE-MADELEINE. 2Ô9
§ V. — ttUmE-MADEUViiiB *. Luc, VII, 86-50; X, S8-4Î, etc.
* 169. — Quels symboles et quelles instructions trouve-t-on dans les
visites que Notre Seigneur a faites à Simon le Pharisien et aux deux
sorars, Marthe et Marie ?
I. Chacune de ces scènes offre un caractère symbolique.
— 1° Dans la première, la pécheresse représente évidem-
ment les peuples gentils qui allaient se convertir et se
purifier par une pénitence éclatante, tandis que Simon re-
présente la nation juive, nation éclairée, orthodoxe, mais
défiante, orgueilleuse, incrédule et jalouse •. — 2*» Dans la
seconde, dit M. Ollier, Marthe figure la vie active, qui est
la vie commune des chrétiens en ce monde, et Marie la vie
contemplative, dont l'état des Bienheureux est le type glo-
rifié ». Ces deux vies doivent être dans TEglise comme deux
sœurs, s'estimer et se soutenir, sans se porter envie, ni se
troubler l'une l'autre. Dans l'état religieux, voué spéciale-
ment à la contemplation, il faut prendre garde que Marie
ne regarde pas derrière elle, qu'elle ne reprenne pas ce â
quoi elle a renoncé pour Dieu *.
Cette signification symbolique est la raison pour laquelle
on lit, à la messe de l'Assomption, l'évangile de Marthe et
de Marie. Quoi de plus naturel que d'attribuer ce jour-là à
l'Eglise militante les plaintes de Marthe et d'appliquer à
la sainte Vierge les paroles du Sauveur sur le bonheur de
Marie»!
IL Unum est necessarium^ dit le divin Maître*; vérité
simple et solide autant qu'importante et féconde, que les
sages du monde n'ont jamais enseignée ni comprise. Les
* /n/Va, n. 377. — « Cf. S. Aug., Serm. xliv. — a S. Aug., Cont. Faust.,
xxn, 5E; S. Greg. M., In Ezec., Hom. xiv. S. Thom., 2» 2», q. 179-182.
Cf. Luc, X, 39 et Act., xxii, 3. — ♦ Félix domus et beata semper çon-
gregatio, ubi de Maria conqueritur Marthal nam Mariam Marthas semu-
lari indignum prorsus arbitror. S. Bern., Sei^m, m, in Assumpt, Cf.
Bccli., xxxu, 9; S-. Aug., Epist. cxix; S. Greg., In Job., lib. xxx, 16;
S. Berû., In Cant., ui. — » Cf. S. Hildeph., de Assumpt., Serm. v. —
•Luc, X, 42. Cf. Ps. xxn, 4; Matth., vi, 26, 33; xvi, 26; I Cor., vn, 32;
Phil., ra, 14. - . .
300 JÉSUS-CHRiST SELON l'ÉVANGILE. [n® 170
soins d'ici-bas ont leur raison d'être, et s'ils sont inspirés
par de saints motifs, ils contribuent à glorifier Dieu et à
nous unir à lui; mais il n'y a qu'une chose estimable et dé-
sirable par elle-même, c'est cette union avec Dieu en son
divin Fils ; c'est cette connaissance et cet amour du souve-
rain bien K Heureux ceux qui, à travers toutes les vicissi-
tudes, ne cessent jamais d'y tendre par le désir de leur
cœur î Plus heureux ceux qui ont renoncé à tout pour cet
unique partage : il fera leur gloire dans le ciel, après avoir
fait leurs délices sur la terre ! Non auferetur ab eis *.
* 170. — Comment faut-il entendre cette parole de Notre Seigneur sur
la pécheresse : Bemitiuntur ei peccata multa^ quoniam dilexit mul-
tum, Luc, vu, 47?
Considéré en lui-même, le verset 47 semble clair. Il n'y a
de difficulté que si on le rapproche des versets 42 et 43, et
si l'on suppose qu'il en est la conséquence ou la confirma-
tion. C'est ce que font communément les commentateurs,
les catholiques aussi bien que les protestants. Ceux-ci, ne
voulant pas attribuer la rémission des péchés à la charité,
mais seulement à la foi, disent que oTt, rendu par quoniam
devait l'être par ideo, qu'il équivaut à notre mot car^ le-
quel exprime non la relation de la cause à l'effet, mais celle
de la preuve à la chose prouvée. Le sens est donc, selon
eux : « Beaucoup de péchés lui sont remis ', car elle aime
beaucoup : sa grande ferveur atteste un généreux pardon. >
Notre Seigneur ferait ici à la pécheresse l'application du
principe énoncé aux versets 42, 43. Les autres soutiennent
que la Vulgate a eu raison de rendre on par quoniam et de
traduire : « Elle a obtenu un grand pardon, parce qu'elle
avait une grande charité; » et ils déduisent ce sens du
verset 42, en substituant au mot diligit celui de dUeœit ou
1 I Cor., VI, 17. — 2 Luc, x, 42. Cf. Joan., xvii, 2. Gontemplatio
inchoatur in via, sed perficitur in patria. S. Greg., M, S. Aug., Serm, cm,
Giv. Breviar., 21 dec, lect. 7. « Le parti que Luc a tiré de Marie et de
• Marthe, sa sœur, est merveilleux. Aucune plume n'a laissé tomber dix
lignes plus charmantes. » M. Renan. — 3 Ai a(ia(>Tat aviT)( at TcoXXat, 47.
îrM70] SA VIE PUBLIQUE. — MARIE-MADELEINE. 301
diligere solet, qu'ils disent rendre mieux la pensée. Ni l'un
ni l'autre de ces sentiments de nous paraît solide. Nous ne
voyons pas de raison pour substituer ideo à quoniam^ et
moins encore pour remplacer diligit ou plutôt dUiget,
Tfii:T,(5Ei^ 42, par dilexit ou diligere solet^. Nous pensons
qu'il faut traduire les deux passages indépendamment l'un
de l'autre, et laisser simplement à chacun son sens naturel.
D'abord le divin Maître fait remarquer que si la pécheresse
a plus reçu, elle doit avoir plus de reconnaissance, 43. Puis
il ajoute qu'ayant aimé davantage, elle a dû recevoir une
plus grande grâce, 47. Ces deux choses ne sont pas iden-
tiques ni essentiellement liées ; mais elles ne sont pas non
plus opposées : elles sont plutôt complémentaires. La cha-
rité avec la foi précède et amène le pardon ; mais le par-
don confirme et accroît la charité : il l'anime et la porte au
comble.
On remarquera la dernière parole du Sauveur à la péche-
resse : Fides tua te salvam fecit, 50. En la rapportant,
S. Luc confirme le grand principe de S. Paul, son maître,
que ce ne sont pas les œuvres qui justifient, mais bien la
foi, une foi vive, animée par la charité '. Ce qui a effacé les
péchés de cette femme, ce ne sont pas en effet ses obser-
vances, ses expiations légales : on n'en voit aucune ; ce
|. n'est pas non plus la parole de Notre Seigneur, 50 : ses
péchés étaient déjà effacés auparavant, 47. C'est donc sa foi,
sa foi vive et ardente, 50, cette foi au divin Sauveur qu'elle
a conçue sur le rapport qui lui a été fait, 37, et qui lui a
inspiré un acte de pénitence et de charité si touchant,
44-46.
^ Dictnra est propter Pharisieum itlum qui vcl nulla vel pauca se
putabat habcre peccata... O Pharisœe, ideo parum diligis, quia parum
tibi dimitti suspicaris; non quia parum tibi diuiittitur, sed quia parum
pntas esse quod dimittitur. S. Aug., Serm. xcix, 6. Cf. S. Greg. M.,
/» Ei)ang,j Homil. xxiii, — 2 Rom,, m, 28; Gai., v, 6. Infra^ n. 216,
604, etc.
302 • JÉSUS-CHRIST SEtON l'évangile. [n<» i7l
§ VI. — Les Pabents du Sauveur.
Sa mère. — S. Joseph. — Ses frères oa membres de sa famille.
171. — N'est*il pas étonnant qu'il soit si peu parlé de la sainte Vierge
dans TEvangile?
Il est dit peu de choses de la sainte Vierge dans l'Evan-
gile, et seulement par rapport à Notre Seigneur, Elle n'y
parle que sept fois *, de la manière la plus modeste. Mais ne
convenait-il pas qu'elle s'effaçât, comme S. Jean-Baptiste,
devant le Verbe fait chair *, afin que toute l'attention se
portât sur les perfections et la divinité de son Fils ? Ne fal-
lait-il pas attendre qu'elle eût quitté la terre pour commen-
cer à exalter ses grandeurs? D'ailleurs, le peu de mots que
l'Evangile a consacrés à Marie, ou qu'il rapporte d'elle,
suffisent pour nous donner la plus haute estime de ses pré-
rogatives et de sa sainteté. Nous y voyons, en effet, sa di-
gnité de Mère de Dieu *, de Mère du Sauveur *, de Mère des
chrétiens % avec toutes ses vertus : sa virginité perpétuelle*,
sa foi ', son espérance ', sa charité ', sa religion *^, son hu-
milité**, sa tendresse pour les hommes *% sa prudence",
sa modestie **, son courage **, sa sagesse ", sa patience *^
son zèle **, la générosité et l'efficacité de son intercession ",
son dévouement particulier pour l'Eglise et pour ses mi-
nistres ^^. On ne trouvera rieii dans les auteurs ecclésias-
tiques qui respire plus de respect et d'admiration pour sa
personne que le récit de la Visitation, tracé par S. Luc ".
1 Luc, I, 34, 38, 40, 46; ii, 48; Joan., n, 3, 5. — « Joan., in, 30- —
3 Luc, I, 43; Matth., ii, 11, 13. — ^ Joan., xix, 25, Son titre de Mère de
Jésus est répété 25 fois dans l'Evangile. Or, c*est l'abrégé de toutes ses
grandeurs : Totum in hoc clauditur : De gua nattis est Jésus, S. Tbom. a
Villan. Cf. S. Thom., p. 3, q. 28, a. 3, ad 6.— » Joan., xix, 27. — « Matth.,
I, 20, 25; Luc, i, 35. Cf. Gai., iv, 4.-7 Luc.,.i, 38, 45. — » Joan., ii, 5.
— » Luc, I, 39, 56; ii, 7 ; Joan., ii, 3; xix, 25, 26. — lo Luc, i, 46, 47;
II, 42. — 1* Luc, I, 38, 48; II , 48. ~ i» Joan., ii, 3. — i3 Luc, u, 19;
Joan., Il, 5. — ** Luc, i, 19; ii, 48. — 15 jQan., xix, 25. — *« Joan.,
II, 5. — 17 Matth., i, 19; ii, 14; Luc, ii, 35. — *« Joan., ii, 5. Ônwia
prsedicabilia uno verbo prœdicavit, dicens : Quodcumque dixerit vobis,
facite. Alb. Magn., Super Missus est, i. — i» Joan., ii, 3, 5. — «o Joan.,
XIX, 26. Cf. Act., I, 14. - 2i Luc, i, 41, 47,
ÎVO 172] SA vie PUBLIQUE. — SES PARENTS. 303
172. — Ces mots de Notre Seigneur.: Ecce mater mea et fratres met,
Matth., xiiy 49f 50 ; Quinimo ôeati qui audiunty Luc, xi, 28, ne ten-
dent-ils pas à rabaisser Testime qu'on avait de la sainte Vierge ?
Ces paroles ont pour but, non de rabaisser Teslrme qu'on
témoigne de sa mère, mais de faire sentir d'où lui vient sa
dignité, et en même temps d'apprendre à ses disciples à
quelle hauteur Dieu élève ceux qu'il unit à son Fils et dont
il fait ses enfants. Notre Seigneur s'adresse à ceux qui ne
louaient en Marie que l'avantage ou l'honneur de l'avoir
pour fils. Il ne veut pas qu'ils louent ou qu'ils estiment
autre chose que ce qui est pour une créature la source de
tout vrai bien : la fidélité à Dieu, l'amour de sa parote, la
soumission à sa volonté *. La gloire dont Marie jouit au
ciel est la récompense de ses vertus, et la dignité même à
laquelle elle a été élevée sur la terre est dans un sens le
fruit de ses mérites. Jamais elle ne serait devenue la mère
de Dieu, si elle n'avait été la plus sainte et la plus fidèle de
toutes les créatures ; jamais, toute Mère de Dieu qu'elle est,
elle n'aurait eu la gloire dont elle jouit au ciel, si elle n'avait
correspondu comme elle a fait aux grâces que lui a values
sa divine maternité*. Nous pouvons donc lui appliquer
littéralement cette parole de David : Omnis gloria ejtis ah in-
tui\ et dire avec Elisabeth inspirée par le Saint-Esprit:
Beata quœ credidisti t
Qu'elle soit plus admirable encore par ses mérites et par
ses vertus que par le rang auquel elle a été élevée, n'est-ce
pas ce qui doit donner la plus haute idée de sj perfection*?
C'est ainsi que cette parole : Nemo bonm nisi soltis Deus •,
1 Non sunt verba repudlantis matrem, sed ostendentis quod nihil ei
partus profuisset, nisi valde bona et fidelis foisset. S. Ghrys., In Matth.,
Hom. xuv. — 8 ifratribus, id est, secundum carnem cognatis qui non
in eiim crediderunt, quid profuit illis cognatio? Sic et materna propin-
quitas nihil Mariœ proficeret , nisi felicius Ghristum corde quàm carne
gestasset. S. Aug., de Virg., 3; Breviar., Vigil. Asmmptj lect. i;
Boordal., Aisompt* — » Ps» xliv, 14. — * Magis commendata est
B. Virgo per Filii verba quam per verba mulieris; quoniam in rerbis
JesQ laadata eM ex parte afrîme, in verbis mulieris ex parte corporis.
Cajetan^ In hune loc, — ^ Luc, xviii, 19.
304 . JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n® 173
loin de diminuer l'estime que nous avons de la bonté du
Sauveur, doit l'accroître au contraire et l'élever au plus
haut degré *.
, * 173. — Qu'est-ce que l'Evangile nous apprend sur saint Joseph?
De grandes choses en peu de mots. Nous savons qu'il était
de la famille de David, comme la sainte Vierge •, mais arti-
san de profession '; qu'il habitait Nazareth *, qu'il vivait de
son travail *, qu'il était juste, d'une vertu irréprochable et
exemplaire •, digne d'être l'époux de la Reine des Vierges^
et de remplir Toffice de tuteur et de père du Sauveur*.
C'est la foi de l'Eglise, dit S. Pierre Damien •, c'est du moins
le témoignage de la tradition et la persuasion de tous les
chrétiens, que le père del'Homme-Dieu a toujours été vierge.
S. Joseph eut à faire divers voyages, à Bethléem *°, à Jéru-
salem *S en Egypte *S et les détails dans lesquels l'Evangile
entre à ce sujet nous donnent lieu d'admirer ses vertus:
entre autres sa docilité aux ordres de Dieu *^ et sa tendresse
pour Notre Seigneur **. Sa sagesse ne se dément jamais *^
Son humilité, comme celle de Marie, répond à sa dignité.
On ne le voit pas adresser une seule fois la parole au Sau-
veur, si ce n'est pas l'intermédiaire de sa mère, Marie ". Il
vivait du travail de ses mains, comme un ouvrier ordi-
naire ". Les fatigues qu'il eut à supporter pour subvenir aux
besoins de la sainte famille, en Egypte surtout, font penser
qu'il était moins âgé que lés peintres ne le supposent com-
1 Cf. Brev. rom., In Fest. B, M., lect. ix. On a trouvé dans les cata-
combes des Images de la Mère de Dieu qui remontent au second siècle,
et même des représentations très anciennes de la sainte Famille. Mon^
tigny, Ste Vierge, Ste Famille, Nativité, etc. — » Matth., r. 20; Luc,
I , 27 ; II , 4. — 3 Matth., xm , 55. — * Luc, i , 26-27 ; ii , 4, 39 ; Matth.,
II, 23. — 6 Matth., XIII, 5.-6 Matth., i, 19. — ^ Matth., i, 16. — » Luc,
II, 22, 48; III, 23. — « Ecclesiœ fides est ut virgo fuerit et is qui simu-
latus est Pater Filii Dei. S. Pet. Dam., de Cœlib. sacerd, in. Ut ex
virginali conjugio, virgo Filius nasceretur. S. Hieron.^ 4dv, Helvid.t 19.
— 10 Luc, II, 4. — 11 Luc, II, 22, 42. — 12 Matth., ri, 13, 19. -
13 Matth., 1, 24; 11, 14, 19-23; Luc, 11, 22, 41. — i* Matth., u, 22; Luc,
II, 44, 48. — 18 Matth., i, 19. — I6 Luc, u, 48, — " Matth., xm, »;
Marc, VI, 3.
nM74] sa vie publique. — ses parents. 305
munément*. Néanmoins, nul ne doute qu'il ne soit mort
avant la prédication de l'Eyangile. C'est au temple, où le
Sauveur était resté seul à sa douzième année, que S. Joseph
nous est montré pour la dernière fois. La sainte Vierge pa-
raît seule à Gana*, aussi bi^n qu'au Calvaire', et dans le
cours des missions du Sauveur *. A Nazareth, on donne à
Jésus le nom de fils de Marie *, ce qui semble supposer que
celui qui passait pour son père n'existait plus depuis un
certain temps. On peut voir la sagesse de la Providence dans
cette disposition. Il convenait qu'on n'hésitât pas sur la
pensée du Sauveur quand il parlerait de son Père, et qu'il
pût affirmer sa nature divine sans trop choquer l'esprit de
ses compatriotes.
174. — De qui étaient nés le» frères du Sauveur, en particulier Jacques,
Joseph, Simon et Jude, à qui TEvangile donne ce nom, Marc, vi, 3?
I. Si l'on écoute la doctrine catholique, on doit être assuré
que ce ne sont pas des frères proprement dits. La tradition
la plus ancienne, la plus unanime et la plus constante atteste
que Joseph a été l'unique époux de Marie et Jésus son unique
enfant •. Dans l'Eglise, c'est un dogme de foi que la Mère
de Dieu est toujours restée vierge. Tel est le sens attaché
de tout temps à ce titre que lui donne le premier évangile,
lîIIipOsvo; '. Ainsi l'a-t-on expliqué contre Helvidius et les
Sociniens*.
II. Si l'on consulte l'Evangile, on verra que, loin de contre-
dire la tradition, il la confirme de la manière la plus posi-
tive.
i"* Ce terme, frères de Jéstis, ne saurait fournir une objec-
* Cf, Suarez, In S, Tkom,^ p. m, t. 2. — 2 Joan., ii, 1. — 3 Joan..
i!x, 25. — * Luc, viii:, 20. — s Marc, vi, 3. — ^ Abraham impositum
est epitbeton : Amicus Dei, et non dissolvetur; Jacob vero ut Israe)
vocetur et non alternabitur ; Apostolis Boanerges et non relinquetur : et
S.Marie vox, Virgo, et uon mutabitur; impoUuta enim permansit et
«ancU. s. Epiph., Hjer. lxxviii, 6. — ^ Matth., i, 23. — 8 Cf. S. Hieron.,
Cont. Uelvid,^ 13-16; Conc Lateran., can. m, ann. 649; Constit. Pauli IV :
Cttm quorumdamt contra Socinianos; et S. Th., p. 3, q. 28, a. 3. Infra,
n. 737,
306 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n® i74
tion sérieuse contre la virginité de Marie. Tout le inonde
convient que le mot frère n'avait pas chez les Hébreux, ni
chez les Juifs hellénistes, ni par conséquent dans la langue
des écrivains sacrés, le sens restreint qu'il a chez nous; qu'il
servait à <iésîgner tous les membres d'une même famille ou
tous les descendants d'un même père à peu près indifférem-
ment *. La raison en est que la langue hébraïque manque de
termes propres pour indiquer les divers rapports de parenté.
Ainsi le mot ahh, frère ^ est en hébreu à peu près l'équiva-
lent du mot germanus en latin, et du mot parent en français.
On doit en dire autant du mot aSsX^o; dans les Septante, et
par conséquent du mot frater dans la Vulgate *.
2° Il y a plus. L'Evangile lui-même explique cette expres-
sion de frères de Jésns^ et témoigne de plusieurs manières
que ceux à qui il donne ce titre n'étaient que ses cousins à
un degré ou à un autre. En effet : On remarquera d'abord
que, bien qu'il soit question de frères et de sœurs de Jésus
en douze endroits du Nouveau Testament •, jamais ces frères
de Jésus ne sont dits fils de Marie ni fils de Joseph, bien
qu'on les nomme plusieurs fois à côté de Joseph et de Marie *;
tout au contraire, non seulement Marie est souvent appelée
Mère de Jésus *, mais encore on voit Jésus désigné à Naza-
reth comme l'est communément le fils unique d'une feinme
veuve, sous ce titre : le fils de Marie, o utoç Map(a<; •. — Dé
plus, les paroles adressées du haut de la croix à S. Jean et
à Marie : Ecce mater tua ; ecce filim tum, o utoç lou, supposent
1 Fratres consobrinos dici omnis Scriptura demonstrat. S. Hieroti.^
In MaUh., xii. Frater est consobrinus aut consanguineus quicumque.
Gesenius, Lexic. — 2 cf. Gen., xii, 5, 13, 19 ; xiii, 8; xiv, 14, 16; xx, 2,
5, 12; XXIX, 10, 12, 15; xxxi, 23, 25, 37; Num., xvi, 10; Jos., xv, 17;
IV Rëg., X, 13; II Par., xxvîii, 8; PéT. oxxxii, 1; Apoc., xïi, 10, etc.
— 3 Matth., XII, 46; xiir, 55, 56; Marc, m, 31; vi, 3; Luc, viii, 19;
Joan., Il, 12; vu, 3, 5, 10; xx, 17; Act., 1, 14; I Cor., li, 5; Gai., i, 19.
— * Matth., XII, 46, 47; Marc, m, 31, 32; Luc, viii, 19, 20; Joan., ii, 12;
Act., i, 14. — 5 Luc, i, 43; Jôan., 11, 1, 3; Act., i, 14, etc. S. Jean ne
lui donne jamais d'autre nom. En joignant ainsi constamnicnt le fils et
la mère, il nous fait connaître Tamour qu'il porte à l'an et à l'autre.
Cf. S. Thom., p. 3, q. 28, a. 3, ad 6; Brev. Fest. Sept. doL, lect. vih.
*- 6 Marc, VI, 3.
ïf'* 174] SA. VIE PUBLIQUE. -^ 8ES PARErrtS. 307
qu'elle n'est pas la mère de Jacques, de Joseph, de Jude, de
Simon, et même que Jésu3 est son fils unique; car s'il de-
vait lui rester d'autres fils après lui, comment ne la leur re-
commanderait-il pas ? Comment lui dirait-il que Jean ta être
désormais son fils, o. utoç outo^? Pourquoi S. Jean devrait-il
la regarder comme sa mère et la recevrait-il aussitôt dans
sa maison, etç xa ISta » ? — Enfin, le degré même de parenté
de Jacques, Joseph, Simon et Jude avec Jésus ressort assez
nettement de divers pa$sages4 En effet, on voyait au pied de
la croix du Sauveur, suivant les Synoptiques, Marie, mère
de Jacques et de Joseph •; Or, quelle est cette Marie? Evi-
demment, ce n'est pas la mère de Jésus : elle ne serait pas
désignée ainsi. C'est donc une autre Marie, celle. que S. Jean
place aussi à la Croix à çêté de la Mère du Sauveur, qu'il dit
être^a scsur*^ c'est-à-dire sa parente ou son alliée, et qu'il
nomae Marie de Cléophée ou femme de Cléophée, la mère
de Jacques et de Joseph *. Yoilà donc déjà deux des. frères
nominaux du Sauveur qui ne peuvent être que ses cousins
et qui ne le sont probablement pas au degré le plus rap-
proché. Ajoutons maintenant qu.« S. Jacques,. nommé plu-
sieurs fois fils d'Alphée *, synonyme de Cléophée, KXwxaç,
dont il ne diffère que par une aspiration, a pour frère
S. Jude»; et que, d'après 'Hégésippe, f 180, cité par
Eusèbe^ Simon ou Sim&)n, le dernier des quatre frères de
Jésus nommés par S. Marc®,* succéda sur le siège de Jéru-
salem à Jacques le Mineur, parce qu'il était comme lui fils
de Cïéophas, lequel était frère de saint Joseph •. Ainsi Ton
voit que les quatre frères du Sauveur nommés dans les
évangiles, étaient tout au plus ses cousins, et probablement
ne relaient pas par sa mère. .
* s. Paulin.., ^pi^^.L, n. 17. -^ 2 Matth., xxviij 56; Marc, xv, 40, 47;
, î^c, XXIV, 10. — 3 On distinguait les femmes par leur mari, comme
les enfants par leur père. Luc, vni, 3; Matth., i, 6. — ♦ Joan., xix, 25.
- * Matth., X, 3; Luc, vi, 15; Act., i, 13. — 6 Luc, vi, 16; Act., i, 13;
Jad.^ 1. — ^ Euseb., H., m, 11 — « Marc, vi, 3. — » Cf. Matth., xni, 55;
^c., VI, 3; XV, 40.
L
308 JÉSUS-CHRIST SEI,ON l'évangïle. [n® 176
* 175. — Ces mots de saint Marc : Sut exierunt tenère eum : dicebant
enim guoniam m furorem versus est y m, 21, rendent-ils bien le texte
original ?
Le texte grec pourrait se rendre par ces mots : Il eU tout
hors de lui; ou il est tombé en faiblesse, et dans ce dernier
sens il se lierait au verset précédent : Non poterant mandu-
care panem ; mais rien n'empêche de l'entendre comme la
Vulgate. Cette version s'accorde mieux avec les mots qui
suivent, tenere eum, en particulier. On conçoit que les pro-
pos des ennemis du Sauveur aient fait une certaine impres-
sion sur ses proches; qu'ils aient voulu savoir si ce qu'on
publiait de lui avait quelque fondement; s'il était, comme
on le disait, sous l'empire du malin esprit. S. Jean dit ex-
pressément qu'à une époque, ses proches refusaient de
croire à sa mission, malgré les miracles dont ils étaient les
témoins *.
Du reste, ce mot : Dicebant, n'a pas de sujet déterminé. 11
signifie : On disait; le bruit courait.
§ VII. — La Samaritaine et la femme adultère.
Joan.^ IV et vu, 3-11.
I.
176. — Que nous apprend l'a scène si intéressante du Sauveur
conversant avec la Samaritaine ?
La conversation du Sauveur avec la Samaritaine, ex rrjç
ZajjLapetaç -/uvr^ ', nous offre diverses instructions théoriques
et pratiques.
b Au point de vue doctrinal. Notre Seigneur s'y révèle
comme la source de vie, 10, comme le principe de la vraie
félicité, 14, comme celui qui doit réaliser toutes les espé-
1 Oi aôeXçoi auTOo. Joan., vu, 5. S. Jean ne dit pas qu'aucun d'eux
n'y croyait : il permet de faire exception pour ceux qui ont fait partie
du collège apostolique. — 2 Joan., iv, 9. Le puits de Jacob est à une
demi-lieue de Sichar (Sichem, Naplouse)» mais à pluis de deux lieues de
l'ancienne ville de Samarie dont Hérode avait changé le nom en celui
de Sébaste^ et où il avait élevé un temple à Auguste. Joseph., ^4., XV,
VIII, 5; fi., I^ XXI, 2. Ce puits est aujourd'hui à peu près comblé.
.nM77] sa vie PiBUQLi!:. — la samaritaine. â09
rances et combler tous les désirs, 26, 42. L'eau vive, c'est
la divine grâce. Elle désaltère, elle ranime, elle purifie :
elle fait pour l'âme ce que l'eau vive fait pour le corps du
voyageur brûlé par le soleil et harassé par la fatigue ; bien
plus, elle régénère, elle rend la vie.
2^ Au point de vue pratique, nous y pouvons voir quel est
le zèle du Sauveur pour le salut des âmes, même les plus
dédaignées, même les plus coupables, 40-42. Il n'a, dit-il,
d'autre désir ni d'autres délices que de s'attacher les âmes,
de se les incorporer, 32 *. Il s'efforce, par son exemple d'a-
bord; puis par ses paroles, de communiquer â ses Apôtres
ce zèle universel dont ils doivent être eux-mêmes les mo-
dèles, 35-39 *. Il l'inspire même à la Samaritaine, type de sa
nation et des peuples infidèles que l'Evangile doit bientôt
convertir, 39-42 ».
* 177. — A quelle époque. reinootait Tattente du Messie chez les
Samaritains, et sur quel fondemeot reposait-elle?
Le peuple de Dieu avait reçu des patriarches la foi au Ré-
dempteur ; or, en se détachant de Jérusalem et de Juda, les
dix tribus schismatiques n'avaient pas renoncé à l'espé-
rance du Messie. Quand Samarie eut été saccagée et que les
habitants du royaume d'Israél furent emmenés en Assyrie,
Salmanasar envoya pour les remplacer une colonie prise dans
les provinces de Guth, de Hava et de Hemath *. Mais, en s'é-
tablissant dans la Palestine, ces étrangers crurent devoir en
adopter la religion, ou plutôt ils joignirent les croyances et
le culte du petit nombre d'Israélites qu'on avait laissés dans ce
pays aux superstitions idolâtriques dont ils avaient fait pro-
fession jusqu'alors. On voit même, aux livres des Rois, qu'ils
demandèrent et firent venir d'Assyrie. un des prêtres dé-
portés pour les instruire et leur apprendre le culte de Dieu •.
* Cf. Act., X, 13; Joan., xxi, 5; l Thess., iv, 3. — * Cf. S. Luc, ix,
52-56; X, 33; Act., i, 8;. vm, 5-14. Sitit sitiri Deus. S. Greg. Nu. Quod
didt : Da mihi bibere, hoc in cruce omnibus dicet : Sitio. S. Laur. Jast.
— ^Qu» Tenerat peccatrix, reversa est priedicatris. S. Aug., de Div.
quxit 8. — * IV Reg-, xvn, 6, 24 ; Joseph., A, /., IX, xiv ; XI, iv, vii, « ;
vm, 2; xn, I, 1, 5. — 8 lY Reg., xvn, 26^.
31Ô JESUS-CHRIST SELON l'eVaNGILË* [nO 177
Ainsi se forma la religion des Samaritains ^ L'attente du
Messie, qu'ils reçurent des anciens habitants, se perpétua et
s'affermit parmi eux, soit par la lecture du Pentateuque qui
devint leur code religieux *, soit par les cérémonies du culte
auquel ils se soumirent.
Toutefois, ce lien ne suffit pas pour mettre l'union entre
eux et les Juifs. A leur retour de Babylone, ceux-ci conti-
nuèrent à regarder les habitants de la Samarie, non coimme
des enfants d'Abraham ', mais comme des Cuthéèris * ou des
infidèles qui détenaient injustement une partie du territoire
appartenant à leurs pères, et ils ne voulurent pas leur per-
mettre de prendre part à la reconstruction du teinple *. De
leur côté, les Samaritains commencèrent à traiter les Juifs
en rivaux et en ennemis •. Quelques années plus tard, un
prêtre du nom de Manassé, ayant été chassé de Judée, vint
se réfugier parmi eux , et son ressentiment accrut encore
leur hostilité contre ses compatriotes. A l'époque d'Alexandre
le Grand, vers 332, ils se construisirent un temple sur
le mont Garizim et inaugurèrent en cet endroit un culte
particulier. Profané par Antiochus Epiphane et consacré à
Jupiter, en 164, cet édifice fut abattu, une trentaine d'années
plus tard, par Jean Hircan, puis remplacé par un simple
autel. Enfin Hérode, en dédiant Samarie à Auguste sous le
nom de Sébaste, lui avait bâti un temple sur le môme som-
met '. Tous ces faits expliquent l'antipathie de ces deux peu-
ples ', garantie providentielle de l'authenticité des livres de
Moïse, également respectés par l'un et par l'autre •. Ils ex-
pliquent aussi la parole du divin Maître : Adoratis quod
^ IV Reg., XVII, 9, 31. — ^ Gen., xii, 3; xviii, 18; xxii, 18; xxvin,
14; Deut., xviii, 15, 19. — 3 Joan., iv, 12. — * Joseph., A., IV, xiv, 3;
VI, IV, 4; VIII, IX, 1. — « I Esd., iv, 1-4. — « Il Esd., vi, 1-4. - ' Cf.
ÏI Mac, V, 2 et Joseph., A,, XIII, ix, 1 ; x, 3; XVIII, ii, 2, — » EccUm
L, 27, 28; Luc, ix, .55; Joan., iv, 9; viii, 48. — » il. T., n. 245. On
annonce aujourd'hui que la race des Samaritains vient de s'éteindre. Au
commencement de ce siècle on en comptait encore une centaine qui
conservaient soigneusement, avec leurs pratiques religieuses, un vieux
manuscrit du Pentateuque qu'Us. disaient être de la main d*Eléacar^ flls
d'Aaron. Cf. Ann. de phiL chHL, t. xlvïi, p. 331.
NO 17Ô] Sa Vie HIBLIQUË. La âAllARltAlNE. 311
nescitis : c Votre «ulte pèche par la base ; il a l'erreur pour
principe. »
178. — Que signifient ces paroles : Venit hora, et nunc e$t^ quando
vefH adoratores adorabunt Patrem, Joan., iv, 23, 24.
Ces paroles sur les adorations que Dieu désire, et qu'il
va recevoir, annoncent non l'abolition de tout culte exté-
rieur, mais l'inauguration du culte parfait, de la religion vé-
ritable, universelle et définitive. Dieu est esprit et non ma-
tière. Il ne saurait se plaire dans des sacrifices charnels, et
dans des observances de pure forme '. D'un autre côté, il ne
peut se contenter toujours d'hommages figuratifs. Il veut un
culte véritable, qui l'honore réellement, qui ait son prin-
cipe dans le cœur. Ce culte va commencer à lui être offert,
dit le Seigneur, non plus en un lieu seulement et par un
peuple particulier, mais par une multitude d'enfants adop-
tifs qui, étant incorporés à son Fils incarné, l'invoqueront
comme leur Père. Ils lui offriront un sacrifice spirituel et
néanmoins extérieur, ev zvgujAaTi y.at aXrfièioL ; et leurs ado-
rations lui seront également agréables, de quelque endroit
du monde qu'elles lui soient adressées *.
* 179. — D*où vient la surprise des Apôtres à là vue du Sauveur
conversant avec. cette femme, Joan., iv, 27?
La surprise des Apôtres a fait faire à quelques commen-
tateurs cette remarque que c'était une chose peu ordinaire
de le voir s'entretenir seul avec une femme, jAsta ^uvaixoç,
même en pleine campagne •. Cette observation n'est pas sans
fondement. L'étonnement eût été moindre, si ce fait avait été
fréquent. Néanmoins, la raison principale de la surprise des
Apôtres est indiquée par la Samaritaine elle-même : Non cou-
tuniur Jy4œi Samaritanis, 9. Les Apôtres étaient encore im-
bus des préjugés de leurs compatriotes à l'égard des infi-
* Joan., IV, 24; VI, 64. Cf. Matth., xv, 6; U Cor., lu, 6-8. — a cf.
I)eut., jui, 13; Malac, i, 11; Joan., iv, 24; xii, 20. Dicit Ghristus :
Adorabunt Patreni, quia adoratio Legis non erat Patris, sed Domini.
S. tiiom. Jn huncloc. Cf, 2«2«, q. 83, a. 7, ad 1, et q. 84, a. 3, ad 1.
— * Cornel. a |4pide, /n hune loc.
Mi iiSDS-CHTUST SELON l'ÉVANCILE. [ti" 180
dèles, étrangers à leur nation '. Ils ne pensaient pas qu'ils
dussent jamais avoir une même foi et un même eulte avec
des Samaritains, objets d'anathème pour leurs Docteurs. En
se révélant à eux, comme Messie et comme Sauveur ', le di-
vin Maître leur fait voir que ces Samaritains, loin d'être ré-
prouvés de Dieu, sont destinés à devenir aussi ses enfants; que
la bonne nouvelle s'adresse aux infidèles aussi bien qu'aui
Juifs, qu'il est le Sauveur du monde entier* et que ceux qui
semblent les plus éloignés du royaume de Dieu pourront,
dans un avenir prochain, donner,
comme le peuple d'Israël, des membres
à son Eglise et des élus au ciel *.
On admirera comme la scène est bien
décrite et avec quel charme le paysage
se reflète dans les paroles de Notre
Seigneur, 17, 16, 21, 35, et dans celles
de l'Evangéliste, 5, 27, 28.
Le motif principal qui porte les docteurs protestants à re-
jeter comme apocryphe l'histoire de la femme adultère, c'est
le peu d'estime qu'ils ont pour la tradition, et la disposition
où ils sont de contredire, autant que possible, l'enseigne-
ment de l'Eglise. Sans tenir compte de la profession qu'elle a
toujours faite de conserver les textes anciens, du soin qu'elle
a pris, à toutes les époques, pour en empêcher raltération,
ils demandent qu'on leur prouve aujourd'hui l'authenticité
de chaque fragment, comme si on ne l'avait jamais prouvée,
> Luc, IX, 54. — ' Joan., iv, 2S, 42. — ' Joan., iv, 42. — ' Cf. Luc,
IX, S6; X, 3; Act., i, 8; vni, 5, 14. — » Revers d'une médaille 1res
connue, d'Antonin le pieut : Mont Gariiim, avec cette légende : 4).
NïsaitoJîojî Supiw HaXaioTivTic, tfonnaie-fle Flavia Neapotit de Palesliit
en Syrie. Snr le sommet à gauclie, un temple de at^e grec, avec froD-
ton et colonnes. A droite, un édiHec plua petit, aans colonnes. Sur le
flanc de la montagne, un grand escalier qui avait encore 300 mtrcbel
en 333, an rapport do Pèlerin de Bordeaux. Infiv, a. 470.
r"
N«18Û] SA VIE PUBLIQUE. — LA SAMARITAINE. 313
et que nous eussions encore, pour éclairer la question,
toutes les pièces qu'on avait dans les premiers temps; Rien
de moins juste que cette exigence. Néanmoins cela ne suffit
pas pour leur assurer gain de cause ; et récemment encore,
un écrivain protestant d'un mérite reconnu. Berger de
Xivry *, était forcé d'avouer que, pour ce passage en parti-
culier, les résultats de la critique nous sont plutôt favorables
que contraires *.
I. Il est vrai qu'on ne le trouve pas dans la Péchito, ni dans
les manuscrits du quatrième et du cinquième siècle, B, k , Â,
C. Le premier que l'on puisse citer en notre faveur est celui
de Cambridge, D, qu'on rapporte au sixième •. Mais ce n'est
pa»mne petite autorité. Le D' Hug, dans son Introduction au
Ntmveau Testament, croit pouvoir établir, parla comparaison
qu'il en a faite avec les citations des premiers Pères et divers
passages de la Péchito, qu'il est la fidèle reproduction d'un
manuscrit du troisième siècle ou peut-être du second. On
sait assez que les manuscrits ne se reproduisent pas comme
les gravures, qu'il peut s'y glisser des altérations et des
suppressions.
IL Mais nou« avons en notre faveur un témoignage d'une
toute autre valeur, celui de l'Eglise latine tout entière.
On a toujours lu l'histoire de la femme adultère dans la
version Yulgate, et, aussi suivant toute apparence, dans l'Ita-
lique, bien antérieure à tous les manuscrits. On l'expliquait
2»! peuple, dans presque toutes les Eglises, comme les autres
passages du Nouveau Testament ; et les Pères les plus éclai*-
rés la citent dans leurs ouvrages avec une pleine assurance.
Nous pouvons nommer : S. Jérôme, qui atteste que cette
histoire se trouve dans un grand nombre de manuscrits
tant grecs que latins *; — S. Augustin, qui l'a souvent ex-
pliquée aux fidèles, comme le reste de l'Evangile •, tout en
faisant cette remarque que c des hommes de peu de foi, ou
^ Etudes ntr U Nùuveau Testament, 1856. — > Item Michaelis, Lange,
Ebitrd, Wieseler, Renan, etc. — » Adde E, F, G, H, K, M, etc. — ♦ In
oMiltit et gnecis et iatinis codicibas inyenitur. S. Hieron., Dia/. coni,
feiag,, n, 17. — » S. Aug., De cons. evang.^ iv, il; In Joan,, xxxm.
i8
314 JJfiSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [N« 18Û
ennemis de la vraie foi, ont retranché ce passage, de pear
de laisser à leurs femmes la liberté de pécher " ; » — S. Am-
broise, qui cite non moins souvent cette histoire, malgré la
crainte du scandale qui paraît le préoccuper, et qui l'allègue
comme une pièce tout à fait décisive'; — Pacien, auteur
espagnol du quatrième siècle, qui, dans sa lettre au nova-
tien Sempronianus, lui oppose cet exemple d'indulgence ; —
enfin S. Fulgence, S. Léon •, Sedulius, S, Pierre Ghryso-
logue, S. Grégoire, Gassiodore, etc.
L'Eglise grecque est moins affirmative, mais on ne peut
pas dire qu'elle soit en opposition avec l'Eglise latine. Nous
trouvons même des témoignages d'un grand poids chez plu-
sieurs de ses Docteurs, dans le Ata Teaaapwv ou l'Harmonie
des Evangiles de Tatien (160), ou du moins dans sa version
latine ^; dans les Constitutions apostoliques ^ dans la Synapse
des Ecritures, attribuée à S. Athanase • (v* siècle), etc.
IIL A ces témoignages il faut joindre cette considération
que rien, dans ce passage, n'est de nature à faire soupçon-
ner une interpolation, et qu'au contraire tout répugne à
cette hypothèse. — 1** Le récit de S. Jean se lie avec ce qui
précède et ce qui suit. Le début du verset 12 sembley faire
allusion, aussi bien que le verset 15, et même le verset 4;
le verset 20 paraît avoir sa raison dans le verset 1. Il est en
parfaite harmonie avec le caractère du Sauveur % avec le
style de l'Evangéliste, avec ses habitudes de langage sym-
bolique. On y trouve une preuve de plus de la divinité de
Jésus-Christ et des mauvaises dispositions de ses ennemis.
Si l'on remarque quelques termes peu familiers à S. Jean,
1 Abstulenint de codicibus suis, quasi pcrmissionem peccandi tribueret
qui dixit : Jam amplius noli peccare ; aut ideo non debuerit mulier a
medico Deo sanàri^ ne offenderentur insani. S. Aug., De adulter, conjug,,
u, 6. Cf. In Psalm, l, 8; Contra Faust., xxii, 25. Cf. Infra, n. 219,392.
— 2 Jésus scribebat in terra. Quid scribebat, nisi illud propheticum :
Terra, terra, scribe hos viros abdicatos? Jer., xxii, 30. S. Amb. EpiH.
XXV, 4. Cf. Epist. XXVI, 1. Apol, David //* 1. — 3 s. Léo., Set^m.j lxii,4.
— ^ Aia TC9<7ap(ii>v ; retrouvé en latin (545) par Victor de Capoue (Migne,
Patrol. latin., lxviu). — « Const, Apost,, xxiv, l. — 6 Migne, Pairol.
^rxc, xxviii, p. 401. — 7 Bossuet, Serm. sur les jugements humains ^
nie J)im. de Carême, .
N«180] SA YIE PUBLIQUE. — LA SAMARITAINE. 31S
cette particularité s'explique aisément et se trouve en bien
d^autres endroits*. — 2** Un tel passage n'a pu se glisser
dans le texte par inadvertance ; car il n'est pas ici question
d'un mot ou deux, ayant pour objet un léger détail : il s'agit
de neuf versets et d'une histoire entière. Si ce récit n'est
pas de S. Jean, il y a donc eu fraude; les versets vu, 53,
VIII, 1 et 2 eux-mêmes ont été supposés pour amener ce
récit. Or, comment admettre un pareil fait? Quoi de plus
étrange, de plus invraisemblable qu'une telle interpolation,
dans un temps où les chrétiens avaient tant de respect pour
les Evangiles, et les connaissaient si bien'! Remarquez
qu'aucune fraude n'était de nature à exciter des réclamations
plus unanimes. Si les Docteurs même qui avaient toujours
TU cette histoire dans leurs exemplaires avaient quelque
peine à en faire la lecture au peuple, comment se serait-on
accordé pour l'inventer, pour l'insérer dans le Nouveau
Testament, pour en faire officiellement le commentaire dans
les livres liturgiques, s'il avait été inconnu et qu'on ne l'eût
trouvé dans aucun manuscrit ancien?
IV. Voici donc, en laissant de côté l'autorité de l'Eglise,
la conclusion à laquelle on est conduit •. Au second siècle,
cette histoire se lisait dans tous les manuscrits grecs et la-
tins; mais l'influence du montanisme ayant resserré la dis-
cipline et prévenu les esprits contre toute apparence de
relâchement, on jugea prudent de l'omettre dans les lec-
tures publiques. On la distingua d'abord par quelque signe
dans les exemplaires destinés à un usage liturgique, ou bien
on l'omit entièrement. Puis ce changement s'étendit peu à
peu *. Il finit par servir de règle dans les manuscrits grecs
et devenir assez commun, même dans les manuscrits latins
et syriaques, entre le quatrième et le septième ou le huitième
* Patrizzi. Voir sur ce sujet une note intéressante de la Revue des
sciences ecelés,, II« série, t. ix, p, 217 ; Ann. 1869. — ^ Cf. Apec, xxii,
18, 19. — 3 Coiic. Trid., sess. iv. Cf. Act. Conc. Trid., t. i, 71-77. Infra,
890, note. — * On a encore des manuscrits grecs dont le synazaire ou
la table avertit qu il faut omettre la lecture de ce passage dans Toffice^
par exemple le cursif n. 7; et ces synaxaires ont été, comme les ma-
nuscrits eux-mêmes, copiés sur des exemplaires plus anciens.
316 JÉSUS-CHRIST SELON L^ÉVANGILE. [n® 181
siècle; mais à partir de cette époque, oh réytnt à l')ancicn
texte et l'histoire fut rétablfe.
Là nature du récit et les témoignages que nous avons rap-
portés suffisent pour établir cette solution»
■ »
§ Vni. — Les profanateurs du temple. Joati., "> *^>.
Matth., XXI, 12.
18t. — Pourquoi le Sauveui* cooimeneô-t-il son mim»t6pc par chasser
du temple ceux qui le profanent?
i'
En commençant son ministère par chasser de reae.e[inte.
consacrée au Seigneur, ev. tou lepoy, ceux qui en violent la
saintetéy le Sauveur veut montrer qu'il est bien l'envoyé
divin prédit par le dernier prophète, que le culte de son
Père est ce qu'il a de plus cher, et qu'il ne peut souffrir
ceux qui profanent sa maison par un indigne trafic *. Il
veut encore faire entendre que le temps est venu de renou-
veler le culte et d'établir un sacerdoce. plus parfait; et c'est
ce qui porte au plus haut degré la haine de la tribu sacerdo-
tale contre lui '. A (ïçtte occasion, il se désigne lui-même
comme le temple vivant de la divinité, comme le sanctuaire,
0 va&ç, que les Juifs violeront bientôt de la manière la plus
odieuse, mais qu'il relèvera au bout de trois jours et qui
remplacera le, temple figuratif *.
Lorsqu'il reviendra à Jérusalem, à la fin de son minis-
tère, pour s'immoler lui-même à son Père, il- renouvellera
cet acte de zèle si étonnant, eu l'accompagnant cette fois
de reproches sévères et menaçants : Domus mea domm
orationis vocabitur : vos autem fecistis illam speluncam la-
tronum''\ et bientôt après, de cette étonnante prédiction:
Ecce relinqmtur vobis donrns vestra déserta * I Ainsi témoi-
gnera-t-il de plus en plus que ce qu'il a fait dès le début est
* Cf. Mal., i-iii; Zac., xiv, 21 ; Osée., ix, 15; Joan., ii, 17. — * Cf.
Ps. XLix; Dan., ix, 26; Ezec, xxxiv, 10; Jer., vu, 11; xxxin, 17;
Mal., 1, 10. — 8'Matth., xii, 16; xvi, 18; Joan., i, 14; iv, 21. — » Matth.,
XXI, 13. Dt ostendat quod m'axima causa destructionis fuit peccata sa-
ccrdotum. S. Bonav^ Cf. Joan., n, 19-22; Marc, xv, 29. Infra^ n. 240. —
B Matth., XXIII, 38.
nM82] sa vie publique. — les hérodiens. 317
important et significatif, et qu'il veillera toujours, visible-
ment ou in visiblement, à l'honneur de son sanctuaire \
§ IX. -- Les Hérodes et les Hérodiens.
1S2. — De combien d'Hérodes est-il parlé dans TEvangile?
Il est parlé dans l'évangile de deux Hérodes, Hérode TAn-
cien ou le Grand, fils d'Antipater, meurtrier des Innocents •,
mort quatre ans avant notre ère. et Hérode Antipas, ou le
jeune, fils du précédent, tétrarque de Galilée, époux adultère
d'Hérodiade, meurtrier de S. Jean-Baptiste, celui que Notre
Seigneur appelle un renard », et devant qui il comparaît
dans sa Passion *. C'est avec lui que Manahen avait été élevé '.
C'est lui qui eut pour intendant Ghusa, dont la femme était
au nombre des disciples les plus dévoués du divin Maître •. Il
mourut dans l'exil. — Les Actes parlent encore d'un troisième
Hérode, surnommé Agrippa, petit-fils d'Hérode l'Ancien,
fils d'Aristobule et d'une petite-fille de Marianne, neveu
d'Hérode Antipas et son beau-frère par Hérodiade. Celui-ci,
porté subitement au trône par le caprice de Caligula, dont
il était le compagnon de débauche et le favori, fit décapiter
S.Jacques et incarcérer S. Pierre, puis périt rongé des vers '.
Le roi Agrippa, devant qui Festus fit comparaître S. Paul,
était son fils *. — Les Hérodes étaient Iduméens d'origine,
c'est-à-dire descendants d'Esaû. Le premier naquit à Ascalon.
Ascalonita necat pueros, Antipa Joannem,
Agrippa Jacobum, tentatque occidere Petrum.
1 Secundnm sensns mysticos, quotidie ingreditur domum Patris, et
ejicit... vendentes et ententes. Scriptum est enim : Gratis accepistis,
gratis date. S. Hieron , In hune loc. — ^ Matth., ii, 1, 13, 16, 19; Luc,
I, 5; Joseph., -<4., XVIIJ, v, 4. — 3 Propter fraudes ejus et dolos, quod
plénum fraudis est animal, in foyea semper laterc desiderans, et nun-
quain rectis itineribus, sed tortnosis anfractibus currens. Quse cuncta
hcreticis, quorum Hérodes typum gerit, congruunt. Yen. Beda, !n Luc,
«II, 31. — * Cf. Matth., XIV, 3, 10; Marc, vi, 17; Luc, m, 1; viii, 3;
xm, 31, 32; xxiii, H. Joseph., A,, XVIII, v, 1, 2; vu, 2. Infra, n. 405.
— * Act., XIII, 1. — « Luc, viii, 3. — "^ Act., xii, 2-4; 21-23; Joseph.,
A., XVIII, V, 3 et VI ; B., II, ix, 5, 6. Infra, n. 512. — » Act., xxv,
13-27; Joseph., A,, XIX, xii, 2.
18.
318 JÉSUS-CHtllST SELON l'évangile. [nM83
183. — Dans sa réponse aux Hérodiens, Matth., xxii, 21, Notro Sei-
gneur ne semble-t-il pas mettre sur la même ligne la souveraineté de
droit et la souveraineté de fait?
Pour répondre aux Hérodiens sur la question de Tinipôt,
Notra Seigneur n'examine pas si les Juife doivent renoncer
à leur autonomie et accepter définitivement le joug des Ro-
mains. C'était bien la préoccupation de Tépoque S la Judée
n'ayant été réunie à Tempire que peu d'années auparavant
parSulp. Quirinus. Mais il n'était pas prudent d'en dire son
sentiment en public. Le Sauveur se borne ici à une obser-
vation pratique et à un argument ad hominem. Il dit à ceux
qui l'entourent que César ne réclame d'eux que ce qu'ils
tiennent de lui ; que, puisqu'ils acceptent son autorité, qu'il
est en possession de battre monnaie et de gouverner le
pays, ce serait une inconséquence de ne pas lui fournir les
moyens nécessaires pour maintenir l'ordre et s'acquitter de
sa charge. Il ne va même pas jusque-là : il se contente d'in-
sinuer cette réponse, en alléguant un principe général :
Reddite quœ sunt Cœsaris Cœsari *. Bien plus, il a soin de
joindre un second principe au premier pour indiquer la
limite de celui-ci et en empêcher l'abus ; et il saisit Tocca-
sion de flétrir les hommages idolâtriques dont l'image et le
nom des empereurs étaient l'objet.
Ce récit semble avoir pour but d'apprendre aux ecclésias-
tiques à être réservés en matière politique, à préférer tou-
jours les intérêts spirituels aux intérêts temporels, et même
1 Cf. Deut., xvii, 15; Joseph., A,, XVII, ii, 4, 5. B., II, 8 ; A, T, n. 185.
Ce récit reflète au plus haut degré la couleur du temps et du lieu. Placé
ailleurs, ou à une autre époque , il ne se comprendrait plus. Les Ro-
^nains étaient alors pour les Juifs ce qu'ont été longtemps, ce que sont
encore aujourd'hui les Français ou les Roumis pour les Arabes d'Algérie.
La Judée ne pouvait s'habituer aux impôts ni aux monnaies de l'empire.
Les images des empereurs et les inicriptiom en caractères grecs ou
latins blessaient leurs regards. Notre Seigneur ne retrouve pas ces dis-
positions ; et bien qu'il recommande de rendre à César ce qui appartient
à César, il ne semble pas avoir bien à cœur les intérêts de remperear.
Il n'a pas sur lui sa monnaie , et il est forcé de demander qu'on la lui
pwntre. Exod., xx, 4; Matth., xvn, 26.-2 Caesari pecuniam, Dec tcmfit
ipsum. Tert., De idoLj 15. Cf. Matth., xxu, 17, 19, 21 et I Mac, xv,6,7.
r
ffiiSi] SA yiE PUBLIQUE. — LES 8ADDUCÉENS. 3î9
à ne s'occuper de ceux-ci qu'autant que le demanderaient
la gloire de Dieu et le bien des âmes *.
§ X. — Le» Sadoucécks '. Mctth., xiii^ 23-S3.
184. — Quelle idée le divin Maître donne-t-il de la vie future,
et comment en prouve-t-il la réalité?
I. Le Sauveur fait remarquer aux Sadducéens que la vie
future sera bien différente de celle-ci, que les justes ressus-
cites égaleront les anges en gloire et en pureté : Erunt sicut
Angeli Dei in cœlo, 30 •.
IL II prouve ensuite à ces incrédules l'existence de cette
autre vie par un raisonnement très simple, fondé sur un
teite du Pentateuque, seul livre qu'ils reconnussent pour
divin * : Ego mm Deus Abraham, E^o) v,^\ '. c Je suis, j'ai été,
je serai toujours le Dieu d'Abraham. L'alliance que j'ai faite
avec lui subsiste toujours. Il est toujours du nombre de mes
serviteurs et sous ma protection. Non confunditur DeUs ro-
cari Deus eonim, dit S. Paul : paravit enim illis civitateni *.
(hnnes enim vivunt ei'^. Si Abraham était réduit au néant,
ou s'il n'existait plus qu'à l'état de poussière, le Seigneur
serait-il le Dieu d'Abraham plus que celui des méchants et
des impies? Pourrait-il même se glorifier de l'avoir été?
Loin de se montrer le Dieu des justes, d'être pour eux un
maître bon et généreux, ne serait-il pas plutôt un séducteur
et un tyran «.
III. Le divin Maître n'insiste pas sur la résurrection des
corps en particulier, parce qu'il était admis que l'homme
revivrait tout entier ou périrait tout entier ; mais en disant
aux Sadducéens qu'ils sont dans l'erreur, parce qu'ils ne
connaissent pas les Ecritures, il fait entendre que l'Ancien
* Luc, IX, 60. Cf. Luc, m, 14; xii, 13, 14. ~ « Supra, n. 76. — 3 Cf.
■Act., zxiii, 8. Ubi mors non est, neque connubium. S. Aug. Quxst.
evang.^ ii, 49. Les Pères concluent de là ce que les Vierges participent
dès cette vie aux privilèges de la vie angélique. Matth., xxii, 30; Cf.
Gen., m, 16. Brev., Comm» Virg,^ lect. v-vi. — * Joseph., A,y XUI, v, 9;
XVUl, u; B., II, VIII, 14. — 5 Ex., m, 7, 15, 16. — « Cf. Gen., xvii, 7;
Heb., n, 16, etc. — ' Luc, xx, 38. — • Bossuet, Sfédit., xl, xii.
320 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n* 185
Testament contient une foule de textes qui impliquent la
réalité de la résurrection et de la vie future *. Néanmoins,
ces paroles ne les convertirent pas : on ne connaît aucun de
ces matérialistes qui se soit attaché au christianisme.
§ XI. — Les Pharisiens *. Matth.^ xxiii, etc.
Lear caractère. — Reproches qae lear fait le divin Maître.
•185. — Qu'ensoignaient les Pharisiens et quel était leur caractère?
I. Les Pharisiens ne passaient pas pour alléger le joug de
la loi. En général, leur doctrine était exacte*. Cependant
Notre Seigneur leur reproche de s'écarter, sur des points
importants, de la justice et de la vérité*: « Ce sont des
aveugles, dit-H, et des conducteurs d'aveugles*. » Tandis
qu'ils poussaient jusqu'au scrupule l'exactitude aux petites
choses, ils se mettaient peu en peine du grand précepte de
la charité •. Ils disaient : « Œil pour œil et dent pour
dent ', » ce que S. Augustin appelle jmtitia injmtorum •.
Ils comptaient pour peu de chose les fautes intérieures *.
Ils éludaient certaines obligations par des subtilités ". Ils en
exagéraient d'autres au-delà de toute mesure", surtout la
loi du sabbat *-.
1 On peut voir : Gen., i, 26, 27 ; ii, 7 ; iv, 7 ; v, 22-E4 ; ix, 5; xv, 1, 15;
XVIII, 18; XXXV, 29; xxxvii, 33-35; xlvii, 30; xlix, 29, 32; Ex., in, 6;
Lev., xvii, 11; xviii, 5; xix, 8, 31; xx, 6, 27; Num., xx, 26; Deut.,
XII, 23; XIV, 1 ; xviii, 11 ; xxx, 16; xxxii, 49, 50; Job., xiv, 3-14; xix,
23, 25, 27; xxi, 30, 32 ; Ps. xxvi, 13; xlviii, 15; lxxii, 24-28; Lxxxvin, 3;
cxxxix. 11; Isai., xxvi, 19; lxvi, 24; Ezec, xx, 13; xxxvii, 1; Dan.,
XII, 2; Eccli., vu, 37; xlviii, 5; Sap., m, 1-7; iv, 1 ; v, 1-6; 0*ée, xni, 14;
Sophon., m, 8; Mal., iv, 5; II Mac, vi, 26; vu, 9, 14, 23; xii, 43, 44;
Heb., XI, 11. — * Dici'tur hoc verbum segregationem intérpretari, qoo-
modo in lingua latina egregius, quasi a grege separatus. S. Aag.,
Serm. clxix, 5. — ' Matth., xxiii, 2, 3; Act., xxvi, 5. — * Mattb., xv,
3, 5, 6; XVI, 12; xxiii, 16, 18, 24-26. — 8 Matth., xv, 14. — 6 Matth.,
m, 7; IX, 11, 14; xxiii, 14, 23; Luc, xi, 42. — ^ Matth., v, 38. —
8 S. Aug., In Psalm. cvui, 4. — » Matth., v, 27. — *o Matth., xxiii,
16-22; Marc, vu, 10-12. - " Matth., ix, 11; xxiii, 4, 24; Marc, vn,
3, 4; Luc, VII, 39; xi, 12; Act., xv, 5. — ** Matth., xii, 2; Marc, ii,
23, 24; Luc, vi, 7; xrv, 1-6; Joan., v, 8, 9; ix, 16, etc.
N«I85| SA VIE PtBLÎQUE. — LES PHARISIENS. 321
II. Leur caractère était bien plus répréhensible que leur
enseignement. Sauf un petit nombre, dont la vertu contras-
tait avec les défauts de la secte *, entre autres Nicodème,
neveu de GamaÛel •, ils étaient orgueilleux*, fiers de leur*
savoir *, pleins de prétention •, de dédain pour leurs
frères *, insensibles aux faiblesses et aux besoins du pro-
chain'', avares', hypocrites'. Ils disaient et ne faisaient
point *°. Ils affectaient l'austérité", le jeûne", les ablutions
fréquentes *', les longues prières *♦ ; mais tout cela par
âmour-propre et par intérêt. Il leur fallait partout les pre-
mières places et les témoignages dé respect". Ils rendaient
eux-mêmes des honneurs aux prophètes, quand ils étaient
morts; mais durant leur vie, quand ceux-ci les reprenaient
de leurs vices, ils les persécutaient et cherchaient à les
perdre **. Ils passaient les mers et parcouraient le monde
pour faire des prosélytes, mais par le seul désir de les atta-
cher à leur secte, de leur inoculer leurs principes et leurs
vices". En somme. Notre Seigneur leur préférait les publi-
cains ", quoique odieux au peuple et regardés, dit Ter-
tullien ", comme des pécheurs de profession ". Aussi les
frappe-t-il, peu de temps avant sa mort, des plus terribles
■ malédictions ". De leur côté, les pharisiens ne pouvaient le
souffrir. lis étaient jaloux de sa réputation, de son influence
et de ses miracles ". Après lui avoir tendu toutes sortes de
^ Mattb., III, 7; Luc, vu, 36; xni, 31; Joao., ix, 16. — ^ Joan., m,
1,2; vu, 50, 51; xix, 39. Cf. Act., v, 34; xxvi, 4.-3 Luc, xi, 43;
xviii, 9-14. — * Joan., vu, 48, 49; ix, 29, 34. — « Matth., vi, 5, 16;
xxni, 5, 14, 29. — « Matth., ix, 11; Luc, vn, 39; xvni, 10-12. —
'Matth., xxiii, 4; Luc, xi, 46. — « Matth., xxiii, 14; Luc, xiv, 3-6,
15, 16; XVI, 14. — 9 MMth., vi, 2, 5. 16; xv, 7; xxiii,.27, 28, 29; Luc,
XI, 39; XII, 1; xiii, 16. — *» Matth., xxiii, 3, 4. — ii Matth., ix, 11;
xxiii, 4; Marc, ii, 15, 18. — 12 Matth., ix, 14; Luc, xviii, 12. —
*=» Matth., XV, 2. — 1* Matth., xxiii, 14; Luc, xviii, H. — i3 Matth.,
xxm, 6, 7; Luc, xx, 46: — <« Matth., xxiii, 29. — ^^ Matth., xxm, 15.
- ** Mattli., XXI, 31; Luc, vu, 34; xviii, 14; xix, 2-8. En Palestine,
les impôts étaient affermés à des receveurs généraux, -xpxiTeXwvr};, Luc,
XIX , 2, qui faisaient lever les impôts sur les transports par des publi-
cains ou péagers, teXwvai. — i» Tert., de PudiciL, 9. — »<> Matth., xi, 19;
xvui, 17; Luc, m, 12; v, 30; xviii, 13; xix, 7. — ai Matth., xxm, 13,
l*, 15, 16, 23, 25, 27, 39. -- «« Joan., iv, 1-â; ix, «2; xii, 19.
322 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n<^ 187
pièges * et lui avoir suscité toutes sortes d'oppositions S ils
finissent par le faire attacher à la croix •.
* 186. — Pourquoi Notre Seigneur condamne-t-il dans les Pharisien^
les titres de Maîtres et de Docteurs *, que TEglise autorise parmi les
chrétiens?
Notre Seigneur n'entend pas condamner ni interdire ab-
solument l'usage de ces noms ; car son intention était qu'il
y eût toujours dans l'Eglise des maîtres, des pasteurs, des
guides spirituels, chargés d'enseigner sa doctrine; et qu'est-
ce qui empêchait de les qualifier selon leur profession *?
Mais il condamne ceux qui s'attribuent indûment ces titres,
qui les ambitionnent, qui en tirent vanité, qui prétendent
s'en prévaloir contre lui pour combattre son influence et sa
doctrine*. Voilà ce que veulent dire ces mots : Nolitevocari
Rabbi. « Ne cherchez pas à vous attacher des disciples, à
vous faire honorer comme Maîtres, à vous établir dans l'es-
prit du peuple en cette qualité. Sa pensée est complétée par
la maxime suivante, qui est capitale et pour tous les temps :
Unus est mim magister vester: « Le Maître véritable, l'unique
Maître, c'est le Fils de Dieu fait homme '. »
* 187. — Quelles raisons Notre Seigneur oppose-t-il aux enseignements
rigoristes des Pharisiens par rapport au sabbat, Matth., xii, 1-8?
Le divin Maître allègue quatre raisons pour prouver que
la loi du sabbat, comme toute loi positive, admet des excep-
tions: -— 10 L'exemple de David, recevant, pour se soute-
nir dans un moment de détresse, les pains de proposition '.
Cet argument suppose deux principes, mais qui n'étaient
pas contestés : le premier, que David n'avait pas péché en
1 Luc , XH, 53, 54. — 2 Joan., xii, 42. — 3 Mattli., xxvii, 18, 20; Marc,
XV, 10 : Vae nobis miseris, ad quos Pharisaeorum vitia Iransierunt!
S. Hieron., In Maith., xxiii, 6, Cf. Bossuet, Médit., liîi-lxv. Dern. sem ;
Bourdaloue, Pensées, — * Matth., xxin, 8-10. Beaucoup de Pharisiens
étaient scribes on Docteurs de la loi ; mais ils ne rétaicnt pas tous. Ce
nom désigne une profession, non un parti. — ^ Cf. Joan., xx, 16; I Cor.
xn, 28; I Tira., ii, 7; IITim., i, li. — 6 Matth., xxiii, 5-7. Cf. Jac.» m, 1-
— "f Matth., xxjii, 8, 10. Cf. Joan., xiii, 13. — » M?itth,, xii, 3, 4,
N«188] SA VIE PUBLIQUE. — LES PHARISIENS. 323
agissant ainsi ; le second, que la loi du sabbat n'était pas
plus rigoureuse que celle qui interdisait aux laïques l'usage
des pains consacrés à Dieu. — 2* L'exemple des prêtres,
à qui il est permis de travailler ce jour (à pour le service
du temple. Cette exception faite, d'où vient qu'il serait dé-
fendu de travailler pour le service de Celui à qui le temple
est dédié »? — 3* La supériorité des œuvres de miséricorde
sur les observances purement religieuses *. — 4" Sa dignité
personnelle, étant, comme Homme-Dieu, au-dessus de toute
règle, 8.
188. — Quel est ce Zacharie, tils de Barachie, dont parle
Notre Seigneur?
Il y a divers sentiments, plus ou moins plausibles, sur la
personne de Zacharie, fils de Barachie *.
I. Plusieurs interprètes pensent qu'il s'agit ici de celui que
les zélateurs ont immolé dans le temple, ev jxsow tw lepo) *,
pendant le dernier siège de Jérusalem. Notre Seigneur au-
rait pu parler de ce meurtre à l'avance et annoncer qu'il
Siérait puni; mais il ne parait pas le faire ici. Il parle au
passé, comme d'un crime déjà commis.
II. D'autres supposent qu'il est question de Zacharie, le
dernier des petits prophètes. Son père s'appelait bien Bara-
chie; mais si un personnage si connu, le plus récent des
prophètes, avait été tué entre le vestibule et l'autel, est-il à
croire qu'il n'en fût fait mention nulle part?
III. La plupart croient, comme S. Jérôme, que ce Zacha-
rie est celui qui fut lapidé par Joas, in atrio domus DotninP,
c'est-à'dire dans le parvis des prêtres, entre l'autel des ho-
locaustes placé en avant du vestibule et le saint ou l'enceinte
qui précédait immédiatement le Saint des saints, [xsTaÇu toj
vaoo xai xou 6u(jtaaTr)pcou. C'était probablement un usage parmi
tes Juifs d'unir le meurtre d'Abel à celui de ce pontife,
cpnune les deux crimes les plus odieux qui eussent jamais
été déjà commis. Si Ton objecte que le meurtre de Zacharie
»
*-Matth., XII, 6. Cf. Joan., vn, 22. — » Matth., xii, 7. fnfra, n, 230j
-^Matth., XXIII, 35. — * Jos., B., IV, v, 4. — 8 u par., xxiv, 21. -.
324 JÉsus-cHmsî selon l*évan<îile. [««189
était déjà bien ancieù pour, être cité comme le dernier
dont ils fussent couptbles, on répond que le livre dans le-
quel on le lisait était un des livres historiques les plus ré-
cents de leur canonr Ainsi le meurtre d'Abel se lisait aux
premières pages de la Bible, et celui de Zacharie aux der-
nières.
La difficulté de ce sentiment est que, selon les Paralipo-
ménes, ce Zacharie était fils de Joiadas et non pas de Bara-
chie. On la résout néanmoins de plusieurs manières : —
1** En supposant que le père de Zacharie, Joiadas, avait deux
noms, qu^il était surnommé Barachie ou fils d'Achias, ce
qui n'a rien d'invraisemblable. — i^ En prenant le mol
fils dans le sens de petit-fils ou d'héritier, ce qui a lieu fré-
quemment'. Si l'on suppose Barachie mort avant son père
Joiadas, il était naturel que l'auteur des Paralipomènes
donnât à Zacharie la qualification de fils, c'est-à-dire de des-
cendant et d'héritier de Joiadas, son aïeul, plutôt que de
Barachie, son père'* Or, il paraît que l'âge de Joiadas con-
firme cette supposition •. -^ 3** En supposant que les mots,
fils de Barachie, qui ne sont pas en S. Luc et qui manquent
dans >^, à cet endroit de S. Matthieu, ont été introduits par
un- des premiers copistes, qui aura cru qu'il s'agissait du
dernier Zacharie.
.189. — Comment les Juifs canliemporains de Notre Seigoeur pouvaient-
ils être punis pour les crimes de leurs pères?
C'est comme peuple, comme corps de nation, que les
Juifs ont été punis pour les crimes de leurs ancêtres. Or, il
est dans la nature des choses que les punitions comme les
récompenses dont lès peuples sont l'objet soient générales,
et par conséquent ne s'appliquent pas exclusivement à ceux
qui les ont méritées. Comme dans une famille, les enfants
subissent toujours plus ou moins la conséquèMé des fautes
feommises par leur père, de même, 4ans unenàtion, les ia*
; il
1 Cf. Supra, n. 118, 119. — « I Parai., xxiv, 15. - » S. Jérôme dit
qu'on lisait : filium Joiada, dans l'Evangile des.NazaHéena» Brev.jom.,
26 cfec.,. lecî.,YJi-ix..
NMÔOI sa VlÉ J>CfiLlQUÊ. — LES PHARISIENS. 328
dividus portent le châtiment des crimes dont leurs chefs ou
leurs ancêtres se sont rendus coupables. Nier la légitimité
de cette disposition, ce serait contester à Dieu le droit de
ponir ou de récompenser les nations comme nations, et
condamner ce qui fait l'essence môme de la société, la soli-
darité des membres dans les actes et dans les intérêts so-
ciaux.
Du reste, il y a deux considérations dont il faut ici tenir
compte : — l"" La part des individus dans les châtiments
publics ne va jamais au delà de ce qu'ils ont mérité par
des fautes volontaires, ou de ce que la sagesse divine a droit
de leur imposer d'épreuves. — 2* Au dernier jugement,
Dieu tiendra compte à chacun de tout ce qu'il aura souffert,
et il réglera définitivement notre sort sur la seule considé-
ration de nos mérites ou de nos péchés personnels '.
190. ^ Pourquoi Xotre Seigneur, la bonté même, prononce-t-ii
contre les Pharisiens de si terribles anathèmes?
C'est pour le bien de son œuvre et pour l'instruction de
ses Apêtres, plutôt que dans l'intérêt des pharisiens et par
zèle pour leur conversion *. En effet :
!• Si son dessein principal avait été de ramener les pha-
risiens, il est probable qu'il leur eût parlé avec moins de
sévérité; car des hommes si vains et si artificieux devaient
être peu disposés à profiter d'une humiliation publique.
2° Un intérêt supérieur l'obligeait de dévoiler leurs dé-
fauts et de les traiter sans ménagements. Il était de la plus
haute importance de prémunir les Apôtres contre la conta-
gion de tels exemples. D'ailleurs tout le monde connaissait
Topposition des pharisiens à sa doctrine et leur aversion
pour sa personne. Ces dispositions, qui ne cessaient de
croître, étaient le principal obstacle à la propagation de
l'Evangile. Il fallait donc que le divin Maître levât le scan-
dale. Or, comment le faire sans démasquer ces faux docteurs,
sans montrer qu'ils ne méritaient aucune confiance, que,
* Cf. s. Aug., Qwest, ex VeL Testam., xiii, xiv. Infra, n. 931. —
* Brev., 20 juill.f leet. vin, ix,
III. i 9
â26 JÉSUS-CHRIST SELON L*ÉVANGiLE. - [n^ 191
loin d'être inspirés par l'amour de la vérité et de la vertu,
ils obéissaient aux instincts les plus pervers, à l'intérêt, à
l'ambition, à la jalousie, enfin à toutes les passions qui avaient
porté leurs pères à tremper leurs mains dans le sang de tant
de prophètes ?
ARTICLE II.
Faits surnaturels ^
191. — Qu'y a-t-il à remarquer dans les miracles du Sauveur?
Il y a trois choses à remarquer dans les miracles du Sau-
veur :
1» La puissance qui les opère. — Si Jésus-Christ a fait des
œuvres* supérieures à toutes les forces humaines, s'il a
commandé à la nature inanimée •, aux animaux sans rai-
son *, aux maladies et aux infirmités corporelles *, à la
mort % aux démons ', il faut conclure qu'il avait une mis-
sion divine et recevoir ses paroles avec une pleine con-
fiance : Hune Pater signavit Deus ®. Negare seipsum non po-
test ^
2** Les dispositions qu'ils témoignent *°. — La modestie:
loin d'y mettre de l'ostentation, le Sauveur évite autant
qu'il peut l'éclat et le bruit. Il refuse de faire des prodiges
dans le ciel **, parce qu'ils n'auraient eu d'autre résultat
que de repaître la curiosité et d'exciter l'enthousiasme **.
* Voir Wiseman, Mélanges, ii; P. Ventura, L'école des miracles. —
3 Les miracles de Notre Seigneur sont toujours appelés ses œuvres ou
les œuvres de son Père — 3 Matth., viii, 26, 27; xxi, 19-21. — * Matth.,
XVII, 26; Luc, v, 6; Joan., xxi, 6. — ^ Matth., viii, 3, 7, 13, 14; ix, 6,
22,29; XV, 28; xx, 34; Marc, vu, 34, 35; Luc, xiv, 4; xvii, 14; Joan.,
IV, 50; v, 19, 20. — 6 Matth., iv, 25; Luc, vu, 4; Jban., xi, 4â, 44. —
^ Matth., viii, 32; ix, 33; xii, 22; xvii, 16; Marc, i, 25, 26; Luc, iv, 41;
XIII, 12, etc. — 8 Joan., vi, 27. Sicut cum aliquis defert litteras.annulo
régis signatas , creditur ex voluutate régis processisse quod illis contî-
netur. S. ïhom., p. 3, q. 43, a. 1. — » II Tim., ii, 13! Cf. ftfatth., ix, 6;
XI, 4, 5; XII, 28, 41, 42; Marc, iv, 40; Luc, iv, 36; vu, 21-23; Joan,,
11, 23; m, 2; v, 23, 36; vi, 14; vu, 21, 31; x, 25, 38.; xi, 42,47, 48;
xiv, 12; XV, 24. — *o Interrogemus ipsa miracula : habent enîm, si în-
tolligantur linguam suam. S. Aug., In Joan,, xxiv, 2. — ^^ Matth., iv,
6, 7, XVI, 1. Cf. Act., Il, 19. — 12 Matth., .IV, 4, 7; xvi, 1-4; xxvii, 42;
N0l9!i SA VIE PtBLÏQtÊ. — f^AlTS SURNATURELS. 327
Souvent môme il recommande le silence à ceux qu'il a gué-
ris *. — Le désintéressement : jamais il n'use de sa puis-
sance pour lui-même, afin de se défendre ou de se soulager*.
— La bonté : quand il fait un miracle^ c'est pour répondre
aux sollicitations des malheureux ', pour subvenir à leurs
besoins *, pour montrer la vérité de sa doctrine •, pour
encourager la foi de ses disciples •. — On ne peut citer du
Sauveur qu'un miracle de justice '' et un autre ayant pour
but de prouver sa puissance'; encore la miséricorde a-t-elle
une grande part dans Tun comme dans l'autre.
3* Les instiMions qu'ils présagent. — Les saints Docteurs,
qui regardent la création du monde comme une ébauche de
la formation de l'Eglise, voient, dans les miracles opérés
par le Sauveur en faveur des corps, un indice et comme
une figure de ce qu'il se proposait de faire bientôt d'une
manière permanente dans l'intérêt des âmes. Ainsi, quand
il tire les morts du sépulcre, il fait entendre qu'il saura
rendre aux âmes la vie de la grâce. Quand il chasse les dé-
mons des corps des possédés, il annonce le dessein où il est
de délivrer de leur tyrannie tous les enfants d'Adam. En
donnant la santé aux malades, il fait pressentir les secours
surnaturels par lesquels il viendra en aide à notre faiblesse
et remédiera à nos infirmités. Enfin, les signes extérieurs
p'il emploie dans ces circonstances et les paroles qu'il pro-
nonce sont comme la figure des sacrements qu'il doit éta-
blir dans l'Eglise et disposent à croire à leur efficacité •. Ces
miracles sont donc éminemment significatifs; et c'est sur-
tout dans cette partie qu'il convient d'appliquer à l'histoire
Marc., vin, 11-13; Luc, xxin, 8, 9; Joan., vi, 30; vu, 4, 6; xvi, 20.
Cr. HemiL Cletn., n, 33.
* Matth.y vin, 4; iv, 30; xvii, 9; Marc., v, 43; vn, 36; vin, 26, etc.
— * Matth., XXVI, 53; Marc., i, 13; Luc, xxii, 53; xxni, 8, 9. — 8 Matth.,
vni, 2; XV, 28. — * Matth., xv, 32, 36; Luc, vu, 13; Act., x, 38. —
* Lac, V, 4; Joan., xi, 42. — • Matth., vin, 13; Marc, v, 36; Joan.,
1Y, 48; XI, 15, 42. — ^ Matth., xxi, 19; Marc, xi, 13.— « Joan., xvin, 6.
— ' 9. Aog.-, In Joan. y xvn, 5. Réciproquoment, les effets surnaturels
•qitié les iftinistres éVL Sauveur ont produits daas les âmes confirment la
réalité des miracles quil 4i d'abord opérés sur les corps.
328 ^Éaus-CHRisî selon l'évaNGilë. [n^ 192
du Sauveur ce qu'a dit Origène, qu'elle est esprit et corps,
comme sa personne *.
§ I. — Délivrance des possédés.
192. — Pourrait-on révoquer en doute la réalité des possessions
rapportées dans l'Évangile ?
Il serait contraire à la raison comme à l'autorité de nier,
soit la possibilité des possessions diaboliques en général,
soit la réalité de celles qui sont décrites dans l'Evangile.
I. Qu'il puisse y avoir des possessions de ce genre et qu'il
y. en ait eu, dans bien des occasions, c'est ce qu'attestent,
indépendamment des Evangiles : 1° La croyance de tous les
peuples, des Gentils aussi bien que des Juifs *. Jamais Celse
ni Porphyre ' n'ont nié la réalité de ces faits ; et Julien ac-
corde que le Sauveur a pu délivrer des énergumènes, et
faire quelques opérations diaboliques *. — 2° Une multitude
de fait historiques de toutes les époques*. — 3® Le pouvoir
de chasser les démons, Saijxovta, exercé en diverses occa-
sions par les Apôtres*. — 4** L'ordre d'exorciste, toujours
conféré aux ministres de l'Eglise et toujours exercé quand
il y a lieu. — 5** Les effets les plus constants du magnétisme
^ Non frustra fiebant miracula, et aliquid nobis pro salute œterna
figuràbant. S. Aug., Serm, cxxiv, l. Innuunt aliquid : indicare volant
aliquid; intentes nos faciant. In Joan.^ xv, 6. Factum audlvimus, mys
terium requiramus, l, 6. Brev. rom., Domin. Quinquag,, lect. vm, et
4 maiiy lect. viii et ix; S. Thom., 1* q. 1, a. 10; et 2« , q. 178, a. 1, ad 3.
InfrUy ïu 196, 210« Les miracles du Sauveur, souvent nommés dv^a(iEtc,
virtuteSi par les Synoptiques (12 fois) et repaTa, prodigia, par S. Lac,
dans les Actes, sont toujours appelés par S. Jean epya» ««Xa epya, et
surtout (n}(ieia, signa (17 fois). C'est dans le dernier évangile qu'on voit
le mieux dans quelle intention ils sont rapportés et dans quel dessein
ils ont été opérés. — s cf. Matth., xii, 24; Luc, x, 17; Act., xix, 13.
Euseb., Prap, ^vang*, iv, 22; v, 17. — 3 Cf. Lucien, Philopseudes^ 16, 17.
Jamblic, Segm.j m, c. xxxii. — * S. Cyrill. Alex., Cont. Julian,, vi. Cf.
Origen.,. Cont Ceh., i, 6, 38, 60; ii, 49; viii, 9. — 8 Tert., Apohg., 23;
Euseb., £f., IV, 7 ; vu, 10 ; S. Athan., Vita S, Anton.; S. Paulin., Natal, VH
S. Felic; Sulp. Sev., Dialog,, in; Collet, Vie de Boudon; Dictûmn. de
myst, chrét.y Annales de la Prop, de la foi, nov. 1867, p. 440, etc. —
0. Act., V, 16; xyi, 18,. Aat|Aovia et Saifiovec sont souvent employés aa
pluriel ; éio(6o>oç ne l'est jamais qu'au singuUer.
N« 193] SA. VIE PUBLIQUE. — - POSSÉDÉS DÉLIVRÉS. 329
humain. Il est établi par une foule d'expériences contempo-
raines qu'un homme peut souvent par sa volonté produire
sur d'autres hommes des effets sensibles, leur enlever la
disposition de leurs membres, les mouvoir à son gré, etc.
Peut-on admettre qu'un homme ait ce pouvoir, et qu'un
ange, qu'un démon ne puisse l'avoir?
II. D'un autre côté, que les possessions rapportées dans
l'Evangile y soient données par les auteurs sacrés pour
réelles et non pour imaginaires seulement, c'est ce qui ré-
sulte avec évidence de la lecture du texte S de la distinction
des malades et des possédés, faite expressément par les
Evangélistes, par S. Luc qui était médecin, aussi bien que
pars. Matthieu et S. Marc", des paroles fort différentes
que Notre Seigneur adresse aux uns et aux autres ', de la
manière dont il s'exprime sur les possessions *, enfin de
l'impossibilité oii l'on est d'expliquer autrement certains
faits décrits dans l'Evangile, par exemple les connaissances
extraordinaires que manifestent les possédés *, la perte des
troupeaux de porcs à Gadare, etc. •.
* i93. — Y avait-il en Judée^ au temps de Notre Seigneur plus de
possédés qu'ailleurs?
I. Il semble, au moins, qu'il y avait en Judée plus de pos-
sessions qu'on n'en voit parmi les chrétiens. Le démon de-
vait faire les derniers efforts pour soutenir son empire ; et
il est possible que Dieu lui ait donné à dessein une grande
liberté à cette époque, soit pour rendre sensible l'état géné-
" * UEvangile n'emploie pas, il est vrai, le mot de possédés; mais il use
de termes plus énergiques encore pour exprimer Tassujettissement des
possédés aux démons : $ai(Jiovi2^0{jievoi^ ÔatpiovtaOsvTei; , exovte; 6ai{jioviov
on icvcupia axaôapxov. De même des Actes : xaTaôuvaerreuojjievoi \mo tou
8w6oXou, X, 38. Commcntatoris ofllcium est, non quid ipse velit, sed
quid scntiat ille quem interpretatur, exponere , dit S. Jérôme ; alioqui ,
non tàm interpres erit quam adversarius ejus quem nititur explanare.
Epist XLVJii, 16. — a Matth., iv, 24; x. 8; Marc, i, 32; Luc , iv, 40,
41, etc. — 3 Matth., xvii, 17; Marc, i, 25; Luc, iv, 51 ; vi, H, 18;
vui, 2; xni, 32; xix, 12; Act., xvi, 18. — * Matth., xii, 25, 43-45; Luc,
X, 17, 18-; XI, 17. — 5 Marc, i, ^^4; v, 7; Luc, iv, 34, 41. — « Matth.,
▼m, 32.
330 JÉSUS-CHHIST SELON JL^ÉVANGItE. [N<» 194
rai des âmes et le besoin qu'on avait d'un Sauveur, soit
pour confondre le matérialisme ded Saducéens, fort répandu
dans les classes élevées de la nation juive, soit pour donner
plus d'éclat au. triomphe de son Fils sur les puissances de
l'enfer K Ainsi les prodiges de Moïse et la défaite des magi-
ciens de Pharaon, qui marquèrent la fin de la captivité
d'Egypte, ont été pour les Israélites le signal de la déli-
vrance.
II. Les évangélistes ne signalent que sept possédés, déli-
vrés par Notre Seigneur dans le cours de ses prédications :
lo Le possédé de Gapharnaûm, Marc, i, 23-28.
2^ Le possédé aveugle et muet, Matth., xii, 22-30.
3® Les possédés de Gadare, Matth., vm, 28-34.
4* Le possédé muet, Matth., ix, 32-34.
5<> La fille de la Ghananéenne, Matth., xv, 21-28.
6° Le lunatique, Matth., xvii, 14-20.
7* La femme courbée, Luc, xiii, 11-13.
Mais on en voit d'autres dans les Actes " ; et il est certain
que le Sauveur en a délivré un plus grand nombre que
ceux qui sont désignés par les évangélistes'. Pertransiit
benefaciendo et sanando omnes oppressas a diabolo^ dit
S. Pierre ♦.
Possédé de CapharnaUm. Marc., i, 23-28.
194. — D'où vient que le démon proclamait ainsi la sainteté sur-
humaine du Sauveur, et que le Sauveur lui imposait silence, Marc.,
1,24,25?
I. Le démon appelait Notre Seigneur le Saint par excel-
lence, le Saint de Dieu^ o Afto; tou 0£ou **, sans croire peut-
être à ce qu'il disait, comme lorsqu'il l'appelait Fils de Dieu,
0 Ttoç TOU 0coo *. Pour la divinité du Sauveur au nioins, la
plupart des Pères pensent qu'il en a douté jusqu'à la résur-
1 Matth., XII, 28; I Joan., m, 8.-2 Act., v, 16; vm, 7; xvi, 16-18;
XIX, 12, etc. — 8 Matth., viii, 16; Marc, i, 39; Luc, vui, 2. — * Act.,
X, 38. AtaêoXoc, esprit mauvais, plus rarement employé dans le Nouveau
Testament, que Aai(i.ovec et Aatiiovia. — ^ Âyioç, opposé à axaBapToc,
Marc, I, 24. Cf. Act., viii, 14. — 6 Marc, m,. 12; Luc., iv, 41. Cf. Matth.,
V, 29. Supray n. 464,
]«»-l95J SA VIE PUBLIQUE. — POSSÉDÉS DÉLIVRÉS. 331
rectioD, et qu'il eut recours à divers artifices pour s^assurer
delà vérité*.
iL Nôtre Seigneur avait, pour faire taire le démon^ les
mêmes raisons qui le portaient à recommandQr sur oe sujet
le silence à ses Apôtres *. De plus, il devait trouver peu con-
venable de s'eîitendre louer par le père du lùensonge ou de
laisser instruire ses disciples par un tel maître '. C'est pour
une raison semblable que S. Paul ferma la bouchie à la pos-
sédée djd: Philippes, quando spiritm pythoniats evangelista
me conatus est *.
Possédé aveugle et muet. Matth., xii, 22-30; Marc, nU 22-30;
Lnc, XI, 44-26.
195. — Qu'entendait Notre Seigneur, quand il disait. :.Ft7u vesttn^
in quo ejiciunt^ Matth., xii, 27?
. Suivant plusieurs interprètes, Notre Seigneur désignait
par ces mots,. filU vestri^ ceux, de ses disciples qui faisaient
ces prodiges en son nom*. Suivant les autres, il avait en
vue certains ministres de la synagogue qui faisaient profes-
sion d'exorciser, en récitant certaines prières sur les pos-
sédés «, Dans les deux cas, il mettait les Pharisiens en con-
tradiction avec eux-mêmes ; car ils n'avaient de prévention
et n'exerçaient d'hostilité que contre lui.
La réflexion du Sauveur : Quomodo potest Satanas Sata-
mm ejieere^'ï stiffit pour confondre tous ceux qui, dans les
premiers temps, ont attribué ses miracles à Topération du
démon. Il est manifeste que l'enfer n'a jamais eu de plus
grand ennemi que Jésus-Christ, et que Satan est forcé de
* Cf.= Matth., IV, %, 6, et s. Thom., p. 1, q. 64, a. 1, ad 4; a. 2, ad 5;
p. 3, q. 41, a. 1, ad 1 ; q. 44, a. 1, ad 2; Bossuet, Lett. à M. Cccpperonnier,
•^ * Marc, I, 25. Cf. Tert., Adv, Marc, iv, 8. Supra^ n. 464, Infràj n. 217.
— * Eccli., XV, 9. ïdeo legem nobis imposuit ne quo pacto dœmoni cre-
damus, licet véri aliquid dixerit, dit S. Chrysostome. Serm. de Lazar.^
n, 2. Notre Seigneur apprend en même temps, dit S. Ambroiso, à ne
pas nous faire les disciples des hérétiques, lors môme qu'ils défendent
certaines vérités. — * S. Aug., De div, gùxst.^ H, ni, 30; Act., xvi, 16.
- » Matthk, X, a; Luc, x, 17. Cf. ix, 49. — « Act., xix, 13. Cf. Jos., A.,
VHl, iiy.b; fi., Vil, VI, 3; S. Iren., II, vi, 2; S. Thom., p. 3, q. 43, a. 2,
«13. 1- T.Marcy ai; 23. . - .
332 JÉSUS-CHBIST SELON l'évangile. [n<» 196
reconnaître en lui son vainqueur*. En coopérant à ses pro-
diges, le démon eût travaillé au triomphe de son ennemi el
à sa propre ruine, ce qui ramènerait l'intervention de la sa-
gesse et de la puissance divines en faveur du christianisme*.
Possédés Géraséniens. Matth., tui, 28-34; Maro., y, i'20;
Luc, viii, 26-39.
196. — Faut-il prendre à la lettre tout ce qui est dit de ces possédés?
Ni la réalité du fait ni son caractère surnaturel ne peu-
vent être mis en doute. L'étrangeté des circonstances en
confirme Tauthenticité. Au témoignage des Synoptiques,
qui les rapportent, on pourrait ajouter celui d'Eusèbe, évo-
que de Çésarée, qui a visité ces lieux en 295. Cet historien
atteste avoir trouvé le souvenir de ce miracle si bien con-
servé parmi les habitant^ du lieu, qu'ils lui ont montré les
sommets du haut desquels les troupeaux de porcs s'étaient
précipités dans la mer*. Peut-être ces animaux apparte-
naient-ils à des Gentils, Gadare (car il paraît qu'on doit lire
Gadara, et non Gerasa), étant une ville grecque de la Pérée,
récemment annexée à la Galilée * ; peut-être étaient-ils à
des Juifs qui les élevaient dans le dessein de les vendre*.
Aux environs de la ville croissaient des forêts de chênes.
En donnant au démon la faculté qu'il demande •, le Sau-
* Luc,, X, 18; Joan., xii, 31; Col., i, 12; ii, 15; Heb.,ii, 14; Apoc.,xii,9.
— s Le mot du divin Maître : Qui non est mecum contra me est^ 30,
n'est-il pas contraire à cet autre : Qui non est adversum vos pro vobis
est? Luc, IX, 50. On a répondu que ces deux propositions, loin d*ètre
opposées, sont corrélatives et résultent logiquement Tune de l'autre;
mais cette réponse a le tort d'attribuer à ces propositions un sens abs-
trait et absolu qui ne semble pas être le leur. Pour résoudre la difficulté
et satisfaire Tesprit, il suffit de préciser les circonstances dans les-
quelles elles ont été proférées. Quand la première a été dite, Tintérèt du
Sauveur exigeait qu'on se déclarât pour lui. Au moment de la seconde,
il suffisait, pour le succès des Apôtres, qu'on leur laissât le champ libre.
<( Qui n'a pas appris dans le cours d'une longue vie que^ selon les circons-
tances et les personnes, celui qui s'abstient de concourir et se tient à
récart, tantôt donne appui et force, tantôt au contraire, nuit et entrave? »
— 3 Apud S. Hieron., de situ et nom. heb.y Gergesa. — * Cf. Joseph.,
Vita, 9-12, — 8 Cf. Luc, xv, 15. — 6 s. Augustin fait là-dessus cette
remarque : Non habeatis pro magno exaudiri ad voluntatem; habete
nM98] sa vie publique. — possédés déuvrés. 333
Yeur se propose : — 1° De rendre plus certaine et plus écla-
tante la réalité du miracle qu'il vient d'opérer*. — 2° De
faire voir quelle est la puissance des démons, et ce qu'ils
feraient de leurs esclaves, si Dieu n'enchaînait leur fureur.
— 3* De faire entendre que ceux qui vivent conime ces ani-
maux méritent d'être livrés à Satan et précipités avec eux
dans l'enfer *.
Possédé lunatique. Mattb., xvii, 14>20; Maro., ix, 14-28; Lac, ix, 37-43.
197. — L'état de cet enfant dépendait-il réellement des révolutions
lunaires?
Son père le regarde comme possédé du démon, puisqu'il
demande à Notre Seigneur de le délivrer. Lorsqu'il l'ap-
pelle lunatique, il est probable qu'il ne veut dire qu'une
chose : c'est que ses convulsions reviennent d'une manière
périodique, aux pleines lunes ou aux nouvelles lunes. S'il
attribuait ses accès aux phases mêmes de la lune, à leur in-
fluence, rien n'obligerait d'adopter son sentiment, le Sau-
veur n'ayant rien dit ni rien fait qui le confirme ; et, si on
l'adopte, on n'en est pas moins forcé de reconnaître un
miracle dans la guérison de l'enfant.
198. — Si Notre Seigneur a pu laisser ce père dans cette fausse persua-
sion, n'a-t-il pas pu également laisser les Juifs attribuer au démon de
prétendues possessions dont il n'était pas la cause?
C'est à tort qu'on voudrait conclure de la réserve du Sau-
veur en cette circonstance, qu'il a pu agir comme il a fait
à l'égard des possédés, sans croire aux possessions. Les cas
sont bien différents. Il n'est parlé de lunatiques qu^en deux
endroits de l'Evangile ', et ni dans l'une ni dans l'autre de
ces occasions, Notre Seigneur ne s'est expliqué sur la va-
leur de ce terme. On ne saurait citer de lui une parole ni
pro magno exaudiri ad utilitatem ; ad voluntatem enim etiam dsemones
exauditi sunt. Serm, cccliv, 7. In Joan.f vu, 7, 8. /n/Va, n. 342.
* Marc, V, 19. Infra, n. 230. — « Cf. Jud , 10 ; Apec, xix, 20 ; S. Thom.,
P- 3, q. 44, a, 1, ad 4. Sur les caveaux, ou grottes sépulcrales chez les
inifs, voir I Mac, xiii, 27; Matth., xxiii, 27; xxvii, 60; Joan., xx, 6.—
' Matth., IV, 24; XVII, 14.
19.
334 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n® 199
un acte qui suppose la réalité de cette influence lunaire.
C'est le contraire lorsqu'il s'agit de possédés. Toujours et
partout, ici comme ailleurs, il suppose que la cause de leur
état réside dans un esprit personnel et méchant auquel ik
sont assujettis. Il adresse la parole à cet esprit; il lui donne
des ordres, il le menace; il affirme qu'il fait partie du
royaume de Satan ; il donne à ses Apôtres le pouvoir de le
chasser; il assure qu'il l'a vu précipité du ciel*. Loin de
faire entendre que leur Maître parle en figure, les Evangé-
listes confirment encore le sens littéral de ses paroles, en
affirmant avec précision que le démon demanda grâce, qu'il
rendit hommage au Christ, au Fils de Dieu, qu'il proclama
sa sainteté, qu'il sollicita un délai, enfin qu'il s'empara, en
sortant, d'un troupeau et qu'il le précipita dans la mer.
Ajoutons que l'Eglise de tous les temps a vu dans ces récits
des possessions véritables, et qu'il serait contraire aux
règles de l'herméneutique comme aux décrets du concile
de Trente d'interpréter l'Ecriture autrement qu'on l'a tou-
jours comprise et expliquée '.
199. — Comment faut-il entendre cette parole de Notre Seigneur aux
Apôtres : Si habueritis fidem sicut granum sinapis^ etc., Mattli.,
XVII, 19?
Les Apôtres avaient certainement la foi, et même une vi-
vacité de foi peu commune. Néanmoins ils auraient dû en
avoir davantage, vu les prodiges dont ils avaient été té-
moins et les grâces qu'ils recevaient dans la société du Sau-
veur. Voilà pourquoi Dieu ne donnait pas encore à leur pa-
1 Luc, X, 17, 18. — 8 Gonc. Trid., sess. iv, de usu sac. lib. Les pro-
testants ont longtemps torturé l'Évangile pour soutenir qu'il n'y est pas
du tout question de possession ni de démons. Aujourd'hui, on en voit
qui sont d'un avis tout opposé. « U est évident, disent-ils, que Jésus
croyait aux démons et aux possédés ; cela prouve qu'il était sujet comme
nous aux préjugés ot à Terreur. » Au fond, ni les uns ni les autres n'ad-
mettent Texistence des démons. On n'est pas encore tout à fait saddu-
céen ou matérialiste ; mais le surnaturel effraie , et l'on a horreur do
tout ce qui tient k Tenfer. C'est en vain que le démon rend son actioD
palpable dans une foule d'opérations qui ne sauraient avoir pour auteur
ni r homme ni Dieu.
N«ÎOO] SA VIE PUBLIQUE. — POSSÉDÉS DÉLIVRÉS. 338
rôle Tefficacité qu'il lui donna plus tard, et pourquoi ils
n'exerçaient pas sur les démons tout l'empire qu'on leur
attribuait et qu'ils croyaient avoir. C'est cette vérité salu-
taire que le divin Maître leur fait sentir en leur reprochant
eur incrédulité, c'est-à-dire leur peu de foi * : t Si vous
,viez la foi que vous devriez avoir, leur dit-il, si vous en
iez utilement un grain, un atome, rien ne vous résiste-
t. » Il y a évidemment dans ces paroles une figure, une
oie inspirée par le zélé. Pour exciter l'ardeur de ses
s, ce divin Maître fait ressortir le plus possible le be-
u'ils ont d'une vive foi et les avantages qu'elle leur
urerait. C'est ainsi que, pour porter une âme à la per-
n, nous lui disons : « Si vous aviez un peu de vertu,
s aviez un peu de ferveur ! t tout en sachant qu'elle
t pas dépourvue ". Le Sauveur donne au mot fides
analogue, quand il dit du centenier : Non inverti
fm in Israël^, t La foi du peuple d'Israél, c'est-à-dire
nd nombre en Israël, est moins vive que celle-
: « Personne en Israël ne m'a donné un té-
i si touchant. »
théologiens distinguent la vertu de foi, né-
toii^^r le salut, du don de foi qui fait des pro-
lel i^^le partage que d'un petit nombre \
n
un
tan
du
§IL
llRACLES PROPREMENT DITS.
200B- Quels son?
L'Eva
vingt-
hul
rile sii
principaux miracles du Sauveur dans
rÉvangile?
entre un grand nombre d'autres *,
du Sauveur.
* Cf. XXI, 21. I Cor., XIII, 2, semble faire allusion à l'Évangile. — s ci.
Brev. rom., 17 noi)., lect. vu, S. Thom., 2» 2», q. 5, a. 4. — 3 Matth.,
VIII, 10. Cf. Luc, XVIII, 8. In oliva non inveni quod inveni in oleastro.
Ergo oliva superbiens prsecidatur; oleaster humilis inscratur. S. Aug.,
In hune loc, — ♦ Donum fidei electum. Sap., m, 14. — * Les évangé-
listes afQrment expressément que Notre Seigneur en a fait une multi-
tude d'autres : Matth., iv, 23; xi, 5; xxi, 14; Marc, m, 10; Luc, v,
i5-l7;vi, 18-19; Joan., ii,23; vi, 2; vu, 31; xi, 47; xx, 30; xxi, 25.
336 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n<> 200
I. Dix sur la nature :
!• Celui de Gana, Joan., ii, 1-11.
2^ La première pèche miraculeuse, Luc, y, 1-il.
30 La seconde, Joan., xxi, 1-13.
4<» La tempôte apaisée, Matth., viii, 23-27.
5» S. Pierre marchant sur les flots, Matth., xnr, 33-36.
&* La monnaie dans la bouche du poisson, Matth., xvii, 23-26.
7» La première multiplication des pains, Matth., xiv, 15-21.
80 La seconde, Matth., xv, 32-38.
9° Le figuier desséché, Matth., xxi, 17-22.
lOo La transfiguration, Matth., xvii, 1-9.
II. Quinze sur les maladies :
1» Un lépreux guéri, Matth., vin, 1-4.
2« Les dix lépreux, Luc, xvii, 12-19.
30 Le paralytique des Synoptiques, Matth., ix, 1-7.
4« Celui de S. Jean, v, 1-15.
5* L'homme à' la main desséchée, Matth., xii, 9-13.
6« L'hémorrhoîsse, Matth., ix, 20-22.
70 La belle-mère de S. Pierre *, Matth., viii, 14-15.
8» L'aveugle-né, Joan., ix.
9** L'aveugle de Bethsaïde, Marc, vm, 22-26.
10« Les deux aveugles, Matth., ix, 27-31.
11 0 Les deux aveugles, près de Jéricho, Matth., xx, 29-34.
12* Le sourd-muet, Marc, vu, 32-37.
13« L'hydropique, Luc, xiv, 2-6.
14<» Le fils du prince de Capharnaûm, Joan., rv, 46-54.
150 Le serviteur du Centenier, Matth., vm, 5-13,
III. Troie sur la mort :
lo La fille de Jaïre rappelée à la vie, Matth. ,*ix, 18-26.
2» Le fils de la veuve de Naïm, Luc, vu, 11-17.
30 Lazare, Joan., xi, 1-45.
Quatorze de ces miracles nous donneront lieu de faire
quelques questions.
^ H icevOepa, mater tixoris, Matth., viii, 14; Zuvexoii.ev'y) icuperco iie^aXti»,
quae vehementi febri laborabat. Luc, iv, 38. Il est le seul apôtre dont
on sache avec certitude qu'il a été marié.
NO 201] SA VIE PUBUQUE. — SES MIRACLES. 337
I. Miracla sur la nature.
801. — Ponrqaoi Notre Soigneur •sHisle-t-ll k cos noces?
Ce que le divin Maître se proposait, en assistant aux noces
de Cana, c'était : — 1* D'honorer le mariage, qui devait être
en butte aux insultes des hérétiques et aux proranations des
mauvais chrétiens, et d'en faire remarquer le caractère sa-
cré '. Le mariage, lien des familles et des sociétés, a toujours
été une image sensible et perlnanenle de l'union de Dieu
avec l'homme et du Sauveur avec son EgHse '. SouS la loi
de grâce, c'est un des sacrements les plus précieux '. 11 n'est
pas étonnant qu'il apparaisse à la première pagede l'Evangile,
comme au premier chapitre de la Genèse, — 2" De fortifier
la foi de ses disciples, en opérant devant eux le premier de
ses miracles, et ne nous donner sous le voile du symbole
d'excellMtes instructions.
Cana est à une demi-lieue de Nazareth, où le Sauveur
avait passé sa jeunesse auprès de sa sainte Hère *.
1 Quod Dominus iovitatus vanit ul nvptiu , conflrraire volult quod
ipse fecit. Futnri enïin ennl de qnibua Apostolus dicit : Prohibenlet
nuàfre. S. Aug., In Joan., ix, 2. — ' Sponsua et sponsa. Jean., m, £0.
Cf. Eph., V, 25-33. — ' Infra, n. 1*6. — ' On ïient de trouïnr dans les
fouilles Taitea k EliUe, en Pbocide, une pierre do mu-bre portant l'ing-
criptiou suiv&iite : O-jtbc ioti a >iSo( aso Kub tik raïitiat, omu to uiup
oivov moiiiiiiv s Kupis< i]|uov Iijaovt Xpioro;. Or cette pierre étsit aignal6e
dans un Itinéraire en Palestine, rédigée par un pèlerin du vi* siècle,
Antonio de Plaisance, comme une relique coQservéo k Cana. « Accu-
boimus io ipso accubitu, dit le pèlerin, et ibl ego indigoas puentum
meorum nomina scripsi. " Cotte indication donna la penséo de cliercbor
«'il ne restait pas sur la pierre quelques traces des noms qu'Antonin
»Tait iDSCrilsi et en effet on lut en un coin ces mots, qui tormioaleot
33& JÉSUS-CHRIST SELON l^'ÉVANGILE. . : [fi® 202'
202. — Que signifie ce verset 5 Quid. miki et tiài est mulierl Nondum
venit hora mea^ Joan., 11, 4?
Plusieurs traduisent, sur le latin : « Que nous importe à
l'un et à l'autre?» Mais la plupart entendent ces mots autre-
ment : « Que me voulez-vous? Qu'avons-nous à faire en-
semble? Laissez-moi faire, ma mère. » Ce second sens paraît
mieux en harmonie avec l'acception de ces mots dans la
Bible* et avec l'esprit du quatrième évangile. Puisque S. Jean
écrit pour prouver que Jésus-Christ est le fils de Dieu ', il
doit plutôt relever en lui un isentiment qui implique la
conscience de sa divinité, qu'un autre où l'on verrait seule-
ment un indice de sa nature humaine '. « Un miracle sem-
ble-t-il dire à sa Mère, est un œuvre toute divine : la chair
et le sang n'y doivent avoir aucune part*. » En parlant ainsi,
Notre Seigneur ne fait que répéter ce qu'il lui a déjà dit en
sortant du temple : « Ne savez-vous pas que ma règle est de
faire en tout la volonté de mon Père *. » Du reste, il n'y a
dans ces paroles aucun reproche pour Marie, qui partage les
sentiments de son Fils et qui entre dans sa pensée ; mais
pour ceux qui l'entendaient, pour les Apôtres surtout, il y a
une instruction importante : c'est que le Sauveur n'est pas
avec sa mère dans les mêmes rapports qu'un enfant ordi-
naire, et que, dans l'exercice de leur mission, les ministres
une inscription gravée à la pointe : Kai ty)ç (XY)Tpoc (lou Avrovivou. Ces
derniers mots avaient été écrits à Gana, au vi® siècle, taudis que les
mots qui précèdent le furent à Elatée, quand la relique y fut apportée
de Constantinople par quelque baron latin de la quatrième croisade.
Bullet. cnY., mars 1885. Le dessin que nous avons mis en tète du n.201
montre comment cette pierre avait pu servir de lit à Notre Seigneur
dans les noces de Gana. Il représente un triclinium^ et avec une table
de marbre , trouvée dans la maison de Salluste , près de Pompéi , avec
trois lits, dépouillés des tapis et des coussins dont on les couvrait pour
le repas. Gf. Migne, PatroL Içtt.^ lxxii, col. 900.
1 Gf. II Reg., XVI, 10; III Reg., xv, 9, 23; xvii, 18; Matth., xxvn, 19;
Joan., VII, 6; xii, 23; xxi, 22. — 2 joan., xx, 3.-8 Admonet potins ut
intelligamus secundum Deum eum non habere matrem, cujus majestatis
personam parabat ostendere. S. Aug., de Fid. et Symà., 9. — * Non
erat illa mater divinitatis et per divinitatem futurum erat miracalum.
In Joan,, vxii, 9.-8 Luc, 11, 49. Gf. Heb., v, 1.
N*» 203] SA. VIE PUBLIQUE. — SES MIRACLES. 339
de Dieu ne doivent avoir aucun égard aux inspirations da
k chair et du sang ^
Quant au mot : Mulier, c'est en hëbreii comme en grec,
une appellation respectueuse, qui n'a rien de dur ni de dé^
daigneux. Sans exclure la tendresse filiale, elle réserve au
Sauveur l'indépendance que son œuvre réclame. Il n'en em-
ploiera pas d'autre quand il cherchera à consoler sa Mère au
Calvaire, ni lorsqu'il se révélera à Madeleine, après sa ré-
surrection *.
* 203. — QueUes instructions trouvons-nous dans ce promier acte
de la vie publique du Sauveur?
1* Dans ce premier acte de la vie publique du Sauveur, il
y a une leçon pour les époux chrétiens. — Le divin Maître
leur ftiit entendre que les jouissances naturelles s'épuisent
vite ', mais qu'on trouve dans sa grâce un secours et des
consolations qui ne tarissent pas *. Heureux ceux qui
l'appellent à leurs noces et que sa Mère honore de sa protec-
tion I Elle est . la première dans l'Evangile à intercéder au-
près de son divin Fils en faveur des hommes.
2M1 y a ensuite pour l'Eglise un présage et une figure * ;
car tous les faits décrits par S. Jean sont mystérieux et si-
gnificatifs •. — Le royaume de Dieu est semblable à un roi
qui se prépare à célébrer les noces de son fils '• Le Sauveur
est l'époux, dit le Précurseur, et l'Eglise est l'épouse *.
Bientôt se consommera entre l'un et l'autre l'alliance mys-
térieuse et indissoluble dont le mariage chrétien est l'image %
et qui doit donner au Seigneur un si grand nombre d'en-
fants **. C'est à l'Homme-Dieu de fournir à cette famille spi-
* Cf. Luc, XIV, 26; ni Reg., xviii, 18. Cf. S. Bern., Serm. ii, 5, in
Dom. I post, oct. Epiph,^ « Cf. O Ywail îliad., in, 204. Ce titre équi-
vaut à celui de Madame, dooné par les princes à leur mère. — 3 Tribu-
laiionem carnis habcbunt hujusmodi. I Cor., vu, 28. — * Jean., iv,
Ï3, 14. — 5 Excepte miraculé, aliquid in ipso facto mysterii et sacra-
menti latet. S. Aug., In Joan.^ viii, 3. — ^ Quidquid Joannos locutus
estmysterium est. S. Ambr., de Sacr,, Hl, m, 11. — ^ Matth., xxii, 2;
Kv, 1; Apoc, XIX, 7.-8 Joan., m, 29. — » Eph., v, 32. — *o Joan.,
ii 12.
340 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n^ 203
rituelle de quoi soutenir, animer, réjouir, vivifier tous ses
membres. Il le fera en remplissant les vases vides de Tan-
cienne Loi, en substituant à ses eaux insipides et à ses ablu-
tions purement extérieures une boisson généreuse et forti-
fiante. Qui boira de ce breuvage n'aura plus soif et ne sou-
pirera plus qu'après la vie éternelle *. La nouvelle alliance
sera donc bien supérieure à l'ancienne. Elle remplacera
l'espérance par la charité et rassasiera tous les besoins et
toutes les aspirations des âmes. Voilà ce qu'annonce ce pro-
dige. Il n'y a pas de doute que Marie n'ait vu dès lors, aussi
bien que Jésus, un certain rapport entre le festin de Cana
où l'eau fut changée en vin et le repas mystique où le pain
sera changé en la chair du Fils de l'homme et le vin en son
sang, pour devenir la nourriture et la vie des fidèles. Peut-
être est-ce à cette parole : Nondumvenit hora mea*^ dite ici
à la sainte Vierge, que répond cette autre parole, consignée
par le disciple bien-aimé dans le récit de la dernière Cène :
Sciens quia venit hora ejus '.
3** Il y a enfin pour tout fidèle un précieux enseignement.
— Par cet exemple, l'apôtre bien-aimé nous apprend quelle
est la bonté du cœur de Marie pour ceux qui lui sont dé-
voués. Elle s'empresse d'intervenir en leur faveur; elle prie
d'elle-même, sans avoir été priée *. On voit aussi quel est
son crédit auprès du Sauveur. La chose qu'elle demande ne
paraît pas bien nécessaire; elle exige un miracle, et le temps
des miracles n'est pas encore venu. Mais Marie le désire;
elle l'insinue; c'est assez *. Il est juste que son Fils l'exauce
avant tout autre ; et dut-il pour cela changer de dessein, il
fera son premier prodige en faveur de ceux qu'elle honore
de sa protection •.
* Joan., IV, 13, 14. — » Joan., ii, 4. Cf. Matth., xxiv, 12. — s Joan.,
XII, 1; Brev. rom., FesL sept, dol.y lect. 7. — * Miretur qui non me-
minerit Paulum inter maxima gentium crimina memorantem quod sine
affectione éssent. Longe id fuit a visceribus Marise ; longe sit a servulis
eJus. S. Bern., Domin, infra ocL Assumpt,^ 15. — 8 Sufficît ut noveris :
non enim amas et deseris. S. Aug., In Joan,, xlix, 5. — « Matth.,
XXIV, 22; Bossuet, Serm. sur la. dévot, à la Ste Viej^ge Gf, Supra ,
n. 100; Infra, n. 415.
N«204] SA VIE PUBLIQUE. — SES MIRACLES. 341
Pêches miraculeuses. Lac, v, 1^11; Joan., xxi, 1-13.
204. — Qu'est-ce que ces pèches ont de commun et en quoi
diflfèrent-elles?
I. Ces pêches se ressemblent sous plusieurs rapports : —
Elles ont eu lieu toutes deux sur le lac de Tibériade, Tun
des plus poissonneux du monde ^ — Des deux côtés ; Pierre
est à la tête des pêcheurs et les enfants de Zébédée sont avec
lui. — D'un côté comme de l'autre, on travaille en vain du-
rant toute la nuit, c'est-à-dire aux heures les plus favo-
rables'; et tout à coup, le jour venu, on prend, à la voix du
divin Maître, une multitude de poissons.
IL Chacune des deux pêches a ses particularités : — L'une
a lieu au début de la prédication de l'Evangile ; l'autre sous
les yeux du Sauveur ressuscité. — La première se fait en
haute mer, ev tw PaOw »; la seconde près du rivage, ou jxxxpov
axq ty;; frjç*. — La première fois, une seconde barque vient
aider à lever le filet, au lieu même de la pêche ; à la seconde,
on le traîne à la côte. — Le premier miracle a pour effet
d'affermir la foi des Apôtres et de leur donner confiance
dans l'entreprise de leur divin Maître ; le second anime leur
espérance et les pénètre de cette pensée qu'il suit du regard
leur travail et qu'il leur en fera bientôt goûter les fruits *.
~ Enfin, après la première pêche. Notre Seigneur annonce
à S. Pierre qu'il sera désormais pêcheur d'hommes, homines
capiens, Çcovpwv *; après la seconde, il le fait son vicaire et
lui ordonne de prendre le gouvernement de l'Eglise entière.
1 Joseph., B., ni, xvm. — 2 Plin., H, iV., ix, 23. — 3 Luc, v, 4. —
* Joan., XXI, 8.-5 Cf. Matth., xiii, 4if, 48. — « Cco^peiv, prendre vivants,
de Ccooç ot aypeuo». Non posuit Petrus retia, sed mutavit. S. Aug. Do là
l'usage de représenter les chrétiens et Notre Seigneur lui-même sous
la figure de poissons, usage qui fut en vigueur tant que dura la loi du
secret. On en donne diverses raisons. Pour les chrétiens : — l© Ils
naissent dans les fonts sacrés ou dans les eaux du baptême. — 2* Ils
sont tirés de la mer du monde par le ministère des pêcheurs et introduits
par eux dans le royaume de Dieu, à la lumière du ciel. — 3^ Ils sont
désignés sous cet emblème, en plusieurs endroits des Écritures, Jer.,
XVI, 16; Matth., iv, 18; xiii, 47; Joan., xxi, 6. — 4» Ils sont d'autres
Jésus-Christ. Quapt au Sauveur, on avait des raisons particulières pour
342> . JÉSUS-CHRIST SELON l'êvangilé. [n^ 208'
205. — Ces pèches ràiràculeuses n'ont-ellos pas un sens figuratif?
Ceâ pêches miraculeuses sont évidemment figuratives :
I. Notre Seigneur* indique lui-môme le sens de la pre-
mière, en disant à Pierre que désormais ce sont dès komnies
qu'il prendra dans ses filets. La multitude . des poissons
figure donc la multitude deis âmes que les Apôtres, sous.la
conduite de leur chef, doivent tirer des. abîmes de l'infidjé-
lité pour les faire entrer dans/ l'Eglise. Toutes les circons-
tances du récit, la mer^ le, rivage, ia barquB, l'instruction
que le Sauveur adresse au peuplé, ôn-t leui*. signification en
harmonie avec celle-ci.
H.\Pour la seconde, elle figure spécialement celle des élus
que S, Pierre et ses compagnons de travail introduiront au:
ciel. Voici d'après S. Augustin * et les. saints Docteurs, les!
indices de cette signification : -r- l^î Cette pôchp n'a lieu
qu'après la résurrection.: Nôtre Sèigneur.qut là bénit est
déjà sur la terre fernie, comme dans la cité permanente*.
— - 2*» Le filet n'est jeté qu'à droite, du côté des élus '. —
Dans la première poche, le. filet se brisait; une partie du
poisson se perdait et la barque menaçait de chavirer : dans
la seconde, au contraire, la multitude des poissons ne met
le désigner par ce symbole : -^ i° Luirmôme s'est présenté sous cette-
figure à ses Apôtres, au repas qu'U leur offrit près du lac de Tibériade,",
Joan., xxi^ 9. Quid enini signare piscem assum credimus, nisi ipsum
mediatorcm? Ipsc enim latere dignatuô est in aquis generis humani;
capi voluit laqueo mortis nostr», et quasi tribulatiône assatus est tom-
pore passionis suae. S. Greg., In Ev., ii, Hom. xx. — 2° C'est pour se
faire notre aliment qu'il traversé la mer du siècle et qu'il passe parle
feu de la tribulation. — 3** Chacune des lettres du mot ix^v; indique"
une de ses qualités. Horurti verborum, It^o-ov; Xpi<TTo; -Osou uio^, Iwtïip,'
si primas lltteras jungas, dit S. Augustin^ ertt I^Oùç, îd est Piscis, ifl;
quo nomine mystice inteiligitur Christiis, eo quod in hujus mortalitatis'
abysse), velut in aquarum profunditate, vivus, hoc est sine peccato esse
potuerit. De Civ. Dei, xvni, 23. Cf. Tert., De Bapt., 1; Clem. Alex.,
Pedag.f m, 2.
1 Hoc est magnum sacramentuni in magno S. Joannis evangelîd.
S, Aug., In Joan.y cxxii; Serm. cgxlyiiï. — ^ Mare commotionem pr«*
sentis sœcali siguificat; littus autcm terminus est maris. iS. Thom.,
ïn 4^an.^ xxi, ll.Cf. Apoc, xxi, l. — 3 Matth., xxv. S2U - • '
NO 206] SA VIE PUBLIQUE. — SES MIRACLB3. 343
en péril ni le filet ni la barque : Non est êcissum rete *. —
Dans cette dernière pêche, il n'y a qne des.poisâons de
choix : Magni pisces *, et le nombre en egt déterminé, fixé,
comme l'est celui des élus •. — 5* Les poissons ne sont pas
mis comme la première fois en deux barques, encore expo-
sées à l'agitation des flots ^ : ils sont portés immédiatement
sur le rivage, où Notre Seigneur les reçoit. — 6** Le repas
que le Sauveur ressuscité prend aveq ses Apôtres donne
l'idée du banquet céleste auquel ses ministres auront part
dans l'éternité*. Les pêcheurs, qui sont au nombre de sept,
représentent le sacerdoce tout entier, sous la conduite 4e
son chef visible.
Le souvenir du premier de ses miracles suggérait à
S. Pierre la signification du second, et celle-ci devait le pré-
parer à l'instruction que son Maître voulait lui donner sur
le ministère qu'il aurait à remplir et sur le dévouement
avec lequel il devait l'exercer •.
Tempête apaisée. Mâro., iv, 35-40.
206. — Pourquoi Notre Seigneur commande-t-il au veijt
et à la iner?
Notre Seigneur se levant, ôis^epOetç, prend la parole et
commande, eic6Tt|i.yî(7e, au vent et à la mer ^ pour deux rai-
sons : — 1» Pour faire sentir qu'il est bien le Verbe de Dieu
qui a commandé aux flots à l'origine du monde : Dixit :
' Congregmtur aquœ % celui à qui le Psalmiste a dit : Tu do-
minaris potestati maris •. — 2° Afin de nous apprendre à
compter sur son secours dans les épreuves qui agitent
l'Eglise ou qui troublent notre âme *°. S. Thomas admet
* Jean., XVI, 1. — s Quia erit tune parvus, quando erunt œquales an-
gelis Dei! S. Aug., Serm. ccxlviii, 3.-3 Apoc., vi, 11. — * Propter
populos duos de circumcisîone et prœputio. S. Aug., Sej^m. ccxlix, 2. *—
* Cf. Luc, XIV, 15, 16; Joan., xxi, 5, 10 et iv, 7, 32; xix, 28. — ^ Joan.,
txi, 15, 18, 22. Infra, n. 447. — "^ H OaXaoaTi, la mer agitée. — * Gen.,
I, 9 — 9 Cf. Ps. Lxiv, 8; Lxxi, 8. Imîtare ventes et mare : obtempéra
Creatori. S. Aug., In hune loc — *o Cf. Ps. lxviii, 4; Il Cor., i, 9-11 ;
Brcv. rom., iv« Dim. post. Epiph.^ 1. vu; Imit., II, viii, 5; m, 23, n. 8.
Hnjus signi typum in Jona legimus, quando cseteris periclitantibus ipso
J
344 JESUS-CHRIST SELON l'évangile. [n^ 207
après S. Ambroisé, que c'était la société et les mauvaises
dispositions de Judas qui mettaient les Apôtres en péril ^
Si l'on voulait aujourd'hui exprimer par une image la
Providence du Fils de Dieu sur son Eglise parmi les périls
auxquels elle est exposée depuis dix-huit siècles, on ne
pourrait rien trouver de plus ingénieux ni de plus juste.
Aussi l'Eglise a-t-elle été représentée dès les premiers temps,
sous la figure d'une nacelle ou de l'arche de Noé ".
Monnaie dans la bouche du poisson. Matth., xvii, 23-26.
* 207. — Qu'est-ce que le didrachme qu'on demande au Sauveur?
Ce didrachme était la contribution d'un demi-sicle, ou
de deux drachmes, que les familles juives étaient habituées
à payer pour l'entretien du Temple •. Vespasien le fit perce-
voir plus tard pour le Gapitole *. Les collecteurs s'adressent
à S. Pierre, soit par respect pour le Sauveur, soit pour en-
gager le disciple à s'acquitter à la place du maître *. La ré-
ponse du Sauveur suppose clairement sa divinité, 25. Pour
ne pas scandaliser ceux qui l'ignorent, il consent à payer;
mais il fait observer qu'il n'est pas soumis à l'impôt, 24, 25,
et il relève par un miracle cet acte de condescendance :
Reddit censum^ sed ex ore piscis acceptum^ ut agnoscatur ma-
jestas... Sic persotvit et mortem, dit S. Augustin: non debebat
et persolvebat '. En 1328, le pape Jean XXII condamna la pro-
position suivante de Marsile de Padoue : Qitod Christm solvU
tributum Cœsari, hoc fecit non condescensive, et liberalitate
mœ pietatis^ sed necesitate coactm,
securus est et dormit. S. Hieron., In hune loc. Tene te in navi et roga;
etsi turbatur navis, navis est taïuen. S. Aug., Set'm. lxxv, 4.
1 Ps Lxxxviii, 10. Cf. Ps. cvii. S. Amb., In L«c., v, 3; S. Thom,, 2«-2«,
q. 108, a. 4, ad 5. — 2 Martigny, ÉglisCy Aringhi, V, ix, 7. Cf. Act., xxvu,
24, 37, 44. - 3 Cf. Exod., xxx, 11-13; Il Par., xxiv, 5; II Esd., x. 32.
Joseph , il., XVI, VI, 2-8; XVIII, ix, 1. — * Joseph., B., VII, vi, 6. -
3 Supra f n. 143. — « s. Aug., Serm., clv, 7. Le statère avait la Yaleur
d'un tétradrachnie, trois francs environ, et par conséquent su£Ss!Ut.poar
deux personnes. A, T,, n. 185. Infra, n, 515.
PiOS] SA VIE PUBLlQUe. ^ SES MIRACLES. 348
Multiplication des pains. Matth., xiv, 15-21 ; xv, 32-38.
208. ^ Pourraitron dire que Notre Seigneur n'a fait ce miracle
qu'une seule fois ?
On ne peut soutenir que Notre Seigneur n'a multiplié
qu'une fois les pains ; car : — !• On trouve deux faits de
multiplication distincts, rapportés séparément, à la suite l'un
de l'autre, dans l'évangile de S. Matthieu * et dans celui de
S. Marc *. — 2* Entre les deux multiplications de pains, il y
a des deux côtés des différences notables. Dans la première,
il y avait cinq pains et deux poissons ; dans la seconde, sept
pains et quelques petits poissons. Par le premier miracle.
Notre Seigneur nourrit cinq mille hommes, sans compter
les femmes et les enfants; par lé second, quatre mille sont
rassasiés. Après le premier, il resta douze paniers •; après
le second, sept corbeilles*. Ainsi, c'est le plus éclatant qui
fut fait en premier lieu : c'est aussi le seul dont on lise le
récit dans les quatre évangiles.
On trouve dans l'Ancien Testament*, et surtout dans
rhistoire des saints, beaucoup de faits du même genre • :
mais on n'en voit aucun dont le caractère miraculeux soit
pins incontestable.
* 209. — Que figurent ces multiplications de pains?
Suivant les saints Docteurs, ces miracles figurent deux
choses :
!• La multiplication que le Sauveur devait faire de son
corps et de son sang pour la nourriture de nos âmes. Aussi
procède-t-il chaque fois de la même manière qu'à la Cène :
Aceepit panes... et aspiciens in cœlum... cum gratias egisset,
eaj^apiaxriŒK;, benedixit^ f régit et dédit discipulis*..^ discipuli
* Matth., XIV, 15, et xv, 32. Cf. xvi, 9, 10. — « Marc, vi, 37 et viii, 1.
— 3 Koftvoç, petite corbeille de jonc en usage parmi les Juifs, terme
propre employé par les quatre Evangélistes. — ^ Znupiç. Cf. Act., ix, 25.
— » Exod., XVI, 13, 14; III Reg., xvii, 14; IV Reg., iv, 4, 32. — « Vies
de Ste Chantalf ch. xxiv; du curé â^Art^ II, y\\\\de la Mère Thérèse du
S. 'Sacrement f ch. xn, etc.
346 JÉSUS-CHRIST SELON L ÉVANGILE. [n^ 209
autem turbis *. Aussi est-il dit que les parts ne furent pas
mesurées; que tous reçurent suivant leur désir, gtuintum
volebant^; que néanmoins tout ne fut pas consommé et
que Notre Seigneur recommanda de garder ce qui restait
du pain miraculeux'. Aussi le premier de ces miracles
est-il suivi, dans S. Jean, de la promesse de l'Eucharistie.
Aussi ce sacrement fut-il souvent représenté, au commen-
cement de l'Eglise, sous la figure de la multiplication des
pains *.
2» La multiplication ou plutôt la propagation de la doc-
trine révélée, aliment nécessaire à la vie surnaturelle des
âmes : partis vitœ et intellectm^. Les enfants de Dieu languis-
saient, faute de cette nourriture. Quand ils en ont bien
senti le besoin, et l'impuissance où ils sont de se la procurer
par eux-mêmes, le Fils de Dieu vient à leur secours. Il leur
fournit ce qui leur manque ; non en substituant des révéla-
tions nouvelles aux révélations anciennes, mais en déve-
loppant celles-ci de manière à satisfaire toutes les aspirations
de leurs âmes. Et c'est par ses Apôtres, par ses représen-
tants, ministres de sa parole, qu'il leur fait part de ce don*,
suivant les besoins et les désirs de chacun.
Ajoutons que ce miracle est de nature à nous faire ad-
mirer ce à quoi l'habitude nous empêche de réfléchir : la
sollicitude et la tout^puissance avec lesquelles la Provi-
dence pourvoit à notre subsistance par les moyens natu-
rels ; car les aliments dont nous nous nourrissons sont
multipliés chaque année dans le sein de la terre, d'une
i Matth., XIV, 19, etc. — * Joan., vi, 11. — s Joan., vi, 12, 13. Panem
dédit Apostolis ut diyiderent populo credentium, hodieque dat doMb
eum quem Ipse sacerdos consecrat verbU sacris. S. Amb., De bened.
'Pat,, IX, 38. Cf. In Luc,^ vi, 7. — * Martigny, Dictionn,, Eucharistie. —
« Eccli., XV, 3; Prov., ix, 5; Amos., viii, 11; Matth., iv, 4. lUos quos
primo pascit, id est incipientes, hordeacis panibus pascit; postea cam
jam crevissont in verbo et doctrina, triticeos eis exhibet panes. Orig.i
In Gen., nom. xii. — • Sic tune Apostolorum manibus factum credamas,
ut hoc eorùm verbi« quotidi^ fieri sine cessatione videamus. Quid enim
agit Petrus, cum par Epistoias loquitur, ntsi ut verbi pabulo corda
nostra maie jejùna Mtîefrtur? Quid Paulils , qùid Joannes per epîàtolas
suas loquentes? S. Greg., Moral,, xxvii, 22.-
J
N*»210] SA VIE PUBLIQUE. jSElS HIRAGUS. 347
ffianière; moins rapjde^ il estt ' vrai, . mdiâ. non moins mer-
vciUeuse, gue ne furent les cinq pains entre les mains des
Apôtres*..
Figuier. lieçsécbé. Matth., xxt,17-2ti Marc», xi, 12-14.
{An 33, lundi 30 mars).
210. — Que représente le figuier stérile?
Le fait rapporté en cet endroit est évidemment significa-
tif ; et cet exemple doit nous apprendre à chercher une le-
çon dans toutes les actions de Notre Seigneur rapportées par
un èvangéliste.
Ce figuier est le symbole du peuple juif, dans lequel le
Fils de Dieu ne trouvait qu'une vaine apparence de religion,
et qu'il était près de mandire en punition de sa stérilité *.
La faim que le Sauveur témoigne en cette occasion est de la
môme nature que la soif qu'il manifeste au puits de Jacob
et à la croix*. Les paroles qu'il prononce rappellent les ma-
lédictions de David contre la montagne de Gelboé*; mais il
les prononce avec une efficacité toute divine. Néanmoins,
c'est miséricorde de sa part de décharger ainsi sa colère
sur un être insensible, afin d'avertir les pécheurs des ri-
gueurs de sa justice *.
* Dat escam omni carni. Ps. cxzxv, 25. Inde multiplicat de panels
granis sëgctes, unde in manibù« suis multiplicavit quinque panes. Panes
jlli qoinque quasi semlna erant, non quidem terrse mandata, sed ab eo
qçi terram fecit, multipjicata. S. Aug., In Joan., xxiv, 1 ; Brey,, Dom, iv
Quad.j lect. vii-ix. — 2 Corbeilles ,qui rappellent à la fois les repas
miraculeux du désert et le pain eucharistique. La multiplication des
ImiIds est représentée ou rappelée ainsi en plus de trente endroits des
catacombes. Martigny, Pains, — 3 Mich.^ vu, 1. Per. iiculneam inteUige
,8j^nagogani et conciliabulum Judœorum. S. kieron., In Malth., I, m.
Krant Judœi habcntes verba legis et facta non habentes , pleni ibliis et
fraçtus non ferentes. S. Aug., Sètmu xuv, 3; xcvui, â. Cf. Luc, xiii, 6-9.
-;.> Cf. Joan., IV, 31, 32; xix, !^; xxi, 5. — 8 II Reg., i, 21. — 6 Operibus
sicatparabolîs loquitur. Ven. Beda ; Brev. Hebd. i Quadrag., Fer. m, lect 1 .
Qiuerit intelligentem ; non facit errantem. S. Aug., Serm. lxxx^x, 6.
Cf. Luc., XIII, 7-J?. AcU, xxi, 10. Bossuet^ Médtt.y dern. serm. 20« jour.
348 iÉsus-CHïUST selon l*évangilë. [n<>211
S. Paulin, se faisant à lui-même l'application de cet
exemple et insistant sur ces mots de la Vulgate : Non enim
erat tempus ficoruMy fait cette réflexion : t C'est une leçon
que le divin Maître a voulu nous donner. Il faut que notre
piété ait à lui offrir dans tous les temps des fruits dignes de
lui ^ »
Transfiguration. Matth., xvii, 1-9.
* 211. — Pourquoi le Sauveur monte -t-il sur ce sommet et l'y
voit-on ainsi transfiguré?
1*» Le Sauveur monte sur ce sommet * pour y prier plus
librement ». Une haute montagne détache de la terre et fait
penser au ciel *. C'est sur une montagne que Dieu s'est ré-
vélé à Moïse •, et qu'il a souvent apparu aux prophètes *.
— 2° Jésus-Christ veut découvrir dès ce moment à ses
Apôtres un rayon de sa gloire pour plusieurs raisons : pour
animer leur espérance, pour les prémunir contre le scandale
de sa Passion, pour les animer à souffrir pour Dieu. Aussi
est-ce de sa Passion et de son départ de ce monde, eÇoBo; \
qu'il s'entretient devant eux avec Moïse et Elie. — 3* Il fait
rejaillir sur ses vêtements l'éclat qui rayonne de sa per-
sonne, pour montrer son dessein de communiquer à son
Eglise et à ses membres mystiques la grâce dont il possède
la plénitude, et la gloire dont il est la source •. — 4® La nuée
1 Propter nos utique scriptum est, in quibus escam suam Deus semper
vult invenire... Omni die me fertilem sibi Ghristus inveniat. S. Paaiia.,
Epist, xLiii, 6. Ces mots de S. Marc : Ou yap yiv xaipoç ovjxwv, rendus
par : Non enim erat tempus fructuum, pourraient rêtre par : Tune enim
erat, et se lier au premier membre de la phrase : si quid forte inveniret.
Ou est employé quelquefois comme adverbe , en sous-entendant xpovo;
et ewi : eç'ou xpo^o^» 9^^ tempore. Les voyageurs nous apprennent que
les figuiers en Palestine donnent quatre récoltes par an, et portent du
fruit presque en toutes les saisons. Cf. Rom., v, 20 ; Heb., m, 9. — * In
monte sancto, dit S. Pierre, II Pet., i, 18; sur le Thabor, dit S. Cyrille de
Jérusalem. Catech., xii, 16, etc. — 3 Tria réfugia legitur habuisse, navim,
montem et desertum. S. Thom., p. 3, q. 40, a. 1. — * Apoc, xxi, 10. -
8 Ex., III, 1; XIX, 3. — 6 III Reg., xix, 8; IV Reg., iv, 25, etc. — "^ Mot
choisi à dessein, parce qu'il exprime à la fois sa mort et son ascension.
Cf. Jean., X, 17; II Pet., i, 15; S. Iren., III, i, 1. — « Cf. Isai., xux, 18;
Ps. XXXIII, 6 ; Luc, n, 9 ; Act., vi, 15 ; II Cor., m, 7 ; PhiL, ra, 21 ; Apoc.,
N« 213] SA Vie t»tBUQtJË. — ses miracles. â4d
qui enreloppe la montagne est comme le symbole de la ma-
jesté divine ^ et Tindice d'une présence toute spéciale du
Seigneur *.
* 212. — Pourquoi Notre Seigneur veut-il avoir trois témoins
de sa transfiguration ?
Notre Seigneur veut avoir trois témoins de sa Transfigu-
ration, pour qu'elle puisse être attestée d'une manière irré-
cusable, la loi demandant plusieurs témoins pour constater
un fait. C'est pour le même motif qu'après avoir été décrite
parle8troisSynoptiques,elleestencorerappeléeparS. Pierre'
et pars. Jean *, qui l'avaient vue de leur yeux. Entre tous les
Apôtres, le Sauveur a soin de choisir pour l'accompagner
ceux qui doivent le contempler dans son agonie •. Ce sont,
d'ailleurs, les plus considérés parmi ses disciples, ceux qui
sont destinés à donner l'exemple à leurs frères en souffrant
les premiers pour leur Maître, ceux qui ont besoin d'une foi
plus ferme et plus ardente •. Il n'en veut que trois, parce que
c'est une faveur qu'il leur fait, et qu'il désire que ce miracle
reste secret jusqu'après sa résurrection '.
213. — Pourquoi Moise et Élie se montrent-ils à ses côtés et
disparaissent-ils ensuite?
Moïse et Elie viennent là pour rendre hommage au Messie
et témoigner qu'il est le grand objet de la Loi et des Pro-
phètes •. L'un et l'autre le reconnaissent pour Celui qu'ils
XXI, 23; S. Th.. p. 3, q. 45, a. 2, ad. 3; Dictionn. de myst, chréLy Ascen*
sion; Irradiation; Lumières surnaturelles, etc.
1 1 Tim., VI, 16. — » Cf. Ex., xvi, 10; xl, 32; Num., x, 34, etc. —
• n Pet., I, 17. — * Joan., i, 14. — • L'une et l'autre eurent lieu le soir,
caries Apôtres avaient également peine à résister au sommeil. Matth.,
XXVI, 40; Luc, ix, 32. — « Petrus ascendit qui claves regni coelorum
accepit, Joanes cui committitur Domini mater, Jacobus qui primus
martjrrium sustinuit. S. Amb., In Luc., lib., vu, 9. — ' Matth., xvii, 9.
Cf. Brev. rom., 6 aug,y leç. iv-viii. — * Per Moysen significatur lex; per
Eliam signiflcantur prophotœ ; per Dominum significatur evangeliura.
Ideo Christus apparùit médius inter Moysen et Eliam, tanquam evange-
IHun testimonium haberet a lege et prophetis. S. Aug., in Joan.^ rvii, 4{
Brev., Fer. iv hebd. I Quadrag.
20
380 JÉS€8-CHR1ST SEtON L*ÉVANGILE. [n^ 214
ont annoncé, malgré la Passion à laquelle il se dévoue, on
plutôt à raison même de sa Passion et de sa croix *. Ils en-
seignent ainsi aux Apôtres ce qu'ils auront à faire au mo-
ment de l'épreuve et désavouent par avance le peuple qui le
reniera. Ensuite ils disparaissent, et ils laissent Notre Sei-
gneur seul en possession de sa gloire, pour montrer que le
règne de l'Ancien Testament est terminé et que la Loi et les
Prophètes doivent céder la place au Fils unique de Dieu et
aux Apôtres représentants du Testament Nouveau '. La pa-
role du Père * : Hic est Filim meus dilectm, o Tioç |jlou o
afaroQioç *, ipsum audite*^ que S. Paul développera dans son
Epître aux Hébreux, met hors de doute cette signification.
Rien de plus décisif contre les Ebionites *. Rien de plus
exprès contre les Ariens.
Nulle part on ne voit d'une manière plus sensible la vérité
de ce qu'a dit un grand écrivain, après tous les Pères: f Les
deux Testaments regardent Jésus-Christ : l'Ancien comme
son attente, le Nouveau comme son modèle, tous deux
comme leur centre ''. »
214. Pourquoi est-il dit de saint Pierre qu'il ne savait pas
ce qu'il disait, Marc, ix, 5?
C'est surtout, suivant S. Jérôme, parce qu'il n'entendait
pas le mystère, parce qu'il y contredisait sans le savoir, en
voulant retenir la Loi et les Prophètes, dont le temps était
passé, et en paraissant les égaler dans son estime à Celui qui
en était le terme, et dont il ne restait plus qu'à proclamer
le règne. « Tu te trompes, ô Pierre, dit ce docteur; un seul
tabernacle suffit désormais, celui de l'Evangile qui comprend
la Loi et les Prophètes '. »
1 Luc, IX, 31. — 2 Matth., xvii, 8; Luc, ix, 7. Cf. Heb., i. — « Cf.
Act., IX, 4-7; Brev., 12 aug.^ lect. vi. — * Cf. Os., ii, 7; Matth., m, 17;
Phil., II, 6; Heb., i, 1; II Pet., i, 17. Hoc est : Non Moyses fiUus; non
Elias filius ; sed hic Ali us. S. Amb., de Fide, i, 13. Audiant catholici
unde erubescant haeretici. S. Aug., Cont. Maxim. y i 6; S. Thom., p. 3,
q. 45, a. 3. — » Cf. Deut., xviii, 15. Infra^ n. 834, 835. — « Infra^
p. 464, 465. — 7 Pascal, Pensées, Des figures. — ^, » Erras, Petre, et nes-
tis quod dicas. Noli tria tabernacula quœrere, cum unum sit taberoa-
N0 2151 SA VIE PUBLIQUE. — SES MIRACLES. 351
Mais s. Pierfe en reçut Tintelligence, lorsque les besoins
de rÉglise le demandèrent * ; et autant qu'il était raison-
nable et qu'il avait pour principe l'amour du Fils de Dieu,
on peut dire que le vœu de son cœur a été exaucé. Notre
Seigneur l'a réalisé pour nous dai^s l'Eucharistie *.
*215. — Pourquoi Notre Seigneur veut-il que lés Apôtres attendent sa
résurrection pour publier ce miracle ?
1" Il pouvait voir des inconvénients à le publier aupara-
vant *. On aurait eu peine à y croire. Peut-être se serait-on
scandalisé d'autant plus dé l'opprobre de sa Passion. Peut-
être se fût-on révolté à la pensée de voir Moïse et Elie relé-
gués dans l'ombre ou placés au second plan. — 2* Le Sau-
veur voulait faire sentir à ceux qui l'accompagnaient le des-
sein qu'il avait en les rendant témoins de ce mystère, et la
liaison qui existe daiis la vie chrétienne entre la souffrance
et la glorification. — 3* Il pensait qu'après sa résurrection
leur témoignage ne semblerait plus douteux, parce qu'on
n'aurait aucun intérêt à supposer ce prodige et qu'il perdrait
son invraisemblance, la gloire qui entoure son nom étant
plus naerveilleuse que celle qui rayonna alors de sa per-
sonne *. — 4* La meilleure explication est peut-être une
raison mystique, celle qui est suggérée par S. Augustin
dans la réponse précédente. Jésus-Christ transfiguré entre
Moïse et Elie, c'est l'Evangile révélé au monde et attesté
par la Loi et les Prophètes. Or, la publication de l'Evangile
et sa démonstration par la Loi et les Prophètes ne devaient
avoir lieu qu'après la résurrection. C'est alors seulement
que la parole du Père éternel, Ipsum audits^ devait être re-
dite à tous et avoir son effet dans le monde.
Quoi qu'il en soit, rien ne montre mieux la sincérité des
coltiin evangelii in quo Lex et Prophet» recapitulanda sint. S. Hieron.,
In Matih.y XVII.
* Act., X, 15; XV, 10. — 2 Cf. Apec, xxi, 3. — 3 SuprOy n. 164, 194.
— * En effet tout chrétien ne peut-il pas dire du Verbe incarné ce ^u'en
ont dit les Apôtres : Vidimus gloriam ejus , gloriam quasi unigeniti a
Patrc, plénum gratise et veritatis. Joan., i, 14; Speculatorcs facti illius
magnitudinis. I Pet., i, 16. Infra, n. 471.
352 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n® 217
Apôtres qiie le témoignage rendu par eux-mêmes de n'avoir
parlé de ce fait qu'après la mort de leur Maître. Des impos-
teurs se seraient bien gardés d'en convenir *.
n« Guérisons.
216. — D'où vient qua les gnérisons miraeuleases sont plas nombreuses
dans TEvangile que dans l'Ancien Testament?
Dans l'Ancien Testament, Dieu voulait manifester surtout
son autorité, sa puissance, sa souveraineté ; et le sentiment
qu'il cherchait à inspirer était le respect et la crainte. Ce
qu'il tient le plus à faire connaître dans le Nouveau, c'est sa
bonté et son amour *. Le Verbe s'étant fait chair par misé-
ricorde, pour nous tirer de la mort et nous délivrer de tous
nos maux, quoi d'étonnant qu'il commence par soulager nos
infirmités visibles, et que par la guérison des corps il an-
nonce son dessein dé remédier bientôt aux maladies des
âmes? Du reste, le principe des maux corporels eux-mêmes
résidait dans les âmes : c'était le péché dont elles avaient
contracté le venin. C'est pourquoi S.. Matthieu ' applique
ici cette parole d'Isaïe : Vere langiu>res nostros ipse tulit *.
On remarquera que la plupart de ces guérisons sont ac-
cordées à la foi. Creditis quia hoc possum'ï dit Notre Sei-
gneur aux malades '. Credis hoc •? Fides tua te salvumfe'
cW^. Il voulait faire entendre par là que les âmes ne seraient
délivrées du péché et n'arriveraient au salut qu'en croyant
à sa parole et en se soumettant à l'Evangile '.
Un lépreux. Mallh., vm, 1-4.
217. — Pourquoi Notre Seigneur renvoie-t-il le lépreux aux
prêtres, en lui recommandant le secret?
I. Notre Seigneur envoie aux prêtres ce lépreux •, après
1 Ils n'auraient pas dit non plus qu'ils avaient sommeillé. Luc, ix, 32.
— 2-»Tit., Ti,ll, 12; III, 4. — 3 Matth., viii, 17. — * Isai., lui, 4, 5. Cf.
I Pet., II, 24. ~ 8 Matth., ix, 28. — « Joan., xi, 26. — ^ Marc, v, 34;
X, 52 ; Luc, vu, 50 ; vm, 48; xvii, 19, etc. - « Rom., i, 17 ; m, 22, 28 ; Gai.,
Il, 16; Eph., Il, 8, etc. — • Plenus lepra. Luc^ v, 12. Cf. Le?lt., xui, 13.
N® 2i8] SA VIE PUBLIQUE. — SES MIRACLES. 353
l'avoir guéri par un simple acte de sa volonté* : — 1** Par
respect pour la loi qui lui défendait de se mêler au peuple au-
paravant •, afin de nous apprendre à ne pas nous dispenser
des règles sans nécessité. — 2* Parce que, sans cela, cet
homme n'aurait pas été admis à la participation des choses
saintes. — - 3** Afin de mettre ses ennemis à môme de cons-
tater le miracle. — 4* Pour compléter la figure qu'il avait en
vue; car la lèpre figure le péché, et le péché ne devait être
remis que par le ministère des prêtres.
IL II recommande au lépreux de ne pas dire qui l'a
péri : — 1» Par modestie, afin de nous apprendre à éviter
l'éclat, autant que l'intérêt de Dieu le permet '. — 2* Par
prudence, de peur que la haine dont ses ennemis était ani-
més ne s'accrût encore et. qu'elle ne les portât à nier la réalité
de cette guérison *.
Le paralytique des Synoptiques. Maith.^ ix, 1-7.
* 218. — La guérison de ce paralytique prouvait-elle que Notre Seigneur
eût le pouvoir de remettre les péchés?
Le pouvoir de guérir subitement n'est pas plus divin que
celui de remettre les péchés ; mais l'effet de l'un tombe sous
les sens et peut se constater, tandis que celui de l'autre est
invisible. Un imposteur ne pouvait s'attribuer faussement
que le second. Pour écarter tout soupçon à cet égard, il suf-
fisait à Notre Seigneur, dit S. Jérôme, de mettre le premier
sous les yeux des auditeurs •.
« La suite de ses paroles, ajoute le même Docteur, nous
apprend que les maladies du corps sont souvent le châti-
ment des péchés de l'âme. » Toutefois, rien n'autoriserait
à dire de chaque maladie qu'elle est la punition d'une faute
commise par le malade.
* Volo, mundare. Cf. Act., m, 6, 13. — 2 Lev., xiv, 2. — ^ Marc, vu,
36, 37; Luc, xii, 5. Sic opus sit in publico ut intentio maneat in oc-
culte. S. Greg., In Evang,, Hom. xi. — * Cf. Matth., vi, 15; xvi, 20;
Sttprfl, n. Iô4, 194, 215. — ^ Fit carnale signum ut probetur spirituale.
S. Hieron., In hune loc. Verum de Deo cogitabant, sed Deum prœsentera
non videbant. Fecit ergo quod vidèrent, et dédit quod crederent. S. Aug.,
In P*. XXXVI, Enarr. xii, 3»
20,
354 JÉSUS-GHRIST SELON l'ëvangile. [n^ 219
Paralytique de saint Jean. Joan., v, l-is.
{An 31, fin mars.)
219. ^ Doit-on regarder comme auttientiques les versets 3 et 4 sur la
descente de Tange, et le mouvement de Teau dans la piscine?
Les protestants rejettent communément le verset 4 et la
fin du verset 3 comme apocryphes, parce qu'ils ne se trou-
vent pas dans les manuscrits du Vatican, B, du Sinaï,c<,de
S. Ephrem, G, de Cambridge *, D, et qu'Origène les a omis.
Mais indépendamment de l'autorité de l'Eglise qui les main-
tient dans la Vulgate, nous avons pour en soutenir l'au-
thenticité les raisons critiques les plus imposantes :
!• On les lit dans le manuscrit alexandrin. A, du cinquième
siècle. — 2® Ils se trouvent dans l'Italique et la Péchito aussi
bien que dans les plus anciens manuscrits de la Vulgate. —
3** On les voit cités par un bon nombre de Pères, non
seulement du quatrième siècle, Didyme (t 395), S. Ambroise'
(t 397), S.Chrysostôme* (t407), S.Augustin* (t 430), mais
même par Tertullien, en deux endroits de ses ouvrages, à la
fin du second siècle et au commencement du troisième, cent
ans après la mort de S. Jean *. On les lit même dans le Ata
xeaaapwv de Tatien, plus ancien encore. — 4* Ils sont telle-
ment liés au reste du récit que, si on les retranche, les
versets 5 et 6 accusent une lacune et le verset 7 devient
presque inexplicable. — B° La descente de l'Ange paraît
exigée par le sens symbolique du passage. Les malades re-
présentent l'humanité déchue. Jusqu'à Notre Seigneur, il n'y
avait qu'un petit endroit, la Judée, où Dieu se révélât, et où
l'on pût espérer ses faveurs. De temps en temps apparais-
sait un Ange, un envoyé céleste, mais c'était à de longs
intervalles ; les grâces qu'il y apportait étaient pour un petit
nombre, et il fallait un effort, un acte extérieur pour en
profiter. Avec Jésus-Christ, l'Ange du grand conseil, arrive
1 D a pourtant le verset 3 en entier. — s S. Amb., en trois endroits.
— 3 S, Chrys., In Joan,^ xxxvi, 1. — * S. Aug., Serm, cxxv, 3; In Joan.,
XVII, 3; In Ps. lxx, 15. — 8 Tert., Adv,Jud., 13, ann. 196-205; cfe Bapi,
V, ann. 204. Cf. Gai., m, 19; Heb., n, 2.
1
J
If» 226] SA. VIE PUBLIQUE. — SES MIRACLES. 3fB
enfin le salut * ; il est offert à tous et facile pour tous. Il n'est
plus besoin d'ablutions ni d'œuvres extérieures : la bonne
volonté suffit. — 6** On n'imagine aucune raison qui ait pu
porter à intercaler ces versets. On conçoit bien plus aisé-
ment que certains esprits en aient pris ombrage, qu'ils les
aient crus propres à exciter la défiance, ou à favoriser les pré-
tentions des Juifs • ; et que pour cette raison, à la suite peut-
être de quelques omissions involontaires, on les ait d'abord
marqués de quelque signe, puis omis délibérément dans un
certain nombre de manuscrits.
*220. — Ne pouprait-on pas regarder ces deux versets comme Texpli-
cation vulgaire d'un effet naturel, produit par la vertu d'une eau
thermale, et penser que saint Jean s'est conformé, dans son récit, à la
manière de parler ordinaire, sans s'en faire pour cela le garant?
Quelques catholiques ont cru pouvoir adopter ou tolérer
ce sentiment ». Mais il est contraire aux explications des
saints Docteurs, et à moins de retrancher le verset 4, il con-
tredit ouvertement l'évangile. S. Jean ne dit pas : « C'était
alors une croyance commune; i mais : « Voici ce qui avait
lieu. » D'ailleurs, s'il n'y avait eu là qu'une eau thermale na-
turelle, aurait-elle eu la môme efficacité pour toutes les ma-
ladies ? Aurait-elle produit son effet subitement ? N'aurait-
elle eu de vertu que dans certains moments et sur un seul
malade à la fois?
Suivant Tertullien, ces guérisons miraculeuses et ces ap-
paritions d'anges étaient un signe que Dieu donnait aux Juifs
^ Redire in domum suam est in Paradisum introire. S. Amb., In Luc.,
v, 24. Cf. S. Aug., Serm. cxxv, 3. C'est à cause de cette signification
que ce miracle est représenté en vingt endroits des Catacombes. Voir
Bottari. PI. 39; Aringhi, VI, vi.
JnssQS post multofl gradiior paralyticus annos,
Mirandom, lecti portitop ipse sui. Claudiamus.
^ Infrcu, n. 392, 796. — s En premier lieu, Sepp., La Vie de /.-C, sect.
IV, eh. 5. La tolérance de ce docteur rivalise en beaucoup d'endroits
avec riadépendance des hétérodoxes ; par exemple, sur la nature de la
manne, l'histoire de Jooas, le sacrifice d'Abraham, la femme de Loth, la
vision d'Elie, le livre d'Esther, etc. Voir ses Etudes sur la Vie de JésuSy
1866, t. u, p. 20-^, 260.
356 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n« 221
pour leur annoncer la venue du Sauveur, et ce signe cessa
bientôt, en punition de leur incrédulité. Peut-être le peu
de durée du prodige est-il la raison pour laquelle il n'en est
fait mention nulle part ailleurs, ni dans les Livres saints, ni
dans les ouvrages profanes *.
L'hémorrhoîsse. Matth., ix, 20-22; Luc, viu, 43-48.
* 221. — Eusèbe ne confirme-t-il pas la réalité de cette gnérison?
Eusèbe, l'historien, de Césarée en Palestine (f 338), af-
firme que cette femme était de Panéas, ville de Phénicie, ap-
pelée en dernier lieu Césarée de Philippe.
Il dit qu'il y a encore devant la porte de sa maison deux
statues d'airain, dont l'une représente cette femme dans une
attitude suppliante, et l'autre Jésus-Christ enveloppé dans
un manteau et lui tendant la main. Il ajoute qu'au pied de
cette seconde statue croît une herbe d'une espèce inconnue
qui, lorsqu'elle atteint le bord des vêtements du Sauveur,
acquiert la propriété de guérir toute sorte de maladies. « On
a ignoré pendant un certain temps, dit-il, ce que représen-
tait ce groupe ; mais la base en ayant été découverte, on y
a lu le nom de Jésus et reconnu l'hommage qu'on avait
voulu lui rendre. » « Elle a subsisté jusqu'à notre époque,
ajoute-il en finissant, et nous l'avons vue de nos yeux K »
Le même fait est rapporté par Sozoméne (450) et par saint
Astère, évêque d'Amasée (370-400) ; mais ce dernier ajoute
que de son temps cette statue ne subsistait plus. Plusieurs
auteurs disent que l'hémorrhoïsse est celle des saintes
femmes qui a présenté un linge au Sauveur sur le chemin
du Calvaire et qu'on vénère sous le nom de Véronique K
S. Augustin indique la signification morale de ce récit,
lorsqu'il dit : C'est par la foi qu'on touche le Sauveur : Fide
tangimm Christum... Turbapremit : fides tangit *. Un certain
1 Tert., Adv. Jud.j 13. Cf. S. Hieron., de Loc, hebraic, — * Euseb.,
//.,vii, 14, 18; Tillemont, Mémoires^ t. vu, Julien, art. 17; Honoré de
Ste-Marie, t. ii, liv. iv, art. 3; Fleury, H, E., xv, 20. Acta SS., 4 féb.,
6 mali. — 3 Evang, de Nicodème. Acta SS., 4 féb. et 7 maîi. — * S. Aug.,
Se)*m. ccxuu, 2, et cgxlyi, 4. Audiant christiani, qui quotidiejGbristi
N°222] SA. VIE PdBLiQUB. — SES MIRACLES. 357
nombre de Pères regardent î'hémorrhoïsse comme l'image
de l'Eglise des Gentils ; c'est pour cette raison sans doute
qu'elle a été si souvent représentée dans les catacombes et.
sur les monuments des premiers siècles ' .
L'aveugle -né. Josn.,
Le Fils de Dieu se révèle ici, par son action comme par ses
paroles, comme la vraie lumière du monde '. Ce qui est au-
jourd'hui un fait aussi éclatant que le soleil était alors une
simple révélation, un objet de foi. L'aveugle que le Saaveur
guérit est le type des âmes droites et humbles qui, recon-
naissant leur aveuglement naturel, sont heureuse de voir
par lui, au flambeau de la foi ', Les Pharisiens sont la figure
des incrédules volontaires, de ceux qui, pleins de confiance
eneuï-mêmes, ne veulent voir qae par eux-mêmes, par leurs
facultés naturelles, et refusent obstinément de croire aux vé-
rités révélées ',
' Voir Aringhi, vi, 7, BotUrî, pi. i9, !i, 34, 39. 41, 84, S5, 89, 135;
Hirtigny, Ilémûrroïne, Images, }éius-Chriat. — ' Tûte laurôo de Tibère,
l'Auguste du temps, avec ces deux mots presque eSacés : Kxisaipot
ItSonTou. Au cou de Vempereur le monogramme de Pliilippe. Au revers,
portiqae d'un temple tetrastyle, celui que son pËre avait dédié à Ad-
goate dans la tille de Paneas ou du dieu Pan. Philippe, en étant devenu
maître et voulant ajouter à ce qu'avait Tait «on père, changea aon nom
en celui de Césarée. Légende, ^lainnou le-tpapxou. L. I 6 indique l'an 19
de aon règne. Cf. Uiit. de l'Aead. de) Imc., lii, p, 105. — ' Lumen
vite, tj 9oi( xjiî ÏB))iî. Joan., viir, 12; ix, 5, 39. Sol intolligentite, Sap.,
V, 6, In/V-a, n. 328. — ' Joan., ix, «, 7, 17, 30, 38. - ■ Joan., ii, 16,
19, 22, 24, 28, S9, 34; Rom., ii, 19, ?0.
388 JÉSUS-CHMST SELON l'évangile. [n<* 222
Le désir du Fils de Dieu est bien que tous les hommes
ouvrent les yeux aux rayons de l'Evangile; mais comme
ceux qui se croient plus éclairés que les autres et qui le sont
en effet à certains égards s'obstinent à les fermer et s'efforcent
de tout obscurcir, de peur d'avoir à lui rendre hommage, il
dit que sa venue, qui devait éclairer tout le monde, aura
pour résultat d'aveugler ceux-ci de plus en plus. Evi-
demment, c'est à regret qu'il voit ce fait et qu'il le constate.
Il ne le veut que comme la conséquence d'une obstination
coupable en opposition avec ses désirs. On ne doit pas plus
le lui imputer qu'on n'impute à un prince le châtiment de
ceux qui violent ses ordres. Ut n'indique donc pas propre-
ment une intention, mais un résultat : il équivaut à ita ut,
unde fit ut ^, La prédiction contenue dans les paroles qui sui-
vent s'est accomplie d'une manière frappante, lorsque les Gen-
tils, recueillant la doctrine du divin Maiti e, rejetée par les
Juifs, sortirent des ténèbres du paganisme et ouvrirent les
yeux aux rayons de l'Evangile ^
Il est peu de chapitres aussi intéressants que celui-ci,
même en S. Jean. L'éclat du miracle rend impossible toute
contestation. La description est d'un naturel inimitable. Les
mots : Abii^ lavi^ et video ^ sont admirables de vérité comme
de concision. On croit assister à la scène et entendre lesinter-
locuteurs. Le dernier mot : Vidisti eum^ dit à l'aveugle par
le Sauveur, n'est pas moins frappant.
Au lieu de Filium Dei, 35, B, K, D, portent filium ho-
minis; mais on peut citer à l'appui de la Vulgateles autres
manuscrits, la Péchito, l'Italique, les Pères et les endroits
parallèles de S. Jean ^.
1 Cf. Joan., V, 20; vi, 29; x, 17; xii, 23, 28 j xiii, 18; xv, 25; xvi, 2;
XVIII, 9, 32; XIX, 24, 36. — 2 Cf. Joan., xii, 37-41. Et nos noa terreoa
bona, sed lucem quseranius, nec lucem qusB loco clauditur, qu» tem-
pore flnitur, quœ noctium interruptione variatur, quœ a nobis comniu-
niter cum pecoribu9 cçrnitur; sed lucem quœramus quam videre cum
soUs Angclis possimus, quam nec initium inchoat, nec f)nis angustat.
S,. Greg., In Evang., hôm. ii, 7. — 8 joan , i, 34, 49; xi, 27 ; xx, 28, 30.
Voir une fresque du cimetière de S. Calixte, h Uoine,.ou cette scène est
représentée.
N<>224] SA VIE PUBllQUE. -^ SES MIRaOLES. âSÔ
m. Résurrections,
223. — Combien de résurrections a opérées Notre-Seigneur?
Nul ne peut dire avec certitude, répond S. Augustin,
combien de morts le Sauveur a ressuscité * ; mais l'Evangile
nous en fait connaître trois, et chacun d'eux se distingue
par un caractère particulier. Dans le premier cas, c'est une
jeune personne qui vient de rendre l'âme ; dans le second, un
jeune homme un peu plus âgé qu'on porte au tombeau;
dans la troisième un homme fait qui est enseveli depuis plus
de trois jours. Par ces résurrections, de plus en plus frap-
pantes et de mieux en mieux attestées, le Sauveur montre
qu'il est l'arbitre absolu de la vie et de la mort, et que, dans
la tombe comme au cercueil, comme sur le lit funèbre, on
est toujours sous sa main : Omnes enim vivunt ei ^ De plus
ces trois miracles sont la figure d'autant de genres de con-
versions, ou de résurrections mystiques que la parole du
Fils de Dieu ne cesse d'opérer dans les âipes ^ ; car il y a
trois sortes de pécheurs ou de morts spirituels Ml en est qui
ont perdu la grâce par un acte de volonté purement intérieure;
d'autres ont commis le mal extérieurement, en réalisant
leurs mauvais desseins ; d'autres sont diâns l'habitude du pé-
ché et répandent la corruption avec le scandale *. La grâce
du Ciel s'étend à tous. Il n'est pas d'âme morte à la grâce
qui ne réponde à la voix du Sauveur, quand il lui plait de la
rappeler à la vie *.
* s. Aug., Serm, xcviii, 3. Mortui resurgunt, dit Notre Seigneur >en
S. Matthieu, xi, 5, Cf. x, 8. — « Luc, xx, 38. — » Jôan., v, 17; S. Aug.,
In Ps. Cl, Serm. ii; Brev. rom,, 4 maîi, lect. vii-ix. — ♦ Apec, m, 1. —
* Tria gcnera peccatorum quos hodieque suscitât Ghristus videlicet vo-
luntate, opère, consuetudine. S. Aug., Sei^m, xcviii, 5. Ecce ipsa soror
Lazari, Maria, meUus suscitata est quam frater ejus. S. Aug., Jn Joan.,
XLîx, 3. Cf. Aringbi, VI, x. — 6 Ainsi prouve-t-il qu'il est par essence
notre vie véritable, la vie de nos âmes pour Téternité, vi avacrraffic xai
7} C(«>i')i Joan., XI, 25; xiy, 6; y) C(i>y] T]|xa>v, Col., m, 4; o Za>oicot(i>v, Rom.^
IV, 17; 0 iiovo; exwv aOavowjiav, I Tim., vi, 16.
âôO JÉSUS-CHRIST SELON L*ÉVaN(ÎILË. [n^ ^28
Fille de Jaire. Matih., ix, 18-26.
224. — Notre Seigneur n'a-t-il pas dit de la fille de Jaîre qu'elle
n'était pas morte, mais qu'elle dormait, 24?
Avant de la ressusciter. Notre Seigneur a dit de cette per-
sonne qu'elle dormait, mais dans le môme sens qu'il l'a dit
de Lazare : Dixerat autem de morte ejus *. En réalité, ni l'un
ni l'autre n'était mort définitivement, puisque le Sauveur
allait les rappeler à la vie, et qu'il ne lui en coûte pas plus
de ressusciter un mort que d'éveiller un homme qui som-
meille. Mortua est vobis^ lui fait dire S. Jérôme, traduisant
sa pensée : mihi dormit ^
On peut admirer ici la confiance et la simplicité que les
Evangélistes montrent dans leur récit. Des imposteurs se se-
raient bien gardés d'attribuer ce mot à Notre Seigneur.
Eux n'ont pas même l'idée du soupçon que ces termes pour-
raient donner. Du reste, S. Luc ajoute : Et reversas est spi-
ritm ejus % et S. Matthieu : Exiit fama hœc in universam
terram illam *.
Lazare. Joan., xi , i-45.
225. — Peut-on mettre en doute la réalité de cette résurrection?
D'abord l'authenticité de ce passage du quatrième évangile
est incontestable. Il n'y a pas une page qui porte à un plus
haut degré l'empreinte de S. Jean, ni qu'il fût plus difficile
d'y intercaler furtivement. Etant de S. Jean, le récit est d'un
témoin oculaire, d'un homme qui n'a pas connu seulement
Lazare et ses sœurs % mais qui a vécu longtemps avec eui.
1 Joan., XI, 11-14. Aux yeux de la foi, mille ans ne sont qu'un jour,
et tous les fidèl^es couchés dans leur tombeau , attendent le réveil de
la résurrection. De là dormitorium , en grec xoiiiYiTTipiov, cimetière, de
xot{JLaa), dormir. Cf. Ps. xi, 9; I Cor., xv, 6, 18, 20, etc. Cf. Euseb., B.,
VII, 13 — s S. Hieron., In hune loc. Cf. Luc, xx, 38. — ^ Luc, viii, 55.
Cf. m Reg., xvn, 22. — * Matth., ix, 25. Môme simplicité dans le récit
de la résurrection du jeune homme de Naïm; malgré les traits tou-
chants qu'il présente comme la plupart fles récits de S. Luc. Rapprocher
ces mots : Dédit illum matri sùœ^ vu, 15, de ces autres qui pouvaient
s'appliquer à Notre Seigneur et à sa Mère : Ecce filius uniciu matrit
siue; et hase vidua erat, 12. — 8 Joan., xx, 38.
N» 226J SA VIË t^Dfii^UË. — SES BtlftAClEâ. 361
L'historien ne peut donc pas avoir été trompé. Dira-t-on
qu'il :t rompe? Dans quel intérêt tromperait-il? Quel besoin
a-t-il de supposer ce miracle? Un homme sensé peut-il avoir
ridée d'inventer un pareil fait, de le donner comme indu-
bitable, alors que nul n'en aurait l'idée, qu'une foule de
personnes seraient en état d'en démontrer la fausseté,
qu'elles seraient intéressées à le faire? Un imposteur décri-
rait-il le miracle de la manière que fait S. Jean, dans ses
moindres détails, sans la moindre précaution oratoire, sans
aucune ambiguïté de langage, sans aucune atténuation, avec
la confiance d'un homme qui défie toute contradiction?
Préciserait-il toutes les circonstances ', la notoriété du fait,
la multitude des témoins*, l'exaspération des ennemis du
Sauveur et la détermination fatale qui en fut la suite *? Ce
fait se lierait-il si naturellement à ce qui précède et à ce qui
suit : l'amitié de Jésus, pour Marthe et pour Marie \ le
redoublem^it de la haine des Juifs envers le Sauveur et la
résolution qu'il prennent de le mettre à mort '^? Enfin le
trouverions-nous attesté par la plus ancienne et la plus
respectable tradition, et confirmé par la loi de l'Eglise tout
entière •?
226. — Quelles raisons avaient les Synoptiques d'omettre dans leurs
récits un miracle si frappant?
Rien ne s'opposait précisément à ce que les Synoptiques
« Joan., XI, 5, 6, 18, 28, 30, 32, 35, 38, 44. — « Jean., xi, 19, 31, 33,
42, 45. — 3 Joan., xi, 47-56; xii, 9-10, 17. Cf. Matth., xxvi, 5. — * Luc,
X, 37-42. — 8 Joan., xl, 46-53. — ^ « i^ résurrection de Lazare revient
souvent (une trentaine de fois) dans les peintures des catacombes. C'était
pour les fidèles un fait historique en même temps qu'une instruction et
un symbole. Elle leur faisait penser à la résurrection des &mes aussi
biOR qu'à ceUe des corps. Mais le sens moral qu'où en tirait les eût peu
intéressés, si, avant tout, le fait n'eut pas été certain. Soyons sûts qu'on
y a regardé de près. » D. Guéranger, Sle C^cile^ xiii. « Seigneur Jésus,
ceix qui refusent de croire k cotte résurrection savent-ils qu'après avoir
lessuseité un hommei vous avez ressuscité un monde, et que le miracle
de Béthanie s'efface devant celui qui a tiré de son tombeau le vieux
monde païen, ce mo7*t de quatf^e mille 'ans, gui rCétait plus qu'infection
tifomrritwe? » H. Rerrejnre. Cf. Ëuseb., U., iv* 3; S. Amb., De fide
retur.^ n, T7. S, Chrys., In I Cor,, HomU. vu; InfrUy n. 468.
m. 21
S62 JÉSUS-CHRIdT SELON l^evangilë. [no 227
commençassent par là, comme S. Jean, le récit de la Pas-
sion ; mais ils n'y étaient pas obligés, et l'on s'explique l'o-
mission de ce fait : — i^ La seule résurrection dont ils étaient
frappés et sur laquelle ils voulaient porter l'attention, c'était
celle de l'Homme-Dieu. Celle de Lazare leur semblait peu
de chose en comparaison. — 2** A l'époque où ils écrivaient,
la prudence devait leur conseiller de ne pas attirer l'atten-
tion des Juifs sur Lazare et ses sœurs S comme elle leur dé-
fendait de dire le nom de celui qui avait tiré l'épée contre
le serviteur du grand-prêtre *. — 3* Après s'être bornés a
décrire l'apostolat du Sauveur dans la Galilée, les Synop-
tiques ont dû trouver naturel de commencer l'histoire de sa
Passion par son entrée triomphale à Jérusalem : pour S. Jean,
au contraire, il entrait dans son plan de recueillir tout ce
que le Fils de Dieu avait dit et fait dans la Judée c^umae
dans la ville capitale '. — i"" Enfin nul évangélisie n'a pré-
tendu donner un tableau complet des miracles du Sauv<eur \
Bien plus, il n'est pas un évangile où l'on ne lise quelque
miracle négligé dans les autres '. Un des plus prodigieux et
des plus incontestables, l'apparition d« Sauveur aux cinq
cents disciples, n'est rapportée que dans les Epîtres, et n'a
d'autre garant que l'apôtre S. Paul '.
CONSÉQUENCE DES MIRACLES DU SAUVEUR.
227. — Que prouvent les miracles de Notre Seigneur?
Ils prouvent la réalité de sa mission, sa qualité de Messie
et sa divinité, et cela de deux manières, d'une manière in-
directe et d'une manière directe.
L D*une manière indirecte. — Notre Seigneur se donnait
1 Cf. Joan., XII, 10. -*- > Cf. Matth., xxvi, 51; Maro., auv, 47; Lac.,
XXII, 50 et ioan., xvin, 10. — * Supra ^ n. 42. — ^ Joan., xsïi, 25. Ct
Matth., xn, 14-16; xiv, 13, 14, 34-36; xv, 39t-31 ; xix, i, 2; x»i, 14;
Marc, VI, 53-56; Luc, iv, 40; v, 15; vi, 17^19; mu, 30*2:2. — * Des
trente miraeles de Noire Seigneur, quioie sont rapportés par un mv^
évangéiiste : sept par S« Jean, ii, 4, 14; iv, 46; v, 2; sx, 1; xyui, 6; ftU
Sar S. Luc, iv, 30; v, 1; tu, i2; xni, 14; ^iv, 2; xvu, 42; a(Xil»5A;
eux par S. Matthieu, ix, 27; x¥ii, ^6; «9 par S. Marc, Yiii, 22. «*
« I Cor., XV, 6. <i Une citation -dit* plus que cent mnlBsionâ. » B(U»oat-
Îf«f27] SA VIE PUBLIQUE. ^ SES HlftAClES. 363
pour un envoyé de Dieu, pour le Messie et pour le Fils
unique du Père. Or, ces miracles avaient pour but d'attes-
ter la vérité de ses paroles *. S'ils ont eu lieu, si ce sont de
vrais miracles, il faut évidemment reconnaître qu'il possé-
dait ces qualités *. Diderot disait : t Je ne demande pas de
miracle pour croire, mais seulement un bon syllogisme. »
t II ne s'apercevait pas, dit Laharpe, que le miracle est un
syllogisme en action, le meilleur et le plus convaincant de
tous les syllogismes. » On ne trouvera aucun incrédule, au-
cun homme intelligent et refusant de croire au Sauveur,
qui consente à admettre le caractère miraculeux de ses
œuvres '.
II. Ifum manière (Urecte. — Quand Notre Seigneur ne se
fut pas atiriU3uô expressément ces qualités, et qu'il n'eut pas
donné ses miracles comme preuve de sa parole, ses œuvres
parleraient pour lui ; car un certain nombre d'entre elles,
et surtout la manière dont il les opère, ne permettent de
mettre en doute, ni sa mission, ni sa dignité de Messie, ni
même sa divinité. Elles supposent en lui, non un pouvoir dé-
pendant et limité comme celui d'un simple envoyé du Ciel,
mais une puissance propre, absolue et par conséquent di-
vine. Oin disait que nul n'avait jamais parlé comme lui, avec
la môme autorité : qb peut affirmer également que nul n'a
jamais agi avec un tel empire \ Lui-même atteste qu'il fait
des choses que nul homme n'a jamais faites, quœ nemo alius
fecit '. Non seulement il commande à toute créature, aux
flots de la mer % aux démons % aux morts * ; non seulement
il ouvre, à son gré, les yeux de l'esprit comme ceux du
corps ', mais c'est en son nom et par son autorité qu'il com-
faande *®; c'est à sa propre vertu qu'il attribue ses mi-
* Matth., XI, 4*6; Luc, v, 24; xi, 20; Joan., m, 2; v, 36; vi, 14;
vu, 31; X, 25, 38; xi, 42, 48; xx, 30, 31, etc. — » Matth., ix, 8; xv,
30, 31; Luc, vu, 16; ix, 44; Joaa., ii, 23; ix, 32. Cf. IV Reg., v, 7.
— « Joan., IX, 16, â4, 31. S. Thom., 2*-2», q. 178, a. 2. -^ * Joao.,
XXI, 23. — « Joan., xy, 24. ^ « Luc, vui, 24. — "ï Matth., xvii, 17;
Marc, I, 27. — * Joan., xi, 43, etc. — » toc, xxiy, 45. Supra, n. 198.
— »« Matth., II, %; ««Jt 32; Marc, iy, 39; v, 32; ix, 24; Luc, vu, 14;
JSian., n, 8. ^
M iiîsus-dHRiât âÉLoN l'évaNôiLe:* [n«228
racles '. Il dit qu'il se ressuscitera lui-môme •. Il assure
à ses disciples qu'il leur enverra l'Esprit saint, l'Esprit de
vérité , qui procède du Père •. Il leur donne le pouvoir
de faire en son nom les mêmes prodiges que lui, et de plus
étonnants encore *. Aussi jette-t-il dans la stupeur ceux qui
le voient et l'entendent •, et les peuples le proclament-ils en
diverses circonstances plus qu'un homme et plus qu'un pro-
phète •.
228. — Pourquoi tant de Juifs , témoins des nodracles de Notre Seignear,
ne croyaient-ils pas en lui?
La vérité, si claire qu'elle soit, n'entraîne pas nécessaire-
ment l'assentiment de l'intelligence, encore moins la sou-
mission de la volonté. Elle permet à ceux qui y sont résolus
de s'aveugler et de se perdre : Evangelium in iis quipereuni
est opertum''. Les Juifs voyaient les miracles du Sauveur';
ils ne les contestaient pas*; ils ne récusaient pas les té-
moins ; mais ils avaient des préjugés et des passions aux-
quelles ils ne voulaient pas renoncer, et ils attribuaient au
démon ce qu'ils reconnaissaient au-dessus des forces de la
nature *^. Ils fermaient les yeux de leur cœur à la lumière
de la grâce, comme leurs pères avaient fait du temps des
prophètes ^^ comme leurs enfants ont fait du temps des
Apôtres ^S et comme font encore parmi nous tant d'incré-
* Matth., vm, 3; Marc, iv, 10; Luc, vi, 5-10; vin, 46; Joan., v, 21;
XI, 43. Cf. Act., III, 12, 16. — 2 Joan., ii, 19; x, 17. — a Joan., vn, 38;
XIV, 38; XV, 26. Quomodo Deus non est qui dat Spiritum sanctum? Imo
quantus Deus qui dat Deum? S. Aug., de 7m., xv, 26. — ^ Matth., vu,
22, 23; X, 1; Marc, vi, 12; ix, 37; xvi, 17; Joan., xiv, 12; Act., m, 6;
IV, 9, lU. Hoc Deo qui parum putat, quid plus exspectet ignore. S. Aug.f
Epist. cxxxvii, 13. — * Matth., xii, 23; Marc, vi, 51; Luc, ix, 44. —
6 Matth., xiv, 33; Luc, vin, 25; Joan., vu, 31. Cf. S. Thom., p. 3, q. 43,
a. 4; Massillon, Set^m, pour la Circonc.y 1" p. — "^ I Cor., iv, 3. InfiHy
n. 455, note 637. — > Joan., vu, 31 ; xi, 47. — ' Matth., xxvii, 42; Joan.,
XI, 47; Act., u, 22 ; iv, 16. Hœc operatum esse Christum nec vos diffite-
mini, leur dit TertuUien, Adv. Jud., ix. — ^^ Matth., xiu, 24. Celse et
Julien TApostat faisaient comme les Juifs. Orig., Cont, Ceis,, i, 6, 36, 68;
m, 23 ; viii,9; S. CyriU, Alex., Cont. JuL^ vi, 10; Euseb., Prgp. evang-y
v, 10. -r ** Matth., xxni, 37; Joan., v, 37, 46. Cf. Orig., Cont Gels,, n,
74, 75. — " Act., IV, 16, 17 ; vu, 51, 52. Cf. S. Epiph., £fere»., xxx, 9.
N<> 229] SA VIE PUBLIQUE. — SES MIRAGLES. 365
dttles et d'athées. On conçoit donc Tincrédulité du grand
nombre S incrédulité prédite, d'ailleurs, et par conséquent
plus propre à affermir qu'à ébranler notre foi *. Mais ce qui
ne s'expliquera jamais sans une vue claire de la vérité, sans
une conviction sincère et profonde, c'est la conversion de
tant d'âmes droites, intelligentes, vertueuses, qui ont cru
au Sauveur, malgré l'intérêt qu'elles avaient à ne pas croire,
qni ont fait de leur foi la règle de leur conduite, qui ont
donné leur vie pour la servir et la propager, et qui se sont
laissé égorger plutôt que d'y renoncer '.
229. — Pourquoi le Sauveur refuse-t-il de faire des signes dans le
ciel *, et dit-il aux Juifs qu'il ne leur en donnera pas d'autre que
celui de sa résurrection, Matth., xyi, 1-4?
I. S'il refuse de faire les miracles qu'on lui demande,
c'est que les Juifs les demandaient sans raison, qu'ils étaient
disposés à n'en pas tenir plus de compte que des autres, et
qa'il ne voulait rien faire qui sentit l'ostentation ou qui
flattât la curiosité.
IL II ne veut pas dire qu'il ne fera pas d'autre miracle
que celui de sortir du tombeau, mais il fait entendre qu'il
leur donnera ce prodige à la place de ceux qu'ils lui deman-
dent. C'est comme s'il avait dit : c Ils comptent pour rien
les miracles que j'opère chaque jour; ils en veulent de plus
merveilleux pour se convaincre : ils n'en auront qu'un, mais
qui ne leur laissera rien à désirer; celui de Jonas, que je
renouvellerai sous leurs yeux •. t On peut remarquer, en
effet, que ce miracle de sa résurrection, le plus prodigieux
et le plus décisif de tous, eut pour unique fin de démontrer
la divinité de sa mission. Le Sauveur ne l'a pas fait, comme
les autres, pour consoler des affligés ou soulager des in-
* Joan., III, 16, 19-21 ; Act., xxvni, 25. Infra, n. 452, 660. — « Videntes
videbitis et non perspicietis, etc. Isai., vi, 9. Rapporté six fois dans le
Nouveau Testament. — « Act., ii, 4; m, 5; viii, 7; xxi, 20; xxvi, 9-20;
Tit., m, 3-7. Infra, n. 506. — * Cf. Isai., vu. 11. — * Parole étonnante,
où Jésus-Christ est prophétisé et prophète à la fois, et dont la divinité
ne peut être contestée. Il fallait l'Esprit de Dieu pour entendre la figure,
sa science pour en prédire la réalisation et sa puissance pour Taccomplir.
366 JÉSUS-GHRIST SELON l'ÉVANGILE. [É^W
firmes : il Ta fait uni^quement pour convaiiicre la natioû
juive et ne laisser aucune excuse à son incrédulité. C'est
sous cet aspect qu'il te propose dans S. Matthieu S im
S- Luc * «l dans S. lean ^. Aussi est-ce celui que les Apôtres
allèguent toujours comme la raison de leur croyance et le
sceau de leur enseignement. C'est sur cette base qu'ils foBt
reposer tout l'édifice de la foi *.
Notre Seigneur n'a pas répondu d'une autre manière au
défi qu'on lui faisait de prouver sa divinité en descends&t
de sa croix • :
Plus fecit; ecce mortaus
Se reddit ipse lumini :
Deo satum }am crédite ^.
230, » Pourquoi le Sauveur fait-il ainsi ses miracles de préférence
le jour du sabbat?
Il choisit le jour du sabbat pour deux raisons surtout :
1® Afin de réagir contre les préjugés des Juifs et de les
préparer à l'abrogation des pratiques cérémonielles, à h
translation du sabbat en particulier \ Chaque miracle opéré
dans ce jour leur fait sentir que le rigorisme dé leurs Doc-
teurs est une exagération, que l'honneur de Dieu et la loi de
la charité doivent l'emporter sur la loi du repos qui est pu-
rement positive •.
2* Afin qu'on soit plus attentif aux prodiges qu'il opère
et aux instructions dont il les accompagne. Ce jour-là le
peuple avait toute liberté pour s'occuper de pensées reli-
gieuses. Il se réunissait par groupes autour des synagogues,
et rien ne le distrayait des discours ou des faits qui pou-
vaient l'intéresser ^ Quelle que fût la modestie du Sauveur,
dit S. Chrysostome, il ne laissait pas de prendre ses me-
1 Matth., XII, 39; xvi, 4. — « Luc, xi, 29. — 3 Joan., ii, 19. — ♦ Act,
II, 24, 31 ; IV, 33; x, 40; xiii, 30; xvii, 31; xxv, 19; Rom., iv, 25; vin,
34; XIV, 9; I Cor., xv, 4, 12; II Tim., ii, 8. Cf. Bourdaloue, Carême; sur
Generatio ista aignum quxrit. Cf. Luc, xvi, 31. Infra, n.711. — *S. Aug.>
Serm. clviii, 6. — « Le Tourneux, Hymn. pose, — "^ Matth., xii, 11, lî-
— 8 Luc, VI, 7; xm, 14. Ils portaient à 39 le nombre des travaux in-
terdits le jour du sabbat. — » Joan., v, 16; ix, 14 ; xviii, 20.
N<>231] SA VIE PUBLIQUE. — SES MIRACLES. 367
sures pour que ses miracles se restassent pas inaperças, et
qu'ils ne pussent être révoqués en doute, t Après avoir
multiplié les pains, il a soin de dire qu'on recueille les
restes, afin qu'on les compare aux provisions qu'on avait
d'abord. Quahd il a guéri le lépreux, il l'wivoie se montrer
au prêtre. Quand il a changé l'eau en vin, il en fait porter
à celui qui préside au festin, et lorsqu'il a rappelé à la vie
la fille de Jaïre, il ordonne aux parents de lui donner à
manger*. » C'est pour le même motif qu'il dit au paralytique
de prendre son lit et de l'emporter •.
* 231. — Faut-il prendre à la lettre ce que saint Marc dit de Notre
Seigneur et de ses dispositions à Tégard de ses ennemis : Circumspi-
ciens 3 eos cum ira, contristatus super cspcitate cordis eorutn, m, 5?
Ce sentiment que l'Evangéliste attribue au Sauveur par
rapport à ses ennemis n'a rien que de juste et de louable.
Mais pour en voir la raison, il faut distinguer, avec S. Tho-
mas *, les divers sens du mot ira dans l'Ecriture. — !• Quel-
quefois ce mot est pris dans un sens objectif. Il signifie, non
une disposition intérieure de l'esprit, mais un mal exté-
rieur, une peine, un châtiment. C'est ainsi qu'il faut l'en-
tendre toutes les fois qu'il est question de la colère de Dieu,
Dieu n'étant pas sujet comme nous à l'émotion, à la pas-
sion •. — 2° Le plus souvent il exprime un mouvement de
l'appétit sensitif, qui prévient la raison, qui trouble l'esprit
et qui porte la volonté, soit à se venger d'un tort dont on
est victime, soit à se réjouir du châtiment infligé au cou-
pable. Telle est la colère à laquelle nous sommes enclins,
^j|«>ç : il faut tâcher de s'en défendre; car un pareil mouve-
ment est toujours imparfait et dangereux, souvent désor-
donné et répréhensible^. — 3* Ce mot signifie aussi quel-
quefois un sentiment très juste et très louable, une indi-
* s. Chrys., In /oon., Hom. xxxvn, 1. — * KpaéaTOCi Joan., v, 8, grabat,
couchette portative, tapis ou simple natte. — ^ Remarque souvent faite
par S. Marc, m, 5, 34; v, 32; ix, 7; x, 23; xi, 11. — * S. Thom., p. 3,
q. 15, a. 9. — ^ Cum tranquilitate judicat. Sap., xii, 18. Cf. Luc, xxi, 23;
Jean., ui, 36; Rom., iv, 15; Eph., iv, 26; Apoc, xi, 18; Lactant., De ira
Dei. — « Cf. Luc, iv, 28; CoL, m, 8; Tit., i, 7; Jac, i, 19, 20.
368 JÉSUS-GHRIST SELON l'évangile. [n» 233
gnation réfléchie, calme désintéressée, à l'égard d'un acte
mauvais ou d'une disposition vicieuse qui demande à être
réprimée. C'est en ce sens, et en ce sens seulement, que le
mot ira^ opyiQ, peut être appliqué au sentiment de Notre
Seigneur; car il n'avait rien de déréglé, ni d'involontaire,
ni d'irréfléchi ^ .
§ III. — Prophéties.
I. Ses lumières prophétiques et ses principales prédictions.
232. — D'où vient ce nom de prophète, donné quelquefois à Notre
Seigneur?
Ce nom est donné au Messie dans l'Ancien Testament *. Il
a été souvent attribué à Notre Seigneur dans le Nouveau •.
Les peuples voyaient qu'il exerçait toutes les fonctions et
qu'il possédait toutes les qualités que ce titre suppose. On
l'entendait, comme les anciens prophètes, parler au nom de
Dieu, avertir, réformer, menacer, prédire, révéler.
Dans quelques endroits du saint Evangile, le Sauveur est
appelé le prophète par excellence, 6 xpojpifirr.ç, c'est-à-dire le
Messie, celui qui est attendu sous ce nom, qui doit restau-
rer le culte de Dieu, établir une nouvelle alliance entre le
Seigneur et son peuple, mettre la dernière main à la lé-
gislation et porter à son comble la puissance et la gloire
d'Israël ♦.
233. — Est- ce qu'on attribuait communément au Sauveur la connaissance
des choses cachées au commun des hommes?
On était persuadé que rien de ce que le Sauveur avait
intérêt à connaître, soit dans le présent, soit dans l'avenir,
n'échappait à son regard, et S. Jean m fait souvent la re-
marque *.
i Cf. Joan., vin, 29; xi, 33.-2 Deut., xvin, 15-19; Isai., xxx, 20;
I Mac, IV, 46; xiv, 41. — » Matth., xiii, 57; xvi, 14; xxi, 11, 46; Luc,
VII, 16; XXIV, 19; Joan., iv, 19; vi, 14; vu, 40; ix, 17. — * Matth., xi, 9;
XXI, 11; Joan., i, 20; m, 8; vi, 14, etc. — * Joan., xviii, 4; xxf, 17,
18, etc. C'est S. Jean surtout qui avait été frappé des lumières sornatu-
relles du Sauveur. Il ne* néglige aucune occasion de les faire remarquer
N* 2341 SA VIE PUBLIQUE. — SES PROPHÉTIES. 369
I. Il a souvent montré qu'il voyait les choses les plus se-
crètes : — 1* les pensées * ; — 2* les sentiments et les des-
seins*; — 3" les faits les moins faciles à connaître •.
IL II a fait voir également qu'il connaissait l'avenir. Ja-
mais il n'hésite sur la conduite qu'il doit tenir *, ni ne se
montre inquiet sur ce qui peut arriver •. Dès le début de sa
prédication, il sait ce qu'il doit faire et comment il doit
finir; il a dans l'esprit le plan de son œuvre; il en connaît
la destinée*. Lorsqu'il choisit ses Apôtres, il dit à quoi
ils lui serviront, quels obstacles ils auront à surmonter,
quel sera le fruit de leurs travaux. La première fois qu'il
voit S. Pierre, il lui annonce ce qu'il deviendra. Il est con-
vaincu que le monde entier recueillera sa parole et que son
règne s'établira sur la terre pour ne pas finir : aussi parle-
t-il constamment pour toute l'humanité, comme ayant de-
vant lui les peuples de tous les lieux et de tous les temps.
Enfin, dans un grand nombre d'occasions, il prédit d'une
manière précise une multitude de choses qu'il ne pouvait
connaître naturellement, ce qui lui devait arriver, le sort de
ses disciples, celui de ses ennemis ; et il fait ses prédictions
comme il opère ses miracles, de la manière la plus simple,
sans témoigner la moindre émotion ni sortir de sa disposi-
tion habituelle.
234. — Qu'est-ce que le Sauveur a prédit par rapport h lui-même?
Le Sauveur a prédit un grand nombre de faits relatifs à sa
personne :
!• La durée et la fin de son ministère "^ : — 2*^ Sa Passion,
et d'en témoigner son admiration. Cf. III Reg., viii, 39; I Par., xxviu, 9;
II Par., VI, 30; Job., xui, 2; Ps. vu, 10; cxxxyui, 3; Act., xv, 8.
1 Matth., IX, 3, 4; xn, 24, 25; xvi, 7, 8; Marc, ii, 8; Luc, vi, 8; vu,
39, 40; XI, 17. Cf. Sap., ii, 14. — * Matth., xxii, 18; xxvi, 10; Luc, v,
21,22; IX, 46, 47; xx, 22; Joan., ii, 24; vi, 65, 66; vii, 20; xiii, 11;
XVI, 19. — 3 Matth., XI, 21-23; Joan., i, 42, 47, 48; ii, 24, 25; iv,
18, 29, 30; vi, 15, 65, 68, 71; vu, 20, 21; xi, 11, 13; xiii, 1, 11, 18;
XVI, 32; XIX, 28, etc — * Joan., vi, 6. — * Luc, xiii, 32, 33; Joan.,
xvin, 4. — 8 Joan., vni, 14. — ^ Luc, xin, 32, 33; Joan., xi, 9;
XYi, 32.
21.
370 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n« 233
le temps, le lieu, les circonstances principales *. Noii con-
tent de faire une fois ces prédictions, il les réitère, il les
précise à mesure que le temps de leur accomplissement ap-
proche, et il donne la raison de cette conduite *. — 3* L'aban-
don de ses disciples •. — 4** Son crucifiement *. — 5« Sa ré-
surrection •. — 6" Son Ascension •.
235. — Qu'a-t-il annoncé relativement à l'Eglise?
Relativement à l'Eglise, Jésus-Christ a prédit :
l*» Qu'elle reposera sur Pierre et que rien ne l'ébranlera'.
— 2« Qu'elle recevra le Saint-Esprit avec tous ses dons *. --
3** Qu'il sera toujours avec elle et au milieu d'elle, afin de
la soutenir*. — 4* Qu'elle se propagera par toute la terre".
— 5** Qu'elle aura de grandes persécutions à stibir ". —
6* Qu'elle sera composée de membres de dived^'ses qualités
et de diverses valeurs ". — 7* Qu'elle c<*oîtra comme le
sénevé **, et qu'elle se dilatera comme le levain **. —
8* Qu'elle sera indestructible, c'est-à-dire que jamais la cité
du monde dont le démon est le chef, jamais les persécu-
tions des tyrans et les artifices des politiques, jamais les
1 Matth., XVI, 21 ; xvii, 12; xx, 17-19, 28; xxvi, 2, 23, 28, 45; Marc.,
IX, 11; X, 32-34, 38; xiv, 24, 25, 41; Luc, ix, 22; xviii, 31-33; xx, 9;
XXII, 15; XXIV, 7; Joan., ii, 19; m, 14; vm, 28; xii, 32, 33, etc. Cf.
Dicti07in, de myst, chréL^ Mort, Prédiction, Révélation, Prophétie. —
2 Ut cum factum fuerit, credatis. Joan., xiv, 29. Cf. xiii, 19; «vi, 4.
S. Aug., In Joan.^ lxxix, 1. — 3 Matth., xxvi, 31, 56; Marc, xiv, 27;
Joan., XVI, 32. — * Matth., x, 38; xvi, 24; xx, 18, 19; xxvi, 2; Marc,
VIII, 34; X, 33, 34; Luc, ix, 22, 23; xf?, 27; Joan., m, 14; viii, 28; x,
11, 18; xii, 32-34. - « Matth., xii, 39, 40; xvi, 17, 21; xvii, 9, 21^ 22;
xx, 18, 19, 23; xxvi, 32; xxvii, 62-64; Marc, viii, 31; x, 34; xiv, 28;
Luc, IX, 22; xi, 30; xviii, 33; xxiv, 7 ; Joan., ii, 19-22. Rapprochez de
ces textes l'allégation de M. Renan : « Jé'sQS n'avait jamais dit bien
clairement qu'il ressusciterait en sa chair. » Les Apâtres, — ^ Matth.,
XVI, 28; XXIV, 30; xxvi, 64; Joan., m, 13; vi, 63; xiv, 3, 38; xvi, 16;
XX, 17. Infra, n. 455. — ' Matth., xvi, 16-18. — « Luc, xxiv, 49; Joan.,
XIV, 16-18; XV, 26; xvi, 7-15; Act., i, 8. Cf Joël., ii, 28; Zac, xn, 10.
— 9 Matth., XXVIII, 20. — lo Matth., xxiv, 14; Marc, xiii, 10; Luc.»
XXIV, 47; Joan., xii, 25. — " Matth., x, 21: xxiv, 9; Marc, xm, 9;
Joan., XVI, 2. — " Matth., xiii, 24-30, 47. — i» Matth., xiii, 31, 32; Luc,
XII, 32; xin, 19; Joan., xu, 24, 25. — ** Matth., xm, 33; Marc^ xvi, 15;
Luc, xin^ 21 ; xxiv, 47,
»» 237] SA VIE PUBLIQUE. — SES PROPHÉTIES. 371
schismes et les hérésies qui sont les portes de Tenfer, ne
prévaudront contre elle *.
Par rapport à ces prophéties, il convient de remarquer :
-- 1" leur authenticité incontestable;-— 2* leur étrangeté et
leur invraisemblance au moment où elles furent émises ; ■—
3* la confiance inébranlable des chrétiens dans leur accom-
plissement futur *; — 4^ leur réalisation manifeste.
236. — Jésus-Christ ayait-il prédit la conversion des peuples
infidèles?
Jésus-Christ avait prédit de deux manières la conversion
des Gentils : — 1* D'une manière plus ou moins voilée,
dans ses paraboles, en particulier dans celles des deux fils*,
du prodigue *, des vignerons homicides •, du grain de sé-
nevé*; — 2° D'une manière expresse et parfaitement claire
dans plusieurs de ses discours ''.
On peut rapprocher ces prédictions du divin Maître de
celles de l'Ancien Testament sur le môme sujet •, et des
écrits des Pères qui montrent l'accomplissement des unes
et des autres*. S. Augustin ne se lasse pas de faire admirer
la sagesse et la puissance de Dieu, soit dans la prédiction de
ce grand fait, soit dans la réalisation de la prophétie.
ÎSl. — Quelles prédictions a-t-il faites sur ses disciples, en général
et en patrticulier?
!• A ses disciples en général, le Sauveur a prédit les
i Matth., XVI, 18; kxviii, 20. — « Orig., Cùnt Cels.j vni, 68, 70. —
» Matth., XXI, «8. — ♦ Luc, xv, 11-32. — » Luc* xx, 9-19. — « Matth ,
xm, 31, 32. — ■» Matth., viii, 10, 11; xn, 17-21; xxi, 41; xxii, 2-10;
xxiY, 14; xxvm, 19, 20; Luc, xin, 29; xiv, 16-24; xxiv, 47; Joan., iv,
21-23, 34-38; xii, 20, 31, 32; Act., i, 8. — » Ps. xxi, 28; lxxi, 8, 11, 17;
xcni, 3, 4; Is., ii, 2; xii, 4, 5; xvn, 7, 8; xxy^SS, 34; xlix, 6; ui, 14;
Liv, 1; Lv, 4, 5; lix, 19; lx; lxv, 1; lxvi, 7-22; 1er., xvi, 10-21; Dan.,
vu, 13, 14, 23; Sophon., m, 9, 10; Mal., i, iO, etc. — » Hoc praedixit
Moyses, hoc ProphetsB et alia multa millia. Quis numerat testlmonia?
Qq» pagina non hoc sonat? Quis yersus non hoc loquitur? Non sunt
tôt hereses contra Eoclesiam quot sunt testimonia legis pro Ecclesia.
S. Aug., In Ps, GXi^yn, 16. Cf. De civ, Dei., xyiii, 27-35; Cont Faust.,
xxn, 44; Epist, ggxxxii, 3, 4; dç Fide rerum quég non videntur, 6;
S. Athan,, De lm,y etc.
372 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [fi^ 238
grâces du Saint-Esprit de la part de son Père S les épreuves
et les persécutions de la part du monde *.
2» A ses apôtres, leur dispersion pendant sa passion et
leur réunion peu de temps après • ; — les dons qu'ils rece-
vraient du ciel : le don de convertir ♦; le don des miracles •;
le don des langues •; le don d'inspiration'; des lumières
surnaturelles • ; — de grandes luttes et de grandes souf-
frances •; — de grands succès *®.
3** A saint Pierre, son apostolat**; — la fonction qu'il
remplira dans l'Eglise**; — sa chute et sa conversion "; —
son martyre ** ; — la pèche du didrachme ".
4* A sainte Madeleine, les hommages qu'on lui rendra
dans le monde entier *®.
8* Aux disciples qu'il envoie devant lui à Bethphagé, ce
qui leur arrivera dans ce bourg*''.
6* A ceux qu'il charge de préparer la Cène, l'accueil qui
leur sera fait **.
238. — Qtt'a-t-il prédit sur ses ennemis?
Le Sauveur a fait un grand nombre de prédictions rela-
tives à ses ennemis.
1" Sur Judas; il a prédit sa trahison *• et son châtiment".
2» Sur les Juifs : — qu'ils seront supplantés par les
Gentils **; — qu'ils persécuteront les ouvriers évangé-
i Joan., VII, 38, 39. — « Matth., xxir, 9-13; Marc, iv, 17; x, 39; Luc,
XI, 49; XII, 1-11; xxi, 12, 13; Joan., xv, 20, 21; xv, 2, 4. — > Matth.,
XXVI, 3t ; Joan., xvi, 32. — * Matth., iv, 18-20; Marc., i, 17; Luc,
XXIV, 49; Joan., xv, 16; Act., i, 8. — » Matth., x, 1, 8; xvii, 19, 20;
Marc, XVI, 17; Luc, x, 19; Joan., xiv, 12. — « Marc, xiri, 17.—
1 Matth., X, 19; Luc, xxi, 14, 15. — « Joan., xiv, 26; xvi, 13. — » Matth.,
X, 16-19, 23, 28, 32, 34; xxiv, 9; Marc, xni, 9; Joan., xvi, 20.-
10 Matth., XIX, 28; Luc, xii, 32; Joan., xii, 31 ; xv, 16; xvi, 21; Act.,
i, 8. — " Luc, V, 10. — lâ Matth., xvi, 17; Joan., i, 42-44. — » Blatth.,
XXVI, 34; Marc, xrv, 30; Luc, xxii, 32-34. — ** Joan., xiii, 36; xxi,
18, 19. — « Matth., XVII, 26. — i* Matth., xxvi, 13; Marc, xnr, 9. -
17 Matth., XXI, 13; Marc, xi, 2; Luc, xix, 30. — *« Matth., xxvi, 18;
Marc, XIV, 13-16; Luc, xxii, 10-13, etc. — *» Matth., xxvi, 21-25, 46;
Marc, XIV, 18-21; Luc, xxii, 21-23; Joan., vi, 71, 72; xiii, 10, 18, 21,
26, 27. — 80 Matth., xxvi, 24; Marc, xiv, 21. — ai Matth., viii, 11,12;
XXI, 28-43; Marc., xii, 1-12; Luc, xu, 28, 29; xiv, 16-«4; xx, 9-19.
11° 239] SA VIE PUBLIQUE. — SES PROPHÉTIE». 373
liqnes'; — qu'ils seront réprouvés de Dieu '; qu'ils com-
BteDceront dés ce moment à subir les châtiments les ptas
terribles '.
3* Sur les faux Messies, leur nombre, leurs prodiges et
leurs succès ',
4* Sur Gapharnaflm, ses revers et sa disparition '.
5° Sur Jérusalem : sa ruine '; — les signes qui précéde-
ront cet événement ' ; — la raison de cette ruine *.
Cette dernière prédiction est, avec celle de la conversion
des Gentils, la plus étonnante et la pins certaine de toutes
celles du Sauveur.
n. Sa prédiction de la ruine de iinuakm et dum autre ruine
plut grande encore.
La majeure partie de cette prophétie a évidemment pour
objet la ruine de Jérusalem ; mais une partie aussi, la der-
nière au moins, se rapporte à la fin du monde. On peut re-
garder ces deux points comme généralement admis. La
question qu'agitent les interprètes et qui les divise est celle-
' Mï(th.,™ii, 34-39.— * Matth., XIII, 12-15; XXI, 44; Luc, xm.S.-
'MMih., ixm, 38 ; xxiv, 1-21; Luc. su, 5-24; xKiLi, 88-31. — «Matth.,
ixiv, 5, 23, 24; Josn., v, 43.— > Mattb., ii, 23; Luc , x, 15. — "Matth.,
ixiii, S7, 38; iiiv, 15-81; Marc, ira, 14-23; Luc. xiii, 34, 35; ixi,
»-24; xxiii, 28-30. — ' Malth., xxiv, 5-H ; Luc. ixi. 10-22. — » Mattb.,
mu, 35, 37 ; Luc, xiii, ^; iii, 42, 44. — « Tèw de Vespasien, laurée
(89-19). iDsciiption : Imperalor Criar Vespaiianut, triàunilid polellate,
Comul lerlium. Revers : Palmier, au pied duquel est assise la Judée
ïaincoe : Devicta Jvdma. La Victoire écrit snr an Iwuclier 8. P. Q. R.,
•mofut popidutque romanut. Pour eiergue 3. C. Senatus contulfo.
374 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉYANGILE. [H^W
ci : Les prédictions qui ont rapport à la ruine de Jérusalem
et celles qui concernent la fin du monde sont-elles bien dis-
tinctes les unes des autres? ou bien Notre Seigneur a-t-ileu
en vue ces deux événements à la fois et parlé simultané-
ment de Tun et de l'autre, soit que ces paroles aient un
double sens littéral, soit qu'elles aient en même temps on
sens littéral et un sens spirituel?
1* D'après un certain nombre d'interprètes, les prophé-
ties relatives à Jérusalem et celles qui concernent la fin du
monde, au lieu d'être séparées et de venir Tune après l'autre,
comme on serait porté à le croire, sont mêlées ensemble :
de sorte que certains traits s'appliquent à l'un et à l'autre
de ces faits, d'autres à un seul, d'autres à l'un des deui
principalement et secondairement à l'autre. Ces interprètes
invoquent en leur faveur S. Jérôme * et S. Augustin *, et ils
donnent pour raison Tusage des prophètes et la nature spé-
ciale des lumières prophétiques.
2* Suivant le plus grand nombre, Jésus-Christ a parlé sé-
parément, successivement, dans le sens littéral, de la ruine
de Jérusalem et de la fin du monde ; et l'on peut discerner
ces deux parties de son discours. Les Apétres, disent-ils,
avaient, suivant S. Matthieu •, demandé à leur Maître deux
choses : quand le temple serait détruit et quels seraient les
signes de son avènement *. Le Sauveur répond d'abord à la
première question *, puis à la seconde •. Cette seconde par-
tie, relative à la fin du monde, est très courte dans S. Luc,
parce que cet évangéliste, rapportant ailleurs ' la question
des Apôtres à cet égard, y place aussi tout ce que Notre Sei-
gneur a dit sur ce sujet.
Quelques-uns, sans beaucoup s'éloigner des précédents,
croient qu'on doit distinguer trois choses dans la question
des Apôtres et dans la réponse du divin Maître : la ruine de
Jérusalem et du temple, hœc^, son avènement et son
> s. Hieron., In Matth.^ xxiv. ^- > S. Attg., Epùt, oxcax, 22, etc. —
8 Matth., XXIV, 3. — * Cf. Dan., ix, 26. — « Matth.. xxiv, 4-22 oa 28,
et Luc, XXI, 5-24. — 6 Matth., xxiv, 13 ou 29-42 et Luc, xxi, 25-36. —
■ï Luc, XVII, 20. — 8 Matth., xxiv, 4-2S.
I«r<> 2iO] SA VIE PUBLIQUE. — SES PROPHÉTIES. 375
triomphe sur la terre : adventm S et la fin du monde : con-
mmmatio *.
A quelque sentiment qu'on s'attache, il importe d'obser-
ver que la ruine de Jérusalem a été, comme celle de Rome ',
la figure de la fin du monde et du jugement universel ; que
par conséquent les prédictions qui s'appliquent littérale-
ment aux deux premiers faits ont un sens spirituel qui se
rapporte à ce dernier événement *.
2^. — Dans qaellos circonstances eut lien cette prédiction ?
I. Cette prédiction eut lieu quelques jours avant la pas-
sion, au moment oti les Juifs allaient rompre définitivement
avec le Seigneur, en mettant à mort le Messie qui leur avait
donné, et en demandant que son sang retombât sur leurs
têtes. Jésus-Christ venait de sortir du temple pour n'y plus
rentrer •. Il était hors de la ville, sur le sommet des Oli-
viers, la face tournée vers le Saint des saints •. Un instant
auparavant, il disait aux Juifs : Relinq%tetur vobis domvs
mtra déserta "', appelant leur maison, et non plus celle de
son Père, cet édifice dont ils faisaient une caverne de vo-
leurs*. Maintenant il ajoute, en parlant à ses Apétres : non
relinqtietur lapis super lapidem^, leur laissant à conclure
que la prophétie de Daniel relative au Christ *® allait s'ac-
complir entièrement, et qu'à la place du temple ancien, al-
lait s'établir bientôt un autre temple, un temple spirituel
et indestructible, fait par une autre main que celle de
l'homme ", où son Père serait adoré comme il voulait
l'être ".
II. Au moment où le divin Maître faisait cette prédiction,
sa parole pouvait seule lui donner quelque vraisemblance.
Jérusalem, la cité depaix^ n'avait jamais été plus tranquille
« Matth., XXIV, 29-34. — » Matth., xxiv, 35-24. — » Apoc, xvii, 18.
— ♦ Cf. II Reg., VII, 14; Heb., i, 5. — » Matth., xxiv, 1. — » Marc,
zm, 3. — "^ Matth., xxiiit 38; Luc, xiii, 35. Cf. Ps. lxix, 25; ioan.,
vra, 17; X, 34. -- 8 Cf. Jer., vu, 4. — » Matth., xxiv, 2. — »o Dan.,
.IX, 24. — li Âx8iponoiif)Tov, II Cor., v, 1; Heb., ix, 11. Cf. Act., vn, 48;
xvm,24. — *» Jean., ii, 19; iv, 21-24.
376 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [N<> 241
et plus florissante. Pline l'appelle : longe clarissimam urbium
OrientisK Comme le reste du monde, elle s'accoutumait à
la domination des Romains. Ceux-ci avaient intérêt à en
garder la possession, par conséquent à la défendre et à la
maintenir en paix. Ils avaient des égards pour son culte et
pour ses mœurs •. Qui pouvait prévoir que ses habitants
seraient assez aveugles pour entreprendre si tôt une lutte à
mort contre l'empire des Césars '? Qui eût pu croire que
l'armée romaine n'aurait d'autre moyen de la réduire que
d'en égorger tous les habitants et de détruire de fond en
comble ce temple qui semblait bâti pour l'éternité*? C'est
ce que prédit le Sauveur; et c'est ce que virent de leurs
yeux plusieurs de ceux qui entendirent sa prophétie. Aussi
Origéne la cite-t-il comme la preuve la plus frappante de la
mission divine de Jésus-Christ*. Dieu seul pouvait l'inspirer
et Dieu seul a pu l'accomplir •.
241. — Est-il bien certain que la prédiction du Sauveur sur Jérusalem
n*a pas été supposée après Tévénement?
Les rationalistes sont forcés de soutenir qu'elle a été
supposée ; et c'est sur cette prétention même ou plutôt sur
l'impossibilité intrinsèque de la prédiction qu'ils s'appuient
principalement pour nier l'authenticité ou l'intégrité des
évangiles synoptiques ''. Mais il y a là de leur part une pé-
tition de principe, et môme une contradiction : pétition de
principe, car l'impossibilité de la prédiction est une asser-
tion gratuite, tenue pour fausse par tous ceux qui n'admet-
tent pas leur système; une contradiction, parce que toutes
les prédictions sont de même nature, et que bon gré mal
gré, ils ne peuvent s'empêcher d'admettre eux-mêmes des
prédictions véritables, des prédictions précises d'événe-
1 Plin., H. JV., V, 15. Tacite, fl., V, ii; Joseph., B., V, iv; VI, ix;
A.y XV, XI. — 8 Joseph., A,, XX, v, 6; B., ii, 12; iv, 3, 10. — » Qnod
maxime eos ad bellum excitavit vaticinium fuit ambigaum in sacris
libris repertum , illis circiter temporibus quemdam ex eorum finibns
profectum orbis terrarum imperio potiturum. Joseph., il., VI, v, 4. Cf.
Euseb., H,, m, 8. — * Joseph., A,, XV, xiv. — » Orig., Cont, Cels.^ ii, 13.
— « Joseph., B., VI, IX, 1. — 1 M. Renan, Evang., p. 122.
N<^241] SA VIE PUBLIQUE. — SES PROPHÉTIES. 377
ments lointains, réalisées par l'événement, par exemple
celle de Daniel, toute semblable à celle du Sauveur S celles
de l'évangile sur les persécutions, sur la conversion des
peuples, sur le triomphe de l'Eglise, sur sa durée, sur sa
résistance inébranlable aux assauts de l'enfer, celle de l'Apo-
calypse sur la ruine de l'empire idolâtre et persécuteur, etc.
D'ailleurs, il est facile de montrer que la prédiction de la
raine de Jérusalem est antérieure à l'événement. Outre les
preuves générales et absolument certaines que nous avons
données de l'authenticité, de l'intégrité et de la date approxi-
mative de nos évangiles, nous avons, en faveur de cette pro-
phétie, des garanties spéciales et des raisons péremptoires.
I. Il est impossible qu'on Tait glissée furtivement, sans
qu'on s'en aperçut, dans le texte évangélique ; et cela pour
trois raisons :
{0 A cause de l'étendue de la prédiction. Il ne s'agit pas
de quelques mots, plus ou moins explicites, sur un sujet
d'une importance secondaire : il s'agit de longs passages, de
chapitres entiers, très nets et très précis, de nature à préoc-
cuper vivement tous les esprits.
2o A cause de sa présence et de son identité dans les trois
Synoptiques. Dans un seul évangile, une telle interpolation,
faite à l'insu de tous ou d'un consentement unanime, est
une hypothèse inadmissible : combien plus trois interpola-
tions semblables, d'une longueur à peu près égale, dans
trois évangiles différents !
3"* A cause des nombreuses allusions qui y sont faites
dans nos Livres saints. Le fond de la prédiction se trouve,
avons-nous dit, dans Daniel'. Il se trouve aussi dans le
^ Matth., xxiY, 15. — 3 Dan., ix, 26 ^ Zl. « La prophétie de Daniel
est de 169 ou 170, dit M. Renan. Que deviennent les 70 semaines de
Daniel? » !•<' Nov. 1882. En disant que les paroles de Daniel sont anté-
rieures de 170 ans à Notre Seigneur, on en constate le caractère pro-
phétique. » Cette prédiction est aussi inexplicable humainement dans
UQ écrit du temps d'Antiochus Epiphane que dans un livre contemporain
de Nabuchodonosor. Pour en annuler la valeur, il faudrait prouver que
les prophéties de Daniel sont Tœuvre d*un chrétien. Et c'est ce que
personne ne pourrait même tenter. » Fr. Leoormant, 1875. Qu'on veuille
378 JÉSUS-GHRIST SELON L'ÉVANGILB. [»<> 241
Deutéronome *, dans le Psautier* et dans divers prophètes '.
Hais on l'aperçoit bien plus clairement dans un grand
nombre de passages des évangiles; par exemple dans les
paroles du Sauveur aux femmes de Jérusalem S dans celles
qu'il a prononcées sur cette ville infidèle ' et sur le figuier
stérile*, dans son entretien avec la Samaritaine', dans ses
paraboles sur le royaume de Dieu *, dans celles des vigne-
rons homicides •, des invitations refusées *°, de Tarbre in-
fructueux ", des sujets révoltés ", enfin dans tous les en-
droits où il est question du rétour prodiain du Seigneur ".
On en voit des traces jusque dans les Epitres de S. Paul,
dans celles même que les rationalistes regardent comme les
plus authentiques **, dans celle aux Hébreux, dont ils con-
testent l'auteur sans en pouvoir contester la date ", et peut-
être est-ce la raison d'une tradition qui attribue à cet
Apôtre, aussi bien qu'à S. Pierre, des prédictions très pré-
cises sur la ruine de Jérusalem ^^.
II. Si cette prophétie avait été supposée après l'événe-
ment, elle n'offrirait pas de difficultés, et c'est dans les
derniers évangiles qu'on la trouverait. Or :
!• Si elle est claire et frappante en beaucoup d'endroits,
elle est vague et ambiguë en d'autres. Aux traits qui s'ap-
pliquent à Jérusalem, s'en mêlent d'autres qui semblent se
bien peser, en effet, ces paroles de Josèphe : « Daniel, le phis grand des
prophètes, fut durant sa vie considéré des rois et honoré des peuples,
et il a laissé après sa mort un monument qui ne périra Jamais. Notre
nation lit encore aujourd'hui les livres qu'il a composés, et il suffit d'en
prendre connaissance pour être convaincu que Dieu était avec lui; car
il ne se borne pas comme les autres prophètes à prédire vaguement les
choses à venir : il définit avec précision le temps auquel elles doivent
arriver. » -4., X, xi, 7. Cf. Infra^ n. 429.
« Deut., IV, 26; xxviii, 48-54, 64-66. — » Ps. lxviii, 26. — 3 Isai.,
VI, 12; XXV, 2, 4, etc. ; Jer., xi, 16; xix, 11 ; Amos., ii, 6 ; v, 1 ; ix, 11, 26.
— * Luc, xxin, 28-31. — « Matth., xxiii, 35-38; Luc, xix, 40-44.-
6 Marc, XI, 12-14. — ' Joan., iv, 21-23. — « Matth., xin, et Marc, iv.
— 9 Matth., XXI, 33-44. — lo Luc, xiv, 16-24. — i» Matth., xii, 1-11.-
12 Luc, XIX, 12-27. — 1* Matth., m, 10; xv, 13; xx, 1-16; Luc, i, 52;
m, 9, 17; xii, 45-48; xiv, 34, 35; xvi, 19-31; xviii, 10-14; Act., ii, I».
— 1* Gai., IV, 30; 1 Thess., ii, 14-16. - i» Heb., m, 7-15; xii, 25-29;
xiii, 13, 14. — 16 Lactant., Institut., ix, 21. Cf. Joseph., B., IV, vi, 3.
N» 242] SA VIE PUBUQUB. — SES PROPHÉTIES. 379
rapporter à la fin du monde. Un homme qui anrait fait la
prédiction d'après l'éTénemeiit aurait précisé ses expres-
sions et écarté les difficultés. Un faussaire qui eAt vécu au
second siècle n'aurait jamais écrit ce verset : Staiim post
tribuiationem dierum illorum^ sol ûbseurc^itur K II aurait
bien plutôt constaté l'accomplissement de la prophétie,
comme S. Jean pour celle qui regarde S. Pierre •, et S. Luc
pour celle d'Agabus '.
2» S. Jean qui a écrit après tous les autres, de vingt à
trente ans après l'événement, est le seul qui ne parle pas de
cette pr^hétie : il la passe sous silence comme phisieurs
astres prédictions ^. A peine a-t-il un mot ou deux qui font
allusion à cet événement ^
m. On sait qu'à rapproche du siège, en l'an 67, les fidèles
de Jérusalem, avertis de ce qui devait arriver, se hâtèrent
de fuir au-delà du Jourdain ; et leur évéque avec son trou-
peau trouva son salut dans la ville de Pella, ad m&ntes^.
C'est ce qu'attestent Eusèbe et S. Epiphane \ c Alors se fit,
dit Bossuet, une séparation des bons et des mauvais, image
de celle qui doit avoir lien à la fin des temps ^ >
242. — Est-il possible de nier la conformité des faits avec la
prédiction ?
Pour ce qui est du siège de Jérusalem, de sa destruction
et de l'époque à laquelle elle devait arriver, la conformité
des faits avec la prédiction du Sauveur est si frappante que
les rationalistes n'ont qu'une ressource : celle de dire que
cette prophétie a été imaginée après l'événement. Dieu a
pris soin que ces faits nous fussent attestés d'une manière
absolument sûre. Un monument triomphal, érigé à Rome
en Thonneur du vainqueur, est encore aujourd'hui sous nos
» MatUi., XXIV, 29. — » Joan., xxi, 19. — 3 Act., xi, 28. — * Nihil
boruni scripsit Joannes, ne videretur ex éventa ipso htec scripsisse;
sed il qui anto Jérusalem excidiam mortui nihil horum viderunt, hsec
describunt, ut prœdictionis vis undique fulgeat. S. Gbrys., In Maith,^
Hom. Lixvi, 2. — « Joan., iv, 23; xxi, 22. — 6 Cf. Matth., xxiv, 15, 16;
Luc, XXI, IS, 20, 21, 22. — "^ Euseb., ff., m, 5; S. Epipb., Hxr., xxix, 7.
Cf. Josepb., B., II, 40, — « Bqss., H. (/., ii, ^, Cf. Ps, wx, 6.
380 JÉSUS-CHRIST SELON l'éyakgile. [n« 242
yeux ; et un écrivain juif, un pharisien, né quelques années
après la mort de Jésus-Christ (37-98), de la famille sacer-
dotale et longtemps souveraine des Asmonéens, Flavius Jo-
sèphe, après avoir exercé un commandement considérable
dans la guerre contre les Romains, a publié de son vivant'
et légué à la postérité l'histoire la plus détaillée et la plus
authentique des malheurs de sa patrie. C'est un témoin
oculaire, à qui l'on ne peut reprocher aucune animosité
contre les vaincus, et qui allègue en faveur de ses récits les
plus hautes autorités : Vespasien, Titus, Agrippa. Grâce à
lui, nous assistons, pour ainsi dire, à tous les événements,
et les personnages de son époque sont pour nous comme
des contemporains. Qu'il ait un peu d'emphase dans le style,
de l'exagération dans certains récits, le désir de se faire va-
loir et d'être agréable à ses maîtres, cela est possible \ mais
de peu d'importance. On n'en a pas moins re^idu hommage,
dans tous les temps, à ses connaissances et à sa véracité '.
Les auteurs ecclésiastiques font remarquer qu'il est Juif et
qu'on ne peut le soupçonner de falsifier les faits dans Tin-
térét du christianisme *. « Il peut avoir tous les torts pos-
sibles comme historien, dit un auteur de notre temps * : il
n'a pas celui d'avoir embrassé l'Evangile et de chercher à
montrer l'accomplissement des prophéties. Il peut avoir
toutes les passions et tous les préjugés : il n'a pas le préjugé
chrétien. »
Du reste, dans ce qu'il a d'essentiel, le récit de Josèphe
ne souffre aucune contestation. On peut le mettre en regard
du monument de Titus et ^ des médailles frappées en mé-
moire de son triomphe. On peut le confronter avec les té-
moignages de Tacite % de Suétone • et des Pères d'Orient •. Un
* Joseph., B. Proœm.f 4 (Ann. 77.); Vita, 65; Cont. App,^ i, 9. —
* Cf. Joseph., A., XVI, vi. — a s. Hieron., de Vir. itt., 13; Euseb.,
fl., m, 9. Cf. Jos., Vitaj 65; Cont App., i, 9, 10. — * Lege historiam
Josephi , et stupebis audiens quanta propter Christi mortem passi sint
Jiidœi. S. Chrys., In EpUt. ad Rom., Hom. xxy, 5; In Act. Apost.f
Hom. V, 3. Cf. Eascb., H., m, 5-10; Bossuet, ff. U., xxi-xxiii. — * De
Champagny, Rome et la Judée, I, iv. — « Infra, n. 251, 787. — "^ Tacit ,
HisL, V, 1-13. — * Sueton,, Vespas,, 4. Titus,, 4. — » Quodsi quidqaam
N°2lâ] 9a Vie PuBLiQiiB. — iEi pROPuèriBs. àéi
empereur apostat essaya bien, après trois siècles ', de chan-
ger l'état des choses et de donner le démenti â l'oracle du
Sauvenr, en relevant le temple et la ville '. Hais c'est en
vïio, dit un auteur païen de l'époque ', qu'il mit au service
des Juifs la puissance et les richesses de l'empire. Après
avoir découvert les fondations du temple et enlevé les der-
nières pierres de l'édifice, comme pour vérifier plus littéra-
Iranent la prédiction de l'Evangile S on fut forcé de s'arrêter
et d'abandonner l'entreprise '. Aujourd'hui il est impossible
de déterminer d'une manière précise l'emplacement qu'il
occupait.
DMtrnai teatimoniDDi Tal«t, llUm uillqaaiii celebraUm Slon jonctli
bobiu » rommls vins ararl nottrls oculis iaBpexlmus, et [pMm leru-
lalem, insttr pomorum custadise deacrt», ad eitrcmam redactam aali-
tndinem. Buseb., Demorat., tiii, 3, Ego hisce-ocutii quam aadita *cce-
peram, intnitassiuii; TeritatBmque laudaTÎ et adoraTJ.Theod., Serm.xi,
De fine et judic; S. Cbrfs., Quod Chrùtvt tit Devt; S. Amb,, EpUt.
II, «le.
' Ea 363. — * Jnlian., Epitt. ixv, xxii, ui. — > Ktata. HarcelUn,
«nj, 1. — ' S. Cyrill. Hier., Caltc. xt; Rufln., ff. E., Xïxvn. —
' tldeine qaomodo qu» Chriatot cdlficaiit nemo destraiit, et qae ille
deHTDiU, nemo œdiflcAvitT .£diBcavlt EccIsBiam, et oemo illam des-
inure potuit; deatmiit tamplnm et nnmo ipaum reataurare ralet.
S. Chr^a., Qaod Chritlut lit Delà. tS et t7; Idem In MaUk., Hom.
IT. 1;/r JuiLeai, v, t, 11; vi, 2; S. Greg. Nai., Orat.,n,Adv. Julian.;
G. Amb., EpUt. XL, 12; RuSn, H. E., z, 37-39; Theodoret, H., m, SO.
h/Vo, D. 88i. — * Tète lanrée de Tltna (19-81). Inw^pUoii : Titut,
Cmar, impenttor, Augiuti fUiui, Pontifix, Iribunitia poleelaie, connU
ixtum, rnuor. Sur le revers, i. droite, la jfudée aasiae sar ud lalacean
d'annea; à gaacbe, an captif qui la regarde, les nuini liées derrière le
lioa. Lt, Akermann, Haddeo. Supra, n. !39.
J
iSà JESUS-CHRIST SELON L^ëVANÛILË. [n"» 243
243. — Que faut-il eatendre par Vabomination de la désolation daru le
lieu saint, Matth., xxiy, 15?
Le lieu sainte dans le langage de la Bible, c'est propre-
ment le temple *. Ce pourrait être aussi Jérusalem*, et même
par extension toute la Judée. L'abomination de la désolation^
6àe\M^\L% vqq epri\K(»i(5ei»i<; •, c'est d'abord la profanation de la
cité sainte par les Romains, lorsqu'ils y pénétrèrent avec
leurs idoles, c'est-à-dire avec leurs aigles et leurs étendards
qui étaient les dieux des légions * ; puis et surtout la profa-
nation du temple, soit par les zélateurs, qui, ayant mis fin
aux sacrifices, s'y retranchèrent comme dans une citadelle
et en firent une caverne de brigands *, soit par les infidèles
qui finireiit par y pénétrer, le fer et le feu à la main. On lit
dans Daniel : Post hebdomadas sexaginta duas^ occidetur Chris-
tm^ et non erit ejm populm qui eum negaturus est. Et civita-
tem et sanctuarium dissipabit populus cum dv4^ venturo, et erit
in temple abominatio desolationis^ et vsque ad consummatiO'
nem perseverabit desokttio •. Pour se convaincre que tel est le
sens du prophète cité par S. Matthieu, il suffit de le rappro-
cher du passage correspondant de S. Luc : Cum videritis dr-
cumdari ab exercitu Jérusalem^ tune scitote quia appropin-
quabit desolatio ejus '^.
1 Gf. Act„ XXI, 28; Heb., ix, 2. — 2 Matth., iv, 5; v, 35; xxvii, 53.
— 3 Dan.y IX, 26; Matth., xxiv, 15; Marc, xiii, 14; Dan., ix, 27; ix, 31;
xu, il. — ^ Tacit., Ann,^ 11, 7. Gf. Ëccli., xlix, 3; Dan., xi, 31 ; xu, 11;
I Mac, i, 57 ; vi, 7 ; Apoc, xvii, 4, 5, — ^ Joseph., B. /., m, 6-8; t, 2;
Yi, 3. Sur raccompUssement de la prophétie, voir fiossuet, H. U,, part. 1,
Ëpoq. x; et Josèphe, A, /., x, xi, 7; Basile de Séleucie, Orat. xxxviii,
iaitio. Jnfra, n. 436. — » A. T,, i06d. - ' Luc, xxi, 20. S. Aug.,
Epist, xcyii, 5; xgvui, 7. « Les Zélotes, dit Josèphe, mireat la 4onûère
main à la ruiqe de leur patrie. Gar il était prédit que la Tille serait
détruite et le temple abattu, si le. sanctuaire était violé par la séditioa
et livré à lu p;ro£anation. » /., lY, vi, 3. Titus commença le siège aux
pr49mie;ra joues d'avnl 70 ; le 17 juilL, le se^crifice perpétuel cesBa, fante
de victimes ; le veiukedi 10 août, le temple était téduit ea cendres, au
grs^d regret de Titua^ dit Josèphe ; auiiEi^nt ae^ inalr^otioDa> dit Solpice
Sévère; Chron., 11, 30; et le 8 septembre, tooile la viUe était .envahie
par les Romains.
L
j
N^^tô] dA VIË PUBLIQUE* -^ SES PAO^HÉTIES* 38â
244. — Voit-on qu'avant la ruine de Jérusalem il y ait eu des faux pro-
phètes et des persécutions, des famines et des pestes^ comme notre
Sauveur Tannonce, Matth., xxiv, 7-12?
I. Les Livres saints suffisent pour montrer qu*il y a eu de
faux prophètes et des persécuteurs. — 1" Pour les séducteurs,
les faux Christs et les prophètes, il y en eut avant la ruine de
Jérusalem. On peut lire ce qu'ont écrit S. Luc sur Simon \
Théodas *, Elymas *, et S. Paul sur les Juifs *, les judaïsants
et les gnostiques. Il y en eut encore après •. — 2"* Quant aux
persécuteurs, nous verrons bientôt S. Pierre, S. Jean et tout
le collège apostolique traînés en prison •, ou cités devant le
sanhédrin ' ; tous les chrétiens poursuivis et dispersés * ;
S. Etienne et S. Jacques mis à mort • ; S. Paul arrêté '°, la-
pidé **, fouetté *% retenu en prison *% obligé de compa-
raître devant Gallion *% Félix *% Festus *% Agrippa ", Né-
ron *^
IL A la même époque, des famines et des pestes étendaient
leurs ravages non seulement en Judée, mais encore au de-
hors et dans tout l'empire ".
245. — Petttton dire que l'Ëvangite était alors prêché dans le monde
entier, sv oXp rig OiXO(i^v)y^, Matth., xxiv, 14?
Un grand nombre de Pères, entre autres S. Chrysostome ",
affirment que TEvangile avait déjà pénétré dans toutes les
contrées du monde connu, et ce que nous savons des tra-
vaux des Apôtres suffirait pour justifier la parole du Sau-
veur à cet égard. Prœdieaverunt ubique^ dit 8. Marc **. 8. Paul
* Act., vm, 9, 10. — » Act., v, 36. — 3 Act., xiii, 6-11. Cf. xxi, 28;
fl Tim., u, 17; Jud., 17. — * I Thess., ii, 15. — « Cf. Joseph., B., II,
xin, 5; VI, v, 2; vil, xi, 1 ; A., Vlil, vi, 10; XX, v, i, 3. — « Act., iv, 3;
V, 18, 40. -- 7 Act., IV, 7; V, 86, 28. — « Act., viu, 1, 3; ix, l, 2, 21 ;
xxm, 10; xxvui, 22; Rom., xv, 30, 31. — » Act., vu, 58; xn, 2. —
" Act., XVI, 23, 24. — 41 Aet., xw, 18. — *2 Act., xvi, 22. — i» Act.,
ï», 38; XXVI, 26. — ** Act., xviii, 14. ^ i« Act,, xxiv, 25. ^ *^ Act.,
xjiY,9. ... 17 Act., J»vi. -*. *^ Il Tim., IV, 17, 19. -^ ^e Act., xa, 18, 28;
&aetoo., Clami*y 48/ Naw, 39; Tacit., Ann., xvi, 13; Se&ec, Epist, xci;
A»^h., A., XVIU, in, 8; XX, h, 5; M,, V, xii, 3; VI, i, 1, etc. -t-
^CS. Sueâiuiys., /n MceUh., Qom. lj^v, 2; de LaucLS. RaxM, fia», a.
&. Xhom., 0-£»,^. 40&, a. 4, ad 4. In^otLi n. 458..^ ii Marc, xvi, 20.
â84 , iESud--€liRist SELON l^évaNgilë. [n^M
affirme aussi ce fait à sa manière*. C'était le dessein de
Dieu, en effet, de ne pas détruire la nation juive avant que le
peuple chrétien ne fût formé et ne la remplaçât avec avan-
tage *. Il fallait que l'Eglise catholique remplaçât visible-
ment la Synagogue, et que la soumission des Gentils à l'Evan-
gile protestât contre l'incrédulité des Juifs et les convainquît
de mauvaise foi. En trente ans, ce dessein s'accomplit, et
Jésus-Christ eut partout des apôtres et des disciples '.
Du reste, ce verset 14 de S. Matthieu est un de ceux
qui ont un sens spirituel : il n'y a pas de doute qu'il ne se
vérifie de nouveau au dernier âge du monde, et qu'alors
l'Evangile ne soit prêché et connu dans toutes les contrées
de la terre ♦.
* 246. — Que signifient ces mots : Ubicumque fuerit corpus^ illic
congregabuntur et aguila^ Mattli., xxiv, 28?
C'était un proverbe usité chez les Hébreux. Il est tiré d'un
fait d'histoire naturelle, décrit au livre de Job '. Un grand
nombre de commentateurs l'expliquent en ce sens, qu'à la
première apparition du Sauveur, toutes les âmes justes,
fuyant les faux Messies, s'empresseront d'accourir autour de
lui •. Mais il parait plus naturel de l'entendre du peuple juif
dans l'état de mort, de corruption, de décomposition où il
devrait tomber. Le mot 7ctw[a«, rendu par corpus, signifie
cadavre, t Où il y a un cadavre, dit Sénèque ''j comptex sur
le vautour. »
Rien n'empêche de voir dans le mot aguUœ une allusion
aux aigles romaines ^ Cet emblème était connu, et cette
* Eiç icaffav rviv y^v, Rom., x, 18; ev Travri tcu xo<r(UA, Col., i, 16; tv
naoi TTj xTiffci, 23, Cf. Rom., i, 8; xv, 18-21, 28; Col., i, 5, 6. Cf* Act.,
n, 5, 9, 10, 11, 41; I Pet., i, 1. — ^ Matth., xii« 41. Confirmabit pto-
tum multis, avait dit Daniel, et erit in templo abominatio desolatioois,
IX, 27. — 3 Dan., ix, 27. Ecclesia Dei jam per totum orbem uberrime
germinante , hoc. tempium tanquam effioetum ac vacuum , nulUque ami
bono commodum arbittio Dei auferendum fuit. Oros., tu, 9. Item Orig.,
Homil. in Levit,^ x. Infra^ n. 456. -^ ^ Cf . Brey. rom., Comm, plur,
Mart,, 30 loc., et 19 tept.^ lect. vii-ix. Romanae spatitim Urbis et orbis
idem. Ovid. 11 Fast., 684. — f Job., xxxix^ 27-30. — « II Theas^ iv^ 16.
^ '^ Senec , EpUt, xgy Cf. Osée, vui, l..<— ^ c'est pour cette raison
N^É48] SA VîË ^tBUQtJÉ. — SES PROPHETIES. 308
signiflcation devait se présenter à lesprit. Une trentaine
d'années auparavant, Hérode ayant fait placer une aigle d'or
sur le portail du temple pour faire sa cour à Auguste, des
Israélites indignés l'avaient brisée à coups de hache et jetée
sur la place. Quarante d'entre eux furent condamnés au feu
et brûlés vifs'.
247. — Cette parole de saint Matthieu : Sicut fulgar erit adventus filii
hominiSf xxiv, 27, s'accorde-t-elle avec celle de S. Luc : Non venit
regnum Dei cum observationej xvii, 20?
Dans s. Luc, il est question de l'origine du royaume de
Dieu. Notre Seigneur dit qu'il ne frappera pas alors les re-
gards, qu'il s'établira insensiblement, graduellement. Dans
S. Matthieu, il s'agit de l'apparition de ce royaume sur la
terre ou du triomphe glorieux du Sauveur, soit à la ruine
de Jérusalem, soit à la fin des temps. Alors, loin d'être
obscur et difficile à reconnaître, il frappera comme l'éclair
les yeux les moins attentifs, et sera visible à la fois sur tous
les points du monde *.
248. — Coauneot peut-on expliquer la survivance du peuple juif
au coup dont il fut frappé?
La survivance du peuple juif à la ruine de sa capitale et à
sa dispersion par tout l'univers est l'effet d'un dessein de
la divine Providence, annoncé par les prophètes comme par
Notre Seigneur '. « On ne voit plus, dit Bossuet, aucun reste
des anciens Assyriens, ni des anciens Grecs, ni des anciens
Romains. La trace s'en est perdue et ils se sont confondus
avecd^autres peuples. Après avoir été la proie de ces nations,
les Jui/s leur ont survécu. Dieu les conserve depuis dix-huit
siècles, magré leur dispersion, pour fournir à l'Eglise une
preuve irrécusable de la divinité de l'Ancien Testament et
peutnAtre que S. h*énée attribue à S. Marc et non à S. Jean remblème
deTaigle. Cf. IV Esd., xi, 7, 45; xii, 14; Apoc., viii, 43; xrt, 16.
* Joseph., A., XVn, VI, 8, 4; B., I, xxï, 2. Cf. B., Il, ix, 3; x, i.
— * S. Aug., Qtuest. evang., I, xxxviii. Infra, 396. — ' Gen., iv, 15.
ft. LVHi, 81; Jer., ix, 13-16; £zec., iv, 4, 5, 6; Amos., ix, 8-11; Osée,
in, 4; Loe., xix, 42-44; xxi, 24. Confidenter dicimus eos nunquam esse
restituendos, écrivait Origëne vers 250. C<mt. Cels., iv, 22.
22
386 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [NoSte
mettre sous les yeux du monde le monument le plus frap-
pant de la justice céleste *. »
En effet : -— 1® Grâce à eux, l'Eglise a conservé l'Ancien
Testament dans sa langue originale; elle peut montrer dans
les mains les moins suspectes les livres où l'Esprit saint a
décrit, des siècles à l'avance, la venue du Sauveur, sa vie,
ses miracles, ses œuvres * : elle peut donner leur interpréta-
tion traditionnelle comme appui et fondement de la sienne*.
Qui pourrait nous soupçonner d'avoir fabriqué ou altéré les
prophéties, quand nos adversaires les plus obstinés en pro-
clament l'origine divine et en reconnaissent le véritable sens,
se bornant à contester l'application que nous en faisons au
Sauveur * ? — 2® Nous apprenons, par cet exemple, à craindre
< Sur 7,000,000 au moins de Juifs qui existent aujourd'hui , comme à
Tépoque de Notre Seigneur, plus de 5,000,500 habitent TEurope, 400,000
rAfnque, le long de la Méditerranée, 250,000 l'Asie, 300,000 rAmériqoe
du Nord. On en compte en Russie près de 3,000,000 ; en Autriche-Hongrie,
1,600,000; en Allemagne, 650,000; en Roumanie, 300,000; dans la
Turquie d'Europe, 100,000; en Hollande, 70,000; en Iulie, 40,000; en
Angleterre, 160,000; en France, 80,000; à Paris, 50,000; en Algérie,
45,000; dans la Turquie d'Asie, 200,000 ; en Perse, 50,000; à Jérusalem,
28,000. Mais, si éloignés qu'ils soient les uns des autres, tous ces Juifs
sont étroitement unis. Us restent toujours juifs par Tesprit et par le
cœur, aussi bien que par Ja race. Sans aucun territoire commun, sans *
une seule ville à eux, ils n'en forment pas moins un peuple distinct de
tous les autres et obstiné à s'en distinguer, ayant sa religion propre, ses
livres sacrés, ses> cérémonies, ses lois, ses traditions, et s'y confonnant
autant qu'il le peut, conservant ses mœurs, son caractère, ses aspira-
tions , ses antipathies , caressant toujours l'espoir de rentrer dans la
terre de ses pères et de dominer le monde, faisant servir habilement à
ses fins l'influence de ses financiers, de ses écrivains, de ses industriels
et de ses hommes d'état. Cf. Dan., vi, 10. - * Rom., m, 2. Proferimus
codices ab inimicis nostris, ut confundamus alios inimicos. Codicem
portât Judseus unde credat christianus. librarii nostri facti sunt, quo-
zoodo soient servi post dominos codices ferre. S. Aug,, Jn Pt. lyi, 9.
Occisi non sunt, sed dispersi : in cordibus nostri hostes, in libris suffira'
gatores, in codicibus testes. De Fide eorum qtia non videntitr. Dispenit
vos per universas terras, ut ubique prophetias de ejus nativitate, pas-
sione, resurrectionc perferatis atque lucernam legia, tanquam Ugnei
candelabra sensu oarentla, gentibus ministretis. S. Aug., CorUra Ju-
dwoi^ 18; De consensu emng., 26. Infra, n, 409. — 3 cf. Roql, iu, ^J
IX, 4. — ^ Ne forte dicaat dur! ad fidem qjola no^ illas composuimus,
hinc eos convincimus. 8. Aug., In Ps, lyi, 9.
N'249J SA VIE PUBLIQUE. — SES PROPHÉTIES. 387
la justice de Dieu et à attendre l'accomplissement de ses me-
naces avec la même certitude que la réalisation de ses pro-
messes '. L'aspect de ce peuple étrange, sans patrie, sans
organisation visible, c squelette ambulant qui survit à son
arrêt ' » sans pouvoir se soustraire à son châtiment, la vue
de son territoire, autrefois si riant, si fertile et si peuplé,
anjourd'hui inculte, presque désert et toujours asservi, doit
faire sur les chrétiens la même impression que faisait sur les
Israélites la vue de la mer Morte et de ses bords désolés :
Est ira Dei populo huic ^ C'est l'annonce, la figure, le gage
assuré de la fin du monde et de la réprobation des méchants.
Le passé garantit l'avenir. La même bouche qui a prononcé
le premier arrêt a porté le second : le môme bras doit l'exé-
cuter *.
249. — Les événements prédits en saint Matthieu, xxiv, 29, 30, et en
saint Luc, xxi, 25-31, ne semblentt-ils pas devoir venir peu après la
raine de Jérusalem, et même y succéder immédiatement?
Les événements dont Notre Seigneur parle en cet endroit
sont distincts de la ruine de Jérusalem, puisqu'ils doivent
arriver après la venue, wapouTia, du Sauveur, 27 *; mais ils
ne peuvent être renvoyés à la fin monde, ni même à une
époque fort éloignée. Plusieurs raisons s'y opposent :
1® Notre Seigneur dit expressément qu'ils auront lieu im-
médiatement après : Statim post *, ce qui indique au moins
qu'tfe commenceront bientôt à s'accomplir.
2* Non seulement le Sauveur annonce ces événements
1 Ezec , XX, 32; Nahum., m, 4-6; Rom., xi, 11. Cf. Jos., B., vi, 43.
— ' M. Renan, L'Eglise chrétienne, — 3 Quœ sit causa tam grandis
offensae, maxime cum idola non colant? Prœter interfectionem Salvatoris
non valent invenire. S. Hieron., In Osée., m, 4-5. Judsee, quomodo cle-
mentissimus quondam Deus, qui nunquam tni est oblitus, nunc per tanta
sp'atia temporum miseriis tuis non adducitur ut solvat captivitatem ? Ob
qaod, inquam, facinus et tam execrabile scelus avertit a te oculos suos?
Habes quod elegisti ; usque ad finem mundi serviturus es Gsesari, donec
gentium introeat plenituda et sic omnis Israël salvus fiât, Epist, cxxix, 7.
Cf. Isaî., Lx, 12; U Esd., i, 8, 9; Luc, xxi, 24; I Cor., xv, 25. Infra,
D. 279, 418. •» ^ Eant nunc et dicant : Manducemus et bibamus! S. Aug.,
Serm. clvii, 6. Cf. Jer., xux, 12-16; Rom., xi, 20-22. — « Cf. Mattli.,
XXIV, 27.-6 Matth., xxiv, 29.
388 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n^ 249
comme prochains, mais il indique les signes auxquels on
pourra les discerner et en voir approcher le terme*. Or,
pour la fin du monde, il va dire qu'elle arrivera subitement,
sans qu'on s'y attende *, ni que personne en puisse annon-
cer l'époque '.
3* Les dernières paroles du Sauveur sur ce sujet : Ntm
prœteribit gêner atio hœc, donec omnia fiant *, semblent éga-
lement indiquer une autre époque moins éloignée, car si
Ton veut y voir indiquée toute la durée des temps, on n'ob-
tient aucun sens satisfaisant, soit qu'on entende par gênera-
tio hœc le genre humain ou la nation juive. Dans le premier
cas, on fait dire à Notre Seigneur qu'il y aura des hommes
sur la terre jusqu'à la fin des temps, ce qui ne répond nul-
lement à la solennité de cette formule : Amen dico vobis;
dans le second, on lui fait prédire la persistance extraordi-
naire de la race juive, malgré sa dispersion, ce qui n'a au-
cune liaison avec le reste du passage.
4* Après l'apparition du Fils de l'homme ou la révélation
de sa souveraine puissance, il est dit que les Anges ou les
envoyés de Dieu rassembleront les élus, electos Filii ho-
miniSy 31 ^ de toutes les parties du monde. Or, pour le juge-
ment, ce ne sont pas les élus seulement, mais tous les
hommes bons et mauvais qui seront rassemblés. Il semble
donc plus naturel d'entendre par élus^ sx.X6xtoi, au verset 31
de Matthieu comme au verset 22, les chrétiens qui ont reçu
le don de la foi *, et de voir indiquée en cet endroit la con-
version des peuples infidèles, selon ce qui est dit en S. Jean :
Moriturus erat Jésus,,, ut filios Dei, qui erant dispersi, con-
gregaret in unum'^.
Enfin, à la suite de ces événements. Notre Seigneur dit
que les chrétiens seront affranchis, délivrés de la servitude,
redempti^, qu'ils pourront relever la tête, qu'ils verront
» Matth., XXIV, 32, 33. — « Matth., xxiv, 37-39; Luc, xxi, 34, 35. -
3 Matth., XXIV, Îî6. — * Matth., xxiv, 34; Luc, xxi, 32. — 8 cf. Matth.,
XIII, 39, 41; Luc, vu, 24; Gai., iv, 14; Apoc, xiv, 6, 7. — * Sap-
in, 9; IV, 15. - 7 Joan., xi, 52. Cf. Matth., xxii, 7, 8, 14; S. Aug.,
EpisL cxcix, 41, 45-48. — 8 Luc, xxi, 28,
N° 280] SA VIE PUBLIQUE. — SES PROPHÉTIES. 389
Tété succéder à l'hiver, 30, c'est-à-dire le règne de Dieu
commencer, 31. Il ne paraît pas naturel d'entendre par ces
paroles la fin du inonde et le commencement de la vie éter-
nelle.
Qu'on se souvienne toutefois que le triomphe du Sauveur
sur la terre étant le gage et la figure de son triomphe et de
son règne glorieux au ciel, ce qui est dit ici littéralement
de la ruine de l'idolâtrie et de l'empire païen a pour objet
dans le sens spirituel la fin du monde et le jugement der-
nier. Et l'on peut voir dans ce sens spirituel, ou cette se-
conde vue du Sauveur, la raison de certaines hyperboles,
qui, sans cela, pourraient paraître outrées et singulières,
par exemple au verset 34.
&d, — Trouve-t-on dans Thistoire, vers l'époque indiquée par Notre
Seigneur, quelque grande catastrophe à laqueUe ces traits puissent
convenir?
On trouve dans l'histoire, à l'époque indiquée par Notre
Seigneur, la ruine de Rome et la chute du grand empire
idolâtre. Nul événement plus frappant, qui porte à un plus
haut degré le caractère d'un châtiment divin, qui ait plus
de rapport avec la destruction de Jérusalem et avec la fin
du monde, qui soit plus propre à figurer le jugement uni-
versel. Point de fait non plus qui ait eu des conséquences
plus heureuses pour le christianisme et qui fût désiré par
les fidèles avec plus d'impatience*. Ce fut pour l'Eglise
l'époque de l'affranchissement, de l'expansion, de l'unifica-
tion, du triomphe. Alors le signe du Fils de l'homme parut
au ciel et sur la terre; et il fut permis aux chrétiens de re-
lever la tôte *. Alors eut lieu l'avènement du Sauveur dans
le monde social. Alors commença le règne visible et com-
plet de Dieu ici-bas, ou la période de mille ans, pendant la-
« Luc, XXI, 28-31; Apec., vi, 10. — * Dan., ii, 44, 45; vn, 8, 13;
Matth., XXIV, 80; Luc, xxi, 28. Cf. S. Greg. Naz., Orat. v, cont Julian,,
n, 25; Socrate, H, £., i, 1; Evagr., H, E., iv, 26; S. Cyrill. Hieros.,
EpisL ad Constant,, 6; Arc de Constantin, avec inscription, instinetu
divinitatiSj mise par ordre du Sénat,
22.
390 JÉStS-GHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n^^ 251
quelle TEglise devait dominer et le démon rester dans les
fers*. Les destinées des nations furent accomplies. Jérusa-
lem cessa d'être foulée aux pieds des Gentils ' et passa sons
une domination chrétienne.
251.— Ne serait-il pas étonnant que la chute de Tempire eût été annoncée
dans des termes si extraordinaires?
Il ne doit pas sembler étrange que Notre Seigneur se soit
servi de ces images pour annoncer le triomphe du christia-
nisme.
!• Il est naturel qu'en annonçant la chute de Rome, il use
de termes moins simples et moins précis qu'en parlant de la
ruine de Jérusalem. En général, les prédictions sont d'au-
tant moins nettes que leur accomplissement est plus éloigné,
et les figures employées par les prophètes grandissent à pro-
portion de leur objet. On peut, du reste, comparer les termes
de cette prophétie avec d'autres, relatives à Jérusalem '.
2® Notre Seigneur avait des raisons particulières pour ne
pas prédire d'une manière trop claire la destruction de l'em-
pire romain; et les évangélistes en avaient aussi pour ne
pas rapporter d'une telle prophétie ce qui eût été trop fa-
cile à comprendre pour les infidèles. Les prédictions rela-
tives à la ruine du temple avaient assez irrité les Juifs pour
que les auteurs sacrés prissent garde de ne pas s'attirer en-
core la colère des Romains. D'ailleurs, ne sufôsait-il pas
aux fidèles de savoir qu'après la ruine de Jérusateftt, il y
aurait une nouvelle période de troubles, d'agitation, de dé-
cadence, mais qu'à la fin, la puissance du Sauveur se mon-
trerait, que toute persécution cesserait et que le christia-
nisme s'établirait par tout le monde? Et quel inconvénient
y avait-il à ce qu'on se préoccupât d'abord du sens spirituel,
ou de la fin du monde, dont la ruine de l'empire romain
devait être la figure et le gage? Ce que nous disons ici des
évangélistes peut se dire également des commentateurs des
premiers siècles. Les Pères n'avaient pas moins de motifs
* Apoc, XX, 1-3. Cf. Is., xLix, 2t, 23. — a Luc, xxi, 24. — » Matth.,
xxui, 38; Luc, xxiii, 28-31.
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N° 2S2] SA VIE PUBLIQUE. — SES PROPHÉTIES. 393
que les auteurs sacrés d'être fort circonspects dans leurs
interprétations *.
3" Le langage du Sauveur en cet endroit • ne peut sem-
bler extraordinaire qu'à ceux qui sont peu accoutumés au
style de la Bible. Son ton est celui de tous les prophètes
dans des circonstances analogues ^ C'est celui qu'il em-
ploiera lui-même dans sa Passion en parlant au Grand-
Prêtre * et aux saintes femmes '. C'est celui que l'Esprit
saint a inspiré à S. Jean dans son Apocalypse *, où il ne fait,
suivant le sentiment commun, que développer la prédiction
de la ruine de Rome païenne. 11 semble môme, en certains
endroits, répéter à dessein les paroles du Sauveur'.
Tout considéré , l'interprétation que nous proposons est
celle qui offre le moins de difficulté ; et il nous semble éta-
bli que le passage en question ne peut s'entendre ni de la fin
du monde seulement, ni de la ruine de Jérusalem, ni d'au-
cun autre événement que de celui que nous indiquons •.
2512. — D'après cela, qae faut-il voir dans ce verset : Non prxteHbit
generatio hsBC, donec omnia hac fiant ^ ?
Dans ces paroles, il faut voir une formule énergique et so-
lennelle ayant pour but d'affirmer la vérité de la prophétie
précédente. Toutes ces prédictions se réaliseront, et ceux qui
les entendent en verront par eux-mêmes l'accomplissement.
Par omnia hœc. Notre Seigneur entend deux choses : la ruine
de Jérusalem, principal objet de la prophétie du Sauveur, et
le commencement de la ruine de Rome païenne *°. On peut
» Cf. Bossuet, Préf, de l'Apoc,, 22. - a Matth., xxiv, 29-31; Marc,
xm, 24-25; Luc, xxi, 25-27. — 3 Cf. Act., ii, 19, 20; Isai., xiii, 9-14;
XXIV, 4-20, 23; xxxiv, 4; xuv, 17; Jer., v, 23; Ezec, xxii, 7; Agg.,
II, 6, 7. — * Matth., XXVI, 64. — » Luc, xxiii, 28-31. — 6 Apec, i, 7;
VI, 12-17;' VIII, 42; IX, 2. — T Cf. Matth., xxiv, 30 et Apoc, i, 7; —
Matth., XXIV, 31 et Joan., xi, 52; — Matth., xxiii, 36; xxiv, 32; Luc,
XXI, 28, 31; Joan., iv, 35 et Apoc, i, 3; xxii, 10; — Matth., xxiv, 31;
XI, 10 et Apoc, II, 1, 8, 12; xi, 15; xiv, 6.-8 Cf. D. Calraet, Comm.
iur S, Matth., xxiv; P. Lallemant, Réflex. sur le Nouv. Test., S. Matth.,
XXIV, notes ; Bergier, Traité de la religion, p. m, ch. ii, a. 7 ; La Luzerne,
Diss. sur tes prophéties. — 9 Matth., xxiv, 34. — *o Matth., xxiv, 29, 30.
Cf. XVI, 27, 28.
394 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n® 253
dire, en effet, qu'un bon nombre de ses contemporains et de
ses disciples, S. Jean entre autres, ont vu de leurs yeux une
partie de la seconde prophétie s'accomplir, fieri, à la suite
de la première. Dès le temps de Domitien, l'astre de Rome
commença à pâlir. Cet empereur, qui se faisait donner le
nom de Dieu S acheta la paix des barbares, au lieu de la leur
imposer. L'empire perdit peu à peu sa force et son prestige;
et malgré le mérite de quelques grands princes, sa durée ne
fut plus qu'une triste décadence. Dès la même époque, l'E-
glise commençait à s'affermir et les chrétiens se multi-
pliaient, en dépit des persécutions : Ligabantur, include-
bantur, cœdebantur^ torqusbantury urebantur, laniabantur,
trv4:idabantur ; et multiplicabantur^, HesternimmttSyéomni
Tertullien quatre-vingts ans plus tard, et vestra omnia iw-
plevimus ^ Enfin les victimes finirent par triompher des
bourreaux : Cessit Victoria victi$.
ni. Paroles du Sauveur relatives à la fin du monde et à
son retour plus ou moins prochain.
253. — Quel est le jour dont Notre Seigneur dit que personne ne le
connaît : Neque angeli, neque Filius, Marc, xiii, 32?
Ce jour, que personne ne connaît, mais que Notre Sei-
gneur distigue d'un autre jour dont il a fait connaître l'é-
poque, Y) exetvTQ TQjxspa, c'est celui du jugement ou de la fin
du monde, dont l'idée est suggérée par le verset précédent :
Cœlum et terra transibunt, 31. Les mots, neque Filius^ sont
rejetés par plusieurs critiques, comme une glose introduite
dans le texte pour expliquer ceux qui suivent : iVm Pater K
Ils ont pu, en effet, être ajoutés ainsi dans certains manus-
crits de S. Matthieu ^ mais pour l'évangile de S. Marc, ils
en font bien partie. On les trouve admis et cités par un
grand nombre de saints Docteurs.
* Sueton., Domitian.f 13; Stat , Sy/w., iv, 58; v, 1, 137. Infra, n. 598.
-—3 g. Aug., de Ciu. Dei^ xxii, 6. Cf. E\od., i, 12; S. Justin., Dialog.f iiO.
— 3 Tert., Apol.y 37. — * Cf. S. Amb., de Fide, v, 193, et in Luc.,
VIII, 34. — 5 S. Hicron., In Matth., xxiv, 36.
f^^iSà] SA Vie f^uBLiOUË. — ses i»rophét'ies. 398
Quant à la manière dont il faut entendre le verset, les
commentateurs sont assez partagés : — !•* Quelques anciens
ont cru que le Sauveur ignorait, en effet, ce jour en tant
qu'homme. Ce sentiment est réprouvé par S. Grégoire le
Grand '. — 2* D'autres, comme Origène, ont pensé que l'âme
du Sauveur n'avait reçu cette connaissance qu'après la résur-
rection ; mais ce sentiment ne s'est jamais répandu et n'a pour
lui aucune probabilité. — 3* Quelques autres ont dit que le
mot grec, eiSetv, noscere, est pris dans un sens actif, pour no-
tvm facere, comme Bptaixéeusiv, triumphare •; mais^ cette al-
légation n'a pas de fondement solide '. — 4* Suivant un cer-
tain nombre, Notre Seigneur voudrait dire, non que cette
connaissance manque à son humanité, mais qu'elle ne la
possède pas par elle-même, naturellement, ou qu'elle a eu
besoin, pour l'acquérir, d'une communication spéciale de
la divinité : Novit diem et horam, sed non ex natura huma-
nitaiis novit *. — 5<» Enfin, suivant l'explication commune,
ces mots font entendre que cette connaissance est un secret
pe son Père lui a confié, qu'il ne le possède que pour lui
seul *, et que ses Apétres eux-mêmes ne la doivent pas
désirer, parce qu'elle ne leur est ni nécessaire ni utile.
C'est ce qu'il leur insinue surtout au jour de son Ascension,
lorsqu'il dit qu'il ne leur appartient pas de connaître le
temps et le moment déterminé par son Père ^ Et c'est ce
qu'ils devaient d'eux-mêmes penser, puisqu'ils étaient per-
suadés, dit S. Jean, que la science du divin Maître s'étendait
à tout \ et qu'il ne voulait leur rien cacher de ce qu'il pou-
vait leur dire *.
' s. Greg.^ Epist, x, 39. Sicut noverat horam qua judicari debuit, siô
novit et horam qua debeat judicare. S. Aag., S€7*m, xlvii, 8. — s Selon
la forme hiphU qui exprime en hébreu une double action. — > S. Aug.,
In Pt, XXXVI, 1. — * S. Greg. Magn., Epist. x, 39. Cf. x, 35. — » Joan.,
V, 19, 30; xu, 49, 50. — « Quando dicit : Non est vestrinn nosse iem-
para vel momerita, ostendit quod ipse sciât ^ sed non expédiât nosse
aposKdis. S. Hieron., In Mattk,, xxiv, 36.— ^ Joan., xvi, 10; xxi, 17.
Cf. Matth., XX, 23; Joan., v, 22; xii, 49, 50; I Cor., ii, 2; S. .Thom.,
p. 3, q. 10, a. 2, àd 1. — > Joan., xv, 15. Cf. Non est meum dare vobis.
Hatth., XX, 23.
àd6 JESUS-diRISt SELON L^ËVANGUE. [n^ âS4
On doit expliquer par le môme principe cette parole du
discours de la dernière cène : c Je vous ai fait connaître tout
ce que j'ai appris de mon Père *. »
254. — Les paroles de Notre Seigneur n'étaient-elles pas de nature à
persuader aux apôtres que le jugement dernier suivrait de près la
ruine de Jérusalem?
On n'avait pas le droit de conclure des paroles de Notre
Seigneur que le jugement dernier était proche. En effet:
— i^ Loin de dire que la ruine de Jérusalem entraînerait
celle de l'univers , il distingue avec soin ces deux événe-
ments, et il place entre l'un et l'autre une longue période,
temporanationum ', et des faits très importants ^ D'ailleurs,
si le monde avait fini si tôt, comment se seraient accomplies
ses autres prophéties, sur la conversion des Gentils, sur l'é-
tablissement de son Eglise, sur* ses luttes et sa durée ? —
2" Il avertit expressément ses Apôtres que nul homme sur la
terre et nul ange dans le ciel ne sait quand la fin des temps
doit venir, et qu'on ne peut fixer une date aux événements
futurs *. Il le leur dit ici; il le leur répète apjrès sa résur-
rection ; et c'est presque la dernière parole qu'il leur adresse
en les quittant ^
Il est vrai qu'au jugement d'un grand nombre d'Israé-
lites, persuadés que leur ville et leur temple dureraient
jusqu'à la fin des temps, prédire la ruine du temple était
annoncer la fin du monde ^ ; mais c'était un préjugé sans
fondement, et Notre Seigneur n'était pas tenu de le redres-
ser \ On peut dire si l'on veut qu'il a laissé à dessein à ses
disciples une certaine appréhension à cet égard. Il les a
souvent recommandé de veiller et de se tenir prêts * ; et
1 Joan., XV, 15. Cf. xvi, 12. — 2 Luc, xxi, 4. — 3 Matth., xxiv, 29^.
S. Aug., Epi$l, cxcix, 4. — * Matth., xxiv, 3|6. — ^ Act., i, 7. Omnium
de bac re calculantium digitos re^lvit et quiescere julnet ille qui dicit :
Non est ve^tmm sfivte tempora, etc. S, Ang„ ^ Civ* Dei, xviii, 5J.
Cf. Const. SupemsR majesiatis^ Conc. Lateran., v. — 6 Aussi longtemps
que durera le genre humain, aussi longten^ps, dit Pt^iion, on Apportera
des offr^n^Q» au tQmple.de Jérvuialem. I)e j^anarch.y 1. 3. rr ^ Cf. Joaa.,
XXI, 23. — 8 Matth., xxiv, 42; xxv, 13; xxvi, 41; Mim*c., xm, 38;
N^ 25Sj SA VIE PUBLIQUE. — âÉS PROPHETIES. 397
quoi de plus sage et de mieux motivé que cet avis ? Le
temps est court, dit S. Paul ; et par rapport au salut, dont
il était question, le jour de la mort diffère-t-il de celui du
dernier jugement? Qualù quisque moritur, talisjudicabUur\
255. — Qu'entendent les interprètes actncls, quand ils parlent
de la parousie du Seigneur?
Dipouata, de xapsivat, adeftse, a la même signification que
prœsentia ou adventtis, apparition. On entend donc par pa-
rousies les divers avènements du Sauveur, les principales ma-
nifestations de sa puissance, de sa justice, de sa bonté ; les
actes principaux qui ont pour but l'établissement ou Texer-
cice de son règne ici-bas, actes qui sont mentionnés sous ce
terme dans la Sainte Ecriture : — 1" Son Incarnation et sa
Nativité *. — 2* Sa prédication, ou plutôt son entrée dans la
carrière évangélique \ — 3* La manifestation qu'il a faite
de sa charité, de ses grâces et de ses richesses par les dons de
son Esprit *. — 4° Celle de sa souveraineté et de sa justice,
soit par la destruction du judaïsme et du paganisme comme
puissance extérieure, soit par quelque autre châtiment exem-
plaire ". — 8<> Surtout son apparition suprême à la fin du
monde et au jugement universel *.
Ainsi le mot parousie n'a par lui-môme qu'un sens assez
vague. Il doit être rendu tantôt par avènement^ tantôt par re-
tour, tantôt par présence. Pour en préciser la signification, il
faut tenir compte du sujet, des circonstances, du but. C'est
à tort qu'on voudrait entendre du jugement dernier ou d'un
Lttc, zii, 36, 40; xxi, 34. Cf. II Cor., iv, 17; Heb., ix, 37; Apoc,
XXII, 20.
1 S. Aug., EpUt. Gxcix, 2. Quid diu est, ubi finis est? Quid profuisset
Adamo, si hodie mortuus esset? Agamus Deo gratias, quia hujus vit»
nltimum diem et brevem esse voluit et incertum. Serm. cxxiv, 4;
Bossuet, Médit, j dern. serm., 76-79. — ^ Matth., xviii, 11 ; xx, 28; Eph.,
11, 17; I Tim., i, 15; II Pet., i, 16; Joan., iv, 2, 3; Il Joan., 7. — s Matth.,
XI, 19; Marc, i, 7; Luc, m, 16; Joan., i, 30; v, 43; ix, 39. — ^ Matth.,
ni, 11 ; Joan., xiv, 3, 18, 28 ; xvi, 22. — « Matth., x, 23 ; xvi, 28 ; xxiv, 3 ;
XXVI, 64; Marc, xiii, 26, 30; Luc, xxi, 27. — « Matth., xvi, 27; xxiv,
37-39; XXV, 31; Marc, Vin, 38; Luc, ix, 26; xvii, 24; xxi, 27; I Cor.,
XV, 23; U Thess., u, 8; II Pet., m, 4; I Joan., u, 28.
ui. 23
3Ô8 J1ESUS-CHRIST SELON L*ÉVANGILÊ. [n<> 286
retour visible en ce monde tous les passages où il est dit
que Notre Seigneur reviendra, apparaîtra^ se montrera de
nouveau présent sur la terre '. Il en est à peu près de même
des mots, visitatio, visitare *.
256. — Les prédictions du Sauveur sont-elles moins propres que les
miracles à conflrùier notre foi?
Toute prophétie est un miracle, ou un acte dont un homme
est naturellement incapable et qui ne peut s'expliquer sans
une assistance particulière de la divinité ^ Elles ont donc,
pour convaincre, la même autorité que les miracles pro-
prement dits. Il en est môme qui sont de nature à nous
frapper plus vivement *. En effet, les miracles du Sauveur
ne s'opèrent plus actuellement : nous n'en avons plus les
objets présents : nous ne pouvons en apercevoir que des ré-
sultats éloignés ; mais parmi ses prophéties, il en est dont
l'accomplissement est toujours sous nos yeux : c'est un mi-
racle subsistant et une démonstration palpable de sa di-
vinité.
c On est dans une grande erreur, dit S. Augustin, quand
on s'imagine que nous croyons à la vérité du christianisme
sans de bonnes raisons *. Quelles raisons meilleures que les
prophéties dont nous voyons l'accomplissement de nos yeux :
la ruine de Jérusalem, la disparition des Juifs, l'abolition du
culte mosaïque, le triomphe de l'Eglise sur le paganisme,
sur l'hérésie, sur toutes les puissances de l'enfer ? Est-ce
que ces faits ne sont pas miraculeux ? Est-ce qu'ils n'ont pas
été prédits dans les Ecritures ®? Nihil allegoricum, nihil fi-
guratum commemoro : propriam, expressam, simplicem, mani-
1 Ideo cum diem judicii Dei dicimus, addimus ultîmom vel noyissi-
mum, quia et nunc Judicat et ab initie judicavit. S. Aug. De Civ, Dei,
XX, 1. — * Cf. Gen., xi, 5; Ps. lviii, 6; cv, 4; Jer., v, 9, 29; Is., x, 3;
Act., XV, 14; Heb., ii, 6; Jac, i, 27; I Pet., ii, 12; Apec, ii, 5, etc. Si
bene intelligo, nec unde vadis, nec unde venis, recedis; vadis latendo,
venis apparendo. S. Aug., In Joan.f xiv. — » Isai., xlv, 21, 22. —
^ II Pet., I, 19. — 8 Fides prœsupponit rationem naturalem, sicut (pratia
naturam... Mens non crederet nisi videret esse credendnm. S. Thoau,
2» 2», q. 1, n. 4; ad 2. Supra, n. 29. — • « Cf. S. Aug., de Civ. Deiy
XIX, 53. Epùt. GxxxYU, 15, 16.
NO 256] SA VIE PUBLIQUE. — SES PROPHÉTIES. 399
festam audite prophetiam, Scriptumest de Ecclesia, etmdetur
quia est. Scriptum est de idolis quia non erunt^ et videtur quia
nonsunt. Scriptum est quia perdituri erant Judœi regnum^ et
videtur. Rien de plus convaincant, quand on y réfléchit. A
l'origine, ces prédictions semblaient si étranges, si para-
doxales, qu'on n'osait presque en parler : Dicebatur a paucis,
ridebatur a multis *. Aujourd'hui pourtant, elles sont réali-
sées; ce sont des faits accomplis : Promissa lege; impleta
cerne. Que dis-je ? nous les voyons s'accomplir encore mira-
culeusement tous les jours. Est-ce que les victoires de l'E-
glise ne se renouvellent pas à chaque instant? Quamdiu hic
est Ecclesia, quamdiu getnit triticum inter paleas^ spicœ inter
zizanitty lilium inter spinas^ non desunt inimici qui dicunt :
Quando morietur et peribit nomen ejus? Id est y ecce veniet
tempus ut finiantur, et non sintchristiani. Mais qu'arrive-t-il?
A quoi aboutissent les vœux et l'attente des impies ? Cum ista
dicunt^ et sine fine moriuntur^ et permanet Ecclesia. Quoi de
plus propre à confirmer notre foi, à la rendre inébranlable ?
Est-il possible de voir ainsi s'accomplir à tout instant des
promesses si merveilleuses, et de douter des faits miraculeux
attestés par l'Evangile *, ou d'avoir la moindre appréhension
sur l'accomplissement des prophéties qui restent encore à
réaliser : la résurrection, le jugement, le règne glorieux du
Sauveur et de ses élus? Ita ventura sunt quœ restant^ sicut
venerunt ista quœ olim non fu^rant et prœnuntiabantur. Non
erat Christus in terra; Deus promisit^ exhibuit. Non erat
fusus sanguis pretisosus quo deleretur chirographum mortis
nostrœ; promisit : exhibuit. Nondum resurrexerat caro in
vitam œtemam; promisit : exhibuit. Nondum crediderant
gentes; promisit : exhibuit. Nondum idola gentium deleta
erant; promisit : exhibuit. Ista omnia cum prœdixisset et
* s. Aug., Serm. xxn, 4. — ^ On ne peut refuser à celui qui accompUt
si visiblement les mervelUes qu'il a promises, de croire qu'il était
capable d*opérer les plus grands miracles. Ainsi, dit S. Augustin, notre
foi est affermie des deux côtés; ni les Apôtres, ni nous ne pouvons
douter. Ce qu'ils ont vu dans la source les a assurés de toute la suite,
ce que nous voyons dans la suite nous assure de ce que l'on a vu et
adoûré dans la- source. Bofisuet, Sur les prometses de VEglise, i.
400 lÊSUS-CHRlST SELON l'évancile. [k« 257
exhibuisset, de solo die judicii mentitus est? Veniet omnino,
qtiomodo ista venerunt... Nemo dicat : Non veniet '.
CHAPITRE II.
DOCTRINE DU SAUVEUR,
ARTICLE I.
FaraboleB '.
' 857. — Qn'eBt-ce qu'âne parabole?
[IxpafoXY] dit simplement rapprochement, comparaisoD,
analo^e développée : itapi piXXsiv, objieere, conferre. Mais
l'usage a modifié le sens de ce tenne. Dans l'Ancien Testa-
ment, il signifie le plus souvent énigme % sentence *, dis-
1 Cr. s. Aag., M Pi. xizii, 28; lxx, Enarr. ii, 13; lziiit, in flue;
oxxxiv, W; cïLVii, de catech. rud., 45. 46, 63; Serm. iiitiu, 10;
ex, 4. Voir aussi de Fide rerum qiue non mdmiur, 3-11 ; S. Chrys., In
I ad Cor., liam. vu, 9; Bossaet, H. t/.,Il, xiii. — ' Cette image e«da
second siècle et se voit k la «oûte d'une des cryptes du cimetière de
Ste Priscille, via Salaria. La bon Pasteur parte sur ses épaules la brebi)
qu'il a recouvrée. Il se lient debout entre Jeui brebis lldàles qui le
regardent avec amour. C'est la Hgure du Sauveor eierçsnt aon ministère
ici-bas et travaillant i, ramener les pécheurs. Les deux ai'bres qu'on roil
à ses cAtéa, et sur les branches desquels deui colombes se reposent,
sont l'emblème du ciel et flgureot la paii qu'y goûtent les élus. Apoc,
ïni, 2; Infra, n. Ï15. - » Voir Wiaeman, Mélanget, et P. VentuM,
HomélUt Mvr le» parabola. — * Pb. xltui, G, — ' Prov,, i, 1.
N<>287] SA VIE PUBLIQUE. — PARABOLES. 401
cours figuré *. Dans le Nouveau, il désigne une forme de
langage spéciale, un genre d'apologue déterminé. On en-
tend par parabole l'expression symbolique d'une vérité re-
ligieuse, au moyen d'un récit plus ou moins fictif, mais tou-
jours pris dans la nature ou dans les habitudes de la vie
humaine •.
La parabole se rapproche de la fable, par la fiction qu'elle
admet comme par la moralité ou l'instruction qui en res-
sort ; mais elle en diffère en ce qu'elle garde mieux la vrai-
semblance, et qu'elle ne se permettrait pas, ce qu'affecte la
fable, d'attribuer aux êtres qu'elle met en scène des actions,
des qualités, des habitudes étrangères à leur nature. Sans
exclure la simplicité, la parabole est essentiellement grave
et noble. Ce n'est pas la forme de langage la plus rapide ni
la plus précise ; mais c'est une des plus saisissantes, celle
qui pique davantage l'attention, qui fait mieux ressortir une
idée, qui la grave le plus profondément dans la mémoire.
Nulle n'est mieux appropriée à l'esprit du peuple, ni plus
en harmonie avec les locutions figurées des Orientaux*.
Nulle n'est plus convenable à la majesté d'un Dieu qui
daigne converser paternellement avec les hommes. Aussi le
Verbe fait chair s'en est-il fait une habitude et comme un
langage propre.
On ne trouve guère de paraboles hors de nos Evangiles *.
Nous ne voyons pas que les Apôtres même en aient fait
usage. Il semble qu'ils ont désespéré de parler dignement
ce langage après leur divin Maître, ou qu'ils ont renoncé à
s'en servir, par respect, comme on s'est interdit de prendre
et de donner son nom. Quant aux auteurs de l'Ancien Tes-
tament, c'est à peine si l'on trouve dans leurs livres un ou
* Nnm., XXIII, 7; Job., xxvii, t, etc. — * Ut ex his quse animus novit,
stirgat ad incognita quae non novit. S. Greg., M. In evang., Hom. xi, i.
— 3 Sapiens in versutias parabolarum introibit , occulta proverbiorum
exquiret et in abscondita parabolarum conversabitur. Eccli., xxxni, 2, 3.
Cf. m Reg., IV, 32; n Par., ix, 1 ; Matth., xiii, 42. Ut quod per simplex
pneceptum teneri ab auditoribus non potest, per similitudinem exem-
plaqae teneatur. S. Hieron., In Matth. ^ xviii, 23. — * Les évangiles
apocryphes n'en ont pas.
402 /ÉSlïS-CflRIST SELON l'évangile. [n» 258
deux exemples de paraboles proprement dites : l'apologue
de Nathan à David *, et celui de la femme de Thécua *. Les
autres apologues, auxquels on donne quelquefois le nom de
paraboles, sont ou des fables *, ou des énigmes *, destinées
à suggérer avec ménagement certaines vérités qui auraient
pu blesser sous la forme directe.
* 258. — Combien compte-t-on de paraboles dans TEvangile?
Le divin Maître a dû en prononcer un grand nombre ^ ;
mais les évangélistes nous en ont conservé vingt-quatre
d'une certaine étendue, qu'on peut répartir en trois classes,
d'après la nature des objets qui en ont fourni l'idée.
l*" Sept de ces paraboles sont empruntées aux institutions
et aux usages de la vie sociale. Ce sont :
1° Les mines, Luc, xix, 12-27; et les talents, Matth., xxv, 14-30;
2° La robe nuptiale; Matth., xxii, 1-14;
30 Les invitations méprisées, Luc, xiv, 16-24;
40 La veuve opprimée, Luc, xviu, 2-8;
5» Le bon Samaritain, Luc, x, 30-37;
6" Le mauvais riche, Luc, xvi, 19-31;
1^ Le pharisien et le publicain, Luc , xviii, 9-14.
2" Huit sont tirées de la famille et des usages de la vie
domestique :
lo Les deux fils, Matth., xxi, 28-32;
2« L'enfant prodigue, Luc, xv, 11-32;
30 Le maître bon et le serviteur impitoyable, Matth., xvui, 31-35;
4» Le bon et le mauvais serviteur, Luc, xii, 35-48;
50 L'économe infidèle, Luc, xvi, 1-12;
6° Les dix vierges, Matth., xxv, 1-13;
70 Le levain, Matth., xiii, 33;
8" La drachme, Luc, xv, 8-10.
3* Neuf sont tirées de l'agriculture, de la vie pastorale et
de la pêche * :
lo La semence, MatUi., xiii, 3-9, 18-23;
2o Le bon grain et l'ivraie, Matth., xiii, 24-30;
3* Le grain de sénevé, Matth., xiii, 31-32;
1 II Reg., XII, 1. — 2 II Reg., XIV, 5. — 3 Jud., ix, 8, 15; IV Reg.,
XIV, 9; Isai., v, 1. — * III Reg., xx, 39. — » Matth., xiii, 34; Marc,
ÏY, 33. — ^ Cf. Dupanloup, Elud» dun homme du monde.
N('259] SA VI£ PUBUQUE. — PARABOLES. 403
40 L'arbre stérile, Lac, toi, 6-9;
5» Les ouvriers de la vigne, Matth., xx, 1-16;
60 Les vignerons homicides, Matth., xxi, 33-41 ;
7« Le riche insensé, Luc, xii, 16-21 ;
S^ Le pasteur qui court après sa brebis égarée, Luc, xv, 3-7;
90 Les poissons péchés et choisis, Matth., xixi, 47 50.
* 259. ^ Ne pourrait-on pas grouper ces paraboles autrement, dans un
ordre logique ou d'après leur signification?
On Ta essayé plusieurs fois ; mais quelque plan qu'on ima-
gine, il est clair que ces paraboles n'ont pas été faites pour
le remplir et que le divin Maître, en les prononçant, ne son-
geait pas à suivre un programme.
I. Beaucoup de commentateurs se bornent à signaler un
groupe tout fornié de sept paraboles sur le royaume des
deux : ce sont la bonne semence et Tivraie, le grain de sé-
nevé, le levain, le trésor, la perle, le filet *. On voit là com-
ment ce royaume s'établit, quels obstacles il rencontre, par
quelle vertu il se développe, quels fruits il produit, qui
sont ceux qui en demeureront possesseurs.
II. Quelques docteurs rapportent toutes les paraboles à
ce royaume de Dieu qui fait le grand objet de la prédica-
tion du Sauveur. Ils y voient : — 1" Sa nature et son excel-
lence, dans le trésor, la perle, le filet. — 2° Son origine,
dans le grain jeté du dehors et se développant peu à peu '.
— 3* La manière dont il s'étend et se propage, dans la
semence, le grain de sénevé, le levain. — 4® Les conditions
pour en faire partie, dans les invitations refusées, le bon
pasteur, la drachme, les noces et la robe nuptiale, l'enfant
prodigue, le publicain. — 8» Les vertus qu'il faut pratiquer
et les défauts qu'on doit éviter, dans le repas où l'on prend
les premières places, le serviteur sans pitié, l'économe infi-
dèle, le mauvais riche, celui qui a fait une récolte abon-
dante, les serviteurs qui attendent leur maître, le bon Sa-
maritain. —7 6* Ce qu'il y faut faire, dans les ouvriers de la
vigne, les deux fils, les talents, la veuve qui supplie, l'ami
qui a reçu des hôtes, le figuier stérile. — 7° Enfin la desti-
* Matth., XIII, 3-53. — « Marc, iv, 26-29.
404 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n°2S9
née dernière de ceux qui en font partie, dans les dix vierges,
rivraie, le filet jeté à la mer.
III. Un plus grand nombre rangent les paraboles en trois
classes : prophétiques, morales et mixtes ; et cette division
nous semble la plus naturelle et la plus conforme aux vues
de Notre Seigneur.
Paraboles prophétiques.
lo Les TÎgnerons homicides, Matth.» xxi, 34-46;
2o Les ouvriers du père de famiUe, Matth., xx, t-16;
3» Les invitations refusées, Luc, xiv, 15-21;
4® L'arbre stérile, Luc, xiii, 6-9;
5<> Le grain de sénevé, Matth., xiii, 31-32;
6* Le levain, Matth., xin, 33.
Paraboles prophétiques et morales.
1« Les mines, Luc, xix, 12-27;
2<> La semence, Matth., xiii, 3-24;
30 L'ivraie, Matth., xiii, 25-30;
4» Le prodigue, Luc, xv, 11-32;
5« Les deux âls, Matth., xxi, 28-32;
6» La robe njiptiale, Matth., xxii, 1-14;
70 Le fllet, i&atth., xiii, 47-50.
Paraboles purement morales.
!• Le bon Samaritain, Luc, x, 30-37 ;
2^ Le maître miséricordieux et le serviteur impitoyable, Matth.,
XVIII, 21-35;
S^ Le pharisien et le publicain, Luc, xviii, 9-14;
40 L'économe Infidèle, Luc, xvi, 1-12 ;
50 Le riche insensé, Luc, xii, 16-21 ;
6° Le mauvais riche, Luc, xvi, 19-31 ;
70 Les dix vierges, Matth., xxv, 1-13;
80 Le pasteur et sa brebis égarée, Luc, xv, 3-7;
90 La drachme, Luc, xv, 8-10;
10» La veuve opprimée, Matth., xxv, 12-27;
11« La perle et le trésor cachés, etc.
A ces paraboles, plusieurs en ajoutent encore un certain
nombre, mais fort courtes, et plutôt indiquées que dévelop-
pées :
lo Les enfants qui chantent et qui pleurent, Matth., xi, 16;
2» Le trésor trouvé dans un champ, Matth., xiii, 44;
3« La voie étroite et la porte petite, Luc, xiii, 24 ;
4° La tour k élever, Luc, xiv, 28-30;
5<^ La femme en travail, Jean., xvi, 21, etc.
N« 260] SA VIE PUBLIQUE. — PARABOLES. 405
§ I. ~ Paraboles prophétiques.
Les vignerons homicides. Matth., xxi, 34-46.
260. — Getto parabole a-t-elle réellement une signification
prophétique ?
Le sens prophétique de cette parabole est manifeste , et
son accomplissement ne saurait être plus frappant.
1" Notre Seigneur annonce, sous le voile de l'allégorie,
mais sans nulle équivoque, un grand nombre de faits rela-
tifs à sa personne : que les princes des prêtres entraveront
la mission qu'il a reçue de son Père, 37 ; qu'au lieu de le re-
cevoir et de reconnaître son autorité, ils chercheront à as-
surer leur indépendance, en le traînant hors de Jérusalem
et en le mettant à mort, 38, 39 ; que la justice divine dé-
jouera leur dessein, en les chassant eux-mêmes pour les rem-
placer par des ministres plus fidèles, 4i, 43; en d'autres
termes, que le déicide dont ils se rendront coupables à son
égard sera le point de départ d'un ordre de choses tout nou-
veau; que le Fils de Dieu rejeté et immolé deviendra la tige
d'un nouveau peuple, eOvei, choisi parmi les nations, qui
rendra au Seigneur l'obéissance que le premier lui aura re-
fusée, et qui triomphera par une vertu miraculeuse de toutes
les épreuves et de toutes les persécutions, 43, 44. Il est im-
possible de méconnaître la pensée du divin Maître. Non
seulement les trois Synoptiques l'énoncent avec une grande
clarté, mais ils ajoutent tous trois que ses auditeurs le com-
prirent parfaitement, 45, 46.
2" On ne peut pas davantage révoquer en doute le carac-
tère divin des événements qui ont vérifié ces paroles. Il est
vrai qu'au temps où les évangélistes les écrivaient, une
partie déjà de ces prédictions appartenaient à l'histoire.
Jésus-Christ avait été traîné hors de la ville et mis à mort
d'une manière sanglante *; néanmoins , la partie la plus
considérable et la plus surprenante restait encore à réaliser.
On sait comment et avec quelle promptitude elle s'accom-
* Joan., XIX, 17; Heb.| xiii, 11-13. Cf. Lev^ xvi, 27.
23.
406 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n® 261
plit *. Quelques années plus tard, le temple était détruit, le
peuple dispersé, l'ancien sacerdoce aboli, ou plutôt rem-
placé. Sur les ruines de la synagogue, une nouvelle société
se formait. L'Eglise chrétienne réunissait dans son enceinte
les Gentils convertis avec les Israélites fidèles, et après avoir
supplanté le judaïsme, brisait par sa fermeté toutes les puis-
sances qui osaient entrer en lutte contre elle. Il est donc
impossible d'éluder la force de cette prophétie. Quand on
pourrait l'attribuer aux écrivains sacrés, ce qu'elle a déplus
frappant ne resterait pas moins antérieur aux événements,
et elle n'en serait pas moins évidemment divine ".
Le passage du Psaume cxvn, 22, cité ici par Notre Sei-
gneur, l'est également par S. Paul dans l'Epitre aux Ro-
mains ', et par S. Pierre en deux endroits, dans un de ses
premiers discours *, et dans sa première Epitre ^
Les ouvriers do la vigne «. Matth., xx, 1-16.
261. — Cette parabole des ouvriers de la vigne et du denier promis
convient-elle à tous les temps et à tous les lieux?
La parabole des ouvriers envoyés à la vigne a toujours et
partout son application, car Dieu sollicite à chaque instant
tous les hommes à travailler à leur sanctification et à celle
1 Ut pos&iderent occiderunt, et quia occiderunt, perdiderunt, S. Aug.,
Serm. lxxxvii, 3. — 2 Multa, Judaee, scelera, commisisti ; cunctis circa
te servisti nationibus. Ob quod factura? Utique propter idololatriam.
Quumque servisses crebro^ misertus tui est Deus et roisit Judices et
•salvatores. Ad extremuni, sub Vespasiano et Tito^ urbs capta templumqne
subversum est. Post eversionem templi, paulo minus per quadringentos
annos et urbis et templi ruinse permanent. Ob quod tantum facinus?
Certe non colis idola, sed etiam servions Persis atque Romanis ignoras
aliènes Deos. Quomodo clementissimus quondam Deus, qui nunquam tai
oblltus est, nunc per tanta spatia temporum miseriis tuis non adducitur
ut solvat captivitatem ? Ob quod, inquam, facinus et tam exsecrabilo
scelus avertit a te oculos suos? Ignoras? Mémento vocis parentum tuo-
rum : Sanguis ejus super nos et super filios nosiros. Et : Venite, occida-^
mus eum et nostra erit hêsreditas. Et : Non habemus regem nisi C ««-
rem. Habes quod elegisti. S. Hieron., Epist. cxxix, 7. Supra^ n. 242,
244, 336, 312. Bossuet, H. U., II, xxiv. — 3 Rom., ix, 32. — * Act., iv,
il, 12. — « I Pet., II, 7. P, de la Rue> Serm, sur la divinité de la reli-
gion. — 6 Opcrarii^ les. esclaves étaient rares chez le peuple de' Dieu.
Cf. Marc, i, 10. . ^ i- % ; .
fi^2SSt] SA VIE PUBUQUE. — PARABOLES. 407
du prochain ; mais dans les circonstances où elle a été pro-
noncée, elle faisait allusion aux divers appels adressés par
le Seigneur à son peuple et plus particulièrement à la vo-
cation des nations infidèles ^ Quant au denier*^ c'est le
royaume de Dieu, qui commence en cette vie par la grâce,
pour se consommer en Tautre dans la gloire. Il est donné à
tous ceux qui répondrojit à l'appel divin, et donné à tous en
pur don, par miséricorde. C'est pourquoi il est le même pour
tous, pour les Gentils comme pour les Juifs. Les uns et les
autres peuvent jouir des mêmes biens et être Tobjet du
même amour. La réunion des uns et des autres forme l'unique
peuple de Dieu •. Oculus nequam est une expression propre à
la langue hébraïque qui signifie regard envieux^ jalousie^.
Il fallait toute la prévention de l'esprit de parti pour ame-
ner des exégètes à voir dans cette parabole de S. Matthieu et
dans sa moralité, répétée par S. Marc, comme par S. Luc *,
une représaille des partisans de S. Paul contre les plaintes
que les rationalistes se plaisent à imputer aux premiers dis-
ciples du Sauveur sur le rang et les prérogatives attribués à
ce dernier venu dans le ministère évangélique.
Lies invitations refusées. Luc, xiv, 15-24»
* 262. — Ce mot, Compelle intrare, autorise-t-il à faire violence
aux hérétiques pour les réunir à TEglise?
Il s'agit, dans cette parabole, non de violence, mais d'ins-
tances, de sollicitations ®, comme en pourrait faire un pas-
teur zélé ou un saint missionnaire'; et les infirmes ou les
mendiants dispersés dans les rues et le long des haies fi-
gurent plutôt les infidèles qui ne sont pas encore entrés
dans l'Eglise que les hérétiques qui en sont sortis.
i Nihil sic excitât tardiores ut aemulatio, remarque S. Chrysostome,
propterea ssepius inculcat Dominus : Erunt novissimi primi. In Matth.,
HomiL xvu, 3; Brev. In fest. 5. Marim Mgypt, — * Paie du soldat ro-
main. Tacite, Ann., l, 17. A, T., n. 186. — 3 Âpoc, xxi, 3. — * Cf.
Deut., XV, 9; Eccli , xiv, JO; Marc, vii, 22. — * Marc, x, 31; Luc,
XIII, 30. — 6 Luc, XXIV, 29; Act., xvi, 15; U Tim., iv, 2. Cf. II Reg.,
V, 16. — "ï Comminatione scilicet wtemorum suppliciorum et ostensione
praesentium. S. Bonav.
408 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n<> 263
A la vérité, S. Augustin allègue ce passage pour justifier
les peines imposées par les empereurs chrétiens aux Dona-
tistes révoltés contre l'Eglise *. « Un père, dit-il, n'abuse
pas de son pouvoir en contraignant un enfant indocile à
écouter sa mère et à faire son devoir. » Sans contredire le
principe de ce saint Docteur, surtout dans le cas auquel il
l'applique, on peut dire néanmoins qu'une fin bonne, si
excellente qu'elle soit, ne légitime pas tous les moyens, et
que le prince a une mesure à garder dans l'emploi de sa puis-
sance. Il est difficile de nuire à quelqu'un en le conduisant
au ciel : Intv^s enim inveniuntunde selœtentur intrasse. Mais
on ne peut mettre personne au ciel malgré lui, et en voulant
forcer quelqu'un d'y entrer directement ou sans délai, n'au-
rait-on pas à craindre de l'en éloigner ou d'en détourner
d'autres*?
Quant à la robe de noces, sans laquelle on ne saurait avoir
part au banquet céleste ', c'est la foi animée par la charité,
qui nous revêt de l'esprit du Sauveur et qui fait l'ornement
de toutes les âmes saintes *.
§ II. — Paraboles prophétiques et morales.
Les mines. Luc, xix, 12-27.
263. — La parabole des mines est-elle diflférento de celle des talents,
Matth., XXV, 14-30?
La parabole des mines et «elle des talents se ressemblent
sous beaucoup de rapports. Le but général est le môme;
1 Foris inveniatur nécessitas^ nascetur intus voluntas. S. Aag.,
Serm, cxii, 1; De Unit, EcclesisBy xx; Epist. xciii, 3, i7; glxxiii, 10;
cLxxxv, Cont. Epist, Pai^men., i, et Contva Gatident., i, 28; Bossuet,
Polit. sac7'ée^ VII, m, 10. — 2 niud magnopere cavere Ecclesia solet, ut
ad amplexandam fidem catholicam neroo invitus cogatur, quia quod
sapienter Augustinus monet [In Joan., xxvi, 2) : « Gredere non potest
Tïisi volens. » Léo XIII, Immortale Dei. S'il est vrai que des canonistes
ont attribué à l'Eglise le pouvoir de punir de mort, ou du moins de pri-
son et de confiscation la désobéissance à ses lois, ce sentiment est loin
d'être communément suivi. — 3 Matth., xxii, U, Cf. Gen., xli, 42;
XLV, 2*2; Dan., v, 7; Horat., Epist. l, vi, 140, — * Rom., xiii, 14;iBre?.,
18 sept., lect. 1»
_J
W»264] SA VIE PUBLIQUE. — PARABOLES. 409
mais S. Luc insiste plus que S. Matthieu sur le châtiment
infligé au serviteur mauvais et paresseux.
Plusieurs pensent que tout n'est pas imaginaire dans cette
parabole, non plus que dans celle du mauvais riche, du Sa-
maritain, du pharisien et du publicain, de l'économe infidèle,
du propriétaire qui a fait une bonne récolte. Ils croient re-
connaître dans le maître austère dont parle S. Luc, 2i, Ar-
chélaûs, fils d'Hérode TAncien. En partant pour Rome, où
les rois allaient alors demander l'investiture de leur pouvoir :
accipere Hbi regnum, 12 *, il avait confié à des amis et à des
serviteurs ses biens et ses trésors. Une députation de Juifs
le suivit en Italie pour prier Auguste de ne pas donner un
tel maître à leur nation ' ; mais elle n'eut pas de succès pour
lors, et, à son retour, Archélaûs se vengea de ce qu'on avait
fait contre lui •.
264. — Est-il juste de dire : — que Dieu donne à chacun selon ses
mérites ou ses dispositions : secundum virtutem^ 15; — que» pour
punir le serviteur paresseux, il lui ôte môme ce qu'il n'a pas, 29; —
que sa rigueur va jusqu'à vouloir moissonner là môme où il n'a pas
semé, 24?
1** On ne peut dire que les premières grâces soient don-
nées à raison des mérites, ou que celui qui les obtient y avait
droit et les méritait par sa conduite ; car il est de l'essence
de la grâce d'être gratuite à son origine, et de l'essence du
mérite d'avoir la grâce pour principe *, mais il est certain
qu'avec les premières grâces on peut en mériter d'autres, et
qu'un grand nombre sont la récompense du bon usage qu'on
a fait des grâces précédentes.
2** Par les talents ou les mines, Notre Seigneur semble
plutôt désigner ici les offices et les dignités qu'il confie à ses
ministres pour le gouvernement de l'Eglise, ou les grâces,
gratis datœ, les dons surnaturels dont il gratifie certaines
personnes dans l'intérêt du prochain, le don des miracles,
le don des langues, etc. '. Dans la distribution de ces dons
* Ba<n>etav. Luc, xix, 12. Cf. I Mac, viii, 13. — * Cf. Luc, xix, 14.
— 3 Cf. Joseph., i4., XVII, ix, 7; xi, 1, 4; xiii, l, 2; B., II, ii-vii, —
♦ S.^Thom., 2«-2» j^q. 24,^a,^3, ad !• — « I_Cor„ xu, 11.
410 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n<» 264
ou de ces charges, il n'y a pas de doute qu'il ne tienne
compte des dispositions naturelles et surnaturelles de cha-
cun, de sa position, de son caractère, de sa science, etc.
3"" Celui qui n'a pas mis à profit, dans son intérêt comme
dans celui de son maître, l'emploi, le talent, la grâce qui lui
a été confiée, mérite de perdre ce qu'il a reçu et ce qu'il
pouvait acquérir. Il est juste de l'en dépouiller et de lui ôter
les faux biens dans lesquels il se complaît *. C'est ce qui
arrive au serviteur inutile, oKvt)poç, aypetoç *, 26, 30, c'est-à-
dire oisif et paresseux. Celui qui ne fait pas valoir les dons
de Dieu les perd, tandis que ceux qui les font fructifier en
obtiennent de plus précieux. A la mort, la gloire est donnée
à celui qui possède la justice. Mais celui qui n'a pas même
la grâce sanctifiante se voit enlever ce qu'il avait reçu pour
s'y disposer, et il est jeté dans les ténèbres extérieures.
4* Il n'est pas une âme qui ne participe aux grâces du
ciel et qui ne reçoive des secours abondants pour se sancti-
fier, et même souvent pour contribuer à la sanctification des
autres. Ces dons sont autant de semences dont Dieu a droit de
recueillir les fruits. Il est donc faux qu'en faisant rendre
compte à tous ses serviteurs, il veuille récolter là où il n'a
pas semé *. Et s'il châtie sans miséricorde le serviteur mé-
chant et paresseux, c'est en partie parce qu'il lui impute
cette prétention déraisonnable et injuste *.
1 Ce qu'il s'imagine posséder. Cf. Matth., xiii, 12; xxv, 29; Luc,
Yiii, 18. Notez l'habileté qu'avaient dès lors les Juifs à faire valoir leurs
capitaux. — 2 Cf. Rom., xii, 11. — 3 S. Thom., 2«2œ, q. 62, a. 5, ad3.
— * Matth., xxv, 26. — * Cette médaille offre d'un côté un palmier, h
la place do la tète de l'Empereur, où Ton aurait cru voir de l'idolâtrie,
Ex., XX, 4 ; de l'autre un épi de blé barbu, et autour, Kat^apoç. Cf.
Matth., XXII, 21. Les lettres L, AF, indiquent Tan 33 d'Auguste, 6 de
l'ère chrétienne, date de Texpulsion d'Archélatts. Cf. Jos., ^., XVII, xv;
XVUI, I. Supra, n. 48..
JV0 266| SA VIE PUBLIQUE. — PARABOLES. 411
L>a semence. Matth., xni, 3-24.
* 265. — Que signifie cette parabole, et en particulier la terre qui
produit trente, soixante et jusqu'à cent pour un ?
I. La parabole de la semence nous apprend deux choses :
— !• Que c'est communément le petit nombre qui profite
de la parole de Dieu, comme c'est le petit nombre qui a
profité, au commencement, de la prédication de l'Evangile.
— 2* Les principales causes qui l'empêchent de produire
ses fruits. Gomme il y a trois conditions pour qu'elle fruc-
tifie, dit S. Thomas : Quod memoria conservetur, quod radi-
cetur per amorem, et quod sollicite colatur^ il y a aussi trois
causes qui la rendent stérile : la légèreté d'esprit, la du-
reté de cœur et le dérèglement de la conduite : Tria
enim priera per tria tolluntur : memoria per vanitatem^
caritas per duritiam^ sollicitudo per germinationem vitio-
mm K
IL Par ces bonnes terres qui produisent trente, soixante
et jusqu'à cent pour un •, les Pères entendent trois sortes
de justes : ceux qui débutent dans la perfection, ceux qui
progressent, ceux qui approchent du terme ; ou bien ceux
qui sont engagés dans le mariage, ceux qui vivent dans le
célibat^ et ceux qui ont consacré leur vie à la virginité '.
Li*ivrale. Matth., xiii, 25-30 *.
266. — Convient-il quelquefois de tolérer le mal?
Dieu tolère le pécheur pour l'amener à la pénitence ^
* In Matth,., Nolite habere durum cor, unde cito verbum Dei pereat;
noiite habere tenuem terram^ ubi radix caritatis alta non sedeat ; nolite
caris et cupiditatibus saecularibus suffocare bonum semen; sed estote
terra bona. S. Aug., Sa^m, lxxiii, 3.-2 cf, Gen., xxvi, 12. — 3 Si eut
in terra mala très fuere diversitatcs, secus vlam et petrosa et spinosa
loca, sic in terra bona trina diversitas est, centesimi, sexagesimi et
tricesimi fructus. S. Hieron., In hune toc. Cf. S. Thom., l«-2«, q. 70,
a. 3, ad 2; et p. 3, q. 96, a. 4. — * Cum dormirent homines. Brev. rom.,
Dom, V post Epiph.f lect. 7-9. — s Eccli., xxxiii, 1"5; 11 Pet., m, 9.
Omnis malus aut ideo vivit ut corrigatur, aut ideo vivit ut per illum
bonus exerceatur, &• Aug., In Ps, liv, 4. Melius judicavit de malis bene
412 JESUS-CHRIST SELON l'évangile. [n<> 266
Cette conduite du père céleste doit nous servir de règle : Si
semper bontis fuisti, habeto misericordiam; si aliquando ma-
lus fuisti, noli perdere memoriam. Et quU est semper bonus^'^
En bien des circonstances, il est impossible d'extirper le
mal sans porter préjudice au bien, de mettre le feu aux buis-
sons sans incendier les récoltes *. C'est donc un devoir pour
les pasteurs comme pour les fidèles de modérer leur zèle et
de raisonner leur conduite •. Ce qui est essentiel, c'est de
ne jamais se plaire dans la vue du mal, de n'y pas rester
indifférent, de prier Dieu d'y apporter remède, et de ne se
résigner à le souffrir que pour éviter un mal plus grand *.
Un écrivain rationaliste • a fait remarquer que le terme
par lequel est ici désigné l'auteur du scandale, exOpoç
avôpwTcoç •, est un des noms injurieux que les ébionites
donnaient à S. Paul. Mais que conclure de là? Ce n'est pas
assurément que S. Matthieu ait désigné le premier à l'Eglise
cet Apôtre comme son ennemi. C'est que les hérétiques
abusaient d'un terme que l'Evangile avait rendu familier,
pour en faire l'application à l'Apôtre et par suite que
l'écrit de S. Matthieu est antérieur aux déclamations de ces
sectaires '.
La parabole des bons et des mauvais poissons est comme
la suite et le complément de celle-ci *.
facere quam nulla mala esse pertnittere. Enchir., 8. Sex diebus creayit
cœlum et terram, et civitatem Jéricho septem diebus solvit. Ne mireris :
velox est Deus ad extruondum, tardus ad destruendum. Ulud potentie,
istad bonitatis est. S. Ghrys., de Pœnit,^ Homil. vu, 4.
1 S. Aug., Serm, xlvii, 6. Non toléras : quis te tolerabit? ïn Ps. cxxix,
4, etc. — 2 Ex., xxii, 6. — 3 II Tim., ii, 20, 21, 24-26. Toléra zizania, si
triticum es; toléra paleam, si frumentum es; toléra pisces malos intra
retia, si piscis bonus es. S. Aug., In Ps, xl, 8* — ♦ Non dixit: Crescaot
zizania, decrescat frumentum : sed : Sinite usque ad messem. Gaudete
in frumentis, tolerate zizania; gemite in tritura, suspirate in horreum.
5. Aug., In Ps. cxLvii, 20. Cf. Gai., v, 12. S. Thom., 2» -2«,q. 10, a. 8,
q. 64, a. 2, ad 1. — » M. Renan, Evangiles, 109. — « Cf. Clément.,
Hom, XVII ; Matth., xiii, 39. — ' Cf. Rom., v, 10; Col., i, 21 ; IIThess.»
II, 8. — 8 Matth., XIII, 47-52.
N° 267] SA VIE PUBUQUB. — PARABOLES. 413
Li*eDfant prodigue. Luc, xv, il -32.
267. — Que nous apprend la parabole de l'enfant prodigue?
La parabole de Tenfant prodigue est le tableau le plus
touchant de la miséricorde de Dieu à l'égard des hommes.
Dans l'aîné des deux fils, les anciens ont vu surtout les Juifs
et les pharisiens, et dans le prodigue, les Gentils et les pu-
blicains. C'est l'idée qui s'offrait d'abord. Cependant, la
pensée du divin Maître est moins restreinte. Sa parabole
paraît plus juste et plus belle encore, si l'on considère dans
le prodigue le pécheur en général, et dans le fils aîné les
âmes justes qui n'ont pas rompu avec Dieu. Il n'est pas
d'exemple plus propre à faire sentir ce qu'ignoraient les
païens et ce que le chrétien seul comprend : la malice du pé-
ché envers Dieu et le malheur de l'âme coupable. Le pro-
digue n'a commis aucun crime contre la société : il n'a pas
outragé son père ; il n'a pas ravi ses biens par la force : il a
voulu seulement se satisfaire, jouir de sa liberté et de sa po-
sition, vivre à son gré, contenter ses penchants, 13, 14. Que
sa conduite pourtant est coupable et son état malheureux !
Son égarement et ses malheurs offrent le tableau le plus tou-
chant des désordres produits par les passions et des peines
qu'elles traînent après elles, 18, 16. Qui peut voir sans pitié
la misère et le dénûment auxquels [il est réduit! Dans son
retour, on peut discerner les divers progrès de la conversion,
le désir de changer de vie, 17, 18, la confession, le repentir,
le bon propos, 21. Après le pardon reçu, vient l'infusion de
la grâce sanctifiante, 22, la communion, 23, enfin des té-
moignages de tendresse et d'amour, à exciter l'envie des
justes mêmes, 24-32. Impossible de rendre par une image
plus sensible et plus vraie la fragilité de la nature humaine
et l'étendue de la divine miséricorde. Il n'est pas un endroit
dans l'Ecriture où le cœur de Notre Seigneur nous découvre
mieux sa tendresse et dont la lecture soit plus propre à tou-
cher et à convertir.
414 JÉSUS-CHHIST SELON L'ÉVANGafi. [n® 268
ff
§ III. — Paraboles purement morales.
Le bon Samaritain. Luc, x, 30-37.
268. — Pourquoi Notre Seigneur demande-t-il qui a été le prochain du
Samaritain *? Tous ne Tétaient-ils pas également?
L Le sens de la question du Sauveur : Quis videtur tibi
proximm fuisse illi^ est celui-ci : Qui est-ce qui s'est conduit
envers ce malheureux comme devait faire son prochain, ou
qui s'est regardé comme étant son prochain ? Voulant ame-
ner les Juifs à considérer comme leur prochain tout homme
quel qu'il soit, fût-il Samaritain *, quel plus bel exemple leur
peut-il citer que celui de cet étranger qui commence par
traiter l'un des leurs comme il eût traité l'un de ses proches?
Après avoir admiré la conduite de cet homme envers eux,
pouvaient-ils s'empêcher de reconnaître ce que demaudait
l'équité, à savoir qu'ils agissent eux-mêmes avec une cha-
rité semblable?
On peut remarquer, à cette occasion, combien cette notion
du prochain s'est modifiée dans le christianisme. Autrefois
proximm ne donnait d'autre idée que celle de parent ou de
proche; un étranger, un inconnu était presque un ennemi •.
Mais la religion ayant fait des chrétiens une même famille,
tous se sont rapprochés et sont devenus réellement des frères,
des parents, des proches^ dans leur esprit et dans leur cœur *.
IL Les saints Pères ont vu dans ce blessé le type de l'huma-
nité déchue *. Elle descendait de la cité sainte ; car le péché
l'avait bannie de la société des enfants de Dieu ; et le démon,
en la dépouillant de la grâce, l'avait blessée dans ses facultés
les plus intimes «. Les prêtres et les Lévites de la race
1 Luc, X, 35. — 2 Âlienigena. Luc, xvii, 18. Supra^ n. 177, 179. —
3 AvOpoDicoi avY](Ae{)ot, Il Tim., m, 3; aveXcYipioveç, Rom., i, 31. Homo bo-
mini lupus. Plaut., Asin.y II, iv, 88; ^Quac, Epist. cm. Lucien se moque
des chrétiens comme s'étant laissés persuader par leur législateur que
tons les hommes sont des frères. Philopatris. — * Mattb., xxiii, 8 ; Act.,
XXII, 26; I Cor., viii, 4-6; Gai , m, 27-29. — * Homo quidam. Luc, x, 30.
Cf. Orig., In Luc.j Hom. xxxiv; S. Aug., In Ps. cxxv, 6. — * Spoliatus
gratuit|s, vulneratqs in ns^turalibus, Veu. Beda,
NO 269] SA VIE PUBUQUE. — PARABOLES. 415
d'Aaron, la Loi et les Prophètes sont passés sans remédier à
son état ; mais celui qu'on a nommé un Samaritain, et qu'elle
était habituée à regarder comme un ennemi, est venu. Il s'est
approché d'elle ; il a pansé ses blessures ; il y a appliqué le
vin et l'huile de ses sacrements *, il l'a remise aux mains de
son Eglise, en recommandant à ses ministres d'en avoir soin
etens'engageant à leur donner un salaire proportionnée leur
peine '. C'est cet exemple surtout qui doit porter les chré-
tiens à voir dans tous les hommes des proches et des amis.
Le Maître miséricordieux et le serviteur impitoyable.
Matth. , XVIII , 23-35.
* 269. —Que signifie cette parabole?
La parabole de ce maître miséricordieux et de ce serviteur
impitoyable est de nature à nous faire sentir toute la profon-
deur de notre misère devant Dieu. Une dette de dix mille ta-
lents surpasse infiniment tout ce qu'un homme peut gagner
par son travail et amasser par ses épargnes '. Mais nous ap-
prenons en même temps quelle ressource nous est offerte
pour suppléer à notre impuissance. C'est comme la mise en
scène de la cinquième béatitude : Beati miséricordes *, et de
la cinquième demande de l'Oraison dominicale : Dimitte nobis
débita nostra, sicut et nos dimittimus. En faisant ressortir la
bonté compatissante du maître, la parabole rend hideuse par
le contraste la dureté du serviteur envers son compagnon.
On a besoin, pour comprendre ce trait, de se rappeler jus-
qu'où allait, presque partout, la rigueur des lois civiles en-
vers les débiteurs. A Rome, d'après la loi des douze tables,
il était au pouvoir du créancier de mettre aux fers son dé-
biteur insolvable, de le mutiler, de le vendre comme esclave.
Un voyageur du siècle dernier atteste qu'il a encore vu
appliquer cette loi dans la Géorgie, et même vendre avec le
débiteur sa femme et ses enfants au profit du créancier •.
^ Quia lex per Moyscn data est, gratia et vcritas per Jesum Christura
facta est. Joao., i, 17. — ^ Stabulum est Ëcclesia, ubi reficiuntur pecca-
tores redeuntes in ae'crnam patriam. S. Aug , Serm. clxxi, 12. —^ A. T.,
n, 185. — * Matth,, v, 7. — * GJiez le peuple de Die^i ces mesures
416 JÉSUS-GHRIST SELON l'ÉYANGILE. [n<> 271
Le pharisiea et le publicain. Lno., xvui, 9-U.
* 270. — En quoi parait l'orgueil du pharisien ?
L'orgueil du pharisien parait dans la complaisance qu'il
prend en lui-même et dans le mépris qu'il témoigne de ses
frères. Il est convaincu que rien ne manque à sa perfection,
bien qu'elle consiste uniquement dans l'absence des vices
extérieurs et dans quelques pratiques peu pénibles à la na-
ture *. Rien de plus piquant que le petit drame où cet or-
gueilleux étale aux yeux de Dieu sa vanité et sa sottise. Il
est vrai qu'il rend grâces au ciel de ses vertus ; mais c'est
du bout des lèvres. Au fond du cœur, il croit que Dieu doit
lui en savoir gré *. S'il avait été pénétré de cette idée qu'il
tenait ses mérites de la divine grâce, il n'aurait pas méprisé,
comme il fait, le reste des hommes, cœteros hominum, et en
particulier cet humble publicain, hune publicanum^ 11. Jam
non est exultare, remarque S. Augustin , sed imultare *. On
peut voir combien cette prière contraste avec celle que le
divin Maître nous a apprise.
Les sentiments du pharisien à l'égard du publicain étaient
ceux de la plupart des Juifs à l'égard des Gentils, c'est-à-dire
du reste des hommes *.
Li^économe infidèle. Lac, xvi, 1-12.
271. — Quel est le but de cette parabole, et quelle édification peut
offrir un pareil exemple y Luc, xvr, 9?
I. Cette parabole a pour but de nous recommander la gé-
nérosité envers les pauvres, et de nous apprendre à faire de
nos biens temporels un usage qui profite à nos intérêts éter-
nels. Il en est de même de celle du mauvais riche qui la
cruelles n'étaient pourtant pas autorisées. Cf. Ex., xxii, 3. Lev., xxy,
39, 41 ; Deut., xv, 12; IV Reg., iv, 1; Tit. Liv., II, ii, 23; Tacit., Am.,
III, 60. Pothior, Pandect., t. i, 94; S. Thom., p. 3, q. 88, a. 1, ad 1 et
a. 3, ad 3.
1 Cf. Matth., vi, 3, 5; Luc, xi, 19. — > Justitias suas tanquam nes-
cienti Domino prœdicat, non orans, sed exigens. S. Aug., Set^m cxv, 2.
— 8 S. Aug., In Ps, txx, 4. — * S. Aug., In Ps, lxxiv, iZ,
N<»272] SA Vie ptBUQUÉ. -^ paraboles. 417
suit. Aussi S. Luc remarque-t-il que les pharisiens, qui vou-
laient servir Dieu et Mammon * à la fois, se moquaient du
divin Maître, tandis qu'il tenait ce langage au peuple : Phari-
$œii qui erant avaria ^iXap^upoi, deridebant eum •.
II. On trouve des qualités dans les hommes les plus per-
vers, comme il reste des défauts dans les plus parfaits ; et les
leçons qui nous touchent le plus sont souvent celles qui nous
sont données par ceux que nous estimons le moins '. Du
reste, ce que Notre Seigneur propose à notre imitation, ce
n'est pas l'injustice de cet homme d'iniquité : c'est sa pré-
voyance, son habileté, son industrie, in generatione sua, 8.
11 a ses vues et il marche à son but par la voie la plus di-
recte. Scio quid faciam, dit-il. Son défaut et son malheur,
c'est de n'être pas enfant de lumière, d'ignorer sa véritable
fin. Ce qui était injustice en lui serait vertu en nous, si nous
agissions à l'égard des pauvres comme il agissait à l'égard
des serviteurs de son maître. Dieu consentant à ce que nous
employions ainsi à notre profit les biens qui lui appartiennent ,
mais dont il nous a laissé la dispensation \
Le riche insensé. Luc, xii, 16-21.
* ^î. — A qui S'adresse la parabole da riche insensé?
C'est à la foule que parlait le divin Maître, dit l'Evangé-
liste, 13, 16. En effet, cette parabole convient à la multitude,
à ces hommes des champs surtout, trop enclins à s'identifier
avec l'objet de leur travail, qui ne songent qu'à se bien éta-
blir ici-bas et à s'assurer les aises de la vie *. On ne saurait
mieux rendre leurs soucis, leurs joies, leurs déceptions.
Avec quelle complaisance cet homme terrestre parle de ce
qui est à lui : fructus meosy horrea mea, bona mea^ animam
fneam •. Mais qu'ils sont faux, ces biens auxquels il attache
tant de prix ! Loin de lui procurer la paix, son abondance
* Mammon; Regina pecunia, dit Horace, Ep. I, vi, 36. Cf. Eccles.,
vil, 13. — » Cf. Luc, XVI, 13; Isai., xxviii, 20; Jos., A„ XVIII, 3. —
* Proy., VI, 6. — * Matth., xxv, 35-40; S. Thom., 2» -2» , q. 32, a. 7, ad 1
et q. 47, a. 13, ad 1. Cf. S. Aug., Cont Faust, xxii, 86. — » Cf. Lamen-
nais, Indiffér,f vm. — ^ pg. cxun, 13, 14.
418 JÈâtS-CHRlST SELON l'évangile. [n^ 273
le met à l'étroit et l'engage en de nouvelles entreprises :
Quid faciam? Cependant il éprouve le besoin du repos; il
se promet d'en jouir bientôt : Dicam animœ meœ: reguiesce.
Mais que donnera-t-il à son âme pour contenter ses désirs?
Comede, bide, epulare; voilà tout. C'est tout le bonheur d'ici-
bas, en effet. Encore s'il était durable, si l'on avait devant
soi de longues années : annos plurimos. Mais non ; c'est au
moment de jouir qu'il faut tout quitter.
Il importe de méditer les paroles que Dieu adresse à cet
aveugle. Chacune d'elles est un trait dont il le transperce.
Stulte : Insensé, qui te crois sage, tu disposes de ton ave-
nir, tu parles d'années et il ne te reste plus un jour t Hac
nocte animam tuam répétant a te^. Cette vie que tu dis à
toi, tu vas en rendre compte. Et ces biens dont tu n'as pas
joui, que tu n'as fait qu'amasser, à qui profiteront-ils? Et
qtiœ parasti, cujus ei'unt *?
Le mauTais riche. Locm xvi» I9*3i.
273. — Faut-il voir dans ce tableau du mauvais riche une réalité on
une simple parabole?
Le sentiment commun et l'opinion la plus probable, se-
lon Benoît XIV •, est que l'histoire du mauvais riche est
vraie, au moins pour le fond. Sa vie et sa mort, son sort
éternel et celui du pauvre, sont regardés comme des faits
réels. On montre à Jérusalem la maison de ce Lazare ; et au
moyen-âge un grand nombre de monastères et même un
ordre militaire ont été placés sous son patronage.
Il ne suit pas de là qu'on doive prendre à la lettre le dia-
logue du mauvais riche avec Abraham. Le corps de Lazare
n'était pas au ciel ni celui du riche en enfer, et celui-ci ne
pouvait parler de doigt et de langm que par figure. C'est
donc une prosopopée, destinée à faire connaître les senti-
1 Jac, IV, 4, 13-16. — 2 Eccli., xu, 1. O Domine, Deu» noster facnôs
beatos de te, quia non perdemus te. Bcatus populus cujus Dominos Dea9
ejus! S. Aug., Serm. cxiii, 6. — 3 De Canon. SancL, 1. 3, c. 30, n. Set
1. 4, p. 2, c. 29, n. 12. Cf. Tert., De reno^. cam.^ 17.
J
S^îli] SA VIE PUBLIQUE. — PARABOLES. 419
ments qu'il éprouve au milieu des flammes, 24 ; mais il est
peu de passages dans l'Ecriture qui donnent une idée plus
terrible des châtiments des damnés. Crucior in hac flamma^
s'écrie-t-il *. Le sein d'Abraham est aussi une expression fi-
gurée pour désigner le lieu du repos où les vrais enfants
d^Abr(ûham • entraient au sortir de ce monde et attendaient
avec lui que le Messie leur ouvrît la porte du ciel •. Depuis
l'Ascension, le sein d'Abraham n'est plus différent du ciel.
C'est là que ses véritables enfants, ses imitateurs se réunis-
sent à lui de toutes les parties du monde pour partager son
bonheur : Venient et recumbent cum Abraham in regno cœ-
lorum, disait le Sauveur en annonçant la conversion des
Gentils *. Le divin Maître représente ici la vie éternelle sous
la figure d'un banquet, et les élus comme autant de convives
assis au festin auprès du Père des croyants. Etre à table sur
le sein d'un autre, c'était être à son côté, dans la place
d'honneur, comme son égal ou son intime ami *. Etre reçu
dans le sein d'Abraham, c'est se reposer comme un enfant
sur ses genoux et entre ses bras.
S. Augustin remercie Dieu d'avoir accordé aux chrétiens
la grâce que ce mauvais riche implore en vain pour ses
frères •.
Les dix vierges. Matth., xxv, 1-13.
274. — Comment faut-il entendre la parabole des dix vierges ?
Le sens général de la parabole des dix vierges est facile à
saisir. Quant aux détails, on aurait tort de les torturer pour
en tirer un sens spirituel et les faire rentrer dans le plan '.
1 05ov(o{&ai ev -nj çXoyt tauni. Luc, xvi, î4. Bourdaloue, Sur l'enfer,
— 2 U ne sert de rien d'être enfant d'Abraham selon la chair, si on ne
l'est pas selon l'esprit. Pater Abraham, s'écrie le mauvais riche ; paiet*
Abraham! Luc, xvi, 24, 27, 30. — » Heb., xi, 40. — * Matth., v, 3;
via, 11. — 8 Cf. Luc, XVI, 23 et Joan., xiii, 23; Brev. rom., Hebd.
2^Quadrag.f fer. 5« , lect. 1-3; S. Thom., p. 3, q. 52, a. 2, ad 4. —
* 0 Domine, gratias misericordiœ tuae! Voluisti mori ut aliquis ab in-
feris surgeret; et ipse aliquis non quicumque, sed Veritas surrexit ab
inferis. In Pi. gxlvu, 17. Cf. I Cor., xv, 3-8. — • "^ Non omnia aliquid si-
gnificare putanda jsunt, sed propter illa quss aUquid signiflcant, etiam
420 JESUS-CÎHRIST SELON L*ÉVAN(Î1LE. [n** 278
L'époux, c'est Jésus-Christ; l'épouse c'est l'Eglise. C'est au
ciel que les noces se célèbrent. Les dix vierges, ce sont tous
ceux qui sont conviés au banquet céleste, les fidèles sur-
tout. Les vierges sages sont les âmes qui conserveiit la
grâce et qui vivent dans la ferveur; les folles, celles qui se
contentent d'avoir la foi, d'éviter les vices grossiers et de
tendre au salut par un certain désir. La pénurie où ellfti se
trouvent à l'arrivée de l'époux nous enseigne que si l'en
est dépourvu de la grâce au moment de la mort, ni les
prières de l'Eglise, ni les mérites des saints n'y pourront
suppléer *. Au jugement d'un critique rationaliste, cette pa-
rabole est un chef-d'œuvre de naïveté, d'art, d'esprit, de fi-
nesse. On ne pouvait mieux faire sentir la nécessité de vivre
dans la grâce, et le péril auquel on s'expose en passant ses
jours dans la négligence et l'irréflexion •.
Lie bon Pasteur et sa brebis égarée. Lue., xv, 3-7*
275. — Que signifie cette parabole du bon pasteur et de la brebis
égarée ?
Le divin Maître le dit clairement dans S. Matthieu * et
dans S. Luc * aussi bien que dans S. Jean ^ Le bon Pasteur,
c'est lui-même dans la mission qu'il exerce sur la terre. La
brebis égarée, c'est l'humanité déchue, qu'il est venu rele-
ver, remettre dans sa voie et introduire au ciel ®. C'est en-
core le pécheur, l'âme infidèle, éloignée de Dieu et de l'E-
glise, qu'il poursuit par sa grâce, qu'il rappelle par sa pa-
role, qu'il presse sur son cœur quand elle répond à sa voix,
et qu'il rapporte au bercail, dans la société des croyants et
illa quse nihil significant attexuntur. Solo enim vomcre terra proscendi-
tur, sed ut hoc fieri possit. etiam estera aratri membra sunt necessaria.
S. Aug., De civ. Dei^ xvi, 2. Cf. Tert., De pudic^ 9.
< Hilar., In Matth,y xxv. Un auteur ancien entend par vendentes^ 9,
les ministres dos sacrements auxquels on a recours à l'article àe U
mort. Opus imperf. — * Cette parabole est figurée d'une manière très
intéressante sur le portail septentrional de la cathédrale de Reims. —
3 Matth., XVIII, H-13. — * Luc, xv, 4-7. — » Joan.. x, 11-16. — « Ovis
illa homo est inteUigendus, et sub homine uno universitas sentieDiU
est. S. Hilar., InMatth,^ xvui. Cf. S. Hieron., In /«., xl.
NO 276] SA VIE PUBLIQUE. — paUaboLê^. 421
des justes *. Nulle image plus vraie et plus touchante de
la charité généreuse et du zèle compatissant du Sauveur
envers nous. Aucune autre ne parlait plus au cœur des
premiers chrétiens, de ceux surtout qu'il avait tirés des té-
nèbres du paganisme et des égarements des passions. Aussi,
la voit-on tracée, dès l'origine, en mille endroits, sur les
murs des catacombes, sur les vases sacrés et les divers ob-
jets consacrés au culte divin. Le bon Pasteur est représenté
en diverses attitudes et dans des circonstances variées. Ici,
il est assis au milieu de ses ouailles et semble se ré-
jouir de leur fidélité. Là, il s'afflige de la perte qu'il a faite
et se prépare à courir après la brebis qui lui manque.
Ailleurs, il paraît épuisé par la fatigue, désolé de l'inutilité
de ses recherches ; ou bien on le voit recouvrer sa brebis
égarée, la charger sur ses épaules, la rapporter joyeux au
bercail; et ses brebis fidèles, levant vers lui des regards
pleins de douceur, semblent comprendre et partager sa
joie «.
Ainsi l'on a sous les yeux toutes les phases de la parabole ;
et chacune offre une instruction et réveille un souvenir. Elle
rappelle aux simples fidèles la miséricorde dont ils ont été
l'objet ', et aux ministres de l'Eglise, la charité, le zèle, la
douceur de Celui dont ils sont les ministres et dont ils
doivent se montrer les imitateurs *.
L.a Drachme. Lac, xv, 8-10 B.
276. — Pourquoi y a-t-il plus de joie au ciel pour un seul pécheur
converti que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui persévèrent?
Il y a plusieurs raisons pour que les élus se réjouissent
surtout de la conversion des pécheurs : — 1° C'est par ces
conversions que Dieu remporte sur le démon ses triomphes
1 Grex carior non est una ovicula; nam illa conqueritur, una pro om-
nibus desideratnr et tandem invenitur, et humeris pastoris rcfcrtur.
Tert., Depœnit.t 8. — ^ Martigny, Pasteur; Bottari, pi. 55, 68, 76; Supra^
n. 264. — » Joan., z, ii, 16; I Pet., ii, 25. — * Joan., xxi, 15-17 ; I Pet.,
V, 2, 4. — » A. r., n. 186.
24
422 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n^ 277
les plus glorieux. — 2° C'est au moment où les pécheurs re-
viennent à Dieu et rentrent dans le devoir qu'ils sont le plus
humbles et le plus fervents. — 3** Plus une joie est récente et
inespérée, plus elle est sensible et douce. Ainsi une mère re-
çoit plus de consolation de la guérison d'un de ses enfants
que de la santé du reste de la famille ^
En réalité, la charité est la même à l'égard de tous. On
s'est réjoui à l'origine pour tous ceux qui persévèrent ; et
dans la conversion des pécheurs repentants, on prévoit déjà
les vertus des chrétiens fidèles. Mais que cette parabole
suppose de charité, de tendresse et de miséricorde dans le
cœur de Notre Seigneur I Comme le divin Maître nous fait
bien comprendre ce qu'enseigne S. Jean, que Dieu est tout
amour « !
s
RÉFLEXONS SUR LES PARABOLES.
277. — QueUes sont les principales qualités qu'on remarque
en ces paraboles?
Nous mettons ici de côté le fond de la doctrine, pour ne
parler que de la forme. Sous ce rapport, tous les critiques
conviennent que ces paraboles ont au suprême degré toutes
les qualités désirables.
Elles sont : — inintéressantes, pleines de vie et de charme;
propres à éveiller la curiosité de l'esprit ; de nature à faire
une vive impression et à se graver dans la mémoire.—
2° Simples autant que justes, sans complication ni détails
1 Cf. Matth., xYiii, 12, 13. Non dicit : Gongratulamini invente ovi^sed
mihi, quia videlicet ejus gaudium est vita nostra, et cum nos ad cœlnm
reducimur, solemnitatem Isetitis ejus implemus. S. Greg., In Evang.»
hora. XXXIV, 3 ; S. Bern., Se;*m. xxix. — 21 Joan., iv, 8-10. — 3 Drachme
frappée en Grèce sous Néron, avec son image et ses titres : Nepwvoc
Kaidapoç £eêaaxou.
N<^278] SA VIE PUBLIQUE. — PARABOLES. 423
superflus, réductibles à une seule idée qu'on saisit aisé-
ment, et qu'on retient sans peine, quand on est au vrai
point de vue. — 3* Toujours dignes^ d'une convenance et
d'une distinction parfaites, malgré la vulgarité des objets
qui en ont fourni l'idée, évidemment inspirées par le désir
d'être utile, d'instruire et d'édifier. — 4** Variées dans le
sujet et dans la forme, bien qu'elles tendent à une même fia,
qui est le service de Dieu et la pratique de la vertu. —
^^ Enfin, susceptibles^ partout et à toutes les époques, d*une
mdtUude d'applications et de sens aussi lumineux qu'édi-
fiants. L'homme des champs qui entend aujourd'hui la para-
bole du semeur, ou celle de l'économe infidèle, lève la
tête et comprend aussi bien que l'auditoire rustique auquel
le divin Maître les a d'abord adressées.
Après les exemples et les mystères du Sauveur, rien n'a
plus contribué que ces paraboles à répandre ses maximes, à
faire goûter sa doctrine, à propager son esprit. On les a
peintes sur les murs des catacombes comme aux vitraux des
cathédrales. Et, chose remarquable, quoique chacun des
Synoptiques s'attache à celles qui ont un rapport plus direct
à la fin qu'il se propose *, elles offrent partout, dans S. Luc
comme dans S. Matthieu, à peu près les mêmes qualités ;
preuve qu'elles ne doivent pas leur perfection à l'évangé-
liste qui les rapporte, mais au véritable Salomon, de qui il
les tient et à qui il les attribue.
278. — Faut-il prendre à la lettre ce que dit S. Matthieu, xni, 24, que
Notre Seigneur ne parlait qu'en paraboles, afin de se conformer à la
prédiction du Psalmiste, lxxvii, 2?
1*» Communément, les commentateurs restreignent l'ob-
< Elles s'harmonisent en effet avec le caractère et le but de chaque
évangile. Celles de S. Matthieu donnent une idée de TEglise, de sa cons-
titution, de son autorité; celles de S. Luc ont plutôt pour fin de porter
à la perfection, à la pratique de la vie chrétienne. Dans les premières,
Dieu apparaît presque toujours comme un roi ou comme un Juge, veillant
sur ses sujets pour punir le vice et récompenser la vertu, xiii, 24, 49 ;
XVIII, 34; XX, 14; xxi, 41; xxii, 7, 13; xxv, 14-30. Dans les secondes,
les scènes de miséricorde alternent les scènes de justice, xii, 6; x, 30;
xvy 4, etc. S. Jean plus dogmatique que pratique n'a pas de parabole.
424 JÉSUS-CHRIST SEÏ,ON l'évangile. [n® 279
servation de S. Matthieu aux circonstances qu'il retrace en
cet endroit. Elle ne s'applique, dit S. Ghrysostome \ qu'au
discours qui vient d'être rapporté, et c'est ce qu'atteste le
texte môme de l'Evangile : Hœc omnia locutus est in para-
bolis •. — 2<* Ceux qui étendent davantage le sens de ce
verset disent qu'il faut l'entendre moralement, comme si
l'Evangéliste disait : Voilà de quelle manière il parlait ordi-
nairement au peuple, ou, suivant S. Thomas : Il n'avait pa
coutume de prêcher autrement ^ c'est-à-dire sans mêler quel-
que parabole à ses discours ; encore faut-il donner au mot
parci)ole le sens qu'il a dans le Psaume lxxvii, un sens très
large, qui comprend jusqu'aux comparaisons et aux sen-
tences •.
279. — Gomment se fait-il que des paraboles si simples et si faciles
n'aient pas été comprises?
1° Quand on dit que les paraboles de Notre Seigneur sont
simples, on entend qu'elles sont énoncées dans un style fa-
milier, et sans complication ; mais on ne nie pas qu'elles
n'aient pour la plupart un sens caché et très profond, dont
peu d'esprits découvrent la profondeur. C'est à cette partie
de l'Evangile surtout que convient le mot de S. Augustin :
Omnibus accessibilis^ paucissimis vero penetrabilis *. Il s'ap-
plique en premier lieu aux paraboles prophétiques. Celles-
ci étaient bien plus difficiles à entendre pour les Juifs que
pour nous, soit parce que l'événement ne les avait pas en-
core éclaircies, soit parce qu'ils étaient mal disposés pour en
bien saisir le sens.
2° Un grand nombre d'auditeurs, ot eÇw "*, ne prêtaient
l'oreille au Sauveur qu'un moment et comme en passant. Ne
suivant pas ses instructions, ils n'étaient initiés ni à sa doc-
trine ni à son langage, et ils ne prenaient pas la peine de
réfléchir sur les paroles. D'autres ne Técoutaient que pour
le trouver en défaut : ils le regardaient comme un impos-
1 s. Chrys., In Matth., Hom. xlvii, 1. — » Mattli., xm» 34. — 3 Cf.
Supra, n. 257; S. Th., p. 3, q. k% a. 3, ad 3. — * EpUt, cxxxvu, 18.—
5 Marc, IV, 11.
N®280] SA VIE PUBLIQUE. — PARABOLES. 425
teur; ils ne cherchaient à voir que du faux dans ses discours.
Presque tous étaient remplis de préjugés sur le Messie, sur
le royaume de Dieu, sur les destinées d'Israél. Comment
auraient-ils saisi la portée de tant de traits sur la vocation
des Gentils et la réprobation des Juifs dans les vignerons
homicides, dans le figuier stérile, dans les premiers conviés
remplacés par d'autres, etc.? Vous avez reçu ce don^ disait
aux Apôtres le divin Maître ; niais il n'a pas été fait à tous '.
Si tous avaient eu les dispositions des Apôtres, ils auraient
compris comme eux, ou Notre Seigneur leur aurait donné
les mêmes éclaircissements •. Poterant audire, dit S. Marc •.
Aussi terminait-il souvent ses paraboles par ces mots : Qui
habet aures audiendi^ audiat ^.
* 280. — N'est-ce pas uoe contradiction de la part du Sauveur do
s'adresser aux Juifs et de leur parler un langage qu'ils ne doivent pas
comprendre *?
!• Les disciples du Sauveur, c'est-à-dire la meilleure par-
tie de ses auditeurs, ceux qu'il tenait surtout à instruire,
comprenaient son langage •, et ce langage avait l'avantage
de leur rendre ses pensées plus frappantes et de les leur
faire retenir. Ainsi la parole du Sauveur n'était pas inintel-
ligible, hors de la portée des esprits.
2" Si un grand nombre ne l'entendaient pas ou l'enten-
daient peu, c'est qu'ils négligeaient de faire ce qu'ils de-
vaient pour l'entendre. On ne peut donc pas prétendre qu'il
cherchait à cacher sa pensée. Quand il dit : In parabolis om-
nia fiunty ut videntes non videant '', ut exprime le résultat
qu'il obtient, non la fin qu'il a en vue, non sa première in-
tention du moins; car on peut distinguer en lui deux inten-
tions : l'une antécédente, par laquelle il désire être entendu
de tous; l'autre subséquente, par laquelle, voyant qu'un
certain nombre négligent de s'appliquer à sa parole pour
» Luc, VIII, 43. — 8 Matth., xi, 25. — 3 Marc, iv, 33, 34. — * Matth.
xm, 9, 43; Luc, xiv, 35. Omnes qui adorant, aures corporis habebant,
sed aures cordit requirit. S. Grog., In Evang. Hom. xv, 2. — *Cf. Matth.,
xin, i3; Marc, iv. 11, 12; Joan., xii, 40, — « Marc, iv, 11, 33; Joan,,
vui, 47. — ' Marc.; iv, 12,
24.
426 JÉSUS-CHRIST SEI.ON l'evangilë. |"n<> 281
en comprendre les figures, il veut que leur négligence soit
punie par l'inintelligence du langage figuré dont il persiste
à se servir.
3** Il avait de bonnes raisons pour ne pas exposer trop
clairement en public ce qui fait l'objet d'une partie de ses
paraboles K C'étaient les mêmes qui le portèrent d'abord à
défendre à ses disciples de publier qu'il était le Fils de
Dieu. Il ne voulait pas aigrir la haine de ses ennemis, ni
leur donner lieu de l'accuser devant les magistrats, ni les
porter à des mesures violentes contre sa personne. Il avait
d'ailleuçs bien des motifs pour ne pas garder tout à fait le
silence sur ce qui devait arriver. Il fallait que plus tard,
quand ces événements se réaliseraient, ceux qui l'auraient
entendu sans le bien comprendre pussent se rappeler et at-
tester ce qu'il avait prédit *.
ARTICLE II.
Discours de Notre Seigneur.
281. — Combien trouve-t-on de discours de Notre Seigneur
dans les Evangiles?
I. Nous avons un grand nombre de discours du Sauveur,
mais la plupart ont peu d'étendue. On peut les ranger en
deux classes parfaitement distinctes :
!• Dans les Synoptiques :
Le discours sur la montagne, Matth., v-vii;
Le discours aux. Apôtres, en Galilée, Matth., x;
Sur le célibat et le mariage, Matth., xix, 3-12;
Sur le péché contre le Saint-Esprit, Matth., xii, 22-37;
Sur les conseils ou la voie la plus sûre pour arriver au ciel,
Matth., XIX, 16-30;
Sur les injures et le pardon des offenses, Matth,, xviii, 15-22;
Sur la pureté du cœur, Matth., xv, 1-20;
Sur le jeûne, Matth., ix, 13-17;
i Matth., XXI, 31-46; Marc, xii, 1-12; Luc, xx, 9-19, etc. — * Joan.
XVI, 4. Annon expedit tenere vel involutum quod nudum non capis
S. Bern. Ideo melius erat eis vel sic sub tcguniento parabolarum doc
trinam audirc quam omuino ca privari. S. Tiionv» p'* 3, q. 42, a. 3.
a^ 281] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 427
Sur le jugement, Matth., xxv, 34-46;
Sur les épis arrachés le Jour du sabbat, Matth., xii, 1-8;
Sur les occasions du péché, Matth., xviii, 6-10 ;
Sur les défauts des scribes et des pharisiens, Matth., xxm;
Sur les enfants, xvin, 2-6 ; etc.
Dans la synagogue de Nazareth, Luc^ iv, 16-32 ;
2o Dans TÉvangile de saint Jean :
Le discours fait aux Juifs après le miracle de Bcthsaidc, v, 17-47;
Celui où Notre Seigneur annonce l'Eucharistie, vi, 26-72;
Celui de la fête des tabernacles, vu, 16-38;
Un premier discours sur sa divinité, viii, 15-28;
Un autre sur le même sujet, x, 24-42 ;
Le discours après la Cène, xiv-xvii.
II. Les premiers, ceux des Synoptiques, se distinguent de
ceux du dernier évangéliste par le fond comme par la forme.
Dans ceux-là, le Sauveur ne s'occupe guère que de morale ;
dans ceux-ci, il traite surtout du dogme, de sa personne et
de sa divinité en particulier. Pour la diction, on trouve,
entre les discours des trois Synoptiques, une grande ressem-
blance, comme entre les frères d'une même famille ; ceux de
S. Jean ont une physionomie à part, et autant ils diffèrent
des précédents, autant ils se rapprochent des compositions
et des passages qui appartiennent en propre au disciple
bien-aimé, de ses Epîtres, par exemple, ou du début de son
évangile.
Pour s'expliquer cette particularité, il suffit de bien com-
prendre le rôle des évangélistes. Ce ne sont pas des sténo-
graphes qui prétendent reproduire littéralement et m ex-
tenso les paroles du divin Maître : ce sont des historiens. Ils
ne nous doivent autre chose qu'un sommaire exact de son
enseignement, comme de sa vie. Ils ont donc un choix à faire
entre les paroles du Sauveur ; et ce qu'ils jugent à propos de
nous transmettre, ils sont forcés de le traduire dans leur
langage, de lui donner une expression et une forme qui
s'adaptent à leur composition. Sans doute, l'Esprit saint
qui les inspire garantit l'exactitude de leur récit, mais son
action ne supprime pas la leur; elle ne leur enlève ni leur
personnalité, ni leurs habitudes, ni leurs qualités d'esprit
428 JÉSUS-CHWST SELON l'évangile. [n° 28Î
et de cœur*. Qu'y a-t-il donc d'étonnant qu'on reconnaisse le
style de S. Jean dans les discours du Sauveur rapportés par
cet évangéliste? Pourquoi sa véracité en deviendrait-elle
suspecte ? Ces discours, quant à leur forme, sont en partie
son œuvre; et, encore que sa manière soit modelée sur celle
de son Maître, il est naturel que son travail garde quelque
chose de ses dispositions et de son caractère.
§ I. — Discours de Notre Seigneur dans les Stncptiques.
Sermon sur la montagne. Matth., v-vii s.
282. — Pourquoi Notre Seigneur prononce-t-il son premier discoors
sur le haut d'une montagne 3?
Suivant les saints Docteurs, le divin Maître a voulu pro-
1 Naturale est ut omnes artifices suœ artis loquantur exemplis.
S. Hieron., In AmoSy i, 2. Ex quibus perspicuum est evangelistas scn-
sum quœsiisse, non verba. Epist. lyu, 9. Ce principe s'applique aax
récits aussi bien qu'aux discours. H entrait dans les vues de l'Esprit
saint que chaque écrivain suivit son inclination, son caractère, ses habi-
tudes, ses souvenirs, et qu'il y eût entre les récits des quatre Evangé-
listes toutes les différences et toutes les antilogies apparentes quil y
aurait eu naturellement, s'ils n'avaient pas été inspirés. Les contradic-
tions réelles et absolument inconciliables sont les seules que son inspi-
ration prévienne et rende impossibles. S. Aug., De cons. evang,^ n, 12,
29-31. Infray n. 303, 462. — 8 n est probable que le discours rapporté
par S. Luc, vi, 17-49, est le même que celui-ci. On trouve des deoi
côtés le môme auditoire, le môme exorde, des maximes et des images
toutes semblables, enfin la môme conclusion suivie du môme miracle.
Seulement S. Luc est plus bref. \\ renvoie le chapitre vi de S. Matthieu
à son chapitre xi, et omet ce qui concerne la Loi et n'intéresse que les
Juifs. Infra^ n. 362. — 3 On ne peut pas dire que la scène n'est pas la
môme dans les deux Ëvangélistes. S. Luc dit bien, avant de rapporter le
discours de Notre Seigneur, que le divin Maître était descendu dans une
plaine, eiri totcou TceStvou, qu'il y avait guéri des malades et délivré des
possédés, Yi, 17-19; mais il ne dit pas qu'il soit resté au môme endroit
pour y prononcer son discours. On peut donc croire que, dans Tinter-
vallc, il avait regagné la montagne avec la foule qu'il voulait instruire.
D'ailleurs rien n'empôche d'entendre S. Matthieu, v, 1, en ce sens que
Notre Seigneur s'était retiré avec la foule dans la partie montagneuse
du pays, et; to opo; (Cf. xxiv, 16; Joan., vi, 15). Au moment où S. Luc
dit qu'il était descendu m loco campestrif il pouvait ôtre encore dans
la région des montagnes, quoique en un lieu moins élevé. Cf. S. Aug.,
De Cons, evang,^ u, 43, 50.
S^ 283] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 429
noncer le premier et le principal de ses discours à ses dis-
ciples sur le haut d'une montagne, pour plusieurs raisons :
— i» Pour être écouté avec une attention plus religieuse,
ses auditeurs se trouvant ainsi éloignés du monde et rap-
prochés du ciel *. — 2* Afin de figurer par cette élévation
la sublimité de sa morale et la nécessité où l'on est de s'éle-
ver pour l'entendre et la pratiquer *. — 3** Pour faire en-
tendre qu'il va donner sa loi au peuple chrétien, de même
que Jéhovah a donné la sienne au peuple Juif. Aussi com-
mence-t-il par parler du royaume de Dieu qu'il est venu
fonder. 11 dit quels sont ceux qui en feront partie, ce qu'ils
peuvent espérer, à quoi ils doivent tendre, les défauts qu'ils
ont à craindre, les vertus qu'ils doivent pratiquer, enfin
l'esprit qui doit les animer envers Dieu, envers le prochain,
envers eux-mêmes. De même donc que les Juifs avaient leur
morale dans le Décalogue et leur constitution dans les lois
du Sinaï, les chrétiens trouvent dans le Discours sur la mon-
tagne la règle de leur vie et leurs maximes de perfection •.
Une circonstance qui caractérise l'une et l'autre loi,
qui en fait connaître l'esprit et en montre la différence,
c'est qu'au Sinaï, Moïse seul avait accès auprès du Seigneur
et que le peuple devait se tenir à distance sous peine de
mort *, tandis qu'ici le Sauveur appelle à lui tous ses disci-
ples; il commence par s'adresser aux plus petits et aux plus
humbles, et il prodigue à tous, avec ses exhortations et ses
conseils, les promesses les plus attrayantes et les encourage-
ments les plus touchants.
283. — Cominent se divise ce discours?
Ce discours se divise en trois parties, exorde, corps du
discours et péroraison. — Dans l'exorde, v, 3-16, le Sauveur
* Isai., Il, 3. — 2 Cf Ps. Lxxxiii, 6; xcii, 4; xciv, 4; Brev. rom.,
Comm. plur. Mart.^ 2» loco, lect. vu. — 3 Si quis pie sobrieque consi-
deraverit, puto quod inveniet in eo, quantum ad mores optimos per-
tinet, perfectum vitœ christianœ modum. S. Aug., De Serm., Dom. in
monte^ i, 1. Audiamus diligenter : paucis liaec fuerunt dicta, sed scripta
sunt pro omuibus post futuris. S. Chrys., In hune loc. — * E\od., xix,
i2, 21; Ueb., 3m, 18-24. Gf. Infra, n. 486, note,
430 JÉSUS-CHRIST SELON l'éyangile. [n<* 284
donne une première notion du royaume des cieux, et dit la
voie à suivre pour y parvenir. — Dans la péroraison, vu,
21-27, il exhorte vivement ses auditeurs à mettre sa morale
en pratique et exprime par une image frappante le fruit
qu'ils recueilleront de leur fidélité. — Le corps du discours,
qui comprend près de trois chapitres, v, 17-vii, 23, roule
sur ridée de justice ou de sainteté, et a pour objet de faire
bien connaître la morale du Sauveur et la loi chrétienne.
Il peut lui-même se répartir sous trois chefs : !• Supério-
rité de la loi nouvelle sur la loi ancienne, v, 17-48. —
2® Conditions de la justice évangélique, vi, 1-18. — 3"* Obs-
tacles et moyens, vi, 19-vn, 23. Sur tous ces points, le divin
Maître est loin d'être complet ; mais il dit ce qu'il importe à
ses disciples d'entendre et de mettre en pratique.
Rien n'empêche de penser, avec quelques interprètes,
que ces parties sont autant d'allocutions différentes, et
qu'elles ont été séparées par quelque intervalle.
!• EXORDE^ V, 3-16.
284. » Pourquoi Notre Seigneur commence-t-il par parler de la
béatitude et en quoi la fait-il consister, v, 3-12?
I. Comme le Psalmiste, Notre Seigneur commence par
promettre la félicité à ses véritables disciples, parce que le
désir du bonheur est le principal attrait du cœur de l'homme,
et que les promesses ont plus d'efficacité que les préceptes
pour nous porter à la perfection. Au lieu de commander et
de dire : Soyez pauvre ; soyez doux ; il dit : Heureux les
pauvres, heureux les cœurs détachés de la terre, qui soupi-
rent après les biens du ciel * ! Heureux ceux qui sont doux,
ceux qui aiment la paix, qui sont miséricordieux, qui ne
cherchent pas à rendre le mal pour le mal, mais à triom-
pher du mal par le bien * I
* Luc, IV, 18. Tlxtoxot T(o itvsupiaTi, pauperes spiritu, qui ont l'esprit
de pauvreté. Qua paupertate etiam beatus Job pauper Toit et antequam
magnas illas divitias amisissot. Quod ideo com mémorandum putayi,
quoniam sunt quidam qui facilius omnia sua pauperibus distribuant,
quamipsi pauperes Dei fiant. S. Âug , In Psalm. lxxi, 3. Cf. Ps. xxxit,
19 ; Eccli., XIII, 30; lvii, 15. — s Quis non alacriter currit^ cum oi did-
N»285] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 431
II. Ainsi notre félicité dépend de nous aussi bien que
notre perfection. Ni l'une ni l'autre ne consiste dans la jouis-
sance des biens extérieurs *, dont Moïse parle si souvent,
mais dont il n'est pas au pouvoir de tous d'être pourvu : elles
consistent dans les bonnes dispositions de l'âme, dans le
détachement, la mortification, la miséricorde, la pureté du
cœur, l'amour de la paix, le sacrifice et le dévouement pour
la justice : car ces dispositions sont le gage de l'amitié de
Dieu en cette vie et de sa possession en l'autre, c'est-à-dire
de la félicité commencée sur la terre et de la félicité con-
sommée dans le ciel. Tel est le sens des huit premiers ver-
sets, infiniment supérieurs à toutes les maximes des philo-
sophes et à toutes les idées qui régnaient alors et qui ont
jamais régné dans ce monde. Rien de plus admirable que les
vues qu'avait Notre Seigneur en prononçant ces paroles.
Rien de plus ravissant que les fruits qu'elles ont produits et
qui en ont prouvé la vérité au monde *.
* 285. ^ Sont-ce les Apôtres seulement ou leurs successeurs que Notre
Seigneur appelle le sel de la tei^re et la lumière du monde?
On peut se représenter ceux qui écoutaient Notre Sei-
gneur, comme formant une triple couronne autour de lui :
d'abord ses Apôtres, puis ses disciples habituels, puis la
foule du peuple ; mais on ne voit pas qu'en cet endroit il
se détourne des uns pour s'adresser aux autres. Qui ne sent
pourtant combien ces paroles : Vos estis lux mundi ; vos es-
tis sal terrœ, conviennent particulièrement aux ministres
de l'Eglise et aux pasteurs des âmes? Pour eux, c'est une
obligation d'état, un devoir de justice, de prêcher la vérité
et d'exhorter à la vertu •. Ils sont tenus d'instruire et de
sanctifier toutes les âmes dont ils ont la charge, même les
tnr : Beatus eris I S. Aug., Set^m, un, 1. Cf. S. Chrys., S. Aug., In hune
loc. Bossuet, Médit. surVEvang,^ i-xlyu.
1 Non est gaudere impiis, dicit Dominus. Isai., lvii, 21. Mali enim
homines non gaudent sed gestiunt. S. Aug., De Serm. Dom. in monte,
II, 87. — 2 Matth., xm. 3-23. — 3 Cf. Joan., v, 35; Eph., v, 8, 11 ; Phil.,
n, 15. Non jussit Dominus bona opéra abscondi, sed in bonis operibus
laadem humanam non cogitare. S. Aug., Serm, gggxzzviii, 3.
432 jEsus-dHRiât selon l^évanûilé. [Noâ86
plus éclairées et les plus parfaites. Caveant ergo pastores et
episcopi, dit S. Jérôme *.
Le sel préserve de la corruption ; c'est pour cela et dans
ce sens que les chrétiens sont le sel de la terre : Quod est
in corpore anima, hoc sunt in mundo christiani, disait au se-
cond siècle l'auteur de TEpitre à Diognète*: Detinentur qui-
dem in mundo, tanquamin citstodia, sed ipsi mundum conser-
vant *.
î® Corps do discuurs, v, 17; vu, 12.
I« Supériorité de la loi évangéliquey v, 17-48.
* 286. — En quel sens Notre Seigneur dit-il qu'il est venu pour
accomplir la loi, adimplere, v, 17 ?
Quand Notre Seigneur dit qu'il est venu pour accomplir
la loi, il entend qu'il entrait dans sa mission de donner son
couronnement à la loi de Moïse, d'en réaliser toutes les fi-
gures, d'en tenir toutes les promesses. C'est ce qu'il a fait
en complétant les révélations des prophètes, en enseignant
à ses disciples une morale plus parfaite que celle de la Sy-
nagogue, en donnant à l'Eglise son sacrifice pour glorifier
son Père et ses sacrements pour sanctifier les âmes. Par cette
conduite, loin de détruire la Loi, il l'a accomplie, complétée,
perfectionnée, transfigurée *. Il s'est montré, non pas hos-
tile, mais supérieur à Moïse, tel que devait être le législa-
teur par excellence, le maître souverain de l'humanité '.
On traduit parfois plus simplement ce verset 17 : c Je ne
suis pas venu pour transgresser la loi , mais pour l'obser-
ver. * Le Sauveur avait certainement droit de parler ainsi;
car il a donné l'exemple de la plus parfaite obéissance, de-
puis son entrée dans la vie, où il s'est soumis à la circonci-
sion, jusqu'à la veille de sa mort, où il a voulu célébrer la
Cène *. Telle n'est pas cependant sa pensée. Il ne parle pas
* Brov. rom., Comm. non Virg.^ lect. viii. — * Ecrit du commence-
ment du second siècle. Cf. S. Theoph. Ântioch., ad Autol.f ii, 14. —
3 Cf. Brev., Comm, Doct,^ l* loco, lect. vii-ix. — ♦ Joan., xm, 34; Rom.,
X, 4, 5; Heb., vu, 12. — 6 cf. Matth., v, 22, 28, 32, 34, 39, 44; VD,
21, 29. —k « Matth., xx, 17; Luc, iv, 4; Joan., v, 1, etc.
N«â88l Sa Vie t>€BLlQUÊ. — SÊâ DISCOURS. 433
seulement de la loi, mais de la loi et des prophètes* ; il ne dit
pas qu'il observera les préceptes, mais que, loin de suppri-
mer ce qui a été établi ou révélé avant lui, il achèvera ce
qui n'est que commencé. Il se donne pour législateur plutôt
que pour observateur de la loi '.
* 287. — Comment explique-t-on ce verset : Qui solverit unum de
mandatis istis minimis et docuerit sic homines, minimus vocabitur in
regno cœloimm^ v, 19?
11 y a de ces paroles deux interprétations assez différentes :
S. Augustin traduit : t Celui qui violera le moindre de ces
commandements, et qui ne laissera pas d'enseigner comme
il doit, entrera dans le royaume de Dieu, mais il n'y aura que
la dernière place '. » Mais la plupart entendent autrement
et docuerit sic. Ils traduisent : t Celui qui violera le moindre
de ces commandements et qui apprendra aux autres à faire
comme lui, sera le dernier qu'on appellera au royaume des
cieux, c'est-à-dire, n'y sera jamais admis, eXa^ioxoç xXriÔYjaYjiat.
A l'appui de cette interprétation, on allègue la liaison de ce
verset avec le suivant, 20, où l'exclusion du royaume des
cieux est prononcée bien nettement, et la gravité manifeste
de la faute que commet un ministre de Dieu, en enseignant
par ses discours comme par ses exemples à transgresser la
loi qu'il a mission de faire observer.
* 288. — Pourquoi les chrétiens doivent-ils être meilleurs que les
pharisiens pour entrer dans le royaume des cieux, v, 20?
La vertu des pharisiens avait de grands défauts que nous
devons éviter : — !• Plusieurs se contentaient de prêcher
la vertu sans la pratiquer ^ -— 2^ Un bon nombre se préoccu-
paient uniquement des œuvres extérieures, sans veiller sur
leurs dispositions, leurs intentions, leurs pensées*. —
3* Souvent ils faisaient passer les observances les moins
importantes avant les lois les plus essentielles •. — 4» Ils
1 s. Th., i«-2«, q. 107, a. 2. — « Matth., v, 19-22, 28, 32, 39; vu, 21
Cf. Luc, XVI, n. — 3 s. Aug., RelracU, i, 19. — * Matth., xxiii, 3)
Rom., II, 21. — 8 Matth., v, 21, 27, 43; xxiii, 25. — « Matth., xxiii, 23'
m. 25
434 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangîle. [n<>289
avaient recours à des subtilités pour éluder la loi, et peu
leur importait d'en violer l'esprit, s'ils en observaient la
lettre, 34.
D'un autre côté, la loi chrétienne étant plus parfaite que
la loi de Moïse, donnant plus de lumières et conférant plus
de grâces, doit imposer plus de devoirs et demande plus de
vertus * .
* 289. — Ces mots : Dico vobis non jurare omnino, v, 34, ne sont-ils pas
restreints par les paroles qui suivent : Neque per cœlum^ etc.?
La pensée de Notre Seigneur par rapport au serment est
celle-ci : Il n'en faut tenir aucun pour indifférent. Qu'on
jure par le ciel, ou par la terre, ou par la cité sainte, c'est
toujours jurer. Si on le fait sans raison, c'est une irrévé-
rence ; et si on le fait contrairement à la vérité, c'est un
parjure, aussi bien que si l'on avait juré par le nom de
Dieu*. Pour éviter ce double péril, le meilleur parti à
prendre serait de ne pas jurer du tout •. D'ailleurs, si
l'homme était resté droit, tel que Dieu l'a fait, le serment
serait superflu et devrait être interdit. Ce qui en fait une
nécessité est toujours un défaut, une défiance répréhensible
en celui qui lli conçoit ou en celui qui la fait concevoir :
Qitod amplius est, a malo est, 37 *.
Ces avis du Sauveur s'expliquent par la persuasion où
étaient les pharisiens que, pour ne pas offenser Dieu en
violant son serment, il suffit de n'avoir pas prononcé son
nom, 33 •.
1 Joan., xiii, 34; Brev., Dom. V post Pent.y lect. vii-ix. Supra, n. 1S6.
— s Ps. XIV, 4; EccU., xxiii, 9; Jac, v, 12. — » Dominus qui prohibait
jurare, supra ripam te noluit ambulare, ne pes tuus in angusto labator,
et cadas. S. Aug., Serm. cccvii, 4. — * A malo est ejus cujus inflrmi-
tate jurare cogeris. De Serm. Dom. in monte , i, 51. — * Cf. Matth.,*
XXIII, 16-22. S. Thom., 2*-2« ; q. 89, a. 2, adl. Martial dit qu'il ne croit
pas au serment d'un juif, s'il ne jure que par le temple. Epigr,, xi, 94.
Les Juifs ont encore Tusage de jurer par leur tôte.
NO 29ÔJ âA VIE PtJBLlOUE. — SEâ DISCOURS. 438
2* Supériorité des dispositions avec lesquelles on doit pratiquer
la loi évangélique, vi, 1-18.
* 290. — Est-ce à' la Trinité ou à la première personne que s'adresse
le nom de Père dans TOraison dominicale, vi^ 9?
C'est de la sainte Trinité, et non de la première personne
seulement, que nous sommes les images et les enfants adop-
lifs. C'est des trois personnes ensemble que nous devons
attendre les biens dont nous faisons la demande. C'est donc
à la Trinité et non pas au Père seulement que Notre Seigneur
veut que nous adressions notre invocation et notre prière \
ce qui ne nous empêche pas de nous unir à lui dans cette
invocation, car, en tant qu'Homme-Dieu, il est notre chef
et notre médiateur, et nous ne pouvons glorifier la majesté
divine qu'avec lui, par lui, et en lui : Cum ipso^ per ipsum,
in ipso.
Ce que le divin Maître nous apprend ici à demander se
réduit à deux choses : la gloire de Dieu et notre commune
sanctification, deux choses inséparables et seules importantes
aux yeux de la foi, que Jésus-Christ demandera encore
dans sa dernière prière •.
Un grand nombre de saints Docteurs ont fait le commen-
taire de l'Oraison dominicale et montré combien elle est
digne de son auteur et du rang qu'elle tient dans les prières
chrétiennes '. Tertullien l'appelle un abrégé de tout l'Evan-
gile. Il importe extrêmement de la faire comprendre, aimer
et répéter souvent aux fidèles *. Celui qui aurait bien établi
dans son cœur les dispositions qu'elle exprime posséderait
l'esprit de Notre Seigneur et serait un chrétien parfait ».
< Quod non possunt vere ac pie dicere, nisi se fratres esse cognos-
cant. S. Aug., De Serm. Dom. in monter ii, 16 ; Thomassin, 1. 1, p. 560, etc.
Cf. Rom., vin, 15, 16; Gai., iv, 5-7; Eph., ii, 3-8; Heb., ii, 10. InfrUy
n. 587, 30. — 8 Joan., xvii. — 8 S. Aug., De Serm, Dom. in monte, 11,
§. Cypr., S. Chrys.; Catec, Trid. Cf. Marti gny, Orais. Dominic» — * In
Êcclesia ad altare Dei quotidie dicitur ista dominica oratio, et audiunt
illam fidèles S. Aug., Serm. lviii, 12; S. Thom., 2^-2'^; q. 83, a. 2-9. La
Ai5ecxii Toiv A«ooToXfov ordonne de la réciter trois fois le Jour. — ^ Forma
est desideriomm. S. Aug., Serm. lvi, 4.
436 lEStà-cHRist âELoN l'évangile. [N0 29i
* 291. — Que signifie le mot grec rendu en saint Matthieu par mper»
substantialiSy vi, 11, et en saint Luc par quotidianum^ xi, 3?
Ce mot eiuioudioç, apxo; sxtoudtoç, ne se trouve qu'en ces
deux endroits du Nouveau Testament. Il paraît signifier le
pain nécessaire à notre subsistance, ei:i ouata, ad essentiam
smtentandam pertinens.
Quand on l'a traduit par quotidianm, on a pris em dans le
sens de ad : « Donnez-nous chaque jour le pain nécessaire
pour la subsistance de chaque jour. » Quand on Ta rendu
par supermbstantialis, on a pris exi comme signifiant super,
le pain qui s'ajoute à notre être. Le second sens diffère peu
du premier, au moins si on l'entend du pain matériel, objet
direct de la demande K
On a traduit récemment apxoç eiciouacoç par le pain du len-
demain, en faisant venir ce mot de sictevat, succéder, suivre,
eTciwv cuda. Cette traduction s'accorde assez mal avec la re-
commandation, qu'on lit bientôt après, de ne pas s'inquié-
ter du lendemain * ; et l'on ne voit pas de raison pour s'é-
carter de l'interprétation commune.
30 Obstacles et moyens, vi, 19-vii, 12.
292. — Quel est le sens de ce verset ; Lucema corporis tui est oculus
tuus..,, Yi, 22y et comment se lie-t-il à ceux qui précèdent et à ceux
qui suivent?
« C'est de la droiture de votre conscience et de l'éléva-
tion de vos vues que dépend la rectitude morale et la per-
fection de votre conduite , comme c'est du bon état de vos
yeux que dépend la bonne direction de tous vos mouve-
ments et l'usage juste et régulier de tous vos membres *.
Si votre œil est sans défaut, tous vos membres sont éclairés
et parfaitement dirigés. Vous marchez en pleine lumière.
* Victui necessaria. Prov., xxx, 8. — * Matth., vi, 34. Cf. vi, 19-21.
— 3 Hune oculum agnosce intentionem qua facit quisque quod facit.
S. Âug.y Cent. Julian., iv, 33. Oculo autem difficile est non subrepere
sordes aliquas de his rébus quiB ipsas bonas nostras actiones comitari
soient, veluti est laus humana. DeSeiin. in monte, u, 1.
N<> 293] SA VIE PUBUQUE. — 8BS DISCOURS. 437
Hais s'il est en manvais état, vous êtes dans les ténèbres, des
pieds à la tête : c'est comme si vous marchiez dans la nuit, i
L'homme a trois lumières pour l'éclairer, celle da soleil,
celle de la raison et celle de la foi ; la première dans Tordre
physique, la seconde dans l'ordre moral, la troisième dans
l'ordre surnaturel. Or, dans chacun de ces ordres, c'est de
la lumière qu'il reçoit, par conséquent de sa vue, de son
œil, que dépend la rectitude de sa conduite et le mérite de
ses œuvres. Un aveugle est comme mort au monde exté-
rieur : il ne peut agir qu'au hasard; un homme qui est
privé de sa raison, ou qui étouffe sa conscience, perd toute
sa valeur intellectuelle ou morale ; et un chrétien qui perd
la foi ou qui n'en fait pas usage, devient nul en fait de
christianisme, de vie surnaturelle; il ne fait rien qui ré-
ponde à sa vocation, rien qui soit digne du ciel. Au con-
traire, celui dont l'œil est pleinement et constamment éclairé
du flambeau de la foi est un chrétien parfait : il mène une
vie sainte, digne de son baptême et méritoire pour l'éternité.
Cette maxime est ici fort bien placée, après la recomman-
dation de chercher les biens du ciel et non ceux de la terre;
elle conduit naturellement à la suivante : qu'il ne faut pas
Yoaloir servir deux maîtres à la fois, ni beaucoup s'inquiéter
des nécessités du corps \
* 293. ^ Que défend Notre Seigneur quand il dit : Nolite judicare
tU non judieemini, vn, 1?
Toute maxime vise à la concision et admet des sous-en-
tendus. Pour être bien saisie et bien appliquée, elle demande
de la droiture et du discernement. Celle-ci signifie : t Ne
vous érigez pas en censeurs de vos frères. Ne vous faites pas
une habitude et un plaisir de les juger défavorablement. »
Elle n'interdit pas à ceux qui sont juges de condamner les
coupables, ni aux supérieurs d'apprécier ceux dont ils ont
la conduite ', ni à qui que ce soit de se rendre compte des
actes qui les concernent, afin de se conduire avec discrétion
» Cf. s. Thom., l*-2« , q. 12, à. 1. — « I Joan., iv, t.
438 JESUS-CHRIST SELON l'ëvangile. [n<* 294
et avec prudence, 6; mais elle défend de condamner le pro-
chain sur de simples soupçons ou de juger en mauvaise
part sans raison suffisante ^ Ceux qui sont sujets à ce dé-
faut ont à craindre un double inconvénient : celui d'être
censurés comme ils censurent le prochain , et celui de se
rendre ridicules en montrant moins de zèle et de clair-
voyance pour leur perfection que pour celle de leurs frères*.
Quand on est injuste, quelle grâce a-t-on à demander jus-
tice?
* 294. — Voyons-nous mieux ce que le prochain doit faire pour noas
que ce que nous devons faire pour lui, vu, 12?
Pour ne pas nous tromper sur nos obligations envers le
prochain, rien de mieux que de nous mettre en esprit à
sa place, et de voir, en le plaçant à la nôtre, à quoi nous
croirions avoir droit de sa part : Intellige qtuB sunt proximi
tui ex teipso '. Ainsi, pour comprendre que le vol est un
mal, il suffit de supposer qu'on est soi-même victime d'une
spoliation *. Avec ce procédé nous ne sommes guère ex-
posés à méconnaître ou à diminuer nos obligations. Le seul
péril à craindre, c'est de prendre un conseil pour un pré-
cepte et d'aller au delà du devoir. Au contraire, si l'on
procède autrement, si l'on considère directement à quoi l'on
est tenu envers ses semblables, on sera porté par égoïsme
à restreindre la loi. Notre Seigneur indique donc le vrai
point de vue où il faut se placer, si l'on veut apprécier jus-
tement et respecter comme il convient les droits du pro-
chain : QvÀBcumque vultis ut fcumnt vobis homines^ et vos
facite mis '. Il n'y a là aucune pétition de principe*.
i I Cor., XIII, 5. Sunt quœdam facta média quse ignoramus quo animo
flant, quia et bono et malo fieri possunt, de quibus temerarium est
judicare, maxime ut condemnemus. S. Aug., De Serm. Dom. in monte,
II, 60. — 8 Matth., VII, 1-5. — 3 Eccli., xxxi, 18. — ♦ Quis enim for
œquo animo patitur furem? S. Aug., Conf,^ ii , 4. — * Matth., vu, 12.
Non ait : Quidquid cupitis. S. Aug., de Civ.j xiv,8. Voluntas cnini non
est nisi in bonis. In malis cupiditas dicitur, non voluntas. De Serm.
Dom, in monte, ii. 14. Cf. Job., iv, 16; Kccli., xxi, 16. — 6 S. Franc, de
Sal., Vie dévote^ III, xxxvi.
NO 296] SA VIE PUBUQUE. — SES DISCOURS. 439
8® Conclusion, vu, 13-27.
295. ^ Quand le Sauveur dit qu'il en est peu qui prennent la bonne
voie, vu, 13, 14, a-t-il en vue les hommes de son temps auxquels
l'Evangile est annoncé, ou bien le genre humain en général^ c'est-à-
dire les adultes de tous les temps et de tous les lieux?
On ne voit rien qui restreigne les maximes du Sauveur
au temps ou au lieu où il les prononçait, et nous les voyons
alléguées indifféremment à toutes les époques, par les Pères
de TEglise et les Docteurs *. Ce n'est pas à dire que toujours
et partout, dans l'intérieur de l'Eglise comme au dehors, la
plupart des adultes se perdent. Pour avoir droit d'affir-
mer ce fait, il faut se placer, comme Notre Seigneur le fait
ici, devant la totalité des hommes. Sur le nombre des élus,
comme sur l'époque de la fin du monde, ce divin Maître
n'a jamais voulu rien préciser. Lorsqu'on lui demande : Si
pam sunt qui salvantur •, il se contente de répondre : Con-
tendite intrare par angustam portam •. Ne suffit-il pas en
effet de savoir ces deux choses ; qu'il dépend de chacun de
se sauver, mais que, pour arriver au salut, il faut passer
par la porte étroite et marcher dans le sentier le moins
large?
*296. — Quels sont les faux prophètes dont parle Notre- Seigneur et
comment veut-il qu'on les reconnaisse, vu, 15-18?
!• Notre Seigneur entend par faux prophètes tous ceux
qui s'arrogent, sans aucun titre, le droit de parler au nom
de Dieu, et qui donnent l'erreur pour la vérité *.
2* Il recommande de ne pas s'en rapporter aveuglément
à leurs paroles, mais de considérer leur vie et celle de leurs
disciples, ou de juger des arbres par leurs fruits. C'est le
meilleur parti- pour la multitude, incapable d'apprécier la
doctrine en elle-même. Les imposteurs n'ont pas coutume
^ Vide contra pauca grana quantam paleam levés. S. Aug., In Ps, cxux,
3. Cf. Eccli., XYi, 3; xxi, 10; Matth., xvii, 14; xx, 16; I Joan., y, 19.
S. Th., p. 1, q. 23, a. 7, ad 3. — 2 Luc, xiii, 23. — » Cf. Matth., vu,
13, 14; II Pet., m, 14. — * Mattli., x, 41 ; xiii, 57; xxiii, 34; xxiv, 5, 24;
Luc, XI, 49; II Pet., ii, 1. Cf. Matth., vu, 22.
440 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n<» 297
de propager la vertu. En matière religieuse surtout, Ter-
reur ne manque guère de produire le vice, et si le maître
réussit à se cacher, son disciple le trahit : Qtiod in radice
ceîatur, declaratur in ramis *.
3** En comparant les hommes à des arbres, Notre Sei-
gneur ne nie pas que l'être raisonnable n'ait des facultés
qui rélèvent au-dessus du végétal. On n'a donc pas droit de
conclure de sa comparaison que nous n'avons aucune li-
berté, qu'il ne dépend pas du juste de faire mal ou du pé-
cheur de recouvrer la grâce, de faire des œuvres de salut,
de se rendre tel qu'il désire *. Tout ce qui résulte de ses pa-
roles, c'est que le juste ne fera le mal qu'en devenant mau-
vais, et que le pécheur ne fera de bonne œuvre qu'en deve-
nant bon '. On peut dire encore que tout ce qui est de na-
ture à produire de bons effets est bon, et qu'une' institution
qui n'a d'elle-même que d'heureux résultats ne peut être
mauvaise *. Appliquez cette maxime à l'Evangile, à ses
dogmes, à sa morale.
297. -— Que signifie cette réflexion de TEvangéliste : Erat docens
sicut potestatem habens *, vu, 29?
Cette réflexion de S. Matthieu explique l'impression que
la parole du Sauveur produisait sur le peuple et l'admira-
tion qu'il inspirait à la foule. « On voyait en lui, dit l'Evan-
géliste, autre chose qu'un docteur ordinaire, qu'un inter-
prète de la loi. Il ne disait pas, comme les prophètes : Uœc
dicit Dominus. Il ne recourait pas à la discussion, ;au raison-
nement, au témoignage des hommes, comme les scribes et
les pharisiens. Il ne se bornait pas à répéter ce qui avait été
dit et à recommander les pratiques reçues. Il parlait en son
1 s. Ang , in Ps. li, 12. Brev., Fer. IV post Cineres, lect. ii, m. —
s Hoc ubique observandum est, ut simiUtudines non universim accipim-
tur, sed quod in illis opportunum est et ad quod declarandum assumptc
sunt, oportet seligere, rcliqua vero ornnia missa facere. S. Chrys., M
Rom., Hom. xvi, 8 — 3 Matth., xii, 33. Sic potest dici : Non potest nix
fieri calida. S. Aug., De Seiin. Dont, in monte ^ ii, 79. Mutet cor, et muta-
bitur opus. Cont, Adimant,, 26.— * Cf. Gai., v, 19-23.— « Cf. Eccles„Tiu,4.
NO 298] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 441
propre nom, avec indépendance et avec empire; et l'on sen-
tait qu'il avait droit de parler ainsi. »
En effet, qui ne le sent encore ? Si simple et si modeste
que soit son langage, le divin Maître ne permet pas la dis-
cussion. Il juge, définit, ordonne : Ego autem dico vobis.,.
Est, est; Non, won*. Ses paroles convainquent l'esprit et
pénètrent l'âme, sicut stimuli et quasi clavi in altum defixi
a pastore uno *. Ab uno magistro^ solo docendis tantis rébus
idoneo •. Nul ne peut méconnaître le Docteur suprême et le
Juge souverain qui prononce et qui prescrit. A moins de se
révolter contre lui, il faut baisser la tête et recevoir son
joug. Les âmes droites et dociles l'acceptent avec joie *.
298. — Ce discours ne confond-il pas souvent le conseil avec le
précepte et la perfection avec le devoir?
On ne peut pas dire que le Sauveur confonde le conseil
avec le précepte, en ce sens qu'il donne jamais l'un pour
l'autre. Seulement il ne s'arrête pas à les distinguer, et assez
souvent il laisse douter s'il commande ou s'il conseille. Mais
est-ce un défaut dans cette instruction? Le divin Maître
n'est pas, comme un théologien, en présence d'un audi-
toire instruit, qui demande à connaître avec précision l'é-
tendue et la limite du devoir ; c'est un prédicateur qui
exhorte en même temps qu'il instruit. Il s'adresse à des
âmes simples et ferventes qui l'écoutent avec docilité. Il
parle à leur cœur bien plus qu'à leur esprit, et il s'efforce
de leur inspirer l'amour de la sainteté. Lui-même compare
ses paroles à des grains de froment, à des semences de
vertu destinées à germer, à croître, à fructifier '. Ce n'est
donc pas seulement le devoir, c'est toute la morale chré-
tienne, c'est le code même de la perfection qu'il développe.
Estote perfecti^ dit-il. Luceat lux vestra coram homnibus • !
» Matth., V, 22, 28, 32, 39; vu, 22-21. — « Eccli., xii, il. — 3 S. Aug.,
De Serm. Dont, in monte, i, initie. — ♦ Omnis populus suspensus erat,
eUxp6(AaTo, audiens illum. Luc, xix, 48. Cf. Jean., m, 31; vu, 46;
VIII, 47. Bossuet, MédiU Dern. sera. 2« Jour. — * Matth., v, 16. —
* Luc, vin, 5, 11.
25.
442 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n® 299
Qu'on ne s'étonne pas davantage, s'il use d'hyperboles,
de figures oratoires, si toutes ses paroles ne peuvent être
entendues bien rigoureusement, s'il faut en prendre l'esprit
plutôt que la lettre. Tel est notre langage, quand nous cher-
chons à parler aux cœurs, quand nous voulons toucher.
Puisqu'il s'est fait homme, et qu'il s'adresse à des hommes,
le Fils de Dieu ne doit-il pas parler le langage des hommes,
c'est-à-dire s'exprimer comme tout autre le ferait dans les
mômes circonstances, pour rendre les mômes pensées et
produire les mômes effets * ?
Cela n'empôche pas que ce discours ne se ressente de son
origine et ne porte, au plus haut degré, l'empreinte de son
auteur. Toutes les grandes âmes y ont trouvé une lumière,
une élévation, une pureté, un calme, qui ne sont pas de
l'homme. « Pour moi, écrit le P. Gratry, je ne puis m'em-
pôcher de dire que plusieurs fois dans ma vie, j*ai vu Dieu
dans ces pages : mes larmes d'admiration les ont mouillées,
et mes baisers d'adoration les ont usées. »
Discours aux Apôtres sur leur vocation. Matth., ix, 36-z, 42.
* 299. — Quand Notre Seigneur s'attendrissait sur Tétat des âmes, ne
considérait-il que les populations dont il était entouré dans les cam-
pagnes de la Galilée?
Quand le divin Maître s'attendrissait ainsi sur l'état des
âmes et qu'il gémissait de voir si peu d'ouvriers à la mois-
son du Seigneur ", on pouvait croire que sa pensée se bor-
nait aux populations qu'il avait sous les yeux ; mais elle al-
lait plus loin que son regard : il n'y a pas de doute que le
monde entier ne fût présent à son esprit et l'objet de sa
compasssion. Aussi une grande partie de ses avis s'appli-
quent-ils moins à la mission qu'allaient entreprendre les
Apôtres qu'à celle qu'eux-mêmes ou leurs successeurs ac-
complirent plus tard '. Si triste que fût l'état des âmes en
Judée, c'était encore la seule contrée où le vrai Dieu fût
1 Nonne talibus locutionibus humana plena est consuetudo? An aliter
nobiscum quam nostro more erat locuturus? S. Aug., Cont. FausLy
xxxiiï, 7. — 2 Matth., ix, 36-38. Cf. Joan., iv, 34-38, — » Matth., x, 16-31.
f^ 300] SA VIE PCBUQCE. — SES DISCOURS. . 443
connu. Aa dehors, tout était Diea, excepté Dieu même;
rien n'était oublié, sauf l'essentiel, le salut, la vie étemelle.
N'estH^ pas encore aujourd'hui, malheureusement, l'état
de la plus grande partie du genre humain? Sur un milliard
et demi d'hommes qui peuplent le globe, prés d'un milliard
ignorent Jésus-Christ et ont à peine quelque notion de Dieu.
Sur quatre cent millions de chrétiens, plus d'un tiers sont
rebelles à l'Eglise et ont perdu la yraie foi. Et même dans
les pays les plus catholiques, combi^i qui vivent en infidèles
et qui meurent dans le péché, faute d'assistance extérieure
et d'ouvriers apostoliques * !
300.— Ce discours est-il bien différent da Sennon sur la montagne?
Ce discours s'adresse à un autre auditoire que le précé-
dent; il a un autre objet; mais son importance n'est pas
moindre. Comme le discours sur la montagne est le code de
la morale chrétienne, celui-ci est la règle de la perfection
sacerdotale et apostolique. C'est la partie la plus précieuse
et la plus féconde de la morale évangélique. Chaque verset
rappelle au lecteur mille traits héroïques de la vie des
Apôtres ou de l'histoire ecclésiastique ; et qui eût bien com-
pris ces maximes et eût réfléchi à la vertu toute-puissante
qu'elles portaient en elles, eût vu dès lors dans l'avenir les
prodiges de zèle, d'abnégation, de courage auxquels le
monde doit sa foi. Aussi les rationalistes ne manquent-ils
pas de dire que ces maximes ont été inspirées à l'auteur du
premier évangile par la vie des Apôtres, surtout par celle de
S. Paul, qu'il connaissait; comme s'il avait été plus facile
* Ce qui reste à faire ne doit pourtant pas nons fermer les yeax sur
ce qui est fait et sur ce qui se prépare. La France à eUe seule, n*a pas
moins de deux à trois mille de ses prêtres dans les travaux des missions,
sans compter les frères et les sœm*s qui les secondent. « Si Ton observe
la marche générale de la civilisation sur le globe , on ne pourra guère
douter que le christianisme ne parvienne à dominer le monde. Déjà TEu-
rope et rAmérique lui appartiennent. L'Asie est entourée de tous les
côtés. L'Afrique eUe-mème commence à s'ouvrir. On peut regarder ce
merveiUeux spectacle avec sécurité. Le dénouement ne saurait être
douteux, a Barth. de Saint-Hilaire. Journal de9 savants.
444 JÉSUS-CHRIST SELON l'éyangile. [n^ 301
de les pratiquer que de les concevoir et de les annoncer.
On distingue trois parties dans ce discours. — La pre-
mière comprend divers préceptes relatifs à la première mis-
sion des Apôtres, x, 5-15. — La seconde a pour objet celle
qu'ils auront à remplir après la venue du Saint-Esprit,
16-23. — La troisième s'applique à toutes les missions qui
doivent avoir lieu jusqu'à la fin des temps : elle est pleine
d'encouragements et de promesses, 24-42. La distinction
des parties est marquée par la répétition de cette formule
d'affirmation, familière à Notre Seigneur : Amen dico voMs,
1** Pour la mission actuelle en Galilée, x, 5-15.
301. — Que signifie ce verset : Infirmas enraie; mortuos mscitaie.....
dsmones ejicite; gratis accepistis, gratis date, i, 18 *?
1® Par les premières paroles. Notre Seigneur commu-
nique à ses envoyés le pouvoir de faire les mêmes miracles
que lui, aTQpLsia, de guérir les malades, de ressusciter les
morts, de chasser les démons '. Par là, il montre qu'il n'est
pas seulement un thaumaturge et un prophète, mais le
maître des thaumaturges et des prophètes*; il donne à ses
Apôtres le moyen le plus convaincant de prouver la vérité
de leur prédication, et il rend sensibles et croyables les
grâces que ses ministres auront bientôt à conférer aux
âmes.
2* Par ces derniers mots : Gratis accepistis, gratis date, le
Sauveur défend aux Apôtres de trafiquer de ces pouvoirs ou
d'en tirer aucun profit temporel*. Il n'entend pas, sans
doute, qu'ils manquent du nécessaire, ou que le soin de leur
subsistance les détourne des travaux du ministère. Son in-
tention est que les disciples subviennent à l'entretien des
maîtres, ou que les ouailles pourvoient aux besoins de leurs
pasteurs '^; et il ne manquera jamais de mettre cette dispo-
1 Matth., X, 8. — 2 Virtutem calcandi supra serpentes et scorpiones.
Luc, X, 19. — 3 Multa enim distantia est inter habere et tribuere, donare
et accipere. S. Hieron., In hune loe,~~ * Cf. Act., vm, 20 ; xx, 35; I Tim.,
m, 8; II Pet., ii, 15,* Jud., 16; IV Reg., v, 16; Dan,, v, 17. — » Mttth.,
NO 302] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 446
sition dans le cœur des fidèles*. Mais ce à quoi il tient sur-
tout, pour l'honneur du sacerdoce et pour le bien des
âmes, c'est qu'un ministère de charité ne devienne jamais
un moyen de lucre ; c'est que ses représentants aient dans
le cœur et montrent en leur conduite l'esprit de générosité
dont il a donné l'exemple et que les infidèles admiraient
dans le Père des croyants •.
* 302. •— Les recommandations de Notre Seigneur aux Apôtres
s'adressent-elles aussi à leurs successeurs ?
Plusieurs de ces recommandations n'avaient pour objet
que cette première mission; par exemple :
!• Celle de ne pas s'adresser aux Samaritains et aux Gen-
tils, Il convenait, dit S. Thomas, que l'Evangile fût proposé
d'abord à l'ancien peuple, et que les infidèles fussent ame-
nés à la foi par les descendants d'Abraham '. D'ailleurs le
Sauveur devait ménager les prétentions de ses compatriotes
à l'égard des païens, et ne pas exposer prématurément ses
Apôtres aux emportements de la Synagogue. Mais il ne fai-
sait que différer l'exécution de ses desseins ; car il n'est pas
douteux qu'il ne destinât dès lors sa religion au monde en-
tier. Il avait assez fait voir qu'il ne partageait pas les pré-
jugés de sa nation contre les étrangers, et qu'il n'excluait
personne du royaume de Dieu *.
2* La pratique qu'il leur impose d'une pauvreté absolue.
Plus tard, quand il les enverra parmi les Gentils, il ne leur
demandera plus à eux-mêmes un dénûment aussi complet * ;
mais ce premier début leur aura appris quel est l'esprit de
leur vocation et jusqu'où ils doivent porter leur confiance
X, 11, 41; Luc, X, 7; I Cor., ix, 7, U-15? Gai., vi, 6. Cf. IV Rcg.,
IV, 10.
* Act., IX, 43; xvm, 2; PhU., ii, 29; iv, 10, 16, etc. — « Gcn., xiv,
21-23. Cf. Luc, IX, 58; H Cor., viii, 9; S. Thom., 2*-2«, q. 185, a. 6. —
» Sic in cœlosti hierarchia per superiores angelos ad infcriores divine
illuminationes deveniunt. S. Thom., p. 3, q. 42^ a. 1. Cf. Act., xiii,
46, 47; Rom., xv, 8. — ♦ Matth., viii, 10-12; Luc, vu, 1-10; ix, 52-56;
X, 30-37; XIII, 29; xvii, 16. Cf. Matth., xxiii, 38; xxiv, 14; xxviii, 19;
Marc, XVI, 15; Act., i, 8; xiii, 4, 6; Rom., xv, 8. — » Luc, xxii,
35y 36; Jfoan., xm, 29.
446 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n<> 303
en la Providence, avec leur fidélité à s'occuper uniquement
des intérêts de leur divin Maître K
303. — Ce que le Sauveur dit en S. Matthieu : Neque calceamenta, ne-
que oirgam, x, 10, est-il contraire à ce qu'on lit en S. Marc : Caîcea'
tos sandaliîs,», et virgam tantum, vi, 9?
Le désaccord entre S. Matthieu et S. Marc n'est qu'appa-
rent, ou plutôt il n'y a de différence que dans les expres-
sions. D'un côté comme de l'autre, la pensée du Sauveur,
c'est que ses Apôtres partent sans retard pour leur mission,
qu'ils comptent sur sa Providence pour subvenir à leurs
besoins, qu'ils se gardent de toute hésitation et de toute dé-
fiance, qu'ils ne perdent pas de temps à s'équiper pour le
voyage, ou à visiter leurs amis sur la route *. t Partez sur-
le-champ, leur dit-U, dans l'état où vous éUBte. Ne prenez ni
argent, ni vivres, ni vêtement. Partez comme des envoyés
de Dieu qui mettent toute leur confiance en celui qui les
envoie, comme partit Jacob, in bactUo suo •, n'ayant pour
lui que la protection du Ciel. Contentez-vous de la chaus-
sure que vous portez, du bâton que vous avez à la main, et
même, si vous n'en avez pas, ne vous en mettez pas en
peine ; n'en cherchez pas : Myj /.TTQor^aOî, nolite comparare *. »
Cette recommandation est rendue diversement par les Evan-
gélistes. Les uns saisissent un trait dans les paroles du
Sauveur, les autres un autre; mais au fond l'idée est ren-
due par tous. Or, doit-on leur demander autre chose? Nihil
aliud quœrendum^ dit S. Augustin, qtuim quid velit iUe qui
loquitur^.
Les interprètes qui ont cherché plus minutieusement à
1 Gela suffit d'ailleurs pour recommander les Ordres mendiants et les
missions à Textérieur. Quis hoc mandaret, nisi qui conros alit et flores
agri vestit? Tert., Adv, Marc, iv, 21. Cf. Luc, ix, 23; I Cor., ii, 4, 5;
1 Thess., II, 9 ; S. Thom., 2a-2» , p. 185, a. 6, ad 2, et p. 3, q. 40, a. 3. -
2 Luc, X, 5. Cf. IV Reg., iv, 29. — 3 Gen., xxxii, 10. — ♦ Matth., x, 10.
— 6 s. Aug., de Consensu evang., II, 2, 3. Non mentitur quisquam, si
alius verbis dixerit quid alius voluerit, cujus verba non dicit; nec miscri
aucupes vocum apicibus litterarum putent ligandam esse veritatem.
II, 67. Cavenda est sophistica. De doct. christ., ii, 31. Cf. Cont Faust,
xxiii, 8; Cont. Adimant^ u, S. Hieron., in Amo9», v, 25; EpitL fcvn, 6.
NO 304] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 447
mettre d'accord les paroles des Evangélistes, distinguent les
sandales, qu'on portait ordinairement, de la chaussure de
voyage, et la baguette, dont le voyageur s'aide en mar-
chant, du bâton qu'on prenait en cas de péril pour se dé-
fendre. Mais ces distinctions ne paraissent -pas nécessaires.
Il suffit de ne pas pointiller, comme disent les saints Doc-
teurs*.
2« Pour la mission prochaine des Apôtres dans le mondet x, 16-23.
* 304. — Gomment los Apôtres devaient-ils joindre la prudence da
serpent à la simplicité de la colombe, x, 16?
Les serpents fuient au moindre bruit et se dérobent
promptement au péril. Ainsi les Apôtres devaient fuir tous
les dangers, ceitx de l'âme d'abord et ceux du corps ensuite,
sans jamais opposer la force à la force. C'est ce que faisaient
les premiers chrétiens, qui se retiraient dans leurs cata-
combes à la première annonce de la persécution. Remar-
quez que Notre Seigneur dit serpens^ reptile. Il ne parle pas
de vipère : genimina viperarum •. Néanmoins, on pourrait
penser que les serpents représentent ici comme en beau-
coup d'endroits les méchants, ou l'esprit mauvais qui les
inspire; de môme que les colombes sans fiel et sans malice
représentent les âmes droites et l'Esprit saint qui habite en
elles •. Alors le sens serait : Prenez de vos ennemis ce qu'ils
ont de bon : leur prudence, leur circonspection naturelle;
mais joignez-y la simplicité toute céleste que donne la di-
vine grâce.
Cavete ab hominilms, ajoute le divin Maître. Dès ce mo-
ment, il a soin d'accoutumer peu à peu les Apôtres à l'idée
des persécutions qui leur sont réservées. Il veut qu'ils s'y
préparent, qu'ils affermissent leurs résolutions, qu'ils ne
soient pas surpris.
* Supra, n. 281. — « Matth., xxiii, 33. Brev. rom., H jun., lect. vii-
IX. — 3 Simplices, axepaiot, non altéré ni falsifié par aucun mélange.
Simplicité est opposé à duplicité, fourberie, mensonge.
448 JÉSUS-CHRIST SELON l'eyangile. [n<> 303
305. — Les prédictions de Notre Seigneur sur Taccaeil que le monde
fera aux apôtres, x, 16-22, se sont-eUes accomplies?
Les prédictions faites par Notre Seigneur en cette cir-
constance * se sont accomplies avec tant de précision que,
s'il n'était constant que cet Evangile est antérieur à la ruine
de Jérusalem, et antérieur de vingt à trente ans, comme
l'affirme Eusèbe, on ne manquerait pas de dire que ce pas-
sage a été écrit après les premières persécutions.
Les Apôtres ne se sont-ils pas conduits comme des brebis
au milieu des loups, et n'ont-ils pas été traités de même?
On a créé un mot nouveau pour exprimer leurs souffrances
et leur courage ; car le nom de martyr n'existait pas, ou du
moins il n'avait pas sa signification actuelle, quand Jésus-
Christ disait qu'il deviendrait le leur*. Si l'un d'eux a
échappé à la mort violente, c'a été par miracle et sans se
dérober au supplice. Le Sauveur avait annoncé que ses dis-
ciples seraient odieux au monde entier, et qu'on se ferait
un mérite de le persécuter : Eritis odio omnUms^ 22. Du
temps môme de S. Paul, tout le monde semblait ligué pour
les combattre *. Avant la fin du siècle. Tacite écrivait dans
ses Annales que le genre humain voyait dans les chrétiens
des ennemis acharnés, odio gêner is humani convicti.,.,per
flagitia invisi *; et l'on ne peut douter que le monde n'eût
dès lors pour eux toute la haine qu'il leur attribuait pour
lui *. Le Sauveur avait dit qu'ils seraient haïs et persécutés
à cause de son nom : Propter nomen meum; et c'est un fait
qu'il suffisait de porter le nom de chrétien pour être dévoué
aux supplices, comme il suffisait d'y renoncer pour être
absous et comblé d'éloges : Mors^ nominis pretium, disait
TertuUien. Christiania destinatum morti gernts ®. Répudiés
1 Cf. Joan., XVI, 2, 4, 22. — « Act., i, 8, 22. Cf. Matth., x, 18; Luc,
XXIV, 48; Joan., xv, 27. — » Act., xxii, 20; xxviii, 22-31; Apec, ii, 13.
— * Tacit., Ann., xv, 44 (ann. 100-110); et HisL, v, 5 (ann. 115-120).
Au lieu de convicti, des manuscrits portent conjuncH, — * Flagitia
cohœrentia nomini. Plin. jun., Epist. x, 91. Cf. Act., xxvni, 22; I Pet,,
II, 12. — 6 Tert., Apolog., 2, 4, 7, 8, 39, 40. Hœc est rêvera ratio totios
odii vestri adversus nos. Ad nation,, i, 3, 7, 16. Ps. cxxviii, Joan.,
XV, 21; Act., IX, 16; I Pet., iv, 14, 15.
N" 305] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 449
par lenrs familles, dénoncés par leurs proches, ils se
voyaient traînés à tous les tribunaux, condamnés par tous
les juges, flagellés par les Juifs, égorgés par les Gentils ',
teltà bestinriot*. Pas d'infamie qu'on ne leur imputât*. Pas
de torture qu'on ne leur Ht subir *. Dans la
seule ville de Rome, Néron en fit mettre à
mort une multitude immense, ingens mul-
titudo ', pour détourner de lui un affreux
soupçon. Néanmoins, on ne cessa pas de
trouver des chrétiens, et les chrétiens ne
cessèrent pas de rendre témoignage à Jésus-
Christ avec une constance et une sagesse
évidemment surnaturelles', La crainte de
Dieu les rendit supérieurs à toute crainte
humaine, 28. Ce grand fait, qui a pour monuments le Mar-
I Tertull., De pudicil., xv; I Cor., iv, 9. — * Hattb., ii, 17, îl. —
> Uatlh., X, as, £6. S. JusUn., /* Apol., i; Cf. Tacit., Ann., xv, 44;
Sueton., Nero, 16; Pline. Epi$i. x, 97. — » Cf. 1 Cor., iv, 5; S. Justin.,
Apol, I, 26, 38; ii , 12-U; Dial., 10, 17, 108, 110, 131; Epùl. Eccl.
Lugd.. 14; Hinntiui Felii, Oetav., 12, 37. Quintllisn., Ded., ix. S;
Braï. rom., Com Mari., 3" loco, lect. viii. — ' Ttcit,, Ann., iv, U. —
' Matth.. X, 18-20; Joan., in, S4, 25; Apoc, vu, 9. Ecclcsia pcrsccutio-
nibus cravil. martyriia coronata esl. S. Hieron., Ephl. lxiiii, 10. E»i-
tialis «upepstitio repreasa in presens, rarsus erumpebai, non modo pcr
JudKam, scd por vrbem eiiam. Tacit., Ann.,xv, 44. Socrate, dît S. Justin,
n'a jamais eu du disciple qui voulût mourir pour lui : Jésas-Clirist a
ans foule âe témoins, artisans et hommes do ioKros, qui soutiennent
sa doctrine jusqu'à la mort, sans se laisser arrêter par les préjugés ni
parles menaces. H» Apol., x. Un chrétien, disait Origèno (nous pour-
rinos encore dire un missionnaire), donne plus facilement sa vie pour
Jésus-Christ qu'un philosophe ne donnerait pour quoi que ce soit un
pan de son manteau. Conl. Celi., vu, 39. Tanquam apea ad alvcaria,
aie illl ad martfria. Julian. Apostala. Si computetur unus dies paa-
sionis Mailyrum , mJUia hominum inveniuntnr coronatoruin. S. Aug.,
Sei-m. ccL[t,3 S. Chrys., Hom. xl. In invent. Mort., Euseb., H., iv, 17;
V[, 41; vil, 50; vni, 12; ix, 10; Diclionn. de mytliq. cki-él.. Martyrs.—
' Martyr d'une chrélienne, tracé sur une pierre de jaspe, de C. W. King,
et donné communément comme une œuvre du quatrième siècle. La
colombe est le symbole de l'&me qui va monter au ciel ; le monogramme
du Christ rappvllo qun Jésus-Christ veille sur ceux qui confessent son
nom. Act., viii, 56. Gravée peu de temps après les persécutions, cotte
gemme pourrait être un souvenir de famiUe, porté pur les parents de
quelque martyre. On ignore co qoe sigoiAent les initiaies A. N. F. T.
450 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n» 306
tyrologe et les Catacombes, et qui s'est prolongé pendant
deux siècles et demi, donec orbis terrosy qui perseqttebatur
furore^ sequeretur fide\ est unique dans l'histoire. Il est
impossible de n'y pas reconnaître deux choses : la rage de
l'enfer qui animait les persécuteurs *, et l'assistance du Ciel
qui soutenait les victimes '.
* 306. — Pourquoi le Sauveur veut-il que ses apôtres se dérobent à la
persécution, et quel est ce retour du Fils de Thomme qu'il leur
annonce, x, 23?
1*» Notre Seigneur veut que ses Apôtres fuient, non pour
éviter de souffrir, comme le mercenaire *, mais pour mieux
servir l'Evangile et pour répandre la foi en plus d'endroits.
Il ne dit pas : « Cessez de prêcher; » mais au contraire:
€ Quand vous ne pourrez plus prêcher en une ville, allez le
faire en une autre. » Telle fut la conduite des Apôtres * et
du divin Maître lui-même ®.
2** Ces mots : Non consummabitis civitates Israël, donec
veniat Filius hominis \ semblent avoir rapport au verset 7 :
Prœdicate, dicentes quia appropinqtuivit regnum cœlorum. Ils
sont entendus de diverses manières par les interprètes.
Plusieurs traduisent : « Le Fils de l'Homme viendra juger le
monde, avant que vous et vos successeurs ayez converti tout
Israël. » D'autres : « Avant que vous ayez achevé une tâche
si difficile, je viendrai vous prendre et vous faire entrer
avec moi dans ma gloire. * D'autres en plus grand nombre :
c Je me montrerai auparavant dans ma justice et ma puis-
sance, afin de sanctionner votre prédication d'une manière
visible, afin de châtier l'incrédulité des Juifs et d'établir
solidement mon Eglise sur les ruines de la synagogue et de
l'idolâtrie \
1 s, Aug., de Civ. Dei, xxii, 7.-2 Luc, xxii, 31. Cf. Job., ii, 4, 5. —
3 Ps. XXXVI, 15; LVi, 9; Joan., m, 20; xy, 18-27; xvi,33 ; II Tim.,m, 12.
O beati martyres I Scio vobis corda humana : Unde vobis ista divina?
Ego dico : a Deo; quis est qui dicat : a vobis? S. Aug., Se7^m. cclxxxiv.
Cf. Correspondant f janvier 1864, p. 160. — * Joan., x, 12. — ^ ^ct., viii, I ;
IX, 25; XII, 17; II Cor., xi, 33. — « Mattli., iv, 12; Luc , iv, 30 ; Joan.,
VIII, 59; XII, 36. Cf. III Reg., xix, 3; Brev. rom., 2 matï, lect., viii, u;
§, Thom,, 2«-2«; q. 185, a. 5. — ^ Mattli., x, 23. - « Supra, n. 263.
N<> 307] SA VIE PUBUQUE* — SES DISCOURS. 451
3« Pour toutes les prédications de VÉvangile, x, 23-36.
307. — Cette parole de Notre Seigneur : Non veni pacem mittere, 24,
s'accorde-t-elle avec celle-ci : Pacem meam do vobis?
Ces paroles, qui semblent se contredire, s^accordent néan-
moins, parce que la paix dont il est question d'un côté n'est
pas celle dont il s'agit de l'autre.
Dans S. Matthieu, 34, le Sauveur parle de la paix exté-
rieure, de celle qui consiste à ne rien souffrir, à n'avoir
pas d'ennemi ici-bas, à jouir des biens de cette vie, en par-
ticulier de l'affection, de l'estime et de la faveur des
hommes ^ c Je ne suis pas venu, dit-il, pour donner cette
paix à mes disciples, mais au contraire pour les en détacher
et les disposer à en faire le sacrifice pour Dieu *. » En effet,
il s'en faut bien qu'il la leur procure. Ceux qui veulent
plaire à Jésus-Christ s'appliquent avant tout à pratiquer ses
vertus ; or, le zèle pour les vertus chrétiennes ne se pra-
tique guère qu'aux dépens de l'estime et de la faveur du
monde •. En fait de vertus, le monde ne goûte que celles
qu'il se flatte d'avoir, les vertus naturelles, la probité, la
générosité, la bonté; pour les vertus chrétiennes, l'abnéga-
tion, la pénitence, le zèle des âmes, il affecte de les mépri-
ser, et il les hait parce qu'elles sont contraires à son esprit,
qu'elles l'humilient et le condamnent*.
Dans S. Jean, xiv, 27, le divin Maître parle de sa paix^ de
celle dont il jouit et qu'il veut donner à ceux qui sont avec
lui. C'est la paix de l'âme, la paix intérieure, celle que l'on
trouve au dedans de soi, dans la jouissance du bien véri-
table qui est Dieu et sa divine grâce. Celle-là, Notre Sei-
gneur la promet à ses disciples et il la leur donne, no-
nobstant les persécutions qu'ils ont à endurer, et même à
proportion des sacrifices qu'ils font pour son amour *.
Ainsi, pour un chrétien, la joie naît de la souffrance. La
croix devient une source de bonheur; la privation produit
* Eccli., XLi, ! ; Luc, xii, 19. — « Luc, xii, 49 53. — 3 Matth., vi, 24.
— * Joan., m, 20; xv, 19. — ^ n Cor., i, 4, 5; Phil., iv, 7 ; Col., ui, 15,
452 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n*» 308
la jouissance ; et c'est en perdant son âme qu'on la sauve,
môme dès cette vie *.
308. — Qu'était-ce que les soixante-douze disciples dont parle saint
Luc, X, 1. et devant lesquels le Sauveur semble avoir répété en
grande partie ce discours?
La liste des soixante-douze disciples ne nous a pas été
transmise. Un petit nombre seulement sont connus avec
certitude *. On sait qu'ils furent choisis parmi ceux qui sui-
vaient habituellement le Sauveur, et que le divin Maître
les associa aux Apôtres pour les aider à instruire le peuple
et le préparer à sa venue. Il est certain qu'ils étaient infé-
rieurs aux douze, puisque Matthias, l'un d'entre eux, fut
promu à l'apostolat à la place de Judas. S. Ignace les assi-
mile aux diacres et S. Jérôme aux prêtres. Leur ministère
fut transitoire et purement personnel : ils ne transmirent à
personne les pouvoirs qu'ils avaient reçus •.
Au lieu de soixante-douze disciples, la plupart des ma-
nuscrits grecs portent soixante-dix; mais on peut croire que
c'est un nombre rond employé pour soixante-douze, comme
lorsqu'il s'agit des interprètes de l'Ancien Testament, ou
des personnes dont se composait la famille de Jacob à son
entrée en Egypte *.
On a fait cette remarque, que ce nombre répond à celui
des peuples dont Moïse fait le dénombrement dans la Ge-
nèse ^ de même que le nombre douze répond à celui des
tribus d'Israël; car, d'après les Juifs, l'humanité se compo-
sait de soixante-dix (ou soixante-douze) peuples : quinze de
Japhet, trente de Cham et vingt-sept de Sem *. Cet accrois-
1 Ac si agricolsB dicatur : Frumentum si serves, perdis; si seminas,
rénovas. S. Greg. M., Homil. in Evang., xxxii, 4. Brev. rom., Odav.
Sanct, omn., lact. 7 et !«' fëv., lect. 7, 8. — * Eusèbe n*en mentionne
que cinq : Barnabe, Sosthènes, Matthias, Thaddée et Géphas, H., i, \i-
On peut voir la liste entière dans la Chronique paschalCj Migne, Patr^
xcii, p. 529 et 543. — 3 S. Thom., 2a-2œ, q. 184, ad 1; et p. 3, q. 67,
a. 2, ad 2. — * Scriptura non facit vira in rainutis numcrorum. S. Th.,
Opusc. Cf. Gen , xlvi, 27 et Act., vu, 14. — 5 Gen., x, 1-32. -
6 Clément., Recogn,^ I, 11; Origen., In Exod.» Hom., vu; S. Hieron.,
Episl, Lxxvn, 6; S. Aug., de Civ, Dei., xvi, 3, 4, 6,
«0 309] SA VIE PUBLIQUE» ^ âËS DISCOURS. 483
sèment du nombre des ouvriers apostoliques, de douze à
soixante-douze, semblait annoncer l'extension prochaine de
la prédication à Tunivers entier.
Mariage et divorce. Matth., v, 31-32; xix, 3-42.
309. — Notre Seigneur ne permet-il pas au mari de renvoyer sa
femme dans le cas d'adultère?
Deux choses sont ici défendues au mari : de se séparer de
sa femme, et de prendre une autre épouse du vivant de
celle-ci. La première prohibition souffre une exception
lorsque la femme a manqué de fidélité à son mari; mais la
seconde n'en admet aucune. Jamais, pas même dans le cas
d'adultère. Notre Seigneur ne permet à l'époux de rompre
le lien qui l'unit à son épouse et de contracter un autre
mariage. Il ne dit pas : Qui dimiserit, aicoXuGr^, uxorem suam
et aliam duxerit, excepta fornicationis causa ^ mœchatur^
comme il- aurait dû dire s'il avait voulu permettre le di-
vorce ; mais il dit : Qui dimiserit^ excepta fornicationis cau^saK
Evidemment, c'est à dessein que, dans ces deux endroits, il
évite la première formule et prend la seconde. En attachant
à dUniserit seulement l'exception motivée par l'adultère, il
fait bien entendre qu'il n'y a lieu dans le mariage qu'à une
simple séparation entre les époux et que nulle faute ne peut
légitimer le divorce. Bien plus, il ajoute des deux côtés
d'une manière absolue : Qui dimissam duxerit, mœchatur^^
et dans le dernier cas, il ne désapprouve pas le sentiment
des Apôtres, qui trouvent sa décision bien dure pour le
mari •.
Expliquer ces passages dans un sens favorable au divorce,
prétendre que l'exception tirée de l'adultère, qui est expri-
mée après dimiserit, doit être sous-entendue après et aliam
duxerit^, ce ne serait pas seulement contredire la doctrine
de l'Eglise sur le mariage * et expliquer le saint Evangile
^ El (I.Y) eiti Tcopveia, ou (at) siti icopveia, comme portent les plus an^
ciens manuscrits. Matth., y, 51, 52; xix, 9. — s Matth., v, 32; xix, 9.
Cf. I Cor., VII, il. — « Matth., xix, 10, 12. — * Matth., xix, 9. —
^ Gonc. Trid., sess. xxiv, c&n. 7.
484 JÉSUS-CHRIST SELON L*ÉVANGILE. [n<> 309
dans un sens différent de celui qu'elle lui a toujours donné;
ce serait étendre arbitrairement le sens des textes et en-
freindre les règles les plus certaines de Tinteprétation. En
effet :
1" C'est un principe de droit qu'on ne doit admettre au-
cune exception à une loi générale, à moins que cette ex-
ception ne soit admise par le législateur lui-môme. Or, on
convient qu'il y a une loi divine qui rend le mariage indis-
soluble, et l'on ne peut montrer aucune exception claire-
ment énoncée, ni dans ce passage, ni dans aucun autre de
l'Evangile.
2° Notre Seigneur n'a pu parler sur le mariage d'une ma-
nière incohérente et contradictoire, poser des prémisses et
rejeter les conséquences. Or, c'est ce qu'il aurait fait, si
après avoir enseigné que personne ne doit séparer ce que
Dieu a uni ', et que par le mariage l'époux et l'épouse sont
liés ensemble au point de ne plus faire qu'une seule per-
sonne, une unité organique indivisible, Buo eiç aapxa [xiav, il
eût déclaré aussitôt qu'il suffisait d'un adultère commis par
l'un ou par l'autre pour rompre cette union et les mettre en
état de contracter un autre mariage *.
3* On ne conçoit pas que le Sauveur ait accordé à la
femme coupable une faveur refusée à l'épouse innocente, ou
fait du crime une condition pour satisfaire ensuite les plus
mauvais instincts. C'est pourtant ce qu'il faudrait dire s'il au-
torisait le divorce dans le cas d'adultère, ou s'il déclarait
libre de tout lien l'épouse renvoyée par son époux pour
avoir violé son obligation la plus sacrée.
4" On convient que le meilleur moyen d'interpréter les
Ecritures, c'est de rapprocher les textes parallèles, d'éclai-
rer les passages obscurs par ceux qui sont clairs, de fixer
les versets équivoques par ceux qui sont précis. Or, sur le
sujet du mariage, nous avons dans S. Marc ', dans S. Luc*
et dans S. Paul ', quatre ou cinq textes aussi clairs et aussi
précis que possible, qui excluent absolument le divorce.
4 Matth., XIX, 4-6. — « Matth., xix, 9.-3 Marc, x, 11, 12. — * Luc,
XVI, 18. — » Rom,, VII, 2, 3; I Cor., vu, 10, U, 39.
N" 310] Sa vie PtJBLIQtE. — 9B9 DISCOURS. 488
C'est plus qu'il n'en faut assurément pour éclaircir un pas-
sage ou deux de S. Matthieu, si l'on y voit quelque obscu-
rité'. Les témoignages de S. Paul, de S. Marc i
et de S, Luc sont d'autant plus décisifs que
ces auteurs , écrivant pour des Gentils, c'est-
à-dire pour des hommes accoutumés à user
librement du divorce et peu disposés à renon-
cer à cette faculté *, devaient prendre garde
de ne pas exagérer la loi chrétienne en cette
matière.
■ 3)0. — N'a-t-oD pas donné de ces paroles : excepta fomîcaiionis
causa, une antre explication que celie que nous donnons?
On a voulu donner à ces paroles de S. Matthieu une ex-
plication différente; mais les raisons qu'on allègue sont
erronées ou manquent de solidité.
i" Les Grecs schismatiques s'obstinent à y voir le divorce
autorisé pour le cas d'adultère, même à l'égard des chré-
tiens. Selon eux, les éponx sont liés l'un à l'autre tant
qu'ils sont fidèles, mais si l'un ou l'autre manquent à ta foi
conjugale, tous deux deviennent hbres. C'est contre eux
que le concile de Trente a fait son canon vu '.
2* Certains auteurs récents ont hasardé cette idée : qu'il
pouvait s'être glissé quelque altération dans ces versets de
S. Matthieu, que nisi pouvait être pour mquidem, ou que
les mots excepta fomicationis causa étaient une glose du
texte hébraïque qu'on avait fait passer par mégarde dans la
traduction grecque. Ces hypothèses ne sont pas sans doute
par elles-mêmes contraires à la doctrine, mais il n'y a au-
cun moyen de les justifier au point de vue de la critique.
Si les copistes des premiers temps avaient fait de pareilles
' s. Aug., de Conjug. adull., 1, 28. — ^ Sceau des premiers temps
représentant deui chrétiens , deux époui probablement. L'ancre Bur-
monléo de la croix indique que leur sort est flié et les exhorte à l'es-
pérance. Clem. Alex., Pedag., m, 2. Supra, o. S04. Note. Cf. Aringbi,
v:, îg, — 3 et. Senec, De benef., m, 10. Plutarc, Sylla, 14; Paul
Wl., 7; Cicero, EiS. Dumont, Ann. de pkil. ehrét., yiu, Î8. De Cham-
Pigny, Les Céian, t. m. La Cunille. — * Sais. !4.
486 JESUS-OHRÏSt SELON l*évaN(îilë. [n» 310
fautes, aurait-on mis dix-huit cents ans à s'en apercevoir?
Il en faut dire autant des interprètes qui prétendent tra-
duire excepta fornicationis cama par : sauf le cas ou la
première femme n'aurait été qu'une femme de fornication,
avec laquelle on n'eût pas été marié. Comment expliquer,
d'ailleurs, la suite du verset : Qui dimissam duxerit,
mœchatur?
3<> Plusieurs catholiques, de Stolbert, Foisset, etc., ont
admis l'interprétation des Grecs, sans admettre la consé-
quence qu'ils en tirent en faveur du divorce, parce que,
disent-ils. Notre Seigneur, dans ces passages, répondant
aux Juifs, parlait pour les Juifs seulement, d'après leur lé-
gislation. Mais il suffit de considérer les circonstances et la
suite du discours dans l'Evangile, pour être convaincu que
Notre Seigneur parle pour ses disciples, et que ses disciples
prennent pour eux ses paroles: Dictum est... Ego autem
dico vobis^. Moyses ad duritiam cor dis vestri permisitvo-
bis...; Dico autem vobis*. Qui ne sait d'ailleurs qu'un juif
pouvait avoir plusieurs femmes '?
4* Le P. Patrizi a cru * qu'on pouvait étendre l'exception
aux deux membres de phrases, à duxerit comme à dimiserit,
et aux chrétiens comme aux Juifs, mais en restreignant le
sens de fornicatio à celui d'union incestueuse, c'est-à-dire
au cas où le mariage aurait été célébré au mépris d'un em-
pêchement de parenté dirimant. On voit combien est arbi-
traire une telle interprétation.
5° Enfin Dœllinger, qui attribue aussi à l'exception la
plus grande étendue, pense qu'il faut donner le sens le plus
restreint au mot fornicatio, et l'entendre, non d'un adul-
tère, mais d'une fornication simple et d'un commerce char-
1 Matth., y, 31, 42. — a Matth., xix, 8, 9. — 3 Cf. Deut., xvii, 17.
S. Justin dit que les docteurs juifs permettaient d'en avoir jusqu'à cinq.
Dial. cum Tryph.^ 134, fin. Joseph., ^4., XVII, i, 3 ; Vita. L'assemblée des
députés juifs convoqués à Paris par le gouvernement impérial, en 1S06,
n'en répondit pas moins aux questions qui lui furent adressées : qu'il
n'est pas permis aux juifs d'avoir plus d'une femme, et que la répudia-
tion n'a de valeur parmi eux que si elle est prononcée par les tribunaux.
— * Patrizi, de Interpret. Script,, i, 7.
N°3H] SA VIE PUBUQCE. — SES DISCOURS. 4S7
nel de la femme antériear an mariage*. Dans ce cas, dit-il,
on conçoit qne Notre Seignenr déclare qne le mariage cesse,
ou plutôt qu'il n'a jamais existé, le mari n'ayant jamais eu
l'intention de se marier à une femme qni ne fût pas vierge.
Encore une interprétation singulière^ dont on n'avait pas
ridée, qui donnerait lieu à mille difficultés et qni manque
absolument de base, le mot ^opvcn, rendu p^r fomicatio,
signifiant adulterium aussi bien que fornicatio; et le pre-
mier sens étant le seul qui s'offre ici à l'esprit, de l'avis des
Grecs schismatiques aussi bien que de l'Eglise catholique *.
Péchés contre le Saint-Esprit. Matth., xn, 31-32.
311. — D*où vient que les péchés contre le Fils de Tbomme seront
remis et que le péché contre le Saint-Esprit ne le sera jamais?
Par péchés contre le Fils de l'homme, Notre Seigneur
entend ici toutes les offenses que lui faisaient ceux qui ne
voyaient en lui qu'un homme ordinaire, de la même condi-
tion qu'eux ; et il appelle péchés contre le Saint-Esprit ceux
des esprits pervers qui reconnaissant la réalité de ses mi-
racles, s'obstinaient à Les tenir pour une opération du dé-
mon •. Ce désordre, bien plus répréhensible que le précé-
dent, était celui des pharisiens, auxquels le divin Maître
s'adressait : Ideo dico vobis, etc. *. On conçoit qu'après une
faute de la première espèce, on pût aisément se repentir et
rentrer en grâce avec Dieu. C'est ainsi qu'un grand nombre
de ceux qui avaient insulté le Sauveur dans sa Passion le re-
connurent et se convertirent au jour de la Pentecôte. Mais
pour l'autre espèce de péché, on ne voit guère comment on
pouvait en revenir. Ce n'était pas seulement de la mauvaise
foi, c'était de la malice et de l'obstination. Les coupables
niaient l'évidence. Déterminés à persister dans leur senti-
ment en dépit de tout, et attribuant au démon ce que Dieu
faisait pour les éclairer, ils changeaient en poison les re-
* V. g. Deut., XXII, 13-21. — « Cl. Tob., iv, 13; Eccli., xli, 21;
xxui, 33; Jer., m, 9; xiii, 27; Ezec, xxiii, 43; Osée, ii, 4; m, 3; iv, 14;
Ames., VII, 17; I Cor., v, 1 ; .Gai., v, 19. — s Cf. Marc, m, 30. Infra,
n. 567. — « Mattb., xii, 24-31. Cf. Joan., viii, 21, 24.
26
4S8 JESUS-GURIST SELON l'évangilë. [n» 312
mëdes mêmes qui devaient les guérir. En disant que de tels
péchés ne seront remis ni dans ce monde ni dans l'autre,
Notre Seigneur ne prétend pas restreindre à leur égard la
vertu de la pénitence ou de l'absolution sacramentelle;
mais il fait entendre qu'à moins d'un miracle de grâce, les
coupables n'auront jamais le repentir et l'amendement né-
cessaires pour recouvrer son amitié *.
Remarquons, en passant, que ces paroles établissent
l'éternité de l'enfer et semblent supposer qu'il y a pour les
âmes dans l'autre vie un lieu d'expiation temporaire *.
Sur le Jeûne. M&tth., ix, 14-17.
* 312. — Qu'entend Notre Seigneur quand il dit qu'on ne met pas une
pièce neuve à un vêtement vieux, ni un vin fumeux dans de vieilles
outres?
Il allègue ces proverbes pour répondre au reproche qu'on
lui adresse, de ne pas faire jeûner ses disciples, comme
jeûnaient les pharisiens et les disciples de S. Jean-Baptiste'.
Suivant l'explication la plus commune, la pensée du divin
Maître est qu'il y a des mesures à garder, même dans le
bien ; que toute bonne œuvre ne convient pas à tous ; que
les pratiques doivent être proportionnées aux forces, et
qu'en perdant de vue ces principes, les guides des âmes
s'exposent à leur nuire au lieu de leur être utiles. Les
vieilles outres et les vieux vêtements, ce seraient donc les
disciples du Sauveur, trop faibles encore pour être ms à
de dures épreuves ; l'étoffe rude et le vin nouveau, ce serait
le genre de vie pénible et austère que recommandent les
pharisiens.
1 Non quod nulle modo rcmittatur, sed quia, quantum est de se, habet
meritum ut non remittatur. S. Thom., 2^-2^ , q. 14, a. 3. Ista diffcrentii
peccatorum Judam tradentem a Petro negante disUnguit. S. Aug., De
Serm, Dom. in monter i, 74. Cf. Heb., vi, 4-6; x, 26; I Joan., v, 16.
Infra, n. 805, 818, 890. — s Matth., xii, 32. Infra, n. 666. — • « Quare
nos et Pharisœi fréquenter jejunamus?... » Superba interrogatio et plent
Bupercilio Judseorum. S. Hieron., In hune loc, La réponse du divin
Maître est pleine de grÂce et d'amabiUté : « Pouvez-vous demander
qu'on jeûne avant la fin des noces? »
N<>3131 SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 459
Suivant quelques interprètes, en parlant de vieux et de
neuf, Notre Seigneur aurait plutôt en vue la loi ancienne et
le christianisme. Dans ce sentiment, le sens de ces versets
serait que les pratiques légales ne sont pas dans une har-
monie parfaite avec Tesprit du christianisme, qu'il ne faut
pas chercher à les unir ensemble, au début surtout, ni pré-
tendre resserrer dans des observances étroites et vieillies,
comme celles de la synagogue, l'ardeur vive et généreuse
des fidèles régénérés.
Quant au temps où l'Eglise devra jeûner, c'est celui où
son cœur l'y portera, celui où son Epoux, étant remonté au
ciel, la laissera ici-bas comme dans un état de viduité et
d'exil, IX, 15*.
Sur le Jugement. Matth., xxv, 31-40.
313. — Pourquoi Notre Seigneur, dans Tarrêt qu'il porte sur les bons
et sur les méchants, ne paralt-il tenir compte que de la pratique ou
de l'omission des œuvres de charité?
!• La réponse la plus simple est que Notre Seigneur ne
donne ici qu'un spécimen, un tableau partiel du jugement
général, omnium gentium '. Ne pouvant faire connaître l'ar-
rêt qu'il portera sur chaque homme en particulier, il^dit
celui qu'il prononcera sur le plus grand nombre, et il profite
de cette occasion pour faire sentir l'importance et le mérite
de la charité fraternelle, de cette vertu qui sera le caractère
des vrais chrétiens et qu'on aura bientôt à exercer d'une
manière héroïque envers les confesseurs et les martyrs '.
2' Si l'on considère ce tableau comme représentant le ju-
gement dans son ensemble, on peut dire, avec S. Augustin,
que l'état de chaque âme dépendra de la manière dont elle
aura pratiqué la charité, les œuvres de bienfaisance étant
un moyen de couvrir toutes les fautes et d'obtenir toutes les
i Les premiers chrétiens jeûnaient tout le carême et un Jour chaque
semaine en mémoire de la Passion de Notre Seigneur. Euseb., ff., V,
23, 24 ; Martigny, Jeûne. L'Eglise commande encore Tabstinence et le
jeune à^es enfants.— ^ Matth., xxv, 32. Cf. Ezec, xxxiv, 17 ; S. Thom.,
Supplem.y q. 88, a. 2, ad 1. — 3 Cf. Joan., xii, 48; Àpoc, xx, 12.
460 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n<> 315
grâces * ; ou bien, avec la plupart de commentateurs, que
toutes nos obligations se réduisent à aimer Dieu *, et qu'on
ne peut aimer Dieu sans avoir aussi pour ses enfants un vé-
ritable amour •.
* 314. — Ces paroles du souverain Juge : lie in ignem.,, 46, obligent-
elles à croire que Tenfer est une fournaise, un lieu de feu et de
flammes où les damnés sont précipités?
Il n'est pas défini que le feu de l'enfer est matériel ; et un
feu éternel préparé pour les anges rebelles, un feu qui agit
directement sur les esprits *, diffère nécessairement du
nôtre ^; mais en est-il moins à craindre? Il ne faut pas
oublier que, huit fois au moins dans l'Evangile et près de
trente fois dans le Nouveau Testament, le supplice de l'en-
fer est désigné par ce terme de feu ou de flamme*. Com-
prendrait-on un tel emploi de cette expression, si la peine
du feu, la plus terrible de celles d'ici-bas, n'avait un rap-
port particulier avec le supplice de l'enfer, et n'était la plus
propre à nous donner une idée de sa rigueur"^ ? — Quel que
soit du reste Tagent extérieur ou la cause seconde qui pro-
duit les douleurs des damnés, il est certain qu'elles ne sont
pas les mêmes pour tous, et que, pour l'intensité, elles va-
rient selon la culpabilité de chacun \
315. — L'éternité attribuée aux peines de Tenfer ne pourrait-elle pas
être simplement une longue durée, une durée indéflnie dont od ne
voit pas le terme, comme en d'autres endroits de l'Ecriture 3?
Il n'y a pas de parité entre ce passage et les autres. Dans
les exemples qu'on allègue, la nature du sujet indique assez
1 Luc, XI, 41; I Pet., iv, 8. — « Matth., xii, 31-38; Rom., xni, 10.
— 3 Joan., IV, 20. — * Luc, xvi, 24. — » Cf. S. Aug., de Civ. Dei, XX,
XXVI ; Joan. Damas., De fid. orth.y iv, in fine. S. Th., In iv, d. 44, q.3,
a. 2, ad 7. Suppl., q. 97, a. 6, etc. — 6 Matth., in, 10 ; v, 22; xm, 30;
xviii, 8; XXV, 41; Marc, ix, 42, 43, 44, 45, 46, 48; Luc, m, 9; xvi, 24;
Rom., XII, 20; I Cor., m, 13; Il Thess., i, 8; Heb., x, 27; U Pet., m, 7;
Jud., 7; Apec, xiv, 10; xix, 20; xx, 9, 14, 15; xxi, 8, etc. — "^ Cf.
Matth., XXVI, 2A; Luc, xm, 5, Apec, ix, 6. Vide ad calcem Diai
S, Greg. M. : Vindicias. — « Matth., x, 15. Cf. S. Thom., SupjUem.^
q. 97, a. 3. — 9 1 Par., xvii, 12; xxviii, 7; Sap., x, 14; Barach., m, 32.
N« 315] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 461
que le terme étemel est pris dans un sens hyperbolique ;
car il se trouve appliqué à des choses qu'on sait être tran-
sitoires, comme le monde et les choses du monde; mais
quand il s'agit des peines de l'enfer, il n'en est pas ainsi.
Rien n'annonce qu'il faille user de restriction ; au contraire,
tout indique qu'on doit prendre les paroles de Notre Sei-
gneur dans toute leur rigueur. — !• Ce n'est pas en cette
vie, dans ce monde, in via^ qu'on doit subir les peines de
l'enfer; c'est dans un autre monde et dans une autre vie;
où nous sommes avertis qu'il n'y aura plus de changement.
On sera au terme *. — 2" L'Evangile enseigne qu'il y a des
fautes qui ne seront jamais effacées après la mort *; n'est-il
pas naturel que les peines durent aussi longtemps que les
fautes dont elles sont le châtiment*? — 3<> Ce n'est pas
une seule fois, en passant, que Notre Seigneur affirme
l'éternité des peines de l'enfer : il insiste sur cette vérité,
et redouble ses affirmations, sans jamais en adoucir le sens*.
— 40 II ne se contente pas de dire et de répéter que la peine
des damnés sera éternelle : il dit qu'elle n'aura pas de fin,
et il répète cette affirmation huit fois de suite \ — 5* Il fait
observer que le feu des damnés est le feu même des démons,
ses ennemis irréconciliables *. Le supplice des uns durera
autant que celui des autres. — 6® Enfin et surtout, il met
constamment les peines des damnés sur la même ligne que
les récompenses des justes, quant à la durée ^ On ne peut
donc pas borner la durée des unes plus que celle des autres ®?
Que si l'éternité de l'enfer en rend les peines effroyables,
est-il étonnant qu'elles le soient? Si elles l'étaient moins,
1 Eccl., XI, 3; Prov., i, 24-28; Matth., xiii, 30, 50; xxii, 13; Luc,
XVI, 26. — 2 Matth., xii, 32 ; xxv, 41 ; Marc, m, 29 ; Joan., m, 36; Rom.,
IX, 22; I Cor., vi, 9; Gai., v, 21. ~ 3 S. Thom., Cont. Gent., m, 144.
Cf. l*-2«; q. 87, a. 3, 4 et p. 3, q. 1, a. 2, ad 2. — * Matth., xviii, 8;
xxv, 41, 46; II Thess., i, 9, etc. — 8 Marc, ix, 42-50. Cf. Isaî., lxvi, 24;
Matth., m, 12. — « Matth., xxv, 41. — ' Matth., xxv, 46. Cf. Dan., xii, 2.
— * Par pari relata sunt : Dicere in hoc uno eodemque sensu : vita seterna
sine fine erit, supplicium seternum finem habebit, multum absurdum
est. S. Aug., de Civ, Dei, xxi, 23. Si falsum est quod minatus est ut ab
njustitia corrigeret, etiam falsa est poUicitus, ut ad Justitiam provoca-
ret. S. Greg. M., DiaL, iv, 44; Brev, rom., Fer, 2 Hebd. Quad., lect. 3.
26.
462 JÉSUS-CHRIST SEL(W L'ÉVANGttE. [n® 316
nous défendraient-elles assez contre la séduction du mal?
Dieu est-il moins prodigieux dans ses bienfaits et ses misé-
ricordes qu'il le sera dans ses châtiments, et ne dépend-il
pas de chacun de n'éprouver que sa munificence*? Enfin,
conviendrait-il à sa grandeur que ses ennemis pussent se
glorifier, au milieu de leurs crimes, de la nécessité où il
serait de partager un jour avec eux sa gloire et sa béatitude?
§ II. — Discours de Notre Seigneur en saint Jean.
Après le miracle de la piscine proba tique, v, 17-47.
* 316. — Que signifient ces paroles du Sauveur : Pater meus usquemodo
operatur et ego operor. Non potest^Filius facere guidquamy nisi vide-
rit Patrem facientem, Venit hora et nunc est, quando mortui audient
vocem Filii Dei?
On reprochait au Sauveur d'avoir violé le sabbat, soit en
guérissant d'un mot un paralytique, soit en lui faisant em-
porter son lit sur ses épaules, v. 8*. Sans entrer dans la
discussion du cas, le divin Maître énonce un principe qui
écarte de lui jusqu'au moindre soupçon de culpabilité. « Il
fait ce que fait son Père. Son Père ne cesse d'agir; comment
n'agirait-il pas avec lui? » 17, 19, 30*. Il appuie ce prin-
cipe sur sa qualité de Fils de Dieu fait homme, 17. Comme
Dieu, il a la même nature, la même sagesse, la même opé-
ration que son Père; il tire de lui tout ce qu'il est et tout
ce qu'il a, ses connaissances, sa volonté, son action, 19*.
Comme homme, il sait tout ce que son Père veut de lui, et
les volontés de son Père sont la règle de sa volonté, comme
les jugements de son Père sont la règle de ses jugements,
20, 30. Le Père a voulu qu'il fît ce prodige, et il l'a fait
avec lui et il en fera avec lui bien d'autres encore plus
merveilleux ^ ! Après avoir guéri les malades, il ressuscitera
les morts, 20, 21; car le Fils est, comme le Père, une
1 Est tempus dilectionis et tempus odii. Eccl., m, 8. — 3 Supraj n. 219.
Cf. Ëxod., XX, 8; Jer., xvii, 21. — 3 Cf. Joan., xiv, 10, 11. — * Bossuet,
Médit.y Lxxxvii, lf« part. — 6 Ad ejus exemplum, membra ejus proTi-
deant quod opéra sua sinta Pâtre originata ut possint dicerc illud Isai»:
Orania opéra nostra operatus es nobis, Domine. S. Bonay., Jn hune loc.
H° 317] SA TIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 463
sonrce de vie, 21, 23, 26. Il donne la vie étemelle aux
îmes, en leur donnant la foi, 24, 25; et il la donnera aux
corps, en les ressuscitant au jour du Jugement, 28, 29'.
Bien plus, c'est lui qai prononcera solennellement l'arrêt
snprèine sur le monde entier, qui récompensera les bons et
ponira les méctiants, en réparation des jugements iniques
qn'il consent à subir ici-bas, 26 '.
Ce qu'il affirme et ce qu'il prédit en ce moment, il ne de-
mande pas qu'on le croie sur sa parole, 31 : il en donne pour
garant le double témoignage que son Père loi a rendu, et par
les prodiges qu'il lui a fait opérer, 36, et par les propbéties
que les saints Livres contiennent à son sujet, 39, 45-47.
La conclusion de ce discours, où la volonté du Fils est
loajours mise sur le même rang que la volonté du Père,
c'est que Jésus-Christ a la même nature que son Père, qu'il
est Dieu comme lui : Patrem suum, flaTEpi lîiov, dicebat
Deum, œqualem se faciens Deo, 18. Le divin Haitre énoncera
bienlét cette vertu encore plus clairement. Mais dès à pré-
sent les Juifs l'ont saisie, et ils commencent à méditer contre
lui des desseins homicides.
Promesse de l'EucherisUe. Jmo., vi, ît-Ti.
icw. — CommentateorB hétérodoiei. — Sojel réel. -
- Dans quelles circonstances Notre Seigneur »-
Il l'a faite, un an avant sa mort, dans un discours public,
' Cf. s. Aug., !n Joan... xcï, rfe Civ. Dei. ax, G. — » Quis Filias ho.
minis est. Joan., v, 27. Cf. Bom., xiv, 10. — s I/Su:, poisson vivant,
portut aur le dos une corbeille avec des pains an forme sacrée, parmi
464 JÉSUS-CHWST SELON l'évangile. [n® 317
qu'il prononça, en grande partie, dans la synagogue de Ca-
pharnaûm *. L'avant-veille, comme on touchait à la fête de
Pâques, le Sauveur avait distribué à plus de cinq mille dis-
ciples un pain miraculeux*; puis, après s'être retiré sur
une montagne et y avoir passé une partie de la nuit », il
avait fait voir, en traversant subitement l'espace qui le sé-
parait de ses Apôtres et en marchant sur les flots au plus fort
de la tempête *, qu'il pouvait, quand il voulait, soustraire
son corps aux lois de la nature. Frappé de ce double pro-
dige, le peuple disait qu'il était vraiment le prophète qu'on
attendait, o npo^z-ri^ spxojxevoç, et demandait s'il ne renou-
vellerait pas en sa faveur le miracle de la manne *.
Comme cette multiplication des pains avait eu lieu en
Galilée, près du lac de Tibériade, et qu'elle était rapportée
par les trois premiers Evangélistes % S. Jean n'aurait pas eu
de raison d'en faire le récit, s'il n'y avait vu, comme dans
tous les miracles qu'il mentionne, un sens mystérieux.
Mais il avait remarqué l'habitude où était le divin Maître
de rapporter à un même but ses œuvres et ses discours, et
le soin qu'il prenait de préparer les esprits aux mystères
qu'il devait accomplira II voyait dans le repas miraculeux
une figure du banquet divin de l'Eucharistie et une prépa-
ration à l'annonce que le Sauveur voulait en faire dans le
discours qui suit. Il pensait que, ce sacrement devant être
institué en secret, devant les Apôtres seulement, ce n'était
pas sans motif qu'il en avait parlé d'avance en public, qu'il
l'avait promis solennellement à ses disciples, qu'il en avait
signalé les fruits et fait sentir la valeur.
lesquels on voit percer la couleur rouge du vin eucharistique. Ces pains
sont en certain nombre, mais identifiés au divin poisson qui en est le
support ou la substance. Peinture du cimetière de Lucine, représentant
FEucharistie. Supra, n. 208, 209.
1 Joan., VI, 4, 60. Un voyageur écossais a retrouvé, en 1866, sur l'em-
placement de Capharnaûm, les restes d'une synagogue, qui pouvaient
être de l'époque de Notre Seigneur. — * Joan., vi, 13. — 3 Cf. Marc.,
VI, 46. — * Mattli., XIV, 25; Marc, vi, 48; Joan., vi, 16. Cf. Job., a, S.
— 8 Joan.. VI, 30, 31. — 6 Matth., xiv, 15-21; Marc, vi, 3544; Lac,
IX, 12-17. — ^ Cf. Matth., xvi, 18, 19, 21 ; xvn, 21; xx, 18; Marc., x, 33;
Joan., m, 5, 13, 14; xii, 5, 7; xiv, 16-29; xvi, 16.
N» 318] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 465
Un trait que S. Jean rapporte à la fin du discours achève
de donner à son récit son caractère figuratif et sa significa-
tion. La promesse du Sauveur est une épreuve pour ceux
qui Tentendent et devient l'occasion d'un schisme. S. Pierre,
avec les disciples fidèles, proteste de sa foi aux paroles du
divin Maître; mais les indociles, les hommes charnels, qui
ne s'en rapportent qu'aux sens et à la raison, refusent d'y
croire et l'abandonnent *. Ainsi le dogme de l'Eucharistie
apparaît dès ce moment comme la pierre de touche de la foi.
318. — Tous los interprètes voient-ils dans ce discours Fannonce
de l'Eucharistie ?
Les protestants, qui rejettent la présence réelle *, ne peu-
vent donner à ce discours d'autre objet que l'Incarnation,
la foi à l'Incarnation, à la double nature du Sauveur, et
peut-être à son sacrifice sanglant. Ils n'y voient d'un bout à
l'autre qu'une manducation métaphorique. Mais le Concile
de Trente l'applique à l'Eucharistie'; et tous les catho-
liques, à quelques-uns près *, conviennent que l'interpréta-
tion figurée est inadmissible, du moins à partir du verset 50,
le langage du Sauveur devenant de plus en plus net, de
plus en plus précis *. D'abord, il se borne à dire qu'il faut
venir à lui, croire en lui, s'unir à lui; mais il en vient bien-
tôt à déclarer qu'il faut le recevoir, qu'il faut se nourrir de
lui, manger son corps et boire son sang. Ainsi ses paroles,
qui pouvaient s'entendre au commencement d'un aliment
purement spirituel, de la parole de Dieu, de la grâce, finis-
sent par ne plus convenir qu'à une manducation réelle,
comme celle du sacrement eucharistique.
* Cf. Joan., VI, 65, 66, 71, xni, 18, 26; Bossuet, Médit, y La Cène y
!'• part., 37«-43« jours. — 2 Nous exceptons un certain nombre de Lu-
thériens, qui reconnaissent la présence réelle au moment de la Cène;
car on sait que Luther, malgré son désir, ne crut jamais pouvoir accorder
le sentiment calviniste avec les paroles de l'Ecriture. Illa verba fulmina
sunt, disait Mélanchton, en citant S. Paul, I Cor., xi, 24. — 3 Sess. xxi, 1
et sess. xiu, 2. — ^ Dans le dessein d'écarter les arguments des Hussites
et des Protestants pour la communion sous les deux espèces, — s Cf.
Evang., festiv. Corporis CI)nsti.
466 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n^SW
On trouve dans ce discours trois idées qui se suivent cl
se complètent, et dont chacune répond à une question ou à
une réflexion des auditeurs * : — 1** Notre Seigneur promet
pour le monde entier un pain céleste en général, 26^34. -
2*» Il affirme qu'il est le pain de vie, 35-5i. — 3^ Il déclare
d'une manière précise que l'aliment qu'il doit donner, c'est
sa chair à manger et son sang à boire, 62-89. Ainsi il y a
dans l'exposé de la doctrine un progrés continu ; mais on
remarque un progrès semblable dans l'indocilité des dis-
ciples incrédules *.
319. — Est-il bien certain qu'il s'agisse en ce discours de TEucharistie
et de la présence réelle ?
Ce discours a évidemment pour objet le sacrement
l'Eucharistie, tel que l'Eglise l'entend.
I. L'ensemble du discours fait penser à VEucharigtie; et
môme il semble que le divin Maître ne pouvait rien dire de
plus exprès pour l'annoncer à ses disciples et y disposer les
esprits. On ne saurait douter qu'il n'eût dès lors présent i
sa pensée ce qu'il accomplit au Cénacle : Ipse enim sdebaH
quid esset facturas, 6. Or, étant résolu d'instituer le sacre-
ment de l'autel la veille de sa mort, d'en confier à ses
prêtres l'administration et de dire du pain et du vin consa-
crés : Hoc est corptut meum; hic est sanguis meus^ concevrait-
on qu'il n'ait pas eu en vue ce pain et ce vin, lorsque, un
an auparavant à pareil jour, après avoir multiplié les pains,
il en confiait la distribution à ses Apôtres, disant à ceux qui
lui demandaient un miracle semblable à celui de la manne:
Ego sum panis vitœ, 35. Ego sum panis vivus qui de cœlo
descendis 41. Panis quem ego dabo, caro mea est pro rnundi
vita, S2. Caro mea vere est cibus et sanguis meus vere est po-
tv^, 55. Qui manducat meam carnem et bibit meum sangtd'
nem^ in me manet et ego in Mo, 56, 57. Qui manducat me,
et ipse vivet propter me, 58? Où est-ce que l'on mange la
chair du Fils de l'homme et qu'on boit son sang, si ce n'est
1 VI, 31, 34, 35. - a vi. 30, 42, 53, 61, 67.
N» 319] SA VIE PUBLIQUE. — âEâ Diâcotiis. 46?
pas à la sainte Table? Quand sa chair est-elle une nourri-
ture et son sang un breuvage, sinon dans la communion * ?
« Entre ces paroles et celles de l'institution de TEucharistie,
le rapport est visible. Là manger et ici manger; là boire et
ici boire; là la chair et ici la chair ou le corps du Sauveur;
là la chair et le sang séparément, et ici de môme. S'il ne
s'agit pas des deux côtés d'un seul et même mystère, d'une
seule et môme vérité, il n*y a plus d'analogie, il n'y a plus
de rapport ni de suite dans notre foi, ni dans les paroles et
les actions du Sauveur •. » Plusieurs docteurs protestants
en conviennent; et il est impossible, évidemment, que
S. Jean, qui, en écrivant ce discours à la fin du premier
siècle, avait sous les yeux le récit de la Cène par les Synop-
tiques et les passages des Actes et des Ëpîtres relatifs à
l'Eucharistie, écrits 35 à 50 ans plus tôt, n'ait pas remarqué
combien est étroit le rapport qui les unit.
II. Que la manducation de la chair du Sauveur, annoncée
ici et accomplie au Cénacle, soit une manducation réelle,
ainsi que l'Eglise l'enseigne; qu'elle ait pour objet le corps
môme du Fils de Dieu sous le voile du sacrement, ou, ce
qui est la môme chose, que l'Eucharistie ne soit pas un
simple symbole, une cérémonie purement figurative, un re-
pas de pain et de vin destiné à réveiller notre foi en l'In-
carnation ou au sacrifice du Fils de Dieu et à nous unir spi-
rituellement à lui, c'est ce qui parait résulter avec une égale
évidence de la dernière partie de ce discours.
En effet, il est incontestable que le mystère dont parle
Notre Seigneur est un mystère propre à la loi nouvelle ', et
même qu'il n'existait pas encore au moment où il parlait,
puisqu'il se réservait de l'accomplir dans l'avenir*. En
outre, ce qu'il en dit de plus clair, c'est : que ce sera une
œuvre surnaturelle •, plus merveilleuse que le don de la
manne •, qu'il faudra une grande foi pour y croire '' ; que
son effet propre, étonnant et incomparable, ce sera de nous
* AXv)Oa>; e^tt ppoMTtc, aXifiOco; icoai;, vi, 55. — ^ Bossuet, Médit. Cène,
iw part., 27«-37- jours. — a Joan., vi, 59. — * vi, 27, 52. — 6 vi, 27. —
« VI, 32, 33, 59. — ^ vi, 29, 36. 36, 47, 65-70.
468 JÉSUS-CHRISÎ SELON L*ÉVAN(ÎILÉ. [n» 320
donner en nourriture la chair et le sang du Fils de
l'homme *, ou de nous faire participer réellement, par une
certaine manducation à la substance et à la vie du Sauveur,
comme le Sauveur participe à la vie et à la substance de
son Père '. Or, autant ce langage paraît juste, naturel, fa-
cile à expliquer, quand on a de TEucharistie l'idée qu'en
donne l'Eglise, autant paraît-il forcé, étrange et faux, quand
on prétend, comme les protestants, que l'humanité du Sau-
veur n'est pas contenue dans ce sacrement, qu'il ne nous
unit à lui qu'en esprit ou par la pensée, et que l'acte de foi
qu'on fait en le recevant n'est pas autre et n'a pas un autre
objet que lorsqu'on s'attache à lui pour être son disciple et
avoir part à sa grâce. Cette conclusion est encore confirmée
par la conduite des Juifs et par les paroles que le divin
Maître leur adresse; car aucun des auditeurs ne s'avise
d'entendre le mystère comme l'expliquent les calvinistes*;
et loin de leur suggérer une pareille inteprétation. Notre
Seigneur les laisse s'éloigner, sans faire autre chose que
déplorer leur aveuglement et leur infidélité ♦.
Après cela, si l'on veut donner à notre preuve toute sa
force et aux paroles de Jésus-Christ toute leur clarté, il est
bien évident qu'il ne faut pas considérer ce discours isolé-
ment, comme une inscription trouvée sur une stèle d'origine
inconnue, mais le rapprocher : — 1® des textes relatifs à
l'institution et à l'usage de la Cène, — 2** de la liturgie de
l'Eglise et de sa pratique constante, — 3** des monuments
innombrables de la tradition relativement à l'Eucharistie *.
320. — Pourquoi Notre Seigneur, dit-il que ïœuvre de Dieu consiste
à croire en lui, 29?
Les Juifs étaient imbus de cette idée que le salut était
1 Joan., VI, 52, 54-57. — * vi, 58. Les mots TpcD-ytiv, manger avec les
dents, Tiiveiv, boire comme un breuvage^ sont répétés une vingtaine de
fuis, et le manger est distingué du boire en quatre endroits de ce dis-
cours, 54, 57. Cf. Matth., xxiv, 38 — a Joan., vi, 53. 61, 67. — * Joan.,
VI, 61-70. — s Cf. Conc. Trid., sess. xu, cap. 2, et sess. xxi, cap. 1;
S. Aug., Serm, cxxxii, et cœteros Patres, apud Maldonat. Infra, n. 384-
386, 695-697, 700, 701; Breviar., Infra Oct, Corp. Dom,, lect.
N^ 321] SA- VIË PUÈUQUË. — âËS DlâGOUftS. 460
attaché aux pratiques extérieures et aux œuvres légales.
Entendant le divin Maître parler d'une chose importante
qui demandait tous leurs soins, 27, ils s'imaginent qu'il va
leur indiquer quelque œuvre de ce genre comme essentielle
et décisive pour arriver au ciel, et ils lui demandent de les
éclairer à ce sujet. C'est ce qui l'amène à leur dire ce que
leur répétera S. Paul, que le temps de ces œuvres est passé,
que Dieu ne leur demande plus maintenant autre chose que
de croire en Celui qu'il leur a envoyé, d'adhérer à sa doc-
trine, de se soumettre à ses enseignements *. N'est-ce pas le
moment de leur donner cet avis, lorsqu'il leur annonce le
mystère de la foi par excellence, celui qui suppose et ren-
ferme en lui tous les autres?
321. — Que répond Notre Seigneur quand les Juifs lui disent que Moïse
a fait ane chose plus merveilleuse que la multiplication des pains,
en nourrissant leurs ancêtres d'un aliment céleste aussi longtemps
qu'ils furent dans le désert > ?
Notre Seigneur répond que le pain qu'il veut donner, et
dont ils n'ont reçu que le gage, sera infiniment plus excel-
lent que la manne; et il en donne trois raisons :
1** La manne n'est pas proprement le pain du ciel. Toute
miraculeuse qu'elle fût dans son origine, elle ne venait pas
du ciel et elle ne donnait pas la vie du ciel ; elle n'empê-
chait ni la mort du corps ni celle de l'âme •. Le pain qu'il
donnera est le vrai pain du ciel, o apxoç ex xou oupavou o
aXr<6tvo<; *. Il est tout surnaturel dans son origine, dans sa
nature et dans ses effets. Il descend du ciel, et quiconque le
reçoit le possède en entier et avec lui la vie du ciel.
2* La manne était pour les Israélites seulement : le pain
que donnera Notre Seigneur, il le donnera au monde entier,
c'est-à-dire à tous les hommes, aux Gentils comme aux
Juifs'. Tous pourront s'en nourrir; car il n'exige qu'une
* Joan., VI, 25-29. Cf. Deut., xviii, 18, 19; Rom., m, 27, 28; Heb.,
XI, 6; £ Joan., m-, 23. - 2 Joan., vi, 30, 31. — 8 Joan., vi, 32, 49, 59. —
^ Joan., vi, 32. — ^ O apTOc tou 6eov, C<i>v)v 6tdouc- tcd noayM , vi, 33,
49, 50.
III. 27
470 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n« 322
condition, la foi, une foi véritable et pratique, et tous les
hommes sont appelés à la foi. Dieu veut les instruire et les
éclairer tous, et si un grand nombre de Juifs restent sourds
à sa voix, un plus grand nombre de Gentils recevront sa
parole et répondront à sa grâce*.
S*" La manne n'était qu'un aliment corporel et elle ne
soutenait le corps que peu de temps *. Le pain que le Sau-
veur veut donner est un aliment surnaturel dont l'effet doit
toujours durer*. Il satisfait à tous nos besoins *. Il donne à
l'âme et au corps une vie pleine, parfaite, immortelle ^ il
est un germe de résurrection aussi bien que de béatitude *.
Si l'on trouve ces pensées moins distinctes et moins nettes
en S. Jean qu'elles ne le sont ici, cela vient surtout de ce
que Notre Seigneur veut insister sur les plus importantes,
et qu'il est forcé de répéter à plusieurs reprises ce qui est
contesté ou mal compris.
* 322. — Dans quel sens faut-i] entendre que Jésus-Christ est le pain
de vie, 35, — que celui qui le mange ne mourra jamais, 50, 52, —
que celui qui croit en lui aura la vie éternelle, 40?
1° Il est le pain de vie, o apxoç ttiÇ Çwyjç % en ce sens qu'il
communique à ceux qui le reçoivent la vie véritable et par-
faite, celle de la grâce et de la gloire. C'est dans l'Eucha-
ristie surtout qu'il peut dire : Ego vivo et vos vivetis *.
2** Ceux qui usent, comme ils doivent % de ce divin ali-
ment s'assimilent ce qu'il contient, ce qu'il porte avec lui,
la vie surnaturelle, la vie divine, source de tout mérite, de
toute perfection et de toute béatitude*®. Sur ce point, l'expé-
rience n'ajoute-t-elle pas son témoignage à celui de la foi?
i^ Quiconque croit au Fils de Dieu d'une foi véritable,
1 Yi , 37, 39, 44, 45. Sur ce sujet de la substitution des Gentib am
Juifs, S. Jean est plus exprès encore que S. Paul. On voit qu'il a écrit
plus tard. — 2 vi, 27, 49. — 3 vi, 27, 50, 52, 55. — * vi, 35. — « vi,
49, 50. — 6 VI, 39, 40, 55, 59. Le dogme de l'Eucharistie est intimement
lié à celui de la résurrection, soit parce qu'il suppose le corps du Sau-
veur ressuscité, soit parce que Notre Seigneur témoigne par là vouloir
nous associer à sa gloire comme à sa vie. — ^ yi^ 48. Cf. 51. — * vi,
XIV, 19. Cf. XV, 1, 5. — » Cf. Joan., vi, 59 et Act., 11, 21. - 10 Joan.,
VI, 52,. 59.
N® 32â] Sa vie tùÈLîQtË. — âEâ biâcotjRâ. 471
pleine, conséquente, parfaite, est par là même justifié. Sa
foi l'anime et le sanctifie. Ce que le soleil fait dans la nature,
cette foi le fait dans son âme. Elle l'éclairé, elle l'échauffé,
elle la féconde. Avec la lumière, elle y répand la charité, la
grâce sanctifiante, la véritable vie, la vie de Dieu qui ne
doit pas finir *. La chair du Sauveur est l'aliment de cette
vie : elle l'accroît et la fortifie. Il n'y a donc de perdus que
ceux qui n'ont jamais cru comme il faut, ou qui ont cessé
de croire ainsi *.
* 323. — Ce verset : Nisi mandttcaveritis *iamem,„ et biberitis aangui'
nem, 44, ne suppose-t-il pas que la communion sous les deux espèces
est de nécessité de moyen?
1" Cette parole de Notre Seigneur n'implique pas la né-
cessité de communier sous les deux espèces ; car la chair et
le sang du Sauveur se trouvant sous chaque espèce, il suffit
d'en recevoir une pour recevoir en réalité ce corps et ce
sang '. Il est certain d'ailleurs que le mot et est souvent
employé par les écrivains sacrés dans un sens disjonctif *.
2* On ne peut pas en conclure davantage que la commu-
nion, même sous une espèce, est de nécessité de moyen.
Car le Sauveur n'adresse son discours qu'à ceux qui sont
capables de l'entendre et sujets à des préceptes positifs : il
n'a donc pas en vue les enfants. D'ailleurs, il suffit de rap-
procher ce verset d'autres paroles du divin Maître pourvoir
que l'Eucharistie, si précieuse qu'elle soit pour le salut, si
nécessaire qu'elle puisse être pour se sanctifier, n'est cepen-
dant pas l'unique moyen de salut, ni une condition absolu-
ment essentielle pour arriver au ciel '.
Il n'en résulte pas moins que, selon les lois établies
de Dieu, toute vie a besoin, pour s'entretenir, d'un aliment
^ Gratia Spiritus sancti quam in prsesenti habemus, etsi non sit sequa-
Hs gloriae in actu, est tamen œqualis in virtute, sicut semen arborum ,
in quo est virtus ad totam arborem. S. Thom., l*-2"i, q. 114, a. 3, ad 3.
— » Cf. Marc, xvi, 16; Luc, i, 45; viii, 48; Joan., v, 24; xi, 26;
XVII, 3; Act., XIII, 39; xvi, 31; Rom., m, 22; iv, 3, 22; x, 1-16; Phil.,
ni, 9; Heb., iv, 3; I Pet., ii, 6. — » Joan., vi, 52, 59; I Cor., xi, 27. —
♦ Exod., XXI, 31, 32; Act., m, 6.-5 Marc, xvi, 16.
472 JÉSUS-CHRiSt SELON l'évangile* [^o 324
en rapport avec sa nature. A la vie du corps il faut un ali-
ment corporel, à la vie de Tesprit un aliment spirituel, et à
la vie de l'âme, à sa vie naturelle et divine, un aliment sur-
naturel et divin.
324. — Comment s'explique ce verset : Sicut misit me vivens Paier et
ego vivo propter Patrem^ et qui manducat me et ipse vivet propter me,
VI, 58?
Le mot Bia, propter, au verset 88, a le même sens que
par, en vertu de. Il indique non le but ou l'objet, mais le
principe de la vie de Jésus-Christ et des fidèles, sa cause effi-
ciente, c Comme je tire ma vie du sein de mon Père, ainsi
celui qui se nourrira de moi, o xp^^wv jjie, tirera sa vie de
moi '. » Ce raisonnement suppose encore que la chair de
Jésus-Christ est aussi réellement dans celui qui communie
que la nature divine du Père est dans le Fils, t Comme je
reçois à chaque instant de mon principe tout ce que j'ai de
vie, comme l'être qu'il me donne, loin de me séparer de lui,
m'unit à lui substantiellement et me fait vivre de sa vie,
ainsi en sera-t-il par rapport à moi de celui qui m'aura
reçu. » La parité n'est pas complète assurément. Le Fils re-
çoit la vie du Père en plénitude, c'est-à-dire sans mesure,
en tant que Verbe, et il y participe en tant qu'homme, dans
une mesure proportionnée à sa dignité souveraine ; tandis
que le fidèle qui communie ne participe à la vie du Fils que
suivant sa capacité et ses dispositions^ dans un degré très
inférieur, par conséquent. Cela suffit néanmoins pour don-
ner à la communion une vertu et un prix infinis. Chaque
fois qu'entre deux être vivants il s'établit une union intime,
comme celle d'un arbre avec sa greffe, cette union donne
lieu à des fruits nouveaux, absolument supérieurs à la
moindre des deux natures. Dès lors on conçoit ce que doit
produire une semblable union entre Dieu et l'homme. Ce
» Cf. Rom., VIII, il, 87; Phil., i» 15; Apec, xii, H. Proprias eflfectus
hujus Sacramenti est conversio hominis in Ghristum, ut dicat cum Apos-
tolo : Vivo jam non ego, vivit vero in me Christus. S, Thom., In rv Sent,,
dist. 9, q. 1, a. 1, ad 2.
N® 328] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 473
ne sont pas seulement des fruits meilleurs; ce sont des
fruits d'un autre ordre, des fruits surnaturels, divins comme
le plus excellent des deux principes, des merveilles de
grâce, de vertus et de gloire éternelle K
325. — Que signifient ces mots : Si ergo videritis Filiwn hominis
ascendentenij etc., 63?
Cette proposition est à la fois interrogative et elliptique.
Les interprètes la complètent de diverses manières. Selon
les uns, la pensée sous-entendue est celle-ci : Après mon
Ascension^ ne reconnaitrez-vom pas qmje suis descendu du
ciel, (foe je suis V organe de mon Père et que vov^ devez croire
à toutes mes paroles? Ou bien : Ne comprendrez-vous pas
qu'il s'agit d'autre chose que d'une manducation chartielle,
comme vou^ iwu^ le figurez ? Selon les autres, cette pensée
serait toute différente : Le mystère de VEucharistiey impli-
quant clairement la multiplication de mon corps et de mon
sang, ne vous paraitra-t-il pas moins croyable encore après ma
disparition de ce monde? Cette dernière interprétation est
la plus commune parmi les interprètes modernes, et se lie
mieux, ce semble, avec ce qui précède et ce qui suit. Quoi
qu'il en soit, ces paroles du Sauveur montrent qu'il a été
bien compris de ses auditeurs. Il ne suppose pas qu'ils man-
quent d'intelligence, mais bien de docilité. S'ils avaient mal
saisi sa pensée, il l'aurait expliquée, comme il fait toujours
quand ses paroles donnent lieu à une méprise, par exemple
lorsqu'il parle de levain, de régénération, du sommeil de La-
zare, de Valiment dont lui-même se nourrit, de son départ
prochain '.
1 In corporali manducatione, manducans convertit in se cibum, quia
dignior et nobilior est cibo; in spiritual! est e contrario, quia cibus
est nobis dignior et perfectior et completior. Idco potius in ipsum mu-
tamur et incorporamur quam e converse. S. Bonav., In iv Sent,^ dist. 9,
a. i, q. 2, ad 3. S. Thora., Opusc, lviii, 20. Cf. Joan., xv, 4-8; xvii, 2.
Eph., V, 31. - 2 Matth., xvi, 8-12; Joan., m, 3-5; iv, 32-34; viii, 32-34;
XI, 11-14; XVI, 16-19, 29.
474 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n* 326
326. — Comment expliquer cette parole : Caro non potest quidquam,
et ces autres : Vei^ia qux ego locutus sum^ spiritus et vita sunt^ 64?
!• On explique de diverses manières cette parole de Nôtre
Seigneur : « La chair ne sert de rien. » Le sens charml ne
saurait rien entendre en ce mystère; la foi, ou l'esprit hu-
main éclairé par celui de Dieu, peut seul le concevoir et
l'accepter *. » — ^La chair ^ à elle seule, fût-ce celle du Fils
de l'homme, ne peut rien, pas même donner la vie natu-
relle, qui a l'esprit pour principe. » — c Ce qui est salutaire
et vivifiant, ce n'est pas précisément de recevoir la chair de
Jésus-Christ, c'est de participer par ce moyen à son esprit
et d'être uni par là à sa divinité '. » — Ces interprétations
n'ont rien dont les hérétiques puissent se prévaloir; et elles
n'impliquent aucune concession du divin Maître à l'incrédu-
lité qui murmure de ses paroles •.
2* Les derniers mots du verset sont en rapport avec ceux
qui précèdent. — Si l'on entend par caro le sens charnel,
les idées grossières des esprits terrestres, tels qu'étaient les
Capharnaïtes, la pensée de Notre Seigneur ne différera pas
de celle de S. Paul, quand il dit aux Corinthiens : Animalis
homo non percipit... : spiritualis autem judicat omnia *. Il faut
s'élever au-dessus des sens, et tenir compte de la sagesse et
de la puissance du divin Maître pour la réalisation de ses
promesses. — Si caro signifie la chair du Sauveur, séparée
de sa divinité, les mots : Verba quœ ego locutus sum... signi-
fieront : « Ce dont j'ai parlé, ce n'est pas ma chair, prise à
* Matth., XXVI, 41; Joan., m, 6; Rom., vu, 5, 6; viii, 1-14; I Cor.,
V, 5. — 2 Joan., m, 6; I Pet., m, 18. Domine, quomodo caro non pro-
dest quidquani, cura tu dlxeris : Nisi quis manducaverit carnem meam^
non hûbebit vitam? — Non prodest quidquam, sed quomodo illi intel-
lexerunt, quomodo in cadavere dilaniatur : non quomodo spiritu vege-
tatur. Dictum est : Caro non prodest quidquam, quomodo dictum est :
Scientia inflat. Quid est : Scientia inflat? Sola, sine caritate; ideo
addit : caiHtas vero sedificat. Sic etiam nunc caro non prodest quidquam,
sed sola caro. Accédât Spiritus ad carnem et prodest plurimum. S. Aag.,
In Joan.^ xxvii, 5. Item, littera occidit, spiritus autem vivificat. Accédât
spiritus ; adjuvet et fit quod jubetur. Serm. ccu, 6.-3 Joan., vi, 65, 67.
«- ♦ I Cor., II, 14 ; II Cor., m, 6,
N® 327] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 47S
part, mais ma chair animée par mon esprit; ou plus littéra-
lement : c'est l'esprit vivifiant qui lui est uni et qui en fait
la vertu. »
Dans tous les cas, il est impossible d'admettre l'interpréta-
tion des Calvinistes : t Je n'ai pas voulu parler de mandu-
cation proprement dite, ni de ma chair en particulier. Mes
paroles doivent s'entendre en un sens métaphorique. Il
s'agit de faire un acte de foi, de croire en moi et de recon-
naître ma double nature. » Si tel avait été le sens des pa-
roles du Sauveur, tout murmure aurait cessé ; aucun schisme
n'aurait eu lieu, et S. Pierre n'aurait pas eu à protester de
sa foi et de celle des véritables disciples.
327. — Pourquoi Notre Seigneur demande-t-il à ses Apôtres s^ils ne
veillent pas le quitter aussiy 68, et pourquoi S. Pierre répond-il gu^ils
ont cru et connu,,. 70?
!« Par ses paroles. Notre Seigneur témoigne qu'il n'a
besoin de personne en son Eglise, qu'il ne veut que des
disciples convaincus et volontaires * ; et il donne lieu à ses
Apôtres de faire connaître leur foi en sa doctrine et leur dé-
vouement pour sa personne '.
2* Les paroles de S. Pierre: Credidimus et cognovimtis*,
font entendre que l'intelligence ou la connaissance nette et
claire des vérités chrétiennes est un fruit de la foi. Elles
s'accordent avec celles d'Isaïe, souvent citées par S. Augus-
tin *, d'après l'Italique : Nisi credideritis, non intelligetis ».
Les Apôtres avaient commencé par croire à la doctrine du
Sauveur sur les preuves miraculeuses qu'il leur avait don-
nées de sa mission ; mais ce qu'ils avaient cru d'abord par
simple soumission, en dépit de leurs préjugés, devenait pour
eux de jour en jour plus manifeste et plus indubitable *.
» Matth., m, 9. — 2 II Thess., m, 2. — 8 Cf. I Joan., iv, 16. —
* S. Aug., Epist. cxx, 3. — * Isai., vu, 9. Loquitur Petrus Ecclesiss
nominc, ostendens quia, etsi contumax et supcrba multitudo discedat,
Ecclosia tamen a Christo non recedit. Unde scire debcs Episcopum in
Ecclesia esse et Ecclesiam in Rpiscopo. S. Cyp., Epist. lxix, 8. — « Fide
intelligimus. Heb., xi, 3. Quid est fides? Credere quod non vides. Fidci
merces est videre quod crodis. S. Aug., Semi. xlui, 1. Qui non credide-
476 JÉSU8-CHMST SELON l'évangile. [n^ 328
Discussion de Notre Seigneur avec les Juifs sur sa
divinité. Joan., viii, 17-58.
328. — Est-ce comme Dieu ou comme Homme-Dieu que Notre
Seigneur est la lumière du monde, 12?
En même temps qu'il se dit la lumière du monde, Notre
Seigneur se proclame le guide et le modèle par excellence :
Qui sequitur me non ambulat in tenebris. Or, c'est par Tln-
carnation qu'il s'est rendu notre modèle. C'est donc comme
Homme-Dieu qu'il se dit la vraie lumière, c'est-à-dire le
principe de toute connaissance et de toute vie surnaturelle
pour le genre humain, la source de la grâce et de la gloire
pour tous les enfants d'Adam, lumen vitœ. Tel est du reste
le sens de tous les passages parallèles *.
La fête des Tabernacles * était destinée à rappeler aux
Israélites le séjour que leurs pères avaient fait dans le dé-
sert et les grâces signalées qu'ils y avaient reçues •. Durant
l'octave, on habitait sous des tentes; on célébrait le miracle
de la source miraculeuse* et celui de la colonne de feu ^;
on en faisait des représentations. C'est à quoi le divin Maître
semble faire allusion, quand il dit ^ qu'il est la véritable
source où toutes les âmes peuvent étancher leur soif, la
vraie lumière qui doit éclairer le monde et montrer aux
hommes leur voie \ On peut remarquer avec quel soin il
profite des solennités et des cérémonies religieuses pour
prêcher le royaume de Dieu et enseigner sa doctrine *.
rit, non experietur, et qui expertus non fuerit, non intelliget. S. Anselm.,
de fide Tiin., 2. C'est ce que les âmes fidèles éprouvent encore dans la
fréquentation de la sainte Eucharistie. On commence par Tobscurité de
la foi ; la lumière vient avec l'amour. Le Sauveur ne cesse pas de se
manifester dans la fraction du pain, et les vrais croyants s'étonnent des
témoignages qu'il leur donne de sa présence et de sa vertu. Cf. Brev.,
14 juin., lect. VI, Vie de S. Odon, 4 juill.; de M, Vianney, 1. ii, ch. 3;
1. IV, ch. 14. Miracle des Billettes, 1306, et des SS. Gervais et Protaîs,
à Paris, 1274, de Bruxelles. 1369, de Faverney, 1608, etc. Migne, Dic-
tionn. de myst. chrét.^ Eucharistie, Hosties, Attraction, etc.
1 Joan., 1, 9; m, 19; ix, 5; xii, 46. Cf. Matth., v, 14; xi, 27. — * Jt>an.,
VII, 2. — 8 1 Cor., X, 1-4. — ♦ Num., xx, 11. — • Exod., xiv, 30. —
6 Joan., VII, 37. — "ï Joan., viii, 12. — « Cf. Joan., ii, 13; v, 1; vi, 4;
vil, 2, 10, 44; X, 22; xui, 1, etc.
V^ 330] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 477
* 329. — Pourquoi les Juifs demandent-ils au Sauveur où est son
Père, 19, et qu'annonce-t-il en disant qu'ils mourront dans leur pé-
ché, 21?
!• Les Juifs demandent au Sauveur où est son Père, parce
qu'ils ne voient en lui qu'un homme, ou bien ils parlent
ainsi pour l'humilier, en affectant d'ignorer son origine
divine. La réponse qu'il leur fait : Si me sciretis, et Patreni
meum sciretis, implique sa divinité, puisqu'elle suppose,
entre lui et son Père, identité de nature ».
2* Quand il dit: In peccato vestro moriemini^ 21, il les
considère comme nation, et il entend qu'ils périront pour
l'avoir crucifié ; ou bien il ne s'adresse qu'à ceux de ses au-
diteurs qui s'obstineraient dans leur incrédulité, 24 *.
330. — Gomment faut-il traduire ces mots : Principium qui et
loquor voàis^ 25?
Ceux qui s'attachent à la Yulgate traduisent : c Je suis le
principe de tout, > c'est-à-dire l'auteur et le commencement
des choses •. Ceux qui suivent le grec traduisent : c Depuis
le commencement, je suis ce que je vous dis : A principio
sum quod dico >; ou bien : « Je suis ce que je vous dis depuis
le début de mon ministère: Ego sum qiuid et loquor.,. a
principio t; ou plus simplement encore : « Je suis réelle-
ment, uniquement ce que je vous dis être, la lumière du
monde t; les mots grecs, tiqv a^xt^*^ rendus par principium,
ne pouvant être employés qu'adverbialement, pour xaxa tiqv
apX^V) dans le sens de omnino, prorms, ou bien pour a prin-
cipio^ de principio ; et o ti ne pouvant se rapporter qu'à
TouTo, sous entendu après eiiJLi ♦.
L'auteur de la Vulgate paraît avoir lu oaxiç au lieu de o ti.
S'il a lu oTi, il aura traduit par quia, dont les copistes au-
ront fait qui.
* Cf. Joan., XIV, 19. — « Cf. Act., iv, 12. — « L'auteur de le Vulgate
aura vu ou soupçonné une allusion aux passages de TEcriture où le
Verbe est appelé principe. Prov., viii, 22 (Cf. S. Justin., DiaL 61; Tert.,
Adv. Prax., 7); Ps. oix, 3; Apec, i, 17 ; ii, 1, 8; xxi, 6. — * Cependant
S. Chrysostome donnant à ces mots o tt XaXw viniv, un sens interrogatif,
entend : « Que vous dirai-je encore? A quoi bon plus .de paroles? »
27.
478 JÉSUS-CHWST SELON l'évangile. [n<> 332
331. — Quel est le Fils qui vit en liberté dans la maison de son Père,
et de quelle servitude affranchit-il ses disciples, 35, 36?
1* Ce Fils dont Notre Seigneur parle au verset 35, c'est
lui-môme, impeccable par nature, et libre au milieu des
morts *. C'est lui seul, mais lui tout entier, avec ses mem-
bres vivants ; car ils participent à ses privilèges *.
i"" La servitude dont il délivre ses disciples, en les éclai-
rant de ses lumières, c'est celle de la loi, de l'erreur et du
péché, 32-34. Celle du péché est la plus terrible, même dès
cette vie. Elle dégrade entièrement l'âme et finit par attirer
sur elle la colère et les châtiments éternels de Dieu '. Les
Juifs ne songeaient qu'à la liberté civile et politique ; mais
la liberté des enfants de Dieu est d'un ordre et d'un prix
infiniment supérieurs *. Elle fait qu'on n'est plus assujetti
qu'au seul véritable maître, à celui qui veut nous associer
à sa puissance et à sa gloire dans l'éternité, c En parlant ici
de lui-même, 36; Notre Seigneur fait allusion à l'histoire
d'Isaac et d'Ismaêl, 35; et les Juifs n'ont pas de peine à com-
prendre*. »
* 382. — Dans quel sens le mot fils est-il pris dans les versets 39-44?
Le mot fils est pris ici dans un sens métaphorique. Chez
les Hébreux, tout rapport de cause à effet, de principe à
conséquence, de maître à disciple, était rendu par l'idée de
production, de génération *. On disait : enfants des pro-
phètes, pour disciples ou serviteurs des prophètes '. On te-
nait la ressemblance des instincts et des dispositions pour
4 Ps. Lxxxvii, 6.-8 Joan., xvii, 24, Eph-, ii, 6. — ' Cf. Rom., v,
20, 21 ; VI, 16-23; viii, i; Gai., iv, 21-31. — * Erit voluntas libéra, si
faerit pia. Eris liber, si fueris servus ; liber peccati , servas justiii».
Prima libertas est carere criminibus. S. Aug., In Joan.j xli, 8, 9. —
» Cf. Rom., VI, 13; Gai., iv, 22-31. — 6 On trouve dans TEvangile : lea
fils du diable, Joan., viii, 41, 44, les fils du royaume, Matth., xiii, 38;
vni, 12, les fils de ce monde, Marc, m, 17; Luc, xx, 34, les fils de
la géhenne, Matth., xxiii, 15, les fils de la lumière, Luc, xvi, 8; Joan.,
xii, 36, les fils de la résurrection, Luc, xx, 36, les fils de la paix, Luc,
X, 6, les fils de Tépoux, Matt., ix, 15; Marc, ii, 19, etc. — ^ lY Reg.,
jv, 88, et Supra, n. 38.
NO 333] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 479
un indice de l'identité des races. « Vous avez les goûts, la
malice, la ruse du démon : vous êtes donc de sa famille; il
est votre père; c'est lui qui vous a formés *. Vous avez une
conduite opposée à celle d'Abraham : ne me dites donc pas
que vous êtes ses enfants. Ceux-là seuls qui pratiquent la
vertu peuvent se vanter d'être les enfants d'un homme ver-
tueux *. » Quand Notre Seigneur ajoute que le démon est
menteur et homicide dès l'origine, 44, il fait allusion à la
tentation du paradis terrestre, et au châtiment comme à la
chute de nos premiers parents.
333. — Le mot par lequel le Sauveur termine son discours : Ântequam
Abraham fieret^ ego sum, 58, ne suppose-tril pas sa divinité?
En disant qu'il existait avant de venir en ce monde ', le
Sauveur affirme clairement qu'il a une autre nature que sa
nature humaine, ou que sa personne est antérieure à son
humanité. En disant qu'il était avant qu'Abraham fût, ou
plutôt avant qu'il naquît : Dptv A6paa[i. ^evecôat, e^w eifxt ♦, il
fait comprendre de plus qu'il n'a pas reçu l'existence, comme
ce patriarche, mais qu'il la possède essentiellement, éternel-
lement ; par conséquent qu'il n'est pas une simple créature,
mais l'Etre souverain et infini. Celui qui peut dire dans tous
les temps : c Je suis i : Ego sum qui sum '.
Cette conséquence n'échappe point à ses auditeurs ; car
S. Jean rapporte qu'après cette parole du Sauveur comme
après celle qu'il relève un peu plus loin : Ego et Pater unum
mmtis •, ils prennent des pierres pour le lapider \ Dans un
cas comme dans l'autre, nous pouvons dire avec S. Augus-
tin : Ecce Judœi intellexerunt quod non intelligunt Ariani^,
Gomme ils avaient gardé le souvenir de la création et de
i Cf. Matth., m, 7; v, 9, 44; I Joan., m, 8, 12. — « Cf. PhU., m, 5.
Infra, n. 464. — » Cf. Joan., viii, 51, 52; xiv, 19. — * Cf. Joan., xvii,
5, 24. Non dixit : Antequam Abraham esset, ego eram; neque : Ante-
quam Abraham fleret, ego factus sum ; sed : Antequam Abraham fleret,
ego sum. Agnoscite Creatorem; discernite creaturam. Qui loqucbatur,
semen Abrahœ factus erat; sed ut Abraham iieret, ante Abraham ipse
erat. S. Aug., In Joan,, xliii, 17. — * Exod., m, 14; Ps. lxxxiv, 2. —
• Joan., X, 30. — ' Cf. X-ev., xxiv, 14. — « /n Joan., xlviii, 8.
480 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n® 334
la religion primitive, les Juifs étaient pénétrés d'un profond
respect pour Tantiquité. De là la haute idée qu'ils avaient de
leurs ancêtres et la vénération que leur inspiraient les
patriarches. Un des principaux défauts qu'ils croyaient voir
en Notre Seigneur et dans le christianisme, c'était la nou-
vauté. Ils ne pouvaient souffrir qu'on leur donnât la préfé-
rence sur une institution qui remontait à l'origine des
siècles, sur des hommes qui avaient conversé avec les anges
et avec Dieu même. S. Jean, qui sentait la force de ce
préjugé, ne néglige aucune occasion de le combattre. Il ne
manque jamais de signaler les paroles et les faits propres à
faire ressortir cette vérité, que sous le rapport de l'antiquité,
comme sous celui de la grandeur et de la sainteté, rien ne
peut être mis en comparaison avec le Fils de Dieu ni avec
son œuvre *.
Autre discuseion sur le même sujet. Joan., x, 2Î-42.
* 334. — A quelle époque remontait la fête de la Dédicace, 22, et
quel était le portique de Salomon, 23?
10 La fête de la Dédicace remontait à l'an 164, où Judas
Machabée, ayant délivré Jérusalem, avait brisé l'idole de
Jupiter Olympien , placée dans le sanctuaire, et purifié le
temple des profanations commises trois ans auparavant par
Antiochus Epiphane •. Elle durait huit jours et se célébrait à
l'entrée de l'hiver, comme S. Jean en fait la remarque pour
ses lecteurs, étrangers à la Judée.
2<* La galerie couverte où se promenait Notre Seigneur
s'appelait portique de Salomon, parce qu'elle était bâtie sur
une terrasse élevée par Salomon. Peut-être y voyait-on en-
core quelques restes de l'ancien temple *. On découvrait de
1 Cf. Joan., I, 1, 15, 27, 30; xii, 41; xvii, 5, 24; I Joan., i, 1; Apoc.,
I, 14, 17; XIII, 8; xxii, 13. Item Eph., i, 14; Col., i, 15-17; U Tiin., i, 9;
Heb., i, 1, 2; v, 10; vu, 3; xiii, 8; Euseb., H. E., i, 24; S. Aug., de
Civ, Deiy xviii, 37-41. Les premiers Pères font de même : O Christum
et in novis veterem! Tert., Adv, Mcuc, iv, 21. — 2 Eyxatvia, I Mac,
IV, 36, 52-59; Il Mach., x, 1, 5-8. Brev., Fer. iv. Passion, lect. 1. Cf.
Joseph., A., XII, VII, 6 et 7. — 3 III Reg., vi, 3; II Par., m, 4. Cf. Joseph.,
A»j J^A, IX, •• , »
N0 336] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 481
là la colline des Oliviers et toute la vallée du Cédron. Le
Sauveur et les Apôtres s'y tenaient de préférence, parce
qu'elle était ouverte aux Gentils aussi bien qu'aux Juifs *.
* 335. — Pourquoi les Juifs pressent-ils Notre Seigneur de leur
déclarer s'il est véritablement le Messie, 24?
Quand les ennemis du Sauveur le pressent de déclarer s'il
est le Messie, c'est par malice qu'ils le font, afin de le rendre
odieux aux Romains, en disant qu'il aspire à la royauté * ;
car les infidèles prenaient ce nom de Messie dans le sens des
Juifs les plus terrestres, et non dans celui des prophètes '.
Mais Notre Seigneur ne veut pas s'attribuer nettement cette
qualité de roi jusqu'au moment de sa Passion, où il montrera
que sa royauté n'est pas de ce monde, en même temps qu'il
versera son sang pour en soutenir la réalité et pour nous
mériter la possession de son royaume *.
336. — Ces paroles : Ego et patei% o îlaTYip, unum sumus^ 30, peuvent-
elles s'entendre d'une simple union morale ?
S'il n'avait pas été certain que ces paroles signifiaient
autre chose qu'une union morale, ou une conformité de vo-
lontés, les Juifs n'auraient pas pris aussitôt des pierres pour
lapider le Sauveur, 31 ; ils ne lui auraient pas reproché de
se faire Dieu, 33 *. Aussi le sens est-il manifeste, et ces mots
ont-ils toujours été regardés comme la formule la plus précise
de la consubstantialité du Père et du Fils. Notre Seigneur dit
que le Père et le Fils, tout en étant des personnes distinctes,
$umtis^ sont néanmoins une même chose, ev, unum^ et non
etç, unm • ; qu'ils sont un même Dieu, qu'ils ont une même
nature, une nature identique, la nature divine ne pouvant
J Cf. Act., m, 11; v, 12. — « Cf. Joan., vi, 15, xix, 12. Cf. Luc,
xxn, 66.-3 SuprUy n. 78. Infra, n. 601. — * Matth., xvi, 20; xxvi,
63, 64. — » Cf. Joan., xiv, 9-12; I Cor., vi, 17; Phil., ii, 6, 7. Si voluntas
unum esse eus faceret, Dominus ita precaretur : Pater, sicut nos unum
Tolumus, ita et llli unum velint, ut unum per concordlam simus omncs.
s. Hilar., de Trinit., viii, 11. — ^ Comme aux Galates, m, 28, où il
s'agit des chrétiens incorporés à Jésus-Christ et ne faisant plus avec
lui qu'une seule personne morale. Cf. Apec, xxi, 1, 3.
JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [N<^ 337
[u'une, en nombre comme en espèce*. Le mot unum
nd les Ariens, dit S. Augustin, et le pluriel sumus fé-
es Sabelliens '.
. — Le Sauveur ne se défend-il pas de se faire Dieu ou de se
dire le propre Fils de Dieu, 35^ 36?
Sauveur se borne à faire aux Juifs, ici comme en
res occasions semblables ', un argument ad hominm,
ïs déconcerte et les désarme. Sans revenir sur ses pa-
: Qu'il ne fait qu'un avec son Père, sans les adoucir
le sans y insister, il se borne à dire que le grief qu'on
[ue n'est pas une raison pour le lapider * ou pour Tac-
de blasphème, 36; que l'Ecriture même, dont on
e contre lui, donnant le nom de Dieu à des hommes
rfaits et sujets au péché *, pour ce seul motif qu'ils sont
us de l'autorité divine ou honorés des communications
iel, 25, ce ne peut être un crime de se l'attribuer,
1 on a pour Père le Dieu du ciel, qu'on a été sanctifié
ui-méme d'une manière incomparable • et envoyé sur
Te pour accomplir ses desseins : Si per sermonem Dei
homines dii, unde participant non est Deus? Si lumim
inata dii sunt^ lumem quod illuminât non est Deus? Si
eos facit sermo Dei^ quomodo non est Deus Verbum Dei?
st le sens de ses paroles, d'après S. Augustin ''. Le di-
[aître conclut du petit au grand, du fini à l'infini. Puis
ifirme d'une manière positive et très claire, bien qu'in-
te, ce qu'il a dit de sa divinité, en se plaignant, non
i interprète mal ses paroles, mais qu'on refuse d'y
3, et en repétant qu'il est en son Père, et que son Père est
i, 38, c'est-à-dire que son Père et lui ne sont qu'une
et môme substance. Si le mot n'y est pas, l'idée y est
m., XIV, 7-9. — * Sumus, non diceret de uno; sed et unum non
t de diverse. S. Aug., In Joan,, xxxvi. Cf. lxxviii, 2. Deo ex Deo
lec eumdem nativitas patitur esse, ncc aliud. S. Hilar., de Trinit.^h
f. Matth , IX, 15; xxi, 25; xxii, 20-22; Joan., vu, 19-23; vm, 7;
-5. — * Joan., X, 31. Cf. viii, 59; Act., i, 7; vii^ 58; xxi, 31;
12. — 8 Ps. Lxxxi, 6. Cf. Exod., vu, 1. — « Cf. Jer., i, 5; Lac,
Cf. S. Thom., p. 3, q. 34, a. 2. — ' In Jocm.,^ XLVin, 9.
N^'SSS] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 483
évidemment. Elle y est, non seulement énoncée, mais ré-
pétée ^ Aussi, loin de s'adoucir à son égard, ses ennemis
cherchent-ils à s'emparer de sa personne; et lui, de son côté,
s'empresse de se soustraire à leurs poursuites *.
Discours après la Cène, kiv-xvii.
338. -^ Ce discours ne mérite-til pas une estime et une attention
particulières ?
Pour sentir l'importance de ce discours, il y a trois choses
à remarquer :
!• Le moment. — Notre Seigneur est à la veille de sa mort
tout près d'entrer dans la carrière de sa Passion. Il sort du
Cénacle, où il vient d'instituer l'eucharistie et le sacerdoce
pour donner à son Eglise un culte et des ministres dignes de
lui. Emu des grandes choses qu'il a faites et de celles qui lui
restent à faire, il s'arrête pour épancher ses sentiments et
exprimer une dernière fois ses pensées.
2* Les auditeurs. Ce n'est plus à la foule que le divin
Maitre s'adresse, ni à des auditeurs suspects, à peine initiés
à sa doctrine : c'est à ses Apôtres, c'est-à-dire à l'élite de
ses disciples, à des hommes qu'il a appelés personnellement
à sa suite, qui ont écouté avec docilité toute sa prédication;
à des hommes qu'il vient d'élever au sacerdoce, après les
avoir nourris de sa chair et de son sang, et qui doivent dé-
sormais lui servir d'organes pour instruire et sanctifier le
reste du monde. Quel auditoire plus digne de ses communi-
cations et mieux disposé pour les mettre à profit • !
3* Le sujet. — Il ne s'agit pas seulement de quelques
maximes ou pratiques particulières. Il s'agit des dogmes les
plus essentiels du christianisme, des rapports du Père avec
le Fils, du Père et du Fils avec le Saint-Esprit. Il s'agit sur-
tout de ce qui fait l'essence de la vie chrétienne, de l'union
intime et surnaturelle que le Sauveur daigne avoir avec
* Tanquam in oblique Dominus Deum se dicit, propter quosdam qui
hegant Filium Dei Deum esse. S. Aug., in Joan.y xlix. — * Cf. S. Thom.,
p. I, q. 42, a. 5. — » Joan., xv, 13-16; xvi, 25-27.
484 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n° 340
l'Eglise entière et avec chacun de ses membres * ; de la dé-
pendance où nous sommes par rapport à son Esprit et à son
action ", des grâces dont il est la source *, et des fruits de
salut qui en sont l'effet *.
Ce discours est donc éminemment dogmatique et mys-
tique. Il contient la partie la plus sublime de l'enseigne-
ment du Sauveur. Il est à l'Evangile ce que l'Evangile est à
la Loi, ce que le sanctuaire est au temple. Entre les discours
de S. Jean, il tient le même rang que celui de la montagne
parmi ceux de S. Matthieu '.
339. — Comment peut-on diviser ce discours?
Il n'est pas possible de donner de ce discours une divi-
sion logique. C'est une suite d'idées et de sentiments qui ont
entre eux une grande analogie et qui se succèdent d'une
manière fort naturelle, sans se déduire les uns des autres et
sans former une unité rigoureuse. Mais des quatre chapitres
qu'il remplit, xiv-xvii, on peut retrancher le premier, qui
sert de prélude et qui est plutôt un entretien ou un dialogue,
et le dernier, xvii, qui est une prière à haute voix du Sau-
veur à son Père.
Restent deux chapitres, xv et xvi, qui sont comme le
corps du discours. Lexv® roule sur la vie surnaturelle et sur
l'union qu'elle suppose entre Jésus-Christ et ses membres.
Au xvi% le Sauveur s'attache à consoler et à encourager ses
Apôtres. Il leur promet de leur envoyer son Esprit, 1-15, de
ne les pas délaisser, 16-22, et de les assister constamment
auprès de son Père, 23-28 *.
Prélude.
Dialogue du Sauveur avec les Apôtres, xiv.
340. — Gomment Notre Seigneur est-il la voie^ la vérité et la vie, 6?
Etant homme et Dieu tout ensemble, Notre Seigneur est à
4 Joan., XIV, 6, 19, 21, 23; xv, 1, 4; xvn, 23. — « Joan., xiv, 16, 18;
XV, 5, 13. — 3 Joan., xv, 16; xvi, 14; xvn, 19, Î2. — * Joan., xv, 2,5,
7^ 20. — 8 Cf. Deut., xxvii-xxxin. — « Voir sur tout ce discours ;
S. Aug., In Joan., lvi-gxi. Cf. Duguet, Traité de la Croix^
NO 341] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 48S
la fois médiateur et fin. Il possède tout ce qui nous manque,
la gloire comme la grâce; et son office propre est de nous
mettre en possession de tous les biens. Ainsi il est :
!• La voie; puisqu'il nous offre le moyen de parvenir au
ciel, soit en nous dirigeant par sa doctrine et ses exemples,
soit en nous attirant par sa grâce, soit en nous y introduisant
par ses mérites.
2^ La vérité. Vérité absolue comme Verbe, il est devenu
pour nous, comme Verbe incarné, la vérité révélée, la lu-
mière de la foi. C'est lui seul qui connaît le Père, qui le fait
connaître et qui peut mener à lui *.
3* La vie. Vie essentielle et infinie, comme Dieu, il est
notre vie surnaturelle, comme Homme-Dieu; car il possède
en son humanité la plénitude de la vie divine, et son but en
venant parmi nous est de nous y associer, par sa grâce d'a-
bord et par la gloire ensuite •.
Tous les biens sont donc réunis en sa personne et il n'y a
rien à chercher hors de lui. Quand on le possède, on échappe
à tous les périls, aux précipices, aux ténèbres, à la mort '.
Qu'on juge quelle grâce c'est de le bien connaître et pourquoi
l'Apôtre ne voulait pas d'autre science *.
341. — Si les œuvres des Apôtres surpassent celles du Sauveur, 12,
comment celles-ci prouvent-elles sa divinité?
Pour être moins éclatantes que ne furent parfois celles des
Apôtres et de bien d'autres saints, les œuvres du Sauveur ne
laissaient pas de prouver sa divinité; et cela de plusieurs
manières : — 1** Parce qu'il les faisait pour établir cette
vérité, et qu'il les donnait pour des démonstrations. Or, sans
avoir l'éclat de certains prodiges opérés après lui \ elles
* Matth., XI, 27; Joan., i, 9, 17 ; xiv, 9. — 2 Joan., i, 16; v, 40; xi, 25.
Act., III, 15; Col., III, 4. Sola intclligltur vita quse bcata quœ autem non
beata, nec vita. S. Aug., Serm. cccvi, 6. Cf. Apec, m, 1. — 3 Hoc est
per me venitur; ad me pervenitur; in me permanetur. S Aug., de Doci.
christ.^ ii 38; Imit. Christ. y m, 56. — * I Cor., ii, 2; Eph., m, 14-19.
Sequamur, Domine, te, pcr te, ad te, quia tu es via, veritas, et vita :
via in exemplo, veritas in promisse, vita in prœmio. S. Bern., de Ascen^.^
Serm, ii, 6. — « Act., v, 5, 15; x, 44; xix, 6, 12; Rom., xv, 18, 19;
I Cor., XIV, 26-33; I Tbess., i, 5. Cf. Matth., xvii, 19.
486 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n<> 342
n'en étaient pas moins des œuvres surhumaines et de véri-
tables miracles. — 2° Parce que les miracles que faisait Notre
Seigneur, il les faisait en son nom, par une puissance propre
et personnelle, bien qu'en union avec les deux autres per-
sonnes divines V Ils supposaient donc en lui un pouvoir
absolu, et, par conséquent, ils prouvaient sa divinité, in-
dépendamment de toute affirmation de sa part. — 3' Parce
que les œuvres même des Apôtres appartenaient au Sauveur,
en ce sens qu'ils ne les faisaient que par lui, en son nom et
en sa vertu, qu'il leur avait donné le pouvoir de les faire *.
Procédant de la même puissance, elles confirmaient la même
doctrine '. Jésus-Christ paraît même d'autant plus grand
qu'il lui est indifférent d'agir par lui-même ou par ses
organes, et qu'il ne témoigne aucun souci de l'éclat
extérieur*.
* 342. — Est-ce à tous les fidèles oa aax Apôtres soalement que le
Sauvear promet d'exaucer toutes les prières qu'ils adresseraient à
son Père, 13?
Quoique le Sauveur s'adresse directement aux Apôtres, sa
promesse s'étend à tous les chrétiens; mais il faut remar-
quer qu'il ne promet d'exaucer que les prières qui seront
faites en son nom. Il fait cette réserve expressément et à
deux reprises, 13, 14. Qu'est-ce donc que prier en son nom,
et quand peut-on prier autrement?
Prier au nom de Jésus-Christ, c'est demander les grâces
dont on a besoin pour répondre à ses desseins, et les de-
mander comme fruit de ses mérites, en se fondant sur ses
promesses. Si l'on prie ainsi, quelque grâce qu'on demande,
1 Supra, n. 239. — 2 Matth., x, 8; Marc, xv, 17. — 3 Act., m, 12, 16;
XIV, 12-17. Ad vocem Dominî surrexerunt mortui : ad umbram tran-
seuntis Pétri surrexit mortuus. Majus hoc videtur quam illud. Sed
Christus facere sine Petro poterat; Petrus nisi in Christo non poterat.
S. Aug., m Ps. cxxx, n. 6. Cf. S. Thom., p. 3, q. 43, a. 4, ad 2; Bossuet,
Méditations, la Cène, 1'® part., lxxxviii. — * Il faut d'ailleurs distin-
guer, selon S. Augustin, des œuvres du Sauveur les mystères de sa vie :
Aliquid proprium facere debuit : nasci de virgine, resurgere a mortuis,
cœlum asccndcre. Hoc Deo qui parum putat, quid plus cxpcctet ignoro.
Epist, cxxxyUf 13,
N<» 342] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 487
fût-elle miraculeuse, il est certain qu'on Tobtiendra. C'est
ainsi que les Apôtres ont demandé et obtenu tous les pro-
diges qui ont signalé leur ministère : c'est ainsi que les
justes obtiennent tous les jours de nouvelles grâces pour
persévérer dans la vertu et faire des progrés dans la perfec-
tion. Notre Seigneur nous a mérité ces grâces et il veut que
nous les recevions, à la seule condition de les réclamer en
son nom*.
Mais si l'on prie autrement, c'est-à-dire si l'on manque
de confiance en Notre Seigneur, ou bien si l'on demande
des choses qui ne serviraient pas à l'accomplissement de
ses desseins et qu'il n'a pu avoir intention de nous mériter,
on ne peut pas dire qu'on prie en son nom et l'on n'a pas
droit de rien attendre du ciel. Il ne faut donc pas s'étonner
de n'être pas toujours exaucé, et surtout de ne l'être pas
toujours à l'instant même et de la manière qu'on le désire;
car lors môme que nous croyons prier le mieux, il arrive
souvent ou que l'objet de nos prières est contraire à nos
vrais intérêts, ou que nous sommes disposés à en abuser, si
précieux qu'il soit, ou qu'il nous deviendra plus utile si
nous l'attendons quelque temps, ou enfin qu'il nous im-
porte moins qu'une autre chose dont Dieu veut bien nous
gratifier ».
Au reste l'efficacité de la prière n'a pas d'autre durée que
' Dens ad hoc se peti vult ut capaces donorum ejus fiant qui petunt.
Non dat nisi petenti, ne det non cupienti. S. Aug., Epist. cxxx, 17. —
* Ne contristemibi quando petitis et non accipitis. Non enim semper
sgnim exaudit medicus ad voluntatem, quamvis ejus sine dubio pro-
cnret sanitatem. Artîs est, non crudelitatis. S. Aug., Serm, gglxxxvi, 5.
Petit seger ut quod ad salutem apponit medicus, auferatur. Medicus
dicit : Non mordet, sed sanat. Tu dicis : Toile quod mordet. Medicus
dicit : Non tollo, quia sanat. Non ergo exaudivit Dominus Paulum ad
Toluntatem, quia exaudivit ad sanitatem. In I Joan., vi, 7. Qualis est
apud te filius tuus nesciens res hamanas, talis es et tu apud Dominum
nesciens res divinas. Ecce ante te filius tuus tota die plorans ut des illi
cultrum, id est gladinm; negas te dare; non das; contemnis flentem,
ne plangas morientem. Plorct, affligat se, collidat se ut levés eum in
equum; non facis, quia non potcst eum regere; elidet et occidet illum.
Gui negas partem, totum illi servas. Sei^m. lxxx, 7. Cf. S. Thom., 2*-2^ ,
q. 83, a. 15, ad 2, et a. 16 ; Breviar., Dom, v post. pose, lect. 8. Supra^ 196.
488 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n<> 343
la prière elle-même. Notre Seigneur veut qu'on prie tou-
jours ; et ce serait une erreur de penser que pour être assuré
du salut, il suffit de l'avoir demandé un seul instant, fût-ce
avec les meilleures dispositions.
343. — Si le Sauveur est Dieu comme son Père, comment peut-il
dire que son Père est plus grand que lui, 28?
C'était la grande objection des Ariens;, mais rien de plus
facile à résoudre, puisqu'eux-mêmes reconnaissaient deux
natures en Jésus-Christ, et qu'il ne parle ici, évidemment,
que de son humanité, en se considérant comme homme. De
quoi s'agit-il, en effet? De son retour à son Père, de son
Ascension, de la gloire dont il va bientôt jouir : Si dilige-
relis rne^ gauderetis utiqtte, quia vado ad Patrem, quia Pater
major me est. C'est bien comme Homme et non comme Dieu
qu'il va quitter la terre et monter au ciel. C'est son huma-
nité qui va être glorifiée à la droite de son Père. Pourquoi
donc s'étonner de l'entendre dire ici qu'il est inférieur à
son Père, lorsqu'on ne s'étonne pas de l'entendre prier, de-
mander, rendre grâces, s'abandonner à la volonté divine?
S. Paul ne nous donne-t-il pas la raison de tous ces actes et
de toutes ces dispositions, en disant que le Fils de Dieu,
sans abdiquer sa divinité, s'est anéanti jusqu'à prendre la
forme d'un esclave'?
Il est vrai qu'un certain nombre de Pères, dans l'Eglise
grecque, ont cru pouvoir suivre les Ariens dans l'applica-
tion qu'ils voulaient faire de ces paroles à la nature divine
de Notre Seigneur. Ils ont dit que, dans la Trinité même,
le Père a sur les deux autres personnes une certaine prio-
rité ou supériorité, vu qu'il en est le principe et qu'il a en-
voyé son Fils pour nous racheter. Mais, quelle que soit la
valeur de leurs explications ou l'obscurité de leur langage,
ces docteurs n'ont pas entendu préjudicier au dogme de la
divinité du Sauveur, puisqu'ils enseignent, aussi expressé-
ment et aussi constamment que les autres, que le Père et le
1 Plulip., n, a, 7.
I
KO 345] SA ViÉ PufiLiQUË. — Ses biâcouhs. 480
Fils ont une même nature, une même puissance et une
même souveraineté.
* 344. — Que signifient ces mots : Surgite, eamus UinCy 31 ?
Plusieurs pensent qu'après avoir dit ces mots : Surgite^
Notre Seigneur sortit du Cénacle. Dans ce sentiment, il au-
rait prononcé le reste de son discours en se rendant au
jardin de Gethsémani, sur le mont des Oliviers; et les pre-
miers mots du chapitre xvni signifieraient qu'au moment où
il terminait sa prière, il sortait de Jérusalem et passait le
Cédron *. Mais le sentiment le plus commun paraît être qu'à
la fin du chapitre xiv, le Sauveur ne fit autre chose que se
lever de table, et qu'après avoir averti ses disciples de la
nécessité de partir bientôt, il ne laissa pas d'achever son
discours à l'endroit où il l'avait commencé. Quoi qu'il en
soit, nous avons là un moment de suspension et une divi-
sion dans le discours. Le mot surgite ne doit pas être pré-
cédé d'un point, mais d'une virgule.
Corps du discours.
1» Vie surnaturelle du Sauveur en ses membres, xv.
* 345. .. Pourquoi le Sauveur s appelle-t-il la vigne véritable,
Y) oXtîôivy), 1?
Notre Seigneur dit qu'il est la vigne véritable, pour se
distinguer de toute autre : des vignes naturelles ou propre-
ment dites, dont plusieurs supposent qu'il avait un plant
sous les yeux; et des autres vignes mystiques ou de ce qui
pouvait recevoir ce nom, en particulier de la Synagogue,
représentée sous cette image dans les prophètes et figurée
par cet emblème à la porte du temple *. L'Homme-Dieù est,
4 Cf. II Reg., XV, 23, 30, 31. — » Ps. lxxix, 9; Is., v, 1 ; Jer., xii, 10;
Ezech., XV. Cf. Tacit., ff., v,5; Joseph., il., XV, xi, 3; JB., v, 14, etc.
490 JÉSUS-CttHlST SELON l'évangilë. [n® 346
d'une manière réelle, parfaite et permanente, ce que ces
vignes pouvaient être d'une manière figurative, imparfaite
et transitoire. Bientôt il poussera des rejetons et étendra ses
branches jusqu'à couvrir le monde entier, et c'est lui seul qui
donnera partout des fruits dignes des bénédictions du ciel*.
Ainsi est-il la vraie lumière, çw; xo aXY)8ivov *, le pain véri-
table, 0 apToç 0 oLKTfii^oq ', le ministre du véritable tabernacle,
Ttjç (jx.ir;vr<ç tt).; aXtjÔiviQç *, c'est-à-dire le type, la réalisation
parfaite de l'idée exprimée par ces termes.
346. — Dans quel but Notre Seigneur a-t-il recours à cette
comparaison?
Notre Seigneur se compare à la vigne et nous compare
nous-mêmes aux ceps de la vigne, pour nous faire entendre
cette vérité, qui vient naturellement après l'institution de
l'Eucharistie : qu'il est et qu'il sera toujours pour nous
l'unique principe de la grâce, du mérite, de la vertu, et de
toute vie surnaturelle.
Quand il s'est agi d'examiner l'unité et la solidité qu'il
voulait donner à son Eglise, ce divin Maître l'a comparée à
un édifice bâti sur le roc. Quand son Apôtre voudra faire
ressortir l'unité d'esprit qui doit y régner, malgré la variété
des fonctions et des ministères, il la comparera à un corps
vivant dont le Sauveur serait le chef et tous les chrétiens
les membres *. Mais ici la pensée est différente. Le divin
Maître veut nous apprendre à quel point nous dépendons
de lui pour l'acquisition de la vie surnaturelle, pour son
développement et pour son exercice. Or, quelle image plus
propre à nous faire concevoir et sentir cette dépendance,
que celle d'un arbre et de ses rameaux, c'est-à-dire d'un
être vivant, et comme tel indivisible, dont toute l'activité
se borne à vivre, à croire, à fructifier'? t Et entre tous les
1 Cf. Mattli., XXI, 33-43; Gai., v, 19-25; Phil., i, 6. — « Joan., i, 9. -
8 Joan., VI, 32. — * Heb., viii, 2.-6 Rom., xii, 4, 5; I Cor., xii, 12-27;
Eph., IV, 3. Cf. S. Thom., p. 3, q. 8, a. 1, 2. — 6 Un terme de compa-
raison moins populaire , mais aussi juste à beaucoup d'égards, serait
Tunion d'une mère avec son enfant, tant qu'eUe le porte dans son sein.
NO 347] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOUIIS. 491
arbres, quel autre répondait mieux à son idée que la vigne,
cet arbuste précieux, si souvent nommé dans l'Ecriture *,
au cep si humble, au fruit si exquis et si abondant % qui a
besoin d'être cultivé et taillé, qui demande le grand soleil,
dont le fruit doit passer sous le pressoir, dont les rameaux
peuvent s'étendre en tous sens et se propager indéfiniment,
mais dont le bois séparé du tronc sèche si vite et ne sert
plus qu'à alimenter le feu ' ?
Il est certain que cette comparaison met dans tout son
jour ce principe, essentiel pour l'intelligence et la pratique
de la vie chrétienne : que Jésus-Christ est la source unique
de la grâce; que tout ce que nous en avons dérive de lui,
dépend de lui et est à lui plus qu'à nous; qu'entre lui et ses
membres vivants ou les âmes justifiées, il y a une liaison
réelle, une communication incessante et incessamment ac-
tive, une union si intime et si constante qu'on pourrait l'ap-
peler substantielle, puisqu'elle est analogue à celle que la
sève établit entre une tige et ses branches, et qu'elle a pour
effet, non pas sans doute de transférer au Sauveur la pro-
priété de nos actes en totalité, mais de faire qu'il la partage
avec nous, de sorte qu'ils lui appartiennent autant et plus
qu'à nous, et qu'ils deviennent par là surnaturels et sur-
naturellement méritoires *.
347. — Est-ce comme Dieu ou comme homme que Notre Seigneur
se dit la tige de cette vigne dont nous sommes les branches?
C'est comme Homme-Dieu que Notre Seigneur est la vigne
dont nous sommes les branches. Gomme Dieu, il a planté
cette vigne avec son Père par l'Incarnation ; il la cultive, il
la fait croître, la taille, la vendange : Agricola est ^ S'il
n'était qu'homme, il ne pourrait ni s'élever ni élever les
autres au-dessus de l'humanité. Mais étant Dieu et homme
tout ensemble, il possède comme une double source de vie
* Ps. Lxxix, 9; Eccli., xxiv,23; Gant., ii, 13; Is., v, 1. — 2 Jud., ix, 13.
! — * Aut in vite, aut in igné. S. Aug., In Joan.^ lxxxi, 3. Cf. Ezech.,
xv, 3. — * Gai., II, 20. Cf. S. Thom., p. 3, q. 8; q. 23, a. 3. — ^ Joan.,
XV, 1; I Cor,, m, 9.
492 JESUS-CHRIST SELON L^ivANÛlLË. [n^ 348
surnaturelle : d'abord la source première et proprement
dite dans sa divinité, puis une autre source dérivant de la
première dans son humanité. La première seule est infinie.
Néanmoins, la seconde, par le rapport qu'elle a avec la pre-
mière, est intarissable, et tous les membres du Sauveur y
peuvent puiser selon leur capacité*. Jésus-Christ est donc,
au centre et au sommet de l'Eglise, comme l'âme supérieure
de tous les fidèles, comme un principe de vie surnaturelle
pour l'humanité : Factus in spiritum vivificantem*.
Ainsi, la comparaison de la vigne est vraie dans tous les
points. Comme ce n'est pas d'elle-même, mais du dehors,
et en partie des influences du ciel que la tige tire la sève
qui vivifie ses branches, de même c'est du dehors aussi,
c'est de plus haut qu'elle, de la nature divine, que l'huma-
nité de Jésus-Christ tire la vie dont elle nous fait part, afin
de nous élever au-dessus de notre condition et de nous faire
produire des fruits de salut éternel '. L'Incarnation profite
d'abord à l'humanité de Notre Seigneur, puis, par elle, au
genre humain tout entier, chaque individu étant appelé à
participer aux trésors spirituels qu'elle a fait descendre ici-
bas *. Toute âme qui a la vie de la grâce est sous l'influence
de ce divin chef; elle participe au fruit de ses mérites et
dépend essentiellement de son action.
348. — Que signifie cette recommandation : Manete in me, 4?
Etre en Jésus-Christ, c'est appartenir à son corps mys-
tique et participer à son esprit, comme un de ses membres vi-
vants. Demeurer en Jésus-Christ, c'est donc persévérer en cet
état, vivre dans cette société et cette dépendance, agir dans
cette union \ Quand nous devenons chrétiens, nous sommes
* Joan., I, 16; v, 26, Brev., Comm, Mart. temp. pasc, lect. 7-9. —
2 I Oor., XV, 45 — ' Sicut spiritus liominis, mediante capite, ad mem-
bra vivificanda descendit, sic Spiritus sanctus per Christum venit ad
christianos. Hug. a S. Vict. — * Joan., i, 16. In illo liomine et Ecclesia
suscepta est a Verbo, quod caro factura est. S. Aug., In Psalm. m, 9.
Noli sponsum a sponsa separare, quia jam non sunt duo, sed una caro.
Jn Ps. XXXIV. Serm. ii, 1. Cf. S. Tliom., p. 3, q. 8. — ? Cf. Joan., vi, 57;
XIV, 16, 23; Rom., v, 5; viii, 10, il; I Cor., m, 16; vi, 19; H Cor.,
N^MS] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISGOtRS. 4d3
incorporés au Sauveur par une opération surnaturelle et
mystérieuse, à peu près comme la greffe est insérée dans
l'arbre qu'on veut fertiliser ou dont on désire améliorer les
produits : Yiviimts succo radicis œternœ *. Cette comparaison
est de l'Apôtre *. Mais Notre Seigneur ne peut pas employer
ici cette image, parce que, relativement à son but, il n'y a
pas de parité entre la greffe et nous. En se communiquant
à la greffe, la sève de l'arbre se transforme et acquiert les
propriétés de cette greffe de qualité supérieure ; tandis qu'au
contraire, en ' se communiquant à nous, l'Esprit de Notre
Seigneur, infiniment plus excellent que le nôtre, conserve sa
nature et s'assimile celui que nous possédons. Ainsi, Jésus-
Christ est en nous par sa grâce plus encore que nous ne
sommes en lui '. Son union avec nous est d'autant plus
intime et d'autant plus féconde que nous secondons davan-
tage l'infusion de son Esprit par nos aspirations, et ses
mouvements par notre docilité *.
Du J'este, il y a des degrés dans la séparation ou le retran-
chement, comme il y en a dans l'union. Il y a un retran-
chement absolu, qui a lieu pour le pécheur au moment de
la mort : tollet eum, 2. Il y a un retranchement presque
complet, mais révocable^ qui résulte de l'excommunication,
de l'hérésie, du schisme, de l'apostasie •. On est séparé du
corps de l'Eglise; on n'en ressent plus l'influence salutaire;
mais on peut s'y rattacher. Enfin, il y a la rupture acciden-
telle, qui est produite par un péché mortel quelconque. On
reste membre deJésus-ÎGhrist et de l'Eglise; mais on est un
membre paralysé, sans mouvement, un rameau flétri et sans
sève. Les influences qu'on reçoit encore de temps en temps
ont pour but de ramener la vie par une nouvelle infiltration
de l'esprit qui est remonté à sa source •.
I» 22; V, 5; Gai., iv, 6; Eph., i, iO; I Thess., iv, 8; II Tîm., i, 14;
I Joan., u, 6, 24, 27; m, 24; iv, 15, lÔ.
1 la ?enas mentis ac yires animœ succus Verbi descendit aeterni»
S. Amb., In Pi, i, 33. Cf. Joan., xiv, 20; S. Paulin., EpUt, ix, 6-13. —
* Rom., XI, 17, 18. — 3 II Cor., lui, 5; Eph., m, 17. — ♦ Eph., iv^
15, 16. — » Cf. Rom., XI, 17. — « Rom., xi, 23.
28
494 . JÉSUS-CHRIST SELON L^ÉYANCaE. [n^ 349
849. — Faut-il prendre à la lettre ces paroles : Sine me nihil potettis
facerCf 5?
Ces paroles sont rigoureusement exactes * : cela résulte de
ce qui vient d'être dit. La tige étant pour les rameaux l'unique
source de la sève et de la vie végétale, la branche qui s'en
détache reste isolée, sans vigueur et sans fécondité, eShfiii
eÇo). Non seulement elle cesse d'en rien recevoir, mais en-
core elle perd tout ce qu'elle avait reçu. De même, Jésus-
Christ étant pour nous le seul principe de la vie surnatu-
relle, le chrétien qui rompt avec lui par le péché s'exclut
de tout mérite et de toute vertu. Il peut
recouvrer la vie de la grâce, mais seule-
ment en se rattachant à son chef et en
rentrant dans sa première union avec lui,
grâce aux secours tout gratuits qu'il' reçoit
de la divine miséricorde. Les œuvres sur
lesquelles l'esprit de Jésus-Christ n'a au-
cune influence, que la foi n'inspire à au-
cun degré, ne sont pas chrétiennes et ne peuvent avoir de
mérite surnaturel devant Dieu '.
1 Cf. Joan., III, 3; I Cor., m, 5; xu, 6. Magna gratise coromendatiol
Corda instruit humilium, ora obstruit superborum. Sive ergo param,
sive multum, sine illo fleri non potest sine quo nihil fieri potest. S. Aug.,
In Joan.^ lxxxi, 3. Audiant qui dicunt : Deus me hominem fecit : jus-
tum ipse me facio. O pejor Pharisœo! Serm, cxv, 3. Supra, n. 271. Cf.
Horat., Epist. i, 18. Tibi sine te placere non possumus. Orat. Eccles.
Ghristus Jésus, tanquam caput in membra et tanquam vitis in palmites,
in justificatos jugiter virtutem influit; quie virtus bona eorum opéra
semper antecedit et comitatur et sequitur, et sine qua nuUo pacto Deo
grata et meritoria esse possent. Gonc. Trid., Sess, vi, 26. — 2 Anneau
et sceau des premiers siècles, Cf. Gen., xu, 42; Esth., m, 10; Dan.,
XIV, 10; Jac, ii, 2 ; Martigny, Anneaux, Cf. Supra, n. 309; Infra^ n.472.
— 3 Nonne huic veritati répugnant homines, reprobi circa fidem, di-
centes : A Deo habemus quod homines sumus, a nobis ipsis autem quod
justi sumus? Sed Veritas contradicit : Palmes non potest ferre fructum
a semetipso nisi manserit in vite. Qui a semetipso se fructum existimat
facere in vite non est, in Christo non est ; qui in Christo non est, chris-
tianus non est. S. Aug., In Joan., lxxxi, 2; Heb., xi, 2. Cf. Brev.,
Comm, Mart, temp. pas,, 2^ loco, lect. 7-9* La vigne avec ses ceps et
ses raisins se montre souvent dans la partie décorative des monuments
N*351] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 493
350. «— Qu'est-co que Notre Seigneur fait remarquer aux Apôtres
dans leur yocatîon, 16?
Sur leur vocation. Notre Seigneur fait remarquer aux
Apôtres deux choses, qui se déduisent des principes qu'il
vient d'énoncer : — 1® Sa gratuité. Il les a choisis de lui-
même par un mouvement spontané *. — 2*^ Son efficacité. Il
leur promet sa grâce pour remplir leur mission, et il s'en-
gage à maintenir le fruit de leurs travaux, c'est-à-dire la con-
version des peuples et l'établissement de l'Eglise. Ces
dernières paroles supposent et démontrent sa divinité. Les
séducteurs qui cherchent à fonder des sectes tremblent pour
leur œuvre et n'osent répondre de sa durée. Notre Seigneur
parle avec assurance, parce qu'il a tous les siècles devant les
yeux et tous les événements dans sa main.
29 Promesses et Consolations, xvi.
* 351. — Pourquoi le Sauveur devait-il se séparer des Apôtres
pour que le Paraclet leur fût donné, 7?
Tel était le plan de la divine sagesse*. Il fallait que
l'Homme-Dieu commençât par s'immoler pour le salut du
monde et qu'il remontât à son Père : — 1^ Pour qu'il parût
que l'Esprit saint venait de lui comme du Père et qu'on vît
dans les dons de sa grâce le prix de son sacrifice et le fruit
de son amour. — 2° Pour que les trois personnes divines
apparussent successivement, quoique d'une manière diffé-
rente, dans l'œuvre de la régénération du monde, et que la
mission du Saint-Esprit suivît la mission du Fils de Dieu,
comme sa procession suit la naissance de ce Fils dans l'éter-
nité. — 3" Enfin pour que les Apôtres, privés de sa présence
sensible, sentissent davantage le besoin qu'ils avaient de sa
primitifs; et les vers suivants, qu'on lisait dans l'église de Saint-Clé*
ment à Rome, en disent la signiftcation :
Ecclesiam Christi vit! similabimus isti,
Quam lez arentem, at Ghristas facit esse virentem.
* Cf. Marc, m, 13. — » Joan., vu, 39.
496 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n^ 3S2
grâce, et que, par le désir qu'ils en concevraient, ils
fussent mieux disposés pour la recevoir*.
JJapaxXtjToç, avocat, soutien, protecteur, consolateur •.
* 332. — Que doivent être les résultats de la venue du
Saint-Esprit, 8?
On peut considérer les effets de la venue du Saint-Esprit
par rapport au monde et par rapport aux Apôtres.
LA l'égard du inonde. Le Saint-Esprit, par l'organe des
Apôtres, fera reconnaître, sXsÇei, trois choses : — 1" La ma-
lice de son incrédulité », effet et source de tant de crimes. —
1^ La sainteté de Celui qu'il a crucifié et que le Père appelle
à partager sa gloire *. — 3* Le châtiment de son prince,
dépouillé de Tempire qu'il exerçait sur ses esclaves, pour
leur avoir fait méconnaître cette sainteté et consommer ce
crime •. Cette vue le mettra sur la voie du repentir et du
salut.
IL A l'égard des Apôtres. Le Saint-Esprit leur fera con-
naître, non-seulement des faits cachés et à venir •, mais en-
core un grand nombre de vérités surnaturelles qu'il ne leur
était pas utile d'apprendre plustôt ', par exemple, la conduite
à tenir à l'égard des Gentils et des observances légales, etc.
Surtout il les éclairera davantage sur ce qu'ils savent déjà :
il leur donnera du christianisme une intelligence plus com-
plète \
Quant à ces mots : Non loquetur a semetipso^ 13, les théo-
i Si alimenta terrena quibus vos alui non subtraxero, solidum cibam
non esurietis; sed nolo me carnaliter adhuc diligatis et isto lacté con-
tcnti semper infantes esse cupiatis. S. Aug., In Joan., xciv, 4. Cf.
S. Thom., in m Sent., dist. 22, q. 3, a. 1, ad 5. — * Terme propre à
S. Jean, et appliqué par lui à Notre Seigneur, en sa !'• Epltre, n, 1;
mais ici et xiv, 16; xv, 26, le Sauveur distingue parfaitement le Paraclet
de sa personne et de son Père, tout en lui attribuant la môme nature
divine. Cf. Deut., xxxi, 7, 14, 22. Brev., VigiL Penlec, 1. vu. — ' Joao.,
XVI, 9. Cf. Luc, 34, 35; Joan., vu, 12; viii, 59; ix, 16; xv, 22, 24. -
* Cf. Joan., V, 18; Act., ii, 36-40 ; m, 13-16 ; v, 29-32. — « Joan., xii, 31;
XIII, 18; Col., II, 15; Ps. vu, 16. — « Act., v, 3; xi, 27-28; Appc, n-xin.
— 7 Joan., XVI, 12, 13. — » Joan., xv, 16. Non dicit : Mitto vobis Para-
clitum, qui doceat vos de cursu solis et lunœ : christianos enim volebat
façere, npn mathema^ticos. S. Aug., Act. Cont. Felic, I, IQ.
NO 354] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 497
logiçns les expliquent très bien par cette considération que
TEsprit saint reçoit toutes ses connaissances, comme tout son
être, du Père et du Fils, cic tou ejxou Ar,tJ;*Tai *. Plusieurs in-
terprètes disent que c'est un hébraïsme, et que ces mots
signifiaient chez les Juifs : Non loquetur temere, pro libito^
mendaciter '. Ces deux explications semblent se compléter
et se confirmer Tune l'autre.
* 353. — Pourquoi le Sauveur, après avoir reproché aux Apôtres de
n'avoir encore rien demandé en son nom, 24, dit-il qu'il ne leur pro-
met pas de prier son Père en leur faveur, 26?
1® Il est à croire que les Apôtres n'ignoraient pas la qua-
lité de médiateur qui est propre au divin Maître, mais ils
n'avaient pas assez réfléchi sur l'efficacité de sa méditation, et
ils n'en avaient pas assez profité. Notre Seigneur leur fait
entendre qu'ils peuvent en tirer un tout autre parti ; qu'il
dépend d'eux d'obtenir par cette voie les plus grandes
grâces *.
2« Au verset 26, il ne dit pas qu'il cessera d'intercéder
pour eux, ce qui serait contraire à ce qu'atteste S. Paul ♦.
Mais il dit qu'il n'aurait pas besoin d'intervenir en leur fa-
veur, ou plutôt qu'ils n'ont pas besoin de savoir qu'il s'em-
ploiera pour eux auprès de son Père, parce que son Père ne
peut pas ne pas les aimer, leurs dispositions envers son Fils
suffisant pour leur assurer son amour et ses bénédictions, 27.
PRliRE DU SâUVEUB, POUR Lni-MâMB, POUR BBS APOTRBS ET POUR
SON ËOLISB ^j XVII.
354. — En quoi fait-il consister le bien suprême ou la vie étemeUe, 3?
La vie éternelle ou le bien suprême consiste, dit Notre
Seigneur, à connaître le vrai Dieu et son Fils, le Sauveur
* Joan., XVI, 15. Cf. Matth., xi, 27; Joan., xvi, 15; xvii, 10. On re-
marque que dans ce discours Notre Seigneur ne manque jamais de
joindre son nom à celui du Père et du Saint-Esprit. —• ^ Cf. Joan.,
VII, 18 ; VIII, 26, 28, 38, 40, 44 ; xiv, 10. — « Iva tj xapa ^l"»»' 1 wewXïj-
pMluvv), Cf. Joan., xiv, 13, 14; xv, 7, 16. — * Rom., viii, 33, 34; Hebr.,
vu, 25; IX, 24. — ^ Dat exemplum ut quos instruimus verbo, juvemus
suffrage. S. ThomM ^f^ ^^^^ ^^«
28.
498 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n° 355
Jésus, qu'il a envoyé en ce monde : Hœc est vUa œtema K La
connaissance que la foi donne de l'un et de l'autre met sur
la voie du ciel ; c'est une condition et c'est un moyen pour
arriver à la félicité. Bien plus, c'est une sorte d'initiation à
la viebienheureuse, une vision commencée, selon S. Thomas^
et à proportion qu'elle se développe et s'éclaircit, la connais-
sance qu'elle nous donne nous rapproche de l'état des élus,
lequel n'est autre choses |que la vision intuitive de Dieu et
sa possession parfaite dans la clarté de la gloire •. Suivant
le même Docteur, la connaissance explicite du Père et du
Verbe incarné implique la notion des trois personnes di-
vines *. Mais ce qui résulte plus clairement de ce verset, c'est
que, pour arriver au ciel, il ne faut ni méconnaître le vrai
Dieu, comme les païens, ni rejeter Jésus-Christ, comme les
Juifs '. Notre Seigneur demande à son Père la connaissance
de l'un et de l'autre, une connaissance vraie, pratique,
salutaire, pour tous ceux qu'il lui a donnés.
355. — Dire que le Père est le seul Dieu véritable, 3, n*est-ce pas
nier la divinité de Jésus-Christ?
1* De ce qu'on attribue quelque chose, comme un bien
propre, à l'une des personnes de la Trinité en particulier, il
ne suit pas qu'on la dénie aux deux autres; il suit seulement
qu'on en exclut quiconque n'est pas, comme elles, une per-
sonne divine. C'est ainsi qu'on dit du Père éternel qu'il est
seul sage, seul puissant*, de Jésus-Christ qu'il est seul Sau-
i Jean., XVII, 3. Cf. Joan., vi, 40. Gai., ii, 16; I Joan., y, 20; Brev.,
Comm. Abb.j 2« loco, lect. ix. — > S. Thom., 2^-2^, q. 4, a. 1. —
3 I Joan., m, 2 ; y, 20. Si in cognitione Dei est vita aeterna, tanto magis
vivere tendimus, quanto magis in hac cognitione proficimus. S. Aug.,
in Joan,f cv, 3. Si gavisi sunt illi quibus Dominus oculos carnis aperuit,
quale gaudium erit videntis cordis oculis lucem ineffabilem , Verbnm
immanens, sapientiam indeficientem apud Patrem manenteml XLin, 16.
— * S. Thom., p. 1, q. 10, a. 3; q. 31, a. 4, ad 1 ; 2»-2» , q. 2, a. 8. -
B S. Jean comprend dans la connaissance de Dieu et de Jésus-Ghrist
son Fils, comme S. Paul dans la foi, ce qui en découle naturellement :
la vie et les vertus chrétiennes. I Joan., ii, 4; m, 6; iv, 7, 8. Cette
connaissance est bien supérieure à la notion abstraite que la raison
nous donne de Dieu comme créateur du monde. — * Soli sapienti Deo
per Jesum Christum. Rom., xvi, 27; I.Tim., yi, 15,- 16.
NO 356] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 499
veur ', seul saint, seul Très-Haut; du Saint-Esprit qu'il con-
naît seul les secrets de Dieu *.
2* Notre Seigneur ne dit pas que le Père seul soit Dieu,
mais il affirme que le Père est le Dieu unique, le seul Dieu
véritable. Il suit donc de ses paroles, non que le Fils n'est
pas Dieu ou que la nature divine n'est pas commune au Père
et au Fils, mais qu'il n'y a qu'un Dieu véritable, en d'autres
termes, que le polythéisme est une erreur. Que solum se
rapporte à verum Deum, c'est-à-dire qu'il tombe sur la na-
ture et non sur la personne du Père, c'est ce que le texte
grec montre avec évidence : tva y^^<*><^^^' ^s "^^^ [xovov aXy,Otvov
èeov, r.21 Iy;(jouv XpwTov •. La phrase de S. Jean doit donc se
construire ainsi : Hœc estvita œterna ut cognoscant te esse il-
lum qui solus est verus Deus. S. Augustin la construit un peu
différemment : Hœe est vita œterna ut cognoscant te et quem
misistiy Jesum Christum, esse solum verum Deum \ Cette dispo-
sition des mots écarte toute difficulté ; mais l'inversion qu'elle
suppose parait moins naturelle.
3* Quand Notre Seigneur dit que la vie éternelle consiste
dans sa connaissance et dans celle de son Père, on peut
croire qu'il insinue l'égalité du Père et du Fils ' ; néanmoins,
son intention principale semble être de présenter le premier
comme objet de la béatitude et le second comme moyen d'y
parvenir.
356. — Qael est le monde poar lequel Jésus-Christ ne prie pas, 9 ?
On doit entendre ici par le monde tous ceux qui, n'ayant
pas l'esprit de Jésus-Christ, sont attachés à la terre et asser-
* Is., xLiii, H, 12. — * Joan., vi, 46; I Cor., i, II. Dicitur ad diflfe-
rentiam eorum qui dii non sunt. Quid eniin? Cum dicit Paulus : An
solas ego et Barnabas, an Barnabam toUit? Minime, lllud solus ad alio-
ram differentiam ponitur. S. Chrys., In Joan,, Hom. lxxx, 2. Cf. Matth.,
XI, 27. Tert., Cont, Prax., 18. — 3 Cf. I Cor., viii, 6; I Thess., i, 9, 10.
Ce saint nom tant de fois répété dans les Actes et les Epltres n'a été
employé par les évangélistes que dans leur prologue. Matth., i, 1;
Marc., I, 1 ; Joan., i, 17. Quand S. Matthieu, xyi, 20, et S. Jean, xvii, 3,
Ie»mettent sur les lèvres du Sauveur, ce n'est pas précisément pour l«
désigner, mais pour indiquer sa dignité, ses prérogatives. Cf. Matth.,
I, 16. — * Cf. I Joan., v, 20. — «^ Cf. S. Th., p. 1, q. 31, a. 4, ad 1.
500 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n« 387
vis aux biens d'ici-bas. Mais il ne faut pas croire que le
Sauveur n'ait jamais prié pour eux. Il a prié pour tous,
même pour ses plus grands ennemis ; seulement il ne priait
pas pour tous à tout moment ; il faisait parfois des prière spé-
ciales pour ceux qui lui étaient plus chers ou dont la vertu
importait davange à ses desseins *. C'est par une prière
de ce genre qu'il débute ici. Il commence par demander
à son Père ses grâces les plus précieuses, et il dit qu'il
les demande pour ses Apôtres et non pour d'autres : Non
pro mundo rogo, 9. Il ne laissera pas néanmoins d'intercéder
pour tous les fidèles, un moment après, 20, et même de re-
commander expressément le monde à son Père : Ut credat
mundus^ 21 '.
Il est des auteurs qui prennent sans restriction ces mots du
Sauveur : Non pro mundo rogo^ qui disent que Jésus-Christ
n'a pas voulu prier pour le monde, qu'il l'a excommunié.
C'est une nécessité pour eux de modifier le sens du mot
monde, de l'entendre de la malice du monde, du monde en
tant que monde, ou des mondains obstinés jusqu'à la fin
dans leur mauvaise disposition '.
* 357. — Que signifient ces mots : Pro eis ego sanctifico me^)sum, ut
sint et ipsi sanctificati in veritate, 19?
Le verset 19 signifie que Notre Seigneur va accomplir par
par son sacrifice la plus sainte de toutes les œuvres, et
qu'en la faisant, il s'offre spécialement à son Père dans l'in-
térêt de ses Apôtres, afin qu'il leur communique le fruit de
son sacrifice et qu'il les sanctifie de plus en plus par
l'infusion de sa grâce *. — On pourrait dire aussi : afin
qu'ils entrent dans les mêmes sentiments que lui et qu'ils s'u-
nissent à son immolation ; afin qu'ils se fassent comme lui,
intérieurement, victimes et prêtres de la majesté divine;
i Luc, XXII, 32. — 8 Cf. Luc, xxiii, 34; II Cor., v, 15, etc. — » Ct
Joan., XII, 31 ; xiv, 30; xvi, 11. — * Cf. Jer., i, 5. Non ab altero sancti-
ficatur, sed se ipse sanctificat ut nos in yeritate sanctificemur. S. Athan.,
Cont, Arian., ii. In veritata sanctificentur, cujus veritatis umbre fue-
runt sanctiQcatio^es yeteris Testavaenti. S. Aug.,./fi Joan., cviu, 2. .
N^ 358] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 801
OU bien, afin qu'ils soient consacrés prêtres et pontifes,
comme Aaron et ses enfants l'ont été par les sacrifices
de Moïse. AYtaÇetv signifie souvent consacrer, offrir, im-
moler > .
* 358. — Comment entendre ces paroles : Claritatem quant dedUti mihi,
dedi eis, ut sint unum sicut et nos, 22?
Par cette gloire que le Sauveur communique à ses disci-
ples, quelques-uns entendent la charité divine, l'amour de
Dieu pour nos âmes ' ; d'autres le don des miracles, d'autres
la gloire de la vie ressuscitée, d'autres l'Eucharistie. Il
semble plus juste de dire que Notre Seigneur a en vue la di-
gnité de Fils de Dieu, laquelle fait à la fois, quoique dans
une mesure différente, sa gloire et cellede tous les chrétiens*.
En nous unissant à lui par sa grâce. Notre Seigneur nous
communique, autant qu'il est possible, ce qu'il a de plus
essentiel ; il nous fait devenir par adoption ce qu'il est par na-
ture : Ut fUii Dei nominemur et simus *. Ne formant avec lui
qu'un seul corps et comme une même personne, nous par-
ticipons à sa vie et à son esprit, nous avons droit au même
héritage, et le Père céleste étend sur nous la complaisance
qu'il prend en son Fils *. Tous ses dons et tous nos biens
sont des suites de cette faveur ; et cette faveur elle-même est
le fruit de ses mérites et de ses prières.
On remarquera l'insistance avec laquelle Notre Seigneur
demande que tous ses membres soient unis entre eux et
comme identifiés en sa personne : Vt omnes unum sint. Il
répète jusqu'à cinq fois cette prière. Il a surtout en vue, en
la faisant, l'union des deux peuples, ou la cessation de'l'an-
tipathie séculaire et comme naturelle qui séparait les Juifs
et les Gentils, t 0 mon Père, dit-il, faites cesser cette inimi-
tié. Qu'on ne voie plus de division, de distinction même, s'il
se peut, entre ceux qui me seront incorporés par le baptême;
plus de Gentils et de Juifs ; plus de Grecs et de barbares ;
4 Ex., XIII, 2; XXVIII, 38; Lev., xxiii, 11; xxvii, 14. — * Cf. Joan.,
XVII, 26. — 3 Cf. Joan., xvii, 5 et 22. — * I Joan., m, 1; Joan., i, 12,
13; XX, 17. — » Joan,, xvu^ 26,
502 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n^ 3S9
plus d'esclaves et d'hommes libres *. Je suis la pierre angu-
laire qui doit tout réunir. Qu'ils soient tous en moi une
môme chose ; et que vous et moi nous soyons tout en chacun
d'eux *. »
359. — N'avons-nous pas, dans ce discours de la Gène, un tableaa
parfait de l'âme du Sauveur?
C'en est l'expression la plus touchante et la plus complète.
L'esprit et le cœur du divin Maître s'y révèlent à la fois.
Sans jamais perdre de vue son dessein principal, qui est de
nous faire apprécier l'union qu'il daigne avoir avec ses
membres vivants, union ineffable dont l'Eucharistie qu'il
vient d'établir est le signe et le lien, il rappelle à ses
Apôtres les grandes vérités dont il doivent garder le dépôt :
l'unité de Dieu et là trinité des personnes divines ', sa
propre divinité *, son humanité *, sa consubstantialité avec
son Père % la personnalité du Saint-Esprit \ sa procession
du Père * et du Fils •, son habitation dans l'Eglise ^^ et son
action sur ses membres *S l'excellence de la divine grâce*-,
sa nécessité ", l'union où elle nous met avec son Père et
avec lui-même * S les fruits qu'elle doit produire ", le terme
auquel elle doit nous faire arriver ". A ces instructions se
mêlent un grand nombre de prophéties et de recommanda-
tions, relatives aux événements qui se préparent ". Le Sau-
veur annonce sa passion ** et sa mort volontaires *% le court
triomphe de ses ennemis^**, la chute de Pierre ^^ la disper-
sion des disciples ", sa résurrection et son ascension ", la
descente du Saint-Esprit ^*, les persécutions qui attendent
ses apôtres ^% leurs miracles *^ et enfin leur martyre et leur
1 Cf. Joan., XI, 32; Gai., m, 16, 26-29. Eph., ii, 13-22; m, 5-6. —
2 Eph., X, 10; I Cor., m, 23.-3 Joan., xiv, 16, 26; xv, 26. — * xiv,
1,7-11,14; XVII, 3, 5-14. — « xiv, 16,28; xv, 27. — 6 xiv, 7, 9, 11,20;
XV, 23; XVI, 15; xvii, 21. — ^ xv, 26, — « Joan., xiv, 26; xv, 26. —
9 XV, 26; XVI, 7, 13-15. — lo xiv, 12, 16, 17; xv, 26; xvi, 7, 8, 13. —
it XIV, 26; XVI, 13, 14. — 12 xv, 5; xvii, 17, 19, 22. — «3 xv, 5, 6. —
1* XIV, 6, 20, 21, 23; xv, 1, 4, 5, 6, 7; xvii, 23. — i» xv, 2, 5. -
te XIV, 2-4; xvii, 24. — " xiv, 29. — i» xiv, 30. — " xiv, 34. — «o xvi,
19-22. — 21 xiii, 38.-2» XVI, 32. — 23 xiv, 3; xvi, 5, 10, 16, 25. —
2* XVI, 7. — 25 XV, 19, 20; xvi, 2. — «« xiv, 12, 26.
N**â60] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 803
triomphe *. Toutes ces choses sont exprimées simplement,
sans emphase, mais avec une majesté calme, une émotion
intime, une tendresse ineffable, une céleste onction dont il
est impossible de n'être pas pénétré. Aussi tous les esprits
élevés, comme toutes les âmes saintes, parlent de ce discours
avec admiration. « Vous y trouverez des profondeurs à faire
trembler, dit Bossuet. Ceux qui ne les sentent pas n'enten-
dent pas. » € Je ne l'ai jamais lu, écrit Laharpe, sans une
émotion singulière. Il me parait contenir toute notre religion.
Chaque mot est un oracle qui réveille en moi une multitude
de sentiments et d'idées, après ce long sommeil des erreurs
de ma vie. » Il en est de même de tout fidèle qui recueille
ces paroles comme sortant de la bouche du Fils de Dieu.
« Des milliers d'âmes, dit W^ Freppel, y ont puisé la con-
fiance en son amour, le sentiment de la dignité, le courage
de la vertu. »
SUR LES DISCOURS OU SAUVEUR EN GÉNÉRAL.
360. — D'où vient le charme attaché aux discours du Sauveur?
Le charme toujours nouveau qu'on trouve dans les dis-
cours du Sauveur vient de ce qu'ils sont bien tels que doi-
vent être ceux d'un Dieu fait homme, de ce qu'on y reconnaît,
dans le fond comme dans la forme, l'esprit et le cœur du
Verbe incarné : son esprit avec ses lumières, son cœur avec
sa sainteté et son amour.
I. Si l'on considère le fond ou la doctrine, on y trouve
exprimées, dans le moins d'espace possible, les pensées les
plus hautes, les plus justes, les plus pratiques sur Dieu et
les choses divines, sur l'homme et sa destinée, sur la vie
présente et la vie à venir, sur le devoir et sur la perfection'.
Rien de faux dans les maximes, rien de frivole, rien d'oi-
seux, rien de commun. Tout est de nature à élever l'âme et à
la sanctifier. Tout est lumière, beauté, sainteté, grandeur,
en même temps que vérité : Quœcumque vera, qtiœcumqtie
^ XIV, 1 ; xYi, 33. — ^ Ego Dominus Deus tuus, docens te utilia. Is.,
XLviii, 11. Cf. Matth., VI, 21, 24; xi, 27; xii, 24; xvi, 26.
Hùtk - jisUS-CHftISf SELON L*ÉVANGILÉ. [n^ 360
pudica, quœcumqîiejtista, fuœcumquesancta, quœcumqueama-
hilia\ Aussi est-ce le trésor, Taliment de prédilection des
cœurs nobles et purs, de tous ceux qui ont faim et soif de
la justice et de la vertu. Heureux, disait le Sauveur lui-
même, ceux qui entendent ces paroles ' ! Ils apprennent à
connaître Dieu et tout ce qu'on peut savoir de Dieu sur la
terre.
IL Si Ton envisage la forme, on trouve dans ce langage des
beautés incomparables.
i^ Un naturel, une netteté et une simplicité inimitables.
Pas le moindre appareil oratoire. Jamais rien qui sente
l'art, la recherche, l'effort. Les lèvres parlent véritablement
de l'abondance du cœur. Plus l'objet est sublime, plus le
langage est calme, plus le ton est simple, plus l'expression
est facile à saisir, sans devenir pourtant voilgaire ni banale.
C'est bien là le Verbe incarné, le Dieu fait homme pour de-
venir la lumière des hommes, le Maître descendu du ciel
afin de nous en montrer le chemin, la charité infinie qui ac-
commode ses enseignements aux besoins de tous les esprits
et qui cherche, non à ravir l'admiration, mais à éclairer, à
être utile. Les plus savants l'admirent et les enfants même
l'entendent.
2* Une onction toute céleste. Ses discours sont pleins d'at-
traits. Il répète sans cesse que Dieu nous aime, qu'il veut du
bien à tous ; et l'on sent qu'en effet il est plein de charité,
qu'il ne cherche qu'à nous rendre bons et heureux. Il a soin
de présenter la loi sous le jour le plus agréable. C'est la
bonne nouvelle; c'est le royaume de Dieu, le salut; c'est le
moyen que le ciel nous offre pour nous relever, nous enno-
blir, nous rendre parfaits '. Jamais un mot impérieux, si ce
n'est contre le démon et ses suppôts. C'est par exhortations,
par conseils, par d'affectueuses insinuations qu'il procède et
qu'il attire les âmes à lui. t Venez à moi dit-il, vous qui avez
besoin de secours et de consolations. Acceptez ma conduite
et écoutez mes leçons : Tollite jugum meum. Vous saurez
1 Phil., IV, 8. - s Luc, X, 24. — s Cf. Matth., v, 44, 45, 48; vi, 4;
IX, 12, 13; Luc, xv, 4, 5; Joan., x, 11, 28.
NO 360] SA VIE PUBLIQUE. *- SES DISCOURS. 808
bientôt par votre expérience que mon joug et doux et mon
humilité sincère : Et disette a me quia mitis sum et humilis
corde *. »
3<* Une manière de parler facile et poptUaire. Voulant être
utile à tous, il prend un langage accessible aux plus humbles
esprits. Un cœur droit suffît pour le comprendre comme
pour le goûter *. Ce n'est pas par arguments qu'il s'énonce,
mais par sentences ou par paraboles. Jamais de considéra-
tions abstraites, de définitions, de discussions proprement
dites. Au lieu d'argumenter, il atteste, il expose, il révèle :
Amen dico vobis,..^ ce qui lui permet de réunir en quelques
pages ce qui fait l'essence de la vie morale, et les principes de
la plus haute perfection, soit pour les individus, soit pour les
sociétés. Il ne s'empresse pas néanmoins pour tout dire. Loin
de fatiguer par de longs discours, il s'arrête fréquemment
et laisse à ses auditeurs le temps de la réflexion. En fait de
vertus, il aime à enseigner par l'exemple plutôt que par la
parole, sa morale n'est que le reflet de sa conduite •. Non
content de pratiquer lui-môme devant ses disciples les
maximes qu'il leur trace, il ne manque jamais de leur faire
admirer les traits de perfection dont il est témoin : la foi du
Centenier *, l'humilité de la Chananéenne ^ le repentir de
la pécheresse ^ la générosité de la veuve \ la pieuse profu-
sion de Madeleine % etc.
4° Un à-propos merveilleux. Il a soin de profiter de toutes
les circonstances pour instruire et pour toucher. Ses prédi-
cations sont plutôt des entretiens que des discours. Il ne
tient ni au titre, ni aux honneurs, ni au rôle de Docteur.
Tandis que les pharisiens siègent dans la chaire de Moïse,
c'est sur les places publiques, en marchant par la campagne,
sur les bords de la mer, sous le portique de Salomon, qu'il
donne ses leçons. De là vient en partie leur agrément et leur
variété * ; car sa parole s'harmonise toujours avec le milieu
où il se trouve et avec les dispositions de ses auditeurs. Les
< Matth., XI, 29. — 8 S. Aug., Epist. cxxxvn, 18. - 3 Joan., xiii, 15;
Phil., II, 4-11. — * Matth., viii, 10. — « Matth., xv, 28. -- « Luc, vu, 44.
— f Luc, XXI, 3.-8 Matth., xxvi, 10. — » Matth., xiii, i.
III. 29
fiû6 JÉSUS-GHRIâT SELON L^ÉVANGILE. [n<> S60
discours qu'il prononce à l'époque de Pâques, à la fête des
Tabernacles ou à celle de la Dédicace reflètent les cérémonies,
les préoccupations et Tappareil de ces solennités. En voyant
des fleurs et des champs, il fait admirer la Providence qui
protège les faibles plantes et nourrit les petits oiseaux \ Les
moissons qui mûrissent le font penser à la récolte des âmes*.
La culture qu'on donne aux vignes lui rappelle celle qu'il
faut donner aux fidèles et que son Eglise réclame '. A la vue
d'un homme sourd et muet, il s'écrie : Heureux qui entend
la parole de Dieul En présence d'un petit enfant, il recom-
mande l'innocence et l'humilité *. Au milieu des bergers et
des troupeaux, il prend le titre de pasteur ; il se représente
rapportant au bercail la brebis égarée ^ Dans un festin, il
compare sa doctrine au vin nouveau ^ Aussi rien de plus
naturel, de moins prémédité, ce semble, que son enseigne-
ment \ Tout ce qu'il dit est admirable de justesse et de
convenance : lui seul pouvait le dire et dans les circons-
tances où il l'a dit ; et la parole des Juifs : NtU homme n'a
jamais parlé comme cet homme *, est vraie dans tous les sens.
Pour se rendre compte de son langage, pour en concevoir
les effets, il faut se reporter par la pensée dans les plaines
de la Galilée, parmi les disciples qu'il a guéris miraculeu-
sement, au milieu de ses Apôtres, témoins de tant de pro-
diges. Sa vie explique sa prédication, de môme que sa
prédication est le commentaire de sa vie. L'une et l'autre
réunies nous font voir et entendre ce qu'on peut imaginer
de plus grand, de plus saint et de plus touchant : l'Homme-
Dieu vivant ici-bas, ou la sagesse et la charité en personne
se révélant aux hommes et conversant familièrement avec
eux '.
1 Matth., VI, 26-3t ; x, 29-31. — ^ Joan., iv, 35* — 8 Matth., ix, i* —
* Matth., XVIII, 1-7; Marc, x, 15. — » Matth., xvm, 12, 13; Luc,
XV, 4-6; Joan., ix, 11, 14. — « Luc, v, 37. — ? Mala aurea in lectis
argenteis, qui loquitur verbum ia tempore suo. Prov., xxv, 11. —
8 Joan., VII, 46. — » « Tout se soutient en sa personne. La môme Yé-
rité reluit partout. U annonce de hauts mystères, mais il les confinne
par d'éclatants miracles ; il commande de grandes vertus, mais il donne
en même temps de grandes lumières, de grands exemples et de grandes
N^SÔl] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 507
*361. — Ces discours contiennent-ils toute la doctrine de TEglise?
On peut dire qu'il n'est pas de vérité de foi qui ne se re-
flète dans ces discours, sans prétendre cependant que les
Evangélistes se soient fait une loi de résumer toutes ses pa-
roles et sans nier que les Apôtres aient reçu directement cer-
taines révélations du ciel. Ainsi :
1** Pour le dogme, on y voit clairement énoncés : l'unité de
Dieu*, sa perfection infinie *, sa providence', sa bonté pour
les hommes *, la Trinité des personnes divines ^ la divinité
du Fils •, celle du Saint-Esprit % l'existence des anges *, celle
des démons % l'Incarnation ^^ la Passion **, la Rédemp-
tion *^ la nécessité du salut *', la parole de Dieu **, la
grâce **, l'union des âmes avec Jésus-Christ ", le Baptême ",
la Pénitence *% l'Eucharistie *', la communion ^®, le saint
Sacrifice et l'Ordre **, le mariage ", la spiritualité de l'âme ",
grâces. C'est par là qu'il parait plein de grâces et de vérité; et nous
recevons tout de sa plénitude. » Bossuet, H. U., ii, 19.
* Matth., IV, 10; v, 8, 16, 45; vi, 24; xviii, 14; xxii, 37; xxiii, 9;
Marc, XII, 29, 30; Luc, xvm, 19; Joan., xvii, 3. — * Matth., v, 48;
Marc, X, 18; Luc, xviii, 19. — 3 Matth., vi, 25-34; x, 29-30; xi, 26;
XX, 1, 4; Luc, XII, 22-31 ; Joan., v, 17. — * Matth., v, 45; vi, 9; x, 42;
XI, 28; xviii, 5, 14; xxiii, 8, 9; xxv, 35. •— * Matth., x, 20; xvii, 6;
xxviii, 19; Luc, iv, 18; Joan., xiv, 16, 26; xv, 26. — 6 Matth., xi,
27, 28; XVI, 17; xxii, 43, 44; xxvi, 64; Luc, xxii, 69; Joan., m, 16, 35;
V, 19, 20; VIII, 58; IX, 35-37; x, 30, 38; xiv, 6-10; xvii, 5; xviii, 37;
XX, 17, 31. — "ï Matth., x, 20; xii, 31; Marc, xiii, 11; Luc, xii, 10, 12;
Joan., XIV, 16, 26; xv, 26; xvi, 13. — » Matth., xi, 10; xiii, 39; xvi, 57;
xviii, 10; XXII, 30; xxiv, 31. — » Matth., viii, 28, 32; xiii, 19, 39;
Marc, XVI, 17; Luc, viii, 12; x, 18; xxii, 31; Joan., viii, 44; xvi, 11.
— 10 Joan., VIII, 42; xvii, 3, etc. — i* Matth., xvi, 21; xvii, 12, 22;
XX, 18, 22; Luc, xvii, 25 ; xxiv, 26. — *2 Matth., xviii, 11 ; Luc, ix, 56;
Joan., m, 17. — 13 Matth., vu, 13, 21; xi, 12; xiii, 44, 45; xvi, 26;
xvm, 8; xix, 17; Luc, x, 20, 41, 42; xiii, 3. — i* Matth., vu, 24;
xxviii, 20; Joan., xiv, 10, 21, 23. — *3 Matth., xi, 21; xiii, 17; xix, 26;
xxv, 28; Joan., iv, 13; vi, 44; vu, 37; x, 26-28; xxv, 6; xv, 4, 5. —
*• Matth., IX, 15; Luc, x, 39-42; xx, 17; Joan., xiv, 6; xv, 4, 5; xvii,
21-23. — 17 Matth., xxviii, 19; Marc, xvi, 16; Joan., m, 5. — i» Matth.,
XVI, 19; Luc, XI, 4; xvm, 13; Joan., xx, 23. — *» Matth., xxvi, 26;
Marc, XIV, 22; Joan., vi, 51-59. — 20 Joan., vi, 52, 59. - 21 Luc,
XXII, 19; Joan., xx, 22. — 22 Matth., v, 32; xix, 3-6; xxii, 24-30; Luc,
XVI, 18; XX, 34. — 2a Matth., x, 28, 39; xvi, 25, 26; Luc, xii, 5.
808 JESUS-CHRIST SELON L*ÉVANGILE. [n® 36l
son immortalité *, la résurrection du corps *, le jugement',
le purgatoire *, la récompense du ciel *, les peines éter-
nelles •, la vraie félicité ''.
2* Pour la morale^ on y trouve, outre les principes géné-
raux, l'indication des défauts à éviter et des vertus à mettre
en pratique, à l'égard de Dieu, du prochain et de soi-
même.
Il y a des devoir à remplir : envers Dieu ', envers le pro-
chain •, envers les parents *®, envers les supérieurs *S en-
vers les inférieurs ", envers les pauvres ", envers les enne-
mis **, envers les pécheurs *'. — Il faut fuir : l'incrédu-
lité *•, l'orgueil ", l'ambition ", la vanité", l'hypocrisie",
l'avarice ", la colère ", la lâcheté ", l'inconstance **, la
gourmandise", l'impureté", le respect humain", la
simonie ", le scandale ". — Il faut tendre à la perfec-
*- Matth., XIII, 43; xix, 28; Marc, xii, 25; Joan., x, 28; xvii, 2. —
« Matth., X, 28; xii, 41; xxii, 23, 33; Luc, xx, îfô-38; Joan., v, 21-28;
VI, 39; XI, 24. — « Matth., xvi, 27; xxiv, 30; xxv, 21; Joan., v, 22, 2Î.
— * Matth., V, 25; xii, 32. — s Matth., v, 10, 12; xix, 29; xxv, 10, 21,
23, 34-40, 46; Marc, xii, 25; Luc, ix, 24; xvi, 22; xxii, 29.-6 Matth.,
V, 22, 29; vu, 19; viii, 12, 29; x, 28; xii, 31, 32; xiii, 42, 50; xvin,
8, 9; xxii, 13; xxiii, 33; xxiv, 50, 51 ; xxv, 12, 30, 31, 41-46; Marc.,
IX, 42-47, Luc, XII, 4, 5; xiii, 28; xvi, 23-26; Joan., xii, 48. — ^ Matth.,
V, 3-10; XIII, 43; xix, 29; xxv, 34; Marc, x, 30; Joan., xvii, 3. —
« Matth., IV, 10; v, 16; x, 28-37; xxii, 21, 34-38; Luc, x, 27; xii, 4, 5;
XXII, 19. — » Matth., V, 7, 21-24; ix, 13, x, 41; xvin, 33; xxii, 39;
xxv, 34-35; Luc, vi, 35; x, 37. — *o Matth., xv, 4; Luc, xvdi, 20.—
44 Matth., XVII, 24; Marc, xii, 17. — 42 Luc, xii, 37. — 43 Matth., vi, 3;
X, 42; XIX, 21; xxv, 37-40. — 44 Matth., v, 23, 39, 43, 44; vi, 14; xvni,
21, 22, 35; Luc, vi, 27, 28, 35; xvii, 3 ; xxiii, 34, 35. — 4s Matth., ix, 13;
Luc, V, 32; xv, 2. — 46 Matth., x, 14; xi, 20; xvii, 16; Luc , x, 10;
XVI, 30; Joan., m, 18, 36; viii, 24; xii, 48; xx, 27. — 47 Luc, xiv, 11;
XVI, 15. — 48 Marc, x, 40-44. — 49 Matth., vi, 1-16; vm, 4; ix, 30;
XI, 8; XVII, 9; xx, 21, 26; Marc, i, 44; xn, 38, 39; Luc, vu, 25;
XIV, 7-9; XVI, 15, 19; xx, 46; xxii, 24; Joan., v, 44; vi, 15; viii, 54.—
*o Matth., VI, 2, 16; va, 5; xv, 7; xxii, 18; xxiii, 14, 25; Luc, xi, 44;
XII, 1, 56; xviii, 11. — «4 Matth., vi, 19, 24, 31, 34; xxvi, 15; xxvii, 3;
Luc, XII, 16-21; xvi, 9. — «« Matth., v, 22; Luc, iv, 28. — «' Luc,
XII, 4. — 8* Luc, IX, 62; xvu, 32. — ** Luc, xii, 45; xxi, 34. —
»6 Matth., V, 27; xiv, 3; xix, 9; Joan., vm, 3. — *^ Marc, vm, 38;
Luc, IX, 26. — «8 Matth., x, 8. — «» Matth., v, 19; xvi, 23; xvu, 2446;
xvui, 6-10; Marc, ix, 42; Luc, xvii, l.
N® 361] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 509
tion s et pratiquer les vertus : la foi *, l'espérance ', la
charité envers Dieu *, la religion •, la prière •, la confiance
en la Providence ', la soumission aux volontés de Dieu *, la
générosité •, la charité envers le prochain *°, la douceur ",
la pureté du cœur *^ la droiture d'intention ", l'abnéga-
tion **, la chasteté *% l'humilité *S l'obéissance ", la morti-
fication **, la patience *% la paix intérieure ^°, la prudence ^*,
la simplicité ", etc.
Aux préceptes et aux conseils le divin Maître joint les
promesses " et les menaces ^* ; mais ce que nous avons dit
suffit pour montrer ce qu'a d'étrange cette assertion que
Jésus-Christ n'a enseigné aucune doctrine proprement dite,
« Matth., V, 6, 18, 20; viii, 20; x, 9; xi, 12; xix, 21 ; xxiii, 23; Luc,
VI, 21; vjii, 8, 15; xii, 48; xvi, 10. — » Matth., viii, 13; ix, 2, 22, 28, 29;
XV, 28; XVI, 17; xvii, 19; xxi, 22; Marc, v, 36; ix, 22; xi, 22; Luc,
V, 20; vu, 50; xvii, 6; Joan., m, 15, 18; vi, 40, 47; xi, 26; xx, 29. —
3 Matth., VI, 25; xiv, 27; Luc, xxiv, 36; Joan., xiv, 1; xvi, 33. —
♦ Matth., xxii, 37; Marc, xii, 33; Joan., xiv, 15, 21, 24; xv, 9, 14, 19.
— s Matth., XXI, 13; xxiv, 1; Marc, xi, 11; Luc, xix, 45. — « Matth.,
VI, 5-13; VII, 7-11; xvin, 19; xx, 20; xxi, 22; xxvi, 41; Luc, xi, 2-13:
xviii, 1; XXII, 40; Joan., iv, 23; ix, 31; xiv, 13; xv, 7; xvi, 23. —
^ Matth.^ vi, 25; x, 9, 23; xvi, 7; Luc, viii, 14; xii, 22; xxi, 31;
xxiv, 25. — 8 Matth., vi, 10; xxvi, 39; Luc, xxii, 42. — » Màtth.,
X, 39. — 10 Matth., v, 23, 43; vi, 14; vu, 3; x, 42; xviii, 21-35; xix, 19;
XXII, 38, 39; xxiii, 8, 9; xxv, 40-45; Marc, viii, 2; Luc, vi, 27, 32, 36;
IX, 55; XI, 41; xii, 33; Joan., m, 29; xiii, 14, 34; xv, 9, 12, 14; xvii,
21, 22; XX, 17. — " Matth., vu, 12; xxii, 39; Luc, ix, 54-56. —
12 Matth., V, 8, 28; IX, 4; xv, 11-19; xix, 12; xxii, 30; xxiii, 24-28
xxv, 1; Luc, XVII, 20, 21; xx, 36. — *3 Matth., vi, 22; Luc, xi, 34
— ** Matth., IV, 19, 20; v, 29; x, 39; xvi, 24; xviii, 8, 9; xix, 21, 37
Marc, I, 18, 20; x, 21, 28; Luc, v, 11; ix, 23; xiv, 26; xvii, 33
xviii, 22. — 1» Matth., v, 8, 28-30; xix, 12; xxii, 30; Luc, xx, 34-36
— 48 Matth., V, 3; viii, 8; xi, 11, 12, 23, 25, 29; xv, 27; xviii, 3, 4
XIX, 14; XX, 25, 26; xxi, 5, 16; xxiii, 5-12; Marc, ix, 33-35; x, 43
Luc, XIV, 10; XV, 19; xvii, 10; xix, 8; Joan., v, 44; xiii, 4, 12-17. —
*7 Matth., XXII, 21; xxiii, 23; Luc, x, 16; Joan., iv, 34; v, 30; vi, 38.
— 48 Matth., IX, 15; xvii, 2; Luc, xm, 3. — i» Matth., v, 4, 10-12, 39
X, 16, 38; Luc, xxi, 19; xxii, 28; Joan., xv, 2; xvi, 22. — 20 Luc
XXIV, 36; Joan., xiv, 27; xvi, 33; xx, 19. — 21 Matth., x, 16, 17; xii, 37
XXIV, 4. — 28 Matth., x, 15; xi, 25; Luc, v, 5; x, 21. — 23 Matth., v
3-12; VI, 33; x, 40-42; xvi, 16-19; xvii, 19, 20, 41 ; xii, 18; xxi, 14, 19
XXII, 29; XXIV, 49; Joan., x, 28; xiv, 2, 3, 12-14, 15, 16; xv, 16, 26
xvii, 17, 22-24; xix, 26, etc — 2* Matth., x, 14; xi, 21-24; xii, 11, 12
XIII, 48; xviii, 6-10; xxiii, 13, 14, 33-38; xijiy, 48-^i; xxv, 46,
510 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n« 362
et que toute son œuvre s'est bornée à réveiller dans les cœurs
le sentiment religieux *.
362. — Que remarque-t-on dans sa manière d'enseigner?
La méthode du Sauveur n'est pas celle de l'école, des doc-
teurs qui cherchent avant tout l'unité de l'enseignement, qui
s'attachent à relier les conséquences aux principes, et à dé-
duire des principes toutes leurs conséquences; pour qui
une doctrine parfaite est un système d'où l'on ne peut rien
détacher et qu'il faut ou rejeter ou admettre tout entière.
Sa méthode est encore moins celle des philosophes qui
commencent par tout mettre en question, afin de se con-
vaincre de tout par eux-mêmes, qui font profession d'avoir
des idées à eux, qui prennent leurs données dans l'esprit de
leurs auditeurs et qui livrent leur enseignement à l'appré-
ciation de leurs disciples. Le divin Maître ne met en pro-
blème aucune vérité. Il fait peu de dialectique. La seule
chose qu'il s'attache à prouver, c'est la divinité de sa mis-
sion ; et il la prouve de la manière la plus simple, par les
miracles qu'il opère et parles prophéties dont il est l'objet*.
Ce principe posé, il en fait la base de toute sa prédication.
Qu'il instruise ou qu'il reprenne, qu'il exhorte ou qu'il
commande, c'est toujours sur ce fondement qu'il s'appuie;
il exige qu'on se soumette à sa parole, et sa véracité est la
dernière raison des croyances qu'il impose comme des lois
qu'il prescrit. A peine s'il fait en passant, de loin en loin,
un court raisonnement, pour faire sentir la valeur d'un
texte ', la portée d'une prophétie *, d'un exemple •, d'une
figure •.
Une telle méthode peut paraître imparfaite à des hommes
d'étude, qui n'aspirent qu'à satisfaire leur esprit et à s'avan-
cer dans la science. Mais ils doivent se souvenir que le
i Vie de Jésus, ch. iv, xvin. — « Matth., ix, 6, 25, 30, 31; xi, 1-5;
XII, 9; Marc, i, 27; ii, \ ; m, 1; Luc, iv, 32; v, 18; vi, 6; vu, 16,22;
Joan., V, 33-39, 45; vi, 26-29; xi, 15; xiv, 10, 11; xv, 22, 24; Supra,
n. 191, 227. — 3 Matth., xii, 5, 7; xix, 4; Luc, xx, 37. — * Luc, xx, 17;
Joan., VI, 45. — « Matth., xii, 4; Luc, iv, 26, 27, — e Joan., vi, 30.
N» 362] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 511
'dessein du divin Maître différait du leur. Ses disciples étaient
des hommes simples, peu capables d'une application soute-
nue, trop occupés ou trop distraits pour suivre longtemps
le fil d'une démonstration ou d'une théorie. Ils ne désiraient
qu'une chose : connaître la voie de Dieu, entrer dans son
royaume, le servir et lui plaire. Qu'avait-il de mieux à faire
que de répondre à leur désir ? Voilà ce qui explique son en-
seignement et sa méthode. Dans ses discours, c'est moins
l'esprit qui parle à l'esprit que le cœur qui parle au cœur. Il
cherche à faire des saints, non à faire des savants. L'amour
des âmes est son seul mobile et leur perfection son unique
but.
Comme l'esprit a son ordre, dit Pascal, le cœur a aussi le
sien. Ses inspirations ne se règlent pas sur la logique. Au
lieu de suivre l'analogie des idées, il consulte les besoins et
les goûts de ceux à qui il s'adresse; il saisit les occasions.
Ce qu'il voit de plus urgent est ce qui l'attire et à quoi il se
porte. Ecoutez une mère donnant des conseils à son enfant ;
ou plutôt voyez S. Louis mettant par écrit ses recommanda-
tions à son fils. Est-ce qu'il songe à bien diviser son sujet,
à être suivi, complet, régulier dans son discours ? Ce qui
lui importe, c'est d'être utile et de persuader. Il ne cherche
pas autre chose. Il omet ce qui est connu, ce qui est admis,
si essentiel qu'il soit, pour s'attacher à ce qui fait difficulté,
ou qui pourrait causer quelque hésitation. C'est surtout à la
volonté qu'il s'adresse. Il est vrai qu'on ne peut gagner le
cœur sans parler à l'esprit; mais il ne faut pas lui parler
longuement. Un mot, un trait, une maxime peuvent suffire,
pourvu que ce mot n'admette pas de réplique, que ce trait
soit frappant, que cette maxime soit capitale et jette un vif
éclat. N'est-ce pas ce qu'on trouve à chaque instant dans les
discours du divin Maître, dans cette suite de versets détachés
les uns des autres, mais qui ont tous le même accent, qui
respirent tous le même amour et qui tendent tous à la
la même fin ? La chaleur, l'unité de sentiment, d'inspiration,
tiennent lieu d'enchaînement logique. N'est-ce pas aussi ce
qu'on remarque dans les écrits des saints, lorsqu'ils s'a-
512 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n« 363
dressent aux âmes pour les porter à Dieu', et dans les
communications surnaturelles que l'Esprit saint fait à ses
élus, quand il veut obtenir d'eux un sacrifice héroïque ou
les élever à un degré de perfection extraordinaire pour les-
quels les grâces communes ne sauraient suffire?
363. — Lorsqu'on trouve une instruction du Sauveur répétée avec des
variantes en plusieurs Evangiles, faut-il attribuer ces différences aux
Evangélistes, ou croire que Notre Seigneur s'est réellement répété en
variant ses expressions?
On peut admettre l'un ou l'autre, sans préjudice pour la
foi; et souvent les commentateurs sont partagés sur la ques-
tion '. Néanmoins, il n'y a pas de doute que Notre Seigneur
n'ait répété bien des fois les mêmes instructions et les
mêmes maximes, surtout les mêmes paraboles '; soit parce
qu'il changeait de lieu et que son auditoire se renouvelait
assez vite, soit parce qu'il attachait une importance particu-
lière à certains enseignements et qu'il tenait à les graver dans
les esprits *. On peut remarquer, en effet, que ce qui est le
plus répété dans l'Evangile est aussi ce qui a le plus de
portée. Ainsi, il est dit plus de dix fois qu'il faut prier,
prier au nom du Sauveur, prier de cœur et toujours *. L'hu-
milité est louée sept fois en S. Matthieu seulement •, et la
foi non moins souvent dans chaque Evangéliste. Le divin
Maître affirme trois fois que le bon usage des grâces en
attire de nouvelles ''. Il annonce trois fois qu'il ressuscitera
1 Voir la /'• Epit7*e de S. Jean; Ylmitation de Jésus-Christ; les Ins-
tructions du curé d'ArSf etc. Ajoutez que Notre Seigneur suivait en cela
Tusage de son pays et de son époque. Supra^ n. 144. — 2 Supi^aj n. 144,282.
— 3 Exemples de maximes répétées en diverses circonstances : Matth.,
X, 24; Joan., xiii, 16; xv, 20; Luc, vi, 40; Matth., x, 26; Marc., iv, 22;
Luc, VIII, 17; XII, 2. — * Mos sacri eloquii est ut res semel dicta pro
confirmatione replicet. S. Greg. Magn., Moral. ^ xxv, 19. Dans les dis-
cours où il promet rEucharistic, Notre Seigneur répète vingt fois qu'il
est un aliment , qu'il faut se nourrir de lui , manger sa chair, boire son
sang. Dans l'institution du Sacrement, il prononce sur cliaque espèce la
même formule : Hoc est.,. Hic est. — s Matth., vu, 7, 8; xxi, 22; Marc.,
XI, 24; Luc, xi, 9; xviii, 1 , 10; Joan., iv, 24; xiv, 13; xv, 16; xvi,
23, 26, etc. — 6 Matth., viii, 8-10; xi, 25; xv, 27, 28; xviii, 4; xx, 26, 27;
XXI, 5; xxm, 11, 12. — ^ Matth., xni, 19; xxv, 29; Luc, xix, 26.
N<> 364] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 813
le troisième jour *. Il invective deux fois contre le scandale •.
11 donne deux décisions contre le divorce, etc. '. — On peut
faire une observation semblable sur ses miracles. S'il en
réitère un certain nombre ne sont-ce pas ceux qui ont une
signification plus importante, sur laquelle il désire attirer
l'attention de ses disciples*? Ainsi, il ressuscite trois morts ';
il rend la vue à trois aveugles, à Bethsaïde •, à Siloé *', à
Jéricho '; il fait faire à S. Pierre trois pèches miraculeuses •;
il multiplie deux fois les pains ", etc.
364. — N'est-il pas évident que la doctrine du Sauveur a l'esprit
de Dieu pour principe?
I. Même à s*en tenir à la partie dogmatique, il est évident
que la doctrine du Sauveur n'est pas le fruit de la raison
humaine. Nous connaissons incomparablement mieux, je
ne dis pas que les philosophes les plus savants de l'anti-
quité, mais que les Israélites les mieux instruits, la nature
de Dieu, son amour pour les hommes, les récompenses et
les châtiments de la vie à venir, la voie à suivre pour aller
au ciel, les motifs que nous avons de pratiquer la vertu et
de tendre à la perfection**. D'où nous viennent toutes ces
lumières? A qui devons-nous ces connaissances? A Jésus-
* Matth., XVI, 21 ; xvii, 23 ; xx, 19. — « Matth., v, 29, 30; xviii, 6-9.
— 3 Matth., V, 32; xix, 1-9. — * Quod vidisti secundo, flrmitatis indi-
cium est, dit Joseph à Pharaon. Gènes., xli, 32. Cf. Jud., vi, 39; III Reg.,
XI, 9. C'est pour la même raison que S. Pierre voit se renouveler trois
fois la vision symbolique par laquelle il est averti de recevoir les Gen-
tils dans l'Eglise, Act., x, 16. — 5 Matth., ix, 18-25; Luc, vu, 11-16;
Joan , XI. — 6 Marc, viii, 22-26. — "^ Joan., ix. — * Marc, x, 46-52.
— 9 Luc, V, 1-11; Joan., xxi, 1-14; Matth., xvii, 26. — lo Matth., xiv,
13-?t; XV, 30-38, etc. Cf. A. T., n. 255. — ** Matth., xm, 16; Joan.,
xvii, 4-6; Heb., viii, 10, 11. Compara inflato^ crucifixo. Tamdiu viden-
tur aliquid dicere, donec comparentur Christo. S. Aug., In Ps. cxl, 19.
Quanto minor est auri argendque copia quam de iEgypto populus Dei
abstulit, comparatione divitiarum quas postea in Jérusalem consecutus
est, quse maxime in rege Salomone ostenduntur, tanta fit cuncta scientia
-collecta de libris gentilium, si divinorum librorum scientise comparetur.
De DocU Christ,, iii, 4. NuUus philosophus an te adventum Ghristi, cum
toto conatu suo tantum potuit scire de Deo quantum post adventum
Christ] scit una vetula per fidem. Et ideo dicitur ab Isaia, xi : Repleta
est terra scientia Pomini. S. Thom., de Symb,, Opusc, vi, 1.
29.
514; JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n® 364
Christ; c'est grâce à lui qu'elles nous éclairent et qu'elles
s'imposent à l'humanité. Mais comment a-t-il pu les acqué-
rir? Ce n'est pas par l'éducation. Il n'avait fait aucune
étude, fréquenté aucune école; et quel maître eût pu les lui
donner? Qui oserait comparer les inepties de la Mischna
aux maximes de l'Evangile? Ce n'est pas non plus par la
réflexion et par le travail. Dans sa position et à son âge, le
loisir même lui avait manqué. Unde huic sapientia hœc? se
disait-on autour de lui *. Nulle réponse à cette question,
sinon celle qu'il a faite : Mea doctrina non est mea, sed ejm
gui misit me *. Qui de cœlo venit, super omnes est '.
II. Toutefois, c'est dans la morale surtout que la doctrine
du Sauveur est incomparable et évidemment surhumaine.
On peut en reconnaître l'origine à la pureté de ses maximes*,
à la sublimité de ses conseils *, à la connexion des unes et
des autres avec les dogmes révélés. On la reconnaît mieux
encore aux fruits que cette morale a produits. Car le divin
Maître ne s'est pas borné à débiter de belles sentences,
comme ces philosophes de l'antiquité, dont la sagesse resta
sans influence sur leur cité et souvent sur leur famille : il a
fait accepter ses principes ; il les a fait mettre en pratique
par une foule innombrable de disciples. Dès l'origine du
christianisme, la sainteté devint le partage des chrétiens,
leur partage exclusif : c Vos prisons regorgent de criminels,
disait Minucius Félix aux païens*; mais montrez-nous
parmi eux un chrétien, à moins que ce ne soit un renégat
ou un martyr. » Et Tertullien : « Pas d'esprit sage, pas de
caractère éminent qui n'appartienne à Jésus-Christ ''. » Com-
ment expliquer un semblable prodige? « Si quelqu'un avait
réussi à corriger seulement une centaine d'hommes débau-
chés et impies , s'il en avait fait des hommes vertueux et
« Matth., XIII, 54, 55 ; Marc, vi, 2, 3. — a Joan., vu, 16, 17. — * Joan.,
III, 31; VIII, 23. Cf. Matth., xi, 27. — * Matth., xviii, 7-10. — « Matth.»
V, 44. — 6 E vestro numéro carcer exsestuat : christianus ibi nullus»
nisi aut reus suae religionis aut profugus. Octav.^ xxxv. Plin. jnn.,
Epist, x, 97. — "ï Nemo sapiens nisi fidelis, nemo major nisi christia»
nus. Tert., De prxsc.y iii. Cf, S. Justin., Àpoi.f 1,^14-17.
NO 364] SA VIE PUBLIQUE. — SES DISCOURS. 515
chastes, on aurait peine à croire, dit Origène, qu'il serait
arrivé à ce résultat sans un secours particulier du ciel : que
dire quand on en voit une si grande multitude, de toutes
classes^ de toutes nations et de toutes mœurs, embrasser la
perfection de la vertu en môme temps que la foi du Sau-
veur * ? j Que ce soit à son exemple, ou à sa grâce ou à ses
dogmes que ses maximes doivent leur vertu, cette vertu est
manifeste et manifestement surnaturelle. Elle ne peut s'ex-
pliquer sans l'existence et l'action d'un être supérieur à
l'humanité.
* Orig., Cont. Cels., i, 26, 47. Cf. Rom., vi, 17-23; I Cor., vi, 10, il;
Eph., II, 11-13; IV, 17-20; Tit., m, 3-6; I Pet., iv, 3, 4; S. Aug., de
moribus Ecclestx; De vera relig., 1-12; Bossuot, H. (1,^ ii, 7. Fleury,
Mœurs des Chrétiens^ Lamennais, Indiffér., xxxi.
TROISIÈME PARTIE
DEPUIS LA PASSION DE NOTRE SEIGNEUR JUSQU'A
SON ASCENSION
{An 33; man^ ami, nuti.
* 365. — Les derniers mystères de la vie da Sauveur ne méritent-ils
pas une attention particulière?
Ils le méritent pour diverses raisons : — !• il cause de
leur importance. Ils couronnent la vie de l'Homme-Dieu et
mettent le sceau à son œuvre. De leur accomplissement dé-
pendait le salut du mojide, et c'est sur eux que repose la
foi des chrétiens. — 2" A cattse de leurs garanties historiques.
S'il n'est pas de mystère plus soigneusement décrit, il n'en
est pas non plus qui offre plus de certitude. Les quatre
Evangélistes s'accordent dans les moindres détails, et cha-
cun de leurs récits porte en lui-même sa démonstration.
Quel homme eût imaginé de livrer le Fils de Dieu à de tels
supplices? Qui eût su lui donner, au sein des afflictions et
des opprobres, un caractère si divin? — 3° A cause des ins-
tructions quHls renferment. Tout dans la vie du Sauveur est
admirable et parfait ; mais comme si ce divin Maître tenait
à nous donner l'exemple d'un progrès incessant, c'est pour
ses derniers moments qu'il a réservé ses traits de vertu les
plus héroïques. C'est donc là surtout qu'il se révèle et qu'il
importe de l'étudier. Aussi est-ce Jésus crucifié que l'Apôtre
méditait et prêchait de préférence*. C'est sur la croix que
l'Eglise offre presque partout le Sauveur à nos regards ; et
les Evangélistes ont consacré plus de pages à retracer les
deux derniers jours de sa vie qu'ils n'en ont mis à décrire
ses trente premières années *.
1 I Cor., I, 23; ii, 2; Gai., ii, 19; vi, 14. — 2 De même S. Luc dous
décrit la captivité do S. Paul avec plus de détails que ses prédica-
CHAPITRE PREMIER.
PASSION DE NOTRE SEIGNEUR.
Comme il n'est pas de mystère que l'Esprit saint nous ait
retracé avec plus de soin, il n'en est pas non plus qui ait
été prédit avec plus de détail, ni ligure d'une manière plus
frappante *,
1* Outre les passages de l'Ancien Testament cités dans
l'histoire même de la Passion, les Apdtres et les saints Doc-
teurs nous ont fait remarquer une foule de prédictions rela-
tives ans derniers moments du Sauveur. On y voit annon-
cés: les ignominies qu'il eut à subir'; — l'excès de ses
douleurs '; — l'acceptation qu'il fit de ses souffrances pour
notre rédemption*; — la haine dont il fut l'objet'; ^ son
agonie '; — la trahison et la mort de Judas '; — la disper-
Uons, Bom., xv, 4. Coosultcr Bossuct, Médit., et Duguet, Trailé de la
Croit, etc.
' Croix du Sauveur, d'après tine pierre du musée Barbcrini, publiée
pir Didron. Par sa traverse supérieure, unie au m on og ranime, clic rap-
pelle le LabaniiD. Le anrpent représente l'ennemi vaincu, ou peut-Stre
Celui dont le serpent d'airain était la figure. L'alpha et l'oméga dirsiont
■on nom; les deux colombes figureraient les Ames fidèles qui tourneot
vers lai leurs espérances et leur regard, et le mot talus iiidii|uerait le
but et le résultat de tout ce mystère. — ' Luc, xxcv, 26, 27; .Act.,
ui, 18. — a pa. Livm, 10; Is., lu, U; lui, 2-4. — ♦ Ps. Lxviii, 8-3, 27;
Lxuvii. 7; Is., un, 4-18. — ' Ps. lxtiii. 8-10; Is., lui, e-18. — e Sap.,
n, 12-20. - 1 Ps. wiii, 2; lïijiyii, 3-17. - » Ps. il. 7-12; uv, 13-16;
wvm, 86; cvui, 2, 5-19; Zac, xi, 12, 13.
518 iÉSL'S-€HiUST SELON l'ÉVANGILE. [n<* 366
sion de tous ses Apôtres*; — son arrestation'; — sa com-
parution devant les juges*; — les faux témoignages aux-
quels il fut en butte *; — les cris des Juifs contre lui • ; — son
silence *; — sa flagellation et son couronnement d'épines ^
— son assimilation à deux scélérats'; — son crucifiement';
— sa prière du haut de la croix *•; — les dérisions dont il
fut Tobjet "; — ses vêtements partagés et sa robe tirés au
sort *'; — les ténèbres qui se répandirent au moment de sa
mort"; — sa sépulture**; — Tépoque à laquelle il devait
être renié par le peuple et immolé ".
2^ Comme figures du Sauveur soufi'rant et mourant, les
saints Pères nous montrent : Abel **, Isaac ", Joseph ",
Moïse sur la montagne ", Jérémie persécuté '®, TAgnean
pascaP*, le serpent d'airain", le bouc émissaire"; mais
par-dessus tout, les sacrifices sanglants que le Seigneur se
faisait offrir au temple '^ Tous ces faits, aussi remarquables
par leur singularité que par les rapports qu'ils ont entre
eux, avaient un sens prophétique; les sacrifices surtout,
sans valeur et sans efficacité par eux-mêmes, étaient évi-
demment significatifs : Innuebant aliquid; indicare volebant
aliquid. Mais que pouvaient-ils signifier? Qu'est-ce que Dieu
a pu se proposer en les ordonnant? C'est dans la Passion du
Sauveur et dans son immolation qu'on trouve l'éclaircisse-
ment de ce mystère ".
* Ps. Lxviii, 21; Lxxxvn, 9; cxu, 5; Zac., xiu, 7. — * Sap., n,
12, 18. — 3 Pg. xciii, 21. — * Ps. XXI, 17; xxvi, 12; xxiv, 11; lxiii,6;
cviii, 4.-8 Ps. XXI, 13, 17; xl, 6; cvm, 2.-8 Is., uu, 7. —
' Job., XVI, W; Ps. XXXIV, 15; xxxvii, 18; Is., l, 6. — • Is., un, 12.
— » Ps. XXI, 17-19; Lxviii, 22; Is., lui, 12; Jer., xi, 19; Zac, xn, iO;
XIII, 6. — 10 Ps.cviii, 4; Is., un, 12. — n Ps. xxi,7-9; lxviii, 12, 13,22;
cvm, 25. — *' Ps. XXI, 19. — *• Amos., viii, 9; Zac, xiv, 1, 6. — ** P».
Lxxxvii, 5; Is., XI, 10. — i« Dan., ix, 24-27. Cf. Act., xxvi, 22, 23. A, T.,
851, 852. — 16 Gen., iv, 2, 15. — " Gen., xxn, 1-18. — i» Gen., xxxvn,
xux-L. — »• Ex., XVII, 11-13. — 20 Jer., xx, 2; xxvi, 8-11 ; — «* Ex., xn.-
«8 Num., XXI, 9. — î3 Levit., xvi, 20.— »* Levit., xxvii, 11. — *« Heb.,ix,
9-28; Apoc, xiii, 8. lUa omala figurae nostrae eraot, sicat Apostolus dicit,
quia uni Deo exhibebaotur, non tauquam indigent! talibus, sed tempera
dlstinguenti, et jubenti praesencia per quae significaret futura. S. Aug-,
Cont. Faust., xvi, 10. Propbetiam celebrabant futurœ victim» quam
Cbristus obtulit, xxi, 18. In eo autem populo bsec rite celebrata suot,
N® 368] SA ME SOUFFRANTE. — PRÉLUDES. 519
ARTICLE I.
Prélades de la Passion.
§ I. — ConspiRATion co?itre le Sauyecr. Matth., xxti, 3-5;
Joan., XI, 46-56.
.%7. — L'assemblée dont parle S. Matthieu, xxvi, 3, est-elle la même
qae celle dont il est question en S. Jean, xi, 47?
Dans S. Matthiea, comme dans S. Jean, il s'agit du Sanhé-
drin ^ : c'est donc le même Conseil, mais ce n'est pas la même
séance. S. Jean parle d'ane réunion qui eut lieu immédiate-
ment après la résurrection de Lazare. Sur la proposition du
grand-prêtre, on y prit la résolution de mettre Jésus-Christ
àmort; il restait à s'entendre sur le temps, le lieu, lesmoyens.
On eut d'abord l'intention de laisser passer les fêtes de
Pâques, pour ne pas s'exposer à soulever les Galiléens,
venus en grand nombre à cette solennité *. L'offre de Judas
fit hâter l'exécution, et l'immolation de l'Agneau divin s'ac-
complit précisément au jour qui avait été fixé dans la Loi,
quinze siècles auparavant *.
368. — Que signifient ces mots de S. Jean sur Caiphe : Cum esset
Pontifex anni illiiu, etc., Joan., xi, 49?
I. Les interprètes se divisent dans l'explication de ce pas-
sage. Suivant un certain nombre, par ces mots, Pontifex
anni illitis, répétés encore plus loin *, S. Jean voudrait indi-
quer que c'était la première année du pontificat de Caïphe,
le Sadducéen. Suivant d'autres, son intention serait de faire
sentir l'avilissement du pontificat juif, sujet à passer,
presque chaque année, d'une personne à une autre, au gré
cujus et regnum et sacerdotium prophetia erat venturi régis et sacer-
dotis. XXII, 17. Cf. S. Th., p. 3, q. 48, a. 3 ; Thomassin, de Incam,^ x.
Cf, A, Tm n. 392, 393, 402.
1 Supra, n. 124. — ^ Matth., xxvi, 5. — 3 Ex. xii, 6. Divine intelli-
gimus dispositum fuisse consilio ut sacrilegi Jndaeorum principes, qui
sasviondi in Christum occasiones saepe quaesiverant, nonnisi in solemni-
tate paschali exercendi furoris acciperent potestatem, S. Léo, Serm, tvi, 1.
— * Joan., xvin,ll3.
820 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n*» 368
des gouverneurs romains, et perdant à la fois rinamovibililé,
la considération et la sainteté *. Plusieurs croient qu'il
signale cette année entre les autres parce qu'elle a été mar-
quée par des événements d'une suprême importance, surtout
par la substitution du sacerdoce de Jésus-Christ à celui
d'Aaron *. Ces deux dernières interprétations sont assez
plausibles, mais la première est sans fondement'. Quanta la
supposition qu'Anne et Caïphe auraient exercé le pontificat
alternativement d'année en année *, elle n'est autorisée par
aucun exemple. S'il est dit dans les Actes qu'Anne était
prince des prêtres •, cela signifie seulement qu'il était à la
tête d'une famille sacerdotale ; car S. Luc distingue parfai-
tement en cet endroit le grand-prêtre des princes des
prêtres ".
II. Quant à la liaison qu'établit S. Jean entre la prophétie
de Caïphe et son titre de grand-prêtre : Cum esset pontifex
anni illius, prophetavit '', il ne pouvait en être assuré que
par révélation. C'était bien l'usage de recourir aux grands-
prêtres dans les cas difficiles pour connaître la volonté de
Dieu ', et l'Ecriture en certains endroits semble leur attri-
buer des lumières surnaturelles •. Mais rien n'autoriseà dire
que le don de prophétie fût une de leurs attributions. D'ail-
leurs ce mot de S. Jean, prophetavit^ ne doit pas se prendre à
la lettre, dit S. Thomas *° : Non egit, sed actum est in illo ".Ce
qui résulte des paroles de l'Evangile, .c'est que l'immolation
1 Cf. Act., XXIII, 5. Joseph., A., VIII, ii, 2; XV, m, 1 ; XVffl, ii, 2;
m; V, 3; vi; XX, ix, 1, 4. Caïphe était le cinquième Pontife intronisé
depuis onze ans. Le gouverneur romain, Valerius Gratus, avait déporté
successivement les quatre précédents. Supra, n. 123. Infra^ n. 491, 803.
— 2 Cf. Luc, IV, 19. — 3 Supra, n. 133. — * Cf. S. Aug., m Joan.,
cxiii, 5.-8 Act., IV, 6. — « Cf. Act., v, 24, 27. Supra, n. 133. — "^ Joan.,
XI, 50, 51. — 8 1 Reg., XIV, 18-20; xxiii, 9, etc. — » Cf. Ex., xxviii, 30;
Nam., xxvii, 17-23; I Reg., xxviii, 6; Joseph., 5., III, viii, 3. Infra,
n. 445. — *o Cum aliquis cognoscit se moveri a Spiritu sancto ad aliquid
aestimanduin vel significandum verbo vel facto, hoc proprie ad prophetiam
pertinet. Cum autem movetur, sed non cognoscit, non est perfecta pro-
phetia, sed instinctus propheticus. 2«-2», q. 173, a. 4. Spiritus sanctus
CaiphsB nec mentem illuminavit, nec intentionem... Unde patet quod
non magis possit dici propheta quam asina Balaam. In Joan,, xi, lect. 2,
Cf. Num., XXIV, n. — n S. Aug,, Sei^m, cccxv, 2,
N» 369] SA VIE SOUFFRANTE. — PRÉLUDES. 521
du Sauveur a été décidée par celui qui avait charge d'offrir
chaque année le sacrifiée d'expiation pour le peuple. Le
grand-prétre désigne bien ici et immole en quelque façon la
victime divine qui va satisfaire pour les péchés du monde
entier *. En cela, il est sans le savoir l'instrument du ciel et
l'organe de l'Esprit de Dieu.
§11. — Repas a Béthanie. Matth.> xiyi, 6-1 S.
* 369. — Le repas décrit par S. Jean, xii, 2, est-il différent de celui qui
eut lieu chez Simon le lépreux, Matth., xxvi, 6, et de celui que dé-
crit S. Luc , VII, 36?
I. Il est probable que le repas décrit par S. Jean est le
même que S. Matthieu nous dit avoir eu lieu chez Simon.
Les deux Evangélistes placent la scène à Béthanie ; les ré-
cits présentent les mêmes circonstances et se rapportent à
la même époque. Le Sauveur revint dans ce bourg six jours
avant Pâques, comme ledit S. Jean, le samedi soir par consé-
quent, un peu avant le repas, ou le vendredi, si l'on compte
les six jours à partir du jeudi soir où la fête commençait.
Si S. Matthieu parle de deux jours avant Pâques, quelques
versets plus haut ", c'est à propos d'un autre fait, de la ré-
solution prise par le Sanhédrin de faire mourir Jésus; et
cette anticipation n'empêche pas qu'il ne décrive ensuite très
naturellement ce repas de Béthanie, qui a fourni à Judas
l'occasion de quitter son Maître et de le vendre aux Juifs.
Que Lazare et ses sœurs assistent au festin, ce n'est pas une
preuve qu'il eut lieu chez eux. Celui qui l'offrait ne pouvait-
il pas être de leurs parents ou de leurs amis? C'est même
probablement parce qu'on n'était pas chez eux que S. Jean
croit devoir signaler leur présence et surtout le zèle de
Marthe à servir les convives. Ici comme ailleurs, le dernier
évangile complète les précédents, en ajoutant à leur ré-
cit de nouveaux traits. S. Matthieu et S. Marc disent : une
femme; S. Jean dit : Marie, sœur de Lazare. Ils parlent de
1 Non tantum pro gente, sed ut filios Dei qui erant dispersi in mundo,
congregaret in unum. Joan., xi, 52, Cf. Pet., ii, iO. — ^ Mattli., xxvi, 2
822 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n^ 370
ronction de la tête seulement ; lui signale l'onction des pieds.
IL Le repas mentionné par S. Luc eut lieu assez long-
temps auparavant, en Galilée, et selon toute apparence à
Naïm ^ On ne peut donc pas le confondre avec celui qui eut
lieuàBéthanie six jours avant la Pâque, ou Notre Seigneur eut
à reprendre les sentiments de Judas, et non ceux de Simon.
Seulement on peut demander si ce n'est pas le même Simon
qui les a donnés l'un et l'autre. La plupart distinguent Si-
mon le pharisien • de Simon le lépreux '. Ils ne semblent
pas, disent-ils, avoir le même domicile, ni le même carac-
tère, ni les mêmes dispositions envers le Sauveur *, Ce n'est
pas là pourtant une démonstration. Il n'est pas sûr que Si-
mon fût de Naïm, ni même de Galilée : S. Luc ne le dit pas;
et quoique pharisien, il avait pu être guéri de la lèpre par
Notre Seigneur et changer de sentiment à son égard.
* 370. — Est-ce la môme personne qui, dans ces deux circonstances,
Luc, Tii, 38; Joan., xii, 3, a versé des parfums sur les pieds du
Sauveur?
Le sentiment commun est qu'il n'y a point de distinction
à faire entre la pécheresse de S. Luc ', Marie-Madeleine,
délivrée de sept démons •, Marie, sœur de Marthe ''^ et Marie
de Béthanie •. Ce sentiment parait bien fondé. En effet :
1® Tel est l'avis des docteurs et des Pères les plus anciens,
celui que l'Eglise romaine a toujours suivi dans sa liturgie'.
S'il s'agissait, dans ces passages, de personnes différentes,
serait-il possible que les Apôtres n'en eussent pas instruit
les premiers fidèles ou qu'il se fût établi dès les premiers
temps une tradition opposée à leur enseignement ?
2^ Lorsqu'on lit simplement l'Evangile, l'idée de ces dis-
tinctions ne s'offre pas à l'esprit. — Après avoir rapporté
la conversion de la pécheresse chez Simon, S. Luc parle
1 Luc, VII, 11. — « Luc, VI, 36. — 3 Mattb., xxvi, 6. — * Si potest
unus homo habere duo nomina, dit à ce sujet S. Augustin, multo magis
possunt duo homines habere unum nomen. De Cons. Evang.^ m, 69. —
s Luc, VII, 36-50. — « Luc, viii, 2. — ^ Luc, x, 38-48. — » Joan., xii, 3.
— » Cf. S. Aug., De consenni evang.^ ii, 154. S. Greg., M,, fn Evang,,
Hom, XXV, 10 et x^xm.
N» 370] SA VIE SOUFFRANTE. — PRÉLUDES. 823
aussitôt de plusieurs femmes qui avaient été guéries ou dé-
livrées du démon par le Sauveur, et qui l'assistaient de
leurs biens : or, la première de toutes est Marie, surnom-
mée Madeleine. — Quand S. Jean parle de Marie, sœur de
Lazare et de Marthe *, il ajoute, pour la faire connaître, que
c'est la personne qui a essuyé de ses cheveux les pieds du
Sauveur. A qui peut-on penser, sinon à la pécheresse qu'on
sait avoir fait à Naïm cet acte d'humilité et de religion *?
— On ne peut pas la méconnaître davantage chez Simon,
où cette action est renouvelée ', ni aux pieds du Sauveur, à
la maison de Marthe *, ni au pied de la croix ', ni au tom-
beau, où elle paraît sous le nom de Marie-Madeleine •. Si ce
n'était pas là, en effet, Marie de Béthanie, comment s'expli-
quer son absence, l'absence de la sœur de Lazare, en pa-
reille circonstance? D'ailleurs, ce sont les mêmes habitudes
qui se manifestent partout, et l'identité du caractère indique
l'identité de la personne'. Mais si Marie de Béthanie est Ma-
rie-Madeleine, délivrée des sept démons, peut-on douter
que ce ne soit la pécheresse de Naïm, celle qui a témoigné
à Notre Seigneur tant de repentir et tant d'amour?
3® On ne peut opposer à ce sentiment aucune difficulté
réelle. — Une même personne ne peut-elle pas s'être trou-
vée en Galilée, chez Simon le pharisien, avoir possédé un
bien à Magdala ', et être venue chez sa sœur à Béthanie? —
Il est des esprits qui répugnent à croire que le Sauveur ait
témoigné tant de bonté à une pécheresse •, même après sa
conversion. Mais n'a-t-il pas dit lui-même à Simon ce qu'on
* Joan., XI, 2.-2 Luc, vu, 37. — 3 Matth., xxvi, 7. — * Luc, x, 39;
Joan., XI, 32; xii, 3.-5 Matth., xxvii, 56; xxviii, 1; Joan., xix, 25. —
6 Matth., xxvii, 61. Cf. Joan., xii, 7; xx, 1. — "^ « H y a des choses qui
peuvent être répétées par Vâme qui les a conçues, mais qui ne peuvent
être imitées par une autre. Deux fois une personne se jeta aux pieds
du Sauveur; deux fois elle y répandit la liqueur d'un parfum de grand
prix et les essuya de ses cheveux. Quand môme l'Evangile ne nous l'in-
sinuerait pas, quand la tradition se tairait, nous serions assurés qu'il
n'y eut là qu'une seule inspiration, et que, si Vonction fut double, il n'y
eut qu'un cœur pour la concevoir et qu'une main pour la faire, comme
il n'y eut qu'un Dieu pour la recevoir. » Lacordaire, Ste Madel, —
* Matth., xxvii, 56. — « Af^apToXoç, Luc, vu, 37.
824 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n<^ 37i
doit penser d'un tel sentiment*? N'est-ce pas pour les pé-
cheurs qu'il est venu sur la terre et ne voulait-il pas qu'on
connût ses dispositions? Ce qu'il a fait pour Madeleine, ne
l'a-t-il pas fait pour la Samaritaine et pour une infinité
d'autres? N'était-ce pas un présage, une figure de la grâce
qu'il destinait à toute la gentilité*? Ne l'a-t-il pas aussi con-
vertie? Ne l'a-t-il pas régénérée, honorée du nom d'épouse
et mise à la place de la synagogue infidèle? — Enfin, si
Marie, sœur de Marthe, n'était pas Marie-Madeleine, ne fau-
drait-H pas dire que l'Eglise est loin de remplir les inten-
tions du Sauveur, qu'elle ne comprend même pas la pré-
diction qu'il a faite au repas de Béthanie, puisqu'elle attri-
bue à sainte Madeleine et qu'elle honore particulièrement
en sa personne l'acte de religion qu'il a signalé en Marie
comme devant être pour elle la source de tant de gloire?
Le caractère de Madeleine contraste admirablement avec
celui de Judas à Béthanie, comme il contraste avec celui de
Simon à Naïm.
§ III. — Entrée de Notre Seigneur a Jérusalem. MaUh.^ xti,
1-11; Joan., xii, 12-43.
{Dimanche 29 mars 33)
Dessein da Sauveur. — Gentils qui demandent à le voir. — Conséquences
de M mort.
* 371. — Pourquoi le Sauveur veut-il entrer à Jérusalem, quelques jours
ayant sa Passion, au milieu des acclamations populaires?
En faisant ainsi son entrée à Jérusalem, Notre Seigneur
a un double but : — 1° Celui de vérifier les prophéties,
citées par S. Matthieu*. Elles n'ont jamais eu d'autre accom-
plissement, dit S. Chrysostome. — Celui d'imiter, à sa ma-
nière, selon qu'il convient à son caractère et à ses desseins,
l'entrée des rois dans leur capitale, afin de rendre sensibles
pour ses disciples ces vérités : qu'il est vraiment le roi d'Is-
1 Luc, VII, 40. — 2 Matth., ix, 12, 13; xviii, 12; Luc, xv; xix, 10.
Jésus Christ, comme Dieu, préfère les innocents, dit Bossuet; comme
Sauveur, il recherche les pécheurs. — 3 Mat^i., xxi, 4, 5, A» T., n. 142.
NO 3Î^2] SA Vie ^OUI^FRaNTE. — ENtREE A JERtSALEM. S28
raél, qu'il va commencer à exercer sa royauté, que son
règne sera celui de la douceur, de Thumilité, de la bonté et
de toutes les vertus dont l'esprit de Dieu est le principe.
Il suffit d'avoir lu quelques voyages en Orient pour re-
connaître que les détails de ce triomphe, si modeste qu'il
ait été, n'eurent rien de ridicule ni de choquant pour ceux
qui en furent témoins*. De plus, les saints Docteurs ont
montré qu'ils étaient symboliques* et qu'ils figuraient le
règne prochain du Sauveur sur le peuple juif et le peuple
gentil •.
* 372. — Quels sont ces Gentils, qui demandent à voir Jésus,
Joan., XII, 20, 21?
Ceux qui demandaient ainsi à voir le Sauveur n'étaient
pas des Juifs hellénistes, mais ce pouvaient être des prosé-
lytes de la porte*, ou bien des païens superstitieux, qui
s'imaginaient devoir un culte à toutes les divinités et qui
étaient venus au temple avec la foule *. Ils ne sont pas ap-
pelés eXXr^viaTai, mais sXXr^veç. Plusieurs tiennent pour pro-
bable que c'étaient des envoyés d'Abgar, ce roi d'Edesse,
qui, suivant une antique tradition, écrivit à Notre Seigneur
pour l'inviter à passer dans ses Etats. C'est ce qu'Eusèbe de
Césarée dit avoir trouvé dans les archives d'Edesse, vers
l'an 310 •, et ce qu'affirme un évéque du quatrième siècle,
Moïse de Ghorène (t425), dans son Histoire d'Arménie, pu-
bliée à Londres en 1736. D'après ces auteurs, le Sauveur
aurait fait répondre par S. Thomas qu'après sa mort, Abgar
recevrait à sa place un de ses disciples qui lui apporterait
le salut. Et en effet, ajoutent-ils, après l'Ascension de Notre
4 Cf. Judic, V, 10; x, 34; xii, 14; IV Reg., ix, 13; Ps. cxvii, 26;
I Mac., XIII, 51. Dans une médaille d'Adrien, on voit la Judée, sous la
figure dune femme, venir au-devant de lui et ses enfants lui offrir des
palmes. Madden, Coins of Jews. — 2 s. Hier., In Matth.y xxi. Brev.
rom., Dom. Palm.y lect. ix. — » Ps. cxvii, 25. Is., x, 3-5. Aringhi, VI, xi;
Martigny, Jérusalem, — * Act., 11, 5; viii, 27. — « Cf. II Mac, m, 2-5;
Act., viii, 27; X, 2. Philon nous apprend qu'Auguste faisait offrir
chaque jour des sacrifices en son nom au temple de Jérusalem. Leg,
ad Caium., 4. Cf. Joseph., A,, UI, xiii, XVUI, 11, viii, 10. ~ « Eusèbe,
H., II, 13.
826 JÉSUS-CHRIST SELON l^évangile. [n^ 373
Seigneur, S. Thomas, se conformant aux instructions de
son Maître, aurait envoyé auprès du roi d'Edesse un des
soixante-douze disciples, Thaddée, différent de S. Jude, ap-
pelé aussi Thaddée *. On trouve déjà des traces de cette tra-
dition dans les oeuvres de S. Ephrem *.
Quoi qu'il en soit du fait, on ne peut douter que la re-
nommée du Sauveur, au moment de sa Passion, ne s'étendît
au-delà de la Palestine ', et il n'est pas étonnant que des
étrangers aient témoigné à ses Apôtres le désir de le con-
naître. Les paroles qu'il prononce à cette occasion : Venit
hora, 23, font ressortir la portée de ce fait et la signification
que S. Jean y attache *.
373. — Que signifient ces versets : Nunc judicium est mundi; nunc
princeps hujus mundi ejicietur foras. Et egOy si exaltatus fuerOy om-
nia traham ad meipsuniy Joan., xii, 31, 32?
Ils sont l'annonce du grand changement qui va s'accom-
plir. « Le sort du monde et de son prince ^ va être réglé, dit
Notre Seigneur : mon règne va remplacer celui du démon ;
et c'est mon supplice qui fera mon triomphe. » En effet :
1** En faisant condamner à la mort le Sauveur des hommes,
le démon perdra le droit et la puissance dont il est en pos-
session sur l'humanité coupable. — Les enfants d'Adam,
infectés par le péché de leur premier père, sont passés sous
l'empire de Satan, pour être ses esclaves en ce monde, et
ses victimes en l'autre •. Mais du moment que Jésus-Christ
les aura rachetés, qu'il aura versé son sang pour satisfaire
à la justice de Dieu et mis entre leurs mains le prix de leur
rançon, il dépendra d'eux de recouvrer leur liberté et de
briser le joug de leur tyran \ — Et qui sont ceux qui vou-
1 Euscb., H.y II, 40. Cf. m, 1; x, 25, et Acta Sanctorum, t. lx,
S. Thaddée. — ^ s. Ephrem., Testament. — 3 Abiit fama ejus in totam
Syriam. Matth., iv, 24, 25; xix, 1; Marc, vu, 24-26; Luc, vu, 17. -
* Cf. Joan., II, 19; m, 14, 15; x, 15, 16; xii, 32. — « Joan., xn, 31.
Cf. XIV, 30; XVI, 11 ; Eph., ii, 2 ; vi, 12 ; Col., ii, 15. — « Joan., vu, 34;
Rom., m, 9; H Tim., ii, 26. — ' Rom., m, 21; II Cor., v, 15-17; Col.,
II, 14. 15; Heb., ii, 14, 15. Hac die portas ferreas confregit; bac die
vectes ferreos contrivit. Non abstulit vectes tantum, sed contrivii..*
Absorpta est mors in Victoria. S. Chrys., De cœmet. et cruce, 2.
j
N®373] SA VIE SOUFFRANTE. — DERNIERE CENE. S27
dront rester sous son empire? Un grand nombre au moins
lui échapperont *. Aujourd'hui le démon reçoit non seule-
ment Tobéissance, mais l'adoration • : il a des autels, des
prêtres, des prophètes '. Demain ses esclaves deviendront
ses vainqueurs ; ils feront taire les oracles * ; ils le chasse-
ront de ses temples ' et quoi qu'il fasse pour retenir sa puis-
sance, il la verra de plus en plus abhorrée et méprisée *.
2"" En se sacrifiant pour le salut des hommes Notre Sei-
gneur acquerra sur eux une nouvelle souveraineté '. —
Aux titres qu'il avait de Fils de Dieu et de Verbe incarné, il
joindra celui de Rédempteur; et ceux qu'il aura sauvés de-
viendront de droit ses sujets ^ Aussi son règne ne tardera-
t-il pas à s'établir sur la terre •. Quel que soit le nombre des
indociles et des ingrats, l'élite du genre humain passera sous
ses lois, et les hommes les plus vertueux se feront gloire de
lui appartenir *®. Le spectacle de son immolation les attirera
à lui ; et il se les unira de telle sorte par le lien de sa grâce
qu'ils ne feront plus avec lui qu'une seule personne morale,
qu'un même corps dont il sera le chef **. Entre lui et eux,
tout sera commun, l'esprit, la vie, les vertus, la destinée, la
gloire *^ Ils honoreront Dieu par lui, et lui le servira par
eux ; et eux et lui seront comme une même hostie et un
1 Rom., VI, 16-18, 20. — « Ps. xcv, 5; Lev., x, 20; Apoc, ix, 20;
XVIII, 2.-3 Matth., VIII, 39; x, 8; Act., xvi, 16. — * Omnia idola
conticuerunt. Ubi ApoUo Delphicus, Deliusque et Clarius, et caetera idola
faturorum scientiam pollicentium? S. Hier., In Ps. xlii, 12. Cf. Juven.,
Sat.j VI, 555. — * Auratum squalet GapitoUum. Fuliginc et arenarum
telis omnia Homae templa cooperta sunt. Solitudinem patitur et in urbe
gcntilitas. Dii quondam gentium cum bubonibus et noctuis in solis
culminibus remanserunt. Marnas Gazae luget inclusas et eversionem
tenipli jugiter pertlmescit. Epist. cvii, 12. — ^ Infrûy n. 938. — "^ Rom.,
IV, 25; Heb., ii, 14. — * Joan., xii, 23; xvii, 2; 11 Cor., v, 15; I Thess.,
V, 10. — 9 VexiUa militum cnicis insignia sunt. Regum purpuras et
ardentes diadematum gemmas patibuli salutaris pictura condecorat. Jam
■^gyptius Serapis factus est Christianus. De India, Perside, iEthiopia
monachorum quotidie turbas suscipimus. Hunni discunt psalterium
Scythiœ frigora fervent calore fidei. S. Hier., EpisL cvii, 2. — *o Ps. xlv, 1
Is , IX, 6, IV, 10; Joan., vin, 28; ii, 20. — " Eph., ii, 15; iv, 12, 13
Col., i, 20. - *> Rom., viii, 16, 17; I Cor., i, 30; Eph., ii, 5; Heb.,
m, U.
B28 il£si!S-CHRl3T SELOO L'éVANGlLE. [n" 374
même prêtre, offrant aii ciel le même sacrifice dans toute
l'étendue et la durée de l'Eglise *.
Prédiction étrange sur les lèvres du Sauveur à la veille
de son supplice, et qui devait bien étonner encore soixante
ans plus tard sous la plume de S. Jean t Aujourd'hui nous la
voyons en grande partie réalisée. L'empire de Jésus-Chi'isl
a renversé celui de Satan, et est devenu le plus vaste et le
plus solide de tous les empires. 11 n'a plus qu'à se compléter
sur la terre *, et à se consommer au ciel '.
§ IV. — Cglëbrition de la Paque. Matth , xiti, IT-St.
{Jeudi % avril îi, aprit ti eoueher dK $Bleil),
la Sauieni. — 8. J«id al la
La principale solennité du peuple juif était celle de
' 1 Pet-, IV, H. — 'On voit encore aujourdliui, dans les pays inl-
dèles, les restes de la domination de Satan sur les tiommcs et sur let
choses, sur les corps comme sur les imes. Ce qui est presque incARoii
chei nous, ce qu'un grand nombre refusent de croire, les possessionSi
les opérations magiques, les apparitions, les oracles sont encore U
comme au temps du Sauveur des faits manifestes et de tous les joart.
On peut interroger Ik-dessus les missionnaires. Mais l'action du démon
ne manque jamais de s'affaiblir il proportion que le culte du vrai Dien
s'établit et que la religion chrétienne se propage. — * I Cor., tii. M;
XV, 27; Col,, III. — * Table antique d'un Iricliniutir, avec ses trois liu
de repos, muni de tapis et de coussins. On voit qu'elle devait Atre la
position ds S, Jean auprès de Notre Seigneur; et comment à Bétlianie
Madeleine put répandre son parfum en premier lieu sur les pieds dn
dltin Maître.
r
N<^ 378] SA Vie souffrante. — dernière cène. 529
Pâques, établie en mémoire de la sortie d'Egypte ou de Taf-
f ranch issement du peuple hébreu. Elle commençait le soir
du quatorze de Nisan, ou avec le quinze du premier mois
de Tannée sainte, à la pleine lune qui suivait Téquinoxe du
printemps, par la manducation de l'Agneau pascal, suivant
le rite prescrit par Moïse K La Cène légale, figure du ban-
quet eucharistique *, avait donc lieu au lever des étoiles, à
rinstar du dernier repas fait en Egypte, la nuit même où
passa l'ange exterminateur qui mit à mort tous les pre-
miers-nés des Egyptiens '. C'était là proprement la Pâque
ou le début de la solennité des Azymes *. La fête durait huit
jours. Pendant toute l'octave, on immolait des hosties paci-
fiques en grand nombre et on continuait à user des pains
azymes, en mémoire des pains sans levain dont les Israélites
avaient été forcés de se nourrir dans leur fuite précipitée •.
375. — Jésus-Christ a-t-il fait la Pâque la veille de sa mort, suivant
la loi de Moïse et la pratique des Juifs?
L Que Jésm-Christ ait fait la Pâqm avec ses disciples^ la
mille de sa mort, c'est un fait qu'il n'est pas permis de con-
tester, au jugement des plus graves théologiens •. Nous le
voyons, non seulement mentionné, mais décrit avec des dé-
tails presque identiques par les trois premiers évangélistes :
Discipuli paraverunt Pascha, Matth., xxvi, 19. Et disctibuit.
Luc, XXII, 14. Et discumbentilms eis etmanducarUibus^ ait :
Vnus ex vobis tradet me. Marc, xiv, 18. Et ait : Desiderio de-
sideravi hoc Pascha m^nducare vobiscum... Ex hoc jam non
manducabo illud, Luc, xxii, 5-16. Et hymno dicto exierunt.
Matth., XXVI, 30. Le mot Pascha ne peut avoir que son sens
propre, son acception ordinaire, soit sur les lèvres de Notre
Seigneur et de ses disciples, soit sous la plume des Evangé-
listes.
* Levit., xxm, 5. Cf. Exod., xii, 14, 26, 27, 42; Num., xxviii, 17-25. —
* I Cor., V, 7. — 3 Exod., xii, 27; Num., xxxiii, 3. — * Levit., xxiii, 6.
— 8 Exod., XII, 8, 39; xxiii, 15; Deut., xvi, 2, 3. — « Benoît XIV qualifie
ropinion contraire de nimis oMcLax. De FesL, I, vi, 7. Suarez est plus
sévère. In S. Thom», p. m, q. 50, a. 6; sect. 3. Cf. Lett. do Witasse,
Journal des Savants^ 1696; Wouters, xxiv, I.
30
830 JÉSUS-CHRIST SELON l*évangile. [n» 375
Aussi ce fait n'a-t-il été nié que par un très petit nombre,
par Marcion d'abord (150), hérétique qui donnait pour mau-
vaises et opposées à la foi chrétienne toutes les pratiques
mosaïques * ; puis, si Ton s'en rapporte aux citations de la
Chronique pascale *, par quelques Docteurs du second et du
troisième siècle, qui voulaient abattre par le fondement les
prétentions des Ebionites et des Quartodécimans relative-
ment a la célébration de la Pâque et à la manducation de
l'Agneau pascal : S. Apollinaire d'Hiérapolis (t 183) ', Clé-
ment d'Alexandrie (t 217) *, S. Hippolyte de Porto (f 230)*.
et S. Pierre d'Alexandrie (t 311) «. Si l'on joint à ces auteurs
quelques écrivains peu connus: Philoponus, du septième
siècle, Gédrénus, du onzième, et quelques écrits notés par
Photius comme opposés au sentiment suivi par l'Eglise \ on
aura à peu près toutes les autorités que peuvent réclamer
en leur faveur ceux qui ont tenté dans les derniers temps
de faire revivre ce sentiment, le P. Lami *, le P. Tourne-
mine • et D. Calmet, lequel se croit obligé de reconnaître
qu'il a contre lui toute la tradition *®.
* s. Epiph., Hseres.f xxx, 22 et xui, 62. — 2 Compilation de deux
auteurs inconnus, du rv« au viii* siècle^ découverte au xvi«, en Sicile, et
contenant de nombreuses indications chronologiques relativement aui
fêtes juives et chrétiennes. M. Migne, PatroL grec.^ t. xcii. Les ouvrages
allégués par ces deux anciens auteurs en faveur de leur opinion étant
perdus, il n'est pas possible d'en constater Texactitude et Tauthenticité.
Cf. Don Calmet, Dissert» — ^ Migne, t. xcii et v, p. 1298. S. Apollinaire
a écrit deux livres contre les Juifs (Ëuseb., H,, iv, 27). H n'allègue en
faveur de ses idées ni la tradition ni le sentiment commun. — * Mignc,
t. xcii et IX, p. 758. — ^ To izcloxol oux eça^ev, aXX' enaôev, dit S. Hippo-
lyte dans la Chronique^ Migne, t. xciii et x, p. 869, 870. Cf. S. Aug., M
Joan.^ Lv, 1. — 6 Migne, t. xcn et xviii, p. 518, 519. — ^ Photius (tS^W»
avertit de se tenir en garde contre cette opinion singulière : Ista matn-
riori consideratione digna sunt; Chrysostomus enim et Ecclesia contra-
rium tenent. Biblioth, — • Traité historique de tanc, Pàque des Juifs.
Suite du traité : Démonstration , etc. — ' Lettre au P. Lami sur la
dernière Pâque de N, S, — *o « Il est inutile de citer des témoignages
particuliers. On admet que le sentiment opposé est celui de presque
tous les Pères, qu'il a été suivi par le Concile de Trente et qu'il est
généralement reçu dans TEglise. » D. Calmet, Dissert, sur la dernière
Pâq., en tête du Comment, sur S. Matthieu. Le P. Lami dit aussi : « Le
sentiment que je défends a été universellement abandonné. » Traité de
la Pâq. y Préf.
N^ 375] SA VIE SOUFFRANTE. — DERNIÈRE CÈNE. 531
IL Que le jour où Noire Seigneur a fait la Pdque avec ses
disciples soit bien le 14 Nisan, le jour même où les Juifs de-
vaient manger TÂgneau pascal et où ils le mangèrent, ce
point a moins d'importance que le premier; mais il ne
laisse pas d'être établi solidement dans les Evangiles et dans
la tradition. En effet :
1« Le récit que les Synoptiques font de la dernière Cène
ne permet pas de douter qu'elle ne se soit faite régulière-
ment, au temps et de la manière voulue par la Loi : Venit dies
azymorum in qua necesse erat occidi Pascha ^ Luc, xxu, 7.
Qmndo Judcei pascha immolabant. Marc, xiv, 12. Venerunt
discipuli^ dicentes: Vhi vis paremus tibi...? Matth., xxvi, 17.
V espère autem facto, discumbebat cum discipulis. Matth.,
XXVI, 20. Ils ajoutent que l'on se mit à la table à l'heure lé-
gale, facta hora. Luc, xxii, 14; et que le lendemain était le
jour solennel des Azymes, la fête pascale, dies solemnis, fes-
tus^ où le gouverneur devait, suivant l'usage, rendre la
liberté à un prisonnier *.
2* Si l'on met à part les exceptions que nous avons fait
connaître, presque tous les Pères et des Docteurs qui se
sont expliqués sur cette question disent ou que Notre Sei-
gneur a fait la Pâque le 14 de Nisan •, ou qu'il a été crucifié
à la fête des Azymes ♦. Nous ne croyons pas nécessaire de
i II parait qu'on appelait quelquefois parmi les Juifs, jour des Azymes^
premier jour des Azymes^ celui à la fin duquel on commençait à faire
usage du pain non fermenté, c'est-à-dire qu'on faisait de ces mots le
même usage que les étrangers, ou que par jour on entendait l'intervalle
du matin au soir. Le nom de fête ou de jour solennel des Azymes était
réservé au lendemain et à l'octave qui suivait. — * Matth., xxvii, 15;
Marc, XV, 6; Luc, xxiii, 17. Cf. Joan., xviii, 39. — 3 Polycrat. Cf.
Euseb., H. y V, 24 et ApoUin. (Migne, Pat. grsBC.^ v, 1298); S. Iren.,
II, XXII, 23. Cf. IV, X, 1; xxiii; Origen., In Levit,, Hom. ix; In Matth. ^
n. 79 (Migne, xiii, p. 1728); S. Amb., EpisL xxiii, 2, 12. 13; Theophil.
d'Alex., Ad Theodos., 5 (Migne, lxv, p. 51); S. Cyrill. dAlex., Ad Pa-
tres Conc. Carthag.; S. Hieron., In Matth., xxvi, 26^ etc. — * S. Justin.,
Dialog.f n. 111 ; S. Iren., II, xxii, 3; S. Chrys., In Matth., fiom. lxxxi, 1,
et de prod. Juda, Hom. i, n. 4; S. Aug., Epist. xxx, xxxvi, 30; Ter-
tullien , dont le sentiment parait assez clair, puisqu'il fixe la Passion ,
prima die azymorum. Adv. Jud,, x. !Nam e tôt festis Judœorum Paschœ
diem elegit. Adv, Marc,, iv, 40. Et ut prophétise adirnplerentur, pro-
532 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n*^ 376
faire ici rénumération de ces Pères, mais nous ferons re-
marquer : que le sentiment actuel de l'Eglise témoigne de
son sentiment ancien ; que pour la faire varier à cet égard,
il aurait fallu des considérations bien puissantes, ou plutôt
des preuves péremptoires de la fausseté du sentiment con-
traire; que la constance et la fermeté de sa conviction sont
attestées par la liturgie* et par le concile de Trente*; que
la principale raison de l'usage du pain azyme pour le saint
sacrifice a toujours été que Notre Seigneur avait dû s'en
servir dans l'institution de l'Eucharistie * ; que les Pères les
plus anciens dont nous citons le témoignage ne font jamais
supposer qu'ils s'écartent de la tradition ; enfin que le pre-
mier motif allégué par les Ebionites et les Quarto-décimans
pour faire leur Gène et célébrer la Pâque le 14, c'est que le
Sauveur l'avait faite lui-même ce jour-là, juxta evangelium^;
à quoi les catholiques, qui faisaient la Pâque le dimanche
suivant, se contentaient de répondre qu'il avait eu des rai-
sons pour agir ainsi, mais que la loi ancienne étant abolie,
ces raisons n'existaient plus, et qu'on n'était pas fondé à
porter l'imitation jusque-là •.
376. — S. Jean contredit-il les Synoptiques sur le jour de la dernière
Cène, ou bien oblige-t-il à les interpréter autrement qu*on ne fait
d'ordinaire?
Tous les auteurs qui s'écartent du sentiment que nous
peravit dies vesperam facere, Id est tenebras efflcere, quae média die
factae sunt, atque ita dies festos vestros convertit Deus in luctum. Adv.
Jud j X. Si Ton pensait que le Sauveur est mort au milieu de la journée
du 14, pourrait-on dire qu'il a choisi pour mourir la fête des Azymes,
qui avait lieu le lendemain?
1 Noctis recolitur cœna novissima. Qua Christus creditur, etc., Off.
SS. Sacram, — * Sess. xxii, de Sac. Miss.^ i. — 3 I Cor., iv, 7. Léo IX,
Epist. adv. Mich. Cerul.; Mabillon, de Pane eucharistico; Honoré de
Ste-Marie, de la Critique ^ ii. Les Grecs s'en abstiennent pour marquer
leur opposition à la pratique des Ebionites sur ce sujet. Cf. S. Epiph.i
H/fires.y XXX, 15. — * Polycrat., apud Euseb., //. J?., v, 24. — * Orig.,
In Malth., n. 79. Cf. Tilleraont, Lett. au P. Lami; Mémoires pour Vhist.
ecclés.f t. II ; Witasse, Tract, de Euchar.; Honoré de Ste-Marie, de la
Critique y t. ii. Bible de Vence, t. xiii, Réfiit, de D, Calmet; Wouters,
XXIV, 3.
N«376] SA VIE SOUFFRANTE. — DERNIERE CÈNE. 533
venons d'exposer invoquent S. Jean en leur faveur. Ils se
rangent en deux classes bien distinctes. — Ceux de la pre-
mière déclarent que le récit de cet évangéliste est inconci-
liable avec celui des Synoptiques, et que, par conséquent, l'un
ou l'autre de ces récits doit être abandonné. Généralement,
c'est celui de S. Jean qu'ils rejettent, comme suggéré à l'au-
teur par le désir de faire reconnaître en Jésus-Christ le vé-
ritable Agneau pascal et de détourner les chrétiens de la
Pâque légale. Tel est le sentiment des rationalistes *, et
même d'un bon nombre de protestants, prétendus ortho-
doxes, qui restreignent à la doctrine l'inspiration des écri-
vains sacrés *. — Ceux de la seconde classe n'imputent pas
d'erreur aux Evangélistes. Suivant eux, S. Jean ne contredit
pas les Synoptiques, mais il donne la clé de leur récit; il y
jette un nouveau jour, et il force le lecteur qui réfléchit de
reconnaître que le Sauveur n'a pas célébré réellement la
Pâque légale, ou que, s'il l'a faite, il en a anticipé le jour,
ou bien qu'une grande partie des Juifs, sinon tous, l'on dif-
férée jusqu'au lendemain.
Que penser de ces sentiments?
I. En principe, il ne saurait y avoir de contradiction entre
S. Jean et les Synoptiques. Nous en avons pour garants,
non seulement l'inspiration des Evangiles, que l'Eglise nous
atteste, mais encore l'impossibilité manifeste qu'une telle
contradiction ait eu lieu. En effet, elle est impossible sous
tous les rapports et à tous les points de vue. Impossible que
les trois Synoptiques aient été dans l'erreur ou qu'ils aient
voulu tromper sur un fait tel que la célébration de la Pâque
au début de la Passion. Impossible que S. Jean, qui n'a
écrit que pour compléter et confirmer l'œuvre de ses de-
vanciers, ait voulu les contredire sur ce point capital, qu'il
s'y soit résolu sans aucune raison sérieuse, et que, s'il a
voulu le faire, il l'ait fait d'une manière si peu nette que
personne ou presque personne ne l'a remarqué. Impossible,
s'il y avait eu erreur, qu'elle n'eût pas été aperçue et rele-
* Baur e\ r^<49 4ç TnJïinçue, — « Supra, n, Zl*
30,
834 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n^ 376
vée aussitôt, de quelque part qu'elle vînt, et que le conflit
n'eût pas donné lieu à des débats, à des scandales, à des di-
visions. Impossible surtout que dans l'ardeur des discus-
sions soulevées dès le milieu du second siècle au sujet de
la célébration de la Pâque, chaque parti n'eut pas opposé
évangile à évangile et traité d'erroné le texte qu'il aurait
trouvé contraire à ses prétentions.
II. De fait, si l'on étudie les quatre Evangiles sans pré-
vention, avec la déférence que l'on doit au sentiment de
l'Eglise, on ne tardera pas à reconnaître deux choses. D'un
côté, les Synoptiques sont trop nets et s'accordent trop bien
dans leur récit pour se prêter à une interprétation diffé-
rente de celle qui se présente naturellement et qu'on en
donne d'ordinaire. D'autre part, S. Jean ne dit rien qui
oblige d'abandonner les Synoptiques ou de réformer l'inter-
prétation commune. A la vérité, il évite de parler de la
Pâque légale, et au lieu d'attester, comme les Synoptiques,
que le Sauveur ne l'a pas omise, il a soin de faire remar-
quer aux fidèles, comme l'Apôtre S. Paul, que c'est Jésus-
Christ qui est maintenant leur Agneau pascal '. Mais faut-il
s'étonner de cette différence? S. Jean n'écrivait-il que pour
répéter ce que les autres avaient écrit? N'y avait-il pas, au
moment où il écrivait, des Judaïsants trop attachés à leurs
vieilles observances pascales*, à qui il importait d'inculquer
cette vérité, que la Pâque des chrétiens, la victime de leur
délivrance, c'est l'Agneau divin, immolé sur la croix aussi
bien qu'à la dernière Cène et à l'autel •? Rien de plus facile,
au reste, que d'accorder avec le sentiment commun les
quatre ou cinq passages de son évangile qu'on a coutume
d'alléguer pour établir que le Sauveur n'a pas fait la Pâque,
ou qu'il ne l'a pas faite au jour prescrit. Ainsi, par exemple :
1 Cf. Joan., I, 29; xix, 31-33; I Cor., v, 7; xi, 24, 25. Cf. I Pet., i, 19;
Apoc, V, 6, etc. — * Cf. Tert., de Prsesc.y 53 (Apocr.); Euseb., H.y v,
15, 20. — 3 JRupert, In Exod.^ vi. S. Anselni., In Maith,^ xxvi. La figure
de l'Agneau pascal a été accomplie à la Cène, dans le repas eucharis-
tique, aussi bien et mieux que par Timmolation du Calvaire; mais elle
n'a été entièrement .réalisée que par les deux actes réunis.
NO 376 1 SA VIE SOUFFRANTE. — DERNIÈRE CÈNE. 535
l' S. Jean ne dit pas que le Sauveur a fait la Cène le jour
même des Azymes, ou à la fête de Pâques, mais la veille : Dpo
Tr^ç esp-cTîç Tcu Uxzy^x, ante diem festum PaschœK Soit. Est-ce
à dire qu'il ait en vue un autre jour que celui qui est dési-
gné par les Synoptiques? Non. Qn'on se souvienne qu'il
écrivait pour les Gentils, hors de la Judée, après la ruine de
Jérusalem, sur la fin du premier siècle. Pour les Gentils,
et en dehors de la Judée, les jours ne commençaient pas
avant minuit. Par conséquent, la Gène ayant été célébrée le
jeudi soir, S. Jean pouvait et devait dire, pour être compris,
qu'elle avait eu lieu la veille du vendredi, jour des Azymes,
diei Azymorum qui dicitur Pascha*, de même que nous
disons : < la veille de sa passion ; » pridie quam pateretur '.
N'est-ce pas ainsi qu'il parle au chapitre xx, 9 : t Le soir de
la résurrection; » cum sero esset^ die illo ; bien que le jour
légal fût terminé et que le suivant fût commencé depuis le
coucher du soleil, suivant la manière de compter des
Juifs *?
2* Que les Apôtres aient cru que Judas sortait du Cénacle
pour acheter des provisions ", ce n'est pas une preuve qu'on
ne fût pas au début de la fête de Pâques •. Où voit-on que
l'achat des aliments fût défendu les jours de fête, surtout
dès la veille au soir et lorsque le lendemain de la fête était
un sabbat'?
3" On voit bien, à là vérité, dans S. Jean, que les Juifs
s'abstiennent d'entrer chez Pilate avec le Sauveur, afin de
pouvoir prendre part au repas pascal, iU manducarent Pas-
cha*; mais s'agit-il de la Cène où l'on devait manger l'A-
gneau pascal? Ne donnait-on pas le nom de victimes pascales
ou de Pâque à tout ce qu'on offrait à Dieu et qu'on consom-
1 Joan., xni, l. — * Luc, xxii, 1. — 3 Cf. Luc, xxii, 15. — * S. Thom.,
p. 3, q. 46, a. 9, ad 1. Cf. Ex., xii, 5, 18. Quelques commentateurs lient
ces mots ante diem au mot sciens qui les suit. Cette explication enlève
la difficulté, mais ne semble pas naturelle. — * I Joan., xii, 19. — « Au
contraire, si le lendemain avait été un jour ordinaire, quelle raison
aurait-il eue de sortir si tard et de tant se presser pour faire des pro-
visions? — ' Exod., xir, 15, 16; Lev., xxm, 7, 11, 15. Num., xxviii, 18;
Marc,, XV, 42, 46; Luc, xxiii, 56.-8 Joan., xviii, 28.
836 JÉSUS-CHRIST SELON l'ëvângilë. [n» 376
mait avec du pain sans levain pendant la durée des Azymes?
Plusieurs passages de l'Ecriture paraissent l'établir assez so-
lidement *.
4** Enfin, il est vrai que S. Jean appelle en un endroit le
jour de la mort de Jésus-Christ, parasceve Paschœ^, Mais
d'un côté, on ne voit nulle part que la fête de Pâques fût
précédée d'un jour de préparation. D'un autre côté, on
trouve souvent le mot Pascha employé pour désigner toute
la solennité pascale, et le mot irapacrxeuYj, préparation, Ye&i
toujours pour désigner le vendredi de chaque semaine,
comme le jour où l'on devait préparer tout ce dont on au-
rait besoin le lendemain. S. Marc atteste que tel est le sens
propre de ce mot ^ Rien donc de plus naturel que de
rendre parasceve paschœ par le vendredi compris dans Voctave
pascale, et c'est dans ce sens que ce terme est expliqué par
S. Jean lui-même, puisqu'il dit simplement ailleurs paras-
ceve et parasceve Judœorum *.
On voit qu'on peut résoudre toutes ces difficultés sans
torturer les textes. Il n'est pas moins facile de répondre à
l'objection tirée de la loi du repos comme prohibant l'arres-
tation, l'exécution, la sépulture du Sauveur au premier jour
des Azymes ^ Ces actes n'étaient pas plus prohibés que les
achats aux jours de fête. Tobie est loué pour avoir enseveli
ses frères ces jours-là, cum esset diesfestusDomini^. Le vio-
lateur du sabbat est arrêté le jour même du sabbat et mis à
mort par ordre de Dieu ^ Si les ennemis du Sauveur con-
viennent d'abord qu'ils attendront la fin de la solennité
pour mettre la main sur Jésus-Christ, ce n'est point par
i Immolabis phase Domino de ovibus et bobus, etc. Deut., xvi, 1-3.
Cf. Lev., VII, 10; Num., xxviii, 16-24; Jos., v, H; II Par., xxx, 22-24;
XXXV, 7-9; Joan., xi, 55. S. Aug., In Joan.^ cxiv, 2. Joseph., B. J., v, 3.
— 2 Joan., XIX, 14; xix, 31, 42. — 3 Erat Parasceve, quod est, anie
sahbatum, IIpoffaêaTov. Marc, xv, 42. Cf. Luc, xxiii, 54; Joan., xix,
31, 42, Brev. rom., de S. Sindone^ lect. vu ; Infra, n. 424. S. Jean ajoute :
Ce jour du sabbat, y) Yi^iepa tov (xaêSarou, était grand, njv (jteYaXv). C'est-
à-dire : Il devait être respecté comme un jour saint, ou, si l'on veut,
plus respecté que les autres jours de Toctave pascale. Cf. Joan., vu, 37.
— * Joan,, XIX, 31, 42. — * Levit., xxiii, 7; Luc, xi, i, 15; xiv, 5. —
6 ToJ)., XII, 12. — 1 N^m., XV, 32-36, Cf, Luc, iv, 16-29; Act,, xii, 4.
N'^ 376] SA VIE SOUFFRANTE. — DERNIÈRE CÈNE. 537
crainte de violer la loi du repos*. D'ailleurs la plupart des
actes qu'on dit être contraires à cette loi ont eu des étran-
gers pour auteurs*, et Ton peut conclure de l'édit même
d'Auguste en faveur des Juifs que les étrangers ne la res-
pectaient guère ^
Il est bien vrai, et nous ne voulons pas le contester, que
ces difficultés se résoudraient également, ou même que la
plupart ne se présenteraient pas, si les Juifs avaient fait la
Pâque le lendemain du jour légal, un jour plus tard que
Notre Seigneur. Mais cela suffit-il pour ériger en fait cette
supposition? Non; il faudrait l'établir par de bonnes
preuves, et l'histoire n'en fournit aucune. Ni dans l'Ancien
Testament, ni dans le Nouveau, ni dans Joséphe *, ni dans
aucun auteur ancien, on ne trouve la trace de cette déroga-
tion à la loi et au culte mosaïques. Au contraire, on voit des
Juifs devenus chrétiens se séparer de leurs frères par une
attache aveugle et opyiiâtre au jour fixé par Moïse*. Qu'il y
eût quelque difficulté à immoler au temple en un seul jour
assez de victimes pour suffire à tout le peuple, est-ce une
preuve qu'on ait remis au lendemain celles des Galiléens?
Etait-il plus essentiel d'immoler toutes les victimes dans
l'enceinte du temple que de faire la fête ensemble, en un
même jour'? Qu'il fût peu commode de s'abstenir de tout
travail deux jours de suite, est-ce une raison de croire qu'on
ait différé la fête ou qu'on l'ait réunie au sabbat? N'est-il
pas vraisemblable que la loi du repos s'observait moins ri-
goureusement les jours de fête que le septième jour'? Au
moins peut-on dire que ces considérations ne peuvent four-
1 Matth., XXVI, 5. Cf. Joan., vu, 22, 23, 32. Supra, n. 367. — 2 Matth.,
XXVII, 26-36; Act., ii, 23, etc. — 3 Joseph., A., XIV, x, XVI, vi. On a
encore objecté le verset 22, eh. xii, de TExode, où il était défendu aux
Israélites de sortir de leurs maisons après le repas pascal; mais il suffit
de lire ce passage pour reconnaître que cette prohibition ne concernait
que la première Pâquo et n'avait pour motif que l'attente de l'Ange
exterminateur. — * Cf. Joseph., B., VI, xii; Philo, In vita Mos.y et In
Decal. — ^ Euseb., H., v, 23; S. Aug., de Hxres.^ xxix; S. Theopliil.,
Apud Migne, t. v, p. 1370, n. 6. — * II Parai., xxx, 16, 17; xxxv, 56.
Josèphe prétend qu'une année on en immola 256,000. fl., VI, ix, 3. —
^ Sabbatum, requies Domini. Exod., xx, 8-10; Levit., xiii, 3.
538 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n» 377
nir que des conjectures, et qu'elles ne sauraient prévaloir
contre les témoignages si formels des trois Synoptiques K
§ IV. — Institution de l'Eucharistie. Matth., xxvi, 17-29;
Joan.^ xui^ i-30.
La dernière Gène, — l'Eacharistie, — la Transsubstantiation, — le Sacerdoce.
377. — Pourquoi Notre Seigneur a-t-il lavé les pieds de ses Apôtros
avant d'instituer TEucharistie et le sacrement de TOrdre?
Notre Seigneur a voulu laver les pieds de ses Apôtres
avant de leur donner son corps et son sang et de les consa-
crer prêtres, pour deux raisons, entre autres : — 1* Afin de
leur faire observer qu'il faut une plus grande pureté pour
participer à l'Eucharistie, et surtout pour la consacrer, que
pour prendre part au repas pascal *. Suivant le récit de
S. Jean, le repas était commencé avant cette ablution S et
il y a lieu de croire que la Pâque légale était achevée. On se
mit donc de nouveau à table ^ — 2* Pour les prémunir
contre l'orgueil, au moment où il va les élever au comble
des honneurs et des pouvoirs ecclésiastiques, et pour leur
apprendre par son exemple à se mettre aux pieds de leurs
frères et à se dévouer à toutes les humiliations dans l'inté-
rêt de la gloire de Dieu et de la sanctification des âmes •.
1 Ben. XIV, de Fest., I, vi, 25. Cf. S. Thom., p. 3, q. 46, a. 9; et q. 74,
a. 9. Quant à l'identité de la première Cène rapportée par S. Jean et
celle que décrivent les Synoptiques, il n'est pas possible de la contester.
L'une et l'autre est suivie du départ pour le jardin des Olives et du
commencement de la Passion. Judas assiste à l'une et à l'antre. Dans
l'une et dans l'autre y le Sauveur annonce la trahison dont il va être
l'objet et le reniement qui aura lieu pendant la nuit. Cf. Matth., xxvi,
23-25, 34; Luc , xxii, 21, 34; Joan., xiii, 12-47, 21, 22, 38. Dans l'une
et dans l'autre encore, il recommande à ses Apôtres les vertus d'humilité
et de charité. Cf. Luc, xxii, 26, 27 et Joan., xiii, 12-17. — * O XeXov(i£voç,
qui a été baigné, baptisé. Joan., xiii, 10. Cf. Gen., xviii, 19; Jud., xix,
21; Luc, VII, 44. S. Aug., et Origen., In hune loc, Martigny, Ablution;
Moïse détachant sa chaussure. — s Joan., xiii, 2,4, — * Joan., xiii,
12-26. -- » Joan., xiii, 4, 5, 14-17. Cf. Luc, xxii, 25-29; I Cor., xii, 31;
Jac , y, 16. Quantum quisquc intelligentia profecerit, tanto magis caveat
superbiam et invidentiam. Meminerit evangelium Joannis, quanto magis
erigit ad contemplationem veritatis, tam multo amplius praecipere de
dulcedine caritatis, S. Auç., de Cous, Evang., iv, 20.
NO 378] âA VIE âOU^PRANTÉ. — L*EUCHAR1STIE. 8âD
378. — La manière dont l'Eglise entend le mystère de l'Eucharistie
est-elle en harmonie avec l'esprit de Notre Seigneur et avec les prin-
cipes d'une sage interprétation ?
I. Rien de plus contraire "aux apparences sensibles que la
présence réelle du Sauveur dans rÊucharistie, mais rien qui
qui s'accorde mieux avec Tidée que la foi nous donne de sa
religion envers son Père et de sa charité pour les hommes :
i^ La religion le portait à rendre à la majesté divine le
plus de gloire possible. Or, quoi de plus propre à glorifier
son Père que de se rendre présent en son humanité à tous
les lieux et à tous les temps, et de renouveler partout et à
tout moment son divin sacrifice? Par ce moyen, il perpétue
et multiplie ses adorations ici-bas, et il donne aux nôtres, à
celles que nous offrons avec lui, toute la perfection et toute
la valeur qu'elles peuvent acquérir.
2° A quoi devait le porter l'amour dont il est animé à
notre égard ? A rester au milieu de nous, à se faire le centre,
le lien et la vie de nos âmes, à s'immoler pour nous autant
qu'il lui était possible et à nous mettre à même de profiter dé
son sacrifice en ne cessant de nous immoler avec lui et par
lui *. Or, l'Eucharistie n'est-elle pas le moyen le plus par-
fait à employer pour cela? En se donnant au monde par
l'Incarnation, il avait fait en faveur du genre humain tout ce
qu'il pouvait pour contenter son amour. Afin de compléter
son œuvre, ne convenait-il pas qu'il se donnât à chaque in-
dividu aussi réellement qu'à l'humanité entière, de sorte que
nulle âme n'eût à porter envie à aucune de celle qu'il avait
favorisées de sa présence durant sa vie mortelle?
II. Quant aux paroles de l'Ecriture sur ce mystère, le sens
que l'Eglise leur donne, loin de choquer la raison, est le
seul qu'il soit raisonnable d'y reconnaître.
1 Qui habet sponsam, sponsus est. Joan., ,ii, 29. Qui suam iixorem
diligit, seipsum diligit. Nemo unqnam carnem suam odio habuit, sed
nutrit. et fovet eam, sicat Christas Ecclesiam ; quia membra sumus cor-
poris ejas, de carne ejas et de ossibas ejus. Propter quod enint duo in
carne sua. Sacramentum hoc magnam est ; ego autem dico in Christo et
in Ecclesia. Eph., v, 28, 32. Cf. Rom,, vixi, 32, 39.
840 iESUS-GURIST SELON L^EVANGILË. [n^ 378
1" Est-il croyable, en effet, que le Fils de Dieu, qui con-
naissait l'avenir et qui savait de quelle manière on enten-
drait ses paroles, ait choisi, pour exprimer ce dogme, des
termes qui devaient être pour son Eglise une cause perma-
nent d'erreur et d'idolâtrie, dont on ne commencerait à
soupçonner le véritable sens qu'après un laps de dix ou
quinze siècles, et qui continueraient toujours d'être, pour
les âmes les plus droites, les plus éclairées et les plus saintes,
le fondement d'un culte idolâtrique et sacrilège?
2° Gomment s'imaginer que l'aliment par excellence de la
piété, la source des vertus les plus héroïques, le principe
de la sainteté chrétienne depuis dix-huit siècles, soit une
erreur monstrueuse dans la foi et une pratique damnable
dans le culte divin; que les âmes les plus dignes des faveurs
et des bénédictions du ciel aient été à toutes époques les plus
aveugles dans leur croyance *, et qu'il ait fallu des hommes
tels que Calvin, Zwingle, Luther, pour expliquer le
mystère de la foi à l'Eglise et la remettre dans la voie de la
vérité * ?
3* Enfin, comment admettre que le pain de vie figuré par
la manne, et le sacrifice eucharistique figuré par Melchisé-
dech, par l'Agneau pascal et partons les sacrifices anciens,
ne soient eux-mêmes que des figures et des ombres, et
qu'ainsi les mystères du Sauveur aient été mieux représen-
tés dans le culte mosaïque qu'ils ne le sont dans le culte
chrétien? Est-ce que le ministère charnel n'est pas inférieur
au ministère spirituel ^? Est-ce que l'objet figuré ne doit pas
l'emporter sur la figure, autant que la substance corporelle
l'emporte sur son ombre ou son image?
Aussi l'Eglise n'a-t-elle jamais hésité sur la pensée du
^ Necesse est ut omnes fidèles, omnes Sancti, omnes casti, continentes,
virgines, omnes clerici, levitœ et sacerdotes, tanta confessorum miUia,
tant! martyram exercitus, tantus postremo jam pêne terrarum orbis
ignorasse^ errasse, blasphémasse, nescisse quod crederet, pronantietar!
Vinc. Ler., Commonit , 24. — ^ Nunquam mihi persuaderc potui Chrisr
tum, qui veritas et caritas est, tandiu passum fuisse dilcctam sponsam
suani in errore tam abominando hœrere ut crustulum farine pro ipso
adoraret. Erasm., Epist, ad Berum. — 3 II Cor., m, 7-11.
N» 379] SA VIE SOtFFRANtE. — L'EUCttARlâTlE. Ml
divin Maître, et t malgré l'incrédulité ou la trahison d'un
certain nombre ', l'humanité est venue au banquet de la
grâce ; elle a dressé des tables^ elle a bâl^i des monuments
magnifiques pour couvrir d'ombre et de gloire le pain dont
il avait dit : Ceci est mon corps. Elle a cru que, puisqu'une
mère peut porter son fils dans ses entrailles et le nourrir
encore de sa substance après l'avoir mis au monde, il n'é-
tait pas impossible à Dieu d'avoir la même puissance dans la
même tendresse et de renouveler entre lui et nous les mi-
racles de la maternité V t
* 379. — D'où vient que S. Jean passe soas silence Tinstitution de l'Eu-
diaristie, et que les Synoptiques la rapportent en si peu de mots?
I. S. Jean n'a pas écrit pour ajouter son témoignage à
celui des trois premiers Evangélistes, mais pour suppléer à
ce qu'ils ont omis et pour mettre hors de doute ce qu'on
attaquait de son temps. Il s'attache surtout aux discours du
Sauveur. Quoi d'étonnant qu'il ait retracé la promesse plu-
tôt que l'institution de l'Eucharistie, déjà décrite par les
trois Synoptiques et par l'apôtre S. Paul % et qu'il ait cru
plus important de faire connaître les effets du sacrement
que d'en constater la réalité? N'a-t-il pas fait quelque chose
de semblable pour le sacrement de Baptême S pour l'Ascen-
sion de Notre Seigneur*, pour la mission du Saint-Esprit ',
et pour la primauté de S. Pierre '? Du reste, la solennité
avec laquelle il débute dans le récit de la dernière Cène, au
chapitre xiu, l'annonce qu'il fait d'un témoignage d'amour
que Notre Seigneur y doit donner à tous les siens, suis qui
sunt in mundo *, et par lequel il doit couronner toutes ses
bontés précédentes, v^que in finem, ne s'expliquent point
par le lavement des pieds ; mais le lavement des pieds lui-
même, la leçon d'humilité qu'il donne à ses Apôtres, la pu-
1 Jean., VI, 67. — « JLacord., Conf. 79. — ' I Cor., xi, 23-30. — * Cf.
Joan., m, 3-7, et Mattb., xxvm, 19. — » Cf. Joan., xx, 17, et Luc,
XXIV, 51. — « Joan., xiv, 16. 17, 26, xvi. 7, 13, et Act., ii, 1. - *ï Cf.
Mattii., XVII, 17-19, et Joan., xxi, 15-17. La conclusion à tirer du silence
de S. Jean en cet endroit, c'est qu'il s'agit bien de TEucharistie et de
son institution, dans son chapitre vi. — * Cf. Joan., xi. 52.
m. 3i
842 JESUS-CttRÏSt SELON l*évangilë. [no 380
reté parfaite qu'il exige d'eux, le regret qu'il a d'en voir un
si mal disposé, la recommandation qu'il leur fait de purifier
leurs frères comme il vient de les purifier, ce long discours
si affectueux et si sublime qui remplit les trois chapitres
suivants, s'expliquent par l'institution de l'Eucharistie et du
Sacerdoce. S. Jean y fait donc visiblement allusion K
IL Pour les Synoptiques, la simplicité et la sobriété de
leur récit sont la meilleure preuve de son authenticité. Si
un imposteur eût imaginé de décrire l'institution de ce sa-
crement au second siècle, lorsqu'il y avait déjà un culte
établi, des églises et plusieurs ordres de ministres reconnus,
il en eût fait, selon toute apparence, une description détail-
lée et un tableau magnifique. Il aurait mis dans la bouche
de Notre Seigneur une formule moins brève. D'ailleurs, le
court récit de S. Paul n'est-il pas remarquable par sa solen-
nité»?
* 380. ~ Que signifient littéralement ces mots de S. Matthieu : Bic est
sanguis meus novi Testamentif zxvi, 28, et ceux-ci de S. Luc : Hic
est calix novum Testamentum in sanguine meo, xxii, 20 ?
Les premiers signifient : t Ce qui est en ce calice est mon
sang, le sang du Testament nouveau. » Les autres : c Ce ca-
lice est un nouveau Testament, ou fonde un Nouveau Testa-
ment, grâce à mon sang qu'il contient '. » Le sens de S. Mat-
thieu ressort du texte grec. Dans l'une et l'autre de ces for-
mules, on reconnaît une allusion à la manière dont l'ancienne
alliance avait été scellée au pied du Sinaï *. Pour protester
de la sincérité de cet engagement, des victimes avaient été
immolées suivant l'usage, et de leur sang reçu dans douze
coupes, Moïse avait aspergé douze colonnes, représentant
1 Tout le monde reconnaît qu'au moment où fut écrit le quatrième
évangile^ la Cène était partout célébrée dans FEglise^ et qu'on y faisait
partout mémoire de Tinstitution de TEucharistie. I Cor., xi, 23-26.—
"^ Son but, en le rappelant, était de remédier aux abus qui s'étaient
déjà glissés dans la célébration de la Gène, I Cor., xi, 20 : comment ne
remonterait-elle pas à l'origine de rEglise, vingt à vingt-cinq ans plus
tôt? — 3 Double métonymie : le contenant pour le contenu et l'effet
pour la cause. Cf. I Cor., xi, 25. -« * Ex., xxiv, 8. Cf. Jer., xxxi, 31.
K" 38i] Sa vie sou^rtiANtE. — l'eucharistie. SiS
les donze tribus, en disant : Hie est sanguU textamenti guod
pepigit Dominus vobiseum *. Afin de sceller et de cimenter
le Testament nouveau, Jésus-Christ, qui en est l'auteur et
qui va en filre la victime, fournit lui-même son sang. Il en
fait boire aux douze ApAtres, pères du peuple chrétien, et
il en offre à tous ses disciples. Les paroles qu'il prononce
font entendre qu'à la Cène il y a, comme il y eut au Sinaï,
un sacrifice véritable, une victime réellement présente, qui
verse son sang; et à laquelle on participe. De plus, elles in-
sinuent qu'il n'y aura plus à l'avenir qu'une seule hostie
pour la rémission des péchés: Hoc corpus... Hic sanguis;
que dans le Nouveau Testament, le sang de l'Agneau divin
remplacera celui de tant de victimes qui ruisselait depuis
l'origine du monde *, et que ce sang ne purifiera plus seule-
ment l'extérieur, mais le fond de l'âme.
Le Sauveur, ayant rendu grâce à son Père, euyjpioTT.oa;,
changea le pain en son corps et le vin en son sang par cette
double formule que les prêtres répètent encore aujourd'hui
I Cf. Beb , II, 15-20. — > Cf. Mal., i, 10, 11; 1 Cor., ii , 26; Heb,,
tx, 11-S3; x[i, 18-24. Infra, n. 813. 8U. - > Représenutinns du BacriHce
de la mesie, pabUée» par le P. Garrucci. Remaïqtter, \ ganche, l'autel
Rur lequel Vli^i oat étendu ; et autour de l'arbuste, k droite, le serpent,
(Dteurda péché, qai rend l'initnolation nécessaire el indique le caractère
eipiatoire du sacriflco. Le premier personnage tient une corbeille où
est le païTi eucharistique, le second, le linge sur lequel il doit le rece-
voir, le quatrième un rouleau , symbole de srai oCBcc de diacre on de
pritra. Martigny, Volume.
844 JESUS-CitRlST SELON L^£VANÛ1Lë« [no 382
pour la consécration : Hoc est corpus meum... Hic est sanguis
meiAS, novi Testamenti^ etc.. Sur les lèvres du Fils de
Dieu, de telles paroles ne pouvaient manquer de produire
l'effet qu'elles énonçaient ; elles avaient la même efficacité
que celles par lesquelles il guérissait les malades ou remet-
tait les péchés : Dimissa es ab infirmitate ttia '. Filitis tum
vivit '. Remittuntur tibi peccata tua *. Le verbe est opère et
montre déjà fait ce dont la réalité est affirmée. Fiat eût
moins convenu : il pourrait s'entendre d'un simple vœu.
En tous cas, ce mot porterait l'attention sur l'opération
plutôt que sur le résultat. Quant au mot hoc, il ne doit pas
être regardé comme un substantif indépendant, mais comme
un pronom relatif qui s'accorde avec corpm, et il faut l'en-
tendre de la même manière que hic dans ces propositions :
Hic est panis quem dédit vobis Dominus ad vescendum*. Hic
est Filim meus dilectm^. Hic est hœres'^. Hic est omnium
Dominus^. * C'est mon corps... C'est mon sang. > Ces pa-
roles opérant ce qu'elles expriment, c'est par leur énoncia-
tion même que le sujet et l'attribut s'identifient dans le
même objet.
* 382. — Gomment le Sauveur dit^il de sa chair qu'eUe est donnée
pour nous : pro vobis datur^ au présent, et de son sang qu'il est ré-
pandu, exYvvofUvov, pour la rémission des péchés?
Notre Seigneur parle au présent de sa chair immolée et
de son sang répandu, pour deux raisons : — !• Parce que,
dés ce moment même et dans cette action, il offre Son corps
et son sang en sacrifice de propitiation en notre faveur, et
qu'il doit persévérer jusqu'à la fin des temps dans cette
1 s. Luc et S. Paul rendent un peu différemment la même pensée :
Hic est calix novum testamentum... Hic calix novum testamcntum est
in moo sanguine (m pour per), Luc, xzii, 20 ; I Cor., xi, 25.-3 Luc,
XIII, 12. ^ 8 Joan., iv, 50. — * Luc, vu, 48. Par la parole, Thomme ex-
prime sa pensée. Dieu sa puissance. » S. Aug., Epist, xlix, « Les paroles
d'un homme sincère disent ce qui est : les paroles toutes puissantes du
Fils de Dieu font ce qu'elles disent. » Fénelon , Sur la communion, —
5 Exod., XVI, 15. — 6 Matth., xvii, 5. — ^ Matth., xxi, 38. — « Act.,
X, 36. Cf. Brev. rom., Off, votiv, SS. Sacrant,, mense sept., et Inf. OcL
Co)*p, Dom.j fer. iv, lect. iv-vi.
N® 383] SA VIE SOUFFRANTE. — l'BUGHARISTIë. 845
oblation sacramentelle. C'est ce qui parait surtout dans le
récit de S. Luc : Tcuto eati to acopiz piou, to uTcep u(au)v 8iSo(jlsvov.
TouTO TO icoTTQpiov 6v xu) ai[jLati [jLcu, TO uicep upLwv ex^woiJisvov *.
— 2* Parce qu'il unit dans sa pensée le sacrifice de la Cène
à celui du Calvaire, qui est déjà comme présent. C'est cette
considération sans doute qui a porté l'auteur de la Vulgate
à traduire ex^uvoiievov, participe présent, par le futur : ptod
effundetur*; comme dans S. Paul, il rend xXw|jtevov, qtiod
frangitur, par qttod tradetur '. — Il n'est personne qui ne
voie combien ce parallélisme, qui montre la chair et le sang
du Sauveur distinctement présents sous l'une et l'autre es-
pèce, et la répétition multipliée de chacun des termes to dw^xa,
TO atixa, TO TYj; xaivYjç SiaOtixYjç, to 5t5o(i.evov, to exyuvofASvov,
fortifient l'affirmation de sa présence réelle au sacrement de
l'autel.
* 383. — Poarquoi le Sauveur s'immole-t-il mystiquement au Cénacle,
au moment où Ton va Vimmoler réellement sur la croix?
Il importait : — 1" Que le Fils de Dieu exerçât en per-
sonne d'une manière visible sa dignité de souverain Prêtre.
— ^ Qu'il témoignât ainsi combien son immolation était
libre et spontanée. — 3* Qu'il inaugurât lui-môme la célé-
bration du sacrifice eucharistique, qui est celui de son
Eglise et qui doit durer à jamais, dùnec veniat *. — 4* Qu'il
montrât par son exemple avec quelle religion ses ministres
doivent s'y préparer, l'offrir et en rendre grâce. — 8* Que
la divine Victime fût dès lors et pût être à jamais, comme les
victimes figuratives, l'aliment de ceux pour qui elle était
offerte, afin qu'on pût s'unir à elle d'une manière sensible
et participer plus abondamment aux fruits de son oblation '.
De toutes les parties du sacrifice, l'immolation est la
seule qui fut bien visible au Calvaire.
* Tttbp vpiwv, pro vobis. Luc, xxii, 19, 20. Cf. Rom., m, 24, 25; Heb.,
V, 1 ; IX, 13, 14. — * Matth., xxvi, 28; Marc, xiv, 24; Luc, xxii, 20. —
3 I Cor., XI, 24; id est quod datur ad vescendum. Hébraisme : Panem
frangere pour dare in cibum. — * I Cor., xi, 26. Christus corporiset san-
guinis sui ordinans sacramentum, docebat qualis Deo hostia dobcret
offerri. S. Léo, Serm, lviii, 3. Supra, n. 315. — « Joan., xvii, 23.
546 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n« 388
* 384. — Quel est le pain que consacra Notre Seigneur et pourquoi
le bénit-il?
1* Le pain que consacra Notre Seigneur à la Cène fut du
pain sans levain. Le pain fermenté était interdit durant
toute la fête pascale ', et le pain azyme était le plus conve-
nable, soit pour représenter la parfaite pureté de Celui qui
daigne se mettre sous l'apparence d'un aliment, soit pour
nous dire celle avec laquelle nous devrons nous-mêmes
nous approcher de lui. On sait que, dans la pensée des Juifs,
le levain altérait la pâte, la rendait moins pure *.
2° L'usage des Juifs * et la pratique de Notre Seigneur
était de bénir le pain à tous les repas, avant de le rompre*.
Mais il semble que la bénédiction dont il est parlé est une
bénédiction spéciale ou plutôt une prière par laquelle le Sau-
veur rendit grâces à son Père pour tous ses dons et en par-
ticulier pour l'aliment divin qu'il allait offrir aux âmes.
385. — Pourquoi Notre Seigneur a-t-il voulu qu'à la Cène S. Jean fût
placé à ses côtés et comme sur son cœur, Joan., xiii, 25?
S. Jean, placé à côté de Notre Seigneur et penché sur son
cœur, est pour nous un symbole et une leçon. En lui don-
nant cette place. Notre Seigneur complète l'instruction
qu'il vient d'adresser aux Apôtres en leur lavant les pieds *.
Il montre d'une manière sensible la vérité de cette maxime
de l'Esprit saint : Qui diligit cordis munditiam habebit ami-
cum regem*; car ce qui est l'objet de sa prédilection dans
S. Jean, c'est la pureté ; c'est l'innocence. Nous devons en
conclure que les âmes auxquelles il s'unit le plus étroite-
ment et se communique avec le plus d'amour sont les âmes
pures, et que ses faveurs dans la communion se mesurait,
non sur le rang et la dignité extérieure, mais sur la sain-
teté, la candeur, la charité avec lesquelles on vient à lui '.
N'est-ce pas ce qu'apprend aussi l'expérience? Un autre mo-
* Luc, XXII, 1. — s Mattli., xvi, 6; I Cor., v, 6-8; Gai., v, 9. —
3 I Tim., IV, 4. — * Matth., xiv, 19; Luc, ix, 16, etc. — « Joan., xin,
8, 10, — « Prov., XXII, 11. — 7 Joan., xiv, 21.
N® 386] SA VIE SOUFFRANTE. — l' EUCHARISTIE. 5i7
tif pour lequel le Sauveur a pu témoigner tant d'affection à
S. Jean, c'est qu'il voyait en lui, dès ce mo'ment, le fils
adoptif de Marie et le plus dévoué de ses enfants. Jésus
s'efforçait de faire passer en son cœur l'affection et la ten-
dresse dont il désirait le voir rempli ', et il le récompensait
d'avance des services qu'il rendrait à sa Mère.
386. — Judas a-t-il aussi communié?
Des commentateurs récents mettent le fait en doute,
Néanmoins l'Eglise parait l'affirmer, avec l'Ecriture et
presque tous les Pères : Turbœ fratrum duodenœ Datum non
ambigitur, nous dit la Liturgie', Dans S.Matthieu, Notre
Seigneur dit aux douze : Accipite et dividite inter vos,., Bi
hite ex hoc omnes '. S. Marc ajoute : Biberunt ex illo omnes *.
S. Luc, qui a écrit en troisième lieu et qui a cherché à
suivre l'ordre en ses récits, semble mettre le fait hors de
doute, par la liaison qu'il établit, au chapitre xxii, entre les
versets 20 et 21 '. Du reste, on ne voit pas comment cet
apôtre n'aurait pas fait ce que faisaient tous les autres ; car
il semble n'être sorti qu'à la fin du repas; et jusque-là Notre
Seigneur, tout en continuant de l'avertir que son dessein
lui était connu •, n'avait révélé son indignité qu'à lui seul '.
Ce traître fut donc à la Cène le type des sacrilèges '. Avec
l'Eucharistie, il reçut et profana le sacerdoce. C'est aussi le
premier, dit saint Chrysostome *, qu'on vit s'éloigner de la
table saiate sans faire d'action de grâces*
* Proprius effectus hujus sacramenti est conversio hominis in Christum,
ut dicat cum Apostolo : Vivo jam non egOy vivit vero in me Christus,
S. Thom., In iv Sent, dist. 12, q. 2, a. 1. — 8 Cf. S. Thom., p. 3, q 81,
a.2. — 3 Matth., xxvi, 27. — * Marc, xiv, 23. — * Cf. Verumtaraon ecce
manus tradentis me mecum est in mensà. Cf. Act., i, 20. — « Matth.,
XXVI, 23; Marc, xiv, 18; Luc, xxii, 21; Joan., xiii, 18. — "^ Joan.,
XIII, 30. Fureni noverat; non prodebat. S. Aug., In Joan.^ l, H. Neque
eum manifesta vit, ne iinpudentius contenderet, nec latcre voluit, ne
laicre arbitratus licentius auderet. S. Chrys., In Joan.^ Hom. xlvii. —
s Dominus Judam vcnditorem suum sinit accipere inter innocentes,
quod fidèles norunt pretium nostrum. S. Aug., Epist. xuii, 23. —
9 Homil. de Bapt. Christ.
548 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n<» 388
387. — Le commandement nouveau du Fils de Dieu, Joan., zm, 34,
n'est-il pas admirablement placé au début de la Passion, et au sortir
de la dernière cène?
Ces deux mystères, la Passion et TEucharistie, étaient
nécessaires pour expliquer et motiver le commandement
nouveau, la nouvelle obligation que le Sauveur impose aux
chrétiens'. Sans la Passion et l'Eucharistie, on ne verrait
pas toute la portée de ces mots : Ut diligatis invicem skut
dilexi vos *, ou ce commandement pourrait ne pas sembler
juste et réalisable. Mais il en est autrement quand on a sous
les yeux le sang que le Fils de Dieu a répandu pour tous les
hommes, et qu'on voit l'union qu'il veut contracter avec cha-
cun d'eux parla communion. Encore ici, il a fait le premier, et
il a fait en Dieu ce qu'il nous demande '. Grâce à cet exemple,
sa loi parait naturelle et presque aisée. Par sa Passion, il a
racheté toutes les âmes; par l'Eucharistie, il se les assimile;
il vit en elles; il les transforme en lui. Après qu'ils ont
communié, les chrétiens ne doivent plus voir que Jésus-
Christ en eux et dans leurs frères. Quoi de plus juste alors
que de s'aimer les uns les autres, comme Jésus-Christ les
aime et comme ils doivent l'aimer * t
388. — Quand est-ce que Notre Seigneur a donné à ses Apôtres Je
caractère du sacerdoce?
Notre Seigneur a donné à ses Apôtres le caractère du sa-
cerdoce au moment où il leur a conféré le pouvoir de con-
sacrer comme lui son corps et son sang. Hoc facite, leur
dit-il, in meam commemorationem^ , Mortem Domini annm-
tiabitis, donec veniat •. C'est une vérité définie par le con-
* I Joan , II, 7, 8; III, 23, 24. — ' Non sicut se diligunt qui corrum-
punt, nec sicut se diligunt homines quoniam homines sunt; sed sicut
se diligunt quoniam dii sunt et filii Altissimi omnes, ut sint Filio ejos
unico fratres. S. Aug., In hune loc, — 3 Joan., xiii, 15. — * Matth.,
XVIII, 5; Luc, X, 27, 37; I Cor., x, 17; I Joan., iv, 10. — * Luc, xxii, 19;
I Cor., XI, 25. Unde et memores, etc. Can. Missâe. Les sacrifices mo-
saïques annonçaient que Timmolation du Sauveur devait avoir lieu;
le sacrifice chrétien atteste qu'elle est accomplie : Commémorât, —
I Cor., XI, 26.
N» 389] SA VIE SOUFFRANTE. — l' EUCHARISTIE. 549
cile de Trente *. En leur conférant ce pouvoir, le Sauveur
atteignait un double but. Il instituait dans son Eglise un
sacrifice perpétuel, centre et foyer de tout le culte chrétien ;
il donnait aux fidèles un aliment qui les faisait participer,
dans leur corps et dans leur âme, aux bénédictions et aux
vertus de son humanité, et il dédommageait en partie ses
disciples de la perte qu'ils faisaient de sa présence sensible.
Quant au pouvoir^de remettre les péchés, les Apôtres ne le
reçurent qu*après sa résurrection ".
389. — Que veut dire Notre Seigueur par ces paroles : Non bibam
amodo de hoc genimine vitis^ Matth., xxvi, 29?
Les paroles de S. Luc : Dico vobis quia ex hoc non mandu-
cabo, et les suivantes : Non bibam de generatione vitis •, aux-
quelles semblent faire suite les paroles toutes semblables de
S. Matthieu ^, sont placées dans son évangile avant la con-
sécration du pain. Par genimen vitis^ le Sauveur entendait
donc le vin en général, ou le vin non consacré dont on avait
fait usage à table. Ce qu'il en dit fait comprendre qu'il n'a
plus de Pâques à célébrer en ce monde ; mais qu'à ce der-
nier repas, au repas pascal qu'il vient de faire avec ses
Apôtres, en succédera un autre, bien plus désirable, qui
sera celui de la délivrance suprême *, le banquet de la vie
éternelle, dont l'Eucharistie est le gage •. Le vin qu'on y
boira sera une boisson nouvelle dont on n'a pas l'idée ici-
bas : vinum novum, xaivov '. Ainsi la pensée du ciel s'unit à
celle de la croix dans le sacrifice de l'autel. Regnum Patris
ne peut guère signifier ici que le ciel.
S. Jean Ghrysostome entend ces paroles plus simplement,
i Gonc. Trid., sess. xxii, can. 3. — - ' Joan., zx, 22. Cf. Conc. Trid.^
sess. XIV, 1. — 3 Luc, xxii, 16, 18. — * Ce qui fait ici difficulté, c'est
que S. Matthieu place ces paroles de Notre Seigneur après la consécra-
tion du vin. On peut admettre avec beaucoup de commentateurs qu'il
y a une transposition ou un défaut d'ordre dans son récit. Il convient
d'aiHeurs de remarquer que cette expression, genimen vitis, pourrait
désigner le vin consacré aussi bien que celui qui ne l'est pas. —
» Apoc, XV, 3. — « Luc, XXII, 16, 29, 30. Cf. Tob., xii, 19. Ps. xxxv, 9,
^ 7 Injfra, n. 817.
31,
850 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n® 390
en ce sens que le premier repas auquel le Sauveur doit
prendre part ici-bas avec ses Apôtres aura lieu après sa ré-
surrection. Mais si le divin Maître se met à table avec eni
après sa résurrection, on ne le voit jamais faire usage (l,e
vin. Il semble qu'à Emmaus, il se borne à donner son corps
à ses disciples sous l'espèce du pain S
ARTICLE H.
Souffrances de Notre Seigneur.
* 390. — En quels lieux et à quel moment Notre Seigneur endura-t-il
les divers tourments de sa Passion?
l** Les principales scènes de la Passion furent : le jardin
de Gethsémani ou des Oliviecs*; la maison d'Anne*; celle
de Caïphe*; le sanhédrin'; le prétoire de Pilate*; les
rues de Jérusalem"'; la montée du Calvaire*; la croix*.
20 La Cène ayant eu lieu le jeudi soir, de sept à huit
heures, Notre Seigneur se rendit au jardin des Olives vers
neuf heures; à dix heures il priait et suait le sang; à onze
heures il était arrêté et ramené à la ville. Le vendredi, de
minuit à deux heures, il comparaissait devant Anne et
Caïphe, était accusé, souffleté, renié. On le conduisit vers
six heures au tribunal de Pilate; vers sept heures, à la
cour d'Hérode. De huit à dix, il était flagellé, couronné
d'épines, condamné à mort. A onze heures, on le mène au
supplice. A midi, il est cloué à la croix. A trois heures, il
expire. Enfin, vers six heures, on dépose son corps au tom-
beau.
, Ainsi sa Passion, à compter de son agonie-, a duré dix-
sept heures. Les Evangélistes l'ont suivi dans tout le cours
de sa vie douloureuse. Ils rapportent ses paroles, ses tour-
ments, ses actes. On ne saurait trop étudier ces détails;
mais nous ne pouvons en signaler que peu de traits.
1 Cf. Luc, xxiv, 30; Joan.., xxi, 13; Act., i, 4. — ^ > Matth., xxvi, 36.
— 3 Joan., XVIII, 13. — ♦ Matth., xxvi, 57. — » Matth., xxvi, 59-66j
X.UC., XXII, 66-71. — » Matth., xixii, 2-31. — . ' Luc, xxiii, 26-32. —
« Mattli., xxvii, 33, 34, — 9 Luc, xxiii, 34-36; Joan., xix, 23-37.
N® 392] SA VIE SOUFFRANTE. — SES TOURMENTS. 551
§ I. — Agonie du Sauveur. Matth., xxvi, 36-46; Luc, xxn, 39-46.
{Getfvtémanij grotte de Vagonie; jeudi soir, vers onze heures.)
391. — Lorsque, après avoir dit : Transeat a me^ Notre Seigneur ajoute ;
Non mea volunias..., Non sicut ego volo...^ change-t-il de volonté et
rectifie-t-il sa première disposition ?
Les dernières paroles du Sauveur : Non sicut ego volo \
n'indiquent pas un changement dans la volonté du Sau-
veur, mais elles achèvent de faire connaître l'état de son
âme. Après avoir exprimé et volontairement ressenti Tim^
pression que tout homme éprouve en se voyant frappé du
coup le plus terrible ', il déclare quelle est pourtant la dis-
position de son cœur et sa résolution inébranlable'. Il se
montre prêtre en même temps qu'il laisse voir la victime.
Peu importe que cette détermination soit exprimée en der-
nier lieu : elle existait dès le commencement et elle a tou-
jours persisté malgré les émotions de la sensibilité *. Ainsi
ces mots : Non sicut ego volo, équivalent à ceux-ci : « Non
pas comme je voudrais, si j'écoutais l'appétit naturel, sen-
sitif. > — Sed sicut tu,,. On peut remarquer que le Sauveur
regarde toujours le calice de sa Passion comme lui venant
de la main de son Père, et non de ses ennemis '.
Par ces mots : Si possibile est, il entend : Si cela peut se
concilier avec vos desseins par rapport à la rédemption *. Il
sait bien ce qui est résolu ; mais il parle ainsi pour nous
faire connaître toutes ses dispositions ■^,
392. — Peut-on contester l'authenticité des versets 42 et 43 de S. Luc,
ch. XXII, sur la sueur de sang et Tapparition de l'Ange?
Suivant Benoît XIV, ce serait se mettre sous le coup du
canon porté par le concile de Trente : Si quis libros integros
i Matth., XXVI, 39. — » Cf. Joan., xi» 33; xii, 27; xiii, 21. ~ 3 Nihn
eniin prohibet aliquid esso contrarium voluntati secundum se, quod
tamen est volitum rationo finis, sicut medicina amara. S. Thom., p. 3,
q. 15, a. 6, ad 4. — ♦ Luc, x, 21 ; Joan., vi, 38; viii, 29. — « Cf, Joan,,
XIX, li. — 6 Cf. Joan„ xii, 27, 28, -^ ^ Cf. Heb„ v, 7. S. Thom., p. 3,
q. 46, a. 2, ad 2,
552 JÉSUS-GHRIST SELON l'éyangile. [n^ 392
cum omnibus suis partihus... non susceperit^ anathema sit ^
Mais tel n'est pas le sentiment de la plupart des Docteurs, qui
ne reconnaissent pas dans ces versets une des parties des
Livres saints que le Concile avait en vue. Quoi qu'il en soit,
toutes les raisons s'accordent pour établir l'authenticité du
passage.
1* On le trouve dans les versions les plus anciennes, dans
la Péchito comme dans l'Italique; dans presque tous les
manuscrits majuscules du septième, du sixième et du cin-
quième siècles, même dans celui du Sinaï qui est du qua-
trième ; dans un très grand nombre de Pères latins, grecs
et syriaques, dont plusieurs de la plus haute antiquité,
comme S. Justin* (100-165), S. Irénée» (120-202), S. Hip-
poly te (200-240), Denys d'Alexandrie (t 265) ; et dans les
Harmonies évangéliqms d'Ammonius (t220) et de Tatien
(t 180) *. Il est vrai qu'il manque dans quelques manuscrits
anciens, B et A en particulier, mais aucun auteur ecclésias-
tique connu n'en attaque l'authenticité '.
2* On ne conçoit pas quel motif et quel moyen on aurait
eus de supposer un tel passage; et au contraire, on conçoit
fort bien qu'à une époque on y ait vu une difficulté ; qu'on
s'en soit défié; que certaines églises, ne le voyant qu'en
S. Luc •, aient cru devoir l'omettre, dans les commentaires
publics d'abord, puis dans la transcription de l'Evangile.
Suivant S. Epiphane, ce retranchement est le fait de quel-
ques esprits faibles qui ne voulaient rien voir d'humain dans
la vie de Notre Seigneur ''. Ils ne songeaient pas que, pour
» Sess. IV. — * Ûffct OpopiSoi, Dial. cum Tryph,, 103. — ' Cont. Hmres.y
III, XXII, 2. — * Cf. S. Hilap., de Trin,, x, 9; S. Hieron., Adv. Pelag.,
II , 16 ; S. Amb., In Luc, — ' Voir Victor de Capouo, Migne , Pat, lot,,
t. Lxviii, p. 345, et Mosinger, Evangelii concord, expotitio S. Ephr.^
Venise, 1876. — • Des commentateurs font remarquer que le fait de la
sueur de sang devait avoir un intérêt particulier pour S. Luc, habitué
par état aux observations pathologiques. — "^ S. Epiph., Anchoratus» 31.
Cf. Orig., Cont, Cels.^ ii, 34. Pour des motifs semblables, plusieurs se
sont permis d'autres retranchements : Antequam convenv'ent ^ Matth.,
i, 18; primogenitumy i, 25; neque FiliuSy Marc, xiii, 22; Thistoire de
la femme adultère, Joan., viii, 1-4; Tange de la piscine probatique;
Joaii., X, 1-15.
N» 394] SA VIE SOUFFRANTE. — SES TOURMENTS. 553
ôter un prétexte aux objections des Ariens, ils enlevaient
aux âmes éprouvées un exemple consolant et salutaire S et
à TEglise une des preuves les plus sensibles de la double
nature du Fils de Dieu •.
* 393. — Faut-il voir dans ces versets une sueur de sang véritable
et un fait miraculeux?
!• On a toujours cru que le Sauveur a sué du sang, sicut
guttœ^ et regardé ce sang comme un signe et un effet de la
véhémence de sa douleur, iLsque ad mortem ■. S'il en était
autrement, si ce n'avait été qu'une apparence, on ne verrait
pas pourquoi l'Evangéliste aurait fait ressortir à ce point
cette circonstance.
20 II n'est pas facile d'établir qu'il y a là un vrai miracle ;
car on cite des faits semblables qui semblent n'avoir eu
pour cause qu'une émotion naturelle *. Cependant les com-
mentateurs regardent généralement celui-ci comme mira-
culeux, et l'abondance du sang, decurrentis in terram, est
une circonstance qui vient à Tappui de leur sentiment.
§ II. — Arrestation du Sauveur. Matth.^ xxvi^ 47-56.
{Nuit du jeudi au vendredi.)
* 394. — QueUe est la troupe qui s'empare de Notre Seigneur, et pour-
quoi ne permet-il pas à S. Pierre de le défendre?
!• La troupe qui s'empare du Sauveur se compose des sa-
tellites de Caïphe », et probablement d'un certain nombre
de soldats romains, détachés de la cohorte qui occupait la
forteresse Antonia •. Josèphe nous apprend que, durant le
temps de Pâques, une partie de ces soldats étaient mis à la
disposition du grand-prétre.
4 Heb., II, 18; iv, 15; xii, 4. — ' Phil., n, 8. Gonsolatur Dominus,
transfigurans in se infirmitatem nostram. S. Aug., Seivn. gcxcyii, 3;
Brev., Oratio D. N. in horto^ lect. 7-9. — * Matth., xxvi, 38. Remarquez
que sicut ne tombe pas directement sur sanguiniSf mais sur gutlss^ a>oei
Opapidoi attxaToc, et que d'ailleurs ce terme n'exclut pas la réalité. Cf.
Matth.,xxi, 26; Luc, xv, 19 ; xvi, 1 ; Joan., i, 14 ; Act. , ii, 3 ; xvii, 12, Grxce.
— * Vie de Mgr Rey, p. 111, 207. — » Luc, xxii, 50. — « Joan., xvin, 3.
S54 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n^ 395
2° Notre Seigneur ordonne à S. Pierre de remettre Tépèe
au fourreau, pour montrer qu'il ne souffre pas malgré lui*,
et pour apprendre aux chrétiens à n'opposer à leurs perse-,
cuteurs qu'une patience à toute épreuve '. Toute sa sollici-
tude est pour ses disciples : c'est en leur faveur seulement
qu'il réclame les droits de la justice. Il veut d'ailleurs qu'on
voie qu'il est, lui seul, notre victime et l'unique source de
notre salut.
395. — Pourquoi supposo-t-on contîguës ou voisines les maisons
d'Anne et de Gaîphe, Joan.^ xviii, 13?
En supposant contiguës les maisons d'Anne et de Caïphe,
on explique aisément pourquoi le Sauveur fut conduit d'a-
bord chez Anne ', puis immédiatement après chez Caïphe*;
et comment S. Pierre, qui est entré chez Caïphe *, le renie
pendant l'interrogatoire d'Anne «, comme pendant celui de
Caïphe \ Les demeures se touchant, elles avaient sans
doute une cour commune, et tout en restant chez le grand-
prétre, S. Pierre pouvait voir ce qui se passait chez Anne,
On sait d'ailleurs qu'Anne était beau-père de Caïphe *, et
qu'il avait exercé le pontificat avant lui. Déposé par les
Romains, il conservait la confiance des Juifs et pouvait
encore présider le sanhédrin. C'est probablement à lui que
Judas avait promis de livrer sa victime, et il était bien aise
de la lui mettre entre les mains pour dégager sa parole*.
Les interprètes qui ne font pas cette supposition se con-
tentent de dire qu'Anne, prévenu de ce qui se préparait,
s'était rendu ce soir là auprès de son gendre : et ils font re-
marquer que, d'après S. Jean, Notre Seigneur fut conduit
devant Anne, et non pas chez Anne, 13.
1 Matth., XX vï, 52, peribit pour perire débet \ le futur pour l'impératif.
Nisi se traderet Ghristus, nemo traderet Cbristum. Quid habet Judas,
nisi peccatum? S. Aug., In Joan.y lxii, 4. — 2 Rom., xii, 19, 21 ; Apec.,
XIII, 10. Cf. Matth., V, A; xi, 29; S. Th., 2*-2«; q. 40, a. 1, ad \. -
3 Joan., XVIII, 13. ~ * Joan., xviii, 24. — s Matth., xxvi, 58. — « Joan.,
XVIII, 17, 18. — 7 Joan., xviii, 25-27. — » Joan., xviii, 13. — » S. Chiys.,
In Joan,f wxxii, Cf. Joseph., 4., XX, ix, 2, /n/ra, n. 49i.
0*'
\
^!
A*!i
JERUSALEM.
1. Saint dos Saints. — 2. Saint. — 3. Vestibule. — 4. Autel des holo-
caustes. — 5. Parvis des prêtres. — 6. Parvis des Israélites. — 7. Parvis des
Gentils. — 8. Portique de Salomon. — 9. Mont des Oliviers. — 10. Citadelle
de David. — 11. Première enceinte de Salomon. — 12. Enceinte de la ville
basse. — 13. Enceinte d'Agrippa !«'. — 14. Tour Antonia. — 15. Palais
d'Hérode. — 16. Ancien palais des Rois. — 17. Palais des Pontifes. —
18, Cénacle. — 18. N. E, Gethsémani. — 19. Voie par laquelle le Sauveur
fut conduit à Anne, — 20. Gabbata. — 21. Voie douloureuse. — 22. Hacel-
dama. — 24. Font^ioe de Siloé. — 25. Aqueduc de Pilate, — 26. Camp
de Titus,
N<> 396J SA VIE SOUFFRANTE. — SES TOURMENTS. 557
§ III. — Le Sauveur devant le grand-prêtre. Matth,, xxvi^ 57-75.
{Nuit du jeudi au vendredi.)
Attestation da Sauveur. — Soufflet da valet. — Reniement de S. Pierre. —
Sanhédrin.
396. — Gomment s expliquent radjuratiou du grand-prètre, la réponse
du Sauveur et l'effet qu'il produit?
!• Le grand-prêtre adjure le Sauveur au nom du Dieu vi-
vant, pour le mettre dans l'obligation de répondre, et il
pose nettement la question de sa divinité, afin de pouvoir
taxer sa réponse de blasphème et de lui infliger le châtiment
porté contre les blasphémateurs*. Evidemment, le titre de
Fils de Dieu n'est pas dans l'esprit de Caïphe un simple sy-
nonyme de Christ ou de Messie. Si ces deux titres sont rap-
prochés dans S. Matthieu, ils sont séparés dans S. Luc, et
donnent lieu à deux questions *.
2* Le Sauveur voit le péril ; mais, sans hésiter, il fait au
grand-prêtre la réponse la plus nette, la plus énergique et la
plus solennelle. On lui demande s'il prétend réellement être
le Fils de Dieu, oTioç xou Bsou, comme il l'a dit au peuple*.
Il déclare, non seulement qu'il l'est, mais qu'il ne tardera
pas à se montrer tel, et que ceux qui l'accusent seront eux-
mêmes forcés de reconnaître la vérité de ses paroles :
Amodo videbitis''.,. C'est bien ce qui eut lieu en effet. Dès
son Ascension, Notre Seigneur commence à faire éclater sa
divinité. Il se montre supérieur au monde et plus puissant
que tous les empires'. En fondant son Eglise, il établit son
trône au milieu de ses ennemis •. Rien ne résiste à l'esprit
qui anime ses Apôtres"'. Bientôt, la synagogue et l'idolâtrie
cédant la place au christianisme, la ruine de Jérusalem et
celle de Rome seront pour tout l'univers la figure et le gage
de la fin des temps, où éclatera aux regards de toute créa-
1 Levit., XXIV. 16. Cf. S. Th., 2«-2»; q. 90, a. 1, ad 1. — « Luc, xxii,
66, 70. Dans S. Jean, xix, 3, 7, le titre de Fils de Dieu est également
distingué de celui de Roi des Juifs. •— 3 Joan., x, 33. — ^ Matth.,
XXVI, 64. Cf. Matth., xvi, 27, 28; I Pet., i, 5-7. — » Joan», xvi, 33. -r
* Ps. cix, 2,-7 Joc^n., XVI, 8; I Joan,, iv, 4,
558 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n<> 397
ture ce régne éternellement glorieux qu'il a promis de par-
tager avec ceux qui croient en lui •.
3<> Caïphe, entendant le Sauveur se dire hautement le
Fils de Dieu, le Maître du monde et le Juge suprême du
genre humain, semble hors d'état de se contenir : il déchire
ses vêtements, en signe d'horreur et d'exécration ". Comme
la populace, après une déclaration semblable', tous les
membres de l'assemblée s'écrient que le Sauveur a blas-
phémé, qu'il est digne de mort et qu'on ne doit pas différer
de le livrer au supplice *. Mais l'acte que la passion fait faire
au grand-prétre, contrairement à la loi * , présente à son
insu, dit S. Léon, une signification prophétique, aussi bien
que les paroles qu'il a prononcées quelques jours aupara-
vant •. En déchirant ses vêtements pontificaux, Caïphe pro-
clame son indignité et sa déchéance du souverain sacer-
doce'.
397. — Pourquoi le Sauveur n'a-t-il pas présenté l'autre joue au
soldat qui le souffletait?
Si Notre Seigneur n'a pas suivi à la lettre sa maxime,
qu'il faut présenter l'autre joue à celui qui soufflette ', c'est
qu'il a voulu en faire comprendre le sens véritable, et nous
montrer de quelle manière il convient de l'observer. Sa
pensée est qu'il faut tout souffrir, jusqu'à se livrer à la mort,
plutôt que d'agir par passion, de s'abandonner à la ven-
geance. C'est bien ce qu'il a fait. Du reste, en se laissant
battre de verges, couronner d'épines et attacher à une croix,
sans un acte d'emportement, sans une parole de faiblesse,
Jésus-Christ n'a-t-il pas montré plus de courage, plus de
* Cf. Dan , VII, 13, 14; Apoc, i, 7. S. Aug., EpisL cxcix, 41. S. Tbom.,
In IV Sent.^ dist. 48, a. 4, q. 4. Supra j n. 247. — 2 s. Aug., Quxst. evang.,
II, xxxviii. Cf. II Reg-, II, 31 ; Is., xxxvi, 1. — 3 Joan., x, 33. — * Nonne
ita descripsit nefarium illud concilium auctor Sapientis, ii, ut plane
interfuisse videatur? Atqui a Salomone usque ad id tempus quo res gesta
est, mille et decem anni fuerunt. Lactant., de Morte pers. — * Lev.,
XXI, 10. — 6 Joan., xi, 50. — ^ Nesciens quid hac significaret insania,
sacerdotali se privavit honore. S. Léo, Serm, lvii, 2, de Pass. Dom, —
« M*tth., V, 39.
N<^ 398] SA VIE SOUPFRANTE. — SES TOURMENTS. 830
patience, plus de charité pour ses ennemis qu'en offrant
simplement sa joue à la main du soldat ' ?
* 398. — Comment s'accomplit la prédiction de Notre Seigneur,
que saint Pierre le renierait trois fois?
Notre Seigneur avait prédit sa chute à S. Pierre lui-môme.
Il la lui avait prédite à trois reprises, deux fois au Cénacle •,
et une autre fois en allant au jardin des Olives •. Il lui avait
dit même qu'il le renierait trois fois, et autant de fois S. Pierre
avait protesté de son dévouement et de sa fermeté *.
Malgré ses protestations, S. Pierre renie en effet son
Maître; il le renie à trois reprises ou en trois circonstances
différentes, cette nuit-là même, avant le dernier chant du
coq', comme Jésus l'avait prédit. — Le premier reniement
eut lieu à l'entrée du palais de Caïphe, à la voix d'une ser-
vante, selon le récit des quatre Evangélistes • ; — le second,
devant une autre servante, au témoignage de S. Matthieu '
et de S. Marc •; devant un autre serviteur indéterminé, alittSj
selon S. Luc •; devant plusieurs autres, selon S. Jean *^
soit que tous l'aient interrogé simultanément ou successive-
ment ou qu'un seul ait parlé pour tous; — le troisième, à
la voix de ceux qui se trouvaient là, selon S. Matthieu " et
S. Marc *% d'un autre en général, selon S. Luc ", d'un ser-
viteur du pontife, parent de Malchus, selon S. Jean **. — A
la seconde fois et surtout à la troisième, où il se voit en face
de ce parent de Malchus, Pierre, surpris et déconcerté,
ajoute au mensonge le serment et l'exécration *^
^ Non solum alteram maxillam iterum percussuro, sed totum corpus
figendum prœparavit in ligne. S. Aug., In Joan., cxiii, 4. Paratus venerat,
non solum in faciem percuti, verum etiani pro his quoque crucifixus oc-
cidi , pro quibus ait in cruce pendens : Pater, ignosce illis, quia nos-
ciuDt quid faciunt. Epist cxxxviii, 13. Cf. Is., l, 6; Matth., xxvi^ 67, 63 ;
Joan., XIX, 3. •— * Joan., xiii, 38 et Luc, xxii, 34. — 3 Mattli., xxvi, 34.
— ♦ Joan., XIII, 37; Luc, xxii, 33; Matth., xxvi, 33. — ^ Cl. Marc,
XIII, 35. — 6 Matth., xxvi, 69, 70 ; Marc, xiv, 66-68; Luc, xxir, 56, 57;
Joan., xviii, 17, 18. -- "ï Matth., xxvi, 71, 72 — « Marc, xiv, 69, 70. —
» Lac, XXII, 58, 59. — *» Joan., xviii, 25. — li Matth., xxvi, 73, 74. —
M Marc, xiv, 70, 71. — i3 Luc, xxii, 59, 60. — *♦ Joan., xvra, 26, 27,
-^ ** Matth., XXVI, 72, 74; Marc, xiv, 71.
560 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n® 399
Ces trois reniements eurent lieu dans la cour de Gaïphe,
in atrio *, et cependant dehors, foris\ c'est-à-dire hors de la
salle où Notre Seigneur se trouvait avec le grand-prêtre.
Le premier arriva, tandis que le Sauveur comparaissait de-
vant Anne ', le second, au moment où S. Pierre cherchait à
sortir pour se soustraire à l'attention des gens du pontife \
le troisième, une heure après, environ ».
* 399. — Saint Pierre n'a-t-il pas commis une grande faute en
cette occasion?
La faute de S. Pierre a été d'autant plus grave qu'il avait
été comblé de plus de grâces et que le Sauveur l'avait
expressément averti du péril qu'il allait courir. Peccamt
mortaliter^ et sine duhiOy dit S. Thomas •. Cependant il ne
faut pas exagérer sa culpabilité, comme font les hérétiques,
qui voient là un péché de malice, une hérésie, une aposta-
sie, et qui comptent sept reniements au lieu de trois '.
C'est un péché de faiblesse, qui aurait pu devenir un grand
scandale, mais dont S. Pierre eut le bonheur de se repentir
presque sans délai. Cœpit flere, dit l'Evangile •. Nunqmm
destitit^ ajoute un saint Docteur. Cette chute lui apprit et
elle doit nous apprendre à nous-mêmes à quel point nous
sommes faibles et quel besoin nous avons de la divine grâce *.
Le pardon qu'il obtint nous fait voir aussi quelle est la mi-
séricorde de Dieu, avec quelle promptitude il oublie les
écarts de ses disciples, de ses ministres même, lorsqu'ils ne
1 Marc, XIV, 66. — 2 Matth., xxvi, 69. — 3 Joan., xviii, 13, 17.
— * Matth., XXVI, 71. — « Luc, xxii, 59. — « S. Thom., l«-2«, q. 24,
a. 12^ ad 2. Scie quosdam dixisse Petrum non Deum negasse , sed ho-
minem; et esse sensum : Nescio hominem quia scio Deum. Hoc qoam
frivolum sit prudens lector intelligit. Si enim iste non negavit, ergo
mentitus est Dominus qui dixerat : ter me ncgabis. S. Hier., In Matlh..,
XXVI, 75. — ^ Non sit delectatio minorum lapsus majorum, sed sit casus
majorum tremor minorum. S. Aug., In Psalm., l, 3. ^ > Marc, xiv, 72.
— 9 Ps. XXIX, 7-9; Phil., ii, 10; Heb., v, 2, 3. Ob hoc hœsitare pef-
missus ut in Ecclesiœ principe remedium pœnitenti» conderetur, et
nemo auderet de sua virtute confldere, quando mutabilitatis pericalam
neque Petrus potuisset evadere. S. Léo., Serm, lx, 4. Cf. S. Aug.| '*
Joan,^ Lxvi, Z'
N« 401] SA Vm dOtJ^^RANtE. -^ SfiS totiuîENts. 861
pèchent que par faiblesse et qu'ils reviennent à lui avec
promptitude et humilité ^
* 400. — Comment le Sauveur, retenu dans la salle du conseil, put-il
jeter un regard sur saint Pierre, tandis que cet apôtre était dans la
cour du grand-prêtre, près de la porte >?
S. Augustin dit que le Sauveur regarda Tâme de son
apôtre d'un regard de miséricorde •. Rien n'est plus cer-
tain. Qtws Jestis respicit^ plorant delicta^ observe S. Am-
broise *, en se plaçant au même point de vue. Mais quand
l'Evangéliste dit que Jésus, se retournant, jeta les yeux sur
Pierre, (jxpaipet; eveÔAe^Ve, il parait entendre autre chose et
parler sans métaphore *. On conçoit aisément que, sans sor-
tir de la salle où était le Pontife, le Sauveur ait jeté sur son
apôtre un regard propre à le faire réfléchir. Il suffit que
l'entrée n'en fût pas fermée ou qu'il y eût une autre ouver-
ture sur la cour. Il a aussi pu passer prés de lui, en se ren-
dant des appartements d'Anne dans ceux de Gaïphe ^
401. — N'y eut-il pas le vendredi matin, une seconde réunion
des princes des prêtres et des sénateurs?
S. Matthieu, xxvn, 1, et S. Marc, xv, 1, font mention,
aussi bien que S. Luc,* xxu, 66, d'une seconde réunion du
grand conseil, le vendredi, de bonne heure : Mane factOy ut
foetus est dies. La première n'avait sans doute pas été légale,
soit parce que tous ceux qui faisaient partie de l'assemblée
n'avaient pas été convoqués, soit parce qu'elle s'était tenue
d'une manière irrégulière, pendant la nuit, ou hors du lieu
désigné pour les séances. Cette seconde assemblée, faite sui-
vant les formes requises et à laquelle tous se rendirent, pa-
raît avoir peu duré. On se borna à poser de nouveau au
Sauveur la question qui lui avait été faite durant la nuit :
1 Ut is qui futurus erat Pastor Ecclesiie, in sua culpa disceret qua*
liter aliis misereri deberet. S. Greg., Magn., Hom, xxi, 4, in Evang,,
Cf. S. Theophil., A, S., 4 fév. — « Luc, xxn, 61. — « S. Aug., De
grat. Christ,, 49. — ^ S. Amb., In Luc, n. 89. Item In hymno Domin,
ad Laudes, Cf. Ps. xxiy^ 16. — * Cf. Luc, xxn, 16; Nam., xx, 9. —
« Joan., XYUI, 24.
b62 jisvs-oiitiist selon l^ey^ingilë* [n<»402
s'il prétendait être le Messie et lei Fils de Dieu *. Comme il
ne changea rien à sa réponse, on conclut qu'il se convain-
quait lui-même du crime dont on l'accusait ; puis on se con-
certa sur la marche à suivre pour faire ratifier la sentence
de mort par le gouverneur romain '.
§ IV. — Mort de Judas. Matth.^ iivii, 3-10.
( Vendredi matin.)
* 402. — Qaelle est la passion qui a perdu Judas, et dans quel
abime s'est-il précipité?
1» La passion qui a perdu Judas, c'est l'avarice, la cupi-
dité : LoctUos habem., ea quœ mittebantur portabat *. On était
loin de prévoir, sans doute, une pareille chute. En le char-
geant de garder les dons faits pour l'entretien des Apôtres,
et de pourvoir aux besoins de ses frères. Notre Seigneur lui
avait donné un témoignage d'affection et de confiance. Judas
en abusa pour faire des épargnes à son profit : Fur erat,
xXéîîTYjç *. Bien des fois le Sauveur le reprit de son infidé-
lité • : il l'avertit même expressément du crime qu'il méditait
contre sa personne •. Rien ne put l'empêcher de consommer
sa perte ''. Voyant les Pharisiens près de prévaloir, il finit
par perdre la foi, et prit le parti délivrer son Maître aux
Princes des prêtres pour quelques pièces d'argent, trente
sicles, une centaine de francs environ '.
2° Son châtiment ne se fit pas attendre. Fiant dies ejus
pauci, et episcopatum ejus accipiat alt^r^, avait dit le Psal-
miste. Avant même que le Sauveur fût attaché à la croix, le
traître, désespéré comme Gain *^, s'était précité dans l'enfer
* Luc, XXII, 66, 70. — * Matth., xxvii, 1. Joseph., A,^ XX, vm, 5;
I, 2. — 3 ESaoraCev, Joan., xii, 6. Auferebat furtOy plutôt que portabat.
Cf. Matth., vui, 16; Joan., xx, 15. — * Joan., xii, 6, — « Joan., vi,
65, 72; XII, 14; xiii, 11, 21 ; xviii, 25. — 6 Matth., xxvi, 25. — '* Pleri-
que incuriosi evangelii existimant tune periisse Judani; Non tune pe-
riit : jam fur erat et Dominum perditus sequebatur, quia non corde sed
corpore sequebatur. S. Aug., In Joan., i, 10. — * Matth., xxvi, 14, 16.-
Cf. Ex., XXI, 32. Phil., ii, 7. Ut quod ex unguenti effusione dainnum se
fecis^e credebat, magistri protio compensaret. S, Hier., In hune ioe,;
A. r., 186. — » Ps. Gviii, 8. -- io Gen., iv, 13.
N« 40â] SA VIÉ àOUÏFRANtÉ. — âE8 tOURMBNtS. 863
par la mort la plus ignomineuse ', et sa mémoire devenait
un objet d'horreur pour le monde entier '. Ainsi la cupi-
dité, dit S. Ambroise, lui ravit à la fois la vie du corps et
celle de l'âme ». Exemple effrayant, qui apprend aux minis-
tres de l'Eglise avec quelle délicatesse ils doivent user des
biens dont ils ont la dispensation, et à quel péril on s'ex-
pose en cherchant à s'enrichir au service du divin Maître.
* 403. — Comment doit-on entendre cette parole de Notre Seigneur
sur Judas : Bonum erat illU si natus non fuissetj xxvi, 24?
Cette parole est vraie littéralement, à deux points de vue,
au point de vue de la morale et au point de vue de la sensi-
bilité : — 1" Pour un être moral, il voudrait mieux n'avoir
pas reçu la vie que d'en abuser à ce point : le néant serait
préférable à une existence souillée d'un pareil crime. —
2* Pour un être sensible, il vaudrait mieux être anéanti ou
n'avoir jamais joui de la vie que d'avoir à subir les châti-
ments éternels, mérités par cette prévarication *. Ce n'est
pas ici le lieu d'objecter ce principe métaphysique:' Que
l'être est en soi préférable au néant, ou que rien de ce qui
est n'est absolument mauvais. On sait que Dieu peut faire
servir au bien les méchants et jusqu'au mal même ; mais
on sait aussi, et il est incontestable, qu'il a plus de puissance
qu'il n'en faut pour faire de la vie un supplice à celui qui l'a
reçue *. Et si sa justice lui interdit d'exercer ce pouvoir
pour affliger les justes et les vrais pénitents, ne le sollicite-
t-elle pas d'en faire usage pour châtier les criminels endurcis
qui s'obstinent dans le mal et qui meurent dans l'impéni-
tence*?
* Matth., XXVI, 24; xxvii, 5. Act., i, 25. — ^ Matth., xxvn, 4; Act.,
I, 18, 19. — 3 Adverte laqueum diaboli esse divitias. Hic laqueus Judam
apostolum strangulavit. S. Amb., In Ps. cxviii; Serm. xiv, 36. Si quis
furtum faciens statim oculum perdidisset, omnes dicerent Deum prœ-
sentem vindicasse. Oculum cordis amisit et ei pepercisse putatur Deus !
S. Aug., In Ps, LYii, 18. — ^ Melius est omnino non esse quam aeternos
cruciatus perpeti; S. Hier., In Ecoles.^ iv, 1; quam maie esse vel vivere.
In Matth., xxvi, 24. Cf. S. Thom., l»-2«, q. 8, a. 1, ad 3. — s Cf. Job.,
III, 3, 11; x, 18; Jer., xx, 14; II Cor., i, 8. — « S. Aug., de Catech,
rud.t xYii, 30; Bossuet, Médit., Cène, xx« jour, elc.
o64 jésUS-dHRlST SELON L^EVANÛILË. [fi^ 404
404. — Comment se fait-il que S. Matthieu, xxviî, 9, attribue à Jérémie
un passage qui ne se Ut que dans Zacharie, xf, là?
On explique de diverses manières comment Jérémie est
cité en cet endroit : — !• Plusieurs pensent qu'il y a ici une
faute de copiste; que l'Ëvangéliste avait cité simplement/^
prophète, comme il fait d'ordinaire, et que le nom de Jéré-
mie, placé le premier dans le recueil des prophètes, aura
été ajouté, en transcrivant, ou qu'il sera passé de la marge
dans le texte ; ou bien encore que le nom de Zacharie, écrit
d'abord en abrégé, Z:u ou Zptou, se sera changé en celui de
Jérémie, par la simple altération d'une lettre, Icu ou Ipicu
puis I|i.tou. Mais cette dernière hypothèse a contre elle ce
fait, qu'on ne trouve guère d'abréviations de ce genre que
dans les manuscrits en minuscules, c'est-à-dire assez récents.
— 2** D'autres font observer que Jérémie a pu écrire un
livre que nous n'avons pas, ou que Zacharie a pu repro-
duire une prophétie faite de vive voix par Jérémie, ou bien
encore que les derniers chapitres du livre de Zacharie
pourraient avoir Jérémie pour auteur. — 3* D'autres enfin
disent que la citation se trouve en partie dans Jérémie, et
que S. Matthieu, citant à la fois deux prophètes, a pu ne
nommer que le plus célèbre des deux. C'est ce qui a lieu
en plusieurs autres endroits *. Il est vrai pourtant que
les paroles de Jérémie et celle de Zacharie, qui seraient
citées ici à la fois, ne paraissent pas se rapporter au même
objet *.
1 Matth., XXI, 4, 13 ; Marc, i, 2; Act., i, 20; Rom., m, 10-18. - * Cf.
S. Hieron., Epist. lyii, 7 ; Ad Pamm, ; Maldonat, etc.
N" 408] SA VJE SOUFFRANTE. — SES TOUH^EfiTS.
g V. — Le Sauveur devant le gouverneur; sa
Matth., util, 11-31; Joan., ivni, !8-ii
{Viadredi, de ■! i'iD hêurn du mrUin.)
405. — Qu'était-ce que Pilate et Hérodeî?
1° Ponce-Pilate * fut le cinquième procurateur envoyé de
Rome en Judée. I) gouverna cette province de l'an 26 à l'an
36 de l'ère chrétienne, sous les ordres du légat de Sjrie.
C'était une créature de Séjan, favori de Tibère. Par ména-
gement pour la susceptibilité des Juifs, il résidait à Césarée
de Palestine, capitale officielle et place de sûreté sur la cûte
de la mer; mais, comme Antipas, il venait à Jérusalem au
temps des grandes fêtes; et alors il habitait le prétoire*,
demeure contiguë à la tour, Antonia et voisine du palai.-;
d'Hérode ',
2° Hérode Antipas, devant qui Pilafe envoya Notre Sei-
gneur, est déjà connu dans l'Evangile comme meurtrier de
S. Jean-Baptiste. A la morlde son père, Hérode l'Ancien, il
avait reçu le gouvernement de la Galilée avec le titre de lé-
trarqué. Sa résidence était à Tibériade ou à Sérapis, prés
du mont Thabor; mais pour les fêtes pascales il venait à
Jérusalem, où son père lui avait laissé un palais magnifique.
t MédaiUe de TiWre ; Ti6!pio( StSimo-, Kataap. Au revers : Temple
dédié à Céaar. à Césarée de Palestine. Supra, n. Î21, Auuiur ; •^l).lT^^«'J
Ter. L. A Z indiquent l'an 37 de la tétrachle do Philippe, an .1.1 de ïtfr^
chrétienne. — ' Cf. Annal, de phil, chrét,, lxvi, 433. — ' Potitiui, nom
d'ans famille romaine bien connue. Pilatus, a pila, javelot, ét*ft'an
Bumom. Cf. Joseph., A., XVUI, in, I. — * Hattli., xivii, S7: loa»..
xvni, S8. — '^ Joseph , B., », xiv, 8.
566 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n<>406
L'histoire révèle en lui un homme sensuel S superstitieux*,
lâche • autant que cruel *.
Que ces hommes semblent petits sur leur tribunal', et
que Jésus est grand à leurs pieds î Que son nom est glorieux,
et les leurs odieux et vils ! Comme on voit bien que la
grandeur véritable n'est pas dans l'extérieur, qu'elle ne dé-
pend pas du rang ni de la fortune, mais qu'elle tient à la
personne, au caractère, à la vertu !
406. — Que signifient ces paroles : Regnum meum non est de hoc
mundo, Nunc regnum meum non est hinc s ?
Ces paroles du Sauveur signifient qu'il est roi, mais
d'une royauté à part, bien différente de celles de ce monde'.
De quelle manière et à quel degré en diffère-t-elle? Ce n*est
pas sans doute à ce point que son royaume n'ait rien d'ex-
térieur ni de terrestre; qu'il soit sans organisation, sans
sujets, sans ministres ici-bas ; qu'il n'ait rien de conmiun
avec ce monde, ni aucun pouvoir à exercer sur la terre.
Non dicit : Regnum meum non est hic^ remarque S. Augus-
tin, sed regnum meum non est hinc *. Ce n'est pas non plus
dans ce sens qu'il soit subordonné aux royaumes d'ici-bas,
qu'il emprunte d'eux sa puissance, qu'il n'a aucun droit à
leur égard ; au contraire, il est évident que Notre Seigneur
place son royaume au-dessus de tout autre, et qu'entre sa
royauté et celles de ce monde, il met une différence égale à
celle qui existe entre l'âme et le corps, entre le ciel et la
terre •. Mais ce n'est pas là-dessus qu'il insiste. Il ne veut
pas s'étendre sur celle de ses prérogatives qui pourrait sus-
citer quelque défiance. Ce qu'il fait entendre à Pilate, c'est
1 Matth., XIV, 6; Lnc, m, 19. — * Marc, vi, 14; Luc, ix, 7; xxra, 3.
— 3 Matth., XIV, 9; Luc, xiii, 31. — * Matth., xiv, 9; Luc, xxiii, 11-15.
— 8 s. Jean , xix , 13, dit expressément comme S. Matthieu, xxvii, 19,
que Pilate s* assit sur son tribunal pour entendre la procédure et pro-
noncer la sentence. C'était une formalité de droit chez les Romains. Cf.
Act., XVIII, 12, 16, 17; xxv, 6, 17. — « Joan., xviii, 38. — 7 Ps. ii, 6;
Luc, I, 32; Rom., xiv, 9; I Tim., vi, 15. — * S. Aug., In Joan., civ,l
Cf. Joan., XVII, 11. — » Matth., xxviii, 18; Joan., viii, 23; xv, 19;
1 Cor., XV, 25; I Joan., ii, 16 : iv, 5. Supra, n. 48, 168; Infra. n. 414, 448.
N® 407] SA VIE SOUFFRANTE. — SES TOURMENTS. 567
que les princes de la terre n'ont à redouter de sa part aucune
rivalité ; que son autorité, ayant une autre source que la
leur, est d'une autre nature; qu'il n'a ni la même fin, ni
les mômes moyens, ni le même esprit qu'eux.
Quant au mot nunc, ce n'est pas ici, comme plusieurs
l'ont cru, un adverbe de temps qui restreigne à l'époque du
Sauveur la portée de ses paroles : c'est une particule explé-
tive qui lie ensemble les derniers mots du verset, en indi-
quant une certaine opposition *.
* 407. — Est-ce suivant la loi romaine, ou suivant la loi juive >, que la
flagellation fut infligée au Sauveur?
Pilate n'avait pas à appliquer la loi juive. Il ne la consulte
pas plus lorsqu'il fait flageller Jésus-Christ que lorsqu'il
l'interroge ou qu'il le condamne à la croix. Numquid ego
Judtmis mm? dit-il '. Il ne voulait que satisfaire le peuple*.
Le Sauveur est donc flagellé à discrétion, d'un nombre de
coups indéterminé, comme l'étaient les esclaves chez les
Romains •. On vénérait à Jérusalem, du temps de S. Jérôme,
la colonne qu'il avait teinte de son sang •. Plus tard on la
transporta à Rome, où on la voit encore en l'église de Sainte-
Praxède. Le souvenir de ce supplice enduré par le Fils de
Dieu fut une consolation pour un grand nombre de martyrs,
de confesseurs et d'esclaves chrétiens ''.
Le couronnement d'épines et le travestissement qui sui-
virent, en mettant le comble aux opprobres et aux tour-
ments du Sauveur •, achevèrent de montrer quelles expia-
4 Cf. Luc, XIX, 42; Joan., viii, 40; xvii, 5; Act., v, 38; Rom., m, 21;
VII, 6, etc. Suprat n. 38. — * Deut., xxv, 5; II Cor., xi, 24. — 3 Joan.,
xviii, 35; Act., ii, 23. — * Marc, xv, 15. — s Pectus illud Dei capax
flagella secuerunt. S. Hier., In Matth,y xxvii, 26; Sap., ii, 19; Is., l, 6;
LU, 5, 10. Supplice appelé par Cicéron : média mors. Cf. Pro Rabirio^ 4;
Horat. Sat,^ I, m, 19. — 6 8. Hier., Epist, ad Eustoch, cviii, 9.
Perstat adhac templamqae gerit veDeranda colamna. Prudknt. Distoch.y 163.
^ Act., V, 40, 41; xvi, 22, 23, 33; II Cor,, i, 5; xi, 24. Sic martyres infor-
mabantur. S. Aug., In Joan., cxvi, 1. S. Cyrill. Hieros., Catech, xm, 13;
Brev. rom., Feria vi hebd, sanctae, lect. iv. — * Matth., xxvii, 28-30.
Cf. Cicero, Verres^ v, 64.
568 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n" 408
lions demandaient nos péchés et avec quelle générosité il
s'était dévoué pour payer toutes nos dettes *.
408. — Pour quel motif les ennemis du Sauveur le poursuivaient-ils
avec tant de fureur, et pour quel grief le firent-ils condamner?
I. La passion qui animait les princes des prêtres et leurs
adhérents, c'était la jalousie '. Les causes de cette jalousie
étaient l'innocence du Sauveur, qui contrastait avec leurs
vices ', l'indépendance de son enseignement, qui ne se rat-
tachait à aucune de leurs sectes*; l'ardeur de son zèle à
redresser toutes les erreurs et à combattre tous les abus *,
son titre de Messie, celui de Fils de Dieu surtout, qui rele-
vait au-dessus de tous*; ses miracles, qu'on ne pouvait
imiter \ l'annonce d'une certaine transformation religieuse,
d'un culte spirituel, moins formaliste et moins exclusif, qui
résultait de ses prophéties ; annonce inquiétante pour la
famille sacerdotale et pour tous ceux dont l'existence se rat-
tachait au culte lévitique'; enfin le nombre toujours crois-
sant de ses partisans et de ses disciples ®. Il n'en fallut pas
tant à Gain pour immoler Abel, aux enfants de Jacob pour
réduire Joseph à la servitude *°, à Saul pour persécuter
David*'.
II. Le principal grief pour lequel les Princes des prêtres
le condamnèrent à mort et obtinrent de Pilate qu'il fût atta-
ché à la croix, c'est qu'il se déclarait le Fils de Dieu, o Yio;
Tsj 0ÎOJ *^ Ainsi Jésus-Christ fut le premier à verser son
sang pour ce dogme fondamental du Christianisme. On l'ac-
cusa en outre d'aspirer à la royauté et d'exciter des troubles
dans l'Etat *^ Mais ces accusations n'étaient pas sérieuses;
1 Hœc quanti valeant cogitate : haec in statera cordis appendite.S. Aug.,
De sancL Virginit.^ 54. — 2 Matth., xxvii, 18, 41-43. — 3 Jean., m, 20;
VII, 7. Cf. Sap., II, 12-22; 1 Joan., m, 12. — * Luc , iv, 23-28; Jean..
VII, 15. — s Matth., XV, 12-14; xxi, 45, 46; xxiii, 2-39; Luc, xi, 53. -
6 Luc, XIX, 39-40; Joan., v, 18. Cf. Sap., n, 13. — 7 Joan., xi, 47. -
8 Matth., xxvii, 40; Joan., iv, 21-24; xi, 48. — 9 Luc, xix, 47-48; Joan.,
XI, M\ XII, 9-il, 19. — 10 Gen., xxxvii, 4, 38; — n I Reg., xviii, 8-11
-- »2 Matth., XXVI, 63-69; xxvii, 40-43; Marc, xiv, 61-64; Luc, «u,
b6-71; Joan., xix, 7. — i3 Luc, xxiii, 1, 2. Addito majestati crimine
N^ 409J SA VIE SOUFFRANTE. — SES TOURMENTS. 569
les Juifs qui avaient souvent rendu hommage à sa vertu *,
n'avaient en vue que de fournir à Pilate un prétexte pour
l'envoyer au supplice. Sans croire à la culpabilité du Sau-
veur *, et même en protestant de son innocence •, comme
Judas qui l'avait trahi *, Pilate finit par céder aux sollici-
tations et aux menaces des prêtres et du peuple : Absolvit
jtMticio , damnavit mysterio *. Ainsi se manifesta ce que
Jésus-Christ lui avait dit à lui-même, que ceux qui Favaient
mis entre ses mains étaient plus méchants que lui •. Ainsi
s'accomplit à la lettre ce qu'avait prédit Moïse, que ce serait
la multitude qui mettrait à mort l'Agneau pascal, la victime
du salut : Immolabit eum omnis mtUtitudo filiorum Israël ''.
409. — L'imprécation des Juifs : Sanguis ejus super nos et super filios
nostros ^, eut-elle son accomplissement?
Dieu entendit ce vœu des Juifs, et il l'exauça pour. leur
malheur •. Trente-cinq ans plus tard, vingt-cinq ans environ
qaod tune omnium accusationem complementum erat. Tacit., Ann.,
m, 38.
i Matth., XXII, 16; xxvii, 4; Joan., x, 33. -— * Luc, xxiii, 3, 13-16, 22;
Joan., xvin, 29-38; xix, 22. — » Matth., xxvii, 24. Cf. Deut., xxi, 6, 7.
— ^ Matth., xxYii, 4. Cf. Deut., ix, 6; Ps. xxv, 6. Dan., xiii, 46. —
5 S. Amb., Jn Luc,^ x, 97. Cf. Joan., xix, 12, 15 et Act., xvii, 7. Pas de
trait qui peigne mieux Tépoque que ce cri de la foule : Non est amicus
CxsaiHs, Pour comprendre l'impression qu'il fit sur Pilate, qui avait déjà
été plusieurs fois dénoncé à Tibère, il faut se reporter à cette époque de
servilité et de despotisme, où tous les biens et tous les maux, honneurs,
dignité, fortune, disgrâces, châtiments, dépendaient de la volonté et
des dispositions d'un seul. Il faut songer à ce qu'Hérode dut à l'amitié
d'Antoine, Antipas à Tappui d'Auguste, Agrippa I à la faveur de Cali-
gula, Agrippa II à la bienveillance de Claude et de Néron. Akerman
donne une médaille d'Hérode Agrippa, portant cette inscription digne
de sa vanité : Baoï^evç iMyoïc AYptmroc, 9iXoxai<rap. Cf. Act., xii, 22.
« Joan.. XIX, H. Cf. xviii, 30, 35. — ^ Ex., xii, 6. — • Matth., xxvn, 25.
-- • Ps. çvïu, 7, Cf. Gçn,, iv, 10, Act., v, 28.
570 JÉSUS-CHRISÏ SELON l'évangile. [n^ 409
après que S. Matthieu l'eût consigné dans son évangile, on
le vit s'accomplir de la manière la plus terrible. Onze cent
mille Juifs, d'après Josèphe, six cent mille, suivant Tacite,
périrent dans le siège de Jérusalem ; cent mille furent ven-
dus comme esclaves ', on en donna jusqu'à trente pour un
denier, et le nombre de ceux qu'on crucifia sur place fut
si grand que le bois manqua, dit Josèphe, pour les y atta-
cher '. Titus emporta à Rome les trésors sauvés du temple :
la table d'or, dites des pains de proposition, le chandelier
d'or à sept branches •, le livre de la loi, les trompettes sa-
crées et les voiles du sanctuaire *. L'arc de triomphe de cet
empereur, encore debout après dix-huit siècles, est le mo-
nument officiel de cette lamentable histoire ^ Jamais pareil
fléau n'avait frappé un peuple *. [On vit ainsi se réaliser la
première partie de leur imprécation : Sanguis ejtis super ms.
La seconde : et super filios nostros, se vérifia également,
d'une manière non moins frappante. On sait quel a été le
sort des Juifs depuis cette époque, leur dispersion, leur exil,
les maux qu'ils eurent à subir, leur constance à attester la
réalité des prophéties et leur opiniâtreté à en nier l'accom-
plissement. Tous les Pères les ont montrés aux chrétiens
comme une preuve palpable et un exemple vivant de l'ac-
tion de Dieu dans le monde '. « Les Juifs récoltent aujour-
d'hui, disait S. Augustin, ce que leurs pères leur ont
semé ^ » « Les malheureux ! s'écriait S. Jérôme, ils ont
acheté à prix d'argent le sang du Sauveur, qu'ils voulaient
répandre : ils achètent maintenant au prix de l'or la permis-
1 Joseph., B., VI, IX, 3.-2 Joseph., B., V, ix, l; vi, 44; vu, 4, 8.
Cf. A., XVIII, IX, 5, 10. — 3 Cf. Apoc, II, 5. — * Joseph., B., II, m, 1;
V, 5. — ^ Près do Tare do Constantin, entre lo Colysée et le Forum.
Supra, n. 251. Outre ces objets sacrés enleyés au temple, on y voit le
Jourdain porto en triomphe sous la forme d'un vieillard chargé d'années.
— 6 Qualis non fuit ab initie mundi, neque fiet. Matth., xxiv, 21.
Joseph., B., V, X, 5; VI, xuii. — "^ Supra^ n. 248. — 8 Bibit Judaeus quod
ei parentes sui propinaverunt. S. Aug., Serm. de Resurr.^ ccxxxiv, 3.
Quid profuit illis Caïphas dicendo : Si illum dimiserimus sic, venient
Romani et tollent nobis locum et geutem? Ecce et non dimiserunt eum
vivum, et ille vivit; et venerunt Romani, et tulerunt eis et locuna et
regnum. In Ps. lxviii, 26,
N» 409] SA VIE SOUFFRANTE. — SES TOURMENTS. 871
sion d'entrer dans leur cité et de venir pleurer au lieu où
fut leur temple '. Nous les voyons hurler de douleur sur les
ruines du sanctuaire, sur l'autel détruit, sur leur ville jadis
fortifiée, sur ces hauteurs d'où ils ont précipité Jacques, le
frère du Seigneur •. » Errante par toute la terre ', la na-
tion déicide rappela partout le châtiment et le meurtre de
Gain *. Les opprobres du Fils de Dieu sont retombés sur
elle, aussi bien que ses tourments; ses enfants ont reçu
soufflet pour soufflet, dépouillement pour dépouillement,
croix pour croix.
Supplicium pro csede luit, Christique negati
Sanguine respersus commissa piacula solvit.
Prudent., hi Apoth. cont, Jud.
Ainsi, sous la nouvelle loi comme sous l'ancienne, par ses
souffrances comme par son culte, par son aveuglement
comme par sa foi, par sa haine comme par son amoilr, ce
peuple accomplit sa destinée : il rend témoignage, malgré
lui, à la vérité du christianisme et à la divinité de son auteur *.
1 Euscb., H., IV, 6. Qui quondam emerunt sanguinem Gbristi, emunt
nunc lacrymas suas. S. Hieron., In Sophon.y i, 12; Epist, ad Demelv.^
Gxxix, 7. Ad Dardan,, xxix, 7. Supi^a, n. 242. — * Orig., Cont. Cels.,
I, 47-n, 13. — Euseb., ff., n, 23; iv, 2, 6. — a Ps. lviii, 12. Cf. Matr
thicu Paris, Hist. anglic, ann. 1229. — * Non adraittuntur ad civi-
tateni suam Judsei, et tamen Judsei sunt. Quis jam cognoscit gentes in
imperio romano, quse quid erant quando omnes romani facti sunt et
omnes romani dicuntur? Judœi tamen manent cam signe, nec sic victl
sint ut a victoribus absorberentur. Est signum Gain quod babent Judœi.
Circumciduntur, sabbata custodiunt, pascha immolant, azyma comedunt :
sunt ergo Judaei; non sunt occisi; necessarii sunt credentibus gen-
tibus. Ecce ubi jacent qui supcrbi erant; ecce ubi insertus es qui ja-
cebas. Et tu noli superbire, ne prsecidi merearis. S. Aug., In Ps lviii.
Cf. Serm. i. 21. Bourdal., Exhort, sur le jugement du peuple ^ ii. —
« Rom., IX, 13; lî Cor., m, 13-15. Sic apparent de Scriptura sacra quam
portant, quomodo apparet faciès ceci de spécule : ab aliis videtur; ab
ipso non videtur. S. Aug., In Ps. lvi, 9. « Les Juifs, en tuant le Sau-
veur pour no pas l'avoir pour Messie, lui ont donné la dernière marque
de Messie. En continuant à le méconnaître, ils se sont rendus témoins
irrécusables; en le tuant et continuant de le renier, ils ont accompli
les prophéties. Si les Juifs eussent tous été convertis par Jésus-Christ,
nous n'aurions plus que des témoins suspects, et s'ils avalent été exter-
mioéSi nous n'çn aurions point du tout. » Pascal, Pentéet^
572 JÉSUS-CHRIST SELON L*ÉVANG1LE. [n<> 410
410. — Le peuple juif est-il le seul sur lequel Dieu ait vengé
les tourments et la mort de son Fils?
Tous ceux qui s'étaient signalés par une haine person-
nelle contre Jésus-Christ, loin d'être récompensés, comme
ils auraient dû l'être^ s'il s'était dit faussement le Fils de
Dieu, ont été châtiés, au contraire, dès ce monde et ont fait
une mort effrayante. On sait qu'Hérode l'Ancien périt dans
la rage et le désespoir *. Nous avons dit quel fut le châti-
ment de Judas '. Trois ans après (36), Pilate reconnut qu'il
s'était vainement lavé les mains, en permettant de répandre
le sang innocent. Il se vit envoyé à Rome par Vitellius, gou-
verneur de Syrie, destitué par cet empereur en faveur du-
quel il avait sacrifié sa conscience, puis relégué à Vienne en
Dauphiné, où il mit fin à ses jours •. L'an 40, Hérode Anti-
pas, supplanté par Agrippa favori de Galigula, le suivit dans
les Gaules, sous le poids d'une semblable sentence *; puis,
changeant de séjour sans se dérober à l'exil, il alla mourir
misérablement en Espagne, avecHérodiade. Caïphe, dépouillé
du pontificat, en même temps que Pilate l'était du gouver-
nement, se donna la mort de chagrin *. En 66, Ananus, fils
du grand-prétre Anne, était masssacré par les Zélotes, avec
les derniers rejetons de sa famille. Ainsi s'ouvre l'histoire
De la mort des persécuteurs (314) •. Ce qui est remarquable,
c'est que l'Evangile néglige entièrement ces faits. La mort
de Judas est la seule qui soit mentionnée dans le récit
de la Passion, et elle l'est en deux mots, sans la moindre
réflexion ''.
* Joseph., >4., XVII, vu; Euseb., ff., i, 3; ii, 4. — * Matth., xxvii, 4, 5.
— 3 Euseb.. ff., II, 7. Cf. Dupin, Jésus devant Caïphe et Filate. —
* Joseph., A., XVIII, Y, 3; vii, 2; B., U, ix, 6. — 8 Cont. Apost, vin, 2.
— « Matth., XXVI, 52; Apec, xiii, 10. — ^ Matth., xxvii, 5.-8 Monnaie
frappée en Palestine sous Ponce Pilate. D'un côté, un lituus, bâton au-
gurai, symbole c|e )a magie <ju*aCrectionnait Tibère, et autour : Ti^eptov
S" 4il] SA vin SOl'PPRANTE. — SA MORT.
ARTICLE lll.
Mort et Bâpultnro du SaUTOur.
(GvIgotha.priidcimuTê. à eOlcidenl ; m de fi'e chrélinnl, K; d« i\. S. 3S;
H'-ndredi l aoril apTis-midi.)
§ I, — CnuciFiEMENT. Marc., it, ïi-î7; Jaan., ïiï, 16-âS.
411. — Comniont le Sauveur a-t-il pu être cruciflé à la IroiiUme heure,
Marc., xï, 25, lorsqu'il était encore devant PilMo vers la sixième,
Joan., m. 14?
Un certain nombre de commentateurs tranchent la ques-
tion en supposant une faute de copiste en S. Marc ou en
S. Jean, faute facile à commettre, disent-ils, puisqu'elle
consisterait dans le changement d'une lettre -i', en <i\sigma,
si les nombres étaient é(-rits en chiffres, ou de deux, tsiti;
en i-j.Tr„ s'ils l'étaient autrement. Ils citent à l'appui de ce
sentiment quelques docteurs et certains manuscrits '. Mais le
fait de cette supposition est peu vraisemblable, vu l'accord
des manuscrits et de toutes les versions avec le grec actuel.
Aussi la plupart des interprètes s'attachent-ils à montrer
Kimopoî; de l'autre, une couronne de laurier avec les lettroa L. I Z,
«n n de Tibère, 30 de J.-C. Cf. De Saulcy, Numismatique de la Tci-re
Sainte, p. m et iv,
I Jonas, jeté i. la mer et englouti par le monstre marin. Gemme du iv"
au V* siècle, scion le D. Farrar. En dehors de la scÔQC principals. on
apergoil h droite le prophète prêchant la pénitence, et h gauche, on le
Toit se reposer suà umbra heders. — ■ Euseb. Cœs., Apud. card. Mal.,
JVou, Bibliolh., t. IV, p. 299, 300; Opéra S. Hieron., Brea. in Pî. lxxvli,
initio; S. Petr. Aleiand., Chronic. paie. Atexand.; Migno, t. xoi, p. 219;
SeveruB Antioch., in Calena, et AmmoniQS, In Sckolio; Patrizi, In
Evang., 1. il, Note cxcv.
574 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n^ 411
que les deux textes se peuvent concilier. On y parvient de
deux manières.
1® Les uns disent que chez les Juifs, pour la prière et
les fonctions sacrées, on ne comptait pas les heures avec
une grande précision; qu'on se contentait de distinguer,
comme on fait dans l'Eglise, quatre heures principales :
Prime, Tierce, Sexte et None, et que, chacune de ces heures
équivalant à trois. Tierce durait jusqu'au commencement
de Sexte, de sorte qu'on pouvait dire indifféremment que le
crucifiement avait eu lieu à l'heure de Tierce, comme
S. Marc, c'est-à-dire avant qu'elle fût entièrement écoulée ou
vers l'heure de Sexte, comme S. Jean, ûasi topaSxTtj. Plusieurs
ajoutent cette remarque : que S. Marc *, comme S. Matthieu ',
paraît unir dans sa pensée la condamnation à la croix avec
le crucifiement, et qu'en désignant de préférence Tierce, le
second évangéliste avait en vue de faire ressortir la fureur
des prêtres, qui auraient dû à ce moment se trouver au
temple.
2^ D'autres font remarquer que S. Jean, écrivant hors de
la Judée, après la ruine de Jérusalem, devait indiquer l'heure
suivant l'usage des Romains, et non suivant celui des Juifs.
C'est pour cette raison, suivant eux, qu'au chapitre xni, 1,
il dit comme les Gentils : La veille de Pâques, au lieu
de dire comme les Juifs : Au début de la fête; et au chapitre
XX, 18 : Cum sero esset die illo, et non pas : Au commence-
ment du jour suivant •. Par hora sexta^ il faudrait donc
entendre, non pas midi comme en Judée, mais six heures
du matin, comme partout ailleurs. Or, il n'y a pas de dif-
ficulté à admettre que la flagellation ait eu lieu à ce moment
et que le Sauveur fut conduit au Calvaire entre neuf et dix
heures. Le trajet ayant demandé un temps assez long, on
arrive à cette conclusion, que les faits se sont passés comme
on le croit communément : que le crucifiement eut lieu
vers midi, que les ténèbres commencèrent à se répandre
dès ce moment, et que le Sauveur expira vers trois heures.
» Marc., 15. — » Matth., xxvii, 26. — » Matth., xxvn, 62.
NO 413] àA viÉ âout'î'RANTÉ. — âA Mort. 878
* 412. — Sur qooi repose Thistoirc de sainte Véronique, représentée
dans les chemins de la croix?
L'histoire de sainte Véronique est rapportée par d'anciens
auteurs, entre autres par Marianus Scotus, moine bénédic-
tin du onzième siècle, qui écrivit une Chronique depuis Jé-
sus-Christ jusqu'à son époque'. Il appuie le fait de sainte
Véronique sur le témoignage de S. Méthodius, évéque de
Tyr au troisième siècle, que S. Jérôme a loué pour son sa-
voir. A la vérité, on n'en trouve aujourd'hui aucune men-
tion dans les écrits du saint évéque, mais il ne nous reste de
ces écrits que la moindre partie. On cite encore en faveur
du môme fait un lectionnaire de l'église de Milan, attribué à
S. Ambroise. En définitif, le fondement le plus solide de
cette histoire, c'est l'image miraculeuse de la sainte face,
honorée à Rome de temps immémorial, avec ce qu'on lit
dans l'Evangile de S. Luc sur les femmes qui suivaient le
Sauveur montant au Calvaire et sur les témoignages d'inté-
rêt qu'il leur donna •.
* 413. — Quel est ce vin môle de myrrhe qu'on offrit à Notre Seigneur
et qu'il ne fit que goûter, Marc, xv, 23?
Le vin mêlé de myrrhe qu'on offrit au Sauveur était une
boisson qu'on donnait par compassion aux condamnés,
en les conduisant au supplice, afin de les fortifier contre
la souffrance et d'émousser le sentiment de la douleur '.
On sait que la myrrhe est le produit d'un arbrisseau,
commun en Arabie. Au lieu de la myrrhe mentionnée par
S. Marc, S. Matthieu parle de fiel, soit à cause de l'amer-
tume naturelle de cette substance, soit parce qu'on mê-
lait à la myrrhe un peu de fiel *. Notre Seigneur ne
voulut ni refuser absolument cette liqueur, ni la boire :
il la goûta. Des auteurs font remarquer qu'en cela il ob-
serva la défense faite aux prêtres dans le Lévitique, de
rien prendre d'enivrant dans l'exercice de leurs fonctions ^
i Chrmiq.j ann. 39. — « Luc, xxiii, 27-31. — ^ Cf. Prov., xxxi, 6.
Image du repa» libre qu'on offrait ailleurs aux condamnés. Cf. Tert., De
jejun.^ 12. — * Matth., xxvii, 34. — » Lev., x, 9. Cf. Ezec, xuv, 21.
896 J^StS-CHRISt SELON L*ÉVANGILE. [k» 414
On peut croire que ce fut aussi par compassion qu'on
offrit au Sauveur du vinaigre, quand il s'écria : SitioK
Ce fait est, comme le précédent, l'accomplissement du
Psaume lxviii , 22.
414. — Que signifie le titre de Roi des Juifs^ inscrit par Pilate
au haut de la croix, Joan., xix, 19?
L'inscription du gouverneur romain, rapportée par les
quatre Evangélistes, la couronne des soldats, la robe blanche
d'Hérode, sont autant d'hommages que Dieu leur a fait rendre
à son Fils, à leur insu et contre leur gré". Dieu se sert des
méchants, quand il lui plait, pour annoncer ses desseins
comme pour accomplir ses œuvres*. « Caïphe, » dit Bos-
suet, qui résume les Pères sur ce sujet, t Caïphe, parlant de
Notre Seigneur, dit qu'il est expédient qu'il meure, afin
que la nation ne périsse pas. Il croit prononcer l'arrêt de sa
mort et il fait une prophétie de sa gloire. La môme chose
arrive à Pilate. Voulant écrire, selon, la coutume, la cause
de sa mort, il aurait dû lui imputer un crime : il dresse un
monument à sa royauté. Parce que le règne du Sauveur de-
.vait commencera la croix*, il plaisait à notre grand Dieu
que sa royauté y fût attestée par une écriture publique et de
l'autorité du gouverneur qui l'a condamné à mort. Ecrivez
donc, ô Pilate, les paroles que Dieu vous dicte et dont vous
n'entendez pas le mystère*. Gardez-vous bien de rien chan-
ger à ce qui est déjà écrit dans le ciel. Que la royauté de
Jésus soit proclamée en langue hébraïque, qui est la langne
du peuple de Dieu, en la langue grecque, qui est la langue
des doctes et des philosophes, et en la langue romaine, qui
est celle de l'empire et du monde •. »
* Joan., XIX, 28. Cf. iv, 5. — * Suo quidam sensu sacrilegîa sunt, Dei
autem dispositiones mysteria. Rupert., In Joan. y xiii. Peccaïuni in his-
toria, mysterium in figura. S. Amb., In Luc. y ui, 38. — 3 Qui feceraf
Judseorum principem prophetare, coegit scribere principem gentilem.
S. Laur. Justin., de Triumph. agon., 17. -- * Ps. ii, 6; xix, tO. — * ïdeo
Pila tus quod scripsit, scripsit, quia Dominus quod dixit, dixit. S. Aug..
In Joan., cxvii, 5. — « Bossuet, !•' Serm. sur la Cit'concùion, !•» point.
Cf. Act.. II, 5*11; I Cor., xv, 25. Supra, n. 56, «90.
N<> 414] SA VIÉ âOtWRANTE. — SA MORt.
Fronte crucis titulus sit triplex, triplice lingua,
Agnoscat Judœa legens et Grœcia norit,
Et venerata Deum, meditetur Roma superba.
Prudent., In Apoth., v, 383.
K77
Titre de la croix, réduit & 1/8 i.
Il est vrai que le Sauveur est nommé simplement par Pi-
late le Roi des Juifs, o ^aaiXsuç twv louSatwv, comme il Ta été
par les Mages ' ; mais on sait que les enfants de Juda sur les-
1 Nous donnons ce titre suivant la restauration de M. Drach, en dis-
tinguant ce qui est authentique et qui reste visible, de ce qu'on doit
y ajouter pour le compléter. On sait que le Titre de la. croix fut trouvé
par Ste Hélène avec les autres instruments de la Passion, et. plus tard
envoyé à Rome pour être déposé dans l'église de Sainte-Croix de Jéru-
salem. Placé dans la clé de Tare de l'église, il fut caché d'abord, au
v« siècle, par la crainte des barbares, puis oublié jusqu'en l'an 1492,
où on le retrouva dans une boite de plomb, avec cette inscription en
caractères antiques : Titulis crucis. On n'y peut plus lire aujourd'hui
que ces deux mots : NaÇapevouç et Nazannus^ creusés légèrement dans
le bois et écrits de droite à gauche. — L'authenticité de cette relique a
été attaquée par divers critiques; mais on répond solidement à leurs
difficultés : i^ On ne doit pas s'étonner qu'une inscription en caractère^
hébreux, grecs et latins soit écrite toute entière de droite à gauche :
les exemples en sont nombreux. — 2® Il n'est pas surprenant non plus
qui] y ait des fautes d'orthographe, e pour y), i pour e. Rien de plus naturel
de la part d'an ouvrier, d'un homme du peuple, d'un Romain surtout :
on en trouve fréquemment de semblables dans les inscriptions du temps.
Il faut dire la même chose du signe u employé pour ou. On voit ce signe
dans des monnaies du troisième siècle. — 3<> Ce qui serait étonnant, ce
serait de trouver ces irrégularités dans une pièce apocryphe, fabriquée à
loisir par un faussaire. Comment expliquer qu'il se fût écarté ainsi du
texte de S. Jean qu'il avait à reproduire? Cf. Rohault de Fleury, Inst.
de la Pcusion, Infra^ n. 474. — 2 Non possum digne mirari quod nullam
aliam invenerint causam interfectionis ejus, nisi quod esset Rex Judœo-
ram. S. Hieron., în Matth.,, xxvii, 37. Magi ab oriente, Pilatus ab occi-
dente venerat. Unde illi orienti, hoc est nascenti, ille autem occi-
denti, hoc est morienti, attestabantur Régi Judaeorum, ut cum Abraham,
m. 3.3
878 JESUS-CMRIST SELON L*ÉVANGiLE. [n^ 4lo
quels il doit régner sont répandus dans le monde entier K
Ceux-là auront toujours un autre roi que César.
§ IL — Derniers moments du Sauveur. Matth.^ xxvn, 46-54;
Joan.^ iix, 25-30.
{Vendredi^ 3 heures du soir.)
Marie et S. Jean à la croix. — Utquid dereliquisti me? — Jésas, roi des martyn,
et victime volontaire. — Sang et eaa sortis de son cœar.
415. — Est-U juste d'étendre à tous les chrétiens les paroles adressées
par Notre Seigneur à saint Jean : Ecce mater tua^ Joan., xix, 27?
Par ces paroles : Ecce mater tua^ Notre Seigneur dit à
S. Jean deux choses :
1° € Ayez soin de ma Mère ici-bas; tenez ma place auprès
d'elle; rendez-lui tous les services dont elle peut avoir be-
soin. » Ainsi entendues, ces paroles expriment une volonté
positive de Notre Seigneur; elles imposent à son disciple
une obligation particulière, en même temps qu'elles lui
confèrent un privilège. L'assistance et la société de la Mère
de Dieu étaient réservées au plus pur et au plus dévoué de
ses disciples *.
2** « Comprenez que vous lui devez la vie, qu'elle est de-
venue la mère de votre âme et que vous devez avoir pour
elle un cœur d'enfant. » Dans ce second sens, ces paroles
sont le simple ennoncé d'un fait : elles constatent en Marie,
la nouvelle Eve, une nouvelle maternité, sa maternité spiri-
tuelle, t Vous recouvrez aujourd'hui la vie de la grâce, dit
le Sauveur, en vertu de mon sacrifice et au prix de mon
sang. Sachez que ma Mère a offert ce sacrifice avec moi, que
Isaac et Jacob recumberent in regno cœlorum. S. Aug,, Serm* cci, 2. Cf.
S 4 Chrys., In Joan,y lxxxv, 1.
» Joan., XI, 52. Cf. Ps. ii, 6-9 ; xxi,*29 ; Is., ii, 3 ; lx, 12; Luc, i, 32, 33;
Rom., II, 28; m, 29; iv, 11; ix, 6, 7; xi, 17, 18; Gai., m, 7; vi, 15,16.
In eo titulo : Rex Judseorum, qui sunt intelligendi Judaei, nisi semea
Abrahae, filii promissionis, qui sunt ctiam filii Dei? Rex ergo Judœorum
Christus, scd Judaeorum circumcisione cordis, spiritu, non littera, quo-
rum laus non ex hominibus, sed ex Deo est. S. Aug., In J6an«, Gzvii, 5.
SuprOt n. 95. — » Supra^ n. 68. Cf. Apoc, xu, 1-6.
K» 416] SA VIE SOUFFRANTE. — SA MORT. 879
je tenais d'elle le sang que j'ai versé pour vous, et que je
l'avais reçu pour cette fin '. N'oubliez donc pas que vous
lui devez votre vie la plus précieuse, qu'elle est devenue
et qu'elle sera à jamais votre Mère *. » Ces paroles sont
générales, et l'on n'y voit rien qui en restreigne l'appli-
cation. Si Notre-Seigneur les adresse à S. Jean, il ne laisse
pas, en lui parlant, d'en voir toute la portée; il regarde
ce disciple comme représentant tous les chrétiens. Il lui
parle comme il eût voulu parler à chacun d'eux, quasi in
uno. C'est ainsi qu'il voyait son Eglise dans la foule qui
l'écoutait, et qu'il adressait à ses premiers disciples les
instructions qu'il voulait donner aux chrétiens de tous
les temps '.
416. -— Que signifie cette parole du Sauveur mourant : Deus, Deus
meus, ut quid dereliquisti me? Matth.» xxvii, 46.
1** Cette citation du Psaume xxi atteste qu'il a pour objet
la Passion et la mort du Sauveur; car c'est ainsi que ce
psaume débute, et, en s'en appropriant le premier verset,
Jésus-Christ fait entendre que le reste lui doit être aussi
rapporté. Il est impossible, d'ailleurs, de n'y pas reconnaître
l'exposé de ses souffrances et l'expression de ses sentiments.
* Spectabat mater piis ocuUs Filii vulnera, per quem sciebat omnibus
futuram resurrectionem. Se persecutoribus offerebat, si forte etiam morte
sua pubUco muneri aliquid adderetur. S. Aug., de Instit. virg.^ vu, 49.
— 2 ïsai., LUI, 10; Joan., xii, 24. Monstra te esse matrem, lui dit l'Eglise.
Maria spiritu plane mater nostra, quia cooperata est caritate ut fidèles
in Ecclesia nascerentur. S. Aug., de S. Virginit.^ 6. Quia in passione
iTnigeniti omnium nostrum salutem beats Virgo peperit, plane omnium
nostrum mater est. Igitur quod de hoc discipulo dictum est : Ecce filius
tuus, recte et de alio quolibet discipulorum, si prsesens adesset, dici
potuisset. Rupert., In Joan,^ xiii. Si Abraham pater gentium dicitur
propter fidem, quanto magis tu, o fidelissima fidelium, mater es omnium
nostrum! Idem, In Cant., vu. Sic plurimi Doctores. Cf. S. Justin.,
Dial, 100; Tert. De Carn. Christij 17; S. Iren , III, xxii, xxxiv; V, xix;
Orig., In Joan,, initie; S. Cyrill. Hier., Catech., xii, 15; S. Epiph ,
Hseres,, lxxviii, 18; S. Hieron., Epist. xxn, 24; S. Aug., de Ayôn,
Christ., 24; S. Pet. Chry sol., Sei*m. cxl; S. AnseJm., de Concept. B. M.,
ftub fin.; Bossuet, II« Serm. sur laXonnept. de la Ste Vierge, 2« p. —
8 Cf. Joan., XX, 17. -- ,
860 JÉSUS-CHRIST SfeLON L^ÉVANGILE. [n® 416
Ce tableau, si vivant et si détaillé, lui convient dans tous
ses traits, et il ne convient qu'à lui *.
2° 11 répugne de dire, avec Calvin, que c'est un cri de re-
proche ou de désespoir •, non seulement parce que de tels
sentiments n'ont pu exister dans l'âme du Sauveur, mais
encore parce qu'ils seraient en opposition avec le reste du
psaume, et que ce serait violer toutes les règles d'en prendre
un verset isolément et de l'interpréter de manière à contre-
dire tous les autres. Après avoir décrit ses tourments dans
la première moitié. Notre Seigneur y fait à son Père la prière
la plus ardente et il finit par un chant d'actions de grâces :
or, on ne prie pas quand on est sans espoir, et Ton ne rend
pas grâce quand on se révolte ou qu'on murmure.
3* Nous apprenons par là que le Sauveur voit la main de
son Père dans ses douleurs, et qu'il ne doute pas de la sa-
gesse de ses desseins, si rigoureux qu'ils soient •. Si l'Homme-
Dieu gémit de ses souffrances, s'il demande à son Père
pourquoi il l'abandonne à la rage de ses ennemis, pourquoi
il lui donne à boire un calice si amer, c'est qu'il veut nous
faire sentir quelles expiations nos péchés lui ont coûtées ;
c'est qu'il désire que chacun de nous se dise avec le même
sentiment que l'Apôtre : Proprio Filio mo non pepercit, sed
pro nobis omnibus tradidit illum * / Dilexit me et tradidit se-
metipsum pro me * /
Le premier verset du Psaume xxi fut prononcé par Notre
Seigneur en syrochaldéen : Eli^ Eli, etc. C'est ce qui donna
lieu de dire qu'il appelait Elie à son secours •, soit que ceux
qui l'entouraient ne connussent qu'imparfaitement la langue
et les livres des Hébreux, soit que, n'ayant entendu que ces
deux mots, ils n'en aient pas compris le sens, soit enfin
qu'ils voulussent tourner en dérision les dernières paroles
du Sauveur et ajouter cet outrage à tous ceux dont il avait
été l'objet.
1 Cf. s. Aug., in Ps, XXI. — « InstiL II, xvi, 10. — » Vox ista doo-
trina est, non querela. S. Léo, de Pass.^ Serm. lxvii, 7. — ^ Rom.,
Yiii, 32. ~ 5 Gai., II, 20, Cf. Bossuet, Ëxplic. du Psaume xxi, et £f. U.,
Il, 6. — « Matth., XXVII, 47.
N« 418] SA VIE SOUFFRANTE. — SA MORT. 581
417. — Pourquoi Notre Seigneur pousse-t-il un grand cri
en rendant l'âme?
Par ce cri qu'il pousse en remettant son âme à son Père,
Notre Seigneur veut nous faire sentir : — 1* Combien sont
grandes les douleurs qu'il endure. — 2* Avec quelle ferveur
il fait à son Père le sacrifice de sa vie pour la rédemption
du monde. — 3® Qu'il conserve sa liberté et sa puissance
jusqu'au dernier moment, et qu'il meurt librement, parce
qu'il veut mourir *. Nul évangéliste ne dit simplement que
Jésus-Christ mourut : le terme dont chacun se sert indique
un trépas volontaire, un sacrifice *.
Aussi suffit-il au Centurion de le voir expirer pour juger
qu'il est plus qu'un homme : Videns Centurio, ait : Vers hic
hamo Filius Dei erat *. Un Dieu mourant devait mourir ainsi.
418. — L'histoire de la Passion justifle-t-eUe les titres à' homme de dou-
leur^ de victime^ de martyr^ que l'Ecriture et la tradition attribuent
au Sauveur *?
Comme il n'est personne qui soit couronné de plus de
gloire, même sur la terre, il n'est personne aussi qui ait eu
davantage à souffrir, c'est-à-dire qui se soit vu en butte à
plus d'hostilité, qui ait été plus dépouillé de toutes sortes de
biens, qui ait eu à supporter des tourments plus affreux.
1" Notre Seigneur, dans sa passion, est traité en ennemi
par toutes sortes de personnes : — par le grand-prêtre •
et par les princes des prêtres • ; — par le tétrarque de
Galilée''; — par le gouverneur romain*; — par les sol-
1 Ut noveritis non necessitatem, sed potestatem morientis. S. Amb.,
De Sacram.f ii. Cf. Joan., x, 18. — ^ Qms ita dormit, quando voluerit,
si eut Jésus Ghristus mortuus est, quando voluit? Quis ita vestem ponit,
quando voluerit, sicut se carne exuit, quando vult? Quanta speranda
vel timcndapotestas est judicantis, si apparuit tanta morientis? S. Aug.,
In hune loc. Magna infirmitas mori, sed plane sicmori virtus immcnsa.
S. Bern., In Psalm. iv. S. Th., p. 3, q. 47, a. 1, ad 2. —3 Marc, xv, 39.
— * Is., Liii, 3; Joan., i, 29; Ephes., v, 2; I Petr., i, 19; Apoc., i, 5. —
« Matth., XXVI, 63-66. — « Matth., xxvi, 47 ; xxvii, 1, 2, 12, 20, 41 ; Marc,
XV, 11 ; Luc, XXIII, 10; xxiv, 20. — ' Luc, xxiii, 7, Il ; Act., iv, 27. —
• Matth., xxvii, 24, 26; Marc, xv, 15; Joan., xix, 1-16; Act., iv, 27.
582 JÉSUS-CHRIST SELON l'ÉVANGILE. [n^^ 4fô
dats * ; — par les larrons crucifiés à ses côtés *; — par la po-
pulace, qui le renie comme Christ et comme Roi, qui déclare
ne vouloir d'autre roi que César *, qui lui préfère un homi-
cide *, qui demande son supplice à grands cris *, et qui se
repaît de ses souffrances •. — Bien plus, il trouve des sujets
d'affliction dans ceux mômes qui lui sont les plus chers : —
dans ses disciples qui le délaissent et prennent la fuite ' ; —
dans Judas qui le trahit *; — dans S. Pierre qui le renie •;
— jusque dans son Père céleste qui l'abandonne à ses enne-
mis et qui exige le sacrifice de sa vie en expiation de nos
péchés *°.
2° Tous les biens dont il jouissait, tout ce à quoi la nature
est attachée, tout ce qui pouvait être un soutien et un sou-
lagement pour son âme, lui est ravi. — A l'extérieur, il
perd sa renommée et sa considération ". Au lieu du respect
qu'on lui a si souvent témoigné, il se voit accablé d'injures ",
de mépris ", de raillerie **, de coups *^ d'une infinité d'ou-
trages encore plus révoltants '^ — Dans sa personne, il perd
la paix intérieure, ses consolations ", sa liberté *•, enfin
son sang et sa vie ^•.
3* Il endure en son âme comme en son corps les tour-
ments les plus cruels. — Dans son âme, c'est une tristesse,
un .dégoût, une anxiété, des appréhensions mortelles ", au
1 Mattli., XXVII, 27-31; Luc, xxiii, 36; Joan., xix, 2, 3, 23, 34. —
2 Matth., XXVII, 4'i; Luc, xxiii, 39. — ^ Joan., xix, 15; Matth., xxvii,
22, 23; Joan., xix, 21. — * Matth., xxvii, 21; Marc, xv, 7-11; Luc,
XXIII, 18. — s Matth., xxvii, 23, 24; Luc, xxiii, 21, 23; Joan., xix, 7,
12, 15. — 6 Matth., xxvii, 39-42 ; Marc, xv, 29-30. — ^ Matth., xxvi, 56.
— 8 Matth., XXVI, 49.-9 Matth., xxvi, 70, 72; Marc, xiv, 68-71 ; Joan.,
xviii, 27. — 10 Matth.» xxvi, 23-40; xxvii, 46; II Cor., v, 21. — il Matth.,
XXVI, 65-68; xxvii, 12, 13, 31, 63; Marc, xiv, 57, 58; Joan., xviii, 30.
— 12 Matth., xxvii, 29-31, 40-43, 49; Marc., xv, 29-32; Luc, xxii, 65;
xxiii,35, 39. — 13 Luc, xxiii. 18, — i* Matth., xxvi, 67, 68; xxvii, 29, 30,
40-43, 49; Marc, xiv, 45, 65; xv, 26, 29-32; Luc, xxiii, 11, 35, 36; Joan ,
xvni, 38; xix, 3, 5. — i^ Matth., xxvi, 67; Marc, xiv, 65; Lac, xxii,
63, 64; Joan., xviii, 22; xix, 3. — le Marc, xiv, 65; xv, 19. — ^ Matth.,
XXVI, 37, 38; xxvii, 40 ; Marc, xiv, 33, 34 ; Luc, xxii, 43, 44. — 18 Matth.,
xxvi, 50; Luc, xxii, 54; Joan., xviii, 12, 24. — 19 Matth., xxvii, 50;
Marc, XV, 25, 37; Luc, xxiii, 33, 46; Joan., xix, 30; Act., ii, 23. —
20 Matth., XXVI, 37-44; xxvii, 46; Marc, xiv, 33, 34; Luc, xxu, 40-45.
N® 418] SA VIE SOUFFRANTE. — SA MORT. 583
point de suer le sang avec abondance'. — Dans son corps,
on lui fait subir, à la suite Tun de l'autre, trois tourments
atroces , une flagellation sanglante • ; le couronnement
d'épines ' et le crucifiement * ; encore chacun de ces tour-
ments, qui en renferme une multitude, est-il accompagné
de circonstances aussi barbares qu'ignominieuses. Ainsi, il
(Bst souffleté * et travesti à plusieurs reprises •; on l'oblige
à porter par la ville l'instrument de son supplice ''; on le
crucifie entre deux voleurs, comme le plus vil ou le plus
criminel"; on le dépouille de ses vêtements •; on lui donne
pour boisson du fiel et du vinaigre ^'^ ; ses pieds et ses mains
sont percés de clous et fixés à la croix *^
Quand on considère le nombre et l'atrocité de ces tour-
ments et qu'on songe que THomme-Dieu, loin d'y être
moins sensible que nous, a dû les ressentir avec bien plus de
vivacité, on est forcé de reconnaître qu'ils suffisent, à eux
seuls, indépendamment de toute autre considération, pour
lui mériter le titre de Roi des martyrs et lui faire appliquer,
comme le fait l'Eglise, cette parole de Jérémie : Attendite
et videte si est dolor sicut dolor meus^^. Cependant, le
tableau que les Evangélistes ont tracé de la Passion est à
peine esquissé. Il demande à être complété par les prédic-
tions des prophètes *^; et après avoir recueilli tout ce qu'il
a plu à Dieu de nous en révéler, on est encore forcé de dire
des souffrances du Sauveur ce que S. Jean a dit de ses dis-
cours et de ses miracles *\ que la plus grande partie est res-
* Luc, XXII, 43-44. — 3 Matth., xxvii, ?6; Marc, xv, 15; Joan., xix, i.
— 3 Matth., xxvii, 29; Marc , xv, 17; Joan., xix, 2-5. — * Matth., xxvii,
35, 39. Le cniciflement, Tinvcntion la plus atroce do la cruauté humaine,
était une importation de Rome. La loi juive ne connaissait pas cotte
peine; mais les Romains l'infligeaient aux esclaves et à ceux qui se
rendaient coupables de crimes d'état. — * Joan., xix, 3. — « Matth.,
xxvir, 28; Marc, xv, 17; Luc, xxiii, 11; Joan., xix, 3, 5. — "^ Luc,
xxiii, 26; Joan., xix, 17. — * Matth., xxvii, 28. Pone crucem servo.
Juvcnal, Sat.y vi. — » Luc, xxiii, 34. — lo Matth., xxvii, 34, 48; Marc,
XV, 23; Luc, xxrii, 36. — i* Joan., xx, 25, 27, etc. — 12 Tliren., i, 12.
— 13 Ps. XXI, Lxvrii; Sap., 11; Isai., un, etc. Quis non quasi evangelium
cantari arbitretur : Foderunt manus meas, etc.? S. Aug., Cont. Faust, y
XII, 43. Cf. Bossuet, Explic. du Ps. xxi. — 1* Joan., xx, 30; xxi, 25.
584 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n« 419
tée dans l'ombre et ne nous sera jamais bien connue en cette
vie*.
419. — La mort du Sauveur a-t-elle été un véritable sacrifice?
L'Ecriture l'affirme ou le suppose en une foule d'endroits*.
Bien plus, le sacrifice de l'Homme-Dieu est le sacrifice par
excellence, et même en un sens le seul sacrifice agréable à
Dieu, le seul proportionné à sa grandeur. Aussi réunit-il au
degré suprême ce qui fait l'essence de tous ceux de la Loi '.
On y trouve :
1"» Un prêtre et une victime. C'est le Verbe fait chair, qui
est prêtre et victime tout ensemble *. Par cela seul qu'il est
envoyé ici-bas pour nous racheter, il est destiné au sacri-
fice *. Par cela môme qu'il accepte sa mission, il devient
prêtre de la majesté divine • et victime du genre hu-
main "^ ; il se charge de satisfaire pour tous les péchés des
hommes •.
2° Une offrande parfaite. En effet cette offrande est libre • ;
elle est sincère *®; elle est généreuse. Elle commence dès
son premier instant **; elle persévère jusqu'à la fin de sa
* Cf. s. Tiiom., p. 3, q. 46, a. 5; q. 47, a. 4, etc. «* Ainsi est donnée au
monde, en la personne de Jésus-Christ, l'image d'une vertu accomplie,
qui n'a rien et qui n'attend rien sur la terre, que les hommes ne récora-.
pensent que par de continuelles persécutions, qui ne cesse de leur faire
du bien et à qui ses propres bienfaits attirent le dernier supplice. »
Bossuet, H. U., ii, 6. — * Is., lui, 10-12; Act., xx, 28; Rom., m, 25;
vin, 3, 4; xv, 3; I Cor., v, 7; II Cor., v, 15; 18-21; Gai., ii, 20; Eph.,
I, 7, 14; V, 2; Col., i, 14; I Thess., v, 10; Heb., m, 1; v, 7; ix, 12-18;
X, 19; I Joan., ii, 1, 2; iv, 10. — » Heb., ix, 13-15; x, 1-14. — * Hostia
quidem secundum carnem, sacerdos vero secundum spiritum. S. Aug.,
Serm. clv, 2. Append. Cf. S. Thom., p. 3. q. 22j a. 2. — ^ Joan., m, 16;
Rom., IV, 25; viii, 32. — s Ps. cix, 4; Heb., v, 10; vu, 3. — ' Is., un,
7; Joan., i, 29; Rom., m, 25, 26; I Cor., v, 7; Gai., ii, 20; Eph., v, 2;
Heb., x, 6, 7, 9; I Pet., i, 19; Apec, v, 6, 9, 12; vu, 14, 17; xiii, 8.
— 8 Matth., XX, 28; Joan., x, 10, 11; Rom., viii, 3, 4; I Cor., xv, 3;
II Cor., V, 14, 19, 21 ; I Tim., i, 15; u, 5, 6; ïit., u, 14; Heb., ix, 13,
20, 28; X, 4-10; xui, 12; I Pet., i, 18-21; ii, 24; m, 18; I Joan., ii, 2;
IV, 10; Apec, i, 5. — ^ Matth , xxvi, 46, 53, 54; Luc, u, 22; Joan.,
X, 17, 18; xviH, 8, 11; Rom., v, 7-10; Gai., u, 20; PhH., u, 6-8. —
10 Tit., n, 14; Heb., v, 7; vu, 26, 27; ix, 14; x, 5-iO. — «* Beb.,
X, 5, 7,
N^ 419] SA VIE SOUFFRANTE. — SA MORT. 588
vie *; elle n'a pour but que de glorifier Dieu et de racheter
nos âmes '.
3° Une immolation réelle et complète de tout ce qu'il a et
de tout ce qu'il est : de ses biens et de sa personne ', de sa
liberté *, de sa réputation ', de son honneur *, de son corps "'j
de son âme •, de sa vie ®.
4° Enfin, entre Dieu et nous, un rapprochement et une union
très étroite; rapprochement et union dont la divine victime
est le moyen, qui s^exprime du côté de Dieu par le mystère
de l'Ascension où l'humanité du Sauveur est reçue dans la
gloire *°, et de notre côté, par la communion eucharistique
et la participation aux sacrements *S rapprochement et union
qui ont pour résultat de nous faire participer aux grâces du
ciel et à la vie de notre Père céleste **.
Ainsi Jésus-Christ s'est livré à la mort pour nous rache-
ter. Il s'est montré tel que son Précurseur et les prophètes
l'avaient annoncé : le véritable Agneau de Dieu, l'Agneau
qui efface les péchés du monde, celui qui devait réconcilier
la terre avec le ciel et laver dans le sang toutes nos ini-
quités ; et c'est une gloire que personne ne lui peut dis-
puter *^
1 Matth., XXVI, 28, 39; Luc, xii, 50; xxii, 15, 19, 20; Eph., v, 2. —
* Joan., xvii, 19; Rom., m, 25, 26; I Cor., xv, 3 ; Eph., v, 2; Heb., ii, 9;
XIII, 12. Aliud crucifix! patientia, aliud crucifigentium egit insania, cum
per ejusdem sanguinis effusionem Christus solveret mundi captivitatem,
Judaeî interficerent omnium redemptorem. S. Léo, Serm. lxx, 1. Non
mors, sed voluntas placuit sponte morientis. S. Bern., De err. Absel.j
vui, 21. — 3 Phil., II, 7-9. — * Matth., xxvi, 50; Joan., xviii, 12. —
5 Matth., XXVI, 65; Marc, xiv, 64. — 6 Matth., xxvi, 68; xxvii, 38, 40;
Luc, XXIII, 11, 35. — "î Matth., xxvii, 29, 35; Luc, xxii, 44; Joan., xix.
1, 18; Heb., ix. 12; Apoc, i, 5; v, 9. — 8 Marc, xiv, 33; Luc, xxii, 43,
— 9 Rom., V, 8-10; xi, 3, 4, 5; I Cor., v, 7; xi, 26, 27; xv, 3; Eph., ii,
13-17; CoL, I, 20-22; I Thess., ii, 15; v, 10; I Pet., m, 18; Apoc, v, 9.
— 10 Heb., I, 13; viii, 1, 2. — i* Joan., vi, 55, 56; xvii, 21, 22; I Cor.,
X, 16, 17; II Cor., xii, 9; Heb., x, 19-22; Apoc, i, 5, 6. — *2 Joan.,
xvii, 19; Rom., v, 9-19; I Cor., vi, 11; Eph., i, 7, 8; ii, 13-18; Heb., v,
7-9; IX, 12-14, 24; I Pet., m, 22. Supra, n. 378, 387. - «3 Joan., i, 29;
Apoc, V, 9, 12. Hoc summo veroque sacrificio cuncta sacrificia facta
cessarunt. S. Aug., de Civ. Dei, x, 20. Cf. Dan., ix, 26, 27; Mal., i,
10, 11 ; S. Thom., p. 3, q. 48, a. 3; q. 47, etc. Thomassin, de Incam.,
X, 10. Cf. Dictionn, de myst. chrét,. Substitution.
33.
586 JÉSUS-CHRIST SELON l' ÉVANGILE. [n<> 420
420. — Les saints docteurs n'ont-ils pas vu une signification mysté-
rieuse dans l'ouverture du côté du Sauveur, et dans le sang et Teaa
qui en sortirent, Jean., xix, 34 ?
Le rapport signalé par S. Paul entre le premier Adam et
le second \ entre l'union d'Adam et d'Eve et celle du Sau-
veur avec son Eglise, a donné occasion aux saints Docteurs
de faire remarquer un autre rapport entre la manière dont
Eve fut formée •, et celle dans le corps de rEglise, la vraie
mère des vivants, se forme et s' eniretieni : Dormit Adam vt
fiât Eva, dit S. Augustin; moritur Christusut fiât Ecclesia,.,
Dormientis Adœ fit Era de latere ; Christo morttio lancea per-
cutitur pecttis, ut profluant sacramenta quibus formatur Ec-
clesia '. Jésus-Christ étant le chef des enfants de Dieu, de
même qu'Adam a été le chef de l'humanité, c'est en Jésus-
Christ que toute vie surnaturelle a sa source. L'Eglise devait
donc recevoir de lui la naissance et la fécondité, comme Eve
a reçu d'Adam l'une et l'autre. Voilà ce qui a eu lieu en
effet; et c'est ce qui nous est montré dans ce mystère.
Ce n'est pas par hasard, dit S. Chrysostome, que le sang
et l'eau sont sortis du côté du Sauveur *. Ce n'est pas sans
dessein non plus, dit S. Augustin, que l'Esprit saint a fait
dire à l'Evangéliste que le soldat avait, non pas perce\ mais
ouvert le cœur du Sauveur : Vigilanti verbvo ums est, ut non
diceret : Pectus vulneravit, sed : Aperuit *. Il voulait faire
entendre que l'eau et le sang, ou plutôt les sacrements de
baptême et d'eucharistie, dont ces éléments sont la matière,
ceux dont on était alors le plus frappé et dont les écrits des
Apôtres font plus souvent mention •, devaient sortir de
cette source; et qu'après avoir formé l'Eglise, ils lui com-
1 Rom., V, 14; I Cor., xv, 45. ~ * Gen., ii, 21. — ^ Ex op. S. Aug.,
Sentent, cccxxix. Quare aqua? Quare sanguis? Aqua ut emundaret, et
sanguis ut rodiraeret. Quare de latere? Quia unde culpa inde gratia :
culpa per fœrainam, gratia per Dominura Jesum Christum. S. Amb.^
De sûcram., v, 4. — * Non casu et simpliciter hi fontes scaturierunt.
S. Chrys., In Joan.^ lxxxv, 3. Au lieu de evvÇev. de vvttw, pupugity
d'anciens manuscrits portaient YjvoiÇev, de avoiycu^ apei^uit. CL Apoc ,
i, 7. — 5 S. Attg., In Joan., cxx, 2. Martyr, rom., 16 mavt. — * Ibid.
ryo 42IJ s^ VIE SOUFFRANTE. — SA MORT. 587
muniqueraient la vertu de produire des enfants qui por-
teraient en eux-mêmes la ressemblance de son époux et qui
vivraient de sa vie : Hœc et lavacrum prœstant et potum \
En effet, l'eau du baptême qui a fait les premiers chrétiens
ne cesse d'en faire de nouveaux ; le sang de l'Eucharistie
continue à les nourrir et à les vivifier. Tout chrétien bap-
tisé comprend ce langage : Norunt hoc initiati '. C'est la vue
de cette communication et de ces effets qui a fait dire au
Sauveur sur l'Eglise et ses membres, ce qu'Adam a dit sur
son épouse : Hoc nunc os ex ossibus mets '. Sacramentum hoc
magnum est, in Christo et in Ecclesia *.
Tous les Pères ne donnent pas de ce passage une explica-
tion si étendue et si bien suivie; mais tous, entrant dans
l'esprit de S. Jean, y voient un symbole et cherchent à en
saisir la signification •.
§ III. — Prodiges arrivés a la mort du Sauveur.
421. — Quels prodiges s'accomplirent à la mort du Sauveur, et que
signifiaient-ils?
Les Evangiles rapportent plusieurs prodiges survenus à
la mort du Sauveur :
I. Les ténèbres qui se répandirent sur toute la terre^ ou du
moins sur toute la Judée, depuis Sexte jusqu'à None '. —
On ne peut douter que ces ténèbres ne fussent miraculeuses.
Videant nunc Judœi signum de cœlo, quod petebant, dit Théo-
philacte à ce sujet. Les explications qu'on a essayé d'en
donner ne sauraient se soutenir. Une éclipse ne peut avoir
lieu à la pleine lune, ni durer trois heures entières. D'ail-
1 Sanguis et aqua quse sunt gemina Ecclesiae Sacramcnta. S. Aug.,
de Symb. ad catech., 15. — 2 s. Chrys., In Joan., lxxxv, 3.-3 Gen.,
II, 23. — * Eph., V, 32. Cf. Brev. rom., 0/f. 5S. Sanguinis D. N. J. C,
SS. Fassionis, et S. Lancese, Icct. vii-ix, et Hymn. Passionis : Vexilla.
— * Une des raisons et des significations de ce fait n'était-ce pas que
Notre Seigneur continuerait à s'immoler pour nous après sa mort sur
la croix, et qu'il ne cesserait pas de verser son sang pour purifier les
âmes et pour les vivifier? — ^ Mattli., xxvii, 45. Cf. Tertul., Apol., 21.
Orig., Cont, Cels,, ii» 6, Ruffin, H. E,, ix, 16,
888 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n« 421
leurs, comment supposer que S. Matthieu ait donné pour un
miracle à ses compatriotes un obscurcissement du ciel ordi-
naire et tout naturel? — Quant à la signification du prodige,
elle parait assez claire. Ces ténèbres figurent deux choses :
la noirceur du crime qui s'accomplit, et l'aveuglement du
peuple juif, au moment où la lumière prédite par les pro-
phètes se lève sur les nations*. Tandis que les princes des
prêtres et les magistrats de Jérusalem renient le Sauveur, un
officier et des soldats Romains confessent sa divinité et
ouvrent leurs yeux aux rayons de la foiV
II. Le voile du temple qui se déchira^. — Ce n'est pas le
premier voile, celui qui séparait le saint ou la première en-
ceinte du vestibule et du portique ; c'est le voile intérieur,
celui qui séparait le Saint du Saint des saints *. Il était ma-
gnifique et de la grandeur de l'édifice. Les prêtres seuls
furent témoins de ce prodige ; car eux seuls pénétraient au-
delà du premier voile *. Peut-être cette vue contribua-t-elle
à la conversion d'un certain nombre parmi ceux dont S. Luc
fait mention au chapitre vi, 7, des Actes.
Ce prodige annonçait au monde : — 1*^ Que le voile jeté
entre le Seigneur et nous par le péché, qui nous privait
des communications divines, était enfin levé •. — 2* Que le
ciel, le véritable sanctuaire, dont le Saint des saints était
l'image, venait de s'ouvrir pour les justes '. — 3* Que tous
les mystères allaient se révéler, toutes les ombres dispa-
raître et le culte figuratif cesser entièrement ®. — 4* Qu'à
la vue du déicide qui venait de se consommer, toute créa-
ture devait témoigner son horreur et donner des signes
d'exécration ^.
III. La terre qui tremble et les rochers qui se fendent. — Ce
1 Sic monstratur quod lugeat in passione Gonditoris creatura et quod
a Judea lux recesserit. Theophil., In Matth. Quando pendentem Domi-
num suum sol videre non ausus est. S. Hieron., In Joël, ii. Cf. Joan.,
IX, 5. Virgil. Georg,, i, 463. — » Joan., viii, 28 ; xii, 32. — 3 Matth.,
xxvii,5l. — * Cf. Fa., XXVI, 33; II Par., m, 14; Heb., ix, 3-18 ;x, 19,20;
Supra, n. 88, 126. — * s. Léo, de Pass., Serm. ux. — 6 Isai., ux, 2. —
^ Heb., ix, 8; x, 19. — » Eph., m, 1-5; Heb,, vu, 4-12. Cf, S. Hieron ,
In hune loc. — • Cf. II Reg., ui, 31,
N*» 422] SA VIE SOUFFRANTE. — SA MORT. 889
tremblement de terre paraît indiquer l'horreur que le crime
des Juifs inspire au ciel et qu'il doit inspirer à toute créa-
ture *, la révolution religieuse qui va s'accomplir, et la
ruine prochaine de la synagogue et du temple*.
IV. Des sépulcres qui s'ouvrent et un certain nombre de
morts qui apparaissent à Jérusalem *. — Ces apparitions an-
nonçaient que le Sauveur a détruit, en mourant, l'empire
de la mort *, qu'il nous a mérité de ressusciter spirituel-
lement d'abord, corporellement ensuite, pour la vie éter-
nelle •, enfin que les âmes justes détenues dans les limbes
vont en sortir pour entrer en possession de la félicité du
ciel •.
422. — Pourquoi saint Matthieu appelle-t-il Jérusalem la cité
sainte, xxvii, 53?
Les Juifs aimaient à nommer Jérusalem la cité sainte
dans leurs livres religieux'. S. Matthieu écrivant pour ses
compatriotes, à une éppque où le temple était encore debout
et où les fidèles y allaient encore en grand nombre prier
avec leurs frères, rien ne devait l'empêcher d'employer la
même dénomination. Il était même naturel qu'il le fît, en se
reportant par la pensée à la date des faits qu'il retraçait.
C'est dans cette cité, après tout, que Dieu avait encore le
plus d'adorateurs. Malgré le déicide qui l'avait souillée,
c'est dans son sein qu'était le dépôt des vérités révélées,
le trésor des saints mystères, enfin tout ce qu'il y avait
de plus auguste et de plus divin sur la terre®. C'est de
là que la lumière et le salut devaient se répandre dans le
monde '.
1 Luc, XIX, 40; Rom., viii, 22. Gum pateretur, omnis ei compassus est
mundus. Clément., Recognit., i, 41. Infî^a, n. 473. — 2 Agg., ii, 7, 8;
Jean., XVIII, 6; Heb., xii, 26, 27. Debebat hoc testimonium suo mundus
auctori, ut in occasu Creatoris sui vellent universa finiri. S. Lco, de
Pass., Serm. lvii, 4. — 3 Post resurrectionem ejus. Matth., xxvii, 53.
Cf. I Cor., XV, 30; Col., i, 18 — * Heb., ii, 44. — s Dan., xii, 2; Matth.,
XXVI, 29; Joan., v, 25-28. Cf. S. Th., q. 3, q. 44, a. 4, ad 3. — «Cf. Act.,
XVI, 26. — "^ Cf. Is., LU, 1 ; Zac, viii, 3 ; Matth., iv, 5. -- » Ps, xlvii, 9;
Lzxv, 2. — ® Ps. cix, 3; Is,, ii, 2-4; Joan.^ iv, 22.
590 JÉSLS-CMIIIST SELON L'ÉVANGILE. [N" 423
Toutefois, celte expression est une preuve que le premier
évangile a été écrit de fort bonne heure ; car Jérusalem ne
garda pas longtemps parmi les fidèles la qualilicalion de
sainte- Ni S. Marc, ni S. Luc, ni S. Paul ne lui donnent ce
titre*. Quant à S. Jean, qui écrivait à la fin du siècle, il le
transfère à l'Eglise, qu'il nomme la Jérusalem nouvelle'.
423. ~ La Providence de Dieu n
et la ino,
Même en faisant abstraction des faits miraculeux, on peut
dire que l'action de la Providence dans la Passion du Sau-
veur est évidente, pour quiconque veut réfléchir. Tout pa-
rait se faire au hasard ou au gré de ses ennemis, mais les
moindres détails y sont réglés avec une sagesse infinie. Il
n'arrive rien qui porte atteinte à sa dignité, qui s'écarte des
desseins du ciel, ou qui soit en désaccord avec les oracles
des prophètes *. La malice de ses ennemis tourne à la gloire
de leur victime et contribue au succès de son œuvre. S'il
est condamné par le gouverneur romain et par les princes
des prêtres, la cause de sa condamnation est notoire et son
innocence est constatée au tribunal môme de ses juges '. S'il
I s. Paul dit; tel saints ds Jérusalem, Bom., xv, 36. 3(; tuais il parle
des Juif» devenus chrétiens. — ' Apoc, xi, 2; ixi, 2, 10. — 3Monn«ia
du temps des Macliabâcs; reproduite pendant l'insurrection des Jnih
contre los llomains. D'un cMé, un calii^o dans le champ, peut-ttre le
vase de l'arclie, contenant la manne, et autour, en caractères anrienï :
Affi-anchisaemeal d'Israël. Au revers, la verge bourgeonnante aicc ti
lôgeiido ; Jérusalem ta laînle. — ' Despicitur, vorbpratur, deridetnr,
fœdis veslitur, fiedioribus coronatur. Miru atquanimitatis Bdest Hioc
vel masime, Pliarisœi, Doniinura agnoscere debuistis; patieotisni liujos-
modi nemo liominum perpetraret. Tert., de Patient., m. — ' MalUi.,
N*^ 423]^ SA VIE SOUFFRANTE. — SA MORT. 591
ouvre la bouche devant eux, ce n'est pas pour se défendre,
mais pour les instruire. Avec quel détachement de la vie il
parle à Pilate du pouvoir qui lui a été donné! Son supplice
achève de faire éclater sa grandeur et sa sainteté. Le temps
et le lieu semblent choisis pour donner à son sacrifice toute
la solennité possible. C'est à la fête de Pâques, le jour le
plus saint de Tannée, où Ton immole l'agneau pascal, la
victime de la délivrance * ; c'est dans la capitale, en présence
de cinq cent mille Juifs, accourus de toutes parts, des con-
trées même les plus lointaines; c'est en public, devant
toutes les autorités religieuses et civiles, qu'il est arrêté, in-
terrogé, torturé, condamné; c'est aux portes de la cité sainte
qu'on le crucifie ', sur un des tertres qui l'environnent % au
lieu même où Abraham offrit autrefois son fils, où une tra-
dition fait reposer les restes du premier homme*. Là, il
meurt à la vue du peuple, dans des douleurs inouïes, au
milieu des dérisions et des outrages; mais en pleine posses-
sion de lui-même, dans une attitude qui commande le res-
pect, avec une force et une majesté surhumaines, en
convertissant par sa grâce un malfaiteur supplicié à ses
côtés •, et en constatant qu'il a accompli en entier l'œuvre
dont il était chargé. Jusqu'après sa mort, Dieu veille à ce
que son corps conserve l'intégrité de ses membres *. Il n'est
XXVII, 24; Marc, xv, 14; Joan., xi, 49; Cf. Deut., xxi, 6. Pilate essaie
jusqu'à, cinq fois de se sousti*aire à la nécessité de le livrer à la mort.
Cf. Joan., XVIII, 31, 38; Matth., xxvii, 17, 23; Joan., xix, 5, 6, 15.
1 Cf. S. Iren., IV, x, 1;S. Just., Dial.j kO; Orig., In Levit.^ Honiil. x.
— 3 Lev.. XVI, 27; Matth., xxi, 39; Joan., xix, 20; Heb , xiii, H, 12. —
3 Le tertre du Golgotha était à cette époque hors des murs. C'est
Agrippa !«' qui le renferma dans Fenceinte, avec la ville neuve et la
viUe basse. On a découvert récemment les soubassements de la porte
par laquelle on se rendait auparavant d'Akra au Golgotha. .Cf. Ann. de
phil. chrét., lxxx, 360, etc. — * Origen., In Matth. ^ xxxv; S. Basil.,
In Is.f v, n. 141; S. Hieron., In Matth., xxvii. — s Luc, xiii, 40-43. Ita
factae sunttres cruces, très causae. Crux Christi in medio, non fuit sup-
plicium, sed tribunal. Unus latronum insultabat, aller sua mala confes-
sas Christi se misericordiae commcndabat. De cruce insultantem dani-
navit , credentem liberavit. Tiniete, insultantes; gaudete, credentes :
Iibc faciet in claritate quod fecit in humilitate. S. Aug., Serm, ccxxxv, 2,
1— 6 Joan,, XIX, 33, 34.
592 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n^ 424
ni lapidé comme S. Etienne, ni décapité comme Jean-Faptiste,
ni mutilé comme Isaïe, ni brisé comme les larrons; mais
élevé de terre comme une victime sur son autel *, au haut
d'une croix, pour être vu de loin, comme le serpent d'ai-
rain •, suspendu entre le ciel et la terre, comme le médiateur
de Dieu et des hommes, les bras étendus comme Moïse sur
la montagne ', versant son sang sur le monde pour le puri-
fier, le côté ouvert pour nous montrer son cœur et nous dire
qu'il s'est épuisé pour nous *. Aussi est-ce là le grand mys-
tère du christianisme *, celui qui a valu le plus d'amour à
Jésus-Christ, qui lui a gagné le plus d'adorateurs, qui a le
plus servi à propager ses vertus *. Aussi est-ce sur la croix
que l'Eglise l'expose partout à nos regards ''.
§ IV. — Sépulture de Notre Seigneur. Matih., xxvii, 61 ;
Joan.^ xix^ 38-42.
{Vendredi^ 6 heures du soir.)
* 424. — Que signifient ces mots : Ibi propier parasceve Judxorum
posuerunt eum, Joan., xix, 42?
Parasceve est un mot grec qui signifie préparation. On
désignait ainsi la veille du sabbat, parce qu'on devait, ce
jour-là, préparer toutes choses pour passer le lendemain
dans le repos *. Si S. Jean appelle ce parasceve en particu-
lier parasceve paschœ^, c'est qu'il précédait le -sabbat le
plus solennel de l'année *^, celui qui arrivait dans le cours
de la solennité pascale **. L'imminence de ce sabbat, qui
commençait le vendredi, au coucher du soleil, non moins
que la loi du Deutéronome *^ obligea les disciples à des-
1 Non in ara templi sed mundi. S. Léo, Serm. de Pass. lix, 15. —
2 Joan., m, '14. — » Exod., xvii, 2; Rom., x, 21. Catholicus Patris sa-
cerdos. Tert., Cont, Marc, iv, 9. — * Joan., xix, 34, 37. — s I Cor., u, 2.
— 6 Regnavit a ligne Deus. Ps. xcv, 10. Cf. Joan., xii, 32; xm, 31, 32.
— "^ Grande spectaculum! si spectet pietas, grande mysterium! grande
fidei munimentum! S. Aug., In Joan,, cxvii, 3. Cf. S. Tliom., p. 3, q. 46,
a. 4, etc. — - 8 Matth.j xxvii, 62; Marc, xv, 42; Luc, xxiii, 54; Joan.,
XIX, 31. — > Joan., xix, 19. — *o Erat enim magnus dies illa sabbati.
Joan., XIX, 31. — »i Exod., xii, 16. Supra^ n, 376. — i» Joan., xxi, 22, 23.
J
>-o 426J SA VIE SOUFFRANTE. — SA SÉPULTURE. 593
cendre de la croix le corps du Sauveur, et à l'ensevelir le
plus promptement possible, sur le mont du Calvaire, dans
un sépulcre d'emprunt. Ainsi, suivant une remarque de
S. Augustin, le Fils de Dieu, qui n'avait pas eu à lui un
berceau à sa naissance, ne voulut pas avoir un tombeau à
sa mort \
* 425. — Comment ce sépulcre était-il fait?
C'était une grotte ou cellule taillée dans le roc, ayant en-
viron quinze pieds de largeur sur six de profondeur et huit
de hauteur. Le corps du Sauveur fut déposé sur une table
de pierre qui occupait tout un côté de la grotte, et qui avait
deux pieds de haut et cinq de long. L'ouverture par laquelle
on entrait avait quatre pieds de haut sur deux de large.
Elle était fermée par une pierre qui servait de porte et sur
laquelle les princes des prêtres, pour leur confusion, vin-
rent apposer solennellement leur sceau • ; car Dieu voulut
que les ennemis de son Fils se fissent les gardiens de son
tombeau, afin que nous eussions en eux les meilleurs ga-
rants de sa résurrection : Diligentia enim Scribarum prodest
fidei nostrœ, dit S. Augustin. Servate, Pharisœi; servate •.
* 426. — Le sépulcre du Sauveur a-t-il été glorifié, comme Lsaïe parait
l'avoir prédit, xi, 10?
Ce sépulcre a été glorifié plus qu'aucun autre, et de toute
manière * : par les miracles et les apparitions d'anges qui
s'y sont opérés dès l'origine'; par le sanctuaire que sainte
Hélène y fit construire aux frais de l'empire • et qui réunit
dans son enceinte le lieu où le Sauveur a été crucifié et ce-
lui où il est ressuscité ; surtout par la vénération dont ce
* Victor mortis tumulum suum non habet. S. Amb., In Luc.^ x, 140;
Brev. rom., S. Sindon.y lect. vii-ix. — 2 Matth., xxvii, 63-66. Cf. Dan.,
VI, 17; I Cor., i, 19. — 3 Serm. de Pasch., ii. Cf S. Thom., p. 3, q. 51,
a. 2, ad 4. — * S. Hieron., Epist, xlvi, 12. — ^ Matth., xxviii, 2-7; Luc,
XXIV, 22-23 ; Joan., xxii, 12 ; Act., ii, 29-33.-6 Euseb., Vita Constantin.^
m, 25; In Ps. lxxxvii, 3. Rebâtie en 1048, cette église fut consumée par
an incendie en 1808, à Texception du Saint-Sépulcre qu'on crut avoir été
préservé miraculeusement. Journal de Vempire^ il et 21 mai 1809,
594 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n<* 427
lieu n'a pas cessé d'être l'objet depuis les premiers siècles,
de la part de tous les fidèles. A une époque, toute la chré-
tienté s'est levée pour le venger et le mettre à l'abri des
profanations. L'Occident l'a disputé à l'Orient durant des
siècles ; et si les infidèles sont restés en possession du sol,
ce n'est qu'après avoir promis de respecter ce monument
sacré, en laissant aux chrétiens la liberté de le visiter et de
l'honorer à leur gré*. Sept nations entretiennent encore
des représentants autour de ce tombeau : puisse-t-il leur
inspirer la même foi avec le même respect, et les réunir
à jamais dans la même Eglise î Les enfants de S. François
d'Assise comptent parmi leurs plus glorieux privilèges
l'honneur d'y chanter continuellement les louanges du Sau-
veur au nom des peuples catholiques •.
* 427. — Que faut-il ponser des Actes de Pilate^ ou du rapport fait par
ce gouverneur à Tibère sur le supplice du Sauveur?
Les Actes que nous possédons aujourd'hui sont certaine-
ment apocryphes; et déjà Eusèbe reprochait aux païens d'en
avoir publié de faux, du temps de Dioclétien, dans une in-
tention hostile au christianisme*. Mais il ne paraît pas dou-
teux qu'il n'en ait existé de vrais et authentiques. S. Justin,
qui a écrit sa première Apologie cent ans après la mort du
Sauveur, allègue ces Actes avec une confiance qui serait
inexplicable, s'il ne les avait pas eus entre les mains et s'ils
n'avaient pas été favorables à sa cause. Il paraît qu'il y était
fait mention des miracles de Jésus-Christ et des mystères
de sa vie; car ce Père les cite pour constater l'accom-
plissement des prophéties à cet égard. Atq^ie hœc ita esse, er
Actis mb Pontio Pilato confectis, discere potestis, dit-il aux
magistrats de l'empire; et un peu plus loin il répète encore:
Quœ quidem ab eo fada esse ex confectis sub Pontio Pilato
Actis discere potestis''. TertuUien, si versé en matière d'ad-
ministration et de jurisprudence *, invoque le même docu-
1 Baronius, Ann, 643, n. 3. — ^ Gon., xlviii, 22. — 3 Euseb., iï.,
I, 9; IX, 5. — * S. Justin., I« ApoL, n. 35 et 48. — » Euseb., //.,
II, Z,
NO 428] SA VIE SOUFFRANTE. — SA SÉPULTURE. 595
*
ment, et avec la même assurance*. Quant à Eusèbe, il ne
parait pas avoir vu ces Actes de Pilate, mais il en fait men-
tion dans son Histoire ecclésiastique*: et il ajoute que c'était
la coutume des magistrats romains de rendre compte au chef
de l'empire des sentences qu'ils portaient dans les pro-
vinces '. C'est sans doute pour se conformer à cet usage que
Pline le jeune écrivit à Trajan au sujet des chrétiens aux-
quels il devait appliquer le décret de persécution *.
Quoi qu'il en soit, si les Actes de Pilate sur la mort de
Notre Seigneur se sont perdus ou altérés, on peut dire qu'il
nous en reste un abrégé authentique, et à peu prés équiva-
lent, dans les fragments rapportés par S. Justin et Tertul-
lien, et dans les Annales de Tacite, historien désintéressé et
presque contemporain '.
428. — Le passage de Josèpho sur la vie et la mort du Sauveur
est-il authentique?
Voici ce qu'on trouve dans Josèphe (37-96), touchant Notre
Seigneur : « Vers ce temps parut Jésus, homme sage, ao^oç
d'^n^p^ si toutefois on peut l'appeler un homme ; car il opéra
les prodiges les plus étonnants et il eut un grand nombre
de disciples, soit parmi les Juifs, soit parmi les Gentils.
C'est ce Christ qui, accusé devant Pilate par les principaux
de la nation, fut condamné à mourir sur une croix, sans
qu'il perdît pour cela l'amour de ses partisans. Il leur ap-
parut vivant, après trois jours, selon la prédiction que les
prophètes en avaient faite, et jusqu'ici la secte des chrétiens,
auxquels il a donné son nom, ne paraît pas s'affaiblir". »
L'authenticité de ce passage, qui n'avait jamais été mise
en question, a été vivement attaquée au dix-septiéme siècle
1 Ea omnia super Christo Pilatus, et ipse Jam pro sua conscicntia
christianus, Gœsari tune Tiborio nuntiavit. Tort., ApoLy i, 2, 21. —
3 Euscb., II.j II, 2. — * Plin. jun., Epist, x, 97. — » Christus,
Tiberio imperante, per procuratorem Pentium Pilatum, supplicie aflfoc-
tus est. Tacit,, Annal. ^ xv, 44, Tacite écrivit sos Annales vers l'an 100.
Né en l'an 60, il était âgé de 40 ans, et avait été consul et préteur. —
« Joseph., i4., XVIII, III, 3; S. Ghrys., Quod Christus sit Deus, Cf. 5m-
pra, n. 242.
596 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n« 428
par des auteurs protestants d'abord, puis par des écrivains
incrédules. Plusieurs catholiques ont cru devoir l'abandon-
ner ou convenir qu'il a pu être interpolé. Mais il a toujours
en sa faveur les plus fortes autorités, et il s'en faut que les
raisons de nos adversaires soient de nature à le faire re-
jeter.
I. Les témoignages de l'antiquité semblent décisifs. Eu-
sèbe de Gésarée, l'homme le plus versé dans l'histoire ecclé-
siastique, qui écrivait deux siècles après Josèphe et qui
avait beaucoup lu ses ouvrages, cite ce passage en deux en-
droits*. S. Jérôme, le plus érudit des Pères, selon S. Au-
gustin ', l'a traduit dans son livre, Des écrivains ecclésias-
tiques '. A la suite de ces deux Docteurs, nous pouvons citer
S. Isidore de Péluse*, Sozomène*, Ruffin, Suidas, Nicé-
phore, Cassiodore. Tous allèguent ce texte comme irrécu-
sable. Or, il était facile de savoir la vérité à cet égard. Il y
avait alors, comme aujourd'hui, un grand nombre de ma-
nuscrits entre les mains des Juifs et des Gentils, aussi bien
qu'entre les mains des chrétiens, et plusieurs devaient avoir
été faits sur l'original. Puisque personne n'a réclamé contre
* Euseb.y E.y I, XI, Demonst., UT, v. Easèbe (265-340), Evèque de Gé-
sarée, eut pour maître et pour ami S. Pamphile, disciple d'Ori gène (240-
309). Passionné pour l'étude et doué d'une merveilleuse facilité, il acquit
une érudition immense. Il connaissait les écrivains profanes aussi bien
que les auteurs ecclésiastiques. Il eut longtemps à sa disposition la biblio-
thèque de l'Eglise de Jérusalem, formée vers 230, par S. Alexandre, l'ami
de Clément d'Alexandrie et d'Origène (ff., vi, 20. Infra, n. 470), et celle
de Gésarée, fondée par S. Pamphile, son ami (ff., vi, 32; vu, 32; viii, 13;
S. Hieron., de Viris illust., lxxx), laquelle ne contenait pas moins de
trente mille volumes, dit S. Isidore de Séville. Invité par Constantin à
lui demander quelque grâce, il demanda et obtint celle de pouvoir con-
sulter librement toutes les archives de l'empire. Cf. Vila Constant..,
I, 28; II, 8; m, 51, 52; iv, 36, 45, 46. Martigny, Dictionn., Biblio-
thèques. — 2 vir doctissimus, trium linguarum peritissimus. S. Aug ,
Epist. cxLviii, 7. Omnes vel pêne omnes qui ante illum aliqaid ci
utraque parte orbis de doctrina ecclesiastica scripserant, legit. Conl.
Julian., I, vu, 34; Epist. cxcviii, 7; De civit. Dei, xviii, 43. Totus in
lectione, totus in libris est. Non die, non nocte requiescit; aut legit
aliquid semper, aut scribit...; ut se illi in omni scientia nemo audcit
comparare, Sulp. Sev., DiaL i. — 3 Z)e vir. illusU, 13, — ♦ S. Isid.,
Epist. IV, 225, - « Sozom., H, £?., i, 1,
N® 428] SA VÏÉ SOUFFRANTE. — SA SEPULttJRE. 89?
une citation si importante et tant de fois renouvelée, ne
faut-il pas que ce passage ait été regardé comme authen-
tique et qu'on n*ait aperçu aucun indice de supposition ?
II. Les objections se résolvent aisément :
i** On s'étonne qu'un Juif, que Josèphe ait pu parler de
Jésus-Christ d'une manière si avantageuse. Mais n'y aurait-il
pas lieu de s'étonner bien davantage, s'il avait gardé le
silence à son égard ou s'il en avait parlé autrement? N'a-t-il
pas fait l'éloge de S. Jean-Baptiste * et de S. Jacques, qu'il
appelle le frère de Jésus, surnommé le Christ '? N'a-t-il pas
rapporté la prophétie de Daniel », sur les maux que les
Romains devaient faire subir à la nation, et sur la ruine de
la ville et du temple, après que le Christ aurait été renié et
mis à jnort ? L'exactitude avec laquelle les prédictions de ce
prophète se sont vérifiées ne lui semblent-elles pas mettre
dans tout son jour la folie de ceux qui prétendent que Dieu
ne prend aucun souci des choses d'ici-bsls *? Est-il surpre-
nant, après cela, qu'il ait fait mention du Sauveur, qu'il lui
ait donné son nom de Christ ou de Messie ', qu'il ait mis en
doute s'il n'était pas plus qu'un homme ? Quoi ! Josèphe est
né en Judée, d'une famille sacerdotale, trois ou quatre ans
après la mort du Sauveur : il parle dans son Histoire de
Jean-Baptiste, de Jacques, évéque de Jérusalem, frère de
Jésus, dit le Christ, de tous les magistrats nommés dans l'E-
vangile, de tous les chefs de parti qui se sont succédé depuis
1 Joseph., A., XVni, V, 1, 2 (vers 92). Supra, n. 172. — 2 Tou Xeyo-
IJLevou Xpi(TTou. Joseph., A., XX, ix, 1. — 5» Dan., ix, 26. — * « Daniel
n'a pas prédit seulement la persécution d'Antiochus Epiphane, il a
annoncé encore la désolation à laquelle notre pays devait être réduit
sous l'empire des Romains^ xai oxi an^ auxcov epY)(j.a>6Y)(7eTat, de sorte que
ceux qui le lisent et qui voient ce qui est arrivé ne peuvent assez admirer
combien ce prophète a été favorisé de Dieu. Bien ne prouve mieux dans
quel abîme d'erreur sont les Epicuriens qui rejettent la Providence et qui
veulent que le monde roule à l'aventure, sans conducteur ni pilote. Si
c*était un pur hasard qui décidât des choses de ce monde, l'événement
eût-il ainsi réalisé toutes ces prédictions? » Joseph., A,, X, xi, 7. —
6 Quand il dit : O Xpioroc outoç y)v, il est évident qu'il faut sous-entendre
le mot Xe^oiuvo;, qu'il ajoute ailleurs. A.^ XX, ix, 1. C'est ainsi que
S. Jérôme }e traduit. De vir. ill.^ 13. Cf. Matth., xxvi, 68; Marc, xv, 32;
Tacit.,i4., XV, 44; Plin. jun., Epist. x, 97.
598 JÉSUS-CHHIST SELON l'évangilë. [n« 428
Auguste ; et il n'aurait pas dit un mot de Jésus-Christ ', ni
de ses disciples, alors que l'empire portait des lois contre les
chrétiens, alors que Suétone et Tacite en parlent en divers
endroits, tout païens, tout laconiques qu'ils sont * ! D'ail-
leurs, si l'on suppose que Josèphe n'a rien dit de la vie et de
la mort du Sauveur, quand Tacite en faisait mention, quand
lui-même parlait, comme l'on sait, de S. Jean-Baptiste et de
S. Jacques, ne voit-on pas ce qu'il en faudra conclure ? Son
silence aurait une cause, et quelle pourrait-elle être ? Ce ne
serait pas que le Sauveur lui était inconnu : nous venons de
voir qu'il le connaissait, puisqu'il fait connaître ses parents.
Serait-ce qu'il n'avait à en dire que du mal, qu'il regardait
ses miracles comme des illusions et lui-même comme un
séducteur? Non, car s'il avait eu ces sentiments, son intérêt,
celui de son ouvrage, celui de sa nation devaient le porter
à le proclamer hautement. Mais s'il ne s'est tu que parce
qu'il voyait du péril à exprimer sa pensée, parce que sa
parole devaient déplaire à ceux qu'il voulait ménager, son
silence aurait-il beaucoup moins de valeur en faveur du
christianisme que n'en a le passage que l'on conteste?
2° On s'étonne encore de ce qu'aucun auteur chrétien n'a
cité ce texte avant Eusèbe. Cet argument se rétorque avec
la même facilité que le précédent. S'il y a quelque difficulté
à expliquer le silence des auteurs chrétiens à cet égard dans
le premier et le second siècle après Josèphe, ne voit-on pas
combien il serait plus difficile de concevoir" comment les
Juifs et les païens, en possession de ses ouvrages depuis
deux cents ans, n'auraient pas démenti Eusèbe et les au-
teurs chrétiens, s'ils les avaient vus citer son Histoire à faux,
ou comment ils eussent omis de rétablir son texte, si ces
auteurs l'avaient interpolé sur un point si essentiel"?
D'ailleurs, le silence des écrivains du second siècle est
moins étonnant qu'on ne dit. Qui ne sent que le témoignage
1 Cf. Joan., IV, 25. Supra, n. 78. — 2 Sueton., In Clattd.^ xxv; Tacit., (
Annal., xv, 44. — 3 Baronius affirme qu'un exemplaire hébreu étant
tombé entre ses mains, il s'est convaincu que ce passage avait été efEacé
par une main juive.
]
S^ 428] SA VIE SOUFFRANTE. — SA SEPULtURE. 899
de Josèphe ne devait pas avoir, dans l'esprit des Pères, toute
rimportance que nous lui donnons ? Ont-ils commencé beau-
coup plus tôt à le citer sur THistoire juive et sur la ruine
de Jérusalem? On voit bien que l'auteur des Homélies clé-
mentims l'avait lu *, mais S. Théophile est le premier qui
en ait rapporté un passage*. Après tout, dans le texte qu'on
nous conteste, Josèphe se borne à mentionner ce dont tout
le monde devait convenir, l'existence du Sauveur, son titre
de Messie, la réalité de ses prodiges ; et, pour un grand
nombre, le témoignage de ce Juif, qui n'avait pas eu honte
d'accommoder l'Histoire sainte aux idées des Gentils et
d'appliquer à Vespasien les prédictions relatives au Messie ',
avait moins de poids que celui de S. Paul et des quatre
Evangélistes. Ajoutez que plusieurs Pères latins, comme
S. Gyprien, pouvaient ne pas connaître un ouvrage qui
n'existait encore qu'en grec.
Du reste, les rationalistes de nos jours semblent s'amen-
der à cet égard et convenir que Josèphe a dû parler du
Sauveur. Il est vrai qu'ils soupçonnent encore son texte
d'être interpolé; mais c'est un soupçon en l'air, qui est dé-
menti par la tradition, par tous les manuscrits et par la na-
ture môme du texte, aucune partie n'en pouvant être
détachée sans que ce retranchement lui ôte toute significa-
tion ou y introduise une incohérence manifeste.
t Homil. V. Girca 190. — s S. Theopb., ad AutoL, m, 23 (f 181). —
3 Easeb.y f/., m, 8.
600 JÉSUS-CHRIST SELON l^ièvaNgilé. [n" 429
1
CHAPITRE IL
RÉSURRECTION ET ASCENSION DU SAUVEUR.
(Matth., xxvni; Joan., xx, xxi.)
§ I. — Circonstances de la résurrection.
{Dimanche, 5 avril 33.)
429. — La résurrection du Sauveur n'es1>elle pas figurée, aussi bien qne
sa sépulture, dans l'histoire de Jonas?
On ne peut douter que l'histoire de Jonas n'offre une
figure de la sépulture et de la résurrection du Sauveur.
Notre Seigneur s'en fait lui-même l'application dans le pre-
mier des Evangiles ', et c'est sous l'emblème de ce prophète
surtout que les premiers chrétiens aimaient à le représen-
ter comme vainqueur de la mort*. D'ailleurs, la figure et la
réalité, le type et l'antitype sont si étonnants, et l'on re-
marque entre l'un et l'autre une telle conformité, qu'il
serait déraisonnable de ne voir là que du hasard. Après
s'être livré à la mort pour sauver ses frères et avoir passé
trois jours dans le sein de la terre, in corde terrœ, comme
Jonas dans le sein du monstre marin, in ventre ceti, le Sau-
veur a reparu comme le prophète, plein de vie, dans un
milieu nouveau, à l'abri de toute agitation et de tout péril ;
puis, comme le prophète encore, comme cet unique pro-
phète envoyé aux Gentils avant lui, il a prêché la pénitence
< Jonas rejeté par le monstre marin, Pune des figures le plus sourent
représentées dans les catacombes. Supra, n. 128 note, 229, etc. —
2 Matth., XII, 39-41. Cf. Luc, xi, 29, 30. Nullus aUus melior typi sui Id-
terprcs fuit, quam ipso qui inspiravit Prophetas, S. Hieron., Prsf, in
Jon. — 3 Arlnghi, V, xxii. Martigny, Jonas.
N« 430] SA VIE GLORIEUSE. — SA RIESURRÉCTION. 60i
aux infidèles et il a converti par sa parole, non une ville ido-
lâtre seulement, mais le monde païen tout entier, dont elle
était l'image. Ecce plus quam Jonas hic K S'il était possible
de contester en présence des Juifs * l'antiquité du livre de
Jonas, les rationalistes n'hésiteraient pas à dire qu'il a été
imaginé et supposé par un chrétien des premiers siècles •.
Ne diraient-ils pas la même chose, s'ils le pouvaient, du sa-
crifice d'Isaac *?
430. — Si le Sauveur a été onseveU le vendredi soir, et qu'il soit res-
suscité le dimanche matin, comment a-t-il pu dire qu'il resterait trois
jours et trois nuits dans le tombeau?
En disant qu'il resterait dans le tombeau trois jours, ou,
ce qui est la môme chose dans le langage ordinaire, trois
< Matth., XII, 41. Ipsi Judsei coguntur a nobis discere quid illa signi-
ficcnt, quae, nisi aliqaid significare concédant, tam divine auctoritatis
libres ab ineptarum fabularum ignorainia non defendunt. S. Aug., Cont.
Faust., XII, 39. — « Cf. Tob., iiiv, 5-6, 15, Grxce; Eccli., xlix, 12;
Joseph., A. /., IX, X, 2. Illi habcnt libres, nos librorum Dominum; illi
tenent prophetas, nos intelligentiam prophetarum. S. Hieron., Prsef. in
Jon. — 3 M. M. Vernes trouve à cette histoire, « à ce conte, dit-il, comme
eût pu dire Lucien (Verx hislor., i, 30), une forte odeur d'hellénisme,
et cela lui suffit pour prononcer qu'on ne peut le faire remonter au delà
de trois cents ans avant notre ère. Mais c'est oser trop peu. A quoi sert
de donner ainsi le démenti au livre des Bois, IV Reg,, xiv, 25; à Tobie,
xiv, 4-6, 15, Grâce; à Josèphe, A. J., IX, x, 2; aux anciens canons
reçus dans la synagogue, Eccli., xlix, 12; aux traditions des Juifs et
des chrétiens, si Ton convient que le livre a été écrit avant la venue
du Sauveur et la conversion du monde? Il ne s'agit pas ici d'antiquité,
mais d'antériorité. Que ce récit soit du troisième siècle avant Jésus-
Christ, ou qu'il soit du huitième, il n'en sera pas moins impossible d*cn
expliquer naturellement le caractère figuratif et la signification prophé-
tique. Pour nous, la principale odeur que nous trouvons au livre de
Jonas, c'est une odeur de christianisme. Elle n'est pas seulement dans
Fhistoire du propliète, elle est encore et surtout dans les sentiments
dont Dieu se montre animé envers les Ninivites, iv, 10; sentiments si
éloignés do ceux des Juifs et même des judaisants. Infra^ n. 514. Aussi
n'hésitons-nous pas à croire que l'auteur principal appartient au Nou-
veau Testament aussi bien qu'à FAncien, et que lEsprit do Dieu est le
seul qui ait pu ainsi esquisser d'avance, dan-s la vie et les écrits des
prophètes, les faits les plus merveilleux de l'histoire de son Fils, afin
d'en rendre la croyance plus facile à son peuple. Cf. S. Hieron., Prxf.
in Jon,; S. Aug., Epist. ci, quaBst. 6; Bourdaloue, Caverne, sur la reli-
gion, le' point. -. * S. Epiph., DiaL, m. Supra, n. 18-20, 128, 242.
34
602 JESUS-OHRIST SELON L^ÉYANGILE. [n^ 431
jours et trois nuits, vux^ixspa*, Notre Seigneur a usé d'une
figure très commune qui consiste à nommer le tout pour la
partie. On dit indifféremment parmi nous : la semaine écou-
lée^ ou le huitième jour, ou huit jours après. Les juifs parlaient
de même : Postquam consummati surit dies octo '. Pour le
fait de la résurrection en particulier, personne n'ignore
aujourd'hui qu'il a eu lieu le dimanche matin, c'est-à-dire
au commencement du troisième jour; cependant qui fait,
parmi nous, difficulté de dire que le Sauveur est resté trois
jours dans le tombeau? Pourquoi n'aurait-il pas parlé
comme parlent les autres *? Rien n'obligeait ici à compter
les heures. Ce qui importait, ce qui devait confondre les
Juifs, ce n'était pas que Notre Seigneur en passât soixante-
douze dans le sépulcre, mais qu'il en sortit vivant, comme
Jonas du ventre de la baleine, lorsque sa mort était indubi-
table, lorsqu'elle avait été constatée authentiquement par
l'autorité publique et aux yeux de tout un peuple *. Du reste,
si le divin Maître avait dit qu'il passerait trois jours dans
le tombeau, il avait dit plus souvent encore qu'il ressusci-
terait le troisième jour, tertiadie^; et les Juifs attestèrent
eux-mêmes qu'ils avaient bien compris ses paroles : Dixit
seductor ille : Post très dies resurgam. Jubé ergo custodiri
sepulcrum usque in diem tertium •. Enfin, il serait ridicule
d'insister. Si Jésus-Christ s'est ressuscité, il est évident
qu'il s'est ressuscité de la manière et au moment qui con-
venaient '. •
431. — S. Matthieu n*a-t-il pas dit que Notre Seigneur est ressuscité le
samedi soir, Vespere sabbatif xxviii, 1?
La pensée exprimée par S. Matthieu ne peut être que
1 II Cor., xiy 25. — 3 Luc, u, 22. Post dies octo. Joan., xz, 26. Cf.
Il Parai., x, 5. Esth., iv, 16; v, 1; Tob., m, 10; Sap., vu, 1, 2; Joan.,
zx, 26. — s Nobis non sibi loquitur, atque idco nostris ulitur in loqueodo.
S. Hilar., In Ps. gxxyj, 6. Quid ergo? Cum legimus, obliviscimur quem-
admodum loqui soleamus? An Scriptura Dei aliter nobiscum fuerat quam
nostro more locutura? S. Aug., Cont. Fau«/.^. xxxiii, 7. — ^ Marc., zt,
44, 45; Matth., xxvii, 66. — « Matth., xvi, 21; xvn, 22; zx, 19. —
6 Matth., XXVII» 63, 64. — "» Cf. S. Thom., p. 3, q. 51, a. 4, ad 1.
N<> 432] SA VIE GLORIEUSE. — SA RÉSURRECTION. 603
Notre Seigneur est ressuscité le lendemain de sa mort. Il
vient de lui faire dire expressément qu'il ressuscitera le
troisième jour*. D'ailleurs, qui a jamais eu cette idée dans
l'Eglise? N'a-t-on pas toujours cru que la résurrection avait
eu lieu le matin et non le soir", non le jour du sabbat,
mais le lendemain, appelé dimanche pour cette raison même • ?
Quant aux paroles qui font difficulté, on peut les expli-
quer de deux manières, parce que le mot grec c^z peut être
rendu également ipdivvespere, le soir, et par po^^, à la fin de.
— i* Si Ton prend ce dernier sens, on devra traduire :
Post sdbbatum, illucente die in prima sabbati *, comme on
les traduit d'ordinaire : t Le premier jour de la semaine,
au lever de l'aurore, à la première heure. » C'est le sens qui
s'accorde le mieux avec les paroles qui suivent, aussi bien
qu'avec celles de S. Luc : Una sabbati^ valde diluculo ». —
2* Si l'on prend l'autre sens et qu'on entende le samedi soir,
comme l'auteur de la Vulgate l'a peut-être entendu, il suffit,
pour concilier ce récit avec les Evangélistes, de faire remar-
quer que S. Matthieu n'indique pas en cet endroit l'heure
de la résurrection, mais le moment où Marie-Madeleine est
venue au tombeau avec une autre Marie. N'a-t-elle pas pu
venir le samedi soir, comme le dimanche matin ? Il n'est
pas étonnant qu'elle n'ait pas voulu laisser passer toute la
soirée du sabbat sans venir honorer le corps de son Maître
et voir en quel état se trouvait son sépulcre. C'est l'idée que
pourraient suggérer ces mots : Yenit videre sepulerum •.
432. — Est-il possible de combiner et d'expliquer tous les témoignages
des auteurs, inspirés sur la résurrection de manière à écarter toute
contradiction?
Il y a deux principaux systèmes imaginés pour mettre
d'accord tous les détails rapportés par les auteurs sacrés sur
la résurrection du Sauveur :
1 Matth., XXVII, 63. — 2 Yespere Dominus in cruce, mane in resur-
reclione, meridie in ascensione. S. Aug., In Ps. liv, 18. —3 S. Justin.,
I* ApoL, 67. — * In prima pour In primam, — • Luc, xxiv, 1. —
• Matth., XX vm, 1.
604 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile, [n^ 432
I. Le premier est exposé par S. Augustin *. Dans le senti-
ment du saint Docteur, il n'y aurait qu'une seule compagnie
de femmes, une seule apparition d'anges, une seule course
de Pierre au tombeau. Voici quelle serait la suite des faits :
— !« Le vendredi soir, Marie-Madeleine, Marie, mère de Jo-
seph, et les autres femmes de Galilée assistent avec Joseph
d'Arimathie à l'ensevelissement du Sauveur *. — 2* A leur
retour, elles achètent des aromates, puis passent le jour du
sabbat chez elles *. — 3° Le samedi soir, après le coucher
du soleil, elles complètent leurs achats *, et peut-être Marie-
Madeleine va-t-elle au tombeau avec une autre Marie *. ■—
4* Le dimanche matin, Marie-Madeleine se rend au tombeau
avec les autres femmes. Elles arrivent un moment après la
résurrection, ortojam sole. Quoique S. Jean ne nomme que
Madeleine, S. Matthieu que Madeleine, Marie et Salomé, il
y en avait d'autres avec elles, en particulier Johanna, nom-
mée par S. Luc •. -— 5" Madeleine, trouvant le tombeau vide,
court avertir Pierre et Jean, tandis que les autres femmes
demeurent aux alentours ^ — 6° Pierre et Jean accourent,
ne trouvent que des linges •, et retournent à la ville, tandis
que Madeleine pleure à quelque distance du sépulcre. —
7^ Un ange dit aux femmes que Jésus est ressuscité, mais
Madeleine n'entend pas ces paroles ^, — 8"" Elle s'approche
du tombeau, où elle voit deux anges qui lui demandent la
cause de ses. larmes ; puis Notre Seigneur lui apparaît et lui
dit d'aller annoncer à ses frères son ascension prochaine *'^.
-— 9* Elle repart avec les autres femmes pour avertir de
nouveau les Apôtres; alors a lieu une nouvelle apparition
du Sauveur aux femmes revenues au sépulcre '^
On fait observer dans l'exposé de ce système : — 1° que
S. Luc *^ et S. Jean ", qui parlent de deux anges, ne sont
pas en opposition avec S. Matthieu ** et S. Marc *^ qui n'en
* De consensu evang., m, 69. — 2 Matth., xxvii, 61. — 3 Luc, xxiir, 56.
— * Marc, XVI, 1. -- 5 Matth., xxviii, 1. — « Luc, xxiv, 10. — "' Joan.,
XX, 1, 2. - 8 Luc, XXIV, 12; Joan., xx, 25. — » Luc, xxiv, 4-8. —
io Joan., XX, 11-17. - n. Matth., xxviii, 8-10; Joan., xx, 18. — i» Luc,
XXIV, 1, 4. — 13 Joan,, xx, 12. - i* Matth., xxviii, 5. — i* Marc, xvi, 5.
N® 432] SA VIE GLORIEUSE. — SA RÉSURRECTION. 605
nomment qu'un seul, celui qui prend la parole; — 2* que
S. Luc, en disant que les anges étaient debout *, ne contre-
dit pas ceux qui disent qu'ils étaient assis *, un moment
plus tôt ou plus tard.
IL Le second système multiplie ces réunions de femmes,
ces apparitions d'anges, ces courses au tombeau. Au lieu
d'unir les détails fournis par chaque Evangéliste, il les sup-
pose différents et successifs. Voici en quoi ce système diffère
du précédent pour la suite des faits : — 1° Plusieurs fem-
mes, Madeleine, Marie et Salomé, étant venues au sépulcre
le dimanche avant le jour et ayant trouvé la pierre renver-
sée, Madeleine va avertir Pierre et Jean, et pendant ce temps
a lieu la scène rapportée par S. Matthieu • et S. Marc *. Deux
anges apparaissent aux autres femmes restées auprès du sé-
pulcre, et leur apprennent la résurrection du Sauveur. —
2* Tandis que ces femmes reviennent elles-mêmes à la ville,
Pierre et Jean, sur le témoignage de Madeleine, accourent
au tombeau, trouvent les linges plies et retournent chez
eux •. — 3** Madeleine étant revenue au tombeau avec Pierre
et Jean, le Sauveur se montre à elle •. — 4» Un instant après,
il se montre aussi à Marie et à Salomé, qui avaient quitté le
tombeau pleines de frayeur, après l'apparition de l'Ange ',
et il les charge d'aller dire à ses frères qu'ils le verront en
Galilée *. — 5" A ce moment, Johanna et d'autres femmes
galiléennes étant venues aussi au sépulcre, les deux anges
leur apparaissent comme aux premières, leur rappellent la
prédiction que le Sauveur a faite de sa résurrection et les
renvoient comme les autres rapporter aux Apôtres ce qu'elles
ont vu et entendu '. — 6* Malgré ces témoignages, les Apô-
tres restent hésitants ; Pierre néanmoins en est touché et
4 Luc, XXIV, 4. — * Matth., xxviii, 2. C'est alors que les disciples
virent se réaliser en sa personne la vision de Jacob à Béthel, suivant
qu'il le leur avait prédit. Cf. Joan., i, 5, et Gen., xxviii, 12, 15. —
» Màttb., xxYiii, 5, 6. — * Marc, xvi, 5, 8. — » Luc, xxiv, 12; Joan.,
XX, 3-10. — • Marc, xvi, 9; Joan., xx, U-i8. — ' Marc, xvi, 12, —
• Dicite discipulis et Petro. Marc, xvi, 7. Et pour prxsertim. Cf.
Marc, m, 7-8; Act., i, 11; xiii, 1; xxvi, 22; I Cor., ix, 5. — » Luc,
X3cnr, 1-11.
34.
606 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n® 432
accourt au tombeau *. — 7** En même temps, d'autres
disciples arrivent, et Ton reconnaît la vérité de ce qu'ont
dit Johanna et les autres femmes *. — 8° Notre Seigneur
apparaît à deux disciples sur le chemin d'Emmaûs '.
Ce second système, exposé par le D"" West *, est suivi par
Duquesne dans son Evangile médité, avec quelques modifi-
cations. Ainsi il suppose que l'apparition du Sauveur à Ma-
deleine n'est dite la première que par rapport à celles qui
sont rapportées dans l'Ecriture, et que la sainte Vierge a
vu, avant tout autre, son Fils ressuscité, mais sans que per-
sonne en fût instruit *. Il suppose encore que Madeleine,
partie de grand matin avec Marie et Salomé, laisse ses deux
compagnes et arrive seule au tombeau •.
Quelque sentiment qu'on adopte, il y a deux considéra-
tions qu'il importe de ne pas perdue de vue :
1*» La difficulté qu'on trouve à concilier toutes les cir-
constances de la résurrection rapportées dans les quatre
Evangiles n'est pas un fait exceptionnel. Qu'on prenne n'im-
porte quel événement, et si l'on en a trois ou quatre récits
un peu circonstanciés, on verra, en les rapprochant les uns
des autres, qu'ils diffèrent autant que ceux des Evangélistes,
et qu'il n'est pas plus aisé d'en accorder positivement tous
les détails. On n'en conclura pas que les écrivains étaient
dans l'erreur et qu'ils ont voulu tromper'. Pourquoi rai-
» Luc, XXIV, U, 12. — 2 Luc, xxiv, 22-24. — 3 Luc, xxiv, 13-35. —
* Migne, Démonst.^ x, p. 1054. — s cf. S. Amb., de Virg., r, 3; Suarez,
In lll Thom., disp. 49. — « Joan., xx, 1. — ? Quis enim unquam duos
historicos legens de una re scribentes, utruinque aut utniuilibet eonim
aut fallere aut falli arbitratus est, si unus eorum dixit quod alius pr»ter-
misit, aut si alter aliquid brevius complexus est, alter autem tanquam
membratim cuncta digessit, ut non solum quid factuni sit, Yerum etiam
quemadmodum factum sit intimaret? Vellem sane ut aliqiiis istOFum
vanorum, qui bujusmodi quaBstiunculas quasi magnas objiciunt Evan-
gelio, narraret aliquid idem ipse bis numéro, non falsum nec fallaciter,
sed omnino id volens intimare et exponere, et stylo exciperentur verba
cjus, eique recitarentur ; ulrum non aliquid plus minusve diceret aut
praepostero ordine, non verborum tantum, sed etiam reram, aut utr^um
non aliquid ex sua sententia diceret tanquam alius dixerit, quod eum
dixisse non audierit, seu voluisse atque scnsisse plane cognoverit, aot
utrum non alicujus breviter complecteretur sententias verit^tem, ctyos
N» 433] SA VIE GLORIEUSE. — SA RÉSURRECTION. 607
sonner autrement quand il s'agit des historiens du Sau-
veur * ?
2° La question dont il s'agit ici n'a pas d'intérêt pour les
incrédules et ne doit pas nous faire entrer en controverse avec
eux. Ce dont il s'agit entre eux et nous, ce n'est pas
de savoir si nous connaissons bien tous les détails de la ré-
surrection du Sauveur, mais si elle a eu lieu ; c'est-à-dire si
nous sommes bien assurés qu'il est mort, qu'il a été ense-
veli et qu'il est sorti de son sépulcre, animé d'une nouvelle
vie*.
433. — Que signifient ces mots adressés à Madeleine par Notre Seigneur :
Noli me iangere; nondum enim ascendi ad Patremmeum 3?
Ces mots, dont le sens mystérieux atteste l'authenticité,
ont été expliqués de diverses manières. Deux interprétations
semblent à peu près également plausibles. — 1° // est inu-
tile de chercher à me retenir. Ne prenez pas cette peine.
L'heure de mon Ascension n'est pas sonnée. Je suis encore
pour quelque temps avec vous. Ascendi serait un hébraïsme
pour ascendo. Cette explication se concilie bien avec la con-
duite de Notre Seigneur à l'égard des saintes femmes qui
embrassent ses pieds *, et de S. Thomas ^ à qui il dit de le
toucher. — 2® // ne convient pas de vous attacher ainsi à moi.
Ce n'est pas le temps de jouir de ma présence. Allez sans
retard avertir mes Apôtres : Vade autem ad fratres meos ®;
ou bien : Attendez le ciel; c'est là que vous me témoignerez
librement votre reconnaissance avec les enfants de la
résurrection \ S. Augustin, qui suggère cette interpréta-
tion, en donne pour raison que Madeleine représentait les
rei antea quasi expressius articulos explicasset. S. 'Aug., Cont. Faust, j
XXXIII, 7, 8.
1 HabueruDt unde scriberent omnes evangelistse sicut eis sùbminis-
trabat spiritus recordationis. Alius aliud dixit, alius aliud. Praeterniit-
terc aliquis potuit aliquid verum, non dicere aliquid falsum. S. Aug.,
Sei^m. ccxLvi, de Fest, pasch., 1. Cf. Act., ix, 3-22; xxii, 3-16; xxvi,
9-21. — * Ginoulhiac, Orig, du Christ.., t. ii, ch. x. — 3 Joan., xx, 17.
— * Matth., xxvin, 9. — b Joan., xx, 27. — « Cf. Ps. xxi, 23. — ^ Cf.
Blattb., ^zvi^ 29; Luc, xx,.35, 36.
608 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n® 434
Gentils et que les Gentils ne devaient s'attacher à Notre
Seigneur qu'après l'entier accomplissement de tous ses
mystères K
Sur la dernière parole du Sauveur : Ascendo ad Patrem
meum et Patrem vestrum *, le même Docteur fait observer
qu'il ne dit pas : Notre père, ni notre Dieu ; mais : Mon
Père et votre père ; mon Dieu et votre Dieu ; faisant en-
tendre ainsi qu'il n'est pas Fils de Dieu ni serviteur de
Dieu de la môme manière que nous •. D'un autre côté, on
peut remarquer que les deux termes sont unis par un même
article : xov TzoLTTfpx [xou xat Tcaii^pa jii.a)v, pour indiquer que
c'est bien le même Dieu dont il est le Fils et dont nous
sommes les enfants.
* 434. — Comment peut-on croire sur le rapport des gardes que les dis-
ciples de Jésus-Christ avaient enlevé le corps de leur maître, Matth.,
XXVIII, 15?
Un juge intelligent et impartial eût tenu le récit des
gardes pour une fable *; mais des esprits prévenus, inté-
ressés, passionnés, sont aveugles. C'était l'état du grand
nombre. Quant aux prêtres, leur intérêt demandait qu'ils
parussent convaincus de l'enlèvement et qu'ils en répan-
dissent le bruit. Ils s'empressèrent, dit S. Justin, d'envoyer
des émisssaires de tous côtés pour accréditer l'imposture '.
Ainsi le faux témoignage poursuivit le Sauveur jusque dans
le tombeau •. Une dizaine d'années plus tard, S. Mat-
i Sic dictum est, ut in illa figuraretur Ecclesia de gentibus, que in
Christum non credidit, nisi cum ascendisset ad Patrem. S. Aug., In
Joan,^ cxxi, 3. Cf. S. Léo, Serm. lxxiv, 4; S. Th., p. 3, q. 55, a. 6,
ad 3 ; SuprOy n. 244. — s Cf. Rom., xv, 6; Il Cor., i, 3; xi, 31; xv, 84;
Eph., I, 3. — 8 Non ait Patrem nostrum. Aliter ergo meum, aliter ves-
trum; natura meum, gratia vestrum. Neque dixit Deum nostrum. Ergo
et hic aliter meum, aliter vestrum : Deum meum, sub quo et ego sum
homo;'Deum vestrum, inter quos et ipse mediator sum. Sic jungit ut
distinguât; sic distinguit ut non sejungat. S. Aug., Jn Joan,, cxxi, 3. ^
^ Ps. XXVI, 12; Sap., ii, 21. Stulta insania : si vigilabas, quare permi»
sisti? si dormiebas, unde scivisti? S. Aug., In Ps. xxxvi; Serm. n, 17.
S. Chrys. In Matth., Homil. xc, 1. — » S. Just., Dialog,, 104, 108;
Euseb., In Isai.y xyiii, 1. — <( Parum fuit Christo perpeti falsos testes
in judicio : perpessus est et in sepulcro. S, Aug., In Ps, lv, 9.
N<» 435] SA VIE GLORIEUSE. — SES APPARITIONS. 609
thieu attestait que la calomnie et la séduction n'avaient
pas encore cessé *. La vérité néanmoins finit par se faire
jour '.
§ II. — Apparitions du Sauveur ressuscité.
435. — Combien voit-on d'apparitions du Sauveur mentionnées
dans TEvangile?
Quoiqu'il ne fût plus sur la terre dans les mêmes condi-
tions qu'avant sa mort, le Fils de Dieu n'a pas laissé de se
montrer en diverses occasions et de se faire reconnaître
d'un bon nombre de ses disciples. S. Augustin énumère
dans l'Evangile dix apparitions du Sauveur en son corps
glorieux '; mais on n'en compte ordinairement que neuf,
parce qu'on réunit les deux dernières. Il apparut : — l** A
Madeleine, au Jardin *. — 2* Aux saintes femmes, orto sole *.
— 3** A Simon-Pierre '. — 4^^ Aux disciples d'Emmaûs "'. —
5* Aux dix Apôtres, cum fores essent clausœ ^ Ces cinq ap-
paritions eurent lieu le jour même de la résurrection. —
7"* A S. Thomas et aux autres Apôtres, post dies octo, le di-
manche suivant ^. — 7** A cinq apôtres, Pierre, Jacques,
Jean, Thomas, Nathanael, et à deux disciples sur les bords
du lac de Tibériade '°. — 8° Sur une montagne delà Galilée,
à plus de cinq cents disciples **. — 9" A Jérusalem et à Bé-
thanie, le jour même de l'Ascension **.
S. Matthieu et S. Marc ne disent qu'un mot sur ces appa-
ritions. S. Jean n'en rapporte que quatre, et il appelle celle
1 Divulgatum est verbum istud usque in hodicrnum diem. Matth.,
xxviir, 15. Cf. Num., xxii, 30. — 2 Matth., x, 26. — ^ de Consensu
evang., m, 70. — * Marc, xvi, 9.-5 Matth., xxviii, 9. — * Luc ,
xxtv, 34; I Cor., xv, 5. — "^ Luc, xxiv, 13-35. On croit avoir retrouvé
rEmmaûs de TEvangile, non à soixante stades de Jérusalem comme porte
la Vulgate, mais à cent soixante, conformément à fc^, N, K. L'autorité
d'Eusèbe : Onomasticon, de S. Jcrônio, Ep.cvui, 8, de Sozomène, //. E,j
V, 21, de sainte Sylvie, Pèlerinage (380-383), donnent à ce sentiment un
fondement solide. Le rédt de S. Luc n'y contredit pas. — * Luc, xxiv,
.30-44; Joan., xx, 19-23. — » Joan., xx, 24-29. — 10 Joan., xxi, 1-22.
Cf. Gen., XLV, 1-3. — li Matth., xxviii, 16. Cf. I Cor., xv, 6. — 12 Marc,
XVI, 14-19; Luc, xxiv, 50; Act., i, 4-11. Cf. S. Thom., p. 3, q. 52,
a. 3, ad 3.
610 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n« 436
du lac de Tibériade la troisième, soit parce qu'il n'a en vue
que celles qui eurent lieu devant tous les disciples réunis * ;
soit parce qu'il réunit dans sa pensée toutes celles qui s'ac-
complirent le jour même de la résurrection. D'un autre
côté, S. Paul nous apprend que le Sauveur apparut encore
à S. Jacques *, et à lui-même, le dernier de tom •. Ainsi, le
Fils de Dieu s'est plu à multiplier les preuves de sa résur-
rection, autant qu'il avait multiplié les témoignages de sa
mort.
Dans toutes ces apparitions et dans le récit qu'en font les
auteurs sacrés, on reconnaît le caractère du Sauveur et l'es-
prit de l'Evangile. Tout y est simple, édifiant, digne d'un
Dieu mort pour les péchés des hommes et ressuscité pour
leur justification. Il est grand avec dignité dans ses abais-
sements, grand avec modestie dans son élévation ; et on le
voit allier, d'une manière qu'on n'a pu inventer ni contre-
faire, une souveraine majesté avec une douceur toute pa-
ternelle *. Impossible de ne pas sentir la joie naïve, intime,
pénétrante que respirent tous ces récits, en particulier ce-
lui de l'apparition d'Emmaûs, qu'un critique rationaliste *
signale comme un des plus fins et des plus nuancés qu'il y
ait dans aucune langue. Quand l'Eglise en fait la lecture
dans l'office pascal, on est transporté sur les lieux, dans la
société des disciples ; on croit entendre leur entretien, on
partage leur allégresse, et l'on reconnaît avec eux le divin
Maître.
* 436. — Pourquoi le Fils de Dieu demeure-t-il quarante jours sur
la terre après sa résurrection?
En restant ainsi sur la terre, et en se manifestant, comme
il fait, à ses Apôtres, Notre Seigneur n'a en vue que leur in-
térêt et celui de son œuvre. Il se propose :
1 Joan., XX, 19-23; 26-29; xxi, 1-23. — a I Cor., xv, 7. Cf. S. Hicron.,
de Vir. m., II. — 3 1 Cor., ix, 1; xv, 7, 8. Cf. Act., ix, 5, 17, 27;
xxii, 6-10; XXVI, 12-18; Gai., i, 12; S. Thom., p. 3, q, 57, a. 6, ad 3. -
* Nemo audebat interrogare : Tu quis es? Id est, nemo audebat dubitaro
quod ipso osset. S. Aug., In Joan,y cxxiii, 1. — » M. Renan.
N° 436] SA VIE ÔLORIÈUâÉ. — âEâ At>PARlïIONS. 6ll
1" De les convaincre de sa résurrection, qui doit être le
principal objet de leur prédication et la base de la foi chré-
tienne K C'est pourquoi if ne se contente pas de se montrer
à eux et de leur adresser la parole ; il s'assied à leur table *,
il prend part à leurs aliments, il les engage à porter les
mains sur son corps, à toucher ses mains et ses pieds \
2** De mettre dans le cœur de ses Apôtres une vive foi aux
récompenses futures et une grande estime des biens que
Dieu réserve à ceux qui se sacrifient à son service *. Desti-
nés à prêcher l'Evangile au milieu des infidèles et à cimen-
ter de leur sang les fondements de l'Eglise, ils avaient besoin
de ces sentiments pour ne pas faiblir dans la mission qui
leur était confiée. Or, quoi de plus propre à les leur inspirer
que la vue de leur Maître ainsi glorifié, victorieux de tous
ses ennemis, à l'abri des coups du monde et de l'enfer, se
disposant à remonter auprès de son Père et à rentrer triom-
phant dans son royaume éternel? Aussi est-ce ce souvenir,
cette pensée du ciel, cette espérance de la gloire future qui
les anime dans leurs travaux et qui les soutient au milieu
des souffrances*.
3° De compléter leur préparation à l'apostolat, en leur
donnant l'exemple d'une vie céleste et en leur communi-
quant ses derniers avis. Durant ces jours, son état et sa con-
1 I Cor., XYiif 12-15. Ideo quadraginta diebus mansit, ne id quod vide-
batur, phantasma esse putarent. S. Ghrys., In Act. Hom., i. Cf. Matth.,
XIV, 26. Quis alius homines ita certes de immortaUtate reddidit, ut
Ghristi crux ejusque corporis resurrectio? S. Athan., de Incarn., 50. —
^ Luc, XXIV, 30; Joan., xxi, 12; Act., i, 4; x, 41. — 3 In multis argu-
mentis, Tex(jiv]ptoic, apparens eis. Act., i, 3. Cf. Luc, xxiv, 42-43; 38, 39;
Joan.y XX, 27; I Jean., i, d. Si parum est vobis attendere, manus mittite.
Si non sufficiat tangere, palpate. S. Aug., Serrn. cxxxvii, 3. Cf. Brev.
rora,. In Ascens., lect. vu, viii; S. Chrys., Hom. Cu : in Pentec. legantur
Acta Apost.^ et S. Thom., p. 1, q. 51, a. 3, ad 5; p. 3, q. 55, a. 3, ad 3
et a. 6. — * Luc, xxiv, ^, 26, 38, 39; Act., i, 9-11. — s Act., vu, 55;
Rom., VI, 5, 8; vm, 17, 18; I Cor., xv, 30; \l Cor., m, 18; iv, 14-18;
V, 1, 2, 8; Eph., ii, 4-7; Phil., i, 21, 23; ii, 4-11 ; m, 20-21 ; II Tim., i, 12;
II, 11, 12; Jac, V, 7, 8; U Pet,, i, 3-11, 13; v, 1-4. Fiducia christianorum
resurrectio mortuorum. Tert., De resur. catm.^ 1. « Regardez-nous bien
au visage, disait un martyr aux persécuteurs, afin de nous reconnaître
au jugement dernier. » Act, 5* Perp,^ 17.
612 JÉSUS-dHRlST SELON L^ÉVANGlLÉ. [n^ 43?
duite tiennent moins de la terre que du ciel. Il se montre
insensible à toute affection naturelle, et ne vit plus que pour
son Père. S'il parait au milieu des hommes, c'est pour peu
de temps et de loin en loin. S'il prend quelque aliment,
c'est par condescendance, dans l'intérêt de ceux avec qui il
se trouve. Ainsi leur apprend-il à se détacher du monde et
à vivre d'une manière surnaturelle, comme des anges de
Dieu sur la terre. Quant à ses entretiens, ils n'ont d'autre
fin que d'achever leur instruction et de les mettre en état
de commencer leur ministère. Il ne parle avec eux, dit
S. Luc, que du royaume de Dieu, c'est-à-dire, suivant l'ex-
plication des saints Docteurs, de l'Eglise, de sa constitution,
de sa hiérarchie, de son culte, de sa discipline, de ses desti-
nées*. C'est ce qu'on remarque surtout dans ses dernières
apparitions, qui eurent plus de durée ou qui furent pour
les Apôtres seulement. Le divin Maître s'applique moins à
les consoler qu'a les instruire. Il leur donne le pouvoir de
remettre les péchés, et leur communique pour cela son Es-
prit. Il leur désigne un chef*. Enfin il leur donne leur der-
nière mission ^ Après comme avant sa résurrection, on voit
qu'il n'a qu'une pensée : faire l'œuvre de son Père, fonder
son Eglise, assurer à tous les hommes les moyens d'arriver
au salut*.
* 437. — Pourquoi Notre Seigneur fait-il dire à ses disciples qu'ils le
verront en Galilée s, lorsqu'ila le voyaient, ce jour-là même, à Jéru-
salem ?
Ce n'est pas aux Apôtres seulement, mais à tous ses dis-
ciples, que Notre Seigneur fait dire qu'ils le verront en Ga-
lilée, c'est-à-dire dans leur pays «. Là, ils pouvaient se ras-
1 Hi dies non otioso transiere decursu, sed magna in cis confirroata
sacramenta, magna revelata mysteria. S. Léo, Serm. de Asc^ns., lxxih, 2.
Cf. Matth., XXVIII, 20; Marc, xvi, 15, 16; Joan., xx, 21; xxi, 15. —
* Joan., XX, 21-23; xxi, 15-18. — ^ Celle d'achever ce qu'il avait com-
mencé : HpÇotTO TTOieiv te xai 8i8a<TX£iv. Act., i, 1. Cf. Matth., xxviii, 18;
Marc, XVI, 15. - * Joan., ix, 35-39; x, 11, 16; xi, 52. — « Matth.,
xxviTi, 10. — « In signum translationis fidei ad gantes. S. Aug., D^
Cons. Evang.f m, 86.
N<> 439] SA VIE GLORIEtSE. — SES APPARITIONS. 613
sembler en plus grand nombre et avec moins de péril. Déjà
la plupart s'y trouvaient; les autres devaient s'y rendre sur
la fln de la semaine. Il leur indique une montagne pour lieu
de réunion, parce qu'il veut leur parler plus longuement et
s'entretenir plus librement avec eux K Sa huitième manifes-
tation eut lieu en cet endroit*. On est fondé à croire que
c'est dans cette occasion qu'il fut vu, comme l'assure S. Paul,
par plus de cinq cents disciples à la fois*.
438. — Pourquoi ce souffle du Sauveur sur les douze Apôtres,
le jour de sa résurrection *î
Les paroles dont le Sauveur accompagne cet acte en don-
nent la signification. Il témoigne par là : — 1° Que le Saint-
Esprit, Spiritus^ To nveu;j.7, dont son souffle est le symbole,
procède de lui comme de son Père '; — 2" Que l'humanité
du Verbe est le canal par lequel cet Esprit doit être commu-
niqué aux hommes ; — 3* Que ses ministres doivent être
animés de cet Esprit, et qu'ils ne pourront sanctifier les âmes
et leur donner la grâce que comme ses organes et ses repré-
sentants •.
Le souffle du Sauveur, en cette occasion, rappelle l'anima-
tion du premier homme par le souffle de Dieu '', et présage
celle du corps de l'Eglise au jour de la Pentecôte.
439. — S. Tliomas n'était-il pas absent en ce moment?
Il y a lieu de croire, d'après le récit de S. Jean ', que
S. Thomas n'assista pas à cette réunion. Il ne faut donc pas
presser outre mesure l'expression dont se sert S. Luc pour
désigner les Apôtres. Ceux qu'il nomme les onze^, c'est le
collège des Apôtres, qui n'était plus alors que de onze mem-
bres. C'est ainsi qu'on dit les décemvirs, les quarante, pour
l'assemblée des dix ou des quarante, sans s'inquiéter si
quelque membre fait défaut ou non *°. C'est ainsi que S. Jean
1 Cf. Matth., V, 1 ; XV, 29. — 2 Matth., xxviii, 16. — 3 i Cor., xv, 6.
Cf. S. Thom., p. 3, q. 55, a. 3, ad 4. — * Joan., xx, 22. — « Joan.,
XV, 26; S. Aug., In Joan., xcix, 7, 8. — • Luc, v, 21. — "ï Gen., ii, 7.
— • Joan., XX, 24. — » Luc, xxiv, 33. — *o Cf. Matth., xxvii, 44.
III. 35
614 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n<* 440
et s. Paul disent les douze ^^ avant môme que Judas ne soit
remplacé dans le collège apostolique. Rien n'empêche pour-
tant de penser que S. Thomas était réuni aux autres Apôtres,
au moment où S. Luc dit que les disciples d'Emmaûs
rapportent aux onze l'apparition dont le Sauveur les a fa-
vorisés *, pourvu qu'on admette qu'il sortit aussitôt après
et qu'il se trouvait absent, comme le remarque S. Jean,
lorsque le Sauveur lui-même apparaît devant les dix autres
Apôtres '.
Tout absent qu'il était, S. Thomas n'en reçut pas moins
sans doute l'Esprit saint en même temps que les autres,
comme on voit qu'Eldad et Eliud, membres du conseil des
Septante, reçurent dans le désert l'Esprit de prophétie, à
l'instant même où il descendit sur leurs collègues *. S'il n'en
fut pas ainsi pour S. Thomas, il est certain que Notre Sei-
gneur ne tarda pas de suppléer à ce défaut •.
440. — Pourrait-on prendre les paroles de S. Thomas : Dominus meus
et Deus meus, pour une simple exclamation, pour une expression de
surprise adressée à Dieu le Père?
Il faut voir dans les paroles de S. Thomas : Dominus ineus
et Deus meus •, la profession de foi la plus nette et la plus
fervente à la divinité du Sauveur'. Prétendre qu'il n'y a là
qu'un cri de surprise, ce ne serait pas seulement s'inscrire
en faux contre le sentiment unanime et constant des Pères ",
ce serait encore violer ouvertement toutes les règles de
l'interprétation. En effet :
1° Nulle part, dans l'Ecriture, on ne voit l'étonnement
exprimé de cette manière. D'ailleurs, il n'est pas dit en cet
endroit que S. Thomas s'écria, mais qu'il répondit à Notre
Seigneur : Respondit, et dixit ei.
2** Il est manifeste que Dominus, au verset 28, a le môme
1 Joan., XX, 24 et I Cor., xv, 5, Grxce, — * Luc, xxiv, 3â-35. —
3 Cf. Luc, XXIV, 26, et Joan., xx, 24. — * Num., xi, 16, 17, 2^30. —
6 Totus décor apostolicae dignitatis ex Christi benigna voluntate iUi
similiter apostolo debuit reservari. S. Cyrill. Alex., In Joan,^ xu. —
6 Joan., XX, 28. — "' Cf. Gonc ConsUntin. II, can, 12, de tribus Capi-
tuliSf contre Théodore do Mopsueste. — ^ Cf. Conc Trid., sess. 4.
NO 440] SA VIE GLORÎEtSÊ. — SES APPARITIONS. 615
sens qu'au verset 25, et que Deus ne peut avoir avec lui
qu'un même objet, le Seigneur Jésus.
3" Les paroles de Notre Seigneur à S. Thomas : Quia vi-
disti me, Thoma^ credidisti, ne s'expliqueraient pas, si son
exclamation ne contenait pas un acte de foi et ne lui était pas
adressée à lui-même.
4^ S'il n'y avait pas dans le récit de S. Jean un acte de foi
à la divinité du Sauveur, il perdrait sa liaison logique avec
le verset qui suit : Hœc scripta sunt ut credatis quia Jésus est
Christv^s Filius Dei *.
Quand on lit ce passage sans préoccupation, on ne peut
hésiter, ni sur le sentiment exprimé par S. Thomas, ni sur
le motif qui porte S. Jean à retracer cette scène. S. Thomas
avait cessé de croire à la divinité de son Maître, puisqu'il
était persuadé qu'il devait rester comme tout autre sous
l'empire de la mort *. Pour le tirer de son erreur et le ra-
mener à la foi, le Sauveur entre dans la salle, les portes fer-
mées; puis, s'adressant à cet Apôtre, il lui montre qu'il voit
le fond des cœurs, et daigne se soumettre aux conditions
qu'il a mises à sa foi. A cette vue, Thomas se rend : et aussi-
tôt qu'il a exprimé sa conviction par ce cri : Dominus meus
et Deus meus! son Maître, le félicitant de n'être plus incré-
dule, semble lui dire : « En effet, je suis réellement ton Sei-
gneur et ton Dieu. » De cette manière tout s'enchaîne et
tout se justifie. On trouve naturelle la conclusion de l'E-
vangéliste : Hœc scripta sunt ut credatis^ et la parole du
Sauveur : Beati qui non viderunt et crediderunt • î dernière
béatitude qui comprend toutes les autres et que toute autre
suppose.
i Joan., XX, 31. Tanquam finis interpositus est libri quod esset etiam
secuturae narrationis quasi proœmium, quod oi quodammodo facerct
eminentiorem locum. 8. Aug , In Joan.^ cxxii. — ^ Ubi spem latro in-
venit, discipulus perdidit. S. Aug., Serm, cxxxii, 6. — 3 Brev., Dom. xii
posé Pent,, 1. VII et viii, et Heb., xi, l. Cf. Brev. 21 décemb., 1. vii-ix.
616 JÉSUS-CHRIST SELON L^ÉVANGILE. [n® 441
§ m. — Investiture de S. Pierre. Joan., xxi^ 15-23 *.
{Jliilieu du mois d'avril 33.)
S
Ce qai lai eat preserit. — Ce qai lai est demandé. — Signification, étendue
et aatheaticité des paroles de Notre Seigneur.
441. — De quelle manière Notre Seigneur a-t-il donné à saint Pierre
son autorité sur l'Eglise ?
Notre Seigneur a investi S. Pierre de son autorité sur
l'Eglise au moment où il lui a dit ces paroles, rapportées
par S. Jean : Pasce agnos meos, pasce oves meas •. c Gouver-
nez mon troupeau; ayez soin de tous ceux qui sont à moi. »
Ce n'est pas un droit seulement qu'il lui donne : c'est une
charge qu'il lui impose. Il lui confie son troupeau ; il le lui
soumet. Loin de soustraire qui que ce soit à son autorité,
il y assujettit expressément, spécialement, ceux qui semble-
raient les mieux fondés à s'en croire exempts. Gomme il
s'est servi de deux termes, ôsjxe et uoijjlxivs, pour détermi-
ner l'office qu'il confère à S. Pierre, il se sert aussi de deux
mots, apvia et TupoSaia, pour désigner ceux qui lui sont sou-
mis, et ces mots se renforcent et se complètent : Tertio Petrus
jam non agnos ut primo, nec oviculas (i:po6aTia) * ut secufido,
sed oves pascere jubetur, dit S. Ambroise*.
1 Supra ^ n. 435. — ^ Piscis assus Ghristus est passus. S. Aug., In
Joan.j Gxxiii, n. 2. Peinture du cimetière de TÂrdeatine. Allusion au
poisson mystérieux, IxOuç, que Notre Seigneur ressuscité offrit à ses
apôtres au bord du lac de Tibériade. Joan., xxi, 9. Supra, n. 204. 205.
— 3 Joan., XXI, 15-17. Cf. II Reg., v, 2; Ps. ii, 9 (Cf. Apec, ii, 2f7;
Lxxvii, 71; Lxxix, 1; Is., xuv, 28; Joan., x, 16. rioipiaiveiv comprend
toute la charge du pasteur, surtout la fonction de conduire, de guider,
de régir. Apoc, m, 29, grâce. Botrxeiv signifie une fonction spéciale,
celle qui demande le plus de dévouement et de tendresse, nutrire,
pascere. — ^ B et G Usent irpoSarta au lieu de icpoSaxa, au verset 16.
La Peschito a conservé cette gradation. — 8 /^ Luc, x, 24. Prius agnos,
deindo ovès ei committit, quia non solum pastorem, sed pastoruffl
Pastorem eum constituit. Omnium igitur Pastor est, quia prêter agnos
N** 442] SA VIE GLORIEUSE. — INVESTITURE DE S. PIERRE. 617
C'est ainsi que Pierre devient le vicaire universel du Sau-
veur sur la terre. Tout lui est subordonné, jusqu'aux
Apôtres. Encore qu'ils tiennent comme lui leurs pouvoirs
de Jésus-Christ môme, ils ne les doivent exercer que de
concert avec lui et dépendamment de lui : Inter duodecim
unm eligitur, dit S. Jérôme*, ut capite constituto, schismatis
tollatur occasio *. « Ainsi s'achève l'Eglise, dit Bossuet. Le
corps des Apôtres reçoit sa dernière forme. En recevant de
la main de Jésus-Christ ressuscité un chef qui le repré-
sente sur la terre, l'Eglise est distinguée de toutes les sociétés
schismatiques, et le mystère de l'unité, par lequel l'Eglise
est inébranlable, se consomme '. »
442. — Pourquoi le Sauveur demande-t-il auparavant à S. Pierre s'il
Taime et s'il Taime plus que les autres?
En demandant par trois fois à S. Pierre s'il l'aime, s'il
Taime plus que les autres *, et en l'appelant Simon, fils de
Jean •, Notre Seigneur voulait, dit S. Augustin, lui rappe-
ler et lui faire expier à la fois la faute qu'il avait faite, d'a-
bord en mettant sa vertu au-dessus de celle des autres
Apôtres, ensuite en le reniant trois fois devant ses ennemis :
Redditur trinœ negationi trina confessio... ut ter confiteretur
amor quod ter negaverat timor •. Néanmoins, son principal
et oves, in Ecclesia nihil est. S. Euseb. Ëmes., In Vigil. Apost. Major
gradus redditur ploranti, quam sublatus est deneganti. Arnob., In
Ps. CXXXVIII.
1 Adv. Jovin^ i, 2, 6. — ^ De toto mundo Petrus eligitur qui et uni-
versarum gentium vocationi et omnibus Apostolis, cunctisque Ecclesise
patribus prasponatur. S. Léo, Serm, iv, 2. — * Bossuet, Serm. iv pour
le Jour de Pâques ^ 2fi point. — ^ Amas me? Non dixit : Times me?
S. Aug., In Ps. xc, 8. Cf. II Tim., i, 7; Rom., viii, 35-39. Aux mots grecs :
AyvKOLi p.e ; çiXetc (x.e; répondent parfaitement les mots latins : Amas me?
Diligis me? Le premier indique un sentiment plus réfléchi; le second
une affection plus tendre. Non potuit dicere nisi : Amo te; non ausus
est dicere plus his. Suffecerat ei testimonium perhibere cordi suo. Non
dobuit esse judex cordis alieni. S. Aug. Serm. cxlvii, 2. — * A partir
de son reniement, S. Pierre n'est plus, nommé que Simon dans l'Ëvan-
gile, comme s'il avait perdu sa dignité et son titre de noblesse. —
8 Secundo quidem infert dolorem, sed firmat postea sanitatem. S. Aug.,
Serm, gclxxxv, 3 et ggxcvi, 3; In Joan,, cxxiii, 5.
618 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n® 442
motif, c'est l'intérêt de l'œuvre dont il veut charger son
apôtre *. t De môme qu'avant de conférer le baptême à un
néophyte, dit Théophylacte, on lui demande une triple pro-
fession de foi ; de même qu'avant de donner à un fidèle le
corps et le sang du Sauveur, le prêtre lui fait faire une
triple protestation d'humilité et de confiance, afin de le bien
pénétrer de ces sentiments ; ainsi le divin Maître, avant de
confier à S. Pierre la garde de ses brebis et de l'associer à
sa qualité de pasteur, prend soin de lui rappeler, ce qu'il
lui a dit autrefois d'une manière si touchante ", que le mi-
nistère pastoral est un office de charité, et que plus la place
qu'on occupe dans ce ministère est élevée, plus il faut de
dévouement pour en être digne et pour s'en bien acquit-
ter '. » Il lui demande à trois reprises s'il a bien ces dispo-
sitions. Lors donc qu'il ajoute : « Sois le pasteur de mon
troupeau, » c'est comme s'il disait : c Mets ces sentiments en
pratique; fais pour tes frères ce que j'ai fait pour toi;
n'hésite pas à te sacrifier pour eux comme je me suis sa-
crifié moi-même *. » Et afin qu'il ne puisse se méprendre sur
sa vocation et qu'il sache bien dans quels sentiments il
doit accepter sa charge, il lui révèle aussitôt quelle est sa
destinée et quelle sera sa fin *.
Ter confessus ter negatum^
Gregcm pasces ter donatum,
Vita, verbo, precibus s.
1 S. Thom., 2*-2», q. 185, a. 3, ad 1. — 2 Joan., x, 1-16. — » Id
significatum perinde puto, ac si illi dixisset Jesns : Ni»! testimoDium
tibi perhibente consoientia quod me âmes et valde porfecteque âmes,
hoc est plus qiiam tua, plus quam tuos, plus quam te, nequaquam sus-
ci pias curam liane, nec te intromittas de ovibus meis, pro quibus sanguis
utique meus eflfusus est. S. Bern., In Cant., lxxvi. Bourdaloue, Panég.
de S. Pierre, 2« point. — * Pasce oves meas ; id est, ne pascas teipsum.
S. Aug., In Joan., cxxiii, 5. Pasce oves meas, ut ponas animam tuam
pro ovibus meis, xlvii, 2. Est amoris pascere dominicum gregera, noQ
gloriandi, vel dominandi , vel acquirendi cupidîtatis. cxxiii, 4. In hoc
ostende quia amas me. Serm. gxlvi, i. Fac pro ovibus quod pro te feci.
In I Joan., v, 5. Supra, n 775. — s Joan., xx, 18, 19. Et ut noveritis
quia sic ab eo pasci volebat oves suas, ut animam suam pro ovibus
poneret, hoc illi continue dixit : Cum senueris, alius te cinget et ducet
quo tu non vjs. S. Aug., In I Joan., v, 11. Infra^ n. 447. — « Ofac.
NO 443] SA VIE GLORIEUSE. — INVESTITURE DE S. PIERRE. 619
443. — Ces paroles de Notre Seigneur à saint Pierre ; Pasce agnos tneos,
no poavaient-ellcs pas laisser quelque incertitude dans Tesprit des
Apôtres et des premiers fidèles?
Ces paroles : Pasce oves meas \ sont assez claires par
elles-mêmes; et, d'ailleurs, le sens en était fixé longtemps à
l'avance par les promesses dont S. Pierre avait été l'objet •.
Ces promesses sont exprimées par trois comparaisons : —
!• Celle des clés. Notre Seigneur lui dit : Tibi dabo claves re-
gni cœlorum '. Ainsi les clés de la maison de Dieu passeront
des mains d'Aaron dans les siennes. Il sera dans l'Eglise
comme le maître dans sa demeure, ou comme l'intendant
dans la maison de son maître. Il agira avec une pleine au-
torité parmi les enfants de Dieu, comme un père agit avec
sa famille*. Répondant de tout, il est juste qu'il dispose de
tout et que rien ne se fasse indépendamment de lui. — Celle
des liens : Quodcumqus ligaveris super terram, erit ligatum et
in cœlis^ etc. ». Il n'y a pas d'obligation, pas de lois que
Pierre ne puisse imposer ou abolir dans l'Eglise ; comme il
n'y a personne qu'il ne puisse lier et délier, c'est-à-dire qui
ne soit astreint à ses prescriptions et sujet à son jugement.
— 3** Celle de la pierre, du fondement : Tu es Pierre •. c Tu
s. Pétri, Apud Mono, m, 72 (xi« sièc). Le rapport qui unît ici ces
paroles : Pasce oves meas, avec la scène qui précède, -est moins sensible
que dans les autres récits de S. Jean. On vient de voir une pèche, et
le Sauveur parle de troupeau. Cependant ce rapport existe, et sous des
images différentes, il s'agit du môme objet, du ministère auquel S. Pierre
ot ses successeurs doivent consacrer leur vie. Ils n ont pas seulement à
tirer les âmes de l'erreur et du péché : ils ont & les sanctifier et à les
conduire au ciel. La pèche miraculeuse rappelle au Prince des apôtres
sa première obligation, qui est de convertir les âmes, de les tirer de
l'abîrae (Luc, v, 9). Le titre de Pasteur lui dit les soins qu'il devra
prendre ensuite pour les conduire dans le bon chemin et leur faire
atteindre leur fin. Ainsi, s'il ne se borne pas à dire : « Sois pécheur
d'hommes, » c'est que ce ne serait pas dire assez. Il dit : « Sois pas-
teur, pasteur de mes agneaux, pasteur de mes brebis. Elles seront sous
la garde, sans cesser d'être à moi. Consacre-leur pour mon amour tout
ce que tu as d'affection, de force et de vie. » Supra, n. 205.
i Joan., XXI, 17. — « Cf. II Reg., v, 2; I Par., xi, 2; Il Par., x, 16;
Ps. Lxxvii, 71, etc. Infta, n. 447. ~ 3 Matth., xvi, 19. — * Cf. Is., xxii,
21, 22 ; Apec., i, 18; m, 7. — « Cf. Gen., xli, 44. — 6 Matth., xvi, 18. De
620 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n« 444
seras pierre, rocher, granit. C'est sur toi, sur ton autorité
que reposera toute mon Eglise, jjcu r, Exy.Xr.aia ' : son gou-
vernement, sa hiérarchie, son enseignement. Elle n'aura
d'unité, de solidité, de durée que par ton ministère. Comme
je soutiendrai invisiblement contre les assauts de l'enfer cet
édifice sacré, ce temple unique de la religion universelle
que je suis venu fonder, tu le soutiendras extérieurement,
d'une manière visible. Tu seras pour cette Eglise ce que le
mont Moria était pour l'ancien temple *. »
A ces promesses faites à S. Pierre, il faut ajouter une
prière et une commission spéciales du Sauveur, la veille de
sa Passion : Ego rogavi pro te ut non deficiat fides tua •; et
tu,., confirma fratres tuos *. t J'ai prié pour toi, Pierre, pour
toi en particulier, pour toi avec distinction ; » non qu'il né-
glige les autres, mais parce que, selon Texplication des
Pères, affermir le chef, c'est garantir les membres de tout
ébranlement. Et tu confirma fratres tuos. Il est ici de nou-
veau chargé du gouvernement de l'Eglise.
444. — Est-ce à Simoa-Pierre seul, à sa personne exclusivement,
que Notre Seigneur remet son autorité?
Ce n'est pas à Simon, fils de Jean, mais à Pierre, chef de
petra Christo ipse petra factus. S. Léo., Serm. v, n. 4; lxxzi, 1. Cf.
IV, 11; I Pet., II, 5.
^ ExxXvi<Tiay convocatorum cœtus. Inter congregationem unde syna-
goga, et convocationcm unde ecclesia, distat quod congregari et pecora
soient , quorum et grèges proprie dicimus , convocari autem magis est
utentium ratione, sicut sunt homines. S. Aug., In Psalm. lxxxi, 1. Ce
mot lut employé de bonne heure en ce sens . il revient plus de 30 fois
dans les Epîtres aux Corinthiens. Infra, n. 570. — * Capitoli immobile
saxum. Virgil., yEn., ix, 448. Rien de plus visiblement divin dans l'Ecri-
ture même, que ces paroles du Sauveur, Matth., xvi, 17-19. Remarquez
que ce n'est pas au moyen âge, après les épreuves et les triomphes de
la papauté, que S. Matthieu les a écrites. Elles ont été publiées sûrement
au premier siècle, avant que S. Paul fût arrivé à Rome, entre le cruci-
fiement du Calvaire et celui du Janicule, lorsque l'Eglise, à peine connue
dans le monde, était encore réduite à une poignée de ministres et à
quelques milliers de fidèles Cf. Ps. xiv, 1 ; xxiii, 3; xlvii, 2; lxxxvi, 1;
xcviii, 9; Is , II, 2, etc.; Zac, ii, 5; Matth., vu, 25. — 3 Hoc est, ne
auferatur ex ore tuo verbum veritatis. S. Aug., In Ps. cxvm, Serm. 13.
— * Luc, xxii, 32.
N® 445] SA VIE GLORIEUSE. — INVESTITURE DE S. PIERRE. 621
l'Eglise, que le Fils de Dieu confle son autorité. En la lui
conférant, il a en vue, non l'avantage de son Apôtre, mais
rintérét et les besoins de son Eglise. Or, les besoins de l'E-
glise participent de sa nature : comme l'Eglise elle-même,
ils doivent durer plus qu'une vie d'homme ; ils sont perpé-
tuels. Ce n'est pas une tente, un tabernacle, que le Fils de
Dieu est venu dresser ici-bas pour glorifier son Père et
sanctifier les âmes * ; c'est un édifice stable, le seul sous le
soleil qui doive rester sans changements jusqu'à la fin des
siècles, comme l'image de la cité permanente *. Il y faut un
fondement immuable, un soutien constant, un chef qui ne
défaille pas. Lors donc que Jésus-Christ dit à S. Pierre :
Super hanc petram œdificabo Ecclesiam meam,.. Tihi dabo
claves regni cœlorum... Confirma fratres tuos, ce n'est pas à
lui seul qu'il s'adresse, mais à tous les souverains Pontifes,
à tous ceux qui auront à exercer l'office de Pierre. Il con-
sidère en lui tous ses successeurs, comme lorsque Dieu dit
à Adam : Pulvis es et in pulverd)n reverteris •, comme lors-
qu'il dit aux enfants de Noé : Crescite et replète terram^ et
terror vester sit super cuncta animalia terrœ *, comme lors-
qu'il dit d'Aaron : Portabit nomina filiorum Israël coram Do-
mino •. Homo in cujus cute fmrit plaga leprœ, addticetur ad
Aaron^, etc.. Ainsi, en donnant la primauté à S. Pierre,
Jésus-Christ fondait en son Eglise une institution semblable
au pontificat des Juifs : Et sicut perm^net quod in Christo
Petrus credidit^ sic et permanet qaod in Petro Christm ins-
tituit'*. Jamais on n'a entendu autrement dans l'Eglise les
paroles du Fils de Dieu.
445. — Avec le pouvoir de gouverner tous les fidèles, saint Pierre
a-t-il aussi transmis rinfaillibil.ité à ses successeurs?
Il n'est pas douteux qu'avec la charge de pasteur suprême,
S. Pierre n'ait reçu pour ses successeurs comme pour lui
l'infaillibilité dans la doctrine*. Ce privilège est indispen-
* Cf. Ps. Lxxxix, 4.-2 Matth., xvi, 18; Hebr., viii, 2; Âpoc, xxii, 2, 3.
Cf. Dan., VII, 14, 15.— 3 Gen., m, 19.— * Gen., ix, 2.— « Exod., xxviii, 12.
* Lev., XIII, 2. — "ï S. Léo., Serm, m, 2, In anniv. — « In cathedra
31).
622 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n<^ 448
sable pour gouverner TEglise, pour Condamner Terreur,
régler l'enseignement, trancher les controverses en matière
de doctrine et conserver l'unité de la foi. Il y aurait contra-
diction de la part de l'autorité à imposer aux esprits une
croyance qu'elle saurait pouvoir être fausse, et de la part
des fidèles à tenir pour certaine une décision qui serait
sujette à l'erreur. Ainsi S. Pierre était infaillible à un double
titre : comme apôtre envoyé par Notre Seigneur pour an-
noncer l'Evangile, et comme chef suprême de l'Eglise,
d'une Eglise qui est tenue de croire, et qui ne peut croire
que des vérités assurées. La commission qu'il avait reçue
comme apôtre devant expirer avec lui, les dons qu'il pos-
sédait en cette qualité n'étaient pas héréditaires; mais la
charge qui lui avait été imposée de gouverner l'Eglise
devait lui survivre, et avec elle il devait transmettre à ses
successeurs tous les attributs dont ils avaient besoin et qui
lui avaient été conférés pour l'exercer : Soliditas illa quam
ie petra Christo etiam ipse petra facttis accepit^ in suos quo-
lue se transfudit hœredesK
Extraordinaire et personnel dans tous les Apôtres, le don
de Tinfaillibilité était donc en S. Pierre ordinaire et hérédi-
taire. C'est ce que le divin Maître fait entendre, lorsque,
après avoir demandé pour tous les siens l'union et la sainteté,
il demande en particulier pour son vicaire une foi inébran-
lable, que Satan ne puisse abattre et qui lui permette de
soutenir celle de tous ses frères *. t Lors donc que Jésus-
Ghrist prononce ces paroles : Confirma fratres tuos, c'est un
office qu'il érige à perpétuité, dit Bossuet. Il doit toujours
y avoir un Pierre dans l'Eglise pour confirmer ses frères.
Cette autorité est d'autant plus nécessaire aux successeurs
des Apôtres que leur foi est moins affermie que celle de
leurs auteurs. »
unitatis posuit Deus doctrinam veritatis. S. Aug., Epist. cv, 15. Deut,,
XVII, 8, 12; Mattlî., ii, 3. Infra, n. 375.
1 S. Léo., Sei^m, v, 4, v, In Natali ipsins; — « Luc, xxii, 31, 32,
N<* 447] SA VIE GLORIEUSE. — INVESTITURE DE S. PIERRE. 623
446. — Dans quel Evangile lit-on ces promesses et ces
privilèges ?
C'est S. Matthieu qui rapporte la promesse des clés *,
S. Luc qui parle de la prière faite par Notre Seigneur pour
rendre inébranlable la foi de son vicaire •, et S. Jean qui
retrace l'investiture de Fautorité suprême, conférée au pre-
mier pasteur de l'Eglise'. On ne peut donc soupçonner
S. Pierre d'avoir inspiré ces récits. S. Chrysostome observe
que S. Marc, son secrétaire, comme plusieurs Pères l'ap-
pellent, ne parle guère que de ses fautes et des reproches
qu'elles lui attirent *. S'il rapporte le témoignage que le
prince des Apôtres rend au Sauveur, près de Gésarée ', il
se tait sur celui que le Sauveur lui rend à lui-même et sur
l'avenir qu'il lui annonce.
Ainsi, celui qui parle le plus nettement de la primauté
de S. Pierre et de son pouvoir suprême sur l'Eglise, c'est
S. Jean, l'apôtre avec lequel il avait eu le plus de rapport
pendant la vie du divin Maître •, mais dont son ministère
l'avait éloigné, qui lui survivait depuis plus de trente ans
et qui voyait son second ou troisième successeur gouverner
de Rome l'Eglise tout entière"'.
447. — Que signifient ces paroles : Cum senueHs^ alius te cinget, et ces
autres : Sic eum volo manere...\ tu me sequere?
I. La première parole : Alius te cinget S fait entendre à
S. Pierre qu'il sera un jour immolé, comme son Maître, et
qu'après l'avoir représenté dans son ministère, il devra
l'imiter dans sa Passion et dans sa mort®. Le verset 19, en
expliquant ces mots, nous apprend quel éclat le crucifiement
de S. Pierre avait jeté dans le monde et quels fruits il avait
4 Matth., XVI, 46-19. — 2 Luc, xxii, 32. — 3 Joan., xxi, 15-17. —
* S. Chrys., In Matth. ^ Hom. lxxxv. — ^ Marc, viii, 29. — « Luc,
xxii, 8; Joan., xviii, 15, 16; xxi, 7, 21. — "^ « Inclinez la tête, écrit
S. Clément aux Corinthiens, et montrez-vous obéissants. » !« Epist., 63,
Cf. 45-47, 58, 65. « C'est déjà une Décrétale, » dit M. Renan. Cf. Suares.
De summo Pont.f sect. i, n. 28. — * Joan., xxi, 18. — » Cf. Brev.,
^Fer. IV, Inf, oct. pasch,, 1, 11, m.
624 JÉSUS-CHRIST SELON l'evangile. [n^ 447
produits. L'Eglise se sert toujours des mêmes termes * pour
exprimer le triomphe de ses martyrs.
IL La seconde parole : Sic mm volo manere, 22, suppose
trois choses : — que S. Jean est encore vivant au moment
où l'auteur écrit; par conséquent, que ce chapitre, comme
tout TEvangile, est authentique; — que l'Apôtre bien-aimé
ne mourra pas, comme S. Pierre, de mort violente*, —
qu'il verra même sur la terre la ruine de Jérusalem et le
commencement du règne de son Maître •. En effet, c'était le
dessein dii Sauveur de conserver longtemps dans l'Eglise
son disciple bien-aimé et de montrer avec éclat, dans la per-
sonne du fils adoptif de Marie, du plus dévoué de ses en-
fants, l'accomplissement de la promesse attachée au qua-
trième précepte : Ut sis longœvm super terram *.
IIL En entendant ces mots : Tw, me sequere, par lesquels
Notre Seigneur lui répète ce qu'il lui a dit en l'appelant à
l'apostolat *, S. Pierre doit comprendre que sa vocation est
d'imiter son Maître dans sa vie extérieure de travail et de
sacrifice •. « Pour bien conduire tes frères, dit le Sauveur,
sois pasteur comme je l'ai été; suis mes exemples en tout;
reproduis ma vie en ta vie, ma doctrine en ta doctrine,
mon sacrifice en ton immolation \ » S. Pierre devait donc
représenter le Sauveur dans son état de souffrance et de
mortalité, tandis que S. Jean le représenterait dans l'état
permanent et glorieux de la résurrection. Suivant S. Augus-
tin, celui-ci personnifiait l'Eglise triomphante, et celui-là
TEglise militante. Aussi est-il dit au premier : Sequere me^
et du second : Volo eum manere *.
* AoÇaÇetv tov 0eov. Cf. Matth., xvi, 18; xviii, 17; Joan., xiv, 16. —
s Sine vulnere, sine craciatu dornoiet. S. Aug., Serm, gcliii, 5. Gf.MatUi.,
XXIV. 42, 44; Luc, xii, 40. ~ » Cf. Matth., x, 23; xvi, 28; xxiv, 3;
XXVI, 64. — * Ex., XX, 12. Cf. Euseb., m, 31 ; v, 24 ; vu, 25. Remarquons
cependant que le mot grec eav, rendu par sic, deyait Tètre et l'a sans
doute été d'abord par si. — 8 Matth., iv, 19. — s cf. Joan., x, 1-18;
XIII, 36-37; I Pet., v, 24. — "^ Sequere me, id est, esto quod fui, vivens
et moriens; âge pastorem ovium, dum vivis, et postea per crucem transi
ad Patrem. Bellarm. — « Ac si dicat : Vult qnidem et ipse sequi, sed
ego sic eum volo manere. S. Bern., In nativ, Innoc., 1. Perfecta me
scquatur actio, informata meo passionis exemplo : inchoata vero cooteiiK
N» 448] SA VIE GLORIEUSE. — - MISSION DES APOTRES. 625
§ IV. — Dernière mission donnée par le Sauveur aux Apôtres.
Matth., xxvai^ 18-20; Marc.; xvi^ 14-19.
Ses poayoirs. — Ses ordres. — Ses promesses.
* 448. — Quand Jésus-Christ dit : Data est mihi omnis potestas, de
quel pouvoir parle-t-il et quelle est la fin qu'il se propose? Matth.,
XXVIII, 18.
1** Cette assertion est générale, et on ne voit pas de raison
d'en restreindre l'étendue. Notre Seigneur n'exclut pas le
pouvoir qu'il s'est acquis * en vertu de la rédemption, sur
les captifs dont il a brisé les fers; mais il entend surtout le
pouvoir souverain qu'il possède comme Homme-Dieu sur
toute créature*. L'un et l'autre lui viennent de son Père
avec toutes les prérogatives de son humanité.
2<> Son but est d'inspirer aux Apôtres la confiance dont ils
ont besoin pour entreprendre la mission qu'il leur donne.
Il veut leur ôter toute crainte de manquer d'autorité ou de
succès. « Allez donc, ajoute-t-il; allez sur ma parole; ensei-
gnez et baptisez, non les Juifs seulement, comme Jean-Bap-
tiste, mais toutes les nations du monde. Moïse a renfermé
ses lois dans l'arche et Israël les a gardées comme une pro-
priété et comme un dépôt. J'ai écrit les miennes dans vos
esprits et dans vos cœurs, afin que vous les communiquiez
à tous les peuples : Euntes ergo, docete omnes gentes, etc. Je
vous en donne le droit, en vous en imposant la charge. Ne
vous inquiétez pas de votre faiblesse. Je serai avec vous
jusqu'à la consommation des siècles. Vous me trouverez
partout pour bénir vos travaux et valider vos actes ; et le
monde finira plus tôt que votre ministère et mon secours
tout-puissant*. »
Entre toutes les paroles du Sauveur, il n'en est pas de
platio maneat donec venlo, perficienda cum venero. S. Aug., In Joan.j
XIV, 5. S. Thom., p. 1, q. 30, a. 4, ad 3.
1 Rom., XIV, 9; I Pet., ii, 9, 10. — 2 Ps. ii, 8; Dan., vu, 13; Matth.,
VIII, 26; Jean., xvii, 2; Heb., ii, 8; Brev., Feria iv inf. Oct. Pcuchx;
S. Thom., p. 3, q. 13, a. 2, ad^ 1 ; et a. 4, ad 3. — 3 Cf. Bossuet, Inst.
sur les promesses»
626 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n® 449
plus évidemment divine. C'est comme l'écho de celle du
Créateur: Crescite et multiplicamini ; et replète terram et
subjicite eam *. Elles opèrent ce qu'elles prédisent.
449. — A qui s'adressent ces paroles : Euntes ergo, docete,.. et comment
s'accordent-elles avec celles qui ont été dites à S. Pierre?
1° Ces paroles du Sauveur s'adressent à la totalité des
Apôtres, et, selon la foi de l'Eglise, à tout l'ordre épiscopal,
héritier de leur mission. Il en est de même de celles-ci :
Prœdicate omni creaturœ*. Sicut misit me Pater ^ et ego mitto
vos. Quorum remiseritis^,,. Quœcumque alligaveritis^,,, « C'est
à vous d'instruire toutes les nations, de faire de tous les
hommes autant de chrétiens, et de les réunir en un seul
royaume. Ce sera à vous ensuite de les gouverner, de les
sanctifier, de les absoudre, etc. »
2° Entendues ainsi, dans un sens collectif, ces paroles ne
sont pas opposées à celles qui ont été dites à S. Pierre:
Pasce oves meas^ ou : Quodcumque ligaveris*; elles n'y met-
tent aucune restriction. « C'était le dessein de Dieu, dit
Bossuet *, de mettre d'abord en un seul ce qu'il devait mettre
ensuite en plusieurs, de donner en premier lieu au chef de
l'épiscopat ce qu'il se proposait de donner au corps. Mais la
suite ne renverse pas le commencement, et le premier ne
perd pas sa place pour les prérogatives conférées aux seconds.
Ces mots : Tout ce qtte tu lieras,.. Pais ines brebis^ adressés
d'abord à un seul, ont déjà rangé sous sa puissance ceux à
qui il va être dit : Tout ce que vous lierez... Enseignez toutes
les nations... Car les promesses de Jésus-Christ aussi bien
que ses dons sont sans repentance ; et ce qui est une fois
donné indéfiniment et universellement est irrévocable; outre
que la puissance donnée à plusieurs porte sa restriction dans
sa division même, au lieu que la puissance donnée à un
seul, et sur tous sans exception, emporte la plénitude. »
C'est donc à tort qu'on voudrait appliquer à chaque pas-
» Gen., I, 28. — s Marc, xvi, 15. Cf. Col., i, 23. — a Joan., xx, 21.
— * Matth., XVIII, 18. — 8 Mattli., xvi, 19. — « Diac. sur tunilé de
VEglise, 1*» point.
N® 4S0] SA VIE GLORIEUSE. — MISSION DES APOTRES. 627
teur particulier les paroles adressées par Notre Seigneur
aux douze Apôtres. Il n'y a qu'un pasteur dans l'Eglise, le
pasteur suprême dont la juridiction soit universelle et in-
dépendante. Bien plus, ces paroles n'ont jamais pu s'entendre
absolument et sans restriction des Apôtres eux-mêmes, con-
sidérés isolément, puisqu'ils avaient un chef à qui ils de-
vaient la soumission aussi bien que le respect. Quand le
Sauveur leur parlait ainsi, il les considérait comme formant
un corps, ayant une hiérarchie, étant unis et soumis à un
chef. C'est avec ce corps, le corps des pasteurs, et non avec
tel ou tel en particulier, qu'il a promis d'être jusqu'à la fin
pour enseigner les nations et gouverner les fidèles.
On voit par là quelle est la constitution de l'Eglise. Un
Pasteur suprême est à la tête du troupeau, avec un pouvoir
souverain pour l'instruire, le paître et le gouverner; au-
dessous, pour l'aider dans son gouvernement, un certain
nombre de pasteurs, frères du premier par l'ordre, ses sub-
ordonnés par la juridiction, ayant à régir chacun une par-
tie de ce troupeau, en union et sous la conduite du pasteur
suprême. Cet état de choses est divin, par conséquent im-
muable. Le renverser serait détruire l'Eglise et anéantir
l'œuvre de Dieu.
450. — Qu'est-ce que baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint-
Esprit, et pourquoi Notre Seigneur recommande-t-il d'instruire d'a-
bord, et de baptiser ensuite, Matth., xxviii, 19?
I. Baptiser, c'est régénérer l'âme, en lui conférant le pre-
mier sacrement de l'Eglise ; c'est la tirer du péché ou de la
mort spirituelle, en lui communiquant une nouvelle vie et
une nouvelle dignité, la vie de la grâce et la qualité d'enfant
de Dieu ou de membre de Jésus-Christ. Baptiser au nom des
trois personnes divines : eiç to ovo[ji.a xou flaipoç, %%i -cou Ticu,
y.at Tou a^iou [IvguiJiaToç, c'est, suivant l'interprétation cons-
tante et la pratique uniforme de l'Eglise, accomplir cette
fonction par leur autorité, suivant leur ordre, et par l'invo-
cation expresse de chacune d'elles. C'est, en même temps,
consacrer cette âme au service et au culte de l'adorableTri-
628 JÉSUS-GURIST SELON l'ëVANGILE. [n<> 4SI
nité, et faire descendre sur elle la bénédiction des trois di-
vines personnes ^
IL Notre Seigneur recommande aux Apôtres d'enseigner
avant de baptiser, iJLxOiQTejTiTe, parce qu'ils n'avaient guère
à baptiser que des adultes, et que dans les adultes, il faut
que le sacrement soit précédé d'un acte de foi chrétienne,
par conséquent d'une certaine connaissance du christia-
nisme •. Mais comme une simple notion ne suffit pas, c'est
un devoir pour le fidèle de s'instruire plus pleinement,
après son baptême, de ce que le Sauveur, a enseigné et
prescrit ; et pour le pasteur c'est une obligation de le lui
faire connaître. Telle est la raison des dernières paroles :
Docentes eos servare *.
451. — Que signifient ces paroles ; Ecce ego vobiscum sum omnibus
diebus^ etc. Matth.^ xxviii, 20?
Ces paroles du Fils de Dieu sont la promesse solennelle
par laquelle il engage sa foi à TEglise, son épouse *. Ces
paroles signifient qu'il ne cessera jamais de l'aimer, de la
protéger, de la soutenir; que son union avec elle sera cons-
tante et sans interruption; qu'il la fera subsister jusqu'à la
fin des siècles ; qu'il ne cessera de demeurer en elle par son
humanité comme par sa divinité; qu'il lui conservera à ja-
mais ce qu'il est venu apporter sur la terre et qu'il lui a
^ Act., XIX, 2. Lcx tingendi imposita est et forma praescripta. Ite,
inquit, docete omnes gentes, tingentes eas in nominc Patris et Filii et
Spiritus Sancti. Tert., de Bapt,, 13; Infra,n. 534. Facilius inveniuntur
hœretici qui omnino non baptisent quam qui illis verbis non baptizent.
S. Aug., de Bapt., vi, 25, 47. On lit dans la Doctrine des Apôtres,
Supra, n. 23; Jnfra, n. 650 : « Baptisez au nom du Père, du Fils et du
Saint-Esprit. Si vous ne pouvez plonger le néophyte dans l'eau, verser-
lui l'eau sur la tète à trois reprises, au nom du Père, du Fils et da
Saint-FiSprit, vu. » Cf. S. Justin., Apol., 1*, 61, 65, 67. Qu'on voie s'il
est possible qu'on n'eût pas dès lors une idée nette de la Trinité;
Bossuct, VI® Avert.^ Gratry, Sophistique; Ginoulhiac, Hist. du dogme,
p. 1, 1. XII, ch. 13. — 8 Act., II, 41; iv, 4; viii, 36, 37; x, 34-48. Fiant,
non nascuntur Christian!, disait Tertullien aux païens de son temps.
De vestris fuimus. Haec et nos risimus aliquando. Apolog., 18. S. Hier.,
Epist, cvii, 1. — 3 Matth., xxviii, 20. Cf. Brev. rom., Fe7\ yî, inf. Oct.
Paschée, lect. ii-iii. ~ * Osée., ii, 19; Eph., v, 32,
?(^ 452j SA VIE GLOUECSe. — MISSiO?( DBS APOTIIES. * ^2S
confié, le dépôt de la foi et des saints mystères *. Etre ego
robiscum m», dit-il, ao présent, poar marquer Fimmutabi-
lité de son dessein et la perpétuité de sa grâce, c Ne crai-
gnez donc pas, mes Apôtres, ni vous qui leur succéderez en
un si saint ministère; moi ressuscité, moi immortel, ego.
je serai toujours avec vous. Vainqueur de Tenfer et de la
mort, je vous ferai triompher de Tun et de Tautre. Ma pa>
rôle, qui soutient le monde, soutiendra aussi mon Eglise*. >
La promesse s'est accomplie et s'accomplira jusqu'à la fin
des temps'. Elle forme un argument que chaque année
fortifie *.
452. — Comment faot-il entendre les paroles de Notre Seigneur on
saint Marc., xvi, 16. 17, sor la nécessité de la foi et le don des
miracles?
I. Ces paroles : Qui crediderit et baptizattis fuerit salrabi'
tur: qui rero non crediderit condemnabitur, nous appren-
nent que la foi est une obligation indispensable *, une con-
1 Cr. Mattli., xYi, 18; xyiii, 17; Joan., xiv, 16; I Cor., xi, 26. —
* Isai., XXVI, 1; liv, 4; Zac, ii, 5; Mattb., xvi, 16; Bossoet, iv« S^»*to.
jxmr le jour de Pâques, 2« point; Instructions sur les promesses. Cf.
Jos., I, 9, 17; Jod., vi, 12. 16; Ps. xxn, 4; xly, 6; Is., yiii, 10; xli, 10;
xLiii, 2, 3; Lac, i, 28, 66; Act., xx, 28; I Cor., xi, 26; Eph., iv, 11-16.
— 3 Cf. Matth., XIII, 39. 40; xxiv, 3; xxviii, 20. — * «« Quand on a
enterré le grain de froment, si on ne le Toit pas poasser et se multiplier,
on conclut qa*il est mort; mais s*il pousse et se multiplie, on dit quil
est revivifié. Puisque Jésus-Christ, après avoir été enseveli, s'est montré
plus puissant qa*auparavant, puisque nous le voyons encore fructifier
et remplir le monde, convertir à sa foi et à son amour une infinité
d'hommes, assurons-nous hardiment qu'il n'est pas resté parmi les morts
et que nous adorons un Dieu vivant. » Sabaud, Livre des ctéatures^ trad.
de Montaigne. — > Entendue même d'une simple adhésion de l'esprit,
la foi est généralement libre et méritoire. On ne sera jamais convaincu
si l'on ne consent pas à l'être. Nemo crédit nisi volens. S. Aug., In Joan,,
XXVI. Conc, Trid., sess. vi, 6. Qui ne sent qu'il est en son pouvoir de
devenir incrédule? Pour croire et persister dans sa foi, il ne suffit pas
d'avoir la vérité devant les yeu\, il faut la considérer; ce n'est pas assez
de la voir, il faut encore l'accepter et ne pas avoir pour elle des senti-
ments hostiles. L'évidence ^u témoignage divin se voile pour ceux qui
le haïssent ou qui le redoutent. Tel est par malheur l'état d'un trop
grand nombre, en fait de religion et de morale. Ipsi faerunt rebelles
lumini. Job., xxiv, 13. Ils craignent la lumière; ils préfèrent à l'évi-
dence l'obscttrité , le vague, le doute , qui leur permettent de se faire
630 • JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n® 452
dition essentielle et un gage du salut, dette règle s'étend à
tous les temps et à tous lieux : elle n'admet aucune excep-
tion *. Quiconque croira d'une foi pleine, parfaite, consé-
quente, pratique, sans reculer devant les conséquences de
sa foi, sera sauvé. Quiconque commencera à croire, entrera
dans la voie du salut. Quiconque mourra sans la foi, soit
actuelle soit habituelle, ou seulement avec une foi morte,
eo tantum modo quo dœmones credunt et contremiscunt^y
n'ayant pas la grâce sanctifiante, sera exclu du ciel •; et s'il
a offensé Dieu personnellement, s'il a rejeté ou enfreint vo-
lontairement les principes révélés, il aura en outre à subir
un châtiment proportionné à sa faute *.
II. Le verset : Signa eos qui crediderint^ kœc sequentur, etc.,
signifie que le don des miracles subsistera à jamais dans
l'Eglise, qu'il sera une manifestation constante de l'Esprit
de Dieu vivant en elle, une preuve sensible de la pureté de
sa foi, un caractère qui la distinguera des sociétés infidèles
et des sectes hérétiques *.
i° Les faits ont éclairci cette promesse en la vérifiant. Ja-
mais l'Eglise n'a manqué de saints, ni dans l'ordre sacerdo-
tal ni dans l'état laïque, et jamais le témoignage des mira-
cles n'a manqué à ses saints. Les prodiges ont été plus nom-
breux à l'origine, parce qu'il en fallait davantage et que
les croyants avaient plus de foi •. Mais il s'en faut qu'ils
à leur gré ce qu'ils appellent leurs convictions. A force de désirer les
ténèbres, ceux>là finissent par les obtenir, et sans être total, ni les
excuser devant Dieu, leur aveuglement suffit pour exclure la foi. Joan.,
m, 18-21. Supi^a, n. 228, 229'; Infra, S2i.
1 Cf. Joan., III, 16, 17, 36; v, 24; xi, 25, 26; Act., viii, 38; xvi, 31 ;
Rom , III, 28; Heb., xi, 6; I Joan., iv, 2, 3; Apec, xxi, 6; Conc. Vatic,
sess. m, c. 3. — 8 Jac, ii, 19; Cf. Tit., i, 16; I Joan., ii, 4. Dœmones
non voluntate assentiunt, nec ex lumine infuse. S. Thom., de Verit.,
q. 14, a. 9, ad 4. — s Si quis non crédit in Christum, generali bénéficie
ipsc se fraudât, ut si quis clausis fenestris radios solis excludat. S. Amb.,
In Ps. cxviii, Serm, viii, 57. — * Joan., m, 18, 36; xii, 48. Si enim justus
ex fide vivit, iniquu» est qui non habet fidem. S. Aug., Cf. Brev. rom.,
In cœn. Dom.^ loct. vi et Fer. 2* et 3« post. Pentec.^ lect. i; S. Thom.,
2a-2«B, q. 2, a. 3; q 16, a. 1; p. 3, q. 68, a. 1, ad 1; Fénelon, Lett. vi,
Sur la religion, — « Cf. Matth., v, 16; Marc, xi, 22 ; Joan., i, 33; m, 2;
IX, 31 ; XIV, 12; I Pet., ii, 12. — 6 Act., m, 7-19; v, 5, 10; vi, 8; viu,
NO 452] SA VIE GLORIEUSE. — MISSION DES APOTRES. 631
aient cessé à la mort des Apôtres ^ S. Augustin atteste,
dans un de ses écrits les plus médités et les plus exacts,
qu'il s'en faisait encore de son temps une multitude innom-
brable: Ut nec omnia cognoscere^ nec ea guœ cognoscimm
enumerare possimus^. L'histoire des saints, même les plus
récents *, prouve que cet ordre de choses n'est pas changé.
Le don des miracles est toujours le partage des vrais
croyants, ou de la véritable Eglise.
2° Ce n'est pas seulement pour elle une gloire : c'est un de
ses privilèges les plus caractéristiques ; car qui a jamais vu
des miracles accomplis en dehors d'elle, par des hommes
qui avaient renoncé à sa foi ou qui la combattaient ? quelle
est la secte qui s'honore d'avoir des thaumaturges et de
posséder encore les dons surnaturels départis aux premiers
fidèles? Nul ne peut énumérer les prodiges accomplis dans
l'Eglise catholique, parce qu'ils sont innombrables, dit
S. Augustin, et nul ne saurait dire les miracles opérés au
sein de l'hérésie, parce qu'il ne s'en fait aucun. Les héré-
tiques même en conviennent *.
3* C'est de plus une confirmation éclatante des récits
évangéliques. En renouvelant et en multipliant les miracles
du Sauveur, les saints les ont mis sous les yeux de l'Eglise
17, 18; IX, 18, 40; x, 44, 46; xiii, 8-12; xix, 6-18; xx, 10-12; xxvii, 10,
21-24; I Cor., xii; Gai., m, 5. Adjuncta sunt prsedicationibus sanctis
miracula ut fidem verbis daret virtus ostensa, et nova facerent qui nova
prœdicarent. S. Greg., In Evang.^ Hom. iv, 3; Moral. XXVII, xviii, 36.
< Etiamnum supersunl illius Spiritus Sancti vestigia, qui colombsB
species apparaît, vestigia. Orig., Cont, Cels., i, 46; S. Justin., II Apol., 6.
S. Iren., II, xxxi, 2; lvi, lvii; S. Amb., Epist. xxii, 17; S. Greg. Nyss.,
Vila S. Greg. de Thaumat.; Euseb., H., v, 7. Si les miracles avaient
cessé avec les Apôtres, comment expliquer la présence de ce verset 17
dans l'Evangile et la conversion des peuples témoins de sa fausseté?
— * S. Aug., Retract, I, xiii, 7. Cf. De civ. Dei, xxii, 8, 10; Conf, IX,
IV, 12; vu; Serm. cclxxxvi, cccxx, cccxxiv. Cf. S. Amb., Epist. xxii,
9, 17-23; S. Greg., M., Epist. XI, xxvin; S. Bern., de Consid., III, ii, 1.
— 3 Vie de S. Franc, de Sal., vu, 19, etc. — * F*s. cxxxvi, 4; Joan.,
IX, 3t. Apostoli de mortuis vivos faciebant, illi de vivis mortuos faciunt.
Tert., de Prœscript.^ 30. S. Aug., In Joan., xiii. S. Greg., M., In Evang.\,
Hom., XXIX, 4. S. Greg. Turon., de gloria Conf., 13. Cf. S. Thom.
2»-2», q. 174, a. 6, ad 3; q. 178, a. 1,'ad 3 et a. 2. Brev. rom., Sabb
inf. Oci. Ascens.j lect. vii-ix.
632 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n^ 452
entière. Ils ont opéré des milliers de prodiges dans tous les
pays et à toutes les époques; et chacun de ces prodiges a son
analogue et comme son prototype dans l'Evangile. Dès lors
on voit quelle liaison il y a entre les uns et les autres, com-
ment ils se garantissent mutuellement et avec quelle rigueur
on peut conclure des seconds aux premiers. Car, si les mi-
racles des saints sont réels, qu'est-ce qui empêche que ceux
de leur maître ne le soient? Si les disciples du Sauveur
ont pu faire en son nom toutes sortes de merveilles,
chasser les démons, prédire l'avenir, révéler les secrets des
cœurs \ se transfigurer *, se rendre invisibles ', s'abstenir
de toute nourriture pendant des mois et des années *, se
transporter en un instant d'un lieu dans un autre *, mar-
cher sur les eaux «, calmer les tempêtes \ multiplier les
aliments *, guérir subitement les malades et les infirmes •,
ressusciter les morts *°, comment prétendre que le Sauveur
n'a pas eu le même pouvoir et que les œuvres merveilleuses
qu'on lui attribue sont nécessairement des illusions ou des
mythes ** ? Or, il n'est pas plus possible de nier les miracles
des saints que de nier leur existence ou de faire oublier
leur histoire. Comment donner pour des impostures ou faire
passer pour des rêves tant de faits, non seulement publics,
mais éclatants, qu'on a examinés avec tant de soin à l'époque
même où ils se sont accomplis, qui sont attestés par tant de
*■ Exemples : S. PhiUppe de Néri , S. André AvelUn , S. CamiUe de
LeUis, S*« Catherine de Sienne, etc. — * S*« Agnès, S. Martin, S. François
de Paule, S. Pierre d'Alcantara, S. Louis Bertrand, S. André Avellin,
S. Camille de Lellis, etc. — » S. Colomban, S. Vincent Ferrier, S. François
de Paule. Cf. Luc, iv, 30; Joan., viii, 59; x, 39. — * S** Catherine de
Gênes, S" Catherine de Sienne, etc. — * S. Antoine de Padoue, S. Joseph
Anchietta, etc. — 6 S. Maur, S. Hyacinthe, S. Raymond de Pennafort,
S. Bernardin de Sienne, S. François de Paule, S. Pierre d'Alcantara,
S. Cajétan, S*« Germaine Cousin, etc. — ^ S. Germain d'Auxerrc, S. Ro-
mualdj S. Laurent de Brindes, S. Thomas de Villeneuve, S. François-
Xavier, etc. — 8 s. Jean Gualbert, S*® Zitc, S*« Catherine do Sienne,
S'* Chantai, M. Vianney. — » Vies des saints, passim. — lo S. Martin,
S. Germain d'Auxerre, S. Dominique, S. François d'Assises, S. François
de Paule, S. François-Xavier, S. François d3 Sales (Hamon, Vie, vn,
19), etc. Voir Dictionn. de mystiq. chrét., 17, Dons, Guérisons, Miracles,
Prophéties, Résurrections, etc. — " Supra, n. 17, 18.
NO 4S3] SA VIE GLORlEtâE. — MISSION DES APOTRES. 63:1
preuves et déclarés indubitables par les juges les moins cré-
dules et quelquefois les plus prévenus*? Qu'on n'objecte
pas qu'un bon nombre de ces faits manquent de ces condi-
tions : qu'importe, pourvu qu'un certain nombre les aient!
Il suffirait d'un seul que les rationalistes ne pussent nier ou
transformer en mythe, pour renverser tout leur système *.
453. — Les douze Apôtres étaient-ils chargés de prêcher l'Evangile
dans tout Tunivers ?
Notre Seigneur ne dit pas que ses Apôtres doivent prê-
cher partout en personne; mais il veut qu'ils sortent de la
Judée •, qu'ils se dispersent dans tout le monde connu,
qu'ils portent l'Evangile dans tous les lieux où ils pourront
aller et qu'ils suppléent à leur impuissance personnelle en
s'adj oignant des collaborateurs à qui ils transmettront leur
mission et leur pouvoir *. Voilà la tâche que le Sauveur
leur impose et pour laquelle il les revêt de la force d'en
haut. Cette tâche, les Apôtres l'ont accomplie à la lettre. Ils
ont prêché le christianisme, non à leur peuple seulement,
comme une religion locale, destinée à être renfermée dans
certaines limites, mais au monde entier comme une religion
universelle catholique, nécessaire à tous les individus et à
tous les peuples ; non sur les bords du lac de Génézareth,
où ils l'avaient apprise, mais sur tous les rivages de la Médi-
terranée. lUi profecti prœdicarerunt vbique, dit S. Marc,
établi avec S. Pierre dans la capitale de l'empire. Grâce à
à l'Esprit de Dieu qui inspirait leurs paroles et qui confirmait
leur doctrine par toutes sortes de prodiges, leurs travaux
n'ont pas été vains, ils ont planté la foi dans toutes les
régions connues : Isti mnt qui inventes in carne plantaverunt
Ecclesiam sanguine ma. In omnem terram exivit sonus eorum *.
Une trentaine d'années leur ont suffi pour faire pénétrer
1 Par exemple, ceux qui sont relatés dans les actes de canonisation.
— 2 C'est le lieu de répéter le mot de S. Augustin : Apostoli videbant
caput et credebant de corpore. Habemus vices nostros. Nos videmus
corpus : credamus de capite. De civ. Dei^ xxii, 8. — s Marc, xvi, 15;
Luc, XXIV, 46-48. — * Isai., xlvi, 7, 10. Brev., Comm, DocL, 3» loco",
lect. vu; Marc, xvi, 20. — » Brev., Comm. Apost,, m* Noct., l|l. vn.
634 JÉSUS-CHRIST SELON L*ÉVANGILE. [n» 454
l'Evangile dans toutes les contrées du monde*. Cinquante
ans plus tard, au lendemain de la mort de S. Jean, Rome
apprenait avec étonnement que ses entrailles renfermaient
une multitude de chrétiens *. Les gouverneurs romains gé-
missaient de voir les dieux de l'empire abandonnés, leurs
temples vides, sans sacrifice et sans adorateurs '. Et ce que
les Apôtres ont commencé durant leur vie, ils le continuent et
l'achèvent par leurs successeurs et par ceux qu'ils ont asso-
ciés à leur ministère et à leur esprit : Habet enim quo cres-
caty donec fiât quod de Christo in Salomonis figura prophetatum
est : Dominabitur a mari usqm ad mare, Omnes gentes^ quot-
quot fecisti^ venient et adorabunt coram te. Domine ♦. Vide-
bunt omnes fines terrœ salutare Dei nostri •.
§ V. — Ascension de Notre Seigneur.
{Mont des Oliviers^ jeudi i4 mai 33.)
454. — Ce mystère n'a-t^il pas été prédit et figuré dans rAncien
Testament?
L'Ascension du Sauveur était prédite en divers endroits
de l'Ancien Testament '. De plus les Juifs en avaient une figure
permanente dans une cérémonie religieuse qui se renouve-
lait chaque année. C'était l'entrée du grand-prétre dans
i Viginti annis aut ad summum triginta, ad omnes oras orbis evange-
lium extenderunt. S. Chrys., In Matth.y Hom. lxx'v, 2. Cf. Isai., xLiii,b7.
Matth., XXIV, 14; Marc, xvi, 20; Rom., i, 8; x, 18; xv, 19-24, 28; Col ,
I, 5, 6, 23; I Pet., i, 1. S. Iren., I, x; Tert., Adv, Jud.f 7; Apol., 37,
ad Scapul.^ 2, 5. Ëuseb., H.^ ii, 3; Demonst., m, 5. Supra^ n. 252.
Qu'il y ait quelque hyperbole dans plusieurs de ces passages, le carac-
tère des écrits d'où ils sont tirés et Taccent oratoire qui les distingue
en avertissent assez ; mais que ce ne soient pas de pures imagina-
tions ^ des exagérations de fantaisie, de ridicules assertions, c'est ce
que nous garantit la gravité des écrivains, et ce que supposent le bat
qu'ils ont en vue, les intérêts qu'ils veulent servir, et les conclusions
pratiques qu'ils déduisent de leurs récits. — ^ j^nn, {20. — 3 Plin. juu.,
Epist. X, 97. Cf. S. Aug., De civ. Dei, vi, 11. — * S. Aug., Epist. cxcix, 47.
— 8 Is., LU, 10. C. S. Thom., ia-2« , q. 106, a. 4, ad 4; Bossuet, Serm,
sur la Circoncision ^ i*' point; Lacordaire, Conf. x. Supra, n. 305.
— 6 Ps. XXIII, 7; xLvi, 8-9; lxvii, 5, 19, 33, 35; cix, 1; Zac, xiv, 4.
Supray n. 246.
N» 455] SA VIE GLORIEUSE. — SON ASCENSION. 635
le Saint des Saints au jour des expiations *. Sicut enim
Pontifex introibat ad sanctuarium ut assisteret Deo pro pro-
pulo^ dit S. Thomas, ita et Christus intravit in cœlum ad
interpellandum pro nobis, Ipsa enim reprœsentatio sui ex na-
ttira humana est quœdam interpellatio pro nobis *. L'enlève-
ment d'Elie, suivi du don de son esprit à Elisée •, avait
aussi figuré ce mystère d'une manière sensible. Mais la fin
de Moïse contraste d'une manière plus frappante encore
avec celle du Sauveur. Afin de montrer l'imperfection de
son œuvre et l'impuissance de sa loi pour conduire les
hommes à leur véritable fin, Dieu voulut que le libérateur
d'Israël ne franchît pas les limites de la terre promise et qu'il
cédât à un autre l'honneur d'y faire entrer son peuple *.
II. S. Luc a décrit l'Ascension de Notre Seigneur en deux
endroits, à la fin de son Evangile et au commencement de
ses Actes, avec brièveté et simplicité. Un grand nombre de
personnes furent témoins de ce mystère •. Plusieurs auteurs
des premiers siècles attestent que le Fils de Dieu a laissé
l'empreinte de ses pieds sur le sommet des Oliviers '.
D'autres font remarquer que dans son Ascension, comme du
haut de sa croix, il regardait l'Occident, et qu'ainsi, en
montant au ciel, il donna ses dernières bénédictions' à
l'Europe, siège principal de son Eglise.
* 455. — Pourquoi S. Matthieu et S. Jean ne disent-ils rien de ce
mystère ?
S. Jean n'avait pas à décrire le fait de l'Ascension, puisque
les fidèles en avaient déjà trois récits inspirés, deux de
i Heb., IX, a 12, 24. — » S. Thom., p. 3, q. 57, a. 6. Cf. Bossuet, Serm.
sur l'Aiceru,^ !•' point. — 'IV Reg., ii, 11. On voit ce sujet souvent
représenté sur les sarcophages des premiers siècles, comme gage et
symbole de la vie future. — * Deut., xxxiv, 1, 6, 7. Cf. Heb., vu, 19-28;
XI, 13. — 5 Act., I, 12, 15. — * Ps. Gxxxi, 7; S. Aug., In Joan.f xlvii, 4;
S. Paulin., Epist. xxxi, 4. Item Op. S. Hieron., de Loc, heh. Cf. Zac,
xiY, 4. On montre encore aujourd'hui cette empreinte ; mais Téglise qui
la couvrait a été remplacée par une mosquée, et c'est un turc qui garde
cette dernière trace visible que le Sauveur a laissée de son passage.
— 1 Dum benediceret, ferebatur in cœlis. Luc, xziv, 51. Cf. Levit.,
IX, 22.
636 JÉSUS-CHRIST SELON l*évaNgilê. [n^ 456
s. Luc et un de S. Marc. Pour S. Matthieu, il jugea sans
doute qu'il suffisait de constater que Notre Seigneur n'était
pas resté dans le sépulcre, ou qu'après être mort pour nos
péchés, il était ressuscité pour notre justification, et avait
reparu vivant au milieu des siens *. Par sa résurrection, en
effet, le Rédempteur avait mis le sceau à son œuvre et sa
divinité était démontrée. Son Ascension, si admirable qu'elle
paraisse, n'est qu'une suite naturelle et comme un corollaire
des mystères qui la précèdent : Félix claumra itinerarii
ejm^. Aussi la fête consacrée à ce mystère n'a-t-elle jamais
eu la solennité de celle de Pâques •.
Cette omission de S. Matthieu, à laquelle il était si facile
de suppléer, ne prouve donc qu'une chose, le respect de
l'Eglise pour le texte des saints Evangiles et le soin qu'elle
a toujours eu de le conserver tel qu'elle l'a reçu des
Apôtres. On trouve du reste dans toutes les parties du Nou-
veau Testament un grand nombre de témoignages qui sup-
posent le mystère de l'Ascension et qui suffiraient pour la
prouver \
456. — Pour quel motif un grand nombre de protestants rejettent-ils
comme apocryphes les douze derniers versets de S. Marc?
La seule raison pour laquelle un bon nombre de docteurs
protestants * rejettent maintenant comme apocryphes les
douze derniers versets de S. Marc, c'est qu'on ne les trouve
pas dans deux manuscrits anciens, celui du Vatican et celui
du Sinaï, et qu'au rapport d'Eusèbe', de S. Jérôme ^ de
S. Grégoire de Nysse ^ ils manquaient de leur temps dans
1 Rom., IV, 25. — 2 s. Bern., Serm. ii in Ascens., 1. — ' Néan-
moins S. Augustin en rapporte expressément Tinstitution aux Apôtres.
Epist. Liv, 1. — * Matth., xvi, 27; xxvi, 64; Joan., m, 13; vi, fô; xiv,
2-4; XX, 17; Act., ii, 33; Rom., viii. 34; II Cor., v, 8-10 ; Eph., i, 20;
11,6; IV, 8; Phil., ii, 9, Col., m, 1; I Thess , iv, 16; II Thess., i, 7,10;
I Tim., m, 16; Heb., iv, 14; vi, 19, 20; ix, 42, 21, 24; I Pot., m, 18, 22;
II Pet., m, 10, 12, 22; I Joan., ii, 1, 21 ; Apec, i, 7; iv, 22, etc. Com-
ment M. Renan ose-t-il dire que S. Paul en exclut jusqu'à l'idée? —
s Griesbach, Bloomfield, Alfort, TregeUes, Tischendorf. — « Euseb.,
Quxst. ad Marin, - i S. Hieron., Epist. oxx, 3. — » S. Greg. Nyss.,
De resur.y Hom. ii.
N'ï 456] SA VIE GLORIEtSE. — SON ASCENSION. 637
un certain nombre d'exemplaires ^ Mais ces raisons paraî-
tront faibles à tous les esprits impartiaux qui pèseront mû-
rement les autorités et les vraisemblances '.
On peut, en effet, alléguer en faveur de ce passage :
1° Les plus anciennes Versions, faites sur des manuscrits
du premier siècle, l'Italique et la Péchito, ou du second,
comme la Cophte et la Gothique.
2° Les livres liturgiques les plus anciens, et tous les ma-
nuscrits actuellement subsistants, entre autres A, G, D. Deux
seulement, B et k font exception ; encore B a-t-il un espace
blanc pour écrire ce passage. Victor d'Antioche, auteur du
quatrième siècle, atteste déjà cette unanimité morale, et il
invoque en particulier les manuscrits de la Palestine.
3** Le témoignage d'un grand nombre de Pères et d'au-
teurs ecclésiastiques, de S. Justin (145) qui reproduit le
verset 20 \ de Tatien (f i80), dont le A'.a Tsa^^pcov, com-
menté par S. Ephrem, contient tout le passage *, de S. Iré-
née qui cite la fin de S. Marc, comme répondant au début
et couronnant dignement son œuvre (184-192) *, de S. Hip-
polyte (220), pour les versets 17 et 18-19 *, de S. Jacques de
Nisibe (325), pour les versets 16 et 18, de S. Ambroise, de
S. Augustin ' et de toute l'Eglise latine. Serait-il raison-
nable de ne pas tenir compte de ces témoignages et de don-
ner la préférence à une observation d'Eusèbe, de S. Jérôme
et de S. Grégoire de Nysse, qui ne les a pas empêchés d'ad-
hérer eux-mêmes au sentiment des autres Pères?
4° La conformité qu'on remarque entre le style de ce pas-
sage et celui du second Evangile, toujours rapide, nerveux,
i Pout-ètre y en a-t-il une autre, mais secrète ou alléguée seulement
par des indiscrets, la répugnance qu'inspirent ces mots : Qui non cre-
diderit condemnabUw\ 16. <» On no reconnaît pas dans ces paroles, dit
Stanley, la douceur de celui qui est venu, non pour condamner, mais
pour sauver. » — * Cf. Conc. Vatic, de Revel.^ can. 4. Infra, n. 889, note.
— 3 S. Justin, Apol.» I 45. Cf. Dial.j 53. — * Mosinger, Evangelii con^
cordantis expositio^ Venise, 1876. Cf. Victor Capuanus, In evangelicas
harmonias, c. 181. — s S. Iren., Adv. Hx}\, m, x, 6. — 6 S. Hipp.,
De Charismatibus. Cf. Comt. Apost.^ vi, 15; viii, 1. — "^ Ajoutez une
aUusion manifeste dans le Pasteur d'Hermas, iz, 25, et un résumé dans
la 'Synopsis attribuée à S. Âtbanase.
36
638 JÉSUS-CHRIST SELON l'évangile. [n" 437
dégagé, concis * ; la convenance parfaite des trois appari-
tions décrites en cet endroit, le rapport des versets 17 et 18
avec les préoccupations ordinaires de S. Marc •, et l'invrai-
semblance évidente qu'il ait terminé son écrit par ces mots:
Timebant enim, surtout si l'on fait attention qu'il n'a encore
rapporté aucune manifestation de la résurrection du Sau-
veur, après lui avoir fait annoncer qu'il se montrerait en
Galilée, et si l'on pense qu'il est impossible de produire au-
cune conclusion autorisée, différente de la nôtre.
5' Enfin l'impossibilité de concevoir que cette conclusion
ait été supposée ; tandis qu'on s'explique très bien qu'elle
ait disparu d'un certain nombre de manuscrits, de ceux
surtout qui étaient destinés aux lectures publiques, soit
parce que le dernier feuillet d'un des plus anciens exem-
plaires se sera détaché et perdu, soit parce que certains
esprits auront cru expédient d'en faire le sacrifice, pour
s'épargner la peine d'en démontrer l'accord avec les autres
Evangélistes •, comme S. Jérôme et Eusèbe paraissent l'in-
sinuer.
* 457. — Poar S. Jean, la conclusion naturelle de son livre n'est-elle
pas à la fin du chapitre xx?
On peut croire que la première pensée de S. Jean avait
été de s'arrêter à la fin du chapitre xx, et qu'il a écrit le
suivant un peu après *, soit pour protester contre le bruit
qui se répandait qu'il ne devait pas mourir •, soit pour con-
firmer par son témoignage le titre et l'autorité de Pasteur
suprême conférés par Notre Seigneur à S. Pierre et déjà
exercés par ses successeurs •; mais cette conjecture est loin
d'être certaine, et l'on ne peut douter que tout le livre n'ait
été publié à la fois.
Quoi qu'il en soit, il n'y a aucune raison de mettre en
* On a objecté que le Sauveur était appelé ici Dominits pour la pre-
mière fois ; mais c'est la première fois aussi qu'il se montre en possession
de sa gloire et de sa souveraineté. — * Supra^ n. 61, 2». — ' Marc.,
XVI, 9 et Matth., xxvin, 1. — ♦ Cf. Cornel. Nepos., Vita Pomp(m
Attici, 19. — K Joan., xxi, 23. — « S. Clem., I Epht, ad Cor.
N" 457j SA VIE GLORIEUSE. — SON ASCENSION. 639
doute r authenticité du chapitre xxi. On le trouve en entier
dans toutes les versions et dans tous les manuscrits, et ja-
mais on ne Ta contesté dans Tantiquité. D'ailleurs, y a-t-il
un passage du quatrième Evangile où la main de S. Jean
soit plus visible, où Ton reconnaisse plus sûrement son ca-
ractère, son style, sa manière d'écrire? Dans celui qui décrit
la pèche de Tibériade, comme préparation à l'investiture de
S. Pierre, prince des Pasteurs, on retrouve le fils de Zé-
bédée, l'ancien pécheur de Tibériade, l'Apôtre qui a retracé
la multiplication des pains et la promesse de l'Eucharistie,
la guérison du paralytique et le discours où le Sauveur se
donne pour l'auteur de la vie *. Ajoutons qu'il finit par se
désigner lui-même, 24, et qu'on pourrait signaler des signes
d'authenticité jusque dans les deux derniers versets, sur les-
quels certains auteurs protestants passent condamnation *.
1 Supra, n. 204, 205. — « Cf. Joan., xxi, 24; i, 14; m, 2, il; I Joan.,
1, 1, 1; Joan., xxi, 25; xii, 19; Apoc, xiv, 20, etc. Tiscbendorf a omis,
dans sa viii* édition , le verset 25, pour cette seule raison qu'il lui a
paru écrit dans K d'une autre main que le reste de son manuscrit. On
le trouve dans tous les manuscrits, dans toutes les versions, et dans un
grand nombre de Pères. Cf. S. Isid. Pelus., Epist. ir, 99. Infra, n. 546.
— 3 Sceau des Catacombes. Marti gny, supra, n. 350.
QUESTIONS RÉTROSPECTIVES
I
lo Sur les Évangiles.
Valeur. — Certitade. — Signes d'inspiration. — Différences.
458. — Les Evangiles répondent-ils bien au dessein de leurs
auteurs ?
I. Le dessein des Evangélistes n'était pas de donner une
histoire proprement dite de la vie du Sauveur ou de la pré-
dication de son Evangile : c'était plutôt de faire reconnaître
sa dignité et sa mission, et d'affermir ou d'animer la foi
des chrétiens, en reproduisant ses discours les plus per-
suasifs et ses œuvres les plus convaincantes. Avant tout, ces
auteurs sont apôtres, prédicateurs de la foi. S. Matthieu et
S. Jean surtout ne songent qu'à s'acquitter de cette charge*.
Il n'y a donc pas lieu de s'étonner si leurs écrits n'ont pas
toutes les qualités de l'histoire, s'ils ne décrivent avec une
certaine étendue que les derniers mystères de l'Homme-
Dieu, s'ils laissent dans l'ombre le temps qui a précédé son
apostolat, s'ils ne rapportent guère de lui que des discours
et des miracles, s'ils nomment rarement les personnages,
s'ils ne songent pas à dater les faits, si leurs récits sont
brefs et peu circonstanciés, s'ils les rattachent plutôt aux
prédictions et aux figures de l'Ancien Testament qu'aux
événements contemporains, enfin si chacun d'eux a une
marche qui lui est propre et qui s'éloigne plus ou moins de
l'ordre chronologique.
II. Les Evangélistes démontrent parfaitement ce qu'ils se
sont proposé d'établir. Si l'on accepte leur récit, on ne
saurait contester la mission du Sauveur ni la divinité de sa
doctrine. Or, tels sont les caractères de vérité dont leurs
livres sont revêtus, qu'il est impossible d'en révoquer en
i M»tth.y XXVIII, 49, 20; Marc, i, 1 ; Luc, ï, 4; Joaa», xx, 31 ; xxi,K.
PfO 458] SUR LES ÉVANGILES. 641
doute Texactitude sur aucun point essentiel. Comme nous
l'avons dit en commençant *, Dieu a voulu que les Evangiles
fussent écrits peu de temps après la mort de son Fils par
quatre de ses disciples, étrangers aux habitudes littéraires,
mais parfaitement instruits de tout ce qui tenait à leur sujet,
dont deux, le premier et le dernier, avaient vu de leurs
yeux la plupart des faits qu'ils rapportent •. Il a pris soin
qu'ils se missent à l'œuvre l'un après l'autre, à la distance
de quelques années, de sorte que le second pût contrôler le
premier, le troisième les deux précédents, le quatrième les
trois autres; que chacun d'eux eût son motif à lui, son point
de vue spécial, et que tous les quatre écrivissent sous les
yeux de deux peuples rivaux, également intéressés à les
démentir et également à portée de connaître la réalité des
faits. Il a fait en sorte que leurs livres se propageassent avec
une rapidité sans exemple, qu'ils fussent bientôt dans toutes
les mains, dans celles de leurs adversaires comme dans celles
de leurs amis, qu'ils devinssent le sujet de toutes sortes de
remarques, de discussions, de commentaires. Et, chose ad-
mirable ! on n'a jamais pu les convaincre de la plus légère
erreur, de la moindre contradiction. Leurs récits ont été
trouvés au contraire si exacts, si conformes à tous les do-
cuments et à tous les témoignages, que les chrétiens les
ont toujours dits inspirés par l'Esprit de vérité et qu'ils dé-
fient hautement leurs adversaires de les mettre en défaut
sur quelque point que ce soit. Bien plus, le témoignage de
ces quatre écrivains a été confirmé, dans ce qu'il a d'essen-
tiel, par celui de trois autres auteurs, non moins éclairés
qu'eux et non moins dignes de foi, S. Pierre, S. Jacques et
S. Jude, témoins oculaires comme S. Matthieu et S. Jean.
Il l'a été d'une manière plus admirable encore par l'Apôtre
S. Paul, forcé miraculeusement de confesser la vérité qu'il
blasphémait; et enfin par autant de martyrs ou de confes-
seurs que l'Eglise a compté de ministres dévoués dans toute
rétendue du monde. Après cela, si l'histoire évangélique
t Supraj n. 39. — ' I Joan., i, 1,
3G
6i2 QUESTIONS RÉTROSPECTIVES. [n^* 459
manque de certitude, s'il est permis d'en révoquer en doute
les faits principaux, on ne voit pas, dit S. Augustin, à quelle
histoire on pourra se lier, ni ce qui suffira pour mettre la
vérité d'un récit au-dessus de tout soupçon*?
459. — L'authenticité des Evangiles étant établie, la réalité des faits
qu'ils contiennent n'est-elle pas certaine et manifeste?
Dans ce qu'ils rapportent d'essentiel, dans ce qui fait le
fond de l'histoire du Sauveur, il est manifeste pour tout
lecteur éclairé et intelligent que les Evangélistes disent ce
qui est, qu'ils ne sont ni trompés ni trompeurs '.
I. Ils ne sont pas trompés. Comment pourraient-ils l'être
sur les faits principaux dont ils font le récit, sur tant de mi-
racles dont ils se disent les témoins : les lépreux subite-
ment guéris, la vue rendue aux aveugles, une tempête
apaisée d'une parole, des milliers d'hommes sans provi-
sions rassasiés par leurs mains dans un désert, des morts
rappelés à la vie, le Sauveur lui-même ressuscité, conver-
sant avec eux, s'asseyant à leur table et se laissant toucher
par eux? Gomment S. Matthieu et S. Jean se seraient-ils
persuadé qu'ils voyaient ces choses ou qu'ils les avaient
vues, si elles n'avaient pas eu lieu réellement devant eux?
Comment S. Marc et S. Luc, placés dans des conditions
différentes, auraient-ils été victimes des mêmes déceptions?
S. Pierre trompait-il S. Luc, quand il lui disait qu'il avait
guéri des malades, marché sur les eaux, pénétré les secrets
des Ecritures? Ceux que S. Luc a consultés avec tant de
soin se sont-ils accordés pour confirmer les rêves de S. Mat-
thieu, ou étaient-ils les jouets du même délire que lui? A-t-on
jamais eu, je ne dis pas l'exemple, mais l'idée de semblables
illusions, d'hallucinations si générales, si persévérantes, si
1 Quid poteris proferre scriptum, quod non ille qui non vult credere
dicat esse confictum, si tanta evangclii notitia venit in dubium?... Que
unquam litterae ullum habebunt pondus auctoritatis, si cvangelics, si
apostolicœ non habënt?S. Aug., Cont. Faust., xvi, 11 ; xxii, 79 et xxxiii, 6.
Item de Moribus Ecoles.,, i, 60. Cf. Memain, Connaissance des temps évan-
géliqueSy p. iv, ch. 2.-2 Non doctas fabulas secuti, sed specolatores facti
Domini nostri Jesu Gliristi maguitudinis. II Pet., i, 16.
N^ 486] SUR LES ÉVANGILES. 643
unanimes? Les Evangélistes n'ont donc pas été trompés.
Ou ils disent la vérité sur les points essentiels, ou ils savent
que leurs récits sont radicalement faux.
II. Ils ne sont pas non plus trompeurs^. Car ils n'ont rien
de ce que supposerait une pareille imposture, ni Tintérét,
ni rimpiété, ni l'audace, ni la fourberie.
1^* Uintérét, On ne ment pas, et surtout on ne fait pas une
conjuration pour soutenir un mensonge, à moins d'avoir un
intérêt à mentir. Or, qu'est-ce que les Apôtres devaient ga-
gner, qu'est-ce qu'ils pouvaient espérer d'une imposture de
ce genre? Le mépris, la dérision; que dis-je? la haine, la
persécution, la mort •. Se laisser égorger plutôt que de tra-
hir la vérité, c'est de l'héroïsme et le fait d'un petit nombre;
mais composer un roman pour se faire égorger, ce serait de
la folie, et il n'y a qu'un insensé qui en soit capable.
2* L'impiété, Si l'histoire du Sauveur était une imposture,
cette imposture serait un sacrilège, un attentat impie contre
la religion et contre Dieu. Comment supposer tant de per-
versité dans des hommes si religieux-, d'une conduite si
sainte, qui vivent dans la pensée du ciel, dont les paroles et
les exemples ont fait éclore tant de vertus ' !
3® L'audace, Il leur en eût fallu pour entreprendre de
tromper le monde entier, et de cette manière, et sur un tel
sujet; pour accuser leur nation d'infidélité et de déicide;
pour jeter le fondement d'une religion nouvelle sur les
ruines de toutes les religions établies * I Comment supposer
une telle hardiesse dans des hommes du peuple, sans édu-
cation, sans connaissance du monde, sans influence, sans
1 Duguet, Principes de la foi^ p. IH, ch. xi, etc. — * Mattli., x,
16-38; XXIV, 9; Luc, x, 3; xx, 12, 13; Joan., xv^ 20; xvi,2-4; xxi, 18;
Act., V, 40; I Cor., iv, 10-13; xv, 19, 32; II Cor., vi, 4-10 et xi. —
3 Cf. Rom., VIII, 35; I Cor., ix, 27; xv, 13, 16; Eph., ii, 4-6; CoL, m, 1 ;
I Tim., I, 12-17; I Pet., i, 3-11. — * Cogitate quale fuerit homines per
orbem terrarum priedicarc homincm mortuum resurrexisso, in cœlum
ascendisse, et pro ista priedicatione perpoti omnia quœ insaniens mun-
dus inferret, damna, cxilia, vincula, tormenta, flammas, bestias, cruces,
mortes; hoc pro ncscio quo? S, Aug., Serm, cccxi, 2. Cf. Bossuct, Panég,
de S, André,
644 QUESTIONS RÉTROSPECTIVES. [N^ 459
autorité, qui n'avaient pas même le renom de prophète ou
le titre de docteur?
4" Enfin la fourberie^ Vhypocrisie, la rme. Si quelque
chose ressort de leurs écrits, c'est leur candeur, leur droi-
ture, leur sincérité ^ t Choisissez quels hommes vous au-
riez désiré pour vous enseigner la doctrine du Sauveur. Ce
sont ceux-là qu'il a pris. Où en trouveriez-vous de plus
propres à vous persuader? Comment donc pouvez-vous leur
prêter ce complot: Venez, associons-nous; publions cette
fable : disons que ce crucifié est le Fils de Dieu ; disons qu'il
est ressuscité*. » Leur conviction se manifeste par- leur
silence comme par leurs discours. On ne les voit jamais
préoccupés du jugement qu'on portera sur eux, jamais sou-
cieux d'indiquer leurs preuves, jamais inquiets de l'invrai-
semblance de leurs récits, des contradictions où ils parais-
sent tomber, des difficultés que soulèveront certaines paroles
ou certains faits qu'ils rapportent '. Ils sont assurés d'être
crus parce qu'ils ont conscience d'être vrais et qu'ils ne dou-
tent pas que la vérité ne finisse par se faire jour *. Jamais
non plus ils n'hésitent à dire ce que l'amour propre devait
les porter à taire : la bassesse de leur extraction, leurs dé-
fauts, leur ignorance, leur faiblesse, leurs fautes *.
Evidemment ces hommes n'ont qu'un but: rendre témoi-
gnage à la vérité et l'exposer le plus naïvement possible. Ils
ne cherchent donc pas à tromper, et rien n'autorise à les
donner pour des imposteurs et des fourbes *.
1 Eph., IV, 14; Phil., iv, 8; Col., m, 9; I Pet., ii, 1, 3, 8, 10; Apoc.,
XXI, 8, 27. — 2 Bossuet, Pensées, — 3 Matth., xiii, 55, 58; xxvn, 40-43,
46; xxviii, 17; Luc, ii, 7; m, 23; vii, 18, 19; xi, 2; xviii, 18, 19;
xxiii, 2; XXIV, 41 ; Joan., vi, 66; vu, 41, 42, 48; viii, 48; ix, 16, 24. —
* Matth., X, 26; Marc, xiii, 32. - s Matth., xv, 16, 17; xvi, 8, 11, 23;
XVII, 18-20; xviii, 21; xx, 21-24; xxi, 21; xxvi, 56, 69-75; Marc, viii,
17, 18, 21; IX, 32, 33; Luc , xvii, 6; xviii, 34; Joan., vi, 68, 72; xii, 4-6;
XIII, 2, 26-30; xx, 25; Aimé, Fondements de la foi y part, ii, Conf. 1. —
6 Utinam attenderent Judsei, utinam animadverterent pagani, cum quanta
conscicntiœ securitate ad divinum judicium poterimus accedere ! Nonne
cum omnî fiducia Deo dicere poterimus : Domine, si error est, a te
dccepti sumus? Certe a summae sanctitatis viris sunt nobis tradita et
cum summa et authentica attestatione probata, teipso coopérante Qt
N'^4601 SUR LES ÉVANGILES. 6't5
460. — Le caractère du Sauveur peut-il être le fruit de
rimagination?
Le caractère du Sauveur, un caractère aussi supérieur à
l'humanité, aussi égal en toutes choses, aussi semblable à
lui-même dans tous les Evangélistes, ne saurait être une
fiction, et l'histoire du Sauveur ne s'explique que par la
réalité de sa vie.
Supposé qu'on eût posé aux plus grands esprits du siècle
d'Auguste ce problème : écrire à priori la vie d'un Homme-
Dieu, le faire naître, parler, agir comme il conviendrait à
un Homme-Dieu, quelle solution en eût-on obtenue? Un
grand nombre se seraient récusés, en confessant leur im-
puissance. Quant à ceux qui auraient voulu essayer leurs
forces, ils auraient sans doute senti l'inconvenance de la
mythologie et de ses métamorphoses : mais qu'auraient-ils
mis à la place? Supposez môme un rabbin, éclairé au flam-
beau des révélations mosaïques, nourri de la doctrine des
prophètes, formé dans les écoles de sa nation; quelle nais-
sance, quelle vie, quelle mort eût-il données à ce Dieu fait
homme ? Quelles maximes eût-il mises sur ses lèvres ! Gom-
ment eût-il conçu cette union des deux natures en une seule
personne?
Eh bien, ce que n'auraient pu faire ni Ovide, ni Cicéron,
ni Platon, ce qui surpassait infiniment le talent de Philon
et l'intelligence de la Synagogue, un pêcheur de la Galilée,
un homme sans lettres, l'a fait. Il l'a fait lui seul, du pre-
mier coup, sans hésitation, et avec une perfection mer-
veilleuse. Loin d'esquiver la difficulté du problème, il l'a
scrmonem co-ifirmante sequentibus signis. Ricard, à S. Vict., de Trinit,^
I, II. « Que les incrédules nous disent s'ils ont la même assurance, si
le consentement universel, si le changement si soudain de tant de
peuples, le commencement si s:tint et si simple de la religion laisse au-
cun lieu de douter de la divinité de son origine? Qu'ils se regardei)t,
sur le point de passer à l'éternité, et qu'ils voient dans quelle disposi-
tion ils voudraient se trouvera ce dernier moment. Etrange aveuglement
de rhomme qui, tout penchant qu'il est à la mort, ne veut prendre qu'à
l'extrémité les sentiments d'un mourant qu'elle inspire ! » Bossuet, Pensées,
Supra, n. 26.
646 QUESTIONS RÉTROSPECTIVES. [n^ 460
centuplée, en plaçant le Dieu fait homme dans les positions
les plus inouïes, dans les circonstances où il était le plus
difficile d'imaginer les sentiments, la conduite, le langage
qui lui convenaient. Mais quelque part qu'il le place, au
milieu des opprobres comme au comble du triomphe, il pa-
raît toujours grand, sublime, parfait, supérieur sans com-
paraison à ce que l'humanité a jamais vu de plus achevé et
de plus sublime. Lors même qu'il est brisé par les tour-
ments, couvert d'ignominie comme le dernier des crimi-
nels, il ne laisse pas d'agir et de parler en Dieu, C*est tou-
jours la même sérénité, la même élévation de sentiments et
de langage, la même sainteté. C'est toujours le Sauveur des
hommes, venu du Ciel pour les y conduire et les en rendre
dignes. Il faut l'avoir étudié pour savoir en quoi consiste la
plus haute perfection et jusqu'où peut s'élever l'héroïsme de
la vertu.
Ce fait est incontestable. L'œuvre est mille fois plus mer-
veilleuse que nous ne saurions le dire. Mais comment s'ex-
plique-t-elle ? L'auteur l'explique en disant qu'il n'a pas
créé son héros, qu'il ne Ta pas tiré de son imagination,
qu'il n'a fait que le peindre, tel qu'il l'avait sous les yeux.
N'est-ce pas déjà un assez grand prodige qu'un tel artiste
ait su le reproduire avec fidélité, que son inhabileté n'ait
pas nui davantage à la perfection de son ouvrage? Préten-
drez-vous qu'il a tout imaginé, tout inventé? Eh î ne voyez-
vous pas qu'attribuer à son esprit une telle production, ce
n'est pas supprimer le miracle, c'est le transformer; c'est
faire descendre du ciel sous forme d'idée, de révélation, de
vision, celui dont on ne veut pas confesser l'apparition
réelle; c'est attribuer à Dieu une imposture pour ne pas lui
devoir une miséricorde infinie *?
Voilà ce que nous dirions, si nous n'avions qu'un Evan-
gile, celui de S. Jean par exemple. Mais avant S. Jean, il y
eut S. Luc, S. Marc, S. Matthieu, trois autres Juifs, égale-
ment obscurs, également illettrés, qui, dans l'espace d'un
ï Cf. Hug., Introd, au Nouv, Test, i, 1.
N® 460] SUR LES ÉVANGILES. 647
demi-siècle, ont entrepris la même œuvre et Tont exécutée
avec le môme bonheur. Tous retracent la vie publique du
Sauveur. Chacun le peint à sa manière, dans un milieu spé-
cial, pour une fin particulière. Chacun ajoute de nouveaux
traits à son histoire. Or, en chacun d'eux comme en S. Jean,
on reconnaît THomme-Dieu; on le voit agir, on Tentend
parler comme il convient à un Homme-Dieu et comme un
Homme-Dieu seul pouvait faire. De sorte que ce prodige
d'invention incompréhensible, qui ne peut s'être accompli
une seule fois sans miracle, si Jésus-Christ n'a pas existé,
il se serait produit quatre fois, avec des formes différentes,
sous la plume des quatre Evangélistes. Tous quatre étaient
étrangers aux œuvres de l'esprit ; ils ont tous quatre entre-
pris, conçu, exécuté avec une égale perfection une œuvre
devant laquelle les esprits les plus intelligents et les plus
exercés se seraient reconnus ou démontrés impuissants * I
Et, chose qui porte la merveille à son comble et qui ra-
mène par une nouvelle voie, sous forme d'assistance surna-
turelle ou de révélation, l'intervention divine qu'on voudrait
écarter, leurs imaginations ont été si bien inspirées que, tout
en s'exerçant librement, chacune selon sa nature, non seule-
ment elles ont produit quatre chefs-d'œuvre d'une égale
perfection, mais encore elles présentent à nos regards quatre
images, à la fois différentes et semblables, ou quatre phy-
sionomies d'un personnage évidemment unique et conforme
à lui-même. Même caractère, même vertu, même doctrine,
môme langage, au fond •.
En résumé, nous n'aurions pas la vie de Jésus-Christ, si
Jésus-Christ n'avait pas existé. Jamais pareil idéal n'avait
été conçu par l'esprit humain ; jamais il n'eût été imaginé.
Si, par impossible, il avait pu être inventé, ce n'aurait pas
1 On dira que, S. Marc n'ayant fait qu'abréger S. Matthieu, on conçoit
aisément qu'ils soient d'accord. Nous répondons que S. Marc ne suit
pas partout S. Matthieu, et que d'ailleurs on ne peut opposer la même
raison à S. Luc et à S. Jean. Ces deux evangélistes diffèrent trop des
premiers pour que Taccord qu'on trouve entre tous se puisse expliquer
autrement que par l'unité du modèle. — * Lacordaire, Conf. xun.
648 QUESTIONS RETROSPECTIVES. [n^ 461
été par un homme du peuple, par un ignorant. S'il avait
été imaginé par un ignorant, il ne l'aurait pas été par
quatre à la fois, vers la même époque. Enfin, si quatre au-
teurs avaient peint d'imagination un pareil sujet, leurs ta-
bleaux ne seraient pas si ressemblants, et s'ils s'étaient con-
certés ou copiés les uns les autres, on y verrait moins de
différences.
* 461. — Reconnalt-on dans rËvangile un ouvrage inspiré, qui a le
Saint-Esprit pour principal auteur?
I. L'inspiration des Evangiles est un dogme de foi : il est
établi par le témoignage infaillible de l'Eglise^ mais il ne
saurait être constaté, avec une certitude absolue, par l'ob-
servation.
II. Cependant, si l'on veut juger à priori et par conjec-
ture, on doit tenir pour vraisemblable que Dieu aura donné
son Esprit aux Evangélistes pour écrire la vie de son Fils
et l'histoire de sa prédication. Quoi de plus conforme, en
effet, à sa conduite antérieure, et quoi de plus désirable
dans l'intérêt du christianisme? S'il a voulu que Moïse fût
inspiré pour faire le tableau de la création, pour nous re-
tracer les premiers événements du monde et la formation
du peuple d'Israël, comment aurait-il négligé ce soin, lors-
qu'il s'est agi de nous faire connaître, par l'organe des
Apôtres, la manière dont l'Eglise a été fondée et les mys-
tères que le Sauveur a accomplis sur la terre? Si l'Esprit
saint a été donné aux prophètes pour prédire la venue du
Fils de Dieu et pour écrire l'histoire de ceux qui en furent
les figures, est-il à croire qu'il ait été refusé à ceux qui ont
eu la mission d'écrire sa vie et de fixer le souvenir de ses
paroles et de ses œuvres? Si le Sauveur a voulu que ses
Apôtres fussent à l'abri de toute erreur dans la prédication
de l'Evangile *, s'il leur a communiqué des lumières si
* Cf. Matth., X, 18-20; Marc, xiii, 11; Luc, xii, 12; xxi, U; Joan.,
XIV, 12, 16, 17, 26; xvi, 13; Act., ii, 2-4; iv, 31; ix, 17, 20, 21 ; I Cor.,
u, 12, 13; II Cor., xiii, 2, 3; Gai., i, 11, 12; Eph., m, 5; U Tlm., iii, 16;
I Pet., I, 11; II Pet., i, 21.
N« 461] SUR LES ÉVANGILES. 649
abondantes et si merveilleuses pour annoncer sa doctrine \
est-il possible qu'il n'ait pas assisté et dirigé d'une manière
toute spéciale ceux d'entre eux qu'il destinait à transmettre
aux siècles futurs ses exemples et ses discours ? Enfin, s'il
fallait que l'Eglise fût infaillible dans l'interprétation de
nos saints Livres, n'était-il pas plus nécessaire encore que
ceux qui les ont composés fussent éclairés par l'Esprit de
Dieu et qu'on pût croire à leur témoignage en toute sécu-
rité?
III. Quand on étudie les Evangiles eux-mêmes, quand on
les considère dans leur rédaction, dans leur forme, on est
forcé d'y reconnaître deux caractères qui les distinguent
de toute composition humaine, et qui semblent révéler
l'action d'une intelligence supérieure à celle de l'homme.
1° Le premier de ces caractères, c'est l'impersonnalité.
Quoique chaque Evangéliste se peigne dans son récit, qu'il
manifeste, à son insu, les qualités de son esprit et de son
cœur, son inexpérience, sa nationalité, on ne trouve nulle
part la trace d'un sentiment personnel, l'ombre d'une re-
cherche, d'un détour, d'une inquiétude, d'un désir, dont
l'amour-propre ou le respect humain serait le principe.
Impossible de concevoir une œuvre plus désintéressée. Ils
ne songent qu'aux faits qu'ils rapportent, jamais au récit
qu'ils en font. Ils rapportent simplement ce qu'ils ont vu
et ce qu'ils ont appris, sans s'excuser de leur inhabileté,
sans s'inquiéter des invraisemblances, sans craindre de
choquer qui que ce soit, sans se préoccuper des récits déjà
faits^ soit pour les rectifier, soit pour s'en autoriser, sans se
prévaloir de ce qu'ils rapportent, soit pour faire l'apologie
de leur Maître, soit pour confondre ses ennemis*. Rien
n'est plus remarquable dans le récit de la Passion. Les
Evangélistes ne cherchent pas plus à émouvoir qu'à gagner
le lecteur. Il ne leur échappe ni une exclamation, ni une
invective, ni un reproche. Pas une réflexion sur l'indignité
1 Cf. Act , IX, 10, 11, 16; xxy 22, 23, 25; I Cor., ii, 4-7, 10-13, 16 ;
VII, 40; il Cor., m, 5, 6; iv, 6; v, 20; xiii, 3; Eph., iiij 3-11. — » Joan.,
VII, 4.
nu 37
650 QUESTIONS RÉTROSPECTIVES. [n» 461
(les tourments infligés au Sauveur, sur l'héroïsme de sa pa-
tience, sur la malice et la perfidie des prêtres, sur la lâcheté
des juges, sur la cruauté des bourreaux ^ Vous ne lisez
pas ; vous voyez, vous entendez. On dirait que ces auteurs
ont fait leur récit comme le soleil grave les images, avec
la même fidélité, mais aussi avec la même impassibilité. Au
moins n'a-t-on pas de peine à croire qu'ils n'ont pas tra-
vaillé pour eux, ni en leur nom, ni par le mouvement de
leur propre esprit, et qu'ils se sont bornés, comme le Psal-
miste le disait de lui-même, à mettre leur activité au ser-
vice d'une intelligence et d'une volonté supérieures •.
2® Le second caractère qu'on ne peut contester à l'Evan-
gile, c'est ce mélange admirable de simplicité et de gran-
deur, de petitesse et d'élévation, de faiblesse et de puis-
sance qui distinguent les œuvres "de Dieu, surtout ses
œuvres surnaturelles et en particulier celles qui se rat-
tachent à la rédemption. Car ce que l'Esprit saint a dit de
la prédication des Apôtres s'applique aussi à leurs écrits :
Contemptibilia elegit Deus ut confundat fortia, ut sublimitas
sit virtutis Dei^, Jamais la vertu de Dieu ne s'est mieux
voilée sous la faiblesse de l'homme. Ces quelques pages
auxquelles le scribe le plus obscur eût hésité à mettre son
nom, sont devenues, non seulement l'aliment de la piété
et les délices de tous les cœurs purs, mais la lumière
du monde et l'étude de prédilection des plus grands es-
prits. Que de douleurs elles ont charmées! Que de malades
elles ont guéris î Que d'aveugles à qui elles ont rendu la
Vue! De quelles vertus elles ont orné la terre et enrichi
le ciel !
Enfin, ce qu'il importe de remarquer par-dessus tout, à
notre point de vue, c'est que les deux caractères dont nous
venons de parler se montrent également dans les quatre
Evangiles. Partout la même simplicité, la même candeur,
le même oubli de soi ; partout la même dignité, le même
1 Cf. Ps. XXI, 13, 14, 17; aviii, 6-20; Isai., un, 4-12; II Mac, vi-viii;
Eccli., xuv; etc. ^ > II Reg», xxiii, 1-3; Ps. xliv, 2; Joan., rn, 18. —
3 I Cor., 1, 28*
Nû 462] SUR LES ÉVANGILES* 681
charme, la même vertu, la même profondeur. Tout porte la
même empreinte et tend au même but ; tout semble par
conséquent avoir été conçu par le même Esprit et être le
résultat du même dessein *.
462. — N'a-t-on pas signalé, entre les Evangélistes, des différences
et des contradictions?
I. Tout le monde reconnaît qu'il y a entre les Evangé-
listes des différences assez notables. Les derniers tendent à
compléter ou à préciser les premiers, et chacun a son but,
son plan, sa marche et son style particuliers. Très peu de
faits sont mentionnés dans les quatre Evangiles à la fois, et
il n'en est presque pas qui soit rapporté dans plusieurs
sans quelques variantes. Mais y a-t-il lieu de s'en étonner?
Les Evangélistes n'étaient pas des copistes chargés de trans-
crire un original ; c'étaient des auteurs qui mettaient libre-
ment par écrit leurs souvenirs ou leurs renseignements,
avec l'aide et l'inspiration de l'Esprit saint. Ne trouve-t-on
pas des différences semblables entre toutes les histoires,
par exemple entre les Rois et les Paralipomènes^ également
inspirés ?
Loin de diminuer l'autorité des Evangiles, cette variété
de rédaction est un des signes qui en font le mieux ressor-
tir l'authenticité; car, si l'on réfléchit, on verra que les
particularités de chacun de ces livres répondent parfaite-
ment au caractère de chaque auteur,* à sa position, au-des-
sein qu'il se proposait *. — Ainsi, n'est-il pas naturel que
S. Matthieu, écrivant le premier, pour ses compatriotes,
présente le Sauveur surtout par son côté humain, comme
•le Messie promis, le Fils de David, le réformateur de la Loi,
Tobjet des prophéties? — N'est-il pas naturel aussi que
,S. Marc, venu de Jérusalem à Rome, et désireux de ré-
pandre la connaissance de Jésus-Christ dans l'empire, mette
à profit le travail de S. Matthieu, mais en passant sous si-
lence ce qui n'a d'intérêt que pour les Juifs; — que S. Luc,
1 Supra^ n. 73. — 2 Voir P. Lat teignant, VEsprit des saints Evangiles^
eu le véritable dessein que chaque évangéliste se propose , 1714.
652 QUESTIONS RÉTROSPECTIVES. [n« 462
écrivant pour les Gentils convertis par S. Paul son maître,
montre Jésus-Christ comme Sauveur de toute l'humanité;
que, mieux préparé à écrire par son éducation et par ses
recherches, il soigne davantage sa composition, qu'il en
écarte tout ce qui serait de nature à blesser l'esprit des
peuples parmi lesquels il travaille, et qu'il y insère au con-
traire tout ce qui est propre à les toucher et à leur donner
confiance; — enfin que S. Jean, prenant la plume trente
ans plus tard, après la ruine de Jérusalem, en face d'héré-
tiques qui nient la divinité de Jésus-Christ et affectent de
mépriser sa doctrine, mais déjà entouré de chrétiens fer-
vents, prêts à mourir pour leur maître, garde moins de ré-
serve dans l'énoncé des mystères; que du commencement
à la fin de son livre, il montre le Sauveur comme le Verbe
incarné et le vrai Fils de Dieu, et que, laissant de côté les
faits rapportés par les autres Evangélistes, les paraboles du
divin Maître et ses instructions populaires, il s'applique à
retracer ce qu'il y a de plus admirable et de plus divin dans
son enseignement comme dans ses actes *? Jésus-Christ
n'avait-il pas lui-même gardé ces mesures et observé cet
ordre dans sa prédication * ?
Cette variété dans la tendance et dans les détails n'est
donc pas une raison de mettre en doute la vérité des Evan-
giles, mais bien un motif pour les étudier tous, afin de les
compléter ou les expliquer les uns par les autres. C'est ce
qu'on a fait dans tous les temps '.
II. Quant aux antilogies ou contradictions qu'on prétend
y découvrir, il y a longtemps que nos commentateurs les
ont relevées; et ils l'ont fait avec plus de soin que nos ad-
versaires. On peut en voir un tableau complet dans Tirin *.
1 Cf. s. Greg. Naz., Orat.^ xliii, 69. — 2 Supra^ n. 164. — 3 Ut quisque
meminerat et ut cuiquc cordi erat, vel brevius vel prolixius, eamdein
tamen explicare sententiam manifestùm est. S. Aug., de Cons. Evang^^
II, 27. Ideo necessarium est ut legantur omnes quia sînguli non dixenint
.omnia, sed quse alias prsatcrmisit , alius dixit, et quodammodo sîbi
dederunt locum omnes ut necessarii essent omnes. Serm, ccxxxrv, 4.
,Diyersitas locutionum etiam utilis est, ne une modo dictum minus in-
teUlgatur. De Cons, Evang., ii, 31. — * Edit. de Venise, 1772. Index rv.
N® 462] SUR LES ÉVANGILES. 653
Mais les incrédules ne peuvent en tirer aucun avantage pour
deux raisons :
1*» Quand ces contradictions prétendues seraient réelles
et incontestables, elles laisseraient intacte la substance de
rhistoire évangélique et n'ébranleraient en aucune manière
les faits essentiels qui sont la base du christianisme; car il
est visible qu'elles portent seulement sur des détails et de
menues circonstances qu'on peut négliger ou laisser dans
l'ombre sans inconvénient.
Les principales de ces difficultés, celles qui pourraient
surprendre et embarrasser davantage, ont pour objet : —
le commencement du ministère du Sauveur * ; — la voca-
tion de S. Pierre*; — le sermon sur la montagne"; — les
démoniaques de Gadara * ; — le serviteur du centenier •; —
les aveugles de Jéricho*; — le jour de la Pâque ^; — l'heure
du crucifiement * ; — les circonstances de la résurrection '.
— On voit qu'il ne s'agit pas là de choses essentielles. Fal-
lût-il reconnaître que les Evangélistes se sont trompés ou
contredits sur ces points secondaires, comme il arrive si
souvent aux historiens ordinaires, l'existence du Sauveur, ses
miracles, sa résurrection, la fondation de son Eglise ne per-
draient pas pour cela leur certitude. On pourrait même dire
qu'ils en seraient mieux prouvés, la vérité seule ayant pu
mettre d'accord sur la substance des témoins qui varient
ainsi dans les détails.
2' Mais il est facile de démontrer que ces contradictions
ne sont qu'apparentes ; et même cette démonstration a été
faite depuis longtemps *^ Ce qu'on ne verrait pas dans la
Réponse d'Origène à Celse, ou dans le livre de S. Augustin
Sur raccord des Evangiles ", on le trouverait dans les ou-
vrages des commentateurs moins anciens. Ils peuvent n'avoir
* Matth., IV, 12; Joan.,iii, 22-24. — 2 Matth., iv, 18-22 ; Marc, i, 16-20;
Luc, V, 1-10. — 3 Matth., v-viii, et Luc, vi, 17-49. — * Matth., viii, 28;
Marc, V, 2; Luc, viii, 27-37. — '^ Matth., vni, 5-12; Luc, vu, 1-10. —
« Matth., XX, 29-34; Marc, x, 46; Luc, xviii, 35. — ' Supra j n. 383.
— 3 Supra^ n. 419. — ^ Supra^ n. 432. — *o Non est in eis est et non.
II Cor., I, 18-21. Di versa multa, adversa nulla esse possunt. S. Aug.,
Cont. Faust, f xxxiii, 8. — ** De çonsenm evantfel.
654 QUESTIONS RÉTROSPECTIVES. [n® 462
pas eu tous les renseignements et toute la lumière néces-
saires pour faire voir de quelle manière telle assertion s'ac-
corde avec telle autre ; mais, cela est-il nécessaire pour réfuter
les objections? Non; il suffit de montrer que le désaccord
n'est pas établi ou que nulle difficulté ne peut être dite
insoluble.
ni. Cependant, on nous objecte nos hésitations sur cer-
tains points, et les conjectures plus ou moins plausibles que
le défaut de renseignements peut nous forcer de hasarder.
c Vous répondez à nos difficultés, nous dit-on*; mais com-
ment répondez-vous? En montrant qu'elles ne sont pas
démonstratives. Ce n'est pas montrer qu'elles sont sans va-
leur. Vous réduisez les contradictions à de simples diver-
gences; mais par quel moyen? En recourant à des subtilités
et à des hypothèses pleines d'invraisemblance. Ce a'est pas
ainsi qu'on procède quand on cherche la vérité franche-
meai^ sans pîrti pris. ¥o<is agissez autrement quand votre
esprit n'a pas d'entraves. Si le vrai n'est pas toujours vrai-
semblable, il l'est pourtant la plupart du temps. Lors donc
que, pour soutenir votre sentiment, vous avez recours à
tant de suppositions invraisemblables, il est bien à croire
que ce sentiment n'est pas la vérité. »
Voici notre réponse. — 1** Il est très vrai que nous avons
un préjugé contre vos objections. Nous sommes assurés
d'avance de leur peu de solidité, et nous croyons les réfuter
suffisamment en en faisant voir la faiblesse, en indiquant
en quoi elles pèchent ou ce qui vous interdit d'en rien con-
clure avec certitude. Mais le préjugé que nous avons n'est-
il pas juste et légitime? C'est celui que donne à tout esprit
droit la possession assurée de la vérité. L'infaillibilité de
l'Eglise nous étant démontrée, nous sommes toujours sûrs
d'être dans le vrai en adhérant à sa doctrine; et ce serait
renoncer à notre raison comme à notre foi que de mettre
en doute le témoignage des livres dont elle nous atteste
l'inspiration. Notre disposition à votre égard n'est autre
1 M. Renan, 15 nov. i882,
N<* 462] SUR LES ÉVANGILES. 655
que celle du savant qui se verrait contester les éléments
même de la science, que celle de tout homme à qui on vou-
drait persuader la fausseté d'un fait qu'il aurait vu de ses
yeux ou que lui attesteraient des témoins au-dessus de tout
soupçon. — 2° Qu'on trouve à chaque pas dans l'Ecriture des
difficultés et des apparences de désaccord, qu'on n'échappe
aux objections des incrédules qu'à force de perspicacité et
de conjectures, nous n'avons pas d'intérêt à le nier. Il nous
semble même qu'il en doit être ainsi. C'est une illusion de
s'imaginer, comme nos adversaires, que l'Eprit saint, en
inspirant les auteurs sacrés, a dû faire pour eux ce que fait
un écrivain exercé ; donner à leur composition toute la
clarté, tout Tordre, toute la perfection dont elle était sus-
ceptible. Ce que l'Esprit saint devait faire, en assumant la
responsabilité de leur ouvrage, c'était d'en écarter les er-
reurs et les contradictions proprement dites. Rien de plus.
Il n'avait pas à éclaircir les obscurités, à prévenir les em-
barras, à empêcher les divergences, à. faire ressortir l'accord
des diverses parties. Au contraire : sa sagesse demandait
qu'en inspirant les auteurs, il leur laissât le plus de liberté
possible, qu'il leur permît de suivre leurs vues, leurs sou-
venirs, leurs inclinations, leurs habitudes d'esprit et de lan-
gage, et qu'il n'intervînt pour les arrêter dans leur travail
qu'autant qu'il était nécessaire pour prévenir une erreur ou
une contradiction réelle. Cette liberté d'allure, ces diver-
gences de vues et de desseins, cette variété de langage, avec
toutes les imperfections et tous les désaccords apparents
qui en résultent, étaient indispensables pour donner à l'ou-
vrage les caractères d'authenticité et de sincérité qu'il de-
vait avoir. C'est une des raisons pour lesquelles on trouve
en nos saints Livres, parmi tant d'invraisemblances, tant de
traits de vérité, et ce qui rend notre foi à l'Ecriture si rai-
sonnable et si méritoire en même temps *.
On le voit : nous ne contestons pas aux objections qu'on
nous fait une certaine apparence de vérité; nous reconnais-
1 Supra, n. 281, note.
658 QUESTIONS RÉTROSPECTIVES. [n® 464
autre stricte et littérale : Vivens e vivo procedens in confor-
mitatem natures. — Souvent aussi il est donné dans un sens
large aux hommes en général, ou à une certaine classe
d'hommes, ou môme à quelque homme en particulier par
rapport à Dieu, pour indiquer qu'ils ont part à son esprit et
à sa vie, qu'il les aime comme ses enfants, qu'il leur destine
ses biens en héritage. Ainsi les chrétiens sont des enfants Aq
Dieu, des fils de Dieu par adoption, Texva 0ccu *. Mais à cette
signification dérivée et métaphorique de fils de Dieu répond
aussi une signification propre, littérale, stricte*, qui se
vérifie dans la seconde personne de la sainte Trinité, le
Fils unique du Père : o Ytsç tou 0sou, Vnigenitus qui est in
sinu Patris '.
Cette remarque faite, dans quel sens faut-il prendre le
titre de Fils de Dieu, donné à Notre Seigneur plus de cin-
quante fois dans l'Evangile ?
On doit admettre que ce mot est pris quelquefois dans
une acception large, métaphorique, quand il lui est donné
par des hommes qui ne connaissaient pas sa divinité ou par
le démon*. Mais ce sont là des exceptions. Généralement,
quand le Sauveur est dit Fils de Dieu^ c'est par ses disciples;
et alors le mot Fils est pris dans le sens naturel et littéral.
Les Pères ont même cru que le démon, sans être persuadé
de la divinité de Jésus-Christ, prenait ce mot dans ce sens,
et ils en donnent cette raison que le Sauveur lui défend de
le faire ainsi connaître ^,
Au moins est-il certain que dans la plupart des cas, ce
nom a été entendu à la lettre et doit être pris en ce sens.
Ainsi il ne saurait y avoir de doute : — 1** Quand il est
donné au Sauveur comme n'appartenant qu'à lui : avec
Tépithète d'unique, Unigenitm^, ou avec l'article, comme
1 Si filii Dei facti sumus, ot dii facti sumua, scd hoc est gratia adop-
tantis, non natura gencrantis. S. Aug., In Ps. xux, 2. — « Adoptio
sempcr îmitantur quod naturalitor fit. S. Cyrill. Alex. — 3 Joan., i, 18.
Cf. Matth., XXII, 42; Rom , viii, 32. — ♦ Matth., iv, 3-6; viii, 29; Luc,
IV, 41; vm, 28; Marc, xv, 39. Cf. Luc, xxiii, 47. — 8 Marc, m, 12.
.— 6 Joan., I, 18; m, 16» 18; Marc, xu, 6. Cf. Heb., i, 6.
N® 464] SUR NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. 6S9
un attribut caractéristiques ou bien avec un autre déter-
minatif d'une signification équivalente *. -- 2° Quand on
voit le divin Maître demander qu'on lui reconnaisse la qua-
lité de Fils de Dieu, et ses disciples faire cet acte de foi,
comme une profession de christianisme '. — 3° Toutes les
fois qu'on trouve ce terme employé ou rapporté par S. Jean *,
puisque, de l'aveu de tous, cet évangéliste n'a écrit que pour
confirmer le dogme de la divinité du Sauveur, ou, comme
il le dit, pour justifier son titre de Fils de Dieu ', le mot
de sainte Marthe : Tu es Chrutus, Filius Dei vivi^^ équiva-
lant visiblement dans sa pensée à celui de S. Thomas : Do-
minus meus et Dem mem ''.
Du reste, les Juifs versés dans les saints Livres ne de-
vaient pas ignorer que Dieu avait un Fils ®, ni que le Messie
serait une personne divine ', le Verbe même ou la Parole
de Dieu. On savait également que le Sauveur s'attribuait
cette qualité, au moins dans les derniers temps de sa prédi-
cation *°. C'est pour cette raison qu'on veut le lapider et
qu'on finit par le mettre à mort **. Mais jamais on ne lui re-
proche de dire que Dieu a un Fils ; et quand Notre Seigneur
1 Matth., XI, 27; xxvi, 63-65; Marc, i, 11 ; xiv, 61, 62; Luc, xxii, 70 ;
Joan., I, 34, 49; v, 25; vi, 70; ix, 35; xi, 4, 27; xvii, 1-3; xx, 31. —
2 Matth., III, 17; x, 32, 33; xviï, 5, 24; xxii, 42, 45; Marc, i, 11; Luc,
I, 35; Joan., m, 16-18; ix, 35-38; xi, 27; xvii, 1. Cf. Matth., xxi, 33;
Marc, XII, 6. Bossuet, I'® et H* Inst. sur le N. T. de Trévoux^ initio. —
3 Matth., XVI, 16, 17; Joan., ix, 35-38; xi, 27. — * Joan., i, 34, 49; v, 25;
X, 36; XI, 4, 27; xx, 31. Cf. I Joan., n, 22-23. — » Joan., xx, 31. —
6 Joan., XI, 27. — ^ Joan., xx, 28-31. Cf. Joan., x, 30 et 36. Néanmoins
il ne faudrait pas croire ce qu'avance M. Renan, que Jésus ne se sert
jamais du terme « Fils de Dieu » ou h le Fils » en parlant de lui, si ce
n*est dans TEvangile de S. Jean, ni ce qu'a dit Julien TApostat que
S. Jean est le premier qui ait attribué à son maître la divinité. S. Cyrill.
Alex., Cont. Julian.^ x. Cf. Matth., xi, 27; xvi, 16, 17; xxii, 45; xxvi, 63,
64; xxvii, 43; xxviii, 19; Marc, xiv, 61, 62; Luc.,x, 22; xxii, 70, etc.
Cf. Matth., I, 23; vu, 21; ix, 2; xvii, 24; xvm, 6; xxi, 33; xxiii, 34;
xxv, 31, etc. — 8 Ps. Il, 7 ; Prov., viii, 22-31 ; xxx, 4 ; Is., lxvi, 9; Matth.,
XXVI, 63. — 9 Ps. xLiv, 7, 8; cvii, 20; cix, 10; Is., iv, 2; vi, 9; vu, 14;
IX, 6, 7; xxx, 20; xxxv, 4; Baruch., m, 26-27; Mich., v, 2; Zac, ii, 10;
Mal., III, 1 ; Agg., ii, 8, 10. Cf. Bossuet, 1I« Inst, sur une version du N. T.,
Passage xl. — *<> Sap., xvm, 15. — <* Matth., xxii, 42; xxvii, 40 ; Luc,
xxiij 90 ; Joan., v, 18j x, 32; xjx, 7.
660 QUESTIONS RÉTROSPECTIVES. [n^ 46S
prescrit à ses Apôtres de baptiser au nom du Père, du Fils
et du Saint-Esprit, on voit bien qu'il ne leur révèle pas un
dogme inconnu et contraire au sentiment commun *. Ceux
qui ont prétendu que le nom de Fils de Dieu n'était dans
l'esprit des Juifs qu'un titre honorifique pour désigner le
Messie, comme le premier des enfants adoptifs de Dieu, l'ont
avancé gratuitement et n'ont rien de solide à opposer à nos
raisons. S'il ne signifiait rien de plus, d'où vient, dit
Origène, qu'aucun de ceux qui se sont donnés pour Messie
depuis Jésus-Christ n'a osé s'attribuer ce nom *? Pourquoi
excite-t-il [à ce point l'exécration du grand-prétre dans la
Passion '? Et comment, après l'avoir entendu affirmer qu'il
est le Christ, demande-t-on encore au Sauveur s'il est le
Fils de Dieu*?
465. — Lorsque le Sauveur est appelé simplement le Fils, quel est
le sens de ce mot?
Il est un bon nombre de versets où le Sauveur est appelé
simplement et absolument le Fils *, comme la première per-
sonne de la Trinité est appelée le Père, Dans tous ces pas-
sages, le mot Fils, o Ttoc, a évidemment le même sens que
celui de Fils unique de Dieu. Il indique même plus claire-
ment encore la divinité du Sauveur, puisque le Sauveur
est mis ouvertement au même rang que le Père et le Saint-
Esprit, n'étant dit Fils que par rapport à ces deux per-
sonnes, et s'en trouvant di3tingué par cette qualité seule-
ment.
Remarquons ici la justesse de ce terme, le FUs de Dieu,
Si le Sauveur s'était dit simplement Dieu, il se fût désigné
moins nettement. En se distinguant de toute créature, il ne
se fût pas distingué des deux autres personnes divines; il
n'eût pas exprimé son caractère propre et distinctif ; il n'eût
1 p. L. B. Drach., Harmonie entre VEglise et la Sijnagogue, 1844. —
8 Cf. Orig , Cont. Gels., i, 28, 56; ii, 9, 31 ; viii, 12, etc. — » Matth.,
XXVI, 65. — * Luc, XXII, 66, 70 et Joan., xix, 3 et 7. Supra, n. 396. — •
5 Matth., XI, 27; xxviii, i9; Marc, xiii, 32; Luc, x, 22; Joan., m, 35,
36; V, 19, 20-23, 26; vi, 40; viii, 35, 36; xiv, 13. Cf. Joan., n,J82-23.
N<* 466] SUR NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. 661
pas fait connaître le rapport essentiel qu'il a avec son Père.
Le Père est Dieu et le Saint-Esprit est Dieu, mais ni Tun ni
l'autre ne sont Fils de Dieu; de même qu'Adam et Eve font
partie de l'humanité, mais ne sont pas nés de l'homme,
fils de l'homme, comme l'est Notre Seigneur *.
466. — Quels sont les autres titres donnés à Notre Seigneur
dans TEvangile ?
Notre Seigneur n'est pas appelé seulement Fils de l'homme
et Fils de Dieu dans l'Evangile : il est dit de plus le Messie*,
le Maître ', le bon maître*, le bon pasteur', Tépoux de l'E-
glise •, le prophète '', le Fils de Marie S le fils d'Abraham et
de David ^ le roi des Juifs**, le pain de vie**, la résurrec-
tion et la vie *S la voie, la vérité et la vie **, la lumière du
monde**, le Sauveur des hommes*', l'Agneau de Dieu*®,
l'Emmanuel *% le Verbe *S le Fils de Dieu vivant *®, le Sei-
gneur^*, et enfin Dieu même'**.
1 Luc, m, 38.-8 Joan., i, 41. — » Matth., xxiii, 10. — * Matth.,
XIX, 16. — s Joan., x, H. — ^ Matth., ix, 15; Joan., m, 29. — "^ Luc,
vil, 16. — 8 Marc, vi, 3. — « Matth., i, 1. — lo Joan., xviii, 37. —
11 Joan., VI, 35. — 12 Joan., xi, 25. — ^3 Joan., xiv, 6. — i9 Joan., viii, 12.
— 15 Joan., IV, 42. — is Joan., i, 29. — " Matth., i, 23. — ** Joan., i, 1.
— 19 Matth., XVI, 16. Becan., Analog.y 11, 5. Sup^^a^ n. 469, 470. —
20 Matth., XXI, 3; xxii, 43; xxviii, 6; Marc, xv, 19; Luc, 11, 11; vu,
31 ; XI, 39; xii, 42; xiii, 15; xviii, 5, 6; xviii, 6; xxii, 3, 6; Joan., xx,
18, etc. — 21 Matth., 1, 23; Luc, i, 16, 17; Joan., i, 1 ; xii, 41 ; xx, 28.
D'un autre côté, les Evangélistes ont rapporté un certain nombre d'injures
dont le Sauveur fut Tobjet. Ses ennemis le nommèrent pécheur, Joan.,
IX, 24; ami des publicains et des hommes de mauvaise vie, Matth.,
XI, 19; malfaiteur, Joan., xviii, 30; séducteur, Joan., vu, 12, 47; per-
turbateur de Tordre public, Luc, xxiii, 2 ; blasphémateur, Matth., ix, 3;
XXVI, 65; Luc, v, 21; violateur du sabbat, Joan., ix, 16; Samaritain,
Joan., VIII, 48; gourmand et buveur, Matth., xi, 19; démoniaque et
insensé, Luc, vu, 38; sectateur de Béelzébub et suppôt du démon,
Marc, m, 22; enfin Béelzébub lui-même, Matth., x, 25. Sic appellaba-
tur Oominus Jésus Christus^ dit S. Augustin, ad solatium sei^voi^um suo-
rurrij quando dicuntur seduclores. Brev., Sabb. sanct.j lect. v. C'est
surtout pour la consolation de ses ministres que l'Esprit saint a consi-
gné toutes ces injures dans le saint Evangile. Cf. Martigny, Noms des
chrétiens. Calomnies,
662 QUESTIONS RÉTOOSPECTIVES. [PT® 467
467. — Notre Seigneur ne parle-t-il pas dans beaucoup d'occasions en
Dieu, comme il n'est permis qu'à un Dieu de le faire, comme nul
autre qu'un Homme-Dieu n'eût jamais parlé * ?
I. Quelles que soient rhumilité de sa position dans la
société et la modestie de son langage, Jésus-Christ n'hésite
jamais à prendre dans ses discours le rang qui convient
à un Homme-Dieu, à se placer au-dessus de tout ce qui a
un nom, au ciel et sur la terre ', au-dessus des justes et
des patriarches •, au-dessus de Jonas et des prophètes *,
de Salomon*, de David*, de Moïse"', d'Abraham*, de Jean-
Baptiste, le plus grand des enfants des hommes', au-
dessus même des Anges *^ Il dit qu'il existait avant de
s'incarner ", avant la création *^ de toute éternité *\ Il
commande, il juge, il absout, il décide et il dispose de
tout, avec une autorité absolue **. Il donne à ses Apôtres
les clés du ciel, le pouvoir de faire des miracles, de remettre
les péchés *^ Il ne permet pas qu'on doute de son auto-
rité ni de sa puissance *^ Il veut être l'objet de la foi ",
de l'amour *^ de la prière *% de l'adoration ^°. Enfin il se
met ouvertement en égalité avec le Père céleste^*; et lors
même qu'il se dit inférieur à lui, en tant qu'homme, il fait
1 Ginoulhiac, Hist. du dogme, Vll, i-vi ; VHI, iv, etc. — « Joan., m, 31 ;
XVII, 5.-3 Mattli., xii^ 6; xiii, 17; Joan., m, 13; vi, 49. — * Matth.,
XII, 41; XVI, 14-17; Joan., viii, 53. — 8 Matth., xii, 42. — 6 Matth.,
xxii, 43. — 7 Matth., v, 21, 22, 28; Joan., vi, 32. — » Joan., viii, 56, 58.
— 9 Matth., XI, 10; Luc, vu, 27. — lo Matth., iv, H ; vu, 27; xm, 41;
XVI, 27; XXVI, 53; Marc, viii, 38; xiii, 32; Joan., i, 51. — *i Joan.,
m, 13; VI, 32, 38, 54, 63; viii, 42; xvi, 18 ; xvii, 18. — «2 Joan., xvii, 5.
— 13 Joan., VIII, 58. — ** Matth., v, 21-24, 27, 28, 33, 34, 38, 39, 43, 44;
VIII, 3, 26; X, 1, 37; xii, 8; xiii, 41; xiv, 28; xviii, 18, 20; xix, 29;
XXV, 31-46; Marc, ii, 5; xvi, 17; Luc, vu, 48: xxii, 29; xiii, 43; Joan.,
II, 16, 19; V, 21 ; vi, 44; x, 18; xii, 48; xiv, 27; xx, 23. — is Matth.,
X, 8; XVI, 19. — 16 Matth., jv, 19; vu, 21-23; x, 32; xi, 27, 28; xii, 8,
41, 42; XXVI, 53; xxviii, 18, 20; Luc, x, 19; Joan., x, 28; x[ , 25. —
1^ Joan., x, 37; xiv, 1. — i» Joan., xiv, 15, 21. — i9 Joan., xiv, 13, 14.
— 20 Joan., X, 38. — 2* Matth., xxv, 31; Luc, xxnr, 49; Joan., i, 18;
m, 12; V, 17, 21, 23, 26-29; vi, 45; viii, 19, 54, 58; x, 15, 28, 29, 30, 38;
XI, 27; XIII, 14, 52; xix, 1, 7, 10, H, 13, 15, 23, 26; xv, 26; xvi, 13-14, 4;
xvii, 10, 21 ; XVIII, 36, etc.
J^<*467] SUR. NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. 663
clairement entendre qu'il n'est pas une simple créature K
II. S'il n'avait pas eu 'conscience de sa divinité, jamais
le Sauveur n'aurait, je ne dis pas réalisé, mais seulement
prédit ou projeté, comme il a fait, l'œuvre qu'il a accom-
plie*. S'il n'avait été qu'un homme, le fils d'un ouvrier
juif, jamais il n'aurait osé parler de lui comme il faisait ',
dire que le ciel serait le partage de quiconque croirait en lui,
s'appeler la lumière du monde *, la résurrection et la vie ^
l'unique voie pour arriver à Dieu '. Jamais il n'aurait dit
qu'il n'était pas d'ici-bas \ que personne ne pouvait le con-
vaincre de péché *, qu'il était sorti du sein du Père •, qu'il
savait d'où il venait et où il allait *®, qu'il était plus grand
que le temple *^ que le temple était sa maison*- comme
celle de son Père *', que tout lui appartenait au ciel et sur
la terre **, qu'il avait le pouvoir de purifier les âmes *^ et de
leur donner la vie **, qu'il donnerait sa chair et son sang
pour être la nourriture et le breuvage du monde entier ",
que, sans cet aliment, nul n'aurait la vie véritable, la vie
éternelle **, que, lorsqu'il serait sur la croix, il attirerait
tout à lui *^ qu'il se ressusciterait le troisième jour ^^, qu'il
enverrait son Esprit pour achever son œuvre **, qu'il res-
terait avec les siens jusqu'à la consommation des siècles *^
qu'il jugerait les vivants et les morts ", enfin qu'il existait
avant la naissance d'Abraham ^\ et même avant la créa-
tion ^^ Du moins on n'a pas d'exemple d'une simple créature,
ayant l'usage de la raison, qui ait ainsi menti à sa conscience
et à qui l'orgueil ait inspiré un langage si extravagant ^*. Nul
4 Joan., XIV, 28. Cf. S. Cyrill. Alex., de vera Fide, i, ii, m, et In Joan.,
Supra^ n. 342. — ^ Matth., xviii, 11; Luc, ix, 56; Joan., m, 17; x, 10;
XI, 6; XII, 46; xvii, 2. Supra, n. 350. — 3 Supra ^ n. 470. — * Joan.,
VIII, 12; IX, 5; xii, 46. — «Joan., xi, 25; xix, 6.-6 Joan., x, 9; xiv, 6.
— 7 Joan., viu, 23. — • Joan., viii, 46. Cf. Joan., i, 8, 10. — ^ Joan.,
VIII, 42; XVI, 27, 28; xvii, 8. — «o Joan., viii, 14. — *» Mattb., xii, 16.
— 12 Matth., XXI, 13. — 13 Joan., ii, 16. — »* Matth., xxviii, 18; Luc,
X, 22; Joan., xm, 3; xvii, 2. — i3 Matth., xviii, 18; Marc, ii, 5; Luc,
VII, 48; Joan., xx, 22, 23. — *« Joan., x, 28. — i^ Joan , vi, 52. —
1« Joan., VI, 54, 55, 59. ~ i» Joan., xii, 32. — so Joan., ii, 19. —
SI Joan., XV, 26; xvi, 7; Act.,i, 8. — 22 Matth., xxvui, 20. -«23Joan.,
V, 25. — 2* Joan., viii, 58. — 2s Joan., xvii, 5, etc. -— 26 Cf. MassUlon,
664 QUESTIONS RÉTROSPECTIVES. [n^ 468
homme n'a osé dire, comme Notre Seigneur, qu'il ne faisait
qu'un avec Dieu, qu'il était Dieu, le Dieu véritable, le Dieu
éternel et suprême *.
468. — Ne répugno-t-il pas absolument de foire da Sauveur an
imposteur ou un halluciné?
I. Il répugne de faire de Jésus-Christ un imposteur :
1* S'il n'avait pas été sincère, ce serait le plus misérable
et le plus criminel de tous les fourbes, dit S. Bonaventure *.
Comment accorder tant d'orgueil, tant d'impiété, tant d'hy-
pocrisie avec les vertus dont il a donné l'exemple, avec la
sainteté que sa morale respire, avec l'esprit qu'il a fait ré-
gner en son Eglise, avec la religon qu'il inspire à tous ceux
qui se donnent à lui?
î'* S'il a fait des miracles et des prophéties véritables,
en quoi a-t-il pu tromper? Si ses miracles étaient faux,
comment a-t-il pu les faire prendre pour vrais par tant
de témoins intéressés à ne pas se laisser tromper? Com-
ment a-t-il persuadé à des milliers d'hommes qu'il lui suf-
fisait de dire une parole pour guérir les malades, multi-
plier les aliments, ressusciter les morts? Comment a-t-il pu
faire croire qu'il était mort lui-même et revenu à la vie?
Si ses prédictions n'étaient que du charlatanisme, comment
se fait-il que nous en voyions encore aujourd'hui l'accom-
plissement dans la ruine de la synagogue et de l'idolâtrie,
dans la dispersion des Juifs, dans la stabilité inébranlable
de l'Eglise »?
3** Si Jésus-Christ' était un fourbe, que seraient ses
Apôtres et ses premiers disciples? Faut-il dire que tous ont
Serm. pour la Circoncision; Ginoulhiac, Hist. du dogmCy t. ii, part, i,
liv. VII et vin, 4, etc.
* Joan., X, 30. Supra ^ n. 336. — » Superbissimus hominum, iroo et
dœmonum, quia LuciTer nunquam dixit se esse Dcum, licet Toluerit
esse simiUs Âltissimi. S. Bonav., Stim. dUv. om,, i, 6. — 3 Me atten-
dite, dicit Ecclesia. Non praeterita vobis narrantur, non futura pr»-
nuntiantur, sed prsesentia demonstrantur. Hoc certe, sive velitis, site
nolitis, aspicitis. S. Aug., De Fide rerum qua non videntur, 7. Supra^
M. 256.
N® 468] SUR NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. 668
été des fourbes, ou que tous ont été des dupes, ou que les
uns étaient des fourbes et les autres des dupes? Ne voit-on
pas que chacune de ces suppositions répugne, et qu'on en
centuple l'absurdité en les multipliant.
IL II ne répugne pas moins de faire du Sauveur un hallu-
ciné.
1° Pour justifier un soupçon seulement à cet égard, il
faudrait des raisons : quelles sont celles qu'on pourrait
donner? L'hallucination, comme on l'entend d'ordinaire, a
pour objet les visions et les apparitions : combien en voit-on
dans l'Evangile? Elle produit l'exaltation, l'enthousiasme,
lefanastisme : le ton du Sauveur est-il celui d'un fanatique?
Il a parlé souvent, sur toutes sortes de sujets et en toutes
sortes de circonstances; il a été aux prises avec la calomnie
comme avec la souffrance : a-t-il jamais dit un mot qui
s'écartât des règles de la sagesse et de la sainteté?
2^ Les hommes les plus éclairés conviennent que^ pour le
dogme comme pour la morale, il n'y a aucune comparaison
à faire entre le christianisme et les autres religions. La
doctrine la plus sainte, la plus sublime, la plus complète sur
l'homme et sur Dieu, serait donc le fait de l'hallucination,
c'est-à-dire de la folie ! Ceux dont on admire le plus les lu-
mières seraient les plus obstinés dans l'erreur I
3** Si Jésus-Christ était halluciné, quand il croyait déli-
vrer les possédés, guérir les lépreux, rendre la vue aux
aveugles, ressusciter les morts, qu'étaient donc les Apôtres
et que furent les premiers fidèles? Tous les chrétiens des
premiers siècles ont-ils été hallucinés? Le sommes-nous,
nous qui voyons l'idolâtrie abattue et le christianisme de-
bout : Non unum mortuum^ sed universum genm humanum
et sepulcro suscitatum; non visum uni cœco restitutum, sed
discussas erroris tembras qtiœ totam terram occupaverant ;
non leprosum unum mundatum, sed tôt gentes quœ peccati
lepram absterserunt ac per lavacnim regenerationis mundatœ
sunt *?
4 S. Chrys., Cur in Pentec, leguntur Acta Apost,f 7. Supra^ n 228,
666 oiesTiONS rétrospectives. [n<* 469
S'il fallait voir ici une hallucination ou une imposture, ne
serait-elle pas plutôt du côté de ces hommes irréfléchis ou
passionnés qui donnent si gratuitement le démenti à la foi
des Apôtres, des martyrs et des saints ?
469. — Est-il possible de concevoir un caractère plus noble, plus
aimant, plus sainte plus parfait que celui du Sauveur?
I. Le caractère du Sauveur défie toute censure et surpasse
tout éloge. Sous quelque aspect qu'on le considère, on le
trouve toujours d'une perfection accomplie * ; et c'est cette
perfection qui donne à l'Evangile son principal attrait.
1** A l'égard de son Père : — quel religieux respect*!
quelle soumission ' î quel amour * ! quel dévouement et quel
zèle * ! et, par suite, quelle constance et quelle application
dans la prière • I II ne condamne pas les pratiques légales,
mais il s'occupe bien plus de prier que d'immoler des
victimes ou de faire des ablutions. Tantôt il bénit la ma-
jesté divine ', tantôt il l'invoque, soit pour les autres •, soit
pour lui-même*; tantôt il lui rend grâces *°. Partout et
toujours on le voit recourir à son Père et s'entretenir avec
lui : sur la montagne ** comme dans le temple *^, dans la so-
litude *^ comme au milieu de ses disciples **, à son baptême *^
comme à sa transfiguration *^ ; avant de choisir ses Apôtres "
comme au moment de les quitter *^ avant d'opérer des mi-
racles *® comme au moment de se livrer à ses bourreaux ^^
2^ A l'égard des hommes : — pouvait-il se montrer plus
1 Matth.j III, 15; Joan., vin, 46; xvii, 4; II Cor., v, 21; Heb., iv, 15;
vil, 26. — 2 Marc, xi, 16; Luc, iv, 8, 16. — 3 Matth., xv, 24; xxvi, 42;
Joan., 11, 4; iv, 32, 34; v, 30; xiv, 10; xviii, 11 ; Phil., ii, 8. — * Luc,
II, 49; xii, 49 ; xxii, 42 ; Joan., iv, 34; viii, 39, 49, 50; xiv,31. — s Matth.,
IV, 17, 23; IX, 36, 37; Marc, i, 14; Luc, iv, 15; vu, 18; xii, 49, 50;
Joan., Il, 15-17; iv, 31-34; v, 30; xi, 42; xvii, 5, 16, 17. — 6 Marc, i, 35;
Luc, XI, 12; IX, 18, 28; xxii, 41. — ' Matth., xi, 25. — 8 Luc, xxii, 32;
xxiii, 34; .Toan., xi, 42; xvii, 6-26. — 9 Matth., xiv, 23; xxvi, 36, 39;
Marc, i, 35, Luc, v, 16; vi, 12; ix, 28; xxiii, 46; Joan., xii, 27, 28. —
AO Mattli., XI, 25; xv, 36; Marc, viii, 6; xiv, 23; Luc, xxii, 17; Joan.,
VI, 11 ; XI, 44. — *i Marc, vi, 46. — *2 Luc, xix, 45, 46. — '3 Luc,
V, 16. — 1* Luc, XI, 1. — 18 Luc, m, 31. — i» Luc, ix, 28. — i^ Luc,
VI, 12. — 18 Joan., xvii, 1-26. — i^ Matth., xiv, 19; Joan., vi, 11 ; xi, 41.
— 20 Matth., XXVI, 36, 39, 42, 44.
^0 469J SUR NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. 667
doux, plus patient, plus généreux, plus parfait? Il n'est oc-
cupé qu'à leur faire du bien, à guérir les malades, à ins-
truire les ignorants, surtout à sanctifier les âmes et à les
porter vers Dieu *. C'est une bonté et une tendresse vérita-
blement ineffables '. Il a une affection plus vive sans doute
pour ses parents ', pour ses disciples *, pour ses Apôtres *,
pour tous ceux qui lui témoignent quelque bienveillance * ;
mais sa charité n'exclut personne ', ni les Juifs S ni les
Gentils *, ni les pharisiens *^ ni les publicains **, ni les sa-
maritains *^ ni les pécheurs connus pour tels *% ni ses en-
nemis déclarés **, ni même ses bourreaux *^. Sa bienveil-
lance et ses bienfaits s'étendent sur tous ^^; et ce sont les
petits, les pauvres ", les affligés qui en ont la meilleure part *^
Pas une souffrance qui le trouve insensible *^ Pas une misère
qu'il ne soulage ou qu'il ne console ^°. Pas un pécheur dont
il n'ait pitié ^*, qu'il n'accueille avec bonté ^\ au repentir
duquel il n'accorde le pardon ". Pas un enfant qu'il ne bé-
nisse, dont la simplicité et l'innocence ne le ravissent^*. Pas
un trait de vertu qui ne soit l'objet de ses éloges et qu'il ne
s'empresse de signaler ^\ Enfin, c'est le seul homme dont
1 Mattlï., V, 3; Act., X, 38, etc. — 2 Matth., xi, 28; xii, 49; xxv, 40;
XXVI, 50; Luc, ix, 52-56; Joan., vi, 37; xiii, 14, 3i; xv, 12; I Pet., ii,
22, 23. — 3 Luc, II, 5i ; Joan., xix, 26. — * Matth., xii, 46-50; Joan.,
IV, 6, 10, 16, 40. — s Matth., xiii, 11; Marc, x, 38, 39; Luc, xu, 4;
Joan., X, 27; xi, 5; xui-xvii; xviii, 8; xx, 17; xxi, 5.-6 Matth., xii,
50; XXVI, 13; Luc, vu, 5, 37-50; x, 42; Joan., xi, 35, 36, 38; xx, 16;
1 Pet., II, 21. — 7 Matth., viii, 16, 17; Joan., vi, 37. — » Matth., ix, 36;
X, 0; xxiii, 37; Luc, vu, 4, 5: xix, 41, 42. — ^ Matth., viii, 10; xv,
22-28; Marc, xm, 10; Luc, vu, I-IO; Joan., xi, 52; xii, 20. — *o Luc,
VII, 36. — 11 Matth., ix, 11 ; xi, 19. — 12 Luc, ix, 52-55; x, 33; xvii, 18;
Joan., IV, 9, 40; Act., i, 8. — i3 Luc, xv, 2, 4. — 1* Matth., xxiii, 37;
Luc, XXII, 51 ; xxiii, 34; Joan., xm, 27. — is Mattli., xxvi, 50; Luc,
xxiii, 34; J Pet., 11, 23. — i^ Matth., iv, 23; viii, 16; xiv, 19; Joan.,
X, 11; XXI, 15. — 1"^ Matth., xi, 5; Luc, iv, 18. — 18 Matth., xi, 25;
Luc, XII, 32; Joan., ix, 39. — i^ Matth., ix, 12, 19; xiv, 14; xv, 32;
Marc, I, 32; Luc, vu, 13; xix, 41; Act., x, 38. — 20 Matth., v, 3-11;
VI, 25, 56; ix, 18, 19; Luc, vu, 11-17. — 21 Marc, 11, 5. — 22 Matth.,
IX, 12; Marc, 11, 16, 17; Luc, xv, 11-32; xix, 5-7. — 23 Luc, vu, 50;
XIX, 9; Joan., viii, 11. — 2* Matth., xviii, 1-5; xix, 13-15; Marc, x,
13-16; Luc, xvm, 15. — 25 Matth., viii, 10; xv, 28; Marc, xii, 43;
Luc, VII, 9, 44-47; xix, 9;* Joan., i, 47.
668 QUESTIONS RÉTROSPECTIVES. [N« 469
on puisse dire qu'il n'a pas vécu un seul instant pour lui-
même, et que son unique désir a été de se sacrifier sans
réserve pour le plus grand bien de tous ses semblables.
30 A l'égard de lui-même : — c'est une sagesse qui ravit * ;
c'est une prudence qui déconcerte tous les mauvais des-
seins.'. Il ne s'expose qu'avec réflexion et quand il le faut*.
Quoiqu'il parle de lui à tout moment, qu'il soit obligé de
faire connaître sa dignité et de soutenir ses droits, son lan-
gage est d'une modestie et d'une humilité incomparables *.
Jamais il ne recherche l'estime, l'éclat, les honneurs. Son
détachement des biens du monde est absolu •; sa mortifica-
tion parfaite*, sa patience supérieure à toutes les épreuves'.
II. Mais le trait distinctif du caractère du Sauveur et ce
qui mérite d'être remarqué plus que tout le reste, c'est le
principe d'où ces vertus découlent, le but auquel elles ten-
dent, et l'accord dans lequel il sait les maintenir.
1° Sa vertu n'est pas une vertu purement humaine. L'Es-
prit de Dieu inspire et dirige toutes ses œuvres •. Toujours
uni d'esprit à son Père', toujours sous ses yeux et dans sa
dépendance, il reste étranger à tous les préjugés, à toutes
les craintes, à toutes les espérances, à toutes les considéra-
tions du monde *^ Pas un mot, pas un acte, dans son Evan-
gile qui soit de la terre ou pour la terre. Tout ce qu'il fait,
tout ce qu'il enseigne, tout ce qu'il commande a pour objet
le royaume de Dieu et la vie éternelle **.
4 Matth., XIII, 54; Marc, vi, 3; Luc, 11, 47, 52; iv, 22; xiij 14, 15;
Joan., VII, 44, 15. — • Matth., vu, 6; x, 16; xii, 4-5; xiv, 13; xvi, 20;
XXI, 24-27; xxii, 15-46; Marc, m, 6-7; Luc, vi, 1-14; xii, 14; xx, 1-8;
Joan., IV, 1, 3; v, 17; vi, 13, 14; viii, 3-11; x, 22-39; xi, 53, 54. —
3 Matth., IV, 12; Marc, m, 6,7; Joan., vu, 1-10; x, 39. — * Matth.,
m, 15; XI, 28, 29; xii, 16; xiii, 55; xviii, 3, 4; xx, 24-28; xxi, 5; xxiii,
5-12; Marc, ix, 33-36; x, 35-45; Luc, xi, 27, 28; xviii, 9-19; xxii,
24-27; Joan., vi, 15; vii, 46, 48: viii, 50; xm, 4, 5, 12-16; xiv, 12. —
5 Matth., V, 3; x, 8-10; xvii, 26; xxii, 19; Luc , viii, 3; ix, 58; Joan.,
xii, 6; XIII, 29. — 6 Matth., iv, 2; Luc, viii, 1, 21; xii, 50; Joan., iv,
6, 7, 8. — "ï Matth., Hxviy 45, 52; Marc, m, 9, 10, 20; xiv, 65; Luc,
xxiii, 9, 40; Joan., xviii, 8; xix, 3, 4. — * Luc, iv, 4. — ' Joan., viii, 16.
— 10 Matth., XX, 23; Joan., v, 20, 30; vu, 46, 47; vni, 38; xii, 49, 50.
-- 1» Matth., VI, 33; Joan., m, 31; viii, 23/
N^ 469] SUR NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. 669
2° Toutes ses qualités se balaïicent et s'harmonisent de la
manière la plus parfaite. Jamais un mouvement exagéré,
qui dépasse la mesure. Parmi les injures comme au milieu
des applaudissements, il reste toujours semblable à lui-
même*. Nul emportement et nulle défaillance; nul excès
comme nulle lacune. Tout en sa personne est héroïque sans
être excessif. Sa dignité ne devient jamais de la hauteur ni
de la dureté*, sa modestie n'a rien d'affecté'; son humilité
est sans bassesse *, sa résignation sans abattement ', sa fer-
meté sans obstination •; sa douceur sans faiblesse'', son in-
dignation sans colère*. Son austérité n'exclut pas la ten-
dresse*. Sa franchise ne l'empêche pas d'être prudent et
réservé *°. La promptitude de ses réponses n'ôte rien à la
discrétion de son langage *^ S'il est parfois animé et véhé-
ment dans ses discours, c'est sans se troubler ni perdre la
possession de lui-même *^ Il joint à la haine du péché le
plus tendre amour pour les pécheurs, à la sensibilité la plus
vive une égalité d'àme inaltérable. Toujours bon, affectueux,
accessible à tous, il inspire le respect en même temps que
la confiance ". Son langage, comme sa physionomie, a une
noblesse qui dénote son origine et qui fait sentir son au-
torité **.
En un mot, plus on l'étudié, plus on le reconnaît supé-
rieur à ce que l'humanité a jamais produit d'excellent et de
sublime *^ plus on se sent attiré vers lui parles meilleurs
sentiments de l'âme.
Un auteur protestant, qui a essayé de le comparer avec
celui de ses Apôtres dont on connaît le mieux le génie et la
vertu, conclut ainsi son parallèle : « Entre Jésus-Christ et
* Matth., XXVII, 14; Joan., vu, 46. — 2 Matth., ix, 25; xix, 21. —
3 Luc, vu, 38; Joan., i, 42. — * Maith., xi, 28, 29. — « Matth., xxvi, 46,
53; Joan., xvi, 32. — s Matth., xii, 15. — ^ Matth., xvi, 23; xvii, 19;
XX, 22. — 8 Matth., xxiii, 2, 39. — » Joan., xvii, 15, 24. — *« Matth.,
XXII, 16-23. — 11 Matth., ix, 14-17; xxi, 24. — 12 Matth., ix, 37; xii,
19; xxiii, 37; Luc, iv, 27-30; xix, 41-46; Joan., vi, 27, 32; vu, 37. —
13 Luc, X, 28; Joan., iv, 27; xxi, 12. — 1* Matth., vu, 28, 29; xxvi,
52, 64; Luc, 11, 47; iv, 22, 32; vu, 16; x, 26-28; Joan., vu, 46; viii, 23;
XIII, 13, 14; xviii, 21; xix, il; xx, 27; xxi, 22. ■— i« Marc, vu, 37.
670 QUESTIONS RÉTROSPECTIVES. [n^ 47Ô
S. Paul^ il y a la différence du saint au Saint des saints, de
riiomme divinisé à THomme-Dieu. S. Paul est le digne imi-
tateur du Sauveur : Jésus-Christ est le modèle suprêjne. Le
caractère de S. Paul excite Tenthousiasme : celui du Sau-
veur commande l'adoration, et le silence est le seul éloge
qui lui convienne. » « Quand je contemple ce modèle de
perfection, a dit Lamennais \ ce grand prodige que le monde
n'a vu qu'une fois et qui a renouvelé le monde, je ne me
demande pas si le Christ était Dieu : je serais plutôt tenté
de me demander s'il était homme *. »
* 470. — L'état actuel du monde confirme-t-il ce que r Evangile nous
dit de la vie et de la mort du Sauveur ?
Non seulement le monde civilisé a gardé le souvenir du
Sauveur, mais il est rempli de son culte et de ses oeuvres :
Ecce mundus totus post eum ahiit '. A s'en tenir même au
monde matériel, ne trouve-t-on pas partout des monuments
de son passage ici-bas et de son action ?
L Partout où il y a des chrétiens, on trouve des édifices
sacrés, des églises. Le nombre de ces églises est prodigieux.
Elles sont l'œuvre de tous les âges. Il en est dont l'origine
touche aux persécutions. Il en est qui remontent jusqu'au
premier siècle; car on voit dans les catacombes des sanc-
tuaires où durent se réunir les disciples des Apôtres *. Or, à
1 Indiffér,, xxxv, fin. — 2 cf. Matth., xxvii, 54. Bossuet, H, U»y II, xix;
Aimé, Fondemenls de la religion j part, ii, Conf. 2*,* Masslllon, Serm.
pour la Circoncision y 2* point. — 3 Joan., xii, 19. -^ * Act., xx, 7;
I Cor., XI, 18, 22; xiv, 35, 36. C'est à Rome que sont réunis les monu-
ments les plus nombreux et les plus frappants de rétablissement du
christianisme et de son règne dans le monde. On se trouve là, pour
ainsi dire, sur les confins des deux mondes, du monde ancien et du
monde nouveau. On a sous les yeux les débris du paganisme et les
premières assises de Tédiflce chrétien. A deux pas du Colysôe, les cata-
combes, et dans ces catacombes les tombeaux de plusieurs contempo-
rains des Flaviens et de ïrajan; autour du Capitole, du Panthéon et du
Palatin, les plus anciennes basiliques, les tombeaux de S. Pierre et de
S. Paul, Ste Praxède, Ste Pudentienne, S.. Clément, Ste Agnès, S. Lau-
rent, etc., les temples des dieux transformés en églises, les statues des
apôtres sur les colonnes des empereurs; puis une multitude de monu-
ments se rapportant à toutes les époques deThistoiré ecclésiastique, et
N» 47Ô] SUR f^OtRE SEIGNEUR JESUS-CliRIST. 6H
qui ces sanctuaires sont-ils consacrés? Quelle est la doctrine
qu'on y enseigne? Quels sont les mystères qu'on y célèbre?
Ne sont-ce pas autant de monuments de l'œuvre du Sau-
veur, autant de témoignages de la foi des peuples à la vérité
de l'Evangile?
II. La Judée, où le Sauveur a vécu, est pleine de son sou-
venir. On y montre au voyageur les lieux où se sont accom-
plis ses mystères, l'endroit où il a été conçu, la grotte où il
est né, la rive sur laquelle il a été baptisé, le puits au bord
duquel il s'entretint avec la Samaritaine, le massif d'oliviers
sous lequel il a prié. Mais ce n'est pas seulement sur le
mont des Oliviers, c'est par toute la ville de Jérusalem que
les pèlerins retrouvent la trace de ses pas. Ils voient de
leurs yeux, comme à la fin du premier siècle, l'emplace-
ment du temple où les prêtres résolurent sa mort, les
ruines de la maison d'Anne, le prétoire de Pilate et le palais
d'Hérode, le torrent de. Gédron et le champ du potier, le
tertre du Calvaire et le tombeau creusé dans le roc. Toutes
les scènes de sa Passion ont laissé dans ces lieux l'empreinte
la plus profonde.
Il n'est pas possible d'attribuer à ces croyances une ori-
gine récente ou de les rattacher à des légendes apocryphes;
car si haut qu'on remonte dans le passé, on trouve les
mêmes monuments en honneur et les mêmes traditions au-
torisées et suivies *. « La dévotion des saints lieux, dit
S. Jérôme, dans une lettre de l'an 386 à sainte Paule, est
aussi ancienne que l'Eglise. Elle a commencé avec la foi et
la reconnaissance des premiers chrétiens. Impossible de
faire l'énumération des personnages considérables, des
évéques, des martyrs et des Docteurs qui se sont ici suc-
cédés depuis l'Ascension du Sauveur". » Déjà S. Paul y
attestant d'une manière sensible la divine vertu qui a présidé à réta-
blissement de TEglisc et qui préside à son maintien. Il n'est pas possible
d*avoir ce spectacle sous les yeux sans en rien conclure, sans apprécier
les obstacles qu'il a fallu vaincre et la puissance qui les a vaincus. Aussi
le peuple de Rome persévère-t-il dans sa foi, en dépit de toutes les
excitations et de tous les exemples.
^ Théodoret, H» E.^ I. xvii. — 2 Longum est nunc ab a^censu Domini
672 QUESTIONS RÉTROSPECTIVES. [xN» 470
amenait les premiers gentils qu'il avait convertis *. Jérusa-
lem ayant été saccagée pour la seconde fois en 134, sous
l'empereur Adrien, les païens voulurent étouffer cette dévo-
tion aux lieux sanctifiés par la mort et la résurrectioii du
Fils de Dieu; ils profanèrent les sanctuaires; ils nivelèrent
le mont du Calvaire pour y ériger des autels à leurs divi-
nités ; mais leurs profanations ne firent que rendre ces
lieux plus célèbres et les signaler à la pitié des chrétiens *.
Si l'usage des pèlerinages en fut suspendu, Tinterruption
dura peu. En 212, on voit deux évéques, Alexandre et Fir-
milien, celui-ci de Césarée, celui-là de Flavias en Cap-
padoce, visiter la Palestine. Le premier, que Clément
d'Alexandrie vit à Jérusalem et avec lequel il se lia, pendant
la persécution de Sévère, resta auprès de Narcisse, évéque
de Jérusalem, comme son coadjuteur •; le second profita de
son voyage pour consulter Origène et prendre ses leçons
sur la sainte Ecriture*; car Origène s'est lui-même retiré
en Judée vers cette époque (215) * ; et ce sont les faits dont il
y fut témoin qui lui faisaient dire à Celse, quelques années
après : « Si quelqu'un avait encore des doutes touchant la
naissance du Sauveur, après la prophétie de Michée et les
écrits des premiers disciples, qu'il aille à Bethléem : on lui
montrera la grotte où Jésus-Christ est né, et la crèche où il
reposa enveloppé de langes; il verra ce grand mystère at-
testé et célébré dans les lieux même où il s'est accompli,
tout occupés qu'ils sont par une population infidèle •. »
En 326, sainte Hélène prend possession des anciens sanc-
per sîngulas setateâ currere, qui Episcoporum, qui Martyrum, qui elo-
quentiûm in doctrina ecclesiastica virorum venerint Jerosolymam , pu-
tantes minus se religionis, minus habere scientiœ, nisi in illis Cliristum
adorassent locis de quibus primum evangelium de patibulo coruscaverat.
S. Hieron., Epist. xlvi\ 9; S. Cyrill. Hieros., Caiech.,, xvii, 16.
1 Act., XX, 3, 4. — 2 S. Hieron., Epist., Lvni, 3.-3 Euseb., H. £.,
V, 12, 22^ 22 , VI, 911 ; S. Hieron., de vir, illust., lxii; Boliand. 10 man^
p. 614. Narcisse, qui avait i\2 ans, avait connu S. Siméon, deuxième
évoque de Jérusalem. — * S. Hieron., ibid.^ liv; Martigny, Pèlerinages,
— 8 En 216. — 6 Orig., CmL Cels., i, 51. Cf. S. Justin., DiaL, 78;
Apol.^ 1*, 34; Euseb., Demonst.., iv, 16; vu. 2, 5. S. Joan. Damasc, de
■Imagin, Orat., ii, 16.
N» 470] Stft NOTRE âEIÔNEtJR JÉSUS-CHRIST. 673
luaires, au nom de l'empereur Constantin, et les remplace
par des monuments en rapport avec la munificence impé-
riale. La découverte de la vraie croix redouble en toute
l'Eglise l'ardeur des fidèles pour visiter les saints lieux :
A dorasse ubi steterunt pedes Domini, pars fidei est et quasi re-
centia Nativitatis et Crmis et Passionis vestigia vidisse K II
semble que chaque fidèle s'applique à lui-même les paroles
de l'Ange aux saintes femmes : Venite et videte locum ubi
posuerunt eum ». Dans un Itinéraire dressé pour les habi-
tants des Gaules, par un pèlerin qui a passé à Constanti-
nople, en 333, on trouve indiquées avec précision toutes les
étapes de Bordeaux à Jérusalem, avec les stations d'usage
dans cette dernière ville *. Quelques années plus tard, une
femme riche, docte et pieuse, sainte Sylvie *, abbesse d'une
communauté de religieuses en Provence, écrit pour leur
édification ce qu'elle a vu de plus remarquable, en faisant
ce pèlerinage, de 380 à 384. Elle décrit l'Asie mineure, le
mont Sinaï, l'Egypte, mais surtout les lieux saints de Judée
et de Jérusalem, où elle passa trois ans. Elle dit qu'elle a
passé la semaine sainte en cette ville, et suivi les offices
dans les églises du mont des Oliviers, du Calvaire et de la
Résurrection '. Elle parle de la fente du rocher, du bois et
du titre de la croix. Elle vit S. Cyrille et put l'entendre pro-
noncer ses Catéchèses, En 379, S. Grégoire de Nysse, de
retour du même voyage, signale à son peuple les abus
auxquels il pourrait donner lieu. De 388 à 429, la re-
traite de S. Jérôme à Bethléem et sa réputation accroissent
encore le nombre des pèlerins, en attirant vers lui une foule
de personnes de la plus haute noblesse. « On accourt ici^
écrit-il, de toutes les extrémités du monde ^ On vient de
' s. Hieron , Epist., xlvii, 2. — 2 Matth., xxvni, 6. -* 8 lUnera Hiero^
solymitana^ édités par la Société de l'Orient latin, 1877, 1880. — * Sylvie,
sœur de Flarius Rufin, consul en 392 et Préfet d'Orient sous Théodose
et Arcadius. Voir Pallade, Hiit, Lausiac. (384). — * Son récit, déjà
connu par les citations de Paul, diacre, a été retiwivé en majeure partie
à Arezzo en Toscanne dans un manuscrit du onzième siècle avec le livre
des mystères et quelques hymnes de S. Hilaire.dc Poitiers^ .. 6 De toto
hue orbe concurritur. S. Hieron., Ep, ad Paulin. ^ lviii, 4.
38
674 QUESTIONS HÉTROSPECnVES. [n^ 470
rinde et de l'Ethiopie, de rArménie et de la Perse, de la
Bretagne et de l'Hibernie, de tous les points de l'Orient et
de l'Occident. Toutes les langues célèbrent à la fois la gloire
du Christ sur son tombeau *. »
En 573, S. Grégoire de Tours atteste que les pèlerinages
n'ont pas cessé. Il parle d'un de ses diacres qui est allé à
Jérusalem et d'un hôpital qu'on y a bâti en faveur des
étrangers •. En 808, Charlemagne envoie des aumônes aux
fidèles de cette ville par Zacharie, un des prêtres de son
palais ^. Depuis cette époque, les voyages en terre sainte
sont innombrables. Le moyeu âge a vu les croisades, et
notre siècle revoit les caravanes et les pèlerinages. Or. la
Judée garde toujours les mêmes souvenirs et présente tou-
jours le même aspect *. Jérusalem est toujours foulée aux
pieds»; le temple toujours en cendres; le peu de Juifs qui
vit parmi ces ruines, toujours asservi et toujours en deuil;
et comme S. Cyrille au quatrième siècle, le patriarche actuel
peut dire à ceux qui le visitent : « Ce n'est pas ici qu'il sied
d'être incrédule *. »
III. Entre autres monuments relatifs au Sauveur, il en est
deux qui méritent d'être signalés d'une manière parti-
culière, à cause de leur célébrité et de leur caractère mira-
culeux :
l^ La vraie Croix dont la découverte n'est pas seulement
supposée dans les Cathéchèses de S. Cyrille de Jérusalem
(347), mais encore attestée de la manière la plus expresse
1 Jaxta Salvatoris eloquium : Ubicumque fuent corpus, illuc congre-
gabuntur aquiUe^ concurrunt ad lisec loca. Vox quidem dîssona, sed una
religio. S. Hieron., Epist, xlvi, 10; Brev. rom., il jul. et 6 décemb.y
lect. v; Mammachi, Orig. et Antiq. Christ. ^ t. ii, initio. — s cf. Baro-
nius, Ann, 699, 10. -- a'Eginhard, Annal., ann. 800, 801. — * Quomodo
sedet sola civitas plena populo? Facta est quasi vidua, domina gentium.
Thren., i, 1, 4. Cf. ii, 15; Isai., m, 1-4, 26. A. T., n. 185, dernière mé-
daille. — » Luc, XXI, 24. Jer., Thren., i, 1. Cf. Supra, n. 239, 242. —
ft Si negare voiles, locus istc Golgotha quem cernis, te revincet; arguet
te Caiphse domus; Getbsemani testatur; testatur et lapis ad hodier-
num usque dieui positus. Alii enim audiunt tantuni; nos et videmus
et attingimus. S. Cyrill., Catech,, iv, 10; xiii, 38, 39; xiv, 26. xvi, 4;
XVII, 13. .
îi^ 470] SUR NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. 675
par ce saint Docteur dans sa Lettre à Vempereur Constance^
fils de Constantin (351) \ et confirmée par un grand nombre
d'écrivains de la même époque V Une multitude de parcelles
en furent bientôt détachées, puis dispersées et vénérées dans
toute l'Eglise •.
2° La fente du rocher *, qu'on a montrée de tout temps sur
le mont du Calvaire. S. Cyrille, évéque de Jérusalem, la
signale comme une preuve incontestable de la véracité des
Evangélistes *. S. Lucien, prêtre d'Antioche, martyr sous
Dioclétien, en parle de môme (220-312) *. Ainsi parlent
encore un grand nombre de voyageurs contemporains, aussi
éclairés que consciencieux. On lit dans Les lieux saints de
M«' Mislin : t Tout près de la croix commence une fente
large et profonde qui descend dans le rocher jusqu'au bas
du Calvaire \ » Mandrell, auteur protestant d'une véracité
reconnue, dit : « Que ce déchirement ait eu lieu à la mort
de Jésus-Christ, la tradition seule peut l'établir, mais que
* s. Cyrill., Cf. Catech.y iv, 10 ; x, 19; xiii, 4. Cf. Ann. de phil. chrét,^
Lxxxii, 269. — 2 S. Amb. (f 397), de Obitu Theod^, 41^3; S. Cbrys.,
(f 407), In Joan,f Homil. lxxxv, 1 (398) et Quod Christus sii DeuSj 10
(387); Rufin (f 410), //. £., i, 7, 8; Sulp. Sev. (f 410), H. S., ii, 34;
S. Paulin (f 431), Epist. xxxi; Socrates (f 440), H. E., i, 17; Sozom.
(f 450), i/., II, 1 ; Theodoret (f 458), i, 18. Pour Eussèbe, un grand
nombre rejettent comme apocryphe la mention qui est faite de rinven-
tlon de la Croix dans sa Chronique^ ann. 321 (Cf. Gretser^ de Cruce,
I, 63); mais bien des auteurs aussi croient voir la Croix désignée dans
sa Vie de Constantin, m, 30 (337-340), comme le monument de la
Passion du Sauveur ^ longtemps enseveli dans la tei^e^ to Yvwpi(j|ia tou
ocytcoTxtou exeivou TIaOouc vTto tt) yy) iraXai xpvTCTOjJtevov, et son Invention
rappelée dans le Commentaire du Psaume lxxxvii^ 12, où U parle
des merveilles opérées au sépulcre du Sauveur. Migne, Patrol. grac,
t. XXXin, p. 20. Dans le Voyage aux saints lieux ^ de sainte Sophie,
Supva^ n. 470, on voit que, cinquante ans plus tard, en 379, on célébrait
à Jérusalem, dans Téglise du Golgotha^ le 13 septembre, la mémoire du
jour où l'on avait retrouvé la sainte Croix du Sauveur. Cf. Rufin, H. E,.,
I, viii. Bossuct, H. £/.,!, 2 et Sej^m. 1, pour la Circoncision. — 3 s. Cyrill,
Hieros , Catcch., xxvii, 51 : iv, 10; x, J9; xiii, 4; S. Paulin., Epist. xxxi,
6. — * Matth., XVII, 51. — * No abnoges Cruciflxum. Si abnegaveris,
con.vincet te Golgotha iste sanclus et hucusque conspicuus, usque in
presentem diem fidem faciens quomodo petras propter Christum sint
scissae. S. Cyrill. Hieros., Catech.^ xiii, 39; iv, 9 et 11. — « Rufin.,
IL E., IX, 6. Cf. Euseb., H, E., ix, 6. — ^ Mgr Mislin, t. ii, ch. 23.
676 QL ESTIONS RÉTROSPECTIVES. [n® 471
Tart ou la main des hommes n'y soit pour rien, il suffît
d'avoir (les yeux pour s'en convaincre*, t c Celte déchirure,
que j'ai étudiée avec le plus grand soin, écrit M. Saulcy, est
verticale. Elle forme une ligne ondulée de l'est à l'ouest. La
plus grande largeur est de vingt-cinq centimètres. Il y a
preuve matérielle que cette déchirure n'est pas une veine na-
turelle entre deux couches parallèles. Elle va en diminuant
depuis le haut jusqu'en bas ». » c Je suis de ceux qui peuvent
attester, dit encore M. Poujoulat, que la fente du rocher du
Calvaire n'est pas naturelle, qu'elle est à contre-sens des
veines. »
En présence de ces témoignages et de ces monuments,
comment mettre en question l'existence et l'histoire du
Sauveur? « Si l'on doute de l'Evangile à Jérusalem, dit
Chateaubriand après S. Cyrille, il faut renoncer à croire quoi
que ce soit. »
* 471. — Dans Tordre moral ot religieux, restc-t-il des traces aussi sen-
sibles de la vie et de l'action du Sauveur?
Il en est de plus frappantes encore pour ceux qui réflé-
chissent.
I. Son Eglise, d'abord. Elle est devant nous, avec ses
millions de membres, avec son organisation, son sacerdoce,
sa discipline, sa foi. L'existence de cette Eglise suppose celle
du Sauveur. Elle la suppose pour deux raisons : — !• Parce
que la vie du Sauveur est l'objet de sa foi et de son culte,
qu'elle en atteste la réalité, comme un fait dont elle a cons-
cience, et que son témoignage est irrécusable, plus
irrécusable encore sur ce point que l'existence de Dieu ou
l'immortalité de l'âme. Si inultitudini credendum esiy dit
S. Augustin, quid copiosius Ecclesia toto orbe diffusa? Si
divitibm credendum est^ attendant quot divites cepit; si pau-
peribus credendum est, attendant pauperum millia; si régi-
bus, videant omnes subditos Christo; si eloquentioribus, doc-
tioribm, prudentioribus, intueantur quanti oratores, quanti
1 Cf. Addisson, De la religion chrétienne, ii, — * Diçtionn, des Aniiq*
NO 471] SUR NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. 677
philosophi hujus mundi a nostris piscatorilms irretiti sivU '/
— 2* Parce que si Jésus-Christ n'avait pas existé et s'il
n'avait pas fait les grandes œuvres rapportées dans l'Evan-
gile, cette Eglise n'existerait pas ; on ne pourrait expliquer
ni sa fondation, ni ses progrès, ni son nom, ni sa durée, ni
son action '. II n'est pas besoin de remonter tout le cours
d'un fleuve pour être sûr qu'il a une source.
II. La littérature chrétienne. — On ne saurait trouver
dans les productions de l'esprit humain un monument com*
parable à ces milliers d'ouvrages du plus haut mérite,
composés par les meilleurs auteurs chrétiens, c'est-à-dire
par les plus grands génies et les plus belles âmes qui aient
honoré le genre humain depuis dix-huit siècles, saints
Pères, Docteurs, théologiens, prédicateurs, moralistes, phi-
losophes, apologistes, ascétiques. Qui peut dire ce qu'un tel
monument suppose d'études, de recherches, de réflexions,
de discussions, par conséquent de sagesse, de lumière, de
connaissances en tous genres '? Combien doit être certain,
solide, évident, ce que tous ces grands hommes affirment
unanimement, ce qu'ils tiennent pour constaté, pour indu-
bitable, ce qu'ils proclament ou supposent dans tous leurs
écrits, ce dont ils font l'objet de leur foi, la base de leur doc-
trine, la règle de leur vie *? Or, ce sur quoi ils s'accordent
tous, ce qui fait le fond de toutes leurs convictions, leurpoint
de départ dans la pratique comme dans la science, n'est-ce
pas la vérité de l'histoire évangélique, l'existence et la divi-
nité du Sauveur du monde? Ils ont pu se diviser sur des
questions secondaires : mais pour ce point fondamental, pour
1 s. Aug., Serm. u, 4. — 9 Hec multitudo paucitas fuit. Unde crevit
bsec muititudo? nie qui discipulos suos piscatorcs fecit,intra sua retia
omne genus auctoritatis inclusit. S. Aug., Ibid. Auctor nominis, Ghris-
tus. Tacit., Ann. XV, 44. Cf. Isai., lxii, 2; Act., xi, 26.
s DiscDssi, fateor, sectas atientias omnes;
Plorima qacaivi, per siogula qoœqae caearri.
Et nihil in?eni melios qaam credere Christo.
s. Paaliù., Pœm, uUim.
* Si me deprehcnderis errantem, patere me, quœso, orrarc cum talibus.
S. HiOFO»..
38.
678 QUESTIONS RiTOOSPËCriVES. [n« 471
l'existence du Christ, pour sa personnalité, pour sa vie et sa
mort, n'auraient-ils pas regardé comme une folie d'en faire
l'objet du moindre doute ?
III. Tout ce qu'on peut voir de surnaturel ou de miracu-
leux dans riiistoire de l'Eglise ou dans la vie de ses
membres. — Combien de faits de ce genre, depuis dix-huit
siècles? En premier lieu, la conversion du monde ancien :
d'idolâtre qu'il était, il est devenu chrétien. En abjurant ses
croyances, il a dépouillé ses instincts et transformé ses
mœurs. C'a été le commencement d'une ère nouvelle et
d'un nouveau monde *, sicut cœli novi et terra nova *. — Puis,
mille faits analogues, moins frappants sans doute, parce qu'ils
s'opèrent sur des individus, mais également inexplicables
sans l'intervention divine : des conversions complètes d'es-
prit et de cœur, tantôt subites comme celle de Saul ', tantôt
lentes et réfléchies comme celle d'Augustin ; des prodiges de
sainteté dont on n'avait pas l'idée; des vertus autrefois
ignorées qui deviennent communes et qui s'élèvent jusqu'à
l'héroïsme ; et cela dans tous les états comme à tous les âges,
au milieu du monde comme dans le sacerdoce, comme .dans
le cloître; des institutions saintes, variées dans leur forme,
innombrables dans leur objet, toutes inspirées par l'esprit de
charité et dans lesquelles une multitude de personnes font
à l'envi, pour la gloire de Dieu et la sanctification du pro-
chain, un sacrifice complet et irrévocable de leurs biens,
de leur liberté et de leur vie*; enfin des miracles sans
* Traxisti, Domino, omnia ad te, et cum expandisses tota die maous
tuas ad populum non credentem et contradicentem tibi, confitend» nia-
jcstatis tuae sensum totus mundas accepit. S. Leo^ Setin. lix, 7, de
Pass. Dom,f 7. Nunc totius muodi una vox Christas est. S. Uieron.,
Epist, Lx, 4.-8 Isai., lxvi, 22; Apoc, xxi, 1. — 3 Orig., Cont. Cels.,
1, 68. — ^ Dieu a permis qu'on exhumât de nos jours une cité payenne
ensevelie subitement il y a dix-huit siècles dans une éruption du Vé-
suve. Qu'a-t-on trouvé sous son linceul de cendres et de laves? Tout ce
qui atteste le luxe et l'opulence, tout ce qui peut faire l'orgueil et les
délices d'un riche do la terre, des palais et des forums , des cirques et
des théâtres, des bains et des fontaines, des statues et des portiques,
on le trouve là en abondance ; mais un hospice pour les malades, un
refuge pour les infirmes, une maison de secours pour les pauvres, ce
N^* 471] SUR NOTRE SEIGNEUR JESUS-GHRIST. 679
nombre, sur lesquels on peut discuter plus ou moins dans le
détail, mais qu'il serait déraisonnable de rejeter en masse
comme autant d'illusions ou d'impostures * ; des lumières
admirables, évidemment célestes, souvent prophétiques, ac-
cordées, à une foule d'âmes, même aux plus simples, quand
elles sont ferventes et pures... • — Tous ces faits et une foule
d'autres du même genre, auxquels nous ne réfléchissons pas,
tant ils sont communs, ne démontrent-ils pas que nous
vivons sous une influence surnaturelle, dans d'autres con-
ditions que les peuples infidèles avant Jésus-Christ? Et
comment les expliquer autrement que par la rédemption,
par la vertu de l'Homme-Dieu, par l'action persévérante de
son Esprit dans les âmes •? On l'a dit avec raison : t Une
sœur de charité prouve un Dieu sauveur aussi réellement
qu'une fleur des champs prouve un Dieu créateur *. » Mais
combien plus des milliers de saints, d'apôtres, de martyrs,
de vierges, de thaumaturges! Combien plus un crucifix
vivant, comme S. François d'Assise ! t II n'est pas moins
visible, historiquement, dit le P. Gratry, que Jésus-Christ
qu'on rencontre aujourd'hui partout, dans nos moindres bourgades, vous
en chercheriez en vain la trace. On nen avait pas Tidée à cette
époque. La charité était si peu connue qu'on n*en savait pas encore
le nom.
i Quand nous disons aux incrédules qu'un seul miracle suffirait pour
établir la religion, ils répondent qu'une seule contradiction ou une
seule erreur en matière de foi suffît pour la ruiner. Mais ils ne font pas
attention à cette différence, que nous avons des milliers de miracles
constatés par des milliers de témoins, et qu'ils n'ont pas une seule
erreur quils puissent donner pour démontrée, ou dont Tévidence ne
soit niée par les hommes les plus intelligents et les plus désintéressés^
Bien plus, l'impuissance où ils sont de nous citer une seule contradic-
tion ou une seule erreur manifeste , dans la religion chrétienne , n'est-
elle pas une preuve convaincante de sa divinité? Si c'était une œuvre
d'homme, comment serait^cUe exempte des défauts inhérents à toute
œuvre purement humaine? Supra ^ n. 452, 462. — s Inspiratio omnipo^
tentis dat intcUigentiam. Job., xxxii, 8. S. Aug., de UliliL credendi,
34, 35. Cf. Oictionn. de mystique chrét, passim. — 3 Habitare in cor-
pore animam probant vitales motus corporis; habitare in anima Spiritnni
JSanctum probat vita spiritualis; illud ex visu et auditu dignoscitur;
Istad ex caritate, humilitate, cœterisqne virtutibus. S. Bern., Seivn, de
Dedic, I, 2. — * Mootalembert, Moines d*Occidenty Prief.
680 QUESTIONS RÉTROSPECTIVES. [n<> 472
est la lumière du monde S ou que notre civilisation a le Christ
pour auteur, qu'il est visible, géographiquement, qu'elle a
pour théâtre l'Europe. L'œil du corps voit le globe terrestre,
moitié dans la lumière et moitié dans la nuit : la moitié lumi-
neuse est celle qui fait face au soleil. De môme il y a dans le
genre humain qui couvre le globe, la partie éclairée et la
partie obscure : la partie éclairée est celle qui regarde le
Christ, et la partie obscure celle qui ne l'aperçoit pas. i Aussi
tous les peuples civilisés datent-ils leur ère du jour où Jésus-
Christ est né.
472. — D'où vient qu'on voit encore, au sein du cfaristianismei des
liommes qui refusent de croire en Jésus-Christ ?
I. Quelle que soit la raison qui empêche un certain
nombre d'esprits de croire en Jésus-Christ, un chrétien
ne doit pas se laisser ébranler par leur incrédulité. Il ne
doit pas même en être surpris; car ceux qui ne croient
pas en Jésus-Christ ne croient guère plus en Dieu , ni à
la vie future; et Notre Seigneur, qui avait prédit l'infidé-
lité de ses compatriotes *, a prédit aussi qu'ils auraient des
imitateurs •.
Niliil movcor quod pars hominum rarissima clausos
Non aperit sub luce oculos et gressibus errât,
Quamîibet illustres titulis et noraine clari.
Prudbnt., ConL Symmach.
II. Les causes de cet aveuglement sont toujours les mômes.
C'est avant tout l'ignorance en matière religieuse : un grand
nombre ne croient pas à la religion parce qu'ils n'en ont
•jamais étudié les preuves *. Ce sont ensuite les préventions
de l'esprit, les préjugés : Numquid ex prindpibm aliquis
1 Sol intelligentiœ. Sap, y, 6. n règne par sa doctrine comme le soleil
par sa lumière. Joan., xviii, 37, 38. — » Job., xxi, 14, 15 Matth., viii,
10-12; XI, 16-26; xiii, 14, 15; Marc, iv, 11, 13; Luc , xiii, 28, 29, 35;
XVI, 31; XXII, 67; Joan., v, 43-47; vm, 21, 24; ix, 39-41; xn, 37-40.
Cf. Isai., XXIX, 9; Jer., viii, 7. — » Matth., xi, 25; xm, 30; Marc.,
XVI, 16; Luc, xviii, 8; Joan., m, 20; v, 44; ix, 39. — ♦ On peut appli-
quer à la religion ce que TertuUien dit de la divinité du Sauveur : Qui
studuerit intelligere, çogetur et credere. Apohg, 2U
NO 472] SUR NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. 681
credidit in eum »? ou bien les passions du cœur : Torgueil de
la science: Nisi videro, non credam^; et le désordre des
mœurs : Qui maie agit odit lucem '. Si Notre Seigneur se
donnait seulement pour docteur, tout le monde rendrait
hommage à ses lumièfes et applaudirait à sa doctrine; mais
H prétend être législateur et juge ; avec l'adhésion de l'es-
prit, il exige la soumission de la volonté. G'est ce qui fait dif-
ficulté. Tout ce cpii nous condamne nous déplaît, et l'on ne
trouve rien de clair quand on a intérêt à douter de tout. Il
en serait autrement si l'on était éésintéressé. Une âme pure,
humble, docile, qui met en pratique les conseils du divin
Maître, ne voit rien que de croyable dans sa doctrine et dans
ses œuvres *.
m. S'il est parmi nous beaucoup d'hommes instruits qui
refusent à Jésus-Christ l'hom^nage de leur foi, on n'en voit
plus guère qui osent lui refuser leur respect '. Tel qui n'a-
dore pas en lui le Verbe divin révère au moins le sage. Nul
ne le confond avec les faux Messies qui ont cherché à le sup-
planter. Un savant, dont la science se résout en doutes et en
paradoxes, qui s'est fait l'historien du Sauveur pour lui con-
tester toutes ses œuvres, n'a pas laissé d'écrire : « Jésus
est l'honneur commun de tout ce qui porte un cœur
d'homme. La conscience universelle lui a décerné avec
justice le titre de Fils de Dieu •. » Un autre écrivain qui a
tenu, de nos jours, le sceptre de la critique dans le domaine
littéraire, et que son incroyance n'a pas empêché de par-
venir au faîte des distinctions académiques, a tracé ces
mots qui le condamnent : « Prenez les plus grands des mo-
* Joan., vu, 48. — * Joan., xx, 25. Cf. Prov,, xxv, 27. 1 Cor., i, 19, 20.
Non crédit in humilem Deum Jïomo superbus. S. Aug., Serm. cxliv, 1.
— 3 Joan., III, i9, 20. Cf. I Cor., n, 14. — * Jac, iv, 8. Cf. Ps. xcii, 5;
Joan., VII, 17; viii, 47; Brev , hjun.^ S. Bonif., Icct. vii-ix; S. Aug., de
vera Relig.^ passim., Massillon, Sur les doutes de la religion; sur la
vérité .de la religion^ etc. ; Lacordaire, Confer. xv, lviii. Supt^a, n. 228,
452. Infra^ 563, 661. — s Tanta est ejus gratia ut multi qui in eum non
crcdunt, propterea dicant nolle in eum credere, quia nemo potest im-
plere quod jubet. S. Aug., In Ps, cm, Sei^m, m, 13. — ^ ]Vf, Renan, Vie
de Jésus,
682 QUESHONS RÉTROSPECTIVES. [n« 472
dernes antichrétiens, Frédéric, Laplàce, Gœthe, quiconque
a méconnu Jésus-Christ, regafdez-y bien : dans le cœur ou
dans l'esprit, il lui a manqué quelque chose. Ceux qui le
nient absolument en portent la peine ^ >
Nous ne donnons pas ces paroles cbmme un digne hom-
mage rendu au Sauveur ; car au fond de ces respects, il y
a encore un basphème ' ; mais nous les citons comme un
aveu forcé de sa grandeur et de sa sainteté surhumaines.
* Sainte-Beuve. Cf. Matth., xxi, 44. Voltaire et Béranger; allégués ^
rencontre par M. Havet {\*' av7*il 1881), n'infirmeront pas ce jugement.
— 2 Non attendas osculis, sed cave venenum. S. Cyrill. Hier., Catech,^
VI. Cf. Marc, i, 24; Luc, iv, 41. De Maistre, Considérations, ch. v, fin.
— 3 Sceau des catacombes, donné par Perret. Au milieu, le monogramme
de Notre Seigneur, et à l'entour ces mots : Spes in eo.
HISTOIRE DE NOTRE SEI&NEDR JÉSUS-CHRIST
S£LON LES QUATRE EVANGILES.
1. Préface à Théophile.
s. Matth.
S. Marc.
S. Luc.
• • * • •
1 1-14
S. Jean.
l'« Partie. — Vie cachée de Notre Seigneur : Ses trente
premières années.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
15.
16,
17.
18.
19.
20.
21.
22.
Le Verbe : sa génération éternelle.
S. Jean Baptiste annoncé à Zacharie.
Annonciation de la sainte Vierge.
La Visitation.
Naissance de saint Jean-Baptiste.
Soupçons de saint Joseph.
Naissance da Sauveur.
Circoncision.
Adoration des Mages.
Présentation au temple.
Fuite en Egypte. Massacre des Inno-
cents.
Généalogies.
Retour d'Egypte.
Jésus parmi les docteurs.
Sa vie à Nazareth.
Prédication et baptême de saint Jean.
l«r témoignage de S. Jean à N. S.
Baptême du Sauveur.
Jeûne et tentation au désert.
Second témoignage de Jean-Baptiste.
Troisième témoignage.
•
1 5-25
1 26-38
1 39-56
1 57-80
2 1-20
2 21
2 2-39
3 23-38
2 41
2 42-50
2 50-52
3 1-14
3 15-17
3 21-23
4 1-13
1 19-25
2 1-12
2 13-18
1 1-n
2 19-23
3 1-10
3 11-12
3 13-n
4 1-10
1 1-6
1 7-8
1 9-11
\ 12-13
1 1-14
\ 28
1 15
1 19-28
! 29-34
2* Partie. — Vie publique de Notre Seigneur : Sa prédication.
(An 30-33.)
23. Premiers disciples à la suite de N. S.
24 . Jésus fait son premi.er miracle à Cana.
S5. 11 se retire à Caphamaûm.
Première Pftqae.
26. Jésu3>Christ se rend à Jérusalem.
27. 11 chasse les vendeurs du temple.
1 35-51
2 1-11
2 12
2 13
2 14-17
684
*^,
JESUS-CHRIST SELON L EVANGILE.
28.
29.
30.
31.
3î.
33.
34.
35.
36.
37.
38.
39.
40.
41.
42.
43.
44.
45.
46.
47.
48.
49.
50.
Ses paroles et sa conduite après
celte action.
Son entretien avec Nicodème.
4« témoignage de Jean-Baptiste.
Emprisonnement de S.Jean-Baptiste.
Entretien avec la Samaritaine.
Retour en Galilée.
Second miracle à Cana<
Retour à Capharnaiim.
Prédication aux alentours.
Synagogue de Nazareth.
Démoniaque de Capharnaiim.
Belle -mère de saint Pierre guérie.
Tournée dans la Galilée.
Avis aux disciples.
Pèche miraculeuse de S. Pierre.
Tempête apaisée.
Possédés de Gadare.
Retour à Capharnaûm. •
Guérison d'un Paralytique. ■
Vocation de S. Matthieu.
Fille de Ja'ire et hémorrholsse.
Deux aveugles guéris.
Possédé muet.
S.Matth.
S. Marc.
S. Luc.
iV 3-4'
V 17-1*8
3 19-20
4 12
*l*lV "
• . • •
4 14
4 13-16
1 22
4 17
4 14-15
4 16-30
4 31-37
• . • • •
1 23-28
8 14-17
1 29-34
4 38-41
4 23-25
1 35-39
4 42-44
8 19-22
9 57-62
4 18-22
1 16-20
5 1-11
8 23-26
4 36-40
8 22-26
8 28-34
5 1-20
8 26-39
9 1
2 1
9 2-8
2 2-12
5 18-26
9 9-13
2 13-17
5 27-32
9 18-26
5 21-43
8 40-46
9 27-31
9 32-34
11 14
S. Jean.
8«cond« PflquA.
Ôl. Piscine probatique.
52. Epis rompus le jour du sabbat.
53. Main aride guérie le jour du sabbat.
54. Miracles et bonté du Sauveur.
55. Choix des Apôtres.
56. Sermon sur la montagne.
57. Lépreux guéris. "
58. Serviteur ducenturloh guéri*. *
59. Le fils de la veuve de Naïm ressuscité.
60. Disciples de saint Jean-Bapliste de-
vant Notre Seigneur.
61. N. S., Simon et la pécheresse.
62. Les femmes • pieuses «t- leurs libéra-
lités.
63. Ses parents veulent s*«ro parer de lui:
64. Démoniaque aveugle et muet.
65. Blasphème contre le Saint-Esprit.
66. Signes.de Jonas. . . ....
jB7. Ninivites et reioe de Saba. -
12 18
12 9-14
12 15-21
*5* 'l-T
8 2-4
8 5-13
2 23-28
3 1-16
3 7-12
3 13-19
1*40-45
6 1-5
6 6-11
6 12-16
6 17-49
5 12-44
7 1-10
7 11-17
*
7 18-35
7 36-50
8 2
11 14-32
H 1-30
12 22-50
12 30
12 39-41
12 42
3 20-21
3 22-25
3
3
3
4
4
4
18-23
1-21
22-36
4-
•42
43
46-54
5 1-47
GONGOIU)E DES EVANGILES. .
<>85
s. Matth.
S. Marc.
S. Luc.
s. Jean.
68. Esprit immonde chassé de son re-
paire.
i2 43
•
69. Beatus venter!
12 45-50
8 20-22
70. Parabole de la semence.
13 3-23
4 2-25
8 4-18
71. Lampe sous le boisseau.
5 15
4 21
8 16
72. Zizanie.
13 24-43
73. Graine qui germe.
4 26-29
74. Sénevé.
lV31-3'2
4 30-34
75. Levain.
13 33
76. Trésor caché.
13 44
77. Perle.
13 45-46
78. FUet.
13 47-51
79. Jésus revient à Nazareth.
13 53-58
6 1-6
80. Discours aux apôtres; mission.
9 35-11
6 7-13
9 1-6
81. Mort de saint Jean-Baptiste.
14 1-12
6 14-29
9 7-9
82. Multiplication des cinq pains.
14 13-21
6 30-44
9 10-17
6 1-15
83. Jésus fuit les honneurs et marche
sur les flots.
14 22-36
6 45-58
6 16-21
RA PrAmi^eop Aa rG!n(*hârÎAtîP
6 22-72
QT. A lUUlvBSC UC 1 wUvUaiiBllC
^r •■■■ p ■■
Troialèmo Piqua (Joan., ti, 4).
85. La vraie pureté est intérieure.
86. Ghananéenne aux. environs de Tyr.
87. Sourd et muet guéri.
88. Multiplication des sept pains.
89. On demande des signes.
90. Levain des pharisiens.
91. Aveugle guéri àBethsaïde.
92. Pierre, fondement de TEglise.
93. Passion prédite; Pierre repris.
84. Transfiguration.
95. Lunatique guéri.
96. Nouvelle prédiction de la Pas-
sion.
97* Dernier séjour à Gapharnaûm; di-
drachme.
98. Rivalité des apôtres.
99. Scandale.
100. Brebis perdue; drachme; prodigue.
loi. Correction fraternelle.
102. Pardon des injures.
103. Fête des tabernacles. Jésus à Jé-
rusalem»
104. Il passe par la Samarie.
105. Les dix lépreux.
in.
15 1-20
15 21-28
15*31-39
16 1-4
16 5-12
16 13-20
16 21-28
17 1-13
17 14-20
17 21-22
17 23-36
18 1-5
18 6-11
18 12-14
18 15-20
18 21-35
7 1-28
7 24-30
7 32-37
8 1-10
8 11-13
8 14-21
8 22-26
8 27-30
8 31-39
9 1-12
9 13-28
9 29-31
9 32-40
9 41-50
9 18-21
9 22-27
9 28-36
9 37-43
9 44-45
9 46-50
15 1-32
9 51
9 52-56
17 12-19
1 2-10
3d
686
jéSUS-GHRIST SELON L^ÉVANGILE.
106. Il prêche aa temple : ses ennemis
divisés.
107. Il reyient an temple. Femme adal-
tère.
108. Il affirme sa divinité.
109. Gnérison de Taveugle né.
110. Bon pasteur.
111. Mission des 72 disciples et retour.
112. N. S. rend grâces à son Père.
113. Le bon samaritain.
114. Jésus chez Marthe et Marie.
115. Manière de prier : persévérance.
116. N. S. chez un pharisien : Vxl
117. Exhortation : Riche qui a fait une
bonne récolle.
118. Pénitence, figuier stérile; para-
bole.
119. Porte étroite. Piège d'Hérode.
120. Notre Seigneur chez un pharisien
un jour de Sabbat.
121. Fête de la dédicace.
122. L*économe infidèle.
123. Le mauvais riche.
124. Avènement du règne de Dieu.
125. Prière; veuve; pharisien et publicain
126. Mariage et célibat.
127. N. S. bénit des enfants.
128. Jeune homme bon, mais riche.
129. Récompense assurée aux apôtres.
130. 'Ouvriers de la vigne.
131. Maladie et résurrection de Lazare.
s. Matih.
{{ 25-30
23 37-39
10 37-42
19 1-12
19 13-15
19 16-26
19 27-30
20 1-16
S. Marc
10 1-12
10 13-16
10 17-27
10 28-31
S. Luc.
10 1-20
10 21-24
10 25-37
10 38-42
11 1-13
11 37-54
12 1-59
13 1-21
13 23-35
14 1-35
16 1-18
16 19-31
17 20-37
18 1-14
16 18
18 15-17
18 18-27
18 28-30
S. Jean.
7 U-53
8 1-11
8 12-59
9 1-41
10 1-31
10 2-42
1 11-45
3« Partie. — Derniers jours du Sauveur : Sa vie souffrante et glorieuse,
(An 33, man^yril.)
!• PRÉLUDES.
132. Mauvais desseins des Juifs.
133. Jésus annonce sa passion.
134. Demande des fils de Zébédée.
135. Aveugles de Jéricho.
136. Zachée.
137. Parabole des mines.
138. Jésus chez Lazare à Réthanie.
139. Repas chez Simon.
20 17-19
10 32
18 31-34
20 20-28
10 35-45
20 29-34
10 46-53
18 35-43
19 1-10
19 11-27
U 3
26 6-13
14 3-9
11 46-56
12
12
1-2
2-U
CONCORDE T>RS EVANGILES*
687
s. Matth.
s. MftFO.
S. Luc.
s. Jean.
140. Sbhaihb «âihti. Dimanche, En-
trée à Jérasalem.
21 1-11
il 1-11
19 29-14
12 12-19
141. Retour à Béthanie.
21 n
11 11
142. Lundi. Jésus rentre à Jérusalem.
Figuier maudit.
21 17-19
Il 12-14
143. Il cliasse les vendeurs du temple.
21 12-16
11 15-18
19 45-48
144. Retour à Béthanie.
Il 19
145. Mardi. Figuier desséché.
21 20-22
11 20-26
146. « Par quelle autorité? »
21 23-27
H 27-33
20 1-8
147. Les deux fils.
21 28-32
148. Les locataires delà vigne.
21 33-46
12 1-12
20 9-19
149. Les invités aux noces.
21 1-14
150. Les hérodiens et Timpôt.
22 15-22
12 13-17
20 20-26
15i. Les saducéenset la résurrection.
22 23-33
12 18-27
20 27-40
152. Le grand commandement.
22 34-40
12 28-34
153. Le Christ, Fils et Seigneur.
22 41-46
12 35-37
20 41-44
154. Sur les scrihes et les pharisiens.
23 1-39
12 38-40
20 45-47
155. La veuve et ses deux deniers.
12 41-44
21 l-r
156. Prophétie sur Jérusalem.
24 1-51
13 1-37
21 5-28
157. Parabole des dix vierges.
25 1-13
158. Parabole des talents.
25 14-30
159. Le jugement dernier.
25 31-46
160. Des Gentils veulent voir Jésus.
12 20-36
^^ ^^ ^^ • 4M ^^ "^ ^^ ■• ■• • • • w^ w ^0 mm m ^# •• w w ^^ • K ^ ^0 mm %lm •r ■
161. Réflexion de saint Jean.
• • • • •
1 Ai mmv v\m
12 36-50
162. Jésus prédit sa mort prochaine.
26 1-2
163. Mercredi. Conspiration contre Jé-
sus.
26 3-5
14 1- 2
22 1-2
164. Judas s'engage à livrer son maître.
26 14-16
14 10-11
22 3-6
Quatrième Fèqne.
165.
166.
167.
168.
169.
170.
171.
172.
173.
714.
Jeudi. Gène légale.
Le Sauveur lave les pieds des^apôtres
Institution de TEucharistie.
Quel sera le traître?
Notre Seigneur l'indique à Pierre.
Prétention et débat des apôtres.
Commandement nouveau.
Fuite des apôtres et reniement de
Pierre prédits.
Discours après la Gène.
Prière solennelle dlu Sauveur.
26 17-20
14 17-25
22 14-18
26 26-28
26 21-25
14 22-24
14 18-21
22 19-20
22 21-23
22 24-30
26 31-35
14 27-31
22 31-33
13 1-20
13 21-22
13 23-30
13 31-35
13 36-38
14 16
17
175. 'Jardin des Oliviers.
176. Prière et agonie du Sauveur.
2« PASSION.
26 36
26 37-46
14 32
14 32-42
22 39-40
22 41-46
18 1
688
9Ji,
JEStS-CHRIST SELON L EVANGILE.
s. Matth.
s. M&rc.
S. Lac.
s. Jean.
177. Arrestation do Saavenr.
178. Il est conduit devant Anne.
26 47-56
14 33-52
22 47-53
18 2-12
18 13-14
179. Et aussitôt après, devant Caîphe.
180. Il est interrogé et souffleté.
181. Faux témoins.
182. Il se dit fils de Dieu et est con-
damné.
183. Reniement et repentir de S. Pierre.
184. Outrages faits au Sauveur durant
la nuit.
26 57-58
14 53-54
22 54
18 13-16
18 19-23
26 60-62
26 63-68
26 69-75
14 55-61
14 61-65
14 66-72
22 55-62
22 63-65
22 66-71
23 1
23 2-5
23 6-12
23 13-25
18 25-27
185. Vendredi. Sanhédrin.
186. Jésus amené à Pilate.
187. Mort de Judas.
188. Jésus devant Pilate.
189. Jésus devant Hérode.
27 1
27 2
27 3-10
27 11-14
15 1
15 1
15 2-5
18 28
18 29-38
190. Barrabas préféré à Jésus.
191. Flagelkition et couronnement d'é-
pines.
192. Ecce homo.
27 15-26
27 26-31
15 6-15
15 15-20
18 39-40
19 1-3
19 4-8
193. Nouvel interrogatoire de Pilate.
194. Condamnation du Sauveur.
195. Simon de Gyrëne.
196. Saintes femmes.
(9 12
27 26
27 32
15 15
15 21
23 23
23 25
23 27-31
23 33
19 13-16
197. Crucifiement.
198. La mère de Jésus.
27 32-38
. • . • .
15 22-28
19 17-24
19 25-27
199. Insulteirau Sauveur.
200 Le bon larron.
27 39-44
15 29-32
23 25-39
23 40-43
23 46
23 44-45
23 47-49
201. Dernier soupir du Sauveur.
202. Ténèbres et autres prodiges.
203. Centurion et autres spectateurs.
204. Le côté ouvert.
27 50
27 45-53
27 54-56
15 37
15 33-38
15 39-41
19 28-30
19 31-37
205. Sépulture.
206. Garde du Sépulcre.
207. Les saintes femmes achètent des
aromates.
27 57-61
27 62-66
15 42-47
23 50-55
23 56
19 38-42
208. Samedi, Repos ; achats d'aromates
le soir.
16 1
3« GLORIFICATION.
209. Dimanche. Résurrection. Saintes
femmes au tombeau.
210. Apparition d'anges.
211. Pierre et Jean au sépulcre.
212. Jésus apparaît à Madeleine.
213. Il apparaît aux saintes femmes.
28 1-2
28 2-7
16 2-4
16 5-7
21 1-2
24 4-8
24 12
28 8-10
16 9-iO
20 1
20 3-10
20 li-18
CONCORDE DES EVANGILES.
689
214. Les gardes et les princes des prê-
tres.
215. Apparition à Pierre.
216. Apparition d'Emroaûs.
217. Apparition aux dix apôtres.
218. Apparition à Thomas et aux dix
autres.
219. Apparition du lac de Tibériade.
220. Apparition sur une montagne de
Galilée.
221. Apparition k Jérusalem; dernières
paroles de Jésus.
222. Ascension.
223. Travaux des apôtres.
224. Epilogue.
s. Matth.
28 11-15
. . . • •
28 16-20
s. Maro.
16 12-13
16 14-18
16 19
16 20
S. Lao.
24 35
24 13-35
24 36-43
24 44-50
24 51-53
S. Jean.
20 19-23
20 24-29
21 1-24
20 30-31
21 24-25
PIN.
39
TABLE DU Iir VOLUME '
INTRODUCTION AU NOUVEAU TESTAMENT.
.... ,
CHAPITRE I. — Du Nouveau Testament en général ... 1
Parties dont il se compose 3
Texte original ....••...••.... iO
CH4P1TRB II. — Des systèmes rationalistes par rapport au
Nouveau Testament ^ • • • 32
Exposition ...••.; 32
Réfutation ; ... ; 46
CHAPITRÉ lïl. — De V étude du Nouveau Testament ... 80
Importance et méthode 80
Commentaires et versions 87
• JÉSUS-CHRIST SELON L'ÉYANGILE
PRÉLIMINAIRES.
1* De TEvangile en général et de Tétude qu'il faut en faire . 107
Titres, ordre, division des évangiles \01
Autorité de l'histoire évangélique 115
Chronologie et géographie 120
Beauté des évangiles . • .' • 128
2® Des évangiles en particulier 133
S.Matthieu ; 133
S. !Marc ; . . . 146
S. Luc :....;:.:. : 155
s. ^ean . . • i 164
1 Comme nousADQODçons farement nos dlTlnont dans le coun de ce Tolome, nous
prions qu'on en touille bien prendre connaissance à Tavance, en consultant cette table.
692 TABLE DES MATIÈRES.
PREMIERE PARTIE.
DK l'iKGAAHATIOH du YBRBB a la PBÉDIGATIOH DB L*iyAH6ILI.
CHAPITRE I. — Venue du FiU de Dieu dans le monde. . . 187
Art. I. — Attente du Messie 187
Art. II. — Origine divine du Messie 192
Art. III. — C!onoeption du Précurseur 203
Art. IV. — Annonciation de la Vierge . 205
Art. V. — Visitation 214
Art. VI. ^ Naissance de saint Jean-Baptiste 218
Art. VII. — Retour de la sainte Vierge à Nazareth ... 219
CHAPITRE U. — Enfance et première jeunesse de Notre
Seigneur .» 226
Art. I. — Naissance de Notre Seigneur. .,,..• 226
Art. II. — Grénéalogies 230
Art. III. — Adoration des Mages. 239
Art. IV. — Présentation au temple 244
Art. V. — Fuite en Egypte et retour 247
Art. VI. — Jésus-Christ parmi les docteurs . • • . • 249
CHAPITRE III. — Préparation prochaine à la prédication
de l'Evangile 252
Art. I. — Prédication de saint Jean-Baptiste 252
Art. II. — Baptême de Notre Seigneur 256
Art. III. -*- Notre Seigneur au désert 258
DEUXIÈME PARTIE.
PRÉDICATIOH DB l'ÉVANGILB.
CHAPITRE I. — Faits de cette période 26i
Art. I. — Fais naturels, l 261
§ I. Saint Jean-Baptiste . .' 270
§ II. Les [apôtres ... 1 276
§ III. Saint Pierre . , : . . . . 288
§ IV. Nicodôme . • 1 ; . • . . 293
§ V. Sainte liîadeleine J . , . • 299
§ VI. Les paients de Notre âeigneur 302
§ VII. La samaritaine et la femme adultère • . • « • 308
TABLE DES MATIÈRES. 693
§ VIII. Les profanateurs du temple 316
§ IX. Les Hérodes et les hérodiens 317
§ X. Les saducéens 319
§ XI. Les pharisiens ^ 320
Art. II. — Faits surnaturels 326
§r. Délivrance ^es possédés 328
§ 1^. Miracles proprement dits 335
1 . Miracles sur la nature . • . . 337
2. Guérisons 352
• • • »
3. Résurrections 359
§ III. Prophéties 368
i . prophéties du Sauveur en général 368
^. Prophéties sur Jérusalem . . • 373
3. Prophéties sur la fin du monde 394
CHAPITRE II. — Doctrine de Notre Seigneur 400
Art. I. — Paraboles. . . i 400
§ I. Paraboles prophétiques 405
§ II. Paraboles prophétiques et morales 408
§ III. Paraboles purement morales 414
Questions sur les paraboles en général 422
Art. n. — Discours. .•••.., 426
§ I. Discours des synoptiques 428
1* Sermon sur la montagne 428
2*^ Discours aux apôtres sur leur vocation 442
3® Mariage et divorce 453
4* Péché contre le Saint-Esprit 457
5<» Sur le jeûne 458
6<^ Sur le jugement 459
§ II. Discours de Saint Jean 462
P Après le miracle do la piscine probatique .... 462
2* Promesse de TEuchàristie 463
3® Discussion avec les Juifs sur sa divinité .... 476
4^ Autre discussion sur le même sujet 480
5® Discours après là Gène 483
Questions sur les instructions du Sauveur^ en général 503
694 TABLE DES MATIÈRES.
TROISIÈME PARTIE.
01 Là PA8BI0K A L*ASCftirSION DE ITOTU SII6HSU1.
CHAPITRE I. — Passion de Notre Seigneur 517
Art. !• — Préludes de la Passion 519
§ I. Conspiration contre le Sauveur 519
§ II. Repas à Bétbanie. 521
§ m. Entrée du Sauveur à Jérusalem 524
§ IV. Célébration de la Pàque 528
§ V. Institution de VEucbaristie 538
Art. II. — Souffrances de Notre Seigneur 550
§ I. Son agonie 551
§ II. Son arrestation 553
§ m. Notre Seigneur devant Gaîpbe 557
§ IV. Mort de Judas 562
§ V. Notre Seigneur devant Pilate. Sa condamnation . . 565
Art. III. — Mort et sépulture de Notre Seigneur .... 573
§ I. Son crucifiement • 573
§ II. Ses derniers moments 578
§ III. Prodiges arrivés à sa mort 587
§ IV. Sa sépulture « 592
CHAPITRE II. — Eésurrectionet apparition de Notre Seigneur 600
§ I. Circonstances de la résurrection . • 600
§ II. Apparition du Sauveur ressuscité 609
§ III. Investiture de Saint Pierre 616
§ IV. Dernière mission des apôtres 625
§ V. Ascension de Notre Seigneur 634
QUESTIONS RÉTROSPECTIVES.
§ I. Sur les évangiles 640
§ II. Sur Notre-Seigneur 656
Histoire de Notre Seigneur Jésus-Christ^ selon les quatre
Evangiles. • • 683
FIN DU TROISIÈME VOLUME.
TABLE DES GRAVURES
Pag.
1. Manuscrits du Vatican et du Sinal 21
2. Manuscrits Alexandrin et de S. Ephrem • . 22
3. Manuscrit de Cambridge ou de Bèze 23
4. Scribe antique * 30
5. Figure de Notre Seigneur 107
6. Carte de la Palestine 125
7. Les quatre évangiles 133
8. Symboles des quatre évangiles 186
9. Médaille d'Auguste divinisé 187
10. Temple de Janus, fermé sous Auguste 187
11. Monnaie d'Hérode l'Ancien 192
12. Auguste, grand Pontife, et autel de Lyon 226
13. Denier d'Auguste 247
14. Tibère, grand Pontife 252
15. Monnaie d'Hérode Antipas 255
16. Tibère, empereur 261
17. Mer de Galilée 265
18. Médaille du roi Aretas 275
19. Temple de Garizim 312
20. Trîclinium antique, sans tapis 337
21. Corbeilles, symbole eucharistique 347
22. Tibère et temple que Philippe lui avait dédié 357
23. Vespasien et la Judée vaincue 373
24. Titus et la Judée soumise 381
25. Arcs de triomphe de Titus et de Constantin ..»•.. 391
26. Bon Pasteur des catacombes 400
27. Monnaie du règne d'Archélaûs 410
28. Drachme de Néron . 422
29. Scène des persécutions 449
30. Sceau de deux époux chrétiens 455
31. Poisson et corbeille, symbole de l'Eucharistie 463
32. Fruit de la vigne 489
33. Sceau des premiers siècles 494
34. Image de la croix aux premiers siècles ........ 517
696 Table des gravures.
Pag.
35. Triclinium, avec tapis et coussins 528
36. Sacrifice eucharistique 543
37. Carte de Jérusalem 555
38. Médaille de Tibère et de Philippe le tétrarque 569
39. Médaille d'Hérode Agrippa 560
40. Monnaie de Palestine sous Ponce Pilate 572
41. Jonas jeté à la mer 573
42. Titre de la croix 577
43. Médaille des Machabées ; la ville sainte 590
44. Jonas rejeté par le monstre marin : résurrection 600
45. Piscis assus 616
46. Anneau et sceau des catacombes 639
47. Sceau des catacombes 682
nu DU TROtSIÈUE VOLUME.
BesaDçon. — Imprimerie Oathenin-ChaUndre fils et C'*.
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HENRY YIGÎTAUB