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Full text of "Manuel biblique : ou Cours d'Écriture sainte à l'usage des séminaires. Ancien Testament"

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3S 


i 


MANUEL  BIBLIQUE 

i 

l  

[ 

^  NOUVEAU   TESTAMENT 


DU   MÊME  AUTEUR 

Les  Apôtres,  Histoire,  Doctrine,  Prophétie.  6*  édii.  iD-12^  720  pages. 
IV*  vol.  du  Manuel  biblique,  Roger  et  Chernoviz,  1886. 

Questions  sur  rËeriture  sainte,  oa  programme  détaillé  pour 
servir  de  guide  dans  Fétade  des  saints  Livres. 

Première  partie  :  introduction  et  Ancien  Testament,  ln-8*,  410  pag. 
Seconde  partie  :  Nouveau  Testament,  In-8*,  418  pages,  Roger  et 
Chemorâ. 


Du  divin  Sacrifioe  et  du  prêtre  qoi  le  célèbre.  In-12,  1888, 
p.  XTi*462.  Roger  et  Chemovii. 

Du  saint  Office,  considéré  an  point  de  vue  de  la  piété.  In-12. 
3*  édition,  Poassielgue. 

The  dimme  Office^  edited  by  the  Rer.  Tannton,  vith  a  préface  by  his  Emin. 
the  Gard.  ArchilHaohof  of  Westminster.  London,  Bonis  and  Oates. 

VOffieio  dioinOy  reddito  in  eompendio  da  an  professore  del  Seminario  di 
VeroelU.  Torino,  Corso  Palostro,  14. 

Manuel  des  vacances,  à  Tasage  des  Séminaires.  8«  édition,  Roger 
et  Chernoviz. 

Tkê  Semimtritm's  Mamuai  for  taeation ,  by  a  Direetor  of  a  Seminary. 
Albany,  United  SUtes. 

MamuU  de  la»  vacoetones,  por  nn  Direotor  de  Seminario.  Paris,  Roger  et 
ChernoTix. 

Saint  François  de  Sales,  modèle  et  gnide  du  prêtre  et  du  pas- 
teur. In-12.  Roger  et  Chernovix. 

X«e  petit  Office  de  la  sainte  Vierge,  avec  introduction,  notes 
et  avis  pratiques,  à  Tusage  des  Séminaires,  ln-32.  Nouvelle  édition. 
Poussielgue. 

Du  Sacerdoce  et  du  saint  Ministère,  par  les  Pères  de  TÉglise, 
avec  une  introduction  et  une  notice  pour  préparer  à  la  lecture  des 
Saints  Pères.  In-12.  Vives. 

Des  Ordinations  et  des  saints  Ordres.  Instructions  et  Médi- 
tations à  r usage  des  Ordinands.  Roger  et  Chernoviz. 

Première  partie  :  Tonsure,  In-32,  300  pages. 
Deuxième  partie  :  Ordres  mineurs.  In-32,  400  pages. 


3e8ançon.  —  Imprimerie  OaiheniK-Cbalandre  fils  et  G>*,. 


y^ 


MM.   BAGUEZ  et  VIGOUROUX 


MANUEL 


BIBLIQUE 

OU 

COURS  D'ÉCRITURE  SAINTE 

A  LTSAGE  DES  SÉMINAIRES 


NOUVEAU    TESTAMENT 

Par    L.    BACrfiZ 

PRÊTRK  DE   SAINT-SULPIGE 

SIXIÈME  ÉDITION,  REVUE  ET  ACaMENTÉE 


TOME  TROISIÈME 

Jésus  -  Christ  —  Les   saints  Évangiles 


PARIS 

MAISON  JOUBY  ET  ROGER 

A.   ROGER  ET  F.   CHERNOVÏZ,  ÉDITEURS 

Libraires  de  la  Facalté  de  Théologie  de  Paris 
7,    RUE     DES    GRANDS-AUGUSTINS^    7 

1888 

DroltoTrésenrés 


é 


AVANT-PROPOS 


IDE     LA     SIXIÈME     ÉDITION    * 


Quant  Dieu  permet  qu'on  attaque  nos  Ecritures  ou 
qu'on  en  dénature  le  sens,  il  a  en  vue  le  bien  de  son 
Eglise  et  l'avantage  de  ses  ministres  :  il  veut  nous  forcer 
d'étudier  sa  parole  et  de  nous  rendre  compte  de  notre  foi. 
Les  objections  qu'on  soulève  nous  imposent  cette  né- 
cessité. Elles  nous  obligent  d  approfondir  nos  saints 
Livres,  d'en  préciser  la  signification,  d'en  constater 
l'exactitude  ;  par  conséquent  d'y  appliquer  notre  esprit  et 
de  nous  en  pénétrer.  Tel  a  été,  dit  saint  Augustin,  le  ré- 
sultat de  toutes  les  hérésies  *. 

Nous  sommes  à  même  de  confirmer  cette  observation  ; 
car  le  fait  signalé  par  le  saint  Docteur  s'est  renouvelé 
avec  éclat  sous  nos  yeux.  Jamais  on  n'avait  attaqué  les 

1  La  Préface  et  les  Avis  qu'on  a  pu  lire  au  premier  volume  du 
Manuel  nous  permettent  de  supprimer  rAvant-propos  de  notre 
première  édition  (1878),  et  Taccueil  que  cet  ouvrage  a  reQu  nous 
dispense  d'en  Justifier  la  publication.  —  >  Tdeo  divina  Providentia 
multos  diversi  erroris  hœreticos  esse  permittit,  ut  cum  insultant 
nobis  et  interrogant  nos  ea  quaB  nescimus,  vel  sic  excutiamus 
pigrltiam  et  divinas  Scripturas  nosse  cupiamus.  Propterea  et  Apos- 
tolos  diclt  :  Oportet  hœreses  esse.  De  gen,  cùnU  Manich.  Infra,  n.  842. 


3S 


MANUEL  BIBLIQUE 


NOUVEAU   TESTAMENT 


2  INTRODUCTION  At   NOUVEAU   TESTAMENT.  [n<>  1 

l'autre,  à  tous  ceux  qui  voudraient  s'attacher  à  lui  et  le 
servir  dignement*.  Cette  promesse  fut  nommée  Testament 
chez  les  chrétiens,  comme  la  première  l'avait  été  chez  les 
Juifs;  et  l'on  appela  ce  Testament  Nouveau,  parce  qu'il  était 
substitué  au  premier,  comme  l'Eglise  l'était  à  la  synagogue. 

Néanmoins,  la  signification  de  ce  terme  ne  tarda  pas  à 
s'élargir,  et  l'usage  s'établit  de  donner  aussi  le  nom  de  Tes- 
tament aux  livres  inspirés,  où  ces  promesses  ont  été  consi- 
gnées et  qui  en  sont  comme  les  titres  authentiques.  Ce  der- 
nier sens  est  depuis  longtemps  le  plus  usitée 

C'est  à  tort  que  certains  auteurs  affectent  de  remplacer  le 
mot  Testament  par  celui  d'Alliance,  le  seul,  à  leur  avis,  qui 
réponde  au  terme  hébreu  Bérith^  que  ce  mot  doit  traduire  ^ 
Bérith,  il  est  vrai,  signifie  proprement  alliance*,  et  AiaOy)?.»;, 
par  lequel  les  Septante  Font  traduit,  pourrait  désigner  un 
pacte,  un  contrat  aussi  bien  qu'un  testament;  mais  il  ne  faut 
pas  oublier  que  les  auteurs  sacrés  ont  modifié  et  précisé  la 
signification  de  ce  mot.  En  l'employant,  ils  n'ont  pas  laissé 
ignorer  qu'ils  avaient  en  vue  une  disposition  d'un  genre 
particulier,  analogue  au  testament,  que  cette  disposition 
était  toute  en  faveur  d'une  partie,  que  le  bénéfice  en  devait 
échoir,  par  voie  de  succession,  comme  un  héritage  ou  un 
legs^  et  que  la  mort  seule  devait  la  rendre  irrévocable  et 
exécutoire  ^  Telle  est,  sans  aucun  doute,  l'idée  de  Notre- 
Seigneur,  lorsqu'il  dit  à  ses  apôtres,  la  veille  de  sa  mort, 
dans  la  première  oblation  de  son  sacrifice  :  Voici  le  sang  du 
Nouveau  Testament  :  Touxo  eaxi  tc  ai[i.x  xr^ç  /.atvr^ç  AiaôîjxYjç''. 

1  Heb,,  IX,  15.  Cf.  KXTjpovopLTjffexe  Tir]v  YiTOi[jLao"pL£vYiv  ujaiv  paêîXetav. 
Mattli.,  XXV,  34.—  «  Cf.  Il  Cor.,  m.  14;  Melito  (Euseb.,  i/.,  iv,  26); 
S.  Iren.,  IIl,  xii,  12;  IV,  xii,  3;  Tertull.,  Adv,  Mure,  iv,  1.  —  a  Exod., 
XXIV,  8.  —  *  S.  HierojD,,  In  Mal.,  u,  5.  —  ^  cf.  Exod.,  xv,  17;  Ps. 
cxxxiv,  12.  Profcctus  Jésus  in  Galiiœam  discipulis  Sciipturas  patefecit, 
qnfiB,  antequam  pateretur,  perspici  nullo  modo  poterant.  Idcirco  Moyses 
et  prophetœ  Legem  Testamentum  vocant,  qùia,  nisi  testator  mortuus 
fuerit,  testameatum  clausum  et  obsignatum  est.  Lact.,  Divin,  Inst,,  iv, 
20.  —  6  Heb.,  IX,  16.  Remarquer  que  BéHihy  venant  de  Barahy  immoler, 
sacrifier,  donnait  par  lui-môme  l'idée  de  victime  et  de  mort.  Infra, 
n.  821.  —  T  Matth.,  xxvi,  28.  Cf.  Marc,  xiv,  24;  Luc,  xxii,  20;  I  Cor., 
XI,  25.  Cf.  Gai.,  IV,  24;  Heb.,  ix,  15,  etc. 


NO  2]  DES  LlViiEâ  DU   NOUVÉAU  tÉStAMENt.  3 

Or,  c'est  précisément  ce  qu'avait  dit  Moïse  dans  l*acte  qui  a 
figuré  le  sacrifice  du  Sauveur  au  pied  du  Sinaï,  Bou  to  at[i.a 
tT)?  Aix6y;xiqç  ;  et  puisque  les  Septante  ont  rendu  en  cet  en- 
droit le  mot  Bérith^  dont  s'est  servi  Moïse,  par  At^Sr^xy;,  le 
terme  même  employé  par  Notre-Seigneur  au  cénacle,  com- 
ment pourrions-nous  voir  en  ce  mot  une  autre  signification 
et  le  traduire  d'une  autre  manière? 

16  Des  diverses  parties  du  Nouveau  Testament. 

Livres.  —  Date.  —  Valeur.  —  Division. 

2.  — -  LÎYres  du  Nouveau  Testament  :  comment  se  divisent-ils  et  dans 

quel  espace  de  temps  ont-ils  été  écrits? 

I.  Le  Nouveau  Testament  se  compose  de  vingt-sept  livres, 
suivant  les  catalogues  du  concile  de  Trente  (1546),  du  con- 
cile de  Florence  (1441),  du  troisième  Concile  de  Garthage 
(397),  et  môme  du  concile  d'Hippone  (393),  gue  S.  Augustin 
appelle  un  concile  de  toute  l'Afrique  et  auquel  il  assista*. 
Ces  vingt-sept  livres,  260  chapitres,  7,959  versets,  ont  pour 
auteurs  huit  écrivains  inspirés^  dont  six  étaient  apôtres, 
S.  Matthieu,  S.  Jean,  S.  Jacques,  S.  Pierre,  S.  Jude,  S.  Paul, 
et  les  deux  derniers,  S.  Marc  et  S.  Luc,  disciples  des  apôtres. 
Celui  qui  a  le  plus  écrit  est  S.  Paul.  Après  lui  viennent  par 
ordre,  S.  Jean,  S.  Luc,  S.  Matthieu,  S.  Marc,  S.  Pierre, 
S.  Jacques,  S.  Jude.  Leurs  écrits  furent  dès  l'origine  placés 
par  les  chrétiens  au  même  rang  que  les  livres  de  l'Ancien 
Testament  et  cités  de  la  même  manière  :  cd<;  y.ai  Ta?  Xoi^raç 

II.  Si  Ton  se  borne  à  considérer  la  nature  de  ces  ouvrages, 
on  les  rapportera  logiquement  à  trois  chefs  :  —  1°  Histoire  : 
Evangiles  et  Actes.  —  2**  Doctrine  :  Epîtres  apostoliques.  — 
3»  Prophéties  :  Apocalypse.  —  Mais  si  l'on  tient  compte  en 
même  temps  de  la  dignité  du  sujet  et  de  la  chronologie,  il 
semblera  plus  naturel  de  placer  sur  un  premier  plan  ce 

*  s;  Aug.,  Retract, y  i,  H,  Cf.  Epist.^  lxiv,  3,  et  ogxiii,  1;  de  Dod, 
christ.,  II,  13;  A.  T,,  n.  35-42.  —  »  I  Tim.,  v,  18;  II  Pet.,  m,  15,  16; 
S.  Theoph.,  AdAittolyc,  m,  12.  Cf.  S.  Justin., ^/îo/.,  r,  67, 


4        INTRODUCTION  AU  NOUVEAU  TESTAMENT.       [n®  3 

qu'Eusèbe  appelle  la  divine  quaternité  des  évangiles,  conte^ 
nant  la  vie,  la  doctrine  et  la  passion  du  Sauveur*,  puis,  en 
seconde  ligne,  les  Actes,  les  Épitres  et  les  prophéties  apos- 
toliques. On  aura  ainsi  deux  parties  bien  distinctes  :  — 
1°  Jésus-Christ.  —  2<*  Les  Apôtres.  —  C'est  la  division  que 
nous  avons  adoptée  ^ 

III.  Tous  ces  livres  ont  paini  dans  Tespace  d'une  cinquan- 
taine d'années,  45-98,  et  l'on  pourrait  dire  de  vingt-cinq 
ans,  4S-70,  si  l'on  exceptait  les  écrits  de  S.  Jean  qui  sont  de 
la  fin  du  siècle.  Ils  se  répandirent  très  rapidement  dans 
toute  l'Eglise.  Néanmoins  il  faut  reconnaître  qu'il  y  eut  au 
moins  deux  générations  de  chrétiens  qui  ne  purent  arvoir  le 
Nouveau  Testament  en  entier,  et  qu'un  certain  nombre 
d'églises  étaient  fondées  et  florissantes  avant  d'en  posséder 
la  moindre  partiel 

•  3.  —  Est-ce  de  concert  et  d'un  commun  accord  que  ces  livres  ont  été 

composés  ? 

Rien  n'indique  que  les  auteurs  du  Nouveau  Testament 
aient  écrit  de  concert,  d'après  un  plan  commun;  au  contraire, 
tout  démontre  qu'un  pareil  dessein  n'a  jamais  existé. 

D'après  les  prophètes,  ce  n'était  pas  avec  des  lettres  mortes 
ni  sur  un  objet  matériel  que  la  loi  chrétienne  devait  être 
écrite  ;  Dieu  avait  prédit  qu'il  la  graverait  dans  le  cœur  des 
fidèles  en  caractères  vivants*.  Aussi  le  divin  Maître  n'a-t-il 
enseigné  que  de  vive  voix  ^;  et  ce  qu'il  a  recommandé  à  ses 
Apôtres,  ce  n'est  pas  de  mettre  sa  doctrine  par  écrit,  mais 
de  continuer  sa  prédication®.  Ses  instructions  furent  fidèle- 
ment suivies.  Jamais  le  collège  apostolique,  jamais  aucun 
Apôtre  n'entreprit  d'écrire  une  histoire  complète  du  chris- 
tianisme ou  un  exposé  général  du  dogme  et  de  la  morale 
révélés.  Quand  quelqu'un  d'entre  eux  prit  la  plume,  ce  fut 

1  Euseb.,  H.y  III,  25.  To  TStpatiopfov  eua*)nrcXiov.  S.  Iran.,  III,  8.  —  >  Elle 
paraît  avoir  été  en  usage  parmi  les  premiers  chrétiens.  Cf.  S.  Ignat., 
Ad  Philadelph.,  5.  S.  Iren.,  I,  3  ;  Tert.,  De  Prxsc,  36.  —  »  S.  Iren.,  III. 
IV,  2.  Cf.  Matth.,  xxvii,  8;  xxviii,  15.  —  ♦  Cf.  Jer.,  xxxi,  33;  Joan.,  vi, 
45;  II  Cor.,  m,  3;  Heb.,  viii,  8-H.  —  s  Euseb.,  îf.,  m,  .24.  S.  Thom., 
p.  3,  q.  42,  a.  4.  —  6  Matth,,  xxviii,  9;  Marc,  xvi,  1$.  ^ 


y^i]  DES  LIVRES  DU   NOUVEAU  TESTAMENT.  S 

presque  toujours  par  un  motif  accidentel,  imprévu,  pour  un 
certain  nombre  de  fidèles  seulement,  afin  de  pourvoir  à  cer- 
tains besoins  ou  de  répondre  à  quelque  demande.  Ainsi  les 
auteurs  sacrés  firent  leurs  livres,  comme  le  Sauveur  faisait 
ses  discours,  au  gré  des  circonstances.  S.  Jean  est  le  seul  qui 
semble  tenir  compte  des  écrits  de  ses  devanciers  et  s'appli- 
quer à  combler  leurs  lacunes.  Encore  dit-il  en  finissant 
qu'il  a  dû  laisser  dans  l'ombre  la  plus  grande  partie  de  son 
sujet*. 

On  ne  serait  donc  pas  fondé  à  prétendre  que  nous  avons 
dans  le  Nouveau  Testament  un  sommaire  complet  de  ce  que 
le  Fils  de  Dieu  a  fait  et  dit,  ou  de  ce  qu'ont  enseigné  les 
Apôtres.  Il  y  a  lieu  de  croire  que,  si  d^autres  occasions  s'é- 
taient présentées,  les  auteurs  sacrés  nous  auraient  enseigné 
d'autres  vérités  et  que  nous  serions  fixés  sur  un  plus  grand 
nombre  de  questions  historiques,  dogmatiques  et  morales. 

4.  —  Avant  d'avoir  lo  Nouveau  Testament,  TEgliso  avait-ello  déjà  une 
possession  pleine  et  assurée  des  vérités  chrétiennes? 

Dès  son  origine,  l'Eglise  fut  en  possession  de  toutes  les 
vérités  qui  forment  le  fond  de  sa  croyance.  Elles  lui  avaient 
été  préchées  et  démontrées;  elle  en  avait  l'intelligence  et  la 
conviction-.  On  ne  les  lisait  pas  comme  aujourd'hui  dans  les 
textes  sacrés;  mais  les  pasteurs  les  enseignaient  et  les  fidèles 
y  croyaient  comme  aujourd'hui.  On  en  voyait  partout  des 
mémoriaux  et  des  emblèmes,  dans  les  fêtes  et  les  cérémonies 
du  culte,  dans  les  pratiques  de  la  piété,  dans  les  prières 
qu'on  récitait  en  public  et  en  particulier,  dans  les  rites 
sacramentels,  dans  le  symbole  de  la  foi,  dans  les  lois  et  les 
usages  de  la  société  chrétienne.  Les  Apôtres  n'ont  donc  fait 
que  consigner  par  écrit,  en  faveur  de  la  postérité,  ce  qui  était 
notoire  pour  les  chrétiens  de  leur  temps;  et  sitôt  qu'ils 
furent  composés,  leurs  livres  tiouvèrent,  dans  la  prédica- 
tion des  pasteurs,  dans  la  croyance  des  fidèles  et  dans  la  pra- 
tique commune,  leur  complément  et  leur  commentaire. 

*  Joan.,  XXI,  25,  Infra,  n°  578.  —  3  Marc,  xvi,  15-20;  II  Cor.,  m,  2-3; 
Gai,  I,  8,  9;  Col.,  i,  5-7. 


6  INTRODUCTION  .  AU   NOUVEAU  TESTAMENT.  [n®  5 

On  voit  par  là  quel  a  toujours  été  le  rôle  de  la  tradition 
dans  le  christianisme  et  combien  les  protestants  ont  tort  de 
rejeter  comme  étranger  à  la  foi  et  à  la  révélation  tout  ce  qui 
ne  se  lit  pas  dans  les  livres  inspirés*.  Puisque,  à  l'origine, 
FEglise  avait  autorité  pour  discerner,  entre  les  croyances 
et  les  pratiques  dés  fidèles,  celles  dont  l'Esprit-Saint  était 
l'auteur,  pourquoi  les  Apôtres,  en  consignant  dans  leurs 
écrits  une  partie  de  ces  pratiques  et  de  ces  croyances,  l'au- 
raient-ils  dépouillée  de  cette  prérogative*? 

5.  —  Les  Uvres  du  Nouveau  Testament  sont-ils  liés  onsomblo  et  se 

soutiennent-ils  les  uns  les  autres  ? 

En  attendant  que  nous  établissions  l'authenticité,  la  véra- 
cité historique  et  l'intégrité  du  Nouveau  Testament,  il  im- 
porte de  remarquer  que,  sous  ces  trois  rapports,  les  livres 
dont  il  se  compose,  sans  avoir  été  écrits  en  même  temps  ni 
dans  un  même  dessein,  sont  liés  entre  eux.  et  se  soutiennent 
mutuellement. 

Si  les  Epîtres.  de  S.  Paul  sont  authentiques  et  substantiel- 
lement intègres,  on  ne  saurait  contester  l'authenticité  des 
Actes,  dans  lesquels  elles  s'encadrent  avec  une  précision  si 
parfaite.  Si  l'on  reconnaît  dans  les  Actes  l'œuvre  de  S.  Luc, 
il  faut  lui  attribuer  également  le  troisième  Evangile,  dont 
ils  sont  la  continuation  '  ;  et  si  l'on  attribue  à  S.  Luc  le  troi- 
sième Evangile,  on  ne  peut  pas  contester  à  S.  Matthieu  et  à 
S.  Marc  le  premier  et  le  second,  qui  sont  certainement  anté- 
rieurs. Dès  lors  l'histoire  évangélique,  attestée  par  ces  trois 
auteurs,  est  authentique  et  indubitable.  Que  gagnerait-on  à 
nier  l'authenticité  du  quatrième  Evangile,  constatée  du  reste 
par  la  première  Epitre  de  S.  Jean  et  reconnue,  jusqu'à  ces 
derniers  temps,  par  la  plupart  des  rationalistes? 

On  peut  faire  une  observation  semblable  par  rapport  à  la 
véracité  historique.  Ou  tous  les  livres  sont  vrais,  ou  tous 

1  «  L'Eglise  les  a  précédés,  les  a  reçus,  les  a  transmis  à  la  postérité 
avec  leur  véritable  sens.  Là  donc  est  la  source  de  la  foi.  »  Bossuct, 
l'e  Inst,  sur  les  promesses.  Cf.  Conf.  avec  Claude,  —  2  s.  Iren.,  HI,  iv,  1. 
—  3  Act„  I,  1  ;  Infra^  n,  476. 


NO  6]  DES   LIVRES  DU   NOUVEAU  TESTAMENT.  7 

sont  faux  ;  car  on  trouve  partout  au  fond  la  itiéme  histoire. 
Les  Actes  supposent  et  confirment  la  plupart  des  faits  évan- 
géliques*.  Les  Epîtres  de  S.  Paul  ont  pour  base  les  récits  des 
Actes  comme  ceux  de  l'Evangile  ^  Les  Epîtres  de  S.  Pierre,- 
de  S.  Jacques  et  de  S.  Jean  ont  une  liaison  intime  avec  celles 
de  S.  Paul.  Il  n'est  pas  jusqu'à  celle  de  S.  Jude  qui  dans  ses 
vingt-cinq  versets  ne  rappelle  l'essentiel  de  la  religion.  Ce 
ne  sont  donc  pas  les  quatre  évangélîstes  seulement,  mais 
avec  eux  S.  Paul  et  tous  les  écrivains  du  Nouveau  Testament, 
qui  attestent  la  vérité  de  l'histoire  du  Sauveur.  Ainsi  il  faut 
tout  rejeter  ou  tout  admettre.  Le  peu  qu'on  garderait  ramè- 
nerait tout  le  reste. 

6.  —  Quels  sont  les  livres  ou  les  fragments  deutérocanoniqucs  du 

Nouveau  Testament? 

On  donne  le  nom  de  deutérocanoniques  aux  livres  ou  aux 
fragments  dont  l'autorité  a  d'abord  été  l'objet  de  quelques 
contestations,  et  sur  l'inspiration  desquels  l'Église  ne  s'est 
prononcée  absolument  qu'après  un  certain  temps. 

Celte  dénomination,  dont  l'usage  s'est  répandu  à  l'origine 
du  protestantisme',  suggère  l'idée  qu'il  y  aurait  eu  un 
premier  canon  d'où  ces  livres  auraient  été  exclus,  puis  un 
second  où  ils  auraient  été  compris,  ce  qui  n'est  pas  con- 
forme à  la  vérité*.  La  qualification  d*antilégomènes  ou  con- 
testés que  les  protestants  empruntent  à  Eusèbe*,  a  un  autre 
inconvénient  qui  n'est  pas  moindre:  celui  d'insinuer  que 
les  contestations  auxquelles  ils  ont  donné  lieu  à  une  certaine 
époque  ont  toujours  existé  et  persistent  toujours. 

Les  livres  deutérocanoniques  du  Nouveau  Testament  sont 
au  nombre  de  sept.  Ce  sont  les  derniers,  en  commençant 
parTEpître  aux  Hébreux,  et  en  retranchant  la  première  de 
S.  Pierre  et  la  première  de  S.  Jean.  Pour  les  fragments,  il 
n'y  en  a  que  trois  auxquels  on  donne  ce  nom  :  —  1**  la  fin  de 
S.  Marc,  xvi,  9-20  ;  —  2°  la  sueur  de  sang  de  Notre  Seigneur 

»  Infra,  n.  561,  568,  569,  — ^  «  InfrUy  n.  832.  —  3  Sixt.  Sen.,  Bibl. 
sancta,  i,  1.  —  *  A.  T.,  n.  24,  46.  —  s  Euseb  ,  H.,  m,  3  et  25.  Ils  les 
appellent  aussi  fréquemment  apocryphes,  dans  la  môme  intention. 


8  INTRODUCTION   AU   NOUVEAU   TESTAMENT.  [n<*  7 

et  rapparition  de  TAnge  durant  son  agonie,  Luc.  xxn,  43, 
44;  —  3**  rhistoire  de  la  femme  adultère,  Joan.,  vm,  1-11. 

*  7.  —  Comment  se  fait-il  qu'un  certain  nombre  d'Églises  aient  douté 
d'abord  légitimement  de  l'inspiration  de  ces  livres  et  de  ces  frag- 
ments, et  que  ces  mêmes  Eglises  l'aient  admise  depuis  comme  un 
point  de  foi? 

I.  On  a  pu  et  dû  douter  de  la  valeur  de  ces  livres,  tant 
qu'on  n'a  pas  eu  de  preuves  péremptoires  de  leur  authen- 
ticité. Or,  pour  concevoir  que  ces  preuves  se  soient  fait 
attendre  en  certains  endroits,  il  suffit  de  considérer  :  — 
1°  Qu'il  était  assez  difficile  d'avoir  sur  ces  écrits  des  rensei- 
gnements certains,  la  plupart  d'entre  eux  n'ayant  pas  de 
destination  particulière,  et  aucune  Eglise  n'en  pouvait 
rendre  témoignage  comme  en  ayant  reçu  et  conservé  le 
dépôt.  —  2**  Que  partout  les  pasteurs  avaient  à  se  tenir  en 
garde  contre  les  fraudes  des  hérétiques  et  devaient  exiger 
des  preuves  bien  certaines,  avant  d'admettre  un  livre  au 
rang  des  Ecritures  *.  —  3^  Que  ces  livres  réunis  ne  forment 
pas  la  sixième  partie  du  Nouveau  Testament,  et  qu'ils  ne 
sont  pas,  en  comparaison  des  autres,  d'une  extrême  impor- 
tance. —  4°  Que  les  hésitations  auxquelles  les  livres  deuté- 
rocanoniques  donnèrent  lieu  ne  s'étendirent  jamais  à  toute 
l'Eglise  et  ne  furent  pas  de  longue  durée.  «  Le  gros  de 
l'Eglise,  comme  dit  Bossuet,  c'est-à-dire  les  Eglises  les  mieux 
informées,  les  plus  anciennes  et  les  plus  graves,  l'Eglise 
romaine,  en  particulier,  leur  a  toujours  été  favorable  ^  » 
En  effet,  la  version  Italique  les  comprenait  tous,  dès  l'ori- 
gine, et  pour  le  Nouveau  Testament,  la  Vulgate  de  S.  Jérôme 
n'est  que  l'Italique  revisée  ^ 

II.  Bien  des  faits  s'éclaircissent  et  se  constatent,  après  un 
certain  temps  de  recherches  et  d'examen.  On  n'a  jamais 
douté  nulle  part  que  tous  les  écrits  des  Apôtres  ne  fussent 
inspirés;  on  doutait  seulement  en  certains  endroits  si  tout 

1  Cf.  n  Thess.,  iT,  1,  2;  I  Joan.,  iv,  1  ;  Apoc,  xxii,  18,  19.  —  2  Bossuet, 
Lett,  à  Leihnitz.  Cf.  A.  T.,  n.  38,  39.  —  3  S.  Hieron.,  In  iv  Evang.^  Praef., 
et  Epist.  XXVII,  1;  A.  T.,  n.  40-45;  Sabatier,  Vêtus  ïtalica,  t.  IH,  Praef. 


N^S]  DES  LIVRES  DU   NOUVEAU   TESTAMENT.  9 

ce  qui  leur  était  attribué  venait  d'eux.  C'est  ce  fait  (^'il 
fallait  éclaircir.  Le  jour  se  fit  peu  à  peu,  dès  que  la  paix  fut 
rendue  aux  chrétiens  et  que  les  relations  entre  les  pasteurs 
devinrent  faciles.  Les  Eglises  qui  doutaient  consultèrent 
celles  qui  croyaient,  et  déférèrent  aux  raisons  que  celles-ci 
donnèrent  de  leur  foi.  Puis,  quand  tous  les  préjugés  furent 
dissipés  et  que  l'accord  fut  établi,  les  Conciles  et  les  Sou- 
verains Pontifes  dressèrent  officiellement  et  firent  recevoir 
partout  le  canon  ou  catalogue  complet  des  livres  inspirés. 
Ainsi,  pour  être  constante  et  perpétuelle,  la  foi  catholique 
ne  laisse  pas  de  se  développer,  d'avoir  ses  progrès  ^ 

8.  —  Quel  est  à  cet  égard  le  sentiment  des  Grecs  schismatiques  et  des 

protestants  ? 

L  L'Eglise  grecque  a  le  même  canon  que  nous.  Il  en  faut 
dire  autant  de  l'Eglise  russe  et  de  toutes  les  sectes  qui  sub- 
sistent encore  en  Orient. 

II.  Il  n'en  est  pas  de  même  des  protestants.  Luther  a  nié 
l'inspiration  de  tous  les  livres  deutérocanoniques  des  Ecri- 
tures. Calvin  maintint  celle  du  Nouveau  Testament  tout 
entier.  Mais  les  sentiments  de  Luther  et  de  Calvin  ne  sont 
que  des  sentiments  particuliers.  Les  protestants,  rejetant 
l'autorité,  et  ne  voyant ^dans  la  tradition  qu'un  moyen  d'in- 
formation tout  humain,  ne  sauraient  avoir  de  symbole  fixe 
ni  de  canon  ^  commun.  Leurs  professions  de  foi  sont  pure- 
ment individuelles.  Elles  doivent  changer  et  elles  changent 
avec  le  temps  et  avec  les  lieux.  Les  sociétés  bibliques  d'An- 
gleterre, qui  depuis  1826  rejettent  les  livres  deutérocano- 
niques de  l'Ancien  Testament,  retiennent  encore  ceux  du 
Nouveau,  et  un  grand  nombre  de  ministres  continuent  de 
les  citer  comme  divins.  Cependant,  on  ne  peut  pas  dire  que 
ces  livres  conservent  parmi  eux  la  même  autorité  que  les 
protocanoniques  ^  Quant  aux  protestants  d'Allemagne,  de 

*  Bossnet,  Lett.  à  f^ibn.  —  *  Kavwv,  régula.  Cf.  II  Cor.,  x,  13;  Gai., 
VI,  16.  —  3  Le  protestantisme,  négatif  do  sa  nature,  ne  sait  guère  pro- 
gresser que  dans  la  négation.  Dans  la  dernière  édition  officielle  doéa 
version  du  Nouveau  Testament,  en   1881,  VEglise  anglicane  a  fait  de 

1. 


10  INTRODUCTION  AU  NOUVEAU  TESTAMENT,  [n<>  9 

Suisse,  d'Amérique  et  même  de  France,  il  n'est  pas  facile 
de  dire  quels  sont  les  livres  qu'ils  admettent.  Pour  les  doc- 
teurs rationalistes,  les  plus  nombreux  aujourd'hui,  il  n'y  a 
plus,  à  proprement  parler,  de  livre  divin,  puisque  toute 
inspiration  manque  ou  est  limitée,  et  qu'il  n'y  a  pas  de  pro- 
messe qui  les  garantisse  contre  toute  erreur.  Les  plus 
avancés  ne  voient  presque  pas  d'écrit,  même  dans  le  Nou- 
veau Testament,  dont  l'origine,  l'intégrité  et  l'exactitude 
ne  donnent  lieu  aux  plus  graves  difficultés, 

2^  Du  texte  du  Nouveau  Testament. 

Etades  critiques.  —  Procédés.  —  Résultats  i. 

9.  —  En  quelle  langue  lès  livres  du  Nouveau  Testament  ont-ils  été 

composés? 

I.  Si  l'on  excepte  l'évangile  de  S.  Matthieu  et,  suivant 
quelques  auteurs,  l'épître  aux  Hébreux,  il  est  certain  que 
tous  les  livres  du  Nouveau  Testament  furent  écrits  en  grec. 
A  l'époque  des  Apôtres,  cette  langue  était  le  principal  lien 
qui  unissait  entre  eux  les  peuples  connus.  Elle  était  en  usage, 
non  seulement  dans  les  colonies  juives  et  toutes  les  grandes 
villes  dont  le  littoral  de  la  Méditerranée  était  semé,  mais 
dans  toute  l'étendue  de  l'empire  romain,  sauf  l'Afrique, 
l'Espagne,  le  nord  de  l'Italie  et  une  partie  des  Gaules.  On 
parlait  grec,  même  en  Palestine;  et  à  Rome  les  classes  les 
moins  lettrées  entendaient  cette  langue ^  Aucune  n'était 
plus  riche  ni  plus  polie.  Aucune  ne  convenait  mieux  pour 
prêcher  un  évangile  qui  s'adressait  à  tous  les  peuples.  Dieu 
voulut  qu'elle  servît  à  formuler  nos  mystères  et  à  consigner 
par  écrit  la  doctrine  du  salut.  Elle  resta  la  langue  officielle 

• 

nouvelles  concessions  à  la  critique  rationaliste  et  opéré  divers  retran- 
chements. L'histoire  de  la  femme  adultère  est  mise  entre  parenthèse  ; 
les  douze  derniers  versets  de  S.  Marc  sont  séparés  du  corps  de  l'Evan- 
gile ,  et  au  chapitre  v  de  l'Evangile  de  S.  Jean,  comme  de  sa  première 
Epître,  le  verset  7  est  totalement  supprimé. 

*  Critique  :  l'art  de  vérifier  l'authenticité  d'un  texte  et  d'en  apprécier 
la  crédibilité.  —  ?  Graeca  leguntur  in  omnibus  ferme  gentibus  ;  latina 
suisfinibus,  exiguis  sane,  continentur.  Cicero,  ProArckia,  10.  Cf.  Joseph, 
A.  et  B.,  Praef. 


.\0  9]  .  DD  TEXTE  DU  NOUVEAU  TESTAMENT,  H 

de  TEglise  romaine  jusqu'à  la  fin  du  troisième  siècle.  Le 
pape  Corneille  (f  252)  est  le  premier  dont  on  lise  l'épitaphe 
en  latin  dans  les  catacombes.  Minutius  Félix  (166-190)  et 
Tertullien  (190-230),  africains  d'origine,  sont  les  premiers 
auteurs  que  l'Italie  fournisse  à  la  Patrologie  latine*. 

II.  Nous  sommes  loin  de  prétendre,  comme  quelques  pro- 
testants du  dix-septième  siècle,  que  le  grec  de  nos  Saints 
Livres  soit  celui  de  Platon  et  des  auteurs  classiques.  Il  est 
au  contraire  très  corrompu  *.  Avec  un  mélange  confus  de 
tous  les  dialectes,  il  offre  des  termes  et  des  locutions  bar- 
bares, empruntés  aux  diverses  populations  qui  se  trouvaient 
confondues  dans  l'empire;  mais  ce  qu'on  remarque  surtout, 
et  ce  qui  en  fait  comme  un  idiome  à  part,  ce  sont  les  hé- 
braïsmes  et  les  tournures  orientales.  Aussi  est-il  appelé  par 
Richard  Simon  un  grec  de  synagogue  ou  judaïsant.  Com- 
munément, on  le  désigne  sous  le  nom  de  langue  hellénis- 
tique, ou  propre  aux  Juifs  hellénistes  ',  répandus  dans  l'em- 
pire. C'était  le  résultat  naturel  du  mélange  des  Gentils  avec 
les  Hébreux,  et  de  l'établissement  de  nombreuses  colonies 
juives  au  milieu  de  populations  habituées  à  la  langue  grecque. 
Le  plus  ancien  monument  que  nous  ayons  de  cet  idiome  est 
la  traduction  des  Septante,  faite  en  Egypte  sous  Ptolémée 
Philadelphe,  près  de  trois  siècles  avant  Jésus-Christ.  Au 
temps  des  apôtres,  cette  version  était  répandue  partout  où 
il  y  avait  des  Juifs  hellénistes,  et  même  elle  suppléait  aux 
textes  hébreux  pour  les  lectures  officielles  dans  les  syna- 
gogues*. Ce  ^  grec  altéré  et  plein  d'hébraïsmes  était  donc, 
après  le  syrochaldéen,  la  langue  la  plus  familière  aux  apôtres 
et  celle  que  la  plupart  de  leurs  auditeurs  et  de  leurs  lecteurs 
entendaient  le  mieux. 

1  Si  d'autres  Pères  ont  écrit  en  latin  avant  eux,  leurs  ouvrages  ont 
péri.  S.  Hieron.y  De  vir,  iUust.,  un,  —  2  s.  Isid.  Pelus.  Episl.  iv,  28.  — 
'  Hellénistes,  surnom  donné  par  les  Grecs  aux  étrangers  qui  adoptaient 
leur  langue  et  leurs  mœurs,  et  par  les  Juifs  aux  Israélites  qui  parlaient 
la  langue  grecque  de  quelque  pays  quils  fassent.  Act.,  vi,  1;  ix»  29; 
n,  20.  —  *  La  plupart  des  citations  de  TAncien  Testament  dans  le  Nou- 
veau sont  d'après  les  Septante.  U  n'y  en  a  pas  une  sur  sept  qui  soit  faite 
sar  l'hébreu  directement. 


12 


INTRODUCTION  AU  NOUVEAU  TESTAMENT. 


[no  10 


'*'  10.  —  Quelles  sont  les  autres  langues  dont  les  termes  apparaissent 

dans  le  Nouveau  Testament? 

1*  Outre  les  noms  propres,  soit  de  lieux,  soit  de  per- 
sonnes, Abaddon,  Armageddon^  Béelzébub,  Bélial^  Emma- 
nuel, etc.,  on  trouve  cités  littéralement,  avec  une  terminai- 
son grecque,  un  assez  grand  nombre  de  mots  hébreux  ou 
syro-chaldéens  : 


a66a,  Marc.,  xiv,  36; 
AxeXôapia,  Act.,  i,  19; 
aXXyiXouia,  Apoc,  xix,  1  ; 
«(/.Yiv,  Luc,  IV,  24,  etc; 
patoç,  Marc,  xii,  26  ; 
poavepyeç*  Marc.,  m,  17; 
ra6ê«6a,  Joan.,  xix,  13; 
roX^cÔat,  Matth.,  xxvii,  33; 
EXwi,  EXwi,  etc.,  Marc,  xv,  34; 
e<pçaèa,  Marc,  vu,  34; 
y)Xi,  Matth.,  XXVII,  46; 
Kriçac,  Joan.,i,  43; 
xop6av,  Marc,  vu,  II; 
xop6avaç,  Matth.,  xxvii,  6; 
xopo;,  Luc,  xvi,  7; 
XluiTri;,  Luc,  x,  32; 
(jLa[ji[i.&)va;,  Matth,,  vi,  24; 


{i.avva,  Joan.,  vi,  31  ; 
jxapav  aAcL,  I  Cor.,  xvi,  22; 
MapOa,  Luc,  x,  38; 
Mejaiac,  Joan.,  i,  41  ; 
ira<7xa,  Joan.,  ii,  13,  etc.; 
pftêêi,  paêêouvi,  Joan.,  i,  30  ;  xx,  16; 
paxa,  Matth.,  y^22\ 
(xaêawO,  Matth.,  xxvii,  46; 
<raê6aTwv,  Matth.,  xxviii,  1  ; 
att66aTi7{JLOC,  Heb.,  iv,  9; 
daôôouxaioç,  Matth.,  m,  7; 
Satavaç,  Matth.,  iv,  10; 
(jixepa,  Luc,  i,  15; 
raXiÔa  xv{jlC,  Marc,  v,  41  ; 
TaêiÔa,  Act.,  ix,  40; 
çaptoatoç,  Mat  h.,  m,  7; 
(oaavva,  Matth.,  xxi,  9,  etc. 


2**  On  remarque  aussi  un  certain  nombre  de  termes  d'ori- 
gine latine,  ayant  rapport,  pour  la  plupart,  à  l'adminis- 
tration, aux  impôts,  à  l'art  militaire  : 


Affaaptov,  Matth.,  x,  29; 
Srivapiov,  Marc,  vi,  37; 
loiKTTOç,  Act.,  I,  33; 
xevTvpiwv,  Marc,  xv,  39; 
xYivffoç,  Matth.,  XVII,  24; 
xoSpavTTiç,  Matth.,  v,  20; 
xoXwvia,  Act.,  XVI,  12; 
xou(7TU)5ia,  Matth.,  xxvii,  65; 
xpaêaTo;,  Marc,  ii,  9; 
Xeyewv,  Matth.,  xxvi,  53  ; 
XevTiov,  Joan.,  xiii,  4; 
XiêspTivoç,  Act.,  VI,  9; 
XiTpa,  Joan.,  xii,  3; 
(AttxeXXov,  I  Cor.,  x,  25  ; 


{jLÊfjLêpava,  IITim.,  iv,  13; 
(jLtXiov,  Matth.,  V,  31; 
(xo6tov,  Matth.,  v,  15; 
ÇeoTo;,  Marc,  vu,  4; 
TrpaiTwpiov,  Matth.,  xxvii,  27; 
peÔY),  Apoc,  xviii,  13; 
(ry)(i.txivOtov,  Act.,  xix,  12; 
(Ttxapto;,  Act.,  xxi,  38; 
ffouôapiov,  Luc,  XIX,  2; 
aiTExouXatbûp,  Marc,  vi,  29; 
Taêepva,  Act.,  xxviii,  15; 
titXo;,  Joan.,  xix,  19; 
«pXayeXXiov,  Joan.,  ii,  15,  etc. 


]VM1|  DU  TEXTE  DU  NOUVEAU  TESTAMENT.  13 

3**  De  plus,'  on  signale  cpmme  égyptiens  : 

TaÇa,  Act.,  viii,  27;  oOoviov,  Luc,,  xxiv,  12; 

paiov,  Joan.,  xii,  13;  divSwv,  Matth.,  xxvii,  59; 

puff(7ov,  Luc,  19;  ÇiÇfliviov,  Matth.,  xiii,  25; 

Et  comme  persans  : 

AyYapeueiv,  Matth.,  xxvii,  32;  ii.apYapiTYiç,  Matth.,  vu,  6; 

yeewa,  Matth.,  v,  22;  irapaÔeiGoç,  Luc,  xxiii,  43; 

{tayoi,  Matth  ,  ii,  1  ; 

Ce  mélange  de  mots  de  provenances  diverses,  surtout  de 
mots  hébreux  et  latins,  semés  dans  le  grec,  indique  l'ori- 
gine de  ces  écrits  et  en  fixe  la  date  S 

*  11.  —  Comment  écrivait-on  au  temps  des  Apôtres? 

S.  Jean  écrivait  per  chartam,  atramentum  et  calamum  % 
c'est-à-dire  au  roseau,  au  moyen  d'encre,  sur  du  papyrus, 
sorte  de  papier  préparé  avec  les  pellicules  du  papyrus  égyp- 
tien'. S.  Paul  parle  aussi  de  parchemins  et  de  livres''.  Mais 
le  parchemin  (peaux  d'animaux  qu'on  préparait  à  iPergame) 
était  plus  coûteux  et  moins  usité  que  le  papyrus.  Il  est  à 
croire  que  les  premiers  exemplaires  du  Nouveau  Testament 
furent  écrits  sur  papier  commun  ^  On  tarda  peu  néanmoins 
à  en  faire  des  copies  sur  parchemin  pour  l'usage  des  Eglises. 
Dès  le  quatrième  siècle,  l'usage  des  Bibles  en  parchemin 
était  assez  général.  Eu^sèbe  nous  apprend  que  Constantin  en 
fit  confectionner  cinquante  exemplaires  avec  un  soin  et  une 
richesse* extraordinaires  pour  les  principales  Eglises®.  C'est 
à  cette  date  que  remontent  nos  plus  anciens  manuscrits  ^ 
—  Quant  aux  caractères,  on  n'écrivait  les  ouvrages  de  prix 
et  les  documents  publics  qu'en  lettres  majuscules,  dites 
onciales^^  et  cet  usage  se  conserva  jusqu'au  neuvième  siècle. 

»/n/ra,  n.  56,  183,  414.  —  2  II  Joan.,  12;  III  Joan.,  13.—  3  PHn.,  H.  AT., 
xin,  H-17.  —  *  II  Tim.,  rv,  13.  —  ^11  ne. nous  est  parvenu  en  papyrus 
qu'un  fragment  de  la  1"  Epitre  aux  Corinthiens.  Nos  manuscrits  anciens 
sont  sur  parchemin,  et  à  partir  "du  xii«  siècle,  sur  papier  de  vieux  linge. 
—  *  Enseb.,  Vita  Constant.  ^  I,  iv,  36.  —  ^  Le  P.  Vercellono  pcrfso  que  le 
manuscrit  du  Vatican  peut  nous  venir  de  là.  —  8  ^^  uncia,  id  est  pcdis 
daodecima  parte  constantes.  Ducange,  Diction. 


14  INTRODUCTION  AU  NOUVEAU  TESTAMENT.  [N**  11 

A  cette  époque,  on  commença  à  se  servir  d'une  écriture 
cursive,  minuscule,  plus  prompte  à  tracer,  mais  plus  diffi- 
cile à  lire,  semée  d'abréviations  de  diverses  sortes.  Le  plus 
ancien  manuscrit  où  l'on  trouve  ces  caractères  est  daté  de 
890.  Un  certain  nombre  oscillent  entre  les  deux  formes 
d'écritures,  Tonciale  et  la  cursive.  —  Enfin,  ce  qu'on  appe- 
lait livres,  volumes,  n'était  d'abord  que  des  rouleaux  ^  dans 
lesquels  les  feuilles  s'ajoutaient  les  unes  aux  autres,  et  où 
l'écriture  se  succédait  sans  interruption,  ni  division,  ni  ac- 
cents d'aucune  sorte.  On  comprend  quelle  difficulté  en  ré- 
sultait pour  la  lecture  et  pour  l'interprétation  des  textes  ^ 
Mais,  dès  le  quatrième  siècle,  les  Bibles  se  composèrent  de 
feuilles  reliées  en  cahiers,  comme  nos  in-folio. 

Pour  la  division  des  livres  et  la  ponctuation  des  phrases, 
on  s'y  essaya  de  bonne  heure  ;  mais  la  difficulté  fut  d'arri- 
ver à  une  ponctuation  et  à  des  divisions  uniformes.  On  fit 
d'abord,  pour  les  lectures  publiques  dans  les  offices,  des 
péricopeSy  ou  sections  qu'on  nomma  leçons,  anagnoses.  Les 
recueils  de  ces  leçons  formèrent  plus  tard  les  Lectionnaires, 
les  Evangéliaires,  les  Epistoliers.  En  même  temps,  il  se  fit 
pour  l'usage  des  particuliers  une  division  suivie  par  cha- 
pitres, xspxXaia,  ou  par  titres,  TtT)vOt,  c'est-à-dire  par  sec- 
tions précédées  de  sommaires.  Dès  le  commencement  du 
troisième  siècle,  Ammonius  d'Alexandrie  (f  250)  divisa 
ainsi  les  évangiles  en  un  grand  nombre  de  chapitres,  afin 
de  pouvoir  indiquer  sur  la  marge  de  S.  Matthieu  les  en- 
droits parallèles  des  autres  évangélistes  et  à  former  une 
sorte  de  Concorde.  Eusèbe  (f  340)  profita  de  cette  division 
pour  dresser  ses  Canons  qui  devinrent  célèbres  et  qu'on 
retrouve  dans  presque  tous  les  manuscrits  grecs  ^  Ce  sont 
dix  colonnes  ou  tableaux,  dans  chacun  desquels  il  indiqua 

i  Apoc,  VI,  14.  —  2  Ainsi  les  uns  Usaient  ouv  eTiKjxowoi;,  les  autres, 
tJVYein<yxoitoiç,  Pliil.,  i,  l:  les  uns  o  ti,  les  autres  oxi,  Joan..  viii,  25;  les 
uns  Ôta  iravToç,  les  autres  Siawavtoç,  Phil.,  i,  1  ;  ceux-ci  exa^toi  axonouvteç, 
ceux-là  exaorrotc  xoitouvxe;;  Phil.,  ii,  4.  Cf.  S.  Iren.,  HI,  vu,  1,  sur  II  Cor., 
IV,  4;  S.  Aug.,  In  Joan.f  I,  6,  sur  Joan.,  I,  3.  —  »  Euseb.,  Epist.  ad  Cav- 
pianum;  S.  Hieron.,  De  vir  ilL,  lv;  Prsef.  in  Ev.;  Martigny,  2c  édition. 
Canons  5». 


N°  H]  DU  TEXTE  DU   NOUVEAU  TESTAMENT.  15 

les  passages  propres  à  chaque  èvangéliste,  ou  ceux  qui  sont 
communs  à  tous,  ou  seulement  à  trois  ou  à  deux  d'entre 
eux  uniformément  combinés*.  Vers  460,  Euthalius,  diacre 
d'Alexandrie,  qui  devînt  évéque  en  Sardaigne  (t  495),  mit 
des  sommaires  aux  chapitres  des  Actes  et  des  Epîtres,  et 
publia,  pour  l'usage  liturgique,  des  Evangiles  et  des  Actes 
divisés  en  stiques,  cti/oç,  c'est-à-dire  de  courtes  phrases  ou 
membres  de  phrases,  dont  chacun  formait  une  ligne  et  de- 
vait être  lu  sans  aucun  repos.  Cette  méthode,  nommée  sti- 
chométrie,  s'étendit  et  se  généralisa.  On  y  joignit  bientôt  la 
supputation  des  stiques,  à  l'imitation  de  la  massore  hé- 
braïque, qui  est  de  la  môme  époque  *.  Dès  le  cinquième  siècle, 
on  sépara  les  phrases  par  un  point  en  haut.  Au  sixième,  on 
essaya  de  remplacer  les  stiques  par  un  système  de  ponctua- 
lion  régulier.  Toutes  ces  particularités  doivent  être  remar- 
quées comme  autant  d'indices  propres  à  déterminer  l'âge  des 
manuscrits  '. 

*  Cf.  s.  Hieron.»  t.  x,  In  iv  Evang.y  Praef.  Les  sections  d'Ammonius 
et  les  canons  d'Eusèbe  sont  marqués  dans  A  et  t(  à  la  marge  par  une 
main  qu'on  croit  contemporaine.  C  a  les  TiT>ot  aussi  bien  qu'A,  mais  B 
n'a  ni  tit).oi  ni  xeçaXata,  ni  canons  d'Eusèbe ,  ni  sections  d'Ammonius, 
bien  qu'il  ait,  pour  les  Evangiles  et  les  Actes,  une  division  très  ancienne. 
—  ^  A,  T.,  n.  87-90.  ^  ^  A,  T.,  n.  92.  Notre  division  actuelle  par  cha- 
pitre remonte  au  treizième  siècle.  Elle  est  l'œuvre  d'Hugues  de  Saint- 
Cher(f  1262),  qui  en  sentit  la  nécessité  pour  la  rédaction  de  sa  Concor- 
dance. Elle  a  le  défaut  de 'séparer  quelquefois  des  textes  qui  devraient 
être  unis;  par  exemple  Matth.,  ix,  35-38  et  x,  1  ;  xix,  30  et  xx,  1  ;  Marc, 
II,  23-28  et  m,  1-5;  viii,  39  et  ix,  1;  Luc,  xx,  45-47  et  xxi,  1-4;  Joan., 
vu,  53  et  VIII,  1;  Act.,  iv,  32-37  et  v,  1  ;  vu,  tiO  et  viii,  1-2;  I  Cor.,  x, 
33  et  XI,  l  ;  xiii,  13  et  xiv,  1  ;  II  Cor.,  iv,  18  et  v,  1  ;  Gai.,  v,  26  et  vi,  1  ; 
VI,  18  et  VII,  1  ;  Col.,  m,  25  et  iv,  1.  La  division  des  chapitres  en  versets, 
faite  en  1551  par  Robert  Etienne  pour  le  Nouveau  Testament,  permet 
d'indiquer  les  renvois  avec  plus  de  précision  encore  ;  mais  on  convient 
qu'elle  n'a  pas  plus  d'autorité  et  qu'elle  pourrait  également  induire  en 
erreur  dans  l'explication  des  textes.  Elle  sépare  assez  souvent  des  versets 
qui  devraient  être  unis  :  Joan.,  x,  14,  15;  xii,  23,  24;  Rom.,  ix,  22,  23; 
I  Cor.,  m,  1,  2;  II  Cor.,  m,  7,  8;  vu,  13,  14;  Gai.,  iv,  13,  14;  Heb.,  i, 
1,2;  n,  23;  m,  9,  10;  vi,  5,  6;  vu,  9, 10;  vni,  4,  5;  ix,  27,  28;  ix,  13,  14; 
et  plus  souvent  encore  elle  en  unit  qui  devraient  être  séparés.  On  peut 
Wre  la  môme  remarque  sur  la  ponctuation.  Elle  est  douteuse  on  bien 
des  endroits  :  Joan!,  i,  3,  4  ;  xiv,  31  ;  Rom.,  iv,  1  ;  Gai.,  iv,  12,  etc.  Ajou- 
tons que  les  divisions  de  la  Vulgato  ne  coïncident  pas  toujours  avec 


16  INTRODUCTION   AU   NOUVEAU   TESTAMENT.  [n»  12 

*  12.  —  Les  premiers  exemplaires  des  livres  saints  dta^ent-ils  de  la 
main  des  auteurs  sacrés,  et  se  conservèrent-ils  dans  l'Eglise? 

1'  Il  était  rare  qu'on  écrivît  soi-même  ce  qu'on  voulait 
publier.  Au  moins  l'écrit  était-il  mis  au  net  par  un  calli- 
graphe  avant  d'être  livré  au  public.  S.  Paul  témoigne  lui- 
même  aux  destinataires  de  ses  Epîtres  qu'elles  sont  d'une 
autre  main  que  la  sienne.  Dans  l'Epître  aux  Romains,  le  se- 
crétaire est  nommé*.  Ordinairement  l'Apôtre  se  bornait  à 
écrire  à  la  fin,  comme  garantie  d'authenticité,  une  formule 
de  salutation  avec  sa  signature  ^  L'Epître  à  Philémon  et 
celle  aux  Galates  semblent  pourtant  avoir  été  écrites  tout 
entières  de  sa  main  '. 

2°  On  ne  voit  pas  qu'on  ait  attaché  grande  importance  à 
conserver  les  manuscrits  originaux,  ni  qu'on  y  ait  jamais 
recouru  pour  convaincre  de  falsification  aucun  hérétique. 
Comme  ils  étaient  sur  un  papier  commun,  probablement  % 
ceux  même  que  les  auteurs  avaient  écrits  de  leur  main 
durent  être  bientôt  détériorés  et  remplacés  par  des  copies, 
faites  avec  plus  de  soin.  Plusieurs  savants  sont,  il  est  vrai, 
d'un  autre  avis.  Reitmayer  cite  Tertulien,  disant  à  la  fin  du 
second  siècle  :  Percurre  eclesias  apud  qtias  ipsœ  authenticœ 
Apostolorum  litterœ  recitantur  '^,  et  soutient  que  par  authen- 
ticœ litterœ  il  faut  entendre  la  minute  même  des  Epîtres 
apostoliques.  Mais  ce  sens  est  contesté.  On  entend  par  là 
communément  le  texte  original  ^ans  son  intégrité,  par  oppo- 
sition aux  exemplaires  suspects  ou  moins  autorisés. 

celles  du  texte  grec.  Voir  Matth.^  xvii,  15,  etc.;  Marc,  viii,  39;  ix,  etc.; 
Joan.,  I,  37,  etc.  ;  vi,  52,  etc. 

1  Rom.,  XVI,  22.  —  2  I  Cor.,  xvi,  21  ;  Col.,  iv,  18;  II  Thess.,  m,  17.  — 
3  Gai.,  VI,  11;  Phileoi.,  19.  —  *  I  Joan.,  12.  Les  écrits  sur  papyrus, 
sans  cesse  menacés  par  Thumidité  et  par  les  vers,  duraient  peu,  géné- 
ralement. Pline  cite  comme  une  rareté  un  livre  qui  av^it  duré  deux 
siècles.  Cf.  S.  Hieron.,  Epist.  xxxvi.  II  Tim.,  iv,  13,  ne  prouve  pas  que 
nos  Epîtres  aient  été  écrites  sur  parchemin.  Le  parchemin  servait  sur- 
tout pour  les  ouvrages  de  prix.  —  3  Tert.,  de  Prsçscrip,^  xxxvi.  Cf.  de 
Monog.y  xi.  S.  Hieron.,  In  Isai.^  lxiv,  4. 


N®  13]  .    DU  TEXTE  DU   NOUVEAU  TESTAMENT.  17 

13.  —  Comment  constater  que  le  texte  do  nos  saints  livres  est  encore 
aujourd'hui  tel  qu'il  était  aux  premiers  siècles. 

Il  y  a  trois  moyens  principaux  pour  s'assurer  directement 
de  l'intégrité  du  texte  ou  pour  la  démontrer  scientifique- 
ment; les  Versions,  les  Pères  et  les  Manuscrits. 

i"  Les  Versions.  Elles  donnent,  aux  nuances  près,  le  sens 
du  texte  tel  qu'il  existait  à  l'époque  où  elles  ont  été  compo- 
sées. Or,  nous  en  avons  toute  une  série  qui  commence  à  la 
fin  du  premier  siècle  ou  dans  la  première  partie  du  second. 
Les  versions  latines  en  usage  avant  S.  Jérôme  touchent  aux 
temps  apostoliques*.  L'Italique  en  particulier  ne  saurait  être 
retardée  au  delà  de  150  ^  Si  elle  n'a  pas  été  faite  sur  les  ma- 
nuscrits des  Apôtres,  elle  a  dû  l'être  sur  leurs  premières 
copies.  La  Version  syriaque  Péchito,  à  laquelle  il  ne  manque 
que  les  cinq  derniers  livres  deutérocanoniques,  l'Apoca- 
lypse, l'Epître  de  S.  Jude,  la  11^  et  la  IIP  de  S.  Jean  et  la  IP 
de  S.  Pierre,  est  a  peu  près  de  la  même  époque  ^  Il  en  est 
d'autres  du  troisième  siècle  :  les  trois  versions  cophtes  ou 
égyptiennes.  Il  en  est  du  quatrième  :  la  version  éthiopienne 
qui  remonte  à  l'époque  de  la  propagation  de  la  foi  dans  l'A- 
byssinie,  et  la  version  gothique  (360),  dont  l'auteur,  Ulfîlas, 
assista  au  I"  Concile  de  Constantinople  en  381.  Il  en  est  du 
cinquième  :  la  version  arméniennne,  etc.*.  On  peut  consul- 
ter ces  versions,  les  confronter  avec  le  texte  grec,  et  voir  si 
elles  s'accordent  au  moins  pour  le  sens. 

2"  Les  citations  des  Pères  et  des  auteurs  ecclésiastiques. 
Quoique  la  plupart  des  travaux  des  Pères  soient  perdus,  on 
compte  encore,  de  la  fin  du  premier  siècle  à  la  fin  du  qua- 
trième, de  S.  Clément  à  S.  Jérôme,  plus  de  deux  cents  au- 
teurs ecclésiastiques,  grecs,  latins,  syriaques,  de  l'Asie  Mi- 
neure, de  l'Italie,  de  l'Afrique,  de  la  Palestine,  dont  il  nous 


•  Primis  fidei  temporibus.  S.  Aug.,  de  T)oct.  Christ.,  ii,  16.  —  2  Cf. 
A.  r,  n.  125  et  Infra^  n,  33.  —  3  ^.  T.,  n.  122.  La  traduction  actucHo 
de  CCS  livres  ost  d'un  auteur  moins  ancien  ;  cependant  rien  ne  prouve 
absolument  qn  elle  n*en  remplace  pas  une  autre  de  la  même  époque  que 
celle  des  autres  livres.  Infra,  n.  23,  note.  —  ^  A.  T.,  n.  140-152. 


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DU  TEXTE  DU  NOUVEAU  TESTAMENT. 


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20  INTRODUCTION  AU   NOUVEAU  TESTAMENT.  [n^  13 

est  parvenu  quelque  écrit.  Or  presque  tous  citent  le  Nouveau 
Testament  ;  et  un  grand  nombre  en  reproduisent  ou  en  com- 
mentent une  partie  considérable;  par  exemple,  au  second 
siècle,  S.  Justin,  S.  Iréné,  S.  Théophile  d'Antioche;  au  troi- 
sième, Clément  d'Alexandrie,  Tertullien,  Origène  ;  au  qua- 
trième, S.  Hilaire  de  Poitiers,  S.  Grégoire  de Nysse,  S.  Atha- 
nase,  S.  Cyrille  de  Jérusalem,  S.  Ambroise,  etc.  Il  est  vrai 
que  les  Pères  s'attachent  aux  pensées  plus  qu'aux  expressions, 
qu'ils  citent  de  mémoire,  qu'ils  fondent  souvent  ensemble  les 
endroits  parallèles,  que  leurs  manuscrits  peuvent  n'avoir 
pas  été  corrects,  que  leurs  textes  peuvent  être  altérés.  Au 
moins  donnent-ils,  la  plupart  du  temps,  le  sens  des  passages 
qu'ils  allèguent;  et  quand  ils  sont  d'accord  ou  qu'ils  attes- 
tent que  leur  leçon  est  la  bonne,  on  ne  peut  guère  avoir 
de  doute  à  cet  égard.  Aussi  ne  faut-il  pas  aller  bien  loin 
dans  les  Pères  pour  se  convaincre  de  l'intégrité  substantielle 
de  nos  évangiles,  et  même  de  tous  les  passages  importants 
du  Nouveau  Testament  *. 

2°  Les  Manuscrits.  A  défaut  des  minutes  tracées  par  les 
Apôtres,  nous  avons  des  copies  manuscrites  plus  ou  moins 
anciennes.  Scholtz  (1774-1853)  comptait  de  1200  à  1300  ma- 
nuscrits, contenant  le  Nouveau  Testament,  en  tout  ou  en 
partie,  sous  une  forme  ou  sous  une  autre:  675  pour  les  Evan- 
giles, 200  pour  les  Actes,  250  pour  les  Epîtres  de  S.  Paul, 
une  cinquantaine  pour  l'Apocalypse.  On  en  connaît  mainte- 
nant près  de  2,000  ^  De  ces  manuscrits,  une  centaine  au 
moins  sont  en  lettres  onciales  et  d'une  époque  antérieure  au 
onzième  siècle.  Ce  sont  ceux  qui  attirent  le  plus  l'attention 
et  qu'on  a  le  plus  étudiés. 

Deux  remontent  au  quatrième  siècle  :  B,  qui  est  au  Vatican 
depuis  1475  et  qui  a  été  publié  par  le  P.  Vercellone  (1869- 
1881),  et  K,  du  Sinaï,  découvert  et  pulilié.par  Tischendorf 
(1859-1863). 

1  Voir  comme  spécimon,  l'abbé  Gainet,  La  Bible  sans  la  Bible,  t.  IV, 
ch.  9.-2  Scrivcncr,  Introd.  io  the  textual  Cnlicism  of  the  N.  T. 


NO  13]  Dt  TEXÎE  t)U  NOUVEAU  TESÎAMENT.  H 


B.  ~  Jean.,  I,  1-3  *. 

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K.  —  Joan.,  I,  1-3  *. 

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TOCHN  eN APX  H 
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Deux  sont  du  cinquième,  l'Alexandrin  du  Musée  britan- 
nique, A,  acheté,  en  1628,  par  Charles  I"  au  patriarche 
d'Alexandrie  %  Cyrille  Lucar,  et  publié  en  1707-1720  ;  et  le 
Codex  regiîis^  de  la  Bibliothèque  Nationale  de  Paris,  C,  pa- 
limpseste*, publié  en  1843,  et  souvent  appelé  Codex 
Ephrœmeticiis^  parce  qu'au  douzième  siècle,  on  avait 
cherché  à  faire  disparaître  la  première  écriture,  qui  était 
celle  des  livres  saints,  pour  écrire  dessus  les  œuvres  de 
S.  Ephrem  en  langue  syriaque. 

*  Volume  de  parchemin,  in-4o,  que  la  bibliothèque  du  Vatican  possède 
depuis  sa  fondation»  1475.  Outre  le  texte  du  N.  T.,  il  comprend  les 
Septante.  Chaque  page  est  divisée  en  trois  colonnes.  —  2  Tischendorf 
a  trouvé  ce  manuscrit  en  1859  au  couvent  de  Sainte-Catherine  sur  le 
mont  Sinaï.  11  a  346  feuillets  à  4  colonnes  de  48  lignes.  Avec  le  N.  T., 
il  renferme  les  Septante.  S.  Barnabe  et  Hermas.  —  3  Depuis  patriarche 
de  Gonstantinople.  —  *  MP*6ffToç,  raclé,  poli  ;  7ta).iv  de  nouveau.  Cf.  Mar- 
tigny,  Palimpseste f  2e  édition. 


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INTRODUCTION   AU   NOUVEAU   TESTAMUNT.  [N'O  13 

A.  —  Joao.,  1,  1-3  '. 


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Il  en  est  un  du  sixième,  celui  de  Bèze  ou  de  Cambiidge, 
D,  qu'on  a  publié  en  1793.  Il  fut  enlevé  parles  protestants 

■  Co  manuacrit  so  trouve  au  Britiab  Muséum  do  Londres,  et  comprend 
aussi  les  Septante.  —  *  Le  Codex  regius,  dit  de  S.  Eplirep,  n'est  pss  moins 
«ncien  que  l'Alexandrin.  Mais  il  est  fort  incomplet,  On  n'a  pu  n 
que  147  Teuilleia  du  Nouveau  Testament  et  62  des  livres  Sapien 


X*  13j  DU  TEXTE  DU   NOUVEAU   TESTAMENT.  ii3 

au  couvent  de  Saint-Irénée  de  Lyon,  en  1562,  et  donné  par 
Bèze  à  l'Université  de  Cambridge,  en  1581.  A  la  différencedes 
quatre  manuscrits  précédents,  qui  renferment,  à  quelques 
lacunes  près,  tous  les  livres  du  Nouveau  Testament  et  même 
ceux  de  l'Ancien,  en  grec  ou  selon  les  Septante,  D  ne  ren- 
ferme que  les  Évangiles  et  les  Actes,  avec  une  partie  des 
Epîtres.  Mais  il  est  bilingue,  grec-latin,  et  écrit  stichométri- 
quement. 

D.  —  Mattli.,  V,  3  *. 

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Ce  manuscrit  a  pour  complément  celui  de  Clermont,  Cla- 
romontanus^  D^ ,  qui  est  à  peu  près  de  la  même  époque  et 
qui  contient  les  Epîtres  de  S.  Paul.  Enlevé  aussi  par  les 
protestants  au  monastère  de  Clermont,  près  Beauvais,  celui- 
ci  est  revenu  des  mains  de  Bèze  à  la  Bibliothèque  Nationale 
de  Paris. 

On  a  encore  du  même  siècle  quelques  palimpsestes  qui 
contiennent  une  partie  des  Evangiles  P,  Q,  R,  en  particu- 
lier celui  de  Dublin  Z.  L'âge  de  ces  manuscrits,  quand  il 
n'est  pas  indiqué  dans  le  manuscrit  même^  se  détermine  par  la 
nature  du  parchemin  ou  du  papier,  par  la  forme  des  lettres, 
les  divisions,  s'il  y  en  a,  les  abréviations,  la  ponctuation,  etc.^ 

*  Les  pages  n'ont  qu  une  colonne.  Le  latin  est  en  stiques  comme  le 
grec.  Fac  simile  de  1793.  —  2  Supra,  n.  11.  Les  plus  anciens  manuscrits 
auxquels  on  a  pu  les  comparer,  sont  :  —  1°  Ceux  d'une  bibliothèque 
décoarcrte  à  Uerculanum  dans  la  villa  des  Pisons.  Sur  341  de  ces  ma- 
nuscrits qu'on  a  pu  dérouler,  18  sont  latins,  323  sont  grecs.  De  ceux-ci, 
43  contiennent  des  écrits  de  Philodème ,  philosophe  et  poëte  contem- 
porain de  Cicéron.  Us  paraissent  être  de  Tépoque,  sinon  de  la  main  de 
l'auteur.  —  2»  Des  papyrus  du  premier  siècle  de  notre  ère  et  môme 
quelques-uns  du  second  siècle  avant  Jésus-Christ.  Les  premiers,  décou- 
Terts  en  Égjrpte,  contiennent  quelques  chants  de  l'illiade  avec  trois  dis- 
wurs  de  l'orateur  Hypéride.  On  trouve  dans  les  seconds  des  morceaux 
fort  incorrects  d'Euripide  et  d'autres  poètes  grecs,  avec  un  traité  astro- 
ooffiiqne  et  des  fragments  de  dialectique* 


ii  INTRODUCTION   AU   NOUVEAU   TESTAMENT.  [N»  14 

Quant  aux  manuscrits  en  caractères  cursifs  ou  minuscules, 
ils  sont  en  bien  plus  grand  nombre,  dix-huit  cents  au  moins, 
plus  ou  moins  complets  ;  mais  les  plus  anciens  ne  remontent 
pas  au  delà  du  ix*»  siècle. 

Voilà  donc  un  troisième  moyen  de  connaître  quel  était 
le  texte  des  livres  saints,  au  quatrième,  au  troisième  et 
même  au  second  siècle,  car  les  manuscrits  que  nous  avons 
ont  été  copiés  sur  des  exemplaires  plus  anciens  *.  Joint  aux 
deux  précédents,  ce  moyen  nous  met  à  môme  de  constater 
d'une  manière  certaine  que  le  Nouveau  Testament  n'a  pas 
été  altéré  dans  sa  substance, 

14.  —  Est-il  facile  de  faire  par  soi-mcme  ua  pareil  examen? 

Une  étude  sérieuse  des  manuscrits  grecs  demanderait  à 
elle  seule  plus  que  la  vie  d'un  savant.  Mais  on  peut  s'épar- 
gner ce  travail  sans  manquer  de  prudence,  et  trancher  la 
question  par  voie  d'autorité.  C'est  ce  que  font  généralement 
les  catholiques  ^ 

L'Eglise,  chargée  de  faire  connaître  les  livres  inspirés, 
est  autorisée  par  cela  même  à  dire  quels  sont  les  véritables 
textes.  Or,  on  sait  qu'au  concile  de  Trente,  elle  a  déclaré 
irrépréhensible  et  authentique  la  version  Vulgate%et  que 
le  concile  du  Vatican  a  frappé  d'anathème  ceux  qui  n'admet- 
traient pas  comme  inspirés,  avec  toutes  leurs  parties,  les 
livres  contenus  dans  cette  version*.  La  Vulgate  étant  notoi- 
rement conforme  aux  textes  grecs  actuels  du  Nouveau  Tes- 
tament, ou  n'en  différant  que  par  des  détails  insignifiants, 
on  doit  conclure  de  ces  décrets  :  1^  Qu'on  ne  peut  rencontrer, 
ni  dans  le  texte  grec,  ni  dans  la  version  latine  en  usage 
dans  l'Eglise,  aucune  altération  doctrinale  qui  porte  atteinte 
à  la  pureté  de  la  croyance;  2^  Qu'il  ne  s'y  trouve  aucun  frag- 
ment notable  ou  de  quelque  étendue  qui  n'ait  pour  auteur 

.  1  Supra^  n.  12.  —  ^  Auctoritati  credere  magnum  compendium  est,  et 
nullus  labor.  S.  Aug.,  De  qitant.  animœ^  12.  —  3  Statuit  et  déclarât  ut 
hœc  ipsa  vêtus  et  vulgata  editio,  quœ  longo  tôt  sfeculorum  usu  in  ipsa 
Ecclesia  probata  est,  pro  authentica  Ua]}eatur  et  nemo  illam  rejic&ro 
praesumat.  Gonc.  Trid.,  Sess.  IV,  —  *  Gonc.  Vatic,  de  ReveL,  can.  4. 


N<>  15J  1)U  tEXtE  DU   NOUVEAU   tESTAMENt.  H^ 

an  écrivain  inspiré.  Ces  deux  principes  établis,  un  fidèle 
peut  être  tranquille  dans  sa  croyance,  et  étudier  en  paix  la 
parole  de  Dieu. 

Quant  aux  protestants,  qui  ne  veulent  pas  reconnaître 
l'aulorité  de  l'Eglise,  force  leur  est  de  s'en  rapporter  à  celle 
des  hommes  et  de  prendre  pour  base  de  leur  foi  le  témoi- 
gnage de  la  critique.  Voilà  où  les  conduit  leur  prétention  de 
ne  croire  à  nulle  autre  chose  qu'à  la  pure  parole  de  Dieu. 

15.  -^  A  quel  résultat  est-on  arrivé  par  rétade  combinée  des  ma- 
nuscrits, des  Pères  et  des  Versions? 

Depuis  deux  siècles,  un  grand  nombre  de  savants  d'An- 
gleterre et  d'Allemagne  se  sont  voués  à  cette  étude,  d'au- 
tant plus  zélés  pour  la  lettre,  qu'ils  se  désintéressent  davan- 
tage du  sens  et  de  l'inspiration  des  livres  *.  Les  plus  connus 
sont  Mill,  professeur  à  Oxford  (t  1707),  qui  releva  dans  le 
Nouveau  Testament  plus  de  30,000  variantes  *  ;  Bengel 
(t  1752),  auteur  d'un  Apparatus  critictcs  adNovUm  Testamen- 
tum  ';  Griesbach  (f  1812),  dont  le  Nouveau  Testament  grec 
fut  fait  sur  plus  de  200  manuscrits  *  ;  Scholtz,  de  Breslau 
(t  1853),  qui  en  a  donné  un  autre,  sur  un  bon  nombre  de 
manuscrits  non  encore  étudiés,  mais  qu'on  trouva  trop  fa- 
vorable aux  manuscrits  byzantins  *;  Lachmann  ®  (f  1855), 
Tregelles  "^  (f  1875),  Tischendorf  (f  1874),  dont  le  Nouveau 
Testament  est  précédé  d'une  savante  Introduction  et  suivi 
de  Notes  critiques  •  ;  enfin  Wescott  et  Hort  *.  Voici  les  obser- 
vations et  les  conclusions  les  plus  importantes  auxquelles 
leurs  travaux  les  ont  conduits  : 

1"  Des  deux  cent  mille  variantes  que  pourrait  fournir 
l'étude  des  manuscrits,  des  versions  et  des  Pères,  il  n'y  en 

*  Excolantes  cnlicem.  Matth.,  xxiii,  24;  Infra,  n.  27.  —  >  Novum 
Tettamentum  grxcum,  cum  ledionibus  variantibtts,  Oxford,  ld45,  1701. 
—  3  Sovum  Tettamentum  grâce,  cum  apparatu,  etc.  Tub.,  1734.  — 
*  Halle  3  vol.,  1774-75-77.  —  «  2  vol.,  Leipsik,  1831-35-38.  Scholtz  est 
catholique.  —  «Sf  în-8»,  Berol.,  1831.  Grœce  et  latine,  Berol.,  1842-50.  — 
'  Tke  greek  Test.,  in-4«,  1857,  1860.  —  «  Editio  critica  major,  et  Editio 
nrinor,  1858  ;  souvent  rééditées.  —  *  The  New  Testament  in  the  original 
greek,  the  text  revised,  2  iu-12,  London,  1881. 

2 


26  INTRODUCTION  AU  NOUVEAU  TESTAMENT.  [n<>  15 

a  pas  plus  d'une  centaine  qui  méritent  attention,  et  sur 
cette  centaine,  il  en  est  une  douzaine  au  plus  qui  ont  une 
certaine  gravité,  sans  qu'aucune  mette  le  moins  du  monde 
en  péril  la  pureté  de  la  doctrine.  Les  autres  sont  purement 
orthographiques  ou  grammaticales  *. 

2^  Ce  petit  nomhre  de  variantes  auxquelles  nous  recon- 
naissons quelque  gravité  sont  de  deux  sortes  :  1°  Les  pre- 
mières ont  pour  objet  les  fragments  deutérocanoniques  que 
nous  avons  signalés  %  les  douze  derniers  versets  de  S.  Marc, 
deux  versets  de  S.  Luc  sur  l'agonie  du  Sauveur,  et  l'histoire 
de  la  femme  adultère.  On  n'a  fait  là-dessus  aucune  décou- 
verte. Nul  n'ignorait,  en  effet,  qu'il  y  avait  eu,  dans  les 
premiers  siècles,  une  certaine  diversité  dans  les  manuscrits 
et  quelque  divergence  dans  les  sentiments.  Loin  de  rendre 
l'authenticité  de  ces  fragments  plus  suspecte,  les  recherches 
des  critiques  modernes  la  confirment  au  contraire  par  de 
nouvelles  raisons,  de  sorte  qu'à  cet  égard,  la  croyance  de 
l'Eglise  se  trouve  aujourd'hui  pleinement  justifiée  ^  — 
2*  Les  autres  variantes  de  quelque  importance  se  réduisent 
à  deux  versets  de  l'Evangile  de  S.  Jean,  sur  l'ange  qui  des- 
cendait dans  la  piscine*,  et  à  un  verset  de  sa  première 
Épître,  sur  les  trois  témoins  ^  On  peut  admettre  avec  beau- 
coup d'auteurs  catholiques  que  sur  ce  verset,  la  critique  n'a 
pas  encore  éclairci  tous  les  doutes;  mais  en  attendant  qu'elle 
achève  son  œuvre,  la  raison  ne  demande-t-elle  pas  qu'on 
défère  au  sentiment  de  l'Eglise  et  qu'on  la  laisse  en  posses- 
sion de  textes  dont  elle  fait  paisiblement  usage  depuis  douze 
à  quinze  siècles?  Lors  même  qu'on  rejetterait  son  infailli- 
bilité ou  qu'on  croirait  son  enseignement  désintéressé  dans 
la  question,  on  devrait  se  souvenir  du  soin  extrême  qu'elle 
a  toujours  eu  d'écarter  des  Ecritures  toute  altération  et 
toute  nouveauté  *.  Comme  elle  a  pu  montrer  aux  incrédules 
qu'elle  a  conservé  dans  leur  pureté  les  autres  parties  des 

1  Wescott  et  Hort,  Introd..,  p.  2,  1818.  --  ^  $M/>Jti,  n.  7.  —  3  Dis- 
cours X,  sur  V accord  des  sciences^  etc.  —  *  Joau.,  v,  3,  4.  —  s  i  Joan., 
V,  7.  —  6  Cf.  Mattli.,  V,  18  ;  Luc,  xvi,  17.  S.  Aug.,  Epist,  lxxi,  5,  Infra^ 
ii.  24. 


N<»  15]  DU  TEXTE  DU   NOUVEAU  TESTAMENT.  27 

livres  saints,  n'est-il  pas  à  croire  qu'elle  aura  également 
préservé  cet  endroit  de  toute  falsification? 

3<^  En  dehors  de  ces  passages,  on  a  peine  à  citer  un  terme 
ou  deux  pouvant  servir  à  confirmer  un  dogme,  et  dont  les 
recherches  critiques  infirmeraient  la .  valeur.  Indiquons 
cependant  un  verset  des  Actes,  xx,  28.  Au  lieu  de  l'Eglise 
de  Dieu^  comme  dans  la  Vulgate,  on  devrait  lire,  suivant 
certains  critiques,  l'Eglise  du  Seigneur  :  KO  (-/.uptou)  en  grec 
au  lieu  de  Ou  (©-su)  *.  Par  contre,  dans  la  première  Epître  à 
Timothée,  m,  16,  au  lieu  de  5,  quod,  admis  par  l'auteur  de  la 
Vulgate,  un  grand  nombre  soutiennent  qu'il  faut  lire  Oç, 
(6eoç),  et  par  conséquent  traduire  :  Deus  manifestatus  est  in 
came,  au  lieu  de  :  Quod  manifestatum  est  '. 

4"  Au  jugement  d'un  bon  nombre  de  savanfe,^de  Tischen- 
(lorf  en  particulier,  les  manuscrits  se  partagent  en  deux 
classes  ou  forment  deux  familles,  qui  ont  leur  centre  ou 
leur  origine  en  deux  villes  célèbres  par  le  nombre  et  l'habi- 
leté de  leurs  copistes,  celle  d'Alexandrie  et  celle  de  Byzance; 
La  dernière  de  ces  villes  a  commencé  plus  tard  à  se  livrer  à 
cette  industrie,  mais  elle  a  supplanté  l'autre.  Les  manus- 
crits sortis  de  cette  source  sont  moins  anciens,  en  caractères 
cursifs,  minuscules,  ou  du  moins  en  petites  majuscules,  du 
huitième  siècle,  du  septième  au  plus.  Ils  se  répandirent 
surtout  en  Asie  et  dans  la  Grèce.  A  l'autre  famille,  celle 
d'Alexandrie,  appartiennent  les  manuscrits  en  lettres  on- 
ciales,  plus  répandus  en  Afrique  et  en  Italie,  celui  du  Vati- 
can, le  Codex  regius,  comme  aussi,  malgré  certaines  va- 
riantes dans  l'écriture,  celui  du  Sinaï,  celui  de  Cambridge, 
l'Alexandrin,  etc.  ^  Griesbach  admettait  trois  familles  qu'il 
appelait  recensions,  bien  que  ce  mot  convînt  mieux  pour  in- 
diquer le  travail  critique  d'où  il  les  faisait  sortir  :  la  recen- 
sion  alexandrine,  la  recension  byzantine,  et  une  troisième, 

*  Addo  Marc,  i,  1.  —  '  înft'a,  n.  776.  —  3  On  a  fait  remarquer 
qn'Easèbc  se  trouvait  à  Alexandrie,  quand  Constantin  le  chargea  de 
faire  confectionner,  aux  frais  du  trésor,  50  Bibles  qu'il  destinait  aux 
principales  églises  do  Vempire.  Euseb.,  Vilà  Constantini^  iv,  34-37; 
Theodoret,  H.  E.,  i,  16;  Supra^  n.  11. 


28  INTRODUCTION  AU   NOUVEAU  TESTAMENT.  [n®  15 

intermédiaire  quant  à  la  date,  qu'il  appelait  occidentale. 
MM.  Wescott  et  Hot  reconnaissent  pareillement  trois  recen- 
sions, qu'ils  appellent  alexandrine,  occidentale  et.  neutre. 
Dans  la  pensée  de  ces  critiques,  il  doit  y  avoir  ressemblance 
aussi  bien  que  parenté  entre  les  manuscrits  de  chaque  fa- 
mille. Mais  ce  principe  est  loin  d'être  un  critérium,  et  d'or- 
dinaire il  est  bien  difficile  de  discerner  d'où  vient  tel  ma- 
nuscrit ou  quelle  est  sa  généalogie. 

50  L'édition  grecque  du  Nouveau  Testament,  connue  sous 
le  nom  de  Textus  receptm,  n'est  autre  que  la  troisième  édi- 
tion de  Robert  Etienne,  réimprimée  à  Leyde  par  les  Elzé- 
virs,  en  1624,  avec  les  corrections  de  Bèze,  jointes  à  celles 
d'Erasme  ^  Or^  les  manuscrits  assez  peu  nombreux  sur  les- 
quels elle  a  été  faite  étaient  presque  tous  minuscules  ou 
d'origine  bizantine,  par  conséquent  d'une  date  moins  an- 
cienne que  nos  manuscrits  alexandrins.  De  là  deux  apprécia- 
tions tout  opposées  dont  cette  édition  est  l'objet.  Les  uns,  et 
c'est  encore  le  grand  nombre,  persuadés  que  les  manuscrits 
les  plus  anciens  doivent  être  les  plus  purs,  pensent  qu'en 
fait  de  variantes,  elle  n'a  pas  grande  valeur.  Ils  préfére- 
raient de  beaucoup  une  édition  faite  sur  les  seuls  manuscrits 
onciaux  du  quatrième  et  du  cinquième  siècle,  et  pour  cette 
raison,  ils  la  mettent  au-dessous  de  l'édition  de  Complute  % 
donnée  en  1514  par  le  cardinal  Ximenès.  Mais  d'autres  cri- 
tiques, aussi  érudits  et  non  moins  judicieux,  s'appuyant 


*  Erasme  avait  donné  son  Nouveau  Testament  grec  à  Bâle,  1516-19-22- 
27-35,  d'après  trois  ou  quatre  manuscrits  seulement  Robert  Etienne  re- 
produisit en  1550,  la  troisième  édition,  en  y  ajoutant  les  variantes  qu'il 
avait  recueillies  dans  une  quinzaine  de  manuscrits  de  la  bibliothèque 
de  Paris.  L'année  suivante,  il  réimprima  cette  édiiion  et  en  distingua  les 
versets.  En  1551  et  1555.  Bèze  y  inséra  de  nouvelles  corrections  prises 
de  dÎK  manuscrits  nouveaux,  en  particulier  do  D  et  A.  La  première  édi- 
tion donnée  par  les  Elzévirs  parut  à  Leyde  en  1C24  :  H  xaivr,  AiôcOyjxyj. 
Lugd.  Bat.,  Ex  officina  Elzeviriana.  Elle  ne  différait  de  la  troisième 
d'Erasme  que  par  l'adjonction  d'une  centaine  de  corrections,  empruntées 
à  Bèze  pour  la  plupart.  Le  succès  de  cotte  édition  fut  tel,  que  dans  la 
préface  de  la  seconde,  on  la  qualifiait  de  textus  ab  omnibus  receptus, 
titre  que  continuent  à  lui  donner  ceux  même  qui  se  plaignent  le  plus 
de  l'imperfection  de  l'ouvrage.  —  «  Ou  Alcala. 


N«  15]  DU  TEXTE  DU  NOUVEAU  TESTAMENT.  29 

d'une  part  sur  le  fait  avéré  que  le  texte  reçu  ne  s'écarte 
presque  pas  de  celui  des  églises  grecques  actuelles,  et  d'autre 
part  sur  l'aveu  fait  par  leurs  adversaires  que  le  texte  de  ces 
églises  ne  différé  pas  de  celui  de  S.  Ghrysostome  et  des  autres 
Pères  grecs  de  la  fin  du  quatrième  siècle,  soutiennent  que 
cet  attachement  constant  d'une  grande  église  à  son  texte 
officiel  et  sa  fidélité  à  le  conserver  daiis  sa  pureté  depuis 
quatorze  siècles  donnent  à  ce  texte  une  autorité  supérieure 
à  celle  d'un  petit  nombre  de  manuscrits  qui  n'ont  pour  eux 
qu'une  antiquité  relative,  qui  ne  paraissent  pas  avoir  été 
faits  avec  un  grand  soin,  et  qui,  n'ayant  pour  eux  aucune 
garantie  officielle,  pourraient  être  des  copies  d'exemplaires 
peu  exacts,  comme  il  s'en  trouvait  un  grand  nombre  dans 
les  premiers  siècles  *. 

6"  Le  fruit  de  ces  récherches  et  le  résultat  de  ces  débats 
ne  peuvent  qu'être  avantageux  à  l'Église.  A  ceux  qui  mettent 
leur  confiance  dans  les  documents  les  plus  anciens,  elle 
peut  montrer  sa  version  officielle,  faite  dès  le  commence- 
ment du  second  siècle  sur  des  manuscrits  du  premier,  et  re- 
vue à  la  fin  du  quatrième  par  le  plus  savant  des  docteurs  ^ 
A  ceux  qui  reconnaissent  que  le  texte  le  plus  sûr  est  le  texte 
traditionnel,  elle  a  droit  de  dire  qu'il  n'est  ni  tradition  ni 
autorité  comparables  à  celles  qui  attestent  la  fidélité  et  l'in- 
tégrité de  cette  version.  Si  donc  l'énorme  travail  que  tant 
de  critiques  protestants  et  rationalistes  ont  exécuté  depuis 
deux  siècles  sur  le  Nouveau  Testament  n'a  pas  produit  pour 
eux  tout  ce  qu'ils  attendaient,  il  a  eu  du  moins  pour  nous 
un  avantage  inappréciable  :  celui  de  justifier  et  de  mettre  à 
l'abri  de  toute  atteinte  nos  Ecritures  et  nos  livres  liturgiques. 
Ainsi  les  protestants,  comme  les  Juifs,  rendent  hommage  au 
catholicisme.  Ceux-ci  nous  viennent  en  aide,  en  attestant 
l'authenticité  de  l'Ancien  Testament  et  en  indiquant  l'objet 
des  prophéties,  ceux-là  en  démontrant  l'intégrité  du  Nouveau 
et  sa  divinité.  Les  uns  et  les  autres  témoignent  que  nous  avons 
conservé  dans  toute  sa  pureté  le  dépôt  de  la  parole  de  Dieu  ^ 

*  F.  H,  Scrivener,  loc.  ciL  —  2  s.  Hieron.,  Prssf,  IV  in  Evang.  — 
5  Nom.,  XXIII,  11.  12.  MM.  Wescott  et  Hort  confirment  cette  conclusion 

2. 


30  INTRODUCTION  AU   NOUVEAU  TESTAMENT.  [n°  16 

16.  —  Si  les  variantes  du  Nouveau  Testament  ne  sont  pas  d'une  grande 
importance,  chacune  en  particulier,  la  somme  n'en  est^elle  pas  con- 
sidérable ? 

Naturellement,  le  nombre  des  variantes  s'accroît  avec  ce- 
lui des  copies.  On  en  a  trouvé  plus  de  trente  mille,  dit  un 
auteur,  dans  les  comédies  de  Térence,  quoique  ce  poète  n'ait 
que  six  pièces  et  qu'on  les  ait  copiées  mille  fois  moins  que 
le  Nouveau  Testament.  Si  donc  on  n'avait  pas  apporté  à  la 
transcription  de  ce  livre  des  soins  particuliers,  le  nombre 
des  fautes  que  nous  retrouverions  dans  ses  7,959  versets  se- 
rait incalculable.  Qu'on  n'oublie  pas  que,  pour  produire  une 
variante,  il  suffit  de  la  moindre  inexactitude,  par  exemple 
de  l'omission,  de  l'addition,  du  changement,  non  pas  d'un 
mot  ou  d'une  syllabe,  mais  d'une  lettre  ou  d'un  accent  ;  ces 
sortes  de  faute  n'échappent-elles  pas  à  tout  instant  aux  co- 
pistes même  les  plus  vigilants?  Qu'on  se  souvienne  aussi 
que  les  anciens  manuscrits,  ne  faisant  aucune  distinction, 
ni  de  phrases,  ni  de  mots,  étaient  difficiles  à  déchiffrer  et 
donnaient  lieu,  dans  la  lecture,  à  des  méprises  inévitables. 
Ajoutons  qu'on  pouvait  souvent  altérer  le  texte  en  croyant 
le  rétablir,  en  insérant  dans  un  évangile  ce  qu'on  avait  lu  au 
même  endroit  d'un  autre  évangile,  en  changeant  l'ordre  des 
mots,  en  remplaçant  un  terme  par  un  autre,  en  insérant  dans 
les  lignes  une  glose  placée  à  la  marge  pour  l'éclaircir,  etc.  *. 

Quoi  qu'il  en  soit  des  causes  et  du  nombre  des  variantes, 
nous  avons  aujourd'hui  un  moyen  facile  d'en  prendre  con- 
naissance et  même  d'en  apprécier  la  nature  et  l'importance. 

dans  rédition  critique  du  Nouveau  Testament  qu'ils  ont  récemment  pu- 
bliée, 1881.  Suivant  eux,  nous  avons  entre  les  mains,  à  quelques  versets 
près,  le  même  texte  que  les  fidèles  des  premiers  siècles.  Aucune  alté- 
ration n'a  été  faite  de  mauvaise  foi,  dans  Tintention  de  porter  atteinte  à 
la  doctrine.  Néanmoins ,  comme  la  plupart  des  protestants,  ils  tiennent 
pour  interpolés  les  passages  suivants  qu'ils  croient  provenir  de  docu- 
ments extracanoniques,  Joan.,  v,  4;  vu,  53-viii,  11;  Joan.,  v,  1;  Marc, 
XVI,  9-20;  Luc,  xxii,  43,  44;  Matth.,  xxvii,  49.  Les  versets  :  Matth., 
XVI,  23,  et  Luc,  XXII,  19,  20,  31  ;  xxiii,  34;  xxiv,  3,  6,  12,  36,  40,  51,  52, 
seraient  des  transpositions  ou  des  intercalations  des  autres  Evangiles, 
ayant  pour  cause  Tusage  habituel  des  anciennes  concordances. 
1  Voir  A.  r.,  n.»J8. 


nM6]  du  texte  du  nouveau  testament.  31 

On  est  convenu  de  désigner  chaque  manuscrit  par  une  lettre 
ou  une  combinaison  de  lettres  et  de  chiffres.  Les  manuscrits 
majuscules  sont  indiqués  par  une  lettre  romaine,  grecque 
ou  hébraïque,  celui  du  Vatican  par  B,  celui  du  Sinaï  par  K, 
l'Alexandrin  par  A,  le  Codex  de  S.  Ephrem  par  C,  celui  de 
Cambridge  par  D,  celui  de  Dublin  par  Z,  etc.  Grâce  à  ce  pro- 
cédé, rien  n'était  plus  aisé  que  d'indiquer  en  marge  ou  en 
notes  les  principales  variantes  du  texte,  avec  les  manuscrits 
qui  les  contiennent.  C'est  ainsi  que  Tischendorf  a  pu,  sans 
trop  grossir  son  Nouveau  Testament  grec  S  en  indiquer  plus 
de  quarante  mille  dans  son  édition  critique  et  faire  con- 
naître en  même  temps  les  leçons  qu'il  préfère  ^ 


*  Editio  critica  major^  1858.  —  8  Remarquez  toutefois  que  la  plupart 
des  manuscrits  du  Nouveau  Testament  étant  incomplets ,  on  en  fait 
quatre  classes,  ceux  des  Evangiles,  des  Actes,  des  Epîtres  et  de  l'Apo- 
calypse; et  que  le  manuscrit  désigné  par  une  lettre  pour  les  Evangiles 
ou  les  Actes,  peut  être  très  différent  de  celui  qui  est  désigne  par  la 
môme  lettre  pour  les  Epltres  et  pour  l'Apocalypse.  —  3  Scribe  antique, 
d'après  une  pierre  gravée  du  Cabinet  des  Antiques;  h  droite  une  écritoiro 
et  on  roseau,  à  gauche  un-  cahier. 


32  INTRODUCTION  AU   NOUVEAU  TESTAMENT.  [N<>  17 


CHAPITRE  IL 


DES   SYSTEMES  RATIONALISTES  PAR  RAPPORT  AU  NOUVEAU 

TESTAMENT. 


10  Fondement  du  rationalisme. 

A  l'égard  des  miracles.  —  A  l'égard  de  noB  saints  livres» 

17.  —  Sur  quels  principes  s'appuient  les  rationalistes  actuels  pour 
éliminer  des  Evangiles  et  des  Actes  tout  élément  surnaturel? 

I.  On  entend  par  rationalistes  ceux  qui  ne  veulent  rien 
croire  que  sur  le  témoignage  delà  raison  ou  des  facultés 
naturelles  ^  Suivant  eux,  nulle  doctrine  n'a  le  droit  de  s'im- 
poser à  l'esprit  humain  comme  révélée  ou  inspirée  de  Dieu, 
parce  qu'il  n'en  est  aucune  qui  apporte  en  sa  faveur  des 
miracles  certains.  L'absence  de  miracles,  voilà  la  base  de 
leur  système,  sa  condition  essentielle.  «  Si  le  miracle  a  quel- 
que réalité,  dit  le  plus  connu  et  le  plus  autorisé  de  leurs  doc- 
teurs ^  notre  méthode  est  détestable,  et  mon  livre  n'est 
qu'un  tissu  d'erreurs.  » 

Les  conséquences  de  ces  principes  par  rapport  au  Nou- 
veau Testament  sont  manifestes.  Non  seulement  l'Écriture 
ne  contient  pas  un  seul  fait  miraculeux,  mais,  à  proprement 
parler,  il  n'y  a  plus  d'Ecriture  ou  de  livre  inspiré.  «  L'ins- 
piration, dit  le  même  écrivain,  impliquant  un  miracle,  ne  sau- 
rait se  soutenir.  »  La  Bible  n'est  plus  qu'un  livre  d'origine 
humaine,  comme  les  autres,  où  le  vrai  se  mêle  au  faux,  et 
la  prudence  et  le  discernement  sont  nécessaires  pour  ne  pas 
s'y  tromper. 

Il  est  vrai  que  tous  les  rationalistes  n'exposent  pas  leur 
système  d'une  manière  aussi  claire.  Un  bon  nombre  conti- 

1  Parum  est  miseris  ut  œgrotent,  nisi  se  in  sua  ctiam  aegritudino 
cxtollant  et  de  medicina  qua  sanari  potcrant  erubescant.  S.  Aug.,  De 
Cio.  Dei,  x,  29.  Cf.  de  Utilitate  credendi,  9-18.  —  2  m.  Renan. 


nM7]  systèmes  rationalistes.  33 

naeût  à  parler  de  la  Bible  comme  d'un  livre  divin  et  d^en  ci- 
ter le  texte  comme  parole  de  Dieu  ;  mais  c'est  affaire  d'ha- 
bitude et  de  ministère,  la  plupart  de  ceux  qui  s'occupent  des 
Ecritures  étant  ministres  du  saint  Evangile  ou  professeurs 
de  théologie  chrétienne.  Cette  inconséquence  ne  les  empêche 
pas,  d'ailleurs,  d'inculquer  leur  doctrine  et  de  l'appliquer 
largement,  c  L'Ecriture,  disent-ils,  est  la  vérité  même,  mais 
à  la  condition  de  la  bien  entendre,  c'est-à-dire  dans  un  sens 
raisonnable,  de  manière  qu'elle  n'offre  rien  de  choquant  et 
que  l'esprit  n'ait  pas  d'effort  à  faire  pour  y  adhérer.  »  Grâce 
à  ce  détour,  on  évite  le  scandale  d'une  négation  radicale  et 
et  on  ne  laisse  pas  d'arriver  au  but,  c'est-à-dire  à  éliminer 
comme  fabuleux  tout  ce  quidemande,  pour  être  cru,  un  acte 
de  foi  proprement  dit  ou  l'assujettissement  de  l'homme  aux 
enseignements  de  Dieu  *. 

Où  est  le  vice  de  ce  système  et  en  quoi  consiste-t-il  ?  Il 
est  à  son  point  de  départ.  Il  consiste  à  affirmer  gratuitement 
et  à  faire  accepter  sans  preuve  ce  qui  aurait  besoin  d'être 
bien  démontré,  savoir  qu'il  ne  s'est  jamais  fait  rien  de  sur- 
naturel, ou  que  tous  les  miracles  prétendus,  si  accrédités 
qu'ils  soient,  doivent  être  régardés  comme  des  illusions  ou 
des  impostures. 

Nul  n'a  droit  de  donner  pour  un  axiome,  ou  pour  un  fait 
avéré,  un  principe  opposé  au  sentiment  commun  des  hommes 
les  plus  éclairés  et  les  plus  sincères  de  tous  les  temps 
et  de  tous  les  lieux.  Telle  est  pourtant  la  prétention  des  ra- 
tionalistes. On  a  beau  leur  demander  des  preuves  de  leur 
principe;  on  a  beau  en  chercher  dans  leurs  écrits,  on  n'en 
découvre  aucune.  Ils  combattront  bien  à  l'occasion  tel  ou  tel 
miracle,  mais  la  réalité  ou  la  possibilité  du  miracle  en  géné- 
ral, ils  se  défendent  même  de  l'attaquer  \  Ce  serait,  disent- 
ils,  une  peine  superflue. 

'  De  là  le  canon  iv"  do  concile  du- Vatican,  De  fide  :  Si  quis  dixerit 
mirarala  noilafieripossc,  proindoquc  omncs  de  lis  narrationcs,  etiani  in 
Scriptora  sacra  contentas,  in  ter  fabulas  Tel  mythes  ablcgandas  esse, 
aoathema  sit.  —  ^  «  Nous  ne  nions  pas  les  miracles  parce  qu'ils  sont 
impossibles,  dit  M.  Renan,  mais  parce  qu'ils  n'existent  pas.  »  En  réalité 
pourtant,  ils  ne  croient  pas  devoir  en  discuter  les  preuves,  et  quand  on 


34  INTRODUCTION  AU   NOUVEAU   TESTAMENT.  [n<»  17 

Au  lieu  d'établir  leur  principe,  ils  se  bornent  à  le  répéter 
ou  à  le  traduire  de  mille  manières,  en  le  donnant  pour  in- 
dubitable et  universellement  admis. 

«  Le  miracle,  disent-ils,  n'appartient  pas  à  l'histoire,  mais 
à  la  légende.  Admettre  un  miracle,  c'est  accepter  une  explica- 
tion qui  n'a  rien  de  scientifique.  La  négation  du  surnaturel 
est  l'essence  même  de  la  critique.  On  n'a  pas  le  sentiment 
de  l'histoire,  tant  qu'on  ne  reconnaît  pas  l'impossibilité 
du  miracle.  Tout  récit  où  se  mêle  un  élément  surnatu- 
rel implique  nécessairement  crédulité  ou  imposture.  L'exis- 
tence du  miracle  est  impossible  à  maintenir  en  présence  des 
idées  arrêtées  du  bon  sens  moderne.  La  négation  du  surna- 
turel est  devenue  un  dogme  absolu  pour  tout  esprit  cul- 
tivé*. » 

IL  Dételles  assertions,  si  répétées  qu'elles  soient  et  avec 
quelque  assurance  qu'on  les  donne,  ne  forment  pas  une 
preuve.  Qu'il  y  ait  aujourd'hui  plus  ou  moins  d'incrédules 
parmi  les  esprits  cultivés,  ce  n'est  pas  de  quoi  il  s'agit.  Il 
ne  suffit  pas  du  nombre  pour  avoir  raison  S  et  d'ailleurs  le 
nombre  même  fait  défaut.  Aux  négations  ou  aux  doutes  des 
rationalistes,  nous  pouvons  opposer  la  foi  de  tous  les 
croyants,  celle  des  convertis  de  tous  les  temps,  celle  des 
premiers  chrétiens  en  particulier.  Assurément  ces  conver- 
tis, ces  confesseurs,  ces  martyrs  ont  cru  à  l'Evangile,  à  la 
résurrection  du  Sauveur,  à  ses  miracles  et  à  ceux  des  Apôtres. 
On  ne  saurait  douter  de  leur  conviction.  Pour  la  sincérité, 

leur  apporte  des  témoignages,  ils  ne  manqnent  guère  de  les  récuser 
sous  prétexte  que  les  faits  allégués  sont  inadmissibles.  «  La  critique 
commence  par  proclamer  que  tout  dans  l'histoire  a  son  explication  hu- 
maine. »  Henan,  Etud,  d'hist.  relig.^  Préf.  «  Nous  maintiendrons  ce 
principe  qu'un  récit  surnaturel  no  peut  être  admis  comme  tel;  qu'il 
implique  toujours  crédulité  ou  imposture.  »  Vie  de  Jésus^  Introd. 

*  M.  Ronan,  passim.  (Vest  le  Credo  naturaliste,  celui  do  l'homme 
charnel,  selon  S.  Augustin  :  In  homine  carnali  tota  régula  intclligendi 
est  consuetudo  cernendi.  Quod  soient  videro,  credunt;  quod  non  soient, 
non  credunt.  Serm.  ccxlii,  1.  Cf.  S.  Greg.  m.,  Moral.,  IV,  xv. —  2  «  si 
jamais,  ce  qu'à  Dieu  ne  plaise,  Thumanité  mettait  sa  religion  au  suffrage 
universel,  le  grand  lama  obtiendrait  au  moins  la  majorité  relative.  » 
M.  Renan,  Nouvelles  études. 


NO  17]  SYSTEMES  RATIONALISTES.  3S 

ils  sont  au-dessus  de  tout    soupçon.  Pour  rintelligence, 
quelle  raison  aurait-on  de  les  mettre  au-dessous  des  incré- 
dules et  des  sceptiques?  N'y  a-t-il  d'éclairés,  ou  de  dignes  de 
foi,  que  ceux  qui  ont  abjuré  toute  croyance?  Les  premiers 
chrétiens  avaient  vécu  avec  Jésus-Christ  et  les  Apôtres:  que 
leur  manquait-il  pour  être  garants  de  leurs  miracles  et  de 
leurs  prophéties?  N'avaient-ils  pas  été  à  môme  de  voir  et 
d'entendre,  ou  avaient-ils   intérêt  à  se  laisser  tromper? 
Ceux  qui  les  ont  suivis  n'ont  pas  eu,  pour  croire,  des  rai- 
sons moins  décisives.  Pour  ne  parler  que  de  celles  qui  leur 
furent  communes  à  tous,  ne  voyaient-ils  pas,  dans  l'accom- 
plissement des  prophéties,  dans  l'établissement  de  l'Église, 
dans  la  dispersion  des  Juifs  et  la  conversion  des  Gentils,  des 
miracles  incontestables  annoncés  par  d'autres  miracles  *  ?  En- 
fin, à  toutes  les  époques  et  dans  tous  les  pays,  de  notre 
temps  encore  et  parmi  nous,  non  seulement  on  trouve  des 
hommes  sensés  qui  croient  aux  prophéties  et  aux  miracles, 
mais  on  peut  en  citer  un  bon  nombre  qui  témoignent  en 
avoir  vu  et  entendu,  ou  même,  si  l'on  en  désire,  qui  attes- 
tent en  avoir  fait  ^  Et  les  hommes  qui  rendent  ce  témoignage 
sont  précisément  ceux  qui  jouissent  de  plus  d'estime  et  qui 
méritent  le  plus  de  confiance  ^  Et  loin  que  les  rationalistes 
les  convainquent  de  crédulité  ou  de  fourberie,  ils  se  déro- 
bent à  l'examen  des  faits  et  récusent  tous  les  témoins,  sous 
prétexte  que  ces  faits  ne  rentrent  pas  dans  les  cadres  de  la 
science,  que  ces  témoins  sont  en  contradiction  avec  les  lois 
de  l'histoire,  telle  qu'ils  la  conçoivent  et  qu'ils  prétendent 
l'écrire  I 

Cela  suffit  pour  montrer  à  nos  adversaires  que  l'impos- 
sibilité du  miracle  n'est  pas  un  premier  principe,  une  vérité 
évidente   par  elle-même,    comme    ils    osent  le   soute- 

*  Infra,  n.  256,  931.  —  ^  „  Le  caractère  de  la  vraie  religion  est  d'ôtro 
également  certaine  et  merveilleuse.  »  Fleury,  fl.  E„  Préf.  Voir  les  Vies 
de»  Saints  et  les  procès  de  canonisation,  Infra^  n.  455.  -^  3  Par  exemple, 
S.  Paul,  Rom.,  xv,  18,  19;  Infra,  n.  506;  S.  Augustin,  Serm.  321,  322; 
S.Grégoire,  EpUt,  XI,  xxvm;  S.  Bernard,  De  Consid.,  III,  ii,  1  (De 
Ratisbonne,  Hist.  de  S.  Bern.,  III,  v,  vi);  Ste  Thérèse;  S.  François  de 
Sales...;  M.  Dupont,  do  Tours,  f  187G. 


36  iNïRotouctioN  AU  Nouveau  testament.        [n<>  17 

nir.  Mais  il  y  a  quelque  chose  de  plus  fort  à  leur  opposer, 
c'est  que  la  réalité  même  du  miracle,  son  existence  et  sa  cer- 
titude, ont  toujours  été  et  sont  encore  tenus  pour  indubi- 
tables par  tous  les  esprits  qui  n'ont  pas  répudié  les  notions 
les  plus  claires  de  la  science  et  de  la  raison. 

Qu'est-ce  au  fond  qu'un  miracle  ?  C'est  un  fait  qui  déroge 
aux  lois  de  la  nature,  qui  est  produit  en  dehors  d'elles,  par 
une  action  dont  elles  ne  sauraient  rendre  compte.  Eh  bien  î 
est-ce  qu'il  n'y  a  pas  mille  faits  de  ce  genre  dont  la  nature 
atteste  la  réalité  et  dont  les  savants^  signalent  l'existence  et 
les  caractères  ? 

1°  La  création  du  monde.  Si  le  monde  n'est  pas  éternel, 
il  a  commencé  d'être.  S'il  a  commencé  d'être,  à  qui  doit-il 
l'existence  ?  Ce  n'est  pas  aux  lois  de  la  nature  qui  n'exis- 
taient pas  avant  lui,  mais  à  une  action  qui  leur  est  étrangère, 
à  l'exercice  d'une  volonté  toute-puissante,  en  d'autres 
termes  à  un  miracle. 

2**  La  production  de  la  vie-sur  la  terre.  Tous  les  savants  re- 
connaissent qu'à  une  certaine  époque  notre  globe  n'était 
qu'une  masse  minérale,  d'où  la  vie  était  absente  ^  Ils  con- 
viennent également  que,  suivant  les  lois  de  la  nature,  un 
être  vivant  ne  peut  venir  que  d'un  autre  être  vivant.  Com- 
ment donc  la  vie  a-t-elle  pu  apparaître  tout  d'un  coup  sur 
la  terre,  si  ce  n'est  par  miracle  ou  contrairement  aux  lois 
de  la  nature^? 

3°  Les  diverses  espèces  végétales  et  animales.  La  science  at- 
teste qu'elles  ne  diffèrent  pas  seulement  par  des  ^caractères 
accidentels,  que  les  animaux  ne  peuvent  venir  des  végétaux, 
et  que  si,  dans  chaque  ordre,  les  individus  naissent  des  in- 
dividus, les  espèces  ne  sauraient  venir  d'autres  espèces  '. 

*  A.  r.,  n.  274.  —  2  ((  Point  d'autro  alternative  pour  expliquer  la  vie. 
Qui  ne  croit  pas  à  la  génération  spontanée  ^  ou  plutôt  à  révolution  sé- 
culaire de  la  matière  inorganique  en  matière  organique,  admet  le  mi- 
racle. »  Soury,  Preuves  du  transformisme^  Préf.  -  ^  A,  T.,  n.  282,  283. 
Nous  n'entendons  pas  affirmer  rimmutabilité  absolue  des  espèces  :  tout 
le  monde  sait  que,  dans  certaines  conditions  et  sous  certaines  influences) 
elles  produisent  des  variétés  et  des  races.  Nous  no  voulons  pas  non  plus 
garantir  que  toutes  les  espèces  admises  par  les  savants  soient  des 


NO  17]  SYSTÈMES  RATION ALlStËS.  à7 

Donc  les  premiers  individus  de  chaque  espèce,  le  premier 
homme,  la  première  femme,  avant  tout,  n'ont  pu  être  pro- 
duits que  d'une  manière  miraculeuse,  et  nous  avons  sous  les 
yeux  autant  de  preuves  sensibles  de  la  réalité  du  miracle 
que  nous  voyons  dans  la  nature  d'espèces  différentes  d'ani- 
maux ou  de  végétaux. 

Ainsi,  dans  l'ordre  physique  comme  dahsl'ordre religieux, 
tout  ce  que  nous  voyons  repose  sur  lé  miracle,  et  rien  ne  se 
conçoit  que  par  lui.  Loin  que  l'impossibilité  du  miracle  soit 
aujourd'hui  un  dogme  pour  tout  homme  de  bon  sens,  la 
réalité,  la  certitude  et  le  nombre  indéfini  des  faits  miracu- 
leux sont  aujourd'hui  un  dogme  pour  tous  les  savants  ;  et 
aux  yeux  mêmes  de  la  science  la  plus  profane,  la  nature  est 
comme  un  miracle  visible,  toujours  subsistant,  qui  en  im- 
plique et  en  révèle  une  infinité  d'autres. 

On  dira,  je  pense,  qu'il  ne  s'agit  pas  de  l'origine  des  choses, 
que  les  rationalistes  se  bornent  à  nier  les  miracles  accom- 
plis dans  le  cours  des  temps,  par  dérogation  aux  lois 
naturelles  et  dans  le  but  d'attester  la  vérité  de  la  révélation. 
—  Mais  cette  réponse  n'a  aucune  valeur  ;  elle  accuse  une 
inconséquence,  et  laisse  toute  leur  force  à  nos  raisonne- 
ments. Ce  que  Dieu  a  fait  à  l'origine,  il  est  évident  qu'il  peut 
le  faire  dant  le  cours  du  temps,  et  l'on  n'a  aucune  raison 
pour  le  lui  interdire.  S'il  â  pu  former  le  monde  matériel 
par  miracle,  pourquoi  n'aurait-il  pas  pu  fonder  d'une  ma- 
nière miraculeuse  le  monde  religieux?  S'il  a  opéré  une  in- 
finité de  miracles  pour  répandre  dans  la  nature  la  vie  et  le 
mouvement,  pourquoi  n'aurait-il  pas  pu  en  opérer  un  cer- 
tain nombre  pour  faire  fleurir  dans  l'Eglise  la  foi  et  la  sain- 
teté? S'il  a  pu  agir  à  son  gré,  indépendamment  de  toute 
règle,  au  commencement  du  monde  pour  rendre  manifestes 
son  existence,  sa  bonté,  sa  puissance  et  ses  perfections  essen- 
tielles, pourquoi  n'aurait-il  pu    agir  de  même  plus  tard, 

espèces  yéritables  ou  primitives  :  mais  nous  disons,  et  toute  la  science 
en  est  coovoaae  jusqu'ici,  qu'il  y  a  toujours  eu  dans  le  règne  organique 
dlTersité  d'espèces  aussi  bieà  que  d'ordre,  ou  que  toutes  les  espèces 
D*ont  jamais  pu  et  ne  pourront  jamais  js'identifier  en  une  setile. 

m.  3 


38  INTRODUCTION  AU  NOUVEAU  TESTAMENT.  [n»  18 

pourquoi  ne  le  pourrait-il  pas  encore  maintenant,  pour 
montrer  sa  liberté,  pour  faire  connaître  ses  desseins,  pour 
révéler  ses  volontés,  pour  porter  ses  créatures  à  l'honorer 
et  à  le  bien  servir?  Enfin,  s'il  est  raisonnable  de  recon- 
naître Taction  libre  de  sa  puissance,  quand  elle  se  révèle 
certainement  dans  l'ordre  physique,  comment  serait-il  con- 
traire à  la  raison  d'y  croire,  lorsqu'elle  est  attestée  par  des 
témoignages  non  moins  certains  dans  l'ordre  moral  ou  sur- 
naturel? 

Ce  n'est  donc  pas  le  principe  chrétien  relatif  au  miracle 
qui  est  contraire  à  la  raison,  mais  bien  le  principe  rationa- 
liste. Rien  n'est  moins  rationnel  que  de  proclamer  l'action 
libre  de  Dieu  dans  la  formation  du  monde  et  de  ne  vouloir 
pas  l'admettre  dans  l'établissement  de  l'Eglise  ou  dans 
son  gouvernement. 

18.  —  Commsat  les  rationaUstes  qui  ne  rejettent  pas  ouvertement  nos 
saints  livres  peuvent-ils  expliquer  les  récits  miraculeux  qu'ils  con- 
tiennent? 

Les  interprètes  rationalistes  se  divisent  en  deux  branches, 
les  naturalistes  et  les  mythologues. 

1°  Suivant  les  naturalistes,  représentés  par  Paulus  (1761- 
1850),  les  auteurs  sacrés  n'auraient  fait,  dans  leurs  récits 
les  plus  merveilleux,  qu'user  de  figures,  d'hyperboles, 
d'ornements  poétiques,  qu'embellir  par  l'imagination  des 
faits  de  l'ordre  naturel  :  au  lieu  d'écrire  l'histoire,  ils  au- 
raient composé  des  amplifications  poétiques.  Pour  avoir  la 
vérité,  il  faut  ramener  ces  auteurs  aux  lois  essentielles  de 
la  nature  et  réduire  aux  proportions  normales  leurs  descrip- 
tions enthousiastes  ^ 

2°  A  l'amplification  les  mythologues  substituent  l'idéal. 
Selon  eux,  le  récit  miraculeux  ne  renferme  presque  rien  de 
réel.  Ce  sont  des  symboles,  des  fictions  dont  la  significatioti 
fait  l'essence.  «  J'appelle  mythe,  dit  Strauss,  tout  récit  dé- 

1  Les  plus  connus  de  ces  naturalistes  sont  :  Eichorn  (f  1821),  et  Paulus 
(f  1851).  On  peut  voir  dans  M.  Wallon,  La  croyance  à  l'Evangile,  II, 
11^  2,  des  exemples  curieux  de  leurs  interprétations. 


N«  18]  SYSTEMES  RATIONAUStEâ.  39 

nué  d'âiilorité  historique,  quelle  que  soit  son  origine,  dans 
lequel  une  communauté  religieuse  reconnaît  un  élément 
fondamental  de  sa  foi,  parce  qu'il  contient  l'expression  de 
ses  principaux  sentiments  et  de  ses  plus  chères  idées.  »  Ce 
nom  de  mythe  est  un  mot  grec  qu'on  était  habitué  à  traduire 
par  fable  *;  mais,  entendu  comme  il  l'est  ici,  le  mythe  n'est 
pas  tout  à  fait  identique  avec  la  fable.  La  fable  n'est  prise  à 
la  lettre  par  personne  :  tout  le  monde  sait  que  c'est  une  fic- 
tion imaginée  à  dessein  pour  voiler  une  vérité  et  la  rendre 
plus  agréable  en  la  faisant  deviner.  Le  mythe  est  une  fiction, 
dont  le  plus  grand  nombre  ignore  le  caractère  fictif.  Il  s'est 
formé  spontanément,  sans  intention  déterminée,  de  sorte 
qu'il  a  toujours  été  pris  au  sérieux  et  qu'il  est  passé  à  l'état 
de  croyance  ou  de  tradition  religieuse  aux  lieux  mêmes  où 
il  est  né.. 

Strauss  (t  1874),  qui  s'est  fait  un  système  de  ce  genre 
d'interprétation  et  qui  l'a  appliqué  au  Nouveau  Testament, 
était  professeur  de  Théologie  protestante  à  l'université  de 
Tubingue.  Il  a  publié  une  Vie  de  JésuSy  en  quatre  volumes 
(4835-18^4),  et  d'autres  ouvrages  critiques  où  il  s'est  montré 
de  plus  en  plus  iacroyant.  Suivant  lui,  l'origine  du  chris- 
tianisme se  cache,  comme  celle  des  peuples  primitifs,  dans 
le  clair-obscur  de  récits  fabuleux,  et  l'on  ne  peut  voir,  dans 
les  miracles  du  Sauveur  et  des  Apôtres,  qu'une  grande  pro- 
duction mythologique,  calquée  sur  les  légendes  du  peuple 
ancien  et  produite  par  le  fanatisme  et  la  crédulité  du  peuple 
nouveau.  La  plupart  de  ces  mythes  sont  engendrés  par  d'au- 
tres mythes.  Car  on  a  tort  de  conclure  de  l'harmonie  des 
deux  Testaments  à  l'origine  divine  de  l'un  et  de  l'autre.  La 
vraie  raison  de  cette  harmonie,  ce  n'est  pas,  comme  on  le 
suppose,  le  soin  que  Dieu  aurait  pris  d'indiquer  d'avance 
par  des  figures  ce  qu'il  avait  dessein  d'accomplir  dans  l'ave- 
nir :  ce  sont  les  préjugés  des  chrétiens  et  l'influence  exer- 
cée par  ces  préjugés  sur  leur  imagination.  Prévenus  de  cette 
idée  que  le  Messie  réunirait  toutes  les  grandeurs  en  sa  per- 

1  I  Tim.,  IV, 7;  II  Tim.,  iv,  4;  Tit.,  i,  U;  II  Pet.,  i,  10. 


40  iNTRODUCtlON  AU   NOUVEAU  TESTAMENT.  [N**  18 

sonne  et  que  sa  gloire  surpasserait  celle  des  personnages  les 
plus  illustres,  ils  lui  ont  attribué  de  bonne  foi  ce  qu'ils 
lisaient  de  plus  merveilleux  dans  l'histoire  des  patriarches  et 
les  oracles  des  prophètes.  Des  thaumaturges  avaient  multi- 
plié les  aliments,  traversé  les  fleuves  à  pied  sec,  ressuscité 
des  morts  ;  comment  le  Sauveur  n'aurait-il  pas  opéré  de 
semblables  merveilles  avec  plus  d'éclat  encore?  Isaïe  avait 
annoncé  ^  qu'à  l'époque  dé  la  rédemption,  les  aveugles  recou- 
vreraient la  vue,  les  sourds  entendraient,  les  muets  parle- 
raient :  si  l'on  reconnaissait  Jésus-Christ  pour  Messie,  pouvait- 
on  ne  pas  penser,  pouvait-on  ne  pas  dire  qu'il  avait  accom- 
pli ces  prédictions  et  opéré  ces  miracles  *  ?  C'est  donc  de 
lui-même  et  naturellement  que  le  Nouveau  Testament  s'est 
modelé  sur  l'Ancien  ;  et  pour  tout  ce  qu'il  a  de  miraculeux, 
le  Christ  est  le  produit  spontané  de  la  foi  de  ses  premiers 
disciples.  «  Il  n'y  a  pas  d'autre  interprétation,  dit  Strauss, 
qui  puisse  faire  accepter  par  la  raison  les  récits  évângé^ 
liques  ;  et  c'est  ainsi  que  tous  les  anciens  peuples  se  sont 
rendu  compte,  à  un  certain  moment,  des  faits  merveilleux 
dont  l'imagination  de  leurs  ancêtres  avait  entouré  leur 
berceau.  * 

Moins  simple  que  le  précédent,  moins  précis  dans  sa  for- 
mule, mais  d'une  apparence  plus  savante,  ce  système  d'in- 
terprétation s'est  plus  longtemps  soutenu  parmi  les  rationa- 
listes. Néanmoins,  il  a  beaucoup  perdu  de  son  prestige  et 
le  mot  de  légende  est  plus  usité  aujourd'hui  que  celui  de 

i  Isai.y  xxxY)  5.  ->»  2  (t  On  raisonna  ain&i  :  Lo  Messie  doit  faire  teUe 
chose;  or,  Jésus  6st  le  Messie;  donc  Jésus  a  fait  telle  chose.  Quelque- 
fois on  raisonna  à  l'inverse  :  Telle  chose  est  arrivée  h.  Jésus,  or  Jésus 
est  le  Messie;  donc  telle  chose  devait  arriver  au  Messie.  »  M.  Renan, 
Vie  de  Jésus.  Ainsi,  les  rationalistes  expliquent  la  croyance  aux  miracles 
et  aux  prophéties  par  la  croyance  à  la  mission  divine  du  Sauveur;  et  ils 
ne  remarquent  pas  que  pour  expliquer  la  croyance  à  cette  divine  mis- 
sion, il  faut  déjà  la  croyance  aux  miracles  et  aux  prophéties.  Us  oublient 
aussi  qu'on  a. vu  bien  plus  de  thaumaturges  depuis  Jésus-Christ  qu'avant, 
et  que  tes  vingt-cinq  à  trente  miracles  de  TËvangile  se  sont  multipliés 
Ïl  l'infini  dans  le  sein  de  l'EgUse,  les  Saints  les  ayant  reproduits  dans 
tous  les  lieux  et  dans  tous  les  temps ,  môme  en  notre  pays  et  à  notre 
époque,  /n/j'a,  n.  452. 


^^  19]  SYSTÈMES   RATIONALISTES.  41 

mythe.  Les  admirateurs  de  Strauss  eux-mêmes  avouent  que 
l'œuvre  de  leur  maître  n'est  pas  parfaite  ;  et  ils  s'efforcent 
de  la  compléter,  tantôt  par  des  explications  naturalistes,  re- 
nouvelées de  Paulus,  tantôt  en  recourant  aux  hypothèses 
historiques  de  Baur. 

19.  —  Le  témoignage  des  auteurs  sacrés  est-il  compatible  avec  cette 
idée  que  le  christianisme  s'est  fondé  sans  miracles  et  que  Jésus- 
Christ  n*a  été,  pour  ses  premiers  disciples ,  qu'un  homme  éminent. 
d'une  vertu  extraordinaire? 

Si  Ton  accorde  que  ces  livres  sont  l'œuvre  des  auteurs 
auxquels  ils  sont  attribués  et  qu'ils  n'ont  pas  été  altérés, 
on  est  forcé  de  reconnaître  que,  dés  l'origine  même  de 
l'Eglise,  on  croyait  généralement  à  l'histoire  miraculeuse  du 
Sauveur;  et  cela  posé,  il  n'y  a  plus  moyen  de  révoquer  en 
doute  la  réalité  de  ces  prodiges  *.  Aussi  les  rationalistes  en 
viennent-ils  tous  à  nier,  non  seulement  l'inspiration,  mais 
même  l'authenticité  ou  l'intégrité  de  la  plus  grande  partie 
du  Nouveau  Testament.  Leurs  docteurs  les  plus  avancés 
n'admettent  guère  comme  authentiques  que  les  quatre  pre- 
mières Épîtres  de  S.  Paul,  c  Pour  celles-là;  disent-ils,  elles 
défient  toute  contestation  ;  mais  ce  sont  les  seules.  »  Quant 
aux  Evangiles  et  aux  Actes  des  Apôtres,  ils  avoueront  bien 
que  leurs  auteurs  prétendus  ont  pu  en  écrire  quelques 
pages  :  mais  le  reste,  tout  ce  qui  est  miracle  ou  prophétie, 
ils  le  tiennent  pour  supposé  ou  interpolé  par  des  hommes 
moins  éclairés  et  moins  sincères  ^  de  sorte  que  ces  livres 
n'auraient  pris  leur  forme  actuelle  qu'à  la  fin  du  premier 
siècle  ou  même  vers  le  milieu  du  second. 

Ces  paradoxes  leur  semblent  établis,  par  cela  seul  qu'ilssont 
nécessaires  pour  nier  les  miracles  et  pour  retarder  d'une 

*  <«  L'histoire  évangcliquo  serait  inattaquable,  s'il  était  constant  qu'elle 
a  été  écrite  par  des  témoins  oculaires  ou  du  moins  par  des  hommes 
voisins  dos  événements.  »  Strauss,  Vie  de  Jésus  ^  Introd.,  13.  Or  cette 
histoire  est  essentiellement  miraculeuse,  dit  M.  Renan.  «  On  a  beau 
faire,  Thistoire  du  peuple  juif  et  celle  de  Jésus,  môme  passcesau  creuset 
de  l'exégèse  la  plus  libérale,  laissent  un  reliquat  de  surnaturel  qu'aucune 
opération  ne  peut  ni  supprimer  ni  transformer.  »  Marc  Aurèle^  1882.  — 
?  Cf.  S.  Aug.,  Cont.  Faust:,  xi,  2;  xxxii,  2,  6;  xxxiii,  3,7. 


42  INTRODUCTION   AU   NOUVEAU    TESTAMENT.  [n^  20 

centaine  d'années  la  croyance  à  la  divinité  du  Sauveur.  Ce 
dogme  capital  n'a  pu  être  affirmé  nettement,  suivant  eux, 
que  dans  des  écrits  de  seconde  main,  c'est-à-dire  composés 
ou  remaniés  après  la  mort  du  dernier  des  Apôtres.  C'est 
alors  seulement  que  le  parti  pauliniste  aurait. eu  l'idée  de 
faire  un  Homme-Dieu  du  grand  réformateur,  et  qu'on  aurait 
commencé  à  lui  attribuer  non  plus  seulement,  comme  aux 
prophètes,  des  rapports  intimes  avec  l'Esprit  saint,  mais  une 
union  strictement  personnelle  avec  le  Verbe  divin. 

20.  —  Qui  a  imaginé  et  mis  au  jour  une  pareille  histoire  des  livres 

du  Nouveau  Testament. 

C'est  le  D^  Baur,  autre  professeur  de  Tubingue  (tl861). 
Assez  sympathique  aux  idées  de  Strauss  sur  la  nature  des 
faits  évangéliques,  Baur  se  préoccupa  surtout  de  l'origine 
du  christianisme.  La  conclusion  de  ses  recherches  fut  que 
la  doctrine  de  l'Eglise  s'est  formée  peu  à  peu,  et  que  l'éclo- 
sion  de  nos  dogmes,  comme  celle  de  la  plupart  de  nos 
livres,  est  le  résultat  des  luttes  et  des  compromis  auxquels 
les  démêlés  des  chrétiens  donnèrent  lieu  tour  à  tour  pendant 
la  durée  des  premiers  siècles.  «  C'est  dans  la  formation  pro- 
gressive du  dogme,  dit-il,  qu'on  trouve  la  clé  de  l'histoire 
du  Nouveau  Testament  *.  » 

1.  Suivant  lui,  le  christianisme  ne  fut  d'abord  qu'une  secte 
delà  religion  juive,  la  secte  ébionite,  peu  différente  de  celle 
des  Esséniens.  Tout  ce  que  se  proposaient  son  fondateur  et 
ses  premiers  Apôtres,  c'était  la  réforme  et  la  propagation  du 
judaïsme.  Dans  leur  sentiment,  la  pratique  de  la  Loi  restait 
une  condition  de  salut  pour  tout  le  genre  humain,  et  leur 
mission  se  bornait  à  en  propager  la  pratique.  Leur  doctrine 
se  réduisait  à  ces  trois  points  :  —  caractère  obligatoire  et 
vertu  sanctifiante  des  observances  légales,  —  restriction  de 
la  grâce  aux  enfants  d'Abraham  et  aux  membres  acloptifs  du 
peuple  de  Dieu,  — exaltation  et  dilatation  de  la  nation  juive 
par  toute  la  terre.  Après  la  mort  du  Christ,  cette  doctrine 

.  ^  «  Le  dogme  chrétien  s'est  fait,  comme  toute  autre  chose,  lentement, 
peu  à  peu,  par  une  sorte  de  végétation  intime.  »  M,  Renan,  l®*"  nov,  188Î. 


NO  20]  SYSTÈMES  IlATiONALISTES.  43 

se  personnifia  surtout,  aux  yeux  des  fidèles,  dans  S.  Pierre, 
chef  du  collège  apostolique,  et  dans  S.  Jacques,  évéque  de 
l'église  de  Jérusalem. 

Mais  bientôt  surgit  un  nouvel  apôtre,  qui  s'insurge  contre 
le  caractère  exclusif  de  cette  conception,  et  dont  le  prosé- 
lytisme s'exerce  d'une  manière  beaucoup  plus  large.  D'après 
S.  Paul,  toutes  les  différences  fondées  sur  la  race  ou  la  na- 
tionalité sont  abolies.  C'est  à  tort  qu'on  distingue,  par  rap- 
port au  salut,  le  Gentil  du  Juif  :  l'un  et  l'autre  ont  un  égal 
besoin  de  la  miséricorde  du  ciel,  et  Dieu  ne  veut  plus  faire 
acception  de  personne.  La  mission  de  Jésus-Christ  n'est  donc 
pas  de  restaurer  et  d'étendre  le  mosaïsme;  mais  bien  de 
fonder  un  nouveau  culte,  d'établir  une  religion  nouvelle,  la 
religion  universelle  et  définitive.  Comme  Sauveur,  il  est  la 
source  de  la  véritable  vie,  de  la  vie  de  la  grâce  et  de  la  gloire, 
et  pour  avoir  part  à  cette  vie,  il  suffit  de  croire  à  sa  doctrine 
et  de  se  soumettre  à  sa  loi. 

Ce  sentiment  s'accordait  avec  le  besoin  d'unité  qui  se  fai- 
sait sentir  après  le  mélange  et  la  fusion  de  tous  les  peuples 
au  sein  de  l'empire  romain  :  il  devait  l'emporter.  Néanmoins 
il  ne  triomphe  pas  sans  difficulté.  Pendant  plus  d'un  demi- 
siècle,  une  lutte  ardente,  dont  le  conflit  d'Anlioche  *  n'est 
qu'un  incident,  divise  l'Eglise  en  deux  partis  contraires,  celui 
de  Paul  ou  des  universalistes,  qui  appelle  à  lui  les  Gentils, 
en  proclamant  l'abolition  des  préceptes  mosaïques,  et  celui 
de  Pierre,  c'est-à-dire  des  ébionites  ou  judaïsants,  qui  s'ef- 
force de  maintenir  les  pratiques  légales  et  les  prérogatives 
du  peuple  ancien. 

Comme  preuve  de  ces  divisions  entre  les  Apôtres,  Baur 
signale  tous  les  passages  où  S.  Paul  se  plaint  d'être  voué  à 
la  haine  et  aux  persécutions  par  de  faux  docteurs,  où  il  parle 
do  sa  prédication  comme  d'un  évangile  à  lui,  oii  il  fait  Tapo- 
logie  de  son  apostolat  ^  Il  ne  manque  pas  de  représenter  les 
judaïsants  comme  formant  à  cette  épo([uc  la  majeure  partie 
de  l'Église,  sinon  l'Eglise  entière,  et  S.  Pierre  comme  résu- 

*  Gai.,  II,  11.  —  3  fiom.,  II,  16;  xvi,  25;  II  Cor.,  x,  7-12;  Gal.,'i,  11; 
n,  7,  8,' 11;  II  Cor.,  m,  1  ;  xi,  5;  lUlicss  ,  n,  13;  etc. 


44  INTRODUCTION  AU  NOUVEAU  TESTAMENT.  [n®  20 

mant  en  sa  personne  toutes  les  antipathies  auxquelles  son 
collègue  est  en  butte. 

II.  Mais  ce  que  Baur  s'attache  surtout  à  inculquer,  ce  qui 
donnerait  à  cette  lutte  prétendue  une  importance  capitale, 
c'est  la  supposition  ou  l'altération  de  la  majeure  partie  du 
Nouveau  Testament  qui  en  aurait  été  le  principal  résultat. 
Telle  est  la  confiance  de  ce  Docteur  en  son  sens  critique 
qu'il  croit  pouvoir  déterminer,  à  là  seule  inspection  des  livres, 
d'après  leurs  particularités,  leur  langage,  leur  style,  leurs 
allusions,  leurs  tendances,  dans  quel  milieu,  sous  quelle 
influence,  à  quelle  époque  et  par  qui  ils  ont  été  composés  * . 
Sans  se  mettre  en  peine  du  silence  de  l'histoire,  ou  plutôt 
sans  écouter  le  démenti  que  lui  donne  toute  l'antiquité  chré- 
tienne, il  n'hésite  pas  à  prononcer  que  presque  tous  les 
écrits  attribués  aux  Apôtres,  les  Evangiles  de  S.  Matthieu,  de 
S.  Marc,  de  S.  Luc,  les  Épîtres  pastorales,  celle  de  S.  Jacques, 
n'ont  été  à  l'origine  que  des  machines  de  guerre,  de  faux 
titres,  fabriqués,  soit  par  le  parti  de  Pierre,  soit  par  celui  de 
Paul,  pour  se  donner  du  crédit  et  s'assurer  le  triomphe  ^ 

«  Evidemment,  dit-il,  le  premier  évangile,  qui  établit  si  for- 
tement la  prééminence  de  Pierre  et  restreint  la  mission  du 
Sauveur  a  la  maison  d'Israël,  tout  en  étant  moins  ébionite 
que  l'évangile  des  Nazaréens  et  celui  des  Egyptiens  auxquels 
il  succède,  est  l'œuvre  du  parti  judaïsant.  Il  en  faut  dire 
autant  de  l'Epître  de  S.  Jacques,  dirigée  contre  celles  de 
S.  Paul  aux  Romains  et  aux  Galates.  Aux  écrits  ébionites,  le 
parti  universaliste  opposa  d'autres  écrits.  Ses  principaux 
auteurs  sont  S.  Luc,  toujours  favorable  aux  Gentils,  et  S.  Paul, 
l'apôtre  des  nations, , dont  les  grandes  Epitres,  sont  comme 
celle  aux  Gala  tes,  remplies  de  plaintes,  d'apologies,  d'invec- 
tives contre  ses  ennemis. 

»  Cependant  la  lutte  ne  pouvait  durer  toujours.  Après  un 
siècle  entier  de  divisions,  le  besoin  d'un  accord  commence 

1  II  n'est  pas  le  seul  critique  qui  ait  cette  prétention.  «  J'ai  pris  en 
Bretagne,  dit  M.  Renan,  Thabitude  de  voir  sous  terre  et  de  discerner  des 
bruits  que  d'autres  oreilles  n'entendent  pas,  »  1"  déc.  1876.  —  2  cf. 
S,  Aug.,  Cont,  Faust. f  ?:i,  2, 


y^iO]  SYSTÈMES  RATIONALISTES.  45 

à  se  faire  sentir,  et  les  hommes  sages  des  deux  partis  cher- 
chent à  se  rapprocher  par  des  concessions  mutuelles.  L'es- 
prit de  transaction  inspire  l'évangile  de  S.  Marc,  également 
bienveillant  pour  les  Juifs  et  pour  les  Gentils,  les  Epitres 
pastorales,  faites  pour  donner  la  sanction  de  l'Apôtre  aux 
distinctions  hiérarchiques  et  aux  pratiques  religieuses  déri- 
vées de  la  loi,  la  IP  Epitre  de  S.  Pierre,  où  l'on  a  soin  d'in- 
sérer l'éloge  de  S.  Paul,  enfin  l'Évangile  de  S.  Jean,  et  sur- 
tout les  Actes  des  Apôtres,  attribués  à  S.  Luc.  Ce  dernier 
livre  a  évidemment  pour  but  d'effacer  jusqu'aux  derniers 
vestiges  des  divisions  primitives.  Loin  d'y  voir  la  moindre 
lutte,  la  plus  petite  divergence  entre  S.  Pierre  et  S.  Paul, 
on  remarque  partout  entre  les  deux  Apôtres  le  plus  parfait 
accord.  Ils  agissent  de  concert;  ils  ont  les  mêmes  principes  ; 
ils  tendent  au  même  but.  Pierre  baptise  les  premiers  Gen- 
tils *,  et  prend  la  défense  de  Paul  dans  le  Concile  *.  Paul  fait 
le  vœu  de  nazaréat;  il  apporte  des  aumônes  aux  saints  de 
Jérusalem  ;  il  monte  au  temple  pour  prier  ^  Du  commen- 
cement à  la  fin,  l'historien  a  grand  soin  de  tenir  la  balance 
égale  entre  l'un  et  l'autre,  soit  pour  le  succès,  soit  pour  le 
nombre  et  l'éclat  des  miracles.  Ainsi  on  se  fait  des  conces- 
sions de  part  et  d'autre,  et  les  prétentions  de  chaque  parti 
se  modèrent.  Cependant  ce  sont  les  judaïsants  qui  ont  à  faire 
les  sacrifices  les  plus  sensibles.  L'idée  de  Paul  finit  par 
triompher  à  tel  point,  qu'il  est  permis  devoir  en  lui,  plutôt 
qu'en  Jésus-Christ  même,  le  fondateur  du  christianisme 
actuel. 

>  Malheureusement,  l'esprit  de  concorde  ne  subsiste  pas 
longtemps  dans  l'Eglise.  Après  une  période  de  tolérance 
assez  courte,  l'esprit  d'exclusivisme  renaît,  en  même  temps 
que  le  goût  des  formules  dogmatiques.  On  se  met  à  anathé- 
matiser  les  sectes  * .  Le  despotisme  doctrinal  s'établit  et  va 
croissant,  du  troisième  siècle  jusqu'au  seizième,  où  Luther 
restaure  et  couronne  l'œuvre  de  Paul,  en  laissant  toutefois 

*  Act.,  X,  48.  —  s  Act.,  XV,  11.  —  3  Act.,  xviii,  18;  xxi,  2C;  xxiv,  17. 
-*  Cf.  Matth.,  xviu,  17;  Marc,  xvij  16;  Rom.,  i,  5;  Gai.,  i,  8,  9;  v,  2; 
Tlt.,  m,  10  ;  U  Joan.;  10. 

3. 


46  INTRODUCTION  AU   NOUVEAU   TESTAMENT.  [n®  21 

à  ses  disciples  de  Tubingue  l'honneur  d'émanciper  l'esprit 
humain  à  l'égard  des  Ecritures,  comme  il  l'a  lui-même 
affranchi  à  l'égard  de  l'Eglise.» 

Telles  sont  les  idées  qui  ont  créé,  parmi  les  protestants 
d'Allemagne,  comme  un  nouveau  protestantisme,  sans  aucun 
reste  de  foi  chrétienne.  Voilà  ce  que  nos  rationalistes  ont 
essayé  de  naturaliser  parmi  nous,  dans  ces  derniers  temps, 
et  ce  que  certains  esprits  s'obstinent  encore  à  exploiter, 
mais  avec  une  confiance  visiblement  décroissante  *• 

20  Réfutation  des  rationalistes. 

lU  se  contredisent  eux-mêmes.  —  Ils  sont  contredits  par  les  faits. 

21.  —  Les  rationalistes  sont-ils   conséquents,  en  admettant  conimo 
authentique  une  partie  du  Nouveau  Testament? 

Les  rationalistes  se  contredisent  dans  l'énoncé  de  leurs 
idées;  ce  qu'ils  s'imaginent  renverser  d'un  côté,  ils  le 
relèvent  de  l'autre. 

Pourquoi  rejettent-ils  nos  Evangiles  et  la  plus  grande  par- 
tie des  écrits  des  Apôtres?  Pourquoi  prétendent-ils  que  ces 
livres  ont  été  supposés  ou  altérés?  Parce  qu'ils  ne  veulent 
pas  croire  aux  miracles,  aux  prophéties,  aux  mystères,  au 
surnaturel  en  un  mot,  et  qu'ils  seraient  forcés  d'y  ajouter  foi 

1  Sans,  renoncer  à  ses  idées,  M.  Renan  traite  parfois  les  études  aux- 
quelles il  s'est  livré  de  petites  sciences  conjecturales,  qui  se  défont  sans 
cesse  après  s'être  faites  et  qu'on  négligera  dans  cent  ans.  A  son  avis,  il 
sera  bien  difficile  d'ayoir  jamais  rien  de  certain  sur  des  faits  qui  se  sont 
passés  si  loin  de  nous.  »  15  déc.  1881.  l\  reproche  plus  que  personne  h 
la  science  allen^ande  son  défaut  de  mesure  dans  l'induction.  «  On  re- 
pousse, dit-il,  de  solides  témoignages  et  on  y  substitue  do  faibles 
hypothèses.  Du  nouveau,  voilà  ce  qu'on  veut  à  tout  prix,  et  le  nouveau, 
on  Tobtient  par  l'exagération.  D'un  faible  courant  bien  constaté  dans 
quelque  baie  écartée,  on  conclut  à  l'existence  d'un  grand  courant  océa- 
nique, n  faut  y  regarder  de  très  près  et  y  appliquer  un  grand  esprit  de 
discernement.  U  faut  surtout  être  bien  décidé  à  ne  tenir  aucun  compte 
des  critiques  hautaines  d'hommes  à  systèmes,  qui  vous  traitent  d'igno- 
rants et  d'arriérés,  parce  que  vous  n'admettez  pas  d'emblée  la  dernière 
nouveauté,  écloso  du  cerveau  d'un  jeune  docteur,  et  qui  peut  être  bonne 
tout  au  plus  à  servir  d'excitation  à  la  recherche  dans  un  cercle  d'éru- 
dits.  ')  Les  Evangiles ^  1877. 


N^^SOJ  RÉFUTATION  DES  RATIONALISTES.  47 

s'ils  leur  étaient  attestés  par  des  témoins  oculaires  de  la  vie 
du  Sauveur,  tels  qu'étaient  les  Apôtres  :  résolus  de  nier  ces 
vérités,  ils  sont  dans  la  nécessité  d'en  rejeter  les  preuves. 
Or,  les  livres  qu'ils  acceptent,  dont  ils  avouent' ne  pouvoir 
contester  l'authenticité,  les  quatre  premières  Epitres  de 
S.Paul,  par  exemple,  l'Apocalypse,  etc.,  contiennent  la  même 
doctrine,  enseignent  les  mêmes  mystères,  attestent  les 
mômes  prodiges  que  les  Evangiles  et  les  Actes. 

Ainsi  il  est  impossible  de  n'y  pas  voir  :  —  1<*  En  fait  de 
dogmes  :  la  Trinité  \  la  divinité  de  Jésus-Christ  ^  la  person- 
nalité du  Saint-Esprit  %  la  rédemption  du  monde  \  la  néces- 
sité et  l'efficacité  de  la  grâce  %  celle  des  Sacrements,  le  Bap- 
tême %  la  Confirmation',  l'Eucharistie'',  l'Ordre  %  la 
résurrection  des  corps *^  le  jugement^*,  la  vie  éternelle*-. 
—  En  fait  de  miracles  :  l'Incarnation  du  Verbe  *^  la  Résur- 
rection du  Sauveur**,  sa  glorification  dans  le  ciel*^  l'éta- 
blissement de  TEglise  *®,  la  conversion  subite  de  Saul  *^  celle 
des  peuples  infidèles  *S  les  révélations  faites  à  S.  Paul  *%  et 
à  S.  Jean  ^°,  les  prodiges  de  toutes  sortes  qui  confirmèrent 
la  prédication  de  l'Evangile'^*.  On  pourrait  étendre  cette 
énumération;  car  la  plupart  des  rationalistes  admettent  en- 
core comme  tout  à  fait  authentiques  les  Epîtres  aux  Philip- 
piens,  aux  Thessaloniciens,  à  Philémon,  celle  de  S.  Jacques, 

'  Rom.,  VIII,  11;  xv,  30;  II  Cor.,  xiii,  13.  —  2  Rom  ,  i,  3,  4,  9;  viii,  3; 
IX,  5;  I  Cor.,  i,  9;  viii,  6;  Il  Cor.,  viii,  9;  xi,  31  ;  Apoc,  i,  6,  8,  18;  ii, 
18-27;  m,  2.  12-14,  21;  vm,  10,  12;  xii,  10;  xiv,  i  ;  xix,  13.  —  3  Rom., 
vin,  15,  16;  I  Cor.,  ii,  10,  11;  xii,  4,  7,  H  ;  Gai.,  iv,  6.  —  *  Rom  ,  m, 
25,  26;  IV,  25;  v,  9,  10,  12-18;  vm,  32;  I  Cor.,  xv,  3;  Gai.,  ii,  20.  — 
*  I  Cor.,  XV,  10;  II  Cor.,  m,  5;  xii,  9.-6  Rom.,  vi,  3,  4,  6;  I  Cor.,  vr, 
il;  Gai.,  m,  27.  —  ^  II  Cor.,  i,  21,  22.  —  «  1  Cor.,  x,  16,  17;  xi,  24-29. 

-  9 1  Cor.,  IV,  1  ;  II  Cor.,  v,  20.  -  lo  i  Cor.,  xv,  1-58;  II  Cor  ,  iv,  14. 
-»Ulom.,ii,  2,6,  16;  xiv,  10;  I  Cor.,  i,  8;  II  Cor.,  v,  10.  —  12  II  Cor., 
IV,  18;  Gai.,  vi,  8.  —  13  Rom.,  i,  2,  3;  x,  6;  II  Cor.,  vm,  9;  Gai.,  iv,  4. 

—  **  Rom.,  IV,  24,25;  vi,  4;  vm,  11,  34;  xiv,  9;  I  Cor.,  vi,  14;  xv,  4,  12, 
H,  17;  II  Cor.,  iv,  14;  v,  15.  —  is  Rom.,  vi,  4,  5;  vm,  17,  34;  Apoc  , 
I,  13,  18,  etc.  —  »6  1  nor.,  xii,  2S;  xiv,  5,  7;  Gai.,  i,  18;  11,  il.  — 
"  Gai.,  i,  13,  16.  —  18  Rom.,  x,  19;  xv,  9,  18-21.  -  l'J  I  Cor.,  xv,  8; 
UCor.,  IV,  6;  xii,  1-4;  Gai.,  i,  12;  11,  2.  —  20  Apoc,  i,  I  ;  iv,  1;  v,  1  ; 
xvu;  xvm,  etc.  —  2*  Rom.,  xv,  18,  19;  I  Cor.,  11,  4;  xii,  9,  10;  xiv,  22; 
Gai  .  iii,  5. 


48  INTRODUCTION  AU  NOUVEAU  TESTAMENT.  [n^  22 

la  première  de  S.  Pierre;  et  s'ils  attribuent  à  S.  Barnabe  ou 
à  ApoUo  l'Epître  aux  Hébreux,  ils  ne  la  font  pas  moins 
antérieure  à  la  destruction  du  temple  *. 

Voilà  donc,  incontestablement,  de  l'aveu  des  rationalistes, 
ce  que  croyaient  et  prêchaient  S.  Paul  et  ses  collègues  dans 
l'apostolat,  vingt  à  vingt-cinq  ans  après  la  mort  du  Sauveur. 
Voilà  les  dogmes  qu'ils  enseignaient,  les  faits  qu'ils  attes- 
taient. Voilà  la  foi  professée  dans  l'Eglise  dès  l'an  50  de  l'ère 
chrétienne.  Est-ce  que  nous  disons  autre  chose?  Nos  Evan- 
giles et  nos  Actes  contiennent-ils  une  autre  histoire?  Y 
trouve-t-on  des  miracles  plus  étonnants  ou  de  plus  grands 
mystères?  Non,  assurément.  C'est  donc  sans  raison  comme 
sans  profit  qu'on  prétend  faire  un  choix  entre  nos  livres, 
accepter  ceux-ci  et  répudier  ceux-là.  Si  les  uns  sont  con- 
traires à  la  raison,  comment  les  autres  ne  le  seraient-ils 
pas?  Et  si  l'on  est  forcé  d'en  admettre  une  partie,  que  ga- 
gne-t-on  à  rejeter  le  reste  ^  ? 

22.  —  Est-il  concevable  que  nos  livres  aient  été  supposés,  pour  la 

plupart,  à  lorigino  de  TEglise ? 

Il  répugne  d'admettre  que  le  Nouveau  Testament  ait  été 
supposé  en  majeure  partie,  surtout  au  premier  siècle  et 
pour  les  livres  historiques. 

Si  l'Evangile  et  les  Actes  étaient,  comme  on  le  prétend, 
non  seulement  apocryphes,  mais  tout  à  fait  erronés  sur  les 
points  les  plus  essentiels,  sur  la  prédication  du  Sauveur,  sur 
ses  miracles,  sur  ceux  des  Apôtres,  sur  le  témoignage  que 
ceux-ci  rendaient  à  sa  divinité,  comment  les  auteurs  de  ces 
livres  auraient-ils  pu  les  faire  accepter  par  l'Eglise  avec 

1  Infra^  n.  790.  —  2  «  C'est  une  grande  source  d'erreurs  dans  l'étude 
des  faits  de  ne  savoir  pas  s'arrêter  à  leurs  traits  généraux  et  essentiels 
et  de  les  oublier  pour  mettre  en  saillie  les  traits  partiels  et  secondaires. 
On  peut,  par  exemple,  au  sujet  de  la  divinité  de  Jésus-Christ  contester 
le  sens  précis  et  la  portée  de  tel  ou  tel  mot;  on  peut  éliminer,  comme 
suspecte  d'interpolation,  telle  ou  telle  épître  :  il  en  restera  toujours 
infiniment  plus  qu'il  n'en  faut  pour  établir  que  ceux  qui  croient  à  la 
divini^  de  Jésus-Christ  ne  font  que  croire  ce  qu'ont  cru  et  dit  les 
Apôtje^,  ;et  que  les  Apôtres  eux-mêmes  ont  cru  et  dit,  il  y  a  bientôt 
dix-neuf '^iècles^  ce  que  leur  disait  Jésus-Christ.  »  Guizot,  Méditât, ,  I. 


N*  23]  RÉFUTATION   DES  RATIONALISTES.  49 

J'autorité.  d'Ecriture  inspirée?  Il  eût  fallu,  pour  cela,  que 
les  Apôtres  du  Sauveur,  S.  Jean  en  particulier,  et  leurs  dis- 
ciples immédiats,  eussent  ignoré  la  fraude  ou  connivé  à 
l'imposture,  au  moins  par  le  silence.  Or,  tout  proteste  contre 
une  pareille  idée  :  leur  nombre,  leur  intérêt,  leurs  livres, 
leur  succès. 

1®  Leur  nomlyre.  Quand  le  Sauveur  et  les  Apôtres  n'au- 
raient eu  que  quatre  ou  cinq  disciples,  il  leur  eût  déjà  été 
difficile  de  s'accorder  entre  eux  pour  accréditer  l'erreur,  et 
de  persévérer  tous  jusqu'à  la  mort  dans  cette  imposture 
sacrilège.  Mais  c'est  par  milliers  qu'on  les  comptait.  Il  y  en 
avait  en  Judée,  dans  toute  l'Asie-Mineure,  dans  la  Grèce,  à 
Alexandrie,  à  Rome,  partout.  Loin  de  pouvoir  s'unir  pour 
un  tel  dessein,  ils  ne  pouvaient  pas  même  délibérer  et 
prendre  une  décision  commune. 

2"  Leur  intérêt.  Eussent-ils  tous  été   des  fourbes,  des 
hommes  sans  probité,  sans  honneur,  sans  religion,  sans 
conscience,  tout  différents  de  ce  qu'on  les  a  toujours  crus, 
jamais  ils  ne  se  seraient  accordés  pour  propager  l'erreur, 
s'ils  n'avaient  eu  quelque  intérêt  à  la  répandre.  Or,  quel 
avantage  pouvaient-ils  voir  à  substituer  un  culte  austère 
et  pénible  à  un  culte  agréable  et  commode,  à  se  faire  les  pré- 
dicateurs d'une  religion  manifestement  en  horreur  à  Dieu  et. 
aux  hommes,  à  professer  un  culte  qui  les  exposait  à  tous  les 
supplices  en  ce  monde  et  à  des  peines  éternelles  dans  l'autre? 
On  serait  moins  déraisonnable  en  taxant  de  mauvaise  foi  le 
jeune  homme  qui  renonce  aux  agréments  de  la  famille  et  de 
la  vie  mondaine  pour  s'astreindre  aux  austérités  de  la  vie 
religieuse. 

3<>  La  nature  des  livres  dont  il  s'agit.  Gomment  admettre 
que  le  christianisme,  c'est-à-dire  tout  l'HommeDieu,  sa  vie 
ses  œuvres,  sa  vertu,  sa  doctrine,  son  Eglise  aient  été  ainsi 
imaginés  tout  d'un  coup,  et  tout  d'un  coup  accrédités  par 
des  hommes  de  ce  caractère,  et  qu'il  faille  attribuer  à  des 
fourbes  ignorés  et  ignorants  l'honneur  d'avoir  converti  le 
monde,  c'est-à-dire  éclairé  et  sanctifié  les  âmes? 
4*  Le  buccès  qu'ils  ont  obtenu.  Il  est  certain  que,  loin  d'être 


50        INTRODUCTION  AU  NOUVEAU  TESTAMENT.     [n°  23 

confondus  par  leurs  adversaires,  ils  les  ont  réduits  au  sir 
lence  et  qu'ils  ont  convaincu  un  grand  nombre  de  leurs  per- 
sécuteurs. Or,  si  les  faits  qu'ils  attestaient  et  dont  le  Nou- 
veau Testament  contient  le  récit,  étaient  imaginaires,  s'il 
n'était  pas  possible  de  les  accorder  avec  la  nature  des  choses 
et  les  événements  du  temps,  par  quelle  fascination  seraient- 
ils  parvenus  à  en  persuader  ainsi  leurs  contemporains? 

Aussi  les  rationalistes  n'osent-ils  faire  remonter  jusqu'au 
premier  siècle  la  supposition  ou  la  falsification  dont  ils  pré- 
tendent que  nos  livres  ont  été  l'objet. 

23.  —  Au  second  siècle,  la  supposition  des  livres  du  Nouveau 
Testament  répugnerait-elle  moins? 

Le  fait  de  cette  supposition  reste  également  inadmissible, 
lia  contre  lui  des  raisonnements  décisifs  et  des  témoignages 
péremptoires.  Les  raisonnements  prouvent  que  nos  livres  ne 
peuvent  avoir  été  supposés  à  cette  époque;  les  témoignages 
en  établissent  directement  l'authenticité. 

lo  Preuve  du  raisonnement. 

L'hypothèse  des  rationalistes  implique  deux  choses  qui 
ne  se  peuvent  soutenir,  savoir  que  nos  livres  ont  été  fabri- 
qués et  reçus  au  second  siècle,  et  que  la  foi  aux  miracles  et 
à  la  divinité  du  Sauveur  ne  s'est  établie  que  peu  à  peu,  grâce 
à  la  transformation  des  faits  réels  en  légendes  et  en 
mythes. 

i**  Ces  livres  n'ont  pu  être  ni  fabriqués  ni  reçus  par  les 
chrétiens  au  second  siècle,  après  la  mort  de  S.  Jean. 

S'ils  avaient  été  fabriqués  à  cette  époque,  ils  auraient  des 
caractères  différents.  On  y  verrait  moins  d'inexpérience, 
moins  de  simplicité,  plus  d'art,  de  culture  d'esprit,  de  litté- 
rature. Le  langage  des  écrivains  n'accuserait  pas  à  ce  point 
une  origine,  une  éducation  et  des  habitudes  juives.  Leurs 
récits  n'offriraient  pas  cette  vivacité  et  cette  forme  (h^ama- 
tique  qui  dénote  le  témoin  et  l'acteur.  Ils  n'auraient  pas  cette 
couleur  des  temps  et  des  lieux.  Leur  origine  ne  se  rattache- 
rait pas  à  des  circonstances  si  fortuites.  Ils  ne  s'accorderaient 


N'O  23]  RÉFUTATION   DES  RATIONALISTES.  51 

pas  aussi  parfaitement,  clans  tous  lesdétails,  avec  l'état  poli- 
tique des  pays  dont  ils  parlent,  avec  la  législation,  avec  la 
topographie,  avec  les  idées,  les  mœurs,  les  personnes  ^ 

Les  eût-on  fabriqués,  on  n'aurait  pu  les  faire  recevoir.  On 
était  encore,  au  second  siècle,  trop  près  des  Apôtres  ;  on 
avait  trop  de  moyens  de  savoir  s'ils  avaient  écrit  et  quels 
livres  ils  avaient  laissés.  En  ISO,  il  y  avait  à  Ephèse,  à  Pat- 
mos,  à  Jérusalem,  à  Smyrne,  une  foule  d'hommes  qui 
avaient  vécu  avec  S.  Jean.  Le  plus  célèbre  de  ses  disciples, 
S.  Polycarpe,  disait^  en  155  S  au  proconsul  d'Asie,  Statius 
Quadratus,  qui  le  pressait  de  blasphémer  Jésus-Christ  :  «  Il  y 
a  quatre-vingt-six  ans  que  je  le  sers  et  il  ne  m'a  jamais  fait 
que  du  bien  ^  »  En  125,  tous  les  chrétiens  octogénaires  ete 
Rome,  d'Antioche,  de  Judée,  avaient  vu  S.  Pierre  et  S.  Paul, 
entendu  leurs  instructions  et  recueilli  leur  doctrine,  fré- 
quenté leurs  disciples.  Gomment  ces  chrétiens,  fidèles  et 
prêtres,  auraient-ils  reçu,  comme  l'œuvre  des  Apôtres,  des 
écrits  en  opposition  avec  ce  qu'on  avait  appris  et  retenu 
d'eux?  Ne  fût-il  question  que  d'un  seul  livre,  de  S. Matthieu 
par  exemple,  l'absurdité  de  cette  supposition  serait  mani- 
feste ;  combien  plus  quand  il  s'agit  d'une  vingtaine  d'écrits 
attribués  à  différents  auteurs? 

2®  On  ne  peut  pas  dire  que  la  foi  aux  miracles  et  à  la  divi- 
nité du  Sauveur  soit  le  résultat  des  mythes  et  des  légendes 
auxquels  sa  vie  a  donné  lieu. 

Cent  ans,  l'intervalle  qui  nous  sépare  de  Louis  XVI  et  de 
Voltaire,  sont  évidemment  trop  courts  pour  clianger  en  lé- 
gendes toute  une  histoire  et  pour  faire  éclore  la  mythologie 
qu'on  suppose.  Prétendre  que  cette  transformation  s'est 
opérée  au  premier  siècle  et  dans  la  première  partie  du  second, 
est  un  paradoxe  d'autant  moins  admissible  qu'on  ne  voit 
nulle  part  à  cette  époque  le  moindre  mythe  se  produire  et 

*  Mgr  Mcignan,  Les  Evangiles  ^  Leç.  ix-xiii.  On  verra  dans  le  cours 
du  Manuel  les  marques  d'authenticité  de  cliaquc  livre  en  particulier. 
—  ^Mémoires  de  l'Acad.  des  Inscriptions.  Nouv.  série,  xxvi,  p.  1.  — 
'  Lettre  de  l'Eglise  de  Smyrne  sur  le  martyre  de  S.  Polycarpe ,  écrite 
Tannée  môme  de  sa  mort,  en  155,  n.  18;  Euseb.,  H»^  iv,  15. 


52  INTRODUCTION  AU  NOUVEAU  TESTAMENT.  [n®  23 

qu'on  ne  conçoit  pas  comment  il  eût  pu  s'en  former.  Le 
siècle  d'Auguste,  de  Tibère,  de  Vespasien,  était  l'âge  de 
l'histoire  proprement  dite,  de  l'histoire  écrite:  les  Mémoires, 
les  Commentaires,  les  Actes  officiels,  les  documents  de  toute 
sorte  abondaient  dans  tout  l'empire  *.  Or,  comme  l'a  très 
bien  dit  le  P.  Lacordaire,  l'écriture,  en  décrivant  tes  évé- 
nements et  en  les  fixant,  rend  la  formation  des  légendes 
impossible  ^ 

D'ailleurs  les  faits  les  plus  indubitables  de  l'histoire  ec- 
clésiastique attestent  que  la  foi  aux  miracles  et  à  la  divinité 
du  Sauveur  est  antérieure  au  second  siècle.  Pour  ce  qui  est 
des  miracles,  il  suffit  de  citer  S.  Quadratus,  païen  converti 
qui  faisait  encore  l'office  d'évangéliste  sous  Trajan  (fil?), 
mais  qui  avait  vu  la  ruine  de  Jérusalem  et  la  mort  des  pre- 
miers apôtres.  Dans  son  Apologie,  présentée  à  l'empereur 
Adrien,  quatre-vingts  ans  après  l'Ascension  de  Notre-Sei- 
gneur  (117-126),  il  affirme  qu'un  bon  nombre  d'hommes 
guéris  ou  ressuscites  par  Jésus-Christ  lui  ont  survécu  et  sont 
morts  depuis  peu,  dans  la  génération  dont  il  fait  partie  ^ 
Quant  au  dogme  de  la  divinité  du  Sauveur,  on  peut  citer  à 
toutes  les  époques  les  témoignages  de  foi  les  moins  suspects, 
ceux  des  martyrs  qui  se  sont  fait  égorger  plutôt  que  d'y  re- 
noncer. Le  17  juillet  de  l'an  180  S  le  proconsul  Saturnin, 

1  A  César  (f  —  44), à  Salluste  (f  —  34),  à  Varron  (f  —  16),  succédaient 
Tite-Live  (f  19)  Valère  Maxime  (f  28),  Vclleius  Paterculus  (f  30), 
Quinte  Curco  (f  70),  Josèphe  (n.  37),  Tacite  (n.  61),  Pline  le  jeune 
(n.  62),  Plutarque  (n.  66)^  Suétone  (n.  70),  etc.  Quant  aux  monuments 
et  aux  médailles,  nul  n'en  peut  dire  le  nombre.  Cf.  Mesmain,  Connais- 
sance des  temps  évangéliques,  p.  1,  eh.  2.  —  2  Lacordaire,  Conf,  xuii®. 
Cicero  ideo  dicit  divinitatem  Romuli  mirabiliter  fuisse  creditam,  quod 
erudita  jam  tempera  fuerint  quas  falsitatem  non  reciperent  fabularum... 
Quanto  magis  ipsius  tempore  Ciceronis,  maximeque  postea  sub  Auguste 
atque  Tiberio,  eruditioribus  utique  temporibus,  resurrectionem  carnis 
Cliristi  atque  in  cœlura  ascensionem!  etc.  S.  Aug.,  De  civ,  Dei.^  xxii, 
6,  7.  —  3  Non  soluni  quamdiu  in  terris  moratus  est  Salvator  nostor, 
verum  etiaoi  post  ejus  discessum,  adeo  ut  nonnulli  eorum  etiam  ad 
nostra  usque  tempera  pervenerint.  Euseb.,  H.,  iv,  3.  Cf.  m,  37;  v,  17  ; 
S.  Hieron.,  de  Vir.  illuslr.,  i9,  20.  —  *  Usener,  Acla  mart.  ScylL, 
graece,  Bonn,  1881;  Aube,  Étude  sur  un  nouveau  texte  des  Actes  des 
martyrs  sciUitains^  1881.  Suivant  M.  Aube,  ce  texte  grec,  découvert  par 


NO  23]  RÉFUTATION  DES  RATIONALISTES.  83 

interrogeant  à  Carthage  les  premiers  confesseurs  de  TEglise 
d'Afrique,  arrêtés  à  Scyllium,  leur  dit  :  «  Jurez  par  le  génie 
de  l'empereur  et  sacrifiez  aux  Dieux.  >  Ils  répondent  :  «  Nous 
honorons  César  comme  César;  mais  notre  culte,  nous  le 
rendons  à  notre  Dieu,  qui  est  le  seul  Dieu  véritable.  — 
Quels  sont  vos  livres  sacrés  ? —  Ce  sont  nos  Evangiles  et  les 

Epîtres  de  S.  Paul,  ai  xpO'  r<(JLaç  P16X01  *,  xai  eTricToXai  llauXou.i 

Et  leurs  Actes  finissent  par  ces  mots  :  Gloire,  honneur, 
adoration  à  notre  Roi  et  Seigneur  Jésus-Christ  avec  le  Père' 
et  le  Saint-Esprit  dans  les  siècles  des  siècles.  En  120, 
sainte  Symphorose,  immolée  avec  ses  sept  fils,  proteste  de- 
vant l'empereur  Adrieij  qu'elle  meurt  pour  le  Christ,  son 
Dieu.  En  110,  S.  Ignace,  évéque  d'Antioche,  se  glorifie  au 
tribunal  de  Trajan  de  porter  dans  son  cœur  le  Sauveur  son 
Dieu,  celui  qui  a  dit  :  «  J'habiterai  en  eux  et  je  vivrai  au 
milieu  d'eux  ^. 

Au  témoignage  des  martyrs,  nous  pourrions  joindre  celui 
des  bourreaux.  On  sait  ce  qu'a  écrit,  en  112  au  plus  tard  *, 
Pline  le  Jeujne,  le  plus  consciencieux  des  persécuteurs.  A 
son  arrivée  en  Bithynie,  comme  légat  impérial,  il  s'effraie 
devoir  la  multitude  de  ceux  qui  se  sont  mis  en  contravention, 
en  adorant  Jésus-Christ^  comme  Dieu,  et  déplore  la  néces- 
sité que  la  loi  lui  impose,  de  les  envoyer  au  supplice;  d'autant 
plus  qu'il  s'en  trouve  qui  ont  renoncé  au  christianisme 
depuis  une  vingtaine  d'années  déjà.  Il  se  fait  donc  un  devoir 
de  recourir  à  l'empereur,  et  de  lui  demander  quelle  con- 

H.  Usener  dans  un  manascrit  de  notre  Bibliothèque  nationale,  est  une 
pièce  originale ,  non  traduite  d'un  texte  latin.  Il  a  dû  être  écrit  peu  de 
temps  après  les  faits,  entre  180  et.  200. 

*  Les  mots  Ai  xaô'TjvLotç  pt6Xoi,  sont  rendus  dans  los  Actes  latins  par 
libn  evanf^eliorum  j  et  Ton  ne  peut  douter  que  ce  ne  soit  le  sens.  — 
*  Le  Père  n'est  pas  nommé  dans  le  texte  groc,  mais  seulement  dans  les 
Actes  latins.  Ce  peut  être  un  oubli  ;  et  quand  Tomission  serait  volon- 
taire, elle  n'empêcherait  pas  que  la  divinité  du  Sauveur  ne  soit  clai- 
rement énoncée,  aussi  bien  que  celle  du  Saint-Esprit.  —  3  Voir  Héfclé, 
Pair.  Apost.,  Tubing.,  1857,  sur  Tauthenticité  des  Actes  de  S.  Ignace. 
On  trouve  ces  Actes  et  ceux  que  nous  avons  cités  précédemment  dans 
don  Ruynart  :  Acta  martyrum  sincera  et  selecla.  GinoulhiaCi  Hi^L  du 
dogme,  I,  8.  f—  *  Plusieurs  disent  i04. 


5'ir  INTRODUCTION   AU   NOUVEAU  TESTAMENT.  [n<^  23 

duite  il  doit  tenir*.  Ce  témoignage,  reproduit  par  Tertul- 
lien,  Eusèbe  et  S.  Jérôme,  ne  saurait  être  plus  précis  ni  plus 
incontestable  *, 

2**  Preuve  de  témoignage. 

Mais  tous  les  raisonnements,  si  concluants  qu'ils  puissent 
être,  sont  superflus;  car  les  témoignages  les  plus  variés  et 
les  plus  nombreux  établissent  directement  l'existence  et 
l'autorité  de  nos  saints  livres,  au  moment  même  où  l'on 
prétend  qu'on  aurait  songé  à  les  fabriquer. 

1°  Documents  officiels. 

1°  Les  Versions.  —  Il  est  certain  que  tous  ces  livres 
étaient  refermés  dans  l'Italique  et  les  anciennes  versions 
latines  en  usage  avant  S.  Jérôme,  aussi  bien  que  dans  la 
version  syriaque  appelée  Péchito,  sauf  quelques  écrits  de 
moindre  importance  et  peu  étendus  ^  Or,  on  convient  que 
les  versions  latines  remontent  au  commencement  ou  tout  au 
moins  au  milieu  du  second  siècle,  et  que  la  Péchito  ne  leur 
cède  pas  en  antiquité,  même  pour  le  Nouveau  Testament  *. 

2*  Le  canon  de  Muratori.  —  C'est  une  liste  des  livres 
sacrés  dont  on  faisait  officiellement  là  lecture  dans  les  églises 
d'Italie  vers  le  milieu  du  second  siècle.  Elle  a  dû  être  écrite, 
entre  l'an  160  et  l'an  170,  par  un  contemporain  du  pape 
S.  Pie  I  (141-151).  Or,  cette  liste  comprend  presque  tous  les 

1  Probablement  clans  la  persécution  de  Domitien.  ns  avaient  cto  cvan- 
gclisés  par  S.  Pierre  quarante  à  cinquante  ans  plus  tôt.  I  Pet.,  i,  1  ; 
/n/>'rt,  n.  456.  Visa  est  mihi  res  digna  consultaliono,  maxime  propter 
pcriclitantium  nuraeruni.  Xeque  enim  civitates  tantum,  scd  tîcos  atque 
agros  superstitionis  istius  contagio  pervagata  est,  Dconim  templa  dé- 
serta et  sacra  diu  intermissa.  Affirmabant  quod  csscnt  soliti  stato  dio 
anto  solem  conveniro,  carmenque  Ghristo  quasi  Deo  dicero  secum  invi- 
com.  Pjin.  jun.  Ef)ist.  X,  xcvii.  Cf.  Lucian.,  Pereg.,  H,  13;  Alcx.^  I. 
Psalrni  ot  CiUilira  fratrum  jampridom  a  fidolibus  ronscripta  Cliristum 
Vorbnni  l)(i  colobrant,  divinitatem  ei  tribucndo.  Kusob.,  //.,  v,  'iS.  <lf. 
V,  8;  S.  .Uistin,  IHal.y  C8  ;  Origen.,  Cont.  Cels.^  ir.  9.  —  -  Cf.  Tort., 
Apolog.^2\  Enscb.,  //.,  m,  33;  S.  Uieron.,  Chron.  Ensch.,  ann.  110.  — 
3  Les  quatre  derniers  et  la  seconde  Epîtrexic  S.  Pierre.  On  peut  môme 
croire  que  ces  livres  étaient  renfermés  dans  le  Péchito;  car  S.  Ëphrem 
(f  380)  en  fait  des  citations  en  syriaque.  Supra^  n.  17.  —  *  ^4.  T, 
n.  20,  125,  et  N.  T,  n.  13  et  33.  Cf.  Euseb.,  U.  E  ,  iv,  22. 


N®23]  RÉFUTATION   DES  RATIONALISTES.  55 

livres  qui  composent  actuellement  le  Nouveau  Testament. 
L'Epître  aux  Hébreux,  celle  de  S.  Jacques  et  les  deux  Epîtres 
de  S.  Pierre  font  exception,  quoique  S.  Pierre  soit  nommé. 
On  n'y  trouve  pas  non  plus  les  noms  de  S.  Matthieu  et  de 
S.  Marc,  parce  que  les  premières  lignes  du  catalogue  sont  dé- 
tachées ;  mais  S.  Luc  est  donné  pour  le  troisième  évangéliste 
et  S.  Jean  pour  le  quatrième  * . 

2°  Témoignages  des  plus  anciens  Pères. 

Les  plus  anciennes  citations  des  Pères  ont  pour  objet  les 
Evangiles.  On  ne  connaît  pas  d'auteur  chrétien  des  premiers 
siècles  qui  ne  leur  ait  fait  quelque  emprunt  ou  quelque  allu- 
sion visible.  Nous  ne  disons  pas  :  qui  les  ait  désignés  en 
nommant  les  auteurs  ;  car  l'usage  de  joindreaux  citations  le 
nom  du  livre  et  celui  de  l'auteur  ne  s'établit  que  plus  tard. 
On  n'en  sentit  pas  d'abord  l'importance.  La  plupart  du  temps, 
on  citait  par  forme  d'allusion,  ou  l'on  se  contestait  de  dire, 
comme  chez  les  Juifs  :  Scrip^ww  est,..  Legitur.,.  Scriptura 
dicit...  Dkit  Dominus^.  Nous  nous  bornerons  aux  Pères  les 
plus  anciens  et  les  plus  célèbres. 

S.  Clément,  pape,  disciple  de  S.  Pierre  et  de  S.  Paul  ' 
(t  98).  —  Dans  sa  première  Epître  aux  fidèles  de  Corinthe, 
cette  grande  et  admirable  Epître  *,  de  Tan  93  à  l'an  97  au  plus 
tard%  qu'on  lisait  chaque  dimanche  dans  les  assemblées  re- 
ligieuses, selon  le  témoignage  de  S.  Denys,  qui  fut  évéque 
de  Corinthe  une  soixantaine  d'années  après  S.  Clément  ^ 
les  trois  synoptiques  sont  cités  littéralement  comme  Ecriture 
Sainte,  et  S.  Matthieu  l'est  au  moins  trois  fois\  On  v  trouve 
encore,  outre  une  mention  expresse  de  la  première  Epître 
de  S.  Paul  aux  Corinthiens  '^  de  nombreux  passages  de  l'E- 

*  Muratori,  Antiquitales  italicx  medhv  œlatis,  t.  m,  p.  S.'ii.  Modio- 
lani,  1740..  Cf.  A.  T..  ii.  30.  Lo  maiiiisrrit  parait  viro,  du  viii*  si^do,  — 
2  S.  Clem.,  I  EpisL,  2,  3,  4,  13,  40.  Cf.  Rom.,  i,  17;  II,  2\\  Ikb.,  vtii,  S; 
X,  15,  etc.  —  3  S.  Jrcn.,  m,  3;  Eiiseb  ,  //.,  m,  15;  v,  0.  G  airoTTo)©; 
K>ri{&Tiç.  Clcm.  Alex.  Strom.,  iv,  17.  —  *  Mey^/TQ  te  xai  Oau(JLa'7ia,  Eiiscb  , 
//.,  m,  16.  —  s  s.  Iren  ,  III,  m,  3.-6  Euscb.,  //.,  iv,  23  Cf.  m,  33; 
IV,  23  et  ïnfra,  n.  662.  —  ^  S.  Clora.,  /  Epist.,  13,  27,  46.  —  »  Ibid.. 
37,  47,  49. 


I 


56  INTRODUCTION   AU   NOUVEAU   TESTAMENT.  [N^  23 

pître  aux  Hébreux*,  des  allusions  visibles  à  TÉpitre  aux 
Romains  S  aux  Epitres  de  Timothée  ^  et  à  Tite  *  et  même  à 
celles  de  S.  Pierre  ^  et  de  S.  Jacques  *. 

DocTïiiNE  DES  Apôtres,  antérieure  à  TEpitre  de  S.  Barnabe, 
sinon  à  celle  de  S.  Clémente  —  S.  Matthieu  y  est  cité  incon- 
testablement, sans  y  être  nommé.  La  Trinité  et  la  divinité  de 
Jésus-Christ  y  sont  clairement  enseignées. 

Epitre  de  s.  Barnabe.  —  Le  premier  Evangile  est  cité  en 
plusieurs  endroits  de  TEpître  de  S.  Barnabe,  et  une  fois  avec 
la  formule  :  Scriptum  est  *i  Or  cette  Epître,  dont  l'original 
grée  a  été  complété  par  une  découverte  récente',  date  de 
Tan  72,  si  elle  est  authentique  comme  on  le  croyait  dès  le 
troisième  siècle  *^,  ou,  si  elle  ne  l'est  pas,  du  commencement 
du  second.  Celse  paraît  s'en  être  servi  dès  l'an  170  au  plus 
tard  *». 

S.  Ignace,  homme  tout  apostolique^  disent  ses  Actes  *^,  dis- 
ciple de  S.  Jean  et  troisième  évéque  d'Antioche  (f  107).  — 
L'authenticité  des  sept  Epîtres  qu'il  a  écrites  en  se  rendant 
à  Rome,  où  Trajan  l'envoyait  pour  subir  le  martyre  *S  l'au- 
thenticité de  l'Epitre  aux  Romains  surtout,  citée  par  S.  Iré- 
née  soixante-dix  ans  plus  tard**,  a  résisté  à  toutes  les 
attaques  et  reste  appuyée  sur  des  témoignages  irréfragables*^. 
Or,  non  seulement  ces  Epîtres  contiennent  toute  la  subs- 
tance de  l'Evangile,  et  attribuent  expressément  le  nom  de 
Dieu  à  Nôtre  Seigneur  en  une  dizaine  d'endroits  *^  mais  en- 

1  s.  Clem.,  I  Epist,  9,  1^,  i7,  23,  43.  —  a  Ibid  ,  35,  46.  —  3  ibid., 
29,  47,  49.  —  *  ïbid.,  n.  2.  -  s  Ibid.,  19,  49,  57.  -  «  Ibid.,  30,  49.  Cf. 
Euseb.,ff.,iii,38.  — "ïXVI  chapitres» publiés  récemment  par.  Ph.  Bryenne 
(110-130)  Cf.  fn/ra,'n.  650.  —  »  Q;  -it^çaniai.  S.  Barnab.,  Epist.y  4,  5, 
19.  (An.  97,  M.  Renan,  Evang.^  170).  —  ^  Publié  en  grec  en  1645,  et 
complété  par  Tischendorf.  en  1 859-62 ,.  après  son  voyage  au  Sinai.  — 
10  Clem.  Alox.,  S/row.,  il.  G,  15,  18,  20;  v,  8,  10  ;  vi,  8  (194)  ;  Orig.,  Cont, 
Cels.,  I,  63;  de  Princip.,  m,  24  (239).  —  **  Orig.,  Cont.  Gels,,  i,  63.  — 
12  Pièce  du  vi«  siècle.  — •  i3  Ad  Ephes.;  Ad  Magnes,;  Ad  TralL;  Ad 
Rom.;  Ad  Philad.;  Ad  Smyni.;  Ad  Polyc.  —  **  S.  Iren.,  V,  xxviii,  4. 
—,  15  s.  Polyc,  Ad  Philip.y  xni;  S  Iren.,  V,  xxviii,  4;  Orig.,  In  Luc.y 
Hom.  VI.  Euseb.,  IL,  m,  36;  S.  Clirys.,  Orat.  in  Ign.;  S.  Hicron.,  de 
Vir.  ill.,  XVI.  —  '«  Le  Sauveur  est  appelé  o  0eoç  jiou,  o  0eo;  r,\Lu>v, 
AdEph.,  15,  iS;  Ad  Hom.,  3,  6;  Ad  Polyc,  8,  etc. 


N*23]  RÉFUTATION  DES   ^IATIONaUSTES.  57 

core  il  est  facile  d'y  démêler  des  allusions  formelles  à  la 
doctrine  de  S.  Jean,  à  certains  passages  de  S.  Matthieu  *,  à 
diverses  Epitres  de  S.  Paul,  par  .exemple  aux  Corinthiens  *  et 
aux  Ephésiens  *. 

S.  PoLYCARPE,  évéque  de  Smyrne  (f  158).  —  Lui-même 
avait  été  formé  par  les  Apôtres  et  longtemps  mêlé  aux  dis- 
ciples immédiats  du  Sauveur*.  Peu  après  la  mort  de 
S.  Ignace,  les  fidèles  de  Philippes  le  prièrent  de  leur  com- 
muniquer les  Epîtres  de  ce  saint  Martyr,  dont  il  avait  le  re- 
cueil. La  lettre  assez  courte  qu'il  leur  écrit  en  les  leur  adres- 
sant ^  (116  ou  117)  et  qu'on  voit  citée  dans  S.  Irénée  et  dans 
Eusèbe,  est  remplie  de  textes  extraits  des  livres  du  Nouveau 
Testament,  de  S.  Matthieu,  de  S.  Luc^  des  Actes  des  Apôtres, 
de  la  première  Epître  de  S.  Jean,  des  Epitres  de  S.  Paul  aux 
Romains,  aux  Corinthiens,  aux  Galates,  aux  Ephésiens,  aux 
Philippiens,  aux  Thessaloniciens,  à  Timothée.  La  première 
de  S.  Pierre  y  est  citée  en  une  dizaine  d'endroits  ' 

Papias,  évéque  d'Hiérapolis  en  Phrygi^  (120).  —  On 
ignore  l'année  de  sa  mort,  mais  on  sait  par  S.  Irénée  qu'il 
avait  connu  S.  Jean  et  les  disciples  des  Apôtres  *,  notamment 
S.  Polycarpe,  un  prêtre  du  nom  de  Jean,  Aristion  et  les  filles 
du  diacre  Philippe.  Il  a  écrit  dans  la  première  moitié  du 
second  siècle  une  Explication  des  discours  du  Seigneur^  en 
cinq  livres  %  dont  Eusèbe  nous  a  conservé  quelques  frag- 
ments. On  y  lit  expressément,  comme  un  fait  attesté  par  les 
anciens,  par  le  prêtre  Jean  en  particulier,  que  S.  Matthieu  a 
composé  son  Evangile  en  hébreu,  et  que  S.  Marc  a  rédigé  de 
mémoire,  mais  avec  fidélité,  la  prédication  de  S.  Pierre. 


1  Cf.  Ad  Eph.^  14;  Ad  Magn.,  é,  19;  Ad  Smym.,  6;  Ad  Poiyc,  2.  - 
*  Ad  TrulL,  10  ;  Ad  Rom,y  5.  —  »  Ad  Eph.,  in  tjtulo  ;  Ad  Polyc,  5.  «  Nul 
doate,  dit  M.  Renan,  à  propos  de  l'Ëpitre  de  S.  Ignace  aux  Romains, 
qu'Ignace  ne  (It  sa  lecture  habituelle  des  grandes  Epitres  de  S.  Paul.  » 
Les  Evangiles;  Ginoulhiac,  Orig.  du  Christian,  ^l,  n/5;  Funk.,  Opéra  PP. 
aposL.,  Indices  locorum.  —  *  S.  Iren,,.IU,  lu,  4;  Tert.,  De  prœsc,  325; 
Euseb  ,  H.,  III,  36;  iv,  14, 15;  S.  Hieron.,  de  Vir.  illustr.,  17.—  s  S.  Poljrç., 
Ad  Philipf,  13;  Ëuseb.,  H.,  iv,  14.  —  s  Apx«^<><  «viîp,  personnage  des 
premiers  temps;  JLdvvvqu  axou<mf)c,  IIo>vxapicouSe  etatpoç.  S.  Iren.,  v, 
33,  34;  Ettseb.,  H.,  m,  39.  —  ?  S.  Hieron.,  de  Vir..illust,,  18. 


88  iNtRODUGTioN  AU  Nouveau  testament.         [n^^  23 

Eusèbe  nous  apprend  de  plus  qu'on  y  voyait  citée  la  pre- 
mière Epître  de  S.  Jean,  la  première  de  S.  Pierre  et  l'his- 
toire d'une  femme  adultère  *. 

S.  Jlstin,  né  à  Sichem  en  Palestine^  (f  166).  — C'est  à 
Ephèse  qu'il  rencontra  le  juif  Tryphon,  avec  un  grand 
nombre  de  disciples  de  S.  Jean  '\  mais  c'est  à  Rome  qu'il  jeta 
le  plus  d'éclat  et  qu'il  obtint  la  palme  du  martyre.  L'an  138, 
suivant  les  uns,  147,  suivant  les  autres,  une  quarantaine 
d'années  après  la  mort  de  S.  Jean,  il  présenta  à  Antonin  le 
Pieux  sa  première  Apologie  pour  les  chrétiens.  Dans  cet 
écrit,  il  mentionne  l'usage  où  sont  les  fidèles  de  lire  chaque 
dimanche,  durant  les  saints  mystères,  les  Evangiles  ou  Mé- 
moires des  Apôtres  *  ;  puis  il  cite  aux  païens,  pour  les  leur 
faire  admirer,  les  plus  beaux  passages  de  nos  Evangiles, 
celui  de  S.  Jean  compris.  Trois  de  ses  paragrairfies  con- 
tiennent près  de  quarante  textes  des  synoptiques  ^  Rien  ne 
serait  plus  facile  que  de  composer  en  entier  le  symbole  de 
l'Eglise,  de  textes  extraits  de  ses  ouvrages  ^  Dans  son  Dia- 
logue avec  Tryphon,  il  affirme  la  divinité  du  Sauveur  plus  de 
cent  fois  avec  une  clarté  qui  défie  toute  contradiction  \ 

S.  Irénée,  né  à  Smyrne,  vers  120,  successeur  de  S.  Pothin 
à  Lyon  (177-202).  —  Naturellement  observateur  et  perspi- 
cace ^  héritier  de  la  doctrine  de  S.  Polycanpe  ®,  en  rapport 
direct  avec  le  Siège  Apostolique  et  tous  les  Evêques  des 
Gaules  ^°,  il  était  mieux  instruit  encore  des  croyances  et  des 
pratiques,  de  l'Eglise  que  des  variétés  et  des  artifices  de  l'hé- 
résie. Or,  voici  ce  qu'il  écrivait  sous  le  pontificat  de  S.  Eleu- 
thère,  quatre-vingts  ans  après  la  mort  de  S.  Jean  (184- 
192)**  :  «  Il  y  a  quatre  évangiles,  comme  il  y  a  quatre 
points  cardinaux,  quatre  vertus  morales,  quatre  figurés  de 
chérubins  *^  L'autorité  de  nos  Evangiles  est  si  bien  établie 

1  Euseb.,  H.,  III,  39.  —  «  Euseb.,  H.,  iv,  8,  11,  12,  16,  18.  —  3  Euseb., 
H.,  IV,  18.  —  *  A7coiJ.vi(i(ji.ov«uiJLaTa.  S.  Just.,  1*  Apol.y  66,  67;  Dial.,  106. 

—  8  Apolog.y  15,  16,  17,  61;  Cf.  Dial.,  88.  —  «  Mgr  Freppel,  S.  Justin., 
leç.  XXI.  —  T  Cf.  Justin.,  ApoL^  i,  23.  31,  63,  etc.;  Gratry,  Sophistique, 

—  8  Irenaeas,  omnium  doctrinarum  curiosissimus  explorator.  TcrtnH., 
Adv.  Vatentin.,  v.  —  9  Eusob.,  ff.,  v,  8,  20.  —  lo  Ibii.,  v,  4,  22.  — 
11  S.  Iren.,  ÏII,  m,  3.  —  i^  Ibid.,  HI,  xi,  8. 


A»  23]  HEFDTATION   DES   RATIONALISEES. 

que  les  hérétiques  eux-mêmes  lui  rendent  hommage  et  que, 
tout  en  se  détachant  de  l'Eglise,  ils  ne  laissent  pas  de  s'ap- 
puyer autant  qu'ils  peuvent  sur  ces  saints  livres  '  .  »  Il  cite 
ces  Évangiles  trois  à  quatre  cents  fois,  S.  Luc  et  S.  Jean  près 
de  cent  fois,  S.  Matthieu,  plus  de  deux  cents.  Il  loue  la 
beauté  de  TEvangile  de  S.  Luc  et  dit  qu'il  est  dans  toutes  les 
mains  ^  Il  analyse  les  Actes  des  Apôtres  ^  Quant  aux  Epîtres, 
il  leur  fait  des  emprunts  à  toutes,  sauf  TEpître  à  Philémon  *, 
et  peut-être  celle  de  S.  Jacques.  Ajoutons  que  dans  les  frag- 
ments qu'il  emprunte  à  des  docteurs  plus  anciens,  c'est-à- 
dire  de  la  première  partie  du  même  siècle,  on  trouve  des 
citations  non  moins  expresses  de  S.  Matthieu,  de  S.  Marc, 
de  S.  Jean,  des  Epîtres  aux  Romains,  aux  Corinthiens,  aux 
Ephésiens  ^ 

Clément,  prêtre  d'Alexandrie  (t  217).  —  Il  appartient  à  la 
même  époque  que  S.  Irénée;  car  ses  écrits  ont  été  composés 
pour  la  plupart  avant  la  fin  du  second  siècle.  Dans  ceux  de 
ses  ouvrages  qui  ont  survécu,  les  Stromates,  le  Pédagogue, 
VExhortation  aux  Gentils,  tous  nos  livres  et  tous  nos  auteurs 
sacrés  sont  cités,  à  l'exception  de  la  troisième  Epître  de 
S.  Jean  ®. 

Tertullien,  prêtre  de  Carthage,  mais  qui  a  passé  à  Rome 
une  grande  partie  de  sa  vie  (145-230).  — -  Il  tient  dans  l'E- 
glise d'Afrique  le  même  rang  que  S.  Irénée  dans  celle 
des  Gaules  et  Clément  dans  celle  d'Alexandrie;  et  l'on 
serait  plus  étonné  de  son  savoir,  si  l'on  était  moins  frappé 
de  son  éloquence  \  Il  commença  d'écrire  vers  189  et  publia 
son  Apologétique  sur  la  fin  du  second  siècle  (197).  Or,  tous 
ses  ouvrages  sont  semés  de  citations  et  d'allusions  au  Nou- 
veau Testament  ;  et  ces  citations  s'étendent  à  tous  les  livres 

1  s.  Iren.,  III.  xi,  7.  —  2  ibid.,  III,  xiv,  1,  3.  —  3  ibid.,  III,  xiii-xv.  — 
*  Massaet,  Dissertatio  pravia  ad  Irenœi  libros.  Diss.,  m,  art.  6,  7,  10. 
-  *  Appendix  ad  S.  Iren.  libros.  —  6  Euseb.,  H.,  v,  11;  vi,  13,  14.  — 
"î  Vir  legum  pomanarum-  peritissimas  et  intcr  Latinos  celeberriinus. 
Eoseb.,  ff ,  II,  2.  Quid  Tcrtulliano  eniditius?  Quid  acutius?  S.  Hicron., 
Epist,  Lzx,  5.  Sicut  Origen«s  inter  Graecos,  ita  Tertuilianus  iuter  latinos 
nostroram  omaium  facUe  princepa  judicandus  est.  S.  Vinc.  Lerins., 
Commonit.,  I.  18. 


60  liNTRofatCtlON  AU   NOUVEAU   tESTAMÉNT.  j  N»  23 

inspirés.  «  Dans  ce  seul  auteur,  dit  Lardner,  le  Nouveau 
Testament  est  cité  en  plus  d'endroits  et  avec  plus  d'étendue 
que  toutes  les  œuvres  de  Cicéron  ne  l'ont  été  par  tous  les 
écrivains  du  monde  dans  l'espace  de  plusieurs  siècles*.  »0n 
en  a  publié  récemment  le  recueil  sous  ce  titre  :  Le  Nouveau 
Testament  tiré  des  écrits  de  Tertullien  *.  Bien  plus,  il  ne  se 
borne  pas  à  citer  les  livres,  il  nomme  tous  les  auteurs  sacrés 
et  tous  leurs  écrits,  sauf  l'Epître  de  S.  Jacques,  la  seconde 
de  S.  Pierre,  la  seconde  et  la  troisième  de  S.  Jean.  Pour  les 
Évangiles,  il  affirme  que  l'Eglise  les  possède  depuis  sa  fon- 
dation ^ 

Origène  (186-254),  la  gloire  de  l'école  chrétienne  d'Alexan- 
drie %  YAdamantius  des  Pères.  Il  succéda  à  Clément  l'année 
môme  de  la  mort  de  saint  Irénée  et  remplit  toute  la  première 
moitié  du  troisième  siècle.  Le  sixième  livre  de  l'Histoire 
d'EusèbQ  roule  en  grande  partie  sur  ses  travaux  et  sur  ses 
écrits.  Ce  grand  homme,  bien  supérieur  à  tous  ses  maîtres 
par  son  érudition  comme  par  son  génie  '%  commençant  en 
210  son  commentaire  sur  S.  Matthieu,  prend  soin  de  cons- 
tater ce  que  la  tradition  enseigne  sur  les  quatre  Evangiles 
«  seuls  reconnus  sans  contestation  comme  authentiques  dans 
l'Eglise  de  Dieu,  répandue  par  tout  l'univers.  »0r,  cequ'ila 
recueilli  sur  ce  sujet  ne  diffère  pas  de  ce  que  dit  S.  Irénée, 
ni  de  ce  qu'atteste  l'histoire  ecclésiastique  sur  la  foi  de  tous 
les  chrétiens  ^  Il  cite  comme  divins  presque  tous  les  autres 
livres  du  Nouveau  Testament  et  il  en  explique  un  très 
grand  nombre.  Nous  avons  encore  la  plus  grande 
partie  de  son  commentaire  sur  S.  Matthieu  \  trente- 
neuf  de  ses  homélies  sur  S.  Luc,  neuf  tomes  sur  divers  en-, 
droits  de  S.  Jean,  et  un  abrégé  de  son  Exposition  de  VEpitre 
aux  Romains,  De  plus,  on  a  lieu  de  croire  qu'il  fit  pour  le 


.  1  Credibil.  of  the  Gospel  History,  II,  iv,  37.  —  »  D'  Rœnsh,  1871-, 
Leipsik.  —  3  Apud  ecclesias  ia  cxordio  fuerunt.  Tert.  Adv.  Marc,  IV,  v. 
—  *  To'j  xaô'  AXeÇavSpiav  ôiÔotffxaXetou.  Ëaseb.,  fl.,  v,  10;  Martigny, 
Écoles.  —  ^  Magnus  vir  ab  infantia.  Quis  unquam  tanta  Icgero  potuit 
quanta  ipse  conscripsit!  S.  Hier.,£/>.  xxxiir,  4.-6  Euseb.,  /f.,  vi,  24, 
25,  32.  —  "ï  /n  Matth,,  xiii,  36-xxviii. 


.N*>  23]  RÉFUTATION   DES   RATIONALISTES.  ttl 

Nouveau  Testament  un  travail  analogue  à  celui  qu'il  avaitfait 
pour  l'Ancien.  Il  confronta  un  certain  nombre  de  manuscrits 
afin  (l'en  épurer  le  texte  *;  mais  les  variantes  qu'il  releva, 
comme  celles  qu'on  a  recueillies  depuis,  n'étaient  pas  de  na- 
ture à  altérer  l'histoire  ni  la  doctrine;  et  Ton  n'y  aurait  pas 
attaché  d'importance,  si  l'on  avait  eu  moins  de  sollicitude 
pour  conserver  la  parole  de  Dieu  dans  toute  sa  pureté. 

*  3«  Auteurs  étrangers  à  l'Eglise. 

1**  Les  hérétiques,  —  On  ne  voit  pas  qu'une  seule  secte  du 
second  siècle  ait  révoqué  en  doute  l'histoire  évangélique, 
ou  contesté  l'authenticité  d'une  partie  importante  de  nos 
Saints  Livres.  Les  hérétiques  s'efforcent  d'en  dénaturer  la 
doctrine;  plusieurs  en  mutilent  le  texte  ou  en  récusent  l'au- 
torité; mais  aucun  ne  les  déclare  apocryphes  ou  supposés. 
Bien  plus,  quoique  les  écrits  des  hérésiarques  ne  nous  soient 
guère  connus  que  par  les  réfutations  des  saints  Pérès,  il  est 
facile  de  recueillir,  comme  l'a  fait  le  D'  Hug  ^  dans  les  pas- 
sages qu'ils  en  ont  extraits,  des  citations  de  tous  les  livres 
du  Nouveau  Testament,  sauf  une  Epître  ou  deux  des  plus 
courtes. 

On  sait  que  les  sectes  judéo-chrétiennes  s'attachaient  à 
S.  Matthieu  '.On  trouve  plus  de  cent  citations  de  son  Evan- 
gile dans  les  Homélies  Clémentines  (190)  *.  S.  Marc  et  S.  Lue 
y  sont  cités  rarement  ;  ils  le  sont  cependant.  S.  Jean  Test 
aussi,  malgré  son  opposition  ardente  à  Ferreur  des  Ebio- 
nites  sur  la  divinité  du  Sauveur^.  Pour  S.  Paul,  ces  héré- 
tiques rejetaient  absolument  ses  Epitres,  non  qu'ils  ne  les 
regardassent;  pas  comme  son  œuvre,  mais  parce  qu'ils 
ne  voulaient  pas  le  reconnaître  comme,  véritable  Apôtre  ^ 

Cerdon  (t30Ti40)  ^  reconnaissait .  pour  inspiré  tout  le 
Nouveau  Testament  et/ rejetait  l'Ancien  qu'il  disait  y  être 

1  -et.  s.  Hieron.,  In  Matth.,  xxiv,  36,  et  In  Galat.,  m,  1.  Cf.  A.  T., 
n.  116-120.  —  2  Hug.,  Introd.  au  JV.  T.,  p.  I,  sect.  I.  —  a  S.  Iren.,  î, 
XXVI,  2.  S.  Epiph.,  Hjeres.,  xxx.  —  *  Jnfra,  n.  5S7,  848.  —  s  Homil., 
iir,  52;  xix,  23.  —  6  s.  Iren.,  iU,  xi,  7;  xxvi,  2;  III,  xv,  1.  —  ^  Euseb., 

ir.,iv,  II. 


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nombre  de  fois  ;  les  chiffres  font  connaître  le  nombre  des  citations 
par  chaque  auteur 


PORPHYRE 

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160-170 


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135-170 


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HéRACLÉON 
150-1(50 


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nombre  de  fois  ;  les  chiffres  font  connaître  le  nombre  des  citations 
par  chaque  auteur 


PORPHYRE 

233 


Anteur  des 

iPHILOSOPHOMBRi 

as 

Anteur  des 

CLéMENTINCS 

190 


TATIEN 

t  180 


THEODOTE 

150-180 


PTOLÉMéc 

450-180 


MONTAN 

160-170 


CEL8E 

135-170 


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150-160 


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MARCIOM 

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VALENTIN 
120-140 


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6i  INTRODUCTION  AU    NOUVEAU   TESTAMENT.  [n^  23 

opposé.  Marcion,  qui  vint  à  sa  suite  du  Pont  à  Rome  (140)  ', 
et  dont  les  idées  étaient  également  contraires  à  celles  des 
Ebionites,  n'admit  dans  son  canon  que  TEvangile  de  S.  Luc 
et  dix  Epîtres  de  S.  Paul,  plus  ou  moins  mutilées.  Tatien 
(•{•  180),  qui  finitpar  se  rallier  à  Valentin,  avait  composé  une 
Harmonie  des  quatre  Evangiles,  AtaT6aaapo)v*,  lorsqu'il  était 
encore  disciple  de  S.  Justin,  c'est-à-dire  vers  l'an  160,  une 
douzaine  d'années  avant  que  S.  Théophile  d'Antioche(t  186) 
publiât  la  sienne  ^ 

Montan.  qui  parut  dans  la  seconde  moitié  du  second  siécle\ 
recevait  toutes  les  Ecritures  sans  exception  ^ 

Il  paraît  qu'il  en  fut  de  même  des  Gnostiques^  Ils  déna- 
turaient la  pensée  de  nos  écrivains  sacrés,  mais  ils  subis- 
saient leur  joug.  Basilide  (113-138)  "^  cite,  dans  les  vingt- 
quatre  livres  qu'il  a  écrits  sur  l'Evangile  ^  S.  Luc,  S.  Paul, 
les  épîtres  aux  Romains,  aux  Corinthiens  et  aux  Ephésiens  ®. 
Il  se  disait  disciple  d'un  certain  Glaucias,  secrétaire  de 
S.  Pierre  **',  et  prétendait  même  avoir  été  en  relation  avec 
S.  Matthias  ^\  Valentin,  que  S.  Irénée  réfute  en  tant  d'en- 
droits, et  qui  vint  à  Rome  sous  le  pape  S.  Hygin  (135-140)  *^, 
faisait  remonter  sa  doctrine  à  un  disciple  de  S.  Paul  qu'il 
nommait  Théodas  *^  Il  citait  continuellement  S.  Jean,  et  ad- 

1  s.  Justin ,  /a  ApoL,  26.  Euseb.,  //.,  iv,  14.  In  Tibcrira  defluxit 
Orontes.  Javen.,  Sat.^  m,  65.  —  2  2^1^  xefforapwv  est  evangelium  ex 
quatuor  evangeliis  contextum,  Eusèb.,  H.,  iv,  29.  Cet  ouvrage,  écrit  en 
isyriaque,  était  fort  répandu  en  Syrie  et  en  Mésopotamie.  Théodoret,  De 
fab.  hœret.,  xx.  On  en  avait  en  latin  une  version  dans  VHarmonie  de 
Victor  de  Capoue.  Patrol.  lat.^  clxxxvi.  On  en  a  retrouvé  une  autre 
dans  un  commentaire  de  S.  Ephrcm,  en  arménien.  Mœsinger,  Evangelii 
concoManti,  expositio,\S16.  De  plus,  le  P.  Ciara  vient  d'en  publier  une 
version  arabe  sur  un  manuscrit  du  Vatican.  Rome,  1888.  Partout  Tou- 
vrage  commence  par  ces  mots  de  S.  Jean  :  In  principio  erat  verbiim. 
Ce  n'est  donc  pas,  comme  le  prétendait  M.  Renan,  un  amalgame  des 
trois  synoptiques  et  d'un  évangile  apocryplio,  l'évangile  aux  Hébreux 
ou  celui  de  S.  Pierre.  —  3  Cf.  S.  Hier.,  De  vir,  ilL,  xxv.  —  *  Eu- 
seb., H.,  lY,  27;  V,  3,  4.  —  ^  S.  Epipb.,  Hocres.^  xlviii,  n.  1.  — 
6  S.  Epipb.,  Uxres.y  xxvi,  6.  —  "^  Euseb.,  //.,  iv,  7;  S.  Hier.,  de  Vir,  ill,^ 
3ixi.  —  8  Euseb.,  //.  E.,  iv,  7;  Orig.,  In  Luc,  Hom.,  I,  ii.  —  9  Clem. 
Alex.,  Slrom.  Philosoph.j  vu,  21,  passim  —  lo  Clem.  Alex.,  5/ror/?., 
VII,  17.  —  11  Clem.  Alex.,  Slrom.,  vu,  106,  108;  Philosoph.,  vu,  20.  — 
12  Euseb.,  H.j  IV,  11.  —  i3  Clem.  Alex.,  Slrom. ,  vu,  17. 


NO  23]  RÉFUTATION  DES  RATIONALISTES.  68 

mettait  toutes  nos  Ecritures  *.  Héracléon,  son  associé  ou  son 
disciple  S  réfuté  par  S.  Irénée  dans  son  second  livre  (180)  ', 
avait  écrit  deux  commentaires,  TunsurS.  Luc*,  et  l'autre  sur 
S.  Jean,  tous  deux  réfutés  par  Origène  ^  Ces  écrits  doivent 
être  de  150  à  160.  Ptolémée  et  Théodote,  autres  disciples  de 
Valentin,  ont  paru  un  peu  plus  tard  (180)  :  mais  le  premier 
cite  expressément  S.  Matthieu' et  S.  Jean,  et  le  second  a  plus 
de  quatre-vingts  citations  du  Nouveau  Testament,  dans  les 
fragments  que  Clément  d'Alexandrie  nous  a  conservés  de 
lui  *.  Enfin  on  n'en  compte  pas  moins  de  cent  soixante  dans 
ce  que  l'auteur  des  Philosophumena  rapporte  des  Ophites, 
des  Pérates  et  des  Sothiens  ''. 

2*  Les  Juifs  et  les  pdiens.  —  Ils  ne  mettent  pas  davantage 
en  doute  l'authenticité  de  nos  saints  Livres;  ils  n'en  con- 
testent que  la  véracité.  Leurs  auteurs  supposent  l'origine  de 
ces  livres  parfaitement  avérée  ;  ils  les  attribuent  même  ex- 
pressément aux  premiers  disciples  du  Sauveur;  mais  ils 
cherchent  à  les  prendre  en  défaut  et  à  les  mettre  en  contra- 
diction les  uns  avec  les  autres. 

C'est  ce  qu'on  remarque  dans  l'argumentation  de  Try- 
phon  contre  S.  Justin  ^  comme  dans  celle  du  Juif  dont 
Celse  se  fait  l'interprète  contre  les  chrétiens  \  Tryphon  dit 
qu'il  connaît  les  Evangiles,  qu'il  les  a  lus  plusieurs  fois, 
mais  qu'il  ne  saurait  en  accepter  la  doctrine,  parce  que  ce 
serait  renier  Moïse  et  les  prophètes  ***.  Le  Juif  de  Celse 
reproche  au  Sauveur  de  s'être  donné  pour  Fils  de  Dieu 
et  pour  Dieu  même  **,  et  à  ses  disciples  de  s'être  concertés 
pour  accréditer  des  impostures  *^;  puis  il  se  met  à  faire 
contre  le  christianisme  une  série  d'objections  qui  em- 
brassent toute  la  vie  de  Jésus-Christ  et  qui  supposent  la  con- 
naissance de  nos  quatre  Evangiles. 

*  s.  Iren.,  I,  vm,  ix.  —  2  g.  Epiph.,  Uœres.,  xxxvi.  —  3  S.  Treu.,  II, 
IV,  1.  —  *  Mignc,  Patrol.  grœc.^  t.  VII,  p.  1291.  —  s  Orif».,  In  Joan.^ 
t.  V,  8  et  passim.  —  ^  Mignc,  Patrol.  grœc.^  t.  IX,  p.  651-698.  — 
'  Philosoph.,  V,  2.  —  8  S.  Just.,  Dialog.'  conl.  Tryph.  —  »  Origen., 
Coni,  Ceis.,  i,  ^;  11,  passim,  —  10  s.  Just.,  Uial.  cont.  Tryph.,  10.  — 
»i  Orig.,  Cont.  Cels.,  i,  28;  11,  9,  etc.  —  ^2  Orig.,  Cont.  Cels,,  11, 
15,  26,  etc.       '    • 

4. 


66  INTRODUCTION   AU   NOUVEAU   TESTAMENT.  [n^  23 

Gelse  fait  de  même,  quand  il  parle  en  son  nom,  par  exemple 
pour  relever  des  contradictions  dans  les  divers  récits  de 
la  résurrection  du  Sauveur  Ml  dit  qu'il  prend  ses  objections 
dans  les  livres  des  chrétiens  afin  de  les  percer  de  leurs 
propres  armes^Nulle  difficulté  ne  lui  échappe ^Om?^^awc^r/, 
dit-il,  lui-même,  en  parlant  de  nos  dogmes  et  de  nos  Ecri- 
tures *.  Jamais  pourtant  il  ne  récuse  un  texte,  et  s'il  parle 
d'altération  ou  de  supposition,  ce  reproche  tombe  sur  les 
hérétiques.  On  peut  faire  une  remarque  analogue  sur  les 
objections  de  Porphyre  (290-300),  qui  se  borne  toujours  à 
attaquer  la  véracité  des  Evangiles  ^  Aussi  suffirait-il,  sui- 
vant S.  Chrysostome,  de  ce  qu'ont  écrit  ces  deux  incré- 
dules, pour  mettre  hors  de  doute  l'authenticité  de  nos  saints 
Livres ^ 

En  définitif,  tous  les  auteurs  du  second  siècle,  orthodoxes 
et  hérétiques,  infidèles  et  chrétiens,  rendent  hommage  à 
l'authenticité  du  Nouveau  Testament.  Un  tel  accord  est 
d'autant  plus  décisif,  que  ce  fait  a  plus  d'importance,  qu'il 
était  plus  facile  à  constater,  et  que  les  intérêts  étaient  plus 
divers-  Si  nos  saints  Livres  avaient  été  supposés  récem- 
ment, depuis  vingt,  trente  ou  même  cinquante  ans,  conçoit- 
on  qu'aucun  de  ces  auteurs  n'eût  soupçonné  l'imposture; 
et  s'ils  l'avaient  connue,  conçoit-on  qu'ils  l'eussent  con- 
firmée par  leur  silence,  alors  que  tous  y  trouvaient  leur 
condamnation  ^  ? 

*  Orig.,  Cont.  Cels.y  i,  1,  12,  40,  54;  i,  16.  —  ^M.  Renan  le  loue  comme 
un  maître  en  exégèse.  —  3  m.  Renan,  Marc-Awèle,  xxi.  —  *  Cf.  Orig.. 
Cont.  Cels.,  ",27;  Ginoulhiac,  Orig.  dû  Christ.^  I,  m,  6;  Wallon, 
Croyance  à  lEvang.;  1.  i.  Orîgène  dit  (242-258)  au  début  de  son  livre 
contre  Gelse  (Prœf.,  4,  et  i,  8,  26),  que  ce  philosophe  est  mort  depuis 
assez  longtemps;  qu'il  a  vécu  peu  après  Jésus-Christ,  sous  Adrien  (107- 
138)  et  depuis.  —  ^  Julianus  aperte  fatetur  Pétri,  Pauli,  Matthaei,  Lucœ 
esse  ea  quaB  Christiani  legunt  iisdem  nominibus  inscripta.  S.  Cyrill. 
Alex.,  Advers.  Julian.j  x.  —  6  s.  Chrys.,  In  I  Cor. y  Hom.  vi.  Nous 
n'avons  de  Porphyre  (290-300)  que  des  fragments  dans  Eusèbe,  S.  Au- 
gustin, ïhéodoret.  Voir  sur  Celse,  Porphyre,  etc.,  Etudes  religieuses  des 
PP.  Jésuites,  1856,  p.  323,  etc.  —  '  Nous  n'alléguons  pas  ici  la  preuve 
des  monuments  archéologiques  du  christianisme,  parce  qu'ils  remontent 
moins  haut  et  sont  moins  décisifs  que  les  témoignages  qu'on  vient  de 
lire.  Cependant,  comme  il  est  d'un  grand  intérêt  de  voir  renseignement 


yo  24]  RÉFUTATION  DES  RATIONALISTES.  67 

24-  —  S'il  est  impossible  que  les  livres  du  Nouveau  Testament  aient  été 
supposés  en  entier,  rép\igne-t-il  également  qu'ils  aient  été  altérés  par 
des  interpolations? 

Il  répugne  davantage  encore  qu'ils  aient  été  interpolés 
comme  l'entendent  les  rationalistes;  car  il  n'est  pas  question 
entre  eux  et  nous  d'une  altération  légère,  sans  conséquence 
pour  la  doctrine  :  il  s'agit  d'une  altération  profonde,  subs- 
tantielle, capitale;  il  s'agit  d'une  fraude  qui  eût  bouleversé  et 
doublé  en  étendue  le  premier  texte,  de  manière  à  faire  d'un 
pur  homme  un  Dieu  et  d'une  vie  ordinaire  une  vie  surhu- 
maine et  toute  miraculeuse. 

On  accorde  que  ce  changement  n'a  pu  se  faire  au  premier 
siècle  sous  les  yeux  de  S.  Jean  et  des  disciples  immédiats 
des  Apôtres.  Or,  il  n'est  pas  moins  impossible  qu'il  ait  eu 
lieu  au  second.  Nous  le  prouverons  de  deux  manières,  d'une 
manière  positive  et  d'une  manière  négative. 

io  Preuve  positive. 

L'intégrité  d'un  livre  n'est  autre  chose  que  son  authenti- 
cité complète,  l'authenticité  de  toutes  ses  parties.  Or,  si  l'on 
s'en  tient  aux  parties  de  quelque  importance,  en  faisant  abs- 
traction des  fragments  deutérocanoniques,  nous  croyons 
avoir  établi  solidement  que  le  Nouveau  Testament  a  cette 
authenticité.  En  effet  : 

1»  La  version  italique  et  la  Péchito,  qui  datent  de  la  pre- 
mière partie  ou  au  moins  du  milieu  du  second  siècle,  ne 
renferment  pas  seulement  les  mêmes  livres  que  la  Vulgate  : 
elles  en  ont  toujours  compris  tous  les  chapitres  et  tous  les 
versets.  Il  n'y  a  aucune  différence  entre  elles  et  le  texte  grec. 
Il  est  vrai  que  la  II*  Epître  de  S.  Pierre,  la  IV  et  la  IIP  de 
S.  Jean,  celle  de  S.  Jude  et  l'Apocalypse  ne  firent  pas  d'a- 
bord partie  de  la  Tersion  syriaque,  mais  on  peut  les  né- 
gliger sans  inconvénient  pour  la  doctrine;  et  leur  absence 

des  premiers  temps  confirmé  et  expliqué  par  les  productions  de  Tart , 
nous  aurons  soin  d'en  signaler  les  monuments  les  plus  remarquables, 
quand.  Toccasion  s'en  présentera. 


68  INTRODUCTION   AU   NOUVEAU   TESTAMENT.  [n°  24 

peut  s'expliquer  par  cette  raison,  qu'à  l'époque  où  cette 
version  se  fit,  ces  écrits  étaient  récents,  et  Fon  n'était  pas 
encore  parfaitement  d'accord  sur  leur  authenticité*. 

2**  Si  1  on  consulte  les  Pères,  on  verra  que,  non  seulement 
ils  donnent  pour  authentiques  tous  les  livres  du  Nouveau 
Testament,  mais  qu'ils  en  citent  comme  divins  presque  tous 
les  versets  ^  De  plus,  il  est  certain  qu'au  moment  où  S.  Jé- 
rôme fit  sa  révision  du  Nouveau  Testament  ^  en  se  servant 
des  manuscrits  d'Origène  et  de  Piérius  S  il  ne  resta  en  sus- 
pens sur  aucun  passage  essentiel  au  dogme;  et  bien  qu'il  se 
soit  plaint  souvent  de  la  variété  des  leçons  dans  la  version 
latine,  il  n'a  jamais  fait  entendre  qu'elles  missent  en  péril 
la  pureté  de  la  foi  '\  Enfin  nous  avons  vu  que  les  critiques 
qui  ont  repris  ce  travail  depuis  un  siècle  sont  arrivés  au 
même  résultat*. 

3°  Les  hérétiques  et  les  infidèles  se  joignent  aux  catho- 
liques pour  attester  l'intégrité  de  nos  saints  Livres  ;  car  il 
n'est  pas  un  endroit  de  quelque  importance  dans  le  Nouveau 
Testament,  dans  l'Evangile  surtout,  qui  n'ait  été  cité  par 
quelqu'un  d'eux,  dès  les  temps  les  plus  anciens:  Qu'on  lise 
seulement  le  traité  de  Celse  contre  le  christianisme,  recons- 
titué presque  en  entier  d'après  la  réfutation  d'Origène%  on  se 
convaincra  que  ce  philosophe  avait  sous  les  yeux  nos  quatre 
Evangiles,  tels  que  nous  les  avons  aujourd'hui.  Pas  un  fait, 
un  détail,  une  circonstance  de  quelque  valeur  de  la  vie  du 
Sauveur,  d'où  il  ne  tire  une  objection  contre  les  chrétiens. 

2^  Preuves  négatives. 

Il  répugne  d'attribuer  à  l'Eglise  un  acte  absolument  con- 

^  A,  T.jii.  Ai;  Suprùf  n.  23.  —  ^  Supra,  n,  13  et  23.  Voir  un  spécimen 
des  citations  des  Pères  au  second  siècle  dans  Gainct  :  La  Bible  sans  la 
Bible,  et  dans  Rœnsh.,  Swpra,n.23. —  ^ Iniv Evang.yPrsBÎ.  —  *  In  Mattk., 
XXIV,  36.  —  s  Stultissime  tibi  persuasisti  graecos  codices  esse  falsatos, 
dit-il  à  Helvidius,  xvi.  Paucse  et  sacrarum  litterarum  studiosis  notissimse 
sententiarum  varietates,  dit  S.  Augustin,  Cont.  Faust.,  xi,  2.-6  Supra^ 
n.  16.-^  "ï  Th.  Kcim  ;  et  Aube,  Hist.  des  perstlciUions  de  V Eglise,  t.  If,  ch.  v, 
Bibliothèque  de  CeUe,  etc.;  Etudes  des  PP,  Jésuites,  1856,  p.  360,  etc.; 
Ginoulbiac,  Orig.  du  Christ.;  Wallon,  Croyance  à.  H Evangile,  i,  1. 


K<>  24]  RÉFUTATION  DES  RATIONALISTES.  69 

traire  aux  dispositions  des  pasteurs  et  des  fidèles.  Or,  tel 
serait  celui  d'avoir  altéré  les  livres  des  Apôtres,  ou  de  les 
avoir  laissé  altérer  essentiellement  entre  ses  mains.  Les  pas- 
teurs ont  toujours  regardé  comme  leur  devoir  le  plus  sacré 
de  conserver  et  de  communiquer  aux  fidèles,  dans  toute  sa 
pureté,  la  divine  parole.  S.  Paul  n'a  rien  recommandé  avec 
plus  d'instance  à  Timothée  *.  On  connaît  les  imprécations  de 
S.  Jean  contre  quiconque  ajouterait  ou  retrancherait  le 
moindre  mot  à  son  Apocalypse^  On  sait  que  S.  Justin  com- 
parait le  crime  d'altérer  les.  Ecritures  à  celui  de  substituer 
le  veau  d'or  au  Seigneur,  et  qu'un  des  plus  graves  reproches 
qu'on  fit  aux  hérétiques,  c'était  de  violer  la  parole  de  Dieu, 
d'en  altérer  le  sens,  s'ils  n'en  falsifiaient  pas  le  texte  ^  Les 
fidèles  eux-mêmes  étaient  à  cet  égard  d'une  susceptibilité 
extrême.  Ils  étaient  si  éloignés  d'altérer  les  Livres  saints, 
qu'ils  redoutaient  ce  qui  pouvait  en  mettre  le  moins  du 
monde  l'intégrité  en  péril.  Nous  avons  vu  quel  soin  on  a  de 
tout  temps  apporté  à  la  transcription  des  Ecritures.  On  peut 
lire  dans  Sozomène  ce  qui  arriva  à  Tryphylle,  évéque  de 
Lèdre  en  Chypre,  pour  avoir  remplacé  le  mot  grabat  par  le 
mot  lit,  qui  lui  paraissait  plus  noble,  dans  la  lecture  de 
S.  Jean*.  Un  fait  plus  significatif  encore,  c'est  la  diffi- 
culté qu'éprouva  S.  Jérôme  à  faire  recevoir  sa  version  de 
l'Ancien  Testament  à  la  place  de  l'Italique.  Il  dût  même  y 
renoncer  pour  le  Psautier  ;  et,  quant  aux  livres  du  Nou- 
veau Testament,  il  crut  devoir  s'en  tenir  à  quelques  cor- 
rections grammaticales  ^  Quelle  opposition  n'eût-il  pas  sou- 
levée, s'il  avait  entrepris  d'en  refondre  tous  les  livres  et  d'en 
changer  à  la  fois  le  sens  et  la  lettre  I 

2"  Si  l'Eglise  avait  jamais  altéré  ses  livres,  c'aurait  été 
pour  y  insérer  ce  qu'on  donne  pour  apocryphe^  ou  pour  en 

«  I  Tim..  IV,  20.  Cf.  Matth.,  xxvin,  20.  —  2  Apec,  xxii,  18,  19.  — 
3  S.  Justin.,  Dinl.,  73.  Cf.  Eusob.,  //.  v,  28.  —  *  Sozom.,  //  E.,  i,  11. 
Cf.  S.  Aug.,  Epist,  Lxxi,  5;  Euseb.,  //.,  iv,  29.  —  s  Quia  vulo  opcrari 
ribnm  qui  non  pcrit  et  antiquam  divinorum  volUminum  viam  scntibus 
Tirgiiltisqùe  puigarc,  falsarius  vocor  et  crrorcs  non  aufcrrc  scd  screrc. 
S.  Hieron.,  In  Job.^  Prol.  Epist.  xxvii,  1.  Cf.  S.  Aug..  Epist.  lxxi  et 
Lxxu,  34,  35.  A.  T.,  n-  129,  136. 


70  INTRODUCTION   AU   NOUVEAU   TESTAMENT.  [n<^  24 

en  retrancher  ce  qui  l'exposait  à  la  dérision  de  ses  ennemis. 
Or,  on  rie  peut  admettre  ni  l'une  ni  l'autre  de  ces  supposi^ 
tions.  Déjà  nous  avons  montré  qu'à  la  fin  du  premier  siècle, 
ce  que  les  rationalistes  voudraient  retrancher  du  Nouveau 
Testament,  ce  qui,  suivant  eux,  ne  remonterait  pas  jus- 
qu'aux Apôtres,  les  miracles  du  Sauveur  et  sa  divinité  ne 
faisait  pas  l'ombre  d'un  doute  dans  l'Eglise.  Qu'on  se  rap- 
pelle les  grandes  Epîtres  de  S.  Paul,  celles  de  S.  Clément  et 
de  S.  Ignace,  la  lettre  de  Pline  à  Trajan.  le  fragment  de Qua- 
dratus;  qu'on  songe  aux  écrits  dont  les  cationalistes  con- 
testent l'authenticité,  mais  qu'ils  reconnaissent  être  du 
premier  siècle,  comme  l'Epître  aux  Hébreux;  qu'on  songe 
à  l'Apocalypse  dont  ils  placent  la  composition  en  l'an  68,  et 
l'on  reconnaîtra  que  ce  qu'on  voudrait  faire  inventer  au  se- 
cond et  au  troisième  siècle  a  toujours  été  cru  et  professé 
hautement  chez  les  chrétiens.  D'un  autre  côté,  ne  voit-on 
pas  qu'on  peut  faire  encore  aujourd'hui  et  qu'on  fait  tous 
les  jours  contre  le  Nouveau  Testament  les  mêmes  objections 
que  faisaient  Julien,  Porphyre  et  Gelse*?  Gomment  donc 
imputer  à  l'Eglise  d'avoir  ajouté  aux  saints  Livres  ce  qu'on 
y  censure  ou  d'en  avoir  retranché  ce  qu'elle  avait  intérêt  à 
supprimer  comme  inexact,  contradictoire,  opposées  aux  idées 
communes  ! 

3°  Enfin,  si  une  telle  altération  avait  eu  lieu,  elle  ne  serait 
pas  passée  inaperçue  et  il  en  resterait  quelque  trace.  Nous 
saurions  à  quelle  époque  elle  se  serait  faite,  quelles  diffi- 
cultés elle  aurait  rencontrées,  par  quels  moyens  elle  aurait 
réussi.  Comme  rien  ne  touche  de  plus  près  à  la  foi,  rien 
n'eût  excité  davantage  les  plaintes  des  fidèles,  les  résistances 
des  pasteurs,  les  récriminations  des  hérétiques.  Quel  est  le 
sectaire  qui  n'eût  opposé  le  vrai  texte  des  Ecritures,  le  texte 
ancien  et  pur,  aux  textes  falsifiés,  allégués  contre  lui  ?  Le 

1  «  On  ne  vit  jamais  mieux  Thonn^leté  de  l'Eglise.  11  est  impossible  que 
quelqacs-uncs  des  contradictions  des  Evangiles  n'aient  pas  dès  lors  crevé 
les  yeux.  Celse  les  relève  déjà  finement.  On  aima  mieux  s'exposer  pour 
l'avenir  aux'  plus  foudroyantes  objections,  que  de  condamner  des  écrits 
tenus  pour  inspirés  par  tant  de  personnes.  »  M.  Renan,  CEffiise^  50O-f)Ol! 


N»  24]  RÉPUTATION  DES  RATIONALISTES.  71 

scandale  causé  par  cette  fraude  aurait  été  d'autant  plus 
grand  et  les  luttes  d'autant  plus  vives,  que  les  exemplaires 
du  Nouveau  Testament  étaient  plus  nombreux  et  mieux  con- 
nus "^  et  que  l'altération  aurait  dû  porter  non  sur  un  livre 
seulement,  mais  sur  tous  à  la  fois,  poifr  qu'on  ne  pût  pas  les 
mettre  en  opposition  les  uns  avec  les  autres.  Or,  a-t-on 
jamais  rien  vu  de  semblable  dans  l'Église?  Un  auteur  quel- 
conque, catholique  ou  hérétique,  juif  ou  païen,  lui  a-t-il 
jamais  reproché  sérieusement  une  pareille  altération?  Peut- 
être  Marcion  a-t-il  essayé  quelque  part  de  dire  que  nos  Evan- 
giles étaient  altérés;  mais  c'était  pour  se  disculper  des 
mutilations  qu'on  lui  reprochait  très  justement  à  lui-môme; 
c'était  d'une  manière  vague,  sans  rien  préciser,  sans  rien 
prouver  surtout;  c'était  en  confessant  que  l'essentiel  au 
moins  restait  intact,  puisqu'il  était  forcé  de  conserver  en 
substance  l'histoire  du  Sauveur  dans  son  Evangile  de  S.  Luc. 
Aussi  nos  apologistes  n'ont-ils  jamais  cessé  de  proclamer  l'in- 
tégrité des  livres  de  l'Eglise  et  d'affirmer  hautement  que 
les  hérétiques  seuls  ont  essayé  d'y  porter  atteinte  ^ 

Concluons  qu'à  aucune  époque,  nos  saints  Livres  n'ont 
été  ni  pu  être  altérés  dans  leur  substance,  et  qu'attribuer 
à  des  interpolations  les  miracles  et  les  mystères,  qui  y  sont 
contenus,  c'est  de  toutes  les  assertions  la  plus  téméraire,  la 
plus  mal  avisée  et  la  moins  soutenable  ^ 

*  s.  Chrys.,  In  Joan.^  Homil.,  xxxiii,  3  et  In  Ad.,  Hom.,  m;  Eusèbe, 
H.,  lUf  24.  Suivant  le  D'  Norton,  il  devait  y  avoir  à  la  fin  du  second 
siècle  plus  de  soixante  mille  copies  des  Evangiles,  disséminées  dans  le 
moade.  Genuiness  of  the  GospelSy  p,  28.  Vers  270,  S.  Optât  écrivait  à 
propos  des  Tradileurs,  que  l'Eglise  n'avait  souffert  aucun  préjudice  de 
leur  chute,  qu'elle  n'avait  rien  perdu  de  ses  documents  sacrés.  «  Biblio- 
tbecje  refert»  sunt  libris  ;  nihU  deest  Ecdesiae.:  per  loca  singula  divinum 
soiuit  ubique  prœconium  ;  non  silent  ora  iectorum  ;  inanus  omnium  codi- 
cibas  plen»  sunt.  »  De  Schism.  Donat.y  7,  in  fine.  —  »  Non  alios  novi 
qui  evangelii  contextum  immuta verunt  quam  Marcionis,  Valentini  fbr- 
sitan  et  Lucanî  sectatores.  Id  vero  crimîni  nostrœ  doctrinie  non  est  im- 
paundom.  Orig.,  Cimi.  Cels,,  ii,  27.  Cf.  Tert.,  Adv.  Marc.,  i,  28;  iv,  2; 
De  Prjesc,,S7-29;  de  Catm,  CAm/.,2;Euseb.,ff.,  iv,23;  v,28;  S.  Epiph., 
Hxres.,  xui,  9,  i\  ;  Bossuet,  H.  U.^  ii,  27.-3  Nihil  videtur  ab  eis  im- 
podentîas  dici,  vcl,  ut  mitius  loquar,  imbecillius,  quam  divinas  Scrip- 
taras  esse  cormptas,  cum  in  noUis  tam  recenti  memoria  extantibus 


7^  iNtroduct^iop»?  au  Nouveau  tEstAMKNT.         [n^*  25 

Nota.  Ce  que  nous  avons  dit  *  ne  démontre  pas  absolu- 
ment l'authenticité  et  l'intégrité  de  chacun  de  nos  Livres. 
Aux  difficultés  spéciales,  il  reste  à  opposer  les  solutions  par- 
ticulières. Mais  les  raisons  que  nous  avons  données  suffisent 
pour  établir,  en  général  ou  quant  à  la  substance,  l'origine 
apostolique  du  Nouveau  Testament,  et  par  conséquent  la 
certitude  de  son  histoire  et  la  pureté  de  sa  doctrine. 

25.  —  Quand  les  Doctours  rationalistes  ont  reproché  à  nos  saints 
Livres  dos  erreurs  et  des  contradictions,  ont-ils  été  heureux  dans 
leurs  allégations? 

Quand  ils  ont  voulu  signaler  des  erreurs,  ils  ont  dû  se 
borner,  comme  leurs  devanciers,  à  relever  des  difficultés  ou 
à  signaler  des  invraisemblances.  Au  lieu  de  preuves  évi- 
dentes et  de  faits  incontestables,  ils  n'ont  apporté  que  des 
doutes,  des  conjectures,  des  objections  vaines  et  sans 
portée. 

En  effet,  il  faut  regarder  comme  absolument  vaine,  toute 
objection  qui  tend  seulement  à  prouver  que  nos  écrivains 
sacrés  étaient  sujets  aux  mêmes  défauts  que  les  écrivains  or- 
dinaires; par  exemple  qu'ils  ne  sont  pas  d'accord  entre  eux 
sur  certaines  circonstances,  qu'ils  se  contredisent  sur 
quelques  détails.  Quand  cela  serait  démontré,  quel  avan- 
tage les  rationalistess  en  pourraient-ils  tirer  contre  nous? 
Avons-nous  à  établir 'contre  eux  que  nos  auteurs  sont  ins- 
pirés et  divinement  infaillibles? Non;  il  nous  suffitdeles  con- 
vaincre qu'en  attestant  les  faits  principaux  de  la  vie  du 
Sauveur,  ces  témoins  n'ont  été  ni  trompés  ni  trompeurs. 
Pour  cela,  il  n'est  pas  nécessaire  de  les  supposer  inspiré3 
de  Dieu  ni  absolument  infaillibles.  Eh  !  qulmporte  une  lé- 
gère inexactitude  dans  le  récit  d'un  miracle,  dans  l'indi- 
cation du  lieu,  du  temps,  des  circonstances,  si  Ton  convient 
que  le  fait  est  réel,  et  s'il  est  constant  qu'il  est  miraculeux? 
Qu'importe  même  qu'on  puisse  contester  le  caractère  sur- 

exemplarlbus  possunt  convincere.  S.  Aug.,  de  VtUit,  credendi,  77.  Cf. 
Vont.  Faust. y  xi,  2;  xxxïii,  6. 
1  Supra,  n.  22-24. 


N<)  ^5]  REFUTATION  DES  RâTIONAUSTES.  73 

ttaturel  de  tel  prodige  opéré  par  le  Sauveur,  si  Ton  est 
obligé  de  reconnaître  ce  caractère  dans  une  foule  d'autres,  si 
Ton  ne  peut  mettre  en  doute  que  Jésus-Christ  est  mort  et  qu'il 
est  ressuscité,  si  l'on  se  voit  en  présence  d'une  Eglise  dont 
il  a  prédit  la  destinée,  et  dont  il  est  impossible  d'expliquer 
naturellement  la  fondation,  la  durée  et  les  œuvres? 

Du  reste,  nous  nions  absolument  qu'on  ait  jamais  con- 
vaincu les  auteurs  sacrés  d'erreur  ou  de  contradiction  sur 
aucun  point.  En  vain  y  travailie-t-on  depuis  dix-huit  siècles. 
Chaque  année  voit  surgir  un  nouvel  incrédule  qui  prétend 
faire  ce  qui  n'a  pas  été  fait  jusqu'à  lui;  mais  son  objection  est 
réfutée  aussitôt  qu'exposée;  puis,  tombant  dans  l'oubli, 
elle  fait  place  à  une  autre  qui  n'a  pas  un  meilleur  sort. 
Sans  doute  il  y  a  des  difficultés  dans  l'histoire  évangélique 
comme  dans  toutes  les  autres;  mais  on  n'en  trouve  aucune 
qu'on  ne  puisse  résoudre  de  manière  à  contenter  les  hommes 
(le  bonne  foi.  «  J'ai  lu  Strauss  avec  attention,  dit  le  P.  La- 
cordaire,  dans  les  belles  Conférences  qu'il  a  consacrées  à  la 
réfutation  de  ce  docteur.  Après  avoir  étudié  un  paragraphe 
(il  y  en  a  149,  distribués  en  quatre  volumes),  je  fermais  le 
livre,  pour  me  remettre  de  la  fatigue,  et  d'une  sorte  de 
frayeur  causée  par  l'abondance  de  ^érudition.  Puis  ouvrant 
l'Evangile,  je  lisais  respectueusement  le  texte,  objet  de  la 
discussion,  pour  voir  si  je  ne  parviendrais  pas,  sans  le  se- 
cours d'aucun  commentaire,  à  rompre  le  nœud  de  la  diffi- 
culté. Eh  bien  !  à  part  trois  ou  quatre  passages,  il  ne  me 
fallait  pas  plus  de  dix  minutes  pour  dissiper  le  charme  d'une 
vaine  science,  et  sourire  au  dedans  de  moi  de  l'impuissance 
à  laquelle  Dieu  a  condamné  l'erreur.  » 

Ce  qui  résulte  de  ces  inexactitudes  apparentes  et  de  ces 
prétendues  contradictions,  c'est  l'authenticité  même  de  nos 
saints  Livres.  En  effet,  les  premiers  convertis  n'étant  ni 
moins  éclairés  ni  plus  crédules  que  nous,  les  difficultés 
qu'on  nous  objecte  ne  leur  ont  pas  échappé  ;  elles  devaient 
même  les  frapper  davantage.  D'où  vient  qu'elles  ne  les  ont 
pas  empêchés  de  recevoir  ces  livres  pour  divins,  sinon 
parce  qu'ils  leur  étaient  donnés  de  la  main  des  Apôtres  et  qu'ils 

III.  o 


74  INTRODUCTION  AU  NOUA'ÏIAU  TESTAMENT.  [n<*  26 

ont  sûrement  pour  auteurs  les  écrivains;  sacré&  dont  ils 
portent  le  nom  *  ? 

26.  —  De  quelque  mauière  qu  on  explique  le  christianisme,  qu'on  fixe 
au  premier  siècle  ou  au  second  l'origine  de. ses  dogmes  et  de  ses 
livres,  est-il  possible  de  nier  absolument  la  réalité  de  faits  miraculeux? 

Telle  est  Tévidence  du  miracle  qu'il  est  impossible  d'y 
échapper.  C'est  une  remarque  de  S.  Augustin,  reproduite 
par  S.  Thomas  et  par  beaucoup  d'autres.  Si  l'on  refuse  d'ad- 
mettre à  l'origine  les  miracles  évangéliqués  qui  dérogent 
aux  lois  du  monde  physique,  on  est  forcé  de  supposer  une 
foule  d'autres  miracles  équivalents,  ou  de  dérogations  non 
fuôins  certaines  aux  lois  de  Tordre  moral.  Que  dis-je?  Ce 
qu'on  suppose  est  plus  étonnant  que  ce  qu'on  rejette;  car  si 
l'on  trauve  incroyable  que  Dieu  ait  fait  des  miracles  pour 
convertir  le  monde,  comment  peut-on  croire  que  le  monde 
ait  donné  sa  foi  à  tant  de  miracles,  lorsqu'il  n'en  voyait  au- 
cun^? Si  le  surnaturel  est  contraire  à  la  raison,  comment  tant 
d'hommes  raisonnables  y  ont-ils  cru,  avec  cette  sincérité, 
avec  cette  constance,  avec  cette  ténacité? 

Tout  considéré,  l'hypothèse  la  plus  vraisemblable  pour 
expliquer  l'origine  du  christianisme  est  bien  celle  d'une  fon- 
dation divine.  Comme  lies  miracles  de  Jésus-Christ  et  des 
Apôtres  obligeaient  leurs  contemporains  à  croire  d'avance 
à  l'établissement  et  au  règne  futur  de  l'Église,  l'établissement 
de  l'Eglise  et  son  règne  actuel  nous  obligent  à  croire  aux  mi- 
racles anciens  de  Jésus-Christ  et  des  Apôtres  ;  tellement  que, 
si  l'histoire  du  Sauveur  nous  était  inconnue,  si  elle  n'avait 
pas  été  écrite  par  les  Apôtres,  nous  devrions  la  supposer 
telle  qu'elle  est,  pour  nous  rendre  compte  des  faits  qui  l'ont 

1  Qui  noccre  intendant .Ecclesiœ,  prosunt.et  nolentes.;  S.  B(Qrn.,  In 
CmU.,  XXX,  \.  —  2  Si  miracula  facta  esse  non  credunt,  hoc  unum  nobis 
grande  miraculum  sufticit,  quod  terrarum  ôrbis  sine  ullis  miraculis.cre- 
diderit.  S.  Aug.,  De  cimt'.  O^e,  xxn,  5.  Saltem  buic  miraculô  èreden- 
dum  est,  mundum  sine  uiiraculis  fuisse  conversum.  Ibid.  Ëssetautem 
omnibus  signis  mirabiliusj  si  ad  credendum  tam  ardua,  et  operandum 
tam  difficilia,  et  ad  sperandum  tam  alta,  mundus  absque  mirabîlibus 
Bignis  inductus  fuisset  a  simplicibus  et  ignobilibus  liominibus.  S.  Thom., 
vCoat.  Gen.^  I,  6.  Bourdaloue,  ï/mcrédule  convaincu  par  lui-même. 


S^  27]  RÉFUTATION   DES  RATIONALISTES.  78 

suivie.  Faire  de  son  <Buvre,  comme  les  rationalistes,  une  en- 
treprise purment  humaine,  c'est  se  mettre  hors  d'état  d'en 
comprendre  le  succès.  En  excluant  le  prodige,  on  le  ramène. 

27,  —  Inspiration  des  aatobrs  sacres  :  est-cHe  complète  et  continue?  et 
doit-on  à  leurs  récits  la  inôme  foi  quà  leur  doctrine? 

Les  protestants  ont  commencé  par  exagérer  le  dogme  de 
rinspiration  des  Ecritures.  L'écrivain  sacré  n'avait  été  qu'un 
instruinent  entre  les  mains  de  Dieu  ;  les  mots  lui  avaient  été 
dictés  aussi  bien  que  les  pensées  \  Aujourd'hui,  leur  senti- 
ment est  tout  différent.  Ou  ils  né  croient  plus  à  l'inspiration 
proprement  dite,  ou  ils  la  font  intermittente  et  la  res- 
treignent aiix  parties  doctrinales.  La  plupart  au  moins  ne 
font  pas  difficulté  d'admettre  que  lès  auteurs  inspirés  ont  pu 
suivre  les  préjugés  régnants  et  se  tromper  comme  les  autres, 
en  matière  d'histoire,  de  science,  etc.  Heureusement  ils  n'ont 
fait,  dit-on,  que  dés  méprises  légères,  et  des  inexactitudes 
sanâ^^nsëquence:  les  erreurs  dans  lesquelles  ils  sont  tombés 
en  certains  endroits  sont  d'ailleurs  corrigées  en  d'autres,  de 
sorte  que  l'ensemble  est  irréprochable  *. 
.  Sans  àUer  aussi  loin,  quelques-uns  de  nos  docteurs, 
Erasme  au  xvi''  siècle,  Holden  au  xvn"  ',  et  plus  récemment 
Feilmoser^  etc., n'ont  pas  laissé  de  s'écarter  de  la  doctrine 
reçues  Ils  n'affirment  pias  qu'on  trouve  en  l'Ecriture  des  er- 
rears  réellies,  mais  ils  tiennent  à  dire  qu'il  pourrait  y  en 
avoir  ;  ils  prétendent  qu'on  ne  doit  pas  mettre  sur  la  même 
ligne,  par  rapport  à  l'inspiration  et  à  l'infaillibilité,  les  as- 
sertions doctrinales,  se  rapportant  directement  au  dogme 
ou  à  la  morale,  et  les  propositions  purement  historiques  ou 
scientifiques  qui  ne  concernent  ni  la  foi  ni  les  mœurs.  Que 
penser  de  ce  sentiment? 

<  Gausseiif  Théopneuêtte.  —  >  Horne,  Introd.y  Tischendorf,  Sffnop» 
Evang.'j  Pr»f.;  Guizot,  Médit. .i'  I>  de  )»res8en»é,Cf.  Bossuet.  Vl«  Avert., 
p.  ^,  n.  97;  Infra^  n^  94.  C'est  ainsi  qu'après  avoir  nié  le  purgatoire  pour 
n'admettre  qu'an  enfer,  là>  .plupart  des  protestants  nient  maintenant 
Tenfer  et  ne  veulent  plus  reconnaître  qu'un  purgatoire.  Infra^  n.  666.  •— 
»  AnalyM  fideif  I,  v,  i'.  Cf.  Bergier,  Ditt,  ihéoL,  Inspir.  —  *  Introd*, 


76  INTRODUCTION  AU    NOUVEAU   TESTAMENT.  [N^  27 

On  ne  le  voit  nulle  part  condamné  en  termes  exprès,  la 
question  n'ayant  jamais  été  posée  au  tribunal  de  TEglise, 
mais  on  Ta  toujours  regardé  comme  un  paradoxe  d'une  té- 
mérité excessive,  et  tout  à  fait  inadmissible  *.  Quoi  de  plus 
contraire,  en  effet,  à  la  croyance  et  à  l'enseignement  com- 
muns 2?  . 

1°  Il  n'y  a  pas  moyen  de  le  concilier  avec  la  parole  de 
Notre  Seigneur  :  Non  potest  solvi  Scriptura  %  ni  avec  celle 
de  S.  Paul:  Omnis  Scriptura  divinitm  inspirata,  etc.,  de 
quelque  manière  qu'on  l'explique  *  ;  ni,  ce  semble,  avec  la 
définition  du  concile  du  Vatican  :  Si  qtielqu'un  ne  reconnaît  pas 
pour  sacrés  et  canoniques  les  livres  de  la  sainte  Ecriture  avec 
toutes  leurs  parti-es, ,,^ou  sHl  nie  qu'ils  ont  été  inspirés  de  Dieu^ 
qu'il  soit  anathème^ ,  Ces  termes  sont  généraux;  loin  de  faire 
aucune  réserve,  le  concile  étend  expressément  sa  définition 
à  toutes  les  parties  des  saints  Livres;  quel  moyen  d'en  exclure 
la  partie  historique  qui  est  la  principale  ? 

2**  Il  est  opposé  à  la  pratique  comme  à  la  conviction  de  tous 
les  docteurs  catholiques.  Jamais  les  pasteurs  de  l'Eglise  ne 
se  sont  crus  désintéressés  dans  les  objections  qu'on  a  faites 
contre  la  véracité  des  Ecritures,  quel  qu'en  fût  l'objet. 
Jamais  ils  n'ont  enseigné,,  jamais  ils  n'ont  admis  ni  supposé 
que  les  auteurs  sacrés  aient  pu  se  contredire  ou  se  tromper 
en  aucun  endroit.  Loin  de  là,  ils  ont  toujours  été  convaincus 
qu'en  fait  d'exactitude  tous  les  passages  comme  tous  les  au- 
teurs sont  solidaires,  et  ils  se  sont  efforcés  de  concilier  en- 


*  W  est  bon  de  rappeler  ici  les  deux  propositions  suivantes,  dont  la 
première  a  été  censurée  par  l'Assemblée  du  clergé  de  France  en  1700, 
et  la  seconde  par  Pie  IX  dans  le  Syllabus  de  1864.  «  Non  sunt  scanda- 
losae  aut  erronae  opinioncs  quas  Ecclesia  non  corrigit.  »  «  Obligatio 
qua  catholici  magistri  et  scriptores  omnino  astringuntur,  coarctatur  in 
ils  tantum  que  ab  infallibili  EcclesisB  judicio  veluti  dogmata  ab  omnibus 
credenda  proponuntur.  »  Cf.  Bossuet,  Déf.  de  la  trad.  I,  22  ;  VU,  14.  — 
2  S.  Th.,  p.  1 ,  q.  32,  a.  4  Cf.  In  TU  ,  m,  2;  QuodL,  q.  2,  a.  26,  ad  1  ; 
Melchior  Gan.,  de  Loc.  theol.y  II,  xvi-xvni;  Bellarm.,  De  Verb.  Dei^  i,  6; 
S.  Lig.,  Cont»  Héer.y  I,  §  v;  Gard.  Fraozelin,  de  Trad.  et  Script.,  append. 
—  3  Joan.,  X,  33.  —  *  II  Tim.,  m,  16.  Infra,  n.  781.  Cf.  Luc,  xvi,  7; 
XXII,  37  ;  XXIV,  27.-5  Libros  integros  cum  omnibus  partibus,  prout 
illos  Tridentina  synodus  recensuit.  Conc.  Vatican.,  de  ReveL,  can.  3. 


Nû27]  RÉFUTATION   DES  RATIONALISTES.  77 

semble  les  généalogies  aussi  bien  que  les  discours  du  Sau- 
veur *.  c  Le  respect  religieux  qui  m'a  été  inspiré  pour  les 
saints  Livres,  dit  S.  Augustin,  ne  me  permet  pas  de  penser 
qne  les  auteurs  sacrés  se  soient  écartés  de  la  vérité  sur  aucun 
point.  Ce  ne  sont  pas  seulement  les  mensonges  formels 
qu'il  répugne  d'admettre  dans  TEvangile,  c'est  toute  espèce 
d'erreur,  même  de  mémoire  ',  sur  le  passé  aussi  bien  que 
sur  l'avenir;  car  si  l'on  admet  que  l'écrivain  a  pu  tromper 
une  fois,  il  y  a  aura  toujours  lieu  de  mettre  en  doute  son 
témoignage  et  de  se  demander  s'il  ne  trompe  pas  :  Tota 
Sctipturarum  vacillaret  auctoritas.  »  Telle  est  également  la 
doctrine  de  S.  Jérôme  ',  ou  plutôt  celle  de  tous  les  Pères  ;  car 
tous  donnent  pour  divines  les  moindres  paroles  de  nos  saints 
Livres  et  demandent  qu'on  s'y  soumette  d'esprit  et  de  cœur  *. 

*  Euseb.,  H,,  1,  7.  —  «  S.  Aug.,  de  Consensu  evang,^  ii,  29;  vu,  13-48; 

Episl.  xxvni,  3;  xl,  3  et  lxxxii,  3,  5,  7,  22,  24;  In  Joan,y  cxii;  De 

Gènes,  ad  Litt.,  i,  4;  De  civit,  Dei,  xviii,  40;  Serm.  cxxxiii,  6;  De 

Morih.  Ecdes.,  i,  62-69.  Cf.  S.  Greg.  Naz.,  Orat.  Iï«,  De  fuga  sua,  n.  105; 

Origen.,  De  principiiSj  iv,  7,  etc.  —  3  Non  adeo  hebetis  sum  cordis  ut 

aliquid  de  dominicis  verbis,  aut  corrigendam  putaverim  aut  non  divi- 

nitus  inspiratum.  Hoc  enim  impiorum  est,  Cclsi,  Porphyrii,  Juliani, 

5.  Hier.,  Ep,  xxvii,  lvii.  Scripturam  mentiri  nefàs  est  diccre.  In  Nahiim, 

I,  10.  Cf.  Epist.  Lvii,  9;  cxxvi,  cxxxviii,  et  In  Philem.,  Prsef.  Item 

S.  Clem..  I  Epist.  45;  S.  Justin.,  DiaL,  65;  Origen.,  In  Rom.,  m,  3;  De 

princip.,  iv,  7;  S.. Greg.  Naz.,  De  fugâ  sud,  Orat.  ii,  105.  —  *  Le  système 

de  l'inspiration  relative  ou  restreinte  a  été  embrassé  avec  éclat  dans 

an  oavrage  récemment  mis  à  l'Index  :  Origines  deVhistoire,  suivant 

la  Bible,  etc.,  1880-83,  par.  M.  Fr.  Lonormant.  Suivant  l'auteur,  la  Bible 

contiendrait  des  erreurs  nombreuses  et  des  contradictions  manifestes  ; 

mais  ces  contradictions  et  ces  erreurs  seraient  sans  préjudice  pour  la 

religion,  parce  qu'elles  porteraient  sur  des  faits  historiques  et  non  sur 

les  données  essentielles  du  dogme  ou  de  la  morale.  «  S.  Augustin  et 

s.  Chrysostome  n'ont  pas  hésité,  dit-il,  à  admettre  des  discordances  de 

ce  genre  jusque  dans  les  Evangiles.  »  A  cet  égard,  l'illusion  de  M.  Le- 

Dormantest  évidente.  Le  livre  de  S.  Augustin  qu'il  allègue  :  De  consen:su 

evangelisiarum,  a  précisément  pour  but  do  réfuter  son  sentiment  et  de 

montrer  que  les  évangélistos  ne  sont  en  contradiction  sur  aucun  point. 

«  Evangelista  non  est  evangclistœ  contrarius  in  his  quae  narrât,  dit 

ce  Père,  quamvis  non  concordct.  >>  In  Matth.,  Serm.  xxi;  De  consensu 

Evang.j  i,  35.  Tel  est  aussi  on  réalité  le  sentiment  de  S.  Chrysostome  : 

Sacra  Scriptura  cohaeret  sibi  tota.  la  Marc,  Hom.  iv.  A  l'endroit  qu'on 

objecte  (In  Matth.,  Prsef,  Hom.,  i,  2,  3),  le  saint  docteur  fait  remarquer, 

comme  tous  les  conimentateurs,  que  les  récits  évangéliqucs  offrent  des 


78  1NT1\ÔDUCTI0N   AU   NOUVEAU  TESTAMENT.  [.^«  27 

3^  Ajoutons  que  le  petit  nombre  de  docteurs  qui  ont  ha- 
saifdjé  à  cet  égard  un  autre  sentiment  n'ont  jamais,  su  le 
formuler  d'une  manière  précise,  et  qu'on  ne  vpit  paai  quelle 
règle  pratique  on  en  pourrait  tirer.  On  convient  qu'on  doit 
regarder  comme  infaillibte  toute  parole  qui  intéresse  la  foi 
pu  les  mœurs.  Mais  quels  sont  les  textes  qui  peuvent  pas- 
ser pour  indifférents  à  ce  double  point  de  vue?  S.,  Paul  ne 
4it-il  pa?  que  tout  ce  qui  est  dam  les  Ecritures  a  été  écrit 
pour  notre  instruction  et  notre  édification  *  ?  Prétendre  que 
l'histoire  s'y  distingue  nettement  du  dogme,  c'est  mécon- 
naître la  nature  de  la  révélation  chrétienne.  Qui  ne  sait, 
qu'un  grand  nombre  de  faits  sont  pour  nous. des  dogmes, 
que  la  doctrine  est  mêlée  aux  faits,  et  qu'ainsi,  les  asser-» 
tiens  historiques  et  les  enseignements  dogmatiques  étant 
liés  ensemble,  comme  les  fils. d'un  même  tissu,  la  certitude 
dés  uns  dépend  essentiellement  de  la' vérité  dès  autres? 
Est-il  un  livre  qui  contienne  plus  dé  récits  et  qu'on  puisse 
moins  soupçonner  d'erreur  que  l'Evangile?  Ignore-t-on  que 
les  œuvres  du  Sauveur  sont  pour  les  chrétiens  autre  chose 
que  des  faits  historiques,  qu'elles  leur  sont  proposées  par 
le  divin  Maître  lui-même,  tantôt  comme  des  preuves  de  sa 
mission,  tantôt  comme  des  exemples  et  des  leçons  S  et  que 
leur  valeur,  sous  ce  double  rapport,  dépend  de  leur  réalité? 
Un  grand  nombre  ont  une  signification  symbolique  et  même 
prophétique.  «  Les  miracles  ont  leur  langage,  dit  S.  Augus- 
tin :  eh  frappant  nos  regards,  ils  parlent  à  nos  cœurs  '.  » 

variantes,  qu'ils  difTèrcnt  les  uns  des  autres,  quant  aux  circonstances  et 
h  la  suite  dos  faits;  mais  loin  d'en  conclure  qu'ils  so  contredisent  ou 
qu'ils  donnent  dans  l'erreur,  il  affirme  expressément  que  tous  leurs 
récits  sQiît  conformes  à  la  vérité,  et  il  s'engage  à  montrer  en  temps  ot 
lieu  qu'ils  ne  sont  en  contradiction  sur  aucun  point.  On  peut  voir  qu'il 
tient  parole,  en  consultant  la  table  des  matières.  Cf.  Mgr  Freppel,  sur 
Oriyèno,^  I.  xr,  p.  230. 

1  Qiiaîçumque  srripta  sunt,  ad  nostram  doctrinam  scripta  sunt.  Rom., 
XV,  4.  Scripta  sunt  autem  ad  correptionem  nostram.  I  Cor.,  x,  6,  li.  — 
2.  Joan.,xin,  15.  —  3  Habent  miraeula,  si  intelligantun,  linguam  suani; 
riani  quia  Christus  Vrrbum  Dci  est,  etiam  factum  Christi  vcrbum  nobis 
est.  S.  Aug.,  In  Joan.^  xxiv,  2.  Sicut  hùmana  consuctudo  verbis,  ita. 
divina  potentia  factis  loquitur.  Item  Episl.  en,  33. 


N«  27]  RÉFUTATION  DES  RATIONALISTES.  79 

Bien  pins,  le  Sauvefûr  et  les  Apôtres  attribuent  le  même  carac- 
tère aux  faits  de  rAncien  Testament,  et  souvent  aux  moindres 
circonstances  de  c6s  faits:  Qu'on  se  rappelle  le  serpent  d'ai- 
rain *,  Agâr  chassée  de. la  maison  d'Abraham  %  le  voyage  des 
Israéliteè  dans  le  déserf  ',  etc.  Qu'on  songe ,  dit  Tertullien , 
que  Jésiis-Christ  a.èté  figuré  en  môme  temps  que  prédit 
dès  l'origine  du  monde  *.  Il  ne  saurait  donc  y  avoir  rien  de 
purement  humain  dans  nos  saints  Livres;  et  toutes  les  par- 
ties, ayant  la  mêm3  origine,  ont  aussi  la  même  infaillibilité  *. 

On  est  libre,  dit-on,  de  ne  pas  étendre  l'inspiration  jus- 
qu'aux mots,  et  il  faut  bien  reconnaître  en  beaucoup  d'en- 
droits des  expressions  figurées,  de  la  poésie,  des  paraboles, 
des  allégories,  des  hyperboles,  etc.  —  Sans  doute,  et  c'est 
pourquoi  on  doit  laisser  une  certaine  latitude  aux  inter- 
prètes; mais  ce  n'est  pas  de  mots  ni  de  style  qu'il  s'agit  ici  : 
il  s'agit  de.  pensées,  de  significations.  Si  toutes  sont  inspi- 
rées, toutes  sont  divines,  vraies  par  conséquent  et  irréfor- 
mables.  D'ailleurs,  si  tous  les  catholiques  ne  disent  pas  que 
les  termes  de  l'Ecriture  sont  inspirés,  est-ce  que  tous  ne 
reconnaissent  pas  au  moins  qu'ils  sont  d'utie  justesse  et 
d'une  exactitude  irréprochables,  comme  ceux  de  l'Eglise 
dans  ses  définitions? 

ConcluTons-nous  qu'il  n'est  jamais  permis  de  mettre  en 
doute  l'exactitude  d'une  expression,  d'un  nom,  d'un  chiffre, 
dans  la  Vulgate  ou  dans  le  grec  actuel  ?  Non.  De  ce  que  Dieu 
a  préservé  d'erreur  les  écrivains  sacrés,  il  ne  suit  pas  qu'il 
ait  également  préservé  de  toute  faute  les  copistes  qui  les  ont 
transcrits  ou  les  auteurs  qui  les  ont  traduits  ^  C'est  assez 

»  Joan.,  m,  U.  —  2  Gai.,  iv,  29,  30.  —  a  I  Cor.,  x,  1-12;  Heb.,  iv, 
i-l!.  —  *  Scimus,  nt  vocibus,  ita  ot  rébus  Cliristum  prophetatnm. 
Tert-,  Adv,  Marc^ -^  ^  Cf.  Gai.,' m,  16;  Heb.,  vu,  3:  xii,  ?7.  Infra, 
n.  44.  On  a  parlé  à  ce  sujot  d'obiter  dicta;  mais  on  ne  conçoit  d'obilei* 
dicta,  de  «  choses  dites  en  passant,  accidentellement,  »  que  L\  oii  il  y  a 
certaines  propositions  distingnccs  des  autres,  en  tant  que  définies  et  im- 
posées à  la  croyance;  comme  dans  les  décrets  dés  papes  et  des  conciles. 
Rien  de  semblable  dans  les  livres  saints,  -rr  <>  Cf.  .11  Ucg.,  vi,  23  et 
XXI,  8.  ---  IV  Reg.,  VIII,  2\  et  II  Parai.,  xxii,  2.  —  IV-Reg.,  xxiv,  8 
et  II  Parai.,  xxvi,  9.  La  chronologie  de  la  Vulgate,  des  Septante  et  du 
Martyrologe.  ... 


80  INTRODUCTION  AU   NOUVEAU   TESTAMENT.  [n<>  28 

pour  donner  aux  critiques  toute  liberté  d'exercer  leur  talent. 
L'Eglise  ne  nous  garantit  absolument  que  trois  choses  : 
l'inspiration  complète  et  continue  des  Livres  canoniques, 
l'exactitude  doctrinale  de  la  Vulgate,  et  l'intégrité  parfaite 
des  passages  dont  elle  a  défini  la  valeur  ou  le  sens  *.  Hinc  si 
quid  absurdum  occurrit^  dit  S.  Augustin,  non  licet  dicere  : 
Aicctor  hujus  libri  non  tenuit  veritatem;  sedaut  codex  men- 
daim  est,  aut  interpres  erravit,  aut  tu  non  intelligis  ^ 


CHAPITRE  III. 


î  ^ 


DE    L  ETUDE    DU    NOUVEAU    TESTAMENT. 


1^  Importance  de  cette  étude  et  méthode  à  suivre. 

*  28.  —  Le  Nouveau  Testament  ne  mérite-t-il  pas  spécialement 
notre  application  et  notre  respect  ? 

Nul  objet  plus  digne  de  notre  respect  et  de  notre  applica- 
tion. —  i^  En  lui-même,  il  n'est  pas  moins  supérieur  à 
l'Ancien  que  la  mission  du  Fils  de  Dieu  ne  l'est  à  celle  de 
Moïse  et  des  prophètes  '.  Comme  doctrine,  c'est  la  révéla- 
tion complète  des  mystères  que  la  loi  se  bornait  à  faire  en- 
trevoir. Comme  histoire,  c'est  le  couronnement  des  œuvres 
de  Dieu  dans  l'ordre  surnaturel;  c'est  la  réalisation  des 
promesses  faites  aux  patriarches,  des  espérances  de  l'ancien 
peuple,  des  figures  et  des  ombres  du  culte  lévitique  *.  — 
go  p^y.  rapport  à  nous,  il  n'est  rien  dont  la  connaissance 
nous  soit  plus  nécessaire.  Nous  sommes  les  ministres  du 
Nouveau  Testament  ^  ;  c'est  sa  doctrine  que  nous  avons  à 


1  Par  exemple,  Concile  de  Trente,  sess.  v,  4;  sess.  vu,  de  Bapl.y 
can.  2;  sess.  xiv,  De  pcsnit.y  can.  3,  10,  et  de  Extr.  unct.^  can.  4,  etc. 
—  as.  Aug.,  Cont.  Faust. ^  xi,  4;  Jn  Psalm.,  cxvii;  Serm.  xxxi,  5.  — 
3  Heb.,  I,  t.  —  *  Joan.,  i,  17;  Heb.,  vu,  11  ;  vm,  8.  —  s  II  Cor.,  m,  6. 
Pour  les  fidèles,  voir  PU  VI  Lilterai  ad  Arch,  Florent,^  Grcg.  XVI, 
Encycl.  8  mai  1844  ;  et  Bossuet,  Instr»  sur  la  lect.  de  lEcnt,  sainte. 


y^  29]  ÉTUDE  DU   NOUVEAU  TESTAMENT.  81 

prêcher  *  ;  c'est  sa  morale,  ses  lois,  ses  conseils,  ses  exemples, 
que  nous  devons  exposer,  pratiquer,  défendre;  c'est  donc  le 
Nouveau  Testament  que  nous  devons  étudier  et  connaître 
avant  tout  '.  L'Ancien  n'a  plus  guère  d'intérêt  que  parce 
qu'il  sert  à  établir  et  à  expliquer  le  Nouveau  '. 

29.  —  Qu'est-ce  qu'an  ecclésiastique  doit  se  proposer  dans  l'étude  du 
Nouveau  Testament  et  quelle  méthode  doit-il  suivre? 

!•  Abstraction  faite  de  toute  vocation  particulière,  ce 
qu'un  ecclésiastique  doit  chercher  avant  tout  dans  le  Nou- 
veau Testament,  c'est  la  science  du  salut  et  de  la  perfection 
pour  lui  et  pour  les  autres  ;  c'est  le  moyen  de  bien  servir 
Dieu  et  de  lui  gagner  dès  âmes.  Ce  qu'il  doit  le  plus  étudier 
par  conséquent,  c'est  l'Homme-Dieu,  le  maître  et  le  modèle 
suprême.  Qu'il  s'efforce  de  le  connaître  d'une  manière  com- 
plète, non  seulement  dans  sa  double  nature,  dans  sa  doc- 
trine, dans  ses  maximes,  mais  encore  dans  sa  vie,  dans  ses 
mystères,  dans  ses  perfections,  dans  ses  vertus,  dans  ses 
amabilités,  dans  ses  bienfaits  *.  Qu'il  considère  la  vérité,  la 

1  Bonie  margaritae  \e\  et  prophets  :  una  prctiosa  Salvatoris  scicntia, 
Hag.  a  S.  Vict.,  In  Matlh,  —  *  Lecto  evangelio,  codex  evangelicus 
apertiis  datur  sacerdotibus  osculandus,  cœteris  vero  clausus,  ac  si  ipso 
temporc  dlcatur  ei  :  «  Tibi  datum  est  nosse  mysterium  regni  Dei,  ose- 
teris  vcro  in  parabolis.  «  Hildeb.,  Serm.^  xcvi,  6.  Infra^  n.  213.  Fénelon, 
Iiï«  Dial.  sur  Véloq.  —  3  Ce  qui  le  recommando  est  trop  souvent  ce  qui 
lo  fait  négliger.  Comme  beaucoup  de  savants  ne  veulent  qu'être  savants, 
qu'ils  chorohent  surtout  à  augmenter  leurs  connaissances  et  à  faire 
briUer  leur  talent»  un  sujet  moins  pratique  a  pour  eux  plus  d'attrait.  Hs 
aiment  mieux  TAncien  Testament  et  les  études  accessoires  d'archéologie, 
de  chronologie,  de  philologie,  etc.,  qui  exercent  l'esprit,  sans  toucher  la 
conscience.  L'Evangile  les  attirerait  aussi,  s'il  n'était  qu'une  histoire; 
mais  c'est  une  doctrine  et  une  exhortation.  Au  lieu  de  compter  pour 
rien,  comme  S.  Paul,  les  études  qui  ne  mènent  pas  au  divin  Maître^  ils 
n'ont  de  goût  que  pour  ce  qui  les  tient  à  distance.  Au  trésor  caché  et  à 
la  perle  sans  prix,  ils  préfèrent  sans  hésiter  une  question  curieuse,  une 
découverte  sans  importance,  une  conjecture  ou  un  paradoxe  d'un  auteur 
juif  ou  païen.  Tout  les  attire,  tout  pique  leur  attention,  excepté  ce  qui 
le  mérite.  Cf.  S.  Bern.,  Epist.  \i.  —  *  Joan.,  xvii,  3;  xx,  31;  I  Cor., 
II,  2,  12;  Phil.,  m,  8;  II  Pet.,  m,  18.  In  illo  sunt  omnes  thesauri  sa- 
pientiae  et  scientise  absconditi.  Quse  non  propterea  abscondit  ut  neget, 
sed  ut  absconditis  excitct  desiderium.  Hsec  est  utilitas  secreti.  S.  Aug., 
Serm.  u,  4. 

5. 


82  INTRODUCTION  AU   NOUVEAU  TESTAMENT.  [N®  29 

beauté,  la  portée  de  ses  instructions  et  de  ses  exemples  K 
Qu'il  étudie  ensuite  ses  Apôtres,  tout  remplis  de  son  esprit, 
comme  d'autres  lui-même.  Par  là  il  se  rendra  capable  de 
le  faire  connaître  et  aimer  des  fidèles  ;  ir  acquerra  la  science 
du  royaume  des  Cieux  et  il  réalisera  dans  sa  personne  le 
type  du  prédicateur,  du  directeur,  du  pasteur  des  âmes  : 
Scriba  doctus  in  regno  cœlorum,  qui  profert  de  thesaura  suo 
nova  et  vetera  ^ 

2**  Est-ce  à  dire  qu'on  doive  négliger  lès  Introductions  et 
les  ouvrages  critiques?  Nullement  ;  mais  nous  tenons  à  en 
faire  remarquer  Tinsùffisance.  La  première  chose  à  faire, 
sans  doute,  c'est  de  reconnaître  l'autorité  des  saints  Livres, 
d'en  constater  l'authenticité,  l'intégrité,  l'inspiration  ;  de  les 
savoir  défendre  contre  les  objections  des  incrédules^  ;  néan- 
moins ce  n'est  qu'un  préliminaire,  et  l'on  aurait  tort  de  s'y 
trop  attarder.  A  quoi  servirait  d'entrer  en  possession  d'un 
trésor,  si  l'en  ne  devait  pas  en  faire  usage;  d'avoir  la  clé 
d'un  palais,  si  Ton  ne  voulait  pas  y  entrer  et  en  contempler 
les  merveilles?  L'Ecriture  est  un  temple  où  Dieu  rend  ses 
oracles.  On  ne  saurait  mettre  trop  de  zèle  à  défendre  l'édi- 
fice; mais  si  l'on  devait  toujours  rester  au  dehors. pour 
veiller  à  sa  sûreté,  quel  avantage  tirerait-on  des  révélations 
qui  se  font  au  dedans?  Ce  n'est  qu'à  l'intérieur  qu'on  entend 
la  voix  de  la  divine  sagesse.  Les  ecclésiastiques  judicieux  et 

1  In  iis  quidquid  docetur,  Veritas,  qaidquid  prœcipitur,  bonitas, 
quidquid  promittitur,  félicitas  est.  Hug.  a  S,  Vict.,  de  Anim,  —  2  Matth., 
XIII,  51,  52.  Cf.  Matth.,  xii,  35.  Haec  inanna  in  mane  juventutis  débet 
coUigi  :  non  enim  invenitur  nisi  mane.  Hug.  Gard.,  de  Isai.y  lv,  l.  — 
3:Fo)'te  de  via  mala,  hoc  est  dé  vita  mala,  fatigatus,  nescio  quis  amîcus 
tuus,  non  invenicns  vcritatem,  venit  ad  te  et  dicit  :  «  Reddc  mihî  ratio- 
nem;  fac  me  christianum.  »  Et  interrogat  quod  forte  tu  per  simpjici- 
tatcm  fîdei  ncscicbas,  et  non  est  unde  refîcias  esurientem,  et  çam  vis 
docere,  cogeris  discere.  Ubi  quseras,  nisi  in  dominicis  libris?  Fortassis 
quod  ille  interrogavit  in  libre  positum  est,  sed  obscurum  est.  Forte  dixit 
Itoc  Apostolus  in  Ëpistola  sua.  Urget  amicus  esuriens.  Tibi  sufficiebat 
simplex  fldes;  illi  non  suffi cit  :  numquid  deserendus  est?  S.  Aug., 
Senn,  cv,  2,  3.  Dans  une  encyclique  aux  évêques  d'Italie,  Léon  XIII  leur 
recommande  d'avoir  soin  que  la  jeunesse  cléricale  soit  pleinement  ins- 
truite dans  les  matières  qui  touchent  à  Tinterprétati on  et  à  Tautorito 
des  écritures  sacrées.  »  15  fév.  1882. 


N**  29J  ÉTUDE  DU   NOUVEAU  TESTAMENT.  83 

pratiques  recommandent  de  s'attacher  aux  textes  inspirés, 
de  lire  de  préférence  les  plus  beaux  endroits,  qui  sont  les 
plus  clairs  S  dç  les  lire  posément,  avec  réflexion,  en  en 
pesant  tous  les  termes,  de  les  relire  le  plus  possible,  dans 
des  langues  et  des  dispositions  diverses,  de  manière  à  les 
voir  sous  tous  les  aspects,  à  en  découvrir  tous  les  sens  ;  de 
les  rapprocher  d'autres  passages  analogues  ou  opposés  en 
apparence,  afin  d'en  saisir  les  ^apports  et  les  différences  ; 
enfin  de  s'en  pénétrer,  de  s'en  nourrir  et  de  les  graver  pro- 
fondément dans  sa  mémoire  ^ 

3*  Quant  aux  dispositions  que  demande  cette  étude,  il  n'y 
a  pas  de  doute  qu'il  ne  faille  y  apporter,  avec  l'esprit  de  foi  ^y 
de  piété  %  d'humilité  %  un  certain  degré  d'ardeur  et  d'ap- 
plication ^.  «  Creusez  les  Ecritures,  disait  le  divin  Maître  ; 
approfondissez  les  saints   Livres  \  »  Les  textes  les  plus 

1  In  iis  quse  apcrte  posita  sunt^  inveniiintur  omnia  quae  continent 

fidcm  moresque  vivendi,  spem  scilicct  et  caritatenrj.  S.  Aug.,  de  Doct. 

christs ^  II,  14.  —  2  Joan.)  v,  39;  H  Tini..  m,   13.  Habes  qnod  primum 

bibas;  habes  quod  socundum;  habes  quod  posteruni.  S.  Âmb  ,  Epist.  ad 

Const.^  I,  II,  3.  De  his  vcrbis  vcrissimum  est  non  esse  numeranda,  sed 

ponderanda.  S.  Aug.,   In  Joan.,  cxliii.  —  3  Sic  audiamns  Evangolium 

qaasi  pneseateai  Dominam.  S.  Aug.,  In  Joan.j  xxx,  5.  Dicit  niihi  home  : 

IntcUigam  ut  credam.  Respondeo  :  Crcde  ut  intoUigas.  Intellcctus  est 

merccs  fidei.  S.  Aug.,  Serm.  xuu,  4.  Cf.  cxlvii,  2.  —  *  Prov.,  ii,  3,  etc. 

On  connaît  remblèmc  que  M.  Olier  fit  mettre  sur  sa  Bible  :  le  livre 

inspiré  en  regard  de  TAgoeau  divin,  avec  la  devise  :  Par  cuUus  et  amor 

utrique.  Cf.  S.  Aug.,  Serm.  ccc.  Apocr.  —  *  Prov.,  xi,  2.  Non  intclligis; 

param  intelligis  :  honora  Scripturam  Dei,  honora  verbum  Dei  etiam  non 

apertum;  differ  pietate  intelligentiam.  Noii  accusare  obscuritatcm  aut 

qoasi    pcrrersitatem   Scriptnrae.   Perversum   hic   nihil   est;    obscurum 

aatem  aliquid  est,  non  ut  tibî  negetur,  sed  ut  exerceat  accepturum. 

Mcdicus  fecit  hoc  ut  puises.  Voluit  ut  esercereris  in  puisando;  voluit 

ut  pnlsanti  apériret.  Érgo  noli  indignari  quod  clausum  est  ;  mitis  esto  ; 

mansoetus  esto.  Noli  rccalcitrare  adversus  obscura  et  diccro  :  Melius 

diccretur,  si  sic  dicereturl  Quando  eniin  potes  tu  sic  dicere  aut  judicarc 

qnomodo  dîci  expédiât?  Sic  dictum  est  quomodo  dici  debuit.  Non  cor- 

rigat  aeger  medicamenta  sua  :  ei  crede  qui  te  curât.  S.  Aug.,  In  Psalm.^ 

cxLvi,  12.  Cf.  Serm.  li,  5   Infra^  n.  585.  —  <»  Joan.,  vu,  17  ;  Act.,  xvii, 

il,  12;  1  Thess.,  n,  13;  Heb.,  xi,  1;  Fénelon,  Médit. y  i.  Etude  de 

rEvangiie.  —  "^  Joan.,  v,  39.  Non  dixit  :  Legite  Scripturas,  sed  scruta- 

mioi.  DÎTiDa  cnim  summa  indigent  diligentia.  Idcirco  effodere  profundius 

jnbet,  ut  quaï  altc  delitescunt,  invenire  possimus.  S.  Chrys.,  In  Joan.^ 

HOID  ,   XUj  1. 


84  INTRODUCTION   AU   NOUVEAU   TESTAMENT.  [n<*  30 

clairs  ont  souvent  une  grande  profondeur*.  Dans  toute 
étude,  l'application  est  une  condition  de  succès.  On  ne  réus- 
sit guère,  en  quoi  que  ce  soit,  si  Ton  ne  s'y  met  de  toute 
son  âme,  avec  une  volonté  déterminée  et  généreuse  *. 

•  30.  —  Science  des  langues  :  est-elle  nécessaire  pour  bien  entendre 

le  Nouveau  Testament? 

I.  Il  n'est  pas  inutile  de  savoir  un  peu  d'hébreu,  soit  pour 
entendre  les  termes  syrochaldéens  et  les  étymologies,  sbit 
pour  préciser  les  expressions  grecques,  calquées  sur  l'hé- 
breu, soit  pour  apprécier  les  citations,  ou  pour  se  rendre 
compte  des  irrégularités  dont  le  Nouveau  Testament  est 
semé.  Les  interprètes  donnent  bien  l'explication  de  ces  idio- 
tismes,  et  l'on  s'y  habitue  assez  vite;  mais  on  les  comprend 
toujours  mieux  quand  on  les  a  appris  par  l'étude  de  la  langue 
hébraïque  ^ 

IL  II  est  à  désirer  qu'on  entende  le  grec,  et  qu'on  ait  sous 
la  main  les  textes  originaux.  Si  l'on  est  forcé  de  s'en  tenir 
au  latin,  on  sera  exposé  à  plusieurs  inconvénients  : 
.  i°  On  aura  peine  à  s'expliquer  les  héllénismes  que  le  tra- 
ducteur a  inséré  dans  la  Vulgate,  en  calquant  servilement 
le  latin  sur  le  grec  *.  On  n'entendra  qu'imparfaitement  les 
mots  grecs  qu'il  a  cru  devoir  faire  passer  dans  sa  traduc- 
tion %  et  quelques  fois  on  ne  saura  pas  reconnaître  le  cas  ou 

1  Eph.,  III,  14-19.  Sicut  in  cœlo  celatur  Deus^  sic  in  Scriptura  abscon- 
ditur.  S.  Chrj's.,  In  Matih,,  Honi  iv.  —  2  pjus  vous  aurez  de  cœur, 
d'esprit,  de  pénétration,  de  science  de  bonne  volonté,  de  courage,  d'expé- 
rience, de  charité  surtout,  d'amour  des  âmes,  plus  vous  verrez  le  texte 
évangéliquo  s'étendre,  s'agrandir  pour  vous.  »  Gratry,  Sources.  — 
3  A.  T.,  n.  78,  667;  Schilling,  De  hebraism.  N.  T.,  1886;  S.  Aug.,  De 
doct,  christ. y  ii,  11,  16.  Cf.  Bossuet,  !'•  Inst.,  sur  le  livre  qui  a  pour 
titre  :  Le  N.  Testament^  yii«  Remarque.  Supra^  n.  10  ;  InfrUf  n.  35, 38,  584. 
—  *  Cf.  Matth.,  XII,  12;  Luc,  xii,  24;  xxii,  25;  Act.,  xix,  26;  I  Cor., 
II,  14;  n  Cor.,  x,  15;  Gai.,  iv,  24;  II  Thess.,  n,  1;  Heb.,  m,  3;  ix,  2, 
4,  5,  9,  etc.  —  3  Par  exemple  :  agoniaj  allegoria,  anatkema^  angeltis, 
antkhHsius^  apocalypsis,  aporiarij  apostata^  azyma,  baptismusy  blas- 
phemiay  bravium,  cauteriare,  colàphizare^  charisma^  christus^  diabolus, 
diaconus^  ecclesia,  evangelium^  karesis,  holocaustum,  idolium,  idolo- 
latria,  judaizare,  martyr ,  iieophytus^  parabola,  presbytet^  proselytus, 
scandalum,  schisma,  synagoga^  etc. 


N<>  30]  ÉTUDE  DU   NOUVEAU  TESTAMENT.  85 

le  genre  des  noms,  le  latin  ne  pouvant,  les  indiquer,  faute 
d'articles  *. 

2"  On  pourrait  ne  pas  saisir  parfaitement  la  pensée  des 
auteurs  inspirés  ;  car  les  termes  latins  n'équivalent  pas  tou- 
jours parfaitement  aux  termes  grecs,  et  en  rendant  l'idée 
principale,  ils  laissent  souvent  échapper  les  sens  acces- 
soires, lesnuances,  les  insinuations,  etc.  '.  Ainsi,  il  n'a  pas 
été  possible  de  rendre  en  latin  la  précision  que  donne  à 
quelques  mots  l'article  défini,  qui  existe  en  grec  aussi  bien 
qu'en  français  ^  Or,  la  force  de  certaines  preuves  ou  la  fai- 
blesse de  certaines  objections  dépendent  de  ces  particula- 
rités, de  cette  précision,  de  ces  nuances.  Il  faut  donc  mettre 
la  connaissance  du  grec  au  nombre  de  celles  qui  sont  le 
plus  désirables  dans  un  exégète,  un  théologien,  un  polé- 
miste, etc. 

III.  Mais  ce  serait  une  exagération  de  prétendre  que  sans 
la  science  du  grec,  et  surtout  de  l'hébreu,  on  n'a  pas  l'intel- 
ligence du  Nouveau  Testament,  ou  qu'on  n'est  pas  capable 
d'en  établir  et  d'en  défendre  solidement  la  doctrine.  En 
effet  : 

1*  Au  seizième  siècle,  on  déféra  à  l'Université  de  Paris  ces 
deux  propositions  :  c  L'Ecriture  ne  s'entend  guère  sans  les 
langues  grecque,  hébraïque  et  semblables.  »  «  Sans  lesdites 
langues,  un  prédicateur  ne  saurait  expliquer  exactement 
les  Evangiles  et  les  Epîtres.  »  Toutes  deux  furent  condam- 
nées, la  première  comme  téméraire  et  scandaleuse,  la  se- 

*  Cf.  Mattli.,  m,  9;  Luc,  i,  54;  Act.,  i, 6;  Rom.,  v,  7;  ix,  28;  xvi,  23; 
U  Cor.,  V,  13;  I  Thcss.,  m,  7;  Il  Tim.,  iv,  3.-2  Proprietatcm  grae- 
cam  latious  sormo  non  cxplicat.  S.  Hieron.,  /n  Philem.y  20.  Cf.  In  Gai., 
T,  8,  etc.  Comparer  avec  les  termes  correspondants  du  texte  grec  : 
regere,  Matth-,  ii,  6;  venire,  m,  1;  ientare^  Matth.,  iv,  1;  multum 
ioqui;  gtuerere;  sollicitus  esse;  Matth.,  vi,  7,  33,  34;  s  tare;  misereHy 
xvni,  1^,  29;  negligere,  xxii,  5;  possiderey  xxv,  34;  observare^  Marc., 
nj,  2;  susciperej  Luc,  i,  54;  parcere,  Joan.,  xxi,  1;  ministrare^  Act., 
xin,  1  ;  avarilia,  I  Cor.,  v,  11  :  Eph.,  v,  3,  etc  ,  et  Infra^  n.  38.  —  3  Par 
exemple,  aux  mots  Beoç,  utoç,  Xptaxo;,  Tfpo^vjTY);,  Kuptoç,  ^aaiXeur,  nvev(i.a, 
Ilapdrivoc,  apTOC)  Ç^C  ic9t(iY)v,  ayioc,  Sixaioc,  epxo[i£voç,  ôtSaaxaXo;,  icoXic, 
£a|ta;>ta.  Infra,  n.  158,  159,  239,  389,  544.  Cf.Apoc,  xviii,  10,  16,  19; 
XIX,  1,  etc. 


86  INTRODUCTION  AU  NOUVEAU  TESTAMENT.  [n®  30 

oonde  comme  impie  et  pernicieuse.  L'auteur  fiit  déclaré 
suspect  de  luthéranisme  *. 

2°  Nous  avons  assez  de  moyens  de  nous  instruire  des 
vérités  chrétiennes  pour  pouvoir  en  négliger  quelqu'un 
sans  inconvénient.  Ce  qu'on  ne  saura  pas  voir  dans  un  texte 
grec  qui  l'insinue  ou  l'affirme  implicitement,  on  le  trou- 
vera clairement  énoncé  dans  un  autre  passage  ou  dans 
renseignement  de  l'Eglise.  «  La  tradition,  dit  Bossuet,  tient 
lieu  de  tout  à  ceux  qui  la  savent,  pour  établir  le  fond  de  la 
religion.  Sans  hébreu  et  avec  assez  peu  de  grec,  S.  Au- 
gustin n'a  pas  laissé  de  devenir  le  plus  grand  théologien 
de  l'Occident^  et  de  combattre  toutes  les  hérésies  par  les 
démonstrations  les  plus  convaincantes  ^  »  Un  catholique 
ne  doit  pas  oublier  que  la  connaissance  des  vérités  chré- 
tiennes a  été  donnée  à  l'Eglise  avec  la  lettre  des  saints 
Livres  et  .même  avant  ces  livres.  Cette  connaissance  vit 
toujours  dans  son  sein.  Elle  se  transmet  par  l'enseignement, 
c'est-à-dire  par  la  prédication,  par  la  liturgie,  par  la  litté- 
rature chrétienne.  Soupçonner  les  pasteurs  et  les  fidèles 
d'avoir  mal  entendu  le  grec  et  l'hébreu  au  commencement, 
alors  que  la  plupart  étaient  Hébreux  ou  Grecs  de  naissance, 
est  une  méfiance  ridicule;  et  prétendre  qu'à  moins  de  con- 
naître ces  langues,  on  ne  peut  entendre  la  Bible,  quand  on  a 
soi-même  pour  principe,  comme  les  protestants,  que  chaque 
fidèle  est  obligé  de  la  lire  et  capable  de  la  comprendre,  c'est 
la  plus  flagrante  des  contradictions. 

1  Duplessis  d'Argcntré,  Collectio  judic.  de  novis  error.,  30  april.  1530. 
—  *  AntiquîB  rursus  fidei  conditor.  S.  Hier.,  Epist.  cxli.  Notons  pourtant 
la  romarqae  suivante  de  ses  savants  éditeurs  :  Constat  S.  Augastinum  ad 
intelligentiam  Novi  Tcstamenti  subsidio  grœcsB  linguae  satis  instructum 
fuisse,  ut  probant  variae  Icctioncs  quas  in  locis  dubiis  aut  mendosis  adlii> 
buit.  Fatetur  quidom  in  Confessionibus  suis,  i,  14,  vir  modestissimus  se, 
Gum  pucrulus  latinas  litteras  adamarot,  grœcas  odisse,  SQÛjam  episcopus, 
jam  senex^  ait  Krasmus,  ad  puero  sibi  fastidilas  grxcas  litteras  reversus 
est.  Qua  in  re  cgregium  dédit  spécimen  suse  in  sacra  s  Scripturas  sedu- 
litatis  et  rcverontisB.  Pi^xf.  t.  m.  Cf.  Vita  S.  Aug,,  I,  ii,  5,  ab  Edit. 
Bénédictin.,  t.  xi,  p.  5.  —  3  Bossuet,  !'•  Instruction  sur  la  version  du 
N.  T,  impHmée  à  Trévoux ^  vii«  passage;  Dé^.  de  la  trad.y  iv,  16,  18; 
VII,  58;  sur  la  Biblioth.  de  3f.  Dupin,  S.  Augustin  et  S.  Jérôme. 


*t<*  31]  ÉTl'UE  DU   NOUVEAU  TESTAMENT.  87 

3"  Pour  être  certain  d'une  chose,  est-il  nécessaire  de 
l'avoir  découverte  et  reconnue  par  soi-même?  Faut-il  pren- 
dre pour  progrannne  ce  cri  d'un  professeur  allemand  :  Pe- 
rçant qui  ante  nos?  L'homme  n'est  pas  fait  pour  vivre  seul, 
ni  de  son  seul  travail.  Dieu  a  voulu  que  la  vie  de  l'esprit 
nous  vînt  du  dehors  comme  celle  du  corps.  L'enfant  profite 
des  lumières  de  ses  parents  aussi  bien  que  de  leur  fortune. 
La  famille  participe  à  celles  de  la  société,  et  la  société  à  celles 
de  l'Eglise,  qui  est  infaillible.  Vouloir  que  chacun  se  suffise, 
et  forme  ses  croyances  par  un  travail  tout  personnel,  sans 
se  fier  à  aucune  autorité,  c'est  méconnaître  notre  nature  et 
rendre  la  foi  impossible  à  la  plupart  des  hommes.  «  Si  un 
protestant  qui  est  seul  au  monde,  en  présence  de  la  Bible, 
a  un  besoin  logique  d'en  connaître  les  sources  et  par  consé- 
quent les  idiomes,  il  n'en  est  pas  ainsi  du  catholique  qui 
sait  ce  qu'il  est.  Vivant  dans  l'Eglise,  perpétuellement  as- 
sistée par  l'Esprit  de  Dieu,  il  lui  suffit  qu'elle  connaisse  ce 
qu'il  ignore.  La  lumière  lui  appartient,  et  il  trouve  dans 
l'immense  communion  des  siècles  et  des  Docteurs  chrétiens 
le  glorieux  avantage  de  parler  toutes  les  langues  et  de  ré- 
soudre toutes  les  difficultés  ^  » 

29  Secours  :   commentaires  et  versions. 

*  3i.  —  A-t-on  expliqué  de  bonne  heure  le  Nouveau  Testament,  et  qnello 

est  la  valeur  des  premiers  commentaires? 

1**  Aucune  partie  des  Ecritures  n'a  été  ni  si  tôt,  ni  si 
souvent,  ni  si  soigneusement  commentée.  Pour  s'en  con- 
vaincre, il  suffit  de  parcourir  les  tables  de  la  Patrologie. 
Les  instructions  des  pasteurs  dans  les  premiers  temps  rou- 
laient presque  toujours  sur  quelques  textes  des  saints 
Livres,  et  ce  qu'on  s'appliquait  surtout  à  faire  connaître  aux 

1  Lacor^ire,  Leit.  sur  la  vie  chrét.,u.  Loquor  omnium  linguis,  audeo 
dicere.  In  corpore  Ghristi  sum.  In  Ecclesia  Ghristi  sum.  Si  corpus  Christi 
jam  omnium  linguis  loquitur,  et  ego  in  omnibus  linguis  sum;  mea  est 
gneca,  mea  est  syra,  mea  est  hebrsa,  mea  est  omnium  gentium,  quia  in 
aoitatc  sam  omnium  .gentium.  S.  Âug.,  In  Ps.  cxh^ih  19<  Gf.  EpisL  ci,  4; 
de  Trinit.,  m,  1  ;  S.  Grpg.  M.,  Eyist.  VU,  xl\  Infra,  n.  44. 


88  INTRODUCTION   AU   NOUVEAU   TESTAMENT.  [n<*  31 

fidèles,  c'était  la  vie  du  Sauveur,  sa  doctrine  et  celle  de  ses 
apôtres.  Rien  ne  prête  davantage  à  Thomélie  :  rien  n'est  plus 
fécond  en  instructions,  ni  plus  salutaire  à  méditer.  Car  ce 
que  S.  Augustin  a  dit  de  toute  VEcrïiure,  omnibus  accessibilis, 
paucissimis  penetrnbilis  *,  convient  surtout  au  Nouveau  Tes- 
tament. Les  endroits  les  plus  clairs  donnent  infiniment  à 
réfléchir,  et  les  esprits  les  plus  éclairés  eux-mêmes  sont 
bien  aises  d'être  aidés,  quand  ils  veulent  en  scruter  les  pro- 
fondeurs ^ 

2°  Il  faut  reconnaître  que  les  Pères  de  l'Eglise  se  sont 
trouvés  dans  les  meilleures  conditions  pour  bien  entendre 
cette  partie  de  la  Bible.  Outre  le  secours  de  la  tradition,  si 
récente  encore  et  si  pure  dans  une  société  où  l'on  faisait 
profession  de  ne  rien  enseigner  que  ce  qu'on  avait  appris 
des  pasteurs  plus  anciens,  et  de  renoncer  à  la  vie  plutôt  que 
de  laisser  altérer  l'intégrité  de  la  foi  %  la  plupart  possédaient 
à  un  haut  degré  les  connaissances,  les  talents,  la  fermeté  et 
le  zèle  qui  font  les  docteurs.  Ils  vivaient  dans  les  contrées 
qu'avaient  évangélisées  les  Apôtres  ;  ils  avaient  les  mêmes 
mœurs;  ils  entendaient  les  mêmes  langues,  ils  participaient 
au  même  esprit.  C'est  donc  avec  raison  qu'on  place  encore 
aujourd'hui  en  première  ligne  les  commentaires  qu'ils  nous 
ont  laissés.  Selon  Bossuet,  si  l'on  veut  devenir  un  solide 
interprète  de  la  parole  de  Dieu,  on  ne  saurait  trop  lire  et 
relire  leurs  écrits  *. 

3°  Il  ne  faudrait  pas  croire  cependant  qu'ils  n'ont  rien 
laissé  à  faire.  Les  saints  Pères  n'étaient  pas  des  exégètes  et 
des  écrivains  de  profession  :  c'étaient,  pour  la  plupart,  des 
pasteurs  et  des  prédicateurs  qui  expliquaient  la  parole  de 
Dieu  pour  l'édification  des  fidèles,  qui  accommodaient  leurs 
explications  aux  besoins  de  leur  auditoire.  De  là  leur  supé- 
riorité sur  le  point  essentiel  et  leur  insuffisance  sur  les 

*  s.  Aug.,  Epist.  cxxxvii,  8.  —  ^  À.  T.,  initio.  —  3  Quis  mcdullns 
Scripturarum  magis  nossct  quani  ipsa  Chrîsti  schola?  Quos  et  sibi  dis- 
cipulos  adoptavit  omnia  utique  edocendos,  et  nobis  magistros  adornavit, 
omnia  utique  docturos.  Tertull.,  Scorpiace^  12.  -^  ♦  Bossuet,  Défense 
de  la  tradiUon^  IV,  xyiii.  Cf.  A.  T,,  n.  204-210. 


N°  32]  ÉTUDE  DU   NOUVEAU  TESTAMENT.  89 

points  secondaires.  Ils  ont  parfaitement  saisi  l'esprit  et  la 
substance  de  nos  saints  Livres.  Ils  en  ont  exposé  la  doctrine 
avec  intérêt  et  solidité.  Ils  en  ont  déduit,  avec  autant  de 
justesse  que  de  simplicité,  le  dogme  et  la  morale  ;  et  Ton 
réussira  difficilement  à  être  plus  clair,  plus  convaincant,  plus 
touchant  qu'ils  ne  le  sont.  Mais  ils  n'ont  pas  tout  dit,  même 
sur  l'Evangile,  la  partie  qu'ils  ont  commentée  avec  le  plus 
de  soin.  Les  mines  qu'ils  ont  ouvertes  peuvent  être  exploitées 
indéfiniment.  Il  reste  d'ailleurs  à  collationner  leurs  explica- 
tions, à  en  montrer  l'accord,  à  les  compléter.  Il  reste  à  mettre 
leurs  pensées  en  lumière,  à  les  exposer  méthodiquement,  à 
en  déduire  les  raisons  et  les  conséquences,  à  les  dégager  de 
beaucoup  de  considérations  et  de  développements  qui  ne 
conviennent  plus  à  notre  époque,  à  les  adapter  aux  dispo- 
sitions et  au  langage  actuels.  Il  reste  enfin  à  discuter  et  à 
résoudre  une  foule  de  questions  d'authenticité,  d'histoire,  de 
chronologie,  de  géographie,  de  langue,  qui,  pour  n'être  pas 
essentielles  à  la  foi  ni  à  portée  de  tous,  ne  laissent  pas 
d'avoir  de  l'intérêt  pour  un  grand  nombre,  surtout  pour 
ceux  qui  sont  appelés  à  instruire  leurs  frères  et  à  défendre 
la  foi  de  l'Eglise.  C'est  pourquoi  la  science  des  Ecritures  peut 
progresser  comme  les  autres;  et  pour  ne  pas  rester  en  ar- 
rière, il  importe  de  joindre  à  l'étude  des  Pères  celle  des 
commentateurs  moins  anciens  et  même  des  meilleurs  interr 
prêtes  contemporains  *. 

Tout  le  monde  convient  d'ailleurs  que  les  interprétations 
des  Pères  ne  sont  infaillibles  et  incontestables  que  lorsqu'elles 
portent  dans  leur  caractère  dogmatique  et  leur  unanimité  le 
sceau  de  l'enseignement  doctrinal  de  l'Eglise  ^ 

*  32.  —  Quels  sont  les  auteurs  qu'on  pourrait  lire  utilement  sur  les 
diverses  parties  du  Nouveau  Testament? 

Si  mérité  que  soit  l'éloge  qu'on  a  toujours  fait  des  Pères, 
nous  ne  conseillerions  pas  d'en  entreprendre  la  lecture  im- 
médiatement et  sans  choix.  Pour  être  faite  avec  fruit,  cette 

»  Cf.  A.  r,  n.  225.  —  2  Conc.  Trid.,  Sess.  IV,  De  can.  Scjnpt.  Cf. 
S.  Aug.,  Cont,  Julian,^  ii,  7. 


98  INTRODUCTION  AU  NOUVEAU  TESTAMENT.  [n<^  32 

étude  demaïidJB  quelque  préparation  et  un  certain  ordre; 
Après  ùné  Introduction  générale  à  TEcriture  sainte  *,  on 
devrait  lire  une  Introduction  au  Nouveau  Testament  ^  puis 
quelque  ouvrage  ayant  pour  buty  soit  d'établir  l'autorité  des 
écrits  apostoliques  %  soit  de  faire  voir  les  rapports  du  Nou^ 
veau  TiSstaûiertt  avec  l'Ancien  *. 

Pour  l'étude  des  divers  livres,  nous  recommanderions  auit 
jeùrieé  ecclésiastiques,  suivant  les  dispositions  et  les  circons-» 
tances,  quelqu'un  dés  commentateurs .  suivdntâ  : -^  Sur  lé 
Nouveau  Testament  tout  entier  :  Cornélius  a  Lapide,  Cîïr^ti^ 
corïiplelm  de  Mighe,  Tirin,  Menochius,  Wôuters.  —  Sut  les 
Évangiles  réunis  :  Janséniiis  de  6and,Patrizi,Deliaut,Mastaï. 
—  Sur  chacun  des  quatre  Évangiles:  Maldonat,  Filion. -^-' 
Sur  S.  Matthieu  en  particulier:  S.  Ghysostome,  LucdeBruge^ 
Klofutar.  —  Siir  S.  Marc  :  Pàtcizi,  Bèze.  -^.Siir-S.  Luc  :  Luc 
dé  Brùge,  S.  Ambrorsé.  -^,Sur  S.  Jean':  Tplêt,  Corliiy,  Pa-? 
trizi,  Klofutar,  S-  Augustin,  S.  Chrysostomë,  Origéne.  — >. 
Sur  les  Actes  des  Apôtres  :  Grampori,  Beeleh,Patrizi,S.Chry-» 
sostonle.  —  Sur  toutes  les  Epîtres  :  Estlûs,  Drach.  —  Sur 
celles  dé  S.  Paul  en  particulier  :  Vaii  Steenkiste,  Bernardin 
dePequigny,S.  Ghrysostomé,  S.  Thomas. — Sur  l'Apocalypse  : 
Bossuet,  de  Bovet,  La  Ghetàrdie  (ch.  i,  iv,  v,  xn-xx)*. 

1  M.  Lamy,  par  exemple.  —  2  p.  Corncly,  Valroger,  etc.  —  3  Wallon; 
Croyance  à  l'Evangile;  Duvoisin,  Démonst.  évangélique;  Duguet,  Prin-^ 
cipes  de  la  foi,  etc.  —  *  Becan  ou  Acosta.  —  s  Cf.  A.  T.,  n.  20.4  et  Qttes-f 
lions  sw  VEcriture  sainte  ou  programme  détaillé ^  t.  ii,  Nouv.  Test.  Pour 
les  auteurs  hétérodoxes,  nous  ne  les  conseillerions  jamais  à  des  commen- 
çants. «  Nemo  inde  strui  potest  unde  destruitur.  »  Tert;,  rf<?  Prsese.,  2i 
Il  y  a  du  bon  dans  quelques-uns ,  et  nous  n'hésitons'  pas  â  mettre  k 
profit  ce  qu'ils  peuvent  fournir  d'utile  «  ea  tanquam  ab  injustis  posses- 
soribus  vindicando,  »  S.  Aug.,  rfe  Doct,  christ.,  ii,  60;  mais  le  bon  osf 
toujours  plus  ou  moins  mélangé.  Pour  en  profiter,  il  faut  savoir  cjioisîr 
et  être  en  état  de  juger.  Le  mieux  est  de  s'en  tenir  à  rancicnnc'  règle  : 
«  Quaîramus  in  nostro  et  a  nostris  et'denostro.'Qiris  sôrvus  cibaria  ab 
extranco,  no  dicam  ab  inimico  domini  sui,  spcrat?  »  Tort.»  De  prfpsc.-y  xii. 
La  tradition  de  lEglise ,  l'enseignement  catholique  :  voilîi  la  mine'  la 
plus  riche,  sans  comparaison.  Cf.  Bossuet,  Lettre  au  P.  Maitduil,  clxv. 

Ilistoriam  bebraeis  et  graecis  fontibiis  hauslam   - 

Hicronymo  diaces  duce; 
Allegoriam,  aDagogiaraqaerecladcht  -  .'      ".'..*       ' 

Origenes  et  Ambrosius  ;  .'.:.•.      .   '.  ,  •      '    .  "_- 


5«33]  ÉTUDE  DU  NOUVEAU   TESTAMENT.  91 

33. —  Où  s'est  faite  la  première  version  latine  des  Ecritures  et  quelle 
roôâifiti(tion  a-t-elle  reçue  à  Vendroît-du  Nouveau  Testament? 

f  •  •  •  , 

1.  On  né  saurait  dire  avec  certitude  quelle  a  été  la  pre- 
mière version  latine  des  saintes  Ecritures.  Il  parait  que,  dès 
les  premiers  temps  de  l'Eglise,  il  s'en  fit  un  certain  nombre, 
à  l'usage  des  fidèles  de  la  classe  inférieure  et  de  ceux  despro^ 
rinces  qui  n'avaient  pas  l'habitude  du  grec  *.  Toutes  ces  ver- 
sions laissaient  à  désirer  ;  mais  il  en  est  une  qui  obtint  la  pré- 
férence pour  sa  clarté  et  sa  fidélité,  et  qui  devint  x)fficielle 
dans  l'Eglise  latine,  même  en  Afrique ^  S.  Augustin  l'appelle 
l'Italique,  sans  doute  parce  qu'elle  venait  d'Italie,  et  qu'elle 
y  avait  été  composée  ou  retouchée  \  Puisque  S.  Jérôme  l'ap- 
pelle ancienne^ ^  qu'elle  était  généralement  reçuede  son  temps 
et  qu'il  craignit  de  heurter  les  habitudes  en  y  faisant  trop  de 
corrections  ^,  nous  avons  .lieu  de  croire  que,  si  elle  ne  sur- 

ExpoDent  sensns  formaodis  moribns  aptoi 
_     '    ChrysostoniQi,  Gregorius;  ' 
In  dubiis,  alt«qtfe  oalîgine  marsis, 
Âurelias  lacom  ferei. 

Los  rationalistes  sont  encore  plus  dangereux  que  les  protestanta,  et  ce 
n'est  pas  chez  eux  qu'on  doit  aller  chercher  des  lumières.  «  Nihil  est 
profecto  temeritatis  plehius  qtiam  quprùmquc  librorum  cxpositofes  dese- 
rere  qui  eos  so  tcnore  ac  discipuli«  tradere  posso  profitentur,  et  eorum 
sentcntiam  requirore  ab  his  qui  conditorjbus  illorum  atquc  auctoribus 
acerbissimum,  nescioqiia  cogente  causa,  bclluni  indixcrunt.  Quis  enim 
»bi  uDquam  libros  Aristotciis  rccônditos  et  obscuros  âb  ojusinîmico 
eiponendos  putavit?  Quis  geomctricas  Utteras  Archimedi^  légère,  ma- 
gistro  Epicuro,  aut  discere  voluit?  Contra  quas  illc  multum  pertinaciter, 
whil  earum,  quantum  arbitrer  intcUigens,  disscrcbat.  »  S.  Aug.,  de  Util, 
credendi,  13.  Cf.  de  Morih,  ecel.,j. 

^  Latini  interprètes  numcrari  non  possunt.  S.  Aug.,  de  Doct.  christ. y 
II,  11, 13,  16;  Cont,  Faust. ^  xi,  2.  Selon  quelques  auteurs,  S.  Augustin 
parlerait  jci,  non  de  version  complète  de  la  Bible,  mais  de  traduction  de 
certains  passages  plus  ou  moins  obscurs.  —  ^  Massuet  prouve  qu'elle 
est  antérieure  à  Tertullicn.  Dissert,  u  de  S.  Iren.^  art.  2,  n.  c3  et 
Dissert,  m,  art.  \^^y  ii,  10.  Cf.  Tort.  De  Monogam.,  xi,  Adv.  Prax.,  v; 
A.  T.,  D.  125,  etc,  —  3  Jtala  caîtoris  praeferatur,  quœ  est  vorborum  tcna- 
rior  cum  perspicuitatc  scntcntise.  S.  Aug.,  de  Doct.  christ. ,  ir,  22.  (inrd. 
Wiseman,  Mélanges ^  l""»  Ictt.  sur  la  l"^*  cp.  de  S.  Jean.  —  *.Anti- 
9flam  intcrpretationcm  scqucntcs,  quod  non  noccbat.mutarc  noiuimus. 
S.  Hicrôn.,  Epist.  cvi,  G6.  — /►  Ne  multum  a  lectionis  latinaB  consuo- 
todine  discrcparent ,   ita  calamo   temperavimus , ,  ut  his  tantupi  ()uie 


[ 


92  INTRODUCTION   AU   NOUVEAU   TESTAMENT.  [n<»  34 

passait  pas  toutes  les  autres  en  antiquité,  elle  ne  leur  était 
pas  non  plus  beaucoup  inférieure  *.  L'auteur  de  cette  ver- 
sion avait  porté  l'exactitude  jusqu'à  la  servilité,  au  point 
de  rendre  des  génitifs  absolus  du  texte  grec  par  des  génitifs 
latins  ^ 

II.  Comme  il  s'était  déjà  glissé  un  grand  nombre  de  va- 
riantes dans  les  exemplaires  manuscrits  de  cette  version, 
S.  Jérôme,  à  la  demande  du  pape  S.  Damase,  la  revit  avec 
soin  et  la  corrigea  sur  le  grec  pour  le  Nouveau  Testament  ', 
avant  de  faire  une  traduction  nouvelle  des  anciens  livres 
hébreux  (383-385) .  Le  saint  Docteur  n'entreprit  pas  de  donner 
de  l'Evangile  et  des  écrits  des  Apôtres  une  traduction 
nouvelle,  soit  parce  que,  l'Italique  étant  très  répandue,  il 
eût  craint  de  choquer  les  fidèles  par  des  innovations,  soit 
parce  qu'il  ne  voyait  pas  tant  de  rectifications  à  faire  dans  le 
Nouveau  Testament  que  dans  l'Aticien. 

34.  —  Qu'est-ce  qui  a  porté  le  concile  de  Trente  à  demander  la  cor- 
rection de  la  Vulgate  plutôt  qu'une  traduction  nouvelle  des  Livres 
saints? 

1°  La  considération  qui  a  inspiré  le  concile  de  Trente  est 
la  même  qui  avait  détourné  S.  Jérôme  de  traduire  à  neuf  le 
Nouveau  Testament  et  empêché  l'Eglise  de  mettre  entre  les 
mains  des  fidèles  sa  version  du  Psautier  *.  Il  a  jugé  qu'il  y 
avait  moins  d'inconvénient  à  laisser  dans  une  traduction  en 
usage  depuis  mille  ans  quelques  imperfections  sans  consé- 
quence, qu'à  tenter  de  la  remplacer  par  une  autre  version  dif- 
férente de  celle  qu'avaient  suivie  les  premiers  fidèles  et  les 

sensum  videbantur  rautaro  corrcctis,  reliqua  manere  pateremur  ut  fue- 
rant.  S.  Hieron.,  In  Ev.  Prœf.  Hoc  enira  quod  septuaginta  transtulerunt, 
propter  vetustatem  in  ecclcsiis  decantanduno  est;  et  illud  (quod  in  fonte 
ïegitur)  ab  cruditis  sciendum,  propter  notitiam  scripturarum.  Epist. 
cvi,  46. 

1  Pri-nis  fidci  temporibus  apparuit.  S.  Aug.,  De  Doct.  christ.^  11.  Nas- 
centis  Ecclesiae  fidem  roboravit,  S.  Hieron.,  Cont.  Rufin.j  ii.  —  2  n  Cor., 
X,  15:  ni  Joan.,  4,  etc.  Cf.  Act.,  xix,  26.  Maluit  pius  interpres  minus 
latine  aliquid  dicere  quam  minus  proprie.  S.  Aug.,  Jn  Ps,  l.  Infra^  n.  330. 
—  3  S.  Hier.,  Prœf,  in  Evang,;  de  Vir,  illust.y  132;  Epist,  xxii,  1; 
Lxxi,  5,  —  *  Sess.  4, 


N<>  34J  ÉTUDE  DU   NOUVEAU  TESTAMENT.  93 

auteurs  ecclésiastiques  K  La  pratique  est  la  môme  pour 
Tére  chronologique  ^ 

2*  Du  reste,  les  critiques  instruits  et  Impartiaux  sont  loin  de 
faire  peu  d'estime  du  travail  de  S.  Jérôme  ou  de  penser  qu'il 
doive  toute  sa  valeur  à  son  antiquité.  Les  protestants  les  plus 
savants  rendent  hommage  à  son  mérite,  comme  ont  fait  les 
Juifs,  ses  contemporains  (346-420)  *.  On  reconnaît  qu'il  se- 
rait difficile  de  prendre  aujourd'hui  pour  base  un  texte  plus 
sûr  que  celui  de  ce  Docteur  *.  Il  ne  Tétait  pas  moins  alors 
de  trouver  un  traducteur  plus  instruit  et  plus  soigneux  '. 
Rien  d'étonnant  que  le  concile  de  Trente  ait  préféré  cette 
version  à  toutes  les  autres,  qu'il  y  ait  reconnu  le  fond 
ou  la  substance  du  texte  sacré  par  rapport  à  la  foi,  et  qu'il 
Tait,  dans  ce  sens,  déclarée  authentique  •. 

*  Sicut  nonnuUa  consulto  mutata,  ita  ctiam  alia  qaœ  mutanda  vide- 
banlur  consulto  immutata  relicta  sunt,  quod  ita  faciendum  esse  ad  offen- 
sîpnem  populomm  vitandam,  S.  Hieronymus  non  seniel  admonuit.  Praf. 
€id  édition.  Clément.  VIU.  Cf.  S.  Hieron.,  Epist.  cvi.  —  *  Cf.  înfra^  n.  47. 
—  3  Cf.  A.  T.,  n.  132-137;  S.  Aug.,  De  Civ.  Dei.,  xvui,  43.  —  *  S.  Jérôme 
ne  manqua  pas  de  se  procurer  les  meilleurs  maauscrits,  soit  de  Tlta* 
lique,  soit  du  texte  grec;  non  tant  pulchros  quant  emendatos.  S.  Hier., 
In  Job.^  Prol.;  In  Evang.,  Prœf.;  Jn  Matth.^  xxiv  ;  Epist.  xxiv.  Il  pouvait 
aisément  en  avoir  de  plus  anciens,  de  plus  corrects  et  de  plus  nombreux 
qac  ceux  que  nous  possédons.  Nous  sommes  réduits  à  deux  manuscrits 
grecs  du  iv«  siècle,  deux  du  v«,  et  un  du  sixième  ;  et  rien  ne  nous  au- 
torise  à  leur  attribuer  une  grande  exactitude.  Dans  le  manuscrit  du 
Vatican,  parfaitement  peint  d'ailleurs,  on  a  relevé  un  nombre  étonnant 
de  fautes  de  transcription.  Dans  les  Evangiles  seulement,  dit  un  critique 
anglais,  il  omet  au  moins  2877  mots;  il  en  ajoute  536,  en  change  935, 
en  transpose  2098,  en  modifie  1132.  Total,  7578  fautes.  Pour  ((,  les 
chiffres  correspondants  sont  3455,  829,  1114,  2299,  1265.  Total,  8962.  — 
•  Qaani  Deus  Ëcclesiae  in  exponendis  Scripturis  doctorem  maximum 
providcre  dignatus  est.  Eccles.  orat.  Philosophus,  rhetor,  grammaticus, 
hebraicus,  grscus,  latinus,  trilinguis.  S.  Hier.,  Adv.  Rufin.,  m;  A.  7., 
n.  131-137.  —  <  ÂvOsvTiQç,  qui  a  autorité,  qui  fait  foi  :  ex  omnibus  latinis 
editianibtts  qu»  circumferuntur.  5^?**.  iv.  Cf.  S.  Greg.,  In  Job,,  W,G^. 
En  France  y  la  traduction  en  langue  vulgaire  la  plus  répandue  est  peut-être 
encore  celle  de  Sacy  (1682).  Malgré  les  préventions  soulevées  par  le  nom  de 
l'auteur,  dont  Tesprit  janséniste  est  assez  connu,  elle  ne  fut  jamais  con- 
damnée, comme  Ta  été  le  Nouveau  Testament  de  Mons  (1665).  Une  édition 
accompagnée  de  notes  a  même  été  approuvée  en  1701  par  De  Noaillcs, 
archevêque  de  Paris;  et  le  P.  de  Carrières  Ta  suivie  dans  sa  Paraphrase 
(1701-1716)  aussi  bien  que  Don  Calmet  dans  son  Commentaire  (1707-16). 


04  INTRODUCTION   AU   NOUVEAU   'fESTAMENT.  [n®  3S 

3°  La  difficulté  était  de  rétablir  le  texte  de  S.  Jérôme 
dans  toute  sa  pureté,  après  toutes  les  attei^ites  qu'il  avait  su- 
bies depuis  mille  ans  dans  les  manuscrits-.  On  y  travailla  à 
Rome  à  plusieurs  reprises  pendant  quarante  ans,  dé  Paul  iïî 
à  Clément  VII  (1550-1605).  Le  texte  que  nous  avons  au- 
jourd'hui est  lefruit'de  tous  ces  travaux;  mais  on  n'a  jamais 
prétendu  qu'il  soit  irréformable  *.  ... 

*  35.  —  D'où  viennent  les  analogies.de  style  qu'on  remarque  entre  l'An-» 

cien  Testament  et  le  Nouveau,  soit  dans  le  texte  grec  soit  dans  la 

•  Vulgate?  ',     "       .. 

1°  Pour  les  textes  originaux,  il  faut  remarquer  que  tous 
les  livres  ir\spi.r$s,  ceux  du.  Nouveau-Testament  comine  ceux 
de  l'Ancien,  ont  ppur  auteurs  des  Juife  habitués  dès  l'eiifance 
à  parler  hébreu.  Un  seul  écrivain,  S.  Luc,  fait  exception  : 
encore  était-il  né  en  Syrie  ^  et  s'était-il  familiarisé  depuis 
longtemps ,  comme  prosélyte  ',  avec,  la  littérature  juive.  Il 
est  vrai  que  le  Nouveau  Testament  tout  entier,  sauf  un  évan- 
gile, a  été  écrit  en  grec;  mais  il  a  été  conçu  en  hébreu  aussi 
bien  que  l'Ancien,  et  il  n'a  guère  de  grec  que  les  mots.  La 
syntaxe,  les  tournures,  les  images,  etc.,  sont  hébraïques.  Il 
doit  donc  avoir  avec  les  Septante  la  plus  grande  analogie. 

a**  Quant  à  la  Vulgate,  on  sait,  d'une  part,  que  saint  Jé- 
rôme, tout  en  faisant  une  nouvelle  traduction  des  îlivres  hé- 
breux de  l'Ancien  Testament,  s'est  écarté  le  moins  qu'il  a 
pu  de  la  version  Italique,  calquée  sur  le  grec  des  Septante 
et  reçue  partout  avant  lui  ;  et, . d'autre  .pprt,  il  est  constant 
que  pour  le  Nouveau  Testament,  il  n'a  fait  autre  ehose  que 
revoir  et  modifier  légèrement  cette  même  version  \  Ce  doit 
donc  être  encore  partout  la  même  gramnaaire  et  le  même 


*  Sdas  velim,  dit  BoUèrmin,  Biblia  Vulgata  non  esse  a  nobîs  accura- 
tissime  castigata.  Multa  enim  de  industria,  justis  de  causis,  protennisi- 
mus,quœcorrectioneindigere'videbantui^.  Vercollone,  Varùe  lectiones^  II. 
t— .2  Lucas  nationè  Syrus,  Antiochensis.'Eurri  dicunt  magis  graecas  litteras 
servisse  quam  hebraicas.  S.  Hier.,  In  Isai.y  lxv;  Euseb.,  H.,  III,  iv.  — ^ 
»  Cf.  Col.,  IV,  10,  il  et  11  et  12;  S.  Hieron.,  Qiuest  in  Gen.,  xLvr,  — 
.*»  A..T,,  n.  1SJ9, 165.  S.  Hier.,  de  Script,  ecci:,  135;  Epist.  vxxi;  5. 


.V»  36]  .      ÉTUDE  BU  NOtlVEÀU-  TESTAMENT.  ÔS 

3*  Si  cette  uniformité  rfe^t  pas  nn  mérite  au  poiiit  dé  vue 
littéraire,  il  en  résulte  un  avantage  pour  l'étude  des  Livres 
saints.  C'est  qu'on  est  bientôt  habitué  à  leurs  irrégularités, 
que  la  lecture  du -Nouveau  Testament  prépare  à  celle  de 
l'Ancien,  et  qiie  celui  qui  a  bien  saisi  le  génie  d'un  auteur 
possède  à  peu  près  celui  des  autres. 

'  36.  —  Est  ce  seulement  par  ses  idiotismes  hébreux  et  grecç  que  le  latin 
do  la  Vulgate  diffère  de  celui  des  auteurs  classiques? 

Il  j  a  aussi. dans  la  Vulgate  un  certain  nombre  de  parti- 
cularités qui  tiennent  à  d'autres- causes. 

Dès  le  siècle  d'Auguste,  il  y  avait  une  grande  différence 
entre  le  latin  des  hommes  lettrés,  des  auteurs,  et  le  latin 
rulgair.e\  rùstictis i^celni  que  parlaient  les  hommes  du  com- 
mun, soit  à  Rome,  soit  surtout  dans  les  provinces.  L'Italie 
avait  son  patois,  comme  la  France  a  le  sien  ;  ou  plutôt  on  en 
distinguait  un  grand  nombre  qui  s'éloignaient  plus  ou  moiîis 
dli  langage  poli.  Les  gens  du  peuple  s'épargnaient  les  in- 
versions; ils  ne  s'astreignaient  guère  à  la  distinction  des 
conjugaisons  dans  les  verbes  et  des  déclinaisons  dans  les 
noms.  Au  lieu  de  jsous-entendre  les  prépositions,  on  s'habi- 
tuait à  les  exprimer.  On  les  employait  les  unes  pour,  les 
autres,  ou  on  leur  faisait  régir  des  cas  inusités.  On  disait  : 
inebriari  a  vino^  misereri  ou  gaudere  super,  lœtari  in,  cœtera 
de  hoc  génère.  Les  verbes  déponents  étaient  souvent  ein- 
ployés  au  passif  ou  conjugués  sous  la  forme  active.  Habere 
servait  d'auxiliaire,  comme  avoir  en  français.  Lorsqu'un 
verbe  était  régi  par  un  autre  vert)e,  au  lieu  de  le  mettre  à 
l'infinitif,  on  le  joignait  au  preiïiier  par  quod^  quia,  quoniam^ 
comme  dans  la  langue  grecque;  pu  bien,  on  supprimait  la 
conjonction  et  l'on  employait  l'infinitif  :  facite  discumbere; 
ou  euntes  emere,  comprehendere.  Le  mélange  des  popula- 
tions, qui  alla  toujours  croissant  dansles.  armées  et  dans 
les  villes,  ne  tarda  pas  à  produire  le  n^élange  des  idiomes 
et  altéra  de  plus  en  plus  la  langue  primitive.  Enfin  les  va- 

*  s.  Aug.,  de  Vit,  beat.,  20;  S.  Hieron.,  Epùt,  lxiv,  11. 


96        INTRODUCTION  AU  NOUVEAU  TESTAMENT.     [n<*  37 

riantes  de  vocabulaire  et  de  syntaxe  se  multiplièrent  telle- 
ment, qu'au  sixième  siècle,  S.  Isidore  disait  qu'en  s'incor- 
porant  à  l'empire,  chaque  nation  avait  contribué  à  vicier 
son  langage  et  ses  mœurs  *.  Les  versions  latines,  faites  pour 
le  peuple  et  par  des  écrivains  peu  versés  dans  la  haute 
littérature,  n'ont  pu  se  préserver  de  ces  altérations  ^  ;  et 
S.  Jérôme,  en  revisant  l'Italique,  n'a  pas  pris  sur  lui  de  les 
faire  entièrement  disparaître  ^  Il  ne  faut  donc  pas  s'étonner 
d'y  trouver,  avec  la  plupart  des  hébraïsmes  du  texte  grec, 
une  foule  de  termes  étrangers  au  latin  et  empruntés  au  lan- 
gage populaire  de  l'époque. 

Au  moyen  de  la  Vulgate,  ces  irrégularités  ont  passé  dans 
les  discours  des  prédicateurs,  et  un  grand  nombre  se  sont 
naturalisées  dans  les  langues  des  peuples  chrétiens  *, 

*  37.  —  Quels  sont  les  endroits  du  Nouveau  Testament  dans  lesquels 

la  Vulgate  s'écarte  du  texte  grec? 

Pour  l'Ancien  Testament,  on  a  une  édition  officielle  de  la 
version  grecque  des  Septante  :  c'est  celle  que  Sixte  V  a  don- 
née en  1587,  en  défendant  d'y  faire  aucun  changement; 
mais  pour  le  Nouveau,  il  n'existe  pas  de  texte  grec  authen- 
tique, ni  reconnu  officiellement,  ni  universellement  admis. 
Chaque  édition,  comme  chaque  manuscrit,  diffère  des  autres 

1  Du  Gange,  Glossarium,  Praef.  —  ^  A.  T.,  n.  127.  Cf.  S.  Greg.  m.,  In 
Job.,  Praef.  5.  S.  Aug.,  De  doct.  christ. ^  12,  13,  14.  —  ^  Praef.  in  Evang., 
ad  Damas.;  Supra,  n.  19.  —  *  ^4.  T.,  n.  144,  145.  Un  docteur  allemand 
fuit  remarquer  combien  de  locutions  sont  passées  de  la  Bible  dans  la 
langue  do  son  pays.  Nous  n'en  avons  pas  puisé  un  moins  grand  nombre 
à  cette  source  ;  par  exemple  :  prudent  comme  le  serpent^  le  denier  de  la 
veuve,  venir  au  monde^  avoir  des  talents,  faire  miséricorde,  abonder  en 
t>on  sens,  être  un  bon  pasteur,  faire  un  discours,  dire  en  soi-même, 
semer  la  zizanie,  porter  sa  crvix,  .bâtir  sur  le  sable,  être  sur  le  chan- 
délier  ou  sous  le  boisseau,  servir  deux  maîtres,  jeter  la  première  pierre^ 
suivre  la  voie  large,  s'en  laver  les  mains,  aller  de  Caïphe  à  Pilate, 
donner  un  baiser  de  Judas,  regarder  de  mauvais  œil,  trouver  son  che- 
min de  Damas,  n^avoir  qu'un  cœur  et  qu'une  âme,  ils  se  nomment  légion, 
ses  entrailles  s'émurent ,  son  heure  est  venue ,  les  écailles  lui  tombèrent 
des  yeux,  etc.  Il  en  est  de  même  des  tours  de  phrase  et  des  idiotismes 
de  la  Vulgate  :  Date  illis  manducare;  dicebanl  quia;  in  audiendo; 
habeo  baplizare  ;  faciam  fieri:  facile  discumbere;  impleri  de  siliquis,  etc. 


MO  37]  ÉTUDB  DU   NOUVEAU  TESTAMENT.  97 

et  peut  être  récusée  sur  quelque  point.  On  doit  convenir  ce- 
pendant que  les  travaux  faits  par  les  critiques  dans  ces  der- 
niers temps  ont  mis  en  lumière,  en  plusieurs  endroits,  les 
véritables  leçons  et  donné  aux  éditions  i-écentes  beaucoup 
(l'autorité.  La  Vulgate,  qui  n'est  au  fond,  pour  le  Nouveau 
Testament,  que  l'ancienne  Italique,  traduite  sur  des  manus- 
crits du  premier  siècle,  peut  parfois  s'écarter  justement  de 
ces  éditions  ;  mais,  parfois  aussi,  les  règles  de  la  critique 
obligent  à  leur  donner  la  préférence. 

D'où  viennent  donc^  les  différences  de  signification  qu'on 
signale  entre  le  grée  et  le  latin  pour  un  certain  nombre  de 
versets?  De.  diverses  causes  :  —  quelquefois  de  la  différence 
[  des  manuscrits  :  celui  qu'avait  le  traducteur  pouvait  différer 
de  ceux  qu'on  préfère  aujourd'hui  ;  —  quelquefois  d'une 
ôute  de  fcopiste  qui  se  sera  introduite  dans  le  texte  grec  ou 
dans  la  version  ; —  <I'autres  fois  de  l'imperfection  de  la 
langue  latine,  qui  n'a  pas  d'expression  ou  de  tournure  tout 
à  fait  équivalente  à  l'expression  ou  à  la  tournure  de  Torigi- 
nal;  — d'autres  fois  enfin,  de  l'inhabileté  ou  de  l'inattention 

du  trâducteut-. 

. .    ,    .   •     ,  -  -  •     •  • 

Ces  différences  sont  généralement  de  peu  d'importance  ; 
Béanmoind  îl  ferait  "utile  de  siavoir  d'avance  les  versets  où 
elles  se  rencontrent,  afin  dé  confrontei*  en  ces  endroits  la 
yer^ipn  latine  avec  le  texte  grec  ou  ses  diverses  leçons,  et 
d'étttdierle  passage  avec  un  soin  particulier  *. 

^  Les  plus  iinpQPtftntes  sont  Rom.,  vni,  25;  Act.,  xx,  28;  I  Cor.,  xv, 
5i;.I  Tim.,  ui,  16;  et  les  passages  deutérocanoniques.  Supra,  n.  6.  Nous 
poavODS  iodiqucir  en  outre  :  Matth^,  i,  M  ;  ii,  i;  v,  22,  32,  44;  vi,  1,  5, 
6, 13, 18,25$  vil,. 24?  viii,  13,  28,  30;  ix,  35,  36;  x,  3;  xi;  16;  xi\r,  21; 
xy,  31^. XVI,. 2-4,  13;  xvii,  2,  21.;  xvih,  35;  xix,  9;  xx,  7,  15,  16,  28; 
m,  29S31,  44;  xxhi,  10,13,  14;  xxiv,  ô,-»  xxv,  13;  xxvi,  34.  61;  xxvii, 
9^%,;»,.49.j  xxvïii,  î,  2..^.Ma«i.,^ii,.17î  m,  21,  29;  v,  23;  vi,  5,  20, 
43;vn,.31,.32;Tio,J25,26;.ix,:44,  49;  x,  27,  30,  35-,  44;  ii,  3,26;  xii, 
*0;  rni,  U;  xiv,  3,  4»  58,  70;.  xv,  3,  12,  27,  28,  39;  xvi,  8,  9,  20,  etc-  — 
Uci,  1/4,  28t;  .Ii,.i4,.  30,  43;  uù  22,^  23  ;  ïv,  2,  4,  18,  41,  44  ;  v,  34  ;  vi,  4, 
19,  43.;-viu,  26;.iX,  25,' 54-56 ;.x,  1,  15;  xi^  2,  3,  13,  53,  54;  xiv,  5; 
XT,30;jLVi,.26;.  x^n,,  19-21,  43,:  4;  kxm;  34,  38,  54;  xxiv,  3,  6,  12,  13, 
36,  40,  51,  52.  —  Jean.,  i,  3.  9,  48,  21,  28;  lir,  5,  7,  13;  iv,  1,10;  v,  2, 
.3.  4»  .7,.  16,  ,4G;  vi,  17,  7Q  ;  vu,  3, 39;  yiii,  1-il,  25,  27,  88,  39,  45,  59  ; 
a,  9,  24,  27;  X.  8,  10,  29;  xii,  15,  32,*  ^lu,  18,  25?  xiv,  7^  10,  11,  26; 

6 


98  INTRODUCTION  AU   NOUVEAU   TESTAMENT.  [n®  38 

*  38.  —  Quels  sont  les  principaux  idiotisines  de  la  Vulgate  dans 

le  Nouveau  Testament  *. 

Ils  peuvent  se  ranger  en  six  classes.  Nous  indiquerons  ici 
les  plus  remarquables,  en  laissant  de  côté  ceux  qui  sont 
propres  aux  Epîtres  de  S.  Paul.  La  plupart  sont  des  hé- 
braïsmes;  quelques-uns  cependant  viennent  du  grec. 

1»  Idiotismes  relatifs  aux  noms. 

On  trouve  en  beaucoup  d'endroits  : 

1°  Des  noms  pris  en  un  sens  détourné,  propre  à  l'hébreu 
et  à  la  langue  ecclésiastique.  Ainsi  quelquefois,  malgré  les 
corrections  faites  par  saint  Jérôme  : 

Acquisitio  signifie  gain,  Act.,  xix,  25; 

anima^  vie,  Matth.,  vi,  25;  x,  39;  xx,  28;  Luc,  xii,  20;  Marc,  in,  4; 

Joan.,  X,  11;  Act.,  xv,  26;  xx,  24;  —  ou  personne,  Matth.,  xii,  18; 

Luc,  VI,  9;  Act.,  II,  41,  43;  vu,  14; 
arida,  la  terre,  Matth.,  xxiii,  15; 
éemalatiay  indignation,  Heb.,  x,  27; 
aùditus,  prédication,  Joan.,  xii,  38; 

brachium^  puissance,  Luc,  i,  51  ;  Joàn.,  xii,  38;  Act.,  xiii,  17; 
calumnia^  mauvais  traitement,  Luc,  m,  14; 

XVI,  2;  XIX,  14, 38;  xx,  5;  xxi,  16, 18,  22, 25.  —  Act.,  i,  4;  ii,  30,  42,  43 
VI,  10;  VII,  44;  viii,  36,  37,  39;  ix,  5,  6;  x,  25.  30,  32,  33;  xi,  2;  xii,  8 
XIV,  6,  19;  XV,  2;  34;  xvi,  1,  31,  38;  xvii,  15,  23;  xviii,  5,  27;  xix,  i 
19,35;  XX,  18,  28;  xxi,25;  xxii,  3.9,  25,  26;  xxiii,  9,  24,  25,  30;  xxiv 
6,  14,  23;  XXV,  7,  16,  24;  xxvii,  33;  xxvm,  6,  16.  —  Rom.,  i,  4,  20 
11,  3;  IV,  12;  v,  16;  vu,  4,  6,  15,  25;  viii.  7,  9,  23;  xi,8;  xii,  1;  xv,  16 

XVI,  5,  23,  25-27.  —  I  Cor.,  i,  13;  ii,  13;  m,  5;  vi,  4,  7,  20;  vii,  5.  33 
IX,  21,  23;  X,  28;  xi,  19;  xui,  5;  xiv,  18;  xv,  5,  31,  34,  38,  47,  51,  53 
55;  XVI,  2.  —  II  Cor.,  i,  8;  m,  13,  18;  v,  10;  vu,  8,  10,  12,  13  ;  ix,  10 

XI,  25;  XII,  7,  9.  —  Gai.,  ii,  2,  5;  m,  1, 17,  24,  27;  iv,  13,  17,  25;  v,  19. 

—  Eph.,  I,  22;  11,  10;  m,  9;  iv,  9,  13,  28.  -  Phil.,  ii,  30;  iv,  7,  13.  — 
Col.,  I,  1,  7,  10;  II,  2,  18.  —  I  Tliess.,  ii,  7;  v,  24.  —  II  Thess.,  m,  5. 

—  I  Tim.,  i,  1, 17;  m,  3,  16;  iv,  12j  vi,  5, 20.  —  II  Tim.,  ii,  3,  4, 10,  14, 
23.  —  Tit.,  II,  13.  —  Heb.,  iv,  2;  v,  11;  ix,  1,  9,  28;  xi.  11,  24,  34,  36; 

XII,  18,  20;  XIII,  16  —  Jac,  i,  4,  13;  u,  17,  18;  v,  15,  20.  —  I.  Pet.,  i, 
6,  12,  22;  II,  23;  m,  13.15.  19;iv,  12.  14.  —  II  Pet.,  i,  1, 10,  16;  ii,  10. 

—  I  Joan.,  I,  4  ;  m,  4;  v,  7,  9,  13,  17.  —  II  Joan..  7.  —  III  Joan.,  4,  9. 

—  Jud.,  V,  22.  —  Apoc,  I,  7;  v,  10,  12,  14;  vi,  7,  8,  11;  viii,  7,  13; 

XVII,  17;  XVIII,  18;  xxi,  13;  xxii,  f,  14. 

1  Habet  Scriptura  linguam  suam;  quicumque  hanc  lingaam  nescit, 
turbatur.  S.  Aug.,  In  Joan.,  x,  2. 


N^'SS]  ÉTUDE  DU   NOUVEAU  TESTAMENT.  99 

eapiUaturay  chevelure,  I  Pet..,  m,  3; 

caro,  la  nature  humaine,  Matth.,  xxiv,  22;  xvi,  17;  Luc,  m,  6;  Joan., 

vl4;  XVII,  2;  —  ou  le  corps,  Jud.,  8; 
colentes,  prosélytes,  Act.,  xiii,  43; 

concupiscentia,  penchant  vicieux,  Marc,  iv,  19;  I  Joan.,  ii,  16; 
cornu,  force,  instrument  puissant,  Luc,  i,  69; 
craSf  craslinum^  avenir,  Matth.,  vi,  30,  34; 
custodia^  prisonnier,  Act.,  xxvii,  1  ; 
eœlum.  Dieu,  Luc,  xv,  18; 
dieseihora,  temps,  Matth.,  xviii,  1;  Marc,  iv,  35;  Joan.,  ii,  23;  iv, 

21;  V,  25,  28;  vu,  30;  viii,  56;  xii,  23;  xiv,  20;  xvi,  23; 
domihationes,  princes,  II  Pet.,  ii,  10;  Jud.,  8; 
domuSj  famille,  Luc,  i,  32,  69;  demeure,  Luc,  xiii,  35; 
cxcessuSy  mort,  Luc,  ix,  31  ; 
fideSy  évangile,  Act.,  vi,  7; 

filins,  descendant,  Matth.,  i,  1;  v,  45,  48;  xv,  22;  Luc,  v,  34;  —  par- 
tisan, sectateur,  adhérent,  disciple,  ami,  etc.,  Matth.,  viii,  12;  Marc, 

n,  19;  Luc,  v,  34;  Joan.,  xvii,  12;  Apec,  ir,  23; 
forlis  armatuSy  homme  de  guerre,  Luc,  xi,  21  ; 
frater,  parent,  même  éloigné,  Matth.,  xii,  46;  Joan.,  vu,  5;  Act..  i, 

14;— chrétien,  Joan.,  xxi,23;  Act.,  xiv,  2;  xvii,  6;  Jac,  i,  9;  ii,  15; 
fraiêrnitas,  réunion  de  frères,  chrétienté,  I  Petr.,  ii,  17;  v,  9; 
generatiOt  vie,  conduite,  Luc,  xvi,  8;  —  temps,  époque,  Luc,  i,  48; 

Act.,  xin,  36,' 
génies,  les  Gentils,  les  infidèles,  Matth.,  vi,  32; 
gratta,  faveur  divine,  Luc,  i,  28,  30; 
m/î?pnM*,  mort,  sépulcre,  Act.,  ii.  24; 

interrogation  examen,  Act.,  xxv,  26;  xxviii,  18;  I  Petr.,  m,  21; 
tVfl,  peine,  Luc,  xxi,  23;  Joan.,  m,  36; 
lier  sabbatif  Act.,  i,  12; 
judiciuniy  condamnation,  punition,  Matth.,  xxiii,  14,  33;  Marc,  xn, 

40;  Joan.,  v,  24,  29;  Jae.,  m,  10; 
justitia,  piété,  bonne  œuvre  quelconque,  Matth.,  v,  6;  Luc,  i,  75; 
liber  gêner ationis,  généalogie,  Matth.,  i,  1  ; 
lignum,  arbre,  Luc,  xxiii,  31  ;  Act.,  v,  30  ;  x,  39; 
lingua,  nation,  Apec,  v,  19; 
manus,  pouvoir,  Joan.,  m,  35;  Act.,  iv,  28; 
nultiloquium^  Matth.,  vi,  7; 
mors,  mortalité,  peste,  Apec,  vi,  8; 
mendacium,  idolâtrie,  iniquité,  Apoc,  xxii,  15; 
nativitas,  conception,  Matth.,  i,  20;  xxvi,  24  ; 
nowen,  autorité,  vertu,  Matth.,  vu,  22;  Act.,  m,  6,  16;  iv,  7,  10;  — 

la  chose  ou  la  personne  nommée,  Matth.,  vi,  9;  x,  22;  Joan.,  i,  12; 

y,  13;  Apoc,  m,  4,  5; 
obligatio,  lien,  Act,,  viii,  23; 
opinio,  bruit,  rumeur,  Matth.,  iv,  24; 
os  gladii,  tranchant  du  glaive,  Luc,  xxi,  24  ; 
panis,  aliment,  Matth.,  vi,  U;  xv,  2;  Joan.,  xin,  18; 


100  INTRODUCTION  AU   NOUVEAU   TESTAMENT.  [N*^38 

paschOf  victime  pascale,  Matth-,  xxvi,  iT;  Marc  ,  xiv;  12  j  Luc,  xxii, 
7;  Joan.,  xvuiv-28;  •> 

'  pax,  toutes  sortes  de  biens,  Luc,  x,  5;  Eph.,  vi,  15; 

porta^  puissance,  Mattli.,  xvi,  18;  ^ 

propheiia^  prédication,-  manifestation  des  desseins  et  des  secrets  de 
Dieu,  Matth.,  vu,  22;  Act.,  xv,  32;  xix,  C;  Joan.,  xi,  51  ;.      . 

puer^  serviteur  ou  fils,  Matth.,  viii,  G;  xii,  lé;  xiv,  2;  Luc,  i,  54;  3pi, 

-7;  Act.,  IV,  25,  27;     ■ 

purification  baptême,  Joan.,  m,  25;  •  .  > 

re^«é?2'/z<zo,  résurrection,  Matth.,  XIX,  28; 

repromissio^  promesse,  Jac,  i,  12;  I  Joan.,  h,  25; 

sabbatuirif  semaine,  Luc,  xvm,  12;  xxiv,  1  ;  Mt.,  xvi,  13;xx,  7;  ^ 

sacramentum,  secret,  Apoc,  xvii,  7;  •. 

sanctuSj  chrétien,  Act.,  ix,  41  ;  \ 

semen,  postérité,  Matth.,  xxii,  24,  25;     ; 

«p-m^m-,  miracle,  Luc,  II,  29;  , 

.5o;'0r,  chrétienne,  Jac,  II,  15; 

5<a5M/Mm,  auberge,  Luc,  X,  34; 

^MÔ^/anria,  richesses,  Luc,  XV,  12; 

.  2ina  sabbcLtorunir  le  premier  jour  de  la  semaine,  le  lendemain  du  sab- 
bat, Marc,  XVI,  2;  Luc,  xxiy,  1  ; 

vaSy  corps,  instrument,  objet  quelconque;  Marc,  m,  27;  Act.,  ix,  15; 

venierf  intérieur,  Joan.,  vu,  3i8; 

verburriy  évangile,  Joan.,  v,  24,  38;  Act.,  iv,  4;  xi,  19;  —•  la  chose  nom- 
mée, ou  un  objet  quelconque,  Matth.,  rv,  4;  xvm,  16;  xix,,  14; 

via,  religion,  Matth'.,  xxii,  16;  Act.,ix,  2;  xix,  9;  Jac,  i,8;. 

virtus,  prodige,  Matth.,  vu,  22;  xi,  21;  Marc,  ix,  38;  Luc,  xix,  37; 

uiice?"»,  cœur,  1,-8; 

zeluSj  indignation,  Act.,  xiii,  45*  •  ,     \ 

2"  Les- noms  abstraits  à  la  place  des  noms  concrets,  qui 
manquent  souvent  en  hébreu  : 

circumcisiopôvir  circumcisit  Act.,  XI ^  2; 

Zwa;  pour  i7/Mmmator;  Joan.,  yiii,  12;  •. 

propitialio  pour  propitiaior^  I  Joan.,  ii,  2;  iv,  10;     . 

carOj  caro  et  sanguis,  Matth.,  xvi,  17;  xxiv,  2î:  Luc  ,  ni,G^ 

coinquinaiiones  et  maculse^  W  PatT. y  II,  ïi\  : 

nomen,  Matth.,  x.  22;  xii,  21  ;  Joan.»  i,  11;  xii,  23; 

tenebrsBjhViC..,  xxii,  53';  Joan.,  i,  5; 

voXy  Joan.,  i,  23;  Act.,  ix,  4,  7;  xxyi,  14,  etc.  ■       .       . 

3°  Les* substantifs. â  la  place  des  adjectifs,  .soit  que  ceux- 
ci  fassent  défaut,  soit  qu'on  veuille  rendre  l'idée  avec  pjus 
de  force  : 

abominatio  pour  abomihabiliSy  Luc,  xvi,  15;  ^     ^ 

dominaiio  \ionv  daminantes,  iuà^jS; 


N°  38]  ÉTUDE  DU   NOUVEAU  TESTAMENT.  101 

mendadum  pour  fàlsum,  Apoc»,  xxi,  27; 

Veritas  pour  verurrif  Joan.,  m,  21  ;  xvii,  17;  xiv,  6,  etc. 

4*  Des  substantifs  avec  un  génitif  dans  le  sens  de  l'adjectif, 
comme  : 

aàominatio  desolationis  pour  abominanda  desolatio,  Matth  ,  zxn,  15; 

altitudo  terrsgy  Matth.,  xiii,  5; 

cornu  saluiiSj  Luc,  i,  69.  Cf.  Apoc,  xvn,  12,  13; 

dextera  virtutis  Dei,  Mattb.,  xxvi,  64;  Luc,  xxii,  69; 

fallacia  divitiarum,  Matth.,  xiii,  22; 

mammona  iniquitatis^  Luc,  xvi,  9; 

oàedientia  caritatis,  I  Pet.,  i,  22; 

pater  luminum,  spirituum^  Isa.,  i,  17;  Heb.,  xn,  6; 

plaga  mortis^  Apoc,  xiii,  3; 

pleniludo  panni^  Matth.,  ix,  16  ; 

spirUus  veritalis^  Joan.,  xiv,  17; 

umbra  mortis^  Matth.,  iv,  16;  Luc,  i,  19.  Cf.  Apoc,  xiii,  3; 

vas  electionis,  Act.,  ix,  15.  Cf.  II  Tim.,  ii,  20,  21; 

verbagratiXf  Luc..,  lY,  22; 

vUlicus  iniquitatis^  Luc,  xvi,  8.  Cf.  II  Thess.,  ii,  3. 

5*  Des.  mots  qu'on  redouble  pour  leur  donner  plus  de 
force  : 

Amen,  amen!...  Eloi!  EloU...  Marlka,  Martha!...  Saule j  Saule!...  Si' 
mon,  Simon!...  Jérusalem,  Jérusalem!.., 

6"  Des  noms  sous-entendus  : 

Jacobus  Alphâsi,  Zebedœi,  Matth.,  x,  3;  Marc,  i,  19; 

omnis  igné  salietur,  Marc,  ix,  18; 

Simon  Joannis,  Joan.,  xxi,  15; 

vapulabit  muliis,  paucis,  Luc,  xii,  47,  48. 

7*  Des  cas  employés  pour  d'autres,  parce  que  les  Hé- 
breux, n'en  ayant  pas,  en  connaissaient  peu  la  valeur,  comme 
pusillus  grex,  pour  grex  pmille, 

Matth.,  XII,  36;  xvii,  12;  xx,25;  xxv,  42;  Marc,  vi,  16;  xii,  31  ;  Luc, 
I,  55-73;  VI,  8;  Joan.,  vu,  1;  Act.,  v,  11,  16;  vu,  45;  vm,  11;  xii,  8; 
xxiii,  16;  xxv,  2;  1  Joan.,  iv,  16;  Apoc,  i,  5;  vi,  1;  vu,  9;  xi,  5, 

8*  Le  singulier  pour  le  pluriel,  ou  le  pluriel  pour  le  sin- 
gulier : 

Matth.,  VI,  17;  xxv,  41;  Luc,  iv,  3;  Joan.,  i,  29;  ii,  23;  viii,  21;  xix, 
11;  Act.,  XI,  9;  xvm,  15;  Apoc,  xviii,  17; 

6. 


iô2  INTRODUCTION  AU  NOUVEAU  TESTAMENT.  [n*'  38 

Matth.,  n,  20;  ix,  8,  38;  xii,  1;  xxn,  30;\xxiv,  1:  xxvi,  8;  xxvii,  44; 
Joan.,  I,  13;  iir,  11;  xv,  17;  xvnï,  25;  xix,  29;  Act.,.i,  20;  v,  16; 

XIII,  40;  XVII,  2;  xxv,  24;  xxvi,  10. 

»       .'■■•  .         '■•      •'-- 

2»  Idiotismes  qui  ont  rapport  aux  adjectifs, 

1<»  Lés  Hébreux  sont  très  pauvres  en  adjectifs  :  nous  avons 
vu  comme  ils  y  suppléent  pour  rordinâire..    ^ 

On  trouve  cependant  des  adjectifs  employés  comme  sub- 
stantifs : 

duplicia,  Apoc,  xviii,  6;  ;  in  nlbis^  Joao.,  xx,  12; 

woWm,  Matth.,  xi,  8;-  .    in  modicOy  Luc^xis,  17.. 

mortui,  Apoc,  xx,  13; 

On  en  voit  aussi  qui  sont  employés  dans  un  sens  inu- 
sité:     :''*'•  ' 

communiSt  pour  impur,  profane,  Act.,  xiy,  15;  . 
omnis^  pour  quelque,  ,2<^U9,  Matth.,.  v,-  10;.Marc.,  xiii,  20;  —  ou  pour 
complet,  Matth.^  m,  15; 
.  non  amnis,  pour  nemo^  nullus^  ApDC,  3iix,  23;  ' 
novus,  pour  extraordinaire,  Apoc,  xix,  23; 

nuduSy  sans  le  vêtement  ordinaire,  Matth.,  xxv,  36;  Act.,  x,9, 16; 
0<20*w«,  pour  vain,  Matth.,  XII,  86;  .  ; 

sûhjugale^  pour  habitué  au  jouf,  II  Pet.,  ii,  16;       . 
timorati^  pour  craignant  Dieu,  Luc,  ii,  25;  Act.,  viii,  2; 
unm^  pour  premier,  Marc,  xvi,-2. 

2**  Quant  aux  comparatifs  et  aux  superlatifs,  l'hébreu  en 
manque  totalement.  Pour  les  remplacer,  on  a  recours  à  di- 
verses tournures. 

e 

1»  Pour  melius  est  quam,  on  dit  :  bonum  est  quam^  Matth.,  xvm,  8; 
-     bonum  est  si^  Matth.,  xxvi,  24;  îta  erit  quam^  Luc,  xy,  7.  On  dit 
aussi  beatus  magis,  Act ,  xx,  35;  tanto  magis  pluSfM&rc,,  vu,  36;' 
supei%  Matth.,  x,  24;  ab\  Luc,  xviii,  14, 

2o  PovLTmaximuSy  on  dira  :  magnuSf  le  grand,  Matth.,  xxii,  36;  magnus 
valde,  Matth.,  ii,  10,  ou  eh  grec,  (jLetCcov,  major ^  Matth.,  xvm,  1  ; 
Luc,  xxii,  24;  —  pour  maxime^  multum^  Luc,  vu,  47;  xii,  47;  — 
pour  sasvissimiy  sxvi  nimis^  Matth.,  vm,  28;  Marc,  ix,  2;  —  pour 

.  benediciionibus  cumulatay  benedicta  inter  omnes,  Luc,  i,  42 ;  —  pour 
tam  multi^  tahti,  Joan.,  vi,  9;  —  pour  pulcherrimus,  pûlcker  Dèo, 
Act.,  VII,  20. 

3°  Pour  aimer  moins ^  on  dit  :  odisse,  Luc,  xiv,  26;  Joan.,  xii,  25;  — 
pour  je  désire  moins  :  nolo^  Matth.,  ix,  13;  — ^  pour  vous  perdrez 
moins: bonum  tibi  estj  Matth..  xviii,  9;  etc.  /n/r«,  n.  631,  note,    . 


N°  38]  ÉTUDE  DU  NOUVEAU  TESTAMENT.  103 

4»  On  se  sort  aussi  de  pléonasmes  et  de.  répétitions'  pour  renforcer 
le  sens  des  termes  et  remplacer  le  superlatif  :  Luc.,.jif  9;  xi,  42; 
XII,  24;  XXII,  15,  25;  Joan.,  i,.  20;  m, .29;  Act.,  iv,  17;  v,  4,  28; 
Gai.,  I,  5;  I  Pet ,  m,  14;  H  Pet.,  ii,  17;  Apoc,  xvii,  6,  14.* 

3«  Idioiismes  relatifs  aux  pronoms. 

1»  Ils  ne  s'accordent  pas  toujours  avec  les  noms,  —  ni 
pour  le  genre  ni  pour  le  nombre  : 

Matth.,  xiii,  8;  xx,  25;  Luc,  xxii,  25;  Joan.,  i,  41; 
Marc,  xn,  .42  ;  Joan.,  xvii,  2;  Act.,  xv,  35. 

2^  Ils  sont  quelquefois  répétés  sans  motif  : 

Matth.,  XXII,  9;  Luc,  m,  17;  Joan.,  i,  27.. 

3*  Les  noms  auxquels  ils  se  rapportent  peuvent  être  sous- 
entendus  : 

Joan.,  VIII,  44;  Act.,  m,  15. 

4"  Idiotismes  relatifs  aux  verbes. 

On  trouve  quelquefois  ;  . 

1**  Des  verbes  employés  dans  une  acception  inusitée  : 

Abnegare^  Luc,  xxii,  34;  faciem  firmare,  Luc,  ix,  51; 

agere,  Luc;,  xxiii,'15,*   •  fiangere panem,  Act.,  ii,  46; 

addere^  Luc,  xx,  11,  12;  gnstare  mortem^  Matth.,  viii,  39; 
ambulare^  Matth.,  iv;  18;  Joan.,     habere,  Luc.,  xii,  50; 

vn,  1  ;  vm,  12;  I  Joan.,  i,  6;       '  impleri,  Matth.,  i,  22; 
angariare,  Matth.,  xxvii,  3;         •   tngredi  et  egrediy  Joan.,  x,  9; 

apporterez  Act»,  xii,  3;  intrare  et  exire^  Act.,  i,  21  ; 

ascendere^  Act.,  xviii,  22 \  judicare,  Joan.,  m,  18;  vu,  51  ; 
attenderef  ' Matth»,  vii ,  15 ;  Luc;  .  magnificare^  Matth.,  xv,  31  ;  xxiii, 

xii,  1  ;  XX,  46;  xxi,  34;  .  .5;  Luc,  i, 46;  iv,  15;  Act.,  v,  13; 

audire^  Joan.,  vi,  45;  «lanica/'c,  Luc,  xxi,  38; 

bojulare,  Act.,  m,  2;  minarCf  Jac,  m,  4; 

capere,  Luc,  xiii,  33;      .  minorare^  Heb.,ii,  7; 

communicare,  Marc,  vii,  15;  odisse,  Joan.,  xii,  25; 

confiteri,  Matth.,  xi,  25;  parère^  Matth.,  xxiii,  27;  Jac,  iv, 

eonfundi,  I  Joan.,.ii,  28;  15;  I  Pet.,  iv,  18; 

coiiti,  Joan.,  iv,  9;  non  posse^  Marc,  ii,  19;  vi,  5; 

dicere^  Matth.,  xxvi,  25,  64;  putas,  Matth.,  xxiv,  45;  Marc,  iv, 

dicere  intra  se,  Matth.,  m,  9  ;  40;  Luc,  i,  66;  etc.; 

diffamare,  Matth.,  ix,  31;  recipere,  Matth.,  xi,  4  ; 

dividere,  Matth..  xxiv,  51;  respondere^  Matth.,  xi,  25;  xvii, 

esse,  Luc,  viii,  9;  Act.,  x,  17  ;  4;  xxii,  1;                               . 


104  INTRODUCTION  AU   NOUVEAU  TESTAMENT.  [n<»  38 

sanctificare^  Mattb.,  vi,  9;  traducere,  Maith.,  i,  19; 

silercj  Luc,  xxiii,  56;  vellCy  Matth.,  xv,   28;   xix,   17; 

^i^de»*e, Matth., XXVIII,  14;  IJoan.,  Luc,  x,  24;  xvi,  26; 

III,  19;  nidere^  Joan.,  m,  36;  II  Joan.,  8; 
subinferre,  II  Pet.,  i,  5  ;  visiiare,  Luc,  i,  68; 

superare^  II  Pet.,  i,  8;  vocari,  Matth.,  v,  9;  Luc,  i,  35; 

suscitarCf  Matth.,  m,  9;  vi,  24;    zelare^  Act.,  xvii,  5;  Jac,  iv,  2; 

XXVI,  38;  éemularij  Apoc,  m,  19; 

siisiinere,  Act.,  xx,  5;  œruginare^  Jac,  v,  3. 

2^  Des  verbes  répétés  pour  en  accroître  l'énergie  : 

Matth.,  XIII,  14;  Luc,  xxii,  15;  Joan.,  i,  20;  m,  29;  vu,  24;  Act.,  v, 
4,  28;  vil,  34. 

3°  Des  verbes  neutres  dans  le  sens  actif,  ou  bien  des  verbes 
actifs  ou  passifs  dans  des  sens  que  le  grec  ne  connaît  pas  : 

Matth.,  V,  45;  xxiii,  10;  Jac,  m,  2;  Apoç.,  xi,  5. 

¥  Diverses  locutions  pour  suppléer  au  verbe  réfléchi  : 

Exemple  :  perdere  animant  suam,  pour  perdere  seipstim,  vitam  suam, 
Matth.,  X,  39;  Joan.,  xii,  25;  Act.,  xv,  26;  xx,  24;  Apoc,  xii,  11. 

5*  Enfin  des  temps  substitués  à  d'autres  temps  : 

Le  pi'ésent  pour  le  passé  :Msiiih.f  xi,  II;  Marc,  xv,  25;  Luc,  i,  70; 

VI,  15;  Joan.,  i,  15;  I  Joan.,  iv,  17;  Apoc.  ix,  17;  xiii,  14. 
Le  passé  pour  le  présent  :  Matth.,  xi,  Î5;  xxiii,  2;  Marc,  i,  15;  vu, 

3;  Luc,  I,  47,  51;  Joan.,  i,  26;  x,  41  ;  xi,  27,  41,  42;  xv,  10, 15;  xvii, 

14;  XIX,  35;  XX,  17;  IJoan.,  i,  10;  Apoc,  i,  2;  XI,  9;  XIX,  6. 
Le  présent  pour  le  futur  :  Matth.^  xviii,  14;  xx,  22;  xxvi,  11,  18; 

Marc,  i,  27  ;  x,  38;  xiv,  7;  Luc,  vu,  42;  xi,  10;  xiii,  30;  xxiv,  48; 

Joan.,  m,  36;  v,  24,  28;  vi,  47;  vu,  27,  33;  viu,  14,  21;  x,  15,  28; 

XIV,  3,  19;  XIX,  12;  xx,  17,  23;  Act.,  m,  18;  II  Pet.,  m,  78;  IJoan., 

II,  18;  IV,  3;  II  Joan.,  1. 

Le  futur  pour  le  présent  :  Joan.,  viii,  12;  xi,  12.  Cf.  Heb.,  xi,  1. 

V impératif  pour  le  futur  :  Act.,  xiii,  41. 

Le  futur  pour  l'impératif:  Matth.,  xix,  18;  xxiii,  11  ;  xxvi,  52  ;  Marc, 

IX,  34;  X,  43  ;  Luc,  xix,  17;  I  Pet.,  i,  6. 
Le  passé  pour  le  futur  :  Marc,  xiii,  30;  Luc,  xii,  12;  xvii,  20;  Joan., 

IV,  38;  XIII,  30;  xvi,  22;  xvii,  18;  Jac,  v,  2;  Jud.,  xi,  14;  Apoc, 
XIV,  7;  XVII,  8. 

Le  parfait  pour  le  plus-que-parfait  :  Marc,  m,  16;  iv,  40;  Luc,  viii, 
25;  IX,  36;  x,  13;  xxiv,  56;  Joan.,  iv,  47,  51;  xviii,  24. 

L'indicatif  pf^ésent  ou  l'imparfait  pour  le  conditionnel  :  vis,  volebam 
pour  velleSj  vellem,  voluissem.  Act.,  xxv,  9,  22. 

V  infinitif  pour  le  supin  ;  Luc,  xiv,  19. 

L'impératif  pour  le  conditionnel  :  Luc,  x,  28. 


^'<».38J  ,       ÉTUBE  DU  NOUVEAU  TESTAMENT.  t05 

La  cause  de  ces  irrégularités  est  que,  .le$  verbes  ne  se  con- 
juguant pas  en  hébreu,  comme  dans  lé  grec,  les  Juifs  hellé- 
BÎstesf  tenaient- peu  compte  des  inflexions  gui  indiquent  lès 
temps,  les  modes  et  les  persoiïnes.  Bien  souvent  ils  les  né- 
gligeaient ou  les  confondaient 

50  Idiotismes  relatifs  aUx  particules  :  propositions  et  conjonctions. 

1®  Comme  les  Hébreux  ri-ont  qu'un  petit  n^mb^e  de  pré- 
positions, ils  sont  forcés  dé  donner  à  chacune  dés  significa- 
tions multiples  eVtrès  diverses.  Les  Juifs  hellénistes  ne  .dis- 
tinguaient guère  mieux  les  prépositions  grecques  que  les 
prépositions  hébraïques;  et  les. auteurs  sacrés  ont  adopté 
leur  langage.  Exe.mples  : 

a,  airo,  :  Matth.,  xyiu,  7;  Luc,  x.vin,  14.- 

ad,  icpoç,  Êfç  :  Matth.,  xix,  8;  Luc,  xix,  9;  xx,  19;  Act.,  xxiv,  16. 

a  facie,  \\  Thess.,  i,  9;*  Apoc.;  xii,  14. 

•  '  -  •         ■        ■         •■.,,.'.'■ 

circOf  Act.,  V,  42. 
coram,  Luc,  xv,  18.     • 

-  contra  :  Mattli.,  xxr,  2  ;  Marc,  m,  3;  Luc,  xix,  30. 

è  et  dCy  êÇ,  Luc...  xv.,  16;  Joan.,  viii,  '47;  x,  33  ;  xvi,*  26|  TIÏ  J6an.,  2; 
Apoc,  viiii  5,  13;  XXI,  16. 

-  m,  ev,  etç;  Matth.,  vi,  4,  7;  vit,  15;  xii,  24,  28;  xxu,  37;  xyv,   16; 

Marc,   V,  2;  v,  2;  Luc.,  i,  14;  iv,  42;  viir,   15;xi,   19;  xxu;  20; 

xxiii,  44;  Joan.,  i,  14;  m,  2f  ;  v,  39;  xm,  31  ;  Act.;  i,  3;  iv,  9;  Vu. 

29;  viii,  23;  xi,  .23;  xm,  IT;  xvii,  28;  icix,  2ï  ;  xx,  32  ;  Jaç.,  11,  l; 

v^"  1  ;  I  Pet.,  i,.  13;  Jad.,'14,  ]^4  ;  Apoc,  VIII,  7. 

nisi,  Mattli,,  xii,  39;  Joan.,  v,  19.  Cf.  I  Cor.,  vii,  17:  Gai., -11,  16. 

per,  5ca,  Matth  ,  xxyii,  IJJ;  Act.,  r,  2,  3;  xiV,  21  ;  JI  Pet;,  m,  5, 

pi^opter  :  Marc,  n,  27;  Joan.,  vi,  58;  I  Joan.,  11,  12;  Apoc,  xii,  M. 

super  :  Matth.,  x,  24,  37  ;  xxiii,  35;  xxiv,  47;  Marc,  viii,  2;  Luc,  11, 
8;  IV,  39;  ix,  5;  x,  19;  xi,  17;  Joan.,  i,  51  ;  Act.,  v,  28;  xv,2;  xviii,  6. 

2<*  Il  en  est  à  peu  près  de  même  pour  les  conjonctions. 
On  trouve  : 

ei  pour  ffi/^:Joan.,  vi,  54;  Act.,  m,  6;  I  Cor.,  xi,  27;  —  pour  nempe  : 
Matth.,  xiii,  41  ;  xxiv,  31;  Luc,  m,  16;  Joan.,  x,  33;  Act.,  x,  14  ; 
—  pour pvêeci pue  :  Marc,  xvi,  7;  Act.,  i,  14;  —  pour/«w^;2  :  Apoc, 
m,  8:  —  pour  ideo  :  Joan.,  iv,  24;  xii,  16;  Act,,  v,  38;  vu,  43; 
I  Joan.,  II,  27;  —  pour  ila  :  Joan.,  x,  15;  xv,  9. 

forsilan  pour  versimiliterf  utique  :  Joan,,  iv,  10;  v,  46;  viii,  19. 


106  INTRODUCTION   AU   NOUVEAU   TESTAMENT.  [n<ï  38 

ne  pour  num  :  Luc,  v,  12;  m,  15. 

nisij  même  sens  :  Matth.,  xii,  39;  Joan.,  xviii,  36. 

nunc  pour  sed  :  Luc,  xi,  39;  Joan.,  xvii,  5;  xviii,  36;  Act.,  xiii,  17; 
V,  38;  VII,  34;  xin,  11;  xx,  25. 

propter  quod  pour  eo  quod  :  Jac,  iv,  2. 

quamdiu  pour  in  quantum  :  Matth.,  xxv,  40. 

quasi  pour  tanquam  :  Marc,  i,  22;  Joan.,  i,  14. 

quia^  redondant  i  Luc,  xix,  9,  etc. 

si  pour  an,  Marc,  xv,  44;  Luc,  vi,  9  ;  xiii,  23;  xxii,  49. 

sine  causa  pour  frustra  :  Matth.,  xv,  9. 

M^pour  ita  ut  :  Matth.,  v,  16;  xiii,  35;  Marc,  iv,  12;  Luc,  xiv,  10; 
Joan.,  IX,  2;  V,  20. 

6®  Idiotismes  relatifs  aux  nombres. 

Souvent,  au  lieu  du  nombre  précis,  les  Hébreux  em- 
ploient un  nombre  rond  qui  en  approché  : 

ter,  pour  à  plusieurs  reprises  y  II  Cor.,  xii,  8. 

post  très  dieSy  pour  le  ti^isième  jour,  Matth.,  xxvii,  63. 

quinque  pour  un  petit  nombre,  I  Cor.,  xiv,  19. 

septem  dœmonia  pour  une  multitude  ou  toutes  sortes  de  démons,  Matth., 
XII,  45  ;  Luc,  viii,  2  ;  xi,  26. 

septuaginta,  pour  septante  deux  ou  septante  cinq,  Luc,  x,  1. 

septuagies  septies  pour  un  nombre  de  fois  indéterminée,  mais  considé- 
rable, Matth.,  xviii,  22. 

centuplum  pour  beaucoup  plus,  Matth.,  xix,  29. 

mille  pour  un  grand  nombre,  Apec,  xx,  2. 

quinque  millia  pour  environ  cinq  mille,  Matth.,  xiv,  21  ;  Joan.,  vi,  10. 

omnes  pour  presque  tous,  la  totalité,  moralement  parlant  :  Matth.,  ii, 
3;  m,  5;  xxiv,  14;  Marc,  i,  5,'  Luc,  iv,  22;  xix,  7;  Àct.,  xix,  10. 


JESUS-CHRIST' 

SBLOS  l'*YM6IlE 
SES  PREMIERES  «NHEES,  SA  PRËDICItTIOH ,  SES  DERNIERS  MYSTÈRES 


FRËLIMmAnfES 


lo.  Da  l'Évangile  «a  général  «t  de  l'Atudn 
iin'il  faut  «n  faJva. 

I  —  TiCret,  ordre  chronologique,  divUton  des  Evangiles. 
39.  —  Que  signifient  ces  mots  :  l'Evangile,  les  Evangiles'^ 

1.  Le  sens  du  mot  Evangile  s'est  modifié  par  l'usage, 
comme  celui  de  Testament  ',  Employé  d'abord  pour  expri- 
mer la  bonne  nouvelle  de  l'accomplissement  des  divines  pro- 

■  Cette  ligure  de  Notre  Seigneur,  ilessinâc  par  Perret  dans  ses  Cata- 
eomb^i  et  aouveat  reprodaiie,  est  prise  d'une  lorre  cuite,  trouvée  dan» 
des  fouiUca  pniiqnée)  au-doasus  du  cimetière  do  iite-Agn6s.  On  conteste 
Tsutheaticité  de  rcean-c,  et  plusieurs  ne  la  croient  pas  antérieure  à  la 
Bn  da  zv  siècle;  rpais  tout  le  monda  s'accorde  à  louer  la  beauté  de  ce 
Titagc,  >on  caractère  noble,  religieui,  surhumain.  —  '  Supra,  n.  1. 


108  JÉSUS-CHRIST  SELON   l'ÉVANGILE.  {n^  39 

messes  *,  ou  l'annonce  de  la  fédemption  du  monde  par  les 
mérites  du  Sauveur  %  il  servit  bientôt  à  désigner  les  quatre 
livres  inspirés  qui  nous  retracent  Thistoire  de  cette  grande 
œuvre  et  ses  diverses  phases  :  l'incarnation  du  Fils  de  Dieu, 
sa  prédication,  son  sacrifice  ^  Cette  dernière  signification 
est  aujourd'hui  la  plus,  commune. 

II.  Gomme  il  importait  souverainement  de  conserver  un 
souvenir  exact  et  certain  de  cet  événement  capital,  Dieu  a 
pris  soin  de  l'entourer  des  garanties  les  plus  sûres  et  des 
témoignages  les  plus  convaincants.  Il  a  voulu  : 

1°  Que  la  vie  de  son  Fils  fût  écrite  peu  de  temps  après  sa 
mort  *,  non  par  un  auteur  seulement,  mais  par  quatre  écri- 
vains ^  dont  deux,  le  premier  .et  le  dernier,  étaient  témoins  ® 
oculaires  des  faits  qu'ils  rapportent,  et  les  deux  autres, 
compagnons  de  ses  Apôtres. 

2**  Que  ces  écrits  reçussent'  aussitôt  la  plus  gï*ande  publi- 
cité ;  qu'ils  fussent,  non  seulement  lus  dans  une  église  avec 
solennité,  mais  répandus  dans  le  monde  entier,  mis  sous  les 
yeux  de  tous,  dei^éux  mêmes  qui  étaient  les  plus  intéressés 
à  les  contredire  et  les  plus  aptes  à  les  contrôler. 

3°  Que,  dès  leur  apparition,  ils  fussent  placés,  par  l'ordre 
des  Apôtres  et  la  pratique  de  l'Eglise,  au  même  rang  que 
les  livres  les  plus  vénérés  de  l'Ancien  Testament,  comme 
inspirés  par  le  même  Esprit  et  réclamant  la  même  foi  \ 

4°  Que  les  auteurs  de  ces  livres,  avec  une  niultitude  de 
pasteurs  et  de  fidèles  instruils  par  eux,  consumassent  leur 
vie  et  répandissent  leur  sang  pour  attester  la  vérité  des  faits 
qui  y  sont  consignés. 

Ainsi  rien  ne  manque  à  ràutorité  des  saints  Evangiles  ;  et 

*  EuaYY«5^tov  Ivi<Tov  Xpiorou,  Ytou  tou  0eou.  Marc,  i,  4;Ilom.,  i,  .9.  Cf. 
U  Reg.,  IV,  10,  Grâce,  —  2  Luc.,  ii,  10,  i\.  Deus  in  terra,  horao  in 
cœlis  :  quid  par  esse  potest?  S.  Chrys.  In  Matth.,  Hom.  i.  —  3  Cf.  Apoc, 
XIV,  6;  S.  Clèm.  Epist,  II»  8;  Epist,  ad  Diogn.,  xi,  S.  Justin.,  I^ApoL, 
I,  6ô;  DiaL\  10.  ^~  ^  «  Dieu  a  toujours  gardé  cet  ordre  admirable  de 
faire  écrire  les  choses  dans  le  temps  qu'elles  étaient  arrivées  et  que  la, 
mémoire  en  était  récente.  u.Bossuet,  fi,  (/*,  11,  27»  —  *  Joan.,  viii,  17; 
Heb.,  X,  28.  —  «  Aurowmi,  Luc,  xii.  Cf.  Deut.,^xvii,  6;  —  '  Supra,  h.  23 
et  2k 


S<*  4iJ        .'   LES  QUATRE  EVANGILES.  lOÔ 

«  il  n'a  pas  failli  d'autre  quadrige  ati  Seigneur,  pour  sou- 
mettre tous  lés  peuples  à  son  joug  doux  et  léger  *.  » 

40.  —  Les  titres  donnés  à  chacan  des  Eyangiles  :  selon  S,  Matthieu  ^ 
selon  saint  Marc^  etc.,  n'indiquefaient-ils  pas  qu'ils  ont  été  rédigés 
après  les  Apôtres  et  suivant  leur  récit,  plutôt  que  composés  par  eux  ? 

On  ne  peut  entendre  les  titres  des  Evangiles  autrement 
que  les  entendaient  les  Pères  de  qui  nous  les  tenons.  Or,  il 
est  constant  qu'on  a  toujours  dit  dans  l'Eglise  indifférem- 
ment Evangile  de  S.  Matthieu  ou  Evangile  de  Notre  Seigneur 
selon  S.  Matthieu,  etc;  ^ 

Ce  n'est  pas  pourtant  que  le  sens  de  ces  mots  soit  tout  à 
fait  identique.  Quand  on  dit  :  l'Evangile  de  S.  Matthieu,  on 
entend  Técrit  de  S.  Matthieu  sur  le  Sauveur  et  sa  prédica- 
tion; et  quand  on  dit  :  l'Evangile  selon  S.  Matthieu,  on 
entend  l'avènement  du  Sauveur  et  sa  prédication  décrits 
par  S.  Matthieu.  Ainsi  cette  expression  :  selon ^  secundum^ 
xaTût,  fait  entendre  que  l'Evangile  a  existé  comme  fait  avant 
d'être  rédigé  par  écrit,  et  qu'il  a  été  écrit  par  plusieurs 
auteurs  et  de  plusieurs  manières,  sans  rien  perdre  de  son 
unité  objective.  C'est  dans  ce  sens  que  nous  disons  :  L'An- 
cien Testament  selon  les  Septante;  le  Nouveau  Testament  selon 
ritaHque,  selon  la  Vulgate^  etc  ^ 

4kl.  —  Dans  quel  ordre  et  dans  quel  espace  de  temps  les  Evangiles 

ont-ils  paru? 

4 

L'ordre  selon  lequel  les  Evangiles  ont  été  publiés  est 
marqué  par  le  rang  qu'ils  occupent  dans  le  Nouveau  Testa- 
ment; car  la  disposition  actuelle  de  ces  livres  remonte  aux 
premiers  temps  *,  et  ne  peut  guère  s'expliquer  autrement. 

«  s.  Aog.,  De  consensu  Evangelisl»,  i,  10.  S.  Hieron.,  Epist.  lui,  4,  5.  On 
peut  voir  ce  sujet  parmi  les  sculptures  de  N.-D.  de  Brou.  M.  Rossi  a  publié, 
en  1871,  une  figure  du  môme  genre,  détachée  d*un  sarcophage  des  pre- 
miers siècles  :  c'est  Notre  Seigneur  porté  par  un  vaisseau  qui  a  les  quatre 
évangélistes  pour  rameurs.  —  2  Cf.  Marc,  j,  1.  S.  Iren.,  1,  xxvi,  2; 
m,  I.  Clem.,  Strom.,  i,  21.  —  3  Cf.  S.  Aug.,  Cont.  Faust.,  xxxii,  2.  — 
*  On  peut  alléguer  les  premières  versions,  les  Canons  les  plus  anciens,  le 
fragment  de  Muratori,  S.  Irénée,  III,  i,  1,  Origène,  In  Matlh.,  1,  etc. 

III.  7 


140  JÉSUS-CHRIST  SELON   L^ÉVANGILE.  [n<>  42 

Si  s.  Jean,  par  exemple,  avait  écrit  avant  les  synoptiques, 
quelle  raison  aurait-on  eue  de  le  placer  après  eux?  Et  si 
S.  Marc  avait  écrit  avant  S.  Matthieu,  comment  S.  Matthieu 
ne  viendrait-il  pas  après  lui  *  ?  C'est  du  reste  le  témoignage 
bien  exprès  de  la  tradition  ^ 

On  sait  que  les  Evangiles  synoptiques  ont  paru  dans  un 
espace  de  vingt  à  vingt-cinq  ans,  de  l'an  45  à  l'an  65  envi- 
ron, longtemps  avant  l'Evangile  de  S.  Jean.  S.  Matthieu  a 
écrit  le  premier  et  de  très  bonne  heure,  avant  de  quitter  la 
Judée  pour  aller  prêcher  la  foi  parmi  les  Gentils  ^  S.  Marc 
a  fait  sa  rédaction  un  peu  plus  tard,  mais  pourtant  bien 
avant  la  mort  de  S.  Pierre  (f  67).  D'après  Papias  S  Clément 
d'Alexandrie,  Tertullien,  etc.,  son  livre  fut  rédigé  avec  le 
concours  et  sous  la  direction  du  prince  des  Apôtres.  Eusèbe* 
et  S.  Jérôme  ^  disent  que  S.  Pierre  a  donné  sa  sanction  à 
cet  ouvrage  et  qu'il  en  a  autorisé  la  lecture  pour  toutes  les 
Eglises.  Le  troisième  Evangéliste,  qui  débute  en  disant  qu'il 
existe  déjà  plusieurs  écrits  sur  la  vie  de  Notre-Seigneur\  qu'il 
s'attachera  à  être  complet  et  bien  suivi,  n'a  écrit  qu'après 
S.  Marc.  Cependant  il  fait  mention  de  son  livre,  au  com- 
mencement des  Actes,  comme  d'un  ouvrage  déjà  publié.  Or, 
les  Actes  ont  été  terminés  visiblement  avant  l'an  67  et  pro- 
bablement vers  63  ^  Cet  évangile,  comme  celui  de  S.  Marc, 
a  donc  été  écrit  du  temps  des  Apôtres  et  approuvé  par  eux. 

41.  —  Evangiles  synoptiques  :  leur  caractère.  Quelles  raisons  donne- 
t-on  des  diiTércnc3s  et  des  analogies  qu'on  remarque  entre  eux? 

I.  Les  Allemands  ont  donné  le  nom  de  synoptiques  ®  aux 
trois  premiers  évangiles,  à  cause  d'une  particularité  qui  leur 
est  commune  et  qui  les  distingue  de  S.  Jean.  Ayant  tous 

1  înfrdy  n.  02.  —  2  Canon  de  Muratori,  A.  T.,  n.  40.  —3  Euseb., 
//.,  m,  39.  —  *  Euseb.,  Ibid.  —  «  Euseb.,  H.,  ii,  14,  15;  vi,  14,  25.  — . 
"6  S.  Hier.,  de  Vv\  illust.,  8.  9.  —  "^  Luc,  i,  1.  —  *  Eo  tempore  scripse- 
runt  Marcus  et  Lucas  quo  non  solum  ab  Ecclesia  Dei,  sed  ab  ipsis  adhuc 
in  carne  remanentibus  apestolis,  probari  potuerunt.  S.  Aug.,  De  consensu 
"Evangel.f  iv,  9;  Tert.,  Adv.  Marclon.j  iv,  2,  3.  ïnfra,  n.  52,  53,  62,  63, 
'138,  475,  476,  557»  —  •  Corrélatifs  ou  parallèles,  do  cvvoij/i;,  vue  simul- 
tanée. 


MO  42]  Les  QtAtRE  EVANGILEâ.  lll 

trois  le  même  objet  et  suivant  la  même  méthode,  ils  sein- 
blent  marcher  de  front  dans  leurs  récits,  sur  des  lignes  pa- 
rallèles, de  sorte  qu'à  toutes  les  époques  de  la  vie  du  Sau- 
veur, on  en  trouve  au  moins  deux  en  regard  l'un  de  l'autre 
pour  s'éclairer  et  se  soutenir. 

II.  Les  Synoptiques  se  distiguent  encore  du  quatrième 
évangile  par  d'autres  caractères.  Outre  qu'ils  sont  d'un  autre 
style  S  ils  se  proposent  un  autre  but  et  se  placent  sur  une 
autre  scène. 

i**  Le.  dessein  des  Synoptiques  est  de  faire  connaître  le  di- 
vin Maître,  ses  œuvres  et  sa  doctrine,  toute  sa  doctrine  sans 
distinction,  afin  de  lui  gagner  des  disciples.  S.  Jean  a  sur- 
tout en  vue  de  réfuter  ceux  qui  niaient  la  divinité  du  Sau- 
veur; il  se  propose  d'éclairer  et  de  soutenir  la  foi  de  l'Eglise 
sur  ce  dogme  en  particulier.  Ce  but  est  manifeste,  et  l'au- 
teur s'en  explique  clairement  à  plusieurs  reprises  *. 

2»  Les  Synoptiques  s'attachent  à  retracer  la  prédication 
du  Sauveur  dans' la  Galilée,  patrie  dés  Apôtres,  sans  laisser 
ignorer  néanmoins  qu'il  a  fait  plusieurs  voyages  et  même 
plusieurs  séjours  à  Jérusalem  et  aux  environs  ^  Ils  nous  le 
montrent  occupé  à  former  ses  premiers  disciples  sur  les  bords 
du  lac  de  Génésareth,  à  Gapharnaûm,  près  de  Tibériade,  à 
Nalîim^  à  Bethsaïde  ;  quelquefois  dans  la  Décapole,  à  Gadare, 
à  Césarée  de  Philippe  ;  quelquefois  dans  la  Pérée:  mais  ils 
ne  le  suivent  dans  la  Judée  qu'une  seule  fois,  à  la  fin  de  sa 
vie,  lorsqu'il  y  vient  pour  y  faire  sa  dernière  Pâque  et  y  su- 

i  Infray  n.  71,  72.  —  2  Joan.,  xx,  31.  Cf.  i,  7;  m,  16;  iv,  42;  xii,  37. 
—  3  ]i  suffirait  de  citer  cette  plainte  du  Sauveur  à  l'approche  de  sa  Pas- 
sion :  Jerutalem,  Jérusalem^  quoties  volui!..,  Malth.,  xxiii,  37;  Luc, 
xm,  34.  Mais  de  plus  S.  Luc  nous  apprend  qu'il  faisait  des  voyages  en 
Judée,  Luc,  x,  38-42,  à  Jérusalem,  Luc,  ix,  51,  etc.,  qu'il  avait  coutume 
de  se  retirer  sur  le  mont  des  Oliviers,  Luc,  xxii,  39;  Joan.,  xviii,  2. 
Nous  voyons  aussi  qu'il  comptait  dans  la  ville  des  amis,  Matth.,  xxvi>  18; 
XXVII,  57  ;  Marc,  xiv,  12;  Luc,  xix,  32-34  et  des  disciples,  Matth.,  iv,  25  ; 
XXI,  3;  Marc,  m,  7;  Luc,  vi,  17;  xxii,  11,  12,  qu'il  y  était  connu  du 
peuple,  Matth.,  xxi,  38;  Luc,  xix,  38,  et  des  autorités,  Mattli.,  xxvi, 
3,  4;  XXVII,  62,  63.  Dans  les  six  derniers  mois  de  sa  vie,  Jésus  vint  trois 
fois  à  Jérusalem,  en  octobre,  décembre  et  mars,  pour  lafôtc  des  Taber- 
nacles, pour  celle  de  la  Dédicace  et  pour  celle  de  Pâques. 


M2  JÉSUS-CHHKT  SELON  L*ÉVANGILE.  [n<^  42 

bir  sa  Passion.  S.  Jean  a!un  aiitre:plari  et  se  tient  sur  un 
autre  théâtre.  Il  s'attache  à  ce  que  Jésua-Ghrist  a  dit  et  fait 
en  Judée  et  à  Jérusalem,  à  roccasiondes  quatre  solennités 
qu'il  signale  dans  son  Evangile  *.  Il:rapporte  les. discours 
qu'il  a  tenus  dans  le  temple,  ses  discussions  avec  les  docteurs 
sur  sa  dignité  et  sur  sa  mission,  ses  miracles  à  la  piscine,  à 
la  fontaine  de  Siloé,  à  Béthanie.  Il  s'étend  sur  le  séjour 
qu'il  a  fait  dans  la  ville  ou  dans  les  environs,  aux  approches 
de  sa  mort,  etc.  ^  .  .     : 

III.  Quant  aux  différences  qu'on  observe  entre  les  trois 
Synoptiques,  il  suffit,  pour  s'en  rendre  compte,  de  penser 
que  le  premier  écrivait  pour  les  Hébreux,  le  second  pour 
les  Romains,  le  troisième  pour  les  Grecs  ^  Mais  les  :ana- 
logies  qu'ils  présentent  étonnentdavantage*.  On  se  démande 
comment  il  se  fait  qu'en  tant  d'endroits  ces  trois  auteurs  se. 
ressemblent  à  ce  point,  non  seulement  pour  le  fond  de 
l'histoire  et  pour  la  doctrine,  mais  encore  pour  l'ordre  du 
récit,  pour  la  forme  du  langage,  et  même  pour  les  expres- 
sions ^  Les  Allemands  se  sont  beaucoup  exercés  sur  cette 
question  :  . 

1^  Certains  docteurs  se  bornent  à  dire  qu'il  a  dû  exister  à 
l'origine  une  sorte  d'évangile  oral,  c'est-à-dire  un  fond  de 


1  Joan.,  il,  13-25;  vi,  4-72;  vu,  2,  10;  x.  22,  23,  etc.  —  »  U  ne  laisse 
pas  néanmoins  de  faire  mention  de  son  séjour  en  Galilée,  Joan.,  ii^  3; 
IV,  3,  45-47;  vi,  1;  vu,  1,  etc.  Le  désir  exprimé  parles  Galiléens  de  le 
voir  à  Jérusalem,  xi,  55,  56,  témoigne  des  prédications  qu'il  avait  faites 
parmi  eux.  Cf.  vu,  32.  —  3  Infra^  n.  461.  —  ^  Près  de  la  moitié  du 
.premier  évangile  appartient  uniquement  à  S.  Matthieu,  comme  un  peu 
plus  de  la  moitié  du  troisième  à  S.  Luc  ;  mais  il  y  a  peu  de  choses  en 
S.  Marc  (24  versets),  qu'on  ne  lise  également  ou  en  S.  Matthieu,  ou  en 
S.  Luc,  ou  dans  Tun  et  Tautre  à  la  fois.  Ce  dernier  cas  est  mètne  le  plus 
fréquent.  L'identité  des  choses  n'emporte  pas  pourtant  Tidentité  des 
termes.  La  plupart  du  temps,  cinq  fois  sur  six,  quand  les  évangiles  rap- 
portent un  môme  fait,  ils  l'énoncent  en  termes  différents.  C'est  surtout 
dans  les  discours  du  Sauveur,  et  particulièrement  dans  ses  maximes, 
que  Ton  trouve  Tidentité  des  mots  jointe  à  l'identité  des  pensée^.  — 
5  Gf.  Matth.,  XI,  4-6  et  Luc,  vu,  22-23;  —  Matth.,  xi,  II,  et  Luc,  vu, 
28;  —  Matth.,  xi,  16-19  et  Luc,  vu,  31-35;  —  Matth.,  m,  7-9  et  Luc, 
III,  7-8;  —  Matth.,  xii,  43-45  et  Luc,  xi,  24-26;  —  Matth.,  viii,  9,  40  et 
Luc  ,  VII,  8.  9,  etc. 


^•^42]  .       LES  QUATRE  ÉVANGILES.  113 

prédkùtiùti' commun  entre  les.Apùtréa^  et  que  ce  protévan- 
gile  a  passé  naturellement  d^la  mémoire  des  prédicateurs  ^ 
dans  les  écrits  des  auteurs  sacrés.  Mais  cette  explication 
n'en  est  pas  une.  Tout  le  monde  convient  que  les  Ap<itres 
devaient, avoir  au  fond  les  iriêmes  souvenirs  sur  la  vie  de 
leur  Maître  et  que  leurs  écrits  résument  leur  prédication*. 
Ce  qu'on  voudrait  savoir,  c'est  comment  il  se  fait  que,  pour 
les  détails  et  pour  les  expressions,  S.  Matthieu,  S.  Marc  et 
S.  Luc  se  rencontrent  si  souvent  deux  à  deux,  et  méma 
qu'en  plus  de  quarante  passages  leurs  écrits  soient  parfaite- 
ment identiques.  . 

2''Eichôrn  imagina  qu'il  y  avait  eu  un  premier  évangile 
écrit,  une  histoire  dû  Sauveur  composée  en  hébreu  par  le 
collège  apostolique,  et  que  c'était -ce  protévangile  qui  avait 
fourni  à  chacun  des  Synoptiques  teioiïd  de  son  récit  et  aux 
Pères  des  preniiers  temps  leurs  citations,  toujours  un  peu 
difiérentés  dés  textes  actuels'.  Mais  cette  idée  est  abandon- 
née. Si  ce  protévangilé  avait  existé,  s'il  avait  eu  pour  au- 
teurs les  douze  Apôtres,  c'eût  été  pour  l'Eglise  le  plus  vé- 
nérable de  tous  les  livres;  et  comment  Tàurait-oii  répudié? 
conunent  aurait-il  disparu  sans  laisser  aucun  souvenir? 

3'  Un  mot  d'un  homme  apostolique,  recueilli  par  Pâpias 
et  rapporté  par  Eusèbe',.a  fait  hasarder  par  les  rationalistes 
une  autre  supposition.  S.  Matthieu  aurait  écrit  les  discours 
ou  les  maximes  .du  Sauveur,  taXo^^a;  S.  Marc  aurait  retracé 
les  faits  ;  et  de  la  combinaison  de  ces  deux  éléments  seraient 
sorties  trois  rédactions  différentes,  faites  par  des  auteurs 
inconnus,  et  attribuées,  la  première  à  S.  Matthieu,  la  se- 
conde à  S.  Marc  et  la  troisième  à  S.  Luc...  C'est  encore  là 
une  hypothèse  sans  solidité.  Papias  lui-même,  sur  lequel  on 
s'appuie,  proteste  contre  l'interprétation  qu'on  donne  à  ses 


*  Cf.  Aico|tviii(iov£U|xaT2,  s.  Justin. ,  I*.  ApoL,  66.  —  ^  H  ôiSa/Tj  twv 
A«o(TTo>40v.  Act.,  II,  42.  On  voit  on  effet  par  les  discours  de  S.  Pierre 
à  Césarée,  X,  33-43  et  de  S.  Paiil  à  Afttioche  de  Pisidié,  xiir,  23-36,  que 
la  prédication  des  Apôtres  consistait  presque  uniquement  à  rapporter 
les  faits  de  la  vie  dh  Sauveur,  et  îi  s'en  déclarer  les  garants.  —  *Eu$eb., 
H.,in,  39.      ...  :    :    .    i 


114  JÉSUS-CHRIST   SELON   l'ÉVANCULE.  [n»  42'. 

paroles.  Après  avoir  dit  que  S.  Marc  a  rapporté  les  discours 
comme  les  actions  du  Sauveur,  Ta  y;  XexOsvta  y;  'îrpaxOîvtï,  il 
ajoute  qu'il  n'a  pas  fait  néanmoins  une  histoire  suivie  de  sa 
prédication  :  ou)/  oi^Tc^p  cuvtxÇiv  twv  xupîa/wv  7cotoyii.svoç  Xofwv. 
il  est  vrai  qu'il  oppose  S.  Matthieu  à  S.  Marc,  mais  ce  n'est 
pas  comme  ayant  traité  un  sujet  différent  ou  plus  restreint  : 
c'est  comme  ayant  écrit  en  hébreu,  dans  un  idiome  peu  ré- 
pandu. S'il  dit  qu'il  a  écrit  Ta  Xo^ta  XptaTou,  les  oracles  ou 
les  iastmclioiis  du  Seigneur,  plutôt  que  ses  actions,  il  y  en 
a  une  raison  fort  ^mple  :  cHkI  que  ks  disoears  in  Sauveur 
sont  l'objet  principal  du  premier  évangile. 

En  définitif,  la  meilleure  explication  des  analogies  que  les 
Synoptiques  ont  entre  eux  est  encore  la  plus  ancienne.  Ces 
écrits  se  sont  suivis  dans  l'ordre  où  l'Eglise  les  a  rangés. 
Le  second  évangéliste  a  connu  le  premier,  et  le  troisième. 
les  deux  précédents  ^  Le  dernier  a  profité  du  travail  de  ses 
devanciers,  comme  le  second  de  celui  du  premier  ^  Il  ne  le 
nomme  pas  néanmoins,  parce  qu'il  n^a  besoin  d'aucun  appui 
pour  se  faire  recevoir  et  que  son  inspiration  suffit.  Ce  qui 
ne  va  pas  à  son  but,  il  l'omet  ;  il  intercale  dans  son  récit  ce 
qu'il  a  vu  personnellement  et  ce  qu'il  a  appris  de  vive  voix 
des  Apôtres  ou  des  premiers  disciples  ^  On  peut  croire,  en 

*  Luc,  I,  2  ;  S.  Aug  ,  De  cons.  Evang.,  i,  3,  4,  6,  etc.  —  2  Luc,  i,  1,  2. 
—  3  Ainsi  chaque  évangéliste  a  des  récits  qui  lui  sont  propres  et  il  n'en 
faut  négliger  aucun,  si  Ton  veut  connaître  tout  ce  que  rÈsprit-Saint  a 
voulu  nous  apprendre  de  la  vie  du  Sîiuveur.  Il  faut  lire  :  —  1°  Dans 
S.  Matthieu  :  l'adoration  des  Mages,  la  fuite  en  Egypte,  le  massacre  des 
Innocents,  la  pièce  de  monnaie  dans  la  bouche  du  poisson,  Pilate  averti 
par  sa  femme,  et  se  lavant  les  mains  devant  lé  peuple,  le^  défunts  qui 
ressuscitent  à  la  mort  du  Sauveur,  les  gardes  mis  h  son  tombeau,  huit 
de  ses  paraboles,  celles  de  l'ivraie,  du  trésor  caché,  de  la  perle,  du  filet, 
des  vignerons,  des  deux  fils,  des  deux  débiteur^,  des  dix  vierges.  — 
2'  Dans  S.  Marc  :  deux  guérisons  miraculeuses,  celle  du. sourd-muet  de 
la  Pentapole  et  celle  de  l'aveugle  de  Bethsaïde,  la  fuite  précipitée  d'un 
jeune  homme  à  l'arrestation  du  Sauveur  et  la  parabole  de  la  semence 
qui  croît  sans  qu'on  s'en  aperçoive.  —  S*»  Dans  S.  Luc  :  la  naissance 
miraculeuse  de  S.  Jean-Baptiste,  Tannonciation  de  la  sainte  Vierge,  les 
cantiques  de  Marie,  de  Zacharie  et  de  Siméon,  la  première  manifesta- 
tion de  Jésus  au  temple,  l'histoire  de  Marie  et  de  Marthe,  celle  de  Zachée, 
celle  du  bon  larron,  la  vocation  des  soixante-douze  disciples,  la  guérison 
des  dix  lépreux,  celle  d'un  homme  hydropique,  celle  d'une  femme  que 


fî<»431  LES  QUATRE  ÉVANGILES.  113 

outre,  pour  expliquer  certaines  nuances,  que  S.  Marc  et 
S.  Luc  n'ont  connu  de  S.  Matthieu  que  le  texte  hébreu,  ou 
qu'ils  Tont  reproduit  de  mémoire  *  ;  mais  pour  Tun  et  pour 
l'autre,  S.  Matthieu  a  été  une  source  aussi  bien  qu'un  mo- 
dèle. 

II.  —  Autorité  de  l'histoire  évangëlique, 

43.  —  Ne  pourrait-on  pas  démontrer  directement  et  à  la  fois  rautheQ« 
ticitô,  rintégrité  et  la  véracité  des  quatre  évangiles? 

On  démontre  solidement  l'autorité  des  quatre  Evangiles 
dans  les  traités  théologiques  :  De  vera  religions,  et  dans  les 
Introductions  au  Nouveau  Testament  ^  Mais  nou§  croyons 
pouvoir  nous  en  tenir  sur  ce  sujet  aux  raisons  que  nous 
avons  données  ^  et  aux  observations  qui  nous  restent  à 
faire  au  début  des  Evangiles  et  à  la  fin  de  ce  livre  *. 

Il  nous  semble  d'ailleurs  que,  pour  un  esprit  intelligent 
et  droit,  l'Evangile  n'a  plus  à  établir  ses  titres  de  créance. 
Nous  ne  sommes  plus  au  temps  de  Gelse.  A  quoi  bon  recom- 
mencer  ce  qu'on  a  fait  tant  de  fois  avec  tant  de  soin?  La 
cause  a  été  jugée,  il  y  a  dix-huit  cents  ans  :  quelle  raison  y 
aurait-il  de  révoquer  l'arrêt?  Les  peuples  civilisés  ont  ac- 
cepté l'Evangile^  ils  lui  ont  donné  leur  foi,  la  foi  la  plus 

l'esprit  mauvais  rendait  infirme,  la  résurrection  du  jeune  homme  de 
Naîm,  l'apparition  dô  Notre  Seigneur  aux  disciples  d'EramaUs,  les  sept 
paraboles  du  bon  Samaritain,  de  l'enfant  prodigue,  de  l'économe  infidèle, 
du  riche  surpris  par  la  mort,  du  mauvais  riche,  du  juge  inique,  du  pha- 
risien et  du  publicain.  —  4°  Dans  S.  Jean  :  outre  la  durée  de  la  prédi- 
cation de  TEvangile  on  trouve  la  vocation  de  Philippe  et  de  Nathanaël, 
l'entretien  avec  Nicodème,  l'épisode  de  la  Samaritaine,  le  lavement  des 
pieds,  suivi  du  discours  de  la  dernière  Cène,  le  côté  du  Sauveur  ouvert, 
son  apparition  à  S.  Thomas  et  sa  manifestation  sur  les  bords  de  la  mer 
de  Tîbériade,  enfin  cinq  miracles,  deu^  à  Cana,  un  à  la  Piscine  proba- 
tique,  un  autre  près  de  Té  tan  g  de  Siloô  et  le  dernier  à  Béthanie  où 
Lazare  est  ressuscité.  Cf.  S.  Aug.,  De  œnsensu  Evang.,  I,  iv,  etc. 

1  Cf.  Act.,  TX,  2;  XXII,  4.  Cf.  de  Val-Roger,  i,  352;  Lamy,  ii,  248; 
Wallon,  Mgr  Meignan.  —  »  Quand  on  fait  attention  au  début  de  S.  Luc, 
au  séjour  et  au  yoyage  de  S.  Pierre  à  Jérusalem  et  à  la  rapidité  avec  la- 
quelle nos  saints  Livres  se  propagèrent,  il  est  difficile  de  se  persuader 
qae  le  premier  évangile  était  inconnu  à  Fauteur  du  second,  et  les  deux 
premiers  à  Tauteur  du  troisième.  —  '  Supra  y  n.  22-25.  —  *  Infra,  n.  53, 
61,  m,  68,  459,  559-562, 832. 


116  JÉSUS-CHRIST   SELON,  l'évangile.  [n?  ik 

vive,  la  plus  universelle  et  la  plus  constante,  au  moment  où 
il  en  coûtait  le  plus  de  le  reconnaître  pour  vrai,  où  il  'eût 
été  le  plus  facile  de  le  convaincre  de  fausseté,  si  c'était  une 
imposture  ou  une  erreur.  Pour  se  faire  accepter  ainsi,  avec 
une  telle  conviction,  par  les  esprits  les  plus  éclairés  et  lès 
moins  crédules  S  il  a  fallu  que  l'histoire  évangélique  fût 
non  seulement  authentique  et  certaine,  mais  la  plus  au- 
thentique et  la  plus  certaine  de  toutes  les  histoires:  Le  ju^ 
gement  que  le  monde  a  porté  alors  contre  lui-même  con- 
serve toute  sa  valeur,  et  la  foi  toujours.persistante  des  espiSts 
sages  et  clairvoyants  est  la  plus  convaincante  des  démons- 
trations ^ 

Supposez  que  vous  ayez  devant  vous  un  vaste  édifice,; 
dont  l'antiquité  sbît  notoire,  doiit  la  masse  n'ait  jamais  subi 
le  moindre  ébranlement,  qui  soit  battu  en  brèche  depûià 
des  milliers  d'années  et  qui  brave  tous  les  coups,  sans  rien 
perdre  de  sa  fermeté  ni  de  son  élévation  :  aurez-vous  besoin- 
dé  creuser  le  sol  et  de  fouiller  profondément  pour  être  as- 
.suré  que  la  base  en  est  solide  et  que  ses  premières  assises 
ont  été  bien  cimentées?  Que  pehserait-on  de  celui  qui  n'ose^ 
rait  en  franchir  le  seuil  avant  d'avoir  fait  cette  exploration,^ 
et  de  s'être  assuré  par  lui-même  qu'il  ne  sera  pas  enseveli 
sous  des  ruines  ?  ? 

44.  —  Les  évangélistes  n' ont-ils  rien  écrit  que  sur  des  témoignages 

et  des  renseignements  certains? 

On  peut  distinguer  dans  l'Evangile  deux  sortes  de  faits  :' 

1  Temporibus  eruditis  et  omne  quod  fiori  non  potest.respuentibus, 
S.  Aug.,  De  civit.  Dei.^  xxii,  6, "7.  —  2  Unius  et  certi  institui  infinita 
inquisitio  non  potost  esse  :  quaerendum  est  ergo  donec  invenias,  et  cre- 
dendum  ubi  inveneris,  et  nihil  amplius,  nisi  custodiendum  quod  credi- 
disti.  Tert.,  De  prsBSC.^  9,  etc.  Nihil  omnino  humanse  societatis  incolume, 
remanet,  si  nihil  credere  statuerimus  quod  non  possumus  tenere  per- 
ceptum.  Quœro  enini,  si  quod  nescitur  credcndum  non  est,  quompdo 
scrviant  parentibus  liberi,  eosque  mutua  pietatc  diligant,  etc.  S.  Aug., 
De  util,  credendi,  26.  Si  autem  rationabile  est  ut  ad  magna  quaedam , 
qu8B  capi  nondum  possnnt,  fldes  prœcedat  rationcm,  procul  dubio  quan- 
tulacumque  ratio  quœ  hoc  persuadet,  etiam  ipsa  antocedit  ftdem.  Epis(. 
cxx,  3.—  3  n  Tim.,  m,  7.  Cf.  Mgr  Perrault,  Lettre  à  M,  A.  Lemann^  1881. 


N**44]  LES  QUATRE   ÉVANGILES.  117 

1*  Des  faits  capitaux,  d'une  importance  majeure,  comme 
les  principales  œuvres  du  Sauveur,  sa  prédication,  ses  mi- 
racles les  plus  éclatants,  sa  passion,  sa  mort,  sa  résurrec- 
tion. —  Pour  ceux-ci,  si  Ton  s'en  tient  à  la  substance,  on 
doit  dire  que  les  auteurs  sacrés  les  ont  rapportés  sur  des 
preuves  historiquement  certaines  et  sur  des  témoignages 
au-dessus  de  tout  soupçon.  Et  il  importe  de  bien  établir  ce 
fait,  aiin  de  montrer  aux  incrédules  que  l'histoire  évangé- 
lique  n'a  pas  moins  de  garantie  que  les  autres,  ou  qu'avant 
d'être  des  dogmes  de  foi,  les  événements  qui  servent  de 
base  au  christianisme  sont  des  réalités  manifestes  et  incon- 
testables. 

2**  Des  faits  moins  saillants,  d'un  moindre  intérêt,  mais 
infiniment  plus  nombreux,  comme  incidents,  détails,  cir- 
constances, discours,  maximes,  etc.  —  Il  en  est  beaucoup  qui 
ne  sont  pas  susceptibles  d'une  telle  constatation  et  sur  les- 
quels une  histoire  ordinaire  ne  donnerait  que  des  probabi- 
lités. Citons  pour  exemple  les  sentiments  intimes  des  per- 
sonnages évangéliques,  les  actes  secrets  du  Sauveur  et  ceux 
qui  n'ont  pu  avoir  qu'un  témoin  ou  deux  *.  Des  faits  de  ce 
genre  ne  sauraient  être  allégués  avec  avantage  à  des  incré- 
dules qui  n'admettent  pas  l'inspiration  des  Ecritures.  Com- 
ment ont-ils  pu  être  connus  avec  certitude  des  évangélistes 
et  devenir,  avec  les  autres,  un  objet  de  foi  obligatoire  pour 
les  chrétiens?  C'est  que,  comme  nous  distinguons  deux 
sortes  de  faits,  il  faut  distinguer  aussi,  avec  Notre  Seigneur  * , 
deux  témoignages,  celui  des  hommes  et  celui  de  Dieu.  Sur 
les  faits  importants  et  publics,  les  évangélistes  peuvent  allé- 
guer le  premier  avec  le  second  ;  pour  les  autres,  le  second 
leur  suffit. 

Il  n'y  a  pas  de  doute  que  l'Esprit-Saint,  qui  inspirait  les 
auteurs  sacrés  dans  le  récit  même  des  faits  les  mieux  con- 
nus, ne  les  ait  éclairés,  autant  qu'il  fallait,  sur  ceux  qui 
avaient  laissé  un  souvenir  moins  précis;  et  qu'au  besoin  il 

I  Matth.,  I,  20,  25;  ii,  10,  13,  19,  20;  m,  16;  iv,  2-11;  xiv,  23-25; 
XXVI,  39,  42,  44;  xxvlii,  13,  14;  Marc.,  x,  21  ;  Luc,  i,  8-10,  26-38;  xxn, 
42;  Joan.,  iv,  7-29;  xi,  33;  xiii,  21,  etc.  —  «  Joan.,  v,  36,  31. 

7. 


118  JÉSUS-CHRIST  SELON   l'ÉVANGILE.  [N°  4S 

n'ait  suppléé  par  ses  lumières  aux  garanties  naturelles  et 
aux  renseignements  humains  ^  Le  Sauveur  avait  promis  cet 
Esprit  aux  Apôtres,  et  ils  pouvaient  compter  sur  son  secours 
dans  leurs  récits  historiques  aussi  bien  que  dans  leurs  ins- 
tructions doctrinales  ^  Ils  ont  reconnu  et  attesté  l'accomplis- 
sement de  cette  promesse  en  S.  Marc  et  en  S.  Luc  comme  en 
leur  propre  personne,  puisqu'ils  ont  donné  à  l'Église  nos 
évangiles  pour  divins,  qu'ils  les  ont  mis  au  même  rang  que 
les  livres  de  l'Ancien  Testament.  Le  Ciel  a  sanctionné  par 
ses  miracles  et  la  parole  des  uns  et  lés  écrits  des  autres'. 

Voilà  pourquoi  nous  croyons  sans  réserve  aux  quatre 
évangiles,  au  second  comme  au  premier,  au  dernier  comme 
aux  trois  autres.  Voilà  pourquoi  ces  livres  sont  pour  nous 
un  objet  de  foi  dans  toutes  leurs  parties,  sans  distinction. 
Dieu  a  tout  inspiré;  et  sa  véracité,  qui  nous  répond  de  tout, 
nous  oblige  à  tout  croire.  Car  la  foi  que  nous  leur  devons  a 
essentiellement  pour  motif  son  témoignage  et  son  autorité. 
Ce  serait  faire  acte  de  bon  sens,  mais  non  pratiquer  la  vertu 
de  foi,  que  d'adhérer  à  une  vérité,  par  cette  seule  considé- 
ration qu'elle  a  pour  garants  des  hommes  qui  ne  peuvent 
être  ni  trompeurs  ni  trompés. 

*  45.  —  Evangiles  apocryphes  *  :  quel  rapport  ont-ils  avec  les  Evan- 
giles authentiques? 

On  connaît  une  quarantaine  d'évangiles  apocryphes;  mais 
un  petit  nombre  seulement  nous  sont  parvenus  en  entier. 
C'est  :  Le  Protévmgile  de  S.  Jacques^  le  mineur,  connu  de 
Clément  d'Alexandrie;  VErangile  de  S,  Thomas,  cité  par 
Origène;  celui  de  l'Enfance  de  Notre  Seigneur,  écrit  en 
arabe,  au  v®  siècle  (56  chapitres)  ;  celui  de  la  Nativité  de  la 
Sainte  Vierge,  beaucoup  plus  court  ;  ceux  de  Joseph,  le  Char- 

*  Gai.,  I,  H,  12,  —  2  Spiritus  veritatis  docebît  vos  omnem  veritatem. 
Joan.,  XVI,  13.  Spiritus  sanctus  vos  docebit  omnia  et  suggeret  vobis 
omnia  quaecumque  dixero  vobis.  Joan.,  xiv,  26.  —  3  Domino  coopérante 
et  sennonem  confirmante  sequentibus  sîgnis.  Marc,  xvi,  20.  Contcstanto 
Deo  signis  ot  portentis  et  variis  virtutibus  et  Spiritus  Sancti  distiibu- 
tionibus.  Heb,,  ii,  4,  —  *  Artoxpuçoç,  caché. 


>o  45]  L£S  QUATRE  ÉVANGILES.  119 

pentier,  de  S.  Thomas^  de  Nicodème^  Tous  ces  livres  ont 
pour  objet  l'enfance  et  la  jeunesse  de  Notre  Seigneur,  sauf 
le  dernier,  qui  se  rapporte  à  la  Passion.  Loin  de  jeter  du 
doute  sur  l'authenticité  de  nos  quatre  évangiles,  ils  en  font 
ressortir  le  caractère  original  et  divin  '  :  un  regard  sufflt 
pour  reconnaître  la  contrefaçon  '. 

Ils  prouvent  en  même  temps,  de  la  manière  la  plus  sen- 
sible, l'impossibilité  qu'il  y  a  toujours  eu  de  faire  recevoir 
comme  inspiré  un  écrit  qui  n'avait  pas  en  sa  faveur  le 
témoignage  des  Apôtres  et  la  tradition  de  l'Eglise.  Tout  apo- 
cryphes qu'ils  sont,  en  effet,  plusieurs  de  ces  ouvrages  né 
laissent  pas  d'avoir  un  certain  mérite.  Sans  être  du  premier 
siècle,  ils  remontent  assez  haut  dans  l'antiquité;  ils  sont 
presque  toujours  d'accord  avec  nos  saints  Livres  ;  ils  y  font  de 
fréquentes  allusions  et  s'efforcent  d'en  reproduire  le  langage. 
On  pouvait  donc  s'édifier  et  s'instruire  en  les  lisant*.  On 
peut  encore  y  reconnaître  certaines  traditions  respectables  *. 
Néanmoins  l'Eglise  s'est  bien  gardée  de  les  mettre  au  même 
rang  que  les  quatre  évangiles  ou  d'en  faire  le  même  usage. 
Elle  a  pu  en  témoigner  quelque  estime,  comme  des  Vies  des 
Saints  et  des  Actes  des  Martyrs;  mais  jamais  elle  ne  les 
a  insérés  dans  ses  Canons;  jamais  elle  n'a  souffert  qu'on  leur 
attribuât  l'autorité  des  Écritures;  et  quand  on  a  prétendu 
les  faire  passer  pour  canoniques  ou  qu'on  les  a  attribués  sé- 
rieusement à  des  écrivains  inspirés,  elle  n'a  pas  hésité  à  pu- 
nir les  imposteurs  qui  en  imposaient  à  la  crédulité  des 
simples,  f  ertullien  nous  apprend  que  S.  Jean  fit  déposer  uii 
prêtre,  dans  l'Asie-Mineure,  pour  avoir  attribué  à  S.  Paul 
une  Histoire  qu'il  croyait  édifiante  et  glorieuse  pour 
l'Apôtre '^;  et  Sérapion,  qui  gouvernait  l'Église  d'Antioche 


*  A.  T.j  n.  6i-69.  Gomme  il  y  a  eu  de  faux  prophètes  dans  rAncicu 
Testament,  dit  Origène,  il  y  a  eu  des  faussaires  dans  le  Nouveau.  — 
*  Wallon,  Croyance  à  rEvangite,  ir,  2.  —  3  In  quantum  falsum  corraptio 
est  veri,  in  tantum  praecedat  necesse  est  veritas  falsum.  Tert .  Adv. 
Marc.f  IV,  4.  —  *  Nous  exceptons  ceux  qui  ont  été  condamnes  dès  leur 
apparition,  comme  des  productions  hérétiques,  l'Ëvangile  de  Nicodcme  et 
celui  de  la  Nativité  de  la  S«  Vierge.—  s  Par  exemple  les  noms  dos  parents 
de  la  sainte  Vierge,  sa  Présentation  au  temple>  etc.  —  «  Sciant  in  Asia 


120  JÉSUS-CHRIST  SELON   l'ÉVANGILE.  [n<^  47 

du  temps  de  ce  Docteur,  nous  fait  connaître  le  principe  qui 
dirigeait  tous  les  pasteurs,  lorsqu'à  propos  d'un  évangile 
apocryphe  publié  sous  le  nom  de  S.  Pierre,  il  dit  :  «  Nous 
sommes  attachés  à  S.  Pierre  et  à  tous  les  Apôtres,  mais  cela 
ne  nous  empêche  pas  de  rejeter  les  écrits  qu'on  leur  attri-. 
bue  faussement,  étant  certains  de  n'avoir  rien  reçu  de  sena- 
blable  de  ceux  qui  nous  ont  précédés  *.  » 

ni.  —  Chronologie  et  géographie. 

*  46.  —  Importe-t-il  de  connaître  la  chronologie  de  la  vie  de  Notre 
Seigneur  et  de  la  rattacher  exactement  à  Thistoire  profane? 

La  chronologie  et  la  géographie  sont  les  deux  yeux  ou 
les  deux  flambeaux  de  l'histoire.  Dans  la  vie  du  Sauveur, 
les  questions  chronologiques  ont  une  importance  particu- 
lière, au  point  de  vue  de  l'exégèse  et  de  l'apologétique.  Si 
Ton  donne  aux  faits  de  l'Evangile  leur  véritable  date,  on 
voit  s'évanouir  une  foule  de  difficultés  relatives  à  la  nais- 
sance, à  la  prédication,  à  la  mort  de  Notre  Seigneur.  Elles 
ne  se  présentent  même  pas;  et  les  synchronismes  indi- 
qués par  les  auteurs  sacrés  attestent  l'exactitude  de  leur 
récit.  Au  contraire,  ces  difficultés  sont  insolubles  et 
deviennent  autant  de  protestations  contre  l'histoire  évangé- 
lique,  si  les  faits  sont  transposés  ou  si  l'on  ne  met  pas  entre 
eux  l'intervalle  qui  les  a  séparés  réellement  ^ 

47.  —  A  quelle  époque  a-t-on  commencé  à  dater  de  la  naissance  de 
Notre  Seigneur  et  comment  a-t-on  déterminé  cette  date? 

L'ère  chrétienne,  adoptée  aujourd'hui  dans  toutes  les  con- 
trées de  l'Europe,  sauf  la  Turquie,  n'est  en  usage  que  depuis 

presbyterum,  convictum  atque  confessum  id  se  amore  Pauli  fecisso,  loco 
discessisse.  Tert.,  de  Bapt.j  xvii.  Cf.  S.  Hieron.,  de  Vir.  ill.,  vu. 

*  Oti  Ta  ToiavTtt  ou  irapeXaSojjLev.  Euseb.,  H.,  vi,  12.  Cf.  iv,.22.  Nolite  in 
scandalum  mittere  Ecclesiam,  légende  in  populis  Scripturas  quas  canon 
apostolicus  non  recepit.  S.  Aug.,  Epist.  lxiv,  3.  Cf.  S.  Iren.,  RI,  xi,  8; 
S.  Justin.,  /  Apol.j  66,  67;  Tert.,  de  Prxscr.y  36;  De  anima^  n;  Orig., 
In  Luc, y  Hom.  i;  Euseb.,  H, y  m,  25;  S.  Hieron.,  Epist,  cvii,  i2.  Concil. 
Laod.,  can.  60.  {363J.  —  ?,  S.  Aug.,  de  docL  Christ,  u,  28. 


JV0  47]  LES  QUATRE  ÉVANGILES.  121 

le  septième  sîjècle.  Jusque-là,  chaque  État  avait  supputé  le 
temps  par  la  série  de  ses  princes  et  les  années  de  leur 
règne  '.  On  jugea  meilleur  et  plus  convenable  pour  les  chré- 
tiens de  partir  tous-d'un  point  commun  et  de  compter  par 
les  années  de  l'Eglise,  ou  de  l'empire  de  Jésus-Christ.  Le 
vénérable  Bède  (t  735),  suivit  ce  système  dans  son  Histoire 
d'Angleterre.  Pépin  et  Charlemagne  l'adoptèrent  pour  leurs 
I  actes  officiels  :  Som  Vempire  de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ, 
l'an  de  grâce,  etc.^. 

C'est  un  prêtre  de  l'Église  de  Rome,  aussi  savant  que 
pieux,  Denys  le  Petit  (t  540),  qui  eut  l'honneur  d'imaginer 
et  de  proposer  cette  innovation  '.  Malheureusement,  son 
point  de  départ  ne  fut  pas  déterminé  d'une  manière  bien 
exacte.  Non  seulement  Denys  commença  son  année  au  pre- 
mier janvier,  au  lieu  de  la  commencer  au  vingt-cinq  décem- 
bre *,  mais  encore,  de  l'aveu  de  tous  les  chronologistes,  il 
retarda  la  naissance  de  Jésus-Christ  de  quatre  ans  au  moins, 
et  probablement  de  six  :  car  il  l'a  placée  en  l'an  de  Rome 
754;  et  il  est  prouvé  par  la  date  certaine  de  la  mortd'Arché- 
laùs  et  de  Philippe,  fils  et  successeur  d'Hérode,  et  par  la  durée 
connue  du  règne  de  l'un  et  de  l'autre  %  que  leur  père  est 
mort  quatre  ans  plus  tôt,  l'an  de  Rome  750.  Ce  n'est  donc  pas 
en  754  qu'a  eu  lieu  la  naissance  du  Sauveur,  mais  au  plus 
tard  en  749  et  probablement  en  747,  Hérode  ayant  ordonné 
an  départ  des  Mages  qu'on  massacrât  les  enfants  de  Bethléem 
jusqu'à  l'âge  de  deux  ans  ®. 

L'erreur  de  Denys  le  Petit  est  excusable,  sans  doute  :  mais 
elle  n'est  pas  sans  inconvénient.  Elle  vient  surtout  de  ce 
qu'il  a  cru  devoir  prendre  à  la  rigueur  ce  qu'on  lit  dans  le 
troisième  évangile  que  Jésus-Christ   avait  une  trentaine 

'  Lnc,  III,  1,  2.  —  ^  Inopérante  Domino  nostro  Jesu  Cliristo,  anno... 
Cf.  Ps.  II.  6;  Ps.  XI,  12;  Joan.,  xvm,  26;  I  Cor.,  xv,  25;  I  Tim.,  i,  17; 
I  Pet.,  V,  2,  etc.,  MartyroL  rom.^  25  déc.  —  3  Migne,  Patrol.  lat., 
t.  Lxvii,  p.  487,  493,  etc.;  Bossuet,  f/.  t/.,  I,  x.  —  *  Sur  le  début  de 
l'année,  on  ne  s'accorda  qu'assez  tard.  Plusieurs  voulaient  commencer 
à  Pâques  et  dater  de  la  Résurrection.  Un  édit  royal  de  1505  prescrit  de 
commencer  en  France  au  1«»  janvier.  —  5  Joseph.,  A.,  xvii,  15;^  xvm,  6. 
—  *  Juxta  tempas^  qaod  exquisierat  a  magis.  Mattii.,  u,  16. 


122  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'ÉVANGILE.  [n»  48 

d'années  en  Tan  15  délibère  *.  S.  Luc  semble  pourtant  n'avoir 
eu  d'autre  intention  en  cet  endroit  que  de  constater  que 
Notre  Seigneur  n'a  pas  commencé  son  ministère  avant  d'a- 
voir atteint  l'âge  requis  pour  l'exercice  du  sacerdoce  '. 

48.  —  Est-on  d'accord  sur  l'année  où  le  Sauveur  a  coinm6ncé  à 
prêcher  et  sur  celle  où  il  est  mort? 

On  discute  sur  la  date  de  la  mort  du  Sauveur,  comme  sur 
celle  de  son  baptême,  et  sur  celle  de  sa  naissance. 

1°  Un  certain  nombre  d'auteurs  pensent  que  la  tradition 
nous  a  conservé  fidèlement  le  nombre  d'années  que  Notre 
Seigneur  a  vécu  ;  et,  le  faisant  naître  quatre  ans  avant  notre 
ère,  ils  sont  forcés,  pour  ne  pas  dépasser  la  mesure  de 
trente-trois  ans,  de  placer  sa  mort  en  l'an  29  ^  Par  suite, 
ils  font  commencer  sa  carrière  évangélique  en  l'an  26  ou  à 
la  fin  de  l'an  25,  la  plupart  donnant  à  sa  prédication  trois 
ans  et  demi,  plutôt  que  trois  ans.  Pour  concilier  ce  senti- 
ment avec  le  texte  de  S.  Luc,  qui  place  le  baptême  du  Sau- 
veur en  l'an  15  de  Tibère  *,  ils  disent  que  le  règne  de  Tibère 
commença  officiellement,  non  à  la  mort  d'Auguste,  mais 
trois  ans  plus  tôt,  au  moment  où  Auguste  l'associa  a  l'em- 
pire. Telle  est  l'opinion  de  Sepp,  de  Rorbacher,  etc.  ^  Le 

1  Erat  incîpiens,  quasi,  oxxei,  annorum  triginta.  Luc,  m,  1,  23.  Cf. 
(jLe6^  T)(Jiepa;  eÇ^  Matth.,  xvii,  1;  (ovet,  Marc,  ix,  2  et  cuTei  Yipiepai  oxto). 
Luc,  IX,  28.  Scriptura  non  facit  vim  in  minutls  numerorum.  S.  Th.. 
Opusc,  Cf.  S.  Aug.,  Quxst.  xlvii  in  Exod,  —  2  a  triginta  annis  et 
supra.  Num.,  iv,  3,  23.  30,  35;  I  Parai.,  xxiii,  3;  Ezech.,  i,  1.  Ajoutez 
qu'il  n'est  pas  certain  que  Notre  Seigneur  fut  baptisé  dès  le  commen- 
cement du  ministère  de  S.  Jean -Baptiste.  Cf.  Luc,  m,  1,  21;  Act.^ 
XIII,  25.  —  3  An  de  Borne,  782.  La  tradition  n'a  rien  d'assuré  à  cet 
égard.  La  plupart  des  Pères  donnent  à  Notre  Seigneur  au  moment  de 
sa  mort  une  trentaine  d'années;  mais  suivant  S.  Irénée,  il  en  aurait  eu 
quarante  au  moins,  peut-être  cinquante.  II,  xxii,  5.  Cf.  Joan.,  viii, 
56,  57;  S.  Chrys.,  Hom,  lv  in  Joan.;  S.  Aug.,  rfe  doc  t.  Christ.  ^  ii,  28. 
—  *  Luc,  m,  1.  —  5  Tibère,  disent-ils,  commença  d'exercer  Tautorité 
souveraine  en  Orient,  aussitôt  qu'il  eut  reçu  d'Auguste  le  titre  de  pro- 
consul; et  S.  Luc  écrivant  sur  des  renseignements  et  des  mémoires 
recueillis  en  Palestine,  a  dû  suivre  la  manière  de  compter  usitée  dans 
cette  partie  de  l'empire,  plutôt  que  celle  qu'on  suivait  en  Occident. 
Par  là,  ils  se  mettent  d'accord  avec  un  certain  nombre  d'auteurs  anciens, 
Tertullien,  Adv.  Jud,,  8;  Laçtance,  InsiiLj  iv^  10;  S.  Aug,,  De  civ.  Der^ 


ii°i8]  LES  QUATRE  ÉVANGILES.  123 

P.Patrizi  place  également  la  mort  de  Notre  Seigneur  en  Tan 
29  ;  mais  comme  il  réporte  sa  naissance  six  ans  avant  notre 
ère,  il  lui  donne  alors  trente-cinq  ans. 

2»  Un  grand  nombre  d'historiens  et  de  commentateurs, 
persuadés  qu'on  ne  peut  faire  commencer  les  années  du 
règne  de  Tibère  avant  la  mort  d'Auguste  *,  soutiennent  que 
le  Sauveur  a  commencé  sa  prédication  à  la  fin  de  Tan  29,  et 
qu'il  est  mort  en  33  ',  mais  ils  sont  forcés  de  direquMl  avait 
à  sa  mort  36  ou  38  ans  et  quelques  mois,  selon  qu'ils  le  font 
naître  en  749  ou  747  de  Rome,  quatre  ans  ou  six  ans  avant 
notre  ère.  Le  dernier  de  ces  sentiments  était  celui  du  P. 
Pagi,  au  XVII®  siècle,  de  Sanclementi  ',  au  xviii*.  C'est  au- 
jourd'hui celui  de  MM.  Mesmain  *,  Wallon,  Alzog  ;  et  nous  le 
suivrons  dans  les  dates  que  nous  aurons  à  indiquer.  On 
conçoit,  du  reste,  qu'on  s'accorde  sur  la  date  de  la  mort  du 
Sauveur,  sans  s'accorder  sur  celle  de  sa  naissance  et  des 
divers  faits  de  son  histoire  ;  mais  l'époque  de  sa  mort  est 
déterminée  par  celle  de  son  baptême. 

Suivant  le  sentiment  commun,  c'est  de  l'an  29  à  l'an  33, 
une  dizaine  d'années  après  la  mort  de  Tite-Live,  dans  le 
temps  où  Tibère  (f  37)  avilissait  à  Caprée  *  sa  vieillesse  et 
l'empire,  que  le  divin  Maître  prêchait  son  Evangile  et  le 
confirmait  par  ses  miracles.  Les  auteurs  qui  s'éloignent  le 
plus  de  ce  sentiment  avancent  de  trois  ans  sa  vie  publique 
et  sa  mort. 

XVUI,cap.  ult.  etc.,  qui  placent  la  mort  du  Sauveur  sous  le  consulat 
des  deux  Gémi  nus. 

*  An  7ÔT  de  Rome,  14  de  Tère  chrétienne.  —  2  An  186  de  Rome, 
33  de  l'ère  chrétienne.  Ceux-ci  tiennent  pour  certains  que  cette  année  33, 
est  la  seule  do  Tan  21  à  Tan  38,  ofi  la  Pàque  ait  eu  lieu  un  vendredi; 
et  ils  croient  pouvoir  attribuer  à  un  faux  calcul,  et  non  à  une  autorité 
historique,  le  sentiment  qui  rapporte  la  mort  du  Sauveur  au  consulat 
des  deux  Geminus.  Cf.  Wallon,  Ci*oyance  à  FEvang.,  11,  4.  —  3  De 
volgaris  «erae  omendatione,  1790.  — ^Etudes  chronol.  sur  la  vie  de  J.-C.j 
1867.—  5  CaprinuSf  «  Le  bouc  de  Caprée,  »  comme  le  peuple  l'appelait 
i  Rome,  en  dépit  de  Séjan.  Suet.,  Tib.j  43;  ïacit.,  A  ,  vi,  1  ;  unn.  26-37. 
lafruj  n.  141. 


124  JÉSU3-CHRIST   SELON   l'ÉVANGILE.  [N^  49 

*  49.  —  Importe-t-il  aussi  de  connaître  la  situation  politique  et  les  divi- 
sions  géographiques  de  la  Palestine  au  temps  de  Notre  Seigneur? 

Il  importe  d'en  connaître  non  seulement  la  constitution 
politique,  mais  encore  la  position  géographique  et  les  prin- 
cipales divisions,  avec  la  distance  de  la  capitale  aux  diver- 
ses localités  nommées  dans  l'Evangile  *. 

La  Palestine,  où  se  sont  passés  tous  les  faits  de  la  vie  du 
Sauveur  ^  est  une  petite  contrée  de  l'Asie,  d'une  soixantaine 
de  lieues  de  longueur  sur  vingt-cinq  à  trente  de  largeur  au 
plus  ^  ;  mais  sa  situation  à  l'entrée  de  l'Orient  et  à  proximité 
de  l'Occident,  au  point  de  jonction  des  trois  grandes  par- 
ties du  monde  ancien,  l'Asie,  l'Europe  et  l'Afrique,  aussi 
bien  que  les  mœurs  du  peuple  qui  l'habitait,  la  mettait  en 
relation  avec  toutes  les  contrées  du  globe  *.  Le  Jourdain,  qui 
coule  en  ligne  droite  du  mont  Hermon  jusqu'à  la  mer  Morte, 
en  traversant  au  milieu  de  son  cours  le  lac  de  Génésareth, 
la  divise  dans  toute  sa  longueur  en  deux  parties  inégales, 
dont  la  principale  s'étend,  à  l'Ouest,  des  bords  du  fleuve 
jusqu'à  la  Méditerranée.  Au  temps  de  Notre  Seigneur,  on 
distinguait,  de  ce  côté  du  Jourdain,  trois  provinces  :  la  Ga- 
lilée, au  Nord  ;  la  Judée,  au  Sud,  la  Samarie  entre  l'une  et 
l'autre  *  ;  et,  du  côté  opposé  du  fleuve  jusqu'au  désert  et  à 
l'Arabie,  une  seule  province,  qui  s'étendait  depuis  Césarée 
de  Philippes  jusqu'à  la  mer  Morte  et  qu'on  nommait  la 
Pérée,  quoique  ce  nom  appartint  surtout  à  la  partie  méri- 
dionale. Des  quatre  provinces  que  baignait  le  Jourdain, 
celle  où  l'on  voyait  le  plus  de  Gentils  était  la  Pérée;  la  plus 
peuplée  et  la  plus  riante  était  la  Galilée,  la  moins  juive 
était  la  Samarie,  mais  la  plus  célèbre  était  la  Judée,  dont  la 

1  Quemadmoduni  grsecorum  historias  melius  intelligunt  qui  Athenas 
viderunt,  ita  Sacram  Scripturam  lucidius  intuebitur  qui  Judœam  oculis 
contemplatus  est.  S.  Hieron.,  Prol.  in  Parai.;  Epist  XLni,  2;  Breviar., 
30  sept.,  lect.  iv.  —  2  Terra  sanctificata,  Zac,  11,  12.  Terra  proniissionis. 
Heb.,  XI,  9.  —  3  Pudet  dicere  latitudinem  terrae  reproniissionis ,  no 
ethnicis  occasionem  blaspheinandi  dedisso  videamur.  S.  Hieron.,  Epist. 
cxxix.  —  *  Cf.  A.  r.,  n.  345,  432,  etç,  —  «  Joseph.,  A.y  1,  x,  1.  fi,, 
m,  X,  7. 


N^  49]  LES  QUATRE  EVANGILES.  127 

capitale,  bâtie  dans  les  montagnes  \  était  comme  le  point 
central  et  culminant  de  toute  la  région  *. 

Autour  de  Jérusalem,  on  voyait  :  —  le  mont  des  Oliviers, 
à  un  peu  plus  d'un  kilomètre,  sàbbati  hahem  iter  ',  E.;  — 
Béthanie  *,  à  trois  kilomètres,  E.  ;  —  Bethléem  *,  à  deux 
lieues.  S.;  —  Emmaûs  %  trois  lieues,  0.;  —  le  désert  de  la 
quaraQtaine^  six  lieues,  E.;  — •  Jéricho  ^  six  lieues,  E.  E.  N. 

—  Hébron*,  neuf  lieues.  S.;  —  Arimathie',dix  lieues, N.-O.; 

—  Lydda  *^  onze  lieues,  N.-Oi;  —  Joppé ",  douze  lieues,  N.-O. 
En  Samarie  se  trouvaient  :  Sichar  ou  Sichem'S  12  lieues, 

N.  —  Samarie  *',  13  lieues,  N. 

Dans  la  Galilée  étaient  :  Césarée  de  Palestine  **,  27  lieues, 
N.-E.;  —  Naïm  ",  32  lieues,  N.;  —  Nazareth  *•  et  le  mont 
Thabor,  33  lieues,  N.;  —  Cana  '\  34  lieues  N.;  —  Tibé- 
riade  *%  rebâtie  par  Antipas  en  l'honneur  de  Tibère, 
3S  lieues,  N.;  —  Magdala  ^^  et  Capharnaûm  ",  37  lieues, 
côté  occidental  du  lac  de  Génésareth  ;  —  Bethsaïde  ",  à  Test 
du  Jourdain  et  au  nord  du  lac. 

Césarée  de  Philippes'^  était  à  48  lieues,  N.;  -—  Tyr,  à  la 
même  distance  sur  la  Méditerranée,  N.;  —  Sidon  ",  à  50 
lieues  sur  la  même  côte.  N.;  —  Damas  ^\  à  55  lieues,  N.-O.  ; 

—  Gadara,  Gerasa,  ou  Gergesa  ",  ville  de  la  Pérée,  à  28 
lieues,  Nord,  au  S.-O.  du  lac  de  Génésareth  ". 

Ce  lac,  stagnum,  appelé  par  les  Hébreux  mer  de  Tibériade 
ou  de  Galilée  ",  à  une  trentaine  de  lieues  N.  de  Jérusalem,  à 
six  cents  pieds  au-dessous  de  la  Méditerranée,  a  la  forme  d'un 
ovale  assez  régulier.  Il  peut  avoir  quatre  à  cinq  lieues  de 
long  sur  trois  de  large  ". 

t  Montes  in  circuitu  cjus  et  Dominas  in  circuitu  populi  sui.  Ps.  cxxiv, 
2.  Cf.  Ps.  Lxxm,  2;  Lxxv,  1,2;  lxxxvi,  1,2;  Ezcc,  xlviii,  3,  5.  — 
s  7  à  SOO  ™  d'altitude  :  d'où  le  sens  particuUcr  du  mot  ascendere  dans 
la  Bible.  —  *  Marc,  xi,  1  ;  Act.,  i,  12.  —  *  Matth.,  xxi,  17.  —  »  Matth., 
Il,  6.  —  «  Lac,  XXIV,  13.  —  7  Matth.,  iv,  1.  —  «  Matth.,  xx,  29.  — 
»  Mattli.,  XXVII,  57.  —  *<>  Act.,  ix,  32.  —  »!  Act.,  ix,  38.  —  i«  Joan., 
IV,  5.  —  **  Act.,  VIII,  40.  —  »♦  Luc,  vu,  11.  —  *»  Luc,  ii,  39.  — 
««  Joan.,  II,  i.  —  "  Joan.,  vi,  1.  —  i»  Matth.,  iv,  13.  —  «»  Matth.,  xr,  21. 

—  «0  Ibid.  —  "  Matth.,  xvi,  13.  —  «  Matth.,  xv,  21.  -  «»  Act.,  ix,  2. 

—  n  Matth.,  viii,  28;  Luc,  viii,  26.  —  «s  Luc,  v,  1.  —  26  Joan.,  xxi,  1. 
^  »7  Joan.,  VI,  1.  —  "  A.  T.,  n.  436. 


128  JÉSUS-CHRIST   SELON  L'ÉVANCILE.  [n®  5Û 

La  mer  Morte;  à  sept  lieues,  S.-E.,  de  Jérusalem,  et  à 
1200  mètres  plus  bas,  a  environ  vingt  lieues  de  longueur 
§ur  quatre  delargeur*.  L'Egypte  commence  à  une  centaine 
de  lieues,  8:^0.,  de  la  Judée. 

Il  est.  facile  aujourd'hui  .de  constater  l'exactitude  des 
Evangiles  $ouS  le  rapport  géographique.  Il  ne  le  fut  .guère 
inojns  de  s'en  assurer  dès  le  commencement.  La  topogra- 
phie de  la  Judée. était  aussi  connue  à  Rome  que  celle  des 
Gaules.  Ponipée-avait  Conquis  la  Palestine;  Auguste  en  avait 
dressé  le  cadastre;  Strabori  venait  de  la  visiter  et  Tacite  en 
faisait  la  description  ^ 

•  •  ■     -    ■  • 

,  -  .  IV.  ^  Beauté  des  Evangiles/' 

.         "  •  "  '  ,   .         • 

*  50.  —  TToù  vieht  le  charme'  attaché  au  saint  Evangile,  l'intérct  qu'il 
'  .     *  .     excite,  lo  fruit  qu'on  en  retire? 

On. a  attribué  le  charme  du  saint  Evangile  à  la  tiàiveté  des 
légendes  et  au  vague  exquis  du  langage  ^ ,  Il  .lient  au  con- 
traire, comme,  l'intérêt  qu'on  y  trouve  et  le  fruit  qu'on  en 
retiré,  à  l'évidente  réalité  de  l'histoire,  à  l'excellence  de  l^ 
doctrine,  au  caractère  sublime  et  divinement  aimable  qui  y 
est  dépeint  *.       . 

1^  En  nous  tenant  en  présence  du  Sauveur,  ce  livre  nou5 
le  fait  connaître,  non  seulement  dans  sa  vie  extérieure,  mais 
dans  ce  qu'il  a  dé  plus  intimé  et  de  plus  ravissant,  dans  ses 
sentiments,  dans  ses  vertus,  dans  son  esprit,  dans  son  lan- 
gage. S'il  est  si  doux  de  rencontrer  une  belle  âme,  combien 
plus  d'étudier  et  de  contempler  à  loisir  celle  du  Fils  de 
Dieu,  le  Saint  des  saints,  la  grandeur  et  la  sainteté  mêmes  M 

• 

.*  A,  T.,  n.. 437.  Cf.  S.  Hier.,  fn  Ezech.y  xlvii,  9.-2/4.  T.,  n.  345, 
432-444.  Pour  les  sites,  voir  V.  Guérin,  La  Terre  Sainte.  Planches. 
2  in-fol.  1882-84.  Cf.  Joseph.,  fi.,  iv,  8;  Tadi  .  Ann.y  v,.6,  Mgr  Meignan» 
Evangiles,  leç.  xi  et  xiii.  — .  3  M.  Renan,  Evangilei^  p..  198,  Cf.  p.  101. 
—  *  Ps.  xLiy,  5;  cxviii;  85.  Trahitur  ad  Chriâtum  qui  delecta^tur  veri- 
tate,  delcctatuf  justitia,  delectatur  sempitcma  vjta,  quod  totuni  Çhris- 
tus  est.  Quid  enim  fortius  desiderat  anima  quani  veritatçm?  S.  Aug.; 
In  Joan,,  xxyi,  4,  5.  Brev.,  Fe7\  iv  infra  Oçlati.  Pentec.^  leçt.  i-iii.  — 
^  Audiendo  te  felix  sum;  de  tua  voce  felix  s\km\  intus  bibcndo  felix 
suna.  S.  Aug.,  In  Joan.y  xxv,  17,  •  .      :      • 


N°  50]  LES   QUAtRE  EVANGILEâ.  12Ô 

2®  En  nous  faisant  connaître  Notre  Seigneur,  l'Evangile 
nous  le  fait  aimer;  car  comment  ne  pas  s'attacher  à  celui 
qu'on  voit  si  aimable  et  si  parfait?  Ceux  qui  lui  ont  été  les 
plus  affectionnés  sur  la  terre  sont  ceux  cjui  l'ont  vu  de  plus 
près  et  fréquenté  davantage  '.  Quand  on  n'a  plus  d'autre 
science  que  Jésus-Christ,  peut-on  avoir  un  autre  amour  et  une 
autre  vie  ^  ? 

.    3**  De  plus,  en  étudiant  le  divin  Maître,  on  s'anime  de  son 
esprit;  on  se  remplit  de  ses  dispositions;  on  se  conforme 
à  ses  exemples.  On  apprend  à  s'occuper  des  mêmes  objets 
que  lui,  à  les  voir  du  même  point  de  vue,  à  en  juger  comme 
il  en  jugeait.  On  s'habitue  à  parler  de  tout  comme  il  en 
parlait;  chose  capitale  pour  un  prêtre,  appelé  à  continuer 
son  ministère,  et  qui  a  besoin,  pour  le  faire  avec  succès,  non 
seulement  de  prêcher  la  même  doctrine,  mais  de  la  prêcher 
avec  le  même  accent,  la  même  simplicité,  la  même  charité. 
4*»  Pour  tout  dire  en  un  mot,  l'Evangile  est  le  complément 
de  l'Eucharistie,  ou  plutôt  TEvangile  et  l'Eucharistie  se 
complètent  l'un  Tautre,  pour  le  soutien  et  la  consolation 
des  âmes.  L'Evangile  ravit  notre  esprit;  néanmoins  une 
chose  y  manque  pour  contenter  notre  cœur: il  faudrait  sous 
ses  récits  une  réalité  vivante.  Après  avoir  admiré  ces  dis- 
cours et  ces  miracles,  on  en  cherche  l'auteur.  C'est  dans 
l'Eucharistie    qu'on  le  trouve  :  Ego  qui  loquebar,  ecce  ad- 
sum  ^.Réciproquement,  l'âme,  en  présence  de  l'Eucharistie, 
ne  laisse  pas  d'éprouver  encore  certains  désirs.  Il  y  a  mille 
choses  qu'elle  voudrait  apprendre  du  divin  Maître.  Que  sou- 
haite-t-il  de  moi?  Quelles  sont  ses  pensées  et  ses  vues 
à  mon  égard?  Qu'ai-je  à  faire  pour  lui  plaire?  C'est  dans 
l'Evangile  qu'est  la  réponse  à  ces  questions  :  Qui  loquitur 
tecum^  Ipseest  *.  Aussi,  quoi  de  plus  cher  à  l'âme  fervente, 
après  le  Saint-Sacrement  !  S.  Augustin  rapporte  qu'un  bar- 
bare, fait  prisonnier  par  les  Romains  et  converti  au  chris- 

*  Multo  intuitu.  ïsaî.,  xxi,  7.  —  2  in  evangelicis  sermonîbus  semper 
litterœ  adjunctus  est  spiritus,  et  quidquid  primo  frigere  videtur  aspectu, 
si  tetigeris,  calet.  S,  Hieron.,  In  Matth,,  xiv,  14.  Legebam  et  ardebam, 
S.  Aug.,  Conf,  IX,  4.-3  Isai.,  lu,  6.  —  *  Joan.,  ix,  37. 


lâO  JESU5-CHRIST  SELON   L*ÉVANiGILÉ.  [N<>  Si 

tianisme,  fut  si  touché  de  cette  pensée  que  l'Evangile  est  la 
parole  de  Dieu,  qu'il  obtint  du  ciel,  par  ses  prières,  d'ap- 
prendre à  lire  en  trois  jours,  afin  de  se  rassasier  à  son  gré 
de  cette  nourriture  sacrée  *. 

*  51.  —  D'où  vient  qu'un  si  grand  nombre  trouvent  peu  d'attraits 
dans  TEvangile  et  n'en  voient  pas  la  beauté? 

Si  l'on  trouve  peu  d'attraits  dans  l'Evangile,  ce  défaut 
tient  à  la  mauvaise  disposition  de  l'esprit  ou  du  cœur. 

I.  Souvent  on  a,  par  rapport  à  r Evangile^  le  même  préjuge' 
que  les  Juifs  avaient  à  regard  du  Sauveur,  Ceux-ci,  sachant 
que  le  Messie  devait  descendre  du  ciel,  et  appliquant  à 
son  premier  avènement  ce  que  les  prophètes  ont  dit  du 
second,  ou  à  son  humanité  ce  qui  se  rapporte  à  sa  nature 
divine,  s'imaginaient  qu'il  serait  entouré  d'un  éclat  tout 
divin,  qu'il  effacerait  les  monarques  du  monde  par  sa  ma- 
gnifience.  Aussi  s'indignèrent-ils  de  la  prétention  du  fils 
du  charpentier.  Sa  pauvreté  les  choquait;  sa  simplicité  les 
faisait  rougir.  Ils  voulaient  des  merveilles  et  ils  ne  voyaient 
que  des  haillons.  Aufer  hinc  sordidos  pannos,  disaient-ils 
comme  Marcion  ^  Ainsi  en  est-il  encore  de  beaucoup  de 
chrétiens  à  qui  l'on  présente  l'Evangile  comme  l'œuvre  du 
Saint-Esprit.  Ils  s'imaginent  qu'un  livre  qui  a  Dieu  pour 
auteur  doit  posséder  au  plus  haut  degré  toutes  les  qualités 
qu'on  admire  dans  les  productions  humaines,  surpasser  en 
éloquence,  en  poésie,  en  perfection  littéraire  les  chefs- 
d'œuvre  les  plus  vantés.  Et  lorsque,  au  lieu  des  beautés 
qu'ils  ont  rêvées,  ils  trouvent  dans  ces  pages  tant  de  sim- 
plicité, si  peu  de  littérature,  si  peu  d'art,  un  tel  dédain  de 

*  De  doctrina  Christi.,  Prol.,  4.  «  Je  me  rappelle  le  moment  où  après 
avoir  lu  les  dernières  pages  des  anciennes  Ecritures,  j'ouvris  pour  la 
première  fois  le  Nouveau  Testament.  Il  était  neuf  heures  du  soir.  Mon 
âme  s'attacha  si  fortement  à  cette  lecture,  que  je  rie  pus  la  quitter 
durant  une  partie  de  la  nuit;  et  d'un  seul  trait  j'uvalai  la  coupe  d'eau 
vive  de  l'évangile  de  S.  Matthieu.  H  m'en  arriva  de  même  avec  révangile 
de  S.  Jean;  et  à  deux  reprises,  je  ne  pus  le  laisser  qu'après  l'avoir  lu 
tout  entier.  »  Th.  Ratisbonne,  PkiL  du  Christ.  Préf.  Cf.  Brev.,  S.  Cécile, 
Resp.  m;  MarUgny,  Evangile,  —  s  Tert.,  De  came  Chnsti^  ii. 


NO^l]  LES  OtATRË  EVANGILES.  131 

J'élégance  et  de  Téclat,  ils  s'étonnent  :  c'est  un  mystère  qui 
les  confond.  —  Qu'ils  réfléchissent  cependant;  qu'ils  con- 
sultent leur  foi  :  ils  verront  que  ce  livre  a  réellement  les 
caractères  qu'il  doit  avoir.  Si  le  Fils  de  Dieu  a  voilé  sa 
grandeur  pour  habiter  parmi  nous,  s'il  a  été  humble  et  ca- 
ché dans  son  humanité,  s'il  s'anéantit  chaque  jour  sur  nos 
autels,  ne  doit-il  pas  s'humilier  aussi,  se  voiler  dans  son 
langage,  dans  le  récit  de  ses  actes,  dans  l'énoncé  de  ses 
maximes  ?  N'est-il  pas  naturel  qu'il  adopte  l'idiome  des  pe- 
tits, après  s'être  réduit  à  leur  petitesse  ?  Ce  qui  ne  veut 
pas  dire  que  ses  discours  manquent  d'élévation  ou  d'éner- 
gie. Puisque  l'humilité  de  sa  vie  ne  l'a  pas  empêché  de  rem- 
plir sa  mission,  d'abattre  l'idolâtrie,  et  défaire  régner  sa  loi 
d'un  bout  du  monde  à  l'autre,  la  simplicité  de  son  langage 
n'empêchera  pas  non  plus  que  sa  parole  ne  devienne  ce  qu'elle 
doit  être,  la  lumière  des  intelligences  et  le  principe  de 
toutes  les  vertus,  la  force  et  le  soutien  des  âmes,  la  règle  et 
le  mobile  du  monde  surnaturel  ^  «  La  grandeur  du  Sauveur 

*  Rien  ne  montre  mieux  la  valeur  de  nos  saints  livres  que  les  Histoires 
ou  les  Vies  de  Notre  Seigneur  qu'on  a  composées,  en  Joignant  aux  récits 
des  évangélistes  les  renseignements  fournis  parles  auteurs  profanes  et 
les  descriptions  de  lieux  tracés  par  les  voyageurs.  Ces  ouvrages  ont  leur 
raison  d'ôtre  sans  aucun  doute.  Plusieurs  ont  été  publiés  de  nos  jours 
par  des  hommes  d'une  foi  profonde  et  d'un  grand  talent.  Néanmoins, 
quel  est  celui  qui  pourrait  remplacer  dans  l'Eglise  nos  saints  Evangiles, 
dont  la  lecture  produirait  dans  les  âmes  la  même  impression  religieuse 
et  la  môme  édification?  Presque  partout,  la  main  do  l'auteur  se  montre 
trop.  Kn  faisant  du  Fils  de  Dieu  une  histoire  suivie  et  complète,  comme 
l'histoire  d'un  héros  ou  la  vie  d'un  saint,  on  court  risque  de  le  réduire, 
de  l'humaniser  plus  qu'il  ne  convient.  Ce  qu'il  y  a  en  lui  d'extérieur  et 
d'accidentel  prend  du  relief;  mais  à  proportion,  ce  qu'il  y  a  d'intime  et 
de  divin  se  voile.  Los  paroles  de  vie  qui  sortent  de  ses  lèvres  se  petdent 
^ians  une  multitude  de  paroles  oiseuses  et  stériles.  Qu'importent  an 
fidèle  les  particularités  de  la  vie  de  Gaîphe,  l'origine  de  Pilate  et  d'Hé- 
rode,  le  site  de  Tibériade  et  les  paysages  du  lac  de  Génésareth?  A  côté 
de  l'Homme-Diea  toute  particularité  s'efface.  L'horitou  de  la  Palestine 
est  trop  étroit  iraur  sa  grandeur.  S'il  devait  y  paraître ,  ce  n'était  pas 
pour  y  demeurer.  Le  cadre  qui  lui  convient,  c'est  celui  que  S.  Jean  loi 
a  tracé  dans  soa  premier  chapitre  et  que  le  fidèle  sous-entend  dans  les 
synoptiques.  C'est  sur  ce  fond  qu'il  faut  le  voir,  si  l'on  veut  se  faire  une 
Joste  idée  de  son  élévation,  de  sa  sainteté  et  de  sa  perfection  infinies. 
I«  motif  qui  porte  les  rationalistes  à  décrire  avec  tant  da  sain  le  milieu 


132  JÉSUS-tiHRIST  âELON.  L*ÉVANG1LÊ.  [n?^  Bt 

n'est  pas  de  ce  moiide,  dit  Pascal.  Si'  Ton  eiï  comprend  la 
nature,  on  le  verra  si  grand,  qu'on  ne  sera  pàs'tenté  de  se 
scandaliser  de  sa  bassesse.  »  • 

II.  Souvent  aussi  le  cœur  est  mal  disposé.  Il  indiXiqne  de 
pureté,  de  droiture,  d'élévation,  d'ardeur  pour  la  vérité  et 
pour  la  perfection.  On  ne  cherche  pas  dans  l'Evangile  ce 
qu'on  devrait  y  chercher;  on  n'a  pas  les  sentiments  qu'on 
devrait  avoir.  On  lit  par  curiosité,  pour  éclairer  et  orner 
son  esprit  K  On  lit  par  amour-propre,  afin  de  se  distinguer 
dans  la  prédication.  On  lit  par  un  goût  naturel,  pour  occu- 
per le  temps  ou  faire  diversion  à  des  travaux  qui  fatiguent. 
Ce  qu'on  voudrait  trouver,  ce  sont  les  agréments  de  livres 
profanes.  Avec  ces  dispositions,  est-il  étonnant  que  l'Evan- 
gile contente  peu,  qu'on  y  rencontre  des  déceptions,  de 
Tennui,  du  dégoût?  Pour  s'y  plaire,  il  faudrait  avoir  les 
mêmes  vues  que  les  Evangélistes,  n'y  chercher  que  ce  qu'ils 
se  proposaient  :  notre  sanctification,  notre  avancement  dans 
la  vertu,  l'établissement  du  règne  du  Sauveur  en  nous. 
Quœrant  inveniendum  ^  Si  c'est  notre  vrai  bien  que  nous 
voulons,  nous  l'y  trouverons  ^  Rien  ne  fait  mieux  connaître 
le  Verbe  fait  chair,  ses  mystères,  ses  vertus,  sa  doctrine, 
ses  œuvres,  rien  ne  le  fait  plus  aimer  *. 

dans  lequel  se  sont  produits  les  faits  ôvangéliques,  n'est-ce  pas  qu'ils 
croient  y  trouver  la  raison  et  Texplication  naturelle  de  ces  faits?  — '  Sur 
la  beauté  des  Evangiles,  consulter  S.  Augustin,  De  doct.  Christ.^  ii; 
Bossuet,  Panég.  de  S.  Paul,  ii^  point;  Lacordaire,  11*  Lettre  sûr  la  vie 
chrétienne.  Etudier,  entre  tous,  les  morceaux  suivants  :  dans  S.  Mafthiou, 
les  trois  principaux  discours,  sur  la  montagne,  v-yn,  aux  Apôtres,  x, 
sur  les  pharisiens,  xxiii;  en  S.  Luc,  les  tableaux  et  les  cantiques,  i-in, 
X,  38-42,  XXIV  ;  dans  l'un  et  l'autre  les  paraboles,  Matth.,  xm,  6;  xxv, 
1-30*  surtout  l'enfant  prodigue,  Luc,  xv,  et  le  bon  Samaritain,  x,  30-39'; 
enfin  dans  S.  Jean,  ses  récits  si  touchants  et  si  dramatiques,  la  Sama- 
ritaine, IV,  l'aveugle-né,  ix,  la  résurrection  de  Lazare,  xi,  la  dernière 
cène,  xiii,  les  apparitions  du  Sauveur  ressuscité^  xx,  xxi,  etc. 

1  Qui  loquendi  arte  caeteris  excellere  videntur,  sedulo  monendi  sunt 
no  sordeat  eis  solidum  eloquium,  quia  non  est  inflatum.  His  maxime 
utile  est  nosse  ita  esse  prseponendas  verbis  sententias,  ut  prseponitur 
animus  corpori.  S.  Aug.,  De  catech.  rud.y  13.  —  2  s.  Aug.,  In  Joan., 
Lxiii,  1.  —  3  Petcnti  datur,  pulsanti  aperitur,  quœrens  invenit.  S.  Hicron., 
Ep.  LUI,  9.  —  ♦  Inter  hœc  vivere,  ista  meditari,  nihil  aliud  nosse,  nihii 
quaerere,  nonne  tibi  videtur  jam  hic  in  terris  regni  cœlestis  habita- 


kvaNûiliï  dk  Saint  hatthiki;. 


2»  D«s  ËvangilsB  on  partioaU«r  ■. 
1»  SAINT  BATTBIEn. 

Ongine  cl  abjel.  —  MarqDei  d  suthenlicili,  —  Tvxt?  origiml.  —  Soa  ébloDiliune 
prflendu. 

58.  —  Origino  et  olijel  du  premier  Évangile. 

L'auteur  du  premier  évangile  est  l'apâtre  S.  Matthieu. 
Il  y  a  qu'une  voix  à  cet  égard  dans  la  tradition  *.  Les  Pères 
s'accordent  également  à  dire  que  cet  évangile  a  paru  avant 
tous  les  autres  ',  que  S.  Matthieu  l'a  écrit  en  hébreu  pour 
l'usage  des  chrétiens  de  Judée  ',  avant  de  quitter  ce  pajs 
pour  aller  prêcher  la  Toi  parmi  les  Gentils,  entre  l'an  4S  et 
l'an  48,  un  peu  avant  que  S.  Paul  écrivit  ses  premières 
Epitres  '.  Sur  ce  dernier  point,  on  a  dit  souvent  que  S.  Iré- 

edIdid?...  Discaniu9  io  terris  ((iiorum  nobis  scienlia  pcracverct  in  coelii. 
S.  Hieron.,  Ibid.  In  eccicsiis,  quand»  iGecndum  c»t  Evangellant,  accen- 
dniitnr  lamioaria,  jam  soie  rntilanlc,  ad  signum  l«tititt  démon ■tnadoin. 
AdB.  VigiL,  7.  Cf.  U  Mac,  iv,  22. 

I  On  voit  coRimcnt  les  quatre  évangiles  sont  représentai  dans  nos  plus 
indens  monumeRts,  peintures,  mosaïques,  sarcopliagcs.  L'Agneaa  de 
Dien  est  deboot  sur  la  montagne  do  Sion,  et  de  dessous  ses  pieds 
wnent  quatre  fleuves  qui  vont  dâsaltérer  le  monde  et  arroser  toute  la 
terre.  Cf.  Geo.,  ii,  10;  Pa.  xia,  2;  I  Cor.,  x.  4. 

Da  quà  Hiuiri  quilun  foDlei  nHui 

EfingBliUs,  Tivi  Chrisli  Bamioa.  S,  Pinlin.,  Bpitt.  ail. 

ia»  le  quatrîËmc  siède,  on  commenta  h  désigner  cliuque  évangéliste 
par  an  emblème  emprunté  à  l'Apocalypse,  iv,  7,  en  rapport  arec  son 
Jébot  et  son  caractère  particulier.  —  »  EuKb.,  H.,  m,  W,  39;  v,  8, 
W.etc.;  Supra,  n.  23.  —  '  Eusob.,  H.,  m.  2i;  S.  Iren.,  111,  i,  1  ;  Orig., 
inJoi,,  Nom.  vii;  S.  Aug.,  de  comeniu  Evang.,  1, 2,  etc.;  Sapiv,  a.  11. 
-'  Euaeb.,  H.,  iii,at;S.  Iren..  Orig.,  S.  Hioron.,  etc.  —  •  Cf.  Euseb., 
V,  ni,  2i,  etc..  Supra,  41. 


134  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'ÉVANGILE.  [n»  82 

née  était  en  opposition  avec  le  sentiment  commun;  mais  c'est 
à  tort.  Ses  paroles  se  concilient  sans  peine  avec  ce  que  nous 
venons  de  aire.  En  faisant  cette  remarque  que  S.  Matthieu 
«  écrivit  l'Evangile  en  hébreu  pour  les  Juifs,  tandis  que 
S.  Pierre  et  S.  Paul  le  prêchaient  de  vive  voix  aux  Ro- 
mains *,  *  il  ne  paraît  pas  qu'il  ait  eu  l'intention  d'affirmer 
la  simultanéité  des  travaux  accomplis  par  le  premier  évan- 
géliste  et  les  deux  principaux  apôtres,  mais  bien  de  signa- 
ler la  manière  différente  dont  eux  et  lui  exercèrent  leur 
zèle.  Quant  à  la  version  grecque .  du  texte  hébreu  de 
S.  Matthieu,  il  est  certain  que,  si  l'auteur  ne  l'a  pas  faite  lui- 
même,  comme  Josèphe  a  fait  la  traduction  de  sa  Gusrre  dès 
Juifs  ^  elle  date  du  moins  du  temps  des  apôtres  et  a  dû  être 
approuvée  par  eux;  car  dès  le  premier  siècle,  et  avant  la 
mort  de  S*  Jean,  elle  était  citée  et  reçue  par  toute  l'Eglise 
avec  l'autorité  des  textes  inspirés  ^  S'il  en  était  autre- 
ment, on  aurait  peine  à  s'expliquer  la  disparition  du  texte 
hébreu. 

II.  L'évangile  de  S.  Matthieu  n'est  pas  proprement  une 
histoire,  une  biographie.  On  y  trouve  bien  une  esquisse  de 
la  vie  du  Sauveur  et  un  sommaire  de  sa  prédication.  Mais  les 
faits  n'y  tiennent  pas  une  grande  place  ;  ils  sont  peu  circons- 
tanciés et  souvent  groupés,  comme  les  discours,  suivant 
leurs  analogies.  L'ordre  chronologique  fait  défaut,  aussi  bien 
que  les  dates.  Le  dessein  de  l'auteur  est  donc,  avant  tout, 
dogmatique  et  moral.  Il  se  propose  de  montrer  à  ses  lec- 
.  leurs  ce  qu'il  prêche  à  tous  de  vive  voix,  que  Jésus  est  le 
Messie  promis  au  peuple  Juif,  qu'il  faut  croire  à  sa  parole, 
accepter  ses  maximes,  entrer  dans  son  Eglise,  et  se  confor- 
mer à  ses  lois  *.  Aussi  s'attache-t-il  à  signaler  dans  sa  per- 
sonne toutes  les  prérogatives  que  les  prophètes  ont  attri- 
buées  au   Messie,  celles   de   roi  ^  de  législateur  %  de 

1  Tou  TIsTpou  xai  xou  IlauXov  ev  Po>(i,v)  euayYsXiCopievcdv.  S.  Iren.,  QI,  i, 
1;  Euseb.,  H.,  v,  8.  —  »  Joseph.,  B.,  Prsef.,  1.  —  3  cf.  S.  Clem.,  ad 
Cor,^  4(5;  S.  Ign.,  ad  Smyrn.y  1  ;  ad  Polyc,  2;  ad  Rom, ,  6;  ad  Philipp,,  2. 
—  *  Matth.,  II,  1  ;  xxvi,  18;  i^viu,  19.  —  8  isaï.,  ix,  6,  7;  Jer.,  xxiii,  5; 
Dan.,  ir,  44;  Mi  h.,  iv,  7.  8;  v,  2.  —  ^  Isaï..  iï,3,  4;  xxxiii,  22;  lv,  3,  4- 


a^oi]  ÉVANGILE  DE  SAINT  MATTHIEU.  135 

thaumaturge  S  de  prophète  %  de  souverain  prêtre  ';  A  tous 
ces  points  de  vue,  il  a  soin  de  faire  remarquer  l'accord  des 
prophéties  avec  les  faits  qu'il  décrit  :  Tune  adimpletum  est... 
Ut  adimpleretvr..,  Sicut  scriptum  est...  etc. 

Cet  évangile  a  été  appelé  quelquefois  l'évangile  du 
royaume  des  cièu.r/\  parce  qu'on  y  voit  annoncée  et  souvent 
désignée  sous  ce  nom  là  grande  œuvre  du  Fils  de  Dieu  qui 
I  est  son  Eglise  ;  mais  l'auteur  ne  laisse  pas  ignorer  que  son 
i  royaume  est  spirituel  et  ouvert  à  tous  les  peuples  *.  Il  a  soin 
'  aussi  de  faire  remarquer  que  les  Juifs  s'en  excluent  eux- 
j     mêmes  par  leurs  préjugés  et  par  leurs  passions. 

Ses  vingt-huit  chapitres  se  divisent  en  trois  parties  :  les 
'     premières  années  du  Sauveur,  sa  prédication,  ses  derniers 
jours.  Les  premières  années  du  Sauveur  remplissent  trois 
;    chapitres,  dans  lesquels  il  est  surtout  représenté  comme 
roi^  i-iu.  Ses  derniers  jours,  depuis  lé  commencement  de  sa 
!     Passion  jusqu'à  son  retour  au  ciel,  en  occupent  trois  égale- 
ment, xxxvi-xxxvm  :  Notre  Seigneur  y  parait  comme  prêtre 
et  victime.  La  partie  intermédiaire,  la  seconde,  est  de  beau-, 
coup  plus  considérable,  iv-xxv.  Si  l'on  en  fait  deux  sections, 
i     on  aura  d'abord  sa  prédication  dans  la  Galilée,  iv-xvui,  puis 
son  ministère,  si  laborieux  et  si  combattu,  dans  la  Judée, 
xïx-xxv.  La  première  fait  voir  en  lui  le  législateur,  iv-vu,  et 
le  thaumaturge,  vjii-xvm.  Dans  la  seconde,  xix-xxv,  il  agit 
en  prophète  :  il  enseigne,  il  reprend,  il  prédit.  Mai«  ces 
points  de  vue  s'entremêlent,  et  il  paraît  plusieurs  fois  sous 
le  même  aspect. 

53.  —  Les  caractères  du  premier  évangile  confirment-ils  le  témoignage 

de  la  tradition  à  son  égard? 

Les  caractères  de  cet  évangile  s'accordent  sur  tous  les 
points  avec  le  témoignage  de  la  tradition.  On  ne  peut  s'em- 
pêcher de  reconnaître,  en  le  lisant,  que  l'auteur  était  juif, 

*  Isaï.,  XXXV,  3-6;  xlii,  16-18.  —  2  Deut.,  xvni,  15;  Isaï.,  xlii,  1-4; 
Lxi,  1,  etc.;  Joël.,  ii,  23;  I  Mac,  xiv,  41.  —  '^  Ps.  cix,  4;  Zac,  vi,  13. 
—  *  Ce  terme,  tj  BaaiXeia  tcov  oupavcov,  est  répété  32  fois  dans  S.. Mat- 
thieu; oupavoç,  80  fois.  Infra,  n.  168,  —  8  Malth.,  xm. 


136  JÉSUS-CHRIST  SELON   l'ÉVANGILE.  [N»  53 

qu'il  avait  été  témoin  des  faits,  qu'il  écrivait  pour  les  Juifs 
de  Palestine,  à  une  époque  peu  éloignée  de  la  mort  du  Sau- 
veur, enfin  qu'il  avait  bien  le  caractère  et  les  dispositions 
que  devait  avoir  S.  Matthieu  *. 

1**  Vauteur  était  juif  de  naissance,  —  Ses  citations  indi- 
quent un  homme  versé  dans  l'étude  de  l'Ancien  Testament 
et  dans  la  méditation  des  prophètes  ^  Son  langage  dénote 
un  habitant  de  la  Palestine  qui  a  reçu  une  éducation  juive 
et  qui  est  habitué  à  parler  l'idiome  de  son  pays.  A  ses  yeux, 
la  maison  d'Israël  est  toujours  la  maison  du  Dieu  ^;  tous  ceux 
qui  en  font  partie  ont  le  Seigneur  pour  père  *.  Jérusalem  est 
encore  la  cité  sainte^  malgré  son  déicide  ^;  le  temple  est  en- 
core le  lieu  saint  ®.  Les  hébraïsmes  ^  et  les  répétitions  ou 
oppositions  paralléliques  ®  surabondent  dans  son  style.  En- 
fin l'aspect  de  la  Galilée,  son  ciel,  ses  campagnes,  son  sol, 
ses  troupeaux,  ses  figuiers,  ses  montagnes,  ses  torrents,  son 
lac,  s'y  reflètent  comme  ils  durent  se  refléter  dans  les  dis- 
cours de  notre  Sauveur,  dans  ses  paraboles,  ses  comparai- 
sons et  ses  images  ". 

2*  //  a  été  témoin  des  faits  qu'il  rapporte,  —  C'est  ce  qu'il 
suppose  évidemment,  en  retraçant  en  détail  *°  lés  actions  du 
divin  Maître,  et  surtout  en  reproduisant  ses  discours  avec 


1  Si  nous  nous  bornons  ici  à  la  preuve  intrinsèque,  ce  n'est  pas  que 
nous  la  préférions  à  la  preuve  de  témoignage;  mais  en  voici  les  raisons  : 

—  {©Les  témoignages  ont  déjà  été  cités.  Supra,  n.  23-25,  44.  —  2«.Nous 
sommes  bien  aise  de  montrer  à  nos  adversaires,  qui  ne  goûtent  que  ces 
preuves  intrinsèques,  qu'elles  ne  nous  font  pas  défaut.  —  3o  Rien  no  dis- 
pose mieux  à  lire  avec  attention  les  Livres  saints  que  d'en  connaître 
d'avance  les  caractères  et  les  particularités.  —  ^  W  en  a  une  quaran- 
taine. Les  prophètes  sont  cités  20  fois,  i,  22,  23;  ii,  5,  6,  15,  17,  18, 
23;  III,  3;  iv,  14,  15;  yiii,  17;  xi,  5,  10;  xn,  17-2!  ;  xiii,  35;  xxi,  4,  5,  16, 
42;  xxii,  43,  44;  xxvi,  31;  xxvii,  9,  35,  43,  46.  S.  Marc  ne  les  cite  que 
5  fois,  S.  Luc,  8;  S.  Jean,  11.  —  3  x,  6;  xv,  24.  —  *  O  iratyip  Yipiûv  ev  xot; 
oupavoiç,  16  fois.  —  s  iv,  5;  v,  35;  xxiv,  5;  xxvii,  53.  Cf.  Ps.  lxxv,  2  ; 
Lxxxvi,  3;  Isaï.,  xlviit,  3,  etc.  —  ^  xxiv,  15.  Cf.  v,  23;  xxiii,  16,  18. 

—  7  I.  t,22;  II,  10,  10-17,  20;  m,  1,  9;  iv,  2;  viii,  12;  xi,  29,  30;xviii, 
14;  XXII,  16.  35,  etc.;  /n/Vûr,  n.  55.  —  s  y,  19;  vi,  14, 15,  19,  20,  22,  23  ; 
VII,  13, 14,  17,  18,  24,  27,  etc.  —  9  m,  13;  iv,  8, 13,  18;  v,  1  ;  vi,  26,  28  ; 
vu,  24,  25;  viii,  23;  xi,  7;  xiii,  3-9;  xvi,  2,  etc.  —  i^  cf.  Mattli.,  ix,  xn, 
9-10,  13,  49;  xiii,  1  ;  xiv,  25-32,  etc, 


>°53]  ÉVANGILE   DE   SAINT  MATTHIEU.  137 

tant  d'étendue,  sans  jamais  indiquer  aucune  source,  ni 
donner  d'autre  garantie  que  son  témoignage.  A  la  vérité, 
ses  récits  sont  moins  circonstanciés  que  ceux  de  S.  Marc,  et 
il  ne  suit  pas  l'ordre  des  temps  aussi  fidèlement  que  S.  Luc; 
mais  cette  particularité  s'explique  par  le  but  spécialement 
dogmatique  de  sa  composition.  Quant  aux  discours,  qui 
tiennent  h  plus  grande  partie  de  son  ouvrage,  si  l'auteur  ne 
les  avait  pas  recueillis  de  la  bouche  du  Sauveur,  il  faudrait 
dire  qu'il  les  a  inventés  ou  qu'il  les  a  rédigés  d'après  la 
tradition;  mais  s'ils  étaient  supposés,  conviendraient-ils 
si  bien  au  caractère  du  Fils  de  Dieu,  à  sa  dignité,  à  ses  lu- 
mières, à  sa  sainteté  ?  Y  trouverait-on  ce  naturel,  cette  élé- 
vation, cette  placidité,  ce  charme  ?  Il  nous  semble  voir  trop 
d'unité  dans  le  fond  et  dans  la  forme,  trop  de  pureté  dans 
la  doctrine,  trop  de  noblesse  et  de  simplicité  dans  le  lan- 
gage, pour  n'y  pas  connaître  une  reproduction  directe  de 
renseignement  du  divin  Maître.  C'est  un  assez  grand  honneur 
pour  Tévangéliste  d'avoir  reproduit  sans  altération  cette  mor 
raie  et  ce  style. 

3"*  //  écrivait  pour  ses  compatriotes,  c'est-à-dire  pour  les 
Juifs,  de  Palestine  convertis  au  christianisme.  —  S'il  avait 
destiné  son  évangile  aux  Gentils,  il  se  proposerait  un  autre 
but;  il  suivrait  une  autre  marche  ;  il  insisterait  sur  d'autres 
points  ;  il  ferait  moins  d'emprunts  à  l'Ancien  Testament  ;  il 
parlerait  un  autre  langage.  A  qui  peut-il  s'adresser,  sinon  à 
des  Juifs,  quand  il  annonce  la  venue  du  royaume  de  Dieu, 
quand  il  établit  l'autorité  du  Sauveur  sur  sa  qualité  de 
Messie,  quand  il  lui  applique  les  prédictions  des  prophètes, 
quand  il 'commence  par  écrire  sa  généalogie  S  quand  il 
l'appelle  le  fils  de  David  S  quand  il  parle  du  lieu  saint  ^  et 
de  la  sainte  cité  \  quand  il  mentionne  sans  nulle  explication 
les  localités  %  les  lois  ®  et  les  usages  du  pays  \  quand  il 

*  I.  l-i7.  —  2  Huit  fois  :  i,  1;  IX,  27;  xii,  23;  xv,  22;  xx,  30,  31; 
XXI,  9,  t5.  —  3  XXIV,  15.  —  ♦  IV,  5;  xxiv,  15;  xxvii,  53.  —  s  u^  22, 
23;  X,  15;  xvi,  13;  xxiv,  16,  etc.  —  s  y,  21,  27,  31,  33,  38,  42;  xii,  5; 
xxvu,6.  -  ^  V,  22,  23,  34,  36;  vi,  2,  5.  lô;  xix ,  3,  7;  xxii,  U,  12; 
xxiii,  2,  2,  8,  15,  18,  29;  xxv,  1, 

8. 


138  JÉSUS-CHRIST  SELON   l'ÉVANGILE.  [n«  83 

met  les  Gentils  sur  la  même  ligne  quelespublicains  *,  quand 
il  rapporte  avec  tant  de  détails  les  invectives  du  Sauveur 
contre  les  Pharisiens  ^  quand  il  fait  entendre  que  le  règne  de 
la  Synagogue  est  fini  et  qu'une  autre  Eglise,  une  Eglise  uni- 
verselle, va  s'élever  sur  ses  ruines,  etc.  ^  ?  Mais  si  c'est  à  des 
Juifs  convertis  qu'il  destine  son  évangile,  ce  ne  peut  être 
qu'à  ceux  de  la  Palestine,  car  ils  ne  formaient  une  église 
particulière  qu'en  Judée,  et  partout  ailleurs  ils  étaient  mê- 
lés avec  les  Gentils  *. 

4®  //  a  composé  son  livre  de  bonne  heure,  assez  peu  de  temps 
après  Vascension  du  Sauveur,  —  Puisque  l'auteur  est  un 
apôtre,  et  qu'il  destine  son  livre  aux  Juifs  de  la  Palestine,  il  a 
dû  l'écrire  lorsqu'il  était  au  milieu  d'eux,  avant  la  dispersion 
du  collège  apostolique,  de  l'an  45  à  l'an  48  au  plus  tard  *. 
Si  Ton  compare  cet  évangile  avec  les  deux  autres  synop- 
tiques, on  est  conduit  à  la  même  conclusion,  car  il  est  visi- 
blement le  plus  ancien.  On  conçoit  S.  Marc,  disciple  de 
S.  Pierre,  abrégeant  S.  Matthieu  et  retranchant  de  l*évan- 
gile  hébreu  ce  qui  était  sans  intérêt  pour  les  Romains.  On 
conçoit  S.  Luc,  disciple  de  S.  Paul,  complétant  les  Mémoires 
des  premiers  évangélistes,  et  s'efforçant  de  mettre  dans 
leurs  récits  l'ordre  et  la  correction  qui  y  manquent  ^.  Mais 
on  ne  concevrait  pas  S.  Matthieu,  un  témoin  oculaire,  un 
apôtre,  prenant  pour  guide  dans  beaucoup  d'endroits  un 
simple  disciple,  paraphrasant  S.  Marc,  traduisant  S.  Luc 
dans  un  langage  moins  correct  et  s'écartant  à  dessein  de 
l'ordre  chronologique.  Matthieu  le  publicain  a  donc  été- le 
premier  à  écrire  l'Evangile,  comme  Madeleine  la  pécheresse 
a  été  la  première  à  annoncer  la  résurrection. 

5®  Les  dispositions  qu'il  manifeste  conviennent  parfaitemeiit 
à  S.  Matthieu.  —  Le  style  de  cet  écrit  est  simple,  uniforme 
et  peu  soigné.  C'est  partout  la  même  manière  de  passer  des 

1  XVIII,  17.  Cf.  V,  47;  vi,  7,  32;  x,  5.  —  2  vi,  2,  5;  xxiii,  2,  6,  7,  14, 
23,  27,  29,  44.  —  3  x,  17;  xvi,  18;  xxiii,  34,  35,  38;  xxviii,  10.  —  *  Les 
explications  données  aux  versets  i,  23;  xxii,  23;  xxvii,  8,  15,  33,  sont 
attribuables  au  traducteur.  —  s  of.  Act.,  ix^  26,  27,  et  Gai.,  i,  18,  19. 
—  6  Luc,  I,  3.  . 


>«S3]  ÉVANGILE  DE   SAINT  MATTHIEU.  139 

faits  aux  discours  et  des  discours  aux  faits.  Le  mot  tots, 
tmc,  se  trouve  répété  près  de  cent  fois.  Néanmoins  cette 
rédaction,  et  surtout  les  citations  de  l'Ancien  Testament 
dont  elle  est  semée,  supposent  une  culture  d'esprit  que  la 
plupart  des  apôtres  n'avaient  pas.  Or,  l'emploi  que  S.  Mat- 
thieu remplissait,  avant  son  apostolat,  demandait  précisé- 
ment un  degré  particulier  d'instruction.  Rien  d'étonnant 
qu'il  soit  le  premier  à  qui  on  ait  demandé  et  qui  ait  entre- 
pris de  tracer  une  esquisse  de  k  prédication  du  Sauveur. 
De  plus,  on  fait  observer  que  l'auteur  du  premier  évangile 
s'exprime  avec  une  précision  remarquable,  lorsqu'il  s'agit 
de  cens  et  d'impôt  *.  —  Sa  modestie  n'est  pas  moins  re- 
marqucible.  S.  Matthieu  trouvait,  comme  S.  Paul,  un  sujet 
de  confusion  dans  la  première  partie  de  sa  vie  S  et  il  est  à 
croire  que  lui  seul,  entre  les  disciples  du  Sauveur,  pouvait 
se  plaire  à  rappeler  son  ancienne  profession  de  publicain.  Or 
c'est  précisément  ce  qui  a  lieu.  Gomme  il  avait  changé  son 
nom  de  Lévi  en  celui  de  Matthieu,  don  de  Dieu,  au  moment 
où  il  s'attachait  à  Notre  Seigneur,  lorsque  S.  Marc  et  S.  Luc 
rapportent  le  fait  de  sa  vocation  et  qu'ils  font  connaître  son 
premier  emploi,  ils  ont  soin  de  ne  le  désigner  que  par  son 
ancien  nom,  afin  de  ne  pas  associer  dans  l'esprit  des  fidèles 
l'idée  d'un  apôtre  avec  le  souvenir  d'une  profession  odieuse  ^ 
Mais  le  premier  évangélistene  songe  pas  à  rien  dissimuler: 
il  dit  simplement  Matthieu,  MatOaioç  >xeYoiJi£voç,  ou  le  publi- 
cain, 0  Tc/.wvr^ç;  et  il  indique  le  bureau  qu'il  occupait  à 
Capharnaûni,  ewTOTsXwvtov  *.  Cette  observation  a  été  faite 
de  bonne  heure  :  nous  la  trouvons  dans  Eusèbe  ^  S.  Jé- 
rôme ^  et  S.  Chrysostôme  \  On  peut  y  joindre  une  autre  re- 
marque du  même  genre.  On  sait  que  le  Sauveur  envoya  ses 
Apôtres  prêcher  l'Evsingile  deux  à  deux  :  binos  ^  Les  trois 


*  To  ôiSpaxfLa,  xvii,  24-26  ;  To  vo(j.t(T|jia  xov  xifjvffou  xxii,  19.  —  2  Matth., 
xvni,  17.  —  3  Marc,  ii,  14;  Luc,  v,  27.  —  *  ix,  4,  Capliarnaûm,  étant 
une  place  de  commerce  considérable,  devait  avoir,  connue  Jéricho,  patrie 
dcZacliéc,  un  bureau  de  douane  important.  —  s  Ëuseb.,  Demonsir,, 
m,  5.-6  Hier.,  In  Maith.,  ix,  9.  —  ''S.  Clirys.,  In  Matth.,  Hom.  xlviii. 
<^r.  Op,  hnperf.,  initie.  —  »  Luc,  x,  1. 


140  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'Évangile.  [n<*  54 

synoptiques  qui  rapportent  ce  fait  mettent,  comme  compa- 
gnons d'aspostolat,  au  quatrième  rang,  S.  Matthieu  et  S.  Tho- 
mas, mais  avec  cette  différence  que  le  premier  évangéliste 
donne  la  première  place  à  S.  Thomas  et  que  les  deux  der- 
niers là  donnent  à  S.  Matthieu.  Quiconque  tiendra  compte 
des  leçons  données  par  le  Sauveur  à  ses  apôtres  et  du  sen- 
timent qu'on  a  toujours  eu  de  leur  vertu,  croira  volontiers 
que  c'est  S.  Matthieu  lui-même  qui  s'est  mis  ici  au  second 
rang,  tandis  que  ses  collègues  le  plaçaient  au  premier  ' . 

*  54.  —  L'authenticité  des  deux  premiers  chapitres  est-elle  moins 
certaine  que  celle  du  reste  du  livre  ? 

On  l'a  prétendu;  mais  ces  chapitres  sont  ceux  dont  l'au- 
thenticité est  le  mieux  constatée:  —  1**  Ils  sont  le  début 
naturel  du  livre.  S.  Matthieu,  voulant  prouver  que  Jésus- 
Christ  est  le  Messie,  ne  devait-il  pas  faire  connaître  son 
origine  et  montrer  l'accomplissement  des  prophéties  relati- 

1  M.  Renan,  forcé  de  reconnaître  que  cet  évangile  est  antérieur  à  la 
ruine  de  Jérusalem,  Infra^  n.  62,  248,  se  rabat  à  dire  qu'il  s'en  est  fait 
plusieurs  rédactions  successives,  et  que  la  nôtre  ne  date  que  de  Tan  85 
environ  {/nrftfj;,  1884,  p.  284)  :  assertion  équivoque  et  gratuite  dont  il 
essaie  en  vain  d'étayer  son  système.  En  effet,  s'il  veut  parler  simplement 
d'une  nouvelle  rédaction,  si  l'on  n'a  fait  en  85  que  modifier  l'ordre,  le 
style,  les  détails  du  texte  original,  quel  avantage  un  rationaliste  en 
peut-il  tirer  et  quelle  conséquence  en  résulte-t-il  en  faveur  de  ses  idées? 
Et  s'il  s'agit  d'une  transformation,  de  la  substitution  d'un  nouvel  évan- 
gile à  l'ancien,  de  l'histoire  d'un  Homme-Dieu,  mise  à  la  place  de  celle 
d'un  docteur  ou  d'un  prophète  ordinaire,  si  M.  Renan  prétend  attribuer 
au  dernier  rédacteur,  les  miracles  dii  Sauveur,  ses  prophéties,  sa  nais- 
sance virginale,  sa  résurrection,  les  témoignages  de  sa  divinité,  qui  ne 
voit  à  quel  point  cette  hypothèse  est  inadmissible  et  de  combien  d'im- 
possibilités elle  est  remplie?  Impossible  qu'on  ait  conçu  un  tel  dessein 
vingt  ans  après  la  mort  de  l'auteur  et  qu'on  ait  pu  Texécuter  ainsi  sous 
les  yeux  de  ses  disciples.  Cf.  Supra  ^  n.  23.  Impossible  qu'une  telle 
fraude  n'ait  pas  révolté  toute  l'Eglise,  que  S.  Jean  ne  l'ait  pas  confondue 
avec  plus  de  vigueur  encore  que  l'erreur  des  Cérinthiens ,  qu'on  soit 
parvenu  à  détruire  tous  le«  exemplaires  anciens,  sans  qu'on  ait  réclamé 
ou  qu'il  soit  resté  aucune  trace  des  réclamations.  Impossible  enfin  de 
faire  inventer  .en  85  ce. qu'il  y  a  de  surnaturel  dans  la  vie  de  Jésus- 
Christ,  quand  oa  le  lit  déjà  dans  l'Epitre  aux  Hébreux,  dans  TApocalypse, 
dans  S.  Marc  et  dans  les  Epîtros  de  S.  Pierre  et  de  S.  Paul ,  qu'on 
reconnaît  soi-même  avoir  été  écrits  vingt  à  trente  ans  auparavant. 


N«  oS]  ÉVANGILE   DE  SAINT  MATTHIEU.  Hl 

vement  à  sa  naissance  et  à  ses  premières  années  ?  —  2*  Ils 
sont  supposés  par  les  premiers  mots  du  chapitre  troisième: 
In  diebus  autem  illis^  et  même  par  le  verset  43  du  chapitre 
suivant  :  Et  relicta  civitate  Nazareth,  car  on  n'a  été  averti 
qu'au  chapitre  second,  23,  que  Nazareth  était  la  patrie 
du  Sauveur.  —  3**  Dans  tous  les  manuscrits,  comme  dans 
Jes  versions  les  plus  anciennes,  Tévangile  de  S.  Matthieu 
commence  par  ces  deux  chapitres  *.  —  4<>  Ils  sont  cités  par 
un  grand  nombre  de  Pères  des  premiers  âges,  S.  Justin  ^ 
S.  Irénée  *,  Tertullien  *,  en  particulier  par  tous  ceux  qui  se 
sont  préoccupés  de  concilier  ensemble  les  deux  généalogies. 
Quant  à  Tadoration  des  Mages,  c'est  un  des  sujets  les  plus 
fréquemment  reproduits  dans  les  Catacombes  dès  le  com- 
mencement du  ni*»  siècle.  Les  fidèles  v  vovaient  un  symbole 
de  leur  vocation  à  la  foi  en  même  temps  qu'un  hommage  à. 
la  divinité  de  Jésus-Christ  et  à  la  maternité  de  la  très  sainte 
Vierge.  —  5**  Celse  en  a  tiré  une  objection  contre  le  chris- 
tianisme S  aussi  bien  que  Julien.  —  6**  Les  objections  qu'on 
apporte  ne  sont  pas  sérieuses.  Le  style  de  ce  début,  loin 
d'être  en  opposition  avec  celui  du  livre,  porte  visiblement 
Fempreinle  de  S.  Matthieu  et  respire  le  génie  hébreu  *. 
Il  est  vrai  que  S.  Marc  ne  reproduit  pas  les  faits  qu'il  con- 
tient :  mais  a-t-il  promis  de  suivre  en  tout  S.  Matthieu  et  de 
le  résumer  complètement  ?  Il  est  vrai  encore  que  les  Ebio- 
nites  l'avaient  retranché  de  leur  évangile  ;  mais  n'avaient- 
ils  pas  intérêt  à  le  faire?  Et  S.  Epiphane  ne  leur  en  fait-il 
pas  un  reproche  '  ? 

*  55.  —  Est-il  certain  que  saint  Matthieu  ait  écrit  son  Evangile 

en  hébreu? 

Les  Pères  disent  unanimement  que  le  premier  évangile 
a  été  composé  en  hébreu  ',  et  il  ne  parait  pas  qu'il  y  ait  lieu 

«  s.  Aug.,  Cont.  PansL,  xxviii,  2.  —  «  I  ApoL,  i,  33,  34;  iHal.,  88, 
100,  102,  103.  —  3  S.  Iren.,  DI,  xi.  —  *  Tert.,  ^d».  Marc,  9.-5  Orig., 
Cont.  CeU.,  i,  23,  32,  40,  66.  -^  «  tt  adimpleretur,  i,  22;  ii,  5,  15,  17; 
ToDC,  II.  7,  16,  17,  etc.  — 7  S.  Epiph.,  Adv.  Hxres,  xxx,  13.  —  *  Euseb  . 
B.j  in,  39;  v,  10;  vi,  25;  S.  Ireo.,  ili,  i,  1;  S.  Cyrill.,  Catech,,  xiv,  15; 
S.  Hier ,  De  vir.  ilL,  2,  etc. 


142  JÉSUS-CHRIST   SELON  l'ÉVANGILE.  [n<>  56 

de  récuser  leur  témoignage.  Les  caractères  du  livré  l'attes- 
tent également.  Il  est  visible  qu^il  a  un  Juif  pour  autetir, 
et  qu'il  a  été  écrit  pour  les  Juifs,  avant  la  dissolution  de 
l'organisation  juive.  Il  est  plein  d'hébraïsmes  et  de  citations 
de  l'Ancien  Testament  d'après  l'hébreux  *.  Quelle  apparence 
qu'il  ait  été  composé  en  grec  ? 

Mais  le  texte  hébreu,  ou  plutôt  syrochaldéen  ^,  ne  s'est 
jamais  beaucoup  répandu.  Traduit  en  grec  de  très  bonne 
heure  par  un  écrivain  dont  S.  Jérôme  et  Papias  lui-même 
ignoraient  le  nom%  il  fut  lu  en  cette  langue  par  toute. 
l'Eglise,  et  c'est  sur  cette  traduction  qu'ont  été  faîtes  les 
versions  et  les  citations  les  plus  anciennes  qui  nous  soient 
parvenues  *.  Bientôt  le  texte  original  se  perdit,  comme 
s'étaient  perdus  ceux  de  Tobie,  de  Judith,  de  l'Ecclésias- 
tique et  du  premier  livre  des  Machabées.  Il  disparut  vers  là 
fin  du  premier  siècle  avec  le  petit  groupe  de  chrétiens  ortho- 
doxes qui  eh  faisaient  usage  ^;  ou  plutôt  il  en  resta  assez 
longtemps  une  édition  entre  les  mains  des  isectes  judaïsantes, 
mais  édition  altérée  et  sans  valeur  dans  les  endroits  qui 
diffèrent  dé  notre  version  grecque  ^. 

*  56.  —  Quelle  langue  parlait-on  en  Palestine  au  temps  de  Notre 
Seigneur?  Etait-ce  l'hébreu,  le  syrochaldéen,  le  grec? 

1**  L'hébreu  pur,  ou  proprement  dit,  s'est  conservé  jus- 
qu'à la  captivité;  et  même  un'  peu  au  delà,  puisque  nous 
voyons  les  auteurs  de  cette  époque,  Jérémie,  Esdràs,  Michée, 
Aggée,  Zacharie,  Malachie,  écrire  encore  en  cette  langue.* 
Mais  déjà  il  commençait  à  s'altérer,  par  suite  des  rapports 
que  les  Juifs  avaient  avec  les  Chaldéens  et  des  alliances 
qu'ils  ne  tardèrent  pas  à  contracter  avec  les  peuples  syriens 
De  là  l'emploi  du  chaldéen  dans  plusieurs  livres  inspirés, 

0 

1  Ecce,  ecce^  plus  de  soixante  fois.  —  2  infra^  n.  56.  —  3  Supra,  n.  53. 
S.  Hieron.,  de  .Vù\  ilL,  ni.  -^  *  S.  Xllem.,  S.  îgnat:,  S.  Polyc,  etc.  — 
5  Cf.  Euseb,.  H ,  iv,  5,  6.  —  <>  Ihfra,  n.  57,  Ainsi  so  sont  perdus  uri 
grand  nombre  d'ouvrages  latins  hien  connus,  de  Varron,  Ennius,  Cicoron, 
Pline  TAncion,  Tite-Llve,  Tacite,  ceux  d'une  multitude  de  philosophes 
grecs  très  renompiés,.et  les  textes  originaux  de  beaucoup  d'auteurs 
ecclésiastiques.  .     ,  :  . 


No56]  .   ÉVANGILE  DE   SAINT  MATTHiEtJ,  143 

Tobie,  Judith  probablement,  et  quelques  fragments  de 
Daniel  et  d'Esdras.  De  là  bientôt  la  formation  d'un  dialecte 
nouveau,  le  syrochaldéen,  mélange  du  chaldéen  et  du  sy- 
riaque avec  l'ancien  hébreu.  G'e§t  sans  doute  en  cet  idiome 
que  fut  écrit  le  premier  livre  des  Machabées. 

2«  Au  temps  de  Notre  Seigneur,  le  syrochaldéen  était  la 
langue  ordinaire  des  Juifs,  le  seul  hébreu  usité  en  Palestine  ^ 
C'est  celui  qui  fut  employé,  avec  le  grec  et  le  latin,  dans 
rinseription  de  la  croix  %  celui  auquel  appartiennent  tous 
les  mots  prononcés  littéralement  par  Notre  Seigneur,  ou 
cités  dans  l'Evangile  comme  originaux  :  Boanergès,  Eph- 
pheta,  Tabitha  cumi,  Eli^  Eli^  larrnna  sabbactani^  Rabboni^ 
Barjona,  Golgoiha,  Haceldama^  etc.  ^  Une  preuve  qu'à  Jéru- 
salem on  parlait  encore  généralement  cet  idiome,  c'est  ce 
qui  est  dit  dans  les  Actes,  que  S.  Paul,  voulant  haranguer  le 
peuple,  de  l'escalier  delà  tour  Antonia,  s'exprima  en  hébreu  *. 
Josèphe  rapporte  aussi  qu'ayant  été  chargé  de  porter  aux 
Juifs  les  propositions  de  Titus  ou  de  leur  traduire  ses  pa- 
roles pendant  le  siège,  il  leur  parla  dans  la  langue  du  pays*. 
3**  Néanmoins  il  est  certain  que  la  connaissance  du  grec 
et  même  du  latin  se  répandait  dans  les  villes  et  les  princi- 
paux centres,  parmi  les  hommes  instruits  et  d'un  certain 
rang.  C'était  la  conséquence  des  rapports  que  les  habitants 
de  la  Judée  étaient  forcés  d'avoir,  soit  avec  les  étrangers 
amenés  par  la  conquête  et  par  le  commerce,  soit  avec  les 
magistrats  qui  les  gouvernaient  et  les  armées  qui  mainte- 
naient la  population  dans  la  dépendance  de  l'empire.  Les 
monnaies  d'Hérode  le  Grand,  comme  celles  d'Hérode  Agrippa, 
son  petit-fils,  portent  une  inscription  grecque  ^  Josèphe 
dit  qu'il  n'a  appris  le  grec  qu'assez  tard,  mais  qu'il  le  sait 
assez  pour  traduire  lui-même  en  cette  langue  ce  qu'il  a 
composé  en  hébreu  :  ttj  xaiptw  yXc(J3ï)\  Il  nous  apprend  de 

*  Act.,  I,  19,  —  *  Joan.,  xix,  20.  —  3  Supra^  n.  tO.  —  *  Act.,  xxi,  40; 
-XXII,  2.  Cf.  Joan.,  xij,  20;  Act.,  x,  21,  22;  xxvi,  14.  —  3  Joseph..  B., 
V,  IX,  2;  VI,  VI,  2.  Cf.  B.,  VI,  ii,  4,  5.  —  «  Infra,  n.  78,  183;  Cf.  Joseph, 
A.,  XV,  viir,  1  ;  B.,  I,  xxj,  8.  —  ^  Ei;  aXXo8a7criv  x«t  Çevrj;  v){ji.ou  6ia)).exTOV 
cv  TjOeiav.  Joseph.,  A..  PrfBf^,  2;  et  XX,  xi,  2. 


144  JÉSUS-CHRISt  SELON    L*ÉVANGILI^.  [n^  87 

plus  qu'on  avait  placé  dans  le  temple,  entre  le  parvis  des 
Gentils  et  celui  des  Juifs,  des  inscriptions  grecques  et  la- 
tines pour  défendre  aux  étrangers  de  passer  outre  et  de  se 
mêler  au  peuple  de  Dieu  *. 

•  57.  —  L'Evangile  selon  les  Hébreux,  dont  parlent  les  Pèros  et  qui  a 
subsisté  jusqu'au  cinquième  siècle,  est-il  roriginal  syrochaldcon  de 
saint  Matthieu?  - 

C'est  le  sentiment  de  la  plupart  des  auteurs  ecclésiastiques 
que  l'Evangile  selon  les  Hébreux  a  pour  origine  le  texte  syro- 
chaldéen  de  S.  Matthieu.  Au  temps  de  S.  Jérôme,  on  disait 
indifféremment  Evangile  hébreu  de  S.  Matthieu  ou  Evangile 
selon  les  Hébreux^,  Mais,  à  en  juger  par  la  peine  qu'a  prise 
ce  saint  docteur  d'en  faire  une  traduction  en  grec  et  en 
latin  %  et  par  les  fragments  de  ce  livre  recueillis  dans  ses 
écrits*, dans  ceux  d'Origène,  d'Eusèbe,  deS.  Epiphane,  etc.  ^ 
l'Evangile  selon  les  Hébreux  AiiïèTdiit  dè}k  notablement  de 
notre  premier  évangile.  Ces  différences  consistaient,  non 
dans  la  substitution  d'un  mot  ou  d'une  tournure  à  une 
tournure  ou  à  un  mot  équivalent,  mais  dans  des  lacunes, 
des  additions,  des  modifications- importantes.  D'où  venait 
cette  altération?  S.  Epiphane  en  indique  sans  doute  l'ori- 
gine et  la  raison  lorsqu'il  dit  que  l'Evangile  hébreu  était 
à  l'usage  de  deux  sectes  de  judaïsants,  les  Nazaréens  et  les 
Ebionites^  Il  est  vraisemblable  que  ces  hérétiques,  assez 
peu  éclairés,  qui  voulaient  être  à  la  fois  chrétiens  et  juifs, 
et  qui  finirent  par  n'être  plus  ni  l'un  ni  l'autre,  dit  S.  Au- 
gustin"', avaient  cherché  à  mettre  leurs  Écritures  en  har- 
monie avec  leurs  principes  et,  par  ce  motif,  corrompu  le 
texte  de  S.  Matthieu.  On  explique  ainsi  tout  à  la  fois  l'estime 
de  certains  Pérès  pour  l'Evangile  hébreu,  la  défiance  que  cet 
Evangile  inspire  à  d'autres  ^•  les  différences  qu'il  présente 

*  Joseph.,  B.,  V,  V,  2;  VI,  ii,  5.  Infra,  n.  126.  —  2  Patrizi,  de  Evang.^  1. 1, 
c.  I,  q.  7,  a.  102.  —  »  S.  Hieron.,  de  Vir,  illust,,  2,  3,  36;  in  MatL,  xii,  13  ; 
xxiH,  35.  —  *  /n  Matt.,  xxvii,  9, 10,  15  ;  In  Eph.,  v,  5;  Epist.  xx.  —  5  Hil- 
genfeld,  Nov.  Test,  extra  can.  re^eptum.  —  ^  S.  Epiph.,  Haires.,  îxix,7-9, 
et  XXX,  3,  9,  13.  Cf.  Iren.,  I,  xxvi,  2;  Euseb.,  //.,  vi,  17.  —  "^  S.  Aug., 
Lxxxii,  15,  —  8  Orig.,  Jn  Matt.y  xix,  19.  Cf.  S,  Hier.,  Cont.  Pelag.j  m,  2. 


N<>S9J  ÉVANGILE  DE  âAlNT  MATTHIEU.  148 

avec  celui  de  S.  Matthieu,  et  enfin  le  désaveu  que  l'Eglise 
en  a  fait,  et  sa  disparition  au  cinquième  siècle. 

*  58.  —  D'où  sont  tirés  les  textes  de  l'Ancien  Testament,  cités  par 

s.  Matthieu,  et  dans  quel  sens  doivent-ils  être  entendus? 

I.  Dans  les  endroits  où  les  Septante  sont  conformes  à 
l'hébreu,  les  citations  de  S.  Matthieu  semblent  empruntées 
aux  Septante;  dans  ceux  où  ils  s'écartent  du  texte  original, 
m  observe  que  l'évangéliste  s'attache  à  l'hébreu,  encore 
ju'il  ne  le  cite  pas  toujours  littéralement  ^ 

II.  Plusieurs  croient  reconnaître  en  S.  Matthieu  des  cita- 
lions  accommodatices  ou  de  pur  agrément  *.  Mais  ce  serait 
ane  erreur  de  prétendre  que  c'est  le  grand  nombre  et  sur- 
tout qu'il  n'y  en  a  pas  d'autres  *.  Ainsi,  lorsque  l'évangé- 
liste cite  un  passage  à  l'appui  d'une  assertion*,  ou  lorsqu'il 
affirme  d'une  prophétie  qu'elle  a  été  réalisée,  iva  ou  oi:w; 
zATjpwOt;  TQ  prfivf^,  comment  douter  qu'il  n'allègue  la  pensée 
de  l'Esprit  saint  et  le  sens  véritable  du  passage? 

*  59.  —  Pourquoi  les  rationalistes  prétendent-ils  que  cet  Evangile  a 

pour  auteur  un  ébionite,  un  écrivain  judaisant  et  antipaulinien? 

Ils  allèguent  plusieurs  raisons  :  —  l^Cet  évangile  s'adresse 
aux  Juifs  d'une  manière  spéciale,  sinon  exclusive.  —  2°  Il 
affecte,  à  leur  avis,  de  relever  S.  Pierre,  le  principal  repré- 
sentant du  nationalisme  juif*.  —  3<>  Il  présente  Jésus-Christ 
moins  comme  le  Sauveur  du  genre  humain  que  comme  le 
Messie  promis  à  la  maison  d'Israël.  —  4<>  Enfin,  il  recueille 
avec  une  sollicitude  particulière  toutes  les  paroles  favorables 
aux  juifs,  ou  de  nature  à  leur  plaire  ^ 

Ces  docteurs  ne  font  pas  attention  que  les  autres  évan- 
giles, qu'ils  disent  universalistes,  contiennent  les  paroles 
mêmes  qui  leur  semblent  ébionites  en  S.  Matthieu,  ou 
d'autres  équivalentes  ^  Quant  aux  passages   du  premier 

1 1,  23;  II,  6,  15,  18,  23;  iv,  15,  16;  viii,  17;  xii,  17-21;  xiii,  14-35; 
Ui,  14;  xxvii,  9-10.  —  2  u,  18;  vu,  23;  xiii,  35.  --  »  Supra,  n.  52.  — • 
^  1,  23;  XXI,  42.  —  »  i,  22;  ii,  15,  17,  23;  iv,  14;  viii,  17,  eic.  -  «  x,  2; 
x?i,  17*19.  —  T  V,  17-20;  vu,  6  ;  x,  5,  6,  23;  xv,  24,  26.  -  »  Cf.  Marc, 
VI,  26-28  ;  Joan.,  iv,  22,  etc. 

ui.  9 


146  JESUS-CHRIST   SELON  L*ÉVANGILË.  [n^  60 

évangile  qui  prêteraient  à  des  inductions  tout  opposées  S 
ils  affectent  de  ne  pas  les  voir  ou  de  n'en  pas  tenir  compte. 
Observons  néanmoins  que  les  critiques  rationalistes 
semblent  aujourd'hui  moins  décidés  pour  ce  sentiment  ^ 
D'après  leurs  publications  les  plus  récentes,  ou  S.  Matthieu 
n'a  jamais  été  ébionite,  comme  le  prétendait  Baur,  ou  bien 
on  a  revu  et  modifié  son  livre  de  manière  à  en  dissimuler 
l'esprit  primitif  ^ 

2»  SAINT  MARC. 
Personnalité  de  l'auteur.  —  Authenticité.  —  Date  de  l'ouvrage. 

*  60.  —  Saint  Marc  révangcliste  est-il  le  même  que  Jean  Marc,  parent 

de  Barnabe  *  ? 

Bien  des  savants  distinguent  S:  Marc,  l'évangéliste,  de 
Jean  Marc,  parent  de  Barnabe.  Le  Bréviaire  romain  ne 
tranche  pas  la  question^;  mais  communément  on  admet 
l'identité.  D'après  les  Actes,  Jean  ou  Jean  Marc  était  lié  avec 
S.  Pierre  avant  de  se  lier  avec  S.  Paul.  C'est  chez  la  mère  de 
ce  disciple  que  le  prince  des  Apôtres,  au  sortir  de  la  prison 
d'Hérode,  trouve  les  chrétiens  réunis  %  et  cette  circonstance 
fait  supposer  que  Jean  Marc  n'était  pas  sans  fortune,  ni 
probablement  sans  instruction.  S.  Pierre  l'aura  vraisembla- 
blement pris  pour  son  interprète;  selon  le  mot  du  prêtre. 
Jean  dans  Papias^  ou  pour  son  secrétaire,  comme  le  dit 
S.  Jérôme^  après  que  ce  jeune  disciple  se  fut  séparé  de 
S.  PauP.  De  là  le  nom  d'Evangile  de  Pierre^  donné  par 
TertuUien  à  sa  composition  *^  S'il  n'est  pas  nommé  Jean 

1  II,  1;  m,  9;  V,  21,  27;  viii,  10-12;  ix,  6,  13,  16,  17;  xi,  13;  xii, 
1-13;  XV,  11,  16-20,  28;  xvi,  18,  19;  xix,  8;  xx,  1-16;  xxi,  43;  xxii, 
37-40;  XXIII,  23-36;  xxiv,  2,  14;  xxviii,  16,  18-19,  etc.  Infra^  n.  452.  — 
2  M.  Renan,  Les  Evangiles,  —  «  3  L'auteur  de  l'Evangile  selon  Matthieu 
n'a  pas  de  parti  arrêté  dans  les  grandes  questions  qui  divisaient  TEglise. 
11  n'est  ni  Juif  exclusif,  à  la  manière  de  Jacques,  ni  Juif  relâché  à  la 
façon  de  Paul.  »  M.  Renan,  Evangiles^  206.  —  *  Act.,  xii,  12;  xv,  37, 

—  s  25  april.  —  6  Act.,  xii,  12.  Cf.  xiii,  5,  13.  —  ^  Euseb.,  £f.,  m,  39; 
VI,  14,  25.  Cf.  I  Cor.,  xiv,  5;  Iren.,  III,  i,  1.  Tert.,  Cont.  Marc,^  iv,  5. 

—  8  s.  Hier.,  Epist.  cxx,  q.  U  ;  Euseb.,  Demonstr,  evang.^  m,  5.  — 
9  Act.,  XV,  39.  Cf.  S.  Thom.,  2«-2«  ,  q.  176,  a.  1.  [nfra,  n.  529.  —  *<>  Tert., 

^■€ont.  Marc,  iv,  5. 


H^U]  ÉVANGILE  DE  SÀÎNf  MaRC.  147 

mais  simplement  Marc,  comme  évangéliste  et  compagnon 
de  S.  Pierre,  c'est  sans  doute  qu'il  avait  pris  ce  nom  latin 
en  entrant  dans  l'empire,  et  qu'il  n'était  pas  connu  autre- 
ment à  Rome  et  parmi  les  Gentils*.  S.  Luc  nous  avertit  que 
c'est  un  surnom '^  Il  a  pu  aller  en  Egypte  quelques  années 
après  la  venue  de  S.  Pierre  à  Rome,  y  fonder  l'Eglise 
d'Alexandrie  ^  puis  se  retrouver  à  Rome  pendant  la  pre- 
mière captivité  de  S.  Paul  et  à  Ephèse  pendant  la  seconde*. 
S.  Pierre  l'appelle  son  fils^  Son  Evangile,  composé  peu  de 
temps  après  celui  de  S.  Matthieu  *,  dut  être  présenté  à 
l'Eglise  par  le  prince  des  Apôtres,  comme  objet  de  foi  et 
livre  inspiré  \ 

61.  —  Les  particularités  du  second  évangile  en  désignent-elles 

Tanteur? 

Si  l'on  s'en  rapporte  aux  caractères  de  sa  composition, 
Tauteur  du  second  évangile  était  originaire  de  Judée,  con- 
temporain des  Apôtres,  et  disciple  de  S.  Pierre;  il  a  écrit 
pour  les  Gentils,  spécialement  pour  les  Romains,  sans  autre 
souci  que  d'unir  l'exactitude  et  la  précision  à  la  brièveté  et 
à  la  simplicité. 

1"  L'auteur  était  Juif  d'origine  et  contemporain  des  Apôtres. 
—  On  distingue  sa  nationalité  à  ses  nombreux  hébraïsmes, 

*  Cf.  Act.,  XV,  39  et  Col.,  iv,  10.  /n/ra,  n.  161  et  518.  —  ^  Act., 
xn,  25.  —  3  Euseb.,  H.,  i,  16;  ii,  24;  v,  10.  Alexandrie  avait  une  colonie 
jaive  très  considérable,  Joseph.,  A.,  XII,  i;  XIV,  vii,  21  ;  XIX,  v,  2. 11  est 
certain  que  le  christianisme  s'y  établit  de  bonne  heure;  car  au  second 
siècle,  les  chrétiens  y  avaient  déjà  une  école  florissante  et  des  docteurs 
renommés.  —  *  Cf.  Col.,  iv,  10;  II  Tim.,  iv,  H.  —  5  i  Pet.,  v,  13.  — 
'  S.  Irénée  dit  qu'il  fut  composé  post  exitum  SS,  Pétri  et  Pauliy  [Ltxct 
Ï71V  TouTwv  eÇoSov.  m,  I,  1.  Le  mot  eÇoSoç  ne  signifie  pas  ici  ti^épas^ 
comme  en  d'autres  endroits  :  il  a  pour  objet,  non  le  départ  de  S.  Pierre 
de  Rome,  mais  la  dispersion  des  Apôtres  pour  la  prédication  de  l'Evan- 
gile. C'est  une  allusion  à  ce  qu'il  vient  de  dire  :  Aposioli  exieimnt  in 
fines  terrée  y  evangelizantes  et  pacem  annuntiantes.  —  "^  Ann.  46^50. 
Euseb.,  H,f  II,  15;  m,  24;  vi,  14.  Supra,  n.  41.  Comme  S.  Marc  passe 
sous  silence  l'enfance  et  la  jeunesse  de  Notre  Seigneur,  si  l'on  divise  le 
second  évangile  comme  le  premier,  on  aura  deux  parties  bien  distinctes  : 
1®  La  vie  apostolique  du  Sauveur  en  Galilée,  wx,  et  en  Judée,  x.  2°  Sa 
vie  «ouifrante,  xi-xy,  et  glorieuse,  xvr. 


148  JÉSUS-CHRISt  SELON  L^ÉYANOlLË.  [n»  61 

à  ses  citations  syrochaldéennes,  ii,  9;  m,  17;  v,  41;  vu,  11, 
34;  X,  46;  xiv,  36;  xv,  34,  etc.,  et  à  la  connaissance  qu'il 
montre  des  usages  de  la  Judée,  v,  3;  vu,  2-4,  11;  xui,  3; 
XIV,  12  ;  XV,  42  ;  etc.  On  reconnaît  un  contemporain  des 
Apôtres  aux  particularités  de  ses  récits.  Ils  sont  vifs,  précis, 
circonstanciés,  comme  devaient  l'être  ceux  des  premiers  té- 
moins de  la  vie  du  Sauveur.  Il  ne  néglige  aucun  détail.  Il 
indique  nettement  les  moindres  particularités  de  temps  S 
de  lieux  ^,  de  nombre  S  de  personnes  ^  d'attitude  ^  de 
disposition  ^  Par  exemple,  il  remarque  que  Jaïre  était  chef 
de  synagogue*^,  que  la  femme  du  pays  de  Ghanaan  était  une 
grecque  syrophénicienne  ^  que  l'aveugle  de  Jéricho  s'ap- 
pelait Bartimée,  fils  de  Timée  \  que  les  enfants  de  Zébédée 
furent  nommés  Boanerges,  que  le  crime  de  Barabbas  était 
le  meurtre  *^  que  Joseph  d'Arlmathie  était  membre  du 
sanhédrin,  et  Simon  de  Cyrène  père  d'Alexandre  et  de 
Rufus*^  Il  rapporte  même  en  langue  syrochaldéenne  cer- 
taines paroles  de  Notre  Seigneur  *^  Plusieurs  pensent  qu'il 
parle  de  lui-même  dans  le  récit  de  la  Passion  *%  sans  se 
nommer,  comme  fait  aussi  S.  Jean  **  et  peut-être  S.  Luc  *^ 
2°  //  était  particulièrement  attaché  à  S.  Pierre,  —  Il  ex- 
pose avec  la  plus  grande  précision  les  faits  qui  concernent 
cet  Apôtre,  ceux  dont  il  a  été  l'auteur  ou  le  témoin  *^  Là  où 
les  autres  évangélistes  nomment  les  Apôtres  en  général, 
S.  Marc  désigne  S.  Pierre  séparément  et  tout  d'abord,  par 
exemple  dans  la  guérison  de  sa  belle-mère,  dont  il  indique 
le  jour",  dans  la  résurrection  de  la  fille  de  Jaïre  **,  dans  la 
prédiction  de  la  ruine  de  Jérusalem  *%  dans  les  recomman- 
dations du  Sauveur  ressuscité*^.  Une  autre  remarque,  faite 
par  S.  Ghrysostome,  c'est  qu'il  nomme  S.  Pierre  dans  les 

1  I,  22,  35,  36;  iv,  35;  vi,  2;  xi,  11,  19;  xv,  25;vxvi,  8.  —  *  ii,  13 
m,  7  ;  IV,  1  ;  V,  20  ;  vi,  38  ;  vu,  31  ;  xi,  21  ;  xii,  41  ;  xiii,  3  ;  xiv,  66  ;  xv,  40 
XVI,  5,  7.  —  3  V,  13;  vi,  7,  40;  xiv,  30.  —  *  i,  29,  36;  m,  22;  xii,  13 

XV,  21.  —  «  m,  5,  34;  v,  32;  ix,  34,  35;  x,  16,  23,  32;  xi,  11.  —  «  m,  5 
VI,  14;  vm,  12;  x,  14.  21.  —  7  v,  22.  —  «  vu,  26.  —  »  x,  46.  —  io  xv,  7 
—  ti  XI,  21,  23.  —  12  SuprUy  n.  10.  —  13  Eiç  xiç  veaviaxo;,  xiv,  51,  52 
T-  1*  Joan.,  I,  40;  xix,  26.  —  «  Luc,  xxv,  13-35.  —  is  i,  10;  xiii,  3; 

XVI,  7,  etc.  —  "  I,  29,  36.  -  i»  y,  37,  38.  -  i»  xra,  3.  —  ^  xvi,  7. 


N«61]  ÉVANGILE  DE   SAINT  MARC.  149 

circonstances  les  plus  propres  à  l'humilier,  quand  Notre 
Seigneur  lui  dit  :  Vade  rétro,  Satâna^,  quand  il  s'endort  au 
Jardin  des  Olives  %  quand  il  renie  son  Maître  %  tandis  qu'il 
ne  dit  rien  de  sa  marche  sur  les  eaux  près  de  Tibériade*, 
ni  des  prérogatives  que  Notre  Seigneur  lui  accorde  en  ré- 
compense de  sa  foi  et  de  son  amour  ^  Du  reste,  S.  Marc 
rapporte  les  actions  de  Notre  Seigneur  avec  plus  de  soin 
que  ses  discours;  il  semble  surtout  frappé  des  prodiges 
qu'il  opérait  et  de  l'empire  qu'il  exerçait  sur  les  possédés*. 
Cette  particularité,  en  le  distinguant  de  S.  Matthieu,  lui 
donne  un  rapport  de  plus  avec  le  prince  des  Apôtres^  qui 
se  montre  toujours  préoccupé  de  la  pratique.  C'est  ce  qui 
a  fait  dire  que  cet  Evangile  n'était  que  la  réalisation  du 
programme  tracé  par  S.  Pierre  au  Cénacle*^  et  le  dévelop- 
pement de  l'instruction  donnée  par  le  même  Apôtre  à  Cor- 
neille sur  la  vie  de  l'Homme-Dieu  :  «  Il  a  passé  en  faisant 
le  bien  et  en  guérissant  tous  ceux  que  le  démon  tourmen- 
tait».» 

3"  //  écrivait  pour  tous  les  peuples  Gentils,  vq  TcacY)  xtioiq*, 
mais  spécialement  pour  les  Romaim.  —  C'est  la  principale  rai- 
son pour  laquelle  il  s'appuie  rarement  sur  l'Ancien  Testa- 
ment et  ne  le  cite  presque  pas,  contrairement  à  la  pratique  de 
S.  Pierre.  Il  ne  présente  pas  le  Sauveur  comme  Messie,  mais 
comme  souverain  du  monde  :  il  ne  rappelle  pas  Fils  de  Da- 
vid *°,  mais  Fils  de  l'homme  ou  Fils  de  Dieu,  coname  S.  Jean  qui 

»  Marc,  viii,  33.-8  xiv,  37.  —  ^  xiv,  68,  72.  On  voit  ce  même  fait 
représenté  en  une  foule  d'endroits  des  Catacombes.  —  ♦  Matth.,  xiv, 
28-31.—  s  Cf.  Matth.,  xvi,  17-19;  Luc,  xxii,  31,  32;  Joan.,  xxi,  15. 17. 
Non  solum  raagistri,  delictum  non  occuUavit,  sed  exquisitius  etiam 
qaam  cœteri  conscripsit.  Hoc  ab  ipso  magîstro  Petrus  didicerat  :  disci- 
pnlus  enim  Pétri  fuit.  S.  Chrys.,  In  Matth.  Hom.  lxxxv.  Cf  Clément. 
Recogn,,  n,  1,  10.  l\  est.  bien  remarquable  cependant  que  le  glorieux 
témoignage  rendu  par  S.  Pierre  à  Notre  Seigneur  :  Su  ei  o  uioc  tou  ©eou, 
devient  comme  le  texte  de  S.Marc,i,l  ;  et  qu'on  l'entend  répéter  dans  cet 
évangile  par  la  terre,  xv,  39,  par  l'enfer,  m,  11,  12  et  par  Dieu  môme, 
I,  11.  ~  6  I,  23,  27,  32,  34,  39:  m,  10,  11,  15;  v,  1,  15;  vi,  13;  vu,  29; 
IX,  16,  25;  XVI,  9,  17.  —  ^  Oportet  ex  his  viris,  incipiens  a  baptismate 
Joannis  usque  ad  diem  qua  assumptus  est,  testera  resurrcctionis  ejus 
nobiscum  fieri.  Act.,  i,  21,  22.  —  »  Act.,  x,  38.  —  »  Marc,  xvi,  16.  — 
**  Sauf  une  fois,  x,  47. 


ISO  JÉSUS-GHRIST  SELON   l'ÉVANGILE.  [n<*  61 

destinait  aussi  son  écrit  aux  Gentils.  Il  omet,  comme  lui,  les 
généalogies  et  l'adoration  des  Mages,  qui  intéressaient  spé- 
cialement les  Juifs  çt  commence  son  récit  par  la  prédication 
de  TEvangile.  Il  ne  nomme  pas  une  seule  fois  la  Loi  ;  il  ne 
dit  pas  l'abomination  dans  le  sanctuaire,  in  sancto.  \  mais  ubi 
non  débet  ^  Dans  le  récit  de  la  Passion,  il  passe  sous  silence 
le  voile  du  temple  déchiré,  le  tremblement  de  terre,  et  le 
brisement  de  la  pierre,  qui  ne  se  pouvaient  constater  qu'à 
Jérusalem.  Il  explique  les  usages  juifs,  dont  il  fait  mention  ^, 
il  évalue  les  pièces  grecques  en  monnaies  latines,  Xstutx  Sj^, 
0  £axi  Y.olpTnT^<;\  et  traduit  les  termes  araméens  qu'il  insère 
dans  son  récit  %  tandis  qu'il  n'explique  aucune  des  expres- 
sions latines  qu'il  fait  entrer  dans  ses  phrases  grecques,  8r,va- 

piov  ®  x£vxupiu)v  *^,  YXfVOoq  *,  xoâpavxr^ç  %  xpaSaxo;  *^,  Çcgtyjç  **, 
A^Y^wv  *^,  7:pa'.Ta)ptov  *^,  (fKa-^eWoiti  **,  CTZtY.wuXx-.bip  *^,  etc.  Il 

prend  soin  de  dire  que  le  Jourdain  est  un  fleuve  *^  et  que 
le  mont  des  Oliviers  est  en  face  du  temple  ^\  Il  avertit  que 
les  Sadducéens  ne  croient  pas  à  la  résurrection  *^  que  les 
Pharisiens  jeûnent  fréquemment  ^\  que  les  Juifs  immolent 
l'Agneau  pascal  le  premier  jour  des  Azymes  ^^,  qu'ils  sont  en 
possession  de  remettre  en  liberté  un  prisonnier  à  Pâques  ^*. 
Les  quatre  paraboles  qu'il  reproduit  ont  rapport  à  la  prédica- 
tion de  l'Evangile,  à  l'établissement  de  l'Eglise  et  à  la  voca- 
tion des  Gentils.  Enfin  il  désigne  Alexandre  et  Rufus  comme 
fils  de  Simon  de  Gyrène  ^%  et  l'on  sait  par  S.  Paul  qu'ils 
étaient  venus  s'établir  à  Rome  ^^ 

4°  Son  écrit  est  rédigé  comme  un  simple  mémorial,  —  On 
n'y  remarque  aucune- tendance  spéciale,  soit  apologétique, 
soit  polémique.  S.  Jérôme  dit  que  S.  Marc  n'a  fait  qu'un 
abrégé  de  l'Evangile  ^*,  Papias  qu'il  s'est  borné  à  mettre  par 

1  Matth.,  XXIV,  15.  —  2  xiii,  14.  —  !*  vu,  2,  4;  xiv,  12;  xv,  6,  42,  etc. 

—  *  XII,  42.  —  s  m,  17;  v,  41  ;  vu,  34;  x,  46;  xii,  42;  xiv,  30;  xv,  22, 
34,  42.  —  6  VI,  37.  —  "7  XV,  39,  44,  45.  —  »  xii,  14.  —  9  Marc,  xii,  42.  — 
10  „^  9.  _  11  VII,  4,  8.  —  12  V,  9,  15.  —  la  XV,  16.  —  i *  xv,  15.  —  ^s  vi,  27. 

—  16 1, 5.  _  17  xin,  3.  —  18  x.ii,  18.  —  19 II,  18.  —  2»  xiv,  12.  —  21  xv,  6,  etc. 

—  22  XV,  21.  —  23  Rom.,  XVI,  13.  S.  Polycarpo  parle  aux  Philippiens  de 
Rufus,  comme  d'un  illustre  martyr.  Episl.  9.  —  2*  Brève  sciipsit  evan- 
gelium,  S.  Hieron.^  De  vir.  Ulust,^  viii,  Cum  solo  Jeanne  nihil  dixit, 


N^  61j  ÉVANGILE  DE   SAINT  MARC.  le^l 

écrit  les  prédications  de  S.  Pierre  *.  S.  Augustin  l'appelle 
pedissequtis  Matthœi  ^  et  Bossuet  le  plus  divin  des  abrevia- 
teurs  ^  Cependant  S.  Marc  ne  se  borne  pas  à  résumer,  ou 
bien  ce  qu'il  résume  est  plutôt  l'histoire  du  Sauveur  que  le 
livre  de  S.  Matthieu.  En  certains  endroits,  il  change  Tordre 
suivi  par  son  devancier  ;  en  d'autres,  il  rafraîchit  ses  ta- 
bleaux en  les  complétant  par  de  nouveaux  traits;  par 
exemple,  dans  la  guérison  de  l'hémorroïsse  *,  dans  la  déli- 
vrance des  possédés  Géraséniens  %  dans  le  récit  de  la  mort  de 
S.  Jean-Baptiste  ^  Encore  qu'il  n'ait  pas  plus  de  vingt-sept 
versets  dont  on  ne  trouve  pas  l'équivalent  dans  S.  Matthieu 
ou  dans  S.  Luc,  on  lui  doit  cependant  une  parabole  \  deux 
guérisons  miraculeuses,  celles  du  sourd-muet  de  la  Déca- 
pole  ^  et  de  l'aveugle  de  Bethsaïde  %  et  un  des  incidents  de 
l'arrestation  du  Sauveur,  auquel  l'évangéliste  semble  ne  pas 
être  étranger  *°. 

5®  Pour  le  style,  S.  Marc  est  net,  précis,  serré,  mais  sec  et 
négligé.  —  Constamment  il  emploie  dans  ses  récits  le  lan- 
gage direct  **,  et  remplace  le  passé  par  le  présent  *M1  aime 
les  diminutifs,  y.opa7iov,  Kuvxpia,  i^OuBia,  toxapiov,  etc.  ".  Il 
répète  souvent  les  mêmes  idées  et  les  mêmes  termes,  soit  à 
dessein  pour  en  renforcer  le  sens  ^*,  soit  par  négligence  **, 
comme  xai,  et^  qui  reparaît  à  tout  moment,  zaXiv,  rursum, 
iterum,  et,  euOswç,  statim,  qu'on  trouve  neuf  fois  dans  le 
premier  chapitre.  On  cite  encore  parmi  ses  expressions  fa- 

solus  ipse  perpauca,  cutn  solo  Luca  pauciora,  cum  Mattliaeo  vero  plu- 
rima  et  multa  pêne  totidem  atque  ipsis  verbis,  sive  cum  solo,  sive  cum 
ceteris  consonante.  S.  Au  g.,  De  consensu  evangel..,  i,  4. 

*  Euscb.,  H.,  11,  15.  Imitatus  magistri  sui  Pétri  verborum  paucitatem, 
uti  Lucas  Pauli  ubertatem  loquendi.  S.  Chrys.,  In  Matth.^  Hom.  iv.  — 
'  De  cons.  Evang.,  i,  4.  —  3  Cf.  II  Marc,  ii,  24-27.  S.  Marc  n'a  que  fort 
peu  de  passages  qui  fassent  défaut  en  S.  Matthieu  :  i,  21-28,  35-39;  iv, 
21,24,  26-29;  vu,  31-37;  viii,  22-26;  ix,  38-42;  xu,  41-44;  xiv,  51,  52. 

-  *  V,  25,  29,  32.  —  s  V,  4,  18,  19.  -  s  vi,  20,  29.  —  *?  iv,  26-29.  - 
'  VII,  32-35.  —  9  VIII,  22-26.  —  lo  xiv,  51,  52.  —  li  iv,  39;  v,  8,  9,  12; 
VI,  2,  3,  31;  IX,  25;  xu,  6.  — 12  1,  40;  11,  3,  10,  17;  vi,  1;  xiv,  43,  66. 

-  «V,  41,  42;  VII,  27,  28;  viii,  7;  xiv,  47.  —  1*  i,  45;  11,  27,  28; 
ni,  26;  iv,  8;  vu,  12,  grâBce;  xiv,  68.  —  *5  j^  45;  n^  ig,  22,  25;  viii,  15. 
Cf.ii,  19,  20,  27;  m,'  1,  3;  iv,  15;  v,  41,  42;  vi,  17,  18;  x,  13;  xiv, 
66,67. 


152  JÉSUS-CHRIST   SELON   l'ÉVANGILE.  [n»  62 

vorites,  cœpit,  immundm  spiritiiSy  interrôgare,  prœdicare, 
co7nminari,  etc. 

Ainsi  les  caractères  intrinsèques  du  second  évangile  jus- 
tifient pleinement  la  croyance  de  l'Eglise  sur  l'origine  et 
sur  l'auteur  de  ce  livre  K 

62.  —  D'après  certains  critiques,  S.  Marc  n'aurait-il  pas  écrit  son 
Evangile  bien  plus  tôt  que  S.  Matthieu? 

Un  certain  nombre  de  rationalistes  ^  attribuent  aujour- 
d'hui à  l'Evangile  de  S.  Marc  la  priorité  d'origine.  En  cela, 
ils  sont  forcés  de  rompre  avec  Baur,  d'après  lequel  l'Evan- 
gile le  plus  ancien  devrait  être  plus  que  tout  autre  impré- 
gné de  l'esprit  judaïsant,  personnifié  dans  S.  Pierre'; 
mais  ils  ont  l'avantage  de  mettre  en  question  l'authenticité 
de  S.  Matthieu,  et  par  ce  moyen  de  contester  à  l'Eglise 
l'autorité  d'un  témoin  oculaire  des  faits  évangéliques,  de  je- 
ter du  doute  sur  les  principales  prédictions  du  Sauveur  *  et 
de  gagner  du  temps  pour  l'éclosion  de  leurs  mythes  ou  lé- 
gendes. L'intérêt  du  système  explique  donc  ce  sentiment, 
Ce  n'en  est  pas  moins  un  paradoxe,  opposé  à  toutes  les  vrai- 
semblances, et  démenti  par  tous  les  témoignages. 

I.  Ce  sentiment  est  contraire  à  toute  vraisemblance. 

1»  C'est  aux  Hébreux  que  le  christianisme  fut  d'abord 
prêché  ;  c'est  dans  la  Judée  que  se  formèrent  les  premières 
églises  ;  c'est  là  plus  tôt  qu'ailleurs  qu'on  dut  avoir  l'idée  et 
sentir  le  besoin  d'un  évangile  écrit.  Il  y  a  donc  lieu  de  croire 
que  le  premier  évangile  n'a  pas  été  fait  à  Rome  pour  les 
Romains,  mais,  comme  on  l'a  toujours  dit,  en  Judée,  pour 
les  Juifs. 

2°  On  n'a  pas  attribué  à  S.  Pierre  l'Evangile  de  S.  Marc, 
ni  à  S.  Paul  celui  de  S.  Luc,  malgré  la  part  prise  à  chacun 
de  ces  ouvrages  par  l'un  et  l'autre  de  ces  apôtres:  com- 
ment donc  admettre,  ce  qu'on  suppose  ici,  qu'on  ait  attribué 
unanimement  à  S.  Matthieu  un  écrit  composé  longtemps 
après  lui,  et  auquel  il  n'aurait  coopéré  en  aucune  manière? 

*  Supra,  n.  23.  —  2  Wolkmar,  Wille,  Renan,  Les  Evangiles,  1877.  — 
3  Supra,  n.  21.  —  *  Infra,  n.  257. 


N°62]  ÉVANGILE  DE   SAINT  MARC.  153 

On  prétend  que  le  faussaire  a  usurpé  ce  nom  pour  donner 
crédit  à  son  ouvrage.  Mais  comment  a-t-il  pu  tromper  l'E- 
glise entière?  D'ailleurs,  ce  n'est  pas  le  nom  de  Matthieu,  le 
publicain,  que  devait  prendre  l'auteur  d'un  livre  écrit  pour 
les  Juifs  :  c'était  celui  de  Jacques,  l'évêque  de  Jérusalem, 
ou  celui  de  Pierre,  l'apôtre  de  l'ancien  peuple.  Dira-t-on  que 
S.  Matthieu  avait  fourni  le  fond  de  cette  composition  dans 
un  Evangile  hébreu  primitif?  Alors  la  difficulté  se  double. 
Comment  a-t-on  pu  répudier  cet  évangile  authentique,  ou- 
vrage d'un  Apôtre  et  le  plus  ancien  de  tous,  et  lui  substi- 
tuercelui  d'un  inconnu,  d'un  faussaire,  sans  que  personne 
ait  aperçu  la  fraude  ou  crié  à  l'imposture  ? 

30  Si  l'on  renvoie  ainsi  la  rédaction  du  premier  évangile 
à  la  fin  du  premier  siècle,  ses  caractères  intrinsèques,  aussi 
bien  que  sa  diffusion  par  toute  l'Eglise  dès  cette  époque, 
sont  inexplicables.  —  Comment  croire,  en  effet,  qu'après  la 
ruine  du  temple  et  la  dispersion  du  peuple  juif,  on  ait  en- 
core composé  un  évangile  spécial  pour  les  Hébreux  ;  qu'on 
l'ait  écrit  dans  leur  langue  ou  du  moins  conformément  à 
leurs  usages  ;  qu'on  y  ait  parlé  de  cité  sainte  *;  qu'on  se  soit 
arrêté  à  en  prédire  la  ruine  en  même  temps  que  la  fin  du 
mondes  à  montrer  les  Pharisiens  en  possession  des  hon- 
neurs, à  stigmatiser  leurs  défauts  ^  ?  On  ne  voit  pas  cela  dans 
S.  Jean.  —  D'un  autre  côté,  il  suffît  de  la  moindre  notion 
des  premiers  auteurs  ecclésiastiques  .pour  être  convaincu 
que  S.  Matthieu  leur  était  connu.  On  le  trouve  cité  dès 
l'origine,  et  sans  comparaison  plus  que  les  autres  évan- 
gélistes  ensemble.  Ainsi,  en  S.  Barnabe,  il  l'est  trois  fois 
et  il  Test  seul.  En  S.  Clément,  trois  textes  sur  six  sont  de 
lui;  en  S.  Ignace,  c'est  cinq  textes  sur  six;  en  S.  Poly carpe, 
six  sur  sept;  en  S.  Justin,  cinquante  sur  soixante-cinq,  etc. 
Pourquoi  S.  Matthieu  serait-il  le  plus  cité,  s'il  n'avait 
pas  été  répandu,  et  comment  aurait-il  été  répandu,  s'il 
n'avait  pas  été  le  plus  ancien,  surtout  s'il  n'était  pas  anté- 
rieur à  S.  Luc,  s'il  n'avait  été  publié  qu'à  la  fin  du  siècle, 

1  Matth.,  IV,  5;  v,  35;  xxiv,  15;  xxvii,  1,  53.  —  2  Matth._,  xxiv,  2-34. 
-  3  Matth.,  xxiii,  2,  3,  5,  i5,  16,  18,  21,  23,  27,  29,  34. 

9. 


154  JÉSUS-GHRIST  SELON   l'ÉVANGILE.  [n^  62 

s'il  était  encore  inconnu  à  Rome  vers  97,  comme  on  le 
prétend  *? 

II.  Ce  sentiment  est  démenti  par  la  tradition  la  plus  univer- 
selle et  la  plus  expresse. 

Les  Pères  et  les  écrivains  ecclésiastiques,  à  commencer 
par  les  plus  anciens,  les  maîtres  de  Papias  S  S.  Irénée  ^ 
Clément  d'Alexandrie*,  Origène%S.  Epiphane^  Eusèbe^ 
S.  Cyrille  de  Jérusalem  ^  S.  Chrysostome®,  S.  Jérôme*®, 
S.  Augustin  **,  affirment  expressément  que  l'auteur  de  notre 
premier  évangile  est  S.  Matthieu,  qu'il  l'a  écrit  en  hébreu, 
dans  la  Judée,  avant  d'aller  prêcher  la  foi  chez  les  nations, 
par  conséquent  que  son  livre  est  le  plus  ancien  de  ceux  du 
Nouveau  Testament.  Contre  un  témoignage  aussi  positif  et 
aussi  universel,  contre  la  tradition  tout  entière,  aucune 
conjecture,  aucun  système,  aucune  habileté  ne  saurait  pré- 
valoir. Il  s'agit  d'un  fait  public  qui  intéressait  l'Eglise  au 
plus  haut  degré  :  il  est  impossible  qu'elle  n'en  ait  pas  gardé 
un  fidèle  souvenir.  La  tradition,  en  effet,  est  unanime  et 
remonte  jusqu'aux  Apôtres.  En  210,  Origène,  énumérant 
nos  quatre  évangiles  et  plaçant  S.  Matthieu  avant  tous  les 
autres,  invoque,  en  faveur  de  leur  authenticité,  le  témoignage 
de  r Eglise  de  Dieu  répandue  par  toute  la  terre  *^ 

D'ailleurs  celui  de  l'Eglise  romaine  suffirait  ici,  à  lui  seul. 
Evidemment,  si  le  plus  ancien  évangile  avait  paru  à  Rome, 
s'il  avait  été  composé  en  faveur  de  l'Eglise  de  Rome,  sous 
l'influence  et  la  direction  de  S.  Pierre,  cette  Eglise  n'aurait 
pas  manqué  de  publier  un  fait  si  important  et  si  glorieux 
pour  elle.  Jamais  elle  ne  l'aurait  oublié;  jamais  elle  n'aurait 
eu  l'idée  d'attribuer  la  priorité  d'origine  à  un  autre  é.van- 
gile  composé  pour  les  Juifs,  trente  ans  plus  tard,  par  un 

1  M.  Renan,  Evang.^  214.  Aujourd'hui  M.  Renan  dit  que  la  dernière 
rédaction  de  S.  Matthieu  remonte  à  l'an  85,  d'où  Ton  peut  conclure,  ce 
semble,  que  la  première  est  antérieure  à  70  et  à  la  mort  de  S.  Matthieu. 
Supra,  n.  53.-2  Euseb.,  //.,  m,  39.  —  3  Adv.  Hseres.,  IIJ,  i;  Fragm,  xxix. 
—  *  Euseb.,  H.f  VI,  14.  —  ^  In  Jos,,  Hom.,  vu,  1;  in  Matth  ,  i.  Cf.  Euseb., 
H.,  VI,  25.  —  6  Hxres.,  u,  5-7.  —  ^  H.,  m,  24.  —  «  Catech.,  xiv,  15.  — 
9  In  Matth. y  Hom.,  m.  —  *o  In  Matth, ^  praef.;  de  Vv\  illust,^  nu  — 
11  De  consensu  Evang.,  i,  2.  —  ^^  In  Matth, ,  i. 


P&i]  ÉVANGILE  DE   SAINT  LUC.  155 

J  ... 

faussaire  inconnu;  jamais  elle  ne  lui  aurait  donné  la  pre- 
mière place  dans  ses  recueils  et  sès^  catalogues  ;  jamais  enfin 
elle  n'aurait  souffert  qu'on  appelât  S.  Marc  un  imitateur  ou 
un  abréviateur  de  S.  Matthieu  *,  de  celui  à  qui  il  aurait,  au 
contraire,  servi  de  modèle  et  fourni  ses  plus  précieux  maté- 
riaux.. 

Il  est  donc  hors  de  doute  que  l'Evangile  de  S.  Matthieu 
est  antérieur  à  celui  de  S.  Marc. 

30  SAINT  LUC. 
Date.  —  Soarces.  —  Authenticité.  —  Tendance. 

*  63.  —  Date  du  troisième  évangile. 

Tous  les  auteurs  ecclésiastiques,  sauf  Clément  d'Alexan- 
drie \  attestent  que  cet  évangile  a  paru  après  celui  de 
S.  Marc,  et  qu'il  vient  en  troisième  lieu.  L'auteur  dit  lui- 
même  qu'il  n'est  pas  le  premier  qui  ait  essayé  d'écrire  la 
Vie  du  Sauveur  ^  Ailleurs  il  nous  apprend  qu'il  a  publié 
son  évangile  avant  d'écrire  les  Actes  des  Apôtres  *.  Or,  le 
livre  des  Actes  a  été  terminé,  suivant  toutes  les  apparences, 
en  l'an  62  ou  63,  époque  à  laquelle  son  récit  s'arrête  brus- 
quement. Il  est  donc  probable  que  le  troisième  évangile  a 
été  écrit  entre  l'an  55  et  l'an  60,  une  huitaine  d'années 
après  celui  de  S.  Marc,  une  quinzaine  après  celui  de 
S.  Matthieu.  A  cette  date,  le  christianisme  était  déjà  établi 
dans  beaucoup  de  contrées  de  l'empire;  mais,  comme  nous 
l'avons  fait  observer,  la  plupart  des  Apôtres  étaient  encore 
en  vie  ^ 

On  peut  distinguer  dans  l'Evangile  de  S.  Luc  quatre  par- 
ties :  —  1°  Enfance  et  jeunesse  de  Notre  Seigneur,  i,  5-iv,  13. 
—  2*  Prédication  dans  la  Galilée,  iv,  14-ix,  50.  —  3°  Voyage 
de  Galilée  à  Jérusalem,  ix,  51-xvni,  30.  —  4®  Derniers  mys- 
tères, xvui,  31-xxiv. 

*  Pedisseqiius  et  breviator  Matthaei.  S.  Aug.,  De  cons.  Evang.y  i,  4. 
—  *  Euseb.,  H.,  m,  24;  vi,  14.  —  3  Luc,  i,  1.  —  *  Act.,  i,  1.  —  s  Supra, 
n,  ÏA,  Cf.  Luc,  X,  7;  I  Tim.,  v,  18;  Clément.,  Ad  Cor.,  29. 


186  JÉSUS-CHRIST  SELON   l'ÉVANGILE.  [n<>  64 

*  64.  —  Sources  de  S.  Luc  :  comment  a-t-il  pu  connaître  naturellement 

les  faits  qu'il  rapporte? 

S.  Luc  n'avait  pas  connu  Notre  Seigneur,  ni  observé  par 
lui-môme  les  faits  évangéliques  *  ;  mais  il  avait  à  sa  dispo- 
sition les  écrits  de  S.  Matthieu  et  de  S.  Marc,  qui  pouvaient 
le  guider  dans  la  plupart  de  ses  récits.  Quant  aux  faits  qu'il 
rapporte  seul,  et  aux  circonstances  qu'il  ajoute  aux  récits 
de  ses  devanciers,  il  a  eu  pour  s'en  assurer  diverses  auto- 
rités ^  : 

!•  S.  Paul,  si  bien  instruit  de  tout  ce  qui  concernait  le 
Sauveur,  soit  par  ses  révélations  %  soit  par  les  rapports  des 
premiers  disciples*.  On  sait  que  S.  Luc  a  longtemps  vécu 
avec  l'Apôtre ^  qu'il  l'a  suivi  dans  la  plus  grande  partie  de 
ses  voyages®.  Les  premiers  chrétiens  étaient  si  persuadés 
de  la  part  que  S.  Paul  avait  prise  à  la  composition  du  troi- 
sième évangile,  qu'ils  lui  en  faisaient  honneur  et  que  Ter- 
tulien  l'appelle  illuminator  Lucœ\ 

2**  Plusieurs  personnages  apostoliques*  :  S.  Barnabe,  l'un 
des  premiers  lévites  convertis  qui  devint  fondateur  de  l'E- 
glise d'Antioche  où  S.  Luc  apprit  les  éléments  de  la  doctrine 
chrétienne  ®;  S.  Philippe,  diacre  de  Césarée  *•*,  chez  lequel 
S.  Luc  logea  avec  S.  Paul  en  se  rendant  à  Jérusalem,  et  au- 
près de  qui  il  demeura  les  deux  premières  années  de  la  cap- 
tivité de  l'Apôtre;  S.  Jacques  le  Mineur,  évêque  de  Jérusa- 
lem **;  S.  Pierre  et  les  autres  Apôtres  *%  avec  lesquels  S.  Luc 
fut  en  rapport  *^ 

3°  La  sainte  Vierge  et  les  parents  de  S.  Jean-Baptiste. 
C'est  à  cette  dernière  source  qu'a  dû  être  puisé  en.  particu- 
lier le  récit  des  faits  qui  ont  précédé  la  naissance  du  Sau- 
veur**; récit  dont  la  couleur  toute  hébraïque  contraste  avec 

1  Canon  de  Muratori.  —  2  s.  Iren.,  m,  xiv,  1,  2.  —  3  Act.,  ix,  16; 
II  Cor.,  IV,  9;  Gai.,  i,  12;  Eph.,  m,  4.—  *  Act.,  ix,  19.  —  »  Col.,  iv,  14; 
II  Tim.,  IV,  9-12;  Pliilem.,  24.  —  «  Act.,  xvi,  10;  xx,  5;  xxviii,  7,  16. 

—  7  s.  Iren.,  III,  xiii,  3  ;  Tert.,  Adv.  Marc.j  iv,  2,  4,  5;  Euseb.,  H.,  m,  4. 

—  8  Qui  ministri  fuerunt  sermonis,  Luc,  i,  2.  —  »  Cf.  Act.,  xi,  20-24; 
Col.,  IV,  14;  Euseb.,  ff.,  m,  4.  —  lo  Act.,  xxi,  8.  —  **  Act.,  xxi,  18.  — 
18  Gai.,  II.  —  13  S.  Hieron.,  de  Vtr.  illust,  7.  —  i*  Luc,  i,  5-11,  39.  Ideo 


N<>6S]  ÉVANGILE  DE  SAINT  LUC.  167 

le  prologue  de  l'Evangile*.  Aussi  S.  Luc  atteste-t-il  quMl  a 
remonté  jusqu'aux  origines  S  et  fait-il  remarquer  à  deux 
reprises  que  la  mère  de  Dieu  conservait  dans  son  cœur  le 
souvenir  de  tout  ce  qu'elle  voyait  et  entendait  \ 

65.  '-  Que  trouve-t-on  de  particuUer  dans  le  troisième 

évangile  ? 

Le  troisième  évangile  offre  des  marques  très  nombreuses 
d'authenticité.  On  sait  que  S.  Luc  était  médecin  *,  et  qu'il 
avait  fait  par  conséquent  quelques  études,  qu'il  était  Gentil 
d'origine  ^  qu'il  fut  disciple  de  S.  Paul,  qu'il  se  consacra 
comme  son  maître  à  la  conversion  des  Gentils  ®,  enfin 
qu'après  avoir  écrit  son  évangile,  il  a  composé  les  Actes  des 
Apôtres"^.  Or,  ces  qualités,  ces  habitudes  d'esprit,  ces  dis- 
positions, ces  particularités,  se  reflètent  d'une  manière 
visible  dans  le  troisième  évangile. 

1?  On  reconnaît  la  profession  de  Vauteur  à  la  manière  dont 
il  parle  des  maladies  et  de  leur  guérison;  et  il  est  facile  de 
cmtater  la  culture  de  son  esprit  aux  qualités  de  sa  composi- 
tion. —  Cet  évangile  décrit  les  maladies  guéries  par  le  Sau- 
veur avec  bien  plus  de  précision  que  les  autres  ^  en  des 
termes  qui  lui  sont  propres  et  qui  appartiennent  au  langage 
médical  de  l'époque'.  En  outre,  il  a  plus  qu'aucun  autre  la 

coQceptus  Elisabeth  Marise  nuntiatus  est^  ut  dum  nunc  Salvatoris,  nunc 
Prœcursoris  edocetur  adventus,  rem  m  tcmpus  et  ordinem  tonens,  ipsa 
melius  postmodam  scriptoribus  ac  prœdicatoribus  ovangolii  reseraret 
Teritatem.  S.  Bern.  Hom.,  v,  6,  super  Missus  est, 

'  Luc,  I,  1-4.  —  s  I,  3-8.  —  3  II,  19,  51.  Cf.  F.  Hilaire,  La  Madone  de 
S.Luc,  1886.  —  *  Col.,  IV,  14.  Bis  medicus  Lucas,  prius  arto,  deinde 
loquela.  S.  Paulin.,  Carm.,  xxiv.  —  »  Cl.  Col.,  iv,  10,  11,  14;  Act.,  i,  19. 
—  •  Cttjus  laus  est  in  Evangelio,  dit  S.  Paul.  II  Cor.,  viii,  18.  Cf.  Act., 
XVI,  10,  etc.;  U  Tim.,  iv,  H  ;  Pliilem.,  24,  etc.  —  ?  Act.,  i,  1.  —  «  Cf. 
Luc.,  IV,  38-40  et  Mattli.,  viii,  16;  Marc,  xiii,  34.  —  Luc,  v,  18-31,  et 
Matth.,  IX,  2-8;  —  Luc,  vu,  10,  et  Matth.,  viii,  13;  —  Luc,  ix,  11,  et 
Matth.,  XIV,  14,  grœce,  etc.  Infra,  n.  479,  note.  —  *  On  peut  citer  ici, 
entre  les  noms  seulement,  un  certain  nombre  d'exemples  :  aywvia, 
un,  44;  avaXo<|/ic,  ix,  51;  «vaToipoç,  xiv,  13,  21;  airopia,  xxi,  25; 
«exvoç,  XX,  28-30;  0990;,  ix,  39;  éoXri,  xxii,  41;  ôurj^Tidiç,  i,  1;  Çeuyo;, 
iiv,  19;  6ea>pia,  xxiii,  48;  lacriç,  xiii,  32;  t^pax;,  xxii,  14;  ix(jiac,  viii,  6; 
xiipiov,  xxiv^  42;  xpamaXT)^  xxi,  34;  oivo;  xai  eXatov,  x,  34;  ofpu;. 


138  JÉSLS-CHRIST   SELON   l'ÉVANGILE,  [n»  65 

forme  de  l'histoire.  —  Il  commence  comme  Josèphe  par 
un  prologue,  suivant  Tusage  des  Grecs,  et  par  une  dédicace 
à  un  Théophile  qu'il  nomme  Excellence,  ou  excellent,  xpa- 
T17XS,  optime  *.  Ce  Théophile  pourrait  être  un  chrétien  de 
Rome  ou  d'Achaïe,  honoré  d'un  emploi  civil.  Ce  pourrait  bien 
être  aussi,  comme  le  pense  Origène  et  comme  on  en  trouve 
des  exemples  vers  cette  époque  S  un  personnage  fictif,  re- 
présentant tous  les  fidèles  désireux  de  servir  et  d'aimer 
Dieu.  Si  Deum  diligis^  ad  te  scriptum  est^  dit  S.  Àmbroise, 
qui  suivait  ce  sentiment  ^  —  L'auteur  remonte  au  com: 
mencement  des  faits  évangéliques,  avwOsv  *;  et  il  conduit 
son  récit  jusqu'à  la  fin  \  en  le  rattachant  aux  événements 
contemporains  ^  et  en  suivant  autant  qu'il  peut  l'ordre  na- 
turel, ex  ordine  scribendo'^.  C'est  un  soin  que  S.  Matthieu 
avait  négligé  et  dont  l'importance  commençait  à  se  faire 
sentir.  Déjà  S.  Marc  avait  essayé  de  rétablir  cet  ordre.  S.  Luc 
profite  de  son  travail  et  cherche  à  le  compléter.  Il  distribue 
tout  autrement  les  faits  rapportés  par  S.  Matthieu  du  cha- 
pitre vni  au  chapitre  XI.  —  Il  s'efforce  aussi.de  combler  les 
lacunes  de  ses  devanciers.  Un  tiers  de  ses  récits,  cinq  mi- 
racles et  douze  paraboles  lui  appartiennent  en  propre  ^  Il 
est  le  seul  qui  parle  des  soixante-douze  disciples  et  de  leur 
mission.  C'est  peut-être  ce  qui  a  fait  dire  à  plusieurs  auteurs, 
à  S.  Epiphane  en  particulier,  qu'il  en  faisait  partie,  bien 
que  S.  Luc  lui-même  semble  affirmer  le  contraire,  suivant 
S.  Grégoire  le  Grand  ^  —  Pour  le  style,  quoique  son  grec 

IV,  24;  TrapaTYipyjmç ,  xvii,  20;  TtvpeToç  tieyaç,  iv,  38;  pY]Y(jLa,  vi,  49; 
(laXoç,  XXI,  25;  areipa,  i,  7;  ovyxupia,  xv,  6;  Tpau{i.a,  x,  34;  vôptuTcixoç, 
XIV,  2;  x^^M-^j  XVI,  26;  toov,  xi,  12.  Hobard,  The  médical  language. 

1  Cf.  Act.,  xxiJi,  26;  xxiv,  3;  xxvi,  25.  —  2  s.  Justin.;  Dialog.  141 
et  Epist.  ad  Diogn.^  1.  —  3  S.  Amb.,  In  Luc. y  i.  Cf.  S.  Franc,  de  Sales, 
Préf.  du  traité  de  Vamour  de  Dieu.  —  *  i,  3,  —  5  xxiv,  53.  —  6  m,  1,  2. 
—  "^  i,  3,  5,  U;  II,  2;  m,  1  ;  vi,  1;  xii,  7;  xxvi,  23,  etc.  —  ^  i;  n;  vu, 
11-18;  x,  25-42;  xi,  1-13;  xii-xvi,  19;  xviii,  1-14;  xix,  3,  11-28;  xxiii, 
6-12;  XXVI,  12,  50-53,  etc.  \\  omet  cependant  plusieurs  faits  remarquables 
qu'on  lit  dans  les  deux  premiers  synoptiques,  la  Chananéenne,  la  se- 
conde multiplication  des  pains,  la  marche  du  Sauveur  sur  les  eaux,  la 
malédiction  du  figuier,  etc.  Supra^  n.  42.  —  ^  Luc.,  i,  2.  S.  Grég.,  DiaL^ 
lib.,  I  Prol, 


N'^CS]  ÉVAPiGlLE   DE   SAINT  LUC.  159 

ait  encore  bien  des  hébraïsmes,  surtout  au  commencement, 
dans  les  cantiques,  en  particulier  *,  il  est  notablement  plus 
pur  que  celui  des  écrivains  du  Nouveau  Testament.  Il  ne 
les  reproduit  presque  jamais  sans  leur  donner  plus  de  cor- 
rection et  d'élégance  ^ 

2"  On  reconnaît  un  disciple  de  S.  Paul,  —  Gomme  le 
Docteur  des  Gentils,  il  donne  au  divin  Maître  le  titre  de 
Seigneur,  o  Kup'.o;  %  titre  qui  suppose  l'habitude  de  le  consi- 
dérer au  ciel,  dans  sa  gloire,  plutôt  que  le  souvenir  de  sa 
vie  sur  la  terre.  —  Il  insiste  sur  la  nécessité  et  l'efficacité  de 
la  foi  '%  sur  l'universalité  de  la  rédemption  %  sur  le  mérite  de 
l'aumône  et  de  la  pauvreté  évangélique  *,  sur  la  générosité 
nécessaire  aux  Apôtres ^  —  Le  récit  qu'il  fait  de  l'institution 
de  l'Eucharistie  diffère  de  ceux  de  S.  Matthieu  et  de  S.  Marc; 
mais  il  est  presque  identique  avec  celui  que  S.  Paul  fit  vers 
la  même  époque  aux  Gorinthiens  *  ;  les  paroles  sacramen- 
telles sont  suivies,  dans  l'un  comme  dans  l'autre,  de  la  même 
reconunandation  :  Boc  facile^  etc.  Il  est  aussi,  avec  l'Apôtre, 
le  seul  qui  mentionne  l'apparition  de  Notre  Seigneur  à 
S.  Pierre  après  la  Résurrection  ^  —  Enfin,  on  a  remarqué 
que  son  élocution  a  quelque  chose  de  l'abondance  et  de  la 
facilité  de  S.  Paul,  de  même  que  celle  de  S.  Marc  tient  de 
la  concision  et  de  la  fermeté  de  S.  Pierre  *°,  et  l'on  a  relevé 
de  nombreuses  .coïncidences  de  pensée  et  d'expression  " 
avec  les  épîtres  de  l'Apôtre  *^ 

'  I,  32;  II,  23;  v,  34;  x,  6;  xiv,  1  ;  xv,  21;  xvi,  8;  xxii,  42,  etc.  — 
'  Cf.  Luc,  V,  18,  19,  25,  et  Marc,  ii,  4,  U,  12;  —  Luc,  v,  32,  et  Matth., 
IX,  13;  —  Luc,  VII,  8,  et  Matth.,  viii,  9;  —  Luc,  vu,  25,  et  Matth.. 
xii8;  —  Luc,  XX,  7  et  Matth.,  xxi,  26;  Marc,  xi,  32;  —  Luc,  xx,  46, 
et  Marc,  xii,  38,  etc  —  3  vu,  31  ;  xiii,  15;  xxii,  31;  xxiv,  3,  34,  etc. 
.-  *  I,  20,  45;  V,  20;  vu,  9,  50;  viii,  48;  xvii,  5,  19,  etc  —  s  „,  30-52; 
vu,  36;  ix,  51-56;  xvii,  11,  etc  —  «  ii,  7,  24;  vi,  20;  xi,  4;  xii,  15,  20, 
33;  XVI,  9,  14,  25.  —  ^  Luc,  x,  1-20;  xviii,  22.  —  «  Cf.  Luc,  xxii,  19, 
et  I  Cor.,  XI,  23,  etc.  Cf.  Luc,  xxiv,  2Q,  27  et  I  Cor.,  xv,  3,  4.  -  9  Cf. 
Luc,  XXIV,  34  et  I  Cor.,  xv,  5.  —  lo  S.  Chrys.,  In  Matth.y  Hom.iv.  — 
**  Par  exemple,  x^PKi  8io  ti,  e).eoç,  Xarpeueiv,  fiiaxoveiv,  yvwoiç,  6ia0irixTri, 
fiiaxovia.  —  12  Cf.  Luc,  x,  7,  8,  et  I  Tim.,  v,  18;  Luc,  xii,  35,  et  Eph., 
VI,  14;  —  Luc,  xviii,  1,  et  I  Thess.,  v,  17;  —  Luc,  xxi,  34,  et  Rom., 
XIII,  11-14;  —  Luc,  XVI,  18,  et  1  Cor.^  vu,  10,  11,  etc 


160  JÉSUS-CHRIST  SELON   l'ÉVANGILE.  [n^  65 

3°  U ouvrage  n'est  pas  fait  pour  les  Juifs.  —  L'hauteur  ne 
suppose  pas  à  ses  lecteurs  une  grande  connaissance  de  la 
langue,  des  mœurs,  de  la  géographie  de  la  Palestine.  Il  ne 
cite  aucune  parole  du  Sauveur  en  hébreu.  Il  nomme  toutes 
les  localités  par  leur  nom  grec.  Il  dit  :  le  mont  appelé  des 
Oliviers  \  la  bourgade  qu'on  nomme  Bethléem  ^  la  fête  des 
azymes,  connue'sous  le  nom  de  Pâques^,  Il  fait  connaître  la 
distance  d'Emmaûs*.  Il  avertit  qu'Arimathie  est  en  Ju- 
dée^, que  Capharnaûm  est  en  Galilée®,  aussi  bien  que  Naza- 
reth'', mais  non  Gadare^  Il  évite  de  dire  comme  S.  Matthieu  : 
la  cité  sainte,  les  anciens.  Il  remplace  JfîaWi  par  Maître^ ^  Ho- 
sanna  par  une  périphrase  *^  Il  présente  Jésus-Christ  comme 
le  Sauveur  du  genre  humain  plutôt  que  comme  le  Messie 
de  la  nation  juive.  Sa  généalogie  ne  s'arrête  pas  à  Abraham; 
elle  remonte  jusqu'à  Adam,  et  montre  que  tous  les  hommes 
sont  de  la  famille  du  Sauveur  ".  Ce  n'est  pas  par  les  rois  de 
Juda,  mais  par  une  ligne  collatérale  qu'elle  le  rattache  à 
David.  Zacharie  à  la  naissance  de  son  précurseur,  comme 
Siméon  dans  le  récit  de  sa  Présentation,  annonce  l'aurore 
du  salut  au  genre  humain  tout  entier  *^  Enfin  les  faits  qui 
n'ont  qu'un  intérêt  temporaire  et  local,  comme  les  longues 
disputes  des  Pharisiens  avec  le  Sauveur",  sont  constamment 
écartés. 

4**  //  est  destiné  aux  Gentils  **.  —  Tout  ce  qui  eût  pu  les 
choquer  ou  donner  lieu  aux  Juifs  de  se  mettre  au-dessus 
d'eux  est  passé  sous  silence*".  Au  lieu  d'opposer  aux  enfants 
de  Dieu  les  nations  ou  les  GentilSy  comme  S.  Matthieu,  il 
leur  oppose  les  pécheurs,  terme  qui  peut  s'appliquer  aux 
Juifs  comme  au  reste  des  hommes  *^  Dans  plusieurs  endroits, 
il  fait  mention  de  l'empire,  de  ses  magistrats,  de  ses  offi- 
ciers, et  toujours  avec  une  considération  bien  marquée". 

1  XIX,  29.  —  2  II,  4.  —  3  xxii,  1.  —  *  XXIV,  13.  —  «  xxiii,  51.  —  «  iv,  31. 
—  7  j,  26.  —  8  viii,  26.  -  9  vu,  40  ;  viii,  24.  —  lo  xix,  38.  —  n  m,  23-38. 
Cf.  i,  7-9;  II,  32;  Act.,  xvii,  26.  —  *»  ii,  32.  —  is  Matth.,  xv,  1-20.  — 
*^  Gr8Bcis  scripsit.  S.  Hieron.,  EpisL  xx,  4.  —  is  Cf.  Matth.,  v,  47; 
XV,  26;  Marc,  vu,  24-30.  —  16  vi,  33,  34;  xxi,  17.  —  "  n,  i,  2  ;  m,  1  ; 
vii^  1-5;  xxii,  25. 


N«  65]  ÉVANGILE  DE  SAINT  LL'C.  161 

Il  évite  de  leur  attribuer  le  supplice  du  Sauveur*.  Quand  il 
est  question  du  royaume  de  Dieu,  il  fait  remarquer  qu'il  est 
spiritueP.  Il  recueille  avec  soin  un  grand  nombre  de  traits 
négligés  par  S.  Matthieu,  qui  étaient  de  nature,  soit  à  humi- 
lier les  Juifs  %  soit  à  toucher  les  païens  et  à  leur  donner 
confiance  :  le  salut  promis  à  Zachée  *  et  au  bon  larron  ^; 
le  pardon  accordé  au  prodigue®  et  à  la  pécheresse';  la  pfé^ 
férence  donnée  au  pùblicain  sur  le  pharisien  *  et  au  Sama-  - 
Titain  sur  le  prêtre  et  le  lévite®;  les  paraboles  de  la  brebis 
égarée,  de  la  drachme  perdue,  du  figuier  tardif*^;  l'éloge 
fait  par  le  Sauveur  de  plusieurs  Gentils  ";  sa  prière  pour 
ses  bourreaux  *^;  la  conversion  d'un  larron  sur  la  croix*',  et 
celle  du  centenier  à  la  mort  du  Fils  de  Dieu  **.  Aussi  a-t-on 
dit  de  cet  évangile  en  particulier  qu'il  est  l'évangile  de  la 
miséricorde*^  et  que  les  paroles  dlsaïe,  lues  dans  la  syna- 
gogue de  Nazareth  *^  pourraient  lui  servir  d'épigraphe. 
L'Homme-Dieu  y  paraît  comme  le  divin  médecin  *^  S.  Mat- 
thieu l'avait  présenté  aux  Hébreux  comme  Messie,  et 
S.  Marc  aux  Romains  comme  Fils  de  Dieu  :  S.  Luc  le  pré- 
sente aux  Grecs,  c'est-à-dire  aux  autres  peuples  civilisés 
comme  Sauveur  du  genre  humain  tout  entier. 

5**  Quant  au  style,  cet  évangile,  plus  correct,  plus  soigné 
que  le  reste  du  Nouveau  Testament,  sauf  l'Epi  tre  aux  Hébreux, 
a  une  grande  analogie  avec  le  livre  des  Actes,  On  remarque 
des  deux  côtés  des  passages  empruntés  à  des  pièces  officielles 
ou  à  des  écrits  plus  anciens  **.  des  paroles  touchantes,  affec- 
tueuses, pleines  de  délicatesse,  des  tableaux  admirables  de 
naturel,  de  simplicité  et  de  grâce,  qui  font  penser  au  talent 
de  peintre  attribué  à  l'auteur  par  la  tradition  *^  Des  deux 

1  XXIV,  10.  —  2  XVII,  20.  —  3  X,  30;  xvii,  16.  —  *  xix,  1-10.  — 
ï  XXIII,  39-43.  —  «  XV,  11-32.  —  ^  vu,  44-48.  —  »  xviii,  10-14.  Cf.  xv,  7; 
XVI,  15.  —  9  X,  30-37.  Cf.  IX,  52;  xvii,  18;  Joan.,  iv,  9;  viii,  48;  Act., 
VIII,  25.  —  10  XIII,  6-9.  —  "  vil,  2,  9.  Cf.  Àct.,  x,  etc.  —  12  xxiii,  34. 

—  i3  xxiii,  93,  42.  —  i*  xxiii,  47.  —  »5  xV,  7.  Cf.  Matth.,  v,  48  et  Luc, 
VI,  36.  —  *6  IV,  18, 19.  —  l'ï  Luc,  iv,  18;  v,  17,  etc.  Act.,  ix,  34;  x,  38. 

—  18  Cf.  Luc,  i,  1-3;  5-80;  11,  1-38;  m,  23-38,  et  Act.,  11,  14-36;  vu, 
l-vTii,  2;  XII,  etc.  —  **  L'Evangile  de  S.  Luc  est  le  plus  beau  livre  qu'il 
y  ait,  dit  M.  Renan.  Evangile  y  p.  283.  Cf.  Luc,  i;  11;  x,  38-42;  vu, 


162  JÉSUS-CHRIST  SELON   l'ÉVANGILE.  [n«  66 

Côtés,  TAncien  Testament  est  cité  d'après  les  Septante  ;  Jé- 
sus-Christ est  appelé  le  Seigneur,  et  la  foi  en  sa  médiation 
est  préconisée  comme  la  condition  et  le  moyen  du  salut  *.  On 
trouve  même  dans  les  deux  livres  des  membres  de  phrases 
identiques  ^  et  des  périphrases  communes,  SanctusDei,  ser- 
mones  prophetœ^  liber  psalmorum,  non  multum,  etc.  Ce  sont 
aussi  les  mêmes  mots  favoris,  gratia,  multitudo,  salus,  vh\ 
cor,  supervenire^  evangelizare^  coram  eo,  in  conspectu,  etc. 
69  verbes  sont  répétés  254  fois  dans  le  troisième  évangile  et 
427  fois  dans  les  Actes,  tandis  que  dans  tout  le  reste  du  Nou- 
veau Testament,  ils  ne  le  sont  que  271  fois  ;  33  mots  se 
trouvent  dans  Tun  et  l'autre  de  ces  livres,  sans  qu'on  les 
rencontre  en  aucun  autre  ^ 

*  66.  —  A-t-on  quelque  raison  pour  mettre  en  doute  Tauthenticito  des 

deux  premiers  chapitres  de  S.  Luc? 

Ces  premiers  chapitres  sont  annoncés  par  le  prologue  *, 
et  non  moins  cités  que  les  autres  par  les  saints  Pères.  On 
les  trouve  dans  les  premières  versions  comme  dans  les  plus 
anciens  manuscrits.  Loin  d'offrir  aucune  trace  de  supposi- 
tion, ils  ont,  au  contraire,  des  marques  spéciales  d'authen- 
ticité. Les  hébraïsmes  dont  les  cantiques  de  la  sainte 
Vierge,  de  Zacharie  et  de  Siméon  sont  remplis,  et  certains 
traits  qui  semblent  au  premier  abord  peu  en  harmonie  avec 
les  prédications  de  S.  Paul  et  les  dispositions  des  Juifs  con- 
temporains %  s'expliquent  par  cette  considération  que  S.  Luc 
s'est  borné  à  mettre  ici  en  œuvre,  comme  en  plusieurs  en- 
droits des  Actes  ^  quelque  document  rédigé  par  un  écrivain 
juif,  au  moment  même  de  l'accomplissement  des  faits. 

Il  est  vrai  que  Marcion  (140)  rejetait  de  son  évangile  ces 

37-00;  X,  38-42;  xxiv,  13-35,  et  Act.,  ii,  1-13;  m,  1-14;  iv,  v,  11-42; 

1  Luc,  VII,  9;  XVII,  19;  xxiii,  42,  43,  et  Act.,  viii,  37;  x,  33,  etc.  — 
2  Cf.  Luc,  I,  39,  et  Act.,  i,  15;  —  Luc,  ii,  9,  et  Act.,  xii,  7;  —  Luc, 
XXI,  35,  et  Act.,  xvii,  26;  —  Luc,  xxiii,  5,  et  Act.,  x,  37;  —  Luc, 
XXIX,  4,  et  Act.,  I,  10,  etc.  —  3  Infra,  n  480.  —  *  i,  .3.  --  «  i ,  17,  54^ 
55,  73,  74;  ii,  10,  32.  —  «  Par  exemple,  Tapologio  de  S.  Etienne  et 
plusieurs  discours  de  S,  Paul. 


WO  67]  ÉVANGILE  DE   SAINT  LUC.  163 

premiers  chapitres  :  S.  Justin,  TertuUien  et  S.  Epiphane  le 
lui  reprochent  expressément  *  ;  mais  comment  les  aurait-il 
admis,  lui  qui  niait  l'Incarnation,  qui  ne  voulait  pour 
Christ  qu'un  pur  Eon,  incapable  de  souffrir,  de  mourir  et 
par  conséquent  de  naître;  sans  parents,  sans  précurseur, 
n'ayant  de  l'humanité  qu'une  apparence  fantastique? 

*  67.  —  Sur  queUe  raison  s'appuient  les  rationalistes  pour  prétendre 
que  cet  évangile  a  été  compose  pour  contrebalancer  celui  de  saint 
Matthieu? 

Après  avoir  avancé  que  S.  Matthieu  avait  écrit  pour  sou- 
tenir le  parti  de  S.  Pierre  et  la  loi  mosaïque,  il  était  naturel 
de  prétendre  que  S.  Luc,  disciple  de  S.  Paul,  s'était  proposé 
de  défendre  les  universalistes  ou  de  combattre  le  parti  ju- 
daïsant.  Mais  la  première  hypothèse  étant  gratuite,  la  se- 
conde tombe  par  là  même.  Ce  qu'il  y  a  de  réel,  c'est  que 
S.  Luc,  écrivant  sob  évangile  pour  les  Gentils,  au  salut  des- 
quels il  travaille,  choisit  de  préférence,  entre  les  actions  et 
les  discours  du  Sauveur,  ce  qu'il  voit  de  plus  propre  à  les 
gagner  au  christianisme  ou  à  les  affermir  dans  la  foi  ;  c'est 
qu'il  s'attache,  par  conséquent,  à  confirmer  la  prédication 
de  son  Maître  sur  l'universalité  de  la  rédemption,  sur  l'éga- 
lité des  peuples  de\ânt  Dieu,  sur  la  miséricorde  divine  en- 
vers les  pécheurs,  sur  la  nécessité  et  l'efficacité  de  la  foi 
dans  l'œuvre  du  salut.  De  là  à  une  opposition  et  surtout  à  une 
attaque  ouverte  contre  le  premier  évangile  et  les  premiers 
apôtres,  il  y  a  loin.  Si  S.  Luc  avait  eu  une  pareille  préoccu- 
pation, il  n'aurait  pas  inséré  dans  son  livre,  comme  il  a  fait, 
une  foule  de  traits  qui  pouvaient  fournir  aux  judaïsant;  des 
arguments  contre  lui  ^ 

n  s'en  faut  du  reste  que  les  rationalistes  soient  unanimes 
et  invariables  à  cet  égard.  L'un  des  plus  connus  prétend 
qu'au  moment  où  il  écrivait,  S.  Luc  n'avait  aucune  connais- 
sance de  l'ouvrage  de  S.  Matthieu  %  malgré  les  recherches 

*  s.  Ircn.,1,27;  III,  xi, 7;  xiv,4;  Tert.,  De  prêesc,  xxxviii;  Cont.  Marc, 
IV,  2-7;  S.  Epiph.,  //^r.,  xlii,  9.  —  2  i,  6,  15-17,  32,  33,  74-78  ;  ii,  21- 
23  ;  X,  25,  26;  xvi,  29;  xxii,  30,  32;  xxni,  56;  xxiv,  53,  —  3  M,  Ilenaq, 


164  JÉSUS-CHRIST  SELON   L'ÉVANGILE.  [n°  68 

qu'il  avait  faites  et  les  renseignements  qu'il  avait  recueillis 
sur  la  vie  du  Sauveur  K 

40  SAINT  JEAN. 

Authenticité.  —  But.  —  Unité.  —  Style.  —  Rapport  avec  les  synoptiques.  —  Données 

historiques. 

68.  —  L'authenticité  da  quatrième  évangile  est-eUe  moins  facile 
à  établir  que  celle  des  synoptiques? 

Rien  de  plus  décisif  que  les  raisons,  soit  extrinsèques, 
soit  intrinsèques,  sur  lesquelles  elle  s'appuie. 

1«  Preuves  extrinsèques. 

Tous  les  Pères  qui  parlent  de  l'auteur  de  cet  évangile 
désignent  S.  Jean.  Il  en  est  de  même  des  manuscrits  et  des 
canons,  à  commencer  par  celui  de  Muratori.  S.  Théophile, 
septième^  évoque  d'Antioche  ^  (f  180),  S.  Irénée  '  (t  202), 
Clément  d'Alexandrie  *  (t  217),  Tertuliien  (190)  ^  nomment 
sans  hésitation  l'Apôtre  bien-aimé.  S.  Irénée  nous  apprend 
qu'il  composa  ce  livre  à  Ephèse,  où  il  vécut  jusqu'au  règne 
de  Trajan  (98-117).  Suivant  S.  Jérôme,  il  fut  le  dernier  des 
écrivains  sacrés  et  il  se  mit  à  l'œuvre  au  retour  de  Patmos, 
à  la  prière  des  pasteurs  et  des  fidèles  de  TAsie-Mineure  *. 
Il  avait  90  ans  \  suivant  S.  Epiphane,  et  probablement  da- 
vantage. 

Beaucoup  d'écrivains  ecclésiastiques,  sans  nommer  S.  Jean, 
attestent  l'existence  et  l'inspiration  de  son  livre,  soit  en  di- 

EvangileSf  p.  215,  217  ;  ce  qui  ne  Ta  pas  empêché  de  dire  un  peu  plus 
haut,  108  :  «  Luc  retourne  habilement  contre  les  Juifs  le  mot  par  lequel 
Matthieu  désigne  les  réprouvés,  avo{xoi,  moi  avoy-iaç,  violateurs  de  la 
loi,  VII,  2;  XIII,  41,  en  remplaçant  cette  expression  par  celle  de  epyaTai 
adixtaç,  ouvriers  d'iniquité,  xiii,  27.  »  C'est  à  tort,  du  reste,  qu'il  attribue 
au  mot  avo|jLoi,  le  sens  de  violateurs  de  la  loi  mosaïque.  Cf.  Matth.,  xxv, 
41-43;  Rom.,  IV,  7;  vi,  19;  ICor.,ix,  23;  II  Thess.,  ii,  1,8;  Tit.,  ii,  14; 
Heb.,  I,  9;  x,  17;  II  Pot.,  ii,  8. 

1  Luc,  T,  3.—  2  s.  Theoph.,  ad  Autolyc.^  ii,  22.  Ann.  170.  —  3  S.  Iren., 
Il,  xxii,  5;  III,  i,  1;  xi,  9;  Supra,  n.  24.  —  *  Clem.  Alex.,  Strom.,  m, 
Ann.  180.  —  8  Tert.,  Adv.  Marc,  iv,  2,  5.  —  «  S.  Hicron.,  de  Vir, 
illust,,  IX.  Cf.  Eusob.,  m,  4,  —  ?  S.  Epiph.,  Hxres.,  u,  12, 


NO  68]  JEVANGILE  DE  SAINT  JKaN.  168 

sant  qu'il  y  a  quatre  évangiles  reconnus  par  TEglise,  comme 
Tatien  *  dans  le  titre  de  sa  Concorde  :  soit  en  affirmant  que 
les  Apôtres  ont  laissé  des  Mémoires  qu'on  nomme  évangiles, 
comme  S.  Justin,  qui  cite  ces  Mémoires  jusqu'à  dix-huit 
fois^;  soit  en  empruntant  des  passages  au  dernier  évan- 
gile, et  en  le  citant  de  la  même  manière  que  les  livres 
inspirés,  comme  l'auteur  de  la  Lettre  des  Eglises  de  Vienne 
et  de  Lyon  ^  (177),  Athénagore*  (176),  Hermas^  et  même 
S.  Ignace  dont  les  Epitres  ne  sont  postérieures  à  S.  Jean 
que  d'une  dizaine  d'années  ^ 

A  ces  autorités,  nous  pourrions  joindre  un  autre  témoi- 
gnage non  moins  convaincant,  celui  des  écrivains  hétéro- 
doxes de  la  même  époque  :  l'auteur  pseudonyme  des  Home- 
lies  Clémentines  %  Valentin  le  Gnostique  ou  du  moins  ses 
disciples  *,  en  particulier  Théodote,  qui  allègue  S.  Jean 
vingt-six  fois  dans  les  fragments  de  ses  écrits  que  Clément 
dAlexandrie  nous  a  transmis  %  et  Héracléon,  qui  fit  de 
notre  évangile  un  Commentaire  réfuté  par  Origène  '^;  enfin 
Basilide,  prédécesseur  de  Valentin  *S  qui  se  donnait  pour 
disciple  des  Apôtres  *%  et  Gelse  le  philosophe,  qui  doit  être 
né  peu  après  la  mort  de  S.  Jean  et  qui  a  écrit  à  la  même 
époque  que  Basilide  ^'^  sous  le  régne  d'Adrien  **. 

On  voit  que  dès  le  milieu  du  second  siècle,  cinquante  ans 
après  sa  publication,  cet  évangile  était  partout  connu  comme 
Toeuvre  de  S.  Jean. 

go  Preuves  intrinsèques. 

Le  témoignage  de  la  tradition  se  trouve  confirmé  de  tout 
point  par  les  caractères  de  l'ouvrage.  Il  suffit  de  l'étudier 

*  Cl.  Tatian.»  Orat.  xm  et  xix»  Ann.  170.  Supra^  n.  23.  —  ^  S.  Justin., 
Wfl/.,  25,  88.  Cf.  I»  ApoL,  22,  23,  31,  61,  63,  67  ;  II  ApoL,  6, 10, 33,  55; 
ffl«  Apol.,  Ann.  138-161.  —  3  Euseb  ,  H.  v,  1.  Ann.,  177.  —  *  S.  Athen., 
Ugat.  pro  christ.,  x.  —  8  Hermas,  Simil.,  ix,  12.  —  «  S.  Ignat.,  ad 
fioTO.,  vn;  ad  Philad,,  vu,  ix.  —  "^  Homn.,  m,  52;  xix,  18;  Ann.  190. 

—  •  Philosoph.y  VI,  33  et  Appendix  ad  V  Irenxi  libros.  —  »  S.  Iren., 
m,  XI,  7.  Cf.  Tert.,  de  Prxsc,  38;  Philosopha,  vi,  35,  —  lo  Supra,  n.  23. 

-  "  n  cite  Joan.,  i,  4  et  ii,  4.  —  la  Philosoph.,  vu,  22,  27.  —  "  cf. 
S.Hieron.,  de  Vir.  illust,,y  xxi.  —  **  Cont,  Cels,,  Pr«f.  4  et  i,  8,  26. 
^vpra,  n.  24. 


166  JESUS-CHRIST  SELON   L^ÉVANGILÉ.  [n<*  68 

avec  attention  pour  se  convaincre  qu'il  a  paru  après  les  trois 
autres,  sur  la  fin  du  premier  siècle  ;  que  celui  qui  Ta  écrit 
bien  qu'il  vécût  parmi  les  Gentils,  était  né  en  Judée,  qu'il 
avait  été  témoin  des  faits  qu'il  rapporte,  qu'il  faisait  partie 
du  collège  apostolique,  enfin  qu'il  ne  saurait  être  que 
S.  Jean. 

1*  Cet  évangile  a  été  composé  après  les  trois  synoptiques. 
—  Il  en  révèle  l'existence  de  deux  manières  :  par  son  si- 
lence sur  certains  points  et  ses  allusions  sur  d'autres*.  — 
1°  D'abord  son  silence  le  suppose.  Quoiqu'il  sache  très  bien 
la  durée  de  la  prédication  du  Sauveur  et  qu'il  en  distingue 
les  années  par  l'indication  des  solennités  pascales,  les  faits 
qu'il  rapporte  n'atteignent  guère  qu'une  trentaine  de  jours 
disséminés  dans  cet  espace  de  temps.  On  voit  qu'il  se  tient 
dispensé  de  tout  dire  ou- plutôt  qu'il  ne  cherche  qu'à  suppléer 
aux  omissions  des  synoptiques  relativement  au  but  qu'il  se 
propose.  Aussi  est-il  très  bref  sur  le  ministère  du  Sauveur 
en  Galilée,  et  passe-t-il  sous  silence  des  périodes  entières  de 
son  ministère  ^  tandis  qu'il  rapporte  longuement  ses 
voyages  à  Jérusalem  aux  principales  fêtes.  Aussi  quoiqu'il 
ait  en  vue  d'établir  la  divinité  de  JésusrChrist,  quoiqu'il  en 
donne  pour  preuve  ses  miracles  ^  et  qu'il  les  suppose  très 
nombreux*,  il  se  borne  à  en  décrire  un  petit  nombre,  sept 
seulement,  la  plupart  négligés  dans  les  écrits  de  ses  devan- 
ciers. Il  omet  la  délivrance  des  possédés,-  la  déclaration  du 
Père  éternel  au  Jourdain  et  au  Thabor,  l'adjuration  du  grand- 
prêtre,  la  prophétie  sur  Jérusalem,  etc.— 2<^I1  fait  plusieurs 
allusions  aux  autres  évangélistes.  Par  exemple,  au  chapitre  i, 
il  met  sur  les  lèvres  de  Jean-Baptiste  ces  paroles  :  «  J'ai  vu 
l'Esprit-Saint  descendre  sur  la  tête  du  Sauveur.  >  Or,  ce  fait 
n'est  connu  que  par  S.  Matthieu  et  S.  Luc.  Au  chapitre  m, 
après  avoir  dit  que  Jean-Baptiste  et  Notre  Seigneur  bapti- 
saient en  même  temps,  il  fait  observer  que  le  Précurseur 

*  Euseb.,  fl.,  IV,  6,  7.  Ann.  H7.  —  a  m,  22;  iv,  1-3,-  vii,  i;  x,  40-42; 
XI,  54.  —  3  Joan.,  v,  20,  36;  rx,  3,  4;  x,  25-38;  xiv,  10-13;  xv,  24; 
XX,  30.  —  *  Joan.,  ii,  23  ;  m,  2;  iv,  45;  t,  20;  vi,  2;  vn,  3,  31;  ix,  16; 
X,  41;  XT,  47;  xii,  37;  xx,  30,  31;  xxi,  25. 


NO  68]  EVANGILE  DE  SAINT  JEAN.  167 

n'était  pas  encore  incarcéré  :  or  l'emprisonnement  de  Jean- 
Baptiste  n'est  rapporté  que  par  les  synoptiques,  et  l'obser- 
vation faite  en  cet  endroit  paraît  avoir  pour  fin  d'écarter 
l'idée,  qui  pourrait  venir  en  les  lisant,  que  le  ministère  de 
S.Jean  a  fini  aussitôt  qu'a  commencé  celui  du  Sauveur  *.  Au 
chapitre  xi,  il  dit  que  Lazare  était  de  Béthanie,  bourg  de 
Marie  et  de  Marthe  -.  Or,  il  n'a  pas  encore  parlé  de  ces  deux 
sœurs,  et  elles  ne  peuvent  être  connues  du  lecteur  que  par 
d'autres  récits.  Au  chapitre  xviii,  le  premier  verset  semble 
renvoyer  aux  synoptiques  pour  la  scène  de  l'agonie,  et  le 
trente-deuxième  rappelle  expressément  une  prédiction  qui 
n'est  rapportée  que  par  eux.  Il  parle,  en  divers  endroits,  des 
douze'  comme  d'une  société  bien  connue,  sans  en  mention- 
ner l'origine  nulle  part  *  Enfin  on  peut  remarquer  que  dans 
tout  son  récit,  il  est  attentif  à  deux  choses  :  à  ne  pas  redire 
ce  que  les  autres  ont  dit  ^  ou  bien  à  les  confirmer  et  à  les 
compléter  par  de  nouveaux  détails  ^.  Ainsi  il  ne  répétera  pas 
le  récit  de  l'institution  de  l'Eucharistie  ;  mais  il  rapportera 
la  promesse  que  Notre  Seigneur  en  avait  faite,  après  la  mul- 
tiplication des  pains.  Il  passera  sous  silence  la  naissance  du 
Sauveur  à  Bethléem,  la  confession  de  S.  Pierre  à  Césarée,  les 
paroles  du  Père  éternel  au  Jourdain  et  au  Thabor,  la  résur- 
rection de  la  fille  de  Jaïre  et  du  fils  de  la  veuve  de  Naïm, 
l'entrée  triomphante  du  Sauveur  à  Jérusalem  et  l'application 
qu'il  se  fait  de  la  figure  de  Jonas  :  mais  il  mentionnera  la 
croyance  oii  l'on  était  sur  le  lieu  où  le  Messie  devait  naître  "^5 
le  nom  de  Céphas  imposé  à  S.  Pierre  *,  la  mission  que  son 
Maître  lui  donne  de  paître  les  agneaux  et  les  brebis  ^  la 
promesse  qu'il  fait  de  relever  en  trois  jours  le  temple  de  son 
corps*®,  la  résurrection  de  Lazare  qui  donne  lieu  au  triomphe 
du  Fils  de  Dieu,  la  voix  du  Père  éternel  s'engageant  à  le  glo- 


*  Cf;  Matth.,  IV,  12;  Marc,  i,  14.  —  «  Cf.  Matth.,  xxvi,  6,  13;  Luc, 
X,  38-42.  —  3  VI,  12;  xx,  24.  —  *  Cf.  WaUon,  Crw/ance  de  VEvangiie, 
I,  5.  —  5  s^  Jean  n'a  guère  de  commun  avec  les  synoptiques  que  la 
nmltiplicaiioa  des  pains  et  la  Passion  de  Notre  Seigneur.  —  *  Cf.  Joan., 
xm,  8,  9,  36,  37  et  Matth.,  xvi,  21  ;  Luc,  xxii,  31.  —  ^  vu,  52,  —  «  i, 
42.  -  9  XXI,  15-18.  —  10  II,  19. 


168  JÉSUS-CHRIST  SELON   L^ÉVANGlLE.  [^^  68 

rifier.  C'est  ainsi  que  nos  évangiles,  loin  de  se  combattre, 
s'expliquent  et  se  soutiennent  les  uns  les  autres  *. 

2<*  Il  a  écrit  vers  la  fin  du  premier  siècle.  —  1**  En  effet,  il 
suppose  que  tout  est  changé  à  Jérusalem  et  dans  la  Judée*. 
Quand  il  parle  des  ennemis  du  Sauveur,  il  ne  dit  pas  le 
peuple  ou  la  foule^^  mais  les  Juifs \  comme  pour  rappeler 
un  peuple  qui  a  perdu  sa  nationalité  et  auquel  il  a  cessé  d'ap- 
partenir. Il  dit  la  Pâque  des  Juifs^  comme  s'il  en  connais- 
sait déjà  une  autre  ^  et  il  nomme  les  chrétiens,  les  frères^ 
sans  crainte  d'équivoque  ^  —  2°  Il  rappelle  les  principales 
prophéties  dont  on  vit  l'accomplissement  dans  la  der- 
nière partie  du  premier  siècle  :  le  martyre  de  S.  Pierre^  ;  la 
réprobation  des  Juifs®;  la  vocation  des  Gentils®;  l'universa- 
lité du  christianisme  *^.  Sur  tous  ces  points  il  est  plus  ex- 
près que  S.  Paul  lui-même,  et  nul  n'est  plus  attentif  à  mon- 
trer comment  les  Juifs  ont  mérité  leur  malheureux  sort". 

—  3**  Le  style  de  cet  évangile  et  ses  analogies  avec  celui  des 
trois  épitres  qui  portent  le  nom  de  S.  Jean  donnent  lieu  de 
penser  qu'il  est  de' la  même  époque,  et  que  S.  Jean  l'a  écrit 
lorsqu'il  était  déjà  dans  un  âge  fort  avancé  ".  Déjà  le  bruit 
courait  qu'il  ne  mourrait  pas".  Déjà  l'on  voyait  s'accomplir 
les  prédictions  de  S.  Paul  à  Milet  **  :  on  commençait  à  parler 
d'Antéchrist  *•  ;  les  mots  Verbe^  vie,  lumières^  ténèbres^  deve- 
naient familiers  aux  Gnostiques,  et  l'on  voyait  se  propager 
les  erreurs  que  l'évangile  réfute. 

3^  L'auteur  vivait  parmi  les  Gentils  et  il  écrivait  pour  etix, 

—  De  là  plusieurs  particularités,  qu'on  chercherait  en  vain 
dans  le  premier  évangile.  Ainsi  il  a  soin  de  traduire  en  grec 


1  Infra.  n.  843.  —  ^  xi,  18;  xviii,  1;  xix,  41.  Au  Ueu  de  eori,  v,  2, 
UQ  bon  nombre  de  manuscrits  portent  y]V)  et  c'est  la  leçon  suivie  par  les 
versions  syriaques  et  la  version  arménienne.  —  3  La  foule  qui  Tentourait 
lui  était  plutôt  sympathique.  —  *  xi,  19;  xiii,  33  ;  xviii,  20,  36.  Cf.  i,  10. 

—  5  n,  13.  Cf.  II,  6;  V,  1;  yii,  2;  xix,  42.  —  6  xxi,  2a.  —  '  xxi,  19.  — 
8  I,  11  ;  X,  25,  26.  —  »  vi,  37,  45  ;  x,  16;  xii,  33.  —  *»  vi,  23  ;  xxi,  51, 52. 

—  11  III,  19;  V,  23;  ix,  39-44;  xix,  11,  15.  —  *«  Cf.  I  Joan.,  i,  1;  ii,  18; 
m,  18;  IV,  4;  U.  Joan.,  1.  —  "  Joan..  xxi,  23.  —  **  Act.,  xx,  29.  Cf. 
II  Petr.,  m,  3  et  I  Joan.,  ii,  22;  iv,  13,  etc.  — .  i»  I  Joan.,  ii,  18,  22; 
IV,  3;  II  Joan.^  7. 


N"68]  EVANGILE   DE   SAINT  JEAPJ.  l69 

tous  les  noms  hébreux  qu'il  emploie  *.  Il  dit  :  la  mer  de 
Galilée,  la  même  que  celle  de  Tibériade  *.  Il  donne  un  grand 
norabre  de  détails  géographiques  qui  eussent  été  superflus, 
s'il  s'était  adressé  à  des  habitants  de  la  Judée  ^  Enfin  il  a 
soin  de  relever,  dans  les  discours  ou  dans  la  vie  de  Notre 
Seigneur,  tout  ce  qui  a  trait  aux  Gentils  et  qui  est  de  nature 
à  leur  donner  confiance*. 

4'*  îl  était  Juif  d'origine.  —  C'est  ce  que  prouvent  : 
1"  Les  idiotismes  de  son  langage.  Quoique  le  dernier  évan- 
gile ait  moins  d'hébraïsmes  que  l'Apocalypse,  il  en  contient 
pourtant  un  grand  nombre.  Citons  :  Amen,  amen^  qui  re- 
vient vingt-cinq  fois  et  qu'on  ne  trouve  ainsi  redoublé  que 
chez  lui  :  gaudio  gaudere^,  filius  perditionis^,  a  sœculo''^ 
amndere^^  non  posse^,  et  les  passages  de  l'Ancien  Testa- 
ment cités  assez  librement,  mais  d'après  l'original.  —  2^  Le 
caractère  profondément  hébraïque  de  sa  composition.  On 
peut  remarquer  l'uniformité  des  phrases,  l'emploi  fréquent 
du  parallélisme  ^%  l'absence  de  toute  période,  des  séries  de 
propositions  juxtaposées  à  la  suite  l'une  de  l'autre,  sans 
coordination,  sans  liaison  exprimée",  ou  qui  ne  se  lient  que 
par  un  mot  commun  '*,  parfois  des  phrases  répétées  comme 
des  refrains**,  certaines  irrégularités  dans  la  construction**, 
les  sens  les  plus  inusités  donnés  aux  particules.  Et  est 
presque  avec  ergo  la  seule  conjonction  employée*';  il  est  mis 
pnrsed^*,  pournam",  pour tcf^o  •*,  poursîc*',  pour  itaque^^, 
pour  sictit  **,  pour  id  est  ",  etc.  —  3°  La  foi  religieuse,  les 
idées,  les  sentiments,  les  images  dont  l'âme  de  Técrivain 

*i,  38,  42;  V,  2;  ix,7;  xi,  16;  xiii,  13;  xix,  17;  xxi,  2.—  2  vi,  1. — 
»ii,6. 13;  III,  23;  iv.  5,  6,  8,  9;  v,  2-4;  vi,  l;  vu,  37;  xi,  18;  xix,  14, 
n,  20,  31,  42.  —  *  IV,  21,  23;  vu,  35;  x,  16;  xi,  52;  xii,  20;  xvii,  2; 
xvni,  37.  —  »  m,  29.  —  «  xvii,  12.  —  ^  ix,  32.  —  »  vu,  8,  10.  —  »  vin, 
43.  —  10  m^  11;  V,  37;  vi,  35,  56;  xii,  44,  45;  xiii,  16;  xiv,  2Q,  27; 

XV,  20;  XVI,  20.  —  **  i,  10;  ii,  9;  m,  19;  vi,  22-24;  viii,  32;  xv,  1-20; 
xvn,25.  —  i2  i,  1-7,  10,  11,  12;  iv,  22;  x,  11,  14;  xiii,  20;  xv,  13; 
XVII,  2,  3,  9,  11,  15,  16.  —  13  III,  15,  16;  vi,  39,  40,  44.  —  **  vi,  39; 
VII,  38;  XVII,  2.  —  *»  Cf.  Joan.,  iv,  10,  35;  xi,  34,  35;  xiv,  16;  xv, 
1,  20,  etc.  A.  T.,  n.  78,  667;  Ergo  est  répété  137  fois.  —  is  vu,  4,  30; 

XVI,  82.  —  17  IV,  35;  xii,  35.  —  i»  iv,  24;  v,  30;  xii,  16.  —  i»  x,  15; 
XV,  9.  -  20  X,  29.  -  21  VI,  57.  —  22  x,  33;  xiv,  17. 

10 


170  JÉSUS-CHRiST  SELON   l'ÉVANGILE.  [n^  68 

est  remplie.  On  sent  que  l'auteur  a  été  élevé  dans  Tat- 
tente  du  Messie  *  et  dans  la  méditation  de  l'Ancien  Testa- 
ment*. Les  figures  de  la  Loi  et  les  oracles  des  prophètes 
abondent,  comme  dans  l'Apocalypse.  Le  Sauveur  est  le  vrai 
temple  %  le  serpent  d'airain*,  la  manne  du  désert  %  l'eau 
du  rocher  ^  la  colonne  de  feu%  la  source  de  la  vie  S  le 
Pasteur  des  âmes  \  l'Agneau  pascal  **,  etc. 

5''  //  avait  habité  la  Palestine,  —  C'est  ce  que  prouve 
surtout  la  connaissance  qu'il  montre  de  la  topographie  et 
des  usages  de  la  Terre  Sainte.  La  Galilée,  les  bords  du  lac 
de  Génésareth**,  son  étendue",  l'existence  simultanée  de 
deux  localités  du  nom  de  Cana  *^  et  de  Bethsaïde  **,  l'éléva- 
tion relative  de  Cana  et  de  Capharnaûm  ^^  lui  sont  connus. 
11  connaît  également  la  Judée  et  l'a  Samarie  *•.  Il  dit  la  dis- 
tance de  Jérusalem  à  Béthanie.  Il  indique  avec  précision  la 
vallée  de  Cédron  et  le  jardin  de  Gethsémani  *',  l'étang  de 
Siloé**,  la  porte  des  brebis^^,  les  travaux  faits  dans  le  temple*^ 
le  gazophylacium",  le  portique  de  Salomon",  le  Prétoire" 
et  le  Golgotha**.  En  fait  de  mœurs,  il  sait  les  sentiments  des 
Juifs  à  l'égard  des  Samaritains  et  des  infidèles  ",  l'opposi- 
tion et  le  caractère  des  partis  qui  divisaient  la  nation",  le 
mépris  des  pharisiens  pour  la  multitude  ignorante",  les 
usages  introduits  par  la  conquête  et  la  domination  ro- 
maines ",  l'usage  des  ablutions  chez  ses  compatriotes  ", 
celui  des  excommunications  dans  la  synagogue  '®,  la  posses- 
sion où  elle  était  encore  d'arrêter  les  prévenus  et  d'infliger 
certains  châtiments'*,  la  fête  de  la  Dédicace,  d'origine  assez 
récente  ",  Taffluence  des  prosélytes  à  l'époque  des  solen- 

i  I,  il,  21;  IV,  25;  vi,  14;  xu,  34,  etc.  —  2  n,  17;  xii,  14,  15,  38; 
XIX,  23,  24,  28,  29,  36.  —  3  n,  19.  —  *  m,  14.  —  6  vi,  32,  49.  — 
6  VII,  38.  —  7  VIII.  12.  —  8  X,  10.  —  9  X,  11.  -  10  I,  36.  —  u  vi,  1,  17. 
—  12  VI,  19.  —  13  II,  1  ;  IV,  46.  —  1*  I,  28;  xii,  21.  —  i8  u^  12.  —  te  iv, 
5,  35.  —  n  XVII,  1.  —  18  IX.  7.  -  1»  V,  2.  —  80  n^  go.  —  21  viii,  20.  — 
22  X,  23.  -  23  XIX,  9.  -  24  XIX,  17.  —  25  jy,  27;  ix,  25,  26,  —  26  j, 
19,  24;  VII,  32,  45,  47;  viii,  13;  ix,  13,  18,  22;  xi,  47;  xii,  il,  42; 
xvjii,  35;  XIX,  5,  15,  21.  —  27  vu,  48,  49.  —  28  xviii,  29,  31;  xix,  l, 
6-15,  19,  20,  23.  —  29  II,  6.  -  3o  ix,  22.  —  3i  vu,  32;  xviii,  3,  12.  - 
32  X,  22. 


îf^SS]  ÉVANGILE  DE  SAINT  JEAN.  171 

nités*,  l'usage  de  vendre  dans  le  parvis  du  temple  les  ani- 
maux destinés  au  sacrifice',  celui  de  donner  la  circoncision 
le  jour  du  sabbat',  la  manière  de  garder  les  troupeaux 
dans  la  Palestine*,  celle  de  célébrer  les  mariages*,  de  so- 
lenniser  la  fête  des  Tabernacles*,  de  se  préparer  à  la  Cène 
et  à  la  fête  pascale%  le  droit  laissé  au  peuple  de  rendre  la 
liberté  à  un  prisonnier*,  l'impureté  légale  qu'on  encourt 
par  le  commerce  avec  les  infidèles  •,  la  manière  d'embau- 
mer chez  les  Juifs  ",  de  fermer  les  sépulcres  ",  de  hâter  la 
mort  des  crucifiés  ",  etc. 

6*  //  faisait  partie  du  collège  apostolique,  —  En  effet  :  — 
l' Il  se  donne  pour  témoin  des  faits  qu'il  retrace  *•;  et  l'on 
ne  saurait  douter  qu'il  ne  le  fût,  quand  on  considère  la 
fraîcheur  de  ses  tableaux,  la  vivacité  de  ses  traits,  la  préci- 
sion de  tous  les  détails  **.  Nul  ne  caractérise  mieux  les 
scènes  et  les  acteurs;  nul  n'indique  avec  plus  de  détails  les 
circonstances  de  temps**,  de  lieux",  de  nombre".  Tous  les 
portraits  sont  vivants,  et  tous  les  faits  sont  localisés.  Telle 
parole  fut  dite  à  Béthanie,  à  Ennon  ou  sur  les  bords  du  Jour- 
dain^*; telle  autre  auprès  du  puits  de  Jacob**.  Ce  discours 
fut  prononcé  aux  approches  de  Pâques  dans  la  synagogue  de 
Capharnaûm**;  cet  autre,  un  jour  de  fête  solennelle";  cet 
autre  au  temple,  dans  la  Trésorerie  ".  Telle  discussion  eut 
lieu  sous  le  portique  de  Salomon,  à  cause  de  la  rigueur  de 
la  saison.  Pour  plusieurs  incidents,  il  indique  l'heure  de  la 
journée*'.  Si  ces  remarques  sont  vraies,  elles  ne  peuvent 
venir  que  d'un  témoin  oculaire.  Or,  elles  sont  d'autant 
moins  suspectes  qu'elles  étaient  indifférentes  au  but  de  l'au- 

»  XII,  20.  —  2  II,  14.  —  3  VII,  22,  23.  —  *  x,  1-5.  —  s  m^  27.  —  s  vu, 
3T,  38;  VIII,  12.  —  '  xi,  55.  —  »  xviii,  39.  —  9  xviii,  28.  —  *o  xi,  17-44; 
XIX,  39-42.  —  "  XI,  38;  xx,  1.  —  12  xix,  31.  —  "  i,  14;  xix,  35.  — 
**Cf.  i,  35-51;  XIII,  1-20;  xvii.  15-27;  xxi,  1-14.  -  «  i,  29,  35,  43; 
H,  1,  12,  13;  IV,  35,  40,  43;  v,  1;  vi,  4,  16;  vu,  14,  37;  xi,  6,  17,  39; 
xn,  l,  12;  XIX,  14,  31  ;  xx,  1,  26,  etc.  —  »«  i,  28;  11,  12  ;  m,  23;  iv,  3, 
5,  6,  45,  46;  vi,  12.  60;  vm,  20  ;  x,  23;  xi,  18,  54.  —  i?  i,  35;  11,  6; 
^1  9,  16, 19;  IX,  23;  xxi,  8,  11  ;  iv,  8;  v,  5;  xii,  5;  xix,  39;  xxi,  8,  11. 
-  »«  I,  28;  m,  23.  —  i»  iv,  6.  —  20  vi,  4,  60.  —  2i  vm,  37.  — 
"  VIII,  20.  —  23  i^  40;  m,  2;  iv,  6,  52;  xix,  14;  xiii,  30;  xviii,  28; 
u,  1, 19;  XXI,  4. 


i72  JÉSUS-CHRIST   SELON   l'ÉVANGILE.  [n<*  68 

teur  et  qu'elles  eussent  compromis  son  succès,  si  Ton  eût 
pu  les  trouver  fausses.  —  2°  Il  parait  même  se  donner  pour 
Apôtre  K  C'est  ce  qui  semble  résulter  des  détails  minutieux 
où  il  entre  sur  la  vie  intime  du  Sauveur,  sur  ses  rapports 
secrets  avec  ceux  qui  lui  sont  le  plus  unis.  Depuis  les  pre- 
miers jours  de  sa  prédication,  jusqu'aux  derniers  moments 
de  son  séjour  sur  la  terre,  rien  de  ce  que  ce  divin  Maître  a 
dit  ou  fait  ici-bas  n'a  échappé  à  ses  regards.  Il  rapporte  de 
préférence  les  incidents  les  plus  secrets,  ses  paroles  à 
André,  à  Nathanael,  à  la  Samaritaine;  ses  avis  à  Judas,  ses 
prières  à  son  Père,  ses  confidences  de  la  dernière  Gène*,  etc. 
Comment  eût-il  connu  tous  ces  détails,  s'il  n'avait  vécu  dans 
l'intimité  du  Sauveur,  avec  ses  plus  familiers  amis? 

7°  Enfin,  il  ne  peut  être  que  l'auteur  de  V Apocalypse  et  de 
VEpitre  catholique,  dite  ad  Parthos,  le  second  des  fils  de  Zé- 
bédée^  le  disciple  bien-aimé,  le  fils  adoptif  de  Marie,  en  un 
mot  l'apôtre  S .  Jean. 

1°  Tout  le  monde  convient  aujourd'hui  de  l'authenticité 
de  l'Apocalypse,  et  jamais  on  n'a  mis  en  doute  celle  de  la 
première  Epître  attribuée  à  S.  Jean  ^  Or,  il  y  a  entre  ces 
écrits  et  le  quatrième  évangile  des  rapports  aussi  nombreux 
que  frappants.  On  trouve  dans  chacun  les  mômes  préoccu- 
pations, les  mêmes  tendances  dogmatiques  et  polémiques. 
Le  style  présente  les  mêmes  caractères,  la  même  naïveté 
unie  à  la  même  élévation  et  à  la  même  profondeur.  C'est  le 
même  langage  au  fond,  sauf,  dans  l'Apocalypse,  plus  de 
poésie  et  des  irrégularités  plus  nombreuses.  . 

2"  Si  l'évangéliste  est  un  des  fils  de  Zébédée,  c'est  le 
second,  sans  aucun  doute,  le  premier  ayant  été  mis  à  mort 
avant  la  dispersion  des  Apôtres.  Or,  il  ne  paraît  pas  douteux 
que  l'auteur  du  quatrième  évangile  n'eût  cette  qualité.  Ce 
qui  le  prouve,  c'est  surtout  le  silence  qu'il  garde  sur  ces 
deux  frères.  Quoiqu'ils  aient  dû  intervenir  bien  des  fois 

1  I,  14;  XIX,  35.  —  2i,  38-50  ;  II,  H ,  17,  22,  24;  iv,  27,  31-38;  v,6;vi, 
5-9,  19,  61,  64,  70;  VII,  1  ;  ix,  2;  xi,  8, 12,  16,  a3;  xi,  54;  xii,  16,  21,  22; 
xiii,  1,  3,  6-9,  22-25,  27,  30;  xiv,  5,  8,  22;  xvi,  17,  18,  19,  29;  xviii,  16; 
XIX,  28;  XX,  3-8,  25,  28  ;  xxi,  3,  5,  12,  ctç,  —  a  infra,  n.  886,  908, 


N0  68J  ÉVANGILE  DE   SAINT  JEAN.  173 

dans  les  scènes  qu'il  retrace,  comme  étant  des  amis  privi- 
légiés du  Sauveur,  quoiqu'ils  tiennent  une  place  si  consi- 
dérable dans  l'Evangile  et  dans  les  Actes  *,  jamais  il  ne 
les  signale  dans  ses  récits.  Il  ne  nomme  pas  môme  leur 
mère  parmi  les  personnes  qui  assistèrent  au  crucifiement, 
hien  que  nous  soyons  assurés  de  sa  présence  par  les  synop- 
tiques '.  Une  fois  seulement  il  mentionne  les  enfants  de  Zé- 
bédée;  mais  c'est  au  dernier  chapitre,  dans  une  sorte  d'ap- 
pendice; et  il  ne  les  met  pas  à  la  tête  des  apôtres,  comme  ils 
sont  toujours  ailleurs,  mais  au  dernier  rang,  entre  les 
apôtres  et  de  simples  disciples  '.  Comment  expliquer  cette 
particularité?  Elle  ne  peut  avoir  pour  cause,  ce  semble, 
que  la  modestie  de  l'auteur,  qui  veut  imiter  celle  de  son 
Maître  et  s'effacer  autant  qu'il  lui  est  possible*. 

3*  Le  nom  de  S.  Jean  ne  paraît  nulle  part.  Dans  les  en- 
droits où  l'on  croit  devoir  le  trouver,  on  lit  :  un  disciple  % 
hutre  disciple^  celui  qui  a  vu  le  fait  de  ses  yeux  ^  Non  seule- 
ment il  évite  de  mêler  ce  nom  à  ceux  des  apôtres,  il  semble 
même  oublier  qu'on  le  lui  donne  ;  car  vingt  fois,  en  parlant 
du  Précurseur,  il  l'appelle  simplement  Jean,  sans  ajouter  à 
ce  nom,  comme  les  synoptiques,  comme  Josèphe  lui-même, 
le  titre  qui  le  caractérise,  o  BaxxKTioç;  singularité  d'autant 
plus  remarquable  que  cet  évangéliste  a  coutume  de  désigner 
ses  personnages  de  la  manière  la  plus  précise  :  Thomas 
Didyme  \  Géphas  qu'on  appelle  Pierre  *,  Judas  non  Vlsca- 
riote  \  Nicodème  qui  vint  à  Jésus  la  nuit  *°.  La  raison  de 
cette  différence  est  la  même  que  nous  avons  indiquée  plus 
haut.  Ce  n'est  pas  que  l'évangéliste  avait  connu  le  Pré- 
curseur avant  qu'on  lui  donnât  ce  surnom;  car  S.  Matthieu 
nel'avait-il  pas  aussi  connu  à  la  même  époque?  C'est  que, 
tandis  que  les  synoptiques  croient  devoir  distinguer  Jean- 
Baptiste  de  Jean  l'Apôtre,  lui  n'a  pas  cette  idée  :  il  n'ima- 
gine pas  que  personne  puisse  confondre  avec  lui,  ou  seu- 

*  Act.,  m,  1  ;  IV,  13,  19;  xii,  2.  Cf.  Gai.,  ii,  9.-2  cf.  Joan.,  xix,  25; 
Matth.,  xxvn,  56;  Marc,  xv,  40.  —  ^  xxi,  2.  —  *  Matth.,  xviii,  3,  4; 
XX,  26,  27;  xxiii.  3,  6-12.  —  «  i,  40;  xviii,  15;  xx,  2,  4;  xxi,  20.  -- 
*  XIX,  35.  -  ^  XI,  16.  -r-  s  i,  42.  -  »  xiv,  22.  —  io  yii,  50;  xix,  39. 

10. 


174  JÉSDS-GHRIST  SELON   l'ÉVAJNGILE.  [n»  69 

lement  rapprocher  de  sa  personne,  l'illustre  précurseur  du 
Messie. 

4°  Un  dernier  indice,  plus  convaincant  encore,  c'est  l'amour 
tendre,  délicat,  religieux,  qui  respire  dans  cet^  évangile 
pour  Jésus  et  pour  sa  Mère.  Il  suffit  de  lire  le  récit  du  mi- 
racle de  Gana,  celui  de  la  résurrection  de  Lazare  ou  delà  der- 
nière Gène,  et  surtout  l'entrevue  suprême  du  Sauveur  et  de 
sa  mère,  au  Galvaire,  pour  reconnaître  l'affection  pieuse, 
émue,  reconnaissante  de  l'Apôtre  bien-aimé  et  de  l'enfant 
adoptif.  Marie  apparaît  au  commencement  de.  l'Evangile 
comme  à  la  fin.  C'est  bien  S.  Jean  qui  a  dû  nous  transmettre 
ces  touchants  détails.  Lui  seul  devait  y  attacher  cette  im- 
portance, les  recueillir  avec  cette  sollicitude  et  nous  les 
transmettre  avec  cette  fidélité. 

Ainsi  l'étude  du  quatrième  évangile  confirme  pleinement 
le  témoignage  de  la  tradition.  Il  ne  faut  donc  pas  s'étonner 
si  nos  rationalistes  n'osent  plus  en  nier  ouvertement  l'au- 
thenticité^  s'ils  se  réduisent  à  dire  que  les  disciples  de  S.  Jean 
ont  pu  l'écrire  quelques  années  aprèssa  mort,  une  trentaine 
d'années  au  plus.  Ewald,  très  tranchant  dans  son  langage,  dit 
qu'il  faut  avoir  perdu  l'esprit  pour  en  contester  la  propriété 
à  celui  dont  il  porte  le  nom. 

69.  —  Quel  a  été  précisément  le  dessein  de  saint  Jean? 

Plusieurs  Pères  ont  dit  que  le  premier  dessein  de  S.  Jean 
a  été  de  combler  une  lacune  des  synoptiques,  en  retraçant 
la  partie  de  la  prédication  du  Sauveur  qui  a  précédé  l'em- 
prisonnement de  son  Précurseur  *,  et  en  mettant  en  relief  le 
côté  spirituel  et  mystique  de  sa  vie  et  de  sa  doctrine  •.  Mais 
si  l'on  étudie  l'évangile  même,  on  sera  convaincu  que  la 
principale  intention  de  l'auteur  a  été  de  venger  la  personne 
du  divin  Maître  des  attaques  des  premiers  hérétiques,  ou 
plutôt  de  fortifier  la  foi  des  chrétiens  à  l'égard  des  dogmes 
contestés  à  cette  époque,  la  divinité  de  Jésus-Ghrist,  son 
union  substantielle  avec  son  Père  et  celle  qu'il  veut  avoir 

1  Euseb.,  H.,  m,  24;  S.  Hîor.,  In  Mûtth,,  Proœm.  —  s  Euseb.,  U,^ 
VI,  14. 


N0  69]  ÉVANGILE  DE   SAINT  JEAN.  17S 

avec  nous  par  son  esprit  et  par  sa  grâce  *.  L'évangéliste 
l'affirme  lui-même  expressément  :  Hœc  scripta  sunt  ut  cre- 
datis  quia  Jésus  est  Christus  Filius  Dei,  et  ut  credentes  vitam 
habeatis  in  nomine  ejus  *. 

Nous  savons  par  ses  Epitres  qu'il  y  avait  alors  dans  TAsie- 
Mineure  beaucoup  d'antechrists,  nicolaïtes,  ébionites,  cérin- 
tbiens,  docètes  •.  Les  sectes  judaïsantes  et  gnostiques  alté- 
raient de  diverses  manières,  sous  prétexte  de  Téclaircir  ou 
de  la  compléter,  la  doctrine  enseignée  par  S.  Paul.  Disser- 
tant hardiment  sur  la  nature  de  la  divinité,  sur  le  mode  et 
la  mesure  de  ses  communications ,  un  grand  nombre  dis- 
tinguaient Christy  Fils  de  Dieu,  de  Jésu^,  fils  de  Joseph  *.  Ils 
reconnaissaient  qu'il  y  avait  eu  entre  l'un  et  l'autre  une 
étroite  union  ;  mais  cette  union  avait  été  de  courte  durée. 
«  Commencée  au  baptême  du  Sauveur,  elle  avait  cessé  au 
début  de  sa  passion,  sans  que  les  fidèles  y  aient  aucune 
part  ou  puissent  en  tirer  aucun  fruit.  »  C'était  une  né- 
cessité de  réfuter  ces  erreurs  et  de  mettre  en  lumière  la 
vraie  doctrine.  Saint  Jean  l'entreprit.  De  là  le  caractère  dog- 
matique et  polémique  de  son  évangile.  De  là  la  sphère  par- 
ticulière où  il  se  renferme,  les  faits  qu'il  passe  sous  silence, 
les  vérités  qu'il  met  en  relief,  les  maximes  sur  lesquelles  il 
insiste. 

Il  n'avait  pas  besoin,  pour  arriver  à  son  but,  d'écrire  l'his- 
toire du  Sauveur  en  entier,  ni  de  reproduire  tout  son  ensei- 
gnement. Aussi  fait-il  un  choix  et  s'a t tache- t-il  de  préférence  à 
ce  que  les  autres  omettent.  Les  discours  qu'il  rapporte  sont 
ceux  où  le  divin  Maître  atteste  sa  dignité  de  Fils  de  Dieu  % 
et  l'union  que  ses  membres  doivent  avoir  avec  lui  *;  les  mi- 
racles qu'il  retrace,  ceux  où  paraissent  avec  le  plus  d'éclat 
ses  perfections  et  ses  desseins  \  Divinité  du  Sauveur,  ré- 

^Cf.  Joan.,  I,  1-18;  xx,  31;  S.  Iren.,  III,  xi,  1,  2;  S.  Hier.,  de  Vir. 
illiut ,  IX.  —  8  Iva  TCiGTTçurjTe,  non  TriareuaviTe,  xx,  31.  Cf.  vi^  29  ;  I  Joan., 
V,  13.  Le  nom  de  Fils  de  Dieu  est  répété  30  fois.  —  3  i  Joan.,  ii,  18,  22. 
Cf.  Act.,  XX,  29;  I  Tiin.,  iv,  1 ,  2.  —  *  I  Joan.,  iv,  3,  15;  v,  1,5.  Cf. 
Apoc,  II,  6,  15.  —  5  Joan.,  vi,  35-70;  viii,  23-58;  x,  25-38.  Cf.  Eph.,  i, 
3-6,20;  II,  7,  8;  iv,  9;  v,  5;  Col.,  i,  14-20,  26;  ii,  3,  8-10;  m,  14-17; 
Heb.,  I,  1-14.  -  6  Joan.,  v,  17-47.  —  ^  Joan.,  i,  33,  34,  48,  49;  ii,  11,  23; 


176  JÉSUS-CHRIST  SELON   l'ÉVANGILE.  [n®  70 

demption  universelle  par  la  vertu  de  son  sang,  adoption  des 
fidèles  comme  enfants  de  Dieu,  justification  intérieure  par  la 
grâce,  à  la  seule  condition  d'une  foi  sincère  et  pratique: 
tels  sont  les  dogmes  auxquels  il  s'attache  et  sur  lesquels  il 
s'efforce  d'affermir  la  foi  du  lecteur.  Tous  les  récits  comme 
tous  les  discours  se  rapportent  là.  Croire  à  Jésus-Christ, 
comme  au  Messie  et  au  Fils  de  Dieu  S  croire  à  sa  nature  di- 
vine, à  sa  puissance,  à  sa  charité,  à  sa  résurrection  :  voilà  le 
but  constant  et  la  conclusion  inévitable  de  tous  le^  cha- 
pitres '. 

70.  —  L'ouvrage  répond-il  bien  au  dessein  de  Tauteur? 

Quelles  que  soient  les  limites  dans  lesquelles  il  se  resserre 
et  les  lacunes  que  présente  son  récit,  l'œuvre  répond  au 
dessein  de  l'auteur.  Il  est  difficile  de  trouver  un  livre  qui 
offre  plus  d'unité,  une  marche  plus  droite,  un  progrés 
plus  constant,  une  cohésion  plus  étroite  de  toutes  les 
parties. 

1»  Dans  un  prologue  aussi  bref  que  sublime,  l'évangéliste 
dit  ce  que  le  Verbe  a  toujours  été  dans  l'éternité  et  ce  qu'il  a 
voulu  devenir  dans  le  temps.  Lumière  et  vie  par  essence, 
connaissance  et  activité  infinies,  il  s'est  fait  par  l'Incarnation 
principe  de  foi  et  source  de  vie  surnaturelle  pour  les  âmes  •. 
Telle  est  la  grande  vérité,  dont  l'ouvrage  fournit  le  déve- 
loppement et  la  preuve.  L'auteur  entre  aussitôt  en  matière. 
Rien  sur  l'origine  temporelle  ni  sur  la  jeunesse  du  Sauveur. 
Il  commence  par  l'histoire  de  sa  prédication.  Les  faits  et 
les  discours  dont  elle  se  compose  sont  en  harmonie  avec  le 
programme  de  l'évangéliste.  Mais  de  cette  révélation  progres- 
sive du  Verbe  fait  chair  *,  résultent  deux  effets  contraires  : 

III,  2;  IV,  19,  42,  53;  vi,  14,  15,  69,  70;  vu,  40,  41,  46;  ix,  32,  33,  38; 
XI,  27,  32,  38,  42;  xii,  11. 

1  Ce  nom  est  répété  30  fois.  —  2  i,  50;  n,  2,  11,  23;  ly,  39-42,  53; 
VI,  14,  70;  viii,  30,  46;  ix,  38;  xi,  15,  27.  45;  xx,  29-31,  etc.  —  s  i,  4; 
9,  12.  —  *  Le  mot  Ego  sum  est  répété  une  vingtaine  de  fois  par  le 
divin  Maître.  «  Ego  sum  Christus,  iv,  26;  panis  vitae,  vi,  35,  48;  panis 
vivus,  VI,  41,  51  ;  lux  raundi,  viii,  12  ;  de  supernis,  viii,  23,  an  te  Abraham, 
viii,  56;  ostium,  x,  9;  ostium  ovium,  x,  7;  bonus  pastor,  x,  11,  14  ;  re- 


NO  70]  ÉVANGILE  DE  SAINT  JEAN.  177 

dans  les  âmes  droites  une  foi  qui  devient  de  plus  en  plus 
ferme;  dans  les  esprits  prévenus  et  orgueilleux  une  hostilité 
de  jour  en  jour  plus  menaçante.  Le  Sauveur  apparaît  comme 
source  de  vie  à  Cana,  au  puits  de  Jacob,  dans  la  multiplica- 
tion des  pains,  dans  la  guérison  des  malades,  dans  la  résur- 
rection des  morts  *.  Il  s'annonce  comme  principe  de  lumière 
en  guérissant  Taveugle-né  ',  mais  surtout  dans  son  ensei- 
gnement et  dans  les  révélations,  en  faisant  voir  que  rien  ne 
lui  est  caclié,  en  disant  qu'il  vient  rendre  témoignage  de  la 
vérité,  qu'il  est  la  Vérité  même,  qu'il  donnera  son  esprit  à 
ses  apôtres  pour  instruire  le  monde  entier  *.  L'opposition  ne 
tardant  pas  à  éclater,  ses  auditeurs  se  divisent  en  deux  par- 
tis contraires.  Un  certain  nombre,  destinés  à  former  le 
noyau  de  son  Eglise  et  à  lui  fournir  des  ministres,  ouvrent 
leur  cœur  à  ses  paroles  et  se  montrent  dociles  à  ses  ensei- 
gnements. Les  autres,  plus  nombreux  et  en  possession 
de  l'autorité,  ferment  les  veux  à  la  lumière  et  s'irritent 
contre  le  prédicateur.  Le  divin  Maître  s'efforce  de  dissiper 
leurs  ténèbres  et  de  désarmer  leur  hostilité  :  eux  ne  songent 
qu'à  le  prendre  en  défaut  et  à  le  convaincre  d'erreur.  C'est 
une  lutte  continuelle  de  la  lumière  contre  les  ténèbres,  de 
la  vie  contre  la  mort.  A  la  fin,  leur  malice,  toujours  déjouée, 
éclate  d'une  manière  terrible.  lisse  décident  à  le  mettre  à 
mort:  ils  le  crucifient.  Mais  son  immolation  devient  son 
triomphe.  En  sortant  vivant  du  tombeau,  il  confirme  la  foi 
de  ses  disciples  et  fonde  inébranlablement  son  Eglise. 

2°  La  liaison  des  parties  n'est  pas  moins  parfaite  que  l'u- 
nité du  but.  Tous  les  faits  rapportés  dans  l'évangile  ont 
pour  fin  d'amener  un  discours,  de  symboliser  une  idée,  de 
rendre  une  instruction  plus  frappante;  tous  les  discours  ont 
dans  les  faits  un  complément  ou  une  traduction  sensible; 

surrectio  et  vita,  xi,  25;  via,  vcritas  ot  vita,  xiv,  6;  vitis,  xv,  5;  vitis 
vera,  xv,  1,  etc.  Ego  revient  h.  cliaque  instant  pour  faire  ressortir  la 
personnalité  du  Sauveur  :  Ego  dico;  ego  lavi;  ego  rogo;  ego  sanctifîco 
meipsum,  etc.  Cf.  Apoc.,  i,  8,  17;  ii,  23;  xxi,  6;  xxii,  13,  16. 

»  II,  8,  9;  III,  1-16;  iv,  10, 16,  42,  46-54;  v,  1-16;  vi,  1-15;  35,  48,  51  ; 
XI, 25.  Cf.  XIV,  6;  xvii,  2,  20.  —  «  ix,  5,  —  3  ,,  48;  iv,  16,  17;  viii,  12; 
XIV,  6  ;  xvm,  37, 


178  JÉSUS-CHRIST  SELON   L'ÉVANGILE.  [n^  7i 

et  par  les  uns  comme  par  les  autres,  Tévangéliste  tend  à 
son  but,  en  montrant  comment  la  foi  s'est  établie  dans  les 
cœurs  droits,  et  quels  ont  été  la  malice,  Tobstination  et  le 
malheur  de  ceux  qui  sont  restés  incrédules  *.  Aussi  Thistoire 
et  la  doctrine  sont-elles  fondues  ensemble  d'une  manière  in- 
dissoluble, et  l'on  ne  conçoit  pas  qu'on  ait  pu  dire  que  les 
discours  étaient  des  interpolations,  c  L'évangile  de  S.  Jean 
est  comme  la  robe  sans  couture  du  Sauveur,  a  dit  Strauss 
lui-même.  Il  n'y  a  pas  moyen  d'en  rien  détacher  :  il  faut  ac- 
cepter tout  comme  authentique  ou  tout  rejeter.  » 

*  71.  —  Quelles  remarques  a-t-on  faites  sur  le  langage,  le  style, 

la  manière  de  saint  Jean? 

I.  S.  Jean  a  un  langage  qui  le  distingue  des  autres  évan- 
gélistes.  Les  discours  qu'il  rapporte  et  les  tableaux  qu'il 
trace  ont,  pour  la  forme  et  pour  le  fond,  un  caractère  par- 
ticulier. 

1*  Son  vocabulaire  est  peu  abondà'nt  •.  Les  mêmes  termes 
reviennent  sans  cesse,  parce  que  la  doctrine  roule  constam- 
ment sur  les  mêmes  idées;  mais  tous  ces  termes  saisissent 
l'âme,  toutes  ces  idées  relèvent  et  la  tiennent  en  présence 
des  plus  grandes  et  des  plus  saintes  réalités. 

2<*  Il  a  des  tournures  qu'il  affectionne  et  qu'il  répète  :  In 
hoc.  *,  Hoc  est  ^;  et  des  expressions  qui  lui  sont  propres, 
surtout  pour  rendre  les  rapports  du  Père  avec  le  Fils  et  du 
Fils  avec  nous  :  Esse  apud  Deum,,.^  esse  in  Pâtre.,.,  in  Fi- 
lio...,  Manere  in  Deo...  in  Christo...  in  caritate...  Esse  ex 
Deo...  ex  veritate...  ex  caritate...  ex  diabolo...  Nasciex  Deo... 
ex  Spiritu...  ex  carne...  Nosse,  cognoscere  Deum...  Facere 
veritaiem...  Ambulare...  ambulare  in  lucc...  in  tenebris.  Il 
dit  le  Père,  le  Fils,  d'une  manière  absolue.  Quant  à  ces  mé- 

1  II,  li,  12;  IV,  6,  7,  21,  26,  35;  v,  1-16,  19,  21,  26;  vi,  1-15,  32-59; 
IX,  1-7,  39-41;  xi,  25-27,  42-44,  etc.  —  s  On  trouve  répétés  :  connaître, 
55  fois,  croire,  98,  aimer,  45,  vérité,  25,  lumière,  23,  vie,  36,  monde,  78. 
ténèbres,  13,  nom,  25,  parole,  50,  œuvre,  27,  signe,  17,  témoignage  et 
témoigner,  47,  vie,  vivifier  et  vivre,  52,  gloire  et  être  glorifié,  42.  — 
3  I,  19,  30;  III,  19;  vi,  29,  39,  50;  xv,  8;  xvii,  3.  —  ♦  xv,  8.  Cf.  I  Joan., 
III,  10,  16,  19;  IV,  2,  9,  10,  13,  17;  v,  2. 


N«  7iJ  EVANGILE  DE   SAINT  JEAN.  l79 

taphores  si  souvent  employées,  lux^  vita,  tenebrœ,  mors, 
mendacium^  plénitude,  on  ne  peut  pas  dire  qu'elles  lui  soient 
propres  ;  car  on  les  trouve  aussi  dans  les  prophètes,  dans 
S.  Paul  et  même  dans  les  synoptiques  ;  mais  elles  se  lisent  à 
toutes  les  pages  de  cet  évangile.  Comme  elles  étaient  fami- 
lières aux  gnostiques  qu'il  avait  à  réfuter,  c'était  pour  lui 
une  nécessité  d'y  revenir  souvent,  en  revendiquant  pour 
l'Homme-Dieu  et  pour  sa  doctrine  les  perfections  que  ces 
hérétiques  attribuaient  aux  créations  fantastiques  de  leur 
imagination. 

3*  Il  aime  les  sentences  brèves  et  détachées,  il  se  plait  à 
énoncer  ses  pensées  simplement,  à  la  suite  Tune  de  l'autre, 
comme  autant  d'intuitions,  sans  conjonctions  ni  pronoms 
relatifs,  ce  qui  n'empêche  pas  qu'étant  unies  par  le  fond, 
elles  ne  produisent  dans  leur  ensemble  un  grand  effet.  Au 
lieu  de  déduire,  il  affirme,  ou  plutôt  il  atteste  ce  qu'il  voit 
ou  ce  qu'il  a  yu  ;  et  il  se  plaît  à  répéter  les  mots  et  les  pen- 
sées \  comme  les  vieillards,  dit  Michaëlis,  qui  ont  recours 
à  ce  moyen  pour  graver  leurs  maximes  dans  les  esprits. 

40  En  fait  de  figures,  il  emploie  souvent  l'antithèse,  pour 
faire  ressortir  ses  idées.  Il  oppose  les  lumières  aux  ténèbres*, 
ceux  qui  sont  nés  de  Dieu  à  ceux  qui  sont  nés  des  hommes  ', 
Jésus-Christ  k  Moïse  \  la  loi  à  la  grâce  ^  les  fidèles  aux  incré- 
dules^; ou  bien,  après  avoir  affirmé  une  chose,  il  nie  la 
chose  opposée  ^  Il  paraît  aimer  aussi  l'apposition,  qui  se 
formule  par  c'est-à-dire,  à  savoir. 

II.  Mais  ce  qui  caractérise  S.  Jean,  c'est  moins  la  forme 
extérieure  du  langage  que  le  fond  de  la  pensée. 

La  simplicité,  la  naïveté,  la  négligence  même  se  joignent 
chez  lui  à  una  finesse,  à  une  pénétration,  à  une  profondeur, 
à  une  élévation  sans  égales. 

Ses  récits  sont  autant  de  drames  pleins  de  vérité  et  de 
mouvement.  Tout  ce  qu'il  décrit  est  sensible  et  vivant.  On 

»  I,  1,7,8,  10,  14;  111,11,  17;  IV,  22;  V,  31-39,  44-47;  vi,  27;  viii,  13, 
14,  18,21,  24;  x,  7,  11,  54;  xi,  33;  xv,  1,  5;  xvii,  6;  xviii,  15,  16;  xix, 
35;  XXI,  24.  —  2  i.  5,  8.  —  3  i,  13,  —  *  i,  17;  v,  46;  vi,  32.  -  »  11,  17. 
-•m,  36.  —  "^  i,  3,  20;  11,  24;  m,  16;  v,  24;  vin,  35;  x,  5,  28. 


180  JÉSUS-dHRISt   SELON  L^ÉVANÔILE.  [n^  IÎ 

assiste  aux  scènes  qu'il  retrace;  on  a  les  acteurs  sous  les 
yeux  \  Il  fait  parler  tous  ses  personnages,  comme  S.  Marc  *, 
et  un  mot  lui  suffit  pour  les  faire  connaître  '. 

Avec  le  talent  de  peindre,  au  degré  le  plus  éminent,  il  a 
le  don  d'éveiller  la  pensée  et  de  s'énoncer  d'une  manière 
frappante.  ïl  sait  donner  un  corps  aux  choses  les  plus  abs- 
traites et  faire  apparaître  le  monde  idéal  et  surnaturel  à 
travers  les  réalités  de  l'ordre  naturel  et  terrestre.  Tout 
tableau  est  un  emblème;  chaque  mot  renferme  une  pro- 
phétie, une  leçon,  un  mystère  *;  l'importance  des  faits 
qu'il  rapporte  est  dans  les  idées  qu'ils  suggèrent;  le  présent 
figure  l'avenir. 

Vivacité,  profondeur,  sublimité,  voilà  «e  qui  distingue 
cet  évangile,  ce  qui  l'a  fait  appeler  par  les  saints  Pères 
V Evangile  de  l'Esprit  %  ce  qui  fait  que  les  cœurs  purs  y  trou- 
vent tant  de  charmes.  Il  n'en  est  pas  où  la  divinité  du 
Verbe  rayonne  avec  tant  d'éclat.  (Euvre  merveilleuse,  sans 
modèle  comme  sans  égale,  qui  porte  en  soi  la  preuve  de 
son  inspiration,  et  qu'on  né  pouvait  mieux  caractériser  que 
par  cette  figure  d'aigle  qu'elle  a  reçue  pour  emblème  ^ 

Volat  avis  3Îhe  meta  Tarn  implenda  quam  impleta 

Quo  nec  vates  nec  propheta  Nunquam  vidit  tôt  socreta 

Evolavit  altîus.  Puru^  horao  parîus  '. 

*  72.  —  D'où  vient  cette  subUmité  de  pensées  qui  caractérise  ce 

dernier  évangile? 

On  peut  en  indiquer  plusieurs  :  le  but  que  S.  Jean  se  pro- 
posait, ses  dispositions  personnelles  et  les  vues  de  la  Provi- 
aence  par  rapport  à  l'Eglise. 

■  *  IV,  IX,  etc.  —  2  Joan.,  iv,  7;  vii,  40,  41;  vin,  22;  ix,  3;  xiii,  24; 
xxi,  20.  Nous  ne  voyons  qu'un  passage  où  il  emploie  dans  son  récit  le 
le  langage  indirect,  iv,  5,  52.  —  3  Voir  S.  Pierre  vv,  69;  xiii,  6,.  9; 
S.  Thomas,  xi,  16  ;  xx,  28  ;  Caiphe,  xi,  49,  50,  etc.  —  *  S.  Âmb.,  de  Sac, 
m,  11.  Cf.  Joan.,  xi,  51;  xix;  21,  22;  xxi,  19,  22.  —  6  Clem.  Alex.; 
Euseb.,  fT.,  VI,  14.  —  ^  Vt  très  primes  videas  evangelistas  in  terra  cum 
Christo  conversari,  illum  autem  transcendisse  nebulam  qua  tegitur 
omnis  terra  et  pervenisse  ad  liquidum  cœlum.  S.  Aug.,  De  cons.  evang.y 
I,  7.  Cf.  In  Joan. y  xxxvi,  1;  Bourdal.,  Panégyr.  de  S,  Jean,  !•'  point. 
—  "^  Un  disciple  d'Adam  de  S.  Victor. 


N»  72]  EVANGILE  m  âAlNT  IEaN.  184 

i"  Les  moyens  employés  par  S.  Jean  devaient  être  en  rap- 
port avec  sa  fin.  Les  négations  des  hérétiques  portant  sur 
les  dogmes,  et  sur  les  dogmes  les  plus  élevés,  il  fallait  bien 
les  suivre  sur  ce  terrain,  pour  corriger  leurs  erreurs  et  rec- 
tifier leurs  expressions.  Voiler  les  mystères  du  Christia- 
nisme, parler  un  langage  humble  et  populaire,  n'était  pas 
le  moyen  de  confondre  ces  docteurs  superbes,  infatués  de 
lear  gnose,  et  dédaigneux  de  tout  ce  qui  leur  semblait  vul- 
gaire, soit  pour  l'expression,  soit  pour  la  pensée.  —  Que  le 
ton  du  Sauveur  s'élève  comme  celui  de  Tévangéliste,  que 
ses  discours  paraissent  plus  sublimes  et  plus  mystiques  que 
dans  les  autres  évangiles,  c'est  également  ce  qui  doit  être. 
Dans  les  synoptiques,  le  divin  Maître  s'adresse  à  des  Gali- 
léens  peu  instruits,  souvent  à  des  habitante  des  campagnes  : 
il  parle  de  choses  terrestres;  il  ne  saurait  être  trop  familier 
et  trop  simple.  Dans  S.  Jean,  il  est  presque  toujours  à  Jéru- 
salem, près  du  temple  ou  sous  ses  portiques;  il  discute  avec 
les  docteurs  de  la  loi,  c'est-à-dire  avec  les  esprits  les  plus 
cultivés  et  les  plus  subtils  :  n'est-ce  pas  le  moment  de  parler 
ks  choses  du  a>/*?  Au  lieu  de  recourir  aux  paraboles  ou 
de  s'énoncer  en  courtes  maximes^  n'est-il  pas  naturel  qu'il 
présente  à  leur  esprit  des  vérités  capables  de  les  frapper  et 
de  les  ravir  *?  S.  Paul  ne  prend-il  pas  un  ton  plus  solennel  et 
plus  sublime  lorsqu'il  s'adresse  aux  gnostiques  d'Ephèse  ou 
de  Colosses  que  lorsqu'il  exhorte  ses  humbles  disciples  de 
Philippes  ou  de  Thessalonique  *? 

2*  A  la  différence  des  autres  Apôtres,  S.  Jean  eut  une  vie 
tout  intérieure,  toute  contemplative.  Il  avait  un  cœur  af- 
fectueux et  pur,  une  âme  noble  par  conséquent.  Sa  pureté 
virginale  donnait  à  son  esprit  une  aptitude  spéciale  pour  la 
méditation  et  un  essor  puissant  vers  la  lumière^ :Ùœ$eràt 
me  angélus,  dit  S.  Augustin  ^  De  plus,  son  amour |rôiir  le 
Sauveur,  pour  l'Agneau  de  Dieu  %  comme  il  s'est  toujours 

>  Joan.,  m,  12,  Cf.  Luc,  viii,  19.  —  2  Jnfra.n.  277,  etc.  —  s  I  Cor.,  m, 
10:  Heb.,  v,  11, 14. —  *  Perspiciator  erat  prœrogativa  puritatis.  Eutbym. 
h  Joan.^  XXI,  7.  —  **  g.  Aug.,  In  Joan.f  i,  4.  —  6  «  Ecce  Âgnus  Dei  » 
avait  dit  le  Précurseur  en  le  lui  montrant.  Joan.,  i,  36.  Cf.  Apoc.  30  fois. 

m.  ii 


182  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  |  n°  72 

plu  à  nommer  son  Maître,  (levait  lui  attirer  les  plus  hautes 
faveurs  ^  Il  s'était  donné  à  lui  de  bonne  heure  avec  une 
grande  générosité  *.  Il  Tavait  suivi  partout  sur  la  terre, 
comme  les  vierges  le  suivent  au  ciel.  Il  l'avait  accompagné 
au  Calvaire  comme  au  Thabor.  Et  ce  qui  l'avait  le  plus 
frappé,  ce  qu'il  avait  le  mieux  senti  dans  ses  discours 
comme  dans  ses  mystères,  c'est  ce  qu'il  y  voyait  de  surhu- 
main. Plus  d'une  fois,  il  avait  obtenu  du  divin  Maître  des 
connaissances  que  d'autres  n'osaient  demander  •.  Ajoutez 
que  depuis  l'Ascension  il  avait  vécu  longtemps  auprès  de  la 
très  sainte  Vierge  dans  le  recueillement  et  la  prière,  et  que 
la  gloire  du  Sauveur  au  ciel  était  plus  souvent  présente  à 
leur  esprit  que  son  état  d'humiliation  sur  la  terre  *.  Ajoutez 
encore  qu'il  avait  passé  par  le  martyre,  et  que,  dans  son  ra- 
vissement de  Patmos,  le  Fils  de  Dieu  s'était  montré  à  lui, 
plus  longtemps  et  plus  pleinement  qu'à  S.  Paul  lui-même, 
dans  l'éclat  de  sa  vie  triomphante. 

3®  Enfin  et  surtout,  il  faut  voir  ici  une  attention  du  Sau- 
veur envers  les  âmes  pures  et  ferventes.  Il  était  à  désirer 
que  l'Evangile  fût  pour  les  chrétiens  ce  qu'était  la  manne 
pour  les  Israélites,  que  tous  les  fidèles  trouvassent  dans  les 
exemples  et  dans  les  discours  du  Fils  de  Dieu  un  aliment  en 
rapport  avec  leurs  besoins  et  conforme  à  leurs  attraits  ^ 
Faut-il  s'étonner  si,  dans  l'un  des  récits  qu'il  en  a  fait  faire, 
il  a  songé  àr  ceux  qui  l'aiment  davantage,  s'il  a  tenu  compte 
de  leurs  aspirations,  et  si,  pour  se  révéler  plus  pleinement 
à  eux,  il  s'est  servi  de  celui  à  qui  il  avait  donné  sur  la  terre 
la  plus  grande  part  à  ses  lumières  et  à  son  amour?  Les  trois 
premiers  évangélistes  avaient  posé  la  base  du  christianisme 
et  tracé  sa  voie  à  la  vie  active,  en  consignant  dans  leurs 
écrits  la  vie  extérieure  du  Sauveur  et  son  enseignement 
populaire.  Pour  couronner  cette  œuvre,  que  restait-il  à 
l'Apôtre  de  la  dilection,  sinon  de  pourvoir  aux  besoins  de 
la  vie  contemplative  *,  en  reproduisant  dans  sa  sublimité  la 

1  s.  Thom.,  p.  l,  q.  20,  a.  4,  ad.  3.  —  «  Marc,  i,  20.  —  3  Joan.,  xin, 
24,  25.  —  *  Cf.  S.  Amb.,  de  Inst.  virg.,  i.  —  5  Omne  habens  delecta- 
mentum  et  omnis  saporis  suavitatem.  Sap.,  xvi,  20.  —  c  Restât  aqaila, 


N»  73]  EVANGILE  DE  SAINT  JEAN.  183 

doctrine  théologique  du  divin  Maître,  en  révélant  aux  âmes 
ferventes  et  généreuses  ce  qui  le  ravissait  lui-même  davan- 
tage, rintérieur  de  THomme-Dieu,  sa  sainteté  infinie,  son 
union  avec  son  Père,  et  par-dessus  tout  sa  charité  pour  les 
âmes  et  les  communications  qu'il  veut  leur  faire  de  son  Es- 
prit et  de  sa  grâce?  C'est  ce  qu'on  trouve  dans  son  Epître 
comme  dans  son  Evangile  :  Prope  omnia  de  caritate.  Qui 
habet  in  se  audire,  audiat  :  erit  illi  lectio  ista  tanqxmm  oleum 
injlamma\ 

Du  reste  ce  serait  se  faire  illusion  de  juger  de  S.  Jean  par 
les  premiers  versets  et  de  penser  qu'il  est  partout  égale- 
ment sublime.  Quand  il  est  question  de  sujets  ordinaires, 
de  guérisons,  de  discours  au  peuple,  son  style  n'a  pas  moins 
de  simplicité  que  celui  des  synoptiques'.  Ce  serait  aussi 
mal  apprécier  les  synoptiques,  que  de  penser  qu'ils  n'ont 
jamais  rien  de  l'élévation  et  de  l'éclat  de  S.  Jean  •. 

73.  -^  La  physionomie  du  Sauveur  n'étant  pas  la  môme  dans  saint 
Jean  et  dans  les  synoptiques,  quelle  est  celle  qu'on  doit  tenir  pour 
vraie? 

La  physionomie  d'un  homme  n'est  pas  invariable  comme 
celle  d'une  statue.  Un  personnage  peut  être  tour  à  tour 
grave,  riant,  impérieux,  irrité.  Quelle  que  soit  celle  de  ces 

sublimium  prœdicator  et  lucis  internée  atque  aeternse  fixis  oculis  conr 
templator.  S.  Aug.,  In  Joan,,  xxxvi,  5.  Cf.  De  cons.  evang.^  iv,  20. 
1  S.  Aug.,  In  Ëp.  ad  Parth.,  Praef.  —  2  Joan.,  i,  29-51  ;  ii,  1-17;  iv, 

V,  !-17;  VI,  1-27;  viii,  1-12;  ix,  6-39;  xi,  17-56;  xii,  1-22;  xm,  12-17, 
21-31  ;  XVI,  1-5;  xviii,  21.  —  3  Cf.  Matth.,  xi,  28,  29  et  Joan.,  vu,  37; 
—  Matth.,  x,  30  et  Joan.,  xii,  25;  —  Mattli.,  xi,  27;  Luc,  xi,  21,  22  et 
Joan.,  xiii,  1,  18;  vi,  45;  xiii,  3  ;  —  Matth.,  v,  6;  Luc,  vi,  21  et  Joan., 

VI,  35;  Matth.,  xi,  25-30  et  Joan.,  xiv,  18-23;  —  Matth.,  xm,  57  et 
Joan.,  IV,  44;  —  Marc,  xvi,  16  et  Joan.,  m,  18;  —  Matth.,  xxviii,  18 
et  Joan.,*, XVII,  2;  —  Matth.,  xvi,  19  et  Joan.,  xxi,  15;  Mattli.,  x,  40  et 
Joan.,  xm,  20;  —  Matth.,  x,  22  et  Joan.,  xv,  21;  —  Matth.,  x,  25  et 
Joan.,  XV,  20;  —  Matth.,  xxvi,  55  et  Joan.,  xviii,  20;  —  Matth.,  xxvi, 
52  et  Joan.,  xviii,  11;  Matth.,  x,  29;  Marc,  viii,  35;  Luc,  ix,  24;  xvii, 
33  et  Joan.,  xu,  24;  —  Matth.,  xxvi,  46  et  Joan.,  xiv,  31;  —  Matth., 
XXVI,  34;  Marc,  xiv,  30;  Luc,  xxii,  34  et  Joan.,  xm,  38;  —  Matth., 
XXVI,  52  et  Joan.,  xviii,  11;  —  Matth.,  xxviii,  18-20;  Marc,  xvi,  1.V20 
et  Joan.,  xx,  19-23;  xxi,  15-17. 


l84  JESUS-CHRIâT  SELON   L*ÉVANG1LE.  [n®  73 

physionomies  qu'on  lui  donne,  s'il  est  placé  dans  les  condi- 
tions qui  lui  conviennent,  elle  n'aura  rien  que  de  vrai.  Un 
même  homme  peut  aussi  posséder  bien  des  qualités  diverses, 
la  grandeur  et  la  bonté,  la  fermeté  et  la  patience,  réléva- 
tion  de  la  pensée  et  la  simplicité  du  cœur;  et  chacune  de 
ces  dispositions  peut  se  révéler  successivement  dans  son 
extérieur  et  dans  son  langage. 

D'un  autre  côté,  tous  ne  sont  pas  frappés  des  mômes 
choses  ;  tous  n'en  conservent  pas  le  même  souvenir,  et  ce 
que  chacun  exprime  le  plus  sûrement,  le  plus  fidèlement 
dans  sa  mémoire  et  dans  ses  écrits,  c'est  lui-même.  Jésus- 
Christ  est  un  :  c'est  le  soleil  de  justice,  c'est  la  perfection 
même  ;  mais  les  évangélistes  différaient  les  uns  des  autres, 
comme  des  miroirs  de  nature  et  de  dimensions  diverses. 
Chacun  d'eux  reflète  ce  divin  soleil,  mais  à  son  heure  et  à 
sa  manière,  suivant  sa  capacité  et  ses  dispositions.  S.  Jean 
étant  celui  dans  l'esprit  duquel  l'image  du  Sauveur  s'est 
reflétée  avec  le  plus  d'éclat,  n'est-il  pas  naturel  qu'il  l'ait 
représenté  avec  l'auréole  la  plus  brillante  et  la  physionomie 
la  plus  divine  *  ? 

Toutefois,  si  brillant  qu'il  paraisse,  qui  ne  reconnaît  en 
lui  le  Fils  de  Marie,  le  docteur,  le  prophète,  le  thaumaturge 
des  synoptiques?  Est-ce  que  nous  n'avons  pas  des  Histoires 
du  Sauveur,  où  les  quatre  évangiles  fondus  ensemble 
forment  un  tout  harmonique?  Jésus-Christ  est  toujours  con- 
forme à  lui-même  et  différent  de  tout  autre j  d'une  éléva- 
tion, d'une  sainteté,  d'une  sérénité,  d'une  onction  sans 
égales.  Il  a  partout  la  même  prudence*,  la  même  modestie', 
la  même  douceur  envers  ses  ennemis  *,  le  même  ascendant 
sur  ses  disciples',  la  même  idée  de  sa  personne  et  de  son 

1  Vidimus  gloriam  ejus,  gloriam  quasi  unigcniti.  Joan.,  i,  14.  Audeo 
dicere,  fratres  mei  :  forsitan  nec  ipse  Joannes  dixit  ut  est,  sed  et  ipse 
ut  potuit,  quia  de  Deo  hoino  dixit,  et  quidem  inspiratus  a  Deo,  sed 
tamen  homo.  S.  Aug.,  In  Joan.,  i,  1.  —  *  Cf.  Joan.,  x,  24,  25;  Matth., 
XVI,  20;  Marc,  m,  12;  Luc,  iv,  41.  —  a  Joan.,  v,  13,  30;  vi,  15; 
Matth.,  XIV,  22;  xxvi,  39;  Luc,  v,  15,  16.  —  *  Joan.,  xviii,  20;  Marc, 
XIV,  48;  Luc,  xxii,  52.  —  *  Joan.,  xvi,  16;  xxi,  12;  Marc,  ix,  31; 
Luc,  IX,  45. 


j 


N<»741  ÉVANGILE  DE  SAINT  JEAN.  185 

ministère ^  le  môme  langage  figuré  et  parabolique',  la 
même  manière  d'opérer  des  miracles  ",  d'enseigner  *,  de 
prouver  ^  d'expliquer  ses  actes  ®.  Un  bon  nombre  de  ses 
paroles  qu'on  croirait  propres  à  S.  Jean,  ont  été  reproduites, 
à  peu  près  identiquement,  par  les  synoptiques  \ 

74.  —  L'évangUe  de  S.  Jean,  tout  dogmatique  qu* il  est,  n'offre-t-il  pas 
des  données  précieuses  pour  Thistoire  du  Sauveur,  et  n'a-t-il  pas  des 
parties  bien  distinctes? 

I.  S.  Jean  fait  connaître,  plus  précisément  que  les  synop- 
tiques, la  durée  de  la  prédication  du  Sauveur  et  ses  diverses 
phases.  Dans  ses  vingt  et  un  chapitres,  il  fait  mention  de 
quatre  solennités,  dont  trois  Pâques  au  moins,  et  il  signale 
chacune  d'elles  parce  qu'elle  a  fourni  au  Sauveur  l'occasion 
de  donner  plus  d'éclat  à  sa  mission  et  à  sa  doctrine  *.  A  la 
première,  n,  13,  il  chasse  les  vendeurs  du  temple,  et  entre 
eo  rapport  avec  un  Docteur  de  la  loi.  A  la  seconde,  v,  1, 
il  guérit  un  paralytique  et  proclame  sa  divinité.  A  la  troi- 
sième, VI,  4,  il  multiplie  les  pains  et  annonce  l'Eucharistie. 
Il  l'institue  à  la  quatrième,  xiii. 

IL  Les  vingt  et  un  chapitres  de  cet  évangile  débutent  par 
un  prologue  assez  court  et  se  divisent  naturellement  en  deux 

Uoan.,  m,  17;  v,  22,  24,  45;  viii,  12;  ix,  39;  xin,  20;  Matth  ,  v,  14; 
vn,  22;  x,  40;  xiii,^  13;  xi,  27;  xxvi,  63;  xxvni,  19;  Luc,  ix,  56.  — 
*  Joan.,  II,  34;  m,  8;  v,  25;  ix,  39;  xi,  11  ;  xv,  1  ;  xvi,  21,  25.  Cf.  Joan., 
ni,  3  et  Matth.,  xiii,  3;  Joan.,  x,  7  et  Matth.,  xviii,  12;  Joan.,  xiii,  1  et 
Lac,  xii,  37;  Joan.,  xni,  16  et  Matth.,  x,  24,  25;  Joan.,  m,  29  et  Matth-, 
xxn,  2;  Joan.,  xv,  2  et  Matth.,  xvii,  19.  —  3  Joan.,  v,  8;  vi,  12;  xi,  43; 
Matth.,  viiî,  3;  ix,  6;  xiv,  19;  Luc,  vu,  14,  etc.  —  *  Joan.,  iv,  31; 
▼,14;  VI,  25;  ix,  1-5,  25-41;  xiii,  3,  etc;  Matth.,  xn,  47-50;  xiii,  43,  45; 
XV,  11-20;  xviii,  1;  Marc,  i,  16,  17;  ix,  35;  x,  13,  15;  Luc,  n,  2T; 
IX,  47;  xiii,  1-5;  etc.  -  »  Joan.,  iv,  23,  24  ;  Matth.,  v,  25,  31  ;  vi,  31  ; 
XTin,  33;  xxiv,  42;  xxv,  31;  Marc,  vni,  33;  xiii,  37;  Luc,  xii,  15,  21, 
35,  48;  xvni,  1,  etc.  —  «  Joan.,  iv,  31  ;  vi,  25;  ix,  1-5,  35,  40;  xiii,  3; 
Matth.,  XII,  47,  50;  xv,  1-20;  xvi,  5;  xviii,  I  ;  Marc,  i,  16,  17;  x,  13-15; 
Uc.,  XI,  27;  xiii,  1-5;  xiv,  15,  etc  —  ^  Cf.  Joan.,  ii,  19;  iv,  24;  v,  8; 
▼1,20,  ^,37,  46;  xn,  8,  25,  27;  xiii,  1,  16,  20,  21,  38;  xiv,  18,  28,  31; 
XV,  20,  21;  xvii.  11,  20,^37  et  Matth.,  xxv,  61;  xiti,47;  ix,  6;  xiv,  27; 
V,  6;  XI,  27,  28,  29;  xxvi,  H  ;  x,  39;  xxvi,  38;  xi,  27;  x,  24,  40;  xxvi, 
21,  34;  xxvni,  20;  xiii,  32;  xxvi,  46;  x,  22,  25;  xxvi,  31;  xxviii,  18; 
avi,  52,  55;  xxxii,  H,  etc  —  »  Infra,  n.  141. 


i 


186  JÉStiS-CHRIST  SELON  l'évanoile.  [n»  74 

parties;  —  1"  Dans  la  première,  qui  est  la  plus  considé- 
rable, I,  i9-xir,  Jésns-Ghrist  se  révèle  au  monde  comme  la 
vraie  source  de  la  lumière  '  et  de  la  vie  '  :  un  certain  nombre 
croient  à  ses  paroles;  mais  la  plupart  ferment  l'oreille  à  sa 
prédication  et  demeurent  incrédules.  — 2°  Dans  la  seconde, 
xm-xxi,  le  Sauveur  se  manifeste  à  ses  disciples  en  particu- 
lier; on  j  voit  l'achèvement  de  sa  prédication,  la  consom- 
mation de  son  sacrifice  et  le  couronnement  de  sa  vie  mortelle. 
Après  avoir  ouvert  son  âme  à  ses  Apétres  dans  la  dernière 
cène,  xiii-xvii,  il  endure  avec  courage  tous  les  tourments 
que  ta  haine  et  l'envie  lui  font  subir,  xvni,  xix,  puis,  sor- 
tant du  tombeau,  il  ranime  la  foi  de  ses  disciples  et  leur 
donne  ses  dernières  instructions,  xx,  xxi. 


»  Cf.  Jo»n.,  1,48,  51;  11,  24;  iv.  17,  ZS;  vii,  15,20,  «;  viii.  12;  n. 
1-41.  —  î  Joan,,  II,  1-18.  19, 22;  m,  1-16;  iv,  10-U,  46^;  v,  i-16, 21,  25;' 
VI,  1-15,  35,  48,  51;  ï,  1-51;  xi,  1,45,  etc.  —  »  Croii  de  Tégliao  Saînte- 
Maria  k  Home,  cnfourôc  des  quatre  évangéUslos,  sous  lours  symboles 
ordinaires.  Au  milieu,  entre  l'a  et  u,  l'emblème  de  l' Esprit-Saint  ; 
Digilui  palei-as  dexlcrx. 


PREMIÈRE  PARTIE 

DE    L'INCARNATION   DU   VERBE   A   LA    PRÉDICATION 
DE   L'ÉVANGILE 


CHAPITRE  PREMIER. 

veuve.  DU  fils  de  dieu  dans  le  monde. 


ARTICLE  I. 
Attont«  Au  H«Bala. 

FtaitoD  de  celle  itlente.  ~  La  Jadée  à  l'époque  da  Sanvei 


Toutes  les  raisons  de  ce  délai  ne  nous  sont  pas  connues  *, 
mais  nous  savons  que  Dieu  avait  en  vue  sa  gloire,  et  qu'il 
s'est  proposé  tous  les  bons  effets  qui  ont  résulté  de  sa  con- 

1  Médaille  d' Auguste  divinisé  :  iète  radiée,  avec  one  étoile  sur  le  front. 
Le  titre  de  Palei-  patrùr  lui  fut  donné  deux  ans  avant  l'ère  chrétienne, 
après  ïingt-cinq  ans  de  règne.  Le  nier»  k  droite,  pris  d'une  autre  mé- 
daille, donnée  par  F.  Sacchi  {Thesauriu  mtiguilalum,  in-fol.),  représente 
l'autel  do  Janus.dont  le  temple  fut  fermé  quelque  temps  avsni  la  naissance 
de  Jcsus-Chrisl,  le  Prince  de  la  paix.  Légende  :  Pane  perpétua,  et  au- 
dessous,  Auguttut.  On  trouve  des  médailles  semblables  dans  Cohen,  Deicr. 
des  médailUi  romninei.  t.  i,  p.  53,  n.  J03,  !•  éd.,  ot  p.  61,  n.  182,  183, 
8«éd.— 'Bon).,  xi,33.  Voir  sur  ce  sujet  S.  Thomas,  In  GaJai.,  III,  leet.  7. 


188  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'ÉVANGILE.  [N^  76 

duite.  Si  la  Rédemption  s'était  accomplie  immédiatement 
après  le  péché  :  —  1*  L'homme  aurait  pu  s'imaginer  que  cette 
grâce  lui  était  due,  ou  que  c'était  une  nécessité  pour  Dieu 
de  le  relever  de  sa  chute.  —  2°  Nous  connaîtrions  moins 
bien  nos  maux  dont  le  péché  est  la  source;  nous  serions 
moins  touchés  de  ce  que  Notre  Seigneur  a  fait  pour  nous, 
moins  convaincus  de  notre  impuissance  à  remédier  par 
nous-mêmes  à  notre  misère  \  —  3**  Nous  n'aurions  pas  dans 
la  conduite  de  Dieu  un  exemple  aussi  frappant  de  la  cons- 
tance avec  laquelle  nous  devons  poursuivre  nos  bons  des- 
seins et  avancer  dans  la  perfection  *. 

Du  reste,  il  ne  faut  pas  oublier  que  Dieu  n'a  pas  attendu 
l'immolation  de  son  Fils  pour  en  appliquer  les  mérites  aux 
hommes.  On  a  cru  à  la  venue  du  Sauveur  avant  qu'il  fût 
descendu  sur  la  terre,  et  les  fruits  de  la  rédemption  ont  re- 
flué jusqu'à  l'origine  du  monde.  Si  l'on  n'avait  pas  alors  la 
lumière  de  son  Evangile  et  le  secours  de  ses  sacrements,  on 
ne  laissait  pas  de  participer  à  sa  grâce  et  l'on  pouvait  pra- 
tiquer ses  vertus  '. 

76.  —  A  la  naissance  du  Sauveur,  en  quel  état  se  trouvait  la  Judée, 
au  point  de  vue  politique  et  au  point  de  vue  religieux? 

I.  Le  sceptre  était  sorti  de  Juda  *.  Non  seulement  la  fa- 
mille de  David  avait  cessé  de  régner,  mais  la  Judée  avait 
perdu  son  autonomie.  Le  pouvoir  souverain  était  aux  mains 
des  étrangers.  Hérode  l'Ancien,  fils  d'Antipater,  Iduméen 
de  la  race  d'Esaû  S  avait  été  fait  roi  par  les  Romains,  deve- 
nus maîtres  du  monde  *.  Grâce  à  la  puissance  de  ses  protec- 
teurs et  à  une  politique  sans  scrupule,  il  s'était  débarrassé  des 

.  1  Rom.,  V,  20;  Gai.,  iv,  3,  4;  Epist.  ad  Diogn.,  9.  —  2  g.  Thom.,  In 
Gal.f  III,  lect.  7.-3  Sap.,  x,  l  ;  Apoc.  ,xiii,  8.  Vérbi  incarnatio  hocton- 
tnllt  facienda  quod  facta,  nec  sero  impletum  est  qiiod  seinper  est  cre- 
ditum.  S.  Léo.,  de  Nativ.  Dom.  Serm.  xxiii,  4;  S,  Aug.,  de  Civ,  Dei^ 
XVIII,  47;  S.  Thom.,  p.  3,  q.  1,  a.  5.  —  *  Gen.,  xux,  10.  A.  T.,  n.  360. 
InfrOf  n.  110.  —  8  Gen.,  xxvi,  43.  Euseb.,  H.,  i,  6.  —  «  Maxime  con- 
grucbat  ut  multa  régna  una  confederarentur  imperio  et  cito  pervios 
iiaberet  populos  prsedicatio  generalis,  quos  unius  teneret  regimen  civi- 
tatis.  S.  Léo,  Serm,  ;.xx3çm,  2.  Cf,  Origen.,  Cont,  Cels,^  11,  30. 


]V<>  76]      SA  VIE  CACHÉE.  —  DATE  DE  LA  RÉDEMPTION.  189 

derniers  rejetons  des  rois  asmonéens  et  avait  fini  par  établir  so- 
lidement sa  domination  *.  Tandis  que  les  oracles  du  Seigneur 
sur  les  Juifs  infidèles  '  commençaient  à  s'accomplir,  la  Provi- 
dence faisait  approcherles  Gentils,  pour  assister  à  la  naissance 
de  THomme-Dieu,  être  témoins  de  la  Rédemption  du  monde 
et  s'unir  aux  vrais  Israélites  dans  la  fondation  de  l'Eglise. 

II.  Sous  le  rapport  religieux,  le  peuple  juif  se  divisait  en 
un  certain  nombre  de  sectes  rivales.  On  distinguait  :  — 
1"  Les  pharisiens,  qui  affectaient  une  plus  grande  rigidité 
dans  l'observance  de  la  loi,  mais  qui,  à  peu  d'exceptions 
près,  ne  tenaient  qu'à  l'estime  des  hommes,  à  la  réputation, 
au  crédit  que  donnent  les  pratiques  extérieures  et  les  dehors 
de  la  sainteté  •.  —  2**  Les  sadducéens,  qui  ne  croyaient  qu'à 
la  matière  et  ne  reconnaissaient  comme  divins  que  les  livres 
de  Moïse.  Ils  avaient  pour  eux  la  fortune,  et  par  la  fortune 
les  dignités,  même  religieuses.  Leur  morale  ne  différait 
pas  de  celle  d'Epicure  *.  —  S'*  Les  esséniens,  secte  mystique, 
qui  se  tenait  à  l'écart  et  s'exerçait  à  la  vie  ascétique,  silen- 
cieuse, contemplative  ^  —  4**  Les  hérodiens  qui  cherchaient 
la  faveur  du  prince  et  mettaient  sa  loi  au-dessus  de  celle  de 
Dieu.  Ils  se  rattachaient  au  parti  des  sadducéens,  comme  les 
esséniens  à  celui  des  pharisiens.  L'Evangile  en  fait  mention 
en  deux  occasions  «. 

Ces  sectes  s'étaient  propagées  avec  d'autant  plus  de  faci- 
lité que  Dieu  n'avait  suscité  aucun  prophète  depuis  Mala- 
chie(420),  et  que  les  multitudes  d'étrangers  qui  s'établis- 
saient dans  la  Judée  apportaient  avec  eux  de  nouvelles 
idées  et  de  nouvelles  mœurs. 

Jérusalem  était  une  ville  de  deux  cent  mille  âmes,  toute 
religieuse,  adoratrice  du  vrai  Dieu,  du  Dieu  unique,  au  mi- 
lieu du  monde  polythéiste  \  Elle  avait  des  centaines  de 

*  Jos.,  A. y  XV,  IX,  3.  —  8  Deut.,  xxviii,  48.  —  3  AxpiêecrraTr)  aipedtç. 
Act.,  xxYi,  5.  Cf.  Joseph.,  ^.,  XIII,  v,  9;  x,  5;  XVII,  ii,  4.  —  *  Joan., 
VII,  48;  Act.,  XXIII,  8;  Jos.,  A.,  XIII,  v,  9;  x,  6;  XVIII,  4.  —  «  Joseph., 
i.,  XVUI,  I,  4;  V,  9;  5.,  II,  viii,  2-13.  Josèphe  initié  à  la  littérature 
grecque,  compare  ies  Pharisiens  aux  Stoïciens,  les  Sadducéens  aux  Epi- 
curiens et  les  Esséniens  aux  Pythagoriciens,  A.^  XV,  x,  4.  —  6  Marc, 
m,  6  et  xu,  13.  —  '^  Ps.  xlvii,  2,  3,  9;  xcviii,  2;  cxxxi,  13;  Matth.,  iv,  5. 

11. 


190  JÉSUS-CHRIST  SELON   l'ÉVANGILE.  [n<*  77 

synagogues,  avec  des  légions  de  prêtres,  de  lévites  et  de  doc- 
teurs. Chaque  année,  aux  grandes  solennités,  son  temple 
attirait,  de  toutes  les  contrées  du  monde,  des  millions  de 
visiteurs  ^  Ses  habitants  ne  s'occupaient  guère  dé  commerce; 
et  s'ils  s'intéressaient  aux  questions  politiques,  c'était  sur- 
tout à  cause  de  leur  rapport  avec  la  loi  et  le  culte  divin. 

*  77.  —  Quel  fut  le  gouvernement  de  la  Judée  pendant  la  vie  du 

Sauveur? 

Hérode  l'Ancien  avait  été  maintenu  près  de  quarante  ans 
sur  le  trône  de  Judée  par  la  volonté  toute-puissante  d'Au- 
guste, dont  il  s'était  fait  le  flatteur  et  le  valet  *.  Il  légua  en 
mourant  son  royaume  à  son  fils  Archelaûs  ;  mais  celui-ci 
dut  se  contenter  du  titre  d'ethnarque  ',  avec  le  gouverne- 
ment du  pays  sous  la  surveillance  de  l'autorité  romaine. 
Bientôt  même  il  se  vit  banni  pour  sa  tyrannie  *,  et  la  Judée, 
réunie  à  la  Syrie,  commença  d'être  gouvernée  par  des  pro- 
curateurs '.  Tel  est  le  titre  donné  par  Tacite  à  Ponce-Pilate, 
qui  fut  placé  à  la  tête  de  cette  province  pendant  dix  ans,  de 
l'an  26  à  l'an  36  *.  Durant  ce  temps,  le  reste  de  la  Palestine 
demeura  dans  les  conditions  où  l'avait  placé  le  testament 
d'Hérode.  Antipas  était,  comme  le  dit  S.  Luc,  tétrarque  de 
la  Pérée  et  de  la  Galilée,  et  Philippe,  tétrarque  de  la  Tracho- 
nitide  et  de  l'Iturée.  En  l'an  39,  Agrippa  I,  petit-fils  d'Hé- 

1  Joseph.,  B.y  m,  m  j  VI,  ix,  3  ;  A.  T.,  n.  345 ;  Infra,  n.  U3.  —  2  Hérode 
ne  négligeait  rien  pour  témoigner  sa  reconnaissance  à  ses  protecteurs 
et  pour  se  les  attacher  de  plus  en  plus.  En  même  temps  qu'il  restaurait 
le  Temple,  dans  la  vue  de  plaire  aux  Juifs,  Joan.,  iv,  20,  il  bâtissait  poar 
les  romains  à  Jérusalem  un  théâtre  et  un  amphithéâtre.  Non  content 
d'y  célébrer  en  Thonneur  d'Auguste  des  jeux  solennels,  comme  on  faisait 
dans  toutes  les  grandes  villes.  Jos.,  A.^  XV,  vin,  1,  2;  XVI,  v,  13;  J5., 
I,  XXI,  8;  il  lui  consacrait  encore  des  temples,  Kaidapeta,  à  Samarie,  à 
Césarée,  à  Panéas  et  en  d'autres  lieux,  A.,  XV,  x,  2;  J5  ,  I,  xxi,  2,  3,  4, 
7.  Dans  Jérusalem  même,  il  lui  dédiait,  à  lui  et  à  son  gendre  Agrippa^ 
des  édifices  plus  somptueux  que  les  temples  les  plus  magnifiques  :  tov 
piev  Kaidapeiov,  tovôs  AyptTCTceiov.  B.\  I,  xxi,  i;  et  dans  toute  la  Palestine 
il  donnait  à  ses  places  des  noms  césariens,  Antonia,  Juliopolis,  Césarée, 
Sébaste,  etc.  —  3  Matth.,  ii,  22;  Jos.,  A,,  XV,  m;  v,  4.  —  *  An  6  do 
J.-C,  après  onze  ans  de  règne.  —  ^  Dion.,  H.  R.,  lv^  27.  —  «  AnnaL, 
XX,  44;  Joseph.,  A.j  XVIII,  m. 


1^  78]      SA  VIE  CACHÉE.  —  DATE  DE  LA  RÉDEMPTION.  191 

rode  par  Aristobule,  recouvra  le  gouvernement  de  la  Judée 
avec  le  titre  de  roi  \  grâce  à  la  faveur  de  Caligula  et  de 
Claude.  Mais  cet  état  de  choses  n'eut  pas  de  durée  ;  à  sa 
mort,  en  44,  le  royaume  de  Judée  fut  réuni  définitivement  à 
la  province  impériale  de  Syrie.  Son  fils  Agrippa  II  hérita  de 
son  titre,  sans  hériter  de  son  domaine  *. 

*  78.  —  Quel  était  Tobjet  des  préoccupations  des  Juifs? 

A  l'inverse  des  autres  peuples,  les  Juifs  virent  toujours 
leur  âge  d'or  dans  l'avenir.  S'ils  aimaient  leur  passé,  c'était 
surtout  parce  qu'ils  y  voyaient  l'annonce  et  le  gage  de  ce 
qu'ils  attendaient.  Or  toutes  leurs  espérances  se  résumaient 
dans  la  venue  d'un  Messie,  qui,  prince  et  pontife  tout  en- 
semble, feraîit  dans  l'ordre  temporel  pour  leur  nation  en 
particulier,  ce  qu'il  devait  faire  comme  rédempteur  pour  le 
genre  humain  dans  l'ordre  spirituel.  L'attente  de  ce  Messie 
était  le  fond  de  leur  culte,  le  principal  objet  de  leur  foi.  Elle 
était  entretenue  par  la  méditation  des  divins  oracles  "  et  par 
la  vue  des  cérémonies  sacrées,  encore  qu'un  grand  nombre 
en  comprissent  peu  le  sens.  A  l'époque  du  Sauveur,  elle  était 
aussi  vive  que  générale  *.  La  domination  étrangère,  dont  on 
portait  le  joug,  en  présageant  l'approche  du  libérateur  *,  en 
faisait  désirer  impatiemment  la  venue  ^  On  savait  que  les 
soixante-dix  semaines  d'années  fixées  par  DanieP  touchaient 
à  leur  terme  *  ;  et  nul  n'était  étonné  d'entendre  Jean-Bap- 
tiste annoncer  l'approche  du  royaume  de  Dieu.  La  foule 
n'hésitait  à  lui  donner  le  titre  de  précurseur  \  Bien  plus, 
les  Gentils  eux-mêmes,  initiés  par  la  version  des  Septante  et 

1  Act.,  XII,  1.  —  2  Act.,  XXV,  13.  —  3  Joan.,  v,  35-46.  Cf.  Mal.,  m,  t  ; 
Agg.,  II,  3,  10  ;  I  Mach.,  iv,  46;  xiv,  41.  —  *  Matth.,  ii,  3,  6,  16;  m,  3, 
5, 15;  XI,  2,  3;  xvii,  10;  xxvi,  63;  Luc,  i,  19,  20,  76;  ii,  25,  26,  36,  38; 
H,  25,  38;  xxii,  66;  xxiii,  51;  xxiv,  21;  Joan.,  i,  19-21,  25,  41,  45;  iv, 
25;  VI,  14,.  26;  vn,  27,  31,  40,  41  ;  x,  24;  xi,  27;  xii,  34;  Act.,  xxviii, 
20,  etc.  —  5  Gen  ,  xlix,  10.  —  «  Marc,  xi,  10;  Luc,  i,  74;  m,  4,  6; 
xnv,  21;  Act.,  i,  6;  xxviii,  20.  Six  mille  Pharisiens,  exaspérés  par  la 
domination  des  étrangers  et  par  les  coutumes  nouvelles  qu'elle  intro- 
daisait  dans  le  pays,  refusèrent  le  serment  à  Auguste  et  à  Hérode. 
Joseph.,  A.,  XVU,  ii,  4,  etc.  —  ^  Dan.,  ix,  25.  —  »  A.  T.,  n.  1061.  — 
*  Matth.,  XI,  10;  Marc,  i,2;  Luc,  i,  17,  76;  vu,  27;  Joan.,  m,  28. 


192  IÉSU8-CHR19T  3EL0^  l'évangile.  [n"  79 

par  lenr  rapports  avec  les  Juifs  à  la  connaissance  des  pro- 
phètes, étaient  dans  l'attente  de  ceqiii  allait  arriver  .-P/uri- 
bus  persuasio  inerat,  dit  Tacite,  au  sujet  de  la  révolte  des 
Juifs  sous  Vespasien,  eo  ipso  tempore  fore  ut  valesceret  Orimu, 
profectique  a  Judœa  rerum  potire»tur\  Suétone  constate 
également  ce  fait  :  Percrebuerat  in  Oriente  loto  vêtus  et  cons- 
tans  opinio  esse  in  fatis  ut  eo  tempore  Judœa  profecti  rerum 
potirentur  •,  Ainsi  le  Sauveur  ne  fut  pas  seulement  l'espé- 
rance d'Israël  ',  il  fut  encore  l'attente  des  nations,  et  lui  seul 
l'a  été,  dit  Origène  *.  C'est  au  moment  flxé  et  à  l'heure 
précise  qu'il  est  venu  dire  au  monde  :  Me  voici,  et  voici  le 
temps  '. 


ARTICLE    II. 
Origln«  divine  du  SanTenr,  Joao.,  i,  1-18. 

Le  Verbe  fut  eh»it.  —  L««  entanU  de  Dien. 

79.  —  Le  début  de  siiiiit  Jean  ne  rappel  le- t--il  pas  celui  de  Moïse 
dans  la  Genèse? 

L'allasion  est  manifeste.  Comme  l'auteur  de  la  Genèse, 
l'évangèliste  se  transporte  à  l'origine  des  choses  :  In  prin- 
cipio.  Mais  tandis  que  Moïse  s'arrête  à  décrire  l'œuvre  de  la 
création,  S.  Jean  s'élève  plus  haut.  Il  dit  ce  qui  était  en 

iTaeit.,  Hi«(.,v,  13.  Cf.  Joseph.,B.,UI,  VKi,  9;  VI.v,  3,  4.—  »  Vila 
Veipaa.,  iv,  3.  —  '  Act.,  ixvm,  20.  -  *  Orig  ,  Cont.  Celi.,  i,  53.  — 
*  Pascal,  Feméei,  Cf.  Gai.,  iv,  4.  Meamain,  Conaaiaance  des  tempt 
éoangHiqim,  ^.  I,  cli.  3,  —  b  Monnaie  d'Hérade  l'Ancien.  D'une  part, 
un  casque  avec  jagulaires;  une  étoile  au-dessus  et  deux  paluies  aui 
cités;  d'autre  part,  nn  aulel  en  forme  de  trépied  avec  un  feu  alluraé; 
&  gaucbe,  la  date  ;  à  droite,  un  jnonogramniQ  ;  autour,  BoaiXeui;  IIpuSou. 
De  Saulcy,  Numiimatiqve  judaïque;  Ann.  de  phil,  ckrel.,  1849, 1850. 


N®  79]      SA  VIE  CACHÉE.  -^  SON  ORIGINE  COMME  VERBE.  193 

Dieu  avant  toute  créature,  ce  qui  a  toujours  été  '.  Avec 
Féternité  du  Verbe  ',  il  affirme  sa  personnalité.  Il  était  en 
Dieu,  non  comme  un  mode  inhérent  à  une  substance,  mais 
comme  un  être  actif  et  intelligent,  comme  une  personne 
consubstantielle  à  une  autre  personne  '.  De  là  ressort  sa 
divinité  et  la  part  qu'il  a  eue  dans  l'action  créatrice  ♦.  Vie 
et  lumière  en  lui-même,  toute  vie  et  toute  lumière,  il  veut 
être  pour  chaque  homme  venant  en  ce  monde  ^  une  source 
de  vérité  et  de  grâces  *. 

Après  avoir  caractérisé  la  mission  du  Précurseur  ^  et  in- 
diqué l'avantage  que  le  genre  humain,  les  Juifs  comme  les 
Gentils,  pouvaient  tirer  de  la  venue  du  Verbe  parmi  nous  •, 
S.  Jean  signale  avec  tristesse  l'accueil  qu'on  lui  a  fait  à  son 
arrivée  sur  la  terre,  £i<;  Ta  tStii,  l'aveuglement  des  hommes, 
et  surtout  l'endurcissement  du  peuple  choisi  '.  Ensuite  il 
énonce  expressément  le  mystère  de  l'Incarnation,  avec  la 
double  nature  du  Sauveur  ;  et  donnant  pour  preuve  de  sa 

'  Attendit  Joannes  cœluin  et  terram.  Volens  dicere  de  Filio  Dei,  atten- 
dit et  transcendit.  Transcendit  nniversam.  sicut  aquila  nubes,  sic  sua 
mente  creaturam  ;  pervenit  ad  illud  quod  majus  est  omnibus  et  dicit  : 
lo  principio  erat  Verbum.  S.  Aug.,  In  Joan.^  xyiii,  6.  Cf.  xxzvi,  1.  Erat, 
erat,  erat;  ecce  quater  erat.  Qùod  crat  in  principio,  non  includitur 
tempore.  Ergo  Arias  conticescat.  S.  Amb.,  de  Fide,  i,  56.  Cf.  Joan., 
ivii,  5.  —  '  Joan.,  i,  1,  2,  3,  15, 18.  Cf.  viii,  58;  Ps.  lxxx,  2;  Col.,  i,  17. 
—  3  Erat  apud  Dcum,  irpo;  tov  Bsov,  ut  alius  apud  alium,  dit  S.  Tiiomas. 
Prspositio  in  signiflcat  quamdam  conjunctionem  intrinsecaro  ;  praepositio 
ajpud  quamdam  conjunctionem  extrinsecam  importât;  idco  per  utramque 
consabstantialitas  in  natura  designatur  et  distinctio  in  pcrsonis.  In 
hinc  loc.  Cf.  I  Joan.,  i,  2.  6eo;  y)v,  et  non  o  Beoç,  pour  ne  pas  identifier 
les  deux  personnes.  L'absence  de  Tarticle  n'indique  nullement  que  le 
mot  Oeoç  soit  pris  dans  un  sens  impropre.  Cf.  Matth.,  iv,  4  ;  v,  9;  vi,  24  ; 
xn,  28;  Joan.,  i,  6,  1?,  13,  18;  I  Thess.,  i,  9.  —  *  Joan.,  i,  3,  2,  10.  Cf. 
V.  19,  26;  Col.,  i,  16  ;  Heb.,  i,  2,  10.  —  s  Cf.  xii,  46.  —  «  Joan.,  i,  4,  5, 
14.  Cf.  vm,  12;  ix,  5;  Luc,  ii,  32;  Act.,  m,  15.  —  "^  Missus  a  Deo,  seu 
apostolus  Dei.  S.  Hier.,  /n  Gai.,  1.  Propter  caecos  lucerna  diei  testimo- 
niam  perhibebat.  S.  Aug.,  Serm.  lxvii,  5.  Quomodo  plerumque  fit  ut  in 
aliquo  corpore  radiato  cognoscatur  ortus  esse  sol ,  quem  oculis  videre 
non  possumus.  In  Joan.,  ii,  7.  Ule  lucerna,  id  est  res  illuminata,  acconsa 
Qt  luceret.  Serm.  gccxli,  2.  Potest  quidem  dici  lumen  Joannes,  sed  illu- 
mioatam,  non  illuminans.  Lumen  illuminans  a  seipso  lumen  est  et  non 
indiget  alio  lumine  ut  lacère  possit,  sed  ipso  indigent  caetera  ut  luccant. 
In  Joan,,  xiv,  1.  —  «  jQan.,  i,  9,  12, 13,  16.  —  »  Joan.,  i,  5,  10,  11. 


194  JÉSUS-CHRIST  SELON   l'ÉVANGILB.  [n<^  80 

qualité  de  Fils  unique  de  Dieu  *  et  de  la  réalité  de  sa  venue 
Téclat  glorieux  qu'il  a  jeté  par  sa  doctrine  et  par  ses  mi- 
racles ',  il  annonce  les  fruits  de  grâce  et  de  vérité  qu'il  veut 
répandre  ici-bas,  en  élevant  au' rang  d'enfants  de  Dieu  •  tous 
ceux  qui  croiront  en  son  nom  et  qui  recevront  de  lui  la  vie 
nouvelle  qu'il  leur  apporte*.  En  finissant,  Tévangéliste 
proclame  la  source  d'où  il  a  tiré  sa  doctrine  et  qui  en  ga- 
rantit la  véracité  ^ 

Ainsi  S.  Jean  pose  en  thèse  au  début  ce  qu'il  répétera 
comme  conclusion  à  la  fin  •,  la  divine  grandeur  de  celui 
dont  il  écrit  l'histoire  ;  c'est  comme  le  piédestal  sur  lequel 
il  veut  qu'on  le  considère.  Ce  prologue  annonce  le  carac- 
tère dogmatique  de  l'évangile  ;  et  l'on  peut  résumer  en  trois 
mots  la  substance  de  l'un  et  de  l'autre  :  personnalité  divine 
du  Sauveur,  funeste  incrédulité  des  Juifs,  foi  docile  et  bénie 
des  premiers  disciples  \ 

On  récite  chaque  jour,  à  la  fin  de  la  messe,  cette  page  de 
S.  Jean  comme  un  mémorial  des  grandeurs  du  Verbe  in- 
carné et  des  fruits  de  son  sacrifice  ®.  On  le  lisait  autrefois, 
en  certaines  églises,  dans  l'administration  du  Baptême  '. 

80.  —  Qu'est-ce  qui  porte  saint  Jean  à  désigner  le  Sauveur  par  ce  nom 
de  Verbe,  que  nul  des  Synoptiques  ne  lui  a  donné? 

S.  Jean  n'appelle  ainsi  le  Sauveur  que  lorsqu'il  le  pré- 
sente comme  Dieu,  ou  plutôt  comme  seconde  personne  de 
la  Trinité,  lorsqu'il  veut  donner  une  idée  de  ses  rapports 
avec  le  Père.  Les  synoptiques  n'ayant  pas  décrit  son  ori- 
gine divine,  et  le  considérant  toujours  comme  uni  à  la  na- 
ture humaine,  il  n'est  pas  étonnant  qu'ils  lui  donnent  de 

1  û;  (i,ovoYcvou;,  14  Cf.  Û;  avÔçwTCo;  Phil.,  n,  7;  Marc,  i,  22;  I  Cor., 
IV,  1  ;  Philem.,  9.  —  *  E<nt7iva)<rac  ev  ujitv,  i,  14.  Cf.  Is.,  ix,  1,  2;  Agg., 
II,  6;  Zac  ,  i,  17;  ii,  14;  viii,  3;  xiii,  1;  Mal.,  m,  1.  —  ^  Cf.  Rom., 
VIII,  15;  Eph.,  i.  5.  —  *  Joan  ,  i,  3,  14.  Cf.  Jac,  i,8;  I  Pet.,  i,  3,  23.  — 
8  Joan..  I,  18.  Cf.  vi,  46;  Heb.,  i,  1;  I  Joan.,  i,  1.  —  *  Joan.,  xx,  28,  31. 
—  f  Bossuet,  Elév.  xi.  Semaine  xii.  Supra^  n.  69.  —  *  Depuis  la  réforme 
de  S.  Pie  V.  —  9  Quod  initium  sancti  Evangelii,  quidam  Platonicus, 
sicut  a  sancto  sene  Simpliciano  solebamus  audire,  aureis  litteris  coqs- 
cribcndum  et  per  omnes  ecclesias  in  locis  eminentissimis  ppoponendum 
esse  dicebat.  S,  Aug.,  De  civ»  Dei.,  x,  29. 


N<>  80]      SA  VIE  CACHÉE.  —  SON  ORIGINE  COMME  VERBE.  195 

préférence  le  nom  qu'il  portait  ici-bas  et  qui  indique  le  but 
de  sa  mission  sur  terre. 

Quant  au  choix  de  ce  mot,  Verbum,  Asvo;,  S.  Jean  ne  Ta 
pas  fait  au  hasard,  ni  d'une  Aanière  arbitraire. 

("Il paraît  lui  avoir  été  révélé.  Que  le  Fils  de  Dieu  Tait 
fait  connaître  à  S.  Jean  avant  de  sortir  de  ce  monde,  ou  que 
la  révélation  en  ait  été  faite  à  cet  Apôtre  au  moment  où  il 
écrivait  l'évangile,  c'est  ce  que  rien  ne  détermine  avec  cer- 
titude; mais  nous  savons  qu'à  Patmos,  S.  Jean  reçut  des 
assurances  particulières  à  cette  égard  :  Vocatur  nomen  ejus 
Yerbum  Dei  *. 

2"  Certains  passages  de  l'Ancien  Testament  pouvaient 
suffire  pour  en  suggérer  Tidée*.  Dans  ces  textes,  la  créa- 
tion est  attribuée  au  Verbe  ou  à  la  parole  de  Dieu.  Ce  Verbe 
est  personnel.  Il  s'identifie  avec  la  Sagesse  ',  et  avec  l'Ange 
de  Dieu  *.  Quoi  d'étonnant  qu'au  temps  du  Sauveur  ce  mot 
fût  employé  chez  les  Juifs  pour  désigner  le  Fils  éternel  du 
Père?  S.  Paul  paraît  sanctionner  cet  usage,  aussi  bien  que 
S.  Jean,  en  parlant  de  la  parole  de  Dieu  vivante  et  agissante, 
gui  discerne  les  pensées  de  l'esprit  et  les  intentions  du  cœur  *. 
Aussi  la  difficulté  pour  l'évangéliste  n'était  pas  de  faire  re- 
connaître aux  Juifs  qu'il  y  a  en  Dieu  un  Verbe  personnel  et 
tout-puissant,  mais  de  les  convaincre  que  Jésus  était  ce 
Verbe. 

3"  D'ailleurs,  la  connaissance  de  la  doctrine  révélée  sur 
les  trois  personnes  divines  étant  donnée,  le  nom  de  Verbe 
ne  devait-il  pas  s'offrir  de  lui-môme  à  l'esprit  pour  désigner 
la  seconde  ?  Les  rapports  du  Père  avec  le  Fils  ont  une  ana- 
logie frappante  avec  ceux  qui  existent  entre  notre  esprit  et 

*  Apoc,  XIX,  13.  Cf.  I  Joan.,  i,  1;  v,  7.  —  2  Gen.,  i,  3;  Exod.,  xxiii, 
20,  21;  Ps.  XXXII,  6;  cvi,  20;  cxviii,  89;  cxlvii,  15;  Prov.,  viii,  22,  31  ; 
Sap.,  vil,  22-30  ;  xviii,  15;  Éccli.,  xxiv,  5;  Isai.,  lv,  11.  —  3  Sap.,  vu, 
24-30;  viii,  1-4;  Eccli.,  i,  4;  viii,  I-IO;  ix,  1,  9.  —  *  Gep.,  xxviii,  11-22; 
xxxii,  24-30;  Exod.,  m,  2-6;  v,  4;  xxxiii,  12,  20;  Jos.,  v,  13-1;  vi,  2; 
Isai.,  Lxiu,  9;  Malac,  m,  1.  —  s  Hebr.^  iv,  lî.  Quoiqu'il  ait  écrit  qua- 
rante ans  plus  tôt,  S.  Paul  n'est  pas  moins  exprès  que  S.  Jean  sur  la 
divinité  de  Notre  Seigneur,  dans  ses  Epîtres  aux  églises  d'Asie  et  aux 
Hébreux.  Supra,  n.  21,  69. 


196  JÉSUS-CHRIST  SELON   l'ÉVANGILE.  [N<»  80 

notre  parole  ou  notre  verbe.  Le  Fils,  le  Verbe  incréé,  est 
l'expression  parfaite  du  Père,  son  image  vivante*;  image 
spirituelle  et  invisible  par  elle-même^  devenue  visible  et 
corporelle  par  l'incarnation.  Gonsubstantiel  à  son  principe 
et  aussi  essentiel  que  lui,  il  existe  avec  lui  de  toute  éternité 
et  ne  peut  exister  sans  lui.  Il  habité  en  lui,  et  lors  môme 
qu'il  est  envoyé  et  produit  au  dehors,  il  ne  cesse  pas  de  de- 
meurer en  lui.  N'en  est-il  pas  de  même  de  notre  parole  ou  de 
notre  verbe  par  rapport  à  notre  âme  ?  C'en  est  l'expression 
naturelle  et  l'image  vivante  :  imago  viva  mentis  cogitantvs. 
Etre  naturellement  pensant,  sitôt  que  je  pense,  je  me  parle 
à  moi-même,  je  prononce  une  parole.  Cette  parole  émanede 
mon  intelligence  et  participe  à  sa  nature.  Elle  est  de  moi, 
en  moi,  et  en  quelque  sorte  moi-même.  Distincte  de  mon 
esprit,  lors  même  qu'elle  y  est  renfermée,  elle  n'en  sort  pas 
quand  elle  s'exprime  ou  se  produit  au  dehors  '.  On  voit 
combien  il  était  naturel  d'appeler  le  Fils  de  Dieu,  la  Parole 
du  Père.  Quel  terme  plus  propre  à  en  donner  l'idée?  N'est- 
ce  pas  désigner  la  copie  pour  faire  concevoir  le  modèle? 

S.  Jean  n'avait  donc  pas  d'emprunt  à  faire,  ni  à  Platon 
(429-348),  ni  à  Philon  (t  45).  Et  que  leur  aurait-il  emprunté? 
—  Si  Platon  parle  de  Aoyoç  dans  sa  théorie  de  la  création  ou 
plutôt  de  la  disposition  originelle  des  choses,  il  donne  à  ce 
terme  un  sens  fort  différent  de  celui  de  S.  Jean.  Le  Aoyo; 
du  philosophe  grec  n'est  pas  une  personne,  mais  une  abs- 
traction, la  raison  de  Dieu,  réceptacle  de  toutes  ses  idées  : 
il  n'a  pas  conscience  de  son  existence.  —  Il  en  est  de  même 
de  celui  de  Philon,  autant  qu'on  peut  saisir  la  pensée  de  cet 
auteur,  dans  les  nuages  de  ses  allégories.  Philon  ne  le 
nomme  pas  Dieu,  le  vrai  Dieu  ;  il  ne  l'identifie  pas  avec  le 
Messie.  Du  reste,  s'il  avait  une  vraie  connaissance  du  Verbe 
personnel,  on  devrait  penser  qu'il  l'a  puisée  aussi  dans  la 
révélation,  c'est-à-dire  dans  les  écrits  des  prophètes  et  dans 
les  traditions  de  leurs  écoles. 

1  Heb.,  I,  3.  Vorbum  dicitur  quia  ita  se  habet  ad  Patrem  ut  sermo  ad 
mentem.  S.  Greg.  Naz.,  Ot^at.  xxxvi.  Cf.  Ginoulhiac^  fjis^,  dy,  dogme,^ 
p.  1;  1.  VI,  1,  7;  1.  XII,  9,  10.  -  «  Cf.  Ps.  iv,  5. 


N»  8i]      SA  VIE  CACHÉE.  —  SON  ORIGINE  COMME  VERBE.  197 

81.  —  Le  Verbe  étant  égal  au  Père,  comment  saint  Jean  peut-il  dire 
que  le  Père  a  tout  fait  par  lui  :  per  ipsum^  i,  3? 

1.  Quand  saint  Jean  dit  que  le  Père  a  tout  fait  par  son 
Verbe,  il  ne  l'entend  pas  en  ce  sens  que  le  Père  aurait  agi 
sans  la  coopération  du  Verbe,  ou  que  le  Verbe  aurait  moins 
agi  que  lui,  ou  que  son  action  aurait  été  moins  libre,  ou 
qu'elle  se  serait  exercée  plus  tard  ;  mais  il  le  dit  et  on  l'a 
toujours  entendu  dans  ce  sens  que  l'action  du  Verbe  dans 
la  création,  comme  dans  toute  œuvre  ad  extra,  a  été  subor- 
donnée ou  plutôt  subséquente  à  celle  du  Père  ;  de  manière 
que,  sans  qu'il  y  ait  aucune  différence  de  temps,  elle  s'inter- 
pose néanmoins  et  tient  un  certain  milieu,  dans  nos  idées, 
entre  la  volonté  du  Père  et  sa  réalisation  extérieure  *.  Ce 
qui  résulte  de  cette  expression,  c'est  que  l'action  créatrice, 
tout  en  étant  commune  aux  trois  personnes,  n'est  pas  triple 
pour  celaj  que  le  Fils  n'agit  pas  d'une  manière  collatérale 
ou  parallèle  à  celle  du  Père,  mais  qu'il  opère,  comme  se- 
conde personne,  secondairement,  par  l'action  môme  du 
Père,  duquel  il  tient  tout  ce  qu'il  a,  et  qui  ne  peut  rien 
faire  qu'avec  lui  et  par  lui  *. 

IL  Si  la  volonté  du  Fils  est  subordonnée  à  celle  du  Père, 
ce  n'est  dotic  pas  par  infériorité,  mais  en  vertu  de  ce  prin- 
cipe, que  tout  ce  qui  est  dans  le  Fils,  les  idées  et  les  opéra- 
tions aussi  bien  que  la  nature,  est  originaire  du  Père  '.  La 
nature  divine  ayant  sa  source  dans  le  Père  et  étant  par  lui 
communiquée  au  Fils,  il  en  doit  être  de  même  des  actes  : 
car  ce  n'est  pas  par  leur  personnalité,  mais  par  leur  nature 
que  les  personnes  divines  agissent.  Ainsi,  parce  que  le  Fils 
est  personnellement  subordonné  au  Père  *,  il  ne  peut  agir 
que  subséquemment  au  Père  ;  et  parce  que  le  Père  engendre 
éternellement  son  Fils,  il  ne  peut  faire  aucune  œuvre  exté- 
rieure qu'avec  «on  Fils  et  par  son  Fils  :  per  ipsum.  C'est  par 

*  Cf.  Euseb.,  Prsep.  evang.,  vu,  5.  —  '  Gf.  Col.,  i,  16  ;  Heb.,  i,  2.  Quid- 
qnid  Filius  habet  ut  faciat,  a  Pâtre  habet  ut  faciat,  quia  ex  Patrc  habet 
Dt  possit,  a  Pâtre  habet  ut  sit.  S.  Aug.,  In  Joan.j  xx,  4.  —  3  Deus  de 
Dec,  luQien  de  luinine.  —  ♦  0  wv  icgtpa  tov  6eov,  Joan.,  v,  46, 


198  JÉSUS-CHRIST  SELON   l'ÉVANGILE.  [n<>  82 

là  qu'on  explique  plusieurs  paroles  de  Notre  Seigneur  :  A 
meipso  non  loquor,.,  A  meipso  non  fado  quidquam  *,  etc.  Le 
Fils  n'est  pas,  comme  le  Père,  principium  sine  principio,  «  Il 
n'est  pas  de  lui-même,  dit  Bossuet  ;  autrement  il  ne  serait 
pas  Fils.  Il  ne  parle  donc  pas  de  lui-même.  Il  dit  ce  que  son 
Père  lui  dit.  Son  Père  lui  dit  tout  en  l'engendrant  *.  » 

82,  •—  Que  signifient  ces  mots  :  In  ipsa  vita  erat,  et  vita  çrat  lux 
hominum..,  Erat  luo  vera^  etc?  i,  4,  9, 

In  ipso  vita  erat,  —  Quand  S.  Jean  dit  la  vie,  iq  Zwy;,  il 
entend  toujours  la  vie  de  Dieu  et  des  amis  de  Dieu,  cette 
vie  supérieure  que  Dieu  nous  donne  au  baptême,  qui  nous 
rend  ses  enfants,  qui  nous  destine  et  nous  dispose  à  le  con- 
naître, à  l'aimer,  à  le  posséder  d'une  manière  surnaturelle 
dans  l'éternité.  Toute  autre  vie,  la  vie  rationnelle  même, 
n'est  rien  dans  son  estime,  en  comparaison  de  celle-là. 
Nomen  habes  quod  vivas  etmortuus  est^  dit-il  au  pécheur,  qui 
en  est  privé  '.  Cette  vie  surnaturelle,  nous  l'avons  perdue 
par  le  péché;  mais  elle  nous  est  rendue  par  Notre  Seigneur 
Jésus-Christ.  Il  en  possède  la  plénitude,  non  seulement 
comme  Verbe,  en  sa  nature  divine,  mais  encore  comme 
Sauveur,  en  son  humanité;  car  son  âme  a  de  quoi  remplir 
à  cet  égard  la  capacité  de  tout  être  créé;  et  nulle  créature 
n'en  peut  recevoir  la  moindre  mesure,  que  lui-même  ne  la 
possède  déjà  et  d'une  manière  incomparablement  plus 
parfaite*. 

Et  vita  erat  lux  hominum.  —  Cette  vie  est  la  lumière  des 
âmes.  En  les  éclairant,  elle  les  anime  ;  elle  les  orne  d'une 
beauté  céleste  ;  et  Notre  Seigneur  nous  en  fait  part  en  même 
temps  qu'il  nous  associe  à  sa  dignité  de  Fils  du  Père  éternel  ^ 

Erat  lux  vera  qui  illuminât  omnem  hominem.  —  La  vraie 

1  Joan.,  V,  19,  26,  30;  vu,  16,  17;  viii,  28;  xiv,  10.  —  2  Cf.  Joan., 
Bossuet,  Serm.  pour  la  Trinité  y  2«  p.  xvi,  14,  15.  —  3  Apoc,  iii,  1. 
C'est  pour  la  mémo  raison  que  le  Saint-Esprit  est  dit  simplement  vivi- 
fiant. —  *  Cf.  Joan.,  III,  15,  16,  36;  iv,  14;  v,  24,  40;  vi,  40,  47;  viii,  12; 
X,  28,  XI,  25,  26;  xii,  50;  xiv,  6,  19;  xvii,  3;  Act.,  m,  15;  Rom.,  v,  18; 
Il  Cor.,  IV,  10;  Col.,  m,  3;  I  Tim.,  i,  16;  II  Tim.,  i,  10;  I  Joan.,  i,  2;  v, 
U,  12,  20.  —  8  Joan.,  i,  9;  viii,  12, 


N<>  84 1      SA  VIE  CACHÉE.  —  SON  ORIGINE  COMME  VERBE.  199 

lumière,  celle  qui  éclaire  et  qui  vivifie,  ce  n'est  pas  Jean- 
Baptiste,  mais  Jésus-Christ,  le.  Verbe  fait  chair,  qui  en  est  le 
principe.  Le  premier  n'a  brillé  qu'un  instant  dans  la  Judée 
pour  annoncer  l'Homme-Dieu  ;  le  second  remplit  de  sa  lu- 
mière l'univers  entier,  et  il  n'est  pas  un  homme  sur  la  terre 
qui  ne  soit  à  même  de  s'éclairer  de  ses  rayons  et  de  marcher 
à  sa  clarté  *. 

33.  —  Pourquoi  saint  Jean  rapproche-t-il  ces  deux  faits  :  rincamatioa 
du  Verbe  et  la  régénération  de  rhommei  ou  sa  vocation  k  la  dignité 
d'enfant  de  Dieu? 

Parce  que,  d'après  les  desseins  de  Dieu,  il  fallait  que  le 
Verbe  s'incarnât,  se  fît  homme  et  devînt  notre  Sauveur, 
pour  qu'il  nous  fût  possible  de  nous  incorporer  à  lui,  d'en- 
trer en  participation  de  sa  vie  divine,  d'être  associés,  autant 
que  des  créatures  en  sont  capables,  à  sa  dignité  de  Fils 
unique  du  Père  *.  Ainsi  ces  deux  mystères  sont  unis,  et  le 
second  est  le  résultat  du  premier.  Avec  le  Sauveur  com- 
mence une  nouvelle  génération,  une  nouvelle  race,  un  nou- 
veau règne,  xatvrj  xitaiç*.  t  Les  trois  grands  règnes  de  la 
nature,  minéral,  végétal,  animal,  s'étaient  développés  suc- 
cessivement sur  notre  globe;  puis  étaif  survenu  le  règne 
de  l'homme,  roi  de  la  terre  :  voici  maintenant  le  règne  de 
Dieu  et  des  enfants  de  Dieu  *  !  » 

84.  —  Qu'est-ce  que  devenir  enfant  de  Dieu,  et  à  qui  appartient  cette 

dignité,  Joan.,  i,  12? 

Dans  la  société  civile,  être  adopté  par  quelqu'un,  c'est 
entrer  dans  sa  famille,  c'est  prendre  rang  parmi  ses  enfants 
ou  lui  en  tenir  lieu  et  acquérir  un  droit  plus  ou  moins 
étendu  sur  son  héritage.  Dans  l'ordre  surnaturel,  devenir 
enfant  de  Dieu  ou  être  adopté  par  lui,  c'est  quelque  chose 
de  plus  :  c'est  être  incorporé  à  l'Homme-Dieu,  ou  devenir 
un  de  ses  membres;  c'est  être  initié  à  sa  vie  divine,  avoir 

*  Luc,  I,  78,  79;  ii,  32;  Joan.,  xvii,  2.  Cf.  S.  Aug.,  In  Joan.,  i,  19  et 
n,  lî.  -  2 II  Pet.,  I,  4.  —  3  Gai.,  vi,  15.  Cf.  II  Cor.,  v,  17.  —  *  Gratiy, 
*Mr  S.  Malih,  Cf.  S,  Aug«,  In  Joan.^  ii,  15. 


200  JÉSUS-CHRIST  SELON   l'ÉVANGILE.  [n*'  84 

part  à  son  esprit  et  à  ses  mérites;  c'est  être  appelé  à  parta- 
ger son  héritage,  c'est-à-dire  sa  gloire  et  son  bonheur*. 

«  Dieu  ne  peut  engendrer  qu'un  Fils^  dit  S.  Augustin; 
mais  il  veut  que  ce  Fils  ait  des  frères,  et  il  lui  en  donne,  en 
nous  adoptant  pour  enfants*.  »  Cette  dignité  nous  vient  avec 
la  grâce  sanctifiante,  dans  la  justification  '  ;  et  la  justification, 
en  dehors  du  sacrement,  s'obtient  en  s'attachant  au  Sauveur 
par  un  acte  de  foi  animé  d'une  vraie  charité*.  La  faculté  de 
devenir  enfant  de  Dieu,  r^  uicôiaix^,  est  donc  offerte  à  tous, 
sans  exception,  aussi  bien  que  là  foi®.  Tous  les  hommes, 
Juifs  ou  Gentils,  ont  pu  acquérir  cette  dignité  dans  tous  les 
temps,  mais  toujours  avec  dépendance  de  l'.Homme-Dieu,  à 
qui  elle  appartient  essentiellement,  éminemment,  et  toujours 
à  condition  de  croire  en  lui  et  de  se  confier  en  sa  médiation^ 
Il  est  vrai  qu'en  certains  endroits,  S.  Jean  et  S.  Paul  semblent 
dire  que  la  grâce  de  l'adoption  était  réservée  aux  chrétiens; 
mais  c'est  pour  faire  remarquer  qu'elle  est  le  fruit  de  l'In^ 
carnation,  et  parce  qu'ils  regardent  comme  chfétienis  tous 
ceux  qui  ont  cru  en  Jésus-Ghrist,  soit  avant  sa  naissance, 
soit  après,  de  môme  qu'on  dit  éclairés  du  soleil  tous  ceux 
qui  participent  à  sa  lumière,  avant  comme  après  son 
lever*. 

1  s.  Th.,  p.  2,  q.  23,  a.  1.  Infra,  n.  358..—  ^  Unicùm  Dcus  genuit, 
sed  unum  esse  noluit.  Fecit  ei  frâtres,  non  ,gignendo  sed  adoptando. 
Fecit  ei  cohaeredes.  S.  Aug.,  In  Ps.  lxvi,  9.  —  3  Per  hœc  efftcimar  di- 
vinae  consortes  naturse.  II  Pet.,  i,  4.  Cf.  Rom  ,  viii,  15-17,  23;  Gai.,  iv, 
5-7;  Eph.,  1,3-8;  Hcb.,  ii,  10.  —  *  Statim  ut  quis  inseritur  et  adhœ- 
rescit  Christo,  a  Spiritu  Ghristi  qui  est  ejus  divinitas,  veluti  animatur 
et  vivificatur,.  ac  proindo  efficitur  filius  Dei.  Quicumque  enim  Spiritu 
Dei  aguntur^  hi  sunt  filii  Dei.  Eodem  enim  Spiritu  vivunt  quo  Deus 
ipse  et  quo  Christus  Filius  Dei  naturalis  vivit,  etsi  hic  Spiritus  diverse 
modo  istis  communicetur.  Lessius,  de  Perf,  divin.,  xii,  11,  n.  74.  /n/ra, 
n.  592.  —  8  Gai.,  iv,  5.  —  «  Joan.,  i,  12.  —  '  Teiûpora  variata  sunt, 
non  fidcs.  S.  Àug.,  In  Joan.,  xlv,  9.  Olim  salvi  facti  sunt  credendo  quia 
veniet,  sicut  nos  credendo  quia  venit,  de  Catec.  rud.,  28.  Epist.  clvii,  14. 
Cf  Matth.,  VIII,  li  ;  Joan.,  m,  15;  Act.,  xv,  11  ;  Rom.,  m,  22;  Gal.,ii,  16; 
IV,  5,  ô;  I  Joan.,  v,  1  ;  S.  Thom.,  1*2»,  q.  106,  a.  1,  ad  3;  2*2»,  q.  2, 
a.  7;  p.  3,  q.  52.  a.  5,  ad  2;  q,  68,  a.  1,  ad  1.  —  *  Par  exemple,  Job, 
Mclchisédech,  Abimolech,  les  Ninivitcs  réellement  convertis,  etc.  Non- 
dura  nomine,  sed  reipsa  Christiani.  S.  Aug.,  Ad  Boni f.,  m,  11.  Prae- 
cesserunt  adventum  Ghristi  quedam  membr$i  Ghristi,  sicut  ia  Qascentc 


N*»  88]      SA  VIE  CACHÉE.  —  SON  ORIGINE  COMME  VERBE.  20l 

Au  reste,  rien  n'empêcherait  de  voir  dans  ce  titre  d'en- 
fant de  Dieu  un  privilège  de  l'Eglise  chrétienne  ;  car  pour 
les  membres  de  l'Eglise,  cette  dignité  est  réellement  comme 
un  bien  propre  et  naturel.  Ils  en  jouissent  dès  leur  naissance, 
sans  aucun  acte  de  leur  part;  et  pour  entrer  en  possession 
de  la  gloire  du  Sauveur  dès  l'instant  même  de  leur  mort,  il 
suffit  qu'ils  n'aient  pas  mis  volontairement  obstacle  à  leur 
félicité  K 

*  85.  —  Quel  est  le  sens  de  ces  mots  :  Qui  non  ex  sangui- 

nibus,  etc.  13? 

S.  Jean  oppose  à  la  descendance  naturelle,  à  la  génération 
charnelle  qui  fait  l'orgueil  des  enfants  d'Abraham  ',  la  régé- 
nération surnaturelle,  sacramentelle,  céleste  des  enfants  de 
Dieu.  La  génération  charnelle,  à  laquelle  toute  l'humanité, 
le  peuple  d'Israël  comme  les  autres,  doit  son  existence  a  sa 
source,  sa  cause  matérielle  dans  les  éléments  du  sang,  in 
mnguinibus.  Elle  a  pour  mobile  la  passion  déréglée  ou  l'ins- 
tinct aveugle  des  sens,  voluntas  carnis^  tout  au  plus  une 
volonté  humaine  éclairée  par  la  raison  :  voluntas  viri.  La 
génération  chrétienne,  au  contraire,  celle  qui  donne  nais- 
sance au  peuple  nouveau,  a  pour  principe  Dieu  lui-même  et 
sa  divine  charité  :  Ex  Deo  nati  sunt^  13-  Voluntarie  genuit 
nos  verbo  veritatis  •.  L'Esprit  de  Dieu  répand  sa  lumière 
dans  nos  âmes,  et  si  nous  adhérons  sans  réserve  à  sa 
parole,  nous  entrons  en  participation  de  sa  vie  et  nous 
devenons  ses  enfants*.  Qui  ne  sent  quelle  distance  il  y  a 
de  l'esprit  à  la  chair,  de  la  vie  de  Dieu  à  celle  de  l'homme 
déchu M 


qaodam,  Gen.,  xxxviii,  27-30,  nondum  qaidem  précédente  capite,  prœ- 
cessit  manus  sed  tamen  caplti  connectebatur  et  manus.  In  Psalm,  lxi,  4. 
*  il  Cor.,  V,  6^;  Heb.,  xi,  39,  40.  Cf.  Joan.,  m,  21  ;  Rom.,  viii,  15-17; 
Gai.,  nr,  1-7;  Jac,  i,  8;  I  Pet.,  m,  22;  I  Joan.,  m,  1,  2,  9;  v,  1.  Cf. 
Lessius,  De  perfecl.  div.^  xii,  18.  —  ^  Joan.,  viii,  39.  —  8  jac,  i,  18.  — 
^  Joao.,  I,  12,  13.  Sicat  homincs  non  nascerentur  injusti,  nisi  ex  seminc 
Ad»  propagarentur,  ita  nisi  in  Christo  renascerentur  justi  non  cfflce- 
rentur.  Conc.  Trid.,  Se$8.  vi,  3.-5  Joan.,  m,  6.  Cf.  S.  Aug.,  In  Joan., 
n,  14, 15. 


i02  JÉSUS-CHRIST   SELON   l'ÉVANGILE.  [n<>  87 

*  86.  —  Verbum  caro  factum  est^  i,  14.  Quelles  sont  les  hérésies 

condamnées  par  ce  verset? 

Ce  verset  condamne  toutes  les  hérésies  qui  ont  nié  ou 
l'humanité  du  Sauveur,  ou  sa  divinité,  ou  l'union  de  la 
divinité  et  de  Thumanité  en  la  personne  du  Verbe.  Les  do- 
cètes  disaient  :  Le  verbe  ne  s'est  fait  homme  qu'en  apparence; 
Ebion  :  Jésus  n'est  qu'un  homme;  Arius  :  C'est  plus  qu'un 
homms,  mais  il  n'est  pas  Dieu;  Cérinthe  :  L'union  de  l'huma- 
nité et  du  Verbe  en  Jésu^  n'a  été  qu'un  accident  transitoire. 
Nestorius  :  Le  Verbe  s'est  uni  à  un  homme  de  l'union  la  plus 
étroite,  mais  sans  se  faire  homme;  Eutychès  :  L'homme  a  été 
absorbé  dans  sa  divinité.  S.  Jean  prononce  :  Le  Verbe  s'est 
fait  chair;  il  est  uni  à  une  nature  humaine  de  manière  à 
n'être  plus  qu'une  seule  personne  avec  elle  *. 

En  disant  :  Verbum  caro  factum  est,  S.  Jean  entend  par 
caro  toute  l'humanité  du  Sauveur,  mais  il  la  considère  dans 
le  sein  de  sa  mère,  au  premier  moment  de  son  existence, 
au  suprême  degré  de  l'abaissement  et  de  l'infirmité. 

87.  —  Que  signifient  ces  mots  :  Gratta  et  veritas  per  Jesum 

Christum.iy  17? 

Plusieurs  auteurs  disent  que  gratia  et  veritas  est  un  hé- 
braïsme,  équivalant  à  gratia  vera,  comme  spiritus  et  ignis 
équivaut  à  spiritus  ignitus  '.  Mais  il  est  vraisemblable  que 
S.  Jean  a  pris  ces  deux  mots  dans  leur  sens  ordinaire,  afin 
d'opposer  le  christianisme  à  la  loi  de  Moïse,  comme  grâce 
et  comme  révélation  à  la  fois  *.  Sa  pensée  n'est  pas  qu'avant 
Jésus-Christ  il  n'y  ait  eu  ici  bas  ni  vérité  révélée  ni  grâce; 
il  veut  dire  seulement  que,  sous  ce  double  rapport,  l'An- 
cien Testament  est  très  inférieur  au  Nouveau;  que  le  règne 
de  Moïse  était  le  règne  du  commandement,  de  la  loi,  du 
châtiment,  tandis  que  le  règne  du  Sauveur  est  proprement 
celui  de  la  grâce  et  de  la  révélation,  de  la  vie  et  de  la  lu- 
mière, 4  *.  Le  sens  de  ces  paroles  s'éclaircit  par  ce  qui  pré- 

1  Cf.  s.  Thom.,  p.  3,  q.  16,  a.  6.  —  a  Supra,  n.  38.  —  »  Cf.  Joan.,  i,  14. 
—  *  Justiiia  fidei  non  pro  merito  datur  hominibus  sed  pro  misencorîdia; 


N«  88]     SA  VIE  CACHÉE.  —  CONCEPTION  DU  PRÉCURSEUR.  203 

cède  et  par  ce  qui  suit.  Moïse,  étant  homme  comme  nous  et 
n'ayant  jamais  vu  Dieu,  18  S  ne  possédait  qu'une  petite 
mesure  de  connaissances  et  de  grâces  :  il  n'a  pu  contenter 
qu'en  partie  notre  esprit  et  notre  cœur  ;  mais  Jésus-Christ 
étant  le  Fils  de  Dieu,  engendré  par  lui  et  toujours  habitant 
en  lui,  voit  à  découvert  tous  les  mystères  et  possède  tous  les 
biens,  16, 18,  Ayant  donc  en  plénitude  la  lumière  et  la  grâce, 
il  peut  nous  les  communiquer  sans  mesure  et  rassasier  tous 
nos  désirs  :  Ek  tcu  ir>sY)p(i)ii.aTOç  auTou  Y;txîtç  xavieç  6Aa6ofjL£v  •. 
Par  ce  mot  :  Nous,  HiJistç  luavîeç,  16,  l'Evangile  entend  les 
chrétiens  baptisés,  d'origine  païenne  pour  la  plupart  :  il  les 
oppose  aux  disciples  de  la  synagogue,  si  fiers  de  leur  ori- 
gine, mais  si  pauvres  de  véritables  biens  •. 

ARTICLE   III. 
Conception  de  saint  Jean-Baptiste,  Luc,  i,  5-25. 

*  88.  —  Zacharie  :  quelle  était  sa  dignité  et  quelle  fonction 

remplissait-il  ? 

Zacharie  était  un  simple  prêtre  ou  sacrificateur  de  la  race 
d'Aaron,  tout  au  plus  chef  de  la  classe  d'Abias  *.  On  sait 
qu'au  teiùps  de  David  il  y  avait  vingt-quatre  familles  de 
prêtres,  descendants  d'Eléazar  et  d'Ithamar,  fils  d'Aaron. 
Ces  familles  se  succédaient  de  semaine  en  semaine  dans  le 
service  du  temple.  Celle  d'Abias  était  la  huitième  ^  Après  la 
captivité,  il  fut  impossible  de  reconstituer  les  vingt-quatre 
familles;  mais  de  la  totalité  des  prêtres  survivants,  on 
forma  vingt-quatre  classes  nouvelles  ou  éphéméries  de 
prêtres  auxquelles  on  donna  le  nom  des  familles  anciennes. 
Ces  prêtres  avaient  diverses  fonctions  qui  se  tiraient  au  sort 
entre  ceux  d'une  même  classe.  Ils  devaient  immoler  les  vic- 

ct  gratia  Dei  non  erat  popularis,  antequam  Dominus  intcr  homines  nas- 
ceretur.  S.  Aug.,  In  Gai. y  m,  20.  C'est  la  doctrine  que  saint  Paul  établit 
daos  ses  Epitres  aux  Romains,  aux  Galates  et  aux  Hébreux. 

*  Cf.  Exod  ,  xxxiu,  18-20.  —  2  Cf.  I  Cor.,  vi,  17;  Col.,  i,  19;  11,  9; 
Epli.,  I,  22,  23  ;  iv,  7, 15.  —  3  Joan.,  i,  13.  Cf.  S.  Thom.,  p.  3,  q.  7,  a.  7, 
ad  1;  a.  9  et  a.  10  et  12.  —  *  Luc,  i,  8,  9.  —  s  I  Par.,  xxiv,  7-10.  Cf. 
IV  Reg.,  XI,  9;  1  Par.,  ix,  25;  Joseph.,  A.,  VII,  xv,  7. 


204  jÉsus-dURist  SeLoN  L^ÉVANGiLË.  [n<>90 

times,  entretenir  les  lampes  \  renouveler  les  pains  de  pro- 
positions', offrir  l'encens ',  etc. 

L'autel  des  parfums  était  près  du  Saint  des  saints,  mais 
en  deçà,  dans  l'enceinte  qu'on  nommait  le  Saint,  avec  le 
chandelier  d'or  et  la  table  des  pains  de  proposition.  Cette 
enceinte  était  fermée  en  avant  par  un  premier  voile  *.  L'en- 
cens y  était  offert  matin  et  soir.  Pendant  l'oblation,  le  peuple 
se  tenait  dehors,  dans  le  parvis  ou  la  partie  antérieure  du 
temple  ^  Les  jours  de  sabbat  surtout,  il  devait  y  avoir  foule; 
mais  le  voile  qui  séparait  le  parvis  du  Saint  dérobait  aux 
regards  le  prêtre  qui  s'acquittait  de  cette  fonction  *. 

*  89.  —  Pourquoi  les  plus  grands  personnages  de  l'Ancien  Testament 

sont-ils  nés  par  miracle  de  personnes  stériles? 

En  voulant  que  les  principaux  personnages  du  peuple  de 
Dieu  naquissent  par  miracle,  Dieu  s'est  proposé  plusieurs 
fins.  Il  avait  en  vue  :  —  l""  De  rendre  plus  certaine  et  plus 
frappante  l'action  de  la  Providence  sur  eux.  —  2**  De  les 
pénétrer  de  cette  vérité  qu'ils  devaient  leur  existence  au 
Seigneur  et  qu'ils  étaient  plus  obligés  que  personne  à  lui 
consacrer  leur  vie.  —  3**  Surtout  d'en  faire  des  figures  plus 
complètes  de  Celui  qui  devait  naître  d'une  vierge  et  n'avoir 
pas  de  Père  sur  la  terre  "^ . 

*  90.  —  Qu'est-ce  que  saint  Jean-Baptiste  eut  de  commun  avec  Elie  et 

pourquoi  dut-il  s'interdire  toute  liqueur  enivrante?  Luc,  i,  i6-17. 

L  Ce  qu'il  a  de  commun  avec  le  prophète  Elie,  c'est  la 

*  Lev.,  XXIV,  2.-2  Lev.,  xxiv,  5.  —  *  Ex.,  xxx,  7.  —  ♦  Num.,  xvin,  1; 
Joseph.,  B.y  VI,  VI.  —  5  Luc,  i,  21.  Cf.  Lev.,  xvi,  17;  Heb.,  x,  19-23. 
—  6  Lac,  I,  10,  21,  22.  Parentum  virtutes  describit  Evangelista  ut  ex 
gencratorum  meritis  dignitas  germinis  cognoscatur.  S.  Pet.  Chrysoi., 
Serm.  xci.  Utinam  nobis  quoque  adolentibus  altaria  assistât  angélus, 
imo  praabeat  se  videnduml  Nam  ne  dubites  assistere  angelum,  quando 
Christus  immolatur!  S.  Amb.,  In  Luc,  i,  28.  —  '  Cf.  Gen.,  xviii,  10; 
xxx,  22-54;  Jud.,  xm,  3,  7;  I  Reg.,  i,  5,  17,  20;  Luc,  i,  3d.  Quia  ven- 
turus  erat  per  Virginem  Deus  homo,  prœcessit  eum  de  sterili  mirabilis 
liomo.  S.  Aug.,  Serm.  ccxci,  1.  Ambo  mirabilitor  nati,  prœco  et  judex, 
lucerna  et  dies,  vos  et  verbum,  servus  et  Dominus.  De  sterili  servus, 
de  virgine  Dominus.  Setnn,  ccxc,  1. 


N<»91]  SA   Vie  GACHEE.  —  L* ANNONCIATION.  208 

vertu  et  le  ministère.  —  1°  Il  montre  en  face  d'Hérode  le 
même  courage  qu'Elie  devant  Achab  ',  et  en  présence  des 
Pharisiens  et  des  Juifs,  le  même  zèle  qu'Elie  devant  les 
prêtres  de  Baal  et  les  Israélites  apostats  '.  —  2*  Gomme  Elle 
doit  annoncer  le  second  avènement  du  Sauveur,  S.  Jean- 
Baptiste  annonce  le  premier  et  s'efforce  d'y  préparer  ses 
compatriotes.  C'est  ainsi  qu'il  rétablit  l'union  entre  les  pa- 
triarches et  leurs  descendants,  et  qu'il  forme  au  Messie  de 
dignes  disciples,  héritiers  de  la  foi  et  de  la  docilité  de  leurs 
ancêtres  '. 

IL  Le  Précurseur  s'abstiendra  de  toute  liqueur  enivrante, 
pour  la  même  raison  que  les  Prêtres  s'en  abstenaient  pen- 
dant toute  la  durée  de  leur  service  dans  le  temple  *,  et  les 
Nazaréens  durant  le  temps  de  leur  consécration  au  Seigneur  ^ 
Ainsi  témoignera-t-il  qu'il  ne  cherche  pas  ses  inspirations 
ni  ses  délices  ici-bas,  qu'il  sait  dompter  sa  chair  et  tenir  ses 
sens  sous  le  joug  de  l'Esprit  de  Dieu.  On  sait  quelle  autorité 
conciliait  aux  prophètes  la  vie  austère  dont  ils  faisaient 
profession.  On  sait  aussi  combien  la  mortification  donne  de 
force  à  l'âme  et  de  quel  secours  elle  est  pour  la  pratique 
des  grandes  vertus  :  Amans  Dei^  osor  carnis^. 

ARTICLE    IV. 
Annonciation  de  la  sainte  Vierge,  Lnc,  i,  26-38. 

{Nazareth t  7  ans  avant  l'ère  chrétienne,  25  mars,) 
Condition  dé  la  sainte  Vierge.  -^  Ciroonatanees  du  mystère.  •^  Paroles  de  l'Ange. 

*  91.  —  D*o&  vient  qu  il  y  avait  dans  la  GaUlée  tant  de  Jaifs  orthodoxes, 
tant  de  membres  de  la  tribu  de  Juda  et  même  de  la  maison  de 
David? 

Depuis  la  captivité,  ce  n'était  plus  parles  territoires  qu'on 

*  Cf.  ra  Reg..  XXI,  19  et  Matth.,  xiv,  4.-2  Cf.  HI  Reg.,  xviii  et 
Matth.,ra. —  'Lac,  i,  15-17.  Cf.  Mal.,  iv,  6.  S.  Jean-Baptiste  est  figuré 
par  Elle,  Matth.,  xi,  14,  comme  Notre  Seigneur  Test  par  David,  Act., 
ïv,  16,  rEglise  par  Sion  ou  Jérusalem,  Gai.,  iv,  26;  Heb.,  xii,  22 ^  Rome 
parBabylone,  1  Pet.,  v,  13,  l'enfer  par  la  géhenne,  Matth.,  v,  22; 
X,  2S;  etc.  —  *  Lev.,  x,  9;  Ezech.,  xuv,  21.  —  «  Num.,  vi,  3.  Cf.  Jud., 
lui,  7.  -  6  S.  Aug.,  Cf.  Boss.,  Elevai.,  xv*  Sem.,  7«  Elév. 

12 


206  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évancîile.  [n^  92 

pouvait  distinguer  les  tribus.  Beaucoup  de  Juifs  de  Juda 
et  de  Benjamin  avaient  fondé  des  établissements  au  loin.  On 
en  trouvait  sur  toutes  les  côtes  de  la  Méditerranée  :  à  plus 
forte  raison  y  en  avait-il  dans  la  Galilée,  pays  très  fertile  et 
très  peuplé,  au  nord-ouest  de  la  Palestine  ^  Il  restait  d'ail- 
leurs dans  la  Basse-Galilée  un  certain  nombre  d'Israélites 
orthodoxes,  issus  d'anciennes  familles  du  royaume  d'Israël; 
car  tous  les  habitants  n'avaient  pas  été  conduits  en  Assyrie, 
après  la  prise  de  Samarie,  «t  plusieurs  avaient  persévéré, 
comme  Tobie,  dans  la  fidélité  au  culte  du  Seigneur*.  De 
plus,  des  troupes  de  captifs,  revenus  de  Ninive  avec  Zoroba- 
bel  et  Esdras,  avaient  regagné .  leur  pays  et  repris  les  pra- 
tiques religieuses  de  leurs  ancêtres.  Enfin  les  Machabées 
avaient  soumis  cette  province  et  fait  reconnaître  partout 
l'autorité  du  pontificat  juif.  Il  n'est  donc  pas  étonnant  que 
Dieu  y  eût  alors  un  grand  nombre  d'adorateurs  fidèles.  On 
ne  doit  pas  non  plus  être  surpris  que  le  Sauveur  y  ait  choisi 
ses  apôtres  et  formé  ses  premiers  disciples  '.  N'est-ce  pas 
là  qu'il  avait  passé  sa  jeunesse  et  qu'il  devait  exercer  princi- 
palement son  apostolat  *?  Ajoutons  que  les  Galiléens,  moins 
pénétrants  peut-être  et  moins  subtils  que  les  Juifs  de  Jéru- 
salem %  avaient  plus  de  droiture  et  de  docilité  d'esprit,  qu'ils 
étaient  moins  dépendants  du  sanhédrin  ou  de  la  secte  qui  y 
dominait,  moins  hostiles  aux  étrangers  et  moins  éloignés 
d'entrer  en  relation  avec  eux;  enfin  qu'ils  jouissaient  d'une 
grande  réputation  de  bravoure  ®.  C'est  plus  de  raisons  qu'il 
n'en  fallait  pour  justifier  la  préférence  dont  ils  étaient  ho- 
norés; 

92.  —  Marie  avait-elle  fait  vœu  de  virginité  avant  TAnnonciation,  et 
peut-on  dire  qu'elle  a  préféré  Tétat  virginal  à  la  maternité  divine? 

I.  Il  est  de  foi  que  Marie  a  toujours  été  vierge  ^  :  et  le  titre 
par  lequel  l'Eglise  la  désigne,  y)  llapOsvoç,  témoigne  qu'elle 
est  bien  celle  qu'Isaïe  annonçait  comme  devant  être  la  mère 

i  Joseph,,  A,y  XVI,  VI,  2;  B.,  III,  m.  —  a  Cf.  UI  Reg.,  xix,  18.- 
3  Joan.,  VII,  52;  Act..  i,  II.  —  *  Matth.,  iv,  23;  Luc,  xxiii,  49.  —  «  Jean., 
vn,  52.  —  6  Joseph.,  B.,  m,  2.  —  '  Symb.  Apost. 


N«93J  SA   VIE  CACHÉE.  —  l' ANNONCIATION.  207 

d'Emmanuel  *.  —  De  plus,  on  tient  pour  certain  qu'elle  a 
fait  vœu  de  virginité  et  que  sa  volonté  a  toujours  été  de  res- 
ter vierge*;  par  conséquent  qu'elle  n'a  accepté  S.  Joseph 
pour  époux  que  sur  une  assurance  particulière  de  la  volonté  de 
Dieu  '.  Les  paroles  qu'elle  dit  à  l'Ange  en  l'Annonciation  et 
l'explication  qu'elle  lui  demande  supposent  qu'elle  avait 
pris  cet  engagement  *.  Suivant  S.  Augustin  et  la  plupart  des 
Docteurs,  elle  avait  fait  ce  vœu  avant  son  mariage  *.  Suivant 
S.  Thomas,  elle  ne  l'aurait  fait  qu'après,  du  consentement  de 
son  époux  ^  Plusieurs  auteurs  ajoutent  qu'aucune  femme  ne 
l'avait  fait  avant  elle^;  mais  ce  point,  loin  d'appartenir  à 
la  foi,  est  moins  certain  que  le  précédent. 

IL  Jamais  la  sainte  Vierge  n'eut  à  choisir  entre  la  mater- 
nité divine  et  la  virginité.  L'idée  qu'un  Homme-Dieu  pût 
avoir  un  autre  père  que  Dieu  ne  put  pas  même  se  présenter 
à  son  esprit.  Cette  supposition  eût  révolté  ses  sentiments, 
autant  qu'elle  répugnait  aux  oracles  des  prophètes  *.  Au 
moment  de  l'Annonciation,  Marie  ne  songe  donc  pas  à 
mettre  une  condition  à  l'accomplisement  des  desseins  de 
Dieu  ;  mais  le  vœu  qu'elle  a  fait  et  qu'il  a  ratifié  lui  reve- 
nant à  la  pensée,  elle  demande  à  l'Ange,  pour  prévenir 
toute  inquiétude,  de  lui  faire  connaître  plus  pleinement  la 
volonté  du  Ciel  ". 

93.  —  Au  moment  de  rincarnation,  la  sainte  Vierge  était-elle  mariée 

ou  seulement  fiancée  à  Joseph? 

Il  n'est  pas  permis  de  mettre  en  doute  la  réalité  du  ma- 
riage de  Marie  et  de  Joseph  *^;  mais  on  peut  demander  si  ce 

*  Matth.,  I,  23.  Cf.  Gen.,  m,  15;  Apec,  xn,  17;  S.  Iren.,  III,  ixiv- 
xxœ;  IV,  XXXIII,  11.  Tert.  De  came  christ,^  17,  18.  —  s  Virgo  erat 
caroe,  virgo  mente,  virgo  professione.  S.  Bern.,  Hom.  m,  super  missus 
est.  —  3  S.  Thom.,  In  IV,  dist.  30,  q.  2,  a.  1,  q.  2.  —  *  Luc,  i,  34.  Cf. 
Tob.,  V,  12.  —  »  S.  Aug.,  de  Virginitate,  4.  —  «  S.  Thom.^  p.  3,  q.  28, 
a.  4.  —  "î  Orig.,  In  Maith.y  x.  —  «  Gen.,  m,  15;  Is.,  vu,  14.  —  •  Quid 
si  diceret  :  Nube,  conjungere  viro?  Non  diceret  Deus  ;  accepit  enim 
Totum  Virginis.  Et  hoc  ab  illa  accepit  quod  ipse  donavit.  S.  Aug., 
Serm.  ccxci,  5.  Cf.  Theologia  Mariana»  —  *o  Luc,  ii,  4,  5;  S.  Thom., 
p.  3,  q.  29,  a.  2. 


208  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n^  93 

mariage  existait  au  moment  de  rincarnation  ou  s'il  n'a  été 
contracté  qu'après  la  révélation  de  l'Ange  à  Joseph  '. 
;  1»  L'Ecriture  ne  tranche  pas  expressément  la  question  ; 
car  si  l'on  voit  en  S.  Luc,  i,  27,  que  Marie  était  fiancée, 
desponsata,  lisiAvr^areoiJLevY;,  lorsqu'un  Ange  se  présenta  de- 
vant elle,  on  y  voit  aussi,  ii,  5,  que  le  nom  de  fiancée  se 
donnait  quelquefois  à  des  femmes  mariées*.  Le  titre  d'époux, 
vtr,  avr^p^  donné  à  S.  Joseph  *,  ne  détermine  pas  davantage 
sa  qualité  à  l'égard  de  Marie  ;  car  il  paraît  constant  que  chez 
les  Juifs,  il  suffisait  d'avoir  été  fiancé  pour  être  appelé  époux 
ou  mari  *. 

2°  Quant  aux  interprètes,  ils  sont  partagés  sur  cette  <iues- 
tion.  —  Les  anciens  admettent  communément  l'existence  du 
mariage  à  l'époque  de  l'Incarnation.  Dès  lors  ils  entendent 
par  convenir e  ^  consommer  le  mariage,  et  entendent  par 
antequam^  icpiv,  sans  que,  comme  en  plusieurs  endroits  de 
l'Ecriture  ®.  —  Parmi  les  modernes,  un  certain  nombre 
préfèrent  le  sentiment  contraire.  Ils  pensent  que  le  ma- 
riage n'eut  lieu  que  sur  la  parole  de  l'Ange  :  Noli  timere 
accipere  Manam  conjtigem  tuarn  %  etc.,  et  ils  prennent  con- 
Tenire  dans  le  sens  d'habiter  dans  la  même  demeure.  — 
Suivant  le  P.  Patrizi  et  d'autres  commentateurs,  il  ne  pour- 
rait y  avoir  d'incertitude  que  sur  le  moment  de  la  célébra- 
tion des  noces.  Chez  les  Juifs,  disent-ils,  l'union  légale  avait 
lieu  en  même  temps  que  les  fiançailles ,  généralement  du 
moins;  mais  les  noces,  la  célébration  du  mariage,  ou  la 
remise  solennelle  de  l'épouse  à  l'époux ,  se  faisaient  plus 
tard.  La  sainte  Vierge  était  donc  déjà  l'épouse  de  Joseph 
au  jour  de  l'incarnation;  elle  lui  avait  été  fiancée  et  mariée. 
Seulement  les  noces  n'étaient  pas  encore  célébrées  •.  Marie 
continuait  à  demeurer  dans  la  maison  de  ses  parents,  a  Na- 
zareth '.  C'est  à  ce  point  de  vue  qu'on  se  place  dans  ce 

1  Matth.,  I,  20.  —  9  Cf.  Deut.,  xxii,  23.  —  3  Luc,  i,  26.  —  *  S.  ffieron,, 
In  Matth. ^  i.  —  8  Matth.,  i,  18.  •—  »  Prov.,  xxx,  7;  Jer.,  xxxviii,  10; 
S.  Thom.,  p.  3,  q.  29,  a.  2,  ad  3.  —  ?  Matth.,  i,  20.  —  8  cf.  Gen., 
XXIV,  55;  XXIX,  2i,  26;  Tob.,  vi,  22;  Jer.,  vu,  34;  xxx,  10;  I  Mac, 
IX,  37,  Supra,  A*    T.,  n,  406,  —  «  Cf.  Martyrol,  rom.,  10  Déçemb., 


N<>94]  SA  VIE  CACHÉE.  —  L' ANNONCIATION.  209 

sentiment  pour  expliquer  ces  mots  :  ArUequam  coiivenirent 
et  Noli  timere  accipere  Mariam. 

94.  —  Pourquoi  le  Fils  de  Dieu  a-t-il  voulu  que  sa  Mère  fût  vierge  et 
néanmoins  engagée  dans  le  mariage? 

I.  Le  Fils  de  Dieu  a  voulu  que  sa  mère  fût  vierge  pour 
deux  raisons  :  —  1°  Afin  de  montrer  dès  sa  naissance  son 
amour  pour  les  âmes  pures,  et  Thorreur  qu'il  a  de  tout  ce 
qui  porte  la  trace  du  vice  charnel  *.  —  2®  Afin  de  rendre 
sensible  cette  vérité  qu'il  prenait  la  nature  d'Adam  sans 
participer  à  ses  souillures  ;  qu'avec  la  vie  naturelle,  dont  sa 
mère  était  le  principe,  il  en  avait  une  autre  qui  lui  venait 
de  plus  haut,  non  ex  sanguinibus^  neque  ex  voluntate  carnis^ 
neque  ex  voluntate  viri*;  et  qu'ainsi,  tout  enfant  d'Adam 
qu'il  était,  il  serait  ici-bas  comme  un  autre  Adam,  source 
d'une  vie  nouvelle,  tige  d'une  nouvelle  race,  bien  supé- 
rieure à  l'ancienne  par  son  origine,  sa  noblesse  et  sa  desti- 
née surnaturelles  •. 

Aux  rationalistes  qui  ne  peuvent  goûter  ces  raisons,  ni 
voir  dans  le  récit  de  l'Annonciation  autre  chose  qu'une 
fiction  des  chrétiens  pour  glorifier  le  Sauveur,  on  peut  op- 
poser cette  considération  :  Si  une  telle  origine  s'accorde 
mieux  avec  la  dignité,  le  caractère,  la  mission  du  Verbe 
incarné,  pourquoi  Dieu  ne  l'aurait-il  pas  voulue  pour  son 

• 

de  domo  Lauretana;  et  Bcned.  XIV,  De  canon.  IV,  ii,  10  et  De  fest,j 
n,  16. 

Hic  Virgo  genitara  Denin,  geniiricis  ab  alvo 

Prodiit,  et  blandis  maUit  vagitibus  auras. 

Hio  qooqve,  virginei  senrata  lande  padoris, 

Sancta  salatifero  tnmoeront  viscera  fœta. 

Ant.  MaRiT. 

*  Decebat  hune  purissimum  puritatis  doctorem  ex  puris  prodire  tha- 
lamis.  Si  enim  qui  apud  Jesum  bonc  fungitur  sacerdotio  abslinet  a  mu- 
fiere,  ipse  Jésus  quomodo  ex  viro  et  muliere  proditurus  esset?  S.  Cyril. 
Hierps.,  Catech.,  xii,  25.  —  *  Joan.,  i,  13.  —  3  Joan.,  i,  12;  m,  6;  iv,  24; 
1  Cor.,  XV,  45,  47.  Non  hoc  débet  offendere  quod  mirabilis  mirabiliter 
natus  est.  S.  Aug.,  De  Civ.  Dei,  x,  29.  Dcum  hujusmodi  decebat  nativi- 
tas  qua  nonnisi  de  Virgine  nasccretur  :  talis  congruebat  et  Virgini 
parlas  ut  non  pareret  nisi  Deum.  S.  Bern.,  Super  Missus  est  y  ii.  Cf. 
Bossuet,  Insi,  sur.  la  version  du  N,  T.,  xx. 

12. 


210  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'ÉVANGILE.  [n^  95 

Fils?  Et  si  elle  n'est  en  rien  préférable  à  l'origine  naturelle 
des  enfants  des  hommes,  pourquoi  les  chrétiens  l'auraient- 
ils  supposée  et  attribuée  au  Sauveur  ?  D'ailleurs,  doit-on 
s'étonner,  dit  S.  Augustin,  que  le  Fils  de  Dieu  ait  une  telle 
origine,  lui  qui  a  fait  en  sorte  que  ses  membres  naquissent 
à  la  vie  de  la  grâce  par  la  vertu  du  Saint-Esprit  et  d'une 
Eglise  toujours  vierge  *? 

II.  Il  a  voulu  que  sa  Mère,  tout  en  restant  vierge,  eût  un 
époux  :  —  1<»  Pour  qu'elle  ne  fût  pas  d'abord  exposée  au 
déshonneur,  ni  lui  avec  elle.  —  2'  Afin  qu'elle  eût  un  ga- 
rant non  suspect  de  son  innocence  et  de  sa  virginité.  — 
3*»  Afin  d'être  lui-même  protégé  et  nourri  dans  son  enfance, 
comme  les  autres  hommes.  —  4°  Afin  que  Marie  honorât 
l'état  du  mariage,  qui  est  celui  de  la  plupart  des  hommes, 
et  qu'elle  pût  servir  à  la  fois  de  modèle  aux  vierges,  aux 
épouses  et  aux  veuves  *. 

95.  —  Comment  s'est  vérifiée  cette  prédiction  :  Que  le  Fils  de  Marie 
monterait  sur  le  trône  de  David,  et  qu'il  régnerait  b,  jamais  dans  la 
maison  de  Jacob  y  Luc,  i,  32? 

Nous  voyons  Jésus-Christ  régner  sur  lés  Israélites  fidèles 
qui  l'ont  reconnu  pour  le  Messie  et  sur  les  Gentils  qui 
forment  avec  eux  une  même  société  religieuse.  L'Eglise  est  la 
vraie  maison  de  Jacob,  la  postérité  spirituelle  d'Abraham, 
l'Israël  de  Dieu  •,  où  le  Sauveur  doit  dominer  à  jamais.  On 
l'appelle  la  maison  de  Jacob,  pour  rappeler  son  origine  *  et 
honorer  son  premier  état  ^  Elle  est  le  royaume  éternel  pro- 

1  Oportebat  caput  nostrum  secundum  carnem  nasci  de  Virgino,  quo 
significaret  membra  sua  do  virgine  Ecclesia  secundum  spiritum  nasci- 
tura  S.  Aug.,  de  Virgin.^  vi.  Non  dubitabitis  virginem  parientem,si  ve- 
litis  credere  Deum  nascentem.  Et  Ecclesia  parit  et  virgo  est;  et  Christum 
parit,  quia  membra  ejus  sunt  qui  baptizantur.  Ërgo  Marias  simillima  est. 
De  fide  rerum  quse  non  videntur^  5.  Cf.  Set^mo  ccxiii,  7.  Idem  Spiritus 
replet  fontem  qui  replevit  et  virginem.  S.  Léo,  Sei^m.  iv  de  Nativ. 
Brev.,  Vigil.  Pent.,  lect.  5.  —  2  Uno  tali  consilio  et  admittitur  testis  et 
excluditur  hostis  et  intégra  servatur  forma  virginis  matris,  S.  Bern., 
Super  missus  est  y  Hom.  II,  13.  Cf.  Brev.  rom.,  Vigil.  Nativ,  D.  N.,  lect.  1; 
et  fer.  iv  hebd.  3*  Adv.;  S.  Thom.,  p.  3,  q.  28  et  29.  —  s  Gai.,  iv,  6.  — 
*  Ut  commendetur  origo  seminis.  S.  Aug.,  Serm.  cxviu.  —  •  Non  tu  ra- 


^ 


y>96]  SA   VIE  CACHÉE.  —  l'aNNONCIATION.  211 

mis  par  Nathan  à  David  pour  celui  de  ses  descendants  qui 
de?ait  faire  sa  gloire  et  recueillir  le  fruit  des  promesses  *. 
Elle  est  l'empire  qu'Isaïe  annonçait,  lorsqu'il  disait  :  «  A  la 
fm  des  temps,  la  montagne  sur  laquelle  sera  bâtie  la  maison 
d«  Seigneur  s'élèvera  par  dessus  toute  hauteur,  et  les  na- 
tions y  viendront  en  foule.  On  dira:  Allons  à  la  montagne 
du  Seigneur,  et  il  nous  enseignera  ses  voies  et  nous  mar- 
cherons dans  ses  sentiers.  Car  la  loi  sortira  de  Sion  et  la  pa- 
role du  Seigneur  viendra  de  Jérusalem  *.  Le  Fils  qui  nous 
est  donné  portera  sur  son  épaule  le  signe  de  sa  principauté. 
Il  s'appelera  l'admirable,  le  Conseiller,  Dieu,  le  Fort,  le 
Père  du  siècle  à  venir.  Son  empire  s'étendra  :  il  siégera  sur 
le  trône  de  David  et  il  possédera  son  royaume  •.  »  Enfin  elle 
e^t  la  puissance  indestructible  que  Daniel  décrivait,  comme 
formant  l'apanage  du  Fils  de  l'homme  et  devant  braver  la 
durée  des  siècles*. 

C'est  dans  ce  sens  que  la  sainte  Vierge  entendit  les  paroles 
de  l'Ange.  Car  elle  ne  partagea  jamais  les  préjugés  des  Juifs 
charnels.  Elle  savait  bien  que  le  royaume  temporel  de  Da- 
vid était  détruit  et  que  celui  qui  était  promis  à  son  Fils 
n'était  pas  un  royaume  terrestre,  mais  un  royaume  spirituel 
différent  de  celui  des  rois  et  des  princes  de  la  terre  ^ 

*  96.  —  L'humanité  du  Sauveur  a-t-cHe  été  unie  hypostatiquement  au 
Verbe  divin  dès  le  premier  moment  de  son  existence? 

L'Évangile  ne  permet  pas  d'en  douter  :  Quod  nascetur  ex 
te  sanctum  ;  vocabitur  Filius  Dei  **.  Quod  in  ea  natum  est  de 
Spiritu  Sancto  est  ^.  To  ev  auty;  ysvvtjOsv,  c'est-à-dire  l'enfant 
qui  est  en  elle,  mais  qui  n'est  pas  un  enfant  ordinaire;  qui 
a  été  conçu,  animé,  sanctifié  tout  à  la  foi.  f  L'humanité  du 

dicem  portas,  scd  radix  te.  Rom.,  xi,  18.  Prascisus  est  oleaster,  ut 
iosereretur  in  olivam.  Jam  ad  olivam  pertinent;  jam  non  dcbent  dici 
gentes,  sed  una  gens  in  Christo,  gens  Jacob,  gens  Israël.  S.  Aug.,  In 
Pt.  cxLvii,  28. 

*  U  Reg  ,  VII,  12-14.  —  2  isai.,  ii,  2,  3.  —  3  Isai.,  ix,  6,  7.  —  ♦  Dan., 
n,  4;  VII,  14.  Cf.  Ps.  xliv,  8;  lxxxviii,  7  ;  cxxxi,  il  ;  Jor.,  xxiii,  5; 
Eiec,  XXXIV,  22;  Hcb.,  i,  8.  —  *  Luc,  i,  33.  Cf.  Ps.  ii,  xuv,  lxxi,  gix. 
-  •  Luc,  i,  35.  —  ^  Matth.,  i,  20. 


212  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'ÉVANGILE.  [n»  97 

Sauveur  n'a  pas  été  tirée  du  néant  pour  être  unie  au  Verbe, 
dit  S.  Augustin  :  elle  lui  a  été  unie  à  l'instant  même  où  elle  a 
été  créée*.  »  «  Quand  l'Ange  disait  à  Marie  :  Ce  qui  naîtra 
en  vous  sera  saint  et  on  l'appellera  Fils  de  Dieu,  il  avait 
en  vue,  non  la  chair  du  Sauveur,  dit  Tertullien,  mais  sa  di- 
vine personne  *.  »  La  même  conclusion  résulte  des  paroles 
de  S.  Paul  :  Ubi  venit  plenitudo  temporis,  mmt  Dms  Filium 
suum,  factum  ex  muliere  ',  et  même  du  Symbole  des  Apôtres  : 
Credo  in  Jesum  Christum.,.  Filium  Deiunicum,  quicanceptus 
est  Spiritu  de  Sancto,  Celui  que  Marie  a  conçu  est  donc  un 
Homme-Dieu,  non  un  homme  dont  Dieu  aurait  fait  son  Fils; 
c'est  pourquoi  la  sainte  Vierge  est  proprement  Mère  de  Dieu, 
0£oxoy.O(;  *.  Le  concile  d'Ephèse  (421)  a  condamné  comme  hé- 
rétiques ceux  qui  ont  prétendu  que  Jésus-Christ  avait  d'abord 
existé  comme  homme  et  mérité  dans  cet  état  l'union  hypos- 
tatique  ^ 

97.  —  D'où  vient  que  la  conception  du  Fils  de  Dieu  est  attribuée  au 
Saint-Esprit,  sans  qu'il  soit  jamais  appelé  le  Père  de  Jésus-Christ? 

La  conception  du  Fils  de  Dieu  ou  la  production  de  son 
humanité  dans  le  sein  de  Marie  est  une  œuvre  des  trois  per- 
sonnes, comme  toute  œuvre  divine  ad  extra.  Si  l'Eglise 
l'attribue  spécialement  au  Saint-Esprit,  c'est  la  conséquence 
d'un  principe  général  qui  fait  rapporter  à  l'Esprit  saint  tous 
les  actes  de  la  sainteté,  de  la  charité  et  de  la  miséricorde  di- 
vines. Ce  n'est  pas  d'ailleurs  une  raison  pour  donner  à  la 
troisième  personne  le  titre  de  Père  du  Sauveur  *.  Comme 
Dieu,  c'est  par  le  Père  seul  que  Jésus-Christ  est  engendré; 
et  comme  homme,  il  ne  saurait  avoir  la  qualité  de  fils  qu'à 
l'égard  de  sa  mère,  nul  n'ayant  été  proprement  son  père, 

1  Nec  sic  assumptus  est  ut  prius  crearetur,  postassumeretur,  sed  ut 
in  ipsa  assumptione  crearetur.  S.  Aug.,  Cont.  Semiarian.,  vi.  Non  solum 
unus  Christus,  sed  semper  unus.  Vinc.  Lirin.,  Comrnonit,^  15.  —  *  Tert., 
Adv.  Prax.,  27.  —  3  Gai.,  iv,  4.  —  *  Cyrill.  Hierosol.,  Catech.,  x,  19. 
Pudore  afficiatur  Nestorius  :  puer  hic  Deus  est.  S.  Joan.  Damasc,  Brev., 
FesL  S.  Joachim,  lect.  vi.  —  «  S  Thom.,  p.  3,  q.  27,  a.  2,  ad  2;  q.  33, 
a.  3,  et  Cont.  Gent.,  IV,  4  et  28.  Brcv,,  9  Fev.,  lect.  iv-vi.  —  «  Quis 
hoc  dicere  audebit?  S,  Aug.,  Enchir.^  i2, 


N«98]  SA  VIE  CACHÉE.   —  L' ANNONCIATION.  213 

c'est-à-dire  ne  lui  ayant  communiqué  sa  vie,  secundum  simi- 
îitudinem  speciei^  sicut  fit  homini  nascenti  de  pâtre  suo^. 

On  ne  saurait  trop  admirer  dans  ces  récits  le  langage  pur, 
surnaturel,  céleste  du  saint  Evangile.  Gomme  il  tient  Tâme 
élevée  au-dessus  de  la  terre  et  des  sens  î  Qui  de  cœlo  venit, 
mper  omnes  est  '. 

*  98.  —  Voit-on  dans  TEcriture  un  témoignage  de  respect  pour  une 
créature,  comparable  à  celui  de  l'ange  Gabriel  pour  la  sainte  Vierge  '? 

II  y  a  dans  les  paroles  de  l'Ange  à  Marie,  comme  dans  tout 
ce  récit  de  l'Annonciation,  une  expression  de  respect  qu'on 
ne  trouve  nulle  par  ailleurs  à  ce  degré:  Soli  Mariœ  hœc  sa- 
lutatio  servabatur^  dit  S.  Ambroise*.  Le  mot  grec  xs^apt- 
Tu>jx£VTQ  (dexapi'fow^),  digne  objet  de  l'amour  et  des  faveurs 
du  ciel,  mot  rendu  par  speciosa  dans  la  version  de  Luther, 
fdirgratiam  consecuta  dans  celle  de  Calvin,  pargra^w  dilecta 
dans  celle  de  Bèze,  est  traduit  par  gratia  plena  ou  par  un 
équivalent  ^  non  seulement  dans  l'Italique  et  la  Vulgate, 
maig  dans  toutes  les  anciennes  versions,  syriaque,  cophte, 
éthiopienne,  arménienne,  etc.  Ces  mots:  Dominus  tecum'^, 
aussi  bien  que  Benedicta  tu^  sont  pris  comme  exprimant, 
non  un  souhait,  mais  un  fait  admiré  en  Marie  par  l'envoyé 
céleste  et  proclamé  à  sa  gloire.  En  effet,  l'Ange  ne  vient  pas 
pour  lui  donner  des  encouragements,  mais  pour  lui  révéler 
les  décrets  divins,  et  ces  décrets  supposent  déjà  en  elle  une 
perfection  incomparable  *.  Les  paroles  d'Elisabeth  ajoutées 
par  l'Eglise  et  également  inspirées  du  ciel  :  Benedicta  tu  in 
mlieribus  et  benedictus  fructus  ventris  tui^,  expriment  la 

*  Non  enim  de  substantia  Spiritus  sancti,  sed  de  potentia,  nec  ge- 
neratione,  sed  jussione  et  benedictione  conccptus  est.  Op.  S.  Aug., 
Serm.  ccxxxiv,  5.  Apoc.  Cf.  S.  Thom.,  p.  3,  q.  32,  a.  3.  —  2  Joan.,  m,  31. 
A  cette  époque,  Ovide  publiait  à  Rome  ses  poésies  lubriques,  et  Auguste 
était  forcé  d'exiler  sa  fille  Julie  qui  avait  trop  imité  son  père.  Ann.  de 
phil.  chrét.,  t.  lxxviii,  181,  etc.  Infra,  n.  598.  —  ?  Cf.  Dan.,  ix,  21; 
inc,  1 ,  19-26.  —  *  Sola  gratia  plena  dicitur,  quœ  sola  gratiam  quam 
nulla  alia  menierat  consecuta  est,  ut  gratiœ  rcpleretur  auctorc.  S.  Amb., 
In  Luc,  hoc  loc.  —  «  Cf.  Ephes.,  i,  6.  —  «  Cf.  Ps.  xliv,  12.  Cf.  Conc 
Trid.,  sess.  vi,  can.  23.  — ^  Magis  quam  mecum.  S.  Aug.  —  ^  Cf.  Jos., 
1, 17;  Jer.,  i,  8;  xv,  20.  —  9  Luc,  i^  4?. 


214  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n^  100 

même  idée.  Tout  en  rapportant  à  Dieu  la  gloire,  de  ce  qu'il 
opère,  la  Mère  du  Seigneur,  vj  Mtqttgp  'fo^  Kuptou  \  fait  voir 
en  son  cantique  qu'elle  comprend  la  portée  de  ces  félicita- 
tions *. 

*  99.  —  Marie,  étant  de  la  famille  de  David,  pouvait-elle  être  parente, 

ouy^eviri;,  d'Elisabeth  de  la  famille  d'Aaron? 

Il  est  possible  que  la  mère  d'Elisabeth  ait  été  de  la  fa- 
mille de  David,  tante  ou  cousine  de  la  sainte  Vierge,  comme 
il  est  possible  que  la  mère  de  la  sainte  Vierge  fût  de  la  famille 
d'Aaron  '.  La  loi  défendait  aux  prêtres  de  prendre  pour 
épouse  une  femme  qui  ne  fût  pas  née  de  parents  hébreux*; 
mais  ils  n'étaient  pas  plus  tenus  que  les  autres  à  se  marier 
dans  leur  tribu  ^  On  voit  même  un  grand-prêtre,  Joïada, 
épouser  Josabeth,  fille  du  roi  Joram  ^  Quant  à  la  femme,  la 
loi  ne  restreignait  sa  liberté  à  cet  égard  que  lorsqu'elle 
était  unique  enfant  ou  héritière  des  biens  de  sa  famille"',  et 
ce  cas  ne  pouvait  même  pas  se  présenter  dans  la  tribu  de 
Lévi,  qui  n'avait  pas  eu  sa  part  du  territoire  de  Chanaan. 

ARTICLE  V. 
Visitation,  Luc,  i,  39-56  ». 

*  100.  —  Pourquoi  TEvangéliste  retrace-t-il  avec  tant  de  soin  cette  scène 

do  la  Visitation? 

C'est  dans  ce  mystère  que  le  Sauveur  fait  la  première 
communication  visible  de  son  divin  Esprit  *.  S.  Jean  reçoit 
dès-  lors  la  faveur  la  plus  insigne  :  l'infusion  de  la  grâce 
sanctifiante  *°.  Elle  lui  est  conférée  en  vue  4e  sa  vocation, 

1  Luc,  I,  43.  Elisabeth  indignam  se  adventu  Deiparse,  ttiç  ©eotoroy, 
dicit,  quemadmodum  et  Joannes  indignum  se  dicet  qui  Ghristo  minis- 
traret.  Orig  ,  In  hune  Icc.  —  ^  Cf.  S.  Thom.,  p.  3,  q.  30,  a.  2,  ad  i; 
p.  1,  q.  25,  a.  6,  ad  4.  —  3  C'est  le  sentiment  de  S.  Augustin  :  Firmis- 
sime  tcnendum  est  carncm  Christi  ex  utroque  génère  propagatum,  et 
rogum  aciliçet  et  sacerdotum.  De  consens.  Evang.,  ii,  4.  —  *  Lev.,  xxi, 
14.  —  8  Juj.,  XXI,  l.  —  6  II  Parai.,  xxii.  11.  —  ^  Num.,  xxxi,  6,  7.  — 
8  Hébron  est  à  25  lieues  de  Nazareth,  au  sud.  —  »  Cf.  Il  Reg.,  vi,  9,  11. 
—  10  Luc,  I,  15. 


.J 


N»  loi]  SA  VIE  CACHÉE.  —  LA  VlSltAf ION.  H^ 

pour  le  mettre  en  étal  de  glorifier  Dieu  et  de  sanctifier  les 
âmes;  et  elle  est  accompagnée  des  consolations  les  plus 
donces  pour  ses  parents  et  pour  lui.  Or,  c'est  par  Marie  que 
cette  grâce  lui  est  faite:  Ad  vocem  Mariœ  exultavit  infan- 
tulvs,  obsecuttis  anteqvum  genitus  *.  L'Evangéliste  a  pu 
croire  que  cette  indication  nous  serait  utile.  De  saints  Doc- 
teurs ont  vu  dans  ce  fait  un  exemple  de  la  conduite  que 
Dieu  a  coutume  de  tenir  sur  les  âmes  qui  lui  sont  chères, 
en  particulier  sur  ceux  qu'il  destine  à  Thonneur  de  devenir 
ses  ministres  :  Utproinde  si  quid  spei  in  nobis  est,  si  quid  sa- 
/ttfc,  ab  ea  noverimus  redundare  ". 

101.  —  QueUes  remarques  a-t-on  faiteis  sur  le  cantique  de  la 

sainte  Vierge? 

1°  Le  Magnificat  est  le  premier  cantique  du  Nouveau  Tes- 
tament :  il  pourrait  servir  de  conclusion  à  l'Ancien. 

ï»  Il  a  du  rapport  avec  plusieurs  autres,  surtout  avec 
ceux  de  Marie,  soeur  de  Moïse,  et  d'Anne,  mère  de  Samuel  ^; 
mais  combien  l'âme  de  la  sainte  Vierge  parait  plus  unie  à 
Dieu  et  plus  sainte  1  Combien  son  langage  a  plus  de  majesté, 
d'élévation  et  de  câline  !  C'est  bien  le  prélude  de  la  voix  du 
Sauveur  *. 

3"  La  conduite  de  Dieu  dans  l'établissement  du  christia- 
nisme y  est  admirablement  dépeinte.  Marie  a  devant  les 
yeux  tous  les  événements  qui  vont  s'accomplir  :  la  syna- 
gogue réprouvée,  l'Eglise  fondée,  les  Apôtres  glorifiés,  les 
Gentils  comblés  de  grâce,  enfin  toutes  les  promesses  magni- 
fiquement accomplies. 

4*  A  la  salutation  de  sa  parente  :  Benedicta  tu  in  mulieri- 
hê^y  la  sainte  Vierge  répond  par  une  prédiction  aussi  pré- 
cise que  merveilleuse  :  Beatam  me  dicent  omnes  generationes  ®. 

*  s.  Amb.,  De  insiit,  Virg.,  50.  —  *  S.  Bern.,  Serm.  in  Nativ.  B,  M,, 
n.  6.  —  s  I  ^eg.y  n,  1-10.  —  *  Gecinit  Debora  vicloriam  a  Sisara,  Judith 
Holophernum  cxtinctum,  Moysis  soror  Pharaonem  submersum;  Anna 
quoque  pro  iilio  Samuele  longiores  Deo  gratias  edidit;  sed  non  sic 
Hebneas  illas  audire  canentes,  ut  Prophetissam  nostram,  delectat. 
S.  Th.  a  Villanov.,  Serm.  in  Visit.  —  *  Luc.^  i,  43,  45.  —  *  Luc, 
1,48. 


ièl6  JESUS-CHRIST  SELON  l'eVANGILE.  [n^  102 

Or,  elle  a  vu  pendant  sa  vie  ^  et  nous  voyons  encore  tous  les 
jours  l'accomplissement  de  cet  oracle  *. 

5°  Les  sentiments  exprimés  dans  ce  cantique  sont  bien 
ceux  qui  devaient  pénétrer  la  mère  de  Jésus,  après  la  faveur 
incompréhensible  qu'elle  avait  reçue.  Telles  devaient  être 
sa  foi,  son  humilité,  sa  reconnaissance;  tel  son  ravissement 
sur  la  sagesse,  la  puissance,  la  bonté  de  Dieu  dans  la  ré- 
demption du  monde  ^  Quel  admirable  modèle  pour  les  âmes 
intérieures  que  le  Ciel  favorise  de  ses  grâces  ! 

6^  Enfin  le  langage  des  écrivains  sacrés  paraît  naturel  à 
la  très  sainte  Vierge.  Elle  n'emploie  pas  une  expression 
qu'on  ne  lise  dans  le  Psalmiste  et  dans  les  Prophètes.  Toute 
la  différence  est  dans  la  profondeur  de  ses  pensées  et  dans 
la  sublimité  de  ses  sentiments. 

*  102.  —  Que  signifie  ce  dernier  verset  :  Sicut  locutus  est.., 

Luc,  I,  55? 

Le  dernier  verset  de  ce  cantique  rappelle  la  promesse 
faite  par  le  Seigneur  à  Abraham  de  lui  donner  une  posté- 
rité, un  fils,  aTuepjjia,  semen,  proies,  en  qui  seraient  bénies 
toutes  les  nations  de  la  terre  :  Benedicentur  in  te  et  in  setnine 
tuo  cunctœ  tribus  terrœ  *.  S.  Paul,  en  citant  ce  passage,  fait 
remarquer  ce  mot,  semen.  «  Le  Seigneur  ne  dit  pas  :  dans 
vos  rejetons^  mais  dans  votre  postérité,  »  Non  dicit  :  et  setni- 
nihuSy  quasi  in  multis,  sed  quasi  in  uno  :  Et  semini  tuo,  qui 
est  Christus  ^  La  sainte  Vierge  prend  ce  terme  dans  le  même 
sens  ;  elle  signale  l'accomplissement  de  cet  oracle  dans  le 
mystère  qu'elle  porte  en  son  sein. 

Mais  ce  n'est  pas  à  Abraham  seulement  que  le  Messie  a  été 
promis  ;  il  Ta  été  à  tous  les  patriarches  :  Ad  patres  nostros. 
Il  a  été  prédit  par  tous  les  prophètes  :  Per  os  sanctorum  qui 
a  sœculo  sunt^.  On  n'est  pas  seulement  averti  de  l'approche 

1  Luc,  XI,  27.-2  Dans  la  récitation  de  VAve  Maria,  —  »  Cf.  S.  Aug., 
de  Cil}.  Deif  xxii,  8.  —  *  Gen.,  xxviii,  14.  Cf.  Gen.,  xii,  3;  xviii,  18; 
XXII,  18;  XXVI,  2,  4;  Luc,  i,  32;  Gai.,  m,  8,  16.  —  8  Gai.,  m,  16,  29. 
Cf.  II  Reg.,  VII,  12,  13.  —  6  Luc,  i,  70;  Act.,  xxvm,  20.  Prœvidens 
quosdam  futures  qui  miracula  ejus  magicis  artibus  tribucrcnt,  propfaetas 
ante  prsemisit.  Numquid  enim,  si  magus  crat,  et  magicis  artibus  fecit 


?îM02]         SA  viÉ  CAdH^E.  —  La  viôiîaîion.  Î47 

do  divin  Rédempteur;  on  a  son  signalement.  Pour  prévenir 
toute  méprise  et  toute  usurpation,  Dieu  a  tracé  d'avance  les 
principaux  traits  de  son  histoire.  Ainsi  Ton  sait  qu'il  aura 
lin  précuseur  ',  qu'il  doit  naître  enfant*,  d'une  mère  vierge  ', 
dans  la  ville  de  Bethléem  *  ;  qu'il  doit  descendre  d'Abraham  S 
sortir  de  la  tribu  de  Juda  •  et  de  la  famille  de  David  ^  ;  qu'il 
paraîtra  quand  Juda  aura  perdu  le  sceptre  de  l'autorité  *  et 
que  les  soixante-dix  semaines  d'années  fixées  par  Daniel 
seront  écoulées  •.  On  est  averti  qu'il  viendra  à  Jérusalem, 
dans  le  temple  de  Zorobabel  *%  qu'un  autre  Elie  le  précé- 
dera ",  qu'il  annoncera  l'Evangile  aux  pauvres  et  aux  pe- 
tits *-,  qu'il  commencera  sa  prédication  sur  les  confins  de 
Zabulon  et  de  Nephtali  *^,  qu'il  ouvrira  les  yeux  aux  aveu- 
gles et  rendra  la  santé  aux  infirmes  **,  qu'il  enseignera  la 
voie  parfaite^*,  qu'il  parlera  en  paraboles**,  qu'il  sera  le 
précepteur  des  Gentils  ^\  qu'il  les  convertira  **,  qu'il  aveu- 
glera les  sages  et  les  prudents  et  qu'il  éclairera  ceux  qui 
étaient  dans  les  ténèbres  *•  ;  qu'il  sera  la  pierre  précieuse  qui 
servira  de  fondement  à  Sion  ^*,  en  même  temps  que  la  pierre 
d'achoppement  et  de  scandale  sur  laquelle  Israël  viendra  se 
heurter  et  se  briser  "  ;  que  ceux  qui  devaient  bâtir  l'édifice 
la  rejetteront  ",  mais  que  Dieu  en  fera  la  pierre  angulaire  "; 
que  cette  pierre  croîtra  et  deviendra  une  montagne  im- 
mense qui  couvrira  toute  la  terre  **.  Enfin  on  sait  qu'il  sera 
renié  par  les  Juifs  *%  abreuvé  d'opprobres  et  de  tourments  *% 
mis  à  mort  "  et  transpercé  ^*  ;  mais  qu'il  ressuscitera  ", 
qu'il  montera  au  ciel  ^%  pour  s'asseoir  à  la  droite  de  son 

ot  coleretur  et  mortuus,  niagus  erat  etiam  antequam  natus?  S.  Aug. 
In  Joan.y  xxxv,  8. 

*  Mal.,  III,  I.  —  a  Is  ,  IX,  6.  —  »  Is.,  vu,  14.  —  *  Mich.,  v,  2. 

^Gen.,  XVIII,  18.  —  «  Gen.,  xlix,  8.  —  "ï  h  Reg.,  vu,  12;  Is.,  vu,  13. 

-  *  Gen.,  XLIX,  10.  -  »  Dan.,  ix,  24-27.  —  io  Mal.,  m,  1  ;  Agg.,  ii,  10 

-  »i  Mal.,  IV,  5.  —  12  l8.,  Lxi,  1.  —  13  Is.,  IX,  1,  —  1*  Is.,  XXXV,  5,  6* 
■^  »  Is.,  XXX,  21.  —  *«  Ps.  Lxxvii,  2.  —  n  Is.,  Lv,  4.  —  «8  Ps,  XXI,  28  j 
Is,,  xvii,  7,  8.  —  1»  Is.,  VI,  10;  ix,  2.  —  *o  Is.,  xxviii,  16.  —  ai  U.] 
vm,  14,  15.  —  *2  Ps.  cxvi,  22.  —  23  is.,  xxviii,  16.  —  2*  Dan.,  11,  35.  — 
"  Ps.  cxvii,  22;  Dan.,  ix,  26.  —  26  p».  xxi,  1-20;  lxviii,  22,  —  i^  Dan., 
11,26.  —  28  Ps.  XXI,  n.  —  29  Ps.  XV,  10;  Osée,  vi,  3.  —  3o  Ps.  xxiii,  7; 
uvn,  19. 

m.  1 3 


àl8  réSUS-CHRIST  SELON   L*ÉVANGILE.  [n«  103 

père  *;  que  les  rois  de  la  terre  et  tous  les  peuples  Tadore- 
ront  *,  que  les  temples  des  idoles  seront  abattus  et  que  les 
sacrifices  lévitiques  cesseront';  qu'un  peuple  venu  avec 
son  chef  détruira  Jérusalem  et  son  temple  %  que  les  Juifs 
leur  •  survivront  *,  mais  dispersés  et  errants  par  tout  le 
mondes  sans  prophètes  %  sans  rois,  sans  sacrifices,  sans 
autel  •,  comme  frappés  d'aveuglement  %  cherchant  le  salut 
et  ne  le  trouvant  pas.  On  sait  tout  cela  dans  la  Judée  :  du 
moins  on  peut  le  savoir  et  l'on  en  a  quelque  idée.  Le  détail 
se  lit  dans  les  prophètes  *°. 

» 

ARTICLE   YI. 

Naissance  de  saint  Jean-Baptiste,  Luc,  i,  57-80. 
{Béi>rofi^  7  ans  avant  l'ère  chrétienne,  iAjuin.) 

•  103.  —  Quel  est  le  sujet  du  cantique  de  Zacharie  et  que  faut-il 
entendre  par  ces  mots  :  Oriens  ex  alto? 

I.  Zacharie  rend  grâces  à  Dieu  pour  le  bienfait  de  la  ré- 
demption et  pour  la  manière  dont  elle  doit  s'opérer.  Dans 
la  première  partie  *^  il  signale  les  maux  dont  le  Messie 
vient  délivrer  son  peuple  et  les  biens  dont  il  va  le  combler. 
Dans  la  seconde  ",  il  célèbre  la  destinée  du  Précurseur,  ses 
qualités,  ses  travaux,  la  part  qu'il  doit  prendre  à  l'oeuvre 
du  Sauveur.  Avec  les  préoccupations  communes  à  tous  les 
Israélites  fidèles,  ce  cantique  reflète  la  joie  du  père,  ravi 
par  la  naissance  miraculeuse  de  son  fils,  la  religion  du 
prêtre  qui  ne  voit  de  grand  que  le  service  de  Dieu  et  la 
sanctification  des  âmes,  enfin  les  lumières,  l'inspiration,  le 
ravissement  des  prophètes  *^  Il  suffirait  pour  montrer  que 

1  Ps.  cix,  1.  —  8  Ps.  Lxxi,  11.  —  8  Mal.,  I,  11;  Dan.,  ix,  27.  —  ♦  Dan., 
IX,  26.  —  *  Jerem.,  xxxi,  36.  —  •  Amos.,  ix,  9.  —  "^  Ps.  ijcxin,  9.  — 
8  Osée,  m,  4.  —  »  Deut.,  xxviii,  28,  29.  —  lo  Quanto  major  judex 
veniebat,  tanto  prœconum  longior  séries  prsecedero  debebat.  S.  Aug., 
In  Joan.y  xxxf.  Cf.  A.  T.,  n.  902,  903.  S.  Justin.,  Dial.;  Euseb.,  DemonsL; 
S.  Aug.,  Cont.  Faust. f  xii,  xiii  ;  Bossuet,  H.  V.,  II,  iv;  Pascal,  Pensées; 
Lamennais,  Essai  sur  lindiff.^  xxxii.  —  ii  Luc,  i,  68-75.  —  **  Luc, 
I,  76-79.  —  **  Prophetavit,  dit  S.  Luc,  i,  67.  Quid  est  prophetia?  Rcrum 


H^  104]      SA  VIE  CACHJEE.  —  SOUfrÇONS  DE  S.  JOSEPH.  îilô 

le  Messie  résumait  en  lui  tout  Tespoir  d'Israël  et  que  la 
conviction  la  plus  profonde  du  peuple  Juif  avait  pour  objet 
le  rôle  glorieux,  réservé  dans  l'histoire  du  monde  à  Celui 
dont  il  attendait  la  venue  *. 

IL  Quelques  interprètes  font  observer  que  le  terme 
grec  avaToXî),  rendu  par  oriens,  est  quelquefois  employé 
pour  germen  '.  Mais  il  paraît  bien  traduit  en  cet  endroit. 
Zacharie  semble  faire  allusion  aux  passages  de  TAncien 
Testament  où  il  est  dit  que  le  Seigneur  se  lèvera  sur  son 
peuple  comme  un  astre  brillant  ',  et  suivre  l'idée  qu'il  a 
énoncée  dès  son  premier  verset  :  Dem  Israël  visitavit,  etc. 
Quelle  image  plus  naturelle  pour  désigner  celui  qui  se  dira 
la  lumière  du  monde  et  qui  disipera  les  ténèbres  de  l'igno- 
rance et  de  l'erreur!  Quoi  qu'il  en  soit,  ces  mots  :  ex 
alto,  assignent  évidemment  au  Sauveur  une  origine  plus 
qu'humaine  et  une  existence  antérieure  à  son  apparition  sur 
la  terre. 

L'Eglise  chante  chaque  jour  ce  cantique  avec  ceux  de  la 
sainte  Vierge  et  de  Siméon,  comme  un  témoignage  de  sa 
reconnaissance  pour  les  mystères  de  Tlncarnation  du  Verbe 
et  de  la  rédemption  du  monde.  Elle  les  doit  tous  trois  à 
S.  Luc,  aussi  bien  que  Y  Ave  Maria  et  l'hymne  des  anges: 
Gloria  in  excelsis  '\ 

ARTICLE    VIÎ. 
Retour  de  Marie  à  Nazareth,  Matth.^  i,  18-25. 

■  104.  —  Faut-il  penser  que  saint  Joseph  a  connu  l'état  de  la  très  sainte 
Vierge  avant  la  Visitation,  ou  qu'au  retour  de  Marie  il  ignorait  en- 
core le  mystère  opéré  en  elle? 

La  sainte  Vierge  s'étant  rendue  auprès  de  sa  parente  aus- 
sitôt après  l'Annonciation,  cum  festinatione  ^  il  est  évident 

latentium,  prœteritarum,  prsesentium  aut  futurarunoi  ex  divina  inspira- 
tione  manifestatio.  Junil.,  de  Part,  divin,  leg.y  i,  4. 

*  Act.,  XXVIII,  20.  Cf.  Isai.,  xlv,  8.-2  Zac,  ïii,  8;  vu,  12.  —  ^  Is., 
Lx,  19;  Malac,  iv,  2.  —  *  Cf.  Martigny,  Doxologie.  —  s  Luc,  i,  39. 
Non  quasi  incredula  de  oraculo,  nec  quasi  incerta  de  nuntio,  nec  quasi 


2â0  jEâus-CHRisf  SELON  l'évaNGilë*  [n^  108 

qu«  les  soupçons  de  Joseph,  n'ont  pu  avoir  lieu  avant  la  Vi- 
sitation. A  Hébron ,  Marie  semble  s'être  trouvée  seule  : 
S.  Joseph  ne  paraît  nulle  part  dans  le  récit  de  l'Evangile, 
ni  à  l'arrivée  ni  au  départ.  C'est  une  des  raisons  qu'on 
allègue  pour  soutenir  que  le  mariage  n'avait  pas  encore 
eu  lieu,  ou  n'était  pas  encore  célébré.  S.  Joseph  pouvait 
donc  ignorer  ce  qui  s'était  dit  dans  la  maison  de  Zacharie. 
Supposé  môme  qu'il  en  eût  appris  quelque  chose,  il  pou- 
vait hésiter  à  y  croire.  Fallait-il  moins  qu'une  révélation 
pour  lui  apprendre  d'une  manière  certaine  un  événement 
si  prodigieux? 

*  105.  —  Pourquoi  saint  Joseph  songe-t-il  à  se  séparer  de  son  Epouse, 
et  à  s'en  séparer  sans  éclat,  occulte^  Matth.,  i,  19? 

S.  Joseph  ne  pouvait  pas  rester  auprès  de  Marie,  pour  en 
partager  le  déshonneur  ^  ;  mais  il  avait  à  cœur  de  ne  pas  la 
diffamer,  parce  qu'il  connaissait  sa  vertu  et  que,  malgré  les 
apparences,  il  ne  pouvait  pas  la  juger  coupable-  Telle  est 
l'interprétation  commune. 

Suivant  S.  Bernard  *,  S.  Joseph  n'aurait  jamais  eu  aucun 
soupçon  pénible  à  l'égard  de  son  épouse  :  mais  ayant  été 
instruit  de  ce  qui  avait  eu  lieu  et  de  la  dignité  à  laquelle  elle 
était  élevée,  il  aurait  cru  que  ce  serait  une  présomption  à 
lui  de  rester  à  ses  côtés  et  de  se  conduire  comme  s'il  était  le 
père  de  Celui  auquel  elle  devait  donner  le  jour.  Dès  lors  son 
humilité  l'aurait  porté  à  dire  à  Notre  Seigneur  comme 
S.  Pierre  :  Exi  a  ine^  quia  homo  peccator  sum.  Domine^  ou 
comme  le  cenlenier  :  Non  sum  dignus  ut  intres  sub  tectum 
meum  \  Cette  explication,  dit  Maldonat,  souriait  à  la  piété  du 
saint  docteur  ;  mais  comment  la  concilier  avec  le  sentiment 
commun  et  avec  le  sens  naturel  du  texte  :  Cum  nollet  eam 

dubitans  de  exemplo,  sed  quasi  Iseta  pro  voto,  religiosa  pro  officio, 
festina  pro  gaudio.  S.  Amb.,  De  Virgin,,  ii,  12. 

1  Cf.  Deut.,  xxn,  20,  21;  EccU.,  xix,  3;  Dan.,  xiii,  41,  45.  Hoc  testi- 
monium  Mari»  est,  quod  Joseph,  sciens  iUius  castitatem  et  admirans 
quod  evenerat,  celât  silentio  cujus  mysterium  nesciebat.  S.  Hieron., 
In  Maith.,  i.  —  2  s.  Bern.,  Hom,  ii  Super  Missus  est,  —  ^  Luc,  v,  8.  — 
:*  Mattli.,  viti,  8. 


N»  106]      SA  VIE  CACHÉE.  —  RÉVÉLATION  A  S.  JOSEPH.  221 

traduceref  Un  ange  est  enveyé  à  Joseph  pour  le  rassurer; 
il  l'exhorte  à  chasser  toute  crainte.  Et  par  quel  moyen  le 
rassure-t-il  ?  En  lui  certifiant  la  réalité  du  fait  qu'on  suppose 
être  la  cause  de  ses  anxiétés,  savoir  :  que  Marie  a  conçu  par 
l'opération  du  Saint-Esprit  et  qu'elle  va  mettre  au  monde  le 
Sauveur  des  hommes,  l'Emmanuel  prédit  par  Isaïe.  Dès  ce 
moment,  ses  inquiétudes  cessent...  Joseph  ignorait  donc  au- 
paravant ce  mystère  ;  la  cause  de  son  trouble  n'était  donc 
pas  la  connaissance  qu'il  en  avait  acquise.  D'ailleurs  qui  ne  voit 
à  quel  péril  il  eût  exposé  Marie  et  l'enfant  en  les  abandon- 
nant ?  Bien  loin  de  les  honorer  comme  on  le  prétend  et  de 
leur  témoigner  un  juste  respect,  il  les  aurait  voués  l'un  et 
l'autre  à  l'opprobre  et  à  la  misère. 

106.  —  Est-K^e  pour  prouver  la  divinité  du  Sauveur,  ou  pour  attester  la 
virginité  de  sa  Mère,  qulsaie  est  cité  en  S.  Matthieu,  i,  23? 

Le  texte  d'Isaïe  prouve  bien  la  divinité  du  Sauveur,  comme 
S.  Justin  l'établit  déjà  contre  les  Juifs  :  Yocabunt  nomen  ejus 
Emmaniiel  *.  Etre  appelé  Emmanuel,  c'est,  suivant  le  lan- 
gage des  prophètes,  en  mériter  le  titre,  en  réaliser  la 
signification,  avoir  la  dignité  exprimée  par  ce  terme  '.  Mais 
la  citation  faite  en  S.  Matthieu  a  pour  objet  direct  sa  concep- 
tion miraculeuse ,  et  par  conséquent  la  virginité  de  Marie. 
C'est  ce  qui  résulte  du  contexte  en  en  outre  du  dessein  de 
l'ange,  si  c'est  l'ange  qui  parle  encore  au  verset  22  ;  car  il 
n'est  venu  que  pour  calmer  l'inquiétude  de  Joseph  au  sujet 
de  son  épouse. 

Au  verset  23,  le  mot  Virgo^  y)  IIxp6svoç,  il/mdlA,  doit  être 
pris  littéralement,  et  in  sensu  composito^  d'une  vierge  res- 
tant vierge  *.  Il  est  clair  que  l'ange  et  S.  Matthieu  l'entendent 
ainsi.  Quant  au  prophète,  s'il  l'entendait  autrement,  s'il 
voulait  seulement  parler  d'une  femme  ordinaire,  qui  ne 
se  distinguerait  en  rien  sous  le  rapport  de  la  virginité,  qui 

'  Is.,  VII,  14.  Cf.  s.  Justin.,  Dial.,  n.  55,  67,  77,  84;  S.  Iren.,  m, 
xvi,  2;  XXI,  6.  —  2  Cf.  Is.,  i,  26;  ix,  6;  lx,  14;  lxii,  4;  Jcr.,  m,  17; 
xxin,  6;  Eiech.,  xlviii,  35;  Zac,  viii,  3.  —  '  Cf.  Gen.,  xxiv,  43;  Ex., 
n,  8;  Gant.,  i,  3;  vi,  8;  Prov.,  xxx,  19. 


222  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n®  107 

devait  concevoir  et  enfanter  comme  les  autres  femmes, 
qu'est-ce  qui  Tautoriserait  à  appeler  signe ^  prodige,  miracle 
et  miracle  tout  divin  le  fait  qu'il  annonce*  ?  La  virginité  de 
la  Mère  de  Dieu  a  donc  étô  prédite  par  les  prophètes;  la 
voilà  nettement  affirmée  au . début  de  l'Evangile;  plus  tard 
elle  sera  enseignée  par  les  Apôtres,  définie  et  célébrée  par 
l'Eglise  :  Virgo  concepit^  tirgo  peperit,  virgo  post  partum, 
quem  genuit,  adoravit  *. 

*  107.  —  N'y  a-t-il  pas  dos  auteurs  qui  appliquent  ce  passage  d'Isaîe, 
VII,  14,  à  la  feramo  et  au  fils  du  prophète,  ou  bien  à  la  femme  et  au 
fils  du  roi  Achaz? 

Parmi  les  interprètes  orthodoxes,  plusieurs  voient  deux 
sens  dans  ce  passage,  le  premier  vérifié  du  temps  d'Isaîe,  le 
second  accompli  par  la  naissance  du  Sauveur,  et  ils  dis- 
cutent entre  eux  sur  la  nature  de  ces  deux  sens,  c'est-à-dire 
si  tous  deux  sont  littéraux  ou  si  l'un  des  deux  est  spirituel. 
Mais  c'est  le  petit  nombre  qui  admet  ces  deux  sens'.  En  gé- 
néral, les  auteurs  catholiques  n'y  voient  qu'un  sens  littéral, 
ayant  Jésus-Christ  et  sa  mère  pour  objet.  Ils  appuient  leur 
sentiment  :  —  sur  la  signification  du  mot  almâh,  r^  Ilapôevo;, 
Virgo  *,  sur  l'application  que  l'ange  en  fait  à  Marie  %  --  sur 
les  autres  passages  d'Isaîe  où  il  est  question  du  même  enfant, 
et  où  il  est  donné  clairement  pour,  le  Messie  %^  enfin  sur 
les  circonstances  dans  lesquelles  ces  paroles  ont  été  pro- 
noncées. Jérusalem  se  voyait  menacée  par  les  troupes  du  roi 
d'Israël  et  du  roi  de  Syrie.  Isaïe  annonce  à  Achaz  de  la  part 
de  Dieu  qu'il  sera  épargné,  et  il  lui  montre  ses  enfants 
comme  gage  de  la  délivrance  qu'il  lui  promets  Mais  à  cette 
occasion,  les  vues  du  prophète  s'élèvent  :  il  lui  prédit  un 
prodige  bien  plus  surprenant;  il  parle  d'un  autre  enfant, 

1  Dabit  ipse  Deus  signum.  Is.,  vu,  .11^14.  —  s  Ofi".  B.  M.  Virginis. 
Cf.  Isai.,  XLV,  5;  Jer.,  xxxi,  42;  Micli.,  v,  2,  3;  Gai.,  iv,  4;  Apoc.» 
XII,  17.  A.  T.,  926-929;  Infra,  n.  736.  —  3  Cf.  S.  Hier.,  In  hune  loc. 
—  *  Ostendant  mihi  ubi  hoc  verbo  appellentur  et  nuptae,  et  imperi- 
tiam  confitebor.  S.  Hieron.,  Adv,  Jovin.,  i,  32.  —  s  ut  adimpleretur. 
Matth.,  i,  22-23.  Cf.  Luc,  i,  31.  —  «  Is.,  viii,  8;  ix,  6,  7.  —  '  Is.,  vni, 
3,  4,  i8, 


N»  108]      SA  VIE  CACHÉE.  —  RÉVÉLATION  A  S.  JOSEPH.  223 

d'un  enfant  nïerveilleux  qui  doit  avoir  pour  mère,  non  une 
simple  prophétesse,  mais  une  vierge,  la  Vierge,  et  qui  sera 
le  gage  d'une  délivrance  bien  autrement  désirable*.  Aussi 
cette  naissance  n'est-elle  pas  annoncée  seulement  à  Achaz, 
mais  à  toute  la  maison  d'Israël  *,  et  est-elle  donnée  pour  le 
signe  le  plus  prodigieux  qui  puisse  lui  venir  du  ciel  :  Signum 
in  excelsum  supra  *.  Autant  il  est  certain  que  ce  grand  libé- 
rateur, déjà  tant  de  fois  prédit,  viendra  dans  son  temps,  au- 
tant est-il  assuré  que  Jérusalem  sera  préservée  des  attaques 
du  roi  de  Syrie  *. 

On  n'est  pas  obligé  d'admettre  cette  interprétation,  et  cer- 
tains détails  peuvent  être  contestés  ;  mais  il  ne  serait  pas 
permis  de  récuser  l'application  de  ce  passage  d'Isaïeà  Notre 
Seigneur  et  à  la  sainte  Vierge.  Spirituel  ou  littéral,  le  sfens 
allégué  par  l'ange  et  par  S.  Matthieu '^  est  certainement  réel. 
En  faire  une  accommodation  purement  esthétique,  ce  serait 
contredire  cette  parole  ;  Hoc  totum  factum  est  ut  adimple- 
rdur  quod  dictum  est  a  Domino,  et  braver  la  censure 
portée  en  1779  par  Pie  VI  contre  le  D' Isenbielh,  prêtre  de 
Mayence.  .     .  . 

*  108.  —  Cetto  révélation  faite  à  S.  Joseph  n'est-cUe  pas  un  songe,  et  ne 
serait-ce  pas  la  raison  pour  laquelle  elle  est  omise  par  S.  Luc? 

i 

I.La  révélation  faite  à  S.  Joseph  est  bien  un  songe,  puis- 
qu'elle eut  lieu  pendant  son  sommeil;  mais  c'est  un  songe 
divin,  et  S.  Joseph  était  aussi  certain  de  ce  qui  lui  avait 
été  dit  que  s'il  avait  reçu  cette  communication  dans  Fétat 
de  veille.  Dieu,  qui  dirige  les  hommes  comme  il  lui  plaît 
et  qui  agit  à  son  gré  sur  leur  esprit  et  sur  leur  cœur,  l'éclai- 
rait  de  telle  sorte  qu'il  n'en  pouvait  douter.  On  trouve  dans 
les  livres  inspirés,  comme  dans  les  Vies  des  Saints,  un  grand 
nombre  de  songes  de  ce  genre,  également  miraculeux  et 
prophétiques  ®. 

»  • 

*  l8.,  VII,  14.  —  a  Is.,  VII,  13.  —  3  Isa!.,  vu,  11,  14.  Cf.  L.  B.  Dracli., 
Harmonie  entre  V Eglise,  et  la  synagogue j  t.  ii.  -^  *  Cf.  Ex.,  m,  12; 
I  Reg.,.n,  34;  Jer.,  xuv,  29.  Voir  Bossuet,  Explie,  de  la  proph,  dTÎsaïe, 
—  *  Matùi.j  I,  23.  —  *  Si  quis  fuerit  inter  vos  propbeta  Domini,  iiii 


224  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n<»  109 

II.  s.  Matthieu  ne  pouvait  omettre  cette  révélation.  N'ayant 
pas  rapporté  comme  S.  Luc  les  paroles  de  l'Ange  à  la  sainte 
Vierge*,  il  devait  expliquer  d'une  autre  manière  comment 
il  faut  entendre  ce  qu'il  a  écrit  au  verset  16  :  Joseph,  vinim 
Mariœ  de  qua  natus  est  Jésus  ^  D'ailleurs  il  entrait  dans 
son  dessein  de  faire  voir  en  Notre  Seigneur  Taccomplis- 
sement  des  prophéties  messianiques.  Or,  le  texte  d'Isaïe 
sur  la  virginité  de  Marie  et  la  naissance  de  l'Emmanuel 
est  une  des  principales.  Ni  Tune  ni  l'autre  de  ces  raisons 
n'existait  pour  S.  Luc.  Il  écrivait  pour  les  Gentils,  qui  se 
préoccupaient  assez  peu  des  prophéties  anciennes;  et  ce 
que  S.  Matthieu  dit  en  cet  endroit,  il  l'avait  dit  équivalem- 
ment,  et  même  avec  plus  d'étendue,  en  retraçant  la  scène 
de  l'Annonciation. 

109.  —  Puisque  Marie  a  gardé  sa  virginité  jusqu'à  sa  mort,  comment 
Notre  Seigneur  est-il  appelé  son  premier-né^  Matth.,  i,  25? 

Premier-né  dans  l'Ecriture,  ne  signifie  pas  précisément 
celui  qui  a  un  frère  puîné,  mais  celui  qui  n'a  pas  de  frère 
plus  âgé'.  Le  premier-né  avait  cette  qualité  dès  sa  nais- 
sance :  il  en  portait  le  nom.  A  ce  titre,  il  avait  droit  à  cer- 
tains avantages  et  il  était  sujet  à  certaines  obligations*. 
C'est  donc  à  dessein  et  avec  raison  que  l'évangéliste  dit  ici 
que  Jésus  était  premier-né,  xov  7:pwTOTcxov,  25.  Il  le  désigne 
par  là  comme  héritier  de  David,  comme  ayant  un  droit  pri- 
vilégié sur  son  héritage  *.  Loin  de  faire  difficulté,  cette 
expression  devient  un  signe  d'authenticité.  Très  naturelle 
sous  la  plume  d'un  juif,  elle  ne  se  serait  pas  présentée  à  un 

visione  apparebo  ei,  vel  per  somnium  loquar  ad  illum.  Nura.,  xii,  6. 
Cf.  A,  T.f  n.  846;  Gen.,  xv,  12-17;  xx,  3;  xxviii,  11-13;  xxxvii,  5-7; 
xLi,  1-16;  m  Reg.,  m,  5;  Esth  ,  x,  5;  xi,  5;  Dan.,  iv,  7;  vu,  7; 
II  Mac,  XV,  12-16;  Act.,  ix,  10-16.  S.  Th.,  2»  2« ,  q.  171,  a.  5.  Dictionn. 
de  mystique  chrët.y  Songes. 

*  Luc,  I,  35,  37.  -  2  Cf.  Marc,  vi,  3.-3  Non  quem  fratres  sequun- 
tur,  sed  qui  prius  omnium  natus  est.  S.  Hier.,  In  Mattk.^  i,  et  Adv. 
Uelv.y  X.  —  *  JLuc,  II.  23.  —  »  cf.  Gen.,  x,  15;  xxi,  12;xxii,  21; 
xxvii,  19;  Exod.,  iv,  23;  vi,  14;  xiii,  2;  Num.,  xviii,  15;  Deut.,  i,  6; 
XXI,  17;  Hob.,  1.  De  là  l'usage  d'appeler  premier-né  tout  ce  qui  rem- 
porte par  ses  (juaUtés  ou  ses  prérogativeSf 


S^  109j      SA  VIE  CACHÉE.  —  RÉVÉLATION  A  S.  JOSEPH.  225 

écrivain  d'une  autre  nationalité,  ou  il  Taurait  écartée  avec 
soin. 

On  doit  faire  une  observation  analogue  sur  les  mots  qui 
précèdent  :  Donec  peperit,  25.  Donec,  noz  eu,  indique  la  per- 
sistance d'un  état  de  choses  jusqu'à  un  certain  temps,  mais 
n'implique  pas  la  cessation  de  cet  état  de  choses  après  cette 
époque*.  Les  mots  antequam  convenirent,  i,  18,  s'expliquent 
de  même  '. 


*  Sic  enim  cain  a  Noe  corvus  ex  arca  esset  emissus  :  Non  est,  inquit, 
reversus  donec  siccaretur  terra.  Et  certe  nec  postea  invenitur  rcdiisse. 
S.  Chrys.,  Jn  Malth.^  hom.  v.  Cf.  Gen.,  viii,  7;  Deut.,  xxxiv,  6;  II  Reg., 
71,23;  III  Reg.,  xxii,  27;  II  Par.,  xviii,  10;  Ps.  xvii,  23;  cxxii,  2;  Is., 
XXII,  14;  Matth.,  v,  25;  I  Cor.,  xv,  25;  Apoc.,  xx,  3.  Plusieurs  ex- 
pliquent dans  ce  sens  le  fameux  texte  de  la  Genèse  :  Non  aufcretur 
sceptrum  de  Juda,  donec...  Juda  dominera  toujours,  tiendra  encore  le 
sceptre  ..  Cf.  Ps.  cix,  1.  —  2  ita  negat  praeteritum  ut  non  ponat  futu- 
rum.  S.  Hieron.,  Cont.  Helvid.y  5,  6.  Quasi  si  velimus  dicere  :  Holvidius, 
antequam  pœnitentiam  ageret»  morte  praeventus  est,  statim  Helvidio 
pœnitentia  sit  agenda  post  mortem.  Ibid  3.  Cf.  Ps.  lvii,  10;  Is.,  xxvii,  27  ; 
Lxvi,  7.  S.  Thom.,  p.  3,  q.  28,  a.  3;  Brev.  Rom.,  19  mart.,  lect.  viii; 
Supra^  n.  93. 


13. 


226  JÉSUS-CHHI8T  SELON  l'ÉVANGILE.  [n"  110 


CHAPITRE    n. 

ENFANCE   ET  PREMIÈRE  JEUNESSE   DU   SAUVEUR. 


Sa  nalssaBce,  Uc,  i[,  11-11. 

{BeIhUam,  2K  tUeemtrt,  7  aiu  avanl  notre  irt,  an  de  Bime  7«T,  d'Auguilt  39.) 

110.  —  Recensement  montioniié  par  S.  Luc  '.  Comment  Quirinus  l'eùt- 
il  fait  en  Jad6eà  la  naissance  du  Sauveur,  puisqu'il  n'est  devenu  gou- 
verneur de  Syrie,  suivant  Josèphe,  qu'à  la  mon  d'ArcliélaOs  s? 

I.  On  n'est  pas  fondé  à  nier  la  réalité  du  recensement. 

1°  Le  silence  des  historiens,  fùt-il  absolu  à  cet  égard,  ne 
serait  qu'une  raison  négative,  et  l'on  expliquerait  ce  silence 
par  ces  deux  considérations  :  —  Que  Dion  est  le  seul  qui 
nous  ait  laissé  une  biographie  détaillée  d'Auguste,  et  que 
nous  avons  perdu  la  partie  de  son  ouvrage  ayant  pour  objet 
les  dix  années  dans  lesquelles  a  dû  se  faire  ce  dénombre- 
ment. —  Que  ce  dénombrement  pourrait  n'avoir  pas  eu 

<  Médaille  d'Auguste,  sous  le  nom  de  Céiai;  son  grand-oncle  avec  le 
titre  de  Grand  Pontife,  qu'il  reçut  douîo  ans  avant  notre  ère.  Elle  a  été 
souvent  reproduite  avec  des  variantes.  Revers  :  Image  d'un  autel  élevé 
vers  cette  époque,  au  cojiQuent  du  BhAne  et  de  la  SaAne,  par  les  aoiiante 
nations  gauloises,  et  consacré  par  elles  à  Rome  et  à  l'Emperear,i:ommi 
gage  et  symbole  de  leur  lldélité.  Suéton,  Claude,  S.  Sur  le  devant  de 
Tautel  était  une  couronne  soutenue  par  deux  génies;  de  chaque  cûté, 
deui  hautes  colonnes  surmontées  de  victoires  qui  supportaient  d'autres 
victoires.  Ces  colonnes  ont  été  sciées,  et  servent  depuia  longtemps,  do 
piliers  pour  soutenir  la  voûte  du  choeur  dans  l'église  d'Ainaf,k  Lyon, 
(Riblioth.  nationale).  —  «  Luc,  ii,  1,  -  "Joseph,,  A.,  XVIU,  i. 


.nMIO]  sa  vie  cachée.  —  sa  naissance.  227 

rimportance  qu'on  lui  attribue,  et  qu'ici,  comme  en  beau- 
coup d'autres  endroits  de  l'Ecriture,  l'auteur  sacré  a  pu  dé- 
signer par  ces  mots,  toute  la  terre,  %o.fs%  iq  oixcutieviQ,  la  pro- 
vince de  Judée  qui  venait  d'être  réunie  à  l'empire*. 

2'  Hais  le  silence  n'est  pas  réel.  On  a  trouvé  à  Ancyre,  en 
Galatie,  sur  les  murs  d'un  temple  consacré  à  Auguste,  un 
résumé  de  l'histoire  de  son  règne,  écrit  par  lui  pour  être 
placée  dans  son  mausolée'.  Or,  dans  ce  résumé  il  men- 
tionne un  recensement  qu'il  a  fait  des  citoyens  romains, 
recensement  qui  semble  supposer  un  dénombrement  général 
de  l'empire.  Il  indique,  la  date  de  cette  opération,  et  cette 
date  coïncide  avec  celle  de  la  naissance  du  Sauveur.  Nous 
avons  de  plus  le  témoignage  de  plusieurs  auteurs.  Suétone 
(t  140),  dans  son  Histoire  des  douze  Césars^  rapporte  qu'Au- 
guste a  fait  trois  fois  le  recensement  de  l'empire  et  qu'il  en 
a  laissé  un  cadastre  :  breviarium^.  Tacite  (f  130)  dit  à  peu 
près  la  même  chose  *.  S.  Justin,  né  à  Sichem,  à  12  lieues  de 
Jérusalem,  écrivait  vers  138,  dans  son  apologie  pour  l'em- 
pereur Antonin  :  Jésus-Christ  est  né  à  Bethléem.  Vous  pouvez 
votis  en  assurer^  en  consultant  le  recensement  de  Quirinus, 
votre  premier  gouverneur  en  Jvâée  *.  TertuUien  disait  de  même 
aux  Marcionites,  160  ans  après  la  mort  d'Auguste  :  Les  pièces 
originales  du  dénombrement  d'Atiguste  sont  conservées  dans 
les  archives  de  Rome.  Leur  déposition  fournit  un  témoignage 
authentique  relativement  à  la  naissance  du  Sauveur  *.  D'après 
cet  auteur,  ce  serait  sous  le  gouvernement  de  Saturninus 
que  le  dénombrement  aurait  eu  lieu  ;  mais  cela  n'empêche 
pas  qu'il  ait  pu  être  exécuté  par  les  soins  de  Quirinus,  asso- 
cié ou  subordonné  pour  cet  effet  au  gouverneur. 

*  Cf.  Gen  ,  XIII,  15;  Jos.,  ii,  3;  I  Reg.,  xxx,  16;  Luc,  iv,  25;  Act., 
vui,  11.  —  2  Infra;  n.  722.  ~  3  Censum  ter  egit,  primum  ac  tertium  cum 
coUega,  médium  solus.  Suet.,  Aug.^  xxviii  et  ci.  —  *  Tacit.,  Ann,^  I,  xi. 
—  *  s.  Justin.,  I  Apoi.y  35.  Cf.  Dial.  Ev  <TiiT]>ai(i>  Ttvi,  73.  Lieu  obscur, 
caché  au  fond  d'une  vallée  de  notre  globe  (in  pan'O  tcrrsB  foramine, 
S.  Hier.,  Epist.  xlvi,  10),  comme  notre  globe  lui-même  est  caché,  perdu 
parmi  les  myriades  de  mondes ,  semés  dans  Timmensité  de  Tespace  : 
digne  berceau  d'un  Dieu  qui  veut  s'anéantir.  P.  Faber,  Précieux  Sang. 
^  *  Tert.,  Adv,  Març,^  iv,  7,  19. 


228  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'ÉVANGILE.  [n^  110 

IL  On  n*est  pas  plus  fondé  à  soutenir  que  Quirinus  n'a  pu 
y  prendre  la  part  que  lui  attribue  S.  Luc.  En  effet  : 

1**  Il  n'est  pas  croyable  que  l'évangéliste  qui  parait  avoir 
recueilli  le  plus  de  renseignements  et  donné  le  plus  d'atten- 
tion à  la  chronologie,  se  soit  trompé  d'une  quinzaine  d'an- 
nées, ou  qu'il  ait  cherché  sans  motif  à  tromper  ainsi  ses  lec- 
teurs sur  un  fait  important,  public,  qui  s'était  passé  sous  les 
-yeux  de  ses  contemporains,  et  dont  il  parle  très  exactement 
ailleurs  K 

2*  Quant  à  ses  paroles,  il  y  a  diverses  manières  de  les 
accorder  avec  Josèphe  ^  parce  qu'on  peut  les  entendre  en 
divers  sens.  On  peut  traduire  sur  le  texte  grec  de  S.  Luc  : 
Ce  recensement  est  le  premier  qui  se  fit  sous  le  gouvernement 
de  Quirinus,  en  Syrie  ^.  Or,  on  a  des  raisons  de  croire  que 
Quirinus  a  été  deux  fois  gouverneur  de  Syrie,  ou  du  moins 
qu'avant  son  gouvernement,  mentionné  par  Josèphe,  il  avait 
exercé  dans  cette  province  une  autorité  qui  s'étendait  jus- 
<|u'en  Judée.  Où  bien  :  Ce  recensement^  commencé  à  la  nais- 
sance du  Sauveur,  fut  achevé  plus  tard  par  Quirinus,  qui 
attacha  son  nom  aux  actes  officiels.  Ou  bien  encore  :  Il 
fut  fait  avant  que  Quirinus  fût  gouverneur  de  la  Syrie  : 
prior  prueside  Cyrino,  xpoir^  étant  mis  pour  Tipcoispa  *.  Ce 
dernier  sens  est  adopté  par  un  bon  nombre  d'interprètes, 
quoiqu'il  ait  contre  lui  S.  Justin  et  les  premiers  commen- 
tateurs. 

Quelle  que  soit  la  traduction  qu'on  préfère,  il  est  certain 
que  le  dénombrement  indiqué  par  S.  Luc  peut  avoir  eu  lieu 
du  vivant  d'Hérode.  Or,  il  convenait  que  l'évangéliste  en  fit 
mention,  soit  pour  commencer  son  histoire  par  une  date 
connue,  soit  pour  signaler  les  actes  ou  titres  authentiques 
qu'on  pouvait  consulter  sur  la  naissance  du  Sauveur,  soit 
enfin  pour  constater  que  le  sceptre  de  Juda  était  bien  dès 
lors,  suivant  la  prophétie  de  Jacob,  aux  mains  des  étran- 
gers. 

1  Act.,  V,  36,  37.  —  2  Joseph.,  A.,  XVill,  i,  1  et  n,  1.  —  3  IlpiiDTY), 
équivalant  à  Tcptoiov.  —  *  Cf.  Joan.,  i,  15,  30;  xv,  18. 


^^  Hl]  SA.  VIE  CACHÉE.  —   SA  NAISSANCE.  229 

111.  —  Que  signifient  les  noms  de  Jésus,  de  Christ  et  de  Seigneur, 
donnes  par  l'Ange  au  Sauveur,  Luc,  ii,  11? 

-  I.  Jésus  signifie  Sauveur,  ou  plutôt  Dieu  Sauveur,  Domi- 
nm  Sahator  S  nom  évidemment  prophétique,  car  nul  autre 
ne  caractérise  mieux  la  destinée  du  Verbe  fait  chair.  Il  lui 
fut  donné  à  la  circoncision  ^  C'était  Tusage  de  donner  leur 
nom  aux  enfants  au  moment  où  ils  devenaient  membres  du 
peuple  de  Dieu  ^ 

II.  Le  Christ  est  comme  son  surnom.  C'est  la  traduction 
grecque  du  mot  Messie,  c'est-à-dire  oint  ou  sacrée  Les  rois 
comme  les  pontifes  étaient  consacrés  par  l'onction  de  l'huile, 
symbole  de  l'infusion  de  la  grâce.  Comme  roi  et  comme 
pontife,  le  Sauveur  dut  recevoir  en  son  âme  l'onction  Ja 
plus  auguste  et  la  plus  sainte  ^  Aussi  son  nom  de  Christ 
est-il  toujours  précédé  de  l'article,  o  Xpiarcc,  le  Christ,  celui 
qui  est  oint  ou  sacré  par  excellence.  Jamais  l'Ecriture  ne 
l'appelle  simplement  Christ,  comme  les  protestants  affectent 
de  le  faire  ^ 

III.  Quant  axi  titre  de  Seigneur,  Dominus,  o  Kupioç,  il  ex- 
prime sa  grandeur  et  sa  souveraineté  \  Comme  S.  Paul  en 
ses  Epitres,  S.  Luc  le  lui  donne  dans  son  Evangile  et  dans 
les  Actes,  de  préférence  à  celui  de  Christ  ou  de  Messie,  au- 
quel les  Gentils  n'étaient  pas  habitués  *.  Dans  les  Septante, 
le  mot  Dominus^  o  Kupioc,  est  employé  d'ordinaire  comme 
l'équivalent  de  Jéhovah  :  il  implique  la  possession  de  la 
divinité®.  On  doit  lui  reconnaître  le  même  sens  dans  le 
Nouveau  Testament,  quand  il  est  employé  d'une  manière 
absolue  et  appliquée  au  Sauveur  par  un  des  disciples  ou  par 

1  Jésus,  forme  grecque  du  mot  Jehosua,  différent  de  Hoschea,  Sau- 
veur, par  l'addition  du  mot  Jéhovah.  —  ^  Circumciditur  tanquam  Abrahœ 
filius,  Jésus  vocatur  tanquam  Filius  Dei.  S.  Bern.,  De  circumc,^  Senn.  i,  2. 
S.  Thora.,  p  3,  q.  37,  a.  1  et  2.  —  3  Cf.  Gen.,  xvii,  5,  10;  xxi,  3,  4;  Luc, 
1,  59,  63;  Act.,  x,  38.  —  ♦  Cf.  Ps.  civ,  15  ;  Is.,  xlv,  1  ;  Dan.,  ix,25;  Joan., 
IV,  25.  —  *  Ps.  xuv,  8;  Luc,  iv,  18.  —  «  Nomen  ipsum  non  ponunt^ 
quod  est  nobis  amicius  et  dulcius  nominare.  S.  Aug.,  De  civ.  Dei.,, 
XVrU,  32.  —  '  Cf.  Tacit.,  A.,  ii,  87.  —  «  Cf.  Matth.,  vu,  20,  21;  Joan., 
XX,  2,  13,  18,  28.  —  »  Cf.  Exod.,  vi,  2;  Ps.  ii,  2;  cix,  2;  Jer.,  xvi,  21; 
xxiD,  6;  Mal.,  iv,  5;  P.  Peteau,  De  Trinit.,  III,  i,  14;  Jnfra,  n.  686. 


230  JÉSUS-CHRIST   SELON  l'ÉVANGILE.  [n®  lH 

l'évangéliste.  Dans  ce  cas,  il  est  précédé  de  Tarticle  en  grec, 
ou  il  est  joint  au  mot  ChristmK  Quelquefois,  bien  qu'assez 
rarement,  ce  nom  est  donné  à  Notre  Seigneur  par  des  Juifs 
ou  des  Gentils  qui  ne  le  reconnaissent  pas  pour  Fils  de 
Dieu  ^  Alors  il  est  employé  au  vocatif,  dans  un  sens  im- 
propre et  restreint,  comme  chez  nous,  quand  on  donne  le 
titre  de  Seigneur  à  un  personnage  qu'on  veut  honorer. 

ARTICLE    II. 
Généalogie  du  Sauveur,  MaUb.\  i,  1-18;  Luc,  m,  23-28. 

Difficaltés.  —  Principes  de  solution.  —  E^olaircissenients. 

112.  —  Est-il  croyable  qu'il  y  eût,  au  temps  du  Sauveur,  une  généalogie 

certaine  remontant  à  quatre  mille  ans? 

Si  la  généalogie  donnée  par  S.  Luc  était  évidemment  in- 
croyable, il  faudrait  taxer  de  déraison  non  seulement  les 
auteurs  sacrés  qui  la  rapportent,  mais  encore  les  chrétiens 
qui  y  ont  cru  et  les  Juifs  qui  n'ont  pas  protesté.  Rien  de 
plus  plausible  au  contraire,  si  Ton  tient  compte  du  lieu  et 
des  circonstances. 

Pour  la  majeure  partie,  pour  les  trois  quarts  au  moins, 
la  généalogie  de  Jésus^îhrist  échappe  à  toute  objection, 
puisqu'elle  ne  diffère  pas  de  celle  des  patriarches  et  qu'on 
la  trouve  tout  entière  dans  les  saints  Livres.  Il  ne  pourrait 
donc  y  avoir  de  difficulté  que  pour  les  huit  derniers  siècles, 
depuis  Salomon.  Or,  en  réalité,  même  pour  cette  période, 
il  n'y  en  a  pas  de  solide.  C'est  sur  la  foi  des  généalogies  que 
reposaient  chez  les  Juifs  la  propriété  des  familles,  les  droits 
des  particuliers  et  la  principale  espérance  de  la  nation.  La 
constitution  du  peuple  de  Dieu  rendait  continuellement  né- 
cessaire à  chacun  la  connaissance  de  ses  ancêtres.  Par  là, 
elle  en  assurait  la  transmission  ^  Ce  n'était  pas  les  per- 

1  Cf.  Matth.,  XXII,  42-44:  Luc,  i,  43;  ii,  dl,  38;  x,  36;  Jud.,  4.  — 
2  Matth.,  VIII,  2,  6,  8;  xv,  22;  Luc,  xiii,  23;  xvii,  36;  Joan.,  iv,  il,  19; 
IX,  36.  Cf.  I  Pet.,  m,  6.  —  3  Joseph.,  Cont.  App.^  i,  7;  Fleury,  Mœw'9 
des  Isi^aéliies, 


5«  113]  SA   VIE   CACHÉE.   —   SA   GÉNÉALOGIE.  231 

sonnes  les  plus  illustres  seulement  qui  savaient  de  qui  elles 
descendaient  ;  Anne  n'ignorait  pas  qu'elle  était  de  la  tribu 
d'Aser*;  Elisabeth  savait  qu'elle  appartenait  à  la  famille 
d'Aaron*.  Pour  écarter  toute  erreur  et  toute  fraude,  les 
généalogies  étaient  disposées  dans  le  temple  comme  des 
choses  sacrées  et  placées  sous  la  surveillance  des  prêtres'. 

Il  est  vrai  qu'on  en  perdit  une  partie  à  l'époque  de  la 
captivité;  mais  nous  apprenons  d'Esdras  qu'un  grand 
nombre  aussi  se  conservèrent.  L'historien  Josèphe  lisait 
encore  la  sienne  dans  les  archives  publiques  *.  Aucune  ne 
doit  avoir  été  gardée  avec  plus  de  soin  que  celle  de  la  mai- 
son de  David.  On  l'ignorait  si  peu,  à  l'époque  de  Notre  Sei- 
gneur, qu'il  était  appelé  communément  Fils  de  David  dans 
toute  la  Judée  *,  et  qu'on  s'en  souvenait  encore  sous  Domi- 
tien,  après  la  ruine  de  Jérusalem.  Hégésippe  (f  i81),  nous 
apprend  qu'on  conduisit  à  Rome,  sous  le  règne  de  cet  em- 
pereur, des  descendants  de  David^  dénoncés  comme  tels  au 
tyran  par  les  hérétiques  ^ 

On  peut  croire  que  les  généalogies  des  Evangiles  sont  de 
simples  extraits  des  archives  publiques,  et  que  les  auteurs 
sacrés  n'ont  voulu  y  rien  ajouter  pour  les  éclaircir,  comme 
il  eût  été  facile  de  le  faire.  Le  premier  verset  de  S.  Matthieu 
semble  le  dire.  Néanmoins,  en  les  insérant  dans  leur  ou- 
vrage comme  un  témoignage  de  l'accomplissement  des  pro- 
phéties, ils  les  ont  adoptées  et  sanctionnées  de  leur  autorité. 
L'Eglise  en  garantit  de  même  le  caractère  divin  par  l'usage 
qu'elle  en  fait  dans  sa  liturgie. 

113.  —  Les  rationaUstes  ont-ils  droit  d'exiger  que  nous  leur 
démontrions  l'exactitude  de  ces  généalogies? 

La  réalité  de  la  vie  du  Sauveur  et  sa  divinité,  dont  il 

*  Lac,  II,  36.-2  Luc,  i,  5.  Cf.  Rom.,  xi,  1;  Phil.,  m,  5,  etc.  —  ^  Cf. 

Esdras,  ii,  62;  Néhémias,  vu,  5,  64;  xii,  23  ;  I  Mac,  xiv,  40.  —  *  Joseph., 
;  VilOf  I.  —  «  Manifestum  est  quod  ex  Juda  ortus  est  Dominus  noster. 
\  Hcb.,  VII,  14.  Cf.  Matth.,  IX,  27;  xii,  23;  xv,  22;  xx,  30,  31  ;  xxii,42,  45; 
I  Marc,  X,  47,  48;  xii,  3S;  Luc,  i,  69;  xviii,  38;  Act.,  ii,  30;  xiii,  23; 
;  Rom.,  1,  3;  xv,  12;  II  Tim.,  ii,  8.  —  «  Euseb.,  ff.,  III,  12,  19,  20,  32. 

Cf.  Brev.,  18_fév.,  5.  Siméon. 


232  JÉSUS-CHRIST  SELON  L'ÉVANGILE.  [n®  114 

s'agit  entre  les  rationalistes  et  nous,  ne  dépendent  nulle- 
ment de  l'exactitude  de  sa  généalogie.  L'autorité  de  nos 
Evangiles,  comme  livres  historiques,  n'en  dépend  pas  non 
plus.  La  seule  chose  qui  en  dépende,  c'est  l'inspiration  de 
ces  livres  ou  plutôt  des  généalogies  elles-mêmes.  Cette  ques- 
tion  n'a  d'intérêt  que  pour  les  chrétiens,  et  les  rationalistes 
n'ont  pas  à  s'y  entremettre. 

Dans  la  science  biblique,  comme  dans  toutes  les  sciences 
morales,  on  peut  distinguer  trois  sortes  de  questions  :  des 
questions  faciles  et  de  première  importance,  des  questions 
difficiles  dont  l'importance  est  secondaire,  et  des  questions 
insolubles  qui  sont  sans  importance  au  point  de  vue  reli- 
gieux. «  Le  grand  art  de  la  sophistique,  dit  M.  Valroger,  est 
de  mettre  au  premier  plan  celles  qui  sont  obscures,  et  de 
cacher  derrière  celles  qui  sont  claires  et  nettement  résolues: 
le  mérite  de  l'apologiste  consiste  en  grande  partie  à  faire  le 
discernement  de  ces  questions  et  à  restituer  à  chacune  son 
rang  et  sa  valeur  *.  » 

*  114.  —  N'est-il  pas  certain  à  priori  qa'on  ne  saurait  trouver,  dans  ces 
généalogies,  d'erreurs  ou  de  contradictions  évidentes? 

S.  Matthieu,  qui  était  juif  et  qui  connaissait  l'Ancien  Tes- 
tament, n'aurait  pas  présenté  à  ses  compatriotes  un  tableau 
de  la  race  de  David  en  opposition  avec  les  Livres  saints. 
S.  Luc,  qui  n'a  pu  ignorer  la  généalogie  de  S.  Matthieu,  ne 
se  serait  pas  mis  sciemment  en  opposition  avec  cet  apôtre. 
Enfin  l'Eglise,  qui  a  toujours  reçu  l'une  et  l'autre  de  ces  gé- 
néalogies, ne  les  aurait  pas  données  constamment  pour  in- 
dubitables, si  elles  avaient  été  évidemment  fausses.  Il  est 
donc  certain  à  priori  qu'on  n'y  saurait  trouver  de  contradic- 
tions ni  d'erreurs  évidentes. 

On  a  avancé  récemment  qu'Origéne  reconnaissait  des 
contradictions  entre  les  deux  généalogies.  C'est  une  erreur. 

*  De  Valroger,  Introd,^  Préf.  xxiii.  «  Que  faire  donc?  Faire  dans  la 
religion  ce  qu'on  fait  dans  la  science  :  s'assurer  des  principes,  des  vé- 
rités décisives,  et  abandonner  les  difficultés  aux  discussions  des  sa-» 
vants.  »  Ozanam,  Lettres, 


nM16]         sa  vie  Gâchée.  —  sa  généalogie.  233 

Origéne,  à  l'endroit  cité*,  se  borne  à  montrer  en  quoi  ces 
généalogies  diffèrent  Tune  de  l'autre. 

115.  —  N'est-il  pas  étonnant  que,  dans  Tune  ot  dans  l'autre  généalogie, 
Joseph  soit  donné  pour  le  père  de  Jésus,  et  Marie  passée  sous  silence 
ou  nommée  seulement  d'une  manière  accessoire? 

Comme  les  femmes  ne  donnent  pas  chez  nous  leur  nom  à 
leurs  enfants,  ce  n'était  pas  l'usage  chez  les  Hébreux  de  les 
compter  au  nombre  des  ascendants  ou  d'insérer  leur  nom  dans 
les  généalogies  pour  y  représenter  une  génération.  On  ne 
doit  donc  pas  s'étonner  si  Marie  n'est  pas  nommée  dans  la 
ligne  ascendante  du  Sauveur,  mais  au  contraire  y  voir  une 
marque  d'authenticité  '. 

La  mère  du  Sauveur  n'est  cependant  pas  entièrement 
passée  sous  silence  ;  et  quand  l'Evangile  la  nomme,  ce  n'est 
pas  d'une  manière  accessoire,  comme  Rahab  et  Ruth^ 
S.  Matthieu  dit,  en  finissant  sa  généalogie,  que  Joseph  est 
l'époux  de  Marie,  dont  Jésus  est  le  fils  *,  et  immédiatement 
après,  il  précise  le  sens  de  ses  paroles  par  la  révélation  de 
l'Ange  à  Joseph  ^  Pour  S.  Luc,  un  sentiment  fort  commun 
est  qu'il  rapporte  la  généalogie  de  la  sainte  Vierge,  et  qu'il 
ne  nomme  S.  Joseph  que  comme  le  père  putatif  de  Notre 
Seigneur. 

116.  —  D'où  vient  que  de  David  à  saint  Joseph  les  deux  généalogies  ne 

sont  pas  identiques? 

Pour  rendre  compte  des  différences  qu'on  remarque  entre 
ces  deux  généalogies,  il  y  a  deux  sentiments  : 

I.  Le  premier  tient  que  S.  Matthieu  a  donné  la  généalogie 
de  S.  Joseph,  et  S.  Luc  celle  de  la  sainte  Vierge  ^  Cette  hy- 
pothèse semble  plausible  pour  deux  raisons  : 

1°  11  était  naturel  que  S.  Matthieu,  écrivant  pour  les  Juifs 

*  In  Luc. y  Hom.,  xxviii.  —  2  Brev.  rom.,  In  Fest.  S.  Joachim^  lect.  7-9. 
—  »  Matth.,  ï,  5.  —  *  Matth.,  i.  6.  —  5  Matth.,  i,  20.  —  «  Multi  voluut 
geneiutionem  quam  enunierat  Matthaeus  deputari  Joseph,  et  gencratio- 
nem  quam  enumerat  Lucas  deputari  Mariœ,  ut  quia  caput  mulioris  vir 
dicitar,  viro  etiam  ejusdom  generatio  nuncupetur.  S.  Hilar.  Pict.,  Biblioth. 
nova  Pat,^  Gard.  Maii,  1. 1. 


234  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'ÉVANGILE.  [n<>  116 

fît  voir  que  Jésus  était  Théritier  de  David,  et  qu'il  prouvât, 
par  sa  généalogie  légale  ou  paternelle,  qu'on  ne  pouvait 
contester  au  Christ  le  droit  de  succession.  Il  convenait  éga- 
lement que  S.  Luc,  qui  écrivait  pour  les  Gentils,  considérât 
le  Sauveur  comme  né  de  la  femme,  semen  mulieris  *,  et  qu'il 
leur  exposât  sa  généalogie  réelle.  Après  avoir  annoncé  si 
expressément  *  que  Jésus  n'avait  pas  de  père  sur  terre,  il 
serait  étonnant  qu'il  eût  donné  sa  généalogie  légale  par  son 
père  putatif.  Ajoutez  que,  dans  le  cas  où  il  aurait  voulu  la 
citer,  on  ne  verrait  pas  pourquoi  il  n'aurait  pas  suivi  la 
même  ligne  que  S.  Matthieu. 

2°  Les  termes  employés  par  S.  Luc  :  Jésus  erat^  ut  puta- 
batur,  films  Joseph,  qui  fuit  Heli,  se  prêtent  sans  effort  à 
cette  explication,  soit  qu'on  traduise  simplement  :  Jésm 
passait  pour  être  le  fils  de  Joseph,  lepiel  l'était  d'Héli,  en 
rapportant  à  Joseph  le  relatif  gm,  soit  qu'on  entende  :  Jésm 
était  regardé  comme  né  de  Joseph,  mais  il  Vêtait  d*Héli,  en  rap- 
portant le  pronom  relatif  au  mot  Jésus  énoncé  précédem- 
ment '.  —  Dans  le  premier  cas,  il  faut  admettre  que  Joseph 
tient  la  place  de  Marie  son  épouse  ou  qu'il  est  nommé  comme 
gendre  d'Héli,  mais  on  sait  que  tel  était  l'usage  chez,  les 
Hébreux  *  ;  et  S.  Luc  n'avait  pas  à  craindre  de  tromper  per- 
sonne, par  cette  substitution,  les  chrétiens  étant  avertis  par 
S.  Matthieu  que  le  véritable  père  de  S.  Joseph  était  Jacob, 
et  la  tradition  assignant  au  père  de  la  sainte  Vierge  préci- 
sément le  nom  de  Joachim,  synonyme  d'Eliachim  ou  d'Héh  '. 
—  Dans  le  second  cas,  les  termes  de  la  traduction  écartent 
la  difficulté  et  l'empêchent  même  de  s'offrir  à  l'esprit.  Il  est 
vrai  que  ces  mots  :  Qui  fuit  Heli,  ne  doivent  pas  s'entendre 
d'une  filiation  stricte,  mais  d'une  simple  descendance,  puis- 
que Héli  serait  l'aïeul  de  Notre  Seigneur  et  non  son  père 
proprement  dit  ;  mais  c'est  le  sens  qu'on  donne  à  ces  mots 

1  Gen.,  III,  15.  —  *  Luc,  i,  35.  —  3  Comme  au  début  de  la  généalogie 
de  S.  Matthieu  :  Liber  generationis  Jesu  Christi,  fllii  David,  fllîi  Abraham, 
I,  li  et  au  premier  chapitre  de  S.  Jean  :  Fuit  homo  missus  a  Deo,  cui 
nomen  erat  Joannes,  i,  6.—  *  Cf.  I  Reg.,  xxiv,  17  et  Ruth.,  i,  11  ;  IV  Reg., 
XXIII,  34  et  Judith,  iv,  5,  7, 11  ;  xv,  9.  —  «  Cf.  IV  Reg.,  xviii,  26. 


f(M161  SA  VIE  GACHEE,   -r   SA  GÉNÉALOGIE.  235 

dans  une  foule  d'endroits  de  l'Ecriture  *  et  le  seul  qui  s'offre 
ici,  si  l'on  continue  de  rapporter  à  Jésus  les  mots  qui  sui- 
yent  :  Qui  fuit  Mathat^  qui  fuit  Dei.  Il  est  vrai  encore  que 
cette  traduction  aurait  peine  à  s'accorder  avec  le  grec,  si 
l'on  s'attachait  au  texte  reçu  :  wv,  a);  evoiJ-cÇcTo,  utoç  Iwayjç,  xou 
HXi,  mais  l'accord  devient  facile  si  l'on  admet  une  leçon  qui 
ne  parait  pas  avoir  moins  d'autorité,  celle  des  manuscrits  du 
Vatican  et  du  Sinaï,  les  plus  anciens  de  tous  :  wv  uioç,  w; 
ropwÇsTo,  lu>jY;(p,  tou  HXi.  Il  est  naturel  de  voir  ici  dans  le  tou 
qui  précède  HXi,  non  un  relatif  qu'on  doive  rapporter  à 
iwflTj?,  mais  un  simple  article  dépendant  de  utoç,  aussi  bien 
pe  tous  les  articles  suivants  jusqu'au  dernier  terme  de  la 
généalogie,  6scu.  On  voit  un  article  semblable  avant  chaque 
nom  de  la  généalogie  de  S.  Matthieu  ;  et  il  est  remarquable 
que  dans  celle  de  S.  Luc  le  nom  de  Joseph  seul  en  est  privé, 
comme  n'étant  cité  qu'accidentellement  et  à  un  titre  parti- 
culier. 

IL  Un  second  sentiment,  très  ancien  et  très  commun  chez 
les  Docteurs  jusqu'au  quinzième  Siècle,  regarde  les  deux  gé- 
néalogies comme  propres  à  S.  Joseph,  et  elle  en  explique 
les  différences  par  un  usage  juif,  celui  du  lévirat.  En  Judée, 
quand  une  femme  restait  veuve  et  sans  enfant,  elle  deve- 
nait l'épouse  de  son  beau-frère  ou  d'un  de  ses  proches,  et 
les  enfants  qui  naissaient  de  cette  union  prenaient  le  nom 
du  premier  mari  défunt  ;  ils  étaient  censés  les  siens  •.  De  là 
pour  un  grand  nombre  la  pluralité  des  généalogies,  les 
lignes  fictives  ou  légales  s'adjoignant  aux  lignes  naturelles 
ou  à  la  descendance  réelle.  De  là  pour  S.  Joseph  une  double 
filiation,  Jacob  étant  son  père  naturel  indiqué  par  S.  Mat- 
thieu, et  Héli,  frère  utérin  de  Jacob  et  mort  avant  lui  sans 
entant,  étant  son  père  légal,  désigné  par  S.  Luc  *,  De  môme 
pour  Salathiel  *. 


*  Gen.,  XXIX,  5;  xxxi,  43,  55;  Num.,  xvi,  1  ;  W  Reg.,  xix,  24;  III  Reg., 
IV,  2;  XIX,  16;  IV  Reg.,  ix,  20;  x,  1;  I  Par.,  i,  17,"  ix,  12;  Il  Par.,  xxii, 
7, 9;  l  Esd.,  v,  1  ;  vi,.14;  II  Esd.,  xi,  12  ;  Dan.,  v,  22.  —  a  Deut.,  xxv,  5. 
—  *  Euseb.,  H.,  I,  7.  —  *  Quelques-uns  des  auteurs  qui  rapportent  à 
S.  Joseph  les  deux  généalogies  en  expUquent  les  divergences  d'une  autre 


236  JÉSUS-CHRIST  SELON   l'ÉVANGILE.    -  [N^  118 

117.  —  Dans  cette  seconde  hypothèse,  quelle  assurance  aurait-on 
que  Marie  descendait  de  David  aussi  bien  que  Joseph? 

C'était  un  fait  avéré  et  public  que  Joseph  et  Marie  étaient 
de  la  même  famille.  Nous  en  avons  pour  garants  :  —  1°  La 
tradition  qui  veut  que  Marie  ait  été  fille  unique,  héritière, 
et  pour  cette  raison  obligée  de  se  marier  à  un  de  ses  pa- 
rents, de  même  que  Sara,  fille  de  Tobie  *.  —  i^  Deux  évan- 
gélistes  :  D'abord  S.  Matthieu,  qui  annonce  la  généalogie 
de  Jésus,  fils  de  David,  et  qui,  après  avoir  donné  celle  de 
Joseph,  ajoute  que  Jésus  est  né  de  Marie,  mais  non  deJo: 
seph,  son  époux  -  ;  €ar  quel  moyen  d'accorder  ces  deux  as- 
sertions, si  Marie  n'était  pas  de  la  même  famille  que  Joseph 
et  n'avait  pas  les  mêmes  ancêtres^?  Ensuite  S.  Luc,  qui 
rapporte  les  paroles  de  l'Ange  à  la  sainte  Vierge  sur  la  des- 
tinée de  son  fils  :  Dabit  illi  sedem  David  patris  ejus  *,  et  qui 
fait  remarquer  que  Marie  dut  aller  à  Bethléem,  patrie  de 
David,  pour  se  faire  inscrire  avec  Joseph  :  Vt  profiteretur 
cum  Maria  "^. 

lis.  —   Pourrait-on  avoir  omis  quelques  générations  dans  ces 
généalogies^,  dans  celle  de  saint  Matthieu  surtout  6? 

Il  n'y  a  aucun  inconvénient  à  supposer  dans  ces  généalo- 
gies quelques  générations  omises.  En  effet  : 

manière.  Ils  supposent  qu'u4  des  Evangélistes^  au  lieu  de  suivre  la 
descendance  réelle  de  David,  s'en  est  écarté,  non  pour  tracer  la  descen- 
dance légale  à  laquelle  le  lévirat  pouvait  donner  lieu,  mais  pour  indiquer 
la  suite  des  héritiers  ou  des  membres  de  la  famille  ayant  droit  au  trône. 
On  conçoit  en  effet  que  ce  droit  ait  passé  plus  d'une  fois  d'une  branche 
dans  une  autre  par  défaut  d'héritier  direct.  Cf.  Fillon,  sur  S.  Luc,  m. 

*  Tob.,  VI,  12;  VII,  14;  Cf.  Nnm.,  xxvii,  8-11  ;  xxxvi,  6-8.  —  «  Matth  , 
I,  16,  20.  -  3  Cf.  Matth.,  ix,  27;  xv,  22  ;  xx,  30,  31  ;  xxi,  9,  15.  —  *  Luc, 
1,  32.  —  8  Luc,  II,  5.  Cf.  Marc,  x,  47,  48;  Luc,  i,  27,  69;  ii,  4;  xvm, 
33,  39;  Rom.,  i,  3;  II  Tim.,  ii,  8;  Heb.,  vu,  14;  Apec,  y,  5;  xxii,  16; 
S.  Hiepon  ,  In  Matlh.^  c  1 ,  et  S.  Augi,  Cont.  Faust. ^  xxiii,  8,  9.  Leur 
parenté  pouvait  néanmoins  être  assez  éloignée  pour  qu'ils  eussent  chacun 
leur  généalogie  particulière.  Eussent-ils  été  cousins  germains,  leurs 
pères  pouvaient  n'être  que  frères  utérins  ou  par  alliance,  ou  bien  encore 
être  enfants  d'un  même  père,  mais  avoir  des  mères  différentes  et  porter 
différents  noms,  suivant  la  loi  du  lévirfit.  —  «  S.  Luc  énumèrc  41  gêné- 
rations  de  David  à  Notre  Seignqur;  S.  Matthieu  n'eu  indique  que  26. 


I 

J 


NO  119]  SA  VIÉ  GÂCHÉE.  —  SA  GÉNÉALOGIE.  237 

l^Cela  se  voit  en  bien  des  endroits  de  l'Ancien  Testa- 
ment. Le  but  de  ces  généalogies  étant  de  fixer  la  descen- 
dance, ou  de  constater  qu'on  était  de  telle  race,  qu'on  avait 
tel  ou  tel  ancêtre,  il  n'était  pas  nécessaire  d'énumérer 
toutes  les  générations;  il  suffisait  que  la  ligne  de  succession 
fût  tracée  d'une  manière  sûre.  Aussi  passait-on  assez  fré- 
quemment de  l'aïeul  au  petit-fils  ou  à  Tarrière-petit-fils  *. 

2»  On  aurait  tort  d'attacher  rigoureusement  au  mot  ge- 
nuit  le  sens  précis  de  génération  immédiate  ou  de  relation 
de  père  à  fils.  On  voit  que  S.  Matthieu  unit  par  ce  terme 
Joram  et  Ozias^  quoiqu'on  n'ait  jamais  ignoré  chez  les  Juifs 
qu'il  y  eut  entre  l'un  et  l'autre  trois  générations  :  Ochosias, 
Joas  et  Amasias.  De  même  il  fait  naître  Jéchonias  de  Josias  % 
quoiqu'il  ne  soit  que  son  petit-fils  par  Joachim*.  On  peut 
faire  la  même  observation  sur  d'autres  généalogies,  par 
exemple  celles  du  chap.  n  d'Esdras,  du  chap.  vu  de  Néhé- 
mie  et  celle  d'Esdras  lui-même '^  qu'on  fait  remonter  à  Aaron 
par  quinze  générations  seulement.  Genuit  dans  une  généa- 
logie peut  donc  signifier  simplement  :  Il  eut  pour  descen- 
dant ^;  de  même  que  souvent  pater  signifie  simplement 
ascendant,  ancêtre,  etfilim  descendante 

*  119.  —  Pourquoi  saint  Matthieu  a-t-il  omis  dans  sa  liste  les  trois 
premiers  descendants  de  Joram,  qui  ne  pouvaient  lui  être  inconnus? 

Les  trois  descendants  de  Joram,  omis  par  S.  Matthieu, 
étaient  sans  doute  retranchés  de  la  liste  officielle  qu'il  re- 
produit. Mais  quelle  est  la  raison  de  ce  retranchement? 
C'est  probablement,  dit  S.  Jérôme,  l'horreur  qu'on  avait 
pour  le  sang  d'Achab  et  de  Jézabel,  dont  Joram  avait  épousé 
la  fille,  l'impie  Athalie,  et  le  désir  de  se  conformer  à  l'ar- 
rêt porté  par  le  Seigneur  contre  leur  postérité  *.  Ainsi  voit- 

*  Gen.,  XI,  2  (cf.  Luc,  m,  36)  ;  xxix,  5  ;  xxxi,  43,  55;  Ruth.,  iv,  18-22; 
iPar.,  1, 17;  iv,  1;  vi,  3-15.  (Cf.  Esd.,  vu,  1-15);  ix,  12;  I  Esd.,  v,  2 
(cf.  I  Par.,  m,  17-19)  ;  vu,  1-5;  U  Esd.,  xi,  12  (cf.  I  Par.,  ix,  12).  — 
'  Matth.,  I,  8.  —  3  Matth.,  i,  U.  —  *  I  Par.,  m,  16.  —  «  I  Esd.,  m,  1-5. 
-  *  Cf.  Isai.,  XLix,  21.  —  "ï  Cf.  Matth.,  i,  20  ;  Luc,  xvi,  24  ;  Rom.,  iv,  1  ; 
Supra,  n.  38  et  ^.  T.,  n.  316.  —  «  In  tertiam  et  quartam  generationem. 
Ex.,  XX,  5.  Cf.  III  Reg.,  xv,  29;  xxi,  21,  22;  IV  Reg.,  ix,  7,  8. 


Îâ8  JESUS-CHRIST  SELON   L*ÉVANGILÊ.  [n»  120 

on  que  Gain  n'est  pas  nommé  parmi  les  enfants  d'Adam  K 
Quoi  qu'il  en  soit,  rien  ne  démontre  mieux  l'authenticité  et 
l'intégrité  de  la  généalogie  rapportée  par  S.  Matthieu,  que 
la  fidélité  avec  laquelle  on  a  conservé  une  lacune  si  mani- 
feste et  si  facile  à  remplir. 

*  120.  —  Pour  quel  motif  saint  IVfatthieu  fait-il  la  récapitulation  de 
ces  générations  par  doubles  septaines? 

La  récapitulation  des  générations  par  doubles  septaines 
est  un  usage  propre  à  la  nation  juive  et  une  marque  d'au- 
thenticité. On  n'en  aurait  pas  eu  l'idée  au  second  siècle,  ni 
hors  de  la  Palestine.  L'intention  de  l'auteur  était  sans  doute 
d'aider  la  mémoire  et  d'empêcher  toute  altération  du  texte. 
On  sait  que  les  Juifs  mirent  de  même  à  la  fin  de  leurs  livres 
sacrés  la  somme  des  mots  et  des  lettres  qui  y  sont  conte- 
nus •.  Le  nombre  de  14  (7  x  2),  était  un  nombre  sacré  qui 
éveillait  l'idée  de  certains  mystères,  et  les  trois  séries  ou 
doubles  septénaires  répondent  à  trois  périodes  bien  dis- 
tinctes de  l'histoire  juive  :  d'Abraham  à  David,  de  David  à 
la  captivité,  de  la  captivité  à  la  naissance  du  Sauveur.  — 
Une  chose  plus  surprenante,  c'est  que,  pour  trouver  ce 
nombre  de  quatorze  dans  la  seconde  série,  celle  des  Rois,  il 
faut  ajouter  un  noïn.  Beaucoup  d'auteurs  croient  qu'il  y  a 
ici  une  omission  de  copiste;  et,  se  fondant  sur I Par.,  m,  16, 
ils  disent  qu'il  faut  lire  au  verset  11  :  Josias  genuit  Joachim 
et  fratres  ejus;  Joachim  autem  genuit  Jechoniam...  in  trans- 
migratione  Babylonis.  D'autres  supposent  qu'il  faut  compter 
David  deux  fois,  parce  qu'il  termine  la  première  série,  celle 
des  patriarches,  et  qu'il  ouvre  la  seconde,  celle  des  rois. 
D'autres  enfin  pensent  qu'il  faut  joindre  le  nom  de  Marie  à 
ceux  des  ancêtres  de  Jésus,  parce  que  c'est  par  elle  qu'il  se 
rattache  à  Joseph,  comme  c'est  par  Joseph  qu'il  appartient  à 
la  race  royale,  issue  de  David. 

1  I  Par.,  I,  1.  —  2  A.  T.,  n.  87,  90. 


N»  121]  SA  VIE  CACHEE.  —  LES  MAGES.  239 

ARTICLE    m. 

Adoration  des  Mages  et  massacre  des  Innocents  S 

Matih.,  II,  1-12. 

Epoqae.  —  Circonstances.  —  Difficultés. 
121.  —  L'adoration  des  Mages  a-t-elle  ea  lieu  avant  la  Parification  ? 

I.  Rien  n'empêche  de  croire,  suivant  la  persuasion  com- 
mune et  la  liturgie  de  l'Eglise,  que  l'adoration  des  Mages  a 
en  lieu  avant  la  Purification.  L'usage  de  célébrer  ce  mys- 
tère le  six  janvier,  treize  jours  après  la  Nativité,  remonte 
certainement  aux  premiers  siècles,  et  il  s'accorde  avec  les 
paroles  de  S.  Matthieu  :  Cum  natus  esset  Jésus  in  Bethléem 
Juda^.  On  peut  donc  penser  que  les  Mages  arrivèrent  ce 
jour-là  à  Bethléem,  qu'ils  y  demeurèrent  jusqu'à  la  fin  du 
mois,  que  S.  Joseph,  au  quarantième  jour,  conduisit  la  très 
sainte  Vierge  et  Notre  Seigneur  à  Jérusalem,  et  que  de  là, 
ou  de  Nazareth  où  il  retourna  bientôt,  4i  s'enfuit  en  Egypte 
sur  un  avis  reçu  du  ciel  '. 

II.  Néanmoins  nous  devons  dire  qu'un  grand  nombre  de 
savants  et  même  d'anciens  Docteurs,  par  exemple  S.  Léon, 
pape,  S.  Epiphane,  Ammonius  dans  sa  Concorde,  sont  d'un 
autre  sentiment.  Ils  pensent  que  les  Mages  n'arrivèrent 
qu'après  la  Purification,  un  an  peut-être  après  la  naissance 
du  Sauveur.  Par  ce  moyen,  ils  conçoivent  mieux  :  —  1°  Com- 
ment les  Mages  ont  eu  le  temps  de  se  concerter,  de  faire 
leur  voyage,  a.T.o  avaroAwv  *,  de  prendre  leurs  informations. 
—  2*  Pourquoi  Hérode  fit  tuer  les  enfants  de  Bethléem  jus- 
qu'à l'âge  de  deux  ans  :  Secundum  tempus  quod  exquisierat  a 
Magis  ^  —  3°  Comment  S.  Joseph  et  la  sainte  Vierge  ne 
craignirent  pas  d'aller  à  Jérusalem,  d'y  offrir  publiquement 

*  Supra,  n.  54.  —  8  Matth.,  ii,  4.  Cf.  Luc,  ii,  15.  —  a  Matth.,  ii,  13. 
—  ^  Des  contrées  oHentales^  nom  commun  par  lequel  on  entend  ordinal- 
fement  la  Perse  ot  la  Babylo-nie.  Dans  ces  pays,  le  nom  de  mage,  dérivé 
<i'an  mot  persan,  synonyme  de  fASYaç,  grand,  était  donné  à  tous  les 
membres  de  la  tribu  sacerdotale.  Dans  Tempire  romain,  il  signifiait  un 
magicien  ou  un  sorcier.  Act.,  xiii,  9.  —  ^  Matth.,  ii,  16. 


è4Ô  JÉSUS-CHRIST  SELOÎ^  L^ÉVANÔÏLË.  [n<>  i2f 

Notre  Seigneur  au  temple,  quarante  jours  après  sa  nais- 
sance. 

Aux  raisons  des  contradicteurs,  ils  opposent  :  l**  Que  toute 
fête  n'est  pas  un  anniversaire,  par  exemple  celle  de  Pâques, 
des  Innocents,  de  la  Visitation,  etc.  *,  et  que  d'ailleurs  Ta- 
doration  aurait  pu  avoir  lieu  à  la  môme  époque,  l'année 
suivante.  —  2'  Qu'il  ne  parait  pas  vraisemblable  que  lès 
Mages  soient  restés  près  d'un  mois  à  Bethléem,  et  qu'Hérode 
ait  passé  tout  ce  temps  sans  s'occuper  d'une,affaire  qui  in^ 
quiétait  si  vivement  sa  jalousie  ambitieuse.  —  3"*  Qu'une  la- 
cune dans  l'Evangile  ne  serait  pas  une  erreur,  et  que  les 
paroles  de  S.  Luc  :  Utperfecerunt. . . ,  reversi  sunt. . .  Nazareth  \ 
n'empêchant  pas  les  partisans  du.  premier  sentiment  de 
placer  l'exil  en  Egypte  entre  la  Purification  et  le  retour  à 
Nazareth,  rien  ne  peut  les  empêcher  eux-mêmes  de  placer 
un  intervalle  semblable  entre  la  Purification  et  l'Adoration 
des  Mages. 

Ce  sentiment  amène  à  conclure  que  Notre  Seigneur  est 
né  en  l'an  de  Rom  74i^,  deux  à  trois  ans  avant  la  mort  d'Hé- 
rode,  et  que  l'erreur  de  Denys  le  Petit  est  de  six  ans  ^ 

•  122.  —  Quelle  est  l'étoile  qui  apparut  aux  Mages,  et  comment 
en  connurent-ils  la  si gnifl cation,  Matth.,  ii,  2? 

Plusieurs  supposent  que  l'étoile  qui  conduisit  les  Mages 
au  berceau  du  Roi  des  deux  fut  un  astre  véritable,  une 
comète  par  exemple,  et  que  ces  Mages  ou  ces  savants  *,  ha- 
bitués à  observer  le  ciel,  furent  frappés 'de  son  éclat  en 
même  temps  que  de  son  apparition*  D'autres  pensent  que 
c'était  un  météore,  brillant  comme  une  étoile,  mais  assez 
rapproché  de  terre  pour  qu'on  pût  en  suivre  le  mouvement 
comme  la  colonne  de  feu  du  désert  ^  —  Quant  à  sa  signifi- 

1  Au  iii«  siècle  et  au  iv«,  les  Orientaux  célébraient,  le  6  janvier,  tout 
à  la  fois  la  naissance  de  Notre  Seigneur,  son  Epiphanie  et  son  baptôme. 
Cf.  Gassien.,  Coll.  x,  2.  —  ^  Luc,  ii,  39.  Nazareth  était  dans  la  tétrarchie 
d'Antipas  dont  le  gouvernement  passait  pour  assez  doux.  —  3  Supra, 
n.  47,  48.  —  *  Cf.  Dan.,  i,  20;  ii,  2.  —  «  Matth.,  ii,  9.  Eo  nascente,  lax 
nova  orta  est,  quo  moriente,  lux  antiqua  fuit  in  sole  velata.  S.  Aug., 
Serm.,  cxcix,  3.  Ula  luce  inchoata  est  fides  gentium;  in  his  tcnebris 


J 


nM23]  sa  vie  Cachée.  —  LEà  mages.  241 

cation,  il  est  certain  que,  pour  la  connaitre,  les  Mages 
eurent  besoin  d'une  révélation,  soit  intérieure,  soit  exté- 
rieure K  La  prophétie  de  Balaam  '  était  loin  d'être  assez  pré- 
cise pour  donner  Tintelligence  d'un  pareil  signe;  il  n'est 
pas  même  certain  qu'elle  y  eût  rapport.  Mais  Dieu  lit  ce  qui 
était  nécessaire  pour  amener  ces  rois  aux  pieds  de  son  Fils 
et  le  leur  faire  adorer  ^  Ainsi  s'annonçait  l'union  prochaine 
des  Gentils  et  des  Juifs  dans  son  royaume,  qui  est  l'Eglise  *. 

123.  —  Quel  est  le  Conseil  convoqué  par  Hérode,  et  d'où  est  tirée 
cette  prophétie  sur  la  patrie  du  Sauveur,  Matth.,  ii,  4,  6? 

I.  Ce  conseil  est  le  sanhédrin,  le  tribunal  suprériie  de  la 
nation,  qui  parait  avoir  été  institué  du  temps  des  Macha- 
bées  ^  à  l'instar  de  celui  des  soixante-dix  anciens,  établi  par 
Moïsedans  le  désert*.  Il  comprenait  soixante-douze  membres 
répartis  en  trois  chambres  :  —  1°  La  chambre  des  prêtres, 
dont  faisaient  partie  les  grands-prétres  en  exercice,  les  pon- 
tifes démissionnaires,  et  les  chefs  des  vingt-quatre  familles 
sacerdotales,  ap^cspctç'.  — 2<>  La  chambre  des  docteurs  et  des 
scribes,  YpapLixaTetç,  c'est-à-dire  des  hommes  lettrés  et  savants, 
à  la  fois  jurisconsultes  et  théologiens,  qui  faisaient  une 
étude  particulière  de  la  loi  de  Dieu  ;  il  y  en  avait  de  toutes 
les  tribus  :  la  plupart  étaient  attachés  à  la  secte  de  phari- 
siens *;  —  3°  Enfin  la  chambre  des  anciens,  r.ps,(s6\jiepoi,  ou 
des  magistrats  et  des  notables  de  la  nation  '.  S.  Matthieu  ne 

accusata  est  perfidia  Judseorum.  Serm,^  cci,  t.  Cf.  Vies  de  S.  Charles, 
de  s.  Pierre  d'Alcantara,  etc. 

<  Matth.,  II,  14.  Dédit  aspicicntibus  intcllectum  qui  prsestitit  signum. 
Léo,  Seiin,  in  Epiph.^  31.  —  2  Nura.,  xxiv,  17.  Cf.  Bar  Cochebas,  fils  de 
rétoile.  —  3  Cf.  S.  Th.,  p.  3,  q.  30;  Bossuot,  l'*  Jnst»  sur  une  version 
du  N.  Test.^  Àddit.  l'«  Remarque.  —  *  Bethléem  fit  hodic,  totius  Ec- 
clesiae  nascentis  exordium.  Mis.  Epiphanie.  —  ^  SuveSpiov,  mot  d'origine 
grecque.  H  Mac,  i,  10;  iv,  44.  Cf.  Jos.,  A,  /.,  XIY,  ix,  4.  11  est  appelé 
aussi  ^ouXt),  Marc,  xv,  43;  et  Yepou^ia,  Act.,  v,  21,  etc.  —  ^  Nuni., 
XI,  16.  —  7  Cf.  I  Mac,  XIV,  35;  Matth.,  xxvi,  3;  Act.,  iv,  6.  Il  y  eut  six 
grands-prètres  déposés  pendant  la  vie  d'Hérode,  et  huit  pendant  la  vie 
da  Sauveur  :  dans  Josèphe,  comme  dans  nos  Livres  saints,  ils  conservent 
leur  titre  après  leur  déposition.  B.,  II,  xx,  4;  IV,  ix,  11,  Infra,  n.  804. 
—  »  Cf.  Matth.,  XII,  38  ;  xv,  1  ;  xxii,  34,  85  ;  xxiii,  2,  etc.  —  »  Cf.  Matth., 
XVI,  21;  Marc,  xiv,  53;  xv,  1;  Act.,  iv,  5. 

14 


242  JÉSUSrCHRIST  SELON  l'évangile.  [n^  124 

fait  pas  ici  mention  de  cette  troisième  chambre.  Hérode 
n'avait  pas  intérêt  à  la  consulter  en  cette  occasion,  parce 
qu'il  s'agissait  d'une  question  purement  religieuse. 

II.  Le  texte  allégué  par  le  Conseil  est  du  prophète  Michée. 
Il  n'est  pas  cité  littéralement,  mais  quant  au  sens.  Le  con- 
texte :  Egressm  ejus  ab  initia^  a  diebus  œternitatis,  prouve  que 
c'est  bien  une  prophétie  messianique  *.  Il  ne  faut  donc  voir 
qu'un  sentiment  particulier,  le  sentiment  d'un  petit  nombre 
et  des  moins  instruits,  dans  les  paroles  rapportées  par  S.Jean, 
vu,'  27,  52.  Généralement  on  était  persuadé  que  le  Messie 
naîtrait  en  Judée,  dans  la  patrie  môme  de  David,  son  aïeul 
et  sa  figure  '. 

*  124.  —  D'od  vient  que  saint  Matthieu  rapporte  longuement  ce  fait  et 

que  saint  Luc  le  passe  sous  silence? 

1**  L'adoration  des  Mages  rentrait  dans  le  plan  du  premier 
évangile,  pour  deux  raisons  :  elle  montrait  l'accomplisse- 
ment de  plusieurs  prophéties  relatives  au  Messie  ^  et  elle 
était  de  nature  à  plaire  aux  Juifs,  à  diminuer  le  scandale  de 
la  croix,  à  faire  pressentir  les  hautes  destinées  de  l'Eglise. 

2*  S.  Luc  n'avait  pas  les  mêmes  motifs  que  S.  Matthieu 
pour  en  faire  le  récit.  Il  avait  déjà  rapporté  assez  de  traits 
merveilleux  sur  l'Incarnation  et  l'enfance  du  Dieu-Homme  : 
l'Annonciation,  la  révélation  faite  à  sainte  Elisabeth,  aux 
bergers,  etc.  Les  prophéties  ne  faisaient  pas  la  même  impres- 
sion sur  les  Gentils  que  sur  les  Juifs.  D'ailleurs  ne  conve- 
nait-il pas  au  disciple  de  S.  Paul  de  laisser  dans  l'ombre 
un  fait  qui  semblait  à  l'avantage  de  l'ancien  peuple,  et  qu'on 
pouvait  prendre  pour  un  présage  de  sa  prédominance  sur  le 
reste  du  monde  ?  —  Il  est  vrai  que  les  Pères  y  ont  vu  plus 
tard  une  figure  de  la  substitution  des  Gentils  aux  Juifs: 
mais  au  moment  où  S.  Luc  écrivait,  l'Evangile  commençait 
à  peine  à  s'établir  hors  de  la  Judée,  et  un  tel  présage  n'avait 
pas  la  vraisemblance  en  sa  faveur. 

1  Mich.,  V,  2.  Cf.  Joan.,  xi,  49-52.  —  2  Joan.,  vu,  41,  42.  Cf. 
S.  Thom.,  p.  3,  q.  37,  a.  7.  —  3  Num.,  xxiv,  17;  Ps.  Lxxi,  10;  Isai., 
Lx,  6,  etc. 


NO  123]  SA  VIE  CACHÉE.  —   LES  MAGES.  243 

3»  Quoi  qu'il  en  soit,  Tauthenticité  des  deux  premiers  cha- 
pitres de  S.  Matthieu  est  incontestable  *.  Quanta  la  véracité, 
outre  que  les  faits  dont  nous  venons  de  parler  sont  en  har- 
monie avec  le  reste  des  Ecritures,  il  répugne  de  supposer 
qu'un  auteur  Juif,  écrivant  en  Judée,  pour  des  Juifs,  une 
douzaine  d'années  après  la  mort  de  Jésus-Christ,  cinquante 
ans  au  plus  après  celle  d'Hérode,  ait  eu  l'audace  de  les  in- 
venter et  de  les  proposer  à  la  foi  de  ses  compatriotes,  quand 
personne  n'en  avait  l'idée  et  que  tous  les  documents  comme 
tous  les  souvenirs  en  démontraient  la  fausseté. 

*  125.  —  Est-il  croyable  qu'un  prince  ait  fait  mettre  à  mort  tant 
d'enfants,  sur  un  simple  soupçon,  causé  par  Tambition? 

Le  massacre  des  Innocents  ',  tout  horrible  qu'il  est,  n'a 
rien  d'incroyable  pour  ceux  qui  connaissent  les  mœurs  de 
l'époque  et  le  caractère  d'Hérode.  La  vie  d'un  enfant  était 
alors  si  peu  respectée  que  Tacite  regarde  comme  une  sin- 
gularité le  scrupule  que  se  faisaient  les  Juifs  de  mettre  à  mort 
leurs  enfants  nouveaurnés  ^  Pour  des  ennemis  vaincus  ou 
des  rivaux  dangereux,  les  politiques  avaient  bien  moins  d'é- 
gards encore.  Nous  apprenons  d'Eusèbe  *  qu'après  la  ruine  de 
Jérusalem,  l'empereur  Vespasien  fît  rechercher  et  massacrer 
tous  les  membres  survivants  de  la  maison  de  David.  Quant 
à  Hérode,  sa  vie  offre  une  foule  de  traits  non  moins  affreux 
que  le  massacre  des  Innocents,  c  En  comparaison  de  ce 

*  Suprùf  n.  54  —  *  On  leur  donne  le  nom  de  martyrs  (S.  Iron., 
m,  18),  parce  que,  s'ils  n'ont  pas  eu  le  mérite  de  se  dévouer  pour  Jésus- 
Christ,  ils  ont  eu  l'avantage  de  verser  leur  sang  à  sa  place  et  d'être 
victimes  de  la  haine  qu'on  lui  portait.  Cf.  Luc,  ix,  24;  S.  Thom.,  2*-2«; 
q.  124,  a.  1  ;  et  p.  3,  q.  96.  —  »  Tacit ,  Hist.,  v,  5.  Quot  vultis  ex  his 
circamstantibus  et  in  christianorum  sanguinem  hiantibus,  ex  ipsis 
etiam  severissimis  in  non  prssidibus  apud  conscientias  puisera  qui 
natos  sibi  liboros  enecent?  Tert.,  Apol.y  ix.  Rabidos  effligimus  canes, 
trucem  bovem  caedimus,  portentosos  fœtus  extinguimus,  libères  quoque, 
si  débiles  monstruosiquc  editi  sunt ,  mcrgimus.  Non  ira  sed  ratio  est. 
Senec,  de  Ira,  i,  15.  Auguste  fit  tuer  le  fils  de  sa  petite- fille,  qu'il 
soupçonnait  être  le  fruit  d'un  adultère.  Suéton.,  August.,  65,  94.  Cf. 
Clandiusy  37;  Act.,  xxvii,  42,  43;  Juvenal^  v,  551;  vi,  603;  xii,  115; 
Terent.,  Heautontim,,  Act.,  iv,  se.  1,  v.  14;  Codex,  1.  ix,  tit.  17.  — 
*  Euseb.,  //.,  III,  xn,  xx. 


244  JÉSUS-GHRIST  SELON  l'évangile.  [n®  126 

tyran,  dit  Voltaire,  Néron  fut  un  homme  doux.  »  Il  fit  périr 
presque  toute  la  famille  de  Marianne,  sa  seconde  femme, 
qui  descendait  des  Machabées.  Après  avoir  mis  à  mort  Hyr- 
can,  son  grand-pére,  Alexandre,  son  père,  Antigone,  son 
oncle,  Aristobule,  son  frère,  Alexandra,  sa  mère,  il  finit  par 
égorger  Marianne  elle-même,  et  étrangler  les  deux  fils  qu'il 
en  avait  eus  *.  Le  mot  d'Auguste  rapporté  par  Macrobe,  auteur 
païen  du  quatrième  siècle  :  Malle  se  Herodis  esse  porcum,  uv, 
quam  filium,  u'.ov  *  ;  montre  de  quoi  on  le  croyait  capable. 
Pour  ce  tyran,  le  meurtre  d'une  vingtaine  d'enfants  ou  même 
d'une  quarantaine,  pro  abundantia  cautionis  ^  dans  une  pro- 
vince qu'il  traitait  en  pays  conquis  et  qu'il  pouvait  appeler 
indocile,  était  une  bagatelle  ;  et  l'on  comprend  que  Josèphe 
n'ait  pas  remarqué  ce  trait  de  cruauté  au  milieu  de  tant 
d'autres  *.  Il  est  possible  d'ailleurs  qu'il  ait  omis  à  dessein 
de  parler  d'un  fait  qui  touchait  de  trop  près  à  la  personne 
du  Sauveur,  et  qui  établit  entre  Moyse  et  lui  un  rapport 
frappant  ^ 

ARTICLE    IV. 
Présentation  au  Temple,  Luc,  ii^  32-39. 

(6  ans  avant  notre  ère,  2  févri,fr.) 

126.  —  Quel  est  le  temple  où  Notre  Seigneur  fut  offert,  et  pourquoi 

saint  Luc  n'en  fait-il  pas  la  description? 

Si  S.  Luc  avait  écrit  après  la  ruine  du  temple  et  la  sup- 
pression du  culte  mosaïque,  il  aurait  dû  donner  quelques 
détails  sur  la  cérémonie  de  la  Présentation  ^  et  sur  la  partie 
du  temple  où  elle  eut  lieu  ;  mais  lorsqu'il  composa  son  livre 
rien  n'était  plus  familier  aux  Juifs,  ni  plus  facile  à  connaître 
pour  tous  les  chrétiens. 

Le  temple,  to  ispov,  où  Notre  Seigneur  est  allé  tant  de  fois, 

1  Cf.  Joseph.,  A.,  XV,  vi,  7;  XVI,  xi,  7;  XVII,  vii-xiii;  J5.,  I,  xvi; 
XXII,  2;  XXXIII,  7.-2  Macrob.,  Saturn.^  ii,  4.  Cf.  Sueton.,  In  August, 
xciv.  —  3  S.  Chris.,  In  Maith.y  hom.  vu.  —  *  De  même  du  massacre 
des  Galiléens  mentionné  en  S.  Luc,  xiii,  1,  2.  Cf.  Joan.,  xxi,  25.— 
fi  Exod.,  I,  16,  22;  ii,  3,  10.  —  s  Ex„  xii,  29,  30;  xm,  2,  11-15;  Num., 
xviii,  15,  16. 


N^  126]  SA  VIE  CACHÉE.  —  LA  PRÉSENTATION.  245 

n'était  plus  l'édifice  bâti  par  Salomon  *  ;  celui-ci  avait  été  dé- 
truit par  Nabuchodonosor  (584).  Ce  n'était  même  plus,  à  pro- 
prement parler,  celui  de  Zorobabel  ;  du  moins  Hérode  avait 
employé  pendant  de  longues  années  plus  de  dix-huit  mille 
ouvriers  à  le  transformer  ^  Mais  c'était  toujours  le  temple  du 
vrai  Dieu  ^.  Gomme  le  premier  et  le  second,  il  était  situé  sur 
le  mont  Moria,  où  l'on  croit  qu'Abraham  avait  offert  Isaac. 
Il  renfermait  plusieurs  parvis  ou  terrasses,  élevés  les  uns 
au-dessus  des  autres  comme  autant  de  degrés  superposés.  Le 
premier  parvis,  appelé  par  Josèphe  le  temple  extérieur, 
était  celui  des  Gentils,  où  tout  le  monde  pouvait  entrer  : 
c'est  là  que  se  tenaient  les  marchands  auxquels  on  achetait 
des  victimes  et  qui  changeaient  les  monnaies.  G'est  là,  dans 
quelque  salle  destinée  à  cette  usage,  que  les  Docteurs  confé- 
raient entre  eux  ^  Le  second  parvis  était  celui  des  Israélites. 
On  y  voyait  le  Trésor,  signalé  par  S.  Jean  *.  Défense  était 
faite  aux  Gentils  d'y  pénétrer  ;  et  l'on  a  retrouvé  en  1871 
une  pierre  que  Notre  Seigneur  a  dû  voir,  sur  laquelle  cette 
défense  se  lisait  en  grec  *.  Ce  parvis  était  divisé  en  deux 
parties,  l'une  pour  les  femmes,  l'autre  pour  les  hommes. 
Plus  haut  était  un  troisième  parvis  :  celui  des  prêtres.  Il 
contenait  l'autel  des  holocaustes  et  touchait  au  temple  pro- 
prement dit.  C'est  dans  le  dernier  parvis  qu'on  immolait 
les  victimes ,  qu'on  bénissait ,  qu'on  chantait  des  cantiques 
et  des  psaumes.  Au-dessus  de  ces  trois  parvis,  s'élevait  la 
maison  de  Dieu,  ou  l'édifice  sacré  qui  servait  au  culte  divin, 

*  in  Reg.,  vi-viii;  II  Par.,  iii-vii.  —  2  Le  travail  entrepris  par  Hérode 
dix-sept  ans  avant  Jésus-Christ  ne  fut  achevé  que  par  son  petit-fils,  Tan 
soixante-quatre.  Josèphe  nous  a  laissé  une  longue  description  de  ce 
temple.  «  C'était  certainement^  dit-il,  Tédifice  le  plus  magnifique  qui 
existât  sous  le  soleil.  »  A.,  V,  xi,  1;  B.,  V,  v,  1.  —  8  Agg.,  11,  10.  — 
*  Luc,  II,  46.  —  3  Jban.,  viii,  20.  —  «  La  pierre  a  été  transportée  à 
Constantinople ,  mais  on  peut  en  voir  au  Louvre  un  moulage  parfait, 
Musée  judaïque  y  n.  8.  On  y  lit:  M^jÔeva  aXXoifevTj  eiaitopeuetiôai  evTOç  xou 
xepi  To  lepov  xpuçaxTou  xat  irspiêoXou*  oç  ô'  av  XtiçOiq  eauTw  aiTio;  etjcai  ôta 
To  eÇaxoXouôeiv  Oavatov.  C'est  la  première  inscription  grecque  recueillie 
à  Jérusalem  :  aussi  est-ce  aux  Grecs  qu'elle  s'adresse.  Clermont-Ganneau, 
La  stèle  du  Temple.  Cf.  Act.,  xxi,  28.  Infra,  n.  394,  547  et  Joseph.,  .4., 
XV,  XI,  57;  B.,  V,  v,  2j  VI,  11,  4. 

14. 


246  jÉsus-GHRiSï  SELON  l'evangile.  [n^  127 

0  vaoç  *.  Il  était  tourné  vers  l'Occident,  et  il  comprenait, 
d'abord  un  large  vestibule  ou  portique  plus  élevé  que  tout 
le  reste  ;  puis  derrière  un  voile,  le  lieu  saint,  renfermant  le 
chandelier  d'or,  la  table  d'or  pour  les  pains  de  proposition 
et  l'autel  d'or  des  parfums;  enfin,  derrière  un  second  voile, 
le  sanctuaire  ou  lieu  très  saint,  qui  aurait  dû  contenir  l'arche 
de  l'alliance ,  mais  d'où  cette  arche  était  absente  depuis 
la  captivité  ^ 

127.  —  Siméon.  Gomment  faut-il  entendre  ce  qu'il  dit  :  Que  Notre 
Seigneur  sera  un  signe  de  contradiction^  une  cause  de  ruine  et  de  ré' 
surrection  pour  plusieurs,  Luc,  ii,  34? 

Quoique  l'Evangile  ne  l'affirme  pas,  on  est  fondé  à  croire 
que  Siméon  était  prêtre  :  il  en  fait  les  fonctions,  en  prenant 
l'enfant  dans  ses  bras  pour  l'offrir  au  Seigneur  et  en  bénis- 
sant ses  parents  ^  Aux  versets  34  et  35,  il  se  montre  pro- 
phète. Il  annonce  à  Marie  les  inimitiés  et  les  traverses  aux- 
quelles son  Fils  sera  en  butte,  in  signum  *.  Il  prédit  ensuite 
le  résultat  de  sa  venue  sur  la  terre,  la  réprobation  du  peuple 
juif  et  le  salut  ou  la  résurrection  des  Gentils.  Cette  dernière 
prophétie  s'accorde  avec  ce  qu'il  dit  dans  son  cantique: 
Lumen  ad  revelationem  gentium  ^  et  avec  ce  qu'avait  déjà 
annoncé  Zacharie  :  Illuminare  his  qui  in  tenebris  et  in  umbra 
mortis  sedent  ®. 

C'est  la  loi  ou  le  peuple  ancien  qui  semble  parler  par  la 
bouche  de  Siméon.  Ce  saint  vieillard  n'appelle  pas  Dieu  son 
Père,  mais  son  Seigneur  ;  il  ne  se  dit  pas  son  enfant,  mais 
son  serviteur.  La  venue  du  Sauveur  a  été  l'objet  de  son  at- 
tente, et  doit  être  le  terme  de  son  existence.  Son  cantique 
est  comme  la  conclusion  de  l'Ancien  Testament  et  la  préface 
du  Nouveau  ^ 

1  De  vaio),  habito;  la  demeure  du  Seigneur,  le  sanctuaire.  —  ^  Cf. 
II  Mac,  II,  5;  Joseph.,  A.^  VIII,  m,  9;  B.,  V,  v,  4;  A.  T.,  n.  497.  — 
3  Luc,  II,  34.  S.  Epiph.,  S.  Cyrill.  Hieros.  —  *  Cf.  Thren  ,  m,  l2;'Heb., 
XII,  3.  —  s  Luc,  II,  32.  Cf.  Isai.,  xxviii,  16;  Dan.,  ii,  54.  —  6  Luc,  i,  Î9. 
—  ^  Supra,  n.  103. 


.\M28J  SA   VIE  CACHÉE.   —  FUITE   EN   EGYPTE.  247 

ARTICLE  V. 
Fuite  en  Egypte  et  retour,  Matth.,  ii,  14-23. 


*  128.  —  Ne  voit-on  pas  une  figure  et  un  sens  spirituel  dans  le 
passage  de  saint  Matthieu,  ii,  14-23? 

I.  Le  passage  d'Osée,  cité  par  S.  Matthieu,  est  pris  dans  le 
sens  spirituel.  Littéralement,  il  a  pour  objet  la  postérité 
d'Abraham,  que  Dieu  a  délivrée  de  la  tyrannie  de  Pharaon  ^ 
C'est  une  preuve  de  ce  que  dit  S.  Augustin,  que  le  peuple  d'Is- 
raël a  été  la  figure  du  Messie,  aussi  bien  que  ses  patriarches  \ 

II.La  persécution,  que  subit  le  Sauveur  est  elle-même  le 
présage  et  comme  la  figure  de  celles  auxquelles  l'Eglise  et 
ses  membres  doivent  être  en  butte.  En  effet,  il  y  a  trop  d'a- 
nalogies entre  l'histoire  de  l'Eglise  et  celle  de  son  divin 
chef,  pour  que  cette  conformité  ne  soit  par  l'effet  d'un. des- 
sein providentiel.  Comme  Notre  Seigneur,  l'Eglise  naît 
dans  la  pauvreté  et  la  souffrance  ;  comme  lui  elle  est  ex- 
posée, dès  son  berceau,  à  la  haine  et  à  la  violence.  On  veut. 
1  étouffer  dans  le  sang.  On  la  réduit  à  se  cacher  *.  Elle  at- 

*  Denier  d'Auguste,  jEgypto  capta.  Depuis  une  huitaine  d'années, 
l'Egypte  n'était  plus  qu'une  province  romaine,  gouvernée  par  un  préfet. 
U  nom  d'Auguste  se  lit  dans  plusieurs  temples  d'Egypte  et  de  Nubie. 
Le  crocodile,  personnification  du  Nil,  était  la  divinité  principale  du 
pays.  —  *  Puer  Israël,  et  dilexi  eum  et  ex  iEgypto  vocavi  filium  meuni. 
Osée.,  XI,  1.  —  3  Dicoillorum  non  tantum  linguam,  verum  etiara  vitam 
fuisse  propheticam,  totumque  illud  regnum  magnum  quemdam,  quia  et 
Diagni  cujusdam,  fuisse  prophetam.  S.  Aug.,  Cont.  Faust. ^  xxii,  24.  Vult 
enim  Scriptura  non  solum  auribus  doceri  populum,  sed  et  oculis.  Magis 
enim  mente  retinetur  quod  visu  quam  quod  auditu  ad  animum  pervenit. 
S.  Hieron.,  In  Jerem.,  iv,  19.  Cf.  Gen.,  xxviii,  5.  Exod.,  ii,  15;  iv,  22, 
23;  I  Reg.,  xix,  10.  —  *  Apoc,  xii,  6.  Latebrosa  ac  lucifugax  natio. 
Minut.  FeUx. 


248  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n<^  129 

tend  pour  se  montrer  que  Dieu  ait  frappé  ses  persécuteurs. 
Alors,  elle  fait  éclater  sa  sagesse,  elle  excite  l'admiration 
par  l'éclat  de  sa  doctrine.  Ainsi,  la  vie  de  l'Eglise  est  en 
germe  dans  la  vie  de  Jésus  *.  C'est  le  mystère  commencé  de 
leur  éternelle  union  ^  On  trouverait  des  rapports  de  même 
genre  entre  la  vie  du  Sauveur  et  celle  des  saints  ^  Avouons 
néanmoins  que  ces  rapports  sont  incomplets,  de  diverses 
sortes,  et  que  ce  serait  exagérer  de  vouloir  en  déduire  des 
données  précises  sur  l'avenir  de  l'Eglise,  à  plus  forte  raison 
des  particuliers. 

*  129.  —  Comment  doit-on  traduire  ce  mot  de  saint  Matthieu  :  Ul  adim- 
pleretur  :  Quoniam  Nazarsetis  vocabitur^  ii,  23,  et  comment  le  faut-il 
entendre? 

Il  faut  traduire,  ici  comme  ailleurs,  NaÇïjpaioc  par  Naza- 
réen, Nazarenus.  Il  est  évident  que  ce  nom  doit  être  justifié 
par  le  séjour  de  Notre  Seigneur  à  Nazareth ,  et  s'accorder 
avec  le  surnom  de  Nazaréen  qui  lui  est  donné  plus  de  quinze 
fois  dans  l'Evangile  et  les  Actes,  qui  a  été  inscrit  au  sommet 
de  sa  croix,  et  dont  les  païens  se  servaient  pour  désigner 
ses  disciples. 

Mais  où  lit-on  dans  les  Prophètes  que  le  Sauveur  doit  s'ap- 
peler ainsi  ?  Les  Prophètes  ne  disent  nulle  part  qu'il  doit 
porter  ce  nom  :  seulement  ils  disent  qu'on  lui  attribuera  ce 
que  ce  mot  signifiait  en  Judée.  En  effet  il  paraît  que  le  nom  de 
Nazaréen  était,  chez  les  Juifs  de  Jérusalem  *,  ce  qu'il  fut  plus 

1  C'est  pour  cette  raison  qu'on  peut  appliquer  à  l'un  et  à  l'autre  les 
mômes  figures,  celle  de  Jonas  par  exemple,  qu'on  voit  en<^tant  d'endroits 
des  catacombes.  Celle-ci  a  Notre  Seigneur  pour  premier  objet;  /n/m, 
n.  229,  4^9;  mais  elle  convient  aussi  parfaitem€nt  à  TEglise.  Perdue  et 
comme  ensevelie  dans  le  sein  de  Tempire  romain,  le  géant  des  mers^ 
suivant  le  langage  de  S.  Jean,  Apoc,  xiii,  1;  xvii,  15,  TEglise  en  sort 
après  trois  siècles,  Apoc.^  xx,  4,  5,  reprend  une  nouvelle  vie,  et  opère 
en  peu  de  temps  la  conversion  du  monde.  Cette  seconde  signification 
n'est  peut-être  pas  colle  qui  frappait  le  moins  les  premiers  chrétiens. 
De  même  du  sacrifice  d'Abraham,  des  trois  enfants  d'Israël  dans  la  four- 
naise do  Babyloné,  etc.,  Heb,,  xiii,  8.  —  *  Sustinet  corpus  quod  pr»- 
çessit  in  capite.  S.  Aug.,  In  Psalm,  xxxvi;  Serm,  ii,  18.  —  3  Joan., 
XV,  20;  Rom.,  viii,  29.  —  *  Joan.,  i,  46;.vii,  52. 


j 


N»  130]    SA  VIE  CACHÉE.  —  IL  RESTE  DANS  LE  TEMPLE.  249 

tard  parmi  les  païens,  au  temps  de  Julien  l'Apostat,  un  terme 
de  mépris,  à  peu  près  comme  celui  de  Béotien  était  chez  les 
Grecs*.  Or,  les  prophètes  n'annonçaient-ils  pas  en  bien  des 
endroits  que  le  Sauveur  serait  méprisé,  injurié,  tourné  en 
dérision^? 

S.  Jérôme  donne  à  ce  mot  une  autre  signification.  Par  son 
étymologie,  dit-il,  ce  terme  donne  Tidée  d'un  arbrisseau, 
d'un  rejeton  ;  et  cela  s'accorde  avec  ce  que  dit  Isaïe  :  Egre- 
dietur  virga  de  radice  Jesse  ^  Mais  cette  explication  nous 
semble  moins  naturelle.  Quant  à  l'interprétation  qu'il  pro- 
pose ailleurs  *,  et  qui  consiste  à  prendre  Nazaréen  pour  con- 
sacré à  Dieu  par  le  nazaréat,  NiÇwpaioc,  Nazarœus,  ainsi  que 
le  fut  Samson  ^  elle  ne  parait  pas  s'adapter  au  texte  de 
S.Matthieu.  On  peut  dire  de  plus  qu'elle  ne  s'accorde  pas 
avec  l'histoire  du  Sauveur  ;  car  si  Jésus-Christ  a  été  consa- 
cré à  Dieu  plus  parfaitement  que  personne,  nous  ne  voyons 
nulle  part  qu'il  se  soit  assujetti  aux  observances  particulières 
qu'imposait  le  vœu  du  nazaréat  *. 

ARTrCLE   VI. 
Jésus-Christ  parmi  les  Docteurs,  Luc,  ii,  41-52. 

{An  6,  2"  Jour  de  mai.) 

*  130.  —  Où  était  Notre  Seigneur  quand  il  fut  retrouvé  par  ses    . 

parents? 

L'Evangile  dit  que  Jésus  fut  trouvé  dans  le  temple^  sv  -w 
i£?«,  ce  qu'il  faut  entendre  de  quelqu'une  des  salles  renfer- 
mées dans  l'enceinte  du  temple  \  Il  y  en  avait  plusieurs  le 
long  du  pavis,  où  l'on  enseignait  la  science  sacrée.  Les 
maîtres  les  plus  renommés  y  donnaient  leurs  leçons.  C'est 
donc  là.  dans  une  de  ces  salles,  que  Jésus  se  trouvait,  non 
pas  debout  comme  un  disciple  ordinaire,  ni  comme  S.  Paul 
au  pied  de  la  chaire  de  Gamaliel  ',  mais  assis  comme  les 

'  Cf.  Joao.,  I,  46;  vu,  52;  xix,  19;  Act.,  xxiv,  5.  —  ^  isai.,  ui ,  14; 
uii,  3.-3  ïsai.,  XI,  1  ;  lx,  21.  ~  ♦  Brev.,  de  Vigil.  Epiph.y  lect.  ix.  — 
»  Judic  , xm,  5.-6  Cf.  Luc,  i,  15;  vu,  33,  34.  —  '  Joseph.,  fl,  VJ,  vi. 
—  •  Act,,  XXII,  3. 


250  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'ÉVANGILE.  [n«  131 

docteurs  sur  le  même  rang  qu'eux,  et  même  au  milieu 
d'eux  *. 

Les  paroles  qu'il  adresse  à  ses  parents  ne  sont  pas  moins 
profondes  que  celles  qu'il  a  pu  dire  aux  docteurs.  Il  n'est 
pas  étonnant  qu'ils  n'en  comprennent  pas  toute  la  portée  K 
Celles  de  Marie  rendent  admirablement  sa  tendresse  respec- 
tueuse envers  son  divin  Fils  et  son  affectueux  respect  pour 
son  saint  époux.  Le  silence  de  S.  Joseph,  en  cette  circons- 
tance, et  la  peine  qu'il  avait  ressentie  le  peignent  également 
bien  :  Sicut  illa  caste  mater ^  sic  ille  caste  pater,,,  Quod  Spiri- 
tus  operatus  est  ^  ut  risque  operatm  est  *.  Entre  les  paroles  du 
Sauveur,  on  remarquera  le  mot  Pater  meus,  après  celui  de 
pater  tuus,  prononcé  par  la  sainte  Vierge. 

I3d.  —  Comment  faut-il  entendre  ce  verset  de  saint  Luc  :  Jésus  profi- 
ciebat  sapientia  et  œtate  et  gratia  apud  Deum  et  komines,  52? 

L  Pour  ce  qui  est  de  l'intelligence,  nous  entendons  S.  Luc 
en  ce  sens  qu'ayant,  comme  homme,  les  mêmes  facultés  que 
nous  et  se  trouvant  ici-bas  dans  des  conditions  analogues 
aux  nôtres,  le  Sauveur  éprouvait  des  impressions  de  même 
genre,  voyait  les  mêmes  objets,  se  formait  les  mêmes  idées, 
acquérait  la  même  science  ;  et  que  laissant  paraître  cette 
science  au  dehors  selon  qu'il  l'acquérait  et  n'en  faisant  pas 
paraître  d'autre,  il  donnait  de  jour  en  jour  à  ceux  qui  l'ob- 
servaient de  nouvelles  preuves  de  ses  connaissances  et  de  sa 
sagesse  ^  Les  Docteurs  donnent  à  cette  science  le  nom  d'ex- 
périmentale, à  cause  de  la  manière  dont  on  l'acquiert  pour 
l'ordinaire.  Elle  était  pour  Notre  Seigneur  la  conséquence 
naturelle  de  la  condition  où  il  s'était  mis,  et  elle  rend  compte 
de  ce  qu'ont  dit  l'Ecriture  et  les  Pères  sur  son  enfance  et  sur 
le  développement  graduel  de  son  intelligence.  Puisqu'il  ac- 

1  Luc,  II,  46.  Quasi  fons  sapientiae  doctorum  médius  sedet,  sed  quasi 
exemplar  humilitatis  vidcre  potius  et  interrogare  doctoros  quam  ins- 
truere  quaerit  indoctos.  Ven.  Beda.,  In  hune  loc.  —  2  Luc,  ii,  50.  Cf. 
Luc,  II,  33.  —  3  Luc,  I,  35.  —  *  S.  Aug.,  Serm.  li,  n.  2^,  30.  —  5  Sc- 
cundum  profectum  aetatis,  perfectiora  opéra  facicbat  et  in  eis  quaB  sunt 
ad  Deum  et  in  eis  quaB  sunt  ad  Iiomines.  S.  Thom.,  p<  3,  q.  7,  a.  12, 
ad  3  et  q.  12,  a.  2. 


N*'  tU\    SA  VIE  CACHÉE.  •—  IL  RESTE  DANS  LE  TEMPLE.  281 

quérait  réellement  cette  sorte  de  science,  il  devait  aussi  en 
donner  des  marques,  y  faire  des  progrès,  apprendre  cer- 
taines choses,  y  appliquer  son  esprit,  interroger,  admirer, 
s'étonner,  etc.  *. 

Cela  n'empêche  pas  de  reconnaître  en  son  âme  dès  le  pre- 
mier moment  de  l'Incarnation  une .  science  surhumaine  et 
des  lumières  d'un  ordre  supérieur  ^  Les  principaux  Doc- 
teurs et  tous  les  théologiens  enseignent  qu'il  avait  reçu  par 
infusion,  à  la  manière  des  prophètes  et  des  saints,  mais 
dans  une  mesure  incomparablement  plus  grande,  un  degré 
de  science  proportionné  à  sa  dignité  et  à  sa  mission'.  De 
plus,  ils  s'accordent  à  dire  que  son  âme  jouissait  de  la  vision 
intuitive  de  l'essence  divine,  d'une  manière  plus  parfaite  et 
plus  pleine  que  tous  les  esprits  du  ciel  *.  Ils  regardent  ces 
privilèges  comme  une  conséquence  naturelle  de  l'union  hy- 
postatique,  et  par  conséquent  ils  ne  sauraient  admettre  qu'il 
ait  dû  les  mériter  par  ses  œuvres,  ni  qu'il  en  ait  été  un  seul 
instant  privé.  A  plus  forte  raison  n'admettraient-ils  pas  que 
son  esprit  partageât  à  son  entrée  dans  le  monde  l'ignorance 
commune  à  tous  les  enfants  d'Adam.  Ingrediens  mundum  di- 
cit:  Ecce  venio  ut  faciam,  Deus,  voluntatem  tuam.  In  qua  ro- 
luntate  sanctificati  sumus  ^  Dans  l'Apocalypse,  on  entend  les 
élus  du  ciel  célébrer  sa  sagesse  et  ses  lumières  en  même 
temps  que  sa  divinité  *. 

IL  Quant  à  la  grâce  dont  l'âme  de.  Notre  Seigneur  a  été 
ornée,  nous  distinguons  de  même,  avec  les  théologiens,  les 
habitudes  et  les  actes  surnaturels,  les  principes  et  les  effets. 
Les  œuvres  de  grâce  ou  les  actes  de  vertus  croissaient  et  se 
multipliaient  sans  cesse;  mais  les  habitudes  infuses,  les  dis- 
positions vertueuses,  la  grâce  sanctifiante,  tout  ce  qu'exi- 
geait en  son  âme  sa  dignité  d'Homme-Dieu ,  ne  pouvait 

.  *  Cf.  Matth.,  vin,.lO;  Marc,  ix,  20,  xt,  13;  Joan.,  xi,  34;  Heb.,  v,  8. 
8.  Thom.,  p.  3,  q.  Il ,  a.  1  ;  a.  4,  q.  9,  et  q.  15,  a.  8.  —  *  Isai.,  xi,  2; 
Joan.,  I,  14;  m,  34;  vi,  65.  —  »  Bossuet,  Médit ,  79,  dern.  sem.;  Infray 
n.  239.259.  -  ^  Joan.,  m,  il  ;  vi,  45  ;  viii,  38,  55  ;  S.  Thom.,  p.  3,  q.  7, 
a.  3  et  q.  10,  a.  1.  Gf.  q.  9,  a.  4.  —  3  Heb.,  x,  5-10.  Cf.  Joan.,  vi,  49; 
xviu,  4;  XXI,  17;  Col.,  ii,  3.  —  «  Apoc,  v,  12.  Gf.  S.  Greg.  M.,  EpisL, 
lib.  X.  35  et  39. 


28^  JESUS-CHRIST  SELON  L*ÉVANGILE.  [n^  132 

croître.  Le  Sauveur  a  toujours  possédé  ces  dons  au  degré  le 
plus  élevé  *  :  Verbum  caro  factum  est,  plénum  gratiœ  et  teri- 
tatis,  et  de  plenitudine  ejusnos  omnes  accepimus  ^ 


CHAPITRE   m. 

PRÉPARATION   PROCHAINE  A   LA  PRÉDICATION   DE   l'ÉVANGILE. 


ARTICLE  L 

Prédication  de  saint  Jean-Baptiste,  Lac,  m,  1-18; 

Malth.,  m,  1-12. 
{An  781-782  de  Rome;  15  de  Tibère;  28-29  de  notre  ère.) 

*  132.  —  Pourquoi  saint  Luc  marque-t-il  avec  tant  de  soin  sous  quels 
princes  et  sous  quels  pontifes  eut  Ueu  la  prédication  de  saint  Jean- 
Baptiste,  III,  i-2? 

En  commençant  par  donner  une  idée  de  la  situation  poli- 
tique du  monde  et  de  la  Judée  en  particulier,  S.  Luc  se  pro- 
pose à  la  fois  plusieurs  fins  :  —  1^  De  bien  fixer  son  point 
de  départ  ou  la  date  de  ses  premiers  récits  et  de  mettre  ses 
lecteurs  à  même  d'en  vérifier  l'exactitude.  Ainsi  débutent 
les  prophètes  dans  l'Ancien  Testament.  — 2**  De  prouver  que 
cette  époque  est  bien  celle  où  le  Messie  devait  paraître,  le 
sceptre  étant  sorti  de  Juda  et  la  Judée  n'étant  plus  qu'une 
province  de  l'empire  romain.  —  3°  De  faire  remarquer 

1  In  Christonon  poterat  esse  gratiœ  augmentum,  sicut  nec  in  beatis..., 
nisi  secundum  effectua,  in  quantum  sciUcet  aliquis  sapicntiora  et  vir- 
tuosiora  opéra  facit.  S.  Thom.,  p.  3,  q.  7,  a.  12.  —  2  Joan.,  i,  14.— 
3  Médaille  de  Tibère  :  Ti.  Csesav,  divi  Augusti  filiuSy  Augustus.  Au  revers 
Pontifex  maximus;  et  au  milieu,  Rome  ou  Livie,  tenant  d'une  main  un 
sceptre,  de  Vautre  une  fleur.  Tibère  succédait  à  Auguste  depuis  l'an  14. 
(Biblioth.  nationale.) 


N»  134]  SA  VIE  CACHEE.  —  I»RIÈDICATI0N  DU  PRÉCURSEUR.  283 

rhumble  origine  du  royaume  de  Dieu,  au  milieu  de  ces  illus- 
trations terrestres,  et  peut-être  aussi  l'éclatante  lumière  au 
sein  de  laquelle  s'accomplirent  les  événements  de  l'histoire 
évangélique*. 

La  mention  qu'il  fait  du  règne  de  Tibère  et  du  gouverne- 
ment de  Ponce-Pilate  '  donne  à  penser  que  cet  évangéliste 
n'est  pas  un  Juif  de  Galilée,  et  qu'il  écrit  pour  les  chrétiens 
répandus  dans  l'empire,  plutôt  que  pour  les  habitants  de  la 
Palestine. 

133.  —  La  loi  et  Thistoire  des  Juifs  permettent-elles  d'admettre  qu'il  y 
ait  eu  deux  souverains  Pontifes  à  la  fois,  comme  le  dit  saint  Luc, 
m,  2? 

Quoique  ce  fait  n'ait  pas  été  fréquent  et  qu'un  auteur 
moins  assuré  de  ses  renseignements  se  fût  bien  gardé  de 
l'avancer,  il  est  certain  que  Caïphe  et, Anne  portèrent  à  la 
fois  le  titre  de  grand-prêtre.  Anne,  élevé  au  pontificat  en 
l'an  7  par  Quirinus,  en  avait  été  déposé  en  l'an  15  par  Vale- 
rius  Gratus,  commissaire  de  Tibère.  Il  fut  remplacé  dans  sa 
dignité  par  Caïphe,  son  gendre,  de  l'an  25  à  l'an  36.  Néan- 
moins il  conservait  son  titre  avec  une  partie  de  ses  fonc- 
tions, probablement  comme  vicaire  officiel  de  Caïphe  ^  Il 
présidait  le  sanhédrin,  et  continuait  à  jouir  d'une  grande 
influence.  Cet  état  de  choses  est  confirmé  par  les  autres  évan- 
gélistes  *,  et  par  l'historien  Josèphequi  faitconnaître  unautre 
fait  analogue  à  celui-ci  ^ 

*  134.  —  Qu'avons-nous  à  remarquer  dans  le  discours  de  saint 

Jean-Baptiste? 

On  peut  remarquer  dans  les  discours  du  Précurseur  : 

^  Neque  enim  in  angulo  quidquam  horum  gestum  est.  Act.,  xxvi,  26» 
Egopalamlocutus  sum  mundo.  Joan.,  xviii,  20.  Supra,  n.  23.  —  ^  S.  Luc, 
ui,  1,  comme  S.  Matthieu,  xxvu,  2,  l'appelle  Hyst&cov,  au  lieu  d'ËntTpoico;, 
MO  titre  officiel.  —  3  Cf.  Jer.,  ui,  24  et  I  Reg.,  xxi,  6,  Marc,  ii,  26. 
Supra,  n.  123.  —  *  Luc,  m,  2;  Joan.,  xviii,  13;  Act.,  iv,  6.  Le  nom  de 
Caïphe  parait  être  une  forme  de  Taraméen  Géphas.  l\  le  prit  proba- 
blement à  son  entrée  dans  le  pontificat,  à  la  place  de  celui  de  Joseph 
<ia'il  avait  reçu  à  sa  naissance.  Joseph.,  A.,  XVIII,  n?  2;  iv,  2.  — 
'  Joseph.,  B.,  U,  XII,  6  et  A.,  XVIII,  ii,  2;  XX,  ix,  2. 

m.  13 


254         .  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n»  134 

1»  La  citation  d'Isaïe  *.  En  inspirant  ces  paroles  au  pro- 
phète, TEsprit  saint  avait  sans  doute  en  vue  la  captivité  des 
Juifs  à  Babylone  et  leur  retour  en  Palestine  ;  mais  ce  qu'il 
considérait  surtout,  c'était  la  captivité  des  âmes  sous  le 
joug  du  démon  et  leur  affranchissement  par  le  Rédemp- 
teur ^ 

2*  Un  hébraïsme  :  Baptizabit  spiritu  et  igné  ^,  pour  bapti- 
zabit  spiritu  qui  ignis  est  ou  igné  spiritus  *.  Le  Sauveur  doit 
plonger  les  âmes  dans  des  flammes  ardentes  qui  les  puri- 
fieront tout  autrement  que  l'eau  du  Jourdain  ^  Par  ces 
flammes,  il  entend  toutes  les  communications  que  l'Esprit 
saint  fera  aux  apôtres  et  aux  fidèles,  à  la  Pentecôte,  et  par  les 
sacrements. 

3**  Cette  locution  :  Securis  adradicem  arborum  posita  est\, 
qui  fait  allusion  à  plusieurs  passages  des  prophètes,  où  les 
princes  d'Israël  sont  comparés  aux  cèdres  du  Liban  \ 

4**  Ces  paroles  rapportées  par  S.  Jean  :  Qui  post  me  ven- 
turUs  est,  ante  me  factm  est  ®,  quia  prior  me  erat,  paroles  qui 
attribuent  au  Sauveur  non  seulement  une  autorité  supérieure 
à  celle  du  Précurseur,  mais  une  existence  antérieure  *,  par 
conséquent  l'éternité.  [JpwToç  [acu,  sans  comparaison  *®. 

5»  Enfin  le  titre  que  S.  Jean-Baptiste  donne  à  Jésus-Christ  : 
Agnus  Dei,  qui  tollit  peccatum  mundi  ".Il  entend  que  Jésus- 
Christ  est  la  grande  victime,  donnée  de  Dieu  et  demandée 
par  Dieu,  Thostie  sans  tache,  figurée  par  les  victimes  du 
temple  et  surtout  par  l'Agneau  pascal,  dont  l'immolation  a 
mis  fin  à  la  première  captivité  ;  qu'il  doit  être  offert  en  sacri- 
fice perpétuel  à  la  majesté  divine,  afin  d'expier,  avec  les  pé- 
chés d'Israël,  les  iniquités  du  monde  entier.  Ce  mot  Agnus  Dei 
est  toujours  précédé  de  l'article  dans  le  texte  grec  :  o  Apivoç 

i  Matth.,  m,  3.  —  ^  /n/ra,  n.  178.  —  3  Luc,  m,  16.  —  *  Cf.  Act., 
I,  5.  Supra,  n.  38,  5«.  —  s  Matth.,  m,  6;  Act.,  i,  5;  vi,  10;  xix,  3,  4. 
Cf.  Mal.,  III,  2.-6  Matth.,  m,  10.  —  ^  Isai.,  x,  33,  34;  Ezec,  xxx,  5. 
—  8  Fortior  me  est,  Matth..  m,  10;  Luc,  m,  16.  —  «  Prior  Joanne,  prior 
Abraham,  prior  quam  Adam,  prior  quam  cœlum  et  terra,  prior  quam 
Angeli,  Scdes,  Dominationes,  Priocipatus  et  Potestates.  S.  Aug.,  Senn. 
GGGLxxx,  5.  Cf.  Col.,  I,  16;  Jnfra,  n.  333.  —  lo  Joan.,  i,  15, 80. Cf.  i,  21  ; 
VIII,  5^.  —  **  Joan.,  i,  29. 


.  j 


N"  J3S]  SA  VIE  Cachée.  —  pri^dication  du  prhccrseur.  258 
au6e«j'.0aip(i>v,  quitollU,qm6teet  qui  prend  sur  soi,  qui 
enlève  en  se  chargeant. 


n  en  différait  essentiellement.  Ce  n'était  pas  un  sacre- 
ment, ayant  en  lui-même  la  vertu  de  remettre  le  péché  ou 
de  conférer  la  grâce,  mais  une  simple  pratique  de  religion, 
ifhtunilité  et  de  pénitence,  par  laquelle  on  témoignait  le 
besoin  qu'on  avait  d'être  purifié,  et  la  disposition  où  l'on 
étail  de  commencer  une  vie  meilleure  '.  Cette  cérémonie  ne 
pouvait  donc  pas  tenir  lien  du  baptême  du  Sauveur;  mais  elle 
ypréparait'.  Beaucoup  d'auteurs  pensent  que  le  Précurseur 
p'avait  fait  qu'étendre  à  ses  disciples  un  des  rites  auxquels  on 
Bonmettait  les  Gentils  qui  renonçaient  au  paganisme  et  qui 
demandaient  à  s'agréger  au  peuple  de  Dieu.  Par  cette  obser- 
vance, les  uns  et  les  autres  faisaient  profession  de  renoncer 
i  lenrs  habitudes  coupables,  d'aspirer  à  une  vie  meilleure, 
d'en  accepter  les  conditions  et  d'en  implorer  la  grâce. 


I  Cf.  Nom.,  ixvm,  3,  6;  Isai.,  LVii,  7,11,  1Ï;  Dan.,  vm.  Ii-i3;  Josn., 
t,  »,  aajIPet.,  I,  19;  Apoc,  v,  12,  13;  xii,  il;^iii,  8;  xiv,  1.  Infra, 
B.  It7.  —  *  Act.,  Il,  3, 8,  ixn,  16;  Gai.,  m,  27.  —  >  Bapliamaa  Joannis 
xlnti  pans  fuit  qao  >  bapliaiiiiB  Jadaids  ad  baptismum  cbristianom 
transitai  factus  est.  S.  Cbrya.,  Rom.  de  flofif.  chrùl.,  3,  —  '  Moanaio 
d'Hérode  Antipas,  tétrarqne  de  Galilée,  sous  lequel  pr&cbait  Baint  Jean- 
Bipijst«  et  &  qui  il  reprocha  son  m ar) âge  avec  nérodïâds.  Sur  la  face, 
Uie  branche  de  palmier,  entourée  de  cea  mots,  npw&au  iETpapx''<'.  Aui 
deni  cOtes  de  la  palme,  les  lettres,  AAF,  indfquant  la  33*  année  du 
i+gna  d'Anlipas,0Q]a!9"derère  chrétienne  et  la  première  de  la  prédi- 
cition  du  Sauveur.  Le  premier  lambda  est  Tinitialo  et  l'abrégé  de  ïuxkSii;, 
synonjnie  de  ito;,  année.  Cf.  n.  2^1,  264,  etc.  Surlo  revers,  an  iniliou 
ifnae  couronne  de  laurier,  Tifriipiot,  nom  donné  par  lui,  en  l'Iinnneur  do 
l'empereor  régnant,  à  la  capitale  do  sa  tétrarchie. 


286  JÉStS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n»  137 

ARTICLE  IL 
Baptême  de  Notre-Seigneur,  Matth.,  m,  13-17;  Luc,  m,  21^ 22, 

(An  29  de  notre  ëre,  35  de  J.-C.) 

136.  ' —  Gomment  saint  Jean-Baptiste  ne  connaissait-il  pas  le  Sauveur 
avant  son  baptême,  Joan.,  i/3^3,  puisqu'il  lui  a  dit  à  lui-môme  qu'il 
ne  méritait  pas  de  le  baptiser,  Matth.,  m,  14? 

Voulant  faire  entendre  qu'il  n'a  pu  se  concerter  avec  le 
Sauveur,  S.  Jean  affirme  qu'il  ne  l'a  pas  vu  avant  le  jour  et 
l'heure  de  son  baptême,  owx  vjSeiv  *.  Il  est  vrai  qu'à  ce  mo- 
ment, Jésus  se  présentant  à  lui,  l'Esprit  saint  le  lui  fit  con- 
naître aussitôt  par  une  lumière  intérieure  semblable  à  celle 
qui  découvrit  Sâûl  au  prophète  Samuel  *.  Dès  lors  S.  Jean 
eut  voulu  lui  rendre  publiquement  l'honneur  qu'il  lui  devait  ; 
mais  le  Sauveur  n'y  consentant  pas,  il  attendit  pour  le  dési- 
gner au  peuple  le  signe  miraculeux  qui  lui  avait  été  pro- 
mis*. Ce  qui  résulte  de  là,  c'est  que  Jean  unit  ici  dans  sa 
pensée  le  moment  où  Jésus-Christ  s'est  adressé  à  lui  et  celui 
où  il  l'a  baptisé.  Il  ne  distingue  pas  la  lumière  intérieure 
qui  a  éclairé  son  esprit  du  signe  qui  a  frappé  ses  regards 
quelques  moments  après  *.  De  cette  manière  tout  s'explique 
et  se  concilie  sans  peine. 

*  137.  —  Pourquoi  Jésus-Christ  dit-il  à  saint  Jean  qu'ils  doivent 
Tun  et  Tautre  accomplir  toute  justice? 

Notre  Seigneur  apprend  au  Précurseur  à  régler  sa  con- 
duite, non  sur  la  dignité  de  celui  qui  demande  son  baptême, 
mais  sur  le  bon  plaisir  et  les  desseins  du  ciel.  Il  lui  fait  en- 
tendre que  ce  qui  leur  convient  à  l'un  et  à  l'autre  et  ce  qu'ils 
peuvent  faire  de  mieux  dans  l'intérêt  de  leur  ministère, 
c'est  de  donner  l'exemple  des  plus  hautes  vertus,  surtout 

,  1  Joan.,  I,  31,  33.  Cf.  i,  49,  grsece;  de  etâeco,  intuitus  sum,  minime 
vidi.  Cf.  Act.,  xxiii,  5.  Le  fait  rapporté  aux  versets  33,  34,  est  évidem- 
ment antérieur  à  celui  qui  est  décrit  au  verset  29.  —  ^  I  Reg.,  ix,  15-18. 
r^  3  Joan.,  I,  33,  34.  —  ^  Cum  dicit  :  Nesciebam  eum,  superiora  tem- 
pora  respicit)  non  qu»  circa  baptismum  fuerunt.  S.  Chrys.,  In  Joan*t 
Hom.  XVI,  3. 


nM38]  sa  vie  cachée.  —  son  baptême.  257 

de  l'humilité,  de  la  pénitence,  de  la  soumission*.  Telle  est 
la  raison  pour  laquelle,  avant  de  commencer  sa  prédication, 
le  Fils  de  Dieu  veut  être  baptiisé'  publiquement  au  mi- 
lieu des  pécheurs  qui  confessent  leurs  fautes,  xaç  apiapTia; 
«uTwv  ',  et  de  la  main  d'un  homme  qui  paraît  avoir  à  peine 
sur  lui  la  supériorité  de  l'âge.  Résolu  d'expier  nos  péchés  sur 
la  croix,  il  commence  par  en  accepter  la  charge;  il  en  prend 
puWiquèment  la  responsabilité  devant  Dieu*.  Omnis  jmtitia 
signifie  vertu  pleine  et  parfaite  *. 

138.  —  Poarquoi  les  troîis  Personnes  divines  se  montrent-eUes 

en  ce  baptême? 

Le  baptême  du  Sauveur  étant  le  type  et  comme  l'inaugu- 
ration du  baptême  chrétien,  conféré  au  nom  du  Père,  du 
Fils  et  du  Saint-Esprit,  il  convenait  qu'on  y  vit  d'une  ma- 
nière sensible  ce  que  le  sacrement  de  la  régénération  opère 
dans  les  âineset  la  part  que  ces  divines  personnes  y  prennent. 
C'est  ce  qui  a  lieu  en  eflfet  ^  On  voit  le  Père  désigner  le 
Sauveur  comme  son  Fils  et  l'objet. de  toutes  ses  complai- 
sances, 0  Tioç  |Aou  0  aYaiCTTiToç,  22,  le  Saint-Esprit  descendre 
sensiblement  pour  s'établir  dans  son  âme  et  en  prendre  la 
conduite  •,  le  Fils  se  dévouer  au  service  de  la  majesté  divine 
et  à  l'œuvre  de  la  rédemption  du  monde  ^  Ainsi  quoique 
tout  le  prodige  soit  l'œuvre  de  la  Trinité^  chaque  personne 
s'y  manifeste  séparément  et  témoigne  y  prendre  part  '. 

*  Gœpit  facere  et  docero,  Act.,  i,  1.  —  *  Cf.  Lev.,  iv,  14  ;  Num.,  v,  7; 
Pfov.,  xxYiii,  13.  Pars  salatis  est  sua  cohflteri  et  nosse  peccata.  S.  Hier., 
Al  Verem.,  i.  —  »  S.  Thom.,  p.  3,  q.  39.  —  ♦  Cf.  Matth.,  xxvni,  18; 
Rom.,  I,  18;  vn,  8;  I  Cor.,  xiii,  2;  Ephes.,  i,  3,  8;  iv,  2;  Phil.,  i,  9; 
Col,  I,  28;  I  Tim.,  i,  16;  in,  4;  Jac,  i,  2.  —  «  Cf.  Gen.,  i,  26,  27.  Tune 
corpus  suum,  id  est  Ëcclesiam  suam,  prsefigurare  dignatus  est.  S.  Aug., 
ûc  ÎVm.,  XV,  46.  —  6  L'Esprit  saint  a.  toujours  été  désigné  dans  l'Eglise 
par  le  symbole  sous  lequel  il  s'est  ici  montré.  Néanmoins  la  colombe 
signifie  aussi  quelquefois  ses  dons,  comme  dans  la  Vierge  aux  sept 
colombes ,  ou  les  âmes  pures ,  douces ,  célestes ,  animées  par  le  Saint- 
Esprit.  Bossuet,  Serm.  sur  la  Trinité  y  1«'  point,  fin.  — r  ^  Accepit  ut 
homo,  effndit  ut  Deus.  S.  Athan.,  De  hum,  nat.  suscepta.  Ut  ex  his  cor 
gnosceremus,  post  aquœ  lavacrum  et  de  cœlestibus  portis  sanctum  in 
DOS  Spiritum  involare  et  paternœ  vocis  adoptione  Del  Hlios  non  flcri. 
Cf.  s.  Thom.,  p.  3,  q.  39,  a.  5-8.  —  8  Trinitas  fccit  de  cœlo  voccm,  sed 


288  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n®  139 

Les  premières  sectes  attachaient  une  grande  importance 
à  ce  mystère  *.  En  ce  moment  l'Eon  céleste,  le  Christ,  était 
descendu  sur  le  Sauveur,  suivant  les  gnostiques  ',  et  suivant 
les  Ebionites,  un  feu  céleste  avait  enflammé  tout  le  fleuve  du 
Jourdain  '. 

ARTICLE   III. 
Notre  Seigneur  au  désert,  MaUh.,  iv,  1-11;  Lac,  iv,  143. 

*  139.  —  Pourquoi  cette  retraite  au  désert  après  son  baptême? 

Jésus-Christ  se  retire  au  désert  *  :  -^  pour  suivre  le  mou- 
vement de  l'Esprit  de  Dieu  qui  est  descendu  en  lui  *,  — 
pour  expier  par  la  pénitence  les  péchés  dont  il  vient  de  se 
charger,  —  pour  combattre  le  démon,  auteur  du  péché, 
dont  il  4oit  abattre  l'empire  %  -^  enfin  pour  se  préparer  à 
son  ministère,  comme  les  prophètes  se  préparaient  au  leur, 
par  l'éloignement  du  monde,  le  recueillement,  la  prière  et 
la  mortification  \  Là,  il  jeûne  rigoureusement  quarante 
jours  et  quarante  nuits,  comme  a  fait  Moïse  avant  de  publier 
la  loi,  comme  a  fait  Elie  avant  de  s'entretenir  avec  le  Sei- 
gneur '.  Il  passe  tout  ce  temps  parmi  les  bêtes  sauvages,  dit 
S.  Marc,  i,  13,  ne  vivant  que  de  la  vie  de  l'esprit,  occupé  de 

non  pertinet  vox  nisi  ad  Patrem.  Trihîtas  fçcit  de  cœlo  columbam,  sed 
non  pertinet  nisi  ad  solum  Spiritum.  S.  Au.g.^-  Serm,  lu,  21.  Infra^ 
n.  566'. 

i  L'Ëglise  primitive  Thonorait  aussi  beaucoup,  mais,  pour  d'autres 
motifs.  Elle  Foffrait  partout  aux  regards  des  fidèles  comme  le  modèle 
du  grand  Sacrement  qui  d'enfants  de  colère  nous  rend  enfants  de  Dieu 
et  héritiers  du  royaume  éternel.  Martigny,  Baptême,  —  s  Cf.  S.  Iren., 
m,  XI,  1;  S.  Ëpipb.,  Useres.^  xxx,  3,  34;  Philosoph.y  lib.  VU,  vm,  35,  etc. 

—  3  Evang.  secund,  Hebrseos.  Cf.  Matth.,  m,  11;  S.  Justin.,  Dial.,  88, 
103;  S.  Epiph.>  H/eres.,  xxx,  13.  —  *  Lieu  voisin  de  Jéricho,  auquel  on 
donnait  ce  nom.  —  s  Matth.,  iv,  1.  —  6  Matth.,  iv,  2-11.  —  ^  Cf.  Act.» 
I,  4,  5,  14;  S.  Thom.,  p.  3,  q.  41,  a.  3,  ad  i  ;  Bossuet,  Elév.^  Som  ,  xxni. 

—  8  Exod.,  XXIV,  18;  Deut.,  ix,  9;  III  Reg.,  xix,  8;  Apec,  ix,  19.  Cf. 
S.  Léo,  Sei*m,  xl,  3.  Brev.  rom.,  30  apr.,  lect.  iv.  Ce  fait  étonnant, 
rejeté  comme  incroyable  par  les  rationalistes,  est  confirnié  par  un  grand 
nombre  de  faits  de  môme  genre  de  THistoire  des  Saints.  Acta  SS., 
5  janv.,  t.  I,  p.  276;  6  mars,  t.  vu,  p.  653  ;  3  août,  t.  j,  p.  220.  Die/,  de 
Mystique  chrét,^  Abstinence,  Jeûne,  Eucharistie. 


N»  140]      SA  VIE  CACHÉE.  —  SA  RETRAITE  AU  DÉSERT.  259 

Dieu,  méditant  sa  parole  et  opposant  ses  maximes  aux  sug- 
gestions du  tentateur  *. 

140.  —  Pourrait-on  penser  que  les  tentations  du  Sauveur  ont  été  inté- 
rieures, et  que  le  récit  do  TKvangile  n'est  qu'une  parabole? 

Prétendre  que  les  tentations  du  Sauveur  ont  été  tout  inté- 
rieures et  spontanées,  comme  le  sont  communément  les 
nôtres,  à  plus  forte  raison  soutenir  qu'elles  ne  sont  qu'une 
parabole,  ce  serait  embrasser  un  sentiment  contraire  au 
texte  de  l'Ecriture,  à  l'interprétation  générale  des  Pères  et 
à  la  croyance  commune.  De  plus,  ce  serait  porter  atteinte  à 
la  dignité  et  à  la  sainteté  du  Fils  de  Dieu  •;  car  il  ne  conve- 
nait pas  qu'il  fût  comme  nous  en  butte  aux  attaques  des  pas- 
sions, et  nous  voyons  par  plusieurs  passages  de  TEvangile 
qu'il  avait  sur  elles  l'empire  le  plus  absolu  •.  Jésus-Christ 
n'a  donc  pu  être  tenté  que  par  suggestion.  Mais  de  cette 
manière,  on  conçoit  qu'il  ait  pu  et  voulu  l'être,  soit  pour 
nous  avertir  des  épreuves  auxquelles  notre  condition  nous 
soumet  *,  soit  pour  nous  montrer  par  son  exemple  les  moyens 
que  nous  avons  d'échapper  au  péril,  soit  pour  nous  mériter 
la  grâce  de  tirer  profit  des  attaques  même  du  démon  *.  Car 
notre  condition  ici-bas  nous  expose  à  être  tentés,  d'abord 
par  la  sensualité,  puis  par  la  vanité  et  l'orgueil,  enfin 
par  l'ambition  et  l'amour  delà  fortune  ^ 

On  conçoit  aussi  que  Satan  se  soit  aveuglé  un  certain 

temps  sur  la  divinité  du  Sauveur,  qu'il  n'ait  pu  croire  à  une 

• 

»  Matth.,  IV,  3.  6,  9;  Eph.,  vi,  17.  Cf.  S.  Tliom.,  p.  3,  q.  40,  a.  2  et  3. 

-  *  Luc,  I,  35;  Heb.,  vu,  26.  —  3  Joan.,  xi,  33;  xiv,  30.  Turbaris  tu 
nolens  :  turbatus  est  Christus  quando  voluit.  S.  Aug.,/n  Joan.^  xlix,  18. 

—  *  Vita  nostra  non  potcst  esse  sine  tentatione ,  quia  profectus  nostor 
fit  per  tentationcm ,  nec  sibi  quisquam  innotescit,  nisr  tentatus,  ncc 
potest  coronari  nisi  vicerit,  nec  vincere  nisi  certaverit,  nec  certare  nisi 
inimicum  et  tentationes  habuerit.  S.  Aug.,  In  Ps.  lx,  3.  Cf.  In  Ps.  xxi,  5. 
"  *  Heb.,  IV,  14,  15.  —  «  Matth.,  iv,  10.  A  ces  trois  concupiscences 
sont  opposés  les  trois  vœux  de  religion,  qui  sont  le  grand  chemin  de 
la  perfection  chrétienne.  S.  Matthieu  paraît  avoir  suivi ,  dans  le  récit 
des  trois  tentations,  l'ordre  des  faits  ;  S.  Luc  suit  la  gradation  dos  lieux, 
je  désert,  la  montagne,  le  pinacle  du  temple.  Le  P.  Patrizi  attribue 
l'interversion  aux  copistes. 


260  JÉSUS-CHRIST  SELON   l'ÉVANGILE.  [n<>  140 

telle  grandeur  dans  un  tel  abaissement,  ou  du  moins  qu'il 
n'ait  pas  regardé  le  fait  de  Tlncarnation  comme  indubitable, 
et  que  pour  s'assurer  de  la  vérité,  aussi  bien  que  pour  sa- 
tisfaire son  instinct,  il  n'ait  pas  craint  de  s'exposer  à  la  con- 
fusion d'une  défaite  *.  Dès  lors  le  récit  des  évangélistes  n'a 
plus  rien  d'invraisemblable  ou  dont  on  puisse  contester  la 
réalité  \ 

1  Matth.,  lY,  3,  10;  Luc,  xxiy,  16.  Tantum  Christus  innotait  dseino- 
nibqs  quantum  voluit;  tantum  voluit  quantum  oportuit.  S.  Aug.,  Ife 
Civ.  Deiy  ix,  21.  Cf.  S.'Hilar.,  In  Matth.,  m,  1;  S.  Chrys.,  In  Malth., 
hom.  xin;  S.  Hieron.,  In  Matth.^  iv,  6,  etc.  —  *  Quid  mirum  si  se 
permisit  a  diabolo  duci,  qui  se  pertulit  a  membris  illius  crucifigi? 
S.  Greg.  M.,  In  Evang,,  Hom.  xvi,  1.  Cf.  Dan.,  xiv,  35;  Act.,  viii,  39; 
Brev.,  Dom.  Quinq.y  lect.  vii-ix;  S.  Thom.,  p.  3,  q.  15,  a.  2  et  q.  41. 
Infray  n.  194  et  662. 


DEUXIÈME  PARTIE 

PRÉDICATION     DE    L'ÉVANGILE 


CHAPITRÉ  PREMIER. 

FAITS     DE    CETTE     PÉRIODE. 


ARTICLE  L 
Faits   naturels. 

Epoque,  dorée,  théâtre,  ordre  chronoïogtqae  des  prédicatioDs  da  Sauveur. 

141.  —  A  quel  âge  Notre  Seigneur  commença-t-il  à  prêcher  l'Evangile, 
et  combien  de  temps  consacra-t-il  à  ce  ministère  ? 

I.  NotreSeigneur  n'a  commencé  à  prêcher,  comme  S.  Jean- 
Baptiste,  qu'après  avoir  atteint  l'âge  de  trente  ans:  Inci- 
piensy  qitasi  annorum  triginta  '.  Il  ne  voulut  donc  pas  pré- 
venir^l'âge^equis  chez  les  Juifs  pour  les  fonctions  sacerdo- 
tales *. 

IL  Sa  prédication  a  duré  un  peu  plus  de  trois  ans.  —  Si 
l'on  s'en  tenait  aux  Synoptiques,  comme  ils  ne  signalent 
aucun  anniversaire  durant  ses  courses  évangéliques,  on 

«  Médaille  de  Tibère,  empereur,  Augusti  filius.  Au  revers,  temple 
d'Auguste  Nicéphore,  assis  sur  un  piédestal,  Junon  à  gauche,  Minerve 
à  droite.  Aux  deux  côtés  du  fronton ,  un  soldat  et  une  victoire.  (Bibl. 
nationale).  —  «  Luc,  m,  23.  —  3  Num.,  iv,  3, 23,  30,  35;  I  Par.,  xîiii,  3; 
Ezec,  I,  i  ;  S.  Th.,  p.  3,  q.  29,  a.  3.  Supra,  n.  41. 

15. 


262  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'ÉVANGILE.  [n»  141 

pourrait  peut-être  la  réduire  à  une  seule  année  A  nnm  re- 
demptionis^  ;  et  c'est  ce  qu'ont  fait  plusieurs  anciens*.  Mais 
S.  Jean  ne  le  permet  pas.  Car,  entre  le  baptême  de  Jésus- 
Christ  et  son  Ascension,  il  mentionne  expressément  trois 
Pâques  :  —  la  première,  peu  après  le  miracle  de  Cana; 
Prope  eratpascha,,,  et  ascendit  •,  —  la  seconde,  vers  le  temps 
de  la  multiplication  des  cinq  pains  :  Eratproxmumpascha% 
—  la  troisième,  à  l'époque  de  sa  mort  ^  Ces  trois  Pâques 
supposent  deux  ans  complets  de  prédication,  ;  et,  en  tenant 
compte  du  baptême  de  Notre  Seigneur,  de  son  jeûne  au  dé- 
sert et  de  la  vocation  des  Apôtres,  qui  ont  précédé,  près  de 
deux  ans  et  demi.  De  plus,  S.  Jean  mentionne  une  qua- 
trième fête,  dies  festus  Judœorum  %  qui  donne  lieu  à  un 
voyage  du  Sauveur  à  Jérusalem  ;  et  cette  fête  oblige  d'ajou- 
ter une  troisième  année  aux  deux  précédentes.  A  la  vérité, 
il  n'est  pas  dit  que  ce  fut  une  fête  de  Pâques,  et  Notre  Sei- 
gneur aurait  pu  aller  également  à  Jérusalem  pour  la  Pente- 
côte ou  pour  la  fête  des  Tabernacles  ;  mais  on  ne  peut  ad- 
mettre que  ce  voyage  ait  eut  lieu  la  première  année,  ni  à 
l'une  ni  à  l'autre  de  ces  deux  fêtes,  soit  parce  que  l'intervalle 
qui  les  sépare  de  Pâques  ne  paraît  pas  suffisant  pour  y  placer 
tout  ce  qui  est  rapporté  par  S.  Jean  et  le^  synoptiques 
comme  s'étant  passé  avant  le  dies  festusy  soit  surtout  parce 
que,  la  moisson  se  faisant  en  Palestine  entre  la  fête  de 
Pâques  et  celle  des  tabernacles  \  le  Sauveur  n'a  pas  pu  dire 
en  cette  saison  qu'elle  aurait  lieu  dans  quatre  mois  ^  D'un 
autre  côté,  il  n'est  pas  possible  de  renvoyer  le  dies  festm 
après  la  Pâque  du  chapitre  vi  ;  il  faut  nécessairement  le  placer 
auparavant,  c'est-à-dire  l'année  précédente.  Donc,  il  y  a  eu 

*  Isai.,  Lxi,  2;  lxiii,  4;  Luc,  xiv,  19;  S.  Iren.,  Il,  xxii,  5.  ToutefoU 
les  Synoptiques  signalent  plusieurs  changements  de  saisons,  et  S.  Mat- 
thieu, mentionne  dans  le  cours  de  son  récit  deux  faits  dont  cliacun  a  dû 
SG  passer  au  printemps,  vers  la  fôte  de  Pâques  :  les  épis  cueillis  par  les 
Apôtres,  xu,  i  ;  et  le  recouvrement  de  l'impôt  pour  le  temple,  xvii,  24. 
—  2  Glem.  Alex.,  Strom.,  i,  22,  Cf.  Orig.,  de  Princip,^  iv,  5;  Tert.,  Adv, 
Jud.,  viii.  —  3  Joan.,  ii,  13.  —  *  Joan.,  vi,  4.  Cette  fois,  le  Sauveur  no 
va  pas  à  Jérusalem.  -.  s  Joan.,  xin,  1.  —  s  Joan.,  v,  1»  —  "^  Gif.  Exod., 
XXIII,  16  et  Levit.,  xxui,  34.  —  8  Joan.,  iv,  36. 


.j 


NM42]  sa  yiE  PUBLIQUE.  —  FAITS  NATURELS.  263 

une  fête  de  Pâque  entre  celle  du  chapitre  vi  et  celle  du  cha- 
pitre II  *.  Cela  suffit  pour  donner  à  la  prédication  de  Notre 
Seigneur  la  durée  que  nous  lui  avons  assignée.  Peu  importe, 
après  cela,  que  le  dies  festus  soit  une  solennité  pascale  ou 
une  fêle  différente  ;  mais  puisque  ce  fut  pour  Notre  Seigneur 
roccasion  d'un  voyage  à  Jérusalem,  il  semble  plus  naturel  de 
Tentendre  d'une  fête  de  Pâque  que  de  toute  autre  solennité. 
C'est  ainsi  que  S.  Irénée  l'entendait  dès  le  second  siècle  et 
c'est  ce  que  portent  d'anciens  manuscrits*.  Le  ministère  pu- 
blic du  divin  Maître  a  donc  duré  trois  ans  et  demi  environ, 
et  ses  Apôtres,  appelés  à  le  suivre  dès  le  commencement  ', 
n'ont  pu  passer  que  trois  ans  et  quelques  mois  à  son 
école  *. 

Un  travail  si  court  pour  une  pareille  œuvre,  une  base 
si  étroite  pour  un  si  haut  édifice,  ne  se  concevrait  pas,  si 
Dieu  n'en  était  l'auteur.  Comment  les  Evangélistes  auraient- 
ils  imaginé  gratuitement  une  telle  invraisemblance  ? 

142.  —  Où  habitait  le  Sauveur  dans  l'intervalle  de  ses  courses 

apostoliques  ? 

!•  Il  n'habitait  pas  à  Nazareth,  quoiqu'il  y  eût  été  élevé 
dans  la  maison  de  ses  parents  *.  Il  vint  dans  cette  ville  au 
début  de  sa  prédication,  et  la  lecture  d'Isaïe  qu'il  fit  dans  la 
synagogue  ^  causa  une  vive  émotion  ;  mais  il  n'opéra  ni 

*  Joan.,  VI,  4  et  ii,  13.  Cf.  Matth.,  xxvi,  5  ;  Marc,  xv,  6  ;  Luc,  xxiii,  17. 

—  ^  S.  Iren.,  II,  xxiii  3.  Cf.  S.  Hieron.,  In  hune  toc»  et  Théodoret,  In 
Dan,,  IX.  On  lit  y)  eopxY),  la  grande  fête,  la  fête  de  Pâques,  v,  1,  dans  un 
certain  nombre  de  manuscrits,  fc{,  C,  E,  F.  Les  autres.  A,  B,  D,  G,  etc., 
IKHtent  e»pni  sans  article.  Cf.  Mattli.,  xxtii,  15,  grssce;  Joan.,  iv^  45. 
-»  Act.,  I,  21,  22.  —  *  Cf.  Dan.,  ix,  27;  Matth.,  xxiv,  27;  Luc,  xiii, 
7-8;  Euseb.,  Demonst,y  viii,  et  jH.,  i,  10.  —  ^  C'est  dans  ce  sens  que 
Nazareth  est  dite  son  pays^  v)  icaTpiç  avTou.  Matth.,  xiii,  14.  Supra,  n.  91. 

—  8  Matth.,  XIII,  54;  Marc,  vi,  1;  Luc,  iv,  17,  etc.  Synagogue  :  édifice 
où  les  Juifs  se  réunissaient  le  jour  du  sabbat  pour  prier,  pour  lire  la  loi 
et  les  prophètes,  pour  commenter  la  parole  de  Dieu.  Chaque  synagogue 
avait  son  président,  apxiwvaywYoç,  Marc,  v,  22,  son  collège  d'anciens, 
speaêurepoi,  son  ministre,  unTipEXTic,  Joan.,  vu,  15.  L'usage  des  synagogues 
paraît  remonter  à  la  captivité  do  Babylone.  Ezec,  xix ,  1  ;  xx ,  1 ,  31  ; 
U  Esd.,  Yui,  18.  On  en  avait  construit  dans  toutes  les  colonies,  Act., 
^i  21,  et  même  à  Jérusalem,  il  y  en  avait  un  grand  nombre,  vi,  9.  Aprè^ 


264  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n«  143 

conversion  ni  miracle  ^  Ses  concitoyens  ne  voulurent  voir 
en  lui  que  le  fils  de  Joseph  ;  et  non  contents  de  le  chasser 
de  leur  cité,  ils  cherchèrent  à  le  jeter  dans  un  précipice  qui 
borde  la  route  *. 

2*  Il  demeurait  habituellement  à  Capharnaûm,  sur  le  bord 
occidental  du  lac  de  Génésaretb,  près  de  l'embouchure  du 
Jourdain,  à  deux  lieues  de  Tibériade,  résidence  d'Hérode  le 
tétrarque.  C'est  là  qu'il  se  rendit  en  quittant  Nazareth*. 
S.  Matthieu  appelle  Capharnaûm  sa  cité,  t;  iBia -rcoXiç,  dvitas 
ejus  *.  C'est  là  qu'il  séjournait  l'hiver,  probablement  dans  la 
maison  de  Simon  ^  Car  Simon  Pierre,  bien  qu'originaire 
de  Bethsaïde®,  y  avait  une  maison  \  C'est  là  qu'il  opéra  le 
plus  grand  nombre  de  miracles  *.  Il  profitait,  pour  répandre 
sa  doctrine,  du  concours  des  Juifs  et  des  Gentils  que  le  com- 
merce attirait  dans  cette  ville,  de  l'une  et  l'autre  Galilée. 
Dans  la  belle  saison,  il  faisait  des  excursions  dans  les  vil- 
lages et  les  bourgs  voisins  %  et  quelquefois  des  voyages 
assez  longs  qui  le  ramenaient  à  la  ville  sainte,  ou  qui  le  con- 
duisaient jusqu'aux  confins  de  Tyr  et  de  Sidon  ^^,  ou  dans 
la  Décapole,  au-delà  du  Jourdain  **. 

En  somme,  il  n'a  guère  demeuré  dans  la  Judée.  Bien 
qu'il  fût  né  à  Bethléem,  aux  portes  de  Jérusalem,  il  ne 
tarda  pas  à  s'en  éloigner.  Il  se  rapprocha  de  la  gentilité 
pour  prêcher  son  évangile  et  de  Jérusalem  pour  terminer 
sa  vie. 

143.  —  Combien  remarquert-on  de  voyages  dans  la  vie  publique 

du  Sauveur? 

Les  Synoptiques  ne  parlent  que  d'un  voyage  de  Notre 

la  destruction  du  temple ,  elles  offrirent  un  refuge  au  peu  qui  resta  du 
culte  et  du  sacerdoce  mosaïques.  A  côté  de  la  synagogue  se  trouvait 
presque  toujours  une  école  où  Ton  enseignait  la  loi. 

1  Luc,  IV,  23-27.  -^  2  Cf.  Matth.,  iv,  13;  xiii,  54.-3  Matth.,  iv,  13; 
Joan..  II,  12.  —  *  Matth.,  ix,  1;  xin,  54.  Bethléem  Ipsum  tulit,  Nazareth 
educavit,  sed  Capharnaûm  ipsius  fuit  habitaculum.  S.  Ghrys.,  In  Matth., 
Hom.  XXIX,  1.  —  8  Cf.  Matth.,  xvii,  24  et  ix,  10,  28.  —  *  Joan.,  i,  44.  — 
7  Marc,  I,  29.  —  8  Matth.,  ix,  2;  Marc,  i,  23,  34;  ii,  4  ;  Luc,  iv,  3S-41. 
Cf.  Luc,  X,  13,  15.  —  9  Matth.,  iv,  13.  —  lo  Matth.,  xv,  21.  —  *»  Marc, 
V,  a0;vii,31. 


MER    DE    GALILËE. 

I<  ■'Mm  miruDleoM  it  S,  Pierre,  prèi  de  BeUiwIde,  Luc,,  v,  II.  —  î.  Tempête 
•piiiée  d'oDiuot.Matlh.,  VIII,  î3-i'J.  —  3.  Démoni  chutèt  prêt  Gadve,  inrtgioae 
Ctroinigrim.  Matth..  viii,  îi-3i.  —  i.  Retour  k  Caphirnaùm,  Matth.,  ii,  I,  — 
S.Truméeet  marchedinaledéjert,  Matih.,  xiv,  U.  —  6.  Première  maUiplic»- 
lioildH  I»».  Matth.,  mv,  14-11  ;  Joap.,  vi.  <-l!t.  —  7.  Marehe  da  Samenr  >ar  leg 
Holà,  Mallh.,  xiv,  ll-ïi.  —  8.  Seconde  mmiiplicatioD  de>  paini,  Matth..  nv,  iî-3i. 
-  ».  Retonr  tan  Dalmanntba,  Matth.,  xv,  39.  —  10.  Faauga  h  l'orient.  Mallh., 
"ii  1-  —  il.  iDatrnotiim  aprèa  la  traTenèo,  Matlh.,  xvi,  fl-to. 


N®  144]  SA  VIE  PUBUOUE.  —  FAITS  NATURELS.  267 

Seigneur  à  Jérusalem,  celui  qui  se  termina  par  son  crucifie- 
ment *.  Dans  l'intérieur  de  la  Galilée  et  aux  environs,  ils  se 
bornent  à  indiquer  quelques  déplacements  dont  il  est  diffi- 
cile de  suivre  la  trace.  Hug  distingue  dans  leurs  évangiles 
quatre  voyages  principaux,  qu'il  rattache  aux  quatre  Pâques*; 
mais  tous  ces  arrangements  sont  plus  ou  moins  systéma- 
tiques. On  a  beau  solliciter  les  faits  :  ils  ne  laissent  pas  de 
protester  d'une  manière  ou.  d'une  autre.  S.  Jean,  qui  s'at- 
tache à  compléter  les  Synoptiques,  s'en  tient  presque  à  men- 
tionner les  voyages  du  Sauveur  en  Judée.  Pour  une  fois  qu'il 
le  montre  à  Samarie  *,  il  signale  quatre  fois  sa  venue  et  son 
séjour  à  Jérusalem  avant  l'époque  de  sa  Passion  :  —  !<>  Au 
début  de  sa  prédication  *  ;  —  2°  A  l'époque  de  la  fête  qu'il  ne 
nommç  pas  *;  —  3®  A  la  fête  des  Tabernacles  *;  —  4*  Pour 
la  Dédicace  \ 

144.  —  Que  faut-il  entendre  par  Concorde  ou  Harmonie  des  Evangiles? 

Une  Concorde  est  une  Histoire  du  Sauveur  dans  laquelle 
on  a  tâché  de  fondre  les  récits  des  quatre  Evangiles,  en  les 
rangeant  selon  l'ordre  des  temps.  On  comprend  l'importance 
de  cette  composition.  Il  n'y  a  pa^  d'autre  moyen  de  connaître 
la  vie  de  Jésus-Christ  et  d'éviter  les  répétitions  dans  l'exposé 
de  sa  doctrine  et  de  ses  oeuvres.  Aussi  a-t-on  essayé  de 
bonne  heure  de  faire  ce  travail.  L'histoire  ecclésiastique 
fait  mention  de  deux  Concordes  du  second  siècle,  l'une  de 
S.  Théophile  (+  186),  septième  évoque  d'Antioche*,  l'autre, 
plus  répandue  et  plus  ancienne  peut-être,  queTatien  (f  172), 
paraît  avoir  composée  avant  de  se  séparer  de  S.  Justin  pour 
s'attacher  à  Marcion  *.  Ammonius  d'Alexandrie  (f  220),  au 
commencement  du  troisième  siècle,  en  donna  une  nouvelle 
qui  devint  fort  célèbre  *°. 

*  Matth.,  XX,  17;  Luc,  xvii,  11.  —  ^  Matth.,  ix,  1  et  Marc,  ii,  1;  — 
Matth.,  xn,  9  et  Marc,  m,  1;  —  Matth.,  xiii,  54  et  Marc,  vi,  1;  — 
Matth.y  xvn,  24  et  Marc,  ix,  32.  —  3  Joan.,  iv,  5,  40.  —  *  Joan.,  ii,  13. 
—  5  Joan.,  Y,  1.  —  6  Joan.,  vu,  2-10.  —  ^  Joan.,  x,  22.  —  «  Cf.  Euseb., 
//.,  IV,  XXIX  ;  S.  Hieron.,  Epist,  çxxi,  q.  6;  de  Vir.  ill.,  25;  Galland, 
Biôlioth.  veL  Pat,  t.  u,  Prole^  51.  -  »  Euaeb.,  ^.,  iv,  29.  —  lo  Voir 
Tcsquisse  d'une  Concorde  à  la  fin  du  Tolumc. 


268  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n°  145 

Depuis  le  dix-septième  siècle,  on  en  a  publié  un  grand 
nombre,  la  plupart  composées  avec  beaucoup  de  soin.  Nous 
nous  bornerons  à  citer  parmi  les  auteurs  catholiques  :  Cor- 
nélius a  Lapide,  Jansénius  de  Gand,  Dubuisson,  Arnauld, 
P.  Amelotte,  P.  Lamy,  D.  Calmet,  P.  Dufour,  Toynard,  deLi- 
gny,  Leroux,Mastaï,  Rambaut,  Fillion  etc.;  et  toutes  les  Vies 
de  Notre  Seigneur  où  l'on  a  reproduit  purement  ou  avec  des 
additions  le  texte  évangélique  *. 

145.  —  Est-il  possible  de  tracer  avec  précision  la  suite  des  faits  qoi 
ont  rempli  la  période  évangéliqae  de  la  vie  du  Sauveur? 

Il  est  impossible  de  tracer  avec  certitude  la  suite  de  ces 
faits.  Souvent  même  on  ne  peut  faire  à  cet  égard  de  con- 
jectures bien  probables,  comme  on  en  fait  sur  ceux  qui 
remplissent  les  jours  de  sa  passion  et  les  premières  années 
de  sa  vie.  La  raison  de  douter,  c'est  que,  d'un  côté,  cette 
période  comprend,  dans  l'Evangile,  un  grand  nombre  de 
faits  et  de  discours  sans  date  précise  ;  et  que,  d'autre  part, 
chacun  des  évangélistes  suit  une  marche  qui  liii  est  propre, 
sans  qu'on  puisse  dire  sûrement  quel  est  celui  qui  se  con- 
forme à  l'ordre  chronologique,  ou  môme  si  quelqu'un  d'eux 
l'a  suivi  autrement  que  par  intervalle  et  approximative- 
ment '.  Les  mots  :  tune^  ecce,  postea^  statim,  in  illis  diebus^  in 

1  Les  Concordes  diffèrent  des  Concordances.  On  nomme  Concordance 
an  ouvrage  qui  indique  par  ordre  alphabétique  tous  les  mots  contenus 
dans  la  sainte  Ecriture,  et  par  ordre  de  livres,  de  chapitre  et  de  ver- 
sets tous  les  endroits  où  ces  mots  sont  contenus.  On  en  a  composé  pour 
Thébreu  (J.  Buxortf,  Berlin,  1862),  pour  le  Nouveau  Testament  grec 
(Bruder,  Leipzik,  1842),  pour  la  Vulgate  (Dutripon,  Bar-le-Duc,  1866,  etc.) 
et  pour  le  français.  —  2  Ces  divergences  et  ce  défaut  d'ordre  sont  une 
marque  de  plus  d*aathentîcité.  Les  Orientaux  ne  savent  pas  s'astreindre 
à  notre  marche  régulière  et  uniforme.  Dans  leurs  récits,  ils  devancent 
les  temps  ou  reviennent  en  arrière;  ils  s'étendent  ou. ils  abrègent  sui- 
vant leurs  dispositions.  Josèphe  n'est  pas  exempt  de  ce  défaut,  si  versé 
qu'il  fût  dans  la  littérature  grecque.  Mais  c'est  dans  les  discours  et  dans 
les  écrits  doctrinaux  qu'il  se  manifeste  principalement.  Les  Hébreux 
ignorent  Tart  de  se  tracer  un  plan,  de  préciser  le  sujet,  de  le  diviser, 
d'en  distinguer  et  d'en  bien  disposer  les  diverses  parties.  Or  nos  évan- 
giles sont  des  écrits  doctrinaux ,  plus  encore  qu'historiques ,  et  ils  ont 
été  composés  par  des  auteurs  Juifs.  On  doit  donc  s'attendre  que  l'ordro 


a^  145J  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  FAITS  NATURELS.  269 

illo  die,  semblent  employés  presqae  partout  comme  simples 
transitions  :  ils  ne  peuvent  donc  constater  la  connexion  des 
faits,  ni  même  leur  succession.  De  plus,  on  trouve  chez  les 
Synoptiques  beaucoup  de  récits  qui  se  ressemblent  plus  ou 
moins,  sans  qu'on  puisse  dire  s'ils  ont  ou  non  un  objet  iden- 
tique, ou  si  tels  faits  ou  tels  discours,  rapportés  avec  des 
variantes  en  plusieurs  évangiles,  ont  été  répétés  ou  non  en 
diverses  occasions  *.  On  comprend  par  là  comment  les  au- 
teurs de  Concordes  diffèrent  de  sentiment  ou  restent  dans 
l'incertitude  sur  tant  de  points. 

IL  Si  Ton  compare  entre  eux  les  quatre  évangélistes,  quel 
est  celui  qui  s'est  le  mieux  conformé  à  l'ordre  des  temps  ?  Il 
n'est  pas  facile  de  le  dire.  S.  Jean  fournit  les  données  né- 
cessaires pour  déterminer  la  durée  de  la  vie  publique  du 
Sauveur  ;  mais  il  rapporte  peu  de  faits  et  ne  s'occupe  guère 
de  la  prédication  de  Notre  Seigneur  en  Galilée.  Entre  les 
Synoptiques,  S.  Matthieu  paraît  à  quelques-uns  offrir  plus  de 
garantie,  comme  étant  témoin  oculaire  et  ayant  écrit  peu  de 
temps  après  les  faits.  Communément,  pourtant,  on  donne  la 
préférence  à  S.  Luc,  parce  qu'il  a  eu  S.  Matthieu  entre  les 
mains,  qu'il  est  souvent  appuyé  par  S.  Marc,  et  que,  connais- 
sant mieux  la  forme  de  l'histoire  et  faisant  profession  de 
composer  son  récit  ex  ordine^  xaÔeÇfjç  ',  il  semble  n'avoir  eu 
d'autre  motif  pour  changer  l'ordre  suivi  par  ses  devanciers 
que  le  désir  de  reproduire  plus  exactement  la  suite  des  faits*. 
Néanmoins  on  a  sujet  d'hésiter  dans  bien  des  cas,  et  les  au- 
teurs de  Concorde  qui  croient  devoir  le  plus  de  confiance  à 
S.  Luc  restent  divisés  sur  beaucoup  de  points.  En  somme,  les 
évangélistes  font  peu  d'attention  à  l'ordre  chronologique  des 
actions  du  Sauveur,  et  jamais  ils  ne  supposent  que  le  lec- 

y  manque  plus  ou  moins  et  que  les  récits  et  les  discours  ressemblent  à 
une  série  de  fragments  négligemment  assortis,  plutôt  qu'à  un  ensemble 
bien  conçu  et  parfaitement  suivi. 

*  Par  exemple,  l'onction  des  pieds,  Matth.,  xxvi,  6;  Luc,  vii,  36; 
Joan.,  XII,  1;  la  vocation  des  Apôtres,  Matth.,  iv,  18;  Marc.,  i,  6;  les 
vendeurs  chassés  du  temple,  Joan.,  ii,  13;  Maith.,  xxi,  12;  le  discours 
sur  la  «montagne,  Matth.,  v-vii;  Luc  ,  vi,  17;  l'aveugle  guéri,  Marc, 
XVI,  45;  Luc,  xviii,  35,  etc.  —  *  Luc,  i,  3.  —  8  Supra,  52, 


270  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n^  147 

teur  s'en  préoccupe.  Leur  point  de  vue  est  plus  élevé  et  plus 
pratique  K 

146.  —  Si  Ton  met  de  côté  les  œuvres  miraculeuses  du  Sauveur,  quels 
sont  les  faits  les  plus  remarquables  de  sa  carrière  évangôlique? 

Ces  faits  se  rattachent  pour  la  plupart  à  un  certain  nombre 
de  personnes  avec  lesquelles  Notre  Seigneur  eut  des  rap- 
ports particuliers  :  —  le  Précurseur,  —  les  Apôtres,  — 
S.  Pierre,  leur  chef,  7—  ses  disciples,  entre  autres  Nicodème 
et  Madeleine,  —  les  membres  de  sa  famille,  —  deux  péche- 
resses qu'il  convertit,  la  Samaritaine  et  la  femme  adultère, 
—  enfin  les  ennemis  de  son  Père  et  les  siens  :  les  profana- 
teurs du  temple,  les  Hérodiens,  les  Sadducéens  et  les  Phari- 
siens. Autant  de  sujets  d'étude,  autant  de  paragraphes. 

§  I.  —  S.  Jean-Baptiste.  MaUh.,  m;  iv,  î-19;  Joan.,  i,  19-35. 

Ses  rapports  avec  Notre  Seigneur.  —  Avec  Hérode  Antipas. 

147.  —  Comment  saint  Jean-Baptiste  a-t-il  rendu  témoignage 

au  Sauveur? 

S.  Jean-Baptiste  a  fait  connaître  le  Sauveur,  comme  Fils 
de  Dieu  ^  comme  rédempteur  du  monde  '  et  comme  Epoux 
de  l'Eglise  *  ;  et  il  lui  a  rendu  témoignage  en  cinq  occasions 
différentes  mentionnées  par  le  quatrième  évangéliste,  qui 
parait  avoir  été  son  disciple  : 

•  1°  Lorsqu'on  lui  demande  s'il  est  le  Christ,  ou  le  Prophète, 
c'est-à-dire  celui  des  prophètes  dont  on  attendait  la  réappa- 
rition sur  la  terre,  Enoch,  Elle  ou  Jérémie  ^  il  répond  qu'il 
n'est  qu'un  souffle,  qu'une  voix,  préchant  dans  le  désert  *, 
que  son  baptême  n'est  qu'une  ablution  symbolique  ^  ;  mais 
il  se  hâte  d'ajouter  qu'il  y  a  quelqu'un  au  milieu  d'eux, 
av/;p,  vir,  qui  lui  est  incomparablement  supérieur  en  dignité 
et  en  puissance  ^  et  qui  fera  ce  que  lui-même  ne  saurait  faire. 

1  Comparer  Vie  des  Pères  du  désert.  —  2  Joan.,  i,  34.  —  3  Joan.,  i, 
29.  36.  —  *  Joan.,  m,  29.  —  s  Deut.,  xviii,  15.  —  «  ïollo  verbum  :  quid 
est  vox?  S.  Aug.,  Serm,  ccxçiii,  4.  Cf.  Serm.  gclxxxviii,  4;  Bossnet, 
Sei-m.  IIIo  dim.  d'Àvent,  —  '  Act.,  xix,  4.  —  8  Joan.,  i,  19-27.  Cf.  Matth., 
in,  11;  Luc,  m,  16;  Joan.,  vi,  14;  Supra,  n.  136. 


^^  148]      SA  VIE  PCBUQUE.  —  SAINT  JEAN-BAPTISTE.  271 

2*  Lorsqu'il  désigne  le  Sauveur  comme  étant  FAgneaû  de 
Dieu,  la  grande  victime  donnée  au  monde  *  pour  le  décharger 
de  ses  iniquités  :  o  atpwv  xrjv  a(ji.apTi(xv  tou  xoapioo  '.  Dans  cette 
occasion,  il  dit  que  celui  qu'il  annonce  a  commencé  d^exister 
avant  lui  ',  par  conséquent  qu'il  a  une  autre  nature  que  la 
nature  humaine. 

3*  Quand  il  iatteste  qu'il  a  vu  l'Esprit  saint  descendre  sur 
la  tête  Au  Sauveur,  et  que  c'est  lui  qui  est  le  vrai  Fils  de 
Dieu  qui  doit  donner  le  baptême  du  Saint-Esprit  *. 

40  Lorsqu'il  le  montre  à  deux  de  ses  disciples  et  que  ceux- 
ci,  se  mettant  à  la  suite  de  Jésus,  passent  le  reste  du  jour 
auprès  de  lui  •. 

5*  Enfin,  quand  ses  disciples  viennent  lui  dire  que  le  Sau- 
veur commence  à  baptiser  au-delà  du  Jourdain,  et  que  tout 
le  monde  court  à  lui  ^  Dans  toutes  ces  circonstances,  le  té- 
moignage du  Précurseur  porte  l'empreinte  dé  l'humilité,  de 
la  droiture,  de  la  générosité  et  du  dévouement  le  plus  admi- 
rable envers  le  divin  Maître  ^  Pas  d'exemples  plus  parfaits 
pour  un  ministre  de  Jésus-Christ,  même  dans  la  vie  des 
Apôtres. 

148.  —  Pourquoi  Jean-Baptiste  envoie-t-il  demander  à  Jésus  s'il  est 

Celui  qui  doit  venir  *  ? 

Quand  le  Précurseur  envoie  de  la  prison  où  il  était  de  ses 
disciples  •  à  Jésus,  ce  n'est  pas  qu'il  doute  de  la  mission  ni  de 
la  divinité  du  Sauveur.  Après  avoir  vu  l'Esprit  de  Dieu  des- 
cendre sur  sa  tête  et  l'avoir  lui-mtême  désigné,  à  plusieurs 
reprises,  comme  l'Agneau  de  Dieu,  comment  pourrait-il 

*  Exod.,  XXIX,  38;  Num.,  xxviii,  3,  6;  Dan.,  viii,  11-13;  I  Pet.,  i,  9. 
Cf.  I  Cor.,  V,  7.  Supra f  n.  134.  —  2  Joan.,  i,  29,  36.  —  3  Joan.,  1,  29-31. 
—  ♦  Joan.y  I,  32-34.  —  «  Joan.,  i,  35,  36.  Brev.  rom  ,  28  nov.,  Vigil, 
S.  And,,  lect.  i-iv.  —  «  Joan.,  m,  35-36.  Sicut  enim  lux  solis  non  ex- 
pectat  occasum  lucifcri,  sed  eo  précédente  egreditur  et  suo  lumine  obs- 
ciirat  iUius  candorem,  sic  Ghristus  non  expectavit  ut  cursum  suum 
Joannes  impleret,  sed  adbuc  eo  loquente  et  bapUzante  apparuit.  S.  Thom., 
I^  3,  q.  39,  a.  3,  ad  4.  —  ?  Lucerna  erat  et  vento  superbi»  timebat  cx- 
tiogui.  s.  Aug.j  Serm,  gclxxxvii,  3.  ^  8  q  epxo(xsvoç,  ce  terme  indique 
l'assorance  et  l'impatience  do  l'attente  universelle;  —  ^  AyyeXoi.  Luc, 
vn,  24.  Cf.  Marc,  1,2. 


272  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n®  149 

avoir  la  moindre  hésitation  à  cet  égard?  D'ailleurs,  quelle 
valeur  aurait  à  ses  yeux  le  témoignage  qu'il  sollicite,  s'il  ne 
connaissait  bien  d'avance  celui  à  qui  il  le  demande  ?  Son  but 
principal  est  donc  de  mettre  ses  disciples  en  rapport  avec  le 
Sauveur  lui-même,  de  les  rendre  témoins  de  sa  prédication, 
et  de  les  convaincre  qu'il  fait  réellement  toutes  les  œuvres 
que  le  Messie  doit  faire  :  opéra  Christi  *.  Il  lui  tarde  devoir 
accompli  le  décret  divin  qu'il  a  lui-même  proclamé  :  Illum 
oportet  crescere,  me  autem  minui  ^  Jésus-Christ  entre  dans 
ce  dessein.  Sans  dire  expressément  qu'il  est  le  Messie,  ce  qui 
aurait  pu  le  faire  accuser  de  provoquer  des  séditions,  il  fait 
devant  les  envoyés  de  Jean-Baptiste  l'énumération  de  ses  mi- 
racles, en  leur  donnant  toute  facilité  de  les  constater  et  en 
les  invitant  à  les  faire  connaître  à  leur  maître,  afin  qu'il  leur 
dît  lui-même  son  sentiment.  C'était  bien  la  réponse  la  plus 
prudente,  la  plus  modeste  et  la  plus  convaincante  qu'on  pût 
leur  donner  ^ 

L'éloge  qu'il  fait  ensuite  des  vertus  de  S.  Jean-Baptiste* 
devait  avoir  pour  effet  d'exciter  ses  Apôtres  à  la  perfection 
et  de  confirmer  dans  tous  les  esprits  le  témoignage  que  le 
Précurseur  lui  avait  rendu. 

*  149.  —  Comment  faut-il  entendre  ces  mots  :  Non  surrexit  inter  natos 
mulierùm  major  Joanne  Baptista  :  qui  autem  minor  est  in  regno  cœ- 
lorum  major  est  illo.  Matth.^  xi,  11? 

On  explique  de  diverses  manières  ces  paroles  du  divin 
Maître,  sur  la  personne  du  Précurseur  : 

1*  Suivant  un  grand  nombre  d'interprètes,  fondés  sur  un 
verset  parallèle  de  S.  Luc  :  Major  prôpheta  Joanne  Baptista 
nemo  est  *,  Notre  Seigneur  aurait  ici  en  vue  la  dignité  de 
S.  Jean,  la  grandeur  de  sa  vocation.  Il  le  comparerait  sous  ce 
rapport  avec  tous  ceux  qui  ont  été  honorés  d'un  ministère 

ï  Mattb.,  XI,  2.  Cf.  Is.,  xxxv,  1-6  ;  lxi,  1,  et  Joan.,  x,  51 .  —  ^  Joan.,  m,  30. 
Cf.  Matth.,  XVII,  5,  8.  Odit  se  amari  pro  eo.  S.  Aug.,  5erm.  cclxxxvih,  2. 
—  3  S.  Aug.,  Serm.  lxvi,  3.  Cf.  S.  Th.,  2«-2» ,  q.  2,  a.  7,  ad  2.  —  ♦  Matth., 
XI,  7-15.  Ne  forte  aliquis  dicat  :  Bonus  erat  primo  Joannes,  et  Spifitus 
Dei  deseruit  illum.  S.  Aug.,  Serm,  lxvi,  3.  —  s  Luc,  vu,  28. 


N«  149]      SA  VIE  PUBUQUE.  —  SAINT  JEAN-BAWISTE.  273 

surnaturel.  Sa  pensée  serait  que  le  Précurseur  tient  un  cer- 
tain milieu  entre  les  ministres  de  la  loi  ancienne  et  ceux 
de  la  loi  nouvelle.  Supérieure  à  ce  que  le  peuple  de  Dieu  a 
vu  de  plus  grand,  sa  vocation  le  cède  cependant  à  celle  du 
moindre  des  ministres  de  l'Eglise,  le  vrai  royaume  de  Dieu 
ici-bas  *.  Il  est  le  flambeau  dans  la  maison  de  Dieu,  auxvoç  ', 
eux  sont  la  lumière  du  monde,  xo  çwç  too  xogiioo  %  parce  qu'ils 
continuent  la  mission  du  Verbe  incarnée  Son  baptême 
n'est  qu'une  figure  et  a  peu  d'action  sur  les  âmes  :  celui  que 
donneront  les  Apôtres  sanctifiera  par  lui-même  et  conférera 
la  grâce  •. 

2»  Suivant  d'autres  auteurs,  il  s'agit  bien  ici  de  la  dignité 
du  Précurseur  ou  du  rang  qu'il  occupe  devant  Dieu  :  mais  ce 
ne  sont  pas  seulement  les  ministres  de  la  loi  nouvelle  que  le 
diyin  Maître  place  au-dessus  de  lui  :  ce  sont  tous  les  chré- 
tiens, tous  les  membres  de  Jésus-Christ.  Telle  est  la  supé- 
riorité de  l'Eglise  sur  la  synagogue  :  la  moindre  place  aux 
côtés  du  Sauveur  est  préférable  à  la  première  parmi  les  dis- 
ciples de  Moïse  :  on  y  reçoit  plus  de  lumières,  on  y  jouit  de 
bien  plus  de  faveurs. 

3*  D'autres  pensent  qu'il  s'agit  de  vertu,  de  mérite  sur- 
naturel. A  leur  avis,  le  divin  Maître  considéré  S.  Jean^Bap- 
tiste  comme  représentant  de  la  loi,  comme  membre  de  la 
synagogue,  ou  plutôt  comme  un  simple  descendant  d'Adam, 
natus  miUierum  ;  il  fait  abstraction  de  tout  ce  que  le  Précur- 
seur tient  de  lui,  de  ce  qu'il  lui  a  mérité  et  qu'il  lui  commu- 
nique, de  la  grâce  de  la  Rédemption  dont  la  source  appar- 
tient à  la  loi  nouvelle  ;  et  le  comparant  ainsi  avec  les  enfants 
de  Dieu,  qui  sont  régénérés  par  son  baptême  et  qui  font 
partie  de  son  royaume,  qui  ex  Deo  nati  sunt  %  il  prononce, 
comme  S.  Paul  le  fait  souvent  dans  ses  Epitres,  qu'en  réalité 
le  moins  favorisé  des  chrétiens,  par  cela  seul  qu'il  est 
membre  de  l'Eglise  et  qu'il  est  uni  à  son  divin  chef,  à  plus 

*  Cf.  Mtttli.,  xin,  17.  —  8  Matth.,  v,  15;  Joan.,  i»  8;  v,  36.  Ûc  Xuxvo; 
Çfluvttiv  ev  ocux|Jkif)p<ii  Tona>.  II  Pet.,  i,  19.  —  3  Matth.,  y,  14, 45;  Phii.,  ii,  15. 
NoQ  lux  ipse  quidem ,  sed  tanti  luminis  indexe.  Vida.  —  ^  Cf.  Joan.,  i , 
9, 16.  -  •  Matth.,  m,  11.  -  «  Joan.,  i,  13. 


274  JÉSUS-CHRIST  SELON   L*ÉVANG1LE.  [n»  ISO 

de  titres  que  lui  à  l'estime,  à  Tamitié  et  à  là  possession  de 
Dieu. 

Les  deux  premiers  sentiments,  peu  différents  l'un  de 
l'autre,  ont  pour  eux  des  raisons  d'une  grande  valeur.  Le 
troisième  allègue  de  nombreuses  autorités,  mais  il  est  moins 
facile  d'en  faire  comprendre  la  justesse. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  ne  paraît  pas  que  par  minor  in  regno 
cœlorum,  on  puisse  entendre,  comme  plusieurs  l'ont  proposé, 
le  Fils  de  Dieu,  ni  rendre  regnum  cœlorum  parle  ciel,- le  sé- 
jour des  Anges  et  des  Saints  béatifiés.  Dans  le  royaume  de 
Dieu,  le  Verbe  fait  chair,  si  humilié  qu'il  soit  aux  yeux  du 
monde,  n'est  pas  le  plus  petit,  mais  le  plus  grand,  et  même 
le  seul  grand  * .  Quant  au  royaume  des  cieux,  celui  dont  il  est 
ici  question  est  évidemment  le  même  que  prêchait  le  Pré- 
curseur, celui  que  le  Sauveur  fondait  sur  la  terre  et  dont  il 
parle  au  verset  suivant,  c  Depuis  que  Jean-Baptiste  a  para, 
dit-il,  ce  royaume  souffre  violence  et  ce  sont  les  forts  qui 
l'emportent  ;  »  pour  faire  entendre  qu'il  y  a  des  sacrifices  à 
faire  pour  y  entrer,  ou  bien,  suivant  certains  interprètes, 
qu'il  est  persécuté  en  la  personne  du  Précurseur. 

150.  — -  Union  d'Hérode  Antipas  et  d'Hérodiade  :  h  quel  titre 

ôtait-eUe  condamnable  ^  ? 

Il  est  certain  que  l'union  d'Hérode  et  d'Hérodiade  avait 
la  passion  pour  principe,  et  qu'elle  était  regardée  comme 
illégitime;  mais  en  quoi  était-elle  contraire  à  la  loi  de 
Dieu? 

i*  Si  Hérode  était  Juif  de  religion,  s'il  était  incorporé  au 
peuple  de  Dieu,  comme  beaucoup  d'auteurs  le  pensent,  son 
alliance  avec  une  nièce  qui  était  devenue  sa  belle-sœur  et  qui 
avait  donné  un  enfant  à  son  frère  était  un  inceste^;  c'était 
de  plus  un  adultère,  et  peut-être  un  rapt  ;  car  on  ne  saurait 
invoquer  le  divorce.  Il  ne  paraît  pas  que  la  femme  eût  le 

*  Non  numeratup  natus  Virginis  înter  natos  mulienim.  S.  CyriU.  Hîeros. 
—  2  M atth.,  XIV,  4.  —  3  Lev.,  xviii,  15,  16,  20.  Hérodiade  était  fille  d'Aris- 
tobule»  petite-fille  d'Hérode  rAnoien  et  de  Marianne,  nièce  de  Philippe 
et  d'Hérode  Antipas.  Philippe  éuit  ftU  d'Hérode  pA^  €léô^re. 


N°  ISl]      SA  VIE  PKBUOUE.  —  SAINT  JEAN -BAPTISTE.  27S 

droil  de  répudier  son  mari  ',  et  il  n'y  avaiteu  ni  répudiation 
ni  consentement  de  la  part  de  Philippe. 

3'  Si  Hérode  ne  professait  pas  la  religion  juive,  il  était 
an  moins  soumis,  aussi  bien  qu'Hérodiade,  à  la  loi  natu- 
relle. Or,  n'est-il  pas  contraire  au  droit  naturel  qu'un 
mari  renvoie  sa  femme  sans  raison  et  qu'il  prenne  celle 
d'un  autre,  soit  par  séduction,  soit  par  violence,  surtout 
qoand  cet  autre  est  un  proche  parent,  qu'il  s'y  oppose  et 
qa'ij  a  un  enfant  de  )a  femme  qu'on  lui  , 

Hilève  '?  Philippe  n'était  pas  assez  puis- 
sant pour  résister  à  son  rival  ^  mais  on 
sa!tparJosèphe,qu'Arétas,  roi  des  Arabes 
el  pèi-e  de  la  première  femme  d'Hérode, 
déclara  la  guerre  à  son  gendre  pour  ven- 
ger l'injure  de  sa  fille,  sacrifiée  à  Héro- 
diade  *. 

'  Ifil.  —  Pourquoi  s 

Le  Précurseur  ne  devait  pas  attirer  sur  lui  l'admiration 
des  Juifs,  dit  S.  Thomas,  ni  détourner  leur  attention  de  la 
vie  du  Sauveur  '.  On  peut  d'ailleurs  lui  appliquer  le  mot 
de  S.  Augustin  sur  S.  Etienne  :  sa  vie  suffisait  pour  auto- 
riser ses  discours;  c'était  un  miracle  continuel  '.  S'il  ne  fut 
pas  un  autre  Elle  par  les  prodiges,  il  le  fut  par  son  minis- 

<  Quoique  plusieurs  y  prélondUsent ,  dit  Josèplie,  XV,  vii,  10.  — 
•  MMth.,  iiv,  Ift.  —  '  Josepli.,  B.  J.,  I,  xïx,  ^.  Ce  Philippe  n'était  pas 
le  télrarque  nommé  par  S.  Luc,  m,  1;  mais  un  fils  d'Hérode  ot  de 
Marianne  à  qui  son  père  n'avait  légué  aucun  domaine  et  qui  lirait  h 
Borne  e»  simple  particulier. —  '  Joseph.,  A.,  XVIll,  iv-vii.  Infra,  n.  iS2, 
1S3,  i05,  410.  —  '  Médaille  commâinoratlve  de  la  soumission  d'Arétas 
k  la  république  romaine  sur  la  fin  des  Sâlcucides.  Entre  te  nom  du  roi  . 
et  celui  de  M.  Scaurus,  son  vainqueur,  on  voit  les  lettres,  Ex.  S.  G.  : 
Ex  lenattu  conaulto.  Cl.  Joseph.,  A.,  Xni,  \m,  3;  fi.,  1,  vi,  £:  Eckol, 
V,  p.  131.  —  <  Si  miracula  Tecisset,  Joanni  et  Clirislo  ei  œquo  attendis- 
unt,p.3,q.  38,  ».  2,ad2;etq.  4U,  a.£,  adi.Cf.Joan.,  m,  30;  x,  40,  41. 
—  '  Omni  miraculo  majus  ipse  miraculum.  Cf.  Uatth.,  xi,  18.  ViW 
■non^aticœ  auctor  PquIus,  illustrator  Antonius,  princeps  auteoi  Joannes 
Baprïsta.  S.  Hier.,  EpUt.  xxii,  36. 


276  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n<>  152 

tère  S  par  ses  vertus  *,  par  son  zèle  ^  par  sa  fermeté  *,  par  sa 
mortification  ^  par  son  humilité  et  son  dévouement  à  son  di- 
vin Maître  ^  Sa  parole  était,  comme  celle  d'Elie,  une  flamme 
ardente  et  luisante  \  Aussi  fut-il  vénéré  comme  les  pro- 
phètes et  plus  que  les  prophètes.  Sa  sainteté  Ta  fait  honorer 
de  ceux  même  qui  n'ont  pas  cru  à  sa  parole.  «  C'était,  dit 
Josèphe,  un  homme  d'une  perfection  éminente,  tout  occupé 
à  porter  le  peuple  à  la  justice  et  à  la  piété.  Il  baptisait  ceux 
qui  venaient  à  lui  et  leur  apprenait  à  joindre  la  pureté  de 
l'âme  à  celle  du  corps.  HérodeAntipas,  qui  redoutait  son  in- 
fluence *,  l'enferma  dans  le  château  de  Macheronte,  la  place 
la  plus  forte  de  ses  Etats  ;  puis,  à  l'instigation  de  Salomé  \ 
il  lui  fit  trancher  la  tète.  Mais  à  la  suite  de  ce  meurtre,  son 
armée  fut  taillée  en  pièces  par  Arétas,  roi  d'Arabie,  qui  s'em- 
para de  cette  forteresse  et  d'une  partie  des  états  d'Hérode. 
Enfin,  il  mourut  en  exil,  et  sa  mort  fut  regardée  comme  le 
juste  châtiment  de  son  crime  *^  » 

§  II.  —  Le»  Apôtres.  Maith.^  iv,  18-Î2;  Luc,  vi,  12-16; 

Joan.^  1,  55-51. 

Choix.  —  Appel.  ^  Formation.  -^  Promesses. 

152.  —  Est-ce  au  hasard  ou  sans  tenir  compte  de  leurs  dispositions 

que  le  Sauveur  choisit  ses  Apôtres? 

Notre  Seigneur  n'a  rien  fait  à  l'aveugle.  Tous  ses  actes 
sont  conformes  aux  règles  de  la  divine  sagesse,  le  choix  des 
Apôtres  en  particulier,  parce  qu'il  a  une  importance  capi- 

1  Cf.  Mal.,  IV,  5;  Matth.,  xi,  10,  14;  Luc,  i,  17,  76.  —  «  Joan.,  v,  35. 
Cf.  Eccli.,  XLviii,  1.  —  3  Matth.,  m,  7-12;  xi,  14;  Luc,  m,  3-14.— 
*  Mattli.,  m,  7-12;  xiv,  3-5;  Luc,  m,  19.  —  «  Matth.,  m,  4;  xi,  18;  Luc, 
VII,  25.  —  6  Matth.,  m,  14;  Luc,  m,  15,  16;  Joan.,  m,  26-31.  Fuit  jeju- 
nus,  humilis,  parcus  et  virgo.  S.  Amb.,  Set'm,  lu,  4.  —  "ï  Eccli.,  xlviii,  1; 
Joan.,  V,  35.  —  »  Marc,  vi,  20.  Cf.  I  Reg.,  xviii,  12.  —  «  Cf.  Ecdi.,  ix,  4; 
Horat.,  Od,  III,  vi,  20;  Valer.  Max.  IX,  ii,  2.  Cf.  Joseph.,  A.,  XU,  ly. 
Idem  fecerunt  et  Fulvia  in  Ciceronem  et  Herodias  in  Joannem;  quia 
veritatem  non  poterant  audire,  linguam  veriloquani  discriminai!  acu 
eonfoderunl.  S.  Hieron.,  In  Ruff,  apolog,,  m,  42.  —  *<>  Joseph.,  A., 
XVm,  V,  1.  Cf.  Marc,  vi,  14,  16 


N^l^î]  Sa  vie  t»UBLlQUË.  —  LES  APOTRES.  27? 

taie,  et  qu'il  doit  servir  d'exemple  à  ceux  qui  auront  à  le  re- 
présenter dans  la  conduite  de  son  Eglise. 

i'»  Avant  d'appeler  ses  Apôtres,  il  passe  une  nuit  entière 
à  s'entretenir  avec  son  Père  dans  la  prière  la  plus  fervente, 
in  oratione  Dei,  afin  d'appeler  sur  eux  toutes  les  bénédic- 
tions du  Ciel  ^  —  2°  Il  les  choisit  au  nombre  de  douze,  pour 
que  le  peuple  chrétien  ait  comme  le  peuple  d'Israël  ses 
douze  patriarches  ^  Il  les  choisit  d'aptitudes  et  de  caractères 
divers,  afin  qu'ils  sentent  le  besoin  qu'ils  ont  les  uns  des 
autres  pour  se  soutenir  et  se  compléter.  —  3**  Tous  sont  Is- 
raélites de  naissance,  non  étrangers  ni  prosélytes,  parce 
que  c'est  la  race  d'Abraham  qui  doit  communiquer  aux  Gen- 
tils la  bénédiction  du  Ciel  ^  Plusieurs  sont  de  la  tribu  de  Juda, 
ceux  de  sa  famille  par  exemple;  mais  c'est  dans  la  Galilée 
qu'il  les  prend  et  non  dans  la  Judée,  pour  les  raisons  que 
nous  avons  dites  *  ;  c'est  hors  de  la  famille  d'Aaron  et  même 
de  la  tribu  de  Lévi,  parce  qu'il  veut  fonder  un  sacerdoce 
nouveau  ^  —  4*  Dans  le  choix  des  individus,  il  n'y  a  pas 
de  doute  que  le  divin  Maître  ne  tienne  compte  des  qualités 
personnelles.  Il  n'admet  pas  môme  au  rang  de  ses  dis- 
ciples, pour  le  suivre  habituellement,  tous  ceux  qui  se 
présentent.  Il  en  est  qu'il  écarte  %  il  en  est  qu'il  éprouve  % 
il  en  est  qu'il  diffère  *.  S'il  n'appelle  pas  à  l'apostolat  des 
hommes  riches,  éclairés,  puissants,  habiles  dans  les  affaires 
et  dans  la  conduite  des  hommes,  c'est  qu'ils  ne  conviennent 
pas  à  une  œuvre  où  la  main  de  Dieu  doit  seule  paraître  ®. 
Ce  qu'il  faut  pour  fonder  l'Eglise,  ce  sont  des  hommes 
du  peuple,  sans  autorité,  sans  instruction,  sans  grands 
talents  *°,  mais  vertueux,  sincères,  généreux,  vides  d'eux- 
mêmes.  Aussi  quelle  foi  éclate  en  eux  dès  leur  début  I 
quelle  abnégation  !  quelle  simplicité  de  cœur  I  quelle  doci- 

*  Luc,,  VI,  12.  —  2  Luc,  VI,  13;  Act.,  i,  17,  26;  Apoc,  xxi,  14.  Cf. 
Ps.xLiv,  18.  —  3  isai.,  II,  3;  Joan.,  iv,  22;  Rom.,  ix,  4,  5.  —  *  Supra^ 
n.  91.  —  s  Heb.,  vu,  12-14.  —  «  Marc,  v,  19.  —  ^  Matth.,  vin,  19,  22. 
-  »  Matth.,  XIX,  21.  —  9  I  Cor.,  ;,  19.  —  lo  Act.,  iv,  13.  Idiotas  elegit 
unde  confandcret  mundum.  S.  Aug.,  in  Joan.^  vu,  17.  Ut  quidquid 
magDam  essent  aat  facerent,  ipse  in  eis  esset  et  faceret.  De  civ.  Dei^ 
XVffl,  xijx. 

10 


278  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n°  153 

lité  *  I  Et  plus  tard  quel  zèle  !  quelle  constance  !  quelle  in- 
trépidité ^  ! 

Voilà  par  qui  le  Sauveur  veut  instruire,  convaincre  et 
soumettre  le  monde.  Non  per  oratores  docuit  piscatores^  dit 
S.  Grégoire  le  Grand  %  sed  mira  potentia  per  piscatores  sube- 
git  oratores. 

*  153.  --  Quels  sont  les  douze  apôtres? 

Les  douze  apôtres  sont  :  Pierre,  toujours  nommé  le  pre- 
mier *,  quoiqu'il  ne  soit  ni  le  premier  appelé,  ni  le  plus  âgé; 
André,  qui  l'amena  au  divin  Maître  ^;  Jacques,  fils  deZébé- 
dée,  le  Majeur  ^  mis  à  mort  par  Hérode  Agrippa  "^  ;  Jean, 
son  frère  *;  Philippe,  de  Betlisaïde  comme  Pierre  et  André'; 
Barthélemi  ^^  ;  Thomas  **  ;  Matthieu  *^  ;  Jacques,  fils  d'Alphée, 
ou  le  Mineur,  o  |j.t>tpoç,  auteur  de  la  première  épître  catho- 
lique ",  l'une  des  colonnes  de  V Eglise,  comme  Pierre  et 
Jean  **  ;  Jude,  son  frère  "  ;  Simon,  de  Gana,  dit  Zélote,  qui  ne 
figure  que  dans  les  canons  des  Apôtres  *^  et  Judas  Iscarioth 
ou  de  Kérioth,  toujours  placé  en  dernier  lieu  *%  comme 
celui  qui  a  fait  défection  et  qui  n'a  pas  reçu  l'esprit  de 
l'apostolat  **. 

Plusieurs  étaient  liés  entre  eux  par  l'affection  ou  la  pa- 
renté. André  et  Philippe  étaient  d'intimes  amis,  aussi  bien 
que  Philippe  et  Barthélemi.  Pierre  et  André  étaient  frères, 
comme  Jacques  le  Majeur  et  Jean,  comme  Jacques  le  Mineur 
et  Jude  ;  et  de  plus,  ces  deux  derniers  étaient  parents  de 

1  Matth.,  IV,  19,  20;  ix,  9;  xiv,  28;  Joan  ,  i,  49;  xi,  16;  xx,  28;  xxi, 
7,  17,  Brev.  rom.»  Comm.  Apost.y  lect.  vii-ix,  primo  loco.  —  *  Act.,  u, 
14;  IV,  13,  24;  viii,  1,  etc.  —  ^  Moral.,  xxxiii,  18.  Cf.  Bossuet,  Panég. 
de  S.  André;  et  Bourdaloue,  Serm.  sur  la  religion  chrétienne.  —  *  Non 
primus  inter  pares,  dit  Cornélius  à  Lapide,  sed  primus  ante  omnes.  Cf. 
Matth.,  X,  2;  xvi,  16;  xvii,  1;  xxvi,  37;  Marc,  m,  16;  v,  37;  ix,  1; 
Luc,  VI,  14  ;  viii,  51;  ix,  28;  Act.,  i,  13,  15;  ii,  14.  —  s  Joan.,  i,  42.  — 
6  Luc,  V,  10.  —  T  Act.,  xii,  2.  —  8  Joan.,  i,  37.  —  «  Joan.,  i,  44.  — 
10  Joan.,  I,  45.  —  i*  Joan.,  xi,  16.  —  i»  Matth.,  ix,  9.  —  "  Luc,  vi,  15. 
—  1*  Gai.,  Ji,  9.  -  i5  Matth.,  xiii,  55,  —  i*  Luc,  vi,  15,  16.  —  «^  Non 
frustra  ultimus  nuraeratus,  S.  Aug., -Serm.  x,  6.  —  ^^  O  irapoSovc, 
o  wapoStSwç ,  Matth.,  xxvii,  3;  6ia6o>bc,  adversarius^  Joan  ,  vi,  70.  Cf. 
xiii,  2,  27. 


^ 


nM64]  sa  vie  publique.  —  les  apôtres.  279 

Notre  Seigneur.  La  plupart  avaient  plusieurs  noms.  On  di- 
sait indifféremment  Barthélemi  ou  Nathanael,  Thomas  ou 
Didyme,  Lévi  ou  Matthieu,  Simon  ou  Zélote,  Jacques  et 
Jean  ou  Boanerges.  S.  Pierre  et  S.  Jude  en  avaient  trois  : 
Simon,  Pierre  et  Céphas  étaient  synonymes  aussi  bien  que 
lude,  Thaddée  ou  Lebbée  *.  Dans  les  Synoptiques  comme 
dans  les  Actes,  les  douze  Apôtres  sont  énumérés  deux  à  deux 
dans  un  ordre  à  peu  près  constant,  sans  doute  parce  qu'ils 
étaient  envoyés  ainsi  dans  leur  première  mission.  C'est  à 
l'époque  de  cette  mission  qu'ils  reçurent  le  nom  d'Apôtres  '. 

*  154.  —  Sur  quoi  se  fondc-t-on  poar  identifier  Nathanael 

avec  Barthélemi  ? 

La  plupart  pensent  que  Nathanel  n'est  pas  différent  de 
Barthélemi.  Ils  se  fondent  sur  les  considérations  suivantes  : 
—  !•  Barthélemi  n'est  pas  un  nom,  mais  un  qualificatif, .  un 
surnom  comme  Barjonas  :  il  signifie  fils  de  Ptolémée,  nom 
alors  usité  chez  les  Juifs.  Nathanael  est  un  nom  propre  qu'on 
trouve  en  divers  livres  de  l'Ancien  Testament  et  qui  répond 
à  Théodore,  comme  celui  de  Matthieu.  — 2*  S.  Jean  place 
Nathanael  entre  les  Apôtres,  lorsqu'il  énumère  comme  pé- 
chant ensemble,  Pierre,  Thomas,  Nathanael,  Jacques  et 
Jean,  et  deux  autres  disciples  '.  —  3*  Les  Synoptiques  qui 
parlent  de  Barthélemi  ne  prononcent  pas  le  nom  de  Natha- 
nael, et  S.  Jean,  qui  parle  de  Nathanael,  ne  profère  pas  ce- 
lui de  Barthélemi.  —  4*  Barthélemi  est  associé  à  Philippe 
dans  le  catalogue  des  Apôtres  donné  par  les  Synoptiques, 
comme  Nathanael  l'est  dans  l'évangile  de  S.  Jean  *.  —  5*  A 
quel  titre  Nathanael  figurerait-il  dans  le  récit  que  fait 
S.Jean',  et  pourquoi  y  tiendrait-il  une  si  grande  place,  si- 
non parce  qu'il  est  associé  à  la  vocation  de  Pierre  et  d'An- 
dré?—6*  Si  Nathanael  n'avait  pas  déjà  été  apôtre,  on  eût 
dû  le  mettre  avec  S.  Matthias  sur  les  rangs  pour  l'apostolat 

*  Cf.  Luc,  VI,  15;  Matth.,  x,  3.  —  *  Marc,  vi,  7;  Luc,  vi,  13.  Sicut 
gnece  angcli,  latine  nuntii  vocantur,  ita  grœce  apostoli,  latine  missi 
appeUantur.  S.  Aug.,  In  Joan.,  nv,  3.  Cf.  Prov.,  xviii,  19;  Eccl.,  iv,  9. 
—  '  Joan.,  XXI,  2.  —  *  Jean-,  i,  45.  —  *  Joan.,  i,  35-51. 


280  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n^  155 

après  l'Ascension  du  Sauveur.  —  T  Enfin,  si  Barthélemi 
n'est  pas  Nathanael,  on  ne  voit  nulle  part,  dans  l'Evangile, 
que  Notre  Seigneur  l'ait  appelé  à  l'apostolat. 

Néanmoins,  un  certain  nombre  de  commentateurs  re- 
gardent Nathanael  et  Barthélemi  comme  deux  personnages 
distincts.  Leurs  raisons  sont  :  —  1**  Que  le  nom  de  Barthé- 
lemi se  trouve  dans  les  quatre  canons  des  Apôtres  S  tandis 
que  celui  de  Nathanael  ne  se  voit  dans  aucun.  —  2^  Que  nul 
évangéliste  ne  dit  que  Nathanael  ou  Barthélemi  ait  un  second 
nom,  tandis  que  pour  que  S.  Pierre,  pour  S.  Matthieu,  pour 
S.  Jude,  plusieurs  ont  soin  de  nous  avertir  de  cette  parti- 
cularité. 

*  155.  --  Comment  Judas  se  trouve-t-il  parmi  ces  douze  apôtres? 

On  ne  peut  dire  que  le  Sauveur  ait  été  trompé  sur  le  mé- 
rite de  Judas  :  il  voyait  l'intérieur  de  chacun  *;  il  connais- 
sait l'avenir  comme  le  présent,  comme  le  passé.  Mais  il  a 
voulu  se  conduire  à  l'égard  de  ce  disciple  comme  il  fait  or- 
dinairement envers  nous.  Le  trouvant  dans  ce  moment  digne 
de  son  choix,  il  l'appela  avec  les  autres,  malgré  la  prévision 
qu'il  avait  de  son  infidélité  future  ^ 

Par  cette  conduite  :  —  1**  Le  Sauveur  entre  dans  les  des- 
seins du  Père  éternel,  qui  voulait  que  son  Fils  fût  dans  sa 
Passion  en  butte  à  tous  les  coups,  à  ceux  de  ses  amis  comme 
à  ceux  de  ses  ennemis*.  —  2°  Il  apprend  à  son  Eglise  à  ne 
pas  s'étonner  de  voir  quelquefois  dans  son  sanctuaire  des 
ministres  indignes  ^  et  à  supporter  patiemment  ceux  qui  la 
dépouillent  et  la  trahissent,  au  lieu  de  la  servir  ^  —  3^*  Il 
nous  fait  sentir  de  quelle  bonté  il  use  à  notre  égard,  en  nous 
comblant  de  mille  grâces  dont  il  sait  que  nous  abuse- 
rons, et  nous  avertit  de  ne  pas  regarder  notre  vocation,  si 

1  Mattlî.,  X,  3;  Marc,  m,  18;  Luc,  iv,  4;  Act.,  i,  13.  —  ^  Joan.,n,  25. 
—  3  Joan.,  VI,  71.  PrîBsentia  enim  judicat,  non.  futura;  nec  condamnât 
ex  prœscientia,  dans  potestatem  convorsionis  et  pœnitentise.  S.  Hieron., 
Adv.  Pelag.f  m,  6.  —  *  Ps.  liv,  13.  —  *  Joan.,  x,  12;  Rom.,  ii,  28.  — 
6  Furem  ideo  admisit  ut  ejus  Ecclesia  fures  patienter  toleret.  S.  Aug., 
In  Ps.  xxxiii.  Eligitur,  non  per  imprudentiam,  sed  per  providentiam. 
S.  Amb.,  In  Luc,  v,  45.  Cf.  Matth.,  xiii,  24-30;  I  Cor.,  iv,  2. 


Jf^'lS?]      SA  VIE  PUBLIQUE.  —  LES  APOTRES.         281 

éminentë  qu'elle  soit,  comme  une  marque  assurée  de  prédes- 
tination*. 

156.  —  N*y  a-t-il  pas  des  Apôtres  qui  furent  appelés  plusieurs  fois? 

On  peut  dire  qu'André  et  Simon  furent  appelés  une  pre- 
mière fois  dans  la  Judée,  lorsqu' André,  ayant  reconnu  Jésus 
pour  le  Messie  ',  lui  amena  son  frère  '.  A  ce  moment,  ils  ne 
quittèrent  ni  leur  demeure  ni  leur  état  ;  et  la  parole  du  Sau- 
veur :  Tu  vocaberis  Cephas^  fut  plutôt  une  prédiction  qu'un 
appel  proprement  dit.  Mais  après  la  pêche  miraculeuse  *, 
Notre  Seigneur  leur  ayant  dit  qu'il  les  ferait  pécheurs 
d'hommes  ^,  ils  laissèrent  leur  barque,  leurs  filets  et  tout 
ce  qu'ils  avaient  pour  le  suivre  :  Ex  hocjam  adhœserunt  illiy 
ut  non  recédèrent  *.  Ce  fut  leur  seconde  vocation.  De  plus, 
quelques-uns,  distinguant  la  pêche  rapportée  par  S.  Luc  de 
celle  que  décrit  S.  Matthieu,  croient  que  celle-ci  donna  lieu 
à  iHi  appel  distinct.  C'est  le  sentiment  de  S.  Thomas,  suivant 
lequel  les  Apôtres  auraient  été  tous  appelés  trois  fois  '. 

157.  «^  Notre  Seigneur  s'est-il  hâté  de  donner  à  ses  apôtres  les 

pouvoirs  qn'il  leur  destinait? 

Le  premier  soin  du  Sauveur  fut  de  faire  acquérir  à  ceux 
qu'il  avait  appelés  à  l'apostolat  les  connaissances,  les  vertus, 
les  habitudes  dont  ils  avaient  besoin  pour  le  bien  exercer. 

1*  //  s'applique  à  les  instruire.  —  Pendant  plus  de  trois 
ans,  il  les  tient  à  ses  côtés.  Ils  assistent  à  ses  discours;  ils 
entendent  ses  entretiens  •.  S'ils  trouvent  des  difficultés 

*  Act.,  I,  25.  Jadas  filins  regni  erat,  audivitque  una  cum  aliis  disci- 
polis  illnd  :  Sedebitis  saper  sedes  duodecim  ;  factos  est  autem  gchennœ 
filius.  s.  Chrys.,  In  Matth,^  Hom.,  xxvi,  7.  —  *  Eupijxainev  tov  Me<roiav. 
ioan.,  I,  42.  —  '  Andréas  cœlibem  vîtam  ducens,  Joannis  Baptistœ  factas 
est  discipulus  Petrus  negotiis  intcndebat,  qui  uxori  et  familiae  et  patris 
Benio  providebat.  Sophron.,  De  cetl.  Pet.  et  Paul.  —  *  Luc,  v,  i-11.  — 
*  Cf.  Jer.,  XVI,  16;  Ezec  ,  xLvn,  10.  —  «  S.  Aug.,  In  Joan.,  vii,  9.  — 
'  Triplex* fuit  vocatio  Apostolorum  :  primo  enim  rocati  sunt  ad  Christi 
familiaritatem ,  in  primo  anno  praedicationis  Christi;  secundo  vocati 
sont  ad  discipulatum  ;  tertia  vocatio  fuit  ut  totaliter  Christo  adhœrerent. 
8.  Thom.,  In  Matth.,  iv,  18-22.  Cf.  S.  Aug.,  de  Cons.  evang.y  ii,  41.  — 
»  Joan.,  XV,  15,  16. 

16. 


282  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n®  157 

dans  son  enseignement  public,  il  les  leur  explique  en  par- 
ticulier, cum  esset  singularis  ^  Il  y  ajoute  des  instructions 
spéciales  sur  leur  ministère  et  ses  obligations  ^  Il  pro- 
cède avec  lenteur,  par  ménagement  pour  leurs  préjugés 
et  pour  leur  faiblesse  ^  Néanmoins  il  ne  tarde  pas  à  ré- 
former leurs  sentiments  et  à  préciser  leurs  idées  sur  le 
royaume  qu'il  vient  fonder  *,  sur  les  dignités  qu'ils  y 
doivent  avoir  ^  sur  les  récompenses  qui  leur  sont  offertes  ^ 
Il  leur  fait  entendre  peu  à  peu  qu'il  ne  faut  exclure  per- 
sonne de  ce  royaume,  ni  les  Gentils  ^  ni  les  Samaritains  \ 
ni  les  pécheurs  ^;  que  le  but  et  le  fruit  de  son  régne, 
c'est  la  sanctification  de  l'âme  ici-bas  *°,  et  sa  félicité  éter- 
nelle dans  le  ciel**.  Enfin,  il  leur  communique,  avec 
son  saint  Esprit,  toutes  les  lumières  dont  ils  ont  besoin 
pour  l'exercice  de  leur  ministère  et  le  succès  de  leur  mis- 
sion *^ 

2°  //  travaille  à  leur  sanctification  :  —  en  les  tirant  du  mi- 
lieu où  ils  ont  vécu  jusqu'alors  *^  et  en  leur  mettant  conti- 
nuellement ses  exemples  sous  les  yeux  **  ;  en  leur  faisant  re- 
marquer que  la  perfection  a  dans  l'âme  son  principe  et  son 
siège  *^;  qu'elle  dépend  de  l'intention  **  plutôt  que  de  l'ob- 
servation littérale  de  pratiques  extérieures  d'une  importance 
relative  ";  en  animant  vivement  leur  foi  **;  en  les  exerçant 

1  Matth.,  XIII,  10-12,  16,  18,  36;  xv,  15;  xvi,  15,  16;  Marc,  iv,34; 
Luc,  viii,  9;  Joan.,  xx,  27.  —  2  Matth.,  x,  5-42;  xvi,  20;  xvn,  9; 
xviii,  22;  Luc,  ix,  1-6;  x,  2-24;  Joan.,  xiv,  xv,  xvi;  xxi,  15-17;  Act, 
i,  3.  —  3  Joan.,  XVI,  12.  —  *  Matth.,  v,  3, 10;  Luc,  xii,  31  ;  xxii,  25,  26, 

—  8  Matth.,  X,  16;  xx,  23,  25,  26  ;  Marc,  ix,  34,  35.  —  6  Matth.,  xvm, 
19;  XXV,  34;  Luc,  x,  20;.xii,  32.  Reges  gentium  dominaatur  eorom  et 
qui  potestatem  habent  super  eos  ôeneficij  euep^sTot,  vocantur,  Luc, 
XXII,  25.  ÂHusion  aux  inscriptions  qu'on  lisait  alors  sur  les  monnaies 
des  rois  de  Syrie,  successeurs  d'Alexandre.  On  voit  encore  sur  plusieurs 
BacrtXecoç  Avxioxou  euepyETou  (140-127  av.  J.-C.)  —  "^  Matth.,  vin,  11;  Luc, 
xm,  29,  30;  Joan.,  x,  16.  —  8  Luc,  ix,  55,  61  ;  Joan.,  iv,  21.  —  «  Matth., 
xiii,  29,  30;  XXI,  31,  32.  —  lo  Luc,  xii,  31  ;  xvii,  21.  —  "  Matth.,  xxv,  34; 
xxvi,  29;  Luc,  xxii,  29,  30.  JnfrOf  n.  170.  —  12  Joan.,  xiv,  19;  ix,  9; 
Joan.,  I,  43.  —  i3  Matth.,  iv,  19;  ix,  9;  Joan.,  i,  43.  —  1*  Joan.,  xiu,  14. 

—  15  Matth.,  V,  20;  Luc,  xvii,  21.  —  i«  Matth.,  vi,  22;  xv,  18.  - 
*'ï  Matth.,  XII,  7,  8;  Marc,  vu,  19;  Luc,  xvm,  12.  —  is  Matth.,  viii,  26; 
xvn,  20;  xxi,  20;  Marc,  iv,  40;  xi,  22;  Luc,  xvii,  5,  8. 


N<»  157]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —   LES  APOTRES.  283 

au  détachement  S  à  Tobéissance  S  au  sacrifice  %  à  Thumi- 
pté*,  à  la  confiance  S  au  zèle  S  à  la  prière  %  à  la  pratique 
de  toutes  les  vertus;  en  leur  faisant  partager  sa  vie  labo- 
rieuse et  toutes  ses  privations  *;  en  leur  signalant  leurs  dé- 
fauts "  ;  en  leur  inspirant  du  mépris  et  de  l'aversion  pour 
les  vices  des  pharisiens  *^;  en  louant  hautement  toutes  les 
vertus  dont  il  est  témoin  **;  en  les  avertissant  des  épreuves 
qui  les  attendent  *^;  enfin,  en  priant  peureux  d'une  manière 
spéciale  *\ 

3**  //  les  forme  à  leur  ministère  :  —  la  première  année,  en 
exerçant  seul  ce  ministère  sous  leurs  yeux  **;  la  seconde,  en 
les  envoyant  deux  à  deux  prêcher  le  royaume  du  ciel,  en  di- 
vers lieux  de  la  Judée  **;  la  troisième,  en  leur  associant  les 
soixante-douze  disciples.  Ainsi  le  Sauveur  se  montre  réel- 
lement le  Maître  des  Apôtres  ;  il  en  remplit  parfaitement  les 
devoirs  **. 

Rien  de  plus  admirable  que  la  charité  dont  il  use  envers 
eux.  ,11  les  appelle  ses  amis  ^\  ses  frères  *®,  ses  chers  en- 
fants *®.  Il  ne  peut  les  voir  dans  Taffliction,  sans  compatir 
à  leurs  peines  ^®.  Il  leur  fait  prendre  du  repos  quand  il  en 
est  besoin  ^\  et  veille  à  leur  sûreté,  aux  dépens  môme  de  la 
sienne  ^^  Il  les  console  dans  leur  tristesse  ".  Il  prend  leur 


1  Matth.,  VIII,  22 ;  x,  37  ;  xn,  48,  49  ;  Luc,  v,  11.  —  »  Matth.,  xiv,  28  ; 
Luc,  IX,  62.  —  3  Matth.,  xx,  23.  —  *  Matth.,  xviii,  2;  xx,  26;  xxii, 
1-12;  Marc,  x,  43;  Luc,  x,  18;  xxii,  24;  Joan.,  xm,  12.  —  «  Matth., 

XIV,  31;  XVI,  9,  10;  xxi,  21;  Marc,  xi,  23;  Joan.,  xx,  27.  —  «  Luc, 
X,  1;  Joan.,  iv,  32,  38.  —  "^  Matth.,  xiv,  23  ;  xxvi,  41  ;  Luc,  x,  2  ;  xi,  2. 

—  8  M^rç,  VI,  31;  Joan.,  iv,  8,  32;  vi,  9.  —  »  Matth.,  viii,  26;  xiv,  31; 

XV,  16;  XVI,  8,  23;  xvii,  16;  xviii,  3;  xxv,  40;  xxvi,  33;  Marc,  ix, 
32-3Ô;  X,  14;  Luc,  ix,  48-55;  xxiv,  25;  Joan.,  xii,  7;  xiv,  9,  21,  22.  — 
10 Matth.,  vil,  29;  xvi,  6,  11;  Luc,  xii,  42-48,  etc.  —  "  Matth.,  viii,  10; 
Marc,  XII,  43;  Luc,  vu,  44;  Joan.,  xii,  7.  —  *2  Matth.,  x,  16-26;  Joan., 
XV,  20-24;  xvi,  1-5,  etc.  —  «  Luc,  vi,  12-13;  xxn,  32;  Joan.,  xvii,  9. 

—  **  Luc,  VIII,  1.  —  *5  Matth.,  x,  5,  6;  Marc,  vi,  7;  Luc,  ix,  1,  2.  — 
**  Matth.,  xvii,  23;  xxiii,  8,  10;  Marc,  iv,  38;  ix,  37;  Luc,  v,  5;  viii, 
24,  45;  IX,  33,  49;  xxi,  7;  Jôan.,  xiii,  13,  14.  —  ^^  Matth.,  xxvi,  50; 
Joan.,  XV,  14,  15.  —  *8  Matth.,  xxvm,  10;  Joan.,  xx,  17.  —  i»  Joan., 
an,  33;  xxi,  5:  —  ao  joan.,  xvi,  6,  22;  xx,  16,  20.  —  2>  Marc,  vi,  31. 

—  2î  Matth.,  XXVI,  52;  Joan.,  xviii,  8.  —  ^3  Matth.,  xxviii,  10;  Luc, 
XXIV,  17;  Joan.,  xiv,  18,  27. 


284  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n<»  158 

défense  contre  les  pharisiens  *,  il  les  recommande  à  la  gé- 
nérosité de  ses  disciples  ^  il  leur  donne  toutes  sortes  d'en- 
couragements '  et  leur  fait  toutes  sortes  de  promesses  *.  Il 
va  jusqu'à  leur  révéler  ses  secrets  les  plus  intimes  *. 

D'un  autre  côté,  rien  de  plus  édifiant  que  la  docilité  avec 
laquelle  les  Apôtres  reçoivent  sa  parole  ^,  que  le  dévoile- 
ment respectueux  dont  ils  entourent  leur  divin  Maître  \ 

Enfin,  après  sa  résurrection,  le  Sauveur,  se  montrant  à  eux 
dans  sa  gloire,  leur  donne  leur  dernière  mission  et  les  in- 
vestit de  tous  ses  pouvoirs  ®. 

*  158.  —  Pourquoi  ces  avis  du  Sauveur  à  ceux  qui  veulent  le  suivre  : 
Qu'il  n*a  pas  où  reposer  sa  tête,  Luc,  ix,  58;  Que  celui  gui  regarde 
en  arrière  n*est  pas  propre  à  son  œuvre,  ix,  62  ;  Qu'ils  doivent  laisser 
les  morts  ensevelir  les  morts,  Matth.,  viu,  22? 

Ces  trois  maximes  du  Sauveur,  exprimées,  suivant  l'usage 
de  l'Orient,  dans  un  style  figuré  et  hyperbolique,  avaient 
pour  but  de  faire  comprendre  :  —  1®  Qu'il  ne  veut  pour  mi- 
nistres que  des  hommes  généreux,  détachés  de  toute  affec- 
tion naturelle  et  de  tout  intérêt  humain  *.  —  2*  Que  la 
pureté  dé  vues,  la  fermeté  et  la  constance  sont  nécessaires 
à  son  service,  surtout  dans  le  ministère  apostolique,  et 
qu'on  ne  doit  pas  s'y  engager  inconsidérément  ".  —  3*  Que 
son  intérêt  et  son  bon  plaisir  doivent  passer,  dans  l'estime 
de  ses  ministres,  avant  toute  convenance  et  toute  affection 
naturelle  **. 

Touchant  ce  dernier  avis  en  particulier,  nous  ferons  ob- 
server :  —  1**  Que,  sous  la  loi  de  Moïse,  il  était  défendu  au 

1  Matth.,  XVII,  16,  17.  —  a  Matth.,  x,  40,  41.  —  3  Matth.,  v,  12-14; 
XI,  11;  XIII,  16-17;  I^uc,  xii,  32.  —  *  Matth.,  x,  19;  xix,  28;  Luc, 
X,  24;  XII,  32;  Joan.,  xiv,  1,  2;  xv,  7.-5  Matth.,  xiii,  16,  17;  xvi, 
21;  Joan,,  xiii,  26;  xv,  14,  15.  —  «  Matth.,  xiv,  28;  Marc,  iv,  10; 
IX,  31;  Luc  ,  XI,  1;  xxii,  62;  Joan.,  iv,  27;  vi,  69;  xiii,  9,  13;  xiv, 
8,  9;  XVI,  29;  xxi,  12,  etc.  —  "^  Matth.,  xix,  13;  xxvi,  35;  Marc,  ix, 
37;  XIV,  31;  Luc,  ix,  54;  xviii,  15;  Joan.,  iv,  31;  xi,  8,  16;  xiii,  13; 
xvm,  10;  XX,  3,  4,  28;  xxi,  7,  12,  17,  etc  —  «  Matth.,  xxvni,  18-20; 
Joan.,  XXI,  15-17.  •—  »  Cf.  Luc,  ix,  58,  —  ^o  Cf.  Gcn.,  xix,  26;  Luc, 
XIV,  28;  XVII,  32;  Phil.,  m,  13,  21.  —  ii  Cf.  Deut.,  xxxiii,  8,  9;  UI  Reg., 
XIX,  19-21. 


N«i59]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  LES  APOTRES.  285 

grand-prêtre  d'assister  aux  funérailles  de  son  père  S  et  que 
le  Nazaréen  ne  devait  prendre  part  à  aucune  cérémonie  fu- 
nèbre jusqu'à  l'expiration  de  son  voeu  *.  —  2°  Que,  suivant 
m  sentiment  assez  commun,  le  jeune  homme  auquel  s'a- 
dresse Notre  Seigneur  (S.  Philippe,  apôtre,  d'après  Clément 
d'Alexandrie  ^),  ne  demandait  pas  seulement  un  jour  ou 
deux  pour  rendre  les  derniers  devoirs  à  son  père  défunt, 
mais  un  délai  infini  pour  rester  auprès  d'un  vieillard  chargé 
d'années,  afin  de  pourvoir  à  ses  besoins  jusqu'à  la  fin  de  ses 
jours.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'intention  du  Sauveur  n'était  pas 
de  priver  un  père  d'une  assistance  dont  il  avait  besoin  et  que 
la  nature  demandait  en  sa  faveur  :  les  paroles  du  divin 
Maître  font  supposer  qu'il  y  avait  dans  la  famille  d'autres 
parents  disposés  à  rendre  ce  service,  et  que  ceux-ci,  ne  son- 
geant qu'à  la  vie  présente,  ne  seraient  pas  détournés  par  là 
de  travailler  pour  la  vie  éternelle  *. 

*  i59.  —  N'a-t-on  pas  prétendu  que  Notre  Seigneur  avait  commencé 
par  condamner  les  richesses  et  faire  de  la  pauvreté  une  condition  de 
salQts? 

C'est  ce  qu'affirment  encore  des  rationalistes,  au  juge- 
ment desquels  les  Ebionites  ont  seuls  persévéré  dans  sa  doc- 
trine à  cet  égard.  A  l'appui  de  leur  sentiment,  ils  allèguent 
un  certain  nombre  de  textes,  soit  contre  les  riches  ®  ou  leurs 
richesses  %  soit  en  faveur  des  pauvres  *  et  de  la  pauvreté  ^ 

On  leur  répond  :  —  Que  l'erreur  des  Ebionites  ou  la  ré- 
probation absolue  des  richesses  ne  ressort  pas  de  ces  textes  ; 
—  que  jamais  le  Sauveur  n'a  condamné  tous  les  riches  à 
l'enfer,  ni  fait  de  l'indigence  une  condition  ou  un  gage  as- 
suré du  ciel  ;  qu'il  suppose  bien  clairement,  au  contraire, 
que  les  riches  peuvent  se  sauver  *°  et  les  pauvres  se  perdre  **  ; 

*  Lev.,  XXI,  10-11.  —  2  pfum.,  vi,  6,  7.  —  3  Clem.  Alex.,  Sb'om.,  m. 
—  *  Cf.  s.  Thom.,  2a-2* ,  q.  101.  a.  4,  ad  2.  —  s  m.  Renan,  EvangileSy 
p.  44,  275,  etc.  -^  6  Matth.,  xix,  21-24;  Luc,  vi,  24,  25;  xvi,  19,  20; 
xvm,  24,  25,  27.  —  ?  Matth.,  xiii,  22;  Luc,  viii,  14;  xvi,  9,  13.  — 
»  Matth.,  V,  3;  vi,  19,  24,  25,  29;  xi,  5;  Luc,  vi,  20,  21.  —  »  Matth., 
VIII,  20;  X,  9,  10;  Luc,  ix,  3.  —  lo  Matth.,  xix,  26;  Luc,  xvm,  27; 
XIX,  9.-11  Luc,  xxiii,  39-42. 


286  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n<*  159 

—  que  parmi  ses  disciples,  plusieurs  avaient  quelque  for- 
tune, par  exemple  les  femmes  pieuses  qui  fournissaient  à  ses 
besoins  et  à  ceux  des  Apôtres  S  Marie-Madeleine  %  Zachée  ^ 
Nicodème  *,  Joseph  d'Arimathie  ^,  celui  chez  lequel  il  cé- 
lébra la  cène  ®  ;  que  lui-môme  n'était  pas  tout  à  fait  sans  res- 
source \  quoiqu'il  ne  portât  pas  d'argent  pour  l'ordinaire*, 
qu'il  recommande  souvent  l'aumône  à  ceux  qui  le  suivent  '; 
qu'il  veut  que  les  ministres  soient  entretenus  par  les  fidèles 
comme  il  l'a  été  par  ses  disciples  ***;  —  que  lorsqu'il  com- 
pare les  pauvres  aux  riches  et  qu*il  donne  la  préférence  aux 
premiers  c'est  qu'il  les  considère  tels  qu'ils  se  présentent 
à  lui,  les  riches  avec  leur  orgueil,  leur  cupidité,  leur  sen- 
sualisme ";  les  pauvres  avec  leur  docilité,  leur  foi,  leur 
humilité  *-;  —  que  la  fortune,  qui  est  toujours  une  épreuve 
et  un  péril  pour  l'âme  ",  rendait  alors  très  difficile,  l'entrée 
du  royaume  de  Dieu,  c'est-à-dire  de  l'Eglise  et  du  ciel  **; 

—  que  le. détachement  des  biens  de  la  terre  ou  la  pau- 
vreté d'esprit  n'a  pas  cessé  d'être  nécessaire  pour  la  perfec- 
tion et  même,  dans  une  certaine  mesure,  pour  le  salut; 

—  enfin  que  la  pauvreté  effective  est  toujours  d'un  grand 
secours  et  d'un  grand  mérite,  quand  elle  est  embrassée 
dans  rintérét  de  la  gloire  de  Dieu;  et  qu'il  n'est  pas  éton- 
nant, que  le  divin  Maître  l'ait  encouragée  ou  même  qu'il 
l'ait  exigée  d'un  certain  nombre,  à  une  époque  où  il  avait 
un  si  grand  besoin  d'ouvriers  apostoliques,  dévoués  à  son 
service  et  prêts  à  porter  son  Evangile  dans  toutes  les  con- 
trées du  monde  *^ 

On  voit  qu'au  fond  l'Eglise  n'a  pas  cessé  d'enseigner  ce 
que  Jésus-Christ  enseignait^  qu'elle  conserve  toujours  des 
richesses,  du  détachement,  de  la  pauvreté,  l'idée  qu'il  lui 
en  a  donnée,  et  que  l'Evangile  ne  contient  rien  sur  ce  sujet 

1  Luc,  viii,  2,  3.  —  2  Mattli.,  xxvi,  9-H.  — ;  3  Luc,  xix,  d-8.  — 
*  Joan.,  m,  1;  xix,  39.  —  *  Matth.,  xxvii,  57.  —  s  Luc,  xxii,  10-12,  etc. 
—  7  Joah.,  XII,  6;  xiii,  29.  —  8  Matth.,  xvii,  26;  xxii,  19.  —  »  Matth., 
VI,  3;  XXV,  35;  Luc,  vi,  35;  xi,  41;  xvi,  9,  21.  —  »o  Matth.,  x,  10; 
Marc,  VI,  10;  Luc,  ix,  4;  x,  7.  —  **  Luc,  vi,  25.  —  '2  Luc,  vi,  20.  — 
13  Matth.,  VI,  21  ;  xiii,  22.  ^  i*  Matth.,  v,  3;  xix,  24;  Luc,  vi,  25.  - 

Matth.,  IX,  19;  viii,  20;  xix,  29. 


J 


N»  160]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  LES  APOTRES.  287 

dont  les  socialistes  ou  les  incrédules  aient  droit  de  se  pré- 
valoir K 

160.  —  Comment  faut-il  entendre  cette  promesse  de  Notre  Seigneur 
aux  apôtres,  qu'ils  seront  assis  sur  douze  trônes,  qu'ils  recevront 
le  centuple  de  leurs  sacrifices  3,  et  qu'ils  jugeront  les,  douze -tribus 
d'Ispaél,  Matth.,  xix,  28? 

1*  Le  nombre  douze  n'a  pas  un  sens  plus  strict  ici  que 
le  nombre  sept  dans  l'Apocalypse.  Il  exprime  simplement  la 
totalité.  Par  les  douze  apôtres,  il  faut  entendrei  tous  les 
apôtres,  ou  même  tous  les  prédicateurs  de  la  foi  ;  comme 
par  les  douze  tribus,  en  entend  l'EgHse  de  tous  les  temps 
et  de  tous  les  lieux,  dont  le  peuple  ancien  a  formé  le  pre- 
mier noyau  '. 

2'  Notre  Seigneur  se  borne  ici  à  promettre  leur  récom- 
pense aux  apôtres.  Il  ne  parle  pas  de  l'obligation  où  ils  sont 
de  la  mériter  ;  mais  il  est  bien  entendu  qu'ils  ne  recevront 
leur  couronne  qu'à  la  condition  de  marcher  à  sa  suite  et  de 
répondre  à  ses  desseins  *. 

3"  Quant  à  ces  trônes,  c'est  le  symbole  de  la  gloire  qui 
leur  est  réservée  au  ciel,  et  qui  éclatera  à  tous  les  regards 
au  jour  de  la  résurrection,  in  regeneratione  *.  En  ce  jour,  ils 
environneront  le  souverain  Juge,  partageront  son  zèle 
contre  le  péché  et  s'associeront  à  sa  sentence.  On  peut  voir 
aussi  dans  ces  paroles  une  allusion  à  l'autorité  spirituelle 
que  les  Apôtres  devront  exercer  ici-bas,  en  faisant  dans  l'E- 
glise ce  que  les  Juges  ont  fait  en  Israël  ®. 

1  Brev.  rom.,  Dedic.  Eccles.^  die  ii*,  lect.  vii-ix.  —  *  Cf.  Matth., 
X,  39;  XVII,  25.  Brev.  rom.,  Hom.  vu,  Pro  abbat.  —  3  Rom.,  xi,  17, 
18,  24.  Cf.  Rom.,  ii,  28,  29;  iv,  12-16.  —  *  Joan.,  xiii,  17;  xv,  14.  Brev., 
Oct.  SS.  omnium^  lect.  7,  8.  —  *  Cf.  Ps.  cxlix,  5,  9;  Sap.,  v,  1;  I  Cor., 
|vi,  2,  3;  II  Thess.,  i,  10.  —  «  Brev.  rom.,  25  janv.,  lect.,  7-9  et  23  juill., 
ect.  8. 


288  JIESUS-CHRIST  SELON  L^ÉVANGILÊ.  [n^  161 

§  III.  —  Saint  Pierre.  Matth,,  xvi,  18;  Luc,  xxiii,  81; 

Joan.,  1^  42;  XXI,  15. 

Ses  privilèges  personnels.  —  Sa  foi.  -~  Son  autorité. 

161.  —  Saint  Pierre  n'a-t-il  pas  été  distingué  des  autres  apôtres 

par  plusieurs  privilèges? 

Bellarmin  compte  vingt-huit  privilèges  propres  à  S.  Pierre, 
onze  fondés  sur  les  Evangiles,  neuf  sur  les  Actes  des  Apôtres 
et  TEpître  aux  Galates,  huit  sur  la  tradition  *.  Voici  les  onze 
premiers  : 

1*  Le  Sauveur  a  changé  son  nom,  comme  Dieu  a  changé 
celui  d'Abraham,  pour  dire  qu'il  était  devenu  à  son  service 
un  homme  nouveau,  et  pour  indiquer  sa  destinée  dans  l'E- 
glise ^  —  2®  Il  tient  le  premier  rang  parmi  les  Apôtres  et  se 
conduit  comme  leur  chef.  C'est  lui  qui  parle  pour  tous,  lui 
qui  répond  au  nom  de  tous  ^  ;  et  quoiqu'ils  soient  en  garde 
contre  toute  prétention  et  toute  préférence,  quoiqu'ils  s'in- 
dignent contre  l'ambition  de  Jacques  et  de  Jean  quand  ceux- 
ci  aspirent  aux  premières  places,  nous  ne  voyons  pas  qu'au- 
cun d'eux  ait  jamais  réclamé  contre  sa  primauté  ;  au  con- 
traire, les  évangélistes  marquent  expressément  que  le 
premier  rang  lui  appartient  *.  —  3^  Il  paie  le  tribut  avec  le 
Sauveur  et  comme  le  Sauveur,  une  drachme  pour  l'un  et  une 
drachme  pour  l'autre  *.  —  4*  Il  est  à  la  tête  des  deux  pêches 
miraculeuses  et  figuratives.  La  barque  où  elles  se  font  est  à 
lui,  et  il  reçoit  l'ordre  de  la  conduire  en  haute  mer  *.— 
5^  Il  est  spécialement  éclairé  de  Dieu  sur  la  grandeur  du  Sau- 
veur et  sur  la  gloire  de  son  règne  ^  Il  confesse  sa  divinité 
au  moment  où  elle  est  encore  ignorée  en  Judée,  même  de  la 

1  Bellarm.,  Controv,,  De  rom.  Pont.  —  *  Matth.,  xvi,  18;  Joan.,  i,  42. 
Cf.  Gen.,  XVII,  5;  xxxii,  28;  xxxv,  iO;  xli,  45;  xlvih,  7;  IV  Reg., 
XXIII,  34;  Dan.,  i,  6,  7.  —  ^  Matth.,  xv,  15;  xvi,  16;  xvii,  4;  xix,  27; 
Joan.,  VI,  69.  Cf.  Joseph.,  Cont,  App.,  ii.  —  *  Primus  Simon,  qui  dicitur 
Petrus.  Matth.,  x,  2.  Petrus  et  qui  cum  illo  erant.  Marc,  i,  36;  Luc, 
VIII,  45.  Cf.  Marc,  m,  16;  Luc,  vi,  14;  Act.,  i,  13;  I  Cor.,  ix,  5;  xv,  5. 
Oi  irepi  IleTpov.  S.  Ign.,  ad  Smym.,  3.-8  Mattli.,  xvii,  23-26.  —  ^  Luc, 
v,  4;  Joan.,  xxi,  3.  —  '  Matth.,  xvi,  17. 


N«  l&à]  SA  VIE  t>tBLIQUË.  —    SAINT  PIERAË.  iS^ 

plupart  des  disciples  qui  ont  entendu  ses  discours  ou  appris 
ses  miracles  *.  —  6**  Il  marche  sur  les  eaux,  comme  le  Saur 
veur  lui-même  au  plus  fort  de  la  tempête,  et  Notre  Seigneur 
Ty  soutient  de  sa  main,  d'une  manière  visible  et  miracu- 
leuse *.  —  7°  C'est  à  lui  que  le  Sauveur  lave  les  pieds  en 
premier  lieu:  circonstance  qui  explique  l'étonnement  et 
les  représentations  de  S.  Pierre  *.  —  8*  Notre  Seigneur  prie 
spécialement  en  sa  faveur,  afin  que  sa  foi  ne  défaille  pas  et 
qu'il  puisse  confirmer  ses  frères  *.  —  9**  Après  sa  résurrec- 
tion, il  se  montre  à  cet  apôtre  avant  de  se  montrer  aux 
autres  *.  —  10°  Il  lui  prédit  sa  mort,  et  un  genre  de  mort 
semblable  à  celle  qu'il  a  lui-même  soufferte.  —  !!•  Enfin  il 
lui  donne  l'assurance  que  son  siège  subsistera  toujours,  le 
fondement  de  l'Eglise  devant  être  inébranlable  comme 
l'Eglise  elle-même. 

Tous  ces  faits  sont  significatifs  :  ils  indiquent  la  destinée 
des  successeurs  de  S.  Pierre  et  le  rôle  qu'ils  auront  à  rem- 
plir comme  chefs  de  l'Eglise. 

162.  —  Quand  saint  Pierre  donne  au  Sauveur  le  titre  de  Fils  de  Dieu  6, 
entend-il  reconnaître  en  lui  la  nature  divine? 

C'est  ainsi  qu'on  a  toujours  entendu  ses  paroles  :  c'est 
donc  ainsi  qu'on  doit  les  entendre  ^  ;  d'autant  plus  qu'on  ne 
peut  les  expliquer  autrement  sans  violer  toutes  les  règles  de 
l'interprétation.  L'article  joint  au  mot  Fils  dans  l'original, 
0  Vtoc,  indique  bien,  dit  Théophylacte,  qu'il  s'agit  du  Fils 
unique  de  Dieu,  de  son  Verbe  ■;  de  même  que  l'article  qui 
précède  le  mot  Christ,  o  Xpiatoç,,  montre  qu'il  s'agit,  non 
d'un  roi  ou  d'un  prêtre  ordinaire,  consacré  par  une  onction 
quelconque,  mais  du  Messie,  c'est-à-dire  du  Roi  et  du  Prêtre 
par  excellence,  qui  a  reçu  du  ciel  l'onction  et  la  grâce  la 

«Matth.,  XVI,  16,  17.  —  «  Matth.,  xiv,  28-31-.  Cf.  Apoc,  xvii,  1,  15. 
Cf  Brev.  rom.,  18  janv.,  lect.  5;  23  janv.,  lect.  6.  —  3  Joan.,  xiii,  6-9.  — 
*  Luc.,  xxn,  32.  —  «  Luc,  xxiv,  34.  —  «  Matth.,  xvii,  16.  —  "^  Conc. 
Trid.,  sess.  iv. —  >  Non  enim  dicit  :  Tu  es  Ghristus,  Filius  Dei,  absque 
tfticok)^  sed  cum  articuk)  ^  ilie  Filius,  hoc  est  ille  ipse  qui  solus  est  et 
UHtQs,  non  gratia  filkiS)  sed  ex  ipsa  Patris  âubstantia  genitus.  Theophyl.,' 
Enarr.  in  Matth.  -' 

m.  '  17 


iè90  JËSUS-CHRIST  âELON   L*ÉYANÔ1LÊ.  [n^  Ifô 

plus  parfaite  *.  —  D'ailleurs,  si  S.  Pierre  disait  seulement 
que  Jésus-Christ  est  un  enfant  de  Dieu,  fils  d'adoption  comme 
nous  le  sommes  tous,  que  dirait-il  de  plus  à  sa  gloire  que 
ceux  qui  l'appellent  un  prophète,  Elie,  Jérémie,  Jean-Baptiste? 
Quelle  raison  aurait  Notre  Seigneur  de  louer  sa  foi,  de  le 
féliciter  des  lumières  qu'il  a  reçues  du  ciel,  de  dire  qu'il  ne 
suit  pas  les  enseignements  de  hommes  :  Caro  et  sanguis  non 
revelavit  tibi  •? 

*  163.  —  Saiat  Pierre  est-il  le  premier  qui  ait  confessé  la  divinité 

de  Jésus-Christ? 

Notre  Seigneur  était  connu  depuis  longtemps  des  Apôtres, 
non  seulement  comme  Messie  *,  mais  encore  comme  Fils  de 
Dieu  et  comme  Dieu  ^.  Il  leur  avait  été  signalé  en  cette  qua- 
lité par  S.  Jean-Baptiste  ^  D'ailleurs  ce  n'est  pas  en  son  nom 
seulement,  mais  au  nom  de  tous  ses  collègues,  que  S.  Pierre 
rend  témoignage  au  Sauveur  *.  — Mais  ce  qu'on  peut  affir- 
mer à  son  éloge,  c'est  qu'en  cette  circonstance,  il  devance 
tous  les  autres,  que  son  témoignage  est  plus  exprés,  plus  so- 
lennel, que  sa  foi  est  plus  ardente  et  plus  énergique.  Dans 
ce  sens,  il  est  juste  de  dire  avec  S.  Léon  :  Primus  estDomini 
cmfessione  qui  primm  erat  in  apostolicadignitate'^.  Quand 
Notre  Seigneur  demande  :  Quem  me  esse  dicitis?  il  ne  répond 
pas  :  Dico  te  esse  CAm^um^  mais  de  la  manière  la  plus  ferme  : 
Tu  es  Christu^  :  «  Vous  êtes  le  Messie  promis;  »  puis,  après 
avoir  répété  les  paroles  de  Nathanael  :  Tu  es  Filius  Dei^ 
0  ïtoç  Toj  Beou  %  il  ajoute  ce  mot,  tou  Çwvto;  par  lequel  les 
Israélites  distinguaient  le  Dieu  véritable  des  vaines  divinités 
du  paganisme  ^  Il  est  probable  que  pour  un  certain  nombre 

1  Nam  multi  erant  christi,  sacerdotes  et  reges,  sed  Christus  cum  arti- 
cule unus  est.  Theophyl.,  In  Matth.,  xvi,  16.  —  *  Cf.  Matth.,  xi,  27; 
Gal.,i,  16;  II  Cor.,  xi,  23.  Brev.  rom.,  18/flnv.,  lect.  m;  22  feb,^  29 /«"-i 
lect.  vu-ix;  Infra,  n.  464,  465.  —  3  Joan,,  i,  41;  iv,  29.  —  ♦  Cf.  Mattli., 
I,  23;  XIV,  33;  Luc,  i,  32,  43;  m,  15-17;.  v,  8j  JoaQ.,  i,  49;  vi,  70.  — 
6  Joan.,  I,  32-34.  Cf.  Matth.,  su,  17;  Joan.,  m,  31,  35,  36.  —  «  MatUi., 
XVI,  15.  Cf.  S.  Hieron.,  In  hune  loc,  —  "^  S,  Léo.,  Serm.  iv,  n.  2.  — 
s  Joan.,  1 ,  49.  —  9  Ad  diBtinctioaem  eorom  dâomiQ  •  qui  pujbiatur  dii  s 
sed  mortui  sunt.  S.  Hieron.,  In  hune  loc. 


ïî»  164]  SA  VIE  PDBUQUE.'  —   SAINT  PIERRE.  291 

de  disciples,  ce  dogme  u'avait  pas  la  même  certitude  que  pour 
S.  Pierre,  et  que  sa  profession  de  foi,  à  Césajrée  comme  à 
Gapharaaûm,  est  une  protestation  contre  leurs  hésitations  et 
leur  infidélité  '. 

164.  —  Pourquoi  Notre  Seigneur  défend-il  à  ses  apôtres  de  prêcher  qu'il 
est  le  Christ,  Fils  du  Dieu  vivant,  comme  l'a  confessé  S.'  Pierre  *? 

Notre  Seigneur  avait  plusieurs  raisons  pour  recommander 
aui  ÀpQtres  dé  ne  pas  commeacer  sitôt  à  le  faiire  connaître 
comme  Messie  et. comme  Fils  de  Dieu  :  —  1*»  U intérêt  des 
dmes.  Ce  diviû  Maître  leur  disait  encore  au  dernier  jour  de 
sa  vie  qu'il  y  avait  des  vérités  qu'ils  n'étaient  pas  disposés  à 
entendre,  et  qu'il  ne  devait  pas  Jeur  révéler  '  :  est-il  éton- 
nant que  le  peuple  ne  fût  pas  préparé,  dès  le  début  de  son 
minisfere,  à  reconnaître  sa  nature  divine  et  à  se  soumettre  à 
son  autorité?  Qu'on  remarque  avec  quelle  prudence  il  pro- 
cède dans  la  révélation  de  ses  mystères,  de  celui  de  l'Eucha- 
ristie par  exemple.  Il  commence  par  y  faire  allusion  ;  il  en 
parle  ensuite  d'une  manière  voilée.;  puis  il  en  montre 
comme  une  ébauche  dans  la  multiplication  des  pains.  Qe- 
vait-il  user  de  moins  de  circonspection  dans  la  révélation 
de  sa  divinité?  Pour  en  convaincre  les  Juifs,  ne  convenait- 
il  pas  qu'il  relevât  d'abord  la  bassesse  de  sa  condition  par 
Téclat  de  sa  doctrine  et  de  ses  miracles*?.  Ne.valaitril  pas 
mieux  leur  persuader  ce  dogme  par  ses  œuvres  que  de 
le  faire  proclamer  par  ses  disciples  *?  —  2*  L'intérêt  des 
Apôtres.  Avant  d'avoir  reçu  son  Esprit,  ils  n'avaient  ni 
assez  de  lumières  pour  bien  exposer  les  preuve  de  cette  vé- 
rité, ni  assez  de  constance  pour  supporter  les  persécutions 
qu'elle  leur  eût  attirées,  ni  assez  de  force  pour  triompher 
des  violences  et  des  ruses  de  leurs  ennemis.  •—  3°  L'intérêt 
même  de  son  œuvre,  si  l'on  peut  parler  aîn«i  d'une  œuvre  di-^ 
yine.  En  se  donnant  ouvertement  dès  le  début  pour  le  Fils 

*  Cf.  MatO^M  m,  13;  Joan.,  vi,  65,  66,  68,  7Q.  —  à.Matth.,.  xvi,  2Qi 
Cf.  Marc,  i,  25 ;  l-uc,  ïv,  35.  Infia,  n.  194,  327,  —  a Sap.,  vm, J  ;.xi,  U ; 
Joan.,.x,vr,  12.  —  *  Cf.  Mat^h.,  xi,  i,  5;  xxi,  14, 15.  —  »  Matth.,  j^h  33; 
Joan.,  IV,  29;  vi,  31#.46, 


292  JÉsuâ-GHïiist  SELON  l'ëVangilë.  [n®  165 

de  Dieu,  ou  même  pour  le  Messie,  il  eût  fourni  occasion  à 
des  soulèvements  populaires  en  Galilée  et  à  des  dénoncia- 
tions perfides  à  Jérusalem  *.  Il  eût  déchaîné  contre  lui  les 
passions  les  plus  furieuses  *.  Les  hommes  religieux  eux- 
mêmes  l'auraient  traité  de  blasphémateur,  et,  loin  devenir 
l'entendre,  se  seraient  fait  uii  mérite  de  fermer  l'oreille  à  ses 
discours  ou  de  le  lapider  avec  ses  Apôtres.  A  moins  de  pro- 
diges continuels,  quels  succès  eût-on  pu  attendre  de  sa  pré- 
dication*? Là  ou  ces  périls  sont  moins  à  craindre,  l'on  peut 
remarquer  qu'il  est  aussi  moins  réservé  \ 

L'Eglise,  en  établissant  dans  les  premiers  siècles  la  loi  du 
secret  sur  les  saints  mystères,  a  conformé  sa  discipline  aux 
exemples  du  divin  Maître  aussi  bien  qu'à  ses  maximes  *. 

*  165.  —  Jésus-Christ  a-t-il  conféré  dès  ce  moment  à  saint  Pierre 

son  autorité  et  ses  prérogatives? 

S.  Pierre  a  toujours  été  à  la  tête  du  collège  apostolique; 
mais  il  n'a  pas  toujours  été  le  Vicaire  de  Jésus-Christ.  Le 
Sauveur  ne  l'a  investi  de  son  autorité  sur  l'Eglise  entière 
qu'après  l'avoir  fait  prêtre,  au  moment  où  lui-même  allait 
disparaître  et  remonter  à  son  père  *.  Ainsi  le  divin  Maître 
s'est  conduit  à  son  égard  comme  à  l'égard  des  autres  Apôtres. 
Avant  de  lui  faire  exercer  son  autorité,  il  a  pris  soin  de  l'y 
préparer,  de  l'en  rendre  digne.  Pierre  avait  de  grandes  qua- 

1  Matth.,  XXVI,  60;  xxvii,  40.  —  ^  Joan.,  x,  Î4,  39.  —  3  Matth.,  x,  27, 
37,  38;  XII,  16.  Sciebat  et  docere  quod  proderat  et  non  docere  quod 
obérât.  S.  Aug.,  In  Ps.  xxxvi,  1.  Cf.  Lemann ,  le  Christ  rejeté,  1881. 
Infra,  n.  333,  337.  —  ^  Joan.,  iv,  42.  —  »  Nous  voyons  en  effet  que  les 
premiers  fidèles,  tout  en  reconnaissant  et  en  invoquant  explicitement 
la  sainte  Trinité,  étaient  fort  réservés  sur  la  divinité  du  Fils  et  du  Saint- 
Esprit  en  présence  des  païens.  Ils  se  bornaient  souvent  à  donner  le 
nom  de  Dieu  au  Père,  de  peur  de  faire  penser  qu'ils  n'admettaient 
pas  Tunité  de  Dieu  ou  que  leur  foi  renfermait  des  contradictions.  Cf. 
Matth.,  VII,  6;  xiii,  li;  xv,  20;  Marc,  iv,  10;  Luc,  ix,  36;  I  Cor.,  m, 
i,  2;  Heb.,  v,  2;  Constit,  Apost,,  ii,  57;  Omnibus  mysteriis  silentii 
fides  adhibetur.  TertuU.,  Apol.  7;  Prxscript.y  41;  Orig.,  Cont.  Cels.-, 
I,  7;  VI,  10;  S.  Basil.  De  spir,  sanctOy  21;  S.  Cyrill.  Hieros.,  Pr«/. 
Catech.  et  Catech.  vi;  S.  Aug.,  In  Ps.  cm;  Breviar.,  3  maiit  lect  viii; 
Wi«eman,  Confi  xvi«.  Transsubstantiation;  Martigny,  Sea^et.  Infini^ 
n.  194,  280,  450.  —  «  Joan.,  xxi,  15-17.  Infra,  n.  4, 


N«I66]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  NIGODÈME.  293 

lités.  II  est  iinpossible  de  ne  pas  admirer  sa  foi  S  son  humi- 
lité *,  sa  générosité  •,  son  amour  pour  son  Maître  *.  Notre 
Seigneur  Tencourage,  l'affermit,  l'anime  dans  la  pratique  de 
ces  vertus  ».  Mais  là  ne  se  bornent  pas  ses  soins  :  il  lui  si- 
gnale ses  imperfections  et  ses  défauts  '  ;  il  le  reprend  de  ses 
moindres  fautes  '';  et  suivant  la  remarque  des  saints  Docteurs, 
il  fait  en  sorte  que  ses  chutes  même,  par  le  repentir  qu'elles 
lui  inspirent,  contribuent  à  sa  sanctification  et  le  disposent 
à  son  ministère. 

§  IV.  —  NicoDÈME.  Joan.,  m,  1-21. 
*  166.  —  Qu'est-ce  que  Jésus-Christ  apprend  à  ce  docteur? 

On  ne  saurait  trop  étudier  l'instruction  du  divin  Maître  à 
ce  docteur  de  la  Synagogue.  Elle  résume  les  vérités  les  plus 
essentielles  et  les  plus  relevées  du  christianisme  : 

I.  Tout  ce  qui  concerne  le  baptême  :  —  1*  La  nécessité 
pour  chaque  homme  de  renaître  '  spirituellement,  c'est-à- 
dire  de  mourir  à  lui-même,  aux  inclinations  déréglées  qu'il 
tient  de  la  nature,  et  d'acquérir  un  nouvel  être,  un  nouvelle 
vie,  une  vie  surnaturelle  et  divine,  afin  d'arriver  au  ciel, 
3-7.  —  2**  Le  rite  extérieur  par  lequel  la  grâce  de  la  régéné- 
ration doit  être  conférée,  ou  le  sacrement  de  baptême,  sa 
nécessité  absolue  et  universelle,  sa  matière  et  son  effet  par- 
ticuliers*. '- — 3*  La  cause  efficiente  de  cette  régénération, 
qui  est  l'Esprit  saint,  5.  —  4^  Sa  cause  méritoire,  qui  est 
la  croix  du  Sauveur  ou  le  sacrifice  de  l'Homme-Dieu,  14, 17. 
—  5"  Sa  cause  déterminante,  qui  est  la  charité  de  Dieu 
envers  nous,  16-17.  —  6"  L'opposition  qu'on  peut  mettre 

4  Matth.,  XIV,  28,  xvi,  16;  Joan.,  vi,  69.  —  «  Luc,  v;  8;  xxn,  61,  62; 
Joan.,  xin,  6.-8  Matth.,  iv,  20;  xix,  27;  Joan.,  xiii,  37.  —  *  Matth., 
XVI,  22;  XXVI,  58.;  Luc,  xxii,  33;  xxiv,  12.  —  s  Matth.,  xiv,  29;  xvi,  18; 
XIX,  Î8.  —  «  Matth.,  XIV,  31;  xxvi,  40.  —  ^  Matth,,  xvi,  23;  xxvi, 
54,  40;  Marc,  viii,  33;  Luc.,  xxii,  61.  —  *  Tewa^Ooti  avco6ev,  nasci  denuo. 
Cf.  Gai.,  IV,  9.  Sicut  homines  non  nasceréntur  injusti ,  nisi  ex  semine 
Adç  propagarentur,  ita  niai  in  Christo  renascerentur,  justi  non  cUice' 
reatur.  Conc.  Trid.,  sess.  vi,  3.  —  •  Cf.  Conc  Trid.,  aess.  vu,  can.  2; 
P9.  L,  9;  Ezec,  XXXVI,  25. 


294  j^sts-CHRïST  SELON  l'évangile:  [A«  167 

aux  desseins  de  Dieu,  eh  fermant  les  yeux  à  la  lumiète 
de  la  foi  du  en  refusant  d'observer  les  préceptes  qu'elle 
impose,  18-21  *.  Toute  cette  doctrine  implique  ce  principe, 
que  celui  qui  a  fait  l'homtne  peut  seul  lé  réformer,  ou  que 
celui  qiii  nous  a  dbntié  la  vie  de  la  grâce  peut  seul  nous  la 
rendre  *. 

II.  Plusieurs  autres  dogmes  très  importants  :  -—  La  Tri- 
nité, 8,  17,  18;  —  rincarnation,  13,  18;  —  la  divinité  du 
Sauveur,  16-18;  —  l'universalité  de  la  Rédemption,  18-17; 
—  la  nécessité  de  la  foi  pour  le  salut,  14, 18. 

167.  —  Qaelles  sont  les  paroles  les  plus  remarquables  du  divin 

Maître  à  Nicodème? 

Plusieurs  paroles  du  divin  Maître,  non  moins  profondes 
que  simples,  demandent  une  attention  particulière. 

1**  Le  verset  8  :  Spiritus  uM  vult  spirat.  —  Par  «ptnftw, 
S.  Augustin  et  un  bon  nombre  d'interprètes  entendent  l'Es- 
prit saint,  To  IlvsuiJia  •.  Maïs  S.  Chrysdstome  et  le  plus  grand 
nombre  des  commentateurs  l'entendent  de  l'air  en  mouve- 
ment ou  du  vent,  spiritia,  image  du  Saint-Esprit.  Suivant 
eux,  Nicodème  s'étonnant  des  effets  mystérieux  que  Notre 
Seigneur  attribue  à  rEsprit  saint  et  se  demandant  où  l'on 
voit  des  hommes  régénérés  par  lui,  le  divin  Maître  lui 
montre  une  chose  non  moins  mystérieuse  dans  la  nature. 
«  Le  vent,  dit-il,  souffle  librement;  et  quoique  les  effets  en 
soient  sensibles,  nul  ne  peut  dire  son  point  de  départ  ni 
son  point  d'arrêt.  Tel  est  l'esprit  de  Dieu  ;  tels  sont  ceux  qui, 
par  une  nouvelle  naissance,  lui  sont  devenus  semblables.  On 
ne  voit  pas  les  principe  qui  les  régénère,  ni  la  fin  à  la- 
quelle il  les  conduit;  mais  son  influence  sur  eux  est  mani- 

*  s.  Aog.,  In  Joan.f  xii.  —  '  Ego  creavi,  ego  recreo;  ego  fonnavi,  ego 
reforme  ;  ego  feci,  ego  rcficio.  S.  Aug.,  In  Ps,  xlv,  U.  —  »  Nemo  videt 
Spiritum  sanctum;  et  quomodo  audimus  Vocem  Spiritas?  Sonat  psal- 
mas  :  vox  est  Spiritus  ;  sohat  evàhgelium  :  vox  est  Spiritus  ;  sonat 
sermo  divinùs  :  vox  est  Spiritus.  Vocem  ejus  audis,  et  nescis  unde 
veniat  aut  quo  vadat.  Sic  si  nasearis  et  tu  dé  Spîritu ,  hoc  eris  ut  HVq. 
Qui  non  est  adhuc  natus  de  Spiritu,  non  sciet  de  te  unde  venias  aut 
quo  eas.  In  Joan.^  xii,  5. 


nM67]  sa  vie  publique.  —  nicodème.  298 

feste  et  constante.  »  Le  mot  èic  semble  en  effet  exiger  une 
comparaison  *. 

2*  Le  verset  14  :  Sicut  Moyses  eœaltavit,  etc.,  qui  nous  met 
devant  les  yeux  une  des  plus  belles  figures  du  sacrifice  du 
Sauveur  et  de  ses  effets  salutaires  *.  Il  répugnerait,  en  effet, 
de  ne  voir  qu'un  jeu  de  hasard  dans  les  rapports  signalés 
entre  le  serpent  d'aîrain  et  la  croix  du  Sauveur,  et  Fon  est 
forcé  de  reconnaître  en  cet  endroit  une  prophétie  expliquée 
par  une  autre  prophétie.  Non  seulement  le  Fils  de  Dieu  s'est 
rendu  semblable  aux  pécheurs  et  à  Adam  leur  père  en  toutes 
choses,  sauf  le  péché,  comme  le  serpent  d'airain  était  sem- 
blable aux  serpents  venimeux  sans  en  avoir  le  venin  ;  non 
seulement  il  a  voulu  être  élevé  et  fixé  sur  la  croix  aux  yeux 
du  monde  entier,  comme  le  serpent  d'airain  l'a  été  devant 
le  peuple  d'Israèl  ;  mais  comme  cette  image,  comme  ce  signe 
figuratif,  il  gUérit  de  toute  morsure  envenimée  quiconque 
élève  vers  lui  un  regard  de  confiance  et  d'amour,  et  nul 
de  ceux  qui  sont  infectés  du  péché  ne  peut  se  sauver  sans 
se  tourner  vers  lui  et  invoquer  sa  grâce  •.  D'uii  côté  comme 
de  l'autre,  la  vie  naît  de  la  mort,  et  c'est  la  vue  d'un  mort 
qui  rend  la  vie. 

3*  Le  verset  16  :  Sic  Deus  dilexit  mnndum,  dans  lequel 
S.  Jean,  parlant  en  son  nom  ou  continuant  à  résumer  les 
paroles  du  divin  Maître,  nous  montre,  dans  l'Incarnation  et 
le  dévouement  du  Rédempteur,  l'indice  et  la  mesure  de 
l'amour  de  Dieu  pour  les  hommes.  Jamais,  en  effet,  on  n'a 
eu  l'idée  de  cet  amour  sans  la  connaissance  de  ces  mystères, 
et  quiconque  les  connaît  se  sent  obligé  d'admirer  et  de  bénir 
infiniment  la  divine  bonté.  On  ne  conçoit  pas  d'amour  plus 
spontané,  plus  généreux,  plus  libéral.  Ce  n'est  pas  un  ange 
que  Dieu  donne  aux  hommes  pour  expier  leurs  crimes  : 
c'est  son  Fils,  son  Fils  unique,  infiniment  parfait  *.  Ce  n'est 

*  Cf.  Eiec,  XXXVII,  9;  Joan.,  xx,  22;  Act.,  ii,  2.  Infra,  n.  474,  avant- 
dernière  note.  —  s  Num.,  xxi,  5-9.  —  3  Sap.,  xvi,  6;  Joan.,  vi,  40.  Ad 
figuras  Ghristus  remisit,  ut  discerent  veteram  cum  noyis  cognationem, 
wirentque  hœc  non  esse  aliéna.  S.  Clirys,,  In  Joan.,  xxvii,  2,  — 
^Matth.,  m,  17;  Rom.,  vm,  32.  Cf.  Gen.,  xxii,i,  2;  Heb.,  xi,  17-19: 


296  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n^  168 

pas  un  prêt  ou  un  échange  qu'il  daigne  leur  faire  en  l'en- 
voyant sur  la  terre  :  c'est  un  don  et  un  abandon  sans  ré- 
serve. Ce  n'est  pas  à  des  sujets  soumis,  respectueux,  dis- 
posés à  lui  rendre  hommage,  qu'il  le  livre  :  c'est  à  des 
rebelles  qui  doivent  l'attacher  à  une  croix  et  le  mettre  à 
mort.  Et  il  ne  lui  suffit  pas  de  nous  délivrer  du  plus  grand 
des  maux  au  prix  du  sang  de  son  Fils  :  il  daigne  encore,  en 
considération  de  son  sacrifice,  nous  mettre  en  possession  du 
souverain  bien.  Tout  ce  que  le  Sauveur  a  mérité,  tout  ce 
qu'il  possède  et  qu'il  peut  nous  donner,  nous  est  offert  en 
partage,  à  la  seule  condition  de  croire  en  lui  et  de  l'aimer  *. 
Gomment  ne  pas  reconnaître  ce  que  dit  ailleurs  S.  Jean,  que 
Dieu  est  la  charité  môme  et  que  notre  premier  devoir  est  de 
l'aimer  de  tout  notre  cœur  *  t 

168.  —  Quel  est  le  sens  de  ce  mot  :  royaume  de  Dieu,  employé  ici  par 
Notre  Seigneur  et  tant  de  fois  répété  dans  le  Nouveau  Testament? 

I.  Ce  mot,  royaume  de  Dieu,  employé  plus  de  cinquante 
fois  par  S.  Marc  et  S.  Luc;  celui  de  royaume  des  cieux^  non 
moins  souvent  répété  par  S.  Matthieu  ';  ceux  de  royaume  du 
Christ  *  ou  simplement  du  royaume  par  excellence,  r,  ^aoi- 
Xeta  •,  semblent  pris  indistincteuïent  ou  à  peu  près  dans  le 
même  sens.  Ils  sont  propres  à  la  révélation  chrétienne,  dit 
S,  Augustin  ^  Néanmoins  l'expression  royaume  des  cieux 

.1  Cf.  II  Cor.,  V,  14,  15.  Tit.,  îii,  4-7;  I  Jean.,  iv,  1,  2,  9,  16,  42.  - 

2  Si  totuffl  me  debeo  pro  facto ,  quid  pro  relecto  et  rofecto  tali  modo? 
S.  Bèrn.,  De  dilig.  DeOy  6.  Cum  ei  donavero  quidquid  sum,  quidqnid 
poâsum,  nonne  istud  totum  est  sicut  Stella  ad  solcm,  gutta  ad  fliivium? 
Non  habeo  nisi  minuta  duo,  imo  minutissima,  corpus  et  animam,  vel 
potios  unum  minutum ,  voluntatem  meam  ;  et  non  dabo  illum  ad  Tolun- 
tatem  illius  qui  tantus  tantillum  tantis  beneficiis  prevenit  !  Serm.  de 
quadr.  debUo.  Cf.  Lesëius,  De  pei^f,  divin,,  ix,  4;  Tolet,  In  Joan.  — 

3  S.  Jean  n'emploie  que  cinq  fois  celui  de  royaume  de  Dieu  ou  de 
royaume  du  Christ.  —  *  Matth.,  xx,  21  ;  Luc,  xxii,  30;  Joan.,  xviii,  36; 
Eph.,  V,  5;  Col.,  i,  13;  II  Tim.,  iv,  1,  18;  II  Petr.,  i,  11.  —  5  Matth., 
IV,  23;  vni,  12;  ix,  35;  xxiv,  14;  Luc,  xxii,  29.  —  ^  Regnum  codonim 
ori  ejus  nominandum  servabatur  quem  rcgem  ad  regendos  et  sacerdoteiu 
ad  sanctificandum  fidèles  sues  universus  ille  apparatus  veteris  Instni- 
menti  in  generationibus,  factis,  dictis,  sacriflciis  et  rébus  gestis  etreruni 
llguris  parturjebat  esse  yenturum.  Cont,  Faust, ^  JUJC,  ^ixi.  Cf,  IX,  x, 


'û 


NO  168]  SA   VIE  Pl'BLlQDE.  —  NICODÉME.  297 

était  déjà  employée  par  le  Précurseur  pour  annoncer  Tavè- 
nement  du  Sauveur*,  et  nous  avons  lien  de  croire  qu'elle 
était  dès  lors  en  usage  pour  désigner  Tœuvre  du  Messie  ou 
le  nouvel  état  religieux  et  politique  qu'on  s'attendait  à  lui 
voir  fonder. 

II.  Dans  l'esprit  de  Notre  Seigneur,  ces  mots  avaient  un 
sens  non  moins  précis  qu'étendu.  Ils  signifiaient  la  société 
chrétienne,  l'Eglise  dont  il  devait  être  le  fondateur  et  le 
chef;  le  grand  royaume  prédit  par  Daniel  •,  comme  supé- 
rieur à  tout  autre  :  royaume  véritablement  céleste,  qui  ne 
tire  d'ici  bas  ni  son  origine,  ni  son  autorité,  ni  sa  constitu- 
tion, ni  sa  hiérarchie;  royaume  surnaturel,  qui  n'admet 
dans  son  sein  que  des  hommes  régénérés,  élevés  à  la  dignité 
d'enfants  de  Dieu*;  royaume  universel,  dont  l'autorité 
s'étend  sur  le  monde  entier  et  qui  aspire  à  s'incorporer  tous 
les  peuples  *  ;  royaume  toujours  combattu  et  toujours  in- 
complet sur  la  terre;  royaume  éternel  néanmoins,  qui  ne 
finira  pas  ici-bas  avant  la  fin  des  temps,  et  qui  doit  se  per- 
pétuer et  se  consommer  dans  le  ciel  pour  l'éternité.  Mais  il 
s'en  faut  que  ces  expressions  aient  éveillé  dès  lors  des  idées 
aussi  nettes  et  aussi  exactes  dans  tous  ceux  qui  les  enten- 
daient. Comme  elles  n'énonçaient  clairement  qu'une  chose 
à  savoir  que  le  Messie  régnerait  et  que  sa  royauté  ne  serait 
pas  terrestre  comme  les  autres,  elles  permettaient  à  chacun 
de  faire  ses  conjectures  et  de  garder  les  vues  qu'il  pouvait 
avoir  sur  les  caractères,  les  prérogatives  et  les  destinées  de 
cette  royauté  à  venir.  On  ne  Ten  désirait  pas  avec  moins 
d'ardeur  :  au  contraire.  Ce  qu'il  y  avait  de  vague  dans  l'idée 
p'on  s'en  formait  servait  à  écarter  les  difficultés  ;  et  les 
ennemis  du  Sauveur,  comme  ses  disciples,  s'accordaient 
pour  désirer  de  voir  bientôt  s'accomplir  les  desseins  du  ciel. 

m.  Notre  Seigneur  aurait  pu  sans  doute  préciser  son 
langage  et  dire  nettement  ce  qu'il  se  proposait;  mais  il  ne 
crut  pas  le  devoir  faire  à  son  début,  soit  pour  ne  pas  exciter 
trop  vivement  la  haine  de  ses  ennemis,  soit  pour  ne  pas 

m 

*  Matth.,  m,  2.  —  »  Dan.,  n,  44;  vu,  13,  14,  22,  27.  —  »  Joan.,  ui,  5. 
-  *  Matth.,  XXVIII,  18-20. 

i7^ 


898  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'ÉVANGILE.  [NM68 

mettre  la  foi  de  ses  disciples  à  mie  trop  grande  épreuve.  H 
prend  donc  son  temps  et  met  tous  ses  soins  à  disposer  les 
esprits.  A  mesiire  que  les  préjugés  des  Apôtres,  se  dis^ipeotj 
il  leur  découvre  l-objet  de  sa  mission  et  le  caractère  de  son 
œuvre.  Il  leur  fait  sentir  que  le  salut  dont  il  est  le  principe 
est  celui  des  âmes  ;  que  les  ennemis  qu'il  doit  soumettre, 
c'est  le  démon,  la  chair  et  le  péché  ;  que  ce  qui  importe  à  la 
gloire  de  Dieu,  ce  n'est  pas  que  tel  prince  ait  l'empire  ou 
que  telle  nation  domine  :  c'est  que  son  nom  soit  respecté  et 
qu'il  ait  pour  toute  la  terre  des  adorateurs  en  esprit  ^t  en 
vérité.  Ses  paraboles  du  royaume  des  cieux  '  lui,serveut  ad- 
mirablement à  éclaircir  et  préciser  son  dessein,  m  montrant 
en  quoi  ce  royaume  est  conforme  ou  opposé  aux  divers 
types  auxquels  il  peut  être  comparé.  Ainsi  parvient*il  à 
faire  comprendre  que  la  société  dont  il  sera  le  fondateur, 
bien  qu'extérieure  et  visible  ',  aura  pour  uniques  fin  la  per- 
fection intérieure  et  le  bien  spirituel  des  âmes';  que  cette 
société,  qui  existe  déjà  en  germe  *,  va  recevoir  bientôt  un 
vaste  accroissement*;  que  le  bien  et  le  mal  qui  se  mêlent 
dans  son  sein  continueront  à  être  mêlés  sur  la  terre  •,  mais 
qu'elle  doit  être  un  jour  épurée  avec  soin  '  ;  que  la  vie  pré- 
sente est  pour  elle  un  temps  de  travail  et  d'épreuve,  et  la 
vie  future  celui  de  la  récompense  et  du  bonheur  *.  Toutefois 
ces  éclaircissements  sont  encore  loin  de  dissiper  toute  obs- 
curité. Il  ne  parait  pas  que  Notre  Seigneur  se  soit  expliqué 
complètement  avant  sa  mort  sur  la  constitution  de  l'Eglise 
sur  son  organisation,  sur  sa  hiérarchie.  Pour  découvrir 
tout  à  fait  ses  plans,  il  voulut  attendre  que  sa  résurrection 
en  eût  rendu  le  succès  indubitable,  en  faisant  éclater  sa 
toute-puissance  et  sa  divinité.  Encore  fallut-il  la  venue  du 
Saint-Esprit  pour  en  donner  aux  Apôtres  une  pleine  intelli- 
gence et  pour  les  rendre  capables  de  les  réaliser. 

i  Matth.,  xiiK  —  3  Mattli.,  xiii,  31,  32;  xvi,  i8.  —  '  Luc,  xvii,  21. 
Cf.  Rom.,  XIV,  17;  I  Cor.,  iv,  20.  —  *  Mattb.,  xi,  12;  Luc,  xvi,  16.  — 
7  Matth.,  XIII,  31-33;  Marc,  iv,  30;  Luc,  xiii,  19,  29.  —  «  Matth.,  xxn, 
1-14  ;  Luc,  XV,  1-7.  —  ^  Maith.,  xiii,  40-43,  47,  48.  —  «  Matth.,  xx,  1-16; 
XXV,  14-30;  Luc,  xix,  12-27. 


N0  169J        SA   VIE  PUBLIQUE.  —  MARIE-MADELEINE.  2Ô9 

§  V.  —  ttUmE-MADEUViiiB  *.  Luc,  VII,  86-50;  X,  S8-4Î,  etc. 

*  169.  —  Quels  symboles  et  quelles  instructions  trouve-t-on  dans  les 
visites  que  Notre  Seigneur  a  faites  à  Simon  le  Pharisien  et  aux  deux 
sorars,  Marthe  et  Marie  ? 

I.  Chacune  de  ces  scènes  offre  un  caractère  symbolique. 
—  1°  Dans  la  première,  la  pécheresse  représente  évidem- 
ment les  peuples  gentils  qui  allaient  se  convertir  et  se 
purifier  par  une  pénitence  éclatante,  tandis  que  Simon  re- 
présente la  nation  juive,  nation  éclairée,  orthodoxe,  mais 
défiante,  orgueilleuse,  incrédule  et  jalouse  •.  —  2*»  Dans  la 
seconde,  dit  M.  Ollier,  Marthe  figure  la  vie  active,  qui  est 
la  vie  commune  des  chrétiens  en  ce  monde,  et  Marie  la  vie 
contemplative,  dont  l'état  des  Bienheureux  est  le  type  glo- 
rifié ».  Ces  deux  vies  doivent  être  dans  TEglise  comme  deux 
sœurs,  s'estimer  et  se  soutenir,  sans  se  porter  envie,  ni  se 
troubler  l'une  l'autre.  Dans  l'état  religieux,  voué  spéciale- 
ment à  la  contemplation,  il  faut  prendre  garde  que  Marie 
ne  regarde  pas  derrière  elle,  qu'elle  ne  reprenne  pas  ce  â 
quoi  elle  a  renoncé  pour  Dieu  *. 

Cette  signification  symbolique  est  la  raison  pour  laquelle 
on  lit,  à  la  messe  de  l'Assomption,  l'évangile  de  Marthe  et 
de  Marie.  Quoi  de  plus  naturel  que  d'attribuer  ce  jour-là  à 
l'Eglise  militante  les  plaintes  de  Marthe  et  d'appliquer  à 
la  sainte  Vierge  les  paroles  du  Sauveur  sur  le  bonheur  de 
Marie»! 

IL  Unum  est  necessarium^  dit  le  divin  Maître*;  vérité 
simple  et  solide  autant  qu'importante  et  féconde,  que  les 
sages  du  monde  n'ont  jamais  enseignée  ni  comprise.  Les 

*  /n/Va,  n.  377.  —  «  Cf.  S.  Aug.,  Serm.  xliv.  —  a  S.  Aug.,  Cont.  Faust., 
xxn,  5E;  S.  Greg.  M.,  In  Ezec.,  Hom.  xiv.  S.  Thom.,  2»  2»,  q.  179-182. 
Cf.  Luc,  X,  39  et  Act.,  xxii,  3.  —  ♦  Félix  domus  et  beata  semper  çon- 
gregatio,  ubi  de  Maria  conqueritur  Marthal  nam  Mariam  Marthas  semu- 
lari  indignum  prorsus  arbitror.  S.  Bern.,  Sei^m,  m,  in  Assumpt,  Cf. 
Bccli.,  xxxu,  9;  S-.  Aug.,  Epist.  cxix;  S.  Greg.,  In  Job.,  lib.  xxx,  16; 
S.  Berû.,  In  Cant.,  ui.  —  »  Cf.  S.  Hildeph.,  de  Assumpt.,  Serm.  v.  — 
•Luc,  X,  42.  Cf.  Ps.  xxn,  4;  Matth.,  vi,  26,  33;  xvi,  26;  I  Cor.,  vn,  32; 
Phil.,  ra,  14.      -     .         . 


300  JÉSUS-CHRiST  SELON  l'ÉVANGILE.  [n®  170 

soins  d'ici-bas  ont  leur  raison  d'être,  et  s'ils  sont  inspirés 
par  de  saints  motifs,  ils  contribuent  à  glorifier  Dieu  et  à 
nous  unir  à  lui;  mais  il  n'y  a  qu'une  chose  estimable  et  dé- 
sirable par  elle-même,  c'est  cette  union  avec  Dieu  en  son 
divin  Fils  ;  c'est  cette  connaissance  et  cet  amour  du  souve- 
rain bien  K  Heureux  ceux  qui,  à  travers  toutes  les  vicissi- 
tudes, ne  cessent  jamais  d'y  tendre  par  le  désir  de  leur 
cœur  î  Plus  heureux  ceux  qui  ont  renoncé  à  tout  pour  cet 
unique  partage  :  il  fera  leur  gloire  dans  le  ciel,  après  avoir 
fait  leurs  délices  sur  la  terre  !  Non  auferetur  ab  eis  *. 

*  170.  —  Comment  faut-il  entendre  cette  parole  de  Notre  Seigneur  sur 

la  pécheresse  :  Bemitiuntur  ei  peccata  multa^  quoniam  dilexit  mul- 
tum,  Luc,  vu,  47? 

Considéré  en  lui-même,  le  verset  47  semble  clair.  Il  n'y  a 
de  difficulté  que  si  on  le  rapproche  des  versets  42  et  43,  et 
si  l'on  suppose  qu'il  en  est  la  conséquence  ou  la  confirma- 
tion. C'est  ce  que  font  communément  les  commentateurs, 
les  catholiques  aussi  bien  que  les  protestants.  Ceux-ci,  ne 
voulant  pas  attribuer  la  rémission  des  péchés  à  la  charité, 
mais  seulement  à  la  foi,  disent  que  oTt,  rendu  par  quoniam 
devait  l'être  par  ideo,  qu'il  équivaut  à  notre  mot  car^  le- 
quel exprime  non  la  relation  de  la  cause  à  l'effet,  mais  celle 
de  la  preuve  à  la  chose  prouvée.  Le  sens  est  donc,  selon 
eux  :  «  Beaucoup  de  péchés  lui  sont  remis  ',  car  elle  aime 
beaucoup  :  sa  grande  ferveur  atteste  un  généreux  pardon.  > 
Notre  Seigneur  ferait  ici  à  la  pécheresse  l'application  du 
principe  énoncé  aux  versets  42,  43.  Les  autres  soutiennent 
que  la  Vulgate  a  eu  raison  de  rendre  on  par  quoniam  et  de 
traduire  :  «  Elle  a  obtenu  un  grand  pardon,  parce  qu'elle 
avait  une  grande  charité;  »  et  ils  déduisent  ce  sens  du 
verset  42,  en  substituant  au  mot  diligit  celui  de  dUeœit  ou 

1  I  Cor.,  VI,  17.  —  2  Luc,  x,  42.  Cf.  Joan.,  xvii,  2.  Gontemplatio 
inchoatur  in  via,  sed  perficitur  in  patria.  S.  Greg.,  M,  S.  Aug.,  Serm,  cm, 
Giv.  Breviar.,  21  dec,  lect.  7.  «  Le  parti  que  Luc  a  tiré  de  Marie  et  de 

•  Marthe,  sa  sœur,  est  merveilleux.  Aucune  plume  n'a  laissé  tomber  dix 
lignes  plus  charmantes.  »  M.  Renan.  —  3  Ai  a(ia(>Tat  aviT)(  at  TcoXXat,  47. 


îrM70]        SA   VIE  PUBLIQUE.  —  MARIE-MADELEINE.  301 

diligere  solet,  qu'ils  disent  rendre  mieux  la  pensée.  Ni  l'un 
ni  l'autre  de  ces  sentiments  de  nous  paraît  solide.  Nous  ne 
voyons  pas  de  raison  pour  substituer  ideo  à  quoniam^  et 
moins  encore  pour  remplacer  diligit  ou  plutôt  dUiget, 
Tfii:T,(5Ei^  42,  par  dilexit  ou  diligere  solet^.  Nous  pensons 
qu'il  faut  traduire  les  deux  passages  indépendamment  l'un 
de  l'autre,  et  laisser  simplement  à  chacun  son  sens  naturel. 
D'abord  le  divin  Maître  fait  remarquer  que  si  la  pécheresse 
a  plus  reçu,  elle  doit  avoir  plus  de  reconnaissance,  43.  Puis 
il  ajoute  qu'ayant  aimé  davantage,  elle  a  dû  recevoir  une 
plus  grande  grâce,  47.  Ces  deux  choses  ne  sont  pas  iden- 
tiques ni  essentiellement  liées  ;  mais  elles  ne  sont  pas  non 
plus  opposées  :  elles  sont  plutôt  complémentaires.  La  cha- 
rité avec  la  foi  précède  et  amène  le  pardon  ;  mais  le  par- 
don confirme  et  accroît  la  charité  :  il  l'anime  et  la  porte  au 
comble. 

On  remarquera  la  dernière  parole  du  Sauveur  à  la  péche- 
resse :  Fides  tua  te  salvam  fecit,  50.  En  la  rapportant, 
S.  Luc  confirme  le  grand  principe  de  S.  Paul,  son  maître, 
que  ce  ne  sont  pas  les  œuvres  qui  justifient,  mais  bien  la 
foi,  une  foi  vive,  animée  par  la  charité  '.  Ce  qui  a  effacé  les 
péchés  de  cette  femme,  ce  ne  sont  pas  en  effet  ses  obser- 
vances, ses  expiations  légales  :  on  n'en  voit  aucune  ;  ce 
|.  n'est  pas  non  plus  la  parole  de  Notre  Seigneur,  50  :  ses 
péchés  étaient  déjà  effacés  auparavant,  47.  C'est  donc  sa  foi, 
sa  foi  vive  et  ardente,  50,  cette  foi  au  divin  Sauveur  qu'elle 
a  conçue  sur  le  rapport  qui  lui  a  été  fait,  37,  et  qui  lui  a 
inspiré  un  acte  de  pénitence  et  de  charité  si  touchant, 
44-46. 


^  Dictnra  est  propter  Pharisieum  itlum  qui  vcl  nulla  vel  pauca  se 
putabat  habcre  peccata...  O  Pharisœe,  ideo  parum  diligis,  quia  parum 
tibi  dimitti  suspicaris;  non  quia  parum  tibi  diuiittitur,  sed  quia  parum 
pntas  esse  quod  dimittitur.  S.  Aug.,  Serm.  xcix,  6.  Cf.  S.  Greg.  M., 
/»  Ei)ang,j  Homil.  xxiii,  —  2  Rom,,  m,  28;  Gai.,  v,  6.  Infra^  n.  216, 
604,  etc. 


302  •       JÉSUS-CHRIST  SEtON  l'évangile.  [n<»  i7l 

§  VI.  —  Les  Pabents  du  Sauveur. 

Sa  mère.  —  S.  Joseph.  —  Ses  frères  oa  membres  de  sa  famille. 

171.  —  N'est*il  pas  étonnant  qu'il  soit  si  peu  parlé  de  la  sainte  Vierge 

dans  TEvangile? 

Il  est  dit  peu  de  choses  de  la  sainte  Vierge  dans  l'Evan- 
gile, et  seulement  par  rapport  à  Notre  Seigneur,  Elle  n'y 
parle  que  sept  fois  *,  de  la  manière  la  plus  modeste.  Mais  ne 
convenait-il  pas  qu'elle  s'effaçât,  comme  S.  Jean-Baptiste, 
devant  le  Verbe  fait  chair  *,  afin  que  toute  l'attention  se 
portât  sur  les  perfections  et  la  divinité  de  son  Fils  ?  Ne  fal- 
lait-il pas  attendre  qu'elle  eût  quitté  la  terre  pour  commen- 
cer à  exalter  ses  grandeurs?  D'ailleurs,  le  peu  de  mots  que 
l'Evangile  a  consacrés  à  Marie,  ou  qu'il  rapporte  d'elle, 
suffisent  pour  nous  donner  la  plus  haute  estime  de  ses  pré- 
rogatives et  de  sa  sainteté.  Nous  y  voyons,  en  effet,  sa  di- 
gnité de  Mère  de  Dieu  *,  de  Mère  du  Sauveur  *,  de  Mère  des 
chrétiens  %  avec  toutes  ses  vertus  :  sa  virginité  perpétuelle*, 
sa  foi  ',  son  espérance  ',  sa  charité  ',  sa  religion  *^,  son  hu- 
milité**, sa  tendresse  pour  les  hommes *%  sa  prudence", 
sa  modestie  **,  son  courage  **,  sa  sagesse  ",  sa  patience  *^ 
son  zèle  **,  la  générosité  et  l'efficacité  de  son  intercession  ", 
son  dévouement  particulier  pour  l'Eglise  et  pour  ses  mi- 
nistres ^^.  On  ne  trouvera  rieii  dans  les  auteurs  ecclésias- 
tiques qui  respire  plus  de  respect  et  d'admiration  pour  sa 
personne  que  le  récit  de  la  Visitation,  tracé  par  S.  Luc  ". 

1  Luc,  I,  34,  38,  40,  46;  ii,  48;  Joan.,  n,  3,  5.  —  «  Joan.,  in,  30-  — 
3  Luc,  I,  43;  Matth.,  ii,  11,  13.  —  ^  Joan.,  xix,  25,  Son  titre  de  Mère  de 
Jésus  est  répété  25  fois  dans  l'Evangile.  Or,  c*est  l'abrégé  de  toutes  ses 
grandeurs  :  Totum  in  hoc  clauditur  :  De  gua  nattis  est  Jésus,  S.  Tbom.  a 
Villan.  Cf.  S.  Thom.,  p.  3,  q.  28,  a.  3,  ad  6.—  »  Joan.,  xix,  27.  —  «  Matth., 

I,  20,  25;  Luc,  i,  35.  Cf.  Gai.,  iv,  4.-7  Luc.,.i,  38,  45.  —  »  Joan.,  ii,  5. 
—  »  Luc,  I,  39,  56;  ii,  7  ;  Joan.,  ii,  3;  xix,  25,  26.  —  lo  Luc,  i,  46,  47; 

II,  42.  —  1*  Luc,  I,  38,  48;  II ,  48.  ~  i»  Joan.,  ii,  3.  —  i3  Luc,  u,  19; 
Joan.,  Il,  5.  —  **  Luc,  i,  19;  ii,  48.  —  15  jQan.,  xix,  25.  —  *«  Joan., 
II,  5.  —  17  Matth.,  i,  19;  ii,  14;  Luc,  ii,  35.  —  *«  Joan.,  ii,  5.  Ônwia 
prsedicabilia  uno  verbo  prœdicavit,  dicens  :  Quodcumque  dixerit  vobis, 
facite.  Alb.  Magn.,  Super  Missus  est,  i.  —  i»  Joan.,  ii,  3,  5.  —  «o  Joan., 
XIX,  26.  Cf.  Act.,  I,  14.  -  2i  Luc,  i,  41,  47, 


ÎVO  172]  SA  vie  PUBLIQUE.  —  SES  PARENTS.  303 

172.  —  Ces  mots  de  Notre  Seigneur.:  Ecce  mater  mea  et  fratres  met, 
Matth.,  xiiy  49f  50  ;  Quinimo  ôeati  qui  audiunty  Luc,  xi,  28,  ne  ten- 
dent-ils pas  à  rabaisser  Testime  qu'on  avait  de  la  sainte  Vierge  ? 

Ces  paroles  ont  pour  but,  non  de  rabaisser  Teslrme  qu'on 
témoigne  de  sa  mère,  mais  de  faire  sentir  d'où  lui  vient  sa 
dignité,  et  en  même  temps  d'apprendre  à  ses  disciples  à 
quelle  hauteur  Dieu  élève  ceux  qu'il  unit  à  son  Fils  et  dont 
il  fait  ses  enfants.  Notre  Seigneur  s'adresse  à  ceux  qui  ne 
louaient  en  Marie  que  l'avantage  ou  l'honneur  de  l'avoir 
pour  fils.  Il  ne  veut  pas  qu'ils  louent  ou  qu'ils  estiment 
autre  chose  que  ce  qui  est  pour  une  créature  la  source  de 
tout  vrai  bien  :  la  fidélité  à  Dieu,  l'amour  de  sa  parote,  la 
soumission  à  sa  volonté  *.  La  gloire  dont  Marie  jouit  au 
ciel  est  la  récompense  de  ses  vertus,  et  la  dignité  même  à 
laquelle  elle  a  été  élevée  sur  la  terre  est  dans  un  sens  le 
fruit  de  ses  mérites.  Jamais  elle  ne  serait  devenue  la  mère 
de  Dieu,  si  elle  n'avait  été  la  plus  sainte  et  la  plus  fidèle  de 
toutes  les  créatures  ;  jamais,  toute  Mère  de  Dieu  qu'elle  est, 
elle  n'aurait  eu  la  gloire  dont  elle  jouit  au  ciel,  si  elle  n'avait 
correspondu  comme  elle  a  fait  aux  grâces  que  lui  a  values 
sa  divine  maternité*.  Nous  pouvons  donc  lui  appliquer 
littéralement  cette  parole  de  David  :  Omnis  gloria  ejtis  ah  in- 
tui\  et  dire  avec  Elisabeth  inspirée  par  le  Saint-Esprit: 
Beata  quœ  credidisti  t 

Qu'elle  soit  plus  admirable  encore  par  ses  mérites  et  par 
ses  vertus  que  par  le  rang  auquel  elle  a  été  élevée,  n'est-ce 
pas  ce  qui  doit  donner  la  plus  haute  idée  de  sj  perfection*? 
C'est  ainsi  que  cette  parole  :  Nemo  bonm  nisi  soltis  Deus  •, 

1  Non  sunt  verba  repudlantis  matrem,  sed  ostendentis  quod  nihil  ei 
partus  profuisset,  nisi  valde  bona  et  fidelis  foisset.  S.  Ghrys.,  In  Matth., 
Hom.  xuv.  —  8  ifratribus,  id  est,  secundum  carnem  cognatis  qui  non 
in  eiim  crediderunt,  quid  profuit  illis  cognatio?  Sic  et  materna  propin- 
quitas  nihil  Mariœ  proficeret ,  nisi  felicius  Ghristum  corde  quàm  carne 
gestasset.  S.  Aug.,  de  Virg.,  3;  Breviar.,  Vigil.  Asmmptj  lect.  i; 
Boordal.,  Aisompt*  —  »  Ps»  xliv,  14.  —  *  Magis  commendata  est 
B.  Virgo  per  Filii  verba  quam  per  verba  mulieris;  quoniam  in  rerbis 
JesQ  laadata  eM  ex  parte  afrîme,  in  verbis  mulieris  ex  parte  corporis. 
Cajetan^  In  hune  loc,  —  ^  Luc,  xviii,  19. 


304  .  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n®  173 

loin  de  diminuer  l'estime  que  nous  avons  de  la  bonté  du 
Sauveur,  doit  l'accroître  au  contraire  et  l'élever  au  plus 
haut  degré  *. 

,  *  173.  —  Qu'est-ce  que  l'Evangile  nous  apprend  sur  saint  Joseph? 

De  grandes  choses  en  peu  de  mots.  Nous  savons  qu'il  était 
de  la  famille  de  David,  comme  la  sainte  Vierge  •,  mais  arti- 
san de  profession  ';  qu'il  habitait  Nazareth  *,  qu'il  vivait  de 
son  travail  *,  qu'il  était  juste,  d'une  vertu  irréprochable  et 
exemplaire  •,  digne  d'être  l'époux  de  la  Reine  des  Vierges^ 
et  de  remplir  Toffice  de  tuteur  et  de  père  du  Sauveur*. 
C'est  la  foi  de  l'Eglise,  dit  S.  Pierre  Damien  •,  c'est  du  moins 
le  témoignage  de  la  tradition  et  la  persuasion  de  tous  les 
chrétiens,  que  le  père  del'Homme-Dieu  a  toujours  été  vierge. 
S.  Joseph  eut  à  faire  divers  voyages,  à  Bethléem  *°,  à  Jéru- 
salem *S  en  Egypte  *S  et  les  détails  dans  lesquels  l'Evangile 
entre  à  ce  sujet  nous  donnent  lieu  d'admirer  ses  vertus: 
entre  autres  sa  docilité  aux  ordres  de  Dieu  *^  et  sa  tendresse 
pour  Notre  Seigneur  **.  Sa  sagesse  ne  se  dément  jamais  *^ 
Son  humilité,  comme  celle  de  Marie,  répond  à  sa  dignité. 
On  ne  le  voit  pas  adresser  une  seule  fois  la  parole  au  Sau- 
veur, si  ce  n'est  pas  l'intermédiaire  de  sa  mère,  Marie  ".  Il 
vivait  du  travail  de  ses  mains,  comme  un  ouvrier  ordi- 
naire ".  Les  fatigues  qu'il  eut  à  supporter  pour  subvenir  aux 
besoins  de  la  sainte  famille,  en  Egypte  surtout,  font  penser 
qu'il  était  moins  âgé  que  lés  peintres  ne  le  supposent  com- 

1  Cf.  Brev.  rom.,  In  Fest.  B,  M.,  lect.  ix.  On  a  trouvé  dans  les  cata- 
combes des  Images  de  la  Mère  de  Dieu  qui  remontent  au  second  siècle, 
et  même  des  représentations  très  anciennes  de  la  sainte  Famille.  Mon^ 
tigny,  Ste  Vierge,  Ste  Famille,  Nativité,  etc.  —  »  Matth.,  r.  20;  Luc, 

I ,  27  ;  II ,  4.  —  3  Matth.,  xm ,  55.  —  *  Luc,  i ,  26-27  ;  ii ,  4,  39  ;  Matth., 

II,  23.  —  6  Matth.,  XIII,  5.-6  Matth.,  i,  19.  —  ^  Matth.,  i,  16.  —  »  Luc, 
II,  22,  48;  III,  23.  —  «  Ecclesiœ  fides  est  ut  virgo  fuerit  et  is  qui  simu- 
latus  est  Pater  Filii  Dei.  S.  Pet.  Dam.,  de  Cœlib.  sacerd,  in.  Ut  ex 
virginali  conjugio,  virgo  Filius  nasceretur.  S.  Hieron.^  4dv,  Helvid.t  19. 
—  10  Luc,  II,  4.  —  11  Luc,  II,  22,  42.  —  12  Matth.,  ri,  13,  19.  - 
13  Matth.,  1,  24;  11,  14,  19-23;  Luc,  11,  22,  41.  —  i*  Matth.,  u,  22;  Luc, 
II,  44,  48.  —  18  Matth.,  i,  19.  —  I6  Luc,  u,  48,  —  "  Matth.,  xm,  »; 
Marc,  VI,  3. 


nM74]  sa  vie  publique.  —  ses  parents.  305 

munément*.  Néanmoins,  nul  ne  doute  qu'il  ne  soit  mort 
avant  la  prédication  de  l'Eyangile.  C'est  au  temple,  où  le 
Sauveur  était  resté  seul  à  sa  douzième  année,  que  S.  Joseph 
nous  est  montré  pour  la  dernière  fois.  La  sainte  Vierge  pa- 
raît seule  à  Gana*,  aussi  bi^n  qu'au  Calvaire',  et  dans  le 
cours  des  missions  du  Sauveur  *.  A  Nazareth,  on  donne  à 
Jésus  le  nom  de  fils  de  Marie  *,  ce  qui  semble  supposer  que 
celui  qui  passait  pour  son  père  n'existait  plus  depuis  un 
certain  temps.  On  peut  voir  la  sagesse  de  la  Providence  dans 
cette  disposition.  Il  convenait  qu'on  n'hésitât  pas  sur  la 
pensée  du  Sauveur  quand  il  parlerait  de  son  Père,  et  qu'il 
pût  affirmer  sa  nature  divine  sans  trop  choquer  l'esprit  de 
ses  compatriotes. 

174.  —  De  qui  étaient  nés  le»  frères  du  Sauveur,  en  particulier  Jacques, 
Joseph,  Simon  et  Jude,  à  qui  TEvangile  donne  ce  nom,  Marc,  vi,  3? 

I.  Si  l'on  écoute  la  doctrine  catholique,  on  doit  être  assuré 
que  ce  ne  sont  pas  des  frères  proprement  dits.  La  tradition 
la  plus  ancienne,  la  plus  unanime  et  la  plus  constante  atteste 
que  Joseph  a  été  l'unique  époux  de  Marie  et  Jésus  son  unique 
enfant  •.  Dans  l'Eglise,  c'est  un  dogme  de  foi  que  la  Mère 
de  Dieu  est  toujours  restée  vierge.  Tel  est  le  sens  attaché 
de  tout  temps  à  ce  titre  que  lui  donne  le  premier  évangile, 
lîIIipOsvo;  '.  Ainsi  l'a-t-on  expliqué  contre  Helvidius  et  les 
Sociniens*. 

II.  Si  l'on  consulte  l'Evangile,  on  verra  que,  loin  de  contre- 
dire la  tradition,  il  la  confirme  de  la  manière  la  plus  posi- 
tive. 

i"*  Ce  terme,  frères  de  Jéstis,  ne  saurait  fournir  une  objec- 

*  Cf,  Suarez,  In  S,  Tkom,^  p.  m,  t.  2.  —  2  Joan.,  ii,  1.  —  3  Joan.. 
i!x,  25.  —  *  Luc,  viii:,  20.  —  s  Marc,  vi,  3.  —  ^  Abraham  impositum 
est  epitbeton  :  Amicus  Dei,  et  non  dissolvetur;  Jacob  vero  ut  Israe) 
vocetur  et  non  alternabitur  ;  Apostolis  Boanerges  et  non  relinquetur  :  et 
S.Marie  vox,  Virgo,  et  uon  mutabitur;  impoUuta  enim  permansit  et 
«ancU.  s.  Epiph.,  Hjer.  lxxviii,  6.  —  ^  Matth.,  i,  23.  —  8  Cf.  S.  Hieron., 
Cont.  Uelvid,^  13-16;  Conc  Lateran.,  can.  m,  ann.  649;  Constit.  Pauli  IV  : 
Cttm  quorumdamt  contra  Socinianos;  et  S.  Th.,  p.  3,  q.  28,  a.  3.  Infra, 
n.  737, 


306  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n®  i74 

tion  sérieuse  contre  la  virginité  de  Marie.  Tout  le  inonde 
convient  que  le  mot  frère  n'avait  pas  chez  les  Hébreux,  ni 
chez  les  Juifs  hellénistes,  ni  par  conséquent  dans  la  langue 
des  écrivains  sacrés,  le  sens  restreint  qu'il  a  chez  nous;  qu'il 
servait  à  <iésîgner  tous  les  membres  d'une  même  famille  ou 
tous  les  descendants  d'un  même  père  à  peu  près  indifférem- 
ment *.  La  raison  en  est  que  la  langue  hébraïque  manque  de 
termes  propres  pour  indiquer  les  divers  rapports  de  parenté. 
Ainsi  le  mot  ahh,  frère ^  est  en  hébreu  à  peu  près  l'équiva- 
lent du  mot  germanus  en  latin,  et  du  mot  parent  en  français. 
On  doit  en  dire  autant  du  mot  aSsX^o;  dans  les  Septante,  et 
par  conséquent  du  mot  frater  dans  la  Vulgate  *. 

2°  Il  y  a  plus.  L'Evangile  lui-même  explique  cette  expres- 
sion de  frères  de  Jésns^  et  témoigne  de  plusieurs  manières 
que  ceux  à  qui  il  donne  ce  titre  n'étaient  que  ses  cousins  à 
un  degré  ou  à  un  autre.  En  effet  :  On  remarquera  d'abord 
que,  bien  qu'il  soit  question  de  frères  et  de  sœurs  de  Jésus 
en  douze  endroits  du  Nouveau  Testament  •,  jamais  ces  frères 
de  Jésus  ne  sont  dits  fils  de  Marie  ni  fils  de  Joseph,  bien 
qu'on  les  nomme  plusieurs  fois  à  côté  de  Joseph  et  de  Marie  *; 
tout  au  contraire,  non  seulement  Marie  est  souvent  appelée 
Mère  de  Jésus  *,  mais  encore  on  voit  Jésus  désigné  à  Naza- 
reth comme  l'est  communément  le  fils  unique  d'une  feinme 
veuve,  sous  ce  titre  :  le  fils  de  Marie,  o  utoç  Map(a<;  •.  —  Dé 
plus,  les  paroles  adressées  du  haut  de  la  croix  à  S.  Jean  et 
à  Marie  :  Ecce  mater  tua  ;  ecce  filim  tum,  o  utoç  lou,  supposent 

1  Fratres  consobrinos  dici  omnis  Scriptura  demonstrat.  S.  Hieroti.^ 
In  MaUh.,  xii.  Frater  est  consobrinus  aut  consanguineus  quicumque. 
Gesenius,  Lexic.  —  2  cf.  Gen.,  xii,  5,  13, 19  ;  xiii,  8;  xiv,  14,  16;  xx,  2, 
5,  12;  XXIX,  10,  12,  15;  xxxi,  23,  25,  37;  Num.,  xvi,  10;  Jos.,  xv,  17; 
IV  Rëg.,  X,  13;  II  Par.,  xxvîii,  8;  PéT.  oxxxii,  1;  Apoc.,  xïi,  10,  etc. 

—  3  Matth.,  XII,  46;  xiir,  55,  56;  Marc,  m,  31;  vi,  3;  Luc,  viii,  19; 
Joan.,  Il,  12;  vu,  3,  5,  10;  xx,  17;  Act.,  1,  14;  I  Cor.,  li,  5;  Gai.,  i,  19. 

—  *  Matth.,  XII,  46,  47;  Marc,  m,  31,  32;  Luc,  viii,  19,  20;  Joan.,  ii,  12; 
Act.,  i,  14.  —  5  Luc,  i,  43;  Jôan.,  11,  1,  3;  Act.,  i,  14,  etc.  S.  Jean  ne 
lui  donne  jamais  d'autre  nom.  En  joignant  ainsi  constamnicnt  le  fils  et 
la  mère,  il  nous  fait  connaître  Tamour  qu'il  porte  à  l'an  et  à  l'autre. 
Cf.  S.  Thom.,  p.  3,  q.  28,  a.  3,  ad  6;  Brev.  Fest.  Sept.  doL,  lect.  vih. 
*-  6  Marc,  VI,  3. 


ïf'*  174]  SA.  VIE  PUBLIQUE.  -^  8ES  PARErrtS.  307 

qu'elle  n'est  pas  la  mère  de  Jacques,  de  Joseph,  de  Jude,  de 
Simon,  et  même  que  Jésu3  est  son  fils  unique;  car  s'il  de- 
vait lui  rester  d'autres  fils  après  lui,  comment  ne  la  leur  re- 
commanderait-il pas  ?  Comment  lui  dirait-il  que  Jean  ta  être 
désormais  son  fils,  o.  utoç  outo^?  Pourquoi  S.  Jean  devrait-il 
la  regarder  comme  sa  mère  et  la  recevrait-il  aussitôt  dans 
sa  maison,  etç  xa  ISta  »  ?  —  Enfin,  le  degré  même  de  parenté 
de  Jacques,  Joseph,  Simon  et  Jude  avec  Jésus  ressort  assez 
nettement  de  divers  pa$sages4  En  effet,  on  voyait  au  pied  de 
la  croix  du  Sauveur,  suivant  les  Synoptiques,  Marie,  mère 
de  Jacques  et  de  Joseph  •;  Or,  quelle  est  cette  Marie?  Evi- 
demment, ce  n'est  pas  la  mère  de  Jésus  :  elle  ne  serait  pas 
désignée  ainsi.  C'est  donc  une  autre  Marie,  celle. que  S.  Jean 
place  aussi  à  la  Croix  à  çêté  de  la  Mère  du  Sauveur,  qu'il  dit 
être^a  scsur*^  c'est-à-dire  sa  parente  ou  son  alliée,  et  qu'il 
nomae  Marie  de  Cléophée  ou  femme  de  Cléophée,  la  mère 
de  Jacques  et  de  Joseph  *.  Yoilà  donc  déjà  deux  des.  frères 
nominaux  du  Sauveur  qui  ne  peuvent  être  que  ses  cousins 
et  qui  ne  le  sont  probablement  pas  au  degré  le  plus  rap- 
proché. Ajoutons  maintenant  qu.«  S.  Jacques,. nommé  plu- 
sieurs fois  fils  d'Alphée  *,  synonyme  de  Cléophée,  KXwxaç, 
dont  il  ne  diffère  que  par  une  aspiration,  a  pour  frère 
S.  Jude»;  et  que,  d'après  'Hégésippe,  f  180,  cité  par 
Eusèbe^  Simon  ou  Sim&)n,  le  dernier  des  quatre  frères  de 
Jésus  nommés  par  S.  Marc®,*  succéda  sur  le  siège  de  Jéru- 
salem à  Jacques  le  Mineur,  parce  qu'il  était  comme  lui  fils 
de  Cïéophas,  lequel  était  frère  de  saint  Joseph  •.  Ainsi  Ton 
voit  que  les  quatre  frères  du  Sauveur  nommés  dans  les 
évangiles,  étaient  tout  au  plus  ses  cousins,  et  probablement 
ne  relaient  pas  par  sa  mère.     . 

*  s.  Paulin..,  ^pi^^.L,  n.  17.  -^  2  Matth.,  xxviij  56;  Marc,  xv,  40,  47; 
,  î^c,  XXIV,  10.  —  3  On  distinguait  les  femmes  par  leur  mari,  comme 
les  enfants  par  leur  père.  Luc,  vni,  3;  Matth.,  i,  6.  —  ♦  Joan.,  xix,  25. 
-  *  Matth.,  X,  3;  Luc,  vi,  15;  Act.,  i,  13.  —  6  Luc,  vi,  16;  Act.,  i,  13; 
Jad.^  1.  —  ^  Euseb.,  H.,  m,  11  —  «  Marc,  vi,  3.  —  »  Cf.  Matth.,  xni,  55; 
^c.,  VI,  3;  XV,  40. 


L 


308  JÉSUS-CHRIST  SEI,ON  l'évangïle.  [n®  176 

*  175.  —  Ces  mots  de  saint  Marc  :  Sut  exierunt  tenère  eum  :  dicebant 
enim  guoniam  m  furorem  versus  est  y  m,  21,  rendent-ils  bien  le  texte 
original  ? 

Le  texte  grec  pourrait  se  rendre  par  ces  mots  :  Il  eU  tout 
hors  de  lui;  ou  il  est  tombé  en  faiblesse,  et  dans  ce  dernier 
sens  il  se  lierait  au  verset  précédent  :  Non  poterant  mandu- 
care  panem  ;  mais  rien  n'empêche  de  l'entendre  comme  la 
Vulgate.  Cette  version  s'accorde  mieux  avec  les  mots  qui 
suivent,  tenere  eum,  en  particulier.  On  conçoit  que  les  pro- 
pos des  ennemis  du  Sauveur  aient  fait  une  certaine  impres- 
sion sur  ses  proches;  qu'ils  aient  voulu  savoir  si  ce  qu'on 
publiait  de  lui  avait  quelque  fondement;  s'il  était,  comme 
on  le  disait,  sous  l'empire  du  malin  esprit.  S.  Jean  dit  ex- 
pressément qu'à  une  époque,  ses  proches  refusaient  de 
croire  à  sa  mission,  malgré  les  miracles  dont  ils  étaient  les 
témoins  *. 

Du  reste,  ce  mot  :  Dicebant,  n'a  pas  de  sujet  déterminé.  11 
signifie  :  On  disait;  le  bruit  courait. 

§  VII.  —  La  Samaritaine  et  la  femme  adultère. 

Joan.^  IV  et  vu,  3-11. 

I. 

176.  —  Que  nous  apprend  l'a  scène  si  intéressante  du  Sauveur 

conversant  avec  la  Samaritaine  ? 

La  conversation  du  Sauveur  avec  la  Samaritaine,  ex  rrjç 
ZajjLapetaç  -/uvr^  ',  nous  offre  diverses  instructions  théoriques 
et  pratiques. 

b  Au  point  de  vue  doctrinal.  Notre  Seigneur  s'y  révèle 
comme  la  source  de  vie,  10,  comme  le  principe  de  la  vraie 
félicité,  14,  comme  celui  qui  doit  réaliser  toutes  les  espé- 

1  Oi  aôeXçoi  auTOo.  Joan.,  vu,  5.  S.  Jean  ne  dit  pas  qu'aucun  d'eux 
n'y  croyait  :  il  permet  de  faire  exception  pour  ceux  qui  ont  fait  partie 
du  collège  apostolique.  —  2  Joan.,  iv,  9.  Le  puits  de  Jacob  est  à  une 
demi-lieue  de  Sichar  (Sichem,  Naplouse)»  mais  à  pluis  de  deux  lieues  de 
l'ancienne  ville  de  Samarie  dont  Hérode  avait  changé  le  nom  en  celui 
de  Sébaste^  et  où  il  avait  élevé  un  temple  à  Auguste.  Joseph.,  ^4.,  XV, 
VIII,  5;  fi.,  I^  XXI,  2.  Ce  puits  est  aujourd'hui  à  peu  près  comblé. 


.nM77]       sa  vie  PiBUQLi!:.  —  la  samaritaine.  â09 

rances  et  combler  tous  les  désirs,  26,  42.  L'eau  vive,  c'est 
la  divine  grâce.  Elle  désaltère,  elle  ranime,  elle  purifie  : 
elle  fait  pour  l'âme  ce  que  l'eau  vive  fait  pour  le  corps  du 
voyageur  brûlé  par  le  soleil  et  harassé  par  la  fatigue  ;  bien 
plus,  elle  régénère,  elle  rend  la  vie. 

2^  Au  point  de  vue  pratique,  nous  y  pouvons  voir  quel  est 
le  zèle  du  Sauveur  pour  le  salut  des  âmes,  même  les  plus 
dédaignées,  même  les  plus  coupables,  40-42.  Il  n'a,  dit-il, 
d'autre  désir  ni  d'autres  délices  que  de  s'attacher  les  âmes, 
de  se  les  incorporer,  32  *.  Il  s'efforce,  par  son  exemple  d'a- 
bord; puis  par  ses  paroles,  de  communiquer  â  ses  Apôtres 
ce  zèle  universel  dont  ils  doivent  être  eux-mêmes  les  mo- 
dèles, 35-39  *.  Il  l'inspire  même  à  la  Samaritaine,  type  de  sa 
nation  et  des  peuples  infidèles  que  l'Evangile  doit  bientôt 
convertir,  39-42  ». 

*  177.  —  A  quelle  époque. reinootait  Tattente  du  Messie  chez  les 

Samaritains,  et  sur  quel  fondemeot  reposait-elle? 

Le  peuple  de  Dieu  avait  reçu  des  patriarches  la  foi  au  Ré- 
dempteur ;  or,  en  se  détachant  de  Jérusalem  et  de  Juda,  les 
dix  tribus  schismatiques  n'avaient  pas  renoncé  à  l'espé- 
rance du  Messie.  Quand  Samarie  eut  été  saccagée  et  que  les 
habitants  du  royaume  d'Israél  furent  emmenés  en  Assyrie, 
Salmanasar  envoya  pour  les  remplacer  une  colonie  prise  dans 
les  provinces  de  Guth,  de  Hava  et  de  Hemath  *.  Mais,  en  s'é- 
tablissant  dans  la  Palestine,  ces  étrangers  crurent  devoir  en 
adopter  la  religion,  ou  plutôt  ils  joignirent  les  croyances  et 
le  culte  du  petit  nombre  d'Israélites  qu'on  avait  laissés  dans  ce 
pays  aux  superstitions  idolâtriques  dont  ils  avaient  fait  pro- 
fession jusqu'alors.  On  voit  même,  aux  livres  des  Rois,  qu'ils 
demandèrent  et  firent  venir  d'Assyrie. un  des  prêtres  dé- 
portés pour  les  instruire  et  leur  apprendre  le  culte  de  Dieu  •. 

*  Cf.  Act.,  X,  13;  Joan.,  xxi,  5;  l  Thess.,  iv,  3.  —  *  Cf.  S.  Luc,  ix, 
52-56;  X,  33;  Act.,  i,  8;.  vm,  5-14.  Sitit  sitiri  Deus.  S.  Greg.  Nu.  Quod 
didt  :  Da  mihi  bibere,  hoc  in  cruce  omnibus  dicet  :  Sitio.  S.  Laur.  Jast. 
—  ^Qu»  Tenerat  peccatrix,  reversa  est  priedicatris.  S.  Aug.,  de  Div. 
quxit  8.  —  *  IV  Reg-,  xvn,  6,  24  ;  Joseph.,  A,  /.,  IX,  xiv  ;  XI,  iv,  vii,  «  ; 
vm,  2;  xn,  I,  1,  5.  —  8  lY  Reg.,  xvn,  26^. 


31Ô  JESUS-CHRIST  SELON  l'eVaNGILË*  [nO  177 

Ainsi  se  forma  la  religion  des  Samaritains  ^  L'attente  du 
Messie,  qu'ils  reçurent  des  anciens  habitants,  se  perpétua  et 
s'affermit  parmi  eux,  soit  par  la  lecture  du  Pentateuque  qui 
devint  leur  code  religieux  *,  soit  par  les  cérémonies  du  culte 
auquel  ils  se  soumirent. 

Toutefois,  ce  lien  ne  suffit  pas  pour  mettre  l'union  entre 
eux  et  les  Juifs.  A  leur  retour  de  Babylone,  ceux-ci  conti- 
nuèrent à  regarder  les  habitants  de  la  Samarie,  non  coimme 
des  enfants  d'Abraham  ',  mais  comme  des  Cuthéèris  *  ou  des 
infidèles  qui  détenaient  injustement  une  partie  du  territoire 
appartenant  à  leurs  pères,  et  ils  ne  voulurent  pas  leur  per- 
mettre de  prendre  part  à  la  reconstruction  du  teinple  *.  De 
leur  côté,  les  Samaritains  commencèrent  à  traiter  les  Juifs 
en  rivaux  et  en  ennemis  •.  Quelques  années  plus  tard,  un 
prêtre  du  nom  de  Manassé,  ayant  été  chassé  de  Judée,  vint 
se  réfugier  parmi  eux ,  et  son  ressentiment  accrut  encore 
leur  hostilité  contre  ses  compatriotes.  A  l'époque  d'Alexandre 
le  Grand,  vers  332,  ils  se  construisirent  un  temple  sur 
le  mont  Garizim  et  inaugurèrent  en  cet  endroit  un  culte 
particulier.  Profané  par  Antiochus  Epiphane  et  consacré  à 
Jupiter,  en  164,  cet  édifice  fut  abattu,  une  trentaine  d'années 
plus  tard,  par  Jean  Hircan,  puis  remplacé  par  un  simple 
autel.  Enfin  Hérode,  en  dédiant  Samarie  à  Auguste  sous  le 
nom  de  Sébaste,  lui  avait  bâti  un  temple  sur  le  môme  som- 
met '.  Tous  ces  faits  expliquent  l'antipathie  de  ces  deux  peu- 
ples ',  garantie  providentielle  de  l'authenticité  des  livres  de 
Moïse,  également  respectés  par  l'un  et  par  l'autre  •.  Ils  ex- 
pliquent aussi  la  parole  du  divin  Maître  :  Adoratis  quod 


^  IV  Reg.,  XVII,  9,  31.  —  ^  Gen.,  xii,  3;  xviii,  18;  xxii,  18;  xxvin, 
14;  Deut.,  xviii,  15,  19.  —  3  Joan.,  iv,  12.  —  *  Joseph.,  A.,  IV,  xiv,  3; 
VI,  IV,  4;  VIII,  IX,  1.  —  «  I  Esd.,  iv,  1-4.  —  «  Il  Esd.,  vi,  1-4.  -  '  Cf. 
ÏI  Mac,  V,  2  et  Joseph.,  A,,  XIII,  ix,  1  ;  x,  3;  XVIII,  ii,  2,  —  »  EccUm 
L,  27,  28;  Luc,  ix,  .55;  Joan.,  iv,  9;  viii,  48.  —  »  il.  T.,  n.  245.  On 
annonce  aujourd'hui  que  la  race  des  Samaritains  vient  de  s'éteindre.  Au 
commencement  de  ce  siècle  on  en  comptait  encore  une  centaine  qui 
conservaient  soigneusement,  avec  leurs  pratiques  religieuses,  un  vieux 
manuscrit  du  Pentateuque  qu'Us. disaient  être  de  la  main  d*Eléacar^  flls 
d'Aaron.  Cf.  Ann.  de  phiL  chHL,  t.  xlvïi,  p.  331. 


NO  17Ô]         Sa  Vie  HIBLIQUË. La  âAllARltAlNE.  311 

nescitis  :  c  Votre  «ulte  pèche  par  la  base  ;  il  a  l'erreur  pour 
principe.  » 

178.  —  Que  signifient  ces  paroles  :  Venit  hora,  et  nunc  e$t^  quando 
vefH  adoratores  adorabunt  Patrem,  Joan.,  iv,  23,  24. 

Ces  paroles  sur  les  adorations  que  Dieu  désire,  et  qu'il 
va  recevoir,  annoncent  non  l'abolition  de  tout  culte  exté- 
rieur, mais  l'inauguration  du  culte  parfait,  de  la  religion  vé- 
ritable, universelle  et  définitive.  Dieu  est  esprit  et  non  ma- 
tière. Il  ne  saurait  se  plaire  dans  des  sacrifices  charnels,  et 
dans  des  observances  de  pure  forme  '.  D'un  autre  côté,  il  ne 
peut  se  contenter  toujours  d'hommages  figuratifs.  Il  veut  un 
culte  véritable,  qui  l'honore  réellement,  qui  ait  son  prin- 
cipe dans  le  cœur.  Ce  culte  va  commencer  à  lui  être  offert, 
dit  le  Seigneur,  non  plus  en  un  lieu  seulement  et  par  un 
peuple  particulier,  mais  par  une  multitude  d'enfants  adop- 
tifs  qui,  étant  incorporés  à  son  Fils  incarné,  l'invoqueront 
comme  leur  Père.  Ils  lui  offriront  un  sacrifice  spirituel  et 
néanmoins  extérieur,  ev  zvgujAaTi  y.at  aXrfièioL  ;  et  leurs  ado- 
rations lui  seront  également  agréables,  de  quelque  endroit 
du  monde  qu'elles  lui  soient  adressées  *. 

*  179.  —  D*où  vient  la  surprise  des  Apôtres  à  là  vue  du  Sauveur 
conversant  avec. cette  femme,  Joan.,  iv,  27? 

La  surprise  des  Apôtres  a  fait  faire  à  quelques  commen- 
tateurs cette  remarque  que  c'était  une  chose  peu  ordinaire 
de  le  voir  s'entretenir  seul  avec  une  femme,  jAsta  ^uvaixoç, 
même  en  pleine  campagne  •.  Cette  observation  n'est  pas  sans 
fondement.  L'étonnement  eût  été  moindre,  si  ce  fait  avait  été 
fréquent.  Néanmoins,  la  raison  principale  de  la  surprise  des 
Apôtres  est  indiquée  par  la  Samaritaine  elle-même  :  Non  cou- 
tuniur  Jy4œi  Samaritanis,  9.  Les  Apôtres  étaient  encore  im- 
bus des  préjugés  de  leurs  compatriotes  à  l'égard  des  infi- 

*  Joan.,  IV,  24;  VI,  64.  Cf.  Matth.,  xv,  6;  U  Cor.,  lu,  6-8.  —  a  cf. 
I)eut.,  jui,  13;  Malac,  i,  11;  Joan.,  iv,  24;  xii,  20.  Dicit  Ghristus  : 
Adorabunt  Patreni,  quia  adoratio  Legis  non  erat  Patris,  sed  Domini. 
S.  tiiom.  Jn  huncloc.  Cf,  2«2«,  q.  83,  a.  7,  ad  1,  et  q.  84,  a.  3,  ad  1. 
—  *  Cornel.  a  |4pide,  /n  hune  loc. 


Mi  iiSDS-CHTUST  SELON   l'ÉVANCILE.  [ti"  180 

dèles,  étrangers  à  leur  nation  '.  Ils  ne  pensaient  pas  qu'ils 
dussent  jamais  avoir  une  même  foi  et  un  même  eulte  avec 
des  Samaritains,  objets  d'anathème  pour  leurs  Docteurs.  En 
se  révélant  à  eux,  comme  Messie  et  comme  Sauveur  ',  le  di- 
vin Maître  leur  fait  voir  que  ces  Samaritains,  loin  d'être  ré- 
prouvés de  Dieu,  sont  destinés  à  devenir  aussi  ses  enfants;  que 
la  bonne  nouvelle  s'adresse  aux  infidèles  aussi  bien  qu'aui 
Juifs,  qu'il  est  le  Sauveur  du  monde  entier*  et  que  ceux  qui 
semblent  les  plus  éloignés  du  royaume  de  Dieu  pourront, 
dans   un   avenir  prochain,  donner, 
comme  le  peuple  d'Israël,  des  membres 
à  son  Eglise  et  des  élus  au  ciel  *. 

On  admirera  comme  la  scène  est  bien 
décrite  et  avec  quel  charme  le  paysage 
se  reflète  dans  les  paroles  de  Notre 
Seigneur,  17, 16,  21, 35,  et  dans  celles 
de  l'Evangéliste,  5,  27,  28. 


Le  motif  principal  qui  porte  les  docteurs  protestants  à  re- 
jeter comme  apocryphe  l'histoire  de  la  femme  adultère,  c'est 
le  peu  d'estime  qu'ils  ont  pour  la  tradition,  et  la  disposition 
où  ils  sont  de  contredire,  autant  que  possible,  l'enseigne- 
ment de  l'Eglise.  Sans  tenir  compte  de  la  profession  qu'elle  a 
toujours  faite  de  conserver  les  textes  anciens,  du  soin  qu'elle 
a  pris,  à  toutes  les  époques,  pour  en  empêcher  raltération, 
ils  demandent  qu'on  leur  prouve  aujourd'hui  l'authenticité 
de  chaque  fragment,  comme  si  on  ne  l'avait  jamais  prouvée, 

>  Luc,  IX,  54.  —  '  Joan.,  iv,  2S,  42.  —  '  Joan.,  iv,  42.  —  '  Cf.  Luc, 
IX,  S6;  X,  3;  Act.,  i,  8;  vni,  5,  14.  —  »  Revers  d'une  médaille  1res 
connue,  d'Antonin  le  pieut  :  Mont  Gariiim,  avec  cette  légende  :  4). 
NïsaitoJîojî  Supiw  HaXaioTivTic,  tfonnaie-fle  Flavia  Neapotit  de  Palesliit 
en  Syrie.  Snr  le  sommet  à  gauclie,  un  temple  de  at^e  grec,  avec  froD- 
ton  et  colonnes.  A  droite,  un  édiHec  plua  petit,  aans  colonnes.  Sur  le 
flanc  de  la  montagne,  un  grand  escalier  qui  avait  encore  300  mtrcbel 
en  333,  an  rapport  do  Pèlerin  de  Bordeaux.  Infiv,  a.  470. 


r" 


N«18Û]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  LA  SAMARITAINE.  313 

et  que  nous  eussions  encore,  pour  éclairer  la  question, 
toutes  les  pièces  qu'on  avait  dans  les  premiers  temps;  Rien 
de  moins  juste  que  cette  exigence.  Néanmoins  cela  ne  suffit 
pas  pour  leur  assurer  gain  de  cause  ;  et  récemment  encore, 
un  écrivain  protestant  d'un  mérite  reconnu.  Berger  de 
Xivry  *,  était  forcé  d'avouer  que,  pour  ce  passage  en  parti- 
culier, les  résultats  de  la  critique  nous  sont  plutôt  favorables 
que  contraires  *. 

I.  Il  est  vrai  qu'on  ne  le  trouve  pas  dans  la  Péchito,  ni  dans 
les  manuscrits  du  quatrième  et  du  cinquième  siècle,  B,  k  ,  Â, 
C.  Le  premier  que  l'on  puisse  citer  en  notre  faveur  est  celui 
de  Cambridge,  D,  qu'on  rapporte  au  sixième  •.  Mais  ce  n'est 
pa»mne  petite  autorité.  Le  D'  Hug,  dans  son  Introduction  au 
Ntmveau  Testament,  croit  pouvoir  établir,  parla  comparaison 
qu'il  en  a  faite  avec  les  citations  des  premiers  Pères  et  divers 
passages  de  la  Péchito,  qu'il  est  la  fidèle  reproduction  d'un 
manuscrit  du  troisième  siècle  ou  peut-être  du  second.  On 
sait  assez  que  les  manuscrits  ne  se  reproduisent  pas  comme 
les  gravures,  qu'il  peut  s'y  glisser  des  altérations  et  des 
suppressions. 

IL  Mais  nou«  avons  en  notre  faveur  un  témoignage  d'une 
toute  autre  valeur,  celui  de  l'Eglise  latine  tout  entière. 
On  a  toujours  lu  l'histoire  de  la  femme  adultère  dans  la 
version  Yulgate,  et,  aussi  suivant  toute  apparence,  dans  l'Ita- 
lique, bien  antérieure  à  tous  les  manuscrits.  On  l'expliquait 
2»!  peuple,  dans  presque  toutes  les  Eglises,  comme  les  autres 
passages  du  Nouveau  Testament  ;  et  les  Pères  les  plus  éclai*- 
rés  la  citent  dans  leurs  ouvrages  avec  une  pleine  assurance. 
Nous  pouvons  nommer  :  S.  Jérôme,  qui  atteste  que  cette 
histoire  se  trouve  dans  un  grand  nombre  de  manuscrits 
tant  grecs  que  latins  *;  —  S.  Augustin,  qui  l'a  souvent  ex- 
pliquée aux  fidèles,  comme  le  reste  de  l'Evangile  •,  tout  en 
faisant  cette  remarque  que  c  des  hommes  de  peu  de  foi,  ou 

^  Etudes  ntr  U  Nùuveau  Testament,  1856.  —  >  Item  Michaelis,  Lange, 
Ebitrd,  Wieseler,  Renan,  etc.  —  »  Adde  E,  F,  G,  H,  K,  M,  etc.  —  ♦  In 
oMiltit  et  gnecis  et  iatinis  codicibas  inyenitur.  S.  Hieron.,  Dia/.  coni, 
feiag,,  n,  17.  —  »  S.  Aug.,  De  cons.  evang.^  iv,  il;  In  Joan,,  xxxm. 

i8 


314  JJfiSUS-CHRIST  SELON   l'ÉVANGILE.  [N«  18Û 

ennemis  de  la  vraie  foi,  ont  retranché  ce  passage,  de  pear 
de  laisser  à  leurs  femmes  la  liberté  de  pécher  "  ;  »  —  S.  Am- 
broise,  qui  cite  non  moins  souvent  cette  histoire,  malgré  la 
crainte  du  scandale  qui  paraît  le  préoccuper,  et  qui  l'allègue 
comme  une  pièce  tout  à  fait  décisive';  —  Pacien,  auteur 
espagnol  du  quatrième  siècle,  qui,  dans  sa  lettre  au  nova- 
tien  Sempronianus,  lui  oppose  cet  exemple  d'indulgence  ;  — 
enfin  S.  Fulgence,  S.  Léon  •,  Sedulius,  S,  Pierre  Ghryso- 
logue,  S.  Grégoire,  Gassiodore,  etc. 

L'Eglise  grecque  est  moins  affirmative,  mais  on  ne  peut 
pas  dire  qu'elle  soit  en  opposition  avec  l'Eglise  latine.  Nous 
trouvons  même  des  témoignages  d'un  grand  poids  chez  plu- 
sieurs de  ses  Docteurs,  dans  le  Ata  Teaaapwv  ou  l'Harmonie 
des  Evangiles  de  Tatien  (160),  ou  du  moins  dans  sa  version 
latine  ^;  dans  les  Constitutions  apostoliques  ^  dans  la  Synapse 
des  Ecritures,  attribuée  à  S.  Athanase  •  (v*  siècle),  etc. 

IIL  A  ces  témoignages  il  faut  joindre  cette  considération 
que  rien,  dans  ce  passage,  n'est  de  nature  à  faire  soupçon- 
ner une  interpolation,  et  qu'au  contraire  tout  répugne  à 
cette  hypothèse.  —  1**  Le  récit  de  S.  Jean  se  lie  avec  ce  qui 
précède  et  ce  qui  suit.  Le  début  du  verset  12  sembley  faire 
allusion,  aussi  bien  que  le  verset  15,  et  même  le  verset  4; 
le  verset  20  paraît  avoir  sa  raison  dans  le  verset  1.  Il  est  en 
parfaite  harmonie  avec  le  caractère  du  Sauveur  %  avec  le 
style  de  l'Evangéliste,  avec  ses  habitudes  de  langage  sym- 
bolique. On  y  trouve  une  preuve  de  plus  de  la  divinité  de 
Jésus-Christ  et  des  mauvaises  dispositions  de  ses  ennemis. 
Si  l'on  remarque  quelques  termes  peu  familiers  à  S.  Jean, 

1  Abstulenint  de  codicibus  suis,  quasi  pcrmissionem  peccandi  tribueret 
qui  dixit  :  Jam  amplius  noli  peccare  ;  aut  ideo  non  debuerit  mulier  a 
medico  Deo  sanàri^  ne  offenderentur  insani.  S.  Aug.,  De  adulter,  conjug,, 
u,  6.  Cf.  In  Psalm,  l,  8;  Contra  Faust.,  xxii,  25.  Cf.  Infra,  n.  219,392. 

—  2  Jésus  scribebat  in  terra.  Quid  scribebat,  nisi  illud  propheticum  : 
Terra,  terra,  scribe  hos  viros  abdicatos?  Jer.,  xxii,  30.  S.  Amb.  EpiH. 
XXV,  4.  Cf.  Epist.  XXVI,  1.  Apol,  David  //*  1.  —  3  s.  Léo.,  Set^m.j  lxii,4. 

—  ^  Aia  TC9<7ap(ii>v  ;  retrouvé  en  latin  (545)  par  Victor  de  Capoue  (Migne, 
Patrol.  latin.,  lxviu).  —  «  Const,  Apost,,  xxiv,  l.  —  6  Migne,  Pairol. 
^rxc,  xxviii,  p.  401.  —  7  Bossuet,  Serm.  sur  les  jugements  humains  ^ 
nie  J)im.  de  Carême, . 


N«180]  SA  YIE  PUBLIQUE.   —  LA   SAMARITAINE.  31S 

cette  particularité  s'explique  aisément  et  se  trouve  en  bien 
d^autres  endroits*.  —  2**  Un  tel  passage  n'a  pu  se  glisser 
dans  le  texte  par  inadvertance  ;  car  il  n'est  pas  ici  question 
d'un  mot  ou  deux,  ayant  pour  objet  un  léger  détail  :  il  s'agit 
de  neuf  versets  et  d'une  histoire  entière.  Si  ce  récit  n'est 
pas  de  S.  Jean,  il  y  a  donc  eu  fraude;  les  versets  vu,  53, 
VIII,  1  et  2  eux-mêmes  ont  été  supposés  pour  amener  ce 
récit.  Or,  comment  admettre  un  pareil  fait?  Quoi  de  plus 
étrange,  de  plus  invraisemblable  qu'une  telle  interpolation, 
dans  un  temps  où  les  chrétiens  avaient  tant  de  respect  pour 
les  Evangiles,  et  les  connaissaient  si  bien'!  Remarquez 
qu'aucune  fraude  n'était  de  nature  à  exciter  des  réclamations 
plus  unanimes.  Si  les  Docteurs  même  qui  avaient  toujours 
TU  cette  histoire  dans  leurs  exemplaires  avaient  quelque 
peine  à  en  faire  la  lecture  au  peuple,  comment  se  serait-on 
accordé  pour  l'inventer,  pour  l'insérer  dans  le  Nouveau 
Testament,  pour  en  faire  officiellement  le  commentaire  dans 
les  livres  liturgiques,  s'il  avait  été  inconnu  et  qu'on  ne  l'eût 
trouvé  dans  aucun  manuscrit  ancien? 

IV.  Voici  donc,  en  laissant  de  côté  l'autorité  de  l'Eglise, 
la  conclusion  à  laquelle  on  est  conduit  •.  Au  second  siècle, 
cette  histoire  se  lisait  dans  tous  les  manuscrits  grecs  et  la- 
tins; mais  l'influence  du  montanisme  ayant  resserré  la  dis- 
cipline et  prévenu  les  esprits  contre  toute  apparence  de 
relâchement,  on  jugea  prudent  de  l'omettre  dans  les  lec- 
tures publiques.  On  la  distingua  d'abord  par  quelque  signe 
dans  les  exemplaires  destinés  à  un  usage  liturgique,  ou  bien 
on  l'omit  entièrement.  Puis  ce  changement  s'étendit  peu  à 
peu  *.  Il  finit  par  servir  de  règle  dans  les  manuscrits  grecs 
et  devenir  assez  commun,  même  dans  les  manuscrits  latins 
et  syriaques,  entre  le  quatrième  et  le  septième  ou  le  huitième 

*  Patrizzi.  Voir  sur  ce  sujet  une  note  intéressante  de  la  Revue  des 
sciences  ecelés,,  II«  série,  t.  ix,  p,  217  ;  Ann.  1869.  —  ^  Cf.  Apec,  xxii, 
18,  19.  —  3  Coiic.  Trid.,  sess.  iv.  Cf.  Act.  Conc.  Trid.,  t.  i,  71-77.  Infra, 
890,  note.  —  *  On  a  encore  des  manuscrits  grecs  dont  le  synazaire  ou 
la  table  avertit  qu  il  faut  omettre  la  lecture  de  ce  passage  dans  Toffice^ 
par  exemple  le  cursif  n.  7;  et  ces  synaxaires  ont  été,  comme  les  ma- 
nuscrits eux-mêmes,  copiés  sur  des  exemplaires  plus  anciens. 


316  JÉSUS-CHRIST  SELON  L^ÉVANGILE.  [n®  181 

siècle;  mais  à  partir  de  cette  époque,  oh  réytnt  à  l')ancicn 
texte  et  l'histoire  fut  rétablfe. 

Là  nature  du  récit  et  les  témoignages  que  nous  avons  rap- 
portés suffisent  pour  établir  cette  solution» 

■  » 

§  Vni.  —  Les  profanateurs  du  temple.  Joati.,  ">  *^>. 

Matth.,  XXI,  12. 

18t.  —  Pourquoi  le  Sauveui*  cooimeneô-t-il  son  mim»t6pc  par  chasser 

du  temple  ceux  qui  le  profanent? 

i' 

En  commençant  son  ministère  par  chasser  de  reae.e[inte. 
consacrée  au  Seigneur,  ev.  tou  lepoy,  ceux  qui  en  violent  la 
saintetéy  le  Sauveur  veut  montrer  qu'il  est  bien  l'envoyé 
divin  prédit  par  le  dernier  prophète,  que  le  culte  de  son 
Père  est  ce  qu'il  a  de  plus  cher,  et  qu'il  ne  peut  souffrir 
ceux  qui  profanent  sa  maison  par  un  indigne  trafic  *.  Il 
veut  encore  faire  entendre  que  le  temps  est  venu  de  renou- 
veler le  culte  et  d'établir  un  sacerdoce. plus  parfait;  et  c'est 
ce  qui  porte  au  plus  haut  degré  la  haine  de  la  tribu  sacerdo- 
tale contre  lui '.  A  (ïçtte  occasion,  il  se  désigne  lui-même 
comme  le  temple  vivant  de  la  divinité,  comme  le  sanctuaire, 
0  va&ç,  que  les  Juifs  violeront  bientôt  de  la  manière  la  plus 
odieuse,  mais  qu'il  relèvera  au  bout  de  trois  jours  et  qui 
remplacera  le,  temple  figuratif  *. 

Lorsqu'il  reviendra  à  Jérusalem,  à  la  fin  de  son  minis- 
tère, pour  s'immoler  lui-même  à  son  Père,  il-  renouvellera 
cet  acte  de  zèle  si  étonnant,  eu  l'accompagnant  cette  fois 
de  reproches  sévères  et  menaçants  :  Domus  mea  domm 
orationis  vocabitur  :  vos  autem  fecistis  illam  speluncam  la- 
tronum''\  et  bientôt  après,  de  cette  étonnante  prédiction: 
Ecce  relinqmtur  vobis  donrns  vestra  déserta  *  I  Ainsi  témoi- 
gnera-t-il  de  plus  en  plus  que  ce  qu'il  a  fait  dès  le  début  est 

*  Cf.  Mal.,  i-iii;  Zac.,  xiv,  21  ;  Osée.,  ix,  15;  Joan.,  ii,  17.  —  *  Cf. 
Ps.  XLix;  Dan.,  ix,  26;  Ezec,  xxxiv,  10;  Jer.,  vu,  11;  xxxin,  17; 
Mal.,  1,  10.  —  8'Matth.,  xii,  16;  xvi,  18;  Joan.,  i,  14;  iv,  21.  —  »  Matth., 
XXI,  13.  Dt  ostendat  quod  m'axima  causa  destructionis  fuit  peccata  sa- 
ccrdotum.  S.  Bonav^  Cf.  Joan.,  n,  19-22;  Marc,  xv,  29.  Infra^  n.  240.  — 
B  Matth.,  XXIII,  38. 


nM82]        sa  vie  publique.  —  les  hérodiens.  317 

important  et  significatif,  et  qu'il  veillera  toujours,  visible- 
ment ou  in  visiblement,  à  l'honneur  de  son  sanctuaire  \ 

§  IX.  --  Les  Hérodes  et  les  Hérodiens. 
1S2.  —  De  combien  d'Hérodes  est-il  parlé  dans  TEvangile? 

Il  est  parlé  dans  l'évangile  de  deux  Hérodes,  Hérode  TAn- 
cien  ou  le  Grand,  fils  d'Antipater,  meurtrier  des  Innocents  •, 
mort  quatre  ans  avant  notre  ère.  et  Hérode  Antipas,  ou  le 
jeune,  fils  du  précédent,  tétrarque  de  Galilée,  époux  adultère 
d'Hérodiade,  meurtrier  de  S.  Jean-Baptiste,  celui  que  Notre 
Seigneur  appelle  un  renard  »,  et  devant  qui  il  comparaît 
dans  sa  Passion  *.  C'est  avec  lui  que  Manahen  avait  été  élevé  '. 
C'est  lui  qui  eut  pour  intendant  Ghusa,  dont  la  femme  était 
au  nombre  des  disciples  les  plus  dévoués  du  divin  Maître  •.  Il 
mourut  dans  l'exil.  —  Les  Actes  parlent  encore  d'un  troisième 
Hérode,  surnommé  Agrippa,  petit-fils  d'Hérode  l'Ancien, 
fils  d'Aristobule  et  d'une  petite-fille  de  Marianne,  neveu 
d'Hérode  Antipas  et  son  beau-frère  par  Hérodiade.  Celui-ci, 
porté  subitement  au  trône  par  le  caprice  de  Caligula,  dont 
il  était  le  compagnon  de  débauche  et  le  favori,  fit  décapiter 
S.Jacques  et  incarcérer  S.  Pierre,  puis  périt  rongé  des  vers  '. 
Le  roi  Agrippa,  devant  qui  Festus  fit  comparaître  S.  Paul, 
était  son  fils  *.  —  Les  Hérodes  étaient  Iduméens  d'origine, 
c'est-à-dire  descendants  d'Esaû.  Le  premier  naquit  à  Ascalon. 

Ascalonita  necat  pueros,  Antipa  Joannem, 
Agrippa  Jacobum,  tentatque  occidere  Petrum. 

1  Secundnm  sensns  mysticos,  quotidie  ingreditur  domum  Patris,  et 
ejicit...  vendentes  et  ententes.  Scriptum  est  enim  :  Gratis  accepistis, 
gratis  date.  S.  Hieron  ,  In  hune  loc.  —  ^  Matth.,  ii,  1,  13,  16,  19;  Luc, 
I,  5;  Joseph.,  -<4.,  XVIIJ,  v,  4.  —  3  Propter  fraudes  ejus  et  dolos,  quod 
plénum  fraudis  est  animal,  in  foyea  semper  laterc  desiderans,  et  nun- 
quain  rectis  itineribus,  sed  tortnosis  anfractibus  currens.  Quse  cuncta 
hcreticis,  quorum  Hérodes  typum  gerit,  congruunt.  Yen.  Beda,  !n  Luc, 
«II,  31.  —  *  Cf.  Matth.,  XIV,  3,  10;  Marc,  vi,  17;  Luc,  m,  1;  viii,  3; 
xm,  31,  32;  xxiii,  H.  Joseph.,  A,,  XVIII,  v,  1,  2;  vu,  2.  Infra,  n.  405. 
—  *  Act.,  XIII,  1.  —  «  Luc,  viii,  3.  —  "^  Act.,  xii,  2-4;  21-23;  Joseph., 
A.,  XVIII,  V,  3  et  VI ;  B.,  II,  ix,  5,  6.  Infra,  n.  512.  —  »  Act.,  xxv, 
13-27;  Joseph.,  A,,  XIX,  xii,  2. 

18. 


318  JÉSUS-CHtllST  SELON  l'évangile.  [nM83 

183.  —  Dans  sa  réponse  aux  Hérodiens,  Matth.,  xxii,  21,  Notro  Sei- 
gneur ne  semble-t-il  pas  mettre  sur  la  même  ligne  la  souveraineté  de 
droit  et  la  souveraineté  de  fait? 

Pour  répondre  aux  Hérodiens  sur  la  question  de  Tinipôt, 
Notra  Seigneur  n'examine  pas  si  les  Juife  doivent  renoncer 
à  leur  autonomie  et  accepter  définitivement  le  joug  des  Ro- 
mains. C'était  bien  la  préoccupation  de  Tépoque  S  la  Judée 
n'ayant  été  réunie  à  Tempire  que  peu  d'années  auparavant 
parSulp.  Quirinus.  Mais  il  n'était  pas  prudent  d'en  dire  son 
sentiment  en  public.  Le  Sauveur  se  borne  ici  à  une  obser- 
vation pratique  et  à  un  argument  ad  hominem.  Il  dit  à  ceux 
qui  l'entourent  que  César  ne  réclame  d'eux  que  ce  qu'ils 
tiennent  de  lui  ;  que,  puisqu'ils  acceptent  son  autorité,  qu'il 
est  en  possession  de  battre  monnaie  et  de  gouverner  le 
pays,  ce  serait  une  inconséquence  de  ne  pas  lui  fournir  les 
moyens  nécessaires  pour  maintenir  l'ordre  et  s'acquitter  de 
sa  charge.  Il  ne  va  même  pas  jusque-là  :  il  se  contente  d'in- 
sinuer cette  réponse,  en  alléguant  un  principe  général  : 
Reddite  quœ  sunt  Cœsaris  Cœsari  *.  Bien  plus,  il  a  soin  de 
joindre  un  second  principe  au  premier  pour  indiquer  la 
limite  de  celui-ci  et  en  empêcher  l'abus  ;  et  il  saisit  Tocca- 
sion  de  flétrir  les  hommages  idolâtriques  dont  l'image  et  le 
nom  des  empereurs  étaient  l'objet. 

Ce  récit  semble  avoir  pour  but  d'apprendre  aux  ecclésias- 
tiques à  être  réservés  en  matière  politique,  à  préférer  tou- 
jours les  intérêts  spirituels  aux  intérêts  temporels,  et  même 

1  Cf.  Deut.,  xvii,  15;  Joseph.,  A,,  XVII,  ii,  4,  5.  B.,  II,  8  ;  A,  T,  n.  185. 
Ce  récit  reflète  au  plus  haut  degré  la  couleur  du  temps  et  du  lieu.  Placé 
ailleurs,  ou  à  une  autre  époque ,  il  ne  se  comprendrait  plus.  Les  Ro- 
^nains  étaient  alors  pour  les  Juifs  ce  qu'ont  été  longtemps,  ce  que  sont 
encore  aujourd'hui  les  Français  ou  les  Roumis  pour  les  Arabes  d'Algérie. 
La  Judée  ne  pouvait  s'habituer  aux  impôts  ni  aux  monnaies  de  l'empire. 
Les  images  des  empereurs  et  les  inicriptiom  en  caractères  grecs  ou 
latins  blessaient  leurs  regards.  Notre  Seigneur  ne  retrouve  pas  ces  dis- 
positions ;  et  bien  qu'il  recommande  de  rendre  à  César  ce  qui  appartient 
à  César,  il  ne  semble  pas  avoir  bien  à  cœur  les  intérêts  de  remperear. 
Il  n'a  pas  sur  lui  sa  monnaie ,  et  il  est  forcé  de  demander  qu'on  la  lui 
pwntre.  Exod.,  xx,  4;  Matth.,  xvn,  26.-2  Caesari  pecuniam,  Dec  tcmfit 
ipsum.  Tert.,  De  idoLj  15.  Cf.  Matth.,  xxu,  17,  19,  21  et  I  Mac,  xv,6,7. 


r 


ffiiSi]         SA  yiE  PUBLIQUE.  —  LES  8ADDUCÉENS.  3î9 

à  ne  s'occuper  de  ceux-ci  qu'autant  que  le  demanderaient 
la  gloire  de  Dieu  et  le  bien  des  âmes  *. 

§  X.  —  Le»  Sadoucécks  '.  Mctth.,  xiii^  23-S3. 

184.  —  Quelle  idée  le  divin  Maître  donne-t-il  de  la  vie  future, 
et  comment  en  prouve-t-il  la  réalité? 

I.  Le  Sauveur  fait  remarquer  aux  Sadducéens  que  la  vie 
future  sera  bien  différente  de  celle-ci,  que  les  justes  ressus- 
cites égaleront  les  anges  en  gloire  et  en  pureté  :  Erunt  sicut 
Angeli  Dei  in  cœlo,  30  •. 

IL  II  prouve  ensuite  à  ces  incrédules  l'existence  de  cette 
autre  vie  par  un  raisonnement  très  simple,  fondé  sur  un 
teite  du  Pentateuque,  seul  livre  qu'ils  reconnussent  pour 
divin  *  :  Ego  mm  Deus  Abraham,  E^o)  v,^\  '.  c  Je  suis,  j'ai  été, 
je  serai  toujours  le  Dieu  d'Abraham.  L'alliance  que  j'ai  faite 
avec  lui  subsiste  toujours.  Il  est  toujours  du  nombre  de  mes 
serviteurs  et  sous  ma  protection.  Non  confunditur  DeUs  ro- 
cari  Deus  eonim,  dit  S.  Paul  :  paravit  enim  illis  civitateni  *. 
(hnnes  enim  vivunt  ei'^.  Si  Abraham  était  réduit  au  néant, 
ou  s'il  n'existait  plus  qu'à  l'état  de  poussière,  le  Seigneur 
serait-il  le  Dieu  d'Abraham  plus  que  celui  des  méchants  et 
des  impies?  Pourrait-il  même  se  glorifier  de  l'avoir  été? 
Loin  de  se  montrer  le  Dieu  des  justes,  d'être  pour  eux  un 
maître  bon  et  généreux,  ne  serait-il  pas  plutôt  un  séducteur 
et  un  tyran  «. 

III.  Le  divin  Maître  n'insiste  pas  sur  la  résurrection  des 
corps  en  particulier,  parce  qu'il  était  admis  que  l'homme 
revivrait  tout  entier  ou  périrait  tout  entier  ;  mais  en  disant 
aux  Sadducéens  qu'ils  sont  dans  l'erreur,  parce  qu'ils  ne 
connaissent  pas  les  Ecritures,  il  fait  entendre  que  l'Ancien 

*  Luc,  IX,  60.  Cf.  Luc,  m,  14;  xii,  13,  14.  ~  «  Supra,  n.  76.  —  3  Cf. 
■Act.,  zxiii,  8.  Ubi  mors  non  est,  neque  connubium.  S.  Aug.  Quxst. 
evang.^  ii,  49.  Les  Pères  concluent  de  là  ce  que  les  Vierges  participent 
dès  cette  vie  aux  privilèges  de  la  vie  angélique.  Matth.,  xxii,  30;  Cf. 
Gen.,  m,  16.  Brev.,  Comm»  Virg,^  lect.  v-vi.  —  *  Joseph.,  A,y  XUI,  v,  9; 
XVUl,  u;  B.,  II,  VIII,  14.  —  5  Ex.,  m,  7,  15,  16.  —  «  Cf.  Gen.,  xvii,  7; 
Heb.,  n,  16,  etc.  —  '  Luc,  xx,  38.  —  •  Bossuet,  Sfédit.,  xl,  xii. 


320  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n*  185 

Testament  contient  une  foule  de  textes  qui  impliquent  la 
réalité  de  la  résurrection  et  de  la  vie  future  *.  Néanmoins, 
ces  paroles  ne  les  convertirent  pas  :  on  ne  connaît  aucun  de 
ces  matérialistes  qui  se  soit  attaché  au  christianisme. 

§  XI.  —  Les  Pharisiens  *.  Matth.^  xxiii,  etc. 

Lear  caractère.  —  Reproches  qae  lear  fait  le  divin  Maître. 
•185.  —  Qu'ensoignaient  les  Pharisiens  et  quel  était  leur  caractère? 

I.  Les  Pharisiens  ne  passaient  pas  pour  alléger  le  joug  de 
la  loi.  En  général,  leur  doctrine  était  exacte*.  Cependant 
Notre  Seigneur  leur  reproche  de  s'écarter,  sur  des  points 
importants,  de  la  justice  et  de  la  vérité*:  «  Ce  sont  des 
aveugles,  dit-H,  et  des  conducteurs  d'aveugles*.  »  Tandis 
qu'ils  poussaient  jusqu'au  scrupule  l'exactitude  aux  petites 
choses,  ils  se  mettaient  peu  en  peine  du  grand  précepte  de 
la  charité  •.  Ils  disaient  :  «  Œil  pour  œil  et  dent  pour 
dent  ',  »  ce  que  S.  Augustin  appelle  jmtitia  injmtorum  •. 
Ils  comptaient  pour  peu  de  chose  les  fautes  intérieures  *. 
Ils  éludaient  certaines  obligations  par  des  subtilités  ".  Ils  en 
exagéraient  d'autres  au-delà  de  toute  mesure",  surtout  la 
loi  du  sabbat  *-. 


1  On  peut  voir  :  Gen.,  i,  26,  27  ;  ii,  7  ;  iv,  7  ;  v,  22-E4  ;  ix,  5;  xv,  1, 15; 
XVIII,  18;  XXXV,  29;  xxxvii,  33-35;  xlvii,  30;  xlix,  29,  32;  Ex.,  in,  6; 
Lev.,  xvii,  11;  xviii,  5;  xix,  8,  31;  xx,  6,  27;  Num.,  xx,  26;  Deut., 
XII,  23;  XIV,  1  ;  xviii,  11  ;  xxx,  16;  xxxii,  49,  50;  Job.,  xiv,  3-14;  xix, 
23,  25, 27;  xxi,  30,  32  ;  Ps.  xxvi,  13;  xlviii,  15;  lxxii,  24-28;  Lxxxvin,  3; 
cxxxix.  11;  Isai.,  xxvi,  19;  lxvi,  24;  Ezec,  xx,  13;  xxxvii,  1;  Dan., 
XII,  2;  Eccli.,  vu,  37;  xlviii,  5;  Sap.,  m,  1-7;  iv,  1  ;  v,  1-6;  0*ée,  xni,  14; 
Sophon.,  m,  8;  Mal.,  iv,  5;  II  Mac,  vi,  26;  vu,  9,  14,  23;  xii,  43,  44; 
Heb.,  XI,  11.  —  *  Dici'tur  hoc  verbum  segregationem  intérpretari,  qoo- 
modo  in  lingua  latina  egregius,  quasi  a  grege  separatus.  S.  Aag., 
Serm.  clxix,  5.  —  '  Matth.,  xxiii,  2,  3;  Act.,  xxvi,  5.  —  *  Mattb.,  xv, 
3,  5,  6;  XVI,  12;  xxiii,  16,  18,  24-26.  —  8  Matth.,  xv,  14.  —  6  Matth., 
m,  7;  IX,  11,  14;  xxiii,  14,  23;  Luc,  xi,  42.  —  ^  Matth.,  v,  38.  — 
8  S.  Aug.,  In  Psalm.  cvui,  4.  —  »  Matth.,  v,  27.  —  *o  Matth.,  xxiii, 
16-22;  Marc,  vu,  10-12.  -  "  Matth.,  ix,  11;  xxiii,  4,  24;  Marc,  vn, 
3,  4;  Luc,  VII,  39;  xi,  12;  Act.,  xv,  5.  —  **  Matth.,  xii,  2;  Marc,  ii, 
23,  24;  Luc,  vi,  7;  xrv,  1-6;  Joan.,  v,  8,  9;  ix,  16,  etc. 


N«I85|  SA  VIE  PtBLÎQUE.  —  LES  PHARISIENS.  321 

II.  Leur  caractère  était  bien  plus  répréhensible  que  leur 
enseignement.  Sauf  un  petit  nombre,  dont  la  vertu  contras- 
tait avec  les  défauts  de  la  secte  *,  entre  autres  Nicodème, 
neveu  de  GamaÛel  •,  ils  étaient  orgueilleux*,  fiers  de  leur* 
savoir  *,  pleins  de  prétention  •,  de  dédain  pour  leurs 
frères  *,  insensibles  aux  faiblesses  et  aux  besoins  du  pro- 
chain'', avares',  hypocrites'.  Ils  disaient  et  ne  faisaient 
point  *°.  Ils  affectaient  l'austérité",  le  jeûne",  les  ablutions 
fréquentes  *',  les  longues  prières  *♦  ;  mais  tout  cela  par 
âmour-propre  et  par  intérêt.  Il  leur  fallait  partout  les  pre- 
mières places  et  les  témoignages  dé  respect".  Ils  rendaient 
eux-mêmes  des  honneurs  aux  prophètes,  quand  ils  étaient 
morts;  mais  durant  leur  vie,  quand  ceux-ci  les  reprenaient 
de  leurs  vices,  ils  les  persécutaient  et  cherchaient  à  les 
perdre  **.  Ils  passaient  les  mers  et  parcouraient  le  monde 
pour  faire  des  prosélytes,  mais  par  le  seul  désir  de  les  atta- 
cher à  leur  secte,  de  leur  inoculer  leurs  principes  et  leurs 
vices".  En  somme.  Notre  Seigneur  leur  préférait  les  publi- 
cains  ",  quoique  odieux  au  peuple  et  regardés,  dit  Ter- 
tullien  ",  comme  des  pécheurs  de  profession  ".  Aussi  les 
frappe-t-il,  peu  de  temps  avant  sa  mort,  des  plus  terribles 
■  malédictions  ".  De  leur  côté,  les  pharisiens  ne  pouvaient  le 
souffrir.  lis  étaient  jaloux  de  sa  réputation,  de  son  influence 
et  de  ses  miracles  ".  Après  lui  avoir  tendu  toutes  sortes  de 

^  Mattb.,  III,  7;  Luc,  vu,  36;  xni,  31;  Joao.,  ix,  16.  —  ^  Joan.,  m, 
1,2;  vu,  50,  51;  xix,  39.  Cf.  Act.,  v,  34;  xxvi,  4.-3  Luc,  xi,  43; 
xviii,  9-14.  —  *  Joan.,  vu,  48,  49;  ix,  29,  34.  —  «  Matth.,  vi,  5,  16; 
xxni,  5,  14,  29.  —  «  Matth.,  ix,  11;  Luc,  vn,  39;  xvni,  10-12.  — 
'Matth.,  xxiii,  4;  Luc,  xi,  46.  —  «  Matth.,  xxiii,  14;  Luc,  xiv,  3-6, 
15,  16;  XVI,  14.  —  9  MMth.,  vi,  2,  5. 16;  xv,  7;  xxiii,.27,  28,  29;  Luc, 
XI,  39;  XII,  1;  xiii,  16.  —  *»  Matth.,  xxiii,  3,  4.  —  ii  Matth.,  ix,  11; 
xxiii,  4;  Marc,  ii,  15,  18.  —  12  Matth.,  ix,  14;  Luc,  xviii,  12.  — 
*=»  Matth.,  XV,  2.  —  1*  Matth.,  xxiii,  14;  Luc,  xviii,  H.  —  i3  Matth., 
xxm,  6,  7;  Luc,  xx,  46:  —  <«  Matth.,  xxiii,  29.  —  ^^  Matth.,  xxm,  15. 
-  **  Mattli.,  XXI,  31;  Luc,  vu,  34;  xviii,  14;  xix,  2-8.  En  Palestine, 
les  impôts  étaient  affermés  à  des  receveurs  généraux,  -xpxiTeXwvr};,  Luc, 
XIX ,  2,  qui  faisaient  lever  les  impôts  sur  les  transports  par  des  publi- 
cains  ou  péagers,  teXwvai.  —  i»  Tert.,  de  PudiciL,  9.  —  »<>  Matth.,  xi,  19; 
xvui,  17;  Luc,  m,  12;  v,  30;  xviii,  13;  xix,  7.  —  ai  Matth.,  xxm,  13, 
l*,  15, 16,  23,  25,  27,  39.  --  ««  Joan.,  iv,  1-â;  ix,  «2;  xii,  19. 


322  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n<^  187 

pièges  *  et  lui  avoir  suscité  toutes  sortes  d'oppositions  S  ils 
finissent  par  le  faire  attacher  à  la  croix  •. 

*  186.  —  Pourquoi  Notre  Seigneur  condamne-t-il  dans  les  Pharisien^ 
les  titres  de  Maîtres  et  de  Docteurs  *,  que  TEglise  autorise  parmi  les 
chrétiens? 

Notre  Seigneur  n'entend  pas  condamner  ni  interdire  ab- 
solument l'usage  de  ces  noms  ;  car  son  intention  était  qu'il 
y  eût  toujours  dans  l'Eglise  des  maîtres,  des  pasteurs,  des 
guides  spirituels,  chargés  d'enseigner  sa  doctrine;  et  qu'est- 
ce  qui  empêchait  de  les  qualifier  selon  leur  profession  *? 
Mais  il  condamne  ceux  qui  s'attribuent  indûment  ces  titres, 
qui  les  ambitionnent,  qui  en  tirent  vanité,  qui  prétendent 
s'en  prévaloir  contre  lui  pour  combattre  son  influence  et  sa 
doctrine*.  Voilà  ce  que  veulent  dire  ces  mots  :  Nolitevocari 
Rabbi.  «  Ne  cherchez  pas  à  vous  attacher  des  disciples,  à 
vous  faire  honorer  comme  Maîtres,  à  vous  établir  dans  l'es- 
prit du  peuple  en  cette  qualité.  Sa  pensée  est  complétée  par 
la  maxime  suivante,  qui  est  capitale  et  pour  tous  les  temps  : 
Unus  est  mim  magister  vester:  «  Le  Maître  véritable,  l'unique 
Maître,  c'est  le  Fils  de  Dieu  fait  homme  '.  » 

*  187.  —  Quelles  raisons  Notre  Seigneur  oppose-t-il  aux  enseignements 

rigoristes  des  Pharisiens  par  rapport  au  sabbat,  Matth.,  xii,  1-8? 

Le  divin  Maître  allègue  quatre  raisons  pour  prouver  que 
la  loi  du  sabbat,  comme  toute  loi  positive,  admet  des  excep- 
tions: -—  10  L'exemple  de  David,  recevant,  pour  se  soute- 
nir dans  un  moment  de  détresse,  les  pains  de  proposition  '. 
Cet  argument  suppose  deux  principes,  mais  qui  n'étaient 
pas  contestés  :  le  premier,  que  David  n'avait  pas  péché  en 

1  Luc  ,  XH,  53,  54.  —  2  Joan.,  xii,  42.  —  3  Mattli.,  xxvii,  18,  20;  Marc, 
XV,  10  :  Vae  nobis  miseris,  ad  quos  Pharisaeorum  vitia  Iransierunt! 
S.  Hieron.,  In  Maith.,  xxiii,  6,  Cf.  Bossuet,  Médit.,  liîi-lxv.  Dern.  sem  ; 
Bourdaloue,  Pensées,  —  *  Matth.,  xxin,  8-10.  Beaucoup  de  Pharisiens 
étaient  scribes  on  Docteurs  de  la  loi  ;  mais  ils  ne  rétaicnt  pas  tous.  Ce 
nom  désigne  une  profession,  non  un  parti.  —  ^  Cf.  Joan.,  xx,  16;  I  Cor. 
xn,  28;  I  Tira.,  ii,  7;  IITim.,  i,  li.  —  6  Matth.,  xxiii,  5-7.  Cf.  Jac.»  m,  1- 
—  "f  Matth.,  xxjii,  8, 10.  Cf.  Joan.,  xiii,  13.  —  »  M?itth,,  xii,  3,  4, 


N«188]  SA   VIE  PUBLIQUE.  —  LES  PHARISIENS.  323 

agissant  ainsi  ;  le  second,  que  la  loi  du  sabbat  n'était  pas 
plus  rigoureuse  que  celle  qui  interdisait  aux  laïques  l'usage 
des  pains  consacrés  à  Dieu.  —  2*  L'exemple  des  prêtres, 
à  qui  il  est  permis  de  travailler  ce  jour  (à  pour  le  service 
du  temple.  Cette  exception  faite,  d'où  vient  qu'il  serait  dé- 
fendu de  travailler  pour  le  service  de  Celui  à  qui  le  temple 
est  dédié  »?  —  3*  La  supériorité  des  œuvres  de  miséricorde 
sur  les  observances  purement  religieuses  *.  —  4"  Sa  dignité 
personnelle,  étant,  comme  Homme-Dieu,  au-dessus  de  toute 
règle,  8. 

188.  —  Quel  est  ce  Zacharie,  tils  de  Barachie,  dont  parle 

Notre  Seigneur? 

Il  y  a  divers  sentiments,  plus  ou  moins  plausibles,  sur  la 
personne  de  Zacharie,  fils  de  Barachie  *. 

I.  Plusieurs  interprètes  pensent  qu'il  s'agit  ici  de  celui  que 
les  zélateurs  ont  immolé  dans  le  temple,  ev  jxsow  tw  lepo)  *, 
pendant  le  dernier  siège  de  Jérusalem.  Notre  Seigneur  au- 
rait pu  parler  de  ce  meurtre  à  l'avance  et  annoncer  qu'il 
Siérait  puni;  mais  il  ne  parait  pas  le  faire  ici.  Il  parle  au 
passé,  comme  d'un  crime  déjà  commis. 

II.  D'autres  supposent  qu'il  est  question  de  Zacharie,  le 
dernier  des  petits  prophètes.  Son  père  s'appelait  bien  Bara- 
chie; mais  si  un  personnage  si  connu,  le  plus  récent  des 
prophètes,  avait  été  tué  entre  le  vestibule  et  l'autel,  est-il  à 
croire  qu'il  n'en  fût  fait  mention  nulle  part? 

III.  La  plupart  croient,  comme  S.  Jérôme,  que  ce  Zacha- 
rie est  celui  qui  fut  lapidé  par  Joas,  in  atrio  domus  DotninP, 
c'est-à'dire  dans  le  parvis  des  prêtres,  entre  l'autel  des  ho- 
locaustes placé  en  avant  du  vestibule  et  le  saint  ou  l'enceinte 
qui  précédait  immédiatement  le  Saint  des  saints,  [xsTaÇu  toj 
vaoo  xai  xou  6u(jtaaTr)pcou.  C'était  probablement  un  usage  parmi 
tes  Juifs  d'unir  le  meurtre  d'Abel  à  celui  de  ce  pontife, 
cpnune  les  deux  crimes  les  plus  odieux  qui  eussent  jamais 

été  déjà  commis.  Si  Ton  objecte  que  le  meurtre  de  Zacharie 

» 

*-Matth.,  XII,  6.  Cf.  Joan.,  vn,  22.  —  »  Matth.,  xii,  7.  fnfra,  n,  230j 
-^Matth.,  XXIII,  35.  —  *  Jos.,  B.,  IV,  v,  4.  —  8  u  par.,  xxiv,  21.  -. 


324  JÉsus-cHmsî  selon  l*évan<îile.  [««189 

était  déjà  bien  ancieù  pour,  être  cité  comme  le  dernier 
dont  ils  fussent  couptbles,  on  répond  que  le  livre  dans  le- 
quel on  le  lisait  était  un  des  livres  historiques  les  plus  ré- 
cents de  leur  canonr  Ainsi  le  meurtre  d'Abel  se  lisait  aux 
premières  pages  de  la  Bible,  et  celui  de  Zacharie  aux  der- 
nières. 

La  difficulté  de  ce  sentiment  est  que,  selon  les  Paralipo- 
ménes,  ce  Zacharie  était  fils  de  Joiadas  et  non  pas  de  Bara- 
chie.  On  la  résout  néanmoins  de  plusieurs  manières  :  — 
1**  En  supposant  que  le  père  de  Zacharie,  Joiadas,  avait  deux 
noms,  qu^il  était  surnommé  Barachie  ou  fils  d'Achias,  ce 
qui  n'a  rien  d'invraisemblable.  —  i^  En  prenant  le  mol 
fils  dans  le  sens  de  petit-fils  ou  d'héritier,  ce  qui  a  lieu  fré- 
quemment'. Si  l'on  suppose  Barachie  mort  avant  son  père 
Joiadas,  il  était  naturel  que  l'auteur  des  Paralipomènes 
donnât  à  Zacharie  la  qualification  de  fils,  c'est-à-dire  de  des- 
cendant et  d'héritier  de  Joiadas,  son  aïeul,  plutôt  que  de 
Barachie,  son  père'*  Or,  il  paraît  que  l'âge  de  Joiadas  con- 
firme cette  supposition  •.  -^  3**  En  supposant  que  les  mots, 
fils  de  Barachie,  qui  ne  sont  pas  en  S.  Luc  et  qui  manquent 
dans  >^,  à  cet  endroit  de  S.  Matthieu,  ont  été  introduits  par 
un- des  premiers  copistes,  qui  aura  cru  qu'il  s'agissait  du 
dernier  Zacharie. 

.189.  —  Comment  les  Juifs  canliemporains  de  Notre  Seigoeur  pouvaient- 
ils  être  punis  pour  les  crimes  de  leurs  pères? 

C'est  comme  peuple,  comme  corps  de  nation,  que  les 
Juifs  ont  été  punis  pour  les  crimes  de  leurs  ancêtres.  Or,  il 
est  dans  la  nature  des  choses  que  les  punitions  comme  les 
récompenses  dont  lès  peuples  sont  l'objet  soient  générales, 
et  par  conséquent  ne  s'appliquent  pas  exclusivement  à  ceux 
qui  les  ont  méritées.  Comme  dans  une  famille,  les  enfants 
subissent  toujours  plus  ou  moins  la  conséquèMé  des  fautes 
feommises  par  leur  père,  de  même,  4ans  unenàtion,  les ia* 


;    il 


1  Cf.  Supra,  n.  118,  119.  —  «  I  Parai.,  xxiv,  15.  -  »  S.  Jérôme  dit 
qu'on  lisait  :  filium  Joiada,  dans  l'Evangile  des.NazaHéena»  Brev.jom., 
26  cfec.,. lecî.,YJi-ix.. 


NMÔOI  sa  VlÉ  J>CfiLlQUÊ.  —  LES  PHARISIENS.  328 

dividus  portent  le  châtiment  des  crimes  dont  leurs  chefs  ou 
leurs  ancêtres  se  sont  rendus  coupables.  Nier  la  légitimité 
de  cette  disposition,  ce  serait  contester  à  Dieu  le  droit  de 
ponir  ou  de  récompenser  les  nations  comme  nations,  et 
condamner  ce  qui  fait  l'essence  môme  de  la  société,  la  soli- 
darité des  membres  dans  les  actes  et  dans  les  intérêts  so- 
ciaux. 

Du  reste,  il  y  a  deux  considérations  dont  il  faut  ici  tenir 
compte  :  —  l""  La  part  des  individus  dans  les  châtiments 
publics  ne  va  jamais  au  delà  de  ce  qu'ils  ont  mérité  par 
des  fautes  volontaires,  ou  de  ce  que  la  sagesse  divine  a  droit 
de  leur  imposer  d'épreuves.  —  2*  Au  dernier  jugement, 
Dieu  tiendra  compte  à  chacun  de  tout  ce  qu'il  aura  souffert, 
et  il  réglera  définitivement  notre  sort  sur  la  seule  considé- 
ration de  nos  mérites  ou  de  nos  péchés  personnels  '. 

190.  ^  Pourquoi  Xotre  Seigneur,  la  bonté  même,  prononce-t-ii 
contre  les  Pharisiens  de  si  terribles  anathèmes? 

C'est  pour  le  bien  de  son  œuvre  et  pour  l'instruction  de 
ses  Apêtres,  plutôt  que  dans  l'intérêt  des  pharisiens  et  par 
zèle  pour  leur  conversion  *.  En  effet  : 

!•  Si  son  dessein  principal  avait  été  de  ramener  les  pha- 
risiens, il  est  probable  qu'il  leur  eût  parlé  avec  moins  de 
sévérité;  car  des  hommes  si  vains  et  si  artificieux  devaient 
être  peu  disposés  à  profiter  d'une  humiliation  publique. 

2°  Un  intérêt  supérieur  l'obligeait  de  dévoiler  leurs  dé- 
fauts et  de  les  traiter  sans  ménagements.  Il  était  de  la  plus 
haute  importance  de  prémunir  les  Apôtres  contre  la  conta- 
gion de  tels  exemples.  D'ailleurs  tout  le  monde  connaissait 
Topposition  des  pharisiens  à  sa  doctrine  et  leur  aversion 
pour  sa  personne.  Ces  dispositions,  qui  ne  cessaient  de 
croître,  étaient  le  principal  obstacle  à  la  propagation  de 
l'Evangile.  Il  fallait  donc  que  le  divin  Maître  levât  le  scan- 
dale. Or,  comment  le  faire  sans  démasquer  ces  faux  docteurs, 
sans  montrer  qu'ils  ne  méritaient  aucune  confiance,  que, 

*  Cf.  s.  Aug.,  Qwest,  ex  VeL  Testam.,  xiii,  xiv.  Infra,  n.  931.  — 
*  Brev.,  20  juill.f  leet.  vin,  ix, 

III.  i  9 


â26  JÉSUS-CHRIST  SELON  L*ÉVANGiLE.     -  [n^  191 

loin  d'être  inspirés  par  l'amour  de  la  vérité  et  de  la  vertu, 
ils  obéissaient  aux  instincts  les  plus  pervers,  à  l'intérêt,  à 
l'ambition,  à  la  jalousie,  enfin  à  toutes  les  passions  qui  avaient 
porté  leurs  pères  à  tremper  leurs  mains  dans  le  sang  de  tant 
de  prophètes  ? 

ARTICLE  II. 
Faits   surnaturels  ^ 

191.  —  Qu'y  a-t-il  à  remarquer  dans  les  miracles  du  Sauveur? 

Il  y  a  trois  choses  à  remarquer  dans  les  miracles  du  Sau- 
veur : 

1»  La  puissance  qui  les  opère.  —  Si  Jésus-Christ  a  fait  des 
œuvres*  supérieures  à  toutes  les  forces  humaines,  s'il  a 
commandé  à  la  nature  inanimée  •,  aux  animaux  sans  rai- 
son *,  aux  maladies  et  aux  infirmités  corporelles  *,  à  la 
mort  %  aux  démons  ',  il  faut  conclure  qu'il  avait  une  mis- 
sion divine  et  recevoir  ses  paroles  avec  une  pleine  con- 
fiance :  Hune  Pater  signavit  Deus  ®.  Negare  seipsum  non  po- 
test  ^ 

2**  Les  dispositions  qu'ils  témoignent  *°.  —  La  modestie: 
loin  d'y  mettre  de  l'ostentation,  le  Sauveur  évite  autant 
qu'il  peut  l'éclat  et  le  bruit.  Il  refuse  de  faire  des  prodiges 
dans  le  ciel  **,  parce  qu'ils  n'auraient  eu  d'autre  résultat 
que  de  repaître  la  curiosité  et  d'exciter  l'enthousiasme  **. 

*  Voir  Wiseman,  Mélanges,  ii;  P.  Ventura,  L'école  des  miracles.  — 
3  Les  miracles  de  Notre  Seigneur  sont  toujours  appelés  ses  œuvres  ou 
les  œuvres  de  son  Père  —  3  Matth.,  viii,  26,  27;  xxi,  19-21.  —  *  Matth., 
XVII,  26;  Luc,  v,  6;  Joan.,  xxi,  6.  —  ^  Matth.,  viii,  3,  7,  13,  14;  ix,  6, 
22,29;  XV,  28;  xx,  34;  Marc,  vu,  34,  35;  Luc,  xiv,  4;  xvii,  14;  Joan., 
IV,  50;  v,  19,  20.  —  6  Matth.,  iv,  25;  Luc,  vu,  4;  Jban.,  xi,  4â,  44.  — 
^  Matth.,  viii,  32;  ix,  33;  xii,  22;  xvii,  16;  Marc,  i,  25,  26;  Luc,  iv,  41; 
XIII,  12,  etc.  —  8  Joan.,  vi,  27.  Sicut  cum  aliquis  defert  litteras.annulo 
régis  signatas ,  creditur  ex  voluutate  régis  processisse  quod  illis  contî- 
netur.  S.  ïhom.,  p.  3,  q.  43,  a.  1.  —  »  II  Tim.,  ii,  13!  Cf.  ftfatth.,  ix,  6; 
XI,  4,  5;  XII,  28,  41,  42;  Marc,  iv,  40;  Luc,  iv,  36;  vu,  21-23;  Joan,, 
11,  23;  m,  2;  v,  23,  36;  vi,  14;  vu,  21,  31;  x,  25,  38.;  xi,  42,47,  48; 
xiv,  12;  XV,  24.  —  *o  Interrogemus  ipsa  miracula  :  habent  enîm,  si  în- 
tolligantur  linguam  suam.  S.  Aug.,  In  Joan,,  xxiv,  2.  —  ^^  Matth.,  iv, 
6,  7,  XVI,  1.  Cf.  Act.,  Il,  19.  —  12  Matth., .IV,  4,  7;  xvi,  1-4;  xxvii,  42; 


N0l9!i       SA  VIE  PtBLÏQtÊ.  —  f^AlTS  SURNATURELS.  327 

Souvent  môme  il  recommande  le  silence  à  ceux  qu'il  a  gué- 
ris *.  —  Le  désintéressement  :  jamais  il  n'use  de  sa  puis- 
sance pour  lui-même,  afin  de  se  défendre  ou  de  se  soulager*. 
—  La  bonté  :  quand  il  fait  un  miracle^  c'est  pour  répondre 
aux  sollicitations  des  malheureux  ',  pour  subvenir  à  leurs 
besoins  *,  pour  montrer  la  vérité  de  sa  doctrine  •,  pour 
encourager  la  foi  de  ses  disciples  •.  —  On  ne  peut  citer  du 
Sauveur  qu'un  miracle  de  justice  ''  et  un  autre  ayant  pour 
but  de  prouver  sa  puissance';  encore  la  miséricorde  a-t-elle 
une  grande  part  dans  Tun  comme  dans  l'autre. 

3*  Les  instiMions  qu'ils  présagent.  —  Les  saints  Docteurs, 
qui  regardent  la  création  du  monde  comme  une  ébauche  de 
la  formation  de  l'Eglise,  voient,  dans  les  miracles  opérés 
par  le  Sauveur  en  faveur  des  corps,  un  indice  et  comme 
une  figure  de  ce  qu'il  se  proposait  de  faire  bientôt  d'une 
manière  permanente  dans  l'intérêt  des  âmes.  Ainsi,  quand 
il  tire  les  morts  du  sépulcre,  il  fait  entendre  qu'il  saura 
rendre  aux  âmes  la  vie  de  la  grâce.  Quand  il  chasse  les  dé- 
mons des  corps  des  possédés,  il  annonce  le  dessein  où  il  est 
de  délivrer  de  leur  tyrannie  tous  les  enfants  d'Adam.  En 
donnant  la  santé  aux  malades,  il  fait  pressentir  les  secours 
surnaturels  par  lesquels  il  viendra  en  aide  à  notre  faiblesse 
et  remédiera  à  nos  infirmités.  Enfin,  les  signes  extérieurs 
p'il  emploie  dans  ces  circonstances  et  les  paroles  qu'il  pro- 
nonce sont  comme  la  figure  des  sacrements  qu'il  doit  éta- 
blir dans  l'Eglise  et  disposent  à  croire  à  leur  efficacité  •.  Ces 
miracles  sont  donc  éminemment  significatifs;  et  c'est  sur- 
tout dans  cette  partie  qu'il  convient  d'appliquer  à  l'histoire 


Marc.,  vin,  11-13;  Luc,  xxin,  8,  9;  Joan.,  vi,  30;  vu,  4,  6;  xvi,  20. 
Cr.  HemiL  Cletn.,  n,  33. 
*  Matth.y  vin,  4;  iv,  30;  xvii,  9;  Marc.,  v,  43;  vn,  36;  vin,  26,  etc. 

—  *  Matth.,  XXVI,  53;  Marc.,  i,  13;  Luc,  xxii,  53;  xxni,  8,  9.  —  8  Matth., 
vni,  2;  XV,  28.  —  *  Matth.,  xv,  32,  36;  Luc,  vu,  13;  Act.,  x,  38.  — 
*  Lac,  V,  4;  Joan.,  xi,  42.  —  •  Matth.,  vin,  13;  Marc,  v,  36;  Joan., 
1Y,  48;  XI,  15,  42.  —  ^  Matth.,  xxi,  19;  Marc,  xi,  13.—  «  Joan.,  xvin,  6. 

—  '  9.  Aog.-,  In  Joan. y  xvn,  5.  Réciproquoment,  les  effets  surnaturels 
•qitié  les  iftinistres  éVL  Sauveur  ont  produits  daas  les  âmes  confirment  la 
réalité  des  miracles  quil  4i  d'abord  opérés  sur  les  corps. 


328  ^Éaus-CHRisî  selon  l'évaNGilë.  [n^  192 

du  Sauveur  ce  qu'a  dit  Origène,  qu'elle  est  esprit  et  corps, 
comme  sa  personne  *. 

§  I.  —  Délivrance  des  possédés. 

192.  —  Pourrait-on  révoquer  en  doute  la  réalité  des  possessions 

rapportées  dans  l'Évangile  ? 

Il  serait  contraire  à  la  raison  comme  à  l'autorité  de  nier, 
soit  la  possibilité  des  possessions  diaboliques  en  général, 
soit  la  réalité  de  celles  qui  sont  décrites  dans  l'Evangile. 

I.  Qu'il  puisse  y  avoir  des  possessions  de  ce  genre  et  qu'il 
y. en  ait  eu,  dans  bien  des  occasions,  c'est  ce  qu'attestent, 
indépendamment  des  Evangiles  :  1°  La  croyance  de  tous  les 
peuples,  des  Gentils  aussi  bien  que  des  Juifs  *.  Jamais  Celse 
ni  Porphyre  '  n'ont  nié  la  réalité  de  ces  faits  ;  et  Julien  ac- 
corde que  le  Sauveur  a  pu  délivrer  des  énergumènes,  et 
faire  quelques  opérations  diaboliques  *.  —  2°  Une  multitude 
de  fait  historiques  de  toutes  les  époques*.  — 3®  Le  pouvoir 
de  chasser  les  démons,  Saijxovta,  exercé  en  diverses  occa- 
sions par  les  Apôtres*.  —  4**  L'ordre  d'exorciste,  toujours 
conféré  aux  ministres  de  l'Eglise  et  toujours  exercé  quand 
il  y  a  lieu.  —  5**  Les  effets  les  plus  constants  du  magnétisme 

^  Non  frustra  fiebant  miracula,  et  aliquid  nobis  pro  salute  œterna 
figuràbant.  S.  Aug.,  Serm,  cxxiv,  l.  Innuunt  aliquid  :  indicare  volant 
aliquid;  intentes  nos  faciant.  In  Joan.^  xv,  6.  Factum  audlvimus,  mys 
terium  requiramus,  l,  6.  Brev.  rom.,  Domin.  Quinquag,,  lect.  vm,  et 
4  maiiy  lect.  viii  et  ix;  S.  Thom.,  1*  q.  1,  a.  10;  et  2« ,  q.  178,  a.  1,  ad  3. 
InfrUy  ïu  196,  210«  Les  miracles  du  Sauveur,  souvent  nommés  dv^a(iEtc, 
virtuteSi  par  les  Synoptiques  (12  fois)  et  repaTa,  prodigia,  par  S.  Lac, 
dans  les  Actes,  sont  toujours  appelés  par  S.  Jean  epya»  ««Xa  epya,  et 
surtout  (n}(ieia,  signa  (17  fois).  C'est  dans  le  dernier  évangile  qu'on  voit 
le  mieux  dans  quelle  intention  ils  sont  rapportés  et  dans  quel  dessein 
ils  ont  été  opérés.  —  s  cf.  Matth.,  xii,  24;  Luc,  x,  17;  Act.,  xix,  13. 
Euseb.,  Prap,  ^vang*,  iv,  22;  v,  17.  —  3  Cf.  Lucien,  Philopseudes^  16, 17. 
Jamblic,  Segm.j  m,  c.  xxxii.  —  *  S.  Cyrill.  Alex.,  Cont.  Julian,,  vi.  Cf. 
Origen.,.  Cont  Ceh.,  i,  6,  38,  60;  ii,  49;  viii,  9.  —  8  Tert.,  Apohg.,  23; 
Euseb.,  £f.,  IV,  7  ;  vu,  10 ;  S.  Athan.,  Vita  S,  Anton.;  S.  Paulin.,  Natal,  VH 
S.  Felic;  Sulp.  Sev.,  Dialog,,  in;  Collet,  Vie  de  Boudon;  Dictûmn.  de 
myst,  chrét.y  Annales  de  la  Prop,  de  la  foi,  nov.  1867,  p.  440,  etc.  — 
0.  Act.,  V,  16;  xyi,  18,.  Aat|Aovia  et  Saifiovec  sont  souvent  employés  aa 
pluriel  ;  éio(6o>oç  ne  l'est  jamais  qu'au  singuUer. 


N«  193]      SA.  VIE  PUBLIQUE.  — -  POSSÉDÉS  DÉLIVRÉS.  329 

humain.  Il  est  établi  par  une  foule  d'expériences  contempo- 
raines qu'un  homme  peut  souvent  par  sa  volonté  produire 
sur  d'autres  hommes  des  effets  sensibles,  leur  enlever  la 
disposition  de  leurs  membres,  les  mouvoir  à  son  gré,  etc. 
Peut-on  admettre  qu'un  homme  ait  ce  pouvoir,  et  qu'un 
ange,  qu'un  démon  ne  puisse  l'avoir? 

II.  D'un  autre  côté,  que  les  possessions  rapportées  dans 
l'Evangile  y  soient  données  par  les  auteurs  sacrés  pour 
réelles  et  non  pour  imaginaires  seulement,  c'est  ce  qui  ré- 
sulte avec  évidence  de  la  lecture  du  texte  S  de  la  distinction 
des  malades  et  des  possédés,  faite  expressément  par  les 
Evangélistes,  par  S.  Luc  qui  était  médecin,  aussi  bien  que 
pars.  Matthieu  et  S.  Marc",  des  paroles  fort  différentes 
que  Notre  Seigneur  adresse  aux  uns  et  aux  autres  ',  de  la 
manière  dont  il  s'exprime  sur  les  possessions  *,  enfin  de 
l'impossibilité  oii  l'on  est  d'expliquer  autrement  certains 
faits  décrits  dans  l'Evangile,  par  exemple  les  connaissances 
extraordinaires  que  manifestent  les  possédés  *,  la  perte  des 
troupeaux  de  porcs  à  Gadare,  etc.  •. 

*  i93.  —  Y  avait-il  en  Judée^  au  temps  de  Notre  Seigneur  plus  de 

possédés  qu'ailleurs? 

I.  Il  semble,  au  moins,  qu'il  y  avait  en  Judée  plus  de  pos- 
sessions qu'on  n'en  voit  parmi  les  chrétiens.  Le  démon  de- 
vait faire  les  derniers  efforts  pour  soutenir  son  empire  ;  et 
il  est  possible  que  Dieu  lui  ait  donné  à  dessein  une  grande 
liberté  à  cette  époque,  soit  pour  rendre  sensible  l'état  géné- 

"  *  UEvangile  n'emploie  pas,  il  est  vrai, le  mot  de  possédés;  mais  il  use 
de  termes  plus  énergiques  encore  pour  exprimer  Tassujettissement  des 
possédés  aux  démons  :  $ai(Jiovi2^0{jievoi^  ÔatpiovtaOsvTei; ,  exovte;  6ai{jioviov 
on  icvcupia  axaôapxov.  De  même  des  Actes  :  xaTaôuvaerreuojjievoi  \mo  tou 
8w6oXou,  X,  38.  Commcntatoris  ofllcium  est,  non  quid  ipse  velit,  sed 
quid  scntiat  ille  quem  interpretatur,  exponere ,  dit  S.  Jérôme  ;  alioqui , 
non  tàm  interpres  erit  quam  adversarius  ejus  quem  nititur  explanare. 
Epist  XLVJii,  16.  —  a  Matth.,  iv,  24;  x.  8;  Marc,  i,  32;  Luc  ,  iv,  40, 
41,  etc.  —  3  Matth.,  xvii,  17;  Marc,  i,  25;  Luc,  iv,  51  ;  vi,  H,  18; 
vui,  2;  xni,  32;  xix,  12;  Act.,  xvi,  18.  —  *  Matth.,  xii,  25,  43-45;  Luc, 
X,  17,  18-;  XI,  17.  —  5  Marc,  i,  ^^4;  v,  7;  Luc,  iv,  34,  41.  —  «  Matth., 
▼m,  32. 


330  JÉSUS-CHHIST  SELON  JL^ÉVANGItE.  [N<»  194 

rai  des  âmes  et  le  besoin  qu'on  avait  d'un  Sauveur,  soit 
pour  confondre  le  matérialisme  ded  Saducéens,  fort  répandu 
dans  les  classes  élevées  de  la  nation  juive,  soit  pour  donner 
plus  d'éclat  au.  triomphe  de  son  Fils  sur  les  puissances  de 
l'enfer  K  Ainsi  les  prodiges  de  Moïse  et  la  défaite  des  magi- 
ciens de  Pharaon,  qui  marquèrent  la  fin  de  la  captivité 
d'Egypte,  ont  été  pour  les  Israélites  le  signal  de  la  déli- 
vrance. 

II.  Les  évangélistes  ne  signalent  que  sept  possédés,  déli- 
vrés par  Notre  Seigneur  dans  le  cours  de  ses  prédications  : 

lo  Le  possédé  de  Gapharnaûm,  Marc,  i,  23-28. 

2^  Le  possédé  aveugle  et  muet,  Matth.,  xii,  22-30. 

3®  Les  possédés  de  Gadare,  Matth.,  vm,  28-34. 

4*  Le  possédé  muet,  Matth.,  ix,  32-34. 

5<>  La  fille  de  la  Ghananéenne,  Matth.,  xv,  21-28. 

6°  Le  lunatique,  Matth.,  xvii,  14-20. 

7*  La  femme  courbée,  Luc,  xiii,  11-13. 

Mais  on  en  voit  d'autres  dans  les  Actes  "  ;  et  il  est  certain 
que  le  Sauveur  en  a  délivré  un  plus  grand  nombre  que 
ceux  qui  sont  désignés  par  les  évangélistes'.  Pertransiit 
benefaciendo  et  sanando  omnes  oppressas  a  diabolo^  dit 
S.  Pierre  ♦. 

Possédé  de  CapharnaUm.  Marc.,  i,  23-28. 

194.  —  D'où  vient  que  le  démon  proclamait  ainsi  la  sainteté  sur- 
humaine du  Sauveur,  et  que  le  Sauveur  lui  imposait  silence,  Marc., 
1,24,25? 

I.  Le  démon  appelait  Notre  Seigneur  le  Saint  par  excel- 
lence, le  Saint  de  Dieu^  o  Afto;  tou  0£ou  **,  sans  croire  peut- 
être  à  ce  qu'il  disait,  comme  lorsqu'il  l'appelait  Fils  de  Dieu, 
0  Ttoç  TOU  0coo  *.  Pour  la  divinité  du  Sauveur  au  nioins,  la 
plupart  des  Pères  pensent  qu'il  en  a  douté  jusqu'à  la  résur- 

1  Matth.,  XII,  28;  I  Joan.,  m,  8.-2  Act.,  v,  16;  vm,  7;  xvi,  16-18; 
XIX,  12,  etc.  —  8  Matth.,  viii,  16;  Marc,  i,  39;  Luc,  vui,  2.  —  *  Act., 
X,  38.  AtaêoXoc,  esprit  mauvais,  plus  rarement  employé  dans  le  Nouveau 
Testament,  que  Aai(i.ovec  et  Aatiiovia.  —  ^  Âyioç,  opposé  à  axaBapToc, 
Marc,  I,  24.  Cf.  Act.,  viii,  14.  —  6  Marc,  m,.  12;  Luc.,  iv,  41.  Cf.  Matth., 
V,  29.  Supray  n.  464, 


]«»-l95J      SA  VIE  PUBLIQUE.  —  POSSÉDÉS  DÉLIVRÉS.  331 

rectioD,  et  qu'il  eut  recours  à  divers  artifices  pour  s^assurer 
delà  vérité*. 

iL  Nôtre  Seigneur  avait,  pour  faire  taire  le  démon^  les 
mêmes  raisons  qui  le  portaient  à  recommandQr  sur  oe  sujet 
le  silence  à  ses  Apôtres  *.  De  plus,  il  devait  trouver  peu  con- 
venable de  s'eîitendre  louer  par  le  père  du  lùensonge  ou  de 
laisser  instruire  ses  disciples  par  un  tel  maître  '.  C'est  pour 
une  raison  semblable  que  S.  Paul  ferma  la  bouchie  à  la  pos- 
sédée djd:  Philippes,  quando  spiritm  pythoniats  evangelista 
me  conatus  est  *. 

Possédé  aveugle  et  muet.  Matth.,  xii,  22-30;  Marc,  nU  22-30; 

Lnc,  XI,  44-26. 

195.  —  Qu'entendait  Notre  Seigneur,  quand  il  disait. :.Ft7u  vesttn^ 

in  quo  ejiciunt^  Matth.,  xii,  27? 

.  Suivant  plusieurs  interprètes,  Notre  Seigneur  désignait 
par  ces  mots,.  filU  vestri^  ceux,  de  ses  disciples  qui  faisaient 
ces  prodiges  en  son  nom*.  Suivant  les  autres,  il  avait  en 
vue  certains  ministres  de  la  synagogue  qui  faisaient  profes- 
sion d'exorciser,  en  récitant  certaines  prières  sur  les  pos- 
sédés «,  Dans  les  deux  cas,  il  mettait  les  Pharisiens  en  con- 
tradiction avec  eux-mêmes  ;  car  ils  n'avaient  de  prévention 
et  n'exerçaient  d'hostilité  que  contre  lui. 

La  réflexion  du  Sauveur  :  Quomodo  potest  Satanas  Sata- 
mm  ejieere^'ï  stiffit  pour  confondre  tous  ceux  qui,  dans  les 
premiers  temps,  ont  attribué  ses  miracles  à  Topération  du 
démon.  Il  est  manifeste  que  l'enfer  n'a  jamais  eu  de  plus 
grand  ennemi  que  Jésus-Christ,  et  que  Satan  est  forcé  de 

*  Cf.=  Matth.,  IV,  %,  6,  et  s.  Thom.,  p.  1,  q.  64,  a.  1,  ad  4;  a.  2,  ad  5; 
p.  3,  q.  41,  a.  1,  ad  1  ;  q.  44,  a.  1,  ad  2;  Bossuet,  Lett.  à  M.  Cccpperonnier, 
•^  *  Marc,  I,  25.  Cf.  Tert.,  Adv,  Marc,  iv,  8.  Supra^  n.  464,  Infràj  n.  217. 

—  *  Eccli.,  XV,  9.  ïdeo  legem  nobis  imposuit  ne  quo  pacto  dœmoni  cre- 
damus,  licet  véri  aliquid  dixerit,  dit  S.  Chrysostome.  Serm.  de  Lazar.^ 
n,  2.  Notre  Seigneur  apprend  en  même  temps,  dit  S.  Ambroiso,  à  ne 
pas  nous  faire  les  disciples  des  hérétiques,  lors  môme  qu'ils  défendent 
certaines  vérités.  —  *  S.  Aug.,  De  div,  gùxst.^  H,  ni,  30;  Act.,  xvi,  16. 

-  »  Matthk,  X,  a;  Luc,  x,  17.  Cf.  ix,  49.  —  «  Act.,  xix,  13.  Cf.  Jos.,  A., 
VHl,  iiy.b;  fi.,  Vil,  VI,  3;  S.  Iren.,  II,  vi,  2;  S.  Thom.,  p.  3,  q.  43,  a.  2, 
«13.  1- T.Marcy  ai;  23.  .    -        . 


332  JÉSUS-CHBIST  SELON  l'évangile.  [n<»  196 

reconnaître  en  lui  son  vainqueur*.  En  coopérant  à  ses  pro- 
diges, le  démon  eût  travaillé  au  triomphe  de  son  ennemi  el 
à  sa  propre  ruine,  ce  qui  ramènerait  l'intervention  de  la  sa- 
gesse et  de  la  puissance  divines  en  faveur  du  christianisme*. 

Possédés  Géraséniens.  Matth.,  tui,  28-34;  Maro.,  y,  i'20; 

Luc,  viii,  26-39. 

196.  —  Faut-il  prendre  à  la  lettre  tout  ce  qui  est  dit  de  ces  possédés? 

Ni  la  réalité  du  fait  ni  son  caractère  surnaturel  ne  peu- 
vent être  mis  en  doute.  L'étrangeté  des  circonstances  en 
confirme  Tauthenticité.  Au  témoignage  des  Synoptiques, 
qui  les  rapportent,  on  pourrait  ajouter  celui  d'Eusèbe,  évo- 
que de  Çésarée,  qui  a  visité  ces  lieux  en  295.  Cet  historien 
atteste  avoir  trouvé  le  souvenir  de  ce  miracle  si  bien  con- 
servé parmi  les  habitant^  du  lieu,  qu'ils  lui  ont  montré  les 
sommets  du  haut  desquels  les  troupeaux  de  porcs  s'étaient 
précipités  dans  la  mer*.  Peut-être  ces  animaux  apparte- 
naient-ils à  des  Gentils,  Gadare  (car  il  paraît  qu'on  doit  lire 
Gadara,  et  non  Gerasa),  étant  une  ville  grecque  de  la  Pérée, 
récemment  annexée  à  la  Galilée  *  ;  peut-être  étaient-ils  à 
des  Juifs  qui  les  élevaient  dans  le  dessein  de  les  vendre*. 
Aux  environs  de  la  ville  croissaient  des  forêts  de  chênes. 

En  donnant  au  démon  la  faculté  qu'il  demande  •,  le  Sau- 

*  Luc,,  X,  18;  Joan.,  xii,  31;  Col.,  i,  12;  ii,  15;  Heb.,ii,  14;  Apoc.,xii,9. 

—  s  Le  mot  du  divin  Maître  :  Qui  non  est  mecum  contra  me  est^  30, 
n'est-il  pas  contraire  à  cet  autre  :  Qui  non  est  adversum  vos  pro  vobis 
est?  Luc,  IX,  50.  On  a  répondu  que  ces  deux  propositions,  loin  d*ètre 
opposées,  sont  corrélatives  et  résultent  logiquement  Tune  de  l'autre; 
mais  cette  réponse  a  le  tort  d'attribuer  à  ces  propositions  un  sens  abs- 
trait et  absolu  qui  ne  semble  pas  être  le  leur.  Pour  résoudre  la  difficulté 
et  satisfaire  Tesprit,  il  suffit  de  préciser  les  circonstances  dans  les- 
quelles elles  ont  été  proférées.  Quand  la  première  a  été  dite,  Tintérèt  du 
Sauveur  exigeait  qu'on  se  déclarât  pour  lui.  Au  moment  de  la  seconde, 
il  suffisait,  pour  le  succès  des  Apôtres,  qu'on  leur  laissât  le  champ  libre. 
<(  Qui  n'a  pas  appris  dans  le  cours  d'une  longue  vie  que^  selon  les  circons- 
tances et  les  personnes,  celui  qui  s'abstient  de  concourir  et  se  tient  à 
récart,  tantôt  donne  appui  et  force,  tantôt  au  contraire,  nuit  et  entrave?  » 

—  3  Apud  S.  Hieron.,  de  situ  et  nom.  heb.y  Gergesa.  —  *  Cf.  Joseph., 
Vita,  9-12,  —  8  Cf.  Luc,  xv,  15.  —  6  s.  Augustin  fait  là-dessus  cette 
remarque  :  Non  habeatis  pro  magno  exaudiri  ad  voluntatem;  habete 


nM98]     sa  vie  publique.  —  possédés  déuvrés.  333 

Yeur  se  propose  :  —  1°  De  rendre  plus  certaine  et  plus  écla- 
tante la  réalité  du  miracle  qu'il  vient  d'opérer*.  —  2°  De 
faire  voir  quelle  est  la  puissance  des  démons,  et  ce  qu'ils 
feraient  de  leurs  esclaves,  si  Dieu  n'enchaînait  leur  fureur. 
—  3*  De  faire  entendre  que  ceux  qui  vivent  conime  ces  ani- 
maux méritent  d'être  livrés  à  Satan  et  précipités  avec  eux 
dans  l'enfer  *. 

Possédé  lunatique.  Mattb.,  xvii,  14>20;  Maro.,  ix,  14-28;  Lac,  ix,  37-43. 

197.  —  L'état  de  cet  enfant  dépendait-il  réellement  des  révolutions 

lunaires? 

Son  père  le  regarde  comme  possédé  du  démon,  puisqu'il 
demande  à  Notre  Seigneur  de  le  délivrer.  Lorsqu'il  l'ap- 
pelle lunatique,  il  est  probable  qu'il  ne  veut  dire  qu'une 
chose  :  c'est  que  ses  convulsions  reviennent  d'une  manière 
périodique,  aux  pleines  lunes  ou  aux  nouvelles  lunes.  S'il 
attribuait  ses  accès  aux  phases  mêmes  de  la  lune,  à  leur  in- 
fluence, rien  n'obligerait  d'adopter  son  sentiment,  le  Sau- 
veur n'ayant  rien  dit  ni  rien  fait  qui  le  confirme  ;  et,  si  on 
l'adopte,  on  n'en  est  pas  moins  forcé  de  reconnaître  un 
miracle  dans  la  guérison  de  l'enfant. 

198.  —  Si  Notre  Seigneur  a  pu  laisser  ce  père  dans  cette  fausse  persua- 
sion, n'a-t-il  pas  pu  également  laisser  les  Juifs  attribuer  au  démon  de 
prétendues  possessions  dont  il  n'était  pas  la  cause? 

C'est  à  tort  qu'on  voudrait  conclure  de  la  réserve  du  Sau- 
veur en  cette  circonstance,  qu'il  a  pu  agir  comme  il  a  fait 
à  l'égard  des  possédés,  sans  croire  aux  possessions.  Les  cas 
sont  bien  différents.  Il  n'est  parlé  de  lunatiques  qu^en  deux 
endroits  de  l'Evangile  ',  et  ni  dans  l'une  ni  dans  l'autre  de 
ces  occasions,  Notre  Seigneur  ne  s'est  expliqué  sur  la  va- 
leur de  ce  terme.  On  ne  saurait  citer  de  lui  une  parole  ni 

pro  magno  exaudiri  ad  utilitatem  ;  ad  voluntatem  enim  etiam  dsemones 
exauditi  sunt.  Serm,  cccliv,  7.  In  Joan.f  vu,  7,  8.  /n/Va,  n.  342. 

*  Marc,  V,  19.  Infra,  n.  230.  —  «  Cf.  Jud  ,  10  ;  Apec,  xix,  20  ;  S.  Thom., 
P-  3,  q.  44,  a,  1,  ad  4.  Sur  les  caveaux,  ou  grottes  sépulcrales  chez  les 
inifs,  voir  I  Mac,  xiii,  27;  Matth.,  xxiii,  27;  xxvii,  60;  Joan.,  xx,  6.— 
'  Matth.,  IV,  24;  XVII,  14. 

19. 


334  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n®  199 

un  acte  qui  suppose  la  réalité  de  cette  influence  lunaire. 
C'est  le  contraire  lorsqu'il  s'agit  de  possédés.  Toujours  et 
partout,  ici  comme  ailleurs,  il  suppose  que  la  cause  de  leur 
état  réside  dans  un  esprit  personnel  et  méchant  auquel  ik 
sont  assujettis.  Il  adresse  la  parole  à  cet  esprit;  il  lui  donne 
des  ordres,  il  le  menace;  il  affirme  qu'il  fait  partie  du 
royaume  de  Satan  ;  il  donne  à  ses  Apôtres  le  pouvoir  de  le 
chasser;  il  assure  qu'il  l'a  vu  précipité  du  ciel*.  Loin  de 
faire  entendre  que  leur  Maître  parle  en  figure,  les  Evangé- 
listes  confirment  encore  le  sens  littéral  de  ses  paroles,  en 
affirmant  avec  précision  que  le  démon  demanda  grâce,  qu'il 
rendit  hommage  au  Christ,  au  Fils  de  Dieu,  qu'il  proclama 
sa  sainteté,  qu'il  sollicita  un  délai,  enfin  qu'il  s'empara,  en 
sortant,  d'un  troupeau  et  qu'il  le  précipita  dans  la  mer. 
Ajoutons  que  l'Eglise  de  tous  les  temps  a  vu  dans  ces  récits 
des  possessions  véritables,  et  qu'il  serait  contraire  aux 
règles  de  l'herméneutique  comme  aux  décrets  du  concile 
de  Trente  d'interpréter  l'Ecriture  autrement  qu'on  l'a  tou- 
jours comprise  et  expliquée  '. 

199.  —  Comment  faut-il  entendre  cette  parole  de  Notre  Seigneur  aux 
Apôtres  :  Si  habueritis  fidem  sicut  granum  sinapis^  etc.,  Mattli., 
XVII,  19? 

Les  Apôtres  avaient  certainement  la  foi,  et  même  une  vi- 
vacité de  foi  peu  commune.  Néanmoins  ils  auraient  dû  en 
avoir  davantage,  vu  les  prodiges  dont  ils  avaient  été  té- 
moins et  les  grâces  qu'ils  recevaient  dans  la  société  du  Sau- 
veur. Voilà  pourquoi  Dieu  ne  donnait  pas  encore  à  leur  pa- 

1  Luc,  X,  17,  18.  —  8  Gonc.  Trid.,  sess.  iv,  de  usu  sac.  lib.  Les  pro- 
testants ont  longtemps  torturé  l'Évangile  pour  soutenir  qu'il  n'y  est  pas 
du  tout  question  de  possession  ni  de  démons.  Aujourd'hui,  on  en  voit 
qui  sont  d'un  avis  tout  opposé.  «  U  est  évident,  disent-ils,  que  Jésus 
croyait  aux  démons  et  aux  possédés  ;  cela  prouve  qu'il  était  sujet  comme 
nous  aux  préjugés  ot  à  Terreur.  »  Au  fond,  ni  les  uns  ni  les  autres  n'ad- 
mettent Texistence  des  démons.  On  n'est  pas  encore  tout  à  fait  saddu- 
céen  ou  matérialiste  ;  mais  le  surnaturel  effraie ,  et  l'on  a  horreur  do 
tout  ce  qui  tient  k  Tenfer.  C'est  en  vain  que  le  démon  rend  son  actioD 
palpable  dans  une  foule  d'opérations  qui  ne  sauraient  avoir  pour  auteur 
ni  r homme  ni  Dieu. 


N«ÎOO]       SA   VIE  PUBLIQUE.  —  POSSÉDÉS  DÉLIVRÉS.  338 

rôle  Tefficacité  qu'il  lui  donna  plus  tard,  et  pourquoi  ils 
n'exerçaient  pas  sur  les  démons  tout  l'empire  qu'on  leur 
attribuait  et  qu'ils  croyaient  avoir.  C'est  cette  vérité  salu- 
taire que  le  divin  Maître  leur  fait  sentir  en  leur  reprochant 
eur  incrédulité,  c'est-à-dire  leur  peu  de  foi  *  :  t  Si  vous 
,viez  la  foi  que  vous  devriez  avoir,  leur  dit-il,  si  vous  en 
iez  utilement  un  grain,  un  atome,  rien  ne  vous  résiste- 
t.  »  Il  y  a  évidemment  dans  ces  paroles  une  figure,  une 
oie  inspirée  par  le  zélé.  Pour  exciter  l'ardeur  de  ses 
s,  ce  divin  Maître  fait  ressortir  le  plus  possible  le  be- 
u'ils  ont  d'une  vive  foi  et  les  avantages  qu'elle  leur 
urerait.  C'est  ainsi  que,  pour  porter  une  âme  à  la  per- 
n,  nous  lui  disons  :  «  Si  vous  aviez  un  peu  de  vertu, 
s  aviez  un  peu  de  ferveur  !  t  tout  en  sachant  qu'elle 
t  pas  dépourvue  ".  Le  Sauveur  donne  au  mot  fides 
analogue,  quand  il  dit  du  centenier  :  Non  inverti 
fm  in  Israël^,  t  La  foi  du  peuple  d'Israél,  c'est-à-dire 
nd  nombre  en  Israël,  est  moins  vive  que  celle- 
:  «  Personne  en  Israël  ne  m'a  donné  un  té- 
i  si  touchant.  » 

théologiens  distinguent  la  vertu  de  foi,  né- 

toii^^r  le  salut,  du  don  de  foi  qui  fait  des  pro- 
lel  i^^le  partage  que  d'un  petit  nombre  \ 


n 
un 
tan 
du 


§IL 


llRACLES  PROPREMENT  DITS. 


200B-  Quels  son? 


L'Eva 

vingt- 


hul 


rile  sii 


principaux  miracles  du  Sauveur  dans 
rÉvangile? 

entre  un  grand  nombre  d'autres  *, 
du  Sauveur. 


*  Cf.  XXI,  21.  I  Cor.,  XIII,  2,  semble  faire  allusion  à  l'Évangile.  —  s  ci. 
Brev.  rom.,  17  noi).,  lect.  vu,  S.  Thom.,  2»  2»,  q.  5,  a.  4.  —  3  Matth., 
VIII,  10.  Cf.  Luc,  XVIII,  8.  In  oliva  non  inveni  quod  inveni  in  oleastro. 
Ergo  oliva  superbiens  prsecidatur;  oleaster  humilis  inscratur.  S.  Aug., 
In  hune  loc,  —  ♦  Donum  fidei  electum.  Sap.,  m,  14.  —  *  Les  évangé- 
listes  afQrment  expressément  que  Notre  Seigneur  en  a  fait  une  multi- 
tude d'autres  :  Matth.,  iv,  23;  xi,  5;  xxi,  14;  Marc,  m,  10;  Luc,  v, 
i5-l7;vi,  18-19;  Joan.,  ii,23;  vi,  2;  vu,  31;  xi,  47;  xx,  30;  xxi,  25. 


336  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n<>  200 

I.  Dix  sur  la  nature  : 

!•  Celui  de  Gana,  Joan.,  ii,  1-11. 
2^  La  première  pèche  miraculeuse,  Luc,  y,  1-il. 
30  La  seconde,  Joan.,  xxi,  1-13. 
4<»  La  tempôte  apaisée,  Matth.,  viii,  23-27. 
5»  S.  Pierre  marchant  sur  les  flots,  Matth.,  xnr,  33-36. 
&*  La  monnaie  dans  la  bouche  du  poisson,  Matth.,  xvii,  23-26. 
7»  La  première  multiplication  des  pains,  Matth.,  xiv,  15-21. 
80  La  seconde,  Matth.,  xv,  32-38. 
9°  Le  figuier  desséché,  Matth.,  xxi,  17-22. 
lOo  La  transfiguration,  Matth.,  xvii,  1-9. 

II.  Quinze  sur  les  maladies  : 

1»  Un  lépreux  guéri,  Matth.,  vin,  1-4. 

2«  Les  dix  lépreux,  Luc,  xvii,  12-19. 

30  Le  paralytique  des  Synoptiques,  Matth.,  ix,  1-7. 

4«  Celui  de  S.  Jean,  v,  1-15. 

5*  L'homme  à'  la  main  desséchée,  Matth.,  xii,  9-13. 

6«  L'hémorrhoîsse,  Matth.,  ix,  20-22. 

70  La  belle-mère  de  S.  Pierre  *,  Matth.,  viii,  14-15. 

8»  L'aveugle-né,  Joan.,  ix. 

9**  L'aveugle  de  Bethsaïde,  Marc,  vm,  22-26. 
10«  Les  deux  aveugles,  Matth.,  ix,  27-31. 
11 0  Les  deux  aveugles,  près  de  Jéricho,  Matth.,  xx,  29-34. 
12*  Le  sourd-muet,  Marc,  vu,  32-37. 
13«  L'hydropique,  Luc,  xiv,  2-6. 
14<»  Le  fils  du  prince  de  Capharnaûm,  Joan.,  rv,  46-54. 
150  Le  serviteur  du  Centenier,  Matth.,  vm,  5-13, 

III.  Troie  sur  la  mort  : 

lo  La  fille  de  Jaïre  rappelée  à  la  vie,  Matth. ,*ix,  18-26. 
2»  Le  fils  de  la  veuve  de  Naïm,  Luc,  vu,  11-17. 
30  Lazare,  Joan.,  xi,  1-45. 

Quatorze  de  ces  miracles  nous  donneront  lieu  de  faire 
quelques  questions. 

^  H  icevOepa,  mater  tixoris,  Matth.,  viii,  14;  Zuvexoii.ev'y)  icuperco  iie^aXti», 
quae  vehementi  febri  laborabat.  Luc,  iv,  38.  Il  est  le  seul  apôtre  dont 
on  sache  avec  certitude  qu'il  a  été  marié. 


NO  201]  SA  VIE  PUBUQUE.  —  SES  MIRACLES.  337 

I.  Miracla  sur  la  nature. 


801.  —  Ponrqaoi  Notre  Soigneur  •sHisle-t-ll  k  cos  noces? 

Ce  que  le  divin  Maître  se  proposait,  en  assistant  aux  noces 
de  Cana,  c'était  :  —  1*  D'honorer  le  mariage,  qui  devait  être 
en  butte  aux  insultes  des  hérétiques  et  aux  proranations  des 
mauvais  chrétiens,  et  d'en  faire  remarquer  le  caractère  sa- 
cré '.  Le  mariage,  lien  des  familles  et  des  sociétés,  a  toujours 
été  une  image  sensible  et  perlnanenle  de  l'union  de  Dieu 
avec  l'homme  et  du  Sauveur  avec  son  EgHse  '.  SouS  la  loi 
de  grâce,  c'est  un  des  sacrements  les  plus  précieux  '.  11  n'est 
pas  étonnant  qu'il  apparaisse  à  la  première  pagede  l'Evangile, 
comme  au  premier  chapitre  de  la  Genèse,  —  2"  De  fortifier 
la  foi  de  ses  disciples,  en  opérant  devant  eux  le  premier  de 
ses  miracles,  et  ne  nous  donner  sous  le  voile  du  symbole 
d'excellMtes  instructions. 

Cana  est  à  une  demi-lieue  de  Nazareth,  où  le  Sauveur 
avait  passé  sa  jeunesse  auprès  de  sa  sainte  Hère  *. 

1  Quod  Dominus  iovitatus  vanit  ul  nvptiu ,  conflrraire  volult  quod 
ipse  fecit.  Futnri  enïin  ennl  de  qnibua  Apostolus  dicit  :  Prohibenlet 
nuàfre.  S.  Aug.,  In  Joan.,  ix,  2.  —  '  Sponsua  et  sponsa.  Jean.,  m,  £0. 
Cf.  Eph.,  V,  25-33.  —  '  Infra,  n.  1*6.  —  '  On  ïient  de  trouïnr  dans  les 
fouilles  Taitea  k  EliUe,  en  Pbocide,  une  pierre  do  mu-bre  portant  l'ing- 
criptiou  suiv&iite  :  O-jtbc  ioti  a  >iSo(  aso  Kub  tik  raïitiat,  omu  to  uiup 
oivov  moiiiiiiv  s  Kupis<  i]|uov  Iijaovt  Xpioro;.  Or  cette  pierre  étsit  aignal6e 
dans  un  Itinéraire  en  Palestine,  rédigée  par  un  pèlerin  du  vi*  siècle, 
Antonio  de  Plaisance,  comme  une  relique  coQservéo  k  Cana.  «  Accu- 
boimus  io  ipso  accubitu,  dit  le  pèlerin,  et  ibl  ego  indigoas  puentum 
meorum  nomina  scripsi.  "  Cotte  indication  donna  la  penséo  de  cliercbor 
«'il  ne  restait  pas  sur  la  pierre  quelques  traces  des  noms  qu'Antonin 
»Tait  iDSCrilsi  et  en  effet  on  lut  en  un  coin  ces  mots,  qui  tormioaleot 


33&  JÉSUS-CHRIST  SELON  l^'ÉVANGILE. .   :  [fi®  202' 

202.  —  Que  signifie  ce  verset  5  Quid.  miki  et  tiài  est  mulierl  Nondum 

venit  hora  mea^  Joan.,  11,  4? 

Plusieurs  traduisent,  sur  le  latin  :  «  Que  nous  importe  à 
l'un  et  à  l'autre?»  Mais  la  plupart  entendent  ces  mots  autre- 
ment :  «  Que  me  voulez-vous?  Qu'avons-nous  à  faire  en- 
semble? Laissez-moi  faire,  ma  mère.  »  Ce  second  sens  paraît 
mieux  en  harmonie  avec  l'acception  de  ces  mots  dans  la 
Bible*  et  avec  l'esprit  du  quatrième  évangile.  Puisque  S.  Jean 
écrit  pour  prouver  que  Jésus-Christ  est  le  fils  de  Dieu  ',  il 
doit  plutôt  relever  en  lui  un  isentiment  qui  implique  la 
conscience  de  sa  divinité,  qu'un  autre  où  l'on  verrait  seule- 
ment un  indice  de  sa  nature  humaine  '.  «  Un  miracle  sem- 
ble-t-il  dire  à  sa  Mère,  est  un  œuvre  toute  divine  :  la  chair 
et  le  sang  n'y  doivent  avoir  aucune  part*.  »  En  parlant  ainsi, 
Notre  Seigneur  ne  fait  que  répéter  ce  qu'il  lui  a  déjà  dit  en 
sortant  du  temple  :  «  Ne  savez-vous  pas  que  ma  règle  est  de 
faire  en  tout  la  volonté  de  mon  Père  *.  »  Du  reste,  il  n'y  a 
dans  ces  paroles  aucun  reproche  pour  Marie,  qui  partage  les 
sentiments  de  son  Fils  et  qui  entre  dans  sa  pensée  ;  mais 
pour  ceux  qui  l'entendaient,  pour  les  Apôtres  surtout,  il  y  a 
une  instruction  importante  :  c'est  que  le  Sauveur  n'est  pas 
avec  sa  mère  dans  les  mêmes  rapports  qu'un  enfant  ordi- 
naire, et  que,  dans  l'exercice  de  leur  mission,  les  ministres 

une  inscription  gravée  à  la  pointe  :  Kai  ty)ç  (XY)Tpoc  (lou  Avrovivou.  Ces 
derniers  mots  avaient  été  écrits  à  Gana,  au  vi®  siècle,  taudis  que  les 
mots  qui  précèdent  le  furent  à  Elatée,  quand  la  relique  y  fut  apportée 
de  Constantinople  par  quelque  baron  latin  de  la  quatrième  croisade. 
Bullet.  cnY.,  mars  1885.  Le  dessin  que  nous  avons  mis  en  tète  du  n.201 
montre  comment  cette  pierre  avait  pu  servir  de  lit  à  Notre  Seigneur 
dans  les  noces  de  Gana.  Il  représente  un  triclinium^  et  avec  une  table 
de  marbre ,  trouvée  dans  la  maison  de  Salluste ,  près  de  Pompéi ,  avec 
trois  lits,  dépouillés  des  tapis  et  des  coussins  dont  on  les  couvrait  pour 
le  repas.  Gf.  Migne,  PatroL  Içtt.^  lxxii,  col.  900. 

1  Gf.  II  Reg.,  XVI,  10;  III  Reg.,  xv,  9,  23;  xvii,  18;  Matth.,  xxvn,  19; 
Joan.,  VII,  6;  xii,  23;  xxi,  22.  —  2  joan.,  xx,  3.-8  Admonet  potins  ut 
intelligamus  secundum  Deum  eum  non  habere  matrem,  cujus  majestatis 
personam  parabat  ostendere.  S.  Aug.,  de  Fid.  et  Symà.,  9.  —  *  Non 
erat  illa  mater  divinitatis  et  per  divinitatem  futurum  erat  miracalum. 
In  Joan,,  vxii,  9.-8  Luc,  11,  49.  Gf.  Heb.,  v,  1. 


N*»  203]  SA.  VIE  PUBLIQUE.  —   SES  MIRACLES.  339 

de  Dieu  ne  doivent  avoir  aucun  égard  aux  inspirations  da 
k  chair  et  du  sang  ^ 

Quant  au  mot  :  Mulier,  c'est  en  hëbreii  comme  en  grec, 
une  appellation  respectueuse,  qui  n'a  rien  de  dur  ni  de  dé^ 
daigneux.  Sans  exclure  la  tendresse  filiale,  elle  réserve  au 
Sauveur  l'indépendance  que  son  œuvre  réclame.  Il  n'en  em- 
ploiera pas  d'autre  quand  il  cherchera  à  consoler  sa  Mère  au 
Calvaire,  ni  lorsqu'il  se  révélera  à  Madeleine,  après  sa  ré- 
surrection *. 

*  203.  —  QueUes  instructions  trouvons-nous  dans  ce  promier  acte 

de  la  vie  publique  du  Sauveur? 

1*  Dans  ce  premier  acte  de  la  vie  publique  du  Sauveur,  il 
y  a  une  leçon  pour  les  époux  chrétiens.  —  Le  divin  Maître 
leur  ftiit  entendre  que  les  jouissances  naturelles  s'épuisent 
vite  ',  mais  qu'on  trouve  dans  sa  grâce  un  secours  et  des 
consolations  qui  ne  tarissent  pas  *.  Heureux  ceux  qui 
l'appellent  à  leurs  noces  et  que  sa  Mère  honore  de  sa  protec- 
tion I  Elle  est .  la  première  dans  l'Evangile  à  intercéder  au- 
près de  son  divin  Fils  en  faveur  des  hommes. 

2M1  y  a  ensuite  pour  l'Eglise  un  présage  et  une  figure  *  ; 
car  tous  les  faits  décrits  par  S.  Jean  sont  mystérieux  et  si- 
gnificatifs •.  —  Le  royaume  de  Dieu  est  semblable  à  un  roi 
qui  se  prépare  à  célébrer  les  noces  de  son  fils  '•  Le  Sauveur 
est  l'époux,  dit  le  Précurseur,  et  l'Eglise  est  l'épouse  *. 
Bientôt  se  consommera  entre  l'un  et  l'autre  l'alliance  mys- 
térieuse et  indissoluble  dont  le  mariage  chrétien  est  l'image  % 
et  qui  doit  donner  au  Seigneur  un  si  grand  nombre  d'en- 
fants **.  C'est  à  l'Homme-Dieu  de  fournir  à  cette  famille  spi- 

*  Cf.  Luc,  XIV,  26;  ni  Reg.,  xviii,  18.  Cf.  S.  Bern.,  Serm.  ii,  5,  in 
Dom.  I  post,  oct.  Epiph,^  «  Cf.  O  Ywail  îliad.,  in,  204.  Ce  titre  équi- 
vaut à  celui  de  Madame,  dooné  par  les  princes  à  leur  mère.  —  3  Tribu- 
laiionem  carnis  habcbunt  hujusmodi.  I  Cor.,  vu,  28.  —  *  Jean.,  iv, 
Ï3,  14.  —  5  Excepte  miraculé,  aliquid  in  ipso  facto  mysterii  et  sacra- 
menti  latet.  S.  Aug.,  In  Joan.^  viii,  3.  —  ^  Quidquid  Joannos  locutus 
estmysterium  est.  S.  Ambr.,  de  Sacr,,  Hl,  m,  11.  —  ^  Matth.,  xxii,  2; 
Kv,  1;  Apoc,  XIX,  7.-8  Joan.,  m,  29.  —  »  Eph.,  v,  32.  —  *o  Joan., 
ii  12. 


340  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n^  203 

rituelle  de  quoi  soutenir,  animer,  réjouir,  vivifier  tous  ses 
membres.  Il  le  fera  en  remplissant  les  vases  vides  de  Tan- 
cienne  Loi,  en  substituant  à  ses  eaux  insipides  et  à  ses  ablu- 
tions purement  extérieures  une  boisson  généreuse  et  forti- 
fiante. Qui  boira  de  ce  breuvage  n'aura  plus  soif  et  ne  sou- 
pirera plus  qu'après  la  vie  éternelle  *.  La  nouvelle  alliance 
sera  donc  bien  supérieure  à  l'ancienne.  Elle  remplacera 
l'espérance  par  la  charité  et  rassasiera  tous  les  besoins  et 
toutes  les  aspirations  des  âmes.  Voilà  ce  qu'annonce  ce  pro- 
dige. Il  n'y  a  pas  de  doute  que  Marie  n'ait  vu  dès  lors,  aussi 
bien  que  Jésus,  un  certain  rapport  entre  le  festin  de  Cana 
où  l'eau  fut  changée  en  vin  et  le  repas  mystique  où  le  pain 
sera  changé  en  la  chair  du  Fils  de  l'homme  et  le  vin  en  son 
sang,  pour  devenir  la  nourriture  et  la  vie  des  fidèles.  Peut- 
être  est-ce  à  cette  parole  :  Nondumvenit  hora  mea*^  dite  ici 
à  la  sainte  Vierge,  que  répond  cette  autre  parole,  consignée 
par  le  disciple  bien-aimé  dans  le  récit  de  la  dernière  Cène  : 
Sciens  quia  venit  hora  ejus  '. 

3**  Il  y  a  enfin  pour  tout  fidèle  un  précieux  enseignement. 
—  Par  cet  exemple,  l'apôtre  bien-aimé  nous  apprend  quelle 
est  la  bonté  du  cœur  de  Marie  pour  ceux  qui  lui  sont  dé- 
voués. Elle  s'empresse  d'intervenir  en  leur  faveur;  elle  prie 
d'elle-même,  sans  avoir  été  priée  *.  On  voit  aussi  quel  est 
son  crédit  auprès  du  Sauveur.  La  chose  qu'elle  demande  ne 
paraît  pas  bien  nécessaire;  elle  exige  un  miracle,  et  le  temps 
des  miracles  n'est  pas  encore  venu.  Mais  Marie  le  désire; 
elle  l'insinue;  c'est  assez  *.  Il  est  juste  que  son  Fils  l'exauce 
avant  tout  autre  ;  et  dut-il  pour  cela  changer  de  dessein,  il 
fera  son  premier  prodige  en  faveur  de  ceux  qu'elle  honore 
de  sa  protection  •. 

*  Joan.,  IV,  13,  14.  —  »  Joan.,  ii,  4.  Cf.  Matth.,  xxiv,  12.  —  s  Joan., 
XII,  1;  Brev.  rom.,  FesL  sept,  dol.y  lect.  7.  —  *  Miretur  qui  non  me- 
minerit  Paulum  inter  maxima  gentium  crimina  memorantem  quod  sine 
affectione  éssent.  Longe  id  fuit  a  visceribus  Marise  ;  longe  sit  a  servulis 
eJus.  S.  Bern.,  Domin,  infra  ocL  Assumpt,^  15.  —  8  Sufficît  ut  noveris  : 
non  enim  amas  et  deseris.  S.  Aug.,  In  Joan,,  xlix,  5.  —  «  Matth., 
XXIV,  22;  Bossuet,  Serm.  sur  la. dévot,  à  la  Ste  Viej^ge  Gf,  Supra , 
n.  100;  Infra,  n.  415. 


N«204]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  MIRACLES.  341 

Pêches  miraculeuses.  Lac,  v,  1^11;  Joan.,  xxi,  1-13. 

204.  —  Qu'est-ce  que  ces  pèches  ont  de  commun  et  en  quoi 

diflfèrent-elles? 

I.  Ces  pêches  se  ressemblent  sous  plusieurs  rapports  :  — 
Elles  ont  eu  lieu  toutes  deux  sur  le  lac  de  Tibériade,  Tun 
des  plus  poissonneux  du  monde  ^  —  Des  deux  côtés  ;  Pierre 
est  à  la  tête  des  pêcheurs  et  les  enfants  de  Zébédée  sont  avec 
lui.  —  D'un  côté  comme  de  l'autre,  on  travaille  en  vain  du- 
rant toute  la  nuit,  c'est-à-dire  aux  heures  les  plus  favo- 
rables'; et  tout  à  coup,  le  jour  venu,  on  prend,  à  la  voix  du 
divin  Maître,  une  multitude  de  poissons. 

IL  Chacune  des  deux  pêches  a  ses  particularités  :  —  L'une 
a  lieu  au  début  de  la  prédication  de  l'Evangile  ;  l'autre  sous 
les  yeux  du  Sauveur  ressuscité.  —  La  première  se  fait  en 
haute  mer,  ev  tw  PaOw  »;  la  seconde  près  du  rivage,  ou  jxxxpov 
axq  ty;;  frjç*.  —  La  première  fois,  une  seconde  barque  vient 
aider  à  lever  le  filet,  au  lieu  même  de  la  pêche  ;  à  la  seconde, 
on  le  traîne  à  la  côte.  —  Le  premier  miracle  a  pour  effet 
d'affermir  la  foi  des  Apôtres  et  de  leur  donner  confiance 
dans  l'entreprise  de  leur  divin  Maître  ;  le  second  anime  leur 
espérance  et  les  pénètre  de  cette  pensée  qu'il  suit  du  regard 
leur  travail  et  qu'il  leur  en  fera  bientôt  goûter  les  fruits  *. 
~  Enfin,  après  la  première  pêche.  Notre  Seigneur  annonce 
à  S.  Pierre  qu'il  sera  désormais  pêcheur  d'hommes,  homines 
capiens,  Çcovpwv  *;  après  la  seconde,  il  le  fait  son  vicaire  et 
lui  ordonne  de  prendre  le  gouvernement  de  l'Eglise  entière. 

1  Joseph.,  B.,  ni,  xvm.  —  2  Plin.,  H,  iV.,  ix,  23.  —  3  Luc,  v,  4.  — 
*  Joan.,  XXI,  8.-5  Cf.  Matth.,  xiii,  4if,  48.  —  «  Cco^peiv,  prendre  vivants, 
de  Ccooç  ot  aypeuo».  Non  posuit  Petrus  retia,  sed  mutavit.  S.  Aug.  Do  là 
l'usage  de  représenter  les  chrétiens  et  Notre  Seigneur  lui-même  sous 
la  figure  de  poissons,  usage  qui  fut  en  vigueur  tant  que  dura  la  loi  du 
secret.  On  en  donne  diverses  raisons.  Pour  les  chrétiens  :  —  l©  Ils 
naissent  dans  les  fonts  sacrés  ou  dans  les  eaux  du  baptême.  —  2*  Ils 
sont  tirés  de  la  mer  du  monde  par  le  ministère  des  pêcheurs  et  introduits 
par  eux  dans  le  royaume  de  Dieu,  à  la  lumière  du  ciel.  —  3^  Ils  sont 
désignés  sous  cet  emblème,  en  plusieurs  endroits  des  Écritures,  Jer., 
XVI,  16;  Matth.,  iv,  18;  xiii,  47;  Joan.,  xxi,  6.  —  4»  Ils  sont  d'autres 
Jésus-Christ.  Quapt  au  Sauveur,  on  avait  des  raisons  particulières  pour 


342>  .  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'êvangilé.  [n^  208' 

205.  —  Ces  pèches  ràiràculeuses  n'ont-ellos  pas  un  sens  figuratif? 

Ceâ  pêches  miraculeuses  sont  évidemment  figuratives  : 
I.  Notre  Seigneur*  indique  lui-môme  le  sens  de  la  pre- 
mière, en  disant  à  Pierre  que  désormais  ce  sont  dès  komnies 
qu'il  prendra  dans  ses  filets.  La  multitude .  des  poissons 
figure  donc  la  multitude  deis  âmes  que  les  Apôtres,  sous.la 
conduite  de  leur  chef,  doivent  tirer  des. abîmes  de  l'infidjé- 
lité  pour  les  faire  entrer  dans/ l'Eglise.  Toutes  les  circons- 
tances du  récit,  la  mer^  le,  rivage,  ia  barquB,  l'instruction 
que  le  Sauveur  adresse  au  peuplé,  ôn-t  leui*.  signification  en 
harmonie  avec  celle-ci. 

H.\Pour  la  seconde,  elle  figure  spécialement  celle  des  élus 
que  S,  Pierre  et  ses  compagnons  de  travail  introduiront  au: 
ciel.  Voici  d'après  S.  Augustin  *  et  les.  saints  Docteurs,  les! 
indices  de  cette  signification  :  -r-  l^î  Cette  pôchp  n'a  lieu 
qu'après  la  résurrection.:  Nôtre  Sèigneur.qut  là  bénit  est 
déjà  sur  la  terre  fernie,  comme  dans  la  cité  permanente*. 
— -  2*»  Le  filet  n'est  jeté  qu'à  droite,  du  côté  des  élus  '.  — 
Dans  la  première  poche,  le. filet  se  brisait;  une  partie  du 
poisson  se  perdait  et  la  barque  menaçait  de  chavirer  :  dans 
la  seconde,  au  contraire,  la  multitude  des  poissons  ne  met 


le  désigner  par  ce  symbole  :  -^  i°  Luirmôme  s'est  présenté  sous  cette- 
figure  à  ses  Apôtres,  au  repas  qu'U  leur  offrit  près  du  lac  de  Tibériade,", 
Joan.,  xxi^  9.  Quid  enini  signare  piscem  assum  credimus,  nisi  ipsum 
mediatorcm?  Ipsc  enim  latere  dignatuô  est  in  aquis  generis  humani; 
capi  voluit  laqueo  mortis  nostr»,  et  quasi  tribulatiône  assatus  est  tom- 
pore  passionis  suae.  S.  Greg.,  In  Ev.,  ii,  Hom.  xx.  —  2°  C'est  pour  se 
faire  notre  aliment  qu'il  traversé  la  mer  du  siècle  et  qu'il  passe  parle 
feu  de  la  tribulation.  —  3**  Chacune  des  lettres  du  mot  ix^v;  indique" 
une  de  ses  qualités.  Horurti  verborum,  It^o-ov;  Xpi<TTo;  -Osou  uio^,  Iwtïip,' 
si  primas  lltteras  jungas,  dit  S.  Augustin^  ertt  I^Oùç,  îd  est  Piscis,  ifl; 
quo  nomine  mystice  inteiligitur  Christiis,  eo  quod  in  hujus  mortalitatis' 
abysse),  velut  in  aquarum  profunditate,  vivus,  hoc  est  sine  peccato  esse 
potuerit.  De  Civ.  Dei,  xvni,  23.  Cf.  Tert.,  De  Bapt.,  1;  Clem.  Alex., 
Pedag.f  m,  2. 

1  Hoc  est  magnum  sacramentuni  in  magno  S.  Joannis  evangelîd. 
S,  Aug.,  In  Joan.y  cxxii;  Serm.  cgxlyiiï.  —  ^  Mare  commotionem  pr«* 
sentis  sœcali  siguificat;  littus  autcm  terminus  est  maris.  iS.  Thom., 
ïn  4^an.^  xxi,  ll.Cf.  Apoc,  xxi,  l.  —  3  Matth.,  xxv.  S2U  -  •  ' 


NO  206]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  MIRACLB3.  343 

en  péril  ni  le  filet  ni  la  barque  :  Non  est  êcissum  rete  *.  — 
Dans  cette  dernière  pêche,  il  n'y  a  qne  des.poisâons  de 
choix  :  Magni  pisces  *,  et  le  nombre  en  egt  déterminé,  fixé, 
comme  l'est  celui  des  élus  •.  —  5*  Les  poissons  ne  sont  pas 
mis  comme  la  première  fois  en  deux  barques,  encore  expo- 
sées à  l'agitation  des  flots  ^  :  ils  sont  portés  immédiatement 
sur  le  rivage,  où  Notre  Seigneur  les  reçoit.  —  6**  Le  repas 
que  le  Sauveur  ressuscité  prend  aveq  ses  Apôtres  donne 
l'idée  du  banquet  céleste  auquel  ses  ministres  auront  part 
dans  l'éternité*.  Les  pêcheurs,  qui  sont  au  nombre  de  sept, 
représentent  le  sacerdoce  tout  entier,  sous  la  conduite  4e 
son  chef  visible. 

Le  souvenir  du  premier  de  ses  miracles  suggérait  à 
S.  Pierre  la  signification  du  second,  et  celle-ci  devait  le  pré- 
parer à  l'instruction  que  son  Maître  voulait  lui  donner  sur 
le  ministère  qu'il  aurait  à  remplir  et  sur  le  dévouement 
avec  lequel  il  devait  l'exercer  •. 

Tempête  apaisée.  Mâro.,  iv,  35-40. 

206.  —  Pourquoi  Notre  Seigneur  commande-t-il  au  veijt 

et  à  la  iner? 

Notre  Seigneur  se  levant,  ôis^epOetç,  prend  la  parole  et 
commande,  eic6Tt|i.yî(7e,  au  vent  et  à  la  mer  ^  pour  deux  rai- 
sons :  —  1»  Pour  faire  sentir  qu'il  est  bien  le  Verbe  de  Dieu 
qui  a  commandé  aux  flots  à  l'origine  du  monde  :  Dixit  : 
'  Congregmtur  aquœ  %  celui  à  qui  le  Psalmiste  a  dit  :  Tu  do- 
minaris  potestati  maris  •.  —  2°  Afin  de  nous  apprendre  à 
compter  sur  son  secours  dans  les  épreuves  qui  agitent 
l'Eglise  ou  qui  troublent  notre  âme  *°.  S.  Thomas  admet 

*  Jean.,  XVI,  1.  —  s  Quia  erit  tune  parvus,  quando  erunt  œquales  an- 
gelis  Dei!  S.  Aug.,  Serm.  ccxlviii,  3.-3  Apoc.,  vi,  11.  —  *  Propter 
populos  duos  de  circumcisîone  et  prœputio.  S.  Aug.,  Sej^m.  ccxlix,  2.  *— 
*  Cf.  Luc,  XIV,  15,  16;  Joan.,  xxi,  5,  10  et  iv,  7,  32;  xix,  28.  —  ^  Joan., 
txi,  15,  18,  22.  Infra,  n.  447.  —  "^  H  OaXaoaTi,  la  mer  agitée.  —  *  Gen., 
I,  9 —  9  Cf.  Ps.  Lxiv,  8;  Lxxi,  8.  Imîtare  ventes  et  mare  :  obtempéra 
Creatori.  S.  Aug.,  In  hune  loc  —  *o  Cf.  Ps.  lxviii,  4;  Il  Cor.,  i,  9-11  ; 
Brcv.  rom.,  iv«  Dim.  post.  Epiph.^  1.  vu;  Imit.,  II,  viii, 5;  m,  23,  n.  8. 
Hnjus  signi  typum  in  Jona  legimus,  quando  cseteris  periclitantibus  ipso 


J 


344  JESUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n^  207 

après  S.  Ambroisé,  que  c'était  la  société  et  les  mauvaises 
dispositions  de  Judas  qui  mettaient  les  Apôtres  en  péril  ^ 

Si  l'on  voulait  aujourd'hui  exprimer  par  une  image  la 
Providence  du  Fils  de  Dieu  sur  son  Eglise  parmi  les  périls 
auxquels  elle  est  exposée  depuis  dix-huit  siècles,  on  ne 
pourrait  rien  trouver  de  plus  ingénieux  ni  de  plus  juste. 
Aussi  l'Eglise  a-t-elle  été  représentée  dès  les  premiers  temps, 
sous  la  figure  d'une  nacelle  ou  de  l'arche  de  Noé  ". 

Monnaie  dans  la  bouche  du  poisson.  Matth.,  xvii,  23-26. 
*  207.  —  Qu'est-ce  que  le  didrachme  qu'on  demande  au  Sauveur? 

Ce  didrachme  était  la  contribution  d'un  demi-sicle,  ou 
de  deux  drachmes,  que  les  familles  juives  étaient  habituées 
à  payer  pour  l'entretien  du  Temple  •.  Vespasien  le  fit  perce- 
voir plus  tard  pour  le  Gapitole  *.  Les  collecteurs  s'adressent 
à  S.  Pierre,  soit  par  respect  pour  le  Sauveur,  soit  pour  en- 
gager le  disciple  à  s'acquitter  à  la  place  du  maître  *.  La  ré- 
ponse du  Sauveur  suppose  clairement  sa  divinité,  25.  Pour 
ne  pas  scandaliser  ceux  qui  l'ignorent,  il  consent  à  payer; 
mais  il  fait  observer  qu'il  n'est  pas  soumis  à  l'impôt,  24, 25, 
et  il  relève  par  un  miracle  cet  acte  de  condescendance  : 
Reddit  censum^  sed  ex  ore  piscis  acceptum^  ut  agnoscatur  ma- 
jestas...  Sic persotvit  et  mortem,  dit  S.  Augustin:  non  debebat 
et  persolvebat  '.  En  1328,  le  pape  Jean  XXII  condamna  la  pro- 
position suivante  de  Marsile  de  Padoue  :  Qitod  Christm  solvU 
tributum  Cœsari,  hoc  fecit  non  condescensive,  et  liberalitate 
mœ  pietatis^  sed  necesitate  coactm, 

securus  est  et  dormit.  S.  Hieron.,  In  hune  loc.  Tene  te  in  navi  et  roga; 
etsi  turbatur  navis,  navis  est  taïuen.  S.  Aug.,  Set'm.  lxxv,  4. 

1  Ps  Lxxxviii,  10.  Cf.  Ps.  cvii.  S.  Amb.,  In  L«c.,  v,  3;  S.  Thom,,  2«-2«, 
q.  108,  a.  4,  ad  5.  —  2  Martigny,  ÉglisCy  Aringhi,  V,  ix,  7.  Cf.  Act.,  xxvu, 
24,  37,  44.  -  3  Cf.  Exod.,  xxx,  11-13;  Il  Par.,  xxiv,  5;  II  Esd.,  x.  32. 
Joseph  ,  il.,  XVI,  VI,  2-8;  XVIII,  ix,  1.  —  *  Joseph.,  B.,  VII,  vi,  6.  - 
3  Supra f  n.  143.  —  «  s.  Aug.,  Serm.,  clv,  7.  Le  statère  avait  la  Yaleur 
d'un  tétradrachnie,  trois  francs  environ,  et  par  conséquent  su£Ss!Ut.poar 
deux  personnes.  A,  T,,  n.  185.  Infra,  n,  515. 


PiOS]  SA  VIE  PUBLlQUe.  ^   SES  MIRACLES.  348 

Multiplication  des  pains.  Matth.,  xiv,  15-21  ;  xv,  32-38. 

208.  ^  Pourraitron  dire  que  Notre  Seigneur  n'a  fait  ce  miracle 

qu'une  seule  fois  ? 

On  ne  peut  soutenir  que  Notre  Seigneur  n'a  multiplié 
qu'une  fois  les  pains  ;  car  :  —  !•  On  trouve  deux  faits  de 
multiplication  distincts,  rapportés  séparément,  à  la  suite  l'un 
de  l'autre,  dans  l'évangile  de  S.  Matthieu  *  et  dans  celui  de 
S.  Marc  *.  —  2*  Entre  les  deux  multiplications  de  pains,  il  y 
a  des  deux  côtés  des  différences  notables.  Dans  la  première, 
il  y  avait  cinq  pains  et  deux  poissons  ;  dans  la  seconde,  sept 
pains  et  quelques  petits  poissons.  Par  le  premier  miracle. 
Notre  Seigneur  nourrit  cinq  mille  hommes,  sans  compter 
les  femmes  et  les  enfants;  par  lé  second,  quatre  mille  sont 
rassasiés.  Après  le  premier,  il  resta  douze  paniers  •;  après 
le  second,  sept  corbeilles*.  Ainsi,  c'est  le  plus  éclatant  qui 
fut  fait  en  premier  lieu  :  c'est  aussi  le  seul  dont  on  lise  le 
récit  dans  les  quatre  évangiles. 

On  trouve  dans  l'Ancien  Testament*,  et  surtout  dans 
rhistoire  des  saints,  beaucoup  de  faits  du  même  genre  •  : 
mais  on  n'en  voit  aucun  dont  le  caractère  miraculeux  soit 
pins  incontestable. 

*  209.  —  Que  figurent  ces  multiplications  de  pains? 

Suivant  les  saints  Docteurs,  ces  miracles  figurent  deux 
choses  : 

!•  La  multiplication  que  le  Sauveur  devait  faire  de  son 
corps  et  de  son  sang  pour  la  nourriture  de  nos  âmes.  Aussi 
procède-t-il  chaque  fois  de  la  même  manière  qu'à  la  Cène  : 
Aceepit  panes...  et  aspiciens  in  cœlum...  cum  gratias  egisset, 
eaj^apiaxriŒK;,  benedixit^  f régit  et  dédit  discipulis*..^  discipuli 

*  Matth.,  XIV,  15,  et  xv,  32.  Cf.  xvi,  9, 10.  —  «  Marc,  vi,  37  et  viii,  1. 

—  3  Koftvoç,  petite  corbeille  de  jonc  en  usage  parmi  les  Juifs,  terme 
propre  employé  par  les  quatre  Evangélistes.  —  ^  Znupiç.  Cf.  Act.,  ix,  25. 

—  »  Exod.,  XVI,  13,  14;  III  Reg.,  xvii,  14;  IV  Reg.,  iv,  4,  32.  —  «  Vies 
de  Ste  Chantalf  ch.  xxiv;  du  curé  â^Art^  II,  y\\\\de  la  Mère  Thérèse  du 
S. 'Sacrement f  ch.  xn,  etc. 


346  JÉSUS-CHRIST  SELON  L  ÉVANGILE.  [n^  209 

autem  turbis  *.  Aussi  est-il  dit  que  les  parts  ne  furent  pas 
mesurées;  que  tous  reçurent  suivant  leur  désir,  gtuintum 
volebant^;  que  néanmoins  tout  ne  fut  pas  consommé  et 
que  Notre  Seigneur  recommanda  de  garder  ce  qui  restait 
du  pain  miraculeux'.  Aussi  le  premier  de  ces  miracles 
est-il  suivi,  dans  S.  Jean,  de  la  promesse  de  l'Eucharistie. 
Aussi  ce  sacrement  fut-il  souvent  représenté,  au  commen- 
cement de  l'Eglise,  sous  la  figure  de  la  multiplication  des 
pains  *. 

2»  La  multiplication  ou  plutôt  la  propagation  de  la  doc- 
trine révélée,  aliment  nécessaire  à  la  vie  surnaturelle  des 
âmes  :  partis  vitœ  et  intellectm^.  Les  enfants  de  Dieu  languis- 
saient, faute  de  cette  nourriture.  Quand  ils  en  ont  bien 
senti  le  besoin,  et  l'impuissance  où  ils  sont  de  se  la  procurer 
par  eux-mêmes,  le  Fils  de  Dieu  vient  à  leur  secours.  Il  leur 
fournit  ce  qui  leur  manque  ;  non  en  substituant  des  révéla- 
tions nouvelles  aux  révélations  anciennes,  mais  en  déve- 
loppant celles-ci  de  manière  à  satisfaire  toutes  les  aspirations 
de  leurs  âmes.  Et  c'est  par  ses  Apôtres,  par  ses  représen- 
tants, ministres  de  sa  parole,  qu'il  leur  fait  part  de  ce  don*, 
suivant  les  besoins  et  les  désirs  de  chacun. 

Ajoutons  que  ce  miracle  est  de  nature  à  nous  faire  ad- 
mirer ce  à  quoi  l'habitude  nous  empêche  de  réfléchir  :  la 
sollicitude  et  la  tout^puissance  avec  lesquelles  la  Provi- 
dence pourvoit  à  notre  subsistance  par  les  moyens  natu- 
rels ;  car  les  aliments  dont  nous  nous  nourrissons  sont 
multipliés  chaque  année  dans  le  sein  de  la  terre,  d'une 

i  Matth.,  XIV,  19,  etc.  —  *  Joan.,  vi,  11.  —  s  Joan.,  vi,  12,  13.  Panem 
dédit  Apostolis  ut  diyiderent  populo  credentium,  hodieque  dat  doMb 
eum  quem  Ipse  sacerdos  consecrat  verbU  sacris.  S.  Amb.,  De  bened. 
'Pat,,  IX,  38.  Cf.  In  Luc,^  vi,  7.  —  *  Martigny,  Dictionn,,  Eucharistie.  — 
«  Eccli.,  XV,  3;  Prov.,  ix,  5;  Amos.,  viii,  11;  Matth.,  iv,  4.  lUos  quos 
primo  pascit,  id  est  incipientes,  hordeacis  panibus  pascit;  postea  cam 
jam  crevissont  in  verbo  et  doctrina,  triticeos  eis  exhibet  panes.  Orig.i 
In  Gen.,  nom.  xii.  —  •  Sic  tune  Apostolorum  manibus  factum  credamas, 
ut  hoc  eorùm  verbi«  quotidi^  fieri  sine  cessatione  videamus.  Quid  enim 
agit  Petrus,  cum  par  Epistoias  loquitur,  ntsi  ut  verbi  pabulo  corda 
nostra  maie  jejùna  Mtîefrtur?  Quid  Paulils ,  qùid  Joannes  per  epîàtolas 
suas  loquentes?  S.  Greg.,  Moral,,  xxvii,  22.- 


J 


N*»210]  SA  VIE  PUBLIQUE. jSElS  HIRAGUS.  347 

ffianière;  moins  rapjde^  il  estt  '  vrai, .  mdiâ.  non  moins  mer- 
vciUeuse,  gue  ne  furent  les  cinq  pains  entre  les  mains  des 

Apôtres*.. 


Figuier. lieçsécbé.  Matth.,  xxt,17-2ti  Marc»,  xi,  12-14. 

{An  33,  lundi  30  mars). 

210.  —  Que  représente  le  figuier  stérile? 

Le  fait  rapporté  en  cet  endroit  est  évidemment  significa- 
tif ;  et  cet  exemple  doit  nous  apprendre  à  chercher  une  le- 
çon dans  toutes  les  actions  de  Notre  Seigneur  rapportées  par 
un  èvangéliste. 

Ce  figuier  est  le  symbole  du  peuple  juif,  dans  lequel  le 
Fils  de  Dieu  ne  trouvait  qu'une  vaine  apparence  de  religion, 
et  qu'il  était  près  de  mandire  en  punition  de  sa  stérilité  *. 
La  faim  que  le  Sauveur  témoigne  en  cette  occasion  est  de  la 
môme  nature  que  la  soif  qu'il  manifeste  au  puits  de  Jacob 
et  à  la  croix*.  Les  paroles  qu'il  prononce  rappellent  les  ma- 
lédictions de  David  contre  la  montagne  de  Gelboé*;  mais  il 
les  prononce  avec  une  efficacité  toute  divine.  Néanmoins, 
c'est  miséricorde  de  sa  part  de  décharger  ainsi  sa  colère 
sur  un  être  insensible,  afin  d'avertir  les  pécheurs  des  ri- 
gueurs de  sa  justice  *. 

*  Dat  escam  omni  carni.  Ps.  cxzxv,  25.  Inde  multiplicat  de  panels 
granis  sëgctes,  unde  in  manibù«  suis  multiplicavit  quinque  panes.  Panes 
jlli  qoinque  quasi  semlna  erant,  non  quidem  terrse  mandata,  sed  ab  eo 
qçi  terram  fecit,  multipjicata.  S.  Aug.,  In  Joan.,  xxiv,  1  ;  Brey,,  Dom,  iv 
Quad.j  lect.  vii-ix.  —  2  Corbeilles  ,qui  rappellent  à  la  fois  les  repas 
miraculeux  du  désert  et  le  pain  eucharistique.  La  multiplication  des 
ImiIds  est  représentée  ou  rappelée  ainsi  en  plus  de  trente  endroits  des 
catacombes.  Martigny,  Pains,  —  3  Mich.^  vu,  1.  Per.  iiculneam  inteUige 
,8j^nagogani  et  conciliabulum  Judœorum.  S.  kieron.,  In  Malth.,  I,  m. 
Krant  Judœi  habcntes  verba  legis  et  facta  non  habentes ,  pleni  ibliis  et 
fraçtus  non  ferentes.  S.  Aug.,  Sètmu  xuv,  3;  xcvui,  â.  Cf.  Luc,  xiii,  6-9. 
-;.>  Cf.  Joan.,  IV,  31, 32;  xix,  !^;  xxi,  5.  —  8  II  Reg.,  i,  21.  —  6  Operibus 
sicatparabolîs  loquitur.  Ven.  Beda  ;  Brev.  Hebd.  i  Quadrag.,  Fer.  m,  lect  1 . 
Qiuerit  intelligentem  ;  non  facit  errantem.  S.  Aug.,  Serm.  lxxx^x,  6. 
Cf.  Luc.,  XIII,  7-J?.  AcU,  xxi,  10.  Bossuet^  Médtt.y  dern.  serm.  20«  jour. 


348  iÉsus-CHïUST  selon  l*évangilë.  [n<>211 

S.  Paulin,  se  faisant  à  lui-même  l'application  de  cet 
exemple  et  insistant  sur  ces  mots  de  la  Vulgate  :  Non  enim 
erat  tempus  ficoruMy  fait  cette  réflexion  :  t  C'est  une  leçon 
que  le  divin  Maître  a  voulu  nous  donner.  Il  faut  que  notre 
piété  ait  à  lui  offrir  dans  tous  les  temps  des  fruits  dignes  de 
lui  ^  » 

Transfiguration.  Matth.,  xvii,  1-9. 

*  211.  —  Pourquoi  le  Sauveur  monte -t-il  sur  ce  sommet  et  l'y 

voit-on  ainsi  transfiguré? 

1*»  Le  Sauveur  monte  sur  ce  sommet  *  pour  y  prier  plus 
librement  ».  Une  haute  montagne  détache  de  la  terre  et  fait 
penser  au  ciel  *.  C'est  sur  une  montagne  que  Dieu  s'est  ré- 
vélé à  Moïse  •,  et  qu'il  a  souvent  apparu  aux  prophètes  *. 
—  2°  Jésus-Christ  veut  découvrir  dès  ce  moment  à  ses 
Apôtres  un  rayon  de  sa  gloire  pour  plusieurs  raisons  :  pour 
animer  leur  espérance,  pour  les  prémunir  contre  le  scandale 
de  sa  Passion,  pour  les  animer  à  souffrir  pour  Dieu.  Aussi 
est-ce  de  sa  Passion  et  de  son  départ  de  ce  monde,  eÇoBo;  \ 
qu'il  s'entretient  devant  eux  avec  Moïse  et  Elie.  —  3*  Il  fait 
rejaillir  sur  ses  vêtements  l'éclat  qui  rayonne  de  sa  per- 
sonne, pour  montrer  son  dessein  de  communiquer  à  son 
Eglise  et  à  ses  membres  mystiques  la  grâce  dont  il  possède 
la  plénitude,  et  la  gloire  dont  il  est  la  source  •.  —  4®  La  nuée 

1  Propter  nos  utique  scriptum  est,  in  quibus  escam  suam  Deus  semper 
vult  invenire...  Omni  die  me  fertilem  sibi  Ghristus  inveniat.  S.  Paaiia., 
Epist,  xLiii,  6.  Ces  mots  de  S.  Marc  :  Ou  yap  yiv  xaipoç  ovjxwv,  rendus 
par  :  Non  enim  erat  tempus  fructuum,  pourraient  rêtre  par  :  Tune  enim 
erat,  et  se  lier  au  premier  membre  de  la  phrase  :  si  quid  forte  inveniret. 
Ou  est  employé  quelquefois  comme  adverbe ,  en  sous-entendant  xpovo; 
et  ewi  :  eç'ou  xpo^o^»  9^^  tempore.  Les  voyageurs  nous  apprennent  que 
les  figuiers  en  Palestine  donnent  quatre  récoltes  par  an,  et  portent  du 
fruit  presque  en  toutes  les  saisons.  Cf.  Rom.,  v,  20  ;  Heb.,  m,  9.  —  *  In 
monte  sancto,  dit  S.  Pierre,  II  Pet.,  i,  18;  sur  le  Thabor,  dit  S.  Cyrille  de 
Jérusalem.  Catech.,  xii,  16,  etc.  —  3  Tria  réfugia  legitur  habuisse,  navim, 
montem  et  desertum.  S.  Thom.,  p.  3,  q.  40,  a.  1.  —  *  Apoc,  xxi,  10.  - 
8  Ex.,  III,  1;  XIX,  3.  —  6  III  Reg.,  xix,  8;  IV  Reg.,  iv,  25,  etc.  —  "^  Mot 
choisi  à  dessein,  parce  qu'il  exprime  à  la  fois  sa  mort  et  son  ascension. 
Cf.  Jean.,  X,  17;  II  Pet.,  i,  15;  S.  Iren.,  III,  i,  1.  —  «  Cf.  Isai.,  xux,  18; 
Ps.  XXXIII,  6  ;  Luc,  n,  9  ;  Act.,  vi,  15  ;  II  Cor.,  m,  7  ;  PhiL,  ra,  21  ;  Apoc., 


N«  213]         SA  Vie  t»tBUQtJË.  —  ses  miracles.  â4d 

qui  enreloppe  la  montagne  est  comme  le  symbole  de  la  ma- 
jesté divine  ^  et  Tindice  d'une  présence  toute  spéciale  du 
Seigneur  *. 

*  212.  —  Pourquoi  Notre  Seigneur  veut-il  avoir  trois  témoins 

de  sa  transfiguration  ? 

Notre  Seigneur  veut  avoir  trois  témoins  de  sa  Transfigu- 
ration, pour  qu'elle  puisse  être  attestée  d'une  manière  irré- 
cusable, la  loi  demandant  plusieurs  témoins  pour  constater 
un  fait.  C'est  pour  le  même  motif  qu'après  avoir  été  décrite 
parle8troisSynoptiques,elleestencorerappeléeparS.  Pierre' 
et  pars.  Jean  *,  qui  l'avaient  vue  de  leur  yeux.  Entre  tous  les 
Apôtres,  le  Sauveur  a  soin  de  choisir  pour  l'accompagner 
ceux  qui  doivent  le  contempler  dans  son  agonie  •.  Ce  sont, 
d'ailleurs,  les  plus  considérés  parmi  ses  disciples,  ceux  qui 
sont  destinés  à  donner  l'exemple  à  leurs  frères  en  souffrant 
les  premiers  pour  leur  Maître,  ceux  qui  ont  besoin  d'une  foi 
plus  ferme  et  plus  ardente  •.  Il  n'en  veut  que  trois,  parce  que 
c'est  une  faveur  qu'il  leur  fait,  et  qu'il  désire  que  ce  miracle 
reste  secret  jusqu'après  sa  résurrection  '. 

213.  —  Pourquoi  Moise  et  Élie  se  montrent-ils  à  ses  côtés  et 

disparaissent-ils  ensuite? 

Moïse  et  Elie  viennent  là  pour  rendre  hommage  au  Messie 
et  témoigner  qu'il  est  le  grand  objet  de  la  Loi  et  des  Pro- 
phètes •.  L'un  et  l'autre  le  reconnaissent  pour  Celui  qu'ils 

XXI,  23;  S.  Th..  p.  3,  q.  45,  a.  2,  ad.  3;  Dictionn.  de  myst,  chréLy  Ascen* 
sion;  Irradiation;  Lumières  surnaturelles,  etc. 

1 1  Tim.,  VI,  16.  —  »  Cf.  Ex.,  xvi,  10;  xl,  32;  Num.,  x,  34,  etc.  — 
•  n  Pet.,  I,  17.  —  *  Joan.,  i,  14.  —  •  L'une  et  l'autre  eurent  lieu  le  soir, 
caries  Apôtres  avaient  également  peine  à  résister  au  sommeil.  Matth., 
XXVI,  40;  Luc,  ix,  32.  —  «  Petrus  ascendit  qui  claves  regni  coelorum 
accepit,  Joanes  cui  committitur  Domini  mater,  Jacobus  qui  primus 
martjrrium  sustinuit.  S.  Amb.,  In  Luc.,  lib.,  vu,  9.  —  '  Matth.,  xvii,  9. 
Cf.  Brev.  rom.,  6  aug,y  leç.  iv-viii.  —  *  Per  Moysen  significatur  lex;  per 
Eliam  signiflcantur  prophotœ  ;  per  Dominum  significatur  evangeliura. 
Ideo  Christus  apparùit  médius  inter  Moysen  et  Eliam,  tanquam  evange- 
IHun  testimonium  haberet  a  lege  et  prophetis.  S.  Aug.,  in  Joan.^  rvii,  4{ 
Brev.,  Fer.  iv  hebd.  I  Quadrag. 

20 


380  JÉS€8-CHR1ST  SEtON  L*ÉVANGILE.  [n^  214 

ont  annoncé,  malgré  la  Passion  à  laquelle  il  se  dévoue,  on 
plutôt  à  raison  même  de  sa  Passion  et  de  sa  croix  *.  Ils  en- 
seignent ainsi  aux  Apôtres  ce  qu'ils  auront  à  faire  au  mo- 
ment de  l'épreuve  et  désavouent  par  avance  le  peuple  qui  le 
reniera.  Ensuite  ils  disparaissent,  et  ils  laissent  Notre  Sei- 
gneur seul  en  possession  de  sa  gloire,  pour  montrer  que  le 
règne  de  l'Ancien  Testament  est  terminé  et  que  la  Loi  et  les 
Prophètes  doivent  céder  la  place  au  Fils  unique  de  Dieu  et 
aux  Apôtres  représentants  du  Testament  Nouveau  '.  La  pa- 
role du  Père  *  :  Hic  est  Filim  meus  dilectm,  o  Tioç  |jlou  o 
afaroQioç  *,  ipsum  audite*^  que  S.  Paul  développera  dans  son 
Epître  aux  Hébreux,  met  hors  de  doute  cette  signification. 
Rien  de  plus  décisif  contre  les  Ebionites  *.  Rien  de  plus 
exprès  contre  les  Ariens. 

Nulle  part  on  ne  voit  d'une  manière  plus  sensible  la  vérité 
de  ce  qu'a  dit  un  grand  écrivain,  après  tous  les  Pères:  f  Les 
deux  Testaments  regardent  Jésus-Christ  :  l'Ancien  comme 
son  attente,  le  Nouveau  comme  son  modèle,  tous  deux 
comme  leur  centre  ''.  » 

214.  Pourquoi  est-il  dit  de  saint  Pierre  qu'il  ne  savait  pas 

ce  qu'il  disait,  Marc,  ix,  5? 

C'est  surtout,  suivant  S.  Jérôme,  parce  qu'il  n'entendait 
pas  le  mystère,  parce  qu'il  y  contredisait  sans  le  savoir,  en 
voulant  retenir  la  Loi  et  les  Prophètes,  dont  le  temps  était 
passé,  et  en  paraissant  les  égaler  dans  son  estime  à  Celui  qui 
en  était  le  terme,  et  dont  il  ne  restait  plus  qu'à  proclamer 
le  règne.  «  Tu  te  trompes,  ô  Pierre,  dit  ce  docteur;  un  seul 
tabernacle  suffit  désormais,  celui  de  l'Evangile  qui  comprend 
la  Loi  et  les  Prophètes  '.  » 

1  Luc,  IX,  31.  —  2  Matth.,  xvii,  8;  Luc,  ix,  7.  Cf.  Heb.,  i.  —  «  Cf. 
Act.,  IX,  4-7;  Brev.,  12  aug.^  lect.  vi.  —  *  Cf.  Os.,  ii,  7;  Matth.,  m,  17; 
Phil.,  II,  6;  Heb.,  i,  1;  II  Pet.,  i,  17.  Hoc  est  :  Non  Moyses  fiUus;  non 
Elias  filius  ;  sed  hic  Ali  us.  S.  Amb.,  de  Fide,  i,  13.  Audiant  catholici 
unde  erubescant  haeretici.  S.  Aug.,  Cont.  Maxim. y  i  6;  S.  Thom.,  p.  3, 
q.  45,  a.  3.  —  »  Cf.  Deut.,  xviii,  15.  Infra^  n.  834,  835.  —  «  Infra^ 
p.  464,  465.  —  7  Pascal,  Pensées,  Des  figures.  — ^,  »  Erras,  Petre,  et  nes- 
tis  quod  dicas.  Noli  tria  tabernacula  quœrere,  cum  unum  sit  taberoa- 


N0  2151  SA  VIE  PUBLIQUE.  —   SES  MIRACLES.  351 

Mais  s.  Pierfe  en  reçut  Tintelligence,  lorsque  les  besoins 
de  rÉglise  le  demandèrent  *  ;  et  autant  qu'il  était  raison- 
nable et  qu'il  avait  pour  principe  l'amour  du  Fils  de  Dieu, 
on  peut  dire  que  le  vœu  de  son  cœur  a  été  exaucé.  Notre 
Seigneur  l'a  réalisé  pour  nous  dai^s  l'Eucharistie  *. 

*215.  —  Pourquoi  Notre  Seigneur  veut-il  que  lés  Apôtres  attendent  sa 
résurrection  pour  publier  ce  miracle  ? 

1"  Il  pouvait  voir  des  inconvénients  à  le  publier  aupara- 
vant *.  On  aurait  eu  peine  à  y  croire.  Peut-être  se  serait-on 
scandalisé  d'autant  plus  dé  l'opprobre  de  sa  Passion.  Peut- 
être  se  fût-on  révolté  à  la  pensée  de  voir  Moïse  et  Elie  relé- 
gués dans  l'ombre  ou  placés  au  second  plan.  —  2*  Le  Sau- 
veur voulait  faire  sentir  à  ceux  qui  l'accompagnaient  le  des- 
sein qu'il  avait  en  les  rendant  témoins  de  ce  mystère,  et  la 
liaison  qui  existe  daiis  la  vie  chrétienne  entre  la  souffrance 
et  la  glorification.  —  3*  Il  pensait  qu'après  sa  résurrection 
leur  témoignage  ne  semblerait  plus  douteux,  parce  qu'on 
n'aurait  aucun  intérêt  à  supposer  ce  prodige  et  qu'il  perdrait 
son  invraisemblance,  la  gloire  qui  entoure  son  nom  étant 
plus  naerveilleuse  que  celle  qui  rayonna  alors  de  sa  per- 
sonne *.  —  4*  La  meilleure  explication  est  peut-être  une 
raison  mystique,  celle  qui  est  suggérée  par  S.  Augustin 
dans  la  réponse  précédente.  Jésus-Christ  transfiguré  entre 
Moïse  et  Elie,  c'est  l'Evangile  révélé  au  monde  et  attesté 
par  la  Loi  et  les  Prophètes.  Or,  la  publication  de  l'Evangile 
et  sa  démonstration  par  la  Loi  et  les  Prophètes  ne  devaient 
avoir  lieu  qu'après  la  résurrection.  C'est  alors  seulement 
que  la  parole  du  Père  éternel,  Ipsum  audits^  devait  être  re- 
dite à  tous  et  avoir  son  effet  dans  le  monde. 

Quoi  qu'il  en  soit,  rien  ne  montre  mieux  la  sincérité  des 

coltiin  evangelii  in  quo  Lex  et  Prophet»  recapitulanda  sint.  S.  Hieron., 
In  Matih.y  XVII. 

*  Act.,  X,  15;  XV,  10.  —  2  Cf.  Apec,  xxi,  3.  —  3  SuprOy  n.  164,  194. 
—  *  En  effet  tout  chrétien  ne  peut-il  pas  dire  du  Verbe  incarné  ce  ^u'en 
ont  dit  les  Apôtres  :  Vidimus  gloriam  ejus ,  gloriam  quasi  unigeniti  a 
Patrc,  plénum  gratise  et  veritatis.  Joan.,  i,  14;  Speculatorcs  facti  illius 
magnitudinis.  I  Pet.,  i,  16.  Infra,  n.  471. 


352  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n®  217 

Apôtres  qiie  le  témoignage  rendu  par  eux-mêmes  de  n'avoir 
parlé  de  ce  fait  qu'après  la  mort  de  leur  Maître.  Des  impos- 
teurs se  seraient  bien  gardés  d'en  convenir  *. 

n«  Guérisons. 

216.  —  D'où  vient  qua  les  gnérisons  miraeuleases  sont  plas  nombreuses 
dans  TEvangile  que  dans  l'Ancien  Testament? 

Dans  l'Ancien  Testament,  Dieu  voulait  manifester  surtout 
son  autorité,  sa  puissance,  sa  souveraineté  ;  et  le  sentiment 
qu'il  cherchait  à  inspirer  était  le  respect  et  la  crainte.  Ce 
qu'il  tient  le  plus  à  faire  connaître  dans  le  Nouveau,  c'est  sa 
bonté  et  son  amour  *.  Le  Verbe  s'étant  fait  chair  par  misé- 
ricorde, pour  nous  tirer  de  la  mort  et  nous  délivrer  de  tous 
nos  maux,  quoi  d'étonnant  qu'il  commence  par  soulager  nos 
infirmités  visibles,  et  que  par  la  guérison  des  corps  il  an- 
nonce son  dessein  dé  remédier  bientôt  aux  maladies  des 
âmes?  Du  reste,  le  principe  des  maux  corporels  eux-mêmes 
résidait  dans  les  âmes  :  c'était  le  péché  dont  elles  avaient 
contracté  le  venin.  C'est  pourquoi  S..  Matthieu  '  applique 
ici  cette  parole  d'Isaïe  :  Vere  langiu>res  nostros  ipse  tulit  *. 

On  remarquera  que  la  plupart  de  ces  guérisons  sont  ac- 
cordées à  la  foi.  Creditis  quia  hoc  possum'ï  dit  Notre  Sei- 
gneur aux  malades  '.  Credis  hoc  •?  Fides  tua  te  salvumfe' 
cW^.  Il  voulait  faire  entendre  par  là  que  les  âmes  ne  seraient 
délivrées  du  péché  et  n'arriveraient  au  salut  qu'en  croyant 
à  sa  parole  et  en  se  soumettant  à  l'Evangile  '. 

Un  lépreux.  Mallh.,  vm,  1-4. 

217.  —  Pourquoi  Notre  Seigneur  renvoie-t-il  le  lépreux  aux 
prêtres,  en  lui  recommandant  le  secret? 

I.  Notre  Seigneur  envoie  aux  prêtres  ce  lépreux  •,  après 

1  Ils  n'auraient  pas  dit  non  plus  qu'ils  avaient  sommeillé.  Luc,  ix,  32. 
—  2-»Tit.,  Ti,ll,  12;  III,  4.  —  3  Matth.,  viii,  17.  —  *  Isai.,  lui,  4,  5.  Cf. 
I  Pet.,  II,  24.  ~  8  Matth.,  ix,  28.  —  «  Joan.,  xi,  26.  —  ^  Marc,  v,  34; 
X,  52  ;  Luc,  vu, 50  ;  vm,  48;  xvii,  19,  etc.  -  «  Rom.,  i,  17 ;  m, 22, 28 ;  Gai., 
Il,  16;  Eph.,  Il,  8,  etc.  —  •  Plenus  lepra.  Luc^  v,  12.  Cf.  Le?lt.,  xui,  13. 


N®  2i8]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —   SES  MIRACLES.  353 

l'avoir  guéri  par  un  simple  acte  de  sa  volonté*  :  —  1**  Par 
respect  pour  la  loi  qui  lui  défendait  de  se  mêler  au  peuple  au- 
paravant •,  afin  de  nous  apprendre  à  ne  pas  nous  dispenser 
des  règles  sans  nécessité.  —  2*  Parce  que,  sans  cela,  cet 
homme  n'aurait  pas  été  admis  à  la  participation  des  choses 
saintes.  — -  3**  Afin  de  mettre  ses  ennemis  à  môme  de  cons- 
tater le  miracle.  — 4*  Pour  compléter  la  figure  qu'il  avait  en 
vue;  car  la  lèpre  figure  le  péché,  et  le  péché  ne  devait  être 
remis  que  par  le  ministère  des  prêtres. 

IL  II  recommande  au  lépreux  de  ne  pas  dire  qui  l'a 
péri  :  —  1»  Par  modestie,  afin  de  nous  apprendre  à  éviter 
l'éclat,  autant  que  l'intérêt  de  Dieu  le  permet  '.  —  2*  Par 
prudence,  de  peur  que  la  haine  dont  ses  ennemis  était  ani- 
més ne  s'accrût  encore  et.  qu'elle  ne  les  portât  à  nier  la  réalité 
de  cette  guérison  *. 

Le  paralytique  des  Synoptiques.  Maith.^  ix,  1-7. 

*  218.  —  La  guérison  de  ce  paralytique  prouvait-elle  que  Notre  Seigneur 
eût  le  pouvoir  de  remettre  les  péchés? 

Le  pouvoir  de  guérir  subitement  n'est  pas  plus  divin  que 
celui  de  remettre  les  péchés  ;  mais  l'effet  de  l'un  tombe  sous 
les  sens  et  peut  se  constater,  tandis  que  celui  de  l'autre  est 
invisible.  Un  imposteur  ne  pouvait  s'attribuer  faussement 
que  le  second.  Pour  écarter  tout  soupçon  à  cet  égard,  il  suf- 
fisait à  Notre  Seigneur,  dit  S.  Jérôme,  de  mettre  le  premier 
sous  les  yeux  des  auditeurs  •. 

«  La  suite  de  ses  paroles,  ajoute  le  même  Docteur,  nous 
apprend  que  les  maladies  du  corps  sont  souvent  le  châti- 
ment des  péchés  de  l'âme.  »  Toutefois,  rien  n'autoriserait 
à  dire  de  chaque  maladie  qu'elle  est  la  punition  d'une  faute 
commise  par  le  malade. 

*  Volo,  mundare.  Cf.  Act.,  m,  6,  13.  —  2  Lev.,  xiv,  2. —  ^  Marc,  vu, 
36,  37;  Luc,  xii,  5.  Sic  opus  sit  in  publico  ut  intentio  maneat  in  oc- 
culte. S.  Greg.,  In  Evang,,  Hom.  xi.  —  *  Cf.  Matth.,  vi,  15;  xvi,  20; 
Sttprfl,  n.  Iô4,  194,  215.  —  ^  Fit  carnale  signum  ut  probetur  spirituale. 
S.  Hieron.,  In  hune  loc.  Verum  de  Deo  cogitabant,  sed  Deum  prœsentera 
non  videbant.  Fecit  ergo  quod  vidèrent,  et  dédit  quod  crederent.  S.  Aug., 
In  P*.  XXXVI,  Enarr.  xii,  3» 

20, 


354  JÉSUS-GHRIST  SELON  l'ëvangile.  [n^  219 

Paralytique  de  saint  Jean.  Joan.,  v,  l-is. 
{An  31,  fin  mars.) 

219.  ^  Doit-on  regarder  comme  auttientiques  les  versets  3  et  4  sur  la 
descente  de  Tange,  et  le  mouvement  de  Teau  dans  la  piscine? 

Les  protestants  rejettent  communément  le  verset  4  et  la 
fin  du  verset  3  comme  apocryphes,  parce  qu'ils  ne  se  trou- 
vent pas  dans  les  manuscrits  du  Vatican,  B,  du  Sinaï,c<,de 
S.  Ephrem,  G,  de  Cambridge  *,  D,  et  qu'Origène  les  a  omis. 
Mais  indépendamment  de  l'autorité  de  l'Eglise  qui  les  main- 
tient dans  la  Vulgate,  nous  avons  pour  en  soutenir  l'au- 
thenticité les  raisons  critiques  les  plus  imposantes  : 

!•  On  les  lit  dans  le  manuscrit  alexandrin.  A,  du  cinquième 
siècle.  —  2®  Ils  se  trouvent  dans  l'Italique  et  la  Péchito  aussi 
bien  que  dans  les  plus  anciens  manuscrits  de  la  Vulgate.  — 
3**  On  les  voit  cités  par  un  bon  nombre  de  Pères,  non 
seulement  du  quatrième  siècle,  Didyme  (t  395),  S.  Ambroise' 
(t  397),  S.Chrysostôme*  (t407),  S.Augustin*  (t 430), mais 
même  par  Tertullien,  en  deux  endroits  de  ses  ouvrages,  à  la 
fin  du  second  siècle  et  au  commencement  du  troisième,  cent 
ans  après  la  mort  de  S.  Jean  *.  On  les  lit  même  dans  le  Ata 
xeaaapwv  de  Tatien,  plus  ancien  encore.  —  4*  Ils  sont  telle- 
ment liés  au  reste  du  récit  que,  si  on  les  retranche,  les 
versets  5  et  6  accusent  une  lacune  et  le  verset  7  devient 
presque  inexplicable.  —  B°  La  descente  de  l'Ange  paraît 
exigée  par  le  sens  symbolique  du  passage.  Les  malades  re- 
présentent l'humanité  déchue.  Jusqu'à  Notre  Seigneur,  il  n'y 
avait  qu'un  petit  endroit,  la  Judée,  où  Dieu  se  révélât,  et  où 
l'on  pût  espérer  ses  faveurs.  De  temps  en  temps  apparais- 
sait un  Ange,  un  envoyé  céleste,  mais  c'était  à  de  longs 
intervalles  ;  les  grâces  qu'il  y  apportait  étaient  pour  un  petit 
nombre,  et  il  fallait  un  effort,  un  acte  extérieur  pour  en 
profiter.  Avec  Jésus-Christ,  l'Ange  du  grand  conseil,  arrive 

1  D  a  pourtant  le  verset  3  en  entier.  —  s  S.  Amb.,  en  trois  endroits. 
—  3  S,  Chrys.,  In  Joan,^  xxxvi,  1.  —  *  S.  Aug.,  Serm,  cxxv,  3;  In  Joan., 
XVII,  3;  In  Ps.  lxx,  15.  —  8  Tert.,  Adv,Jud.,  13,  ann.  196-205;  cfe  Bapi, 
V,  ann.  204.  Cf.  Gai.,  m,  19;  Heb.,  n,  2. 


1 

J 


If»  226]  SA.  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  MIRACLES.  3fB 

enfin  le  salut  *  ;  il  est  offert  à  tous  et  facile  pour  tous.  Il  n'est 
plus  besoin  d'ablutions  ni  d'œuvres  extérieures  :  la  bonne 
volonté  suffit.  —  6**  On  n'imagine  aucune  raison  qui  ait  pu 
porter  à  intercaler  ces  versets.  On  conçoit  bien  plus  aisé- 
ment que  certains  esprits  en  aient  pris  ombrage,  qu'ils  les 
aient  crus  propres  à  exciter  la  défiance,  ou  à  favoriser  les  pré- 
tentions des  Juifs  •  ;  et  que  pour  cette  raison,  à  la  suite  peut- 
être  de  quelques  omissions  involontaires,  on  les  ait  d'abord 
marqués  de  quelque  signe,  puis  omis  délibérément  dans  un 
certain  nombre  de  manuscrits. 

*220.  —  Ne  pouprait-on  pas  regarder  ces  deux  versets  comme  Texpli- 
cation  vulgaire  d'un  effet  naturel,  produit  par  la  vertu  d'une  eau 
thermale,  et  penser  que  saint  Jean  s'est  conformé,  dans  son  récit,  à  la 
manière  de  parler  ordinaire,  sans  s'en  faire  pour  cela  le  garant? 

Quelques  catholiques  ont  cru  pouvoir  adopter  ou  tolérer 
ce  sentiment  ».  Mais  il  est  contraire  aux  explications  des 
saints  Docteurs,  et  à  moins  de  retrancher  le  verset  4,  il  con- 
tredit ouvertement  l'évangile.  S.  Jean  ne  dit  pas  :  «  C'était 
alors  une  croyance  commune;  i  mais  :  «  Voici  ce  qui  avait 
lieu.  »  D'ailleurs,  s'il  n'y  avait  eu  là  qu'une  eau  thermale  na- 
turelle, aurait-elle  eu  la  môme  efficacité  pour  toutes  les  ma- 
ladies ?  Aurait-elle  produit  son  effet  subitement  ?  N'aurait- 
elle  eu  de  vertu  que  dans  certains  moments  et  sur  un  seul 
malade  à  la  fois? 

Suivant  Tertullien,  ces  guérisons  miraculeuses  et  ces  ap- 
paritions d'anges  étaient  un  signe  que  Dieu  donnait  aux  Juifs 

^  Redire  in  domum  suam  est  in  Paradisum  introire.  S.  Amb.,  In  Luc., 
v,  24.  Cf.  S.  Aug.,  Serm.  cxxv,  3.  C'est  à  cause  de  cette  signification 
que  ce  miracle  est  représenté  en  vingt  endroits  des  Catacombes.  Voir 
Bottari.  PI.  39;  Aringhi,  VI,  vi. 

JnssQS  post  multofl  gradiior  paralyticus  annos, 

Mirandom,  lecti  portitop  ipse  sui.  Claudiamus. 

^  Infrcu,  n.  392,  796.  —  s  En  premier  lieu,  Sepp.,  La  Vie  de  /.-C,  sect. 
IV,  eh.  5.  La  tolérance  de  ce  docteur  rivalise  en  beaucoup  d'endroits 
avec  riadépendance  des  hétérodoxes  ;  par  exemple,  sur  la  nature  de  la 
manne,  l'histoire  de  Jooas,  le  sacrifice  d'Abraham,  la  femme  de  Loth,  la 
vision  d'Elie,  le  livre  d'Esther,  etc.  Voir  ses  Etudes  sur  la  Vie  de  JésuSy 
1866,  t.  u,  p.  20-^,  260. 


356  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n«  221 

pour  leur  annoncer  la  venue  du  Sauveur,  et  ce  signe  cessa 
bientôt,  en  punition  de  leur  incrédulité.  Peut-être  le  peu 
de  durée  du  prodige  est-il  la  raison  pour  laquelle  il  n'en  est 
fait  mention  nulle  part  ailleurs,  ni  dans  les  Livres  saints,  ni 
dans  les  ouvrages  profanes  *. 

L'hémorrhoîsse.  Matth.,  ix,  20-22;  Luc,  viu,  43-48. 
*  221.  —  Eusèbe  ne  confirme-t-il  pas  la  réalité  de  cette  gnérison? 

Eusèbe,  l'historien,  de  Césarée  en  Palestine  (f  338),  af- 
firme que  cette  femme  était  de  Panéas,  ville  de  Phénicie,  ap- 
pelée en  dernier  lieu  Césarée  de  Philippe. 

Il  dit  qu'il  y  a  encore  devant  la  porte  de  sa  maison  deux 
statues  d'airain,  dont  l'une  représente  cette  femme  dans  une 
attitude  suppliante,  et  l'autre  Jésus-Christ  enveloppé  dans 
un  manteau  et  lui  tendant  la  main.  Il  ajoute  qu'au  pied  de 
cette  seconde  statue  croît  une  herbe  d'une  espèce  inconnue 
qui,  lorsqu'elle  atteint  le  bord  des  vêtements  du  Sauveur, 
acquiert  la  propriété  de  guérir  toute  sorte  de  maladies.  «  On 
a  ignoré  pendant  un  certain  temps,  dit-il,  ce  que  représen- 
tait ce  groupe  ;  mais  la  base  en  ayant  été  découverte,  on  y 
a  lu  le  nom  de  Jésus  et  reconnu  l'hommage  qu'on  avait 
voulu  lui  rendre.  »  «  Elle  a  subsisté  jusqu'à  notre  époque, 
ajoute-il  en  finissant,  et  nous  l'avons  vue  de  nos  yeux  K  » 
Le  même  fait  est  rapporté  par  Sozoméne  (450)  et  par  saint 
Astère,  évêque  d'Amasée  (370-400)  ;  mais  ce  dernier  ajoute 
que  de  son  temps  cette  statue  ne  subsistait  plus.  Plusieurs 
auteurs  disent  que  l'hémorrhoïsse  est  celle  des  saintes 
femmes  qui  a  présenté  un  linge  au  Sauveur  sur  le  chemin 
du  Calvaire  et  qu'on  vénère  sous  le  nom  de  Véronique  K 

S.  Augustin  indique  la  signification  morale  de  ce  récit, 
lorsqu'il  dit  :  C'est  par  la  foi  qu'on  touche  le  Sauveur  :  Fide 
tangimm  Christum...  Turbapremit  :  fides  tangit  *.  Un  certain 

1  Tert.,  Adv.  Jud.j  13.  Cf.  S.  Hieron.,  de  Loc,  hebraic,  —  *  Euseb., 
//.,vii,  14,  18;  Tillemont,  Mémoires^  t.  vu,  Julien,  art.  17;  Honoré  de 
Ste-Marie,  t.  ii,  liv.  iv,  art.  3;  Fleury,  H,  E.,  xv,  20.  Acta  SS.,  4  féb., 
6  mali.  —  3  Evang,  de  Nicodème.  Acta  SS.,  4  féb.  et  7  maîi.  —  *  S.  Aug., 
Se)*m.  ccxuu,  2,  et  cgxlyi,  4.  Audiant  christiani,  qui  quotidiejGbristi 


N°222]  SA.  VIE  PdBLiQUB.  —  SES  MIRACLES.  357 

nombre  de  Pères  regardent  î'hémorrhoïsse  comme  l'image 
de  l'Eglise  des  Gentils  ;  c'est  pour  cette  raison  sans  doute 
qu'elle  a  été  si  souvent  représentée  dans  les  catacombes  et. 
sur  les  monuments  des  premiers  siècles  ' . 


L'aveugle -né.  Josn., 


Le  Fils  de  Dieu  se  révèle  ici,  par  son  action  comme  par  ses 
paroles,  comme  la  vraie  lumière  du  monde  '.  Ce  qui  est  au- 
jourd'hui un  fait  aussi  éclatant  que  le  soleil  était  alors  une 
simple  révélation,  un  objet  de  foi.  L'aveugle  que  le  Saaveur 
guérit  est  le  type  des  âmes  droites  et  humbles  qui,  recon- 
naissant leur  aveuglement  naturel,  sont  heureuse  de  voir 
par  lui,  au  flambeau  de  la  foi  ',  Les  Pharisiens  sont  la  figure 
des  incrédules  volontaires,  de  ceux  qui,  pleins  de  confiance 
eneuï-mêmes,  ne  veulent  voir  qae  par  eux-mêmes,  par  leurs 
facultés  naturelles,  et  refusent  obstinément  de  croire  aux  vé- 
rités révélées  ', 


'  Voir  Aringhi,  vi,  7,  BotUrî,  pi.  i9,  !i,  34,  39.  41,  84,  S5,  89,  135; 
Hirtigny,  Ilémûrroïne,  Images,  }éius-Chriat.  —  '  Tûte  laurôo  de  Tibère, 
l'Auguste  du  temps,  avec  ces  deux  mots  presque  eSacés  :  Kxisaipot 
ItSonTou.  Au  cou  de  Vempereur  le  monogramme  de  Pliilippe.  Au  revers, 
portiqae  d'un  temple  tetrastyle,  celui  que  son  pËre  avait  dédié  à  Ad- 
goate  dans  la  tille  de  Paneas  ou  du  dieu  Pan.  Philippe,  en  étant  devenu 
maître  et  voulant  ajouter  à  ce  qu'avait  Tait  «on  père,  changea  aon  nom 
en  celui  de  Césarée.  Légende,  ^lainnou  le-tpapxou.  L.  I  6  indique  l'an  19 
de  aon  règne.  Cf.  Uiit.  de  l'Aead.  de)  Imc.,  lii,  p,  105.  —  '  Lumen 
vite,  tj  9oi(  xjiî  ÏB))iî.  Joan.,  viir,  12;  ix,  5,  39.  Sol  intolligentite,  Sap., 
V,  6,  In/V-a,  n.  328.  —  '  Joan.,  ix,  «,  7,  17,  30,  38.  -  ■  Joan.,  ii,  16, 
19,  22,  24,  28,  S9,  34;  Rom.,  ii,  19,  ?0. 


388  JÉSUS-CHMST  SELON  l'évangile.  [n<*  222 

Le  désir  du  Fils  de  Dieu  est  bien  que  tous  les  hommes 
ouvrent  les  yeux  aux  rayons  de  l'Evangile;  mais  comme 
ceux  qui  se  croient  plus  éclairés  que  les  autres  et  qui  le  sont 
en  effet  à  certains  égards  s'obstinent  à  les  fermer  et  s'efforcent 
de  tout  obscurcir,  de  peur  d'avoir  à  lui  rendre  hommage,  il 
dit  que  sa  venue,  qui  devait  éclairer  tout  le  monde,  aura 
pour  résultat  d'aveugler  ceux-ci  de  plus  en  plus.  Evi- 
demment, c'est  à  regret  qu'il  voit  ce  fait  et  qu'il  le  constate. 
Il  ne  le  veut  que  comme  la  conséquence  d'une  obstination 
coupable  en  opposition  avec  ses  désirs.  On  ne  doit  pas  plus 
le  lui  imputer  qu'on  n'impute  à  un  prince  le  châtiment  de 
ceux  qui  violent  ses  ordres.  Ut  n'indique  donc  pas  propre- 
ment une  intention,  mais  un  résultat  :  il  équivaut  à  ita  ut, 
unde  fit  ut  ^,  La  prédiction  contenue  dans  les  paroles  qui  sui- 
vent s'est  accomplie  d'une  manière  frappante,  lorsque  les  Gen- 
tils, recueillant  la  doctrine  du  divin  Maiti  e,  rejetée  par  les 
Juifs,  sortirent  des  ténèbres  du  paganisme  et  ouvrirent  les 
yeux  aux  rayons  de  l'Evangile  ^ 

Il  est  peu  de  chapitres  aussi  intéressants  que  celui-ci, 
même  en  S.  Jean.  L'éclat  du  miracle  rend  impossible  toute 
contestation.  La  description  est  d'un  naturel  inimitable.  Les 
mots  :  Abii^  lavi^  et  video ^  sont  admirables  de  vérité  comme 
de  concision.  On  croit  assister  à  la  scène  et  entendre  lesinter- 
locuteurs.  Le  dernier  mot  :  Vidisti  eum^  dit  à  l'aveugle  par 
le  Sauveur,  n'est  pas  moins  frappant. 

Au  lieu  de  Filium  Dei,  35,  B,  K,  D,  portent  filium  ho- 
minis;  mais  on  peut  citer  à  l'appui  de  la  Vulgateles  autres 
manuscrits,  la  Péchito,  l'Italique,  les  Pères  et  les  endroits 
parallèles  de  S.  Jean  ^. 

1  Cf.  Joan.,  V,  20;  vi,  29;  x,  17;  xii,  23,  28 j  xiii,  18;  xv,  25;  xvi,  2; 
XVIII,  9,  32;  XIX,  24,  36.  —  2  Cf.  Joan.,  xii,  37-41.  Et  nos  noa  terreoa 
bona,  sed  lucem  quseranius,  nec  lucem  qusB  loco  clauditur,  qu»  tem- 
pore  flnitur,  quœ  noctium  interruptione  variatur,  quœ  a  nobis  comniu- 
niter  cum  pecoribu9  cçrnitur;  sed  lucem  quœramus  quam  videre  cum 
soUs  Angclis  possimus,  quam  nec  initium  inchoat,  nec  f)nis  angustat. 
S,.  Greg.,  In  Evang.,  hôm.  ii,  7.  —  8  joan  ,  i,  34,  49;  xi,  27  ;  xx,  28, 30. 
Voir  une  fresque  du  cimetière  de  S.  Calixte,  h  Uoine,.ou  cette  scène  est 
représentée. 


N<>224]  SA  VIE  PUBllQUE.  -^  SES  MIRaOLES.  âSÔ 

m.  Résurrections, 
223.  —  Combien  de  résurrections  a  opérées  Notre-Seigneur? 

Nul  ne  peut  dire  avec  certitude,  répond  S.  Augustin, 
combien  de  morts  le  Sauveur  a  ressuscité  *  ;  mais  l'Evangile 
nous  en  fait  connaître  trois,  et  chacun  d'eux  se  distingue 
par  un  caractère  particulier.  Dans  le  premier  cas,  c'est  une 
jeune  personne  qui  vient  de  rendre  l'âme  ;  dans  le  second,  un 
jeune  homme  un  peu  plus  âgé  qu'on  porte  au  tombeau; 
dans  la  troisième  un  homme  fait  qui  est  enseveli  depuis  plus 
de  trois  jours.  Par  ces  résurrections,  de  plus  en  plus  frap- 
pantes et  de  mieux  en  mieux  attestées,  le  Sauveur  montre 
qu'il  est  l'arbitre  absolu  de  la  vie  et  de  la  mort,  et  que,  dans 
la  tombe  comme  au  cercueil,  comme  sur  le  lit  funèbre,  on 
est  toujours  sous  sa  main  :  Omnes  enim  vivunt  ei  ^  De  plus 
ces  trois  miracles  sont  la  figure  d'autant  de  genres  de  con- 
versions, ou  de  résurrections  mystiques  que  la  parole  du 
Fils  de  Dieu  ne  cesse  d'opérer  dans  les  âipes  ^  ;  car  il  y  a 
trois  sortes  de  pécheurs  ou  de  morts  spirituels  Ml  en  est  qui 
ont  perdu  la  grâce  par  un  acte  de  volonté  purement  intérieure; 
d'autres  ont  commis  le  mal  extérieurement,  en  réalisant 
leurs  mauvais  desseins  ;  d'autres  sont  diâns  l'habitude  du  pé- 
ché et  répandent  la  corruption  avec  le  scandale  *.  La  grâce 
du  Ciel  s'étend  à  tous.  Il  n'est  pas  d'âme  morte  à  la  grâce 
qui  ne  réponde  à  la  voix  du  Sauveur,  quand  il  lui  plait  de  la 
rappeler  à  la  vie  *. 


*  s.  Aug.,  Serm,  xcviii,  3.  Mortui  resurgunt,  dit  Notre  Seigneur >en 
S.  Matthieu,  xi,  5,  Cf.  x,  8.  —  «  Luc,  xx,  38.  —  »  Jôan.,  v,  17;  S.  Aug., 
In  Ps.  Cl,  Serm.  ii;  Brev.  rom,,  4  maîi,  lect.  vii-ix.  —  ♦  Apec,  m,  1.  — 
*  Tria  gcnera  peccatorum  quos  hodieque  suscitât  Ghristus  videlicet  vo- 
luntate,  opère,  consuetudine.  S.  Aug.,  Sei^m,  xcviii,  5.  Ecce  ipsa  soror 
Lazari,  Maria,  meUus  suscitata  est  quam  frater  ejus.  S.  Aug.,  Jn  Joan., 
XLîx,  3.  Cf.  Aringbi,  VI,  x.  —  6  Ainsi  prouve-t-il  qu'il  est  par  essence 
notre  vie  véritable,  la  vie  de  nos  âmes  pour  Téternité,  vi  avacrraffic  xai 
7}  C(«>i')i  Joan.,  XI,  25;  xiy,  6;  y)  C(i>y]  T]|xa>v,  Col.,  m,  4;  o  Za>oicot(i>v,  Rom.^ 
IV,  17;  0  iiovo;  exwv  aOavowjiav,  I  Tim.,  vi,  16. 


âôO  JÉSUS-CHRIST  SELON  L*ÉVaN(ÎILË.  [n^  ^28 

Fille  de  Jaire.  Matih.,  ix,  18-26. 

224.  —  Notre  Seigneur  n'a-t-il  pas  dit  de  la  fille  de  Jaîre  qu'elle 

n'était  pas  morte,  mais  qu'elle  dormait,  24? 

Avant  de  la  ressusciter.  Notre  Seigneur  a  dit  de  cette  per- 
sonne qu'elle  dormait,  mais  dans  le  môme  sens  qu'il  l'a  dit 
de  Lazare  :  Dixerat  autem  de  morte  ejus  *.  En  réalité,  ni  l'un 
ni  l'autre  n'était  mort  définitivement,  puisque  le  Sauveur 
allait  les  rappeler  à  la  vie,  et  qu'il  ne  lui  en  coûte  pas  plus 
de  ressusciter  un  mort  que  d'éveiller  un  homme  qui  som- 
meille. Mortua  est  vobis^  lui  fait  dire  S.  Jérôme,  traduisant 
sa  pensée  :  mihi  dormit  ^ 

On  peut  admirer  ici  la  confiance  et  la  simplicité  que  les 
Evangélistes  montrent  dans  leur  récit.  Des  imposteurs  se  se- 
raient bien  gardés  d'attribuer  ce  mot  à  Notre  Seigneur. 
Eux  n'ont  pas  même  l'idée  du  soupçon  que  ces  termes  pour- 
raient donner.  Du  reste,  S.  Luc  ajoute  :  Et  reversas  est  spi- 
ritm  ejus  %  et  S.  Matthieu  :  Exiit  fama  hœc  in  universam 
terram  illam  *. 

Lazare.  Joan.,  xi ,  i-45. 

225.  —  Peut-on  mettre  en  doute  la  réalité  de  cette  résurrection? 

D'abord  l'authenticité  de  ce  passage  du  quatrième  évangile 
est  incontestable.  Il  n'y  a  pas  une  page  qui  porte  à  un  plus 
haut  degré  l'empreinte  de  S.  Jean,  ni  qu'il  fût  plus  difficile 
d'y  intercaler  furtivement.  Etant  de  S.  Jean,  le  récit  est  d'un 
témoin  oculaire,  d'un  homme  qui  n'a  pas  connu  seulement 
Lazare  et  ses  sœurs  %  mais  qui  a  vécu  longtemps  avec  eui. 

1  Joan.,  XI,  11-14.  Aux  yeux  de  la  foi,  mille  ans  ne  sont  qu'un  jour, 
et  tous  les  fidèl^es  couchés  dans  leur  tombeau ,  attendent  le  réveil  de 
la  résurrection.  De  là  dormitorium ,  en  grec  xoiiiYiTTipiov,  cimetière,  de 
xot{JLaa),  dormir.  Cf.  Ps.  xi,  9;  I  Cor.,  xv,  6,  18,  20,  etc.  Cf.  Euseb.,  B., 
VII,  13  —  s  S.  Hieron.,  In  hune  loc.  Cf.  Luc,  xx,  38.  —  ^  Luc,  viii,  55. 
Cf.  m  Reg.,  xvn,  22.  —  *  Matth.,  ix,  25.  Môme  simplicité  dans  le  récit 
de  la  résurrection  du  jeune  homme  de  Naïm;  malgré  les  traits  tou- 
chants qu'il  présente  comme  la  plupart  fles  récits  de  S.  Luc.  Rapprocher 
ces  mots  :  Dédit  illum  matri  sùœ^  vu,  15,  de  ces  autres  qui  pouvaient 
s'appliquer  à  Notre  Seigneur  et  à  sa  Mère  :  Ecce  filius  uniciu  matrit 
siue;  et  hase  vidua  erat,  12.  —  8  Joan.,  xx,  38. 


N»  226J  SA  VIË  t^Dfii^UË.  —  SES  BtlftAClEâ.  361 

L'historien  ne  peut  donc  pas  avoir  été  trompé.  Dira-t-on 
qu'il  :t rompe?  Dans  quel  intérêt  tromperait-il?  Quel  besoin 
a-t-il  de  supposer  ce  miracle?  Un  homme  sensé  peut-il  avoir 
ridée  d'inventer  un  pareil  fait,  de  le  donner  comme  indu- 
bitable, alors  que  nul  n'en  aurait  l'idée,  qu'une  foule  de 
personnes  seraient  en  état  d'en  démontrer  la  fausseté, 
qu'elles  seraient  intéressées  à  le  faire?  Un  imposteur  décri- 
rait-il le  miracle  de  la  manière  que  fait  S.  Jean,  dans  ses 
moindres  détails,  sans  la  moindre  précaution  oratoire,  sans 
aucune  ambiguïté  de  langage,  sans  aucune  atténuation,  avec 
la  confiance  d'un  homme  qui  défie  toute  contradiction? 
Préciserait-il  toutes  les  circonstances  ',  la  notoriété  du  fait, 
la  multitude  des  témoins*,  l'exaspération  des  ennemis  du 
Sauveur  et  la  détermination  fatale  qui  en  fut  la  suite  *?  Ce 
fait  se  lierait-il  si  naturellement  à  ce  qui  précède  et  à  ce  qui 
suit  :  l'amitié  de  Jésus,  pour  Marthe  et  pour  Marie  \  le 
redoublem^it  de  la  haine  des  Juifs  envers  le  Sauveur  et  la 
résolution  qu'il  prennent  de  le  mettre  à  mort  '^?  Enfin  le 
trouverions-nous  attesté  par  la  plus  ancienne  et  la  plus 
respectable  tradition,  et  confirmé  par  la  loi  de  l'Eglise  tout 
entière  •? 

226.  —  Quelles  raisons  avaient  les  Synoptiques  d'omettre  dans  leurs 

récits  un  miracle  si  frappant? 

Rien  ne  s'opposait  précisément  à  ce  que  les  Synoptiques 

«  Joan.,  XI,  5,  6,  18,  28,  30,  32,  35,  38,  44.  —  «  Jean.,  xi,  19,  31,  33, 
42,  45.  —  3  Joan.,  xi,  47-56;  xii,  9-10,  17.  Cf.  Matth.,  xxvi,  5.  —  *  Luc, 
X,  37-42.  —  8  Joan.,  xl,  46-53.  —  ^  «  i^  résurrection  de  Lazare  revient 
souvent  (une  trentaine  de  fois)  dans  les  peintures  des  catacombes.  C'était 
pour  les  fidèles  un  fait  historique  en  même  temps  qu'une  instruction  et 
un  symbole.  Elle  leur  faisait  penser  à  la  résurrection  des  &mes  aussi 
biOR  qu'à  ceUe  des  corps.  Mais  le  sens  moral  qu'où  en  tirait  les  eût  peu 
intéressés,  si,  avant  tout,  le  fait  n'eut  pas  été  certain.  Soyons  sûts  qu'on 
y  a  regardé  de  près.  »  D.  Guéranger,  Sle  C^cile^  xiii.  «  Seigneur  Jésus, 
ceix  qui  refusent  de  croire  k  cotte  résurrection  savent-ils  qu'après  avoir 
lessuseité  un  hommei  vous  avez  ressuscité  un  monde,  et  que  le  miracle 
de  Béthanie  s'efface  devant  celui  qui  a  tiré  de  son  tombeau  le  vieux 
monde  païen,  ce  mo7*t  de  quatf^e  mille  'ans,  gui  rCétait  plus  qu'infection 
tifomrritwe?  »  H.  Rerrejnre.  Cf.  Ëuseb.,  U.,  iv*  3;  S.  Amb.,  De  fide 
retur.^  n,  T7.  S,  Chrys.,  In  I  Cor,,  HomU.  vu;  InfrUy  n.  468. 

m.  21 


S62  JÉSUS-CHRIdT  SELON  l^evangilë.  [no  227 

commençassent  par  là,  comme  S.  Jean,  le  récit  de  la  Pas- 
sion ;  mais  ils  n'y  étaient  pas  obligés,  et  l'on  s'explique  l'o- 
mission de  ce  fait  :  —  i^  La  seule  résurrection  dont  ils  étaient 
frappés  et  sur  laquelle  ils  voulaient  porter  l'attention,  c'était 
celle  de  l'Homme-Dieu.  Celle  de  Lazare  leur  semblait  peu 
de  chose  en  comparaison.  —  2**  A  l'époque  où  ils  écrivaient, 
la  prudence  devait  leur  conseiller  de  ne  pas  attirer  l'atten- 
tion des  Juifs  sur  Lazare  et  ses  sœurs  S  comme  elle  leur  dé- 
fendait de  dire  le  nom  de  celui  qui  avait  tiré  l'épée  contre 
le  serviteur  du  grand-prêtre  *.  —  3*  Après  s'être  bornés  a 
décrire  l'apostolat  du  Sauveur  dans  la  Galilée,  les  Synop- 
tiques ont  dû  trouver  naturel  de  commencer  l'histoire  de  sa 
Passion  par  son  entrée  triomphale  à  Jérusalem  :  pour  S.  Jean, 
au  contraire,  il  entrait  dans  son  plan  de  recueillir  tout  ce 
que  le  Fils  de  Dieu  avait  dit  et  fait  dans  la  Judée  c^umae 
dans  la  ville  capitale  '.  —  i""  Enfin  nul  évangélisie  n'a  pré- 
tendu donner  un  tableau  complet  des  miracles  du  Sauv<eur  \ 
Bien  plus,  il  n'est  pas  un  évangile  où  l'on  ne  lise  quelque 
miracle  négligé  dans  les  autres  '.  Un  des  plus  prodigieux  et 
des  plus  incontestables,  l'apparition  d«  Sauveur  aux  cinq 
cents  disciples,  n'est  rapportée  que  dans  les  Epîtres,  et  n'a 
d'autre  garant  que  l'apôtre  S.  Paul  '. 

CONSÉQUENCE  DES  MIRACLES  DU  SAUVEUR. 
227.  —  Que  prouvent  les  miracles  de  Notre  Seigneur? 

Ils  prouvent  la  réalité  de  sa  mission,  sa  qualité  de  Messie 
et  sa  divinité,  et  cela  de  deux  manières,  d'une  manière  in- 
directe et  d'une  manière  directe. 

L  D*une  manière  indirecte.  —  Notre  Seigneur  se  donnait 

1  Cf.  Joan.,  XII,  10.  -*-  >  Cf.  Matth.,  xxvi,  51;  Maro.,  auv,  47;  Lac., 
XXII,  50  et  ioan.,  xvin,  10.  —  *  Supra ^  n.  42.  —  ^  Joan.,  xsïi,  25.  Ct 
Matth.,  xn,  14-16;  xiv,  13,  14,  34-36;  xv,  39t-31  ;  xix,  i,  2;  x»i,  14; 
Marc,  VI,  53-56;  Luc,  iv,  40;  v,  15;  vi,  17^19;  mu,  30*2:2.  —  *  Des 
trente  miraeles  de  Noire  Seigneur,  quioie  sont  rapportés  par  un  mv^ 
évangéiiste  :  sept  par  S«  Jean,  ii,  4,  14;  iv,  46;  v,  2;  sx,  1;  xyui,  6;  ftU 

Sar  S.  Luc,  iv,  30;  v,  1;  tu,  i2;  xni,  14;  ^iv,  2;  xvu,  42;  a(Xil»5A; 
eux  par  S.  Matthieu,  ix,  27;  x¥ii,  ^6;  «9  par  S.  Marc,  Yiii,  22.  «* 
«  I  Cor.,  XV,  6.  <i  Une  citation  -dit*  plus  que  cent  mnlBsionâ.  »  B(U»oat- 


Îf«f27]  SA  VIE  PUBLIQUE.  ^  SES  HlftAClES.  363 

pour  un  envoyé  de  Dieu,  pour  le  Messie  et  pour  le  Fils 
unique  du  Père.  Or,  ces  miracles  avaient  pour  but  d'attes- 
ter la  vérité  de  ses  paroles  *.  S'ils  ont  eu  lieu,  si  ce  sont  de 
vrais  miracles,  il  faut  évidemment  reconnaître  qu'il  possé- 
dait ces  qualités  *.  Diderot  disait  :  t  Je  ne  demande  pas  de 
miracle  pour  croire,  mais  seulement  un  bon  syllogisme.  » 
t  II  ne  s'apercevait  pas,  dit  Laharpe,  que  le  miracle  est  un 
syllogisme  en  action,  le  meilleur  et  le  plus  convaincant  de 
tous  les  syllogismes.  »  On  ne  trouvera  aucun  incrédule,  au- 
cun homme  intelligent  et  refusant  de  croire  au  Sauveur, 
qui  consente  à  admettre  le  caractère  miraculeux  de  ses 
œuvres  '. 

II.  Ifum  manière  (Urecte.  —  Quand  Notre  Seigneur  ne  se 
fut  pas  atiriU3uô  expressément  ces  qualités,  et  qu'il  n'eut  pas 
donné  ses  miracles  comme  preuve  de  sa  parole,  ses  œuvres 
parleraient  pour  lui  ;  car  un  certain  nombre  d'entre  elles, 
et  surtout  la  manière  dont  il  les  opère,  ne  permettent  de 
mettre  en  doute,  ni  sa  mission,  ni  sa  dignité  de  Messie,  ni 
même  sa  divinité.  Elles  supposent  en  lui,  non  un  pouvoir  dé- 
pendant et  limité  comme  celui  d'un  simple  envoyé  du  Ciel, 
mais  une  puissance  propre,  absolue  et  par  conséquent  di- 
vine. Oin  disait  que  nul  n'avait  jamais  parlé  comme  lui,  avec 
la  môme  autorité  :  qb  peut  affirmer  également  que  nul  n'a 
jamais  agi  avec  un  tel  empire  \  Lui-même  atteste  qu'il  fait 
des  choses  que  nul  homme  n'a  jamais  faites,  quœ  nemo  alius 
fecit  '.  Non  seulement  il  commande  à  toute  créature,  aux 
flots  de  la  mer  %  aux  démons  %  aux  morts  *  ;  non  seulement 
il  ouvre,  à  son  gré,  les  yeux  de  l'esprit  comme  ceux  du 
corps  ',  mais  c'est  en  son  nom  et  par  son  autorité  qu'il  com- 
faande  *®;  c'est  à  sa  propre  vertu  qu'il  attribue  ses  mi- 

*  Matth.,  XI,  4*6;  Luc,  v,  24;  xi,  20;  Joan.,  m,  2;  v,  36;  vi,  14; 
vu,  31;  X,  25,  38;  xi,  42,  48;  xx,  30,  31,  etc.  —  »  Matth.,  ix,  8;  xv, 
30,  31;  Luc,  vu,  16;  ix,  44;  Joaa.,  ii,  23;  ix,  32.  Cf.  IV  Reg.,  v,  7. 

—  «  Joan.,  IX,  16,  â4,  31.  S.  Thom.,  2*-2»,  q.  178,  a.  2.  -^  *  Joao., 
XXI,  23.  —  «  Joan.,  xy,  24.  ^  «  Luc,  vui,  24.  —  "ï  Matth.,  xvii,  17; 
Marc,  I,  27.  —  *  Joan.,  xi,  43,  etc.  —  »  toc,  xxiy,  45.  Supra,  n.  198. 

—  »«  Matth.,  II,  %;  ««Jt  32;  Marc,  iy,  39;  v,  32;  ix,  24;  Luc,  vu,  14; 
JSian.,  n,  8.  ^ 


M  iiîsus-dHRiât  âÉLoN  l'évaNôiLe:*  [n«228 

racles  '.  Il  dit  qu'il  se  ressuscitera  lui-môme  •.  Il  assure 
à  ses  disciples  qu'il  leur  enverra  l'Esprit  saint,  l'Esprit  de 
vérité ,  qui  procède  du  Père  •.  Il  leur  donne  le  pouvoir 
de  faire  en  son  nom  les  mêmes  prodiges  que  lui,  et  de  plus 
étonnants  encore  *.  Aussi  jette-t-il  dans  la  stupeur  ceux  qui 
le  voient  et  l'entendent  •,  et  les  peuples  le  proclament-ils  en 
diverses  circonstances  plus  qu'un  homme  et  plus  qu'un  pro- 
phète •. 

228.  —  Pourquoi  tant  de  Juifs ,  témoins  des  nodracles  de  Notre  Seignear, 

ne  croyaient-ils  pas  en  lui? 

La  vérité,  si  claire  qu'elle  soit,  n'entraîne  pas  nécessaire- 
ment l'assentiment  de  l'intelligence,  encore  moins  la  sou- 
mission de  la  volonté.  Elle  permet  à  ceux  qui  y  sont  résolus 
de  s'aveugler  et  de  se  perdre  :  Evangelium  in  iis  quipereuni 
est  opertum''.  Les  Juifs  voyaient  les  miracles  du  Sauveur'; 
ils  ne  les  contestaient  pas*;  ils  ne  récusaient  pas  les  té- 
moins ;  mais  ils  avaient  des  préjugés  et  des  passions  aux- 
quelles ils  ne  voulaient  pas  renoncer,  et  ils  attribuaient  au 
démon  ce  qu'ils  reconnaissaient  au-dessus  des  forces  de  la 
nature  *^.  Ils  fermaient  les  yeux  de  leur  cœur  à  la  lumière 
de  la  grâce,  comme  leurs  pères  avaient  fait  du  temps  des 
prophètes  ^^  comme  leurs  enfants  ont  fait  du  temps  des 
Apôtres  ^S  et  comme  font  encore  parmi  nous  tant  d'incré- 

*  Matth.,  vm,  3;  Marc,  iv,  10;  Luc,  vi,  5-10;  vin,  46;  Joan.,  v,  21; 
XI,  43.  Cf.  Act.,  III,  12,  16.  —  2  Joan.,  ii,  19;  x,  17.  —  a  Joan.,  vn,  38; 
XIV,  38;  XV,  26.  Quomodo  Deus  non  est  qui  dat  Spiritum  sanctum?  Imo 
quantus  Deus  qui  dat  Deum?  S.  Aug.,  de  7m.,  xv,  26.  —  ^  Matth.,  vu, 
22,  23;  X,  1;  Marc,  vi,  12;  ix,  37;  xvi,  17;  Joan.,  xiv,  12;  Act.,  m,  6; 
IV,  9,  lU.  Hoc  Deo  qui  parum  putat,  quid  plus  exspectet  ignore.  S.  Aug.f 
Epist.  cxxxvii,  13.  —  *  Matth.,  xii,  23;  Marc,  vi,  51;  Luc,  ix,  44.  — 
6  Matth.,  xiv,  33;  Luc,  vin,  25;  Joan.,  vu,  31.  Cf.  S.  Thom.,  p.  3,  q.  43, 
a.  4;  Massillon,  Set^m,  pour  la  Circonc.y  1"  p.  —  "^  I  Cor.,  iv,  3.  InfiHy 
n.  455,  note  637.  —  >  Joan.,  vu,  31  ;  xi,  47.  —  '  Matth.,  xxvii,  42;  Joan., 
XI,  47;  Act.,  u,  22  ;  iv,  16.  Hœc  operatum  esse  Christum  nec  vos  diffite- 
mini,  leur  dit  TertuUien,  Adv.  Jud.,  ix.  —  ^^  Matth.,  xiu,  24.  Celse  et 
Julien  TApostat  faisaient  comme  les  Juifs.  Orig.,  Cont,  Ceis,,  i,  6, 36, 68; 
m,  23  ;  viii,9;  S.  CyriU,  Alex.,  Cont.  JuL^  vi,  10;  Euseb.,  Prgp.  evang-y 
v,  10.  -r  **  Matth.,  xxni,  37;  Joan.,  v,  37,  46.  Cf.  Orig.,  Cont  Gels,,  n, 
74,  75.  —  "  Act.,  IV,  16,  17  ;  vu,  51,  52.  Cf.  S.  Epiph.,  £fere».,  xxx,  9. 


N<>  229]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  MIRAGLES.  365 

dttles  et  d'athées.  On  conçoit  donc  Tincrédulité  du  grand 
nombre  S  incrédulité  prédite,  d'ailleurs,  et  par  conséquent 
plus  propre  à  affermir  qu'à  ébranler  notre  foi  *.  Mais  ce  qui 
ne  s'expliquera  jamais  sans  une  vue  claire  de  la  vérité,  sans 
une  conviction  sincère  et  profonde,  c'est  la  conversion  de 
tant  d'âmes  droites,  intelligentes,  vertueuses,  qui  ont  cru 
au  Sauveur,  malgré  l'intérêt  qu'elles  avaient  à  ne  pas  croire, 
qni  ont  fait  de  leur  foi  la  règle  de  leur  conduite,  qui  ont 
donné  leur  vie  pour  la  servir  et  la  propager,  et  qui  se  sont 
laissé  égorger  plutôt  que  d'y  renoncer  '. 

229.  —  Pourquoi  le  Sauveur  refuse-t-il  de  faire  des  signes  dans  le 
ciel  *,  et  dit-il  aux  Juifs  qu'il  ne  leur  en  donnera  pas  d'autre  que 
celui  de  sa  résurrection,  Matth.,  xyi,  1-4? 

I.  S'il  refuse  de  faire  les  miracles  qu'on  lui  demande, 
c'est  que  les  Juifs  les  demandaient  sans  raison,  qu'ils  étaient 
disposés  à  n'en  pas  tenir  plus  de  compte  que  des  autres,  et 
qa'il  ne  voulait  rien  faire  qui  sentit  l'ostentation  ou  qui 
flattât  la  curiosité. 

IL  II  ne  veut  pas  dire  qu'il  ne  fera  pas  d'autre  miracle 
que  celui  de  sortir  du  tombeau,  mais  il  fait  entendre  qu'il 
leur  donnera  ce  prodige  à  la  place  de  ceux  qu'ils  lui  deman- 
dent. C'est  comme  s'il  avait  dit  :  c  Ils  comptent  pour  rien 
les  miracles  que  j'opère  chaque  jour;  ils  en  veulent  de  plus 
merveilleux  pour  se  convaincre  :  ils  n'en  auront  qu'un,  mais 
qui  ne  leur  laissera  rien  à  désirer;  celui  de  Jonas,  que  je 
renouvellerai  sous  leurs  yeux  •.  t  On  peut  remarquer,  en 
effet,  que  ce  miracle  de  sa  résurrection,  le  plus  prodigieux 
et  le  plus  décisif  de  tous,  eut  pour  unique  fin  de  démontrer 
la  divinité  de  sa  mission.  Le  Sauveur  ne  l'a  pas  fait,  comme 
les  autres,  pour  consoler  des  affligés  ou  soulager  des  in- 

*  Joan.,  III,  16,  19-21  ;  Act.,  xxvni,  25.  Infra,  n.  452,  660.  —  «  Videntes 
videbitis  et  non  perspicietis,  etc.  Isai.,  vi,  9.  Rapporté  six  fois  dans  le 
Nouveau  Testament.  —  «  Act.,  ii,  4;  m,  5;  viii,  7;  xxi,  20;  xxvi,  9-20; 
Tit.,  m,  3-7.  Infra,  n.  506.  —  *  Cf.  Isai.,  vu.  11.  —  *  Parole  étonnante, 
où  Jésus-Christ  est  prophétisé  et  prophète  à  la  fois,  et  dont  la  divinité 
ne  peut  être  contestée.  Il  fallait  l'Esprit  de  Dieu  pour  entendre  la  figure, 
sa  science  pour  en  prédire  la  réalisation  et  sa  puissance  pour  Taccomplir. 


366  JÉSUS-GHRIST  SELON  l'ÉVANGILE.  [É^W 

firmes  :  il  Ta  fait  uni^quement  pour  convaiiicre  la  natioû 
juive  et  ne  laisser  aucune  excuse  à  son  incrédulité.  C'est 
sous  cet  aspect  qu'il  te  propose  dans  S.  Matthieu  S  im 
S-  Luc  *  «l  dans  S.  lean  ^.  Aussi  est-ce  celui  que  les  Apôtres 
allèguent  toujours  comme  la  raison  de  leur  croyance  et  le 
sceau  de  leur  enseignement.  C'est  sur  cette  base  qu'ils  foBt 
reposer  tout  l'édifice  de  la  foi  *. 

Notre  Seigneur  n'a  pas  répondu  d'une  autre  manière  au 
défi  qu'on  lui  faisait  de  prouver  sa  divinité  en  descends&t 
de  sa  croix  •  : 

Plus  fecit;  ecce  mortaus 
Se  reddit  ipse  lumini  : 
Deo  satum  }am  crédite  ^. 

230,  »  Pourquoi  le  Sauveur  fait-il  ainsi  ses  miracles  de  préférence 

le  jour  du  sabbat? 

Il  choisit  le  jour  du  sabbat  pour  deux  raisons  surtout  : 
1®  Afin  de  réagir  contre  les  préjugés  des  Juifs  et  de  les 
préparer  à  l'abrogation  des  pratiques  cérémonielles,  à  h 
translation  du  sabbat  en  particulier  \  Chaque  miracle  opéré 
dans  ce  jour  leur  fait  sentir  que  le  rigorisme  dé  leurs  Doc- 
teurs est  une  exagération,  que  l'honneur  de  Dieu  et  la  loi  de 
la  charité  doivent  l'emporter  sur  la  loi  du  repos  qui  est  pu- 
rement positive  •. 

2*  Afin  qu'on  soit  plus  attentif  aux  prodiges  qu'il  opère 
et  aux  instructions  dont  il  les  accompagne.  Ce  jour-là  le 
peuple  avait  toute  liberté  pour  s'occuper  de  pensées  reli- 
gieuses. Il  se  réunissait  par  groupes  autour  des  synagogues, 
et  rien  ne  le  distrayait  des  discours  ou  des  faits  qui  pou- 
vaient l'intéresser  ^  Quelle  que  fût  la  modestie  du  Sauveur, 
dit  S.  Chrysostome,  il  ne  laissait  pas  de  prendre  ses  me- 

1  Matth.,  XII,  39;  xvi,  4.  —  «  Luc,  xi,  29.  —  3  Joan.,  ii,  19.  —  ♦  Act, 
II,  24,  31  ;  IV,  33;  x,  40;  xiii,  30;  xvii,  31;  xxv,  19;  Rom.,  iv,  25;  vin, 
34;  XIV,  9;  I  Cor.,  xv,  4,  12;  II  Tim.,  ii,  8.  Cf.  Bourdaloue,  Carême;  sur 
Generatio  ista  aignum  quxrit.  Cf.  Luc,  xvi,  31.  Infra,  n.711.  — *S.  Aug.> 
Serm.  clviii,  6.  —  «  Le  Tourneux,  Hymn.  pose,  —  "^  Matth.,  xii,  11,  lî- 
—  8  Luc,  VI,  7;  xm,  14.  Ils  portaient  à  39  le  nombre  des  travaux  in- 
terdits le  jour  du  sabbat.  —  »  Joan.,  v,  16;  ix,  14  ;  xviii,  20. 


N<>231]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  MIRACLES.  367 

sures  pour  que  ses  miracles  se  restassent  pas  inaperças,  et 
qu'ils  ne  pussent  être  révoqués  en  doute,  t  Après  avoir 
multiplié  les  pains,  il  a  soin  de  dire  qu'on  recueille  les 
restes,  afin  qu'on  les  compare  aux  provisions  qu'on  avait 
d'abord.  Quahd  il  a  guéri  le  lépreux,  il  l'wivoie  se  montrer 
au  prêtre.  Quand  il  a  changé  l'eau  en  vin,  il  en  fait  porter 
à  celui  qui  préside  au  festin,  et  lorsqu'il  a  rappelé  à  la  vie 
la  fille  de  Jaïre,  il  ordonne  aux  parents  de  lui  donner  à 
manger*.  »  C'est  pour  le  même  motif  qu'il  dit  au  paralytique 
de  prendre  son  lit  et  de  l'emporter  •. 

*  231.  —  Faut-il  prendre  à  la  lettre  ce  que  saint  Marc  dit  de  Notre 
Seigneur  et  de  ses  dispositions  à  Tégard  de  ses  ennemis  :  Circumspi- 
ciens  3  eos  cum  ira,  contristatus  super  cspcitate  cordis  eorutn,  m,  5? 

Ce  sentiment  que  l'Evangéliste  attribue  au  Sauveur  par 
rapport  à  ses  ennemis  n'a  rien  que  de  juste  et  de  louable. 
Mais  pour  en  voir  la  raison,  il  faut  distinguer,  avec  S.  Tho- 
mas *,  les  divers  sens  du  mot  ira  dans  l'Ecriture.  —  !•  Quel- 
quefois ce  mot  est  pris  dans  un  sens  objectif.  Il  signifie,  non 
une  disposition  intérieure  de  l'esprit,  mais  un  mal  exté- 
rieur, une  peine,  un  châtiment.  C'est  ainsi  qu'il  faut  l'en- 
tendre toutes  les  fois  qu'il  est  question  de  la  colère  de  Dieu, 
Dieu  n'étant  pas  sujet  comme  nous  à  l'émotion,  à  la  pas- 
sion •.  —  2°  Le  plus  souvent  il  exprime  un  mouvement  de 
l'appétit  sensitif,  qui  prévient  la  raison,  qui  trouble  l'esprit 
et  qui  porte  la  volonté,  soit  à  se  venger  d'un  tort  dont  on 
est  victime,  soit  à  se  réjouir  du  châtiment  infligé  au  cou- 
pable. Telle  est  la  colère  à  laquelle  nous  sommes  enclins, 
^j|«>ç  :  il  faut  tâcher  de  s'en  défendre;  car  un  pareil  mouve- 
ment est  toujours  imparfait  et  dangereux,  souvent  désor- 
donné et  répréhensible^.  —  3*  Ce  mot  signifie  aussi  quel- 
quefois un  sentiment  très  juste  et  très  louable,  une  indi- 

*  s.  Chrys.,  In  /oon.,  Hom.  xxxvn,  1. —  *  KpaéaTOCi  Joan.,  v,  8,  grabat, 
couchette  portative,  tapis  ou  simple  natte.  —  ^  Remarque  souvent  faite 
par  S.  Marc,  m,  5,  34;  v,  32;  ix,  7;  x,  23;  xi,  11.  —  *  S.  Thom.,  p.  3, 
q.  15,  a. 9.  —  ^  Cum  tranquilitate  judicat.  Sap.,  xii,  18.  Cf.  Luc,  xxi,  23; 
Jean.,  ui,  36;  Rom.,  iv,  15;  Eph.,  iv,  26;  Apoc,  xi,  18;  Lactant.,  De  ira 
Dei.  —  «  Cf.  Luc,  iv,  28;  CoL,  m,  8;  Tit.,  i,  7;  Jac,  i,  19,  20. 


368  JÉSUS-GHRIST  SELON  l'évangile.  [n»  233 

gnation  réfléchie,  calme  désintéressée,  à  l'égard  d'un  acte 
mauvais  ou  d'une  disposition  vicieuse  qui  demande  à  être 
réprimée.  C'est  en  ce  sens,  et  en  ce  sens  seulement,  que  le 
mot  ira^  opyiQ,  peut  être  appliqué  au  sentiment  de  Notre 
Seigneur;  car  il  n'avait  rien  de  déréglé,  ni  d'involontaire, 
ni  d'irréfléchi  ^ . 

§  III.  —  Prophéties. 

I.  Ses  lumières  prophétiques  et  ses  principales  prédictions. 

232.  —  D'où  vient  ce  nom  de  prophète,  donné  quelquefois  à  Notre 

Seigneur? 

Ce  nom  est  donné  au  Messie  dans  l'Ancien  Testament  *.  Il 
a  été  souvent  attribué  à  Notre  Seigneur  dans  le  Nouveau  •. 
Les  peuples  voyaient  qu'il  exerçait  toutes  les  fonctions  et 
qu'il  possédait  toutes  les  qualités  que  ce  titre  suppose.  On 
l'entendait,  comme  les  anciens  prophètes,  parler  au  nom  de 
Dieu,  avertir,  réformer,  menacer,  prédire,  révéler. 

Dans  quelques  endroits  du  saint  Evangile,  le  Sauveur  est 
appelé  le  prophète  par  excellence,  6  xpojpifirr.ç,  c'est-à-dire  le 
Messie,  celui  qui  est  attendu  sous  ce  nom,  qui  doit  restau- 
rer le  culte  de  Dieu,  établir  une  nouvelle  alliance  entre  le 
Seigneur  et  son  peuple,  mettre  la  dernière  main  à  la  lé- 
gislation et  porter  à  son  comble  la  puissance  et  la  gloire 
d'Israël  ♦. 

233.  —  Est- ce  qu'on  attribuait  communément  au  Sauveur  la  connaissance 
des  choses  cachées  au  commun  des  hommes? 

On  était  persuadé  que  rien  de  ce  que  le  Sauveur  avait 
intérêt  à  connaître,  soit  dans  le  présent,  soit  dans  l'avenir, 
n'échappait  à  son  regard,  et  S.  Jean  m  fait  souvent  la  re- 
marque *. 

i  Cf.  Joan.,  vin,  29;  xi,  33.-2  Deut.,  xvin,  15-19;  Isai.,  xxx,  20; 
I  Mac,  IV,  46;  xiv,  41.  —  »  Matth.,  xiii,  57;  xvi,  14;  xxi,  11,  46;  Luc, 
VII,  16;  XXIV,  19;  Joan.,  iv,  19;  vi,  14;  vu,  40;  ix,  17.  —  *  Matth.,  xi,  9; 
XXI,  11;  Joan.,  i,  20;  m,  8;  vi,  14,  etc.  —  *  Joan.,  xviii,  4;  xxf,  17, 
18,  etc.  C'est  S.  Jean  surtout  qui  avait  été  frappé  des  lumières  sornatu- 
relles  du  Sauveur.  Il  ne*  néglige  aucune  occasion  de  les  faire  remarquer 


N*  2341  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  PROPHÉTIES.  369 

I.  Il  a  souvent  montré  qu'il  voyait  les  choses  les  plus  se- 
crètes :  —  1*  les  pensées  *  ;  —  2*  les  sentiments  et  les  des- 
seins*; —  3"  les  faits  les  moins  faciles  à  connaître  •. 

IL  II  a  fait  voir  également  qu'il  connaissait  l'avenir.  Ja- 
mais il  n'hésite  sur  la  conduite  qu'il  doit  tenir  *,  ni  ne  se 
montre  inquiet  sur  ce  qui  peut  arriver  •.  Dès  le  début  de  sa 
prédication,  il  sait  ce  qu'il  doit  faire  et  comment  il  doit 
finir;  il  a  dans  l'esprit  le  plan  de  son  œuvre;  il  en  connaît 
la  destinée*.  Lorsqu'il  choisit  ses  Apôtres,  il  dit  à  quoi 
ils  lui  serviront,  quels  obstacles  ils  auront  à  surmonter, 
quel  sera  le  fruit  de  leurs  travaux.  La  première  fois  qu'il 
voit  S.  Pierre,  il  lui  annonce  ce  qu'il  deviendra.  Il  est  con- 
vaincu que  le  monde  entier  recueillera  sa  parole  et  que  son 
règne  s'établira  sur  la  terre  pour  ne  pas  finir  :  aussi  parle- 
t-il  constamment  pour  toute  l'humanité,  comme  ayant  de- 
vant lui  les  peuples  de  tous  les  lieux  et  de  tous  les  temps. 
Enfin,  dans  un  grand  nombre  d'occasions,  il  prédit  d'une 
manière  précise  une  multitude  de  choses  qu'il  ne  pouvait 
connaître  naturellement,  ce  qui  lui  devait  arriver,  le  sort  de 
ses  disciples,  celui  de  ses  ennemis  ;  et  il  fait  ses  prédictions 
comme  il  opère  ses  miracles,  de  la  manière  la  plus  simple, 
sans  témoigner  la  moindre  émotion  ni  sortir  de  sa  disposi- 
tion habituelle. 

234.  —  Qu'est-ce  que  le  Sauveur  a  prédit  par  rapport  h  lui-même? 

Le  Sauveur  a  prédit  un  grand  nombre  de  faits  relatifs  à  sa 
personne  : 
!•  La  durée  et  la  fin  de  son  ministère  "^  :  —  2*^  Sa  Passion, 

et  d'en  témoigner  son  admiration.  Cf.  III  Reg.,  viii,  39;  I  Par.,  xxviu,  9; 
II  Par.,  VI,  30;  Job.,  xui,  2;  Ps.  vu,  10;  cxxxyui,  3;  Act.,  xv,  8. 

1  Matth.,  IX,  3,  4;  xn,  24,  25;  xvi,  7,  8;  Marc,  ii,  8;  Luc,  vi,  8;  vu, 
39,  40;  XI,  17.  Cf.  Sap.,  ii,  14.  —  *  Matth.,  xxii,  18;  xxvi,  10;  Luc,  v, 
21,22;  IX,  46,  47;  xx,  22;  Joan.,  ii,  24;  vi,  65,  66;  vii,  20;  xiii,  11; 
XVI,  19.  —  3  Matth.,  XI,  21-23;  Joan.,  i,  42,  47,  48;  ii,  24,  25;  iv, 
18,  29,  30;  vi,  15,  65,  68,  71;  vu,  20,  21;  xi,  11,  13;  xiii,  1,  11,  18; 
XVI,  32;  XIX,  28,  etc  —  *  Joan.,  vi,  6.  —  *  Luc,  xiii,  32,  33;  Joan., 
xvin,  4.  —  8  Joan.,  vni,  14.  —  ^  Luc,  xin,  32,  33;  Joan.,  xi,  9; 
XYi,  32. 

21. 


370  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n«  233 

le  temps,  le  lieu,  les  circonstances  principales  *.  Noii  con- 
tent de  faire  une  fois  ces  prédictions,  il  les  réitère,  il  les 
précise  à  mesure  que  le  temps  de  leur  accomplissement  ap- 
proche, et  il  donne  la  raison  de  cette  conduite  *.  —  3*  L'aban- 
don de  ses  disciples  •.  —  4**  Son  crucifiement  *.  —  5«  Sa  ré- 
surrection •.  —  6"  Son  Ascension  •. 

235.  —  Qu'a-t-il  annoncé  relativement  à  l'Eglise? 

Relativement  à  l'Eglise,  Jésus-Christ  a  prédit  : 

l*»  Qu'elle  reposera  sur  Pierre  et  que  rien  ne  l'ébranlera'. 

—  2«  Qu'elle  recevra  le  Saint-Esprit  avec  tous  ses  dons  *.  -- 
3**  Qu'il  sera  toujours  avec  elle  et  au  milieu  d'elle,  afin  de 
la  soutenir*.  —  4* Qu'elle  se  propagera  par  toute  la  terre". 

—  5**  Qu'elle  aura  de  grandes  persécutions  à  stibir  ".  — 
6*  Qu'elle  sera  composée  de  membres  de  dived^'ses  qualités 
et  de  diverses  valeurs  ".  —  7*  Qu'elle  c<*oîtra  comme  le 
sénevé  **,  et  qu'elle  se  dilatera  comme  le  levain  **.  — 
8*  Qu'elle  sera  indestructible,  c'est-à-dire  que  jamais  la  cité 
du  monde  dont  le  démon  est  le  chef,  jamais  les  persécu- 
tions des  tyrans  et  les  artifices  des  politiques,  jamais  les 

1  Matth.,  XVI,  21  ;  xvii,  12;  xx,  17-19,  28;  xxvi,  2,  23,  28,  45;  Marc., 
IX,  11;  X,  32-34,  38;  xiv,  24,  25,  41;  Luc,  ix,  22;  xviii,  31-33;  xx,  9; 
XXII,  15;  XXIV,  7;  Joan.,  ii,  19;  m,  14;  vm,  28;  xii,  32,  33,  etc.  Cf. 
Dicti07in,  de  myst,  chréL^  Mort,  Prédiction,  Révélation,  Prophétie.  — 
2  Ut  cum  factum  fuerit,  credatis.  Joan.,  xiv,  29.  Cf.  xiii,  19;  «vi,  4. 
S.  Aug.,  In  Joan.^  lxxix,  1.  —  3  Matth.,  xxvi,  31,  56;  Marc,  xiv,  27; 
Joan.,  XVI,  32.  —  *  Matth.,  x,  38;  xvi,  24;  xx,  18,  19;  xxvi,  2;  Marc, 
VIII,  34;  X,  33,  34;  Luc,  ix,  22,  23;  xf?,  27;  Joan.,  m,  14;  viii,  28;  x, 
11,  18;  xii,  32-34.  -  «  Matth.,  xii,  39,  40;  xvi,  17,  21;  xvii,  9,  21^  22; 
xx,  18,  19,  23;  xxvi,  32;  xxvii,  62-64;  Marc,  viii,  31;  x,  34;  xiv,  28; 
Luc,  IX,  22;  xi,  30;  xviii,  33;  xxiv,  7  ;  Joan.,  ii,  19-22.  Rapprochez  de 
ces  textes  l'allégation  de  M.  Renan  :  «  Jé'sQS  n'avait  jamais  dit  bien 
clairement  qu'il  ressusciterait  en  sa  chair.  »  Les  Apâtres,  —  ^  Matth., 
XVI,  28;  XXIV,  30;  xxvi,  64;  Joan.,  m,  13;  vi,  63;  xiv,  3,  38;  xvi,  16; 
XX,  17.  Infra,  n.  455.  —  '  Matth.,  xvi,  16-18.  —  «  Luc,  xxiv,  49;  Joan., 
XIV,  16-18;  XV,  26;  xvi,  7-15;  Act.,  i,  8.  Cf  Joël.,  ii,  28;  Zac,  xn,  10. 
—  9  Matth.,  XXVIII,  20.  —  lo  Matth.,  xxiv,  14;  Marc,  xiii,  10;  Luc.» 
XXIV,  47;  Joan.,  xii,  25.  —  "  Matth.,  x,  21:  xxiv,  9;  Marc,  xm,  9; 
Joan.,  XVI,  2.  —  "  Matth.,  xiii,  24-30,  47.  —  i»  Matth.,  xiii,  31,  32;  Luc, 
XII,  32;  xin,  19;  Joan.,  xu,  24,  25.  —  **  Matth.,  xm,  33;  Marc^  xvi,  15; 
Luc,  xin^  21  ;  xxiv,  47, 


»»  237]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  PROPHÉTIES.  371 

schismes  et  les  hérésies  qui  sont  les  portes  de  Tenfer,  ne 
prévaudront  contre  elle  *. 

Par  rapport  à  ces  prophéties,  il  convient  de  remarquer  : 
--  1"  leur  authenticité  incontestable;-—  2*  leur étrangeté et 
leur  invraisemblance  au  moment  où  elles  furent  émises  ;  ■— 
3*  la  confiance  inébranlable  des  chrétiens  dans  leur  accom- 
plissement futur  *;  —  4^  leur  réalisation  manifeste. 

236.  —  Jésus-Christ  ayait-il  prédit  la  conversion  des  peuples 

infidèles? 

Jésus-Christ  avait  prédit  de  deux  manières  la  conversion 
des  Gentils  :  —  1*  D'une  manière  plus  ou  moins  voilée, 
dans  ses  paraboles,  en  particulier  dans  celles  des  deux  fils*, 
du  prodigue  *,  des  vignerons  homicides  •,  du  grain  de  sé- 
nevé*; —  2°  D'une  manière  expresse  et  parfaitement  claire 
dans  plusieurs  de  ses  discours  ''. 

On  peut  rapprocher  ces  prédictions  du  divin  Maître  de 
celles  de  l'Ancien  Testament  sur  le  môme  sujet  •,  et  des 
écrits  des  Pères  qui  montrent  l'accomplissement  des  unes 
et  des  autres*.  S.  Augustin  ne  se  lasse  pas  de  faire  admirer 
la  sagesse  et  la  puissance  de  Dieu,  soit  dans  la  prédiction  de 
ce  grand  fait,  soit  dans  la  réalisation  de  la  prophétie. 

ÎSl.  —  Quelles  prédictions  a-t-il  faites  sur  ses  disciples,  en  général 

et  en  patrticulier? 

!•  A  ses  disciples  en  général,  le  Sauveur  a  prédit  les 

i  Matth.,  XVI,  18;  kxviii,  20.  —  «  Orig.,  Cùnt  Cels.j  vni,  68,  70.  — 
»  Matth.,  XXI,  «8.  —  ♦  Luc,  xv,  11-32.  —  »  Luc*  xx,  9-19.  —  «  Matth  , 
xm,  31,  32.  —  ■»  Matth.,  viii,  10,  11;  xn,  17-21;  xxi,  41;  xxii,  2-10; 
xxiY,  14;  xxvm,  19,  20;  Luc,  xin,  29;  xiv,  16-24;  xxiv,  47;  Joan.,  iv, 
21-23,  34-38;  xii,  20,  31,  32;  Act.,  i,  8.  —  »  Ps.  xxi,  28;  lxxi,  8,  11,  17; 
xcni,  3,  4;  Is.,  ii,  2;  xii,  4,  5;  xvn,  7,  8;  xxy^SS,  34;  xlix,  6;  ui,  14; 
Liv,  1;  Lv,  4,  5;  lix,  19;  lx;  lxv,  1;  lxvi,  7-22;  1er.,  xvi,  10-21;  Dan., 
vu,  13,  14,  23;  Sophon.,  m,  9,  10;  Mal.,  i,  iO,  etc.  —  »  Hoc  praedixit 
Moyses,  hoc  ProphetsB  et  alia  multa  millia.  Quis  numerat  testlmonia? 
Qq»  pagina  non  hoc  sonat?  Quis  yersus  non  hoc  loquitur?  Non  sunt 
tôt  hereses  contra  Eoclesiam  quot  sunt  testimonia  legis  pro  Ecclesia. 
S.  Aug.,  In  Ps,  GXi^yn,  16.  Cf.  De  civ,  Dei.,  xyiii,  27-35;  Cont  Faust., 
xxn,  44;  Epist,  ggxxxii,  3,  4;  dç  Fide  rerum  quég  non  videntur,  6; 
S.  Athan,,  De  lm,y  etc. 


372  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [fi^  238 

grâces  du  Saint-Esprit  de  la  part  de  son  Père  S  les  épreuves 
et  les  persécutions  de  la  part  du  monde  *. 

2»  A  ses  apôtres,  leur  dispersion  pendant  sa  passion  et 
leur  réunion  peu  de  temps  après  •  ;  —  les  dons  qu'ils  rece- 
vraient du  ciel  :  le  don  de  convertir  ♦;  le  don  des  miracles  •; 
le  don  des  langues •;  le  don  d'inspiration';  des  lumières 
surnaturelles  •  ;  —  de  grandes  luttes  et  de  grandes  souf- 
frances •;  —  de  grands  succès  *®. 

3**  A  saint  Pierre,  son  apostolat**; —  la  fonction  qu'il 
remplira  dans  l'Eglise**;  —  sa  chute  et  sa  conversion  ";  — 
son  martyre  **  ;  —  la  pèche  du  didrachme  ". 

4*  A  sainte  Madeleine,  les  hommages  qu'on  lui  rendra 
dans  le  monde  entier  *®. 

8*  Aux  disciples  qu'il  envoie  devant  lui  à  Bethphagé,  ce 
qui  leur  arrivera  dans  ce  bourg*''. 

6*  A  ceux  qu'il  charge  de  préparer  la  Cène,  l'accueil  qui 
leur  sera  fait  **. 

238.  —  Qtt'a-t-il  prédit  sur  ses  ennemis? 

Le  Sauveur  a  fait  un  grand  nombre  de  prédictions  rela- 
tives à  ses  ennemis. 

1"  Sur  Judas;  il  a  prédit  sa  trahison  *•  et  son  châtiment". 

2»  Sur  les  Juifs  :  —  qu'ils  seront  supplantés  par  les 
Gentils  **;  —  qu'ils  persécuteront  les  ouvriers  évangé- 

i  Joan.,  VII,  38,  39.  —  «  Matth.,  xxir,  9-13;  Marc,  iv,  17;  x,  39;  Luc, 
XI,  49;  XII,  1-11;  xxi,  12,  13;  Joan.,  xv,  20,  21;  xv,  2,  4.  —  >  Matth., 
XXVI,  3t  ;  Joan.,  xvi,  32.  —  *  Matth.,  iv,  18-20;  Marc.,  i,  17;  Luc, 
XXIV,  49;  Joan.,  xv,  16;  Act.,  i,  8.  —  »  Matth.,  x,  1,  8;  xvii,  19,  20; 
Marc,  XVI,  17;  Luc,  x,  19;  Joan.,  xiv,  12.  —  «  Marc,  xiri,  17.— 
1  Matth.,  X,  19;  Luc,  xxi,  14, 15.  —  «  Joan.,  xiv,  26;  xvi,  13.  —  »  Matth., 
X,  16-19,  23,  28,  32,  34;  xxiv,  9;  Marc,  xni,  9;  Joan.,  xvi,  20.- 
10  Matth.,  XIX,  28;  Luc,  xii,  32;  Joan.,  xii,  31  ;  xv,  16;  xvi,  21;  Act., 
i,  8.  —  "  Luc,  V,  10.  —  lâ  Matth.,  xvi,  17;  Joan.,  i,  42-44.  —  »  Blatth., 
XXVI,  34;  Marc,  xrv,  30;  Luc,  xxii,  32-34.  —  **  Joan.,  xiii,  36;  xxi, 
18,  19.  —  «  Matth.,  XVII,  26.  —  i*  Matth.,  xxvi,  13;  Marc,  xnr,  9.  - 
17  Matth.,  XXI,  13;  Marc,  xi,  2;  Luc,  xix,  30.  —  *«  Matth.,  xxvi,  18; 
Marc,  XIV,  13-16;  Luc,  xxii,  10-13,  etc.  —  *»  Matth.,  xxvi,  21-25,  46; 
Marc,  XIV,  18-21;  Luc,  xxii,  21-23;  Joan.,  vi,  71,  72;  xiii,  10,  18,  21, 
26,  27.  —  80  Matth.,  xxvi,  24;  Marc,  xiv,  21.  —  ai  Matth.,  viii,  11,12; 
XXI,  28-43;  Marc.,  xii,  1-12;  Luc,  xu,  28,  29;  xiv,  16-«4;  xx,  9-19. 


11°  239]  SA   VIE   PUBLIQUE.  —   SES  PROPHÉTIE».  373 

liqnes';  —  qu'ils  seront  réprouvés  de  Dieu  ';  qu'ils  com- 
BteDceront  dés  ce  moment  à  subir  les  châtiments  les  ptas 
terribles  '. 

3*  Sur  les  faux  Messies,  leur  nombre,  leurs  prodiges  et 
leurs  succès  ', 

4*  Sur  Gapharnaflm,  ses  revers  et  sa  disparition  '. 

5°  Sur  Jérusalem  :  sa  ruine  ';  —  les  signes  qui  précéde- 
ront cet  événement  '  ;  —  la  raison  de  cette  ruine  *. 

Cette  dernière  prédiction  est,  avec  celle  de  la  conversion 
des  Gentils,  la  plus  étonnante  et  la  pins  certaine  de  toutes 
celles  du  Sauveur. 

n.  Sa  prédiction  de  la  ruine  de  iinuakm  et  dum  autre  ruine 
plut  grande  encore. 


La  majeure  partie  de  cette  prophétie  a  évidemment  pour 
objet  la  ruine  de  Jérusalem  ;  mais  une  partie  aussi,  la  der- 
nière au  moins,  se  rapporte  à  la  fin  du  monde.  On  peut  re- 
garder ces  deux  points  comme  généralement  admis.  La 
question  qu'agitent  les  interprètes  et  qui  les  divise  est  celle- 

'  Mï(th.,™ii,  34-39.— *  Matth.,  XIII,  12-15;  XXI, 44;  Luc,  xm.S.- 
'MMih.,  ixm,  38  ;  xxiv,  1-21;  Luc.  su,  5-24;  xKiLi,  88-31.  — «Matth., 
ixiv,  5,  23,  24;  Josn.,  v,  43.—  >  Mattb.,  ii,  23;  Luc  ,  x,  15.  —  "Matth., 
ixiii,  S7,  38;  iiiv,  15-81;  Marc,  ira,  14-23;  Luc.  xiii,  34,  35;  ixi, 
»-24;  xxiii,  28-30.  —  '  Malth.,  xxiv,  5-H  ;  Luc.  ixi.  10-22.  —  »  Mattb., 
mu,  35,  37  ;  Luc,  xiii,  ^;  iii,  42,  44.  —  «  Tèw  de  Vespasien,  laurée 
(89-19).  iDsciiption  :  Imperalor  Criar  Vespaiianut,  triàunilid  polellate, 
Comul  lerlium.  Revers  :  Palmier,  au  pied  duquel  est  assise  la  Judée 
ïaincoe  :  Devicta  Jvdma.  La  Victoire  écrit  snr  an  Iwuclier  8.  P.  Q.  R., 
•mofut  popidutque  romanut.  Pour  eiergue  3.  C.  Senatus  contulfo. 


374  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'ÉYANGILE.  [H^W 

ci  :  Les  prédictions  qui  ont  rapport  à  la  ruine  de  Jérusalem 
et  celles  qui  concernent  la  fin  du  monde  sont-elles  bien  dis- 
tinctes les  unes  des  autres?  ou  bien  Notre  Seigneur  a-t-ileu 
en  vue  ces  deux  événements  à  la  fois  et  parlé  simultané- 
ment de  Tun  et  de  l'autre,  soit  que  ces  paroles  aient  un 
double  sens  littéral,  soit  qu'elles  aient  en  même  temps  on 
sens  littéral  et  un  sens  spirituel? 

1*  D'après  un  certain  nombre  d'interprètes,  les  prophé- 
ties relatives  à  Jérusalem  et  celles  qui  concernent  la  fin  du 
monde,  au  lieu  d'être  séparées  et  de  venir  Tune  après  l'autre, 
comme  on  serait  porté  à  le  croire,  sont  mêlées  ensemble  : 
de  sorte  que  certains  traits  s'appliquent  à  l'un  et  à  l'autre 
de  ces  faits,  d'autres  à  un  seul,  d'autres  à  l'un  des  deui 
principalement  et  secondairement  à  l'autre.  Ces  interprètes 
invoquent  en  leur  faveur  S.  Jérôme  *  et  S.  Augustin  *,  et  ils 
donnent  pour  raison  Tusage  des  prophètes  et  la  nature  spé- 
ciale des  lumières  prophétiques. 

2*  Suivant  le  plus  grand  nombre,  Jésus-Christ  a  parlé  sé- 
parément, successivement,  dans  le  sens  littéral,  de  la  ruine 
de  Jérusalem  et  de  la  fin  du  monde  ;  et  l'on  peut  discerner 
ces  deux  parties  de  son  discours.  Les  Apétres,  disent-ils, 
avaient,  suivant  S.  Matthieu  •,  demandé  à  leur  Maître  deux 
choses  :  quand  le  temple  serait  détruit  et  quels  seraient  les 
signes  de  son  avènement  *.  Le  Sauveur  répond  d'abord  à  la 
première  question  *,  puis  à  la  seconde  •.  Cette  seconde  par- 
tie, relative  à  la  fin  du  monde,  est  très  courte  dans  S.  Luc, 
parce  que  cet  évangéliste,  rapportant  ailleurs  '  la  question 
des  Apôtres  à  cet  égard,  y  place  aussi  tout  ce  que  Notre  Sei- 
gneur a  dit  sur  ce  sujet. 

Quelques-uns,  sans  beaucoup  s'éloigner  des  précédents, 
croient  qu'on  doit  distinguer  trois  choses  dans  la  question 
des  Apôtres  et  dans  la  réponse  du  divin  Maître  :  la  ruine  de 
Jérusalem  et  du  temple,  hœc^,  son    avènement   et  son 

>  s.  Hieron.,  In  Matth.^  xxiv.  ^-  >  S.  Attg.,  Epùt,  oxcax,  22,  etc.  — 
8  Matth.,  XXIV,  3.  —  *  Cf.  Dan.,  ix,  26.  —  «  Matth..  xxiv,  4-22  oa  28, 
et  Luc,  XXI,  5-24.  —  6  Matth.,  xxiv,  13  ou  29-42  et  Luc,  xxi,  25-36.  — 
■ï  Luc,  XVII,  20.  —  8  Matth.,  xxiv,  4-2S. 


I«r<>  2iO]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  PROPHÉTIES.  375 

triomphe  sur  la  terre  :  adventm  S  et  la  fin  du  monde  :  con- 
mmmatio  *. 

A  quelque  sentiment  qu'on  s'attache,  il  importe  d'obser- 
ver que  la  ruine  de  Jérusalem  a  été,  comme  celle  de  Rome  ', 
la  figure  de  la  fin  du  monde  et  du  jugement  universel  ;  que 
par  conséquent  les  prédictions  qui  s'appliquent  littérale- 
ment aux  deux  premiers  faits  ont  un  sens  spirituel  qui  se 
rapporte  à  ce  dernier  événement  *. 

2^.  —  Dans  qaellos  circonstances  eut  lien  cette  prédiction  ? 

I.  Cette  prédiction  eut  lieu  quelques  jours  avant  la  pas- 
sion, au  moment  oti  les  Juifs  allaient  rompre  définitivement 
avec  le  Seigneur,  en  mettant  à  mort  le  Messie  qui  leur  avait 
donné,  et  en  demandant  que  son  sang  retombât  sur  leurs 
têtes.  Jésus-Christ  venait  de  sortir  du  temple  pour  n'y  plus 
rentrer  •.  Il  était  hors  de  la  ville,  sur  le  sommet  des  Oli- 
viers, la  face  tournée  vers  le  Saint  des  saints  •.  Un  instant 
auparavant,  il  disait  aux  Juifs  :  Relinq%tetur  vobis  domvs 
mtra  déserta  "',  appelant  leur  maison,  et  non  plus  celle  de 
son  Père,  cet  édifice  dont  ils  faisaient  une  caverne  de  vo- 
leurs*. Maintenant  il  ajoute,  en  parlant  à  ses  Apétres  :  non 
relinqtietur  lapis  super  lapidem^,  leur  laissant  à  conclure 
que  la  prophétie  de  Daniel  relative  au  Christ  *®  allait  s'ac- 
complir entièrement,  et  qu'à  la  place  du  temple  ancien,  al- 
lait s'établir  bientôt  un  autre  temple,  un  temple  spirituel 
et  indestructible,  fait  par  une  autre  main  que  celle  de 
l'homme  ",  où  son  Père  serait  adoré  comme  il  voulait 
l'être  ". 

II.  Au  moment  où  le  divin  Maître  faisait  cette  prédiction, 
sa  parole  pouvait  seule  lui  donner  quelque  vraisemblance. 
Jérusalem,  la  cité  depaix^  n'avait  jamais  été  plus  tranquille 

«  Matth.,  XXIV,  29-34.  —  »  Matth.,  xxiv,  35-24.  —  »  Apoc,  xvii,  18. 
—  ♦  Cf.  II  Reg.,  VII,  14;  Heb.,  i,  5.  —  »  Matth.,  xxiv,  1.  —  »  Marc, 
zm,  3.  —  "^  Matth.,  xxiiit  38;  Luc,  xiii,  35.  Cf.  Ps.  lxix,  25;  ioan., 
vra,  17;  X,  34.  --  8  Cf.  Jer.,  vu,  4.  —  »  Matth.,  xxiv,  2.  —  »o  Dan., 
.IX,  24.  —  li  Âx8iponoiif)Tov,  II  Cor.,  v,  1;  Heb.,  ix,  11.  Cf.  Act.,  vn,  48; 
xvm,24.  —  *»  Jean.,  ii,  19;  iv,  21-24. 


376  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'ÉVANGILE.  [N<>  241 

et  plus  florissante.  Pline  l'appelle  :  longe  clarissimam  urbium 
OrientisK  Comme  le  reste  du  monde,  elle  s'accoutumait  à 
la  domination  des  Romains.  Ceux-ci  avaient  intérêt  à  en 
garder  la  possession,  par  conséquent  à  la  défendre  et  à  la 
maintenir  en  paix.  Ils  avaient  des  égards  pour  son  culte  et 
pour  ses  mœurs  •.  Qui  pouvait  prévoir  que  ses  habitants 
seraient  assez  aveugles  pour  entreprendre  si  tôt  une  lutte  à 
mort  contre  l'empire  des  Césars  '?  Qui  eût  pu  croire  que 
l'armée  romaine  n'aurait  d'autre  moyen  de  la  réduire  que 
d'en  égorger  tous  les  habitants  et  de  détruire  de  fond  en 
comble  ce  temple  qui  semblait  bâti  pour  l'éternité*?  C'est 
ce  que  prédit  le  Sauveur;  et  c'est  ce  que  virent  de  leurs 
yeux  plusieurs  de  ceux  qui  entendirent  sa  prophétie.  Aussi 
Origéne  la  cite-t-il  comme  la  preuve  la  plus  frappante  de  la 
mission  divine  de  Jésus-Christ*.  Dieu  seul  pouvait  l'inspirer 
et  Dieu  seul  a  pu  l'accomplir  •. 

241.  —  Est-il  bien  certain  que  la  prédiction  du  Sauveur  sur  Jérusalem 

n*a  pas  été  supposée  après  Tévénement? 

Les  rationalistes  sont  forcés  de  soutenir  qu'elle  a  été 
supposée  ;  et  c'est  sur  cette  prétention  même  ou  plutôt  sur 
l'impossibilité  intrinsèque  de  la  prédiction  qu'ils  s'appuient 
principalement  pour  nier  l'authenticité  ou  l'intégrité  des 
évangiles  synoptiques  ''.  Mais  il  y  a  là  de  leur  part  une  pé- 
tition de  principe,  et  môme  une  contradiction  :  pétition  de 
principe,  car  l'impossibilité  de  la  prédiction  est  une  asser- 
tion gratuite,  tenue  pour  fausse  par  tous  ceux  qui  n'admet- 
tent pas  leur  système;  une  contradiction,  parce  que  toutes 
les  prédictions  sont  de  même  nature,  et  que  bon  gré  mal 
gré,  ils  ne  peuvent  s'empêcher  d'admettre  eux-mêmes  des 
prédictions  véritables,  des  prédictions  précises  d'événe- 

1  Plin.,  H.  JV.,  V,  15.  Tacite,  fl.,  V,  ii;  Joseph.,  B.,  V,  iv;  VI,  ix; 
A.y  XV,  XI.  —  8  Joseph.,  A,,  XX,  v,  6;  B.,  ii,  12;  iv,  3,  10.  —  »  Qnod 
maxime  eos  ad  bellum  excitavit  vaticinium  fuit  ambigaum  in  sacris 
libris  repertum ,  illis  circiter  temporibus  quemdam  ex  eorum  finibns 
profectum  orbis  terrarum  imperio  potiturum.  Joseph.,  il.,  VI,  v,  4.  Cf. 
Euseb.,  H,,  m,  8.  —  *  Joseph.,  A,,  XV,  xiv.  —  »  Orig.,  Cont,  Cels.^  ii,  13. 
—  «  Joseph.,  B.,  VI,  IX,  1.  —  1  M.  Renan,  Evang.,  p.  122. 


N<^241]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  PROPHÉTIES.  377 

ments  lointains,  réalisées  par  l'événement,  par  exemple 
celle  de  Daniel,  toute  semblable  à  celle  du  Sauveur  S  celles 
de  l'évangile  sur  les  persécutions,  sur  la  conversion  des 
peuples,  sur  le  triomphe  de  l'Eglise,  sur  sa  durée,  sur  sa 
résistance  inébranlable  aux  assauts  de  l'enfer,  celle  de  l'Apo- 
calypse sur  la  ruine  de  l'empire  idolâtre  et  persécuteur,  etc. 

D'ailleurs,  il  est  facile  de  montrer  que  la  prédiction  de  la 
raine  de  Jérusalem  est  antérieure  à  l'événement.  Outre  les 
preuves  générales  et  absolument  certaines  que  nous  avons 
données  de  l'authenticité,  de  l'intégrité  et  de  la  date  approxi- 
mative de  nos  évangiles,  nous  avons,  en  faveur  de  cette  pro- 
phétie, des  garanties  spéciales  et  des  raisons  péremptoires. 

I.  Il  est  impossible  qu'on  Tait  glissée  furtivement,  sans 
qu'on  s'en  aperçut,  dans  le  texte  évangélique  ;  et  cela  pour 
trois  raisons  : 

{0  A  cause  de  l'étendue  de  la  prédiction.  Il  ne  s'agit  pas 
de  quelques  mots,  plus  ou  moins  explicites,  sur  un  sujet 
d'une  importance  secondaire  :  il  s'agit  de  longs  passages,  de 
chapitres  entiers,  très  nets  et  très  précis,  de  nature  à  préoc- 
cuper vivement  tous  les  esprits. 

2o  A  cause  de  sa  présence  et  de  son  identité  dans  les  trois 
Synoptiques.  Dans  un  seul  évangile,  une  telle  interpolation, 
faite  à  l'insu  de  tous  ou  d'un  consentement  unanime,  est 
une  hypothèse  inadmissible  :  combien  plus  trois  interpola- 
tions semblables,  d'une  longueur  à  peu  près  égale,  dans 
trois  évangiles  différents  ! 

3"*  A  cause  des  nombreuses  allusions  qui  y  sont  faites 
dans  nos  Livres  saints.  Le  fond  de  la  prédiction  se  trouve, 
avons-nous  dit,  dans  Daniel'.  Il  se  trouve  aussi  dans  le 

^  Matth.,  xxiY,  15.  —  3  Dan.,  ix,  26 ^  Zl.  «  La  prophétie  de  Daniel 
est  de  169  ou  170,  dit  M.  Renan.  Que  deviennent  les  70  semaines  de 
Daniel?  »  !•<'  Nov.  1882.  En  disant  que  les  paroles  de  Daniel  sont  anté- 
rieures de  170  ans  à  Notre  Seigneur,  on  en  constate  le  caractère  pro- 
phétique. »  Cette  prédiction  est  aussi  inexplicable  humainement  dans 
UQ  écrit  du  temps  d'Antiochus  Epiphane  que  dans  un  livre  contemporain 
de  Nabuchodonosor.  Pour  en  annuler  la  valeur,  il  faudrait  prouver  que 
les  prophéties  de  Daniel  sont  Tœuvre  d*un  chrétien.  Et  c'est  ce  que 
personne  ne  pourrait  même  tenter.  »  Fr.  Leoormant,  1875.  Qu'on  veuille 


378  JÉSUS-GHRIST  SELON  L'ÉVANGILB.  [»<>  241 

Deutéronome *,  dans  le  Psautier*  et  dans  divers  prophètes '. 
Hais  on  l'aperçoit  bien  plus  clairement  dans  un  grand 
nombre  de  passages  des  évangiles;  par  exemple  dans  les 
paroles  du  Sauveur  aux  femmes  de  Jérusalem  S  dans  celles 
qu'il  a  prononcées  sur  cette  ville  infidèle  '  et  sur  le  figuier 
stérile*,  dans  son  entretien  avec  la  Samaritaine',  dans  ses 
paraboles  sur  le  royaume  de  Dieu  *,  dans  celles  des  vigne- 
rons homicides  •,  des  invitations  refusées  *°,  de  Tarbre  in- 
fructueux ",  des  sujets  révoltés  ",  enfin  dans  tous  les  en- 
droits où  il  est  question  du  rétour  prodiain  du  Seigneur  ". 
On  en  voit  des  traces  jusque  dans  les  Epitres  de  S.  Paul, 
dans  celles  même  que  les  rationalistes  regardent  comme  les 
plus  authentiques  **,  dans  celle  aux  Hébreux,  dont  ils  con- 
testent l'auteur  sans  en  pouvoir  contester  la  date  ",  et  peut- 
être  est-ce  la  raison  d'une  tradition  qui  attribue  à  cet 
Apôtre,  aussi  bien  qu'à  S.  Pierre,  des  prédictions  très  pré- 
cises sur  la  ruine  de  Jérusalem  ^^. 

II.  Si  cette  prophétie  avait  été  supposée  après  l'événe- 
ment, elle  n'offrirait  pas  de  difficultés,  et  c'est  dans  les 
derniers  évangiles  qu'on  la  trouverait.  Or  : 

!•  Si  elle  est  claire  et  frappante  en  beaucoup  d'endroits, 
elle  est  vague  et  ambiguë  en  d'autres.  Aux  traits  qui  s'ap- 
pliquent à  Jérusalem,  s'en  mêlent  d'autres  qui  semblent  se 

bien  peser,  en  effet,  ces  paroles  de  Josèphe  :  «  Daniel,  le  phis  grand  des 
prophètes,  fut  durant  sa  vie  considéré  des  rois  et  honoré  des  peuples, 
et  il  a  laissé  après  sa  mort  un  monument  qui  ne  périra  Jamais.  Notre 
nation  lit  encore  aujourd'hui  les  livres  qu'il  a  composés,  et  il  suffit  d'en 
prendre  connaissance  pour  être  convaincu  que  Dieu  était  avec  lui;  car 
il  ne  se  borne  pas  comme  les  autres  prophètes  à  prédire  vaguement  les 
choses  à  venir  :  il  définit  avec  précision  le  temps  auquel  elles  doivent 
arriver.  »  -4.,  X,  xi,  7.  Cf.  Infra^  n.  429. 

«  Deut.,  IV,  26;  xxviii,  48-54,  64-66.  —  »  Ps.  lxviii,  26.  —  3  Isai., 
VI,  12;  XXV,  2,  4,  etc.  ;  Jer.,  xi,  16;  xix,  11  ;  Amos.,  ii,  6  ;  v,  1  ;  ix,  11,  26. 

—  *  Luc,  xxin,  28-31.  —  «  Matth.,  xxiii,  35-38;  Luc,  xix,  40-44.- 
6  Marc,  XI,  12-14.  —  '  Joan.,  iv,  21-23.  —  «  Matth.,  xin,  et  Marc,  iv. 

—  9  Matth.,  XXI,  33-44.  —  lo  Luc,  xiv,  16-24.  —  i»  Matth.,  xii,  1-11.- 
12  Luc,  XIX,  12-27.  —  1*  Matth.,  m,  10;  xv,  13;  xx,  1-16;  Luc,  i,  52; 
m,  9,  17;  xii,  45-48;  xiv,  34,  35;  xvi,  19-31;  xviii,  10-14;  Act.,  ii,  I». 

—  1*  Gai.,  IV,  30;  1  Thess.,  ii,  14-16.  -  i»  Heb.,  m,  7-15;  xii,  25-29; 
xiii,  13,  14.  —  16  Lactant.,  Institut.,  ix,  21.  Cf.  Joseph.,  B.,  IV,  vi,  3. 


N»  242]  SA  VIE  PUBUQUB.   —  SES  PROPHÉTIES.  379 

rapporter  à  la  fin  du  monde.  Un  homme  qui  anrait  fait  la 
prédiction  d'après  l'éTénemeiit  aurait  précisé  ses  expres- 
sions et  écarté  les  difficultés.  Un  faussaire  qui  eAt  vécu  au 
second  siècle  n'aurait  jamais  écrit  ce  verset  :  Staiim  post 
tribuiationem  dierum  illorum^  sol  ûbseurc^itur  K  II  aurait 
bien  plutôt  constaté  l'accomplissement  de  la  prophétie, 
comme  S.  Jean  pour  celle  qui  regarde  S.  Pierre  •,  et  S.  Luc 
pour  celle  d'Agabus  '. 

2»  S.  Jean  qui  a  écrit  après  tous  les  autres,  de  vingt  à 
trente  ans  après  l'événement,  est  le  seul  qui  ne  parle  pas  de 
cette  pr^hétie  :  il  la  passe  sous  silence  comme  phisieurs 
astres  prédictions  ^.  A  peine  a-t-il  un  mot  ou  deux  qui  font 
allusion  à  cet  événement  ^ 

m.  On  sait  qu'à  rapproche  du  siège,  en  l'an  67,  les  fidèles 
de  Jérusalem,  avertis  de  ce  qui  devait  arriver,  se  hâtèrent 
de  fuir  au-delà  du  Jourdain  ;  et  leur  évéque  avec  son  trou- 
peau trouva  son  salut  dans  la  ville  de  Pella,  ad  m&ntes^. 
C'est  ce  qu'attestent  Eusèbe  et  S.  Epiphane  \  c  Alors  se  fit, 
dit  Bossuet,  une  séparation  des  bons  et  des  mauvais,  image 
de  celle  qui  doit  avoir  lien  à  la  fin  des  temps  ^  > 

242.  —  Est-il  possible  de  nier  la  conformité  des  faits  avec  la 

prédiction  ? 

Pour  ce  qui  est  du  siège  de  Jérusalem,  de  sa  destruction 
et  de  l'époque  à  laquelle  elle  devait  arriver,  la  conformité 
des  faits  avec  la  prédiction  du  Sauveur  est  si  frappante  que 
les  rationalistes  n'ont  qu'une  ressource  :  celle  de  dire  que 
cette  prophétie  a  été  imaginée  après  l'événement.  Dieu  a 
pris  soin  que  ces  faits  nous  fussent  attestés  d'une  manière 
absolument  sûre.  Un  monument  triomphal,  érigé  à  Rome 
en  Thonneur  du  vainqueur,  est  encore  aujourd'hui  sous  nos 

»  MatUi.,  XXIV,  29.  —  »  Joan.,  xxi,  19.  —  3  Act.,  xi,  28.  —  *  Nihil 
boruni  scripsit  Joannes,  ne  videretur  ex  éventa  ipso  htec  scripsisse; 
sed  il  qui  anto  Jérusalem  excidiam  mortui  nihil  horum  viderunt,  hsec 
describunt,  ut  prœdictionis  vis  undique  fulgeat.  S.  Gbrys.,  In  Maith,^ 
Hom.  Lixvi,  2.  —  «  Joan.,  iv,  23;  xxi,  22.  —  6  Cf.  Matth.,  xxiv,  15,  16; 
Luc,  XXI,  IS,  20,  21,  22.  —  "^  Euseb.,  ff.,  m,  5;  S.  Epipb.,  Hxr.,  xxix,  7. 
Cf.  Josepb.,  B.,  II,  40,  —  «  Bqss.,  H.  (/.,  ii,  ^,  Cf.  Ps,  wx,  6. 


380  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'éyakgile.  [n«  242 

yeux  ;  et  un  écrivain  juif,  un  pharisien,  né  quelques  années 
après  la  mort  de  Jésus-Christ  (37-98),  de  la  famille  sacer- 
dotale et  longtemps  souveraine  des  Asmonéens,  Flavius  Jo- 
sèphe,  après  avoir  exercé  un  commandement  considérable 
dans  la  guerre  contre  les  Romains,  a  publié  de  son  vivant' 
et  légué  à  la  postérité  l'histoire  la  plus  détaillée  et  la  plus 
authentique  des  malheurs  de  sa  patrie.  C'est  un  témoin 
oculaire,  à  qui  l'on  ne  peut  reprocher  aucune  animosité 
contre  les  vaincus,  et  qui  allègue  en  faveur  de  ses  récits  les 
plus  hautes  autorités  :  Vespasien,  Titus,  Agrippa.  Grâce  à 
lui,  nous  assistons,  pour  ainsi  dire,  à  tous  les  événements, 
et  les  personnages  de  son  époque  sont  pour  nous  comme 
des  contemporains.  Qu'il  ait  un  peu  d'emphase  dans  le  style, 
de  l'exagération  dans  certains  récits,  le  désir  de  se  faire  va- 
loir et  d'être  agréable  à  ses  maîtres,  cela  est  possible  \  mais 
de  peu  d'importance.  On  n'en  a  pas  moins  re^idu  hommage, 
dans  tous  les  temps,  à  ses  connaissances  et  à  sa  véracité  '. 
Les  auteurs  ecclésiastiques  font  remarquer  qu'il  est  Juif  et 
qu'on  ne  peut  le  soupçonner  de  falsifier  les  faits  dans  Tin- 
térét  du  christianisme  *.  «  Il  peut  avoir  tous  les  torts  pos- 
sibles comme  historien,  dit  un  auteur  de  notre  temps  *  :  il 
n'a  pas  celui  d'avoir  embrassé  l'Evangile  et  de  chercher  à 
montrer  l'accomplissement  des  prophéties.  Il  peut  avoir 
toutes  les  passions  et  tous  les  préjugés  :  il  n'a  pas  le  préjugé 
chrétien.  » 

Du  reste,  dans  ce  qu'il  a  d'essentiel,  le  récit  de  Josèphe 
ne  souffre  aucune  contestation.  On  peut  le  mettre  en  regard 
du  monument  de  Titus  et  ^  des  médailles  frappées  en  mé- 
moire de  son  triomphe.  On  peut  le  confronter  avec  les  té- 
moignages de  Tacite  %  de  Suétone  •  et  des  Pères  d'Orient  •.  Un 

*  Joseph.,  B.  Proœm.f  4  (Ann.  77.);  Vita,  65;  Cont.  App,^  i,  9.  — 
*  Cf.  Joseph.,  A.,  XVI,  vi.  —  a  s.  Hieron.,  de  Vir.  itt.,  13;  Euseb., 
fl.,  m,  9.  Cf.  Jos.,  Vitaj  65;  Cont  App.,  i,  9,  10.  —  *  Lege  historiam 
Josephi ,  et  stupebis  audiens  quanta  propter  Christi  mortem  passi  sint 
Jiidœi.  S.  Chrys.,  In  EpUt.  ad  Rom.,  Hom.  xxy,  5;  In  Act.  Apost.f 
Hom.  V,  3.  Cf.  Eascb.,  H.,  m,  5-10;  Bossuet,  ff.  U.,  xxi-xxiii.  —  *  De 
Champagny,  Rome  et  la  Judée,  I,  iv.  —  «  Infra,  n.  251,  787.  —  "^  Tacit , 
HisL,  V,  1-13.  —  *  Sueton,,  Vespas,,  4.  Titus,,  4.  —  »  Quodsi  quidqaam 


N°2lâ]       9a  Vie  PuBLiQiiB.  —  iEi  pROPuèriBs.  àéi 

empereur  apostat  essaya  bien,  après  trois  siècles  ',  de  chan- 
ger l'état  des  choses  et  de  donner  le  démenti  â  l'oracle  du 
Sauvenr,  en  relevant  le  temple  et  la  ville  '.  Hais  c'est  en 
vïio,  dit  un  auteur  païen  de  l'époque  ',  qu'il  mit  au  service 
des  Juifs  la  puissance  et  les  richesses  de  l'empire.  Après 
avoir  découvert  les  fondations  du  temple  et  enlevé  les  der- 
nières pierres  de  l'édifice,  comme  pour  vérifier  plus  littéra- 
Iranent  la  prédiction  de  l'Evangile  S  on  fut  forcé  de  s'arrêter 
et  d'abandonner  l'entreprise  '.  Aujourd'hui  il  est  impossible 
de  déterminer  d'une  manière  précise  l'emplacement  qu'il 
occupait. 


DMtrnai  teatimoniDDi  Tal«t,  llUm  uillqaaiii  celebraUm  Slon  jonctli 
bobiu  »  rommls  vins  ararl  nottrls  oculis  iaBpexlmus,  et  [pMm  leru- 
lalem,  insttr  pomorum  custadise  deacrt»,  ad  eitrcmam  redactam  aali- 
tndinem.  Buseb.,  Demorat.,  tiii,  3,  Ego  hisce-ocutii  quam  aadita  *cce- 
peram,  intnitassiuii;  TeritatBmque  laudaTÎ  et  adoraTJ.Theod.,  Serm.xi, 
De  fine  et  judic;  S.  Cbrfs.,  Quod  Chrùtvt  tit  Devt;  S.  Amb,,  EpUt. 
II,  «le. 

'  Ea  363.  —  *  Jnlian.,  Epitt.  ixv,  xxii,  ui.  —  >  Ktata.  HarcelUn, 
«nj,  1.  —  '  S.  Cyrill.  Hier.,  Caltc.  xt;  Rufln.,  ff.  E.,  Xïxvn.  — 
'  tldeine  qaomodo  qu»  Chriatot  cdlficaiit  nemo  destraiit,  et  qae  ille 
deHTDiU,  nemo  œdiflcAvitT  .£diBcavlt  EccIsBiam,  et  oemo  illam  des- 
inure  potuit;  deatmiit  tamplnm  et  nnmo  ipaum  reataurare  ralet. 
S.  Chr^a.,  Qaod  Chritlut  lit  Delà.  tS  et  t7;  Idem  In  MaUk.,  Hom. 
IT.  1;/r  JuiLeai,  v,  t,  11;  vi,  2;  S.  Greg.  Nai.,  Orat.,n,Adv.  Julian.; 
G.  Amb.,  EpUt.  XL,  12;  RuSn,  H.  E.,  z,  37-39;  Theodoret,  H.,  m,  SO. 
h/Vo,  D.  88i.  —  *  Tète  lanrée  de  Tltna  (19-81).  Inw^pUoii  :  Titut, 
Cmar,  impenttor,  Augiuti  fUiui,  Pontifix,  Iribunitia  poleelaie,  connU 
ixtum,  rnuor.  Sur  le  revers,  i.  droite,  la  jfudée  aasiae  sar  ud  lalacean 
d'annea;  à  gaacbe,  an  captif  qui  la  regarde,  les  nuini  liées  derrière  le 
lioa.  Lt,  Akermann,  Haddeo.  Supra,  n.  !39. 


J 


iSà  JESUS-CHRIST  SELON  L^ëVANÛILË.  [n"»  243 

243.  —  Que  faut-il  eatendre  par  Vabomination  de  la  désolation  daru  le 

lieu  saint,  Matth.,  xxiy,  15? 

Le  lieu  sainte  dans  le  langage  de  la  Bible,  c'est  propre- 
ment le  temple  *.  Ce  pourrait  être  aussi  Jérusalem*,  et  même 
par  extension  toute  la  Judée.  L'abomination  de  la  désolation^ 
6àe\M^\L%  vqq  epri\K(»i(5ei»i<;  •,  c'est  d'abord  la  profanation  de  la 
cité  sainte  par  les  Romains,  lorsqu'ils  y  pénétrèrent  avec 
leurs  idoles,  c'est-à-dire  avec  leurs  aigles  et  leurs  étendards 
qui  étaient  les  dieux  des  légions  *  ;  puis  et  surtout  la  profa- 
nation du  temple,  soit  par  les  zélateurs,  qui,  ayant  mis  fin 
aux  sacrifices,  s'y  retranchèrent  comme  dans  une  citadelle 
et  en  firent  une  caverne  de  brigands  *,  soit  par  les  infidèles 
qui  finireiit  par  y  pénétrer,  le  fer  et  le  feu  à  la  main.  On  lit 
dans  Daniel  :  Post  hebdomadas  sexaginta  duas^  occidetur  Chris- 
tm^  et  non  erit  ejm  populm  qui  eum  negaturus  est.  Et  civita- 
tem  et  sanctuarium  dissipabit  populus  cum  dv4^  venturo,  et  erit 
in  temple  abominatio  desolationis^  et  vsque  ad  consummatiO' 
nem  perseverabit  desokttio  •.  Pour  se  convaincre  que  tel  est  le 
sens  du  prophète  cité  par  S.  Matthieu,  il  suffit  de  le  rappro- 
cher du  passage  correspondant  de  S.  Luc  :  Cum  videritis  dr- 
cumdari  ab  exercitu  Jérusalem^  tune  scitote  quia  appropin- 
quabit  desolatio  ejus  '^. 

1  Gf.  Act„  XXI,  28;  Heb.,  ix,  2.  —  2  Matth.,  iv,  5;  v,  35;  xxvii,  53. 
—  3  Dan.y  IX,  26;  Matth.,  xxiv,  15;  Marc,  xiii,  14;  Dan.,  ix,  27;  ix,  31; 
xu,  il.  —  ^  Tacit.,  Ann,^  11,  7.  Gf.  Ëccli.,  xlix,  3;  Dan.,  xi,  31  ;  xu,  11; 
I  Mac,  i,  57  ;  vi,  7  ;  Apoc,  xvii,  4,  5,  —  ^  Joseph.,  B.  /.,  m,  6-8;  t,  2; 
Yi,  3.  Sur  raccompUssement  de  la  prophétie,  voir  fiossuet,  H.  U,,  part.  1, 
Ëpoq.  x;  et  Josèphe,  A,  /.,  x,  xi,  7;  Basile  de  Séleucie,  Orat.  xxxviii, 
iaitio.  Jnfra,  n.  436.  —  »  A.  T,,  i06d.  -  '  Luc,  xxi,  20.  S.  Aug., 
Epist,  xcyii,  5;  xgvui,  7.  «  Les  Zélotes,  dit  Josèphe,  mireat  la  4onûère 
main  à  la  ruiqe  de  leur  patrie.  Gar  il  était  prédit  que  la  Tille  serait 
détruite  et  le  temple  abattu,  si  le. sanctuaire  était  violé  par  la  séditioa 
et  livré  à  lu  p;ro£anation.  »  /.,  lY,  vi,  3.  Titus  commença  le  siège  aux 
pr49mie;ra  joues  d'avnl  70  ;  le  17  juilL,  le  se^crifice  perpétuel  cesBa,  fante 
de  victimes  ;  le  veiukedi  10  août,  le  temple  était  téduit  ea  cendres,  au 
grs^d  regret  de  Titua^  dit  Josèphe  ;  auiiEi^nt  ae^  inalr^otioDa>  dit  Solpice 
Sévère;  Chron.,  11,  30;  et  le  8  septembre,  tooile  la  viUe  était  .envahie 
par  les  Romains. 


L 


j 


N^^tô]  dA  VIË  PUBLIQUE*  -^  SES  PAO^HÉTIES*  38â 

244.  —  Voit-on  qu'avant  la  ruine  de  Jérusalem  il  y  ait  eu  des  faux  pro- 
phètes et  des  persécutions,  des  famines  et  des  pestes^  comme  notre 
Sauveur  Tannonce,  Matth.,  xxiv,  7-12? 

I.  Les  Livres  saints  suffisent  pour  montrer  qu*il  y  a  eu  de 
faux  prophètes  et  des  persécuteurs.  —  1"  Pour  les  séducteurs, 
les  faux  Christs  et  les  prophètes,  il  y  en  eut  avant  la  ruine  de 
Jérusalem.  On  peut  lire  ce  qu'ont  écrit  S.  Luc  sur  Simon  \ 
Théodas  *,  Elymas  *,  et  S.  Paul  sur  les  Juifs  *,  les  judaïsants 
et  les  gnostiques.  Il  y  en  eut  encore  après  •.  — 2"*  Quant  aux 
persécuteurs,  nous  verrons  bientôt  S.  Pierre,  S.  Jean  et  tout 
le  collège  apostolique  traînés  en  prison  •,  ou  cités  devant  le 
sanhédrin  '  ;  tous  les  chrétiens  poursuivis  et  dispersés  *  ; 
S.  Etienne  et  S.  Jacques  mis  à  mort  •  ;  S.  Paul  arrêté  '°,  la- 
pidé **,  fouetté  *%  retenu  en  prison  *%  obligé  de  compa- 
raître devant  Gallion  *%  Félix  *%  Festus  *%  Agrippa  ",  Né- 
ron *^ 

IL  A  la  même  époque,  des  famines  et  des  pestes  étendaient 
leurs  ravages  non  seulement  en  Judée,  mais  encore  au  de- 
hors et  dans  tout  l'empire  ". 

245.  —  Petttton  dire  que  l'Ëvangite  était  alors  prêché  dans  le  monde 

entier,  sv  oXp  rig  OiXO(i^v)y^,  Matth.,  xxiv,  14? 

Un  grand  nombre  de  Pères,  entre  autres  S.  Chrysostome  ", 
affirment  que  TEvangile  avait  déjà  pénétré  dans  toutes  les 
contrées  du  monde  connu,  et  ce  que  nous  savons  des  tra- 
vaux des  Apôtres  suffirait  pour  justifier  la  parole  du  Sau- 
veur à  cet  égard.  Prœdieaverunt  ubique^  dit  8.  Marc  **.  8.  Paul 

*  Act.,  vm,  9,  10.  —  »  Act.,  v,  36.  —  3  Act.,  xiii,  6-11.  Cf.  xxi,  28; 
fl  Tim.,  u,  17;  Jud.,  17.  —  *  I  Thess.,  ii,  15.  —  «  Cf.  Joseph.,  B.,  II, 
xin,  5;  VI,  v,  2;  vil,  xi,  1  ;  A.,  Vlil,  vi,  10;  XX,  v,  i,  3.  —  «  Act.,  iv,  3; 
V,  18,  40.  --  7  Act.,  IV,  7;  V,  86,  28.  —  «  Act.,  viu,  1,  3;  ix,  l,  2,  21  ; 
xxm,  10;  xxvui,  22;  Rom.,  xv,  30,  31.  —  »  Act.,  vu,  58;  xn,  2.  — 
"  Act.,  XVI,  23,  24.  —  41  Aet.,  xw,  18.  —  *2  Act.,  xvi,  22.  —  i»  Act., 
ï»,  38;  XXVI,  26.  —  **  Act.,  xviii,  14.  ^  i«  Act,,  xxiv,  25.  ^  *^  Act., 
xjiY,9.  ...  17  Act.,  J»vi.  -*.  *^  Il  Tim.,  IV,  17, 19.  -^  ^e  Act.,  xa,  18,  28; 
&aetoo.,  Clami*y  48/  Naw,  39;  Tacit.,  Ann.,  xvi,  13;  Se&ec,  Epist,  xci; 
A»^h.,  A.,  XVIU,  in,  8;  XX,  h,  5;  M,,  V,  xii,  3;  VI,  i,  1,  etc.  -t- 
^CS.  Sueâiuiys.,  /n  MceUh.,  Qom.  lj^v,  2;  de  LaucLS.  RaxM,  fia»,  a. 
&.  Xhom.,  0-£»,^.  40&,  a.  4,  ad  4.  In^otLi  n.  458..^  ii  Marc,  xvi,  20. 


â84  ,    iESud--€liRist  SELON  l^évaNgilë.  [n^M 

affirme  aussi  ce  fait  à  sa  manière*.  C'était  le  dessein  de 
Dieu,  en  effet,  de  ne  pas  détruire  la  nation  juive  avant  que  le 
peuple  chrétien  ne  fût  formé  et  ne  la  remplaçât  avec  avan- 
tage *.  Il  fallait  que  l'Eglise  catholique  remplaçât  visible- 
ment la  Synagogue,  et  que  la  soumission  des  Gentils  à  l'Evan- 
gile protestât  contre  l'incrédulité  des  Juifs  et  les  convainquît 
de  mauvaise  foi.  En  trente  ans,  ce  dessein  s'accomplit,  et 
Jésus-Christ  eut  partout  des  apôtres  et  des  disciples  '. 

Du  reste,  ce  verset  14  de  S.  Matthieu  est  un  de  ceux 
qui  ont  un  sens  spirituel  :  il  n'y  a  pas  de  doute  qu'il  ne  se 
vérifie  de  nouveau  au  dernier  âge  du  monde,  et  qu'alors 
l'Evangile  ne  soit  prêché  et  connu  dans  toutes  les  contrées 
de  la  terre  ♦. 

*  246.  —  Que  signifient  ces  mots  :  Ubicumque  fuerit  corpus^  illic 

congregabuntur  et  aguila^  Mattli.,  xxiv,  28? 

C'était  un  proverbe  usité  chez  les  Hébreux.  Il  est  tiré  d'un 
fait  d'histoire  naturelle,  décrit  au  livre  de  Job  '.  Un  grand 
nombre  de  commentateurs  l'expliquent  en  ce  sens,  qu'à  la 
première  apparition  du  Sauveur,  toutes  les  âmes  justes, 
fuyant  les  faux  Messies,  s'empresseront  d'accourir  autour  de 
lui  •.  Mais  il  parait  plus  naturel  de  l'entendre  du  peuple  juif 
dans  l'état  de  mort,  de  corruption,  de  décomposition  où  il 
devrait  tomber.  Le  mot  7ctw[a«,  rendu  par  corpus,  signifie 
cadavre,  t  Où  il  y  a  un  cadavre,  dit  Sénèque  ''j  comptex  sur 
le  vautour.  » 

Rien  n'empêche  de  voir  dans  le  mot  aguUœ  une  allusion 
aux  aigles  romaines  ^  Cet  emblème  était  connu,  et  cette 

*  Eiç  icaffav  rviv  y^v,  Rom.,  x,  18;  ev  Travri  tcu  xo<r(UA,  Col.,  i,  16;  tv 
naoi  TTj  xTiffci,  23,  Cf.  Rom.,  i,  8;  xv,  18-21,  28;  Col.,  i,  5,  6.  Cf*  Act., 
n,  5,  9,  10,  11,  41;  I  Pet.,  i,  1.  —  ^  Matth.,  xii«  41.  Confirmabit  pto- 
tum  multis,  avait  dit  Daniel,  et  erit  in  templo  abominatio  desolatioois, 
IX,  27.  —  3  Dan.,  ix,  27.  Ecclesia  Dei  jam  per  totum  orbem  uberrime 
germinante ,  hoc.  tempium  tanquam  effioetum  ac  vacuum ,  nulUque  ami 
bono  commodum  arbittio  Dei  auferendum  fuit.  Oros.,  tu,  9.  Item  Orig., 
Homil.  in  Levit,^  x.  Infra^  n.  456.  -^  ^  Cf .  Brey.  rom.,  Comm,  plur, 
Mart,,  30  loc.,  et  19  tept.^  lect.  vii-ix.  Romanae  spatitim  Urbis  et  orbis 
idem.  Ovid.  11  Fast.,  684.  —  f  Job.,  xxxix^  27-30.  —  «  II  Theas^  iv^  16. 
^  '^  Senec ,  EpUt,  xgy  Cf.  Osée,  vui,  l..<—  ^  c'est  pour  cette  raison 


N^É48]  SA   VîË  ^tBUQtJÉ.  —  SES  PROPHETIES.  308 

signiflcation  devait  se  présenter  à  lesprit.  Une  trentaine 
d'années  auparavant,  Hérode  ayant  fait  placer  une  aigle  d'or 
sur  le  portail  du  temple  pour  faire  sa  cour  à  Auguste,  des 
Israélites  indignés  l'avaient  brisée  à  coups  de  hache  et  jetée 
sur  la  place.  Quarante  d'entre  eux  furent  condamnés  au  feu 
et  brûlés  vifs'. 

247.  —  Cette  parole  de  saint  Matthieu  :  Sicut  fulgar  erit  adventus  filii 
hominiSf  xxiv,  27,  s'accorde-t-elle  avec  celle  de  S.  Luc  :  Non  venit 
regnum  Dei  cum  observationej  xvii,  20? 

Dans  s.  Luc,  il  est  question  de  l'origine  du  royaume  de 
Dieu.  Notre  Seigneur  dit  qu'il  ne  frappera  pas  alors  les  re- 
gards, qu'il  s'établira  insensiblement,  graduellement.  Dans 
S.  Matthieu,  il  s'agit  de  l'apparition  de  ce  royaume  sur  la 
terre  ou  du  triomphe  glorieux  du  Sauveur,  soit  à  la  ruine 
de  Jérusalem,  soit  à  la  fin  des  temps.  Alors,  loin  d'être 
obscur  et  difficile  à  reconnaître,  il  frappera  comme  l'éclair 
les  yeux  les  moins  attentifs,  et  sera  visible  à  la  fois  sur  tous 
les  points  du  monde  *. 

248.  —  Coauneot  peut-on  expliquer  la  survivance  du  peuple  juif 

au  coup  dont  il  fut  frappé? 

La  survivance  du  peuple  juif  à  la  ruine  de  sa  capitale  et  à 
sa  dispersion  par  tout  l'univers  est  l'effet  d'un  dessein  de 
la  divine  Providence,  annoncé  par  les  prophètes  comme  par 
Notre  Seigneur  '.  «  On  ne  voit  plus,  dit  Bossuet,  aucun  reste 
des  anciens  Assyriens,  ni  des  anciens  Grecs,  ni  des  anciens 
Romains.  La  trace  s'en  est  perdue  et  ils  se  sont  confondus 
avecd^autres  peuples.  Après  avoir  été  la  proie  de  ces  nations, 
les  Jui/s  leur  ont  survécu.  Dieu  les  conserve  depuis  dix-huit 
siècles,  magré  leur  dispersion,  pour  fournir  à  l'Eglise  une 
preuve  irrécusable  de  la  divinité  de  l'Ancien  Testament  et 

peutnAtre  que  S.  h*énée  attribue  à  S.  Marc  et  non  à  S.  Jean  remblème 
deTaigle.  Cf.  IV  Esd.,  xi,  7,  45;  xii,  14;  Apoc.,  viii,  43;  xrt,  16. 

*  Joseph.,  A.,  XVn,  VI,  8,  4;  B.,  I,  xxï,  2.  Cf.  B.,  Il,  ix,  3;  x,  i. 
—  *  S.  Aug.,  Qtuest.  evang.,  I,  xxxviii.  Infra,  396.  —  '  Gen.,  iv,  15. 
ft.  LVHi,  81;  Jer.,  ix,  13-16;  £zec.,  iv,  4,  5,  6;  Amos.,  ix,  8-11;  Osée, 
in,  4;  Loe.,  xix,  42-44;  xxi,  24.  Confidenter  dicimus  eos  nunquam  esse 
restituendos,  écrivait  Origëne  vers  250.  C<mt.  Cels.,  iv,  22. 

22 


386  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'ÉVANGILE.  [NoSte 

mettre  sous  les  yeux  du  monde  le  monument  le  plus  frap- 
pant de  la  justice  céleste  *.  » 

En  effet  :  -—  1®  Grâce  à  eux,  l'Eglise  a  conservé  l'Ancien 
Testament  dans  sa  langue  originale;  elle  peut  montrer  dans 
les  mains  les  moins  suspectes  les  livres  où  l'Esprit  saint  a 
décrit,  des  siècles  à  l'avance,  la  venue  du  Sauveur,  sa  vie, 
ses  miracles,  ses  œuvres  *  :  elle  peut  donner  leur  interpréta- 
tion traditionnelle  comme  appui  et  fondement  de  la  sienne*. 
Qui  pourrait  nous  soupçonner  d'avoir  fabriqué  ou  altéré  les 
prophéties,  quand  nos  adversaires  les  plus  obstinés  en  pro- 
clament l'origine  divine  et  en  reconnaissent  le  véritable  sens, 
se  bornant  à  contester  l'application  que  nous  en  faisons  au 
Sauveur  *  ? —  2®  Nous  apprenons,  par  cet  exemple,  à  craindre 

<  Sur  7,000,000  au  moins  de  Juifs  qui  existent  aujourd'hui ,  comme  à 
Tépoque  de  Notre  Seigneur,  plus  de  5,000,500  habitent  TEurope,  400,000 
rAfnque,  le  long  de  la  Méditerranée,  250,000  l'Asie,  300,000  rAmériqoe 
du  Nord.  On  en  compte  en  Russie  près  de  3,000,000  ;  en  Autriche-Hongrie, 
1,600,000;  en  Allemagne,  650,000;  en  Roumanie,  300,000;  dans  la 
Turquie  d'Europe,  100,000;  en  Hollande,  70,000;  en  Iulie,  40,000;  en 
Angleterre,  160,000;  en  France,  80,000;  à  Paris,  50,000;  en  Algérie, 
45,000;  dans  la  Turquie  d'Asie,  200,000  ;  en  Perse,  50,000;  à  Jérusalem, 
28,000.  Mais,  si  éloignés  qu'ils  soient  les  uns  des  autres,  tous  ces  Juifs 
sont  étroitement  unis.  Us  restent  toujours  juifs  par  Tesprit  et  par  le 
cœur,  aussi  bien  que  par  Ja  race.  Sans  aucun  territoire  commun,  sans  * 
une  seule  ville  à  eux,  ils  n'en  forment  pas  moins  un  peuple  distinct  de 
tous  les  autres  et  obstiné  à  s'en  distinguer,  ayant  sa  religion  propre,  ses 
livres  sacrés,  ses>  cérémonies,  ses  lois,  ses  traditions,  et  s'y  confonnant 
autant  qu'il  le  peut,  conservant  ses  mœurs,  son  caractère,  ses  aspira- 
tions ,  ses  antipathies ,  caressant  toujours  l'espoir  de  rentrer  dans  la 
terre  de  ses  pères  et  de  dominer  le  monde,  faisant  servir  habilement  à 
ses  fins  l'influence  de  ses  financiers,  de  ses  écrivains,  de  ses  industriels 
et  de  ses  hommes  d'état.  Cf.  Dan.,  vi,  10.  -  *  Rom.,  m,  2.  Proferimus 
codices  ab  inimicis  nostris,  ut  confundamus  alios  inimicos.  Codicem 
portât  Judseus  unde  credat  christianus.  librarii  nostri  facti  sunt,  quo- 
zoodo  soient  servi  post  dominos  codices  ferre.  S.  Aug,,  Jn  Pt.  lyi,  9. 
Occisi  non  sunt,  sed  dispersi  :  in  cordibus  nostri  hostes,  in  libris  suffira' 
gatores,  in  codicibus  testes.  De  Fide  eorum  qtia  non  videntitr.  Dispenit 
vos  per  universas  terras,  ut  ubique  prophetias  de  ejus  nativitate,  pas- 
sione,  resurrectionc  perferatis  atque  lucernam  legia,  tanquam  Ugnei 
candelabra  sensu  oarentla,  gentibus  ministretis.  S.  Aug.,  CorUra  Ju- 
dwoi^  18;  De  consensu  emng.,  26.  Infra,  n,  409.  —  3  cf.  Roql,  iu,  ^J 
IX,  4.  —  ^  Ne  forte  dicaat  dur!  ad  fidem  qjola  no^  illas  composuimus, 
hinc  eos  convincimus.  8.  Aug.,  In  Ps,  lyi,  9. 


N'249J  SA  VIE  PUBLIQUE.  —   SES  PROPHÉTIES.  387 

la  justice  de  Dieu  et  à  attendre  l'accomplissement  de  ses  me- 
naces avec  la  même  certitude  que  la  réalisation  de  ses  pro- 
messes '.  L'aspect  de  ce  peuple  étrange,  sans  patrie,  sans 
organisation  visible,  c  squelette  ambulant  qui  survit  à  son 
arrêt  '  »  sans  pouvoir  se  soustraire  à  son  châtiment,  la  vue 
de  son  territoire,  autrefois  si  riant,  si  fertile  et  si  peuplé, 
anjourd'hui  inculte,  presque  désert  et  toujours  asservi,  doit 
faire  sur  les  chrétiens  la  même  impression  que  faisait  sur  les 
Israélites  la  vue  de  la  mer  Morte  et  de  ses  bords  désolés  : 
Est  ira  Dei  populo  huic  ^  C'est  l'annonce,  la  figure,  le  gage 
assuré  de  la  fin  du  monde  et  de  la  réprobation  des  méchants. 
Le  passé  garantit  l'avenir.  La  même  bouche  qui  a  prononcé 
le  premier  arrêt  a  porté  le  second  :  le  môme  bras  doit  l'exé- 
cuter *. 

249.  —  Les  événements  prédits  en  saint  Matthieu,  xxiv,  29,  30,  et  en 
saint  Luc,  xxi,  25-31,  ne  semblentt-ils  pas  devoir  venir  peu  après  la 
raine  de  Jérusalem,  et  même  y  succéder  immédiatement? 

Les  événements  dont  Notre  Seigneur  parle  en  cet  endroit 
sont  distincts  de  la  ruine  de  Jérusalem,  puisqu'ils  doivent 
arriver  après  la  venue,  wapouTia,  du  Sauveur,  27  *;  mais  ils 
ne  peuvent  être  renvoyés  à  la  fin  monde,  ni  même  à  une 
époque  fort  éloignée.  Plusieurs  raisons  s'y  opposent  : 

1®  Notre  Seigneur  dit  expressément  qu'ils  auront  lieu  im- 
médiatement après  :  Statim  post  *,  ce  qui  indique  au  moins 
qu'tfe  commenceront  bientôt  à  s'accomplir. 

2*  Non  seulement  le  Sauveur  annonce  ces  événements 

1  Ezec  ,  XX,  32;  Nahum.,  m,  4-6;  Rom.,  xi,  11.  Cf.  Jos.,  B.,  vi,  43. 
—  '  M.  Renan,  L'Eglise  chrétienne,  —  3  Quœ  sit  causa  tam  grandis 
offensae,  maxime  cum  idola  non  colant?  Prœter  interfectionem  Salvatoris 
non  valent  invenire.  S.  Hieron.,  In  Osée.,  m,  4-5.  Judsee,  quomodo  cle- 
mentissimus  quondam  Deus,  qui  nunquam  tni  est  oblitus,  nunc  per  tanta 
sp'atia  temporum  miseriis  tuis  non  adducitur  ut  solvat  captivitatem  ?  Ob 
qaod,  inquam,  facinus  et  tam  execrabile  scelus  avertit  a  te  oculos  suos? 
Habes  quod  elegisti  ;  usque  ad  finem  mundi  serviturus  es  Gsesari,  donec 
gentium  introeat  plenituda  et  sic  omnis  Israël  salvus  fiât,  Epist,  cxxix,  7. 
Cf.  Isaî.,  Lx,  12;  U  Esd.,  i,  8,  9;  Luc,  xxi,  24;  I  Cor.,  xv,  25.  Infra, 
D.  279,  418.  •»  ^  Eant  nunc  et  dicant  :  Manducemus  et  bibamus!  S.  Aug., 
Serm.  clvii,  6.  Cf.  Jer.,  xux,  12-16;  Rom.,  xi,  20-22.  —  «  Cf.  Mattli., 
XXIV,  27.-6  Matth.,  xxiv,  29. 


388  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n^  249 

comme  prochains,  mais  il  indique  les  signes  auxquels  on 
pourra  les  discerner  et  en  voir  approcher  le  terme*.  Or, 
pour  la  fin  du  monde,  il  va  dire  qu'elle  arrivera  subitement, 
sans  qu'on  s'y  attende  *,  ni  que  personne  en  puisse  annon- 
cer l'époque  '. 

3*  Les  dernières  paroles  du  Sauveur  sur  ce  sujet  :  Ntm 
prœteribit  gêner atio  hœc,  donec  omnia  fiant  *,  semblent  éga- 
lement indiquer  une  autre  époque  moins  éloignée,  car  si 
Ton  veut  y  voir  indiquée  toute  la  durée  des  temps,  on  n'ob- 
tient aucun  sens  satisfaisant,  soit  qu'on  entende  par  gênera- 
tio  hœc  le  genre  humain  ou  la  nation  juive.  Dans  le  premier 
cas,  on  fait  dire  à  Notre  Seigneur  qu'il  y  aura  des  hommes 
sur  la  terre  jusqu'à  la  fin  des  temps,  ce  qui  ne  répond  nul- 
lement à  la  solennité  de  cette  formule  :  Amen  dico  vobis; 
dans  le  second,  on  lui  fait  prédire  la  persistance  extraordi- 
naire de  la  race  juive,  malgré  sa  dispersion,  ce  qui  n'a  au- 
cune liaison  avec  le  reste  du  passage. 

4*  Après  l'apparition  du  Fils  de  l'homme  ou  la  révélation 
de  sa  souveraine  puissance,  il  est  dit  que  les  Anges  ou  les 
envoyés  de  Dieu  rassembleront  les  élus,  electos  Filii  ho- 
miniSy  31  ^  de  toutes  les  parties  du  monde.  Or,  pour  le  juge- 
ment, ce  ne  sont  pas  les  élus  seulement,  mais  tous  les 
hommes  bons  et  mauvais  qui  seront  rassemblés.  Il  semble 
donc  plus  naturel  d'entendre  par  élus^  sx.X6xtoi,  au  verset  31 
de  Matthieu  comme  au  verset  22,  les  chrétiens  qui  ont  reçu 
le  don  de  la  foi  *,  et  de  voir  indiquée  en  cet  endroit  la  con- 
version des  peuples  infidèles,  selon  ce  qui  est  dit  en  S.  Jean  : 
Moriturus  erat  Jésus,,,  ut  filios  Dei,  qui  erant  dispersi,  con- 
gregaret  in  unum'^. 

Enfin,  à  la  suite  de  ces  événements.  Notre  Seigneur  dit 
que  les  chrétiens  seront  affranchis,  délivrés  de  la  servitude, 
redempti^,  qu'ils  pourront  relever  la  tête,  qu'ils  verront 

»  Matth.,  XXIV,  32,  33.  —  «  Matth.,  xxiv,  37-39;  Luc,  xxi,  34,  35.  - 
3  Matth.,  XXIV,  Îî6.  —  *  Matth.,  xxiv,  34;  Luc,  xxi,  32.  —  8  cf.  Matth., 
XIII,  39,  41;  Luc,  vu,  24;  Gai.,  iv,  14;  Apoc,  xiv,  6,  7.  —  *  Sap- 
in, 9;  IV,  15.  -  7  Joan.,  xi,  52.  Cf.  Matth.,  xxii,  7,  8,  14;  S.  Aug., 
EpisL  cxcix,  41,  45-48.  —  8  Luc,  xxi,  28, 


N°  280]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  PROPHÉTIES.  389 

Tété  succéder  à  l'hiver,  30,  c'est-à-dire  le  règne  de  Dieu 
commencer,  31.  Il  ne  paraît  pas  naturel  d'entendre  par  ces 
paroles  la  fin  du  inonde  et  le  commencement  de  la  vie  éter- 
nelle. 

Qu'on  se  souvienne  toutefois  que  le  triomphe  du  Sauveur 
sur  la  terre  étant  le  gage  et  la  figure  de  son  triomphe  et  de 
son  règne  glorieux  au  ciel,  ce  qui  est  dit  ici  littéralement 
de  la  ruine  de  l'idolâtrie  et  de  l'empire  païen  a  pour  objet 
dans  le  sens  spirituel  la  fin  du  monde  et  le  jugement  der- 
nier. Et  l'on  peut  voir  dans  ce  sens  spirituel,  ou  cette  se- 
conde vue  du  Sauveur,  la  raison  de  certaines  hyperboles, 
qui,  sans  cela,  pourraient  paraître  outrées  et  singulières, 
par  exemple  au  verset  34. 

&d,  —  Trouve-t-on  dans  Thistoire,  vers  l'époque  indiquée  par  Notre 
Seigneur,  quelque  grande  catastrophe  à  laqueUe  ces  traits  puissent 
convenir? 

On  trouve  dans  l'histoire,  à  l'époque  indiquée  par  Notre 
Seigneur,  la  ruine  de  Rome  et  la  chute  du  grand  empire 
idolâtre.  Nul  événement  plus  frappant,  qui  porte  à  un  plus 
haut  degré  le  caractère  d'un  châtiment  divin,  qui  ait  plus 
de  rapport  avec  la  destruction  de  Jérusalem  et  avec  la  fin 
du  monde,  qui  soit  plus  propre  à  figurer  le  jugement  uni- 
versel. Point  de  fait  non  plus  qui  ait  eu  des  conséquences 
plus  heureuses  pour  le  christianisme  et  qui  fût  désiré  par 
les  fidèles  avec  plus  d'impatience*.  Ce  fut  pour  l'Eglise 
l'époque  de  l'affranchissement,  de  l'expansion,  de  l'unifica- 
tion, du  triomphe.  Alors  le  signe  du  Fils  de  l'homme  parut 
au  ciel  et  sur  la  terre;  et  il  fut  permis  aux  chrétiens  de  re- 
lever la  tôte  *.  Alors  eut  lieu  l'avènement  du  Sauveur  dans 
le  monde  social.  Alors  commença  le  règne  visible  et  com- 
plet de  Dieu  ici-bas,  ou  la  période  de  mille  ans,  pendant  la- 

«  Luc,  XXI,  28-31;  Apec.,  vi,  10.  —  *  Dan.,  ii,  44,  45;  vn,  8,  13; 
Matth.,  XXIV,  80;  Luc,  xxi,  28.  Cf.  S.  Greg.  Naz.,  Orat.  v,  cont  Julian,, 
n,  25;  Socrate,  H,  £.,  i,  1;  Evagr.,  H,  E.,  iv,  26;  S.  Cyrill.  Hieros., 
EpisL  ad  Constant,,  6;  Arc  de  Constantin,  avec  inscription,  instinetu 
divinitatiSj  mise  par  ordre  du  Sénat, 

22. 


390  JÉStS-GHRIST  SELON   l'ÉVANGILE.  [n^^  251 

quelle  TEglise  devait  dominer  et  le  démon  rester  dans  les 
fers*.  Les  destinées  des  nations  furent  accomplies.  Jérusa- 
lem cessa  d'être  foulée  aux  pieds  des  Gentils  '  et  passa  sons 
une  domination  chrétienne. 

251.—  Ne  serait-il  pas  étonnant  que  la  chute  de  Tempire  eût  été  annoncée 

dans  des  termes  si  extraordinaires? 

Il  ne  doit  pas  sembler  étrange  que  Notre  Seigneur  se  soit 
servi  de  ces  images  pour  annoncer  le  triomphe  du  christia- 
nisme. 

!•  Il  est  naturel  qu'en  annonçant  la  chute  de  Rome,  il  use 
de  termes  moins  simples  et  moins  précis  qu'en  parlant  de  la 
ruine  de  Jérusalem.  En  général,  les  prédictions  sont  d'au- 
tant moins  nettes  que  leur  accomplissement  est  plus  éloigné, 
et  les  figures  employées  par  les  prophètes  grandissent  à  pro- 
portion de  leur  objet.  On  peut,  du  reste,  comparer  les  termes 
de  cette  prophétie  avec  d'autres,  relatives  à  Jérusalem  '. 

2®  Notre  Seigneur  avait  des  raisons  particulières  pour  ne 
pas  prédire  d'une  manière  trop  claire  la  destruction  de  l'em- 
pire romain;  et  les  évangélistes  en  avaient  aussi  pour  ne 
pas  rapporter  d'une  telle  prophétie  ce  qui  eût  été  trop  fa- 
cile à  comprendre  pour  les  infidèles.  Les  prédictions  rela- 
tives à  la  ruine  du  temple  avaient  assez  irrité  les  Juifs  pour 
que  les  auteurs  sacrés  prissent  garde  de  ne  pas  s'attirer  en- 
core la  colère  des  Romains.  D'ailleurs,  ne  sufôsait-il  pas 
aux  fidèles  de  savoir  qu'après  la  ruine  de  Jérusateftt,  il  y 
aurait  une  nouvelle  période  de  troubles,  d'agitation,  de  dé- 
cadence, mais  qu'à  la  fin,  la  puissance  du  Sauveur  se  mon- 
trerait, que  toute  persécution  cesserait  et  que  le  christia- 
nisme s'établirait  par  tout  le  monde?  Et  quel  inconvénient 
y  avait-il  à  ce  qu'on  se  préoccupât  d'abord  du  sens  spirituel, 
ou  de  la  fin  du  monde,  dont  la  ruine  de  l'empire  romain 
devait  être  la  figure  et  le  gage?  Ce  que  nous  disons  ici  des 
évangélistes  peut  se  dire  également  des  commentateurs  des 
premiers  siècles.  Les  Pères  n'avaient  pas  moins  de  motifs 

*  Apoc,  XX,  1-3.  Cf.  Is.,  xLix,  2t,  23.  —  a  Luc,  xxi,  24.  —  »  Matth., 
xxui,  38;  Luc,  xxiii,  28-31. 


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N°  2S2]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  PROPHÉTIES.  393 

que  les  auteurs  sacrés  d'être  fort  circonspects  dans  leurs 
interprétations  *. 

3"  Le  langage  du  Sauveur  en  cet  endroit  •  ne  peut  sem- 
bler extraordinaire  qu'à  ceux  qui  sont  peu  accoutumés  au 
style  de  la  Bible.  Son  ton  est  celui  de  tous  les  prophètes 
dans  des  circonstances  analogues  ^  C'est  celui  qu'il  em- 
ploiera lui-même  dans  sa  Passion  en  parlant  au  Grand- 
Prêtre  *  et  aux  saintes  femmes  '.  C'est  celui  que  l'Esprit 
saint  a  inspiré  à  S.  Jean  dans  son  Apocalypse  *,  où  il  ne  fait, 
suivant  le  sentiment  commun,  que  développer  la  prédiction 
de  la  ruine  de  Rome  païenne.  11  semble  môme,  en  certains 
endroits,  répéter  à  dessein  les  paroles  du  Sauveur'. 

Tout  considéré ,  l'interprétation  que  nous  proposons  est 
celle  qui  offre  le  moins  de  difficulté  ;  et  il  nous  semble  éta- 
bli que  le  passage  en  question  ne  peut  s'entendre  ni  de  la  fin 
du  monde  seulement,  ni  de  la  ruine  de  Jérusalem,  ni  d'au- 
cun autre  événement  que  de  celui  que  nous  indiquons  •. 

2512.  —  D'après  cela,  qae  faut-il  voir  dans  ce  verset  :  Non  prxteHbit 
generatio  hsBC,  donec  omnia  hac  fiant  ^  ? 

Dans  ces  paroles,  il  faut  voir  une  formule  énergique  et  so- 
lennelle ayant  pour  but  d'affirmer  la  vérité  de  la  prophétie 
précédente.  Toutes  ces  prédictions  se  réaliseront,  et  ceux  qui 
les  entendent  en  verront  par  eux-mêmes  l'accomplissement. 
Par  omnia  hœc.  Notre  Seigneur  entend  deux  choses  :  la  ruine 
de  Jérusalem,  principal  objet  de  la  prophétie  du  Sauveur,  et 
le  commencement  de  la  ruine  de  Rome  païenne  *°.  On  peut 

»  Cf.  Bossuet,  Préf,  de  l'Apoc,,  22.  -  a  Matth.,  xxiv,  29-31;  Marc, 
xm,  24-25;  Luc,  xxi,  25-27.  —  3  Cf.  Act.,  ii,  19,  20;  Isai.,  xiii,  9-14; 
XXIV,  4-20,  23;  xxxiv,  4;  xuv,  17;  Jer.,  v,  23;  Ezec,  xxii,  7;  Agg., 
II,  6,  7.  —  *  Matth.,  XXVI,  64.  —  »  Luc,  xxiii,  28-31.  —  6  Apec,  i,  7; 
VI,  12-17;'  VIII,  42;  IX,  2.  —  T  Cf.  Matth.,  xxiv,  30  et  Apoc,  i,  7;  — 
Matth.,  XXIV,  31  et  Joan.,  xi,  52;  —  Matth.,  xxiii,  36;  xxiv,  32;  Luc, 
XXI,  28,  31;  Joan.,  iv,  35  et  Apoc,  i,  3;  xxii,  10;  —  Matth.,  xxiv,  31; 
XI,  10  et  Apoc,  II,  1,  8,  12;  xi,  15;  xiv,  6.-8  Cf.  D.  Calraet,  Comm. 
iur  S,  Matth.,  xxiv;  P.  Lallemant,  Réflex.  sur  le  Nouv.  Test.,  S.  Matth., 
XXIV,  notes  ;  Bergier,  Traité  de  la  religion,  p.  m,  ch.  ii,  a.  7  ;  La  Luzerne, 
Diss.  sur  tes  prophéties.  —  9  Matth.,  xxiv,  34.  —  *o  Matth.,  xxiv,  29,  30. 
Cf.  XVI,  27,  28. 


394  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n®  253 

dire,  en  effet,  qu'un  bon  nombre  de  ses  contemporains  et  de 
ses  disciples,  S.  Jean  entre  autres,  ont  vu  de  leurs  yeux  une 
partie  de  la  seconde  prophétie  s'accomplir,  fieri,  à  la  suite 
de  la  première.  Dès  le  temps  de  Domitien,  l'astre  de  Rome 
commença  à  pâlir.  Cet  empereur,  qui  se  faisait  donner  le 
nom  de  Dieu  S  acheta  la  paix  des  barbares,  au  lieu  de  la  leur 
imposer.  L'empire  perdit  peu  à  peu  sa  force  et  son  prestige; 
et  malgré  le  mérite  de  quelques  grands  princes,  sa  durée  ne 
fut  plus  qu'une  triste  décadence.  Dès  la  même  époque,  l'E- 
glise commençait  à  s'affermir  et  les  chrétiens  se  multi- 
pliaient, en  dépit  des  persécutions  :  Ligabantur,  include- 
bantur,  cœdebantur^  torqusbantury  urebantur,  laniabantur, 
trv4:idabantur  ;  et  multiplicabantur^,  HesternimmttSyéomni 
Tertullien  quatre-vingts  ans  plus  tard,  et  vestra  omnia  iw- 
plevimus  ^  Enfin  les  victimes  finirent  par  triompher  des 
bourreaux  :  Cessit  Victoria  victi$. 


ni.  Paroles  du  Sauveur  relatives  à  la  fin  du  monde  et  à 
son  retour  plus  ou  moins  prochain. 

253.  —  Quel  est  le  jour  dont  Notre  Seigneur  dit  que  personne  ne  le 
connaît  :  Neque  angeli,  neque  Filius,  Marc,  xiii,  32? 

Ce  jour,  que  personne  ne  connaît,  mais  que  Notre  Sei- 
gneur distigue  d'un  autre  jour  dont  il  a  fait  connaître  l'é- 
poque, Y)  exetvTQ  TQjxspa,  c'est  celui  du  jugement  ou  de  la  fin 
du  monde,  dont  l'idée  est  suggérée  par  le  verset  précédent  : 
Cœlum  et  terra  transibunt,  31.  Les  mots,  neque  Filius^  sont 
rejetés  par  plusieurs  critiques,  comme  une  glose  introduite 
dans  le  texte  pour  expliquer  ceux  qui  suivent  :  iVm  Pater  K 
Ils  ont  pu,  en  effet,  être  ajoutés  ainsi  dans  certains  manus- 
crits de  S.  Matthieu  ^  mais  pour  l'évangile  de  S.  Marc,  ils 
en  font  bien  partie.  On  les  trouve  admis  et  cités  par  un 
grand  nombre  de  saints  Docteurs. 

*  Sueton.,  Domitian.f  13;  Stat ,  Sy/w.,  iv,  58;  v,  1, 137.  Infra,  n.  598. 
-—3  g.  Aug.,  de  Ciu.  Dei^  xxii,  6.  Cf.  E\od.,  i,  12;  S.  Justin.,  Dialog.f  iiO. 
—  3  Tert.,  Apol.y  37.  —  *  Cf.  S.  Amb.,  de  Fide,  v,  193,  et  in  Luc., 
VIII,  34.  —  5  S.  Hicron.,  In  Matth.,  xxiv,  36. 


f^^iSà]       SA  Vie  f^uBLiOUË.  —  ses  i»rophét'ies.  398 

Quant  à  la  manière  dont  il  faut  entendre  le  verset,  les 
commentateurs  sont  assez  partagés  :  —  !•*  Quelques  anciens 
ont  cru  que  le  Sauveur  ignorait,  en  effet,  ce  jour  en  tant 
qu'homme.  Ce  sentiment  est  réprouvé  par  S.  Grégoire  le 
Grand  '.  — 2*  D'autres,  comme  Origène,  ont  pensé  que  l'âme 
du  Sauveur  n'avait  reçu  cette  connaissance  qu'après  la  résur- 
rection ;  mais  ce  sentiment  ne  s'est  jamais  répandu  et  n'a  pour 
lui  aucune  probabilité.  —  3*  Quelques  autres  ont  dit  que  le 
mot  grec,  eiSetv,  noscere,  est  pris  dans  un  sens  actif,  pour  no- 
tvm  facere,  comme  Bptaixéeusiv,  triumphare  •;  mais^ cette  al- 
légation n'a  pas  de  fondement  solide  '.  —  4*  Suivant  un  cer- 
tain nombre,  Notre  Seigneur  voudrait  dire,  non  que  cette 
connaissance  manque  à  son  humanité,  mais  qu'elle  ne  la 
possède  pas  par  elle-même,  naturellement,  ou  qu'elle  a  eu 
besoin,  pour  l'acquérir,  d'une  communication  spéciale  de 
la  divinité  :  Novit  diem  et  horam,  sed  non  ex  natura  huma- 
nitaiis  novit  *.  —  5<»  Enfin,  suivant  l'explication  commune, 
ces  mots  font  entendre  que  cette  connaissance  est  un  secret 
pe  son  Père  lui  a  confié,  qu'il  ne  le  possède  que  pour  lui 
seul  *,  et  que  ses  Apétres  eux-mêmes  ne  la  doivent  pas 
désirer,  parce  qu'elle  ne  leur  est  ni  nécessaire  ni  utile. 
C'est  ce  qu'il  leur  insinue  surtout  au  jour  de  son  Ascension, 
lorsqu'il  dit  qu'il  ne  leur  appartient  pas  de  connaître  le 
temps  et  le  moment  déterminé  par  son  Père  ^  Et  c'est  ce 
qu'ils  devaient  d'eux-mêmes  penser,  puisqu'ils  étaient  per- 
suadés, dit  S.  Jean,  que  la  science  du  divin  Maître  s'étendait 
à  tout  \  et  qu'il  ne  voulait  leur  rien  cacher  de  ce  qu'il  pou- 
vait leur  dire  *. 


'  s.  Greg.^  Epist,  x,  39.  Sicut  noverat  horam  qua  judicari  debuit,  siô 
novit  et  horam  qua  debeat  judicare.  S.  Aag.,  S€7*m,  xlvii,  8.  —  s  Selon 
la  forme  hiphU  qui  exprime  en  hébreu  une  double  action.  —  >  S.  Aug., 
In  Pt,  XXXVI,  1.  —  *  S.  Greg.  Magn.,  Epist.  x,  39.  Cf.  x,  35.  —  »  Joan., 
V,  19,  30;  xu,  49,  50.  —  «  Quando  dicit  :  Non  est  vestrinn  nosse  iem- 
para  vel  momerita,  ostendit  quod  ipse  sciât  ^  sed  non  expédiât  nosse 
aposKdis.  S.  Hieron.,  In  Mattk,,  xxiv,  36.—  ^  Joan.,  xvi,  10;  xxi,  17. 
Cf.  Matth.,  XX,  23;  Joan.,  v,  22;  xii,  49,  50;  I  Cor.,  ii,  2;  S.  .Thom., 
p.  3,  q.  10,  a.  2,  àd  1.  —  >  Joan.,  xv,  15.  Cf.  Non  est  meum  dare  vobis. 
Hatth.,  XX,  23. 


àd6  JESUS-diRISt  SELON  L^ËVANGUE.  [n^  âS4 

On  doit  expliquer  par  le  môme  principe  cette  parole  du 
discours  de  la  dernière  cène  :  c  Je  vous  ai  fait  connaître  tout 
ce  que  j'ai  appris  de  mon  Père  *.  » 

254.  —  Les  paroles  de  Notre  Seigneur  n'étaient-elles  pas  de  nature  à 
persuader  aux  apôtres  que  le  jugement  dernier  suivrait  de  près  la 
ruine  de  Jérusalem? 

On  n'avait  pas  le  droit  de  conclure  des  paroles  de  Notre 
Seigneur  que  le  jugement  dernier  était  proche.  En  effet: 
—  i^  Loin  de  dire  que  la  ruine  de  Jérusalem  entraînerait 
celle  de  l'univers ,  il  distingue  avec  soin  ces  deux  événe- 
ments, et  il  place  entre  l'un  et  l'autre  une  longue  période, 
temporanationum  ',  et  des  faits  très  importants  ^  D'ailleurs, 
si  le  monde  avait  fini  si  tôt,  comment  se  seraient  accomplies 
ses  autres  prophéties,  sur  la  conversion  des  Gentils,  sur  l'é- 
tablissement de  son  Eglise,  sur*  ses  luttes  et  sa  durée  ?  — 
2"  Il  avertit  expressément  ses  Apôtres  que  nul  homme  sur  la 
terre  et  nul  ange  dans  le  ciel  ne  sait  quand  la  fin  des  temps 
doit  venir,  et  qu'on  ne  peut  fixer  une  date  aux  événements 
futurs  *.  Il  le  leur  dit  ici;  il  le  leur  répète  apjrès  sa  résur- 
rection ;  et  c'est  presque  la  dernière  parole  qu'il  leur  adresse 
en  les  quittant  ^ 

Il  est  vrai  qu'au  jugement  d'un  grand  nombre  d'Israé- 
lites, persuadés  que  leur  ville  et  leur  temple  dureraient 
jusqu'à  la  fin  des  temps,  prédire  la  ruine  du  temple  était 
annoncer  la  fin  du  monde  ^  ;  mais  c'était  un  préjugé  sans 
fondement,  et  Notre  Seigneur  n'était  pas  tenu  de  le  redres- 
ser \  On  peut  dire  si  l'on  veut  qu'il  a  laissé  à  dessein  à  ses 
disciples  une  certaine  appréhension  à  cet  égard.  Il  les  a 
souvent  recommandé  de  veiller  et  de  se  tenir  prêts  *  ;  et 

1  Joan.,  XV,  15.  Cf.  xvi,  12.  —  2  Luc,  xxi,  4.  —  3  Matth.,  xxiv,  29^. 
S.  Aug.,  Epi$l,  cxcix,  4.  —  *  Matth.,  xxiv,  3|6.  —  ^  Act.,  i,  7.  Omnium 
de  bac  re  calculantium  digitos  re^lvit  et  quiescere  julnet  ille  qui  dicit  : 
Non  est  ve^tmm  sfivte  tempora,  etc.  S,  Ang„  ^  Civ*  Dei,  xviii,  5J. 
Cf.  Const.  SupemsR  majesiatis^  Conc.  Lateran.,  v.  —  6  Aussi  longtemps 
que  durera  le  genre  humain,  aussi  longten^ps,  dit  Pt^iion,  on  Apportera 
des  offr^n^Q»  au  tQmple.de  Jérvuialem.  I)e  j^anarch.y  1. 3.  rr  ^  Cf.  Joaa., 
XXI,  23.  —  8  Matth.,  xxiv,  42;  xxv,  13;  xxvi,  41;  Mim*c.,  xm,  38; 


N^  25Sj  SA  VIE  PUBLIQUE.  —   âÉS  PROPHETIES.  397 

quoi  de  plus  sage  et  de  mieux  motivé  que  cet  avis  ?  Le 
temps  est  court,  dit  S.  Paul  ;  et  par  rapport  au  salut,  dont 
il  était  question,  le  jour  de  la  mort  diffère-t-il  de  celui  du 
dernier  jugement?  Qualù  quisque  moritur,  talisjudicabUur\ 

255.  —  Qu'entendent  les  interprètes  actncls,  quand  ils  parlent 

de  la  parousie  du  Seigneur? 

Dipouata,  de  xapsivat,  adeftse,  a  la  même  signification  que 
prœsentia  ou  adventtis,  apparition.  On  entend  donc  par  pa- 
rousies  les  divers  avènements  du  Sauveur,  les  principales  ma- 
nifestations de  sa  puissance,  de  sa  justice,  de  sa  bonté  ;  les 
actes  principaux  qui  ont  pour  but  l'établissement  ou  Texer- 
cice  de  son  règne  ici-bas,  actes  qui  sont  mentionnés  sous  ce 
terme  dans  la  Sainte  Ecriture  :  —  1"  Son  Incarnation  et  sa 
Nativité  *.  —  2*  Sa  prédication,  ou  plutôt  son  entrée  dans  la 
carrière  évangélique  \  —  3*  La  manifestation  qu'il  a  faite 
de  sa  charité,  de  ses  grâces  et  de  ses  richesses  par  les  dons  de 
son  Esprit  *.  —  4°  Celle  de  sa  souveraineté  et  de  sa  justice, 
soit  par  la  destruction  du  judaïsme  et  du  paganisme  comme 
puissance  extérieure,  soit  par  quelque  autre  châtiment  exem- 
plaire ".  —  8<>  Surtout  son  apparition  suprême  à  la  fin  du 
monde  et  au  jugement  universel  *. 

Ainsi  le  mot  parousie  n'a  par  lui-môme  qu'un  sens  assez 
vague.  Il  doit  être  rendu  tantôt  par  avènement^  tantôt  par  re- 
tour, tantôt  par  présence.  Pour  en  préciser  la  signification,  il 
faut  tenir  compte  du  sujet,  des  circonstances,  du  but.  C'est 
à  tort  qu'on  voudrait  entendre  du  jugement  dernier  ou  d'un 

Lttc,  zii,  36,  40;  xxi,  34.  Cf.  II  Cor.,  iv,  17;   Heb.,  ix,  37;  Apoc, 
XXII,  20. 

1  S.  Aug.,  EpUt.  Gxcix,  2.  Quid  diu  est,  ubi  finis  est?  Quid  profuisset 
Adamo,  si  hodie  mortuus  esset?  Agamus  Deo  gratias,  quia  hujus  vit» 
nltimum  diem  et  brevem  esse  voluit  et  incertum.  Serm.  cxxiv,  4; 
Bossuet,  Médit, j  dern.  serm.,  76-79.  —  ^  Matth.,  xviii,  11  ;  xx,  28;  Eph., 
11, 17;  I  Tim.,  i,  15;  II  Pet.,  i,  16;  Joan.,  iv,  2,  3;  Il  Joan.,  7.  —  s  Matth., 
XI,  19;  Marc,  i,  7;  Luc,  m,  16;  Joan.,  i,  30;  v,  43;  ix,  39.  —  ^  Matth., 
ni,  11  ;  Joan.,  xiv,  3,  18,  28  ;  xvi,  22.  —  «  Matth.,  x,  23  ;  xvi,  28  ;  xxiv,  3  ; 
XXVI,  64;  Marc,  xiii,  26,  30;  Luc,  xxi,  27.  —  «  Matth.,  xvi,  27;  xxiv, 
37-39;  XXV,  31;  Marc,  Vin,  38;  Luc,  ix,  26;  xvii,  24;  xxi,  27;  I  Cor., 
XV,  23;  U  Thess.,  u,  8;  II  Pet.,  m,  4;  I  Joan.,  u,  28. 

ui.  23 


3Ô8  J1ESUS-CHRIST  SELON  L*ÉVANGILÊ.  [n<>  286 

retour  visible  en  ce  monde  tous  les  passages  où  il  est  dit 
que  Notre  Seigneur  reviendra,  apparaîtra^  se  montrera  de 
nouveau  présent  sur  la  terre  '.  Il  en  est  à  peu  près  de  même 
des  mots,  visitatio,  visitare  *. 

256.  —  Les  prédictions  du  Sauveur  sont-elles  moins  propres  que  les 

miracles  à  conflrùier  notre  foi? 

Toute  prophétie  est  un  miracle,  ou  un  acte  dont  un  homme 
est  naturellement  incapable  et  qui  ne  peut  s'expliquer  sans 
une  assistance  particulière  de  la  divinité  ^  Elles  ont  donc, 
pour  convaincre,  la  même  autorité  que  les  miracles  pro- 
prement dits.  Il  en  est  môme  qui  sont  de  nature  à  nous 
frapper  plus  vivement  *.  En  effet,  les  miracles  du  Sauveur 
ne  s'opèrent  plus  actuellement  :  nous  n'en  avons  plus  les 
objets  présents  :  nous  ne  pouvons  en  apercevoir  que  des  ré- 
sultats éloignés  ;  mais  parmi  ses  prophéties,  il  en  est  dont 
l'accomplissement  est  toujours  sous  nos  yeux  :  c'est  un  mi- 
racle subsistant  et  une  démonstration  palpable  de  sa  di- 
vinité. 

c  On  est  dans  une  grande  erreur,  dit  S.  Augustin,  quand 
on  s'imagine  que  nous  croyons  à  la  vérité  du  christianisme 
sans  de  bonnes  raisons  *.  Quelles  raisons  meilleures  que  les 
prophéties  dont  nous  voyons  l'accomplissement  de  nos  yeux  : 
la  ruine  de  Jérusalem,  la  disparition  des  Juifs,  l'abolition  du 
culte  mosaïque,  le  triomphe  de  l'Eglise  sur  le  paganisme, 
sur  l'hérésie,  sur  toutes  les  puissances  de  l'enfer  ?  Est-ce 
que  ces  faits  ne  sont  pas  miraculeux  ?  Est-ce  qu'ils  n'ont  pas 
été  prédits  dans  les  Ecritures  ®?  Nihil  allegoricum,  nihil  fi- 
guratum  commemoro  :  propriam,  expressam,  simplicem,  mani- 

1  Ideo  cum  diem  judicii  Dei  dicimus,  addimus  ultîmom  vel  noyissi- 
mum,  quia  et  nunc  Judicat  et  ab  initie  judicavit.  S.  Aug.  De  Civ,  Dei, 
XX,  1.  —  *  Cf.  Gen.,  xi,  5;  Ps.  lviii,  6;  cv,  4;  Jer.,  v,  9,  29;  Is., x,  3; 
Act.,  XV,  14;  Heb.,  ii,  6;  Jac,  i,  27;  I  Pet.,  ii,  12;  Apec,  ii,  5,  etc.  Si 
bene  intelligo,  nec  unde  vadis,  nec  unde  venis,  recedis;  vadis  latendo, 
venis  apparendo.  S.  Aug.,  In  Joan.f  xiv.  —  »  Isai.,  xlv,  21,  22.  — 
^  II  Pet.,  I,  19.  —  8  Fides  prœsupponit  rationem  naturalem,  sicut  (pratia 
naturam...  Mens  non  crederet  nisi  videret  esse  credendnm.  S.  Thoau, 
2»  2»,  q.  1,  n.  4;  ad  2.  Supra,  n.  29.  — •  «  Cf.  S.  Aug.,  de  Civ.  Deiy 
XIX,  53.  Epùt.  GxxxYU,  15,  16. 


NO  256]  SA  VIE  PUBLIQUE.   —  SES  PROPHÉTIES.  399 

festam  audite prophetiam,  Scriptumest  de  Ecclesia,  etmdetur 
quia  est.  Scriptum  est  de  idolis  quia  non  erunt^  et  videtur  quia 
nonsunt.  Scriptum  est  quia  perdituri  erant  Judœi  regnum^  et 
videtur.  Rien  de  plus  convaincant,  quand  on  y  réfléchit.  A 
l'origine,  ces  prédictions  semblaient  si  étranges,  si  para- 
doxales, qu'on  n'osait  presque  en  parler  :  Dicebatur  a  paucis, 
ridebatur  a  multis  *.  Aujourd'hui  pourtant,  elles  sont  réali- 
sées; ce  sont  des  faits  accomplis  :  Promissa  lege;  impleta 
cerne.  Que  dis-je  ?  nous  les  voyons  s'accomplir  encore  mira- 
culeusement tous  les  jours.  Est-ce  que  les  victoires  de  l'E- 
glise ne  se  renouvellent  pas  à  chaque  instant?  Quamdiu  hic 
est  Ecclesia,  quamdiu  getnit  triticum  inter  paleas^  spicœ  inter 
zizanitty  lilium  inter  spinas^  non  desunt  inimici  qui  dicunt  : 
Quando  morietur  et  peribit  nomen  ejus?  Id  est  y  ecce  veniet 
tempus  ut  finiantur,  et  non  sintchristiani.  Mais  qu'arrive-t-il? 
A  quoi  aboutissent  les  vœux  et  l'attente  des  impies  ?  Cum  ista 
dicunt^  et  sine  fine  moriuntur^  et  permanet  Ecclesia.  Quoi  de 
plus  propre  à  confirmer  notre  foi,  à  la  rendre  inébranlable  ? 
Est-il  possible  de  voir  ainsi  s'accomplir  à  tout  instant  des 
promesses  si  merveilleuses,  et  de  douter  des  faits  miraculeux 
attestés  par  l'Evangile  *,  ou  d'avoir  la  moindre  appréhension 
sur  l'accomplissement  des  prophéties  qui  restent  encore  à 
réaliser  :  la  résurrection,  le  jugement,  le  règne  glorieux  du 
Sauveur  et  de  ses  élus?  Ita  ventura  sunt  quœ  restant^  sicut 
venerunt  ista  quœ  olim  non  fu^rant  et  prœnuntiabantur.  Non 
erat  Christus  in  terra;  Deus  promisit^  exhibuit.  Non  erat 
fusus  sanguis  pretisosus  quo  deleretur  chirographum  mortis 
nostrœ;  promisit  :  exhibuit.  Nondum  resurrexerat  caro  in 
vitam  œtemam;  promisit  :  exhibuit.  Nondum  crediderant 
gentes;  promisit  :  exhibuit.  Nondum  idola  gentium  deleta 
erant;  promisit  :  exhibuit.  Ista  omnia  cum  prœdixisset  et 

*  s.  Aug.,  Serm.  xxn,  4.  —  ^  On  ne  peut  refuser  à  celui  qui  accompUt 
si  visiblement  les  mervelUes  qu'il  a  promises,  de  croire  qu'il  était 
capable  d*opérer  les  plus  grands  miracles.  Ainsi,  dit  S.  Augustin,  notre 
foi  est  affermie  des  deux  côtés;  ni  les  Apôtres,  ni  nous  ne  pouvons 
douter.  Ce  qu'ils  ont  vu  dans  la  source  les  a  assurés  de  toute  la  suite, 
ce  que  nous  voyons  dans  la  suite  nous  assure  de  ce  que  l'on  a  vu  et 
adoûré  dans  la-  source.  Bofisuet,  Sur  les  prometses  de  VEglise,  i. 


400  lÊSUS-CHRlST  SELON  l'évancile.  [k«  257 

exhibuisset,  de  solo  die  judicii  mentitus  est?  Veniet  omnino, 
qtiomodo  ista  venerunt...  Nemo  dicat  :  Non  veniet  '. 


CHAPITRE  II. 

DOCTRINE    DU     SAUVEUR, 


ARTICLE    I. 
FaraboleB  '. 
'  857.  —  Qn'eBt-ce  qu'âne  parabole? 
[IxpafoXY]  dit  simplement  rapprochement,  comparaisoD, 
analo^e  développée  :  itapi  piXXsiv,  objieere,  conferre.  Mais 
l'usage  a  modifié  le  sens  de  ce  tenne.  Dans  l'Ancien  Testa- 
ment, il  signifie  le  plus  souvent  énigme  %  sentence  *,  dis- 

1  Cr.  s.  Aag.,  M  Pi.  xizii,  28;  lxx,  Enarr.  ii,  13;  lziiit,  in  flue; 
oxxxiv,  W;  cïLVii,  de  catech.  rud.,  45.  46,  63;  Serm.  iiitiu,  10; 
ex,  4.  Voir  aussi  de  Fide  rerum  qiue  non  mdmiur,  3-11  ;  S.  Chrys.,  In 
I  ad  Cor.,  liam.  vu,  9;  Bossaet,  H.  t/.,Il,  xiii.  —  '  Cette  image  e«da 
second  siècle  et  se  voit  k  la  «oûte  d'une  des  cryptes  du  cimetière  de 
Ste  Priscille,  via  Salaria.  La  bon  Pasteur  parte  sur  ses  épaules  la  brebi) 
qu'il  a  recouvrée.  Il  se  lient  debout  entre  Jeui  brebis  lldàles  qui  le 
regardent  avec  amour.  C'est  la  Hgure  du  Sauveor  eierçsnt  aon  ministère 
ici-bas  et  travaillant  i,  ramener  les  pécheurs.  Les  deux  ai'bres  qu'on  roil 
à  ses  cAtéa,  et  sur  les  branches  desquels  deui  colombes  se  reposent, 
sont  l'emblème  du  ciel  et  flgureot  la  paii  qu'y  goûtent  les  élus.  Apoc, 
ïni,  2;  Infra,  n.  Ï15.  -  »  Voir  Wiaeman,  Mélanget,  et  P.  VentuM, 
HomélUt  Mvr  le»  parabola.  —  *  Pb.  xltui,  G,  —  '  Prov,,  i,  1. 


N<>287]  SA   VIE  PUBLIQUE.  —  PARABOLES.  401 

cours  figuré  *.  Dans  le  Nouveau,  il  désigne  une  forme  de 
langage  spéciale,  un  genre  d'apologue  déterminé.  On  en- 
tend par  parabole  l'expression  symbolique  d'une  vérité  re- 
ligieuse, au  moyen  d'un  récit  plus  ou  moins  fictif,  mais  tou- 
jours pris  dans  la  nature  ou  dans  les  habitudes  de  la  vie 
humaine  •. 

La  parabole  se  rapproche  de  la  fable,  par  la  fiction  qu'elle 
admet  comme  par  la  moralité  ou  l'instruction  qui  en  res- 
sort ;  mais  elle  en  diffère  en  ce  qu'elle  garde  mieux  la  vrai- 
semblance, et  qu'elle  ne  se  permettrait  pas,  ce  qu'affecte  la 
fable,  d'attribuer  aux  êtres  qu'elle  met  en  scène  des  actions, 
des  qualités,  des  habitudes  étrangères  à  leur  nature.  Sans 
exclure  la  simplicité,  la  parabole  est  essentiellement  grave 
et  noble.  Ce  n'est  pas  la  forme  de  langage  la  plus  rapide  ni 
la  plus  précise  ;  mais  c'est  une  des  plus  saisissantes,  celle 
qui  pique  davantage  l'attention,  qui  fait  mieux  ressortir  une 
idée,  qui  la  grave  le  plus  profondément  dans  la  mémoire. 
Nulle  n'est  mieux  appropriée  à  l'esprit  du  peuple,  ni  plus 
en  harmonie  avec  les  locutions  figurées  des  Orientaux*. 
Nulle  n'est  plus  convenable  à  la  majesté  d'un  Dieu  qui 
daigne  converser  paternellement  avec  les  hommes.  Aussi  le 
Verbe  fait  chair  s'en  est-il  fait  une  habitude  et  comme  un 
langage  propre. 

On  ne  trouve  guère  de  paraboles  hors  de  nos  Evangiles  *. 
Nous  ne  voyons  pas  que  les  Apôtres  même  en  aient  fait 
usage.  Il  semble  qu'ils  ont  désespéré  de  parler  dignement 
ce  langage  après  leur  divin  Maître,  ou  qu'ils  ont  renoncé  à 
s'en  servir,  par  respect,  comme  on  s'est  interdit  de  prendre 
et  de  donner  son  nom.  Quant  aux  auteurs  de  l'Ancien  Tes- 
tament, c'est  à  peine  si  l'on  trouve  dans  leurs  livres  un  ou 

*  Nnm.,  XXIII,  7;  Job.,  xxvii,  t,  etc.  —  *  Ut  ex  his  quse  animus  novit, 
stirgat  ad  incognita  quae  non  novit.  S.  Greg.,  M.  In  evang.,  Hom.  xi,  i. 
—  3  Sapiens  in  versutias  parabolarum  introibit ,  occulta  proverbiorum 
exquiret  et  in  abscondita  parabolarum  conversabitur.  Eccli.,  xxxni,  2,  3. 
Cf.  m  Reg.,  IV,  32;  n  Par.,  ix,  1  ;  Matth.,  xiii,  42.  Ut  quod  per  simplex 
pneceptum  teneri  ab  auditoribus  non  potest,  per  similitudinem  exem- 
plaqae  teneatur.  S.  Hieron.,  In  Matth. ^  xviii,  23.  —  *  Les  évangiles 
apocryphes  n'en  ont  pas. 


402  /ÉSlïS-CflRIST  SELON  l'évangile.  [n»  258 

deux  exemples  de  paraboles  proprement  dites  :  l'apologue 
de  Nathan  à  David  *,  et  celui  de  la  femme  de  Thécua  *.  Les 
autres  apologues,  auxquels  on  donne  quelquefois  le  nom  de 
paraboles,  sont  ou  des  fables  *,  ou  des  énigmes  *,  destinées 
à  suggérer  avec  ménagement  certaines  vérités  qui  auraient 
pu  blesser  sous  la  forme  directe. 

*  258.  —  Combien  compte-t-on  de  paraboles  dans  TEvangile? 

Le  divin  Maître  a  dû  en  prononcer  un  grand  nombre  ^  ; 
mais  les  évangélistes  nous  en  ont  conservé  vingt-quatre 
d'une  certaine  étendue,  qu'on  peut  répartir  en  trois  classes, 
d'après  la  nature  des  objets  qui  en  ont  fourni  l'idée. 

l*"  Sept  de  ces  paraboles  sont  empruntées  aux  institutions 
et  aux  usages  de  la  vie  sociale.  Ce  sont  : 

1°  Les  mines,  Luc,  xix,  12-27;  et  les  talents,  Matth.,  xxv,  14-30; 

2°  La  robe  nuptiale;  Matth.,  xxii,  1-14; 

30  Les  invitations  méprisées,  Luc,  xiv,  16-24; 

40  La  veuve  opprimée,  Luc,  xviu,  2-8; 

5»  Le  bon  Samaritain,  Luc,  x,  30-37; 

6"  Le  mauvais  riche,  Luc,  xvi,  19-31; 

1^  Le  pharisien  et  le  publicain,  Luc  ,  xviii,  9-14. 

2"  Huit  sont  tirées  de  la  famille  et  des  usages  de  la  vie 
domestique  : 

lo  Les  deux  fils,  Matth.,  xxi,  28-32; 

2«  L'enfant  prodigue,  Luc,  xv,  11-32; 

30  Le  maître  bon  et  le  serviteur  impitoyable,  Matth.,  xvui,  31-35; 

4»  Le  bon  et  le  mauvais  serviteur,  Luc,  xii,  35-48; 

50  L'économe  infidèle,  Luc,  xvi,  1-12; 

6°  Les  dix  vierges,  Matth.,  xxv,  1-13; 

70  Le  levain,  Matth.,  xiii,  33; 

8"  La  drachme,  Luc,  xv,  8-10. 

3*  Neuf  sont  tirées  de  l'agriculture,  de  la  vie  pastorale  et 
de  la  pêche  *  : 

lo  La  semence,  MatUi.,  xiii,  3-9,  18-23; 

2o  Le  bon  grain  et  l'ivraie,  Matth.,  xiii,  24-30; 

3*  Le  grain  de  sénevé,  Matth.,  xiii,  31-32; 

1  II  Reg.,  XII,  1.  —  2  II  Reg.,  XIV,  5.  —  3  Jud.,  ix,  8,  15;  IV  Reg., 
XIV,  9;  Isai.,  v,  1.  —  *  III  Reg.,  xx,  39.  —  »  Matth.,  xiii,  34;  Marc, 
ÏY,  33.  —  ^  Cf.  Dupanloup,  Elud»  dun  homme  du  monde. 


N('259]  SA  VI£  PUBUQUE.  —  PARABOLES.  403 

40  L'arbre  stérile,  Lac,  toi,  6-9; 

5»  Les  ouvriers  de  la  vigne,  Matth.,  xx,  1-16; 

60  Les  vignerons  homicides,  Matth.,  xxi,  33-41  ; 

7«  Le  riche  insensé,  Luc,  xii,  16-21  ; 

S^  Le  pasteur  qui  court  après  sa  brebis  égarée,  Luc,  xv,  3-7; 

90  Les  poissons  péchés  et  choisis,  Matth.,  xixi,  47  50. 

*  259.  ^  Ne  pourrait-on  pas  grouper  ces  paraboles  autrement,  dans  un 
ordre  logique  ou  d'après  leur  signification? 

On  Ta  essayé  plusieurs  fois  ;  mais  quelque  plan  qu'on  ima- 
gine, il  est  clair  que  ces  paraboles  n'ont  pas  été  faites  pour 
le  remplir  et  que  le  divin  Maître,  en  les  prononçant,  ne  son- 
geait pas  à  suivre  un  programme. 

I.  Beaucoup  de  commentateurs  se  bornent  à  signaler  un 
groupe  tout  fornié  de  sept  paraboles  sur  le  royaume  des 
deux  :  ce  sont  la  bonne  semence  et  Tivraie,  le  grain  de  sé- 
nevé, le  levain,  le  trésor,  la  perle,  le  filet  *.  On  voit  là  com- 
ment ce  royaume  s'établit,  quels  obstacles  il  rencontre,  par 
quelle  vertu  il  se  développe,  quels  fruits  il  produit,  qui 
sont  ceux  qui  en  demeureront  possesseurs. 

II.  Quelques  docteurs  rapportent  toutes  les  paraboles  à 
ce  royaume  de  Dieu  qui  fait  le  grand  objet  de  la  prédica- 
tion du  Sauveur.  Ils  y  voient  :  —  1"  Sa  nature  et  son  excel- 
lence, dans  le  trésor,  la  perle,  le  filet.  —  2°  Son  origine, 
dans  le  grain  jeté  du  dehors  et  se  développant  peu  à  peu  '. 
—  3*  La  manière  dont  il  s'étend  et  se  propage,  dans  la 
semence,  le  grain  de  sénevé,  le  levain.  —  4®  Les  conditions 
pour  en  faire  partie,  dans  les  invitations  refusées,  le  bon 
pasteur,  la  drachme,  les  noces  et  la  robe  nuptiale,  l'enfant 
prodigue,  le  publicain.  —  8»  Les  vertus  qu'il  faut  pratiquer 
et  les  défauts  qu'on  doit  éviter,  dans  le  repas  où  l'on  prend 
les  premières  places,  le  serviteur  sans  pitié,  l'économe  infi- 
dèle, le  mauvais  riche,  celui  qui  a  fait  une  récolte  abon- 
dante, les  serviteurs  qui  attendent  leur  maître,  le  bon  Sa- 
maritain. —7  6*  Ce  qu'il  y  faut  faire,  dans  les  ouvriers  de  la 
vigne,  les  deux  fils,  les  talents,  la  veuve  qui  supplie,  l'ami 
qui  a  reçu  des  hôtes,  le  figuier  stérile.  —  7°  Enfin  la  desti- 

*  Matth.,  XIII,  3-53.  —  «  Marc,  iv,  26-29. 


404  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n°2S9 

née  dernière  de  ceux  qui  en  font  partie,  dans  les  dix  vierges, 
rivraie,  le  filet  jeté  à  la  mer. 

III.  Un  plus  grand  nombre  rangent  les  paraboles  en  trois 
classes  :  prophétiques,  morales  et  mixtes  ;  et  cette  division 
nous  semble  la  plus  naturelle  et  la  plus  conforme  aux  vues 
de  Notre  Seigneur. 

Paraboles  prophétiques. 

lo  Les  TÎgnerons  homicides,  Matth.»  xxi,  34-46; 

2o  Les  ouvriers  du  père  de  famiUe,  Matth.,  xx,  t-16; 

3»  Les  invitations  refusées,  Luc,  xiv,  15-21; 

4®  L'arbre  stérile,  Luc,  xiii,  6-9; 

5<>  Le  grain  de  sénevé,  Matth.,  xiii,  31-32; 

6*  Le  levain,  Matth.,  xin,  33. 

Paraboles  prophétiques  et  morales. 

1«  Les  mines,  Luc,  xix,  12-27; 
2<>  La  semence,  Matth.,  xiii,  3-24; 
30  L'ivraie,  Matth.,  xiii,  25-30; 
4»  Le  prodigue,  Luc,  xv,  11-32; 
5«  Les  deux  âls,  Matth.,  xxi,  28-32; 
6»  La  robe  njiptiale,  Matth.,  xxii,  1-14; 
70  Le  fllet,  i&atth.,  xiii,  47-50. 

Paraboles  purement  morales. 

!•  Le  bon  Samaritain,  Luc,  x,  30-37  ; 

2^  Le  maître   miséricordieux  et  le  serviteur  impitoyable,  Matth., 
XVIII,  21-35; 

S^  Le  pharisien  et  le  publicain,  Luc,  xviii,  9-14; 

40  L'économe  Infidèle,  Luc,  xvi,  1-12  ; 

50  Le  riche  insensé,  Luc,  xii,  16-21  ; 

6°  Le  mauvais  riche,  Luc,  xvi,  19-31  ; 

70  Les  dix  vierges,  Matth.,  xxv,  1-13; 

80  Le  pasteur  et  sa  brebis  égarée,  Luc,  xv,  3-7; 

90  La  drachme,  Luc,  xv,  8-10; 
10»  La  veuve  opprimée,  Matth.,  xxv,  12-27; 
11«  La  perle  et  le  trésor  cachés,  etc. 

A  ces  paraboles,  plusieurs  en  ajoutent  encore  un  certain 
nombre,  mais  fort  courtes,  et  plutôt  indiquées  que  dévelop- 
pées : 

lo  Les  enfants  qui  chantent  et  qui  pleurent,  Matth.,  xi,  16; 

2»  Le  trésor  trouvé  dans  un  champ,  Matth.,  xiii,  44; 

3«  La  voie  étroite  et  la  porte  petite,  Luc,  xiii,  24  ; 

4°  La  tour  k  élever,  Luc,  xiv,  28-30; 

5<^  La  femme  en  travail,  Jean.,  xvi,  21,  etc. 


N«  260]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  PARABOLES.  405 

§  I.  ~  Paraboles  prophétiques. 
Les  vignerons  homicides.  Matth.,  xxi,  34-46. 

260.  —  Getto  parabole  a-t-elle  réellement  une  signification 

prophétique  ? 

Le  sens  prophétique  de  cette  parabole  est  manifeste ,  et 
son  accomplissement  ne  saurait  être  plus  frappant. 

1"  Notre  Seigneur  annonce,  sous  le  voile  de  l'allégorie, 
mais  sans  nulle  équivoque,  un  grand  nombre  de  faits  rela- 
tifs à  sa  personne  :  que  les  princes  des  prêtres  entraveront 
la  mission  qu'il  a  reçue  de  son  Père,  37  ;  qu'au  lieu  de  le  re- 
cevoir et  de  reconnaître  son  autorité,  ils  chercheront  à  as- 
surer leur  indépendance,  en  le  traînant  hors  de  Jérusalem 
et  en  le  mettant  à  mort,  38,  39  ;  que  la  justice  divine  dé- 
jouera leur  dessein,  en  les  chassant  eux-mêmes  pour  les  rem- 
placer par  des  ministres  plus  fidèles,  4i,  43;  en  d'autres 
termes,  que  le  déicide  dont  ils  se  rendront  coupables  à  son 
égard  sera  le  point  de  départ  d'un  ordre  de  choses  tout  nou- 
veau; que  le  Fils  de  Dieu  rejeté  et  immolé  deviendra  la  tige 
d'un  nouveau  peuple,  eOvei,  choisi  parmi  les  nations,  qui 
rendra  au  Seigneur  l'obéissance  que  le  premier  lui  aura  re- 
fusée, et  qui  triomphera  par  une  vertu  miraculeuse  de  toutes 
les  épreuves  et  de  toutes  les  persécutions,  43,  44.  Il  est  im- 
possible de  méconnaître  la  pensée  du  divin  Maître.  Non 
seulement  les  trois  Synoptiques  l'énoncent  avec  une  grande 
clarté,  mais  ils  ajoutent  tous  trois  que  ses  auditeurs  le  com- 
prirent parfaitement,  45,  46. 

2"  On  ne  peut  pas  davantage  révoquer  en  doute  le  carac- 
tère divin  des  événements  qui  ont  vérifié  ces  paroles.  Il  est 
vrai  qu'au  temps  où  les  évangélistes  les  écrivaient,  une 
partie  déjà  de  ces  prédictions  appartenaient  à  l'histoire. 
Jésus-Christ  avait  été  traîné  hors  de  la  ville  et  mis  à  mort 
d'une  manière  sanglante  *;  néanmoins ,  la  partie  la  plus 
considérable  et  la  plus  surprenante  restait  encore  à  réaliser. 
On  sait  comment  et  avec  quelle  promptitude  elle  s'accom- 

*  Joan.,  XIX,  17;  Heb.|  xiii,  11-13.  Cf.  Lev^  xvi,  27. 

23. 


406  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n®  261 

plit  *.  Quelques  années  plus  tard,  le  temple  était  détruit,  le 
peuple  dispersé,  l'ancien  sacerdoce  aboli,  ou  plutôt  rem- 
placé. Sur  les  ruines  de  la  synagogue,  une  nouvelle  société 
se  formait.  L'Eglise  chrétienne  réunissait  dans  son  enceinte 
les  Gentils  convertis  avec  les  Israélites  fidèles,  et  après  avoir 
supplanté  le  judaïsme,  brisait  par  sa  fermeté  toutes  les  puis- 
sances qui  osaient  entrer  en  lutte  contre  elle.  Il  est  donc 
impossible  d'éluder  la  force  de  cette  prophétie.  Quand  on 
pourrait  l'attribuer  aux  écrivains  sacrés,  ce  qu'elle  a  déplus 
frappant  ne  resterait  pas  moins  antérieur  aux  événements, 
et  elle  n'en  serait  pas  moins  évidemment  divine  ". 

Le  passage  du  Psaume  cxvn,  22,  cité  ici  par  Notre  Sei- 
gneur, l'est  également  par  S.  Paul  dans  l'Epitre  aux  Ro- 
mains ',  et  par  S.  Pierre  en  deux  endroits,  dans  un  de  ses 
premiers  discours  *,  et  dans  sa  première  Epitre  ^ 

Les  ouvriers  do  la  vigne  «.  Matth.,  xx,  1-16. 

261.  —  Cette  parabole  des  ouvriers  de  la  vigne  et  du  denier  promis 
convient-elle  à  tous  les  temps  et  à  tous  les  lieux? 

La  parabole  des  ouvriers  envoyés  à  la  vigne  a  toujours  et 
partout  son  application,  car  Dieu  sollicite  à  chaque  instant 
tous  les  hommes  à  travailler  à  leur  sanctification  et  à  celle 

1  Ut  pos&iderent  occiderunt,  et  quia  occiderunt,  perdiderunt,  S.  Aug., 
Serm.  lxxxvii,  3.  —  2  Multa,  Judaee,  scelera,  commisisti  ;  cunctis  circa 
te  servisti  nationibus.  Ob  quod  factura?  Utique  propter  idololatriam. 
Quumque  servisses  crebro^  misertus  tui  est  Deus  et  roisit  Judices  et 
•salvatores.  Ad  extremuni,  sub  Vespasiano  et  Tito^  urbs  capta  templumqne 
subversum  est.  Post  eversionem  templi,  paulo  minus  per  quadringentos 
annos  et  urbis  et  templi  ruinse  permanent.  Ob  quod  tantum  facinus? 
Certe  non  colis  idola,  sed  etiam  servions  Persis  atque  Romanis  ignoras 
aliènes  Deos.  Quomodo  clementissimus  quondam  Deus,  qui  nunquam  tai 
oblltus  est,  nunc  per  tanta  spatia  temporum  miseriis  tuis  non  adducitur 
ut  solvat  captivitatem  ?  Ob  quod,  inquam,  facinus  et  tam  exsecrabilo 
scelus  avertit  a  te  oculos  suos?  Ignoras?  Mémento  vocis  parentum  tuo- 
rum  :  Sanguis  ejus  super  nos  et  super  filios  nosiros.  Et  :  Venite,  occida-^ 
mus  eum  et  nostra  erit  hêsreditas.  Et  :  Non  habemus  regem  nisi  C  ««- 
rem.  Habes  quod  elegisti.  S.  Hieron.,  Epist.  cxxix,  7.  Supra^  n.  242, 
244,  336,  312.  Bossuet,  H.  U.,  II,  xxiv.  —  3  Rom.,  ix,  32.  —  *  Act.,  iv, 
il,  12.  —  «  I  Pet.,  II,  7.  P,  de  la  Rue>  Serm,  sur  la  divinité  de  la  reli- 
gion. —  6  Opcrarii^  les.  esclaves  étaient  rares  chez  le  peuple  de' Dieu. 
Cf.  Marc,  i,  10. .      ^        i-  %  ;       . 


fi^2SSt]  SA  VIE  PUBUQUE.   —  PARABOLES.  407 

du  prochain  ;  mais  dans  les  circonstances  où  elle  a  été  pro- 
noncée,  elle  faisait  allusion  aux  divers  appels  adressés  par 
le  Seigneur  à  son  peuple  et  plus  particulièrement  à  la  vo- 
cation des  nations  infidèles ^  Quant  au  denier*^  c'est  le 
royaume  de  Dieu,  qui  commence  en  cette  vie  par  la  grâce, 
pour  se  consommer  en  Tautre  dans  la  gloire.  Il  est  donné  à 
tous  ceux  qui  répondrojit  à  l'appel  divin,  et  donné  à  tous  en 
pur  don,  par  miséricorde.  C'est  pourquoi  il  est  le  même  pour 
tous,  pour  les  Gentils  comme  pour  les  Juifs.  Les  uns  et  les 
autres  peuvent  jouir  des  mêmes  biens  et  être  Tobjet  du 
même  amour.  La  réunion  des  uns  et  des  autres  forme  l'unique 
peuple  de  Dieu  •.  Oculus  nequam  est  une  expression  propre  à 
la  langue  hébraïque  qui  signifie  regard  envieux^ jalousie^. 

Il  fallait  toute  la  prévention  de  l'esprit  de  parti  pour  ame- 
ner des  exégètes  à  voir  dans  cette  parabole  de  S.  Matthieu  et 
dans  sa  moralité,  répétée  par  S.  Marc,  comme  par  S.  Luc  *, 
une  représaille  des  partisans  de  S.  Paul  contre  les  plaintes 
que  les  rationalistes  se  plaisent  à  imputer  aux  premiers  dis- 
ciples du  Sauveur  sur  le  rang  et  les  prérogatives  attribués  à 
ce  dernier  venu  dans  le  ministère  évangélique. 

Lies  invitations  refusées.  Luc,  xiv,  15-24» 

*  262.  —  Ce  mot,  Compelle  intrare,  autorise-t-il  à  faire  violence 
aux  hérétiques  pour  les  réunir  à  TEglise? 

Il  s'agit,  dans  cette  parabole,  non  de  violence,  mais  d'ins- 
tances, de  sollicitations  ®,  comme  en  pourrait  faire  un  pas- 
teur zélé  ou  un  saint  missionnaire';  et  les  infirmes  ou  les 
mendiants  dispersés  dans  les  rues  et  le  long  des  haies  fi- 
gurent plutôt  les  infidèles  qui  ne  sont  pas  encore  entrés 
dans  l'Eglise  que  les  hérétiques  qui  en  sont  sortis. 

i  Nihil  sic  excitât  tardiores  ut  aemulatio,  remarque  S.  Chrysostome, 
propterea  ssepius  inculcat  Dominus  :  Erunt  novissimi  primi.  In  Matth., 
HomiL  xvu,  3;  Brev.  In  fest.  5.  Marim  Mgypt,  —  *  Paie  du  soldat  ro- 
main. Tacite,  Ann.,  l,  17.  A,  T.,  n.  186.  —  3  Âpoc,  xxi,  3.  —  *  Cf. 
Deut.,  XV,  9;  Eccli  ,  xiv,  JO;  Marc,  vii,  22.  —  *  Marc,  x,  31;  Luc, 
XIII,  30.  —  6  Luc,  XXIV,  29;  Act.,  xvi,  15;  U  Tim.,  iv,  2.  Cf.  II  Reg., 
V,  16.  —  "ï  Comminatione  scilicet  wtemorum  suppliciorum  et  ostensione 
praesentium.  S.  Bonav. 


408  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n<>  263 

A  la  vérité,  S.  Augustin  allègue  ce  passage  pour  justifier 
les  peines  imposées  par  les  empereurs  chrétiens  aux  Dona- 
tistes  révoltés  contre  l'Eglise  *.  «  Un  père,  dit-il,  n'abuse 
pas  de  son  pouvoir  en  contraignant  un  enfant  indocile  à 
écouter  sa  mère  et  à  faire  son  devoir.  »  Sans  contredire  le 
principe  de  ce  saint  Docteur,  surtout  dans  le  cas  auquel  il 
l'applique,  on  peut  dire  néanmoins  qu'une  fin  bonne,  si 
excellente  qu'elle  soit,  ne  légitime  pas  tous  les  moyens,  et 
que  le  prince  a  une  mesure  à  garder  dans  l'emploi  de  sa  puis- 
sance. Il  est  difficile  de  nuire  à  quelqu'un  en  le  conduisant 
au  ciel  :  Intv^s  enim  inveniuntunde  selœtentur  intrasse.  Mais 
on  ne  peut  mettre  personne  au  ciel  malgré  lui,  et  en  voulant 
forcer  quelqu'un  d'y  entrer  directement  ou  sans  délai,  n'au- 
rait-on pas  à  craindre  de  l'en  éloigner  ou  d'en  détourner 
d'autres*? 

Quant  à  la  robe  de  noces,  sans  laquelle  on  ne  saurait  avoir 
part  au  banquet  céleste  ',  c'est  la  foi  animée  par  la  charité, 
qui  nous  revêt  de  l'esprit  du  Sauveur  et  qui  fait  l'ornement 
de  toutes  les  âmes  saintes  *. 

§  II.  —  Paraboles  prophétiques  et  morales. 

Les  mines.  Luc,  xix,  12-27. 

263.  —  La  parabole  des  mines  est-elle  diflférento  de  celle  des  talents, 

Matth.,  XXV,  14-30? 

La  parabole  des  mines  et  «elle  des  talents  se  ressemblent 
sous  beaucoup  de  rapports.  Le  but  général  est  le  môme; 

1  Foris  inveniatur  nécessitas^  nascetur  intus  voluntas.  S.  Aag., 
Serm,  cxii,  1;  De  Unit,  EcclesisBy  xx;  Epist.  xciii,  3,  i7;  glxxiii,  10; 
cLxxxv,  Cont.  Epist,  Pai^men.,  i,  et  Contva  Gatident.,  i,  28;  Bossuet, 
Polit.  sac7'ée^  VII,  m,  10.  —  2  niud  magnopere  cavere  Ecclesia  solet,  ut 
ad  amplexandam  fidem  catholicam  neroo  invitus  cogatur,  quia  quod 
sapienter  Augustinus  monet  [In  Joan.,  xxvi,  2)  :  «  Gredere  non  potest 
Tïisi  volens.  »  Léo  XIII,  Immortale  Dei.  S'il  est  vrai  que  des  canonistes 
ont  attribué  à  l'Eglise  le  pouvoir  de  punir  de  mort,  ou  du  moins  de  pri- 
son et  de  confiscation  la  désobéissance  à  ses  lois,  ce  sentiment  est  loin 
d'être  communément  suivi.  —  3  Matth.,  xxii,  U,  Cf.  Gen.,  xli,  42; 
XLV,  2*2;  Dan.,  v,  7;  Horat.,  Epist.  l,  vi,  140,  —  *  Rom.,  xiii,  14;iBre?., 
18  sept.,  lect.  1» 


_J 


W»264]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  PARABOLES.  409 

mais  S.  Luc  insiste  plus  que  S.  Matthieu  sur  le  châtiment 
infligé  au  serviteur  mauvais  et  paresseux. 

Plusieurs  pensent  que  tout  n'est  pas  imaginaire  dans  cette 
parabole,  non  plus  que  dans  celle  du  mauvais  riche,  du  Sa- 
maritain, du  pharisien  et  du  publicain,  de  l'économe  infidèle, 
du  propriétaire  qui  a  fait  une  bonne  récolte.  Ils  croient  re- 
connaître dans  le  maître  austère  dont  parle  S.  Luc,  2i,  Ar- 
chélaûs,  fils  d'Hérode  TAncien.  En  partant  pour  Rome,  où 
les  rois  allaient  alors  demander  l'investiture  de  leur  pouvoir  : 
accipere  Hbi  regnum,  12  *,  il  avait  confié  à  des  amis  et  à  des 
serviteurs  ses  biens  et  ses  trésors.  Une  députation  de  Juifs 
le  suivit  en  Italie  pour  prier  Auguste  de  ne  pas  donner  un 
tel  maître  à  leur  nation  '  ;  mais  elle  n'eut  pas  de  succès  pour 
lors,  et,  à  son  retour,  Archélaûs  se  vengea  de  ce  qu'on  avait 
fait  contre  lui  •. 

264.  —  Est-il  juste  de  dire  :  —  que  Dieu  donne  à  chacun  selon  ses 
mérites  ou  ses  dispositions  :  secundum  virtutem^  15;  —  que»  pour 
punir  le  serviteur  paresseux,  il  lui  ôte  môme  ce  qu'il  n'a  pas,  29;  — 
que  sa  rigueur  va  jusqu'à  vouloir  moissonner  là  môme  où  il  n'a  pas 
semé,  24? 

1**  On  ne  peut  dire  que  les  premières  grâces  soient  don- 
nées à  raison  des  mérites,  ou  que  celui  qui  les  obtient  y  avait 
droit  et  les  méritait  par  sa  conduite  ;  car  il  est  de  l'essence 
de  la  grâce  d'être  gratuite  à  son  origine,  et  de  l'essence  du 
mérite  d'avoir  la  grâce  pour  principe  *,  mais  il  est  certain 
qu'avec  les  premières  grâces  on  peut  en  mériter  d'autres,  et 
qu'un  grand  nombre  sont  la  récompense  du  bon  usage  qu'on 
a  fait  des  grâces  précédentes. 

2**  Par  les  talents  ou  les  mines,  Notre  Seigneur  semble 
plutôt  désigner  ici  les  offices  et  les  dignités  qu'il  confie  à  ses 
ministres  pour  le  gouvernement  de  l'Eglise,  ou  les  grâces, 
gratis  datœ,  les  dons  surnaturels  dont  il  gratifie  certaines 
personnes  dans  l'intérêt  du  prochain,  le  don  des  miracles, 
le  don  des  langues,  etc.  '.  Dans  la  distribution  de  ces  dons 

*  Ba<n>etav.  Luc,  xix,  12.  Cf.  I  Mac,  viii,  13.  —  *  Cf.  Luc,  xix,  14. 
—  3  Cf.  Joseph.,  i4.,  XVII,  ix,  7;  xi,  1,  4;  xiii,  l,  2;  B.,  II,  ii-vii,  — 
♦  S.^Thom.,  2«-2»  j^q.  24,^a,^3,  ad  !•  —  «  I_Cor„  xu,  11. 


410  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n<»  264 

ou  de  ces  charges,  il  n'y  a  pas  de  doute  qu'il  ne  tienne 
compte  des  dispositions  naturelles  et  surnaturelles  de  cha- 
cun, de  sa  position,  de  son  caractère,  de  sa  science,  etc. 

3""  Celui  qui  n'a  pas  mis  à  profit,  dans  son  intérêt  comme 
dans  celui  de  son  maître,  l'emploi,  le  talent,  la  grâce  qui  lui 
a  été  confiée,  mérite  de  perdre  ce  qu'il  a  reçu  et  ce  qu'il 
pouvait  acquérir.  Il  est  juste  de  l'en  dépouiller  et  de  lui  ôter 
les  faux  biens  dans  lesquels  il  se  complaît  *.  C'est  ce  qui 
arrive  au  serviteur  inutile,  oKvt)poç,  aypetoç  *,  26,  30,  c'est-à- 
dire  oisif  et  paresseux.  Celui  qui  ne  fait  pas  valoir  les  dons 
de  Dieu  les  perd,  tandis  que  ceux  qui  les  font  fructifier  en 
obtiennent  de  plus  précieux.  A  la  mort,  la  gloire  est  donnée 
à  celui  qui  possède  la  justice.  Mais  celui  qui  n'a  pas  même 
la  grâce  sanctifiante  se  voit  enlever  ce  qu'il  avait  reçu  pour 
s'y  disposer,  et  il  est  jeté  dans  les  ténèbres  extérieures. 

4*  Il  n'est  pas  une  âme  qui  ne  participe  aux  grâces  du 
ciel  et  qui  ne  reçoive  des  secours  abondants  pour  se  sancti- 
fier, et  même  souvent  pour  contribuer  à  la  sanctification  des 
autres.  Ces  dons  sont  autant  de  semences  dont  Dieu  a  droit  de 
recueillir  les  fruits.  Il  est  donc  faux  qu'en  faisant  rendre 
compte  à  tous  ses  serviteurs,  il  veuille  récolter  là  où  il  n'a 
pas  semé  *.  Et  s'il  châtie  sans  miséricorde  le  serviteur  mé- 
chant et  paresseux,  c'est  en  partie  parce  qu'il  lui  impute 
cette  prétention  déraisonnable  et  injuste  *. 


1  Ce  qu'il  s'imagine  posséder.  Cf.  Matth.,  xiii,  12;  xxv,  29;  Luc, 
Yiii,  18.  Notez  l'habileté  qu'avaient  dès  lors  les  Juifs  à  faire  valoir  leurs 
capitaux.  —  2  Cf.  Rom.,  xii,  11.  —  3  S.  Thom.,  2«2œ,  q.  62,  a.  5,  ad3. 
—  *  Matth.,  xxv,  26.  —  *  Cette  médaille  offre  d'un  côté  un  palmier,  h 
la  place  do  la  tète  de  l'Empereur,  où  Ton  aurait  cru  voir  de  l'idolâtrie, 
Ex.,  XX,  4  ;  de  l'autre  un  épi  de  blé  barbu,  et  autour,  Kat^apoç.  Cf. 
Matth.,  XXII,  21.  Les  lettres  L,  AF,  indiquent  Tan  33  d'Auguste,  6  de 
l'ère  chrétienne,  date  de  Texpulsion  d'Archélatts.  Cf.  Jos.,  ^.,  XVII, xv; 
XVUI,  I.  Supra,  n.  48.. 


JV0  266|  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  PARABOLES.  411 

L>a  semence.  Matth.,  xni,  3-24. 

*  265.  —  Que  signifie  cette  parabole,  et  en  particulier  la  terre  qui 

produit  trente,  soixante  et  jusqu'à  cent  pour  un  ? 

I.  La  parabole  de  la  semence  nous  apprend  deux  choses  : 

—  !•  Que  c'est  communément  le  petit  nombre  qui  profite 
de  la  parole  de  Dieu,  comme  c'est  le  petit  nombre  qui  a 
profité,  au  commencement,  de  la  prédication  de  l'Evangile. 

—  2*  Les  principales  causes  qui  l'empêchent  de  produire 
ses  fruits.  Gomme  il  y  a  trois  conditions  pour  qu'elle  fruc- 
tifie, dit  S.  Thomas  :  Quod  memoria  conservetur,  quod  radi- 
cetur  per  amorem,  et  quod  sollicite  colatur^  il  y  a  aussi  trois 
causes  qui  la  rendent  stérile  :  la  légèreté  d'esprit,  la  du- 
reté de  cœur  et  le  dérèglement  de  la  conduite  :  Tria 
enim  priera  per  tria  tolluntur  :  memoria  per  vanitatem^ 
caritas  per  duritiam^  sollicitudo  per  germinationem  vitio- 
mm  K 

IL  Par  ces  bonnes  terres  qui  produisent  trente,  soixante 
et  jusqu'à  cent  pour  un  •,  les  Pères  entendent  trois  sortes 
de  justes  :  ceux  qui  débutent  dans  la  perfection,  ceux  qui 
progressent,  ceux  qui  approchent  du  terme  ;  ou  bien  ceux 
qui  sont  engagés  dans  le  mariage,  ceux  qui  vivent  dans  le 
célibat^  et  ceux  qui  ont  consacré  leur  vie  à  la  virginité  '. 

Li*ivrale.  Matth.,  xiii,  25-30  *. 
266.  —  Convient-il  quelquefois  de  tolérer  le  mal? 

Dieu  tolère  le  pécheur  pour  l'amener  à  la  pénitence  ^ 

*  In  Matth,.,  Nolite  habere  durum  cor,  unde  cito  verbum  Dei  pereat; 
noiite  habere  tenuem  terram^  ubi  radix  caritatis  alta  non  sedeat  ;  nolite 
caris  et  cupiditatibus  saecularibus  suffocare  bonum  semen;  sed  estote 
terra  bona.  S.  Aug.,  Sa^m,  lxxiii,  3.-2  cf,  Gen.,  xxvi,  12.  —  3  Si  eut 
in  terra  mala  très  fuere  diversitatcs,  secus  vlam  et  petrosa  et  spinosa 
loca,  sic  in  terra  bona  trina  diversitas  est,  centesimi,  sexagesimi  et 
tricesimi  fructus.  S.  Hieron.,  In  hune  toc.  Cf.  S.  Thom.,  l«-2«,  q.  70, 
a.  3,  ad  2;  et  p.  3,  q.  96,  a.  4.  —  *  Cum  dormirent  homines.  Brev.  rom., 
Dom,  V  post  Epiph.f  lect.  7-9.  —  s  Eccli.,  xxxiii,  1"5;  11  Pet.,  m,  9. 
Omnis  malus  aut  ideo  vivit  ut  corrigatur,  aut  ideo  vivit  ut  per  illum 
bonus  exerceatur,  &•  Aug.,  In  Ps,  liv,  4.  Melius  judicavit  de  malis  bene 


412  JESUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n<>  266 

Cette  conduite  du  père  céleste  doit  nous  servir  de  règle  :  Si 
semper  bontis  fuisti,  habeto  misericordiam;  si  aliquando  ma- 
lus  fuisti,  noli  perdere  memoriam.  Et  quU  est  semper  bonus^'^ 
En  bien  des  circonstances,  il  est  impossible  d'extirper  le 
mal  sans  porter  préjudice  au  bien,  de  mettre  le  feu  aux  buis- 
sons sans  incendier  les  récoltes  *.  C'est  donc  un  devoir  pour 
les  pasteurs  comme  pour  les  fidèles  de  modérer  leur  zèle  et 
de  raisonner  leur  conduite  •.  Ce  qui  est  essentiel,  c'est  de 
ne  jamais  se  plaire  dans  la  vue  du  mal,  de  n'y  pas  rester 
indifférent,  de  prier  Dieu  d'y  apporter  remède,  et  de  ne  se 
résigner  à  le  souffrir  que  pour  éviter  un  mal  plus  grand  *. 

Un  écrivain  rationaliste  •  a  fait  remarquer  que  le  terme 
par  lequel  est  ici  désigné  l'auteur  du  scandale,  exOpoç 
avôpwTcoç  •,  est  un  des  noms  injurieux  que  les  ébionites 
donnaient  à  S.  Paul.  Mais  que  conclure  de  là?  Ce  n'est  pas 
assurément  que  S.  Matthieu  ait  désigné  le  premier  à  l'Eglise 
cet  Apôtre  comme  son  ennemi.  C'est  que  les  hérétiques 
abusaient  d'un  terme  que  l'Evangile  avait  rendu  familier, 
pour  en  faire  l'application  à  l'Apôtre  et  par  suite  que 
l'écrit  de  S.  Matthieu  est  antérieur  aux  déclamations  de  ces 
sectaires  '. 

La  parabole  des  bons  et  des  mauvais  poissons  est  comme 
la  suite  et  le  complément  de  celle-ci  *. 


facere  quam  nulla  mala  esse  pertnittere.  Enchir.,  8.  Sex  diebus  creayit 
cœlum  et  terram,  et  civitatem  Jéricho  septem  diebus  solvit.  Ne  mireris  : 
velox  est  Deus  ad  extruondum,  tardus  ad  destruendum.  Ulud  potentie, 
istad  bonitatis  est.  S.  Ghrys.,  de  Pœnit,^  Homil.  vu,  4. 

1  S.  Aug.,  Serm,  xlvii,  6.  Non  toléras  :  quis  te  tolerabit?  ïn  Ps.  cxxix, 

4,  etc.  —  2  Ex.,  xxii,  6.  —  3  II  Tim.,  ii,  20,  21,  24-26.  Toléra  zizania,  si 
triticum  es;  toléra  paleam,  si  frumentum  es;  toléra  pisces  malos  intra 
retia,  si  piscis  bonus  es.  S.  Aug.,  In  Ps,  xl,  8*  —  ♦  Non  dixit:  Crescaot 
zizania,  decrescat  frumentum  :  sed  :  Sinite  usque  ad  messem.  Gaudete 
in  frumentis,  tolerate  zizania;  gemite  in  tritura,  suspirate  in  horreum. 

5.  Aug.,  In  Ps.  cxLvii,  20.  Cf.  Gai.,  v,  12.  S.  Thom.,  2»  -2«,q.  10,  a. 8, 
q.  64,  a.  2,  ad  1.  —  »  M.  Renan,  Evangiles,  109.  —  «  Cf.  Clément., 
Hom,  XVII  ;  Matth.,  xiii,  39.  —  '  Cf.  Rom.,  v,  10;  Col.,  i,  21  ;  IIThess.» 
II,  8.  —  8  Matth.,  XIII,  47-52. 


N°  267]  SA  VIE  PUBUQUB.  —  PARABOLES.  413 

Li*eDfant  prodigue.  Luc,  xv,  il -32. 
267.  —  Que  nous  apprend  la  parabole  de  l'enfant  prodigue? 

La  parabole  de  Tenfant  prodigue  est  le  tableau  le  plus 
touchant  de  la  miséricorde  de  Dieu  à  l'égard  des  hommes. 
Dans  l'aîné  des  deux  fils,  les  anciens  ont  vu  surtout  les  Juifs 
et  les  pharisiens,  et  dans  le  prodigue,  les  Gentils  et  les  pu- 
blicains.  C'est  l'idée  qui  s'offrait  d'abord.  Cependant,  la 
pensée  du  divin  Maître  est  moins  restreinte.  Sa  parabole 
paraît  plus  juste  et  plus  belle  encore,  si  l'on  considère  dans 
le  prodigue  le  pécheur  en  général,  et  dans  le  fils  aîné  les 
âmes  justes  qui  n'ont  pas  rompu  avec  Dieu.  Il  n'est  pas 
d'exemple  plus  propre  à  faire  sentir  ce  qu'ignoraient  les 
païens  et  ce  que  le  chrétien  seul  comprend  :  la  malice  du  pé- 
ché envers  Dieu  et  le  malheur  de  l'âme  coupable.  Le  pro- 
digue n'a  commis  aucun  crime  contre  la  société  :  il  n'a  pas 
outragé  son  père  ;  il  n'a  pas  ravi  ses  biens  par  la  force  :  il  a 
voulu  seulement  se  satisfaire,  jouir  de  sa  liberté  et  de  sa  po- 
sition, vivre  à  son  gré,  contenter  ses  penchants,  13, 14.  Que 
sa  conduite  pourtant  est  coupable  et  son  état  malheureux  ! 
Son  égarement  et  ses  malheurs  offrent  le  tableau  le  plus  tou- 
chant des  désordres  produits  par  les  passions  et  des  peines 
qu'elles  traînent  après  elles,  18, 16.  Qui  peut  voir  sans  pitié 
la  misère  et  le  dénûment  auxquels  [il  est  réduit!  Dans  son 
retour,  on  peut  discerner  les  divers  progrès  de  la  conversion, 
le  désir  de  changer  de  vie,  17, 18,  la  confession,  le  repentir, 
le  bon  propos,  21.  Après  le  pardon  reçu,  vient  l'infusion  de 
la  grâce  sanctifiante,  22,  la  communion,  23,  enfin  des  té- 
moignages de  tendresse  et  d'amour,  à  exciter  l'envie  des 
justes  mêmes,  24-32.  Impossible  de  rendre  par  une  image 
plus  sensible  et  plus  vraie  la  fragilité  de  la  nature  humaine 
et  l'étendue  de  la  divine  miséricorde.  Il  n'est  pas  un  endroit 
dans  l'Ecriture  où  le  cœur  de  Notre  Seigneur  nous  découvre 
mieux  sa  tendresse  et  dont  la  lecture  soit  plus  propre  à  tou- 
cher et  à  convertir. 


414  JÉSUS-CHHIST  SELON  L'ÉVANGafi.  [n®  268 

ff 

§  III.  —  Paraboles  purement  morales. 

Le  bon  Samaritain.  Luc,  x,  30-37. 

268.  —  Pourquoi  Notre  Seigneur  demande-t-il  qui  a  été  le  prochain  du 
Samaritain  *?  Tous  ne  Tétaient-ils  pas  également? 

L  Le  sens  de  la  question  du  Sauveur  :  Quis  videtur  tibi 
proximm  fuisse  illi^  est  celui-ci  :  Qui  est-ce  qui  s'est  conduit 
envers  ce  malheureux  comme  devait  faire  son  prochain,  ou 
qui  s'est  regardé  comme  étant  son  prochain  ?  Voulant  ame- 
ner les  Juifs  à  considérer  comme  leur  prochain  tout  homme 
quel  qu'il  soit,  fût-il  Samaritain  *,  quel  plus  bel  exemple  leur 
peut-il  citer  que  celui  de  cet  étranger  qui  commence  par 
traiter  l'un  des  leurs  comme  il  eût  traité  l'un  de  ses  proches? 
Après  avoir  admiré  la  conduite  de  cet  homme  envers  eux, 
pouvaient-ils  s'empêcher  de  reconnaître  ce  que  demaudait 
l'équité,  à  savoir  qu'ils  agissent  eux-mêmes  avec  une  cha- 
rité semblable? 

On  peut  remarquer,  à  cette  occasion,  combien  cette  notion 
du  prochain  s'est  modifiée  dans  le  christianisme.  Autrefois 
proximm  ne  donnait  d'autre  idée  que  celle  de  parent  ou  de 
proche;  un  étranger,  un  inconnu  était  presque  un  ennemi  •. 
Mais  la  religion  ayant  fait  des  chrétiens  une  même  famille, 
tous  se  sont  rapprochés  et  sont  devenus  réellement  des  frères, 
des  parents,  des  proches^  dans  leur  esprit  et  dans  leur  cœur  *. 

IL  Les  saints  Pères  ont  vu  dans  ce  blessé  le  type  de  l'huma- 
nité déchue  *.  Elle  descendait  de  la  cité  sainte  ;  car  le  péché 
l'avait  bannie  de  la  société  des  enfants  de  Dieu  ;  et  le  démon, 
en  la  dépouillant  de  la  grâce,  l'avait  blessée  dans  ses  facultés 
les  plus  intimes  «.  Les  prêtres  et  les  Lévites  de  la  race 

1  Luc,  X,  35.  —  2  Âlienigena.  Luc,  xvii,  18.  Supra^  n.  177,  179.  — 
3  AvOpoDicoi  avY](Ae{)ot,  Il  Tim.,  m,  3;  aveXcYipioveç,  Rom.,  i,  31.  Homo  bo- 
mini  lupus.  Plaut.,  Asin.y  II,  iv,  88;  ^Quac,  Epist.  cm.  Lucien  se  moque 
des  chrétiens  comme  s'étant  laissés  persuader  par  leur  législateur  que 
tons  les  hommes  sont  des  frères.  Philopatris.  —  *  Mattb.,  xxiii,  8  ;  Act., 
XXII,  26;  I  Cor.,  viii,  4-6;  Gai  ,  m,  27-29.  —  *  Homo  quidam.  Luc,  x,  30. 
Cf.  Orig.,  In  Luc.j  Hom.  xxxiv;  S.  Aug.,  In  Ps.  cxxv,  6.  —  *  Spoliatus 
gratuit|s,  vulneratqs  in  ns^turalibus,  Veu.  Beda, 


NO  269]  SA  VIE  PUBUQUE.  —  PARABOLES.  415 

d'Aaron,  la  Loi  et  les  Prophètes  sont  passés  sans  remédier  à 
son  état  ;  mais  celui  qu'on  a  nommé  un  Samaritain,  et  qu'elle 
était  habituée  à  regarder  comme  un  ennemi,  est  venu.  Il  s'est 
approché  d'elle  ;  il  a  pansé  ses  blessures  ;  il  y  a  appliqué  le 
vin  et  l'huile  de  ses  sacrements  *,  il  l'a  remise  aux  mains  de 
son  Eglise,  en  recommandant  à  ses  ministres  d'en  avoir  soin 
etens'engageant  à  leur  donner  un  salaire  proportionnée  leur 
peine  '.  C'est  cet  exemple  surtout  qui  doit  porter  les  chré- 
tiens à  voir  dans  tous  les  hommes  des  proches  et  des  amis. 

Le  Maître  miséricordieux  et  le  serviteur  impitoyable. 

Matth. ,  XVIII ,  23-35. 

*  269.  —Que  signifie  cette  parabole? 

La  parabole  de  ce  maître  miséricordieux  et  de  ce  serviteur 
impitoyable  est  de  nature  à  nous  faire  sentir  toute  la  profon- 
deur de  notre  misère  devant  Dieu.  Une  dette  de  dix  mille  ta- 
lents surpasse  infiniment  tout  ce  qu'un  homme  peut  gagner 
par  son  travail  et  amasser  par  ses  épargnes  '.  Mais  nous  ap- 
prenons en  même  temps  quelle  ressource  nous  est  offerte 
pour  suppléer  à  notre  impuissance.  C'est  comme  la  mise  en 
scène  de  la  cinquième  béatitude  :  Beati  miséricordes  *,  et  de 
la  cinquième  demande  de  l'Oraison  dominicale  :  Dimitte  nobis 
débita  nostra,  sicut  et  nos  dimittimus.  En  faisant  ressortir  la 
bonté  compatissante  du  maître,  la  parabole  rend  hideuse  par 
le  contraste  la  dureté  du  serviteur  envers  son  compagnon. 

On  a  besoin,  pour  comprendre  ce  trait,  de  se  rappeler  jus- 
qu'où allait,  presque  partout,  la  rigueur  des  lois  civiles  en- 
vers les  débiteurs.  A  Rome,  d'après  la  loi  des  douze  tables, 
il  était  au  pouvoir  du  créancier  de  mettre  aux  fers  son  dé- 
biteur insolvable,  de  le  mutiler,  de  le  vendre  comme  esclave. 
Un  voyageur  du  siècle  dernier  atteste  qu'il  a  encore  vu 
appliquer  cette  loi  dans  la  Géorgie,  et  même  vendre  avec  le 
débiteur  sa  femme  et  ses  enfants  au  profit  du  créancier  •. 

^  Quia  lex  per  Moyscn  data  est,  gratia  et  vcritas  per  Jesum  Christura 
facta  est.  Joao.,  i,  17.  —  ^  Stabulum  est  Ëcclesia,  ubi  reficiuntur  pecca- 
tores  redeuntes in  ae'crnam  patriam.  S.  Aug  , Serm.  clxxi,  12.  —^  A.  T., 
n,  185.  —  *  Matth,,  v,  7.  —  *  GJiez  le  peuple  de  Die^i  ces  mesures 


416  JÉSUS-GHRIST  SELON  l'ÉYANGILE.  [n<>  271 

Le  pharisiea  et  le  publicain.  Lno.,  xvui,  9-U. 
*  270.  —  En  quoi  parait  l'orgueil  du  pharisien  ? 

L'orgueil  du  pharisien  parait  dans  la  complaisance  qu'il 
prend  en  lui-même  et  dans  le  mépris  qu'il  témoigne  de  ses 
frères.  Il  est  convaincu  que  rien  ne  manque  à  sa  perfection, 
bien  qu'elle  consiste  uniquement  dans  l'absence  des  vices 
extérieurs  et  dans  quelques  pratiques  peu  pénibles  à  la  na- 
ture *.  Rien  de  plus  piquant  que  le  petit  drame  où  cet  or- 
gueilleux étale  aux  yeux  de  Dieu  sa  vanité  et  sa  sottise.  Il 
est  vrai  qu'il  rend  grâces  au  ciel  de  ses  vertus  ;  mais  c'est 
du  bout  des  lèvres.  Au  fond  du  cœur,  il  croit  que  Dieu  doit 
lui  en  savoir  gré  *.  S'il  avait  été  pénétré  de  cette  idée  qu'il 
tenait  ses  mérites  de  la  divine  grâce,  il  n'aurait  pas  méprisé, 
comme  il  fait,  le  reste  des  hommes,  cœteros  hominum,  et  en 
particulier  cet  humble  publicain,  hune  publicanum^  11.  Jam 
non  est  exultare,  remarque  S.  Augustin ,  sed  imultare  *.  On 
peut  voir  combien  cette  prière  contraste  avec  celle  que  le 
divin  Maître  nous  a  apprise. 

Les  sentiments  du  pharisien  à  l'égard  du  publicain  étaient 
ceux  de  la  plupart  des  Juifs  à  l'égard  des  Gentils,  c'est-à-dire 
du  reste  des  hommes  *. 

Li^économe  infidèle.  Lac,  xvi,  1-12. 

271.  —  Quel  est  le  but  de  cette  parabole,  et  quelle  édification  peut 

offrir  un  pareil  exemple  y  Luc,  xvr,  9? 

I.  Cette  parabole  a  pour  but  de  nous  recommander  la  gé- 
nérosité envers  les  pauvres,  et  de  nous  apprendre  à  faire  de 
nos  biens  temporels  un  usage  qui  profite  à  nos  intérêts  éter- 
nels. Il  en  est  de  même  de  celle  du  mauvais  riche  qui  la 

cruelles  n'étaient  pourtant  pas  autorisées.  Cf.  Ex.,  xxii,  3.  Lev.,  xxy, 
39,  41  ;  Deut.,  xv,  12;  IV  Reg.,  iv,  1;  Tit.  Liv.,  II,  ii,  23;  Tacit.,  Am., 
III,  60.  Pothior,  Pandect.,  t.  i,  94;  S.  Thom.,  p.  3,  q.  88,  a.  1,  ad  1  et 
a.  3,  ad  3. 

1  Cf.  Matth.,  vi,  3,  5;  Luc,  xi,  19.  —  >  Justitias  suas  tanquam  nes- 
cienti  Domino  prœdicat,  non  orans,  sed  exigens.  S.  Aug.,  Set^m  cxv,  2. 
—  8  S.  Aug.,  In  Ps,  txx,  4.  —  *  S.  Aug.,  In  Ps,  lxxiv,  iZ, 


N<»272]  SA  Vie  ptBUQUÉ.  -^  paraboles.  417 

suit.  Aussi  S.  Luc  remarque-t-il  que  les  pharisiens,  qui  vou- 
laient servir  Dieu  et  Mammon  *  à  la  fois,  se  moquaient  du 
divin  Maître,  tandis  qu'il  tenait  ce  langage  au  peuple  :  Phari- 
$œii  qui  erant  avaria  ^iXap^upoi,  deridebant  eum  •. 

II.  On  trouve  des  qualités  dans  les  hommes  les  plus  per- 
vers, comme  il  reste  des  défauts  dans  les  plus  parfaits  ;  et  les 
leçons  qui  nous  touchent  le  plus  sont  souvent  celles  qui  nous 
sont  données  par  ceux  que  nous  estimons  le  moins  '.  Du 
reste,  ce  que  Notre  Seigneur  propose  à  notre  imitation,  ce 
n'est  pas  l'injustice  de  cet  homme  d'iniquité  :  c'est  sa  pré- 
voyance, son  habileté,  son  industrie,  in  generatione  sua,  8. 
11  a  ses  vues  et  il  marche  à  son  but  par  la  voie  la  plus  di- 
recte. Scio  quid  faciam,  dit-il.  Son  défaut  et  son  malheur, 
c'est  de  n'être  pas  enfant  de  lumière,  d'ignorer  sa  véritable 
fin.  Ce  qui  était  injustice  en  lui  serait  vertu  en  nous,  si  nous 
agissions  à  l'égard  des  pauvres  comme  il  agissait  à  l'égard 
des  serviteurs  de  son  maître.  Dieu  consentant  à  ce  que  nous 
employions  ainsi  à  notre  profit  les  biens  qui  lui  appartiennent , 
mais  dont  il  nous  a  laissé  la  dispensation  \ 

Le  riche  insensé.  Luc,  xii,  16-21. 
*  ^î.  —  A  qui  S'adresse  la  parabole  da  riche  insensé? 

C'est  à  la  foule  que  parlait  le  divin  Maître,  dit  l'Evangé- 
liste,  13, 16.  En  effet,  cette  parabole  convient  à  la  multitude, 
à  ces  hommes  des  champs  surtout,  trop  enclins  à  s'identifier 
avec  l'objet  de  leur  travail,  qui  ne  songent  qu'à  se  bien  éta- 
blir ici-bas  et  à  s'assurer  les  aises  de  la  vie  *.  On  ne  saurait 
mieux  rendre  leurs  soucis,  leurs  joies,  leurs  déceptions. 
Avec  quelle  complaisance  cet  homme  terrestre  parle  de  ce 
qui  est  à  lui  :  fructus  meosy  horrea  mea,  bona  mea^  animam 
fneam  •.  Mais  qu'ils  sont  faux,  ces  biens  auxquels  il  attache 
tant  de  prix  !  Loin  de  lui  procurer  la  paix,  son  abondance 

*  Mammon;  Regina  pecunia,  dit  Horace,  Ep.  I,  vi,  36.  Cf.  Eccles., 
vil,  13.  —  »  Cf.  Luc,  XVI,  13;  Isai.,  xxviii,  20;  Jos.,  A„  XVIII,  3.  — 
*  Proy.,  VI,  6.  —  *  Matth.,  xxv,  35-40;  S.  Thom.,  2»  -2» ,  q.  32,  a.  7,  ad  1 
et  q.  47,  a.  13,  ad  1.  Cf.  S.  Aug.,  Cont  Faust,  xxii,  86.  —  »  Cf.  Lamen- 
nais, Indiffér,f  vm.  —  ^  pg.  cxun,  13,  14. 


418  JÈâtS-CHRlST  SELON  l'évangile.  [n^  273 

le  met  à  l'étroit  et  l'engage  en  de  nouvelles  entreprises  : 
Quid  faciam?  Cependant  il  éprouve  le  besoin  du  repos;  il 
se  promet  d'en  jouir  bientôt  :  Dicam  animœ  meœ:  reguiesce. 
Mais  que  donnera-t-il  à  son  âme  pour  contenter  ses  désirs? 
Comede,  bide,  epulare;  voilà  tout.  C'est  tout  le  bonheur  d'ici- 
bas,  en  effet.  Encore  s'il  était  durable,  si  l'on  avait  devant 
soi  de  longues  années  :  annos  plurimos.  Mais  non  ;  c'est  au 
moment  de  jouir  qu'il  faut  tout  quitter. 

Il  importe  de  méditer  les  paroles  que  Dieu  adresse  à  cet 
aveugle.  Chacune  d'elles  est  un  trait  dont  il  le  transperce. 
Stulte  :  Insensé,  qui  te  crois  sage,  tu  disposes  de  ton  ave- 
nir, tu  parles  d'années  et  il  ne  te  reste  plus  un  jour  t  Hac 
nocte  animam  tuam  répétant  a  te^.  Cette  vie  que  tu  dis  à 
toi,  tu  vas  en  rendre  compte.  Et  ces  biens  dont  tu  n'as  pas 
joui,  que  tu  n'as  fait  qu'amasser,  à  qui  profiteront-ils?  Et 
qtiœ  parasti,  cujus  ei'unt  *? 

Le  mauTais  riche.  Locm  xvi»  I9*3i. 

273.  —  Faut-il  voir  dans  ce  tableau  du  mauvais  riche  une  réalité  on 

une  simple  parabole? 

Le  sentiment  commun  et  l'opinion  la  plus  probable,  se- 
lon Benoît  XIV  •,  est  que  l'histoire  du  mauvais  riche  est 
vraie,  au  moins  pour  le  fond.  Sa  vie  et  sa  mort,  son  sort 
éternel  et  celui  du  pauvre,  sont  regardés  comme  des  faits 
réels.  On  montre  à  Jérusalem  la  maison  de  ce  Lazare  ;  et  au 
moyen-âge  un  grand  nombre  de  monastères  et  même  un 
ordre  militaire  ont  été  placés  sous  son  patronage. 

Il  ne  suit  pas  de  là  qu'on  doive  prendre  à  la  lettre  le  dia- 
logue du  mauvais  riche  avec  Abraham.  Le  corps  de  Lazare 
n'était  pas  au  ciel  ni  celui  du  riche  en  enfer,  et  celui-ci  ne 
pouvait  parler  de  doigt  et  de  langm  que  par  figure.  C'est 
donc  une  prosopopée,  destinée  à  faire  connaître  les  senti- 

1  Jac,  IV,  4,  13-16.  —  2  Eccli.,  xu,  1.  O  Domine,  Deu»  noster  facnôs 
beatos  de  te,  quia  non  perdemus  te.  Bcatus  populus  cujus  Dominos  Dea9 
ejus!  S.  Aug.,  Serm.  cxiii,  6.  —  3  De  Canon.  SancL,  1.  3,  c.  30,  n.  Set 
1.  4,  p.  2,  c.  29,  n.  12.  Cf.  Tert.,  De  reno^.  cam.^  17. 


J 


S^îli]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  PARABOLES.  419 

ments  qu'il  éprouve  au  milieu  des  flammes,  24  ;  mais  il  est 
peu  de  passages  dans  l'Ecriture  qui  donnent  une  idée  plus 
terrible  des  châtiments  des  damnés.  Crucior  in  hac  flamma^ 
s'écrie-t-il  *.  Le  sein  d'Abraham  est  aussi  une  expression  fi- 
gurée pour  désigner  le  lieu  du  repos  où  les  vrais  enfants 
d^Abr(ûham  •  entraient  au  sortir  de  ce  monde  et  attendaient 
avec  lui  que  le  Messie  leur  ouvrît  la  porte  du  ciel  •.  Depuis 
l'Ascension,  le  sein  d'Abraham  n'est  plus  différent  du  ciel. 
C'est  là  que  ses  véritables  enfants,  ses  imitateurs  se  réunis- 
sent à  lui  de  toutes  les  parties  du  monde  pour  partager  son 
bonheur  :  Venient  et  recumbent  cum  Abraham  in  regno  cœ- 
lorum,  disait  le  Sauveur  en  annonçant  la  conversion  des 
Gentils  *.  Le  divin  Maître  représente  ici  la  vie  éternelle  sous 
la  figure  d'un  banquet,  et  les  élus  comme  autant  de  convives 
assis  au  festin  auprès  du  Père  des  croyants.  Etre  à  table  sur 
le  sein  d'un  autre,  c'était  être  à  son  côté,  dans  la  place 
d'honneur,  comme  son  égal  ou  son  intime  ami  *.  Etre  reçu 
dans  le  sein  d'Abraham,  c'est  se  reposer  comme  un  enfant 
sur  ses  genoux  et  entre  ses  bras. 

S.  Augustin  remercie  Dieu  d'avoir  accordé  aux  chrétiens 
la  grâce  que  ce  mauvais  riche  implore  en  vain  pour  ses 
frères  •. 

Les  dix  vierges.  Matth.,  xxv,  1-13. 
274.  —  Comment  faut-il  entendre  la  parabole  des  dix  vierges  ? 

Le  sens  général  de  la  parabole  des  dix  vierges  est  facile  à 
saisir.  Quant  aux  détails,  on  aurait  tort  de  les  torturer  pour 
en  tirer  un  sens  spirituel  et  les  faire  rentrer  dans  le  plan  '. 

1  05ov(o{&ai  ev  -nj  çXoyt  tauni.  Luc,  xvi,  î4.  Bourdaloue,  Sur  l'enfer, 
—  2  U  ne  sert  de  rien  d'être  enfant  d'Abraham  selon  la  chair,  si  on  ne 
l'est  pas  selon  l'esprit.  Pater  Abraham,  s'écrie  le  mauvais  riche  ;  paiet* 
Abraham!  Luc,  xvi,  24,  27,  30.  —  »  Heb.,  xi,  40.  —  *  Matth.,  v,  3; 
via,  11.  —  8  Cf.  Luc,  XVI,  23  et  Joan.,  xiii,  23;  Brev.  rom.,  Hebd. 
2^Quadrag.f  fer.  5«  ,  lect.  1-3;  S.  Thom.,  p.  3,  q.  52,  a.  2,  ad  4.  — 
*  0  Domine,  gratias  misericordiœ  tuae!  Voluisti  mori  ut  aliquis  ab  in- 
feris  surgeret;  et  ipse  aliquis  non  quicumque,  sed  Veritas  surrexit  ab 
inferis.  In  Pi.  gxlvu,  17.  Cf.  I  Cor.,  xv,  3-8.  — •  "^  Non  omnia  aliquid  si- 
gnificare  putanda  jsunt,  sed  propter  illa  quss  aUquid  signiflcant,  etiam 


420  JESUS-CÎHRIST  SELON  L*ÉVAN(Î1LE.  [n**  278 

L'époux,  c'est  Jésus-Christ;  l'épouse  c'est  l'Eglise.  C'est  au 
ciel  que  les  noces  se  célèbrent.  Les  dix  vierges,  ce  sont  tous 
ceux  qui  sont  conviés  au  banquet  céleste,  les  fidèles  sur- 
tout. Les  vierges  sages  sont  les  âmes  qui  conserveiit  la 
grâce  et  qui  vivent  dans  la  ferveur;  les  folles,  celles  qui  se 
contentent  d'avoir  la  foi,  d'éviter  les  vices  grossiers  et  de 
tendre  au  salut  par  un  certain  désir.  La  pénurie  où  ellfti  se 
trouvent  à  l'arrivée  de  l'époux  nous  enseigne  que  si  l'en 
est  dépourvu  de  la  grâce  au  moment  de  la  mort,  ni  les 
prières  de  l'Eglise,  ni  les  mérites  des  saints  n'y  pourront 
suppléer  *.  Au  jugement  d'un  critique  rationaliste,  cette  pa- 
rabole est  un  chef-d'œuvre  de  naïveté,  d'art,  d'esprit,  de  fi- 
nesse. On  ne  pouvait  mieux  faire  sentir  la  nécessité  de  vivre 
dans  la  grâce,  et  le  péril  auquel  on  s'expose  en  passant  ses 
jours  dans  la  négligence  et  l'irréflexion  •. 

Lie  bon  Pasteur  et  sa  brebis  égarée.  Lue.,  xv,  3-7* 

275.  —  Que  signifie  cette  parabole  du  bon  pasteur  et  de  la  brebis 

égarée  ? 

Le  divin  Maître  le  dit  clairement  dans  S.  Matthieu  *  et 
dans  S.  Luc  *  aussi  bien  que  dans  S.  Jean  ^  Le  bon  Pasteur, 
c'est  lui-même  dans  la  mission  qu'il  exerce  sur  la  terre.  La 
brebis  égarée,  c'est  l'humanité  déchue,  qu'il  est  venu  rele- 
ver, remettre  dans  sa  voie  et  introduire  au  ciel  ®.  C'est  en- 
core le  pécheur,  l'âme  infidèle,  éloignée  de  Dieu  et  de  l'E- 
glise, qu'il  poursuit  par  sa  grâce,  qu'il  rappelle  par  sa  pa- 
role, qu'il  presse  sur  son  cœur  quand  elle  répond  à  sa  voix, 
et  qu'il  rapporte  au  bercail,  dans  la  société  des  croyants  et 

illa  quse  nihil  significant  attexuntur.  Solo  enim  vomcre  terra  proscendi- 
tur,  sed  ut  hoc  fieri  possit.  etiam  estera  aratri  membra  sunt  necessaria. 
S.  Aug.,  De  civ.  Dei^  xvi,  2.  Cf.  Tert.,  De  pudic^  9. 

<  Hilar.,  In  Matth,y  xxv.  Un  auteur  ancien  entend  par  vendentes^  9, 
les  ministres  dos  sacrements  auxquels  on  a  recours  à  l'article  àe  U 
mort.  Opus  imperf.  —  *  Cette  parabole  est  figurée  d'une  manière  très 
intéressante  sur  le  portail  septentrional  de  la  cathédrale  de  Reims.  — 
3  Matth.,  XVIII,  H-13.  —  *  Luc,  xv,  4-7.  —  »  Joan..  x,  11-16.  —  «  Ovis 
illa  homo  est  inteUigendus,  et  sub  homine  uno  universitas  sentieDiU 
est.  S.  Hilar.,  InMatth,^  xvui.  Cf.  S.  Hieron.,  In  /«.,  xl. 


NO  276]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  paUaboLê^.  421 

des  justes  *.  Nulle  image  plus  vraie  et  plus  touchante  de 
la  charité  généreuse  et  du  zèle  compatissant  du  Sauveur 
envers  nous.  Aucune  autre  ne  parlait  plus  au  cœur  des 
premiers  chrétiens,  de  ceux  surtout  qu'il  avait  tirés  des  té- 
nèbres du  paganisme  et  des  égarements  des  passions.  Aussi, 
la  voit-on  tracée,  dès  l'origine,  en  mille  endroits,  sur  les 
murs  des  catacombes,  sur  les  vases  sacrés  et  les  divers  ob- 
jets consacrés  au  culte  divin.  Le  bon  Pasteur  est  représenté 
en  diverses  attitudes  et  dans  des  circonstances  variées.  Ici, 
il  est  assis  au  milieu  de  ses  ouailles  et  semble  se  ré- 
jouir de  leur  fidélité.  Là,  il  s'afflige  de  la  perte  qu'il  a  faite 
et  se  prépare  à  courir  après  la  brebis  qui  lui  manque. 
Ailleurs,  il  paraît  épuisé  par  la  fatigue,  désolé  de  l'inutilité 
de  ses  recherches  ;  ou  bien  on  le  voit  recouvrer  sa  brebis 
égarée,  la  charger  sur  ses  épaules,  la  rapporter  joyeux  au 
bercail;  et  ses  brebis  fidèles,  levant  vers  lui  des  regards 
pleins  de  douceur,  semblent  comprendre  et  partager  sa 
joie  «. 

Ainsi  l'on  a  sous  les  yeux  toutes  les  phases  de  la  parabole  ; 
et  chacune  offre  une  instruction  et  réveille  un  souvenir.  Elle 
rappelle  aux  simples  fidèles  la  miséricorde  dont  ils  ont  été 
l'objet  ',  et  aux  ministres  de  l'Eglise,  la  charité,  le  zèle,  la 
douceur  de  Celui  dont  ils  sont  les  ministres  et  dont  ils 
doivent  se  montrer  les  imitateurs  *. 

L.a  Drachme.  Lac,  xv,  8-10  B. 

276.  —  Pourquoi  y  a-t-il  plus  de  joie  au  ciel  pour  un  seul  pécheur 
converti  que  pour  quatre-vingt-dix-neuf  justes  qui  persévèrent? 

Il  y  a  plusieurs  raisons  pour  que  les  élus  se  réjouissent 
surtout  de  la  conversion  des  pécheurs  :  —  1°  C'est  par  ces 
conversions  que  Dieu  remporte  sur  le  démon  ses  triomphes 

1  Grex  carior  non  est  una  ovicula;  nam  illa  conqueritur,  una  pro  om- 
nibus desideratnr  et  tandem  invenitur,  et  humeris  pastoris  rcfcrtur. 
Tert.,  Depœnit.t  8.  —  ^  Martigny,  Pasteur;  Bottari,  pi.  55, 68,  76;  Supra^ 
n.  264.  —  »  Joan.,  z,  ii,  16;  I  Pet.,  ii,  25.  —  *  Joan.,  xxi,  15-17  ;  I  Pet., 
V,  2,  4.  —  »  A.  r.,  n.  186. 

24 


422  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n^  277 

les  plus  glorieux.  —  2°  C'est  au  moment  où  les  pécheurs  re- 
viennent à  Dieu  et  rentrent  dans  le  devoir  qu'ils  sont  le  plus 
humbles  et  le  plus  fervents.  —  3**  Plus  une  joie  est  récente  et 
inespérée,  plus  elle  est  sensible  et  douce.  Ainsi  une  mère  re- 
çoit plus  de  consolation  de  la  guérison  d'un  de  ses  enfants 
que  de  la  santé  du  reste  de  la  famille  ^ 

En  réalité,  la  charité  est  la  même  à  l'égard  de  tous.  On 
s'est  réjoui  à  l'origine  pour  tous  ceux  qui  persévèrent  ;  et 
dans  la  conversion  des  pécheurs  repentants,  on  prévoit  déjà 
les  vertus  des  chrétiens  fidèles.  Mais  que  cette  parabole 
suppose  de  charité,  de  tendresse  et  de  miséricorde  dans  le 
cœur  de  Notre  Seigneur  I  Comme  le  divin  Maître  nous  fait 
bien  comprendre  ce  qu'enseigne  S.  Jean,  que  Dieu  est  tout 
amour  «  ! 


s 


RÉFLEXONS  SUR  LES  PARABOLES. 


277.  —  QueUes  sont  les  principales  qualités  qu'on  remarque 

en  ces  paraboles? 

Nous  mettons  ici  de  côté  le  fond  de  la  doctrine,  pour  ne 
parler  que  de  la  forme.  Sous  ce  rapport,  tous  les  critiques 
conviennent  que  ces  paraboles  ont  au  suprême  degré  toutes 
les  qualités  désirables. 

Elles  sont  :  —  inintéressantes,  pleines  de  vie  et  de  charme; 
propres  à  éveiller  la  curiosité  de  l'esprit  ;  de  nature  à  faire 
une  vive  impression  et  à  se  graver  dans  la  mémoire.— 
2°  Simples  autant  que  justes,  sans  complication  ni  détails 

1  Cf.  Matth.,  xYiii,  12, 13.  Non  dicit  :  Gongratulamini  invente  ovi^sed 
mihi,  quia  videlicet  ejus  gaudium  est  vita  nostra,  et  cum  nos  ad  cœlnm 
reducimur,  solemnitatem  Isetitis  ejus  implemus.  S.  Greg.,  In  Evang.» 
hora.  XXXIV,  3  ;  S.  Bern.,  Se;*m.  xxix.  —  21  Joan.,  iv,  8-10.  —  3  Drachme 
frappée  en  Grèce  sous  Néron,  avec  son  image  et  ses  titres  :  Nepwvoc 
Kaidapoç  £eêaaxou. 


N<^278]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  PARABOLES.  423 

superflus,  réductibles  à  une  seule  idée  qu'on  saisit  aisé- 
ment, et  qu'on  retient  sans  peine,  quand  on  est  au  vrai 
point  de  vue.  —  3*  Toujours  dignes^  d'une  convenance  et 
d'une  distinction  parfaites,  malgré  la  vulgarité  des  objets 
qui  en  ont  fourni  l'idée,  évidemment  inspirées  par  le  désir 
d'être  utile,  d'instruire  et  d'édifier.  —  4**  Variées  dans  le 
sujet  et  dans  la  forme,  bien  qu'elles  tendent  à  une  même  fia, 
qui  est  le  service  de  Dieu  et  la  pratique  de  la  vertu.  — 
^^  Enfin,  susceptibles^  partout  et  à  toutes  les  époques,  d*une 
mdtUude  d'applications  et  de  sens  aussi  lumineux  qu'édi- 
fiants. L'homme  des  champs  qui  entend  aujourd'hui  la  para- 
bole du  semeur,  ou  celle  de  l'économe  infidèle,  lève  la 
tête  et  comprend  aussi  bien  que  l'auditoire  rustique  auquel 
le  divin  Maître  les  a  d'abord  adressées. 

Après  les  exemples  et  les  mystères  du  Sauveur,  rien  n'a 
plus  contribué  que  ces  paraboles  à  répandre  ses  maximes,  à 
faire  goûter  sa  doctrine,  à  propager  son  esprit.  On  les  a 
peintes  sur  les  murs  des  catacombes  comme  aux  vitraux  des 
cathédrales.  Et,  chose  remarquable,  quoique  chacun  des 
Synoptiques  s'attache  à  celles  qui  ont  un  rapport  plus  direct 
à  la  fin  qu'il  se  propose  *,  elles  offrent  partout,  dans  S.  Luc 
comme  dans  S.  Matthieu,  à  peu  près  les  mêmes  qualités  ; 
preuve  qu'elles  ne  doivent  pas  leur  perfection  à  l'évangé- 
liste  qui  les  rapporte,  mais  au  véritable  Salomon,  de  qui  il 
les  tient  et  à  qui  il  les  attribue. 

278.  —  Faut-il  prendre  à  la  lettre  ce  que  dit  S.  Matthieu,  xni,  24,  que 
Notre  Seigneur  ne  parlait  qu'en  paraboles,  afin  de  se  conformer  à  la 
prédiction  du  Psalmiste,  lxxvii,  2? 

1*»  Communément,  les  commentateurs  restreignent  l'ob- 

<  Elles  s'harmonisent  en  effet  avec  le  caractère  et  le  but  de  chaque 
évangile.  Celles  de  S.  Matthieu  donnent  une  idée  de  TEglise,  de  sa  cons- 
titution, de  son  autorité;  celles  de  S.  Luc  ont  plutôt  pour  fin  de  porter 
à  la  perfection,  à  la  pratique  de  la  vie  chrétienne.  Dans  les  premières, 
Dieu  apparaît  presque  toujours  comme  un  roi  ou  comme  un  Juge,  veillant 
sur  ses  sujets  pour  punir  le  vice  et  récompenser  la  vertu,  xiii,  24,  49  ; 
XVIII,  34;  XX,  14;  xxi,  41;  xxii,  7,  13;  xxv,  14-30.  Dans  les  secondes, 
les  scènes  de  miséricorde  alternent  les  scènes  de  justice,  xii,  6;  x,  30; 
xvy  4,  etc.  S.  Jean  plus  dogmatique  que  pratique  n'a  pas  de  parabole. 


424  JÉSUS-CHRIST  SEÏ,ON  l'évangile.  [n®  279 

servation  de  S.  Matthieu  aux  circonstances  qu'il  retrace  en 
cet  endroit.  Elle  ne  s'applique,  dit  S.  Ghrysostome  \  qu'au 
discours  qui  vient  d'être  rapporté,  et  c'est  ce  qu'atteste  le 
texte  môme  de  l'Evangile  :  Hœc  omnia  locutus  est  in  para- 
bolis  •.  —  2<*  Ceux  qui  étendent  davantage  le  sens  de  ce 
verset  disent  qu'il  faut  l'entendre  moralement,  comme  si 
l'Evangéliste  disait  :  Voilà  de  quelle  manière  il  parlait  ordi- 
nairement au  peuple,  ou,  suivant  S.  Thomas  :  Il  n'avait  pa 
coutume  de  prêcher  autrement ^  c'est-à-dire  sans  mêler  quel- 
que parabole  à  ses  discours  ;  encore  faut-il  donner  au  mot 
parci)ole  le  sens  qu'il  a  dans  le  Psaume  lxxvii,  un  sens  très 
large,  qui  comprend  jusqu'aux  comparaisons  et  aux  sen- 
tences •. 

279.  —  Gomment  se  fait-il  que  des  paraboles  si  simples  et  si  faciles 

n'aient  pas  été  comprises? 

1°  Quand  on  dit  que  les  paraboles  de  Notre  Seigneur  sont 
simples,  on  entend  qu'elles  sont  énoncées  dans  un  style  fa- 
milier, et  sans  complication  ;  mais  on  ne  nie  pas  qu'elles 
n'aient  pour  la  plupart  un  sens  caché  et  très  profond,  dont 
peu  d'esprits  découvrent  la  profondeur.  C'est  à  cette  partie 
de  l'Evangile  surtout  que  convient  le  mot  de  S.  Augustin  : 
Omnibus  accessibilis^  paucissimis  vero  penetrabilis  *.  Il  s'ap- 
plique en  premier  lieu  aux  paraboles  prophétiques.  Celles- 
ci  étaient  bien  plus  difficiles  à  entendre  pour  les  Juifs  que 
pour  nous,  soit  parce  que  l'événement  ne  les  avait  pas  en- 
core éclaircies,  soit  parce  qu'ils  étaient  mal  disposés  pour  en 
bien  saisir  le  sens. 

2°  Un  grand  nombre  d'auditeurs,  ot  eÇw  "*,  ne  prêtaient 
l'oreille  au  Sauveur  qu'un  moment  et  comme  en  passant.  Ne 
suivant  pas  ses  instructions,  ils  n'étaient  initiés  ni  à  sa  doc- 
trine ni  à  son  langage,  et  ils  ne  prenaient  pas  la  peine  de 
réfléchir  sur  les  paroles.  D'autres  ne  Técoutaient  que  pour 
le  trouver  en  défaut  :  ils  le  regardaient  comme  un  impos- 

1  s.  Chrys.,  In  Matth.,  Hom.  xlvii,  1.  —  »  Mattli.,  xm»  34.  —  3 Cf. 
Supra,  n.  257;  S.  Th.,  p.  3,  q.  k%  a.  3,  ad  3.  —  *  EpUt,  cxxxvu,  18.— 
5  Marc,  IV,  11. 


N®280]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  PARABOLES.  425 

teur;  ils  ne  cherchaient  à  voir  que  du  faux  dans  ses  discours. 
Presque  tous  étaient  remplis  de  préjugés  sur  le  Messie,  sur 
le  royaume  de  Dieu,  sur  les  destinées  d'Israél.  Comment 
auraient-ils  saisi  la  portée  de  tant  de  traits  sur  la  vocation 
des  Gentils  et  la  réprobation  des  Juifs  dans  les  vignerons 
homicides,  dans  le  figuier  stérile,  dans  les  premiers  conviés 
remplacés  par  d'autres,  etc.?  Vous  avez  reçu  ce  don^  disait 
aux  Apôtres  le  divin  Maître  ;  niais  il  n'a  pas  été  fait  à  tous  '. 
Si  tous  avaient  eu  les  dispositions  des  Apôtres,  ils  auraient 
compris  comme  eux,  ou  Notre  Seigneur  leur  aurait  donné 
les  mêmes  éclaircissements  •.  Poterant  audire,  dit  S.  Marc  •. 
Aussi  terminait-il  souvent  ses  paraboles  par  ces  mots  :  Qui 
habet  aures  audiendi^  audiat  ^. 

*  280.  —  N'est-ce  pas  uoe  contradiction  de  la  part  du  Sauveur  do 
s'adresser  aux  Juifs  et  de  leur  parler  un  langage  qu'ils  ne  doivent  pas 
comprendre  *? 

!•  Les  disciples  du  Sauveur,  c'est-à-dire  la  meilleure  par- 
tie de  ses  auditeurs,  ceux  qu'il  tenait  surtout  à  instruire, 
comprenaient  son  langage  •,  et  ce  langage  avait  l'avantage 
de  leur  rendre  ses  pensées  plus  frappantes  et  de  les  leur 
faire  retenir.  Ainsi  la  parole  du  Sauveur  n'était  pas  inintel- 
ligible, hors  de  la  portée  des  esprits. 

2"  Si  un  grand  nombre  ne  l'entendaient  pas  ou  l'enten- 
daient peu,  c'est  qu'ils  négligeaient  de  faire  ce  qu'ils  de- 
vaient pour  l'entendre.  On  ne  peut  donc  pas  prétendre  qu'il 
cherchait  à  cacher  sa  pensée.  Quand  il  dit  :  In  parabolis  om- 
nia  fiunty  ut  videntes  non  videant  '',  ut  exprime  le  résultat 
qu'il  obtient,  non  la  fin  qu'il  a  en  vue,  non  sa  première  in- 
tention du  moins;  car  on  peut  distinguer  en  lui  deux  inten- 
tions :  l'une  antécédente,  par  laquelle  il  désire  être  entendu 
de  tous;  l'autre  subséquente,  par  laquelle,  voyant  qu'un 
certain  nombre  négligent  de  s'appliquer  à  sa  parole  pour 

»  Luc,  VIII,  43.  —  8  Matth.,  xi,  25.  —  3  Marc,  iv,  33,  34.  —  *  Matth. 
xm,  9,  43;  Luc,  xiv,  35.  Omnes  qui  adorant,  aures  corporis  habebant, 
sed  aures  cordit  requirit.  S.  Grog.,  In  Evang.  Hom.  xv,  2.  —  *Cf.  Matth., 
xin,  i3;  Marc,  iv.  11,  12;  Joan.,  xii,  40,  —  «  Marc,  iv,  11,  33;  Joan,, 
vui,  47.  —  '  Marc.;  iv,  12, 

24. 


426  JÉSUS-CHRIST  SEI.ON  l'evangilë.  |"n<>  281 

en  comprendre  les  figures,  il  veut  que  leur  négligence  soit 
punie  par  l'inintelligence  du  langage  figuré  dont  il  persiste 
à  se  servir. 

3**  Il  avait  de  bonnes  raisons  pour  ne  pas  exposer  trop 
clairement  en  public  ce  qui  fait  l'objet  d'une  partie  de  ses 
paraboles  K  C'étaient  les  mêmes  qui  le  portèrent  d'abord  à 
défendre  à  ses  disciples  de  publier  qu'il  était  le  Fils  de 
Dieu.  Il  ne  voulait  pas  aigrir  la  haine  de  ses  ennemis,  ni 
leur  donner  lieu  de  l'accuser  devant  les  magistrats,  ni  les 
porter  à  des  mesures  violentes  contre  sa  personne.  Il  avait 
d'ailleuçs  bien  des  motifs  pour  ne  pas  garder  tout  à  fait  le 
silence  sur  ce  qui  devait  arriver.  Il  fallait  que  plus  tard, 
quand  ces  événements  se  réaliseraient,  ceux  qui  l'auraient 
entendu  sans  le  bien  comprendre  pussent  se  rappeler  et  at- 
tester ce  qu'il  avait  prédit  *. 

ARTICLE  II. 
Discours  de  Notre  Seigneur. 

281.  —  Combien  trouve-t-on  de  discours  de  Notre  Seigneur 

dans  les  Evangiles? 

I.  Nous  avons  un  grand  nombre  de  discours  du  Sauveur, 
mais  la  plupart  ont  peu  d'étendue.  On  peut  les  ranger  en 
deux  classes  parfaitement  distinctes  : 

!•  Dans  les  Synoptiques  : 

Le  discours  sur  la  montagne,  Matth.,  v-vii; 

Le  discours  aux.  Apôtres,  en  Galilée,  Matth.,  x; 

Sur  le  célibat  et  le  mariage,  Matth.,  xix,  3-12; 

Sur  le  péché  contre  le  Saint-Esprit,  Matth.,  xii,  22-37; 

Sur   les   conseils  ou  la  voie  la  plus   sûre  pour  arriver  au  ciel, 

Matth.,  XIX,  16-30; 
Sur  les  injures  et  le  pardon  des  offenses,  Matth,,  xviii,  15-22; 
Sur  la  pureté  du  cœur,  Matth.,  xv,  1-20; 
Sur  le  jeûne,  Matth.,  ix,  13-17; 


i  Matth.,  XXI,  31-46;  Marc,  xii,  1-12;  Luc,  xx,  9-19,  etc.  —  *  Joan. 
XVI,  4.  Annon  expedit  tenere  vel  involutum  quod  nudum  non  capis 
S.  Bern.  Ideo  melius  erat  eis  vel  sic  sub  tcguniento  parabolarum  doc 
trinam  audirc  quam  omuino  ca  privari.  S.  Tiionv»  p'*  3,  q.  42,  a.  3. 


a^  281]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  DISCOURS.  427 

Sur  le  jugement,  Matth.,  xxv,  34-46; 

Sur  les  épis  arrachés  le  Jour  du  sabbat,  Matth.,  xii,  1-8; 

Sur  les  occasions  du  péché,  Matth.,  xviii,  6-10  ; 

Sur  les  défauts  des  scribes  et  des  pharisiens,  Matth.,  xxm; 

Sur  les  enfants,  xvin,  2-6  ;  etc. 

Dans  la  synagogue  de  Nazareth,  Luc^  iv,  16-32  ; 

2o  Dans  TÉvangile  de  saint  Jean  : 

Le  discours  fait  aux  Juifs  après  le  miracle  de  Bcthsaidc,  v,  17-47; 

Celui  où  Notre  Seigneur  annonce  l'Eucharistie,  vi,  26-72; 

Celui  de  la  fête  des  tabernacles,  vu,  16-38; 

Un  premier  discours  sur  sa  divinité,  viii,  15-28; 

Un  autre  sur  le  même  sujet,  x,  24-42  ; 

Le  discours  après  la  Cène,  xiv-xvii. 

II.  Les  premiers,  ceux  des  Synoptiques,  se  distinguent  de 
ceux  du  dernier  évangéliste  par  le  fond  comme  par  la  forme. 
Dans  ceux-là,  le  Sauveur  ne  s'occupe  guère  que  de  morale  ; 
dans  ceux-ci,  il  traite  surtout  du  dogme,  de  sa  personne  et 
de  sa  divinité  en  particulier.  Pour  la  diction,  on  trouve, 
entre  les  discours  des  trois  Synoptiques,  une  grande  ressem- 
blance, comme  entre  les  frères  d'une  même  famille  ;  ceux  de 
S.  Jean  ont  une  physionomie  à  part,  et  autant  ils  diffèrent 
des  précédents,  autant  ils  se  rapprochent  des  compositions 
et  des  passages  qui  appartiennent  en  propre  au  disciple 
bien-aimé,  de  ses  Epîtres,  par  exemple,  ou  du  début  de  son 
évangile. 

Pour  s'expliquer  cette  particularité,  il  suffit  de  bien  com- 
prendre le  rôle  des  évangélistes.  Ce  ne  sont  pas  des  sténo- 
graphes qui  prétendent  reproduire  littéralement  et  m  ex- 
tenso les  paroles  du  divin  Maître  :  ce  sont  des  historiens.  Ils 
ne  nous  doivent  autre  chose  qu'un  sommaire  exact  de  son 
enseignement,  comme  de  sa  vie.  Ils  ont  donc  un  choix  à  faire 
entre  les  paroles  du  Sauveur  ;  et  ce  qu'ils  jugent  à  propos  de 
nous  transmettre,  ils  sont  forcés  de  le  traduire  dans  leur 
langage,  de  lui  donner  une  expression  et  une  forme  qui 
s'adaptent  à  leur  composition.  Sans  doute,  l'Esprit  saint 
qui  les  inspire  garantit  l'exactitude  de  leur  récit,  mais  son 
action  ne  supprime  pas  la  leur;  elle  ne  leur  enlève  ni  leur 
personnalité,  ni  leurs  habitudes,  ni  leurs  qualités  d'esprit 


428  JÉSUS-CHWST  SELON  l'évangile.  [n°  28Î 

et  de  cœur*.  Qu'y  a-t-il  donc  d'étonnant  qu'on  reconnaisse  le 
style  de  S.  Jean  dans  les  discours  du  Sauveur  rapportés  par 
cet  évangéliste?  Pourquoi  sa  véracité  en  deviendrait-elle 
suspecte  ?  Ces  discours,  quant  à  leur  forme,  sont  en  partie 
son  œuvre;  et,  encore  que  sa  manière  soit  modelée  sur  celle 
de  son  Maître,  il  est  naturel  que  son  travail  garde  quelque 
chose  de  ses  dispositions  et  de  son  caractère. 

§  I.  —  Discours  de  Notre  Seigneur  dans  les  Stncptiques. 

Sermon  sur  la  montagne.  Matth.,  v-vii  s. 

282.  —  Pourquoi  Notre  Seigneur  prononce-t-il  son   premier  discoors 

sur  le  haut  d'une  montagne  3? 

Suivant  les  saints  Docteurs,  le  divin  Maître  a  voulu  pro- 

1  Naturale  est  ut  omnes  artifices  suœ  artis  loquantur  exemplis. 
S.  Hieron.,  In  AmoSy  i,  2.  Ex  quibus  perspicuum  est  evangelistas  scn- 
sum  quœsiisse,  non  verba.  Epist.  lyu,  9.  Ce  principe  s'applique  aax 
récits  aussi  bien  qu'aux  discours.  H  entrait  dans  les  vues  de  l'Esprit 
saint  que  chaque  écrivain  suivit  son  inclination,  son  caractère,  ses  habi- 
tudes, ses  souvenirs,  et  qu'il  y  eût  entre  les  récits  des  quatre  Evangé- 
listes  toutes  les  différences  et  toutes  les  antilogies  apparentes  quil  y 
aurait  eu  naturellement,  s'ils  n'avaient  pas  été  inspirés.  Les  contradic- 
tions réelles  et  absolument  inconciliables  sont  les  seules  que  son  inspi- 
ration prévienne  et  rende  impossibles.  S.  Aug.,  De  cons.  evang,^  n,  12, 
29-31.  Infray  n.  303,  462.  —  8  n  est  probable  que  le  discours  rapporté 
par  S.  Luc,  vi,  17-49,  est  le  même  que  celui-ci.  On  trouve  des  deoi 
côtés  le  môme  auditoire,  le  môme  exorde,  des  maximes  et  des  images 
toutes  semblables,  enfin  la  môme  conclusion  suivie  du  môme  miracle. 
Seulement  S.  Luc  est  plus  bref.  \\  renvoie  le  chapitre  vi  de  S.  Matthieu 
à  son  chapitre  xi,  et  omet  ce  qui  concerne  la  Loi  et  n'intéresse  que  les 
Juifs.  Infra^  n.  362.  —  3  On  ne  peut  pas  dire  que  la  scène  n'est  pas  la 
môme  dans  les  deux  Ëvangélistes.  S.  Luc  dit  bien,  avant  de  rapporter  le 
discours  de  Notre  Seigneur,  que  le  divin  Maître  était  descendu  dans  une 
plaine,  eiri  totcou  TceStvou,  qu'il  y  avait  guéri  des  malades  et  délivré  des 
possédés,  Yi,  17-19;  mais  il  ne  dit  pas  qu'il  soit  resté  au  môme  endroit 
pour  y  prononcer  son  discours.  On  peut  donc  croire  que,  dans  Tinter- 
vallc,  il  avait  regagné  la  montagne  avec  la  foule  qu'il  voulait  instruire. 
D'ailleurs  rien  n'empôche  d'entendre  S.  Matthieu,  v,  1,  en  ce  sens  que 
Notre  Seigneur  s'était  retiré  avec  la  foule  dans  la  partie  montagneuse 
du  pays,  et;  to  opo;  (Cf.  xxiv,  16;  Joan.,  vi,  15).  Au  moment  où  S.  Luc 
dit  qu'il  était  descendu  m  loco  campestrif  il  pouvait  ôtre  encore  dans 
la  région  des  montagnes,  quoique  en  un  lieu  moins  élevé.  Cf.  S.  Aug., 
De  Cons,  evang,^  u,  43,  50. 


S^  283]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —   SES  DISCOURS.  429 

noncer  le  premier  et  le  principal  de  ses  discours  à  ses  dis- 
ciples sur  le  haut  d'une  montagne,  pour  plusieurs  raisons  : 
—  i»  Pour  être  écouté  avec  une  attention  plus  religieuse, 
ses  auditeurs  se  trouvant  ainsi  éloignés  du  monde  et  rap- 
prochés du  ciel  *.  —  2*  Afin  de  figurer  par  cette  élévation 
la  sublimité  de  sa  morale  et  la  nécessité  où  l'on  est  de  s'éle- 
ver pour  l'entendre  et  la  pratiquer  *.  —  3**  Pour  faire  en- 
tendre qu'il  va  donner  sa  loi  au  peuple  chrétien,  de  même 
que  Jéhovah  a  donné  la  sienne  au  peuple  Juif.  Aussi  com- 
mence-t-il  par  parler  du  royaume  de  Dieu  qu'il  est  venu 
fonder.  11  dit  quels  sont  ceux  qui  en  feront  partie,  ce  qu'ils 
peuvent  espérer,  à  quoi  ils  doivent  tendre,  les  défauts  qu'ils 
ont  à  craindre,  les  vertus  qu'ils  doivent  pratiquer,  enfin 
l'esprit  qui  doit  les  animer  envers  Dieu,  envers  le  prochain, 
envers  eux-mêmes.  De  même  donc  que  les  Juifs  avaient  leur 
morale  dans  le  Décalogue  et  leur  constitution  dans  les  lois 
du  Sinaï,  les  chrétiens  trouvent  dans  le  Discours  sur  la  mon- 
tagne la  règle  de  leur  vie  et  leurs  maximes  de  perfection  •. 
Une  circonstance  qui  caractérise  l'une  et  l'autre  loi, 
qui  en  fait  connaître  l'esprit  et  en  montre  la  différence, 
c'est  qu'au  Sinaï,  Moïse  seul  avait  accès  auprès  du  Seigneur 
et  que  le  peuple  devait  se  tenir  à  distance  sous  peine  de 
mort  *,  tandis  qu'ici  le  Sauveur  appelle  à  lui  tous  ses  disci- 
ples; il  commence  par  s'adresser  aux  plus  petits  et  aux  plus 
humbles,  et  il  prodigue  à  tous,  avec  ses  exhortations  et  ses 
conseils,  les  promesses  les  plus  attrayantes  et  les  encourage- 
ments les  plus  touchants. 

283.  —  Cominent  se  divise  ce  discours? 

Ce  discours  se  divise  en  trois  parties,  exorde,  corps  du 
discours  et  péroraison.  —  Dans  l'exorde,  v,  3-16,  le  Sauveur 

*  Isai.,  Il,  3.  —  2  Cf  Ps.  Lxxxiii,  6;  xcii,  4;  xciv,  4;  Brev.  rom., 
Comm.  plur.  Mart.^  2»  loco,  lect.  vu.  —  3  Si  quis  pie  sobrieque  consi- 
deraverit,  puto  quod  inveniet  in  eo,  quantum  ad  mores  optimos  per- 
tinet,  perfectum  vitœ  christianœ  modum.  S.  Aug.,  De  Serm.,  Dom.  in 
monte^  i,  1.  Audiamus  diligenter  :  paucis  liaec  fuerunt  dicta,  sed  scripta 
sunt  pro  omuibus  post  futuris.  S.  Chrys.,  In  hune  loc.  —  *  E\od.,  xix, 
i2,  21;  Ueb.,  3m,  18-24.  Gf.  Infra,  n.  486,  note, 


430  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'éyangile.  [n<*  284 

donne  une  première  notion  du  royaume  des  cieux,  et  dit  la 
voie  à  suivre  pour  y  parvenir.  —  Dans  la  péroraison,  vu, 
21-27,  il  exhorte  vivement  ses  auditeurs  à  mettre  sa  morale 
en  pratique  et  exprime  par  une  image  frappante  le  fruit 
qu'ils  recueilleront  de  leur  fidélité.  —  Le  corps  du  discours, 
qui  comprend  près  de  trois  chapitres,  v,  17-vii,  23,  roule 
sur  ridée  de  justice  ou  de  sainteté,  et  a  pour  objet  de  faire 
bien  connaître  la  morale  du  Sauveur  et  la  loi  chrétienne. 
Il  peut  lui-même  se  répartir  sous  trois  chefs  :  !•  Supério- 
rité de  la  loi  nouvelle  sur  la  loi  ancienne,  v,  17-48.  — 
2®  Conditions  de  la  justice  évangélique,  vi,  1-18.  —  3"*  Obs- 
tacles et  moyens,  vi,  19-vn,  23.  Sur  tous  ces  points,  le  divin 
Maître  est  loin  d'être  complet  ;  mais  il  dit  ce  qu'il  importe  à 
ses  disciples  d'entendre  et  de  mettre  en  pratique. 

Rien  n'empêche  de  penser,  avec  quelques  interprètes, 
que  ces  parties  sont  autant  d'allocutions  différentes,  et 
qu'elles  ont  été  séparées  par  quelque  intervalle. 

!•  EXORDE^  V,  3-16. 

284.  »  Pourquoi  Notre  Seigneur  commence-t-il  par  parler  de  la 
béatitude  et  en  quoi  la  fait-il  consister,  v,  3-12? 

I.  Comme  le  Psalmiste,  Notre  Seigneur  commence  par 
promettre  la  félicité  à  ses  véritables  disciples,  parce  que  le 
désir  du  bonheur  est  le  principal  attrait  du  cœur  de  l'homme, 
et  que  les  promesses  ont  plus  d'efficacité  que  les  préceptes 
pour  nous  porter  à  la  perfection.  Au  lieu  de  commander  et 
de  dire  :  Soyez  pauvre  ;  soyez  doux  ;  il  dit  :  Heureux  les 
pauvres,  heureux  les  cœurs  détachés  de  la  terre,  qui  soupi- 
rent après  les  biens  du  ciel  *  !  Heureux  ceux  qui  sont  doux, 
ceux  qui  aiment  la  paix,  qui  sont  miséricordieux,  qui  ne 
cherchent  pas  à  rendre  le  mal  pour  le  mal,  mais  à  triom- 
pher du  mal  par  le  bien  *  I 

*  Luc,  IV,  18.  Tlxtoxot  T(o  itvsupiaTi,  pauperes  spiritu,  qui  ont  l'esprit 
de  pauvreté.  Qua  paupertate  etiam  beatus  Job  pauper  Toit  et  antequam 
magnas  illas  divitias  amisissot.  Quod  ideo  com mémorandum  putayi, 
quoniam  sunt  quidam  qui  facilius  omnia  sua  pauperibus  distribuant, 
quamipsi  pauperes  Dei  fiant.  S.  Âug  ,  In  Psalm.  lxxi,  3.  Cf.  Ps.  xxxit, 
19  ;  Eccli.,  XIII,  30;  lvii,  15.  —  s  Quis  non  alacriter  currit^  cum  oi  did- 


N»285]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —   SES  DISCOURS.  431 

II.  Ainsi  notre  félicité  dépend  de  nous  aussi  bien  que 
notre  perfection.  Ni  l'une  ni  l'autre  ne  consiste  dans  la  jouis- 
sance des  biens  extérieurs  *,  dont  Moïse  parle  si  souvent, 
mais  dont  il  n'est  pas  au  pouvoir  de  tous  d'être  pourvu  :  elles 
consistent  dans  les  bonnes  dispositions  de  l'âme,  dans  le 
détachement,  la  mortification,  la  miséricorde,  la  pureté  du 
cœur,  l'amour  de  la  paix,  le  sacrifice  et  le  dévouement  pour 
la  justice  :  car  ces  dispositions  sont  le  gage  de  l'amitié  de 
Dieu  en  cette  vie  et  de  sa  possession  en  l'autre,  c'est-à-dire 
de  la  félicité  commencée  sur  la  terre  et  de  la  félicité  con- 
sommée  dans  le  ciel.  Tel  est  le  sens  des  huit  premiers  ver- 
sets, infiniment  supérieurs  à  toutes  les  maximes  des  philo- 
sophes et  à  toutes  les  idées  qui  régnaient  alors  et  qui  ont 
jamais  régné  dans  ce  monde.  Rien  de  plus  admirable  que  les 
vues  qu'avait  Notre  Seigneur  en  prononçant  ces  paroles. 
Rien  de  plus  ravissant  que  les  fruits  qu'elles  ont  produits  et 
qui  en  ont  prouvé  la  vérité  au  monde  *. 

*  285.  ^  Sont-ce  les  Apôtres  seulement  ou  leurs  successeurs  que  Notre 
Seigneur  appelle  le  sel  de  la  tei^re  et  la  lumière  du  monde? 

On  peut  se  représenter  ceux  qui  écoutaient  Notre  Sei- 
gneur, comme  formant  une  triple  couronne  autour  de  lui  : 
d'abord  ses  Apôtres,  puis  ses  disciples  habituels,  puis  la 
foule  du  peuple  ;  mais  on  ne  voit  pas  qu'en  cet  endroit  il 
se  détourne  des  uns  pour  s'adresser  aux  autres.  Qui  ne  sent 
pourtant  combien  ces  paroles  :  Vos  estis  lux  mundi  ;  vos  es- 
tis  sal  terrœ,  conviennent  particulièrement  aux  ministres 
de  l'Eglise  et  aux  pasteurs  des  âmes?  Pour  eux,  c'est  une 
obligation  d'état,  un  devoir  de  justice,  de  prêcher  la  vérité 
et  d'exhorter  à  la  vertu  •.  Ils  sont  tenus  d'instruire  et  de 
sanctifier  toutes  les  âmes  dont  ils  ont  la  charge,  même  les 

tnr  :  Beatus  eris  I  S.  Aug.,  Set^m,  un,  1.  Cf.  S.  Chrys.,  S.  Aug.,  In  hune 
loc.  Bossuet,  Médit.  surVEvang,^  i-xlyu. 

1  Non  est  gaudere  impiis,  dicit  Dominus.  Isai.,  lvii,  21.  Mali  enim 
homines  non  gaudent  sed  gestiunt.  S.  Aug.,  De  Serm.  Dom.  in  monte, 
II,  87.  —  2  Matth.,  xm.  3-23.  —  3  Cf.  Joan.,  v,  35;  Eph.,  v,  8, 11  ;  Phil., 
n,  15.  Non  jussit  Dominus  bona  opéra  abscondi,  sed  in  bonis  operibus 
laadem  humanam  non  cogitare.  S.  Aug.,  Serm,  gggxzzviii,  3. 


432  jEsus-dHRiât  selon  l^évanûilé.  [Noâ86 

plus  éclairées  et  les  plus  parfaites.  Caveant  ergo  pastores  et 
episcopi,  dit  S.  Jérôme  *. 

Le  sel  préserve  de  la  corruption  ;  c'est  pour  cela  et  dans 
ce  sens  que  les  chrétiens  sont  le  sel  de  la  terre  :  Quod  est 
in  corpore  anima,  hoc  sunt  in  mundo  christiani,  disait  au  se- 
cond siècle  l'auteur  de  TEpitre  à  Diognète*:  Detinentur  qui- 
dem  in  mundo,  tanquamin  citstodia,  sed  ipsi  mundum  conser- 
vant *. 

î®  Corps  do  discuurs,  v,  17;  vu,  12. 

I«  Supériorité  de  la  loi  évangéliquey  v,  17-48. 

*  286.  —  En  quel  sens  Notre  Seigneur  dit-il  qu'il  est  venu  pour 
accomplir  la  loi,  adimplere,  v,  17  ? 

Quand  Notre  Seigneur  dit  qu'il  est  venu  pour  accomplir 
la  loi,  il  entend  qu'il  entrait  dans  sa  mission  de  donner  son 
couronnement  à  la  loi  de  Moïse,  d'en  réaliser  toutes  les  fi- 
gures, d'en  tenir  toutes  les  promesses.  C'est  ce  qu'il  a  fait 
en  complétant  les  révélations  des  prophètes,  en  enseignant 
à  ses  disciples  une  morale  plus  parfaite  que  celle  de  la  Sy- 
nagogue, en  donnant  à  l'Eglise  son  sacrifice  pour  glorifier 
son  Père  et  ses  sacrements  pour  sanctifier  les  âmes.  Par  cette 
conduite,  loin  de  détruire  la  Loi,  il  l'a  accomplie,  complétée, 
perfectionnée,  transfigurée  *.  Il  s'est  montré,  non  pas  hos- 
tile, mais  supérieur  à  Moïse,  tel  que  devait  être  le  législa- 
teur par  excellence,  le  maître  souverain  de  l'humanité  '. 

On  traduit  parfois  plus  simplement  ce  verset  17  :  c  Je  ne 
suis  pas  venu  pour  transgresser  la  loi ,  mais  pour  l'obser- 
ver. *  Le  Sauveur  avait  certainement  droit  de  parler  ainsi; 
car  il  a  donné  l'exemple  de  la  plus  parfaite  obéissance,  de- 
puis son  entrée  dans  la  vie,  où  il  s'est  soumis  à  la  circonci- 
sion, jusqu'à  la  veille  de  sa  mort,  où  il  a  voulu  célébrer  la 
Cène  *.  Telle  n'est  pas  cependant  sa  pensée.  Il  ne  parle  pas 

*  Brov.  rom.,  Comm.  non  Virg.^  lect.  viii.  —  *  Ecrit  du  commence- 
ment du  second  siècle.  Cf.  S.  Theoph.  Ântioch.,  ad  Autol.f  ii,  14.  — 
3  Cf.  Brev.,  Comm,  Doct,^  l*  loco,  lect.  vii-ix.  —  ♦  Joan.,  xm,  34;  Rom., 
X,  4,  5;  Heb.,  vu,  12.  —  6  cf.  Matth.,  v,  22,  28,  32,  34,  39,  44;  VD, 
21,  29.  —k  «  Matth.,  xx,  17;  Luc,  iv,  4;  Joan.,  v,  1,  etc. 


N«â88l  Sa  Vie  t>€BLlQUÊ.  —  SÊâ  DISCOURS.  433 

seulement  de  la  loi,  mais  de  la  loi  et  des  prophètes*  ;  il  ne  dit 
pas  qu'il  observera  les  préceptes,  mais  que,  loin  de  suppri- 
mer ce  qui  a  été  établi  ou  révélé  avant  lui,  il  achèvera  ce 
qui  n'est  que  commencé.  Il  se  donne  pour  législateur  plutôt 
que  pour  observateur  de  la  loi  '. 

*  287.  —  Comment  explique-t-on  ce  verset  :  Qui  solverit  unum  de 
mandatis  istis  minimis  et  docuerit  sic  homines,  minimus  vocabitur  in 
regno  cœloimm^  v,  19? 

11  y  a  de  ces  paroles  deux  interprétations  assez  différentes  : 
S.  Augustin  traduit  :  t  Celui  qui  violera  le  moindre  de  ces 
commandements,  et  qui  ne  laissera  pas  d'enseigner  comme 
il  doit,  entrera  dans  le  royaume  de  Dieu,  mais  il  n'y  aura  que 
la  dernière  place  '.  »  Mais  la  plupart  entendent  autrement 
et  docuerit  sic.  Ils  traduisent  :  t  Celui  qui  violera  le  moindre 
de  ces  commandements  et  qui  apprendra  aux  autres  à  faire 
comme  lui,  sera  le  dernier  qu'on  appellera  au  royaume  des 
cieux,  c'est-à-dire,  n'y  sera  jamais  admis,  eXa^ioxoç  xXriÔYjaYjiat. 
A  l'appui  de  cette  interprétation,  on  allègue  la  liaison  de  ce 
verset  avec  le  suivant,  20,  où  l'exclusion  du  royaume  des 
cieux  est  prononcée  bien  nettement,  et  la  gravité  manifeste 
de  la  faute  que  commet  un  ministre  de  Dieu,  en  enseignant 
par  ses  discours  comme  par  ses  exemples  à  transgresser  la 
loi  qu'il  a  mission  de  faire  observer. 

*  288.  —  Pourquoi  les  chrétiens  doivent-ils  être  meilleurs  que  les 
pharisiens  pour  entrer  dans  le  royaume  des  cieux,  v,  20? 

La  vertu  des  pharisiens  avait  de  grands  défauts  que  nous 
devons  éviter  :  —  !•  Plusieurs  se  contentaient  de  prêcher 
la  vertu  sans  la  pratiquer  ^  -—  2^  Un  bon  nombre  se  préoccu- 
paient uniquement  des  œuvres  extérieures,  sans  veiller  sur 
leurs  dispositions,  leurs  intentions,  leurs  pensées*.  — 
3*  Souvent  ils  faisaient  passer  les  observances  les  moins 
importantes  avant  les  lois  les  plus  essentielles  •.  —  4»  Ils 

1  s.  Th.,  i«-2«,  q.  107,  a.  2.  —  «  Matth.,  v,  19-22,  28,  32,  39;  vu,  21 
Cf.  Luc,  XVI,  n.  —  3  s.  Aug.,  RelracU,  i,  19.  —  *  Matth.,  xxiii,  3) 
Rom.,  II,  21.  —  8  Matth.,  v,  21,  27,  43;  xxiii,  25.  —  «  Matth.,  xxiii,  23' 

m.  25 


434  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangîle.  [n<>289 

avaient  recours  à  des  subtilités  pour  éluder  la  loi,  et  peu 
leur  importait  d'en  violer  l'esprit,  s'ils  en  observaient  la 
lettre,  34. 

D'un  autre  côté,  la  loi  chrétienne  étant  plus  parfaite  que 
la  loi  de  Moïse,  donnant  plus  de  lumières  et  conférant  plus 
de  grâces,  doit  imposer  plus  de  devoirs  et  demande  plus  de 
vertus  * . 

*  289.  —  Ces  mots  :  Dico  vobis  non  jurare  omnino,  v,  34,  ne  sont-ils  pas 
restreints  par  les  paroles  qui  suivent  :  Neque  per  cœlum^  etc.? 

La  pensée  de  Notre  Seigneur  par  rapport  au  serment  est 
celle-ci  :  Il  n'en  faut  tenir  aucun  pour  indifférent.  Qu'on 
jure  par  le  ciel,  ou  par  la  terre,  ou  par  la  cité  sainte,  c'est 
toujours  jurer.  Si  on  le  fait  sans  raison,  c'est  une  irrévé- 
rence ;  et  si  on  le  fait  contrairement  à  la  vérité,  c'est  un 
parjure,  aussi  bien  que  si  l'on  avait  juré  par  le  nom  de 
Dieu*.  Pour  éviter  ce  double  péril,  le  meilleur  parti  à 
prendre  serait  de  ne  pas  jurer  du  tout  •.  D'ailleurs,  si 
l'homme  était  resté  droit,  tel  que  Dieu  l'a  fait,  le  serment 
serait  superflu  et  devrait  être  interdit.  Ce  qui  en  fait  une 
nécessité  est  toujours  un  défaut,  une  défiance  répréhensible 
en  celui  qui  lli  conçoit  ou  en  celui  qui  la  fait  concevoir  : 
Qitod  amplius  est,  a  malo  est,  37  *. 

Ces  avis  du  Sauveur  s'expliquent  par  la  persuasion  où 
étaient  les  pharisiens  que,  pour  ne  pas  offenser  Dieu  en 
violant  son  serment,  il  suffit  de  n'avoir  pas  prononcé  son 
nom,  33  •. 

1  Joan.,  xiii,  34;  Brev.,  Dom.  V  post  Pent.y  lect.  vii-ix.  Supra,  n.  1S6. 
—  s  Ps.  XIV,  4;  EccU.,  xxiii,  9;  Jac,  v,  12.  —  »  Dominus  qui  prohibait 
jurare,  supra  ripam  te  noluit  ambulare,  ne  pes  tuus  in  angusto  labator, 
et  cadas.  S.  Aug.,  Serm.  cccvii,  4.  —  *  A  malo  est  ejus  cujus  inflrmi- 
tate  jurare  cogeris.  De  Serm.  Dom.  in  monte ,  i,  51.  —  *  Cf.  Matth.,* 
XXIII,  16-22.  S.  Thom.,  2*-2«  ;  q.  89,  a.  2,  adl.  Martial  dit  qu'il  ne  croit 
pas  au  serment  d'un  juif,  s'il  ne  jure  que  par  le  temple.  Epigr,,  xi,  94. 
Les  Juifs  ont  encore  Tusage  de  jurer  par  leur  tôte. 


NO  29ÔJ  âA  VIE  PtJBLlOUE.  —  SEâ  DISCOURS.  438 

2*  Supériorité  des  dispositions  avec  lesquelles  on  doit  pratiquer 

la  loi  évangélique,  vi,  1-18. 

*  290.  —  Est-ce  à'  la  Trinité  ou  à  la  première  personne  que  s'adresse 
le  nom  de  Père  dans  TOraison  dominicale,  vi^  9? 

C'est  de  la  sainte  Trinité,  et  non  de  la  première  personne 
seulement,  que  nous  sommes  les  images  et  les  enfants  adop- 
lifs.  C'est  des  trois  personnes  ensemble  que  nous  devons 
attendre  les  biens  dont  nous  faisons  la  demande.  C'est  donc 
à  la  Trinité  et  non  pas  au  Père  seulement  que  Notre  Seigneur 
veut  que  nous  adressions  notre  invocation  et  notre  prière  \ 
ce  qui  ne  nous  empêche  pas  de  nous  unir  à  lui  dans  cette 
invocation,  car,  en  tant  qu'Homme-Dieu,  il  est  notre  chef 
et  notre  médiateur,  et  nous  ne  pouvons  glorifier  la  majesté 
divine  qu'avec  lui,  par  lui,  et  en  lui  :  Cum  ipso^  per  ipsum, 
in  ipso. 

Ce  que  le  divin  Maître  nous  apprend  ici  à  demander  se 
réduit  à  deux  choses  :  la  gloire  de  Dieu  et  notre  commune 
sanctification,  deux  choses  inséparables  et  seules  importantes 
aux  yeux  de  la  foi,  que  Jésus-Christ  demandera  encore 
dans  sa  dernière  prière  •. 

Un  grand  nombre  de  saints  Docteurs  ont  fait  le  commen- 
taire de  l'Oraison  dominicale  et  montré  combien  elle  est 
digne  de  son  auteur  et  du  rang  qu'elle  tient  dans  les  prières 
chrétiennes  '.  Tertullien  l'appelle  un  abrégé  de  tout  l'Evan- 
gile. Il  importe  extrêmement  de  la  faire  comprendre,  aimer 
et  répéter  souvent  aux  fidèles  *.  Celui  qui  aurait  bien  établi 
dans  son  cœur  les  dispositions  qu'elle  exprime  posséderait 
l'esprit  de  Notre  Seigneur  et  serait  un  chrétien  parfait  ». 

<  Quod  non  possunt  vere  ac  pie  dicere,  nisi  se  fratres  esse  cognos- 
cant.  S.  Aug.,  De  Serm.  Dom.  in  monter  ii,  16  ;  Thomassin,  1. 1,  p.  560,  etc. 
Cf.  Rom.,  vin,  15,  16;  Gai.,  iv,  5-7;  Eph.,  ii,  3-8;  Heb.,  ii,  10.  InfrUy 
n.  587,  30.  —  8  Joan.,  xvii.  —  8  S.  Aug.,  De  Serm,  Dom.  in  monte,  11, 
§.  Cypr.,  S.  Chrys.;  Catec,  Trid.  Cf.  Marti gny,  Orais.  Dominic»  —  *  In 
Êcclesia  ad  altare  Dei  quotidie  dicitur  ista  dominica  oratio,  et  audiunt 
illam  fidèles  S.  Aug.,  Serm.  lviii,  12;  S.  Thom.,  2^-2'^;  q.  83,  a.  2-9.  La 
Ai5ecxii  Toiv  A«ooToXfov  ordonne  de  la  réciter  trois  fois  le  Jour.  —  ^  Forma 
est  desideriomm.  S.  Aug.,  Serm.  lvi,  4. 


436  lEStà-cHRist  âELoN  l'évangile.  [N0  29i 

*  291.  —  Que  signifie  le  mot  grec  rendu  en  saint  Matthieu  par  mper» 
substantialiSy  vi,  11,  et  en  saint  Luc  par  quotidianum^  xi,  3? 

Ce  mot  eiuioudioç,  apxo;  sxtoudtoç,  ne  se  trouve  qu'en  ces 
deux  endroits  du  Nouveau  Testament.  Il  paraît  signifier  le 
pain  nécessaire  à  notre  subsistance,  ei:i  ouata,  ad  essentiam 
smtentandam  pertinens. 

Quand  on  l'a  traduit  par  quotidianm,  on  a  pris  em  dans  le 
sens  de  ad  :  «  Donnez-nous  chaque  jour  le  pain  nécessaire 
pour  la  subsistance  de  chaque  jour.  »  Quand  on  Ta  rendu 
par  supermbstantialis,  on  a  pris  exi  comme  signifiant  super, 
le  pain  qui  s'ajoute  à  notre  être.  Le  second  sens  diffère  peu 
du  premier,  au  moins  si  on  l'entend  du  pain  matériel,  objet 
direct  de  la  demande  K 

On  a  traduit  récemment  apxoç  eiciouacoç  par  le  pain  du  len- 
demain, en  faisant  venir  ce  mot  de  sictevat,  succéder,  suivre, 
eTciwv  cuda.  Cette  traduction  s'accorde  assez  mal  avec  la  re- 
commandation, qu'on  lit  bientôt  après,  de  ne  pas  s'inquié- 
ter du  lendemain  *  ;  et  l'on  ne  voit  pas  de  raison  pour  s'é- 
carter de  l'interprétation  commune. 

30  Obstacles  et  moyens,  vi,  19-vii,  12. 

292.  —  Quel  est  le  sens  de  ce  verset  ;  Lucema  corporis  tui  est  oculus 
tuus..,,  Yi,  22y  et  comment  se  lie-t-il  à  ceux  qui  précèdent  et  à  ceux 
qui  suivent? 

«  C'est  de  la  droiture  de  votre  conscience  et  de  l'éléva- 
tion de  vos  vues  que  dépend  la  rectitude  morale  et  la  per- 
fection de  votre  conduite ,  comme  c'est  du  bon  état  de  vos 
yeux  que  dépend  la  bonne  direction  de  tous  vos  mouve- 
ments et  l'usage  juste  et  régulier  de  tous  vos  membres  *. 
Si  votre  œil  est  sans  défaut,  tous  vos  membres  sont  éclairés 
et  parfaitement  dirigés.  Vous  marchez  en  pleine  lumière. 

*  Victui  necessaria.  Prov.,  xxx,  8.  —  *  Matth.,  vi,  34.  Cf.  vi,  19-21. 
—  3  Hune  oculum  agnosce  intentionem  qua  facit  quisque  quod  facit. 
S.  Âug.y  Cent.  Julian.,  iv,  33.  Oculo  autem  difficile  est  non  subrepere 
sordes  aliquas  de  his  rébus  quiB  ipsas  bonas  nostras  actiones  comitari 
soient,  veluti  est  laus  humana.  DeSeiin.  in  monte,  u,  1. 


N<>  293]  SA  VIE  PUBUQUE.  —  8BS  DISCOURS.  437 

Hais  s'il  est  en  manvais  état,  vous  êtes  dans  les  ténèbres,  des 
pieds  à  la  tête  :  c'est  comme  si  vous  marchiez  dans  la  nuit,  i 

L'homme  a  trois  lumières  pour  l'éclairer,  celle  da  soleil, 
celle  de  la  raison  et  celle  de  la  foi  ;  la  première  dans  Tordre 
physique,  la  seconde  dans  l'ordre  moral,  la  troisième  dans 
l'ordre  surnaturel.  Or,  dans  chacun  de  ces  ordres,  c'est  de 
la  lumière  qu'il  reçoit,  par  conséquent  de  sa  vue,  de  son 
œil,  que  dépend  la  rectitude  de  sa  conduite  et  le  mérite  de 
ses  œuvres.  Un  aveugle  est  comme  mort  au  monde  exté- 
rieur :  il  ne  peut  agir  qu'au  hasard;  un  homme  qui  est 
privé  de  sa  raison,  ou  qui  étouffe  sa  conscience,  perd  toute 
sa  valeur  intellectuelle  ou  morale  ;  et  un  chrétien  qui  perd 
la  foi  ou  qui  n'en  fait  pas  usage,  devient  nul  en  fait  de 
christianisme,  de  vie  surnaturelle;  il  ne  fait  rien  qui  ré- 
ponde à  sa  vocation,  rien  qui  soit  digne  du  ciel.  Au  con- 
traire, celui  dont  l'œil  est  pleinement  et  constamment  éclairé 
du  flambeau  de  la  foi  est  un  chrétien  parfait  :  il  mène  une 
vie  sainte,  digne  de  son  baptême  et  méritoire  pour  l'éternité. 

Cette  maxime  est  ici  fort  bien  placée,  après  la  recomman- 
dation de  chercher  les  biens  du  ciel  et  non  ceux  de  la  terre; 
elle  conduit  naturellement  à  la  suivante  :  qu'il  ne  faut  pas 
Yoaloir  servir  deux  maîtres  à  la  fois,  ni  beaucoup  s'inquiéter 
des  nécessités  du  corps  \ 

*  293.  ^  Que  défend  Notre  Seigneur  quand  il  dit  :  Nolite  judicare 

tU  non  judieemini,  vn,  1? 

Toute  maxime  vise  à  la  concision  et  admet  des  sous-en- 
tendus. Pour  être  bien  saisie  et  bien  appliquée,  elle  demande 
de  la  droiture  et  du  discernement.  Celle-ci  signifie  :  t  Ne 
vous  érigez  pas  en  censeurs  de  vos  frères.  Ne  vous  faites  pas 
une  habitude  et  un  plaisir  de  les  juger  défavorablement.  » 
Elle  n'interdit  pas  à  ceux  qui  sont  juges  de  condamner  les 
coupables,  ni  aux  supérieurs  d'apprécier  ceux  dont  ils  ont 
la  conduite  ',  ni  à  qui  que  ce  soit  de  se  rendre  compte  des 
actes  qui  les  concernent,  afin  de  se  conduire  avec  discrétion 

»  Cf.  s.  Thom.,  l*-2« ,  q.  12,  à.  1.  —  «  I  Joan.,  iv,  t. 


438  JESUS-CHRIST  SELON  l'ëvangile.  [n<*  294 

et  avec  prudence,  6;  mais  elle  défend  de  condamner  le  pro- 
chain sur  de  simples  soupçons  ou  de  juger  en  mauvaise 
part  sans  raison  suffisante  ^  Ceux  qui  sont  sujets  à  ce  dé- 
faut ont  à  craindre  un  double  inconvénient  :  celui  d'être 
censurés  comme  ils  censurent  le  prochain ,  et  celui  de  se 
rendre  ridicules  en  montrant  moins  de  zèle  et  de  clair- 
voyance pour  leur  perfection  que  pour  celle  de  leurs  frères*. 
Quand  on  est  injuste,  quelle  grâce  a-t-on  à  demander  jus- 
tice? 

*  294.  —  Voyons-nous  mieux  ce  que  le  prochain  doit  faire  pour  noas 
que  ce  que  nous  devons  faire  pour  lui,  vu,  12? 

Pour  ne  pas  nous  tromper  sur  nos  obligations  envers  le 
prochain,  rien  de  mieux  que  de  nous  mettre  en  esprit  à 
sa  place,  et  de  voir,  en  le  plaçant  à  la  nôtre,  à  quoi  nous 
croirions  avoir  droit  de  sa  part  :  Intellige  qtuB  sunt  proximi 
tui  ex  teipso  '.  Ainsi,  pour  comprendre  que  le  vol  est  un 
mal,  il  suffit  de  supposer  qu'on  est  soi-même  victime  d'une 
spoliation  *.  Avec  ce  procédé  nous  ne  sommes  guère  ex- 
posés à  méconnaître  ou  à  diminuer  nos  obligations.  Le  seul 
péril  à  craindre,  c'est  de  prendre  un  conseil  pour  un  pré- 
cepte et  d'aller  au  delà  du  devoir.  Au  contraire,  si  l'on 
procède  autrement,  si  l'on  considère  directement  à  quoi  l'on 
est  tenu  envers  ses  semblables,  on  sera  porté  par  égoïsme 
à  restreindre  la  loi.  Notre  Seigneur  indique  donc  le  vrai 
point  de  vue  où  il  faut  se  placer,  si  l'on  veut  apprécier  jus- 
tement et  respecter  comme  il  convient  les  droits  du  pro- 
chain :  QvÀBcumque  vultis  ut  fcumnt  vobis  homines^  et  vos 
facite  mis  '.  Il  n'y  a  là  aucune  pétition  de  principe*. 

i  I  Cor.,  XIII,  5.  Sunt  quœdam  facta  média  quse  ignoramus  quo  animo 
flant,  quia  et  bono  et  malo  fieri  possunt,  de  quibus  temerarium  est 
judicare,  maxime  ut  condemnemus.  S.  Aug.,  De  Serm.  Dom.  in  monte, 
II,  60.  —  8  Matth.,  VII,  1-5.  —  3  Eccli.,  xxxi,  18.  —  ♦  Quis  enim  for 
œquo  animo  patitur  furem?  S.  Aug.,  Conf,^  ii ,  4. —  *  Matth.,  vu,  12. 
Non  ait  :  Quidquid  cupitis.  S.  Aug.,  de  Civ.j  xiv,8.  Voluntas  cnini  non 
est  nisi  in  bonis.  In  malis  cupiditas  dicitur,  non  voluntas.  De  Serm. 
Dom,  in  monte,  ii.  14.  Cf.  Job.,  iv,  16;  Kccli.,  xxi,  16.  —  6  S.  Franc,  de 
Sal.,  Vie  dévote^  III,  xxxvi. 


NO  296]  SA  VIE  PUBUQUE.  —  SES  DISCOURS.  439 

8®  Conclusion,  vu,  13-27. 

295.  ^  Quand  le  Sauveur  dit  qu'il  en  est  peu  qui  prennent  la  bonne 
voie,  vu,  13,  14,  a-t-il  en  vue  les  hommes  de  son  temps  auxquels 
l'Evangile  est  annoncé,  ou  bien  le  genre  humain  en  général^  c'est-à- 
dire  les  adultes  de  tous  les  temps  et  de  tous  les  lieux? 

On  ne  voit  rien  qui  restreigne  les  maximes  du  Sauveur 
au  temps  ou  au  lieu  où  il  les  prononçait,  et  nous  les  voyons 
alléguées  indifféremment  à  toutes  les  époques,  par  les  Pères 
de  TEglise  et  les  Docteurs  *.  Ce  n'est  pas  à  dire  que  toujours 
et  partout,  dans  l'intérieur  de  l'Eglise  comme  au  dehors,  la 
plupart  des  adultes  se  perdent.  Pour  avoir  droit  d'affir- 
mer ce  fait,  il  faut  se  placer,  comme  Notre  Seigneur  le  fait 
ici,  devant  la  totalité  des  hommes.  Sur  le  nombre  des  élus, 
comme  sur  l'époque  de  la  fin  du  monde,  ce  divin  Maître 
n'a  jamais  voulu  rien  préciser.  Lorsqu'on  lui  demande  :  Si 
pam  sunt  qui  salvantur  •,  il  se  contente  de  répondre  :  Con- 
tendite  intrare  par  angustam  portam  •.  Ne  suffit-il  pas  en 
effet  de  savoir  ces  deux  choses  ;  qu'il  dépend  de  chacun  de 
se  sauver,  mais  que,  pour  arriver  au  salut,  il  faut  passer 
par  la  porte  étroite  et  marcher  dans  le  sentier  le  moins 
large? 

*296.  —  Quels  sont  les  faux  prophètes  dont  parle  Notre-  Seigneur  et 
comment  veut-il  qu'on  les  reconnaisse,  vu,  15-18? 

!•  Notre  Seigneur  entend  par  faux  prophètes  tous  ceux 
qui  s'arrogent,  sans  aucun  titre,  le  droit  de  parler  au  nom 
de  Dieu,  et  qui  donnent  l'erreur  pour  la  vérité  *. 

2*  Il  recommande  de  ne  pas  s'en  rapporter  aveuglément 
à  leurs  paroles,  mais  de  considérer  leur  vie  et  celle  de  leurs 
disciples,  ou  de  juger  des  arbres  par  leurs  fruits.  C'est  le 
meilleur  parti-  pour  la  multitude,  incapable  d'apprécier  la 
doctrine  en  elle-même.  Les  imposteurs  n'ont  pas  coutume 

^  Vide  contra  pauca  grana  quantam  paleam  levés.  S.  Aug.,  In  Ps,  cxux, 
3.  Cf.  Eccli.,  XYi,  3;  xxi,  10;  Matth.,  xvii,  14;  xx,  16;  I  Joan.,  y,  19. 
S.  Th.,  p.  1,  q.  23,  a.  7,  ad  3.  —  2  Luc,  xiii,  23.  —  »  Cf.  Matth.,  vu, 
13, 14;  II  Pet.,  m,  14.  —  *  Mattli.,  x,  41  ;  xiii,  57;  xxiii,  34;  xxiv,  5,  24; 
Luc,  XI,  49;  II  Pet.,  ii,  1.  Cf.  Matth.,  vu,  22. 


440  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n<»  297 

de  propager  la  vertu.  En  matière  religieuse  surtout,  Ter- 
reur ne  manque  guère  de  produire  le  vice,  et  si  le  maître 
réussit  à  se  cacher,  son  disciple  le  trahit  :  Qtiod  in  radice 
ceîatur,  declaratur  in  ramis  *. 

3**  En  comparant  les  hommes  à  des  arbres,  Notre  Sei- 
gneur ne  nie  pas  que  l'être  raisonnable  n'ait  des  facultés 
qui  rélèvent  au-dessus  du  végétal.  On  n'a  donc  pas  droit  de 
conclure  de  sa  comparaison  que  nous  n'avons  aucune  li- 
berté, qu'il  ne  dépend  pas  du  juste  de  faire  mal  ou  du  pé- 
cheur de  recouvrer  la  grâce,  de  faire  des  œuvres  de  salut, 
de  se  rendre  tel  qu'il  désire  *.  Tout  ce  qui  résulte  de  ses  pa- 
roles, c'est  que  le  juste  ne  fera  le  mal  qu'en  devenant  mau- 
vais, et  que  le  pécheur  ne  fera  de  bonne  œuvre  qu'en  deve- 
nant bon  '.  On  peut  dire  encore  que  tout  ce  qui  est  de  na- 
ture à  produire  de  bons  effets  est  bon,  et  qu'une' institution 
qui  n'a  d'elle-même  que  d'heureux  résultats  ne  peut  être 
mauvaise  *.  Appliquez  cette  maxime  à  l'Evangile,  à  ses 
dogmes,  à  sa  morale. 


297.  -—  Que  signifie  cette  réflexion  de  TEvangéliste  :  Erat  docens 

sicut  potestatem  habens  *,  vu,  29? 

Cette  réflexion  de  S.  Matthieu  explique  l'impression  que 
la  parole  du  Sauveur  produisait  sur  le  peuple  et  l'admira- 
tion qu'il  inspirait  à  la  foule.  «  On  voyait  en  lui,  dit  l'Evan- 
géliste,  autre  chose  qu'un  docteur  ordinaire,  qu'un  inter- 
prète de  la  loi.  Il  ne  disait  pas,  comme  les  prophètes  :  Uœc 
dicit  Dominus.  Il  ne  recourait  pas  à  la  discussion,  ;au  raison- 
nement, au  témoignage  des  hommes,  comme  les  scribes  et 
les  pharisiens.  Il  ne  se  bornait  pas  à  répéter  ce  qui  avait  été 
dit  et  à  recommander  les  pratiques  reçues.  Il  parlait  en  son 

1  s.  Ang  ,  in  Ps.  li,  12.  Brev.,  Fer.  IV  post  Cineres,  lect.  ii,  m.  — 
s  Hoc  ubique  observandum  est,  ut  simiUtudines  non  universim  accipim- 
tur,  sed  quod  in  illis  opportunum  est  et  ad  quod  declarandum  assumptc 
sunt,  oportet  seligere,  rcliqua  vero  ornnia  missa  facere.  S.  Chrys.,  M 
Rom.,  Hom.  xvi,  8  —  3  Matth.,  xii,  33.  Sic  potest  dici  :  Non  potest  nix 
fieri  calida.  S.  Aug.,  De  Seiin.  Dont,  in  monte ^  ii,  79.  Mutet  cor,  et  muta- 
bitur  opus.  Cont,  Adimant,,  26.—  *  Cf.  Gai.,  v,  19-23.—  «  Cf.  Eccles„Tiu,4. 


NO  298]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  DISCOURS.  441 

propre  nom,  avec  indépendance  et  avec  empire;  et  l'on  sen- 
tait qu'il  avait  droit  de  parler  ainsi.  » 

En  effet,  qui  ne  le  sent  encore  ?  Si  simple  et  si  modeste 
que  soit  son  langage,  le  divin  Maître  ne  permet  pas  la  dis- 
cussion. Il  juge,  définit,  ordonne  :  Ego  autem  dico  vobis.,. 
Est,  est;  Non,  won*.  Ses  paroles  convainquent  l'esprit  et 
pénètrent  l'âme,  sicut  stimuli  et  quasi  clavi  in  altum  defixi 
a  pastore  uno  *.  Ab  uno  magistro^  solo  docendis  tantis  rébus 
idoneo  •.  Nul  ne  peut  méconnaître  le  Docteur  suprême  et  le 
Juge  souverain  qui  prononce  et  qui  prescrit.  A  moins  de  se 
révolter  contre  lui,  il  faut  baisser  la  tête  et  recevoir  son 
joug.  Les  âmes  droites  et  dociles  l'acceptent  avec  joie  *. 

298.  —  Ce  discours  ne  confond-il  pas  souvent  le  conseil  avec  le 
précepte  et  la  perfection  avec  le  devoir? 

On  ne  peut  pas  dire  que  le  Sauveur  confonde  le  conseil 
avec  le  précepte,  en  ce  sens  qu'il  donne  jamais  l'un  pour 
l'autre.  Seulement  il  ne  s'arrête  pas  à  les  distinguer,  et  assez 
souvent  il  laisse  douter  s'il  commande  ou  s'il  conseille.  Mais 
est-ce  un  défaut  dans  cette  instruction?  Le  divin  Maître 
n'est  pas,  comme  un  théologien,  en  présence  d'un  audi- 
toire instruit,  qui  demande  à  connaître  avec  précision  l'é- 
tendue et  la  limite  du  devoir  ;  c'est  un  prédicateur  qui 
exhorte  en  même  temps  qu'il  instruit.  Il  s'adresse  à  des 
âmes  simples  et  ferventes  qui  l'écoutent  avec  docilité.  Il 
parle  à  leur  cœur  bien  plus  qu'à  leur  esprit,  et  il  s'efforce 
de  leur  inspirer  l'amour  de  la  sainteté.  Lui-même  compare 
ses  paroles  à  des  grains  de  froment,  à  des  semences  de 
vertu  destinées  à  germer,  à  croître,  à  fructifier  '.  Ce  n'est 
donc  pas  seulement  le  devoir,  c'est  toute  la  morale  chré- 
tienne, c'est  le  code  même  de  la  perfection  qu'il  développe. 
Estote  perfecti^  dit-il.  Luceat  lux  vestra  coram  homnibus  •  ! 

»  Matth.,  V,  22,  28,  32,  39;  vu,  22-21.  —  «  Eccli.,  xii,  il.  —  3  S.  Aug., 
De  Serm.  Dont,  in  monte,  i,  initie.  —  ♦  Omnis  populus  suspensus  erat, 
eUxp6(AaTo,  audiens  illum.  Luc,  xix,  48.  Cf.  Jean.,  m,  31;  vu,  46; 
VIII,  47.  Bossuet,  MédiU  Dern.  sera.  2«  Jour.  —  *  Matth.,  v,  16.  — 
*  Luc,  vin,  5,  11. 

25. 


442  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n®  299 

Qu'on  ne  s'étonne  pas  davantage,  s'il  use  d'hyperboles, 
de  figures  oratoires,  si  toutes  ses  paroles  ne  peuvent  être 
entendues  bien  rigoureusement,  s'il  faut  en  prendre  l'esprit 
plutôt  que  la  lettre.  Tel  est  notre  langage,  quand  nous  cher- 
chons à  parler  aux  cœurs,  quand  nous  voulons  toucher. 
Puisqu'il  s'est  fait  homme,  et  qu'il  s'adresse  à  des  hommes, 
le  Fils  de  Dieu  ne  doit-il  pas  parler  le  langage  des  hommes, 
c'est-à-dire  s'exprimer  comme  tout  autre  le  ferait  dans  les 
mômes  circonstances,  pour  rendre  les  mômes  pensées  et 
produire  les  mômes  effets  *  ? 

Cela  n'empôche  pas  que  ce  discours  ne  se  ressente  de  son 
origine  et  ne  porte,  au  plus  haut  degré,  l'empreinte  de  son 
auteur.  Toutes  les  grandes  âmes  y  ont  trouvé  une  lumière, 
une  élévation,  une  pureté,  un  calme,  qui  ne  sont  pas  de 
l'homme.  «  Pour  moi,  écrit  le  P.  Gratry,  je  ne  puis  m'em- 
pôcher  de  dire  que  plusieurs  fois  dans  ma  vie,  j*ai  vu  Dieu 
dans  ces  pages  :  mes  larmes  d'admiration  les  ont  mouillées, 
et  mes  baisers  d'adoration  les  ont  usées.  » 

Discours  aux  Apôtres  sur  leur  vocation.  Matth.,  ix,  36-z,  42. 

*  299.  —  Quand  Notre  Seigneur  s'attendrissait  sur  Tétat  des  âmes,  ne 
considérait-il  que  les  populations  dont  il  était  entouré  dans  les  cam- 
pagnes de  la  Galilée? 

Quand  le  divin  Maître  s'attendrissait  ainsi  sur  l'état  des 
âmes  et  qu'il  gémissait  de  voir  si  peu  d'ouvriers  à  la  mois- 
son du  Seigneur  ",  on  pouvait  croire  que  sa  pensée  se  bor- 
nait aux  populations  qu'il  avait  sous  les  yeux  ;  mais  elle  al- 
lait plus  loin  que  son  regard  :  il  n'y  a  pas  de  doute  que  le 
monde  entier  ne  fût  présent  à  son  esprit  et  l'objet  de  sa 
compasssion.  Aussi  une  grande  partie  de  ses  avis  s'appli- 
quent-ils moins  à  la  mission  qu'allaient  entreprendre  les 
Apôtres  qu'à  celle  qu'eux-mêmes  ou  leurs  successeurs  ac- 
complirent plus  tard  '.  Si  triste  que  fût  l'état  des  âmes  en 
Judée,  c'était  encore  la  seule  contrée  où  le  vrai  Dieu  fût 

1  Nonne  talibus  locutionibus  humana  plena  est  consuetudo?  An  aliter 
nobiscum  quam  nostro  more  erat  locuturus?  S.  Aug.,  Cont.  FausLy 
xxxiiï,  7.  —  2  Matth.,  ix,  36-38.  Cf.  Joan.,  iv,  34-38,  —  »  Matth.,  x,  16-31. 


f^  300]  SA  VIE  PCBUQCE.  —  SES  DISCOURS.  .     443 

connu.  Aa  dehors,  tout  était  Diea,  excepté  Dieu  même; 
rien  n'était  oublié,  sauf  l'essentiel,  le  salut,  la  vie  étemelle. 
N'estH^  pas  encore  aujourd'hui,  malheureusement,  l'état 
de  la  plus  grande  partie  du  genre  humain?  Sur  un  milliard 
et  demi  d'hommes  qui  peuplent  le  globe,  prés  d'un  milliard 
ignorent  Jésus-Christ  et  ont  à  peine  quelque  notion  de  Dieu. 
Sur  quatre  cent  millions  de  chrétiens,  plus  d'un  tiers  sont 
rebelles  à  l'Eglise  et  ont  perdu  la  yraie  foi.  Et  même  dans 
les  pays  les  plus  catholiques,  combi^i  qui  vivent  en  infidèles 
et  qui  meurent  dans  le  péché,  faute  d'assistance  extérieure 
et  d'ouvriers  apostoliques  *  ! 

300.—  Ce  discours  est-il  bien  différent  da  Sennon  sur  la  montagne? 

Ce  discours  s'adresse  à  un  autre  auditoire  que  le  précé- 
dent; il  a  un  autre  objet;  mais  son  importance  n'est  pas 
moindre.  Comme  le  discours  sur  la  montagne  est  le  code  de 
la  morale  chrétienne,  celui-ci  est  la  règle  de  la  perfection 
sacerdotale  et  apostolique.  C'est  la  partie  la  plus  précieuse 
et  la  plus  féconde  de  la  morale  évangélique.  Chaque  verset 
rappelle  au  lecteur  mille  traits  héroïques  de  la  vie  des 
Apôtres  ou  de  l'histoire  ecclésiastique  ;  et  qui  eût  bien  com- 
pris ces  maximes  et  eût  réfléchi  à  la  vertu  toute-puissante 
qu'elles  portaient  en  elles,  eût  vu  dès  lors  dans  l'avenir  les 
prodiges  de  zèle,  d'abnégation,  de  courage  auxquels  le 
monde  doit  sa  foi.  Aussi  les  rationalistes  ne  manquent-ils 
pas  de  dire  que  ces  maximes  ont  été  inspirées  à  l'auteur  du 
premier  évangile  par  la  vie  des  Apôtres,  surtout  par  celle  de 
S.  Paul,  qu'il  connaissait;  comme  s'il  avait  été  plus  facile 

*  Ce  qui  reste  à  faire  ne  doit  pourtant  pas  nons  fermer  les  yeax  sur 
ce  qui  est  fait  et  sur  ce  qui  se  prépare.  La  France  à  eUe  seule,  n*a  pas 
moins  de  deux  à  trois  mille  de  ses  prêtres  dans  les  travaux  des  missions, 
sans  compter  les  frères  et  les  sœm*s  qui  les  secondent.  «  Si  Ton  observe 
la  marche  générale  de  la  civilisation  sur  le  globe ,  on  ne  pourra  guère 
douter  que  le  christianisme  ne  parvienne  à  dominer  le  monde.  Déjà  TEu- 
rope  et  rAmérique  lui  appartiennent.  L'Asie  est  entourée  de  tous  les 
côtés.  L'Afrique  eUe-mème  commence  à  s'ouvrir.  On  peut  regarder  ce 
merveiUeux  spectacle  avec  sécurité.  Le  dénouement  ne  saurait  être 
douteux,  a  Barth.  de  Saint-Hilaire.  Journal  de9  savants. 


444  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'éyangile.  [n^  301 

de  les  pratiquer  que  de  les  concevoir  et  de  les  annoncer. 
On  distingue  trois  parties  dans  ce  discours.  —  La  pre- 
mière comprend  divers  préceptes  relatifs  à  la  première  mis- 
sion des  Apôtres,  x,  5-15.  —  La  seconde  a  pour  objet  celle 
qu'ils  auront  à  remplir  après  la  venue  du  Saint-Esprit, 
16-23.  —  La  troisième  s'applique  à  toutes  les  missions  qui 
doivent  avoir  lieu  jusqu'à  la  fin  des  temps  :  elle  est  pleine 
d'encouragements  et  de  promesses,  24-42.  La  distinction 
des  parties  est  marquée  par  la  répétition  de  cette  formule 
d'affirmation,  familière  à  Notre  Seigneur  :  Amen  dico  voMs, 

1**  Pour  la  mission  actuelle  en  Galilée,  x,  5-15. 

301.  —  Que  signifie  ce  verset  :  Infirmas  enraie;  mortuos  mscitaie..... 
dsmones  ejicite;  gratis  accepistis,  gratis  date,  i,  18  *? 

1®  Par  les  premières  paroles.  Notre  Seigneur  commu- 
nique à  ses  envoyés  le  pouvoir  de  faire  les  mêmes  miracles 
que  lui,  aTQpLsia,  de  guérir  les  malades,  de  ressusciter  les 
morts,  de  chasser  les  démons  '.  Par  là,  il  montre  qu'il  n'est 
pas  seulement  un  thaumaturge  et  un  prophète,  mais  le 
maître  des  thaumaturges  et  des  prophètes*;  il  donne  à  ses 
Apôtres  le  moyen  le  plus  convaincant  de  prouver  la  vérité 
de  leur  prédication,  et  il  rend  sensibles  et  croyables  les 
grâces  que  ses  ministres  auront  bientôt  à  conférer  aux 
âmes. 

2*  Par  ces  derniers  mots  :  Gratis  accepistis,  gratis  date,  le 
Sauveur  défend  aux  Apôtres  de  trafiquer  de  ces  pouvoirs  ou 
d'en  tirer  aucun  profit  temporel*.  Il  n'entend  pas,  sans 
doute,  qu'ils  manquent  du  nécessaire,  ou  que  le  soin  de  leur 
subsistance  les  détourne  des  travaux  du  ministère.  Son  in- 
tention est  que  les  disciples  subviennent  à  l'entretien  des 
maîtres,  ou  que  les  ouailles  pourvoient  aux  besoins  de  leurs 
pasteurs  '^;  et  il  ne  manquera  jamais  de  mettre  cette  dispo- 

1  Matth.,  X,  8.  —  2  Virtutem  calcandi  supra  serpentes  et  scorpiones. 
Luc,  X,  19. —  3  Multa  enim  distantia  est  inter  habere  et  tribuere,  donare 
et  accipere.  S.  Hieron.,  In  hune  loe,~~  *  Cf.  Act.,  vm,  20  ;  xx,  35;  I  Tim., 
m,  8;  II  Pet.,  ii,  15,*  Jud.,  16;  IV  Reg.,  v,  16;  Dan,,  v,  17.  —  »  Mttth., 


NO  302]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  DISCOURS.  446 

sition  dans  le  cœur  des  fidèles*.  Mais  ce  à  quoi  il  tient  sur- 
tout, pour  l'honneur  du  sacerdoce  et  pour  le  bien  des 
âmes,  c'est  qu'un  ministère  de  charité  ne  devienne  jamais 
un  moyen  de  lucre  ;  c'est  que  ses  représentants  aient  dans 
le  cœur  et  montrent  en  leur  conduite  l'esprit  de  générosité 
dont  il  a  donné  l'exemple  et  que  les  infidèles  admiraient 
dans  le  Père  des  croyants  •. 

*  302.  •—  Les  recommandations  de  Notre  Seigneur  aux  Apôtres 
s'adressent-elles  aussi  à  leurs  successeurs  ? 

Plusieurs  de  ces  recommandations  n'avaient  pour  objet 
que  cette  première  mission;  par  exemple  : 

!•  Celle  de  ne  pas  s'adresser  aux  Samaritains  et  aux  Gen- 
tils, Il  convenait,  dit  S.  Thomas,  que  l'Evangile  fût  proposé 
d'abord  à  l'ancien  peuple,  et  que  les  infidèles  fussent  ame- 
nés à  la  foi  par  les  descendants  d'Abraham  '.  D'ailleurs  le 
Sauveur  devait  ménager  les  prétentions  de  ses  compatriotes 
à  l'égard  des  païens,  et  ne  pas  exposer  prématurément  ses 
Apôtres  aux  emportements  de  la  Synagogue.  Mais  il  ne  fai- 
sait que  différer  l'exécution  de  ses  desseins  ;  car  il  n'est  pas 
douteux  qu'il  ne  destinât  dès  lors  sa  religion  au  monde  en- 
tier. Il  avait  assez  fait  voir  qu'il  ne  partageait  pas  les  pré- 
jugés de  sa  nation  contre  les  étrangers,  et  qu'il  n'excluait 
personne  du  royaume  de  Dieu  *. 

2*  La  pratique  qu'il  leur  impose  d'une  pauvreté  absolue. 
Plus  tard,  quand  il  les  enverra  parmi  les  Gentils,  il  ne  leur 
demandera  plus  à  eux-mêmes  un  dénûment  aussi  complet  *  ; 
mais  ce  premier  début  leur  aura  appris  quel  est  l'esprit  de 
leur  vocation  et  jusqu'où  ils  doivent  porter  leur  confiance 

X,  11,  41;  Luc,  X,  7;  I  Cor.,  ix,  7,  U-15?  Gai.,  vi,  6.  Cf.  IV  Rcg., 
IV,  10. 

*  Act.,  IX,  43;  xvm,  2;  PhU.,  ii,  29;  iv,  10,  16,  etc.  —  «  Gcn.,  xiv, 
21-23.  Cf.  Luc,  IX,  58;  H  Cor.,  viii,  9;  S.  Thom.,  2*-2«,  q.  185,  a.  6.  — 
»  Sic  in  cœlosti  hierarchia  per  superiores  angelos  ad  infcriores  divine 
illuminationes  deveniunt.  S.  Thom.,  p.  3,  q.  42^  a.  1.  Cf.  Act.,  xiii, 
46,  47;  Rom.,  xv,  8.  —  ♦  Matth.,  viii,  10-12;  Luc,  vu,  1-10;  ix,  52-56; 
X,  30-37;  XIII,  29;  xvii,  16.  Cf.  Matth.,  xxiii,  38;  xxiv,  14;  xxviii,  19; 
Marc,  XVI,  15;  Act.,  i,  8;  xiii,  4,  6;  Rom.,  xv,  8.  —  »  Luc,  xxii, 
35y  36;  Jfoan.,  xm,  29. 


446  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n<>  303 

en  la  Providence,  avec  leur  fidélité  à  s'occuper  uniquement 
des  intérêts  de  leur  divin  Maître  K 

303.  —  Ce  que  le  Sauveur  dit  en  S.  Matthieu  :  Neque  calceamenta,  ne- 
que  oirgam,  x,  10,  est-il  contraire  à  ce  qu'on  lit  en  S.  Marc  :  Caîcea' 
tos  sandaliîs,»,  et  virgam  tantum,  vi,  9? 

Le  désaccord  entre  S.  Matthieu  et  S.  Marc  n'est  qu'appa- 
rent, ou  plutôt  il  n'y  a  de  différence  que  dans  les  expres- 
sions. D'un  côté  comme  de  l'autre,  la  pensée  du  Sauveur, 
c'est  que  ses  Apôtres  partent  sans  retard  pour  leur  mission, 
qu'ils  comptent  sur  sa  Providence  pour  subvenir  à  leurs 
besoins,  qu'ils  se  gardent  de  toute  hésitation  et  de  toute  dé- 
fiance, qu'ils  ne  perdent  pas  de  temps  à  s'équiper  pour  le 
voyage,  ou  à  visiter  leurs  amis  sur  la  route  *.  t  Partez  sur- 
le-champ,  leur  dit-U,  dans  l'état  où  vous  éUBte.  Ne  prenez  ni 
argent,  ni  vivres,  ni  vêtement.  Partez  comme  des  envoyés 
de  Dieu  qui  mettent  toute  leur  confiance  en  celui  qui  les 
envoie,  comme  partit  Jacob,  in  bactUo  suo  •,  n'ayant  pour 
lui  que  la  protection  du  Ciel.  Contentez-vous  de  la  chaus- 
sure que  vous  portez,  du  bâton  que  vous  avez  à  la  main,  et 
même,  si  vous  n'en  avez  pas,  ne  vous  en  mettez  pas  en 
peine  ;  n'en  cherchez  pas  :  Myj  /.TTQor^aOî,  nolite  comparare  *.  » 
Cette  recommandation  est  rendue  diversement  par  les  Evan- 
gélistes.  Les  uns  saisissent  un  trait  dans  les  paroles  du 
Sauveur,  les  autres  un  autre;  mais  au  fond  l'idée  est  ren- 
due par  tous.  Or,  doit-on  leur  demander  autre  chose?  Nihil 
aliud  quœrendum^  dit  S.  Augustin,  qtuim  quid  velit  iUe  qui 
loquitur^. 

Les  interprètes  qui  ont  cherché  plus  minutieusement  à 

1  Gela  suffit  d'ailleurs  pour  recommander  les  Ordres  mendiants  et  les 
missions  à  Textérieur.  Quis  hoc  mandaret,  nisi  qui  conros  alit  et  flores 
agri  vestit?  Tert.,  Adv,  Marc,  iv,  21.  Cf.  Luc,  ix,  23;  I  Cor.,  ii,  4, 5; 

1  Thess.,  II,  9  ;  S.  Thom.,  2a-2» ,  p.  185,  a.  6,  ad  2,  et  p.  3,  q.  40,  a.  3.  - 

2  Luc,  X,  5.  Cf.  IV  Reg.,  iv,  29.  —  3  Gen.,  xxxii,  10.  —  ♦  Matth.,  x,  10. 
—  6  s.  Aug.,  de  Consensu  evang.,  II,  2,  3.  Non  mentitur  quisquam,  si 
alius  verbis  dixerit  quid  alius  voluerit,  cujus  verba  non  dicit;  nec  miscri 
aucupes  vocum  apicibus  litterarum  putent  ligandam  esse  veritatem. 
II,  67.  Cavenda  est  sophistica.  De  doct.  christ.,  ii,  31.  Cf.  Cont  Faust, 
xxiii,  8;  Cont.  Adimant^  u,  S.  Hieron.,  in  Amo9»,  v,  25;  EpitL  fcvn,  6. 


NO  304]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —   SES  DISCOURS.  447 

mettre  d'accord  les  paroles  des  Evangélistes,  distinguent  les 
sandales,  qu'on  portait  ordinairement,  de  la  chaussure  de 
voyage,  et  la  baguette,  dont  le  voyageur  s'aide  en  mar- 
chant, du  bâton  qu'on  prenait  en  cas  de  péril  pour  se  dé- 
fendre. Mais  ces  distinctions  ne  paraissent -pas  nécessaires. 
Il  suffit  de  ne  pas  pointiller,  comme  disent  les  saints  Doc- 
teurs*. 

2«  Pour  la  mission  prochaine  des  Apôtres  dans  le  mondet  x,  16-23. 

*  304.  —  Gomment  los  Apôtres  devaient-ils  joindre  la  prudence  da 

serpent  à  la  simplicité  de  la  colombe,  x,  16? 

Les  serpents  fuient  au  moindre  bruit  et  se  dérobent 
promptement  au  péril.  Ainsi  les  Apôtres  devaient  fuir  tous 
les  dangers,  ceitx  de  l'âme  d'abord  et  ceux  du  corps  ensuite, 
sans  jamais  opposer  la  force  à  la  force.  C'est  ce  que  faisaient 
les  premiers  chrétiens,  qui  se  retiraient  dans  leurs  cata- 
combes à  la  première  annonce  de  la  persécution.  Remar- 
quez que  Notre  Seigneur  dit  serpens^  reptile.  Il  ne  parle  pas 
de  vipère  :  genimina  viperarum  •.  Néanmoins,  on  pourrait 
penser  que  les  serpents  représentent  ici  comme  en  beau- 
coup d'endroits  les  méchants,  ou  l'esprit  mauvais  qui  les 
inspire;  de  môme  que  les  colombes  sans  fiel  et  sans  malice 
représentent  les  âmes  droites  et  l'Esprit  saint  qui  habite  en 
elles  •.  Alors  le  sens  serait  :  Prenez  de  vos  ennemis  ce  qu'ils 
ont  de  bon  :  leur  prudence,  leur  circonspection  naturelle; 
mais  joignez-y  la  simplicité  toute  céleste  que  donne  la  di- 
vine grâce. 

Cavete  ab  hominilms,  ajoute  le  divin  Maître.  Dès  ce  mo- 
ment, il  a  soin  d'accoutumer  peu  à  peu  les  Apôtres  à  l'idée 
des  persécutions  qui  leur  sont  réservées.  Il  veut  qu'ils  s'y 
préparent,  qu'ils  affermissent  leurs  résolutions,  qu'ils  ne 
soient  pas  surpris. 

*  Supra,  n.  281.  —  «  Matth.,  xxiii,  33.  Brev.  rom.,  H  jun.,  lect.  vii- 
IX.  —  3  Simplices,  axepaiot,  non  altéré  ni  falsifié  par  aucun  mélange. 
Simplicité  est  opposé  à  duplicité,  fourberie,  mensonge. 


448  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'eyangile.  [n<>  303 

305.  —  Les  prédictions  de  Notre  Seigneur  sur  Taccaeil  que  le  monde 
fera  aux  apôtres,  x,  16-22,  se  sont-eUes  accomplies? 

Les  prédictions  faites  par  Notre  Seigneur  en  cette  cir- 
constance *  se  sont  accomplies  avec  tant  de  précision  que, 
s'il  n'était  constant  que  cet  Evangile  est  antérieur  à  la  ruine 
de  Jérusalem,  et  antérieur  de  vingt  à  trente  ans,  comme 
l'affirme  Eusèbe,  on  ne  manquerait  pas  de  dire  que  ce  pas- 
sage a  été  écrit  après  les  premières  persécutions. 

Les  Apôtres  ne  se  sont-ils  pas  conduits  comme  des  brebis 
au  milieu  des  loups,  et  n'ont-ils  pas  été  traités  de  même? 
On  a  créé  un  mot  nouveau  pour  exprimer  leurs  souffrances 
et  leur  courage  ;  car  le  nom  de  martyr  n'existait  pas,  ou  du 
moins  il  n'avait  pas  sa  signification  actuelle,  quand  Jésus- 
Christ  disait  qu'il  deviendrait  le  leur*.  Si  l'un  d'eux  a 
échappé  à  la  mort  violente,  c'a  été  par  miracle  et  sans  se 
dérober  au  supplice.  Le  Sauveur  avait  annoncé  que  ses  dis- 
ciples seraient  odieux  au  monde  entier,  et  qu'on  se  ferait 
un  mérite  de  le  persécuter  :  Eritis  odio  omnUms^  22.  Du 
temps  môme  de  S.  Paul,  tout  le  monde  semblait  ligué  pour 
les  combattre  *.  Avant  la  fin  du  siècle.  Tacite  écrivait  dans 
ses  Annales  que  le  genre  humain  voyait  dans  les  chrétiens 
des  ennemis  acharnés,  odio  gêner is  humani  convicti.,.,per 
flagitia  invisi  *;  et  l'on  ne  peut  douter  que  le  monde  n'eût 
dès  lors  pour  eux  toute  la  haine  qu'il  leur  attribuait  pour 
lui  *.  Le  Sauveur  avait  dit  qu'ils  seraient  haïs  et  persécutés 
à  cause  de  son  nom  :  Propter  nomen  meum;  et  c'est  un  fait 
qu'il  suffisait  de  porter  le  nom  de  chrétien  pour  être  dévoué 
aux  supplices,  comme  il  suffisait  d'y  renoncer  pour  être 
absous  et  comblé  d'éloges  :  Mors^  nominis  pretium,  disait 
TertuUien.  Christiania  destinatum  morti  gernts  ®.  Répudiés 

1  Cf.  Joan.,  XVI,  2,  4,  22.  —  «  Act.,  i,  8,  22.  Cf.  Matth.,  x,  18;  Luc, 
XXIV,  48;  Joan.,  xv,  27.  —  »  Act.,  xxii,  20;  xxviii,  22-31;  Apec,  ii,  13. 
—  *  Tacit.,  Ann.,  xv,  44  (ann.  100-110);  et  HisL,  v,  5  (ann.  115-120). 
Au  lieu  de  convicti,  des  manuscrits  portent  conjuncH,  —  *  Flagitia 
cohœrentia  nomini.  Plin.  jun.,  Epist.  x,  91.  Cf.  Act.,  xxvni,  22;  I  Pet,, 
II,  12.  —  6  Tert.,  Apolog.,  2,  4,  7,  8,  39,  40.  Hœc  est  rêvera  ratio  totios 
odii  vestri  adversus  nos.  Ad  nation,,  i,  3,  7,  16.  Ps.  cxxviii,  Joan., 
XV,  21;  Act.,  IX,  16;  I  Pet.,  iv,  14,  15. 


N"  305]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —   SES   DISCOURS.  449 

par  lenrs  familles,  dénoncés  par  leurs  proches,  ils    se 
voyaient  traînés  à  tous  les  tribunaux,  condamnés  par  tous 
les  juges,  flagellés  par  les  Juifs,  égorgés  par  les  Gentils  ', 
teltà  bestinriot*.  Pas  d'infamie  qu'on  ne  leur  imputât*.  Pas 
de  torture  qu'on  ne  leur  Ht  subir  *.  Dans  la 
seule  ville  de  Rome,  Néron  en  fit  mettre  à 
mort  une  multitude  immense,  ingens  mul- 
titudo  ',  pour  détourner  de  lui  un  affreux 
soupçon.  Néanmoins,  on  ne  cessa  pas  de 
trouver  des  chrétiens,  et  les  chrétiens  ne 
cessèrent  pas  de  rendre  témoignage  à  Jésus- 
Christ  avec  une  constance  et  une  sagesse 
évidemment  surnaturelles',  La  crainte  de 
Dieu  les  rendit  supérieurs  à  toute  crainte 
humaine,  28.  Ce  grand  fait,  qui  a  pour  monuments  le  Mar- 

I  Tertull.,  De  pudicil.,  xv;  I  Cor.,  iv,  9.  —  *  Hattb.,  ii,  17,  îl.  — 
>  Uatlh.,  X,  as,  £6.  S.  JusUn.,  /*  Apol.,  i;  Cf.  Tacit.,  Ann.,  xv,  44; 
Sueton.,  Nero,  16;  Pline.  Epi$i.  x,  97.  —  »  Cf.  1  Cor.,  iv,  5;  S.  Justin., 
Apol,  I,  26,  38;  ii ,  12-U;  Dial.,  10,  17,  108,  110,  131;  Epùl.  Eccl. 
Lugd..  14;  Hinntiui  Felii,  Oetav.,  12,  37.  Quintllisn.,  Ded.,  ix.  S; 
Braï.  rom.,  Com  Mari.,  3"  loco,  lect.  viii.  —  '  Ttcit,,  Ann.,  iv,  U.  — 
'  Matth..  X,  18-20;  Joan.,  in,  S4,  25;  Apoc,  vu,  9.  Ecclcsia  pcrsccutio- 
nibus  cravil.  martyriia  coronata  esl.  S.  Hieron.,  Ephl.  lxiiii,  10.  E»i- 
tialis  «upepstitio  repreasa  in  presens,  rarsus  erumpebai,  non  modo  pcr 
JudKam,  scd  por  vrbem  eiiam.  Tacit.,  Ann.,xv,  44.  Socrate,  dît  S.  Justin, 
n'a  jamais  eu  du  disciple  qui  voulût  mourir  pour  lui  :  Jésas-Clirist  a 
ans  foule  âe  témoins,  artisans  et  hommes  do  ioKros,  qui  soutiennent 
sa  doctrine  jusqu'à  la  mort,  sans  se  laisser  arrêter  par  les  préjugés  ni 
parles  menaces.  H»  Apol.,  x.  Un  chrétien,  disait  Origèno  (nous  pour- 
rinos  encore  dire  un  missionnaire),  donne  plus  facilement  sa  vie  pour 
Jésus-Christ  qu'un  philosophe  ne  donnerait  pour  quoi  que  ce  soit  un 
pan  de  son  manteau.  Conl.  Celi.,  vu,  39.  Tanquam  apea  ad  alvcaria, 
aie  illl  ad  martfria.  Julian.  Apostala.  Si  computetur  unus  dies  paa- 
sionis  Mailyrum ,  mJUia  hominum  inveniuntnr  coronatoruin.  S.  Aug., 
Sei-m.  ccL[t,3  S.  Chrys.,  Hom.  xl.  In  invent.  Mort.,  Euseb.,  H.,  iv,  17; 
V[,  41;  vil,  50;  vni,  12;  ix,  10;  Diclionn.  de  mytliq.  cki-él..  Martyrs.— 
'  Martyr  d'une  chrélienne,  tracé  sur  une  pierre  de  jaspe,  de  C.  W.  King, 
et  donné  communément  comme  une  œuvre  du  quatrième  siècle.  La 
colombe  est  le  symbole  de  l'&me  qui  va  monter  au  ciel  ;  le  monogramme 
du  Christ  rappvllo  qun  Jésus-Christ  veille  sur  ceux  qui  confessent  son 
nom.  Act.,  viii,  56.  Gravée  peu  de  temps  après  les  persécutions,  cotte 
gemme  pourrait  être  un  souvenir  de  famiUe,  porté  pur  les  parents  de 
quelque  martyre.  On  ignore  co  qoe  sigoiAent  les  initiaies  A.  N.  F.  T. 


450  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n»  306 

tyrologe  et  les  Catacombes,  et  qui  s'est  prolongé  pendant 
deux  siècles  et  demi,  donec  orbis  terrosy  qui  perseqttebatur 
furore^  sequeretur  fide\  est  unique  dans  l'histoire.  Il  est 
impossible  de  n'y  pas  reconnaître  deux  choses  :  la  rage  de 
l'enfer  qui  animait  les  persécuteurs  *,  et  l'assistance  du  Ciel 
qui  soutenait  les  victimes  '. 

*  306.  —  Pourquoi  le  Sauveur  veut-il  que  ses  apôtres  se  dérobent  à  la 
persécution,  et  quel  est  ce  retour  du  Fils  de  Thomme  qu'il  leur 
annonce,  x,  23? 

1*»  Notre  Seigneur  veut  que  ses  Apôtres  fuient,  non  pour 
éviter  de  souffrir,  comme  le  mercenaire  *,  mais  pour  mieux 
servir  l'Evangile  et  pour  répandre  la  foi  en  plus  d'endroits. 
Il  ne  dit  pas  :  «  Cessez  de  prêcher;  »  mais  au  contraire: 
€  Quand  vous  ne  pourrez  plus  prêcher  en  une  ville,  allez  le 
faire  en  une  autre.  »  Telle  fut  la  conduite  des  Apôtres  *  et 
du  divin  Maître  lui-même  ®. 

2**  Ces  mots  :  Non  consummabitis  civitates  Israël,  donec 
veniat  Filius  hominis  \  semblent  avoir  rapport  au  verset  7  : 
Prœdicate,  dicentes  quia  appropinqtuivit  regnum  cœlorum.  Ils 
sont  entendus  de  diverses  manières  par  les  interprètes. 
Plusieurs  traduisent  :  «  Le  Fils  de  l'Homme  viendra  juger  le 
monde,  avant  que  vous  et  vos  successeurs  ayez  converti  tout 
Israël.  »  D'autres  :  «  Avant  que  vous  ayez  achevé  une  tâche 
si  difficile,  je  viendrai  vous  prendre  et  vous  faire  entrer 
avec  moi  dans  ma  gloire.  *  D'autres  en  plus  grand  nombre  : 
c  Je  me  montrerai  auparavant  dans  ma  justice  et  ma  puis- 
sance, afin  de  sanctionner  votre  prédication  d'une  manière 
visible,  afin  de  châtier  l'incrédulité  des  Juifs  et  d'établir 
solidement  mon  Eglise  sur  les  ruines  de  la  synagogue  et  de 
l'idolâtrie  \ 

1  s,  Aug.,  de  Civ.  Dei,  xxii,  7.-2  Luc,  xxii,  31.  Cf.  Job.,  ii,  4,  5.  — 
3  Ps.  XXXVI,  15;  LVi,  9;  Joan.,  m,  20;  xy,  18-27;  xvi,33  ;  II  Tim.,m,  12. 
O  beati  martyres  I  Scio  vobis  corda  humana  :  Unde  vobis  ista  divina? 
Ego  dico  :  a  Deo;  quis  est  qui  dicat  :  a  vobis?  S.  Aug.,  Se7^m.  cclxxxiv. 
Cf.  Correspondant f  janvier  1864,  p.  160.  —  *  Joan.,  x,  12. —  ^  ^ct.,  viii,  I  ; 
IX,  25;  XII,  17;  II  Cor.,  xi,  33.  —  «  Mattli.,  iv,  12;  Luc  ,  iv,  30  ;  Joan., 
VIII,  59;  XII,  36.  Cf.  III  Reg.,  xix,  3;  Brev.  rom.,  2  matï,  lect.,  viii,  u; 
§,  Thom,,  2«-2«;  q.  185,  a.  5.  —  ^  Mattli.,  x,  23.  -  «  Supra,  n.  263. 


N<>  307]  SA  VIE  PUBUQUE*  —  SES  DISCOURS.  451 

3«  Pour  toutes  les  prédications  de  VÉvangile,  x,  23-36. 

307.  —  Cette  parole  de  Notre  Seigneur  :  Non  veni  pacem  mittere,  24, 
s'accorde-t-elle  avec  celle-ci  :  Pacem  meam  do  vobis? 

Ces  paroles,  qui  semblent  se  contredire,  s^accordent  néan- 
moins, parce  que  la  paix  dont  il  est  question  d'un  côté  n'est 
pas  celle  dont  il  s'agit  de  l'autre. 

Dans  S.  Matthieu,  34,  le  Sauveur  parle  de  la  paix  exté- 
rieure, de  celle  qui  consiste  à  ne  rien  souffrir,  à  n'avoir 
pas  d'ennemi  ici-bas,  à  jouir  des  biens  de  cette  vie,  en  par- 
ticulier de  l'affection,  de  l'estime  et  de  la  faveur  des 
hommes  ^  c  Je  ne  suis  pas  venu,  dit-il,  pour  donner  cette 
paix  à  mes  disciples,  mais  au  contraire  pour  les  en  détacher 
et  les  disposer  à  en  faire  le  sacrifice  pour  Dieu  *.  »  En  effet, 
il  s'en  faut  bien  qu'il  la  leur  procure.  Ceux  qui  veulent 
plaire  à  Jésus-Christ  s'appliquent  avant  tout  à  pratiquer  ses 
vertus  ;  or,  le  zèle  pour  les  vertus  chrétiennes  ne  se  pra- 
tique guère  qu'aux  dépens  de  l'estime  et  de  la  faveur  du 
monde  •.  En  fait  de  vertus,  le  monde  ne  goûte  que  celles 
qu'il  se  flatte  d'avoir,  les  vertus  naturelles,  la  probité,  la 
générosité,  la  bonté;  pour  les  vertus  chrétiennes,  l'abnéga- 
tion, la  pénitence,  le  zèle  des  âmes,  il  affecte  de  les  mépri- 
ser, et  il  les  hait  parce  qu'elles  sont  contraires  à  son  esprit, 
qu'elles  l'humilient  et  le  condamnent*. 

Dans  S.  Jean,  xiv,  27,  le  divin  Maître  parle  de  sa  paix^  de 
celle  dont  il  jouit  et  qu'il  veut  donner  à  ceux  qui  sont  avec 
lui.  C'est  la  paix  de  l'âme,  la  paix  intérieure,  celle  que  l'on 
trouve  au  dedans  de  soi,  dans  la  jouissance  du  bien  véri- 
table qui  est  Dieu  et  sa  divine  grâce.  Celle-là,  Notre  Sei- 
gneur la  promet  à  ses  disciples  et  il  la  leur  donne,  no- 
nobstant les  persécutions  qu'ils  ont  à  endurer,  et  même  à 
proportion  des  sacrifices  qu'ils  font  pour  son  amour  *. 
Ainsi,  pour  un  chrétien,  la  joie  naît  de  la  souffrance.  La 
croix  devient  une  source  de  bonheur;  la  privation  produit 

*  Eccli.,  XLi,  !  ;  Luc,  xii,  19.  —  «  Luc,  xii,  49  53.  —  3  Matth.,  vi,  24. 
—  *  Joan.,  m,  20;  xv,  19.  —  ^  n  Cor.,  i,  4,  5;  Phil.,  iv,  7  ;  Col.,  ui,  15, 


452  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n*»  308 

la  jouissance  ;  et  c'est  en  perdant  son  âme  qu'on  la  sauve, 
môme  dès  cette  vie  *. 

308.  —  Qu'était-ce  que  les  soixante-douze  disciples  dont  parle  saint 
Luc,  X,  1.  et  devant  lesquels  le  Sauveur  semble  avoir  répété  en 
grande  partie  ce  discours? 

La  liste  des  soixante-douze  disciples  ne  nous  a  pas  été 
transmise.  Un  petit  nombre  seulement  sont  connus  avec 
certitude  *.  On  sait  qu'ils  furent  choisis  parmi  ceux  qui  sui- 
vaient habituellement  le  Sauveur,  et  que  le  divin  Maître 
les  associa  aux  Apôtres  pour  les  aider  à  instruire  le  peuple 
et  le  préparer  à  sa  venue.  Il  est  certain  qu'ils  étaient  infé- 
rieurs aux  douze,  puisque  Matthias,  l'un  d'entre  eux,  fut 
promu  à  l'apostolat  à  la  place  de  Judas.  S.  Ignace  les  assi- 
mile aux  diacres  et  S.  Jérôme  aux  prêtres.  Leur  ministère 
fut  transitoire  et  purement  personnel  :  ils  ne  transmirent  à 
personne  les  pouvoirs  qu'ils  avaient  reçus  •. 

Au  lieu  de  soixante-douze  disciples,  la  plupart  des  ma- 
nuscrits grecs  portent  soixante-dix;  mais  on  peut  croire  que 
c'est  un  nombre  rond  employé  pour  soixante-douze,  comme 
lorsqu'il  s'agit  des  interprètes  de  l'Ancien  Testament,  ou 
des  personnes  dont  se  composait  la  famille  de  Jacob  à  son 
entrée  en  Egypte  *. 

On  a  fait  cette  remarque,  que  ce  nombre  répond  à  celui 
des  peuples  dont  Moïse  fait  le  dénombrement  dans  la  Ge- 
nèse ^  de  même  que  le  nombre  douze  répond  à  celui  des 
tribus  d'Israël;  car,  d'après  les  Juifs,  l'humanité  se  compo- 
sait de  soixante-dix  (ou  soixante-douze)  peuples  :  quinze  de 
Japhet,  trente  de  Cham  et  vingt-sept  de  Sem  *.  Cet  accrois- 

1  Ac  si  agricolsB  dicatur  :  Frumentum  si  serves,  perdis;  si  seminas, 
rénovas.  S.  Greg.  M.,  Homil.  in  Evang.,  xxxii,  4.  Brev.  rom.,  Odav. 
Sanct,  omn.,  lact.  7  et  !«'  fëv.,  lect.  7,  8.  —  *  Eusèbe  n*en  mentionne 
que  cinq  :  Barnabe,  Sosthènes,  Matthias,  Thaddée  et  Géphas,  H.,  i,  \i- 
On  peut  voir  la  liste  entière  dans  la  Chronique  paschalCj  Migne,  Patr^ 
xcii,  p.  529  et  543.  —  3  S.  Thom.,  2a-2œ,  q.  184,  ad  1;  et  p.  3,  q.  67, 
a.  2,  ad  2.  —  *  Scriptura  non  facit  vira  in  rainutis  numcrorum.  S.  Th., 
Opusc.  Cf.  Gen  ,  xlvi,  27  et  Act.,  vu,  14.  —  5  Gen.,  x,  1-32.  - 
6  Clément.,  Recogn,^  I,  11;  Origen.,  In  Exod.»  Hom.,  vu;  S.  Hieron., 
Episl,  Lxxvn,  6;  S.  Aug.,  de  Civ,  Dei.,  xvi,  3,  4,  6, 


«0  309]  SA  VIE  PUBLIQUE»  ^  âËS  DISCOURS.  483 

sèment  du  nombre  des  ouvriers  apostoliques,  de  douze  à 
soixante-douze,  semblait  annoncer  l'extension  prochaine  de 
la  prédication  à  Tunivers  entier. 

Mariage  et  divorce.  Matth.,  v,  31-32;  xix,  3-42. 

309.  —  Notre  Seigneur  ne  permet-il  pas  au  mari  de  renvoyer  sa 

femme  dans  le  cas  d'adultère? 

Deux  choses  sont  ici  défendues  au  mari  :  de  se  séparer  de 
sa  femme,  et  de  prendre  une  autre  épouse  du  vivant  de 
celle-ci.  La  première  prohibition  souffre  une  exception 
lorsque  la  femme  a  manqué  de  fidélité  à  son  mari;  mais  la 
seconde  n'en  admet  aucune.  Jamais,  pas  même  dans  le  cas 
d'adultère.  Notre  Seigneur  ne  permet  à  l'époux  de  rompre 
le  lien  qui  l'unit  à  son  épouse  et  de  contracter  un  autre 
mariage.  Il  ne  dit  pas  :  Qui  dimiserit,  aicoXuGr^,  uxorem  suam 
et  aliam  duxerit,  excepta  fornicationis  causa  ^  mœchatur^ 
comme  il-  aurait  dû  dire  s'il  avait  voulu  permettre  le  di- 
vorce ;  mais  il  dit  :  Qui  dimiserit^  excepta  fornicationis  cau^saK 
Evidemment,  c'est  à  dessein  que,  dans  ces  deux  endroits,  il 
évite  la  première  formule  et  prend  la  seconde.  En  attachant 
à  dUniserit  seulement  l'exception  motivée  par  l'adultère,  il 
fait  bien  entendre  qu'il  n'y  a  lieu  dans  le  mariage  qu'à  une 
simple  séparation  entre  les  époux  et  que  nulle  faute  ne  peut 
légitimer  le  divorce.  Bien  plus,  il  ajoute  des  deux  côtés 
d'une  manière  absolue  :  Qui  dimissam  duxerit,  mœchatur^^ 
et  dans  le  dernier  cas,  il  ne  désapprouve  pas  le  sentiment 
des  Apôtres,  qui  trouvent  sa  décision  bien  dure  pour  le 
mari  •. 

Expliquer  ces  passages  dans  un  sens  favorable  au  divorce, 
prétendre  que  l'exception  tirée  de  l'adultère,  qui  est  expri- 
mée après  dimiserit,  doit  être  sous-entendue  après  et  aliam 
duxerit^,  ce  ne  serait  pas  seulement  contredire  la  doctrine 
de  l'Eglise  sur  le  mariage  *  et  expliquer  le  saint  Evangile 

^  El  (I.Y)  eiti  Tcopveia,  ou  (at)  siti  icopveia,  comme  portent  les  plus  an^ 
ciens  manuscrits.  Matth.,  y,  51,  52;  xix,  9.  —  s  Matth.,  v,  32;  xix,  9. 
Cf.  I  Cor.,  VII,  il.  —  «  Matth.,  xix,  10,  12.  —  *  Matth.,  xix,  9.  — 
^  Gonc.  Trid.,  sess.  xxiv,  c&n.  7. 


484  JÉSUS-CHRIST  SELON  L*ÉVANGILE.  [n<>  309 

dans  un  sens  différent  de  celui  qu'elle  lui  a  toujours  donné; 
ce  serait  étendre  arbitrairement  le  sens  des  textes  et  en- 
freindre les  règles  les  plus  certaines  de  Tinteprétation.  En 
effet  : 

1"  C'est  un  principe  de  droit  qu'on  ne  doit  admettre  au- 
cune exception  à  une  loi  générale,  à  moins  que  cette  ex- 
ception ne  soit  admise  par  le  législateur  lui-môme.  Or,  on 
convient  qu'il  y  a  une  loi  divine  qui  rend  le  mariage  indis- 
soluble, et  l'on  ne  peut  montrer  aucune  exception  claire- 
ment énoncée,  ni  dans  ce  passage,  ni  dans  aucun  autre  de 
l'Evangile. 

2°  Notre  Seigneur  n'a  pu  parler  sur  le  mariage  d'une  ma- 
nière incohérente  et  contradictoire,  poser  des  prémisses  et 
rejeter  les  conséquences.  Or,  c'est  ce  qu'il  aurait  fait,  si 
après  avoir  enseigné  que  personne  ne  doit  séparer  ce  que 
Dieu  a  uni  ',  et  que  par  le  mariage  l'époux  et  l'épouse  sont 
liés  ensemble  au  point  de  ne  plus  faire  qu'une  seule  per- 
sonne, une  unité  organique  indivisible,  Buo  eiç  aapxa  [xiav,  il 
eût  déclaré  aussitôt  qu'il  suffisait  d'un  adultère  commis  par 
l'un  ou  par  l'autre  pour  rompre  cette  union  et  les  mettre  en 
état  de  contracter  un  autre  mariage  *. 

3*  On  ne  conçoit  pas  que  le  Sauveur  ait  accordé  à  la 
femme  coupable  une  faveur  refusée  à  l'épouse  innocente,  ou 
fait  du  crime  une  condition  pour  satisfaire  ensuite  les  plus 
mauvais  instincts.  C'est  pourtant  ce  qu'il  faudrait  dire  s'il  au- 
torisait le  divorce  dans  le  cas  d'adultère,  ou  s'il  déclarait 
libre  de  tout  lien  l'épouse  renvoyée  par  son  époux  pour 
avoir  violé  son  obligation  la  plus  sacrée. 

4"  On  convient  que  le  meilleur  moyen  d'interpréter  les 
Ecritures,  c'est  de  rapprocher  les  textes  parallèles,  d'éclai- 
rer les  passages  obscurs  par  ceux  qui  sont  clairs,  de  fixer 
les  versets  équivoques  par  ceux  qui  sont  précis.  Or,  sur  le 
sujet  du  mariage,  nous  avons  dans  S.  Marc ',  dans  S.  Luc* 
et  dans  S.  Paul  ',  quatre  ou  cinq  textes  aussi  clairs  et  aussi 
précis  que  possible,  qui  excluent  absolument  le  divorce. 

4  Matth.,  XIX,  4-6.  —  «  Matth.,  xix,  9.-3  Marc,  x,  11,  12.  —  *  Luc, 
XVI,  18.  —  »  Rom,,  VII,  2,  3;  I  Cor.,  vu,  10,  U,  39. 


N"  310]  Sa  vie  PtJBLIQtE.  —   9B9  DISCOURS.  488 

C'est  plus  qu'il  n'en  faut  assurément  pour  éclaircir  un  pas- 
sage ou  deux  de  S.  Matthieu,  si  l'on  y  voit  quelque  obscu- 
rité'. Les  témoignages  de  S.  Paul,  de  S.  Marc  i 
et  de  S,  Luc  sont  d'autant  plus  décisifs  que 
ces  auteurs ,  écrivant  pour  des  Gentils,  c'est- 
à-dire  pour  des  hommes  accoutumés  à  user 
librement  du  divorce  et  peu  disposés  à  renon- 
cer à  cette  faculté  *,  devaient  prendre  garde 
de  ne  pas  exagérer  la  loi  chrétienne  en  cette 
matière. 

■  3)0.  —  N'a-t-oD  pas  donné  de  ces  paroles  :  excepta  fomîcaiionis 
causa,  une  antre  explication  que  celie  que  nous  donnons? 

On  a  voulu  donner  à  ces  paroles  de  S.  Matthieu  une  ex- 
plication différente;  mais  les  raisons  qu'on  allègue  sont 
erronées  ou  manquent  de  solidité. 

i"  Les  Grecs  schismatiques  s'obstinent  à  y  voir  le  divorce 
autorisé  pour  le  cas  d'adultère,  même  à  l'égard  des  chré- 
tiens. Selon  eux,  les  éponx  sont  liés  l'un  à  l'autre  tant 
qu'ils  sont  fidèles,  mais  si  l'un  ou  l'autre  manquent  à  ta  foi 
conjugale,  tous  deux  deviennent  hbres.  C'est  contre  eux 
que  le  concile  de  Trente  a  fait  son  canon  vu  '. 

2*  Certains  auteurs  récents  ont  hasardé  cette  idée  :  qu'il 
pouvait  s'être  glissé  quelque  altération  dans  ces  versets  de 
S.  Matthieu,  que  nisi  pouvait  être  pour  mquidem,  ou  que 
les  mots  excepta  fomicationis  causa  étaient  une  glose  du 
texte  hébraïque  qu'on  avait  fait  passer  par  mégarde  dans  la 
traduction  grecque.  Ces  hypothèses  ne  sont  pas  sans  doute 
par  elles-mêmes  contraires  à  la  doctrine,  mais  il  n'y  a  au- 
cun moyen  de  les  justifier  au  point  de  vue  de  la  critique. 
Si  les  copistes  des  premiers  temps  avaient  fait  de  pareilles 

'  s.  Aug.,  de  Conjug.  adull.,  1,  28.  —  ^  Sceau  des  premiers  temps 
représentant  deui  chrétiens ,  deux  époui  probablement.  L'ancre  Bur- 
monléo  de  la  croix  indique  que  leur  sort  est  flié  et  les  exhorte  à  l'es- 
pérance. Clem.  Alex.,  Pedag.,  m,  2.  Supra,  o.  S04.  Note.  Cf.  Aringbi, 
v:,  îg,  —  3  et.  Senec,  De  benef.,  m,  10.  Plutarc,  Sylla,  14;  Paul 
Wl.,  7;  Cicero,  EiS.  Dumont,  Ann.  de  pkil.  ehrét.,  yiu,  Î8.  De  Cham- 
Pigny,  Les  Céian,  t.  m.  La  Cunille.  —  *  Sais.  !4. 


486  JESUS-OHRÏSt  SELON  l*évaN(îilë.  [n»  310 

fautes,  aurait-on  mis  dix-huit  cents  ans  à  s'en  apercevoir? 
Il  en  faut  dire  autant  des  interprètes  qui  prétendent  tra- 
duire excepta  fornicationis  cama  par  :  sauf  le  cas  ou  la 
première  femme  n'aurait  été  qu'une  femme  de  fornication, 
avec  laquelle  on  n'eût  pas  été  marié.  Comment  expliquer, 
d'ailleurs,  la  suite  du  verset  :  Qui  dimissam  duxerit, 
mœchatur? 

3<>  Plusieurs  catholiques,  de  Stolbert,  Foisset,  etc.,  ont 
admis  l'interprétation  des  Grecs,  sans  admettre  la  consé- 
quence qu'ils  en  tirent  en  faveur  du  divorce,  parce  que, 
disent-ils.  Notre  Seigneur,  dans  ces  passages,  répondant 
aux  Juifs,  parlait  pour  les  Juifs  seulement,  d'après  leur  lé- 
gislation. Mais  il  suffit  de  considérer  les  circonstances  et  la 
suite  du  discours  dans  l'Evangile,  pour  être  convaincu  que 
Notre  Seigneur  parle  pour  ses  disciples,  et  que  ses  disciples 
prennent  pour  eux  ses  paroles:  Dictum  est...  Ego  autem 
dico  vobis^.  Moyses  ad  duritiam  cor  dis  vestri  permisitvo- 
bis...;  Dico  autem  vobis*.  Qui  ne  sait  d'ailleurs  qu'un  juif 
pouvait  avoir  plusieurs  femmes  '? 

4*  Le  P.  Patrizi  a  cru  *  qu'on  pouvait  étendre  l'exception 
aux  deux  membres  de  phrases,  à  duxerit  comme  à  dimiserit, 
et  aux  chrétiens  comme  aux  Juifs,  mais  en  restreignant  le 
sens  de  fornicatio  à  celui  d'union  incestueuse,  c'est-à-dire 
au  cas  où  le  mariage  aurait  été  célébré  au  mépris  d'un  em- 
pêchement de  parenté  dirimant.  On  voit  combien  est  arbi- 
traire une  telle  interprétation. 

5°  Enfin  Dœllinger,  qui  attribue  aussi  à  l'exception  la 
plus  grande  étendue,  pense  qu'il  faut  donner  le  sens  le  plus 
restreint  au  mot  fornicatio,  et  l'entendre,  non  d'un  adul- 
tère, mais  d'une  fornication  simple  et  d'un  commerce  char- 

1  Matth.,  y,  31,  42.  —  a  Matth.,  xix,  8,  9.  —  3  Cf.  Deut.,  xvii,  17. 
S.  Justin  dit  que  les  docteurs  juifs  permettaient  d'en  avoir  jusqu'à  cinq. 
Dial.  cum  Tryph.^  134,  fin.  Joseph.,  ^4.,  XVII,  i,  3  ;  Vita.  L'assemblée  des 
députés  juifs  convoqués  à  Paris  par  le  gouvernement  impérial,  en  1S06, 
n'en  répondit  pas  moins  aux  questions  qui  lui  furent  adressées  :  qu'il 
n'est  pas  permis  aux  juifs  d'avoir  plus  d'une  femme,  et  que  la  répudia- 
tion n'a  de  valeur  parmi  eux  que  si  elle  est  prononcée  par  les  tribunaux. 
—  *  Patrizi,  de  Interpret.  Script,,  i,  7. 


N°3H]  SA  VIE  PUBUQCE.  —  SES  DISCOURS.  4S7 

nel  de  la  femme antériear  an  mariage*.  Dans  ce  cas,  dit-il, 
on  conçoit  qne  Notre  Seignenr  déclare  qne  le  mariage  cesse, 
ou  plutôt  qu'il  n'a  jamais  existé,  le  mari  n'ayant  jamais  eu 
l'intention  de  se  marier  à  une  femme  qni  ne  fût  pas  vierge. 
Encore  une  interprétation  singulière^  dont  on  n'avait  pas 
ridée,  qui  donnerait  lieu  à  mille  difficultés  et  qni  manque 
absolument  de  base,  le  mot  ^opvcn,  rendu  p^r  fomicatio, 
signifiant  adulterium  aussi  bien  que  fornicatio;  et  le  pre- 
mier sens  étant  le  seul  qui  s'offre  ici  à  l'esprit,  de  l'avis  des 
Grecs  schismatiques  aussi  bien  que  de  l'Eglise  catholique  *. 

Péchés  contre  le  Saint-Esprit.  Matth.,  xn,  31-32. 

311.  —   D*où  vient  que  les  péchés  contre  le  Fils  de  Tbomme  seront 
remis  et  que  le  péché  contre  le  Saint-Esprit  ne  le  sera  jamais? 

Par  péchés  contre  le  Fils  de  l'homme,  Notre  Seigneur 
entend  ici  toutes  les  offenses  que  lui  faisaient  ceux  qui  ne 
voyaient  en  lui  qu'un  homme  ordinaire,  de  la  même  condi- 
tion qu'eux  ;  et  il  appelle  péchés  contre  le  Saint-Esprit  ceux 
des  esprits  pervers  qui  reconnaissant  la  réalité  de  ses  mi- 
racles, s'obstinaient  à  Les  tenir  pour  une  opération  du  dé- 
mon •.  Ce  désordre,  bien  plus  répréhensible  que  le  précé- 
dent, était  celui  des  pharisiens,  auxquels  le  divin  Maître 
s'adressait  :  Ideo  dico  vobis,  etc.  *.  On  conçoit  qu'après  une 
faute  de  la  première  espèce,  on  pût  aisément  se  repentir  et 
rentrer  en  grâce  avec  Dieu.  C'est  ainsi  qu'un  grand  nombre 
de  ceux  qui  avaient  insulté  le  Sauveur  dans  sa  Passion  le  re- 
connurent et  se  convertirent  au  jour  de  la  Pentecôte.  Mais 
pour  l'autre  espèce  de  péché,  on  ne  voit  guère  comment  on 
pouvait  en  revenir.  Ce  n'était  pas  seulement  de  la  mauvaise 
foi,  c'était  de  la  malice  et  de  l'obstination.  Les  coupables 
niaient  l'évidence.  Déterminés  à  persister  dans  leur  senti- 
ment en  dépit  de  tout,  et  attribuant  au  démon  ce  que  Dieu 
faisait  pour  les  éclairer,  ils  changeaient  en  poison  les  re- 

*  V.  g.  Deut.,  XXII,  13-21.  —  «  Cl.  Tob.,  iv,  13;  Eccli.,  xli,  21; 
xxui,  33;  Jer.,  m,  9;  xiii,  27;  Ezec,  xxiii,  43;  Osée,  ii,  4;  m,  3;  iv,  14; 
Ames.,  VII,  17;  I  Cor.,  v,  1  ;  .Gai.,  v,  19.  —  s  Cf.  Marc,  m,  30.  Infra, 
n.  567.  —  «  Mattb.,  xii,  24-31.  Cf.  Joan.,  viii,  21,  24. 

26 


4S8  JESUS-GURIST  SELON  l'évangilë.  [n»  312 

mëdes  mêmes  qui  devaient  les  guérir.  En  disant  que  de  tels 
péchés  ne  seront  remis  ni  dans  ce  monde  ni  dans  l'autre, 
Notre  Seigneur  ne  prétend  pas  restreindre  à  leur  égard  la 
vertu  de  la  pénitence  ou  de  l'absolution  sacramentelle; 
mais  il  fait  entendre  qu'à  moins  d'un  miracle  de  grâce,  les 
coupables  n'auront  jamais  le  repentir  et  l'amendement  né- 
cessaires pour  recouvrer  son  amitié  *. 

Remarquons,  en  passant,  que  ces  paroles  établissent 
l'éternité  de  l'enfer  et  semblent  supposer  qu'il  y  a  pour  les 
âmes  dans  l'autre  vie  un  lieu  d'expiation  temporaire  *. 

Sur  le  Jeûne.  M&tth.,  ix,  14-17. 

*  312.  —  Qu'entend  Notre  Seigneur  quand  il  dit  qu'on  ne  met  pas  une 
pièce  neuve  à  un  vêtement  vieux,  ni  un  vin  fumeux  dans  de  vieilles 
outres? 

Il  allègue  ces  proverbes  pour  répondre  au  reproche  qu'on 
lui  adresse,  de  ne  pas  faire  jeûner  ses  disciples,  comme 
jeûnaient  les  pharisiens  et  les  disciples  de  S.  Jean-Baptiste'. 

Suivant  l'explication  la  plus  commune,  la  pensée  du  divin 
Maître  est  qu'il  y  a  des  mesures  à  garder,  même  dans  le 
bien  ;  que  toute  bonne  œuvre  ne  convient  pas  à  tous  ;  que 
les  pratiques  doivent  être  proportionnées  aux  forces,  et 
qu'en  perdant  de  vue  ces  principes,  les  guides  des  âmes 
s'exposent  à  leur  nuire  au  lieu  de  leur  être  utiles.  Les 
vieilles  outres  et  les  vieux  vêtements,  ce  seraient  donc  les 
disciples  du  Sauveur,  trop  faibles  encore  pour  être  ms  à 
de  dures  épreuves  ;  l'étoffe  rude  et  le  vin  nouveau,  ce  serait 
le  genre  de  vie  pénible  et  austère  que  recommandent  les 
pharisiens. 

1  Non  quod  nulle  modo  rcmittatur,  sed  quia,  quantum  est  de  se,  habet 
meritum  ut  non  remittatur.  S.  Thom.,  2^-2^ ,  q.  14,  a.  3.  Ista  diffcrentii 
peccatorum  Judam  tradentem  a  Petro  negante  disUnguit.  S.  Aug.,  De 
Serm,  Dom.  in  monter  i,  74.  Cf.  Heb.,  vi,  4-6;  x,  26;  I  Joan.,  v,  16. 
Infra,  n.  805,  818,  890.  —  s  Matth.,  xii,  32.  Infra,  n.  666.  —  •  «  Quare 
nos  et  Pharisœi  fréquenter  jejunamus?...  »  Superba  interrogatio  et  plent 
Bupercilio  Judseorum.  S.  Hieron.,  In  hune  loc,  La  réponse  du  divin 
Maître  est  pleine  de  grÂce  et  d'amabiUté  :  «  Pouvez-vous  demander 
qu'on  jeûne  avant  la  fin  des  noces?  » 


N<>3131  SA  VIE  PUBLIQUE.  —   SES  DISCOURS.  459 

Suivant  quelques  interprètes,  en  parlant  de  vieux  et  de 
neuf,  Notre  Seigneur  aurait  plutôt  en  vue  la  loi  ancienne  et 
le  christianisme.  Dans  ce  sentiment,  le  sens  de  ces  versets 
serait  que  les  pratiques  légales  ne  sont  pas  dans  une  har- 
monie parfaite  avec  Tesprit  du  christianisme,  qu'il  ne  faut 
pas  chercher  à  les  unir  ensemble,  au  début  surtout,  ni  pré- 
tendre resserrer  dans  des  observances  étroites  et  vieillies, 
comme  celles  de  la  synagogue,  l'ardeur  vive  et  généreuse 
des  fidèles  régénérés. 

Quant  au  temps  où  l'Eglise  devra  jeûner,  c'est  celui  où 
son  cœur  l'y  portera,  celui  où  son  Epoux,  étant  remonté  au 
ciel,  la  laissera  ici-bas  comme  dans  un  état  de  viduité  et 
d'exil,  IX,  15*. 

Sur  le  Jugement.  Matth.,  xxv,  31-40. 

313.  —  Pourquoi  Notre  Seigneur,  dans  Tarrêt  qu'il  porte  sur  les  bons 
et  sur  les  méchants,  ne  paralt-il  tenir  compte  que  de  la  pratique  ou 
de  l'omission  des  œuvres  de  charité? 

!•  La  réponse  la  plus  simple  est  que  Notre  Seigneur  ne 
donne  ici  qu'un  spécimen,  un  tableau  partiel  du  jugement 
général,  omnium  gentium  '.  Ne  pouvant  faire  connaître  l'ar- 
rêt qu'il  portera  sur  chaque  homme  en  particulier,  il^dit 
celui  qu'il  prononcera  sur  le  plus  grand  nombre,  et  il  profite 
de  cette  occasion  pour  faire  sentir  l'importance  et  le  mérite 
de  la  charité  fraternelle,  de  cette  vertu  qui  sera  le  caractère 
des  vrais  chrétiens  et  qu'on  aura  bientôt  à  exercer  d'une 
manière  héroïque  envers  les  confesseurs  et  les  martyrs  '. 

2'  Si  l'on  considère  ce  tableau  comme  représentant  le  ju- 
gement dans  son  ensemble,  on  peut  dire,  avec  S.  Augustin, 
que  l'état  de  chaque  âme  dépendra  de  la  manière  dont  elle 
aura  pratiqué  la  charité,  les  œuvres  de  bienfaisance  étant 
un  moyen  de  couvrir  toutes  les  fautes  et  d'obtenir  toutes  les 

i  Les  premiers  chrétiens  jeûnaient  tout  le  carême  et  un  Jour  chaque 
semaine  en  mémoire  de  la  Passion  de  Notre  Seigneur.  Euseb.,  ff.,  V, 
23,  24  ;  Martigny,  Jeûne.  L'Eglise  commande  encore  Tabstinence  et  le 
jeune  à^es  enfants.—  ^  Matth.,  xxv,  32.  Cf.  Ezec,  xxxiv,  17  ;  S.  Thom., 
Supplem.y  q.  88,  a.  2,  ad  1.  —  3  Cf.  Joan.,  xii,  48;  Àpoc,  xx,  12. 


460  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n<>  315 

grâces  *  ;  ou  bien,  avec  la  plupart  de  commentateurs,  que 
toutes  nos  obligations  se  réduisent  à  aimer  Dieu  *,  et  qu'on 
ne  peut  aimer  Dieu  sans  avoir  aussi  pour  ses  enfants  un  vé- 
ritable amour  •. 

*  314.  —  Ces  paroles  du  souverain  Juge  :  lie  in  ignem.,,  46,  obligent- 
elles  à  croire  que  Tenfer  est  une  fournaise,  un  lieu  de  feu  et  de 
flammes  où  les  damnés  sont  précipités? 

Il  n'est  pas  défini  que  le  feu  de  l'enfer  est  matériel  ;  et  un 
feu  éternel  préparé  pour  les  anges  rebelles,  un  feu  qui  agit 
directement  sur  les  esprits  *,  diffère  nécessairement  du 
nôtre  ^;  mais  en  est-il  moins  à  craindre?  Il  ne  faut  pas 
oublier  que,  huit  fois  au  moins  dans  l'Evangile  et  près  de 
trente  fois  dans  le  Nouveau  Testament,  le  supplice  de  l'en- 
fer est  désigné  par  ce  terme  de  feu  ou  de  flamme*.  Com- 
prendrait-on un  tel  emploi  de  cette  expression,  si  la  peine 
du  feu,  la  plus  terrible  de  celles  d'ici-bas,  n'avait  un  rap- 
port particulier  avec  le  supplice  de  l'enfer,  et  n'était  la  plus 
propre  à  nous  donner  une  idée  de  sa  rigueur"^  ?  —  Quel  que 
soit  du  reste  Tagent  extérieur  ou  la  cause  seconde  qui  pro- 
duit les  douleurs  des  damnés,  il  est  certain  qu'elles  ne  sont 
pas  les  mêmes  pour  tous,  et  que,  pour  l'intensité,  elles  va- 
rient selon  la  culpabilité  de  chacun  \ 

315.  —  L'éternité  attribuée  aux  peines  de  Tenfer  ne  pourrait-elle  pas 
être  simplement  une  longue  durée,  une  durée  indéflnie  dont  od  ne 
voit  pas  le  terme,  comme  en  d'autres  endroits  de  l'Ecriture  3? 

Il  n'y  a  pas  de  parité  entre  ce  passage  et  les  autres.  Dans 
les  exemples  qu'on  allègue,  la  nature  du  sujet  indique  assez 

1  Luc,  XI,  41;  I  Pet.,  iv,  8.  —  «  Matth.,  xii,  31-38;  Rom.,  xni,  10. 
—  3  Joan.,  IV,  20.  —  *  Luc,  xvi,  24.  —  »  Cf.  S.  Aug.,  de  Civ.  Dei,  XX, 
XXVI  ;  Joan.  Damas.,  De  fid.  orth.y  iv,  in  fine.  S.  Th.,  In  iv,  d.  44,  q.3, 
a.  2,  ad  7.  Suppl.,  q.  97,  a.  6,  etc.  —  6  Matth.,  in,  10  ;  v,  22;  xm,  30; 
xviii,  8;  XXV,  41;  Marc,  ix,  42,  43,  44,  45,  46,  48;  Luc,  m,  9;  xvi,  24; 
Rom.,  XII,  20;  I  Cor.,  m,  13;  Il  Thess.,  i,  8;  Heb.,  x,  27;  U  Pet.,  m,  7; 
Jud.,  7;  Apec,  xiv,  10;  xix,  20;  xx,  9,  14,  15;  xxi,  8,  etc.  —  "^  Cf. 
Matth.,  XXVI,  2A;  Luc,  xm,  5,  Apec,  ix,  6.  Vide  ad  calcem  Diai 
S,  Greg.  M.  :  Vindicias.  —  «  Matth.,  x,  15.  Cf.  S.  Thom.,  SupjUem.^ 
q.  97,  a.  3.  —  9 1  Par.,  xvii,  12;  xxviii,  7;  Sap.,  x,  14;  Barach.,  m,  32. 


N«  315]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —   SES  DISCOURS.  461 

que  le  terme  étemel  est  pris  dans  un  sens  hyperbolique  ; 
car  il  se  trouve  appliqué  à  des  choses  qu'on  sait  être  tran- 
sitoires, comme  le  monde  et  les  choses  du  monde;  mais 
quand  il  s'agit  des  peines  de  l'enfer,  il  n'en  est  pas  ainsi. 
Rien  n'annonce  qu'il  faille  user  de  restriction  ;  au  contraire, 
tout  indique  qu'on  doit  prendre  les  paroles  de  Notre  Sei- 
gneur dans  toute  leur  rigueur.  —  !•  Ce  n'est  pas  en  cette 
vie,  dans  ce  monde,  in  via^  qu'on  doit  subir  les  peines  de 
l'enfer;  c'est  dans  un  autre  monde  et  dans  une  autre  vie; 
où  nous  sommes  avertis  qu'il  n'y  aura  plus  de  changement. 
On  sera  au  terme  *.  —  2"  L'Evangile  enseigne  qu'il  y  a  des 
fautes  qui  ne  seront  jamais  effacées  après  la  mort  *;  n'est-il 
pas  naturel  que  les  peines  durent  aussi  longtemps  que  les 
fautes  dont  elles  sont  le  châtiment*?  —  3<>  Ce  n'est  pas 
une  seule  fois,  en  passant,  que  Notre  Seigneur  affirme 
l'éternité  des  peines  de  l'enfer  :  il  insiste  sur  cette  vérité, 
et  redouble  ses  affirmations,  sans  jamais  en  adoucir  le  sens*. 
—  40  II  ne  se  contente  pas  de  dire  et  de  répéter  que  la  peine 
des  damnés  sera  éternelle  :  il  dit  qu'elle  n'aura  pas  de  fin, 
et  il  répète  cette  affirmation  huit  fois  de  suite  \  —  5*  Il  fait 
observer  que  le  feu  des  damnés  est  le  feu  même  des  démons, 
ses  ennemis  irréconciliables  *.  Le  supplice  des  uns  durera 
autant  que  celui  des  autres.  —  6®  Enfin  et  surtout,  il  met 
constamment  les  peines  des  damnés  sur  la  même  ligne  que 
les  récompenses  des  justes,  quant  à  la  durée  ^  On  ne  peut 
donc  pas  borner  la  durée  des  unes  plus  que  celle  des  autres  ®? 
Que  si  l'éternité  de  l'enfer  en  rend  les  peines  effroyables, 
est-il  étonnant  qu'elles  le  soient?  Si  elles  l'étaient  moins, 

1  Eccl.,  XI,  3;  Prov.,  i,  24-28;  Matth.,  xiii,  30,  50;  xxii,  13;  Luc, 
XVI,  26.  —  2  Matth.,  xii,  32  ;  xxv,  41  ;  Marc,  m,  29  ;  Joan.,  m,  36;  Rom., 
IX,  22;  I  Cor.,  vi,  9;  Gai.,  v,  21.  ~  3  S.  Thom.,  Cont.  Gent.,  m,  144. 
Cf.  l*-2«;  q.  87,  a.  3,  4  et  p.  3,  q.  1,  a.  2,  ad  2.  —  *  Matth.,  xviii,  8; 
xxv,  41,  46;  II  Thess.,  i,  9,  etc.  —  8  Marc,  ix,  42-50.  Cf.  Isaî.,  lxvi,  24; 
Matth.,  m,  12.  —  «  Matth.,  xxv,  41.  —  '  Matth.,  xxv,  46.  Cf.  Dan.,  xii,  2. 
—  *  Par  pari  relata  sunt  :  Dicere  in  hoc  uno  eodemque  sensu  :  vita  seterna 
sine  fine  erit,  supplicium  seternum  finem  habebit,  multum  absurdum 
est.  S.  Aug.,  de  Civ,  Dei,  xxi,  23.  Si  falsum  est  quod  minatus  est  ut  ab 
njustitia  corrigeret,  etiam  falsa  est  poUicitus,  ut  ad  Justitiam  provoca- 
ret.  S.  Greg.  M.,  DiaL,  iv,  44;  Brev,  rom.,  Fer,  2  Hebd.  Quad.,  lect.  3. 

26. 


462  JÉSUS-CHRIST  SEL(W  L'ÉVANGttE.  [n®  316 

nous  défendraient-elles  assez  contre  la  séduction  du  mal? 
Dieu  est-il  moins  prodigieux  dans  ses  bienfaits  et  ses  misé- 
ricordes qu'il  le  sera  dans  ses  châtiments,  et  ne  dépend-il 
pas  de  chacun  de  n'éprouver  que  sa  munificence*?  Enfin, 
conviendrait-il  à  sa  grandeur  que  ses  ennemis  pussent  se 
glorifier,  au  milieu  de  leurs  crimes,  de  la  nécessité  où  il 
serait  de  partager  un  jour  avec  eux  sa  gloire  et  sa  béatitude? 

§  II.  —  Discours  de  Notre  Seigneur  en  saint  Jean. 

Après  le  miracle  de  la  piscine  proba tique,  v,  17-47. 

*  316.  —  Que  signifient  ces  paroles  du  Sauveur  :  Pater  meus  usquemodo 
operatur  et  ego  operor.  Non  potest^Filius  facere  guidquamy  nisi  vide- 
rit  Patrem  facientem,  Venit  hora  et  nunc  est,  quando  mortui  audient 
vocem  Filii  Dei? 

On  reprochait  au  Sauveur  d'avoir  violé  le  sabbat,  soit  en 
guérissant  d'un  mot  un  paralytique,  soit  en  lui  faisant  em- 
porter son  lit  sur  ses  épaules,  v.  8*.  Sans  entrer  dans  la 
discussion  du  cas,  le  divin  Maître  énonce  un  principe  qui 
écarte  de  lui  jusqu'au  moindre  soupçon  de  culpabilité.  «  Il 
fait  ce  que  fait  son  Père.  Son  Père  ne  cesse  d'agir;  comment 
n'agirait-il  pas  avec  lui?  »  17,  19,  30*.  Il  appuie  ce  prin- 
cipe sur  sa  qualité  de  Fils  de  Dieu  fait  homme,  17.  Comme 
Dieu,  il  a  la  même  nature,  la  même  sagesse,  la  même  opé- 
ration que  son  Père;  il  tire  de  lui  tout  ce  qu'il  est  et  tout 
ce  qu'il  a,  ses  connaissances,  sa  volonté,  son  action,  19*. 
Comme  homme,  il  sait  tout  ce  que  son  Père  veut  de  lui,  et 
les  volontés  de  son  Père  sont  la  règle  de  sa  volonté,  comme 
les  jugements  de  son  Père  sont  la  règle  de  ses  jugements, 
20,  30.  Le  Père  a  voulu  qu'il  fît  ce  prodige,  et  il  l'a  fait 
avec  lui  et  il  en  fera  avec  lui  bien  d'autres  encore  plus 
merveilleux  ^  !  Après  avoir  guéri  les  malades,  il  ressuscitera 
les  morts,  20,  21;  car  le  Fils  est,  comme  le  Père,  une 

1  Est  tempus  dilectionis  et  tempus  odii.  Eccl.,  m,  8.  —  3  Supraj  n.  219. 
Cf.  Ëxod.,  XX,  8;  Jer.,  xvii,  21.  —  3  Cf.  Joan.,  xiv,  10,  11.  —  *  Bossuet, 
Médit.y  Lxxxvii,  lf«  part.  —  6  Ad  ejus  exemplum,  membra  ejus  proTi- 
deant  quod  opéra  sua  sinta  Pâtre  originata  ut  possint  dicerc  illud  Isai»: 
Orania  opéra  nostra  operatus  es  nobis,  Domine.  S.  Bonay.,  Jn  hune  loc. 


H°  317]  SA  TIE  PUBLIQUE.  —   SES   DISCOURS.  463 

sonrce  de  vie,  21,  23,  26.  Il  donne  la  vie  étemelle  aux 
îmes,  en  leur  donnant  la  foi,  24,  25;  et  il  la  donnera  aux 
corps,  en  les  ressuscitant  au  jour  du  Jugement,  28,  29'. 
Bien  plus,  c'est  lui  qai  prononcera  solennellement  l'arrêt 
snprèine  sur  le  monde  entier,  qui  récompensera  les  bons  et 
ponira  les  méctiants,  en  réparation  des  jugements  iniques 
qn'il  consent  à  subir  ici-bas,  26  '. 

Ce  qu'il  affirme  et  ce  qu'il  prédit  en  ce  moment,  il  ne  de- 
mande pas  qu'on  le  croie  sur  sa  parole,  31  :  il  en  donne  pour 
garant  le  double  témoignage  que  son  Père  loi  a  rendu,  et  par 
les  prodiges  qu'il  lui  a  fait  opérer,  36,  et  par  les  propbéties 
que  les  saints  Livres  contiennent  à  son  sujet,  39,  45-47. 

La  conclusion  de  ce  discours,  où  la  volonté  du  Fils  est 
loajours  mise  sur  le  même  rang  que  la  volonté  du  Père, 
c'est  que  Jésus-Christ  a  la  même  nature  que  son  Père,  qu'il 
est  Dieu  comme  lui  :  Patrem  suum,  flaTEpi  lîiov,  dicebat 
Deum,  œqualem  se  faciens  Deo,  18.  Le  divin  Haitre  énoncera 
bienlét  cette  vertu  encore  plus  clairement.  Mais  dès  à  pré- 
sent les  Juifs  l'ont  saisie,  et  ils  commencent  à  méditer  contre 
lui  des  desseins  homicides. 

Promesse  de  l'EucherisUe.  Jmo.,  vi,  ît-Ti. 


icw.  —  CommentateorB  hétérodoiei.  —  Sojel  réel.  - 
-  Dans  quelles  circonstances  Notre  Seigneur  »- 


Il  l'a  faite,  un  an  avant  sa  mort,  dans  un  discours  public, 

'  Cf.  s.  Aug.,  !n  Joan...  xcï,  rfe  Civ.  Dei.  ax,  G.  —  »  Quis  Filias  ho. 
minis  est.  Joan.,  v,  27.  Cf.  Bom.,  xiv,  10.  —  s  I/Su:,  poisson  vivant, 
portut  aur  le  dos  une  corbeille  avec  des  pains  an  forme  sacrée,  parmi 


464  JÉSUS-CHWST  SELON  l'évangile.  [n®  317 

qu'il  prononça,  en  grande  partie,  dans  la  synagogue  de  Ca- 
pharnaûm  *.  L'avant-veille,  comme  on  touchait  à  la  fête  de 
Pâques,  le  Sauveur  avait  distribué  à  plus  de  cinq  mille  dis- 
ciples un  pain  miraculeux*;  puis,  après  s'être  retiré  sur 
une  montagne  et  y  avoir  passé  une  partie  de  la  nuit  »,  il 
avait  fait  voir,  en  traversant  subitement  l'espace  qui  le  sé- 
parait de  ses  Apôtres  et  en  marchant  sur  les  flots  au  plus  fort 
de  la  tempête  *,  qu'il  pouvait,  quand  il  voulait,  soustraire 
son  corps  aux  lois  de  la  nature.  Frappé  de  ce  double  pro- 
dige, le  peuple  disait  qu'il  était  vraiment  le  prophète  qu'on 
attendait,  o  npo^z-ri^  spxojxevoç,  et  demandait  s'il  ne  renou- 
vellerait pas  en  sa  faveur  le  miracle  de  la  manne  *. 

Comme  cette  multiplication  des  pains  avait  eu  lieu  en 
Galilée,  près  du  lac  de  Tibériade,  et  qu'elle  était  rapportée 
par  les  trois  premiers  Evangélistes  %  S.  Jean  n'aurait  pas  eu 
de  raison  d'en  faire  le  récit,  s'il  n'y  avait  vu,  comme  dans 
tous  les  miracles  qu'il  mentionne,  un  sens  mystérieux. 
Mais  il  avait  remarqué  l'habitude  où  était  le  divin  Maître 
de  rapporter  à  un  même  but  ses  œuvres  et  ses  discours,  et 
le  soin  qu'il  prenait  de  préparer  les  esprits  aux  mystères 
qu'il  devait  accomplira  II  voyait  dans  le  repas  miraculeux 
une  figure  du  banquet  divin  de  l'Eucharistie  et  une  prépa- 
ration à  l'annonce  que  le  Sauveur  voulait  en  faire  dans  le 
discours  qui  suit.  Il  pensait  que,  ce  sacrement  devant  être 
institué  en  secret,  devant  les  Apôtres  seulement,  ce  n'était 
pas  sans  motif  qu'il  en  avait  parlé  d'avance  en  public,  qu'il 
l'avait  promis  solennellement  à  ses  disciples,  qu'il  en  avait 
signalé  les  fruits  et  fait  sentir  la  valeur. 

lesquels  on  voit  percer  la  couleur  rouge  du  vin  eucharistique.  Ces  pains 
sont  en  certain  nombre,  mais  identifiés  au  divin  poisson  qui  en  est  le 
support  ou  la  substance.  Peinture  du  cimetière  de  Lucine,  représentant 
FEucharistie.  Supra,  n.  208,  209. 

1  Joan.,  VI,  4,  60.  Un  voyageur  écossais  a  retrouvé,  en  1866,  sur  l'em- 
placement de  Capharnaûm,  les  restes  d'une  synagogue,  qui  pouvaient 
être  de  l'époque  de  Notre  Seigneur.  —  *  Joan.,  vi,  13.  —  3  Cf.  Marc., 
VI,  46.  —  *  Mattli.,  XIV,  25;  Marc,  vi,  48;  Joan.,  vi,  16.  Cf.  Job.,  a,  S. 
—  8  Joan..  VI,  30,  31.  —  6  Matth.,  xiv,  15-21;  Marc,  vi,  3544;  Lac, 
IX,  12-17.  —  ^  Cf.  Matth.,  xvi,  18,  19,  21  ;  xvn,  21;  xx,  18;  Marc.,  x,  33; 
Joan.,  m,  5,  13,  14;  xii,  5,  7;  xiv,  16-29;  xvi,  16. 


N»  318]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  DISCOURS.  465 

Un  trait  que  S.  Jean  rapporte  à  la  fin  du  discours  achève 
de  donner  à  son  récit  son  caractère  figuratif  et  sa  significa- 
tion. La  promesse  du  Sauveur  est  une  épreuve  pour  ceux 
qui  Tentendent  et  devient  l'occasion  d'un  schisme.  S.  Pierre, 
avec  les  disciples  fidèles,  proteste  de  sa  foi  aux  paroles  du 
divin  Maître;  mais  les  indociles,  les  hommes  charnels,  qui 
ne  s'en  rapportent  qu'aux  sens  et  à  la  raison,  refusent  d'y 
croire  et  l'abandonnent  *.  Ainsi  le  dogme  de  l'Eucharistie 
apparaît  dès  ce  moment  comme  la  pierre  de  touche  de  la  foi. 

318.  —  Tous  los  interprètes  voient-ils  dans  ce  discours  Fannonce 

de  l'Eucharistie  ? 

Les  protestants,  qui  rejettent  la  présence  réelle  *,  ne  peu- 
vent donner  à  ce  discours  d'autre  objet  que  l'Incarnation, 
la  foi  à  l'Incarnation,  à  la  double  nature  du  Sauveur,  et 
peut-être  à  son  sacrifice  sanglant.  Ils  n'y  voient  d'un  bout  à 
l'autre  qu'une  manducation  métaphorique.  Mais  le  Concile 
de  Trente  l'applique  à  l'Eucharistie';  et  tous  les  catho- 
liques, à  quelques-uns  près  *,  conviennent  que  l'interpréta- 
tion figurée  est  inadmissible,  du  moins  à  partir  du  verset  50, 
le  langage  du  Sauveur  devenant  de  plus  en  plus  net,  de 
plus  en  plus  précis  *.  D'abord,  il  se  borne  à  dire  qu'il  faut 
venir  à  lui,  croire  en  lui,  s'unir  à  lui;  mais  il  en  vient  bien- 
tôt à  déclarer  qu'il  faut  le  recevoir,  qu'il  faut  se  nourrir  de 
lui,  manger  son  corps  et  boire  son  sang.  Ainsi  ses  paroles, 
qui  pouvaient  s'entendre  au  commencement  d'un  aliment 
purement  spirituel,  de  la  parole  de  Dieu,  de  la  grâce,  finis- 
sent par  ne  plus  convenir  qu'à  une  manducation  réelle, 
comme  celle  du  sacrement  eucharistique. 

*  Cf.  Joan.,  VI,  65,  66,  71,  xni,  18,  26;  Bossuet,  Médit,  y  La  Cène  y 
!'•  part.,  37«-43«  jours.  —  2  Nous  exceptons  un  certain  nombre  de  Lu- 
thériens, qui  reconnaissent  la  présence  réelle  au  moment  de  la  Cène; 
car  on  sait  que  Luther,  malgré  son  désir,  ne  crut  jamais  pouvoir  accorder 
le  sentiment  calviniste  avec  les  paroles  de  l'Ecriture.  Illa  verba  fulmina 
sunt,  disait  Mélanchton,  en  citant  S.  Paul,  I  Cor.,  xi,  24.  —  3  Sess.  xxi,  1 
et  sess.  xiu,  2.  —  ^  Dans  le  dessein  d'écarter  les  arguments  des  Hussites 
et  des  Protestants  pour  la  communion  sous  les  deux  espèces,  —  s  Cf. 
Evang.,  festiv.  Corporis  CI)nsti. 


466  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'ÉVANGILE.  [n^SW 

On  trouve  dans  ce  discours  trois  idées  qui  se  suivent  cl 
se  complètent,  et  dont  chacune  répond  à  une  question  ou  à 
une  réflexion  des  auditeurs  *  :  —  1**  Notre  Seigneur  promet 
pour  le  monde  entier  un  pain  céleste  en  général,  26^34.  - 
2*»  Il  affirme  qu'il  est  le  pain  de  vie,  35-5i.  —  3^  Il  déclare 
d'une  manière  précise  que  l'aliment  qu'il  doit  donner,  c'est 
sa  chair  à  manger  et  son  sang  à  boire,  62-89.  Ainsi  il  y  a 
dans  l'exposé  de  la  doctrine  un  progrés  continu  ;  mais  on 
remarque  un  progrès  semblable  dans  l'indocilité  des  dis- 
ciples incrédules  *. 

319.  —  Est-il  bien  certain  qu'il  s'agisse  en  ce  discours  de  TEucharistie 

et  de  la  présence  réelle  ? 


Ce  discours  a  évidemment  pour  objet  le  sacrement 
l'Eucharistie,  tel  que  l'Eglise  l'entend. 

I.  L'ensemble  du  discours  fait  penser  à  VEucharigtie;  et 
môme  il  semble  que  le  divin  Maître  ne  pouvait  rien  dire  de 
plus  exprès  pour  l'annoncer  à  ses  disciples  et  y  disposer  les 
esprits.  On  ne  saurait  douter  qu'il  n'eût  dès  lors  présent  i 
sa  pensée  ce  qu'il  accomplit  au  Cénacle  :  Ipse  enim  sdebaH 
quid  esset  facturas,  6.  Or,  étant  résolu  d'instituer  le  sacre- 
ment de  l'autel  la  veille  de  sa  mort,  d'en  confier  à  ses 
prêtres  l'administration  et  de  dire  du  pain  et  du  vin  consa- 
crés :  Hoc  est  corptut  meum;  hic  est  sanguis  meus^  concevrait- 
on  qu'il  n'ait  pas  eu  en  vue  ce  pain  et  ce  vin,  lorsque,  un 
an  auparavant  à  pareil  jour,  après  avoir  multiplié  les  pains, 
il  en  confiait  la  distribution  à  ses  Apôtres,  disant  à  ceux  qui 
lui  demandaient  un  miracle  semblable  à  celui  de  la  manne: 
Ego  sum  panis  vitœ,  35.  Ego  sum  panis  vivus  qui  de  cœlo 
descendis  41.  Panis  quem  ego  dabo,  caro  mea  est  pro  rnundi 
vita,  S2.  Caro  mea  vere  est  cibus  et  sanguis  meus  vere  est  po- 
tv^,  55.  Qui  manducat  meam  carnem  et  bibit  meum  sangtd' 
nem^  in  me  manet  et  ego  in  Mo,  56,  57.  Qui  manducat  me, 
et  ipse  vivet  propter  me,  58?  Où  est-ce  que  l'on  mange  la 
chair  du  Fils  de  l'homme  et  qu'on  boit  son  sang,  si  ce  n'est 

1  VI,  31,  34,  35.  -  a  vi.  30,  42,  53,  61,  67. 


N»  319]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  âEâ  Diâcotiis.  46? 

pas  à  la  sainte  Table?  Quand  sa  chair  est-elle  une  nourri- 
ture et  son  sang  un  breuvage,  sinon  dans  la  communion  *  ? 
«  Entre  ces  paroles  et  celles  de  l'institution  de  TEucharistie, 
le  rapport  est  visible.  Là  manger  et  ici  manger;  là  boire  et 
ici  boire;  là  la  chair  et  ici  la  chair  ou  le  corps  du  Sauveur; 
là  la  chair  et  le  sang  séparément,  et  ici  de  môme.  S'il  ne 
s'agit  pas  des  deux  côtés  d'un  seul  et  même  mystère,  d'une 
seule  et  môme  vérité,  il  n*y  a  plus  d'analogie,  il  n'y  a  plus 
de  rapport  ni  de  suite  dans  notre  foi,  ni  dans  les  paroles  et 
les  actions  du  Sauveur  •.  »  Plusieurs  docteurs  protestants 
en  conviennent;  et  il  est  impossible,  évidemment,  que 
S.  Jean,  qui,  en  écrivant  ce  discours  à  la  fin  du  premier 
siècle,  avait  sous  les  yeux  le  récit  de  la  Cène  par  les  Synop- 
tiques et  les  passages  des  Actes  et  des  Ëpîtres  relatifs  à 
l'Eucharistie,  écrits  35  à  50  ans  plus  tôt,  n'ait  pas  remarqué 
combien  est  étroit  le  rapport  qui  les  unit. 

II.  Que  la  manducation  de  la  chair  du  Sauveur,  annoncée 
ici  et  accomplie  au  Cénacle,  soit  une  manducation  réelle, 
ainsi  que  l'Eglise  l'enseigne;  qu'elle  ait  pour  objet  le  corps 
môme  du  Fils  de  Dieu  sous  le  voile  du  sacrement,  ou,  ce 
qui  est  la  môme  chose,  que  l'Eucharistie  ne  soit  pas  un 
simple  symbole,  une  cérémonie  purement  figurative,  un  re- 
pas de  pain  et  de  vin  destiné  à  réveiller  notre  foi  en  l'In- 
carnation ou  au  sacrifice  du  Fils  de  Dieu  et  à  nous  unir  spi- 
rituellement à  lui,  c'est  ce  qui  parait  résulter  avec  une  égale 
évidence  de  la  dernière  partie  de  ce  discours. 

En  effet,  il  est  incontestable  que  le  mystère  dont  parle 
Notre  Seigneur  est  un  mystère  propre  à  la  loi  nouvelle  ',  et 
même  qu'il  n'existait  pas  encore  au  moment  où  il  parlait, 
puisqu'il  se  réservait  de  l'accomplir  dans  l'avenir*.  En 
outre,  ce  qu'il  en  dit  de  plus  clair,  c'est  :  que  ce  sera  une 
œuvre  surnaturelle  •,  plus  merveilleuse  que  le  don  de  la 
manne  •,  qu'il  faudra  une  grande  foi  pour  y  croire  ''  ;  que 
son  effet  propre,  étonnant  et  incomparable,  ce  sera  de  nous 

*  AXv)Oa>;  e^tt  ppoMTtc,  aXifiOco;  icoai;,  vi,  55.  —  ^  Bossuet,  Médit.  Cène, 
iw  part.,  27«-37-  jours.  —  a  Joan.,  vi,  59.  —  *  vi,  27,  52.  —  6  vi,  27.  — 
«  VI,  32,  33,  59.  —  ^  vi,  29,  36.  36,  47,  65-70. 


468  JÉSUS-CHRISÎ  SELON  L*ÉVAN(ÎILÉ.  [n»  320 

donner  en  nourriture  la  chair  et  le  sang  du  Fils  de 
l'homme  *,  ou  de  nous  faire  participer  réellement,  par  une 
certaine  manducation  à  la  substance  et  à  la  vie  du  Sauveur, 
comme  le  Sauveur  participe  à  la  vie  et  à  la  substance  de 
son  Père  '.  Or,  autant  ce  langage  paraît  juste,  naturel,  fa- 
cile à  expliquer,  quand  on  a  de  TEucharistie  l'idée  qu'en 
donne  l'Eglise,  autant  paraît-il  forcé,  étrange  et  faux,  quand 
on  prétend,  comme  les  protestants,  que  l'humanité  du  Sau- 
veur n'est  pas  contenue  dans  ce  sacrement,  qu'il  ne  nous 
unit  à  lui  qu'en  esprit  ou  par  la  pensée,  et  que  l'acte  de  foi 
qu'on  fait  en  le  recevant  n'est  pas  autre  et  n'a  pas  un  autre 
objet  que  lorsqu'on  s'attache  à  lui  pour  être  son  disciple  et 
avoir  part  à  sa  grâce.  Cette  conclusion  est  encore  confirmée 
par  la  conduite  des  Juifs  et  par  les  paroles  que  le  divin 
Maître  leur  adresse;  car  aucun  des  auditeurs  ne  s'avise 
d'entendre  le  mystère  comme  l'expliquent  les  calvinistes*; 
et  loin  de  leur  suggérer  une  pareille  inteprétation.  Notre 
Seigneur  les  laisse  s'éloigner,  sans  faire  autre  chose  que 
déplorer  leur  aveuglement  et  leur  infidélité  ♦. 

Après  cela,  si  l'on  veut  donner  à  notre  preuve  toute  sa 
force  et  aux  paroles  de  Jésus-Christ  toute  leur  clarté,  il  est 
bien  évident  qu'il  ne  faut  pas  considérer  ce  discours  isolé- 
ment, comme  une  inscription  trouvée  sur  une  stèle  d'origine 
inconnue,  mais  le  rapprocher  :  —  1®  des  textes  relatifs  à 
l'institution  et  à  l'usage  de  la  Cène,  —  2**  de  la  liturgie  de 
l'Eglise  et  de  sa  pratique  constante,  —  3**  des  monuments 
innombrables  de  la  tradition  relativement  à  l'Eucharistie  *. 

320.  —  Pourquoi  Notre  Seigneur,  dit-il  que  ïœuvre  de  Dieu  consiste 

à  croire  en  lui,  29? 

Les  Juifs  étaient  imbus  de  cette  idée  que  le  salut  était 

1  Joan.,  VI,  52,  54-57.  —  *  vi,  58.  Les  mots  TpcD-ytiv,  manger  avec  les 
dents,  Tiiveiv,  boire  comme  un  breuvage^  sont  répétés  une  vingtaine  de 
fuis,  et  le  manger  est  distingué  du  boire  en  quatre  endroits  de  ce  dis- 
cours, 54,  57.  Cf.  Matth.,  xxiv,  38  —  a  Joan.,  vi,  53.  61,  67.  —  *  Joan., 
VI,  61-70.  —  s  Cf.  Conc.  Trid.,  sess.  xu,  cap.  2,  et  sess.  xxi,  cap.  1; 
S.  Aug.,  Serm,  cxxxii,  et  cœteros  Patres,  apud  Maldonat.  Infra,  n.  384- 
386,  695-697,  700,  701;  Breviar.,  Infra  Oct,  Corp.  Dom,,  lect. 


N^  321]  SA-  VIË  PUÈUQUË.  —   âËS  DlâGOUftS.  460 

attaché  aux  pratiques  extérieures  et  aux  œuvres  légales. 
Entendant  le  divin  Maître  parler  d'une  chose  importante 
qui  demandait  tous  leurs  soins,  27,  ils  s'imaginent  qu'il  va 
leur  indiquer  quelque  œuvre  de  ce  genre  comme  essentielle 
et  décisive  pour  arriver  au  ciel,  et  ils  lui  demandent  de  les 
éclairer  à  ce  sujet.  C'est  ce  qui  l'amène  à  leur  dire  ce  que 
leur  répétera  S.  Paul,  que  le  temps  de  ces  œuvres  est  passé, 
que  Dieu  ne  leur  demande  plus  maintenant  autre  chose  que 
de  croire  en  Celui  qu'il  leur  a  envoyé,  d'adhérer  à  sa  doc- 
trine, de  se  soumettre  à  ses  enseignements  *.  N'est-ce  pas  le 
moment  de  leur  donner  cet  avis,  lorsqu'il  leur  annonce  le 
mystère  de  la  foi  par  excellence,  celui  qui  suppose  et  ren- 
ferme en  lui  tous  les  autres? 

321.  —  Que  répond  Notre  Seigneur  quand  les  Juifs  lui  disent  que  Moïse 
a  fait  ane  chose  plus  merveilleuse  que  la  multiplication  des  pains, 
en  nourrissant  leurs  ancêtres  d'un  aliment  céleste  aussi  longtemps 
qu'ils  furent  dans  le  désert  >  ? 

Notre  Seigneur  répond  que  le  pain  qu'il  veut  donner,  et 
dont  ils  n'ont  reçu  que  le  gage,  sera  infiniment  plus  excel- 
lent que  la  manne;  et  il  en  donne  trois  raisons  : 

1**  La  manne  n'est  pas  proprement  le  pain  du  ciel.  Toute 
miraculeuse  qu'elle  fût  dans  son  origine,  elle  ne  venait  pas 
du  ciel  et  elle  ne  donnait  pas  la  vie  du  ciel  ;  elle  n'empê- 
chait ni  la  mort  du  corps  ni  celle  de  l'âme  •.  Le  pain  qu'il 
donnera  est  le  vrai  pain  du  ciel,  o  apxoç  ex  xou  oupavou  o 
aXr<6tvo<;  *.  Il  est  tout  surnaturel  dans  son  origine,  dans  sa 
nature  et  dans  ses  effets.  Il  descend  du  ciel,  et  quiconque  le 
reçoit  le  possède  en  entier  et  avec  lui  la  vie  du  ciel. 

2*  La  manne  était  pour  les  Israélites  seulement  :  le  pain 
que  donnera  Notre  Seigneur,  il  le  donnera  au  monde  entier, 
c'est-à-dire  à  tous  les  hommes,  aux  Gentils  comme  aux 
Juifs'.  Tous  pourront  s'en  nourrir;  car  il  n'exige  qu'une 

*  Joan.,  VI,  25-29.  Cf.  Deut.,  xviii,  18,  19;  Rom.,  m,  27,  28;  Heb., 
XI,  6;  £  Joan.,  m-,  23.  -  2  Joan.,  vi,  30,  31.  —  8  Joan.,  vi,  32,  49,  59.  — 
^  Joan.,  vi,  32.  —  ^  O  apTOc  tou  6eov,  C<i>v)v  6tdouc-  tcd  noayM ,  vi,  33, 
49,  50. 

III.  27 


470  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n«  322 

condition,  la  foi,  une  foi  véritable  et  pratique,  et  tous  les 
hommes  sont  appelés  à  la  foi.  Dieu  veut  les  instruire  et  les 
éclairer  tous,  et  si  un  grand  nombre  de  Juifs  restent  sourds 
à  sa  voix,  un  plus  grand  nombre  de  Gentils  recevront  sa 
parole  et  répondront  à  sa  grâce*. 

S*"  La  manne  n'était  qu'un  aliment  corporel  et  elle  ne 
soutenait  le  corps  que  peu  de  temps  *.  Le  pain  que  le  Sau- 
veur veut  donner  est  un  aliment  surnaturel  dont  l'effet  doit 
toujours  durer*.  Il  satisfait  à  tous  nos  besoins  *.  Il  donne  à 
l'âme  et  au  corps  une  vie  pleine,  parfaite,  immortelle  ^  il 
est  un  germe  de  résurrection  aussi  bien  que  de  béatitude  *. 

Si  l'on  trouve  ces  pensées  moins  distinctes  et  moins  nettes 
en  S.  Jean  qu'elles  ne  le  sont  ici,  cela  vient  surtout  de  ce 
que  Notre  Seigneur  veut  insister  sur  les  plus  importantes, 
et  qu'il  est  forcé  de  répéter  à  plusieurs  reprises  ce  qui  est 
contesté  ou  mal  compris. 

*  322.  —  Dans  quel  sens  faut-i]  entendre  que  Jésus-Christ  est  le  pain 
de  vie,  35,  —  que  celui  qui  le  mange  ne  mourra  jamais,  50,  52,  — 
que  celui  qui  croit  en  lui  aura  la  vie  éternelle,  40? 

1°  Il  est  le  pain  de  vie,  o  apxoç  ttiÇ  Çwyjç  %  en  ce  sens  qu'il 
communique  à  ceux  qui  le  reçoivent  la  vie  véritable  et  par- 
faite, celle  de  la  grâce  et  de  la  gloire.  C'est  dans  l'Eucha- 
ristie surtout  qu'il  peut  dire  :  Ego  vivo  et  vos  vivetis  *. 

2**  Ceux  qui  usent,  comme  ils  doivent  %  de  ce  divin  ali- 
ment s'assimilent  ce  qu'il  contient,  ce  qu'il  porte  avec  lui, 
la  vie  surnaturelle,  la  vie  divine,  source  de  tout  mérite,  de 
toute  perfection  et  de  toute  béatitude*®.  Sur  ce  point,  l'expé- 
rience n'ajoute-t-elle  pas  son  témoignage  à  celui  de  la  foi? 

i^  Quiconque  croit  au  Fils  de  Dieu  d'une  foi  véritable, 

1  Yi ,  37,  39,  44,  45.  Sur  ce  sujet  de  la  substitution  des  Gentib  am 
Juifs,  S.  Jean  est  plus  exprès  encore  que  S.  Paul.  On  voit  qu'il  a  écrit 
plus  tard.  —  2  vi,  27,  49.  —  3  vi,  27,  50,  52,  55.  —  *  vi,  35.  —  «  vi, 
49,  50.  —  6  VI,  39,  40,  55,  59.  Le  dogme  de  l'Eucharistie  est  intimement 
lié  à  celui  de  la  résurrection,  soit  parce  qu'il  suppose  le  corps  du  Sau- 
veur ressuscité,  soit  parce  que  Notre  Seigneur  témoigne  par  là  vouloir 
nous  associer  à  sa  gloire  comme  à  sa  vie.  —  ^  yi^  48.  Cf.  51.  —  *  vi, 
XIV,  19.  Cf.  XV,  1,  5.  —  »  Cf.  Joan.,  vi,  59  et  Act.,  11,  21.  -  10  Joan., 
VI,  52,. 59. 


N®  32â]         Sa  vie  tùÈLîQtË.  —  âEâ  biâcotjRâ.  471 

pleine,  conséquente,  parfaite,  est  par  là  même  justifié.  Sa 
foi  l'anime  et  le  sanctifie.  Ce  que  le  soleil  fait  dans  la  nature, 
cette  foi  le  fait  dans  son  âme.  Elle  l'éclairé,  elle  l'échauffé, 
elle  la  féconde.  Avec  la  lumière,  elle  y  répand  la  charité,  la 
grâce  sanctifiante,  la  véritable  vie,  la  vie  de  Dieu  qui  ne 
doit  pas  finir  *.  La  chair  du  Sauveur  est  l'aliment  de  cette 
vie  :  elle  l'accroît  et  la  fortifie.  Il  n'y  a  donc  de  perdus  que 
ceux  qui  n'ont  jamais  cru  comme  il  faut,  ou  qui  ont  cessé 
de  croire  ainsi  *. 

*  323.  —  Ce  verset  :  Nisi  mandttcaveritis  *iamem,„  et  biberitis  aangui' 
nem,  44,  ne  suppose-t-il  pas  que  la  communion  sous  les  deux  espèces 
est  de  nécessité  de  moyen? 

1"  Cette  parole  de  Notre  Seigneur  n'implique  pas  la  né- 
cessité de  communier  sous  les  deux  espèces  ;  car  la  chair  et 
le  sang  du  Sauveur  se  trouvant  sous  chaque  espèce,  il  suffit 
d'en  recevoir  une  pour  recevoir  en  réalité  ce  corps  et  ce 
sang  '.  Il  est  certain  d'ailleurs  que  le  mot  et  est  souvent 
employé  par  les  écrivains  sacrés  dans  un  sens  disjonctif  *. 

2*  On  ne  peut  pas  en  conclure  davantage  que  la  commu- 
nion, même  sous  une  espèce,  est  de  nécessité  de  moyen. 
Car  le  Sauveur  n'adresse  son  discours  qu'à  ceux  qui  sont 
capables  de  l'entendre  et  sujets  à  des  préceptes  positifs  :  il 
n'a  donc  pas  en  vue  les  enfants.  D'ailleurs,  il  suffit  de  rap- 
procher ce  verset  d'autres  paroles  du  divin  Maître  pourvoir 
que  l'Eucharistie,  si  précieuse  qu'elle  soit  pour  le  salut,  si 
nécessaire  qu'elle  puisse  être  pour  se  sanctifier,  n'est  cepen- 
dant pas  l'unique  moyen  de  salut,  ni  une  condition  absolu- 
ment essentielle  pour  arriver  au  ciel  '. 

Il  n'en  résulte  pas  moins  que,  selon  les  lois  établies 
de  Dieu,  toute  vie  a  besoin,  pour  s'entretenir,  d'un  aliment 

^  Gratia  Spiritus  sancti  quam  in  prsesenti  habemus,  etsi  non  sit  sequa- 
Hs  gloriae  in  actu,  est  tamen  œqualis  in  virtute,  sicut  semen  arborum , 
in  quo  est  virtus  ad  totam  arborem.  S.  Thom.,  l*-2"i,  q.  114,  a.  3,  ad  3. 
—  »  Cf.  Marc,  xvi,  16;  Luc,  i,  45;  viii,  48;  Joan.,  v,  24;  xi,  26; 
XVII,  3;  Act.,  XIII,  39;  xvi,  31;  Rom.,  m,  22;  iv,  3,  22;  x,  1-16;  Phil., 
ni,  9;  Heb.,  iv,  3;  I  Pet.,  ii,  6.  —  »  Joan.,  vi,  52,  59;  I  Cor.,  xi,  27.  — 

♦  Exod.,  XXI,  31,  32;  Act.,  m,  6.-5  Marc,  xvi,  16. 


472  JÉSUS-CHRiSt  SELON  l'évangile*  [^o  324 

en  rapport  avec  sa  nature.  A  la  vie  du  corps  il  faut  un  ali- 
ment corporel,  à  la  vie  de  Tesprit  un  aliment  spirituel,  et  à 
la  vie  de  l'âme,  à  sa  vie  naturelle  et  divine,  un  aliment  sur- 
naturel et  divin. 

324.  —  Comment  s'explique  ce  verset  :  Sicut  misit  me  vivens  Paier  et 
ego  vivo  propter  Patrem^  et  qui  manducat  me  et  ipse  vivet  propter  me, 
VI,  58? 

Le  mot  Bia,  propter,  au  verset  88,  a  le  même  sens  que 
par,  en  vertu  de.  Il  indique  non  le  but  ou  l'objet,  mais  le 
principe  de  la  vie  de  Jésus-Christ  et  des  fidèles,  sa  cause  effi- 
ciente, c  Comme  je  tire  ma  vie  du  sein  de  mon  Père,  ainsi 
celui  qui  se  nourrira  de  moi,  o  xp^^wv  jjie,  tirera  sa  vie  de 
moi  '.  »  Ce  raisonnement  suppose  encore  que  la  chair  de 
Jésus-Christ  est  aussi  réellement  dans  celui  qui  communie 
que  la  nature  divine  du  Père  est  dans  le  Fils,  t  Comme  je 
reçois  à  chaque  instant  de  mon  principe  tout  ce  que  j'ai  de 
vie,  comme  l'être  qu'il  me  donne,  loin  de  me  séparer  de  lui, 
m'unit  à  lui  substantiellement  et  me  fait  vivre  de  sa  vie, 
ainsi  en  sera-t-il  par  rapport  à  moi  de  celui  qui  m'aura 
reçu.  »  La  parité  n'est  pas  complète  assurément.  Le  Fils  re- 
çoit la  vie  du  Père  en  plénitude,  c'est-à-dire  sans  mesure, 
en  tant  que  Verbe,  et  il  y  participe  en  tant  qu'homme,  dans 
une  mesure  proportionnée  à  sa  dignité  souveraine  ;  tandis 
que  le  fidèle  qui  communie  ne  participe  à  la  vie  du  Fils  que 
suivant  sa  capacité  et  ses  dispositions^  dans  un  degré  très 
inférieur,  par  conséquent.  Cela  suffit  néanmoins  pour  don- 
ner à  la  communion  une  vertu  et  un  prix  infinis.  Chaque 
fois  qu'entre  deux  être  vivants  il  s'établit  une  union  intime, 
comme  celle  d'un  arbre  avec  sa  greffe,  cette  union  donne 
lieu  à  des  fruits  nouveaux,  absolument  supérieurs  à  la 
moindre  des  deux  natures.  Dès  lors  on  conçoit  ce  que  doit 
produire  une  semblable  union  entre  Dieu  et  l'homme.  Ce 

»  Cf.  Rom.,  VIII,  il,  87;  Phil.,  i»  15;  Apec,  xii,  H.  Proprias  eflfectus 
hujus  Sacramenti  est  conversio  hominis  in  Ghristum,  ut  dicat  cum  Apos- 
tolo  :  Vivo  jam  non  ego,  vivit  vero  in  me  Christus.  S,  Thom.,  In  rv  Sent,, 
dist.  9,  q.  1,  a.  1,  ad  2. 


N®  328]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  DISCOURS.  473 

ne  sont  pas  seulement  des  fruits  meilleurs;  ce  sont  des 
fruits  d'un  autre  ordre,  des  fruits  surnaturels,  divins  comme 
le  plus  excellent  des  deux  principes,  des  merveilles  de 
grâce,  de  vertus  et  de  gloire  éternelle  K 

325.  —  Que  signifient  ces  mots  :  Si  ergo  videritis  Filiwn  hominis 

ascendentenij  etc.,  63? 

Cette  proposition  est  à  la  fois  interrogative  et  elliptique. 
Les  interprètes  la  complètent  de  diverses  manières.  Selon 
les  uns,  la  pensée  sous-entendue  est  celle-ci  :  Après  mon 
Ascension^  ne  reconnaitrez-vom  pas  qmje  suis  descendu  du 
ciel,  (foe  je  suis  V organe  de  mon  Père  et  que  vov^  devez  croire 
à  toutes  mes  paroles?  Ou  bien  :  Ne  comprendrez-vous  pas 
qu'il  s'agit  d'autre  chose  que  d'une  manducation  chartielle, 
comme  vou^  iwu^  le  figurez  ?  Selon  les  autres,  cette  pensée 
serait  toute  différente  :  Le  mystère  de  VEucharistiey  impli- 
quant clairement  la  multiplication  de  mon  corps  et  de  mon 
sang,  ne  vous  paraitra-t-il  pas  moins  croyable  encore  après  ma 
disparition  de  ce  monde?  Cette  dernière  interprétation  est 
la  plus  commune  parmi  les  interprètes  modernes,  et  se  lie 
mieux,  ce  semble,  avec  ce  qui  précède  et  ce  qui  suit.  Quoi 
qu'il  en  soit,  ces  paroles  du  Sauveur  montrent  qu'il  a  été 
bien  compris  de  ses  auditeurs.  Il  ne  suppose  pas  qu'ils  man- 
quent d'intelligence,  mais  bien  de  docilité.  S'ils  avaient  mal 
saisi  sa  pensée,  il  l'aurait  expliquée,  comme  il  fait  toujours 
quand  ses  paroles  donnent  lieu  à  une  méprise,  par  exemple 
lorsqu'il  parle  de  levain,  de  régénération,  du  sommeil  de  La- 
zare, de  Valiment  dont  lui-même  se  nourrit,  de  son  départ 
prochain  '. 

1  In  corporali  manducatione,  manducans  convertit  in  se  cibum,  quia 
dignior  et  nobilior  est  cibo;  in  spiritual!  est  e  contrario,  quia  cibus 
est  nobis  dignior  et  perfectior  et  completior.  Idco  potius  in  ipsum  mu- 
tamur  et  incorporamur  quam  e  converse.  S.  Bonav.,  In  iv  Sent,^  dist.  9, 
a.  i,  q.  2,  ad  3.  S.  Thora.,  Opusc,  lviii,  20.  Cf.  Joan.,  xv,  4-8;  xvii,  2. 
Eph.,  V,  31.  -  2  Matth.,  xvi,  8-12;  Joan.,  m,  3-5;  iv,  32-34;  viii,  32-34; 
XI,  11-14;  XVI,  16-19,  29. 


474  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n*  326 

326.  —  Comment  expliquer  cette  parole  :  Caro  non  potest  quidquam, 
et  ces  autres  :  Vei^ia  qux  ego  locutus  sum^  spiritus  et  vita  sunt^  64? 

!•  On  explique  de  diverses  manières  cette  parole  de  Nôtre 
Seigneur  :  «  La  chair  ne  sert  de  rien.  »  Le  sens  charml  ne 
saurait  rien  entendre  en  ce  mystère;  la  foi,  ou  l'esprit  hu- 
main éclairé  par  celui  de  Dieu,  peut  seul  le  concevoir  et 
l'accepter  *.  »  —  ^La  chair ^  à  elle  seule,  fût-ce  celle  du  Fils 
de  l'homme,  ne  peut  rien,  pas  même  donner  la  vie  natu- 
relle, qui  a  l'esprit  pour  principe.  »  —  c  Ce  qui  est  salutaire 
et  vivifiant,  ce  n'est  pas  précisément  de  recevoir  la  chair  de 
Jésus-Christ,  c'est  de  participer  par  ce  moyen  à  son  esprit 
et  d'être  uni  par  là  à  sa  divinité  '.  »  —  Ces  interprétations 
n'ont  rien  dont  les  hérétiques  puissent  se  prévaloir;  et  elles 
n'impliquent  aucune  concession  du  divin  Maître  à  l'incrédu- 
lité qui  murmure  de  ses  paroles  •. 

2*  Les  derniers  mots  du  verset  sont  en  rapport  avec  ceux 
qui  précèdent.  —  Si  l'on  entend  par  caro  le  sens  charnel, 
les  idées  grossières  des  esprits  terrestres,  tels  qu'étaient  les 
Capharnaïtes,  la  pensée  de  Notre  Seigneur  ne  différera  pas 
de  celle  de  S.  Paul,  quand  il  dit  aux  Corinthiens  :  Animalis 
homo  non  percipit...  :  spiritualis  autem  judicat  omnia  *.  Il  faut 
s'élever  au-dessus  des  sens,  et  tenir  compte  de  la  sagesse  et 
de  la  puissance  du  divin  Maître  pour  la  réalisation  de  ses 
promesses.  —  Si  caro  signifie  la  chair  du  Sauveur,  séparée 
de  sa  divinité,  les  mots  :  Verba  quœ  ego  locutus sum...  signi- 
fieront :  «  Ce  dont  j'ai  parlé,  ce  n'est  pas  ma  chair,  prise  à 

*  Matth.,  XXVI,  41;  Joan.,  m,  6;  Rom.,  vu,  5,  6;  viii,  1-14;  I  Cor., 
V,  5.  —  2  Joan.,  m,  6;  I  Pet.,  m,  18.  Domine,  quomodo  caro  non  pro- 
dest  quidquani,  cura  tu  dlxeris  :  Nisi  quis  manducaverit  carnem  meam^ 
non  hûbebit  vitam?  —  Non  prodest  quidquam,  sed  quomodo  illi  intel- 
lexerunt,  quomodo  in  cadavere  dilaniatur  :  non  quomodo  spiritu  vege- 
tatur.  Dictum  est  :  Caro  non  prodest  quidquam,  quomodo  dictum  est  : 
Scientia  inflat.  Quid  est  :  Scientia  inflat?  Sola,  sine  caritate;  ideo 
addit  :  caiHtas  vero  sedificat.  Sic  etiam  nunc  caro  non  prodest  quidquam, 
sed  sola  caro.  Accédât  Spiritus  ad  carnem  et  prodest  plurimum.  S.  Aag., 
In  Joan.^  xxvii,  5.  Item,  littera  occidit,  spiritus  autem  vivificat.  Accédât 
spiritus  ;  adjuvet  et  fit  quod  jubetur.  Serm.  ccu,  6.-3  Joan.,  vi,  65, 67. 
«-  ♦  I  Cor.,  II,  14  ;  II  Cor.,  m,  6, 


N®  327]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  DISCOURS.  47S 

part,  mais  ma  chair  animée  par  mon  esprit;  ou  plus  littéra- 
lement :  c'est  l'esprit  vivifiant  qui  lui  est  uni  et  qui  en  fait 
la  vertu.  » 

Dans  tous  les  cas,  il  est  impossible  d'admettre  l'interpréta- 
tion des  Calvinistes  :  t  Je  n'ai  pas  voulu  parler  de  mandu- 
cation  proprement  dite,  ni  de  ma  chair  en  particulier.  Mes 
paroles  doivent  s'entendre  en  un  sens  métaphorique.  Il 
s'agit  de  faire  un  acte  de  foi,  de  croire  en  moi  et  de  recon- 
naître ma  double  nature.  »  Si  tel  avait  été  le  sens  des  pa- 
roles du  Sauveur,  tout  murmure  aurait  cessé  ;  aucun  schisme 
n'aurait  eu  lieu,  et  S.  Pierre  n'aurait  pas  eu  à  protester  de 
sa  foi  et  de  celle  des  véritables  disciples. 

327.  —  Pourquoi  Notre  Seigneur  demande-t-il  à  ses  Apôtres  s^ils  ne 
veillent  pas  le  quitter  aussiy  68,  et  pourquoi  S.  Pierre  répond-il  gu^ils 
ont  cru  et  connu,,.  70? 

!«  Par  ses  paroles.  Notre  Seigneur  témoigne  qu'il  n'a 
besoin  de  personne  en  son  Eglise,  qu'il  ne  veut  que  des 
disciples  convaincus  et  volontaires  *  ;  et  il  donne  lieu  à  ses 
Apôtres  de  faire  connaître  leur  foi  en  sa  doctrine  et  leur  dé- 
vouement pour  sa  personne  '. 

2*  Les  paroles  de  S.  Pierre:  Credidimus  et  cognovimtis*, 
font  entendre  que  l'intelligence  ou  la  connaissance  nette  et 
claire  des  vérités  chrétiennes  est  un  fruit  de  la  foi.  Elles 
s'accordent  avec  celles  d'Isaïe,  souvent  citées  par  S.  Augus- 
tin *,  d'après  l'Italique  :  Nisi  credideritis,  non  intelligetis  ». 
Les  Apôtres  avaient  commencé  par  croire  à  la  doctrine  du 
Sauveur  sur  les  preuves  miraculeuses  qu'il  leur  avait  don- 
nées de  sa  mission  ;  mais  ce  qu'ils  avaient  cru  d'abord  par 
simple  soumission,  en  dépit  de  leurs  préjugés,  devenait  pour 
eux  de  jour  en  jour  plus  manifeste  et  plus  indubitable  *. 

»  Matth.,  m,  9.  —  2  II  Thess.,  m,  2.  —  8  Cf.  I  Joan.,  iv,  16.  — 
*  S.  Aug.,  Epist.  cxx,  3.  —  *  Isai.,  vu,  9.  Loquitur  Petrus  Ecclesiss 
nominc,  ostendens  quia,  etsi  contumax  et  supcrba  multitudo  discedat, 
Ecclosia  tamen  a  Christo  non  recedit.  Unde  scire  debcs  Episcopum  in 
Ecclesia  esse  et  Ecclesiam  in  Rpiscopo.  S.  Cyp.,  Epist.  lxix,  8.  —  «  Fide 
intelligimus.  Heb.,  xi,  3.  Quid  est  fides?  Credere  quod  non  vides.  Fidci 
merces  est  videre  quod  crodis.  S.  Aug.,  Semi.  xlui,  1.  Qui  non  credide- 


476  JÉSU8-CHMST  SELON  l'évangile.  [n^  328 

Discussion  de  Notre  Seigneur  avec  les  Juifs  sur  sa 

divinité.  Joan.,  viii,  17-58. 

328.  —  Est-ce  comme  Dieu  ou  comme  Homme-Dieu  que  Notre 
Seigneur  est  la  lumière  du  monde,  12? 

En  même  temps  qu'il  se  dit  la  lumière  du  monde,  Notre 
Seigneur  se  proclame  le  guide  et  le  modèle  par  excellence  : 
Qui  sequitur  me  non  ambulat  in  tenebris.  Or,  c'est  par  Tln- 
carnation  qu'il  s'est  rendu  notre  modèle.  C'est  donc  comme 
Homme-Dieu  qu'il  se  dit  la  vraie  lumière,  c'est-à-dire  le 
principe  de  toute  connaissance  et  de  toute  vie  surnaturelle 
pour  le  genre  humain,  la  source  de  la  grâce  et  de  la  gloire 
pour  tous  les  enfants  d'Adam,  lumen  vitœ.  Tel  est  du  reste 
le  sens  de  tous  les  passages  parallèles  *. 

La  fête  des  Tabernacles  *  était  destinée  à  rappeler  aux 
Israélites  le  séjour  que  leurs  pères  avaient  fait  dans  le  dé- 
sert et  les  grâces  signalées  qu'ils  y  avaient  reçues  •.  Durant 
l'octave,  on  habitait  sous  des  tentes;  on  célébrait  le  miracle 
de  la  source  miraculeuse*  et  celui  de  la  colonne  de  feu ^; 
on  en  faisait  des  représentations.  C'est  à  quoi  le  divin  Maître 
semble  faire  allusion,  quand  il  dit  ^  qu'il  est  la  véritable 
source  où  toutes  les  âmes  peuvent  étancher  leur  soif,  la 
vraie  lumière  qui  doit  éclairer  le  monde  et  montrer  aux 
hommes  leur  voie  \  On  peut  remarquer  avec  quel  soin  il 
profite  des  solennités  et  des  cérémonies  religieuses  pour 
prêcher  le  royaume  de  Dieu  et  enseigner  sa  doctrine  *. 

rit,  non  experietur,  et  qui  expertus  non  fuerit,  non  intelliget.  S.  Anselm., 
de  fide  Tiin.,  2.  C'est  ce  que  les  âmes  fidèles  éprouvent  encore  dans  la 
fréquentation  de  la  sainte  Eucharistie.  On  commence  par  Tobscurité  de 
la  foi  ;  la  lumière  vient  avec  l'amour.  Le  Sauveur  ne  cesse  pas  de  se 
manifester  dans  la  fraction  du  pain,  et  les  vrais  croyants  s'étonnent  des 
témoignages  qu'il  leur  donne  de  sa  présence  et  de  sa  vertu.  Cf.  Brev., 
14  juin.,  lect.  VI,  Vie  de  S.  Odon,  4  juill.;  de  M,  Vianney,  1.  ii,  ch.  3; 
1.  IV,  ch.  14.  Miracle  des  Billettes,  1306,  et  des  SS.  Gervais  et  Protaîs, 
à  Paris,  1274,  de  Bruxelles.  1369,  de  Faverney,  1608,  etc.  Migne,  Dic- 
tionn.  de  myst.  chrét.^  Eucharistie,  Hosties,  Attraction,  etc. 

1  Joan.,  1, 9;  m,  19;  ix,  5;  xii,  46.  Cf.  Matth.,  v,  14;  xi,  27.  —  *  Jt>an., 
VII,  2.  —  8  1  Cor.,  X,  1-4.  —  ♦  Num.,  xx,  11.  —  •  Exod.,  xiv,  30.  — 
6  Joan.,  VII,  37.  —  "ï  Joan.,  viii,  12.  —  «  Cf.  Joan.,  ii,  13;  v,  1;  vi,  4; 
vil,  2,  10,  44;  X,  22;  xui,  1,  etc. 


V^  330]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  DISCOURS.  477 

*  329.  —  Pourquoi  les  Juifs  demandent-ils  au  Sauveur  où  est  son 
Père,  19,  et  qu'annonce-t-il  en  disant  qu'ils  mourront  dans  leur  pé- 
ché, 21? 

!•  Les  Juifs  demandent  au  Sauveur  où  est  son  Père,  parce 
qu'ils  ne  voient  en  lui  qu'un  homme,  ou  bien  ils  parlent 
ainsi  pour  l'humilier,  en  affectant  d'ignorer  son  origine 
divine.  La  réponse  qu'il  leur  fait  :  Si  me  sciretis,  et  Patreni 
meum  sciretis,  implique  sa  divinité,  puisqu'elle  suppose, 
entre  lui  et  son  Père,  identité  de  nature  ». 

2*  Quand  il  dit:  In  peccato  vestro  moriemini^  21,  il  les 
considère  comme  nation,  et  il  entend  qu'ils  périront  pour 
l'avoir  crucifié  ;  ou  bien  il  ne  s'adresse  qu'à  ceux  de  ses  au- 
diteurs qui  s'obstineraient  dans  leur  incrédulité,  24  *. 

330.  —  Gomment  faut-il  traduire  ces  mots  :  Principium  qui  et 

loquor  voàis^  25? 

Ceux  qui  s'attachent  à  la  Yulgate  traduisent  :  c  Je  suis  le 
principe  de  tout,  >  c'est-à-dire  l'auteur  et  le  commencement 
des  choses  •.  Ceux  qui  suivent  le  grec  traduisent  :  c  Depuis 
le  commencement,  je  suis  ce  que  je  vous  dis  :  A  principio 
sum  quod  dico  >;  ou  bien  :  «  Je  suis  ce  que  je  vous  dis  depuis 
le  début  de  mon  ministère:  Ego  sum  qiuid  et  loquor.,.  a 
principio  t;  ou  plus  simplement  encore  :  «  Je  suis  réelle- 
ment, uniquement  ce  que  je  vous  dis  être,  la  lumière  du 
monde  t;  les  mots  grecs,  tiqv  a^xt^*^  rendus  par  principium, 
ne  pouvant  être  employés  qu'adverbialement,  pour  xaxa  tiqv 
apX^V)  dans  le  sens  de  omnino,  prorms,  ou  bien  pour  a  prin- 
cipio^ de  principio  ;  et  o  ti  ne  pouvant  se  rapporter  qu'à 
TouTo,  sous  entendu  après  eiiJLi  ♦. 

L'auteur  de  la  Vulgate  paraît  avoir  lu  oaxiç  au  lieu  de  o  ti. 
S'il  a  lu  oTi,  il  aura  traduit  par  quia,  dont  les  copistes  au- 
ront fait  qui. 

*  Cf.  Joan.,  XIV,  19.  —  «  Cf.  Act.,  iv,  12.  —  «  L'auteur  de  le  Vulgate 
aura  vu  ou  soupçonné  une  allusion  aux  passages  de  TEcriture  où  le 
Verbe  est  appelé  principe.  Prov.,  viii,  22  (Cf.  S.  Justin.,  DiaL  61;  Tert., 
Adv.  Prax.,  7);  Ps.  oix,  3;  Apec,  i,  17  ;  ii,  1,  8;  xxi,  6.  —  *  Cependant 
S.  Chrysostome  donnant  à  ces  mots  o  tt  XaXw  viniv,  un  sens  interrogatif, 
entend  :  «  Que  vous  dirai-je  encore?  A  quoi  bon  plus  .de  paroles?  » 

27. 


478  JÉSUS-CHWST  SELON  l'évangile.  [n<>  332 

331.  —  Quel  est  le  Fils  qui  vit  en  liberté  dans  la  maison  de  son  Père, 
et  de  quelle  servitude  affranchit-il  ses  disciples,  35,  36? 

1*  Ce  Fils  dont  Notre  Seigneur  parle  au  verset  35,  c'est 
lui-môme,  impeccable  par  nature,  et  libre  au  milieu  des 
morts  *.  C'est  lui  seul,  mais  lui  tout  entier,  avec  ses  mem- 
bres vivants  ;  car  ils  participent  à  ses  privilèges  *. 

i""  La  servitude  dont  il  délivre  ses  disciples,  en  les  éclai- 
rant de  ses  lumières,  c'est  celle  de  la  loi,  de  l'erreur  et  du 
péché,  32-34.  Celle  du  péché  est  la  plus  terrible,  même  dès 
cette  vie.  Elle  dégrade  entièrement  l'âme  et  finit  par  attirer 
sur  elle  la  colère  et  les  châtiments  éternels  de  Dieu  '.  Les 
Juifs  ne  songeaient  qu'à  la  liberté  civile  et  politique  ;  mais 
la  liberté  des  enfants  de  Dieu  est  d'un  ordre  et  d'un  prix 
infiniment  supérieurs  *.  Elle  fait  qu'on  n'est  plus  assujetti 
qu'au  seul  véritable  maître,  à  celui  qui  veut  nous  associer 
à  sa  puissance  et  à  sa  gloire  dans  l'éternité,  c  En  parlant  ici 
de  lui-même,  36;  Notre  Seigneur  fait  allusion  à  l'histoire 
d'Isaac  et  d'Ismaêl,  35;  et  les  Juifs  n'ont  pas  de  peine  à  com- 
prendre*. » 

*  382.  —  Dans  quel  sens  le  mot  fils  est-il  pris  dans  les  versets  39-44? 

Le  mot  fils  est  pris  ici  dans  un  sens  métaphorique.  Chez 
les  Hébreux,  tout  rapport  de  cause  à  effet,  de  principe  à 
conséquence,  de  maître  à  disciple,  était  rendu  par  l'idée  de 
production,  de  génération  *.  On  disait  :  enfants  des  pro- 
phètes, pour  disciples  ou  serviteurs  des  prophètes  '.  On  te- 
nait la  ressemblance  des  instincts  et  des  dispositions  pour 

4  Ps.  Lxxxvii,  6.-8  Joan.,  xvii,  24,  Eph-,  ii,  6.  —  '  Cf.  Rom.,  v, 
20,  21  ;  VI,  16-23;  viii,  i;  Gai.,  iv,  21-31.  —  *  Erit  voluntas  libéra,  si 
faerit  pia.  Eris  liber,  si  fueris  servus  ;  liber  peccati ,  servas  justiii». 
Prima  libertas  est  carere  criminibus.  S.  Aug.,  In  Joan.j  xli,  8,  9.  — 
»  Cf.  Rom.,  VI,  13;  Gai.,  iv,  22-31.  —  6  On  trouve  dans  TEvangile  :  lea 
fils  du  diable,  Joan.,  viii,  41,  44,  les  fils  du  royaume,  Matth.,  xiii,  38; 
vni,  12,  les  fils  de  ce  monde,  Marc,  m,  17;  Luc,  xx,  34,  les  fils  de 
la  géhenne,  Matth.,  xxiii,  15,  les  fils  de  la  lumière,  Luc,  xvi,  8;  Joan., 
xii,  36,  les  fils  de  la  résurrection,  Luc,  xx,  36,  les  fils  de  la  paix,  Luc, 
X,  6,  les  fils  de  Tépoux,  Matt.,  ix,  15;  Marc,  ii,  19,  etc.  —  ^  lY  Reg., 
jv,  88,  et  Supra,  n.  38. 


NO  333]  SA  VIE  PUBLIQUE.   —   SES  DISCOURS.  479 

un  indice  de  l'identité  des  races.  «  Vous  avez  les  goûts,  la 
malice,  la  ruse  du  démon  :  vous  êtes  donc  de  sa  famille;  il 
est  votre  père;  c'est  lui  qui  vous  a  formés  *.  Vous  avez  une 
conduite  opposée  à  celle  d'Abraham  :  ne  me  dites  donc  pas 
que  vous  êtes  ses  enfants.  Ceux-là  seuls  qui  pratiquent  la 
vertu  peuvent  se  vanter  d'être  les  enfants  d'un  homme  ver- 
tueux *.  »  Quand  Notre  Seigneur  ajoute  que  le  démon  est 
menteur  et  homicide  dès  l'origine,  44,  il  fait  allusion  à  la 
tentation  du  paradis  terrestre,  et  au  châtiment  comme  à  la 
chute  de  nos  premiers  parents. 

333.  —  Le  mot  par  lequel  le  Sauveur  termine  son  discours  :  Ântequam 
Abraham  fieret^  ego  sum,  58,  ne  suppose-tril  pas  sa  divinité? 

En  disant  qu'il  existait  avant  de  venir  en  ce  monde  ',  le 
Sauveur  affirme  clairement  qu'il  a  une  autre  nature  que  sa 
nature  humaine,  ou  que  sa  personne  est  antérieure  à  son 
humanité.  En  disant  qu'il  était  avant  qu'Abraham  fût,  ou 
plutôt  avant  qu'il  naquît  :  Dptv  A6paa[i.  ^evecôat,  e^w  eifxt  ♦,  il 
fait  comprendre  de  plus  qu'il  n'a  pas  reçu  l'existence,  comme 
ce  patriarche,  mais  qu'il  la  possède  essentiellement,  éternel- 
lement ;  par  conséquent  qu'il  n'est  pas  une  simple  créature, 
mais  l'Etre  souverain  et  infini.  Celui  qui  peut  dire  dans  tous 
les  temps  :  c  Je  suis  i  :  Ego  sum  qui  sum  '. 

Cette  conséquence  n'échappe  point  à  ses  auditeurs  ;  car 
S.  Jean  rapporte  qu'après  cette  parole  du  Sauveur  comme 
après  celle  qu'il  relève  un  peu  plus  loin  :  Ego  et  Pater  unum 
mmtis  •,  ils  prennent  des  pierres  pour  le  lapider  \  Dans  un 
cas  comme  dans  l'autre,  nous  pouvons  dire  avec  S.  Augus- 
tin :  Ecce  Judœi  intellexerunt  quod  non  intelligunt  Ariani^, 

Gomme  ils  avaient  gardé  le  souvenir  de  la  création  et  de 

i  Cf.  Matth.,  m,  7;  v,  9,  44;  I  Joan.,  m,  8,  12.  —  «  Cf.  PhU.,  m,  5. 
Infra,  n.  464.  —  »  Cf.  Joan.,  viii,  51,  52;  xiv,  19.  —  *  Cf.  Joan.,  xvii, 
5,  24.  Non  dixit  :  Antequam  Abraham  esset,  ego  eram;  neque  :  Ante- 
quam Abraham  fleret,  ego  factus  sum  ;  sed  :  Antequam  Abraham  fleret, 
ego  sum.  Agnoscite  Creatorem;  discernite  creaturam.  Qui  loqucbatur, 
semen  Abrahœ  factus  erat;  sed  ut  Abraham  iieret,  ante  Abraham  ipse 
erat.  S.  Aug.,  In  Joan,,  xliii,  17.  —  *  Exod.,  m,  14;  Ps.  lxxxiv,  2.  — 
•  Joan.,  X,  30.  —  '  Cf.  X-ev.,  xxiv,  14.  —  «  /n  Joan.,  xlviii,  8. 


480  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n®  334 

la  religion  primitive,  les  Juifs  étaient  pénétrés  d'un  profond 
respect  pour  Tantiquité.  De  là  la  haute  idée  qu'ils  avaient  de 
leurs  ancêtres  et  la  vénération  que  leur  inspiraient  les 
patriarches.  Un  des  principaux  défauts  qu'ils  croyaient  voir 
en  Notre  Seigneur  et  dans  le  christianisme,  c'était  la  nou- 
vauté.  Ils  ne  pouvaient  souffrir  qu'on  leur  donnât  la  préfé- 
rence sur  une  institution  qui  remontait  à  l'origine  des 
siècles,  sur  des  hommes  qui  avaient  conversé  avec  les  anges 
et  avec  Dieu  même.  S.  Jean,  qui  sentait  la  force  de  ce 
préjugé,  ne  néglige  aucune  occasion  de  le  combattre.  Il  ne 
manque  jamais  de  signaler  les  paroles  et  les  faits  propres  à 
faire  ressortir  cette  vérité,  que  sous  le  rapport  de  l'antiquité, 
comme  sous  celui  de  la  grandeur  et  de  la  sainteté,  rien  ne 
peut  être  mis  en  comparaison  avec  le  Fils  de  Dieu  ni  avec 
son  œuvre  *. 

Autre  discuseion  sur  le  même  sujet.  Joan.,  x,  2Î-42. 

*  334.  —  A  quelle  époque  remontait  la  fête  de  la  Dédicace,  22,  et 
quel  était  le  portique  de  Salomon,  23? 

10  La  fête  de  la  Dédicace  remontait  à  l'an  164,  où  Judas 
Machabée,  ayant  délivré  Jérusalem,  avait  brisé  l'idole  de 
Jupiter  Olympien ,  placée  dans  le  sanctuaire,  et  purifié  le 
temple  des  profanations  commises  trois  ans  auparavant  par 
Antiochus  Epiphane  •.  Elle  durait  huit  jours  et  se  célébrait  à 
l'entrée  de  l'hiver,  comme  S.  Jean  en  fait  la  remarque  pour 
ses  lecteurs,  étrangers  à  la  Judée. 

2<*  La  galerie  couverte  où  se  promenait  Notre  Seigneur 
s'appelait  portique  de  Salomon,  parce  qu'elle  était  bâtie  sur 
une  terrasse  élevée  par  Salomon.  Peut-être  y  voyait-on  en- 
core quelques  restes  de  l'ancien  temple  *.  On  découvrait  de 

1  Cf.  Joan.,  I,  1,  15,  27,  30;  xii,  41;  xvii,  5,  24;  I  Joan.,  i,  1;  Apoc., 
I,  14,  17;  XIII,  8;  xxii,  13.  Item  Eph.,  i,  14;  Col.,  i,  15-17;  U  Tiin.,  i,  9; 
Heb.,  i,  1,  2;  v,  10;  vu,  3;  xiii,  8;  Euseb.,  H.  E.,  i,  24;  S.  Aug.,  de 
Civ,  Deiy  xviii,  37-41.  Les  premiers  Pères  font  de  même  :  O  Christum 
et  in  novis  veterem!  Tert.,  Adv,  Mcuc,  iv,  21.  —  2  Eyxatvia,  I  Mac, 
IV,  36,  52-59;  Il  Mach.,  x,  1,  5-8.  Brev.,  Fer.  iv.  Passion,  lect.  1.  Cf. 
Joseph.,  A.,  XII,  VII,  6  et  7.  —  3 III  Reg.,  vi,  3;  II  Par.,  m,  4.  Cf.  Joseph., 

A»j  J^A,  IX,   ••  ,  » 


N0  336]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  DISCOURS.  481 

là  la  colline  des  Oliviers  et  toute  la  vallée  du  Cédron.  Le 
Sauveur  et  les  Apôtres  s'y  tenaient  de  préférence,  parce 
qu'elle  était  ouverte  aux  Gentils  aussi  bien  qu'aux  Juifs  *. 

*  335.  —  Pourquoi  les  Juifs  pressent-ils  Notre  Seigneur  de  leur 
déclarer  s'il  est  véritablement  le  Messie,  24? 

Quand  les  ennemis  du  Sauveur  le  pressent  de  déclarer  s'il 
est  le  Messie,  c'est  par  malice  qu'ils  le  font,  afin  de  le  rendre 
odieux  aux  Romains,  en  disant  qu'il  aspire  à  la  royauté  *  ; 
car  les  infidèles  prenaient  ce  nom  de  Messie  dans  le  sens  des 
Juifs  les  plus  terrestres,  et  non  dans  celui  des  prophètes  '. 
Mais  Notre  Seigneur  ne  veut  pas  s'attribuer  nettement  cette 
qualité  de  roi  jusqu'au  moment  de  sa  Passion,  où  il  montrera 
que  sa  royauté  n'est  pas  de  ce  monde,  en  même  temps  qu'il 
versera  son  sang  pour  en  soutenir  la  réalité  et  pour  nous 
mériter  la  possession  de  son  royaume  *. 

336.  —  Ces  paroles  :  Ego  et  patei%  o  îlaTYip,  unum  sumus^  30,  peuvent- 
elles  s'entendre  d'une  simple  union  morale  ? 

S'il  n'avait  pas  été  certain  que  ces  paroles  signifiaient 
autre  chose  qu'une  union  morale,  ou  une  conformité  de  vo- 
lontés, les  Juifs  n'auraient  pas  pris  aussitôt  des  pierres  pour 
lapider  le  Sauveur,  31  ;  ils  ne  lui  auraient  pas  reproché  de 
se  faire  Dieu,  33  *.  Aussi  le  sens  est-il  manifeste,  et  ces  mots 
ont-ils  toujours  été  regardés  comme  la  formule  la  plus  précise 
de  la  consubstantialité  du  Père  et  du  Fils.  Notre  Seigneur  dit 
que  le  Père  et  le  Fils,  tout  en  étant  des  personnes  distinctes, 
$umtis^  sont  néanmoins  une  même  chose,  ev,  unum^  et  non 
etç,  unm  •  ;  qu'ils  sont  un  même  Dieu,  qu'ils  ont  une  même 
nature,  une  nature  identique,  la  nature  divine  ne  pouvant 

J  Cf.  Act.,  m,  11;  v,  12.  —  «  Cf.  Joan.,  vi,  15,  xix,  12.  Cf.  Luc, 
xxn,  66.-3  SuprUy  n.  78.  Infra,  n.  601.  —  *  Matth.,  xvi,  20;  xxvi, 
63, 64.  —  »  Cf.  Joan.,  xiv,  9-12;  I  Cor.,  vi,  17;  Phil.,  ii,  6,  7.  Si  voluntas 
unum  esse  eus  faceret,  Dominus  ita  precaretur  :  Pater,  sicut  nos  unum 
Tolumus,  ita  et  llli  unum  velint,  ut  unum  per  concordlam  simus  omncs. 
s.  Hilar.,  de  Trinit.,  viii,  11.  —  ^  Comme  aux  Galates,  m,  28,  où  il 
s'agit  des  chrétiens  incorporés  à  Jésus-Christ  et  ne  faisant  plus  avec 
lui  qu'une  seule  personne  morale.  Cf.  Apec,  xxi,  1,  3. 


JÉSUS-CHRIST  SELON  l'ÉVANGILE.  [N<^  337 

[u'une,  en  nombre  comme  en  espèce*.  Le  mot  unum 
nd  les  Ariens,  dit  S.  Augustin,  et  le  pluriel  sumus  fé- 
es Sabelliens  '. 

.  —  Le  Sauveur  ne  se  défend-il  pas  de  se  faire  Dieu  ou  de  se 
dire  le  propre  Fils  de  Dieu,  35^  36? 

Sauveur  se  borne  à  faire  aux  Juifs,  ici  comme  en 
res  occasions  semblables  ',  un  argument  ad  hominm, 
ïs  déconcerte  et  les  désarme.  Sans  revenir  sur  ses  pa- 
:  Qu'il  ne  fait  qu'un  avec  son  Père,  sans  les  adoucir 
le  sans  y  insister,  il  se  borne  à  dire  que  le  grief  qu'on 
[ue  n'est  pas  une  raison  pour  le  lapider  *  ou  pour  Tac- 
de  blasphème,  36;  que  l'Ecriture  même,  dont  on 
e  contre  lui,  donnant  le  nom  de  Dieu  à  des  hommes 
rfaits  et  sujets  au  péché  *,  pour  ce  seul  motif  qu'ils  sont 
us  de  l'autorité  divine  ou  honorés  des  communications 
iel,  25,  ce  ne  peut  être  un  crime  de  se  l'attribuer, 
1  on  a  pour  Père  le  Dieu  du  ciel,  qu'on  a  été  sanctifié 
ui-méme  d'une  manière  incomparable  •  et  envoyé  sur 
Te  pour  accomplir  ses  desseins  :  Si  per  sermonem  Dei 
homines  dii,  unde  participant  non  est  Deus?  Si  lumim 
inata  dii  sunt^  lumem  quod  illuminât  non  est  Deus?  Si 
eos  facit  sermo  Dei^  quomodo  non  est  Deus  Verbum  Dei? 
st  le  sens  de  ses  paroles,  d'après  S.  Augustin  ''.  Le  di- 
[aître  conclut  du  petit  au  grand,  du  fini  à  l'infini.  Puis 
ifirme  d'une  manière  positive  et  très  claire,  bien  qu'in- 
te,  ce  qu'il  a  dit  de  sa  divinité,  en  se  plaignant,  non 
i  interprète  mal  ses  paroles,  mais  qu'on  refuse  d'y 
3,  et  en  repétant  qu'il  est  en  son  Père,  et  que  son  Père  est 
i,  38,  c'est-à-dire  que  son  Père  et  lui  ne  sont  qu'une 
et  môme  substance.  Si  le  mot  n'y  est  pas,  l'idée  y  est 

m.,  XIV,  7-9.  —  *  Sumus,  non  diceret  de  uno;  sed  et  unum  non 
t  de  diverse.  S.  Aug.,  In  Joan,,  xxxvi.  Cf.  lxxviii,  2.  Deo  ex  Deo 
lec  eumdem  nativitas  patitur  esse,  ncc  aliud.  S.  Hilar.,  de  Trinit.^h 
f.  Matth  ,  IX,  15;  xxi,  25;  xxii,  20-22;  Joan.,  vu,  19-23;  vm,  7; 
-5.  —  *  Joan.,  X,  31.  Cf.  viii,  59;  Act.,  i,  7;  vii^  58;  xxi,  31; 
12.  —  8  Ps.  Lxxxi,  6.  Cf.  Exod.,  vu,  1.  —  «  Cf.  Jer.,  i,  5;  Lac, 
Cf.  S.  Thom.,  p.  3,  q.  34,  a.  2.  —  '  In  Jocm.,^  XLVin,  9. 


N^'SSS]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  DISCOURS.  483 

évidemment.  Elle  y  est,  non  seulement  énoncée,  mais  ré- 
pétée ^  Aussi,  loin  de  s'adoucir  à  son  égard,  ses  ennemis 
cherchent-ils  à  s'emparer  de  sa  personne;  et  lui,  de  son  côté, 
s'empresse  de  se  soustraire  à  leurs  poursuites  *. 

Discours  après  la  Cène,  kiv-xvii. 

338.  -^  Ce  discours  ne  mérite-til  pas  une  estime  et  une  attention 

particulières  ? 

Pour  sentir  l'importance  de  ce  discours,  il  y  a  trois  choses 
à  remarquer  : 

!•  Le  moment.  —  Notre  Seigneur  est  à  la  veille  de  sa  mort 
tout  près  d'entrer  dans  la  carrière  de  sa  Passion.  Il  sort  du 
Cénacle,  où  il  vient  d'instituer  l'eucharistie  et  le  sacerdoce 
pour  donner  à  son  Eglise  un  culte  et  des  ministres  dignes  de 
lui.  Emu  des  grandes  choses  qu'il  a  faites  et  de  celles  qui  lui 
restent  à  faire,  il  s'arrête  pour  épancher  ses  sentiments  et 
exprimer  une  dernière  fois  ses  pensées. 

2*  Les  auditeurs.  Ce  n'est  plus  à  la  foule  que  le  divin 
Maitre  s'adresse,  ni  à  des  auditeurs  suspects,  à  peine  initiés 
à  sa  doctrine  :  c'est  à  ses  Apôtres,  c'est-à-dire  à  l'élite  de 
ses  disciples,  à  des  hommes  qu'il  a  appelés  personnellement 
à  sa  suite,  qui  ont  écouté  avec  docilité  toute  sa  prédication; 
à  des  hommes  qu'il  vient  d'élever  au  sacerdoce,  après  les 
avoir  nourris  de  sa  chair  et  de  son  sang,  et  qui  doivent  dé- 
sormais lui  servir  d'organes  pour  instruire  et  sanctifier  le 
reste  du  monde.  Quel  auditoire  plus  digne  de  ses  communi- 
cations et  mieux  disposé  pour  les  mettre  à  profit  •  ! 

3*  Le  sujet.  —  Il  ne  s'agit  pas  seulement  de  quelques 
maximes  ou  pratiques  particulières.  Il  s'agit  des  dogmes  les 
plus  essentiels  du  christianisme,  des  rapports  du  Père  avec 
le  Fils,  du  Père  et  du  Fils  avec  le  Saint-Esprit.  Il  s'agit  sur- 
tout de  ce  qui  fait  l'essence  de  la  vie  chrétienne,  de  l'union 
intime  et  surnaturelle  que  le  Sauveur  daigne  avoir  avec 

*  Tanquam  in  oblique  Dominus  Deum  se  dicit,  propter  quosdam  qui 
hegant  Filium  Dei  Deum  esse.  S.  Aug.,  in  Joan.y  xlix.  —  *  Cf.  S.  Thom., 
p.  I,  q.  42,  a.  5.  —  »  Joan.,  xv,  13-16;  xvi,  25-27. 


484  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n°  340 

l'Eglise  entière  et  avec  chacun  de  ses  membres  *  ;  de  la  dé- 
pendance où  nous  sommes  par  rapport  à  son  Esprit  et  à  son 
action  ",  des  grâces  dont  il  est  la  source  *,  et  des  fruits  de 
salut  qui  en  sont  l'effet  *. 

Ce  discours  est  donc  éminemment  dogmatique  et  mys- 
tique. Il  contient  la  partie  la  plus  sublime  de  l'enseigne- 
ment du  Sauveur.  Il  est  à  l'Evangile  ce  que  l'Evangile  est  à 
la  Loi,  ce  que  le  sanctuaire  est  au  temple.  Entre  les  discours 
de  S.  Jean,  il  tient  le  même  rang  que  celui  de  la  montagne 
parmi  ceux  de  S.  Matthieu  '. 

339.  —  Comment  peut-on  diviser  ce  discours? 

Il  n'est  pas  possible  de  donner  de  ce  discours  une  divi- 
sion logique.  C'est  une  suite  d'idées  et  de  sentiments  qui  ont 
entre  eux  une  grande  analogie  et  qui  se  succèdent  d'une 
manière  fort  naturelle,  sans  se  déduire  les  uns  des  autres  et 
sans  former  une  unité  rigoureuse.  Mais  des  quatre  chapitres 
qu'il  remplit,  xiv-xvii,  on  peut  retrancher  le  premier,  qui 
sert  de  prélude  et  qui  est  plutôt  un  entretien  ou  un  dialogue, 
et  le  dernier,  xvii,  qui  est  une  prière  à  haute  voix  du  Sau- 
veur à  son  Père. 

Restent  deux  chapitres,  xv  et  xvi,  qui  sont  comme  le 
corps  du  discours.  Lexv®  roule  sur  la  vie  surnaturelle  et  sur 
l'union  qu'elle  suppose  entre  Jésus-Christ  et  ses  membres. 
Au  xvi%  le  Sauveur  s'attache  à  consoler  et  à  encourager  ses 
Apôtres.  Il  leur  promet  de  leur  envoyer  son  Esprit,  1-15,  de 
ne  les  pas  délaisser,  16-22,  et  de  les  assister  constamment 
auprès  de  son  Père,  23-28  *. 

Prélude. 

Dialogue  du  Sauveur  avec  les  Apôtres,  xiv. 

340.  —  Gomment  Notre  Seigneur  est-il  la  voie^  la  vérité  et  la  vie,  6? 

Etant  homme  et  Dieu  tout  ensemble,  Notre  Seigneur  est  à 

4  Joan.,  XIV,  6,  19,  21,  23;  xv,  1,  4;  xvn,  23.  —  «  Joan.,  xiv,  16,  18; 
XV,  5,  13.  —  3  Joan.,  xv,  16;  xvi,  14;  xvn,  19,  Î2.  —  *  Joan.,  xv,  2,5, 
7^  20.  —  8  Cf.  Deut.,  xxvii-xxxin.  —  «  Voir  sur  tout  ce  discours  ; 
S.  Aug.,  In  Joan.,  lvi-gxi.  Cf.  Duguet,  Traité  de  la  Croix^ 


NO  341]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  DISCOURS.  48S 

la  fois  médiateur  et  fin.  Il  possède  tout  ce  qui  nous  manque, 
la  gloire  comme  la  grâce;  et  son  office  propre  est  de  nous 
mettre  en  possession  de  tous  les  biens.  Ainsi  il  est  : 

!•  La  voie;  puisqu'il  nous  offre  le  moyen  de  parvenir  au 
ciel,  soit  en  nous  dirigeant  par  sa  doctrine  et  ses  exemples, 
soit  en  nous  attirant  par  sa  grâce,  soit  en  nous  y  introduisant 
par  ses  mérites. 

2^  La  vérité.  Vérité  absolue  comme  Verbe,  il  est  devenu 
pour  nous,  comme  Verbe  incarné,  la  vérité  révélée,  la  lu- 
mière de  la  foi.  C'est  lui  seul  qui  connaît  le  Père,  qui  le  fait 
connaître  et  qui  peut  mener  à  lui  *. 

3*  La  vie.  Vie  essentielle  et  infinie,  comme  Dieu,  il  est 
notre  vie  surnaturelle,  comme  Homme-Dieu;  car  il  possède 
en  son  humanité  la  plénitude  de  la  vie  divine,  et  son  but  en 
venant  parmi  nous  est  de  nous  y  associer,  par  sa  grâce  d'a- 
bord et  par  la  gloire  ensuite  •. 

Tous  les  biens  sont  donc  réunis  en  sa  personne  et  il  n'y  a 
rien  à  chercher  hors  de  lui.  Quand  on  le  possède,  on  échappe 
à  tous  les  périls,  aux  précipices,  aux  ténèbres,  à  la  mort  '. 
Qu'on  juge  quelle  grâce  c'est  de  le  bien  connaître  et  pourquoi 
l'Apôtre  ne  voulait  pas  d'autre  science  *. 

341.  —  Si  les  œuvres  des  Apôtres  surpassent  celles  du  Sauveur,  12, 
comment  celles-ci  prouvent-elles  sa  divinité? 

Pour  être  moins  éclatantes  que  ne  furent  parfois  celles  des 
Apôtres  et  de  bien  d'autres  saints,  les  œuvres  du  Sauveur  ne 
laissaient  pas  de  prouver  sa  divinité;  et  cela  de  plusieurs 
manières  :  —  1**  Parce  qu'il  les  faisait  pour  établir  cette 
vérité,  et  qu'il  les  donnait  pour  des  démonstrations.  Or,  sans 
avoir  l'éclat  de  certains  prodiges  opérés  après  lui  \  elles 

*  Matth.,  XI,  27;  Joan.,  i,  9,  17  ;  xiv,  9.  —  2  Joan.,  i,  16;  v,  40;  xi,  25. 
Act.,  III,  15;  Col.,  III,  4.  Sola  intclligltur  vita  quse  bcata  quœ  autem  non 
beata,  nec  vita.  S.  Aug.,  Serm.  cccvi,  6.  Cf.  Apec,  m,  1.  —  3  Hoc  est 
per  me  venitur;  ad  me  pervenitur;  in  me  permanetur.  S  Aug.,  de  Doci. 
christ.^  ii  38;  Imit.  Christ. y  m,  56.  —  *  I  Cor.,  ii,  2;  Eph.,  m,  14-19. 
Sequamur,  Domine,  te,  pcr  te,  ad  te,  quia  tu  es  via,  veritas,  et  vita  : 
via  in  exemplo,  veritas  in  promisse,  vita  in  prœmio.  S.  Bern.,  de  Ascen^.^ 
Serm,  ii,  6.  —  «  Act.,  v,  5,  15;  x,  44;  xix,  6,  12;  Rom.,  xv,  18,  19; 
I  Cor.,  XIV,  26-33;  I  Tbess.,  i,  5.  Cf.  Matth.,  xvii,  19. 


486  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n<>  342 

n'en  étaient  pas  moins  des  œuvres  surhumaines  et  de  véri- 
tables miracles.  —  2°  Parce  que  les  miracles  que  faisait  Notre 
Seigneur,  il  les  faisait  en  son  nom,  par  une  puissance  propre 
et  personnelle,  bien  qu'en  union  avec  les  deux  autres  per- 
sonnes divines  V  Ils  supposaient  donc  en  lui  un  pouvoir 
absolu,  et,  par  conséquent,  ils  prouvaient  sa  divinité,  in- 
dépendamment de  toute  affirmation  de  sa  part.  —  3'  Parce 
que  les  œuvres  même  des  Apôtres  appartenaient  au  Sauveur, 
en  ce  sens  qu'ils  ne  les  faisaient  que  par  lui,  en  son  nom  et 
en  sa  vertu,  qu'il  leur  avait  donné  le  pouvoir  de  les  faire  *. 
Procédant  de  la  même  puissance,  elles  confirmaient  la  même 
doctrine  '.  Jésus-Christ  paraît  même  d'autant  plus  grand 
qu'il  lui  est  indifférent  d'agir  par  lui-même  ou  par  ses 
organes,  et  qu'il  ne  témoigne  aucun  souci  de  l'éclat 
extérieur*. 

*  342.  —  Est-ce  à  tous  les  fidèles  oa  aax  Apôtres  soalement  que  le 
Sauvear  promet  d'exaucer  toutes  les  prières  qu'ils  adresseraient  à 
son  Père,  13? 

Quoique  le  Sauveur  s'adresse  directement  aux  Apôtres,  sa 
promesse  s'étend  à  tous  les  chrétiens;  mais  il  faut  remar- 
quer qu'il  ne  promet  d'exaucer  que  les  prières  qui  seront 
faites  en  son  nom.  Il  fait  cette  réserve  expressément  et  à 
deux  reprises,  13,  14.  Qu'est-ce  donc  que  prier  en  son  nom, 
et  quand  peut-on  prier  autrement? 

Prier  au  nom  de  Jésus-Christ,  c'est  demander  les  grâces 
dont  on  a  besoin  pour  répondre  à  ses  desseins,  et  les  de- 
mander comme  fruit  de  ses  mérites,  en  se  fondant  sur  ses 
promesses.  Si  l'on  prie  ainsi,  quelque  grâce  qu'on  demande, 

1  Supra,  n.  239.  —  2  Matth.,  x,  8;  Marc,  xv,  17.  —  3  Act.,  m,  12, 16; 
XIV,  12-17.  Ad  vocem  Dominî  surrexerunt  mortui  :  ad  umbram  tran- 
seuntis  Pétri  surrexit  mortuus.  Majus  hoc  videtur  quam  illud.  Sed 
Christus  facere  sine  Petro  poterat;  Petrus  nisi  in  Christo  non  poterat. 
S.  Aug.,  m  Ps.  cxxx,  n.  6.  Cf.  S.  Thom.,  p.  3,  q.  43,  a.  4,  ad  2;  Bossuet, 
Méditations,  la  Cène,  1'®  part.,  lxxxviii.  —  *  Il  faut  d'ailleurs  distin- 
guer, selon  S.  Augustin,  des  œuvres  du  Sauveur  les  mystères  de  sa  vie  : 
Aliquid  proprium  facere  debuit  :  nasci  de  virgine,  resurgere  a  mortuis, 
cœlum  asccndcre.  Hoc  Deo  qui  parum  putat,  quid  plus  cxpcctet  ignoro. 
Epist,  cxxxyUf  13, 


N<»  342]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  DISCOURS.  487 

fût-elle  miraculeuse,  il  est  certain  qu'on  Tobtiendra.  C'est 
ainsi  que  les  Apôtres  ont  demandé  et  obtenu  tous  les  pro- 
diges qui  ont  signalé  leur  ministère  :  c'est  ainsi  que  les 
justes  obtiennent  tous  les  jours  de  nouvelles  grâces  pour 
persévérer  dans  la  vertu  et  faire  des  progrés  dans  la  perfec- 
tion. Notre  Seigneur  nous  a  mérité  ces  grâces  et  il  veut  que 
nous  les  recevions,  à  la  seule  condition  de  les  réclamer  en 
son  nom*. 

Mais  si  l'on  prie  autrement,  c'est-à-dire  si  l'on  manque 
de  confiance  en  Notre  Seigneur,  ou  bien  si  l'on  demande 
des  choses  qui  ne  serviraient  pas  à  l'accomplissement  de 
ses  desseins  et  qu'il  n'a  pu  avoir  intention  de  nous  mériter, 
on  ne  peut  pas  dire  qu'on  prie  en  son  nom  et  l'on  n'a  pas 
droit  de  rien  attendre  du  ciel.  Il  ne  faut  donc  pas  s'étonner 
de  n'être  pas  toujours  exaucé,  et  surtout  de  ne  l'être  pas 
toujours  à  l'instant  même  et  de  la  manière  qu'on  le  désire; 
car  lors  môme  que  nous  croyons  prier  le  mieux,  il  arrive 
souvent  ou  que  l'objet  de  nos  prières  est  contraire  à  nos 
vrais  intérêts,  ou  que  nous  sommes  disposés  à  en  abuser,  si 
précieux  qu'il  soit,  ou  qu'il  nous  deviendra  plus  utile  si 
nous  l'attendons  quelque  temps,  ou  enfin  qu'il  nous  im- 
porte moins  qu'une  autre  chose  dont  Dieu  veut  bien  nous 
gratifier  ». 

Au  reste  l'efficacité  de  la  prière  n'a  pas  d'autre  durée  que 

'  Dens  ad  hoc  se  peti  vult  ut  capaces  donorum  ejus  fiant  qui  petunt. 
Non  dat  nisi  petenti,  ne  det  non  cupienti.  S.  Aug.,  Epist.  cxxx,  17.  — 
*  Ne  contristemibi  quando  petitis  et  non  accipitis.  Non  enim  semper 
sgnim  exaudit  medicus  ad  voluntatem,  quamvis  ejus  sine  dubio  pro- 
cnret  sanitatem.  Artîs  est,  non  crudelitatis.  S.  Aug.,  Serm,  gglxxxvi,  5. 
Petit  seger  ut  quod  ad  salutem  apponit  medicus,  auferatur.  Medicus 
dicit  :  Non  mordet,  sed  sanat.  Tu  dicis  :  Toile  quod  mordet.  Medicus 
dicit  :  Non  tollo,  quia  sanat.  Non  ergo  exaudivit  Dominus  Paulum  ad 
Toluntatem,  quia  exaudivit  ad  sanitatem.  In  I  Joan.,  vi,  7.  Qualis  est 
apud  te  filius  tuus  nesciens  res  hamanas,  talis  es  et  tu  apud  Dominum 
nesciens  res  divinas.  Ecce  ante  te  filius  tuus  tota  die  plorans  ut  des  illi 
cultrum,  id  est  gladinm;  negas  te  dare;  non  das;  contemnis  flentem, 
ne  plangas  morientem.  Plorct,  affligat  se,  collidat  se  ut  levés  eum  in 
equum;  non  facis,  quia  non  potcst  eum  regere;  elidet  et  occidet  illum. 
Gui  negas  partem,  totum  illi  servas.  Sei^m.  lxxx,  7.  Cf.  S.  Thom.,  2*-2^ , 
q.  83,  a.  15,  ad  2,  et  a.  16  ;  Breviar.,  Dom,  v  post.  pose,  lect.  8.  Supra^  196. 


488  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n<>  343 

la  prière  elle-même.  Notre  Seigneur  veut  qu'on  prie  tou- 
jours ;  et  ce  serait  une  erreur  de  penser  que  pour  être  assuré 
du  salut,  il  suffit  de  l'avoir  demandé  un  seul  instant,  fût-ce 
avec  les  meilleures  dispositions. 

343.  —  Si  le  Sauveur  est  Dieu  comme  son  Père,  comment  peut-il 
dire  que  son  Père  est  plus  grand  que  lui,  28? 

C'était  la  grande  objection  des  Ariens;, mais  rien  de  plus 
facile  à  résoudre,  puisqu'eux-mêmes  reconnaissaient  deux 
natures  en  Jésus-Christ,  et  qu'il  ne  parle  ici,  évidemment, 
que  de  son  humanité,  en  se  considérant  comme  homme.  De 
quoi  s'agit-il,  en  effet?  De  son  retour  à  son  Père,  de  son 
Ascension,  de  la  gloire  dont  il  va  bientôt  jouir  :  Si  dilige- 
relis  rne^  gauderetis  utiqtte,  quia  vado  ad  Patrem,  quia  Pater 
major  me  est.  C'est  bien  comme  Homme  et  non  comme  Dieu 
qu'il  va  quitter  la  terre  et  monter  au  ciel.  C'est  son  huma- 
nité qui  va  être  glorifiée  à  la  droite  de  son  Père.  Pourquoi 
donc  s'étonner  de  l'entendre  dire  ici  qu'il  est  inférieur  à 
son  Père,  lorsqu'on  ne  s'étonne  pas  de  l'entendre  prier,  de- 
mander, rendre  grâces,  s'abandonner  à  la  volonté  divine? 
S.  Paul  ne  nous  donne-t-il  pas  la  raison  de  tous  ces  actes  et 
de  toutes  ces  dispositions,  en  disant  que  le  Fils  de  Dieu, 
sans  abdiquer  sa  divinité,  s'est  anéanti  jusqu'à  prendre  la 
forme  d'un  esclave'? 

Il  est  vrai  qu'un  certain  nombre  de  Pères,  dans  l'Eglise 
grecque,  ont  cru  pouvoir  suivre  les  Ariens  dans  l'applica- 
tion qu'ils  voulaient  faire  de  ces  paroles  à  la  nature  divine 
de  Notre  Seigneur.  Ils  ont  dit  que,  dans  la  Trinité  même, 
le  Père  a  sur  les  deux  autres  personnes  une  certaine  prio- 
rité ou  supériorité,  vu  qu'il  en  est  le  principe  et  qu'il  a  en- 
voyé son  Fils  pour  nous  racheter.  Mais,  quelle  que  soit  la 
valeur  de  leurs  explications  ou  l'obscurité  de  leur  langage, 
ces  docteurs  n'ont  pas  entendu  préjudicier  au  dogme  de  la 
divinité  du  Sauveur,  puisqu'ils  enseignent,  aussi  expressé- 
ment et  aussi  constamment  que  les  autres,  que  le  Père  et  le 

1  Plulip.,  n,  a,  7. 


I 


KO  345]         SA  ViÉ  PufiLiQUË.  —  Ses  biâcouhs.  480 

Fils  ont  une  même  nature,  une  même  puissance  et  une 
même  souveraineté. 

*  344.  —  Que  signifient  ces  mots  :  Surgite,  eamus  UinCy  31  ? 

Plusieurs  pensent  qu'après  avoir  dit  ces  mots  :  Surgite^ 
Notre  Seigneur  sortit  du  Cénacle.  Dans  ce  sentiment,  il  au- 
rait prononcé  le  reste  de  son  discours  en  se  rendant  au 
jardin  de  Gethsémani,  sur  le  mont  des  Oliviers;  et  les  pre- 
miers mots  du  chapitre  xvni  signifieraient  qu'au  moment  où 
il  terminait  sa  prière,  il  sortait  de  Jérusalem  et  passait  le 
Cédron  *.  Mais  le  sentiment  le  plus  commun  paraît  être  qu'à 
la  fin  du  chapitre  xiv,  le  Sauveur  ne  fit  autre  chose  que  se 
lever  de  table,  et  qu'après  avoir  averti  ses  disciples  de  la 
nécessité  de  partir  bientôt,  il  ne  laissa  pas  d'achever  son 
discours  à  l'endroit  où  il  l'avait  commencé.  Quoi  qu'il  en 
soit,  nous  avons  là  un  moment  de  suspension  et  une  divi- 
sion dans  le  discours.  Le  mot  surgite  ne  doit  pas  être  pré- 
cédé d'un  point,  mais  d'une  virgule. 

Corps  du  discours. 
1»  Vie  surnaturelle  du  Sauveur  en  ses  membres,  xv. 


*  345. ..  Pourquoi  le  Sauveur  s  appelle-t-il  la  vigne  véritable, 

Y)  oXtîôivy),  1? 

Notre  Seigneur  dit  qu'il  est  la  vigne  véritable,  pour  se 
distinguer  de  toute  autre  :  des  vignes  naturelles  ou  propre- 
ment dites,  dont  plusieurs  supposent  qu'il  avait  un  plant 
sous  les  yeux;  et  des  autres  vignes  mystiques  ou  de  ce  qui 
pouvait  recevoir  ce  nom,  en  particulier  de  la  Synagogue, 
représentée  sous  cette  image  dans  les  prophètes  et  figurée 
par  cet  emblème  à  la  porte  du  temple  *.  L'Homme-Dieù  est, 

4  Cf.  II  Reg.,  XV,  23,  30,  31.  —  »  Ps.  lxxix,  9;  Is.,  v,  1  ;  Jer.,  xii,  10; 
Ezech.,  XV.  Cf.  Tacit.,  ff.,  v,5;  Joseph.,  il.,  XV,  xi,  3;  JB.,  v,  14,  etc. 


490  JÉSUS-CttHlST  SELON  l'évangilë.  [n®  346 

d'une  manière  réelle,  parfaite  et  permanente,  ce  que  ces 
vignes  pouvaient  être  d'une  manière  figurative,  imparfaite 
et  transitoire.  Bientôt  il  poussera  des  rejetons  et  étendra  ses 
branches  jusqu'à  couvrir  le  monde  entier,  et  c'est  lui  seul  qui 
donnera  partout  des  fruits  dignes  des  bénédictions  du  ciel*. 
Ainsi  est-il  la  vraie  lumière,  çw;  xo  aXY)8ivov  *,  le  pain  véri- 
table, 0  apToç  0  oLKTfii^oq  ',  le  ministre  du  véritable  tabernacle, 
Ttjç  (jx.ir;vr<ç  tt).;  aXtjÔiviQç  *,  c'est-à-dire  le  type,  la  réalisation 
parfaite  de  l'idée  exprimée  par  ces  termes. 

346.  —  Dans  quel  but  Notre  Seigneur  a-t-il  recours  à  cette 

comparaison? 

Notre  Seigneur  se  compare  à  la  vigne  et  nous  compare 
nous-mêmes  aux  ceps  de  la  vigne,  pour  nous  faire  entendre 
cette  vérité,  qui  vient  naturellement  après  l'institution  de 
l'Eucharistie  :  qu'il  est  et  qu'il  sera  toujours  pour  nous 
l'unique  principe  de  la  grâce,  du  mérite,  de  la  vertu,  et  de 
toute  vie  surnaturelle. 

Quand  il  s'est  agi  d'examiner  l'unité  et  la  solidité  qu'il 
voulait  donner  à  son  Eglise,  ce  divin  Maître  l'a  comparée  à 
un  édifice  bâti  sur  le  roc.  Quand  son  Apôtre  voudra  faire 
ressortir  l'unité  d'esprit  qui  doit  y  régner,  malgré  la  variété 
des  fonctions  et  des  ministères,  il  la  comparera  à  un  corps 
vivant  dont  le  Sauveur  serait  le  chef  et  tous  les  chrétiens 
les  membres  *.  Mais  ici  la  pensée  est  différente.  Le  divin 
Maître  veut  nous  apprendre  à  quel  point  nous  dépendons 
de  lui  pour  l'acquisition  de  la  vie  surnaturelle,  pour  son 
développement  et  pour  son  exercice.  Or,  quelle  image  plus 
propre  à  nous  faire  concevoir  et  sentir  cette  dépendance, 
que  celle  d'un  arbre  et  de  ses  rameaux,  c'est-à-dire  d'un 
être  vivant,  et  comme  tel  indivisible,  dont  toute  l'activité 
se  borne  à  vivre,  à  croire,  à  fructifier'?  t  Et  entre  tous  les 

1  Cf.  Mattli.,  XXI,  33-43;  Gai.,  v,  19-25;  Phil.,  i,  6.  —  «  Joan.,  i,  9.  - 
8  Joan.,  VI,  32.  —  *  Heb.,  viii,  2.-6  Rom.,  xii,  4,  5;  I  Cor.,  xii,  12-27; 
Eph.,  IV,  3.  Cf.  S.  Thom.,  p.  3,  q.  8,  a.  1,  2.  —  6  Un  terme  de  compa- 
raison moins  populaire ,  mais  aussi  juste  à  beaucoup  d'égards,  serait 
Tunion  d'une  mère  avec  son  enfant,  tant  qu'eUe  le  porte  dans  son  sein. 


NO  347]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  DISCOUIIS.  491 

arbres,  quel  autre  répondait  mieux  à  son  idée  que  la  vigne, 
cet  arbuste  précieux,  si  souvent  nommé  dans  l'Ecriture  *, 
au  cep  si  humble,  au  fruit  si  exquis  et  si  abondant  %  qui  a 
besoin  d'être  cultivé  et  taillé,  qui  demande  le  grand  soleil, 
dont  le  fruit  doit  passer  sous  le  pressoir,  dont  les  rameaux 
peuvent  s'étendre  en  tous  sens  et  se  propager  indéfiniment, 
mais  dont  le  bois  séparé  du  tronc  sèche  si  vite  et  ne  sert 
plus  qu'à  alimenter  le  feu  '  ? 

Il  est  certain  que  cette  comparaison  met  dans  tout  son 
jour  ce  principe,  essentiel  pour  l'intelligence  et  la  pratique 
de  la  vie  chrétienne  :  que  Jésus-Christ  est  la  source  unique 
de  la  grâce;  que  tout  ce  que  nous  en  avons  dérive  de  lui, 
dépend  de  lui  et  est  à  lui  plus  qu'à  nous;  qu'entre  lui  et  ses 
membres  vivants  ou  les  âmes  justifiées,  il  y  a  une  liaison 
réelle,  une  communication  incessante  et  incessamment  ac- 
tive, une  union  si  intime  et  si  constante  qu'on  pourrait  l'ap- 
peler substantielle,  puisqu'elle  est  analogue  à  celle  que  la 
sève  établit  entre  une  tige  et  ses  branches,  et  qu'elle  a  pour 
effet,  non  pas  sans  doute  de  transférer  au  Sauveur  la  pro- 
priété de  nos  actes  en  totalité,  mais  de  faire  qu'il  la  partage 
avec  nous,  de  sorte  qu'ils  lui  appartiennent  autant  et  plus 
qu'à  nous,  et  qu'ils  deviennent  par  là  surnaturels  et  sur- 
naturellement  méritoires  *. 

347.  —  Est-ce  comme  Dieu  ou  comme  homme  que  Notre  Seigneur 
se  dit  la  tige  de  cette  vigne  dont  nous  sommes  les  branches? 

C'est  comme  Homme-Dieu  que  Notre  Seigneur  est  la  vigne 
dont  nous  sommes  les  branches.  Gomme  Dieu,  il  a  planté 
cette  vigne  avec  son  Père  par  l'Incarnation  ;  il  la  cultive,  il 
la  fait  croître,  la  taille,  la  vendange  :  Agricola  est  ^  S'il 
n'était  qu'homme,  il  ne  pourrait  ni  s'élever  ni  élever  les 
autres  au-dessus  de  l'humanité.  Mais  étant  Dieu  et  homme 
tout  ensemble,  il  possède  comme  une  double  source  de  vie 

*  Ps.  Lxxix,  9;  Eccli.,  xxiv,23;  Gant.,  ii,  13;  Is.,  v,  1.  —  2  Jud.,  ix,  13. 
!      —  *  Aut  in  vite,  aut  in  igné.  S.  Aug.,  In  Joan.^  lxxxi,  3.  Cf.  Ezech., 
xv,  3.  —  *  Gai.,  II,  20.  Cf.  S.  Thom.,  p.  3,  q.  8;  q.  23,  a.  3.  —  ^  Joan., 
XV,  1;  I  Cor,,  m,  9. 


492  JESUS-CHRIST  SELON   L^ivANÛlLË.  [n^  348 

surnaturelle  :  d'abord  la  source  première  et  proprement 
dite  dans  sa  divinité,  puis  une  autre  source  dérivant  de  la 
première  dans  son  humanité.  La  première  seule  est  infinie. 
Néanmoins,  la  seconde,  par  le  rapport  qu'elle  a  avec  la  pre- 
mière, est  intarissable,  et  tous  les  membres  du  Sauveur  y 
peuvent  puiser  selon  leur  capacité*.  Jésus-Christ  est  donc, 
au  centre  et  au  sommet  de  l'Eglise,  comme  l'âme  supérieure 
de  tous  les  fidèles,  comme  un  principe  de  vie  surnaturelle 
pour  l'humanité  :  Factus in  spiritum  vivificantem*. 

Ainsi,  la  comparaison  de  la  vigne  est  vraie  dans  tous  les 
points.  Comme  ce  n'est  pas  d'elle-même,  mais  du  dehors, 
et  en  partie  des  influences  du  ciel  que  la  tige  tire  la  sève 
qui  vivifie  ses  branches,  de  même  c'est  du  dehors  aussi, 
c'est  de  plus  haut  qu'elle,  de  la  nature  divine,  que  l'huma- 
nité de  Jésus-Christ  tire  la  vie  dont  elle  nous  fait  part,  afin 
de  nous  élever  au-dessus  de  notre  condition  et  de  nous  faire 
produire  des  fruits  de  salut  éternel  '.  L'Incarnation  profite 
d'abord  à  l'humanité  de  Notre  Seigneur,  puis,  par  elle,  au 
genre  humain  tout  entier,  chaque  individu  étant  appelé  à 
participer  aux  trésors  spirituels  qu'elle  a  fait  descendre  ici- 
bas  *.  Toute  âme  qui  a  la  vie  de  la  grâce  est  sous  l'influence 
de  ce  divin  chef;  elle  participe  au  fruit  de  ses  mérites  et 
dépend  essentiellement  de  son  action. 

348.  —  Que  signifie  cette  recommandation  :  Manete  in  me,  4? 

Etre  en  Jésus-Christ,  c'est  appartenir  à  son  corps  mys- 
tique et  participer  à  son  esprit,  comme  un  de  ses  membres  vi- 
vants. Demeurer  en  Jésus-Christ,  c'est  donc  persévérer  en  cet 
état,  vivre  dans  cette  société  et  cette  dépendance,  agir  dans 
cette  union  \  Quand  nous  devenons  chrétiens,  nous  sommes 

*  Joan.,  I,  16;  v,  26,  Brev.,  Comm,  Mart.  temp.  pasc,  lect.  7-9.  — 
2  I  Oor.,  XV,  45  —  '  Sicut  spiritus  liominis,  mediante  capite,  ad  mem- 
bra  vivificanda  descendit,  sic  Spiritus  sanctus  per  Christum  venit  ad 
christianos.  Hug.  a  S.  Vict.  —  *  Joan.,  i,  16.  In  illo  liomine  et  Ecclesia 
suscepta  est  a  Verbo,  quod  caro  factura  est.  S.  Aug.,  In  Psalm.  m,  9. 
Noli  sponsum  a  sponsa  separare,  quia  jam  non  sunt  duo,  sed  una  caro. 
Jn  Ps.  XXXIV.  Serm.  ii,  1.  Cf.  S.  Tliom.,  p.  3,  q.  8.  —  ?  Cf.  Joan.,  vi,  57; 
XIV,  16,  23;  Rom.,  v,  5;  viii,  10,  il;  I  Cor.,  m,  16;  vi,  19;  H  Cor., 


N^MS]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  DISGOtRS.  4d3 

incorporés  au  Sauveur  par  une  opération  surnaturelle  et 
mystérieuse,  à  peu  près  comme  la  greffe  est  insérée  dans 
l'arbre  qu'on  veut  fertiliser  ou  dont  on  désire  améliorer  les 
produits  :  Yiviimts  succo  radicis  œternœ  *.  Cette  comparaison 
est  de  l'Apôtre  *.  Mais  Notre  Seigneur  ne  peut  pas  employer 
ici  cette  image,  parce  que,  relativement  à  son  but,  il  n'y  a 
pas  de  parité  entre  la  greffe  et  nous.  En  se  communiquant 
à  la  greffe,  la  sève  de  l'arbre  se  transforme  et  acquiert  les 
propriétés  de  cette  greffe  de  qualité  supérieure  ;  tandis  qu'au 
contraire,  en  '  se  communiquant  à  nous,  l'Esprit  de  Notre 
Seigneur,  infiniment  plus  excellent  que  le  nôtre,  conserve  sa 
nature  et  s'assimile  celui  que  nous  possédons.  Ainsi,  Jésus- 
Christ  est  en  nous  par  sa  grâce  plus  encore  que  nous  ne 
sommes  en  lui  '.  Son  union  avec  nous  est  d'autant  plus 
intime  et  d'autant  plus  féconde  que  nous  secondons  davan- 
tage l'infusion  de  son  Esprit  par  nos  aspirations,  et  ses 
mouvements  par  notre  docilité  *. 

Du  J'este,  il  y  a  des  degrés  dans  la  séparation  ou  le  retran- 
chement, comme  il  y  en  a  dans  l'union.  Il  y  a  un  retran- 
chement absolu,  qui  a  lieu  pour  le  pécheur  au  moment  de 
la  mort  :  tollet  eum,  2.  Il  y  a  un  retranchement  presque 
complet,  mais  révocable^  qui  résulte  de  l'excommunication, 
de  l'hérésie,  du  schisme,  de  l'apostasie  •.  On  est  séparé  du 
corps  de  l'Eglise;  on  n'en  ressent  plus  l'influence  salutaire; 
mais  on  peut  s'y  rattacher.  Enfin,  il  y  a  la  rupture  acciden- 
telle, qui  est  produite  par  un  péché  mortel  quelconque.  On 
reste  membre  deJésus-ÎGhrist  et  de  l'Eglise;  mais  on  est  un 
membre  paralysé,  sans  mouvement,  un  rameau  flétri  et  sans 
sève.  Les  influences  qu'on  reçoit  encore  de  temps  en  temps 
ont  pour  but  de  ramener  la  vie  par  une  nouvelle  infiltration 
de  l'esprit  qui  est  remonté  à  sa  source  •. 

I»  22;  V,  5;  Gai.,  iv,  6;  Eph.,  i,  iO;  I  Thess.,  iv,  8;  II  Tîm.,  i,  14; 
I  Joan.,  u,  6,  24,  27;  m,  24;  iv,  15,  lÔ. 

1  la  ?enas  mentis  ac  yires  animœ  succus  Verbi  descendit  aeterni» 
S.  Amb.,  In  Pi,  i,  33.  Cf.  Joan.,  xiv,  20;  S.  Paulin.,  EpUt,  ix,  6-13.  — 
*  Rom.,  XI,  17,  18.  —  3  II  Cor.,  lui,  5;  Eph.,  m,  17.  —  ♦  Eph.,  iv^ 
15,  16.  —  »  Cf.  Rom.,  XI,  17.  —  «  Rom.,  xi,  23. 

28 


494  .    JÉSUS-CHRIST  SELON  L^ÉYANCaE.  [n^  349 

849.  —  Faut-il  prendre  à  la  lettre  ces  paroles  :  Sine  me  nihil  potettis 

facerCf  5? 

Ces  paroles  sont  rigoureusement  exactes  *  :  cela  résulte  de 
ce  qui  vient  d'être  dit.  La  tige  étant  pour  les  rameaux  l'unique 
source  de  la  sève  et  de  la  vie  végétale,  la  branche  qui  s'en 
détache  reste  isolée,  sans  vigueur  et  sans  fécondité,  eShfiii 
eÇo).  Non  seulement  elle  cesse  d'en  rien  recevoir,  mais  en- 
core elle  perd  tout  ce  qu'elle  avait  reçu.  De  même,  Jésus- 
Christ  étant  pour  nous  le  seul  principe  de  la  vie  surnatu- 
relle, le  chrétien  qui  rompt  avec  lui  par  le  péché  s'exclut 

de  tout  mérite  et  de  toute  vertu.  Il  peut 
recouvrer  la  vie  de  la  grâce,  mais  seule- 
ment en  se  rattachant  à  son  chef  et  en 
rentrant  dans  sa  première  union  avec  lui, 
grâce  aux  secours  tout  gratuits  qu'il' reçoit 
de  la  divine  miséricorde.  Les  œuvres  sur 
lesquelles  l'esprit  de  Jésus-Christ  n'a  au- 
cune influence,  que  la  foi  n'inspire  à  au- 
cun degré,  ne  sont  pas  chrétiennes  et  ne  peuvent  avoir  de 
mérite  surnaturel  devant  Dieu  '. 

1  Cf.  Joan.,  III,  3;  I  Cor.,  m,  5;  xu,  6.  Magna  gratise  coromendatiol 
Corda  instruit  humilium,  ora  obstruit  superborum.  Sive  ergo  param, 
sive  multum,  sine  illo  fleri  non  potest  sine  quo  nihil  fieri  potest.  S.  Aug., 
In  Joan.^  lxxxi,  3.  Audiant  qui  dicunt  :  Deus  me  hominem  fecit  :  jus- 
tum  ipse  me  facio.  O  pejor  Pharisœo!  Serm,  cxv,  3.  Supra,  n.  271.  Cf. 
Horat.,  Epist.  i,  18.  Tibi  sine  te  placere  non  possumus.  Orat.  Eccles. 
Ghristus  Jésus,  tanquam  caput  in  membra  et  tanquam  vitis  in  palmites, 
in  justificatos  jugiter  virtutem  influit;  quie  virtus  bona  eorum  opéra 
semper  antecedit  et  comitatur  et  sequitur,  et  sine  qua  nuUo  pacto  Deo 
grata  et  meritoria  esse  possent.  Gonc.  Trid.,  Sess,  vi,  26.  —  2  Anneau 
et  sceau  des  premiers  siècles,  Cf.  Gen.,  xu,  42;  Esth.,  m,  10;  Dan., 
XIV,  10;  Jac,  ii,  2  ;  Martigny,  Anneaux,  Cf.  Supra,  n.  309;  Infra^  n.472. 
—  3  Nonne  huic  veritati  répugnant  homines,  reprobi  circa  fidem,  di- 
centes  :  A  Deo  habemus  quod  homines  sumus,  a  nobis  ipsis  autem  quod 
justi  sumus?  Sed  Veritas  contradicit  :  Palmes  non  potest  ferre  fructum 
a  semetipso  nisi  manserit  in  vite.  Qui  a  semetipso  se  fructum  existimat 
facere  in  vite  non  est,  in  Christo  non  est  ;  qui  in  Christo  non  est,  chris- 
tianus  non  est.  S.  Aug.,  In  Joan.,  lxxxi,  2;  Heb.,  xi,  2.  Cf.  Brev., 
Comm,  Mart,  temp.  pas,,  2^  loco,  lect.  7-9*  La  vigne  avec  ses  ceps  et 
ses  raisins  se  montre  souvent  dans  la  partie  décorative  des  monuments 


N*351]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  DISCOURS.  493 

350.  «—  Qu'est-co  que  Notre  Seigneur  fait  remarquer  aux  Apôtres 

dans  leur  yocatîon,  16? 

Sur  leur  vocation.  Notre  Seigneur  fait  remarquer  aux 
Apôtres  deux  choses,  qui  se  déduisent  des  principes  qu'il 
vient  d'énoncer  :  —  1®  Sa  gratuité.  Il  les  a  choisis  de  lui- 
même  par  un  mouvement  spontané  *.  —  2*^  Son  efficacité.  Il 
leur  promet  sa  grâce  pour  remplir  leur  mission,  et  il  s'en- 
gage à  maintenir  le  fruit  de  leurs  travaux,  c'est-à-dire  la  con- 
version des  peuples  et  l'établissement  de  l'Eglise.  Ces 
dernières  paroles  supposent  et  démontrent  sa  divinité.  Les 
séducteurs  qui  cherchent  à  fonder  des  sectes  tremblent  pour 
leur  œuvre  et  n'osent  répondre  de  sa  durée.  Notre  Seigneur 
parle  avec  assurance,  parce  qu'il  a  tous  les  siècles  devant  les 
yeux  et  tous  les  événements  dans  sa  main. 

29  Promesses  et  Consolations,  xvi. 

*  351.  —  Pourquoi  le  Sauveur  devait-il  se  séparer  des  Apôtres 
pour  que  le  Paraclet  leur  fût  donné,  7? 

Tel  était  le  plan  de  la  divine  sagesse*.  Il  fallait  que 
l'Homme-Dieu  commençât  par  s'immoler  pour  le  salut  du 
monde  et  qu'il  remontât  à  son  Père  :  —  1^  Pour  qu'il  parût 
que  l'Esprit  saint  venait  de  lui  comme  du  Père  et  qu'on  vît 
dans  les  dons  de  sa  grâce  le  prix  de  son  sacrifice  et  le  fruit 
de  son  amour.  —  2°  Pour  que  les  trois  personnes  divines 
apparussent  successivement,  quoique  d'une  manière  diffé- 
rente, dans  l'œuvre  de  la  régénération  du  monde,  et  que  la 
mission  du  Saint-Esprit  suivît  la  mission  du  Fils  de  Dieu, 
comme  sa  procession  suit  la  naissance  de  ce  Fils  dans  l'éter- 
nité. —  3"  Enfin  pour  que  les  Apôtres,  privés  de  sa  présence 
sensible,  sentissent  davantage  le  besoin  qu'ils  avaient  de  sa 

primitifs;  et  les  vers  suivants,  qu'on  lisait  dans  l'église  de  Saint-Clé* 
ment  à  Rome,  en  disent  la  signiftcation  : 

Ecclesiam  Christi  vit!  similabimus  isti, 

Quam  lez  arentem,  at  Ghristas  facit  esse  virentem. 

*  Cf.  Marc,  m,  13.  —  »  Joan.,  vu,  39. 


496  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n^  3S2 

grâce,  et  que,  par  le  désir  qu'ils  en  concevraient,  ils 
fussent  mieux  disposés  pour  la  recevoir*. 
JJapaxXtjToç,  avocat,  soutien,  protecteur,  consolateur  •. 

*  332.  —  Que  doivent  être  les  résultats  de  la  venue  du 

Saint-Esprit,  8? 

On  peut  considérer  les  effets  de  la  venue  du  Saint-Esprit 
par  rapport  au  monde  et  par  rapport  aux  Apôtres. 

LA  l'égard  du  inonde.  Le  Saint-Esprit,  par  l'organe  des 
Apôtres,  fera  reconnaître,  sXsÇei,  trois  choses  :  —  1"  La  ma- 
lice de  son  incrédulité  »,  effet  et  source  de  tant  de  crimes.  — 
1^  La  sainteté  de  Celui  qu'il  a  crucifié  et  que  le  Père  appelle 
à  partager  sa  gloire  *.  —  3*  Le  châtiment  de  son  prince, 
dépouillé  de  Tempire  qu'il  exerçait  sur  ses  esclaves,  pour 
leur  avoir  fait  méconnaître  cette  sainteté  et  consommer  ce 
crime  •.  Cette  vue  le  mettra  sur  la  voie  du  repentir  et  du 
salut. 

IL  A  l'égard  des  Apôtres.  Le  Saint-Esprit  leur  fera  con- 
naître, non-seulement  des  faits  cachés  et  à  venir  •,  mais  en- 
core un  grand  nombre  de  vérités  surnaturelles  qu'il  ne  leur 
était  pas  utile  d'apprendre  plustôt ',  par  exemple,  la  conduite 
à  tenir  à  l'égard  des  Gentils  et  des  observances  légales,  etc. 
Surtout  il  les  éclairera  davantage  sur  ce  qu'ils  savent  déjà  : 
il  leur  donnera  du  christianisme  une  intelligence  plus  com- 
plète \ 

Quant  à  ces  mots  :  Non  loquetur  a  semetipso^  13,  les  théo- 

i  Si  alimenta  terrena  quibus  vos  alui  non  subtraxero,  solidum  cibam 
non  esurietis;  sed  nolo  me  carnaliter  adhuc  diligatis  et  isto  lacté  con- 
tcnti  semper  infantes  esse  cupiatis.  S.  Aug.,  In  Joan.,  xciv,  4.  Cf. 
S.  Thom.,  in  m  Sent.,  dist.  22,  q.  3,  a.  1,  ad  5.  —  *  Terme  propre  à 
S.  Jean,  et  appliqué  par  lui  à  Notre  Seigneur,  en  sa  !'•  Epltre,  n,  1; 
mais  ici  et  xiv,  16;  xv,  26,  le  Sauveur  distingue  parfaitement  le  Paraclet 
de  sa  personne  et  de  son  Père,  tout  en  lui  attribuant  la  môme  nature 
divine.  Cf.  Deut.,  xxxi,  7, 14,  22.  Brev.,  VigiL  Penlec,  1.  vu.  —  '  Joao., 
XVI,  9.  Cf.  Luc,  34,  35;  Joan.,  vu,  12;  viii,  59;  ix,  16;  xv,  22,  24.  - 
*  Cf.  Joan.,  V,  18;  Act.,  ii,  36-40  ;  m,  13-16  ;  v,  29-32.  —  «  Joan.,  xii,  31; 
XIII,  18;  Col.,  II,  15;  Ps.  vu,  16.  —  «  Act.,  v,  3;  xi,  27-28;  Appc,  n-xin. 
—  7  Joan.,  XVI,  12,  13.  —  »  Joan.,  xv,  16.  Non  dicit  :  Mitto  vobis  Para- 
clitum,  qui  doceat  vos  de  cursu  solis  et  lunœ  :  christianos  enim  volebat 
façere,  npn  mathema^ticos.  S.  Aug.,  Act.  Cont.  Felic,  I,  IQ. 


NO  354]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  DISCOURS.  497 

logiçns  les  expliquent  très  bien  par  cette  considération  que 
TEsprit  saint  reçoit  toutes  ses  connaissances,  comme  tout  son 
être,  du  Père  et  du  Fils,  cic  tou  ejxou  Ar,tJ;*Tai  *.  Plusieurs  in- 
terprètes disent  que  c'est  un  hébraïsme,  et  que  ces  mots 
signifiaient  chez  les  Juifs  :  Non  loquetur  temere,  pro  libito^ 
mendaciter  '.  Ces  deux  explications  semblent  se  compléter 
et  se  confirmer  Tune  l'autre. 

*  353.  —  Pourquoi  le  Sauveur,  après  avoir  reproché  aux  Apôtres  de 
n'avoir  encore  rien  demandé  en  son  nom,  24,  dit-il  qu'il  ne  leur  pro- 
met pas  de  prier  son  Père  en  leur  faveur,  26? 

1®  Il  est  à  croire  que  les  Apôtres  n'ignoraient  pas  la  qua- 
lité de  médiateur  qui  est  propre  au  divin  Maître,  mais  ils 
n'avaient  pas  assez  réfléchi  sur  l'efficacité  de  sa  méditation,  et 
ils  n'en  avaient  pas  assez  profité.  Notre  Seigneur  leur  fait 
entendre  qu'ils  peuvent  en  tirer  un  tout  autre  parti  ;  qu'il 
dépend  d'eux  d'obtenir  par  cette  voie  les  plus  grandes 
grâces  *. 

2«  Au  verset  26,  il  ne  dit  pas  qu'il  cessera  d'intercéder 
pour  eux,  ce  qui  serait  contraire  à  ce  qu'atteste  S.  Paul  ♦. 
Mais  il  dit  qu'il  n'aurait  pas  besoin  d'intervenir  en  leur  fa- 
veur, ou  plutôt  qu'ils  n'ont  pas  besoin  de  savoir  qu'il  s'em- 
ploiera pour  eux  auprès  de  son  Père,  parce  que  son  Père  ne 
peut  pas  ne  pas  les  aimer,  leurs  dispositions  envers  son  Fils 
suffisant  pour  leur  assurer  son  amour  et  ses  bénédictions,  27. 

PRliRE  DU  SâUVEUB,   POUR  Lni-MâMB,   POUR  BBS  APOTRBS   ET  POUR 

SON  ËOLISB  ^j  XVII. 

354.  —  En  quoi  fait-il  consister  le  bien  suprême  ou  la  vie  étemeUe,  3? 

La  vie  éternelle  ou  le  bien  suprême  consiste,  dit  Notre 
Seigneur,  à  connaître  le  vrai  Dieu  et  son  Fils,  le  Sauveur 

*  Joan.,  XVI,  15.  Cf.  Matth.,  xi,  27;  Joan.,  xvi,  15;  xvii,  10.  On  re- 
marque que  dans  ce  discours  Notre  Seigneur  ne  manque  jamais  de 
joindre  son  nom  à  celui  du  Père  et  du  Saint-Esprit.  —•  ^  Cf.  Joan., 
VII,  18  ;  VIII,  26,  28,  38,  40,  44  ;  xiv,  10.  —  «  Iva  tj  xapa  ^l"»»'  1  wewXïj- 
pMluvv),  Cf.  Joan.,  xiv,  13,  14;  xv,  7,  16.  —  *  Rom.,  viii,  33,  34;  Hebr., 
vu,  25;  IX,  24.  —  ^  Dat  exemplum  ut  quos  instruimus  verbo,  juvemus 
suffrage.  S.  ThomM  ^f^  ^^^^  ^^« 

28. 


498  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n°  355 

Jésus,  qu'il  a  envoyé  en  ce  monde  :  Hœc  est  vUa  œtema  K  La 
connaissance  que  la  foi  donne  de  l'un  et  de  l'autre  met  sur 
la  voie  du  ciel  ;  c'est  une  condition  et  c'est  un  moyen  pour 
arriver  à  la  félicité.  Bien  plus,  c'est  une  sorte  d'initiation  à 
la  viebienheureuse,  une  vision  commencée,  selon  S.  Thomas^ 
et  à  proportion  qu'elle  se  développe  et  s'éclaircit,  la  connais- 
sance qu'elle  nous  donne  nous  rapproche  de  l'état  des  élus, 
lequel  n'est  autre  choses  |que  la  vision  intuitive  de  Dieu  et 
sa  possession  parfaite  dans  la  clarté  de  la  gloire  •.  Suivant 
le  même  Docteur,  la  connaissance  explicite  du  Père  et  du 
Verbe  incarné  implique  la  notion  des  trois  personnes  di- 
vines *.  Mais  ce  qui  résulte  plus  clairement  de  ce  verset,  c'est 
que,  pour  arriver  au  ciel,  il  ne  faut  ni  méconnaître  le  vrai 
Dieu,  comme  les  païens,  ni  rejeter  Jésus-Christ,  comme  les 
Juifs  '.  Notre  Seigneur  demande  à  son  Père  la  connaissance 
de  l'un  et  de  l'autre,  une  connaissance  vraie,  pratique, 
salutaire,  pour  tous  ceux  qu'il  lui  a  donnés. 

355.  —  Dire  que  le  Père  est  le  seul  Dieu  véritable,  3,  n*est-ce  pas 

nier  la  divinité  de  Jésus-Christ? 

1*  De  ce  qu'on  attribue  quelque  chose,  comme  un  bien 
propre,  à  l'une  des  personnes  de  la  Trinité  en  particulier,  il 
ne  suit  pas  qu'on  la  dénie  aux  deux  autres;  il  suit  seulement 
qu'on  en  exclut  quiconque  n'est  pas,  comme  elles,  une  per- 
sonne divine.  C'est  ainsi  qu'on  dit  du  Père  éternel  qu'il  est 
seul  sage,  seul  puissant*,  de  Jésus-Christ  qu'il  est  seul  Sau- 

i  Jean.,  XVII,  3.  Cf.  Joan.,  vi,  40.  Gai.,  ii,  16;  I  Joan.,  y,  20;  Brev., 
Comm.  Abb.j  2«  loco,  lect.  ix.  —  >  S.  Thom.,  2^-2^,  q.  4,  a.  1.  — 
3  I  Joan.,  m,  2  ;  y,  20.  Si  in  cognitione  Dei  est  vita  aeterna,  tanto  magis 
vivere  tendimus,  quanto  magis  in  hac  cognitione  proficimus.  S.  Aug., 
in  Joan,f  cv,  3.  Si  gavisi  sunt  illi  quibus  Dominus  oculos  carnis  aperuit, 
quale  gaudium  erit  videntis  cordis  oculis  lucem  ineffabilem ,  Verbnm 
immanens,  sapientiam  indeficientem  apud  Patrem  manenteml  XLin,  16. 
—  *  S.  Thom.,  p.  1,  q.  10,  a.  3;  q.  31,  a.  4,  ad  1  ;  2»-2» ,  q.  2,  a.  8.  - 
B  S.  Jean  comprend  dans  la  connaissance  de  Dieu  et  de  Jésus-Ghrist 
son  Fils,  comme  S.  Paul  dans  la  foi,  ce  qui  en  découle  naturellement  : 
la  vie  et  les  vertus  chrétiennes.  I  Joan.,  ii,  4;  m,  6;  iv,  7,  8.  Cette 
connaissance  est  bien  supérieure  à  la  notion  abstraite  que  la  raison 
nous  donne  de  Dieu  comme  créateur  du  monde.  —  *  Soli  sapienti  Deo 
per  Jesum  Christum.  Rom.,  xvi,  27;  I.Tim.,  yi,  15,- 16. 


NO  356]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  DISCOURS.  499 

veur ',  seul  saint,  seul  Très-Haut;  du  Saint-Esprit  qu'il  con- 
naît seul  les  secrets  de  Dieu  *. 

2*  Notre  Seigneur  ne  dit  pas  que  le  Père  seul  soit  Dieu, 
mais  il  affirme  que  le  Père  est  le  Dieu  unique,  le  seul  Dieu 
véritable.  Il  suit  donc  de  ses  paroles,  non  que  le  Fils  n'est 
pas  Dieu  ou  que  la  nature  divine  n'est  pas  commune  au  Père 
et  au  Fils,  mais  qu'il  n'y  a  qu'un  Dieu  véritable,  en  d'autres 
termes,  que  le  polythéisme  est  une  erreur.  Que  solum  se 
rapporte  à  verum  Deum,  c'est-à-dire  qu'il  tombe  sur  la  na- 
ture et  non  sur  la  personne  du  Père,  c'est  ce  que  le  texte 
grec  montre  avec  évidence  :  tva  y^^<*><^^^'  ^s  "^^^  [xovov  aXy,Otvov 
èeov,  r.21  Iy;(jouv  XpwTov  •.  La  phrase  de  S.  Jean  doit  donc  se 
construire  ainsi  :  Hœc  estvita  œterna  ut  cognoscant  te  esse  il- 
lum  qui  solus  est  verus  Deus.  S.  Augustin  la  construit  un  peu 
différemment  :  Hœe  est  vita  œterna  ut  cognoscant  te  et  quem 
misistiy  Jesum  Christum,  esse  solum  verum  Deum  \  Cette  dispo- 
sition des  mots  écarte  toute  difficulté  ;  mais  l'inversion  qu'elle 
suppose  parait  moins  naturelle. 

3*  Quand  Notre  Seigneur  dit  que  la  vie  éternelle  consiste 
dans  sa  connaissance  et  dans  celle  de  son  Père,  on  peut 
croire  qu'il  insinue  l'égalité  du  Père  et  du  Fils  '  ;  néanmoins, 
son  intention  principale  semble  être  de  présenter  le  premier 
comme  objet  de  la  béatitude  et  le  second  comme  moyen  d'y 
parvenir. 

356.  —  Qael  est  le  monde  poar  lequel  Jésus-Christ  ne  prie  pas,  9  ? 

On  doit  entendre  ici  par  le  monde  tous  ceux  qui,  n'ayant 
pas  l'esprit  de  Jésus-Christ,  sont  attachés  à  la  terre  et  asser- 

*  Is.,  xLiii,  H,  12.  —  *  Joan.,  vi,  46;  I  Cor.,  i,  II.  Dicitur  ad  diflfe- 
rentiam  eorum  qui  dii  non  sunt.  Quid  eniin?  Cum  dicit  Paulus  :  An 
solas  ego  et  Barnabas,  an  Barnabam  toUit?  Minime,  lllud  solus  ad  alio- 
ram  differentiam  ponitur.  S.  Chrys.,  In  Joan,,  Hom.  lxxx,  2.  Cf.  Matth., 
XI,  27.  Tert.,  Cont,  Prax.,  18.  —  3  Cf.  I  Cor.,  viii,  6;  I  Thess.,  i,  9,  10. 
Ce  saint  nom  tant  de  fois  répété  dans  les  Actes  et  les  Epltres  n'a  été 
employé  par  les  évangélistes  que  dans  leur  prologue.  Matth.,  i,  1; 
Marc.,  I,  1  ;  Joan.,  i,  17.  Quand  S.  Matthieu,  xyi,  20,  et  S.  Jean,  xvii,  3, 
Ie»mettent  sur  les  lèvres  du  Sauveur,  ce  n'est  pas  précisément  pour  l« 
désigner,  mais  pour  indiquer  sa  dignité,  ses  prérogatives.  Cf.  Matth., 
I,  16.  —  *  Cf.  I  Joan.,  v,  20.  —  «^  Cf.  S.  Th.,  p.  1,  q.  31,  a.  4,  ad  1. 


500  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n«  387 

vis  aux  biens  d'ici-bas.  Mais  il  ne  faut  pas  croire  que  le 
Sauveur  n'ait  jamais  prié  pour  eux.  Il  a  prié  pour  tous, 
même  pour  ses  plus  grands  ennemis  ;  seulement  il  ne  priait 
pas  pour  tous  à  tout  moment  ;  il  faisait  parfois  des  prière  spé- 
ciales pour  ceux  qui  lui  étaient  plus  chers  ou  dont  la  vertu 
importait  davange  à  ses  desseins  *.  C'est  par  une  prière 
de  ce  genre  qu'il  débute  ici.  Il  commence  par  demander 
à  son  Père  ses  grâces  les  plus  précieuses,  et  il  dit  qu'il 
les  demande  pour  ses  Apôtres  et  non  pour  d'autres  :  Non 
pro  mundo  rogo,  9.  Il  ne  laissera  pas  néanmoins  d'intercéder 
pour  tous  les  fidèles,  un  moment  après,  20,  et  même  de  re- 
commander expressément  le  monde  à  son  Père  :  Ut  credat 
mundus^  21  '. 

Il  est  des  auteurs  qui  prennent  sans  restriction  ces  mots  du 
Sauveur  :  Non  pro  mundo  rogo^  qui  disent  que  Jésus-Christ 
n'a  pas  voulu  prier  pour  le  monde,  qu'il  l'a  excommunié. 
C'est  une  nécessité  pour  eux  de  modifier  le  sens  du  mot 
monde,  de  l'entendre  de  la  malice  du  monde,  du  monde  en 
tant  que  monde,  ou  des  mondains  obstinés  jusqu'à  la  fin 
dans  leur  mauvaise  disposition  '. 

*  357.  —  Que  signifient  ces  mots  :  Pro  eis  ego  sanctifico  me^)sum,  ut 

sint  et  ipsi  sanctificati  in  veritate,  19? 

Le  verset  19  signifie  que  Notre  Seigneur  va  accomplir  par 
par  son  sacrifice  la  plus  sainte  de  toutes  les  œuvres,  et 
qu'en  la  faisant,  il  s'offre  spécialement  à  son  Père  dans  l'in- 
térêt de  ses  Apôtres,  afin  qu'il  leur  communique  le  fruit  de 
son  sacrifice  et  qu'il  les  sanctifie  de  plus  en  plus  par 
l'infusion  de  sa  grâce  *.  —  On  pourrait  dire  aussi  :  afin 
qu'ils  entrent  dans  les  mêmes  sentiments  que  lui  et  qu'ils  s'u- 
nissent à  son  immolation  ;  afin  qu'ils  se  fassent  comme  lui, 
intérieurement,  victimes  et  prêtres  de  la  majesté  divine; 

i  Luc,  XXII,  32.  —  8  Cf.  Luc,  xxiii,  34;  II  Cor.,  v,  15,  etc.  —  »  Ct 
Joan.,  XII,  31  ;  xiv,  30;  xvi,  11.  —  *  Cf.  Jer.,  i,  5.  Non  ab  altero  sancti- 
ficatur,  sed  se  ipse  sanctificat  ut  nos  in  yeritate  sanctificemur.  S.  Athan., 
Cont,  Arian.,  ii.  In  veritata  sanctificentur,  cujus  veritatis  umbre  fue- 
runt  sanctiQcatio^es  yeteris  Testavaenti.  S.  Aug.,./fi  Joan.,  cviu,  2. . 


N^  358]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  DISCOURS.  801 

OU  bien,  afin  qu'ils  soient  consacrés  prêtres  et  pontifes, 
comme  Aaron  et  ses  enfants  l'ont  été  par  les  sacrifices 
de  Moïse.  AYtaÇetv  signifie  souvent  consacrer,  offrir,  im- 
moler > . 

* 358.  — Comment  entendre  ces  paroles  :  Claritatem  quant  dedUti  mihi, 

dedi  eis,  ut  sint  unum  sicut  et  nos,  22? 

Par  cette  gloire  que  le  Sauveur  communique  à  ses  disci- 
ples, quelques-uns  entendent  la  charité  divine,  l'amour  de 
Dieu  pour  nos  âmes  '  ;  d'autres  le  don  des  miracles,  d'autres 
la  gloire  de  la  vie  ressuscitée,  d'autres  l'Eucharistie.  Il 
semble  plus  juste  de  dire  que  Notre  Seigneur  a  en  vue  la  di- 
gnité de  Fils  de  Dieu,  laquelle  fait  à  la  fois,  quoique  dans 
une  mesure  différente,  sa  gloire  et  cellede  tous  les  chrétiens*. 
En  nous  unissant  à  lui  par  sa  grâce.  Notre  Seigneur  nous 
communique,  autant  qu'il  est  possible,  ce  qu'il  a  de  plus 
essentiel  ;  il  nous  fait  devenir  par  adoption  ce  qu'il  est  par  na- 
ture :  Ut  fUii  Dei  nominemur  et  simus  *.  Ne  formant  avec  lui 
qu'un  seul  corps  et  comme  une  même  personne,  nous  par- 
ticipons à  sa  vie  et  à  son  esprit,  nous  avons  droit  au  même 
héritage,  et  le  Père  céleste  étend  sur  nous  la  complaisance 
qu'il  prend  en  son  Fils  *.  Tous  ses  dons  et  tous  nos  biens 
sont  des  suites  de  cette  faveur  ;  et  cette  faveur  elle-même  est 
le  fruit  de  ses  mérites  et  de  ses  prières. 

On  remarquera  l'insistance  avec  laquelle  Notre  Seigneur 
demande  que  tous  ses  membres  soient  unis  entre  eux  et 
comme  identifiés  en  sa  personne  :  Vt  omnes  unum  sint.  Il 
répète  jusqu'à  cinq  fois  cette  prière.  Il  a  surtout  en  vue,  en 
la  faisant,  l'union  des  deux  peuples,  ou  la  cessation  de'l'an- 
tipathie  séculaire  et  comme  naturelle  qui  séparait  les  Juifs 
et  les  Gentils,  t  0  mon  Père,  dit-il,  faites  cesser  cette  inimi- 
tié. Qu'on  ne  voie  plus  de  division,  de  distinction  même,  s'il 
se  peut,  entre  ceux  qui  me  seront  incorporés  par  le  baptême; 
plus  de  Gentils  et  de  Juifs  ;  plus  de  Grecs  et  de  barbares  ; 

4  Ex.,  XIII,  2;  XXVIII,  38;  Lev.,  xxiii,  11;  xxvii,  14.  —  *  Cf.  Joan., 
XVII,  26.  —  3  Cf.  Joan.,  xvii,  5  et  22.  —  *  I  Joan.,  m,  1;  Joan.,  i,  12, 
13;  XX,  17.  —  »  Joan,,  xvu^  26, 


502  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n^  3S9 

plus  d'esclaves  et  d'hommes  libres  *.  Je  suis  la  pierre  angu- 
laire qui  doit  tout  réunir.  Qu'ils  soient  tous  en  moi  une 
môme  chose  ;  et  que  vous  et  moi  nous  soyons  tout  en  chacun 
d'eux  *.  » 

359.  —  N'avons-nous  pas,  dans  ce  discours  de  la  Gène,  un  tableaa 

parfait  de  l'âme  du  Sauveur? 

C'en  est  l'expression  la  plus  touchante  et  la  plus  complète. 
L'esprit  et  le  cœur  du  divin  Maître  s'y  révèlent  à  la  fois. 
Sans  jamais  perdre  de  vue  son  dessein  principal,  qui  est  de 
nous  faire  apprécier  l'union  qu'il  daigne  avoir  avec  ses 
membres  vivants,  union  ineffable  dont  l'Eucharistie  qu'il 
vient  d'établir  est  le  signe  et  le  lien,  il  rappelle  à  ses 
Apôtres  les  grandes  vérités  dont  il  doivent  garder  le  dépôt  : 
l'unité  de  Dieu  et  là  trinité  des  personnes  divines  ',  sa 
propre  divinité  *,  son  humanité  *,  sa  consubstantialité  avec 
son  Père  %  la  personnalité  du  Saint-Esprit  \  sa  procession 
du  Père  *  et  du  Fils  •,  son  habitation  dans  l'Eglise  ^^  et  son 
action  sur  ses  membres  *S  l'excellence  de  la  divine  grâce*-, 
sa  nécessité  ",  l'union  où  elle  nous  met  avec  son  Père  et 
avec  lui-même  *  S  les  fruits  qu'elle  doit  produire  ",  le  terme 
auquel  elle  doit  nous  faire  arriver  ".  A  ces  instructions  se 
mêlent  un  grand  nombre  de  prophéties  et  de  recommanda- 
tions, relatives  aux  événements  qui  se  préparent  ".  Le  Sau- 
veur annonce  sa  passion  **  et  sa  mort  volontaires  *%  le  court 
triomphe  de  ses  ennemis^**,  la  chute  de  Pierre ^^  la  disper- 
sion des  disciples  ",  sa  résurrection  et  son  ascension  ",  la 
descente  du  Saint-Esprit  ^*,  les  persécutions  qui  attendent 
ses  apôtres  ^%  leurs  miracles  *^  et  enfin  leur  martyre  et  leur 

1  Cf.  Joan.,  XI,  32;  Gai.,  m,  16,  26-29.  Eph.,  ii,  13-22;  m,  5-6.  — 
2  Eph.,  X,  10;  I  Cor.,  m,  23.-3  Joan.,  xiv,  16,  26;  xv,  26.  —  *  xiv, 
1,7-11,14;  XVII,  3,  5-14.  —  «  xiv,  16,28;  xv,  27.  —  6  xiv,  7,  9,  11,20; 
XV,  23;  XVI,  15;  xvii,  21.  —  ^  xv,  26,  —  «  Joan.,  xiv,  26;  xv,  26.  — 
9  XV,  26;  XVI,  7,  13-15.  —  lo  xiv,  12,  16,  17;  xv,  26;  xvi,  7,  8,  13.  — 
it  XIV,  26;  XVI,  13,  14.  —  12  xv,  5;  xvii,  17,  19,  22.  —  «3  xv,  5,  6.  — 
1*  XIV,  6,  20,  21,  23;  xv,  1,  4,  5,  6,  7;  xvii,  23.  —  i»  xv,  2,  5.  - 
te  XIV,  2-4;  xvii,  24.  —  "  xiv,  29.  —  i»  xiv,  30.  —  "  xiv,  34.  —  «o  xvi, 
19-22.  —  21  xiii,  38.-2»  XVI,  32.  —  23  xiv,  3;  xvi,  5,  10,  16,  25.  — 
2*  XVI,  7.  —  25  XV,  19,  20;  xvi,  2.  —  ««  xiv,  12,  26. 


N**â60]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  DISCOURS.  803 

triomphe  *.  Toutes  ces  choses  sont  exprimées  simplement, 
sans  emphase,  mais  avec  une  majesté  calme,  une  émotion 
intime,  une  tendresse  ineffable,  une  céleste  onction  dont  il 
est  impossible  de  n'être  pas  pénétré.  Aussi  tous  les  esprits 
élevés,  comme  toutes  les  âmes  saintes,  parlent  de  ce  discours 
avec  admiration.  «  Vous  y  trouverez  des  profondeurs  à  faire 
trembler,  dit  Bossuet.  Ceux  qui  ne  les  sentent  pas  n'enten- 
dent pas.  »  €  Je  ne  l'ai  jamais  lu,  écrit  Laharpe,  sans  une 
émotion  singulière.  Il  me  parait  contenir  toute  notre  religion. 
Chaque  mot  est  un  oracle  qui  réveille  en  moi  une  multitude 
de  sentiments  et  d'idées,  après  ce  long  sommeil  des  erreurs 
de  ma  vie.  »  Il  en  est  de  même  de  tout  fidèle  qui  recueille 
ces  paroles  comme  sortant  de  la  bouche  du  Fils  de  Dieu. 
«  Des  milliers  d'âmes,  dit  W^  Freppel,  y  ont  puisé  la  con- 
fiance en  son  amour,  le  sentiment  de  la  dignité,  le  courage 
de  la  vertu.  » 

SUR  LES  DISCOURS  OU  SAUVEUR  EN  GÉNÉRAL. 

360.  —  D'où  vient  le  charme  attaché  aux  discours  du  Sauveur? 

Le  charme  toujours  nouveau  qu'on  trouve  dans  les  dis- 
cours du  Sauveur  vient  de  ce  qu'ils  sont  bien  tels  que  doi- 
vent être  ceux  d'un  Dieu  fait  homme,  de  ce  qu'on  y  reconnaît, 
dans  le  fond  comme  dans  la  forme,  l'esprit  et  le  cœur  du 
Verbe  incarné  :  son  esprit  avec  ses  lumières,  son  cœur  avec 
sa  sainteté  et  son  amour. 

I.  Si  l'on  considère  le  fond  ou  la  doctrine,  on  y  trouve 
exprimées,  dans  le  moins  d'espace  possible,  les  pensées  les 
plus  hautes,  les  plus  justes,  les  plus  pratiques  sur  Dieu  et 
les  choses  divines,  sur  l'homme  et  sa  destinée,  sur  la  vie 
présente  et  la  vie  à  venir,  sur  le  devoir  et  sur  la  perfection'. 
Rien  de  faux  dans  les  maximes,  rien  de  frivole,  rien  d'oi- 
seux, rien  de  commun.  Tout  est  de  nature  à  élever  l'âme  et  à 
la  sanctifier.  Tout  est  lumière,  beauté,  sainteté,  grandeur, 
en  même  temps  que  vérité  :  Quœcumque  vera,  qtiœcumqtie 

^  XIV,  1  ;  xYi,  33.  —  ^  Ego  Dominus  Deus  tuus,  docens  te  utilia.  Is., 
XLviii,  11.  Cf.  Matth.,  VI,  21,  24;  xi,  27;  xii,  24;  xvi,  26. 


Hùtk  -    jisUS-CHftISf  SELON  L*ÉVANGILÉ.  [n^  360 

pudica,  quœcumqîiejtista,  fuœcumquesancta,  quœcumqueama- 
hilia\  Aussi  est-ce  le  trésor,  Taliment  de  prédilection  des 
cœurs  nobles  et  purs,  de  tous  ceux  qui  ont  faim  et  soif  de 
la  justice  et  de  la  vertu.  Heureux,  disait  le  Sauveur  lui- 
même,  ceux  qui  entendent  ces  paroles  '  !  Ils  apprennent  à 
connaître  Dieu  et  tout  ce  qu'on  peut  savoir  de  Dieu  sur  la 
terre. 

IL  Si  Ton  envisage  la  forme,  on  trouve  dans  ce  langage  des 
beautés  incomparables. 

i^  Un  naturel,  une  netteté  et  une  simplicité  inimitables. 
Pas  le  moindre  appareil  oratoire.  Jamais  rien  qui  sente 
l'art,  la  recherche,  l'effort.  Les  lèvres  parlent  véritablement 
de  l'abondance  du  cœur.  Plus  l'objet  est  sublime,  plus  le 
langage  est  calme,  plus  le  ton  est  simple,  plus  l'expression 
est  facile  à  saisir,  sans  devenir  pourtant  voilgaire  ni  banale. 
C'est  bien  là  le  Verbe  incarné,  le  Dieu  fait  homme  pour  de- 
venir la  lumière  des  hommes,  le  Maître  descendu  du  ciel 
afin  de  nous  en  montrer  le  chemin,  la  charité  infinie  qui  ac- 
commode ses  enseignements  aux  besoins  de  tous  les  esprits 
et  qui  cherche,  non  à  ravir  l'admiration,  mais  à  éclairer,  à 
être  utile.  Les  plus  savants  l'admirent  et  les  enfants  même 
l'entendent. 

2*  Une  onction  toute  céleste.  Ses  discours  sont  pleins  d'at- 
traits. Il  répète  sans  cesse  que  Dieu  nous  aime,  qu'il  veut  du 
bien  à  tous  ;  et  l'on  sent  qu'en  effet  il  est  plein  de  charité, 
qu'il  ne  cherche  qu'à  nous  rendre  bons  et  heureux.  Il  a  soin 
de  présenter  la  loi  sous  le  jour  le  plus  agréable.  C'est  la 
bonne  nouvelle;  c'est  le  royaume  de  Dieu,  le  salut;  c'est  le 
moyen  que  le  ciel  nous  offre  pour  nous  relever,  nous  enno- 
blir, nous  rendre  parfaits  '.  Jamais  un  mot  impérieux,  si  ce 
n'est  contre  le  démon  et  ses  suppôts.  C'est  par  exhortations, 
par  conseils,  par  d'affectueuses  insinuations  qu'il  procède  et 
qu'il  attire  les  âmes  à  lui.  t  Venez  à  moi  dit-il,  vous  qui  avez 
besoin  de  secours  et  de  consolations.  Acceptez  ma  conduite 
et  écoutez  mes  leçons  :  Tollite  jugum  meum.  Vous  saurez 

1  Phil.,  IV,  8.  -  s  Luc,  X,  24.  —  s  Cf.  Matth.,  v,  44,  45,  48;  vi,  4; 
IX,  12,  13;  Luc,  xv,  4,  5;  Joan.,  x,  11,  28. 


NO  360]  SA  VIE  PUBLIQUE.  *-  SES  DISCOURS.  808 

bientôt  par  votre  expérience  que  mon  joug  et  doux  et  mon 
humilité  sincère  :  Et  disette  a  me  quia  mitis  sum  et  humilis 
corde  *.  » 

3<*  Une  manière  de  parler  facile  et  poptUaire.  Voulant  être 
utile  à  tous,  il  prend  un  langage  accessible  aux  plus  humbles 
esprits.  Un  cœur  droit  suffît  pour  le  comprendre  comme 
pour  le  goûter  *.  Ce  n'est  pas  par  arguments  qu'il  s'énonce, 
mais  par  sentences  ou  par  paraboles.  Jamais  de  considéra- 
tions abstraites,  de  définitions,  de  discussions  proprement 
dites.  Au  lieu  d'argumenter,  il  atteste,  il  expose,  il  révèle  : 
Amen  dico  vobis,..^  ce  qui  lui  permet  de  réunir  en  quelques 
pages  ce  qui  fait  l'essence  de  la  vie  morale,  et  les  principes  de 
la  plus  haute  perfection,  soit  pour  les  individus,  soit  pour  les 
sociétés.  Il  ne  s'empresse  pas  néanmoins  pour  tout  dire.  Loin 
de  fatiguer  par  de  longs  discours,  il  s'arrête  fréquemment 
et  laisse  à  ses  auditeurs  le  temps  de  la  réflexion.  En  fait  de 
vertus,  il  aime  à  enseigner  par  l'exemple  plutôt  que  par  la 
parole,  sa  morale  n'est  que  le  reflet  de  sa  conduite  •.  Non 
content  de  pratiquer  lui-môme  devant  ses  disciples  les 
maximes  qu'il  leur  trace,  il  ne  manque  jamais  de  leur  faire 
admirer  les  traits  de  perfection  dont  il  est  témoin  :  la  foi  du 
Centenier  *,  l'humilité  de  la  Chananéenne  ^  le  repentir  de 
la  pécheresse  ^  la  générosité  de  la  veuve  \  la  pieuse  profu- 
sion de  Madeleine  %  etc. 

4°  Un  à-propos  merveilleux.  Il  a  soin  de  profiter  de  toutes 
les  circonstances  pour  instruire  et  pour  toucher.  Ses  prédi- 
cations sont  plutôt  des  entretiens  que  des  discours.  Il  ne 
tient  ni  au  titre,  ni  aux  honneurs,  ni  au  rôle  de  Docteur. 
Tandis  que  les  pharisiens  siègent  dans  la  chaire  de  Moïse, 
c'est  sur  les  places  publiques,  en  marchant  par  la  campagne, 
sur  les  bords  de  la  mer,  sous  le  portique  de  Salomon,  qu'il 
donne  ses  leçons.  De  là  vient  en  partie  leur  agrément  et  leur 
variété  *  ;  car  sa  parole  s'harmonise  toujours  avec  le  milieu 
où  il  se  trouve  et  avec  les  dispositions  de  ses  auditeurs.  Les 

<  Matth.,  XI,  29.  —  8  S.  Aug.,  Epist.  cxxxvn,  18.  -  3  Joan.,  xiii,  15; 
Phil.,  II,  4-11.  —  *  Matth.,  viii,  10.  —  «  Matth.,  xv,  28.  --  «  Luc,  vu,  44. 
—  f  Luc,  XXI,  3.-8  Matth.,  xxvi,  10.  —  »  Matth.,  xiii,  i. 

III.  29 


fiû6  JÉSUS-GHRIâT  SELON   L^ÉVANGILE.  [n<>  S60 

discours  qu'il  prononce  à  l'époque  de  Pâques,  à  la  fête  des 
Tabernacles  ou  à  celle  de  la  Dédicace  reflètent  les  cérémonies, 
les  préoccupations  et  Tappareil  de  ces  solennités.  En  voyant 
des  fleurs  et  des  champs,  il  fait  admirer  la  Providence  qui 
protège  les  faibles  plantes  et  nourrit  les  petits  oiseaux  \  Les 
moissons  qui  mûrissent  le  font  penser  à  la  récolte  des  âmes*. 
La  culture  qu'on  donne  aux  vignes  lui  rappelle  celle  qu'il 
faut  donner  aux  fidèles  et  que  son  Eglise  réclame  '.  A  la  vue 
d'un  homme  sourd  et  muet,  il  s'écrie  :  Heureux  qui  entend 
la  parole  de  Dieul  En  présence  d'un  petit  enfant,  il  recom- 
mande l'innocence  et  l'humilité  *.  Au  milieu  des  bergers  et 
des  troupeaux,  il  prend  le  titre  de  pasteur  ;  il  se  représente 
rapportant  au  bercail  la  brebis  égarée  ^  Dans  un  festin,  il 
compare  sa  doctrine  au  vin  nouveau  ^  Aussi  rien  de  plus 
naturel,  de  moins  prémédité,  ce  semble,  que  son  enseigne- 
ment \  Tout  ce  qu'il  dit  est  admirable  de  justesse  et  de 
convenance  :  lui  seul  pouvait  le  dire  et  dans  les  circons- 
tances où  il  l'a  dit  ;  et  la  parole  des  Juifs  :  NtU  homme  n'a 
jamais  parlé  comme  cet  homme  *,  est  vraie  dans  tous  les  sens. 
Pour  se  rendre  compte  de  son  langage,  pour  en  concevoir 
les  effets,  il  faut  se  reporter  par  la  pensée  dans  les  plaines 
de  la  Galilée,  parmi  les  disciples  qu'il  a  guéris  miraculeu- 
sement, au  milieu  de  ses  Apôtres,  témoins  de  tant  de  pro- 
diges. Sa  vie  explique  sa  prédication,  de  môme  que  sa 
prédication  est  le  commentaire  de  sa  vie.  L'une  et  l'autre 
réunies  nous  font  voir  et  entendre  ce  qu'on  peut  imaginer 
de  plus  grand,  de  plus  saint  et  de  plus  touchant  :  l'Homme- 
Dieu  vivant  ici-bas,  ou  la  sagesse  et  la  charité  en  personne 
se  révélant  aux  hommes  et  conversant  familièrement  avec 
eux  '. 

1  Matth.,  VI,  26-3t  ;  x,  29-31.  —  ^  Joan.,  iv,  35*  —  8  Matth.,  ix,  i*  — 
*  Matth.,  XVIII,  1-7;  Marc,  x,  15.  —  »  Matth.,  xvm,  12,  13;  Luc, 
XV,  4-6;  Joan.,  ix,  11,  14.  —  «  Luc,  v,  37.  —  ?  Mala  aurea  in  lectis 
argenteis,  qui  loquitur  verbum  ia  tempore  suo.  Prov.,  xxv,  11.  — 
8  Joan.,  VII,  46.  —  »  «  Tout  se  soutient  en  sa  personne.  La  môme  Yé- 
rité  reluit  partout.  U  annonce  de  hauts  mystères,  mais  il  les  confinne 
par  d'éclatants  miracles  ;  il  commande  de  grandes  vertus,  mais  il  donne 
en  même  temps  de  grandes  lumières,  de  grands  exemples  et  de  grandes 


N^SÔl]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  DISCOURS.  507 

*361.  — Ces  discours  contiennent-ils  toute  la  doctrine  de  TEglise? 

On  peut  dire  qu'il  n'est  pas  de  vérité  de  foi  qui  ne  se  re- 
flète dans  ces  discours,  sans  prétendre  cependant  que  les 
Evangélistes  se  soient  fait  une  loi  de  résumer  toutes  ses  pa- 
roles et  sans  nier  que  les  Apôtres  aient  reçu  directement  cer- 
taines révélations  du  ciel.  Ainsi  : 

1**  Pour  le  dogme,  on  y  voit  clairement  énoncés  :  l'unité  de 
Dieu*,  sa  perfection  infinie *,  sa  providence',  sa  bonté  pour 
les  hommes  *,  la  Trinité  des  personnes  divines  ^  la  divinité 
du  Fils  •,  celle  du  Saint-Esprit  %  l'existence  des  anges  *,  celle 
des  démons  %  l'Incarnation  ^^  la  Passion  **,  la  Rédemp- 
tion *^  la  nécessité  du  salut  *',  la  parole  de  Dieu  **,  la 
grâce  **,  l'union  des  âmes  avec  Jésus-Christ  ",  le  Baptême  ", 
la  Pénitence  *%  l'Eucharistie  *',  la  communion  ^®,  le  saint 
Sacrifice  et  l'Ordre  **,  le  mariage  ",  la  spiritualité  de  l'âme  ", 

grâces.  C'est  par  là  qu'il  parait  plein  de  grâces  et  de  vérité;  et  nous 
recevons  tout  de  sa  plénitude.  »  Bossuet,  H.  U.,  ii,  19. 

*  Matth.,  IV,  10;  v,  8,  16,  45;  vi,  24;  xviii,  14;  xxii,  37;  xxiii,  9; 
Marc,  XII,  29,  30;  Luc,  xvm,  19;  Joan.,  xvii,  3.  —  *  Matth.,  v,  48; 
Marc,  X,  18;  Luc,  xviii,  19.  —  3  Matth.,  vi,  25-34;  x,  29-30;  xi,  26; 
XX,  1,  4;  Luc,  XII,  22-31  ;  Joan.,  v,  17.  —  *  Matth.,  v,  45;  vi,  9;  x,  42; 
XI,  28;  xviii,  5,  14;  xxiii,  8,  9;  xxv,  35.  •—  *  Matth.,  x,  20;  xvii,  6; 
xxviii,  19;  Luc,  iv,  18;  Joan.,  xiv,  16,  26;  xv,  26.  —  6  Matth.,  xi, 
27,  28;  XVI,  17;  xxii,  43,  44;  xxvi,  64;  Luc,  xxii,  69;  Joan.,  m,  16,  35; 
V,  19,  20;  VIII,  58;  IX,  35-37;  x,  30,  38;  xiv,  6-10;  xvii,  5;  xviii,  37; 
XX,  17,  31.  —  "ï  Matth.,  x,  20;  xii,  31;  Marc,  xiii,  11;  Luc,  xii,  10,  12; 
Joan.,  XIV,  16,  26;  xv,  26;  xvi,  13.  —  »  Matth.,  xi,  10;  xiii,  39;  xvi,  57; 
xviii,  10;  XXII,  30;  xxiv,  31.  —  »  Matth.,  viii,  28,  32;  xiii,  19,  39; 
Marc,  XVI,  17;  Luc,  viii,  12;  x,  18;  xxii,  31;  Joan.,  viii,  44;  xvi,  11. 
—  10  Joan.,  VIII,  42;  xvii,  3,  etc.  —  i*  Matth.,  xvi,  21;  xvii,  12,  22; 
XX,  18,  22;  Luc,  xvii,  25  ;  xxiv,  26.  —  *2  Matth.,  xviii,  11  ;  Luc,  ix,  56; 
Joan.,  m,  17.  —  13  Matth.,  vu,  13,  21;  xi,  12;  xiii,  44,  45;  xvi,  26; 
xvm,  8;  xix,  17;  Luc,  x,  20,  41,  42;  xiii,  3.  —  i*  Matth.,  vu,  24; 
xxviii,  20;  Joan.,  xiv,  10,  21,  23.  —  *3  Matth.,  xi,  21;  xiii,  17;  xix,  26; 
xxv,  28;  Joan.,  iv,  13;  vi,  44;  vu,  37;  x,  26-28;  xxv,  6;  xv,  4,  5.  — 
*•  Matth.,  IX,  15;  Luc,  x,  39-42;  xx,  17;  Joan.,  xiv,  6;  xv,  4,  5;  xvii, 
21-23.  —  17  Matth.,  xxviii,  19;  Marc,  xvi,  16;  Joan.,  m,  5.  —  i»  Matth., 
XVI,  19;  Luc,  XI,  4;  xvm,  13;  Joan.,  xx,  23.  —  *»  Matth.,  xxvi,  26; 
Marc,  XIV,  22;  Joan.,  vi,  51-59.  —  20  Joan.,  vi,  52,  59.  -  21  Luc, 
XXII,  19;  Joan.,  xx,  22.  —  22  Matth.,  v,  32;  xix,  3-6;  xxii,  24-30;  Luc, 
XVI,  18;  XX,  34.  —  2a  Matth.,  x,  28,  39;  xvi,  25,  26;  Luc,  xii,  5. 


808  JESUS-CHRIST  SELON   L*ÉVANGILE.  [n®  36l 

son  immortalité  *,  la  résurrection  du  corps  *,  le  jugement', 
le  purgatoire  *,  la  récompense  du  ciel  *,  les  peines  éter- 
nelles •,  la  vraie  félicité  ''. 

2*  Pour  la  morale^  on  y  trouve,  outre  les  principes  géné- 
raux, l'indication  des  défauts  à  éviter  et  des  vertus  à  mettre 
en  pratique,  à  l'égard  de  Dieu,  du  prochain  et  de  soi- 
même. 

Il  y  a  des  devoir  à  remplir  :  envers  Dieu  ',  envers  le  pro- 
chain •,  envers  les  parents  *®,  envers  les  supérieurs  *S  en- 
vers les  inférieurs  ",  envers  les  pauvres  ",  envers  les  enne- 
mis **,  envers  les  pécheurs  *'.  —  Il  faut  fuir  :  l'incrédu- 
lité *•,  l'orgueil  ",  l'ambition  ",  la  vanité",  l'hypocrisie", 
l'avarice  ",  la  colère  ",  la  lâcheté  ",  l'inconstance  **,  la 
gourmandise",  l'impureté",  le  respect  humain",  la 
simonie  ",  le  scandale  ".  —  Il  faut  tendre  à  la  perfec- 


*-  Matth.,  XIII,  43;  xix,  28;  Marc,  xii,  25;  Joan.,  x,  28;  xvii,  2.  — 
«  Matth.,  X,  28;  xii,  41;  xxii,  23,  33;  Luc,  xx,  îfô-38;  Joan.,  v,  21-28; 
VI,  39;  XI,  24.  —  «  Matth.,  xvi,  27;  xxiv,  30;  xxv,  21;  Joan.,  v,  22,  2Î. 
—  *  Matth.,  V,  25;  xii,  32.  —  s  Matth.,  v,  10,  12;  xix,  29;  xxv,  10,  21, 
23,  34-40,  46;  Marc,  xii,  25;  Luc,  ix,  24;  xvi,  22;  xxii,  29.-6  Matth., 
V,  22,  29;  vu,  19;  viii,  12,  29;  x,  28;  xii,  31,  32;  xiii,  42,  50;  xvin, 
8,  9;  xxii,  13;  xxiii,  33;  xxiv,  50,  51  ;  xxv,  12,  30,  31,  41-46;  Marc., 

IX,  42-47,  Luc,  XII,  4,  5;  xiii,  28;  xvi,  23-26;  Joan.,  xii,  48.  —  ^  Matth., 
V,  3-10;  XIII,  43;  xix,  29;  xxv,  34;  Marc,  x,  30;  Joan.,  xvii,  3. — 
«  Matth.,  IV,  10;  v,  16;  x,  28-37;  xxii,  21,  34-38;  Luc,  x,  27;  xii,  4,  5; 
XXII,  19.  —  »  Matth.,  V,  7,  21-24;  ix,  13,  x,  41;  xvin,  33;  xxii,  39; 
xxv,  34-35;  Luc,  vi,  35;  x,  37.  —  *o  Matth.,  xv,  4;  Luc,  xvdi,  20.— 
44  Matth.,  XVII,  24;  Marc,  xii,  17.  —  42  Luc,  xii,  37.  —  43  Matth.,  vi,  3; 

X,  42;  XIX,  21;  xxv,  37-40.  —  44  Matth.,  v,  23,  39,  43,  44;  vi,  14;  xvni, 
21,  22,  35;  Luc,  vi,  27,  28,  35;  xvii,  3  ;  xxiii,  34,  35.  —  4s  Matth.,  ix,  13; 
Luc,  V,  32;  xv,  2.  —  46  Matth.,  x,  14;  xi,  20;  xvii,  16;  Luc  ,  x,  10; 
XVI,  30;  Joan.,  m,  18,  36;  viii,  24;  xii,  48;  xx,  27.  —  47  Luc,  xiv,  11; 
XVI,  15.  —  48  Marc,  x,  40-44.  —  49  Matth.,  vi,  1-16;  vm,  4;  ix,  30; 

XI,  8;  XVII,  9;  xx,  21,  26;  Marc,  i,  44;  xn,  38,  39;  Luc,  vu,  25; 
XIV,  7-9;  XVI,  15,  19;  xx,  46;  xxii,  24;  Joan.,  v,  44;  vi,  15;  viii,  54.— 
*o  Matth.,  VI,  2,  16;  va,  5;  xv,  7;  xxii,  18;  xxiii,  14,  25;  Luc,  xi,  44; 

XII,  1,  56;  xviii,  11.  —  «4  Matth.,  vi,  19,  24,  31,  34;  xxvi,  15;  xxvii,  3; 
Luc,  XII,  16-21;  xvi,  9.  —  ««  Matth.,  v,  22;  Luc,  iv,  28.  —  «'  Luc, 
XII,  4.  —  8*  Luc,  IX,  62;  xvu,  32.  —  **  Luc,  xii,  45;  xxi,  34.  — 
»6  Matth.,  V,  27;  xiv,  3;  xix,  9;  Joan.,  vm,  3.  —  *^  Marc,  vm,  38; 
Luc,  IX,  26.  —  «8  Matth.,  x,  8.  —  «»  Matth.,  v,  19;  xvi,  23;  xvu,  2446; 
xvui,  6-10;  Marc,  ix,  42;  Luc,  xvii,  l. 


N®  361]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  DISCOURS.  509 

tion  s  et  pratiquer  les  vertus  :  la  foi  *,  l'espérance  ',  la 
charité  envers  Dieu  *,  la  religion  •,  la  prière  •,  la  confiance 
en  la  Providence  ',  la  soumission  aux  volontés  de  Dieu  *,  la 
générosité  •,  la  charité  envers  le  prochain  *°,  la  douceur  ", 
la  pureté  du  cœur  *^  la  droiture  d'intention  ",  l'abnéga- 
tion **,  la  chasteté  *%  l'humilité  *S  l'obéissance  ",  la  morti- 
fication **,  la  patience  *%  la  paix  intérieure  ^°,  la  prudence  ^*, 
la  simplicité  ",  etc. 

Aux  préceptes  et  aux  conseils  le  divin  Maître  joint  les 
promesses  "  et  les  menaces  ^*  ;  mais  ce  que  nous  avons  dit 
suffit  pour  montrer  ce  qu'a  d'étrange  cette  assertion  que 
Jésus-Christ  n'a  enseigné  aucune  doctrine  proprement  dite, 

«  Matth.,  V,  6,  18,  20;  viii,  20;  x,  9;  xi,  12;  xix,  21  ;  xxiii,  23;  Luc, 
VI,  21;  vjii,  8,  15;  xii,  48;  xvi,  10.  —  »  Matth.,  viii,  13;  ix,  2,  22,  28,  29; 
XV,  28;  XVI,  17;  xvii,  19;  xxi,  22;  Marc,  v,  36;  ix,  22;  xi,  22;  Luc, 

V,  20;  vu,  50;  xvii,  6;  Joan.,  m,  15,  18;  vi,  40,  47;  xi,  26;  xx,  29.  — 
3  Matth.,  VI,  25;  xiv,  27;  Luc,  xxiv,  36;  Joan.,  xiv,  1;  xvi,  33.  — 
♦  Matth.,  xxii,  37;  Marc,  xii,  33;  Joan.,  xiv,  15,  21,  24;  xv,  9,  14,  19. 

—  s  Matth.,  XXI,  13;  xxiv,  1;  Marc,  xi,  11;  Luc,  xix,  45.  —  «  Matth., 

VI,  5-13;  VII,  7-11;  xvin,  19;  xx,  20;  xxi,  22;  xxvi,  41;  Luc,  xi,  2-13: 
xviii,  1;  XXII,  40;  Joan.,  iv,  23;  ix,  31;  xiv,  13;  xv,  7;  xvi,  23.  — 
^  Matth.^  vi,  25;  x,  9,  23;  xvi,  7;  Luc,  viii,  14;  xii,  22;  xxi,  31; 
xxiv,  25.  —  8  Matth.,  vi,  10;  xxvi,  39;  Luc,  xxii,  42.  —  »  Màtth., 
X,  39.  —  10  Matth.,  v,  23,  43;  vi,  14;  vu,  3;  x,  42;  xviii,  21-35;  xix,  19; 
XXII,  38,  39;  xxiii,  8,  9;  xxv,  40-45;  Marc,  viii,  2;  Luc,  vi,  27,  32,  36; 

IX,  55;  XI,  41;  xii,  33;  Joan.,  m,  29;  xiii,  14,  34;  xv,  9,  12,  14;  xvii, 
21,  22;  XX,  17.  —  "  Matth.,  vu,  12;  xxii,  39;  Luc,  ix,  54-56.  — 
12  Matth.,  V,  8,  28;  IX,  4;  xv,  11-19;  xix,  12;  xxii,  30;  xxiii,  24-28 
xxv,  1;  Luc,  XVII,  20,  21;  xx,  36.  —  *3  Matth.,  vi,  22;  Luc,  xi,  34 

—  **  Matth.,  IV,  19,  20;  v,  29;  x,  39;  xvi,  24;  xviii,  8,  9;  xix,  21,  37 
Marc,  I,  18,  20;  x,  21,  28;  Luc,  v,  11;  ix,  23;  xiv,  26;  xvii,  33 
xviii,  22.  —  1»  Matth.,  v,  8,  28-30;  xix,  12;  xxii,  30;  Luc,  xx,  34-36 

—  48  Matth.,  V,  3;  viii,  8;  xi,  11,  12,  23,  25,  29;  xv,  27;  xviii,  3,  4 
XIX,  14;  XX,  25,  26;  xxi,  5,  16;  xxiii,  5-12;  Marc,  ix,  33-35;  x,  43 
Luc,  XIV,  10;  XV,  19;  xvii,  10;  xix,  8;  Joan.,  v,  44;  xiii,  4,  12-17.  — 
*7  Matth.,  XXII,  21;  xxiii,  23;  Luc,  x,  16;  Joan.,  iv,  34;  v,  30;  vi,  38. 

—  48  Matth.,  IX,  15;  xvii,  2;  Luc,  xm,  3.  —  i»  Matth.,  v,  4,  10-12,  39 

X,  16,  38;  Luc,  xxi,  19;  xxii,  28;  Joan.,  xv,  2;  xvi,  22.  —  20  Luc 
XXIV,  36;  Joan.,  xiv,  27;  xvi,  33;  xx,  19.  —  21  Matth.,  x,  16,  17;  xii,  37 
XXIV,  4.  —  28  Matth.,  x,  15;  xi,  25;  Luc,  v,  5;  x,  21.  —  23  Matth.,  v 
3-12;  VI,  33;  x,  40-42;  xvi,  16-19;  xvii,  19,  20,  41  ;  xii,  18;  xxi,  14,  19 
XXII,  29;  XXIV,  49;  Joan.,  x,  28;  xiv,  2,  3,  12-14,  15,  16;  xv,  16,  26 
xvii,  17,  22-24;  xix,  26,  etc  —  2*  Matth.,  x,  14;  xi,  21-24;  xii,  11,  12 
XIII,  48;  xviii,  6-10;  xxiii,  13,  14,  33-38;  xijiy,  48-^i;  xxv,  46, 


510  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n«  362 

et  que  toute  son  œuvre  s'est  bornée  à  réveiller  dans  les  cœurs 
le  sentiment  religieux  *. 

362.  —  Que  remarque-t-on  dans  sa  manière  d'enseigner? 

La  méthode  du  Sauveur  n'est  pas  celle  de  l'école,  des  doc- 
teurs qui  cherchent  avant  tout  l'unité  de  l'enseignement,  qui 
s'attachent  à  relier  les  conséquences  aux  principes,  et  à  dé- 
duire des  principes  toutes  leurs  conséquences;  pour  qui 
une  doctrine  parfaite  est  un  système  d'où  l'on  ne  peut  rien 
détacher  et  qu'il  faut  ou  rejeter  ou  admettre  tout  entière. 
Sa  méthode  est  encore  moins  celle  des  philosophes  qui 
commencent  par  tout  mettre  en  question,  afin  de  se  con- 
vaincre de  tout  par  eux-mêmes,  qui  font  profession  d'avoir 
des  idées  à  eux,  qui  prennent  leurs  données  dans  l'esprit  de 
leurs  auditeurs  et  qui  livrent  leur  enseignement  à  l'appré- 
ciation de  leurs  disciples.  Le  divin  Maître  ne  met  en  pro- 
blème aucune  vérité.  Il  fait  peu  de  dialectique.  La  seule 
chose  qu'il  s'attache  à  prouver,  c'est  la  divinité  de  sa  mis- 
sion ;  et  il  la  prouve  de  la  manière  la  plus  simple,  par  les 
miracles  qu'il  opère  et  parles  prophéties  dont  il  est  l'objet*. 
Ce  principe  posé,  il  en  fait  la  base  de  toute  sa  prédication. 
Qu'il  instruise  ou  qu'il  reprenne,  qu'il  exhorte  ou  qu'il 
commande,  c'est  toujours  sur  ce  fondement  qu'il  s'appuie; 
il  exige  qu'on  se  soumette  à  sa  parole,  et  sa  véracité  est  la 
dernière  raison  des  croyances  qu'il  impose  comme  des  lois 
qu'il  prescrit.  A  peine  s'il  fait  en  passant,  de  loin  en  loin, 
un  court  raisonnement,  pour  faire  sentir  la  valeur  d'un 
texte  ',  la  portée  d'une  prophétie  *,  d'un  exemple  •,  d'une 
figure  •. 

Une  telle  méthode  peut  paraître  imparfaite  à  des  hommes 
d'étude,  qui  n'aspirent  qu'à  satisfaire  leur  esprit  et  à  s'avan- 
cer dans  la  science.  Mais  ils  doivent  se  souvenir  que  le 

i  Vie  de  Jésus,  ch.  iv,  xvin.  —  «  Matth.,  ix,  6,  25,  30,  31;  xi,  1-5; 
XII,  9;  Marc,  i,  27;  ii,  \  ;  m,  1;  Luc,  iv,  32;  v,  18;  vi,  6;  vu,  16,22; 
Joan.,  V,  33-39,  45;  vi,  26-29;  xi,  15;  xiv,  10,  11;  xv,  22,  24;  Supra, 
n.  191,  227.  —  3  Matth.,  xii,  5,  7;  xix,  4;  Luc,  xx,  37.  —  *  Luc,  xx,  17; 
Joan.,  VI,  45.  —  «  Matth.,  xii,  4;  Luc,  iv,  26,  27,  —  e  Joan.,  vi,  30. 


N»  362]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —   SES  DISCOURS.  511 

'dessein  du  divin  Maître  différait  du  leur.  Ses  disciples  étaient 
des  hommes  simples,  peu  capables  d'une  application  soute- 
nue, trop  occupés  ou  trop  distraits  pour  suivre  longtemps 
le  fil  d'une  démonstration  ou  d'une  théorie.  Ils  ne  désiraient 
qu'une  chose  :  connaître  la  voie  de  Dieu,  entrer  dans  son 
royaume,  le  servir  et  lui  plaire.  Qu'avait-il  de  mieux  à  faire 
que  de  répondre  à  leur  désir  ?  Voilà  ce  qui  explique  son  en- 
seignement et  sa  méthode.  Dans  ses  discours,  c'est  moins 
l'esprit  qui  parle  à  l'esprit  que  le  cœur  qui  parle  au  cœur.  Il 
cherche  à  faire  des  saints,  non  à  faire  des  savants.  L'amour 
des  âmes  est  son  seul  mobile  et  leur  perfection  son  unique 
but. 

Comme  l'esprit  a  son  ordre,  dit  Pascal,  le  cœur  a  aussi  le 
sien.  Ses  inspirations  ne  se  règlent  pas  sur  la  logique.  Au 
lieu  de  suivre  l'analogie  des  idées,  il  consulte  les  besoins  et 
les  goûts  de  ceux  à  qui  il  s'adresse;  il  saisit  les  occasions. 
Ce  qu'il  voit  de  plus  urgent  est  ce  qui  l'attire  et  à  quoi  il  se 
porte.  Ecoutez  une  mère  donnant  des  conseils  à  son  enfant  ; 
ou  plutôt  voyez  S.  Louis  mettant  par  écrit  ses  recommanda- 
tions à  son  fils.  Est-ce  qu'il  songe  à  bien  diviser  son  sujet, 
à  être  suivi,  complet,  régulier  dans  son  discours  ?  Ce  qui 
lui  importe,  c'est  d'être  utile  et  de  persuader.  Il  ne  cherche 
pas  autre  chose.  Il  omet  ce  qui  est  connu,  ce  qui  est  admis, 
si  essentiel  qu'il  soit,  pour  s'attacher  à  ce  qui  fait  difficulté, 
ou  qui  pourrait  causer  quelque  hésitation.  C'est  surtout  à  la 
volonté  qu'il  s'adresse.  Il  est  vrai  qu'on  ne  peut  gagner  le 
cœur  sans  parler  à  l'esprit;  mais  il  ne  faut  pas  lui  parler 
longuement.  Un  mot,  un  trait,  une  maxime  peuvent  suffire, 
pourvu  que  ce  mot  n'admette  pas  de  réplique,  que  ce  trait 
soit  frappant,  que  cette  maxime  soit  capitale  et  jette  un  vif 
éclat.  N'est-ce  pas  ce  qu'on  trouve  à  chaque  instant  dans  les 
discours  du  divin  Maître,  dans  cette  suite  de  versets  détachés 
les  uns  des  autres,  mais  qui  ont  tous  le  même  accent,  qui 
respirent  tous  le  même  amour  et  qui  tendent  tous  à  la 
la  même  fin  ?  La  chaleur,  l'unité  de  sentiment,  d'inspiration, 
tiennent  lieu  d'enchaînement  logique.  N'est-ce  pas  aussi  ce 
qu'on  remarque  dans  les  écrits  des  saints,  lorsqu'ils  s'a- 


512  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n«  363 

dressent  aux  âmes  pour  les  porter  à  Dieu',  et  dans  les 
communications  surnaturelles  que  l'Esprit  saint  fait  à  ses 
élus,  quand  il  veut  obtenir  d'eux  un  sacrifice  héroïque  ou 
les  élever  à  un  degré  de  perfection  extraordinaire  pour  les- 
quels les  grâces  communes  ne  sauraient  suffire? 

363.  —  Lorsqu'on  trouve  une  instruction  du  Sauveur  répétée  avec  des 
variantes  en  plusieurs  Evangiles,  faut-il  attribuer  ces  différences  aux 
Evangélistes,  ou  croire  que  Notre  Seigneur  s'est  réellement  répété  en 
variant  ses  expressions? 

On  peut  admettre  l'un  ou  l'autre,  sans  préjudice  pour  la 
foi;  et  souvent  les  commentateurs  sont  partagés  sur  la  ques- 
tion '.  Néanmoins,  il  n'y  a  pas  de  doute  que  Notre  Seigneur 
n'ait  répété  bien  des  fois  les  mêmes  instructions  et  les 
mêmes  maximes,  surtout  les  mêmes  paraboles  ';  soit  parce 
qu'il  changeait  de  lieu  et  que  son  auditoire  se  renouvelait 
assez  vite,  soit  parce  qu'il  attachait  une  importance  particu- 
lière à  certains  enseignements  et  qu'il  tenait  à  les  graver  dans 
les  esprits  *.  On  peut  remarquer,  en  effet,  que  ce  qui  est  le 
plus  répété  dans  l'Evangile  est  aussi  ce  qui  a  le  plus  de 
portée.  Ainsi,  il  est  dit  plus  de  dix  fois  qu'il  faut  prier, 
prier  au  nom  du  Sauveur,  prier  de  cœur  et  toujours  *.  L'hu- 
milité est  louée  sept  fois  en  S.  Matthieu  seulement  •,  et  la 
foi  non  moins  souvent  dans  chaque  Evangéliste.  Le  divin 
Maître  affirme  trois  fois  que  le  bon  usage  des  grâces  en 
attire  de  nouvelles  ''.  Il  annonce  trois  fois  qu'il  ressuscitera 

1  Voir  la  /'•  Epit7*e  de  S.  Jean;  Ylmitation  de  Jésus-Christ;  les  Ins- 
tructions du  curé  d'ArSf  etc.  Ajoutez  que  Notre  Seigneur  suivait  en  cela 
Tusage  de  son  pays  et  de  son  époque.  Supra^  n.  144.  —  2  Supi^aj  n.  144,282. 
—  3  Exemples  de  maximes  répétées  en  diverses  circonstances  :  Matth., 

X,  24;  Joan.,  xiii,  16;  xv,  20;  Luc,  vi,  40;  Matth.,  x,  26;  Marc.,  iv,  22; 
Luc,  VIII,  17;  XII,  2.  —  *  Mos  sacri  eloquii  est  ut  res  semel  dicta  pro 
confirmatione  replicet.  S.  Greg.  Magn.,  Moral. ^  xxv,  19.  Dans  les  dis- 
cours où  il  promet  rEucharistic,  Notre  Seigneur  répète  vingt  fois  qu'il 
est  un  aliment ,  qu'il  faut  se  nourrir  de  lui ,  manger  sa  chair,  boire  son 
sang.  Dans  l'institution  du  Sacrement,  il  prononce  sur  cliaque  espèce  la 
même  formule  :  Hoc  est.,.  Hic  est.  —  s  Matth.,  vu,  7,  8;  xxi,  22;  Marc., 

XI,  24;  Luc,  xi,  9;  xviii,  1 ,  10;  Joan.,  iv,  24;  xiv,  13;  xv,  16;  xvi, 
23,  26,  etc.  —  6  Matth.,  viii,  8-10;  xi,  25;  xv,  27,  28;  xviii,  4;  xx,  26, 27; 
XXI,  5;  xxm,  11,  12.  —  ^  Matth.,  xni,  19;  xxv,  29;  Luc,  xix,  26. 


N<>  364]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  DISCOURS.  813 

le  troisième  jour  *.  Il  invective  deux  fois  contre  le  scandale  •. 
11  donne  deux  décisions  contre  le  divorce,  etc.  '.  —  On  peut 
faire  une  observation  semblable  sur  ses  miracles.  S'il  en 
réitère  un  certain  nombre  ne  sont-ce  pas  ceux  qui  ont  une 
signification  plus  importante,  sur  laquelle  il  désire  attirer 
l'attention  de  ses  disciples*?  Ainsi,  il  ressuscite  trois  morts  '; 
il  rend  la  vue  à  trois  aveugles,  à  Bethsaïde  •,  à  Siloé  *',  à 
Jéricho  ';  il  fait  faire  à  S.  Pierre  trois  pèches  miraculeuses  •; 
il  multiplie  deux  fois  les  pains  ",  etc. 

364.  —  N'est-il  pas  évident  que  la  doctrine  du  Sauveur  a  l'esprit 

de  Dieu  pour  principe? 

I.  Même  à  s*en  tenir  à  la  partie  dogmatique,  il  est  évident 
que  la  doctrine  du  Sauveur  n'est  pas  le  fruit  de  la  raison 
humaine.  Nous  connaissons  incomparablement  mieux,  je 
ne  dis  pas  que  les  philosophes  les  plus  savants  de  l'anti- 
quité, mais  que  les  Israélites  les  mieux  instruits,  la  nature 
de  Dieu,  son  amour  pour  les  hommes,  les  récompenses  et 
les  châtiments  de  la  vie  à  venir,  la  voie  à  suivre  pour  aller 
au  ciel,  les  motifs  que  nous  avons  de  pratiquer  la  vertu  et 
de  tendre  à  la  perfection**.  D'où  nous  viennent  toutes  ces 
lumières?  A  qui  devons-nous  ces  connaissances?  A  Jésus- 

*  Matth.,  XVI,  21  ;  xvii,  23  ;  xx,  19.  —  «  Matth.,  v,  29,  30;  xviii,  6-9. 

—  3  Matth.,  V,  32;  xix,  1-9.  —  *  Quod  vidisti  secundo,  flrmitatis  indi- 
cium  est,  dit  Joseph  à  Pharaon.  Gènes.,  xli,  32.  Cf.  Jud.,  vi,  39;  III  Reg., 
XI,  9.  C'est  pour  la  même  raison  que  S.  Pierre  voit  se  renouveler  trois 
fois  la  vision  symbolique  par  laquelle  il  est  averti  de  recevoir  les  Gen- 
tils dans  l'Eglise,  Act.,  x,  16.  —  5  Matth.,  ix,  18-25;  Luc,  vu,  11-16; 
Joan  ,  XI.  —  6  Marc,  viii,  22-26.  —  "^  Joan.,  ix.  —  *  Marc,  x,  46-52. 

—  9  Luc,  V,  1-11;  Joan.,  xxi,  1-14;  Matth.,  xvii,  26.  —  lo  Matth.,  xiv, 
13-?t;  XV,  30-38,  etc.  Cf.  A.  T.,  n.  255.  —  **  Matth.,  xm,  16;  Joan., 
xvii,  4-6;  Heb.,  viii,  10,  11.  Compara  inflato^  crucifixo.  Tamdiu  viden- 
tur  aliquid  dicere,  donec  comparentur  Christo.  S.  Aug.,  In  Ps.  cxl,  19. 
Quanto  minor  est  auri  argendque  copia  quam  de  iEgypto  populus  Dei 
abstulit,  comparatione  divitiarum  quas  postea  in  Jérusalem  consecutus 
est,  quse  maxime  in  rege  Salomone  ostenduntur,  tanta  fit  cuncta  scientia 

-collecta  de  libris  gentilium,  si  divinorum  librorum  scientise  comparetur. 
De  DocU  Christ,,  iii,  4.  NuUus  philosophus  an  te  adventum  Ghristi,  cum 
toto  conatu  suo  tantum  potuit  scire  de  Deo  quantum  post  adventum 
Christ]  scit  una  vetula  per  fidem.  Et  ideo  dicitur  ab  Isaia,  xi  :  Repleta 
est  terra  scientia  Pomini.  S.  Thom.,  de  Symb,,  Opusc,  vi,  1. 

29. 


514;  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n®  364 

Christ;  c'est  grâce  à  lui  qu'elles  nous  éclairent  et  qu'elles 
s'imposent  à  l'humanité.  Mais  comment  a-t-il  pu  les  acqué- 
rir? Ce  n'est  pas  par  l'éducation.  Il  n'avait  fait  aucune 
étude,  fréquenté  aucune  école;  et  quel  maître  eût  pu  les  lui 
donner?  Qui  oserait  comparer  les  inepties  de  la  Mischna 
aux  maximes  de  l'Evangile?  Ce  n'est  pas  non  plus  par  la 
réflexion  et  par  le  travail.  Dans  sa  position  et  à  son  âge,  le 
loisir  même  lui  avait  manqué.  Unde  huic  sapientia  hœc?  se 
disait-on  autour  de  lui  *.  Nulle  réponse  à  cette  question, 
sinon  celle  qu'il  a  faite  :  Mea  doctrina  non  est  mea,  sed  ejm 
gui  misit  me  *.  Qui  de  cœlo  venit,  super  omnes  est  '. 

II.  Toutefois,  c'est  dans  la  morale  surtout  que  la  doctrine 
du  Sauveur  est  incomparable  et  évidemment  surhumaine. 
On  peut  en  reconnaître  l'origine  à  la  pureté  de  ses  maximes*, 
à  la  sublimité  de  ses  conseils  *,  à  la  connexion  des  unes  et 
des  autres  avec  les  dogmes  révélés.  On  la  reconnaît  mieux 
encore  aux  fruits  que  cette  morale  a  produits.  Car  le  divin 
Maître  ne  s'est  pas  borné  à  débiter  de  belles  sentences, 
comme  ces  philosophes  de  l'antiquité,  dont  la  sagesse  resta 
sans  influence  sur  leur  cité  et  souvent  sur  leur  famille  :  il  a 
fait  accepter  ses  principes  ;  il  les  a  fait  mettre  en  pratique 
par  une  foule  innombrable  de  disciples.  Dès  l'origine  du 
christianisme,  la  sainteté  devint  le  partage  des  chrétiens, 
leur  partage  exclusif  :  c  Vos  prisons  regorgent  de  criminels, 
disait  Minucius  Félix  aux  païens*;  mais  montrez-nous 
parmi  eux  un  chrétien,  à  moins  que  ce  ne  soit  un  renégat 
ou  un  martyr.  »  Et  Tertullien  :  «  Pas  d'esprit  sage,  pas  de 
caractère  éminent  qui  n'appartienne  à  Jésus-Christ ''.  »  Com- 
ment expliquer  un  semblable  prodige?  «  Si  quelqu'un  avait 
réussi  à  corriger  seulement  une  centaine  d'hommes  débau- 
chés et  impies ,  s'il  en  avait  fait  des  hommes  vertueux  et 


«  Matth.,  XIII,  54,  55  ;  Marc,  vi,  2,  3.  —  a  Joan.,  vu,  16, 17.  —  *  Joan., 
III,  31;  VIII,  23.  Cf.  Matth.,  xi,  27.  —  *  Matth.,  xviii,  7-10.  —  «  Matth.» 
V,  44.  —  6  E  vestro  numéro  carcer  exsestuat  :  christianus  ibi  nullus» 
nisi  aut  reus  suae  religionis  aut  profugus.  Octav.^  xxxv.  Plin.  jnn., 
Epist,  x,  97.  —  "ï  Nemo  sapiens  nisi  fidelis,  nemo  major  nisi  christia» 
nus.  Tert.,  De  prxsc.y  iii.  Cf,  S.  Justin.,  Àpoi.f  1,^14-17. 


NO  364]  SA  VIE  PUBLIQUE.  —  SES  DISCOURS.  515 

chastes,  on  aurait  peine  à  croire,  dit  Origène,  qu'il  serait 
arrivé  à  ce  résultat  sans  un  secours  particulier  du  ciel  :  que 
dire  quand  on  en  voit  une  si  grande  multitude,  de  toutes 
classes^  de  toutes  nations  et  de  toutes  mœurs,  embrasser  la 
perfection  de  la  vertu  en  môme  temps  que  la  foi  du  Sau- 
veur *  ?  j  Que  ce  soit  à  son  exemple,  ou  à  sa  grâce  ou  à  ses 
dogmes  que  ses  maximes  doivent  leur  vertu,  cette  vertu  est 
manifeste  et  manifestement  surnaturelle.  Elle  ne  peut  s'ex- 
pliquer sans  l'existence  et  l'action  d'un  être  supérieur  à 
l'humanité. 

*  Orig.,  Cont.  Cels.,  i,  26,  47.  Cf.  Rom.,  vi,  17-23;  I  Cor.,  vi,  10,  il; 
Eph.,  II,  11-13;  IV,  17-20;  Tit.,  m,  3-6;  I  Pet.,  iv,  3,  4;  S.  Aug.,  de 
moribus  Ecclestx;  De  vera  relig.,  1-12;  Bossuot,  H.  (1,^  ii,  7.  Fleury, 
Mœurs  des  Chrétiens^  Lamennais,  Indiffér.,  xxxi. 


TROISIÈME  PARTIE 

DEPUIS  LA  PASSION   DE  NOTRE  SEIGNEUR  JUSQU'A 

SON  ASCENSION 

{An  33;  man^  ami,  nuti. 


*  365.  —  Les  derniers  mystères  de  la  vie  da  Sauveur  ne  méritent-ils 

pas  une  attention  particulière? 

Ils  le  méritent  pour  diverses  raisons  :  —  !•  il  cause  de 
leur  importance.  Ils  couronnent  la  vie  de  l'Homme-Dieu  et 
mettent  le  sceau  à  son  œuvre.  De  leur  accomplissement  dé- 
pendait le  salut  du  mojide,  et  c'est  sur  eux  que  repose  la 
foi  des  chrétiens.  —  2"  A  cattse  de  leurs  garanties  historiques. 
S'il  n'est  pas  de  mystère  plus  soigneusement  décrit,  il  n'en 
est  pas  non  plus  qui  offre  plus  de  certitude.  Les  quatre 
Evangélistes  s'accordent  dans  les  moindres  détails,  et  cha- 
cun de  leurs  récits  porte  en  lui-même  sa  démonstration. 
Quel  homme  eût  imaginé  de  livrer  le  Fils  de  Dieu  à  de  tels 
supplices?  Qui  eût  su  lui  donner,  au  sein  des  afflictions  et 
des  opprobres,  un  caractère  si  divin?  —  3°  A  cause  des  ins- 
tructions quHls  renferment.  Tout  dans  la  vie  du  Sauveur  est 
admirable  et  parfait  ;  mais  comme  si  ce  divin  Maître  tenait 
à  nous  donner  l'exemple  d'un  progrès  incessant,  c'est  pour 
ses  derniers  moments  qu'il  a  réservé  ses  traits  de  vertu  les 
plus  héroïques.  C'est  donc  là  surtout  qu'il  se  révèle  et  qu'il 
importe  de  l'étudier.  Aussi  est-ce  Jésus  crucifié  que  l'Apôtre 
méditait  et  prêchait  de  préférence*.  C'est  sur  la  croix  que 
l'Eglise  offre  presque  partout  le  Sauveur  à  nos  regards  ;  et 
les  Evangélistes  ont  consacré  plus  de  pages  à  retracer  les 
deux  derniers  jours  de  sa  vie  qu'ils  n'en  ont  mis  à  décrire 
ses  trente  premières  années  *. 

1  I  Cor.,  I,  23;  ii,  2;  Gai.,  ii,  19;  vi,  14.  —  2  De  même  S.  Luc  dous 
décrit  la  captivité  do  S.  Paul  avec  plus  de  détails  que  ses  prédica- 


CHAPITRE  PREMIER. 

PASSION    DE    NOTRE     SEIGNEUR. 


Comme  il  n'est  pas  de  mystère  que  l'Esprit  saint  nous  ait 
retracé  avec  plus  de  soin,  il  n'en  est  pas  non  plus  qui  ait 
été  prédit  avec  plus  de  détail,  ni  ligure  d'une  manière  plus 
frappante  *, 

1*  Outre  les  passages  de  l'Ancien  Testament  cités  dans 
l'histoire  même  de  la  Passion,  les  Apdtres  et  les  saints  Doc- 
teurs nous  ont  fait  remarquer  une  foule  de  prédictions  rela- 
tives ans  derniers  moments  du  Sauveur.  On  y  voit  annon- 
cés: les  ignominies  qu'il  eut  à  subir';  —  l'excès  de  ses 
douleurs  ';  —  l'acceptation  qu'il  fit  de  ses  souffrances  pour 
notre  rédemption*;  —  la  haine  dont  il  fut  l'objet';  ^  son 
agonie  ';  —  la  trahison  et  la  mort  de  Judas  ';  —  la  disper- 

Uons,  Bom.,  xv,  4.  Coosultcr  Bossuct,  Médit.,  et  Duguet,  Trailé  de  la 
Croit,  etc. 

'  Croix  du  Sauveur,  d'après  tine  pierre  du  musée  Barbcrini,  publiée 
pir  Didron.  Par  sa  traverse  supérieure,  unie  au  m  on  og  ranime,  clic  rap- 
pelle le  LabaniiD.  Le  anrpent  représente  l'ennemi  vaincu,  ou  peut-Stre 
Celui  dont  le  serpent  d'airain  était  la  figure.  L'alpha  et  l'oméga  dirsiont 
■on  nom;  les  deux  colombes  figureraient  les  Ames  fidèles  qui  tourneot 
vers  lai  leurs  espérances  et  leur  regard,  et  le  mot  talus  iiidii|uerait  le 
but  et  le  résultat  de  tout  ce  mystère.  —  '  Luc,  xxcv,  26,  27;  .Act., 
ui,  18.  —  a  pa.  Livm,  10;  Is.,  lu,  U;  lui,  2-4.  —  ♦  Ps.  Lxviii,  8-3,  27; 
Lxuvii.  7;  Is.,  un,  4-18.  —  '  Ps.  lxtiii.  8-10;  Is.,  lui,  e-18.  —  e  Sap., 
n,  12-20.  -  1  Ps.  wiii,  2;  lïijiyii,  3-17.  -  »  Ps.  il.  7-12;  uv,  13-16; 
wvm,  86;  cvui,  2,  5-19;  Zac,  xi,  12,  13. 


518  iÉSL'S-€HiUST   SELON    l'ÉVANGILE.  [n<*  366 

sion  de  tous  ses  Apôtres*;  —  son  arrestation';  —  sa  com- 
parution devant  les  juges*;  —  les  faux  témoignages  aux- 
quels il  fut  en  butte  *;  —  les  cris  des  Juifs  contre  lui  •  ;  —  son 
silence  *;  —  sa  flagellation  et  son  couronnement  d'épines  ^ 

—  son  assimilation  à  deux  scélérats';  —  son  crucifiement'; 

—  sa  prière  du  haut  de  la  croix  *•;  —  les  dérisions  dont  il 
fut  Tobjet  ";  —  ses  vêtements  partagés  et  sa  robe  tirés  au 
sort  *';  —  les  ténèbres  qui  se  répandirent  au  moment  de  sa 
mort";  —  sa  sépulture**;  —  Tépoque  à  laquelle  il  devait 
être  renié  par  le  peuple  et  immolé  ". 

2^  Comme  figures  du  Sauveur  soufi'rant  et  mourant,  les 
saints  Pères  nous  montrent  :  Abel  **,  Isaac  ",  Joseph  ", 
Moïse  sur  la  montagne  ",  Jérémie  persécuté  '®,  TAgnean 
pascaP*,  le  serpent  d'airain",  le  bouc  émissaire";  mais 
par-dessus  tout,  les  sacrifices  sanglants  que  le  Seigneur  se 
faisait  offrir  au  temple  '^  Tous  ces  faits,  aussi  remarquables 
par  leur  singularité  que  par  les  rapports  qu'ils  ont  entre 
eux,  avaient  un  sens  prophétique;  les  sacrifices  surtout, 
sans  valeur  et  sans  efficacité  par  eux-mêmes,  étaient  évi- 
demment significatifs  :  Innuebant  aliquid;  indicare  volebant 
aliquid.  Mais  que  pouvaient-ils  signifier?  Qu'est-ce  que  Dieu 
a  pu  se  proposer  en  les  ordonnant?  C'est  dans  la  Passion  du 
Sauveur  et  dans  son  immolation  qu'on  trouve  l'éclaircisse- 
ment de  ce  mystère  ". 

*  Ps.  Lxviii,  21;  Lxxxvn,  9;  cxu,  5;  Zac.,  xiu,  7.  —  *  Sap.,  n, 
12,  18.  —  3  Pg.  xciii,  21.  —  *  Ps.  XXI,  17;  xxvi,  12;  xxiv,  11;  lxiii,6; 
cviii,  4.-8  Ps.  XXI,  13,  17;  xl,  6;  cvm,  2.-8  Is.,  uu,  7.  — 
'  Job.,  XVI,  W;  Ps.  XXXIV,  15;  xxxvii,  18;  Is.,  l,  6.  —  •  Is.,  un,  12. 
—  »  Ps.  XXI,  17-19;  Lxviii,  22;  Is.,  lui,  12;  Jer.,  xi,  19;  Zac,  xn,  iO; 
XIII,  6.  —  10  Ps.cviii,  4;  Is.,  un,  12.  —  n  Ps.  xxi,7-9;  lxviii,  12, 13,22; 
cvm,  25.  —  *'  Ps.  XXI,  19.  —  *•  Amos.,  viii,  9;  Zac,  xiv,  1,  6.  —  **  P». 
Lxxxvii,  5;  Is.,  XI,  10.  —  i«  Dan.,  ix,  24-27.  Cf.  Act.,  xxvi,  22,  23.  A,  T., 
851,  852.  —  16  Gen.,  iv,  2,  15.  —  "  Gen.,  xxn,  1-18.  —  i»  Gen.,  xxxvn, 
xux-L.  — »•  Ex.,  XVII,  11-13.  —  20  Jer.,  xx,  2;  xxvi,  8-11  ;  —  «*  Ex.,  xn.- 
«8  Num.,  XXI,  9.  —  î3  Levit.,  xvi,  20.—  »*  Levit.,  xxvii,  11.  —  *«  Heb.,ix, 
9-28;  Apoc,  xiii,  8.  lUa  omala  figurae  nostrae  eraot,  sicat  Apostolus  dicit, 
quia  uni  Deo  exhibebaotur,  non  tauquam  indigent!  talibus,  sed  tempera 
dlstinguenti,  et  jubenti  praesencia  per  quae  significaret  futura.  S.  Aug-, 
Cont.  Faust.,  xvi,  10.  Propbetiam  celebrabant  futurœ  victim»  quam 
Cbristus  obtulit,  xxi,  18.  In  eo  autem  populo  bsec  rite  celebrata  suot, 


N®  368]      SA  ME  SOUFFRANTE.  —  PRÉLUDES.         519 

ARTICLE   I. 
Prélades  de  la  Passion. 

§  I.  —  ConspiRATion  co?itre  le  Sauyecr.  Matth.,  xxti,  3-5; 

Joan.,  XI,  46-56. 

.%7.  —  L'assemblée  dont  parle  S.  Matthieu,  xxvi,  3,  est-elle  la  même 
qae  celle  dont  il  est  question  en  S.  Jean,  xi,  47? 

Dans  S.  Matthiea,  comme  dans  S.  Jean,  il  s'agit  du  Sanhé- 
drin ^  :  c'est  donc  le  même  Conseil,  mais  ce  n'est  pas  la  même 
séance.  S.  Jean  parle  d'ane  réunion  qui  eut  lieu  immédiate- 
ment après  la  résurrection  de  Lazare.  Sur  la  proposition  du 
grand-prêtre,  on  y  prit  la  résolution  de  mettre  Jésus-Christ 
àmort;  il  restait  à  s'entendre  sur  le  temps,  le  lieu,  lesmoyens. 
On  eut  d'abord  l'intention  de  laisser  passer  les  fêtes  de 
Pâques,  pour  ne  pas  s'exposer  à  soulever  les  Galiléens, 
venus  en  grand  nombre  à  cette  solennité  *.  L'offre  de  Judas 
fit  hâter  l'exécution,  et  l'immolation  de  l'Agneau  divin  s'ac- 
complit précisément  au  jour  qui  avait  été  fixé  dans  la  Loi, 
quinze  siècles  auparavant  *. 

368.  —  Que  signifient  ces  mots  de  S.  Jean  sur  Caiphe  :  Cum  esset 
Pontifex  anni  illiiu,  etc.,  Joan.,  xi,  49? 

I.  Les  interprètes  se  divisent  dans  l'explication  de  ce  pas- 
sage. Suivant  un  certain  nombre,  par  ces  mots,  Pontifex 
anni  illitis,  répétés  encore  plus  loin  *,  S.  Jean  voudrait  indi- 
quer que  c'était  la  première  année  du  pontificat  de  Caïphe, 
le  Sadducéen.  Suivant  d'autres,  son  intention  serait  de  faire 
sentir  l'avilissement  du  pontificat  juif,  sujet  à  passer, 
presque  chaque  année,  d'une  personne  à  une  autre,  au  gré 

cujus  et  regnum  et  sacerdotium  prophetia  erat  venturi  régis  et  sacer- 
dotis.  XXII,  17.  Cf.  S.  Th.,  p.  3,  q.  48,  a.  3  ;  Thomassin,  de  Incam,^  x. 
Cf,  A,  Tm  n.  392,  393,  402. 

1  Supra,  n.  124.  —  ^  Matth.,  xxvi,  5.  —  3  Ex.  xii,  6.  Divine  intelli- 
gimus  dispositum  fuisse  consilio  ut  sacrilegi  Jndaeorum  principes,  qui 
sasviondi  in  Christum  occasiones  saepe  quaesiverant,  nonnisi  in  solemni- 
tate  paschali  exercendi  furoris  acciperent  potestatem,  S.  Léo,  Serm,  tvi,  1. 
—  *  Joan.,  xvin,ll3. 


820  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n*»  368 

des  gouverneurs  romains,  et  perdant  à  la  fois  rinamovibililé, 
la  considération  et  la  sainteté  *.  Plusieurs  croient  qu'il 
signale  cette  année  entre  les  autres  parce  qu'elle  a  été  mar- 
quée par  des  événements  d'une  suprême  importance,  surtout 
par  la  substitution  du  sacerdoce  de  Jésus-Christ  à  celui 
d'Aaron  *.  Ces  deux  dernières  interprétations  sont  assez 
plausibles,  mais  la  première  est  sans  fondement'.  Quanta  la 
supposition  qu'Anne  et  Caïphe  auraient  exercé  le  pontificat 
alternativement  d'année  en  année  *,  elle  n'est  autorisée  par 
aucun  exemple.  S'il  est  dit  dans  les  Actes  qu'Anne  était 
prince  des  prêtres  •,  cela  signifie  seulement  qu'il  était  à  la 
tête  d'une  famille  sacerdotale  ;  car  S.  Luc  distingue  parfai- 
tement en  cet  endroit  le  grand-prêtre  des  princes  des 
prêtres  ". 

II.  Quant  à  la  liaison  qu'établit  S.  Jean  entre  la  prophétie 
de  Caïphe  et  son  titre  de  grand-prêtre  :  Cum  esset  pontifex 
anni  illius,  prophetavit  '',  il  ne  pouvait  en  être  assuré  que 
par  révélation.  C'était  bien  l'usage  de  recourir  aux  grands- 
prêtres  dans  les  cas  difficiles  pour  connaître  la  volonté  de 
Dieu  ',  et  l'Ecriture  en  certains  endroits  semble  leur  attri- 
buer des  lumières  surnaturelles  •.  Mais  rien  n'autoriseà  dire 
que  le  don  de  prophétie  fût  une  de  leurs  attributions.  D'ail- 
leurs ce  mot  de  S.  Jean,  prophetavit^  ne  doit  pas  se  prendre  à 
la  lettre,  dit  S.  Thomas  *°  :  Non egit,  sed  actum  est  in  illo  ".Ce 
qui  résulte  des  paroles  de  l'Evangile,  .c'est  que  l'immolation 

1  Cf.  Act.,  XXIII,  5.  Joseph.,  A.,  VIII,  ii,  2;  XV,  m,  1  ;  XVffl,  ii,  2; 
m;  V,  3;  vi;  XX,  ix,  1,  4.  Caïphe  était  le  cinquième  Pontife  intronisé 
depuis  onze  ans.  Le  gouverneur  romain,  Valerius  Gratus,  avait  déporté 
successivement  les  quatre  précédents.  Supra,  n.  123.  Infra^  n.  491, 803. 
—  2  Cf.  Luc,  IV,  19.  —  3  Supra,  n.  133.  —  *  Cf.  S.  Aug.,  m  Joan., 
cxiii,  5.-8  Act.,  IV,  6.  —  «  Cf.  Act.,  v,  24,  27.  Supra,  n.  133.  —  "^  Joan., 
XI,  50,  51.  —  8 1  Reg.,  XIV,  18-20;  xxiii,  9,  etc.  —  »  Cf.  Ex.,  xxviii,  30; 
Nam.,  xxvii,  17-23;  I  Reg.,  xxviii,  6;  Joseph.,  5.,  III,  viii,  3.  Infra, 
n.  445.  —  *o  Cum  aliquis  cognoscit  se  moveri  a  Spiritu  sancto  ad  aliquid 
aestimanduin  vel  significandum  verbo  vel  facto,  hoc  proprie  ad  prophetiam 
pertinet.  Cum  autem  movetur,  sed  non  cognoscit,  non  est  perfecta  pro- 
phetia,  sed  instinctus  propheticus.  2«-2»,  q.  173,  a.  4.  Spiritus  sanctus 
CaiphsB  nec  mentem  illuminavit,  nec  intentionem...  Unde  patet  quod 
non  magis  possit  dici  propheta  quam  asina  Balaam.  In  Joan,,  xi,  lect.  2, 
Cf.  Num.,  XXIV,  n.  —  n  S.  Aug,,  Sei^m,  cccxv,  2, 


N»  369]      SA  VIE  SOUFFRANTE.  —  PRÉLUDES.         521 

du  Sauveur  a  été  décidée  par  celui  qui  avait  charge  d'offrir 
chaque  année  le  sacrifiée  d'expiation  pour  le  peuple.  Le 
grand-prétre  désigne  bien  ici  et  immole  en  quelque  façon  la 
victime  divine  qui  va  satisfaire  pour  les  péchés  du  monde 
entier  *.  En  cela,  il  est  sans  le  savoir  l'instrument  du  ciel  et 
l'organe  de  l'Esprit  de  Dieu. 

§11.  —  Repas  a  Béthanie.  Matth.>  xiyi,  6-1  S. 

*  369.  —  Le  repas  décrit  par  S.  Jean,  xii,  2,  est-il  différent  de  celui  qui 
eut  lieu  chez  Simon  le  lépreux,  Matth.,  xxvi,  6,  et  de  celui  que  dé- 
crit S.  Luc  ,  VII,  36? 

I.  Il  est  probable  que  le  repas  décrit  par  S.  Jean  est  le 
même  que  S.  Matthieu  nous  dit  avoir  eu  lieu  chez  Simon. 
Les  deux  Evangélistes  placent  la  scène  à  Béthanie  ;  les  ré- 
cits présentent  les  mêmes  circonstances  et  se  rapportent  à 
la  même  époque.  Le  Sauveur  revint  dans  ce  bourg  six  jours 
avant  Pâques,  comme  ledit  S.  Jean,  le  samedi  soir  par  consé- 
quent, un  peu  avant  le  repas,  ou  le  vendredi,  si  l'on  compte 
les  six  jours  à  partir  du  jeudi  soir  où  la  fête  commençait. 
Si  S.  Matthieu  parle  de  deux  jours  avant  Pâques,  quelques 
versets  plus  haut  ",  c'est  à  propos  d'un  autre  fait,  de  la  ré- 
solution prise  par  le  Sanhédrin  de  faire  mourir  Jésus;  et 
cette  anticipation  n'empêche  pas  qu'il  ne  décrive  ensuite  très 
naturellement  ce  repas  de  Béthanie,  qui  a  fourni  à  Judas 
l'occasion  de  quitter  son  Maître  et  de  le  vendre  aux  Juifs. 
Que  Lazare  et  ses  sœurs  assistent  au  festin,  ce  n'est  pas  une 
preuve  qu'il  eut  lieu  chez  eux.  Celui  qui  l'offrait  ne  pouvait- 
il  pas  être  de  leurs  parents  ou  de  leurs  amis?  C'est  même 
probablement  parce  qu'on  n'était  pas  chez  eux  que  S.  Jean 
croit  devoir  signaler  leur  présence  et  surtout  le  zèle  de 
Marthe  à  servir  les  convives.  Ici  comme  ailleurs,  le  dernier 
évangile  complète  les  précédents,  en  ajoutant  à  leur  ré- 
cit de  nouveaux  traits.  S.  Matthieu  et  S.  Marc  disent  :  une 
femme;  S.  Jean  dit  :  Marie,  sœur  de  Lazare.  Ils  parlent  de 

1  Non  tantum  pro  gente,  sed  ut  filios  Dei  qui  erant  dispersi  in  mundo, 
congregaret  in  unum.  Joan.,  xi,  52,  Cf.  Pet.,  ii,  iO.  —  ^  Mattli.,  xxvi,  2 


822  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n^  370 

ronction  de  la  tête  seulement  ;  lui  signale  l'onction  des  pieds. 
IL  Le  repas  mentionné  par  S.  Luc  eut  lieu  assez  long- 
temps auparavant,  en  Galilée,  et  selon  toute  apparence  à 
Naïm  ^  On  ne  peut  donc  pas  le  confondre  avec  celui  qui  eut 
lieuàBéthanie  six  jours  avant  la  Pâque,  ou  Notre  Seigneur  eut 
à  reprendre  les  sentiments  de  Judas,  et  non  ceux  de  Simon. 
Seulement  on  peut  demander  si  ce  n'est  pas  le  même  Simon 
qui  les  a  donnés  l'un  et  l'autre.  La  plupart  distinguent  Si- 
mon le  pharisien  •  de  Simon  le  lépreux  '.  Ils  ne  semblent 
pas,  disent-ils,  avoir  le  même  domicile,  ni  le  même  carac- 
tère, ni  les  mêmes  dispositions  envers  le  Sauveur  *,  Ce  n'est 
pas  là  pourtant  une  démonstration.  Il  n'est  pas  sûr  que  Si- 
mon fût  de  Naïm,  ni  même  de  Galilée  :  S.  Luc  ne  le  dit  pas; 
et  quoique  pharisien,  il  avait  pu  être  guéri  de  la  lèpre  par 
Notre  Seigneur  et  changer  de  sentiment  à  son  égard. 

*  370.  —  Est-ce  la  môme  personne  qui,  dans  ces  deux  circonstances, 
Luc,  Tii,  38;  Joan.,  xii,  3,  a  versé  des  parfums  sur  les  pieds  du 
Sauveur? 

Le  sentiment  commun  est  qu'il  n'y  a  point  de  distinction 
à  faire  entre  la  pécheresse  de  S.  Luc  ',  Marie-Madeleine, 
délivrée  de  sept  démons  •,  Marie,  sœur  de  Marthe  ''^  et  Marie 
de  Béthanie  •.  Ce  sentiment  parait  bien  fondé.  En  effet  : 

1®  Tel  est  l'avis  des  docteurs  et  des  Pères  les  plus  anciens, 
celui  que  l'Eglise  romaine  a  toujours  suivi  dans  sa  liturgie'. 
S'il  s'agissait,  dans  ces  passages,  de  personnes  différentes, 
serait-il  possible  que  les  Apôtres  n'en  eussent  pas  instruit 
les  premiers  fidèles  ou  qu'il  se  fût  établi  dès  les  premiers 
temps  une  tradition  opposée  à  leur  enseignement  ? 

2^  Lorsqu'on  lit  simplement  l'Evangile,  l'idée  de  ces  dis- 
tinctions ne  s'offre  pas  à  l'esprit.  —  Après  avoir  rapporté 
la  conversion  de  la  pécheresse  chez  Simon,  S.  Luc  parle 

1  Luc,  VII,  11.  —  «  Luc,  VI,  36.  —  3  Mattb.,  xxvi,  6.  —  *  Si  potest 
unus  homo  habere  duo  nomina,  dit  à  ce  sujet  S.  Augustin,  multo  magis 
possunt  duo  homines  habere  unum  nomen.  De  Cons.  Evang.^  m,  69.  — 
s  Luc,  VII,  36-50.  —  «  Luc,  viii,  2.  —  ^  Luc,  x,  38-48.  —  »  Joan.,  xii,  3. 
—  »  Cf.  S.  Aug.,  De  consenni  evang.^  ii,  154.  S.  Greg.,  M,,  fn  Evang,, 
Hom,  XXV,  10  et  x^xm. 


N»  370]      SA  VIE  SOUFFRANTE.  —  PRÉLUDES.         823 

aussitôt  de  plusieurs  femmes  qui  avaient  été  guéries  ou  dé- 
livrées du  démon  par  le  Sauveur,  et  qui  l'assistaient  de 
leurs  biens  :  or,  la  première  de  toutes  est  Marie,  surnom- 
mée Madeleine.  —  Quand  S.  Jean  parle  de  Marie,  sœur  de 
Lazare  et  de  Marthe  *,  il  ajoute,  pour  la  faire  connaître,  que 
c'est  la  personne  qui  a  essuyé  de  ses  cheveux  les  pieds  du 
Sauveur.  A  qui  peut-on  penser,  sinon  à  la  pécheresse  qu'on 
sait  avoir  fait  à  Naïm  cet  acte  d'humilité  et  de  religion  *? 
—  On  ne  peut  pas  la  méconnaître  davantage  chez  Simon, 
où  cette  action  est  renouvelée  ',  ni  aux  pieds  du  Sauveur,  à 
la  maison  de  Marthe  *,  ni  au  pied  de  la  croix  ',  ni  au  tom- 
beau, où  elle  paraît  sous  le  nom  de  Marie-Madeleine  •.  Si  ce 
n'était  pas  là,  en  effet,  Marie  de  Béthanie,  comment  s'expli- 
quer son  absence,  l'absence  de  la  sœur  de  Lazare,  en  pa- 
reille circonstance?  D'ailleurs,  ce  sont  les  mêmes  habitudes 
qui  se  manifestent  partout,  et  l'identité  du  caractère  indique 
l'identité  de  la  personne'.  Mais  si  Marie  de  Béthanie  est  Ma- 
rie-Madeleine, délivrée  des  sept  démons,  peut-on  douter 
que  ce  ne  soit  la  pécheresse  de  Naïm,  celle  qui  a  témoigné 
à  Notre  Seigneur  tant  de  repentir  et  tant  d'amour? 

3®  On  ne  peut  opposer  à  ce  sentiment  aucune  difficulté 
réelle.  —  Une  même  personne  ne  peut-elle  pas  s'être  trou- 
vée en  Galilée,  chez  Simon  le  pharisien,  avoir  possédé  un 
bien  à  Magdala  ',  et  être  venue  chez  sa  sœur  à  Béthanie?  — 
Il  est  des  esprits  qui  répugnent  à  croire  que  le  Sauveur  ait 
témoigné  tant  de  bonté  à  une  pécheresse  •,  même  après  sa 
conversion.  Mais  n'a-t-il  pas  dit  lui-même  à  Simon  ce  qu'on 

*  Joan.,  XI,  2.-2  Luc,  vu,  37.  —  3  Matth.,  xxvi,  7.  —  *  Luc,  x,  39; 
Joan.,  XI,  32;  xii,  3.-5  Matth.,  xxvii,  56;  xxviii,  1;  Joan.,  xix,  25. — 
6  Matth.,  xxvii,  61.  Cf.  Joan.,  xii,  7;  xx,  1.  —  "^  «  H  y  a  des  choses  qui 
peuvent  être  répétées  par  Vâme  qui  les  a  conçues,  mais  qui  ne  peuvent 
être  imitées  par  une  autre.  Deux  fois  une  personne  se  jeta  aux  pieds 
du  Sauveur;  deux  fois  elle  y  répandit  la  liqueur  d'un  parfum  de  grand 
prix  et  les  essuya  de  ses  cheveux.  Quand  môme  l'Evangile  ne  nous  l'in- 
sinuerait pas,  quand  la  tradition  se  tairait,  nous  serions  assurés  qu'il 
n'y  eut  là  qu'une  seule  inspiration,  et  que,  si  Vonction  fut  double,  il  n'y 
eut  qu'un  cœur  pour  la  concevoir  et  qu'une  main  pour  la  faire,  comme 
il  n'y  eut  qu'un  Dieu  pour  la  recevoir.  »  Lacordaire,  Ste  Madel,  — 
*  Matth.,  xxvii,  56.  —  «  Af^apToXoç,  Luc,  vu,  37. 


824  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n<^  37i 

doit  penser  d'un  tel  sentiment*?  N'est-ce  pas  pour  les  pé- 
cheurs qu'il  est  venu  sur  la  terre  et  ne  voulait-il  pas  qu'on 
connût  ses  dispositions?  Ce  qu'il  a  fait  pour  Madeleine,  ne 
l'a-t-il  pas  fait  pour  la  Samaritaine  et  pour  une  infinité 
d'autres?  N'était-ce  pas  un  présage,  une  figure  de  la  grâce 
qu'il  destinait  à  toute  la  gentilité*?  Ne  l'a-t-il  pas  aussi  con- 
vertie? Ne  l'a-t-il  pas  régénérée,  honorée  du  nom  d'épouse 
et  mise  à  la  place  de  la  synagogue  infidèle?  —  Enfin,  si 
Marie,  sœur  de  Marthe,  n'était  pas  Marie-Madeleine,  ne  fau- 
drait-H  pas  dire  que  l'Eglise  est  loin  de  remplir  les  inten- 
tions du  Sauveur,  qu'elle  ne  comprend  même  pas  la  pré- 
diction qu'il  a  faite  au  repas  de  Béthanie,  puisqu'elle  attri- 
bue à  sainte  Madeleine  et  qu'elle  honore  particulièrement 
en  sa  personne  l'acte  de  religion  qu'il  a  signalé  en  Marie 
comme  devant  être  pour  elle  la  source  de  tant  de  gloire? 

Le  caractère  de  Madeleine  contraste  admirablement  avec 
celui  de  Judas  à  Béthanie,  comme  il  contraste  avec  celui  de 
Simon  à  Naïm. 

§  III.  —  Entrée  de  Notre  Seigneur  a  Jérusalem.  MaUh.^  xti, 

1-11;  Joan.,  xii,  12-43. 

{Dimanche  29  mars  33) 

Dessein  da  Sauveur.  —  Gentils  qui  demandent  à  le  voir.  —  Conséquences 

de  M  mort. 

*  371.  —  Pourquoi  le  Sauveur  veut-il  entrer  à  Jérusalem,  quelques  jours 
ayant  sa  Passion,  au  milieu  des  acclamations  populaires? 

En  faisant  ainsi  son  entrée  à  Jérusalem,  Notre  Seigneur 
a  un  double  but  :  —  1°  Celui  de  vérifier  les  prophéties, 
citées  par  S.  Matthieu*.  Elles  n'ont  jamais  eu  d'autre  accom- 
plissement, dit  S.  Chrysostome.  —  Celui  d'imiter,  à  sa  ma- 
nière, selon  qu'il  convient  à  son  caractère  et  à  ses  desseins, 
l'entrée  des  rois  dans  leur  capitale,  afin  de  rendre  sensibles 
pour  ses  disciples  ces  vérités  :  qu'il  est  vraiment  le  roi  d'Is- 

1  Luc,  VII,  40.  —  2  Matth.,  ix,  12,  13;  xviii,  12;  Luc,  xv;  xix,  10. 
Jésus  Christ,  comme  Dieu,  préfère  les  innocents,  dit  Bossuet;  comme 
Sauveur,  il  recherche  les  pécheurs.  —  3  Mat^i.,  xxi,  4,  5,  A»  T.,  n.  142. 


NO  3Î^2]    SA  Vie  ^OUI^FRaNTE.  —  ENtREE  A  JERtSALEM.  S28 

raél,  qu'il  va  commencer  à  exercer  sa  royauté,  que  son 
règne  sera  celui  de  la  douceur,  de  Thumilité,  de  la  bonté  et 
de  toutes  les  vertus  dont  l'esprit  de  Dieu  est  le  principe. 

Il  suffit  d'avoir  lu  quelques  voyages  en  Orient  pour  re- 
connaître que  les  détails  de  ce  triomphe,  si  modeste  qu'il 
ait  été,  n'eurent  rien  de  ridicule  ni  de  choquant  pour  ceux 
qui  en  furent  témoins*.  De  plus,  les  saints  Docteurs  ont 
montré  qu'ils  étaient  symboliques*  et  qu'ils  figuraient  le 
règne  prochain  du  Sauveur  sur  le  peuple  juif  et  le  peuple 
gentil  •. 

*  372.  —  Quels  sont  ces  Gentils,  qui  demandent  à  voir  Jésus, 

Joan.,  XII,  20,  21? 

Ceux  qui  demandaient  ainsi  à  voir  le  Sauveur  n'étaient 
pas  des  Juifs  hellénistes,  mais  ce  pouvaient  être  des  prosé- 
lytes de  la  porte*,  ou  bien  des  païens  superstitieux,  qui 
s'imaginaient  devoir  un  culte  à  toutes  les  divinités  et  qui 
étaient  venus  au  temple  avec  la  foule  *.  Ils  ne  sont  pas  ap- 
pelés eXXr^viaTai,  mais  sXXr^veç.  Plusieurs  tiennent  pour  pro- 
bable que  c'étaient  des  envoyés  d'Abgar,  ce  roi  d'Edesse, 
qui,  suivant  une  antique  tradition,  écrivit  à  Notre  Seigneur 
pour  l'inviter  à  passer  dans  ses  Etats.  C'est  ce  qu'Eusèbe  de 
Césarée  dit  avoir  trouvé  dans  les  archives  d'Edesse,  vers 
l'an  310  •,  et  ce  qu'affirme  un  évéque  du  quatrième  siècle, 
Moïse  de  Ghorène  (t425),  dans  son  Histoire  d'Arménie,  pu- 
bliée à  Londres  en  1736.  D'après  ces  auteurs,  le  Sauveur 
aurait  fait  répondre  par  S.  Thomas  qu'après  sa  mort,  Abgar 
recevrait  à  sa  place  un  de  ses  disciples  qui  lui  apporterait 
le  salut.  Et  en  effet,  ajoutent-ils,  après  l'Ascension  de  Notre 

4  Cf.  Judic,  V,  10;  x,  34;  xii,  14;  IV  Reg.,  ix,  13;  Ps.  cxvii,  26; 
I  Mac.,  XIII,  51.  Dans  une  médaille  d'Adrien,  on  voit  la  Judée,  sous  la 
figure  dune  femme,  venir  au-devant  de  lui  et  ses  enfants  lui  offrir  des 
palmes.  Madden,  Coins  of  Jews.  —  2  s.  Hier.,  In  Matth.y  xxi.  Brev. 
rom.,  Dom.  Palm.y  lect.  ix.  —  »  Ps.  cxvii,  25.  Is.,  x,  3-5.  Aringhi,  VI,  xi; 
Martigny,  Jérusalem,  —  *  Act.,  11,  5;  viii,  27.  —  «  Cf.  II  Mac,  m,  2-5; 
Act.,  viii,  27;  X,  2.  Philon  nous  apprend  qu'Auguste  faisait  offrir 
chaque  jour  des  sacrifices  en  son  nom  au  temple  de  Jérusalem.  Leg, 
ad  Caium.,  4.  Cf.  Joseph.,  A,,  UI,  xiii,  XVUI,  11,  viii,  10.  ~  «  Eusèbe, 
H.,  II,  13. 


826  JÉSUS-CHRIST  SELON  l^évangile.  [n^  373 

Seigneur,  S.  Thomas,  se  conformant  aux  instructions  de 
son  Maître,  aurait  envoyé  auprès  du  roi  d'Edesse  un  des 
soixante-douze  disciples,  Thaddée,  différent  de  S.  Jude,  ap- 
pelé aussi  Thaddée  *.  On  trouve  déjà  des  traces  de  cette  tra- 
dition dans  les  oeuvres  de  S.  Ephrem  *. 

Quoi  qu'il  en  soit  du  fait,  on  ne  peut  douter  que  la  re- 
nommée du  Sauveur,  au  moment  de  sa  Passion,  ne  s'étendît 
au-delà  de  la  Palestine  ',  et  il  n'est  pas  étonnant  que  des 
étrangers  aient  témoigné  à  ses  Apôtres  le  désir  de  le  con- 
naître. Les  paroles  qu'il  prononce  à  cette  occasion  :  Venit 
hora,  23,  font  ressortir  la  portée  de  ce  fait  et  la  signification 
que  S.  Jean  y  attache  *. 

373.  —  Que  signifient  ces  versets  :  Nunc  judicium  est  mundi;  nunc 
princeps  hujus  mundi  ejicietur  foras.  Et  egOy  si  exaltatus  fuerOy  om- 
nia  traham  ad  meipsuniy  Joan.,  xii,  31,  32? 

Ils  sont  l'annonce  du  grand  changement  qui  va  s'accom- 
plir. «  Le  sort  du  monde  et  de  son  prince  ^  va  être  réglé,  dit 
Notre  Seigneur  :  mon  règne  va  remplacer  celui  du  démon  ; 
et  c'est  mon  supplice  qui  fera  mon  triomphe.  »  En  effet  : 

1**  En  faisant  condamner  à  la  mort  le  Sauveur  des  hommes, 
le  démon  perdra  le  droit  et  la  puissance  dont  il  est  en  pos- 
session sur  l'humanité  coupable.  —  Les  enfants  d'Adam, 
infectés  par  le  péché  de  leur  premier  père,  sont  passés  sous 
l'empire  de  Satan,  pour  être  ses  esclaves  en  ce  monde,  et 
ses  victimes  en  l'autre  •.  Mais  du  moment  que  Jésus-Christ 
les  aura  rachetés,  qu'il  aura  versé  son  sang  pour  satisfaire 
à  la  justice  de  Dieu  et  mis  entre  leurs  mains  le  prix  de  leur 
rançon,  il  dépendra  d'eux  de  recouvrer  leur  liberté  et  de 
briser  le  joug  de  leur  tyran  \  —  Et  qui  sont  ceux  qui  vou- 

1  Euscb.,  H.y  II,  40.  Cf.  m,  1;  x,  25,  et  Acta  Sanctorum,  t.  lx, 
S.  Thaddée.  —  ^  s.  Ephrem.,  Testament.  —  3  Abiit  fama  ejus  in  totam 
Syriam.  Matth.,  iv,  24,  25;  xix,  1;  Marc,  vu,  24-26;  Luc,  vu,  17.  - 
*  Cf.  Joan.,  II,  19;  m,  14,  15;  x,  15,  16;  xii,  32.  —  «  Joan.,  xn,  31. 
Cf.  XIV,  30;  XVI,  11  ;  Eph.,  ii,  2  ;  vi,  12  ;  Col.,  ii,  15.  —  «  Joan.,  vu,  34; 
Rom.,  m,  9;  H  Tim.,  ii,  26.  —  '  Rom.,  m,  21;  II  Cor.,  v,  15-17;  Col., 
II,  14.  15;  Heb.,  ii,  14,  15.  Hac  die  portas  ferreas  confregit;  bac  die 
vectes  ferreos  contrivit.  Non  abstulit  vectes  tantum,  sed  contrivii..* 
Absorpta  est  mors  in  Victoria.  S.  Chrys.,  De  cœmet.  et  cruce,  2. 


j 


N®373]        SA  VIE  SOUFFRANTE.  —  DERNIERE  CENE.  S27 

dront  rester  sous  son  empire?  Un  grand  nombre  au  moins 
lui  échapperont  *.  Aujourd'hui  le  démon  reçoit  non  seule- 
ment Tobéissance,  mais  l'adoration  •  :  il  a  des  autels,  des 
prêtres,  des  prophètes  '.  Demain  ses  esclaves  deviendront 
ses  vainqueurs  ;  ils  feront  taire  les  oracles  *  ;  ils  le  chasse- 
ront de  ses  temples  '  et  quoi  qu'il  fasse  pour  retenir  sa  puis- 
sance, il  la  verra  de  plus  en  plus  abhorrée  et  méprisée  *. 

2""  En  se  sacrifiant  pour  le  salut  des  hommes  Notre  Sei- 
gneur acquerra  sur  eux  une  nouvelle  souveraineté  '.  — 
Aux  titres  qu'il  avait  de  Fils  de  Dieu  et  de  Verbe  incarné,  il 
joindra  celui  de  Rédempteur;  et  ceux  qu'il  aura  sauvés  de- 
viendront de  droit  ses  sujets  ^  Aussi  son  règne  ne  tardera- 
t-il  pas  à  s'établir  sur  la  terre  •.  Quel  que  soit  le  nombre  des 
indociles  et  des  ingrats,  l'élite  du  genre  humain  passera  sous 
ses  lois,  et  les  hommes  les  plus  vertueux  se  feront  gloire  de 
lui  appartenir  *®.  Le  spectacle  de  son  immolation  les  attirera 
à  lui  ;  et  il  se  les  unira  de  telle  sorte  par  le  lien  de  sa  grâce 
qu'ils  ne  feront  plus  avec  lui  qu'une  seule  personne  morale, 
qu'un  même  corps  dont  il  sera  le  chef  **.  Entre  lui  et  eux, 
tout  sera  commun,  l'esprit,  la  vie,  les  vertus,  la  destinée,  la 
gloire  *^  Ils  honoreront  Dieu  par  lui,  et  lui  le  servira  par 
eux  ;  et  eux  et  lui  seront  comme  une  même  hostie  et  un 


1  Rom.,  VI,  16-18,  20.  —  «  Ps.  xcv,  5;  Lev.,  x,  20;  Apoc,  ix,  20; 
XVIII,  2.-3  Matth.,  VIII,  39;  x,  8;  Act.,  xvi,  16.  —  *  Omnia  idola 
conticuerunt.  Ubi  ApoUo  Delphicus,  Deliusque  et  Clarius,  et  caetera  idola 
faturorum  scientiam  pollicentium?  S.  Hier.,  In  Ps.  xlii,  12.  Cf.  Juven., 
Sat.j  VI,  555.  —  *  Auratum  squalet  GapitoUum.  Fuliginc  et  arenarum 
telis  omnia  Homae  templa  cooperta  sunt.  Solitudinem  patitur  et  in  urbe 
gcntilitas.  Dii  quondam  gentium  cum  bubonibus  et  noctuis  in  solis 
culminibus  remanserunt.  Marnas  Gazae  luget  inclusas  et  eversionem 
tenipli  jugiter  pertlmescit.  Epist.  cvii,  12.  —  ^  Infrûy  n.  938.  —  "^  Rom., 

IV,  25;  Heb.,  ii,  14.  —  *  Joan.,  xii,  23;  xvii,  2;  11  Cor.,  v,  15;  I  Thess., 

V,  10.  —  9  VexiUa  militum  cnicis  insignia  sunt.  Regum  purpuras  et 
ardentes  diadematum  gemmas  patibuli  salutaris  pictura  condecorat.  Jam 
■^gyptius  Serapis  factus  est  Christianus.  De  India,  Perside,  iEthiopia 
monachorum  quotidie  turbas  suscipimus.   Hunni  discunt  psalterium 
Scythiœ  frigora  fervent  calore  fidei.  S.  Hier.,  EpisL  cvii,  2.  —  *o  Ps.  xlv,  1 
Is  ,  IX,  6,  IV,  10;  Joan.,  vin,  28;  ii,  20.  —  "  Eph.,  ii,  15;  iv,  12,  13 
Col.,  i,  20.  -   *>  Rom.,  viii,  16,  17;  I  Cor.,  i,  30;  Eph.,  ii,  5;  Heb., 
m,  U. 


B28  il£si!S-CHRl3T   SELOO    L'éVANGlLE.  [n"  374 

même  prêtre,  offrant  aii  ciel  le  même  sacrifice  dans  toute 
l'étendue  et  la  durée  de  l'Eglise  *. 

Prédiction  étrange  sur  les  lèvres  du  Sauveur  à  la  veille 
de  son  supplice,  et  qui  devait  bien  étonner  encore  soixante 
ans  plus  tard  sous  la  plume  de  S.  Jean  t  Aujourd'hui  nous  la 
voyons  en  grande  partie  réalisée.  L'empire  de  Jésus-Chi'isl 
a  renversé  celui  de  Satan,  et  est  devenu  le  plus  vaste  et  le 
plus  solide  de  tous  les  empires.  11  n'a  plus  qu'à  se  compléter 
sur  la  terre  *,  et  à  se  consommer  au  ciel  '. 

§  IV.  —  Cglëbrition  de  la  Paque.  Matth  ,  xiti,  IT-St. 

{Jeudi  %  avril  îi,  aprit  ti  eoueher  dK  $Bleil), 


la  Sauieni.  —  8.  J«id  al  la 


La  principale  solennité  du  peuple  juif  était  celle  de 

'  1  Pet-,  IV,  H.  —  'On  voit  encore  aujourdliui,  dans  les  pays  inl- 
dèles,  les  restes  de  la  domination  de  Satan  sur  les  tiommcs  et  sur  let 
choses,  sur  les  corps  comme  sur  les  imes.  Ce  qui  est  presque  incARoii 
chei  nous,  ce  qu'un  grand  nombre  refusent  de  croire,  les  possessionSi 
les  opérations  magiques,  les  apparitions,  les  oracles  sont  encore  U 
comme  au  temps  du  Sauveur  des  faits  manifestes  et  de  tous  les  joart. 
On  peut  interroger  Ik-dessus  les  missionnaires.  Mais  l'action  du  démon 
ne  manque  jamais  de  s'affaiblir  il  proportion  que  le  culte  du  vrai  Dien 
s'établit  et  que  la  religion  chrétienne  se  propage.  —  *  I  Cor.,  tii.  M; 
XV,  27;  Col,,  III.  —  *  Table  antique  d'un  Iricliniutir,  avec  ses  trois  liu 
de  repos,  muni  de  tapis  et  de  coussins.  On  voit  qu'elle  devait  Atre  la 
position  ds  S,  Jean  auprès  de  Notre  Seigneur;  et  comment  à  Bétlianie 
Madeleine  put  répandre  son  parfum  en  premier  lieu  sur  les  pieds  dn 
dltin  Maître. 


r 


N<^  378]      SA  Vie  souffrante.  —  dernière  cène.  529 

Pâques,  établie  en  mémoire  de  la  sortie  d'Egypte  ou  de  Taf- 
f ranch issement  du  peuple  hébreu.  Elle  commençait  le  soir 
du  quatorze  de  Nisan,  ou  avec  le  quinze  du  premier  mois 
de  Tannée  sainte,  à  la  pleine  lune  qui  suivait  Téquinoxe  du 
printemps,  par  la  manducation  de  l'Agneau  pascal,  suivant 
le  rite  prescrit  par  Moïse  K  La  Cène  légale,  figure  du  ban- 
quet eucharistique  *,  avait  donc  lieu  au  lever  des  étoiles,  à 
rinstar  du  dernier  repas  fait  en  Egypte,  la  nuit  même  où 
passa  l'ange  exterminateur  qui  mit  à  mort  tous  les  pre- 
miers-nés des  Egyptiens  '.  C'était  là  proprement  la  Pâque 
ou  le  début  de  la  solennité  des  Azymes  *.  La  fête  durait  huit 
jours.  Pendant  toute  l'octave,  on  immolait  des  hosties  paci- 
fiques en  grand  nombre  et  on  continuait  à  user  des  pains 
azymes,  en  mémoire  des  pains  sans  levain  dont  les  Israélites 
avaient  été  forcés  de  se  nourrir  dans  leur  fuite  précipitée  •. 

375.  —  Jésus-Christ  a-t-il  fait  la  Pâque  la  veille  de  sa  mort,  suivant 
la  loi  de  Moïse  et  la  pratique  des  Juifs? 

L  Que  Jésm-Christ  ait  fait  la  Pâqm  avec  ses  disciples^  la 
mille  de  sa  mort,  c'est  un  fait  qu'il  n'est  pas  permis  de  con- 
tester, au  jugement  des  plus  graves  théologiens  •.  Nous  le 
voyons,  non  seulement  mentionné,  mais  décrit  avec  des  dé- 
tails presque  identiques  par  les  trois  premiers  évangélistes  : 
Discipuli  paraverunt  Pascha,  Matth.,  xxvi,  19.  Et  disctibuit. 
Luc,  XXII,  14.  Et  discumbentilms  eis  etmanducarUibus^  ait  : 
Vnus  ex  vobis  tradet  me.  Marc,  xiv,  18.  Et  ait  :  Desiderio  de- 
sideravi  hoc  Pascha  m^nducare  vobiscum...  Ex  hoc  jam  non 
manducabo  illud,  Luc,  xxii,  5-16.  Et  hymno  dicto  exierunt. 
Matth.,  XXVI,  30.  Le  mot  Pascha  ne  peut  avoir  que  son  sens 
propre,  son  acception  ordinaire,  soit  sur  les  lèvres  de  Notre 
Seigneur  et  de  ses  disciples,  soit  sous  la  plume  des  Evangé- 
listes. 

*  Levit.,  xxm,  5.  Cf.  Exod.,  xii,  14,  26,  27,  42;  Num.,  xxviii,  17-25.  — 
*  I  Cor.,  V,  7.  —  3  Exod.,  xii,  27;  Num.,  xxxiii,  3.  —  *  Levit.,  xxiii,  6. 
—  8  Exod.,  XII,  8,  39;  xxiii,  15;  Deut.,  xvi,  2,  3.  —  «  Benoît  XIV  qualifie 
ropinion  contraire  de  nimis  oMcLax.  De  FesL,  I,  vi,  7.  Suarez  est  plus 
sévère.  In  S.  Thom»,  p.  m,  q.  50,  a.  6;  sect.  3.  Cf.  Lett.  do  Witasse, 
Journal  des  Savants^  1696;  Wouters,  xxiv,  I. 

30 


830  JÉSUS-CHRIST  SELON  l*évangile.  [n»  375 

Aussi  ce  fait  n'a-t-il  été  nié  que  par  un  très  petit  nombre, 
par  Marcion  d'abord  (150),  hérétique  qui  donnait  pour  mau- 
vaises et  opposées  à  la  foi  chrétienne  toutes  les  pratiques 
mosaïques  *  ;  puis,  si  Ton  s'en  rapporte  aux  citations  de  la 
Chronique  pascale  *,  par  quelques  Docteurs  du  second  et  du 
troisième  siècle,  qui  voulaient  abattre  par  le  fondement  les 
prétentions  des  Ebionites  et  des  Quartodécimans  relative- 
ment a  la  célébration  de  la  Pâque  et  à  la  manducation  de 
l'Agneau  pascal  :  S.  Apollinaire  d'Hiérapolis  (t  183)  ',  Clé- 
ment d'Alexandrie  (t  217)  *,  S.  Hippolyte  de  Porto  (f  230)*. 
et  S.  Pierre  d'Alexandrie  (t  311)  «.  Si  l'on  joint  à  ces  auteurs 
quelques  écrivains  peu  connus:  Philoponus,  du  septième 
siècle,  Gédrénus,  du  onzième,  et  quelques  écrits  notés  par 
Photius  comme  opposés  au  sentiment  suivi  par  l'Eglise  \  on 
aura  à  peu  près  toutes  les  autorités  que  peuvent  réclamer 
en  leur  faveur  ceux  qui  ont  tenté  dans  les  derniers  temps 
de  faire  revivre  ce  sentiment,  le  P.  Lami  *,  le  P.  Tourne- 
mine  •  et  D.  Calmet,  lequel  se  croit  obligé  de  reconnaître 
qu'il  a  contre  lui  toute  la  tradition  *®. 

*  s.  Epiph.,  Hseres.f  xxx,  22  et  xui,  62.  —  2  Compilation  de  deux 
auteurs  inconnus,  du  rv«  au  viii*  siècle^  découverte  au  xvi«,  en  Sicile,  et 
contenant  de  nombreuses  indications  chronologiques  relativement  aui 
fêtes  juives  et  chrétiennes.  M.  Migne,  PatroL  grec.^  t.  xcii.  Les  ouvrages 
allégués  par  ces  deux  anciens  auteurs  en  faveur  de  leur  opinion  étant 
perdus,  il  n'est  pas  possible  d'en  constater  Texactitude  et  Tauthenticité. 
Cf.  Don  Calmet,  Dissert»  —  ^  Migne,  t.  xcii  et  v,  p.  1298.  S.  Apollinaire 
a  écrit  deux  livres  contre  les  Juifs  (Ëuseb.,  H,,  iv,  27).  H  n'allègue  en 
faveur  de  ses  idées  ni  la  tradition  ni  le  sentiment  commun.  —  *  Mignc, 
t.  xcii  et  IX,  p.  758.  —  ^  To  izcloxol  oux  eça^ev,  aXX'  enaôev,  dit  S.  Hippo- 
lyte dans  la  Chronique^  Migne,  t.  xciii  et  x,  p.  869,  870.  Cf.  S.  Aug.,  M 
Joan.^  Lv,  1.  —  6  Migne,  t.  xcn  et  xviii,  p.  518,  519.  —  ^  Photius  (tS^W» 
avertit  de  se  tenir  en  garde  contre  cette  opinion  singulière  :  Ista  matn- 
riori  consideratione  digna  sunt;  Chrysostomus  enim  et  Ecclesia  contra- 
rium  tenent.  Biblioth,  —  •  Traité  historique  de  tanc,  Pàque  des  Juifs. 
Suite  du  traité  :  Démonstration ,  etc.  —  '  Lettre  au  P.  Lami  sur  la 
dernière  Pâque  de  N,  S,  —  *o  «  Il  est  inutile  de  citer  des  témoignages 
particuliers.  On  admet  que  le  sentiment  opposé  est  celui  de  presque 
tous  les  Pères,  qu'il  a  été  suivi  par  le  Concile  de  Trente  et  qu'il  est 
généralement  reçu  dans  TEglise.  »  D.  Calmet,  Dissert,  sur  la  dernière 
Pâq.,  en  tête  du  Comment,  sur  S.  Matthieu.  Le  P.  Lami  dit  aussi  :  «  Le 
sentiment  que  je  défends  a  été  universellement  abandonné.  »  Traité  de 
la  Pâq.  y  Préf. 


N^  375]    SA  VIE  SOUFFRANTE.  —  DERNIÈRE  CÈNE.       531 

IL  Que  le  jour  où  Noire  Seigneur  a  fait  la  Pdque  avec  ses 
disciples  soit  bien  le  14  Nisan,  le  jour  même  où  les  Juifs  de- 
vaient manger  TÂgneau  pascal  et  où  ils  le  mangèrent,  ce 
point  a  moins  d'importance  que  le  premier;  mais  il  ne 
laisse  pas  d'être  établi  solidement  dans  les  Evangiles  et  dans 
la  tradition.  En  effet  : 

1«  Le  récit  que  les  Synoptiques  font  de  la  dernière  Cène 
ne  permet  pas  de  douter  qu'elle  ne  se  soit  faite  régulière- 
ment, au  temps  et  de  la  manière  voulue  par  la  Loi  :  Venit  dies 
azymorum  in  qua  necesse  erat  occidi  Pascha  ^  Luc,  xxu,  7. 
Qmndo  Judcei  pascha  immolabant.  Marc,  xiv,  12.  Venerunt 
discipuli^  dicentes:  Vhi  vis  paremus  tibi...?  Matth.,  xxvi,  17. 
V espère  autem  facto,  discumbebat  cum  discipulis.  Matth., 
XXVI,  20.  Ils  ajoutent  que  l'on  se  mit  à  la  table  à  l'heure  lé- 
gale, facta  hora.  Luc,  xxii,  14;  et  que  le  lendemain  était  le 
jour  solennel  des  Azymes,  la  fête  pascale,  dies  solemnis,  fes- 
tus^  où  le  gouverneur  devait,  suivant  l'usage,  rendre  la 
liberté  à  un  prisonnier  *. 

2*  Si  l'on  met  à  part  les  exceptions  que  nous  avons  fait 
connaître,  presque  tous  les  Pères  et  des  Docteurs  qui  se 
sont  expliqués  sur  cette  question  disent  ou  que  Notre  Sei- 
gneur a  fait  la  Pâque  le  14  de  Nisan  •,  ou  qu'il  a  été  crucifié 
à  la  fête  des  Azymes  ♦.  Nous  ne  croyons  pas  nécessaire  de 

i  II  parait  qu'on  appelait  quelquefois  parmi  les  Juifs,  jour  des  Azymes^ 
premier  jour  des  Azymes^  celui  à  la  fin  duquel  on  commençait  à  faire 
usage  du  pain  non  fermenté,  c'est-à-dire  qu'on  faisait  de  ces  mots  le 
même  usage  que  les  étrangers,  ou  que  par  jour  on  entendait  l'intervalle 
du  matin  au  soir.  Le  nom  de  fête  ou  de  jour  solennel  des  Azymes  était 
réservé  au  lendemain  et  à  l'octave  qui  suivait.  —  *  Matth.,  xxvii,  15; 
Marc,  XV,  6;  Luc,  xxiii,  17.  Cf.  Joan.,  xviii,  39.  —  3  Polycrat.  Cf. 
Euseb.,  H. y  V,  24  et  ApoUin.  (Migne,  Pat.  grsBC.^  v,  1298);  S.  Iren., 
II,  XXII,  23.  Cf.  IV,  X,  1;  xxiii;  Origen.,  In  Levit,,  Hom.  ix;  In  Matth. ^ 
n.  79  (Migne,  xiii,  p.  1728);  S.  Amb.,  EpisL  xxiii,  2,  12.  13;  Theophil. 
d'Alex.,  Ad  Theodos.,  5  (Migne,  lxv,  p.  51);  S.  Cyrill.  dAlex.,  Ad  Pa- 
tres Conc.  Carthag.;  S.  Hieron.,  In  Matth.,  xxvi,  26^  etc.  —  *  S.  Justin., 
Dialog.f  n.  111  ;  S.  Iren.,  II,  xxii,  3;  S.  Chrys.,  In  Matth.,  fiom.  lxxxi,  1, 
et  de  prod.  Juda,  Hom.  i,  n.  4;  S.  Aug.,  Epist.  xxx,  xxxvi,  30;  Ter- 
tullien ,  dont  le  sentiment  parait  assez  clair,  puisqu'il  fixe  la  Passion , 
prima  die  azymorum.  Adv.  Jud,,  x.  !Nam  e  tôt  festis  Judœorum  Paschœ 
diem  elegit.  Adv,  Marc,,  iv,  40.  Et  ut  prophétise  adirnplerentur,  pro- 


532  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n*^  376 

faire  ici  rénumération  de  ces  Pères,  mais  nous  ferons  re- 
marquer :  que  le  sentiment  actuel  de  l'Eglise  témoigne  de 
son  sentiment  ancien  ;  que  pour  la  faire  varier  à  cet  égard, 
il  aurait  fallu  des  considérations  bien  puissantes,  ou  plutôt 
des  preuves  péremptoires  de  la  fausseté  du  sentiment  con- 
traire; que  la  constance  et  la  fermeté  de  sa  conviction  sont 
attestées  par  la  liturgie*  et  par  le  concile  de  Trente*;  que 
la  principale  raison  de  l'usage  du  pain  azyme  pour  le  saint 
sacrifice  a  toujours  été  que  Notre  Seigneur  avait  dû  s'en 
servir  dans  l'institution  de  l'Eucharistie  *  ;  que  les  Pères  les 
plus  anciens  dont  nous  citons  le  témoignage  ne  font  jamais 
supposer  qu'ils  s'écartent  de  la  tradition  ;  enfin  que  le  pre- 
mier motif  allégué  par  les  Ebionites  et  les  Quarto-décimans 
pour  faire  leur  Gène  et  célébrer  la  Pâque  le  14,  c'est  que  le 
Sauveur  l'avait  faite  lui-même  ce  jour-là,  juxta  evangelium^; 
à  quoi  les  catholiques,  qui  faisaient  la  Pâque  le  dimanche 
suivant,  se  contentaient  de  répondre  qu'il  avait  eu  des  rai- 
sons pour  agir  ainsi,  mais  que  la  loi  ancienne  étant  abolie, 
ces  raisons  n'existaient  plus,  et  qu'on  n'était  pas  fondé  à 
porter  l'imitation  jusque-là  •. 

376.  —  S.  Jean  contredit-il  les  Synoptiques  sur  le  jour  de  la  dernière 
Cène,  ou  bien  oblige-t-il  à  les  interpréter  autrement  qu*on  ne  fait 
d'ordinaire? 

Tous  les  auteurs  qui  s'écartent  du  sentiment  que  nous 

peravit  dies  vesperam  facere,  Id  est  tenebras  efflcere,  quae  média  die 
factae  sunt,  atque  ita  dies  festos  vestros  convertit  Deus  in  luctum.  Adv. 
Jud  j  X.  Si  Ton  pensait  que  le  Sauveur  est  mort  au  milieu  de  la  journée 
du  14,  pourrait-on  dire  qu'il  a  choisi  pour  mourir  la  fête  des  Azymes, 
qui  avait  lieu  le  lendemain? 

1  Noctis  recolitur  cœna  novissima.  Qua  Christus  creditur,  etc.,  Off. 
SS.  Sacram,  —  *  Sess.  xxii,  de  Sac.  Miss.^  i.  —  3  I  Cor.,  iv,  7.  Léo  IX, 
Epist.  adv.  Mich.  Cerul.;  Mabillon,  de  Pane  eucharistico;  Honoré  de 
Ste-Marie,  de  la  Critique ^  ii.  Les  Grecs  s'en  abstiennent  pour  marquer 
leur  opposition  à  la  pratique  des  Ebionites  sur  ce  sujet.  Cf.  S.  Epiph.i 
H/fires.y  XXX,  15.  —  *  Polycrat.,  apud  Euseb.,  //.  J?.,  v,  24.  —  *  Orig., 
In  Malth.,  n.  79.  Cf.  Tilleraont,  Lett.  au  P.  Lami;  Mémoires  pour  Vhist. 
ecclés.f  t.  II  ;  Witasse,  Tract,  de  Euchar.;  Honoré  de  Ste-Marie,  de  la 
Critique  y  t.  ii.  Bible  de  Vence,  t.  xiii,  Réfiit,  de  D,  Calmet;  Wouters, 
XXIV,  3. 


N«376]        SA  VIE  SOUFFRANTE.  —  DERNIERE   CÈNE.  533 

venons  d'exposer  invoquent  S.  Jean  en  leur  faveur.  Ils  se 
rangent  en  deux  classes  bien  distinctes.  —  Ceux  de  la  pre- 
mière déclarent  que  le  récit  de  cet  évangéliste  est  inconci- 
liable avec  celui  des  Synoptiques,  et  que,  par  conséquent,  l'un 
ou  l'autre  de  ces  récits  doit  être  abandonné.  Généralement, 
c'est  celui  de  S.  Jean  qu'ils  rejettent,  comme  suggéré  à  l'au- 
teur par  le  désir  de  faire  reconnaître  en  Jésus-Christ  le  vé- 
ritable Agneau  pascal  et  de  détourner  les  chrétiens  de  la 
Pâque  légale.  Tel  est  le  sentiment  des  rationalistes  *,  et 
même  d'un  bon  nombre  de  protestants,  prétendus  ortho- 
doxes, qui  restreignent  à  la  doctrine  l'inspiration  des  écri- 
vains sacrés  *.  —  Ceux  de  la  seconde  classe  n'imputent  pas 
d'erreur  aux  Evangélistes.  Suivant  eux,  S.  Jean  ne  contredit 
pas  les  Synoptiques,  mais  il  donne  la  clé  de  leur  récit;  il  y 
jette  un  nouveau  jour,  et  il  force  le  lecteur  qui  réfléchit  de 
reconnaître  que  le  Sauveur  n'a  pas  célébré  réellement  la 
Pâque  légale,  ou  que,  s'il  l'a  faite,  il  en  a  anticipé  le  jour, 
ou  bien  qu'une  grande  partie  des  Juifs,  sinon  tous,  l'on  dif- 
férée jusqu'au  lendemain. 

Que  penser  de  ces  sentiments? 

I.  En  principe,  il  ne  saurait  y  avoir  de  contradiction  entre 
S.  Jean  et  les  Synoptiques.  Nous  en  avons  pour  garants, 
non  seulement  l'inspiration  des  Evangiles,  que  l'Eglise  nous 
atteste,  mais  encore  l'impossibilité  manifeste  qu'une  telle 
contradiction  ait  eu  lieu.  En  effet,  elle  est  impossible  sous 
tous  les  rapports  et  à  tous  les  points  de  vue.  Impossible  que 
les  trois  Synoptiques  aient  été  dans  l'erreur  ou  qu'ils  aient 
voulu  tromper  sur  un  fait  tel  que  la  célébration  de  la  Pâque 
au  début  de  la  Passion.  Impossible  que  S.  Jean,  qui  n'a 
écrit  que  pour  compléter  et  confirmer  l'œuvre  de  ses  de- 
vanciers, ait  voulu  les  contredire  sur  ce  point  capital,  qu'il 
s'y  soit  résolu  sans  aucune  raison  sérieuse,  et  que,  s'il  a 
voulu  le  faire,  il  l'ait  fait  d'une  manière  si  peu  nette  que 
personne  ou  presque  personne  ne  l'a  remarqué.  Impossible, 
s'il  y  avait  eu  erreur,  qu'elle  n'eût  pas  été  aperçue  et  rele- 

*  Baur  e\  r^<49  4ç  TnJïinçue,  —  «  Supra,  n,  Zl* 

30, 


834  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n^  376 

vée  aussitôt,  de  quelque  part  qu'elle  vînt,  et  que  le  conflit 
n'eût  pas  donné  lieu  à  des  débats,  à  des  scandales,  à  des  di- 
visions. Impossible  surtout  que  dans  l'ardeur  des  discus- 
sions soulevées  dès  le  milieu  du  second  siècle  au  sujet  de 
la  célébration  de  la  Pâque,  chaque  parti  n'eut  pas  opposé 
évangile  à  évangile  et  traité  d'erroné  le  texte  qu'il  aurait 
trouvé  contraire  à  ses  prétentions. 

II.  De  fait,  si  l'on  étudie  les  quatre  Evangiles  sans  pré- 
vention, avec  la  déférence  que  l'on  doit  au  sentiment  de 
l'Eglise,  on  ne  tardera  pas  à  reconnaître  deux  choses.  D'un 
côté,  les  Synoptiques  sont  trop  nets  et  s'accordent  trop  bien 
dans  leur  récit  pour  se  prêter  à  une  interprétation  diffé- 
rente de  celle  qui  se  présente  naturellement  et  qu'on  en 
donne  d'ordinaire.  D'autre  part,  S.  Jean  ne  dit  rien  qui 
oblige  d'abandonner  les  Synoptiques  ou  de  réformer  l'inter- 
prétation commune.  A  la  vérité,  il  évite  de  parler  de  la 
Pâque  légale,  et  au  lieu  d'attester,  comme  les  Synoptiques, 
que  le  Sauveur  ne  l'a  pas  omise,  il  a  soin  de  faire  remar- 
quer aux  fidèles,  comme  l'Apôtre  S.  Paul,  que  c'est  Jésus- 
Christ  qui  est  maintenant  leur  Agneau  pascal  '.  Mais  faut-il 
s'étonner  de  cette  différence?  S.  Jean  n'écrivait-il  que  pour 
répéter  ce  que  les  autres  avaient  écrit?  N'y  avait-il  pas,  au 
moment  où  il  écrivait,  des  Judaïsants  trop  attachés  à  leurs 
vieilles  observances  pascales*,  à  qui  il  importait  d'inculquer 
cette  vérité,  que  la  Pâque  des  chrétiens,  la  victime  de  leur 
délivrance,  c'est  l'Agneau  divin,  immolé  sur  la  croix  aussi 
bien  qu'à  la  dernière  Cène  et  à  l'autel  •?  Rien  de  plus  facile, 
au  reste,  que  d'accorder  avec  le  sentiment  commun  les 
quatre  ou  cinq  passages  de  son  évangile  qu'on  a  coutume 
d'alléguer  pour  établir  que  le  Sauveur  n'a  pas  fait  la  Pâque, 
ou  qu'il  ne  l'a  pas  faite  au  jour  prescrit.  Ainsi,  par  exemple  : 

1  Cf.  Joan.,  I,  29;  xix,  31-33;  I  Cor.,  v,  7;  xi,  24,  25.  Cf.  I  Pet.,  i,  19; 
Apoc,  V,  6,  etc.  —  *  Cf.  Tert.,  de  Prsesc.y  53  (Apocr.);  Euseb.,  H.y  v, 
15,  20.  —  3  JRupert,  In  Exod.^  vi.  S.  Anselni.,  In  Maith,^  xxvi.  La  figure 
de  l'Agneau  pascal  a  été  accomplie  à  la  Cène,  dans  le  repas  eucharis- 
tique, aussi  bien  et  mieux  que  par  Timmolation  du  Calvaire;  mais  elle 
n'a  été  entièrement  .réalisée  que  par  les  deux  actes  réunis. 


NO  376 1        SA  VIE  SOUFFRANTE.  —  DERNIÈRE  CÈNE.  535 

l' S.  Jean  ne  dit  pas  que  le  Sauveur  a  fait  la  Cène  le  jour 
même  des  Azymes,  ou  à  la  fête  de  Pâques,  mais  la  veille  :  Dpo 
Tr^ç  esp-cTîç  Tcu  Uxzy^x,  ante  diem  festum  PaschœK  Soit.  Est-ce 
à  dire  qu'il  ait  en  vue  un  autre  jour  que  celui  qui  est  dési- 
gné par  les  Synoptiques?  Non.  Qn'on  se  souvienne  qu'il 
écrivait  pour  les  Gentils,  hors  de  la  Judée,  après  la  ruine  de 
Jérusalem,  sur  la  fin  du  premier  siècle.  Pour  les  Gentils, 
et  en  dehors  de  la  Judée,  les  jours  ne  commençaient  pas 
avant  minuit.  Par  conséquent,  la  Gène  ayant  été  célébrée  le 
jeudi  soir,  S.  Jean  pouvait  et  devait  dire,  pour  être  compris, 
qu'elle  avait  eu  lieu  la  veille  du  vendredi,  jour  des  Azymes, 
diei  Azymorum  qui  dicitur  Pascha*,  de  même  que  nous 
disons  :  <  la  veille  de  sa  passion  ;  »  pridie  quam  pateretur  '. 
N'est-ce  pas  ainsi  qu'il  parle  au  chapitre  xx,  9  :  t  Le  soir  de 
la  résurrection;  »  cum  sero  esset^  die  illo  ;  bien  que  le  jour 
légal  fût  terminé  et  que  le  suivant  fût  commencé  depuis  le 
coucher  du  soleil,  suivant  la  manière  de  compter  des 
Juifs  *? 

2*  Que  les  Apôtres  aient  cru  que  Judas  sortait  du  Cénacle 
pour  acheter  des  provisions  ",  ce  n'est  pas  une  preuve  qu'on 
ne  fût  pas  au  début  de  la  fête  de  Pâques  •.  Où  voit-on  que 
l'achat  des  aliments  fût  défendu  les  jours  de  fête,  surtout 
dès  la  veille  au  soir  et  lorsque  le  lendemain  de  la  fête  était 
un  sabbat'? 

3"  On  voit  bien,  à  là  vérité,  dans  S.  Jean,  que  les  Juifs 
s'abstiennent  d'entrer  chez  Pilate  avec  le  Sauveur,  afin  de 
pouvoir  prendre  part  au  repas  pascal,  iU  manducarent  Pas- 
cha*;  mais  s'agit-il  de  la  Cène  où  l'on  devait  manger  l'A- 
gneau pascal?  Ne  donnait-on  pas  le  nom  de  victimes  pascales 
ou  de  Pâque  à  tout  ce  qu'on  offrait  à  Dieu  et  qu'on  consom- 

1  Joan.,  xni,  l.  —  *  Luc,  xxii,  1.  —  3  Cf.  Luc,  xxii,  15.  —  *  S.  Thom., 
p.  3,  q.  46,  a.  9,  ad  1.  Cf.  Ex.,  xii,  5,  18.  Quelques  commentateurs  lient 
ces  mots  ante  diem  au  mot  sciens  qui  les  suit.  Cette  explication  enlève 
la  difficulté,  mais  ne  semble  pas  naturelle.  —  *  I  Joan.,  xii,  19.  —  «  Au 
contraire,  si  le  lendemain  avait  été  un  jour  ordinaire,  quelle  raison 
aurait-il  eue  de  sortir  si  tard  et  de  tant  se  presser  pour  faire  des  pro- 
visions? —  '  Exod.,  xir,  15,  16;  Lev.,  xxm,  7,  11,  15.  Num.,  xxviii,  18; 
Marc,,  XV,  42,  46;  Luc,  xxiii,  56.-8  Joan.,  xviii,  28. 


836  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'ëvângilë.  [n»  376 

mait  avec  du  pain  sans  levain  pendant  la  durée  des  Azymes? 
Plusieurs  passages  de  l'Ecriture  paraissent  l'établir  assez  so- 
lidement *. 

4**  Enfin,  il  est  vrai  que  S.  Jean  appelle  en  un  endroit  le 
jour  de  la  mort  de  Jésus-Christ,  parasceve  Paschœ^,  Mais 
d'un  côté,  on  ne  voit  nulle  part  que  la  fête  de  Pâques  fût 
précédée  d'un  jour  de  préparation.  D'un  autre  côté,  on 
trouve  souvent  le  mot  Pascha  employé  pour  désigner  toute 
la  solennité  pascale,  et  le  mot  irapacrxeuYj,  préparation,  Ye&i 
toujours  pour  désigner  le  vendredi  de  chaque  semaine, 
comme  le  jour  où  l'on  devait  préparer  tout  ce  dont  on  au- 
rait besoin  le  lendemain.  S.  Marc  atteste  que  tel  est  le  sens 
propre  de  ce  mot  ^  Rien  donc  de  plus  naturel  que  de 
rendre  parasceve  paschœ  par  le  vendredi  compris  dans  Voctave 
pascale,  et  c'est  dans  ce  sens  que  ce  terme  est  expliqué  par 
S.  Jean  lui-même,  puisqu'il  dit  simplement  ailleurs  paras- 
ceve et  parasceve  Judœorum  *. 

On  voit  qu'on  peut  résoudre  toutes  ces  difficultés  sans 
torturer  les  textes.  Il  n'est  pas  moins  facile  de  répondre  à 
l'objection  tirée  de  la  loi  du  repos  comme  prohibant  l'arres- 
tation, l'exécution,  la  sépulture  du  Sauveur  au  premier  jour 
des  Azymes  ^  Ces  actes  n'étaient  pas  plus  prohibés  que  les 
achats  aux  jours  de  fête.  Tobie  est  loué  pour  avoir  enseveli 
ses  frères  ces  jours-là,  cum  esset  diesfestusDomini^.  Le  vio- 
lateur du  sabbat  est  arrêté  le  jour  même  du  sabbat  et  mis  à 
mort  par  ordre  de  Dieu  ^  Si  les  ennemis  du  Sauveur  con- 
viennent d'abord  qu'ils  attendront  la  fin  de  la  solennité 
pour  mettre  la  main  sur  Jésus-Christ,  ce  n'est  point  par 

i  Immolabis  phase  Domino  de  ovibus  et  bobus,  etc.  Deut.,  xvi,  1-3. 
Cf.  Lev.,  VII,  10;  Num.,  xxviii,  16-24;  Jos.,  v,  H;  II  Par.,  xxx,  22-24; 
XXXV,  7-9;  Joan.,  xi,  55.  S.  Aug.,  In  Joan.^  cxiv,  2.  Joseph.,  B.  J.,  v,  3. 

—  2  Joan.,  XIX,  14;  xix,  31,  42.  —  3  Erat  Parasceve,  quod  est,  anie 
sahbatum,  IIpoffaêaTov.  Marc,  xv,  42.  Cf.  Luc,  xxiii,  54;  Joan.,  xix, 
31,  42,  Brev.  rom.,  de  S.  Sindone^  lect.  vu  ;  Infra,  n.  424.  S.  Jean  ajoute  : 
Ce  jour  du  sabbat,  y)  Yi^iepa  tov  (xaêSarou,  était  grand,  njv  (jteYaXv).  C'est- 
à-dire  :  Il  devait  être  respecté  comme  un  jour  saint,  ou,  si  l'on  veut, 
plus  respecté  que  les  autres  jours  de  Toctave  pascale.  Cf.  Joan.,  vu,  37. 

—  *  Joan,,  XIX,  31,  42.  —  *  Levit.,  xxiii,  7;  Luc,  xi,  i,  15;  xiv,  5.  — 
6  ToJ).,  XII,  12.  —  1  N^m.,  XV,  32-36,  Cf,  Luc,  iv,  16-29;  Act,,  xii,  4. 


N'^  376]        SA  VIE  SOUFFRANTE.   —  DERNIÈRE  CÈNE.  537 

crainte  de  violer  la  loi  du  repos*.  D'ailleurs  la  plupart  des 
actes  qu'on  dit  être  contraires  à  cette  loi  ont  eu  des  étran- 
gers pour  auteurs*,  et  Ton  peut  conclure  de  l'édit  même 
d'Auguste  en  faveur  des  Juifs  que  les  étrangers  ne  la  res- 
pectaient guère  ^ 

Il  est  bien  vrai,  et  nous  ne  voulons  pas  le  contester,  que 
ces  difficultés  se  résoudraient  également,  ou  même  que  la 
plupart  ne  se  présenteraient  pas,  si  les  Juifs  avaient  fait  la 
Pâque  le  lendemain  du  jour  légal,  un  jour  plus  tard  que 
Notre  Seigneur.  Mais  cela  suffit-il  pour  ériger  en  fait  cette 
supposition?  Non;  il  faudrait  l'établir  par  de  bonnes 
preuves,  et  l'histoire  n'en  fournit  aucune.  Ni  dans  l'Ancien 
Testament,  ni  dans  le  Nouveau,  ni  dans  Joséphe  *,  ni  dans 
aucun  auteur  ancien,  on  ne  trouve  la  trace  de  cette  déroga- 
tion à  la  loi  et  au  culte  mosaïques.  Au  contraire,  on  voit  des 
Juifs  devenus  chrétiens  se  séparer  de  leurs  frères  par  une 
attache  aveugle  et  opyiiâtre  au  jour  fixé  par  Moïse*.  Qu'il  y 
eût  quelque  difficulté  à  immoler  au  temple  en  un  seul  jour 
assez  de  victimes  pour  suffire  à  tout  le  peuple,  est-ce  une 
preuve  qu'on  ait  remis  au  lendemain  celles  des  Galiléens? 
Etait-il  plus  essentiel  d'immoler  toutes  les  victimes  dans 
l'enceinte  du  temple  que  de  faire  la  fête  ensemble,  en  un 
même  jour'?  Qu'il  fût  peu  commode  de  s'abstenir  de  tout 
travail  deux  jours  de  suite,  est-ce  une  raison  de  croire  qu'on 
ait  différé  la  fête  ou  qu'on  l'ait  réunie  au  sabbat?  N'est-il 
pas  vraisemblable  que  la  loi  du  repos  s'observait  moins  ri- 
goureusement les  jours  de  fête  que  le  septième  jour'?  Au 
moins  peut-on  dire  que  ces  considérations  ne  peuvent  four- 

1  Matth.,  XXVI,  5.  Cf.  Joan.,  vu,  22,  23,  32.  Supra,  n.  367.  —  2  Matth., 
XXVII,  26-36;  Act.,  ii,  23,  etc.  —  3  Joseph.,  A.,  XIV,  x,  XVI,  vi.  On  a 
encore  objecté  le  verset  22,  eh.  xii,  de  TExode,  où  il  était  défendu  aux 
Israélites  de  sortir  de  leurs  maisons  après  le  repas  pascal;  mais  il  suffit 
de  lire  ce  passage  pour  reconnaître  que  cette  prohibition  ne  concernait 
que  la  première  Pâquo  et  n'avait  pour  motif  que  l'attente  de  l'Ange 
exterminateur.  —  *  Cf.  Joseph.,  B.,  VI,  xii;  Philo,  In  vita  Mos.y  et  In 
Decal.  —  ^  Euseb.,  H.,  v,  23;  S.  Aug.,  de  Hxres.^  xxix;  S.  Theopliil., 
Apud  Migne,  t.  v,  p.  1370,  n.  6.  —  *  II  Parai.,  xxx,  16,  17;  xxxv,  56. 
Josèphe  prétend  qu'une  année  on  en  immola  256,000.  fl.,  VI,  ix,  3.  — 
^  Sabbatum,  requies  Domini.  Exod.,  xx,  8-10;  Levit.,  xiii,  3. 


538  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n»  377 

nir  que  des  conjectures,  et  qu'elles  ne  sauraient  prévaloir 
contre  les  témoignages  si  formels  des  trois  Synoptiques  K 

§  IV.  —  Institution  de  l'Eucharistie.  Matth.,  xxvi,  17-29; 

Joan.^  xui^  i-30. 

La  dernière  Gène,  —  l'Eacharistie,  —  la  Transsubstantiation,  —  le  Sacerdoce. 

377.  —  Pourquoi  Notre  Seigneur  a-t-il  lavé  les  pieds  de  ses  Apôtros 
avant  d'instituer  TEucharistie  et  le  sacrement  de  TOrdre? 

Notre  Seigneur  a  voulu  laver  les  pieds  de  ses  Apôtres 
avant  de  leur  donner  son  corps  et  son  sang  et  de  les  consa- 
crer prêtres,  pour  deux  raisons,  entre  autres  :  —  1*  Afin  de 
leur  faire  observer  qu'il  faut  une  plus  grande  pureté  pour 
participer  à  l'Eucharistie,  et  surtout  pour  la  consacrer,  que 
pour  prendre  part  au  repas  pascal  *.  Suivant  le  récit  de 
S.  Jean,  le  repas  était  commencé  avant  cette  ablution  S  et 
il  y  a  lieu  de  croire  que  la  Pâque  légale  était  achevée.  On  se 
mit  donc  de  nouveau  à  table  ^  —  2*  Pour  les  prémunir 
contre  l'orgueil,  au  moment  où  il  va  les  élever  au  comble 
des  honneurs  et  des  pouvoirs  ecclésiastiques,  et  pour  leur 
apprendre  par  son  exemple  à  se  mettre  aux  pieds  de  leurs 
frères  et  à  se  dévouer  à  toutes  les  humiliations  dans  l'inté- 
rêt de  la  gloire  de  Dieu  et  de  la  sanctification  des  âmes  •. 

1  Ben.  XIV,  de  Fest.,  I,  vi,  25.  Cf.  S.  Thom.,  p.  3,  q.  46,  a.  9;  et  q.  74, 
a.  9.  Quant  à  l'identité  de  la  première  Cène  rapportée  par  S.  Jean  et 
celle  que  décrivent  les  Synoptiques,  il  n'est  pas  possible  de  la  contester. 
L'une  et  l'autre  est  suivie  du  départ  pour  le  jardin  des  Olives  et  du 
commencement  de  la  Passion.  Judas  assiste  à  l'une  et  à  l'antre.  Dans 
l'une  et  dans  l'autre  y  le  Sauveur  annonce  la  trahison  dont  il  va  être 
l'objet  et  le  reniement  qui  aura  lieu  pendant  la  nuit.  Cf.  Matth.,  xxvi, 
23-25,  34;  Luc  ,  xxii,  21,  34;  Joan.,  xiii,  12-47,  21,  22,  38.  Dans  l'une 
et  dans  l'autre  encore,  il  recommande  à  ses  Apôtres  les  vertus  d'humilité 
et  de  charité.  Cf.  Luc,  xxii,  26,  27  et  Joan.,  xiii,  12-17.  —  *  O  XeXov(i£voç, 
qui  a  été  baigné,  baptisé.  Joan.,  xiii,  10.  Cf.  Gen.,  xviii,  19;  Jud.,  xix, 
21;  Luc,  VII,  44.  S.  Aug.,  et  Origen.,  In  hune  loc,  Martigny,  Ablution; 
Moïse  détachant  sa  chaussure.  —  s  Joan.,  xiii,  2,4,  —  *  Joan.,  xiii, 
12-26.  --  »  Joan.,  xiii,  4,  5,  14-17.  Cf.  Luc,  xxii,  25-29;  I  Cor.,  xii,  31; 
Jac  ,  y,  16.  Quantum  quisquc  intelligentia  profecerit,  tanto  magis  caveat 
superbiam  et  invidentiam.  Meminerit  evangelium  Joannis,  quanto  magis 
erigit  ad  contemplationem  veritatis,  tam  multo  amplius  praecipere  de 
dulcedine  caritatis,  S.  Auç.,  de  Cous,  Evang.,  iv,  20. 


NO  378]  âA  VIE  âOU^PRANTÉ.  —  L*EUCHAR1STIE.  8âD 

378.  —  La  manière  dont  l'Eglise  entend  le  mystère  de  l'Eucharistie 
est-elle  en  harmonie  avec  l'esprit  de  Notre  Seigneur  et  avec  les  prin- 
cipes d'une  sage  interprétation  ? 

I.  Rien  de  plus  contraire  "aux  apparences  sensibles  que  la 
présence  réelle  du  Sauveur  dans  rÊucharistie,  mais  rien  qui 
qui  s'accorde  mieux  avec  Tidée  que  la  foi  nous  donne  de  sa 
religion  envers  son  Père  et  de  sa  charité  pour  les  hommes  : 

i^  La  religion  le  portait  à  rendre  à  la  majesté  divine  le 
plus  de  gloire  possible.  Or,  quoi  de  plus  propre  à  glorifier 
son  Père  que  de  se  rendre  présent  en  son  humanité  à  tous 
les  lieux  et  à  tous  les  temps,  et  de  renouveler  partout  et  à 
tout  moment  son  divin  sacrifice?  Par  ce  moyen,  il  perpétue 
et  multiplie  ses  adorations  ici-bas,  et  il  donne  aux  nôtres,  à 
celles  que  nous  offrons  avec  lui,  toute  la  perfection  et  toute 
la  valeur  qu'elles  peuvent  acquérir. 

2°  A  quoi  devait  le  porter  l'amour  dont  il  est  animé  à 
notre  égard  ?  A  rester  au  milieu  de  nous,  à  se  faire  le  centre, 
le  lien  et  la  vie  de  nos  âmes,  à  s'immoler  pour  nous  autant 
qu'il  lui  était  possible  et  à  nous  mettre  à  même  de  profiter  dé 
son  sacrifice  en  ne  cessant  de  nous  immoler  avec  lui  et  par 
lui  *.  Or,  l'Eucharistie  n'est-elle  pas  le  moyen  le  plus  par- 
fait à  employer  pour  cela?  En  se  donnant  au  monde  par 
l'Incarnation,  il  avait  fait  en  faveur  du  genre  humain  tout  ce 
qu'il  pouvait  pour  contenter  son  amour.  Afin  de  compléter 
son  œuvre,  ne  convenait-il  pas  qu'il  se  donnât  à  chaque  in- 
dividu aussi  réellement  qu'à  l'humanité  entière,  de  sorte  que 
nulle  âme  n'eût  à  porter  envie  à  aucune  de  celle  qu'il  avait 
favorisées  de  sa  présence  durant  sa  vie  mortelle? 

II.  Quant  aux  paroles  de  l'Ecriture  sur  ce  mystère,  le  sens 
que  l'Eglise  leur  donne,  loin  de  choquer  la  raison,  est  le 
seul  qu'il  soit  raisonnable  d'y  reconnaître. 

1  Qui  habet  sponsam,  sponsus  est.  Joan.,  ,ii,  29.  Qui  suam  iixorem 
diligit,  seipsum  diligit.  Nemo  unqnam  carnem  suam  odio  habuit,  sed 
nutrit.  et  fovet  eam,  sicat  Christas  Ecclesiam  ;  quia  membra  sumus  cor- 
poris  ejas,  de  carne  ejas  et  de  ossibas  ejus.  Propter  quod  enint  duo  in 
carne  sua.  Sacramentum  hoc  magnam  est  ;  ego  autem  dico  in  Christo  et 
in  Ecclesia.  Eph.,  v,  28,  32.  Cf.  Rom,,  vixi,  32,  39. 


840  iESUS-GURIST  SELON  L^EVANGILË.  [n^  378 

1"  Est-il  croyable,  en  effet,  que  le  Fils  de  Dieu,  qui  con- 
naissait l'avenir  et  qui  savait  de  quelle  manière  on  enten- 
drait ses  paroles,  ait  choisi,  pour  exprimer  ce  dogme,  des 
termes  qui  devaient  être  pour  son  Eglise  une  cause  perma- 
nent d'erreur  et  d'idolâtrie,  dont  on  ne  commencerait  à 
soupçonner  le  véritable  sens  qu'après  un  laps  de  dix  ou 
quinze  siècles,  et  qui  continueraient  toujours  d'être,  pour 
les  âmes  les  plus  droites,  les  plus  éclairées  et  les  plus  saintes, 
le  fondement  d'un  culte  idolâtrique  et  sacrilège? 

2°  Gomment  s'imaginer  que  l'aliment  par  excellence  de  la 
piété,  la  source  des  vertus  les  plus  héroïques,  le  principe 
de  la  sainteté  chrétienne  depuis  dix-huit  siècles,  soit  une 
erreur  monstrueuse  dans  la  foi  et  une  pratique  damnable 
dans  le  culte  divin;  que  les  âmes  les  plus  dignes  des  faveurs 
et  des  bénédictions  du  ciel  aient  été  à  toutes  époques  les  plus 
aveugles  dans  leur  croyance  *,  et  qu'il  ait  fallu  des  hommes 
tels  que  Calvin,  Zwingle,  Luther,  pour  expliquer  le 
mystère  de  la  foi  à  l'Eglise  et  la  remettre  dans  la  voie  de  la 
vérité  *  ? 

3*  Enfin,  comment  admettre  que  le  pain  de  vie  figuré  par 
la  manne,  et  le  sacrifice  eucharistique  figuré  par  Melchisé- 
dech,  par  l'Agneau  pascal  et  partons  les  sacrifices  anciens, 
ne  soient  eux-mêmes  que  des  figures  et  des  ombres,  et 
qu'ainsi  les  mystères  du  Sauveur  aient  été  mieux  représen- 
tés dans  le  culte  mosaïque  qu'ils  ne  le  sont  dans  le  culte 
chrétien?  Est-ce  que  le  ministère  charnel  n'est  pas  inférieur 
au  ministère  spirituel  ^?  Est-ce  que  l'objet  figuré  ne  doit  pas 
l'emporter  sur  la  figure,  autant  que  la  substance  corporelle 
l'emporte  sur  son  ombre  ou  son  image? 

Aussi  l'Eglise  n'a-t-elle  jamais  hésité  sur  la  pensée  du 

^  Necesse  est  ut  omnes  fidèles,  omnes  Sancti,  omnes  casti,  continentes, 
virgines,  omnes  clerici,  levitœ  et  sacerdotes,  tanta  confessorum  miUia, 
tant!  martyram  exercitus,  tantus  postremo  jam  pêne  terrarum  orbis 
ignorasse^  errasse,  blasphémasse,  nescisse  quod  crederet,  pronantietar! 
Vinc.  Ler.,  Commonit ,  24.  —  ^  Nunquam  mihi  persuaderc  potui  Chrisr 
tum,  qui  veritas  et  caritas  est,  tandiu  passum  fuisse  dilcctam  sponsam 
suani  in  errore  tam  abominando  hœrere  ut  crustulum  farine  pro  ipso 
adoraret.  Erasm.,  Epist,  ad  Berum.  —  3  II  Cor.,  m,  7-11. 


N»  379]         SA  VIE  SOtFFRANtE.  —  L'EUCttARlâTlE.  Ml 

divin  Maître,  et  t  malgré  l'incrédulité  ou  la  trahison  d'un 
certain  nombre  ',  l'humanité  est  venue  au  banquet  de  la 
grâce  ;  elle  a  dressé  des  tables^  elle  a  bâl^i  des  monuments 
magnifiques  pour  couvrir  d'ombre  et  de  gloire  le  pain  dont 
il  avait  dit  :  Ceci  est  mon  corps.  Elle  a  cru  que,  puisqu'une 
mère  peut  porter  son  fils  dans  ses  entrailles  et  le  nourrir 
encore  de  sa  substance  après  l'avoir  mis  au  monde,  il  n'é- 
tait pas  impossible  à  Dieu  d'avoir  la  même  puissance  dans  la 
même  tendresse  et  de  renouveler  entre  lui  et  nous  les  mi- 
racles de  la  maternité  V  t 

*  379.  —  D'où  vient  que  S.  Jean  passe  soas  silence  Tinstitution  de  l'Eu- 
diaristie,  et  que  les  Synoptiques  la  rapportent  en  si  peu  de  mots? 

I.  S.  Jean  n'a  pas  écrit  pour  ajouter  son  témoignage  à 
celui  des  trois  premiers  Evangélistes,  mais  pour  suppléer  à 
ce  qu'ils  ont  omis  et  pour  mettre  hors  de  doute  ce  qu'on 
attaquait  de  son  temps.  Il  s'attache  surtout  aux  discours  du 
Sauveur.  Quoi  d'étonnant  qu'il  ait  retracé  la  promesse  plu- 
tôt que  l'institution  de  l'Eucharistie,  déjà  décrite  par  les 
trois  Synoptiques  et  par  l'apôtre  S.  Paul  %  et  qu'il  ait  cru 
plus  important  de  faire  connaître  les  effets  du  sacrement 
que  d'en  constater  la  réalité?  N'a-t-il  pas  fait  quelque  chose 
de  semblable  pour  le  sacrement  de  Baptême  S  pour  l'Ascen- 
sion de  Notre  Seigneur*,  pour  la  mission  du  Saint-Esprit  ', 
et  pour  la  primauté  de  S.  Pierre  '?  Du  reste,  la  solennité 
avec  laquelle  il  débute  dans  le  récit  de  la  dernière  Cène,  au 
chapitre  xiu,  l'annonce  qu'il  fait  d'un  témoignage  d'amour 
que  Notre  Seigneur  y  doit  donner  à  tous  les  siens,  suis  qui 
sunt  in  mundo  *,  et  par  lequel  il  doit  couronner  toutes  ses 
bontés  précédentes,  v^que  in  finem,  ne  s'expliquent  point 
par  le  lavement  des  pieds  ;  mais  le  lavement  des  pieds  lui- 
même,  la  leçon  d'humilité  qu'il  donne  à  ses  Apôtres,  la  pu- 

1  Jean.,  VI,  67.  —  «  JLacord.,  Conf.  79.  —  '  I  Cor.,  xi,  23-30.  —  *  Cf. 
Joan.,  m,  3-7,  et  Mattb.,  xxvm,  19.  —  »  Cf.  Joan.,  xx,  17,  et  Luc, 
XXIV,  51.  —  «  Joan.,  xiv,  16.  17,  26,  xvi.  7,  13,  et  Act.,  ii,  1.  -  *ï  Cf. 
Mattii.,  XVII,  17-19,  et  Joan.,  xxi,  15-17.  La  conclusion  à  tirer  du  silence 
de  S.  Jean  en  cet  endroit,  c'est  qu'il  s'agit  bien  de  TEucharistie  et  de 
son  institution,  dans  son  chapitre  vi.  —  *  Cf.  Joan.,  xi.  52. 

m.  3i 


842  JESUS-CttRÏSt  SELON  l*évangilë.  [no  380 

reté  parfaite  qu'il  exige  d'eux,  le  regret  qu'il  a  d'en  voir  un 
si  mal  disposé,  la  recommandation  qu'il  leur  fait  de  purifier 
leurs  frères  comme  il  vient  de  les  purifier,  ce  long  discours 
si  affectueux  et  si  sublime  qui  remplit  les  trois  chapitres 
suivants,  s'expliquent  par  l'institution  de  l'Eucharistie  et  du 
Sacerdoce.  S.  Jean  y  fait  donc  visiblement  allusion  K 

IL  Pour  les  Synoptiques,  la  simplicité  et  la  sobriété  de 
leur  récit  sont  la  meilleure  preuve  de  son  authenticité.  Si 
un  imposteur  eût  imaginé  de  décrire  l'institution  de  ce  sa- 
crement au  second  siècle,  lorsqu'il  y  avait  déjà  un  culte 
établi,  des  églises  et  plusieurs  ordres  de  ministres  reconnus, 
il  en  eût  fait,  selon  toute  apparence,  une  description  détail- 
lée et  un  tableau  magnifique.  Il  aurait  mis  dans  la  bouche 
de  Notre  Seigneur  une  formule  moins  brève.  D'ailleurs,  le 
court  récit  de  S.  Paul  n'est-il  pas  remarquable  par  sa  solen- 
nité»? 

*  380.  ~  Que  signifient  littéralement  ces  mots  de  S.  Matthieu  :  Bic  est 
sanguis  meus  novi  Testamentif  zxvi,  28,  et  ceux-ci  de  S.  Luc  :  Hic 
est  calix  novum  Testamentum  in  sanguine  meo,  xxii,  20  ? 

Les  premiers  signifient  :  t  Ce  qui  est  en  ce  calice  est  mon 
sang,  le  sang  du  Testament  nouveau.  »  Les  autres  :  c  Ce  ca- 
lice est  un  nouveau  Testament,  ou  fonde  un  Nouveau  Testa- 
ment, grâce  à  mon  sang  qu'il  contient  '.  »  Le  sens  de  S.  Mat- 
thieu ressort  du  texte  grec.  Dans  l'une  et  l'autre  de  ces  for- 
mules, on  reconnaît  une  allusion  à  la  manière  dont  l'ancienne 
alliance  avait  été  scellée  au  pied  du  Sinaï  *.  Pour  protester 
de  la  sincérité  de  cet  engagement,  des  victimes  avaient  été 
immolées  suivant  l'usage,  et  de  leur  sang  reçu  dans  douze 
coupes,  Moïse  avait  aspergé  douze  colonnes,  représentant 

1  Tout  le  monde  reconnaît  qu'au  moment  où  fut  écrit  le  quatrième 
évangile^  la  Cène  était  partout  célébrée  dans  FEglise^  et  qu'on  y  faisait 
partout  mémoire  de  Tinstitution  de  TEucharistie.  I  Cor.,  xi,  23-26.— 
"^  Son  but,  en  le  rappelant,  était  de  remédier  aux  abus  qui  s'étaient 
déjà  glissés  dans  la  célébration  de  la  Gène,  I  Cor.,  xi,  20  :  comment  ne 
remonterait-elle  pas  à  l'origine  de  rEglise,  vingt  à  vingt-cinq  ans  plus 
tôt?  —  3  Double  métonymie  :  le  contenant  pour  le  contenu  et  l'effet 
pour  la  cause.  Cf.  I  Cor.,  xi,  25.  -«  *  Ex.,  xxiv,  8.  Cf.  Jer.,  xxxi,  31. 


K"  38i]       Sa  vie  sou^rtiANtE.  —  l'eucharistie.  SiS 

les  donze  tribus,  en  disant  :  Hie  est  sanguU  textamenti  guod 
pepigit  Dominus  vobiseum  *.  Afin  de  sceller  et  de  cimenter 
le  Testament  nouveau,  Jésus-Christ,  qui  en  est  l'auteur  et 
qui  va  en  filre  la  victime,  fournit  lui-même  son  sang.  Il  en 
fait  boire  aux  douze  ApAtres,  pères  du  peuple  chrétien,  et 
il  en  offre  à  tous  ses  disciples.  Les  paroles  qu'il  prononce 
font  entendre  qu'à  la  Cène  il  y  a,  comme  il  y  eut  au  Sinaï, 
un  sacrifice  véritable,  une  victime  réellement  présente,  qui 
verse  son  sang;  et  à  laquelle  on  participe.  De  plus,  elles  in- 
sinuent qu'il  n'y  aura  plus  à  l'avenir  qu'une  seule  hostie 
pour  la  rémission  des  péchés:  Hoc  corpus...  Hic  sanguis; 
que  dans  le  Nouveau  Testament,  le  sang  de  l'Agneau  divin 
remplacera  celui  de  tant  de  victimes  qui  ruisselait  depuis 
l'origine  du  monde  *,  et  que  ce  sang  ne  purifiera  plus  seule- 
ment l'extérieur,  mais  le  fond  de  l'âme. 


Le  Sauveur,  ayant  rendu  grâce  à  son  Père,  euyjpioTT.oa;, 
changea  le  pain  en  son  corps  et  le  vin  en  son  sang  par  cette 
double  formule  que  les  prêtres  répètent  encore  aujourd'hui 

I  Cf.  Beb  ,  II,  15-20.  —  >  Cf.  Mal.,  i,  10,  11;  1  Cor.,  ii ,  26;  Heb,, 
tx,  11-S3;  x[i,  18-24.  Infra,  n.  813. 8U.  -  >  Représenutinns  du  BacriHce 
de  la  mesie,  pabUée»  par  le  P.  Garrucci.  Remaïqtter,  \  ganche,  l'autel 
Rur  lequel  Vli^i  oat  étendu  ;  et  autour  de  l'arbuste,  k  droite,  le  serpent, 
(Dteurda  péché,  qai  rend  l'initnolation  nécessaire  el  indique  le  caractère 
eipiatoire  du  sacriflco.  Le  premier  personnage  tient  une  corbeille  où 
est  le  païTi  eucharistique,  le  second,  le  linge  sur  lequel  il  doit  le  rece- 
voir,  le  quatrième  un  rouleau ,  symbole  de  srai  oCBcc  de  diacre  on  de 
pritra.  Martigny,  Volume. 


844  JESUS-CitRlST  SELON  L^£VANÛ1Lë«  [no  382 

pour  la  consécration  :  Hoc  est  corpus  meum...  Hic  est  sanguis 
meiAS,  novi  Testamenti^  etc..  Sur  les  lèvres  du  Fils  de 
Dieu,  de  telles  paroles  ne  pouvaient  manquer  de  produire 
l'effet  qu'elles  énonçaient  ;  elles  avaient  la  même  efficacité 
que  celles  par  lesquelles  il  guérissait  les  malades  ou  remet- 
tait les  péchés  :  Dimissa  es  ab  infirmitate  ttia  '.  Filitis  tum 
vivit  '.  Remittuntur  tibi  peccata  tua  *.  Le  verbe  est  opère  et 
montre  déjà  fait  ce  dont  la  réalité  est  affirmée.  Fiat  eût 
moins  convenu  :  il  pourrait  s'entendre  d'un  simple  vœu. 
En  tous  cas,  ce  mot  porterait  l'attention  sur  l'opération 
plutôt  que  sur  le  résultat.  Quant  au  mot  hoc,  il  ne  doit  pas 
être  regardé  comme  un  substantif  indépendant,  mais  comme 
un  pronom  relatif  qui  s'accorde  avec  corpm,  et  il  faut  l'en- 
tendre de  la  même  manière  que  hic  dans  ces  propositions  : 
Hic  est  panis  quem  dédit  vobis  Dominus  ad  vescendum*.  Hic 
est  Filim  meus  dilectm^.  Hic  est  hœres'^.  Hic  est  omnium 
Dominus^.  *  C'est  mon  corps...  C'est  mon  sang.  >  Ces  pa- 
roles opérant  ce  qu'elles  expriment,  c'est  par  leur  énoncia- 
tion  même  que  le  sujet  et  l'attribut  s'identifient  dans  le 
même  objet. 

*  382.  —  Gomment  le  Sauveur  dit^il  de  sa  chair  qu'eUe  est  donnée 
pour  nous  :  pro  vobis  datur^  au  présent,  et  de  son  sang  qu'il  est  ré- 
pandu, exYvvofUvov,  pour  la  rémission  des  péchés? 

Notre  Seigneur  parle  au  présent  de  sa  chair  immolée  et 
de  son  sang  répandu,  pour  deux  raisons  :  —  !•  Parce  que, 
dés  ce  moment  même  et  dans  cette  action,  il  offre  Son  corps 
et  son  sang  en  sacrifice  de  propitiation  en  notre  faveur,  et 
qu'il  doit  persévérer  jusqu'à  la  fin  des  temps  dans  cette 

1  s.  Luc  et  S.  Paul  rendent  un  peu  différemment  la  même  pensée  : 
Hic  est  calix  novum  testamentum...  Hic  calix  novum  testamcntum  est 
in  moo  sanguine  (m  pour  per),  Luc,  xzii,  20  ;  I  Cor.,  xi,  25.-3  Luc, 
XIII,  12.  ^  8  Joan.,  iv,  50.  —  *  Luc,  vu,  48.  Par  la  parole,  Thomme  ex- 
prime sa  pensée.  Dieu  sa  puissance.  »  S.  Aug.,  Epist,  xlix,  «  Les  paroles 
d'un  homme  sincère  disent  ce  qui  est  :  les  paroles  toutes  puissantes  du 
Fils  de  Dieu  font  ce  qu'elles  disent.  »  Fénelon ,  Sur  la  communion,  — 
5  Exod.,  XVI,  15.  —  6  Matth.,  xvii,  5.  —  ^  Matth.,  xxi,  38.  —  «  Act., 
X,  36.  Cf.  Brev.  rom.,  Off,  votiv,  SS.  Sacrant,,  mense  sept.,  et  Inf.  OcL 
Co)*p,  Dom.j  fer.  iv,  lect.  iv-vi. 


N®  383]         SA  VIE  SOUFFRANTE.  —  l'BUGHARISTIë.  845 

oblation  sacramentelle.  C'est  ce  qui  parait  surtout  dans  le 
récit  de  S.  Luc  :  Tcuto  eati  to  acopiz  piou,  to  uTcep  u(au)v  8iSo(jlsvov. 
TouTO  TO  icoTTQpiov  6v  xu)  ai[jLati  [jLcu,  TO  uicep  upLwv  ex^woiJisvov  *. 

—  2*  Parce  qu'il  unit  dans  sa  pensée  le  sacrifice  de  la  Cène 
à  celui  du  Calvaire,  qui  est  déjà  comme  présent.  C'est  cette 
considération  sans  doute  qui  a  porté  l'auteur  de  la  Vulgate 
à  traduire  ex^uvoiievov,  participe  présent,  par  le  futur  :  ptod 
effundetur*;  comme  dans  S.  Paul,  il  rend  xXw|jtevov,  qtiod 
frangitur,  par  qttod  tradetur  '.  —  Il  n'est  personne  qui  ne 
voie  combien  ce  parallélisme,  qui  montre  la  chair  et  le  sang 
du  Sauveur  distinctement  présents  sous  l'une  et  l'autre  es- 
pèce, et  la  répétition  multipliée  de  chacun  des  termes  to  dw^xa, 
TO  atixa,  TO  TYj;  xaivYjç  SiaOtixYjç,  to  5t5o(i.evov,  to  exyuvofASvov, 

fortifient  l'affirmation  de  sa  présence  réelle  au  sacrement  de 
l'autel. 

*  383.  —  Poarquoi  le  Sauveur  s'immole-t-il  mystiquement  au  Cénacle, 
au  moment  où  Ton  va  Vimmoler  réellement  sur  la  croix? 

Il  importait  :  —  1"  Que  le  Fils  de  Dieu  exerçât  en  per- 
sonne d'une  manière  visible  sa  dignité  de  souverain  Prêtre. 

—  ^  Qu'il  témoignât  ainsi  combien  son  immolation  était 
libre  et  spontanée.  —  3*  Qu'il  inaugurât  lui-môme  la  célé- 
bration du  sacrifice  eucharistique,  qui  est  celui  de  son 
Eglise  et  qui  doit  durer  à  jamais,  dùnec  veniat  *.  —  4*  Qu'il 
montrât  par  son  exemple  avec  quelle  religion  ses  ministres 
doivent  s'y  préparer,  l'offrir  et  en  rendre  grâce.  —  8*  Que 
la  divine  Victime  fût  dès  lors  et  pût  être  à  jamais,  comme  les 
victimes  figuratives,  l'aliment  de  ceux  pour  qui  elle  était 
offerte,  afin  qu'on  pût  s'unir  à  elle  d'une  manière  sensible 
et  participer  plus  abondamment  aux  fruits  de  son  oblation  '. 

De  toutes  les  parties  du  sacrifice,  l'immolation  est  la 
seule  qui  fut  bien  visible  au  Calvaire. 

*  Tttbp  vpiwv,  pro  vobis.  Luc,  xxii,  19,  20.  Cf.  Rom.,  m,  24,  25;  Heb., 
V,  1  ;  IX,  13,  14.  —  *  Matth.,  xxvi,  28;  Marc,  xiv,  24;  Luc,  xxii,  20. — 
3  I  Cor.,  XI,  24;  id  est  quod  datur  ad  vescendum.  Hébraisme  :  Panem 
frangere  pour  dare  in  cibum. —  *  I  Cor.,  xi,  26.  Christus  corporiset  san- 
guinis  sui  ordinans  sacramentum,  docebat  qualis  Deo  hostia  dobcret 
offerri.  S.  Léo,  Serm,  lviii,  3.  Supra,  n.  315.  —  «  Joan.,  xvii,  23. 


546  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n«  388 

*  384.  —  Quel  est  le  pain  que  consacra  Notre  Seigneur  et  pourquoi 

le  bénit-il? 

1*  Le  pain  que  consacra  Notre  Seigneur  à  la  Cène  fut  du 
pain  sans  levain.  Le  pain  fermenté  était  interdit  durant 
toute  la  fête  pascale  ',  et  le  pain  azyme  était  le  plus  conve- 
nable, soit  pour  représenter  la  parfaite  pureté  de  Celui  qui 
daigne  se  mettre  sous  l'apparence  d'un  aliment,  soit  pour 
nous  dire  celle  avec  laquelle  nous  devrons  nous-mêmes 
nous  approcher  de  lui.  On  sait  que,  dans  la  pensée  des  Juifs, 
le  levain  altérait  la  pâte,  la  rendait  moins  pure  *. 

2°  L'usage  des  Juifs  *  et  la  pratique  de  Notre  Seigneur 
était  de  bénir  le  pain  à  tous  les  repas,  avant  de  le  rompre*. 
Mais  il  semble  que  la  bénédiction  dont  il  est  parlé  est  une 
bénédiction  spéciale  ou  plutôt  une  prière  par  laquelle  le  Sau- 
veur rendit  grâces  à  son  Père  pour  tous  ses  dons  et  en  par- 
ticulier pour  l'aliment  divin  qu'il  allait  offrir  aux  âmes. 

385.  —  Pourquoi  Notre  Seigneur  a-t-il  voulu  qu'à  la  Cène  S.  Jean  fût 
placé  à  ses  côtés  et  comme  sur  son  cœur,  Joan.,  xiii,  25? 

S.  Jean,  placé  à  côté  de  Notre  Seigneur  et  penché  sur  son 
cœur,  est  pour  nous  un  symbole  et  une  leçon.  En  lui  don- 
nant cette  place.  Notre  Seigneur  complète  l'instruction 
qu'il  vient  d'adresser  aux  Apôtres  en  leur  lavant  les  pieds  *. 
Il  montre  d'une  manière  sensible  la  vérité  de  cette  maxime 
de  l'Esprit  saint  :  Qui  diligit  cordis  munditiam  habebit  ami- 
cum  regem*;  car  ce  qui  est  l'objet  de  sa  prédilection  dans 
S.  Jean,  c'est  la  pureté  ;  c'est  l'innocence.  Nous  devons  en 
conclure  que  les  âmes  auxquelles  il  s'unit  le  plus  étroite- 
ment et  se  communique  avec  le  plus  d'amour  sont  les  âmes 
pures,  et  que  ses  faveurs  dans  la  communion  se  mesurait, 
non  sur  le  rang  et  la  dignité  extérieure,  mais  sur  la  sain- 
teté, la  candeur,  la  charité  avec  lesquelles  on  vient  à  lui  '. 
N'est-ce  pas  ce  qu'apprend  aussi  l'expérience?  Un  autre  mo- 

*  Luc,  XXII,  1.  —  s  Mattli.,  xvi,  6;  I  Cor.,  v,  6-8;  Gai.,  v,  9.  — 
3  I  Tim.,  IV,  4.  —  *  Matth.,  xiv,  19;  Luc,  ix,  16,  etc.  —  «  Joan.,  xin, 
8,  10,  —  «  Prov.,  XXII,  11.  —  7  Joan.,  xiv,  21. 


N®  386]  SA  VIE  SOUFFRANTE.  —  l' EUCHARISTIE.  5i7 

tif  pour  lequel  le  Sauveur  a  pu  témoigner  tant  d'affection  à 
S.  Jean,  c'est  qu'il  voyait  en  lui,  dès  ce  mo'ment,  le  fils 
adoptif  de  Marie  et  le  plus  dévoué  de  ses  enfants.  Jésus 
s'efforçait  de  faire  passer  en  son  cœur  l'affection  et  la  ten- 
dresse dont  il  désirait  le  voir  rempli  ',  et  il  le  récompensait 
d'avance  des  services  qu'il  rendrait  à  sa  Mère. 

386.  —  Judas  a-t-il  aussi  communié? 

Des  commentateurs  récents  mettent  le  fait  en  doute, 
Néanmoins  l'Eglise  parait  l'affirmer,  avec  l'Ecriture  et 
presque  tous  les  Pères  :  Turbœ  fratrum  duodenœ  Datum  non 
ambigitur,  nous  dit  la  Liturgie',  Dans  S.Matthieu,  Notre 
Seigneur  dit  aux  douze  :  Accipite  et  dividite  inter  vos,.,  Bi 
hite  ex  hoc  omnes  '.  S.  Marc  ajoute  :  Biberunt  ex  illo  omnes  *. 
S.  Luc,  qui  a  écrit  en  troisième  lieu  et  qui  a  cherché  à 
suivre  l'ordre  en  ses  récits,  semble  mettre  le  fait  hors  de 
doute,  par  la  liaison  qu'il  établit,  au  chapitre  xxii,  entre  les 
versets  20  et  21  '.  Du  reste,  on  ne  voit  pas  comment  cet 
apôtre  n'aurait  pas  fait  ce  que  faisaient  tous  les  autres  ;  car 
il  semble  n'être  sorti  qu'à  la  fin  du  repas;  et  jusque-là  Notre 
Seigneur,  tout  en  continuant  de  l'avertir  que  son  dessein 
lui  était  connu  •,  n'avait  révélé  son  indignité  qu'à  lui  seul  '. 
Ce  traître  fut  donc  à  la  Cène  le  type  des  sacrilèges  '.  Avec 
l'Eucharistie,  il  reçut  et  profana  le  sacerdoce.  C'est  aussi  le 
premier,  dit  saint  Chrysostome  *,  qu'on  vit  s'éloigner  de  la 
table  saiate  sans  faire  d'action  de  grâces* 

*  Proprius  effectus  hujus  sacramenti  est  conversio  hominis  in  Christum, 
ut  dicat  cum  Apostolo  :  Vivo  jam  non  egOy  vivit  vero  in  me  Christus, 
S.  Thom.,  In  iv  Sent,  dist.  12,  q.  2,  a.  1.  —  8  Cf.  S.  Thom.,  p.  3,  q  81, 
a.2.  —  3  Matth.,  xxvi,  27.  —  *  Marc,  xiv,  23.  —  *  Cf.  Verumtaraon  ecce 
manus  tradentis  me  mecum  est  in  mensà.  Cf.  Act.,  i,  20.  —  «  Matth., 
XXVI,  23;  Marc,  xiv,  18;  Luc,  xxii,  21;  Joan.,  xiii,  18.  —  "^  Joan., 
XIII,  30.  Fureni  noverat;  non  prodebat.  S.  Aug.,  In  Joan.^  l,  H.  Neque 
eum  manifesta  vit,  ne  iinpudentius  contenderet,  nec  latcre  voluit,  ne 
laicre  arbitratus  licentius  auderet.  S.  Chrys.,  In  Joan.^  Hom.  xlvii.  — 
s  Dominus  Judam  vcnditorem  suum  sinit  accipere  inter  innocentes, 
quod  fidèles  norunt  pretium  nostrum.  S.  Aug.,  Epist.  xuii,  23.  — 
9  Homil.  de  Bapt.  Christ. 


548  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n<»  388 

387.  —  Le  commandement  nouveau  du  Fils  de  Dieu,  Joan.,  zm,  34, 
n'est-il  pas  admirablement  placé  au  début  de  la  Passion,  et  au  sortir 
de  la  dernière  cène? 

Ces  deux  mystères,  la  Passion  et  TEucharistie,  étaient 
nécessaires  pour  expliquer  et  motiver  le  commandement 
nouveau,  la  nouvelle  obligation  que  le  Sauveur  impose  aux 
chrétiens'.  Sans  la  Passion  et  l'Eucharistie,  on  ne  verrait 
pas  toute  la  portée  de  ces  mots  :  Ut  diligatis  invicem  skut 
dilexi  vos  *,  ou  ce  commandement  pourrait  ne  pas  sembler 
juste  et  réalisable.  Mais  il  en  est  autrement  quand  on  a  sous 
les  yeux  le  sang  que  le  Fils  de  Dieu  a  répandu  pour  tous  les 
hommes,  et  qu'on  voit  l'union  qu'il  veut  contracter  avec  cha- 
cun d'eux  parla  communion.  Encore  ici,  il  a  fait  le  premier, et 
il  a  fait  en  Dieu  ce  qu'il  nous  demande  '.  Grâce  à  cet  exemple, 
sa  loi  parait  naturelle  et  presque  aisée.  Par  sa  Passion,  il  a 
racheté  toutes  les  âmes;  par  l'Eucharistie,  il  se  les  assimile; 
il  vit  en  elles;  il  les  transforme  en  lui.  Après  qu'ils  ont 
communié,  les  chrétiens  ne  doivent  plus  voir  que  Jésus- 
Christ  en  eux  et  dans  leurs  frères.  Quoi  de  plus  juste  alors 
que  de  s'aimer  les  uns  les  autres,  comme  Jésus-Christ  les 
aime  et  comme  ils  doivent  l'aimer  *  t 

388.  —  Quand  est-ce  que  Notre  Seigneur  a  donné  à  ses  Apôtres  Je 

caractère  du  sacerdoce? 

Notre  Seigneur  a  donné  à  ses  Apôtres  le  caractère  du  sa- 
cerdoce au  moment  où  il  leur  a  conféré  le  pouvoir  de  con- 
sacrer comme  lui  son  corps  et  son  sang.  Hoc  facite,  leur 
dit-il,  in  meam  commemorationem^ ,  Mortem  Domini  annm- 
tiabitis,  donec  veniat  •.  C'est  une  vérité  définie  par  le  con- 

*  I  Joan  ,  II,  7,  8;  III,  23,  24.  —  '  Non  sicut  se  diligunt  qui  corrum- 
punt,  nec  sicut  se  diligunt  homines  quoniam  homines  sunt;  sed  sicut 
se  diligunt  quoniam  dii  sunt  et  filii  Altissimi  omnes,  ut  sint  Filio  ejos 
unico  fratres.  S.  Aug.,  In  hune  loc,  —  3  Joan.,  xiii,  15.  —  *  Matth., 
XVIII,  5;  Luc,  X,  27,  37;  I  Cor.,  x,  17;  I  Joan.,  iv,  10.  —  *  Luc,  xxii,  19; 
I  Cor.,  XI,  25.  Unde  et  memores,  etc.  Can.  Missâe.  Les  sacrifices  mo- 
saïques annonçaient  que  Timmolation  du  Sauveur  devait  avoir  lieu; 
le  sacrifice  chrétien  atteste  qu'elle  est  accomplie  :  Commémorât,  — 

I  Cor.,  XI,  26. 


N»  389]  SA  VIE   SOUFFRANTE.  —   l' EUCHARISTIE.  549 

cile  de  Trente  *.  En  leur  conférant  ce  pouvoir,  le  Sauveur 
atteignait  un  double  but.  Il  instituait  dans  son  Eglise  un 
sacrifice  perpétuel,  centre  et  foyer  de  tout  le  culte  chrétien  ; 
il  donnait  aux  fidèles  un  aliment  qui  les  faisait  participer, 
dans  leur  corps  et  dans  leur  âme,  aux  bénédictions  et  aux 
vertus  de  son  humanité,  et  il  dédommageait  en  partie  ses 
disciples  de  la  perte  qu'ils  faisaient  de  sa  présence  sensible. 
Quant  au  pouvoir^de  remettre  les  péchés,  les  Apôtres  ne  le 
reçurent  qu*après  sa  résurrection  ". 

389.  —  Que  veut  dire  Notre  Seigueur  par  ces  paroles  :  Non  bibam 
amodo  de  hoc  genimine  vitis^  Matth.,  xxvi,  29? 

Les  paroles  de  S.  Luc  :  Dico  vobis  quia  ex  hoc  non  mandu- 
cabo,  et  les  suivantes  :  Non  bibam  de  generatione  vitis  •,  aux- 
quelles semblent  faire  suite  les  paroles  toutes  semblables  de 
S.  Matthieu  ^,  sont  placées  dans  son  évangile  avant  la  con- 
sécration du  pain.  Par  genimen  vitis^  le  Sauveur  entendait 
donc  le  vin  en  général,  ou  le  vin  non  consacré  dont  on  avait 
fait  usage  à  table.  Ce  qu'il  en  dit  fait  comprendre  qu'il  n'a 
plus  de  Pâques  à  célébrer  en  ce  monde  ;  mais  qu'à  ce  der- 
nier repas,  au  repas  pascal  qu'il  vient  de  faire  avec  ses 
Apôtres,  en  succédera  un  autre,  bien  plus  désirable,  qui 
sera  celui  de  la  délivrance  suprême  *,  le  banquet  de  la  vie 
éternelle,  dont  l'Eucharistie  est  le  gage  •.  Le  vin  qu'on  y 
boira  sera  une  boisson  nouvelle  dont  on  n'a  pas  l'idée  ici- 
bas  :  vinum  novum,  xaivov  '.  Ainsi  la  pensée  du  ciel  s'unit  à 
celle  de  la  croix  dans  le  sacrifice  de  l'autel.  Regnum  Patris 
ne  peut  guère  signifier  ici  que  le  ciel. 

S.  Jean  Ghrysostome  entend  ces  paroles  plus  simplement, 

i  Gonc.  Trid.,  sess.  xxii,  can.  3.  — -  '  Joan.,  zx,  22.  Cf.  Conc.  Trid.^ 
sess.  XIV,  1.  —  3  Luc,  xxii,  16,  18.  —  *  Ce  qui  fait  ici  difficulté,  c'est 
que  S.  Matthieu  place  ces  paroles  de  Notre  Seigneur  après  la  consécra- 
tion du  vin.  On  peut  admettre  avec  beaucoup  de  commentateurs  qu'il 
y  a  une  transposition  ou  un  défaut  d'ordre  dans  son  récit.  Il  convient 
d'aiHeurs  de  remarquer  que  cette  expression,  genimen  vitis,  pourrait 
désigner  le  vin  consacré  aussi  bien  que  celui  qui  ne  l'est  pas.  — 
»  Apoc,  XV,  3.  —  «  Luc,  XXII,  16,  29,  30.  Cf.  Tob.,  xii,  19.  Ps.  xxxv,  9, 
^  7  Injfra,  n.  817. 

31, 


850  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n®  390 

en  ce  sens  que  le  premier  repas  auquel  le  Sauveur  doit 
prendre  part  ici-bas  avec  ses  Apôtres  aura  lieu  après  sa  ré- 
surrection. Mais  si  le  divin  Maître  se  met  à  table  avec  eni 
après  sa  résurrection,  on  ne  le  voit  jamais  faire  usage  (l,e 
vin.  Il  semble  qu'à  Emmaus,  il  se  borne  à  donner  son  corps 
à  ses  disciples  sous  l'espèce  du  pain  S 

ARTICLE    H. 
Souffrances  de  Notre  Seigneur. 

*  390.  —  En  quels  lieux  et  à  quel  moment  Notre  Seigneur  endura-t-il 

les  divers  tourments  de  sa  Passion? 

l**  Les  principales  scènes  de  la  Passion  furent  :  le  jardin 
de  Gethsémani  ou  des  Oliviecs*;  la  maison  d'Anne*;  celle 
de  Caïphe*;  le  sanhédrin';  le  prétoire  de  Pilate*;  les 
rues  de  Jérusalem"';  la  montée  du  Calvaire*;  la  croix*. 

20  La  Cène  ayant  eu  lieu  le  jeudi  soir,  de  sept  à  huit 
heures,  Notre  Seigneur  se  rendit  au  jardin  des  Olives  vers 
neuf  heures;  à  dix  heures  il  priait  et  suait  le  sang;  à  onze 
heures  il  était  arrêté  et  ramené  à  la  ville.  Le  vendredi,  de 
minuit  à  deux  heures,  il  comparaissait  devant  Anne  et 
Caïphe,  était  accusé,  souffleté,  renié.  On  le  conduisit  vers 
six  heures  au  tribunal  de  Pilate;  vers  sept  heures,  à  la 
cour  d'Hérode.  De  huit  à  dix,  il  était  flagellé,  couronné 
d'épines,  condamné  à  mort.  A  onze  heures,  on  le  mène  au 
supplice.  A  midi,  il  est  cloué  à  la  croix.  A  trois  heures,  il 
expire.  Enfin,  vers  six  heures,  on  dépose  son  corps  au  tom- 
beau. 

,  Ainsi  sa  Passion,  à  compter  de  son  agonie-,  a  duré  dix- 
sept  heures.  Les  Evangélistes  l'ont  suivi  dans  tout  le  cours 
de  sa  vie  douloureuse.  Ils  rapportent  ses  paroles,  ses  tour- 
ments, ses  actes.  On  ne  saurait  trop  étudier  ces  détails; 
mais  nous  ne  pouvons  en  signaler  que  peu  de  traits. 

1  Cf.  Luc,  xxiv,  30;  Joan..,  xxi,  13;  Act.,  i,  4.  — ^  >  Matth.,  xxvi,  36. 
—  3  Joan.,  XVIII,  13.  —  ♦  Matth.,  xxvi,  57.  —  »  Matth.,  xxvi,  59-66j 
X.UC.,  XXII,  66-71.  —  »  Matth.,  xixii,  2-31.  — .  '  Luc,  xxiii,  26-32.  — 
«  Mattli.,  xxvii,  33,  34,  —  9  Luc,  xxiii,  34-36;  Joan.,  xix,  23-37. 


N®  392]        SA  VIE  SOUFFRANTE.  —   SES  TOURMENTS.  551 

§  I.  —  Agonie  du  Sauveur.  Matth.,  xxvi,  36-46;  Luc,  xxn,  39-46. 

{Getfvtémanij  grotte  de  Vagonie;  jeudi  soir,  vers  onze  heures.) 

391.  —  Lorsque,  après  avoir  dit  :  Transeat  a  me^  Notre  Seigneur  ajoute  ; 
Non  mea  volunias...,  Non  sicut  ego  volo...^  change-t-il  de  volonté  et 
rectifie-t-il  sa  première  disposition  ? 

Les  dernières  paroles  du  Sauveur  :  Non  sicut  ego  volo  \ 
n'indiquent  pas  un  changement  dans  la  volonté  du  Sau- 
veur, mais  elles  achèvent  de  faire  connaître  l'état  de  son 
âme.  Après  avoir  exprimé  et  volontairement  ressenti  Tim^ 
pression  que  tout  homme  éprouve  en  se  voyant  frappé  du 
coup  le  plus  terrible  ',  il  déclare  quelle  est  pourtant  la  dis- 
position de  son  cœur  et  sa  résolution  inébranlable'.  Il  se 
montre  prêtre  en  même  temps  qu'il  laisse  voir  la  victime. 
Peu  importe  que  cette  détermination  soit  exprimée  en  der- 
nier lieu  :  elle  existait  dès  le  commencement  et  elle  a  tou- 
jours persisté  malgré  les  émotions  de  la  sensibilité  *.  Ainsi 
ces  mots  :  Non  sicut  ego  volo,  équivalent  à  ceux-ci  :  «  Non 
pas  comme  je  voudrais,  si  j'écoutais  l'appétit  naturel,  sen- 
sitif.  >  —  Sed  sicut  tu,,.  On  peut  remarquer  que  le  Sauveur 
regarde  toujours  le  calice  de  sa  Passion  comme  lui  venant 
de  la  main  de  son  Père,  et  non  de  ses  ennemis  '. 

Par  ces  mots  :  Si  possibile  est,  il  entend  :  Si  cela  peut  se 
concilier  avec  vos  desseins  par  rapport  à  la  rédemption  *.  Il 
sait  bien  ce  qui  est  résolu  ;  mais  il  parle  ainsi  pour  nous 
faire  connaître  toutes  ses  dispositions  ■^, 

392.  —  Peut-on  contester  l'authenticité  des  versets  42  et  43  de  S.  Luc, 

ch.  XXII,  sur  la  sueur  de  sang  et  Tapparition  de  l'Ange? 

Suivant  Benoît  XIV,  ce  serait  se  mettre  sous  le  coup  du 
canon  porté  par  le  concile  de  Trente  :  Si  quis  libros  integros 

i  Matth.,  XXVI,  39.  —  »  Cf.  Joan.,  xi»  33;  xii,  27;  xiii,  21.  ~  3  Nihn 
eniin  prohibet  aliquid  esso  contrarium  voluntati  secundum  se,  quod 
tamen  est  volitum  rationo  finis,  sicut  medicina  amara.  S.  Thom.,  p.  3, 
q.  15,  a.  6,  ad  4.  —  ♦  Luc,  x,  21  ;  Joan.,  vi,  38;  viii,  29.  —  «  Cf,  Joan,, 
XIX,  li.  —  6  Cf.  Joan„  xii,  27,  28,  -^  ^  Cf.  Heb„  v,  7.  S.  Thom.,  p.  3, 
q.  46,  a.  2,  ad  2, 


552  JÉSUS-GHRIST  SELON  l'éyangile.  [n^  392 

cum  omnibus  suis  partihus...  non  susceperit^  anathema  sit  ^ 
Mais  tel  n'est  pas  le  sentiment  de  la  plupart  des  Docteurs,  qui 
ne  reconnaissent  pas  dans  ces  versets  une  des  parties  des 
Livres  saints  que  le  Concile  avait  en  vue.  Quoi  qu'il  en  soit, 
toutes  les  raisons  s'accordent  pour  établir  l'authenticité  du 
passage. 

1*  On  le  trouve  dans  les  versions  les  plus  anciennes,  dans 
la  Péchito  comme  dans  l'Italique;  dans  presque  tous  les 
manuscrits  majuscules  du  septième,  du  sixième  et  du  cin- 
quième siècles,  même  dans  celui  du  Sinaï  qui  est  du  qua- 
trième ;  dans  un  très  grand  nombre  de  Pères  latins,  grecs 
et  syriaques,  dont  plusieurs  de  la  plus  haute  antiquité, 
comme  S.  Justin*  (100-165),  S.  Irénée»  (120-202),  S.  Hip- 
poly te  (200-240),  Denys  d'Alexandrie  (t  265)  ;  et  dans  les 
Harmonies  évangéliqms  d'Ammonius  (t220)  et  de  Tatien 
(t  180)  *.  Il  est  vrai  qu'il  manque  dans  quelques  manuscrits 
anciens,  B  et  A  en  particulier,  mais  aucun  auteur  ecclésias- 
tique connu  n'en  attaque  l'authenticité  '. 

2*  On  ne  conçoit  pas  quel  motif  et  quel  moyen  on  aurait 
eus  de  supposer  un  tel  passage;  et  au  contraire,  on  conçoit 
fort  bien  qu'à  une  époque  on  y  ait  vu  une  difficulté  ;  qu'on 
s'en  soit  défié;  que  certaines  églises,  ne  le  voyant  qu'en 
S.  Luc  •,  aient  cru  devoir  l'omettre,  dans  les  commentaires 
publics  d'abord,  puis  dans  la  transcription  de  l'Evangile. 
Suivant  S.  Epiphane,  ce  retranchement  est  le  fait  de  quel- 
ques esprits  faibles  qui  ne  voulaient  rien  voir  d'humain  dans 
la  vie  de  Notre  Seigneur  ''.  Ils  ne  songeaient  pas  que,  pour 

»  Sess.  IV.  —  *  Ûffct  OpopiSoi,  Dial.  cum  Tryph,,  103.  —  '  Cont.  Hmres.y 
III,  XXII,  2.  —  *  Cf.  S.  Hilap.,  de  Trin,,  x,  9;  S.  Hieron.,  Adv.  Pelag., 
II ,  16  ;  S.  Amb.,  In  Luc,  —  '  Voir  Victor  de  Capouo,  Migne ,  Pat,  lot,, 
t.  Lxviii,  p.  345,  et  Mosinger,  Evangelii  concord,  expotitio  S.  Ephr.^ 
Venise,  1876.  —  •  Des  commentateurs  font  remarquer  que  le  fait  de  la 
sueur  de  sang  devait  avoir  un  intérêt  particulier  pour  S.  Luc,  habitué 
par  état  aux  observations  pathologiques.  —  "^  S.  Epiph.,  Anchoratus»  31. 
Cf.  Orig.,  Cont,  Cels.^  ii,  34.  Pour  des  motifs  semblables,  plusieurs  se 
sont  permis  d'autres  retranchements  :  Antequam  convenv'ent  ^  Matth., 
i,  18;  primogenitumy  i,  25;  neque  FiliuSy  Marc,  xiii,  22;  Thistoire  de 
la  femme  adultère,  Joan.,  viii,  1-4;  Tange  de  la  piscine  probatique; 
Joaii.,  X,  1-15. 


N»  394]    SA  VIE  SOUFFRANTE.  —  SES  TOURMENTS.       553 

ôter  un  prétexte  aux  objections  des  Ariens,  ils  enlevaient 
aux  âmes  éprouvées  un  exemple  consolant  et  salutaire  S  et 
à  TEglise  une  des  preuves  les  plus  sensibles  de  la  double 
nature  du  Fils  de  Dieu  •. 

*  393.  —  Faut-il  voir  dans  ces  versets  une  sueur  de  sang  véritable 

et  un  fait  miraculeux? 

!•  On  a  toujours  cru  que  le  Sauveur  a  sué  du  sang,  sicut 
guttœ^  et  regardé  ce  sang  comme  un  signe  et  un  effet  de  la 
véhémence  de  sa  douleur,  iLsque  ad  mortem  ■.  S'il  en  était 
autrement,  si  ce  n'avait  été  qu'une  apparence,  on  ne  verrait 
pas  pourquoi  l'Evangéliste  aurait  fait  ressortir  à  ce  point 
cette  circonstance. 

20  II  n'est  pas  facile  d'établir  qu'il  y  a  là  un  vrai  miracle  ; 
car  on  cite  des  faits  semblables  qui  semblent  n'avoir  eu 
pour  cause  qu'une  émotion  naturelle  *.  Cependant  les  com- 
mentateurs regardent  généralement  celui-ci  comme  mira- 
culeux, et  l'abondance  du  sang,  decurrentis  in  terram,  est 
une  circonstance  qui  vient  à  Tappui  de  leur  sentiment. 

§  II.  —  Arrestation  du  Sauveur.  Matth.^  xxvi^  47-56. 

{Nuit  du  jeudi  au  vendredi.) 

*  394.  —  QueUe  est  la  troupe  qui  s'empare  de  Notre  Seigneur,  et  pour- 
quoi ne  permet-il  pas  à  S.  Pierre  de  le  défendre? 

!•  La  troupe  qui  s'empare  du  Sauveur  se  compose  des  sa- 
tellites de  Caïphe  »,  et  probablement  d'un  certain  nombre 
de  soldats  romains,  détachés  de  la  cohorte  qui  occupait  la 
forteresse  Antonia  •.  Josèphe  nous  apprend  que,  durant  le 
temps  de  Pâques,  une  partie  de  ces  soldats  étaient  mis  à  la 
disposition  du  grand-prétre. 

4  Heb.,  II,  18;  iv,  15;  xii,  4.  —  '  Phil.,  n,  8.  Gonsolatur  Dominus, 
transfigurans  in  se  infirmitatem  nostram.  S.  Aug.,  Seivn.  gcxcyii,  3; 
Brev.,  Oratio  D.  N.  in  horto^  lect.  7-9.  —  *  Matth.,  xxvi,  38.  Remarquez 
que  sicut  ne  tombe  pas  directement  sur  sanguiniSf  mais  sur  gutlss^  a>oei 
Opapidoi  attxaToc,  et  que  d'ailleurs  ce  terme  n'exclut  pas  la  réalité.  Cf. 
Matth.,xxi, 26;  Luc, xv,  19  ;  xvi,  1  ;  Joan., i,  14 ;  Act. , ii, 3  ;  xvii,  12,  Grxce. 
—  *  Vie  de  Mgr  Rey,  p.  111,  207.  —  »  Luc,  xxii,  50.  —  «  Joan.,  xvin,  3. 


S54  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n^  395 

2°  Notre  Seigneur  ordonne  à  S.  Pierre  de  remettre  Tépèe 
au  fourreau,  pour  montrer  qu'il  ne  souffre  pas  malgré  lui*, 
et  pour  apprendre  aux  chrétiens  à  n'opposer  à  leurs  perse-, 
cuteurs  qu'une  patience  à  toute  épreuve  '.  Toute  sa  sollici- 
tude est  pour  ses  disciples  :  c'est  en  leur  faveur  seulement 
qu'il  réclame  les  droits  de  la  justice.  Il  veut  d'ailleurs  qu'on 
voie  qu'il  est,  lui  seul,  notre  victime  et  l'unique  source  de 
notre  salut. 

395.  —  Pourquoi  supposo-t-on  contîguës  ou  voisines  les  maisons 
d'Anne  et  de  Gaîphe,  Joan.^  xviii,  13? 

En  supposant  contiguës  les  maisons  d'Anne  et  de  Caïphe, 
on  explique  aisément  pourquoi  le  Sauveur  fut  conduit  d'a- 
bord chez  Anne  ',  puis  immédiatement  après  chez  Caïphe*; 
et  comment  S.  Pierre,  qui  est  entré  chez  Caïphe  *,  le  renie 
pendant  l'interrogatoire  d'Anne  «,  comme  pendant  celui  de 
Caïphe \  Les  demeures  se  touchant,  elles  avaient  sans 
doute  une  cour  commune,  et  tout  en  restant  chez  le  grand- 
prétre,  S.  Pierre  pouvait  voir  ce  qui  se  passait  chez  Anne, 
On  sait  d'ailleurs  qu'Anne  était  beau-père  de  Caïphe  *,  et 
qu'il  avait  exercé  le  pontificat  avant  lui.  Déposé  par  les 
Romains,  il  conservait  la  confiance  des  Juifs  et  pouvait 
encore  présider  le  sanhédrin.  C'est  probablement  à  lui  que 
Judas  avait  promis  de  livrer  sa  victime,  et  il  était  bien  aise 
de  la  lui  mettre  entre  les  mains  pour  dégager  sa  parole*. 

Les  interprètes  qui  ne  font  pas  cette  supposition  se  con- 
tentent de  dire  qu'Anne,  prévenu  de  ce  qui  se  préparait, 
s'était  rendu  ce  soir  là  auprès  de  son  gendre  :  et  ils  font  re- 
marquer que,  d'après  S.  Jean,  Notre  Seigneur  fut  conduit 
devant  Anne,  et  non  pas  chez  Anne,  13. 

1  Matth.,  XX vï,  52,  peribit  pour  perire  débet  \  le  futur  pour  l'impératif. 
Nisi  se  traderet  Ghristus,  nemo  traderet  Cbristum.  Quid  habet  Judas, 
nisi  peccatum?  S.  Aug.,  In  Joan.y  lxii,  4.  —  2  Rom.,  xii,  19,  21  ;  Apec., 
XIII,  10.  Cf.  Matth.,  V,  A;  xi,  29;  S.  Th.,  2*-2«;  q.  40,  a.  1,  ad  \.  - 
3  Joan.,  XVIII,  13.  ~  *  Joan.,  xviii,  24.  —  s  Matth.,  xxvi,  58.  —  «  Joan., 
XVIII,  17,  18.  —  7  Joan.,  xviii,  25-27.  —  »  Joan.,  xviii,  13.  —  »  S.  Chiys., 
In  Joan,f  wxxii,  Cf.  Joseph.,  4.,  XX,  ix,  2,  /n/ra,  n.  49i. 


0*' 


\ 


^! 


A*!i 


JERUSALEM. 

1.  Saint  dos  Saints.  —  2.  Saint.  —  3.  Vestibule.  —  4.  Autel  des  holo- 
caustes. —  5.  Parvis  des  prêtres.  —  6.  Parvis  des  Israélites.  —  7.  Parvis  des 
Gentils.  —  8.  Portique  de  Salomon.  —  9.  Mont  des  Oliviers.  — 10.  Citadelle 
de  David.  —  11.  Première  enceinte  de  Salomon.  —  12.  Enceinte  de  la  ville 
basse.  —  13.  Enceinte  d'Agrippa  !«'.  —  14.  Tour  Antonia.  —  15.  Palais 
d'Hérode.  —  16.  Ancien  palais  des  Rois.  —  17.  Palais  des  Pontifes.  — 
18,  Cénacle.  —  18.  N.  E,  Gethsémani.  —  19.  Voie  par  laquelle  le  Sauveur 
fut  conduit  à  Anne,  —  20.  Gabbata.  —  21.  Voie  douloureuse.  —  22.  Hacel- 
dama.  —  24.  Font^ioe  de  Siloé.  —  25.  Aqueduc  de  Pilate,  —  26.  Camp 
de  Titus, 


N<>  396J        SA  VIE  SOUFFRANTE.  —   SES  TOURMENTS.  557 

§  III.  —  Le  Sauveur  devant  le  grand-prêtre.  Matth,,  xxvi^  57-75. 

{Nuit  du  jeudi  au  vendredi.) 

Attestation  da  Sauveur.  —  Soufflet  da  valet.  —  Reniement  de  S.  Pierre.  — 

Sanhédrin. 

396.  —  Gomment  s  expliquent  radjuratiou  du  grand-prètre,  la  réponse 

du  Sauveur  et  l'effet  qu'il  produit? 

!•  Le  grand-prêtre  adjure  le  Sauveur  au  nom  du  Dieu  vi- 
vant, pour  le  mettre  dans  l'obligation  de  répondre,  et  il 
pose  nettement  la  question  de  sa  divinité,  afin  de  pouvoir 
taxer  sa  réponse  de  blasphème  et  de  lui  infliger  le  châtiment 
porté  contre  les  blasphémateurs*.  Evidemment,  le  titre  de 
Fils  de  Dieu  n'est  pas  dans  l'esprit  de  Caïphe  un  simple  sy- 
nonyme de  Christ  ou  de  Messie.  Si  ces  deux  titres  sont  rap- 
prochés dans  S.  Matthieu,  ils  sont  séparés  dans  S.  Luc,  et 
donnent  lieu  à  deux  questions  *. 

2*  Le  Sauveur  voit  le  péril  ;  mais,  sans  hésiter,  il  fait  au 
grand-prêtre  la  réponse  la  plus  nette,  la  plus  énergique  et  la 
plus  solennelle.  On  lui  demande  s'il  prétend  réellement  être 
le  Fils  de  Dieu,  oTioç  xou  Bsou,  comme  il  l'a  dit  au  peuple*. 
Il  déclare,  non  seulement  qu'il  l'est,  mais  qu'il  ne  tardera 
pas  à  se  montrer  tel,  et  que  ceux  qui  l'accusent  seront  eux- 
mêmes  forcés  de  reconnaître  la  vérité  de  ses  paroles  : 
Amodo  videbitis''.,.  C'est  bien  ce  qui  eut  lieu  en  effet.  Dès 
son  Ascension,  Notre  Seigneur  commence  à  faire  éclater  sa 
divinité.  Il  se  montre  supérieur  au  monde  et  plus  puissant 
que  tous  les  empires'.  En  fondant  son  Eglise,  il  établit  son 
trône  au  milieu  de  ses  ennemis  •.  Rien  ne  résiste  à  l'esprit 
qui  anime  ses  Apôtres"'.  Bientôt,  la  synagogue  et  l'idolâtrie 
cédant  la  place  au  christianisme,  la  ruine  de  Jérusalem  et 
celle  de  Rome  seront  pour  tout  l'univers  la  figure  et  le  gage 
de  la  fin  des  temps,  où  éclatera  aux  regards  de  toute  créa- 

1  Levit.,  XXIV.  16.  Cf.  S.  Th.,  2«-2»;  q.  90,  a.  1,  ad  1.  —  «  Luc,  xxii, 
66,  70.  Dans  S.  Jean,  xix,  3,  7,  le  titre  de  Fils  de  Dieu  est  également 
distingué  de  celui  de  Roi  des  Juifs.  •—  3  Joan.,  x,  33.  —  ^  Matth., 
XXVI,  64.  Cf.  Matth.,  xvi,  27,  28;  I  Pet.,  i,  5-7.  —  »  Joan»,  xvi,  33.  -r 
*  Ps.  cix,  2,-7  Joc^n.,  XVI,  8;  I  Joan,,  iv,  4, 


558  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n<>  397 

ture  ce  régne  éternellement  glorieux  qu'il  a  promis  de  par- 
tager avec  ceux  qui  croient  en  lui  •. 

3<>  Caïphe,  entendant  le  Sauveur  se  dire  hautement  le 
Fils  de  Dieu,  le  Maître  du  monde  et  le  Juge  suprême  du 
genre  humain,  semble  hors  d'état  de  se  contenir  :  il  déchire 
ses  vêtements,  en  signe  d'horreur  et  d'exécration  ".  Comme 
la  populace,  après  une  déclaration  semblable',  tous  les 
membres  de  l'assemblée  s'écrient  que  le  Sauveur  a  blas- 
phémé, qu'il  est  digne  de  mort  et  qu'on  ne  doit  pas  différer 
de  le  livrer  au  supplice  *.  Mais  l'acte  que  la  passion  fait  faire 
au  grand-prétre,  contrairement  à  la  loi  * ,  présente  à  son 
insu,  dit  S.  Léon,  une  signification  prophétique,  aussi  bien 
que  les  paroles  qu'il  a  prononcées  quelques  jours  aupara- 
vant •.  En  déchirant  ses  vêtements  pontificaux,  Caïphe  pro- 
clame son  indignité  et  sa  déchéance  du  souverain  sacer- 
doce'. 

397.  —  Pourquoi  le  Sauveur  n'a-t-il  pas  présenté  l'autre  joue  au 

soldat  qui  le  souffletait? 

Si  Notre  Seigneur  n'a  pas  suivi  à  la  lettre  sa  maxime, 
qu'il  faut  présenter  l'autre  joue  à  celui  qui  soufflette  ',  c'est 
qu'il  a  voulu  en  faire  comprendre  le  sens  véritable,  et  nous 
montrer  de  quelle  manière  il  convient  de  l'observer.  Sa 
pensée  est  qu'il  faut  tout  souffrir,  jusqu'à  se  livrer  à  la  mort, 
plutôt  que  d'agir  par  passion,  de  s'abandonner  à  la  ven- 
geance. C'est  bien  ce  qu'il  a  fait.  Du  reste,  en  se  laissant 
battre  de  verges,  couronner  d'épines  et  attacher  à  une  croix, 
sans  un  acte  d'emportement,  sans  une  parole  de  faiblesse, 
Jésus-Christ  n'a-t-il  pas  montré  plus  de  courage,  plus  de 

*  Cf.  Dan  ,  VII,  13, 14;  Apoc,  i,  7.  S.  Aug.,  EpisL  cxcix,  41.  S.  Tbom., 
In  IV  Sent.^  dist.  48,  a.  4,  q.  4.  Supra j  n.  247.  —  2  s.  Aug.,  Quxst.  evang., 
II,  xxxviii.  Cf.  II  Reg-,  II,  31  ;  Is.,  xxxvi,  1.  —  3  Joan.,  x,  33.  —  *  Nonne 
ita  descripsit  nefarium  illud  concilium  auctor  Sapientis,  ii,  ut  plane 
interfuisse  videatur?  Atqui  a  Salomone  usque  ad  id  tempus  quo  res  gesta 
est,  mille  et  decem  anni  fuerunt.  Lactant.,  de  Morte  pers.  —  *  Lev., 
XXI,  10.  —  6  Joan.,  xi,  50.  —  ^  Nesciens  quid  hac  significaret  insania, 
sacerdotali  se  privavit  honore.  S.  Léo,  Serm,  lvii,  2,  de  Pass.  Dom,  — 
«  M*tth.,  V,  39. 


N<^  398]        SA  VIE  SOUPFRANTE.  —  SES  TOURMENTS.  830 

patience,  plus  de  charité  pour  ses  ennemis  qu'en  offrant 
simplement  sa  joue  à  la  main  du  soldat  '  ? 

*  398.  —  Comment  s'accomplit  la  prédiction  de  Notre  Seigneur, 
que  saint  Pierre  le  renierait  trois  fois? 

Notre  Seigneur  avait  prédit  sa  chute  à  S.  Pierre  lui-môme. 
Il  la  lui  avait  prédite  à  trois  reprises,  deux  fois  au  Cénacle  •, 
et  une  autre  fois  en  allant  au  jardin  des  Olives  •.  Il  lui  avait 
dit  même  qu'il  le  renierait  trois  fois,  et  autant  de  fois  S.  Pierre 
avait  protesté  de  son  dévouement  et  de  sa  fermeté  *. 

Malgré  ses  protestations,  S.  Pierre  renie  en  effet  son 
Maître;  il  le  renie  à  trois  reprises  ou  en  trois  circonstances 
différentes,  cette  nuit-là  même,  avant  le  dernier  chant  du 
coq',  comme  Jésus  l'avait  prédit.  —  Le  premier  reniement 
eut  lieu  à  l'entrée  du  palais  de  Caïphe,  à  la  voix  d'une  ser- 
vante, selon  le  récit  des  quatre  Evangélistes  •  ;  —  le  second, 
devant  une  autre  servante,  au  témoignage  de  S.  Matthieu  ' 
et  de  S.  Marc  •;  devant  un  autre  serviteur  indéterminé,  alittSj 
selon  S.  Luc  •;  devant  plusieurs  autres,  selon  S.  Jean  *^ 
soit  que  tous  l'aient  interrogé  simultanément  ou  successive- 
ment ou  qu'un  seul  ait  parlé  pour  tous;  —  le  troisième,  à 
la  voix  de  ceux  qui  se  trouvaient  là,  selon  S.  Matthieu  "  et 
S.  Marc  *%  d'un  autre  en  général,  selon  S.  Luc  ",  d'un  ser- 
viteur du  pontife,  parent  de  Malchus,  selon  S.  Jean  **.  —  A 
la  seconde  fois  et  surtout  à  la  troisième,  où  il  se  voit  en  face 
de  ce  parent  de  Malchus,  Pierre,  surpris  et  déconcerté, 
ajoute  au  mensonge  le  serment  et  l'exécration  *^ 

^  Non  solum  alteram  maxillam  iterum  percussuro,  sed  totum  corpus 
figendum  prœparavit  in  ligne.  S.  Aug.,  In  Joan.,  cxiii,  4.  Paratus  venerat, 
non  solum  in  faciem  percuti,  verum  etiani  pro  his  quoque  crucifixus  oc- 
cidi ,  pro  quibus  ait  in  cruce  pendens  :  Pater,  ignosce  illis,  quia  nos- 
ciuDt  quid  faciunt.  Epist  cxxxviii,  13.  Cf.  Is.,  l,  6;  Matth.,  xxvi^  67,  63  ; 
Joan.,  XIX,  3.  •—  *  Joan.,  xiii,  38  et  Luc,  xxii,  34.  —  3  Mattli.,  xxvi,  34. 
—  ♦  Joan.,  XIII,  37;  Luc,  xxii,  33;  Matth.,  xxvi,  33.  —  ^  Cl.  Marc, 
XIII,  35.  —  6  Matth.,  xxvi,  69,  70  ;  Marc,  xiv,  66-68;  Luc,  xxir,  56,  57; 
Joan.,  xviii,  17,  18.  --  "ï  Matth.,  xxvi,  71,  72  —  «  Marc,  xiv,  69,  70.  — 
»  Lac,  XXII,  58,  59.  —  *»  Joan.,  xviii,  25.  —  li  Matth.,  xxvi,  73,  74.  — 
M  Marc,  xiv,  70,  71.  —  i3  Luc,  xxii,  59,  60.  —  *♦  Joan.,  xvra,  26,  27, 
-^  **  Matth.,  XXVI,  72,  74;  Marc,  xiv,  71. 


560  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n®  399 

Ces  trois  reniements  eurent  lieu  dans  la  cour  de  Gaïphe, 
in  atrio  *,  et  cependant  dehors,  foris\  c'est-à-dire  hors  de  la 
salle  où  Notre  Seigneur  se  trouvait  avec  le  grand-prêtre. 
Le  premier  arriva,  tandis  que  le  Sauveur  comparaissait  de- 
vant Anne  ',  le  second,  au  moment  où  S.  Pierre  cherchait  à 
sortir  pour  se  soustraire  à  l'attention  des  gens  du  pontife  \ 
le  troisième,  une  heure  après,  environ  ». 

*  399.  —  Saint  Pierre  n'a-t-il  pas  commis  une  grande  faute  en 

cette  occasion? 

La  faute  de  S.  Pierre  a  été  d'autant  plus  grave  qu'il  avait 
été  comblé  de  plus  de  grâces  et  que  le  Sauveur  l'avait 
expressément  averti  du  péril  qu'il  allait  courir.  Peccamt 
mortaliter^  et  sine  duhiOy  dit  S.  Thomas  •.  Cependant  il  ne 
faut  pas  exagérer  sa  culpabilité,  comme  font  les  hérétiques, 
qui  voient  là  un  péché  de  malice,  une  hérésie,  une  aposta- 
sie, et  qui  comptent  sept  reniements  au  lieu  de  trois  '. 
C'est  un  péché  de  faiblesse,  qui  aurait  pu  devenir  un  grand 
scandale,  mais  dont  S.  Pierre  eut  le  bonheur  de  se  repentir 
presque  sans  délai.  Cœpit  flere,  dit  l'Evangile  •.  Nunqmm 
destitit^  ajoute  un  saint  Docteur.  Cette  chute  lui  apprit  et 
elle  doit  nous  apprendre  à  nous-mêmes  à  quel  point  nous 
sommes  faibles  et  quel  besoin  nous  avons  de  la  divine  grâce  *. 
Le  pardon  qu'il  obtint  nous  fait  voir  aussi  quelle  est  la  mi- 
séricorde de  Dieu,  avec  quelle  promptitude  il  oublie  les 
écarts  de  ses  disciples,  de  ses  ministres  même,  lorsqu'ils  ne 

1  Marc,  XIV,  66.  —  2  Matth.,  xxvi,  69.  —  3  Joan.,  xviii,  13,  17. 

—  *  Matth.,  XXVI,  71.  —  «  Luc,  xxii,  59.  —  «  S.  Thom.,  l«-2«,  q.  24, 
a.  12^  ad  2.  Scie  quosdam  dixisse  Petrum  non  Deum  negasse ,  sed  ho- 
minem;  et  esse  sensum  :  Nescio  hominem  quia  scio  Deum.  Hoc  qoam 
frivolum  sit  prudens  lector  intelligit.  Si  enim  iste  non  negavit,  ergo 
mentitus  est  Dominus  qui  dixerat  :  ter  me  ncgabis.  S.  Hier.,  In  Matlh.., 
XXVI,  75.  —  ^  Non  sit  delectatio  minorum  lapsus  majorum,  sed  sit  casus 
majorum  tremor  minorum.  S.  Aug.,  In  Psalm.,  l,  3.  ^  >  Marc,  xiv,  72. 

—  9  Ps.  XXIX,  7-9;  Phil.,  ii,  10;  Heb.,  v,  2,  3.  Ob  hoc  hœsitare  pef- 
missus  ut  in  Ecclesiœ  principe  remedium  pœnitenti»  conderetur,  et 
nemo  auderet  de  sua  virtute  confldere,  quando  mutabilitatis  pericalam 
neque  Petrus  potuisset  evadere.  S.  Léo.,  Serm,  lx,  4.  Cf.  S.  Aug.|  '* 
Joan,^  Lxvi,  Z' 


N«  401]       SA  Vm  dOtJ^^RANtE.  -^  SfiS  totiuîENts.  861 

pèchent  que  par  faiblesse  et  qu'ils  reviennent  à  lui  avec 
promptitude  et  humilité  ^ 

*  400.  —  Comment  le  Sauveur,  retenu  dans  la  salle  du  conseil,  put-il 
jeter  un  regard  sur  saint  Pierre,  tandis  que  cet  apôtre  était  dans  la 
cour  du  grand-prêtre,  près  de  la  porte  >? 

S.  Augustin  dit  que  le  Sauveur  regarda  Tâme  de  son 
apôtre  d'un  regard  de  miséricorde  •.  Rien  n'est  plus  cer- 
tain. Qtws  Jestis  respicit^  plorant  delicta^  observe  S.  Am- 
broise  *,  en  se  plaçant  au  même  point  de  vue.  Mais  quand 
l'Evangéliste  dit  que  Jésus,  se  retournant,  jeta  les  yeux  sur 
Pierre,  (jxpaipet;  eveÔAe^Ve,  il  parait  entendre  autre  chose  et 
parler  sans  métaphore  *.  On  conçoit  aisément  que,  sans  sor- 
tir de  la  salle  où  était  le  Pontife,  le  Sauveur  ait  jeté  sur  son 
apôtre  un  regard  propre  à  le  faire  réfléchir.  Il  suffit  que 
l'entrée  n'en  fût  pas  fermée  ou  qu'il  y  eût  une  autre  ouver- 
ture sur  la  cour.  Il  a  aussi  pu  passer  prés  de  lui,  en  se  ren- 
dant des  appartements  d'Anne  dans  ceux  de  Gaïphe  ^ 

401.  —  N'y  eut-il  pas  le  vendredi  matin,  une  seconde  réunion 
des  princes  des  prêtres  et  des  sénateurs? 

S.  Matthieu,  xxvn,  1,  et  S.  Marc,  xv,  1,  font  mention, 
aussi  bien  que  S.  Luc,*  xxu,  66,  d'une  seconde  réunion  du 
grand  conseil,  le  vendredi,  de  bonne  heure  :  Mane  factOy  ut 
foetus  est  dies.  La  première  n'avait  sans  doute  pas  été  légale, 
soit  parce  que  tous  ceux  qui  faisaient  partie  de  l'assemblée 
n'avaient  pas  été  convoqués,  soit  parce  qu'elle  s'était  tenue 
d'une  manière  irrégulière,  pendant  la  nuit,  ou  hors  du  lieu 
désigné  pour  les  séances.  Cette  seconde  assemblée,  faite  sui- 
vant les  formes  requises  et  à  laquelle  tous  se  rendirent,  pa- 
raît avoir  peu  duré.  On  se  borna  à  poser  de  nouveau  au 
Sauveur  la  question  qui  lui  avait  été  faite  durant  la  nuit  : 

1  Ut  is  qui  futurus  erat  Pastor  Ecclesiie,  in  sua  culpa  disceret  qua* 
liter  aliis  misereri  deberet.  S.  Greg.,  Magn.,  Hom,  xxi,  4,  in  Evang,, 
Cf.  S.  Theophil.,  A,  S.,  4  fév.  —  «  Luc,  xxn,  61.  —  «  S.  Aug.,  De 
grat.  Christ,,  49.  —  ^  S.  Amb.,  In  Luc,  n.  89.  Item  In  hymno  Domin, 
ad  Laudes,  Cf.  Ps.  xxiy^  16.  —  *  Cf.  Luc,  xxn,  16;  Nam.,  xx,  9.  — 
«  Joan.,  XYUI,  24. 


b62  jisvs-oiitiist  selon  l^ey^ingilë*  [n<»402 

s'il  prétendait  être  le  Messie  et  lei  Fils  de  Dieu  *.  Comme  il 
ne  changea  rien  à  sa  réponse,  on  conclut  qu'il  se  convain- 
quait lui-même  du  crime  dont  on  l'accusait  ;  puis  on  se  con- 
certa sur  la  marche  à  suivre  pour  faire  ratifier  la  sentence 
de  mort  par  le  gouverneur  romain  '. 

§  IV.  —  Mort  de  Judas.  Matth.^  iivii,  3-10. 

(  Vendredi  matin.) 

*  402.  —  Qaelle  est  la  passion  qui  a  perdu  Judas,  et  dans  quel 

abime  s'est-il  précipité? 

1»  La  passion  qui  a  perdu  Judas,  c'est  l'avarice,  la  cupi- 
dité :  LoctUos  habem.,  ea  quœ  mittebantur  portabat  *.  On  était 
loin  de  prévoir,  sans  doute,  une  pareille  chute.  En  le  char- 
geant de  garder  les  dons  faits  pour  l'entretien  des  Apôtres, 
et  de  pourvoir  aux  besoins  de  ses  frères.  Notre  Seigneur  lui 
avait  donné  un  témoignage  d'affection  et  de  confiance.  Judas 
en  abusa  pour  faire  des  épargnes  à  son  profit  :  Fur  erat, 
xXéîîTYjç  *.  Bien  des  fois  le  Sauveur  le  reprit  de  son  infidé- 
lité •  :  il  l'avertit  même  expressément  du  crime  qu'il  méditait 
contre  sa  personne  •.  Rien  ne  put  l'empêcher  de  consommer 
sa  perte  ''.  Voyant  les  Pharisiens  près  de  prévaloir,  il  finit 
par  perdre  la  foi,  et  prit  le  parti  délivrer  son  Maître  aux 
Princes  des  prêtres  pour  quelques  pièces  d'argent,  trente 
sicles,  une  centaine  de  francs  environ  '. 

2°  Son  châtiment  ne  se  fit  pas  attendre.  Fiant  dies  ejus 
pauci,  et  episcopatum  ejus  accipiat  alt^r^,  avait  dit  le  Psal- 
miste.  Avant  même  que  le  Sauveur  fût  attaché  à  la  croix,  le 
traître,  désespéré  comme  Gain  *^,  s'était  précité  dans  l'enfer 

*  Luc,  XXII,  66,  70.  —  *  Matth.,  xxvii,  1.  Joseph.,  A,^  XX,  vm,  5; 
I,  2.  —  3  ESaoraCev,  Joan.,  xii,  6.  Auferebat  furtOy  plutôt  que  portabat. 
Cf.  Matth.,  vui,  16;  Joan.,  xx,  15.  —  *  Joan.,  xii,  6,  —  «  Joan.,  vi, 
65,  72;  XII,  14;  xiii,  11,  21  ;  xviii,  25.  —  6  Matth.,  xxvi,  25.  —  '*  Pleri- 
que  incuriosi  evangelii  existimant  tune  periisse  Judani;  Non  tune  pe- 
riit  :  jam  fur  erat  et  Dominum  perditus  sequebatur,  quia  non  corde  sed 
corpore  sequebatur.  S.  Aug.,  In  Joan.,  i,  10.  —  *  Matth.,  xxvi,  14,  16.- 
Cf.  Ex.,  XXI,  32.  Phil.,  ii,  7.  Ut  quod  ex  unguenti  effusione  dainnum  se 
fecis^e  credebat,  magistri  protio  compensaret.  S,  Hier.,  In  hune  ioe,; 
A.  r.,  186.  —  »  Ps.  Gviii,  8.  --  io  Gen.,  iv,  13. 


N«  40â]        SA  VIÉ  àOUÏFRANtÉ.  —  âE8  tOURMBNtS.  863 

par  la  mort  la  plus  ignomineuse  ',  et  sa  mémoire  devenait 
un  objet  d'horreur  pour  le  monde  entier  '.  Ainsi  la  cupi- 
dité, dit  S.  Ambroise,  lui  ravit  à  la  fois  la  vie  du  corps  et 
celle  de  l'âme  ».  Exemple  effrayant,  qui  apprend  aux  minis- 
tres de  l'Eglise  avec  quelle  délicatesse  ils  doivent  user  des 
biens  dont  ils  ont  la  dispensation,  et  à  quel  péril  on  s'ex- 
pose en  cherchant  à  s'enrichir  au  service  du  divin  Maître. 

*  403.  —  Comment  doit-on  entendre  cette  parole  de  Notre  Seigneur 

sur  Judas  :  Bonum  erat  illU  si  natus  non  fuissetj  xxvi,  24? 

Cette  parole  est  vraie  littéralement,  à  deux  points  de  vue, 
au  point  de  vue  de  la  morale  et  au  point  de  vue  de  la  sensi- 
bilité :  —  1"  Pour  un  être  moral,  il  voudrait  mieux  n'avoir 
pas  reçu  la  vie  que  d'en  abuser  à  ce  point  :  le  néant  serait 
préférable  à  une  existence  souillée  d'un  pareil  crime.  — 
2*  Pour  un  être  sensible,  il  vaudrait  mieux  être  anéanti  ou 
n'avoir  jamais  joui  de  la  vie  que  d'avoir  à  subir  les  châti- 
ments éternels,  mérités  par  cette  prévarication  *.  Ce  n'est 
pas  ici  le  lieu  d'objecter  ce  principe  métaphysique:'  Que 
l'être  est  en  soi  préférable  au  néant,  ou  que  rien  de  ce  qui 
est  n'est  absolument  mauvais.  On  sait  que  Dieu  peut  faire 
servir  au  bien  les  méchants  et  jusqu'au  mal  même  ;  mais 
on  sait  aussi,  et  il  est  incontestable,  qu'il  a  plus  de  puissance 
qu'il  n'en  faut  pour  faire  de  la  vie  un  supplice  à  celui  qui  l'a 
reçue  *.  Et  si  sa  justice  lui  interdit  d'exercer  ce  pouvoir 
pour  affliger  les  justes  et  les  vrais  pénitents,  ne  le  sollicite- 
t-elle  pas  d'en  faire  usage  pour  châtier  les  criminels  endurcis 
qui  s'obstinent  dans  le  mal  et  qui  meurent  dans  l'impéni- 
tence*? 

*  Matth.,  XXVI,  24;  xxvii,  5.  Act.,  i,  25.  —  ^  Matth.,  xxvn,  4;  Act., 
I,  18,  19.  —  3  Adverte  laqueum  diaboli  esse  divitias.  Hic  laqueus  Judam 
apostolum  strangulavit.  S.  Amb.,  In  Ps.  cxviii;  Serm.  xiv,  36.  Si  quis 
furtum  faciens  statim  oculum  perdidisset,  omnes  dicerent  Deum  prœ- 
sentem  vindicasse.  Oculum  cordis  amisit  et  ei  pepercisse  putatur  Deus  ! 
S.  Aug.,  In  Ps,  LYii,  18.  —  ^  Melius  est  omnino  non  esse  quam  aeternos 
cruciatus  perpeti;  S.  Hier.,  In  Ecoles.^  iv,  1;  quam  maie  esse  vel  vivere. 
In  Matth.,  xxvi,  24.  Cf.  S.  Thom.,  l»-2«,  q.  8,  a.  1,  ad  3.  —  s  Cf.  Job., 
III,  3,  11;  x,  18;  Jer.,  xx,  14;  II  Cor.,  i,  8.  —  «  S.  Aug.,  de  Catech, 
rud.t  xYii,  30;  Bossuet,  Médit.,  Cène,  xx«  jour,  elc. 


o64  jésUS-dHRlST  SELON  L^EVANÛILË.  [fi^  404 

404.  —  Comment  se  fait-il  que  S.  Matthieu,  xxviî,  9,  attribue  à  Jérémie 
un  passage  qui  ne  se  Ut  que  dans  Zacharie,  xf,  là? 

On  explique  de  diverses  manières  comment  Jérémie  est 
cité  en  cet  endroit  :  —  !•  Plusieurs  pensent  qu'il  y  a  ici  une 
faute  de  copiste;  que  l'Ëvangéliste  avait  cité  simplement/^ 
prophète,  comme  il  fait  d'ordinaire,  et  que  le  nom  de  Jéré- 
mie, placé  le  premier  dans  le  recueil  des  prophètes,  aura 
été  ajouté,  en  transcrivant,  ou  qu'il  sera  passé  de  la  marge 
dans  le  texte  ;  ou  bien  encore  que  le  nom  de  Zacharie,  écrit 
d'abord  en  abrégé,  Z:u  ou  Zptou,  se  sera  changé  en  celui  de 
Jérémie,  par  la  simple  altération  d'une  lettre,  Icu  ou  Ipicu 
puis  I|i.tou.  Mais  cette  dernière  hypothèse  a  contre  elle  ce 
fait,  qu'on  ne  trouve  guère  d'abréviations  de  ce  genre  que 
dans  les  manuscrits  en  minuscules,  c'est-à-dire  assez  récents. 
—  2**  D'autres  font  observer  que  Jérémie  a  pu  écrire  un 
livre  que  nous  n'avons  pas,  ou  que  Zacharie  a  pu  repro- 
duire une  prophétie  faite  de  vive  voix  par  Jérémie,  ou  bien 
encore  que  les  derniers  chapitres  du  livre  de  Zacharie 
pourraient  avoir  Jérémie  pour  auteur.  —  3*  D'autres  enfin 
disent  que  la  citation  se  trouve  en  partie  dans  Jérémie,  et 
que  S.  Matthieu,  citant  à  la  fois  deux  prophètes,  a  pu  ne 
nommer  que  le  plus  célèbre  des  deux.  C'est  ce  qui  a  lieu 
en  plusieurs  autres  endroits  *.  Il  est  vrai  pourtant  que 
les  paroles  de  Jérémie  et  celle  de  Zacharie,  qui  seraient 
citées  ici  à  la  fois,  ne  paraissent  pas  se  rapporter  au  même 
objet  *. 

1  Matth.,  XXI,  4,  13  ;  Marc,  i,  2;  Act.,  i,  20;  Rom.,  m,  10-18.  -  *  Cf. 
S.  Hieron.,  Epist.  lyii,  7  ;  Ad  Pamm,  ;  Maldonat,  etc. 


N"  408]         SA  VJE   SOUFFRANTE.   —   SES   TOUH^EfiTS. 


g  V.  —  Le  Sauveur  devant  le  gouverneur;  sa 

Matth.,  util,  11-31;  Joan.,  ivni,  !8-ii 

{Viadredi,  de  ■!  i'iD  hêurn  du  mrUin.) 


405.  —  Qu'était-ce  que  Pilate  et  Hérodeî? 

1°  Ponce-Pilate  *  fut  le  cinquième  procurateur  envoyé  de 
Rome  en  Judée.  I)  gouverna  cette  province  de  l'an  26  à  l'an 
36  de  l'ère  chrétienne,  sous  les  ordres  du  légat  de  Sjrie. 
C'était  une  créature  de  Séjan,  favori  de  Tibère.  Par  ména- 
gement pour  la  susceptibilité  des  Juifs,  il  résidait  à  Césarée 
de  Palestine,  capitale  officielle  et  place  de  sûreté  sur  la  cûte 
de  la  mer;  mais,  comme  Antipas,  il  venait  à  Jérusalem  au 
temps  des  grandes  fêtes;  et  alors  il  habitait  le  prétoire*, 
demeure  contiguë  à  la  tour,  Antonia  et  voisine  du  palai.-; 
d'Hérode  ', 

2°  Hérode  Antipas,  devant  qui  Pilafe  envoya  Notre  Sei- 
gneur, est  déjà  connu  dans  l'Evangile  comme  meurtrier  de 
S.  Jean-Baptiste.  A  la  morlde  son  père,  Hérode  l'Ancien,  il 
avait  reçu  le  gouvernement  de  la  Galilée  avec  le  titre  de  lé- 
trarqué.  Sa  résidence  était  à  Tibériade  ou  à  Sérapis,  prés 
du  mont  Thabor;  mais  pour  les  fêtes  pascales  il  venait  à 
Jérusalem,  où  son  père  lui  avait  laissé  un  palais  magnifique. 

t  MédaiUe  de  TiWre  ;  Ti6!pio(  StSimo-,  Kataap.  Au  revers  :  Temple 
dédié  à  Céaar.  à  Césarée  de  Palestine.  Supra,  n.  Î21,  Auuiur  ;  •^l).lT^^«'J 
Ter.  L.  A  Z  indiquent  l'an  37  de  la  tétrachle  do  Philippe,  an  .1.1  de  ïtfr^ 
chrétienne.  —  '  Cf.  Annal,  de  phil,  chrét,,  lxvi,  433.  —  '  Potitiui,  nom 
d'ans  famille  romaine  bien  connue.  Pilatus,  a  pila,  javelot,  ét*ft'an 
Bumom.  Cf.  Joseph.,  A.,  XVUI,  in,  I.  —  *  Hattli.,  xivii,  S7:  loa».. 
xvni,  S8.  —  '^  Joseph  ,  B.,  »,  xiv,  8. 


566  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n<>406 

L'histoire  révèle  en  lui  un  homme  sensuel  S  superstitieux*, 
lâche  •  autant  que  cruel  *. 

Que  ces  hommes  semblent  petits  sur  leur  tribunal',  et 
que  Jésus  est  grand  à  leurs  pieds  î  Que  son  nom  est  glorieux, 
et  les  leurs  odieux  et  vils  !  Comme  on  voit  bien  que  la 
grandeur  véritable  n'est  pas  dans  l'extérieur,  qu'elle  ne  dé- 
pend pas  du  rang  ni  de  la  fortune,  mais  qu'elle  tient  à  la 
personne,  au  caractère,  à  la  vertu  ! 

406.  —  Que  signifient  ces  paroles  :  Regnum  meum  non  est  de  hoc 
mundo,  Nunc  regnum  meum  non  est  hinc  s  ? 

Ces  paroles  du  Sauveur  signifient  qu'il  est  roi,  mais 
d'une  royauté  à  part,  bien  différente  de  celles  de  ce  monde'. 
De  quelle  manière  et  à  quel  degré  en  diffère-t-elle?  Ce  n*est 
pas  sans  doute  à  ce  point  que  son  royaume  n'ait  rien  d'ex- 
térieur ni  de  terrestre;  qu'il  soit  sans  organisation,  sans 
sujets,  sans  ministres  ici-bas  ;  qu'il  n'ait  rien  de  conmiun 
avec  ce  monde,  ni  aucun  pouvoir  à  exercer  sur  la  terre. 
Non  dicit  :  Regnum  meum  non  est  hic^  remarque  S.  Augus- 
tin, sed  regnum  meum  non  est  hinc  *.  Ce  n'est  pas  non  plus 
dans  ce  sens  qu'il  soit  subordonné  aux  royaumes  d'ici-bas, 
qu'il  emprunte  d'eux  sa  puissance,  qu'il  n'a  aucun  droit  à 
leur  égard  ;  au  contraire,  il  est  évident  que  Notre  Seigneur 
place  son  royaume  au-dessus  de  tout  autre,  et  qu'entre  sa 
royauté  et  celles  de  ce  monde,  il  met  une  différence  égale  à 
celle  qui  existe  entre  l'âme  et  le  corps,  entre  le  ciel  et  la 
terre  •.  Mais  ce  n'est  pas  là-dessus  qu'il  insiste.  Il  ne  veut 
pas  s'étendre  sur  celle  de  ses  prérogatives  qui  pourrait  sus- 
citer quelque  défiance.  Ce  qu'il  fait  entendre  à  Pilate,  c'est 

1  Matth.,  XIV,  6;  Lnc,  m,  19.  —  *  Marc,  vi,  14;  Luc,  ix,  7;  xxra,  3. 

—  3  Matth.,  XIV,  9;  Luc,  xiii,  31.  —  *  Matth.,  xiv,  9;  Luc,  xxiii,  11-15. 

—  8  s.  Jean ,  xix ,  13,  dit  expressément  comme  S.  Matthieu,  xxvii,  19, 
que  Pilate  s* assit  sur  son  tribunal  pour  entendre  la  procédure  et  pro- 
noncer la  sentence.  C'était  une  formalité  de  droit  chez  les  Romains.  Cf. 
Act.,  XVIII,  12,  16,  17;  xxv,  6,  17.  —  «  Joan.,  xviii,  38.  —  7  Ps.  ii,  6; 
Luc,  I,  32;  Rom.,  xiv,  9;  I  Tim.,  vi,  15.  —  *  S.  Aug.,  In  Joan.,  civ,l 
Cf.  Joan.,  XVII,  11.  —  »  Matth.,  xxviii,  18;  Joan.,  viii,  23;  xv,  19; 
1  Cor.,  XV,  25;  I  Joan.,  ii,  16 :  iv,  5.  Supra,  n.  48,  168;  Infra.  n.  414, 448. 


N®  407]        SA  VIE   SOUFFRANTE.  —   SES  TOURMENTS.  567 

que  les  princes  de  la  terre  n'ont  à  redouter  de  sa  part  aucune 
rivalité  ;  que  son  autorité,  ayant  une  autre  source  que  la 
leur,  est  d'une  autre  nature;  qu'il  n'a  ni  la  même  fin,  ni 
les  mômes  moyens,  ni  le  même  esprit  qu'eux. 

Quant  au  mot  nunc,  ce  n'est  pas  ici,  comme  plusieurs 
l'ont  cru,  un  adverbe  de  temps  qui  restreigne  à  l'époque  du 
Sauveur  la  portée  de  ses  paroles  :  c'est  une  particule  explé- 
tive  qui  lie  ensemble  les  derniers  mots  du  verset,  en  indi- 
quant une  certaine  opposition  *. 

*  407.  —  Est-ce  suivant  la  loi  romaine,  ou  suivant  la  loi  juive  >,  que  la 

flagellation  fut  infligée  au  Sauveur? 

Pilate  n'avait  pas  à  appliquer  la  loi  juive.  Il  ne  la  consulte 
pas  plus  lorsqu'il  fait  flageller  Jésus-Christ  que  lorsqu'il 
l'interroge  ou  qu'il  le  condamne  à  la  croix.  Numquid  ego 
Judtmis  mm?  dit-il  '.  Il  ne  voulait  que  satisfaire  le  peuple*. 
Le  Sauveur  est  donc  flagellé  à  discrétion,  d'un  nombre  de 
coups  indéterminé,  comme  l'étaient  les  esclaves  chez  les 
Romains  •.  On  vénérait  à  Jérusalem,  du  temps  de  S.  Jérôme, 
la  colonne  qu'il  avait  teinte  de  son  sang  •.  Plus  tard  on  la 
transporta  à  Rome,  où  on  la  voit  encore  en  l'église  de  Sainte- 
Praxède.  Le  souvenir  de  ce  supplice  enduré  par  le  Fils  de 
Dieu  fut  une  consolation  pour  un  grand  nombre  de  martyrs, 
de  confesseurs  et  d'esclaves  chrétiens  ''. 

Le  couronnement  d'épines  et  le  travestissement  qui  sui- 
virent, en  mettant  le  comble  aux  opprobres  et  aux  tour- 
ments du  Sauveur  •,  achevèrent  de  montrer  quelles  expia- 

4  Cf.  Luc,  XIX,  42;  Joan.,  viii,  40;  xvii,  5;  Act.,  v,  38;  Rom.,  m,  21; 
VII,  6,  etc.  Suprat  n.  38.  —  *  Deut.,  xxv,  5;  II  Cor.,  xi,  24.  —  3  Joan., 
xviii,  35;  Act.,  ii,  23.  —  *  Marc,  xv,  15.  —  s  Pectus  illud  Dei  capax 
flagella  secuerunt.  S.  Hier.,  In  Matth,y  xxvii,  26;  Sap.,  ii,  19;  Is.,  l,  6; 
LU,  5,  10.  Supplice  appelé  par  Cicéron  :  média  mors.  Cf.  Pro  Rabirio^  4; 
Horat.  Sat,^  I,  m,  19.  —  6  8.  Hier.,  Epist,  ad  Eustoch,  cviii,  9. 

Perstat  adhac  templamqae  gerit  veDeranda  colamna.  Prudknt.  Distoch.y  163. 

^  Act.,  V,  40,  41;  xvi,  22,  23, 33;  II  Cor,,  i,  5;  xi,  24.  Sic  martyres  infor- 
mabantur.  S.  Aug.,  In  Joan.,  cxvi,  1.  S.  Cyrill.  Hieros.,  Catech,  xm,  13; 
Brev.  rom.,  Feria  vi  hebd,  sanctae,  lect.  iv.  —  *  Matth.,  xxvii,  28-30. 
Cf.  Cicero,  Verres^  v,  64. 


568  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n"  408 

lions  demandaient  nos  péchés  et  avec  quelle  générosité  il 
s'était  dévoué  pour  payer  toutes  nos  dettes  *. 

408.  —  Pour  quel  motif  les  ennemis  du  Sauveur  le  poursuivaient-ils 
avec  tant  de  fureur,  et  pour  quel  grief  le  firent-ils  condamner? 

I.  La  passion  qui  animait  les  princes  des  prêtres  et  leurs 
adhérents,  c'était  la  jalousie  '.  Les  causes  de  cette  jalousie 
étaient  l'innocence  du  Sauveur,  qui  contrastait  avec  leurs 
vices  ',  l'indépendance  de  son  enseignement,  qui  ne  se  rat- 
tachait à  aucune  de  leurs  sectes*;  l'ardeur  de  son  zèle  à 
redresser  toutes  les  erreurs  et  à  combattre  tous  les  abus  *, 
son  titre  de  Messie,  celui  de  Fils  de  Dieu  surtout,  qui  rele- 
vait au-dessus  de  tous*;  ses  miracles,  qu'on  ne  pouvait 
imiter  \  l'annonce  d'une  certaine  transformation  religieuse, 
d'un  culte  spirituel,  moins  formaliste  et  moins  exclusif,  qui 
résultait  de  ses  prophéties  ;  annonce  inquiétante  pour  la 
famille  sacerdotale  et  pour  tous  ceux  dont  l'existence  se  rat- 
tachait au  culte  lévitique';  enfin  le  nombre  toujours  crois- 
sant de  ses  partisans  et  de  ses  disciples  ®.  Il  n'en  fallut  pas 
tant  à  Gain  pour  immoler  Abel,  aux  enfants  de  Jacob  pour 
réduire  Joseph  à  la  servitude  *°,  à  Saul  pour  persécuter 
David*'. 

II.  Le  principal  grief  pour  lequel  les  Princes  des  prêtres 
le  condamnèrent  à  mort  et  obtinrent  de  Pilate  qu'il  fût  atta- 
ché à  la  croix,  c'est  qu'il  se  déclarait  le  Fils  de  Dieu,  o  Yio; 
Tsj  0ÎOJ  *^  Ainsi  Jésus-Christ  fut  le  premier  à  verser  son 
sang  pour  ce  dogme  fondamental  du  Christianisme.  On  l'ac- 
cusa en  outre  d'aspirer  à  la  royauté  et  d'exciter  des  troubles 
dans  l'Etat  *^  Mais  ces  accusations  n'étaient  pas  sérieuses; 

1  Hœc  quanti  valeant  cogitate  :  haec  in  statera  cordis  appendite.S.  Aug., 
De  sancL  Virginit.^  54.  —  2  Matth.,  xxvii,  18,  41-43.  —  3  Jean.,  m,  20; 
VII,  7.  Cf.  Sap.,  II,  12-22;  1  Joan.,  m,  12.  —  *  Luc  ,  iv,  23-28;  Jean.. 
VII,  15.  —  s  Matth.,  XV,  12-14;  xxi,  45,  46;  xxiii,  2-39;  Luc,  xi,  53.  - 
6  Luc,  XIX,  39-40;  Joan.,  v,  18.  Cf.  Sap.,  n,  13.  —  7  Joan.,  xi,  47.  - 
8  Matth.,  xxvii,  40;  Joan.,  iv,  21-24;  xi,  48.  —  9  Luc,  xix,  47-48;  Joan., 
XI,  M\  XII,  9-il,  19.  —  10  Gen.,  xxxvii,  4,  38;  —  n  I  Reg.,  xviii,  8-11 
--  »2  Matth.,  XXVI,  63-69;  xxvii,  40-43;  Marc,  xiv,  61-64;  Luc,  «u, 
b6-71;  Joan.,  xix,  7.  —  i3  Luc,  xxiii,  1,  2.  Addito  majestati  crimine 


N^  409J        SA  VIE  SOUFFRANTE.  —  SES  TOURMENTS.  569 

les  Juifs  qui  avaient  souvent  rendu  hommage  à  sa  vertu  *, 
n'avaient  en  vue  que  de  fournir  à  Pilate  un  prétexte  pour 
l'envoyer  au  supplice.  Sans  croire  à  la  culpabilité  du  Sau- 
veur *,  et  même  en  protestant  de  son  innocence  •,  comme 
Judas  qui  l'avait  trahi  *,  Pilate  finit  par  céder  aux  sollici- 
tations et  aux  menaces  des  prêtres  et  du  peuple  :  Absolvit 
jtMticio ,  damnavit  mysterio  *.  Ainsi  se  manifesta  ce  que 
Jésus-Christ  lui  avait  dit  à  lui-même,  que  ceux  qui  Favaient 
mis  entre  ses  mains  étaient  plus  méchants  que  lui  •.  Ainsi 
s'accomplit  à  la  lettre  ce  qu'avait  prédit  Moïse,  que  ce  serait 
la  multitude  qui  mettrait  à  mort  l'Agneau  pascal,  la  victime 
du  salut  :  Immolabit  eum  omnis  mtUtitudo  filiorum  Israël  ''. 

409.  —  L'imprécation  des  Juifs  :  Sanguis  ejus  super  nos  et  super  filios 

nostros  ^,  eut-elle  son  accomplissement? 

Dieu  entendit  ce  vœu  des  Juifs,  et  il  l'exauça  pour. leur 
malheur  •.  Trente-cinq  ans  plus  tard,  vingt-cinq  ans  environ 

qaod  tune  omnium  accusationem  complementum  erat.   Tacit.,   Ann., 

m,  38. 

i  Matth.,  XXII,  16;  xxvii,  4;  Joan.,  x,  33.  -—  *  Luc,  xxiii,  3, 13-16,  22; 
Joan.,  xvin,  29-38;  xix,  22.  —  »  Matth.,  xxvii,  24.  Cf.  Deut.,  xxi,  6,  7. 
—  ^  Matth.,  xxYii,  4.  Cf.  Deut.,  ix,  6;  Ps.  xxv,  6.  Dan.,  xiii,  46.  — 
5  S.  Amb.,  Jn  Luc,^  x,  97.  Cf.  Joan.,  xix,  12,  15  et  Act.,  xvii,  7.  Pas  de 
trait  qui  peigne  mieux  Tépoque  que  ce  cri  de  la  foule  :  Non  est  amicus 
CxsaiHs,  Pour  comprendre  l'impression  qu'il  fit  sur  Pilate,  qui  avait  déjà 
été  plusieurs  fois  dénoncé  à  Tibère,  il  faut  se  reporter  à  cette  époque  de 
servilité  et  de  despotisme,  où  tous  les  biens  et  tous  les  maux,  honneurs, 
dignité,  fortune,  disgrâces,  châtiments,  dépendaient  de  la  volonté  et 
des  dispositions  d'un  seul.  Il  faut  songer  à  ce  qu'Hérode  dut  à  l'amitié 
d'Antoine,  Antipas  à  Tappui  d'Auguste,  Agrippa  I  à  la  faveur  de  Cali- 
gula,  Agrippa  II  à  la  bienveillance  de  Claude  et  de  Néron.  Akerman 
donne  une  médaille  d'Hérode  Agrippa,  portant  cette  inscription  digne 
de  sa  vanité  :  Baoï^evç  iMyoïc  AYptmroc,  9iXoxai<rap.  Cf.  Act.,  xii,  22. 


«  Joan..  XIX,  H.  Cf.  xviii,  30,  35.  —  ^  Ex.,  xii,  6.  —  •  Matth.,  xxvn,  25. 
--  •  Ps.  çvïu,  7,  Cf.  Gçn,,  iv,  10,  Act.,  v,  28. 


570  JÉSUS-CHRISÏ  SELON  l'évangile.  [n^  409 

après  que  S.  Matthieu  l'eût  consigné  dans  son  évangile,  on 
le  vit  s'accomplir  de  la  manière  la  plus  terrible.  Onze  cent 
mille  Juifs,  d'après  Josèphe,  six  cent  mille,  suivant  Tacite, 
périrent  dans  le  siège  de  Jérusalem  ;  cent  mille  furent  ven- 
dus comme  esclaves  ',  on  en  donna  jusqu'à  trente  pour  un 
denier,  et  le  nombre  de  ceux  qu'on  crucifia  sur  place  fut 
si  grand  que  le  bois  manqua,  dit  Josèphe,  pour  les  y  atta- 
cher '.  Titus  emporta  à  Rome  les  trésors  sauvés  du  temple  : 
la  table  d'or,  dites  des  pains  de  proposition,  le  chandelier 
d'or  à  sept  branches  •,  le  livre  de  la  loi,  les  trompettes  sa- 
crées et  les  voiles  du  sanctuaire  *.  L'arc  de  triomphe  de  cet 
empereur,  encore  debout  après  dix-huit  siècles,  est  le  mo- 
nument officiel  de  cette  lamentable  histoire  ^  Jamais  pareil 
fléau  n'avait  frappé  un  peuple  *.  [On  vit  ainsi  se  réaliser  la 
première  partie  de  leur  imprécation  :  Sanguis  ejtis  super  ms. 
La  seconde  :  et  super  filios  nostros,  se  vérifia  également, 
d'une  manière  non  moins  frappante.  On  sait  quel  a  été  le 
sort  des  Juifs  depuis  cette  époque,  leur  dispersion,  leur  exil, 
les  maux  qu'ils  eurent  à  subir,  leur  constance  à  attester  la 
réalité  des  prophéties  et  leur  opiniâtreté  à  en  nier  l'accom- 
plissement. Tous  les  Pères  les  ont  montrés  aux  chrétiens 
comme  une  preuve  palpable  et  un  exemple  vivant  de  l'ac- 
tion de  Dieu  dans  le  monde  '.  «  Les  Juifs  récoltent  aujour- 
d'hui, disait  S.  Augustin,  ce  que  leurs  pères  leur  ont 
semé  ^  »  «  Les  malheureux  !  s'écriait  S.  Jérôme,  ils  ont 
acheté  à  prix  d'argent  le  sang  du  Sauveur,  qu'ils  voulaient 
répandre  :  ils  achètent  maintenant  au  prix  de  l'or  la  permis- 

1  Joseph.,  B.,  VI,  IX,  3.-2  Joseph.,  B.,  V,  ix,  l;  vi,  44;  vu,  4,  8. 
Cf.  A.,  XVIII,  IX,  5,  10.  —  3  Cf.  Apoc,  II,  5.  —  *  Joseph.,  B.,  II,  m,  1; 
V,  5.  —  ^  Près  do  Tare  do  Constantin,  entre  lo  Colysée  et  le  Forum. 
Supra,  n.  251.  Outre  ces  objets  sacrés  enleyés  au  temple,  on  y  voit  le 
Jourdain  porto  en  triomphe  sous  la  forme  d'un  vieillard  chargé  d'années. 
—  6  Qualis  non  fuit  ab  initie  mundi,  neque  fiet.  Matth.,  xxiv,  21. 
Joseph.,  B.,  V,  X,  5;  VI,  xuii.  —  "^  Supra^  n.  248.  —  8  Bibit  Judaeus  quod 
ei  parentes  sui  propinaverunt.  S.  Aug.,  Serm.  de  Resurr.^  ccxxxiv,  3. 
Quid  profuit  illis  Caïphas  dicendo  :  Si  illum  dimiserimus  sic,  venient 
Romani  et  tollent  nobis  locum  et  geutem?  Ecce  et  non  dimiserunt  eum 
vivum,  et  ille  vivit;  et  venerunt  Romani,  et  tulerunt  eis  et  locuna  et 
regnum.  In  Ps.  lxviii,  26, 


N»  409]        SA  VIE  SOUFFRANTE.  —  SES  TOURMENTS.  871 

sion  d'entrer  dans  leur  cité  et  de  venir  pleurer  au  lieu  où 
fut  leur  temple  '.  Nous  les  voyons  hurler  de  douleur  sur  les 
ruines  du  sanctuaire,  sur  l'autel  détruit,  sur  leur  ville  jadis 
fortifiée,  sur  ces  hauteurs  d'où  ils  ont  précipité  Jacques,  le 
frère  du  Seigneur  •.  »  Errante  par  toute  la  terre  ',  la  na- 
tion déicide  rappela  partout  le  châtiment  et  le  meurtre  de 
Gain  *.  Les  opprobres  du  Fils  de  Dieu  sont  retombés  sur 
elle,  aussi  bien  que  ses  tourments;  ses  enfants  ont  reçu 
soufflet  pour  soufflet,  dépouillement  pour  dépouillement, 
croix  pour  croix. 

Supplicium  pro  csede  luit,  Christique  negati 
Sanguine  respersus  commissa  piacula  solvit. 

Prudent.,  hi  Apoth.  cont,  Jud. 

Ainsi,  sous  la  nouvelle  loi  comme  sous  l'ancienne,  par  ses 
souffrances  comme  par  son  culte,  par  son  aveuglement 
comme  par  sa  foi,  par  sa  haine  comme  par  son  amoilr,  ce 
peuple  accomplit  sa  destinée  :  il  rend  témoignage,  malgré 
lui,  à  la  vérité  du  christianisme  et  à  la  divinité  de  son  auteur  *. 

1  Euscb.,  H.,  IV,  6.  Qui  quondam  emerunt  sanguinem  Gbristi,  emunt 
nunc  lacrymas  suas.  S.  Hieron.,  In  Sophon.y  i,  12;  Epist,  ad  Demelv.^ 
Gxxix,  7.  Ad  Dardan,,  xxix,  7.  Supi^a,  n.  242.  —  *  Orig.,  Cont.  Cels., 
I,  47-n,  13.  —  Euseb.,  ff.,  n,  23;  iv,  2,  6.  —  a  Ps.  lviii,  12.  Cf.  Matr 
thicu  Paris,  Hist.  anglic,  ann.  1229.  —  *  Non  adraittuntur  ad  civi- 
tateni  suam  Judsei,  et  tamen  Judsei  sunt.  Quis  jam  cognoscit  gentes  in 
imperio  romano,  quse  quid  erant  quando  omnes  romani  facti  sunt  et 
omnes  romani  dicuntur?  Judœi  tamen  manent  cam  signe,  nec  sic  victl 
sint  ut  a  victoribus  absorberentur.  Est  signum  Gain  quod  babent  Judœi. 
Circumciduntur,  sabbata  custodiunt,  pascha  immolant,  azyma  comedunt  : 
sunt  ergo  Judaei;  non  sunt  occisi;  necessarii  sunt  credentibus  gen- 
tibus.  Ecce  ubi  jacent  qui  supcrbi  erant;  ecce  ubi  insertus  es  qui  ja- 
cebas.  Et  tu  noli  superbire,  ne  prsecidi  merearis.  S.  Aug.,  In  Ps  lviii. 
Cf.  Serm.  i.  21.  Bourdal.,  Exhort,  sur  le  jugement  du  peuple  ^  ii.  — 
«  Rom.,  IX,  13;  lî  Cor.,  m,  13-15.  Sic  apparent  de  Scriptura  sacra  quam 
portant,  quomodo  apparet  faciès  ceci  de  spécule  :  ab  aliis  videtur;  ab 
ipso  non  videtur.  S.  Aug.,  In  Ps.  lvi,  9.  «  Les  Juifs,  en  tuant  le  Sau- 
veur pour  no  pas  l'avoir  pour  Messie,  lui  ont  donné  la  dernière  marque 
de  Messie.  En  continuant  à  le  méconnaître,  ils  se  sont  rendus  témoins 
irrécusables;  en  le  tuant  et  continuant  de  le  renier,  ils  ont  accompli 
les  prophéties.  Si  les  Juifs  eussent  tous  été  convertis  par  Jésus-Christ, 
nous  n'aurions  plus  que  des  témoins  suspects,  et  s'ils  avalent  été  exter- 
mioéSi  nous  n'çn  aurions  point  du  tout.  »  Pascal,  Pentéet^ 


572  JÉSUS-CHRIST  SELON  L*ÉVANG1LE.  [n<>  410 

410.  —  Le  peuple  juif  est-il  le  seul  sur  lequel  Dieu  ait  vengé 
les  tourments  et  la  mort  de  son  Fils? 

Tous  ceux  qui  s'étaient  signalés  par  une  haine  person- 
nelle contre  Jésus-Christ,  loin  d'être  récompensés,  comme 
ils  auraient  dû  l'être^  s'il  s'était  dit  faussement  le  Fils  de 
Dieu,  ont  été  châtiés,  au  contraire,  dès  ce  monde  et  ont  fait 
une  mort  effrayante.  On  sait  qu'Hérode  l'Ancien  périt  dans 
la  rage  et  le  désespoir  *.  Nous  avons  dit  quel  fut  le  châti- 
ment de  Judas  '.  Trois  ans  après  (36),  Pilate  reconnut  qu'il 
s'était  vainement  lavé  les  mains,  en  permettant  de  répandre 
le  sang  innocent.  Il  se  vit  envoyé  à  Rome  par  Vitellius,  gou- 
verneur de  Syrie,  destitué  par  cet  empereur  en  faveur  du- 
quel il  avait  sacrifié  sa  conscience,  puis  relégué  à  Vienne  en 
Dauphiné,  où  il  mit  fin  à  ses  jours  •.  L'an  40,  Hérode  Anti- 
pas,  supplanté  par  Agrippa  favori  de  Galigula,  le  suivit  dans 
les  Gaules,  sous  le  poids  d'une  semblable  sentence  *;  puis, 
changeant  de  séjour  sans  se  dérober  à  l'exil,  il  alla  mourir 
misérablement  en  Espagne,  avecHérodiade.  Caïphe,  dépouillé 
du  pontificat,  en  même  temps  que  Pilate  l'était  du  gouver- 
nement, se  donna  la  mort  de  chagrin  *.  En  66,  Ananus,  fils 
du  grand-prétre  Anne,  était  masssacré  par  les  Zélotes,  avec 
les  derniers  rejetons  de  sa  famille.  Ainsi  s'ouvre  l'histoire 
De  la  mort  des  persécuteurs  (314)  •.  Ce  qui  est  remarquable, 
c'est  que  l'Evangile  néglige  entièrement  ces  faits.  La  mort 
de  Judas  est  la  seule  qui  soit  mentionnée  dans  le  récit 
de  la  Passion,  et  elle  l'est  en  deux  mots,  sans  la  moindre 
réflexion  ''. 


*  Joseph.,  >4.,  XVII,  vu;  Euseb.,  ff.,  i,  3;  ii,  4.  —  *  Matth.,  xxvii,  4, 5. 

—  3  Euseb..  ff.,  II,  7.  Cf.  Dupin,  Jésus  devant  Caïphe  et  Filate.  — 
*  Joseph.,  A.,  XVIII,  Y,  3;  vii,  2;  B.,  U,  ix,  6.  —  8  Cont.  Apost,  vin,  2. 

—  «  Matth.,  XXVI,  52;  Apec,  xiii,  10.  —  ^  Matth.,  xxvii,  5.-8  Monnaie 
frappée  en  Palestine  sous  Ponce  Pilate.  D'un  côté,  un  lituus,  bâton  au- 
gurai, symbole  c|e  )a  magie  <ju*aCrectionnait  Tibère,  et  autour  :  Ti^eptov 


S"  4il]  SA  vin   SOl'PPRANTE.  —   SA  MORT. 


ARTICLE    lll. 
Mort   et   Bâpultnro  du   SaUTOur. 

(GvIgotha.priidcimuTê.  à  eOlcidenl ;  m  de  fi'e chrélinnl,  K;  d«  i\.  S.  3S; 
H'-ndredi  l  aoril  apTis-midi.) 

§  I,  —  CnuciFiEMENT.  Marc.,  it,  ïi-î7;  Jaan.,  ïiï,  16-âS. 

411.  —  Comniont  le  Sauveur  a-t-il  pu  être  cruciflé  à  la  IroiiUme  heure, 
Marc.,  xï,  25,  lorsqu'il  était  encore  devant  PilMo  vers  la  sixième, 
Joan.,  m.  14? 

Un  certain  nombre  de  commentateurs  tranchent  la  ques- 
tion en  supposant  une  faute  de  copiste  en  S.  Marc  ou  en 
S.  Jean,  faute  facile  à  commettre,  disent-ils,  puisqu'elle 
consisterait  dans  le  changement  d'une  lettre  -i',  en  <i\sigma, 
si  les  nombres  étaient  é(-rits  en  chiffres,  ou  de  deux,  tsiti; 
en  i-j.Tr„  s'ils  l'étaient  autrement.  Ils  citent  à  l'appui  de  ce 
sentiment  quelques  docteurs  et  certains  manuscrits  '.  Mais  le 
fait  de  cette  supposition  est  peu  vraisemblable,  vu  l'accord 
des  manuscrits  et  de  toutes  les  versions  avec  le  grec  actuel. 
Aussi  la  plupart  des  interprètes  s'attachent-ils  à  montrer 

Kimopoî;  de  l'autre,  une  couronne  de  laurier  avec  les  lettroa  L.  I  Z, 
«n  n  de  Tibère,  30  de  J.-C.  Cf.  De  Saulcy,  Numismatique  de  la  Tci-re 
Sainte,  p.  m  et  iv, 

I  Jonas,  jeté  i.  la  mer  et  englouti  par  le  monstre  marin.  Gemme  du  iv" 
au  V*  siècle,  scion  le  D.  Farrar.  En  dehors  de  la  scÔQC  principals.  on 
apergoil  h  droite  le  prophète  prêchant  la  pénitence,  et  h  gauche,  on  le 
Toit  se  reposer  suà  umbra  heders.  —  ■  Euseb.  Cœs.,  Apud.  card.  Mal., 
JVou,  Bibliolh.,  t.  IV,  p.  299,  300;  Opéra  S.  Hieron.,  Brea.  in  Pî.  lxxvli, 
initio;  S.  Petr.  Aleiand.,  Chronic.  paie.  Atexand.;  Migno,  t.  xoi,  p.  219; 
SeveruB  Antioch.,  in  Calena,  et  AmmoniQS,  In  Sckolio;  Patrizi,  In 
Evang.,  1.  il,  Note  cxcv. 


574  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'ÉVANGILE.  [n^  411 

que  les  deux  textes  se  peuvent  concilier.  On  y  parvient  de 
deux  manières. 

1®  Les  uns  disent  que  chez  les  Juifs,  pour  la  prière  et 
les  fonctions  sacrées,  on  ne  comptait  pas  les  heures  avec 
une  grande  précision;  qu'on  se  contentait  de  distinguer, 
comme  on  fait  dans  l'Eglise,  quatre  heures  principales  : 
Prime,  Tierce,  Sexte  et  None,  et  que,  chacune  de  ces  heures 
équivalant  à  trois.  Tierce  durait  jusqu'au  commencement 
de  Sexte,  de  sorte  qu'on  pouvait  dire  indifféremment  que  le 
crucifiement  avait  eu  lieu  à  l'heure  de  Tierce,  comme 
S.  Marc,  c'est-à-dire  avant  qu'elle  fût  entièrement  écoulée  ou 
vers  l'heure  de  Sexte,  comme  S.  Jean,  ûasi  topaSxTtj.  Plusieurs 
ajoutent  cette  remarque  :  que  S.  Marc  *,  comme  S.  Matthieu  ', 
paraît  unir  dans  sa  pensée  la  condamnation  à  la  croix  avec 
le  crucifiement,  et  qu'en  désignant  de  préférence  Tierce,  le 
second  évangéliste  avait  en  vue  de  faire  ressortir  la  fureur 
des  prêtres,  qui  auraient  dû  à  ce  moment  se  trouver  au 
temple. 

2^  D'autres  font  remarquer  que  S.  Jean,  écrivant  hors  de 
la  Judée,  après  la  ruine  de  Jérusalem,  devait  indiquer  l'heure 
suivant  l'usage  des  Romains,  et  non  suivant  celui  des  Juifs. 
C'est  pour  cette  raison,  suivant  eux,  qu'au  chapitre  xni,  1, 
il  dit  comme  les  Gentils  :  La  veille  de  Pâques,  au  lieu 
de  dire  comme  les  Juifs  :  Au  début  de  la  fête;  et  au  chapitre 
XX,  18  :  Cum  sero  esset  die  illo,  et  non  pas  :  Au  commence- 
ment  du  jour  suivant  •.  Par  hora  sexta^  il  faudrait  donc 
entendre,  non  pas  midi  comme  en  Judée,  mais  six  heures 
du  matin,  comme  partout  ailleurs.  Or,  il  n'y  a  pas  de  dif- 
ficulté à  admettre  que  la  flagellation  ait  eu  lieu  à  ce  moment 
et  que  le  Sauveur  fut  conduit  au  Calvaire  entre  neuf  et  dix 
heures.  Le  trajet  ayant  demandé  un  temps  assez  long,  on 
arrive  à  cette  conclusion,  que  les  faits  se  sont  passés  comme 
on  le  croit  communément  :  que  le  crucifiement  eut  lieu 
vers  midi,  que  les  ténèbres  commencèrent  à  se  répandre 
dès  ce  moment,  et  que  le  Sauveur  expira  vers  trois  heures. 

»  Marc.,  15.  —  »  Matth.,  xxvii,  26.  —  »  Matth.,  xxvn,  62. 


NO  413]  àA  viÉ  âout'î'RANTÉ.  —  âA  Mort.  878 

*  412.  —  Sur  qooi  repose  Thistoirc  de  sainte  Véronique,  représentée 

dans  les  chemins  de  la  croix? 

L'histoire  de  sainte  Véronique  est  rapportée  par  d'anciens 
auteurs,  entre  autres  par  Marianus  Scotus,  moine  bénédic- 
tin du  onzième  siècle,  qui  écrivit  une  Chronique  depuis  Jé- 
sus-Christ jusqu'à  son  époque'.  Il  appuie  le  fait  de  sainte 
Véronique  sur  le  témoignage  de  S.  Méthodius,  évéque  de 
Tyr  au  troisième  siècle,  que  S.  Jérôme  a  loué  pour  son  sa- 
voir. A  la  vérité,  on  n'en  trouve  aujourd'hui  aucune  men- 
tion dans  les  écrits  du  saint  évéque,  mais  il  ne  nous  reste  de 
ces  écrits  que  la  moindre  partie.  On  cite  encore  en  faveur 
du  môme  fait  un  lectionnaire  de  l'église  de  Milan,  attribué  à 
S.  Ambroise.  En  définitif,  le  fondement  le  plus  solide  de 
cette  histoire,  c'est  l'image  miraculeuse  de  la  sainte  face, 
honorée  à  Rome  de  temps  immémorial,  avec  ce  qu'on  lit 
dans  l'Evangile  de  S.  Luc  sur  les  femmes  qui  suivaient  le 
Sauveur  montant  au  Calvaire  et  sur  les  témoignages  d'inté- 
rêt qu'il  leur  donna  •. 

*  413.  —  Quel  est  ce  vin  môle  de  myrrhe  qu'on  offrit  à  Notre  Seigneur 

et  qu'il  ne  fit  que  goûter,  Marc,  xv,  23? 

Le  vin  mêlé  de  myrrhe  qu'on  offrit  au  Sauveur  était  une 
boisson  qu'on  donnait  par  compassion  aux  condamnés, 
en  les  conduisant  au  supplice,  afin  de  les  fortifier  contre 
la  souffrance  et  d'émousser  le  sentiment  de  la  douleur  '. 
On  sait  que  la  myrrhe  est  le  produit  d'un  arbrisseau, 
commun  en  Arabie.  Au  lieu  de  la  myrrhe  mentionnée  par 
S.  Marc,  S.  Matthieu  parle  de  fiel,  soit  à  cause  de  l'amer- 
tume naturelle  de  cette  substance,  soit  parce  qu'on  mê- 
lait à  la  myrrhe  un  peu  de  fiel  *.  Notre  Seigneur  ne 
voulut  ni  refuser  absolument  cette  liqueur,  ni  la  boire  : 
il  la  goûta.  Des  auteurs  font  remarquer  qu'en  cela  il  ob- 
serva la  défense  faite  aux  prêtres  dans  le  Lévitique,  de 
rien  prendre  d'enivrant  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions  ^ 

i  Chrmiq.j  ann.  39.  —  «  Luc,  xxiii,  27-31.  —  ^  Cf.  Prov.,  xxxi,  6. 
Image  du  repa»  libre  qu'on  offrait  ailleurs  aux  condamnés.  Cf.  Tert.,  De 
jejun.^  12.  —  *  Matth.,  xxvii,  34.  —  »  Lev.,  x,  9.  Cf.  Ezec,  xuv,  21. 


896  J^StS-CHRISt  SELON  L*ÉVANGILE.  [k»  414 

On  peut  croire  que  ce  fut  aussi  par  compassion  qu'on 
offrit  au  Sauveur  du  vinaigre,  quand  il  s'écria  :  SitioK 
Ce  fait  est,  comme  le  précédent,  l'accomplissement  du 
Psaume  lxviii  ,  22. 

414.  —  Que  signifie  le  titre  de  Roi  des  Juifs^  inscrit  par  Pilate 
au  haut  de  la  croix,  Joan.,  xix,  19? 

L'inscription  du  gouverneur  romain,  rapportée  par  les 
quatre Evangélistes,  la  couronne  des  soldats,  la  robe  blanche 
d'Hérode,  sont  autant  d'hommages  que  Dieu  leur  a  fait  rendre 
à  son  Fils,  à  leur  insu  et  contre  leur  gré".  Dieu  se  sert  des 
méchants,  quand  il  lui  plait,  pour  annoncer  ses  desseins 
comme  pour  accomplir  ses  œuvres*.  «  Caïphe,  »  dit  Bos- 
suet,  qui  résume  les  Pères  sur  ce  sujet,  t  Caïphe,  parlant  de 
Notre  Seigneur,  dit  qu'il  est  expédient  qu'il  meure,  afin 
que  la  nation  ne  périsse  pas.  Il  croit  prononcer  l'arrêt  de  sa 
mort  et  il  fait  une  prophétie  de  sa  gloire.  La  môme  chose 
arrive  à  Pilate.  Voulant  écrire,  selon,  la  coutume,  la  cause 
de  sa  mort,  il  aurait  dû  lui  imputer  un  crime  :  il  dresse  un 
monument  à  sa  royauté.  Parce  que  le  règne  du  Sauveur  de- 
.vait  commencera  la  croix*,  il  plaisait  à  notre  grand  Dieu 
que  sa  royauté  y  fût  attestée  par  une  écriture  publique  et  de 
l'autorité  du  gouverneur  qui  l'a  condamné  à  mort.  Ecrivez 
donc,  ô  Pilate,  les  paroles  que  Dieu  vous  dicte  et  dont  vous 
n'entendez  pas  le  mystère*.  Gardez-vous  bien  de  rien  chan- 
ger à  ce  qui  est  déjà  écrit  dans  le  ciel.  Que  la  royauté  de 
Jésus  soit  proclamée  en  langue  hébraïque,  qui  est  la  langne 
du  peuple  de  Dieu,  en  la  langue  grecque,  qui  est  la  langue 
des  doctes  et  des  philosophes,  et  en  la  langue  romaine,  qui 
est  celle  de  l'empire  et  du  monde  •.  » 

*  Joan.,  XIX,  28.  Cf.  iv,  5.  —  *  Suo  quidam  sensu  sacrilegîa  sunt,  Dei 
autem  dispositiones  mysteria.  Rupert.,  In  Joan. y  xiii.  Peccaïuni  in  his- 
toria,  mysterium  in  figura.  S.  Amb.,  In  Luc. y  ui,  38.  —  3  Qui  feceraf 
Judseorum  principem  prophetare,  coegit  scribere  principem  gentilem. 
S.  Laur.  Justin.,  de  Triumph.  agon.,  17.  --  *  Ps.  ii,  6;  xix,  tO.  —  *  ïdeo 
Pila  tus  quod  scripsit,  scripsit,  quia  Dominus  quod  dixit,  dixit.  S.  Aug.. 
In  Joan.,  cxvii,  5.  —  «  Bossuet,  !•'  Serm.  sur  la  Cit'concùion,  !•»  point. 
Cf.  Act..  II,  5*11;  I  Cor.,  xv,  25.  Supra,  n.  56,  «90. 


N<>  414]  SA  VIÉ  âOtWRANTE.  —  SA  MORt. 

Fronte  crucis  titulus  sit  triplex,  triplice  lingua, 

Agnoscat  Judœa  legens  et  Grœcia  norit, 

Et  venerata  Deum,  meditetur  Roma  superba. 

Prudent.,  In  Apoth.,  v,  383. 


K77 


Titre  de  la  croix,  réduit  &  1/8  i. 

Il  est  vrai  que  le  Sauveur  est  nommé  simplement  par  Pi- 
late  le  Roi  des  Juifs,  o  ^aaiXsuç  twv  louSatwv,  comme  il  Ta  été 
par  les  Mages  '  ;  mais  on  sait  que  les  enfants  de  Juda  sur  les- 

1  Nous  donnons  ce  titre  suivant  la  restauration  de  M.  Drach,  en  dis- 
tinguant ce  qui  est  authentique  et  qui  reste  visible,  de  ce  qu'on  doit 
y  ajouter  pour  le  compléter.  On  sait  que  le  Titre  de  la.  croix  fut  trouvé 
par  Ste  Hélène  avec  les  autres  instruments  de  la  Passion,  et.  plus  tard 
envoyé  à  Rome  pour  être  déposé  dans  l'église  de  Sainte-Croix  de  Jéru- 
salem. Placé  dans  la  clé  de  Tare  de  l'église,  il  fut  caché  d'abord,  au 
v«  siècle,  par  la  crainte  des  barbares,  puis  oublié  jusqu'en  l'an  1492, 
où  on  le  retrouva  dans  une  boite  de  plomb,  avec  cette  inscription  en 
caractères  antiques  :   Titulis  crucis.  On  n'y  peut  plus  lire  aujourd'hui 
que  ces  deux  mots  :  NaÇapevouç  et  Nazannus^  creusés  légèrement  dans 
le  bois  et  écrits  de  droite  à  gauche.  —  L'authenticité  de  cette  relique  a 
été  attaquée  par  divers  critiques;  mais  on  répond  solidement  à  leurs 
difficultés  :  i^  On  ne  doit  pas  s'étonner  qu'une  inscription  en  caractère^ 
hébreux,  grecs  et  latins  soit  écrite  toute  entière  de  droite  à  gauche  : 
les  exemples  en  sont  nombreux.  —  2®  Il  n'est  pas  surprenant  non  plus 
qui]  y  ait  des  fautes  d'orthographe,  e  pour  y),  i  pour  e.  Rien  de  plus  naturel 
de  la  part  d'an  ouvrier,  d'un  homme  du  peuple,  d'un  Romain  surtout  : 
on  en  trouve  fréquemment  de  semblables  dans  les  inscriptions  du  temps. 
Il  faut  dire  la  même  chose  du  signe  u  employé  pour  ou.  On  voit  ce  signe 
dans  des  monnaies  du  troisième  siècle.  —  3<>  Ce  qui  serait  étonnant,  ce 
serait  de  trouver  ces  irrégularités  dans  une  pièce  apocryphe,  fabriquée  à 
loisir  par  un  faussaire.  Comment  expliquer  qu'il  se  fût  écarté  ainsi  du 
texte  de  S.  Jean  qu'il  avait  à  reproduire?  Cf.  Rohault  de  Fleury,  Inst. 
de  la  Pcusion,  Infra^  n.  474.  —  2  Non  possum  digne  mirari  quod  nullam 
aliam  invenerint  causam  interfectionis  ejus,  nisi  quod  esset  Rex  Judœo- 
ram.  S.  Hieron.,  în  Matth.,,  xxvii,  37.  Magi  ab  oriente,  Pilatus  ab  occi- 
dente  venerat.  Unde  illi   orienti,  hoc  est  nascenti,  ille  autem  occi- 
denti,  hoc  est  morienti,  attestabantur  Régi  Judaeorum,  ut  cum  Abraham, 

m.  3.3 


878  JESUS-CMRIST  SELON   L*ÉVANGiLE.  [n^  4lo 

quels  il  doit  régner  sont  répandus  dans  le  monde  entier  K 
Ceux-là  auront  toujours  un  autre  roi  que  César. 

§  IL  —  Derniers  moments  du  Sauveur.  Matth.^  xxvn,  46-54; 

Joan.^  iix,  25-30. 

{Vendredi^  3  heures  du  soir.) 

Marie  et  S.  Jean  à  la  croix.  —  Utquid  dereliquisti  me?  —  Jésas,  roi  des  martyn, 
et  victime  volontaire.  —  Sang  et  eaa  sortis  de  son  cœar. 

415.  —  Est-U  juste  d'étendre  à  tous  les  chrétiens  les  paroles  adressées 
par  Notre  Seigneur  à  saint  Jean  :  Ecce  mater  tua^  Joan.,  xix,  27? 

Par  ces  paroles  :  Ecce  mater  tua^  Notre  Seigneur  dit  à 
S.  Jean  deux  choses  : 

1°  €  Ayez  soin  de  ma  Mère  ici-bas;  tenez  ma  place  auprès 
d'elle;  rendez-lui  tous  les  services  dont  elle  peut  avoir  be- 
soin. »  Ainsi  entendues,  ces  paroles  expriment  une  volonté 
positive  de  Notre  Seigneur;  elles  imposent  à  son  disciple 
une  obligation  particulière,  en  même  temps  qu'elles  lui 
confèrent  un  privilège.  L'assistance  et  la  société  de  la  Mère 
de  Dieu  étaient  réservées  au  plus  pur  et  au  plus  dévoué  de 
ses  disciples  *. 

2**  «  Comprenez  que  vous  lui  devez  la  vie,  qu'elle  est  de- 
venue la  mère  de  votre  âme  et  que  vous  devez  avoir  pour 
elle  un  cœur  d'enfant.  »  Dans  ce  second  sens,  ces  paroles 
sont  le  simple  ennoncé  d'un  fait  :  elles  constatent  en  Marie, 
la  nouvelle  Eve,  une  nouvelle  maternité,  sa  maternité  spiri- 
tuelle, t  Vous  recouvrez  aujourd'hui  la  vie  de  la  grâce,  dit 
le  Sauveur,  en  vertu  de  mon  sacrifice  et  au  prix  de  mon 
sang.  Sachez  que  ma  Mère  a  offert  ce  sacrifice  avec  moi,  que 

Isaac  et  Jacob  recumberent  in  regno  cœlorum.  S.  Aug,,  Serm*  cci,  2.  Cf. 
S 4  Chrys.,  In  Joan,y  lxxxv,  1. 

»  Joan.,  XI,  52.  Cf.  Ps.  ii,  6-9  ;  xxi,*29  ;  Is.,  ii,  3  ;  lx,  12;  Luc,  i,  32, 33; 
Rom.,  II,  28;  m,  29;  iv,  11;  ix,  6,  7;  xi,  17,  18;  Gai., m,  7;  vi,  15,16. 
In  eo  titulo  :  Rex  Judseorum,  qui  sunt  intelligendi  Judaei,  nisi  semea 
Abrahae,  filii  promissionis,  qui  sunt  ctiam  filii  Dei?  Rex  ergo  Judœorum 
Christus,  scd  Judaeorum  circumcisione  cordis,  spiritu,  non  littera,  quo- 
rum laus  non  ex  hominibus,  sed  ex  Deo  est.  S.  Aug.,  In  J6an«,  Gzvii,  5. 
SuprOt  n.  95.  —  »  Supra^  n.  68.  Cf.  Apoc,  xu,  1-6. 


K»  416]  SA  VIE  SOUFFRANTE.  —  SA  MORT.  879 

je  tenais  d'elle  le  sang  que  j'ai  versé  pour  vous,  et  que  je 
l'avais  reçu  pour  cette  fin  '.  N'oubliez  donc  pas  que  vous 
lui  devez  votre  vie  la  plus  précieuse,  qu'elle  est  devenue 
et  qu'elle  sera  à  jamais  votre  Mère  *.  »  Ces  paroles  sont 
générales,  et  l'on  n'y  voit  rien  qui  en  restreigne  l'appli- 
cation. Si  Notre-Seigneur  les  adresse  à  S.  Jean,  il  ne  laisse 
pas,  en  lui  parlant,  d'en  voir  toute  la  portée;  il  regarde 
ce  disciple  comme  représentant  tous  les  chrétiens.  Il  lui 
parle  comme  il  eût  voulu  parler  à  chacun  d'eux,  quasi  in 
uno.  C'est  ainsi  qu'il  voyait  son  Eglise  dans  la  foule  qui 
l'écoutait,  et  qu'il  adressait  à  ses  premiers  disciples  les 
instructions  qu'il  voulait  donner  aux  chrétiens  de  tous 
les  temps  '. 

416.  -—  Que  signifie  cette  parole  du  Sauveur  mourant  :  Deus,  Deus 
meus,  ut  quid  dereliquisti  me?  Matth.»  xxvii,  46. 

1**  Cette  citation  du  Psaume  xxi  atteste  qu'il  a  pour  objet 
la  Passion  et  la  mort  du  Sauveur;  car  c'est  ainsi  que  ce 
psaume  débute,  et,  en  s'en  appropriant  le  premier  verset, 
Jésus-Christ  fait  entendre  que  le  reste  lui  doit  être  aussi 
rapporté.  Il  est  impossible,  d'ailleurs,  de  n'y  pas  reconnaître 
l'exposé  de  ses  souffrances  et  l'expression  de  ses  sentiments. 

*  Spectabat  mater  piis  ocuUs  Filii  vulnera,  per  quem  sciebat  omnibus 
futuram  resurrectionem.  Se  persecutoribus  offerebat,  si  forte  etiam  morte 
sua  pubUco  muneri  aliquid  adderetur.  S.  Aug.,  de  Instit.  virg.^  vu,  49. 
—  2  ïsai.,  LUI,  10;  Joan.,  xii,  24.  Monstra  te  esse  matrem,  lui  dit  l'Eglise. 
Maria  spiritu  plane  mater  nostra,  quia  cooperata  est  caritate  ut  fidèles 
in  Ecclesia  nascerentur.  S.  Aug.,  de  S.  Virginit.^  6.  Quia  in  passione 
iTnigeniti  omnium  nostrum  salutem  beats  Virgo  peperit,  plane  omnium 
nostrum  mater  est.  Igitur  quod  de  hoc  discipulo  dictum  est  :  Ecce  filius 
tuus,  recte  et  de  alio  quolibet  discipulorum,  si  prsesens  adesset,  dici 
potuisset.  Rupert.,  In  Joan,^  xiii.  Si  Abraham  pater  gentium  dicitur 
propter  fidem,  quanto  magis  tu,  o  fidelissima  fidelium,  mater  es  omnium 
nostrum!  Idem,  In  Cant.,  vu.  Sic  plurimi  Doctores.  Cf.  S.  Justin., 
Dial,  100;  Tert.  De  Carn.  Christij  17;  S.  Iren  ,  III,  xxii,  xxxiv;  V,  xix; 
Orig.,  In  Joan,,  initie;  S.  Cyrill.  Hier.,  Catech.,  xii,  15;  S.  Epiph  , 
Hseres,,  lxxviii,  18;  S.  Hieron.,  Epist.  xxn,  24;  S.  Aug.,  de  Ayôn, 
Christ.,  24;  S.  Pet.  Chry sol., Sei*m.  cxl;  S.  AnseJm.,  de  Concept.  B.  M., 
ftub  fin.;  Bossuet,  II«  Serm.  sur  laXonnept.  de  la  Ste  Vierge,  2«  p.  — 
8  Cf.  Joan.,  XX,  17.  --      , 


860  JÉSUS-CHRIST  SfeLON   L^ÉVANGILE.  [n®  416 

Ce  tableau,  si  vivant  et  si  détaillé,  lui  convient  dans  tous 
ses  traits,  et  il  ne  convient  qu'à  lui  *. 

2°  11  répugne  de  dire,  avec  Calvin,  que  c'est  un  cri  de  re- 
proche ou  de  désespoir  •,  non  seulement  parce  que  de  tels 
sentiments  n'ont  pu  exister  dans  l'âme  du  Sauveur,  mais 
encore  parce  qu'ils  seraient  en  opposition  avec  le  reste  du 
psaume,  et  que  ce  serait  violer  toutes  les  règles  d'en  prendre 
un  verset  isolément  et  de  l'interpréter  de  manière  à  contre- 
dire tous  les  autres.  Après  avoir  décrit  ses  tourments  dans 
la  première  moitié.  Notre  Seigneur  y  fait  à  son  Père  la  prière 
la  plus  ardente  et  il  finit  par  un  chant  d'actions  de  grâces  : 
or,  on  ne  prie  pas  quand  on  est  sans  espoir,  et  Ton  ne  rend 
pas  grâce  quand  on  se  révolte  ou  qu'on  murmure. 

3*  Nous  apprenons  par  là  que  le  Sauveur  voit  la  main  de 
son  Père  dans  ses  douleurs,  et  qu'il  ne  doute  pas  de  la  sa- 
gesse de  ses  desseins,  si  rigoureux  qu'ils  soient  •.  Si  l'Homme- 
Dieu  gémit  de  ses  souffrances,  s'il  demande  à  son  Père 
pourquoi  il  l'abandonne  à  la  rage  de  ses  ennemis,  pourquoi 
il  lui  donne  à  boire  un  calice  si  amer,  c'est  qu'il  veut  nous 
faire  sentir  quelles  expiations  nos  péchés  lui  ont  coûtées  ; 
c'est  qu'il  désire  que  chacun  de  nous  se  dise  avec  le  même 
sentiment  que  l'Apôtre  :  Proprio  Filio  mo  non  pepercit,  sed 
pro  nobis  omnibus  tradidit  illum  *  /  Dilexit  me  et  tradidit  se- 
metipsum  pro  me  *  / 

Le  premier  verset  du  Psaume  xxi  fut  prononcé  par  Notre 
Seigneur  en  syrochaldéen  :  Eli^  Eli,  etc.  C'est  ce  qui  donna 
lieu  de  dire  qu'il  appelait  Elie  à  son  secours  •,  soit  que  ceux 
qui  l'entouraient  ne  connussent  qu'imparfaitement  la  langue 
et  les  livres  des  Hébreux,  soit  que,  n'ayant  entendu  que  ces 
deux  mots,  ils  n'en  aient  pas  compris  le  sens,  soit  enfin 
qu'ils  voulussent  tourner  en  dérision  les  dernières  paroles 
du  Sauveur  et  ajouter  cet  outrage  à  tous  ceux  dont  il  avait 
été  l'objet. 

1  Cf.  s.  Aug.,  in  Ps,  XXI.  —  «  InstiL  II,  xvi,  10.  —  »  Vox  ista  doo- 
trina  est,  non  querela.  S.  Léo,  de  Pass.^  Serm.  lxvii,  7.  —  ^  Rom., 
Yiii,  32.  ~  5  Gai.,  II,  20,  Cf.  Bossuet,  Ëxplic.  du  Psaume  xxi,  et  £f.  U., 
Il,  6.  —  «  Matth.,  XXVII,  47. 


N«  418]  SA  VIE  SOUFFRANTE.   —  SA  MORT.  581 

417.  —  Pourquoi  Notre  Seigneur  pousse-t-il  un  grand  cri 

en  rendant  l'âme? 

Par  ce  cri  qu'il  pousse  en  remettant  son  âme  à  son  Père, 
Notre  Seigneur  veut  nous  faire  sentir  :  —  1*  Combien  sont 
grandes  les  douleurs  qu'il  endure.  —  2*  Avec  quelle  ferveur 
il  fait  à  son  Père  le  sacrifice  de  sa  vie  pour  la  rédemption 
du  monde.  —  3®  Qu'il  conserve  sa  liberté  et  sa  puissance 
jusqu'au  dernier  moment,  et  qu'il  meurt  librement,  parce 
qu'il  veut  mourir  *.  Nul  évangéliste  ne  dit  simplement  que 
Jésus-Christ  mourut  :  le  terme  dont  chacun  se  sert  indique 
un  trépas  volontaire,  un  sacrifice  *. 

Aussi  suffit-il  au  Centurion  de  le  voir  expirer  pour  juger 
qu'il  est  plus  qu'un  homme  :  Videns  Centurio,  ait  :  Vers  hic 
hamo  Filius  Dei  erat  *.  Un  Dieu  mourant  devait  mourir  ainsi. 

418.  —  L'histoire  de  la  Passion  justifle-t-eUe  les  titres  à' homme  de  dou- 
leur^ de  victime^  de  martyr^  que  l'Ecriture  et  la  tradition  attribuent 
au  Sauveur  *? 

Comme  il  n'est  personne  qui  soit  couronné  de  plus  de 
gloire,  même  sur  la  terre,  il  n'est  personne  aussi  qui  ait  eu 
davantage  à  souffrir,  c'est-à-dire  qui  se  soit  vu  en  butte  à 
plus  d'hostilité,  qui  ait  été  plus  dépouillé  de  toutes  sortes  de 
biens,  qui  ait  eu  à  supporter  des  tourments  plus  affreux. 

1"  Notre  Seigneur,  dans  sa  passion,  est  traité  en  ennemi 
par  toutes  sortes  de  personnes  :  —  par  le  grand-prêtre  • 
et  par  les  princes  des  prêtres  •  ;  —  par  le  tétrarque  de 
Galilée'';  —  par  le  gouverneur  romain*;  —  par  les  sol- 

1  Ut  noveritis  non  necessitatem,  sed  potestatem  morientis.  S.  Amb., 
De  Sacram.f  ii.  Cf.  Joan.,  x,  18.  —  ^  Qms  ita  dormit,  quando  voluerit, 
si  eut  Jésus  Ghristus  mortuus  est,  quando  voluit?  Quis  ita  vestem  ponit, 
quando  voluerit,  sicut  se  carne  exuit,  quando  vult?  Quanta  speranda 
vel  timcndapotestas  est  judicantis,  si  apparuit  tanta  morientis?  S.  Aug., 
In  hune  loc.  Magna  infirmitas  mori,  sed  plane  sicmori  virtus  immcnsa. 
S.  Bern.,  In  Psalm.  iv.  S.  Th.,  p.  3,  q.  47,  a.  1,  ad  2.  —3  Marc,  xv,  39. 
—  *  Is.,  Liii,  3;  Joan.,  i,  29;  Ephes.,  v,  2;  I  Petr.,  i,  19;  Apoc.,  i,  5.  — 
«  Matth.,  XXVI,  63-66.  —  «  Matth.,  xxvi,  47  ;  xxvii,  1,  2, 12,  20,  41  ;  Marc, 
XV,  11  ;  Luc,  XXIII,  10;  xxiv,  20.  —  '  Luc,  xxiii,  7,  Il  ;  Act.,  iv,  27.  — 
•  Matth.,  xxvii,  24,  26;  Marc,  xv,  15;  Joan.,  xix,  1-16;  Act.,  iv,  27. 


582  JÉSUS-CHRIST  SELON   l'ÉVANGILE.  [n^^  4fô 

dats  *  ;  —  par  les  larrons  crucifiés  à  ses  côtés  *;  —  par  la  po- 
pulace, qui  le  renie  comme  Christ  et  comme  Roi,  qui  déclare 
ne  vouloir  d'autre  roi  que  César  *,  qui  lui  préfère  un  homi- 
cide *,  qui  demande  son  supplice  à  grands  cris  *,  et  qui  se 
repaît  de  ses  souffrances  •.  —  Bien  plus,  il  trouve  des  sujets 
d'affliction  dans  ceux  mômes  qui  lui  sont  les  plus  chers  :  — 
dans  ses  disciples  qui  le  délaissent  et  prennent  la  fuite  '  ;  — 
dans  Judas  qui  le  trahit  *;  —  dans  S.  Pierre  qui  le  renie  •; 
—  jusque  dans  son  Père  céleste  qui  l'abandonne  à  ses  enne- 
mis et  qui  exige  le  sacrifice  de  sa  vie  en  expiation  de  nos 
péchés  *°. 

2°  Tous  les  biens  dont  il  jouissait,  tout  ce  à  quoi  la  nature 
est  attachée,  tout  ce  qui  pouvait  être  un  soutien  et  un  sou- 
lagement pour  son  âme,  lui  est  ravi.  —  A  l'extérieur,  il 
perd  sa  renommée  et  sa  considération  ".  Au  lieu  du  respect 
qu'on  lui  a  si  souvent  témoigné,  il  se  voit  accablé  d'injures  ", 
de  mépris  ",  de  raillerie  **,  de  coups  *^  d'une  infinité  d'ou- 
trages encore  plus  révoltants  '^  —  Dans  sa  personne,  il  perd 
la  paix  intérieure,  ses  consolations  ",  sa  liberté  *•,  enfin 
son  sang  et  sa  vie  ^•. 

3*  Il  endure  en  son  âme  comme  en  son  corps  les  tour- 
ments les  plus  cruels.  —  Dans  son  âme,  c'est  une  tristesse, 
un  .dégoût,  une  anxiété,  des  appréhensions  mortelles  ",  au 

1  Mattli.,  XXVII,  27-31;  Luc,  xxiii,  36;  Joan.,  xix,  2,  3,  23,  34.  — 
2  Matth.,  XXVII,  4'i;  Luc,  xxiii,  39.  —  ^  Joan.,  xix,  15;  Matth.,  xxvii, 
22,  23;  Joan.,  xix,  21.  —  *  Matth.,  xxvii,  21;  Marc,  xv,  7-11;  Luc, 
XXIII,  18.  —  s  Matth.,  xxvii,  23,  24;  Luc,  xxiii,  21,  23;  Joan.,  xix,  7, 
12,  15.  —  6  Matth.,  xxvii,  39-42  ;  Marc,  xv,  29-30.  —  ^  Matth.,  xxvi,  56. 

—  8  Matth.,  XXVI,  49.-9  Matth.,  xxvi,  70,  72;  Marc,  xiv,  68-71  ;  Joan., 
xviii,  27.  —  10  Matth.»  xxvi,  23-40;  xxvii,  46;  II  Cor.,  v,  21.  —  il  Matth., 
XXVI,  65-68;  xxvii,  12,  13,  31,  63;  Marc,  xiv,  57,  58;  Joan.,  xviii,  30. 

—  12 Matth.,  xxvii,  29-31,  40-43,  49;  Marc.,  xv,  29-32;  Luc,  xxii,  65; 
xxiii,35,  39.  —  13  Luc,  xxiii.  18,  —  i*  Matth.,  xxvi,  67,  68;  xxvii,  29,  30, 
40-43,  49;  Marc,  xiv,  45,  65;  xv,  26,  29-32;  Luc,  xxiii,  11,  35,  36;  Joan  , 
xvni,  38;  xix,  3,  5.  —  i^  Matth.,  xxvi,  67;  Marc,  xiv,  65;  Lac,  xxii, 
63,  64;  Joan.,  xviii,  22;  xix,  3.  —  le  Marc,  xiv,  65;  xv,  19.  —  ^  Matth., 
XXVI,  37,  38;  xxvii,  40  ;  Marc,  xiv,  33,  34  ;  Luc,  xxii,  43,  44.  — 18  Matth., 
xxvi,  50;  Luc,  xxii,  54;  Joan.,  xviii,  12,  24.  —  19  Matth.,  xxvii,  50; 
Marc,  XV,  25,  37;  Luc,  xxiii,  33,  46;  Joan.,  xix,  30;  Act.,  ii,  23.  — 
20  Matth.,  XXVI,  37-44;  xxvii,  46;  Marc,  xiv,  33,  34;  Luc,  xxu,  40-45. 


N®  418]  SA  VIE   SOUFFRANTE.   —   SA  MORT.  583 

point  de  suer  le  sang  avec  abondance'.  —  Dans  son  corps, 
on  lui  fait  subir,  à  la  suite  Tun  de  l'autre,  trois  tourments 
atroces ,  une  flagellation  sanglante  •  ;  le  couronnement 
d'épines  '  et  le  crucifiement  *  ;  encore  chacun  de  ces  tour- 
ments, qui  en  renferme  une  multitude,  est-il  accompagné 
de  circonstances  aussi  barbares  qu'ignominieuses.  Ainsi,  il 
(Bst  souffleté  *  et  travesti  à  plusieurs  reprises  •;  on  l'oblige 
à  porter  par  la  ville  l'instrument  de  son  supplice  '';  on  le 
crucifie  entre  deux  voleurs,  comme  le  plus  vil  ou  le  plus 
criminel";  on  le  dépouille  de  ses  vêtements •;  on  lui  donne 
pour  boisson  du  fiel  et  du  vinaigre  ^'^  ;  ses  pieds  et  ses  mains 
sont  percés  de  clous  et  fixés  à  la  croix  *^ 

Quand  on  considère  le  nombre  et  l'atrocité  de  ces  tour- 
ments et  qu'on  songe  que  THomme-Dieu,  loin  d'y  être 
moins  sensible  que  nous,  a  dû  les  ressentir  avec  bien  plus  de 
vivacité,  on  est  forcé  de  reconnaître  qu'ils  suffisent,  à  eux 
seuls,  indépendamment  de  toute  autre  considération,  pour 
lui  mériter  le  titre  de  Roi  des  martyrs  et  lui  faire  appliquer, 
comme  le  fait  l'Eglise,  cette  parole  de  Jérémie  :  Attendite 
et  videte  si  est  dolor  sicut  dolor  meus^^.  Cependant,  le 
tableau  que  les  Evangélistes  ont  tracé  de  la  Passion  est  à 
peine  esquissé.  Il  demande  à  être  complété  par  les  prédic- 
tions des  prophètes  *^;  et  après  avoir  recueilli  tout  ce  qu'il 
a  plu  à  Dieu  de  nous  en  révéler,  on  est  encore  forcé  de  dire 
des  souffrances  du  Sauveur  ce  que  S.  Jean  a  dit  de  ses  dis- 
cours et  de  ses  miracles  *\  que  la  plus  grande  partie  est  res- 

*  Luc,  XXII,  43-44.  — 3  Matth.,  xxvii,  ?6;  Marc,  xv,  15;  Joan.,  xix,  i. 

—  3  Matth.,  xxvii,  29;  Marc  ,  xv,  17;  Joan.,  xix,  2-5.  —  *  Matth.,  xxvii, 
35,  39.  Le  cniciflement,  Tinvcntion  la  plus  atroce  do  la  cruauté  humaine, 
était  une  importation  de  Rome.  La  loi  juive  ne  connaissait  pas  cotte 
peine;  mais  les  Romains  l'infligeaient  aux  esclaves  et  à  ceux  qui  se 
rendaient  coupables  de  crimes  d'état.  —  *  Joan.,  xix,  3.  —  «  Matth., 
xxvir,  28;  Marc,  xv,  17;  Luc,  xxiii,  11;  Joan.,  xix,  3,  5.  —  "^  Luc, 
xxiii,  26;  Joan.,  xix,  17.  —  *  Matth.,  xxvii,  28.  Pone  crucem  servo. 
Juvcnal,  Sat.y  vi.  —  »  Luc,  xxiii,  34.  —  lo  Matth.,  xxvii,  34,  48;  Marc, 
XV,  23;  Luc,  xxrii,  36.  —  i*  Joan.,  xx,  25,  27,  etc.  —  12  Tliren.,  i,  12. 

—  13  Ps.  XXI,  Lxvrii;  Sap.,  11;  Isai.,  un,  etc.  Quis  non  quasi  evangelium 
cantari  arbitretur  :  Foderunt  manus  meas,  etc.?  S.  Aug.,  Cont.  Faust, y 
XII,  43.  Cf.  Bossuet,  Explic.  du  Ps.  xxi.  —  1*  Joan.,  xx,  30;  xxi,  25. 


584  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n«  419 

tée  dans  l'ombre  et  ne  nous  sera  jamais  bien  connue  en  cette 
vie*. 

419.  —  La  mort  du  Sauveur  a-t-elle  été  un  véritable  sacrifice? 

L'Ecriture  l'affirme  ou  le  suppose  en  une  foule  d'endroits*. 
Bien  plus,  le  sacrifice  de  l'Homme-Dieu  est  le  sacrifice  par 
excellence,  et  même  en  un  sens  le  seul  sacrifice  agréable  à 
Dieu,  le  seul  proportionné  à  sa  grandeur.  Aussi  réunit-il  au 
degré  suprême  ce  qui  fait  l'essence  de  tous  ceux  de  la  Loi  '. 
On  y  trouve  : 

1"»  Un  prêtre  et  une  victime.  C'est  le  Verbe  fait  chair,  qui 
est  prêtre  et  victime  tout  ensemble  *.  Par  cela  seul  qu'il  est 
envoyé  ici-bas  pour  nous  racheter,  il  est  destiné  au  sacri- 
fice *.  Par  cela  môme  qu'il  accepte  sa  mission,  il  devient 
prêtre  de  la  majesté  divine  •  et  victime  du  genre  hu- 
main "^  ;  il  se  charge  de  satisfaire  pour  tous  les  péchés  des 
hommes  •. 

2°  Une  offrande  parfaite.  En  effet  cette  offrande  est  libre  •  ; 
elle  est  sincère  *®;  elle  est  généreuse.  Elle  commence  dès 
son  premier  instant  **;  elle  persévère  jusqu'à  la  fin  de  sa 

*  Cf.  s.  Tiiom.,  p.  3,  q.  46,  a.  5;  q.  47,  a.  4,  etc.  «*  Ainsi  est  donnée  au 
monde,  en  la  personne  de  Jésus-Christ,  l'image  d'une  vertu  accomplie, 
qui  n'a  rien  et  qui  n'attend  rien  sur  la  terre,  que  les  hommes  ne  récora-. 
pensent  que  par  de  continuelles  persécutions,  qui  ne  cesse  de  leur  faire 
du  bien  et  à  qui  ses  propres  bienfaits  attirent  le  dernier  supplice.  » 
Bossuet,  H.  U.,  ii,  6.  —  *  Is.,  lui,  10-12;  Act.,  xx,  28;  Rom.,  m,  25; 
vin,  3,  4;  xv,  3;  I  Cor.,  v,  7;  II  Cor.,  v,  15;  18-21;  Gai.,  ii,  20;  Eph., 
I,  7,  14;  V,  2;  Col.,  i,  14;  I  Thess.,  v,  10;  Heb.,  m,  1;  v,  7;  ix,  12-18; 
X,  19;  I  Joan.,  ii,  1,  2;  iv,  10.  —  »  Heb.,  ix,  13-15;  x,  1-14.  —  *  Hostia 
quidem  secundum  carnem,  sacerdos  vero  secundum  spiritum.  S.  Aug., 
Serm.  clv,  2.  Append.  Cf.  S.  Thom.,  p.  3.  q.  22j  a.  2.  —  ^  Joan.,  m,  16; 
Rom.,  IV,  25;  viii,  32.  —  s  Ps.  cix,  4;  Heb.,  v,  10;  vu,  3.  —  '  Is.,  un, 
7;  Joan.,  i,  29;  Rom.,  m,  25,  26;  I  Cor.,  v,  7;  Gai.,  ii,  20;  Eph.,  v,  2; 
Heb.,  x,  6,  7,  9;  I  Pet.,  i,  19;  Apec,  v,  6,  9,  12;  vu,  14,  17;  xiii,  8. 
—  8  Matth.,  XX,  28;  Joan.,  x,  10,  11;  Rom.,  viii,  3,  4;  I  Cor.,  xv,  3; 
II  Cor.,  V,  14,  19,  21  ;  I  Tim.,  i,  15;  u,  5,  6;  ïit.,  u,  14;  Heb.,  ix,  13, 
20,  28;  X,  4-10;  xui,  12;  I  Pet.,  i,  18-21;  ii,  24;  m,  18;  I  Joan.,  ii,  2; 
IV,  10;  Apec,  i,  5.  —  ^  Matth  ,  xxvi,  46,  53,  54;  Luc,  u,  22;  Joan., 
X,  17,  18;  xviH,  8,  11;  Rom.,  v,  7-10;  Gai.,  u,  20;  PhH.,  u,  6-8.  — 
10  Tit.,  n,  14;  Heb.,  v,  7;  vu,  26,  27;  ix,  14;  x,  5-iO.  —  «*  Beb., 
X,  5,  7, 


N^  419]  SA  VIE   SOUFFRANTE.   —   SA  MORT.  588 

vie  *;  elle  n'a  pour  but  que  de  glorifier  Dieu  et  de  racheter 
nos  âmes  '. 

3°  Une  immolation  réelle  et  complète  de  tout  ce  qu'il  a  et 
de  tout  ce  qu'il  est  :  de  ses  biens  et  de  sa  personne  ',  de  sa 
liberté  *,  de  sa  réputation  ',  de  son  honneur  *,  de  son  corps  "'j 
de  son  âme  •,  de  sa  vie  ®. 

4°  Enfin,  entre  Dieu  et  nous,  un  rapprochement  et  une  union 
très  étroite;  rapprochement  et  union  dont  la  divine  victime 
est  le  moyen,  qui  s^exprime  du  côté  de  Dieu  par  le  mystère 
de  l'Ascension  où  l'humanité  du  Sauveur  est  reçue  dans  la 
gloire  *°,  et  de  notre  côté,  par  la  communion  eucharistique 
et  la  participation  aux  sacrements  *S  rapprochement  et  union 
qui  ont  pour  résultat  de  nous  faire  participer  aux  grâces  du 
ciel  et  à  la  vie  de  notre  Père  céleste  **. 

Ainsi  Jésus-Christ  s'est  livré  à  la  mort  pour  nous  rache- 
ter. Il  s'est  montré  tel  que  son  Précurseur  et  les  prophètes 
l'avaient  annoncé  :  le  véritable  Agneau  de  Dieu,  l'Agneau 
qui  efface  les  péchés  du  monde,  celui  qui  devait  réconcilier 
la  terre  avec  le  ciel  et  laver  dans  le  sang  toutes  nos  ini- 
quités ;  et  c'est  une  gloire  que  personne  ne  lui  peut  dis- 
puter *^ 

1  Matth.,  XXVI,  28,  39;  Luc,  xii,  50;  xxii,  15,  19,  20;  Eph.,  v,  2.  — 
*  Joan.,  xvii,  19;  Rom.,  m,  25,  26;  I  Cor.,  xv,  3  ;  Eph.,  v,  2;  Heb.,  ii,  9; 
XIII,  12.  Aliud  crucifix!  patientia,  aliud  crucifigentium  egit  insania,  cum 
per  ejusdem  sanguinis  effusionem  Christus  solveret  mundi  captivitatem, 
Judaeî  interficerent  omnium  redemptorem.  S.  Léo,  Serm.  lxx,  1.  Non 
mors,  sed  voluntas  placuit  sponte  morientis.  S.  Bern.,  De  err.  Absel.j 
vui,  21.  —  3  Phil.,  II,  7-9.  —  *  Matth.,  xxvi,  50;  Joan.,  xviii,  12.  — 
5  Matth.,  XXVI,  65;  Marc,  xiv,  64.  —  6  Matth.,  xxvi,  68;  xxvii,  38,  40; 
Luc,  XXIII,  11,  35.  —  "î  Matth.,  xxvii,  29,  35;  Luc,  xxii,  44;  Joan.,  xix. 
1,  18;  Heb.,  ix.  12;  Apoc,  i,  5;  v,  9.  —  8  Marc,  xiv,  33;  Luc,  xxii,  43, 

—  9  Rom.,  V,  8-10;  xi,  3,  4,  5;  I  Cor.,  v,  7;  xi,  26,  27;  xv,  3;  Eph.,  ii, 
13-17;  CoL,  I,  20-22;  I  Thess.,  ii,  15;  v,  10;  I  Pet.,  m,  18;  Apoc,  v,  9. 

—  10  Heb.,  I,  13;  viii,  1,  2.  —  i*  Joan.,  vi,  55,  56;  xvii,  21,  22;  I  Cor., 
X,  16,  17;  II  Cor.,  xii,  9;  Heb.,  x,  19-22;  Apoc,  i,  5,  6.  —  *2  Joan., 
xvii,  19;  Rom.,  v,  9-19;  I  Cor.,  vi,  11;  Eph.,  i,  7,  8;  ii,  13-18;  Heb.,  v, 
7-9;  IX,  12-14,  24;  I  Pet.,  m,  22.  Supra,  n.  378,  387.  -  «3  Joan.,  i,  29; 
Apoc,  V,  9,  12.  Hoc  summo  veroque  sacrificio  cuncta  sacrificia  facta 
cessarunt.  S.  Aug.,  de  Civ.  Dei,  x,  20.  Cf.  Dan.,  ix,  26,  27;  Mal.,  i, 
10,  11  ;  S.  Thom.,  p.  3,  q.  48,  a.  3;  q.  47,  etc.  Thomassin,  de  Incam., 
X,  10.  Cf.  Dictionn,  de  myst.  chrét,.  Substitution. 

33. 


586  JÉSUS-CHRIST  SELON   l' ÉVANGILE.  [n<>  420 

420.  —  Les  saints  docteurs  n'ont-ils  pas  vu  une  signification  mysté- 
rieuse dans  l'ouverture  du  côté  du  Sauveur,  et  dans  le  sang  et  Teaa 
qui  en  sortirent,  Jean.,  xix,  34  ? 

Le  rapport  signalé  par  S.  Paul  entre  le  premier  Adam  et 
le  second  \  entre  l'union  d'Adam  et  d'Eve  et  celle  du  Sau- 
veur avec  son  Eglise,  a  donné  occasion  aux  saints  Docteurs 
de  faire  remarquer  un  autre  rapport  entre  la  manière  dont 
Eve  fut  formée  •,  et  celle  dans  le  corps  de  rEglise,  la  vraie 
mère  des  vivants,  se  forme  et  s' eniretieni  :  Dormit  Adam vt 
fiât  Eva,  dit  S.  Augustin;  moritur  Christusut  fiât Ecclesia,., 
Dormientis  Adœ  fit  Era  de  latere  ;  Christo  morttio  lancea  per- 
cutitur  pecttis,  ut  profluant  sacramenta  quibus  formatur  Ec- 
clesia  '.  Jésus-Christ  étant  le  chef  des  enfants  de  Dieu,  de 
même  qu'Adam  a  été  le  chef  de  l'humanité,  c'est  en  Jésus- 
Christ  que  toute  vie  surnaturelle  a  sa  source.  L'Eglise  devait 
donc  recevoir  de  lui  la  naissance  et  la  fécondité,  comme  Eve 
a  reçu  d'Adam  l'une  et  l'autre.  Voilà  ce  qui  a  eu  lieu  en 
effet;  et  c'est  ce  qui  nous  est  montré  dans  ce  mystère. 

Ce  n'est  pas  par  hasard,  dit  S.  Chrysostome,  que  le  sang 
et  l'eau  sont  sortis  du  côté  du  Sauveur  *.  Ce  n'est  pas  sans 
dessein  non  plus,  dit  S.  Augustin,  que  l'Esprit  saint  a  fait 
dire  à  l'Evangéliste  que  le  soldat  avait,  non  pas  perce\  mais 
ouvert  le  cœur  du  Sauveur  :  Vigilanti  verbvo  ums  est,  ut  non 
diceret  :  Pectus  vulneravit,  sed  :  Aperuit  *.  Il  voulait  faire 
entendre  que  l'eau  et  le  sang,  ou  plutôt  les  sacrements  de 
baptême  et  d'eucharistie,  dont  ces  éléments  sont  la  matière, 
ceux  dont  on  était  alors  le  plus  frappé  et  dont  les  écrits  des 
Apôtres  font  plus  souvent  mention  •,  devaient  sortir  de 
cette  source;  et  qu'après  avoir  formé  l'Eglise,  ils  lui  com- 

1  Rom.,  V,  14;  I  Cor.,  xv,  45.  ~  *  Gen.,  ii,  21.  —  ^  Ex  op.  S.  Aug., 
Sentent,  cccxxix.  Quare  aqua?  Quare  sanguis?  Aqua  ut  emundaret,  et 
sanguis  ut  rodiraeret.  Quare  de  latere?  Quia  unde  culpa  inde  gratia  : 
culpa  per  fœrainam,  gratia  per  Dominura  Jesum  Christum.  S.  Amb.^ 
De  sûcram.,  v,  4.  —  *  Non  casu  et  simpliciter  hi  fontes  scaturierunt. 
S.  Chrys.,  In  Joan.^  lxxxv,  3.  Au  lieu  de  evvÇev.  de  vvttw,  pupugity 
d'anciens  manuscrits  portaient  YjvoiÇev,  de  avoiycu^  apei^uit.  CL  Apoc  , 
i,  7.  —  5  S.  Attg.,  In  Joan.,  cxx,  2.  Martyr,  rom.,  16  mavt.  —  *  Ibid. 


ryo  42IJ  s^  VIE   SOUFFRANTE.  —   SA   MORT.  587 

muniqueraient  la  vertu  de  produire  des  enfants  qui  por- 
teraient en  eux-mêmes  la  ressemblance  de  son  époux  et  qui 
vivraient  de  sa  vie  :  Hœc  et  lavacrum  prœstant  et  potum  \ 
En  effet,  l'eau  du  baptême  qui  a  fait  les  premiers  chrétiens 
ne  cesse  d'en  faire  de  nouveaux  ;  le  sang  de  l'Eucharistie 
continue  à  les  nourrir  et  à  les  vivifier.  Tout  chrétien  bap- 
tisé comprend  ce  langage  :  Norunt  hoc  initiati  '.  C'est  la  vue 
de  cette  communication  et  de  ces  effets  qui  a  fait  dire  au 
Sauveur  sur  l'Eglise  et  ses  membres,  ce  qu'Adam  a  dit  sur 
son  épouse  :  Hoc  nunc  os  ex  ossibus  mets  '.  Sacramentum  hoc 
magnum  est,  in  Christo  et  in  Ecclesia  *. 

Tous  les  Pères  ne  donnent  pas  de  ce  passage  une  explica- 
tion si  étendue  et  si  bien  suivie;  mais  tous,  entrant  dans 
l'esprit  de  S.  Jean,  y  voient  un  symbole  et  cherchent  à  en 
saisir  la  signification  •. 

§  III.  —  Prodiges  arrivés  a  la  mort  du  Sauveur. 

421.  —  Quels  prodiges  s'accomplirent  à  la  mort  du  Sauveur,  et  que 

signifiaient-ils? 

Les  Evangiles  rapportent  plusieurs  prodiges  survenus  à 
la  mort  du  Sauveur  : 

I.  Les  ténèbres  qui  se  répandirent  sur  toute  la  terre^  ou  du 
moins  sur  toute  la  Judée,  depuis  Sexte  jusqu'à  None  '.  — 
On  ne  peut  douter  que  ces  ténèbres  ne  fussent  miraculeuses. 
Videant  nunc  Judœi  signum  de  cœlo,  quod  petebant,  dit  Théo- 
philacte  à  ce  sujet.  Les  explications  qu'on  a  essayé  d'en 
donner  ne  sauraient  se  soutenir.  Une  éclipse  ne  peut  avoir 
lieu  à  la  pleine  lune,  ni  durer  trois  heures  entières.  D'ail- 

1  Sanguis  et  aqua  quse  sunt  gemina  Ecclesiae  Sacramcnta.  S.  Aug., 
de  Symb.  ad  catech.,  15.  —  2  s.  Chrys.,  In  Joan.,  lxxxv,  3.-3  Gen., 
II,  23.  —  *  Eph.,  V,  32.  Cf.  Brev.  rom.,  0/f.  5S.  Sanguinis  D.  N.  J.  C, 
SS.  Fassionis,  et  S.  Lancese,  Icct.  vii-ix,  et  Hymn.  Passionis  :  Vexilla. 
—  *  Une  des  raisons  et  des  significations  de  ce  fait  n'était-ce  pas  que 
Notre  Seigneur  continuerait  à  s'immoler  pour  nous  après  sa  mort  sur 
la  croix,  et  qu'il  ne  cesserait  pas  de  verser  son  sang  pour  purifier  les 
âmes  et  pour  les  vivifier?  —  ^  Mattli.,  xxvii,  45.  Cf.  Tertul.,  Apol.,  21. 
Orig.,  Cont,  Cels,,  ii»  6,  Ruffin,  H.  E,,  ix,  16, 


888  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n«  421 

leurs,  comment  supposer  que  S.  Matthieu  ait  donné  pour  un 
miracle  à  ses  compatriotes  un  obscurcissement  du  ciel  ordi- 
naire et  tout  naturel?  —  Quant  à  la  signification  du  prodige, 
elle  parait  assez  claire.  Ces  ténèbres  figurent  deux  choses  : 
la  noirceur  du  crime  qui  s'accomplit,  et  l'aveuglement  du 
peuple  juif,  au  moment  où  la  lumière  prédite  par  les  pro- 
phètes se  lève  sur  les  nations*.  Tandis  que  les  princes  des 
prêtres  et  les  magistrats  de  Jérusalem  renient  le  Sauveur,  un 
officier  et  des  soldats  Romains  confessent  sa  divinité  et 
ouvrent  leurs  yeux  aux  rayons  de  la  foiV 

II.  Le  voile  du  temple  qui  se  déchira^.  —  Ce  n'est  pas  le 
premier  voile,  celui  qui  séparait  le  saint  ou  la  première  en- 
ceinte du  vestibule  et  du  portique  ;  c'est  le  voile  intérieur, 
celui  qui  séparait  le  Saint  du  Saint  des  saints  *.  Il  était  ma- 
gnifique et  de  la  grandeur  de  l'édifice.  Les  prêtres  seuls 
furent  témoins  de  ce  prodige  ;  car  eux  seuls  pénétraient  au- 
delà  du  premier  voile  *.  Peut-être  cette  vue  contribua-t-elle 
à  la  conversion  d'un  certain  nombre  parmi  ceux  dont  S.  Luc 
fait  mention  au  chapitre  vi,  7,  des  Actes. 

Ce  prodige  annonçait  au  monde  :  —  1*^  Que  le  voile  jeté 
entre  le  Seigneur  et  nous  par  le  péché,  qui  nous  privait 
des  communications  divines,  était  enfin  levé  •.  —  2*  Que  le 
ciel,  le  véritable  sanctuaire,  dont  le  Saint  des  saints  était 
l'image,  venait  de  s'ouvrir  pour  les  justes  '.  —  3*  Que  tous 
les  mystères  allaient  se  révéler,  toutes  les  ombres  dispa- 
raître et  le  culte  figuratif  cesser  entièrement  ®.  —  4*  Qu'à 
la  vue  du  déicide  qui  venait  de  se  consommer,  toute  créa- 
ture devait  témoigner  son  horreur  et  donner  des  signes 
d'exécration  ^. 

III.  La  terre  qui  tremble  et  les  rochers  qui  se  fendent.  —  Ce 

1  Sic  monstratur  quod  lugeat  in  passione  Gonditoris  creatura  et  quod 
a  Judea  lux  recesserit.  Theophil.,  In  Matth.  Quando  pendentem  Domi- 
num  suum  sol  videre  non  ausus  est.  S.  Hieron.,  In  Joël,  ii.  Cf.  Joan., 
IX,  5.  Virgil.  Georg,,  i,  463.  —  »  Joan.,  viii,  28  ;  xii,  32.  —  3  Matth., 
xxvii,5l.  —  *  Cf.  Fa.,  XXVI,  33;  II  Par.,  m,  14;  Heb.,  ix,  3-18  ;x,  19,20; 
Supra,  n.  88,  126.  —  *  s.  Léo,  de  Pass.,  Serm.  ux.  —  6  Isai.,  ux,  2.  — 
^  Heb.,  ix,  8;  x,  19.  —  »  Eph.,  m,  1-5;  Heb,,  vu,  4-12.  Cf,  S.  Hieron  , 
In  hune  loc.  —  •  Cf.  II  Reg.,  ui,  31, 


N*»  422]  SA  VIE  SOUFFRANTE.   —   SA  MORT.  889 

tremblement  de  terre  paraît  indiquer  l'horreur  que  le  crime 
des  Juifs  inspire  au  ciel  et  qu'il  doit  inspirer  à  toute  créa- 
ture *,  la  révolution  religieuse  qui  va  s'accomplir,  et  la 
ruine  prochaine  de  la  synagogue  et  du  temple*. 

IV.  Des  sépulcres  qui  s'ouvrent  et  un  certain  nombre  de 
morts  qui  apparaissent  à  Jérusalem  *.  —  Ces  apparitions  an- 
nonçaient que  le  Sauveur  a  détruit,  en  mourant,  l'empire 
de  la  mort  *,  qu'il  nous  a  mérité  de  ressusciter  spirituel- 
lement d'abord,  corporellement  ensuite,  pour  la  vie  éter- 
nelle •,  enfin  que  les  âmes  justes  détenues  dans  les  limbes 
vont  en  sortir  pour  entrer  en  possession  de  la  félicité  du 
ciel  •. 

422.  —  Pourquoi  saint  Matthieu  appelle-t-il  Jérusalem  la  cité 

sainte,  xxvii,  53? 

Les  Juifs  aimaient  à  nommer  Jérusalem  la  cité  sainte 
dans  leurs  livres  religieux'.  S.  Matthieu  écrivant  pour  ses 
compatriotes,  à  une  éppque  où  le  temple  était  encore  debout 
et  où  les  fidèles  y  allaient  encore  en  grand  nombre  prier 
avec  leurs  frères,  rien  ne  devait  l'empêcher  d'employer  la 
même  dénomination.  Il  était  même  naturel  qu'il  le  fît,  en  se 
reportant  par  la  pensée  à  la  date  des  faits  qu'il  retraçait. 
C'est  dans  cette  cité,  après  tout,  que  Dieu  avait  encore  le 
plus  d'adorateurs.  Malgré  le  déicide  qui  l'avait  souillée, 
c'est  dans  son  sein  qu'était  le  dépôt  des  vérités  révélées, 
le  trésor  des  saints  mystères,  enfin  tout  ce  qu'il  y  avait 
de  plus  auguste  et  de  plus  divin  sur  la  terre®.  C'est  de 
là  que  la  lumière  et  le  salut  devaient  se  répandre  dans  le 
monde  '. 

1  Luc,  XIX,  40;  Rom.,  viii,  22.  Gum  pateretur,  omnis  ei  compassus  est 
mundus.  Clément.,  Recognit.,  i,  41.  Infî^a,  n.  473.  —  2  Agg.,  ii,  7,  8; 
Jean.,  XVIII,  6;  Heb.,  xii,  26,  27.  Debebat  hoc  testimonium  suo  mundus 
auctori,  ut  in  occasu  Creatoris  sui  vellent  universa  finiri.  S.  Lco,  de 
Pass.,  Serm.  lvii,  4.  —  3  Post  resurrectionem  ejus.  Matth.,  xxvii,  53. 
Cf.  I  Cor.,  XV,  30;  Col.,  i,  18  —  *  Heb.,  ii,  44.  —  s  Dan.,  xii,  2;  Matth., 
XXVI,  29;  Joan.,  v,  25-28.  Cf.  S.  Th.,  q.  3,  q.  44,  a.  4,  ad  3.  —  «Cf.  Act., 
XVI,  26.  —  "^  Cf.  Is.,  LU,  1  ;  Zac,  viii,  3  ;  Matth.,  iv,  5.  --  »  Ps,  xlvii,  9; 
Lzxv,  2.  —  ®  Ps.  cix,  3;  Is,,  ii,  2-4;  Joan.^  iv,  22. 


590  JÉSLS-CMIIIST   SELON    L'ÉVANGILE.  [N"  423 

Toutefois,  celte  expression  est  une  preuve  que  le  premier 
évangile  a  été  écrit  de  fort  bonne  heure  ;  car  Jérusalem  ne 
garda  pas  longtemps  parmi  les  fidèles  la  qualilicalion  de 
sainte-  Ni  S.  Marc,  ni  S.  Luc,  ni  S.  Paul  ne  lui  donnent  ce 
titre*.  Quant  à  S.  Jean,  qui  écrivait  à  la  fin  du  siècle,  il  le 
transfère  à  l'Eglise,  qu'il  nomme  la  Jérusalem  nouvelle'. 


423.  ~  La  Providence  de  Dieu  n 
et  la  ino, 

Même  en  faisant  abstraction  des  faits  miraculeux,  on  peut 
dire  que  l'action  de  la  Providence  dans  la  Passion  du  Sau- 
veur est  évidente,  pour  quiconque  veut  réfléchir.  Tout  pa- 
rait se  faire  au  hasard  ou  au  gré  de  ses  ennemis,  mais  les 
moindres  détails  y  sont  réglés  avec  une  sagesse  infinie.  Il 
n'arrive  rien  qui  porte  atteinte  à  sa  dignité,  qui  s'écarte  des 
desseins  du  ciel,  ou  qui  soit  en  désaccord  avec  les  oracles 
des  prophètes  *.  La  malice  de  ses  ennemis  tourne  à  la  gloire 
de  leur  victime  et  contribue  au  succès  de  son  œuvre.  S'il 
est  condamné  par  le  gouverneur  romain  et  par  les  princes 
des  prêtres,  la  cause  de  sa  condamnation  est  notoire  et  son 
innocence  est  constatée  au  tribunal  môme  de  ses  juges  '.  S'il 

I  s.  Paul  dit;  tel  saints  ds Jérusalem,  Bom.,  xv,  36.  3(;  tuais  il  parle 
des  Juif»  devenus  chrétiens.  —  '  Apoc,  xi,  2;  ixi,  2,  10.  —  3Monn«ia 
du  temps  des  Macliabâcs;  reproduite  pendant  l'insurrection  des  Jnih 
contre  los  llomains.  D'un  cMé,  un  calii^o  dans  le  champ,  peut-ttre  le 
vase  de  l'arclie,  contenant  la  manne,  et  autour,  en  caractères  anrienï  : 
Affi-anchisaemeal  d'Israël.  Au  revers,  la  verge  bourgeonnante  aicc  ti 
lôgeiido  ;  Jérusalem  ta  laînle.  —  '  Despicitur,  vorbpratur,  deridetnr, 
fœdis  veslitur,  fiedioribus  coronatur.  Miru  atquanimitatis  Bdest  Hioc 
vel  masime,  Pliarisœi,  Doniinura  agnoscere  debuistis;  patieotisni  liujos- 
modi  nemo  liominum  perpetraret.  Tert.,  de  Patient.,  m.  —  '  MalUi., 


N*^  423]^  SA  VIE  SOUFFRANTE.  —   SA  MORT.  591 

ouvre  la  bouche  devant  eux,  ce  n'est  pas  pour  se  défendre, 
mais  pour  les  instruire.  Avec  quel  détachement  de  la  vie  il 
parle  à  Pilate  du  pouvoir  qui  lui  a  été  donné!  Son  supplice 
achève  de  faire  éclater  sa  grandeur  et  sa  sainteté.  Le  temps 
et  le  lieu  semblent  choisis  pour  donner  à  son  sacrifice  toute 
la  solennité  possible.  C'est  à  la  fête  de  Pâques,  le  jour  le 
plus  saint  de  Tannée,  où  Ton  immole  l'agneau  pascal,  la 
victime  de  la  délivrance  *  ;  c'est  dans  la  capitale,  en  présence 
de  cinq  cent  mille  Juifs,  accourus  de  toutes  parts,  des  con- 
trées même  les  plus  lointaines;  c'est  en  public,  devant 
toutes  les  autorités  religieuses  et  civiles,  qu'il  est  arrêté,  in- 
terrogé, torturé,  condamné;  c'est  aux  portes  de  la  cité  sainte 
qu'on  le  crucifie  ',  sur  un  des  tertres  qui  l'environnent  %  au 
lieu  même  où  Abraham  offrit  autrefois  son  fils,  où  une  tra- 
dition fait  reposer  les  restes  du  premier  homme*.  Là,  il 
meurt  à  la  vue  du  peuple,  dans  des  douleurs  inouïes,  au 
milieu  des  dérisions  et  des  outrages;  mais  en  pleine  posses- 
sion de  lui-même,  dans  une  attitude  qui  commande  le  res- 
pect, avec  une  force  et  une  majesté  surhumaines,  en 
convertissant  par  sa  grâce  un  malfaiteur  supplicié  à  ses 
côtés  •,  et  en  constatant  qu'il  a  accompli  en  entier  l'œuvre 
dont  il  était  chargé.  Jusqu'après  sa  mort,  Dieu  veille  à  ce 
que  son  corps  conserve  l'intégrité  de  ses  membres  *.  Il  n'est 

XXVII,  24;  Marc,  xv,  14;  Joan.,  xi,  49;  Cf.  Deut.,  xxi,  6.  Pilate  essaie 
jusqu'à,  cinq  fois  de  se  sousti*aire  à  la  nécessité  de  le  livrer  à  la  mort. 
Cf.  Joan.,  XVIII,  31,  38;  Matth.,  xxvii,  17,  23;  Joan.,  xix,  5,  6,  15. 

1  Cf.  S.  Iren.,  IV,  x,  1;S.  Just.,  Dial.j  kO;  Orig.,  In  Levit.^  Honiil.  x. 
—  3  Lev..  XVI,  27;  Matth.,  xxi,  39;  Joan.,  xix,  20;  Heb  ,  xiii,  H,  12.  — 
3  Le  tertre  du  Golgotha  était  à  cette  époque  hors  des  murs.  C'est 
Agrippa  !«'  qui  le  renferma  dans  Fenceinte,  avec  la  ville  neuve  et  la 
viUe  basse.  On  a  découvert  récemment  les  soubassements  de  la  porte 
par  laquelle  on  se  rendait  auparavant  d'Akra  au  Golgotha.  .Cf.  Ann.  de 
phil.  chrét.,  lxxx,  360,  etc.  —  *  Origen.,  In  Matth. ^  xxxv;  S.  Basil., 
In  Is.f  v,  n.  141;  S.  Hieron.,  In  Matth.,  xxvii.  —  s  Luc,  xiii,  40-43.  Ita 
factae  sunttres  cruces,  très  causae.  Crux  Christi  in  medio,  non  fuit  sup- 
plicium,  sed  tribunal.  Unus  latronum  insultabat,  aller  sua  mala  confes- 
sas Christi  se  misericordiae  commcndabat.  De  cruce  insultantem  dani- 
navit ,  credentem  liberavit.  Tiniete,  insultantes;  gaudete,  credentes  : 
Iibc  faciet  in  claritate  quod  fecit  in  humilitate.  S.  Aug.,  Serm,  ccxxxv,  2, 
1—  6  Joan,,  XIX,  33,  34. 


592  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n^  424 

ni  lapidé  comme  S.  Etienne,  ni  décapité  comme  Jean-Faptiste, 
ni  mutilé  comme  Isaïe,  ni  brisé  comme  les  larrons;  mais 
élevé  de  terre  comme  une  victime  sur  son  autel  *,  au  haut 
d'une  croix,  pour  être  vu  de  loin,  comme  le  serpent  d'ai- 
rain •,  suspendu  entre  le  ciel  et  la  terre,  comme  le  médiateur 
de  Dieu  et  des  hommes,  les  bras  étendus  comme  Moïse  sur 
la  montagne  ',  versant  son  sang  sur  le  monde  pour  le  puri- 
fier, le  côté  ouvert  pour  nous  montrer  son  cœur  et  nous  dire 
qu'il  s'est  épuisé  pour  nous  *.  Aussi  est-ce  là  le  grand  mys- 
tère du  christianisme  *,  celui  qui  a  valu  le  plus  d'amour  à 
Jésus-Christ,  qui  lui  a  gagné  le  plus  d'adorateurs,  qui  a  le 
plus  servi  à  propager  ses  vertus  *.  Aussi  est-ce  sur  la  croix 
que  l'Eglise  l'expose  partout  à  nos  regards  ''. 

§  IV.  —  Sépulture  de  Notre  Seigneur.  Matih.,  xxvii,  61  ; 

Joan.^  xix^  38-42. 

{Vendredi^  6  heures  du  soir.) 

*  424.  —  Que  signifient  ces  mots  :   Ibi  propier  parasceve  Judxorum 

posuerunt  eum,  Joan.,  xix,  42? 

Parasceve  est  un  mot  grec  qui  signifie  préparation.  On 
désignait  ainsi  la  veille  du  sabbat,  parce  qu'on  devait,  ce 
jour-là,  préparer  toutes  choses  pour  passer  le  lendemain 
dans  le  repos  *.  Si  S.  Jean  appelle  ce  parasceve  en  particu- 
lier parasceve  paschœ^,  c'est  qu'il  précédait  le -sabbat  le 
plus  solennel  de  l'année  *^,  celui  qui  arrivait  dans  le  cours 
de  la  solennité  pascale  **.  L'imminence  de  ce  sabbat,  qui 
commençait  le  vendredi,  au  coucher  du  soleil,  non  moins 
que  la  loi  du  Deutéronome  *^  obligea  les  disciples  à  des- 

1  Non  in  ara  templi  sed  mundi.  S.  Léo,  Serm.  de  Pass.  lix,  15.  — 
2  Joan.,  m, '14.  —  »  Exod.,  xvii,  2;  Rom.,  x,  21.  Catholicus  Patris  sa- 
cerdos.  Tert.,  Cont,  Marc,  iv,  9.  —  *  Joan.,  xix,  34,  37.  —  s  I  Cor.,  u,  2. 

—  6  Regnavit  a  ligne  Deus.  Ps.  xcv,  10.  Cf.  Joan.,  xii,  32;  xm,  31,  32. 

—  "^  Grande  spectaculum!  si  spectet  pietas,  grande  mysterium!  grande 
fidei  munimentum!  S.  Aug.,  In  Joan,,  cxvii,  3.  Cf.  S.  Tliom.,  p.  3,  q.  46, 
a.  4,  etc.  — -  8  Matth.j  xxvii,  62;  Marc,  xv,  42;  Luc,  xxiii,  54;  Joan., 
XIX,  31.  —  >  Joan.,  xix,  19.  —  *o  Erat  enim  magnus  dies  illa  sabbati. 
Joan.,  XIX,  31.  —  »i  Exod.,  xii,  16.  Supra^  n,  376.  —  i»  Joan.,  xxi,  22,  23. 


J 


>-o  426J  SA  VIE  SOUFFRANTE.  —   SA  SÉPULTURE.  593 

cendre  de  la  croix  le  corps  du  Sauveur,  et  à  l'ensevelir  le 
plus  promptement  possible,  sur  le  mont  du  Calvaire,  dans 
un  sépulcre  d'emprunt.  Ainsi,  suivant  une  remarque  de 
S.  Augustin,  le  Fils  de  Dieu,  qui  n'avait  pas  eu  à  lui  un 
berceau  à  sa  naissance,  ne  voulut  pas  avoir  un  tombeau  à 
sa  mort  \ 

*  425.  —  Comment  ce  sépulcre  était-il  fait? 

C'était  une  grotte  ou  cellule  taillée  dans  le  roc,  ayant  en- 
viron quinze  pieds  de  largeur  sur  six  de  profondeur  et  huit 
de  hauteur.  Le  corps  du  Sauveur  fut  déposé  sur  une  table 
de  pierre  qui  occupait  tout  un  côté  de  la  grotte,  et  qui  avait 
deux  pieds  de  haut  et  cinq  de  long.  L'ouverture  par  laquelle 
on  entrait  avait  quatre  pieds  de  haut  sur  deux  de  large. 
Elle  était  fermée  par  une  pierre  qui  servait  de  porte  et  sur 
laquelle  les  princes  des  prêtres,  pour  leur  confusion,  vin- 
rent apposer  solennellement  leur  sceau  •  ;  car  Dieu  voulut 
que  les  ennemis  de  son  Fils  se  fissent  les  gardiens  de  son 
tombeau,  afin  que  nous  eussions  en  eux  les  meilleurs  ga- 
rants de  sa  résurrection  :  Diligentia  enim  Scribarum  prodest 
fidei  nostrœ,  dit  S.  Augustin.  Servate,  Pharisœi;  servate  •. 

*  426.  —  Le  sépulcre  du  Sauveur  a-t-il  été  glorifié,  comme  Lsaïe  parait 

l'avoir  prédit,  xi,  10? 

Ce  sépulcre  a  été  glorifié  plus  qu'aucun  autre,  et  de  toute 
manière  *  :  par  les  miracles  et  les  apparitions  d'anges  qui 
s'y  sont  opérés  dès  l'origine';  par  le  sanctuaire  que  sainte 
Hélène  y  fit  construire  aux  frais  de  l'empire  •  et  qui  réunit 
dans  son  enceinte  le  lieu  où  le  Sauveur  a  été  crucifié  et  ce- 
lui où  il  est  ressuscité  ;  surtout  par  la  vénération  dont  ce 

*  Victor  mortis  tumulum  suum  non  habet.  S.  Amb.,  In  Luc.^  x,  140; 
Brev.  rom.,  S.  Sindon.y  lect.  vii-ix.  —  2  Matth.,  xxvii,  63-66.  Cf.  Dan., 
VI,  17;  I  Cor.,  i,  19.  —  3  Serm.  de  Pasch.,  ii.  Cf  S.  Thom.,  p.  3,  q.  51, 
a.  2,  ad  4.  —  *  S.  Hieron.,  Epist,  xlvi,  12.  —  ^  Matth.,  xxviii,  2-7;  Luc, 
XXIV,  22-23  ;  Joan.,  xxii,  12  ;  Act.,  ii,  29-33.-6  Euseb.,  Vita  Constantin.^ 
m,  25;  In  Ps.  lxxxvii,  3.  Rebâtie  en  1048,  cette  église  fut  consumée  par 
an  incendie  en  1808,  à  Texception  du  Saint-Sépulcre  qu'on  crut  avoir  été 
préservé  miraculeusement.  Journal  de  Vempire^  il  et  21  mai  1809, 


594  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n<*  427 

lieu  n'a  pas  cessé  d'être  l'objet  depuis  les  premiers  siècles, 
de  la  part  de  tous  les  fidèles.  A  une  époque,  toute  la  chré- 
tienté s'est  levée  pour  le  venger  et  le  mettre  à  l'abri  des 
profanations.  L'Occident  l'a  disputé  à  l'Orient  durant  des 
siècles  ;  et  si  les  infidèles  sont  restés  en  possession  du  sol, 
ce  n'est  qu'après  avoir  promis  de  respecter  ce  monument 
sacré,  en  laissant  aux  chrétiens  la  liberté  de  le  visiter  et  de 
l'honorer  à  leur  gré*.  Sept  nations  entretiennent  encore 
des  représentants  autour  de  ce  tombeau  :  puisse-t-il  leur 
inspirer  la  même  foi  avec  le  même  respect,  et  les  réunir 
à  jamais  dans  la  même  Eglise  î  Les  enfants  de  S.  François 
d'Assise  comptent  parmi  leurs  plus  glorieux  privilèges 
l'honneur  d'y  chanter  continuellement  les  louanges  du  Sau- 
veur au  nom  des  peuples  catholiques  •. 

*  427.  —  Que  faut-il  ponser  des  Actes  de  Pilate^  ou  du  rapport  fait  par 
ce  gouverneur  à  Tibère  sur  le  supplice  du  Sauveur? 

Les  Actes  que  nous  possédons  aujourd'hui  sont  certaine- 
ment apocryphes;  et  déjà  Eusèbe  reprochait  aux  païens  d'en 
avoir  publié  de  faux,  du  temps  de  Dioclétien,  dans  une  in- 
tention hostile  au  christianisme*.  Mais  il  ne  paraît  pas  dou- 
teux qu'il  n'en  ait  existé  de  vrais  et  authentiques.  S.  Justin, 
qui  a  écrit  sa  première  Apologie  cent  ans  après  la  mort  du 
Sauveur,  allègue  ces  Actes  avec  une  confiance  qui  serait 
inexplicable,  s'il  ne  les  avait  pas  eus  entre  les  mains  et  s'ils 
n'avaient  pas  été  favorables  à  sa  cause.  Il  paraît  qu'il  y  était 
fait  mention  des  miracles  de  Jésus-Christ  et  des  mystères 
de  sa  vie;  car  ce  Père  les  cite  pour  constater  l'accom- 
plissement des  prophéties  à  cet  égard.  Atq^ie  hœc  ita  esse,  er 
Actis  mb  Pontio  Pilato  confectis,  discere  potestis,  dit-il  aux 
magistrats  de  l'empire;  et  un  peu  plus  loin  il  répète  encore: 
Quœ  quidem  ab  eo  fada  esse  ex  confectis  sub  Pontio  Pilato 
Actis  discere  potestis''.  TertuUien,  si  versé  en  matière  d'ad- 
ministration et  de  jurisprudence  *,  invoque  le  même  docu- 

1  Baronius,   Ann,  643,  n.  3.  —  ^  Gon.,  xlviii,  22.  —  3  Euseb.,  iï., 

I,  9;  IX,  5.  —  *  S.  Justin.,  I«  ApoL,  n.  35  et  48.  —  »  Euseb.,  //., 

II,  Z, 


NO  428]  SA  VIE  SOUFFRANTE.  —  SA   SÉPULTURE.  595 

*  

ment,  et  avec  la  même  assurance*.  Quant  à  Eusèbe,  il  ne 
parait  pas  avoir  vu  ces  Actes  de  Pilate,  mais  il  en  fait  men- 
tion dans  son  Histoire  ecclésiastique*:  et  il  ajoute  que  c'était 
la  coutume  des  magistrats  romains  de  rendre  compte  au  chef 
de  l'empire  des  sentences  qu'ils  portaient  dans  les  pro- 
vinces '.  C'est  sans  doute  pour  se  conformer  à  cet  usage  que 
Pline  le  jeune  écrivit  à  Trajan  au  sujet  des  chrétiens  aux- 
quels il  devait  appliquer  le  décret  de  persécution  *. 

Quoi  qu'il  en  soit,  si  les  Actes  de  Pilate  sur  la  mort  de 
Notre  Seigneur  se  sont  perdus  ou  altérés,  on  peut  dire  qu'il 
nous  en  reste  un  abrégé  authentique,  et  à  peu  prés  équiva- 
lent, dans  les  fragments  rapportés  par  S.  Justin  et  Tertul- 
lien,  et  dans  les  Annales  de  Tacite,  historien  désintéressé  et 
presque  contemporain  '. 

428.  —  Le  passage  de  Josèpho  sur  la  vie  et  la  mort  du  Sauveur 

est-il  authentique? 

Voici  ce  qu'on  trouve  dans  Josèphe  (37-96),  touchant  Notre 
Seigneur  :  «  Vers  ce  temps  parut  Jésus,  homme  sage,  ao^oç 
d'^n^p^  si  toutefois  on  peut  l'appeler  un  homme  ;  car  il  opéra 
les  prodiges  les  plus  étonnants  et  il  eut  un  grand  nombre 
de  disciples,  soit  parmi  les  Juifs,  soit  parmi  les  Gentils. 
C'est  ce  Christ  qui,  accusé  devant  Pilate  par  les  principaux 
de  la  nation,  fut  condamné  à  mourir  sur  une  croix,  sans 
qu'il  perdît  pour  cela  l'amour  de  ses  partisans.  Il  leur  ap- 
parut vivant,  après  trois  jours,  selon  la  prédiction  que  les 
prophètes  en  avaient  faite,  et  jusqu'ici  la  secte  des  chrétiens, 
auxquels  il  a  donné  son  nom,  ne  paraît  pas  s'affaiblir".  » 

L'authenticité  de  ce  passage,  qui  n'avait  jamais  été  mise 
en  question,  a  été  vivement  attaquée  au  dix-septiéme  siècle 

1  Ea  omnia  super  Christo  Pilatus,  et  ipse  Jam  pro  sua  conscicntia 
christianus,  Gœsari  tune  Tiborio  nuntiavit.  Tort.,  ApoLy  i,  2,  21.  — 
3  Euscb.,  II.j  II,  2.  —  *  Plin.  jun.,  Epist,  x,  97.  —  »  Christus, 
Tiberio  imperante,  per  procuratorem  Pentium  Pilatum,  supplicie  aflfoc- 
tus  est.  Tacit,,  Annal. ^  xv,  44,  Tacite  écrivit  sos  Annales  vers  l'an  100. 
Né  en  l'an  60,  il  était  âgé  de  40  ans,  et  avait  été  consul  et  préteur.  — 
«  Joseph.,  i4.,  XVIII,  III,  3;  S.  Ghrys.,  Quod  Christus  sit  Deus,  Cf.  5m- 
pra,  n.  242. 


596  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n«  428 

par  des  auteurs  protestants  d'abord,  puis  par  des  écrivains 
incrédules.  Plusieurs  catholiques  ont  cru  devoir  l'abandon- 
ner ou  convenir  qu'il  a  pu  être  interpolé.  Mais  il  a  toujours 
en  sa  faveur  les  plus  fortes  autorités,  et  il  s'en  faut  que  les 
raisons  de  nos  adversaires  soient  de  nature  à  le  faire  re- 
jeter. 

I.  Les  témoignages  de  l'antiquité  semblent  décisifs.  Eu- 
sèbe  de  Gésarée,  l'homme  le  plus  versé  dans  l'histoire  ecclé- 
siastique, qui  écrivait  deux  siècles  après  Josèphe  et  qui 
avait  beaucoup  lu  ses  ouvrages,  cite  ce  passage  en  deux  en- 
droits*. S.  Jérôme,  le  plus  érudit  des  Pères,  selon  S.  Au- 
gustin ',  l'a  traduit  dans  son  livre,  Des  écrivains  ecclésias- 
tiques '.  A  la  suite  de  ces  deux  Docteurs,  nous  pouvons  citer 
S.  Isidore  de  Péluse*,  Sozomène*,  Ruffin,  Suidas,  Nicé- 
phore,  Cassiodore.  Tous  allèguent  ce  texte  comme  irrécu- 
sable. Or,  il  était  facile  de  savoir  la  vérité  à  cet  égard.  Il  y 
avait  alors,  comme  aujourd'hui,  un  grand  nombre  de  ma- 
nuscrits entre  les  mains  des  Juifs  et  des  Gentils,  aussi  bien 
qu'entre  les  mains  des  chrétiens,  et  plusieurs  devaient  avoir 
été  faits  sur  l'original.  Puisque  personne  n'a  réclamé  contre 

*  Euseb.y  E.y  I,  XI,  Demonst.,  UT,  v.  Easèbe  (265-340),  Evèque  de  Gé- 
sarée, eut  pour  maître  et  pour  ami  S.  Pamphile,  disciple  d'Ori gène  (240- 
309).  Passionné  pour  l'étude  et  doué  d'une  merveilleuse  facilité,  il  acquit 
une  érudition  immense.  Il  connaissait  les  écrivains  profanes  aussi  bien 
que  les  auteurs  ecclésiastiques.  Il  eut  longtemps  à  sa  disposition  la  biblio- 
thèque de  l'Eglise  de  Jérusalem,  formée  vers  230,  par  S.  Alexandre,  l'ami 
de  Clément  d'Alexandrie  et  d'Origène  (ff.,  vi,  20.  Infra,  n.  470),  et  celle 
de  Gésarée,  fondée  par  S.  Pamphile,  son  ami  (ff.,  vi,  32;  vu,  32;  viii,  13; 
S.  Hieron.,  de  Viris  illust.,  lxxx),  laquelle  ne  contenait  pas  moins  de 
trente  mille  volumes,  dit  S.  Isidore  de  Séville.  Invité  par  Constantin  à 
lui  demander  quelque  grâce,  il  demanda  et  obtint  celle  de  pouvoir  con- 
sulter librement  toutes  les  archives  de  l'empire.  Cf.  Vila  Constant.., 
I,  28;  II,  8;  m,  51,  52;  iv,  36,  45,  46.  Martigny,  Dictionn.,  Biblio- 
thèques. —  2  vir  doctissimus,  trium  linguarum  peritissimus.  S.  Aug , 
Epist.  cxLviii,  7.  Omnes  vel  pêne  omnes  qui  ante  illum  aliqaid  ci 
utraque  parte  orbis  de  doctrina  ecclesiastica  scripserant,  legit.  Conl. 
Julian.,  I,  vu,  34;  Epist.  cxcviii,  7;  De  civit.  Dei,  xviii,  43.  Totus  in 
lectione,  totus  in  libris  est.  Non  die,  non  nocte  requiescit;  aut  legit 
aliquid  semper,  aut  scribit...;  ut  se  illi  in  omni  scientia  nemo  audcit 
comparare,  Sulp.  Sev.,  DiaL  i.  —  3  Z)e  vir.  illusU,  13,  —  ♦  S.  Isid., 
Epist.  IV,  225,  -  «  Sozom.,  H,  £?.,  i,  1, 


N®  428]  SA  VÏÉ  SOUFFRANTE.  —   SA   SEPULttJRE.  89? 

une  citation  si  importante  et  tant  de  fois  renouvelée,  ne 
faut-il  pas  que  ce  passage  ait  été  regardé  comme  authen- 
tique et  qu'on  n*ait  aperçu  aucun  indice  de  supposition  ? 

II.  Les  objections  se  résolvent  aisément  : 

i**  On  s'étonne  qu'un  Juif,  que  Josèphe  ait  pu  parler  de 
Jésus-Christ  d'une  manière  si  avantageuse.  Mais  n'y  aurait-il 
pas  lieu  de  s'étonner  bien  davantage,  s'il  avait  gardé  le 
silence  à  son  égard  ou  s'il  en  avait  parlé  autrement?  N'a-t-il 
pas  fait  l'éloge  de  S.  Jean-Baptiste  *  et  de  S.  Jacques,  qu'il 
appelle  le  frère  de  Jésus,  surnommé  le  Christ  '?  N'a-t-il  pas 
rapporté  la  prophétie  de  Daniel  »,  sur  les  maux  que  les 
Romains  devaient  faire  subir  à  la  nation,  et  sur  la  ruine  de 
la  ville  et  du  temple,  après  que  le  Christ  aurait  été  renié  et 
mis  à  jnort  ?  L'exactitude  avec  laquelle  les  prédictions  de  ce 
prophète  se  sont  vérifiées  ne  lui  semblent-elles  pas  mettre 
dans  tout  son  jour  la  folie  de  ceux  qui  prétendent  que  Dieu 
ne  prend  aucun  souci  des  choses  d'ici-bsls  *?  Est-il  surpre- 
nant, après  cela,  qu'il  ait  fait  mention  du  Sauveur,  qu'il  lui 
ait  donné  son  nom  de  Christ  ou  de  Messie  ',  qu'il  ait  mis  en 
doute  s'il  n'était  pas  plus  qu'un  homme  ?  Quoi  !  Josèphe  est 
né  en  Judée,  d'une  famille  sacerdotale,  trois  ou  quatre  ans 
après  la  mort  du  Sauveur  :  il  parle  dans  son  Histoire  de 
Jean-Baptiste,  de  Jacques,  évéque  de  Jérusalem,  frère  de 
Jésus,  dit  le  Christ,  de  tous  les  magistrats  nommés  dans  l'E- 
vangile, de  tous  les  chefs  de  parti  qui  se  sont  succédé  depuis 

1  Joseph.,  A.,  XVni,  V,  1,  2  (vers  92).  Supra,  n.  172.  —  2  Tou  Xeyo- 
IJLevou  Xpi(TTou.  Joseph.,  A.,  XX,  ix,  1.  —  5»  Dan.,  ix,  26.  —  *  «  Daniel 
n'a  pas  prédit  seulement  la  persécution  d'Antiochus  Epiphane,  il  a 
annoncé  encore  la  désolation  à  laquelle  notre  pays  devait  être  réduit 
sous  l'empire  des  Romains^  xai  oxi  an^  auxcov  epY)(j.a>6Y)(7eTat,  de  sorte  que 
ceux  qui  le  lisent  et  qui  voient  ce  qui  est  arrivé  ne  peuvent  assez  admirer 
combien  ce  prophète  a  été  favorisé  de  Dieu.  Bien  ne  prouve  mieux  dans 
quel  abîme  d'erreur  sont  les  Epicuriens  qui  rejettent  la  Providence  et  qui 
veulent  que  le  monde  roule  à  l'aventure,  sans  conducteur  ni  pilote.  Si 
c*était  un  pur  hasard  qui  décidât  des  choses  de  ce  monde,  l'événement 
eût-il  ainsi  réalisé  toutes  ces  prédictions?  »  Joseph.,  A,,  X,  xi,  7.  — 
6  Quand  il  dit  :  O  Xpioroc  outoç  y)v,  il  est  évident  qu'il  faut  sous-entendre 
le  mot  Xe^oiuvo;,  qu'il  ajoute  ailleurs.  A.^  XX,  ix,  1.  C'est  ainsi  que 
S.  Jérôme  }e  traduit.  De  vir.  ill.^  13.  Cf.  Matth.,  xxvi,  68;  Marc,  xv,  32; 
Tacit.,i4.,  XV,  44;  Plin.  jun.,  Epist.  x,  97. 


598  JÉSUS-CHHIST  SELON  l'évangilë.  [n«  428 

Auguste  ;  et  il  n'aurait  pas  dit  un  mot  de  Jésus-Christ  ',  ni 
de  ses  disciples,  alors  que  l'empire  portait  des  lois  contre  les 
chrétiens,  alors  que  Suétone  et  Tacite  en  parlent  en  divers 
endroits,  tout  païens,  tout  laconiques  qu'ils  sont  *  !  D'ail- 
leurs, si  l'on  suppose  que  Josèphe  n'a  rien  dit  de  la  vie  et  de 
la  mort  du  Sauveur,  quand  Tacite  en  faisait  mention,  quand 
lui-même  parlait,  comme  l'on  sait,  de  S.  Jean-Baptiste  et  de 
S.  Jacques,  ne  voit-on  pas  ce  qu'il  en  faudra  conclure  ?  Son 
silence  aurait  une  cause,  et  quelle  pourrait-elle  être  ?  Ce  ne 
serait  pas  que  le  Sauveur  lui  était  inconnu  :  nous  venons  de 
voir  qu'il  le  connaissait,  puisqu'il  fait  connaître  ses  parents. 
Serait-ce  qu'il  n'avait  à  en  dire  que  du  mal,  qu'il  regardait 
ses  miracles  comme  des  illusions  et  lui-même  comme  un 
séducteur?  Non,  car  s'il  avait  eu  ces  sentiments,  son  intérêt, 
celui  de  son  ouvrage,  celui  de  sa  nation  devaient  le  porter 
à  le  proclamer  hautement.  Mais  s'il  ne  s'est  tu  que  parce 
qu'il  voyait  du  péril  à  exprimer  sa  pensée,  parce  que  sa 
parole  devaient  déplaire  à  ceux  qu'il  voulait  ménager,  son 
silence  aurait-il  beaucoup  moins  de  valeur  en  faveur  du 
christianisme  que  n'en  a  le  passage  que  l'on  conteste? 

2°  On  s'étonne  encore  de  ce  qu'aucun  auteur  chrétien  n'a 
cité  ce  texte  avant  Eusèbe.  Cet  argument  se  rétorque  avec 
la  même  facilité  que  le  précédent.  S'il  y  a  quelque  difficulté 
à  expliquer  le  silence  des  auteurs  chrétiens  à  cet  égard  dans 
le  premier  et  le  second  siècle  après  Josèphe,  ne  voit-on  pas 
combien  il  serait  plus  difficile  de  concevoir"  comment  les 
Juifs  et  les  païens,  en  possession  de  ses  ouvrages  depuis 
deux  cents  ans,  n'auraient  pas  démenti  Eusèbe  et  les  au- 
teurs chrétiens,  s'ils  les  avaient  vus  citer  son  Histoire  à  faux, 
ou  comment  ils  eussent  omis  de  rétablir  son  texte,  si  ces 
auteurs  l'avaient  interpolé  sur  un  point  si  essentiel"? 
D'ailleurs,  le  silence  des  écrivains  du  second  siècle  est 
moins  étonnant  qu'on  ne  dit.  Qui  ne  sent  que  le  témoignage 

1  Cf.  Joan.,  IV,  25.  Supra,  n.  78.  —  2  Sueton.,  In  Clattd.^  xxv;  Tacit.,     ( 
Annal.,  xv,  44.  —  3  Baronius  affirme  qu'un  exemplaire  hébreu  étant 
tombé  entre  ses  mains,  il  s'est  convaincu  que  ce  passage  avait  été  efEacé 
par  une  main  juive. 


] 


S^  428]  SA  VIE  SOUFFRANTE.  —  SA  SEPULtURE.  899 

de  Josèphe  ne  devait  pas  avoir,  dans  l'esprit  des  Pères,  toute 
rimportance  que  nous  lui  donnons  ?  Ont-ils  commencé  beau- 
coup plus  tôt  à  le  citer  sur  THistoire  juive  et  sur  la  ruine 
de  Jérusalem?  On  voit  bien  que  l'auteur  des  Homélies  clé- 
mentims  l'avait  lu  *,  mais  S.  Théophile  est  le  premier  qui 
en  ait  rapporté  un  passage*.  Après  tout,  dans  le  texte  qu'on 
nous  conteste,  Josèphe  se  borne  à  mentionner  ce  dont  tout 
le  monde  devait  convenir,  l'existence  du  Sauveur,  son  titre 
de  Messie,  la  réalité  de  ses  prodiges  ;  et,  pour  un  grand 
nombre,  le  témoignage  de  ce  Juif,  qui  n'avait  pas  eu  honte 
d'accommoder  l'Histoire  sainte  aux  idées  des  Gentils  et 
d'appliquer  à  Vespasien  les  prédictions  relatives  au  Messie  ', 
avait  moins  de  poids  que  celui  de  S.  Paul  et  des  quatre 
Evangélistes.  Ajoutez  que  plusieurs  Pères  latins,  comme 
S.  Gyprien,  pouvaient  ne  pas  connaître  un  ouvrage  qui 
n'existait  encore  qu'en  grec. 

Du  reste,  les  rationalistes  de  nos  jours  semblent  s'amen- 
der à  cet  égard  et  convenir  que  Josèphe  a  dû  parler  du 
Sauveur.  Il  est  vrai  qu'ils  soupçonnent  encore  son  texte 
d'être  interpolé;  mais  c'est  un  soupçon  en  l'air,  qui  est  dé- 
menti par  la  tradition,  par  tous  les  manuscrits  et  par  la  na- 
ture môme  du  texte,  aucune  partie  n'en  pouvant  être 
détachée  sans  que  ce  retranchement  lui  ôte  toute  significa- 
tion ou  y  introduise  une  incohérence  manifeste. 

t  Homil.  V.  Girca  190.  —  s  S.  Theopb.,  ad  AutoL,  m,  23  (f  181).  — 
3  Easeb.y  f/.,  m,  8. 


600  JÉSUS-CHRIST  SELON  l^ièvaNgilé.  [n"  429 


1 


CHAPITRE  IL 

RÉSURRECTION    ET    ASCENSION    DU    SAUVEUR. 
(Matth.,  xxvni;  Joan.,  xx,  xxi.) 


§  I.  —  Circonstances  de  la  résurrection. 

{Dimanche,  5  avril  33.) 

429.  —  La  résurrection  du  Sauveur  n'es1>elle  pas  figurée,  aussi  bien  qne 

sa  sépulture,  dans  l'histoire  de  Jonas? 

On  ne  peut  douter  que  l'histoire  de  Jonas  n'offre  une 
figure  de  la  sépulture  et  de  la  résurrection  du  Sauveur. 
Notre  Seigneur  s'en  fait  lui-même  l'application  dans  le  pre- 
mier des  Evangiles  ',  et  c'est  sous  l'emblème  de  ce  prophète 
surtout  que  les  premiers  chrétiens  aimaient  à  le  représen- 
ter comme  vainqueur  de  la  mort*.  D'ailleurs,  la  figure  et  la 
réalité,  le  type  et  l'antitype  sont  si  étonnants,  et  l'on  re- 
marque entre  l'un  et  l'autre  une  telle  conformité,  qu'il 
serait  déraisonnable  de  ne  voir  là  que  du  hasard.  Après 
s'être  livré  à  la  mort  pour  sauver  ses  frères  et  avoir  passé 
trois  jours  dans  le  sein  de  la  terre,  in  corde  terrœ,  comme 
Jonas  dans  le  sein  du  monstre  marin,  in  ventre  ceti,  le  Sau- 
veur a  reparu  comme  le  prophète,  plein  de  vie,  dans  un 
milieu  nouveau,  à  l'abri  de  toute  agitation  et  de  tout  péril  ; 
puis,  comme  le  prophète  encore,  comme  cet  unique  pro- 
phète envoyé  aux  Gentils  avant  lui,  il  a  prêché  la  pénitence 

<  Jonas  rejeté  par  le  monstre  marin,  Pune  des  figures  le  plus  sourent 
représentées  dans  les  catacombes.  Supra,  n.  128  note,  229,  etc.  — 
2  Matth.,  XII,  39-41.  Cf.  Luc,  xi,  29,  30.  Nullus  aUus  melior  typi  sui  Id- 
terprcs  fuit,  quam  ipso  qui  inspiravit  Prophetas,  S.  Hieron.,  Prsf,  in 
Jon.  —  3  Arlnghi,  V,  xxii.  Martigny,  Jonas. 


N«  430]        SA  VIE  GLORIEUSE.  —  SA  RIESURRÉCTION.  60i 

aux  infidèles  et  il  a  converti  par  sa  parole,  non  une  ville  ido- 
lâtre seulement,  mais  le  monde  païen  tout  entier,  dont  elle 
était  l'image.  Ecce  plus  quam  Jonas  hic  K  S'il  était  possible 
de  contester  en  présence  des  Juifs  *  l'antiquité  du  livre  de 
Jonas,  les  rationalistes  n'hésiteraient  pas  à  dire  qu'il  a  été 
imaginé  et  supposé  par  un  chrétien  des  premiers  siècles  •. 
Ne  diraient-ils  pas  la  même  chose,  s'ils  le  pouvaient,  du  sa- 
crifice d'Isaac  *? 

430.  —  Si  le  Sauveur  a  été  onseveU  le  vendredi  soir,  et  qu'il  soit  res- 
suscité le  dimanche  matin,  comment  a-t-il  pu  dire  qu'il  resterait  trois 
jours  et  trois  nuits  dans  le  tombeau? 

En  disant  qu'il  resterait  dans  le  tombeau  trois  jours,  ou, 
ce  qui  est  la  môme  chose  dans  le  langage  ordinaire,  trois 

<  Matth.,  XII,  41.  Ipsi  Judsei  coguntur  a  nobis  discere  quid  illa  signi- 
ficcnt,  quae,  nisi  aliqaid  significare  concédant,  tam  divine  auctoritatis 
libres  ab  ineptarum  fabularum  ignorainia  non  defendunt.  S.  Aug.,  Cont. 
Faust.,  XII,  39.  —  «  Cf.  Tob.,  iiiv,  5-6,  15,  Grxce;  Eccli.,  xlix,  12; 
Joseph.,  A.  /.,  IX,  X,  2.  Illi  habcnt  libres,  nos  librorum  Dominum;  illi 
tenent  prophetas,  nos  intelligentiam  prophetarum.  S.  Hieron.,  Prsef.  in 
Jon.  —  3  M.  M.  Vernes  trouve  à  cette  histoire,  «  à  ce  conte,  dit-il,  comme 
eût  pu  dire  Lucien  (Verx  hislor.,  i,  30),  une  forte  odeur  d'hellénisme, 
et  cela  lui  suffit  pour  prononcer  qu'on  ne  peut  le  faire  remonter  au  delà 
de  trois  cents  ans  avant  notre  ère.  Mais  c'est  oser  trop  peu.  A  quoi  sert 
de  donner  ainsi  le  démenti  au  livre  des  Bois,  IV  Reg,,  xiv,  25;  à  Tobie, 
xiv,  4-6,  15,  Grâce;  à  Josèphe,  A.  J.,  IX,  x,  2;  aux  anciens  canons 
reçus  dans  la  synagogue,  Eccli.,  xlix,  12;  aux  traditions  des  Juifs  et 
des  chrétiens,  si  Ton  convient  que  le  livre  a  été  écrit  avant  la  venue 
du  Sauveur  et  la  conversion  du  monde?  Il  ne  s'agit  pas  ici  d'antiquité, 
mais  d'antériorité.  Que  ce  récit  soit  du  troisième  siècle  avant  Jésus- 
Christ,  ou  qu'il  soit  du  huitième,  il  n'en  sera  pas  moins  impossible  d*cn 
expliquer  naturellement  le  caractère  figuratif  et  la  signification  prophé- 
tique. Pour  nous,  la  principale  odeur  que  nous  trouvons  au  livre  de 
Jonas,  c'est  une  odeur  de  christianisme.  Elle  n'est  pas  seulement  dans 
Fhistoire  du  propliète,  elle  est  encore  et  surtout  dans  les  sentiments 
dont  Dieu  se  montre  animé  envers  les  Ninivites,  iv,  10;  sentiments  si 
éloignés  do  ceux  des  Juifs  et  même  des  judaisants.  Infra^  n.  514.  Aussi 
n'hésitons-nous  pas  à  croire  que  l'auteur  principal  appartient  au  Nou- 
veau Testament  aussi  bien  qu'à  FAncien,  et  que  lEsprit  do  Dieu  est  le 
seul  qui  ait  pu  ainsi  esquisser  d'avance,  dan-s  la  vie  et  les  écrits  des 
prophètes,  les  faits  les  plus  merveilleux  de  l'histoire  de  son  Fils,  afin 
d'en  rendre  la  croyance  plus  facile  à  son  peuple.  Cf.  S.  Hieron.,  Prxf. 
in  Jon,;  S.  Aug.,  Epist.  ci,  quaBst.  6;  Bourdaloue,  Caverne,  sur  la  reli- 
gion, le'  point.  -.  *  S.  Epiph.,  DiaL,  m.  Supra,  n.  18-20,  128,  242. 

34 


602  JESUS-OHRIST  SELON  L^ÉYANGILE.  [n^  431 

jours  et  trois  nuits,  vux^ixspa*,  Notre  Seigneur  a  usé  d'une 
figure  très  commune  qui  consiste  à  nommer  le  tout  pour  la 
partie.  On  dit  indifféremment  parmi  nous  :  la  semaine  écou- 
lée^ ou  le  huitième  jour,  ou  huit  jours  après.  Les  juifs  parlaient 
de  même  :  Postquam  consummati  surit  dies  octo  '.  Pour  le 
fait  de  la  résurrection  en  particulier,  personne  n'ignore 
aujourd'hui  qu'il  a  eu  lieu  le  dimanche  matin,  c'est-à-dire 
au  commencement  du  troisième  jour;  cependant  qui  fait, 
parmi  nous,  difficulté  de  dire  que  le  Sauveur  est  resté  trois 
jours  dans  le  tombeau?  Pourquoi  n'aurait-il  pas  parlé 
comme  parlent  les  autres  *?  Rien  n'obligeait  ici  à  compter 
les  heures.  Ce  qui  importait,  ce  qui  devait  confondre  les 
Juifs,  ce  n'était  pas  que  Notre  Seigneur  en  passât  soixante- 
douze  dans  le  sépulcre,  mais  qu'il  en  sortit  vivant,  comme 
Jonas  du  ventre  de  la  baleine,  lorsque  sa  mort  était  indubi- 
table, lorsqu'elle  avait  été  constatée  authentiquement  par 
l'autorité  publique  et  aux  yeux  de  tout  un  peuple  *.  Du  reste, 
si  le  divin  Maître  avait  dit  qu'il  passerait  trois  jours  dans 
le  tombeau,  il  avait  dit  plus  souvent  encore  qu'il  ressusci- 
terait le  troisième  jour,  tertiadie^;  et  les  Juifs  attestèrent 
eux-mêmes  qu'ils  avaient  bien  compris  ses  paroles  :  Dixit 
seductor  ille  :  Post  très  dies  resurgam.  Jubé  ergo  custodiri 
sepulcrum  usque  in  diem  tertium  •.  Enfin,  il  serait  ridicule 
d'insister.  Si  Jésus-Christ  s'est  ressuscité,  il  est  évident 
qu'il  s'est  ressuscité  de  la  manière  et  au  moment  qui  con- 
venaient '.  • 

431.  —  S.  Matthieu  n*a-t-il  pas  dit  que  Notre  Seigneur  est  ressuscité  le 

samedi  soir,  Vespere  sabbatif  xxviii,  1? 

La  pensée  exprimée  par  S.  Matthieu  ne  peut  être  que 

1  II  Cor.,  xiy  25.  —  3  Luc,  u,  22.  Post  dies  octo.  Joan.,  xz,  26.  Cf. 
Il  Parai.,  x,  5.  Esth.,  iv,  16;  v,  1;  Tob.,  m,  10;  Sap.,  vu,  1,  2;  Joan., 
zx,  26.  —  s  Nobis  non  sibi  loquitur,  atque  idco  nostris  ulitur  in  loqueodo. 
S.  Hilar.,  In  Ps.  gxxyj,  6.  Quid  ergo?  Cum  legimus,  obliviscimur  quem- 
admodum  loqui  soleamus?  An  Scriptura  Dei  aliter  nobiscum  fuerat  quam 
nostro  more  locutura?  S.  Aug.,  Cont.  Fau«/.^. xxxiii,  7.  —  ^  Marc.,  zt, 
44,  45;  Matth.,  xxvii,  66.  —  «  Matth.,  xvi,  21;  xvn,  22;  zx,  19.  — 
6  Matth.,  XXVII»  63,  64.  —  "»  Cf.  S.  Thom.,  p.  3,  q.  51,  a.  4,  ad  1. 


N<>  432]        SA  VIE  GLORIEUSE.   —  SA  RÉSURRECTION.  603 

Notre  Seigneur  est  ressuscité  le  lendemain  de  sa  mort.  Il 
vient  de  lui  faire  dire  expressément  qu'il  ressuscitera  le 
troisième  jour*.  D'ailleurs,  qui  a  jamais  eu  cette  idée  dans 
l'Eglise?  N'a-t-on  pas  toujours  cru  que  la  résurrection  avait 
eu  lieu  le  matin  et  non  le  soir",  non  le  jour  du  sabbat, 
mais  le  lendemain,  appelé  dimanche  pour  cette  raison  même  •  ? 
Quant  aux  paroles  qui  font  difficulté,  on  peut  les  expli- 
quer de  deux  manières,  parce  que  le  mot  grec  c^z  peut  être 
rendu  également  ipdivvespere,  le  soir,  et  par  po^^,  à  la  fin  de. 
—  i*  Si  Ton  prend  ce  dernier  sens,  on  devra  traduire  : 
Post  sdbbatum,  illucente  die  in  prima  sabbati  *,  comme  on 
les  traduit  d'ordinaire  :  t  Le  premier  jour  de  la  semaine, 
au  lever  de  l'aurore,  à  la  première  heure.  »  C'est  le  sens  qui 
s'accorde  le  mieux  avec  les  paroles  qui  suivent,  aussi  bien 
qu'avec  celles  de  S.  Luc  :  Una  sabbati^  valde  diluculo  ».  — 
2*  Si  l'on  prend  l'autre  sens  et  qu'on  entende  le  samedi  soir, 
comme  l'auteur  de  la  Vulgate  l'a  peut-être  entendu,  il  suffit, 
pour  concilier  ce  récit  avec  les  Evangélistes,  de  faire  remar- 
quer que  S.  Matthieu  n'indique  pas  en  cet  endroit  l'heure 
de  la  résurrection,  mais  le  moment  où  Marie-Madeleine  est 
venue  au  tombeau  avec  une  autre  Marie.  N'a-t-elle  pas  pu 
venir  le  samedi  soir,  comme  le  dimanche  matin  ?  Il  n'est 
pas  étonnant  qu'elle  n'ait  pas  voulu  laisser  passer  toute  la 
soirée  du  sabbat  sans  venir  honorer  le  corps  de  son  Maître 
et  voir  en  quel  état  se  trouvait  son  sépulcre.  C'est  l'idée  que 
pourraient  suggérer  ces  mots  :  Yenit  videre  sepulerum  •. 

432.  —  Est-il  possible  de  combiner  et  d'expliquer  tous  les  témoignages 
des  auteurs,  inspirés  sur  la  résurrection  de  manière  à  écarter  toute 
contradiction? 

Il  y  a  deux  principaux  systèmes  imaginés  pour  mettre 
d'accord  tous  les  détails  rapportés  par  les  auteurs  sacrés  sur 
la  résurrection  du  Sauveur  : 

1  Matth.,  XXVII,  63.  —  2  Yespere  Dominus  in  cruce,  mane  in  resur- 
reclione,  meridie  in  ascensione.  S.  Aug.,  In  Ps.  liv,  18.  —3  S.  Justin., 
I*  ApoL,  67.  —  *  In  prima  pour  In  primam,  —  •  Luc,  xxiv,  1.  — 
•  Matth.,  XX vm,  1. 


604  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile,  [n^  432 

I.  Le  premier  est  exposé  par  S.  Augustin  *.  Dans  le  senti- 
ment du  saint  Docteur,  il  n'y  aurait  qu'une  seule  compagnie 
de  femmes,  une  seule  apparition  d'anges,  une  seule  course 
de  Pierre  au  tombeau.  Voici  quelle  serait  la  suite  des  faits  : 
—  !«  Le  vendredi  soir,  Marie-Madeleine,  Marie,  mère  de  Jo- 
seph, et  les  autres  femmes  de  Galilée  assistent  avec  Joseph 
d'Arimathie  à  l'ensevelissement  du  Sauveur  *.  —  2*  A  leur 
retour,  elles  achètent  des  aromates,  puis  passent  le  jour  du 
sabbat  chez  elles  *.  —  3°  Le  samedi  soir,  après  le  coucher 
du  soleil,  elles  complètent  leurs  achats  *,  et  peut-être  Marie- 
Madeleine  va-t-elle  au  tombeau  avec  une  autre  Marie  *.  ■— 
4*  Le  dimanche  matin,  Marie-Madeleine  se  rend  au  tombeau 
avec  les  autres  femmes.  Elles  arrivent  un  moment  après  la 
résurrection,  ortojam  sole.  Quoique  S.  Jean  ne  nomme  que 
Madeleine,  S.  Matthieu  que  Madeleine,  Marie  et  Salomé,  il 
y  en  avait  d'autres  avec  elles,  en  particulier  Johanna,  nom- 
mée par  S.  Luc  •.  -—  5"  Madeleine,  trouvant  le  tombeau  vide, 
court  avertir  Pierre  et  Jean,  tandis  que  les  autres  femmes 
demeurent  aux  alentours  ^  —  6°  Pierre  et  Jean  accourent, 
ne  trouvent  que  des  linges  •,  et  retournent  à  la  ville,  tandis 
que  Madeleine  pleure  à  quelque  distance  du  sépulcre.  — 
7^  Un  ange  dit  aux  femmes  que  Jésus  est  ressuscité,  mais 
Madeleine  n'entend  pas  ces  paroles  ^,  —  8""  Elle  s'approche 
du  tombeau,  où  elle  voit  deux  anges  qui  lui  demandent  la 
cause  de  ses.  larmes  ;  puis  Notre  Seigneur  lui  apparaît  et  lui 
dit  d'aller  annoncer  à  ses  frères  son  ascension  prochaine  *'^. 
-—  9*  Elle  repart  avec  les  autres  femmes  pour  avertir  de 
nouveau  les  Apôtres;  alors  a  lieu  une  nouvelle  apparition 
du  Sauveur  aux  femmes  revenues  au  sépulcre  '^ 

On  fait  observer  dans  l'exposé  de  ce  système  :  —  1°  que 
S.  Luc  *^  et  S.  Jean  ",  qui  parlent  de  deux  anges,  ne  sont 
pas  en  opposition  avec  S.  Matthieu  **  et  S.  Marc  *^  qui  n'en 

*  De  consensu  evang.,  m,  69.  —  2  Matth.,  xxvii,  61.  —  3  Luc,  xxiir,  56. 
—  *  Marc,  XVI,  1.  --  5  Matth.,  xxviii,  1.  —  «  Luc,  xxiv,  10.  —  "'  Joan., 
XX,  1,  2.  -  8  Luc,  XXIV,  12;  Joan.,  xx,  25.  —  »  Luc,  xxiv,  4-8.  — 
io  Joan.,  XX,  11-17.  -  n.  Matth.,  xxviii,  8-10;  Joan.,  xx,  18.  —  i»  Luc, 
XXIV,  1,  4.  —  13  Joan,,  xx,  12.  -  i*  Matth.,  xxviii,  5.  —  i*  Marc,  xvi,  5. 


N®  432]        SA  VIE  GLORIEUSE.  —   SA   RÉSURRECTION.  605 

nomment  qu'un  seul,  celui  qui  prend  la  parole;  —  2*  que 
S.  Luc,  en  disant  que  les  anges  étaient  debout  *,  ne  contre- 
dit pas  ceux  qui  disent  qu'ils  étaient  assis  *,  un  moment 
plus  tôt  ou  plus  tard. 

IL  Le  second  système  multiplie  ces  réunions  de  femmes, 
ces  apparitions  d'anges,  ces  courses  au  tombeau.  Au  lieu 
d'unir  les  détails  fournis  par  chaque  Evangéliste,  il  les  sup- 
pose différents  et  successifs.  Voici  en  quoi  ce  système  diffère 
du  précédent  pour  la  suite  des  faits  :  —  1°  Plusieurs  fem- 
mes, Madeleine,  Marie  et  Salomé,  étant  venues  au  sépulcre 
le  dimanche  avant  le  jour  et  ayant  trouvé  la  pierre  renver- 
sée, Madeleine  va  avertir  Pierre  et  Jean,  et  pendant  ce  temps 
a  lieu  la  scène  rapportée  par  S.  Matthieu  •  et  S.  Marc  *.  Deux 
anges  apparaissent  aux  autres  femmes  restées  auprès  du  sé- 
pulcre, et  leur  apprennent  la  résurrection  du  Sauveur.  — 
2*  Tandis  que  ces  femmes  reviennent  elles-mêmes  à  la  ville, 
Pierre  et  Jean,  sur  le  témoignage  de  Madeleine,  accourent 
au  tombeau,  trouvent  les  linges  plies  et  retournent  chez 
eux  •.  —  3**  Madeleine  étant  revenue  au  tombeau  avec  Pierre 
et  Jean,  le  Sauveur  se  montre  à  elle  •.  —  4»  Un  instant  après, 
il  se  montre  aussi  à  Marie  et  à  Salomé,  qui  avaient  quitté  le 
tombeau  pleines  de  frayeur,  après  l'apparition  de  l'Ange  ', 
et  il  les  charge  d'aller  dire  à  ses  frères  qu'ils  le  verront  en 
Galilée  *.  —  5"  A  ce  moment,  Johanna  et  d'autres  femmes 
galiléennes  étant  venues  aussi  au  sépulcre,  les  deux  anges 
leur  apparaissent  comme  aux  premières,  leur  rappellent  la 
prédiction  que  le  Sauveur  a  faite  de  sa  résurrection  et  les 
renvoient  comme  les  autres  rapporter  aux  Apôtres  ce  qu'elles 
ont  vu  et  entendu  '.  —  6*  Malgré  ces  témoignages,  les  Apô- 
tres restent  hésitants  ;  Pierre  néanmoins  en  est  touché  et 

4  Luc,  XXIV,  4.  —  *  Matth.,  xxviii,  2.  C'est  alors  que  les  disciples 
virent  se  réaliser  en  sa  personne  la  vision  de  Jacob  à  Béthel,  suivant 
qu'il  le  leur  avait  prédit.  Cf.  Joan.,  i,  5,  et  Gen.,  xxviii,  12,  15.  — 
»  Màttb.,  xxYiii,  5,  6.  —  *  Marc,  xvi,  5,  8.  —  »  Luc,  xxiv,  12;  Joan., 
XX,  3-10.  —  •  Marc,  xvi,  9;  Joan.,  xx,  U-i8.  —  '  Marc,  xvi,  12,  — 
•  Dicite  discipulis  et  Petro.  Marc,  xvi,  7.  Et  pour  prxsertim.  Cf. 
Marc,  m,  7-8;  Act.,  i,  11;  xiii,  1;  xxvi,  22;  I  Cor.,  ix,  5.  —  »  Luc, 
X3cnr,  1-11. 

34. 


606  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n®  432 

accourt  au  tombeau  *.  —  7**  En  même  temps,  d'autres 
disciples  arrivent,  et  Ton  reconnaît  la  vérité  de  ce  qu'ont 
dit  Johanna  et  les  autres  femmes  *.  —  8°  Notre  Seigneur 
apparaît  à  deux  disciples  sur  le  chemin  d'Emmaûs  '. 

Ce  second  système,  exposé  par  le  D""  West  *,  est  suivi  par 
Duquesne  dans  son  Evangile  médité,  avec  quelques  modifi- 
cations. Ainsi  il  suppose  que  l'apparition  du  Sauveur  à  Ma- 
deleine n'est  dite  la  première  que  par  rapport  à  celles  qui 
sont  rapportées  dans  l'Ecriture,  et  que  la  sainte  Vierge  a 
vu,  avant  tout  autre,  son  Fils  ressuscité,  mais  sans  que  per- 
sonne en  fût  instruit  *.  Il  suppose  encore  que  Madeleine, 
partie  de  grand  matin  avec  Marie  et  Salomé,  laisse  ses  deux 
compagnes  et  arrive  seule  au  tombeau  •. 

Quelque  sentiment  qu'on  adopte,  il  y  a  deux  considéra- 
tions qu'il  importe  de  ne  pas  perdue  de  vue  : 

1*»  La  difficulté  qu'on  trouve  à  concilier  toutes  les  cir- 
constances de  la  résurrection  rapportées  dans  les  quatre 
Evangiles  n'est  pas  un  fait  exceptionnel.  Qu'on  prenne  n'im- 
porte quel  événement,  et  si  l'on  en  a  trois  ou  quatre  récits 
un  peu  circonstanciés,  on  verra,  en  les  rapprochant  les  uns 
des  autres,  qu'ils  diffèrent  autant  que  ceux  des  Evangélistes, 
et  qu'il  n'est  pas  plus  aisé  d'en  accorder  positivement  tous 
les  détails.  On  n'en  conclura  pas  que  les  écrivains  étaient 
dans  l'erreur  et  qu'ils  ont  voulu  tromper'.  Pourquoi  rai- 

»  Luc,  XXIV,  U,  12.  —  2  Luc,  xxiv,  22-24.  —  3  Luc,  xxiv,  13-35. — 
*  Migne,  Démonst.^  x,  p.  1054.  —  s  cf.  S.  Amb.,  de  Virg.,  r,  3;  Suarez, 
In  lll  Thom.,  disp.  49.  —  «  Joan.,  xx,  1.  —  ?  Quis  enim  unquam  duos 
historicos  legens  de  una  re  scribentes,  utruinque  aut  utniuilibet  eonim 
aut  fallere  aut  falli  arbitratus  est,  si  unus  eorum  dixit  quod  alius  pr»ter- 
misit,  aut  si  alter  aliquid  brevius  complexus  est,  alter  autem  tanquam 
membratim  cuncta  digessit,  ut  non  solum  quid  factuni  sit,  Yerum  etiam 
quemadmodum  factum  sit  intimaret?  Vellem  sane  ut  aliqiiis  istOFum 
vanorum,  qui  bujusmodi  quaBstiunculas  quasi  magnas  objiciunt  Evan- 
gelio,  narraret  aliquid  idem  ipse  bis  numéro,  non  falsum  nec  fallaciter, 
sed  omnino  id  volens  intimare  et  exponere,  et  stylo  exciperentur  verba 
cjus,  eique  recitarentur  ;  ulrum  non  aliquid  plus  minusve  diceret  aut 
praepostero  ordine,  non  verborum  tantum,  sed  etiam  reram,  aut  utr^um 
non  aliquid  ex  sua  sententia  diceret  tanquam  alius  dixerit,  quod  eum 
dixisse  non  audierit,  seu  voluisse  atque  scnsisse  plane  cognoverit,  aot 
utrum  non  alicujus  breviter  complecteretur  sententias  verit^tem,  ctyos 


N»  433]        SA  VIE  GLORIEUSE.  —  SA  RÉSURRECTION.  607 

sonner  autrement  quand  il  s'agit  des  historiens  du  Sau- 
veur *  ? 

2°  La  question  dont  il  s'agit  ici  n'a  pas  d'intérêt  pour  les 
incrédules  et  ne  doit  pas  nous  faire  entrer  en  controverse  avec 
eux.  Ce  dont  il  s'agit  entre  eux  et  nous,  ce  n'est  pas 
de  savoir  si  nous  connaissons  bien  tous  les  détails  de  la  ré- 
surrection du  Sauveur,  mais  si  elle  a  eu  lieu  ;  c'est-à-dire  si 
nous  sommes  bien  assurés  qu'il  est  mort,  qu'il  a  été  ense- 
veli et  qu'il  est  sorti  de  son  sépulcre,  animé  d'une  nouvelle 
vie*. 

433.  —  Que  signifient  ces  mots  adressés  à  Madeleine  par  Notre  Seigneur  : 
Noli  me  iangere;  nondum  enim  ascendi  ad  Patremmeum  3? 

Ces  mots,  dont  le  sens  mystérieux  atteste  l'authenticité, 
ont  été  expliqués  de  diverses  manières.  Deux  interprétations 
semblent  à  peu  près  également  plausibles.  —  1°  //  est  inu- 
tile de  chercher  à  me  retenir.  Ne  prenez  pas  cette  peine. 
L'heure  de  mon  Ascension  n'est  pas  sonnée.  Je  suis  encore 
pour  quelque  temps  avec  vous.  Ascendi  serait  un  hébraïsme 
pour  ascendo.  Cette  explication  se  concilie  bien  avec  la  con- 
duite de  Notre  Seigneur  à  l'égard  des  saintes  femmes  qui 
embrassent  ses  pieds  *,  et  de  S.  Thomas  ^  à  qui  il  dit  de  le 
toucher.  —  2®  //  ne  convient  pas  de  vous  attacher  ainsi  à  moi. 
Ce  n'est  pas  le  temps  de  jouir  de  ma  présence.  Allez  sans 
retard  avertir  mes  Apôtres  :  Vade  autem  ad  fratres  meos  ®; 
ou  bien  :  Attendez  le  ciel;  c'est  là  que  vous  me  témoignerez 
librement  votre  reconnaissance  avec  les  enfants  de  la 
résurrection  \  S.  Augustin,  qui  suggère  cette  interpréta- 
tion, en  donne  pour  raison  que  Madeleine  représentait  les 

rei  antea  quasi  expressius  articulos  explicasset.  S.  'Aug.,  Cont.  Faust, j 
XXXIII,  7,  8. 

1  HabueruDt  unde  scriberent  omnes  evangelistse  sicut  eis  sùbminis- 
trabat  spiritus  recordationis.  Alius  aliud  dixit,  alius  aliud.  Praeterniit- 
terc  aliquis  potuit  aliquid  verum,  non  dicere  aliquid  falsum.  S.  Aug., 
Sei^m.  ccxLvi,  de  Fest,  pasch.,  1.  Cf.  Act.,  ix,  3-22;  xxii,  3-16;  xxvi, 
9-21.  —  *  Ginoulhiac,  Orig,  du  Christ..,  t.  ii,  ch.  x.  —  3  Joan.,  xx,  17. 
—  *  Matth.,  xxvin,  9.  —  b  Joan.,  xx,  27.  —  «  Cf.  Ps.  xxi,  23.  —  ^  Cf. 
Blattb.,  ^zvi^  29;  Luc,  xx,.35,  36. 


608  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n®  434 

Gentils  et  que  les  Gentils  ne  devaient  s'attacher  à  Notre 
Seigneur  qu'après  l'entier  accomplissement  de  tous  ses 
mystères  K 

Sur  la  dernière  parole  du  Sauveur  :  Ascendo  ad  Patrem 
meum  et  Patrem  vestrum  *,  le  même  Docteur  fait  observer 
qu'il  ne  dit  pas  :  Notre  père,  ni  notre  Dieu  ;  mais  :  Mon 
Père  et  votre  père  ;  mon  Dieu  et  votre  Dieu  ;  faisant  en- 
tendre ainsi  qu'il  n'est  pas  Fils  de  Dieu  ni  serviteur  de 
Dieu  de  la  môme  manière  que  nous  •.  D'un  autre  côté,  on 
peut  remarquer  que  les  deux  termes  sont  unis  par  un  même 
article  :  xov  TzoLTTfpx  [xou  xat  Tcaii^pa  jii.a)v,  pour  indiquer  que 
c'est  bien  le  même  Dieu  dont  il  est  le  Fils  et  dont  nous 
sommes  les  enfants. 

*  434.  —  Comment  peut-on  croire  sur  le  rapport  des  gardes  que  les  dis- 
ciples de  Jésus-Christ  avaient  enlevé  le  corps  de  leur  maître,  Matth., 
XXVIII,  15? 

Un  juge  intelligent  et  impartial  eût  tenu  le  récit  des 
gardes  pour  une  fable  *;  mais  des  esprits  prévenus,  inté- 
ressés, passionnés,  sont  aveugles.  C'était  l'état  du  grand 
nombre.  Quant  aux  prêtres,  leur  intérêt  demandait  qu'ils 
parussent  convaincus  de  l'enlèvement  et  qu'ils  en  répan- 
dissent le  bruit.  Ils  s'empressèrent,  dit  S.  Justin,  d'envoyer 
des  émisssaires  de  tous  côtés  pour  accréditer  l'imposture  '. 
Ainsi  le  faux  témoignage  poursuivit  le  Sauveur  jusque  dans 
le  tombeau  •.   Une  dizaine   d'années  plus  tard,  S.  Mat- 

i  Sic  dictum  est,  ut  in  illa  figuraretur  Ecclesia  de  gentibus,  que  in 
Christum  non  credidit,  nisi  cum  ascendisset  ad  Patrem.  S.  Aug.,  In 
Joan,^  cxxi,  3.  Cf.  S.  Léo,  Serm.  lxxiv,  4;  S.  Th.,  p.  3,  q.  55,  a.  6, 
ad  3  ;  SuprOy  n.  244.  —  s  Cf.  Rom.,  xv,  6;  Il  Cor.,  i,  3;  xi,  31;  xv,  84; 
Eph.,  I,  3.  —  8  Non  ait  Patrem  nostrum.  Aliter  ergo  meum,  aliter  ves- 
trum; natura  meum,  gratia  vestrum.  Neque  dixit  Deum  nostrum.  Ergo 
et  hic  aliter  meum,  aliter  vestrum  :  Deum  meum,  sub  quo  et  ego  sum 
homo;'Deum  vestrum,  inter  quos  et  ipse  mediator  sum.  Sic  jungit  ut 
distinguât;  sic  distinguit  ut  non  sejungat.  S.  Aug.,  Jn  Joan,,  cxxi,  3.  ^ 
^  Ps.  XXVI,  12;  Sap.,  ii,  21.  Stulta  insania  :  si  vigilabas,  quare  permi» 
sisti?  si  dormiebas,  unde  scivisti?  S.  Aug.,  In  Ps.  xxxvi;  Serm.  n,  17. 
S.  Chrys.  In  Matth.,  Homil.  xc,  1.  —  »  S.  Just.,  Dialog,,  104,  108; 
Euseb.,  In  Isai.y  xyiii,  1.  —  <(  Parum  fuit  Christo  perpeti  falsos  testes 
in  judicio  :  perpessus  est  et  in  sepulcro.  S,  Aug.,  In  Ps,  lv,  9. 


N<»  435]         SA  VIE  GLORIEUSE.  —  SES  APPARITIONS.  609 

thieu  attestait  que  la  calomnie  et  la  séduction  n'avaient 
pas  encore  cessé  *.  La  vérité  néanmoins  finit  par  se  faire 
jour  '. 

§  II.  —  Apparitions  du  Sauveur  ressuscité. 

435.  —  Combien  voit-on  d'apparitions  du  Sauveur  mentionnées 

dans  TEvangile? 

Quoiqu'il  ne  fût  plus  sur  la  terre  dans  les  mêmes  condi- 
tions qu'avant  sa  mort,  le  Fils  de  Dieu  n'a  pas  laissé  de  se 
montrer  en  diverses  occasions  et  de  se  faire  reconnaître 
d'un  bon  nombre  de  ses  disciples.  S.  Augustin  énumère 
dans  l'Evangile  dix  apparitions  du  Sauveur  en  son  corps 
glorieux  ';  mais  on  n'en  compte  ordinairement  que  neuf, 
parce  qu'on  réunit  les  deux  dernières.  Il  apparut  :  —  l**  A 
Madeleine,  au  Jardin  *.  —  2*  Aux  saintes  femmes,  orto  sole  *. 
—  3**  A  Simon-Pierre  '.  —  4^^  Aux  disciples  d'Emmaûs  "'.  — 
5*  Aux  dix  Apôtres,  cum  fores  essent  clausœ  ^  Ces  cinq  ap- 
paritions eurent  lieu  le  jour  même  de  la  résurrection.  — 
7"*  A  S.  Thomas  et  aux  autres  Apôtres,  post  dies  octo,  le  di- 
manche suivant  ^.  —  7**  A  cinq  apôtres,  Pierre,  Jacques, 
Jean,  Thomas,  Nathanael,  et  à  deux  disciples  sur  les  bords 
du  lac  de  Tibériade  '°.  —  8°  Sur  une  montagne  delà  Galilée, 
à  plus  de  cinq  cents  disciples  **.  —  9"  A  Jérusalem  et  à  Bé- 
thanie,  le  jour  même  de  l'Ascension  **. 

S.  Matthieu  et  S.  Marc  ne  disent  qu'un  mot  sur  ces  appa- 
ritions. S.  Jean  n'en  rapporte  que  quatre,  et  il  appelle  celle 

1  Divulgatum  est  verbum  istud  usque  in  hodicrnum  diem.  Matth., 
xxviir,  15.  Cf.  Num.,  xxii,  30.  —  2  Matth.,  x,  26.  —  ^  de  Consensu 
evang.,  m,  70.  —  *  Marc,  xvi,  9.-5  Matth.,  xxviii,  9.  —  *  Luc  , 
xxtv,  34;  I  Cor.,  xv,  5.  —  "^  Luc,  xxiv,  13-35.  On  croit  avoir  retrouvé 
rEmmaûs  de  TEvangile,  non  à  soixante  stades  de  Jérusalem  comme  porte 
la  Vulgate,  mais  à  cent  soixante,  conformément  à  fc^,  N,  K.  L'autorité 
d'Eusèbe  :  Onomasticon,  de  S.  Jcrônio,  Ep.cvui,  8,  de  Sozomène,  //.  E,j 
V,  21,  de  sainte  Sylvie,  Pèlerinage  (380-383),  donnent  à  ce  sentiment  un 
fondement  solide.  Le  rédt  de  S.  Luc  n'y  contredit  pas.  —  *  Luc,  xxiv, 
.30-44;  Joan.,  xx,  19-23.  —  »  Joan.,  xx,  24-29.  —  10  Joan.,  xxi,  1-22. 
Cf.  Gen.,  XLV,  1-3.  —  li  Matth.,  xxviii,  16.  Cf.  I  Cor.,  xv,  6.  —  12  Marc, 
XVI,  14-19;  Luc,  xxiv,  50;  Act.,  i,  4-11.  Cf.  S.  Thom.,  p.  3,  q.  52, 
a.  3,  ad  3. 


610  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n«  436 

du  lac  de  Tibériade  la  troisième,  soit  parce  qu'il  n'a  en  vue 
que  celles  qui  eurent  lieu  devant  tous  les  disciples  réunis  *  ; 
soit  parce  qu'il  réunit  dans  sa  pensée  toutes  celles  qui  s'ac- 
complirent le  jour  même  de  la  résurrection.  D'un  autre 
côté,  S.  Paul  nous  apprend  que  le  Sauveur  apparut  encore 
à  S.  Jacques  *,  et  à  lui-même,  le  dernier  de  tom  •.  Ainsi,  le 
Fils  de  Dieu  s'est  plu  à  multiplier  les  preuves  de  sa  résur- 
rection, autant  qu'il  avait  multiplié  les  témoignages  de  sa 
mort. 

Dans  toutes  ces  apparitions  et  dans  le  récit  qu'en  font  les 
auteurs  sacrés,  on  reconnaît  le  caractère  du  Sauveur  et  l'es- 
prit de  l'Evangile.  Tout  y  est  simple,  édifiant,  digne  d'un 
Dieu  mort  pour  les  péchés  des  hommes  et  ressuscité  pour 
leur  justification.  Il  est  grand  avec  dignité  dans  ses  abais- 
sements, grand  avec  modestie  dans  son  élévation  ;  et  on  le 
voit  allier,  d'une  manière  qu'on  n'a  pu  inventer  ni  contre- 
faire, une  souveraine  majesté  avec  une  douceur  toute  pa- 
ternelle *.  Impossible  de  ne  pas  sentir  la  joie  naïve,  intime, 
pénétrante  que  respirent  tous  ces  récits,  en  particulier  ce- 
lui de  l'apparition  d'Emmaûs,  qu'un  critique  rationaliste  * 
signale  comme  un  des  plus  fins  et  des  plus  nuancés  qu'il  y 
ait  dans  aucune  langue.  Quand  l'Eglise  en  fait  la  lecture 
dans  l'office  pascal,  on  est  transporté  sur  les  lieux,  dans  la 
société  des  disciples  ;  on  croit  entendre  leur  entretien,  on 
partage  leur  allégresse,  et  l'on  reconnaît  avec  eux  le  divin 
Maître. 

*  436.  —  Pourquoi  le  Fils  de  Dieu  demeure-t-il  quarante  jours  sur 

la  terre  après  sa  résurrection? 

En  restant  ainsi  sur  la  terre,  et  en  se  manifestant,  comme 
il  fait,  à  ses  Apôtres,  Notre  Seigneur  n'a  en  vue  que  leur  in- 
térêt et  celui  de  son  œuvre.  Il  se  propose  : 

1  Joan.,  XX,  19-23;  26-29;  xxi,  1-23.  —  a  I  Cor.,  xv,  7.  Cf.  S.  Hicron., 
de  Vir.  m.,  II.  —  3  1  Cor.,  ix,  1;  xv,  7,  8.  Cf.  Act.,  ix,  5,  17,  27; 
xxii,  6-10;  XXVI,  12-18;  Gai.,  i,  12;  S.  Thom.,  p.  3,  q,  57,  a.  6,  ad  3.  - 
*  Nemo  audebat  interrogare  :  Tu  quis  es?  Id  est,  nemo  audebat  dubitaro 
quod  ipso  osset.  S.  Aug.,  In  Joan,y  cxxiii,  1.  —  »  M.  Renan. 


N°  436]         SA  VIE  ÔLORIÈUâÉ.  —  âEâ  At>PARlïIONS.  6ll 

1"  De  les  convaincre  de  sa  résurrection,  qui  doit  être  le 
principal  objet  de  leur  prédication  et  la  base  de  la  foi  chré- 
tienne K  C'est  pourquoi  if  ne  se  contente  pas  de  se  montrer 
à  eux  et  de  leur  adresser  la  parole  ;  il  s'assied  à  leur  table  *, 
il  prend  part  à  leurs  aliments,  il  les  engage  à  porter  les 
mains  sur  son  corps,  à  toucher  ses  mains  et  ses  pieds  \ 

2**  De  mettre  dans  le  cœur  de  ses  Apôtres  une  vive  foi  aux 
récompenses  futures  et  une  grande  estime  des  biens  que 
Dieu  réserve  à  ceux  qui  se  sacrifient  à  son  service  *.  Desti- 
nés à  prêcher  l'Evangile  au  milieu  des  infidèles  et  à  cimen- 
ter de  leur  sang  les  fondements  de  l'Eglise,  ils  avaient  besoin 
de  ces  sentiments  pour  ne  pas  faiblir  dans  la  mission  qui 
leur  était  confiée.  Or,  quoi  de  plus  propre  à  les  leur  inspirer 
que  la  vue  de  leur  Maître  ainsi  glorifié,  victorieux  de  tous 
ses  ennemis,  à  l'abri  des  coups  du  monde  et  de  l'enfer,  se 
disposant  à  remonter  auprès  de  son  Père  et  à  rentrer  triom- 
phant dans  son  royaume  éternel?  Aussi  est-ce  ce  souvenir, 
cette  pensée  du  ciel,  cette  espérance  de  la  gloire  future  qui 
les  anime  dans  leurs  travaux  et  qui  les  soutient  au  milieu 
des  souffrances*. 

3°  De  compléter  leur  préparation  à  l'apostolat,  en  leur 
donnant  l'exemple  d'une  vie  céleste  et  en  leur  communi- 
quant ses  derniers  avis.  Durant  ces  jours,  son  état  et  sa  con- 

1  I  Cor.,  XYiif  12-15.  Ideo  quadraginta  diebus  mansit,  ne  id  quod  vide- 
batur,  phantasma  esse  putarent.  S.  Ghrys.,  In  Act.  Hom.,  i.  Cf.  Matth., 
XIV,  26.  Quis  alius  homines  ita  certes  de  immortaUtate  reddidit,  ut 
Ghristi  crux  ejusque  corporis  resurrectio?  S.  Athan.,  de  Incarn.,  50.  — 
^  Luc,  XXIV,  30;  Joan.,  xxi,  12;  Act.,  i,  4;  x,  41.  —  3  In  multis  argu- 
mentis,  Tex(jiv]ptoic,  apparens  eis.  Act.,  i,  3.  Cf.  Luc,  xxiv,  42-43;  38,  39; 
Joan.y  XX,  27;  I  Jean.,  i,  d.  Si  parum  est  vobis  attendere,  manus  mittite. 
Si  non  sufficiat  tangere,  palpate.  S.  Aug.,  Serrn.  cxxxvii,  3.  Cf.  Brev. 
rora,.  In  Ascens.,  lect.  vu,  viii;  S.  Chrys.,  Hom.  Cu  :  in  Pentec.  legantur 
Acta  Apost.^  et  S.  Thom.,  p.  1,  q.  51,  a.  3,  ad  5;  p.  3,  q.  55,  a.  3,  ad  3 
et  a.  6.  —  *  Luc,  xxiv,  ^,  26,  38,  39;  Act.,  i,  9-11.  —  s  Act.,  vu,  55; 
Rom.,  VI,  5,  8;  vm,  17,  18;  I  Cor.,  xv,  30;  \l  Cor.,  m,  18;  iv,  14-18; 
V,  1,  2, 8;  Eph.,  ii,  4-7;  Phil.,  i,  21,  23;  ii,  4-11  ;  m,  20-21  ;  II  Tim.,  i,  12; 
II,  11, 12;  Jac,  V,  7,  8;  U  Pet,,  i,  3-11, 13;  v,  1-4.  Fiducia  christianorum 
resurrectio  mortuorum.  Tert.,  De  resur.  catm.^  1.  «  Regardez-nous  bien 
au  visage,  disait  un  martyr  aux  persécuteurs,  afin  de  nous  reconnaître 
au  jugement  dernier.  »  Act,  5*  Perp,^  17. 


612  JÉSUS-dHRlST   SELON   L^ÉVANGlLÉ.  [n^  43? 

duite  tiennent  moins  de  la  terre  que  du  ciel.  Il  se  montre 
insensible  à  toute  affection  naturelle,  et  ne  vit  plus  que  pour 
son  Père.  S'il  parait  au  milieu  des  hommes,  c'est  pour  peu 
de  temps  et  de  loin  en  loin.  S'il  prend  quelque  aliment, 
c'est  par  condescendance,  dans  l'intérêt  de  ceux  avec  qui  il 
se  trouve.  Ainsi  leur  apprend-il  à  se  détacher  du  monde  et 
à  vivre  d'une  manière  surnaturelle,  comme  des  anges  de 
Dieu  sur  la  terre.  Quant  à  ses  entretiens,  ils  n'ont  d'autre 
fin  que  d'achever  leur  instruction  et  de  les  mettre  en  état 
de  commencer  leur  ministère.  Il  ne  parle  avec  eux,  dit 
S.  Luc,  que  du  royaume  de  Dieu,  c'est-à-dire,  suivant  l'ex- 
plication des  saints  Docteurs,  de  l'Eglise,  de  sa  constitution, 
de  sa  hiérarchie,  de  son  culte,  de  sa  discipline,  de  ses  desti- 
nées*. C'est  ce  qu'on  remarque  surtout  dans  ses  dernières 
apparitions,  qui  eurent  plus  de  durée  ou  qui  furent  pour 
les  Apôtres  seulement.  Le  divin  Maître  s'applique  moins  à 
les  consoler  qu'a  les  instruire.  Il  leur  donne  le  pouvoir  de 
remettre  les  péchés,  et  leur  communique  pour  cela  son  Es- 
prit. Il  leur  désigne  un  chef*.  Enfin  il  leur  donne  leur  der- 
nière mission  ^  Après  comme  avant  sa  résurrection,  on  voit 
qu'il  n'a  qu'une  pensée  :  faire  l'œuvre  de  son  Père,  fonder 
son  Eglise,  assurer  à  tous  les  hommes  les  moyens  d'arriver 
au  salut*. 

*  437.  —  Pourquoi  Notre  Seigneur  fait-il  dire  à  ses  disciples  qu'ils  le 

verront  en  Galilée  s,  lorsqu'ila  le  voyaient,  ce  jour-là  même,  à  Jéru- 
salem ? 

Ce  n'est  pas  aux  Apôtres  seulement,  mais  à  tous  ses  dis- 
ciples, que  Notre  Seigneur  fait  dire  qu'ils  le  verront  en  Ga- 
lilée, c'est-à-dire  dans  leur  pays  «.  Là,  ils  pouvaient  se  ras- 

1  Hi  dies  non  otioso  transiere  decursu,  sed  magna  in  cis  confirroata 
sacramenta,  magna  revelata  mysteria.  S.  Léo,  Serm.  de  Asc^ns.,  lxxih,  2. 
Cf.  Matth.,  XXVIII,  20;  Marc,  xvi,  15,  16;  Joan.,  xx,  21;  xxi,  15.  — 

*  Joan.,  XX,  21-23;  xxi,  15-18.  —  ^  Celle  d'achever  ce  qu'il  avait  com- 
mencé :  HpÇotTO  TTOieiv  te  xai  8i8a<TX£iv.  Act.,  i,  1.  Cf.  Matth.,  xxviii,  18; 
Marc,  XVI,  15.  -  *  Joan.,  ix,  35-39;  x,  11,  16;  xi,  52.  —  «  Matth., 
xxviTi,  10.  —  «  In  signum  translationis  fidei  ad  gantes.  S.  Aug.,  D^ 
Cons.  Evang.f  m,  86. 


N<>  439]         SA  VIE  GLORIEtSE.  —   SES  APPARITIONS.  613 

sembler  en  plus  grand  nombre  et  avec  moins  de  péril.  Déjà 
la  plupart  s'y  trouvaient;  les  autres  devaient  s'y  rendre  sur 
la  fln  de  la  semaine.  Il  leur  indique  une  montagne  pour  lieu 
de  réunion,  parce  qu'il  veut  leur  parler  plus  longuement  et 
s'entretenir  plus  librement  avec  eux  K  Sa  huitième  manifes- 
tation eut  lieu  en  cet  endroit*.  On  est  fondé  à  croire  que 
c'est  dans  cette  occasion  qu'il  fut  vu,  comme  l'assure  S.  Paul, 
par  plus  de  cinq  cents  disciples  à  la  fois*. 

438.  —  Pourquoi  ce  souffle  du  Sauveur  sur  les  douze  Apôtres, 

le  jour  de  sa  résurrection  *î 

Les  paroles  dont  le  Sauveur  accompagne  cet  acte  en  don- 
nent la  signification.  Il  témoigne  par  là  :  —  1°  Que  le  Saint- 
Esprit,  Spiritus^  To  nveu;j.7,  dont  son  souffle  est  le  symbole, 
procède  de  lui  comme  de  son  Père  ';  —  2"  Que  l'humanité 
du  Verbe  est  le  canal  par  lequel  cet  Esprit  doit  être  commu- 
niqué aux  hommes  ;  —  3*  Que  ses  ministres  doivent  être 
animés  de  cet  Esprit,  et  qu'ils  ne  pourront  sanctifier  les  âmes 
et  leur  donner  la  grâce  que  comme  ses  organes  et  ses  repré- 
sentants •. 

Le  souffle  du  Sauveur,  en  cette  occasion,  rappelle  l'anima- 
tion du  premier  homme  par  le  souffle  de  Dieu  '',  et  présage 
celle  du  corps  de  l'Eglise  au  jour  de  la  Pentecôte. 

439.  —  S.  Tliomas  n'était-il  pas  absent  en  ce  moment? 

Il  y  a  lieu  de  croire,  d'après  le  récit  de  S.  Jean  ',  que 
S.  Thomas  n'assista  pas  à  cette  réunion.  Il  ne  faut  donc  pas 
presser  outre  mesure  l'expression  dont  se  sert  S.  Luc  pour 
désigner  les  Apôtres.  Ceux  qu'il  nomme  les  onze^,  c'est  le 
collège  des  Apôtres,  qui  n'était  plus  alors  que  de  onze  mem- 
bres. C'est  ainsi  qu'on  dit  les  décemvirs,  les  quarante,  pour 
l'assemblée  des  dix  ou  des  quarante,  sans  s'inquiéter  si 
quelque  membre  fait  défaut  ou  non  *°.  C'est  ainsi  que  S.  Jean 

1  Cf.  Matth.,  V,  1  ;  XV,  29.  —  2  Matth.,  xxviii,  16.  —  3  i  Cor.,  xv,  6. 
Cf.  S.  Thom.,  p.  3,  q.  55,  a.  3,  ad  4.  —  *  Joan.,  xx,  22.  —  «  Joan., 
XV,  26;  S.  Aug.,  In  Joan.,  xcix,  7,  8.  —  •  Luc,  v,  21.  —  "ï  Gen.,  ii,  7. 
—  •  Joan.,  XX,  24.  —  »  Luc,  xxiv,  33.  —  *o  Cf.  Matth.,  xxvii,  44. 

III.  35 


614  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n<*  440 

et  s.  Paul  disent  les  douze  ^^  avant  môme  que  Judas  ne  soit 
remplacé  dans  le  collège  apostolique.  Rien  n'empêche  pour- 
tant de  penser  que  S.  Thomas  était  réuni  aux  autres  Apôtres, 
au  moment  où  S.  Luc  dit  que  les  disciples  d'Emmaûs 
rapportent  aux  onze  l'apparition  dont  le  Sauveur  les  a  fa- 
vorisés *,  pourvu  qu'on  admette  qu'il  sortit  aussitôt  après 
et  qu'il  se  trouvait  absent,  comme  le  remarque  S.  Jean, 
lorsque  le  Sauveur  lui-même  apparaît  devant  les  dix  autres 
Apôtres  '. 

Tout  absent  qu'il  était,  S.  Thomas  n'en  reçut  pas  moins 
sans  doute  l'Esprit  saint  en  même  temps  que  les  autres, 
comme  on  voit  qu'Eldad  et  Eliud,  membres  du  conseil  des 
Septante,  reçurent  dans  le  désert  l'Esprit  de  prophétie,  à 
l'instant  même  où  il  descendit  sur  leurs  collègues  *.  S'il  n'en 
fut  pas  ainsi  pour  S.  Thomas,  il  est  certain  que  Notre  Sei- 
gneur ne  tarda  pas  de  suppléer  à  ce  défaut  •. 

440.  —  Pourrait-on  prendre  les  paroles  de  S.  Thomas  :  Dominus  meus 
et  Deus  meus,  pour  une  simple  exclamation,  pour  une  expression  de 
surprise  adressée  à  Dieu  le  Père? 

Il  faut  voir  dans  les  paroles  de  S.  Thomas  :  Dominus  ineus 
et  Deus  meus  •,  la  profession  de  foi  la  plus  nette  et  la  plus 
fervente  à  la  divinité  du  Sauveur'.  Prétendre  qu'il  n'y  a  là 
qu'un  cri  de  surprise,  ce  ne  serait  pas  seulement  s'inscrire 
en  faux  contre  le  sentiment  unanime  et  constant  des  Pères  ", 
ce  serait  encore  violer  ouvertement  toutes  les  règles  de 
l'interprétation.  En  effet  : 

1°  Nulle  part,  dans  l'Ecriture,  on  ne  voit  l'étonnement 
exprimé  de  cette  manière.  D'ailleurs,  il  n'est  pas  dit  en  cet 
endroit  que  S.  Thomas  s'écria,  mais  qu'il  répondit  à  Notre 
Seigneur  :  Respondit,  et  dixit  ei. 

2**  Il  est  manifeste  que  Dominus,  au  verset  28,  a  le  môme 

1  Joan.,  XX,  24  et  I  Cor.,  xv,  5,  Grxce,  —  *  Luc,  xxiv,  3â-35.  — 
3  Cf.  Luc,  XXIV,  26,  et  Joan.,  xx,  24.  —  *  Num.,  xi,  16,  17,  2^30.  — 
6  Totus  décor  apostolicae  dignitatis  ex  Christi  benigna  voluntate  iUi 
similiter  apostolo  debuit  reservari.  S.  Cyrill.  Alex.,  In  Joan,^  xu.  — 
6  Joan.,  XX,  28.  —  "'  Cf.  Gonc  ConsUntin.  II,  can,  12,  de  tribus  Capi- 
tuliSf  contre  Théodore  do  Mopsueste.  —  ^  Cf.  Conc  Trid.,  sess.  4. 


NO  440]         SA  VIE  GLORÎEtSÊ.  —  SES  APPARITIONS.  615 

sens  qu'au  verset  25,  et  que  Deus  ne  peut  avoir  avec  lui 
qu'un  même  objet,  le  Seigneur  Jésus. 

3"  Les  paroles  de  Notre  Seigneur  à  S.  Thomas  :  Quia  vi- 
disti  me,  Thoma^  credidisti,  ne  s'expliqueraient  pas,  si  son 
exclamation  ne  contenait  pas  un  acte  de  foi  et  ne  lui  était  pas 
adressée  à  lui-même. 

4^  S'il  n'y  avait  pas  dans  le  récit  de  S.  Jean  un  acte  de  foi 
à  la  divinité  du  Sauveur,  il  perdrait  sa  liaison  logique  avec 
le  verset  qui  suit  :  Hœc  scripta  sunt  ut  credatis  quia  Jésus  est 
Christv^s  Filius  Dei  *. 

Quand  on  lit  ce  passage  sans  préoccupation,  on  ne  peut 
hésiter,  ni  sur  le  sentiment  exprimé  par  S.  Thomas,  ni  sur 
le  motif  qui  porte  S.  Jean  à  retracer  cette  scène.  S.  Thomas 
avait  cessé  de  croire  à  la  divinité  de  son  Maître,  puisqu'il 
était  persuadé  qu'il  devait  rester  comme  tout  autre  sous 
l'empire  de  la  mort  *.  Pour  le  tirer  de  son  erreur  et  le  ra- 
mener à  la  foi,  le  Sauveur  entre  dans  la  salle,  les  portes  fer- 
mées; puis,  s'adressant  à  cet  Apôtre,  il  lui  montre  qu'il  voit 
le  fond  des  cœurs,  et  daigne  se  soumettre  aux  conditions 
qu'il  a  mises  à  sa  foi.  A  cette  vue,  Thomas  se  rend  :  et  aussi- 
tôt qu'il  a  exprimé  sa  conviction  par  ce  cri  :  Dominus  meus 
et  Deus  meus!  son  Maître,  le  félicitant  de  n'être  plus  incré- 
dule, semble  lui  dire  :  «  En  effet,  je  suis  réellement  ton  Sei- 
gneur et  ton  Dieu.  »  De  cette  manière  tout  s'enchaîne  et 
tout  se  justifie.  On  trouve  naturelle  la  conclusion  de  l'E- 
vangéliste  :  Hœc  scripta  sunt  ut  credatis^  et  la  parole  du 
Sauveur  :  Beati  qui  non  viderunt  et  crediderunt  •  î  dernière 
béatitude  qui  comprend  toutes  les  autres  et  que  toute  autre 
suppose. 

i  Joan.,  XX,  31.  Tanquam  finis  interpositus  est  libri  quod  esset  etiam 
secuturae  narrationis  quasi  proœmium,  quod  oi  quodammodo  facerct 
eminentiorem  locum.  8.  Aug  ,  In  Joan.^  cxxii.  —  ^  Ubi  spem  latro  in- 
venit,  discipulus  perdidit.  S.  Aug.,  Serm,  cxxxii,  6.  —  3  Brev.,  Dom.  xii 
posé  Pent,,  1.  VII  et  viii,  et  Heb.,  xi,  l.  Cf.  Brev.  21  décemb.,  1.  vii-ix. 


616  JÉSUS-CHRIST  SELON   L^ÉVANGILE.  [n®  441 

§  m.  —  Investiture  de  S.  Pierre.  Joan.,  xxi^  15-23  *. 

{Jliilieu  du  mois  d'avril  33.) 
S 


Ce  qai  lai  eat  preserit.  —  Ce  qai  lai  est  demandé.  —  Signification,  étendue 
et  aatheaticité  des  paroles  de  Notre  Seigneur. 

441.  —  De  quelle  manière  Notre  Seigneur  a-t-il  donné  à  saint  Pierre 

son  autorité  sur  l'Eglise  ? 

Notre  Seigneur  a  investi  S.  Pierre  de  son  autorité  sur 
l'Eglise  au  moment  où  il  lui  a  dit  ces  paroles,  rapportées 
par  S.  Jean  :  Pasce  agnos  meos,  pasce  oves  meas  •.  c  Gouver- 
nez mon  troupeau;  ayez  soin  de  tous  ceux  qui  sont  à  moi.  » 
Ce  n'est  pas  un  droit  seulement  qu'il  lui  donne  :  c'est  une 
charge  qu'il  lui  impose.  Il  lui  confie  son  troupeau  ;  il  le  lui 
soumet.  Loin  de  soustraire  qui  que  ce  soit  à  son  autorité, 
il  y  assujettit  expressément,  spécialement,  ceux  qui  semble- 
raient les  mieux  fondés  à  s'en  croire  exempts.  Gomme  il 
s'est  servi  de  deux  termes,  ôsjxe  et  uoijjlxivs,  pour  détermi- 
ner l'office  qu'il  confère  à  S.  Pierre,  il  se  sert  aussi  de  deux 
mots,  apvia  et  TupoSaia,  pour  désigner  ceux  qui  lui  sont  sou- 
mis, et  ces  mots  se  renforcent  et  se  complètent  :  Tertio  Petrus 
jam  non  agnos  ut  primo,  nec  oviculas  (i:po6aTia)  *  ut  secufido, 
sed  oves  pascere  jubetur,  dit  S.  Ambroise*. 

1  Supra  ^  n.  435.  —  ^  Piscis  assus  Ghristus  est  passus.  S.  Aug.,  In 
Joan.j  Gxxiii,  n.  2.  Peinture  du  cimetière  de  TÂrdeatine.  Allusion  au 
poisson  mystérieux,  IxOuç,  que  Notre  Seigneur  ressuscité  offrit  à  ses 
apôtres  au  bord  du  lac  de  Tibériade.  Joan.,  xxi,  9.  Supra,  n.  204.  205. 
—  3  Joan.,  XXI,  15-17.  Cf.  II  Reg.,  v,  2;  Ps.  ii,  9  (Cf.  Apec,  ii,  2f7; 
Lxxvii,  71;  Lxxix,  1;  Is.,  xuv,  28;  Joan.,  x,  16.  rioipiaiveiv  comprend 
toute  la  charge  du  pasteur,  surtout  la  fonction  de  conduire,  de  guider, 
de  régir.  Apoc,  m,  29,  grâce.  Botrxeiv  signifie  une  fonction  spéciale, 
celle  qui  demande  le  plus  de  dévouement  et  de  tendresse,  nutrire, 
pascere.  —  ^  B  et  G  Usent  irpoSarta  au  lieu  de  icpoSaxa,  au  verset  16. 
La  Peschito  a  conservé  cette  gradation.  —  8  /^  Luc,  x,  24.  Prius  agnos, 
deindo  ovès  ei  committit,  quia  non  solum  pastorem,  sed  pastoruffl 
Pastorem  eum  constituit.  Omnium  igitur  Pastor  est,  quia  prêter  agnos 


N**  442]    SA  VIE  GLORIEUSE.  —  INVESTITURE  DE  S.  PIERRE.  617 

C'est  ainsi  que  Pierre  devient  le  vicaire  universel  du  Sau- 
veur sur  la  terre.  Tout  lui  est  subordonné,  jusqu'aux 
Apôtres.  Encore  qu'ils  tiennent  comme  lui  leurs  pouvoirs 
de  Jésus-Christ  môme,  ils  ne  les  doivent  exercer  que  de 
concert  avec  lui  et  dépendamment  de  lui  :  Inter  duodecim 
unm  eligitur,  dit  S.  Jérôme*,  ut  capite  constituto,  schismatis 
tollatur  occasio  *.  «  Ainsi  s'achève  l'Eglise,  dit  Bossuet.  Le 
corps  des  Apôtres  reçoit  sa  dernière  forme.  En  recevant  de 
la  main  de  Jésus-Christ  ressuscité  un  chef  qui  le  repré- 
sente sur  la  terre,  l'Eglise  est  distinguée  de  toutes  les  sociétés 
schismatiques,  et  le  mystère  de  l'unité,  par  lequel  l'Eglise 
est  inébranlable,  se  consomme  '.  » 

442.  —  Pourquoi  le  Sauveur  demande-t-il  auparavant  à  S.  Pierre  s'il 

Taime  et  s'il  Taime  plus  que  les  autres? 

En  demandant  par  trois  fois  à  S.  Pierre  s'il  l'aime,  s'il 
Taime  plus  que  les  autres  *,  et  en  l'appelant  Simon,  fils  de 
Jean  •,  Notre  Seigneur  voulait,  dit  S.  Augustin,  lui  rappe- 
ler et  lui  faire  expier  à  la  fois  la  faute  qu'il  avait  faite,  d'a- 
bord en  mettant  sa  vertu  au-dessus  de  celle  des  autres 
Apôtres,  ensuite  en  le  reniant  trois  fois  devant  ses  ennemis  : 
Redditur  trinœ  negationi  trina  confessio...  ut  ter  confiteretur 
amor  quod  ter  negaverat  timor  •.  Néanmoins,  son  principal 

et  oves,  in  Ecclesia  nihil  est.  S.  Euseb.  Ëmes.,  In  Vigil.  Apost.  Major 
gradus   redditur  ploranti,   quam   sublatus   est  deneganti.   Arnob.,   In 

Ps.  CXXXVIII. 

1  Adv.  Jovin^  i,  2,  6.  —  ^  De  toto  mundo  Petrus  eligitur  qui  et  uni- 
versarum  gentium  vocationi  et  omnibus  Apostolis,  cunctisque  Ecclesise 
patribus  prasponatur.  S.  Léo,  Serm,  iv,  2.  —  *  Bossuet,  Serm.  iv  pour 
le  Jour  de  Pâques ^  2fi  point.  —  ^  Amas  me?  Non  dixit  :  Times  me? 
S.  Aug.,  In  Ps.  xc,  8.  Cf.  II  Tim.,  i,  7;  Rom.,  viii,  35-39.  Aux  mots  grecs  : 
AyvKOLi  p.e  ;  çiXetc  (x.e;  répondent  parfaitement  les  mots  latins  :  Amas  me? 
Diligis  me?  Le  premier  indique  un  sentiment  plus  réfléchi;  le  second 
une  affection  plus  tendre.  Non  potuit  dicere  nisi  :  Amo  te;  non  ausus 
est  dicere  plus  his.  Suffecerat  ei  testimonium  perhibere  cordi  suo.  Non 
dobuit  esse  judex  cordis  alieni.  S.  Aug.  Serm.  cxlvii,  2.  —  *  A  partir 
de  son  reniement,  S.  Pierre  n'est  plus,  nommé  que  Simon  dans  l'Ëvan- 
gile,  comme  s'il  avait  perdu  sa  dignité  et  son  titre  de  noblesse.  — 
8  Secundo  quidem  infert  dolorem,  sed  firmat  postea  sanitatem.  S.  Aug., 
Serm,  gclxxxv,  3  et  ggxcvi,  3;  In  Joan,,  cxxiii,  5. 


618  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n®  442 

motif,  c'est  l'intérêt  de  l'œuvre  dont  il  veut  charger  son 
apôtre  *.  t  De  môme  qu'avant  de  conférer  le  baptême  à  un 
néophyte,  dit  Théophylacte,  on  lui  demande  une  triple  pro- 
fession de  foi  ;  de  même  qu'avant  de  donner  à  un  fidèle  le 
corps  et  le  sang  du  Sauveur,  le  prêtre  lui  fait  faire  une 
triple  protestation  d'humilité  et  de  confiance,  afin  de  le  bien 
pénétrer  de  ces  sentiments  ;  ainsi  le  divin  Maître,  avant  de 
confier  à  S.  Pierre  la  garde  de  ses  brebis  et  de  l'associer  à 
sa  qualité  de  pasteur,  prend  soin  de  lui  rappeler,  ce  qu'il 
lui  a  dit  autrefois  d'une  manière  si  touchante  ",  que  le  mi- 
nistère pastoral  est  un  office  de  charité,  et  que  plus  la  place 
qu'on  occupe  dans  ce  ministère  est  élevée,  plus  il  faut  de 
dévouement  pour  en  être  digne  et  pour  s'en  bien  acquit- 
ter '.  »  Il  lui  demande  à  trois  reprises  s'il  a  bien  ces  dispo- 
sitions. Lors  donc  qu'il  ajoute  :  «  Sois  le  pasteur  de  mon 
troupeau,  »  c'est  comme  s'il  disait  :  c  Mets  ces  sentiments  en 
pratique;  fais  pour  tes  frères  ce  que  j'ai  fait  pour  toi; 
n'hésite  pas  à  te  sacrifier  pour  eux  comme  je  me  suis  sa- 
crifié moi-même  *.  »  Et  afin  qu'il  ne  puisse  se  méprendre  sur 
sa  vocation  et  qu'il  sache  bien  dans  quels  sentiments  il 
doit  accepter  sa  charge,  il  lui  révèle  aussitôt  quelle  est  sa 
destinée  et  quelle  sera  sa  fin  *. 

Ter  confessus  ter  negatum^ 
Gregcm  pasces  ter  donatum, 
Vita,  verbo,  precibus  s. 

1  S.  Thom.,  2*-2»,  q.  185,  a.  3,  ad  1.  —  2  Joan.,  x,  1-16.  —  »  Id 
significatum  perinde  puto,  ac  si  illi  dixisset  Jesns  :  Ni»!  testimoDium 
tibi  perhibente  consoientia  quod  me  âmes  et  valde  porfecteque  âmes, 
hoc  est  plus  qiiam  tua,  plus  quam  tuos,  plus  quam  te,  nequaquam  sus- 
ci  pias  curam  liane,  nec  te  intromittas  de  ovibus  meis,  pro  quibus  sanguis 
utique  meus  eflfusus  est.  S.  Bern.,  In  Cant.,  lxxvi.  Bourdaloue,  Panég. 
de  S.  Pierre,  2«  point.  —  *  Pasce  oves  meas  ;  id  est,  ne  pascas  teipsum. 
S.  Aug.,  In  Joan.,  cxxiii,  5.  Pasce  oves  meas,  ut  ponas  animam  tuam 
pro  ovibus  meis,  xlvii,  2.  Est  amoris  pascere  dominicum  gregera,  noQ 
gloriandi,  vel  dominandi ,  vel  acquirendi  cupidîtatis.  cxxiii,  4.  In  hoc 
ostende  quia  amas  me.  Serm.  gxlvi,  i.  Fac  pro  ovibus  quod  pro  te  feci. 
In  I  Joan.,  v,  5.  Supra,  n  775.  —  s  Joan.,  xx,  18,  19.  Et  ut  noveritis 
quia  sic  ab  eo  pasci  volebat  oves  suas,  ut  animam  suam  pro  ovibus 
poneret,  hoc  illi  continue  dixit  :  Cum  senueris,  alius  te  cinget  et  ducet 
quo  tu  non  vjs.  S.  Aug.,  In  I  Joan.,  v,  11.  Infra^  n.  447.  —  «  Ofac. 


NO  443]    SA  VIE  GLORIEUSE.  —  INVESTITURE  DE  S.  PIERRE.  619 

443.  —  Ces  paroles  de  Notre  Seigneur  à  saint  Pierre  ;  Pasce  agnos  tneos, 
no  poavaient-ellcs  pas  laisser  quelque  incertitude  dans  Tesprit  des 
Apôtres  et  des  premiers  fidèles? 

Ces  paroles  :  Pasce  oves  meas  \  sont  assez  claires  par 
elles-mêmes;  et,  d'ailleurs,  le  sens  en  était  fixé  longtemps  à 
l'avance  par  les  promesses  dont  S.  Pierre  avait  été  l'objet  •. 
Ces  promesses  sont  exprimées  par  trois  comparaisons  :  — 
!•  Celle  des  clés.  Notre  Seigneur  lui  dit  :  Tibi  dabo  claves  re- 
gni  cœlorum  '.  Ainsi  les  clés  de  la  maison  de  Dieu  passeront 
des  mains  d'Aaron  dans  les  siennes.  Il  sera  dans  l'Eglise 
comme  le  maître  dans  sa  demeure,  ou  comme  l'intendant 
dans  la  maison  de  son  maître.  Il  agira  avec  une  pleine  au- 
torité parmi  les  enfants  de  Dieu,  comme  un  père  agit  avec 
sa  famille*.  Répondant  de  tout,  il  est  juste  qu'il  dispose  de 
tout  et  que  rien  ne  se  fasse  indépendamment  de  lui.  —  Celle 
des  liens  :  Quodcumqus  ligaveris  super  terram,  erit  ligatum  et 
in  cœlis^  etc.  ».  Il  n'y  a  pas  d'obligation,  pas  de  lois  que 
Pierre  ne  puisse  imposer  ou  abolir  dans  l'Eglise  ;  comme  il 
n'y  a  personne  qu'il  ne  puisse  lier  et  délier,  c'est-à-dire  qui 
ne  soit  astreint  à  ses  prescriptions  et  sujet  à  son  jugement. 
—  3**  Celle  de  la  pierre,  du  fondement  :  Tu  es  Pierre  •.  c  Tu 

s.  Pétri,  Apud  Mono,  m,  72  (xi«  sièc).  Le  rapport  qui  unît  ici  ces 
paroles  :  Pasce  oves  meas,  avec  la  scène  qui  précède,  -est  moins  sensible 
que  dans  les  autres  récits  de  S.  Jean.  On  vient  de  voir  une  pèche,  et 
le  Sauveur  parle  de  troupeau.  Cependant  ce  rapport  existe,  et  sous  des 
images  différentes,  il  s'agit  du  môme  objet,  du  ministère  auquel  S.  Pierre 
ot  ses  successeurs  doivent  consacrer  leur  vie.  Ils  n  ont  pas  seulement  à 
tirer  les  âmes  de  l'erreur  et  du  péché  :  ils  ont  &  les  sanctifier  et  à  les 
conduire  au  ciel.  La  pèche  miraculeuse  rappelle  au  Prince  des  apôtres 
sa  première  obligation,  qui  est  de  convertir  les  âmes,  de  les  tirer  de 
l'abîrae  (Luc,  v,  9).  Le  titre  de  Pasteur  lui  dit  les  soins  qu'il  devra 
prendre  ensuite  pour  les  conduire  dans  le  bon  chemin  et  leur  faire 
atteindre  leur  fin.  Ainsi,  s'il  ne  se  borne  pas  à  dire  :  «  Sois  pécheur 
d'hommes,  »  c'est  que  ce  ne  serait  pas  dire  assez.  Il  dit  :  «  Sois  pas- 
teur, pasteur  de  mes  agneaux,  pasteur  de  mes  brebis.  Elles  seront  sous 
la  garde,  sans  cesser  d'être  à  moi.  Consacre-leur  pour  mon  amour  tout 
ce  que  tu  as  d'affection,  de  force  et  de  vie.  »  Supra,  n.  205. 

i  Joan.,  XXI,  17.  —  «  Cf.  II  Reg.,  v,  2;  I  Par.,  xi,  2;  Il  Par.,  x,  16; 
Ps.  Lxxvii,  71,  etc.  Infta,  n.  447.  ~  3  Matth.,  xvi,  19.  —  *  Cf.  Is.,  xxii, 
21,  22  ;  Apec.,  i,  18;  m,  7.  —  «  Cf.  Gen.,  xli,  44.  —  6  Matth.,  xvi,  18.  De 


620  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n«  444 

seras  pierre,  rocher,  granit.  C'est  sur  toi,  sur  ton  autorité 
que  reposera  toute  mon  Eglise,  jjcu  r,  Exy.Xr.aia  '  :  son  gou- 
vernement, sa  hiérarchie,  son  enseignement.  Elle  n'aura 
d'unité,  de  solidité,  de  durée  que  par  ton  ministère.  Comme 
je  soutiendrai  invisiblement  contre  les  assauts  de  l'enfer  cet 
édifice  sacré,  ce  temple  unique  de  la  religion  universelle 
que  je  suis  venu  fonder,  tu  le  soutiendras  extérieurement, 
d'une  manière  visible.  Tu  seras  pour  cette  Eglise  ce  que  le 
mont  Moria  était  pour  l'ancien  temple  *.  » 

A  ces  promesses  faites  à  S.  Pierre,  il  faut  ajouter  une 
prière  et  une  commission  spéciales  du  Sauveur,  la  veille  de 
sa  Passion  :  Ego  rogavi  pro  te  ut  non  deficiat  fides  tua  •;  et 
tu,.,  confirma  fratres  tuos  *.  t  J'ai  prié  pour  toi,  Pierre,  pour 
toi  en  particulier,  pour  toi  avec  distinction  ;  »  non  qu'il  né- 
glige les  autres,  mais  parce  que,  selon  Texplication  des 
Pères,  affermir  le  chef,  c'est  garantir  les  membres  de  tout 
ébranlement.  Et  tu  confirma  fratres  tuos.  Il  est  ici  de  nou- 
veau chargé  du  gouvernement  de  l'Eglise. 

444.  —  Est-ce  à  Simoa-Pierre  seul,  à  sa  personne  exclusivement, 
que  Notre  Seigneur  remet  son  autorité? 

Ce  n'est  pas  à  Simon,  fils  de  Jean,  mais  à  Pierre,  chef  de 

petra  Christo  ipse  petra  factus.  S.  Léo.,  Serm.  v,  n.  4;  lxxzi,  1.  Cf. 
IV,  11;  I  Pet.,  II,  5. 

^  ExxXvi<Tiay  convocatorum  cœtus.  Inter  congregationem  unde  syna- 
goga,  et  convocationcm  unde  ecclesia,  distat  quod  congregari  et  pecora 
soient ,  quorum  et  grèges  proprie  dicimus ,  convocari  autem  magis  est 
utentium  ratione,  sicut  sunt  homines.  S.  Aug.,  In  Psalm.  lxxxi,  1.  Ce 
mot  lut  employé  de  bonne  heure  en  ce  sens .  il  revient  plus  de  30  fois 
dans  les  Epîtres  aux  Corinthiens.  Infra,  n.  570.  —  *  Capitoli  immobile 
saxum.  Virgil.,  yEn.,  ix,  448.  Rien  de  plus  visiblement  divin  dans  l'Ecri- 
ture même,  que  ces  paroles  du  Sauveur,  Matth.,  xvi,  17-19.  Remarquez 
que  ce  n'est  pas  au  moyen  âge,  après  les  épreuves  et  les  triomphes  de 
la  papauté,  que  S.  Matthieu  les  a  écrites.  Elles  ont  été  publiées  sûrement 
au  premier  siècle,  avant  que  S.  Paul  fût  arrivé  à  Rome,  entre  le  cruci- 
fiement du  Calvaire  et  celui  du  Janicule,  lorsque  l'Eglise,  à  peine  connue 
dans  le  monde,  était  encore  réduite  à  une  poignée  de  ministres  et  à 
quelques  milliers  de  fidèles  Cf.  Ps.  xiv,  1  ;  xxiii,  3;  xlvii,  2;  lxxxvi,  1; 
xcviii,  9;  Is  ,  II,  2,  etc.;  Zac,  ii,  5;  Matth.,  vu,  25.  —  3  Hoc  est,  ne 
auferatur  ex  ore  tuo  verbum  veritatis.  S.  Aug.,  In  Ps.  cxvm,  Serm.  13. 
—  *  Luc,  xxii,  32. 


N®  445]    SA  VIE  GLORIEUSE.  —  INVESTITURE  DE  S.  PIERRE.  621 

l'Eglise,  que  le  Fils  de  Dieu  confle  son  autorité.  En  la  lui 
conférant,  il  a  en  vue,  non  l'avantage  de  son  Apôtre,  mais 
rintérét  et  les  besoins  de  son  Eglise.  Or,  les  besoins  de  l'E- 
glise participent  de  sa  nature  :  comme  l'Eglise  elle-même, 
ils  doivent  durer  plus  qu'une  vie  d'homme  ;  ils  sont  perpé- 
tuels. Ce  n'est  pas  une  tente,  un  tabernacle,  que  le  Fils  de 
Dieu  est  venu  dresser  ici-bas  pour  glorifier  son  Père  et 
sanctifier  les  âmes  *  ;  c'est  un  édifice  stable,  le  seul  sous  le 
soleil  qui  doive  rester  sans  changements  jusqu'à  la  fin  des 
siècles,  comme  l'image  de  la  cité  permanente  *.  Il  y  faut  un 
fondement  immuable,  un  soutien  constant,  un  chef  qui  ne 
défaille  pas.  Lors  donc  que  Jésus-Christ  dit  à  S.  Pierre  : 
Super  hanc  petram  œdificabo  Ecclesiam  meam,..  Tihi  dabo 
claves  regni  cœlorum...  Confirma  fratres  tuos,  ce  n'est  pas  à 
lui  seul  qu'il  s'adresse,  mais  à  tous  les  souverains  Pontifes, 
à  tous  ceux  qui  auront  à  exercer  l'office  de  Pierre.  Il  con- 
sidère en  lui  tous  ses  successeurs,  comme  lorsque  Dieu  dit 
à  Adam  :  Pulvis  es  et  in  pulverd)n  reverteris  •,  comme  lors- 
qu'il dit  aux  enfants  de  Noé  :  Crescite  et  replète  terram^  et 
terror  vester  sit  super  cuncta  animalia  terrœ  *,  comme  lors- 
qu'il dit  d'Aaron  :  Portabit  nomina  filiorum  Israël  coram  Do- 
mino •.  Homo  in  cujus  cute  fmrit  plaga  leprœ,  addticetur  ad 
Aaron^,  etc..  Ainsi,  en  donnant  la  primauté  à  S.  Pierre, 
Jésus-Christ  fondait  en  son  Eglise  une  institution  semblable 
au  pontificat  des  Juifs  :  Et  sicut  perm^net  quod  in  Christo 
Petrus  credidit^  sic  et  permanet  qaod  in  Petro  Christm  ins- 
tituit'*.  Jamais  on  n'a  entendu  autrement  dans  l'Eglise  les 
paroles  du  Fils  de  Dieu. 

445.  —  Avec  le  pouvoir  de  gouverner  tous  les  fidèles,  saint  Pierre 
a-t-il  aussi  transmis  rinfaillibil.ité  à  ses  successeurs? 

Il  n'est  pas  douteux  qu'avec  la  charge  de  pasteur  suprême, 
S.  Pierre  n'ait  reçu  pour  ses  successeurs  comme  pour  lui 
l'infaillibilité  dans  la  doctrine*.  Ce  privilège  est  indispen- 

*  Cf.  Ps.  Lxxxix,  4.-2  Matth.,  xvi,  18;  Hebr.,  viii,  2;  Âpoc,  xxii,  2,  3. 

Cf.  Dan.,  VII,  14, 15.—  3  Gen.,  m,  19.—  *  Gen.,  ix,  2.—  «  Exod.,  xxviii,  12. 

*  Lev.,  XIII,  2.  —  "ï  S.  Léo.,  Serm,  m,  2,  In  anniv.  —  «  In  cathedra 

31). 


622  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n<^  448 

sable  pour  gouverner  TEglise,  pour  Condamner  Terreur, 
régler  l'enseignement,  trancher  les  controverses  en  matière 
de  doctrine  et  conserver  l'unité  de  la  foi.  Il  y  aurait  contra- 
diction de  la  part  de  l'autorité  à  imposer  aux  esprits  une 
croyance  qu'elle  saurait  pouvoir  être  fausse,  et  de  la  part 
des  fidèles  à  tenir  pour  certaine  une  décision  qui  serait 
sujette  à  l'erreur.  Ainsi  S.  Pierre  était  infaillible  à  un  double 
titre  :  comme  apôtre  envoyé  par  Notre  Seigneur  pour  an- 
noncer l'Evangile,  et  comme  chef  suprême  de  l'Eglise, 
d'une  Eglise  qui  est  tenue  de  croire,  et  qui  ne  peut  croire 
que  des  vérités  assurées.  La  commission  qu'il  avait  reçue 
comme  apôtre  devant  expirer  avec  lui,  les  dons  qu'il  pos- 
sédait en  cette  qualité  n'étaient  pas  héréditaires;  mais  la 
charge  qui  lui  avait  été  imposée  de  gouverner  l'Eglise 
devait  lui  survivre,  et  avec  elle  il  devait  transmettre  à  ses 
successeurs  tous  les  attributs  dont  ils  avaient  besoin  et  qui 
lui  avaient  été  conférés  pour  l'exercer  :  Soliditas  illa  quam 
ie  petra  Christo  etiam  ipse  petra  facttis  accepit^  in  suos  quo- 
lue  se  transfudit  hœredesK 

Extraordinaire  et  personnel  dans  tous  les  Apôtres,  le  don 
de  Tinfaillibilité  était  donc  en  S.  Pierre  ordinaire  et  hérédi- 
taire. C'est  ce  que  le  divin  Maître  fait  entendre,  lorsque, 
après  avoir  demandé  pour  tous  les  siens  l'union  et  la  sainteté, 
il  demande  en  particulier  pour  son  vicaire  une  foi  inébran- 
lable, que  Satan  ne  puisse  abattre  et  qui  lui  permette  de 
soutenir  celle  de  tous  ses  frères  *.  t  Lors  donc  que  Jésus- 
Ghrist  prononce  ces  paroles  :  Confirma  fratres  tuos,  c'est  un 
office  qu'il  érige  à  perpétuité,  dit  Bossuet.  Il  doit  toujours 
y  avoir  un  Pierre  dans  l'Eglise  pour  confirmer  ses  frères. 
Cette  autorité  est  d'autant  plus  nécessaire  aux  successeurs 
des  Apôtres  que  leur  foi  est  moins  affermie  que  celle  de 
leurs  auteurs.  » 

unitatis  posuit  Deus  doctrinam  veritatis.  S.  Aug.,  Epist.  cv,  15.  Deut,, 
XVII,  8,  12;  Mattlî.,  ii,  3.  Infra,  n.  375. 
1  S.  Léo.,  Sei^m,  v,  4,  v,  In  Natali  ipsins;  —  «  Luc,  xxii,  31,  32, 


N<*  447]    SA  VIE  GLORIEUSE.  —  INVESTITURE  DE  S.  PIERRE.  623 

446.  —  Dans  quel  Evangile  lit-on  ces  promesses  et  ces 

privilèges  ? 

C'est  S.  Matthieu  qui  rapporte  la  promesse  des  clés  *, 
S.  Luc  qui  parle  de  la  prière  faite  par  Notre  Seigneur  pour 
rendre  inébranlable  la  foi  de  son  vicaire  •,  et  S.  Jean  qui 
retrace  l'investiture  de  Fautorité  suprême,  conférée  au  pre- 
mier pasteur  de  l'Eglise'.  On  ne  peut  donc  soupçonner 
S.  Pierre  d'avoir  inspiré  ces  récits.  S.  Chrysostome  observe 
que  S.  Marc,  son  secrétaire,  comme  plusieurs  Pères  l'ap- 
pellent, ne  parle  guère  que  de  ses  fautes  et  des  reproches 
qu'elles  lui  attirent  *.  S'il  rapporte  le  témoignage  que  le 
prince  des  Apôtres  rend  au  Sauveur,  près  de  Gésarée  ',  il 
se  tait  sur  celui  que  le  Sauveur  lui  rend  à  lui-même  et  sur 
l'avenir  qu'il  lui  annonce. 

Ainsi,  celui  qui  parle  le  plus  nettement  de  la  primauté 
de  S.  Pierre  et  de  son  pouvoir  suprême  sur  l'Eglise,  c'est 
S.  Jean,  l'apôtre  avec  lequel  il  avait  eu  le  plus  de  rapport 
pendant  la  vie  du  divin  Maître  •,  mais  dont  son  ministère 
l'avait  éloigné,  qui  lui  survivait  depuis  plus  de  trente  ans 
et  qui  voyait  son  second  ou  troisième  successeur  gouverner 
de  Rome  l'Eglise  tout  entière"'. 

447.  —  Que  signifient  ces  paroles  :  Cum  senueHs^  alius  te  cinget,  et  ces 
autres  :  Sic  eum  volo  manere...\  tu  me  sequere? 

I.  La  première  parole  :  Alius  te  cinget  S  fait  entendre  à 
S.  Pierre  qu'il  sera  un  jour  immolé,  comme  son  Maître,  et 
qu'après  l'avoir  représenté  dans  son  ministère,  il  devra 
l'imiter  dans  sa  Passion  et  dans  sa  mort®.  Le  verset  19,  en 
expliquant  ces  mots,  nous  apprend  quel  éclat  le  crucifiement 
de  S.  Pierre  avait  jeté  dans  le  monde  et  quels  fruits  il  avait 

4  Matth.,  XVI,  46-19.  —  2  Luc,  xxii,  32.  —  3  Joan.,  xxi,  15-17.  — 
*  S.  Chrys.,  In  Matth. ^  Hom.  lxxxv.  —  ^  Marc,  viii,  29.  —  «  Luc, 
xxii,  8;  Joan.,  xviii,  15,  16;  xxi,  7,  21.  —  "^  «  Inclinez  la  tête,  écrit 
S.  Clément  aux  Corinthiens,  et  montrez-vous  obéissants.  »  !«  Epist.,  63, 
Cf.  45-47,  58,  65.  «  C'est  déjà  une  Décrétale,  »  dit  M.  Renan.  Cf.  Suares. 
De  summo  Pont.f  sect.  i,  n.  28.  —  *  Joan.,  xxi,  18.  —  »  Cf.  Brev., 
^Fer.  IV,  Inf,  oct.  pasch,,  1,  11,  m. 


624  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'evangile.  [n^  447 

produits.  L'Eglise  se  sert  toujours  des  mêmes  termes  *  pour 
exprimer  le  triomphe  de  ses  martyrs. 

IL  La  seconde  parole  :  Sic  mm  volo  manere,  22,  suppose 
trois  choses  :  —  que  S.  Jean  est  encore  vivant  au  moment 
où  l'auteur  écrit;  par  conséquent,  que  ce  chapitre,  comme 
tout  TEvangile,  est  authentique;  —  que  l'Apôtre  bien-aimé 
ne  mourra  pas,  comme  S.  Pierre,  de  mort  violente*,  — 
qu'il  verra  même  sur  la  terre  la  ruine  de  Jérusalem  et  le 
commencement  du  règne  de  son  Maître  •.  En  effet,  c'était  le 
dessein  dii  Sauveur  de  conserver  longtemps  dans  l'Eglise 
son  disciple  bien-aimé  et  de  montrer  avec  éclat,  dans  la  per- 
sonne du  fils  adoptif  de  Marie,  du  plus  dévoué  de  ses  en- 
fants, l'accomplissement  de  la  promesse  attachée  au  qua- 
trième précepte  :  Ut  sis  longœvm  super  terram  *. 

IIL  En  entendant  ces  mots  :  Tw,  me  sequere,  par  lesquels 
Notre  Seigneur  lui  répète  ce  qu'il  lui  a  dit  en  l'appelant  à 
l'apostolat  *,  S.  Pierre  doit  comprendre  que  sa  vocation  est 
d'imiter  son  Maître  dans  sa  vie  extérieure  de  travail  et  de 
sacrifice  •.  «  Pour  bien  conduire  tes  frères,  dit  le  Sauveur, 
sois  pasteur  comme  je  l'ai  été;  suis  mes  exemples  en  tout; 
reproduis  ma  vie  en  ta  vie,  ma  doctrine  en  ta  doctrine, 
mon  sacrifice  en  ton  immolation  \  »  S.  Pierre  devait  donc 
représenter  le  Sauveur  dans  son  état  de  souffrance  et  de 
mortalité,  tandis  que  S.  Jean  le  représenterait  dans  l'état 
permanent  et  glorieux  de  la  résurrection.  Suivant  S.  Augus- 
tin, celui-ci  personnifiait  l'Eglise  triomphante,  et  celui-là 
TEglise  militante.  Aussi  est-il  dit  au  premier  :  Sequere  me^ 
et  du  second  :  Volo  eum  manere  *. 

*  AoÇaÇetv  tov  0eov.  Cf.  Matth.,  xvi,  18;  xviii,  17;  Joan.,  xiv,  16.  — 
s  Sine  vulnere,  sine  craciatu  dornoiet.  S.  Aug.,  Serm,  gcliii,  5.  Gf.MatUi., 
XXIV.  42,  44;  Luc,  xii,  40.  ~  »  Cf.  Matth.,  x,  23;  xvi,  28;  xxiv,  3; 
XXVI,  64.  —  *  Ex.,  XX,  12.  Cf.  Euseb.,  m,  31  ;  v,  24  ;  vu,  25.  Remarquons 
cependant  que  le  mot  grec  eav,  rendu  par  sic,  deyait  Tètre  et  l'a  sans 
doute  été  d'abord  par  si.  —  8  Matth.,  iv,  19.  —  s  cf.  Joan.,  x,  1-18; 
XIII,  36-37;  I  Pet.,  v,  24.  —  "^  Sequere  me,  id  est,  esto  quod  fui,  vivens 
et  moriens;  âge  pastorem  ovium,  dum  vivis,  et  postea  per  crucem  transi 
ad  Patrem.  Bellarm.  —  «  Ac  si  dicat  :  Vult  qnidem  et  ipse  sequi,  sed 
ego  sic  eum  volo  manere.  S.  Bern.,  In  nativ,  Innoc.,  1.  Perfecta  me 
scquatur  actio,  informata  meo  passionis  exemplo  :  inchoata  vero  cooteiiK 


N»  448]       SA  VIE  GLORIEUSE.  — -  MISSION  DES  APOTRES.  625 

§  IV.  —  Dernière  mission  donnée  par  le  Sauveur  aux  Apôtres. 
Matth.,  xxvai^  18-20;  Marc.;  xvi^  14-19. 

Ses  poayoirs.  —  Ses  ordres.  —  Ses  promesses. 

*  448.  —  Quand  Jésus-Christ  dit  :  Data  est  mihi  omnis  potestas,  de 
quel  pouvoir  parle-t-il  et  quelle  est  la  fin  qu'il  se  propose?  Matth., 
XXVIII,  18. 

1**  Cette  assertion  est  générale,  et  on  ne  voit  pas  de  raison 
d'en  restreindre  l'étendue.  Notre  Seigneur  n'exclut  pas  le 
pouvoir  qu'il  s'est  acquis  *  en  vertu  de  la  rédemption,  sur 
les  captifs  dont  il  a  brisé  les  fers;  mais  il  entend  surtout  le 
pouvoir  souverain  qu'il  possède  comme  Homme-Dieu  sur 
toute  créature*.  L'un  et  l'autre  lui  viennent  de  son  Père 
avec  toutes  les  prérogatives  de  son  humanité. 

2<>  Son  but  est  d'inspirer  aux  Apôtres  la  confiance  dont  ils 
ont  besoin  pour  entreprendre  la  mission  qu'il  leur  donne. 
Il  veut  leur  ôter  toute  crainte  de  manquer  d'autorité  ou  de 
succès.  «  Allez  donc,  ajoute-t-il;  allez  sur  ma  parole;  ensei- 
gnez et  baptisez,  non  les  Juifs  seulement,  comme  Jean-Bap- 
tiste, mais  toutes  les  nations  du  monde.  Moïse  a  renfermé 
ses  lois  dans  l'arche  et  Israël  les  a  gardées  comme  une  pro- 
priété et  comme  un  dépôt.  J'ai  écrit  les  miennes  dans  vos 
esprits  et  dans  vos  cœurs,  afin  que  vous  les  communiquiez 
à  tous  les  peuples  :  Euntes  ergo,  docete  omnes  gentes,  etc.  Je 
vous  en  donne  le  droit,  en  vous  en  imposant  la  charge.  Ne 
vous  inquiétez  pas  de  votre  faiblesse.  Je  serai  avec  vous 
jusqu'à  la  consommation  des  siècles.  Vous  me  trouverez 
partout  pour  bénir  vos  travaux  et  valider  vos  actes  ;  et  le 
monde  finira  plus  tôt  que  votre  ministère  et  mon  secours 
tout-puissant*.  » 

Entre  toutes  les  paroles  du  Sauveur,  il  n'en  est  pas  de 

platio  maneat  donec  venlo,  perficienda  cum  venero.  S.  Aug.,  In  Joan.j 
XIV,  5.  S.  Thom.,  p.  1,  q.  30,  a.  4,  ad  3. 

1  Rom.,  XIV,  9;  I  Pet.,  ii,  9,  10.  —  2  Ps.  ii,  8;  Dan.,  vu,  13;  Matth., 
VIII,  26;  Jean.,  xvii,  2;  Heb.,  ii,  8;  Brev.,  Feria  iv  inf.  Oct.  Pcuchx; 
S.  Thom.,  p.  3,  q.  13,  a.  2,  ad^  1  ;  et  a.  4,  ad  3.  —  3  Cf.  Bossuet,  Inst. 
sur  les  promesses» 


626  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n®  449 

plus  évidemment  divine.  C'est  comme  l'écho  de  celle  du 
Créateur:  Crescite  et  multiplicamini ;  et  replète  terram  et 
subjicite  eam  *.  Elles  opèrent  ce  qu'elles  prédisent. 

449.  —  A  qui  s'adressent  ces  paroles  :  Euntes  ergo,  docete,..  et  comment 
s'accordent-elles  avec  celles  qui  ont  été  dites  à  S.  Pierre? 

1°  Ces  paroles  du  Sauveur  s'adressent  à  la  totalité  des 
Apôtres,  et,  selon  la  foi  de  l'Eglise,  à  tout  l'ordre  épiscopal, 
héritier  de  leur  mission.  Il  en  est  de  même  de  celles-ci  : 
Prœdicate  omni  creaturœ*.  Sicut  misit  me  Pater ^  et  ego  mitto 
vos.  Quorum  remiseritis^,,.  Quœcumque  alligaveritis^,,,  «  C'est 
à  vous  d'instruire  toutes  les  nations,  de  faire  de  tous  les 
hommes  autant  de  chrétiens,  et  de  les  réunir  en  un  seul 
royaume.  Ce  sera  à  vous  ensuite  de  les  gouverner,  de  les 
sanctifier,  de  les  absoudre,  etc.  » 

2°  Entendues  ainsi,  dans  un  sens  collectif,  ces  paroles  ne 
sont  pas  opposées  à  celles  qui  ont  été  dites  à  S.  Pierre: 
Pasce  oves  meas^  ou  :  Quodcumque  ligaveris*;  elles  n'y  met- 
tent aucune  restriction.  «  C'était  le  dessein  de  Dieu,  dit 
Bossuet  *,  de  mettre  d'abord  en  un  seul  ce  qu'il  devait  mettre 
ensuite  en  plusieurs,  de  donner  en  premier  lieu  au  chef  de 
l'épiscopat  ce  qu'il  se  proposait  de  donner  au  corps.  Mais  la 
suite  ne  renverse  pas  le  commencement,  et  le  premier  ne 
perd  pas  sa  place  pour  les  prérogatives  conférées  aux  seconds. 
Ces  mots  :  Tout  ce  qtte  tu  lieras,..  Pais  ines  brebis^  adressés 
d'abord  à  un  seul,  ont  déjà  rangé  sous  sa  puissance  ceux  à 
qui  il  va  être  dit  :  Tout  ce  que  vous  lierez...  Enseignez  toutes 
les  nations...  Car  les  promesses  de  Jésus-Christ  aussi  bien 
que  ses  dons  sont  sans  repentance  ;  et  ce  qui  est  une  fois 
donné  indéfiniment  et  universellement  est  irrévocable;  outre 
que  la  puissance  donnée  à  plusieurs  porte  sa  restriction  dans 
sa  division  même,  au  lieu  que  la  puissance  donnée  à  un 
seul,  et  sur  tous  sans  exception,  emporte  la  plénitude.  » 

C'est  donc  à  tort  qu'on  voudrait  appliquer  à  chaque  pas- 

»  Gen.,  I,  28.  —  s  Marc,  xvi,  15.  Cf.  Col.,  i,  23.  —  a  Joan.,  xx,  21. 
—  *  Matth.,  XVIII,  18.  —  8  Mattli.,  xvi,  19.  —  «  Diac.  sur  tunilé  de 
VEglise,  1*»  point. 


N®  4S0]      SA  VIE  GLORIEUSE.  —  MISSION  DES  APOTRES.  627 

teur  particulier  les  paroles  adressées  par  Notre  Seigneur 
aux  douze  Apôtres.  Il  n'y  a  qu'un  pasteur  dans  l'Eglise,  le 
pasteur  suprême  dont  la  juridiction  soit  universelle  et  in- 
dépendante. Bien  plus,  ces  paroles  n'ont  jamais  pu  s'entendre 
absolument  et  sans  restriction  des  Apôtres  eux-mêmes,  con- 
sidérés isolément,  puisqu'ils  avaient  un  chef  à  qui  ils  de- 
vaient la  soumission  aussi  bien  que  le  respect.  Quand  le 
Sauveur  leur  parlait  ainsi,  il  les  considérait  comme  formant 
un  corps,  ayant  une  hiérarchie,  étant  unis  et  soumis  à  un 
chef.  C'est  avec  ce  corps,  le  corps  des  pasteurs,  et  non  avec 
tel  ou  tel  en  particulier,  qu'il  a  promis  d'être  jusqu'à  la  fin 
pour  enseigner  les  nations  et  gouverner  les  fidèles. 

On  voit  par  là  quelle  est  la  constitution  de  l'Eglise.  Un 
Pasteur  suprême  est  à  la  tête  du  troupeau,  avec  un  pouvoir 
souverain  pour  l'instruire,  le  paître  et  le  gouverner;  au- 
dessous,  pour  l'aider  dans  son  gouvernement,  un  certain 
nombre  de  pasteurs,  frères  du  premier  par  l'ordre,  ses  sub- 
ordonnés par  la  juridiction,  ayant  à  régir  chacun  une  par- 
tie de  ce  troupeau,  en  union  et  sous  la  conduite  du  pasteur 
suprême.  Cet  état  de  choses  est  divin,  par  conséquent  im- 
muable. Le  renverser  serait  détruire  l'Eglise  et  anéantir 
l'œuvre  de  Dieu. 

450.  —  Qu'est-ce  que  baptiser  au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint- 
Esprit,  et  pourquoi  Notre  Seigneur  recommande-t-il  d'instruire  d'a- 
bord, et  de  baptiser  ensuite,  Matth.,  xxviii,  19? 

I.  Baptiser,  c'est  régénérer  l'âme,  en  lui  conférant  le  pre- 
mier sacrement  de  l'Eglise  ;  c'est  la  tirer  du  péché  ou  de  la 
mort  spirituelle,  en  lui  communiquant  une  nouvelle  vie  et 
une  nouvelle  dignité,  la  vie  de  la  grâce  et  la  qualité  d'enfant 
de  Dieu  ou  de  membre  de  Jésus-Christ.  Baptiser  au  nom  des 
trois  personnes  divines  :  eiç  to  ovo[ji.a  xou  flaipoç,  %%i  -cou  Ticu, 
y.at  Tou  a^iou  [IvguiJiaToç,  c'est,  suivant  l'interprétation  cons- 
tante et  la  pratique  uniforme  de  l'Eglise,  accomplir  cette 
fonction  par  leur  autorité,  suivant  leur  ordre,  et  par  l'invo- 
cation expresse  de  chacune  d'elles.  C'est,  en  même  temps, 
consacrer  cette  âme  au  service  et  au  culte  de  l'adorableTri- 


628  JÉSUS-GURIST  SELON   l'ëVANGILE.  [n<>  4SI 

nité,  et  faire  descendre  sur  elle  la  bénédiction  des  trois  di- 
vines personnes  ^ 

IL  Notre  Seigneur  recommande  aux  Apôtres  d'enseigner 
avant  de  baptiser,  iJLxOiQTejTiTe,  parce  qu'ils  n'avaient  guère 
à  baptiser  que  des  adultes,  et  que  dans  les  adultes,  il  faut 
que  le  sacrement  soit  précédé  d'un  acte  de  foi  chrétienne, 
par  conséquent  d'une  certaine  connaissance  du  christia- 
nisme •.  Mais  comme  une  simple  notion  ne  suffit  pas,  c'est 
un  devoir  pour  le  fidèle  de  s'instruire  plus  pleinement, 
après  son  baptême,  de  ce  que  le  Sauveur,  a  enseigné  et 
prescrit  ;  et  pour  le  pasteur  c'est  une  obligation  de  le  lui 
faire  connaître.  Telle  est  la  raison  des  dernières  paroles  : 
Docentes  eos  servare  *. 

451.  —  Que  signifient  ces  paroles  ;  Ecce  ego  vobiscum  sum  omnibus 

diebus^  etc.  Matth.^  xxviii,  20? 

Ces  paroles  du  Fils  de  Dieu  sont  la  promesse  solennelle 
par  laquelle  il  engage  sa  foi  à  TEglise,  son  épouse  *.  Ces 
paroles  signifient  qu'il  ne  cessera  jamais  de  l'aimer,  de  la 
protéger, de  la  soutenir;  que  son  union  avec  elle  sera  cons- 
tante et  sans  interruption;  qu'il  la  fera  subsister  jusqu'à  la 
fin  des  siècles  ;  qu'il  ne  cessera  de  demeurer  en  elle  par  son 
humanité  comme  par  sa  divinité;  qu'il  lui  conservera  à  ja- 
mais ce  qu'il  est  venu  apporter  sur  la  terre  et  qu'il  lui  a 

^  Act.,  XIX,  2.  Lcx  tingendi  imposita  est  et  forma  praescripta.  Ite, 
inquit,  docete  omnes  gentes,  tingentes  eas  in  nominc  Patris  et  Filii  et 
Spiritus  Sancti.  Tert.,  de  Bapt,,  13;  Infra,n.  534.  Facilius  inveniuntur 
hœretici  qui  omnino  non  baptisent  quam  qui  illis  verbis  non  baptizent. 
S.  Aug.,  de  Bapt.,  vi,  25,  47.  On  lit  dans  la  Doctrine  des  Apôtres, 
Supra,  n.  23;  Jnfra,  n.  650  :  «  Baptisez  au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du 
Saint-Esprit.  Si  vous  ne  pouvez  plonger  le  néophyte  dans  l'eau,  verser- 
lui  l'eau  sur  la  tète  à  trois  reprises,  au  nom  du  Père,  du  Fils  et  da 
Saint-FiSprit,  vu.  »  Cf.  S.  Justin.,  Apol.,  1*,  61,  65,  67.  Qu'on  voie  s'il 
est  possible  qu'on  n'eût  pas  dès  lors  une  idée  nette  de  la  Trinité; 
Bossuct,  VI®  Avert.^  Gratry,  Sophistique;  Ginoulhiac,  Hist.  du  dogme, 
p.  1,  1.  XII,  ch.  13.  —  8  Act.,  II,  41;  iv,  4;  viii,  36,  37;  x,  34-48.  Fiant, 
non  nascuntur  Christian!,  disait  Tertullien  aux  païens  de  son  temps. 
De  vestris  fuimus.  Haec  et  nos  risimus  aliquando.  Apolog.,  18.  S.  Hier., 
Epist,  cvii,  1.  —  3  Matth.,  xxviii,  20.  Cf.  Brev.  rom.,  Fe7\  yî,  inf.  Oct. 
Paschée,  lect.  ii-iii.  ~  *  Osée.,  ii,  19;  Eph.,  v,  32, 


?(^  452j      SA  VIE  GLOUECSe.  —  MISSiO?(  DBS  APOTIIES.       *      ^2S 

confié,  le  dépôt  de  la  foi  et  des  saints  mystères  *.  Etre  ego 
robiscum  m»,  dit-il,  ao  présent,  poar  marquer  Fimmutabi- 
lité  de  son  dessein  et  la  perpétuité  de  sa  grâce,  c  Ne  crai- 
gnez donc  pas,  mes  Apôtres,  ni  vous  qui  leur  succéderez  en 
un  si  saint  ministère;  moi  ressuscité,  moi  immortel,  ego. 
je  serai  toujours  avec  vous.  Vainqueur  de  Tenfer  et  de  la 
mort,  je  vous  ferai  triompher  de  Tun  et  de  Tautre.  Ma  pa> 
rôle,  qui  soutient  le  monde,  soutiendra  aussi  mon  Eglise*.  > 
La  promesse  s'est  accomplie  et  s'accomplira  jusqu'à  la  fin 
des  temps'.  Elle  forme  un  argument  que  chaque  année 
fortifie  *. 

452.  —  Comment  faot-il  entendre  les  paroles  de  Notre  Seigneur  on 
saint  Marc.,  xvi,  16.  17,  sor  la  nécessité  de  la  foi  et  le  don  des 
miracles? 

I.  Ces  paroles  :  Qui  crediderit  et  baptizattis  fuerit  salrabi' 
tur:  qui  rero  non  crediderit  condemnabitur,  nous  appren- 
nent que  la  foi  est  une  obligation  indispensable  *,  une  con- 

1  Cr.  Mattli.,  xYi,  18;  xyiii,  17;  Joan.,  xiv,  16;  I  Cor.,  xi,  26.  — 
*  Isai.,  XXVI,  1;  liv,  4;  Zac,  ii,  5;  Mattb.,  xvi,  16;  Bossoet,  iv«  S^»*to. 
jxmr  le  jour  de  Pâques,  2«  point;  Instructions  sur  les  promesses.  Cf. 
Jos.,  I,  9,  17;  Jod.,  vi,  12.  16;  Ps.  xxn,  4;  xly,  6;  Is.,  yiii,  10;  xli,  10; 
xLiii,  2,  3;  Lac,  i,  28,  66;  Act.,  xx,  28;  I  Cor.,  xi,  26;  Eph.,  iv,  11-16. 
—  3  Cf.  Matth.,  XIII,  39.  40;  xxiv,  3;  xxviii,  20.  —  *  ««  Quand  on  a 
enterré  le  grain  de  froment,  si  on  ne  le  Toit  pas  poasser  et  se  multiplier, 
on  conclut  qa*il  est  mort;  mais  s*il  pousse  et  se  multiplie,  on  dit  quil 
est  revivifié.  Puisque  Jésus-Christ,  après  avoir  été  enseveli,  s'est  montré 
plus  puissant  qa*auparavant,  puisque  nous  le  voyons  encore  fructifier 
et  remplir  le  monde,  convertir  à  sa  foi  et  à  son  amour  une  infinité 
d'hommes,  assurons-nous  hardiment  qu'il  n'est  pas  resté  parmi  les  morts 
et  que  nous  adorons  un  Dieu  vivant.  »  Sabaud,  Livre  des  ctéatures^  trad. 
de  Montaigne.  —  >  Entendue  même  d'une  simple  adhésion  de  l'esprit, 
la  foi  est  généralement  libre  et  méritoire.  On  ne  sera  jamais  convaincu 
si  l'on  ne  consent  pas  à  l'être.  Nemo  crédit  nisi  volens.  S.  Aug.,  In  Joan,, 
XXVI.  Conc,  Trid.,  sess.  vi,  6.  Qui  ne  sent  qu'il  est  en  son  pouvoir  de 
devenir  incrédule?  Pour  croire  et  persister  dans  sa  foi,  il  ne  suffit  pas 
d'avoir  la  vérité  devant  les  yeu\,  il  faut  la  considérer;  ce  n'est  pas  assez 
de  la  voir,  il  faut  encore  l'accepter  et  ne  pas  avoir  pour  elle  des  senti- 
ments hostiles.  L'évidence  ^u  témoignage  divin  se  voile  pour  ceux  qui 
le  haïssent  ou  qui  le  redoutent.  Tel  est  par  malheur  l'état  d'un  trop 
grand  nombre,  en  fait  de  religion  et  de  morale.  Ipsi  faerunt  rebelles 
lumini.  Job.,  xxiv,  13.  Ils  craignent  la  lumière;  ils  préfèrent  à  l'évi- 
dence l'obscttrité ,  le  vague,  le  doute ,  qui  leur  permettent  de  se  faire 


630      •  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n®  452 

dition  essentielle  et  un  gage  du  salut,  dette  règle  s'étend  à 
tous  les  temps  et  à  tous  lieux  :  elle  n'admet  aucune  excep- 
tion *.  Quiconque  croira  d'une  foi  pleine,  parfaite,  consé- 
quente, pratique,  sans  reculer  devant  les  conséquences  de 
sa  foi,  sera  sauvé.  Quiconque  commencera  à  croire,  entrera 
dans  la  voie  du  salut.  Quiconque  mourra  sans  la  foi,  soit 
actuelle  soit  habituelle,  ou  seulement  avec  une  foi  morte, 
eo  tantum  modo  quo  dœmones  credunt  et  contremiscunt^y 
n'ayant  pas  la  grâce  sanctifiante,  sera  exclu  du  ciel  •;  et  s'il 
a  offensé  Dieu  personnellement,  s'il  a  rejeté  ou  enfreint  vo- 
lontairement les  principes  révélés,  il  aura  en  outre  à  subir 
un  châtiment  proportionné  à  sa  faute  *. 

II.  Le  verset  :  Signa  eos  qui  crediderint^  kœc  sequentur,  etc., 
signifie  que  le  don  des  miracles  subsistera  à  jamais  dans 
l'Eglise,  qu'il  sera  une  manifestation  constante  de  l'Esprit 
de  Dieu  vivant  en  elle,  une  preuve  sensible  de  la  pureté  de 
sa  foi,  un  caractère  qui  la  distinguera  des  sociétés  infidèles 
et  des  sectes  hérétiques  *. 

i°  Les  faits  ont  éclairci  cette  promesse  en  la  vérifiant.  Ja- 
mais l'Eglise  n'a  manqué  de  saints,  ni  dans  l'ordre  sacerdo- 
tal ni  dans  l'état  laïque,  et  jamais  le  témoignage  des  mira- 
cles n'a  manqué  à  ses  saints.  Les  prodiges  ont  été  plus  nom- 
breux à  l'origine,  parce  qu'il  en  fallait  davantage  et  que 
les  croyants  avaient  plus  de  foi  •.  Mais  il  s'en  faut  qu'ils 

à  leur  gré  ce  qu'ils  appellent  leurs  convictions.  A  force  de  désirer  les 
ténèbres,  ceux>là  finissent  par  les  obtenir,  et  sans  être  total,  ni  les 
excuser  devant  Dieu,  leur  aveuglement  suffit  pour  exclure  la  foi.  Joan., 
m,  18-21.  Supi^a,  n.  228,  229';  Infra,  S2i. 

1  Cf.  Joan.,  III,  16,  17,  36;  v,  24;  xi,  25,  26;  Act.,  viii,  38;  xvi,  31  ; 
Rom  ,  III,  28;  Heb.,  xi,  6;  I  Joan.,  iv,  2,  3;  Apec,  xxi,  6;  Conc.  Vatic, 
sess.  m,  c.  3.  —  8  Jac,  ii,  19;  Cf.  Tit.,  i,  16;  I  Joan.,  ii,  4.  Dœmones 
non  voluntate  assentiunt,  nec  ex  lumine  infuse.  S.  Thom.,  de  Verit., 
q.  14,  a.  9,  ad  4.  —  s  Si  quis  non  crédit  in  Christum,  generali  bénéficie 
ipsc  se  fraudât,  ut  si  quis  clausis  fenestris  radios  solis  excludat.  S.  Amb., 
In  Ps.  cxviii,  Serm,  viii,  57.  —  *  Joan.,  m,  18,  36;  xii,  48.  Si  enim  justus 
ex  fide  vivit,  iniquu»  est  qui  non  habet  fidem.  S.  Aug.,  Cf.  Brev.  rom., 
In  cœn.  Dom.^  loct.  vi  et  Fer.  2*  et  3«  post.  Pentec.^  lect.  i;  S.  Thom., 
2a-2«B,  q.  2,  a.  3;  q  16,  a.  1;  p.  3,  q.  68,  a.  1,  ad  1;  Fénelon,  Lett.  vi, 
Sur  la  religion,  —  «  Cf.  Matth.,  v,  16;  Marc,  xi,  22  ;  Joan.,  i,  33;  m,  2; 
IX,  31  ;  XIV,  12;  I  Pet.,  ii,  12.  —  6  Act.,  m,  7-19;  v,  5,  10;  vi,  8;  viu, 


NO  452]      SA  VIE  GLORIEUSE.  —  MISSION  DES  APOTRES.  631 

aient  cessé  à  la  mort  des  Apôtres  ^  S.  Augustin  atteste, 
dans  un  de  ses  écrits  les  plus  médités  et  les  plus  exacts, 
qu'il  s'en  faisait  encore  de  son  temps  une  multitude  innom- 
brable: Ut  nec  omnia  cognoscere^  nec  ea  guœ  cognoscimm 
enumerare  possimus^.  L'histoire  des  saints,  même  les  plus 
récents  *,  prouve  que  cet  ordre  de  choses  n'est  pas  changé. 
Le  don  des  miracles  est  toujours  le  partage  des  vrais 
croyants,  ou  de  la  véritable  Eglise. 

2°  Ce  n'est  pas  seulement  pour  elle  une  gloire  :  c'est  un  de 
ses  privilèges  les  plus  caractéristiques  ;  car  qui  a  jamais  vu 
des  miracles  accomplis  en  dehors  d'elle,  par  des  hommes 
qui  avaient  renoncé  à  sa  foi  ou  qui  la  combattaient  ?  quelle 
est  la  secte  qui  s'honore  d'avoir  des  thaumaturges  et  de 
posséder  encore  les  dons  surnaturels  départis  aux  premiers 
fidèles?  Nul  ne  peut  énumérer  les  prodiges  accomplis  dans 
l'Eglise  catholique,  parce  qu'ils  sont  innombrables,  dit 
S.  Augustin,  et  nul  ne  saurait  dire  les  miracles  opérés  au 
sein  de  l'hérésie,  parce  qu'il  ne  s'en  fait  aucun.  Les  héré- 
tiques même  en  conviennent  *. 

3*  C'est  de  plus  une  confirmation  éclatante  des  récits 
évangéliques.  En  renouvelant  et  en  multipliant  les  miracles 
du  Sauveur,  les  saints  les  ont  mis  sous  les  yeux  de  l'Eglise 

17,  18;  IX,  18,  40;  x,  44,  46;  xiii,  8-12;  xix,  6-18;  xx,  10-12;  xxvii,  10, 
21-24;  I  Cor.,  xii;  Gai.,  m,  5.  Adjuncta  sunt  prsedicationibus  sanctis 
miracula  ut  fidem  verbis  daret  virtus  ostensa,  et  nova  facerent  qui  nova 
prœdicarent.  S.  Greg.,  In  Evang.^  Hom.  iv,  3;  Moral.  XXVII,  xviii,  36. 
<  Etiamnum  supersunl  illius  Spiritus  Sancti  vestigia,  qui  colombsB 
species  apparaît,  vestigia.  Orig.,  Cont,  Cels.,  i,  46;  S.  Justin.,  II  Apol.,  6. 
S.  Iren.,  II,  xxxi,  2;  lvi,  lvii;  S.  Amb.,  Epist.  xxii,  17;  S.  Greg.  Nyss., 
Vila  S.  Greg.  de  Thaumat.;  Euseb.,  H.,  v,  7.  Si  les  miracles  avaient 
cessé  avec  les  Apôtres,  comment  expliquer  la  présence  de  ce  verset  17 
dans  l'Evangile  et  la  conversion  des  peuples  témoins  de  sa  fausseté? 

—  *  S.  Aug.,  Retract,  I,  xiii,  7.  Cf.  De  civ.  Dei,  xxii,  8,  10;  Conf,  IX, 
IV,  12;  vu;  Serm.  cclxxxvi,  cccxx,  cccxxiv.  Cf.  S.  Amb.,  Epist.  xxii, 
9,  17-23;  S.  Greg.,  M.,  Epist.  XI,  xxvin;  S.  Bern.,  de  Consid.,  III,  ii,  1. 

—  3  Vie  de  S.  Franc,  de  Sal.,  vu,  19,  etc.  —  *  F*s.  cxxxvi,  4;  Joan., 
IX,  3t.  Apostoli  de  mortuis  vivos  faciebant,  illi  de  vivis  mortuos  faciunt. 
Tert.,  de  Prœscript.^  30.  S.  Aug.,  In  Joan.,  xiii.  S.  Greg.,  M.,  In  Evang.\, 
Hom.,  XXIX,  4.  S.  Greg.  Turon.,  de  gloria  Conf.,  13.  Cf.  S.  Thom. 
2»-2»,  q.  174,  a.  6,  ad  3;  q.  178,  a.  1,'ad  3  et  a.  2.  Brev.  rom.,  Sabb 
inf.  Oci.  Ascens.j  lect.  vii-ix. 


632  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n^  452 

entière.  Ils  ont  opéré  des  milliers  de  prodiges  dans  tous  les 
pays  et  à  toutes  les  époques;  et  chacun  de  ces  prodiges  a  son 
analogue  et  comme  son  prototype  dans  l'Evangile.  Dès  lors 
on  voit  quelle  liaison  il  y  a  entre  les  uns  et  les  autres,  com- 
ment ils  se  garantissent  mutuellement  et  avec  quelle  rigueur 
on  peut  conclure  des  seconds  aux  premiers.  Car,  si  les  mi- 
racles des  saints  sont  réels,  qu'est-ce  qui  empêche  que  ceux 
de  leur  maître  ne  le  soient?  Si  les  disciples  du  Sauveur 
ont  pu  faire  en  son  nom  toutes  sortes  de  merveilles, 
chasser  les  démons,  prédire  l'avenir,  révéler  les  secrets  des 
cœurs  \  se  transfigurer  *,  se  rendre  invisibles  ',  s'abstenir 
de  toute  nourriture  pendant  des  mois  et  des  années  *,  se 
transporter  en  un  instant  d'un  lieu  dans  un  autre  *,  mar- 
cher sur  les  eaux  «,  calmer  les  tempêtes  \  multiplier  les 
aliments  *,  guérir  subitement  les  malades  et  les  infirmes  •, 
ressusciter  les  morts  *°,  comment  prétendre  que  le  Sauveur 
n'a  pas  eu  le  même  pouvoir  et  que  les  œuvres  merveilleuses 
qu'on  lui  attribue  sont  nécessairement  des  illusions  ou  des 
mythes  **  ?  Or,  il  n'est  pas  plus  possible  de  nier  les  miracles 
des  saints  que  de  nier  leur  existence  ou  de  faire  oublier 
leur  histoire.  Comment  donner  pour  des  impostures  ou  faire 
passer  pour  des  rêves  tant  de  faits,  non  seulement  publics, 
mais  éclatants,  qu'on  a  examinés  avec  tant  de  soin  à  l'époque 
même  où  ils  se  sont  accomplis,  qui  sont  attestés  par  tant  de 

*■  Exemples  :  S.  PhiUppe  de  Néri ,  S.  André  AvelUn ,  S.  CamiUe  de 
LeUis,  S*«  Catherine  de  Sienne,  etc.  —  *  S*«  Agnès,  S.  Martin,  S.  François 
de  Paule,  S.  Pierre  d'Alcantara,  S.  Louis  Bertrand,  S.  André  Avellin, 
S.  Camille  de  Lellis,  etc.  —  »  S.  Colomban,  S.  Vincent  Ferrier,  S.  François 
de  Paule.  Cf.  Luc,  iv,  30;  Joan.,  viii,  59;  x,  39.  —  *  S**  Catherine  de 
Gênes,  S"  Catherine  de  Sienne,  etc.  —  *  S.  Antoine  de  Padoue,  S.  Joseph 
Anchietta,  etc.  —  6  S.  Maur,  S.  Hyacinthe,  S.  Raymond  de  Pennafort, 
S.  Bernardin  de  Sienne,  S.  François  de  Paule,  S.  Pierre  d'Alcantara, 
S.  Cajétan,  S*«  Germaine  Cousin,  etc.  —  ^  S.  Germain  d'Auxerrc,  S.  Ro- 
mualdj  S.  Laurent  de  Brindes,  S.  Thomas  de  Villeneuve,  S.  François- 
Xavier,  etc.  —  8  s.  Jean  Gualbert,  S*®  Zitc,  S*«  Catherine  do  Sienne, 
S'*  Chantai,  M.  Vianney.  —  »  Vies  des  saints,  passim.  —  lo  S.  Martin, 
S.  Germain  d'Auxerre,  S.  Dominique,  S.  François  d'Assises,  S.  François 
de  Paule,  S.  François-Xavier,  S.  François  d3  Sales  (Hamon,  Vie,  vn, 
19),  etc.  Voir  Dictionn.  de  mystiq.  chrét.,  17,  Dons,  Guérisons,  Miracles, 
Prophéties,  Résurrections,  etc.  —  "  Supra,  n.  17,  18. 


NO  4S3]      SA  VIE  GLORlEtâE.  —  MISSION  DES  APOTRES.  63:1 

preuves  et  déclarés  indubitables  par  les  juges  les  moins  cré- 
dules et  quelquefois  les  plus  prévenus*?  Qu'on  n'objecte 
pas  qu'un  bon  nombre  de  ces  faits  manquent  de  ces  condi- 
tions :  qu'importe,  pourvu  qu'un  certain  nombre  les  aient! 
Il  suffirait  d'un  seul  que  les  rationalistes  ne  pussent  nier  ou 
transformer  en  mythe,  pour  renverser  tout  leur  système  *. 

453.  —  Les  douze  Apôtres  étaient-ils  chargés  de  prêcher  l'Evangile 

dans  tout  Tunivers  ? 

Notre  Seigneur  ne  dit  pas  que  ses  Apôtres  doivent  prê- 
cher partout  en  personne;  mais  il  veut  qu'ils  sortent  de  la 
Judée  •,  qu'ils  se  dispersent  dans  tout  le  monde  connu, 
qu'ils  portent  l'Evangile  dans  tous  les  lieux  où  ils  pourront 
aller  et  qu'ils  suppléent  à  leur  impuissance  personnelle  en 
s'adj oignant  des  collaborateurs  à  qui  ils  transmettront  leur 
mission  et  leur  pouvoir  *.  Voilà  la  tâche  que  le  Sauveur 
leur  impose  et  pour  laquelle  il  les  revêt  de  la  force  d'en 
haut.  Cette  tâche,  les  Apôtres  l'ont  accomplie  à  la  lettre.  Ils 
ont  prêché  le  christianisme,  non  à  leur  peuple  seulement, 
comme  une  religion  locale,  destinée  à  être  renfermée  dans 
certaines  limites,  mais  au  monde  entier  comme  une  religion 
universelle  catholique,  nécessaire  à  tous  les  individus  et  à 
tous  les  peuples  ;  non  sur  les  bords  du  lac  de  Génézareth, 
où  ils  l'avaient  apprise,  mais  sur  tous  les  rivages  de  la  Médi- 
terranée. lUi  profecti  prœdicarerunt  vbique,  dit  S.  Marc, 
établi  avec  S.  Pierre  dans  la  capitale  de  l'empire.  Grâce  à 
à  l'Esprit  de  Dieu  qui  inspirait  leurs  paroles  et  qui  confirmait 
leur  doctrine  par  toutes  sortes  de  prodiges,  leurs  travaux 
n'ont  pas  été  vains,  ils  ont  planté  la  foi  dans  toutes  les 
régions  connues  :  Isti  mnt  qui  inventes  in  carne  plantaverunt 
Ecclesiam  sanguine  ma.  In  omnem  terram  exivit  sonus  eorum  *. 
Une  trentaine  d'années  leur  ont  suffi  pour  faire  pénétrer 

1  Par  exemple,  ceux  qui  sont  relatés  dans  les  actes  de  canonisation. 
—  2  C'est  le  lieu  de  répéter  le  mot  de  S.  Augustin  :  Apostoli  videbant 
caput  et  credebant  de  corpore.  Habemus  vices  nostros.  Nos  videmus 
corpus  :  credamus  de  capite.  De  civ.  Dei^  xxii,  8.  —  s  Marc,  xvi,  15; 
Luc,  XXIV,  46-48.  —  *  Isai.,  xlvi,  7,  10.  Brev.,  Comm,  DocL,  3»  loco", 
lect.  vu;  Marc,  xvi,  20.  —  »  Brev.,  Comm.  Apost,,  m*  Noct.,  l|l.  vn. 


634  JÉSUS-CHRIST  SELON  L*ÉVANGILE.  [n»  454 

l'Evangile  dans  toutes  les  contrées  du  monde*.  Cinquante 
ans  plus  tard,  au  lendemain  de  la  mort  de  S.  Jean,  Rome 
apprenait  avec  étonnement  que  ses  entrailles  renfermaient 
une  multitude  de  chrétiens  *.  Les  gouverneurs  romains  gé- 
missaient de  voir  les  dieux  de  l'empire  abandonnés,  leurs 
temples  vides,  sans  sacrifice  et  sans  adorateurs  '.  Et  ce  que 
les  Apôtres  ont  commencé  durant  leur  vie,  ils  le  continuent  et 
l'achèvent  par  leurs  successeurs  et  par  ceux  qu'ils  ont  asso- 
ciés à  leur  ministère  et  à  leur  esprit  :  Habet  enim  quo  cres- 
caty  donec  fiât  quod  de  Christo  in  Salomonis  figura  prophetatum 
est  :  Dominabitur  a  mari  usqm  ad  mare,  Omnes  gentes^  quot- 
quot  fecisti^  venient  et  adorabunt  coram  te.  Domine  ♦.  Vide- 
bunt  omnes  fines  terrœ  salutare  Dei  nostri  •. 

§  V.  —  Ascension  de  Notre  Seigneur. 

{Mont  des  Oliviers^  jeudi  i4  mai  33.) 

454.  —  Ce  mystère  n'a-t^il  pas  été  prédit  et  figuré  dans  rAncien 

Testament? 

L'Ascension  du  Sauveur  était  prédite  en  divers  endroits 
de  l'Ancien  Testament  '.  De  plus  les  Juifs  en  avaient  une  figure 
permanente  dans  une  cérémonie  religieuse  qui  se  renouve- 
lait chaque  année.  C'était  l'entrée  du  grand-prétre  dans 

i  Viginti  annis  aut  ad  summum  triginta,  ad  omnes  oras  orbis  evange- 
lium  extenderunt.  S.  Chrys.,  In  Matth.y  Hom.  lxx'v,  2.  Cf.  Isai.,  xLiii,b7. 
Matth.,  XXIV,  14;  Marc,  xvi,  20;  Rom.,  i,  8;  x,  18;  xv,  19-24,  28;  Col , 
I,  5,  6,  23;  I  Pet.,  i,  1.  S.  Iren.,  I,  x;  Tert.,  Adv,  Jud.f  7;  Apol.,  37, 
ad  Scapul.^  2,  5.  Ëuseb.,  H.^  ii,  3;  Demonst.,  m,  5.  Supra^  n.  252. 
Qu'il  y  ait  quelque  hyperbole  dans  plusieurs  de  ces  passages,  le  carac- 
tère des  écrits  d'où  ils  sont  tirés  et  Taccent  oratoire  qui  les  distingue 
en  avertissent  assez  ;  mais  que  ce  ne  soient  pas  de  pures  imagina- 
tions ^  des  exagérations  de  fantaisie,  de  ridicules  assertions,  c'est  ce 
que  nous  garantit  la  gravité  des  écrivains,  et  ce  que  supposent  le  bat 
qu'ils  ont  en  vue,  les  intérêts  qu'ils  veulent  servir,  et  les  conclusions 
pratiques  qu'ils  déduisent  de  leurs  récits.  —  ^  j^nn,  {20.  —  3  Plin.  juu., 
Epist.  X,  97.  Cf.  S.  Aug.,  De  civ.  Dei,  vi,  11.  —  *  S.  Aug.,  Epist.  cxcix,  47. 

—  8  Is.,  LU,  10.  C.  S.  Thom.,  ia-2« ,  q.  106,  a.  4,  ad  4;  Bossuet,  Serm, 
sur  la  Circoncision ^  i*'  point;  Lacordaire,   Conf.  x.  Supra,  n.  305. 

—  6  Ps.  XXIII,  7;  xLvi,  8-9;  lxvii,  5,  19,  33,  35;  cix,  1;  Zac,  xiv,  4. 
Supray  n.  246. 


N»  455]  SA  VIE  GLORIEUSE.  —  SON  ASCENSION.  635 

le  Saint  des  Saints  au  jour  des  expiations  *.  Sicut  enim 
Pontifex  introibat  ad  sanctuarium  ut  assisteret  Deo  pro  pro- 
pulo^  dit  S.  Thomas,  ita  et  Christus  intravit  in  cœlum  ad 
interpellandum  pro  nobis,  Ipsa  enim  reprœsentatio  sui  ex  na- 
ttira  humana  est  quœdam  interpellatio  pro  nobis  *.  L'enlève- 
ment d'Elie,  suivi  du  don  de  son  esprit  à  Elisée  •,  avait 
aussi  figuré  ce  mystère  d'une  manière  sensible.  Mais  la  fin 
de  Moïse  contraste  d'une  manière  plus  frappante  encore 
avec  celle  du  Sauveur.  Afin  de  montrer  l'imperfection  de 
son  œuvre  et  l'impuissance  de  sa  loi  pour  conduire  les 
hommes  à  leur  véritable  fin,  Dieu  voulut  que  le  libérateur 
d'Israël  ne  franchît  pas  les  limites  de  la  terre  promise  et  qu'il 
cédât  à  un  autre  l'honneur  d'y  faire  entrer  son  peuple  *. 

II.  S.  Luc  a  décrit  l'Ascension  de  Notre  Seigneur  en  deux 
endroits,  à  la  fin  de  son  Evangile  et  au  commencement  de 
ses  Actes,  avec  brièveté  et  simplicité.  Un  grand  nombre  de 
personnes  furent  témoins  de  ce  mystère  •.  Plusieurs  auteurs 
des  premiers  siècles  attestent  que  le  Fils  de  Dieu  a  laissé 
l'empreinte  de  ses  pieds  sur  le  sommet  des  Oliviers  '. 
D'autres  font  remarquer  que  dans  son  Ascension,  comme  du 
haut  de  sa  croix,  il  regardait  l'Occident,  et  qu'ainsi,  en 
montant  au  ciel,  il  donna  ses  dernières  bénédictions'  à 
l'Europe,  siège  principal  de  son  Eglise. 

*  455.  —  Pourquoi  S.  Matthieu  et  S.  Jean  ne  disent-ils  rien  de  ce 

mystère  ? 

S.  Jean  n'avait  pas  à  décrire  le  fait  de  l'Ascension,  puisque 
les  fidèles  en  avaient  déjà  trois  récits  inspirés,  deux  de 

i  Heb.,  IX,  a  12,  24.  —  »  S.  Thom.,  p.  3,  q.  57,  a.  6.  Cf.  Bossuet,  Serm. 
sur  l'Aiceru,^  !•'  point.  —  'IV  Reg.,  ii,  11.  On  voit  ce  sujet  souvent 
représenté  sur  les  sarcophages  des  premiers  siècles,  comme  gage  et 
symbole  de  la  vie  future.  —  *  Deut.,  xxxiv,  1,  6,  7.  Cf.  Heb.,  vu,  19-28; 
XI,  13.  —  5  Act.,  I,  12,  15.  —  *  Ps.  Gxxxi,  7;  S.  Aug.,  In  Joan.f  xlvii,  4; 
S.  Paulin.,  Epist.  xxxi,  4.  Item  Op.  S.  Hieron.,  de  Loc,  heh.  Cf.  Zac, 
xiY,  4.  On  montre  encore  aujourd'hui  cette  empreinte  ;  mais  Téglise  qui 
la  couvrait  a  été  remplacée  par  une  mosquée,  et  c'est  un  turc  qui  garde 
cette  dernière  trace  visible  que  le  Sauveur  a  laissée  de  son  passage. 
—  1  Dum  benediceret,  ferebatur  in  cœlis.  Luc,  xziv,  51.  Cf.  Levit., 
IX,  22. 


636  JÉSUS-CHRIST  SELON  l*évaNgilê.  [n^  456 

s.  Luc  et  un  de  S.  Marc.  Pour  S.  Matthieu,  il  jugea  sans 
doute  qu'il  suffisait  de  constater  que  Notre  Seigneur  n'était 
pas  resté  dans  le  sépulcre,  ou  qu'après  être  mort  pour  nos 
péchés,  il  était  ressuscité  pour  notre  justification,  et  avait 
reparu  vivant  au  milieu  des  siens  *.  Par  sa  résurrection,  en 
effet,  le  Rédempteur  avait  mis  le  sceau  à  son  œuvre  et  sa 
divinité  était  démontrée.  Son  Ascension,  si  admirable  qu'elle 
paraisse,  n'est  qu'une  suite  naturelle  et  comme  un  corollaire 
des  mystères  qui  la  précèdent  :  Félix  claumra  itinerarii 
ejm^.  Aussi  la  fête  consacrée  à  ce  mystère  n'a-t-elle  jamais 
eu  la  solennité  de  celle  de  Pâques  •. 

Cette  omission  de  S.  Matthieu,  à  laquelle  il  était  si  facile 
de  suppléer,  ne  prouve  donc  qu'une  chose,  le  respect  de 
l'Eglise  pour  le  texte  des  saints  Evangiles  et  le  soin  qu'elle 
a  toujours  eu  de  le  conserver  tel  qu'elle  l'a  reçu  des 
Apôtres.  On  trouve  du  reste  dans  toutes  les  parties  du  Nou- 
veau Testament  un  grand  nombre  de  témoignages  qui  sup- 
posent le  mystère  de  l'Ascension  et  qui  suffiraient  pour  la 
prouver  \ 

456.  —  Pour  quel  motif  un  grand  nombre  de  protestants  rejettent-ils 
comme  apocryphes  les  douze  derniers  versets  de  S.  Marc? 

La  seule  raison  pour  laquelle  un  bon  nombre  de  docteurs 
protestants  *  rejettent  maintenant  comme  apocryphes  les 
douze  derniers  versets  de  S.  Marc,  c'est  qu'on  ne  les  trouve 
pas  dans  deux  manuscrits  anciens,  celui  du  Vatican  et  celui 
du  Sinaï,  et  qu'au  rapport  d'Eusèbe',  de  S.  Jérôme  ^  de 
S.  Grégoire  de  Nysse  ^  ils  manquaient  de  leur  temps  dans 

1  Rom.,  IV,  25.  —  2  s.  Bern.,  Serm.  ii  in  Ascens.,  1.  —  '  Néan- 
moins S.  Augustin  en  rapporte  expressément  Tinstitution  aux  Apôtres. 
Epist.  Liv,  1.  —  *  Matth.,  xvi,  27;  xxvi,  64;  Joan.,  m,  13;  vi,  fô;  xiv, 
2-4;  XX,  17;  Act.,  ii,  33;  Rom.,  viii.  34;  II  Cor.,  v,  8-10  ;  Eph.,  i,  20; 
11,6;  IV,  8;  Phil.,  ii,  9,  Col.,  m,  1;  I  Thess  ,  iv,  16;  II  Thess.,  i,  7,10; 

I  Tim.,  m,  16;  Heb.,  iv,  14;  vi,  19,  20;  ix,  42,  21,  24;  I  Pot.,  m,  18,  22; 

II  Pet.,  m,  10,  12,  22;  I  Joan.,  ii,  1,  21  ;  Apec,  i,  7;  iv,  22,  etc.  Com- 
ment M.  Renan  ose-t-il  dire  que  S.  Paul  en  exclut  jusqu'à  l'idée?  — 
s  Griesbach,  Bloomfield,  Alfort,  TregeUes,  Tischendorf.  —  «  Euseb., 
Quxst.  ad  Marin,  -  i  S.  Hieron.,  Epist.  oxx,  3.  —  »  S.  Greg.  Nyss., 
De  resur.y  Hom.  ii. 


N'ï  456]  SA  VIE  GLORIEtSE.  —   SON   ASCENSION.  637 

un  certain  nombre  d'exemplaires  ^  Mais  ces  raisons  paraî- 
tront faibles  à  tous  les  esprits  impartiaux  qui  pèseront  mû- 
rement les  autorités  et  les  vraisemblances  '. 

On  peut,  en  effet,  alléguer  en  faveur  de  ce  passage  : 

1°  Les  plus  anciennes  Versions,  faites  sur  des  manuscrits 
du  premier  siècle,  l'Italique  et  la  Péchito,  ou  du  second, 
comme  la  Cophte  et  la  Gothique. 

2°  Les  livres  liturgiques  les  plus  anciens,  et  tous  les  ma- 
nuscrits actuellement  subsistants,  entre  autres  A,  G,  D.  Deux 
seulement,  B  et  k  font  exception  ;  encore  B  a-t-il  un  espace 
blanc  pour  écrire  ce  passage.  Victor  d'Antioche,  auteur  du 
quatrième  siècle,  atteste  déjà  cette  unanimité  morale,  et  il 
invoque  en  particulier  les  manuscrits  de  la  Palestine. 

3**  Le  témoignage  d'un  grand  nombre  de  Pères  et  d'au- 
teurs ecclésiastiques,  de  S.  Justin  (145)  qui  reproduit  le 
verset  20  \  de  Tatien  (f  i80),  dont  le  A'.a  Tsa^^pcov,  com- 
menté par  S.  Ephrem,  contient  tout  le  passage  *,  de  S.  Iré- 
née  qui  cite  la  fin  de  S.  Marc,  comme  répondant  au  début 
et  couronnant  dignement  son  œuvre  (184-192)  *,  de  S.  Hip- 
polyte  (220),  pour  les  versets  17  et  18-19  *,  de  S.  Jacques  de 
Nisibe  (325),  pour  les  versets  16  et  18,  de  S.  Ambroise,  de 
S.  Augustin  '  et  de  toute  l'Eglise  latine.  Serait-il  raison- 
nable de  ne  pas  tenir  compte  de  ces  témoignages  et  de  don- 
ner la  préférence  à  une  observation  d'Eusèbe,  de  S.  Jérôme 
et  de  S.  Grégoire  de  Nysse,  qui  ne  les  a  pas  empêchés  d'ad- 
hérer eux-mêmes  au  sentiment  des  autres  Pères? 

4°  La  conformité  qu'on  remarque  entre  le  style  de  ce  pas- 
sage et  celui  du  second  Evangile,  toujours  rapide,  nerveux, 

i  Pout-ètre  y  en  a-t-il  une  autre,  mais  secrète  ou  alléguée  seulement 
par  des  indiscrets,  la  répugnance  qu'inspirent  ces  mots  :  Qui  non  cre- 
diderit  condemnabUw\  16.  <»  On  no  reconnaît  pas  dans  ces  paroles,  dit 
Stanley,  la  douceur  de  celui  qui  est  venu,  non  pour  condamner,  mais 
pour  sauver.  »  —  *  Cf.  Conc.  Vatic,  de  Revel.^  can.  4.  Infra,  n.  889,  note. 
—  3  S.  Justin,  Apol.»  I  45.  Cf.  Dial.j  53.  —  *  Mosinger,  Evangelii  con^ 
cordantis  expositio^  Venise,  1876.  Cf.  Victor  Capuanus,  In  evangelicas 
harmonias,  c.  181.  —  s  S.  Iren.,  Adv.  Hx}\,  m,  x,  6.  —  6  S.  Hipp., 
De  Charismatibus.  Cf.  Comt.  Apost.^  vi,  15;  viii,  1.  —  "^  Ajoutez  une 
aUusion  manifeste  dans  le  Pasteur  d'Hermas,  iz,  25,  et  un  résumé  dans 
la  'Synopsis  attribuée  à  S.  Âtbanase. 

36 


638  JÉSUS-CHRIST  SELON  l'évangile.  [n"  437 

dégagé,  concis  *  ;  la  convenance  parfaite  des  trois  appari- 
tions décrites  en  cet  endroit,  le  rapport  des  versets  17  et  18 
avec  les  préoccupations  ordinaires  de  S.  Marc  •,  et  l'invrai- 
semblance évidente  qu'il  ait  terminé  son  écrit  par  ces  mots: 
Timebant  enim,  surtout  si  l'on  fait  attention  qu'il  n'a  encore 
rapporté  aucune  manifestation  de  la  résurrection  du  Sau- 
veur, après  lui  avoir  fait  annoncer  qu'il  se  montrerait  en 
Galilée,  et  si  l'on  pense  qu'il  est  impossible  de  produire  au- 
cune conclusion  autorisée,  différente  de  la  nôtre. 

5'  Enfin  l'impossibilité  de  concevoir  que  cette  conclusion 
ait  été  supposée  ;  tandis  qu'on  s'explique  très  bien  qu'elle 
ait  disparu  d'un  certain  nombre  de  manuscrits,  de  ceux 
surtout  qui  étaient  destinés  aux  lectures  publiques,  soit 
parce  que  le  dernier  feuillet  d'un  des  plus  anciens  exem- 
plaires se  sera  détaché  et  perdu,  soit  parce  que  certains 
esprits  auront  cru  expédient  d'en  faire  le  sacrifice,  pour 
s'épargner  la  peine  d'en  démontrer  l'accord  avec  les  autres 
Evangélistes  •,  comme  S.  Jérôme  et  Eusèbe  paraissent  l'in- 
sinuer. 

*  457.  —  Poar  S.  Jean,  la  conclusion  naturelle  de  son  livre  n'est-elle 

pas  à  la  fin  du  chapitre  xx? 

On  peut  croire  que  la  première  pensée  de  S.  Jean  avait 
été  de  s'arrêter  à  la  fin  du  chapitre  xx,  et  qu'il  a  écrit  le 
suivant  un  peu  après  *,  soit  pour  protester  contre  le  bruit 
qui  se  répandait  qu'il  ne  devait  pas  mourir  •,  soit  pour  con- 
firmer par  son  témoignage  le  titre  et  l'autorité  de  Pasteur 
suprême  conférés  par  Notre  Seigneur  à  S.  Pierre  et  déjà 
exercés  par  ses  successeurs  •;  mais  cette  conjecture  est  loin 
d'être  certaine,  et  l'on  ne  peut  douter  que  tout  le  livre  n'ait 
été  publié  à  la  fois. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  n'y  a  aucune  raison  de  mettre  en 

*  On  a  objecté  que  le  Sauveur  était  appelé  ici  Dominits  pour  la  pre- 
mière fois  ;  mais  c'est  la  première  fois  aussi  qu'il  se  montre  en  possession 
de  sa  gloire  et  de  sa  souveraineté.  —  *  Supra^  n.  61,  2».  —  '  Marc., 
XVI,  9  et  Matth.,  xxvin,  1.  —  ♦  Cf.  Cornel.  Nepos.,  Vita  Pomp(m 
Attici,  19.  —  K  Joan.,  xxi,  23.  —  «  S.  Clem.,  I  Epht,  ad  Cor. 


N"  457j  SA  VIE  GLORIEUSE.  —   SON   ASCENSION.  639 

doute  r authenticité  du  chapitre  xxi.  On  le  trouve  en  entier 
dans  toutes  les  versions  et  dans  tous  les  manuscrits,  et  ja- 
mais on  ne  Ta  contesté  dans  Tantiquité.  D'ailleurs,  y  a-t-il 
un  passage  du  quatrième  Evangile  où  la  main  de  S.  Jean 
soit  plus  visible,  où  Ton  reconnaisse  plus  sûrement  son  ca- 
ractère, son  style,  sa  manière  d'écrire?  Dans  celui  qui  décrit 
la  pèche  de  Tibériade,  comme  préparation  à  l'investiture  de 
S.  Pierre,  prince  des  Pasteurs,  on  retrouve  le  fils  de  Zé- 
bédée,  l'ancien  pécheur  de  Tibériade,  l'Apôtre  qui  a  retracé 
la  multiplication  des  pains  et  la  promesse  de  l'Eucharistie, 
la  guérison  du  paralytique  et  le  discours  où  le  Sauveur  se 
donne  pour  l'auteur  de  la  vie  *.  Ajoutons  qu'il  finit  par  se 
désigner  lui-même,  24,  et  qu'on  pourrait  signaler  des  signes 
d'authenticité  jusque  dans  les  deux  derniers  versets,  sur  les- 
quels certains  auteurs  protestants  passent  condamnation  *. 


1  Supra,  n.  204,  205.  —  «  Cf.  Joan.,  xxi,  24;  i,  14;  m,  2,  il;  I  Joan., 
1,  1,  1;  Joan.,  xxi,  25;  xii,  19;  Apoc,  xiv,  20,  etc.  Tiscbendorf  a  omis, 
dans  sa  viii*  édition ,  le  verset  25,  pour  cette  seule  raison  qu'il  lui  a 
paru  écrit  dans  K  d'une  autre  main  que  le  reste  de  son  manuscrit.  On 
le  trouve  dans  tous  les  manuscrits,  dans  toutes  les  versions,  et  dans  un 
grand  nombre  de  Pères.  Cf.  S.  Isid.  Pelus.,  Epist.  ir,  99.  Infra,  n.  546. 
—  3  Sceau  des  Catacombes.  Marti gny,  supra,  n.  350. 


QUESTIONS  RÉTROSPECTIVES 

I 

lo  Sur  les  Évangiles. 

Valeur.  —  Certitade.  —  Signes  d'inspiration.  —  Différences. 

458.  —  Les  Evangiles  répondent-ils  bien  au  dessein  de  leurs 

auteurs  ? 

I.  Le  dessein  des  Evangélistes  n'était  pas  de  donner  une 
histoire  proprement  dite  de  la  vie  du  Sauveur  ou  de  la  pré- 
dication de  son  Evangile  :  c'était  plutôt  de  faire  reconnaître 
sa  dignité  et  sa  mission,  et  d'affermir  ou  d'animer  la  foi 
des  chrétiens,  en  reproduisant  ses  discours  les  plus  per- 
suasifs et  ses  œuvres  les  plus  convaincantes.  Avant  tout,  ces 
auteurs  sont  apôtres,  prédicateurs  de  la  foi.  S.  Matthieu  et 
S.  Jean  surtout  ne  songent  qu'à  s'acquitter  de  cette  charge*. 
Il  n'y  a  donc  pas  lieu  de  s'étonner  si  leurs  écrits  n'ont  pas 
toutes  les  qualités  de  l'histoire,  s'ils  ne  décrivent  avec  une 
certaine  étendue  que  les  derniers  mystères  de  l'Homme- 
Dieu,  s'ils  laissent  dans  l'ombre  le  temps  qui  a  précédé  son 
apostolat,  s'ils  ne  rapportent  guère  de  lui  que  des  discours 
et  des  miracles,  s'ils  nomment  rarement  les  personnages, 
s'ils  ne  songent  pas  à  dater  les  faits,  si  leurs  récits  sont 
brefs  et  peu  circonstanciés,  s'ils  les  rattachent  plutôt  aux 
prédictions  et  aux  figures  de  l'Ancien  Testament  qu'aux 
événements  contemporains,  enfin  si  chacun  d'eux  a  une 
marche  qui  lui  est  propre  et  qui  s'éloigne  plus  ou  moins  de 
l'ordre  chronologique. 

II.  Les  Evangélistes  démontrent  parfaitement  ce  qu'ils  se 
sont  proposé  d'établir.  Si  l'on  accepte  leur  récit,  on  ne 
saurait  contester  la  mission  du  Sauveur  ni  la  divinité  de  sa 
doctrine.  Or,  tels  sont  les  caractères  de  vérité  dont  leurs 
livres  sont  revêtus,  qu'il  est  impossible  d'en  révoquer  en 

i  M»tth.y  XXVIII,  49,  20;  Marc,  i,  1  ;  Luc,  ï,  4;  Joaa»,  xx,  31  ;  xxi,K. 


PfO  458]  SUR  LES  ÉVANGILES.  641 

doute  Texactitude  sur  aucun  point  essentiel.  Comme  nous 
l'avons  dit  en  commençant  *,  Dieu  a  voulu  que  les  Evangiles 
fussent  écrits  peu  de  temps  après  la  mort  de  son  Fils  par 
quatre  de  ses  disciples,  étrangers  aux  habitudes  littéraires, 
mais  parfaitement  instruits  de  tout  ce  qui  tenait  à  leur  sujet, 
dont  deux,  le  premier  et  le  dernier,  avaient  vu  de  leurs 
yeux  la  plupart  des  faits  qu'ils  rapportent  •.  Il  a  pris  soin 
qu'ils  se  missent  à  l'œuvre  l'un  après  l'autre,  à  la  distance 
de  quelques  années,  de  sorte  que  le  second  pût  contrôler  le 
premier,  le  troisième  les  deux  précédents,  le  quatrième  les 
trois  autres;  que  chacun  d'eux  eût  son  motif  à  lui,  son  point 
de  vue  spécial,  et  que  tous  les  quatre  écrivissent  sous  les 
yeux  de  deux  peuples  rivaux,  également  intéressés  à  les 
démentir  et  également  à  portée  de  connaître  la  réalité  des 
faits.  Il  a  fait  en  sorte  que  leurs  livres  se  propageassent  avec 
une  rapidité  sans  exemple,  qu'ils  fussent  bientôt  dans  toutes 
les  mains,  dans  celles  de  leurs  adversaires  comme  dans  celles 
de  leurs  amis,  qu'ils  devinssent  le  sujet  de  toutes  sortes  de 
remarques,  de  discussions,  de  commentaires.  Et,  chose  ad- 
mirable !  on  n'a  jamais  pu  les  convaincre  de  la  plus  légère 
erreur,  de  la  moindre  contradiction.  Leurs  récits  ont  été 
trouvés  au  contraire  si  exacts,  si  conformes  à  tous  les  do- 
cuments et  à  tous  les  témoignages,  que  les  chrétiens  les 
ont  toujours  dits  inspirés  par  l'Esprit  de  vérité  et  qu'ils  dé- 
fient hautement  leurs  adversaires  de  les  mettre  en  défaut 
sur  quelque  point  que  ce  soit.  Bien  plus,  le  témoignage  de 
ces  quatre  écrivains  a  été  confirmé,  dans  ce  qu'il  a  d'essen- 
tiel, par  celui  de  trois  autres  auteurs,  non  moins  éclairés 
qu'eux  et  non  moins  dignes  de  foi,  S.  Pierre,  S.  Jacques  et 
S.  Jude,  témoins  oculaires  comme  S.  Matthieu  et  S.  Jean. 
Il  l'a  été  d'une  manière  plus  admirable  encore  par  l'Apôtre 
S.  Paul,  forcé  miraculeusement  de  confesser  la  vérité  qu'il 
blasphémait;  et  enfin  par  autant  de  martyrs  ou  de  confes- 
seurs que  l'Eglise  a  compté  de  ministres  dévoués  dans  toute 
rétendue  du  monde.  Après  cela,  si  l'histoire  évangélique 

t  Supraj  n.  39.  —  '  I  Joan.,  i,  1, 

3G 


6i2  QUESTIONS   RÉTROSPECTIVES.  [n^*  459 

manque  de  certitude,  s'il  est  permis  d'en  révoquer  en  doute 
les  faits  principaux,  on  ne  voit  pas,  dit  S.  Augustin,  à  quelle 
histoire  on  pourra  se  lier,  ni  ce  qui  suffira  pour  mettre  la 
vérité  d'un  récit  au-dessus  de  tout  soupçon*? 

459.  —  L'authenticité  des  Evangiles  étant  établie,  la  réalité  des  faits 
qu'ils  contiennent  n'est-elle  pas  certaine  et  manifeste? 

Dans  ce  qu'ils  rapportent  d'essentiel,  dans  ce  qui  fait  le 
fond  de  l'histoire  du  Sauveur,  il  est  manifeste  pour  tout 
lecteur  éclairé  et  intelligent  que  les  Evangélistes  disent  ce 
qui  est,  qu'ils  ne  sont  ni  trompés  ni  trompeurs  '. 

I.  Ils  ne  sont  pas  trompés.  Comment  pourraient-ils  l'être 
sur  les  faits  principaux  dont  ils  font  le  récit,  sur  tant  de  mi- 
racles dont  ils  se  disent  les  témoins  :  les  lépreux  subite- 
ment guéris,  la  vue  rendue  aux  aveugles,  une  tempête 
apaisée  d'une  parole,  des  milliers  d'hommes  sans  provi- 
sions rassasiés  par  leurs  mains  dans  un  désert,  des  morts 
rappelés  à  la  vie,  le  Sauveur  lui-même  ressuscité,  conver- 
sant avec  eux,  s'asseyant  à  leur  table  et  se  laissant  toucher 
par  eux?  Gomment  S.  Matthieu  et  S.  Jean  se  seraient-ils 
persuadé  qu'ils  voyaient  ces  choses  ou  qu'ils  les  avaient 
vues,  si  elles  n'avaient  pas  eu  lieu  réellement  devant  eux? 
Comment  S.  Marc  et  S.  Luc,  placés  dans  des  conditions 
différentes,  auraient-ils  été  victimes  des  mêmes  déceptions? 
S.  Pierre  trompait-il  S.  Luc,  quand  il  lui  disait  qu'il  avait 
guéri  des  malades,  marché  sur  les  eaux,  pénétré  les  secrets 
des  Ecritures?  Ceux  que  S.  Luc  a  consultés  avec  tant  de 
soin  se  sont-ils  accordés  pour  confirmer  les  rêves  de  S.  Mat- 
thieu, ou  étaient-ils  les  jouets  du  même  délire  que  lui?  A-t-on 
jamais  eu,  je  ne  dis  pas  l'exemple,  mais  l'idée  de  semblables 
illusions,  d'hallucinations  si  générales,  si  persévérantes,  si 

1  Quid  poteris  proferre  scriptum,  quod  non  ille  qui  non  vult  credere 
dicat  esse  confictum,  si  tanta  evangclii  notitia  venit  in  dubium?...  Que 
unquam  litterae  ullum  habebunt  pondus  auctoritatis,  si  cvangelics,  si 
apostolicœ  non  habënt?S.  Aug.,  Cont.  Faust.,  xvi,  11  ;  xxii,  79  et  xxxiii,  6. 
Item  de  Moribus  Ecoles.,,  i,  60.  Cf.  Memain,  Connaissance  des  temps  évan- 
géliqueSy  p.  iv,  ch.  2.-2  Non  doctas  fabulas  secuti,  sed  specolatores  facti 
Domini  nostri  Jesu  Gliristi  maguitudinis.  II  Pet.,  i,  16. 


N^  486]  SUR  LES  ÉVANGILES.  643 

unanimes?  Les  Evangélistes  n'ont  donc  pas  été  trompés. 
Ou  ils  disent  la  vérité  sur  les  points  essentiels,  ou  ils  savent 
que  leurs  récits  sont  radicalement  faux. 

II.  Ils  ne  sont  pas  non  plus  trompeurs^.  Car  ils  n'ont  rien 
de  ce  que  supposerait  une  pareille  imposture,  ni  Tintérét, 
ni  rimpiété,  ni  l'audace,  ni  la  fourberie. 

1^*  Uintérét,  On  ne  ment  pas,  et  surtout  on  ne  fait  pas  une 
conjuration  pour  soutenir  un  mensonge,  à  moins  d'avoir  un 
intérêt  à  mentir.  Or,  qu'est-ce  que  les  Apôtres  devaient  ga- 
gner, qu'est-ce  qu'ils  pouvaient  espérer  d'une  imposture  de 
ce  genre?  Le  mépris,  la  dérision;  que  dis-je?  la  haine,  la 
persécution,  la  mort  •.  Se  laisser  égorger  plutôt  que  de  tra- 
hir la  vérité,  c'est  de  l'héroïsme  et  le  fait  d'un  petit  nombre; 
mais  composer  un  roman  pour  se  faire  égorger,  ce  serait  de 
la  folie,  et  il  n'y  a  qu'un  insensé  qui  en  soit  capable. 

2*  L'impiété,  Si  l'histoire  du  Sauveur  était  une  imposture, 
cette  imposture  serait  un  sacrilège,  un  attentat  impie  contre 
la  religion  et  contre  Dieu.  Comment  supposer  tant  de  per- 
versité dans  des  hommes  si  religieux-,  d'une  conduite  si 
sainte,  qui  vivent  dans  la  pensée  du  ciel,  dont  les  paroles  et 
les  exemples  ont  fait  éclore  tant  de  vertus  '  ! 

3®  L'audace,  Il  leur  en  eût  fallu  pour  entreprendre  de 
tromper  le  monde  entier,  et  de  cette  manière,  et  sur  un  tel 
sujet;  pour  accuser  leur  nation  d'infidélité  et  de  déicide; 
pour  jeter  le  fondement  d'une  religion  nouvelle  sur  les 
ruines  de  toutes  les  religions  établies  *  I  Comment  supposer 
une  telle  hardiesse  dans  des  hommes  du  peuple,  sans  édu- 
cation, sans  connaissance  du  monde,  sans  influence,  sans 

1  Duguet,  Principes  de  la  foi^  p.  IH,  ch.  xi,  etc.  —  *  Mattli.,  x, 
16-38;  XXIV,  9;  Luc,  x,  3;  xx,  12,  13;  Joan.,  xv^  20;  xvi,2-4;  xxi,  18; 
Act.,  V,  40;  I  Cor.,  iv,  10-13;  xv,  19,  32;  II  Cor.,  vi,  4-10  et  xi.  — 
3  Cf.  Rom.,  VIII,  35;  I  Cor.,  ix,  27;  xv,  13,  16;  Eph.,  ii,  4-6;  CoL,  m,  1  ; 
I  Tim.,  I,  12-17;  I  Pet.,  i,  3-11.  —  *  Cogitate  quale  fuerit  homines  per 
orbem  terrarum  priedicarc  homincm  mortuum  resurrexisso,  in  cœlum 
ascendisse,  et  pro  ista  priedicatione  perpoti  omnia  quœ  insaniens  mun- 
dus  inferret,  damna,  cxilia,  vincula,  tormenta,  flammas,  bestias,  cruces, 
mortes;  hoc  pro  ncscio  quo?  S,  Aug.,  Serm,  cccxi,  2.  Cf.  Bossuct,  Panég, 
de  S,  André, 


644  QUESTIONS  RÉTROSPECTIVES.  [N^  459 

autorité,  qui  n'avaient  pas  même  le  renom  de  prophète  ou 
le  titre  de  docteur? 

4"  Enfin  la  fourberie^  Vhypocrisie,  la  rme.  Si  quelque 
chose  ressort  de  leurs  écrits,  c'est  leur  candeur,  leur  droi- 
ture, leur  sincérité  ^  t  Choisissez  quels  hommes  vous  au- 
riez désiré  pour  vous  enseigner  la  doctrine  du  Sauveur.  Ce 
sont  ceux-là  qu'il  a  pris.  Où  en  trouveriez-vous  de  plus 
propres  à  vous  persuader?  Comment  donc  pouvez-vous  leur 
prêter  ce  complot:  Venez,  associons-nous;  publions  cette 
fable  :  disons  que  ce  crucifié  est  le  Fils  de  Dieu  ;  disons  qu'il 
est  ressuscité*.  »  Leur  conviction  se  manifeste  par- leur 
silence  comme  par  leurs  discours.  On  ne  les  voit  jamais 
préoccupés  du  jugement  qu'on  portera  sur  eux,  jamais  sou- 
cieux d'indiquer  leurs  preuves,  jamais  inquiets  de  l'invrai- 
semblance de  leurs  récits,  des  contradictions  où  ils  parais- 
sent tomber,  des  difficultés  que  soulèveront  certaines  paroles 
ou  certains  faits  qu'ils  rapportent  '.  Ils  sont  assurés  d'être 
crus  parce  qu'ils  ont  conscience  d'être  vrais  et  qu'ils  ne  dou- 
tent pas  que  la  vérité  ne  finisse  par  se  faire  jour  *.  Jamais 
non  plus  ils  n'hésitent  à  dire  ce  que  l'amour  propre  devait 
les  porter  à  taire  :  la  bassesse  de  leur  extraction,  leurs  dé- 
fauts, leur  ignorance,  leur  faiblesse,  leurs  fautes  *. 

Evidemment  ces  hommes  n'ont  qu'un  but:  rendre  témoi- 
gnage à  la  vérité  et  l'exposer  le  plus  naïvement  possible.  Ils 
ne  cherchent  donc  pas  à  tromper,  et  rien  n'autorise  à  les 
donner  pour  des  imposteurs  et  des  fourbes  *. 

1  Eph.,  IV,  14;  Phil.,  iv,  8;  Col.,  m,  9;  I  Pet.,  ii,  1,  3,  8,  10;  Apoc., 
XXI,  8,  27.  —  2  Bossuet,  Pensées,  —  3  Matth.,  xiii,  55,  58;  xxvn,  40-43, 
46;  xxviii,  17;  Luc,  ii,  7;  m,  23;  vii,  18,  19;  xi,  2;  xviii,  18,  19; 
xxiii,  2;  XXIV,  41  ;  Joan.,  vi,  66;  vu,  41,  42,  48;  viii,  48;  ix,  16,  24.  — 
*  Matth.,  X,  26;  Marc,  xiii,  32.  -  s  Matth.,  xv,  16,  17;  xvi,  8,  11,  23; 
XVII,  18-20;  xviii,  21;  xx,  21-24;  xxi,  21;  xxvi,  56,  69-75;  Marc,  viii, 
17,  18,  21;  IX,  32,  33;  Luc  ,  xvii,  6;  xviii,  34;  Joan.,  vi,  68,  72;  xii,  4-6; 
XIII,  2,  26-30;  xx,  25;  Aimé,  Fondements  de  la  foi  y  part,  ii,  Conf.  1.  — 
6  Utinam  attenderent  Judsei,  utinam  animadverterent  pagani,  cum  quanta 
conscicntiœ  securitate  ad  divinum  judicium  poterimus  accedere  !  Nonne 
cum  omnî  fiducia  Deo  dicere  poterimus  :  Domine,  si  error  est,  a  te 
dccepti  sumus?  Certe  a  summae  sanctitatis  viris  sunt  nobis  tradita  et 
cum  summa  et  authentica  attestatione  probata,  teipso  coopérante  Qt 


N'^4601  SUR  LES   ÉVANGILES.  6't5 


460.  —  Le  caractère  du  Sauveur  peut-il  être  le  fruit  de 

rimagination? 

Le  caractère  du  Sauveur,  un  caractère  aussi  supérieur  à 
l'humanité,  aussi  égal  en  toutes  choses,  aussi  semblable  à 
lui-même  dans  tous  les  Evangélistes,  ne  saurait  être  une 
fiction,  et  l'histoire  du  Sauveur  ne  s'explique  que  par  la 
réalité  de  sa  vie. 

Supposé  qu'on  eût  posé  aux  plus  grands  esprits  du  siècle 
d'Auguste  ce  problème  :  écrire  à  priori  la  vie  d'un  Homme- 
Dieu,  le  faire  naître,  parler,  agir  comme  il  conviendrait  à 
un  Homme-Dieu,  quelle  solution  en  eût-on  obtenue?  Un 
grand  nombre  se  seraient  récusés,  en  confessant  leur  im- 
puissance. Quant  à  ceux  qui  auraient  voulu  essayer  leurs 
forces,  ils  auraient  sans  doute  senti  l'inconvenance  de  la 
mythologie  et  de  ses  métamorphoses  :  mais  qu'auraient-ils 
mis  à  la  place?  Supposez  môme  un  rabbin,  éclairé  au  flam- 
beau des  révélations  mosaïques,  nourri  de  la  doctrine  des 
prophètes,  formé  dans  les  écoles  de  sa  nation;  quelle  nais- 
sance, quelle  vie,  quelle  mort  eût-il  données  à  ce  Dieu  fait 
homme  ?  Quelles  maximes  eût-il  mises  sur  ses  lèvres  !  Gom- 
ment eût-il  conçu  cette  union  des  deux  natures  en  une  seule 
personne? 

Eh  bien,  ce  que  n'auraient  pu  faire  ni  Ovide,  ni  Cicéron, 
ni  Platon,  ce  qui  surpassait  infiniment  le  talent  de  Philon 
et  l'intelligence  de  la  Synagogue,  un  pêcheur  de  la  Galilée, 
un  homme  sans  lettres,  l'a  fait.  Il  l'a  fait  lui  seul,  du  pre- 
mier coup,  sans  hésitation,  et  avec  une  perfection  mer- 
veilleuse. Loin  d'esquiver  la  difficulté  du  problème,  il  l'a 

scrmonem  co-ifirmante  sequentibus  signis.  Ricard,  à  S.  Vict.,  de  Trinit,^ 
I,  II.  «  Que  les  incrédules  nous  disent  s'ils  ont  la  même  assurance,  si 
le  consentement  universel,  si  le  changement  si  soudain  de  tant  de 
peuples,  le  commencement  si  s:tint  et  si  simple  de  la  religion  laisse  au- 
cun lieu  de  douter  de  la  divinité  de  son  origine?  Qu'ils  se  regardei)t, 
sur  le  point  de  passer  à  l'éternité,  et  qu'ils  voient  dans  quelle  disposi- 
tion ils  voudraient  se  trouvera  ce  dernier  moment.  Etrange  aveuglement 
de  rhomme  qui,  tout  penchant  qu'il  est  à  la  mort,  ne  veut  prendre  qu'à 
l'extrémité  les  sentiments  d'un  mourant  qu'elle  inspire  !  »  Bossuet,  Pensées, 
Supra,  n.  26. 


646  QUESTIONS  RÉTROSPECTIVES.  [n^  460 

centuplée,  en  plaçant  le  Dieu  fait  homme  dans  les  positions 
les  plus  inouïes,  dans  les  circonstances  où  il  était  le  plus 
difficile  d'imaginer  les  sentiments,  la  conduite,  le  langage 
qui  lui  convenaient.  Mais  quelque  part  qu'il  le  place,  au 
milieu  des  opprobres  comme  au  comble  du  triomphe,  il  pa- 
raît toujours  grand,  sublime,  parfait,  supérieur  sans  com- 
paraison à  ce  que  l'humanité  a  jamais  vu  de  plus  achevé  et 
de  plus  sublime.  Lors  même  qu'il  est  brisé  par  les  tour- 
ments, couvert  d'ignominie  comme  le  dernier  des  crimi- 
nels, il  ne  laisse  pas  d'agir  et  de  parler  en  Dieu,  C*est  tou- 
jours la  même  sérénité,  la  même  élévation  de  sentiments  et 
de  langage,  la  même  sainteté.  C'est  toujours  le  Sauveur  des 
hommes,  venu  du  Ciel  pour  les  y  conduire  et  les  en  rendre 
dignes.  Il  faut  l'avoir  étudié  pour  savoir  en  quoi  consiste  la 
plus  haute  perfection  et  jusqu'où  peut  s'élever  l'héroïsme  de 
la  vertu. 

Ce  fait  est  incontestable.  L'œuvre  est  mille  fois  plus  mer- 
veilleuse que  nous  ne  saurions  le  dire.  Mais  comment  s'ex- 
plique-t-elle  ?  L'auteur  l'explique  en  disant  qu'il  n'a  pas 
créé  son  héros,  qu'il  ne  Ta  pas  tiré  de  son  imagination, 
qu'il  n'a  fait  que  le  peindre,  tel  qu'il  l'avait  sous  les  yeux. 
N'est-ce  pas  déjà  un  assez  grand  prodige  qu'un  tel  artiste 
ait  su  le  reproduire  avec  fidélité,  que  son  inhabileté  n'ait 
pas  nui  davantage  à  la  perfection  de  son  ouvrage?  Préten- 
drez-vous  qu'il  a  tout  imaginé,  tout  inventé?  Eh  î  ne  voyez- 
vous  pas  qu'attribuer  à  son  esprit  une  telle  production,  ce 
n'est  pas  supprimer  le  miracle,  c'est  le  transformer;  c'est 
faire  descendre  du  ciel  sous  forme  d'idée,  de  révélation,  de 
vision,  celui  dont  on  ne  veut  pas  confesser  l'apparition 
réelle;  c'est  attribuer  à  Dieu  une  imposture  pour  ne  pas  lui 
devoir  une  miséricorde  infinie  *? 

Voilà  ce  que  nous  dirions,  si  nous  n'avions  qu'un  Evan- 
gile, celui  de  S.  Jean  par  exemple.  Mais  avant  S.  Jean,  il  y 
eut  S.  Luc,  S.  Marc,  S.  Matthieu,  trois  autres  Juifs,  égale- 
ment obscurs,  également  illettrés,  qui,  dans  l'espace  d'un 

ï  Cf.  Hug.,  Introd,  au  Nouv,  Test,  i,  1. 


N®  460]  SUR  LES  ÉVANGILES.  647 

demi-siècle,  ont  entrepris  la  même  œuvre  et  Tont  exécutée 
avec  le  môme  bonheur.  Tous  retracent  la  vie  publique  du 
Sauveur.  Chacun  le  peint  à  sa  manière,  dans  un  milieu  spé- 
cial, pour  une  fin  particulière.  Chacun  ajoute  de  nouveaux 
traits  à  son  histoire.  Or,  en  chacun  d'eux  comme  en  S.  Jean, 
on  reconnaît  THomme-Dieu;  on  le  voit  agir,  on  Tentend 
parler  comme  il  convient  à  un  Homme-Dieu  et  comme  un 
Homme-Dieu  seul  pouvait  faire.  De  sorte  que  ce  prodige 
d'invention  incompréhensible,  qui  ne  peut  s'être  accompli 
une  seule  fois  sans  miracle,  si  Jésus-Christ  n'a  pas  existé, 
il  se  serait  produit  quatre  fois,  avec  des  formes  différentes, 
sous  la  plume  des  quatre  Evangélistes.  Tous  quatre  étaient 
étrangers  aux  œuvres  de  l'esprit  ;  ils  ont  tous  quatre  entre- 
pris, conçu,  exécuté  avec  une  égale  perfection  une  œuvre 
devant  laquelle  les  esprits  les  plus  intelligents  et  les  plus 
exercés  se  seraient  reconnus  ou  démontrés  impuissants  *  I 

Et,  chose  qui  porte  la  merveille  à  son  comble  et  qui  ra- 
mène par  une  nouvelle  voie,  sous  forme  d'assistance  surna- 
turelle ou  de  révélation,  l'intervention  divine  qu'on  voudrait 
écarter,  leurs  imaginations  ont  été  si  bien  inspirées  que,  tout 
en  s'exerçant  librement,  chacune  selon  sa  nature,  non  seule- 
ment elles  ont  produit  quatre  chefs-d'œuvre  d'une  égale 
perfection,  mais  encore  elles  présentent  à  nos  regards  quatre 
images,  à  la  fois  différentes  et  semblables,  ou  quatre  phy- 
sionomies d'un  personnage  évidemment  unique  et  conforme 
à  lui-même.  Même  caractère,  même  vertu,  même  doctrine, 
môme  langage,  au  fond  •. 

En  résumé,  nous  n'aurions  pas  la  vie  de  Jésus-Christ,  si 
Jésus-Christ  n'avait  pas  existé.  Jamais  pareil  idéal  n'avait 
été  conçu  par  l'esprit  humain  ;  jamais  il  n'eût  été  imaginé. 
Si,  par  impossible,  il  avait  pu  être  inventé,  ce  n'aurait  pas 


1  On  dira  que,  S.  Marc  n'ayant  fait  qu'abréger  S.  Matthieu,  on  conçoit 
aisément  qu'ils  soient  d'accord.  Nous  répondons  que  S.  Marc  ne  suit 
pas  partout  S.  Matthieu,  et  que  d'ailleurs  on  ne  peut  opposer  la  même 
raison  à  S.  Luc  et  à  S.  Jean.  Ces  deux  evangélistes  diffèrent  trop  des 
premiers  pour  que  Taccord  qu'on  trouve  entre  tous  se  puisse  expliquer 
autrement  que  par  l'unité  du  modèle.  —  *  Lacordaire,  Conf.  xun. 


648  QUESTIONS  RETROSPECTIVES.  [n^  461 

été  par  un  homme  du  peuple,  par  un  ignorant.  S'il  avait 
été  imaginé  par  un  ignorant,  il  ne  l'aurait  pas  été  par 
quatre  à  la  fois,  vers  la  même  époque.  Enfin,  si  quatre  au- 
teurs avaient  peint  d'imagination  un  pareil  sujet,  leurs  ta- 
bleaux ne  seraient  pas  si  ressemblants,  et  s'ils  s'étaient  con- 
certés ou  copiés  les  uns  les  autres,  on  y  verrait  moins  de 
différences. 

*  461.  —  Reconnalt-on  dans  rËvangile  un  ouvrage  inspiré,  qui  a  le 

Saint-Esprit  pour  principal  auteur? 

I.  L'inspiration  des  Evangiles  est  un  dogme  de  foi  :  il  est 
établi  par  le  témoignage  infaillible  de  l'Eglise^  mais  il  ne 
saurait  être  constaté,  avec  une  certitude  absolue,  par  l'ob- 
servation. 

II.  Cependant,  si  l'on  veut  juger  à  priori  et  par  conjec- 
ture, on  doit  tenir  pour  vraisemblable  que  Dieu  aura  donné 
son  Esprit  aux  Evangélistes  pour  écrire  la  vie  de  son  Fils 
et  l'histoire  de  sa  prédication.  Quoi  de  plus  conforme,  en 
effet,  à  sa  conduite  antérieure,  et  quoi  de  plus  désirable 
dans  l'intérêt  du  christianisme?  S'il  a  voulu  que  Moïse  fût 
inspiré  pour  faire  le  tableau  de  la  création,  pour  nous  re- 
tracer les  premiers  événements  du  monde  et  la  formation 
du  peuple  d'Israël,  comment  aurait-il  négligé  ce  soin,  lors- 
qu'il s'est  agi  de  nous  faire  connaître,  par  l'organe  des 
Apôtres,  la  manière  dont  l'Eglise  a  été  fondée  et  les  mys- 
tères que  le  Sauveur  a  accomplis  sur  la  terre?  Si  l'Esprit 
saint  a  été  donné  aux  prophètes  pour  prédire  la  venue  du 
Fils  de  Dieu  et  pour  écrire  l'histoire  de  ceux  qui  en  furent 
les  figures,  est-il  à  croire  qu'il  ait  été  refusé  à  ceux  qui  ont 
eu  la  mission  d'écrire  sa  vie  et  de  fixer  le  souvenir  de  ses 
paroles  et  de  ses  œuvres?  Si  le  Sauveur  a  voulu  que  ses 
Apôtres  fussent  à  l'abri  de  toute  erreur  dans  la  prédication 
de  l'Evangile  *,  s'il  leur  a  communiqué  des  lumières  si 

*  Cf.  Matth.,  X,  18-20;  Marc,  xiii,  11;  Luc,  xii,  12;  xxi,  U;  Joan., 
XIV,  12,  16,  17,  26;  xvi,  13;  Act.,  ii,  2-4;  iv,  31;  ix,  17,  20,  21  ;  I  Cor., 
u,  12,  13;  II  Cor.,  xiii,  2,  3;  Gai.,  i,  11,  12;  Eph.,  m,  5;  U Tlm.,  iii,  16; 
I  Pet.,  I,  11;  II  Pet.,  i,  21. 


N«  461]  SUR  LES  ÉVANGILES.  649 

abondantes  et  si  merveilleuses  pour  annoncer  sa  doctrine  \ 
est-il  possible  qu'il  n'ait  pas  assisté  et  dirigé  d'une  manière 
toute  spéciale  ceux  d'entre  eux  qu'il  destinait  à  transmettre 
aux  siècles  futurs  ses  exemples  et  ses  discours  ?  Enfin,  s'il 
fallait  que  l'Eglise  fût  infaillible  dans  l'interprétation  de 
nos  saints  Livres,  n'était-il  pas  plus  nécessaire  encore  que 
ceux  qui  les  ont  composés  fussent  éclairés  par  l'Esprit  de 
Dieu  et  qu'on  pût  croire  à  leur  témoignage  en  toute  sécu- 
rité? 

III.  Quand  on  étudie  les  Evangiles  eux-mêmes,  quand  on 
les  considère  dans  leur  rédaction,  dans  leur  forme,  on  est 
forcé  d'y  reconnaître  deux  caractères  qui  les  distinguent 
de  toute  composition  humaine,  et  qui  semblent  révéler 
l'action  d'une  intelligence  supérieure  à  celle  de  l'homme. 

1°  Le  premier  de  ces  caractères,  c'est  l'impersonnalité. 
Quoique  chaque  Evangéliste  se  peigne  dans  son  récit,  qu'il 
manifeste,  à  son  insu,  les  qualités  de  son  esprit  et  de  son 
cœur,  son  inexpérience,  sa  nationalité,  on  ne  trouve  nulle 
part  la  trace  d'un  sentiment  personnel,  l'ombre  d'une  re- 
cherche, d'un  détour,  d'une  inquiétude,  d'un  désir,  dont 
l'amour-propre  ou  le  respect  humain  serait  le  principe. 
Impossible  de  concevoir  une  œuvre  plus  désintéressée.  Ils 
ne  songent  qu'aux  faits  qu'ils  rapportent,  jamais  au  récit 
qu'ils  en  font.  Ils  rapportent  simplement  ce  qu'ils  ont  vu 
et  ce  qu'ils  ont  appris,  sans  s'excuser  de  leur  inhabileté, 
sans  s'inquiéter  des  invraisemblances,  sans  craindre  de 
choquer  qui  que  ce  soit,  sans  se  préoccuper  des  récits  déjà 
faits^  soit  pour  les  rectifier,  soit  pour  s'en  autoriser,  sans  se 
prévaloir  de  ce  qu'ils  rapportent,  soit  pour  faire  l'apologie 
de  leur  Maître,  soit  pour  confondre  ses  ennemis*.  Rien 
n'est  plus  remarquable  dans  le  récit  de  la  Passion.  Les 
Evangélistes  ne  cherchent  pas  plus  à  émouvoir  qu'à  gagner 
le  lecteur.  Il  ne  leur  échappe  ni  une  exclamation,  ni  une 
invective,  ni  un  reproche.  Pas  une  réflexion  sur  l'indignité 

1  Cf.  Act ,  IX,  10,  11,  16;  xxy  22,  23,  25;  I  Cor.,  ii,  4-7,  10-13,  16  ; 
VII,  40;  il  Cor.,  m,  5,  6;  iv,  6;  v,  20;  xiii,  3;  Eph.,  iiij  3-11.  —  »  Joan., 
VII,  4. 

nu  37 


650  QUESTIONS  RÉTROSPECTIVES.  [n»  461 

(les  tourments  infligés  au  Sauveur,  sur  l'héroïsme  de  sa  pa- 
tience, sur  la  malice  et  la  perfidie  des  prêtres,  sur  la  lâcheté 
des  juges,  sur  la  cruauté  des  bourreaux  ^  Vous  ne  lisez 
pas  ;  vous  voyez,  vous  entendez.  On  dirait  que  ces  auteurs 
ont  fait  leur  récit  comme  le  soleil  grave  les  images,  avec 
la  même  fidélité,  mais  aussi  avec  la  même  impassibilité.  Au 
moins  n'a-t-on  pas  de  peine  à  croire  qu'ils  n'ont  pas  tra- 
vaillé pour  eux,  ni  en  leur  nom,  ni  par  le  mouvement  de 
leur  propre  esprit,  et  qu'ils  se  sont  bornés,  comme  le  Psal- 
miste  le  disait  de  lui-même,  à  mettre  leur  activité  au  ser- 
vice d'une  intelligence  et  d'une  volonté  supérieures  •. 

2®  Le  second  caractère  qu'on  ne  peut  contester  à  l'Evan- 
gile, c'est  ce  mélange  admirable  de  simplicité  et  de  gran- 
deur, de  petitesse  et  d'élévation,  de  faiblesse  et  de  puis- 
sance qui  distinguent  les  œuvres  "de  Dieu,  surtout  ses 
œuvres  surnaturelles  et  en  particulier  celles  qui  se  rat- 
tachent à  la  rédemption.  Car  ce  que  l'Esprit  saint  a  dit  de 
la  prédication  des  Apôtres  s'applique  aussi  à  leurs  écrits  : 
Contemptibilia  elegit  Deus  ut  confundat  fortia,  ut  sublimitas 
sit  virtutis  Dei^,  Jamais  la  vertu  de  Dieu  ne  s'est  mieux 
voilée  sous  la  faiblesse  de  l'homme.  Ces  quelques  pages 
auxquelles  le  scribe  le  plus  obscur  eût  hésité  à  mettre  son 
nom,  sont  devenues,  non  seulement  l'aliment  de  la  piété 
et  les  délices  de  tous  les  cœurs  purs,  mais  la  lumière 
du  monde  et  l'étude  de  prédilection  des  plus  grands  es- 
prits. Que  de  douleurs  elles  ont  charmées!  Que  de  malades 
elles  ont  guéris  î  Que  d'aveugles  à  qui  elles  ont  rendu  la 
Vue!  De  quelles  vertus  elles  ont  orné  la  terre  et  enrichi 
le  ciel  ! 

Enfin,  ce  qu'il  importe  de  remarquer  par-dessus  tout,  à 
notre  point  de  vue,  c'est  que  les  deux  caractères  dont  nous 
venons  de  parler  se  montrent  également  dans  les  quatre 
Evangiles.  Partout  la  même  simplicité,  la  même  candeur, 
le  même  oubli  de  soi  ;  partout  la  même  dignité,  le  même 

1  Cf.  Ps.  XXI,  13,  14,  17;  aviii,  6-20;  Isai.,  un,  4-12;  II  Mac,  vi-viii; 
Eccli.,  xuv;  etc.  ^  >  II  Reg»,  xxiii,  1-3;  Ps.  xliv,  2;  Joan.,  rn,  18.  — 
3  I  Cor.,  1,  28* 


Nû  462]  SUR  LES  ÉVANGILES*  681 

charme,  la  même  vertu,  la  même  profondeur.  Tout  porte  la 
même  empreinte  et  tend  au  même  but  ;  tout  semble  par 
conséquent  avoir  été  conçu  par  le  même  Esprit  et  être  le 
résultat  du  même  dessein  *. 

462.  —  N'a-t-on  pas  signalé,  entre  les  Evangélistes,  des  différences 

et  des  contradictions? 

I.  Tout  le  monde  reconnaît  qu'il  y  a  entre  les  Evangé- 
listes des  différences  assez  notables.  Les  derniers  tendent  à 
compléter  ou  à  préciser  les  premiers,  et  chacun  a  son  but, 
son  plan,  sa  marche  et  son  style  particuliers.  Très  peu  de 
faits  sont  mentionnés  dans  les  quatre  Evangiles  à  la  fois,  et 
il  n'en  est  presque  pas  qui  soit  rapporté  dans  plusieurs 
sans  quelques  variantes.  Mais  y  a-t-il  lieu  de  s'en  étonner? 
Les  Evangélistes  n'étaient  pas  des  copistes  chargés  de  trans- 
crire un  original  ;  c'étaient  des  auteurs  qui  mettaient  libre- 
ment par  écrit  leurs  souvenirs  ou  leurs  renseignements, 
avec  l'aide  et  l'inspiration  de  l'Esprit  saint.  Ne  trouve-t-on 
pas  des  différences  semblables  entre  toutes  les  histoires, 
par  exemple  entre  les  Rois  et  les  Paralipomènes^  également 
inspirés  ? 

Loin  de  diminuer  l'autorité  des  Evangiles,  cette  variété 
de  rédaction  est  un  des  signes  qui  en  font  le  mieux  ressor- 
tir l'authenticité;  car,  si  l'on  réfléchit,  on  verra  que  les 
particularités  de  chacun  de  ces  livres  répondent  parfaite- 
ment au  caractère  de  chaque  auteur,* à  sa  position,  au-des- 
sein  qu'il  se  proposait  *.  —  Ainsi,  n'est-il  pas  naturel  que 
S.  Matthieu,  écrivant  le  premier,  pour  ses  compatriotes, 
présente  le  Sauveur  surtout  par  son  côté  humain,  comme 

•le  Messie  promis,  le  Fils  de  David,  le  réformateur  de  la  Loi, 
Tobjet  des  prophéties?  —  N'est-il  pas  naturel  aussi  que 

,S.  Marc,  venu  de  Jérusalem  à  Rome,  et  désireux  de  ré- 
pandre la  connaissance  de  Jésus-Christ  dans  l'empire,  mette 
à  profit  le  travail  de  S.  Matthieu,  mais  en  passant  sous  si- 
lence ce  qui  n'a  d'intérêt  que  pour  les  Juifs;  —  que  S.  Luc, 

1  Supra^  n.  73.  —  2  Voir  P.  Lat teignant,  VEsprit  des  saints  Evangiles^ 
eu  le  véritable  dessein  que  chaque  évangéliste  se  propose ,  1714. 


652  QUESTIONS  RÉTROSPECTIVES.         [n«  462 

écrivant  pour  les  Gentils  convertis  par  S.  Paul  son  maître, 
montre  Jésus-Christ  comme  Sauveur  de  toute  l'humanité; 
que,  mieux  préparé  à  écrire  par  son  éducation  et  par  ses 
recherches,  il  soigne  davantage  sa  composition,  qu'il  en 
écarte  tout  ce  qui  serait  de  nature  à  blesser  l'esprit  des 
peuples  parmi  lesquels  il  travaille,  et  qu'il  y  insère  au  con- 
traire tout  ce  qui  est  propre  à  les  toucher  et  à  leur  donner 
confiance;  —  enfin  que  S.  Jean,  prenant  la  plume  trente 
ans  plus  tard,  après  la  ruine  de  Jérusalem,  en  face  d'héré- 
tiques qui  nient  la  divinité  de  Jésus-Christ  et  affectent  de 
mépriser  sa  doctrine,  mais  déjà  entouré  de  chrétiens  fer- 
vents, prêts  à  mourir  pour  leur  maître,  garde  moins  de  ré- 
serve dans  l'énoncé  des  mystères;  que  du  commencement 
à  la  fin  de  son  livre,  il  montre  le  Sauveur  comme  le  Verbe 
incarné  et  le  vrai  Fils  de  Dieu,  et  que,  laissant  de  côté  les 
faits  rapportés  par  les  autres  Evangélistes,  les  paraboles  du 
divin  Maître  et  ses  instructions  populaires,  il  s'applique  à 
retracer  ce  qu'il  y  a  de  plus  admirable  et  de  plus  divin  dans 
son  enseignement  comme  dans  ses  actes  *?  Jésus-Christ 
n'avait-il  pas  lui-même  gardé  ces  mesures  et  observé  cet 
ordre  dans  sa  prédication  *  ? 

Cette  variété  dans  la  tendance  et  dans  les  détails  n'est 
donc  pas  une  raison  de  mettre  en  doute  la  vérité  des  Evan- 
giles, mais  bien  un  motif  pour  les  étudier  tous,  afin  de  les 
compléter  ou  les  expliquer  les  uns  par  les  autres.  C'est  ce 
qu'on  a  fait  dans  tous  les  temps  '. 

II.  Quant  aux  antilogies  ou  contradictions  qu'on  prétend 
y  découvrir,  il  y  a  longtemps  que  nos  commentateurs  les 
ont  relevées;  et  ils  l'ont  fait  avec  plus  de  soin  que  nos  ad- 
versaires. On  peut  en  voir  un  tableau  complet  dans  Tirin  *. 

1  Cf.  s.  Greg.  Naz.,  Orat.^  xliii,  69.  —  2  Supra^  n.  164.  —  3  Ut  quisque 
meminerat  et  ut  cuiquc  cordi  erat,  vel  brevius  vel  prolixius,  eamdein 
tamen  explicare  sententiam  manifestùm  est.  S.  Aug.,  de  Cons.  Evang^^ 
II,  27.  Ideo  necessarium  est  ut  legantur  omnes  quia  sînguli  non  dixenint 
.omnia,  sed  quse  alias  prsatcrmisit ,  alius  dixit,  et  quodammodo  sîbi 
dederunt  locum  omnes  ut  necessarii  essent  omnes.  Serm,  ccxxxrv,  4. 
,Diyersitas  locutionum  etiam  utilis  est,  ne  une  modo  dictum  minus  in- 
teUlgatur.  De  Cons,  Evang.,  ii,  31.  —  *  Edit.  de  Venise,  1772.  Index  rv. 


N®  462]  SUR  LES  ÉVANGILES.  653 

Mais  les  incrédules  ne  peuvent  en  tirer  aucun  avantage  pour 
deux  raisons  : 

1*»  Quand  ces  contradictions  prétendues  seraient  réelles 
et  incontestables,  elles  laisseraient  intacte  la  substance  de 
rhistoire  évangélique  et  n'ébranleraient  en  aucune  manière 
les  faits  essentiels  qui  sont  la  base  du  christianisme;  car  il 
est  visible  qu'elles  portent  seulement  sur  des  détails  et  de 
menues  circonstances  qu'on  peut  négliger  ou  laisser  dans 
l'ombre  sans  inconvénient. 

Les  principales  de  ces  difficultés,  celles  qui  pourraient 
surprendre  et  embarrasser  davantage,  ont  pour  objet  :  — 
le  commencement  du  ministère  du  Sauveur  *  ;  —  la  voca- 
tion de  S.  Pierre*;  —  le  sermon  sur  la  montagne";  —  les 
démoniaques  de  Gadara  *  ;  —  le  serviteur  du  centenier  •;  — 
les  aveugles  de  Jéricho*;  —  le  jour  de  la  Pâque  ^;  —  l'heure 
du  crucifiement  *  ;  —  les  circonstances  de  la  résurrection  '. 
—  On  voit  qu'il  ne  s'agit  pas  là  de  choses  essentielles.  Fal- 
lût-il reconnaître  que  les  Evangélistes  se  sont  trompés  ou 
contredits  sur  ces  points  secondaires,  comme  il  arrive  si 
souvent  aux  historiens  ordinaires,  l'existence  du  Sauveur,  ses 
miracles,  sa  résurrection,  la  fondation  de  son  Eglise  ne  per- 
draient pas  pour  cela  leur  certitude.  On  pourrait  même  dire 
qu'ils  en  seraient  mieux  prouvés,  la  vérité  seule  ayant  pu 
mettre  d'accord  sur  la  substance  des  témoins  qui  varient 
ainsi  dans  les  détails. 

2'  Mais  il  est  facile  de  démontrer  que  ces  contradictions 
ne  sont  qu'apparentes  ;  et  même  cette  démonstration  a  été 
faite  depuis  longtemps  *^  Ce  qu'on  ne  verrait  pas  dans  la 
Réponse  d'Origène  à  Celse,  ou  dans  le  livre  de  S.  Augustin 
Sur  raccord  des  Evangiles  ",  on  le  trouverait  dans  les  ou- 
vrages des  commentateurs  moins  anciens.  Ils  peuvent  n'avoir 

*  Matth.,  IV,  12;  Joan.,iii,  22-24.  —  2  Matth.,  iv,  18-22 ;  Marc,  i,  16-20; 
Luc,  V,  1-10.  —  3  Matth.,  v-viii,  et  Luc,  vi,  17-49.  —  *  Matth.,  viii,  28; 
Marc,  V,  2;  Luc,  viii,  27-37.  —  '^  Matth.,  vni,  5-12;  Luc,  vu,  1-10.  — 
«  Matth.,  XX,  29-34;  Marc,  x,  46;  Luc,  xviii,  35.  —  '  Supra j  n.  383. 
—  3  Supra^  n.  419.  —  ^  Supra^  n.  432.  —  *o  Non  est  in  eis  est  et  non. 
II  Cor.,  I,  18-21.  Di versa  multa,  adversa  nulla  esse  possunt.  S.  Aug., 
Cont.  Faust, f  xxxiii,  8.  —  **  De  çonsenm  evantfel. 


654  QUESTIONS   RÉTROSPECTIVES.  [n®  462 

pas  eu  tous  les  renseignements  et  toute  la  lumière  néces- 
saires pour  faire  voir  de  quelle  manière  telle  assertion  s'ac- 
corde avec  telle  autre  ;  mais,  cela  est-il  nécessaire  pour  réfuter 
les  objections?  Non;  il  suffit  de  montrer  que  le  désaccord 
n'est  pas  établi  ou  que  nulle  difficulté  ne  peut  être  dite 
insoluble. 

ni.  Cependant,  on  nous  objecte  nos  hésitations  sur  cer- 
tains points,  et  les  conjectures  plus  ou  moins  plausibles  que 
le  défaut  de  renseignements  peut  nous  forcer  de  hasarder. 
c  Vous  répondez  à  nos  difficultés,  nous  dit-on*;  mais  com- 
ment répondez-vous?  En  montrant  qu'elles  ne  sont  pas 
démonstratives.  Ce  n'est  pas  montrer  qu'elles  sont  sans  va- 
leur. Vous  réduisez  les  contradictions  à  de  simples  diver- 
gences; mais  par  quel  moyen?  En  recourant  à  des  subtilités 
et  à  des  hypothèses  pleines  d'invraisemblance.  Ce  a'est  pas 
ainsi  qu'on  procède  quand  on  cherche  la  vérité  franche- 
meai^  sans  pîrti  pris.  ¥o<is  agissez  autrement  quand  votre 
esprit  n'a  pas  d'entraves.  Si  le  vrai  n'est  pas  toujours  vrai- 
semblable, il  l'est  pourtant  la  plupart  du  temps.  Lors  donc 
que,  pour  soutenir  votre  sentiment,  vous  avez  recours  à 
tant  de  suppositions  invraisemblables,  il  est  bien  à  croire 
que  ce  sentiment  n'est  pas  la  vérité.  » 

Voici  notre  réponse.  —  1**  Il  est  très  vrai  que  nous  avons 
un  préjugé  contre  vos  objections.  Nous  sommes  assurés 
d'avance  de  leur  peu  de  solidité,  et  nous  croyons  les  réfuter 
suffisamment  en  en  faisant  voir  la  faiblesse,  en  indiquant 
en  quoi  elles  pèchent  ou  ce  qui  vous  interdit  d'en  rien  con- 
clure avec  certitude.  Mais  le  préjugé  que  nous  avons  n'est- 
il  pas  juste  et  légitime?  C'est  celui  que  donne  à  tout  esprit 
droit  la  possession  assurée  de  la  vérité.  L'infaillibilité  de 
l'Eglise  nous  étant  démontrée,  nous  sommes  toujours  sûrs 
d'être  dans  le  vrai  en  adhérant  à  sa  doctrine;  et  ce  serait 
renoncer  à  notre  raison  comme  à  notre  foi  que  de  mettre 
en  doute  le  témoignage  des  livres  dont  elle  nous  atteste 
l'inspiration.  Notre  disposition  à  votre  égard  n'est  autre 

1  M.  Renan,  15  nov.  i882, 


N<*  462]  SUR  LES  ÉVANGILES.  655 

que  celle  du  savant  qui  se  verrait  contester  les  éléments 
même  de  la  science,  que  celle  de  tout  homme  à  qui  on  vou- 
drait persuader  la  fausseté  d'un  fait  qu'il  aurait  vu  de  ses 
yeux  ou  que  lui  attesteraient  des  témoins  au-dessus  de  tout 
soupçon.  —  2°  Qu'on  trouve  à  chaque  pas  dans  l'Ecriture  des 
difficultés  et  des  apparences  de  désaccord,  qu'on  n'échappe 
aux  objections  des  incrédules  qu'à  force  de  perspicacité  et 
de  conjectures,  nous  n'avons  pas  d'intérêt  à  le  nier.  Il  nous 
semble  même  qu'il  en  doit  être  ainsi.  C'est  une  illusion  de 
s'imaginer,  comme  nos  adversaires,  que  l'Eprit  saint,  en 
inspirant  les  auteurs  sacrés,  a  dû  faire  pour  eux  ce  que  fait 
un  écrivain  exercé  ;  donner  à  leur  composition  toute  la 
clarté,  tout  Tordre,  toute  la  perfection  dont  elle  était  sus- 
ceptible. Ce  que  l'Esprit  saint  devait  faire,  en  assumant  la 
responsabilité  de  leur  ouvrage,  c'était  d'en  écarter  les  er- 
reurs et  les  contradictions  proprement  dites.  Rien  de  plus. 
Il  n'avait  pas  à  éclaircir  les  obscurités,  à  prévenir  les  em- 
barras, à  empêcher  les  divergences,  à.  faire  ressortir  l'accord 
des  diverses  parties.  Au  contraire  :  sa  sagesse  demandait 
qu'en  inspirant  les  auteurs,  il  leur  laissât  le  plus  de  liberté 
possible,  qu'il  leur  permît  de  suivre  leurs  vues,  leurs  sou- 
venirs, leurs  inclinations,  leurs  habitudes  d'esprit  et  de  lan- 
gage, et  qu'il  n'intervînt  pour  les  arrêter  dans  leur  travail 
qu'autant  qu'il  était  nécessaire  pour  prévenir  une  erreur  ou 
une  contradiction  réelle.  Cette  liberté  d'allure,  ces  diver- 
gences de  vues  et  de  desseins,  cette  variété  de  langage,  avec 
toutes  les  imperfections  et  tous  les  désaccords  apparents 
qui  en  résultent,  étaient  indispensables  pour  donner  à  l'ou- 
vrage les  caractères  d'authenticité  et  de  sincérité  qu'il  de- 
vait avoir.  C'est  une  des  raisons  pour  lesquelles  on  trouve 
en  nos  saints  Livres,  parmi  tant  d'invraisemblances,  tant  de 
traits  de  vérité,  et  ce  qui  rend  notre  foi  à  l'Ecriture  si  rai- 
sonnable et  si  méritoire  en  même  temps  *. 

On  le  voit  :  nous  ne  contestons  pas  aux  objections  qu'on 
nous  fait  une  certaine  apparence  de  vérité;  nous  reconnais- 

1  Supra,  n.  281,  note. 


658  QUESTIONS  RÉTROSPECTIVES.  [n®  464 

autre  stricte  et  littérale  :  Vivens  e  vivo  procedens  in  confor- 
mitatem  natures.  —  Souvent  aussi  il  est  donné  dans  un  sens 
large  aux  hommes  en  général,  ou  à  une  certaine  classe 
d'hommes,  ou  môme  à  quelque  homme  en  particulier  par 
rapport  à  Dieu,  pour  indiquer  qu'ils  ont  part  à  son  esprit  et 
à  sa  vie,  qu'il  les  aime  comme  ses  enfants,  qu'il  leur  destine 
ses  biens  en  héritage.  Ainsi  les  chrétiens  sont  des  enfants  Aq 
Dieu,  des  fils  de  Dieu  par  adoption,  Texva  0ccu  *.  Mais  à  cette 
signification  dérivée  et  métaphorique  de  fils  de  Dieu  répond 
aussi  une  signification  propre,  littérale,  stricte*,  qui  se 
vérifie  dans  la  seconde  personne  de  la  sainte  Trinité,  le 
Fils  unique  du  Père  :  o  Ytsç  tou  0sou,  Vnigenitus  qui  est  in 
sinu  Patris  '. 

Cette  remarque  faite,  dans  quel  sens  faut-il  prendre  le 
titre  de  Fils  de  Dieu,  donné  à  Notre  Seigneur  plus  de  cin- 
quante fois  dans  l'Evangile  ? 

On  doit  admettre  que  ce  mot  est  pris  quelquefois  dans 
une  acception  large,  métaphorique,  quand  il  lui  est  donné 
par  des  hommes  qui  ne  connaissaient  pas  sa  divinité  ou  par 
le  démon*.  Mais  ce  sont  là  des  exceptions.  Généralement, 
quand  le  Sauveur  est  dit  Fils  de  Dieu^  c'est  par  ses  disciples; 
et  alors  le  mot  Fils  est  pris  dans  le  sens  naturel  et  littéral. 
Les  Pères  ont  même  cru  que  le  démon,  sans  être  persuadé 
de  la  divinité  de  Jésus-Christ,  prenait  ce  mot  dans  ce  sens, 
et  ils  en  donnent  cette  raison  que  le  Sauveur  lui  défend  de 
le  faire  ainsi  connaître  ^, 

Au  moins  est-il  certain  que  dans  la  plupart  des  cas,  ce 
nom  a  été  entendu  à  la  lettre  et  doit  être  pris  en  ce  sens. 
Ainsi  il  ne  saurait  y  avoir  de  doute  :  —  1**  Quand  il  est 
donné  au  Sauveur  comme  n'appartenant  qu'à  lui  :  avec 
Tépithète  d'unique,  Unigenitm^,  ou  avec  l'article,  comme 

1  Si  filii  Dei  facti  sumus,  ot  dii  facti  sumua,  scd  hoc  est  gratia  adop- 
tantis,  non  natura  gencrantis.  S.  Aug.,  In  Ps.  xux,  2.  —  «  Adoptio 
sempcr  îmitantur  quod  naturalitor  fit.  S.  Cyrill.  Alex.  —  3  Joan.,  i,  18. 
Cf.  Matth.,  XXII,  42;  Rom  ,  viii,  32.  —  ♦  Matth.,  iv,  3-6;  viii,  29;  Luc, 
IV,  41;  vm,  28;  Marc,  xv,  39.  Cf.  Luc,  xxiii,  47.  —  8  Marc,  m,  12. 
.—  6  Joan.,  I,  18;  m,  16»  18;  Marc,  xu,  6.  Cf.  Heb.,  i,  6. 


N®  464]  SUR  NOTRE  SEIGNEUR  JÉSUS-CHRIST.  6S9 

un  attribut  caractéristiques  ou  bien  avec  un  autre déter- 
minatif  d'une  signification  équivalente  *.  --  2°  Quand  on 
voit  le  divin  Maître  demander  qu'on  lui  reconnaisse  la  qua- 
lité de  Fils  de  Dieu,  et  ses  disciples  faire  cet  acte  de  foi, 
comme  une  profession  de  christianisme  '.  —  3°  Toutes  les 
fois  qu'on  trouve  ce  terme  employé  ou  rapporté  par  S.  Jean  *, 
puisque,  de  l'aveu  de  tous,  cet  évangéliste  n'a  écrit  que  pour 
confirmer  le  dogme  de  la  divinité  du  Sauveur,  ou,  comme 
il  le  dit,  pour  justifier  son  titre  de  Fils  de  Dieu  ',  le  mot 
de  sainte  Marthe  :  Tu  es  Chrutus,  Filius  Dei  vivi^^  équiva- 
lant visiblement  dans  sa  pensée  à  celui  de  S.  Thomas  :  Do- 
minus  meus  et  Dem  mem  ''. 

Du  reste,  les  Juifs  versés  dans  les  saints  Livres  ne  de- 
vaient pas  ignorer  que  Dieu  avait  un  Fils  ®,  ni  que  le  Messie 
serait  une  personne  divine  ',  le  Verbe  même  ou  la  Parole 
de  Dieu.  On  savait  également  que  le  Sauveur  s'attribuait 
cette  qualité,  au  moins  dans  les  derniers  temps  de  sa  prédi- 
cation *°.  C'est  pour  cette  raison  qu'on  veut  le  lapider  et 
qu'on  finit  par  le  mettre  à  mort  **.  Mais  jamais  on  ne  lui  re- 
proche de  dire  que  Dieu  a  un  Fils  ;  et  quand  Notre  Seigneur 

1  Matth.,  XI,  27;  xxvi,  63-65;  Marc,  i,  11  ;  xiv,  61,  62;  Luc,  xxii,  70  ; 
Joan.,  I,  34,  49;  v,  25;  vi,  70;  ix,  35;  xi,  4,  27;  xvii,  1-3;  xx,  31.  — 

2  Matth.,  III,  17;  x,  32,  33;  xviï,  5,  24;  xxii,  42,  45;  Marc,  i,  11;  Luc, 
I,  35;  Joan.,  m,  16-18;  ix,  35-38;  xi,  27;  xvii,  1.  Cf.  Matth.,  xxi,  33; 
Marc,  XII,  6.  Bossuet,  I'®  et  H*  Inst.  sur  le  N.  T.  de  Trévoux^  initio.  — 

3  Matth.,  XVI,  16,  17;  Joan.,  ix,  35-38;  xi,  27.  —  *  Joan.,  i,  34,  49;  v,  25; 
X,  36;  XI,  4,  27;  xx,  31.  Cf.  I  Joan.,  n,  22-23.  —  »  Joan.,  xx,  31.  — 
6  Joan.,  XI,  27.  —  ^  Joan.,  xx,  28-31.  Cf.  Joan.,  x,  30  et  36.  Néanmoins 
il  ne  faudrait  pas  croire  ce  qu'avance  M.  Renan,  que  Jésus  ne  se  sert 
jamais  du  terme  «  Fils  de  Dieu  »  ou  h  le  Fils  »  en  parlant  de  lui,  si  ce 
n*est  dans  TEvangile  de  S.  Jean,  ni  ce  qu'a  dit  Julien  TApostat  que 
S.  Jean  est  le  premier  qui  ait  attribué  à  son  maître  la  divinité.  S.  Cyrill. 
Alex.,  Cont.  Julian.^  x.  Cf.  Matth.,  xi,  27;  xvi,  16,  17;  xxii,  45;  xxvi,  63, 
64;  xxvii,  43;  xxviii,  19;  Marc,  xiv,  61,  62;  Luc.,x,  22;  xxii,  70,  etc. 
Cf.  Matth.,  I,  23;  vu,  21;  ix,  2;  xvii,  24;  xvm,  6;  xxi,  33;  xxiii,  34; 
xxv,  31,  etc.  —  8  Ps.  Il,  7  ;  Prov.,  viii,  22-31  ;  xxx,  4  ;  Is.,  lxvi,  9;  Matth., 
XXVI,  63.  —  9  Ps.  xLiv,  7,  8;  cvii,  20;  cix,  10;  Is.,  iv,  2;  vi,  9;  vu,  14; 
IX,  6,  7;  xxx,  20;  xxxv,  4;  Baruch.,  m,  26-27;  Mich.,  v,  2;  Zac,  ii,  10; 
Mal.,  III,  1  ;  Agg.,  ii,  8,  10.  Cf.  Bossuet,  1I«  Inst,  sur  une  version  du  N.  T., 
Passage  xl.  —  *<>  Sap.,  xvm,  15.  —  <*  Matth.,  xxii,  42;  xxvii,  40  ;  Luc, 
xxiij  90 ;  Joan.,  v,  18j  x,  32;  xjx,  7. 


660  QUESTIONS  RÉTROSPECTIVES.  [n^  46S 

prescrit  à  ses  Apôtres  de  baptiser  au  nom  du  Père,  du  Fils 
et  du  Saint-Esprit,  on  voit  bien  qu'il  ne  leur  révèle  pas  un 
dogme  inconnu  et  contraire  au  sentiment  commun  *.  Ceux 
qui  ont  prétendu  que  le  nom  de  Fils  de  Dieu  n'était  dans 
l'esprit  des  Juifs  qu'un  titre  honorifique  pour  désigner  le 
Messie,  comme  le  premier  des  enfants  adoptifs  de  Dieu,  l'ont 
avancé  gratuitement  et  n'ont  rien  de  solide  à  opposer  à  nos 
raisons.  S'il  ne  signifiait  rien  de  plus,  d'où  vient,  dit 
Origène,  qu'aucun  de  ceux  qui  se  sont  donnés  pour  Messie 
depuis  Jésus-Christ  n'a  osé  s'attribuer  ce  nom  *?  Pourquoi 
excite-t-il  [à  ce  point  l'exécration  du  grand-prétre  dans  la 
Passion  '?  Et  comment,  après  l'avoir  entendu  affirmer  qu'il 
est  le  Christ,  demande-t-on  encore  au  Sauveur  s'il  est  le 
Fils  de  Dieu*? 

465.  —  Lorsque  le  Sauveur  est  appelé  simplement  le  Fils,  quel  est 

le  sens  de  ce  mot? 

Il  est  un  bon  nombre  de  versets  où  le  Sauveur  est  appelé 
simplement  et  absolument  le  Fils  *,  comme  la  première  per- 
sonne de  la  Trinité  est  appelée  le  Père,  Dans  tous  ces  pas- 
sages, le  mot  Fils,  o  Ttoc,  a  évidemment  le  même  sens  que 
celui  de  Fils  unique  de  Dieu.  Il  indique  même  plus  claire- 
ment encore  la  divinité  du  Sauveur,  puisque  le  Sauveur 
est  mis  ouvertement  au  même  rang  que  le  Père  et  le  Saint- 
Esprit,  n'étant  dit  Fils  que  par  rapport  à  ces  deux  per- 
sonnes, et  s'en  trouvant  di3tingué  par  cette  qualité  seule- 
ment. 

Remarquons  ici  la  justesse  de  ce  terme,  le  FUs  de  Dieu, 
Si  le  Sauveur  s'était  dit  simplement  Dieu,  il  se  fût  désigné 
moins  nettement.  En  se  distinguant  de  toute  créature,  il  ne 
se  fût  pas  distingué  des  deux  autres  personnes  divines;  il 
n'eût  pas  exprimé  son  caractère  propre  et  distinctif  ;  il  n'eût 

1  p.  L.  B.  Drach.,  Harmonie  entre  VEglise  et  la  Sijnagogue,  1844.  — 
8  Cf.  Orig  ,  Cont.  Gels.,  i,  28,  56;  ii,  9,  31  ;  viii,  12,  etc.  —  »  Matth., 
XXVI,  65.  —  *  Luc,  XXII,  66,  70  et  Joan.,  xix,  3  et  7.  Supra,  n.  396.  — • 
5  Matth.,  XI,  27;  xxviii,  i9;  Marc,  xiii,  32;  Luc,  x,  22;  Joan.,  m,  35, 
36;  V,  19,  20-23,  26;  vi,  40;  viii,  35,  36;  xiv,  13.  Cf.  Joan.,  n,J82-23. 


N<*  466]  SUR  NOTRE  SEIGNEUR  JÉSUS-CHRIST.  661 

pas  fait  connaître  le  rapport  essentiel  qu'il  a  avec  son  Père. 
Le  Père  est  Dieu  et  le  Saint-Esprit  est  Dieu,  mais  ni  Tun  ni 
l'autre  ne  sont  Fils  de  Dieu;  de  même  qu'Adam  et  Eve  font 
partie  de  l'humanité,  mais  ne  sont  pas  nés  de  l'homme, 
fils  de  l'homme,  comme  l'est  Notre  Seigneur  *. 

466.  —  Quels  sont  les  autres  titres  donnés  à  Notre  Seigneur 

dans  TEvangile  ? 

Notre  Seigneur  n'est  pas  appelé  seulement  Fils  de  l'homme 
et  Fils  de  Dieu  dans  l'Evangile  :  il  est  dit  de  plus  le  Messie*, 
le  Maître  ',  le  bon  maître*,  le  bon  pasteur',  Tépoux  de  l'E- 
glise •,  le  prophète  '',  le  Fils  de  Marie  S  le  fils  d'Abraham  et 
de  David ^  le  roi  des  Juifs**,  le  pain  de  vie**,  la  résurrec- 
tion et  la  vie  *S  la  voie,  la  vérité  et  la  vie  **,  la  lumière  du 
monde**,  le  Sauveur  des  hommes*',  l'Agneau  de  Dieu*®, 
l'Emmanuel  *%  le  Verbe  *S  le  Fils  de  Dieu  vivant  *®,  le  Sei- 
gneur^*, et  enfin  Dieu  même'**. 

1  Luc,  m,  38.-8  Joan.,  i,  41.  —  »  Matth.,  xxiii,  10.  —  *  Matth., 
XIX,  16.  —  s  Joan.,  x,  H.  —  ^  Matth.,  ix,  15;  Joan.,  m,  29.  —  "^  Luc, 
vil,  16.  —  8  Marc,  vi,  3.  —  «  Matth.,  i,  1.  —  lo  Joan.,  xviii,  37.  — 
11  Joan.,  VI,  35.  —  12  Joan.,  xi,  25.  —  ^3  Joan.,  xiv,  6.  —  i9  Joan.,  viii,  12. 

—  15  Joan.,  IV,  42.  —  is  Joan.,  i,  29.  —  "  Matth.,  i,  23.  —  **  Joan.,  i,  1. 

—  19  Matth.,  XVI,  16.  Becan.,  Analog.y  11,  5.  Sup^^a^  n.  469,  470.  — 
20  Matth.,  XXI,  3;  xxii,  43;  xxviii,  6;  Marc,  xv,  19;  Luc,  11,  11;  vu, 
31  ;  XI,  39;  xii,  42;  xiii,  15;  xviii,  5,  6;  xviii,  6;  xxii,  3,  6;  Joan.,  xx, 
18,  etc.  —  21  Matth.,  1,  23;  Luc,  i,  16,  17;  Joan.,  i,  1  ;  xii,  41  ;  xx,  28. 
D'un  autre  côté,  les  Evangélistes  ont  rapporté  un  certain  nombre  d'injures 
dont  le  Sauveur  fut  Tobjet.  Ses  ennemis  le  nommèrent  pécheur,  Joan., 
IX,  24;  ami  des  publicains  et  des  hommes  de  mauvaise  vie,  Matth., 
XI,  19;  malfaiteur,  Joan.,  xviii,  30;  séducteur,  Joan.,  vu,  12,  47;  per- 
turbateur de  Tordre  public,  Luc,  xxiii,  2  ;  blasphémateur,  Matth.,  ix,  3; 
XXVI,  65;  Luc,  v,  21;  violateur  du  sabbat,  Joan.,  ix,  16;  Samaritain, 
Joan.,  VIII,  48;  gourmand  et  buveur,  Matth.,  xi,  19;  démoniaque  et 
insensé,  Luc,  vu,  38;  sectateur  de  Béelzébub  et  suppôt  du  démon, 
Marc,  m,  22;  enfin  Béelzébub  lui-même,  Matth.,  x,  25.  Sic  appellaba- 
tur  Oominus  Jésus  Christus^  dit  S.  Augustin,  ad  solatium  sei^voi^um  suo- 
rurrij  quando  dicuntur  seduclores.  Brev.,  Sabb.  sanct.j  lect.  v.  C'est 
surtout  pour  la  consolation  de  ses  ministres  que  l'Esprit  saint  a  consi- 
gné toutes  ces  injures  dans  le  saint  Evangile.  Cf.  Martigny,  Noms  des 
chrétiens.  Calomnies, 


662  QUESTIONS  RÉTOOSPECTIVES.  [PT®  467 

467.  —  Notre  Seigneur  ne  parle-t-il  pas  dans  beaucoup  d'occasions  en 
Dieu,  comme  il  n'est  permis  qu'à  un  Dieu  de  le  faire,  comme  nul 
autre  qu'un  Homme-Dieu  n'eût  jamais  parlé  *  ? 

I.  Quelles  que  soient  rhumilité  de  sa  position  dans  la 
société  et  la  modestie  de  son  langage,  Jésus-Christ  n'hésite 
jamais  à  prendre  dans  ses  discours  le  rang  qui  convient 
à  un  Homme-Dieu,  à  se  placer  au-dessus  de  tout  ce  qui  a 
un  nom,  au  ciel  et  sur  la  terre  ',  au-dessus  des  justes  et 
des  patriarches  •,  au-dessus  de  Jonas  et  des  prophètes  *, 
de  Salomon*,  de  David*,  de  Moïse"',  d'Abraham*,  de  Jean- 
Baptiste,  le  plus  grand  des  enfants  des  hommes',  au- 
dessus  même  des  Anges  *^  Il  dit  qu'il  existait  avant  de 
s'incarner  ",  avant  la  création  *^  de  toute  éternité  *\  Il 
commande,  il  juge,  il  absout,  il  décide  et  il  dispose  de 
tout,  avec  une  autorité  absolue  **.  Il  donne  à  ses  Apôtres 
les  clés  du  ciel,  le  pouvoir  de  faire  des  miracles,  de  remettre 
les  péchés  *^  Il  ne  permet  pas  qu'on  doute  de  son  auto- 
rité ni  de  sa  puissance  *^  Il  veut  être  l'objet  de  la  foi  ", 
de  l'amour  *^  de  la  prière  *%  de  l'adoration  ^°.  Enfin  il  se 
met  ouvertement  en  égalité  avec  le  Père  céleste^*;  et  lors 
même  qu'il  se  dit  inférieur  à  lui,  en  tant  qu'homme,  il  fait 

1  Ginoulhiac,  Hist.  du  dogme,  Vll,  i-vi  ;  VHI,  iv,  etc.  —  «  Joan.,  m,  31  ; 
XVII,  5.-3  Mattli.,  xii^  6;  xiii,  17;  Joan.,  m,  13;  vi,  49.  —  *  Matth., 
XII,  41;  XVI,  14-17;  Joan.,  viii,  53.  —  8  Matth.,  xii,  42.  —  6  Matth., 
xxii,  43.  —  7  Matth.,  v,  21,  22,  28;  Joan.,  vi,  32.  —  »  Joan.,  viii,  56,  58. 

—  9  Matth.,  XI,  10;  Luc,  vu,  27.  —  lo  Matth.,  iv,  H  ;  vu,  27;  xm,  41; 
XVI,  27;  XXVI,  53;  Marc,  viii,  38;  xiii,  32;  Joan.,  i,  51.  —  *i  Joan., 
m,  13;  VI,  32,  38,  54,  63;  viii,  42;  xvi,  18  ;  xvii,  18.  —  «2  Joan.,  xvii,  5. 

—  13  Joan.,  VIII,  58.  —  **  Matth.,  v,  21-24,  27,  28,  33,  34,  38,  39,  43,  44; 
VIII,  3,  26;  X,  1,  37;  xii,  8;  xiii,  41;  xiv,  28;  xviii,  18,  20;  xix,  29; 
XXV,  31-46;  Marc,  ii,  5;  xvi,  17;  Luc,  vu,  48:  xxii,  29;  xiii,  43;  Joan., 
II,  16,  19;  V,  21  ;  vi,  44;  x,  18;  xii,  48;  xiv,  27;  xx,  23.  —  is  Matth., 

X,  8;  XVI,  19.  —  16  Matth.,  jv,  19;  vu,  21-23;  x,  32;  xi,  27,  28;  xii,  8, 
41,  42;  XXVI,  53;  xxviii,  18,  20;  Luc,  x,  19;  Joan.,  x,  28;  x[ ,  25.  — 
1^  Joan.,  x,  37;  xiv,  1.  —  i»  Joan.,  xiv,  15,  21.  —  i9  Joan.,  xiv,  13,  14. 

—  20  Joan.,  X,  38.  —  2*  Matth.,  xxv,  31;  Luc,  xxnr,  49;  Joan.,  i,  18; 
m,  12;  V,  17,  21,  23,  26-29;  vi,  45;  viii,  19,  54,  58;  x,  15,  28,  29,  30,  38; 

XI,  27;  XIII,  14, 52;  xix,  1,  7, 10,  H,  13,  15,  23,  26;  xv,  26;  xvi,  13-14, 4; 
xvii,  10,  21  ;  XVIII,  36,  etc. 


J^<*467]  SUR. NOTRE   SEIGNEUR  JÉSUS-CHRIST.  663 

clairement  entendre  qu'il  n'est  pas  une  simple  créature  K 
II.  S'il  n'avait  pas  eu  'conscience  de  sa  divinité,  jamais 
le  Sauveur  n'aurait,  je  ne  dis  pas  réalisé,  mais  seulement 
prédit  ou  projeté,  comme  il  a  fait,  l'œuvre  qu'il  a  accom- 
plie*. S'il  n'avait  été  qu'un  homme,  le  fils  d'un  ouvrier 
juif,  jamais  il  n'aurait  osé  parler  de  lui  comme  il  faisait  ', 
dire  que  le  ciel  serait  le  partage  de  quiconque  croirait  en  lui, 
s'appeler  la  lumière  du  monde  *,  la  résurrection  et  la  vie  ^ 
l'unique  voie  pour  arriver  à  Dieu  '.  Jamais  il  n'aurait  dit 
qu'il  n'était  pas  d'ici-bas  \  que  personne  ne  pouvait  le  con- 
vaincre de  péché  *,  qu'il  était  sorti  du  sein  du  Père  •,  qu'il 
savait  d'où  il  venait  et  où  il  allait  *®,  qu'il  était  plus  grand 
que  le  temple *^  que  le  temple  était  sa  maison*-  comme 
celle  de  son  Père  *',  que  tout  lui  appartenait  au  ciel  et  sur 
la  terre  **,  qu'il  avait  le  pouvoir  de  purifier  les  âmes  *^  et  de 
leur  donner  la  vie  **,  qu'il  donnerait  sa  chair  et  son  sang 
pour  être  la  nourriture  et  le  breuvage  du  monde  entier  ", 
que,  sans  cet  aliment,  nul  n'aurait  la  vie  véritable,  la  vie 
éternelle  **,  que,  lorsqu'il  serait  sur  la  croix,  il  attirerait 
tout  à  lui  *^  qu'il  se  ressusciterait  le  troisième  jour  ^^,  qu'il 
enverrait  son  Esprit  pour  achever  son  œuvre  **,  qu'il  res- 
terait avec  les  siens  jusqu'à  la  consommation  des  siècles  *^ 
qu'il  jugerait  les  vivants  et  les  morts  ",  enfin  qu'il  existait 
avant  la  naissance  d'Abraham  ^\  et  même  avant  la  créa- 
tion ^^  Du  moins  on  n'a  pas  d'exemple  d'une  simple  créature, 
ayant  l'usage  de  la  raison,  qui  ait  ainsi  menti  à  sa  conscience 
et  à  qui  l'orgueil  ait  inspiré  un  langage  si  extravagant  ^*.  Nul 

4  Joan.,  XIV,  28.  Cf.  S.  Cyrill.  Alex.,  de  vera  Fide,  i,  ii,  m,  et  In  Joan., 
Supra^  n.  342.  —  ^  Matth.,  xviii,  11;  Luc,  ix,  56;  Joan.,  m,  17;  x,  10; 
XI,  6;  XII,  46;  xvii,  2.  Supra,  n.  350.  —  3  Supra ^  n.  470.  —  *  Joan., 
VIII,  12;  IX,  5;  xii,  46.  —  «Joan.,  xi,  25;  xix,  6.-6  Joan.,  x,  9;  xiv,  6. 

—  7  Joan.,  viu,  23.  —  •  Joan.,  viii,  46.  Cf.  Joan.,  i,  8,  10.  —  ^  Joan., 
VIII,  42;  XVI,  27,  28;  xvii,  8.  —  «o  Joan.,  viii,  14.  —  *»  Mattb.,  xii,  16. 

—  12  Matth.,  XXI,  13.  —  13  Joan.,  ii,  16.  —  »*  Matth.,  xxviii,  18;  Luc, 
X,  22;  Joan.,  xm,  3;  xvii,  2.  —  i3  Matth.,  xviii,  18;  Marc,  ii,  5;  Luc, 
VII,  48;  Joan.,  xx,  22,  23.  —  *«  Joan.,  x,  28.  —  i^  Joan  ,  vi,  52.  — 
1«  Joan.,  VI,  54,  55,  59.  ~  i»  Joan.,  xii,  32.  —  so  Joan.,  ii,  19.  — 
SI  Joan.,  XV,  26;  xvi,  7;  Act.,i,  8.  —  22  Matth.,  xxvui,  20.  -«23Joan., 
V,  25.  —  2*  Joan.,  viii,  58.  —  2s  Joan.,  xvii,  5,  etc.  -—  26  Cf.  MassUlon, 


664  QUESTIONS  RÉTROSPECTIVES.  [n^  468 

homme  n'a  osé  dire,  comme  Notre  Seigneur,  qu'il  ne  faisait 
qu'un  avec  Dieu,  qu'il  était  Dieu,  le  Dieu  véritable,  le  Dieu 
éternel  et  suprême  *. 

468.  —  Ne  répugno-t-il  pas  absolument  de  foire  da  Sauveur  an 

imposteur  ou  un  halluciné? 

I.  Il  répugne  de  faire  de  Jésus-Christ  un  imposteur  : 

1*  S'il  n'avait  pas  été  sincère,  ce  serait  le  plus  misérable 
et  le  plus  criminel  de  tous  les  fourbes,  dit  S.  Bonaventure  *. 
Comment  accorder  tant  d'orgueil,  tant  d'impiété,  tant  d'hy- 
pocrisie avec  les  vertus  dont  il  a  donné  l'exemple,  avec  la 
sainteté  que  sa  morale  respire,  avec  l'esprit  qu'il  a  fait  ré- 
gner en  son  Eglise,  avec  la  religon  qu'il  inspire  à  tous  ceux 
qui  se  donnent  à  lui? 

î'*  S'il  a  fait  des  miracles  et  des  prophéties  véritables, 
en  quoi  a-t-il  pu  tromper?  Si  ses  miracles  étaient  faux, 
comment  a-t-il  pu  les  faire  prendre  pour  vrais  par  tant 
de  témoins  intéressés  à  ne  pas  se  laisser  tromper?  Com- 
ment a-t-il  persuadé  à  des  milliers  d'hommes  qu'il  lui  suf- 
fisait de  dire  une  parole  pour  guérir  les  malades,  multi- 
plier les  aliments,  ressusciter  les  morts?  Comment  a-t-il  pu 
faire  croire  qu'il  était  mort  lui-même  et  revenu  à  la  vie? 
Si  ses  prédictions  n'étaient  que  du  charlatanisme,  comment 
se  fait-il  que  nous  en  voyions  encore  aujourd'hui  l'accom- 
plissement dans  la  ruine  de  la  synagogue  et  de  l'idolâtrie, 
dans  la  dispersion  des  Juifs,  dans  la  stabilité  inébranlable 
de  l'Eglise  »? 

3**  Si  Jésus-Christ' était  un  fourbe,  que  seraient  ses 
Apôtres  et  ses  premiers  disciples?  Faut-il  dire  que  tous  ont 

Serm.  pour  la  Circoncision;  Ginoulhiac,  Hist.  du  dogmCy  t.  ii,  part,  i, 
liv.  VII  et  vin,  4,  etc. 

*  Joan.,  X,  30.  Supra  ^  n.  336.  —  »  Superbissimus  hominum,  iroo  et 
dœmonum,  quia  LuciTer  nunquam  dixit  se  esse  Dcum,  licet  Toluerit 
esse  simiUs  Âltissimi.  S.  Bonav.,  Stim.  dUv.  om,,  i,  6.  —  3  Me  atten- 
dite,  dicit  Ecclesia.  Non  praeterita  vobis  narrantur,  non  futura  pr»- 
nuntiantur,  sed  prsesentia  demonstrantur.  Hoc  certe,  sive  velitis,  site 
nolitis,  aspicitis.  S.  Aug.,  De  Fide  rerum  qua  non  videntur,  7.  Supra^ 
M.  256. 


N®  468]  SUR  NOTRE  SEIGNEUR  JÉSUS-CHRIST.  668 

été  des  fourbes,  ou  que  tous  ont  été  des  dupes,  ou  que  les 
uns  étaient  des  fourbes  et  les  autres  des  dupes?  Ne  voit-on 
pas  que  chacune  de  ces  suppositions  répugne,  et  qu'on  en 
centuple  l'absurdité  en  les  multipliant. 

IL  II  ne  répugne  pas  moins  de  faire  du  Sauveur  un  hallu- 
ciné. 

1°  Pour  justifier  un  soupçon  seulement  à  cet  égard,  il 
faudrait  des  raisons  :  quelles  sont  celles  qu'on  pourrait 
donner?  L'hallucination,  comme  on  l'entend  d'ordinaire,  a 
pour  objet  les  visions  et  les  apparitions  :  combien  en  voit-on 
dans  l'Evangile?  Elle  produit  l'exaltation,  l'enthousiasme, 
lefanastisme  :  le  ton  du  Sauveur  est-il  celui  d'un  fanatique? 
Il  a  parlé  souvent,  sur  toutes  sortes  de  sujets  et  en  toutes 
sortes  de  circonstances;  il  a  été  aux  prises  avec  la  calomnie 
comme  avec  la  souffrance  :  a-t-il  jamais  dit  un  mot  qui 
s'écartât  des  règles  de  la  sagesse  et  de  la  sainteté? 

2^  Les  hommes  les  plus  éclairés  conviennent  que^  pour  le 
dogme  comme  pour  la  morale,  il  n'y  a  aucune  comparaison 
à  faire  entre  le  christianisme  et  les  autres  religions.  La 
doctrine  la  plus  sainte,  la  plus  sublime,  la  plus  complète  sur 
l'homme  et  sur  Dieu,  serait  donc  le  fait  de  l'hallucination, 
c'est-à-dire  de  la  folie  !  Ceux  dont  on  admire  le  plus  les  lu- 
mières seraient  les  plus  obstinés  dans  l'erreur  I 

3**  Si  Jésus-Christ  était  halluciné,  quand  il  croyait  déli- 
vrer les  possédés,  guérir  les  lépreux,  rendre  la  vue  aux 
aveugles,  ressusciter  les  morts,  qu'étaient  donc  les  Apôtres 
et  que  furent  les  premiers  fidèles?  Tous  les  chrétiens  des 
premiers  siècles  ont-ils  été  hallucinés?  Le  sommes-nous, 
nous  qui  voyons  l'idolâtrie  abattue  et  le  christianisme  de- 
bout :  Non  unum  mortuum^  sed  universum  genm  humanum 
et  sepulcro  suscitatum;  non  visum  uni  cœco  restitutum,  sed 
discussas  erroris  tembras  qtiœ  totam  terram  occupaverant  ; 
non  leprosum  unum  mundatum,  sed  tôt  gentes  quœ  peccati 
lepram  absterserunt  ac  per  lavacnim  regenerationis  mundatœ 
sunt  *? 

4  S.  Chrys.,  Cur  in  Pentec,  leguntur  Acta  Apost,f  7.  Supra^  n  228, 


666  oiesTiONS  rétrospectives.  [n<*  469 

S'il  fallait  voir  ici  une  hallucination  ou  une  imposture,  ne 
serait-elle  pas  plutôt  du  côté  de  ces  hommes  irréfléchis  ou 
passionnés  qui  donnent  si  gratuitement  le  démenti  à  la  foi 
des  Apôtres,  des  martyrs  et  des  saints  ? 

469.  —  Est-il  possible  de  concevoir  un  caractère  plus  noble,  plus 
aimant,  plus  sainte  plus  parfait  que  celui  du  Sauveur? 

I.  Le  caractère  du  Sauveur  défie  toute  censure  et  surpasse 
tout  éloge.  Sous  quelque  aspect  qu'on  le  considère,  on  le 
trouve  toujours  d'une  perfection  accomplie  *  ;  et  c'est  cette 
perfection  qui  donne  à  l'Evangile  son  principal  attrait. 

1**  A  l'égard  de  son  Père  :  —  quel  religieux  respect*! 
quelle  soumission  '  î  quel  amour  *  !  quel  dévouement  et  quel 
zèle  *  !  et,  par  suite,  quelle  constance  et  quelle  application 
dans  la  prière  •  I  II  ne  condamne  pas  les  pratiques  légales, 
mais  il  s'occupe  bien  plus  de  prier  que  d'immoler  des 
victimes  ou  de  faire  des  ablutions.  Tantôt  il  bénit  la  ma- 
jesté divine  ',  tantôt  il  l'invoque,  soit  pour  les  autres  •,  soit 
pour  lui-même*;  tantôt  il  lui  rend  grâces  *°.  Partout  et 
toujours  on  le  voit  recourir  à  son  Père  et  s'entretenir  avec 
lui  :  sur  la  montagne  **  comme  dans  le  temple  *^,  dans  la  so- 
litude *^  comme  au  milieu  de  ses  disciples  **,  à  son  baptême  *^ 
comme  à  sa  transfiguration  *^  ;  avant  de  choisir  ses  Apôtres  " 
comme  au  moment  de  les  quitter  *^  avant  d'opérer  des  mi- 
racles *®  comme  au  moment  de  se  livrer  à  ses  bourreaux  ^^ 

2^  A  l'égard  des  hommes  :  —  pouvait-il  se  montrer  plus 

1  Matth.j  III,  15;  Joan.,  vin,  46;  xvii,  4;  II  Cor.,  v,  21;  Heb.,  iv,  15; 
vil,  26.  —  2  Marc,  xi,  16;  Luc,  iv,  8,  16.  —  3  Matth.,  xv,  24;  xxvi,  42; 
Joan.,  11,  4;  iv,  32,  34;  v,  30;  xiv,  10;  xviii,  11  ;  Phil.,  ii,  8.  —  *  Luc, 
II,  49;  xii,  49 ;  xxii,  42 ;  Joan.,  iv,  34;  viii,  39,  49,  50;  xiv,31.  —  s  Matth., 

IV,  17,  23;  IX,  36,  37;  Marc,  i,  14;  Luc,  iv,  15;  vu,  18;  xii,  49,  50; 
Joan.,  Il,  15-17;  iv,  31-34;  v,  30;  xi,  42;  xvii,  5,  16,  17.  —  6  Marc,  i,  35; 
Luc,  XI,  12;  IX,  18,  28;  xxii,  41.  —  '  Matth.,  xi,  25.  —  8  Luc,  xxii,  32; 
xxiii,  34;  .Toan.,  xi,  42;  xvii,  6-26.  —  9  Matth.,  xiv,  23;  xxvi,  36,  39; 
Marc,  i,  35,  Luc,  v,  16;  vi,  12;  ix,  28;  xxiii,  46;  Joan.,  xii,  27,  28.  — 
AO  Mattli.,  XI,  25;  xv,  36;  Marc,  viii,  6;  xiv,  23;  Luc,  xxii,  17;  Joan., 
VI,  11  ;  XI,  44.  —  *i  Marc,  vi,  46.  —  *2  Luc,  xix,  45,  46.  —  '3  Luc, 

V,  16.  —  1*  Luc,  XI,  1.  —  18  Luc,  m,  31.  —  i»  Luc,  ix,  28.  —  i^  Luc, 

VI,  12.  —  18  Joan.,  xvii,  1-26.  —  i^  Matth.,  xiv,  19;  Joan.,  vi,  11  ;  xi,  41. 
—  20  Matth.,  XXVI,  36,  39,  42,  44. 


^0  469J  SUR  NOTRE  SEIGNEUR  JÉSUS-CHRIST.  667 

doux,  plus  patient,  plus  généreux,  plus  parfait?  Il  n'est  oc- 
cupé  qu'à  leur  faire  du  bien,  à  guérir  les  malades,  à  ins- 
truire les  ignorants,  surtout  à  sanctifier  les  âmes  et  à  les 
porter  vers  Dieu  *.  C'est  une  bonté  et  une  tendresse  vérita- 
blement ineffables  '.  Il  a  une  affection  plus  vive  sans  doute 
pour  ses  parents  ',  pour  ses  disciples  *,  pour  ses  Apôtres  *, 
pour  tous  ceux  qui  lui  témoignent  quelque  bienveillance  *  ; 
mais  sa  charité  n'exclut  personne  ',  ni  les  Juifs  S  ni  les 
Gentils  *,  ni  les  pharisiens  *^  ni  les  publicains  **,  ni  les  sa- 
maritains *^  ni  les  pécheurs  connus  pour  tels  *%  ni  ses  en- 
nemis déclarés  **,  ni  même  ses  bourreaux  *^.  Sa  bienveil- 
lance et  ses  bienfaits  s'étendent  sur  tous  ^^;  et  ce  sont  les 
petits,  les  pauvres  ",  les  affligés  qui  en  ont  la  meilleure  part  *^ 
Pas  une  souffrance  qui  le  trouve  insensible  *^  Pas  une  misère 
qu'il  ne  soulage  ou  qu'il  ne  console  ^°.  Pas  un  pécheur  dont 
il  n'ait  pitié  ^*,  qu'il  n'accueille  avec  bonté  ^\  au  repentir 
duquel  il  n'accorde  le  pardon  ".  Pas  un  enfant  qu'il  ne  bé- 
nisse, dont  la  simplicité  et  l'innocence  ne  le  ravissent^*.  Pas 
un  trait  de  vertu  qui  ne  soit  l'objet  de  ses  éloges  et  qu'il  ne 
s'empresse  de  signaler  ^\  Enfin,  c'est  le  seul  homme  dont 

1  Mattlï.,  V,  3;  Act.,  X,  38,  etc.  —  2  Matth.,  xi,  28;  xii,  49;  xxv,  40; 
XXVI,  50;  Luc,  ix,  52-56;  Joan.,  vi,  37;  xiii,  14,  3i;  xv,  12;  I  Pet.,  ii, 
22,  23.  —  3  Luc,  II,  5i  ;  Joan.,  xix,  26.  —  *  Matth.,  xii,  46-50;  Joan., 
IV,  6,  10,  16,  40.  —  s  Matth.,  xiii,  11;  Marc,  x,  38,  39;  Luc,  xu,  4; 
Joan.,  X,  27;  xi,  5;  xui-xvii;  xviii,  8;  xx,  17;  xxi,  5.-6  Matth.,  xii, 
50;  XXVI,  13;  Luc,  vu,  5,  37-50;  x,  42;  Joan.,  xi,  35,  36,  38;  xx,  16; 
1  Pet.,  II,  21.  —  7  Matth.,  viii,  16,  17;  Joan.,  vi,  37.  —  »  Matth.,  ix,  36; 
X,  0;  xxiii,  37;  Luc,  vu,  4,  5:  xix,  41,  42.  —  ^  Matth.,  viii,  10;  xv, 
22-28;  Marc,  xm,  10;  Luc,  vu,  I-IO;  Joan.,  xi,  52;  xii,  20.  —  *o  Luc, 
VII,  36.  —  11  Matth.,  ix,  11  ;  xi,  19.  —  12  Luc,  ix,  52-55;  x,  33;  xvii,  18; 
Joan.,  IV,  9,  40;  Act.,  i,  8.  —  i3  Luc,  xv,  2,  4.  —  1*  Matth.,  xxiii,  37; 
Luc,  XXII,  51  ;  xxiii,  34;  Joan.,  xm,  27.  —  is  Mattli.,  xxvi,  50;  Luc, 
xxiii,  34;  J  Pet.,  11,  23.  —  i^  Matth.,  iv,  23;  viii,  16;  xiv,  19;  Joan., 
X,  11;  XXI,  15.  —  1"^  Matth.,  xi,  5;  Luc,  iv,  18.  —  18  Matth.,  xi,  25; 
Luc,  XII,  32;  Joan.,  ix,  39.  —  i^  Matth.,  ix,  12,  19;  xiv,  14;  xv,  32; 
Marc,  I,  32;  Luc,  vu,  13;  xix,  41;  Act.,  x,  38.  —  20  Matth.,  v,  3-11; 
VI,  25,  56;  ix,  18,  19;  Luc,  vu,  11-17.  —  21  Marc,  11,  5.  —  22  Matth., 
IX,  12;  Marc,  11,  16,  17;  Luc,  xv,  11-32;  xix,  5-7.  —  23  Luc,  vu,  50; 
XIX,  9;  Joan.,  viii,  11.  —  2*  Matth.,  xviii,  1-5;  xix,  13-15;  Marc,  x, 
13-16;  Luc,  xvm,  15.  —  25  Matth.,  viii,  10;  xv,  28;  Marc,  xii,  43; 
Luc,  VII,  9,  44-47;  xix,  9;*  Joan.,  i,  47. 


668  QUESTIONS  RÉTROSPECTIVES.  [N«  469 

on  puisse  dire  qu'il  n'a  pas  vécu  un  seul  instant  pour  lui- 
même,  et  que  son  unique  désir  a  été  de  se  sacrifier  sans 
réserve  pour  le  plus  grand  bien  de  tous  ses  semblables. 

30  A  l'égard  de  lui-même  :  —  c'est  une  sagesse  qui  ravit  *  ; 
c'est  une  prudence  qui  déconcerte  tous  les  mauvais  des- 
seins.'. Il  ne  s'expose  qu'avec  réflexion  et  quand  il  le  faut*. 
Quoiqu'il  parle  de  lui  à  tout  moment,  qu'il  soit  obligé  de 
faire  connaître  sa  dignité  et  de  soutenir  ses  droits,  son  lan- 
gage est  d'une  modestie  et  d'une  humilité  incomparables  *. 
Jamais  il  ne  recherche  l'estime,  l'éclat,  les  honneurs.  Son 
détachement  des  biens  du  monde  est  absolu  •;  sa  mortifica- 
tion parfaite*,  sa  patience  supérieure  à  toutes  les  épreuves'. 

II.  Mais  le  trait  distinctif  du  caractère  du  Sauveur  et  ce 
qui  mérite  d'être  remarqué  plus  que  tout  le  reste,  c'est  le 
principe  d'où  ces  vertus  découlent,  le  but  auquel  elles  ten- 
dent, et  l'accord  dans  lequel  il  sait  les  maintenir. 

1°  Sa  vertu  n'est  pas  une  vertu  purement  humaine.  L'Es- 
prit de  Dieu  inspire  et  dirige  toutes  ses  œuvres  •.  Toujours 
uni  d'esprit  à  son  Père',  toujours  sous  ses  yeux  et  dans  sa 
dépendance,  il  reste  étranger  à  tous  les  préjugés,  à  toutes 
les  craintes,  à  toutes  les  espérances,  à  toutes  les  considéra- 
tions du  monde  *^  Pas  un  mot,  pas  un  acte,  dans  son  Evan- 
gile qui  soit  de  la  terre  ou  pour  la  terre.  Tout  ce  qu'il  fait, 
tout  ce  qu'il  enseigne,  tout  ce  qu'il  commande  a  pour  objet 
le  royaume  de  Dieu  et  la  vie  éternelle  **. 


4  Matth.,  XIII,  54;  Marc,  vi,  3;  Luc,  11,  47,  52;  iv,  22;  xiij  14,  15; 
Joan.,  VII,  44,  15.  —  •  Matth.,  vu,  6;  x,  16;  xii,  4-5;  xiv,  13;  xvi,  20; 
XXI,  24-27;  xxii,  15-46;  Marc,  m,  6-7;  Luc,  vi,  1-14;  xii,  14;  xx,  1-8; 
Joan.,  IV,  1,  3;  v,  17;  vi,  13,  14;  viii,  3-11;  x,  22-39;  xi,  53,  54.  — 
3  Matth.,  IV,  12;  Marc,  m,  6,7;  Joan.,  vu,  1-10;  x,  39.  —  *  Matth., 
m,  15;  XI,  28,  29;  xii,  16;  xiii,  55;  xviii,  3,  4;  xx,  24-28;  xxi,  5;  xxiii, 
5-12;  Marc,  ix,  33-36;  x,  35-45;  Luc,  xi,  27,  28;  xviii,  9-19;  xxii, 
24-27;  Joan.,  vi,  15;  vii,  46,  48:  viii,  50;  xm,  4,  5,  12-16;  xiv,  12.  — 
5  Matth.,  V,  3;  x,  8-10;  xvii,  26;  xxii,  19;  Luc  ,  viii,  3;  ix,  58;  Joan., 
xii,  6;  XIII,  29.  —  6  Matth.,  iv,  2;  Luc,  viii,  1,  21;  xii,  50;  Joan.,  iv, 
6,  7,  8.  —  "ï  Matth.,  Hxviy  45,  52;  Marc,  m,  9,  10,  20;  xiv,  65;  Luc, 
xxiii,  9,  40;  Joan.,  xviii,  8;  xix,  3,  4.  —  *  Luc,  iv,  4.  —  '  Joan.,  viii,  16. 
—  10  Matth.,  XX,  23;  Joan.,  v,  20,  30;  vu,  46,  47;  vni,  38;  xii,  49,  50. 
--  1»  Matth.,  VI,  33;  Joan.,  m,  31;  viii,  23/ 


N^  469]  SUR  NOTRE  SEIGNEUR  JÉSUS-CHRIST.  669 

2°  Toutes  ses  qualités  se  balaïicent  et  s'harmonisent  de  la 
manière  la  plus  parfaite.  Jamais  un  mouvement  exagéré, 
qui  dépasse  la  mesure.  Parmi  les  injures  comme  au  milieu 
des  applaudissements,  il  reste  toujours  semblable  à  lui- 
même*.  Nul  emportement  et  nulle  défaillance;  nul  excès 
comme  nulle  lacune.  Tout  en  sa  personne  est  héroïque  sans 
être  excessif.  Sa  dignité  ne  devient  jamais  de  la  hauteur  ni 
de  la  dureté*,  sa  modestie  n'a  rien  d'affecté';  son  humilité 
est  sans  bassesse  *,  sa  résignation  sans  abattement  ',  sa  fer- 
meté sans  obstination  •;  sa  douceur  sans  faiblesse'',  son  in- 
dignation sans  colère*.  Son  austérité  n'exclut  pas  la  ten- 
dresse*. Sa  franchise  ne  l'empêche  pas  d'être  prudent  et 
réservé  *°.  La  promptitude  de  ses  réponses  n'ôte  rien  à  la 
discrétion  de  son  langage  *^  S'il  est  parfois  animé  et  véhé- 
ment dans  ses  discours,  c'est  sans  se  troubler  ni  perdre  la 
possession  de  lui-même  *^  Il  joint  à  la  haine  du  péché  le 
plus  tendre  amour  pour  les  pécheurs,  à  la  sensibilité  la  plus 
vive  une  égalité  d'àme  inaltérable.  Toujours  bon,  affectueux, 
accessible  à  tous,  il  inspire  le  respect  en  même  temps  que 
la  confiance  ".  Son  langage,  comme  sa  physionomie,  a  une 
noblesse  qui  dénote  son  origine  et  qui  fait  sentir  son  au- 
torité **. 

En  un  mot,  plus  on  l'étudié,  plus  on  le  reconnaît  supé- 
rieur à  ce  que  l'humanité  a  jamais  produit  d'excellent  et  de 
sublime *^  plus  on  se  sent  attiré  vers  lui  parles  meilleurs 
sentiments  de  l'âme. 

Un  auteur  protestant,  qui  a  essayé  de  le  comparer  avec 
celui  de  ses  Apôtres  dont  on  connaît  le  mieux  le  génie  et  la 
vertu,  conclut  ainsi  son  parallèle  :  «  Entre  Jésus-Christ  et 

*  Matth.,  XXVII,  14;  Joan.,  vu,  46.  —  2  Matth.,  ix,  25;  xix,  21.  — 
3  Luc,  vu,  38;  Joan.,  i,  42.  —  *  Maith.,  xi,  28,  29.  —  «  Matth.,  xxvi,  46, 
53;  Joan.,  xvi,  32.  —  s  Matth.,  xii,  15.  —  ^  Matth.,  xvi,  23;  xvii,  19; 
XX,  22.  —  8  Matth.,  xxiii,  2,  39.  —  »  Joan.,  xvii,  15,  24.  —  *«  Matth., 
XXII,  16-23.  —  11  Matth.,  ix,  14-17;  xxi,  24.  —  12  Matth.,  ix,  37;  xii, 
19;  xxiii,  37;  Luc,  iv,  27-30;  xix,  41-46;  Joan.,  vi,  27,  32;  vu,  37.  — 
13  Luc,  X,  28;  Joan.,  iv,  27;  xxi,  12.  —  1*  Matth.,  vu,  28,  29;  xxvi, 
52,  64;  Luc,  11,  47;  iv,  22,  32;  vu,  16;  x,  26-28;  Joan.,  vu,  46;  viii,  23; 
XIII,  13,  14;  xviii,  21;  xix,  il;  xx,  27;  xxi,  22.  ■—  i«  Marc,  vu,  37. 


670  QUESTIONS  RÉTROSPECTIVES.  [n^  47Ô 

S.  Paul^  il  y  a  la  différence  du  saint  au  Saint  des  saints,  de 
riiomme  divinisé  à  THomme-Dieu.  S.  Paul  est  le  digne  imi- 
tateur du  Sauveur  :  Jésus-Christ  est  le  modèle  suprêjne.  Le 
caractère  de  S.  Paul  excite  Tenthousiasme  :  celui  du  Sau- 
veur commande  l'adoration,  et  le  silence  est  le  seul  éloge 
qui  lui  convienne.  »  «  Quand  je  contemple  ce  modèle  de 
perfection,  a  dit  Lamennais  \  ce  grand  prodige  que  le  monde 
n'a  vu  qu'une  fois  et  qui  a  renouvelé  le  monde,  je  ne  me 
demande  pas  si  le  Christ  était  Dieu  :  je  serais  plutôt  tenté 
de  me  demander  s'il  était  homme  *.  » 

*  470.  —  L'état  actuel  du  monde  confirme-t-il  ce  que  r Evangile  nous 

dit  de  la  vie  et  de  la  mort  du  Sauveur  ? 

Non  seulement  le  monde  civilisé  a  gardé  le  souvenir  du 
Sauveur,  mais  il  est  rempli  de  son  culte  et  de  ses  oeuvres  : 
Ecce  mundus  totus  post  eum  ahiit  '.  A  s'en  tenir  même  au 
monde  matériel,  ne  trouve-t-on  pas  partout  des  monuments 
de  son  passage  ici-bas  et  de  son  action  ? 

L  Partout  où  il  y  a  des  chrétiens,  on  trouve  des  édifices 
sacrés,  des  églises.  Le  nombre  de  ces  églises  est  prodigieux. 
Elles  sont  l'œuvre  de  tous  les  âges.  Il  en  est  dont  l'origine 
touche  aux  persécutions.  Il  en  est  qui  remontent  jusqu'au 
premier  siècle;  car  on  voit  dans  les  catacombes  des  sanc- 
tuaires où  durent  se  réunir  les  disciples  des  Apôtres  *.  Or,  à 

1  Indiffér,,  xxxv,  fin.  —  2  cf.  Matth.,  xxvii,  54.  Bossuet,  H,  U»y  II,  xix; 
Aimé,  Fondemenls  de  la  religion j  part,  ii,  Conf.  2*,*  Masslllon,  Serm. 
pour  la  Circoncision  y  2*  point.  —  3  Joan.,  xii,  19.  -^  *  Act.,  xx,  7; 
I  Cor.,  XI,  18,  22;  xiv,  35,  36.  C'est  à  Rome  que  sont  réunis  les  monu- 
ments les  plus  nombreux  et  les  plus  frappants  de  rétablissement  du 
christianisme  et  de  son  règne  dans  le  monde.  On  se  trouve  là,  pour 
ainsi  dire,  sur  les  confins  des  deux  mondes,  du  monde  ancien  et  du 
monde  nouveau.  On  a  sous  les  yeux  les  débris  du  paganisme  et  les 
premières  assises  de  Tédiflce  chrétien.  A  deux  pas  du  Colysôe,  les  cata- 
combes, et  dans  ces  catacombes  les  tombeaux  de  plusieurs  contempo- 
rains des  Flaviens  et  de  ïrajan;  autour  du  Capitole,  du  Panthéon  et  du 
Palatin,  les  plus  anciennes  basiliques,  les  tombeaux  de  S.  Pierre  et  de 
S.  Paul,  Ste  Praxède,  Ste  Pudentienne,  S..  Clément,  Ste  Agnès,  S.  Lau- 
rent, etc.,  les  temples  des  dieux  transformés  en  églises,  les  statues  des 
apôtres  sur  les  colonnes  des  empereurs;  puis  une  multitude  de  monu- 
ments se  rapportant  à  toutes  les  époques  deThistoiré  ecclésiastique,  et 


N»  47Ô]  SUR  f^OtRE   SEIGNEUR  JESUS-CliRIST.  6H 

qui  ces  sanctuaires  sont-ils  consacrés?  Quelle  est  la  doctrine 
qu'on  y  enseigne?  Quels  sont  les  mystères  qu'on  y  célèbre? 
Ne  sont-ce  pas  autant  de  monuments  de  l'œuvre  du  Sau- 
veur, autant  de  témoignages  de  la  foi  des  peuples  à  la  vérité 
de  l'Evangile? 

II.  La  Judée,  où  le  Sauveur  a  vécu,  est  pleine  de  son  sou- 
venir. On  y  montre  au  voyageur  les  lieux  où  se  sont  accom- 
plis ses  mystères,  l'endroit  où  il  a  été  conçu,  la  grotte  où  il 
est  né,  la  rive  sur  laquelle  il  a  été  baptisé,  le  puits  au  bord 
duquel  il  s'entretint  avec  la  Samaritaine,  le  massif  d'oliviers 
sous  lequel  il  a  prié.  Mais  ce  n'est  pas  seulement  sur  le 
mont  des  Oliviers,  c'est  par  toute  la  ville  de  Jérusalem  que 
les  pèlerins  retrouvent  la  trace  de  ses  pas.  Ils  voient  de 
leurs  yeux,  comme  à  la  fin  du  premier  siècle,  l'emplace- 
ment du  temple  où  les  prêtres  résolurent  sa  mort,  les 
ruines  de  la  maison  d'Anne,  le  prétoire  de  Pilate  et  le  palais 
d'Hérode,  le  torrent  de.  Gédron  et  le  champ  du  potier,  le 
tertre  du  Calvaire  et  le  tombeau  creusé  dans  le  roc.  Toutes 
les  scènes  de  sa  Passion  ont  laissé  dans  ces  lieux  l'empreinte 
la  plus  profonde. 

Il  n'est  pas  possible  d'attribuer  à  ces  croyances  une  ori- 
gine récente  ou  de  les  rattacher  à  des  légendes  apocryphes; 
car  si  haut  qu'on  remonte  dans  le  passé,  on  trouve  les 
mêmes  monuments  en  honneur  et  les  mêmes  traditions  au- 
torisées et  suivies  *.  «  La  dévotion  des  saints  lieux,  dit 
S.  Jérôme,  dans  une  lettre  de  l'an  386  à  sainte  Paule,  est 
aussi  ancienne  que  l'Eglise.  Elle  a  commencé  avec  la  foi  et 
la  reconnaissance  des  premiers  chrétiens.  Impossible  de 
faire  l'énumération  des  personnages  considérables,  des 
évéques,  des  martyrs  et  des  Docteurs  qui  se  sont  ici  suc- 
cédés depuis  l'Ascension  du  Sauveur".  »  Déjà  S.  Paul  y 

attestant  d'une  manière  sensible  la  divine  vertu  qui  a  présidé  à  réta- 
blissement de  TEglisc  et  qui  préside  à  son  maintien.  Il  n'est  pas  possible 
d*avoir  ce  spectacle  sous  les  yeux  sans  en  rien  conclure,  sans  apprécier 
les  obstacles  qu'il  a  fallu  vaincre  et  la  puissance  qui  les  a  vaincus.  Aussi 
le  peuple  de  Rome  persévère-t-il  dans  sa  foi,  en  dépit  de  toutes  les 
excitations  et  de  tous  les  exemples. 

^  Théodoret,  H»  E.^  I.  xvii.  —  2  Longum  est  nunc  ab  a^censu  Domini 


672  QUESTIONS  RÉTROSPECTIVES.  [xN»  470 

amenait  les  premiers  gentils  qu'il  avait  convertis  *.  Jérusa- 
lem ayant  été  saccagée  pour  la  seconde  fois  en  134,  sous 
l'empereur  Adrien,  les  païens  voulurent  étouffer  cette  dévo- 
tion aux  lieux  sanctifiés  par  la  mort  et  la  résurrectioii  du 
Fils  de  Dieu;  ils  profanèrent  les  sanctuaires;  ils  nivelèrent 
le  mont  du  Calvaire  pour  y  ériger  des  autels  à  leurs  divi- 
nités ;  mais  leurs  profanations  ne  firent  que  rendre  ces 
lieux  plus  célèbres  et  les  signaler  à  la  pitié  des  chrétiens  *. 
Si  l'usage  des  pèlerinages  en  fut  suspendu,  Tinterruption 
dura  peu.  En  212,  on  voit  deux  évéques,  Alexandre  et  Fir- 
milien,  celui-ci  de  Césarée,  celui-là  de  Flavias  en  Cap- 
padoce,  visiter  la  Palestine.  Le  premier,  que  Clément 
d'Alexandrie  vit  à  Jérusalem  et  avec  lequel  il  se  lia,  pendant 
la  persécution  de  Sévère,  resta  auprès  de  Narcisse,  évéque 
de  Jérusalem,  comme  son  coadjuteur  •;  le  second  profita  de 
son  voyage  pour  consulter  Origène  et  prendre  ses  leçons 
sur  la  sainte  Ecriture*;  car  Origène  s'est  lui-même  retiré 
en  Judée  vers  cette  époque  (215)  *  ;  et  ce  sont  les  faits  dont  il 
y  fut  témoin  qui  lui  faisaient  dire  à  Celse,  quelques  années 
après  :  «  Si  quelqu'un  avait  encore  des  doutes  touchant  la 
naissance  du  Sauveur,  après  la  prophétie  de  Michée  et  les 
écrits  des  premiers  disciples,  qu'il  aille  à  Bethléem  :  on  lui 
montrera  la  grotte  où  Jésus-Christ  est  né,  et  la  crèche  où  il 
reposa  enveloppé  de  langes;  il  verra  ce  grand  mystère  at- 
testé et  célébré  dans  les  lieux  même  où  il  s'est  accompli, 
tout  occupés  qu'ils  sont  par  une  population  infidèle  •.  » 
En  326,  sainte  Hélène  prend  possession  des  anciens  sanc- 

per  sîngulas  setateâ  currere,  qui  Episcoporum,  qui  Martyrum,  qui  elo- 
quentiûm  in  doctrina  ecclesiastica  virorum  venerint  Jerosolymam ,  pu- 
tantes  minus  se  religionis,  minus  habere  scientiœ,  nisi  in  illis  Cliristum 
adorassent  locis  de  quibus  primum  evangelium  de  patibulo  coruscaverat. 
S.  Hieron.,  Epist.  xlvi\  9;  S.  Cyrill.  Hieros.,  Caiech.,,  xvii,  16. 

1  Act.,  XX,  3,  4.  —  2  S.  Hieron.,  Epist.,  Lvni,  3.-3  Euseb.,  H.  £., 
V,  12,  22^  22 ,  VI,  911  ;  S.  Hieron.,  de  vir,  illust.,  lxii;  Boliand.  10  man^ 
p.  614.  Narcisse,  qui  avait  i\2  ans,  avait  connu  S.  Siméon,  deuxième 
évoque  de  Jérusalem.  —  *  S.  Hieron.,  ibid.^  liv;  Martigny,  Pèlerinages, 
—  8  En  216.  —  6  Orig.,  CmL  Cels.,  i,  51.  Cf.  S.  Justin.,  DiaL,  78; 
Apol.^  1*,  34;  Euseb.,  Demonst..,  iv,  16;  vu.  2,  5.  S.  Joan.  Damasc,  de 
■Imagin,  Orat.,  ii,  16. 


N»  470]  Stft  NOTRE  âEIÔNEtJR  JÉSUS-CHRIST.  673 

luaires,  au  nom  de  l'empereur  Constantin,  et  les  remplace 
par  des  monuments  en  rapport  avec  la  munificence  impé- 
riale. La  découverte  de  la  vraie  croix  redouble  en  toute 
l'Eglise  l'ardeur  des  fidèles  pour  visiter  les  saints  lieux  : 
A  dorasse  ubi  steterunt  pedes  Domini,  pars  fidei  est  et  quasi  re- 
centia  Nativitatis  et  Crmis  et  Passionis  vestigia  vidisse  K  II 
semble  que  chaque  fidèle  s'applique  à  lui-même  les  paroles 
de  l'Ange  aux  saintes  femmes  :  Venite  et  videte  locum  ubi 
posuerunt  eum  ».  Dans  un  Itinéraire  dressé  pour  les  habi- 
tants des  Gaules,  par  un  pèlerin  qui  a  passé  à  Constanti- 
nople,  en  333,  on  trouve  indiquées  avec  précision  toutes  les 
étapes  de  Bordeaux  à  Jérusalem,  avec  les  stations  d'usage 
dans  cette  dernière  ville  *.  Quelques  années  plus  tard,  une 
femme  riche,  docte  et  pieuse,  sainte  Sylvie  *,  abbesse  d'une 
communauté  de  religieuses  en  Provence,  écrit  pour  leur 
édification  ce  qu'elle  a  vu  de  plus  remarquable,  en  faisant 
ce  pèlerinage,  de  380  à  384.  Elle  décrit  l'Asie  mineure,  le 
mont  Sinaï,  l'Egypte,  mais  surtout  les  lieux  saints  de  Judée 
et  de  Jérusalem,  où  elle  passa  trois  ans.  Elle  dit  qu'elle  a 
passé  la  semaine  sainte  en  cette  ville,  et  suivi  les  offices 
dans  les  églises  du  mont  des  Oliviers,  du  Calvaire  et  de  la 
Résurrection  '.  Elle  parle  de  la  fente  du  rocher,  du  bois  et 
du  titre  de  la  croix.  Elle  vit  S.  Cyrille  et  put  l'entendre  pro- 
noncer ses  Catéchèses,  En  379,  S.  Grégoire  de  Nysse,  de 
retour  du  même  voyage,  signale  à  son  peuple  les  abus 
auxquels  il  pourrait  donner  lieu.  De  388  à  429,  la  re- 
traite de  S.  Jérôme  à  Bethléem  et  sa  réputation  accroissent 
encore  le  nombre  des  pèlerins,  en  attirant  vers  lui  une  foule 
de  personnes  de  la  plus  haute  noblesse.  «  On  accourt  ici^ 
écrit-il,  de  toutes  les  extrémités  du  monde  ^  On  vient  de 

'  s.  Hieron  ,  Epist.,  xlvii,  2.  —  2  Matth.,  xxvni,  6.  -*  8  lUnera  Hiero^ 
solymitana^  édités  par  la  Société  de  l'Orient  latin,  1877, 1880.  —  *  Sylvie, 
sœur  de  Flarius  Rufin,  consul  en  392  et  Préfet  d'Orient  sous  Théodose 
et  Arcadius.  Voir  Pallade,  Hiit,  Lausiac.  (384).  —  *  Son  récit,  déjà 
connu  par  les  citations  de  Paul,  diacre,  a  été  retiwivé  en  majeure  partie 
à  Arezzo  en  Toscanne  dans  un  manuscrit  du  onzième  siècle  avec  le  livre 
des  mystères  et  quelques  hymnes  de  S.  Hilaire.dc  Poitiers^ ..  6  De  toto 
hue  orbe  concurritur.  S.  Hieron.,  Ep,  ad  Paulin. ^  lviii,  4. 

38 


674  QUESTIONS  HÉTROSPECnVES.  [n^  470 

rinde  et  de  l'Ethiopie,  de  rArménie  et  de  la  Perse,  de  la 
Bretagne  et  de  l'Hibernie,  de  tous  les  points  de  l'Orient  et 
de  l'Occident.  Toutes  les  langues  célèbrent  à  la  fois  la  gloire 
du  Christ  sur  son  tombeau  *.  » 

En  573,  S.  Grégoire  de  Tours  atteste  que  les  pèlerinages 
n'ont  pas  cessé.  Il  parle  d'un  de  ses  diacres  qui  est  allé  à 
Jérusalem  et  d'un  hôpital  qu'on  y  a  bâti  en  faveur  des 
étrangers  •.  En  808,  Charlemagne  envoie  des  aumônes  aux 
fidèles  de  cette  ville  par  Zacharie,  un  des  prêtres  de  son 
palais  ^.  Depuis  cette  époque,  les  voyages  en  terre  sainte 
sont  innombrables.  Le  moyeu  âge  a  vu  les  croisades,  et 
notre  siècle  revoit  les  caravanes  et  les  pèlerinages.  Or.  la 
Judée  garde  toujours  les  mêmes  souvenirs  et  présente  tou- 
jours le  même  aspect  *.  Jérusalem  est  toujours  foulée  aux 
pieds»;  le  temple  toujours  en  cendres;  le  peu  de  Juifs  qui 
vit  parmi  ces  ruines,  toujours  asservi  et  toujours  en  deuil; 
et  comme  S.  Cyrille  au  quatrième  siècle,  le  patriarche  actuel 
peut  dire  à  ceux  qui  le  visitent  :  «  Ce  n'est  pas  ici  qu'il  sied 
d'être  incrédule  *.  » 

III.  Entre  autres  monuments  relatifs  au  Sauveur,  il  en  est 
deux  qui  méritent  d'être  signalés  d'une  manière  parti- 
culière, à  cause  de  leur  célébrité  et  de  leur  caractère  mira- 
culeux : 

l^  La  vraie  Croix  dont  la  découverte  n'est  pas  seulement 
supposée  dans  les  Cathéchèses  de  S.  Cyrille  de  Jérusalem 
(347),  mais  encore  attestée  de  la  manière  la  plus  expresse 

1  Jaxta  Salvatoris  eloquium  :  Ubicumque  fuent  corpus,  illuc  congre- 
gabuntur  aquiUe^  concurrunt  ad  lisec  loca.  Vox  quidem  dîssona,  sed  una 
religio.  S.  Hieron.,  Epist,  xlvi,  10;  Brev.  rom.,  il  jul.  et  6  décemb.y 
lect.  v;  Mammachi,  Orig.  et  Antiq.  Christ. ^  t.  ii,  initio.  —  s  cf.  Baro- 
nius,  Ann,  699,  10.  --  a'Eginhard,  Annal.,  ann.  800,  801.  —  *  Quomodo 
sedet  sola  civitas  plena  populo?  Facta  est  quasi  vidua,  domina  gentium. 
Thren.,  i,  1,  4.  Cf.  ii,  15;  Isai.,  m,  1-4,  26.  A.  T.,  n.  185,  dernière  mé- 
daille. —  »  Luc,  XXI,  24.  Jer.,  Thren.,  i,  1.  Cf.  Supra,  n.  239,  242.  — 
ft  Si  negare  voiles,  locus  istc  Golgotha  quem  cernis,  te  revincet;  arguet 
te  Caiphse  domus;  Getbsemani  testatur;  testatur  et  lapis  ad  hodier- 
num  usque  dieui  positus.  Alii  enim  audiunt  tantuni;  nos  et  videmus 
et  attingimus.  S.  Cyrill.,  Catech,,  iv,  10;  xiii,  38,  39;  xiv,  26.  xvi,  4; 
XVII,  13.        . 


îi^  470]  SUR  NOTRE  SEIGNEUR  JÉSUS-CHRIST.  675 

par  ce  saint  Docteur  dans  sa  Lettre  à  Vempereur  Constance^ 
fils  de  Constantin  (351)  \  et  confirmée  par  un  grand  nombre 
d'écrivains  de  la  même  époque  V  Une  multitude  de  parcelles 
en  furent  bientôt  détachées,  puis  dispersées  et  vénérées  dans 
toute  l'Eglise  •. 

2°  La  fente  du  rocher  *,  qu'on  a  montrée  de  tout  temps  sur 
le  mont  du  Calvaire.  S.  Cyrille,  évéque  de  Jérusalem,  la 
signale  comme  une  preuve  incontestable  de  la  véracité  des 
Evangélistes  *.  S.  Lucien,  prêtre  d'Antioche,  martyr  sous 
Dioclétien,  en  parle  de  môme  (220-312)  *.  Ainsi  parlent 
encore  un  grand  nombre  de  voyageurs  contemporains,  aussi 
éclairés  que  consciencieux.  On  lit  dans  Les  lieux  saints  de 
M«'  Mislin  :  t  Tout  près  de  la  croix  commence  une  fente 
large  et  profonde  qui  descend  dans  le  rocher  jusqu'au  bas 
du  Calvaire  \  »  Mandrell,  auteur  protestant  d'une  véracité 
reconnue,  dit  :  «  Que  ce  déchirement  ait  eu  lieu  à  la  mort 
de  Jésus-Christ,  la  tradition  seule  peut  l'établir,  mais  que 

*  s.  Cyrill.,  Cf.  Catech.y  iv,  10  ;  x,  19;  xiii,  4.  Cf.  Ann.  de  phil.  chrét,^ 

Lxxxii,  269.  —  2  S.  Amb.  (f  397),  de  Obitu  Theod^,  41^3;  S.  Cbrys., 

(f  407),  In  Joan,f  Homil.  lxxxv,  1  (398)  et  Quod  Christus  sii  DeuSj  10 

(387);  Rufin  (f  410),  //.  £.,  i,  7,  8;  Sulp.  Sev.  (f  410),  H.  S.,  ii,  34; 

S.  Paulin  (f  431),  Epist.  xxxi;  Socrates  (f  440),  H.  E.,  i,   17;  Sozom. 

(f  450),  i/.,  II,  1  ;  Theodoret  (f  458),  i,  18.  Pour  Eussèbe,  un  grand 

nombre  rejettent  comme  apocryphe  la  mention  qui  est  faite  de  rinven- 

tlon  de  la  Croix  dans  sa  Chronique^  ann.  321  (Cf.  Gretser^  de  Cruce, 

I,  63);  mais  bien  des  auteurs  aussi  croient  voir  la  Croix  désignée  dans 

sa   Vie  de  Constantin,  m,  30  (337-340),   comme  le  monument  de  la 

Passion  du  Sauveur ^  longtemps  enseveli  dans  la  tei^e^  to  Yvwpi(j|ia  tou 

ocytcoTxtou  exeivou  TIaOouc  vTto  tt)  yy)  iraXai  xpvTCTOjJtevov,  et  son  Invention 

rappelée  dans  le  Commentaire  du  Psaume  lxxxvii^  12,  où  U  parle 

des  merveilles  opérées  au  sépulcre  du  Sauveur.  Migne,  Patrol.  grac, 

t.  XXXin,  p.  20.  Dans  le  Voyage  aux  saints  lieux  ^  de  sainte  Sophie, 

Supva^  n.  470,  on  voit  que,  cinquante  ans  plus  tard,  en  379,  on  célébrait 

à  Jérusalem,  dans  Téglise  du  Golgotha^  le  13  septembre,  la  mémoire  du 

jour  où  l'on  avait  retrouvé  la  sainte  Croix  du  Sauveur.  Cf.  Rufin,  H.  E,., 

I,  viii.  Bossuct,  H.  £/.,!,  2  et  Sej^m.  1,  pour  la  Circoncision.  —  3  s.  Cyrill, 

Hieros  ,  Catcch.,  xxvii,  51  :  iv,  10;  x,  J9;  xiii,  4;  S.  Paulin.,  Epist.  xxxi, 

6.  —  *  Matth.,  XVII,  51.  —  *  No  abnoges  Cruciflxum.  Si  abnegaveris, 

con.vincet  te  Golgotha  iste  sanclus  et  hucusque  conspicuus,  usque  in 

presentem  diem  fidem  faciens  quomodo  petras  propter  Christum  sint 

scissae.  S.  Cyrill.  Hieros.,  Catech.^  xiii,  39;  iv,  9  et  11.  —  «  Rufin., 

IL  E.,  IX,  6.  Cf.  Euseb.,  H,  E.,  ix,  6.  —  ^  Mgr  Mislin,  t.  ii,  ch.  23. 


676  QL ESTIONS   RÉTROSPECTIVES.  [n®  471 

Tart  ou  la  main  des  hommes  n'y  soit  pour  rien,  il  suffît 
d'avoir  (les  yeux  pour  s'en  convaincre*,  t  c  Celte  déchirure, 
que  j'ai  étudiée  avec  le  plus  grand  soin,  écrit  M.  Saulcy,  est 
verticale.  Elle  forme  une  ligne  ondulée  de  l'est  à  l'ouest.  La 
plus  grande  largeur  est  de  vingt-cinq  centimètres.  Il  y  a 
preuve  matérielle  que  cette  déchirure  n'est  pas  une  veine  na- 
turelle entre  deux  couches  parallèles.  Elle  va  en  diminuant 
depuis  le  haut  jusqu'en  bas  ».  »  c  Je  suis  de  ceux  qui  peuvent 
attester,  dit  encore  M.  Poujoulat,  que  la  fente  du  rocher  du 
Calvaire  n'est  pas  naturelle,  qu'elle  est  à  contre-sens  des 
veines.  » 

En  présence  de  ces  témoignages  et  de  ces  monuments, 
comment  mettre  en  question  l'existence  et  l'histoire  du 
Sauveur?  «  Si  l'on  doute  de  l'Evangile  à  Jérusalem,  dit 
Chateaubriand  après  S.  Cyrille,  il  faut  renoncer  à  croire  quoi 
que  ce  soit.  » 

*  471.  —  Dans  Tordre  moral  ot  religieux,  restc-t-il  des  traces  aussi  sen- 
sibles de  la  vie  et  de  l'action  du  Sauveur? 

Il  en  est  de  plus  frappantes  encore  pour  ceux  qui  réflé- 
chissent. 

I.  Son  Eglise,  d'abord.  Elle  est  devant  nous,  avec  ses 
millions  de  membres,  avec  son  organisation,  son  sacerdoce, 
sa  discipline,  sa  foi.  L'existence  de  cette  Eglise  suppose  celle 
du  Sauveur.  Elle  la  suppose  pour  deux  raisons  :  —  !•  Parce 
que  la  vie  du  Sauveur  est  l'objet  de  sa  foi  et  de  son  culte, 
qu'elle  en  atteste  la  réalité,  comme  un  fait  dont  elle  a  cons- 
cience, et  que  son  témoignage  est  irrécusable,  plus 
irrécusable  encore  sur  ce  point  que  l'existence  de  Dieu  ou 
l'immortalité  de  l'âme.  Si  inultitudini  credendum  esiy  dit 
S.  Augustin,  quid  copiosius  Ecclesia  toto  orbe  diffusa?  Si 
divitibm  credendum  est^  attendant  quot  divites  cepit;  si  pau- 
peribus  credendum  est,  attendant  pauperum  millia;  si  régi- 
bus,  videant  omnes  subditos  Christo;  si  eloquentioribus,  doc- 
tioribm,  prudentioribus,  intueantur  quanti  oratores,  quanti 

1  Cf.  Addisson,  De  la  religion  chrétienne,  ii,  —  *  Diçtionn,  des  Aniiq* 


NO  471]  SUR  NOTRE  SEIGNEUR  JÉSUS-CHRIST.  677 

philosophi  hujus  mundi  a  nostris  piscatorilms  irretiti  sivU  '/ 
—  2*  Parce  que  si  Jésus-Christ  n'avait  pas  existé  et  s'il 
n'avait  pas  fait  les  grandes  œuvres  rapportées  dans  l'Evan- 
gile, cette  Eglise  n'existerait  pas  ;  on  ne  pourrait  expliquer 
ni  sa  fondation,  ni  ses  progrès,  ni  son  nom,  ni  sa  durée,  ni 
son  action  '.  II  n'est  pas  besoin  de  remonter  tout  le  cours 
d'un  fleuve  pour  être  sûr  qu'il  a  une  source. 

II.  La  littérature  chrétienne.  —  On  ne  saurait  trouver 
dans  les  productions  de  l'esprit  humain  un  monument  com* 
parable  à  ces  milliers  d'ouvrages  du  plus  haut  mérite, 
composés  par  les  meilleurs  auteurs  chrétiens,  c'est-à-dire 
par  les  plus  grands  génies  et  les  plus  belles  âmes  qui  aient 
honoré  le  genre  humain  depuis  dix-huit  siècles,  saints 
Pères,  Docteurs,  théologiens,  prédicateurs,  moralistes,  phi- 
losophes, apologistes,  ascétiques.  Qui  peut  dire  ce  qu'un  tel 
monument  suppose  d'études,  de  recherches,  de  réflexions, 
de  discussions,  par  conséquent  de  sagesse,  de  lumière,  de 
connaissances  en  tous  genres  '?  Combien  doit  être  certain, 
solide,  évident,  ce  que  tous  ces  grands  hommes  affirment 
unanimement,  ce  qu'ils  tiennent  pour  constaté,  pour  indu- 
bitable, ce  qu'ils  proclament  ou  supposent  dans  tous  leurs 
écrits,  ce  dont  ils  font  l'objet  de  leur  foi,  la  base  de  leur  doc- 
trine, la  règle  de  leur  vie  *?  Or,  ce  sur  quoi  ils  s'accordent 
tous,  ce  qui  fait  le  fond  de  toutes  leurs  convictions,  leurpoint 
de  départ  dans  la  pratique  comme  dans  la  science,  n'est-ce 
pas  la  vérité  de  l'histoire  évangélique,  l'existence  et  la  divi- 
nité du  Sauveur  du  monde?  Ils  ont  pu  se  diviser  sur  des 
questions  secondaires  :  mais  pour  ce  point  fondamental,  pour 

1  s.  Aug.,  Serm.  u,  4.  —  9  Hec  multitudo  paucitas  fuit.  Unde  crevit 
bsec  muititudo?  nie  qui  discipulos  suos  piscatorcs  fecit,intra  sua  retia 
omne  genus  auctoritatis  inclusit.  S.  Aug.,  Ibid.  Auctor  nominis,  Ghris- 
tus.  Tacit.,  Ann.  XV,  44.  Cf.  Isai.,  lxii,  2;  Act.,  xi,  26. 

s  DiscDssi,  fateor,  sectas  atientias  omnes; 
Plorima  qacaivi,  per  siogula  qoœqae  caearri. 
Et  nihil  in?eni  melios  qaam  credere  Christo. 

s.  Paaliù.,  Pœm,  uUim. 

*  Si  me  deprehcnderis  errantem,  patere  me,  quœso,  orrarc  cum  talibus. 
S.  HiOFO».. 

38. 


678  QUESTIONS  RiTOOSPËCriVES.  [n«  471 

l'existence  du  Christ,  pour  sa  personnalité,  pour  sa  vie  et  sa 
mort,  n'auraient-ils  pas  regardé  comme  une  folie  d'en  faire 
l'objet  du  moindre  doute  ? 

III.  Tout  ce  qu'on  peut  voir  de  surnaturel  ou  de  miracu- 
leux dans  riiistoire  de  l'Eglise  ou  dans  la  vie  de  ses 
membres.  —  Combien  de  faits  de  ce  genre,  depuis  dix-huit 
siècles?  En  premier  lieu,  la  conversion  du  monde  ancien  : 
d'idolâtre  qu'il  était,  il  est  devenu  chrétien.  En  abjurant  ses 
croyances,  il  a  dépouillé  ses  instincts  et  transformé  ses 
mœurs.  C'a  été  le  commencement  d'une  ère  nouvelle  et 
d'un  nouveau  monde  *,  sicut  cœli  novi  et  terra  nova  *.  —  Puis, 
mille  faits  analogues,  moins  frappants  sans  doute,  parce  qu'ils 
s'opèrent  sur  des  individus,  mais  également  inexplicables 
sans  l'intervention  divine  :  des  conversions  complètes  d'es- 
prit et  de  cœur,  tantôt  subites  comme  celle  de  Saul  ',  tantôt 
lentes  et  réfléchies  comme  celle  d'Augustin  ;  des  prodiges  de 
sainteté  dont  on  n'avait  pas  l'idée;  des  vertus  autrefois 
ignorées  qui  deviennent  communes  et  qui  s'élèvent  jusqu'à 
l'héroïsme  ;  et  cela  dans  tous  les  états  comme  à  tous  les  âges, 
au  milieu  du  monde  comme  dans  le  sacerdoce,  comme  .dans 
le  cloître;  des  institutions  saintes,  variées  dans  leur  forme, 
innombrables  dans  leur  objet,  toutes  inspirées  par  l'esprit  de 
charité  et  dans  lesquelles  une  multitude  de  personnes  font 
à  l'envi,  pour  la  gloire  de  Dieu  et  la  sanctification  du  pro- 
chain, un  sacrifice  complet  et  irrévocable  de  leurs  biens, 
de  leur  liberté  et  de  leur  vie*;  enfin  des  miracles  sans 

*  Traxisti,  Domino,  omnia  ad  te,  et  cum  expandisses  tota  die  maous 
tuas  ad  populum  non  credentem  et  contradicentem  tibi,  confitend»  nia- 
jcstatis  tuae  sensum  totus  mundas  accepit.  S.  Leo^  Setin.  lix,  7,  de 
Pass.  Dom,f  7.  Nunc  totius  muodi  una  vox  Christas  est.  S.  Uieron., 
Epist,  Lx,  4.-8  Isai.,  lxvi,  22;  Apoc,  xxi,  1.  —  3  Orig.,  Cont.  Cels., 
1,  68.  —  ^  Dieu  a  permis  qu'on  exhumât  de  nos  jours  une  cité  payenne 
ensevelie  subitement  il  y  a  dix-huit  siècles  dans  une  éruption  du  Vé- 
suve. Qu'a-t-on  trouvé  sous  son  linceul  de  cendres  et  de  laves?  Tout  ce 
qui  atteste  le  luxe  et  l'opulence,  tout  ce  qui  peut  faire  l'orgueil  et  les 
délices  d'un  riche  do  la  terre,  des  palais  et  des  forums ,  des  cirques  et 
des  théâtres,  des  bains  et  des  fontaines,  des  statues  et  des  portiques, 
on  le  trouve  là  en  abondance  ;  mais  un  hospice  pour  les  malades,  un 
refuge  pour  les  infirmes,  une  maison  de  secours  pour  les  pauvres,  ce 


N^*  471]  SUR  NOTRE  SEIGNEUR  JESUS-GHRIST.  679 

nombre,  sur  lesquels  on  peut  discuter  plus  ou  moins  dans  le 
détail,  mais  qu'il  serait  déraisonnable  de  rejeter  en  masse 
comme  autant  d'illusions  ou  d'impostures  *  ;  des  lumières 
admirables,  évidemment  célestes,  souvent  prophétiques,  ac- 
cordées,  à  une  foule  d'âmes,  même  aux  plus  simples,  quand 
elles  sont  ferventes  et  pures...  •  —  Tous  ces  faits  et  une  foule 
d'autres  du  même  genre,  auxquels  nous  ne  réfléchissons  pas, 
tant  ils  sont  communs,  ne  démontrent-ils  pas  que  nous 
vivons  sous  une  influence  surnaturelle,  dans  d'autres  con- 
ditions que  les  peuples  infidèles  avant  Jésus-Christ?  Et 
comment  les  expliquer  autrement  que  par  la  rédemption, 
par  la  vertu  de  l'Homme-Dieu,  par  l'action  persévérante  de 
son  Esprit  dans  les  âmes  •?  On  l'a  dit  avec  raison  :  t  Une 
sœur  de  charité  prouve  un  Dieu  sauveur  aussi  réellement 
qu'une  fleur  des  champs  prouve  un  Dieu  créateur  *.  »  Mais 
combien  plus  des  milliers  de  saints,  d'apôtres,  de  martyrs, 
de  vierges,  de  thaumaturges!  Combien  plus  un  crucifix 
vivant,  comme  S.  François  d'Assise  !  t  II  n'est  pas  moins 
visible,  historiquement,  dit  le  P.  Gratry,  que  Jésus-Christ 


qu'on  rencontre  aujourd'hui  partout,  dans  nos  moindres  bourgades,  vous 
en  chercheriez  en  vain  la  trace.  On  nen  avait  pas  Tidée  à  cette 
époque.  La  charité  était  si  peu  connue  qu'on  n*en  savait  pas  encore 
le  nom. 

i  Quand  nous  disons  aux  incrédules  qu'un  seul  miracle  suffirait  pour 
établir  la  religion,  ils  répondent  qu'une  seule  contradiction  ou  une 
seule  erreur  en  matière  de  foi  suffît  pour  la  ruiner.  Mais  ils  ne  font  pas 
attention  à  cette  différence,  que  nous  avons  des  milliers  de  miracles 
constatés  par  des  milliers  de  témoins,  et  qu'ils  n'ont  pas  une  seule 
erreur  quils  puissent  donner  pour  démontrée,  ou  dont  Tévidence  ne 
soit  niée  par  les  hommes  les  plus  intelligents  et  les  plus  désintéressés^ 
Bien  plus,  l'impuissance  où  ils  sont  de  nous  citer  une  seule  contradic- 
tion ou  une  seule  erreur  manifeste ,  dans  la  religion  chrétienne ,  n'est- 
elle  pas  une  preuve  convaincante  de  sa  divinité?  Si  c'était  une  œuvre 
d'homme,  comment  serait^cUe  exempte  des  défauts  inhérents  à  toute 
œuvre  purement  humaine?  Supra ^  n.  452,  462.  —  s  Inspiratio  omnipo^ 
tentis  dat  intcUigentiam.  Job.,  xxxii,  8.  S.  Aug.,  de  UliliL  credendi, 
34,  35.  Cf.  Oictionn.  de  mystique  chrét,  passim.  —  3  Habitare  in  cor- 
pore  animam  probant  vitales  motus  corporis;  habitare  in  anima  Spiritnni 
JSanctum  probat  vita  spiritualis;  illud  ex  visu  et  auditu  dignoscitur; 
Istad  ex  caritate,  humilitate,  cœterisqne  virtutibus.  S.  Bern.,  Seivn,  de 
Dedic,  I,  2.  —  *  Mootalembert,  Moines  d*Occidenty  Prief. 


680  QUESTIONS  RÉTROSPECTIVES.  [n<>  472 

est  la  lumière  du  monde  S  ou  que  notre  civilisation  a  le  Christ 
pour  auteur,  qu'il  est  visible,  géographiquement,  qu'elle  a 
pour  théâtre  l'Europe.  L'œil  du  corps  voit  le  globe  terrestre, 
moitié  dans  la  lumière  et  moitié  dans  la  nuit  :  la  moitié  lumi- 
neuse est  celle  qui  fait  face  au  soleil.  De  môme  il  y  a  dans  le 
genre  humain  qui  couvre  le  globe,  la  partie  éclairée  et  la 
partie  obscure  :  la  partie  éclairée  est  celle  qui  regarde  le 
Christ,  et  la  partie  obscure  celle  qui  ne  l'aperçoit  pas.  i  Aussi 
tous  les  peuples  civilisés  datent-ils  leur  ère  du  jour  où  Jésus- 
Christ  est  né. 

472.  —  D'où  vient  qu'on  voit  encore,  au  sein  du  cfaristianismei  des 
liommes  qui  refusent  de  croire  en  Jésus-Christ  ? 

I.  Quelle  que  soit  la  raison  qui  empêche  un  certain 
nombre  d'esprits  de  croire  en  Jésus-Christ,  un  chrétien 
ne  doit  pas  se  laisser  ébranler  par  leur  incrédulité.  Il  ne 
doit  pas  même  en  être  surpris;  car  ceux  qui  ne  croient 
pas  en  Jésus-Christ  ne  croient  guère  plus  en  Dieu ,  ni  à 
la  vie  future;  et  Notre  Seigneur,  qui  avait  prédit  l'infidé- 
lité de  ses  compatriotes  *,  a  prédit  aussi  qu'ils  auraient  des 
imitateurs  •. 

Niliil  movcor  quod  pars  hominum  rarissima  clausos 
Non  aperit  sub  luce  oculos  et  gressibus  errât, 
Quamîibet  illustres  titulis  et  noraine  clari. 

Prudbnt.,  ConL  Symmach. 

II.  Les  causes  de  cet  aveuglement  sont  toujours  les  mômes. 
C'est  avant  tout  l'ignorance  en  matière  religieuse  :  un  grand 
nombre  ne  croient  pas  à  la  religion  parce  qu'ils  n'en  ont 
•jamais  étudié  les  preuves  *.  Ce  sont  ensuite  les  préventions 
de  l'esprit,  les  préjugés  :  Numquid  ex  prindpibm  aliquis 

1  Sol  intelligentiœ.  Sap,  y,  6.  n  règne  par  sa  doctrine  comme  le  soleil 
par  sa  lumière.  Joan.,  xviii,  37,  38.  —  »  Job.,  xxi,  14,  15  Matth.,  viii, 
10-12;  XI,  16-26;  xiii,  14,  15;  Marc,  iv,  11,  13;  Luc  ,  xiii,  28,  29,  35; 
XVI,  31;  XXII,  67;  Joan.,  v,  43-47;  vm,  21,  24;  ix,  39-41;  xn,  37-40. 
Cf.  Isai.,  XXIX,  9;  Jer.,  viii,  7.  —  »  Matth.,  xi,  25;  xm,  30;  Marc., 
XVI,  16;  Luc,  xviii,  8;  Joan.,  m,  20;  v,  44;  ix,  39.  —  ♦  On  peut  appli- 
quer  à  la  religion  ce  que  TertuUien  dit  de  la  divinité  du  Sauveur  :  Qui 
studuerit  intelligere,  çogetur  et  credere.  Apohg,  2U 


NO  472]  SUR  NOTRE  SEIGNEUR  JÉSUS-CHRIST.  681 

credidit  in  eum  »?  ou  bien  les  passions  du  cœur  :  Torgueil  de 
la  science:  Nisi  videro,  non  credam^;  et  le  désordre  des 
mœurs  :  Qui  maie  agit  odit  lucem  '.  Si  Notre  Seigneur  se 
donnait  seulement  pour  docteur,  tout  le  monde  rendrait 
hommage  à  ses  lumièfes  et  applaudirait  à  sa  doctrine;  mais 
H  prétend  être  législateur  et  juge  ;  avec  l'adhésion  de  l'es- 
prit, il  exige  la  soumission  de  la  volonté.  G'est  ce  qui  fait  dif- 
ficulté. Tout  ce  cpii  nous  condamne  nous  déplaît,  et  l'on  ne 
trouve  rien  de  clair  quand  on  a  intérêt  à  douter  de  tout.  Il 
en  serait  autrement  si  l'on  était  éésintéressé.  Une  âme  pure, 
humble,  docile,  qui  met  en  pratique  les  conseils  du  divin 
Maître,  ne  voit  rien  que  de  croyable  dans  sa  doctrine  et  dans 
ses  œuvres  *. 

m.  S'il  est  parmi  nous  beaucoup  d'hommes  instruits  qui 
refusent  à  Jésus-Christ  l'hom^nage  de  leur  foi,  on  n'en  voit 
plus  guère  qui  osent  lui  refuser  leur  respect  '.  Tel  qui  n'a- 
dore pas  en  lui  le  Verbe  divin  révère  au  moins  le  sage.  Nul 
ne  le  confond  avec  les  faux  Messies  qui  ont  cherché  à  le  sup- 
planter. Un  savant,  dont  la  science  se  résout  en  doutes  et  en 
paradoxes,  qui  s'est  fait  l'historien  du  Sauveur  pour  lui  con- 
tester toutes  ses  œuvres,  n'a  pas  laissé  d'écrire  :  «  Jésus 
est  l'honneur  commun  de  tout  ce  qui  porte  un  cœur 
d'homme.  La  conscience  universelle  lui  a  décerné  avec 
justice  le  titre  de  Fils  de  Dieu  •.  »  Un  autre  écrivain  qui  a 
tenu,  de  nos  jours,  le  sceptre  de  la  critique  dans  le  domaine 
littéraire,  et  que  son  incroyance  n'a  pas  empêché  de  par- 
venir au  faîte  des  distinctions  académiques,  a  tracé  ces 
mots  qui  le  condamnent  :  «  Prenez  les  plus  grands  des  mo- 


*  Joan.,  vu,  48.  —  *  Joan.,  xx,  25.  Cf.  Prov,,  xxv,  27. 1  Cor.,  i,  19,  20. 
Non  crédit  in  humilem  Deum  Jïomo  superbus.  S.  Aug.,  Serm.  cxliv,  1. 
—  3  Joan.,  III,  i9,  20.  Cf.  I  Cor.,  n,  14.  —  *  Jac,  iv,  8.  Cf.  Ps.  xcii,  5; 
Joan.,  VII,  17;  viii,  47;  Brev  ,  hjun.^  S.  Bonif.,  Icct.  vii-ix;  S.  Aug.,  de 
vera  Relig.^  passim.,  Massillon,  Sur  les  doutes  de  la  religion;  sur  la 
vérité  .de  la  religion^  etc.  ;  Lacordaire,  Confer.  xv,  lviii.  Supt^a,  n.  228, 
452.  Infra^  563,  661.  —  s  Tanta  est  ejus  gratia  ut  multi  qui  in  eum  non 
crcdunt,  propterea  dicant  nolle  in  eum  credere,  quia  nemo  potest  im- 
plere  quod  jubet.  S.  Aug.,  In  Ps,  cm,  Sei^m,  m,  13.  —  ^  ]Vf,  Renan,  Vie 
de  Jésus, 


682  QUESHONS  RÉTROSPECTIVES.  [n«  472 

dernes  antichrétiens,  Frédéric,  Laplàce,  Gœthe,  quiconque 
a  méconnu  Jésus-Christ,  regafdez-y  bien  :  dans  le  cœur  ou 
dans  l'esprit,  il  lui  a  manqué  quelque  chose.  Ceux  qui  le 
nient  absolument  en  portent  la  peine  ^  > 

Nous  ne  donnons  pas  ces  paroles  cbmme  un  digne  hom- 
mage rendu  au  Sauveur  ;  car  au  fond  de  ces  respects,  il  y 
a  encore  un  basphème  '  ;  mais  nous  les  citons  comme  un 
aveu  forcé  de  sa  grandeur  et  de  sa  sainteté  surhumaines. 


*  Sainte-Beuve.  Cf.  Matth.,  xxi,  44.  Voltaire  et  Béranger;  allégués  ^ 
rencontre  par  M.  Havet  {\*'  av7*il  1881),  n'infirmeront  pas  ce  jugement. 

—  2  Non  attendas  osculis,  sed  cave  venenum.  S.  Cyrill.  Hier.,  Catech,^ 
VI.  Cf.  Marc,  i,  24;  Luc,  iv,  41.  De  Maistre,  Considérations,  ch.  v,  fin. 

—  3  Sceau  des  catacombes,  donné  par  Perret.  Au  milieu,  le  monogramme 
de  Notre  Seigneur,  et  à  l'entour  ces  mots  :  Spes  in  eo. 


HISTOIRE  DE  NOTRE  SEI&NEDR  JÉSUS-CHRIST 


S£LON  LES  QUATRE  EVANGILES. 


1.  Préface  à  Théophile. 


s.  Matth. 

S.  Marc. 

S.  Luc. 

•  •  *  •  • 

1     1-14 

S.  Jean. 


l'«  Partie.  —  Vie  cachée  de  Notre  Seigneur  :  Ses  trente 

premières  années. 


2. 

3. 

4. 

5. 

6. 

7. 

8. 

9. 
10. 
11. 
12. 

13. 
14. 
15. 
16, 
17. 
18. 
19. 
20. 
21. 
22. 


Le  Verbe  :  sa  génération  éternelle. 
S.  Jean  Baptiste  annoncé  à  Zacharie. 
Annonciation  de  la  sainte  Vierge. 
La  Visitation. 

Naissance  de  saint  Jean-Baptiste. 
Soupçons  de  saint  Joseph. 
Naissance  da  Sauveur. 
Circoncision. 
Adoration  des  Mages. 
Présentation  au  temple. 
Fuite  en  Egypte.  Massacre  des  Inno- 
cents. 
Généalogies. 
Retour  d'Egypte. 
Jésus  parmi  les  docteurs. 
Sa  vie  à  Nazareth. 
Prédication  et  baptême  de  saint  Jean. 
l«r  témoignage  de  S.  Jean  à  N.  S. 
Baptême  du  Sauveur. 
Jeûne  et  tentation  au  désert. 
Second  témoignage  de  Jean-Baptiste. 
Troisième  témoignage. 


• 

1    5-25 
1  26-38 
1  39-56 

1  57-80 

2  1-20 
2  21 

2  2-39 

3  23-38 
2  41 

2  42-50 

2  50-52 

3  1-14 
3  15-17 

3  21-23 

4  1-13 

1  19-25 

2    1-12 

2  13-18 

1    1-n 

2  19-23 

3    1-10 
3  11-12 

3  13-n 

4  1-10 

1    1-6 
1    7-8 
1    9-11 
\  12-13 

1     1-14 


\  28 
1  15 


1  19-28 
!  29-34 


2*  Partie.  —  Vie  publique  de  Notre  Seigneur  :  Sa  prédication. 

(An  30-33.) 


23.  Premiers  disciples  à  la  suite  de  N.  S. 

24 .  Jésus  fait  son  premi.er  miracle  à  Cana. 
S5.  11  se  retire  à  Caphamaûm. 


Première  Pftqae. 

26.  Jésu3>Christ  se  rend  à  Jérusalem. 

27.  11  chasse  les  vendeurs  du  temple. 


1  35-51 

2  1-11 
2  12 


2  13 
2  14-17 


684 


*^, 


JESUS-CHRIST  SELON  L  EVANGILE. 


28. 

29. 
30. 
31. 
3î. 
33. 
34. 
35. 
36. 
37. 
38. 
39. 
40. 
41. 
42. 
43. 
44. 
45. 
46. 
47. 
48. 
49. 
50. 


Ses  paroles  et  sa   conduite   après 

celte  action. 
Son  entretien   avec  Nicodème. 
4«  témoignage  de  Jean-Baptiste. 
Emprisonnement  de  S.Jean-Baptiste. 
Entretien  avec  la  Samaritaine. 
Retour  en  Galilée. 
Second  miracle  à  Cana< 
Retour  à  Capharnaiim. 
Prédication  aux  alentours. 
Synagogue  de  Nazareth. 
Démoniaque  de  Capharnaiim. 
Belle -mère  de  saint  Pierre  guérie. 
Tournée  dans  la  Galilée. 
Avis  aux  disciples. 
Pèche  miraculeuse  de  S.  Pierre. 
Tempête  apaisée. 
Possédés  de  Gadare. 
Retour  à  Capharnaûm.   • 
Guérison  d'un  Paralytique.  ■ 
Vocation  de  S.  Matthieu. 
Fille  de  Ja'ire  et  hémorrholsse. 
Deux  aveugles  guéris. 
Possédé  muet. 


S.Matth. 

S.  Marc. 

S.  Luc. 

iV  3-4' 

V  17-1*8 

3  19-20 

4  12 

*l*lV  " 

•  .  •  • 
4  14 

4  13-16 

1  22 

4  17 

4  14-15 
4  16-30 
4  31-37 

•  .  •  •  • 

1  23-28 

8  14-17 

1  29-34 

4  38-41 

4  23-25 

1  35-39 

4  42-44 

8  19-22 

9  57-62 

4  18-22 

1  16-20 

5    1-11 

8  23-26 

4  36-40 

8  22-26 

8  28-34 

5    1-20 

8  26-39 

9    1 

2    1 

9    2-8 

2    2-12 

5  18-26 

9    9-13 

2  13-17 

5  27-32 

9  18-26 

5  21-43 

8  40-46 

9  27-31 

9  32-34 

11  14 

S.  Jean. 


8«cond«  PflquA. 


Ôl.  Piscine  probatique. 

52.  Epis  rompus  le  jour  du  sabbat. 

53.  Main  aride  guérie  le  jour  du  sabbat. 

54.  Miracles  et  bonté  du  Sauveur. 

55.  Choix  des  Apôtres. 

56.  Sermon  sur  la  montagne. 

57.  Lépreux  guéris.  " 

58.  Serviteur  ducenturloh  guéri*.     * 

59.  Le  fils  de  la  veuve  de  Naïm  ressuscité. 

60.  Disciples  de  saint  Jean-Bapliste  de- 

vant Notre  Seigneur. 

61.  N.  S.,  Simon  et  la  pécheresse. 

62.  Les  femmes  •  pieuses  «t- leurs  libéra- 

lités. 

63.  Ses  parents  veulent  s*«ro parer  de  lui: 

64.  Démoniaque  aveugle  et  muet. 

65.  Blasphème  contre  le  Saint-Esprit. 

66.  Signes.de  Jonas. .     .  .... 

jB7.  Ninivites  et  reioe  de  Saba.  - 


12  18 
12    9-14 
12  15-21 

*5*  'l-T 
8    2-4 
8    5-13 

2  23-28 

3  1-16 
3    7-12 
3  13-19 

1*40-45 

6    1-5 
6    6-11 

6  12-16 

6  17-49 
5  12-44 

7  1-10 
7  11-17 

* 

7  18-35 

7  36-50 

8  2 

11  14-32 

H     1-30 

12  22-50 
12  30 
12  39-41 
12  42 

3  20-21 
3  22-25 

3 
3 
3 

4 
4 
4 


18-23 

1-21 

22-36 


4- 


•42 
43 
46-54 


5    1-47 


GONGOIU)E  DES  EVANGILES.     . 

<>85 

s.  Matth. 

S.  Marc. 

S.  Luc. 

s.  Jean. 

68.  Esprit  immonde  chassé  de  son  re- 

paire. 

i2  43 

• 

69.  Beatus  venter! 

12  45-50 

8  20-22 

70.  Parabole  de  la  semence. 

13    3-23 

4    2-25 

8    4-18 

71.  Lampe  sous  le  boisseau. 

5  15 

4  21 

8  16 

72.  Zizanie. 

13  24-43 

73.  Graine  qui  germe. 

4  26-29 

74.  Sénevé. 

lV31-3'2 

4  30-34 

75.  Levain. 

13  33 

76.  Trésor  caché. 

13  44 

77.  Perle. 

13  45-46 

78.  FUet. 

13  47-51 

79.  Jésus  revient  à  Nazareth. 

13  53-58 

6    1-6 

80.  Discours  aux  apôtres;  mission. 

9  35-11 

6    7-13 

9    1-6 

81.  Mort  de  saint  Jean-Baptiste. 

14    1-12 

6  14-29 

9    7-9 

82.  Multiplication  des  cinq  pains. 

14  13-21 

6  30-44 

9  10-17 

6     1-15 

83.  Jésus  fuit  les  honneurs  et  marche 

sur  les  flots. 

14  22-36 

6  45-58 

6  16-21 

RA    PrAmi^eop  Aa  rG!n(*hârÎAtîP 

6  22-72 

QT.    A  lUUlvBSC   UC  1  wUvUaiiBllC 

^r      •■■■        p  ■■ 

Troialèmo  Piqua  (Joan.,  ti,  4). 


85.  La  vraie  pureté  est  intérieure. 

86.  Ghananéenne  aux.  environs  de  Tyr. 

87.  Sourd  et  muet  guéri. 

88.  Multiplication  des  sept  pains. 

89.  On  demande  des  signes. 

90.  Levain  des  pharisiens. 

91.  Aveugle  guéri  àBethsaïde. 

92.  Pierre,  fondement  de  TEglise. 

93.  Passion  prédite;  Pierre  repris. 
84.  Transfiguration. 

95.  Lunatique  guéri. 

96.  Nouvelle    prédiction   de    la    Pas- 

sion. 
97*  Dernier  séjour  à  Gapharnaûm;  di- 
drachme. 

98.  Rivalité  des  apôtres. 

99.  Scandale. 

100.  Brebis  perdue;  drachme;  prodigue. 
loi.  Correction  fraternelle. 

102.  Pardon  des  injures. 

103.  Fête  des  tabernacles.  Jésus  à  Jé- 

rusalem» 

104.  Il  passe  par  la  Samarie. 

105.  Les  dix  lépreux. 

in. 


15    1-20 

15  21-28 

15*31-39 

16  1-4 
16    5-12 

16  13-20 

16  21-28 

17  1-13 
17  14-20 

17  21-22 

17  23-36 

18  1-5 
18    6-11 
18  12-14 
18  15-20 
18  21-35 


7  1-28 
7  24-30 

7  32-37 

8  1-10 
8  11-13 
8  14-21 
8  22-26 
8  27-30 

8  31-39 

9  1-12 
9  13-28 

9  29-31 


9  32-40 
9  41-50 


9  18-21 
9  22-27 
9  28-36 
9  37-43 

9  44-45 


9  46-50 
15    1-32 


9  51 
9  52-56 
17  12-19 


1    2-10 


3d 


686 


jéSUS-GHRIST  SELON  L^ÉVANGILE. 


106.  Il  prêche  aa  temple  :  ses  ennemis 

divisés. 

107.  Il  reyient  an  temple.  Femme  adal- 

tère. 

108.  Il  affirme  sa  divinité. 

109.  Gnérison  de  Taveugle  né. 

110.  Bon  pasteur. 

111.  Mission  des  72  disciples  et  retour. 

112.  N.  S.  rend  grâces  à  son  Père. 

113.  Le  bon  samaritain. 

114.  Jésus  chez  Marthe  et  Marie. 

115.  Manière  de  prier  :  persévérance. 

116.  N.  S.  chez  un  pharisien  :  Vxl 

117.  Exhortation  :  Riche  qui  a  fait  une 

bonne  récolle. 

118.  Pénitence,   figuier  stérile;   para- 

bole. 

119.  Porte  étroite.  Piège  d'Hérode. 

120.  Notre  Seigneur  chez  un  pharisien 

un  jour  de  Sabbat. 

121.  Fête  de  la  dédicace. 

122.  L*économe  infidèle. 

123.  Le  mauvais  riche. 

124.  Avènement  du  règne  de  Dieu. 

125.  Prière;  veuve;  pharisien  et  publicain 

126.  Mariage  et  célibat. 

127.  N.  S.  bénit  des  enfants. 

128.  Jeune  homme  bon,  mais  riche. 

129.  Récompense  assurée  aux  apôtres. 
130. 'Ouvriers  de  la  vigne. 

131.  Maladie  et  résurrection  de  Lazare. 


s.  Matih. 


{{  25-30 


23  37-39 
10  37-42 


19  1-12 
19  13-15 
19  16-26 

19  27-30 

20  1-16 


S.  Marc 


10  1-12 
10  13-16 
10  17-27 
10  28-31 


S.  Luc. 


10  1-20 
10  21-24 
10  25-37 

10  38-42 

11  1-13 

11  37-54 

12  1-59 

13  1-21 

13  23-35 

14  1-35 


16    1-18 

16  19-31 

17  20-37 

18  1-14 
16  18 
18  15-17 
18  18-27 
18  28-30 


S.  Jean. 


7  U-53 

8  1-11 

8  12-59 

9  1-41 
10    1-31 


10    2-42 


1  11-45 


3«  Partie.  —  Derniers  jours  du  Sauveur  :  Sa  vie  souffrante  et  glorieuse, 

(An  33,  man^yril.) 


!•  PRÉLUDES. 


132.  Mauvais  desseins  des  Juifs. 

133.  Jésus  annonce  sa  passion. 

134.  Demande  des  fils  de  Zébédée. 

135.  Aveugles  de  Jéricho. 

136.  Zachée. 

137.  Parabole  des  mines. 

138.  Jésus  chez  Lazare  à  Réthanie. 

139.  Repas  chez  Simon. 


20  17-19 

10  32 

18  31-34 

20  20-28 

10  35-45 

20  29-34 

10  46-53 

18  35-43 

19  1-10 
19  11-27 

U    3 

26    6-13 

14    3-9 

11  46-56 


12 
12 


1-2 
2-U 


CONCORDE  T>RS  EVANGILES* 

687 

s.  Matth. 

s.  MftFO. 

S.  Luc. 

s.  Jean. 

140.  Sbhaihb  «âihti.  Dimanche,  En- 

trée à  Jérasalem. 

21    1-11 

il     1-11 

19  29-14 

12  12-19 

141.  Retour  à  Béthanie. 

21  n 

11  11 

142.  Lundi.  Jésus  rentre  à  Jérusalem. 

Figuier  maudit. 

21  17-19 

Il  12-14 

143.  Il  cliasse  les  vendeurs  du  temple. 

21  12-16 

11  15-18 

19  45-48 

144.  Retour  à  Béthanie. 

Il  19 

145.  Mardi.  Figuier  desséché. 

21  20-22 

11  20-26 

146.  «  Par  quelle  autorité?  » 

21  23-27 

H  27-33 

20    1-8 

147.  Les  deux  fils. 

21  28-32 

148.  Les  locataires  delà  vigne. 

21  33-46 

12    1-12 

20    9-19 

149.  Les  invités  aux  noces. 

21    1-14 

150.  Les  hérodiens  et  Timpôt. 

22  15-22 

12  13-17 

20  20-26 

15i.  Les  saducéenset  la  résurrection. 

22  23-33 

12  18-27 

20  27-40 

152.  Le  grand  commandement. 

22  34-40 

12  28-34 

153.  Le  Christ,  Fils  et  Seigneur. 

22  41-46 

12  35-37 

20  41-44 

154.  Sur  les  scrihes  et  les  pharisiens. 

23    1-39 

12  38-40 

20  45-47 

155.  La  veuve  et  ses  deux  deniers. 

12  41-44 

21    l-r 

156.  Prophétie  sur  Jérusalem. 

24    1-51 

13    1-37 

21    5-28 

157.  Parabole  des  dix  vierges. 

25    1-13 

158.  Parabole  des  talents. 

25  14-30 

159.  Le  jugement  dernier. 

25  31-46 

160.  Des  Gentils  veulent  voir  Jésus. 

12  20-36 

^^  ^^  ^^   •        4M  ^^  "^       ^^  ■•  ■•  •  •  •  w^         w  ^0  mm  m  ^#  ••  w          w  ^^  •  K       ^  ^0  mm  %lm  •r  ■ 

161.  Réflexion  de  saint  Jean. 

•     •     •    •     • 

1  Ai    mmv      v\m 

12  36-50 

162.  Jésus  prédit  sa  mort  prochaine. 

26    1-2 

163.  Mercredi.  Conspiration  contre  Jé- 

sus. 

26    3-5 

14    1-  2 

22    1-2 

164.  Judas  s'engage  à  livrer  son  maître. 

26  14-16 

14  10-11 

22    3-6 

Quatrième  Fèqne. 


165. 
166. 
167. 
168. 
169. 
170. 
171. 
172. 

173. 
714. 


Jeudi.  Gène  légale. 

Le  Sauveur  lave  les  pieds  des^apôtres 

Institution  de  TEucharistie. 

Quel  sera  le  traître? 

Notre  Seigneur  l'indique  à  Pierre. 

Prétention  et  débat  des  apôtres. 

Commandement  nouveau. 

Fuite  des  apôtres  et  reniement  de 

Pierre  prédits. 
Discours  après  la  Gène. 
Prière  solennelle  dlu  Sauveur. 


26  17-20 

14  17-25 

22  14-18 

26  26-28 
26  21-25 

14  22-24 
14  18-21 

22  19-20 
22  21-23 

22  24-30 

26  31-35 

14  27-31 

22  31-33 

13    1-20 

13  21-22 
13  23-30 

13  31-35 

13  36-38 

14  16 
17 


175. 'Jardin  des  Oliviers. 

176.  Prière  et  agonie  du  Sauveur. 


2«   PASSION. 

26  36 
26  37-46 


14  32 
14  32-42 


22  39-40 
22  41-46 


18    1 


688 


9Ji, 


JEStS-CHRIST  SELON  L  EVANGILE. 


s.  Matth. 

s.  M&rc. 

S.  Lac. 

s.  Jean. 

177.  Arrestation  do  Saavenr. 

178.  Il  est  conduit  devant  Anne. 

26  47-56 

14  33-52 

22  47-53 

18  2-12 
18  13-14 

179.  Et  aussitôt  après,  devant  Caîphe. 

180.  Il  est  interrogé  et  souffleté. 

181.  Faux  témoins. 

182.  Il  se  dit  fils  de  Dieu  et  est  con- 

damné. 

183.  Reniement  et  repentir  de  S.  Pierre. 

184.  Outrages  faits  au  Sauveur  durant 

la  nuit. 

26  57-58 

14  53-54 

22  54 

18  13-16 
18  19-23 

26  60-62 

26  63-68 
26  69-75 

14  55-61 

14  61-65 
14  66-72 

22  55-62 

22  63-65 

22  66-71 

23  1 

23    2-5 
23    6-12 
23  13-25 

18  25-27 

185.  Vendredi.  Sanhédrin. 

186.  Jésus  amené  à  Pilate. 

187.  Mort  de  Judas. 

188.  Jésus  devant  Pilate. 

189.  Jésus  devant  Hérode. 

27    1 
27    2 
27    3-10 
27  11-14 

15    1 
15    1 

15    2-5 

18  28 
18  29-38 

190.  Barrabas  préféré  à  Jésus. 

191.  Flagelkition  et  couronnement  d'é- 

pines. 

192.  Ecce  homo. 

27  15-26 
27  26-31 

15    6-15 
15  15-20 

18  39-40 

19  1-3 
19    4-8 

193.  Nouvel  interrogatoire  de  Pilate. 

194.  Condamnation  du  Sauveur. 

195.  Simon  de  Gyrëne. 

196.  Saintes  femmes. 

(9  12 

27  26 

27  32 

15  15 
15  21 

23  23 
23  25 
23  27-31 
23  33 

19  13-16 

197.  Crucifiement. 

198.  La  mère  de  Jésus. 

27  32-38 

.  •  .  •  . 
15  22-28 

19  17-24 
19  25-27 

199.  Insulteirau  Sauveur. 
200    Le  bon  larron. 

27  39-44 

15  29-32 

23  25-39 
23  40-43 
23  46 
23  44-45 
23  47-49 

201.  Dernier  soupir  du  Sauveur. 

202.  Ténèbres  et  autres  prodiges. 

203.  Centurion  et  autres  spectateurs. 

204.  Le  côté  ouvert. 

27  50 
27  45-53 
27  54-56 

15  37 
15  33-38 
15  39-41 

19  28-30 
19  31-37 

205.  Sépulture. 

206.  Garde  du  Sépulcre. 

207.  Les  saintes  femmes  achètent  des 

aromates. 

27  57-61 
27  62-66 

15  42-47 

23  50-55 
23  56 

19  38-42 

208.  Samedi,  Repos  ;  achats  d'aromates 
le  soir. 

16    1 

3«   GLORIFICATION. 


209.  Dimanche.  Résurrection.  Saintes 

femmes  au  tombeau. 

210.  Apparition  d'anges. 

211.  Pierre  et  Jean  au  sépulcre. 

212.  Jésus  apparaît  à  Madeleine. 

213.  Il  apparaît  aux  saintes  femmes. 


28    1-2 
28    2-7 

16    2-4 
16    5-7 

21    1-2 
24    4-8 
24  12 

28    8-10 

16    9-iO 

20    1 

20    3-10 
20  li-18 


CONCORDE  DES  EVANGILES. 


689 


214.  Les  gardes  et  les  princes  des  prê- 

tres. 

215.  Apparition  à  Pierre. 

216.  Apparition  d'Emroaûs. 

217.  Apparition  aux  dix  apôtres. 

218.  Apparition  à  Thomas  et  aux  dix 

autres. 

219.  Apparition  du  lac  de  Tibériade. 

220.  Apparition  sur  une  montagne  de 

Galilée. 

221.  Apparition  k  Jérusalem;  dernières 

paroles  de  Jésus. 

222.  Ascension. 

223.  Travaux  des  apôtres. 

224.  Epilogue. 


s.  Matth. 


28  11-15 


.  .  .  •  • 


28  16-20 


s.  Maro. 


16  12-13 


16  14-18 
16  19 
16  20 


S.  Lao. 


24  35 
24  13-35 
24  36-43 


24  44-50 
24  51-53 


S.  Jean. 


20  19-23 

20  24-29 

21  1-24 


20  30-31 

21  24-25 


PIN. 


39 


TABLE  DU  Iir  VOLUME  ' 


INTRODUCTION  AU  NOUVEAU  TESTAMENT. 

....  , 

CHAPITRE  I.  —  Du  Nouveau  Testament  en  général  ...  1 

Parties  dont  il  se  compose 3 

Texte  original  ....••...••....  iO 

CH4P1TRB  II.  —  Des  systèmes  rationalistes  par  rapport  au 

Nouveau  Testament ^    •    •    •  32 

Exposition    ...••.; 32 

Réfutation    ;    ...    ; 46 

CHAPITRÉ  lïl.  —  De  V étude  du  Nouveau  Testament  ...  80 

Importance  et  méthode 80 

Commentaires  et  versions 87 


•     JÉSUS-CHRIST  SELON  L'ÉYANGILE 

PRÉLIMINAIRES. 

1*  De  TEvangile  en  général  et  de  Tétude  qu'il  faut  en  faire  .  107 

Titres,  ordre,  division  des  évangiles \01 

Autorité  de  l'histoire  évangélique 115 

Chronologie  et  géographie 120 

Beauté  des  évangiles  .     •    .'    • 128 

2®  Des  évangiles  en  particulier 133 

S.Matthieu ; 133 

S.  !Marc ;    .     .    . 146 

S.  Luc  :....;:.:.  : 155 

s.  ^ean   .     .    •     i 164 

1  Comme  nousADQODçons  farement  nos  dlTlnont  dans  le  coun  de  ce  Tolome,  nous 
prions  qu'on  en  touille  bien  prendre  connaissance  à  Tavance,  en  consultant  cette  table. 


692  TABLE  DES  MATIÈRES. 

PREMIERE  PARTIE. 

DK  l'iKGAAHATIOH  du  YBRBB  a  la  PBÉDIGATIOH  DB  L*iyAH6ILI. 

CHAPITRE  I.  —  Venue  du  FiU  de  Dieu  dans  le  monde.    .    .  187 

Art.  I.  —  Attente  du  Messie 187 

Art.  II.  —  Origine  divine  du  Messie 192 

Art.  III.  —  C!onoeption  du  Précurseur 203 

Art.  IV.  —  Annonciation  de  la  Vierge  . 205 

Art.  V.  —  Visitation 214 

Art.  VI.  ^  Naissance  de  saint  Jean-Baptiste 218 

Art.  VII.  —  Retour  de  la  sainte  Vierge  à  Nazareth  ...  219 

CHAPITRE  U.  —  Enfance  et  première  jeunesse  de  Notre 

Seigneur .»  226 

Art.  I.  —  Naissance  de  Notre  Seigneur.    .,,..•  226 

Art.  II.  —  Grénéalogies 230 

Art.  III.  —  Adoration  des  Mages. 239 

Art.  IV.  —  Présentation  au  temple 244 

Art.  V.  —  Fuite  en  Egypte  et  retour 247 

Art.  VI.  —  Jésus-Christ  parmi  les  docteurs    .    •    •    .    •  249 

CHAPITRE  III.  —  Préparation  prochaine  à  la  prédication 

de  l'Evangile 252 

Art.  I.  —  Prédication  de  saint  Jean-Baptiste 252 

Art.  II.  —  Baptême  de  Notre  Seigneur 256 

Art.  III.  -*-  Notre  Seigneur  au  désert 258 

DEUXIÈME  PARTIE. 

PRÉDICATIOH    DB    l'ÉVANGILB. 

CHAPITRE  I.  —  Faits  de  cette  période 26i 

Art.  I.  —  Fais  naturels,     l 261 

§  I.  Saint  Jean-Baptiste  .     .' 270 

§  II.  Les  [apôtres    ...     1 276 

§  III.  Saint  Pierre  .  , :     .    .     .     .  288 

§  IV.  Nicodôme .     •     1 ;    .     •     .     .  293 

§  V.  Sainte  liîadeleine J     .     ,     .    •  299 

§  VI.  Les  paients  de  Notre  âeigneur 302 

§  VII.  La  samaritaine  et  la  femme  adultère  •     .    •    «    •  308 


TABLE  DES  MATIÈRES.  693 

§  VIII.  Les  profanateurs  du  temple 316 

§  IX.  Les  Hérodes  et  les  hérodiens 317 

§  X.  Les  saducéens 319 

§  XI.  Les  pharisiens ^ 320 

Art.  II.  —  Faits  surnaturels 326 

§r.  Délivrance  ^es  possédés 328 

§  1^.  Miracles  proprement  dits 335 

1 .  Miracles  sur  la  nature .     •     .     . 337 

2.  Guérisons 352 

•  •     •     » 

3.  Résurrections 359 

§  III.  Prophéties 368 

i .  prophéties  du  Sauveur  en  général 368 

^.  Prophéties  sur  Jérusalem  .     .     • 373 

3.  Prophéties  sur  la  fin  du  monde 394 

CHAPITRE  II.  —  Doctrine  de  Notre  Seigneur 400 

Art.  I.  —  Paraboles.     .     .     i 400 

§  I.  Paraboles  prophétiques 405 

§  II.  Paraboles  prophétiques  et  morales 408 

§  III.  Paraboles  purement  morales 414 

Questions  sur  les  paraboles  en  général 422 

Art.  n. — Discours.     .•••.., 426 

§  I.  Discours  des  synoptiques 428 

1*  Sermon  sur  la  montagne 428 

2*^  Discours  aux  apôtres  sur  leur  vocation 442 

3®  Mariage  et  divorce 453 

4*  Péché  contre  le  Saint-Esprit 457 

5<»  Sur  le  jeûne 458 

6<^  Sur  le  jugement 459 

§  II.  Discours  de  Saint  Jean 462 

P  Après  le  miracle  do  la  piscine  probatique  ....  462 

2*  Promesse  de  TEuchàristie 463 

3®  Discussion  avec  les  Juifs  sur  sa  divinité  ....  476 

4^  Autre  discussion  sur  le  même  sujet 480 

5®  Discours  après  là  Gène 483 

Questions  sur  les  instructions  du  Sauveur^  en  général  503 


694  TABLE  DES  MATIÈRES. 

TROISIÈME  PARTIE. 

01  Là  PA8BI0K  A  L*ASCftirSION  DE  ITOTU  SII6HSU1. 

CHAPITRE  I.  —  Passion  de  Notre  Seigneur 517 

Art.  !• — Préludes  de  la  Passion 519 

§  I.  Conspiration  contre  le  Sauveur 519 

§  II.  Repas  à  Bétbanie. 521 

§  m.  Entrée  du  Sauveur  à  Jérusalem 524 

§  IV.  Célébration  de  la  Pàque 528 

§  V.  Institution  de  VEucbaristie 538 

Art.  II.  —  Souffrances  de  Notre  Seigneur 550 

§  I.  Son  agonie 551 

§  II.  Son  arrestation 553 

§  m.  Notre  Seigneur  devant  Gaîpbe 557 

§  IV.  Mort  de  Judas 562 

§  V.  Notre  Seigneur  devant  Pilate.  Sa  condamnation .    .  565 

Art.  III.  —  Mort  et  sépulture  de  Notre  Seigneur ....  573 

§  I.  Son  crucifiement •  573 

§  II.  Ses  derniers  moments 578 

§  III.  Prodiges  arrivés  à  sa  mort 587 

§  IV.  Sa  sépulture « 592 

CHAPITRE  II. — Eésurrectionet  apparition  de  Notre  Seigneur  600 

§  I.  Circonstances  de  la  résurrection  .    • 600 

§  II.  Apparition  du  Sauveur  ressuscité 609 

§  III.  Investiture  de  Saint  Pierre 616 

§  IV.  Dernière  mission  des  apôtres 625 

§  V.  Ascension  de  Notre  Seigneur 634 

QUESTIONS  RÉTROSPECTIVES. 

§  I.  Sur  les  évangiles 640 

§  II.  Sur  Notre-Seigneur 656 

Histoire  de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ^  selon  les  quatre 

Evangiles.    •    • 683 

FIN   DU  TROISIÈME  VOLUME. 


TABLE  DES  GRAVURES 


Pag. 

1.  Manuscrits  du  Vatican  et  du  Sinal 21 

2.  Manuscrits  Alexandrin  et  de  S.  Ephrem •    .  22 

3.  Manuscrit  de  Cambridge  ou  de  Bèze 23 

4.  Scribe  antique * 30 

5.  Figure  de  Notre  Seigneur 107 

6.  Carte  de  la  Palestine 125 

7.  Les  quatre  évangiles 133 

8.  Symboles  des  quatre  évangiles 186 

9.  Médaille  d'Auguste  divinisé 187 

10.  Temple  de  Janus,  fermé  sous  Auguste 187 

11.  Monnaie  d'Hérode  l'Ancien 192 

12.  Auguste,  grand  Pontife,  et  autel  de  Lyon 226 

13.  Denier  d'Auguste 247 

14.  Tibère,  grand  Pontife 252 

15.  Monnaie  d'Hérode  Antipas 255 

16.  Tibère,  empereur 261 

17.  Mer  de  Galilée 265 

18.  Médaille  du  roi  Aretas 275 

19.  Temple  de  Garizim 312 

20.  Trîclinium  antique,  sans  tapis 337 

21.  Corbeilles,  symbole  eucharistique 347 

22.  Tibère  et  temple  que  Philippe  lui  avait  dédié 357 

23.  Vespasien  et  la  Judée  vaincue 373 

24.  Titus  et  la  Judée  soumise 381 

25.  Arcs  de  triomphe  de  Titus  et  de  Constantin    ..»•..  391 

26.  Bon  Pasteur  des  catacombes 400 

27.  Monnaie  du  règne  d'Archélaûs 410 

28.  Drachme  de  Néron .  422 

29.  Scène  des  persécutions 449 

30.  Sceau  de  deux  époux  chrétiens 455 

31.  Poisson  et  corbeille,  symbole  de  l'Eucharistie 463 

32.  Fruit  de  la  vigne 489 

33.  Sceau  des  premiers  siècles 494 

34.  Image  de  la  croix  aux  premiers  siècles  ........  517 


696  Table  des  gravures. 

Pag. 

35.  Triclinium,  avec  tapis  et  coussins 528 

36.  Sacrifice  eucharistique 543 

37.  Carte  de  Jérusalem 555 

38.  Médaille  de  Tibère  et  de  Philippe  le  tétrarque 569 

39.  Médaille  d'Hérode  Agrippa 560 

40.  Monnaie  de  Palestine  sous  Ponce  Pilate 572 

41.  Jonas  jeté  à  la  mer 573 

42.  Titre  de  la  croix 577 

43.  Médaille  des  Machabées  ;  la  ville  sainte 590 

44.  Jonas  rejeté  par  le  monstre  marin  :  résurrection 600 

45.  Piscis  assus 616 

46.  Anneau  et  sceau  des  catacombes 639 

47.  Sceau  des  catacombes 682 


nu  DU  TROtSIÈUE  VOLUME. 


BesaDçon.  —  Imprimerie  Oathenin-ChaUndre  fils  et  C'*. 


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HENRY  YIGÎTAUB