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Full text of "Manuel d'agriculture pour le laboureur, pour le propriétaire, et pour le gouvernement; contenant les vrais & seuls moyens de faire prospérer l'agriculture, tant en France que dans tous les autres etats où l'on cultive"

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http://www.archive.org/details/manueldagricultu00lasa 


M A. N° U Æ L 


D'AGRICULTURE. 


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N 


MANUEL 
D’AGRICULTURE 


POUR LE LABOUREUR, 


POUR LE PROPRIÉTAIRE, 
ET 
POUR LE GOUVERNEMENT: . 


CONTENANT 
Les vrais &feuls moyens de faire profpérer 
l'Agriculture ,tanten France que dans 
tous les autres Etats où l’on cultive ; 
APUE,)C 
La Réfutation de la Nouvelle Méthode 
de M. Thull, 


Par M. DE LA SALLE DE L'ÉTANG, Seigneur 
de Muyr, Tinqueux, &c. ancien Député 
de la Ville de Kheïms à Paris. 


AT P'A RES, 


Lotrin l’Aîné, Libraire & Imprimeur, 
Chez 9 rue S:. Jacques , au Coq. 
DESSAIN Junior , Libraire , Quai des 
Auguftins , à la Bonne-Foi. 
AREA IP ELEC PRES TIR EX PRRRIPTE VUE CS ; 
MD'C\C.L XI. Y. 
Avec Approbation, & Privilegs du Roi. 


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IDÉE SOMMAIRE 

:. DECE MANUEL 
D'AGRICULTURE: 

C N fe:propofe dans cet Ou- 


vrage de faire connoitre les 
vrais moyens, 8: même les feuls 
qu'on puifle mettré en œuvre 
“pour parvenir a. rendre, dans 
toute l’éténdue de notre Royau- 
me , l'Agriculture floriffante. 

Il ne dépendra que de notre 
Gouvernement de les faire-réuf- 
fr, fans mème qu'il lui en coure 
ifiens bon 5 : ol re 

Après y avoir donc fait ob- 

a 


. 


iÿÿ  IDÉE SOMMAIRE 


ferver que toute notre Agricul- 
ture eft entre les mains des gens 
de la Campagne; qu'ils compo- 
fent feuls en France le corps 
des Agriculteurs ; que ce n’eft 
qu'eux qu'il convient d'inftruire : 
& apres avoir détaillé routes les 
différentes façons dont ils tien- 
nent nos terres pour apprendre 
comment l'Agriculture s’y exer- 
ce, on préfente le tableau du dé- 
librement de nos Campagnes. 

On y voit d’une façon bien 
évidente que toutes nos terres 
en général, c’eft-à-dire tous nos 
corps de Ferme, ne rapportent 
ni la moitié, ni letiers , ni me- 
me le quart de ce qu'on devroit 
en tirer ; on y découvre que 


DE CE MANUEL ii 


tout ce défaftre provient des 
routines de nos Laboureurs, 
du défaut de prairies & de be- 
ftiaux , & qu'il eft encore occa- 
fionné par les charges & jim- 
pôts auxquels fe trouvent obli- 
gés nos gens de Campagne. 

Ce tableau eft tellement dans 
le vrai, que, n'étant pas pofble 
de le critiquer, il apprend com- 
ment on doit sy prendre pour 
bien faire l’eftimation de nos 
terres, & pour parvenir à en 
faire un cadaftre qui foic jufte & 
exact. 

Pour remédier à ces trois cau- 
fes du délâbrement de notre 
Agriculture , on propofe deux 
moyens bien fimples, qui auront 

a i 


iv  IDÉE SOMMAIRE 


certainement tout l’effet qu'on 
peut s’en promettre, quoiqu’au- 
cun de tous ceux qui, jufqu’à pré- 
fent ont écrit ou donné des Mé- 
moires pour la rétablir, n’en ait 
feulement pas fait la moindre 
mention. 

Démoñtrant dans le cinquié- 
me Article des Préliminarres, 
que la véritable Méthode de 
l'Agriculture eft contenue dans 
les Pratiques locales de chaque 
Canton, de chaque Terroir, &c. 
on s’en fert comme du premier 
moyen, le feul qu’on puilfle pro- 
pofer pour retirer nos Labou- 
reurs de leurs routines , & pour 
leur apprendre à bien cultiver ; 
elle remplit la première partie de 


DE CE MANUEL. v 


cet Ouvrage, intitulée : Manuel 
d'A griculiure pour le Laboureur : 
on y expofe fes principes , fes 
opérations, comment cette Mé- 
thode apprend les différentes fa- 
çons de les exécuter relativement 
à toutes les fortes de qualités de 
terreins qui {e rencontrent, & 
comment on doit s'y prendre 
pour les bien connoître, à Pefe 
de parvenir à leur donner à cha- 
cune les cultures qui peuvent 
leur convenir, en fe fervant de 
l'expérience dont cette même 
Méthode indique fi bien lufage 
& les eflets. 

On ne peut pas douter que 
cette Méthode qui eft ainfi tirée 
de toutes les Pratiques locales, 

a L1] 


vj IDÉE SOMMAIRE 


ne foit la feule dont on puifle 
fe fervir dans tous les pays du 
monde oùon cultive, puifqu'en 
employant autant d'opérations, 
il ne fe peut qu’elle ne s’accom- 
mode bien à tout terrein, de 
quelque qualité qu'il foit, & 
puifque les principes de l'Agri- 
culture ne peuvent qu'y être les 
mêmes. 

On ne peut pas douter en- 
core que cette admirable Mé- 
thode ne contrienne , fuivant l'ex- 
preffion d'Olivier de Serre » 
l'Antique facon de manier la ter- 
re, qui a tant de majeflé , & 
qu’elle ne foit la même qui a fi 
bien fervi à nos premiers Culri- 
vateurs, laquelle eft fi refpecta- 


DE CE MANUEL. vi 


ble que toute autre Méthode 
doit être rejettée; ce qui eft dé- 
veloppé de façon à faire reve- 
nir ceux quis’en fontécartés en 
donnant dans les rouveaux fyftè- 
mes d'Agriculture. 

Comme il ne fuñit pas de re- 
tirer nos Laboureurs de leurs 
routines pour donner une plei- 
ne profpérité a l'Agriculture, & 
comme il sagit encore qu'ils 
foient mis en état de bien exé- 
cuter, dans cette ancienne Mé- 
thode lopération de lengrais 
qu’il eft queftion de toujours re- 
nouveller & entretenir fur la 
cotalité de leurs corps de Ferme 
fi confidérables qu'ils puiflent 
ètre, pour les maintenir en par- 

a iv 


vi ÎDÉE SOMMAIRE 
faite valeur, ne pouvant y par- 
venir que par les prairies & les 
beftiaux, on fait voir que dans 
tous les Pays & Cantons où la 
Nature n’a point établi de prai- 
ries, ou n'en a pas établi aflez, 

n peut y fuppléer par des éta- 
bliffemens de prairies artificiel- 
les, dont on n'a pas manqué de 
fixer raifonnablement la quan- 
tité, pour ne pas faire tort aux 
jachères & à la pature des bêtes 
blanches. 

Voilà donc le fecond moyen 
qu'il faut employer. 

Or, tous nos Laboureurs n’é- 
tant que Fermiers & Locataires, 
& ces établiflemens de prairies 
artificielles ne pouvant concer- 


DE CE MANUEL. 1x 


ner que les Propriétaires, atten- 
du qu'il eft généralement de 
principe , que tout ce qui peut 
contribuer à l'amélioration d’un 
fond n'eft qu'à leur charge ; 
on établit dans la feconde Par- 
tie de cet Ouvrage, qu'ils ne peu- 
vent refufer leur concours avec 
leurs Fermiers pour faire ces for- 
res d'établiffemens, & que ce 
concours, qui eft de néceffité 
abfolue, établit une vérité qui 
confifte ex ce qu'on ne parvien= 
dra jamais en France, ni ailleurs, 
a rétablir parfaitement l'Agricul- 
ture que par les Propriétaires. 
ÀAïinf dans cette feconde Par- 
tie intitulée : Manuel d'Agricul- 
ture pour le Propriétaire, on 


x IDÉE SOMMAIRE 
apprend à celui-ci tout ce qu’il 
convient qu'il fafle pour bien 
s'acquitter de ces fortes d’établif- 
femens; commentil doit s’y pren- 
dre avec fon Fermier ; & on lui 
démontre que, fans fe donner 
la peine de faire valoir par lui- 
même, ne s’agiflant que de quel- 
ques déduétions dont iltiendroit 
compte à fon Fermier dans un 
premier bail feulement, il peut 
parvenir à doubler & mème tri- 
pler le revenu de fon corps de 
Ferme , fuivant le plus ou le 
moins de befoin qu’il aura d’è- 
tre réparé; ce qui eft mis dans 
tout fon jour dans le troifiéme 
Article des Préliminaires. 

Ces deux moyens bien exé- 


DE CE MANUEL. x; 


cuüités , ne pouvant manquer 
d'augmenter aufli confidérable- 
ment le revenu de nos terres, 
il s’enfuivra néceflairement que 
non-feulement les gens de la 
Campagne feront mis bien au- 
deffus de toutes leurs charges & 
impOts; mais encore que tous 
es Propriétaires s’acquitteront 
avec bien plus de facilité de 
ceux dont ils font aufli chargés 
de leur côté. 

Mais, comme ces deux moyens 
ne peuvent bien s'effectuer dans 
toute l’étendue du Royaume, 
qu'autant que le Gouvernement 
voudra bien y concourir, on 
expofe, dans la troifiéme Partie 
intitulée : Manuel d'Aoriculture 


xij IDÉE SOMMAIRE 


pour le Gouvernement, ce qu'it 
convient qu’il fafle. 

On verra que cela: fe réduit : 

1°. À faire diftribuer & ré- 
pandre dans toutes les Campa- 
gnes la Mérhode dont on a ainfi 
fait la découverte dans les Pra- 
tiques locales, pour inftruire 
tous nos Laboureurs. Le Gou- 
vernement doit d'autant plus s’y 
déterminer, que cette Merhode 
contient la véritable explica- 
tion de leurs Pratiques locales, 
dont ils ont toujours fait un fi 
mauvais ufage , faute d’inftru- 
“ions. 

2°. À donner un Arrêt qui au- 
torife les établiflemens de prai- 
ries artificielles, & qui ordonne 


DE CÉ MANUEL.  xiij 
même de les faire, pour les rai- 
{ons qui font détaillées dans ce 
même Manuel. 

Au moyen de ces deux expé- 
diens, l'Agriculture fe réparera 
infailliblement dans le Royau- 
me , &c il en réfultera'que, quand 
Pexportation fe trouvera établie 
fur des terres qui rapporteroient 
au double & au triple de ce qu’on 
en tiroit, lesrichefles nous vien- 
droient de toutes parts, & il 
n'y auroit même jamais à crain- 
dre aucune difette. 

Dans cet Ouvrage on réfute, 
a l'exception de celui des Prar- 
ries artificielles ,tous les Auteurs 
& Ecrivains Modernes fur l'A- 
griculture , parcequ'ils ont mé- 


xiv IDÉE SOMMAIRE 


connu nos Pratiques locales & 
la Méthode qui y eft contenue, 
parcequ’ils ont ignoré cette vé- 
rité qu'on vient de citer, concer- 
nant les Propriétaires , & parce. 
qu'ils n’ont pas réfléchi à l’uti- 
lité , l'avantage & même la né- 
ceflité des Jacheres | plufeurs 
d'eux n'ayant pas même enten- 
du cette inatière. 

On les réfute avec d'autant 
plus de raifon qu'ils font caufe 
que le Gouvernement, malgré 
toutes fes bonnes intentions, 
n’a pu rien faire encore pour le 
rétabliffement de l'Agriculture. 

On s'eft attaché plus particu- 
lièrement à réfuter la Merhode 


de M. Thull, parcequ'elle ren- 


DE CE MANUEL  xv 


verfe plus direétement nos Pra- 
tiques locales. 

On peut dire que, dans ce 
Manuel d'Agriculture tant pour 
le Laboureur, que pour le Pro- 
priétatre & le Gouvernement , il 
y a trois chofes à obferver , qui 
font très-intéreffantes. 

1°. La découverte de la véri- 
table Méthode de l'Agriculture, 
dans chacune de nos Pratiques 
locales, de laquelle il réfultera 
que déformais on ne s’avifera 
plus d'en propofer d’autres, ni 
d'annoncer, dans notre façon de 
cultiver, l'ufage d’un femoir qui 
n’eft réellement qu'une frivo- 
lité, & qu’on fçaura à quoi sen 
tenir. 


xvj IDÉE SOMMAIRE 
2°. La découverte de cetté 
vérité , qui concerne tous les 
Propriétaires de corps de Fer- 
me, & qui leur apprend qu'ils 
ne peuvent fe difpenfer de faire 
exécuter tout ce qui a rapport 
aux améliorations de leurs ter- 
res. ; 
3°. La feule façon dontil faut 
sy prendre pour bien connoître 
toutes les fortes de terreins, à 
l'effet de les cultiver comme il 
convient: 
Quoique tout ce qu'on a dit à 
ce fujet ne foit, pour ainh.dire, 
que l’'Alphabet de PAgricul- 
ture, cela n'empêche pas cepen- 
dant que: tous nos Auteurs & 
Ecrivains Modernes n’y aient 
pleinement 


ps CE MANUEL xvi 
pleinement échoué, lorfqw'ils en 
ont traité. Tant il eft vrai que, 
pour bien parler de l'Agricul- 
ture, il faut néceflairementavoir 
pratiqué pendant plufieurs an- 
nées. 

Enfin la nécefité , tant du 
concours du Propriétaire que 
de celui du Gouvernement, 
étant fi bien prouvé & démon- 
tré néceflaire pour parvenir au 
rétabliflement de notre Agri- 
culture, & leur étant parconfé- 
quent indifpenfable d’en avoir 
une idée jufte, & de s’en in- 
ftruire, on verra encore dans ce 
Manuel qu'il fembleroit à pro- 
pos de faire entrer dans l’édu- 
cation de la jeunefle , & même 


b 


xviij ÎIDÉE SOMMAIRE, &c. 
d'un Prince, ?Aporiculture qui 


apprend a cultiver la terre, puif- 
qu'on n'héfite pas d'y compren- 
dre la Géomëétrie qui n'apprend 
qua la mefurer. 

Tout ce qui eft contenu dans 
ces trois Manuels d'Agriculture, 
ne provient que des réflexions 
qu'une expérience de trente an- 
nées à fait faire à l'Auteur. 


LAS se SRE UT 


EXPLICATION DE L'ESTAMPE. 


L'Esrampe qui eft à la tête de 
‘cet Ouvrage, repréfente la Nouvelle 
Méthode d'Agriculeure fous la figure 
d'une femme faifant voir à un La- 
boureur qui féme fuivant l'ancienne 
Méthode , un femoir à charrue , pour 
lui faire entendre qu'il s'en tronve- 
roit beaucoup mieux s'il en faifoit 
ufage ; mais Triptoième qu'on ap- 
perçoit derrière lui, & qui eft re- 
préfenté comme le Génie de l’Agri- 
culture, l'en détourne, en lui difant : 
Ne.changes point de foc ; c'eft-à-dire ; 
Nete laifles pas féduire par les inven- 
tions nouvelles de cette femme. 

Triptolème , qui étoit fils de Cé- 
léus , Roi d'Éleufe & de Méhaline , 
avoit appris de Cérès l'Art de Culti- 
ver la Terre. 


Fe 


FAUTES 


Aifées à corriger à la plume: 


pase 7 L Igre 19 , par l’Agriculteur Z 


2: 


nr 


P: 


lifez par l'Agriculture. 
69 Ligne 13, opérations quoiqu'elle, 
lifez opérations. Quoiqu'elle. 

103 Ligne 14, de tel Canton que la 
terre, &c. lifez de tel Canton 
de la terre. 

141 Ligne 19 , pourroit, &c. lifez 
pouvoit. 

142 Ligne 3, ne pouvant être les mé- 
mes , &c.lfez ne pouvant être 
que les mêmes.  . 

240 Ligne 3 , fpâtures grafles , Afez 
graffes pâtures. 

324 Ligne 8, on, lifez ou. 

356 Ligne 13 & 14, conferver , &e: 

-  diféz concerner. 

368 Ligne 7, efpécés , /ifez efpacés. 

398 Ligre 12, quinetravaillent , Lez 
qu'on ne travaille. 

s25 Ligne2, occupé, liféz coupé. 


MANUEL 


CAE LAN Ù ET 
D'AGRICULTURE, 
POUR LE LABOUREUR, 
POUR EE PROPRIÉTAIRE, 
EE 
: POUR LE GOUVERNEMENT, 
deep ho ofesrote jee Geohs ef eds proper tue oo fs fe fe dote fes 2 
ans RE TIC BE S 
PRÉLIMINAIRE S3 
Servant d'Introduéion. 


SIRET PA RS OR sm 


ARTICLE PREMIER. 
De la pofition de notre Agriculture 


À Oures les térres tant en France 
qu'ailleurs appartiennent au Clergé, 
à la Noblefle & aux Habitans des 
Villes, 

| A 


2 ANR DALLCIINE 


Quoique ces trois Ordres en foient 
totalement propriétaires, cependant’ 
elles fe trouvent entièrement entre 
les mains des gens de la Campagne, 
kur étant cédées par des Baux de 
fix ou neufans , pour les cultiver & 
en payer la Location. ä 

Aujourd'hui, en vertu d'un Arrêt 
du Confeil du 8 Avril 1762, on a 
droit de les prolonger jufqu'à vingt- 
fept ans; par la fuite il fera queftion 
de cet Arrèt, & des grands avantages 
qu'il peut procurer. | 

Au moyen de ces Baux, il eft fi 
peu en ufage de faire valoir par foi- 
mème, fur-tout en France , qu'il n'y 
a prefque point de Propriétaires qui 
fe trouvent dans ce cas. 

Comment le Clergé pourroit-il 
s'en charger , puifque cette occu- 
pation n’eft nullement compatible 
avec fon état ? La Nobleffe eft toute 


PRÉLIMINAIRES, 3 


dévouée au parti des Armes ; &; 
parmi les Habitans des Villes, quit 
oferoit s’expofer aux impoftions de 
Tailles, de Corvées , de Milices, 
&c ? 

Cependant , pour l'avantage de 
l'Agriculture, ne pourroit-on pas en 
exempter ceux qui prendroient le 
parti de fe retirer à la Campagne, 
pour faire valoir par eux - mêmes 
leurs propres Domaines? 

IL s'agiroit d'une taxe d'Office 
pour toute impoftion qui feroit 
proportionnée à la valeur de ce qu'ils 
feroient valoir ; étant jufte & na- 
turel que des Propriétaires jouiffent 
de quelques priviléges ; ce qui ne 
feroit aucun tort au Gouvernement; 
les gens de la campagne ne s’en 
plaindroient même pas, un Proprié- 
taire méritant d’être diftingué d'un 
Fermier , d’un Locataire. 

Ai 


4 ARTICLES 


On doit donc regarder aëêtuelle- 
ment en France les gens de la Cam- 
pagne , comme compofant feuls le 
corps des Agriculteurs ; & ce corps 
des Agriculteurs n'eft donc compofé 
que de Fermiers & de Locataires. 

Qui croiroit que c’eft ce qui a 
attaché aufli injuftement l'idée de 
mépris & même d'ignominie àl’Agri- 
culture, & que c’eft ce qui eft caufe 
qu'on la regarde comme un art im- 
parfait, qui auroit befoin d’être ré- 
formé par de nouvelles méthodes ? 
Ce qui fait bien voir , qu'en général 
on ne juge des profeflions , & même 
d'un art fi noble qu'il puiffe être par 
lui-même, que par les qualités des 
perfonnes qui les exercent & qui 
les pratiquent. 

Pourquoi à la Chine , l’Agricul- 
ture eft-elle fi honorée & fi ref- 
peétée? C'eft que l'Empereur ne 


PRÉLIMINAIRES. ÿ 


dédaïgne pas de tenir lui-même la 
queue de la charue. 

Étant d'une fi grande importance 
d’obferver la pofition de notre Agri- 
culture, on n'a pas héfité d’en faire 
un Article particulier. 

Si l'Apologifte de M. Thull, y 
avoit fait attention , il ne fe feroit 
aflurement point donné la peine de 
publier & d'annoncer fa nouvelle 
méthode, qui ne peut plaire qu’à 
quelques Amateurs de l'Agriculture 


fans expérience. 
L'Eflai de M. Patullo fur l’amé- 


lioration des terres , qu’on peut en- 
core regarder comme une nouvelle 
méthode , fera-t-1l jamais la moindre 
impreflion fur le corps de nos Agri- 
culteurs ? 

Il faut donc favoir pour qui on 
doit écrire ; & ,fi on veut rétablir 
notre Agriculture , 1 faut n’avoir en 

A ii 


6 ARTICLES 


vue que les gens de la Campagne, 
ne s’agiflant pas de ces amateurs qui 
n'y font pour rien , & qui donneront 
toujours dans les nouvelles métho- 
des & dans les nouveaux fyftèmes. 


AREPCEE"TE 


Des differentes façons dont nos terres font 


cenues par les Gens de la Campagite. 


À Oures nos terres labourables 
font généralement tenues en détail, 
ou en corps de Ferme. 

Elles font louées en détail , quand 
elles font louées par Piéce, par Ar- 
pent, ou par demi-Arpent. 

Il y a dans le Royaume quelques 
bons cantons qui font loués de cette 
façon , quoiqu'il s'y trouve des Pro. 
priétaires qui , ayant des Domaines 
confidérables , pourroient donner à 
corps de Ferme. 


PRÉLIMINAIRES. 7 


Les Baux de ces fortes de laca- 
tions qui font ordinairement de cinq 
à fix ans, plus ou moins, fuppofent 
des terres de la meilleure qualité. 

Dans les cantons où cet ufage eft 
établi, les terres ne fe cultivant qu'a 
la bêche & non à la charue , un père 
de famille n’en prend qu’autant qu'il 
peut en cultiver ; fuivant le nombre 
de fes enfans capables de travailler. 

On peut dire que les terres qui 
{ont ainfi louées , font mieux culti- 
vées que celles qui le font à la cha- 
rue, parce qu'à la bêche elles font 
plus facilement fouillées , renou- 
vellées & retournées. 

Auf rendent-elles toutes fortes 
de produétions , comme froment & 
tout autre grain employé par l'Agrs- 
culteur, même juiqu’à des légumes 
de toute efpéce ; en un mot , avec 
un peu d'engrais bien exaétement 

A 1v 


8 ARTIÉLES 


renouvellés, on les met en état de 
rapporter tout ce qui peut faire le 
plus de produit, 

On conçoit qu'en ne faifant valoir 
a la bêèche qu'environ deux à trois 
arpens au plus, il n’eft pas ordinai- 
rement queftion de jachères, yayant 
bien plus de facilité à exécuter, foit 
le renouvellement de l'engrais, foit 
le renouvellement de terrein. 

C'eft dans cette forte de culture 
qu'on peut mieux faire ufage des 
engrais de toute efpéce, comme des 
cendres, des boues, de la fuye, &c, 
parce qu'il en faut peu; & fi, avec ce 
fecours, on a une vache ou deux, 
on fe trouve en état de faire tous 
les ans, les amandemens convena- 
bles & nécefiures ; ce n'eft même 
que dans cette forte de culture à Îa 
bêche, qu'il convient de faire ufage 
des engrais aruficiels, 


PRÉLIMINAIRES. 9 


En affermant ainf les terres par 
piéce, ou par arpent , la location en 
eft bien plus avantageufe pour les 
Propriétaires ; puifque cette forte de 
culture fe rapporte aflez à celle des 
Jardins, 

Ce feroit vraiment le moyen de 
mieux faire valoir toutes nos terres, 
fi on pouvoit ne les cultiver qu'a la 
bèche ; mais cette façon de culture, 
exigeant trop de bras, elles refte- 
roient incultes prefque toutes. 

C'eft pourquoi l’'ufage le plus gé- 
néral eft de les louer pour être cul- 
tivées à la charue ; pour lors elles 
forment le grand objet de l’Agricul- 
ture ; à la différence des autres qui 
n'étant cultivées qu’à la bêche , tom- 
bent plutôt dans la partie de l’Apri- 
culture qui concerne les jardins. 

Les terres qui font cultivées à la 
charue , font au-contraire tenues en 


10 ARITEGLES 


corps de Ferme , qui ont plus ou 
moins de contenance. 

Il y en a de trois à quatre-cents 
arpens ; il y en a même qui en con- 
tiennent davantage , & 1l s’en trouve 
qui n'en ont qu'une vingtaine au 
plus; en un mot, toutes les terres qui 
fe cultivent à la charue, font cenfées 
être tenues en corps de Ferme. 

Leur contenance eft généralement 
diftinguée par charues. 

En fuppofant que les terres d’un 
corps de Ferme foient partagées & 
divifées par tiers, c’eft-à-dire , par 
les trois foles des bleds , des mars, 
& des jachères, la contenance d'une 
charue eft ordinairement d'environ 
foixante & quinze à cent arpens au 


total. 
Elle eft de 7$ au plus dans les 


pays & cantons où les terres font 
fortes & pefantes, & de 100 


PRÉLIMINAIRES. ri 


ou environ dans ceux où les terres 
font légères : ainfi, quand les corps 
de Ferme font de la contenance du 
double ou du triple d’arpens qu’on 
vient d’énoncer, ils font reputés être 
de deux ou trois charues. 

Lorfque les terres n’ont pas la 
contenance néceflaire pour former 
une charue , elles font louées à des 
Fermiers qui n’en ont pas fufifim- 
ment pour s'occuper. 

Les corps de Ferme de deux , de 
trois & même d’une feule charue , 
ne font point fans être accompagnés 
d'une maifon pour l’établiffement 
d’un Fermier. 

Ces maïfons doivent contenir 
tout ce qui eft néceflaire pour l’ex- 
ploitation de la Ferme, comme 
Cour, Grange, Ecuries , Etables, 
Bergeries , &c. avec un Corps de 
logis pour l'habitation du Fermier; 


12 ART TION LES 


lequel doit encore contenir toutes 
les commodités qui lui font nécef- 
faires pour pouvoir bien faire va- 
loir. 

Les terres qui n’ont pas une con- 
tenance fufifante pour compofer 
une charue , peuvent être fans mai- 
fon , parceque l'entretien diminue- 
roit beaucoup le produit de la Fer- 
me. 

Les corps de Ferme qui n’ont 
point de jachères , exigent environ 
la même contenance pour compo- 
fer une charue. Li 

Les charues font chacune géné. 
ralement de deux ou troischevaux, 
felon que les terres font plus ou 
moins fortes; & quand elles le font 
davantage , elles font chacune de 
quatre ou fix chevaux : pour lors on 
employe plus volontiers les bœufs 
dont l'attelage eft de quatre ou de fix. 


PRÉLIMINAIRES. 12 


Il faut fçavoir que dans les corps 
de Ferme de 4à $o0 arpens , & mê- 
me plus, qui ne fe trouvent ordinai- 
rement avec des contenances auff 
confidérables que dans des pays de 
terres légères, comme en Champa- 
gne , & même ailleurs ; on admet 
dans une même Ferme deux fortes 
de cultures, qui font la grande & la 
petite ; quelquefois celle-ci a plus 
de contenance que l’autre. 

Ces deux cultures peuvent avoir 
lieu dans un même corps de Ferme, 
pour mieux parvenir à en tirer parti. 

Les terres qui font à la grande 
culture , font celles qui font enfe- 
mencées en grains d'Hyver & en 
grains de Mars; au lieu que pour 
celles qui font à la petite culture , il 
n’eft quéftion , tous les ans , que de 
grains de Mars, & que de les enfe- 
mencer au Printems. 


IHM BARTÉICÉES 


Cette diftribution ne peut-être 
qu'avantageufe dans un corps de 
Ferme qui feroit trop confidérable ; 
puifque, par fon moyen, on peut ref- 
treindre la grande culture pour la 
mieux cultiver, & pour pouvoir 
mieux exécuter les renouvellemens 
d'engrais & de terrein, dont on par- 
lera dans la fuite. 

Cette diftribution peut d'autant 
mieux fe faire qu'avant qu'il foit 
quéflion de la grande culture qui 
ne commence qu'au printems, on eft 
en état pendant l'hyver (quand il ne 
géle point) de faire les labours 
pour les Mars. Les pluies même ne 
leur font point contraires dans les 
terres feches & légères, parce qu'el- 


les ne font pas fujettes à fe gazon- 
ner. 


D'ailleurs les femences de grains 
de Mars fe fuccédent les unes aux 


PRÉLIMINAIRES. 1$ 


autres ; d’abord les Avoines, depuis 
Février jufqu’a la moitié du mois 
d'Avril ; enfuite les Orges , jufques 
dans tout le courant de Mai ; après 
les Sarrafins , depuis la S. Jean juf- 
qu'a la fin de Juillet. 

Ainfi un Laboureur entendu, 
qui a beaucoup de terres à faire va- 
loir dans fon corps de Ferme , indé- 
pendamment de ce qu'il jugera pou- 
voir ètre en grande culture , peut 
très-bien s'arranger pour avoir en- 
gore une petite culture qui ne l’oc- 
cuperoi que pendant l'hyver , & 
qui lui rapporteroit tousles ans beau- 
coup de grains de Mars, indépen- 
damment de ceux qu'il tireroit de fa 
grande culture. 


N2 
2 


t6 ARMTÉCLES 


AR Tel EC RUE. IE 


Du Délabrement de l'Agriculture 
cr Frances 


À L'EXCEÉPTION des environs de 
Paris, & de quelquespays & cantons 
où la Nature a établi des Prairies, 
pour nourrir des Beftiaux, toutes 
nos terres en général , priles enfem- 
ble l'une dans l’autre , ne produifent 
pas annuellement , n1 la moitié, ni le 
tiers, ni le quart de ce qu'on pour- 
roit en tirer; 1l y en a même qui 
ne rapportent plus rien, quoique la- 
bourées & cultivées tousles ans 

Quoique cela paroifle exagéré, 
quoique cela n'ait pas encore été 
avancé; cependant il eft facile de le 
faire concevoir , & même de le dé- 
montrer, 


Au 


PRÉLIMINAIRES. 17 


Au moyen de quelques obferva- 
tions on y parviendra. 

I°. L’eftimation générale du pro- 
duit auel de nos Terres dans l'in- 
térieur du Royaume ne va tout au 
plus , année commune , qu'à cinq 
pour un. 

Un arpent qui aura été enfemen- 
cé avec un feptier de froment ou de 
fégle, n’en rapporte que cinq; on 
fuppofe que celui de froment eft du 
poids de 160 livres. 

Aïnfi, dans un corps de ferme de 
300 arpens, qui fera partagé dans'les 
trois foles ordinaires, celle des bleds 
de 100 arpens, par an , qui aura été 
énfémencée avéc 100 feptiers, n’en 
rapporte qu'environ $O0. 

“Il en eft de même à proportion 
de 14 Contenance de tous les autres 
Corps de fermé qui né rapportent 
qu'à raifon de cinq pour un. 


B 


18 A ETICLES 


Bien-loin que cette eftimation gé- 
nérale puifle être conteftée , nos 
Laboureurs la trouveront même trop 
forte ; en tout cas, elle n’en fervira 
que mieux à faire voir qu'on n'a 
point exagéré le mauvais état de 
nos Terres. 

I°. Dans ces cinq pour un, qui 
font tout leur produit annuel , il faut 
néceflairement en prélever quatre 
pour l'acquit des frais de geftion , 
charges & impôts, & 1l n'en peut 
refter que le cinquiéme de produit 
net , pour payer le Propriétaire ; 
& voici comment. | 

Dans ce corps de Ferme de 300ar- 
pens, dont la fole des bleds, montant 
tous les ans à 100 arpens, ne rappor- 
te, année commune, que $O0 fep- 
tiers , à raifon de $ pour 1:1l s'agit 
1°. de 100 feptiers pour la femence ; 
2°. de 109 feptiers pour les frais de 


PRÉLIMINAIRES. 19 
fciage , de battage , dé fauchäge ; 
de noutriture de Moiflonneurs , & 
de payémens de geris de journée; 
3°. de 100 autres feptiers ; pour la 
tubüftance du ménage, pour lé payé- 
ment des gages dé Domeftiques, 
du Berger & du Paftré, pour payet 
le molage du grain qu'on mangé ; 
& l'achat du fei qui fait uñe forte 
dépenfe ; 4% indépendariment du 
déchet qui furvient toujours au bled. 
depuis qu'il eft forti de la grangè, qui 
eft même aflez confidérable , quoi- 
quonny fafle pas attention, il faut 
encore 100 ieptiers pour päyer le 
Gharron , le Maréchal ; le Bourre 
lier , & pour acquitter les impôts de 
Tailles, Cäpitation, Uftenifiles, Cot- 
vées, &c: 

Soit qu'il foit queftion de récoltes 
de froment ou de fégle ; c'eft tou- 
jours la même dépenfe à proportion. 

Bi} 


20 GR TT CÉLTES 


En joignant à tous ces articles le 
dépériflement des Chevaux & de 
tout ce qui fert à l'exploitation de 
la Ferme , en y joignant encore les 
frais de Communautés , comme de 
Milice , de réparation de Presbytère, 
de Nef, de droits Seigneuriaux, qui 
font quelquefois afez confidérables, 
&c. on voit que ces 400 feptiers 
font fi bien employés, qu'il ne peut 
refter de ce corps de Ferme, qu’en- 
viron 100 feptiers de produit net ; 
& c'’eft encore beaucoup. 

Il convient d'ajouter que la fole 
des Mars ne doit point être comptée 
dans ce qui fait le revenu d’un corps 
de Ferme. 

Comme elle eft toujours deftinée 
pour la nourrirure des Beftiaux & des 
Chevaux qui fervent à l’exploita- 
tion, on ne peut y rien prendre, n'y 
ayant que la fole des bleds qui puifle 


PRÉLIMINAIRES. 21 


fervir à payer le Propriétaire ; en- 
core faut-il que le Fermier facrifie 
ce que peut Îüi rapporter fa petite 
bafle-cour. 

Ce détail doit frapper le Gou ver- 
nement , & mérite {a plus grande 
attention , découvrant auf poñti- 
-vement la misère des Campagnes 
-de tout le Royaume. 

Ï doit faire le même effet fur tous 
les Propriétaires , & leur ouvrir les 
yeux fur la fituation de leur corps 
de Ferme ; il doit même leur ap- 
-prendre à les-iouer à un prix plus 
sodéré que: celui qu'ils: exigent. 
On verra tout cela dans le Manuel 
qui eft pour eux, & qui compofe la 
feconde Partie de cet Ouvrage ; mais 
il faut faire attention qu'il n'eft 
queftion dans cet Article , que des 
Terres qui font fans Prairies , ou qui 
n'en ont pas aflez , & qui ne rap- 

Bu 


22 ARTICLES 


portemt que cinq pour un, & même 
au-deflous. 

Quoique nos Terres foient géné- 
xalement bonnes en France , encore 
-peut-on dire au’il y en a beaucoup 
moins de celles-ci, que d’autres. 

Si on veut donc parvenir à faire 
un cadaftre général de toutes nos 
Terres labourables , bonnes , médio- 
cres & mauvaifes, dans toute l’éten- 
due du Royaume , il ne fera réputé 
juite & exaét qu’autant qu'on aura 
fait attention au détail qu'on vient 
de donner, qui apprend ce qu'il con- 
vient de prélever ; avant que de 
fixer leur véritable eftimation, an- 
née commune. 

UT°, En fuppofant que nos Terres 
rendiffent au-delà de cinq pour un, 
& même moins , quand les 100 ar- 
pens du corps de Ferme qu'on vient 
de citer , rendroient jufqu’à 800 fep- 


PEÉLIM ÉNAIRES. 273 


tiers, ou n'en rendroient feulément | 
que 300, ce font toujours a peu 
près les mèmes frais & les mêmes 
charges & impôts qu'on vient de dé- 
tailler. 


V°. Enfin (pour quatriéme & 
dernière Oblervation ) pour peu 


qu'on ait d'expérience dans l'Agri- 
culture, on conviendra qu'un arpent 
qui ne rapporte que: cinq pour un ; 
dans fon produit ordinaire , peuf 
rendre , année commune , x, fept & 
même huit pour un, en lui donnant 
la culture qui lui convient ; & que 
100 arpens, qui font mis en pleine 
valeur, peuvent rapporter , au lieu 
de 500 feptiers, jufqu'a fix, fept & 
même huit cents, 

Au moyen de ces quatre Ghfer- 
vations incontéftables , on doit voir 
préfentement que le délabrement 
de nos Terres eft tellement dans le 

B iv 


4 ÉR EI CLES 


vrai, que le revenu, c'eft-à-dire le 
produit net peut en ètre doublé , tri- 
plé , quadruplé & pouflé même au- 
delà, puifque 100 arpens , qui ne 
rapportent que 500 feptiers, à rai- 
fon de cinq pour un, & dont il ne 
refte , tous frais faits, que 100 fep- 
tiers, Étant mis dans le cas de ap- 
porter annuellement jufqu'à a fx, fept 
& huits cents ,. peuvent donner de 
refte deux cents, trois cents & même 
quatre cents feptiers. DS 
Il eft donc bien démontré qu'un 
corps de Ferme peut rapporter le 
double , le triple ,le quadruple , « ; ÊcC 
de ce qu'ilrapportoit ordinairement , 
dans le tempsqu'ii ne produfoit qu'a 
raifon de cinq pour un; puifqu'il 
fuffit qu'il rende le double, le triple, 
le quadruple de ce qu'il en reftoit 
pour lors , tous: frais faits, tant de 
geftion que d'impôts , n'étant pas 


PRÉLIMINAIRES. 25 


queftion qu'il rende au double & au 
triple de ce qu'il produifoit au total. 

li eft donc encore bien démontré 
qu’on peut parvenir à faire monter 
un corps de Ferme , qui n'étoit loué 
que 1000 liv. jufqu'à 2000 liv. 3000 
liv. &.même 4000 iiv. | 

Des avantages auf confidérables, 
qui ne font pas imaginaires , qu'on 
peut fe procurer, & qui ne deman- 
dent pour commencer à en jouir 
qu'environ une dixaine d'années & 
même moins , fuivant le plus ou le 
moins du befoin des terreins ‘qu'il 
s'agit de rétablir, comme on le fera 
voir ci-après, ne méritent-ils pas 
qu'on.y fafle la plus grande atten- 
tion, puifqu'en s'appliquant à mettre 
nos Terres en pleine valeur, il y 
auroit fant à gagner ? 

C'eff ce qu'a éprouvé l’Auteur des 
Prairies, Artificielles ; qui eft parvenu 


26 À RCTCL'ES 


à plus que quintupler le produit rret 
de fon corps de Ferme, qui ne rap- 
portoit rien , c'eft-à-dire , qui ne 
rapportoit au plus que trois à quatre 
pour un. 

On peut dire , que de toutes les 
expériences qui ont été faites juf- 
qu'à préfent dans l'Agriculture, pour 
apprendre comment 1l faut s'y pren- 
dre pour parvenir à augmenter le 
produit de nos Terres, il n’y en a 
point qui foit aufli frappante & qui 
puifle s’exécuter aufhi généralement 
& avec aufh peu de frais, comme 
on le verra ci-après. 

Il vaut donc mieux commencer 
par rétablir ce qui eft en culture, & 
s'y appliquer férieufement , que de 
s'adonner à des défrichemens qui 
ne peuvent bien s'exécuter dans le 
Royaume , que quand la population 
des Campagnes y fera augmentée; 


PRÉLIMINAIRES. 217 


ce qui ne manquera pas d'arriver au 
fur & à mefure qu'on réparera nos 
Terres, & qu’on les mettra dans la 
valeur qu’elles peuvent avoir. On 
n'y fera pas plutôt parvenu , que 
les défrichemens deviendront né- 
ceflaires, & que les gens de la Cam- 
pagne s’y porteront d'eux-mêmes. 
Voilà quelle doit être la marche 
des défrichemens qui ne peuvent 


jamais fe faire , n1 réuflir autrement. 


AGRETTELGOSE I Ve 


Des véritables caufes du délabrement 
de P Agriculture. 


Tant démontré que, générale- 
.ment parlant, nos Terres, tant en 
France qu'ailleurs, ne rendent que 
la moitié , que le tiers & même que 
le quart de ce qu'on pourroit en ti- 


28 ART PCILES 


rer , il eft donc bien intéreflant de 
découvrir ce qui occañonne un fi 
grand délabrement. 
. Onne peut l’attribuer , fans crain- 
dre d’être contredit, qu’à trois cau- 
fes 1°. aux routines des Labou- 
reurs ; 2°. au défaut de Prairies ; 
3°. aux impofitions & charges dont 
nos Laboureurs font tenus aujour- 
d'hui ; c'eft ce qui fe vérifierd de 
plus en plus dans ce Manuel. 
1°. Les routines des Laboureurs 
confiftant à toujours opérer de mè- 
me, fans diftinétion de terrein, il fera 
prouvé dans l'Article fuivant , que 
cette conduite eft tellement oppo- 
fée aux principes que leur apprend 
la méthode qu eft contenne dans 
chacune de leurs pratiques locales 
qu'elle ne peut que jetter & répan- 
dre le plus grand défordre dans l’A- 
griculture, 


PRÉLIMINAIRES. 29 


En attendant, voici un exemple 
qui commencera à le faire conce- 
voir. 

Suppofé que , dans une pratique 
locale , il foit queftion parmi fes 
ufages de labourer à raïfon de quatre 
à cinq pouces , par rapport à la qua- 
lité du terrein dominant du terroir fur 
lequel elle eft établie, quine permet 
pas de foncer plus avant; fi le terrein 
qu'on a à cultiver eft difiérent , & s'il 
fe trouve avoir jufqu’à dix à douze 
pouces de bonne terre bien fuivie 
& bien foutenue , quel tort un La- 
boureur ne fe fait-il pas, en ne les 
cultivant qu’à raifon de quatre à cinq 
pouces? puifqu'en le fouillant plus 
profondément avec fa charrue, pour 
faire remonter la terre de deflous & 
pour la fubftituer à celle de defus ; 
il s'en procure une nouvelle qui pro- 
duira beaucoup plus que l’ancienne. 


40 1 AR ACTES 

Cette anciénne terre , qui a tou: 
jours produit & travaillé , & qui par- 
conféquent ne peut-être qu'épuifée ; 
eft bien dans le cas de ne rapporter 
qu'à raifon de cinq pour un, tout au 
plus ; au lieu que la nouvelle terre, 
ne pouvant manquer de rendre juf- 
qu'à fix, fept & mème huit pourun, 
par Arpent , doublera , triplera & 
quadruplera fon produit ordinaire ; 
ce qu'il eft aife de concevoir, en 
fe rappellant ce qui a été dit dans 
l'Article précédent. 

Il en eft de même des autres 
opérations de l’engrais & de la fe- 
mence , que le Laboureur n’exécute 
pas mieux , en les faifant toujours 
de même, fans diftinétion de terrein ; 
ce qui occafionne encore un aufli 
grand défordre. 

Ce qui fe pañle fur ce terrein par- 
ticulier qu'on vient de donner pour 


PRÉLIMINAIRES. 3t 


exemple , fe pañle fur toutes nos 
terres, dans tous nos corps de Fer- 
me qui, étant généralement très-mal 
labourés, très-mal amandés , & très- 
malfemés,ne rapportent pas moitié, 
ni même le quart de ce qu'on pour- 
roit en tirer. 

On ne difcoenvient point qu'il 
n'y ait quelques bons Laboureurs 
qui fe fervent mieux de leur prati- 
que locale , mais le nombre en eft 
fi peu confidérable, qu’il ne fçauroit 
en impofer , à moins qu'on ne ré- 
pande dans les Campagnes des in- 
ftru@ions qui apprennent à tous les 
autres comment 1l faut s’en fervir; 
c'eft ce qu'on n’a pas encore fait, & 
voilà pourquoi le mal fubfifte tou- : 
jours, 

II°. La feconde caufe du déla- 
brement de notre Agriculture , qui 
confifte dans le défaut de Prairies, 


32 MRTICÉES 


occafionne encore bien du dépé- 
riflement dans nos Campagnes. 

Si on faifoit ufage, comme on le 
peut , des plantes de Sainfoin , de 
Luzerne , de Trefle, &c. que l’An- 
teur de la Nature nous a données 
pour fuppléer aux Prairies , la Fran- 
ce, en peu d'années, fe verroit dans 
toute fon étendue également fertile 
& peuplée. 

Pour s'en convaincre , il ne s’agit 
que de comparer les cantons où la 
Nature a étäblr des Prairies , avec 
ceux qui en font privés, & qui con- 
tiennent infiniment plus d’étendue. 

Pour s’en convaincre encore , 1l 
ne s'agit que de faire attention que, 
fans les Prairies , foit naturelles, foit 
artificielles, & fans les Beftiaux , ïl 
n'eftpas poflible d’effeuer , comme 
on le doit, l'opération de l’engrais, 
qui eff fi néceffaire , & quiaugmente 

auffi 


PRÉLIMINAIRES. 33 


aufli prodigieufement en tout genre 
les produ&tions de nos Terres, lorf- 
qu'elle eft bien réglée , jufqu’à en 
doubler, tripler & même quadrupler 
le revenu; c'eft ce qu'on dévelop- 
pera davantage dans la fuite. 

Ces deux vices étant aufli évi- 
demment les vraies & principales 
fources du dépériflement de notre 
Agriculture , il eft certain que, tant 
qu'on ne commencera point par tra- 
vailler à les tarir , tout ce qu'on 
pourra faire d’ailleurs pour la réta- 
blir & la relever fera inutile. 

IH°. Il y a une troifiéme caufe 
qui contribue encore au dérange- 
ment de notre Avcriculture , qu'on 
ne doit point déseuifer, & à laquelle 
Al faut aufli remédier , puifqu’on 
peut dire que le bonheur & la ri- 
chefle de l'État en dépendent. 

Elle confifte dans les impoñitions 

(® 


34 HRTICLES 


& charges de nos Laboureurs, com: 
me Tailles , Capitation , Corvées, 
&c. qui ont été détaillées ci-deflus. 

Elles font fi confidérables qu'ils 
peuvent à peine acquitter leurs re- 
devances envers les Propriétaires, 
& que ceux-ci de leur côté font 
très-embarraflés de payer les impôts 
dont ils font auf chargés. 

Ne conviendra-t'on pas ( Et cela 
peut-il être contefté ? ) qu’en met- 
tant nos Terres en état d'être dou- 
blées & triplées ; c’eft-à-dire de 
rapporter en produit net deux à 
trois fois plus qu'on n’en retire au- 
jourd’hui , comme on vient de le 
faire comprendre ci-deflus, ce fera 
le vrai moyen de mettre les Pro- 
priétaires & les Laboureurs, bien au- 
deflus des impôts & charges qu'on les 
oblige d'acquitter. 

Pour y parvenir, dl ne s'agit que 


PRÉLIMINAIRES. 3$ 


de retirer nos Laboureurs de leur 
routines, & de travailler à remédier 
au défaut de Prairies dans tous les 
endroits qui en manquent, ou qui 
n'en ont pas aflez. 

L’Article fuivant commencera par 
apprendre ce quil faut faire pour 
retirer infailliblement tous nos La- 
boureurs de leurs routines. 


À'RUE, LOGE E NY 


Dés pratiques locales, 6 comme leur 
établiffement renferme & contient la 
Jeule & véritable méthode de l'Agri= 
culture. 


À Moins qu’on ne donne aux gens 

de la Campagne l'explication de 

leur Livre d'Agriculture, qui confifte 

& quine confitera jamais que dans 

leurs pratiques locales, & à moins 

qu'on ne leur faffe connoître la de- 
Ci 


36 À RATE C LES 


-ftination des ufages qu'elles con- 
tiennent , chacune fur leurs opéra- 
tions, ils refteront toujours dans leurs 
-routines, c'eft-à-dire qu'ils cultive- 
ront toujours mal 

Quoique ce foit abfolument Îa 
première chofe , par laquelle il faut 
commencer pour rétablir notre Agri- 
culture & pour mettre nos Labou- 
reurs bien au-deflus de toutes leurs 
impofitions & charges; néanmoins , 
dans tout ce qu'on débite & écrit 
aujourd'hui fur ce qui la concerne, 
1l n’en eft feulement pas faitla moin- 
dre mention. | 

Au contraire, toutes les nouvel- 
les méthodes ne travaillent qu’à dé- 
crier & détruire nos pratiques lo- 
cales. : 

Parceque nos Laboureurs culti- 
vent mal,& parcequ'ils ne fe condui- 
fent que par leurs routines, on en a 


PRÉLIMINAIRES. 3% 


conclu qu'ellesétoient défetueufes, 
& qu'il falloit les réformer. 

Parceque des Horlogers feront 
mal des Montres & des Pendules, : 
s'enfuit-il qu'il faille fupprimer le r° 
Art, & leur en donner un autre ? 

- Il ne faut pas s'étonner que les: 
Auteurs de ces nouvelles méthodes : 
fe foient écarés jufqu'a ce point ;: 
puifque, pour bien connoitre les pra- 
tiques locales , il faut avoir prati- 
qué long-tems. 

- Cependant: on a tellement ap-: 
plaudi à toutes ces nouvelles Mé-) 
thodes, qu'elles ont trouvé quan-» 
tité de Partifans. 

Le Traité des Prairies artificielles , 
avoit annoncé fur les engrais une! 
maxime qui ne peut que réfulter 
de chaque pratique locale bien en- 
tendue , laquelle fait même le prin-: 
cipe de la méthode qui en réfulte, 
| C ü 


38 ARTICLES. 


& qui contribueroit tant à rétablir 
nos Campagnes, en y répandant l’a- 
bondance : cependant ce Traité n’a 
pas été, à beaucoup près, auffi bien 
reçu que ces nouvelles méthodes 
qui ne peuvent réellement fervir 
qu'a embrouiller de plus en plus no- 
tre Agriculture , & qu'à la faire en- 
fin méconnoitre. 

Il s’agit donc d'apprendre ce que 
c’eft que ces pratiques locales, qui 
fortent comme autant de branches 
de la pratique générale de l’Agricul- 
ture. Aufhi cette pratique générale 
eft univerfellement divifée & parta- 
gée en autant de pratiques locales 
qu'il y a de Pays, de Cantons, &c. 
Il n’y a mème point de terroir qui 
nait chacun fa pratique locale, quoi 
qu'elle puifle {e trouver la même 
fur plufieurs. 

Qu'on les parcoure , tant qu'on 


WPRÉLIMINAIRES. 39 


voudra , & qu'on les examine bien, 
on verra qu'elles commencent par 
apprendre , tant en général que fépa- 
rément , que l'Agriculture conffte 
généralement dans les opérations 
du labour, des engrais, des femen- 
ces, & que, pour les mieux faire réuf- 
fr, on a recours aux jachères qui 
donnent aux terres le repos dont 
elles peuvent avoir befoin. 

On verra qu'elles apprennent en- 
core, tant en général qu’en païti- 
culier, les différentes façons de les 
exécuter, avec quelle méthode , & 
fur quels principes. 

On verra enfin que tout cela fe 
découvre par l’établiflement des dif- 
férences d’ufages qui fe trouvent 
généralement entre elles, & par 
l’établifflement des ufages qui fe 
trouvent dans chacune. 


Pour développer ce que perfonne 
C iv 


40 7 ARTICLES 6 
n'a encore entrepris, il convient de 
commencer par dire ce qu'on en- 
tend par Pratiques locales, en ajou- 
tant à la définition qu'on va en 
donner , quelques éclairciflemens 
néceflaires qu'on ne pourra con- 
tefter. 

1° On entend par Pratiques locales ; 
une forte de culture confiftant en 
certains ufages fixes & déterminés , 
qui font établis de tems immémo- 
rial dans un Canton, un Pays, un 
Terroir; tant fur le labour, les fe- 
mences, les engrais, que fur les 
jachères & fur les inftrumens donton 
doit fe fervir pour travailler la terre. 

1°. Ces ufages fixes & détermi- 
nés, n'ont pu être établis que fur les 
fortes de qualités générales & com- 
munes qui fe trouvent fur le terrein 
dominant d'un Canton, d'un Ter, 
roir; & ils n’ont pu l'être , comme 


PRÉLIMINAIRES. 4T 


ils le font , qu'en employant l'exa- 
men de ces fortes de qualités , & 
qu'en employant l'expérience. 

On n'y feroit jamais parvenu , fi 
on avoit tenté de ne les établir que 
fur les diverfités & fur les nuances 
qui fe trouvent toujours dans cha- 
cune de ces fortes de qualités géne- 
rales & communes ; parceque le 
plus ou le moins de ces nuances ne 
pouvant fe définir, & parceque, n’é- 
tant pas poflible de découvrir juf- 
qu'à quel dégré l’un ou l’autre peut 
aller & s'étendre , quand même on 
s'obftineroit à vouloir le pénétrer 
& le creufer par l’examen le plus 
férieux , ce n’eft point par ce moyen 
qu'on peut parvenir à connoitre les 
cultures qui conviennent à ces for- 
tes de qualités générales & conm- 
munes : on doit concevoir que ce 
n'eft que par l'expérience , qui ft 


“= ARTICLES 


un moyen bien plus court, bien plus 
für , & même le feul dont on doive 
fe fervir. 

Il convient donc de fçavoir faire, 
fur un terrein, la diftin@tion des 
fortes de qualités générales & com- 
munes qu'il peut avoir, d'avec les 
nuances & diverfités qui fe trouvent 
dans chacune. 

Tout cela séclaircira encore 
quand on traitera de l'examen des 
terreins & de l'expérience , en don- 
nant le détail de ces fortes de qua- 
lités. 

IIT°. On ne difconviendra point 
qu'indépendamment du terrein domi- 
nant qui fe trouve fur un Terroir, 
fur un Canton, il n'y ait encore 
d’autres terreins particuliers d'une 
moindre étendue, qui ont chacun 
auffñ leur forte de qualités géné- 
rales & communes, mais différen- 


PRÉLIMINAIRES. 43 


tes de celles du terrein dominant, 
& qui leur font même oppoiées ; en 
voici un exemple. 

Les fortes de qualités générales 
& communes du terrein dominant 
d'un Terroir, feront, 1°. d’être aifé 
à labourer; parceque les terres y 
font féches & légères, 2°. d’être 
d'une qualité médiocre, 3°. de n’a- 
voir que peu de fond de terre, & 
que ce qu'ilen faut pour faire réuf- 
fir les grains & femences qu'on y 
employe, 4°. de ne point retenir 
les eaux de pluie, $°. de n'être point 
fujet à pouffer des herbes. 

Quoique ces fortes de qualités 
ÿ dominent, & quoi qu’elles ayent 
donné lieu à la Pratique locale qui 
s'y trouve établie , cela n'empêche 
pas qu'il ne puifle fe rencontrer, 
dans fon étendue, d’autres terreins 
particuliers , dont les fozres de qua- 


44 ARTICLES 


lités générales & communes , feront; 
1°. ou d’être difiiciles à labourer, 
parceque les terres y font pefantes ; 
humides, glaifeufes, compañtes , 
&c. 2°. ou d'être d'une bonne qua- 
lité, 3°. ou d'avoir beaucoup de 
fonds de terre , 4°. ou d’être fujets à 
retenir les eaux, 5°. ou d’être très- 
fujets a poufler des herbes. 

Aunfi ileft clar que, lorfqu'on 
a établi les Pratiques locales fur cha- 
que Terroir, fur chaque Canton, 
n'ayant pas été poffible d'éntrer en 
mèême-tems dans le détail des fortes 
de qualités générales & communes 
des terreins particuliers qui fe trou- 
voient dans leur étendue , ni en- 
core moins de leur faire à chacun 
une pratique particulière ; on a en- 
tendu qu'au lieu de leur appliquer 
la Pratique locale, qui ne leur con- 
vient nullement, ce feroit au Cul: 


PRÉLIMINAIRES. 45 


#ivateur, pour les bien cultiver , à 
4e faire une pratique particulière fur 
les mêmes principes dont fe font 
fervis ceux qui ont établi les Prati- 
ques locales. 

IV°. Un Terroir eft une étendue 
de terrein plus ou moins confidéra- 
ble, ordinairement d’une lieue ou 
de deux , qui dépend d'une Com- 
munauté , comme d’une Ville , d’un 
Bourg , d'un Village , d'un Hameau, 
& qui eft cultivé par ceux qui l’ha- 
bitent. sp 

V°. Le terrein dominant d'un 
Terroir, eft celui dont les fortes de 
qualités générales & communes font 
plus remarquables & plus dominan- 
tes que celles qu'on peut encore 
y trouver fur des terreins particu= 
liers ; elles font ainf: appellées gé- 
pérales 8 communes, parceque les 
unes ou les autres fe rencontrent fur 
fout terrein, 


46. : AR TAGLES 

VI. Enfin on ne conteftera point 
que ce ne font que les fortes de 
qualités des terreins dominants des 
Terroirs, qui ont occafionné tou- 
tes les difiérences d'ufages qui fe 
trouvent entre toutes les Pratiques 
locales. 

Tout cela pofé, & tous ces éclair- 
ciflemens donnés, il ne fera pas dif. 
ficile de faire voir que toutes les 
Pratiques locales, tant en général 
que féparément , en quelque pays, 
& chez quelque Nation que ce foit 
où on cultive , apprennent les vrais 
principes de l'Agriculture ; qu’on ne 
peut les bien connoître que par el- 
les; & que dans l'établiflement de 
fa Pratique locale, tout Laboureur 
peut trouver la véritable méthode 
qu'il doit fuivre pour bien cuitiver 
le terrein qu'il a à faire valoir ,quel- 
ques fortes de qualités qu'il puifle 


PRÉLIMINAIRES. 47 


avoir , & fi oppofées qu’elles puif- 
fent être aux fortes de qualités du 
terrein dominant de fon Terroir. 

PREMIÈREMENT, elles lesap- 
prennent par les différences d’ufa- 
ges qui fe trouvent généralement 
entr'elles. 

Qu'un Laboureur ; ou un Pro-= 
priétaire qui fait valoir par lui-mé- 
me, dont l'intention feroit de vou- 
loir s’inftruire par l'examen de plu- 
fieurs pratiques locales, ait la cu- 
riofité de parcourir les Terroirs cir- 
convoifins, & même d’aller plus loin; 
plus il s’éloignera, plus 1l s’'apper- 
cevra des différences d’ufages qui 
{e trouvent entr'elles. 

Il apprendra qu’on laboure , non- 
feulement 4 plat, qui eft la façon 
la plus ordinaire ; mais encore par 
bandes & par planches ; que le labour 
_{ fait plus ou moins profondé- 


8. “ABRITII :G'LE'S 
ment; qu'on en donne plus où moins; 
qu'il fe fair avec des chevaux ou 
avec des bœufs, en fe fervant de 
charrues à oreille ou à verfoir, & de 
charrues à roulettes ou fans roulet- 
tes; que fur la quantité de femen- 
ce employée par arpent, il y a des 
différences qui vont jufqu'au tiers , 
ou à la moitié; qu'il en eft de m&ê- 
me fur la quantité des engrais, & 
qu'on en fait de toute forte; il verra, 
qu'oncommence plus tôt ou plustard 
les femences : enfin 1l remarquera 
que les jachères font généralement 
obfervées ,avec cette différence , ce- 
pendant, qu'il y a quelques cantons 
& contrées où elles ne le font pas. 

Voilà donc les différentes façons 
d'exécuter les opérations de l’Agri- 
culture , & les différences d'ufages 
qui fubfftent. 

Si enfuite il réfléchit fix toutes 

ces 


 PRÉLIMINAIRES. 49 
ces différences d’ufages qui fe trou- 
vent entre les Pratiques locales , 
n'enconclura-t-1l pas, ( fuppofé qu'il 
ait pratiqué, & qu'il ait acquis une 
certaine expérience, ) que, n'étant 
toutes occafonnées fur les Cantons 
& Terroiws qu'il aura parcourus , 
que par les différences qui fe trou- 
vent entre les fortes de qualités gé- 
nérales de leurs terreins dominans, 
elles apprennent ce grand principe : 
Qu'il faut ajufler & proportionner les 
opérations de l'Agriculture à toutes les 
differences de terreins qui fe rencontrent ; 
& que ce principe, depuis que l’A- 
griculture fubfifte, eft généralement 
reçu , adopté & reconnu dans tou- 
tes les Pratiques locales du monde 
entier ? 

Ne conclura-t:1l pas de l’établife- 
ment de ce principe, 1°. Qu'il faut 
examiner les fortes de qualités gé- 

D 


so ARTLCLES 


nérales & communes des terreins ; 
qui commencent par indiquer les 
cultures qui leur conviennent ? 2°. 
Que comme , pour s'en aflurer , il 
n'eft pas pofñble d'approfondir & 
de creufer toutes les diverfités & 
nuances qu'elles peuvent avoir cha- 
cune , on ne peut fe difpenfer d’a- 
voir recours à l'expérience, pour ap- 
prendre à les fixer & à les détermi- 
ner. 3°. Qu'on ne peut fe difpenfer 
de fçavoir & de connoitre les diffé- 
rentes façons d'exécuter les opéra- 
tions de l'Agriculture , relativement 
aux fortes de qualités de terreins qui 
peuvent fe rencontrer. 

SECONDEMENT, toutes les 
Pratiques locales, confidérées fépa- 
rement , apprennent encore ces mê- 
mes principes par l’établiffement & 
la deftination des ufages qui font 
contenus dans chacune. 


PRÉLIMINAIRES, ji 


On a déja dit que tous les ufa- 
ges qui fe trouvent dans chaque 
Pratique locale , ne peuvent avoir 
été établis que fur les fortes de qua- 
lités générales des terreins dominans 
des Terroirs, & non fur les qualités 
des terreins particuliers qui s’y ren- 
contrent. 

Or, ces ufages n'ayant pas été re- 
olés & ajuftés comme ils le font fans 
employer l'examen de ces qualités 
générales, fans le fecours de l'expé- 
rience , & fans la connoifflance des 
différentes façons d'exécuter les opé- 
rations de l'Agriculture, &c. 1l eft 
évident que l’établiflement des ufa- 
ges de chaque Pratique locale, ap- 
prend encore à tout Laboureur, en 
particulier , les vrais principes de 
l'Agriculture , & la véritable métho- 
de qu'il doit fuivre pour bien cul- 
tiver, 

Di; 


TE ARTICQUES 


Il eft donc bien démontré que Îe 
Laboureur ne doit pas appliquer, 
auf indiftin@tement qu'il le fait, {a 
Pratique locale fur tout rerrein. 

Il faut au contraire , (conformé- 
ment à l'intention des premiers 
Cultivateurs qui ont établi les Pra- 
tiques locales ) qu'il ne la regar- 
de que comme une méthode qui 
lu apprend qu'on ne peut fe dif- 
penfer d'employer l'examen & l’ex- 
périence fur les qualités de ter- 
reins qu'il a à cultiver, quand elles 
font différentes de celles du terrein 
dominant de fon Terroir. 

Ainf, pour agir plus fürement dans 
tout ce qu'il a à cultiver, 1l doit, à 
l'exemple de ce qu'on a fait pour 
établir fa Pratique locale, fe com- 
porter de même , pour fe faire une 
Pratique particulière fur tous les ter- 
reins particuliers qu'il peut rencon- 


PRÉLIMINAIRES. 53 


trer , en fe réglant toujours fur le 
principe de fa Pratique locale , qui 
eft , qu'il faut ajufter & propor- 
tionner les opérations de l’Agricul- 
ture à toutes les fortes de qualités 
de terreins qu'il a à cultiver. 


Pour ne laifler rien à défirer fur 
l'exécution de cette méthode , nous 
ajouterons que les Pratiques locales 
donnent encore les infirumens les 
plus propres & les plus convenables 
pour bien travailler la terre. 

Les charrues étant toutes à ver- 
foir ou à oreille ,1l n’y a point de 
terrein labourable, fi dificile qu'il 
puifle être, qui, par le moyen de 
l’une ou de l'autre , ne puifle être 
bien ameubli , bien retourné, bien 
fouillé , & même renouvellé, lorfque 
le fond le permet. 

Ne pouvant être exige rien de plus 

D i 


s4 ARTICLES 


de l’ufage d’une charrue, à quoi donc 
peuvent fervir toutes les inventions 
nouvelles en ce genre, propofées 
par M. Thull & par d’autres ? 

Nos Laboureurs, nos Gens de 
Campagne , qui tiennent toute no- 
tre Agriculture, & qui font fi fort 
attachés à leurs habitudes, pourront- 
ils jamais fe déterminer à s’en fer- 
vir, quand ils verront qu'elles ne 
leur procureront, ni plus d’avanta- 
ges , ni plus d’utilités que les inftru- 
mens dont ils fe fervent. 

Il y a encore l'invention du Se- 
moir, fur lequel quantité d’Ama- 
teurs de l'Agriculture travaillent 
tous les jours pour parvenir à le 
perfectionner & à le rendre moins 
couteux. 

Quoique cette invention foit l'ef- 
fet d'une grande imagination, & 
quon mette tout en œuvre pour 


PRÉLIMINAIRES. $ÿ$ 
J'introduire , cela nempèche pas 
qu'elle ne {oit très-inutile dans notre 
façon de cultiver, n'étant néceffaire 
que dans la pratique de la nouvelle 
méthode. 

C'eft ce que l’on verra dans la 
réfutation qu'on fe propole de faire 
ci-après de la nouvelle méthode de 
M. Thuil. 

En attendant, écoutons ce que 
dit Olivier de Serre, de toutes les 
nouvelles inventions, dans fon Téea- 
tre d'Agriculture, chap. 2, pag. 81, 
82, dédié au Roi Henri IV, €& im- 
primé en 1600. Ayant fait valoir par 
lui-même , fa Terre de Pradel, pen- 
dant foixante ans , on peutle citer. 

Après un grand détail, fur toutes 
les différentes Pratiques locales qui 
{ont obfervées dans les Provinces 
du Royaume, & dans tous les diffé: 
rens Cantons qui s'y trouvent , il 


D iv 


s6 ARTICLES 


commence par dire : Qu'il faut bier 
Je donner de garde d'y toucher, ni d'y 
rien changer. 

I n’en dit pas davantage , parce- 
que , pour lors, on ne foupçonnoit 
nullement qu'on s’aviferoit jamais de 
les vouloir réformer , n1 encore 
moins de leur fubftituer de nouvel- 
les méthodes. 

I ne parle donc que des nouvel- 
les inventions , au fujet des inftru- 
mens dont on fe fert dans toutes les 
Pratiques locales pour travailler la 
terre. 

Apparemment que de fon tems 
il y avoit déja quelques Agriculteurs 
de Cabinet, qui en vouloient don- 
ner de leur invention ; aufñi, après 
avoir rapporté cet Oracle de Caton: 
Ne change point de Soc, ayant pour 
fufpeéte toure zowvelleté , ilajoûte : 

» Et de fait, ceux fe font faits 


PRÉLIMINAIRES. ç7 


» pltôt admirer qu'imiter , qui ont 
»# inventé de nouveaux Socs, rant a 
» de mageflé l'antique façon de manier 
» La terre , de laquelle l’on ne fe doit 
» départir que le moins que l’on peut 
» & avec grande confidération. Il eft 
» vrai que les efprits des hommes 
» S'afniffent tous les jours, & que, 
# pour le préfent ,nous pouvons fça- 
-» voir ce que nos Peres ont {çu le 
#tems pañlé. Avec jugement pou- 
» VOns-Nous y ajouter de nos inven- 
» tions expérimentales, pour fervir 
» d'adrefle à la conduite de nos af- 
» faires , ce qu'on ne doit opiniâtre- 
» ment rejetter; mais c'eff zontefois 
» avec un Jufqu’oi ÿ POUr ne pas s'a- 
» bandonner à toutes fortes de nou- 
» velles inventions, de peur que, 
» par mauvafe rencontre , oz ne chée 
» e7 Hoquerie , étant toujours le guer- 
» don d'une trop grande curiofité, » 


53 ARTICLES 


Quoi qu'Olivier de Serre dife 
que les efprits des hommes s’affinif- 
Jant tous les jours , on peut trou- 
ver des inventions expérimentées ; 
cependant il fait aflez entendre com- 
bien il faut s’en défier, puifqu'il dé- 
clare que ce n'eff qu'avec un Jufqu’où 
qu'on peut les adopter. 

En tout cas, fera-ce un Amateur 
d'Agriculture , qui n’a jamais expé- 
rimenté , ou que très-peu, qui fera 
capable de les trouver? tandis que 
de tous ceux qui, jufqu'a préfent» 
ont véritablement connu l’Agricul- 
ture, & qui l'ont pratiquée toute 
leur vie avec les inftrumens ordi- 
naires , 1] n'y en a pas un feul qui 
ait propofé , fur les charrues & fur 
la façon de femer, aucune nou- 
veauté, parcequ'ils en ont toujours 
conçu l'inutilité. 

Voilà pourquoi Olivier de “Serre 


PRÉLIMINAIRES. $9 


décide fi nettement que ceux qui s’a- 
vifent de les propofer & de les adop- 
ter, s’expofent à chéeren moquerie. 

On peut donc établir que toutes 
les Pratiques locales , qui contien- 
nent chacune tout ce qui peut bien 
apprendre l'Art de l'Agriculture , & 
qui contiennent encore tout ce qui 
peut être ufité , tant pour bien tra- 
vailler la terre, que pour la bien fe- 
mer , nous ont confervé l'antique fa- 
con de manier la terre qui a tant de ma” 
jefté : & que n'y ayant, par confé- 
quent, que la méthode qui réfulte 
de leurs établifemens, qu'on puiffe 
pratiquer , c'eft fe tromper foi-mê- 
me , & tromper les autres , que 
d'en propofer aucune autre qui s’en 
écarte. 

Combien fe feroit récrié Olivier 
de Serre, fi de fon tems il avoit paru 

ine nouvelle méthode femblable à 


60 MRTICLES 


celle de M. Thull, qui non con- 
tente de détruire les Socs ordinaires 
& la façon de femer , fe feroit avifé 
d'attribuer à l'Agriculture d'autres 
principes & d’autres ufages que ceux 
qui ont toujours été reconnus par 
toutes nos Pratiques locales ? 

Sans-doute qu'en parlant aufli for- 
tement contre les nouveaux Socs 
qu'on pourroit propofer , 1l faifoit 
attention à la pofition de notre Agri- 
culture qui fe trouve entièrement 
entre les mains des gens de la Cam- 
pagne ; c'eft à quoi il paroit que 
n'ont pas penfé feulement tous ceux 
qui propofent des nouveautés. 

Dans les premiers fiécles du mon- 
de , c'étoient les Propriétaires qui 
fafoient valoir par eux-mêmes leur 
propres Domaines ; il n'étoit pas 
queftion de les louer , ni de les affer- 
mer , tous les gens de la Campagne 
n'étoient que leurs feris. 


PRÉLIMINAIRES Gp 


Pour lors l’Art de l’Agricuiture, 
dont les premiers hommes faifcient 
tant de cas, parcequ'ils fentoient 
mieux que nous le befoin qu'on en 
a, étoit poufié à fon plus haut dégré 
de perfeétion. 

Ils avoient tout inventé ; & dans 
leurs inventions de charrues & au- 
tres inftrumens qu'ils nous ont laif- 
{és , il n'y a point de doute, qu'ils 
ne nous ayent donné tout ce qu'il 
falloit pour bien remuer la terre , 
pour la renouveller & pour en tirer 
tout le parti qu'il étoit poffible de 
fouhaiter. 

Toutes les Pratiques locales qu'ils 
avoient formées & établies , ne fer- 
voient que de méthodes pour ap- 
prendre à tout Cultivateur ce qui 
devoit le régler dans la culture de 
fon terrein; on ne les appliquoit pas 
fur toutes les fortes qui fe rencon- 


Ga CARE I CLEPS 


troient aufñ indiftinétement qu'on le 
fait aujourd’hui , & on les entendoit 
comme elles devoient l'être. 

Mais, depuis que notre Agriculture 
fe trouve entre les mains des gens de 
la Campagne , qu'ils en font devenus 
les Fermiers & les Locataires, ceux- 
ci n'ayant pas compris, faute d'in- 
ftruétions, l'ufage qu'il falloit faire de 
leurs Pratiques locales , & ne fe con- 
duifant , par conféquent , que par 
routines , nos terres font tombées 
dans le plus grand délabrement , 
comme on l’a fait voir ci-deflus ; & 
1l s’en faut bien qu'elles foient au- 
jourd’hui de la même valeur qu’el- 
les étoient dans ces premiers fiécles. 


\ 
4) 


2 
N 


a 
4 


PRÉLIMINAIRES. 63 


PLAN DE CE MANUEL, 


Dans lequel on propofe les vrais € feuls 
moyens de rétablir l'Agriculture. 


Pu ISQU'IL s'agit de donner à nos 
Laboureurs, pour leur ufage & pour 
les retirer de leurs routines, la métho- 
de qui fe trouve dans chacune de 
leurs Pratiques locales, après avoir 
dit ce que c’eft que l'Art de l’Agri- 
culture , quelles font fes opérations, 
& quel eft généralement fon grand 
principe de fécondité , conformé- 
ment à ce que nous en apprennent 
ces mêmes Pratiques locales , on 
traitera dans ce Manuel qu’on don- 
ne 1C1 pour eux: 

1°. De l'examen des terreins & 
des fortes de qualités générales & 


communes qu ils contiennent. 
II. De l'expérience ; comment 


64 ARTICLES 

on lacquiert , & quels font fes 
effets. 

IIN°. Des différentes façons d’exé: 
cuter les opérations de l’Agricultu: 
re , relativement aux fortes de qua- 
lités générales & communes des ter: 
reins. 

En prenant ainfi nos Laboureurs 
par leurs Pratiques locales, qu'ils 
regardent comme leur Livre d'A: 
griculture , 1l y a lieu de s’aflurer 
qu'ils recevront avec empreflement 
la méthode qui en proviendra, & 
qu'elle leur ouvrira les yeux fur les 
défauts de leurs routines, 

Ce fera une nouveauté qui exci- 
tera d’autast plusleur curiofité,qu’on 
ne s'eft pas encore donné la peine 
de les inftruire aufli direétement. 

Croiroit-on que le Traité des Prar. 
ries artificielles a été copié en entier 
par l'un d'eux, parcequ'il a fenti 

qu'il 


PRÉLIMINAIRES. 65 
qu'il ne s’écartoit point des princi- 
pes de fa Pratique locale. 

Qu'on juge après cela de l'effet 
qu'auroit ce aruel dans toutes les 
Campagnes, fi on l'y répandoit. 

Voilà donc le premier moyen de 
réparer notre Agriculture. 

indépendamment des routines de 
nos Laboureurs, qui forment la pre- 
æmière caufe de fon délabrement , le 
défaut de Prairies & de Beftiaux 
l'occañonnant encore , & ne pou- 
vant être réparé fans le concours des 
Propriétaires avec leurs Fermiers, 
on fera voir qu'ils ne peuvent le re- 
fufer , & que ce concours contient 
l’autre moyen de la réparer complet- 
tement. 

Il découvrira une vérité qu'il eft 
étonnant qu'on nait pas encore ap- 
pérçue jufqu’a préfent, qui eft qu'on 
ne parviendra jamais à faire profpérer 


E 


66 ARTICLES 
l'Agriculture en France que par les Pro: 
priétaires. 

Ces deux moyens font les feuls 
qu'on puifle employer pour y par- 
venir efficacement, tant en France 
que dans tous les autres Etats où 
l'on cultive : il n’y en a réellement 
point d’autres ; quoiqu'aucun de 
ceux qui ont écrit jufqu'a préfent 
fur cette matière , n’en ayent feu- 
lement pas fait la moindre men- 
tion. 

Quand on a expérimenté l’Agri- 
culture pendant frente années, on 
a afléz d'expérience pour aflurer 
qu'on ne réuflira point autrement. 

Or; eomme ces deux moyens ne 
peuvent bien s'effetuer danstoute 
Tétendué du Royaume, qu'autant 
que le Gouvernement les protégera 
‘& les encouragera ; ce Manuel à À- 
“griculture {era divifé en trois Parties, 


PRÉLIMINAIRES 67 


La première, concernera le La- 
boureur. 

La feconde , le Propriétaire. 

La troifiéme , le Gouvernement, 

En donnant ainfi a nos Laboureurs 
la vfaie méthode quifoit capable de 
les retirer de leurs routines, & de 
leur apprendre à bien cuïtiver, en 
donnant encore le feul moyen de 
parvenir à remédier au défaut de 
prairies qui ne peut s'éffeûuer que 
par le concours des Propriétaires 
avec leurs Fermiers,toutesnos terres 
alors prenant le train de rapporter 
au double & au triple , il s'enfuivra 
néceffairement , qu'on remédiera à 
ce quioccafonne encorëlatroifiéme 
caufe du délabrement de notre Agri- 
culture, puifque tous les Laboureurs 
& Propriétaires feront mis bien au- 
deflus de toutes lescharges & impof- 
tions dont ils font tenus aujourd’hui, 

E 


68 ARTICLES, &c. 


Enfin on terminera ce Manue! 
par la réfutation de la nouvelle Mé- 
thode de M. Thull, pour faire voir 
que nos gens de la Campagne ne 
s’en ferviront jamais, & qu'elle fera 
toujours propofée inutilement en 
France & ailleurs, ainfi que fon fe- 
moir , pour le rétabliflement de l’A- 
griculture , quand même il ne feroit 
queftion que d'en faire ufage feule- 
ment dans la façon ordinaire de cul- 
tiver. 


& 
"Hi 


to TE re re 


M A. NU Æ EL 
D'AGRICULTURE: 


BONE 


LE LADBOUREUS: 


Définition de l'Agriculture 
Quelles font fes Opérations ? 
Quel eff fon vrai Principe ? 
En quor confifle la Méthode 
qui en réfulte ? 


L'AGRICULTURE eft l’Art de 
cultiver la terre. Étant une fcien- 
ce- pratique , elle a néceffairement 
fes opérations quoiqu’elle ait plu- 
fieurs parties; fçavoir , les Terres la- 


E iij 


70 MANUEL D'AGRICULTURE 


bourables , les Prairies, les Bois’, 
la Vigne, le Jardin;'il ne fera ici 
queftion que des Terres laboura- 
bles, qui en forment teliement la 
partie effentielle & principale, que, 
communément dans fa fignification 
on nentend que cet obiet. Il 
s'agit donc, en ne confidérant l'A- 
griculture que du côté des Terres 
labourables , d'en donner une idée 
quite & exacte, 

On ne peut mieux la concevoir 
qu'en la regardant comme un Aït 
qui eft généralement compofé du 
labour, des engrais , des jachères & 
de la femence. Cette idée paroit 
d'autant plus jufte, que ce {ont tou- 
tes les Pratiques locales elles-mêmes 
qui nous apprenent qu'on ne doit 
pas la concevoir autrement. 

C'eft ce qu'on a vu par l'explica- 
tion qu'on en a donnée cr-deflus 


POUR LE LABOUREUR. 71 


dans le cinquiéme Article des préli- 
minaires. AR 

Cependant il y a quelques Can- 
tons dont les terres, par leur heu- 
reufe poñition, n’ont befoin que d'ê-, 
tre labouürées & femées, fans qu'il: 
foit queftion d'y employer les en- 
grais & les jachères ; 1l y a même, 
quelquesPratiques locales entières, 
où, par le moyen des engrais ; Où 
péut fe pafler des: jachères ;-on en, 
parlera plus amplement. quand -on 
traitera des engrais & des jachères,, 
Sections H°-& ILE , dullis Chapitre. 

«Ces mêmes Pratiques, quappren- 
nent quelles font généralement les 
opérations de l'Agriculture , nous 
apprennent encore que- fon. pria- 
cipe général de fécondité eft de Les 
ajujler & de les proportionner & toutes 
les fortes de qualités qui [e rencontrent 
fur tout terreur, 


Eiv 


72 MANUEL D'AGRICULTURE 


Ce principe ne pouvant être cons 
tefté, il en réfulte néceflairement 
que fa méthode doit confifter : 

1°. Dans l'examen des fortes de 
qualités qui peuvent fe rencontrer 
fur le terrein qu'on a à cultiver. 

- 2°. Dans l'expérience du Labou- 
reur. 

3°. Dans la connoiffance des dif- 
férentes façons d'exécuter les opéra: 
tions qu'on vient de détailler, rela- 
tivement aux fortes de qualités des 
terreins. 

Ces trois Objets formeront au- 
tant de Chapitres dont le troifième 
contiendra quatre Se@ions fur le 
labour , les engrais, les jachères & 
les femences. 

Puifque cette méthode & fon prin: 
cipe font ainfi appuyés par toutes 
les Pratiques locales dû monde en- 
tier où l'on cultive, & qu'ils y font 


POUR LE LABOUREUR. 73 


généralement reconnus , il faut re- 
jetter toutes les nouvelles métho- 
des, qui non-feulement admettroient 
d’autres principes , mais qui fuppri- 
meroient quelques-unes des opéra- 
tions détaillées ci-deflus , ou fe- 
roient des changemens dans la façon 
de les exécuter: Tant l'antique façon 
de manier la terre a de majefle ; & doit, 
fuivant Olivier de Serre , ez impofer{ 


74 MANUEL D'AGRICULTURE 


STE ER 


-CHAPITRE PREMIER. 
DE L'EXAMEN DES TERREINS. 
à 


Comment on. doit examiner les 
T'erreins. 


Qi ne peut nier que rien ne foit fi 
diverfiñié que la terre, & que ces 
variétés, dans les fortes de qualités 
générales & communes qu'on y ap- 
perçoit d'abord, ne s'étendent, pour 
ainfñ dire , jufqu'aà l'infini. 

Cela eft fi vrai que deux piéces 
de terre qui feront, royées l’une de 
l'autre , ne fe reflemblent pas abfo- 
lument, quoique paroiffant de même 
qualité ; mais avec le tems on y dé- 
couvre des différences & des nuan- 
ces ; on les trouvera encore dans 
deux portions de terre , même les 
plus petites: ainfi ne pourroit-on pas 


POUR LE LABOUREUR. 75 


dire qu'il en eft de la diverfité des 
terreins comme des vifages dont au- 
cun ne fe reffemble ? 

Cela étant , ce n'eft point cette 
diverfité qu'il faut examiner & ap- 
profondir pour connoitre les fortes 
de cultures qu'il convient de don- 
ner. Il y a un chemin bien plus court 
à fuivre, qu'on trouve & qu'on ap- 
prend dans la méthode qui réfulte 
de toutes les Pratiques locales , qui 
eft de n’examiner que les fortes de 
qualités générales & communes qui 
fe trouvent fur tout terrein; parce- 
que , commençant par indiquer , 
chacune , les fortes de-culture qui 
peuvent leur convenir ,; au moyen 
de l’Expérience qu'on appelle à fon 
fecours, on parvient à les décider 
& a les déterminer avec certitude. 
/ Ilfaut n'avoir pas la moindre tein- 
ture de la pratique de l'Agriculture , 


76 MANUEL D'AGRICULTURE 
1l faut même ignorer jufqu’à fes pre- 
miers principes , pour ne pas {çavoir 
que c’eft principalement l’Expérience 
qui apprend à bien ajufter & propor- 
tionner les opérations de l’Agricul- 
ture à toutes les fortes de qualités de 
terreins qui {e rencontrent. Où enfe- 
roït-on fi, pour y parvenir , il falloit 
creufer toutes leurs nuances ? 
Quelle idée peut-on donc avoir de 
tous ceux qui fe mêlent aujourd'hui 
d'écrire fur l'Agriculture ? puifqu'il 
n'y en a aucun qui n'ait cherché à 
donner les plus grands détails fur tou- 
tes les fortes de diverfités qui peu- 
vent fe rencontrer, s’imaginant que 
fans cela il n’eft pas poffible de bien 
apprendre à donner une bonne cul- 
ture ; que penfera-t-on encore de 
ceux qui ont écrit dans les Provin- 
ces pour s'informer de toutes les ef 
péces particulières de terreins qui 


POUR LE LABOUREUR. 77 


pouvoient fe trouver fur chaque 
Canton , fur chaque Terroir ? tan- 
dis qu'il n’eft queftion que de con- 
noître leurs fortes de qualités géné- 
rales & communes , en employant 
en même tems l'expérience. 


IL. 
Des fortes de qualités générales & com- 


munes qui fe trouvent fur tout Terrein. 


Rien n’eft fi aifé que de trouver 
Les fortes de qualités générales & 
communes qui font fur tout terrein; 
mais cette découverte échappera 
toujours à ceux qui ne fçavent que 
la théorie de l'Agriculture. 

Il faut connoitre les Pratiques lo- 
cales, & fçavoir encore par foi-mê- 
me quels font les ufages de la Cam- 
pagne, pour dénommer toutes les 
fortes de qualités de terreins qui s'y 
xençontrent, 


78 MANUEL D'AGRICULTURE 


Quand on parle d’un corps de 
‘Ferme, d’un Domaine, d'un Ter- 
rein, on dit de l’un où de l’autre ;, 
pour le défigner. 

» Il eft facile à labourer, parce- 
» que les terres y font féches & 
» légères. 

» [left difficile à labourer , par- 
» ceque les terres y font pefantes, 
» humides, &c. 

» Les terres y font. bonnes, ou 
» médiocres, ou mauvaifes. 

» Elles ont du fond, ou elles n’en 
» ont pas, c'eft-a-dire, qu'elles n'en 
» ont que pour faire venir les pro- 
» duétions de Agriculture. 

» Les terres y font fpongieufes, 
» dit-on encore , quand elles retien- 
» nent les eaux ; ou elles ne le font 
» pas, quand elles ne les retiennent 
# pas. 

» Enfin elles font plus où moins 
» fujettes à pouffer des herbes, 


POUR LE LABOUREUR. #79 


Voilà à quoi fe réduifent toures 
les fortes de qualités générales & 
communes qui peuvent fe rencon- 
trer fur tout terrein qu'on veut cul- 
tiver, & pour cette ration elles font 
ainfi dénommées. 

En les obfervant, on ne difcon- 
viendra pas qu'elles ne commencent 
par indiquer chacune la forte de cul- 
ture qui peut leur convenic , & qu’in- 
dépendamment de cet examen, 1l 
faut encore l'expérience du Labou- 
reur pour aider à le décider. 

Un terrein, qui paroit bon, com- 
mence par indiquer qu'il lui faut 
moins d'engrais & moins de femen- 
ces qu'à un autre qui fera médiocre ; 
cependant, cela ne fufñt pas pour 
bien inftruire le Laboureur , il faut 
qu'il ait recours a-fon expérience 
pour mieux s'aflurer des quantités 
qu'il convient d'employer. 


8o MANUEL D'AGRICULTURE 


Un terrein qui a du fond & qui 
paroit en avoir dix à douze pouces, 
commence par indiquer qu'on peut 
le foncer pour le renouveller ; ce- 
pendant il n'y a encore que l'expé- 
rience qui apprendra s'il convient 
de le faire. 

Ces deux exemples fufifent pour 
faire voir que c’eft principalement 
V'Experience qui apprend comment on 
doit cultiver tout terrein ; & que, 
pour y parvenir, il n'eft queftion 
que de connoiître les fortes de qua- 
lités générales & communes qui peu- 
vent s’y rencontrer, & non leurs di- 
verftés, c’eft-à-dire, toutesles nuan- 
ces qui peuvent fe trouver dans cha- 
cune. Il faut donc fçavoir en faire la 
diftinion, comme on l'a déja dit ; 
c'eft , pour ainfi dire, l’Alphabet 
de l'Agriculture ; cependant cette 
leçonne laïflera pas que de furpren- 

dre 


e 


POUR LE LABOUREUR. $r 


dre un peu nos Agriculteurs &: nos 
Ecrivains modernes. 
| 1 9 a 


Ce qui occafionne les qualités des bons, 
des médiocres & des mauvais terreins , 
& de la difference des [els & des Jucs 
qu'on y trouve. 


P OuR le bien & l’avantage de l’A- 
griculture , 1l n’eft pas néceffaire de 
fonder les caufes de toutes les fortes 
de qualités générales & commu- 
nes qu'on vient de détailler : nos 
Fermiers n’ont pas befoin d’une pa- 
reille diflertation ; 11 fuffit qu'ils fça- 
chent ce qui occafionne les qualités 
des bons, des médiocres & des mau- 
vais terreins. 

Il eft certain qu'ils ne font tels 
qu'à raifon du plus ou du moins de 
fels & de fucs qui y font contenus, 
qu'on doit regarder comme fafant 

| F 


82 MANUEL D'AGRICULTURE 


la pâturede routes les Plantes que 
la terre peut contenir & recevoir. 


Ne pourroit-on pas dire qu'il en eft 


de cette pâture, qui eft dans l’inté- 
rieur de la terre pour les plantes, 
comme de celle qui eft fur fa fuper- 
ficie, & qui fert à la nourriture des 
beftiaux ? 

On y diftingne la pâture des prés, 
qui eft pour le gros bétail, d’avec la 
pature des champs, qui eft plus con- 
venable aux bêtes blanches. 

Dans ces fortes de pâtures, on 
voit de très - grandes différences, 
tant du côté de leur qualité , que du 
côté de leur quantité : on apperçoit 
les mêmes différences dans tous les 
fels & les fucs de la terre. 

Quoiqu'on puifle dire qu'ils peu- 
vent convenir à toutes les fortes 
de plantes , & qu'elles peuvent s'en 
nourrir, cependant l'Expérience ap- 


7 2 


POUR LE LABOUREUR. 83 
prend qu'il y en a qui conviennent 
mieux, OU qui conviennent moins à 
certaines plantes; 

Voila pourquoi, par exemple , le 
Lin , le Chanvre, le Colza, &c. réuf- 
fiflent mieux dans certains terreins 
que dans d’autres qui paroïffent avoir 
la même fertilité. Le Froment réuf 
fira mieux dans un terrein qui fera 
un peu gazonneux, que dans uñ ter- 
rein leger & fec; & dans ce terrein 
fec & leger, le Seigle réuflira mieux 
que dans celui qui convient au Fro- 
ment. 

Ce qui prouve encore que les 
fels & les fucs ne font pas tous de 
la même qualité, que la terre en 
contient qui font de différentes 
fortes, c’eft ce qui arrive à l'occa- 
fion de l'alternative des femences & 
des plantes. 

Après un Froment , une Lentille, 

F i 


84 MANUEL D'AGRICULTURE 


qui eft auffli un grain d'hyver, reuf- 
fira beaucoup nueux qu'un Froment 
qu'on remettroit encore; après un 
pommier, un poirier, un pêcher, 
ou tout autre arbre, fi on en plante 
un qui foit d'une efpéce différente , 
il eft certain qu’il réufhira beaucoup 
mieux que celui qu'on remettroit, 
qui feroit de la même efpéce de ce- 
lui qui y étoit auparavant, qui ne 
pourroit bien réufhr que dans le cas 
qu’on renouvelleroit , & qu'on chan- 
geroit le terrein. 

Indépendamment des différences 
qui fe trouvent dans les qualités des 
fels & des fucs de la terre, ilyena 
encore une très-grande dans leur 
quantité. 

C’eft principalement cette diffé- 
rence qui fait les bons , les médiocres 
&z les mauvais terreins , comme c'’eft 
ordinawement le plus ou Ie moins 


POUR LE LABOUREUR. 85 


d'herbes qui fait les bons , les médio- 
cres & les mauvais prés. 

Les Laboureurs ne peuvent en- 
core tre trop attentifs à toutes ces 
différences de qualités & de quanti- 
tés qui fe trouvent dans les fels & les 
fucs de la terre; non-feulement pour 
mieux diriger & ajuiter leurs opéra- 
tions, mais pour le choix des grains 
& femences qui peuvent le mieux 
convenir à leurs terreins. 

Il n’eft pas douteux qu’un bon ter- 
reinne contienne plus de fels & plus 
de fucs qu'un médiocre : mais ne 
pourroit-il pas arriver que des ter- 
reins ne feroient médiocres & mé- 
me mauvais , que parcequ'ayant un 
fond qu'on auroit pu fouiller & re- 
tourner, à l’effet de le mélanger avec 
le deflus qui eft épuifé pour avoir 
toujours produit, on auroit négligé 
de le faire , en fe contentant de les 

Fu; 


86 MANUEL D'AGRICULTURE 


labourer à la façon ordinaire , quine 
confifte qu'à les travailler, à raifon 
de quatre à cinq pouces , tel fond 
qu'ils puifient avoir ; c’eft ce dont 
on traitera dans la fuite. 


POUR LE LABOUREUR. 87 


GHRAIP'ETRE IE 


DE LIE'X P EF RIREIN CE. 


Comment on l’acquiert ; & quels font 


fs aus 


Pu ISQUE le Laboureur parvient, 
principalement par fon expérience , 


à bien ajufter & proportionner les 
opérations de l'Agriculture fur tout 
terrein, en n’emploÿyant fimplement 
que l'examen des fortes de qualités 
générales & communes qui peuvent 
s’y trouver, il s’agit de lui apprendre 
a s'en fervir. 

Dans l'Agriculture , on entend 
par Expérience, les connoïffances que 
l'on acquiert en obfervant bien 
exactement les effets qui réfultent 
des épreuves qu'on a faites fur un 
terrein, 

Fiv 


88 MANUEL D'AGRICULTURE 


Ainfi le Laboureur qui a befoin 
d'expérience, & quine peut être bien 
conduit que par elle , ne doit regar- 
der que comme des épreuves toutes 
les opérations qu'il fait fur fon ter- 
rein, pour bien examiner, chaque 
année , les effets qui en réfultent. 

Or, pour bien examiner ces effets, 
& acquérir par leur moyen les con- 
noïffances qui forment l'expérien- 
ce , 1l doit remonter à la caufe des 
effets de fes opérations ; parceque , 
s'ils font défe&tueux, la caufe en 
étant connue, le reméde fera bien- 
tÔt trouvé. 

C'eft ainfi que le Laboureur éten- 
dra fes connoiflances & qu'il appren- 
dra avec le tems a bien cultiver. 

Au moyen de l'expérience , on 
eft difpenfé , comme l'on voit, de 
fonder toutes les nuanceg, qui fe 
trouvent dans un terrein ; &ilne s'a- 


POUR LE L'ABOUREUR. 89 


git que de commencer par examiner 
quelles font les fortes de qualités gé- 
nérales & communes qu'on y ap- 
perçoit d’abord. 

Par l'Expérience on apprend donc 
le fecret de l'Agriculture, puifque 
par elle on parvient à cultiver un 
terrein auffi bien, & même plus fure- 
ment, que fi on s'étoit appliqué à 
connoiître toutes fes nuances parti- 
culières. 

Ce n'eft qu'au bout d'un an qu'on 
voit, dans l'Agriculture, les effets 
des épreuves que l’on fait, & même 
au bout de trois ans qu'on peut faire 
les comparaifons & les confronta- 
tions d’une récolte avec une autre 
qui proviendra du même champ; 
ce qui arrive, lorfque tout un corps 
de Ferme fe trouve partagé dansles 
trois foles ordinaires de grains d’hy- 
ver , de grains de mars & des jachè- 


. 


90 MANUEL D'AGRICULTURE 


res; mais, comme ces comparaifons 
doivent être répétées plus d’une fois 
avant de pouvoir bien s'inftruire , 
on doit concevoir qu'il faut bien du 
tems & bien des années pour for- 
mer un bon Laboureur , un bon"Cul- 
tivateur; & que la fcience de la Pra- 
tique de lAgricuiture n’eft pas auff 
aifée que bien des gens fe l'imagi- 
nent. 

Pour donc bien ajufter & pro- 
portionner les opérations de l’A- 
griculture à toutes les fortes de qua- 
lités générales & communes qui peu- 
vent fe rencontrer fur un terrein, il 
faut encore fçavoir les différentes 
façons de les exécuter qui leur font 
relatives : on en va traiter dans le 
Chapitre fuivant. 


+ 


POUR LE LABOUREUR. 91 


GYÉANESTETER UE CELE 


Des différentes facons d'exécuter les opé- 
rations de Agriculture, relativement 
a routes les fortes de qualités de ter- 
reins. 


PREMIÈRE SECTION. 


De l'Opération du Labour. 


ŸE Laboureur devant varier fon 
labour fuivant les différentes quali- 
tés des terreins, 1l faut lui faire con- 
noiître les différentes façons de l’e- 
xécuter : 

1°. On le fait à plat, par Bandes 
& par Planches. 

2°. On ne peut trop le répéter. 

3°. On doit foncer le labour, 
felon que le terrein a plus ou moins 
de fond. 


4°. On apprendra en quel tems 


912 MANUEL D'AGRICULTURE 
il convient de commencer les la- 


bours. 
5°. On ajoutera certaines maxi- 
mes générales qui ne tendent qu'à 


les perfectionner. 
6°. On parlera des charrues qui 


font ufitées dans toutes les pratiques 
locales. 

7°. On fera voir qu’un Laboureur 
doit être bien monté. 


I 


Du labour & plat, par bandes & par 
planches. 


ON laboure 4 plar tous les terreins 
fecs & lègers, parce qu'ils reçoivent 
l'eau, & qu'ils ne la retiennent pas; 
cela veut dire qu'on continue de 
les labourer fans aucune interru- 
ption, jufqu’à ce qu'ils foient finis. 
Quand les terreins au contraire 
{ont humides & parconféquent fujets 


POUR LE LABOUREUR. 93 


à retenir les eaux de pluie ou d’inon- 
dation , après avoir été labourés à 
plat , on fait fur ces terreins , a la 
diftance de fix à fept toifes, plus ou 
moins de profonds fillons que l’on 
fonce davantage du côté de la pente 
pour donner plus de facilité à l'é- 
coulement des eaux; c’eft ce qu'on 
appelle Zabourer en bandes. 

Si ces précautions ne fuffent pas, 
on forme des planches, de trois à qua- 
tre pieds feulement de largeur , bor- 
dées de deux fillons, dont le milieu 
fera en dos d’äne , ce que le Labou- 
reur exécutera en donnant de l'élé- 
vation au milieu de la planche. 

Pour former ces planches , on 
commence par faire dans le milieu 
un fillon qu'on remplit par un la- 
bour fait à droit & à gauche; on 
continue de même dans toute l'é- 
tendue de la piéce de terre, jufqw’à 


94 MANUEL D'AGRICULTURE 


ce qu'elle foit finie : les petites émi- 
nences , qui en réfultent dans le 
milieu de chacune des planches, 
s'appellent Billons. 

C'eft ainfi qu’on partage en pe- 
tites planches tout un terrein , pour 
lui retirer plus facilement les eaux 
dont l'abondance & le trop long 
féjour ne pourroient que nuire aux 
grains qu'on y femeroit. 

Ainfñ, quand dans un terrein, les 
eaux ne s'irhbibent pas facilement, 
on doit le labourer par planches & par 
bandes | nonobftant que l'ufage de la 
pratique locale foit de labourer 4 
plat , parceque la qualité générale 
du terroir fur lequel elle eft établie, 
eft de ne point retenir les eaux. 


de 


POUR LE LABOUREUR. 95 
IL 


On ne peut trop répéter le Labour, 


Ce ST une maxime généralement 
reçue & reconnue dans toutes les 
Pratiques locales , qu'il faut bien 
adoucir un terrein, & qu'il faut, pour 
ainf dire, le pulvérifer. | 

On peut dire que cette maxime 
dérive du principe général de l’Agri- 
culture , parceque non-feulementil 
faut ajuiter toutes fes opérations aux 
différentes qualités des terreins , 
mais 1! faut encore les ajufter & pro- 
portionner relativement aux plantes 
qu'elle emploie. 

Qu'un terrein foit gazonneux ou 
léger, qu'il foit difficile ou aifé à la- 
bourer , il faut le réduire & l’adou- 
cir, c'elt-a-dire , qu'il faut en déta- 
cher tous les petits grains de terre 
qui le compofent. 


96 MANUEL D'AGRICULTURE 


Les grands Phyficiens , qui trai- 
tent de l'Agriculture , fe fervent du 
terme de Molécules pour exprimer 
cespetits grains de terre : mais, cor1- 
me ce Manuel n'eft que pour les gens 
de la Campagne, parce qu'ils com- 
pofent feuls, en France, tout le corps 
des Agriculteurs, on croit devoir 
préférer une expreflion qui ef plus 
à leur portée ; ils n’entendroient 
pas l’autre qui ne convient qu'aux 
Amateurs de l'Agriculture, & qu'a 
quelques Propriétaires qui font va- 
loir par eux-mêmes. 

Ainfi ce terme de Molécule ne 
pouvant être employé , quoiqu'aflu- 
rement beaucoup meilleur, fi un ter- 
rein eft extrêmement gazonneux , 
s'il eft pefant , humide, compaéte, 
glaifeux , &c. 1l n’y a point à héfiter 
de répéter les labours , & de les ré- 
péter jufqu'à ce que les petits grains 

de 


POUR LE LABOUREUR. 97 


de terre qui les compofent, foient dé: 
tachés & féparés les uns des autres. 
En voici la raïfon : 

Les racines des grains, & de tou- 
tes les plantes, que l'Agriculture em- 
ploie , font mifes bien plus en état 
de pénétrer, de s’infinuer, & par con- 
féquent de mieux fuccer les nourri- 
tures qui leur conviennent, 

Un terrein bien labouré , bien 
ameubli, ne fe reflent-il pas mieux 
des influences de l'air , du foleil à 
Les pluies ne le pénétrent-elles pas 
davantage ? 

Quoique les terreins légers, & 
même les plus légers n'exigent pas 
tant de labours pour les réduire, en- 
core ne peut-on moins faire que de 
leur en donner trois. 

Quand ils font pris en tems con- 


venable , ainfi qu’on le verra ci- 
G 


93 MANUEL D'AGRICULTURE 


après , ils n'en font que plus humi: 
des, étant fouvent labourés. 
” Et même, pour qu’un labour foit 
bien fait, il faut qu'un terrein foit 
retourné , à l'effet de mieux mêlan- 
ger la terre qu'un bon Laboureur 
cherche toujours à ramener; ce qui 
ne peut s'exécuter, fi le travail de 
la charrue n'’eft répété trois fois. 

On doit comprendre qu'il n’eft ici 
queftion que des labours qu'on don- 
ne au froment & au feigle , qui font 
des grains d'hyver , & qu'il ne s’agit 
point de ceux qu'on donne aux 
grains de Mars qu'on ne fait que 
deux fois ; l'un avant l'hyver, l'autre 
au printems, ou plutôt qu'on ne fait 
qu'une fois au printems, fuivant un 
mauvais ufage qu'on tâchera , ci- 
après , de détruire. 

On pourroit donner la raifon poux 


POUR LE LABOUREUR. 09 


jaquelle ces fortes de grains n'ont 
befoin que de deux labours, c’eft 
que , fuccédant ordinairement au 
froment & au fegle ; ils font femés 
dans des terreins qui ont été extrês 
mement travaillés, & qui ne peu- 
vent que s’en refientir: 

H conviert d'obferver, que né 
pouvant parvenir à bien retourner 
un terrein qu'au troifiéme labour 
ce n'eft que quand il fera fait qu'il 
s'agira de le croifer, fi la fituation 
du terrein le permet, parcequ'en fais 
fant plutôt le croifement, c’eft-à- 
dire après le premier ou le fecond 
labour , il empècheroit que le 
terrein ne fût retourné comme il 
doit l'être ; au lieu que n'étant fait 
que comme on le propofe, après 
le troifiéme labour, il aura tout le 
bon effet qu’on peut s’en promettre. 

Ce n'eft pas entendre le travail du 

Gi 


» 


100 MANUEL D'AGRICULTURE 


labour , que de propofer autrement 
ce croifement. 


ILE 


On doit foncer le Labour félon que le 
terreën a plus ou rnoins de fond. 


D E toutes les opérations de l’A- 
griculture il n’y en a point de plus 
intéreflante,qui demande autant d’at- 
tention, & qui foit plus capable d’a- 
méliorer un terrein , que celle du 
labour, principalement dans ceux 
qui ont encore un fond de terre au- 
deflous de celui qu’exigent fes pro- 
du&tions , à la différence des autres 
terreins , quin'ont que ce qu'il leur 
faut pour les faire venir , dans lef- 
quels l’opération de l'engrais eft 
celle qui a le plus d'effet. 

Comme les produétions de l’A- 
griculture ne font que des plantes 


POUR LE LABOUREUR. 1o1 


annuelles & des plantes fibreufes, 
qui ne cherchent qu’à s'étendre , il 
ne faut dans tout terrein labourable 
qu'environ quatre pouces de fond 
de terre pour les faire venir ; le fro- 
ment , dont les racines pivottent & 
s'étendent plus que celles de toutes 
les autres, n’en exige pas davan- 
tage. 

L’Auteur de la Nature l'a ainfi 
réglé, afin que l’homme , en tel en- 
droit de la Terre qu'il habite, puifle 
trouver à fe procurer plus facile- 
ment fes befoins les plus néceffaires. 

Les produétions de l'Agriculture 
n'exigeant pas plus de fond , c’eft ce 
qui a occafionné, dans toutes les Pra- 
tiques locales , l’introduétion de l’u- 
fage de ne faire les labours qu’à rai- 
fon de quatre à cinq pouces ou 
environ. 

I ne faut cependant pas s'y mé- 

G il 


xo2 MANUEL D'AGRICULTURE 


prendre; trous nos Laboureurs, en 
fe conformant à cet ufage , donnent 
dans une rottine qui porte à l’A- 
griculture le plus grand préjudice. 
_ Le principai objet de l'opération 
du labour , lorfque le fond le per- 
met , étant de renouveller un ter- 
rein , c'eft donc plutôt le fond 
qu'il peur avoir qu'il faut confulter, 
que celui que ces produétions peu 
vent occuper. | 

Mais, y ayant une aufli grande va: 
“ation dans le plus où le moins de 
fond de tous les différens terreins, 
& même d’un terrein qui paroïît d’u- 
ne mème qualité, il n’a pas été pof- 
fble à aucune Pratique locale de 
ftatuer autrement fur le fond du 
labour, 

On a déja vû que, pour le bien 
régler , on en a renvoyé la déci- 
fion à l'examen & à l'expérience 


POUR LE LABOUREUR. 103 


de chaque Laboureur en particu- 
her. 

Au furplus le principe , qui ré- 
fuite de l'établifiement de toutes 
les Pratiques locales étant qu’Z/ 
faut ajufler & proportionner les ope- 
rations de l'Agriculture a toutes des 
différences de terreins qui peuvent fe 
rencontrer ; & Ce principe étant 
aufli généralement reçu & recon- 
nu dans toutes les Pratiques lo- 
cales, il eft évident que tout Las 
boureur en particulier, de tel Pays, 
de tel Canton que ia Terre quil 
puifle être , ne doit régler fon 
labour que fur le plus ou le moins 
de fond que peut avoir le terrein 
qu'il a à cultiver. 

N'y ayant, en conféquence de 
ce principe général , comme on l'a 
fait voir ci-deflus , que l'examen du 
terrein & l'expérience qui doivent 

G iv 


104 MANUEL D'AGRICULTURE 


guider le Laboureur dans toutes fes 
opérations ,1l ne doit fe confier aux 
ufages de fon terroir que relative- 
ment à ce principe. 

Ainfi la grande fcience du Labou- 
reur,eft de connoitre fon terrein, 
ce qu'il peut avoir de fond, & com- 
ment il doit s'y prendre pour s’en 
aflurer. 

Pour mieux l'inftruire fur tout 
cela, 1l s'agit de quelques obferva- 
tions. 

Le terrein qu'il cultive, fait par- 
tie du premier lit de la terre. 

On fçait que la terre eft parta- 
gée & divifée en plufñeurs cou- 
ches, c'eft-à-dire en pluñeurs lits. 
Le premier lit, qui compofe fa fuper- 
ficie, eft ce qu'on appelle Terrern; ileft 
plus amolh, plus attendri que tous les 
autres qui font deflous, parcequ'il 
eft plus à portée d'être continuel- 


POUR LE LABOUREUR. 105 


lement pénétré par les pluies, les 
influences de l'air , du foleil, & par 
les gélées, les dégels, les brouil- 
lards, &c. 

Dans ce premier liton trouve une 
grande diverfité de fond. 

Il y a des terreins qui n'ont que 
cinq à fix pouces; 1l y en a quin'en 
ont que trois à quatre , & qui n'ont 
que ce qu'il faut pour faire venir les 
produétions annuelles de l’Agricul- 
ture ; 1l s'en trouve même qui n’en 
ont pas affez ; ce qui occafionne des 
terreins incultes & abandonnés. 

Cependant on peut y trouver plus 
de fond, comme de dix à douze , 
ou de douze à quinze pouces; on 
en trouve mème qui ont jufqu’à deux 
& trois pieds, quoique de même 
qualité. 

Cette variation fur le plus ou le 
moins , eft telle qu’elle peut fe ren- 


106 MANUEL D'AGRICULTURE 


contrer dans ce qui compofe un ar- 
pent, & dans moins d'étendue encore. 

De façon que quand on trouve 
un certain fond , 1l faut fçavoir s'il fe 
fuit & s’il fe foutient. 

Il n'y a que ce premier lit que la 
charrue puiffe travailler, & qui peut 
fervir à l'Agriculture ; le lit qui eft 
deflous, qu'on appelle Tuf, ne peut 
que lui être nuifible , n'étant ordinai- 
rement qu'un terrein graveleux, ou 
crayonneux , qui commence à fe 
former en pierre, & qui, pour cette 
raifon, ne pourroit qu'altérer & def- 
fécher le lit de deflus, fi la char- 
rue les mêlangeoit, 

On entend même par le terme de 
Tuf, une terre dont la couleur eft 
différente de celle du premier lit: ainf 
lorfque la charrue la rencontrera, 1l 
faut s’en défier, toute aifée qu'elle 
paroifle à labourer, n'étant , fuivant 


FOUR LE LABOUREUR. 107 


les apparences , pénétrée d'aucune 
des influences qu'on vient de détail- 
ler, & qui font fi néceflaires pour 
faciliter la végétation. 

Si on veut s’en fervir, 1l faut com- 
mencer par en faire l'épreuve en 
petit. 

De façon qu'afin de ne point fe 
tromper dans l’idée qu'on doit fe 
former d'unterrein, 1l faut que toute 
la terre qui le compofe , pour pou- 
voir être réputée de même qualité, 
foit de la même couleur. 

On doit concevoir que tous les 
autres lits qui font après le tuf, 
font généralement -encore bien 
moins propres à l'Agriculture. 

Il faut faire attention que dans l’é- 
paifleur de ce premier lit, c’eft-à- 
dire que dans les terreins qui ont au- 
delà de ce que les produétions annuel- 
les de l'Agriculture peuvent oçccu- 


108 MANUEL D'AGRICULTURE 


per, il convient d’y diftinguer la par- 
tie de deflus qu’elles occupent , qui 
ne peut être que d'environ quatre 
pouces , & d’y diftinguer encore la 
partie de deflous, qui contient une 
nouvelle terre de même qualité & 
de même couleur que celle de def- 
fus , que la charrue peut fouiller, 
rechercher & amener pour le réta- 
bliflement , l'amélioration & le re- 
nouvellement de la partie de deflus. 

Pour entendre comment cette 
partie de deflous peut renouveller 
la partie de deflus par le travail da 
la charrue , il faut fçavoir que fon 
{oc , enlevant la terre de deflous, à 
chaque labour qu’elle fait, elle la 
renverfe en même-temsau moyen de 
fon oreille ou de fon verfoir, pour 
la mélanger avec celle de deflus ; 
de forte quil ne fe peut qu'au 
moyen de fon oreille, ou de fon 


POUR LE LABOUREUR. 109 


verfoir , elle ne renverfe la terre de 
deflous pour la mélanger avec celle 
de deflus. 

Il faut encore faire attention que, 
pour bien renouveller un terrein , 
il ne faut pas moins trouver qu’en- 
viron quatre pouces de terre dans 
la partie de deflous, c’eft-a-dire 
qu'il en faut trouver autant qu’en 
occupent & qu’en exigent les plan- 
tes de l'Agriculture. 

S'il s'en trouve davantage , c’eft- 
à-dire trois à quatre pouces de plus, 
le renouvellement s’en fera encore 
mieux, aura plus d'effets & fera plus 
durable. 

En fin il faut fçavoir que tel fond 
de bonne terre que puifle avoir un 
terrein, il ne s’agit que d’en enlever, 
avec la charrue , environ dix à 
douze pouces, & même en deux 
fois, par rapport aux trop grandes 


410 MANUEL D'AGRICULTURE 
difficultés de tirage qui pourroient 
en réfulter, fur tout dans des ter- 
reins forts & pefants, comme ceux 
qu, pour un labour feulement de 
quatre à cinq pouces ou environ, 
exigent quatre ou fix chevaux, ou 
autant de bœufs. 

Dans les terres légères, où on 
pourroit en enlever facilement da- 
vantage , cela ne ferviroit de rien, 
parceque , dans un fond de dix à 
douze pouces de terre , on trouve 
fufifamment de quoi exécuter le re- 
nouvellement dont eft queftion. 

Puifqu'il ne s'agit pas d'enlever 
plus de fond de terre , le Laboureut 
n’a donc befoin que de fa charrue 
& de fa pioche pour täter & fon- 
der fon terrein, pour fçavoir ce qu'il 
peut avoir de fond, & s'il eft fuf- 
ceptible de pouvoir être renouvellé. 

Une fonde ne le ferviroit pas auf 


POUR LE LABOUREUR. rre# 


bien, puifque , quand même elle lui 
découvriroit , en quelques endroits 
de fon terrein, le fond qu'il pourroit 
fouhaiter , 1l ne feroit pas auf afluré 
qu'avec fa charrue , fice fond fe fui- 
vroit & fe foutiendroit également, 
ce qu'il eft eflentiel de fçavoir , y 
ayant bien des terreins qui, avec 
l'apparence de beaucoup de fond, 
ne fe trouvent avoir, quand on les 
fonde avec la charrue, que cinq à 
fix pouces qui fe fuivent, à raïifon. 
des inégalités qui s’y rencontrent. 

On peut donc dire que l'invention 
de la fonde n’eft pas fi merveilleufe 
ni fi utile à l'Agriculture qu’on fe 
left imaginé : dans un bon terrein 
qui a du fond, on trouvera des fe- 
cours & meilleurs & plus furs que 
tout ce qu'on pourroit tirer des en- 
trailles de la terre. 

Pour un terrein qui na même 


112 MANUEL D'AGRICULTURE 


que le fond qu'il lui faut, l’engrais 
ordinaire des beftiaux, bien exate- 
ment renouvellé, lui conviendra 
toujours mieux que tout ce qu'on 
pourroit découvrir avec la fonde ; 
il convient mieux de s’en tenir aux 
reflources qui {font plus aifées, 
moins difpendieufes & qui font d’un 
profit plus afluré & même beaucoup 
plus confidérable. 

Un Propriétaire qui commence 
à faire valoir, peut cependant s’en 
amufer: on n'entend point en inter- 
dire l’ufage , quoique tous les bons 
Laboureurs , & ceux qui fçavent ce 
que c’eft qu'Agriculture , ne s’avife- 
ront point d'y avoir recours ; ils la 
regardent même comme une frivo- 
lité. 


D E toutes les obfervations pré: 
cédentes, ilréfulteque, fi dans unter. 
rein ;, 


POUR LE LABOUREUR. 114 
fein il ne fe trouve qu'environ le 
fond de terre qu'il faut aux plantes 
de l'Agriculture pour les faire venir 
comme quatre à cinq pouces ou cinq 
à fix environ, le Laboureur s’en tien- 
dra à la façon de iabourer de fa Prati- 
que locale ; parceque pour lors, ne 
lui étant pas poñfible de foncer da- 
vantagé pour le rétablir & le renou- 
veller , il ne lui reftera d'autre parti 
à prendre que de recourir à l'en- 
grais, & d'en faire ufage ; c'eft ce que 
l'on traitera dans la feconde Se&ion 
de ce troifiéme Chapitre; 

Cependant ;, comme les plantes de 
l'Agriculture n'occupent qu'environ 
quatre pouces, le Laboureur dans 
tous les labours qu'il fera, s'il veut 
s'en bien acquitter , ne fera pas dif- 
penfé d'examiner, de tâter & de fon- 
der avec fa Tharrue , Ce que fon ter- 


rein peut avoir de fond au-dejà de 
H 


114 MANUEL D'AGRICULTURE 


ce que cesplantes exigent, pour, fans 
rencontrer le Tuf , faire enforte d’a- 
mener toute la nouvelle terre qu'il 
pourra trouver, à l'effet de contri- 
buer encore a l'amélioration de fon 
terrein , fans que cela le difpenfe 
d'avoir recours à l’engrais. 

Quand même , avec fa charrue ; 
il n'ameneroit qu'un pouce, deux 
pouces de nouvelle terre , cela fe- 
roit encore d'autant mieux qu'il lui 
faudroit moins d'engrais. 

Un Laboureur, qui entend bien à 
manier fa charrue , ne s’embarrafle 
pas même des inégalités de fond 
qu’elle peut rencontrer; il trouve 
encore le moyen de fe procurer 
une nouvelle terre. 

Auflitôt qu'il apperçoit que celle 
qu'elle amene, eft tant {oit peu dif- 
férente en çouleur défcelle de fon 
terrein, il ne manque pas de la rele- 


POUR LE LABOUREUR. 11 


ver en continuant fon labour, & en 
tâtant toujours fon terrein, pour 
recommencer à le foncer dès qu'il 
s'apperçoit qu'il a plus de fond. 

Dans le tems que l’Auteur des 
Prairies artificielles faioit valoir par 
lui-nième, {a grande attention étoit 
quef es Laboureursentendiffent ainfi 
à manier leurs charrues, & 1l étoit 
exa@ a les fuivre de près dans tous 
leurs labours ; parceque rien n'’eft 
plus avantageux , que de chercher 
toujours à amener la nouvelle ter- 
re, nonobftant les difficultés qu'on 
peut rencontrer. 

Si, au contraire , on eft aflez heu- 
reux pour faire valoir un domaine, 
un corps de Ferme, qui, dans fa 
contenance , ait tout le fond qu'on 
puule défirer pour renouveller la 
partie de deflus, en lui fubftituant 
une nouvelle terre, par les labours 

Hi 


116 MANUEL D'AGRICULTURE 


que l'on fera ; on peut regarder ce 
fond de terrein comme une Mine 
très-riche , en état de donner les 
plus belles & les plusabondantes ré- 
coltes , par l'opération feule du la- 
bour. 

On doit concevoir ce que c’eft 
qu'une nouvelle terre, qui a toute 
fa force, qui n’a point travaillé, & 
qui doit contenir d'autant plus de 
fels & de fucs, qu'elle eft dans le cas 
de recevoir ceux de la terre de la 
partie de deflus, lorfque les pluies, 
les détrampant trop, les en détache, 

I n'y auroit point d'exagération 
en difant qu'une pareille terre , qui 
provient de la partie du deflous 
d'un terrein qu'on laboure, doit 
avoir plus d'efficacité que le meil- 
leur engrais tel qu'il foit, qu'on em- 
ployeroit ; puifque, n'ayant d'autre 
effet, comme on le dira @-après , 


POUR LE LABOUREUR. 117 


que de nourrir, de fortifier & de 
rétablir les fels & les fucs de la par- 
tie du terrein de deflus, c’eft-à-dire, 
de la partie qu'occupent les plantes, 
ils ne doivent pas être mis en com- 
paraïfon avec une nouvelle terre 
qui a toutes les qualités qu'on vient 
de détailler , & qui procure de nou- 
veaux fels & de nouveaux fucs en 
grande abondance. 

En fubftituant une nouvelle terre 
à celle qui a travaillé, c’eft un nou- 
veau terrein qu'on donne aux plan- 
tes : peut-on rien de plus avanta- 
geux , & qui puifle procurer autant 
d'effets ? 

En tout cas, fi cette nouvelle 
terre exigeoit quelques engrais, ïl 
en faudroit bien peu; car on peut 
dire généralement , que quand un 
renouvellement de rerrein aura été 
bien fait & bien travaillé, c’eft-à- 
| H 


118 MANUEL D'AGRICULTURE 


direque quand le deflus & le def- 
fous auront été bien fouillés, bien 
recherchés & bien retournés par l'o- 
pération & par le travaitde la char- 
rue, on pourra fe pañler d'engrais. 
Toutes les épreuves que l'on en 
fera , ne pourront que le confirmer ; 
à moins qu'un terrein, par fui-mè- 
me, quoiqu'ayant beaucoup de fond, 
ne {oit extrêmement léger & cen:- 
dreux , ou ne foit tfop froid. 
Cependant un grand avantage ; 
qu'on trouvera toujours, en faifant 
ainf le renouveliement d'unterrein, 
& qui confirme qu'il ne fera pas be- 
foin de recourir à l’engrais, ou du 
moins qu'il n'en faudra que très-peu, 
c'eft que dans les terres léoères , la 
partie de deffous ayant toujours plus 
d'humidité & plus de confiftance que 
Ja partie de deffus ; & dans les ter- 
res bumides & pefantes, la partie de 


POUR LE LABOUREUR. r19 


deffous ayant plus de féchereffe & 
plus de lésèreté que la partie de def- 
fus, comme on l’expliauera ci-après, 
cela fait réciproquement un con- 
trafte fi heureux , qu'on ne peut 
rien exécuter de plus avantageux: 
pour l'Agriculture, ni rien qui puifie 
mieux procurer le rétabliflement & 
Famélioration d'un terrein par le 
mêlange qui fe fait nécefairement 
de toutes ces qualités oppofées. 

Que ne propofe-t-on cette façon 
de mêlanger le terrein, plutôt que. 
celle qui ne fe fait qu'en allant cher- 
cher des terres au loin, & qu'on ap- 
pelle Engrais artificiels. Cette autre 
façon a cependant été annoncée 
comme une découverte merveil- 
leufe ; on en parlera plus particuhè: 
sement dans la Section fuivante. 

Dans un terrein qui a du fond; 
on trouvera toujours fous fes pieds j 


H 1v 


120 MANUEL D'AGRICULTURE 


avec la charrue, cet engrais arti- 
ficiel , c’eft à-dire , une terre au 
moins aufh convenable & aufli ana- 
logue que celle qu'on ne pourrait 
aller chercher qu'avec beaucoup de 
dépenfes & un tems confidérable. 

C'eft dans ces fortes de terreins 
qu'on peut dire véritablement que 
le reméde eft toujours à côté du 
mal. 

L'Engrais artificiel , qui fe fait 
donc en allant chercher des terres 
au loin , d'une qualité oppofée à 
celles avec lefquelles il s’agit de les 
mêlanger , quoique trèsbon , ne 
doit fe pratiquer que dans des ter- 
reins qui n’ont pas aflez de fond 
pour les plantes annuelles de l’Agri- 
culture. 

Encore dans les terreins, qui n’ont 
que ce qu'il faut pour les faire venir, 
l'engrais ordinaire , c’eft-à-dire , 


POUR LE LABOUREUR. 121 


celui des beftiaux conviendra-t-il 
mieux : c’eft ce que l'on expliquera 
plus au long dans la Seétion fuivante. 

Les effets merveilleux & furpre- 
nants, quine peuvent que réfulter 
du renouvellement de terrein, au 
moyen de la feule opération du la- 
bour, font fi fenfibles que quoiqu'on 
püt fe difpenfer de les juftifier par 
des expériences ; on va cependant 
rapporter celles qui ont été faites 
par l’Auteur des Prairies artificielles 
dans le tems qu'il faifoit valoir fa 
Terre par lui-même. 

Quoique fituée en Champagne où 
il y a bien peu de fond de terre, & 
à peine ce qu'il en faut pour les pro- 
duétions de l'Agriculture , il a trouvé 
dans fon corps de Ferme quelques 
piéces de terre, qui au lieu de qua- 
tre à cinq pouces de fond, en avoient 
jufqu'a neuf à dix, bien fuivis & bien 
foutenus. 


122 MANUEL D'AGRICULTURE 


Ayant profité de ce fond pour y 
eflayer le renouvellement de terrein 
par l'opération du Labour, & pour 
y femer du froment , quoiqu'aupara- 
vant on n'y eût femé que du feigle » 
il eft arrivé que, fans avoir employé 
le moindre amandement , il a re- 
cueilli par arpent environ huit fep- 
tiers de froment, du poids de cent 
quarante livres chacun, tandis qu'au- 
paravant 1l n'y recucilloit qu'envi- 
ron cinq feptiers de feigle à la mê- 
me mefure. 

Il eft bon de faire fentir tout l'a- 
vantage de ce changement. 

Si on fe fouvient de ce qui a été 
dit dans l’Article II des Préliminai- 
res, à l’occafion du produit de nos 
terres , on verra que dans le tems 
que ces piéces de terres , labourées 
fnivant la routine ordinaire, ne rap- 
portoient qu'environ çinq feptiers 


POUR LE LABOUREUR. 123 


en feigle, cela ne faifoit qu'un fep- 
tier de refte , tous frais faits. 

Or, au lieu d'un feptier de feigle 
de refte, s'agiflant de trois feptiers 
de froment, & le froment valant or- 
dinairement le double du feigle on 
doit concevoir l'augmentation con- 
fidérable qui réfulte de ce renouvel- 
lement. 

Aïnfi on voit par cette expérien- 
ce, comment ( en quelque pays & 
canton de la Terre que foit fitué 
un corps de Ferme ) on peut par- 
‘venir à en doubler , tripler le re- 
venu & même au-delà, fans qu’on 
puifle, & fans mème qu'il foit per- 
mis d'en douter. 

Cette expérience fert encore à 
rendre bien fenfble le tort prodi- 
gieux que font à notre Agriculture 
Les routines de nos Laboureurs, en 
ue profitant pas d'un terrein qui a 


124 MANUEL D'AGRICULTURE 


un fond fufffant ; & on voit com- 
bien il eft important de travailler à 
les en retirer. 

Si une pareille expérience a réufl 
en Champagne dans quelques ter- 
reins qui avoient du fond ; quels 
effets merveilleux ne doit-on pas en 
attendre dans les Pays & Cantons où 
il fe trouve de bonnes terres ? 

Cependant , comme les terres y 
font généralement très-légères , ce 
n’eft que dans celles qui ont quel- 
que confiftance , que le renouvelle- 
ment de terrein peut ainfi réuflir 
fans engrais; autrement , comme on 
la déjà obfervé , il convient d'y 
avoir recours ; mais il n'en faudra 
que moitié de ce qu'on en emploie 
ordinairement , & ce fera toujours 
beaucoup gagner. 

._ Ce n’eft que faute de bien foncer 
le labour dans les terreins qui ont 


POUR LE LABOUREUR. 115 


du fond, qu'ils font ordinairement 
réputés médiocres & mauvais. 

On doit d'autant mieux le conce- 
voir que, auand , fuivant la routine 
ordinaire , un terrein eft toujours la- 
bouré dans le même fond de qua- 
tre à cinq pouces, & quand il n’eft 
foulagé que par les jachères, & n'eft 
foutenu que par quelques légers en- 
grais qui ne font pas renouvellés 
à propos, tout cela ne peut fufire 
pour le bien entretenir ; il ne peut 
même que fuccomber en peu d’an- 
nées, fur tout fi l’on fait attention 
à la quantité de fels & de fucs qu'il 
doit fournir à chaque récolte qu'il 
donne, quand même elle ne feroit 
que médiocre. 

Car rien n’épuife tant un terrein 
que les produ&tions de l'Agriculture, 
parcequ'elles ne peuvent occuper 
qu'environ quatre pouces de la fu- 


426 MANUEL D'AGRICULTURE 
perficie , en s'étendant horifontale- 
ment de tous les côtés, à la diffé- 
rence des plantes vivaces , dont les 
racines, prenant beaucoup plus de 
fond , ne fatiguent pas’, à beaucoup 
près , autant la fuperficie de la 
terre. 


FN ESTE à faire voir comment un 
Labouréur pourra s'y prendre pour 
exécuter ce renouvellement fur fon 
corps de Ferme , en lui fuppoñfant 
un fond de terrein fuffifant. 

Dans les labours qu'il a à faire, au 
lieu de n’enlever avec fa charrue, 
comme 1l le fait ordinairement , 
qu'environ cinq pouces de terre, 
qu'il tente , au premier qu'il donne- 
ra, d'en enlever feulement un pou- 
ce ou deux de plus? 

Si cetté première tentative lu 
réuflit fans rencontrer le Tuf, ou 


POUR LE LABOUREUR. 127 


une terre de couleur différente de 
celle de fon terrein , 1l rentrera dans 
le même fillon quil vient de faire 
pour tâcher d'en enlever encore qua- 
tre à cinq pouces. 

Après avoir ainfi enlevé un pied 
de bonne terre , il en reftera la, & 
continuera fon labour de même juf- 
qu'à ce que fon champ foit fini. 

Il eft vrai que cette façon de la- 
bourer donne beaucoup plus de pe: 
nes; mais on eft bien récompenfe. 

Il continueroit donc la même opé- 
ration de labour dans tout ce qui fe 
trouveroit dépendre de fon corps de 
Ferme, ou du moins dans tout ce 
qui s'en trouveroit fufceptible. 

Après avoir ainfi fait fon premier 
labour, 11 ne feroit queftion dans tous 
les autres qu'il donneroit jufqu'au 
tems de la femence , que de les faire 


128 MANUEL D'AGRICULTURE 


a l'ordinaire, c'eft-à-dire, d'environ 
cinq pouces; parcequ'au moyen du 
premier double labour , tout le ter- 
rein fe trouve renverfé. 

Cependant, pour rendre moins pé: 
nible cette opération, & pour qu'elle 
prenne moins de tems , on pourroit 
la partager en trois, en fix, ou 
neuf ans, c'eft-à-dire que , tous les 
ans , on laboureroit , comme on vient 
de le dire , la troifiéme , la fixiéme, 
ou la neuviéme partie de fon corps 
de Ferme ; &, s’il étoit partagé dans 
trois foles ordinaires , cela revien. 
droit tous les ans au tiers , à la moi- 
tié , ou au total de ce qui fe trouve- 
roit en jachères. 

Ainfi en trois, en fix ou neuf ans, 
_on peut entièrement revouveller 
tout le terrein d’un corps de Fer- 
me, & le mettre par conféquent en 


état de rapporter au double , ou 
at 


POUR LE LABOUREUR. 129 


au triple de ce qu'il rapportoit ci- 
devant, 


L'exécution de l'opération de ce 
renouvellement pourroit encore fe 
faire autremént, 

Au lieu de le faire en deux fois, 
en revenant dans le mème fillon, 
pour achever d'enlever quelques 
pouces de bonne terre, on pourroit 
enlever le tout à la fois, en doublant 
les forces de tirage. 

Le Laboureur prendra le parti 
qui lui femblera le plus convenable. 

Cette opération {e trouvant exé- 
cutée en trois, en fix ou en neuf 
ans, comme le renouvellement de 
terrein , qu'elle procure, eft autre- 
ment durable que lengrais , on pour- 
roit ne le recommencer que tous les 
neuf ou douze ans, pendant lequel 
intervalle on ne feroit le labour qu'à 
lordinaire. 


130 MANUEL D'AGRICULTURE 


Le terrein fe reffentiroit fuffifam- 
ment de la nouvelle terre qu’on li 
auroit procurée ; & , pendant cesneuf 
ou douze ans, la partie de deffous, 
qui fe repoferoit , reprendroit toute 
la qualité d’une bonne terre nou- 
elle ; de façon que, par cette alter- 
native , on feroit toujours en état de 
bien entretenir le renouvellement. 

Enfin, pour réuflir dans l'exécution 
de ce renouvellement, & pour lui 
donner un fuccès afluré, il ne faut 
-pas manquer d'en faire le premier 
labour avant’ l'hyver , c'eft-à-dire 
vers le tems de la Saint Martin. 

On doit en fentir la néceffité , 
-puifque , s'agiffant d'amener , par le 
moyen de la charrue , une nouvelle 
terre qui ne s’eft pas fi bien reflentie 
des influences de l'air , du foleil, des 
pluies & de tous les effets de l'Ath- 
mofphère , que celle de la fuperfcie, 


POUR LE LABOUREUR. 134 


les fels & les fucs qui y font conte- 
nus ont befoin d'être expofésd'abord 
à la faifon de l'hyverpour être rani- 
més & fortifiés, cette faifon fe trou- 
vantla plus propre & la plus favora- 
ble pour faire fondre tout le terrein 
par ie moyen des dégels, des neiges, 
des brouillards, &c. 

Au lieu œue , fi on ne commen- 
çoit ce renouvellement qu'au prin- 
tems, on courroit grand rifque de 
‘’en pas tirer tout le fuccès qu'on 
en efpéreroit ; il pourroit même arri- 
ver qu'on verroit manquer fon opé- 
ration , parcequ'il s’agit de bien dé- 
gager des fels qui fe trouveroient 
comme inanimés, 

Dans l'Article fuivant, on vaien- 
core voir combien font avantageux 
tous es labours qu'on fait avant 
Fhyver. 


1j. 


132 MANUEL D'AGRICULTURE 
I V: 


En quel tems il convient de commencer 
les Labours. 


NN Os Laboureurs, nos Fermiers 
font dans l’ufage de ne commencer 
leur labour qu'au printems , tant 
pour les bleds que pour les Mars. 

On ne fçait fur quoi peut être fon- 
dé ce mauvais ufage qui ne peut 
faire que beaucoup de tort à l’Agri- 
culture ; l'Expérience ayant toujours 
fait voir que, quand on les anthy- 
verne , c'eft-à-dire que quand on 
commence à leur donner le premier 
labour vers la Saint Martin, ils ont 
bien plusde fuccès. 

Cependant aucune occupation 
pour lors ne les en empêche, puifque 
tous les travaux de la campagne font 
finis. 

Une feule façon avant l'hyver 


POUR LE LABOUREUR. 133 


pulverifera plus la terre que deux 
qui feroient données au printems ;, 
enforte que , pour lors, le tirage de 
la charrue fe trouveroit bien moins 
pémible. 

Cette façond’anthyverner , ajou- 
te un labour de plus , tant aux bleds 
qu'aux Mars, & on peut dire que ce 
labour fera toujours le meilleur de 
tous ceux qu'on pourra leur donner. 

Il eft d'abord conftant qu'il réufñt 
mieux pour lors, que dans toute 
autre faifon , à détruire & à faire 
mourir toutes les racines des herbes, 
en les mettant à découvert avant les 
gêlées, (ce qu'il eft bien important 
de fçavoir & d'exécuter dans tous 
les pays & cantons qui font plus 
fujets à pouffer beaucoup d'herbes ). 
Mais , indépendamment de cet effet, 
c'eft que la terre, qui eft ainf re- 
tournée avant l'hyver , fe refait & 

Ji 


134 MANUEL D'AGRICULTURE 


fe rétablit beaucoup mieux que f 
eile n'étoit pas labourée, les pluyes, 
les neiges, les gèlées, les brouillards 
la pénétrant beaucoup plus facile 
ment. ; 

On fçait que l'hyver eft le temps 
que Îa nature prend tous les ans 


pour fe renouveller, & pour fe re- 
mettre du travail qu'elle a eu pen- 
dant les deux fañfons du printems 
& de l'été : 1l s'agit de reprendre 
Phuñidité qui lui eit fi néceffaire 
pour rétablir fes fels & fes fucs, & 
pour qu'ils puiflent recommencer à 
agir. , 

Cette humidité étant le principe 
effentiel de la végétation , le La- 
boureur doit être attentif à faifir le 
temps le plus capable de la lui ren- 
dre , & 1l doit encore avoir l’atten- 
tion de la lui conferver dans tous les 
labours qu’il a à donner pendant les 


POUR LE LABOUREUR. 135 


deux fañons du printemps & de 
l'été, ce à quoi 1l ne réufhra qu'en 
obfervant toujours de ne les faire. 
que dans les temps convenabies , 
ainfi qu'il fera dit ci-après : il doit 
furtout avoir cette double attention 
pour les terres légères , dont le 
defféchement ordinaire eft l'unique 
caufe de leur ftérilité. 

Ainfi le labour, qu'on leur don- 
nera avant l'hyver ; leur fera d’au- 
tant plus favorable , que c'eft prin- 
cipalement par cette opération , 
qu'elles contraftent davantage l’hu- 
midité dont elles ont tant de be- 
foin. 

À légard des-terres fortes, pe-. 
fantes , humides, le labour avant 
lhyver ne pouvant fervir qu'à les 
rendre beaucoup plus faciles à être 
labourées au printemps, & qu'à les 
rendre beaucoup plus meubles, on 

Jiv 


136 MANUEL D'AGRICULTURE - 


peut dire qu'il contribuera à les 
deffécher davantage & à ne leur 
laïfler que l’humidité qu'il leur faut. 

En prénant la précaution de ne 
les labourer dans la fuite que dans 
les temps qui peuvent leur conve- 
nir, on ne fera point furpris de voir 
deux effets différens provenir d'une 
même caufe. 

Tout ce qu’on vient de dire con- 
cerne les terres qui doivent être 
énfemencées en grains d'hyver. 

Pour les mêmes raïfons , furtout 
pour faire un labour ‘plus aïfé & 
plus ameubli au printemps , il con- 
vient de ne pas manquer d'anthy- 
verner encore les terres qui doivent 
être enfemencées en Mars, & de 
leur donner deux labours aulieu 
d'un. 

L'opération d’anthyverner les ter- 
res à Mars , fe fait aufh-tôt la re- 


POUR LE LABOWREUR. 137 


colte des fromens & des fegles , d’au- 
tant plus avantageufement , qu’elle 
retourne & enclos les chaumes qui 
pour lors peuvent fervir d'amande- 
mens ; cependant il eft encore inté- 
reflant de ménager la pâture des 
Bètes blanches & d'y avoir atten- 
tion. 
V. 


Maximes générales fur les Labours. 


TS 


DE quelque façon que s'exécu- 
tent les labours , qu'on les fonce 
autant que le terrein peut le per- 
mettre , qu'on les fafle exaëétement 
avant l’hyver, en un mot , que 
le Laboureur fe retourne tant qu'il 
voudra pour tâcher de parvenir de 
fon mieux à les ajufter & propor- 
tionner à toutes les différences de 
terreins qui {e rencontrent, en faifant 
bien ufage de fon expérience, en- 


138 MANUEL D'AGRICULTURE 


core n'aura-t-1l pas un plein fuccès, 
fi, en faifant fes labours, il n'a pas 
l'attention de les faire en tems con- 
venable , & s’il n'a pas encore celle 
de ne les recommencer que quand la 
terre aura repris la liafon qu'elle 
avoit avant d'être labourée. 
Quoique ces deux maximes foient 
généralement reçues & reconnues 
dans toutes les Pratiques locales ; 
quoique leur exécution foit d'une 
aufñ grande conféquence, cela n’em- 
pèche pas que la plüpart de nos La- 
boureurs , emportés par leurs rou- 
tines, ne penient pas feulement à 
obferver la première , qui mérite le 
plus d'attention; ils vont prefque 
toujours fuivant le tems,& le pré- 
nent comme 1l vient; cependant 
cette première maxime eft d'autant 
plus importante , que , dans tous les 
labours que l’on fait, fi variés qu'ils 


POUR LE LABOUREUR. 9 
uifent être , il s’agit de conferver 
fon terrein aMnnidité que le repos 
de l'hyver lui a rendue, &.qu'il sa- 
gitencore de ne lui en laifler que ce 
qu'il en faut, fuppofé qu'il fe trouve 
qu'elle y domine trop. 

On ne contéftera point que l’hu- 
midité ne foit le principe eflentiel 
de la végétation; ce n’eft que par 
elle que les fels & les fucs de la terre 
font mis en état d'agir: s'il n’y en a 
pas aflez, ils ne font que languir, 
& sil y en a trop, ils font comme 
éteints, fans force & fans vigueur. 

Il ef donc de la plus grande con- 
féquence pour le Laboureur, de la 
ménager & de la régler , fuivant que 
fon terrein eft plus ou moins fec, 
plus ou moins humide. 

Cela ne pouvant s'exécuter que 
par les labours , il s'enfuit qu'il ne 
convient de labourer ies terres fé- 


140 MANUEL D’AGRICULTURE 


ches & légères que dans les tems un 
peu humides, comme après une pe- 
tite pluie, & qu'il ne convient de 
labourer les terres humides, fortes & 
pefantes que dans un tems un peu 
fec: 

Quand un Fermier, dans fon corps 
de Ferme , a plufieurs piéces de terre 
de différentes qualités, il peut plus 
facilement s'arranger , fuivant le 
tems ou il fe trouve. 

Ces deux fortes de terres féches 
ou humides, quoiqu'auffi oppoiées, 
ne doivent point encore être travail- 
lées dans des tems trop pluvieux ou 
trop fecs. 

Quand un terrein fec ou humide 
eft labouré dans un tems où il eft 
trop imbibé & comme en mortier, 
la moindre fécherefle qui furvien- 
dra , le durcira de façon que quand 
même 1} y auroit encore des labours 


POUR LE LABOUREUR. 141 


à faire, ils ne pourroient que s’en 
reflentir ; ce feroit une récolte man- 
quée. 

Si,au contraire,cesdeuxterreins, 
quoiqu'oppoiés, font travaillés dans 
un tems fi fec que la terre forme des 
fentes , indépendamment deslabours 
fuivans , il y refteroit toujours des 
parties qui ne pourroient s’ameu- 
blir , fur tout dans celui qui feroit 
humide & pefant, ce qui retireroit 
tellement à l’un & à l'autre l’humi- 
dité qui leur eft néceffaire , que ce . 
feroit encore une récolte manquée. 

C'eft un proverbe dans les Cam- 
pagnes, que /e labour , fait à propos, 
vaut un amandement. 

Quand l'Auteur des Prairies artificiel. 
Les pourroit parvenir à ne faire labou- 
rer fes terres les plus féches, les plus 
légères, même les plus mauvailes, 
qu'après une peute pluie, & que dans 


14 MANUEL D'AGRICULTURE 


un temis un peu humide ,il en réful- 
toit toujours de merveilleux effets. 

Ces effets ne pouvant être les mê- 
mes par-tout où il eft queition d’A- 
griculture, on doit par conféquent 
s'attendre à de pareils fuccès danses 
terreins humides & pefans, quandies 
labours n'y feront donnés que com- 
me on vient de le dire. 

Tout cela fait voir que le labour, 
quand il eft bien conduit, eft un 
grand principe de fertilité dans les 
terres mêmes les plus féches & les 
plus légères, & prouve combien fon 
opération mérite d'attention. 

Quoique le Laboureur ne foit pas 
le maitre des faifons , & qu'il ne 
puifle pas deviner les tems , il peut 
cependant un peu compter fur une 
variation qui leur eft aflez ordinaire. 

Ainfi, pour qu'il fe mette en état 
de pouvoir parvenir à ne travailler 


POUR LE LABOUREUR. 143 


Ja terre que dans un tems conve- 
nable , autant que cela peut dépen- 
dre de lui , il doit extrêmement dili- 
genter les premiers labours du prin- 
tems ; c’eft-a-dire ceux que l’on 
fait pour les Mars, quoiqu'il doive 
auffi avoir l’attention de ne les faire 
qu'à propos; & il convient de les 
finir le plutôt qu'il pourra, en les 
commençant dès que la faifonle per- 
mettra. 

Les Mars achevés de bonne heure 
pourront lui donner lieu de com- 
mencer plutôt les labours des terres 
à bleds ; & , au moyen de l'avance 
qu'il fe fera procurée , il pourra fe 
mettre en état de choifir les tems 
les plus convenables pour les labours 
fuivans, foit en les reculant, foit en 
les avançant , fans que cela empé- 
che d'exécuter tous ceux qu'il con- 
viendra de faire, 


t44 MANUEL D'AGRICULTURE 


Au lieu que s’il eft en retard dans 
fes Mars, faute d’avoir bien pris fon 
tems, tous les labours fuivans ne 
pourront que s'en reflentir, & il Jui 
arrivera ce qui arrive à la plüpart des 
Laboureurs qui, fe trouvant en retard 
pour cependant ne point perdre une 
fafon dans laquelle ils font dans l'u- 
fage de donner ou de continuer leurs 
labours , font déterminés par leurs 
routines à prendre le tems comme 
il ef. 

Pour les raïfons qu'on vient de 
détailler , il conviendroit bien mieux 
d'omettre un labour, que de le faire 
dans un tems qui ne feroit pas con- 
venable. 

C'’eft pourquoi l’a@ivité, la dili- 
gence font des qualités néceflaires 
& indifpenfables dansun Laboureur : 
on ne peut trop les lui recomman- 
der. 


LA 


FOUR LE LABOUREUR, 145 


La SECONDE maxime confifte à 
ne recommencer les labours que 
quand les terres ont repris la liaifon 
qu’elles avoient avant d'être labou- 
rées, & de laifler un intervalle fuf- 
fifant qui puifle opérer cet effet. 

Cette attention eft fi néceflaire, 
que , fi on agifloit autrement, on 
les deffécheroit & on en évaporeroit 
les fels & les fucs ; puifque ce n’eft 
que par la liaïfon que reprennent les 
terres, après être nouvellement la- 
bourées en tems convenables, qu’el- 
les font maintenues dans la propor- 
tion d'humidité dont elles ont be- 
foin pour mieux effectuer la végé- 
tation des plantes & des femences 
qu'on leur deftine. 

Cet intervalle qu'il faut met- 
tre entre les labours, demande 
plus ou moins de tems, fuivant les 

K 


146 MANÛÜEL D'AGRICULTURE 


terres ; ce qui roule fur envi- 
ton trois à quatre femaines , & 
même quelquefois plus, en obfervant 
que cette reprife de liaifon fe fait 
mieux & plutôt, quand il furvient 
une pluie. 

On peut dire que nos Laboureurs 
font bien dans le cas d'obferver cet 
intervalle par rapport à la multipli- 
cité d'ouvrages dont ils font acca- 
blés, & qui fe fuccédent les uns. aux 
autres. 

Ils n’ont pas plutôt achevé leurs 
Mars, que, fans retard & fans inter- 
ruption, fi le tems eft convenable ; 
ils ne doivent point différer de com- 
mencer les terres à bleds. 

Dans un corps de Ferme compoié 
de deux ou trois charrues, quand 
même 1l n'y en auroit qu'une, il ne 
faut pas moins qu'environ trois fe- 
naines ou un mois poux finir les la- 


® POUR LE LABOUREUR, 147. 
bours de la fole des bleds, & pour 


les recommencer. 

Voila donc déja un intervalle fuf. 
fifant pour la reprife de la liaifon des 
terres, puifqu'il a été entièrement 
occupé & employé à travailler cette 
fole. 

Mais elle n’eft pas plutôt finie, 
qu'avant de recommencer le labour, 
il eft queftion de charier les fumiers 
d'hyver, qui ne Font pu être plutôt, 
tant à caufe de la difficulté des char- 
rois , que par rapport à la néceflité 
de ne point retarder les Mars & les 
labours fuivans. 

Après le fecond labour de la fole 
des bleds, il s’agit pour lors de la 
moiflon des foins, & de conduire 
encore des fumiers. 

Tout cela n'eft pas plutôt fait, 
qu'indépendamment du troifiéme la- 
bour , les moiflons de toute efpéce 

K ij 


148 MANUEL D'AGRICULTURE 


furviennent , comme de lentilles, de 
fegle , de froment, d'orge , d’avoi- 
ne , de pois, de farrafins , &c. qu'on 
ne peut renfermer fans employer 
bien du tems. 

. Jufqu’à celui de la femence , il y a 
encore des engrais à conduire. 

Si, pendant tous ces ouvrages pé- 
nibles, le Laboureur n’a pas Fatten- 
tion de réferver une charrue, foit 
pour ne point difcontinuer fes la- 
bours , foit pour les faire & les re- 
prendre à propos, 1l ne pourra que 
tomber dans l’écueil dont on a parlé 
ci-deflus, qui lui cauferoit un très- 
grand préjudice. 

Quand même un Laboureur n’au- 
roit pas d'engrais à voiturer, ou 
qu'il n’en auroit que très-peu, par le 
défaut de prairies, n’a-t-1l pas fes 
labours à reprendre ‘auflitôt que le 
tems eft favorable ? 11 faut qu'il le 


POUR LE LABOUREUR. 149 


guette & le fafñfle fitôt qu'il fe 
préfente. 

On doit donc fentir combien le 
tems du Laboureur eft précieux. 

Après tout ce détail , qu'on ne 
peut contefter, pourra-t-on difcon 
venir que, quand on détourne le 
Laboureur de fes ouvrages, fur-tout 
de fes labours, ce ne foit faire le 
plus grand tort à l'Agriculture & 
par conféquent à l'Etat ? 

Le travail du Laboureur eft un 
travail fi continuel, qu’il a befoin de 
tout fon tems, & qu'ilne peut être 
interrompu qu'il ne s’enfuive fa perte 
& la ruine de toute fa famille. 

C’eft aflurément bien méconnoitre 
l'Agriculture , que de fe perfuader 
qu'on peur prendre le tems du La- 
boureur , & qu’on peut en difpofer. 

Si on agifloit avec une Com- 
munauté d'Ouvriers quelle qu’elle 

K ü] 


\ 
150 MANUEL D’AGRICULTURE 


puifle être, comme on agit avec 
le corps des Agriculteurs , on ver- 
roit qu’elle diminueroit tous les ans 
& qu'infenfiblement elle viendroit 
à rien. 

VI 


Des charrues € autres infirumens ufites 
dans toutes les Pratiques locales. 


Gx peut dire que dans toutes les 
Pratiques locales on ne fe fert que 
de deux fortes de charrues pour 
réduire la terre, pour l'ameublir & 
pour la mettre en état de faire fru- 
lifier les femences qu'on y jette; du 
moins ce font celles qui font le plus 
généralement ufitées. 

Ces deux fortes de charrues font 
à oreille ou à verfoir. 

Celle qui eft le plus en ufage ,eft 
la charrue à oreille, qui doit être plus 


POUR LE LABOUREUR. 15i 


ou moins forte , fuivant la qualité du 
terrein. 

Elle eft ainfi appellée , parceque 
du côté du foc il y a une planche 
contournée de façon qu’elle ren- 
verfe toujours la terre du côté 
qu'elle eft placée ; &, comme on peut 
placer cette planche du côté que 
lon veut, le Laboureur eft le mai- 
tre de renverfer la terre , foit à droit, 
foit à gauche. 

Ainfi lorfqu’il commence à labou- 
rer une piéce de terre, ayant d’a- 
bord mis l'oreille de fa charrue du 
côté de fa main droite pour faire le 
premier fillon, 1l renverfe la terre du 
côté droit ; &, quand il eft queftion 
de faire le fecond fillon, il attache 
l'oreille du côté de fa main gauche. 

De cette façon ilrenverfe la terre 
dans le fillon qu'il vient de former, 
toujours changeant de droit & de 

: K 1v 


152 MANUEL D'AGRICULTURE 


gauche l’oreille de fa charrue, à cha- 
que nouveau fillon qu'il fait , pour 
continuer de renverfer la terre du 
même côté, jufqu'a ce que fa piéce 
de terre foit entièrement labourée. 

Avec cette forte de charrue à 
oreille, on eft en état de labourer 
tout terrein. 

La charrue à verfoir, au lieu d’o- 
reille , a une piéce de bois forte- 
ment attachée au côté droit de la 
charrue , & qui ne varie point; c’eft 
cette piéce de bois qu’on appelle 
V'erfoir. 

Comme elle renverfe la terre tou- 
jours du même côté, pour labourer 
entièrement une piéce de terre, il 
faut la tourner jufqu’à ce qu’elle foit 
finie. 

À cette différence près, les ufages 
de ces deux fortes de charrues font 
les mêmes, & on s'en fert indifié- 


POUR LE LABOUREUR. 153 


remment dans les terres fortes on 
lécères; cependant celle qui eft à 
oreille, eft plus ordinairement pré- 
férée quand on fe fert de chevaux, 
ence qu’à chaque fillon qu’elle fait, 
comme on eft obligé de s'arrêter 
pour changer le côté de l'oreille , 
cela leur donne un petit repos. 
Leur ufage confifte à piquer con- 
venablement le terrein qu’on tra- 
vaille , à quoi on parvient en avan- 
çant ou reculant l’age de la fellette ; 
1l confifte encore à renverfer & à 
retourner un terrein pour mélanger 
la terre de deflous avec celle de 
deflus , en faifant defcendre celle-ci. 
Ces deux fortes de charrues font 
compofées de deux petites roues, 
qu'on appelle Roulettes, & d'un 
eflieu fur lequel eft dreflé la fellette 
à laquelle eft attaché le timon, le 
foc, l’oreille ou le verfoir , & le 


154 MANUEL D'AGRICULTURE 


coûtre , qui fert à faciliter le ti- 
rage. 

Il y a cependant encore une troi- 
fiéme forte de charrue qui n’a point 
de Roulettes , dont on ne fe fert que 
dans les Provinces Méridionales. 

On peut en ajouter une quatrié- 
me, qui eft à deux oreilles, qu’on 
n'employe que dans les terres gazon- 
neufes ou trop humides, pour les 
mieux dégazonner , en les ouvrant 
davantage , ou pour leur donner le 
moyen de fe mieux deflécher ; dans 
les labours qu'on anthiverne , on les 
emploie très utilement. 

La herfe eft un inftrument defti- 
né à brifer & à unir les terres ; elle 
eft de bois, garnie de longues dents, 
foit de bois ou de fer, & elle eft de 
forme quarrée ou triangulaire. 

Son principal ufage eft de la faire 
pañfer fur un terrein chaque fois qu'il 


POUR LE LABOUREUR. 155 


vient d'être labouré , pour achever 
de brifer, de cafler & de fondre les 
mottes ou gazons, que le labour au- 
roit échappé, ou qu'il n’auroit fait 
que commencer. 

On s’en fert encore pour bien ap- 
planir un terrein avant de le femer, 
a l'effet de répandre plus également 
la femence qui, faute de cette pré- 
caution, tomberoïit prefque entière- 
ment dans les fillons , & pour cou- 
vrir toutes les femences qu'on em- 
ploye en Mars ; à la différence des 
grains d’hyver, quine fe couvrent 
ordinairement qu'avec Îa charrue. 

Il convient d’obferver qu'il faut 
plus d'un tour de herfe pour bien 
couvrir la femence , devant être 
abfolument de deux tours , lorf- 
qu'on ne fe fert que d’une herfe, à 
moins qu'il n’y en ait deux qui fe 
fuivent. 


156 MANUEL D'AGRICULTURE 


Quand une herfe n'enfonce pas 
fufifamment pour bien couvrir la 
femence, on l'appefantit en mettant 
de groffes pierres deflus. 

Il ne faut point oublier la Rouleau 
qui eft affez en ufage dans toutes 
nos Pratiques locales. 

C’eft une groffe piéce de bois, 
longue , ronde & très-pefante , qu’un 
cheval tire au moyen de deux cor- 
dages qui , étant attachés aux extrê- 
mités de la Rouleau, fe réuniflent à 
une traverfe de bois. 

Son principal ufage confifte à 
douçoyer & à applanir le terrein 
des avoines pour en rendre le fau- 
chage plus facile. 

On s'en fert aufli pour rouler les 
fromens dans les terres légères, à 
l'effet de les affermir , & d'empêcher 
les häles du printems d’en déchauffer 
les racines. 


POUR LE LABOUREUR. 1:57 


La rouleau fert encore à cafler & 
à fondre les mottes de terre. 

1l faut obferver qu'il n’en faut 
faire ufage que dans un tems fec. 

Au moyen de ces fortes de char- 
rues, de herfe & de la rouleau, il n’y 
a point de terrein labourable, quel 
qu'il foit, qu'on ne puifile réduire , 
ameublir & bien fouiller. 

Voilà donc pourquoi 1l faut laïffer 
à nos Laboureurs leur foc, comme 
l’établit , d’après Caton , Olivier de 
Serre dont on a parlé ci-deffus. 

Qu'importe comme foit le couteau ; 
(dit encore Liébaut dans fa Maifon 
Ruflique, pag. $10 , livre $ , ) pourvu 
qu’il coupe le pain; ne traitant de læ 
charrue, que pour dire qu'il faut la 
laïffer telle qu’elle eft , fans même 
entrer dans aucun détail fur fa con- 
ftruction ; parcequ'il eft clair que tous 
les changemens qu'on pourra propo- 


158 MANUEL D'AGRICULTURE 


fer, feront toujours au moins inu- 
tiles. 

Tous ceux qui connoïffent l’Agrt- 
culture, & qui la pratiquent, penfe- 
ront toujours comme ces deux grands 
Auteurs ; & il feroit d'autant plus 
difficile de faire changer aux gens 
de la Campagne leurs inftrumens, 
qu'ils ne verroient point qu'avec 
ceux qu'on pourroit leur propofer , 
ils duflent faire mieux qu'avec leurs 
focs. 

Tout ce qu'il y a à leur recom- 
mander, fur-tout pour les terreins 
forts & difficiles à brifer, c’eft de 
fe munir d’un fer à charrue bien fo- 
lide , plus pointu & moins large par 
le haut qu'il ne l’eft ordinairement , 
avec encore la précaution d'en chan- 
ger plus fouvent , ou plutôt de le 
faire rebattre , lorfqu’il en fera be- 
foin. 


POUR LE LABOUREUR. 159 


: A l'égard du tirage de la charrue, 
on fe fert de chevaux ou de Bœufs, 
fuivant l’ufage des lieux. 

Dans les premiers fiécles du mon- 
de., les labours ne fe faifoient qu’a- 
vec des bœufs, on n’y employoit 
point les chevaux. 

Le bœuf convient mieux dans les 
terreins difficiles, & dans les terreins 
inégaux , ayant beaucoup plus de 
force que le cheval, qui s'y fatigue- 
roit trop ; & on peut dire que le 
bœuf a fur le cheval quelqu’avantage. 

Un bœuf coute moins à nourrir 
qu'un cheval , puifqu'on ne lui 
donne point de grain, mais du 
foin & de la paille. Il eft moins fujet 
aux maladies ; &, quandil a bien tra- 
vaillé, s'il fe trouve hors d'état de 
continuer , on l’engraifle pour le 
vendre beaucoup plus qu'il n’a coûté. 

Le cheval exige plus de dépenfe & 


160 MANUEL D'AGRICULTURE 


d'entretien, & lorfqu’après avoir bien 
travaillé il fe trouve hors de fervice, 
il ne peut rapporter à fon maitre au- 
cun intérêt, parcequ'il ne peut être 
vendu comme le bœuf, cependant, 
il eft beaucoup plus eftimé & beau= 
coup plus en ufage , parcequ'il fe 
manie mieux à la charrue, qu'il fait 
beaucoup plus d'ouvrage , & qu'il 
eft bien plus propre à tous les cha- 
TOIS. 

Il y a encore une raïfon qui le 
rend préférable au Bœuf, c’eft que 
pour une charrue , ilne faut qu'un 
attelage de chevaux, au lieu qu'il en 
faut denx de bœufs,dont l’un foit pour 
le travail de la matinée, & l’autre 
pour celui de l’après-midi, toujours 
ainfi alternativement, afin que l’un 
des deux fe repofe; autrement le 
même attelage de bœufs, qui ne dif- 
continugroit pas fon travail , 1iroit 

extrèmement 


POUR LE LABOUREUR: r6i 
extrèmement lentement ; ce quiobli- 
ge d'en avoir deux pour bien fairé 
aller une charrue: 

Or, en ce eas, une charrue dé 
bœufs coûte plus qu'une charrue de 
chevaux, parcequ'indépendamment 
de l'inconvénient de fe manier bien 
moins que les chevaux , les bœufs 
exigent deux conducteurs à la char: 
tue: 


VIÏ 
Le Laboureur doit être bien rtorité, 


Si 6n fait attention à tout le dé: 
tail qu'on vient de donner fur les 
labours ; foit pour les varier fuivant 
les différentes qualités générales & 
communes des terreins, foit pour 
les foncer ; felon qu'ils ont plus où 
moins de fond , foit encore pour né 
les faire que dans des tems conve: 


L 


161 MANUEL D'AGRICULTURE 


nables, &c. on doit fentir qu'il faut 
quun Laboureur foit bien monté 
pour fe trouver en état d'exécuter, 
comme 1l convient, toutes les char- 
rues qu'il peut avoir à faire valoir 
dans fon corps de Ferme. 

En fuppofant qu'il ne feroit com- 
polé que de deux charrues, y auroit- 
il de l'inconvénient , que le Labou- 
reur foit monté comme s'il en avoit 
environ trois ? 

Ses terres, qui ne pourroient qu’en 
être mieux tenues, ne le dédomma- 
geroient-elles pas bien amplement 
de cetté petite augmentation ? 

Mais il s’en faut bien que tous 
nos Fermiers & Laboureurs ayent 
feulement autant de charrues qu'ils 
devroient en avoir. 

Pour peu qu'on veuille jetter un 
coup d'œil fur nos Campagnes, on 
n'en verra qu'un très-petit nombre 


POUR LE LABOUREUR. 163 


dans le cas d’être montés comme il 
convient de l'être. 

Tandis qu'une charrue ne devroit 
être que d'environ vingt-cinqarpens 
au plus par foie, on lui en fait com- 
prendre jufqu'à trente - cinq à qua- 
rante; c'eft-à-dire que, fiun corps de 
Ferme eft detrois cens arpens,onne 
le fera valoir que comme n'ayant 
que trois charrues, tandis qu'il de- 
vroit en comprendre quatre & mêè- 
me cinq, fi le terrein eft difficile. 

Aufñ en réfulte-t-1l que généra- 
Jement toutes nos terrés font très- 

-mal labourées. 

Quoique le défaut d’être bien 
monté ne puifle que caufer un très- 
grand préjudice au Fermier; quoiqu'il 
le fente ,il n’y remédie cependant 
pas, foit qu'il ne fe trouve pas en 
étar de pouvoir le faire, foit poux 
d’autres raïfons, &c. . 

Li 


164 MANUEL D'ÂGRICULTURE 


Mais, comme ce défaut caufe en- 
core plus de préjudice au Proprié- 
taire , parcequ'il intérefle fon fond 
qui ne peut donner de bonnes ré- 
coltes, & qui ne peut être reloué 
avantageufement , qu'autant qu'il 
eft bien tenu, bien labouré, bien 
fouillé , &c. 11 fuit que c’eft à lui 
à avoir l'attention que fon Fermier 
foit en état de bien cultiver fes ter- 
res; & que, s'il ne le peut, il doit, 
ou le changer , ou lui faire des avan- 
ces qui le mettent en état de fe 
monter comme il le faut, & il doit 
le foutenir , puifqu'il en feroit mieux 
payé. 

C’eft ce que l’on verra plus am- 
plement dans le Manuel d'Agriculture 
pour le Propriétaire ; cette obligation 
étant du nombre de celles qui fe 
trouvent à fa charge, 


POUR LE LABOUREUR. 16$ 


SECONDE SECTION. 
. De l'opération de l’'Engrais. 


C N peut dire que l'opération de 
l'Engrais eft la plus importante qu’on 
puifle admettre pour tous les Ter- 
reins, Pays & Cantons, où if ne 
fe trouve pas aflez de fond pour 
pouvoir être renouvellés par une 
nouvelle terre , & qu’elle eft le plus 
grand principe de fertilité dont on 
puifle faire ufage : on va le con- 
cevoir. 

Lorfqu'un terrein eft toujours la- 
bouré dans un mème fond , de qua- 
tre à cinq pouces, fans pouvoir être 
renouvelié , 1l arrive infailliblement 
qu'il s'épuife par les récoltes conti- 
nuelles qu'on entire, quand même 
on y obferveroit les jachères, c'eft- 
ä-dire qu'on le laieroit repofer al- 
ternativement tous lestrois ans, con- 

Lu 


166 MANUEL D'AGRICULTURE 
formément à la diftribution générale 
des terres en trois foles. On en a 
l'expérience dans tous les pays du 
monde où l’on cultive ; il faut donc 
recourir à l’engrais qui feul peut 
le foutenir, le rétablir & l'améliorer. 
Au lieu que sil s'y trouvoit un 
fond fuffifant pour pouvoir être re- 
nouvellé par le travail du labour , 
pour lors l’engrais n'eft plus fi inté- 
reflant ; c’eft le labour qui devient 
{on plus grand principe de fertilité. 
Le labour & l'engrais font donc 
les deux plus grandes reflources 
dont on puifle fe fervir par-tout où 
Ton cultive;, pour réparer lesterres, 
pour les bonifier & les mettre en 
pleine valeur; avec cette différence 
cependant , que le befoin de l’en- 
grais eft beaucoup plus général que 
çelui du renouvellement de terrein: 
Comme 1l s'agit d'ajufter & de 


POUR LE LABOUREUR. 167 
proportionner l'engrais à toutes les 
qualités êes terreins que le Labou- 
reur ne peut que rencontrer dans ce 
qu'il a à faire valoir, conformément 
au principe général que lui ap- 
prend fa Pratique locale ; & s’agif- 
fant encore de l’entretenir & de le 
renouveller, pour qu'il ait toujours 
également fon effet , nous alfons trai- 
ter en neuf Articles de tout ce qui 
a rapport à cet objet. | 

1°. Nous parlerons des différentes 
façons de varier & de diverffier l'en. 
gras. 

2°. De la nécefité de l’entretenir 
& de le renouveller. 

3°. Comment on doit exécuter ce 
renouvellement, 

4°. Comment on peut parvenir à 
amander, tous les ans, la fixiéme ou 
la neuviéme partie de fon corps de 
Ferme , de quelque contenance qu'il 

Liv 


168 MANUEL D'AGRICULTURE 
puifle être, & même la quatriéme 
partie , en le fuppofant fans jachè- 
res. 

s°. Nous détaillerons les grands 
avantages de ce renouvellement. 

6°. Nous ferons connoiïtre une 
autre pratique de renouvellement 
d'engrais , dans le cas qu'un corps 
de Ferme ne feroit ni divifé, ni dif- 

erfé, 

7°. Nous démontrerons que de 
tous les engrais qu'on peut em- 
ployer, ceux de beftiaux font pré- 
férables. | 

8°, Nous lui apprendrons ce qu’il 
faut pratiquer pour les faire confom- 
mer en très-peu de tems. 

9°. Nous finirons par répondre à 
guelques objections qui ont été fai- 
tes cantre les établiflemens de Prai- 
vies artificielles. 


POUR LE LABOUREUR. 169 
L 


Des, différentes façons d’exécuter les 
opérations de l’Engrais. 


ÎLES différentes façons de varier 
& de diverfifier l’engrais, ne peu- 
vent concerner que fa qualité & fa 
quantité. 

Parmi les engrais de Beftiaux , il 
ÿ en a qui conviennent mieux à cer- 
tains terreins. Les crottins de pi- 
geons, de brebis & de moutons font 
plus analogues aux terreins froids & 
humides ,que ne peuvent l'être ceux 
de vaches , de bœufs, de chevalou 
de l’un ou de l’autre mêlés enfemble 
qui font employés plus fruétueufe- 
ment fur des terreins fecs & arides. 

Comme il n’y a que le Laboureur, 
qui puifle bien connoitre fon ter- 
rein, & {çavoir, par fon expérience, 
la qualité d'engrais qui lui convient , 


170 MANUEL D'AGRICULTURE 


on ne peut la lui indiquer ; il fufit 
de lui dire qu'il faut qu'il donne 
a fon terrein la forte d'engrais qui 
lui convient. 

Entre ceux dont 1l peut faire ufa- 
ge, & qui font à fa portée , il n’y a 
que lui qui doit décider & choifir. 

Il en eft de même de la quantité 
d'engrais qu'il convient d’employer 
par arpent, c'eft encore à lui à la 
fixer & à connoitre le befoin de 
fon terrein. 

Il doit fçavoir que le plus ou le 
moins ne pourroit que lui être pré- 
qudiciable. ART 

Il n'y a donc point fur tout cela 
d'avis particuliers à donner au La- 
boureur. 


POUR LE LABOUREUR. 171 
IL. 


De l'entretien & du renouvellement 


de l'Engrais. 


ÂL ne fuffit pas de fçavoir bien ré< 
gler la qualité & la quantité de l'en- 
grais , 1l faut encore que le Labou- 
reur l’entretienne & le renouvelle 
lorfqu'il commence à finir & quil 
eft au terme de fa durée, pour qu'il 
ait toujours fon effet ; bien plus 1 
faut qu'il lébtebente & le renou- 
velle fur la totalité de ce qu'il fait 
valoir , & fur toutes les terres de fon 
corps de Ferme, fi confidérable qu'il 
_puifle être, du moins il faut qu'il 
l'entretienne fur celles qui n’ont pas 
aflez de fond pour pouvoir être re- 
nouvellées par le travail de la char- 
que. 

Avec une pareille pratique , bien 
foutenue & bien fuivie , il fera aflu- 


172 MANUEL D’AGRICULTURE 


ré , tel Pays, telle Province, tel 
Royaume qu'il puifle habiter, de 
toujours maintenir fes terres en plei- 
ne & parfaite valeur. 

Quand , fans embrafler la totalité 
d'un corps de Ferme , on ne fait des 
engrais tantôt que fur une partie, 
tantôt fur une autre , fans les entre- 
tenir n1 renouveller , comme c’eft 
l'ordinaire parmi les Laboureurs qui 
n'ont point de prairies, ou qui n’en 
ont pas aflez, un corps de Ferme 
refte toujours comme 1l eft ; loin de 
devenir meilleur, on peut dire qu'il 
languit toujours. 


NZ 
Ce) 
Æ 


POUR LE LABOUREUR. 153 
II L 


Comment exécuter le renouvellement de 
l'Engrais [ur la totalité d’un corps 
de Ferme de trois cens arpens. 


T> 

#Z ANS tout ce qu'on cultive à la 
charrue , & non à la bèche, l’ufa- 
ge eft que les engrais de beftiaux, 
quand on obferve les jachères, fe 
font pour trois, pour fix , pour neuf, 
& même pour douze ans, fuivant 
la qualité des terreins. 

Les engrais pour trois, ou pour 
fix ans , fe pratiquent ordinaire- 
ment fur les meilleures terres; & les 
engrais pour neuf ou pour douze 
ans , n'ont lieu que fur les terres 
médiocres & mauvaifes. 

On doit concevoir que fur ces 
dernières 1l y faut trois ou quatre 
fois plus d'engrais que fur les autres. 

Aufh {e maintiennent-ils tous de 


174 MANUEL D'AGRICULTURE 
façon que ce n'eft qu'à l'expiration 
de leurs différents termes, que les 
terres ne s'en refientent plus. 

Si donc on veut parvenir à aman- 
der la totalité d'un corps de Ferme, 
d'un Domaine qu'on fuppofe être 
de trois cens arpens, & toujours y 
entretenir & renouveller les en- 
gras ; tout le {ecret confifte à le 
partager en autant de parts & por- 
tions que la durée des engrais qu'on 
y employe, a d'années, pour en 
amander une , tous les ans fans dif- 
continuation. 

En fuppofant que l’engrais qu'ori 
y fait fera pour neuf ans , la neuvié- 
me partie confiftant en trente-trois 
arpens environ, ce {era donc cette 
quantité qu'il s'agira d’amander tous 
les ans; & , comme fur ce corps de 
Ferme il y eft queftion de jachères, 
ces trente-trois arpens en feront 


POUR LE LABOUREUR. 1#$ 


exattement le tiers; puifque les ja- 
chères dont on traitera dans la Se- 
étion fuivante, compofent ordinaire- 
ment la troifiéme partie ou environ 
de ce que l’on fait valoir. 

On fe régleroit ainfi fur tout corps, 
de Ferme à jachères , à raïfon de fa 
contenance & à raf{ôn de la durée 
des amandemens qu’on y feroit. 

L'ufage , dans les Campagnes, 
étant, pour bien amander un arpent 
de médiocres ou de mauvaïfes ter- 
res, d'y employer depuis quinze juf- 
qu'a vingt voitures de fumiers de 
beftiaux ; tandis que pour les bon- 
nes , il n’en eft queftion que depuis 
fix jufqu'a dix , il s'enfuivroit que 
our les trente-trois arpens ou en- 
viron, qu'il s’agit d’amander tous les 
ans dans ce corps de Ferme de trois 
cens arpens où les amandemens sy 
font pour neuf ans , parceque les ter 


176 MANUEL D'AGRICULTURE 


res y font fuppofées généralement 
médiocres, il n’y faudroit pas moins 
qu'environ cinq cens voitures. 

Il s'enfuivroit encore que l’Au- 
teur des Prairies artificielles, qui a fi 
bien fçu exécuter fur le corps de 
Ferme de fa Terre fituée en Cham- 
pagne lés renouvellemens d'engrais, 
& qui, pour y parvenir, avoit à met- 
tre tous les ans en valeur environ 
25 arpens qui en faifoient la neu- 
viéme partie , parceque les engrais 
s’y faifoient auf pour neuf ans , au- 
roit donc dû employer tous les ans 
environ trois cens cinquante voitu- 
tures de fumiers. 

Celaparoitroit comme impofüble, 
fur-tout dans les pays où il n'y a mi 
prairiès ni beftiaux , fi on ne fçavoit 
qu'on peut en établir, & fi on ne 
fçavoit qu'il y a des déduétions à 
faire , qui facilitent extrêmement 

l'opération 


POUR LE LABOUREUR. 177 


l'opération de ce renouvellement ; 
auf méritent-elles qu'on y fafle at- 
tention. 
1°. Dans une aufli grande quan- 
ité d’arpens , comme trente-trois ou 
vingt-cinq, qu'il conviendroit d’a- 
mander tous les ans, il ne fe peut 
qu'il ne s'y rencontre des terres qui 
foient meilleures les unes que les au- 
tres , & qui par conféquent , au lieu 
de quinze voiturés par arpent, n'en 
exigeroient que huit, dix ou douze 
tout au plus; puifqu'il ne faut pas 
oublier qu'il eft de principe de pro- 
portionner toujours la quantité de 
l'engrais à la qualité du terrein. 
2°. Ce qui eft le plus à obferver ; 
& ce qui peut occafionner la plus 
grande diminution des engrais, c’eft 
que fi on y trouve des terres qui 
ayent du fond , & qui foient fufcep- 
tibles d’être renouvellées par le tra: 
M 


178 MANUEL D'AGRICULTURE 


vail de la charrue, ou il n'y faudra 
pas de fumier, ou il n’en faudra que 
très-peu. 

Ces déduétions ne pouvant man- 
quer de fe rencontrer , la quantité 
prodigieufe de fumiers, annoncée ci- 
defius, ne pourra jamais être *auffi 
confidérable , & peut fe réduire aux 
deux tiers, à la moitié & mème moins, 
fuivant la qualité des terres & fuivant 
le fond qu’on peut y trouver. 

Ce n'eft que par le moyen de ces 
déduétions que l’Auteur des Prairies 
artificielles a faites dans fa Terre, 
quoique fituée en Champagne, où 
à peine il y a le fond néceflaire pour 
faire venir les produétions qu’on y 
féme , a trouvé le fecret, après avoir 
fait fon établiffement de prairies, 
de n'emploÿer tout au plus, par an, 
qu'environ deux cens voitures de fu- 
miers, au lieu de trois cens cin- 


POUR LE LABOUREUR. 179 


quante que fembloient exiger les 
vingt-cinq arpens qu'il étoit obligé 
de mettre en valeur tous iles ans ; 
c’eft donc prefque environ moitié 
de fumiers de diminution ? 

Si, dansun pays, comme la Cham- 
pagne , cet Auteur a ainfi {çu trou- 
ver les moyens de diminuer la oran- 
de quantité d'engrais au’il lui au- 
roit fallu employer tous les ans; à 
plus forte raïfon les trouvera-t-on 
dans d’autres pays plus favorables 
& plus heureux , où les terres font 
meilleures & où elles ont un fond 
plus que fufifant. 

Après l'exemple de cet Auteur, il 
n’y a donc point à s'effrayer ni à fe 
rebuter, quand on propofe d’amander 
tous les ans une aufli grande quan- 
tité d'arpens, pour parvenir à en- 
tretenir toujours & exécuter les re- 
nouvellemens d'engrais; ptuifque, 

Mi 


180 MANUEL D'AGRICULTURE 


quand mème il n’y auroit ni prairies 
ni beftiaux, on peut en établir: c’eft 
ce qui va faire le fujet de l'Article 
fuivant. 


EWV: 


Comment fe procurer tous les ans la 
grande quantité d'engrais néceffaire 
pour exécuter leur renouvellement fur 
un corps de Ferme de trois cens ar- 
pens, quoique la Nature n’y ait point 
établi de prairies, 


CN doit concevoir qu'on ne 
peut parvenir à fe procurer tous les 
ans la quantité d'engrais néceflaire 
à l'exécution du renouvellement , 
que par le moyen des engrais de 
beftiaux. 

Il faut beaucoup de beftiaux , & 
par conféquent beaucoup de prai- 
ries, ou plutôt il faut une certaine 
quantité de beftiaux proportionnée 


POUR LE LABOUREUR. 181 


aux engrais dont on a befoin ; & il 
faut une certaine quantité de prai- 
ries artificielles , proportionnée à la 
quantité de beftiaux qu'il s'agit de 
nourrir. 

Ce n’eft pas tout ; il faut encore 
une quantité de pailles de froment ou 
de fegle, d'orge & d'avoine propor- 
tionnée à la quantité de beftiaux 
qu'il s’agit d’avoir; parceque les fu- 
miers ne peuvent fe bien faire fans 
elles pour la néceflité de leur liai- 
fon, & parceque les pailles, fur-tout 
de froment ou de fegle, font la prin- 
cipale nourriture des beftiaux ; c’eit, 
pour ainfi dire , leur pain. 

Indépendamment de l'angmenta- 
tion qu'elles donnent à la quantité 
des-fumiers , elles font encore né- 
ceffaires & indifpenfables aux bef- 
tiaux pour leur litière qu'il faut faire. 
tous les jours; autrement ils feroient 

- Mi 


182 MANUEL D'AGRICULTURE 


dans une malpropreté , qui ne pour- 
‘roit que leur être très-nuifible. 
C'eft très mal l'entendre , que de 
fe contenter, pour leur litière, de 
ce qui refte de leurs rations d’herba- 
ges ; foit en verd, foit en fec. 
Quoique les pailles foient d’une 
auf grande néceflité, & qu’on ne 
puifle pas augmenter les beftiaux 
fans travailler en même-tems à faire 
l'augmentation des paiiles; eepen- 
dant dans tous les Ecrits & Mémoires 
qu'on donne préfentement fur ŸA- 
griculture , ikfemble que les prairies 
-& les beftiaux peuvent s'établir fans 
leur ufage, puiiqu'il n'en eft fait au- 
cune mention. 3 
Pour peu qu'onait d'expérience , 
on n'oublie pas unéehofe aufli eflen- 
‘tielle, & on n'ignore: pas:tous les 
avantages que-leur abondance pro- 
cure dans les Campagnes! =: : 


POUR LE LABOUREUR. 183 


Sans les pailles on ne peut faire 
aucun bon nourri en fec; mais il 
faut établir une alternative avec ce 
qu'on peut donner d'ailleurs & la 
bien régler. 

M. Patullo qui, dans fon Effai fur 
Zamélioration des terres , propofe de 
mettre en herbages la moitié & même 
les deuxtiers d'un corps de Ferme de 
trois cens.arpens pour nourrir une 
quantité prodigieufe de beftiaux qui 
doit monter jufqu’à fix cens vaches 
ou bœufs; puifque , fuivant lui, un 
arpent de fain-foin ou de Luzerne 
peut en nourrir trois , a-t-1l prevu 
qu'il ne pouvoit réfulter de ce qu'il 
laifle en culture une aflez grande 
quantité de pailles pour feulement 
faire leur litière ? En réfulteroit-1l 
même affez de grains pour nourrir 
& entretenir le ménage ? 

On peut dire que M. Patullo à 

M iv 


184 MANUEL D'AGRICULTURE 


mal fupputé , ou plutôt qu'il ne s'en 
eft pas donné fa peine. 

On feroit curieux de fçavoir en 
quel Canton , en quel Pays, en quel 
Royaume un pareil plan de culture 
a pu s'établir & s'exécuter; ou du 
moins il auroit fallu le rendre plus 
vraifemblable , en fuppofant un Do- 
maine bien moins confidérable. (a) 


(a) On convient qu'un Propriétaire ou Fer- 
mier, dont le principal objet feroit de nour- 
rir des befljaux ou des chevaux, parcequ'il ÿ 
trouveroit plus fon profit qu'a vendre du grain, 
pourroit ainfi mettre les deux tiers de ce qu'il 
feroit valoir en herbages ; en ce cas, réfulte- 
roit-il quon en pourroit faire un plan géné- 
ral de culture > Puifque ce ne ferait plus Le 
grain qui en feroir le principal objer. Il ne faut 
donc pas que M. Patullo propofe ce plan comme 

clui qui eft le plus faivi en Angleterre. 

Quoiqu'on s'exphque ainfi, on n'en a pas 
moins d'eftime pour cet Auteur, puifqu'en 
le propofant, fon intention n’a pu qu'être 
bonne ; fon plan inftruira du moins ceux 
Qui, par rapport à leur fituation , ou pour d'ay- 


POUR LE LABOUREUR. 185$ 


Pour avoir donc une certaine 
quantité de beftiaux, capable de met- 
tre en état d'exécuter le renouvel- 
lement d'engrais dont il eft ici que- 
ftion, deux chofes font néceffaires & 
indifpenfables , fçavoir des prairies 
& des pailles. 

Il eft bien plus aifé de fe procu- 
rer des prairies; on les fait quand 
on veut, & dans la quantité qu'on 
juge néceflaire ; encore faut-il les 
partager fuivant leur durée, & ne 
les femer que d'années en années. 

Il n’en eft pas de mème des pail- 
les ; l'augmentation ne peut s'en 
faire qu'au fur & à mefure que les 


tres raifons de convenance, trouveroient plus 
de profit à vendre des beftiaux &; des che 
vaux qu'ils n'en pourroient avoir en vendant 
du grain, Quand il s’agit du bien public, un 
bon Citoyen ne défaprouve point qu’on trouve 
à le critiquer. 


156 MANUEL D'AGRICULTURE 


terres deviennent meilleures parles 
amandemens. 

Il faut donc n'établir les prairies 
& les beftiaux qu’à raifon de cette 
augmentation, pour n'être pas dans 
le cas d'acheter des pailles. 

Ce feroit une dépenfe confidéra- 
ble , que cet achat, pendant plu- 
fieurs années ; ce feroit même une 
dépenfe qui ne pourroit générale- 
ment que rebuter & décourager. 

Cependant il pourroit fe trouver 
quelques riches Propriétaires qui, 
faifant valoir par eux-mêmes , n’hé- 
fiteroient pas de la faire pour jouir 
plutôt , en fafant encore l’établife- 
ment de prairies, en bien moins de 
tems qu'on le dira ci-après. 

S'ils s’y déterminoient , il en réful- 
teroit cet inconvénient , que , quand 
on feroit dans le cas d'en retourner 
la moitié pour l’établir @lleurs, fup- 


POUR LE LABOUREUR. 167 
pofé qu'il eût été fait en deux ans, 
on feroit tout d’un coup privé de la 
moitié de fa prairie , au lieu qu'en 
ne la faifant que comme on va le 
dire , on ne s’appercevroit prefque 
pas de la privation de la partie qu'on 
feroit obligé de retourner. 

Mais ce n’eft point à des Proprié- 
taires qu'on parle , il ne s’agit ici que 
des Fermiers qui compofent feuls 
en France le corps des Agriculteurs. 

Quand même on leur feroit des 
baux de vinget-fept ans, encore en 
trouveroit-on très-pen qui'feroient 
difpofés à faire la dépenfe de lachapt 
des pailles pour aller plus vite, ils 
préfèreroient toujours de n’agir que 
fuivant leur augmentation; certai- 
nement ils s’en trouveroient mieux. 

On a affez d'expérience pour éta- 
‘blir que dans un corps de Ferme de 
‘la contéhance de trois cens arpens, 


188 MANUEL D'AGRICULTURE 


une trentaine de gros bétail, comme 
vaches oubœufs, avec environ trois 
a quatre cens bêtes blanches, au 
moyen des déduétions dont on a 
parlé ci-deflus, peuvent générale- 
ment fuffire pour s'y procurer toute 
la quantité d'engrais néceflaire , par- 
ce qu'en outre de ces beftiaux, on a 
les chevaux d'exploitation ou les 
bètes de tirage qui donneront beau- 
coup de fumiers , indépendamment 
des pigeons, cochons, poules, &c. 
qui en procureront encore. 

Si lafituation d'un corps de Fer- 
me n'étoit pas avantageufe pour les 
bêtes blanches, nonobftant la prati- 
que des jachères ; ce qui fe trouve- 
roit dans le cas qu'ilfüt fitué en 
lieu marécageux : comme cela occa- 
fionneroit fréquemment leur pourri- 
ture, on augmenteroit le troupeau 
du gros bétal à proportion de ce 


POUR LE LABOUREUR. 18g 
quon diminneroit des bêtes blan- 
ches. 

On en compte ordinairement cinq 
à fix pour une vache ou pour un 
bœuf. 

Suppofé même qu'une aufli gran- 
de quantité de bêtes blanches excé- 
dât ce que le terroir pourroit nour- 
rir pour la part que celui à qui elles 
appartiendroient , auroit fur ledit 
terroir , chaque habitant ayant éga- 
lement droit fur les jachères ou päà- 
tures de fon Terroir , à raifon de la 
quantité de terres qu'il peut y faire 
valoir, en réduifant cette quantité au 
prorata du droit d’un chacun, on 
augmenteroit , à raïfon de la diminu- 
fion qu’on en feroit , le troupeau 
du gros bétail. 

Ce qui pourroit d'autant mieux fe 
faire , qu'il n’en eft pas du gros bé- 
tal comme des bêtes blanches, 


190 MANUEL D'AGRICULTURE 


qu'on eft obligé de faire fortir & de 
faire pâturer tous les jours. 

Âu lieu que ; quand le nombre 
du gros bétail excéde le droit qu'on 
peut avoir aux pâtures communes , 
on n'en fait fortir que la moitié ou 
le quart alternativement , pour ne, 
pas préjudicier au droit des autres 
habitans. 

Comme 1l convient de n'établir 
ce nombre de gros bétail, qu’on 
vient de déterminer, qu'au fur & à 
mefufe de l'augmentation des pail- 
les, le peu qu'on trouveroit, où qu’on 
établiroit d’abord en vaches, auroit 
le tems de s'établir d'elles mêmes,tous 
les ans , pourvu qu'on élevat & gar- 
dât tout ce qui en proviendroit. 

Il en feroit de même des bêtes 
blanches, ou brebis, qui donnent tous 
les ans des agneaux. 

On a encore aflez d'expérience 


POUR LE LABOUREUR. 1917 


pour établir qu'en prenant dans ce 
corps de Ferme de troiscens arpens , 
environ un huitiéme ou un demi 
quart de ce qui le compofe , c’eft- 
à-dire trente-cinq à quarante ar- 
pens, pour les mettre en prairies 
artificielles, cela feroit généralement 
fufñfant , au moyen de ces dédu- 
étions dont on a parlé ci-deflus , 
pour nourrir toute cette quantité de 
beftiaux , en fuppofant qu'on fût 
parvenu à avoir & à recueillir la 
quantité de païlles néceflaire. 
Ainfi, lorfqu'il s’agiroit de com: 
mencer ces deux établiflemens de 
Prairies & de beftiaux, on ne les 
feroit qu’à raïifon du produit en pail- 
les que ce corps de Ferme donne- 
roit pour lors ,à l’effet de ne les aug- 
menter par la fuite tous les ans , qu’à 
raifon de l'augmentation des pailles , 
& jufqu'à ce qu’enfin elle devint fuf- 


192 MANUEL D'AGRICULTURE 


fifante avec la prairie pour avoir 
toute cette quantité de beftiaux 
qu'on vient de défigner. 
Comme on ne peut commencer 
à avoir fur le corps de Ferme de 
trois cens arpens, qu'on propole , le 
produit en pailles qu'on peut en 
attendre, que quand il aura été au 
moins une fois amandé entièrement 
en neuf ans, il faut ne faire fa prairie 
qu’en neuf ans, & partager lestrente- 
cinqä quarante arpens qu'on propofe 
d'y employer, en neuf portions à 
peu-près égales pour les femer tous 
les ans chacune, foit en fain-foin , foit 
en luzerne , tréfle , &c. qu'on renou= 
vellera exattement fuivant le tem, 
de leur durée, pour toujours entre- 
tenir la même quantité de prairies. 
On ne doit aufli former le nom- 
bre de beftiaux néceflaires qu'en 
neuf ans ; encore faut-il bien prendre 
garde 


POUR LE LABOUREUR. 193 
garde s'il ne convient pas d'ÿ imet- 
tre plus de tems,; de même qu'a la 
praine ; pour attendre le produit 
complet dés pailles qu'on peut avoir, 
année commune: 

Ce n'eft donc point ën trois & 
quatre années ; comme l'ont avancé 
quelques Auteurs ; qu'on peut s'enri- 
chir dans l'Agriculture: 

Suivant l’expoié qu'on vient dé 
faire , qui ne peut pas être conteité 
par les bons Cultivateurs ; on voit 
qu'ilne faut pas moins de 10 a 12 ans 
pour commencer à mettre un corps 
de Fermé en pleiné valeur ; pour 
peu quil foit confidérable. 

Cependant on n'auroit pas plutôt 
mis en train ce qu'il faut faire pour 
parvenir à l'exécution du renouvei- 
lement de l’engrais, que nos terres 
deviendrotent par dégré meilleures, 
& qu'on s'appercevroit d’un heureux 

N 


194 MANUEL D'AGRICULTURE 


changement qui ne feroit qu’aug- 
menter tous les ans. 

Il ny a donc point à dire que 
cette pratique eft trop lente ; & 
ceux qui parleroient ainfi, fe- 
roient voir qu'ils n'ont nulle expé- 
rience. | 

Il en eft des progrès qui fe font 
dans l'Agriculture comme de ceux 
qui fe font dans le commerce , qui 
exigent de la part d’un Commerçant, 
bien du tems, bien des peines, & 
une bonne conduite : ce n’eft géné- 
ralement qu'au bout de vingt ans 
qu'il voit la folidité des gains & pro- 
fits qu'il a retirés de fes entreprifes. 

Il eft vrai que s'il ne s’agifloit que 
d'exécuter fur un corps de Ferme le 
renouvellement de terrein par le tra- 
vail de la charrue , en lui fuppoñfant 
un fond de terre fufäfant, cela iroit 
beaucoup plus vite. 


POUR LE LABOUREUR. 195 


Mais où trouver dans des terres 
à jachères des corps de Ferme, qui 
n’ayent befoin que de ce fecours à 
en ce casil ne faudroit que moitié 
du tems qu'on propofe & peut être 
moins , comme on l’a déja fait enten- 
dre ci-déflus dans a premiere Se&tion 
de ce Manuel. 

On conçoit que, fiun corps de Fer- 
me n’eft que de cent cinquante arpens 
au total , 1! n’y faudra que la moitié 
de prairies & de beftiaux propofés 
ci-deflus, toujours à raifon des pail- 
les qu'il pourra produire. 

Ainfi des autres corps de Ferme 
qui auroient plus ou moins de conte- 
nance, fur lefquels cette exécution 
fe fera également à proportion. 

On a pris pour exemple un corps 
de Ferme de trois cents arpens, fur 
lequel les engrais fe font pour neuf 
ans ; parceque d'une exécution en 

Ni 


196 MANUEL D'AGRICULTURE 


grand , qu'on demontre poflble & 
qu'on a effayé foi-même, 1l s'enfuit 
néceflairement toute exécution en 
petit. 

Au lieu que de l'exécution en pe- 
tit, il ne s'enfuit pas toujours l’exé- 
cution en grand. 

On en a un exemple dans la nou- 
velle Méthode de M. Thull, par le- 
quel on voit que , nonobftant toutes 
les expériences qu'on rapporte , il 
ne s'enfuit pas bien évidemment que 
de l'exécution en petit, qu’on ne 
ceffe de recommander, on puiffe al- 
ler à l'exécution en grand. 


V. 


Des grands avantages de la Pratique du 
Renouvellement d'engrais. 


dé Fa U1sSQU'IL convient d'atten- 
dre les pailles & de ne faire l’aug- 
mentation du gros & menu bétail 


POUR LE LABOUREUR. 197 


qu'à raïon de l'augmentation des 
pailles , il s'enfuit qu'ayant tout le 
tems de le laifler augmenter par lui- 
même , jufqu'a ce qu'on foit parve- 
nu à en avoir le nombre qu'on a 
jugé néceffaire, iln'y a aucun achat 
a faire. 

Ainfi , lorfqu'il s'agira de faire 
cette augmentation dans un corps 
de Ferme de trois cents arpens, ou 
de telle autre contenance, on pourra 
fe contenter de le prendre en l’état 
où il eft , par rapport au nombre de 
beftiaux qui s’y trouvera. 

Généralement un Fermier n'en- 
treprend point de faire valoir un 
corps de ferme , quel qu'il foit, qu'il 
n'y mette le nombre de beftiaux né- 
ceffaire pour la confommation des 
pailles qu'il peut prodiure ; c'eit l'u- 
fage de la Campagne. 

. On diroit d’un Feriuier qui en agi- 
N 1 


198 MANUEL D'AGRICULTURE 


roit autrement qu'il s'y prend mal 
& qu'il ne réufhira point ; ce qu'on 
dit encore de ceux qui vendent leurs 
pailles, au lieu d’avoir des beftiaux 
qui pourroient les confommer. 

Si avec cet ufage , qui eft bon, on 
y introduifoit celui de l’établiffe- 
ment des prairies , lorfqu'il y en 
manque , ou qu'il n'y en a pas aflez, 
il ne refteroit à défirer, pour le bien 
& la profpérité des Campagnes, que 
de détruire les routines qui ne s'y 
font que trop établies. 

2°. Il n'y aura point encore de 
dépenfe à faire dans ce corps de 
Ferme pour les femences de l’éta- 
bliffement de prairies , quoiqu'on 
propofe d'y employer trente-cinq à 
quarante arpens. 

Ayant déja fait voir qu'on ne doit 
faire cet établiffement qu'en neuf 
années, ne peut-on pas, dès la pre- 


POUR LE LABOUREUR. 199 


mière où il ne s'agira que de femer 
quatre ou cinq arpens, recueillir 
aflez de femences pour fe difpenfer 
d’en acheter l’année fuivante? A plus 
forte raifon par la fuite pour le con- 
tinuer , le completter & le renouvel- 
ler autant de fois qu'il en fera né- 
ceflaire ? 

Ne peut-on pas encore en vendre 
pendant quelques années , jufqu'à 
ce qu'on foit parvenu à retirer les 
frais des premières femences qu'on 
aura été obligé d'acheter , & pour 
en faire même fon profit ? 

3°. Ces 3$ à 40 arpens, qu'on 
prendroit dans ce corps de Ferme de 
trois cens arpens, bien loin d'y por- 
ter préjudice , & d'en diminuer le 
revenu , ferviroient au contraire à 
le doubler, le tripler , & même aug- 
menter ay-dela. Idée que n’ont pas 
nos gens de Campagne, faute de 

Niv 


2:00 MANUEL D'AGRICULTURE 


fe donner la peine de calculer, ou 
plutôt parceque leurs baux font trop 
courts pour pouvoir profiter du 
grand bénéfice qui en réfulteroit. 
_ Préfentement qu’on peut les faire 
jufqu'a dix-huit & vingt-fept ans, 
ils entendront plus facilement raiï- 
fon. 

N’étant ici queftion que des terres 
à jachères , qui font fans prairies, 
ÿ! faut fe fouvenir qu’on a démontré 
dans le troifñiéme articlendes Préli- 
minaires de ce Manuel , que, ces for- 
tes de terres ne rapportant généra- 
lement , tout au plus , que cinq 
pour un , ou plutôt ne rendant , tous 
frais faits, par arpent qu'un feptier, 
& même rien, leur produit pourroit 
être facilement doublé, triplé , qua- 
druplé, &c. 

Il ÿ a cependant cette différence 
à obferver qu'il y aura toujours 


POUR LE LABOBREUR. 2017 


beaucoup plus à gagner dans les 
terres médiocres & mauvaifes que 
dans les bonnes, puifque les pre- 
mières , ne rapportant pas feulement 
cinq pour un, avant que de les bien 
faire valoir , feront mifes après au 
niveau des meilleures. 

- Quoiqu'il en foit , 1l n'y a donc 
point à douter que, quand le corps 
de Ferme dont il eft queftion , fera 
mis en état de pouvoir exécuter fur 
fa totalité, ou fur tout ce qui en 
aura befoin , l'entretien & le renou- 
vellement de l’engrais, par des éta- 
blffemens de prairies & de beftiaux 
fufñfants , quelque qualité de terrein 
qu'il puifle avoir, à moins qu'il ne 
foit purement fabloneux, il ne s’y 
fafñle lheureufe révolution d’aug- 
mentation qu'on vient d'annoncer 
nonobitant la difiraétion de trente- 
cinq à quarante arpens qu'on y au- 


2:02 MANUEL D'AGRICULTURE 


roit faite pour l’établifflement de prai- 


ries. 
Il n’y a point de bon Cultivateur, 


pour peu qu'il ait d'expérience, qui 
n'en convienne , fans même qu'on 
donne pour preuve ce qui eft arrivé 
à l’Auteur des Prairies artificielles , 
qui a eflayé lui-même cette prati- 
que pendant trente années avec 
tant de fuccès. 

On peut dire qu'il eft le premier 
dans toute l'Agriculture , qui en ait 
donné l'exemple , & un exemple qui 
doit d'autant plus frapper, que, fi 
on l'imitoit dans tout ce qui fe trou- 
ve fans prairies, la France devien- 
droit le plus riche Royaume de l'U- 
nivers. 

4°. Ces trente-cinq à quarante 
arpens occafionneront encore fur 
les beftiaux d'augmentation un pro- 
fit qui dédommagera bien au-delà 


POUR LE LABOUREUR. 203 


de la diftraétion qu’on en aura faite. 

De huit à dix vaches qui pou- 
voient fe trouver dans ce corps de 
Ferme , lorfqu’on a commencé à le 
mettre en état de pouvoir y exécu- 
ter le renouvellement dont ileft que- 
ftion , le nombre s'en étant aug- 
menté jufqu'à trente, en mettant 
feulement le produit des vingt de 
furplus , à raifon de 15 livres par 
année l’une dans l’autre , cela fait 
déja 300 livres au moins d'augmen- 
tation de revenu. 

Les bêtes blanches fe trouvant 
augmentées jufqu’à quatre cents, au 
lieu de cent qui pouvoient s’y trou- 
ver, en mettant le produit de leurs 
toifons à raïon de 2 livres 10 fols 
chacune par an, l'une dans l’autre , 
& la livre à raifon de vingt fols ; en 
ne faifant attention qu’au produit de 
l'augmentation des trois cents, voilà 


204 MANUEL D'AGRICULTURE 


encore fept à huit cents livres qu’on 
peut avoir tous les ans de furplus. 

On ne fait pas mention du profit 
qu’on peut trouver fur la vente & 
revente , & fur le commerce de tous 
ces beftiaux, parcequ'il doit fe com- 
penfer avec les pertes & mbitahtés 
qui peuvent arriver. 

Pour cette raifon encore , afin de 
n'être pas accufé d’exagérer , on ne 
fixera , année commune, tout le 
produit de leur augmentation, qu’à 
la fomme de 800 livres; quoiqu'en 
détail 11 puifle ( comme on vient de 
le faire voir monter jufqu'à environ 
1200 livres. 

Qu'on compare préfentement ce 
produit fixe de 800 livres, qu'on ré- 
duira même à 600 livres fi l’on veut, 
avec celui qu'on auroit en ne fai- 
fant point cette augmentation de 
prairies & de beftiaux, on verra bien 
de la différence. 


POUR LE LABOUREUR. 205$ 


I! convient de la rendre fenfible 
pour qu'on y fafle plus d'attention. 

En ne faifant point de prairies ni 
d'augmentation de beftiaux ,-& en 
laiflant dans le corps de Ferme qu’on 
donne pout exemple, les trente-fix 
à quarante arpens pour porter tou- 
jours du grain, à quoi pourra mon- 
ter leur produit tous les ans ? tout 
au plus à la fomme de 200 livres ; il 
eft aifé de le faire concevoir & mêé- 
me de le démontrer. 

Dans ces trente-cinq à quarante 
arpens , étant queftion de jachères, 
il nepeut y avoir tous les ans qu'en- 
viron vingt-cinq à vingt-fix arpens 
“en:rappoôrt, fçavoir moitié froment, 
-& moitié Mars. 

Ce rapport ne pouvant être tout 
au plus , comme on l’a déja dit, qu'à 
raïifon de cinq pour un , & dans ces 

“éing pourun, n'y en ayant qu'un de 


206 MANUEL D'AGRICULTURE 


refte du produit net , tous frais faits; 
peut-il jamais excéder ce à quoi on 
vient de le faire monter , y compris 
même les Mars? Il n’y va pas même 
à beaucoup près ; &, en le facrifiant, 
ne s'en trouvera-t-on pas bien dé- 
dommagé ? puifque du côté feule- 
ment des beftiaux, ces trente -fix 
à quarante arpens qui mettent en 
état de pouvoir les nourrir, rappor- 
teront au moins trois fois autant, 
indépendamment de l'augmentation 
prodigieufe qu'ils procureront fur ce 
corps de Ferme , en donnant lieu 
d'exercer le renouvellement de l’en- 
grais fur fa totalité. 

n'y a donc point à héfiter de pren- 
dre fur ce corps de Ferme , c’eft-a- 
dire fur les trois foles qui le com- 
pofent , ainfi que fur tout autre à pro- 
portion de fa contenance , la quan- 
tité de terres qu'il faudra pour un 


POUR LE L'ABOUREUR. 207 


établifiement de prairies, d'autant 
plus que toutes les terres, qui y paf- 
feront, n'en feront que beaucoup 
meilleures , ayant , fur tout le fain- 
foin, l'effet de lesbien nettoyer de 
toutes les mauvaifes herbes & raci- 
nes qu'elles peuvent avoir. 

On repliquera fans doute que ; 
puifqu'il y a tant de profits à augmen- 
ter les beftiaux , 1l n'y a donc pas 
a héfiter de préférer de mettre en- 
tièrement en prairies les jachères 
qui en procureroient davantage , 
en augmentant à proportion les be- 
faux. 

Sans entrer encore dans l'examen 
de la fupprefion des jachères, pour 
les mettre en prairies , qu’on referve 
pour la Seétion fuivante , on fe con- 
tentera préfentement d'établir qu'un 
arpent de terre en pleine valeur, y 
compris les pailles qu'il donnera; 


108 MANUEL D'AGRICULTURE 
qui fervent à nourrit les beftiaux , 
rapportera toujours beaucoup plus 
qu'un arpent de prairies, 

Qu'on en fafle le calcul, fa dé: 
monftration fera bien évidente , en 
ÿY comprenant fur-tout l'augmenta- 
tion confidérable , que le fond en 
acquerra ; ce qui eft le plus à confi- 
dérer. 

Ilne faut donc pas donnef dans 
l'excès de praïries ; ce feroit une au= 
tre forte d’Agromanie. 

À l'égard de l'augmentation dut 
gros & ment: bétail ; telle qu'on la 
propofeicifur ce corps de Ferme de 
trois cents arpens ; comme elle eft 
affez confidérable , 1! y auroit feule- 
ment quelques dépenfes à faire pour 
aggrandir les bergeries & étables, s'ils 
n'étoient pas affez ip r + ri 
contenir. EU 
Mais pébt-ôn' faire attention à 

cette 


POUR LE LABOUREUR, 209 


cette dépenfe én la mettant eri com- 
paraifon avec les produits réels 
qu'on vient de démontrer, & qui 
font auffi confidérables ? 

On peut voir, dans le Traité des 
Prairies artificielles , le détail qu'on y 
fait pour parvenir à faire au meil- 
leur compte cette forte de dépenfe. 

Quant à l'augmentation de la 
grange, on s’en difpenfera, fi l’on 
veut, en mettant en meule ce qui 
ne pourroit pas y être renfermé. 

_ On fçait dans les Campagnes ; 
comment il faut s’y prendre pour 
faire ces fortes de meules; quand el: 
les font bien faites , le grain & les 
pailles s'y confervent au moins auffi 
bien que dans les granges, puifque 
l'air y pénétre mieux de tous les 
côtés. | MAT Hp 
s°. Pour ne rien oublier de tout 
.ce qui peut réfulter d'avantageux de 
MONET 0 


210 MANUEL D'AGRICULTURE 


l'exécution du renouvellement de 
l'engrais, c'eft que pour engraifler 
quelques vaches, quelques bœufs, ou 
quelques autres animaux de la baffe 
cour, à l'effet de les vendre plus 
favorablement , on pourra, tous les 
ans ; feulement dans la fole des 
Mars , femer quelques arpens de 
gros navets , de panais, de patates, 
&c. fans craindre que ce que l’on 
en prendra, puiffe faire le moindre 
tort à ce que cette fole doit fournir 
pour la nourriture des bêtes de tirage, 
comme chevaux ou bœufs qui doi- 
vent fervir à l'exploitation. 

On dit Jeulement dans la fole des 
Mars , parcequ'on penfe qu'il ne con- 
vient pas que , dans la fole des ja- 
chères , rien n’y dérange n1 ne gêne 
les labours & engrais qu'il faut y 
bien faire pour pouvoir mieux pré- 
parer & cultiver les terres qui font 


POUR LE LABOUREUR. 2711 


deftinées à être enfemencées en fro- 
ment ou en fegle. 

Pour bien engraifler des vaches & 
des bœufs , chaque pays a fa façon; 
il femble que la meilleure eft de leur 
donner du grain, comme orge ou 
avoine , mais fur-tout de l'orge, ce 
qui leur donne beaucoup plus de 


goût qu'en les engraiflant fimple- 


ment avec de l'herbe & des racines: 
en faifant venir de l’orge ou de l’a- 
voine au lieu de ces racines, il pa- 
roit qu'il n'en coûteroit pas davan- 
tage. 

On ne parle que d’un Fermier , 
d'un Laboureur, qui ne peut en- 
graifler fes beftiaux qu’au moyen du 
produit de fon corps de Ferme. 

On ne peut mieux finir cet Arti- 
cle qu’en difant que dans le renou- 
vellement de l’engrais , ainfi que 
dans celui du renouvellement de 

0 ïi 


212 MANUEL D'AGRICULFURE 


terreins , réunis ou féparés, fe trou- 
ve le vrai moyen de rétablir l'Agri- 
culture, & de la faire profpérer gé- 
néralement. 

Y.L 


s#utre pratique de renouvellement 
d'Engrais. 


dk OUT ce qu'on vient de dire juf- 
-qu'à préfent dans les Articles précé- 
dens fur le renouvellement de l’en- 
grais, ne concerne que les corps de 
Ferme dont le Domaine eft divifé 
& difperfé fur tout un Terroir, & fur 
les trois foles qui le partagent ordi- 
nairement. 

Dans ces fortes de Domaines, 
qui fuivent le mème partage que 
celui des Terroirs fur, lefquels ils 
font fitués , il n’eft pas poflible de 
déranger leurs foles ; il faut les 
Jaïfler telles qu’elles. font : on en 


POUR LE LABOUREUR. 213 


verra les raïfons dans la Seétion fui 
vante , qui traitera des jachères. 

Cependant, quoique prefque tous 
les domaines & corps de Ferme fe 
trouvent ainfi difperfés fur tout un 
Terroir, & fur les trois foles qui 
le partagent , il s’en trouve qui font 
réunis, & dont les piéces de terres 
qui le compôfent ne font point di- 
fperfées, quoiqu'ellesfoient cultivées 
avec les trois foles ordinaires. 

On eft donc le maître, dans ces 
fortes de Domaines ou corps de Fer- 
me de faire telle divifion qu'on ;u- 
gera la plus convenable ; on peut y 
augmenter les foles ; & , en confer- 
vant lesjachères, on peut y en éta- 
blir quatre dans lefquelles, indé- 
pendamment des produétions ordi- 
naires, dont on ne peut fe pañler , on 
pourra faire venir encore plus fa- 
cilement d’autres produ@ions qui 

O ii 


214 MANUEL D’AGRICULTURE 


pourroient occafionner plus de pro- 
fits: voici comme on s’y prendroit. 

En ne faifant point dans un corps 
de Ferme de trois centsarpens, qu'on 
fuppoferoit n'être pas difperfé , une 
diftraétion plus confidérable que 
dans le précédent Plan de culture, 
pour y former l'établiffement de prai- 
ries , on compoferoit lés quatre {o- 
les à raifon de foixante-cinq arpens 
ou environ chacune: 

I! y en auroitune pourlesjachères, 
une autre pour le froment ou pour 
le fegle, une autre feroit en avoine 
ou orge pour la nourriture des bèr 
tes de tirage qui fervent à l’exploi- 
tation , & 1] y en auroit encore une 
qui feroit foit en lin, chanvre, paftel, 
garence, foi en gros navets, &c. 

Il eft vrai que dans cette divifion 
en quatre foles, il fe trouveroit 
moins de froment que dans la pré- 


POUR LE LABOUREUR. 215$ 


cédente pratique ; mais on pourroit 
en être bien dédommagé par les 
plantes qu'on fe procureroit au 
moyen de l’établiflement de la qua- 
triéme fole. | 

Comme on auroit ; dans cette pra- 
tique , la même quantité de prairies 
& de beftiaux que dans la précé- 
dente , on feroit en état d'y exécu- 
ter également le renouvellement 
de l’engrais, tant fur la fole des ja- 
chères, que fur la quatriéme fole 
qui contiendroit les plantes qu’on 
vient de détailler. 

Ce neferoit donc que dans les Do- 
maines ou corps de Ferme qui fe- 
roient réunis , & dont les piéces de 
terres qui les compofentne font point 
difperfées , qu’on pourroit prendre 
celle des deux pratiques qui feroit 
jugée la plus convenable & la plus 
avantageufe , quoique toutes les 

O iv 


216 MANUEL D'AGRICULTURE 


deux ne peuvent que tendre égale- 
ment à augmenter prodigieufement 
leur revenu, 


VII 
Des Engrais de Befliaux. 


On ne fait ici mention que des 
engrais qui proviennent des be- 
faux, parceque ce n’eft que d’eux 
qu'on peut tirer toute la quantité né- 
ceflaire pour amandet, tous les ans, 
la troifiéme , la fixiéme ou la neu- 
viéme partie d'un corps de Ferme 
où il feroit queftion des jachères. 
Ce qui les rend encore préféra- 
bles à toutes les autres fortes d’en- 
grais, c'eft que dans les beftiaux on 
trouve un double avantage, non- 
feulement celui de l'engrais qui eft 
le plus confidérable & qui enrichit 
le plus, ne/tendant pas moins qu'à 
augmenter prodigieufement & le 


POUR LE LABOUREUR. 217 


fond & le revenu d’un Domaine; 
mais encore celui de leurs laines, de 
leurs peaux & de leurs produétions , 
comme géniffes, agneaux,laitage,&cc, 
dont on fait aufli de grands profits. 

En faifant de plus attention au 
commerce que l’on en fait , on con- 
viendra que c'eft avec raïfon que 
Jon a toujours dit que‘ce n'étoit 
que par les beftiaux, qu'on pouvoit 
procurer & établir l'aifance & l’a- 
bondance dans les Campagnes. 

n'y a point de fortes de terreins 
labourables & en état de porter du 
grain, auquel leur engrais ne con- 
vienne, | 

Y en a-t-il un meilleur que celui 
de moutons ou de brebis , pour les 
terres humides, froides & pefantes, 
qui foit plus propre pour les réchauf- 
fer , les ranimer , & même pour les 
rendre plus meubles & les bien di- 


218 MANUEL D'AGRICULTURE 


vifer ; fans cependant qu'on puifle 
dire qu'ilsne conviennent point à 
d’autres terres, qui feroient même 
d'une qualité contraire ? 

On n’en peut pas dire autant de la 
marne , quoique ce foit un engrais 
très-eftimé , lequel ne convient nul- 
lement dans un terrein fec & chaud, 
puifqu'elle. le brüleroit infaillible- 
ment, & le rendroit ftérile pour bien 
des années, fi on l'y employoit 1n- 
confidérément. 

À ces mêmes terres humides & 
froides, les crottins de pigeons (2) 

(a) Le pigeon eft fi utile , qu'il convient 
de le faire connoître une bonne fois, pour qu’on 
ne foit pas tenté de le détruire mal à propos: 
Indépendamment qu’il eft d'une très-grande 
réflource dans les Campagnes, il n’eft pas auf 
deftruéteur & aufli nuifible que bien des gens 
fe le font imaginé. Quand un Laboureur a 
l'attention de bien couvrir fes feimences , com- 
me il doit le fçavoir , il n’y a rien à craindre 
de fes pattes qui ne grattent jamais. Si avant 


POUR LE LABOUREUR. 219 


conviennent aufli beaucoup ; ils ont 
même tant de force & de chaleur 


la moiffon il fait tort à quelque froment , il le 
répare bien par l'excellent engrais qu'il pro- 
cure, qui en fait venir beaucoup plus qu'il 
n'en peut manger. Il ne faut pas avoir un Co- 
lombier bien confidérable , pour être en état 
d’amander tous les ans deux à trois arpens. 
Auflitôt que la moiflon eft ouverte , ce n'eft 
plus au froment qu'il en veut, nià l'avoine, 
ni aux lentilles, &c. c'eft principalement aux 
petites graines qui fe détachent des mauvai- 
fes herbes qui ont müries avec la moiflon, 
& qui font fciées & fauchées en même tems ; 
cela eft fi vrai qu'on n’en voit que très-rare- 
ment fur les gerbes de froment, ou fur les 
cochets d'avoine, de lentilles , &c. En man- 
geant & en détruifant toutes ces petites grai- 
nes , les terres produifent beaucoup moins de 
mauvaifes herbes l’année fuivante , ce qui 
fait que les grains qu'on y enfemence , pro- 
fpérent beaucoup mieux. Le véritable tems où 
le pigeon fait plus de dégât au froment, c'eft 
un peu avant la moiflon, quand il commence à 
mürir, pour lors il en abbat les tiges avec fes 
ailes pour fe jeter fur leurs épis, auffitôt qu'ils 
font couchés. Avant la moiflon , il fait en- 


220 MANUEL D'AGRICULTURE 


que , pour les répandre très-claire- 
ment , on eft obligé de les femer à 
la main comme le bled. 


core du tort aux lentilles, parcequ'elles font 
ordinairement couchées , verfant au moindre 
orage qu'elles effuyent ; comme on en féme 
peu, ce préjudice n'eft pas une raifon fufi- 
fante pour demander la deftruétion du Pi- 
gcon , n'y ayant que le froment qui puifle 
J'autorifer. Ne mangeant point de fegle il 
eft bien moins nuifible dans les pays, & 
les Cantons où cette forte de bled fait le prin- 
cipal objet de la récolte. Il ne faut donc pas 
écouter fi légèrement les plaintes des Labou- 
reurs qui ne les font le plus fouvent que par- 
ceque n'ayant point de colombiers, foit pour 
n'avoir pas aflez de terres , foit pour d’autres 
raifons , ils font extrêmement jaloux con- 
tre ceux qui font fondés à jouir de ce droit. 
Que ne fait-on plutôt des Ordonnances , 
comme dans le Brandebourg, & même ail- 
leurs, contre lés moineaux qui font bien plus 
de dégâts fur les fromens , & dont on ne tire 
aucune utilité. Par ces Ordonnances , les gens 
de la Campagne font tenus de repréfenter tous 
les ans une certaine quantité de têtes de moi- 
nçaux. 


POUR LE LABOUREUR. 221 


Les engrais de vaches, de bœufs 
& de chevaux, même mêlés enfem- 
ble ,font plus analogues aux terreins 
chauds & fecs ; ce quin’empèche pas 
qu'ils ne puiflent être aufli employés 
avec fuccès fur tout terrein, quand 
même on y mêleroit encore ceux de 
cochons, de poules & de toutes les 
autres efpéces d'animaux qui peu- 
vent fe trouver dans une bafle-cour. 

Quoique l'engrais de beftiaux 
puifle être employé aufli utilement 
fur tout terrein , & fans en craindre 
aucun inconvément ,1ly a cependant 
le pur fable, fur lequel ‘ne prendra 
point , & fur lequel il fera toujours 
mis en pure perte; parceque chaque 
grain de fable n'eft qu'une petite 
pierre bien formée dont il ne peur 
fortir aucun fel ni aucun fuc qui 
{oit propre à la végétation. 

C'eft pourquoi, fi le fumier, qu’on 


222 MANUEL D'AGRICULTURE 


ÿ auroit mis, ne réuflit que par 
place, comme 1l arrive aflez ordi- 
nairement , Ce ne fera que parce- 
qu'il s’y fera trouvé quelques vei- 
nes de terres mélangées avec le 
fable. 

Le fentiment de ceux qui préten- 
dent que l’engrais en général , à l’ex- 
ception de celui de terre, ne donne ni 
fels ni fucs, & qu'il n’a d'autre effet 
que de nourrir, ranimer, fortifier & 
réparer ceux qu'il trouve , ne feroit 
donc pas fans fondement. 

Toute la reflource de ces terreins 
de pur fable, ne conffteroit par- 
conféquent qu’à les ouvrir & qu'à 
les éventrer, fuivant l’expreffion de 
l'Auteur des Prairies artificielles | pour 
en tirer la terre de deflous, à l’ef- 
fet de la mettre deflus, pourvû qu’elle 
ne fe trouvât pas trop enfoncée , 
c’eft-à-dire au-delà de deux à trois 
pieds de profondeur. 


POUR LE LABOUREUR. 223 


Ce pur fable étant comme un cri- 
ble à travers duquel l’eau des pluies 
pañle toujours pour s'imbiber def- 
fous , il y a lieu de croire qu'on y 
trouveroit une nouvelle terre con- 
venable , laquelle , étant mife deflus 
en fuffifante quantité , le mettroit 
en état de pouvoir être cultivé pour 
y faire venir du grain. 

Un autre moyen encore, feroit 
d'y voiturer de la bonne terre & de 
la mettre à environ un demi-pied 
d’épaifleur. 

Mais, comme ces dépenfes feroient 
fort couteufes & pourroient même 
excéder de beaucoup le produit 
qu'on en retireroit , la terre en gé- 
néral ayant plufeurs deftinations 
pour mieux fournir à tous nos be- 
foins , ces fortes de terreins de pur 
fable feront employés beaucoup 
plus utilement eu y plantant du bois 


114 MANUEL D'AGRICULTURE 


ou de la vigne, parceque leurs raci- 
nes; qui font fortes & profondes; 
font en état de pouvoir atteindre la 
bonne terre de deflous dont on vient 
de parler, - 

Dans le cas qu’au lieu d'une terre 
convenable , il ne fe trouvât deflous 
le fable que des pierres & des blo- 
cailles, comme cela arrive aflez fou- 
vent, la terre étant encore deftinée 
à les produire pour nous mettre en 
état de faire des logemens folides, 
on n'en exigeroit rien de plus, puif- 
que fa deftination feroit remplie. 

Ce qui détermine encore à ne 
point entrer dans le détail des autres 
fortes d'engrais qu'on pourroit aufli 
employer très-utilement, comme les 
cendres, les boues, les décombres, 
la marne , &c, c’eft qu'étant queftion 
d'amander,tousles ans, dansun corps 
de Ferme une partie auf confidé- 

rable 


POUR LE LABOUREUR. 2:34 


table que l’eft la fitiéme ou la neu- 
viéme ; pour pouvoir tOuJOurs y en- 
tretenir & renouvelier l’engrais, ils 
ne pourroient y contribuer qu’en 
bien peu de chofe , n’étañt pas pof- 
fible d'en ramañler une aflæ grande 
quantité. 

Quand cela feroit ; combien de 
tems n’employeroit-on pas pour al- 
ler les chercher ? au lieu qu'on peut 
avoir chez foi & dans fa Rañle-cour 
tous les engrais de beftiaux dont on 
a befoin. 

Il eneft de même des engrais artifi- 
ciels, quoiqu'aufli très-bons ; qui, 
pour la même raïfon, ne font point 
intéreflants dans des amandemens 
auiñ coniidérables que ceux dont 
eft queftion ; 1ls y feroient fi peu 
qu'à peine les remarqueroit-on. 

D'ailleurs, pour les faire, cela 
prend bien du tems, & ils occupent 

IL 


2126 MANUEL D'AGRICULTURE 


extrèmement , dans le courant d’une 
année, & des domeftiques & des 
chevaux, qui ont bien des occupa- 
tions à remplir, s’agiflant de mêlan- 
ger avec de la terre la quantité de 
fumiers qu'on peut avoir, on qu'on 
veut employer ; ce quife fait dans 
une foffe faite exprès,par des couches 
alternatives de l'un & de l’autre d’en- 
viron un bon demi-pied d’épaiffeur. 

Quoique cette pratique foit mer- 
veilleufe , & quoique l’ufage desfor- 
tes d'engrais qu'on vient de détail- 
ler, autres que ceux de beftiaux, foit 
aufli très-bon ; cependant on peut 
dire qu'ils feront mieux employés 
aux petites cultures dont on a parlé 
dans l’Introdu@tion de ce Manuel, 
c’eft-à-dire dans les terres qu’on ne 
laboure qu’à la béche, attendu que 
l'entretien & le renouvellement de 
l'engrais , qui peut s’y pratiquer , ne 


POUR LE LABOUREUR. 227 


doit faire qu'untrès-petir objet; ceux 
qui cultivent ainfi à la bêche n’en 
pouvant prendre ou louer que deux 
à trois arpens au plus, pour les faire 
bien valoir. 

C’eft encoré dans la culture des 
jardins que les engrais artificiels corn 
viendroient admirablement. Quel 
changement heureux ne feroient-ils 
pas fur les légumes, fur les fruits & 
même fur les fleurs ? On ne peut pro- 
pofer rien qui puifle y faire autant 
d'effets. | 

Enfin n'étant pas douteux que l’en- 
tretien & le renouvellement d’en- 
grais ordinaires, bien exécuté fur la 
totalité d’un corps de Ferme, n’aitle 
même effet, avec le tems, que celui 
de l’engrais artificiel : 11 femble que 
ce feroit fe donner inutilement bien 
de la peine que de s’entèter à | VOu- 
loir les y employer. 

Pi 


228 MANUEL D'AGRICULTURE 


VIIL 


Comment s'y prendre pour faire confom- 
mer les engrais de befliaux en peu 
de tems. 


es E n’eft pas afez de s'être mis en 
état d’amander tous les ans la neu- 
viéme partie d'un corps de Ferme 
de trois cents arpens pour entrete- 
nir continuellement fur fa totalité le 
renouvellement de l’engrais ; 1l faut 
encore que tout le fumier de be- 
ftiaux , qu'on y employera, foit 
bien confomme. 

Une voiture de bon fumier a plus 
d'effets que deux & même trois qui 
feroient chauffourés. 

Le bon fumier doit fe faire avec 
promptitude, pour que le Labou- 
reur puufle le charier fouvent, & 
puifle le charier dans les intervalles 


POUR LE LABOUREUR. 229 


qu'il eft obligé de donner à fes la- 
bours, comme on l’a dit ci-deflus, 
pour leur donner le tems de fe re- 
prendre. 

En le conduifant fouvent , non- 
feulement il aura plus de chaleur, 
mais il s’en trouvera beaucoup 
plus que fi on ne le charrioit que 
rarement ; puifqu'en le laiffant trop 
long-tems dans fa foffe , il ne fe peut 
qu'il ne fe pourrifle , & qu'il ne s’en 
perde beaucoup; ce feroit mème une 
perte affez confidérable, 

Il n’en eft pas de l’engrais de 
beftiaux comme des autres fortes 
dont on vient de parler, n’y ayant 
rien à faire à ceux-ci avant de les 
employer ; au lieu qu'à l'égard de 
ceux de beftiaux, on ne le doit 
qu'après avoir travaillé à les rendre 
bons. | 
Qui conduiroit les fumiers fur les 

P 


230 MANUEL D'AGRICULTURE 


terres en fortant des écuries, ne fe- 
toit qu'une très-petite befogne. 

Pour parvenir donc à les rendre 
bons, c’eft-à-dire bien confommés, 
voici ce quife pratique par les Labou- 
reurs aétifs & vigilans , qui fe réglent 
fuivant la conformation de leur baffe- 
cour. 

Quand elle eft étroite , longue ou 
quarrée , environnée de bâtimens, 
la foffe à fumier fe trouvant dans le 
milieu, 1ls ont l'attention, dans les 
tems de chaleur & de fécherefle, 
de faire jetter deflus une quantité 
convenable de feaux d’eau qu'on 
tire du puits ; ce qu’on répéte deux 
à trois fois la femaine , fuivant le 
befoin. 

Uls ne manquent pas enfuite de 
faire pañler deflus tous les jours leurs 
beftiaux , lorfqu'ils rentrent ou qu'ils 
{ortent; ce qui donne lieu, par leur 


POUR LE LABOUREUR. 231 


poids & leur pefanteur , de faire re- 
monter l’eau fur la fuperficie du fu- 
mier; & on conçoit qu'étant par.ce 
moyen toujours imbibé , il doit être 
bientôt fait & confommé : il ne faut 
pour cela qu'environ trois femaines 
ou un mois au plus, fi chaud & fifec 
que le tems puifle être. 

Une autre façon, qui n’a pas moins 
d'effets dans une pareille baffe-cour, 
& qui n’exige pas plus de tems, c’eft 
pour les tems de pluies, de ménager 
l'écoulement des goutières, pour 
tomber direétement dans la foffe à 
fumier , avec cependant la précau- 
tion de leur faire une fortie, dans 
le cas d’une trop grande abondance. 

Cette fortie pourroit fe prati- 
quer au moyen d'un conduit de 
pierre ou de bois, qui dégage- 
roit ledteaux au dehors, & pour qu'il 
ne reftât , dans la foffe que la quan: 

P iv 


231 MANUEL D'AGRICULTURE 
tité d’eau qui lui conviendroit ; ce 
conduit feroit pofé dans une ouver- 
ture qui auroit été exactement prife 
dans le nülieu de la profonieur de 
la foie. 

Les beftiaux paflant & repañlant 
continuellement defius, quand ils for- 
tiroient & rentreroient, ne manque- 
roient pas de faire remonter l’eau 
qui fe trouveroit au fond. 

De telle façon que l’eau foit pro- 
curée au fumier , il faut toujours 
faire enforte qu'il n’y en refte point 
au fond de la fofle , & qu’elle re- 
monte fur la fuperficie du fumier. 

Lorfque la phue fera trop long- 
teims fans venir, on aura recours au 
‘premier moyen. 

Si au contraire la bafle-cour eft 
grande & fpacieufe, & fi la fofle à 
fumier fe trouve dans un coimà côté 
des écuries ou dans le milieu, il ef 


POUR LE LABOUREUR, 233 


important que cette fofle foit exatte- 
ment faite en cul de lampe & de fa- 
çon qu’elle y retienne & conferve 
l'eau. 

En cet état , toutes les fois qu'on 
y déchargera les fumiers qui feront 
tirés des écuries & des étables, on 
ne manquera pas de les étendre & 
de les répandre le long des bords, & 
on aura fur-tout attention de laifer 
voir le fond ou le creux de cette 
fofle. 

Quand elle commencera à s'em- 
plir, en évitant toujours de laifler 
tomber le fumier au fond , on jettera 
pendant quelques jours plufeurs 
feaux d’eau fur les bords, & quand 
ils feront achevés d'être bien cou- 
verts de fumiers , autant qu'ils en 
pourront contenir , & toujours en 
y jettant quelques feaux d’eau juf- 
qu'a ce que le creux ou le fond de 


234 MANUEL D'AGRICULTURE 


la foffe s’en trouve rempli , il ne s’a- 
gira plus pour lors, que de l’y puifer 
avec un poëlon pour en arrofer les 
bords; ce qui étant fouvent répété, 
on verra que le fumier fera bientôt 
fait & confommé : tout cela ne de- 
mandera pas plus de trois femaines. 

Au moyen de cette opération, 
il ne fera pas néceflaire de faire paf- 
fer les beftiaux fur cette fofle , pui- 
qu'au moyen de fon creux qui doit 
toujours fe trouver bien dégagé de 
fumier , on eft en état d’y puifer l’eau 
qui en eft fortie pour la jetrer fur les 
bords, quand on le jugera nécef- 
faire ; ce qui auroit le même efket 
que celui de la faire remonter par 
la pefanteur des beftiaux. 

Bien plus , fi la conformation de 
la baffe-cour ne permettoit pas qu'on 
y pratiquât une foffe , on laïfleroit 
le fumier en tas dans un coin , & on 


POUR LE LABOUREUR. 235$ 


le feroit confommer en auffi peu de 
tems, à mefure qu'il fe formera & 
s'amafñlera en y jettant exaëtement 
de l’eau. 

Rien ne doit moins coûter que ces 
attentions , étant fi différent d’ern- 
ployer de bons ou de mauvais fu- 
miers. 

Quand une récolte manque, ou 
n'a pas bien réufli, nonobftant que 
le champ ait été amandé avec toute 
la quantité de fumiers qu'il pou- 
voit exiger , c'eft fouvent parce- 
qu'elle n'étoit pas bien confommée, 
ou parcequ'elle n’a pas été répandue 
n'y enclofe à propos. 

C’eft pourquoi il convient d’ajoü- 
ter qu'il faut encore avoir l’atten- 
tion de faire répandre le fumier auf- 
fitôt qu'il eft conduit & charié à fa 
deftination , & même au fur & à me- 
fure qu'on le décharge. 


236 MANUEL D'AGRICULTURE 


On le répand plus facilement ; il 
s'étend mieux, & on y gagne beau- 
coup plus que fi on différoit ; il a 
même plus d'effets en le répandant 
auflitôt ; puifqu’en le laïffant deflé- 
cher à l'air, il perd beaucoup de fa 
bonne qualité, 

On ne peut donc trop-tôt fe pref- 
fer de le retourner & de l’enclore 
avec la charrue , dès qu'il fera ré- 
pandu : une pluie qui furviendroit 
pour lors lu feroit bien favorable ; 
ce qui peut engager de l'attendre , 
fi on prévoit qu'elle ne differera 
pas, 

Il ne faut pas oublier de dire en- 
core que parmi les bons Laboureurs, 
on ne répute bons fumiers que ceux 
qui font faits avec des pailles de 
froment, ou de fegle, d'orge & 
d'avoine , & qu'ils ne font aucun 
cas de ceux qui ne font faits qu'a- 


POUR LE LABOUREUR. 23 
vec ce qui refte des rations d’herba- 
ges, foit en verd, foit en fec , qu'on 
donne aux beftiaux ; il s'en faut 
bien que ceux-ci ayent là même 
force , la même chaleur & les me- 
mes qualités des autres, & qu'ils 
durent aufli long-tems. 


IX. 


Réponfe a un certain Auteur au fujet 
des établiffernens de Prairies. 


ra 
KZ UOIQUE tous les avantages 
qu'on peut tirer des établifemens 
de prairies artificielles foient fi clairs 
& fi évidents, fur-tout quand ils font 
bien réglés, croiroit-on qu'ils ne 
font pas du goût d’un certain Au- 
teur ? 

Ne pouvant , fuivant lui, y faire 
paturer les beftiaux , parce que ce 
feroit une pâture dangereufe , il en 


238 MANUEL D'AGRICULTURE 


conclud qu'il vaut mieux s’en pañler, 
& chercher d’autres moyens de fe 
procurer les engrais néceflaires , 
pour les fuppléer au défaut de prai- 
ries naturelles & de patures com- 
munes. 

On convient que les établifle- 
mens de prairies artificielles ne font 
pas faits pour fervir de pâturages au 
gros bétail, non plus que les prairies 
naturelles, où i1ne peut aller qu'après 
qu'elles font entièrement fauchées. 

Mais ils peuvent fervir à le bien 
nourrir pendanttoute l’année , quand 
même il ne fortiroit point; ou que 
très-peu. $ 

Il y a bien des Cantons & bien des 
Terroirs en France fur lefquels il n’y 
a ni prairies naturelles, ni pâtures 
communes ; cela n'empêche pas 
qu'il ne s’y trouve quelques beftiaux 
comme vaches ou bœufs, 


POUR LE LABOUREUR. 239 


Or , l'ufage dans ces fortes de 
Cantons eft de les nourrir dans leurs 
étables avec l'herbe des champs, 
que les fervantes vont y chercher 
pendant les trois faifons du printems, 
de l'été & de l’automne , & encore 
avec quelques bottes de ces mêmes 
herbes qu’elles ont fait fécher, & 
qu’elles refervent pour leur tenir 
lieu de foin, dont elles font même 
une provifon pour l’hyver. 

Enajoutant alternativementaà cette 
forte de nourriture quelques bottes 
de pailles qui fervent auf pour leur 
litière , cela fait que ce gros bétail 
fe trouve bien nourri: mais on doit 
concevoir qu'on ne peut en avoir 
que très-peu. 

Cependant, quoique fur ces Ter- 
roirs ou Cantons , il n'y ait ni prai- 
ries naturelles, ni pâtures communes, 
on ne laifle pas de le faire fortir de 


:40 MANUEL D'ÂAGRICULTURE 
tems en tems , fur-tout aufli-tôf 
les moiflons pour le conduire dans 
les pâtures grafles, c’eft-a-dire dans 
les chaumes de froment ou de fe- 
gle, où il fe trouve pour lors ordinai- 
rement beaucoup d'herbes dont ce 
gros bétail eft très-friand. 

Depuis la moiflon jufqu'au prin- 
tems, on le conduit ainfi de tems 
en tems fur les terres qui ont été 
moiflonnées , dans lefquelles 1l peut 
trouver à pâturer ; mais, ce tems 
pañté , on ne le fait fortir que pour 
le mener boire ; il refte ordinai- 
rement à l’érable jufqu'au teins de 
la moiflon , & on ne le conduit point 
dansiles térres qui font en jachères, 
parcequ'elles font fpécialement ré- 
fervées pour les bêtes blanches , qui, 
à la différence du gros bétail, doivent 
fortir tous les jours. 

Suivant le détail de ces ufages, 

qui 


« POUR LE L'ABOUREUR. 241 
qui ont, ainñ lieu fur les Terrowsoï 
11 n'y a ni pâtures communes ni prais 
tics naturelles, on peut avoir du 
gros bétail, en le nourriffant com- 
me.on vient.de le dire: Am ; aù 
moyen des établifflemens de Prai- 
ries artificielles, on aura bien plus 
de faciité, à nourrir le gros béta, 
foit en verd, foit en feé ; pen- 
dant toute l'année ; & l’on parvien- 
dra à s'en procurer ie nombre nécef- 
faire pour fe mettre en état d'exécu- 

er tous les engrais dont on peat 
avoir befoin , fans qu'ii foit queftion 
que ces fortes d’établiflemens lui fer- 
vent de pâturages. | 

Cela ne conviendroit même pas, 
fur-tout , s'ils ne confftoient qu'en 
luzerne ; parceque cette plante, 
quand elle n'eft pas donnée avec 
économie , peut être dangereufe, 
cuoique très-bonne en elle-mème:; 


Q 


242 MANUEL D'AGRICULTURE 


on s’en eft expliqué fufifamment 
dans le Traité des Prairies artificiel- 
Les. Quoiqu'il n’y ait pas le même 
danger pour les établiflemens de 
fain-foin, de tréfle , &c. encore vaut- 
il mieux ne faire pâturer le gros be- 
tail que quand toutes les coupes & 
fauchaifons en auront été faites , 
c’eft-à-dire , vers le tems de laS. Re- 
mi ou de la S. Martin, pour fe nour- 
rir de ce qu'il peut y refter en verd : 
il n'y auroit pour lors aucun danger 
de le conduire dans une luzerne. 

Ce n'’eft donc que , faute de con- 
noitre tous les ufages de la Campa- 
gne , fi cet Auteur s’eit ainfi déclaré 
contre les établiflemens de prairies 
artificielles ; il ne connoiït apparem- 
ment que ceux qui ont lieu fur les 
Cantons ou Terroirs où il fe trouve 
des pâtures communes , & des prai- 
ries naturelles. 


POUR LE LABOUREUR. 143 
Il n’y a cependant que Les prairies 
artificielles qui puiflent fuppléer à 
leur défaut , puifqu'on peut dire que 
ce n’eft que dans cette vue que l’Au- 
teur de la Nature nous en a gratifié; 
autrement à quoi pourroit nous fer- 
vir un don aufli précieux? La plus 
grande partie de nos terres refte- 
roient toujours dans une ftérilité 
dont on ne pourroit les retirer ? 
On ne conçoit pas comment un 
pareil préjugé a pu prendre fur un 
Auteur qui paroît d'ailleurs fi éclairé, 


TROISIEME SECTION. 


Des Jachères, 


CDN à déja établi que l'Agricnl- 
ture étoit généralement compofée 
des opérations du labour, desfemen. 
ces & des engrais ; & que, pour les 
faire mieux réuflir, on ajoutoit les 


Q5ÿ 


244 MANUEL D'AGRICULTURE 


jachères pour donner du repos aux 
terres ? 

Ce repos méritant la plus grande 
attention, il s'agit de fçavoir quand 
il convient d'employer ou de fup- 
primer les jachères: on peut dire 
qu’en cela confifte la grande fcience 
de l'Agriculture. 

On fera voir que leur fuppreffion 
ne doit être regardée dans toute l’A- 
griculture , que comme un cas par- 
ticulier; & qu'iln’en eft, de cette 
fuppreflion, vis-à-vis de leur ufage 
que comme d’une exception à l’é- 
gard d'une régle générale. 

On fera donc bien étonné d’ap- 
prendre que c’eft renverfer tous les 
principes de l’Agriculture ; que de 
propofer de rendre générale la fup- 
preflion des Jacheres. 

En attendant on commencera par 
dire que, faute de bien connoitre ce 


POUR LE LABOUREUR. 245 


que c’eft que Jachères, foit pour les 
obferver, foit pour les fupprimer, 
on ignore pleinement l'Agriculture, 
& qu’on ne peut que s'égarer. 

La preuve n’en eft que trop évi- 
dente dans les Écrits de nos Au- 
teurs modernes, & dans ceux mème 
qui ont eu la plus grande réputation, 
puifqu'ils n’ont fait que bésayer fur 
cette importante matière ; c’eft du 
moins le jugement qu'en ont porté 
les Cultivateuts qui ont le plus d’ex- 
périence, & qui peuvent feuls déci- 
der. Ils ont mème inféré de la gran- 
de réputation que ces Anten uis fe 
font ainñ faite qu’on eft encore bien 
ignorant en France fur l'Agriculture; 
tandis que fur toute autre matiere 
on eft fi éclairé. 


SNA 
RS 


SL 


Qu 


246 MANUEL D'AGRICULTURE 
Fe 


Ce qu'on entend par Jachères. 


<2 N entend par Jachères, des ter- 
res qui, après avoir été moiflonnées, 
reftent dans le repos, non-feule- 
ment pendant l'automne & pendant 
l'hyver ; mais encore dans les deux 
faifons du printems & de l'été de 
l'année fuivante ; de façon qu'elles 
font , une année entière & même 
plus, fans être enfemencées ; tout ce 
tems n'étant employé qu'à les la- 
bourer , les cultiver & les préparer, 
pour recevoir les femences qu'on 
leur deftine. 

Quoiqu'on pue dire que cette 
idée des Jachères foit exaëte ; cepen- 
dant , pour lui donner plus de préci- 
fion , on ajoutera qu’elle ne doit ab- 
folument tomber que fur le repos 
que les terres ont pendant les deux 


POUR LE LABOUREUR. 247 


faifons du printems & de l'été, & 
non fur celui qu'elles ont déja eu 
précédemment pendant l'automne & 
pendant l’hyver; puifqu’on ne peut 
appeller serres a Jachères , celles qui, 
après s'être repofées pendant l’hy- 
ver ,font enfemencées au mois de 
Mars; c’eft-à-dire dans la faifon du 
printems. 

Voilà donc la vraie définition des 
Jachères , a laquelle on ne peut trop 
faire attention. 

Les terres auxquelles on laifle ce 
fecond repos , font appellées Jachè- 
res , parceque , quoiqu’elles foient 
labourées dans les deux faifons du 
printems & de l'été, cela n'empêche 
pas qu’elles ne puiflent fervir de 
pâture aux bêtes blanches, le terme 
de Jachères, fignifiant, férvant de pa- 
rie. Cette pature des champs, com- 
me on l’expliquera ci-après, eft la 


Q iv 


»48 MANUEL D'AGRICULTURE 


meilleure , & même ia feule quon 
pue leur procurer. 

Il eft vrai que les terres qui fe re- 
 pofent dabord dans les deux fañons 
de l'automne & de jhyver, quon 
peut encore labourer quand le tems 
le permet, fervent auihi de patures 


aux bêtes blanches, & que pour 


ette raïfon, elles pourroïent être 
‘galement appellées Jachères ; mais 
ufage, qu fixe la véritable fignifi- 
tion des termes, n’a attaché celut- 
ci, dans toutes les Campagnes, 
qu'aux terres dont le repos eft con- 
tinué pendant les deux faifons du 
printems & de l'été, 
_ fin'yaque ceux qui ne connoïffent 


SE (e) 


l'Agriculture qu'en fpéculation , qui 


confondent ces deux repos, & qui 


sy méprennent 


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POUR LE LABOUREUR. 249 
IL. 
Ce qui occafionne & néceffite les Jachères.- 


© UoiïqQuE dans l'Agriculture , 
on fafle ufage de beaucoup d’efpé- 
ces de femences, & de bien des for- 
tes de grains; cependant , en ne les 
confidérant que par rapport aux 
deux différens tems de les femer, 
on n'y en reconnoit que deux for- 
tes, qui font les grains de Mars & 
les grains d'hyver. 

Par grains d’hyver, on entend eflen- 
tiellement le froment & le fegle, qui 
font les deux grands objets & les plus 
précieux de l'Agriculture. 

Les grains de Maïs, comme orge, 
avoine , &c. font enfemencés au 
printems dans des terres qui fe font 
repoiées pendant l'hyver ; n'étant 
que quatre, cinq à fix mois enterre, 
ilspe uvent donner leur récolte aflez 


250 MANUEL D'AGRICULTURE 


à tems, en plein été, pour pouvoir 
bien mürir. 

I n’en eft pas ainfi des grains d'hy- 
ver ,comme froment, fegle , &c. qui 
devant être neuf à dix mois enter- 
re, exigent qu'on les féme dans la 
faifon de l'automne avant l’hyver, 
pour que leur récolte puifle aufii 
tomber en plein été dans les mois 
de Juillet ou d'Août, qui eft Le tems 
le plus propre à leur maturité. 

Ils peuvent être ainfi femés , fans 
crainte qu'un hyver, fi rigoureux 
qu'il puifle être , leur nuife ; pourvu 
que la terre foit féche, & que les 
fortes gelées ne furviennent point 
immédiatement après d'abondantes 
pluies. Au contraire les fortes & lon- 
gues gelées leur font avantageu- 
fes en rendant leurs récoltes plus 
grainées , ce que n'opèrent pas les 
longues pluies d’'hyver qui leur font 


POUR LE L'ABOUREUR. 251 
très - prépudiciables ; c’eft ce qu'on 
apprend par l'expérience. 

Si on femoit les grainsd'hyver au 
mois de Mars, il eft bien eertain 
qu’il n’en réfulteroit que des récol- 
tes tardives, qui à peine payeroient 
le Laboureur de fes femences. 

Ne pouvant donc être enfemen- 
cées qu’en automne & non au prin- 
tems, 1l s'enfuit que les terres, dans 
lefquelles ils font employés , doi- 
vent fe repofer dans les deux faifons 
du printems & de l’été, indépenda- 
ment du repos qu'elles ont déja eu 
pendant l’hyver, & qu’elles foient, 
une année entière & mème plus, 
fans rien porter ; parcequ'il paroît 
qu'il feroit contre l’ordre de la Na- 
ture , que des terres, qui ont tra- 
vaillé pendant les deux faïfons du 
printems & de l'été , fuflent encore 
dans le même cas pendant les deux 


:52 MANUEL D'AGRICULTURE 


faïfons fuivantes de l'automne & de 
Fhyver. 

Au printems, tout renait, tout 
reverdit, tout fleurit ; la terre re- 
prend fon travail; elle employe, elle 
épuife même tous fes fels & tous {es 
fucs pendant les trois faifons confé- 
cutives du printems, de l'été & de 
Fautomne , pour nourrir toutes les 
femences qu'on lui a confiées. 

Mais, pendant l’hyver, elle eft, 
pour ainfi dire, dans le repos, & 
c'eft ce repos qui lui eft fi nécefaire 
pour la rétablir & pour lui rendre 
toute fa vigueur. 

Enun mot, c’eft l’hyver quiremet 
la terre en état, chaque année , au 
printems , de vivifier toutes les plan- 
tes, tant annuelles que‘vivaces. 

Il femble contre l’ordre de la Na- 
ture de fupprimer les Jachères ; on 
peut même dire que leur fupprefhion 


POUR LE LABOUREUR. 253 


auroit bien des inconvéniens , & 
qu'il ne feroit pas aufl facile de l’exé. 
cuter qu'on fe l’imagine. 

Dans le cas que des terres, après 
avoir été enfemencées & moifflon- 
nées pendant les deux faifons du 
printems & de l'été, fuflent encore 
enfemencées dans la fafon de l’au- 
tomne fuivant, c'eft-a-dire vers le 
mois d'Oftobre; comme le tems de 
leurs moifions qu'on vient de faire, 
tombe en Juillet & même en Août, 
il n'y auroit tout au plus qu’en- 
viron deux mois d'intervalle juf 
qu'à ce qu'on les enfemençât de 
nouveau. 

Dans un fi court efpace peut- 
on donner au froment tons les 
labours qui lui conviennent , n’y 
ayant point de grain qui exige au- 
tant de peine , & qui demande à être 
aufh bien cultivé, 


:$4 MANUEL D'AGRICULTURE 


On ne pourroit tout au plus que 
lui donner deux labours, tandis qu’il 
lui en faut davantage, foit pour bien 
ameublir la terre, foit pour dé- 
truire les herbes. 

Il s’agit de bien dégazonner une 
terre qui vient d’être moiflonnée, 
& qui, parconféquent fe trouve 
pleine de racines ; autrement, com- 
ment celles du froment, qui font fi 
tendres & fi menues, pourroient-el- 
les pénétrer ? 

D'ailleurs, fi le terrein qu’on cul- 
tiveroit dans un fi court efpace , eft 
fujet à donner beaucoup d'herbes, 
ce ne fera pas dans la faifon de l’été 
& de l'automne qu’on parviendra à 
les détruire ,n’y ayant que celle du 
printems ou plutôt celle de l'hyver 
qui puifle avoir plus efficacement 
cet effet par des labours après Ia 
faint Martin. 


POUR LE LABOUREUR. 255 
A l'égard des engrais qu'il con- 
vient de donner à une terre qu'on 
feroit ainfi travailler fans la laïfler re- 
pofer, & qui parconfequent doivent 
être beaucoup plus confidérables 
dans le cas qu'elle n’auroit pas aflez 
de fond pour pouvoir être renou- 
vellée par le travail de la charrue, 
comment pourroit-on les faire ? 
Quel embarras pour les conduire 
& les répandre , dans le même tems 
qu'on ne peut fe difpenfer de don- 
ner au moins deux Labours ? On 
s’en expliquera plus au-long ci-après. 
Tout ne fe fafant qu'a la hâte, & 
un terrein ne pouvant recevoir en 
fi peu de tems qu'une culture for- 
cée, peut-il jamais rendre autant 
que quand on le laiffe en Jachères, 
nonobftant qu'il paroïfle qu’on ga- 
gne beaucoup en ne les obfervant 
pas ? 


256 MANUEL D'AGRICULTURE 

Il faut un peu d'expérience pour 
fentir la vérité de ce détail qu'on ne 
peut contredire; voilà pourquoi ceux 
qui n'en ont point, nannoncent & 
ne propofent que fupprefion des Ja- 
chères. 

Un autre motifencore, pour ob 
ferver les Jachères , qui eft très-inté- 
reflant, c'eft qu'il n’y a- générale. 
ment que ces fortes de terres qui 
donnent au bétail blanc, depuus le 
commencement de Mars jufqu'a la 
moiflon, la pâture qui leur con- 
vient. 

Sans les jachères , c’eft-à-dire fans 
le repos des terres pendant les deux 
faifons du printems & de l'été, Les 
bêtes blanches ne pourroient aller 
paturer dans les champs, que depuis 
la moiflon jufqu’au printems ; pour 
lors, pendant près de fix mois, on ne 
pourroit les conduire que fur les 

chemins 


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# 


POUR LE LABOUREUR. 257 


chemins ou fur les bordures de quel-. 
ques fofés. 

On fe donne bien de garde de les 
mettre dans les prés, cette pâture 
leur étant très-pernicieule, par rap- 
port à la pourriture qu'elle ne man- 
queroit pas de leur, donner ; c’eft. 
une maladie qu’elles prennent faci- 
lement ; c’eft pourquoi il ne leur 
faut que l'herbe des champs, fur- 
tout les racines qu’elles fçavent fi 
bien trouver dans le labouré des. 
Jachères, 

On ne peut donc faire trop d’at- 
tention au peu de tems que laifle 
la fuppreflion des jachères, pour 
bien cultiver le froment. 

Voilà pourquoi dans les Pays & 
Cantons où la fuppreffion des jachè- 
res a lieu ; ce n'eft pas tant le frc= 
ment qui en fait le principal objet, , 
que d'autres grains d’'hyver, comme 


R 


258 MANUEL D’'AGRICULTURE 


le colza, la lentille, &c. qui ne 
demande pas autant de culture. 


III. 


De la divifion & du partage des terres 
a Jachères. 


LES grains d'hyver, & les grains de 
Mars fe fément en deux différens 
tems, les uns au printems , les au- 
tres en automne , avant l'hyver, & 
rempliffent chacun deux parties de 
terre bien réellement diftinguées 
l'une de l’autre ; d’ailleurs les grains 
d'hyver exigent qu’on laifle dans le 
repos les terres qu'on leur deftine, 
depuis le tems qu’elles ont été moif- 
fonnées, jufqu’à celui qu’on doit les 
enfemencer , pour être feulement 
Jabourées & cultivées; ce qui fait 
ai moins une année entière, & par- 
conféquent une autre partie de terre 


POUR LE LABOUREUR. 259 


féparée des deux autres, De tout 
cela 1l fuit que , fur tous les Terroirs 
& corps de Fermes , où les jachères 
font obfervées, les terres , qui for- 
ment leur contenance , {ont toutes 
partagées & divifées en trois can- 
tons ou foles, qu’on appelle Jachè- 
res, Grains d'hyver & Grains de Mars, 

Cette divifon améne néceffaire- 
ment quatre conféquences. 

1°. Sur le Canton des jachères 
d'un Terroir , n'y ayant aucun 
grain de Mars , ni aucun grain 
d'hyver , & ne devant point y en 
avoir , les bêtes blanches peuvent les 
parcourir pendant toute l’année, 
fans que rien les arrête ; & le Ber- 
ger qui les conduit ne feroit nul- 
lement refponfable du tort qu’elles 
pourroient faire à un grain de Mars 
ou à ua grain d'hyver qui s’y ren- 
contreroit ; parceque la pâture des 

R ij 


260 MANUEL D'AGRICULTURE 


jachères leur étant deftinée depuis 
que l'Agriculture fubfifte , c’eft un 
droit immémorial & un avantage 
public, auquel aucun particulier ne 
peut déroger. 

2°. Comme les trois foles, de tous 
les terroirs à jachères, ne peuvent 
être compofées chacune , que des 
pofleffions de différens Propriétai- 
res, qu'on appelle Domaines ou Corps 
de Ferme ,| ils ont tous néceflaire- 
ment la même divifñion & le même 
partage que celui de leur terroir, 
& c’eft d'où provient la diftribu- 
tion des piéces de terre qui les 
compofent , ne s’y en trouvant point 
dont le Domaine foit réuni, à moins 
qu'ils ne faffent terrein abfolument à 
part. Cette conformité de divifion ne 
peut donc fe déranger ; car, fuppo- 
fant que , dans les cantons des grains 
de Mars, on laiflàt quelques piéces 


POUR LE LABOUREUR. 261 


de terre en jachères , comment 
pourroit-on aller les labourer & cul- 
tiver dans le tems que tout ce qui 
les environneroit feroit en verdure, 
& a la veille d'être moiffonné ? 
Comment, dans tout ce tems, pou- 
voir traverier , avec une charrue & 
des bêtes de tirage, ces grains de 
Mars, fans occafionner des préjudi- 
ces confidérables à ceux auxquels 
ils appartiennent ? Lesmêmes incon- 
véniens fe rencontreroient pareïlle- 
ment dans le canton des grains d’hy- 
ver, fi on vouloit femer au printems 
quelques grains de Mars. 

3°. Ces trois foles roulant, pour. 
ainfñ dire , fur elles - mêmes, el- 
les font chacune fucceffivement en 
jachères, en grains d’hyver & en 
grains de Mars, fans qu'aucune d’elles 
fe rencontre , parceque toutes les 
trois , chaque année, font cultivées 

Ru 


:62 MANUEL D'AGRICULTURE 


en différens tems, de façon que 
quand l'une eft en jachères, l’autre 
eft en grains d'hyver , & la troi- 
fiéme fe trouve néceffairement en 
grains de Mars. Chaque fole rou- 
lant ainfi fur elle-même , on con- 
çoit qu'il n'eft pas néceflaire qu'el- 
les ayent chacune la même conte- 
nance. 

4°. Tous lesans, ces trois foles 
fe trouvant alternativement en ja- 
chères, en grains d’hyver &en grains 
de Mars, il n’y en a que deux qui 
produifent & qui donnent des récol- 
tes tous lesans, & il y en a tou- 
jours une troifiéme fur un terroir, 
fur un corps de Ferme, qui cha- 
que année, ne rapporte rien. 

Quoique, par la première de ces 
quatre conféquences, on ait décidé 
que rien ne devoit arrêter , dans les 
jachères, la pâture des bêtes blan- 


POUR LE LABOUREUR. 263 


ches ; cependant elle ne doit point 
empêcher un établifflement de prai- 
ries artificielles, qui feroit réparti 
fur les trois foles d’un Terroir , ainfi 
que fur celles d'un corps de Ferme 
qui y feroit fitué , dans le cas qu'il 
ne s'y trouveroit pas de prairies na- 
turelles , ou qu'il ne s'y entrouveroit 
pas aflez; puifque leur établiffement 
eft une amélioration dont dépend 
abfolument le rétabliflement de l’A- 
griculture dans tout le Royaume , & 
par-tout où on cultive : leur établif. 
fement contribueroit même encore à 
mieux nourrir les bêtes blanches lorf- 
qu'elles reviennent à la maïfon. 
N'y ayant point de loi générale , 
point de droit public fans exception, 
celle dont il eft queftion, ne doit 
faire aucune difficulté , quand elle 
fait encore davantage le bien public. 
On a fixé généralement cet éta- 
R iv 


264 MANUEL D'AGRICULTURE 


bliflement, fur tout corps de Ferme, 
à environ un huitiéme de fa conte- 
nance , & on a fait voir quiln'en 
falloit pas davantage pour le bien 
renouveller d'’amandement, foit tous 
les fix ans , foit tous les neuf ans, en 
fuppofant qu'on feroit parvenu à ti- 
rer de chaque corps de Ferme, tous 
les ans , la quantité de pailles qu'il 
pourroit produire, puifqu'elle fait la 
plus folide nourriture des beftiaux , 
& qu'elle doit y entrer au moins 
pour un tiers, lorfqu'on les nourrit 
en fec. 

Bien plus , on a fait voir que cet 
établiflement de prairies n'iroit pas 
même à un huitiéme , & qu'il pour- 
roif diminuer de beaucoup , fi on fe 
{ervoit du travail de la charrue dans 
les terres où il fe trouveroit un fond 
faffifant pour pouvoir les renouvel- 
ler au befoin, en ajoutant que ce 


sh ue bahintie "2 #2, pm pd 


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| 
| 


POUR LE LABOUREUR. 216$ 


renouvellement de terrein étoit plus 
intérefflant que celui de l'engrais. 

Ne s’asiffant donc que d'environ 
un huitiéme au plus, à prendre fur 
la totalité de tout corps de Ferme 
ou de tout Domaine, quelque foit 
fa contenance , pour faire un éta- 
bliffement de prairies fuffant, & ne 
s'agiflant que du tiers d'un huitiéme 
fur chacune des trois foles qui les 
compofent , fuppofant un corps de 
Ferme de trois cens arpens, cela ne 
fait fur {a totalité, qu'environ trente- 
fept à trente-huit, & fur chaque 
fole , qu'environ douze à treize ar- 
pens , & ainfi de tous les corps de 
Ferme ou Domaine, à proportion 
de leufr contenance. 

Ne s’agiflant de même que d’un 
huitiéme fur tout un Terroir, & que 
du tiers d'un huitiéme fur chacune 
des trois foles qui le compofent , 


266 MANUEL D'AGRICULTURE 


en le fuppofant de quinze cents ar- 
pens , cela ne fait fur fa totalité 
qu'environ cent foixante arpens, & 
fur chaque fole qu'environ cinquante 
a foixante arpens ; 1l ne s'en trou- 
veroit donc pas davantage tous les 
ans dans la fole des jachères dudit 
Terroir de quinze cents arpens ? 

Or , chaque fole d’un Terroir de 
quinze cents arpens , étant d'envi- 
ron cinq cents, celle des jachères 
ayant par conféquent la même con- 
tenance , quel tort , quel préjudice 
pourroient faire à cette pâture des 
bêtes blanches, environ cinquante 
à foixante arpens de prairie ? 

Encore faut-il, pour y employer 
cette quantité, que , fur ce Terroir, 
tous ceux qui y auroient des poffef- 
fions & des corps de Ferme ,y ayent 
chacun établi une prairie dans cette 
éxatte proportion qu'on vient de 


POUR LE LABOUREUR. 2167 


fixer, qui doit fufñre, & qu'on ne 
pourroit excéder. 

Encore faut-il que, fur ce Ter- 
roir , il n'y ait point de renouvelle- 
ment de terrein à faire , puifque 
cela diminueroit de beaucoup, com- 
me on l’a dit, les .établiflemens de 
prairies. 

Ces établiflemens pouvant fe ré- 
duire fur bien des Terroirs à plus 
de la moitié, 1l eft, fans difficulté, 
qu’ils ne peuvent faire aucun tort à 
la pâture des bêtes blanches. 

Ainfi ce feroit un bien & un avan- 
tage de la plus grande importance , 
pour tout le Royaume, file Con- 
feil accordoit un Arrêt qui défen- 
dit, fous des peines convenables, à 
tout Berger, de conduire des bêtes 
blanches dans les établifflemens de 
prairies qui fe rencontreroient dans 
les jachères, 


268 MANUEL D'AGRICULTURE 


Il n'y a point de beftiaux qui leur 
foient auff nuifibles , parceque la 
dent du mouton attaque toujours 
“de façon à faire crever les raci- 
nes de toutes les plantes, à la dif- 
férence du gros bétail, qui n’en 
cherche que le verd & les feuilles. 

Cet Arrêt feroit d'autant plus né- 
ceffaire que prefque tous ceux qui 
ont commencé des établiflemens de 
prairies pour Île rétabliflement de 
leurs terres, n'ont pu les continuer , 
parceque les Bergers ne s’emba- 
rafloient point de leurs défenfes, 
étant fouvent éxcités par quelques 
particuliers, & même par une Com- 
munauté, à ne point refpeéter ces 
fortes d'établifflemens. 

Il y a eu plufieurs procès intentés 
a ce fujet , qui ont été différemment 
décidés, fuivant que les Juges étoient 
plus ou moins inftruits fur l’Agricul- 
ture. 


{ 


POUR LE LABOUREUR. 269 


Mais , cet Arrêt, qui fimroit tou- 
tes les difficultés, n’autoriferoit dans 
tout le Royaume ces fortes d’établif- 
femens de prairies qu'à condition 
qu’ils n’excéderoient point le huitié- 
me des terres à jachères qu’on feroit 
valoir. 

Un pareil Arrèt contribueroit en 
bien peu de tems au rétabliffement 
de l'Agriculture ; il ranimeroit le 
zèle des Cultivateurs qui ne peuvent 
ètre que découragés , en voyant 
périr leurs établiflemens de prairies, 
par la malice des Bergers, fans pou- 
voir trop s'y oppofer. 

Il eft fi indifpenfable d’accorder 
cet Arrêt , que l’Auteur des prairies 
artificielles s'étant donné bien des 
mouvemens pour établir dans Îa 
Champagne les prairies arrificielles, 
ayant même fat quelques voyages 
dans les terres les plus confidérables 


270 MANUEL D'AGRICULTURE 


qui y font fituées pour qu’elles don- 
naffent des exemples qui pufent en 
impofer davantage , il eft arrivé 
que , nonobftant qu'il publiât qu'il 
n'y avoit que ce moyen dans toute 
la Province pour y rétablir l’Agri- 
culture , & la faire fleurir dans tou. 
tes fes vaftes plaines, on lui a répon- 
du par-tout où 1l s’étoit tranfporté , 
qu'on convenoit que le moyen qu'il 
propofoit étoit infaillible & aifé à 
pratiquer ; mais que les Fermiers ne 
vouloient n1 accepter les baux de 
vingt-fept ans, qu'on eft aujourd’hui 
autorifé à faire , ni confentir à fe 
charger des établiflemens de prai- 
ries , qu'auparavant on ne füt bien 
& duement autorifé à empècher les 
Bergers de conduire leurs troupeaux 
dans ces prairies artificielles. 

Etant donc certain que ces prai- 
riesartificielles forment danstous les 


POUR LE ÉABOUREUR. 271 


Pays à jachères où il ne fe trouve 
point de prairies naturelles, une amé- 
lioration dont dépend le rétabliffe- 
ment des corps de Ferme qui y font 
fitués , ne peut-on pas dire que cet 
Arrèt viendroit à l'appui de celui 
qui a été rendu au Confeil le 8 
Avril 1762 , ou du moins à l'appui 
de l'exécution de ce qui y eft con- 
tenu de plus intéreffant ? 

Par cet Arrèt il eft ordonné que 
les baux à ferme des biens-fonds, 
feront à l'avenir pañés pour un ter- 
me au-deflus de neuf ans jufqu'à 
vingt-fept, au moyen defquels les 
Fermiers feront chargés de défricher, 
marner , planter , ou autrement ame- 
liorer, en tout ou en partie, les ter- 
res comprifes dans lefdits baux, fe- 
ront exempts des droits d'infinua- 
tion, centiéme ou demi-centiéme 
denier , & des droits de francs- 


272 MANUEL D'AGRICULTURE 


fiefs , fa Majefté dérogeant, &c. 

Ne pouvant être contefté que les 
établiffemens de prairies ne faflent 
la plus folide amélioration qu'on 
puifle employer , & qufts ne foient 
compris dans cet Arrèt, que devien- 
droient-ils, & à quoi ferviroit cet Ar- 
rêt , sil n’en furvenoit un fecond 
en interprétation, pour défendre à 
tous les Bergers d'y occafionner le 
moindre préjudice? 

Au moyen de ce fecond Arrêt, 
qui feroit accordé, les Fermiersn’hé- 
fiteroient plus d'accepter les baux 
de vingt-fept ans qu'on leur propo- 
feroit , ni de fe charger de ces éta- 
bliflemens ; autrement lé premier 
refteroit fans effet, & n’auroit point 
d'exécution, où du moinsil n'en au- 
roit que très-peu ; & il n’en réfulte- 
roit aucunement le bien qu'on en 
attend. 


La 


POUR LE LABOUREUR. 253 


La divifion & le partage des ter- 
res à jachères, confftant donc à 
établir fur tous les Terroirs & corps 
de Ferme où elles font obfervées, 
trois foles qui y forment trois Can 
tons bien féparés les uns des autres, 
& dont l'un, tous les ans , alter- 
nativement , ne rapporte rien, 1l 
faut convenir qu'il en coûte beau- 
coup pour les pratiquer. Ce n’eft 
pas encore tout. 

On ne peut bien cultiver, com- 
me on l’a dit, les terres à Jachères, 
qui font fans prairies ,qu'onne pren- 
ne fur leur totalité, environ un hui- 
hiéme de ce qui les compofe , pour 
en faire un étabiifiement. 

Or, ce huitiéme ne rapportant 
encore aucun grain , il s'enfuit qu'il 
s’agit tous les ans d’une diminution 
aflez confidérable fur ces fortes de * 
terres, pour les bien faire valoir. 

S 


274 MANUEL D’AGRICULTURE 


Voilà ce qui révolte nos Ama- 
teurs d'Agriculture , & ce qu'ils ne 
peuvent concevoir, parcequ'ils font 
fans expérience. 

Voilà encore pourquoi ils ne font 
aucun cas du plan de culture de 
l’'Auteur des Prairies artificielles , 
qui ne traite que du renouvellement 
de l’engrais , & nullement de la fup- 
preflion des jachères. . 


PV. 


De l'obfervation générale des Jachères. 


A : 

&2 UOIQU'IL faille tant facrifier 
pour l’obfervation des jachères, & 
pour bien cultiver les terres qui y 
font aflujetties ; quoique depuis que 
l'Agriculture fubfifte , on ait tou- 
jours fenti le déchet confidérable 
qu'elles occafonnent , encore font- 
elles généralement obfervées par- 


VOTE ML 


POUR LE LABOUREUR. 175 
tout où il s'agit de grains d’hyver, 
& principalement de la culture du :. 
froment. 

C’eft ce que nous apprennent tou- 
tes les Pratiques locales. 

Qu'on lesparcoure dans ce Royau. 
me, dans toutes nos Provinces & 
dans d’autres Pays & Etats où il eft 
aufh queftion de grains d'hyver , 
qu’on les examine bien , on verra 
qu'il y en a très-peu où les jachères 
fe trouvent fupprimées, & on verra 
que leur fupprefion ne fert que 
comme d'une exception à une foi 
générale. 

La raifon en eft bien fimple; c’eft 
que deux arpens bien cultivés valent 
toujours beaucoup mieux que qua- 
tre, fix & même plus, qui ne le 
font que médiocrement. 

On fe trompe donc bien lourde- 
ment, quand on s'attache tant à 

S if 


276 MANUEL D'AGRICULTURE 


la quantité des terres , n’y ayant rien 
de fi précieux que leur bonne qua- 
lité. | 

Il eft vrai que , dans l'obfervation 
des jachères, la quantité en fouffre, 
mais on y trouve une culture aifée; 
les labours fe font dans les tems con- 
venables ; les amandemens & leur re- 
nouvellement s’exécutent bien, & 
on eft bien plus que dédommagé 
par le produit confidérable qu’elles 
procurent. 

Ainfi , en réfléchiffant fur la diffé- 
rence des grains de Mars d'avec les 
grains d'hyver, qui occafionnent les 
jachères par rapport aux deux diffé- 
rens tems de les femer, en réfléchif- 
fant qu'elles procurent aux bêtes 
blanches une pâture qui leur eft fi 
néceflaire , ne peut-on pas penfer 
que l’Auteur de la Nature n’a ainfi 
établi ces deux différens tems de fe- 


PCUR LE LABOUREUR. 277 


mer, que pour favorifer davantage 
la propagation & la multiplication 
de ce menu bétail. 

Après ie vivre, on ne pent difcon- 
venir que rien nintérefle tant les 
hommes que leur vêtement qui, 
dans notre climat, ne leur provient 
principalement que des laines des 
bêtes blanches. 

Dira-t-on encore après cela qu'il 
faudroit une loi en France , qui obli- 
geät tous les Propriétaires de cha- 
que Terroir de s'arranger entr'eux, 
pour pouvoir réumr toutes les pié- 
ces de terre de leurs corps de Ferme, 
qui font difperfés fur les trois foles 
d'un Terroir, à l'effet de pouvoir 
fupprimer les jachères? Dira-t-on 
encore, qu'on ne peut rien faire de 
bien dans l'Agriculture, n1 la réta- 
blir , qu’on n'ait obtenu une pareille 


loi qui ne tendroit qu'a détruire 
S ii 


278 MANUEL D'AGRICULTURE 


celle que la Nature a fi fagement 
établie à 

On convient que, dans un pays, 
où Canton, dans lequel il fe trou- 
ve quelques montagnes ou beau- 
coup de terres incultes, elles favori- 
fent encore la propagation & ia mul- 
tiplication de ce menu bétail , indé- 
pendamment des jachères; & que, 
quand il ne s'y en trouveroitpoint , 
cela ne lui feroit aucun tort : mais y 
a-t-il par-tout des montagnes & des 
terres incultes ? 


Ve 


» 


De la fuppreflion des Jachères par Le 


renouvellement de Terrein. 


LES Pratiques locales, en nous 
apprenant ce qui a déterminé géné- 
ralement les jachères, nous.appren- 
nent encore ce qui a donné lieu de 


POUR LE LABOUREUR. 279 
les fupprimer dans quelques Pays & 
Cantons. 

On peut bien s’en rapporter à ce 
qu’elles nous enfeignent là-deflus , 
puifque c’eft le meiileur livre d’A- 
griculture qu'on puifle confuiter. 

Il n’y a que ce livre dans tous les 
pays du monde où on cultive , pour 
bien apprendre àgouvernerlesterres. 

En le confultant donc fur ce qui 
a pu déterminer la fupprefñon des 
jachères dans quelques Cantons , 
nonobftant l’ufage des grains d’hy- 
ver, qui ne fe fément qu'en automne, 
on voit que c’eft parceque les ter- 
res y font de la meilleure qualité, 
qu'elles font aifées à labourer & à 
ameublir ; & qu’elles ont un fond 
fufifant pour pouvoir être rénouvel- 
lées au befoin par le travail de la 
charrue. 

On y voit même que , faute de 

S 1v 


28e MANUEL D'AGRICULTURE 


trouver dans un terrein ces trois qua: 
lités, & fur-tout un fond fufifant, il 
n'y a aucune Pratique locale ou il 
{oit queftion de les{fupprimer , quand 
même on pourroit s'y procurer faci- 
lement tous les engrais néceflaires, 
par le moyen de la grande quantité 
de beftiaux & de prairies qui sy 
trouvent naturellement. 

Il neft pas difhcile d'en conce- 
voir la principale raifon. 

Quand on eft en érat de renouvel. 
ler un bon terrein, par le travail de 
la charrue, ce n’eft plus pour lors la 
même terre qu'on fait porter , mais 
une nouvelle qu'on lui fuppiée , 
qui s'eft repofée depuis long-tems, 
& qui parcanfequent ne dérange 
paint l'ordre de la Nature qui ne 
veut point qu'une terre qui a déja 
travaillé , porte encore, fans avoir 
eu auparavant le repos de l'hyver 


POUR LE LABOUREUR. 28# 


qui lui eft fi néceffaire pour la réta- 
blir. 

On peut donc conclure que , fui- 
vant le Livre des Pratiques locales, 
l'engrais ni fon renouvellement fi 
fréquent & fi rédoublé qu'il puiffe l’'é- 
tre, ne fufffent pas, pour donnerun 
fuccès bien afuré à la fuppreffion des 
jachères, & que c’eft principalement 
au renouvellement de terrein qu'il 
faut l’attribuer. 

Ainfi , il s’agit de le bien exécu- 
ter pour gagner le bénéfice de cette 
fupprefion qui ne va pas moins 
qu'à mettre tousles ans enproduit & 
en rapport, tout ce qu'on fait valoir. 

Examinons préfentement les diffé- 
rentes façons dont on peut fe fer- 
vir pour bien exécuter le renouvel- 
lement de terrein. 

Dans le Chapitre ds Labours ; 
au fujet des terres à jachères , qui 


283 MANUEL D'AGRICULTURE 


font le principal objet de ce Ma- 
nuel, ainfi que de toute l'Agricul- 
ture , parcequ'elles font générale- 
mens en ufage, ayant été prouvé 
que le plus grand moyen de rétablir 
celles où il fe trouvoit un fond fuff- 
fant étoit d'en renouveller le terrein, 
par le travail de la charrue ; comme la 
façon de l’exécuter pourroit don- 
ner également un grand fuccès à la 
fupprefion des jachères dans les ter- 
reins qui lui feroient propres , on 
n'héfite pas de la répéter, quand 
ce ne feroit que pour pouvoir en 
mieux faire la comparaïfon avec 
d’autres façons de renouvellement, 
qui font encore ufitées , dont on va 
donner aufi le détail ; on fera même 
plus en état de juger de celle qui 
fera la meilleure & la plus conve- 
nâble à fon terrein. 

Cette façon de renouvellement 


POUR LE LABOUREUR. 283 


confifte , en fe fervant d’une char- 
rue à oreille, à faire le premier fil- 
lon d'environ quatre à cinq pouces 
de fond, & d’en enlever la terre qui 
fe renverfe , pour commencer à faire 
une élévation, qu’on appelle Roye. 

Quand le premier fillon eft ackhe- 
vé, on y rentre, en changeant de 
côté , avec la main, l'oreille de la 
charrue , pour enlever & renverfer 
encore autant de terre que la pre- 
mière fois, c'eft-à-dire quatre à cinq 
pouces qu’on renverfe au moyen 
de l'oreille , pour élever au double 
la premiere Roye; ce qui ne man- 
que pas de doubler auflile creux du 
premier fillon. 

Ce premier filon ainfi fait, on 
pale au fecond qu'on fair en deux 
fois comme ci-deffus. 

A la première les quatré à cinq 
pouces de terre de la fuperñcie , 


284 MANUEL D’AGRICULTURE 


qu'onenleve , tombent dans le creux 
du premier filon , c’eft-a-dire au 
fond. 

À la feconde, les quatre à cinq 
pouces de terre, qu'on enleve, en- 
core, font jettés fur ce qui a été ren- 
verié d’abord. 

De ce fecond fillon, on pañfe au 
troifiéme, toujours avec le même tra- 
vail de la charrüe en deux fois ; à 
moins qu'on ne veuille, pour avoir 
plutôttait, employer deux charrues , 
qui fe fuivent dans le mème fillon , 
dont la feconde enleveroit au-def- 
fous de ce que la première enléve. 

On pañferoit ainf à tous les autres 
fillons qui font à faire dans la piéce 
de terre qu’on a entreprife, jufqu'à 
ce qu'elle foit achevée d’être labou- 
rée. 

On doit concevoir qu'au moyen 
de ce travail , un terrein eft bien 


POUR LE LABOUREUR. 285$ 


renouvellé, & qu'il eft abfolument 
retourné. 

Ce terrein fera d'autant mieux 
renonvellé, qu'il ne faut qu'environ 
quatre pouces de fond de terre 
pour faire venir , comme on l’a déja 
dit, les produétions de l'Agriculture, 
& que ce ne fera plus la même terre 
qui portera ; mais une autre nou- 
velle qui aura tout le fond nécef- 
faire. 

Cependant pour donner plus d’eff- 
cacité à ce renouvellement, ce n’eft 
point aufhtôt que le grain de Mars 
aura été moiflonné, qu'il s’agit de 
l'exécuter ; 1l convient de s’y pren- 
dre de bien plus loin ; c’eft avant 
lhyver qui doit précéder le prin- 
tems où 1l fera enfemencé, qu’il eft 
a propos de commencer , c’eft- 
dire vers la faint-Martin: on en a 
détaillé les raifons dans le Chapitre 
des Labours, 


è* 


286 MANUEL D'AGRICULTURE 


Qu'on n’appréhende pas que le 
grain de Mars, qu'on aura femé au 
printems fur la nouvelle terre, l’em- 
pêche d’être une feconde fois enfe- 
mencée avec fuccès, l'automne fui- 
vant ; elle réuflira bien mieux que 
l'ancienne qui portoit toujours. 

On doit fentir ce que c’eft qu’une 
nouvelle terre qui peut-être n’a ja- 
mais porté , ou qui n'a porté de long- 
tems, & qu'en l'occupant ainfi da- 
bord par un grain leger, comme ce- 
lui d’un grain de Mars, qui ne tra- 
vaille pas la terre autant qu'un grain 
d'hyver , il ne peut nuire à un fro- 
ment & encore moins à un autre 
grain d'hyver, fur-tout , fi avant de 
l'enfemencer en automne, on a la 
précaution d’en labourer le terrein 
un peu plus avant qu'il ne l'aura été 
lorfqu'on l’a enfemencé en Mars. 

Un grain de Mars, anfi employé, 


4 


Le à 
ne 


POUR LE LABOUREUR. 283 


d’abord dans une nouvelle terre, ne 
ferviroit même qu'à la mieux pré- 
parer à recevoir un froment , en lui 
donnant un peu d'engrais, fi on le 
juge néceflaire. 

Il eft vrai que, dans cette façon de 
renouvellement, il s’agit d’un labour 
fait en deux fois , ou fait avec deux 
charrues qui fe fuivent , fi on en a 
la commodité ou le pouvoir. 

Mais ce n’eft que dans une faifon, 
où on n’a pas autre chofe à faire, 
qu'on doit l’entreprendre pour le 
bien exécuter. 

Ce double labour , qui ne doit fe 
faire que vers la faint-Martin avant 
lhyver , peut faire durer pendant 
plufeurs années le renouvellement 
de terrein qu'il procure , n'étant 
queftion après cela , que de faire 
le labour à l'ordinaire, c’eft-à-dire à 
ralon de quatre à cinq pouces, & 


288 MANUEL D'AGRICULTURE 
n’y ayant que l'expérience du La- 
boureur, qui puifle lui apprendre 
quand il faudra en répéter le renou- 
veliement. 

Ce double labour, qui donne une 
terre entièrement nouvelle,a encore 
l'avantage d'exiger peu d'engrais, & 
de ne l’exiger que dans le cas qu'elle 
feroit jugée trop légère & trop fé- 
che. 

Enfin, fi ce double labour fe trou- 
ve bien fait, dans un bon terrein , il 
ne fera pas néceffaire d'en rien facri- 
fier pour le mettre en prairies artifi- 
cielles ; on auroit en piein rapport 
fon Domaine entier. 

L'autre façon de renouveller un 
terrein , demande à la vérité moins 
de tems, mais donne plus de pei- 
nes , ne rend qu'une terre mêlée 
d'ancienne & de nouvelle, & peut 
exiger beaucoup d'engrais, 

Elle 


POUR LE LABOUREUR. 189 


« Elle confifte à faire un labour 
plus profond qu’à l'ordinaire, c’eft- 
ä-dire d’environ fept à huit pouces, 
& même plus, fi on le peut, par con- 
féquent de trois à quatre pouces 
plus qu’on ne le fait communément ; 
cette pratique, devant fe répéter à 
chaque labour, exige que les for- 
ces de tirage foient augmentées 
au double. Les productions de l’'A- 
griculture n'occupant qu'environ 
trois à quatre pouces de la fuper- 
ficie de la terre , & ne pénétrant 
généralement pas plus avant , à 
moins que ce ne foit dans des ter- 
reins de la meilleure qualité , on 
conçoit que dès que les trois à qua- 
tre pouces de plus , que la charrue 
raméne , fe mêlangent avec la terre 
qui vient de porter ; cela lui rend 
de nouveaux fels & de nouveaux 
fucs qui peuvent la mettre en état 
T 


290 MANUEL D'AGRICULTURE 


de fupporter la fuppreffion des ja» 
chères. | 

Il y a des Laboureurs qui ne fon- 
çant leur charrue qu'à l'ordinaire, 
foit qu'ils manquent de force de ti- 
rage, foit quils en jugent inutile 
l'augmentation , labourent par plan- 
ches d'environ une toife & demie de 
largeur , en fe contentant de faire 
dans les entre-deux , un petit fofé 
d'environ un pied & demi de lar- 
geur & de profondeur , pour en jet- 
ter la terre fur les planches, qu'ils 
répandent enfuite, à l'effet d'en re- 
nouveller le terrein ; ce qui pourroit 
même s'exécuter encore avec fuccès 
fur des terres qui n’auroient qu'un 
fond ordinaire , pour tenter d'y fup- 
primer les jachères , avec l’attention 
de ne pas faire les foffés plus avant 
que ce fond, en leur donnant un 
peu plus de largeur. 


«| 


POUR LE LABOUREUR. 208 
Quoique ce renouvellement , de 

quelque façon qu'on y parvienne,foit 

le plus grand moyen dont on puiffe 
faire ufage pour parvenir à foutenir. 
toujours fur un terrein qui a du, 
fond ; la fuppreffion des jachères ; 
encore faut-il qu'il foit aifé & facile 
à travailler, fuivant ce que nous ap- 
prennent encore nos Pratiques loca. 
les , parcequ'autrement il ne fe- 
roit pas. poffble. de .le faire valoir 
comme il convient en fi peu de, 
tems, c'eft-à-dire dans l’efpace d’en- 
viron deux mois, depuis qu'il au- 
roit été moiflonné , jufqu'à ce qu'il 
feroit queftion de l’enfemencer : en. 
ce cas il feroit beaucoup plus pro- 

fitable de le laiffer en jachères, non- 
obftant fon fond fufffant , & qu’il 

eût même beaucoup de qualité. 

. Refte à fçavoir-fi, fur un terrein, 

qu: auroit du fond > & quiferoit d'une 

Ti 


292 MANUEL D'AGRICULTURE 


qualité médiocre , quoique très-aifé 

à labourer & à ameublir, on pour- 

roit fupprimer les jachères avec 

fuccès, en fe fervant tous les ans de 

beaucoup d'engrais ; c’eft ce qu'on 

va examiner dans l'Article fuivant. 
VI. 


De la fuppreffion des Jachères par Le 
renouvellement de l'Engrais. 


P'AROISSANT bien décidé par toutes 
les Pratiques locales , que la fuppref- 
fion des jachères ne doit avoir lieu 
que dans les meilleurs terreins qui 
fe labourent aifément , & qui ont 
principalement un fond fufñfant pour 
pouvoir être renouvellé par le tra- 
vail de la charrue , ne peut-on pas 
én conclure que cette fuppreflion, 
fur dés terreins médiocres , quoi- 
qu'ayant un fond fufifant, ne peut 
réuflir par la feule opération de l’en- 


POUR LE LABOUREUR. 29; 


grais & de fon renouvellement, fi ré- 
pété qu'il puiffe l'être ? 

C'eft cependant ce que nos Au- 
teurs modernes & nos grands Ama- 
teurs de l'Agriculture auront de [a 
peine à entendre. 

Ils prétendent que la fuppreffion 
des jachères, fur tout terrein , foit 
qu'il y ait du fond, foit qu'iln’y en ait 
pas ; foit qu'il foit d’une bonne ou 
médiocre qüalité , aifé ou difficile à 
ameublir, eft le meilleur plan de 
culture qu'on puifle généralement 
propofer pour le rétabliffemenr de 
l'Agriculture, pourvu qu’on fe mette 
en état d'employer l’engrais & fon 
renouvellement , autant de fois qu'il 
fera néceffaire. 

IL s’agit de fçavoir fi cette préten- 
tion peut s'exécuter aufli générale- 
ment qu'ils le prétendent. 

Il n’y a pourtant pas d'apparence 

T üj 


294 MANUEL D'AGRICULTURE 


que, depuis qu'on cultive , on ait 
jamais tenté un pareil fyftème , quoi- 
qu'on fefoit toujours apperçu, com- 
me aujourd’hui, du déchet confidé- 
table qu'occafñonne l’obfervation 
des jachères. : 

Comment l'auroit-on ofé ? puif- 
"que la néceffité de ne femer les grains 
d'hyver qu'en automne, & non au 
printems , entraine généralement 
leur obfervation, vu fur-tout le peu 
de tems que donneroit leur fup- 
preffion pour bien cultiver avant de 
femer , fi non dans le cas qu'un ter- 
rein auroit toutes les qualités défi- 
gnées ci-deflus. 

D'ailleurs l'effet de l'engrais ,com- 
me on va le faire voir , ne peut al- 
ler jufqu'à fuppléer au dérangement 
de l’orire de la Nature , comme 
pourroit le faire le renouvellement 
de terrein. 


POUR LE L'ABOUREUR. 29; 


Cependant M. Patullo , fans s’ap- 
percevoir qu'il alloit contre les pre- 
miers principes de l'Agriculture, n'a 
pas héfité de propofer fon grand 
fyftème d’herbages & de beftiaux, 
pour parvenir à établir générale- 
ment fur toutes fortes de terreins , 
indéfiniment, la fupprefion des ja- 
chères par le feul moyen des en- 
grais, comme sil nétoit queftion 
que d'employer leur abondance , & 
leur renouvellement pour en tirer, 
fans les laifler repofer , autant de ré- 
coltes qu’on le voudroit. 

Il faut fçavoir que les engrais de 
beftiaux , & même que toute autre 
éfpéce en général ; à l'exception des 
amandemens de terre, ne fervent 
qu'à nourrir les fels & les fucs de la 
terre, qu'à les fortifier, les rétablir, 
& leur donner plus de chaleur & 

plus d’aétivité ; ils les multiplient mê- 
T'iv 


296 MANUEL D'AGRICÜLTURE 


me en en reflufcitant une grande 
quantité qui, fans leur ufage, refte- 
roit dans l'ination. 

Mais on ne peut pas dire que l’en- 
grais ait l'effet de créer des fels & 
des fucs; 1l n'ya que la terre qui 
le puifle. 

Ce qui le prouve, c’eft qu’il n’a- 
git que plus où moins, felon qu'il 
entrouve plus où moins ; & que dans 
un mauvais terrein , comme le pur 
fable, où il ne fe trouve ni fels ni 
fucs , il ne peut rien opérer , quel- 
que quantité qu'on y employe, & 
quelque renouvellement qu’onpuifle 
en faite. 

Cela étant , toute cette prodr 
gieufe quantité d'engrais peut-elle 
effeuer ce que nous promet M. Pa- 
tullo , puifqu'elle n’agit même bien, 
qu'autant qu'elle eft proportionnée 
aux {els qu'elle trouve ? Elle ne peut 


POUR LE LABOUREUR. 297 


donc fervir qu'à épuifer un terrein 
qu'on fait trop porter, & qui, à force 
d'être encore travaillé par trop de 
nourriture & trop d’aétivité, fe trou- 
ve, avec le tems, réduit à ne pou. 
voir plus poufler que des herbes, 
au lieu de continuer à faire fruéti- 
fier les femences qu’on lui donne. 
On à beau dire que l'alternative 
de prairies & de culture , qu’on pro- 
pofe de donner aux terres dans le 
tems qu'on les amanderoit aufli for- 
tement , leur donneroit un repos 
qui les remettroit. Quand on l’ac- 
corderoit , quoiqu'on püt le con- 
tefter , s’enfuivroit-il que, pendant 
l'alternative en culture , toutes les 
fortes de terreins indéfiniment qui 
s'y trouveroient, feroient en état 
de porter plufeurs années de fui- 
te , & qu'on feroit en état, n'y 
ayant point de jachères, de don- 


298 MANUEL D'AGRICULTURE 


ner tous les ans les labours conve- 
nables? 

Il y aura toujours fur cela des in- 
convémiens qui , indépendamment 
de ceux de la trop grande abon- 
dance de l’engrais, arrêteront en- 
core le fuccès de la fuppreflion des 
jachères fur des terreins qui n’au- 
roient pas toutes les qualités dont il 
eft queftion. 

Mais, dira-t-on, il n'y a point de 
fuppreflion de jachères , fans que la 
terre ne fe repofe tous les deux ans 
pendant l'hyver , après avoir donné 
deux recoltes de fuite en grains de 
Mars & en grains d'hyver, c’eft l’or- 
dinaire de ces fortes de terre ; & 
cela ne pouvant mème être autre- 
ment, comme on le verra ci-après, 
y auroit-1l un fi grand inconvénient 
d'établir généralement la fupreflion 
des jachères fur toute forte de 


POUR LE LABOUREUR. 299 


terreins indéfiniment, en employant 
les engrais de beftiaux d'une facon 
plus convenable & plus proportion 
nées 

Cela feroit beaucoup plus raïfon- 
nable : mais, quoiqu’on convienne 
qu'une terre fans jachères doit né- 
ceffairement fe repofer tousles deux 
ans pendant l'hyver, céla n'empêche 
pas que deux récoltes de fuite ne 
la travaillent extrêmement , & que 
ce double travail, qui eft contre 
l’ordre de la Nature, ne tende à l’é- 
puifer entièrement , nonobftant les 
engrais proportionnés qu’on pour- 
roit lui donner, s’il n’a pas de fond 
fufifamment ,& s’il n’a pas les autres 
qualités qu'exigent nos Pratiques 
locales. 

On le concevra facilement , fi on 
veut faire attention, combien il faut 
qu'un terrein fournifle de fels & de 


300 MANUEL D’AGRICULTURE 


fucs , pour pouvoir ainfi , deux fois 
de fuite , donner des récoltes fans fe 
repofer. 

Quand même la grande abondan- 
ce d'engrais , que propofe M. Pa- 
tullo pourroit faire réuflir, fur toute 
forte de terrein, la fuppreffion des 
jachères ; encore fon fyftême d’her- 
bages & de Beftiaux ne pourroit-il 
s'exécuter. 

C'eft une maxime , dans l’Asricud- 
ture , qui ne fera démentie par au- 
cun Cultivateur, qu'on ne doit fixer 
la quantité de beftiaux dans un corps 
de Ferme , que fur la quantité de 
pailles qu'il peut rendre, & non fur 
la quantité de prairies qu’on peut 
avoir, Ou quon peut fe procurer; 
parceque la paille eft la première 
nourriture des beftiaux, & qu’elle 
rend faines & falutaires toutes les 
autres qu'on peut leur donner, 


POUR LE LABOUREUR. 307 


C'eft-à-dire qu'on ne peut aug- 
menter les prairies & les beftiaux 
qu'au fur & à mefure que les pail- 
les augmentent dans un corps de 
Ferme, quand on entreprend de le 
mieux faire valoir par les engrais. 

Lorfque les beftiaux font nourris 
au fec, ce qui dure pendant cinq à 
fix mois, qui ne leur donneroit que 
des bottes de fain-foin , de trefle, 
de luzerne , &c. qui les échauffe- 
roient extrèmement , les expoferoit 
a des maladies; on en a l'expérience; 
toutes ces fortes de nourriture ne leur 
étant bonnes & profitables qu'autant 
qu'on les entremêle de pailles. 

La quantité de beftiaux ne pou- 
vant donc fe régler que fur la quantité 
de pailles qu'on peut avoir , année 
commune , comment M. Patullo a- 
t-1l pu propofer de prendre dans un 
corps de Ferme de trois cents ar- 


302 MANUEL D’AGRICULTURE 


pens, les deux tiers de fa conte- 
nance pour les mettre entièrement 
en prairies , en n'en laiffant qu'un 
tiers pour la culture ? 

Suivant lui , comme on l'a déja 
dit, un bon arpent de fain-foin, & 
de luzerne , &c. pouvant nourrir 
trois vaches ou trois bœufs , & ré- 
fultant de là que les deux tiers de 
ce corps de Ferme, mis en herba- 
ges, pourroient fournir aflez de pä- 
turages , foit en verd , foit en fec, 
pour en nourrir environ fix cents , 
#eroit-1l poflible que le troifiéme 
tiers , qui fe trouveroit en grains de 
Mars & en grains d'hyver , donnût 
aflez de pailles & aflez de fourages 
pour toute cette prodigieufe quan- 
tité de beftiaux ? 

Sans faire le calcul de ce que 
pourroit produire en pailles ce troi- 
fiéme tiers, en le fuppofant dans la 


POUR LE LABOUREUR. 303 


plus grande valeur, on doit fentir 
qu'il n’en fourniroit jamais aflez, 
pas même le quart ni le demi-quart 
de ce qu'il en faudroit. 

Quand on fe contenteroit de met- 
tre {eulement en herbages, dans ce 
corps de ferme de trois cens arpens, 
la partie des jachères, on n’auroit 
pas même, à beaucoup près ; encore 
aflez de pailies pour tous les: be- 
fiaux que cette partie pourroit 
nourrir , puifque cela iroit à envi, 
ron trois cents ; 1l faudroit donc 
les réduire au prorata de ce qu'on 
auroit de pailles ? 

La partie des jachères devant par 
conféquent fe réduire aufh de mé- 
me, ne s’enfuit-il pas qu’on ne peut 
encore propofer de mettre, feule- 
ment toutes les jachères en prairies 
artificielles ? Lairuon 

Voilà pourquoi M. Patullo n'an- 


304 MANUEL D'AGRICULTURE 
nonce pas, qu'il ait pratiqué lui- 
même le fyftème qu'il propofe: on 
n’en eft pas étonné. 

11 dit feulement, pour Pappuyer ; 
qu'il ne propofe que ce qu'il a vû 
pratiquer en Angleterre , & que fon 
fyftème y eft regardé comme le 
meilleur qu’on puifle fuivre : c’eft- 
à cette occafion quil dit n'avoir 
point entendu parler de celui de M, 
Thull, quoiqu'il foit fi connu en 
France ; là deflus on peut l’en croire. 

On ne nie cependant point , com- 
me on l'a déja fait entendre dans 
une note ci-deflus , quil n'ait pu 
voir en Angleterre quelques Proprié- 
taires, ou Fermiers , mettre en her- 
bages jufqu'aux deux tiers de leurs 
terres, n’en laiflant en culture que 
le troifiéme tiers , pour feulement 
nourrir leur ménage ; c'étoit tout 


ce qu’on en pouvoit tirer, 
Mais 


POUR LE LABOUREUR. 30$ 
Mais 51] eût fait plus d'attention à 
cette façon de cultiver ,ilauroit jugé 
que ce qui en faifoit Le principal ob- 
jet,étoit le commerce desbeftiaux ou 
des chevaux, & non celui de grains, 
& il n'en auroit pas conclu que 
cette façon de cultiver étoit un plan 
qu'on pouvoit généralement pro- 
pofer pour améliorer & rétablir en 
France l'Agriculture. 

S'il avoit encore examiné de plus 
près ce fyftème d’herbages, il au- 
roit vü, que la grande quantité de 
beftiaux , que ces fortes de Cuitiva- 
teurs avoient ,ne reftoient chez eux, 
que dans le tems que duroit le verd , 
pour les vendre enfuite , & en ra- 
cheter d’autres au printems. 

En ce cas, le tiers de leursterres 
qu'ils avoient tousles ans en culture, 
pouvoit fournir aflez de pailles, avec 
ce quils pouvoient ramañler ou 

V 


306 MANUEL D'AGRICULTURE 


acheter d'ailleurs , pour feulement 
faire la litière à tous leurs beftiaux, 
putfqu'il n’étoit pas queftion de les 
nourrir en fec. | 

En Angleterre , le commerce des 
beftiaux s'y fait plus qu'ailleurs, 
il y eft fort lucratif, par rapport à 
la Marine qui et toujours fi confi- 
dérable , & qui exige des provifions 
immenfes de falaifons. 

Cependant la nouveauté de ce 
grand fyftème d'herbages, qui en 
rempliroit les deux tiers de toutes 
les terres de la France , qui inonde- 
roit toutes nos Campagnes de va- 
ches , de bœufs , de cochons, &c. 
& dont même il réfulteroit fi peu de 
grains, quil n'y en refteroit feule- 
ment pas pour l’approvifionnement 
de nos villes, a été ‘fort goûtée de 
nos Amateurs ce l'Agriculture. 

C'eft un hazard quils ne s'y 


POUR LE LABOUREUR. 367 
foient pas livrés en plein, & qu'ils 
n'ayent pas donné dans cet excès 
comme dans un autre qui 4 été fi 
bien relevé par un ceïtain Auteur 
Ce). Heureufement ils fe font bornés 
à en conclure la fuppreflion des ja- 
chères fur toute forte de terrein in: 
définiment , en les mettarit enz 
tièrement en prairies, croyant par- 
là beaucoup gagner; & ils ont re: 
gardé cette fupprefion générale de 


U) 


jachères , qui réfultoit du fyfième 
de M. Patullo , comme une imven- 
tion admirable de fa part, ainfi qué 
ces enclos garnis de haies & de 
plants d'arbres, qui ont cependant 
revolté tous les bons Cultivateurs. 
C’eft pourquoi ce plan de fuppref- 
fion des jachères , en les mettant en 
prairies, eft venu à la mode, & il 
(a) L’Auteur du Préfervatif contre l’Agro= 
e1ANtEs 


Vi 


308 MANUEL D'AGRICULTURE 
paroït qu'on n'entend pas aujour- 
d’hui pratiquer autrement l’Agricul- 
ture ; ce qui fait bien voir encore 
qu'on eft en France bien éloigné 
de la connoitre à fonds. 

Mais une mode n’a qu'un tems, 
& 1l en fera aflurément de même de 
celle-ci, n'étant pas pofible, com- 
me on vient de le faire voir, de met- 
tre feulement en prairies toute la 
partie des jachères d'un corps de 
Ferme , qui ne donneroit jamais 
aflez de pailles pour les beftiaux 
qu'elle pourroit procurer. 

En ce cas, tireroit-on aflez d'en- 
grais de la partie de terrein qu'on 
ne pourroit que mettre en prairies 
pour foutenir la fuppreflion des ja- 
chères dans un terrein qui auroit à 
la vérité un fond fuffifant pour pou- 
voir être renouvellé parle travail de 
la charrue, qui feroit encore aifé à 


# 


POUR LE LABOUREUR. 309 


abourer & à ameublir, mais qui ne 
feroit pas de la meilleure qualité, 
& qui ne feroit au contraire que mé- 
diocre & légère? 

Il faut donc revenir à l'obferva- 
tion des jachères , & la regarder 
comme le feul plan de culture, 
qu'on puifle généralement propo- 
fer ; puifque leur fuppreflion exige 
abfolument dans un terrein les trois 
qualités qu’on vient de détailler, & 
qu'il eft fi rare de rencontrer. 

Il y vient plus de froment & plus 
de bled fur les terres à jachères, que 
fur celles qui n'en ont point ; c’eft 
un proverbe qui eft généralement 
reçu dans toutes les Campagnes , 
parcequ'ils y viennent plus facile- 
ment , & qu'ils y réufflent mieux. 

Il ne faut pas oublier de dire que 
dans toutes les terres qui ne portent 

naturellement que des fegles, com- 
V üj 


310 MANUFL D'AGRICULTURE 


me dans la Champagne, ou dans 
quelques Cantons des autres Pro- 
vinces, qu'on voudra mettre en fro= 
ment, en y employant exaétement 
le renouvellement de l’engrais , foit 
tous les fix ans, foit tous les neuf 
ans, on n'y parviendra que par l'ob- 
fervation des jachères & jamais au- 
trement: 


VII, 


De la Divijion & du partage des verres 
qui font fans Jachères, 

FR 

À OUTES les terres fans jachères 

n’ont que deux foles , c’eft-à dire 

deux divifions qui fe trouvent tous 

les ans en plein rapport ; quoiqu’on 

y employe, comme dans les terres 

à jachères, les grains d'hyver &les 

grains de Mars. 

Voici comme leur culture fe pra: 

tique, | 


POUR LE LABOUREUR. 311 


Après que les grains de Mars ont 
été enfemencés au printems dans lu- 
ne des deux foles qui font , chacune, 
environ la moitié de ce qu'on fait 
valoir , & après que la moiïñlon en a 
-été faite dans la faifon de l'été , on 
feme , l'automne fuivant , les grains 
dhyver dans cette même moitié, 
après l'avoir préparée par les la- 
bours & les amandemens pendant 
environ l’efpace de deux mois. 

Ces grains d'hyver ne fe récol- 
tant que l’année fuivante en plein 
été , &, pour cette raifon, la fole dans 
laquelle ils font, fe trouvant occupée 
au printems, c’eft dans l’autre fole 
qui s'eft repofée pendant l'hyver 
qu'on feme les grains de Mars, après 
la récolte defquels on feme , conmi- 
me on l'a dit ci-deflus, les grains d’hy- 
ver l'automne fuivant. 

” C’eft pourquoi Îles terres , fans 
V iv 


312 MANUEL D’AGRICULTURE 


jachères ne peuvent avoir que deux 
foles, à la différence des terres où 
elles font obfervées, qui en ont 
trois, dont l'une fe repofe tous les 
ans alternativement , & qui forment 
chacune environ le tiers de ce qu'on 
fait valoir. 

Ces deux foles, qui n’ont lieu que 
dans les terres fans jachères, après 
avoir donné chacune tous les ans 
alternativement deux récoltes de 
fuite en grains de Mars & en grains 
d'hyver, fe repofent de même auf 
alternativement , chacune, l'hyver 
fuivant pour reprendre leur force & 
pour fe rétablir , à la différence des 
terres où elles font obfervées, qui 
à chaque récolte qu'elles donnent, 
foit en grains de Mars, foit en grains 
d'hyver, fe repofent pendant lhy- 
ver. 

Ne pouvant donc fe trouver que 


POUR LE LABOUREUR. 313 


deux foles dans tous les Pays & 
Cantons , fur tous les Terroirs & 
corps de Ferme où il n’eft pas que- 
ftion de jachères , ils’enfuit que les 
bêtes blanches ne peuvent y pâ- 
turer que depuis la moiïflon juf- 
qu'au printems , & que pour lors 
tout pâturage des champs leur eft 
interdit. 

Auffi toutes ces fortes de terres 
ne favorifent-elles pas à beaucoup 
près autant la multiplication des bè- 
tes blanches , que celles où elles 
font obfervées , qui leur donnent 
une fole entière pour leur pâturage 
pendant toute l'année. 

Les bêtes blanches pouvant du 
moins aller pâturer depuis la moif- 
fon jufqu'au printems dans les ter- 
res fans jachères, un Fermier, un 
Propriétaire même, ne doit donc pas 
interrompre ce pâturage par un 


314 MANUEL D’AGRICULTURE 
grain d’hyver, qu'il lui prendroit fan- 
taifie de femer dans ce quieft re- 
fervé pour n'être enfemencé qu’en 
Mars. | 

Ce pâturage étant abfolument ur 
droit public comme celui qui réfulte 
de l’obfervation des jachères, & qui 
eft même encore plus précieux, puif- 
qu'il eft bien moins confidérable que 
Fautre , il s'enfuit aufh qu'un Ber- 
ger ne feroit point répréhenfble, fi 
fes bêtes blanches faifoient du tort à 
ce grain d'hyver, qui dérangeroit 
Fordre du terroir. 

Ce ne feroit donc que dans le cas 
d'une prairie artificielle , dont on 
auroit befoin pour mieux foutenir la 
fuppreflion des jachères dans quel- 
ques piéces de terre qu'on pourroit 
interrompre ce pâturage , laquelle , 
fe prenant fur les deux foles, ne 
pourroit pas, comme dans les terres 


POUR LE LABOUREUR. 315$ 


a jachères , excéder le huitiéme des 
terres qu'on feroit valoir , puifque la 
fappreflion des jachères doit s’éta- 
blir plutôt par le renouvellement de 
terrein que par celui de l’engräis. 
Les terroirs fans jachères , ou 
plutôt les deux foles qui les divifent, 
ne peuvent donc porter trois an- 
nées de fuite , & il faut qu'après deux 
récoltes fuivies elles fe repofent 
chacune, alternativement, pendant 
l'hyver , pour recommencer enfuite 
a porter & à être enfemencées en 
grains de Mars. 
_ I doit en être ainfi des Domai- 
nes & corps de Ferme qui font 
{ur ces fortes de terroir , qui ne peu- 
vent de même porter troisannées de 
fuite ; puifque , compofant leur con- 
tenance , ils ne peuvent avoir d’au- 
tres divifions que celle de leur ter- 
Foir, 


316 MANUEL D’AGRICULTURE 


Quand mème un corps de Ferme 
feroit réuni , quand tout ce qui le 
compofe ne feroit point difperfé , & 
quand il feroit un terrein féparé de 
‘fon terroir , n’y étant pas queftion 
d'obfervation de jachères , on ne 
pourroit aufi faire porter trois fois 
de fuite l'une des deux foles, qui 
en feroit la diviñon & le partage ; 
parceque , devant être alternative- 
ment en grains de Mars & en grains 
d'yver, cela ne fe rencontreroit 
plus. Il réfulteroit delà que dans la 
mème année on auroit deux récol- 
tes de grains d’hyver. 

Il eft vrai qu'une récolte de grains 
de Mars ne vaut pas une récolte de 
grains d'hyver; mais par la fuite on 
s'y trouveroit bien trompé; puifque 
forçant ainfi un terrein par trois 
récoltes de fuite, fans lui donner le 

epos de l’hyver; ce feroit l'épui- 
fer abfolument. 


POUR LE LABOUREUR. 317 


C'eft déja un aflez grand effort 
que de le faire porter deux fois de 
fuite , encore ne peut-on y parve= 
nir qu'en le renouvellant par le tra- 
vail de la charrue: mais ce renou- 
vellement ne peut avoir lieu qu'une 
fois ; puiique pour lopérer ; s’agif- 
{ant de trouver une nouvelleterre, 
1! n’eft pas poffible d’en trouver en- 
core une autre pour le recommen- 
cer ? 

Quand on la trouveroit , ce qui 
ne pourroit arriver qu'en faifant re- 
venir, par ie travail de la charrue, 
celle qui portoit l’année précédente, 
qui auroit toujours travaillé aupara- 
vant, & qui pourroit abfolument 
fouffrir une troifiéme récolte, par- 
cequ'elle s’eft repofée affez long- 
tems, encore ne feroit-il pas à pro- 
pos de s’en fervir. 

Un Laboureur , un Cultivateur ne 


318 MANUEL D'AGRICULTURE 
peut fe pañler tous les ans de re- 
cueillir des grains de Mars pour la 
nourriture & l'entretien de fon mé- 
nage ; 1l femble que cela ne coute 
rien quand on recueille , & cela fait 
toujours plus de plaïfr que de l’a- 
cheter. 

D'ailleurs, 1l en coute du teéms & 
bien de la peine pour renouveller 
un terrein : on a dû le fentir, quand 
on a détaillé ce qu'il falloit faire pour 
y parvenir , & c’eft une chofe qui 
ne peut bien s’exécuter, qu'en s'Y 
prenant de loin , comme on l’a déja 
dit, c'eft-à-dire qu'en s’y prenant 
vers la faint-Martin, avant lhy+ 
ver: 

Or cela ne fe pourroit au fecond 
renouvellement , puifque , vers la 
faint-Martin, le grain d’hyver, après 
lequel on voudroit en faire venir un 
autre, occuperoit déja pour lors le 


POUR LE LABOUREUR. 31% 


- terrein qu’on voudroit faire porter 
trois fois ; ilne pourroit donc fe faire 
qu'auffitôt qu'il auroit été moiflonné. 

Il eft bien difficile de faire porter 
avec fuccès trois fois de fuite la mê- 
me terre qu'on ne feroit point re- 
pofer pendant un hyver , fans la dé- 
grader & l’épuifer ; la reflource de 
l'engrais ne feroit que très-foible par 
les raifons qu'on en a déja données, 
& 1l ne pourroit qu’en réfulter tou- 
jours bien des inconvéniens. 


VIIL 


Comment un Laboureur doit fe conduire 


en tout pays , par rapport aux 
Jachères. 


ÎuEs jachères fervant à donner 
plus de fuccès aux femences de 
grains d'hyver, fur-tout à celles du 
froment ,1l s’agit de la part de tout 


320 MANUEL D'AGRICULTURE 


Cultivateur , de fçavoir quand il 
convient de les obferver ou de les 
fupprimer. Cependant , quand le 
Domaire ou le corps de Ferme, 
qu'il fait valoir , fat partie du 
Terroir fur lequel il eft fitué , & 
quand les piéces de terre , qui le 
compofent, font répandues fur les 
foles qui forment fa contenance, 
foit qu'on y obferve les jachères, 
foit qu'on ne les y obferve pas, il ne 
peut faire autrement que de fe con- 
former à la diviñion de fon Terroir. 
On en a dit les raifons, & on a fait 
voir les inconvéniens qui en réfulte- 
roient, s'il en agifloit autrement. 

On lui a encore fait voir que dans 
le casque fon corps de Ferme feroit 
réuni, & feroit terrein à part, iln’a 
point d’autres principes à fuivre que 
ceux qu'on vient de lui donner, 
foit pour y obferver, foit pour y 

fupprimer 


POUR LE LABOUREUR. 321 


fipprimer les jachères , en faifant 
attention que , quand il s’agit de les 
fupprimer , il ne le peut qu’aux con- 
ditions qu’on a prefcrites. 

Il eff fi néceflaire de s’y confor- 
mer que, quand dans un corps de 
Ferme qui fait terrein à part, con- 
tre l’ufage qui y eft établi d’y ob- 
ferver les jachères, un Fermier 
avide , qui n'a pas. envie de recom. 
mencer fon bail, parcequ'il a en vue 
une autre Ferme qui lui feroit plus 
convenable, s'avife cependant de 
les fupprimer , en faifant porter fes 
terres plufñeurs années de fuite , ou 
du moins une bonne partie; il en 
arrive que le Fermier qui lui fuccé- 
de , ne peut réuffir, attendu qu'il les 
trouve épuifées. 

Quelquefois même ce défordre 
n'arrive que les dernières années 


x. 


322 MANUEL D'AGRICULTUrE 


d’un bail ; mais la Ferme n'en eff 
pas moins ruinée. 

Ces fortes de défordres qui n’ar- 
rivent que trop fouvent , font telle- 
ment à craindre, que dans tous les 
baux & même les plus anciens, 1l 
eft toujours d'ufage d'y inférer [a 
claufe de ne point defloiler les ter- 
res,&c. Tantil eff vrai que la fuppref- 
fon des jachères n'a jamais fait dans 
l'Agriculture qu'un cas particulier ! 

Mais cetre claufe n'arrête aucu- 
nement les Fermiers mal intention- 
nés, voyant que leurs Propriétaires 
font fi peu inftruits de l'Agriculture, 
& que même ils croiroient déroger , 
s'ils fe rabbaifloient jufqu’à porter 
une autre attention {ur leurs Fermes, 
que celle d’en tirer le revenu. 

_ On fe flatte cependant que le 
Manuel qu'ils trouveront ici pour 


POUR LE LABOUREUR. 323 
eux, qui fera la feconde partie de 
cet Ouvrage, leur ouvrira enfin les 
yeux. | 
| IX: 


C onclufion, 


Avant donc fait vir jufqu’où 
peuvent s'étendre les divifions qui 
doivent fe pratiquer , tant dans les 
terres à Jachéres, que dans celles 
qui nen ont point, par rapport aux 
grains d’hyver & aux grains de Mars, 
qui généralement font d'ufage par- 
tout où on cultive , & quelles font 
les. différentes cultures qui s’enfui- 
vent: ce Manuel! qui eft fait pour 
nos Laboureurs de France a l'effet de 
les retirer de leurs routinés, ne peut- 
il pas fervir également dans tous les 
Etats des Souverains de l'Europe ; 
puifque par-tout l'Aori uliure ne 
peut avoir que les es princi- 


Xi 


324 MANUEL D'AGRICULTURE 
pes , qui ne peuvent réfulter que de 
toutes les Pratiques locales du mon- 
de entier. 

Si dans toutes les terres de leur 
dépendance, fi à chaque Domaine 
& à chaque corps de Ferme qui 
s'y trouve , où la Nature n’a pas 
donné de prairies on n’en a pas 
donné aflez, on y en établifloit d’ar- 
tificielles , proportionnément à la 
quantité de terres dont ils feroient 
gompofés , & comme il a été réglé 
ci deflus ; fi on fçavoit manier par 
le travail de la charrue, un bon ter- 
rein qui a du fond, & fi on fçavoit 
encore bien régler le renouvelle- 
ment de l’engrais; les femences dont 
on vatraiter ci-après ne pourroient. 
qu'avoir par-tout un plein fuccès ; 
& tous les Souverains tireroient de 
l'Agriculture des richefles qui leur 
feroient beäucoup plus profitables 


POUR LE LABOUREUR. 315 


que celles qui leur viennent du Pé- 
rou & de tout le ecommerce des 
Indes. 


QUATRIÈME SECTION. 


De l'opération des Semences. 


0 E n’eft pas aflez à un Laboureur 
de bien travaiiler fes terres, de ies 
bien fouiller, de les bien aman- 
der, &c. Il doit encore , conformé- 
ment à ce que fui apprend fa Prati- 
que locale , donner toute fon atten- 
tion à fes femences, s’il veut avoir 
de bonnes récoltes. 

Quoique l'Agriculture en fafle 
ufage de beaucoup , on ne s’éten- 
dra que fur celle du froment, qui 
fait fon principal objet. 

Les femences qu’elle employe, 
font appellées grains d'hyver & 
grains de Mars ; on en a déja parlé 

X 14 


3126 MANUEL D'AGRICULTURE 
dans la Seétion des jachères, & elles 
y font détaillées, 

_ On met encore au nombre des 
femences de l'Agriculture , le fain- 
foin , la luzerne , le tréfle , &c. pour 
faire des prairies artificielles, & qui 
exiftant plufieurs années, font ap- 
pellées plantes vivaces, à la diffé- 
rence des grains de Mars & des 
grains d'hyver, qui ne font que des 
plantes annuelles. 

Pour faire réuffir la-femence du 
froment,, il y a bien des précautions 
a prendre : il s’agit, 

1°. De s’en procurer la meilleure 
qualité, 

2°, De la préferver de la bruine, 

3°. De la fortifier par des lotions 
ou leffives pour la garantir des in- 
fetes, pour en dilater tous les ger- 
mes , & pour la faire mieux taler &e 
multiplier, 


POUR LE LABOUREUR. 327 


4°. De bien proportionner fa 
quantité à la qualité du terrein fur 
lequel on la féme ; de la jetter & 
répandre également ; de la bien 
couvrir pour la garantir encore des 
oifeaux ; enfin, de ne pas manquer de 
la femer en tems convenable, 

LE 
L 

Corment fe procurer la merlleure qualité 


de Froment. 


“A Laboureur obfervera de met- 
tre de côté tous les ans dans fa gran- 
ge, les meilleures serbes de fa récol- 
te; c'eft-a-dire celles qui provien- 
nent du Canton de fa Ferme, qui 
Jui a paru le meilleur & le plus mür: 
on le bat légèrement , en ne lui don- 
nant que deux à trois coups de fléau, 
pour n'en tirer que le grain le plus 
mûr, qui eft toujours celui qui fe 
X 1v 


3:18 MANUEL D'AGRICULTURE 


détache le plus facilement de lépi. 

Il obfervera encore de changer de 
femence tous les deux ou trois ans. 

Si dans l’étendue de fon corps de 
Ferme , il fe trouve des cantons d’u- 
ne qualité de terre oppofée , 1l en 
changeraréciproquement les femen- 
ces; ce qui ne laïfle pas que de réuf- 
fir ; mais la meilleure façon d'en 
changer , c’eft de fe fervir d’un fro- 
ment qui provienne de quelques . 
Cantons éloignés. 

En général, toutes les femences 
aiment à changer d’air & de terrein; 
parceque la diverfité leur plait , 
aufll en réfuite-t-il de très-grands 
avantages. 

L'Auteur des Prairies artificielles 
qui, dans le tems qu'il faifoit valoir 
fa terre, ne regardoit tous les ans 
toutes fes opérations que comme des 
épreuves , ayant pendant quelques 


POUR LE LABOUREUR. 329 


années femé le froment qui prove- 
noit de fa terre dans la moitié d'une 
même piéce de terre, tandis que 
l'autre moitié étoit femée avec un 
autre froment qu'il tiroit de dix à 
douze lieues, il avoit la fatisfa@ion 
de voir une différence de récolte 
qui le furprenoit. Tant il eft vrai que 
le changement de femence , loin 
d'être à négliger , eft d’une extrême 
importance ! 

Il n’y a point de Laboureur qui 
ne puifle l’exécuter, fans même qu'il 
lui en coûte rien; parcequ'en ven- 
dant celui qu'il a recueilli, ilachéte 
au même prix un froment d’un Can- 
ton éloigné : en tout cas il ne pour- 
roit être que bien dédommagé du 
furplus qu'il pourroit ajoûter. 


at. 
IN 


330 MANUEL D’AGRICULTURE 


IL. 
De la Bruine & de fa veritable canfe, 


LE quelque bonne qualité que 
paroiïfle un froment , il faut tra- 
vailler à le préferver d'une maladie 
qu'on appelle Bruine, à laquelle 1l 
eft très-fujet , & qui lui fait un tort 
très-confidérable. 

Cette maladie eft la pefte des 
fromens; elle en diminue beaucoup 
le-prix & encore la quantité , juf- 
qu'à la réduire quelquefois à la moi- 
tié ; elle ne donne toujours qu'une 
paille noire , qui désoûte les che- 
vaux & les beftiaux. 

Les épis de froment, qui enfont 
infeétes , font remplis d’une pouffère 
noire très-puante , au lieu de con- 
tenir une farine blanche. 

Quand on bat à la grange des 


POUR LE LABOUREUR. 331 


gerbes remplies de ces mauvais épis, 
la pouffière qui s'en exhale, s’atrache 
aux poils qui fe trouvent à l’extre- 
mité de tous les autres grains qui 
font fains, de façon que tout le bled, 
qui eft battu, s’en trouve attaqué, & 
que le pain qui en provient eft tou- 
jours noir, 

Si on veut corriger ce défaut on 
lave le bled avant de Le faire moudre; 
mais la farine n'en eft plus ni fi 
bonne n1 fi ferme , & ne renfle plus 
auf bien qu’elle auroit pu le faire 
auparavant. 

Comme ce lavage occafionie un 
certain déchet, ily en a qui préfè- 
rent de laifler le grain tel qu'il eft; 
parceque le noir qu'il a contraëté , 
n'en change point le goût, quoique 
la couleur du pan foit défagréable à 
la vue. 

On connoit ces épis bruinés avant 


332 MANUEL D'AGRICULTURE 
la moiflon , à leur couleur verte, 
brune & un peu blanchätre , c’eft 
auffitôt que la fleur eft pañlée qu’on 
les apperçoit. 

Il y a encore une autre maladie 
qui arrive moins fouvent aux fro- 
mens, & qui caufe encore bien du 
dégât ; on l'appelle Miele. 

C'eft une efpéce de rouille qui 
s'attache à leurs tiges, lorfqu'ils font 
prèts à mürir, & qui a l’effet d’em- 
pècher de groflir les grains qui font 
contenus dans l’épi, de façon qu'ils 
s'y defféchent, & qu'y reftant très- 
menus, ils ne contiennent prefque 
point de farine. 

Cet accident provient de la trop 
grande ardeur des rayons du foleil, 
quand ils furviennent trop fubite- 
ment après un brouillard, une ro- 
fée & mème une pluie, avant que 
la tige ait eu le tems de fécher : on 


POUR LE LABOUREUR. 333 
ne peut y remédier , quoiqu'on en 
connoiïfle la caufe. 

Il n’en eft pas de même de la brui- 
ne dont on peut garantir le fro- 
ment. Il s’agit de voir quelle en eft 
la caufe, & ce qu’on peut faire pour 
s'en préferver. 

L'opération eft fimple ; elle ne 
confifte qu’à tremper le froment dans 
une eau tiéde , en le remuant forte- 
ment plufieurs fois en tous fens avec 
un bâton, & écumant chaque fois 
avec un écumoir, tous les grains 
qui furnagent ; on répéte cette opé- 
ration juiqu'a ce qu'il n'en furnage 
plus. 

Or, tousles grains qui furnagent; 
ne peuvent être que de faux grains 
qui, n'ayant pas la plénitude & la 
pefanteur des grains qui font murs 
& fains , doivent naturellement re- 
venir au-deflus de l’eau. 


334 MANUEL D'AGRICULTURE 


Ce qui prouve que c'eft le meil- 
leur expédient qu'on puuiffe em- 
ployer, c’eft qu’on a l'expérience 
que, quand on ne féme qu'un grain 
bien mûr & bien net, qui ne pro- 
Yient que des meilleures gerbes, fur 
lefquelles on n’a donné que quelques 
coups de fleau, on eft exempt de la 
bruine. | 

I! paroït donc que cette maladie 
ne provient que de la foiblefle & 
de l’imperfettion de Ia femence, 
c’eft-a-dire de fon défaut de matu- 
rité , ou de quelque altération. 
Cependant om obferve que cette 
caufe de la bruine agit plus ou moins, 
füivant qu'il furvient plus ou moins 
de brouillards ou de fraîcheurs , lorf- 
que le froment eft en fleur ; parce 
que quand le rems eft pour lors favo- 
rable , ilarrive qu'une partie de ces 
grains foibles & imparfaits réufif 
fent quelquefois. 


POUR LE LABOUREUR. 33$ 

Mais il paroït qu'on ne doit pas 
abfolument attribuer la caufe de la 
bruine , ni à ces browillards, n1 à 
ces fraicheurs , parcequ'on a l’expé- 
rience que, nonobftant ces contre- 
tems , le froment réuflit toujours, 
lorfqu'on a pris les précautions qu’on 
vient de détailler. 

Comme il peut fe glifler de faux 
grains, lorfqu'on fe contente de 
faire battre légèrement des gerbes 
choiïfies , on fera mieux d’ajouter 
Vopération de l'eau tiéde , parce- 
qu'on fera bien afluré qu'il n’y en 
reftera point. 

Auflitôt que le fromert eft retiré 
de cette eau, on a l'attention, pour 
le faire fécher , de jetter deflus une 
quantité raifonnable de chaux vive, 
bien fondue, & bien réduite en pouf. 
fière, qui fert à le fortifier & à le 
faire germer plus vite. 


336MANUEL D'AGRICULTURE 


Pour bien faire cette opération 
de l’eau tiéde, il faut que ce foit en 
petite quantité, chaque fois d’envi- 
ron un boiffeau, ou deux tout au plus, 
nonobftant la quantité de froment 
qu'on auroit à femer; l'opération en 
fera plus exacte. 

L'Auteur des Prairies artificielles 
qui a fait valoir fa terre pendant 
trente ans n'a été exemt de la bruine 
que quandila été inftruit de ce qu’on 
vient de détailler ; cependant il 
avoit employé auparavant toutes 
les lotions qui pañloient pour ètre 
les meilleures , comme celles qui 
fe font avec le falpêtre , avec le 
verd-de-eris, avec l'eau de fumier 
compofée , & mème avec l'urine 
des beftiaux & les meilleures cen- 
dres de bois de chêne, en obfer- 
vant très-fcrupuleufement de ne 


point fe fervir de çelles qui prove- 
noient 


POUR LE LABOUREUR. 337 


noient de bois flotté: cette derniere 
expérience , quil avoit faite avec 
plus de confiance que les autres, ne 
lui a pas mieux réuff. 

Il avoit encore lù tout ce aw’on 
a écrit pour parvenir à connoitre la 
caufe de cette maladie & pour en 
découvrir le reméde fpécifique. 

Mais, n'ayant rien trouvé qui l'ait 
pu fatisfaire, & fes récoltes conti- 
nuant toujours à en être infectées , 
il s’eft enfin déterminé à confulter 
lesgens du métier, c’eft-à-dire quel- 
ques anciens Laboureurs. 

I! a été furpris bien agréablement 
d'en trouver un qui lui dit bien afir- 
mativement qu'il n’avoit jamais eu 
de bruine , & qu'il étoit afluré de 
n’en jamais avoir , fans même chan- 
ger de femences ; parceque l’expé- 
rience lui en avoit fait connoître & 
Ja canfe & le reméde, 

* 


338 MANUEL D’AGRICULTURE 


Cet habile Laboureur ayant fait 
part de ce qui eft rapporté ci-deflus 
avec un bon fens admirable , on va 
donner le détail des expériences 
qui en ont été faites pour s’aflurer 
davantage de cette pratique. 

La première année que ledit Au- 
teur a fait ufage du froment qui pro- 
venoit de l'opération de l’eau tiéde, 
il a femé en même-tems pareille 
quantité de froment , préparé feule- 
ment avec une lotion ordinaire. 

Il a eu la fatisfaétion de voir 
qu'il n’y avoit de la bruine que dans 
la feconde partie, & que dans l’au- 
tre il n’y en avoit point. 

Non content de cette première 
expérience , afin de s’aflurer davan- 
tage que la caufe de la bruine ne 
provenoit que de faux grains , & de 
grains viciés & altérés ; & pour s’af- 
furer encore que le plus sûr moyen 


POUR LE L'ABOUREUR. 339 


d'y remédier, confiftoit à les retirer 
& à n’en point femer , il fit l'année 
fuivante une autre expérience , qui 
a été de femer dans une même piéce 
de terre, en pareille quantité, trois 
parties de froment. 

Sçavoir , une partie bien exaéte- 
ment pañlée par l'opération de l’eau 
tiéde. 

Une autre qui ne l’étoit pas, & 
qui ne provenoit que de gerbes 
choifies, légèrement battues. 

Et une troifiéme partie qui n’étoit 
compofée que de froment, ni choifi, 
ni pañlé par l’eau tiéde ; mais feule- 
ment préparé avec une lotion ordi- 
naire. 

A la récolte , il n’a apperçu de la 
Pruine que dans la troifiéme partie, 
& n’en a jamais trouvé dans les deux 
autres,quoiqu'ilaitrépété cette même 
expérience pendant plufieurs années. 

| V1} 


_ 


340 MANUEL D’AGRICULTURE 


Si cet Auteur n’avoit pas été char- 
gé des affaires de la ville de Reims ,à 
Paris, en qualité de Député , dans le 
tems que l’Académie de Bourdeaux a 
propolé un prix fur la caufe de la 
bruine & fur ce qui pouvoit yremé- 
dier ,1ln’auroit pas manqué de fe met- 
tre du nombre des concurrens; ilen 
avoit même écrit, avant d'être char- 
gé de cette députation , au Secré- 
taire de cette Académie , qui a bien 
voulu lhonorer de fa réponfe. 

Mais , pendant tout ce tems, 1la 
été occupé à folliciter l'exécution 
des projets , ‘qu'il avoit feul imaginés 
& dreflés, pour obtenir en faveur 
de fa patrie , qui eft la Ville du Sa- 
cre de nos Rois, l'honneur d'y éri- 
ger le monument de Sa Majefté.(4) 


(a) C'eft à fa follicitation , foutenue de la 
protection de M. le Marquis de Puizieux , Mi- 
niftre & Secrétaire d'Etat, pour lors, des affai- 


POUR LE LABOUREUR. 341 


Il faut convenir qu'il a été bien 
malheureux jufqu'a préfent pour 
l'Agriculture , que , parmi nos La- 


res étrangères , & de l'avis favorable de M. de 
Saint-Conteft de la Chataigneraye, Intendant 
de fa Généralité de Champagne, qu'il a été ac- 
cordé pour le commencement de cette exécution 
la fomme de fix cents mille livres, à prendre en 
plufieurs années fur la partie des Oftrois de la- 
dite Ville, qui appartient au Roi. Avec les mêmes 
protections , il a encore obtenu dansle même 
tems fur La même partie des O&rois , la fomme 
de cent quatre-vingt mille livres, pour conti- 
nuer le bel établiffement des Fontaines qu’a- 
voit commencé le célébre Abbé Godinot, Cha- 
noine de ladite Ville. IL a fini heureufement 
fa Députation par le Traité qu'il a dreffé & 
conclu pour ce monument, avec le fameux 
Sculpteur (M. Pigall) fi connu par le chef- 
d'œuvre du maufolée du Maréchal de Saxe , 
& par d’autres ouvrages qui, comme le: dit 
M. de Voltaire, auroient été mis au nombre 
des plus beaux & des plus rares morceaux de 
l'Antiquité fi on les avoit trouvés fous quel- 
ques ruines anciennes. Le Confeil Municipal 
de la Ville de Reims avoit pour lors: un digne 
Chef & un grand Citoyen, en la perfonne de 


Y üi 


342 MANUEL D'AGRICULTURE 


boureurs intelligens , qui ont toute 
lexpérience pofble , il ne s’en foit 
pas encore trouvé qui ayent pu met- 
tre fur le papier les réfléxions inté- 


M. Rogier , Confeiller en la Cour des Mon- 
noyes , qui, ayant fenti combien tous ces pro- 
jets illuftreroient fa Patrie, les a adoptés, & 
a employé tont fon zèle pour les faire agréer 
des Magiftrats qui compoloient ce Confeil. 
11 a fait de grandes libéralités à fa Patrie; l’a- 
mour qu'il avoit pour les ralens & les beaux 
Arts, l’a encore dérerminé à perpétuer , par une 
fondation de prix confidérables, les écoles de 
Mathématiques & de Deffeins, qu’avoit établies 
M. de Pouilly , fon Prédéceffeur , avec qui il 
étoit d'autant plus lié, qu'il trouvoit , dans ce 
grand homme , le même goût & le même 
amour pour faire germer les talens de fes Con- 
citoyens , & pour enrichir fa Patrie de Monu- 
mens utiles. Ce M. de Pouilly , de l’Académie 
des Infcriptions , avoit quitté, au regret des 
Sçavants, la ville de Paris, où il avoit beau- 
coup d'amis & de réputation : 1l s'eft enfin 
diftingué par l'excellent ouvrage de la Théorie 
des Sentimens agréables , que la République 
des Lettres a fi bien reçue. 


POUR LE LABOUREUR. 343 


reflantes que la Pratique leur avoit 
fait faire; c'eft ce qui a donné tout 
l'avantage apparent à ceux qui ont 
ofé écrire fur cet Art, mais d’après 
de fimples fpéculations. 


ITI. 


Lotion \ ou Leffive éprouvée , pour 


fortifier le froment, &c. 


UN Laboureur ne doit pas fe con- 
tenter que fon froment foit exemt 
de la bruine , il doit fonger encore 
à fortifier fa femence , par de bon- 
nes lotions ou leffives pour la mieux 
faire taller & multiplier, puifqu’elle 
contient une fi grande quantité de 
germes , & fur-tout pour la garan- 
tir des infeétes qui, la rongeant plus 
ou moins, en font manquer beau- 
coup , ou en altèrent une partie, de 
façon qu'ils peuvent bien auffi oc- 
cafionner Ja bruine. 

| Y iv 


344 MANUEL D'AGRICULTURE 


On peut dire que toutes les lo- 
tons font bonnes, quoiqu'il y en ait 
de meilleures les unes que les au- 
tres, mais , quelque bonnes qu’elles 
puiflent être, il ne faut pas croire 
qu'en garantiflant le froment de ces 
infeétes., elles foient fuffifantes pour 
Ôter toute caufe de bruines ; fur 
quoi on ne peut compter qu'aupa- 
ravant , comme on l’a démontré ci- 
deflus , on n’ait retiré de la femence 
qu'on veut employer , tous les faux 
grains qui peuvent s'y trouver , par 
le moyen de l'opération de l'eau 
tiéde , dont on vient de parler. 

Tout ce qu'on peut donc con- 
clure de lufage de ces lotions, à 
l'égard de la bruine , c'eft qu'on ne 
peut mieux faire que de les ajoû- 
ter à cette opération, pour être plus. 
afluré d'en être exempt à caufe des 
infectes. 


POUR LE LABOUREUR, 345 


I! eft bon de dire encore que fans 
la précaution de cette opération, 1l 
ne faut pas croire qu'aucune lotion 
ou leflive , quelque bonne qu’elle 
puifle ètre foit généralement fuf- 
fante parcequ'elle aura réufli fur 
quelques terreins. 

11 y a bien des attentions à appor- 
ter fur leurs diverfités qui convien- 
nent plus où moins aux froments, 
ou qui leur font plus où moins pro- 
pres. 

Il ÿ en a encore beaucoup à faire 
fur les qualités des femences, qui 
peuvent plus ou moins contenir de 
ces faux grains , & qui peuvent 
même n’en point contenir. 

Dans la Picardie , par exemple ; 
qui eft un bon pays à froment, où 
il fe plait, & où on ne féme des 
fégles que pour avoir des liens, il 
eft certain que la bruine n’y a pas 


346 MANUEL D'AGRICULTURE 


lieu auf fréquemment que dans 
d’autres Provinces ou Cantons où, 
les terres étant féches & légères , 
l’on ne fait venir du froment , au lieu 
de fégle , qu'à force d’engrais. 

Dans ces fortes de terreins qui 
conviennent plutôt aux fégles, les 
fromens n’y viennent pas auffi bien à 
leur perfeétion qu’en Picardie ; il sy 
trouve plus d’altération & plus de 
faux grains ; ils y font plus fujets à 
la bruine. 

Ainfi lorfqu'on employe en Pi- 
cardie , ou dans d’autres bons pays 
à froment, ces lotions ou leflives, 
fans avoir fait auparavant l'opéra- 
tion dont il s’agit, 1l ne fera pas 
étonnant qu'on ne voye point de 
bruine dans ce qu'on aura femé ; 
parceque dans ces fortes de bons 
pays ; les récoltes s’y trouvant géné- 
ralement d'une bonne qualité, 1l n’y 


POUR LE L'ABOUREUR. 347 


a point ordinairement de faux grains 
dans les femences qui en provien- 
nent comme dans celles qui vien- 
nent des terres féches & légères, 
qui ne font pas fi propres au froment, 
& où ces fortes de lotions, fi aflu- 
rées qu'on le dife , ne fuflifent pas 
pour les exempter de la bruine , fi- 
non dans quelques années favora- 
bles , ainfi qu'on l’a déja dit. 

Après cela pourra-t-on regarder 
comme fi merveilleufe cette lotion 
particulière , qu'on a annoncée avec 
tant d’emphafe , fans cependant dé- 
terminer la caufe de la bruine ; & 
pourra-t-on encore ÿ avoir une auff 
grande confiance ? 

Quand on veut rendre générales 
des expériences qu'on a faites, & 
prétendre qu'elles réufhront par- 
tout , 1l faut les avoir pratiquées fur 
toutes fortes de terreins , même les 


348 MANUEL D'AGRICULTURE 


plus fecs & les plus légèrs, comme 
les crayonneux , fur lefquels, en 
Champagne , on ne réuflit à faire 
venir des froments , qu'avec de fre- 
quens & de forts amandemens ; au- 
trement ce n'eft pas connoitre l’A- 
griculture , c'eft-à-dire , les diffé- 
rens effets de la diverfité des ter- 
reins. 

Cependant , quand il s’agit d’une 
matière auffi importante, on doit 
toujours beaucoup d’éloges au tra- 
vail de ceux qui ont eu de bonnes 
intentions. 

Voici quelle eft la lotion que 
l'Auteur des Prairies artificielles ajoû- 
toit à l'opération de l’eau tiéde , 
pour fortifier fa femence de froment, 
pour la garantir des infeétes , & pour 
la faire mieux taller & multiplier. 
Commeilen afaitufage pendant plus 
de vingt ans,avec des effets toujours 


POUR LE LABOUREUR. 349 


furprenans : on la propofe avec con- 
fiance. 

Il s’agit d’avoir un tonneau de la 
contenance d'environ trente à qua- 
rante feaux, qu'on remplit à moitié 
de crotte de pigeons, de crotte de 
poulles, de crottin de brebis ou de 
moutons, de tout cela par tiers ; on 
l'emplit enfuite d’eau de fumier à 
cinq à fix pouces près du bord, par- 
ceque ce mêlange doit renfler. 

On laifle tremper le tout pen- 
dant environ trois femaines ou un 
mois ; pendant lequel tems on ne 
manquera pas de remuer fouvent. 

Enfuite on tire cette infufion au 
clair en la répandant dans un au- 
tre tonneau au moyen d’une claie 
qu'on met fur l’ouverture ; on verra 
que ce tonneau ne fe trouvera qu'à 
moitié environ ; c’eft pourquoi , fi 
l'on veut un tonneau complet ; on 


350 MANUEL D'AGRICULTURE 


aura deux tonneaux pour l’infufon, 
& à proportion de la quantité de 
froment qu'on aura à femer. 

Dans ce tonneau , ainfi tiré au 
clair, enle fuppofant environ plein, 
on jettera une vingtaine d'écuellées 
de cendres, de tel bois que l’on vou- 
dra , pourvu qu’il n'ait pas été flotté ; 
celles de chène doivent être préfé- 
rées ; on y jettera environ autant 
d’écuellées de chaux vive, c'eft-à- 
dire qui ne vient que d'être fon- 
due ,& l’on y ajoutera en même tems 
deux boifleaux au moins de fon de 
froment ou de fégle , pour épaiflir & 
rendre glutineufe ladite infufion ; 
on remuera bien exaétement le tout, 
deux à trois fois par jour, jufqu’à ce 
qu'on en fafle ufage, & fur-tout dans 
le moment qu'on voudra s’en fervir. 

Ce tonneau, qu’on a propofé de la 
contenance d'une quarantaine de 


POUR LE LABOUREUR. 351 


feaux, pourra fufire pour une quin- 
zaine de feptiers de froment , me- 
fure de Paris, à raifon d’un feau & 
demi par feptier ; il convient de 
le jetter en différentes fois, en re- 
muant bien le froment : & pour le 
fécher plus vite, on jettera fur cha- 
que feptier , environ trois écuellées 
de chaux vive. 

On proportionnera ce tonneau à 
la quantité de froment qu’on aura 
a femer; & , fi on ne peut en avoir 
que de la contenance d’une vingtai- 
ne de feaux ou environ, on en aura 
plufieurs pour fuffire à ce qu’on 
aura à femer. | 

Cette infufion glutineufe s'attache 
tellement à chaque grain, que, quand 
ils font fecs, on les voit exa@tement 
enveloppés de feuilles de fon , 
qui font elles-mêmes imbibées 
de cette matière ; & elles font fi 


352 MANUEL D'AGRICULTURE 


parfaitement collées , que nile mou- 
vement de mettre le grain dans le 
fac, ni celui de le femer, ne font 
pas capables de les en détacher ; de 
façon que chaque grain conferve 
toute la force qu'on lui donne, en 
quoi confifte l'excellence de cette 
infufon au-deflus de toutes les au- 
tres qu'on peut annoncer, qui n'é- 
tant pas aufli glutineufes , fe diffi- 
pent prefque entièrement lorfqu'on 
féme, & n'ont que peu d'effets fur 
le grain. 

Au moyen de l’ufage de cette in- 
fufion , l'Auteur des Prairies artificiel- 
les a toujours eu de belles & d’abon- 
dantes récoltes; les épis en étoient 
remarquables , en ce qu'ils étoient 
plus forts & mieux garnis que ceux 
des récoltes des Laboureurs de fon 
Canton. Auff, a la grange , fon bled 
sendoit-1l plus que celui des autres. 

L'avantage 


POUR LE LABOUREUR. 353 


L'avantage encore de cette infu- 
fion, c’eft qu'elle ne coute que la 
peine de la faire , le prix de la chaux 
étant de fi peu de conféquence que le 
Laboureur n'y fait pas attention. 

Soit qu'il foit queftion de cette 
infufñon , foit qu'il s’agifle de faire 
la première opération qui empèche 
la bruine , elles font l’une & l’au- 
tre fi importantes que le Fermier ne 
doit pas s’en rapporter à des do- 
meftiques ; 1l ne doit jamais man- 
quer de les faire foi-mèême , ou de les 
faire faire en fa préfence. 

L’Auteur des Prairies artificielles 
portoit fur cela les plus grandes at- 
tentions. 

Il ne faut pas oublier de faire con- 
noître le profit réel & a@uel, qui 
réfulte de ces deux opérations, & 
qui ne laiffe pas que d'être confidé- 
rable, 

| Z. 


354 MANUEL D'AGRICULTURE 


Comme elles font extrêmement 
renfler le grain, fur-tout à caufe de 
la grande chaleur que l'infufion lui 
donne , on peut compter que ce pro- 
fit ne fera pas moins que du quart 
en fus, parceque ce n'eft qu'après 
qu'il eft préparé, qu'il faut mefurer 
la quantité qu'on veut femer. 

Quand une femence eft. ainf 
préparée , tous les faux grains qui 
n’auroient pas levés, ou qui n’au- 
roient que mal tournés en font re« 
tirés; &, puifqu'on ne feme qu’un 
grain bien pur & bien net, l'on peut 
croire qu'on en feme davantage. 

Il eft cependant vrai que le fro- 
ment , ainfi renflé, contient moins 
de grains dans la poignée du La- 
boureur qui le feme ; mais on ne 
peut difconvenir qu’il ne foit mieux 
difpofé, pour lors, à fe dilatter & à 
s'ouvrir, & que parconféquent 1l ne 
convienne de le femer plus clair, 


POUR LE LABOUREUR. 356$ 

Ainf, en fuppofant qu'avant de le 
préparer , on ait mefuré quatre {ep 
tiers, comme on en trouver ati 
moins cinq après , on fera bien dé- 
dommagé à tous égards des peines 
qu'on aura prifes, vü fur-tout les 
merveilleux effets qui en réfulteronts 

On a oublié d’obferver qu'avant 
de faire ces deux lotions , il ne fal- 
loit pas manquer de cribler Îe fro: 
nent pour retirer toutes les petites 
graines de mauvailes herbes qui 
pourroient s’y trouvers 

À l'égard des autres grains qui 
font encore employés par l’Agricul 
teur, dontona ci-deflus fait le détail, 
qui font ou grains d'hyver, ou grains 
de Mars , il n'y a pas d'autre atten- 
tion à avoir avant de les femer, qué 
de les bien cribler , & d'en choifir 
la femence la plus mûre & la plus 
nette, 

[AT 


356 MANUEL D'AGRICULTURE 
IVe 


Ce qui doit régler par arpent la quantitë 
de froment qu'il convient de femer. 


Nos Laboureurs en général don- 
nent dans une routine qui leur fait 
un tort confidérable , en s’aflujet- 
tiflant aufli fervilement qu'ils le 
font aux ufages de leurs Pratiques 
locales , pour régler leur façon de 
femer. 

On a déja dit , & on ne peut trop 
le répéter , que les ufages de cha- 
que Pratique locale n'étant que gé- 
néraux , c'eft-a-dire ne pouvant con- 
ferver que les fortes de qualités du 
terrein dominant de leur terroir, & 
non les fortes de qualités des diffé- 
rens terreins particuliers qui peu- 
vent s’y rencontrer, elle ne doit leur 
fervix que de méthode , pour leur 


POUR LE LABOUREUR. 357 


apprendre à chacun en particulier, 
comment ils doivent fe conduire 
dans toutes leurs opérations à caufe 
de la diverfité de terreins qu'ils ne 
peuvent que trouver dans ce qu'ils 
ont à faire valoir. 

Ainfi, quand il s’agit de femer, ce 
ne font que les fortes de qualités du 
terrein qu'ils ont à cuitiver, qu'ils 
doivent confulter ; & ils doivent 
commencer par bien examiner, pour 
juger de la quantité de femence qw'il 
convient de lui donner. 

Voilà la première régle que don- 
ne la méthode qui réfulte de leurs 
Pratiques locales, dont ils ne difcon- 
viendront point , puifqu'ils ne peu- 
vent s'empêcher de voir qu'on n'a 
pa déterminer la quantité de fe- 
mence qu’elle prefcrit, qu'aupara- 
vant on ait bien examiné les fortes 
de qualités dont fe trouve compofé 

Züj 


558 MANUEL D'AGRICULTURE 


le terrein dominant du terroir fus 
lequel elle eft établie. 

Ils conviendront encore qu elle 
donne une autre régle, qui eft plus 
décifive , qui confifte dans une ex- 
périence de plufieurs années ; puif- 
que fur un fimple examen deterrein, 
il n’eft pas poffible de bien détermi- 
ner la quantité de femence qui peut 
convenir, 

I n'y a donc que ces deux régles 
qui doivent guider tout Laboureur 
en particulier, pour bien fixer & 
déterminer fa quantité de femence 
fur fonterrein, dans quelque Canton 
de la terre qu'il puifle habiter. 

Sa Pratique n'ayant été faite & 
établie que pour les lui apprendre, 
tout l’ufage qu'il doit en faire , con- 
fifte à la bien méditer. 

Le terrein qu'un Laboureur a à 
femer eft bon, médiocre ou mau- 
vais, 


POUR LE LABOUREUR. 349 
Suppofé qu'il foit bon , & qu'en 
cette qualité il tienne de la qualité 
du terrein dominant de fon Terroir, 
fur lequel fa Pratique locale eft éta- 
blie, le Laboureur en ce cas peut fe 
conformer à ce qu'elle prefcrit fur la 
._ quantité de froment qu'il convient 
de femer. 

Cependant , comme 1l fe trouve 
ordinairement quelques nuances & 
quelques différences dans les parties 
de terreins qui paroiflent être de 
même qualité , il aura toujours re- 
cours à fon expérience qui feule 
peut lui apprendre avec le tems , à 
quelle quantité il pourra véritable- 
ment s'en tenir. 

Si fon terrein au contraire eft mé- 
diocre , & même mauvais, tandis 
que la qualité de fon Terroir eft ré- 
putée bonne , il fe feroit un très- 
grand tort de conformer fa quantité 
Ziv 


360 MANUEL D'AGRICOLTURE 


de femence à celle que décide fa 
Pratique locale ; puifque, dans toute 
l'Agriculture, c'eft une maxime aflez 
générale , qu'un terrein médiocre & 
mauvais, doit être femé plus fort 
que celui qui eft d’une bonne qua- 
lité. 

Ce qui appuye cette maxime , 
c'eft que dans toutes les Pratiques 
locales , par rapport aux différens 
ufages qui y font établis, 1l eft re- 
connu & arrèté qu'il convient d’a- 
jufter & de proportionner les opé- 
rations de l'Agriculture à toutes les 
fortes de terreins qui fe rencon- 
trent. 

Ainfi, fuppofé encore que le ter- 
rein d'un Laboureur fe rencontre 
bon, tandis que la qualité de fon 
Terroir fera d’être médiocre ou 
mauvaife , 11 doit femer moins fort 
que ne le prefcrit fa Pratique locale, 


POUR LE LABOUREUR. 36r 
& iln’y a que fon expérience qui 
puiffe le bien guider fur cela. 

Ce n'eft pas tout ; le Laboureur , 
en prenant bien l’efprit de fa Prati- 
que locale, verra que l'examen & 
l'expérience qu'elle lui donne pour 
principe , lui apprennent encore 
qu'indépendamment de la qualité du 
terrein, on doit examiner la varia- 
tion des années , qui influe fi fort fur 
le plus ou le moins de récoltes , & 
même fur la qualité du grain, en 
n'oubliant pas les accidens qui peu- 
vent arriver à la femence , avant 
que de fortir de la terre. 

Il n’eft pas douteux que, quand on 
a établi les Pratiques locales, on 
n'ait pris toutes ces chofes en con- 
fidération pour mieux régler & fixer 
la quantité de femence qu’elles pre- 
fcrivent par arpent. 

La variation des années eft telle 


361 MANUEL D'AGRICULTURE 


que , quoiqu'elles fe fuivent , on 
voit ordinairement tous les ans une 
grande différence dans les récoltes, 
dont le plus ou le moins ne dépend 
pas feulement de la qualité bonne 
ou mauvaife du terrein ; mais en- 
core de la faifon du printems , qui, 
étant plus ou moins favorable , don- 
ne lieu au froment de taller & mul- 
tiplier plus ou moins. 

Ceux qui ont établi les Pratiques 
locales , ayant certainement prévû 
toutes ces variations & tous ces ac- 
cidens, & ayant réglé en confé- 
quence la quantité de femence ; tous 
nos Laboureurs , en particuiïer , 
après avoir réglé par leur examen, 
& par leur expérience ce que peut 
exiger la qualité de leur terrein, 
doivent, a leur exemple, ajouter plus 
ou moins de femence , felon qu'ils 
le jugeront convenable pour préve- 


POUR LE LABOUREUR. 363 


nir de même ces variations, Çes ac= 
cidens , &c. 

I ne faut donc pas s'étonner fi 
nos Pratiques locales paroiflent em- 
ployer tant de femences, | 

On ne peut obvier à toutes ces 
variations & à tous ces accidens qui 
füurviennent ordinairement , qu’en 
femant un peu plus fort que ne l'exige 
le qualité duterrein; maisquandonne 
proportionne fa quantité de femence 
qu'a cette qualité, on court rifque 
d'en être fouvent la dupe , parcequ'il 
n'y aplus moyen d'y remédier quand 
le mal eff arrivé. Il vaut mieux, dit- 
on dans les Campagnes , courir le 
rifque d’avoir femé un peu plus fort 
que de n'avoir rien, 

Il y a encore une chofe qui con- 
cerne l'attention du Laboureur , qui 
eft auffi une fuite de la méthode qui 
rélulte de fa Pratique locale ; c’eft 


364 MANUEL D'AGRICULTURE 


que, fi le terrein qu'il a à femer eff 
extrêmement humide , & par confé- 
quent fujet à poufler beaucoup 
d'herbes, il doit le femer plus fort, 
quoique reconnu d’une bonne qua- 
lité | pour occuper davantage fon 
terrein , & pour leur donner moins 
de prife , & même plus fort que 
dans un terrein médiocre ; qui ne 
donneroit point d'herbes. 

Voilà pourquoi Olivier de Serre 
prétend quil n'eft pas abfolument 
décidé qu'il faille toujours femer 
moins fort dans les bons & les meil- 
leurs terreins. 

Le plus ou le moins d'herbes 
qui peuvent poufler eft beaucoup 
à confidérer , de même que l'in- 
convénient , lorfqu'ils font femés 
trop clair, de ne rendre que des 
pailles , dont les tiges font fi groffes 
& fi dures, que les bêtes de tirage , 


POUR LE LABOUREUR. 365 


& les beftiaux néceflaires pour bien 
faire valoir un corps de Ferme , ne 
peuvent s’en accommoder. 

Quand un froment au contraire 
eft femé plus dru , deux épis, qu'on 
moiflonne , au lieu d'un, dans la 
quantité de la récolte, ne valent-ils 
pas bien un gros épi qui ne rendra 
pas plus de grains & qui en rendra 
même moins? Il en réfulte encore 
une paille qui eft beaucoup plus 
fine & plus friande pour les beftiaux. 

Il faut faire attention que l’objet 
de l’Agriculture n’eft pas feulement 
de nourrir les hommes , & de leur 
procurer leurs befoins ; mais encore 
de nourrir les beftiaux dont on ne 
peut fe pañer. 

Il réfulte donc que cette propor- 
tion de femer , qu'exigent les diffé- 
rens terreins qu'un Laboureur a à 
cultiver , demande toute fon atten- 


366 MANUEL D'AGRICULTURE 
tion & fon expérience, & qu'il lui faut 
bien des années pour commencer à 
voir à quoi 1l peut s'en tenir: on 
peut même dire que c’eft l’opéra- 
tion la plus difficile & la plus emba< 
raflante de l'Agriculture. 
Cependant, dans la nouvelle Mé- 
thode de M. Thuill, rien n’eft fi aifé 
ni fi facile que cette proportion 3 
puifque , felon lui, ilne s’agit que de 
réduire à moitié , au tiers , & même 
au quart , la quantité de femence 
qu'on employe dans nos Pratiques 
locales , pour être afluré ; par Île 
moyen de fon femoir ; d’avoir tous 
les ans d'excellentes récoltes: il fem- 
bleroit donc, à l'entendre , que ce 
ne feroit ni l'examen du terrein, nt 
l'expérience , ni même toutes les 
variations & lesaccidens qu'on vient 
de détailler, qui doivent régler la 
quantité de femençces par arpent ; 


POUR LE LABOUREUR. 367 


& que l’ufage de fon femoir auroit 
feul cette vertu, parcequ'ila l'effet 
d'efpacer chaque grain qu'il ré- 
pand , à la diftance de cinq à fix 
pouces plus ou moins. 
On convient que dans certaines 
années favorables, une petite quan- 
tité de femences peut beaucoup 
mieux réuffir qu'une plus grande, 
quoique réglée par l'expérience 
qu'on peut s'être faite; en voici un 
exemple qui fera cependant voir 
que ce feroit une grande imprudence 
de réduire toujours ainfi fa femence, 
fur-tout fi l'on faifoit ufage du fe< 
moir avec une pareille réduétion 
dans la façon ordinaire de cultiver. 
Ileft arrivé à l’Auteur des Prairies 
artificielles | en allant vifiter fes fro= 
mens dans la faifon du printems, d'en 
trouver un arpent qui, ayant été {e- 
mé plus tard que les autres, fe trou- 


368 MANUEL D'AGRICULTURE 


voit fi éclairci par la rigueur de l'hy- 
ver, & par d'autres accidens qu'il 
avoit efluyés, quil n'y reftoit pas 
la fixiéme partie de la femence 
qu'on y avoit jettée ; on n'y voyoit 
que des brins de froment extrème- 
ment efpécès les uns des autres. 

Sans un ancien Laboureur, qui 
pour lors l'accompagnoit , 1l étoit 
déterminé à faire retourner ce fro= 
ment pour y mettre de l'orge; mais 
1l lui donna avis de n’en rien faire : 
# Parceque , lui difoit-il , fi la fin 
» d'Avril & le commencement de 
» Mai fe trouvent favorables ; cet ar- 
» pent, qui paroit fi défefpéré, fera 
» peut-être le plus beau de tous vos 
» fromens. « 

Ainfi le terrein lui paroïflant extrèé- 
mement bon, parcequ'il avoit été 
amande plufieurs fois ,il l'engagea à 
faire cette épreuve pour lui faire 

connoitre 


POUR LE LABOUREUR. 369 
connoitre ce quil en eft du talle- 
ment du froment dans un bon ter- 
rein, & jufqu'où il peut s'étendre ;, 
quand les années font favorables. 

L'avis ayant été fuivi, & la fin 
d'Avril & le commencement de Mai 
ayant Correfpondu à ce qu'avoit 
prédit cetancien Laboureur, la moif- 
fon de cet arpentrapporta beaucoup 
plus , à proportion que tous les au- 
tres froments qu'avoit encore l’Au- 
teur des Prairies artificielles. 

Ce Laboureur , profitant de cet 
événement,ne manqua pas d'ajoûter 
que , quoiqu'il eût été témoin d’un 
tallement fi prodigieux & fi extra- 
ordinaire , 1l ne s’enfuivoit pas qu'il 
dût changer fa façon de femer , en 
réduifant fa quantité de femence à 
un cinquiéme ou à un fixiéme, com- 
me luiparoïfloit être réduite celle qui 
étoit reftée dans fa piéce de terre; 

À a 


370 MANUEL D'AGRICULFTURE 


attendu que ( par rapport à bien des 
accidens qui n'arrivent que trop or- 
dinairement au froment , & qu'un 
Laboureur doit toujours prévoir , 
qui font même tels que fouvent les 
trois quarts, ni même la moitié de 
ce qu'on a femé ne réuflit pas)ilne 
falloit point difcontinuer de régler 
fa quantité de femence fur l'expé- 
rience qu'il s'étoit faite ; &, pour lui 
prouver que le confeil qu'il lui 
donnoit n'étoit fondé que fur l’ex- 
périence , il lui dit d'éprouver l'an- 
née fuivante de ne femer fur une 
petite partie de terrein, que le 
quart de ce qu'on employoit de 
froment ordinairement. Ce qui ayant 
été exactement exécuté, il eft arrivé 
que la récolte en a été totalement 
manquée. 

La leçon de ce bon Payfan ne 
vaut-elle pas bien celle de M. Thuil? 


POUR LE LABOUREUR. 371 


C'eft ce qu'on aura encore lieu de 
faire remarquer dans la Réfutation 
de fa Nouvelle Methode. 


V. 


Ce qui eff ufité dans toutes Les Pratiques 
locales ,| peur jetter & répandre 
également la femence, 


L'usa GE du Laboureur , pour 
femer, eft de prendre toujours à plei- 
ne poignée , dans fon femoir qu’il 
porte devant lui, fa femence de fro- 
ment, en marchant d'un pas égal, 
avec mefure, &enjettant fa poignée 
avec un mouvement toujours auff 
égal. S'il veut femer plus fort, il va 
plus lentement, & c’eft de fa mar- 
che qu'il régle le plus ou le moins 
de femence qu'il veut employer; 
par ce moyen, il en ef fi afluré, que, 
fi HS avoir femé un feptier de fro= 
À a 1j 


572 MANUEL D'AGRICULTURE 


ment dans un arpent , il n'en veut 
femer que la moitié dans un autre, 
il ne s'y trompe pas feulement d'une 
demie écuellée. 

Il parvient encore à [a répandre 
également , fi, avant de femer , ila 
l'attention de faire fi bien herfer fon 
champ ;, quil devienne parfaite- 
ment uni. 

Sur ces deux chofes il n'y a certai- 
nement point à reprendre le Labou- 
reur ; & on peut même dire que, dans 
toutes fes opérations , c’eft ce qu'il 
exécute le mieux. 

Qu'a donc de plus la précifion du 
femoir de M. Thull, au-deflus de 
celle du Laboureur ; & ce Plus, 
quand même on le fuppoferoit , mé- 
titeroit-t-1l qu'on le jugeât nécef- 
faire au point d’en faire dépendre 
le rétabliffement de l'Agriculture ? 
Mérite:t-1l feulement qu'on y fafle 
la moindre attention ? 


POUR LE LABOUREUR. 373 


VI. 


Le Laboureur ne doit faire fes fermences 


que dans un tems convenable, 


UN tems favorable fait encore 
beaucoup , pour faire profpérer les 
femences. 

Le froment veut être femé dans 
un tems pluvieux ; un tems trop 
{ec lui feroit nuifible ; le fégle exige 
au contraire un tems fec ; l’avoine, 
l'orge , les lentilles, les pois, &c. 
veulent un beau tems; mais toutes 
ces femences exigent qu'on ne les 
faffe point dans le tems qu'il y régne 
des vents violens, puifqu'elles ne 
pourroient être répandues égale- 
ment. 

A l'égard de la faifon propre à faire 
toutes ces femences , le Laboureur 
peut s'en rapporter à ce que lui 

Aa 


474 MANUEL D'AGRICULTUREÉ 


apprend fa Pratique locale , fans ce- 
pendant que cela l'empêche de con- 
fulter quelquefois fon expérience. 

I ne doit pas manquer de bien 
faire couvrir fon froment, en mème- 
tems qu'il fe féme , pour le garan- 
tir des Pigeons & autres oifeaux ; 
ce que le Laboureur peut faire en 
fe fervant d'une charrue qui le re- 
tourne avec la terre , pour lenter- 
rer à environ deux pouces plus où 
moins , futvant ka qualité du ter- 
rein. S'il eft fec on F'enterre un peu 
plus; ce qu'il peut faire encore avec 
la herfe , en lui faifant faire deux 
tours, & avec la précaution de l’ap- 
pefantir, comme on l’a déja dit , au 
moyen d'une grofle pierre qu’il met- 
troit deflus, fuppofé qu'il jugeât que 
{a herfe n'enfonce pas autant qu'il 
eft néceflaire. 

Comme il dépend du Laboureur 


POUR LE LABOUREUR. 375 


de bien couvrir fon froment & toutes 
les autres femences qu'il peut em. 
ployer, c’eft à tort que, dans le tems 
des femences, ils’en prendroit aux 
pigeons qui ne grattent jamais, com= 
me nous l’avons prouvé. 


GO:NICL'USI ON 


De cette première Partie. 


; E CROIS qu'il ne me refte plus 
rien à prefcrire à tout Laboureur 
jaloux du progrès de l’Art de l’A- 
griculture. 

Après avoir donné la définition de 
cette grande Science , montré fes 
opérations , difcuté fon vrai princi- 
pe & la méthode qui en réfulte , je 
fuis entré dans tous les détails nécef- 
faires , & les feuls néceffaires. Ainfi 
le Laboureur eft à portée aujour: 

Aa iv 


376  ManNuEL, &c. 
d'hui, ou de reétifier fes pratiques ; 
ou d'apprendre les vrais principes 
qui réfident dans fa Pratique locale, 
J'ai dit tout ce que l’on pouvoit dire: 

1°. De l'examen des terreins; 

2°. De l'Expérience , de la façon 
de l’acquérir & de fes effets.; 

3°. Enfin des différentes façons 
d'exécuter les opérations de l’Agri- 
culture , relativement à toutes les 
{ortes de qualités de terreins. 


Heureux fi les leçons que j'ai tras 
cées ici , après avoir été utiles à moïi- 
même , le peuvent-être à tous les La- 
boureurs! Servir la Patrie eft l’am- 
bition d’une belle ame. 


Fin de la première Parties 


SECONDE PARTIE. 


MANUEL 
D'AGRICULTURE, 


POUR 
LE PROPRIÉTAIRE. 


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SECONDE PARTIE 


MANUEL 
D'AGRICULTURE, 


P.O' U-K 
LE PROPRIÉTAIRE. 


INTRODUCTION. 


Les Laboureurs & les Fermiers, 
quoique tenants toutes nos terres, 
ne font pas les feuls qui en occañon- 
nent le déläbrement par leurs routi- 
nes. Les Propriétaires leur portent 
encore un préjudice au moins auf 
confidérable par leur négligence. 
Ayant été établi que la feconde 
caule du déläbrement des terrespro- 


_3$0 MANGEL D'AGRICULTURE 


venoit du défaut de prairies:on va 
prouver que leurs établiflemens ne 
peuvent concerner que les Proprié- 
taires , & nullement les Fermiers. 

Ainfi il s'agit de faire voir : 

1°. Que le défaut de prairies ne peut 
être réparé que par les Propriétaires. 

2°. Comment ils doivent s'y pren- 
dre pour y parvenir, fans avoir la 
peine de faire valoir par eux mêmes. 

3°. Ce qu'ils doivent faire encore 
après l’établiffement de Prairies. 

4°. Comment ils doivent eftimer 
leurs terres , pour les louer d'une 
façon équitable. 

5°. Ce qu'il leur en coûteroit pour 
faire faire une prairie. 

6°. Quelles font les attentions 
qu'ils doivent encore avoir fur leur 
corps de Ferme. 

7°. Ce qu'ils doivent fçavoir de 
l'Agriculture, 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 381 


CHAPITRE PREMIER. 


Le défaut de Prairies ne peut êre réparé 
que par Les Propriétaires. 


€ UoïQu'onN puifle facilement 
fuppléer au défaut de prairies, en 
faifant ufage des plantes de fain- 
foin , de luzerne, de treffle , &c. que 
l'Auteur de la Nature ne nous a 
données que dans cette vue , & 
pour rendre la terre également fer- 
tile par-tout, cependant on n’y penfe 
pas, & on n'y penfera même jamais, 
tant qu'il ne fera pas décidé à qui il 
appartient d’en faire l’établiflement. 

Comme toutes les terres font 
louées & affermées par les Proprié- 
taires aux gens de la Campagne; & 
comme , par le moyen des baux qui 
leur en font faits , toute notre Agri- 
culture fe trouve entre leurs mains, 


382 MANUEL D'AGRICULTUrRE 


on n’héfite point de mettre fur leur 
compte ce défaut de prairies, & de 
les accufer d'être encore les Au- 
teurs du déläbrement qu'il occa- 
fionne. 

Voilà l’idée qu'on a contre eux ; 
on l’a depuis que les baux fubfiftent, 
& on l'aura toujours, tant que l’on 
ne fera point évidemment voir 
qu'elle eft mal & injuftement fon- 
dée ; on ne ceflera même de dire 
que , puifque toutes les terres & les 
corps de Ferme leur font abandon- 
nés pour en faire leur profit, c’eft 
à eux à mettre en œuvre tous les 
moyens qui peuvent contribuer à 
les augmenter; enfin on eft généraA 
lement dans la perfuafion que, 
quand un corps de Ferme eft loué, 
& quand le bail en eft pañé, il n’eft 
plus queftion de s'en occuper. 

I faut qu'on fafle bien peu de cas 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 383 


de l'Agriculture , pour que, depuis 
que les baux fubfiftent, on n'ait pas 
encore fait attention quil doit en 
être de ces baux, comme de ceux 
qui font faits pour louer des maifons 
ou autres héritages. 

Quoique les avantages qui réful- 
tent des augmentations qu'on peut 
faire dans ceux-ci, foient bien moins 
confidérables que ceux qui peuvent 
provenir de celles qu’on aura faites 
dans un corps de Ferme ; quoique 
les dépenfes excédent de beaucoup 
celles qu'on peut y faire, & quoi- 
qu’on foit même obligé quelquefois 
de les répéter, cela n'empêche pas 
qu'on ait toujours été beaucoup plus 
attentif & beaucoup plus inftruit 
pour les baux des maifons. 

On ne manque pas d'y diftinguer 
ce qui eft à la charge du Locataire, 
d'avec ce qui eft à la charge du 


384 MANUEL D'AGRICULTURE 
Propriétaire ; &, fans même que cela 
foit exprimé , on fçait que c’eft à ce- 
lui-ci de faire dans la maifon, qu'il 
donne à bail, les améliorations & 
augmentations néceflaires pour par- 
venir à la louer davantage , & mème 
pour l’entrenir dans fa location or- 
dinaire , & que c’eft à lui de la ré- 
parer quand elle en a befoin. 

On fçait qu'il doit avoir l’atten- 
tion de voir ou de s'informer fi fa 
maïfon eft fuffifamment garnie de 
meubles pour la füreté de fes loyers. 

On fçait encore que le Locataire 
feft tenu de fon côté que de la 
maintenir , l’entretenir & la ren- 
dre, à la fin de fon bail, comme il l’a 
reçue. 

Pourquoi ne pas reconnoitre & 
admettre la mème diftinétion dans 
les baux qui font faits pour louer les 
corps de Ferme, comme dans ceux 


qui 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 38$ 


qui font faits pour louer les mai- 
fons ? 

Pourquoi n'avoir pas les mêmes 
attentions pour fçavoir fi un corps 
de Ferme eft monté comme il doit 
être ,; non-feulement pour la fü- 
reté du prix du bail , mais pour 
l'exécution de ce qu'il convient de 
faire, à l'effet de le bien faire valoir à 

Tout cela eft cependant fi clair 
& fi évident, qu'il n’eft pas poffible 
de n’en pas convenir. 

Bien plus , comment les éta- 
bliffemens de prairies pourroient- 
ils être à la charge du Fermier? 
Puifque , s’il fe déterminoit à les 
faire , 1l n’en jouiroit pas, ou plu- 
tôt il ne pourroit commencer à en 
jouir que lorfqu'il fe verroit à la 
veille de voir expirer fon bail, s'il 
n'étoit que de fix à neufans, com- 
me on les a toujours faits jufqu'à 

Bb 


336 MANUEL D'AGRICULTURE 


préfent ; & puifque , ne pouvant les 
faire qu'au fur & à mefure de l’aug- 
mentation des paiiles, cela demande 
plufieurs années, ainfi qu'on l’a fait 
voir ; d’ailleurs, feroit-ilafluré qu'on 
lui continueroit & qu'on lui renou- 
velleroit fon bail, quand fa prairie 
feroit faite? 

Quand même auellement on le 
lui prolongeroit juiqu'à vingt-fept 
ans, fuivant la nouvelle Déclaration 
du Roi, cela ne déchargeroit pas le 
Propriétaire de fes obligations; puif- 
que , fuppofant qu'il n’y feroit pas 
fait mention d'établiffemens de prai- 
ries, le Fermier ne feroit pas plus 
obligé d'en faire. 

Mais, dira-t-on, pour qu'un Pro- 
priétaire entreprenne ces fortes d'é- 
tablifiemens ; pour qu'ils foient bien 
faits, il faut qu'il prenne le parti de 
£ure valoir par lui-même fon corps 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 387 


dé Ferme ; autrement , comment le 
pourroit-1l ? 

Quand une maifon eft louée, ce- 
lui qui en eft le Propriétaire, penfe- 
t-il qu'il ne peut la réparer, la réta- 
blir , y faire des améliorations & 
augmentations , qu'il ne la reprenne 
& qu'i ne l'occupe 

Ne peut-il pas les faire faire par 
un Entrepreneur ? &, quand un corps 
de Ferme eft loué, le Propriétaire 
ne peut-il pas en agir de même, en 
fe fervant de fon Fermier ? 

Toutes les réparations & amélio- 
rations qu'on peut faire dans les 
corps de Ferme ne pouvant done 
que regarder les Propriétaires, 1l eft 
évident que ce ne fera que par eux 
qu'on parviendra à bien rétablir l'A- 
griculture , foit en France, foit ail- 
leurs, & que leurconcours,avec leurs 
Fermiers, eft abfolument néceflaire, 


Bb ji 


388 MANUEL D'AGRICULTURE 


Qui que ce foit, jufqu’à préfent, 
n'ayant parlé de ce concours , puis- 
qu'aucun Auteur qui ait traité de 
l'Agriculture , n’en a jamais fait la 
moindre mention , à l'exception 
de celui des Prairies artificielles, qui 
a commencé à en donner la pre- 
mière idée , iln’eft pas encore moins 
évident que ce concours ne foit une 
découverte de la plus grande im- 
portance pour le rétabliffement de 
l'Agriculture , & qu’elle ne mérite 
autant d'attention que celle qu’on 
vient de faire de la méthode qui ré- 
fulte de toutes les Pratiques locales. 

Au moyen de l'explication qu'on 
en donne pour retirer nos Labou- 
reurs de leurs routines, au moyen 
encore de obligation dans laquelle 
on fait voir que font tous les Pro- 
priétaires de remédier au défaut des 
prairies, rien ne fera fi aifé aétuel- 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 389 


lement, que de retirer notre Agri- 
culture du pitoyable état dans le- 
quel elle ef. 

On peut bien dire que ces deux 
moyens font uniques pour y parve- 
nir; quil n'y en a pas d'autres quoi- 
qu'on ne les ait pas encore annon- 
cés ; & que, tant qu'on ne les em- 
ployera pas, notre Aoriculture re- 
ftera toujours comme elle ef. 

Ainfi, après avoir inftruit nos La- 
boureurs & Fermiers, 1l s’agit pré- 
fentement d'apprendre à tous lesPro- 
priétaires ce qu'ils doivent faire pour 
augmenter confidérablement le re- 
venu de leurs corps de Ferme, juf- 
qu’à le doubler & le tripler,en quel- 
que Pays & Canton qu'ils puiflent 
être fitués , fans fe donner la peine 
de les faire valoir par eux-mêmes, & 
en ne dépenfant prefque rien. 


Bb üj 


390 MANUEL B'AGRICULTURE 


CHEL APS RENTE 


Comment les Propriétaires doivent s’y 
prendre pour faire faire des établif- 
femens de Prairies. 


@ N ne peut mieux faire que de 
propofer aux Propriétaires de corps 
de Ferme, de fe modéler fur ce que 
font les Propriétaires de Maifons. 
Quand il s’agit de faire à celles-ci 
des améliorations , des augmenta- 
tions & de grofles réparations, foit 
pour en entretenir la location , foit 
pour l’augmenter, le Propriétaire fait 
un marché avec un Entrepreneur. 
Dans ce marché , 1l eft ftipulé 
tout ce qu'il faut faire, fans pou- 
voir l'excéder ; on y convient du 
tems qu'on mettra à l'exécution , 
ainfi que des termes pour le paye 
ment de la fomme fur laquelle on eft 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 391 
d'accord; &, pour la folidité de l’en- 
treprife , on convient des matériaux 
qui feront employés. 

Un Propriétaire, pour n'être pas la 
dupe de ces fortes de marchés , ne 
manque pas ordinairement de {e met- 
tre au fait fur bien des chofes qui y 
ont rapport, & de s'informer prin- 
cipalement du prix & de la qualité 
des différens matériaux qu'on doit 
employer. 

Sans être Archite@te , voilà en gé- 
néral , de la part d'un Propriétaire, 
les précautions qu’on eft en ufage 
de prendre, quand il eft queftion 
de réparer une maïfon qui eft déli- 
brée , & qui menace ruine , ou 
quand il eft queftion d'en maintenir 
les loyers. 

De même, pour faire dans un 
corps de Ferme des établiffémens de 
prairies qui doivent être regardées 


B b iv 


392 MANUEL D’AGRICULTURE 


comme des améliorations & répara- 
tions qui intéreffent le fond des ter- 
res qui peuvent le compofer, le Pro- 
priétaire, fans être Agriculteur, en 
fe mettant feulement au fait de tont 
ce quipeut concerner l'exécution 
de ces fortes d’établiflemens, fe fer- 
vira de fon Fermier comme d’un En- 
trepreneur , en faifant avec jui un 
bail qui doit être regardé comme 
une autre forte de marché. 

Dans ce bail, aprèsles conditions 
ordinaires , 1l feroit fipulé, au fujet 
de l'établiflement de prairies : par 
exemple : 

Qu'il ne confiftera exaétement 
que dans un huitième des terres 
qui compofent le corps de Ferme 
dont 1l eft queftion; qu'il ne l'excé- 
dera pas, pour les raïfons qu'on en a 
données ci-deflus, & que cet établif- 
fement fera également fait fur les 
trois foles qui le partagent. 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 393 


Qu'il ne fera exécuté, ainfi que 
l'augmentation des beftiaux , qu’au 
fur & à mefure que les pailles aug- 
menteront. 

Que, pour cet établiffement, on 
employera les plantes dont on fera 
convenu , & qui feront les plus pro- 
pres aux terreins du corps de Ferme. 

Sur ces Articles, ainfi qu’au fu- 
jet de la façon de renouveller & 
d'entretenir toujours l'établiflement 
de prairies, le Propriétaire , pour 
s’en bien inftruire , aura recours à ce 
quien a été dit ci-deflus dans le Cha- 
pitre des Engrais, Articles III & 1F. 
Il lira auffi la feconde Partie du 
Traité des Prairies artificielles , pour fe 
bien mettre au fait de la culture 
qu'il convient de faire donner à ces 
plantes. 

Il fera encore ftipulé dans ce bail 
que le terrein fur lequel fe fera 


394 MANUEL D'AGRICULTURE 
l'établiflement de la prairie, fera 
foncé, autant qu’il fera poffble, pour 
le mieux faire réuflir, & pour le 
faire durer plus long-tems. 

Il faut fçavoir à ce fujet ( & il eft 
effentiel qu'un Propriétaire y fafle 
attention, & qu'il la fafle faire à fon 
Fermier, ) que les terres qu'on veut 
mettre en prairies artificielles, doi- 
vent être foncées bien autrement 
que celles où l’'ôn feme les bleds & 
les grains qui font employés dans l’A- 
griculture. 

Ces grains & ces bléds n'étant que 
des Plantes annuelles , c’eft-a-dire , 
qui ne durent qu'environ neuf à dix 
mois , & même que quatre à cinq ; 
leursracinesne pivottant tout au plus 
qu’à raifon de trois à quatre pouces, 
& s'étendant plutôt horizontalement 
le long de la fuperficie de la terre, ils 
exigent qu'environ quatre à cinq 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 395$ 


pouces de labour pour bien produire. 

Il n’en eft pas ainfi des plantes 
dont onfe fert pour faire des prairies, 
qu'on appelle Plantes vivaces, parce- 
qu'elles durent plufieurs années. 

Quand on les employe , il faut né- 
ceflairement foncer le rerrein au- 
tant qu'il peut le permettre, fans 
cependant le déterriorer ; ce qui ar- 
riveroit fi, en le labourant trop 
avant, c'eft-à-dire au-delà de fon 
premier lit qui compofe la fuperf- 
cie, & qui a plus ou moins d’'épaifleur , 
on ramenoit de fon fecond lit du 
tuf, qui eft ou crayon, cu gravier, 
ou fable , &c. ce à quoi il faut bien 
prendre garde ; & c’eft pour l'évi- 
ter que , dansle Chapitre des Labours, 
on a parlé des différens lits que la 
terre peut avoir, 

C'eft pourquoi, pour ces fortes 
de plantes, le Propriétaire aura l’at« 


396 MANUEL D'AGRICULTURE 


tention de ftipuler expreflément 
dans fon bail, que le Fermier pren- 
dra par préférence les terres qui 
auront le plus de fond; quand mê- 
me elles feroient les meilleures de 
la Ferme, on s'en trouveroit bien 
dédommagé dans la fuite ; leurs 
racines étant fortes & profondes, 
elles ne peuvent profiter qu'autant 
qu'elles trouvent à pivotter, tandis 
que celles des bleds aiment plutôt 
a s'étendre horizontalement. 

Pour donc bien foncer un terrein 
qu'on veut mettre en prairies, Juf- 
qu'à même un pied de profondeur, 
fi cela fe peut, puifque cela vau- 
droit encore mieux , on exécutera 
les façons de Labours dont il faut fe 
fervir, quand on veut renouveller 
un terrein par le travail de la char- 
rue : elles font détaillées ci-defius 
dans le Manuel du Laboureur, Cha- 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 397 


pitre des Labours, Art. III ; on choi- 
fira celle qu'on jugera la plus con- 
venable à fon terrein. 

C’eft ainfñ que le Propriétaire re- 
commandera à fon Fermier d’en agir 
à l'égard de la Luzerne & du Trefle, 
qui veulent des terreins qui ayent 
du fond , & qui foient encore de la 
meilleure qualité. 

Il n’en eft pas abfolument de mêé- 
me à l'égard du fain-foin ; il exige 
auffi à la vérité beaucoup de fond 
de terre ; mais la qualité lui importe 
f. peu quil réuffit fur tout terrein, 
foit qu'il foit graveleux , crayon- 
neux, foit quil foit fablonneux, 
en le fuppofant cependant un peu 
mêlangé de terre. 

Choififfant donc dans un corps 
de Ferme un terrein crayonneux 
qui s'y rencontrera, & dont la fu- 
perficie n’a prefque point de terre, 


398 MANUEL D'AGRICULTURE 


voici comment il convient qu'un 
Fermier s’y prenne pour le labourer 
juiqu'à huit à neuf pouces de fond, fi 
cela fe peut , fans s’embarafler fi on 
ne raméne que du crayon & des pier- 
res de cette efpéce. 

Vers la Saint Martin , où tous les 
ouvrages de la Campagne font gé- 
néralement finis, tems ordinaiment 
pluvieux & parconféquent très-com- 
mode pour labourer ces fortes de 
mauvais terreins , qui ne travaillent 
jamais fi facilement que quand ils 
font bien imbibés , on commencera 
par donner un labour de trois à qua- 
tre pouces & même plus avant, fi 
cela fe peut, bien entendu qu’on dou- 
blera les forces du tirage ordinaire, 
&c qu’au lieu de deux à trois chevaux 
ou bœufs, on en employera jufqu'à 
fix ; on aura encore l'attention de fe 
munir d'une bonne & forte charrue, 


FOUR LE PROPRIÉTAIRE. 399 


Quand le premier fillon fera fait 
on y rentrera en changeant l'oreille 
de la charrue de droit à gauche, & 
on enlevera encore tout ce qu'on 
pourra pour tacher de foncer da- 
vantage. 

On en agira de même à chaque 
filon, jufqu'à ce que la piéce de 
terre foit entierement finie, fans 
s'embarafler fi on ne raméne que 
des pierres de craye. 

On la laiffera ainfi pendant tout 
lhyver, pour que les pluyes , les 
brouillards , les neiges, les gelées, 
les dégels la pénétrent bien; il en 
réfultera qu'une bonne partie de ce 
qu'on aura retourné fondra & s’a- 
meublira, fi on a l'attention, à cha- 
que dégel qui arrivera , de herfer 
plufieurs fois cette piéce de terre. 

Il convient cependant d'obierver 
que, fi la première année qu'on fe- 


400 MANUEL D'AGRICULTURE 


roit ce travail, on ne pouvoit pas 
foncer davantage , lorfqu'on ren- 
treroit dans le même fillon qu’on au- 
roit déja fait, on fe contenteroit du 
premier labour qu’on auroit donné , 
pour remettre le fecond à l’année 
fuivante ; parceque , pour lors, les 
pluyes ayant pu pénétrer davantage 
ce mauvais terrein , 1l feroit beau- 
coup plus fufceptible de recevoir ce 
fecond labour qui pourroit le fon- 
cer autant qu'on le defireroit. 

En ce cas, jufqu'à ce qu’on y fé- 
me du fain-foin , & en attendant 
l’année fuivante, on fe contenteroit 
d'y mettre un farrazin qui ne pour- 
roit manquer de réuflir , après l’a- 
voir bien labouré & retourné deux 
à trois fois au printeins avant que de 
l’'enfemencer. ù 

Suppofant donc que ce terrein 
crayonneux auroit pü être bien dif- 

pofé 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 401 


poié en un hyver, & qu'il auroit 
encore été bien labouré deux à trois 
fois au printems fuivant , il feroit 
enfemencé en fain-foin vers la fin 
d'Avril. 

On peut compter qu'ayant ainfi 
reçu un bon labour de huit à neuf 
pouces, le fain-foin ne manqueroit 
pas d'y réuflir, & aufli-bien que dans 
les meilleures terres ; parceque fa 
racine, qui ne cherche qu’à pivoter 
le pouvant pour lors, y trouveroit 
toujours aflez d'humidité à mefure 
qu'elle perceroit & pénétreroit, ce 
qui lui fufhiroit pour exciter & en- 
tretenir fa végétation, fi peu de terre 
qu'elle rencontreroit au milieu des 
petites pierres de craye qui y fe- 
roient encore. . 

L'expérience en a été faite dans 
la Champagne avec les plus heu- 
reux fuccès par M. Petit, Officier du 
| Ce 


492 MANUEL D'AGRICULTURE 


Roi , qui demeure à Bignicour , & 
qui y fait valoir par lui-même fon 
propre Domaine; elle l’a encore été 
également, par le fieur Guillaume , 
Laboureur-Fermier , demeurant à 
Pomacie; cesteux villages font fitués 
au mieu des plaines les plus féches 
& les plus ftériies de cette Province. 

L'exemple de ces deux hommes, 
quiontentreprisune chofe à laquelle 
perfonne n'avoit jamais penfé avant 
eux, & qui les rend par conféquent 
fi précieux à l'Etat, fufhroit pour 
rendre la Champagne également 
fertiie & peuplée par-tout , fi les éta- 
bliffemens de prairies, qu'on entre- 
prendroit d'y faire , étoient appuyés 
d'une Ordonnance du Roi, qui dé- 
fendt à tout Berger d'y laifler en- 
trer , en touttems, leur bétail blanc: 
on en a déja parlé ci-deflus dans la 
Secuon des Engrais , pour faire voir 


POUR LE PROPRIÉTAÏRE. 404 
la néceffité indifpenfable de cette 
fage Ordonnance. 

On doit concevoir que ce doublé 
labour , dont on vient de parler 
pour les terreins crayonneux , fe fes 
toit avec bien plus de facilité dans 
ceux qu font graveleux , tufiers, 
ou fablonneux ; en fuppofant dans 
ceux-ci un peu de mêlange de terre 
pour la réufite du fain-foin , pui 
qu'autrement 1l feroit inutile de l'y 
tenter pour les rafons qu'on a déja 
données de leur ftérilité. 

Après que le fain-foin auroit réuffi 
& fait fon tems dans ces fortes de mau- 
vais terreins , qui font plus fouvent 
incultes qu'autrement , on les deffa- 
varderoit,pour commencer à y mettre 
un orge, OU une avoine , ou un farra- 
zin, enfuite on pourroit les mettre en 
froment , pourvû qu'on ne manquât 
pas de les amander convenablement. 
| Gci] 


404 MANUEL D’AGRICULTURE 


Quand ce ne feroit qu'en fégle, on 
y gagneroit encore beaucoup. 

Qu'on réfléchie fur cette façon 
de tirer partie d'un terrein crayon- 
neux , & desautres fortes de mauvais 
terreins, on concevra qu'on peut 
par-tout, en fe fervant de la plante 
de fain-foin, faire des établiflemens 
de prairies , & qu'on peut, par-tout, 
au moyen de cette plante, parvenir 
à bonifier les plus mauvaifes terres. 

Ainfi, fi, dans la Ferme qu'il eft 
queftion de donner à bail pour y 
faire faire un établiffement de prai- 
ries,1ls'y trouve quelques-uns de 
ces mauvais terreins , 1l y feroit 
énoncé qu'ils feroient employés en 
fain-foins, en leur donnant la cul- 
ture qu’on vient de détailler. 

On ne fçauroit trop faire l'éloge de 
cette plante qui, quoiqu'elle ne four- 
nifle pas autant que la luzerne , lui 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 405 


eft cependant préférable à tous 
égards , parcequ'elle peut réufür 
dans toutes fortes de terreins, & 
parceque , foit en foin, foit en verd, 
elle n'incommode point les beftiaux 
& les chevaux de travail. 

Mais il faut la femer très-drû , 
pour que fes tiges ne viennent point 
trop grofles n1 trop dures, & pour 
que fes feuilles foient plus fines & 
plus tendres ; autrement les beftiaux 
ne s'en foucieroient pas, lorfqu’elle 
feroit en foin : il faut en ufer de 
même, pour la même raïfon, à l’é- 
gard de toutes les autres plantes dont 
on fe fert pour faire des prairies. 

Qu'on faffe attention que ce qui 
rend le foin des prés naturels, pré- 
férable à toute autre forte de foin, 
c'eft que l'herbe des prés eft tou- 
jours extrêmement fine & tendre. 

Îl vaut donc mieux imiter la Na- 

Ecu 


406 MANUEL D'AGRICULTURE 


ture que de fe rendre auüx infinua- 
tions de ces nouveaux Auteurs qui 
veulent qu'on féme le fain-foin par 
rangées & par efpaces; ce qui ne 
peut qu'en faire venir les tiges ex- 
trèmement grofles & dures. 

C'eft pourquoi, danse baïl dontil 
eft queftion , il y feroit expreflement 
marqué que dans ces mauvais terreins 
ii fera au moins employé pararpent 
juiqu'à dix-huit hoïfleaux de femen- 
ce de fain-foins , mefure de Paris, 
tandis que dans les terreins ordinai- 
res & même les meilleurs , il n'y 
feroit queftion que de feize, 

Il y feroit encore dit, qu’à l’égard 
de la luzerne & du treffle, qu'on 
ne hazarderoit point dans ces mauvais 
terreins , on en fémeroit par arpent 
vingt à vingt-cinq livres pefant dans 
les bons, & dans ce qui feroit jugé 
pouvoir leur être propre, 


POUR LE PROPRIÉTAIRE.407 


Ilconvient beaucoup mieux afluré- 
ment que toutes ces graines ne foient 
point femées fuivant la Méthode de 
M. Thull, mais fuivant l’ufage ordi- 
naire de la Campagne, c’eft-a-dire, 
à la poignée , parceque certe Me- 
thode n'efl réellement bonne ( com- 
me l’a déja dit l’Auteur des Prairies 
artificielles | ) que pour contenter la 
curiofité de ceux qui veulent voir juf- 
qu'ou peut s'étendre € groffir une plan- 
ze , quand elle ef? efpacée. 

On fe récrie fi fortcontre les pailles 
qui proviennent des froments femés 
fuivant cette Méthode , parcequ'el- 
les font fi grofles & fi dures que les 
chevaux ne s’en foucient pas, qu'il 
eft étonnant qu'on s'entête encore 
de vouloir la foutenir. 


En continuant de donner des in- 
ftruétions aux Propriétaires fur tout 
Cciv 


408 MANUEL D'AGRICULTURE 


ce qui peut les mettre en état de 
réuflir dans leurs établiflemens de 
prairies , il convient d'ajouter qu'il 
ne faut pas qu'ils s'imaginent que 
leurs Fermiers y contribueront en 
rien ; quand même ils y trouve- 
roient quelques profits , ils ne fe 
prêteront à les faire , & à les bien 
exécuter qu'autant que les Pro- 
priétaires feront toutes les avances 
néceflaires, & qu'ils les dédomma- 
geront des terres qui y feront em- 
ployées & fur tout ce qui pourroit 
leur porter préjudice d’ailleurs. 
Ainfi il fera encore énoncé dans 
ce bail, que le Propriétaire livrera 
a fon Fermier la quantité de femen- 
ces, dont il aura befoin, pour enfe- 
mencer la première portion qu'il 
s'agira de mettre en prairie, fauf à 
y inférer qu'elle lui fera rendue 
dans le courant dudit bail; parce- 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 409 


que,comme cette prairie ne fe fera 
qu'en plufieurs années par égales 
portions , la première ayant donné 
aflez de femences pour femer la fe- 
conde , & celle-ci, pouvant en don- 
ner plus qu'il n’en faut avec la pré- 
cédente, pour continuer, ainfi des 
autres, on fe trouvera en état en 
trois ou quatre ans, de reprendre 
les premières femences que le Pro- 


priétaire aura livrées. 
Quant aux terres qu'il faudra em- 


ployer a l'établiffement des prairies, 
quine pourra excéder le huitiéme de 
ce quipeut encompofer la Ferme, le 
Propriétaire en tiendra compte à fon 
Fermier au fur & à mefure qu’on en 
prendra, à raïfon d’un feptier de fro- 
ment du poids de cent foixante li- 
vres par arpent , fi la Ferme ne pro- 
duit que du froment , & d’un feptier 
de fégle à la même mefure , auf par 


410 MANUEL D'AGRICULTURE 


arpent, f. la Ferme ne produit que 
du fégle , n'étant ici queition que 
des terres fans prairies, qui, tous 
frais faits, & toutes charges & im-: 
pôts acquittés, ne peuvent rappor- 
ter , année commune, qu'un feptier 
par an, quoiqu’elles produifent tous 
les ans environ cinq pour un, con- 
formément à l’eftimation générale 
qui en a été faite ci-deflus dans les 
Articles préliminaires, qu'on ne peut 
contefter. 

I! eft vrai que cette dépenfe oc- 
cafionnera une déduétion affez con- 
fidérable fur le prix du bail ; mais, 
étant faite, 1l ne fera plus queftion 
d'y revenir, ayant l'attention d’en- 
tretenir toujours & de renouveller 
la prairie , quand il en fera befoin , 
a la différence des réparations de 
maifons qu'il faut fouvent répéter , 
& avec beaucoup plus de dépenfes 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 411 


qu'il n’en eft queftion ici, avec cette 
grande différence encore, qu'on re- 
tirera bien au-delà de cent pour 
cent de la dépenfe qu’on aura faite 
pour un bon établifiement de prai- 
ries, comme on le verra ci-après. 

Le Propriétaire tiendra encore 
compte à fon Fermier des veaux & 
agneaux qu'il l'obligera de garder, 
pour l'augmentation des beftiaux, 
a raifon de la prairie , & à raïfon des 
pailles ; il lui en tiendra compte fi- 
vant l’eftimation dont il fera con- 
venu dans le bail ; bien entendu 
que , fi le Fermier quitte après l’ex- 
piration de fon bail, il ne pourra 
emmener les beftiaux que fon Pro- 
priétaire lui aura ainf payés , & qui 
hu appartiendront. 

Enfin , le Propriétaire tiendra 
compte à fon Fermier des labours 
extraordinaires qu'il faudra donner 


412 MANUEL D'AGRICULTURE 


aux terres qu'on mettra en prairies, 
puifqu'il eft indifpenfable de les 
foncer autrement que celles qu'on 
met en bleds, & 1l lui en tiendra 
compte à raïon du prix du lieu par 
arpent ; bien entendu encore que, 
dans l’eftimation dont on convien- 
droit , le Fermier déduira les labours 
qu'il auroit été obligé de donner, 
s'il avoit été queftion de les mettre 
en bleds. 

Ainfi, pour réfumer en peu de 
mots les claufes & conditions qu'on 
inferera dans un bail de neuf ans, 
qu'il eft plus à propos de préférer à 
un bail de fix ans quand il s’agit de 
faire faire un établiflement de prai- 
ries, 1l y fera ftipulé : 

1°. Qu'il ne s'agira que de pren- 
dre un huitiéme des terres qui com- 
pofent la Ferme , & que ce huitié- 
me fera également pris fur les trois 
foles qui la divifent ; 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 413 


2°. Qu'il ne fera exécuté qu’en 
fix ou fept années, par égale por- 
tion , parcequ'il faut attendre les 
pailles par rapport aux beftiaux ; 

3°. Qu'on n’y employera que les 
plantes qui feront les plus conve- 
nables aux terreins qu'on prendra ; 

4°. Que les terreins feront foncés 
autant qu'il fera pofhble de le faire ; 

5°. Que toutes ces plantes feront 
femées plutôt drû qu'autrement , 
& qu'on employera par arpent les 
quantités de femences qu'on vient 
de déterminer pour chaque efpéce ; 

6°. Que le Fermier fera dédom- 
magé dans tout le courant de fon 
bail des rerres qu'on employera à 
l'établiffement de prairies, à raifon 
d'un feptier par arpent, chaque an- 
née ; 

7°. Qu'on lui payera les veaux & 
agneaux que le bétail qu'il aura em- 


414 MANUEL D'AGRICULTURE 


mené dans la Ferme produira, à rai- 
fon de ce qu'ils vaudront dans le 
lieu & dans le Canton; 

8°. Qu'on lui tiendra compte des 
labours extraordinaires qu'il don- 
nera pour la réuflite de la prairie ; 

9°. Que, faute de l'exécution de 
toutes les conventions qui concer- 
nent le Fermier , le Propriétaire de 
fon côté ayant tenu exa@tement les 
fiennes , 1 feroit tenu à la fin du 
bail envers fon Propriétaire de cer- 
tains dommages & intérêts dont on 
feroit convenu dans le bail. 

Voilà donc ce qui peut concerner 
le premier bai où il feroit que- 
ftion de l’établiflement d’une prairie. 


2 
Ce) 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 415$ 


CG H:A:PUE TE RE: LIE 


Ce que le Propriétaire doit encore faire 
après l'établiffement de la Prairie. 


A 

KZ UAND le premier bail de neuf 
ans fera expiré, pour lors la prairie 
fe trouvera établie ; les amande- 
mens auront été beaucoup plus forts 
que dans tous les baux précédens; 
les terres auront rendu beaucoup 
plus de païlles, ainfi que beaucoup 
plus de grains, & les beftiaux sÿ 
trouveront en plus grande quantité. 
Cependant ni les beftiaux ni les pail- 
les ne feront pas encore au point 
d'augmentation qu'il leur faut pour 
fe trouver en état de pouvoir aman- 
der tous les ans la fixiéme ou da 
neuviéme partie des terres qui com- 
pofent le corps de Ferme, n'y ayant 


416 MANUEL D'AGRICULTURE 


que cela , comme on la fi bien éta- 
bli ci-deflus, qui puifle réellement 
effeduer le renouvellement de l’en- 
grais fur fa totalité, & par confé- 
quent le doublement & le triple- 
ment de fon revenu & de fa loca- 
tion , qui font tout l’objet de l’éta- 
bliflement de la prairie. 

C’eft pourquoi , dans le bail fui- 
vant, qui fera encore de neuf ans, 
en laiflant au Fermier les trois ou 
quatre premières années pour ache- 
ver l'augmentation néceflaire des 
beftiaux & des pailles, ilne feroit 
queftion après que du doublement 
de la location de la Ferme pour le 
continuer jufqu'à ce que ce fecond 
bail foit expiré, en ajoutant à ce 
doublement de location , le loyer 
de tout ce qui fe trouveroit en prai- 
rie , à raifon d’un feptier de froment 
par arpent , fi la Ferme produit du 

froment 


FOUR LE PROPRIÉTAIRE. 41% 


froment , & d'un feptier de fégle, 
fi elle ne produit que du fégle ; par. 
cequil convient qu'un Propriétaire 
tire parti de tout ce qui compofe fa 
Ferme ; & même dans les trois pre- 
mières années de ce bail, il y feroit 
déja queftion du loyer de la prairie 
à raion de cette eftimation. 

Il eft bien certain que, auand on 
eft parvenu à pouvoir amender , tous 
les ans fans difcontinuation , la fixié- 
me ou la neuviéme partie des ter- 
res qui compofent un corps de Fer- 
me , elles ne peuvent que doubler 
& tripler tous les ans en revenu: on 
l'a fi bien fait comprendre dans les 
Articles Préliminaires, qu'il n'y « 
point de Fermier qui Ôsàt en dif- 
convenir. 

Dans ce fecond bail , il y fera ex- 
prefiément énoncé que le Fermier 
entretiendra la prairie , ce qu'il exé- 

| Dd 


418 MANUEL D'AGRICULTURE 


cuteroit en retournant une por= 
tion qui commenceroit à finir , pour 
en établir ailleursune pareille , dans 
Ja même efpéce de plante qu'il au- 
roit détruite : ce qu'ilne manque- 
roit pas de faire, tous es ans , c’eft- 
a-dire quand il en feroit néceflaire 
pour entretenir toujours la même 
quantité de prairies. 

Si, pour ce fecond bail, il s’agit 
d'un nouveau Fermier , le Proprié- 
taire lui remettra les beftiaux qu'il 
aura achetés à fon Prédécefleur, au 
moyen du payement qu'il lui a fait 
des veaux & agneaux que pro- 
duifoit le bétail à lui appartenant, 
& il aura foin que , fon nouveau Fer- 
mier ait aflez de beftiaux pour com- 
pletter, avec ce qu'il y trouvera à 
lui appartenant, le même nombre 
qui fe trouvoit ci-devant. 

Les beftiaux, qui fe trouveroient 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 419 
ainfi appartenir au Propriétaire, {e- 
roient à celui-ci d'une grande utilité 
nonfeulément pour trouver des Fer: 
miers {uffamment montés , mais 
pour aider à compietter le nombré 
de beftiaux néceffaire ; il n'en exi: 
geroit même ; pour toute obligation 
de la part du Fermier , que de retrou- 
ver famême quantité à la fin du bail, 

Le fecond bail expiré , il n’y aura 
point à héfiter de tripler la location 
du baïl fuivant, parceque les reñou: 
vellemens d'engrais commençant à 
s'exécuter fur la totalité de la Fer 
me ; les terres qui ne rapportoierit 
que cinq pour un, avant l’établiffez 
ment dé la prairie , rapporterornit 
pour lors, au moins fept pour ur; 
ce qui fuñit pour être en état de de< 
mander trois cinquiémes en fus du 
produit total de la Ferme, 

Dds 


4:0 MANUEL D'AGRICULTURE 


En fe rappellant ce qui a été fi 
bien détaillé à ce fujet dans les #r- 
ticles Préliminaires |, on comprendra 
parfaitement , que deux cinquiémes 
en fus au pardeflus de tous les frais, 
impôts, &c. font un doublement de 
revenu , & que trois cinquiémes en 
fus font un triplement. 

C’eft tout ce qu'on peut exiger 
d'un bon arpent deterre , que de rap- 
porter, année commune, environfept 
pour un (le feptiêr à raïfon du poids 
de cent foixante livres ) & fur-tout 
de tout un corps de Ferme , quine 
peut que comprendre bien des iné- 
galités dans les qualités de terrein 
qu'il peut avoir. Ainfi, dans tous les 
baux fuivans, il ne feroit plus que- 
{tion d'aucune augmentation, quoi- 
que cela paroïfle beaucoup plus 
avantageux au Fermier qu’au Pro- 
priétaire. 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 421 


La bonne façon de louer, c'eft de 
donner à gagner à un Fermier, 
pour en être bien payé. 

Dans ces trois baux de neuf ans 
chacun , un Propriétaire auroit la 
fatisfation de voir par lui-même les 
effets furprenans , qui réfulteroient 
de fon établiffement de prairies; 
puifqu’au fecond bail fa Ferme com- 
menceroit à rapporter une fois plus, 
& que dès le commencement du 
bail fuivant , le revenu en feroit 
triplé. 

Mais comme tout cela exige quel- 
ques détails & quelques attentions 
qui pourroient n'être pas du goût 
de bien des Propriétaires, ils pour- 
ront , s'ils veulent, ou plutôt sis 
le peuvent, profiter de la Déclara- 
tion du Roi, qui autorife de prolon- 
ger les baux de corps de Ferme juf- 

Dd 1} 


422 MANUEL D'AGRICULTURE 


qu'à vingt-fept ans, à condition d’a- 
méliorations, &c, 

En ce cas, en donnant fa Fer« 
me à un prix raifonnable , il ne s’a- 
gira , les douze premières années de 
ce bail, que de charger le Fermier 
de l'établiflement de la prairie , de 
l'augmentation des beftiaux, & de 
mettre le tout en état de parve- 
nir à en amender tous les ans la fixié- 
me ou la neuvième partie, fans qu'il 
oit queflion d'aucune augmentation 
pendant tout ce tems, & 1l ne s’agi- 
voit d'en doubler & tripler la loca- 
tion que conformément aux tems 
qu'on a obfervés dans les baux de 
neuf ans, 

Cela feroit plus commode pour 
un Propriétaire , de donner ainfi à 
long bail fa Ferme : mais s'il ne 
trouvoit pas de Fermier, ou plutôt 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 423: 


s'il n'en trouvoit que de très-difi- 
cultueux , 1l n'héfiteroit pas de s'en 
tenir à ne faire que des baux de neuf 
ans pour faire faire par lui-même 
fon établiflement de prairie qui lui 
coûteroit fi peu. 


D d iv 


424 MANUEL D'AGRICULTURE 


CH AP DE RE ASIN. 


Ce qu'un Proprietaire doit [çavoir pour 
donner une jufle eflimation a la 
location de fa Ferme. 


e, Uoreu’ox puifle ainf doubler 
& tripler la location d'un corps de 
Ferme , qui aura été rétabli & remis 
en bonne valeur , cela doit néceflai- 
rement fuppofer qu'auparavant il 
étoit loué raifonnablement , puif- 
qu'autrement , on tomberoit dans 
un prix qui excéderoit toujours ce- 
lui de la Ferme; c’eft ce qu'il faut 
éviter, pour trouver facilement de 
bons Fermiers. Il faut donc qu'un 
Propriétaire fe mette au fait de la 
jufte évaluation qu'il convient de 
donner à fon corps de Ferme , en 
quelque fituation qu'il prufle être ; 


UR LE PROPRIÉTAIRE. 425$ 


c’eft-à-dire, foit qu'il fe trouve en 
bonne valeur , foit qu'il n'y foit 
point , pour pouvoir en tirer une 
location qu’on foit en état de lui 
payer. 

On peut dire qu'aujourd'hui les 
Propriétaires louent leurs Fermes 
fans en connoitre la valeur, & fans 
fçavoir quels en font les frais, les 
charges & les impôts, avant de pou- 
voir en tirer un produit net; tout ce 
qui les guide, font d’anciens baux 
qui ne fervent au contraire qu'à les 
tromper, puifque les impôts & char- 
ges d'Etat , dont font a@uellement 
chargés leurs corps de Ferme, font 
bien différens de ce qu'ils étoient 
anciennement. Quand on diroit qu'ils 
font doublés, triplés, & même plus, 
on ne diroit rien de trop. | 

Faute d'y faire attention , on veut 
louer le même prix ; on veut même 


4:26 MANUEL D'AGRICULTURE 


augmenter, & cependant on trouve 
des Fermiers, parcequ'ils n’y font 
pas aufü plus d'attention , ne cher- 
chant, en louant ou en relouant, 
qu'à vivre , à occuper une fa- 
mille & a s'occuper eux-mêmes , 
fans s’'embarrafler de ce qu'il en ar- 
rivera. | 

C’eft ce qui occafionne la grande 
mifère du Royaume , dont on fe 
plaint préfentement avec raïfon, 
les Fermiers, ne pouvant que s’ac- 
quitter des impôts dont leurs Fer- 
mes font chargées , ne payent point 
leurs Propriétaires ; & ceux-ci n'é- 
tant point payés, ou ne l'étant que 
très-mal, font fort embarraflés de 
leur côté d’acquitter les impôts dont 
ils font chargés. 

Il eft bien certain que c’eft la mê- 
me terre qui doit payer les impôts 
. du Fermier comme ceux du Pro- 
prictaire. 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 427 


C’eft pourquoi , avant de fçavoir 
ce qu'il peut refter au Fermier, il 
faut néceffairement commencer par 
prélever non-feulement les frais de 
geftion , mais encore les impôts 
dont il eft chargé, comme Taille, 
Capitation, frais de Milice, en n'ou- 
bliant pas d'y comprendre ceux de 
Corvées. 

On a démontré dans l’Arsicle TITI 
des Préliminaires de ce Manuel, par 
un détail qu'on ne peut contefter , 
que fur toutes les terres du Royau- 
me, qui font cultivées & qu'on fait 
valoir , foit qu’elles foient bonnes, 
foit qu'elles foient médiocres, il faut 
néceflairement y prélever quatre 
feptiers de bieds par arpent, pour 
acquitter tous les frais & impôts 
dont les Fermiers font chargés, 
avant qu'il foit queftion de penfer 
à payer le Propriétaire. 


418 MANUEL D'AGRICULTURE 


On a établi dans ce même A#rri- 
cle, que généralement toures les ter- 
res du Royaume , qui font fans praï 
ries , ne rapportent tout au plus que 
cinq pour un. 

Il n’eft pas moins vrai que la plus 
forte évaluation qu’on puiffe don- 
ner aux meilleures terres du Royau- 
me , qui font en fi petite quantité en 
comparaïon des autres, c’eft de rap- 
porter, (tous les frais & impôts ci- 
deflus acquittés) trois feptiers par 
arpent , c'et-à-dire de produire à 
raïfon de fept pour un. 

On fçait bien qu'un bon arpent de 
terre peut rapporter plus de fept 
pour un; il peut même aller jufqu'à 
dix ; mais ce ne fera pas tous les 
ans, parceque , quoique les années 
fe fuivent , elles ne fe reflemblent 
pas toujours ; d'ailleurs dans un 
corps de Ferine qui en contient une 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 429 


certaine quantité, il ne faut pas 
croire qu'ils rapportent tous égaie- 
ment : ainfi, en mettant les meilleu- 
res terres les unes dans les autres, 
année commune, à raifon de fept 
pour un par arpent , c’eft la plus 
jufte valeur qu’on puifle leur don- 
ner à toutes en général. 

Un fait qui eft encore très-vrai, 
& qu'on ne peut aufhi contefter, 
c’eft qu'il y a bien des terres dans le 
Royaume, indépendamment de cel- 
les qui ne rapportent que cinq pour 
un, qui , quoique cultivées & affer- 
mées , ne rapportent rien aujour- 
d’hui ; c’eft-à-dire qu’elles ne rappor- 
tent tout au plus que trois à qua- 
tre pour un, à caufe des fufdits frais, 
impôts & corvées; aufli font-elles 
prefque abandonnées; cependantles 
Propriétaires ne font pas moins te- 
nus d'en acquitter les vingtiémes & 


430 MANUEL D'AGRICULTURE 


autres charges , comme entretien, 
réparations , &cs 

Les Propriétaires ne pouvant donc 
tabler que fur ces différentes efti- 
mations, & que fe régler en confé- 
quence, pour bien déterminer la 
jufte valeur qu'ils doivent donner 
aux locations de leur corps de Fer- 
me , après s'être bien informés de 
la qualité des terres qui peuvent les 
compofer, fi elles ne rapportent qu’à 
raifon de cinq pour un , parcequ’el- 
les font fans prairies , 1ls n'héfiteront 
pas de ne les louer qu’à ratfon d'un 
feptier l’arpent, attendu qu'il en 
faut néceffairement prélever quatre 
pour acquitter tous les frais & im- 
pôts dont elles font chargées. Ce 
fera pour eux la meilleure façon d'en 
agir avec leurs Fermiers, puifqu'au 
lieu de n’en avoir rien, ils tireront 
du moins quelque chofe. 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 431 

Si au contraire leurs corps de Fer- 
me font fitués dans les meilleurs 
Cantons, foit parceque la Nature y 
a établi des prairies & des beftiaux 
en fuffifante quantité, foit par rap- 
port à leur heureufe poftion, ils 
pourront les louer à raifon de trois 
feptiers l’arpent, parcequ’elles rap- 
porteront fept pour un ; &, dans le 
cas que , fuivant l’eftimation qu’ils en 
feroient faire , & dont ils feroient 
aflurés , elles ne rapportaffent que 
fix pour un, ils ne loueroient qu'à 
raifon de deux feptiers l’arpent. 

Mais fi leurs terres fe trouvoient 
dans ces malheureux Pays & Can- 
tons qui font fans prairies & qui 
ne rapportent qu'a peine de quoi 
payer & acquitter les frais, charges 
&c impôts auxquels ils font afflujet- 
tis, fans pouvoir en rien tirer pour 
eux, & fans être payés des loca- 


432 MANUEL D'AGRICULTURE 


tions qu'ils en ont faites , ils cefle- 
ront d'en rien exiger, & ils lesregar- 
deront comme des maïfons détrui- 
tes & fondues , dont on ne peut 
tirer aucuns loyers, à moins qu'elles 
ne foient reconftruites. 

Ainfi ils n'héfiteroient pas d'y 
faire établir des prairies & des be- 
ftiaux , dans l’exaéte proportion 
qu'on a donnée ci-deflus, en fe fer- 
vant de leur Fermier ; ils atten- 
droient , pour commencer à les 
louer qu’ellesrapportaflent cinq pour 
un ; ce ne feroit donc qu'un feptier 
par arpent qu'ils en exigeroient 
d’abord ; enfuite quand les engrais 
deviendroient afiez forts pour pou- 
voir en amender tous les ans la fixié- 
me ou la neuvième partie , pour 
lors ils pourroient en doubler la lo- 
cation à raïfon de fix pour un, & à 
la fin ils parviendroient, comme on 

l'a 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 43 3 
Va fait voir ci-deflus, à pouvoir là 
tripler , en mettant l’arpent à fept 
pour un ; ils pourroient compter 
qu'ils feroient dédommagés au cen- 
tuple, & bien au-delà de la dépenfè 
qu'ils auroient pu faire: 

Tous les Propriétaires prenant 
ainfi lé parti de louer auf raifonna- 
blemént à caule de tous les impôts, 
chargès & corvées dont on vient de 
parler , tout fe rétabliroit dans le 
Royaume ; les Fermiers fe voyant en 
état de payer toutes leurs redevan- 
ces & toutes leurs charges, s'acquit- 
teroient d'autant plus volontiers des 
établiffemens de prairies qu'on leur 
feroit faire , qu'ils verroient leurs 
profits augmeriter de jour en jour 
par les augmentations d'engrais dont 
ils profiteroient ; & les Propriétaires 
fe verroient bien plus en état d’ac- 
quitter les impôts & charges aux- 

Ee 


434 MANUEL D'AGRICULTURE 


quels ils font eux-mêmes aflujettis , 
puifqu'ils feroient plus exaétement 
payés de leurs Fermiers. 

Il réfulteroit même de cette juite 
évaluation de toutes les terres que 
les Fermiers n'héfiteroient pas de 
doubler & de tripler leur location , 
lorfqu'ils verroient que les renou- 
vellemens d'engrais pourroient exa- 
étement fe faire fur toute la conte- 
nance de leur corps de Ferme, & 
ils n'héfiteroient plus, foit qu'il fût 
queftion de baux de neuf ans, foit 
qu'il fût queftion de les prolonger 
jufqu’à vingt-fept ans. 

Cependant on ne prétend pas dé- 
ranger tant les baux qui fubfiftent , 
que les faufles eftimations qui ont 
pu ètre faites. 

En laïffant le tout fur le même 
pied , & attendant qu’on ait à renou- 
eller le bail, on ne reloueroit pour 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 43 $ 


lors qu'à raifon de cinq pour un, 

Enfuite , quand on verroit que les 
terres commenceroient à rapporter 
le double, c’eft-a-dire , qu'au lieu 
de cinq pour un, elles commence- 
roient à rapporter fix pour un, & 
quand on vérroit qu'elles rapporte 
roient fept pour un, c'eft-a-dire le 
triple, on ne doubleroit & ne tri- 
pleroit les nouveaux baux que l'on 
feroit qu'à raifon de la jufte éva- 
luation qu'on leur auroit donnéé 
d’abord ; enforte que tout revien- 
droit à fa juite vaieur, & qu'il ne 
feroit plus queftion de misère dans 
les Campagnes. 

On ne manquera pas d’objeéter que 
dans cette eftimation , qu'on fait 
des terres, toute juite & toute équi- 
table qu’elle paroifle, on n'y déter- 
mine rien pour le profit du Fermier 
qui doit être payé de fes peines. 

; Ecij 


436 MANUEL D'AGRICULTURE 


Onrépond que quand une efti- 
mation eft auf jufte & auffi raifon- 
nable , on met un Fermier bien à 
fon aife , & que, pour peu qu'il foit 
entendu , il trouvera toujours à fe 
tirer d'affaire : d’ailleurs ne lui refte- 
t-il pas fa bafle-cour, fur laquelle 
on ne prend rien, & qui peut lui 
valoir beaucoup? En un mot l’efti- 
mation qu’on vient de donner ef fi 
raïlonnable qu'on peut être afluré 
qu'aucun Fermier ne s'en plaindras 


Az. 
N° 


PURE 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 437 


CPE AP PT RE: V. 


Ce qu’il en coûteroit au Propriétaire 
pour faire faire une prairie dans le 
courant d'un bail de neuf ans. 


t> N a beau vanter à un Proprié- 
taire tous les avantages qu'il retire- 
roit d'un établiflement de prairies, 
qu'il feroit faire par fon Fermier, 
& on a beau lui dire qu'il ne lui en 
coûteroit prefque rien, qu'il n’au- 
roit mème aucune avance à faire, 
puifque toute la dépenfe, qu'il y 
mettroit, ne confifteroit que dans 
des déduétions & diminutions qu'il 
feroit à fon Fermier fur la location 
de fon bail, tout cela ne feroit pas 
capable de le déterminer fi on ne 
lui faifoit voir bien clairement & 
bien nettement article par article, 
Ee u] 


438 MANUEL D'AGRICULTURE 


en quoi pourroit confifter cette dé- 
penfe, & à quoi elle pourroit mon- 
ter. 

On eft encore aujourd'huu fi peu 
au fait de ce qui concerne l’Agri- 
culture, fur-tout depuis qu’on eft 
inondé de quantité de Méthodes, 
qui ne fervent au contraire qu’à l’em- 
brouiller , qu'il n'eft pas étonnant 
qu'on ne {çache quel parti prendre, 
& qu’on ne foit pas plus inftruit. 

Il faut efpérer que ce Manuel ou- 
vrira enfin les yeux, puifqu'il n'y a 
point d’autre chemin à fuivre que 
celui qu'il indique, 

S'agiffant donc abfolument de 
faire voir , & même de démontrer 
le peu qu'il en coûteroit pour cette 
dépenfe qi eft fi néceflaire , on s'y 
prendra’ de façon qu'on n'aura rien 
à répliquer , quoiqu'on en ait déja 
parlé à la fin du Chapire IT de çe 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 439 


Manuel | & qu’on n'ait pas manqué 
d'y bien faire fentir fa modicité ; 
cependant on n'héfite pas de la re- 
tracgr ici, pour la mettre dans une 
plus grande évidence. 

On à établi que, pour faire faire 
une prairie par un Fermier, il fal- 
loit: 1°. Une certaine quantité de 
femence que le Propriétaire devoit 
avancer & payer. 2°. Qu'il falloit 
une augmentation de beftiaux , que 
le Propriétaire devoit faire à fes 
dépens. 3°. Qu'il falloit retirer (4) 

(a) Quand on dit qu'il faut retirer un hui- 
tiéme des terres qu’en fair valoir, pour le met- 
tre en prairies, on parle généralement, pou- 
vant artiver que celles qui compofent la con- 
tenance d’un corps de Ferme foient prefque 
toutes de bonne nature & de bonne qualité, & 
qu'il s'y trouve un bon fond qu'on pourroit 
renouveller par le travail de la charrue ; en ce 
cas , quoique la Nature n'y ait pas établi de 
prairies, il ne s’agit pas d'y prendre un huitié- 
me pour le mettre en prairies, puifauc les re- 


Eeiv 


440 MANUEL L'AGRICULTURE 


de la Ferme qui eft louée un hui- 
tiéme des terres qui forment {a cons 
tenance , dont le Propriétaire ne 
pouvpit fe difpenfer de tenir compte 
à fon Fermier dans tout le cou- 
rant du bail. 4°. Qu'il devoit encore 
tenir compte à fon Fermier des la- 
bours extraordinaires, qu'il donne: 
roit pour mieux faire réuñlir la praï: 
rie, | | 


nouvellemens de terreins qu'on y feroit pour- 
roient fuppléer aux renouveilemens d'engrais; 
ainfi il ne feroic queftion que d'y faire une 
prairie à proportion des amandemens qu'on y 
jugeroic néceflaires & indifpenfables , qu'on ne 
manqueroit pas de renouvelier toujours & d'en- 
tretenir. On s'elt déja expliqué ainfi(dans le 
Chapitre des Engrais, Article LIT. En un mot, 
quand on dir qu'il faut prendre un huitiéme 
pour un établiffement de prairie, c'eft qu'il 
y a plus d_ terres qui font dans ce cas qu'au- 
tement; ce qui n'empêche pas qu'on ne puifle 
en prendre moins , fuivanr les qualités que 
peut avoir le terre qu'on fait valoir. 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 44F 


Voilà donc en quoi peuvent con- 
fifter tous les articles de dépenfe. 

Le premier ne coûtera rien au 
Propriétaire ; parce que , comme on 
l'a déja dit, il pourra fe faire rendre, 
dans le courant du bal, toutes les 
femences qu'il auroit avancées ; il 
n'y a point de conteitation à faire 
fur cet article , & on ne peut en 
douter. 

La dépenfe du fecond eft bien 
peu de chofe, on ne fçait même à 
quoi l'apprétier , puifqu'il ne s’agit 
que d'acheter les veaux & agneaux 
qui proviendroient des beftiaux que 
le Fermier auroit mis dans la Ferme 
en y entrant, & puifqu'ils appar, 
tiendroient aux Propriétaires pour y 
refter & pour aider par la fuite à 
-monter fes Fermiers , quand il en 
changeroit , 1l n’auroit aucune avan- 
çe à faire , le montant de ces veaux 


442 MANUEL D'AGRICULTURE 


& agneaux pouvant fe déduire fur 
la redevance du Fermier. 

D'ailleurs les veaux & agneaux, 
que les Propriétaires retiendroient , 
fe multiplieroient par la fuite , de fa- 
çon qu'ils fe trouveroient bien dé- 
dommagés de l'achat qu'ils en au- 
roient fait , par la vente qu’ils pour: 
roient faire du furplus qui en pro- 
viendroit, quand ce ne feroit que 
pour retirer l'argent qu'ils y auroient 
mis. 

Le troifiéme article eft plus fé- 
tieux , puifqu'il s’agit de tenir compte 
au Fermier des terres qu'on em- 
ployeroit à la prairie , au fur & à 
mefure qu'on en prendroit. 

Quoiqu'on ne pourroit pasexcéder 
le huitiéme de la contenance d’un 
corps de Ferme , comme on ne peut: 
moins faire , que de prifer l’arpent à 
rafon d'un feptier par an en fro- 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 443 


ment, fi la Ferme rapporte du fro- 
ment , & en fégle fi elle ne ,rap- 
porte que du fégle; il y auroit au- 
tant de feptiers à déduire tous les 
ans fur la redevance du Fermer, 
qu'il y auroit d’arpens en prairies. 
Dans une Ferme , par exemple, 
qui feroit de trois cents arpens, le 
huitiéme en faifant environ trente- 
fix à quarante, ce feroit autant de 
{eptiers dont il faudroit tenir compte 
à un Fermier dans le courant de fon 
bail. 
.. Mais cela ne monteroit à cette 
quantité , que quand la prairie {e- 
roit faite; puifque ne pouvant l'être 
qu'en fix ou fept années, comme on 
l'a déja dit, on ne compteroit les 
feptiers qui viendroient en dédu- 
tion du bail, qu’au fur & à mefure 
qu'on formeroit la prairie, & qu'on 
prendroit d’arpens de terre pour l’é- 
teblir, 


444 MANUEL D’AGRICULTURE 


Sur un corps de Ferme qui ne 
feroit que de cent cinquante arpens, 
il ne s’agiroit que de moitie de dé- 
duétion , ainfi des autres, à raifon 
de leur contenance. 

Cela ne laifferoit pas que de 
diminuer la redevance de ce pre- 
mier bail de neuf ans, qu'on de- 
ftineroit à l’établiffement de la prai- 
rie ; mais il en feroit de cette di- 
minution comme de celle qu'on 
eft obligé de faire à un Locataire 
de maïifon , quand il furvient quel- 
ques grofles réparations qui l'obli- 
gent de fe retirer à l'écart, & de 
n'en occuper qu'une partie, pour 
laifler aux Ouvriers la liberté de 
travailler ; avec cependant cette dif- 
férence que, quand la Ferme feroit 
réparée par un bon établiflement 
de prairie, on en tireroit le doubie 
& le triple de ce qu'elle étoit louée ; 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 44 


au lieu qu'ilne feroit queftion, pour 
la maïfon , que d'en continuer le 
loyer au même prix , quoiqu'il y 
ait été fait beaucoup plus de dé- 
penfe qu’à la prairie. 

Avec encore cette différence que, 
quand la prairie eft faite, il n'eft 
plus queftion d'y revenir, puifqu'il 
ne s’agit que de l'entretenir, com- 
me on l’a déja dit, fans qu'il en coûte 
rien de plus; on n’en peut pas dire 
autant d’une réparation qu'on a faite 
à une maifon. 

On ne peut doncdifconvenir que, 
quoique la dépenfe , dont on tien- 
droit compte à un Fermier dans le 
courant de fon bail des terres qu’on 
prendroit pour l’établiffement d'une 
prairie , paroïfle plus férienfe que 
les autres dont ileft queftion, elle 
ne foit très modique par elle-mê- 
me , en comparaïfon des grands 


446 MANCEL D'AGRICULTURE 
avantages qui en réfulteroient, & 
qui ont été fi bien démontrés, 

Il ne feroit queftion de cette dé- 
penfe, que dans le premier bail; 
puifque dans tous les autres qui fui- 
vroient , ne s'agiflant que d’entre- 
tenir la prairie, on ne feroit plus 
obligé à aucune déduétion envers 
le Fermier, 

On laiïfle à tous les Propriétaires 
qui fe dérermineront à faire faire 
des prairies, à en calculer la dépenfe 
à raifon d’un feptier l’arpent, puif- 
que le plus ou le moins dépend de 
la contenance , que les corps de Fer- 
me peuvent avoir. 

À l'égard du quatriéme & dernier 
Article , qui confifte à tenir compte 
encore au Fermier des labours ex- 
traordinaires , qu'il feroit tenu de 
donner aux terres qu'on mettroit 
en prairies, par les raïfons qu'on a 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 447 


données ci-deflus ; cette dépenfe , 
qui feroit encore bien peu de chofe, 
n'auroit lieu que dans le courant du 
premier bail; puifque dans les fui- 
vants , on pourroit la mettre fur le 
compte du Fermier, attendu qu'il 
feroit tenu d’entrenir toujours la 
prairie. 

Si un Propriétaire prenoit Le parti 
de faire valoir par lui-même, enne 
faifant fa prairie, & l’augmentation 
des beftiaux qu’au fur & à mefure de 
l'augmentation des pailles, & en ne 
s'écartant point de cette régle ,ilne 
dépenferoit pas plus à bien monter 
fa Ferme , qu'un Fermier qui y en- 
treroit ; c'eft un fait qu'on ne peut 
encore contefter. 

Tout ce dérail n'eft donné que 
dans le cas qu'un Propriétaire ne 
fe foucieroit pas de profiter de la 
Déclaration du Roi, qui autorife 


448 MANUEL D'AGRICULTURE 


de prolonger les baux des terres la: 
bourables jufqu'a vingt-fept ans; & 
même dans le cas où 1l ne trouve- 
_roit pas de Fermiers qui vouluffent 
s'engager pour un auffhi long-tems ; 
car, quoique cette Déclaration foit 
fi avantageufe , tant pour les Pro- 
priétaires que pour les Fermiets , en- 
core peut-il s’en trouver de part ou 
d'autre , qui aimeront autant, &e 
peut-être mieux s’en tenir aux baux 
de neuf ans. 

L'Auteur des Prairies artificielles 
l'a expérimenté, puifqu'ayant pro- 
pofé un bail de vingt-fept ans à un 
Fermier à raifon d'un établiffement 
de prairie avec tous les avantages 
qu'il pouvoit fouhaiter ; celui-ci a 
répondu qu'il ne vouloit point en- 
gager ni fa femme ni fes enfaris 
dans le cas où il ne furvivroit pas 
à ce long ball, 

Tout 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 449 
. Tout ce détail n’eft encore donné 
que pour infiruire les Propriétaires, 
puifqu'ils feront beaucoup plus en 
état de voir lequel des deux partis 
leur conviendra le mieux, ou de 
ne louer que par des baux de neuf 
ans , ou de louer pour plus longues 
années: 

y a même apparence que les 
baux de neuf ans feront plutôt du. 
goût d'un Fermier que les baux de 
vingt-fept ; puifque , comme ül y 
feroit queftion dune augmentation 
aufli confidérable que celle qui eft 
ici propolée , quand même dans ce 
bail de vingt-fept années, on lui ac- 
corderoit les douze premières à rai- 
fon de l’eftimation la plus raifonna- 
ble, & quand elle feroit telle qu'on 
l'a fixée ci-deflus, encore pourra-til 
penfer que, s'il s’y déterminoit , il 
auroit fujet de s'inquiéter. 
| F£ 


450 MANUEL D'AGRICULTURE 


Ainfi, fiun Propriétaire veut pren- 
dre férieufement le parti de réparer 
fa Ferme par un bon établiflement 
de prairies , il ne doit point héfiter 
de: commencer par s'en charger : 
après quoi , quand le Fermier ver- 
roit par lur même tout ce qu'ilen- 
réfulteroit , il ne balanceroïit plus 
d'acquiefcer au doublement &'mê- 
me au triplement de fa location. 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 451 


CHA TRE SVI 


De certaines attentions que le Proprié= 
zaire doit avoir fur fon Corps 
de Ferme. 


ÂL ne fuffit pas de faire faire, par 
fon Fermier, un établiflement de 
prairies , qui puifle nourrir afiez de 
beftiaux pour pouvoir, tous les ans, 
amender fans difcontinuation la fixié- 
ne ou la neuviéme partie de fon Corps 
de Ferme , à l'effet d'y entretenir 
toujours le renouvellement de l’en- 
grais , 1l faut encore que le Proprié- 
taire ait l'attention que fon Fermier 
foit bien monté , c’eft-à-dire qu'il 
ait aflez de chevaux ou de bœufs 
pour pouvoir bien labourer & cul- 
tiver fa Ferme. 

On a établi dans le Manuel pour le 

Ffi 


452 MANUEL D'AGRICULTURE 


Laboureur , que la perfettion du La- 
bour confiftoit à renouveller un 
terrein par le travail de la charrue , 
quand il s'y trouvoit aflez de fond 
pour pouvoir l'exécuter ; & on a 
établi , pour cette raïfon , qu'une 
charrue ne devoit comprendre , tout 
au plus,que vingt à vingt-cinq ar- 
pens de terre par fole , d'autant plus 
encore qu'il ne falloit faire les la- 
bours qu'à propos & en des tems 
convenables. 

Ainfi , fi un corps de Ferme eft 
compofé de trois cents arpens de 
terre , il faut qu'il foit monté com- 
me ayant quatre ou cinq charrues 
fuivant que les terres {ont plus ou 
moins fortes, ainfi d'un autre à pro- 
portion. 

On objeétera , fans doute, que 
dans la fituation où font aétuelle- 
ment nos Campagnes, il eft bien dif- 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 453 


ficile de trouver des Fermiers qui 
foient bien montés ; & que, fi on 
y infiftoit abfolument , on courroit 
grand rifque de ne point louer fa 
Ferme. 

En ce cas, plutôt que de flufer 
des terres incuites , il faut prendre 
un Fermier tel qu'on le trouve, en 
s’attachant feulement à ce qu'il foit 
laborieux , intelligent & d'une bon- 
ne conduite. 

Cependant il feroit de Favantage 
du Propriétaire de lui avancer ce 
quil faudroit pour achever de fe 
bien monter; puifqu'autrement, ne 
pouvant que mal labourer fes ter- 
res, elles ne rapporteroient pas à 
beaucoup près autant que fi elles 
étoient bien cultivées. 

Ce que le Fermier acheteroit au 
moyen de l'avance qui lui auroit 


Ffij 


454 MANUEL D’A GRICULTURE 


été faite , ne fufiroit-1l pas pour en 
répondre avec toutes les autres fü- 
retés qu'un Propriétaire pourroit 
prendre ? & pourroit-il courir aucun 
rifque ? 

Mais les Propriétaires n'enten- 
dent pas encore cela; il faut efpé- 
rer qu'ils l'entendront quand ils fe- 
sont mieux inftruits fur l’Agricultu- 
re ; cependant on n'héfite pas de 
prèter à des perfonnes qui doivent 
nous intérefler beaucoup moins 
qu'un Fermier, & qui n'ont pas mê- 
me autant de füretés à donner. 

Une autre attention qu'un Pro- 
priétaire doit encore avoir, c'eft 
que dans le tems que fon Fermier 
travaille à faire fa prairie, il pour- 
roit s'y tranfporter pour voir com- 
ment il s’en acquitte ; cela en vau- 
droit bien la peine, puifqu'il ne s'a- 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 455$ 


git pas moins que de parvenir cer- 
tainement, comme on l'a démontré, 
à doubler & à tripler le revenu de 
{a Ferme, 8 même le fond , étant 
toujours eftimé à raifon de ce qu'il 
peut rapporter. Pour des objets bien 
moins intéreflants, on n'héfite pas 
de faire des voyages éloignés. 

Partout ce qui a été dit dans ce 
Manuel pour le Propriétaire, on doit 
voir qu'il n'y eft pas queftion de l’en- 
gager à faire valoir par lui-même ; 
parceque, dès qu'il s'acquitteroit, 
en cette qualité. , de fes obligations 
envers fon corps de Ferme, il tire- 
roit autant de profit, que s'il fe don- 
noit cette peine. 

Si dans fon corps de Ferme il fe 
trouvoit quelques défrichemens à 
faire; comme cela ne peut que le 
regarder , & nullement fon Fermier, 


Ffiv 


456 MANUEL D'AGCRICULTURE 
il feroit beaucoup mieux d’aiten- 
dre , pour s'en occuper & ies fai- 
re faire, qu'il eût remis en bonne 
valeur les terres qui font en cul: 
fure. 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 457 


CH A PÉDRRE VIL 


, os , . , 
Ce qu'un Propriétaire doit fcavoir de 
l'Agriculture, 


Quoi QU'IL paroifie qu'un Pro- 
priétaire qui ne fait point valoir 
par lui-même, pourroit fe contenter 
de fe mettre au fait de la jufte va- 
leur de fes terres & de tout ce qui 
peut concerner un bon établiffe- 
ment de prairies, 1l feroit cepen- 
dant encore bien de fe donner une 
idée jufte de l’Agriculture. 

Etant le plus beau de tous les Arts, 
le plus noble & le plus interreffant, 
elle mérite bien qu'il en fafle fon 
amufement. 

S'il jettoit feulement un coup 
d'œil fur Z Manuel pour le Laboureur, 
il verroit en quoi confifte la vraie 


458 MANUEL D'AGRICULTURE 


méthode qu'on doit fuivre & pro- 
pofer pour bien cultiver ; il verroit 
encore qu'il ne peut y en avoir d’au- 
tre , même dans tous les pays du 
monde où on cultive ; puifque , dans 
ce même Manuel, il eft démontré fi 
clairement qu'elle fe trouve dans 
l'explication des établiflemens de 
toutes les Pratiques locales, tant en 
général que féparément. 

Il ne pourroit s'empêcher d’admi- 
rer une découverte aufli précieufe , 
qu'il ne manqueroit pas de regarder 
comme un préfervanif merveilleux 
contre toutes les nouvelles & faufles 
méthodes qu’on s’aviferoit de débi- 
ter encore. 

Il ne feroit pas moins furpris de 
voir dans fon Manuel, une autre dé- 
couverte qui n'eft pas moins intéref- 
fante , & qui confifte ez ce qu’il n'ap- 
partient qu'aux Propriétaires de remédier 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 459 


au défaut de prairies, & que , ne l'ayant 
pas fait jufqu’à préfent , 1ls ont occa- 
fionné, ainf que nos Laboureurs par 
leurs routines, le malheur de notre 
Agriculture. 

Une fimple leûure le mettroit 
encore en état de bien veiller fur la 
conduite de fon Fermier & de voir s'il 
s'y prend bien pour exécuter les 
établiffemens de prairies qu'il lui 
fait faire ,& pour mettre fon corps 
de Ferme en pleine valeur. 

Etant donc aufhi intéreflant que 
tout Propriétaire s'intruife ainfi, 1l 
fembleroit néceffaire que dans l’édu- 
cation de la jeunefle on fit entrer 
cet art fublime qui apprend à cuiti- 
ver la terre. 

On y comprend quelquefois la 
Géométrie , qui apprend l’art de la 
mefurer ; le premier ne feroit-il pas 
au moins aufh utile que l’autre ? Cela 


460 MANUEL D'AGRICULTURE 


tourmeroit même à l'avantage des 
Bureaux d'Agriculture ; puifque , 
par la fuite , on pourroit n’y admet- 
tre que des fujets qui, après avoir 
été inftruits dans leur jeuneñe , 
auroient encore pratiqué & fait 
valoir par eux-mêmes, pendant plu- 
fieurs années , leurs propres Do- 
maines. 

Les premières idées qu'on don- 
neroit ainfi à la jeunefle , lui infpi- 
reroient pour l'Agriculture un goût 
qui ne s'effaceroit jamais ; & qui, 
fe perfeétionnant dans la fuite par la 
pratique , feroit éclairé autrement 
que celui qu'on a généralement au- 
jourd’hui pour tout ce qui concer- 
ne cet art. 

Quels effets merveilleux n’auroit 
pas cette éducation dans laquelle on 
feroit ainfi entrer l'art de l'Agricul- 
ture ? puifque les Propriétaires ne 


POUR LE PROPRIÉTAIRE. 46 4 
peuvent fe difpenfer, comme on l’a 
démontré, de concoutir avec leurs 
Fermiers , à tout ce qui regarde 
‘ les réparations , améliorations & en- 
tretien de leurs terres. 

On pourroit regarder comme un 
Rudiment d'Agriculture le Manuel 
pour le Laboureur , qu'on donne 1c1 : 
en amufant la jeuneffe , il auroit cer- 
tainement l'effet d'exciter fa curio- 
fité. 


Ÿ 
DATE 
(er LU 

& 
Un AS 
+ 


462 MANUEL, &rc. 


CONCLUSION 
De cette feconde Partie. 


EN réfumant tout ce que J'ai écrit 
en cette feconde Partie pour le Pro- 
priétaire, 1l fera facile de remarquer 
que , fi je lui ai tracé des devoirs, je 
lui ai, avec la mème vérité, décou- 
vert des avantages réels. L'on verra 
encore que je ne me fuis pas con- 
tenté de lui démontrer fes obliga- 
tions ; mais que je lui ai de plus ex- 
pofé les régles qu'il doit fuivre; régies 
que j'ofe donner pour vraies, puifque 
je les ai expérimentées moi- même 
pendant trente années. 

De la pratique de ces principes ; 
il refultera néceffairement que les 
richeffes de l'Etat augmenteront con- 
fidérablement ; le Fermier fera plus 
heureux, & le Propriétaire plus équi- 
table & beaucoup plus riche. 

Fin de la feconde Partie, 


TROISIÈME PARTIE. 


ME AN U EL 
D'AGRICULTURE, 


POUR 
LE GOUVERNEMENT, 


MANUEL 


ME A N° UE JT 
D'AGRICULTURE, 
POUR 
LE GOUVERNEMENT. 


INTRODUCTION. 


Avant fait voir auf évidem4 
ment dans les deux Manuels précé- 
dens , que les vraies caufes du dé- 
librement de notre Agriculture 
confiftoient dans les routines de nos 
Laboureurs, dans le défaut de prai- 
ties, par rapport à l'exécution de 
| Ge 


466 MANUEL D'AGRICULTURE 


l'engrais , quieftfi importante; qu’el- 
les confiftoient encore dansles im- 
- pôts & charges de la Campagne; & 
que, pour mettre les Laboureurs &les 
Propriétaires bien au-deflus de ces 
charges & impôts , 1l fuffifoit de 
retirer les premiers de leurs routines, 
& de déterminer les feconds à con- 
courir avec leurs Fermiers pour 
faire des établiflemens de prairies 
artificielles : comme ces deux moyens 
ne tendent pas moins qu'a doubler 
& tripler le revenu de nos terres, 
le Gouvernement ne doit point hé- 
fiter de concourir de fon côté à les 
faire réuffir. 

Ainfi il s'agit de lui propofer: 

1°. De concourir à retirer nos La: 
boureurs de leurs routines; 

2°. De concourir à remédier au 
défaut de prairies ; 


POUR LE GOUVERNEMENT. 46 
3°. De connoitre la jufte valeur 
de nos terres, pour fçavoir à quoi 
fe réduit aujourd'hui le produit net 
qu'on peut én retirer ; 
4°. De s'infiruire de lAgricul- 
ture, 


CEA 


Ggi 


468 MANUEL D'AGRICULTURE 
mm mm ue | 
CHAPITRE PREMIER. 


Comment le Gouvernement peut concoue . 
. / . 
rir a retirer nos Laboureurs de leurs 


TOuULINES. 


KZ UAND on a donné l'explication 
des Pratiques locales dans le cinquié- 
me Article des Préliminaires , on ne 
l'a fait que parceque nos Laboureurs 
les entendent mal, & qu'ils ne s’ap- 
perçoivent pas qu'il réfulte nécef- 
fairement de leurs établiffemens & 
des ufages qui leur font propres, 
une admirable Méthode , la feule 
capable de les retirer de leurs routi- 
nes qui font un tort fi confidérable 
dans l'Agriculture ; c’eft ce qu'on a 
fait concevoir dans ce cinquiéme 
Article des Préliminaires. 

Car à quoi fe réduit généralement 


POUR LE GOUVERNEMENT. 469 


ce qu'ils apprennent préfentement 
de leurs Pratiques locales? A fça- 
voir feulement qu’elles contiennent 
certaines opérations qui ont cha- 
cune leurs ufages fixes & déter- 
minés , auxquels ils s’aflujettiffent 
fervilement fur tout terrein, & à 
apprendre quels font les inftrumens 
dont ils doivent fe fervir pour bien 
travailler la terre. 

Malheureufement pour l'avantage 
de l'Agriculture , ils ne vont pas plus 
loin, faute d'inftructions, 

Or , comme le Manuel pour le 
Laboureur n'eft donné que pour ex- 
pliquer les Pratiques locales, & faire 
voir qu'il en réfulte évidemment une 
méthode qu'il eft fi intéreffant de 
faire connoiïtre à tous les Labou- 
reurs , le Gouvernement ne peut fe 
difpenfer de le répandre & de le 

Ggiül 


470 MANUEL D'AGRICULTURE 


diftribuer dans toutes les Campa- 
gnes, : 

On peut dire que ce feroit le plus 
grand fervice qu'il rendroit à l'Etat, 
puifque le Gouvernement doit mê- 
me concevoir par tout ce qui a été 
dit de cette Methode dans le Aa- 
auel pour le Laboureur , qu'il ne fe- 
soit pas poffbie de parvenir fans elle 
à rétablir l'Agriculture. 

Cette diftribution pourroit ne lui 
sien couter, n1 mème aux gens de la 
Campagne ; il feroit facile d'en don- 
ner l’expédient, 

On dira , fans doute , que les gens 
de la Campagne ne lient pas. L 

Suppofé qu'on parle ainfñ, on ne 
feroit pas attention qu'on ne man- 
que jamais de lire tout ce qui eft 
utile à nos intérèts , & qu’on s’en fait 
un plaifir, de quelque état & condi- 
tion qu'on pue être, 


POUR LE GOUVERNEMENT, 471 


Les gens de la Campagne étant 
auf attachés qu'ils le font à leurs 
Pratiques locales , qui peut douter 
qu'ils ne reçoivent avec avidité 
l'explication qu’on leur en don- 
nera ? 

lis feroient même flattés de voir 
qu’on regarde chacune de leurs Pra- 
tiques locales, comme contenant le 
feul Livre d'Agriculture qu’on puifle 
propoler & fuivre; cela leur donne- 
roit une curiofité qui ne pourroit 
qu'avoir les plus merveilleux effets. 

Qu'on fe fouvienne de ce qu’on 
a dit ci-deflus au fujet de la patience 
qu'a eu un Laboureur de copier en 
entier le Traité des Prairies artif- 
cielles ? 

On n'en citera pas autant des 
Nouvelles Méthodes, parcequ'elles 
renverfent & détruifent les Pratiques 
locales. 

Gg av 


472 MANUEL D'AGRICULTURE 


CH ACP TT REPRATE 


Comment le Gouvernement peut concou: 
rir a remédier au défaut de. Prairies. 


LE Gouvernement, pour concou: 
rir à remédier au défaut de Prairies, 
rendroit un Arrêt qui, en déclarant 
(comme il a été dit ci-deflus dans la 
troifiéme Sedion des Jachères Arti- 
cle IT) que, pour faire une prairie 
on n’excéderoit pas le huitiéme des 
terres qu'on cultiveroit, feroit dé- 
fenfe à tout Berger, ainfi qu'à tout 
autre , d'y introduire fes bêtes blan- 
ches, en quelque tems & en quelque 
faifon que ce füt, fous dés peines 
convenables , comme amende, pri- 
fon, &c. 

En conféquence, tous les Proprié- 
taires n'héfiteroient plus de faire 


POUR LE GOUVERNEMENT. 473 


faire par leurs Fermiers des érabliffe- 
mens de prairies, 

Il y auroit mème des Habitans des 
Villes ,qui prendroient le parti de fe 
retirer à la Campagne pour faire 
valoir par eux-mêmes leurs propres 
Domaines & corps de Ferme, On a 
déja parlé dans le premier Article 
des Préliminaires ,| des égards & at- 
tentions qu’ils mériteroient de la part 
du Gouvernement. 

Ce feroit faire un grand bien à 
l'Agriculture que d’eñgager ainf les 
Propriétaires à faire valoir par eux- 
mêmes ; puifque , devant s'intérefler 
bien autrement que des Fermiers à 
mettre leur corps de Ferme en bon- 
ne valeur , leur exemple & leur fuc- 
cès en impoferoient bien davantage 
dans les Campagnes. 

Ceux qui fe diftingueroient le 


474 MANUEL D'AGRICULTURE 


plus , foit en faifant valoir par eux- 
mêmes, foit en fe fervant de leurs 
Fermiers pour faire des établiffemens 
de prairies, ne mériteroient-ils pas 
des honneurs, des récompenies, des 
diftin@ions, fuivant leur état & con- 
dition , comme on en accorde à ces 
habiles Artiftes qui excellent dans 
la Peinture , la Sculpture , l’Archi- 
tecture , la Chirurgie , la Muf- 
que , &c. 

Pourquoi n’agiroit-on pas de mê- 
me envers quelques Propriétaires 
qui auroient excellé dans l’Agricul- 
ture? puifqu’on ne peut lui refufer 
le premier rang parmi les Arts. 

Pour peu qu’on réfléchiffe fur cet 
Art fublime de l'Agriculture , qui eft 
l'unique fource de toutes nos richef- 
fes réelles, on ne peut qu'être ex- 
trêmement furpris de voir quon 


POUR LE GOUVERNEMENT. 475 
l'ait ainfi négligé jufqu'à préfent ; il 
femble mème qu'on n’ait cherché 
qu'à l’aviir. 

Quand mème cet Arrêt donne- 
roit da liberté de faire des établif- 
femens de prairies dans tous les 
corps de Ferme où il n'y en auroit 
pas ou pas aflez, encore fe trouve- 
roit-il des Propriétaires qui ne fe 
foucieroient pas d'y concourir ; 
tels que les Bénéficiers , parmi le 
Clergé , qui ne font qu'Ufufrui- 
fiers. 

En cette qualité , attendu la petite 
dépenfe inévitable dans laquelle les 
jetteroit, vis-a-vis de leurs Fermiers, 
un établiffement de prairies, quel- 
ques-uns s’en exempteroient peut- 
être, parcequ'ils pourroient penfer 
qu'ils ne jouiroient pas des grands 
avantages qui en réfulteroient, & 
qu'ils ne travailleroient que pour 
leurs Succefleurs, 


476 MANUEL D'AGRICULTURE 


Pour lesengager & mème les obli- 
ger à fe foumettre , comme tout Pro- 
priétaire , aux établiflemens de prai- 
ties, dans le cas qu'il en manqueroit, 
ou quiln'y en auroit pas fufifam- 
ment dans quelques unes des Fer- 
mes de leurs dépendances , il n'y 
auroit pas à héfiter de la part du 
Gouvernement d'inférer dans ce mê- 
me Arrêt, que, faute par eux de s’en 
acquitter , & de les faire faire par 
leurs Fermiers, le revenu des corps de 
Ferme quine feroient pas mis enprai- 
ries, feroit faifi au profit de l’'Econo- 
mat, jufqu'à ce qu'ils y euffent fatisfait 
ou commencé à le faire, lis mérite- 
roient d'autant plus de n'être point 
ménagés, qu'ils refuferoient alors 
de concourir au rétabliflement gé- 
néral de l'Agriculture. 

Comme il y a aufli bien des Pro- 
priétaires qui , fans ten au Clergé, 


POUR LE GOUVERNEMENT. 477 


ne font qu'Ufufruitiers , fçavoir 
ceux qui font dans le célibat, & ceux 
qui, étant mariés, n'ont point d'en- 
fans , on n’oublieroit pas d’énoncer 
dans cet Arrêt, que, faute par eux 
de faire faire des établifiemens de 
prairies dans les corps de Ferme de 
leurs dépendances qui en aurotent 
befoin , les revenus en feroient faifis 
au profit du Domaine. 

"Au moyen de ces précautions qui 
font fi néceflaires; la France, en peu 
d'années c’eft-a-dire en dix ou 
douze ans au plus, commenceroit à 
devenir également fertile & peuplée 
par-tout ; & fe trouveroit enfin en- 
tièrement femblable à tous ces 
bons Pays & Cantons où la Na- 
ture a fait des établiflemens de prai- 
ries, 

Les peres de famille étant naturel- 
lement portés d'eux-mêmes à faire 


478 MANUEL D'AGRICULTURE 


tout ce qui convient pour rendre 
leurs fucceffions plus confidérables, 
fur-tout quand il y a peu à dépen- 
fer, ne fe trouveroient pas léfés 
de fe voir aflujettis aux établifle- 
mens de prairies dans les-cas fuppo- 
fés ci-deflus. 

Cet Arrêt qui auroit le merveil- 
leux effet de doubler & de tripler 
les richeffes de l'Etat, & qu'on feroit 
obferver avec la plus grande exaéti- 
tude , feroit enregiftré dans toutes 
les Cours & Jurifdiétions , pour que 
perfonne ne püt l'ignorer. 


72 


> 


C7) 


< 


N 


) 
4 


POUR LE GOUVERNEMENT. : 439 


NL A PA RCE III. 


De quel avantage il feroit que le Gou- 
vernement connût la jufte valeur 


de nos Terres. 


LE Gouvernement fera bien plus 
emprefié de fe fervir des deux 
moyens quon vient de lui propo- 
fer pour concourir au rétablifle- 
ment de lAgriculture , quand ïül 
{çaura à quoi fe réduit préfentement 
leftimation qu'on peut donner aux 
terres qu'on fait valoir , & comment 
elle doit fe faire. 

Rien ne l'inftruira mieux, fur un 
objet aufñi important, que le troifié- 
me Article des Préliminaires ; on y 
voit tout ce qu'il fant néceflaire- 
ment prélever {ur un arpent pour en 
connoitre le produit net. 


On y apprend que fur fa plus 


“ 480 MANUEL D'AGRICULTURE 
grande partie des terres du Royau- 
me, ce produit net, qui ne peut être 
deftiné que pour payer le Proprié-= 
taire , ne pouvant aller aujourd’hui 
qu'à un feptier au plus par arpent; 
( en fuppofant le feptier à raifon du 
poids de cent foixante livres ; ) eft à 
peine fufhfant pour payer les impôts 
dont 1l eft chargé de fon côté, y 
compris les frais d'entretien & de 
féparation, n'y ayant point de corps 
de Ferme fi peu confidérable qu'il 
foit, qui n’aitune maïfon & quelques 
dépendances. | 

Ainf il ne refte prefque rien au 
jourd'hui aux Propriétaires ; 1l y en 
a mème qui ne retirent pas de quoi 
payer les impofitions. 

Cela a été prouvé dans le Mas 
nuel du Propriétaire, Article IV; y 
ayant bien des terres dans le Royau- 
me , fur lefquelles, quoique labou« 

rées 


Four LE GOUVERNEMENT, 48 à 
rées & cultivées, ce produit nef 
d’un feptier par arpent, ne fe trouve 
plus. Cependant toutes ces terres 
quoique médiocres, pourroient rap- 
porter ; tout prélevé, jufqu'à trois 
feptiers pararpent, comme les meil= 
leures terres du Royaume: 

L’Auteur des Prairies artificielles ÿ 
qui a fait valoir pendant trente ans, 
l’a démontré de façon à n’en pouvoir 
douter , s'étant fervi du moyen des 
renouvellemens d'engrais bien exé- 
cutés {ur tout un corps de Ferme, 

La vraie fituation de notre Agri- 
culture eft tellement repréfentéé 
dans ces deux Articles (tant du côté 
des Fermiers que du côté des Pro: 
priétaires ) que , perfonne ne poui- 
vant en contefter la vérité, il y a 
d'autant plus à s’empreffer de la part 
du Gouvernement ; de mettre en 
exécution ce qu'on luipropofe, que, 

Hh 


482 MANUEL D'AGRICÜLTURE 


s'il ne fe décidoit pas pour s’en ac= 
quitter, toutes nos Campagnes cons 
tinueroient à fe dépeupler, & de- 
viendroient à rien. 

Ainfi, de tous les projets qu’on 
peut préfenter au Gouvernement 
pour rétablir l'Etat, & pour l’enri- 
chir, il n’y a que celui de concourir 
de fa part à retirer nos Laboureurs 
de leurs routines, & à remédier au 
défaut de prairies , en ordonnant les 
établiffemens dont il eft queftion, qui 
puifle réellement avoir tout l'effet 
qu'on peut défrer, parceque les 
Fermiers , comme les Propriétaires, 
feroient bientôt mis en état de pou: 
voir s'acquitter des impôts dont ils 
font chargés. 


LUZ 
C9 
ak 


$OUR LE GOUVERNEMENT. 484 


D 8 9 6 TOME 


CH A PA TRES IV: 


Combien il feroit avantageux au Gouver: 


nement de s'infrutre de l’Agriculiure. 


ré E Gouvernement ne pouvant fe 
difpenfer de concourir ainfi au réta- 
‘bliflement de nos terres, & ce réta: 
‘bliffement ne pouvant s’exécuter fañs 
fon concours, l'Agriculture doit faire 
‘Ta première & principale attention, 

Quel eft l'Art , comme celui de 
TAgriculture » qui mérite autant 
qu'on s'y applique ? puifqu'en prati- 
quant ce qu'on propofe dans cet 
Ouvrage , on y découvré en mème 
tems le véritable fecret de doublés 
& de tripler les richefles de l'Etat, 
comme celui de doubler & de triplex 
celles des fujets, | 

Hh ji 


484 MANUEL D'AGRICULTURE 

Y a-t-il rien, dans le Miniftère, 
qui puifle autant l’intérefler ? 

I n’y auroit donc point à héfiter 
de comprendre cet Art fublime dans 
l'éducation d’un Prince pour lui en 
infpirer des idées juftes, & pour lui 
en apprendre les véritables prin- 
cipes. 

Cet exemple feul fu“iroit pour 
s’en faire un devoir dans toutes les 
familles; & il n’y auroit ni Collége, 
ni Univerfité qui osàt fe difpenfer de 
l'enfeigner à toute la jeuneffe , en 
fe fervant du Manuel d'Agriculture 
qu'on donne ici, comme du feul 
Rudiment dont on puifle faire ufage. 

Qu'on juge de l'heureux change- 
ment qui en réfulteroit en faveur 
de l’Apriculture & en faveur de 
l'Etat ? 

Qu'on juge encore de celui qui 


POUR LE GOUVERNEMENT. 48 ÿ 


arriveroit dans tous ces Bureaux d’A- 
griculture, qu’on a commencé à éta- 
blir dans quelques Provinces ? Quel 
emprefflement n'y verroit-on pas, 
pour connoitre la véritable Méthode 
de l’Agriculture , & les feuls moyens 
qu'elle apprend pour la rétablir gé- 
néralement ? 

Quoique leurs établiffemens faf- 
fent tant d'honneur au Gouverne- 
ment préfent ; cependant , faute 
de ce qu'on n’y a pas encore pris 
une idée jufte de l'Agriculture , & 
pour s'être trop livré à ces nouvel- 
les Méthodes dont on a parlé , qu’en 
eft -1l réfulté pour fon rétablifle- 
ment ? 

Il a été décidé dans lun que, pour 
y parvenir , le meilleur parti qu’on 
pouvoit prendre , étoit de fuppri- 
mer les jachères pour les mettre en- 
fièrement en prairies, & qu'il fem- 

Hhü} 


486 MANUEL D'AGRICULTURE 


bloit qu’on en étoit déja convenu 
aflez généralement. 

Dans unautre , qu’on n’y parviens 
droit jamais , qu'auparavant il n’y 
eût une Loi en France , qui obligeât 
tous les Propriétaires à échanger ré- 
ciproquement fur les Terroirs toutes 
les piéces de terres de leur corps 
‘de Ferme qui y font ordinairement 
difperfées, & par conféquent fé- 
parées les unes des autres, pour 
les réunir en une feule & même 
piéce. 

“Enfin un Bureau d'Agriculture 
dont on devoit attendre une déci- 
fion plus réfléchie, n’a fait autre 
chofe que d'annoncer la nouvelle in- 
vention d'unfemoir plus pe rfeétion- 
né & moins coûteux que tous ceux 
qu'on avoit propofé auparavant, fans 
faire feulement attention que, toute 
noire Agriculture ne fe trouvant 


POUR LE GOUVERNEMENT. 457 


qu'entre les mains des gens de la 
Campagne , il ne feroit pas bien aifé 
de l'y introduire, & que même on 
n'y parviendroit jamais. 

Tous ces écarts ont été fi bien re- 
levés , tant dans le Manuel pour le 
Laboureur | que dans le Manuel pour 
le Propriétaire, qu'il n’eft pas pofñble 
de les juftifier. 

Si, par amour pour le bien pu- 
blic & pour celui de l'Etar, la 
générofité de ceux qui compofent 
ces Bureaux , les engage à propo- 
fer des Prix pour infpirer pius d'é- 
mulation entre les Laboureurs & les 
Fermiers, qu'ils lifent attentivement, 
avant que de fe déterminer, la Wé- 
thode qu'on donne ici, c’eft-à-dire 
tout le Manuel pour le Laboureur ; ils 
fçauront bien mieux à quoi s’en te- 
nir fur les queftions intérefflantes 

Hh iv 
° 


Li 


488 MANUEL D'AGRICULTURE 


qu'il conviendroit de donner à dé« 
cider. 

Ils verroient que prefque toutes 
celles qu'on peut faire fur les diffé 
rentes façons d'exécuter les opéra- 
tions de l'Agriculture, relativement à 
toutes les fortes de qualités de ter: 
sein, ont été bien expérimentées & 
qu'elles font décidées. 

Par exemple, à l’occafion du Prix 
qui eft annoncé dans la Gazette de 
France du 11 Février 1764, au fu: 
set de l'opération de l'engrais, n’a 
t-on pas entièrement éclairci dans la 
Seion qui la concerne , tout ce qui 
peut l'intérefler pour s'en bien ac- 
quitter , fur-tout en grand, c’eft-à- 
dire fur la totalité d'un corps de Fer- 
me, fi confidérahle qu'il puiffe être ? 

L'on ayouera que cela eft bien 
autrement intéreflant que de n'ap: 


POUR LE GOUVERNEMENT. 489 


prendre à la bien faire que fur quel- 
quesarpens, comme on l’a déja établi 
dans la Section des Engrais, Art. IE, 
pag. 172; ce feroit même fe trom- 
per, de penfer qu’en ne s'intéref- 
fant que pour de pareils petits ob- 
jets , on parviendra au rétablifle- 
ment général de nos terres. 

Ainfi les Bureaux d'Agriculture 
ne deviendront véritablement utiles 
& avantageux dans les Provinces, 
qu'autant qu'on y travaillera bien 
férieufement à opérer le grand Œu- 
vre , qui fait tout l’objet de cet 
Ouvrage. 

J'avois intention de faire entrer 
dans ce Manuel pour le Gouvernement , 
un Article concernant la liberté de 
lexportation des bleds ; mais , toute 
réflexion faite , la matière m'a 
paru d'une telle importance , fur- 
tout eu égard à l'état aétuel de no- 


490 ManurL, &cc. 


tre Agriculture , que j'ai penfé que 
cette liberté ne devoit nine pouvoit 
être bien examinée , quant à fon 
utilité & à fes inconvéniens, que 
par le Gouvernement même ; & J'ai 
encore penfé que , fi on fe détermi- 
noit dès-à-préfent pour cette liberté 
d'exportation , foit limitée , foit 1ll:- 
mitée , j'aurois toujours eu raifon de 
dire , dans l’dée fommaire de cet Ou- 
vrage, que, quand nos terres, par 
les moyens infaillibles qu'on pro- 
pofe , feront parvenues à rapporter 
au double & au triple de ce qu'el- 
les rendent aujourd'hui , les richef- 
fes nous viendroient de toute part, 
c'eft-à-dire , que le Royaume de 
France deviendroit le plus floriffant 
Empire de l'Univers. 


Fin de la troifieme & dernière Partis, 


RÉFUTATION 
DE LA NOUVELLE METHODE 


D'ERMIPEUU LL 


tte en 


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RÉFUTATICON 
DE LA NOUVELLE METHODE 


D'ENOME EEP UTILE; 


LINCTUR O"D'U;: CTOUN. 


. ARMI1les Amateurs de l’Agricul- 
ture , il s’en trouve un fi grand nom- 
bre , tellement prévenus en faveur 
de la Nouvelle Méthode de M. Thull , 
qu'on a penfé qu'on ne pouvoit fe 
difpenfer d'en donner la Réfutation 
pour mieux parvenir à défendre nos 
Pratiques locales , qu'on a eu en vue 
de renverfer , en la publiant. 
Ayant cependant fufifamment fait 
voir combien elles font refpecta- 
bles, & qu'on trouve en elles la vraie 


494 RÉFUTATION 
méthode de l'Agriculture, & la feule 
qu'on puufle annoncer, il y a lieu 
de croire que l’Apologifte de M: 
Thull ne s'eit pas donné la peine de 
les examiner à fonds. 

Ce font ces Pratiques locales ; 
c’eft-a-dire cette Méthode précieufe 
qu’elles contiennent, qu'on appel- 
lera ici, l’Ancienne Méthode pour l'op: 
pofer à la Nouvelle de M. Thull. 

Cette Ancienne Méthode eft toute 
différente des routines de nos La- 
boureurs; on l’a fufffamment fait 
voir ; il ne faut donc pas s’y tromper. 

La Réfutation qu'on fe propofe 
de faire , eft divifée en deux Parties 

Dans la première on donne le 
Précis de cette nouvelle Méthode. 

Dans la feconde , qui eft divifée 
en plufieurs Chapitres, on y fait 
voir qu’elle n’eft pas propofable à 
tous égards. 


DE M TauLirz 949$ 


PR 


PREMIERE PARTIE. 


Ike BR CUS 
DE LA NOUVELLE MÉTHODE 
DE M: TE U LE, 


a > ANS l’ancienne Méthode of ne 
s'eft avifé de labourer les terres à 
froment qu'avant de femer ; mais, 
dans la nouvelle, on les cultive 
avant & après, & on les laboure 
dans tout le tems de fa végétation 
& de fon accroïfflement , jufqu'à ce 
qu'il foit en maturité ; c’eft-a-dire 
que , quoique le froment ne foit 
qu'une plante annuelle, on hu ap- 
plique cependant la même culture 
qu'on donne aux plantes vivaces, 
“telles que la vigne, 


#96 RÉFUTÂTION 

Examigons ce que M. Thull prôi 
pofe pour parvenir à exécuter ce 
fiftème fur un grand terrein ou fus 
un corps de Ferme. 

Quoique cela foit contenu dans 
cinq à fix volumes, & qu'ici cela fe 
trouve réduit en Articles qui ne con- 
tiennent que quelques pages, on 
croit en dire aflez pour faire com- 
prendre ce qu'il faut {çavoir de ce 
nouveau fiftème. 

1°. J1 faut commencer par labour 
rer tout un corps de Ferme en ban- 
des de fix pieds de largeur chacune. 

2°. En les diftinguant chacune par 
un fillon, ou plutôt par une raie, 
(a) 1l faut les labourer en Billon & 

(a) On appelle S;//on une ligne de labour dort 
la terre n’eft renverfée que d’un côté, à la 
différence de la Raïe où elle left des deux 
côtés. On a expliqué dans le Manuel du 
Laboureur la différence des labours à Plar & 
des labours en Billon. 

noñ 


Late - 


DE MS TÉRUÉE! 409 

fon a Plar, parcequ'il plait à M; 
Thuil d'attribuer à cette façon de 
£ultufe plus de fuccès qu’à l’autre. 

3°. Après que toutes les bandes 
auront été [abourées trois à quätré 
fois, & qu'elles auront été bien 
ameubliés, bien retournées & bien 
foncées, autant que le terreiñ peut 
le permettre , on Îlés partagera ; 
äu tems de la femence, en planches 
& en plattes bandes. 

4°. Les planches feront prifes 
dans le milieu des bändes ; ellés en 
comprendront environ le tiers; 1l 
faut qu'elles foient chacune d'un 
pied heuf pouces de largeur ; les 
plattes bañdes qui fe trouveront for- 
mées de ce qui reftera des bandes 
daris l’entre-deux dés planches, au- 
font quatre pieds trois ponces dé 
largeur , ni plus, ni moins. 
5°. Les planches contiendront les 

Ii 


498 RÉFUTATION 


rangées de froment, qui fe réduiront 
le plus ordinairement au nombre de 
trois ; elles feront diftantes de fept 
pouces l’une de l’autre, & dans ces 
trois rangées, le froment fera répan- 
du grain à grain à la même diftance 
de fept pouces; on le couvrira, auf 
tôt qu'il fera femé , en renverfant les 
élévations des rangées. 

6°. N'étant pas pofble de femer 
à la main ces trois rangées dans un 
grand terrein , on fe fervira d’un fe- 
moir qu'on dit être de l'invention 
de M. Thull, & qu'il appelle Dr; 
auff eft-1l fi prefte dans fes opéra- 
tions, qu'en faifant les rangées , il 
y répand en même tems le froment , 
& le couvre. 

7°. Comme les trois rangées, que 
le femoir fera, ne peuvent contenir 
que l’efpace de quatorze pouces, on 
laïfera, après fon opération , à droit 


be M THuLL 495 
& à gauche des rangées, deuix peti- 
tes bandes de trois pouces & demi 
chacune; ce qui achevera de donner 
aux planches la largeur défignée ci: 
deflus ; on ne touchetfa point à ces 
petites bandes , lorfqu’on prendra la 
largeur des plattes bandes, & qu'on 
les labourera. | 
8°. Ces petites bandes n'étänt 
donc plus labourées après que les 
planches feront faites, elles font de- 
{tinées pour occuper le tallement du 
froment ; pour faciliter Les labours ; 
pour défigner & fixer où ils doi- 
Vent commencer, & pour empêcher 
qu'on n’approche de trop près les 
rangées ; car, quoique les labours ; 
fuivant M. Thull, comme on le verra 
ci-après ; puifle couper les extrèmi- 
tés des racines ; & les déplacer ; il 
he faut pas cependant qu'ils les cou- 
pent fi près des rangées. 
Le 


soso RÉFUTATION 


9°. Le femoir ne donnera pas plus 
de fept pouces de diftance aux trois 
rangées , afin que les racines qui en 
fortiront, puiffent plutôt atteindre 
le labouré des plattes bandes, & il 
n’en donnera pas moins aux grains 
de froment qu'il répandra dans les 
rangées pour empècher les racines 
de trop s'embarafler & de fe nuire 
les unes les autres. 

10°. Dans les meilleurs terreins ; 
qui ne feront point fujets à pouffer 
des herbes ,; on pourra faire des 
planches à quatre rangées, auxquel- 
les on ne donnera que fix pouces de 
largeur ; mais on y éloignerales grains 
de froment à neuf à dix pouces, & 
même jufqu'à un pied, pour préve- 
nir encore l'embaras des racines. 

11°. Dans les terreins humides, 
qui pouffent beaucoup d'herbes, on 
ne fera que des planches à deux ran- 


nee. ns - 


DE (MS NULL. As ON 


gées pour avoir la facilité de Îles 
arracher avec la main, c'eft.à-dire 
de les farcler. 

M. Thull (2) n'infifte pas fur les 
planches à cinq & à fix rangées , dans 
la crainte que les racines de Îa ran- 
gée du milieu ne puiflent atteindre 
afez tôt le labouré des plattes ban- 
des, & ne puiffent en profiter. 

12°. Les plattes bandes qui ré- 
fulteront de l'opération du femoir, 
auront nécefairement la largeur de 
quatre pieds trois pouces défignés 

(a) M. Thull, ou plurôt fon Apologilte , fur 
des remontrances bien fondées , qui lui ont été 
faites , a bien voulu accorder qu'on ne mit 
les grains de froment dans les rangées qu’à 
trois & quatre pouces de diftance, & même 
moins, au licu de fept, pour remplacer ceux 
que les accidens qui arrivent affez ordinaire. 
ment tous les ans , pouvoient faire manquer, 
& ne pas faire lever; mais il n’a pas cru de- 


voir prendre fur lui de fe relâcher fur La di- 
ftance des rangées. 


li ii 


$o2 RÉFUTATION 
ci-deflus; & n’en auront pas moins; 
puifqu'il faut les labourer avec des 
bêtes de tirage comme chevaux on 
bœufs. | 

13°. Les plattes bandes devant 
être labourées à deux fins, fçavoir 
pour donner plus de fuccès au fro- 
ment, qui eft femé dans les plan- 
ches, & fur-tout pour en bien dif- 
pofer le terrein, qui doit être enfe- 
mencé , l’année fuivante , il faudra 
les bien ameublir, les bien retour- 
ner & les bien fouiller, antant que 
le terrein le permettra. | 
% 14°. Jufqu'àa ce que les planches 
foient moiflonnées, on donnera qua- 
tre à cinq labours aux plattes ban- 
des, le premier avant l'hyver , pour 
détruire les herbes & pour en difpo- 
fer le terrein à être plus facilement 
jabouré au printems. Le deuxiéme 
aufitôt que les gelées feront pañlées2 


DE M FU LAL:) (co 


pour augmenter le tallement du fro- 
ment, le troifiéme en Mai, & le 
quatriéme vers la fant-Jean, pour 
faciliter de plus en plus fa végétation 
& fon accroifie ment, 

15°. Tous les labours des plattes 
bandes feront faits à Plar, à la diffé- 
rence de ceux des grandes bandes, 
qui doivent être faits en Billon, & 
cela parceque dans les plattes ban- 
des, 1l s’agit de renverfer toujours 
la terre du côté des rangées, ce qui 
s’exécutera en partageant les plat- 
tes bandes en deux parties qui ne 
commenceront l’une & l’autre à être 
labourées que dans le milieu de la 
platte bande, afin de finir précifé- 
ment le labour à l'endroit où les 
petites bandes des planches fe ter- 
minent, 

Il y a d'autant plus de néceffité à 
partager anfi les labours des plat- 

Ï 1 iv 


go4 RÉFUTATION 

tes bandes, qu’autrement, fi, aprèsies 
avoir commencées du côte d'une rans 
gée , on continuoit jufqu'à l'autre 
planche fans s'arrêter dans le milieu 
de la platte bande , on mettroit [a 
première rangée de cette planche 
en danger d’être à découvert , & de 
{e trouver dénuée de la terre dont 
elle auroit befoin pour le progrès 


ces racines qui en fortiroient. 

16°, Pour facihiter les labaurs de 
ces plattes bandes , au lieu de faire 
tirer de front les bètes de tirage, 
en pourra les mettre l'une devant 
l'autre, en leur donnant un condu- 
éteur, indépendamment de celui qui 
doit tenir la queue de la charrue ; 
cette précaution, quoique couteu- 
fe, étant nécefflaire pour empêcher 
le trépignement des chevaux ou des 
hœufs {ur les rangées de froment. 

47°. Pour faciliter encore les la- 


DE M. THULL 550$ 


bouts & pour que le terrein des plat- 
tes bandes foit mieux brifé , retour- 
né & fouillé, qu'il ne pourroit l'être 
en fe fervant des charrues ordinai- 
res, dont il paroït que M. Thull ne 
fait pas grand ças, parcequ'il n'en 
connoït pas l'ufage, il en propofe 
de fon invention, qui font à deux 
roues, à une roue , fans roues, & 
qui ont plufieurs coûtres; il en don- 
ne la defcristion dans fa Nouvelle 
Méthod: , ainfi que de fon femoir. 
18°, Aufhtôt que toutes les plan- 
ches feront moiflonnées, on réta- 
blira les grandes bandes de fix pieds 
de largeur dans tout le corps de Fer- 
me, & on les labourera en Billon, 
pour enfuite avec le femoir , au 
tems des femences , être encore 
partagées en planches & en plattes 
bandes, ce qu'on continuera tous 
les ans alternativement , pour tou- 


ÿ06 RÉFUTATION 


jours entretenir la même culture. 

19°. Enfin tout fe réduit à faire 
& pratiquer des grandes bandes, des 
planches, des petites bandes, des 
plattes bandes avec la plus exacte 
précifion, & à fe fervir d'un femoir 
pour fe mettre enétat de cultiver en 
grand, & de labourer encore plu- 
fieurs fois le froment , après qu'il eft 
femé. 

C’eff dans cette forte de culture 
& dans cette répétition des labours, 
que M. Thull, fait confifter le grand 
principe de fécondité de fa nou- 
velle Méthode. 

Au moyen, dit-il, de cette répéti- 
tion des labours fur les racines du 
froment , indépendamment de ceux 
qui ont été faits avant de le femer , 
la terre fe reffentant encore bien 
mieux des influences de l'air, du 
foleil, des pluyes, acquiert une fi 


DE M} MaUurLz $67 


grande quantité de fels & de fucs 
nourriciers , que, devenant même 
inépuifables ,  n'eft queftion que de 
mettre les racines à portée de pou- 
voir en profûter pour fe procurer 
les plus belles & les plus riches dé- 
pouilles. 

C'eit pourquoi il prétend que fa 
nouvelle Méthode n'a befoin que 
des deux opérations du labour & 
de la femence ; déclarant qu'il fup- 
prime les jachères, ainfi que les en- 
grais, à la différence de l’ancienne 
qui croit au contraire ne pouvoir 
pas s’en pañler, & qui a fur-tout une 
grande confiance dans les engrais , 
principalement dans ceux qui pro- 
viennent de beftiaux. 

Il attribue même tant de force 
& de fi merveilleux effets au prin- 
cipe de fécondité de fa nouvelle 
Méthode, qu'il va jufqu'a établir , 


6oS RÉFUTATION 


qu'il ne faut, pour enfemencer Îles 
terres awelle cultive , que le tiers, 
que le quart, & même que le cin- 
quiéme de ce que nos Laboureurs 
employent ordinairement. 

Pour appuyer ce fingulier fyftème 
quirenverfe totalement nos pratiques 
locales, on rapporte dans cinq à fix 
volumes une grande quantité d'ex- 
périences qui , dans le fonds, ne 
prouvent rien, ainf qu'on va le dé- 
montrer dans la feconde Partie. 


1 .. U : 
REFUTATION 
DE LA NOUVELLE MÉTHODE 


DE: Mon EU ie, 


INTRODUCTION. 


ÂL n'étoit pas difficile d'imaginer 
de faire au froment l'application de 
la culture qu'on donne aux plantes 
vivaces ; la difficulté n'étoit pas 
d'exécuter à la main cette applica- 
tion fur un petit terrein, comme 
fur un quarré de jardin; on pouvoit 
l'avoir penfé & même éprouvé avant 
M. Thuil. 

Mais il s’agifloit d'exécuter cette 


$ro RÉFUTATION 
application en grand, c’eft-à-dire fus 
un corps de Ferme de telle étendne 
qu'il pourroit être ; & cette exécu- 
tion ne pouvant fe faire à la main 
pour ce qui concerne l'opération de 
femer , 1l falloit inventer un femoir 
qui, aprèsles bandes faites dans tout 
un corps de Ferme, püt y drefler 
des planches exaétement prifes dans 
le milieu, en les femant en même 
tems, & qui, en faifant ces planches, 
laiffât des plattes bandes, c'eft-à- 
dire des intervalles aflez larges entre 
les planches pour pouvoir Être la- 
bourées en tout tems par des bètes 
de tirage ; comme chevaux où 
bœufs , après que les planches fe- 
roient femées. 

Ce femoir fait donc la piéce im- 
portante de cette nouvelle Métho- 
de, puifque ; pour pouvoir exécuter 
en grand, elle en fait néceflarement 


DEN FULL, ie 
tout le jeu. Auf les Sectateurs de 
M. Thull la regardent-ils comme le 
chef d'œuvre de l'invention humai- 
ne, pour l'avantage de l'Agriculture, 

Quoique M. Thull s’attribue cette 
invention, cependant , à en juger par 
ce que fon Apologifte raconte d’un 
femoir dont on failoit ufage en 
Efpagne , il y a environ cent ans, 
& dont il convient qu’il n’eft plus 
queftion aujourd’hui , il fembleroit 
que M. Thull n'en auroit pas l’hon- 
neur , & que même fon femoir 
n’auroit pas un meilleur fuccès en 
France, n'étant que le renouvelle- 
ment d'une chofe qui auroit déja 


échoué. 
Comment ce mauvais pronoftic 


na-t-il pas commencé à ouvrir les 
yeux de l’Apologifte fur le fort de 
cette nouvelle Méthode qui ne 
peut s'exécuter fans femoir ? 


#12 RÉFUTATION 

Il s’agit donc de faire voir que la 
nouvelle Méthode de M. Thuil n’eft 
pas propofable en tout point, de 
quelque côté qu'on la confidére. 

1°. Par rapport à la pofition de 
notre Agriculture , & à la fituation 
de nos terres, 

2°. Parceque la répétition des la- 
bours fur les racines du froment ,; 
ne peut lui être auffi avantageufe 
qu'on le prétend. 

3°. Par rapport à la fupprefon 
des engrais. 

4°. On fera voir qu’on ne com- 
prend point dans cette nouvelle 
Méthode, la fuppreflion des lue 
res & elle annonce. 

5”: On prouvera que toutes les 
expériences qu'on rapporte dans 
cinq à fix volumes , ne décident rien 
en faveur de la nouvelle Méthode. 

6°. Pour réfuter encore un nou 

veau 


DE M PHGLE Gui 


veau Traité que l’Apologifte de M. 
Thull a donné fous le Titre d’EZmens 
d'Agriculture; on fera voir l'inutilité 
de l'ufage du femoir dans la Prati- 
que ordinaire de cultiver, 


Kk 


$t4 RÉFUTATION 


Le 


CHAPITRE PREMIER. 


La Methode de M. Thull ne convient 
point a la pofition de notre Agricul- 
ture & a la fituation de nos terres. 


CO N peut commencer par prédire, 
avec confiance , que cette nouvelle 
Méthode ne s’établira jamais en 
France, l'Agriculture n'y étant gé- 
néralement exercée que par les gens 
de la Campagne , qui doivent être 
confidérés comme compofant feuls 
tout le corps des Agriculteurs. 

S’agiffant d'inftruire des gens qui 
font fi attachés à leurs Pratiques 
locales, comment a-t-on ofé la pu- 
blier ? 

On fçait que les gens de la Cam- 
pagne tiennent toutes les terres du 
Royaume , par des baux de fix ou 


DE NE THULE Vas 


heuf ans, & qu'il n'eft point dans le 
gott de la Nation, que les Proprié- 
taes faflent valoir par eux-mêmes; 
s'il s'en trouve quelques-uns, c’eft 
une fi petite exception, qu'elle ne 
mérite pas qu'on y fafle attention. 
On ne devoit donc pas fe flatter 
d'introduire une nouvelle Méthode 
qu'on vient de faire voir être fi rem- 
plie de gènes & de difficultés, qui 
exige tant de précifion ,; & dont 
on peut dire que l'exécution , en 
grand, n'eft pas pratiquable; car, pour 
pouvoir labourer & former les ban- 
des qu’elle établit, & qu’on doit par- 
tager en planches & en plattes ban- 
des, quand on diroit qu’il faut con- 
tinuellement avoir à la main, ou le 
pied , ou la toife, & même le com- 
pas, on ne diroit rien de trop, par- 
cequ'il faut que les bandes n’ayent 
exaétement que fix pieds de largeur, 
Kky 


sté RÉFUTATION 

que les planches n’ayent qu'un pied 
neuf pouces, y compris les petites 
bandes, qui doivent les accompa- 
gner à droit & à gauche des rangées, 
& qui doivent exaétement n'avoir 
chacune que trois pouces & demi, 
& parcequ'il faut que les plattes 
bandes ayent abfolument quatre 
pieds trois pouces en largeur , ni 
plus ni moins. 

Si les bandes avoient plus de fix 
pieds, quand il n'y auroit que 
quelques pouces d’excédent , cela 
feroit fur le total d'un corps de Fer- 
me un déchet & une perte de ter- 
rein aflez confidérable ; &, fi elles 
avoient moins de fix pieds, il en 
réfulteroit qu'on ne pourroit don- 
ner aux planches & aux plattes ban- 
des leur largeur convenable & nécef- 
faire. 

1l faut encore la mème attention 


DEOMEMPRULE 


& la même précifion pour la con- 
ftruétion des planches & des plattes 
bandes qui font tirées de ces bandes 
dont tout le terrein eft deftiné à les 
former.esonoq; LS CeSÈS 
:'Srles planches avoient pluis d'un 
pied neufpouces de largeur , y com- 
prisles petites bandes ci-deflus, qu'il: 
faut former, le froment de la:ran- 
gée du mihèu; feroit en danger de 
ne pouvoir arriver aflez tôt pour 
étendre fes racines jufqu’au labouré 
des plattes bandes ; &; files plattes 
bändes avoiènt-moins: de: quatre 
pieds trois pouces de largeur, ne s'y 
trouveroit-il pas encore bien plus 
de gène & de difficulté pour labou- 
rer avec les bètes de tirage ; au lieu 
que , fi elles avoient trop de largeur, 
il s'en enfuivroit encore une perte 
de terrein confidérable. 

… Ce qu’on vient de dire concerne 

KkK 1 


518 RÉFUTATION 


les planches à trois rangées, qui 
{ont les plus ordinaires. 

Dans le cas qu'il feroit queftion 
de faire des planches à quatre ran- 
gees, a raïfon de fix pouces feule- 
ment de diftance entr'elles ; comme 
elles exigeroient pour leur largeur 
deux pieds un pouce , à caufe que 
les rangées en prendroient dix-huit, 
& que les petites bandes qui doi- 
vent les accompagner à droit & à 
gauche prendroient fept pouces, 1l 
s'enfuivroit qu'il faudroit donner 
aux grandes bandes la largeur de 
fix pieds quatre pouces, chacune ; 
puifqu'il faut toujours donner aux 
plattes bandes la largeur de quatre 
pieds trois pouces pour la facilité 
des labours, à caufe des bêtes de tira- 
ge : & fi on ne faifoit que des planches 
à deux rangées d’un pied de diftance 
entr'elles , il ne s’agiroit donc que 


BEM HULL Vi 


de donner aux grandes bandes cinq 
pieds trois pouces. 

Il faut, comme l’on voit, bien de 
l'attention , pour proportionner la 
conftruétion des grandes bandes aux 
différentes planches qu'il eft queftion 
de faire, puifqu'autrement on per- 
droit fur le total d’un corps de Fer- 
me beaucoup de terrein , ou l’on s'y 
trouveroit fort embarañé. 

Voilà aflurément une plaifante 
façon de culture à propofer aux gens 
de la Campagne ; puifque, pour 
bien exécuter les grandes bandes , 
les planches, les petites bandes & 
les plattes bandes, que la nouvelle 
Méthode exige, il faut toujours cal- 
culer , toujours fupputer , toujours 
mefurer. 

Quand ils en feroient capables, 

comment pourroient-ils encore exé- 
cuter cette nouvelle Méthode fur 
Kkiv 


$20 RÉFUTATION 


la totalité de leur corps de Ferme? 

On fçait qu'ils font prefque tou- 
jours compofés d'une infinité de 
piéces de terre, qui font féparées 
les unes des autres ; & même, pour 
l'ordinaire , elles font toutes fituées 
& répandues fur les trois foles d'un 
terroir qui généralement eft parta- 
gé en Jjachères , en bleds & en 
Mars. 

Or, tous les corps de Ferme Ctant 
cenfés , ou plutôt devant fuivre, 
comme on l’a établi, le même par- 
tage que celui de leur terroir ,il ne 
fe peut que toutes les piéces qui 
les compofent n’ayent chacune leurs 
royés, leurs tenans & leurs aboutif- 
fans. 

Encet état, comme, dans la nou- 
velle Méthode, il faut toujours cul- 
tiver le froment après qu'il eft femé, 
tant dans la faifon de l'été, que dans 


DE:M THULE $2r 


celle du printems; il n’eft pas poffi- 
ble de le faire , puifque, pour y 
aller, 1l faudroit traverfer avec tout 
l'attirail du labourage quantité de 
piéces de terres, dont les bleds & 
les Mars feroient déja fort avancés 
& en train d'atteindre leur maturité, 
En fuppofant même que le Do- 
maine d'un corps de Ferme feroit 
réuni, & ne feroit qu’une feule piéce 
de terre ; en ce cas, ne pouvant or- 
dinairement ainfi exifter fans avoir 
quelques royés, 1l feroit encore difñ- 
cile d'aller cultiver le froment quand 
il feroit femé, du moins on nele pour- 
roit, de même que dans les piéces 
de terres qui font répandues fur les 
trois foles d’un terroir, fans perdre 
beaucoup de terrein ; 1l eft aifé de 
le faire concevoir. 
Dans un terrein deftiné à être 
cultivé fivant la nouvelle Métho- 


522 RÉFUTATION 


de, quel qu’il foit , divifé ou non di- 
vifé , pour labourer les plattes ban- 
des d'un bout à l’autre , avec des bè- 
tes de tirage, il faut en fortir , 1l 
faut y rentrer, ce qui ne fe peut fans 
faire un tournant qui exige au 
moins une largeur d'environ dix- 
huit à vingt pieds; on doit le con- 
cevoir en faifant attention à la di- 
menfion que doivent occuper une 
charrue & des bêtes de tirage , qu'il 
faut faire avancer jufqu’au bout , & 
enfuite tourner , fur-tout fi on les 
met l’une devant l’autre , comme le 
recommande M. Thull pour la plus 
grande facilité & commodité du la- 
bourage, dans un efpace auf étroit, 
auf referré ,que l’eft celuides plat- 
tes bandes. 

Cela feroit donc trente-fix à qua- 
rante pieds de terrein en largeur, 
autant dise deux verges, qu’il faut 


DiE, MY Æ'HU LL. x 


néceffairement perdre, fçavoir une 
verge d'un côté & une verge de l’au- 
tre, dans toute l'étendue que peut 
avoir en largeur le terrein qu'on 
cultive en planches & en plattes 
bandes. On doit fentir que cela 
doit faire un déchet confidérable. 

On ne peut aflurément le faire 
fupporter aux royés , fur-tout dans 
untems où leurs bleds ou leurs Mars 
prennent leur accroiffement,&c avan- 
cent en maturité ; 1l s’en enfuivroit 
tous les ans des dommages & inté- 
rêts très-confidérables ; il faut donc 
faire tomber ce déchet fur foi-mé- 
me, c'eft-ä-dire fur fon propre ter- 
rein. 

D'ailleurs n’y ayant prefque point 
de fituation de corps de Ferme réu- 
ni, qui feroit 1folé , à l'écart , & fans 
avoir des royés des tenans & des 
aboutiflans , 1l s'enfuit que de quel- 


$24 RÉFUTATION 


que côté qu'on fe retourne , il n’y 
a que des difficultés, des inconvé- 
miens , & mème de l’impoñhbilité 
dans l'exécution de la nouvelle Mé- 
thode pour pouvoir la travailler en 
grand. 

Dans l’ancienne Méthode , comme 
on ne laboure un terrein à froment, 
qu'avant que de le femer , & com- 
me tous les royés en font de même, 
on doit concevoir qu'on y va quand 
on veut, fans faire tort à qui que ce 
foit , & qu'on à toute la facilité pot- 
fible de cultiver fon terrein fans en 
rien perdre. 

La nouvelle Méthode n'’eft donc 
bonne , tout au plus que pour un: 
terroir idéal, appartenant tout au 
mème maitre , & où l’on diftribue 
les terres comme les planches d’un 
jardin. Ce fyftème part de trop loin 
pour arriver juiqu'à nous; & dans 


DE :M:FHULL 2s 


l'état où font les chofes aujourd’hui, 
un terroir eft occupé de mille pe- 
tites piéces. 

L'origine n’en pouvant provenir 
que de la divifion générale des ter- 
roirs entroisfoles, & que du par- 
tage des fucceflions, le projet de 
leur réunion pour l'avantage préten- 
du de l’Agriculture en faveur de ce 
nouveau fyftême , ne feroit donc 
qu'une idée chimérique. 

Enfin peut-on concevoir qu'on 
parviendra à faire labourer nos Fer- 
miers & nos Laboureurs dans des 
plattes bandes , qui laiflent fi peu de 
terrein. 

Le travail des labours devient 
pour lors exceflif, & demande des 
attentions , dont ne font pas capa- 
bles des gens de la Campagne, qui 
gateront les rayons de froment en 
 labourant les entre-deux, 


526 RÉFUTATION 

Auffi jufqu’à préfent, quoiqu'il y 
ait bien des années que cette nou- 
velle Méthode foit annoncée , n’a- 
t-on pas encore vû un feul de tout 
le corps des Agriculteurs, qui ait 
été feulement tenté de l’effayer , ni 
en grand, ni même en petit, malgré 
les exemples qu'on s'eft efforcé de 
leur en donner. 

Ce ne fera point avec une nou- 
velle Méthode, quelle qu’elle puiffe 
être , qui renverferoit leurs Pratiques 
locales, qu'on rétablira en France 
l'Agriculture. 

A l'égard du femoir dont l’ufage 
eft indifpenfable pour exécuter en 
grand la nouvelle Methode de M. 
Thull, comment fe flatter de pou- 
voir l'introduire dans la façon ordi- 
naire de cultiver ? 

Le méchanfme en eft fi compofé, 
qu'il ne peut qu'il ne fe dérange 


Des NB HUE "627 


quelquefois dans fon opération; en 
ce cas, à qui pouvoir recourir dans 
les Campagnes pour le rétablir & le 
remettre en étar. 

Ce femoir ne laiffant pas que de 
couter , & pouvant exiger de l’entre- 
tien, les gens de la Campagne fe dé- 
termineront-ils à en faire la dépenfe ? 

Si le tems eft pluvieux, & fi les 
terres font tant foit peu molles ou 
fraiches , ce femoir ne peut-il pas 
s'engorger & laifler fans femences 
la moitié du fillon ? Qui peut répon- 
dre que cette machine jettera tou- 
jours exaétement fon grain de fe- 
mence fi le terrein eft inégal ; au 
lieu que la main du Laboureur , qui 
féme , ne peut fe tromper en rien; 
elle eft, comme on l'adeja dit, d’une 
exécution plus fûre. 

L'opération de femer eft afluré- 
ment trop importante pour s’en rap- 


528 RÉFUTATION 


porter à une machine, quelque in- 
génieufe qu’elle puifie ètre. 

Ainfi on aura beau leur dire qu’au 
moyen de l’ufage du femoir , ils ga- 
gneront beaucoup fur leurs femen- 
ces jufqu'à la moitié , les deux tiers, 
les trois quarts & mème plus, ils 
penferont toujours que cette rédu- 
étion ne s'accommodera point avec 
leur expérience , & ils auront rafon. 


CHAPITRE 


DE THULL 56 


G PRE AE ES 


CAE AUPOTÉPSRTE, EE 


Les fréquens Labours fur Les racines du 
froment , ne peuvent lui étre auffLavan- 
tageux que le prétend M, Thull. 


ra: , 1] D 
KŸ UOIQU'IL n'y ait encore aü- 


cun de ceux qui compofent en Fran- 
ce le corps des Agticulteurs, qui ait 
exécuté cette nouvelle Méthode, 
& quoiqu'il n’y en aura jamais ; 
cependant quelques Amateurs & 
quelques Propriétaires qui font va- 
loir par eux-mêmes, en ont fait des 
expériences en petit, c'eft-à-diré 
fur trois à quatre arpens ou environ, 
en fe fervant du femoir. 

Il eft vrai que M. Lallin de Cha- 
teau-Vièux , Syndic de la Ville de 
Genève, l’a exécuté en grand, par- 
cequ'il s’eft trouvé avoir un terrein 
faitexprès, & parcequ'il a eu plus de 

LI 


339 RÉFUTATION 
conftance que les autres; mais, fi or 
lexcepte,onn’en voit point qui(après 
leurs épreuves & leurs expériences 
en petit, nonobftant les petits fuc- 
cès qu'elles ont pu avoir vis-à-vis 
les routines de quelques Fermiers 
voifins ) ait été tenté d'aller plus 
loin , & d'adopter la nouvelle Mé- 
thode pour s’en fervir à faire valoir 
tout leur corps de Ferme, ou tout 
leur Domaine ; ils en ont fenti les 
difficultés, la gène , les inconvéniens 
& mème l'impoffbilité. 

Que penfer de l’Apologife lu- 
mème qui ne s'eft pas comporté 
autrement dans une de fes terres, 
& qui n’a point fuivi l'exemple de 
M. de Chateau-Vieux ? On y voit 
feulement le Canton que fon Fer- 
mier travaille fuivant la nouvelle 
Méthode ; encore n'exécute-t-1l que 
très-mal & avec répugnance. 


DE No T'EUvANR QT 

Voilà donc pourquoi toutes les 
expériences, qui font rapportées 
dans cette nouvelle Méthode , ne 
fignifient rien. Elles font même d'aus 
tant plus contre M. Thull, que , ne 
la propofant que pour être fubfti- 
tuée à l’ancienne ; c'étoit des corps 
de Ferme entiers , qu'il falloit don- 
ner pour expériences , & des corps 
de Ferme fitués {ur toutes fortes de 
terreins bons; médiocres ; mauvais, 
reconnus & annoncés comme tels ; 
c'étoit le vrai moyen de la faire 
triompher ; au lieu que , ne rappor- 
tant que des expériences én petit ; 
qui n'ont été exécutées que fur les 
meilleurs terreins, 1l donne lieu 
d'en conclure, avec raïfon , que fa 
nouvelle méthode ne peut s'exécu- 
ter qu'en petit, & qu'elle ne peut 
téuflir fur les terreins médiocres. 

Il ny a point de doute que ce 

Lli 


532 RÉFUTATION 


qui a excité la curiofité de ces Pro- 
priétaires à faire quelques expérien- 
ces, ce ne foit la nouveauté de cette 
feconde culture fur les racines du 
froment, dont il n’eft pas queftion 
dans l’ancienne Méthode. 

Qu'on confulte fur cette feconde 
culture les vrais Cultivateurs, ils di- 
ront unanimement , & foutiendront 
que Île froment , n'étant qu'une plante 
annuelle, n’eft pas fait pour être cul- 
tivé à la façon des plantes vivaces ; 
que cette culture ne lui eft pas auf 
avantageufe qu’on peut le penfer ; 
& qu'il fuffit de bien s'acquitter des 
labours, avant de femer le froment 
pour en difpofer fuflifamment le 
terrein, parceque n'étant que neuf 
à dix mois en terre, il n'y a pas 
aflez de tems pour qu'elle puifle 
s’affaifler .& durcir de façon à em- 
pêcher fes racines de pénétrer; de 


DE M THULL 533 


s'infinuer & de chercher leur nour- 
riture. 

Si, avant de le femer, la terrea 
été bien ameublie , bien fouillée & 
bien retournée plufieurs fois, il 
eft fans dificulté que, dans les pre- 
miers mois de cette bonne culture, 
la racine du froment a aflez de tems 
pour fe fortifier & pour fe mettre 
fufifamment en état de pouvoir tou- 
jours pérétrer, quand même la terre 
viendroit à s'affaifler. 

C'eft dans le commencement qu'un 
froment eft femé, qu'il fufit que la 
terre ait été bien remuée plufeurs 
fois. 

Les Cultivateurs, qui ont bien 
pratiqué , diront encore que , bien 
loin que cette feconde culture {oit 
auf merveilleufe que le prétend M. 
Thull, rien ne doit faire plus de 
tort à la racine du froment, que de 

LI 1} 


454 RÉEUVTRA TION 


la couper, de la retournerl& de la 
déplacer tant de fois , & de l'expofer 
À la féchereffe dans le tems qu'il eft 
en végétation & qu'il prend fon ac- 
croiflement. | 

S'il ne lui arrivoit qu'une fois d’ê- 
fre anfi travaillée , fa racine pour- 
roit avoir le tems de fe reprendre ; 
mais il s'en faut bien qu'elle le puif- 
fe, puifque le terrein de la platte- 
bande dans laquelle on imagine 
qu'elle peut s'étendre, doit être 
labouré trois à quatre fois depuis le 
printems jufqu'en Juillet, parcequ'il 
faut ençore le difpoier à ètre enfe- 
mencé. 

Autant dire que tons les mois il 
faut labourer & travailler la racine 
du froment quoique fi tendre, fi déhi- 
çate , & fi fuperfcielle , tandis que 
Ja vigne, qui éft uné plante vivace, 
& qui a des racines dures, fortes 


px M THULL 535$ 


& profondes, ne reçoit tous les ans 
qu'un labour au printems , n'étant 
queftion après cela, jufqu'à la ma- 
turité du raifin, que de deux à trois 
farclages pour arrêter le progrès des 
herbes, tandis encore que les ar- 
bres qu'on cultive, ne reçoivent 
de même qu'un fabour au printems, 
& n’en reçoivent pas davantage , 
dans la crainte de détruire l'humidité 
dont leurs racines ont befoin. 

Il eft certain que , lorfqu'il s’a- 
git de cultiver des plantes vivaces, 
après qu'elles font femées ou plan- 
tées, le labour du printems eft ce- 
lui qui leur eft le plus favorable, 
parceque , dans cette faïfon , la terre 
& les plantes peuvent profiter beau- 
coup mieux des influences de l'air, 
du foleil & des pluyes,'& parceque, 
pour lors, elles font moins en dan- 
ger d'en efluyer de l'inconvénient, 

LI iv 


9 


536 RÉFUTATION 


fe refentant encore des grandes frai- 
cheurs qu’elles ont reçues pendant 
l'hyver ; aulieu que , fi dans le cou- 
rant de l'été on ouvre encore laterre 
plufieurs fois, comme le recomman- 
de expreflément M. Thull, on a à 
craindre un defléchement fur les 
racines , à caufe du grand air & des 
chaleurs. 

Si cependant, pour quelques plan- 
tes vivaces, on fe détermine à don- 
ner des labours pendant l'été , pour 
aider & faciliter leur végétation, 
aufi-bien que leur accroifiement, 
on ne doit les donner qu'avec pré- 
caution & attention, & que relative- 
ment au tems & à la qualité du ter- 
rein ; autrement ils ne peuvent que 
leur être plus préjudiciahles q'utiles. 

On peut donc facilement conce- 
voir que la répétition des labours , 
que M. Thull propofe de donner au 


DE M ADHULL. 27 


froment fur fes racines pendant la 
faifon de l'été, ne peut générale- 
ment que lui être nuifble. 

À l'égard du labour du printems, 
qui feul pourroit lui convenir, nos 
Laboureurs font cependant quelque- 
fois dans un ufage bien contraire, 
puifqu'il leur arrive pour lors de 
rouler avec fuccès leur froment , 
pour affaifler la terre , à l'effet de 
lui conferver l'humidité dont fa ra- 
cine a befoin plus que celle de tou- 
tes les autres plantes annuelles. 

Îinfi la Méthode de M. Thull ne 
peut être que bien hazardée fur ce 
labour du printems , & ne peut être 
que très-mufble fur tous les autres. 

Mais nonobftant tout ce qu’on 
vient de dire, 1 ne peut faire antre- 
ment , pour foutenir fa Méthode, 
que d'inffter fur tous les labours 
dans la faifon de l'été, puifque le 


538 RÉFUTATION 


terrein des plattes bandes eft encore 
deftiné à être enfemencé pour être 
moiflonné l’année fuivante, & que 
pour cette raïfon , on ne peut fe 
difpenfer de faire la répétition des 
labours. 

Voilà comme on fe trouve mal 
engagé fans s’en appercevoir , lorf- 
qu'on donne pour principe de fé- 
condité, un paradoxe, dont on ne 
voit pas toutes les conféquences. 

Quand on diroit que ce paradoxe 
eft généralement un faux principe, 
on n’avanceroit rien de trop, 

Car, pour peu qu'on ait de prati- 
que dans l'Agriculture, on convien- 
dra que toutes les expériences qui 
font rapportées dans la Méthode 
de M. Thull, n'ont pu favorifer ce 
paradoxe, qu'autant que le terrein 
y étoit difpoié , & que les faifons du 
printems & de l'été ne fe font point 


DE M THULIL 39 


trouvées trop féches, & qu'elles s'y 
{ont heureufement prètées. 

Ainf, toutes celles qu'on pourra 
encore tenter, ne pourront qu'être 
hazardées, même fur les meilleurs 
terreins. 

A l'égard de ceux qui font médio- 
cres & mauvais, comment cette fe- 
conde culture fur les racines du fro- 
ment pourroit-elle avoir feulement 
le moindre effet ? fuppofant même , 
ce qui n'eft pas , qu'elles puiflent 
s'étendre jufques dans le labouré des 
piattes bandes , pricipalement les 
racines qui fortent du milieu des 
planches : carelles auroient au moins 
une efpace de dix à onze pouces à 
parcourir & à traverfer pour pouvoir 
y arriver, 

Il n’eft pas concevable qu'étant 
tant de fois coupées , retournées & 
déplacées , elles foient en état de 


$40 RÉFUTATION 


s'y reprendre aflez vite comme dans 
un bon terrein, & d'y multiplier 
les fuçoirs , comme le prétend M. 
Thull. 

Cette feconde culture fe rédui- 
fant à ne pouvoir réuflir que quel- 
quefois & dans certaines années, 
{ur de bons terreins l’Apolosïte de 
M. Thull a eu grand foin de ne faire 
mention que des expériences qui y 
ont été faites avec quelque fuccès 
apparent , & quinepeuvent, comme 
lon voit, en impofer qu’à ceux qui 
ne fçavent ce que c’eit qu'Agricul- 
ture. 

Voudroit-il encore après cela pré- 
tendre que la répétition des la- 
bours, fur les racines du froment , a 
tant d'effets & produit une fi prodi- 
gieufe quantité de fels & de fucs, 
qu'elle peut agir également & fans 
aucune diftinétion fur toutes fortes 


DE M: TuuULiL $4r 


de terreins, bons, médiocres ou 
mauvais ? 

Qu'on en fafle l'expérience, & 
qu'on les mette en planches & en 
plattes bandes en pareille quantité, 
en fuppofant qu'ils ayent été égale- 
ment plufieurs fois labourés dans 
tout le tems de la végétation & de 
l’accroiflement du froment jufqu'aw 
tems de fa maturité, en fuppofant 
même encore que toutes les racines 
quifortiront des planches faites dans 
ces trois différens terreins, ayent 
pu atteindre également aflez:tôt le 
labouré des plattes bandes, en réful- 
tera-t-1l trois récoltes pareillement 
abondantes ? 

Elles fuivrontaflurément la nature 
de leurs terreins ; & feront voir, à 
n’en pouvoir douter, que la terre 
indiftin@tement , nonobftant la répé- 
tition des labours , n’acquiert pas la 


542 RÉFUTATION 


grande quantité de fels & de fucs 
inépuifables, qu'on veut lui fuppofer;, 
quoique les racines ayent été miles 
à portée d'en profiter par Les labours 
réitérés dans les plattes bandes. 

Qu'on prenne dans les plaines de 
Champagne ( où cependant on fait 
venir un bon froment avec un en- 
grais fufffant ) un quarré de terrein 
pour le cultiver fuivant la nouvelle 
Méthode de M. Thull, quelle pitoya- 
ble récolte n'en réfultera-t-1il pas, 
nonobftant les labours réitérés dans 
les plattes bandes? Ces labours y 
procureront-ils des fels & des fucs 
inepuifables ? 

En général, la répétition des la- 
bours ne peut avoir d'autre effet 
que de mettre plus ou moins un ter- 
rein, fuivant fa portée, en état de 
profiter des influences de l'air, du 
foleil & des pluyes ; mais elle n’en: 


# 


DE M THuULL 43 


thangera jamais n1 la nature, ni ia 
qualité. 

Une pareille prétention ne peut 
donc fervir qu'à achever de décrier 
la nouvelle Méthode , qui femble 
ne point reconnoitre la diverfité des 
terreins , paroïflant infinuer que 
fon principe de fécondité eft fi fupé- 
rieur, qu'en sy conformant & en 
l'exécutant, on peut fe mettre au- 
deffus de cette diverfté. 

Cette diverfité fait cependant né- 
ceffairement la bafe fondamentale 
de tout ce qu'on peut établir pour 
bien diriger les opérations de l'A- 
griculture : qui penfe autrement re 
Ja connoit pas. 


E 
CIN 


$44 RÉFUTATION 
CH PA TR EH 


De la Juppreffion des Engrais. 


ÂL n'eft pas étonnant que , dans 
cette nouvelle Méthode , on ait été 
jufqu'à fupprimer entièrement les 
engrais , qui font cependant fiimpor- 
tans dans l'Agriculture , puifqu'on a 
attribué au principe de fécondité de 
la nouvelle Méthode l'effet de pro- 
duire fur tout terre, de quelque 
nature qu'il puiffe être, foit bon, foit 
Médiocre où mauvais, une fi prodi- 
gieufe quantité de fels & de fucs, 
qu'ils deviennent même irépuifables. 
Mais, comme on a fait voir ci- 
deflus , d’une façon à ne pouvoir y 
répliquer , qu'un pareil principe n'é- 
toit qu'un paradoxe infoutenable , il 
en eft de même de toutes les con- 
féquences 


DIE MER LL. : 4} 
Téquences qu'il a plu à M. Thull 
d'en tirer. 

Cette prétention de pouvoir ainfi 
fe pafler d'engrais, n’eft-elle pas fin- 
gulière à 

Cependant fon Apologifte , fans 
faire , apparemment , attention qu'il 
devoit autrement refpeéter ce prin- 
cipe, & ne lui donner aucune at- 
teinte, a eu la complaifance d’ac- 
corder de petits engrais, comme les 
cendres, les fuyes de cheminées , 
les boues, les cendres de chaux, &c. 
à l'exception néanmoins de ceux 
de beftiaux, parcequ'étant compo 
fés de pailles, ils ne pourroient que 
déranger l'ufage du femoir qui ne 
veut qu'un terrem aifé , & que rien 
ne puiffe arrêter. 

Véritablement , quand une terre 
eft amandée avec des fumiers de 
befliaux, cela ne peut que la rendre 

M ma 


546 RÉFUTATION 
très-inégale , d'autant plus que les 
pailles, dont ils font entremêlés, 
ne fe trouvent pas toujours bien 
pourris au tems de la femence. 
Comment peut-on tant vanter une 
machine qui ne s’accommode point 
avec les fumiers de Beftiaux ? 


nent a E 


CD PTT RE IV. 


Onneconçoitpoint comment on entend; 
/ 
dans la nouvelle Methode, la fuppref- 
fion des Jachères qu’elle annonce. 


F. E Qu'il y a de plus furprenant 

dans cette nouvelle Méthode, c’eft 

la fuppreffion des jachères que M. 
Thull annonce , comme pour fe don- 
ner un air d'avantage fur l’ancienne 
Méthode, tandis qu'il ne peut dif- 
convenir lui-même , que l’établifle- 

ment des plattes bandes n’emporte 

plus de la moitié du terrein, fans rien 
rapporter ; les tiges de froment ne 
pañlant point au-dela des planches. 

On a toujours entendu par Ja- 

chères, la partie des terres qui fe re-, 
pofe alternativement tous les ans, 

dans un çorps de Ferme, c’eft-à-dire 

| Mnij 


53 RÉFUTATION 


qui ne porte point , & qui ne pro-= 
duitrien pendant une année entière, 
fervant en mème tems de pâturage 
aux befhiaux ; c'eft cette grande uti- 
té qui en réfulte pendant un fi long- 
tems, qui lui a même fait donner ie 
nom de Jachères. 
_ Comment donc M. Thull l'entend 
t-1? Le voici. C’eft que, quoique les 
terreins des plattes bandes ne por- 
tent point & ne produifent rien, 
n'étant deftinés qu'a être labourés, 
ils n’en font pas moins en travail, 
fuivant lui , parce qu'ils ne ceflent 
de fournir des fels & des fucs nour- 
riciers aux racines qui fortent des 
planches pour s'y étendre : il fuppofe 
donc qu’elles s'ÿ rendent toutes; 
ce qu'on ne croit point pouvoir ar- 
river dans des terreins médiocres & 
fnauvais. 

C'eit donc en conféquence de ce 


pe M THuLL 549 


travail fuppofé, qu'il fe croit auto- 
rifé de prétendre que fa nouvelle 
Méthode eft exempte de jachères. 

M. Thull entend encore, qu'iln'y 
a point de jachères dans fa nouvelle 
Méthode , parceque tout ce qui eft 
cultivé, par elle , porte tous les ans. 

Par exemple, une piéce de terre 
qui fera tous les ans cultivée fuivant 
fa nouvelle Méthode , fera cenfée » 
felon lui, toujours porter, parceque 
tous les ans elle fe trouvera en fro- 
ment. 

Mais il faut faire attention que 
dans cette piéce , il ny a que ce qui 
fe trouve en planches qui porte & 
qui produit, & que les plattes ban- 
des ne fervant qu'a être labourées ,il 
y a néceflairement dans cette piéce 
plus de moitié de fon terrein qui 
ne porte point & qui ne produit 
rien. 


$59o  RÉFUTATION 


Ainfi quand M. Thull dit qu'il n'y 
a point de Jachères dans fa nouvelle 
Méthode , parceque les terres, y 
étant en travail, ne fe repofent 
point, ou parceque tous les ans une 
même piéce de terre eft cultivée 
pour continuer à toujours donner 
du froment ; on appelle cela abufer 
des termes , pour en faire accroire à 
ceux qui ne fçavent ce que c’eft que 
Jachères. 

Cela a mème fi bien pris parmi 
fes Seétateurs , qu'ils foutiennent 
tous, que dans fa nouvelle Métho- 
de , rien ne s'y repofe , & que 
tout y porte tous les ans; ajoutant 
que c’eft en cela que confifte fa 
grande prérogative fur l’ancienne 
Méthode. 

Pourroit-on dire qu'ainfi que fes 
Settateurs, M. Thull n’a pas en- 
tendu ce que c’eft que Jachères ? 


: 


DE NT HULL S4r 


11 ne les a voulu entendre , du 
moins , que dans le fens qu’elles fi- 
gnifient Päturages, puifquil con- 
vient que le terrein des plattes ban- 
des de fa nouvelle Méthode ne peut 
fervir de pâtures aux beftiaux , par- 
cequ'elles fe trouvent fi étroitement 
placées entre deux bleds , qu'il n'eft 
pas poffble de les y conduire. 

Ce n’eft pas là affurément le bel 
endroit de fa nouvelle méthode. 

Prévoyant bien les objeétions 
qu'on lui feroit à l’occafion de la 
fuppreflion des jachères en tant 
qu'elles ne fignifient que Pâärurages ; 
il n'a pas manqué de les prévenir , 
en difant que , comme fa nouvelle 
Méthode donnoit le moyen de 
faire rapporter un arpent de prai- 
ries artificielles, plus que plufieurs 
ne le pourroient dans les jachères , 


& mème dans les prairies ordinai- 
Mm iv 


552 RÉFUTATION., 
res , il étoit facile de fe dédomma- 
ger. 

Mais il ne s’agit pas ici feulement 
du gros bétail, comme vaches où 
bœufs ; on fçait qu'en faifant ufage 
des prairies artificielles , on peut 
aufli-bien , & même encore mieux 
les nourrir , & les engraiïfler en les 
gardant dans leurs écuries, qu'en 
les conduifant dans les jachères, où 
le plus ordinairement 1l n'y a que 
peu pour eux à paturer. 

C'eft des bêtes blanches qu'il eft 
principalement queftion , & qu'on 
ne peut garder dans leurs bergeries. 

Les jachères ne font, pour ainf 
dire , établies que pour elles, comme 
on l'a fait comprendre dans le Ma- 
nuel pour le Laboureur ; parcequ'elles 
s'y nourriflent beaucoup mieux que 
tous les autres beftiaux, n’aimant 
que l'herbe des champs , & nulle- 


DE:4M: HURE MES 


ment celles des rrairies qui les pour- 
rit, fe nourriflant fur-tout des raci- 
nes qu’elles içavent fi adroite- 
ment trouver dans le labouré des 
Jachères. 

I! eft d'autant plus intéreflant de 
ne pas ceffer de les y condure, que 
la finefñe & la bonté de leurs laines 
en dépendent, n'y ayant que le grand 
air qui puile les bonifier ; au lieu 
qu'en les gardant dans leurs berge- 
ries, pour ne les conduire que quel- 
ques"fois päturer le long des che- 
mins ou fur quelques montagnes, 
lorfqu'il s'y en trouve, leurs laines 
s'y échaufflent, sy pourniflent, & 
ne peuvent qu'en devenir très-mau- 
vaifes. 

Il eft fi vrai quil n’y a que le 
grand air qu bonifie leurs laines , 
qu'on a l'expérience qu’elles réuf- 
&flent beaucoup mieux dans les Can- 


554 RÉFUTATION 


tons où on peut établir des parcs 

Ainfi une Méthode qui fupprime 
aufli complettement des paturages 
qui font fi néceflaires aux bêtes blan- 
ches, doit être rejettée. L'intérêt 
public exige même qu’on en défen- 
de l’ufage , les laines faifant dans no- 
tre Royaume, & par-tout ailleurs, 
une branche de commerce auñf in- 
téreffante. 

Que répondra à cela M. Thull ? 
S'en tirera-t-1l , comme 1l s’en eft 
tiré à l'égard du gros bétail à? ® 

La différence qu'il y a donc entre 
l'ancienne Méthode & la nouvelle, 
c'eft , que dans celle-ci, plus de la 
moitié des terres y refte en pure 
perte, fans qu’elles puifflent fervir 
de pâture aux bêtes blanches, ce 
qui mérite une grande attention; au 
heu que, dans l’ancienne Méthode , 
ce qui reite tous les ans fans rien 


DE M. THULL ss 


porter,& qui ne confifte que dans le 
tiers des terres qu'on laboure , leur 
eft extrèmement profitable. 

Quand l’ancienne Méthode n’au- 
roit que cette prérogative qui eft fi 
précieufe à l'Agriculture & au com- 
merce , elle feroit bien fufifante 
pour lui donner gain de caufe fur 
la nouvelle , & pour faire voir que 
celle-ci n’eft pas propofable. 


ÿ56 RÉFUTATION 


: CH A PAIE RER: 


Des expériences rapportées en faveur de 
la nouvelle Méthode. 


D E tout ce qu’on a dit ci-deflus 
il s'enfuit bien clairement , que tou- 
tes les expériences en petit, qui font 
rapportées fans nombre en faveur de 
la nouvelle Méthode, tombent d’el- 
les-mèmes , parcequ'on ne peut en 
conclure qu'on puifle l'exécuter en 
grand ; cela vient d'être prouvé & 
démontré de façon à ne point fouf- 
frir de réplique. 

Il s'y en trouve à la vérité quel- 
ques-unes en grand, comme celle qui 
a été faite par M. Lallin de Chateau- 
vieux , Syndic de la Ville de Gené- 
ve; mails on ne peut encore en rien 
conclure , parcequ'on a bien fait 


DE, M. .THULE 557 


voir que , pour pouvoir exécuter en 
grand la nouvelle Méthode, il fal- 
loit pofléder un terrein fait exprès, 
c'eft-à-dire qui foit iolé de tous 
les côtés & qui n’ait niroyés, ni te- 
nans, ni aboutiffans , ce qu'il eft ex- 
trêmement rare de trouver; d’ail- 
leurs on ne doit pas s'étonner des 
petits fuccès apparens qu'ont pu 
avoir toutes ces expériences, n'ayant 
été faites que vis-à-vis les routines 
de nos Laboureurs. 

Ainf, de queique côté qu’on les 
confidère , elles ne fignifient & ne 
décident rien en faveur de la nou- 
velle Methode. 

Ofera-t-on , après cela, la mettre 
en comparaïifon, vis-ä-vis l’ancienne, 
bien entendue , & telle qu’on l’a 
donnée & expliquée dans le Manuel 
pour le Laboureur, puifqu’elle s’exé- 
cute aufl facilement, tant en grand 


# 


558 RÉFUTATION 


qu'en petit, fur tout terrein bon , mé- 
diocre, mauvais, avec les plus heu- 
reux fuccès, jufqu'à les faire rappor- 
tertrois à quatre fois plus. & les faire 
tous monter à la plus haute valeur 
qu'on puifle leur donner à chacun. 

Onenaune preuve bien complette 
dans l'expérience , qu'en a faite l’Au. 
teur des Prairies artificielles , fur une 
terre qu'il pofléde. 

Elle feule en dit plus que toutes 
ces expériences en petit, quoique 
fans nombre ; car n'apprend - elle 
pas tout ce qu'on peut défirer de 
fçavoir pour bien faire valoir un 
corps de Ferme , quelque confidé- 
rable qu'il puiffe être, & en quelque 
Pays & Canton quil puifle être 
fitué 2 | 


at 
C9 
“aie 


DE M THULL 59 
ee nee ce canne ce ee | 
CHAPITRELME 


De l'inurilire de l'ufage du Semoir dans 
la façon ordinaire de cultiver. 


L'AroLoO GISTE de M. Thull a 
encore donné un nouveau Traité 
fousle Titre d’Elémens d'Agriculture. 

C’eft un abregé de la nouvelle 
Méthode , dont il vante toujours 
le merveilleux principe de fécon- 
dité pour engager de plus en plus à 
la pratiquer, au moins en petit, 
dans l’efpérance qu'a la fin on par- 
viendroit plus facilement à pou- 
voir l’exécuter en grand. 

Mais cependant comme il s’eft ap- 
perçu que , malgré toutes fes exhor- 
tations , qui contiennent cinq à fix 
volumes , on continuoit de ne l’exé- 
cuter qu'en petit ; & qu'après les ex- 


560 RÉFUTATION 


périences, qu’on en avoit même fais 
tes avec quelques fuccès apparens, 
onn'étoit pas plustenté de l’exécuter 
en grand, 1l s'eft déterminé de pro- 
pofer dans ce nouvel Ouvrage qu'il 
regarde comme un Rudiment d'A- 
griculrure , de réduire toure la nou- 
velle culture à l’ufage feul du fe- 
moir ; parceque, par fon moyen, on 
ne pouvoit que beaucoup gagner 
fur les femences, ne s'agifant pas 
moins , felon lui & tous fes par- 
tifans, que de la moitié , des deux 
tiers & mème des trois quarts fur 
ce qu'on en employe ordinaire- 
ment , ajoutant même qu'on gagne- 
roit encore beaucoup fur les ré- 
coltes. 

Enfin il va jufqu'a propofer l’ufa- 
ge de fon femoir dans la façon ordi- 
naire de cultiver , nonobitant les 
routines dont elle eft accompagnée, 

bien 


DE M. THULL és 


bien perfuadé que cela lui procu- 
rera un très-grand avantage. 

Voilà donc où il borne préfente-: 
ment tout ce qu'on peut faire poux 
rétablir notre Agriculture. 

Il eft inconcevable qu'il continue 
d'infifter toujours à attribuer à l’u- 
fage du femoir de pouvoir ainfi ré- 
duire la femence , fans expliquer la 
caufe d’un effet aufh merveilleux. 

Dans la pratique de la nouvelle 
Méthode, il y a du moins une caufe 
apparente dans fon prétendu princi- 
pe de fécondité; mais le propofer 
encore dans une autre Méthode qui 
a des principes différens, avec les 
mêmes avantages , fans en expliquer 
la caufe, c’eft ce qu’on ne conçoit 
point. 

Quoi qu'il en foit, comme il eft 
de principe , dans toutes les Prati- 
ques locales du monde entier , qu'il 

Nn 


56 RÉFUTATION 


n'y a que l'expérience du Labou- 
reur, qui puiffle bien déterminer & 
régler fa quantité de femence ; & ce 
principe étant fi vrai, que l’Apolo- 
gifte lui-même ne peut que le re- 
connoitre , on ne peut donc bien fe- 
mer qu’en fe conformant à ce prin- 
cipe, qui a été établi ci-deflus dans 
la quatrième Seûtion, Article IV du 
troifiéme Chapitre du Manuel pour 
le Laboureur ; on ÿ rapporte une ex- 
périence qui eft fans replique. 

Cela étant, quand la quantité de 
femences a été ainfi réglée par le 
Laboureur , qu'il fe ferve du femoir, 
ou qu'il fe ferve de fa poignée 
pour la répandre; y a-t-il quelque 
chofe pour lors à gagner pour lui ? 
Et y aura-t-il plus d'avantage d’un 
côté que de l’autre ? 

Or, comme on a encore fait voir 
que le Laboureur avêc fa poignée, 


DE M THULL 563 
la diffribuoit avec tant de précifion, 
que , dans la quantité d’un feptier 
qu'il étoit déterminé de donner à 
un arpént il ne s’y trompoit pas feu- 
lément d’une écuellée : à quoi bon 

un femoir qui eft dé- 


1 


tant vahter 
montré être anfli inutile , & qui ne 
peut gagner que dans le cas qu'on 

en feroit ufage vis-à-vis un Labou- 
reur qui ne femeroit que par rou- 
tine ? 

u lieu donc de s’amufer à ces in- 
ventions qui ne feront jamais venir 
un grain de plus vis-à-vis une bonne 
Agriculture ; que ne. soccupe-t-on 
plutôt des vrais moyens de la réta- 
blir ? 

Ne pouvant être contefté, comme 

on l’a fi bien démontré, que fon 

dérangement ne provient que des 

_routines de nos Laboureurs , & que 

du défaut du concours des Proprié- 
N n i 


564 RÉFUTATION 


taires avec leurs Fermiers, pour 
des établiflemens de prairies, ce ne 
fera aflurement point dans l’ufage 
du femoir qu'on les trouvera. 

Les bons Cultivateurs, c’eft-à- 
dire ceux qui fçavent ce que c’eft 
qu'Agriculture , & qui en ont toute 
l'expérience , ne peuvent que fouf- 
frir de voir que depuis fi longtems 
on ne donne ainfi que dans la frivo- 
lité & dans l'illufion. 


DE M. Thurze 6 


CO N°C' LU SI ON: 


@, UE conclure de tout ce qu’on 
vient de dire de cette nouvelle Mé- 
thode ? Ce qu’en ont penfé les bons 
Cultivateurs , c’eft-à-dire ceux qui 
fçavent ce que c’eft que l’Agricul- 
ture & qui l'ont pratiquée. 

Qu'elle n'eff qu'une idée de cabinet & 
rien plus, qui ne peut s'exécuter que [ur 
les meilleurs terreins | & qui ne peut s’y 
exécuter qu'en petit & que très-difficile- 
ment en grand ; encore faut-il que le 
terrein foit ifolé de toute part. 

En Peur, fi on a la précaution de 
choifir un bon terrein, & même le 
meilleur qu'on puifle connoitre , elle 
amufera beaucoup ceux qui vou- 
dront voir jufqu'où peut s'étendre 
le talement du froment , qui fait un 

Nnu 


s66 RÉFUTATION 
des plus beaux objets d’admiration 
qu'il y ait dans la Nature. 

L'exécution en eft. facile fur un 
quarré qu'on prendroit dans un Jar- 
din ou ailleurs, en dreffant & en la- 
bourant à la bèche où à la charrue 
les grandes bandes , & en fe fervant 
du femoir pour former les planches, 
les petites bandes & les plattes ban- 
des. 

» Cependant, dxa-t-on, M. Lal- 
sin de Chateauvieux exécute ez 
» grand, depuis plufeurs années, 
» cette nouvelle Méthode avec la 
» plus exaéte précifion, fans man- 
» quer à rien de tout ce qu'elle pre- 
» fcrit; 1l en eft même fi content qu'il 
» a beaucoup travaillé à perfeétion- 
» ner le femoir de M. Thuill. » 

Ce qu'on peut répondre, fans même 
qu'il y ait à repliquer, c’eft que M. 
de Chateauviçux pofléde un. Do- 


DE M THULL 567 


maine fait exprès pour l’exécurion 
de cette nouvelle Méthode, & qu'il 
ne connoit l’ancienne que par les 
routines de nos Laboureurs, qui vé- 
ritablement ne font pas foutenables, 

Mais sil la connoifioit telle 
qu'elle fe trouve & qu’elle fe déve- 
lopne dans toutes les Pratiques loca- 
les ainfi que dans celle du Canton 
où font fituées toutes les terres qu'il 
fait valoir par lui-même, ce qu'il dé- 
couvrira mueux que tout autre, 
quand il voudra y réfléchir, il n'y 
a point de doute qu'il ne revint 
bien vite de fon illufion ; il feroit 
même furpris, qu’on ait ofé fubfti- 
tuer à l’ancienne Méthode la nou- 
velle de M. Thull , qui lui paroîtroit 
pour lors f. peu raifonnée. 

Le retour de M, de Chateauvieux 
à la véritable Aoriculture , feroit 
| pour celle-ciuneavantageufe acquifi- 
Nniv 


568 RÉFUTATION 


tion, ayant fi bien fait voir qu'il en 
étoit zélé Amateur & Cultivateur , 
par la conftance & le courage fans 
exemple , qu'il lui a fallu avois pour 
furmonter toutes les difficultés qu'il 
n’a pu que rencontrer dans l'exécu- 
tion de la Méthode de M. Thull. 

Malgré tout ce qu'on vient d'en 
dire, on ne peut que donner les plus 
grands éloges au célébre Acadé- 
micien qui a bien voulu en être 
l’'Apologifte ; puifque l'Agriculture 
lui a des obligations réelles. 

Avant lui on n'ofoit, pour ainfi- 
dire, en écrire, ni en traiter; on 
auroit même cru s’avilir. 

Ayant donc franchi le pas, il eft 
parvenu à fi bien faire fentir de 
quelle importance il étoit de s’appli- 
quer à l’Agriculture & de la con- 
noître, qu'aujourd'hui il n'y a qu 
que ce foir qui ne fe fafle un plaifir 


DE M THuLrz $69 


de s’en occuper, & qui ne convien- 
ne qu'elle eft réellement le feul & 
unique fondement de toutes nos 
richefes folides. 

En un mot c’eft lui qui a ranimé 
en France le goût de l'Agriculture , 
qui y étoit comme perdu. 


EUTAN. 


570 SUPPLÉMENT. 
+ ! 


ÉPÉLEPLITS 
SUPPLÉMENT. 


OBSERVATION 


Sur l'Article IV de la Section des 
Engrais, page 194. 


Hans le tems que l’Auteur des 
Prairies artificielles n’étoit encore que 
novice dans la pratique de l’Agri- 
culture, il avoit commencé par faire 
une très-grande quantité de prairies 
& par acheter beaucoup de beftiaux, 
voulant fe preffer de jouir & de 
mettre fon corps de Ferme en plei- 
ne valeur : mais, ayant reffenti auffi- 
tôt le défaut de pailles, & s'étant 
laflé d'y fuppléer en en achetant les 
premières années, il a été enfin 


SUPPLÉMENT. $71 


obligé de réformer fes prairies & 
fes beftiaux pour enfuite ne les 
augmenter qu'au fur & à mefure que 
le produit des pailles augmenteroit 
dans fon corps de Ferme. 

On a donc raïfon de dire que ceux 
qui trouvent trop lente la Méthode 
qu'il propofe pour parvenir à bien 
exécuter le renouvellement de len- 
grais fur la totalité d’un corps de 
Ferme , quelque confdérable qu'il 
puüfle être, font fans expérience, 
ou du moins qu'ils n'ont pas encore 
pratiqué aflez long-tems pour bien 
fçavoir ce qu'il en eft de l’Art de 
l'Agriculture fur toutes fes opéra- 
tions, 


$72 SUPPLÉMENT. 


DIR'SER V'AITAONN 


Sur le Chapitre IV dx Manuel d’Agri- 
culture pour le Gouvernement , 


page 489. 


N E feroit-il pas plus avantageux 
pour le rétabliflement général de 
Agriculture en France , de propo- 
fer dès-a-préfent des prix ou des ré- 
compenfes confidérables en faveur 
des premiers Propriétaires qui, 
par eux - mêmes ou par leurs Fer. 
miers, parviendroient à doubler & 
a tripler le revenu de leurs corps 
de Ferme de la contenance de trois 
cents arpens, ou au moins de deux 
cents, foit par le renouvellement de 
terrein, enemployantle travail de la 
charrue , foit par le renouvellement 
& l'entretien de l’engrais , foit enfin 
par l’un & par l’autre exécutés en 
même tems ? 


eh be eee ee mers este age eee apoofe uuge date age she onto 


D EE NES 
LH Cd 608 POS 


DES MATIÈRES. 


MANUEL D’AGRICULTURE. 


ÂDrE Sommaire de l’'Ouvrage , 
Page V 

Explication de l'Eftampe, XIX 
T2 PE TER QE SEPT ET PACE OC PAT MENT EEE, 


ARTICLES PRELIMINAIRES. 


ART. I. De la pofition de notre Agri- 
culture , page I 

ART. IL Des différentes façons dont 
nos terres font tenues par les Gens 
de la Campagne, 

ART. II. Du déläbrement de lAgri- 


culture en France, 16 
ART. IV Des véritables caufes du dé- 
lâbrement de Agriculture, 27 


ART. V. Des Pratiqueslocales,& comme 
Jeur établiffement renferme & con- 
tient la feule & véritable Méthode 
de l'Agriculture, 3$ 

PLAN, de ce Manuel dans lequel on 
propofe les vrais & feuls moyens de 
rétablir l'Agriculture, 6; 


$74 TABLE 


PREMIÈRE PARTIE. 


Manuel d'Agriculture pour le 

Laboureur. 

DEFINITION de l'Agriculture: 
Quelles font fes opérations ? 
Quel eft ion vrai Principe ? En 
«quoi confifte la Méthode qui en 


réfuite ? page 69 
Cap. Il. De l'examen des Ter- 
Jeins, 
Secrion I. Comment on doit exami- 
ner les terreins, 74 


SEcTioN Il. Les fortes de qualités gé- 
nérales & communes qui fe trouvent 
fur tout térrein, ; 7 
SEcTION III. Ce qui occafonfe les 
qualités des bons , des médiocres & 
des inaüväaïis terreins , & de la diffé- 
rence des féls & des fuücs qu'on y 
trouve , I 
Cap. li. De l'expérience, com- 
ment on l'acquiert ; & quels font 
fes effets , 87 
CHap. II. Des différentes façons 
d'exécuter les opérations de l’A- 
gricuiture relativement à toutes 
les fortes de qualités de ter- 
reins. 


DES MATIÈRES. $7s 


SecTION I. De l'opération du la- 


bour , page 91 
$ I. Du labour à plat , par bandes & par plan- 
ches, 92 


$ II. On ne peut trop répéter le labour, 95 
$ III. On doit foncer le labour, f{clon que le 
terrein a plus ou moins de fond, 100 
6 IV. En quel tems il convient de commen- 
cer les labours, 232 
$ V. Maximes générales fur les labours, 137 
$ VI. Des charrues & autres inftrumens ufités 
dans toutes les Pratiques locales, 159 
& VII Le Laboureur doit être bien monté, 


161 
SecrTion IL De l'opération de l'En- 
grais , 16$ 

$ 1. ies différentes façons d’exécuter les opé- 
rations de l’Engrais, 169 

$ II De l'entretien & du renouvellement de 
l'Engrais, 171 


$ III. Comment exécuter le renouvellement 
de l’Engrais fur la totalité d'un corps de 
Ferme de trois cents arpens:, 173 
$ IV. Comment fe procurer tous les ans la 
grande quaniité d'Engrais nécetfaire pour 
exécurer leur renouvellement fur un corps 
de Ferme de trois cents arpens , quoique 
la Nature n'y ait point établi de prai- 


ries , 180 
$ V.. Des grands avantages de la pratique du 
renouvellement d’Engrais, i 196 
$ VI. Autre pratique du renouvéilement d’En- 
grais , 212 
$ VIT. Des Engrais de beftiaux ; 216 
$ VIII Commeut s’y prendre pour faire con 
fommer les Engrais de beftiaux en- peu de 
téms , 22 
$ IX. Réponfe à un certain Auteur au- fujec 
des établiffemens de Prairies , 137 


Supplément à l'Article des Engrais. 579 


576 TA-B LE 
SecTioN III. Des Jachères , page 243 
6 


$ I. Ce qu’on entend par Jachères, 24 
$ II. Ce qui occañonne & néceflice les Jachè- 
res 249 
$ It. De la divifion & du partage des terres 
à Jachères, 258 
$ IV. De l’obfervation générale des Jachères, 
174 
*$ V. De la fuppreilion des Jachères par le re 
nouvellemegt de terrein, 278 
$ VI. De la fuppreflion des Jachères par le 
renouvellement de l’Engrais, 292 
$ VII. De la divifion & du partage des terres 
qui font fans Jachères, 319 
$ VIII. Comment un Laboureur doit fe con- 
duite en tout paÿs, par rapport aux Ja- 
chères » 319 
$ IX. Conclufion, 323 


Section IV. De l'opération des Se- 


mences , 2$ 
$ 1. Comment fe procurer la meilleure qua 
lite de froment, 327 

$ II. De la bruine & de fa véritable caufe, 
- 339 

$ III. Lotion, ou leflive éprouvée pour forti- 
fier le froment, &c. 343 


.$ IV. Ce qui doit régler , par arpent , la quan- 
tité de froment qu'il convient de femer , 

, LA u 7 

$ V. Ce qui eft ufité dans toutes les Pratiques 
locales pour jeter & répandre également 


la femence , 572 
$ VI. Le Laboureur ne doit faire fes femences 
que dans un tems convenable, 373 


CONCLUSION de cette première 
Partie, 375 


SECONDE 


DES MATIÈRES. s77 


SECONDE PARTIE. 
Mn d'Agriculture pour le 


Propriétarre. 


INTRODUCTION ;, page 379 
CHap. I. Le défaut de prairies 
ne peut être réparé que par les 
Propriétaires, 381 
CHap. IL Comment les Proprié- 
taires doivent s'y prendre pour 
faire faire des établiffemens de 
Prairies , 390 
CHapr. III. Ce que le Propriétaire 
doit encore faire après l’établif- 
fement de la prairie, 41$ 
Cxar. IV. Ce qu'un Propriétaire 
doit fçavoir pour donner une 
jufte eftimation à la location de 
fa Ferme, 424 
Cuap. V. Ce qu'il en coûteroit 
au Propriétaire pour faire faire 
une prairie dans le courant d’un 
bail de neuf ans, 437 
CHap. VI. De certaines attentions 
que le PRÉPARER doit avoir 
fur fon corps de Ferme, 451 
Oo 


78 DES MATIERES. 


Car. VIL Ce qu'un Propriétaire 
doit fçavoir de l'Agriculture, 


PIE 457 
CONCLUSION de cette feconde 
Partie. 462 


TROISIÉME PARTIE. 
Manuel d'Aporiculture pour le 


Gouvernement. 


INTRODUCTION , 465 
CHapr. I. Comment le Gouverne- 
ment peut concourir à retirer 
nos Laboureurs de leurs rou- 
tines , 468 
CHar. Il. Comment le Gouver- 
nement peut concourir à remé- 
dier au défaut de prairies, 472 
Cap. II. De quel avantage 1l fe- 
roit que le Gouvernement con- 
nût la jufte valeur de nos ter- 
res, 479 
CHap. IV. Combien il feroit avan- 
tageux au Gouvernement de s'in- 
fruire de l'Agriculture, 483 
OBSERVATION , 572 


DES MATIÈRES. 579 


Réfanion à de la Nouvelle 
Méthode de M. Thull. 


INTRODUCTION ; page 493 


PREMIÉRE PARTIE. 


Précis de la Nouvelle Méthode 
de M. Thull. 495$ 


SECONDE PARTIE: 


Réfuration de la Nouvelle Mé- 
thode de M. Thull. 
INTRODUCTION , 509 
CHap. I. La Méthode de M. Thall 
ne convient point à la pofition 
de notre Agriculture & à la fitua- 
tion de nos terres, 514 
CHap. IT. Les fréquens labours fur 
les racines du froment , ne peu- 
vent lui être aufli avantageux 
que le prétend M.Thuil, $29 
CHap. ll. De la fuppreffion des 


Engrais , 544 
Oo i 


Bo TABLE, &c: 
CHaAP. IV. On ne conçoit pas com 
ment on entend, dans la nou- 
velle Méthode, la fupprefñion: 
des jachères qu’elle annonce , 
| . Page SAT. 
CHAP. V. Des expériences rap- 
portées en faveur de la Nouvelle 
Méthode , 536 
CHapr. VI De l'inutilité de l'ufa- 
ge du femoir dans la façon or- 
dinaire de cultiver, 559 
CONCLUSION , 565 
EIRE OMC AP SE ET PCA] 


SUPPLÉMENT 


OBSERVATION fur l'Article IV de 
la Seétion des Engrais, 570 
OBSERVATION fur le Chapitre IV 
du Manuel d'Agriculture pour le 
Gouvernement, s72 


Fin de la Table des Matières. 


NZ 
Ca)? 
= 


APR OBAT TON: 


j A1 LU, par ordre de Monfeioneur 
le Vice-Chancelier, un Marnufcrit 
qui a pour Titre : Manuel d'Agricul- 
ture pour le Laboureur, le Propriétaire 
& le Gouvernement | & je penfe que 
cet Ouvrage eft très-digne de l’im- 
prefion. À Paris ce 10 Décembre 
1763. Signe MACQU ART, Cen- 
feur Royal. 


PRIPLLEGE »r DU (ROL 


EL OUIS , par la grace de Dieu , Roi 
de France & de Navarre , à nos amés & 
féaux Confeillers les gens tenans nos 
Cours de Parlement, Maïtres des Re- 
quêtes ordinaires de notre Hôtel , Grand- 
Confeil , Prevôt de Paris , Baillifs , Sé- 
néchaux , leurs Lieutenans Civils & au- 
tres nos Jufticiers qu'il appartiendra , 
SALUT. Notre amé le fieur de /a 
Salle de l'Etarg , Nous 2 fait expofer 
qu'il défireroit faire imprimer & don- 
ner au Public un Ouvrage de fa compofi- 
tion qui a pour titre: Manuel d'Agriculture 


532 
pour le Laboureur, pour le Propriétaire & 
pour le Gouvernement : S'il Nous plaifoit 
lui accorder nos Lettres de Privilége pour 
ce néceflaires; À ces caufes , voulant fa- 
vorablement traiter l’Expofant , Nous lui 
avons permis & permettons par ces Pré- 
fentes, de faire imprimer fondit Ouvrage 
autant de fois que bon lui femblera , & 
de le faire vendre & débiter par tout 
notre Royaume pendant le temps de &x 
années confécutives , à compter du Jour 
de la date des Préfentes ; faifons défen- 
fes à tous Imprimeurs , Libraires & au- 
tres perfonnes , de quelques qualité & con- 
dition qu’elles foient , d’en introduire d’im- 
refion étrangère dans aucun lieu de 
Nos obéiflance ; comme aufli d'impri- 
mer ou faire imprimer, vendre, faire 
vendre , débiter ni contrefaire ledit Ou- 
vrage , ni d’en faire aucun extrait, fous 
quelque prétexte que ce puifle être, fans 
la permiffion exprefle & par écrit dudit 
Expofant, ou de ceux qui auront droit 
de lui, à peine de confifcation des exem- 
plaires contrefaits , de trois mille livres 
d'amende contre chacun des contreve- 
nans , dont un tiers à Nous, un tiers à 
J'Hôtel-Dieu de Paris, & l’autre tiers au- 
dit Expofant , ou à celui qui aura droit 
de lui, & de tous dépens , dommages & 
intérêts ; à la charge que ces Préfentes 
feront enregiftrées tout au long fur le 
Regiftre de la Communauté des Impri- 
meurs & Libraires de Paris , dans trois 


553 
mois de la datte d’icelles ; que l'impref 
fion dudit Ouvrage fera faite dans notre 
Royaume & non ailleurs, en bon papier 
& beaux caractères conformément à la 
feuille imprimée , attachée pour modéle 
fous le contre-fcel des préfentes ; que lim- 
pétrant fe conformera en tout aux Régle- 
mens de la Librairie, & notamment à ce- 
lui du 10 Avril 1725; qu'avant de l’ex- 
pofer en vente, le Manufcrit qui aura 
fervi de copie à l’imprefion dudit Ouvra- 
ge , fera remis dans le même état où l'Ap- 
probation y aura été donnée ès mains de 
notre très-cher & féal Chevalier Chance- 
lier de France , le Sieur DE LAMOIGNON ; 
& qu'il en fera enfuite remis deux exem- 
plaires dans notre Bibliothéque publique, 
un dans celle de notre Château du Lou- 
vre , un dans celle dudit Sieur DE L A- 
MOIGNON, & un dans celle de notre 
très -cher & féal Chevalier Garde des 
Sceaux & Vice-Chancelier de France, 
le Sieur DE MAUPEOU: le tout à 
peine de nullité des Préfentes : Du con- 
tenu defquelles vous mandons & enjoi- 
gnons de faire jouir ledit Expofant & fes 
ayans caufes , pleinement & paifiblement , 
fans fouffrir qu'il leur foit fait aucun trou- 
ble ou empêchement : Voulons que la co- 
pie des Préfentes , qui fera imprimée tout 
au long , au commencement ou à la fin 
dudit Ouvrage , foit tenue pour duement 
fignifiée, & qu'aux copies collationnées 
pat l’un de nos amés & féaux Confeillers 


554 7 
Sécretaires , foi foit ajoutée comme à l'O- 


riginal. Commandons au premier notre 
Hüïflier ou Sergent fur ce requis , de 
faire , pour l'exécution d'icelles , tous 
actes requis & néceffaires, fans demander 
autre permiflion & nonobitant clameur de 
Haro , Charte Normande & Lettres à ce 
contraires : CAR tel eft notre plaifir: Don- 
né à l’aris , Le guirziéme jour du mois de Fé- 
vrier l'an de grace mil fept-cent foixante- 
quatre, & de notre Régne le quarante- 
neuviéme. 
Par le Roi en fon Confeil , 


Signé, LE BÉGUE. 


Regifiré fur le Regiftre XVT de la Cham= 
bre Royale & Syndicale des Libraires & Im 
primeurs de Paris, N° 86, fol. 76, con= 
formément au Réglement de 1723 , qui fair 
défenfes , Art. XLI. , à toutes perfonnes de 
quelques qualité & condition qu'elles foient , au= 

res que les Libraires & Imprimeurs de vendre, 
débiter, faire afficher aucuns Livres pour les 
vendre en leurs noms, foit qu ils s’en difent Les 
Auteurs | ou autrement , & à la charge de four- 
nir à La fufdite Chambre néuf exemplaires 
prefcrits par l'Art. 108 du même Réglement : 
Æ Paris , ce 23 Février 1764, 
Signé, LE BRETON, Syndic. 

| 
De l’Imprimerie de LOT TIN l’Aîné, 


Libraire & Imprimeur de Monfeigneur 
le Duc de BERRY. 


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