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in 2010 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/manueldagricultu00lasa
M A. N° U Æ L
D'AGRICULTURE.
oc
le
point Le
Chance
€
N
MANUEL
D’AGRICULTURE
POUR LE LABOUREUR,
POUR LE PROPRIÉTAIRE,
ET
POUR LE GOUVERNEMENT: .
CONTENANT
Les vrais &feuls moyens de faire profpérer
l'Agriculture ,tanten France que dans
tous les autres Etats où l’on cultive ;
APUE,)C
La Réfutation de la Nouvelle Méthode
de M. Thull,
Par M. DE LA SALLE DE L'ÉTANG, Seigneur
de Muyr, Tinqueux, &c. ancien Député
de la Ville de Kheïms à Paris.
AT P'A RES,
Lotrin l’Aîné, Libraire & Imprimeur,
Chez 9 rue S:. Jacques , au Coq.
DESSAIN Junior , Libraire , Quai des
Auguftins , à la Bonne-Foi.
AREA IP ELEC PRES TIR EX PRRRIPTE VUE CS ;
MD'C\C.L XI. Y.
Avec Approbation, & Privilegs du Roi.
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IDÉE SOMMAIRE
:. DECE MANUEL
D'AGRICULTURE:
C N fe:propofe dans cet Ou-
vrage de faire connoitre les
vrais moyens, 8: même les feuls
qu'on puifle mettré en œuvre
“pour parvenir a. rendre, dans
toute l’éténdue de notre Royau-
me , l'Agriculture floriffante.
Il ne dépendra que de notre
Gouvernement de les faire-réuf-
fr, fans mème qu'il lui en coure
ifiens bon 5 : ol re
Après y avoir donc fait ob-
a
.
iÿÿ IDÉE SOMMAIRE
ferver que toute notre Agricul-
ture eft entre les mains des gens
de la Campagne; qu'ils compo-
fent feuls en France le corps
des Agriculteurs ; que ce n’eft
qu'eux qu'il convient d'inftruire :
& apres avoir détaillé routes les
différentes façons dont ils tien-
nent nos terres pour apprendre
comment l'Agriculture s’y exer-
ce, on préfente le tableau du dé-
librement de nos Campagnes.
On y voit d’une façon bien
évidente que toutes nos terres
en général, c’eft-à-dire tous nos
corps de Ferme, ne rapportent
ni la moitié, ni letiers , ni me-
me le quart de ce qu'on devroit
en tirer ; on y découvre que
DE CE MANUEL ii
tout ce défaftre provient des
routines de nos Laboureurs,
du défaut de prairies & de be-
ftiaux , & qu'il eft encore occa-
fionné par les charges & jim-
pôts auxquels fe trouvent obli-
gés nos gens de Campagne.
Ce tableau eft tellement dans
le vrai, que, n'étant pas pofble
de le critiquer, il apprend com-
ment on doit sy prendre pour
bien faire l’eftimation de nos
terres, & pour parvenir à en
faire un cadaftre qui foic jufte &
exact.
Pour remédier à ces trois cau-
fes du délâbrement de notre
Agriculture , on propofe deux
moyens bien fimples, qui auront
a i
iv IDÉE SOMMAIRE
certainement tout l’effet qu'on
peut s’en promettre, quoiqu’au-
cun de tous ceux qui, jufqu’à pré-
fent ont écrit ou donné des Mé-
moires pour la rétablir, n’en ait
feulement pas fait la moindre
mention.
Démoñtrant dans le cinquié-
me Article des Préliminarres,
que la véritable Méthode de
l'Agriculture eft contenue dans
les Pratiques locales de chaque
Canton, de chaque Terroir, &c.
on s’en fert comme du premier
moyen, le feul qu’on puilfle pro-
pofer pour retirer nos Labou-
reurs de leurs routines , & pour
leur apprendre à bien cultiver ;
elle remplit la première partie de
DE CE MANUEL. v
cet Ouvrage, intitulée : Manuel
d'A griculiure pour le Laboureur :
on y expofe fes principes , fes
opérations, comment cette Mé-
thode apprend les différentes fa-
çons de les exécuter relativement
à toutes les fortes de qualités de
terreins qui {e rencontrent, &
comment on doit s'y prendre
pour les bien connoître, à Pefe
de parvenir à leur donner à cha-
cune les cultures qui peuvent
leur convenir, en fe fervant de
l'expérience dont cette même
Méthode indique fi bien lufage
& les eflets.
On ne peut pas douter que
cette Méthode qui eft ainfi tirée
de toutes les Pratiques locales,
a L1]
vj IDÉE SOMMAIRE
ne foit la feule dont on puifle
fe fervir dans tous les pays du
monde oùon cultive, puifqu'en
employant autant d'opérations,
il ne fe peut qu’elle ne s’accom-
mode bien à tout terrein, de
quelque qualité qu'il foit, &
puifque les principes de l'Agri-
culture ne peuvent qu'y être les
mêmes.
On ne peut pas douter en-
core que cette admirable Mé-
thode ne contrienne , fuivant l'ex-
preffion d'Olivier de Serre »
l'Antique facon de manier la ter-
re, qui a tant de majeflé , &
qu’elle ne foit la même qui a fi
bien fervi à nos premiers Culri-
vateurs, laquelle eft fi refpecta-
DE CE MANUEL. vi
ble que toute autre Méthode
doit être rejettée; ce qui eft dé-
veloppé de façon à faire reve-
nir ceux quis’en fontécartés en
donnant dans les rouveaux fyftè-
mes d'Agriculture.
Comme il ne fuñit pas de re-
tirer nos Laboureurs de leurs
routines pour donner une plei-
ne profpérité a l'Agriculture, &
comme il sagit encore qu'ils
foient mis en état de bien exé-
cuter, dans cette ancienne Mé-
thode lopération de lengrais
qu’il eft queftion de toujours re-
nouveller & entretenir fur la
cotalité de leurs corps de Ferme
fi confidérables qu'ils puiflent
ètre, pour les maintenir en par-
a iv
vi ÎDÉE SOMMAIRE
faite valeur, ne pouvant y par-
venir que par les prairies & les
beftiaux, on fait voir que dans
tous les Pays & Cantons où la
Nature n’a point établi de prai-
ries, ou n'en a pas établi aflez,
n peut y fuppléer par des éta-
bliffemens de prairies artificiel-
les, dont on n'a pas manqué de
fixer raifonnablement la quan-
tité, pour ne pas faire tort aux
jachères & à la pature des bêtes
blanches.
Voilà donc le fecond moyen
qu'il faut employer.
Or, tous nos Laboureurs n’é-
tant que Fermiers & Locataires,
& ces établiflemens de prairies
artificielles ne pouvant concer-
DE CE MANUEL. 1x
ner que les Propriétaires, atten-
du qu'il eft généralement de
principe , que tout ce qui peut
contribuer à l'amélioration d’un
fond n'eft qu'à leur charge ;
on établit dans la feconde Par-
tie de cet Ouvrage, qu'ils ne peu-
vent refufer leur concours avec
leurs Fermiers pour faire ces for-
res d'établiffemens, & que ce
concours, qui eft de néceffité
abfolue, établit une vérité qui
confifte ex ce qu'on ne parvien=
dra jamais en France, ni ailleurs,
a rétablir parfaitement l'Agricul-
ture que par les Propriétaires.
ÀAïinf dans cette feconde Par-
tie intitulée : Manuel d'Agricul-
ture pour le Propriétaire, on
x IDÉE SOMMAIRE
apprend à celui-ci tout ce qu’il
convient qu'il fafle pour bien
s'acquitter de ces fortes d’établif-
femens; commentil doit s’y pren-
dre avec fon Fermier ; & on lui
démontre que, fans fe donner
la peine de faire valoir par lui-
même, ne s’agiflant que de quel-
ques déduétions dont iltiendroit
compte à fon Fermier dans un
premier bail feulement, il peut
parvenir à doubler & mème tri-
pler le revenu de fon corps de
Ferme , fuivant le plus ou le
moins de befoin qu’il aura d’è-
tre réparé; ce qui eft mis dans
tout fon jour dans le troifiéme
Article des Préliminaires.
Ces deux moyens bien exé-
DE CE MANUEL. x;
cuüités , ne pouvant manquer
d'augmenter aufli confidérable-
ment le revenu de nos terres,
il s’enfuivra néceflairement que
non-feulement les gens de la
Campagne feront mis bien au-
deffus de toutes leurs charges &
impOts; mais encore que tous
es Propriétaires s’acquitteront
avec bien plus de facilité de
ceux dont ils font aufli chargés
de leur côté.
Mais, comme ces deux moyens
ne peuvent bien s'effectuer dans
toute l’étendue du Royaume,
qu'autant que le Gouvernement
voudra bien y concourir, on
expofe, dans la troifiéme Partie
intitulée : Manuel d'Aoriculture
xij IDÉE SOMMAIRE
pour le Gouvernement, ce qu'it
convient qu’il fafle.
On verra que cela: fe réduit :
1°. À faire diftribuer & ré-
pandre dans toutes les Campa-
gnes la Mérhode dont on a ainfi
fait la découverte dans les Pra-
tiques locales, pour inftruire
tous nos Laboureurs. Le Gou-
vernement doit d'autant plus s’y
déterminer, que cette Merhode
contient la véritable explica-
tion de leurs Pratiques locales,
dont ils ont toujours fait un fi
mauvais ufage , faute d’inftru-
“ions.
2°. À donner un Arrêt qui au-
torife les établiflemens de prai-
ries artificielles, & qui ordonne
DE CÉ MANUEL. xiij
même de les faire, pour les rai-
{ons qui font détaillées dans ce
même Manuel.
Au moyen de ces deux expé-
diens, l'Agriculture fe réparera
infailliblement dans le Royau-
me , &c il en réfultera'que, quand
Pexportation fe trouvera établie
fur des terres qui rapporteroient
au double & au triple de ce qu’on
en tiroit, lesrichefles nous vien-
droient de toutes parts, & il
n'y auroit même jamais à crain-
dre aucune difette.
Dans cet Ouvrage on réfute,
a l'exception de celui des Prar-
ries artificielles ,tous les Auteurs
& Ecrivains Modernes fur l'A-
griculture , parcequ'ils ont mé-
xiv IDÉE SOMMAIRE
connu nos Pratiques locales &
la Méthode qui y eft contenue,
parcequ’ils ont ignoré cette vé-
rité qu'on vient de citer, concer-
nant les Propriétaires , & parce.
qu'ils n’ont pas réfléchi à l’uti-
lité , l'avantage & même la né-
ceflité des Jacheres | plufeurs
d'eux n'ayant pas même enten-
du cette inatière.
On les réfute avec d'autant
plus de raifon qu'ils font caufe
que le Gouvernement, malgré
toutes fes bonnes intentions,
n’a pu rien faire encore pour le
rétabliffement de l'Agriculture.
On s'eft attaché plus particu-
lièrement à réfuter la Merhode
de M. Thull, parcequ'elle ren-
DE CE MANUEL xv
verfe plus direétement nos Pra-
tiques locales.
On peut dire que, dans ce
Manuel d'Agriculture tant pour
le Laboureur, que pour le Pro-
priétatre & le Gouvernement , il
y a trois chofes à obferver , qui
font très-intéreffantes.
1°. La découverte de la véri-
table Méthode de l'Agriculture,
dans chacune de nos Pratiques
locales, de laquelle il réfultera
que déformais on ne s’avifera
plus d'en propofer d’autres, ni
d'annoncer, dans notre façon de
cultiver, l'ufage d’un femoir qui
n’eft réellement qu'une frivo-
lité, & qu’on fçaura à quoi sen
tenir.
xvj IDÉE SOMMAIRE
2°. La découverte de cetté
vérité , qui concerne tous les
Propriétaires de corps de Fer-
me, & qui leur apprend qu'ils
ne peuvent fe difpenfer de faire
exécuter tout ce qui a rapport
aux améliorations de leurs ter-
res. ;
3°. La feule façon dontil faut
sy prendre pour bien connoître
toutes les fortes de terreins, à
l'effet de les cultiver comme il
convient:
Quoique tout ce qu'on a dit à
ce fujet ne foit, pour ainh.dire,
que l’'Alphabet de PAgricul-
ture, cela n'empêche pas cepen-
dant que: tous nos Auteurs &
Ecrivains Modernes n’y aient
pleinement
ps CE MANUEL xvi
pleinement échoué, lorfqw'ils en
ont traité. Tant il eft vrai que,
pour bien parler de l'Agricul-
ture, il faut néceflairementavoir
pratiqué pendant plufieurs an-
nées.
Enfin la nécefité , tant du
concours du Propriétaire que
de celui du Gouvernement,
étant fi bien prouvé & démon-
tré néceflaire pour parvenir au
rétabliflement de notre Agri-
culture, & leur étant parconfé-
quent indifpenfable d’en avoir
une idée jufte, & de s’en in-
ftruire, on verra encore dans ce
Manuel qu'il fembleroit à pro-
pos de faire entrer dans l’édu-
cation de la jeunefle , & même
b
xviij ÎIDÉE SOMMAIRE, &c.
d'un Prince, ?Aporiculture qui
apprend a cultiver la terre, puif-
qu'on n'héfite pas d'y compren-
dre la Géomëétrie qui n'apprend
qua la mefurer.
Tout ce qui eft contenu dans
ces trois Manuels d'Agriculture,
ne provient que des réflexions
qu'une expérience de trente an-
nées à fait faire à l'Auteur.
LAS se SRE UT
EXPLICATION DE L'ESTAMPE.
L'Esrampe qui eft à la tête de
‘cet Ouvrage, repréfente la Nouvelle
Méthode d'Agriculeure fous la figure
d'une femme faifant voir à un La-
boureur qui féme fuivant l'ancienne
Méthode , un femoir à charrue , pour
lui faire entendre qu'il s'en tronve-
roit beaucoup mieux s'il en faifoit
ufage ; mais Triptoième qu'on ap-
perçoit derrière lui, & qui eft re-
préfenté comme le Génie de l’Agri-
culture, l'en détourne, en lui difant :
Ne.changes point de foc ; c'eft-à-dire ;
Nete laifles pas féduire par les inven-
tions nouvelles de cette femme.
Triptolème , qui étoit fils de Cé-
léus , Roi d'Éleufe & de Méhaline ,
avoit appris de Cérès l'Art de Culti-
ver la Terre.
Fe
FAUTES
Aifées à corriger à la plume:
pase 7 L Igre 19 , par l’Agriculteur Z
2:
nr
P:
lifez par l'Agriculture.
69 Ligne 13, opérations quoiqu'elle,
lifez opérations. Quoiqu'elle.
103 Ligne 14, de tel Canton que la
terre, &c. lifez de tel Canton
de la terre.
141 Ligne 19 , pourroit, &c. lifez
pouvoit.
142 Ligne 3, ne pouvant être les mé-
mes , &c.lfez ne pouvant être
que les mêmes. .
240 Ligne 3 , fpâtures grafles , Afez
graffes pâtures.
324 Ligne 8, on, lifez ou.
356 Ligne 13 & 14, conferver , &e:
- diféz concerner.
368 Ligne 7, efpécés , /ifez efpacés.
398 Ligre 12, quinetravaillent , Lez
qu'on ne travaille.
s25 Ligne2, occupé, liféz coupé.
MANUEL
CAE LAN Ù ET
D'AGRICULTURE,
POUR LE LABOUREUR,
POUR EE PROPRIÉTAIRE,
EE
: POUR LE GOUVERNEMENT,
deep ho ofesrote jee Geohs ef eds proper tue oo fs fe fe dote fes 2
ans RE TIC BE S
PRÉLIMINAIRE S3
Servant d'Introduéion.
SIRET PA RS OR sm
ARTICLE PREMIER.
De la pofition de notre Agriculture
À Oures les térres tant en France
qu'ailleurs appartiennent au Clergé,
à la Noblefle & aux Habitans des
Villes,
| A
2 ANR DALLCIINE
Quoique ces trois Ordres en foient
totalement propriétaires, cependant’
elles fe trouvent entièrement entre
les mains des gens de la Campagne,
kur étant cédées par des Baux de
fix ou neufans , pour les cultiver &
en payer la Location. ä
Aujourd'hui, en vertu d'un Arrêt
du Confeil du 8 Avril 1762, on a
droit de les prolonger jufqu'à vingt-
fept ans; par la fuite il fera queftion
de cet Arrèt, & des grands avantages
qu'il peut procurer. |
Au moyen de ces Baux, il eft fi
peu en ufage de faire valoir par foi-
mème, fur-tout en France , qu'il n'y
a prefque point de Propriétaires qui
fe trouvent dans ce cas.
Comment le Clergé pourroit-il
s'en charger , puifque cette occu-
pation n’eft nullement compatible
avec fon état ? La Nobleffe eft toute
PRÉLIMINAIRES, 3
dévouée au parti des Armes ; &;
parmi les Habitans des Villes, quit
oferoit s’expofer aux impoftions de
Tailles, de Corvées , de Milices,
&c ?
Cependant , pour l'avantage de
l'Agriculture, ne pourroit-on pas en
exempter ceux qui prendroient le
parti de fe retirer à la Campagne,
pour faire valoir par eux - mêmes
leurs propres Domaines?
IL s'agiroit d'une taxe d'Office
pour toute impoftion qui feroit
proportionnée à la valeur de ce qu'ils
feroient valoir ; étant jufte & na-
turel que des Propriétaires jouiffent
de quelques priviléges ; ce qui ne
feroit aucun tort au Gouvernement;
les gens de la campagne ne s’en
plaindroient même pas, un Proprié-
taire méritant d’être diftingué d'un
Fermier , d’un Locataire.
Ai
4 ARTICLES
On doit donc regarder aëêtuelle-
ment en France les gens de la Cam-
pagne , comme compofant feuls le
corps des Agriculteurs ; & ce corps
des Agriculteurs n'eft donc compofé
que de Fermiers & de Locataires.
Qui croiroit que c’eft ce qui a
attaché aufli injuftement l'idée de
mépris & même d'ignominie àl’Agri-
culture, & que c’eft ce qui eft caufe
qu'on la regarde comme un art im-
parfait, qui auroit befoin d’être ré-
formé par de nouvelles méthodes ?
Ce qui fait bien voir , qu'en général
on ne juge des profeflions , & même
d'un art fi noble qu'il puiffe être par
lui-même, que par les qualités des
perfonnes qui les exercent & qui
les pratiquent.
Pourquoi à la Chine , l’Agricul-
ture eft-elle fi honorée & fi ref-
peétée? C'eft que l'Empereur ne
PRÉLIMINAIRES. ÿ
dédaïgne pas de tenir lui-même la
queue de la charue.
Étant d'une fi grande importance
d’obferver la pofition de notre Agri-
culture, on n'a pas héfité d’en faire
un Article particulier.
Si l'Apologifte de M. Thull, y
avoit fait attention , il ne fe feroit
aflurement point donné la peine de
publier & d'annoncer fa nouvelle
méthode, qui ne peut plaire qu’à
quelques Amateurs de l'Agriculture
fans expérience.
L'Eflai de M. Patullo fur l’amé-
lioration des terres , qu’on peut en-
core regarder comme une nouvelle
méthode , fera-t-1l jamais la moindre
impreflion fur le corps de nos Agri-
culteurs ?
Il faut donc favoir pour qui on
doit écrire ; & ,fi on veut rétablir
notre Agriculture , 1 faut n’avoir en
A ii
6 ARTICLES
vue que les gens de la Campagne,
ne s’agiflant pas de ces amateurs qui
n'y font pour rien , & qui donneront
toujours dans les nouvelles métho-
des & dans les nouveaux fyftèmes.
AREPCEE"TE
Des differentes façons dont nos terres font
cenues par les Gens de la Campagite.
À Oures nos terres labourables
font généralement tenues en détail,
ou en corps de Ferme.
Elles font louées en détail , quand
elles font louées par Piéce, par Ar-
pent, ou par demi-Arpent.
Il y a dans le Royaume quelques
bons cantons qui font loués de cette
façon , quoiqu'il s'y trouve des Pro.
priétaires qui , ayant des Domaines
confidérables , pourroient donner à
corps de Ferme.
PRÉLIMINAIRES. 7
Les Baux de ces fortes de laca-
tions qui font ordinairement de cinq
à fix ans, plus ou moins, fuppofent
des terres de la meilleure qualité.
Dans les cantons où cet ufage eft
établi, les terres ne fe cultivant qu'a
la bêche & non à la charue , un père
de famille n’en prend qu’autant qu'il
peut en cultiver ; fuivant le nombre
de fes enfans capables de travailler.
On peut dire que les terres qui
{ont ainfi louées , font mieux culti-
vées que celles qui le font à la cha-
rue, parce qu'à la bêche elles font
plus facilement fouillées , renou-
vellées & retournées.
Auf rendent-elles toutes fortes
de produétions , comme froment &
tout autre grain employé par l'Agrs-
culteur, même juiqu’à des légumes
de toute efpéce ; en un mot , avec
un peu d'engrais bien exaétement
A 1v
8 ARTIÉLES
renouvellés, on les met en état de
rapporter tout ce qui peut faire le
plus de produit,
On conçoit qu'en ne faifant valoir
a la bêèche qu'environ deux à trois
arpens au plus, il n’eft pas ordinai-
rement queftion de jachères, yayant
bien plus de facilité à exécuter, foit
le renouvellement de l'engrais, foit
le renouvellement de terrein.
C'eft dans cette forte de culture
qu'on peut mieux faire ufage des
engrais de toute efpéce, comme des
cendres, des boues, de la fuye, &c,
parce qu'il en faut peu; & fi, avec ce
fecours, on a une vache ou deux,
on fe trouve en état de faire tous
les ans, les amandemens convena-
bles & nécefiures ; ce n'eft même
que dans cette forte de culture à Îa
bêche, qu'il convient de faire ufage
des engrais aruficiels,
PRÉLIMINAIRES. 9
En affermant ainf les terres par
piéce, ou par arpent , la location en
eft bien plus avantageufe pour les
Propriétaires ; puifque cette forte de
culture fe rapporte aflez à celle des
Jardins,
Ce feroit vraiment le moyen de
mieux faire valoir toutes nos terres,
fi on pouvoit ne les cultiver qu'a la
bèche ; mais cette façon de culture,
exigeant trop de bras, elles refte-
roient incultes prefque toutes.
C'eft pourquoi l’'ufage le plus gé-
néral eft de les louer pour être cul-
tivées à la charue ; pour lors elles
forment le grand objet de l’Agricul-
ture ; à la différence des autres qui
n'étant cultivées qu’à la bêche , tom-
bent plutôt dans la partie de l’Apri-
culture qui concerne les jardins.
Les terres qui font cultivées à la
charue , font au-contraire tenues en
10 ARITEGLES
corps de Ferme , qui ont plus ou
moins de contenance.
Il y en a de trois à quatre-cents
arpens ; il y en a même qui en con-
tiennent davantage , & 1l s’en trouve
qui n'en ont qu'une vingtaine au
plus; en un mot, toutes les terres qui
fe cultivent à la charue, font cenfées
être tenues en corps de Ferme.
Leur contenance eft généralement
diftinguée par charues.
En fuppofant que les terres d’un
corps de Ferme foient partagées &
divifées par tiers, c’eft-à-dire , par
les trois foles des bleds , des mars,
& des jachères, la contenance d'une
charue eft ordinairement d'environ
foixante & quinze à cent arpens au
total.
Elle eft de 7$ au plus dans les
pays & cantons où les terres font
fortes & pefantes, & de 100
PRÉLIMINAIRES. ri
ou environ dans ceux où les terres
font légères : ainfi, quand les corps
de Ferme font de la contenance du
double ou du triple d’arpens qu’on
vient d’énoncer, ils font reputés être
de deux ou trois charues.
Lorfque les terres n’ont pas la
contenance néceflaire pour former
une charue , elles font louées à des
Fermiers qui n’en ont pas fufifim-
ment pour s'occuper.
Les corps de Ferme de deux , de
trois & même d’une feule charue ,
ne font point fans être accompagnés
d'une maifon pour l’établiffement
d’un Fermier.
Ces maïfons doivent contenir
tout ce qui eft néceflaire pour l’ex-
ploitation de la Ferme, comme
Cour, Grange, Ecuries , Etables,
Bergeries , &c. avec un Corps de
logis pour l'habitation du Fermier;
12 ART TION LES
lequel doit encore contenir toutes
les commodités qui lui font nécef-
faires pour pouvoir bien faire va-
loir.
Les terres qui n’ont pas une con-
tenance fufifante pour compofer
une charue , peuvent être fans mai-
fon , parceque l'entretien diminue-
roit beaucoup le produit de la Fer-
me.
Les corps de Ferme qui n’ont
point de jachères , exigent environ
la même contenance pour compo-
fer une charue. Li
Les charues font chacune géné.
ralement de deux ou troischevaux,
felon que les terres font plus ou
moins fortes; & quand elles le font
davantage , elles font chacune de
quatre ou fix chevaux : pour lors on
employe plus volontiers les bœufs
dont l'attelage eft de quatre ou de fix.
PRÉLIMINAIRES. 12
Il faut fçavoir que dans les corps
de Ferme de 4à $o0 arpens , & mê-
me plus, qui ne fe trouvent ordinai-
rement avec des contenances auff
confidérables que dans des pays de
terres légères, comme en Champa-
gne , & même ailleurs ; on admet
dans une même Ferme deux fortes
de cultures, qui font la grande & la
petite ; quelquefois celle-ci a plus
de contenance que l’autre.
Ces deux cultures peuvent avoir
lieu dans un même corps de Ferme,
pour mieux parvenir à en tirer parti.
Les terres qui font à la grande
culture , font celles qui font enfe-
mencées en grains d'Hyver & en
grains de Mars; au lieu que pour
celles qui font à la petite culture , il
n’eft quéftion , tous les ans , que de
grains de Mars, & que de les enfe-
mencer au Printems.
IHM BARTÉICÉES
Cette diftribution ne peut-être
qu'avantageufe dans un corps de
Ferme qui feroit trop confidérable ;
puifque, par fon moyen, on peut ref-
treindre la grande culture pour la
mieux cultiver, & pour pouvoir
mieux exécuter les renouvellemens
d'engrais & de terrein, dont on par-
lera dans la fuite.
Cette diftribution peut d'autant
mieux fe faire qu'avant qu'il foit
quéflion de la grande culture qui
ne commence qu'au printems, on eft
en état pendant l'hyver (quand il ne
géle point) de faire les labours
pour les Mars. Les pluies même ne
leur font point contraires dans les
terres feches & légères, parce qu'el-
les ne font pas fujettes à fe gazon-
ner.
D'ailleurs les femences de grains
de Mars fe fuccédent les unes aux
PRÉLIMINAIRES. 1$
autres ; d’abord les Avoines, depuis
Février jufqu’a la moitié du mois
d'Avril ; enfuite les Orges , jufques
dans tout le courant de Mai ; après
les Sarrafins , depuis la S. Jean juf-
qu'a la fin de Juillet.
Ainfi un Laboureur entendu,
qui a beaucoup de terres à faire va-
loir dans fon corps de Ferme , indé-
pendamment de ce qu'il jugera pou-
voir ètre en grande culture , peut
très-bien s'arranger pour avoir en-
gore une petite culture qui ne l’oc-
cuperoi que pendant l'hyver , &
qui lui rapporteroit tousles ans beau-
coup de grains de Mars, indépen-
damment de ceux qu'il tireroit de fa
grande culture.
N2
2
t6 ARMTÉCLES
AR Tel EC RUE. IE
Du Délabrement de l'Agriculture
cr Frances
À L'EXCEÉPTION des environs de
Paris, & de quelquespays & cantons
où la Nature a établi des Prairies,
pour nourrir des Beftiaux, toutes
nos terres en général , priles enfem-
ble l'une dans l’autre , ne produifent
pas annuellement , n1 la moitié, ni le
tiers, ni le quart de ce qu'on pour-
roit en tirer; 1l y en a même qui
ne rapportent plus rien, quoique la-
bourées & cultivées tousles ans
Quoique cela paroifle exagéré,
quoique cela n'ait pas encore été
avancé; cependant il eft facile de le
faire concevoir , & même de le dé-
montrer,
Au
PRÉLIMINAIRES. 17
Au moyen de quelques obferva-
tions on y parviendra.
I°. L’eftimation générale du pro-
duit auel de nos Terres dans l'in-
térieur du Royaume ne va tout au
plus , année commune , qu'à cinq
pour un.
Un arpent qui aura été enfemen-
cé avec un feptier de froment ou de
fégle, n’en rapporte que cinq; on
fuppofe que celui de froment eft du
poids de 160 livres.
Aïnfi, dans un corps de ferme de
300 arpens, qui fera partagé dans'les
trois foles ordinaires, celle des bleds
de 100 arpens, par an , qui aura été
énfémencée avéc 100 feptiers, n’en
rapporte qu'environ $O0.
“Il en eft de même à proportion
de 14 Contenance de tous les autres
Corps de fermé qui né rapportent
qu'à raifon de cinq pour un.
B
18 A ETICLES
Bien-loin que cette eftimation gé-
nérale puifle être conteftée , nos
Laboureurs la trouveront même trop
forte ; en tout cas, elle n’en fervira
que mieux à faire voir qu'on n'a
point exagéré le mauvais état de
nos Terres.
I°. Dans ces cinq pour un, qui
font tout leur produit annuel , il faut
néceflairement en prélever quatre
pour l'acquit des frais de geftion ,
charges & impôts, & 1l n'en peut
refter que le cinquiéme de produit
net , pour payer le Propriétaire ;
& voici comment. |
Dans ce corps de Ferme de 300ar-
pens, dont la fole des bleds, montant
tous les ans à 100 arpens, ne rappor-
te, année commune, que $O0 fep-
tiers , à raifon de $ pour 1:1l s'agit
1°. de 100 feptiers pour la femence ;
2°. de 109 feptiers pour les frais de
PRÉLIMINAIRES. 19
fciage , de battage , dé fauchäge ;
de noutriture de Moiflonneurs , &
de payémens de geris de journée;
3°. de 100 autres feptiers ; pour la
tubüftance du ménage, pour lé payé-
ment des gages dé Domeftiques,
du Berger & du Paftré, pour payet
le molage du grain qu'on mangé ;
& l'achat du fei qui fait uñe forte
dépenfe ; 4% indépendariment du
déchet qui furvient toujours au bled.
depuis qu'il eft forti de la grangè, qui
eft même aflez confidérable , quoi-
quonny fafle pas attention, il faut
encore 100 ieptiers pour päyer le
Gharron , le Maréchal ; le Bourre
lier , & pour acquitter les impôts de
Tailles, Cäpitation, Uftenifiles, Cot-
vées, &c:
Soit qu'il foit queftion de récoltes
de froment ou de fégle ; c'eft tou-
jours la même dépenfe à proportion.
Bi}
20 GR TT CÉLTES
En joignant à tous ces articles le
dépériflement des Chevaux & de
tout ce qui fert à l'exploitation de
la Ferme , en y joignant encore les
frais de Communautés , comme de
Milice , de réparation de Presbytère,
de Nef, de droits Seigneuriaux, qui
font quelquefois afez confidérables,
&c. on voit que ces 400 feptiers
font fi bien employés, qu'il ne peut
refter de ce corps de Ferme, qu’en-
viron 100 feptiers de produit net ;
& c'’eft encore beaucoup.
Il convient d'ajouter que la fole
des Mars ne doit point être comptée
dans ce qui fait le revenu d’un corps
de Ferme.
Comme elle eft toujours deftinée
pour la nourrirure des Beftiaux & des
Chevaux qui fervent à l’exploita-
tion, on ne peut y rien prendre, n'y
ayant que la fole des bleds qui puifle
PRÉLIMINAIRES. 21
fervir à payer le Propriétaire ; en-
core faut-il que le Fermier facrifie
ce que peut Îüi rapporter fa petite
bafle-cour.
Ce détail doit frapper le Gou ver-
nement , & mérite {a plus grande
attention , découvrant auf poñti-
-vement la misère des Campagnes
-de tout le Royaume.
Ï doit faire le même effet fur tous
les Propriétaires , & leur ouvrir les
yeux fur la fituation de leur corps
de Ferme ; il doit même leur ap-
-prendre à les-iouer à un prix plus
sodéré que: celui qu'ils: exigent.
On verra tout cela dans le Manuel
qui eft pour eux, & qui compofe la
feconde Partie de cet Ouvrage ; mais
il faut faire attention qu'il n'eft
queftion dans cet Article , que des
Terres qui font fans Prairies , ou qui
n'en ont pas aflez , & qui ne rap-
Bu
22 ARTICLES
portemt que cinq pour un, & même
au-deflous.
Quoique nos Terres foient géné-
xalement bonnes en France , encore
-peut-on dire au’il y en a beaucoup
moins de celles-ci, que d’autres.
Si on veut donc parvenir à faire
un cadaftre général de toutes nos
Terres labourables , bonnes , médio-
cres & mauvaifes, dans toute l’éten-
due du Royaume , il ne fera réputé
juite & exaét qu’autant qu'on aura
fait attention au détail qu'on vient
de donner, qui apprend ce qu'il con-
vient de prélever ; avant que de
fixer leur véritable eftimation, an-
née commune.
UT°, En fuppofant que nos Terres
rendiffent au-delà de cinq pour un,
& même moins , quand les 100 ar-
pens du corps de Ferme qu'on vient
de citer , rendroient jufqu’à 800 fep-
PEÉLIM ÉNAIRES. 273
tiers, ou n'en rendroient feulément |
que 300, ce font toujours a peu
près les mèmes frais & les mêmes
charges & impôts qu'on vient de dé-
tailler.
V°. Enfin (pour quatriéme &
dernière Oblervation ) pour peu
qu'on ait d'expérience dans l'Agri-
culture, on conviendra qu'un arpent
qui ne rapporte que: cinq pour un ;
dans fon produit ordinaire , peuf
rendre , année commune , x, fept &
même huit pour un, en lui donnant
la culture qui lui convient ; & que
100 arpens, qui font mis en pleine
valeur, peuvent rapporter , au lieu
de 500 feptiers, jufqu'a fix, fept &
même huit cents,
Au moyen de ces quatre Ghfer-
vations incontéftables , on doit voir
préfentement que le délabrement
de nos Terres eft tellement dans le
B iv
4 ÉR EI CLES
vrai, que le revenu, c'eft-à-dire le
produit net peut en ètre doublé , tri-
plé , quadruplé & pouflé même au-
delà, puifque 100 arpens , qui ne
rapportent que 500 feptiers, à rai-
fon de cinq pour un, & dont il ne
refte , tous frais faits, que 100 fep-
tiers, Étant mis dans le cas de ap-
porter annuellement jufqu'à a fx, fept
& huits cents ,. peuvent donner de
refte deux cents, trois cents & même
quatre cents feptiers. DS
Il eft donc bien démontré qu'un
corps de Ferme peut rapporter le
double , le triple ,le quadruple , « ; ÊcC
de ce qu'ilrapportoit ordinairement ,
dans le tempsqu'ii ne produfoit qu'a
raifon de cinq pour un; puifqu'il
fuffit qu'il rende le double, le triple,
le quadruple de ce qu'il en reftoit
pour lors , tous: frais faits, tant de
geftion que d'impôts , n'étant pas
PRÉLIMINAIRES. 25
queftion qu'il rende au double & au
triple de ce qu'il produifoit au total.
li eft donc encore bien démontré
qu’on peut parvenir à faire monter
un corps de Ferme , qui n'étoit loué
que 1000 liv. jufqu'à 2000 liv. 3000
liv. &.même 4000 iiv. |
Des avantages auf confidérables,
qui ne font pas imaginaires , qu'on
peut fe procurer, & qui ne deman-
dent pour commencer à en jouir
qu'environ une dixaine d'années &
même moins , fuivant le plus ou le
moins du befoin des terreins ‘qu'il
s'agit de rétablir, comme on le fera
voir ci-après, ne méritent-ils pas
qu'on.y fafle la plus grande atten-
tion, puifqu'en s'appliquant à mettre
nos Terres en pleine valeur, il y
auroit fant à gagner ?
C'eff ce qu'a éprouvé l’Auteur des
Prairies, Artificielles ; qui eft parvenu
26 À RCTCL'ES
à plus que quintupler le produit rret
de fon corps de Ferme, qui ne rap-
portoit rien , c'eft-à-dire , qui ne
rapportoit au plus que trois à quatre
pour un.
On peut dire , que de toutes les
expériences qui ont été faites juf-
qu'à préfent dans l'Agriculture, pour
apprendre comment 1l faut s'y pren-
dre pour parvenir à augmenter le
produit de nos Terres, il n’y en a
point qui foit aufli frappante & qui
puifle s’exécuter aufhi généralement
& avec aufh peu de frais, comme
on le verra ci-après.
Il vaut donc mieux commencer
par rétablir ce qui eft en culture, &
s'y appliquer férieufement , que de
s'adonner à des défrichemens qui
ne peuvent bien s'exécuter dans le
Royaume , que quand la population
des Campagnes y fera augmentée;
PRÉLIMINAIRES. 217
ce qui ne manquera pas d'arriver au
fur & à mefure qu'on réparera nos
Terres, & qu’on les mettra dans la
valeur qu’elles peuvent avoir. On
n'y fera pas plutôt parvenu , que
les défrichemens deviendront né-
ceflaires, & que les gens de la Cam-
pagne s’y porteront d'eux-mêmes.
Voilà quelle doit être la marche
des défrichemens qui ne peuvent
jamais fe faire , n1 réuflir autrement.
AGRETTELGOSE I Ve
Des véritables caufes du délabrement
de P Agriculture.
Tant démontré que, générale-
.ment parlant, nos Terres, tant en
France qu'ailleurs, ne rendent que
la moitié , que le tiers & même que
le quart de ce qu'on pourroit en ti-
28 ART PCILES
rer , il eft donc bien intéreflant de
découvrir ce qui occañonne un fi
grand délabrement.
. Onne peut l’attribuer , fans crain-
dre d’être contredit, qu’à trois cau-
fes 1°. aux routines des Labou-
reurs ; 2°. au défaut de Prairies ;
3°. aux impofitions & charges dont
nos Laboureurs font tenus aujour-
d'hui ; c'eft ce qui fe vérifierd de
plus en plus dans ce Manuel.
1°. Les routines des Laboureurs
confiftant à toujours opérer de mè-
me, fans diftinétion de terrein, il fera
prouvé dans l'Article fuivant , que
cette conduite eft tellement oppo-
fée aux principes que leur apprend
la méthode qu eft contenne dans
chacune de leurs pratiques locales
qu'elle ne peut que jetter & répan-
dre le plus grand défordre dans l’A-
griculture,
PRÉLIMINAIRES. 29
En attendant, voici un exemple
qui commencera à le faire conce-
voir.
Suppofé que , dans une pratique
locale , il foit queftion parmi fes
ufages de labourer à raïfon de quatre
à cinq pouces , par rapport à la qua-
lité du terrein dominant du terroir fur
lequel elle eft établie, quine permet
pas de foncer plus avant; fi le terrein
qu'on a à cultiver eft difiérent , & s'il
fe trouve avoir jufqu’à dix à douze
pouces de bonne terre bien fuivie
& bien foutenue , quel tort un La-
boureur ne fe fait-il pas, en ne les
cultivant qu’à raifon de quatre à cinq
pouces? puifqu'en le fouillant plus
profondément avec fa charrue, pour
faire remonter la terre de deflous &
pour la fubftituer à celle de defus ;
il s'en procure une nouvelle qui pro-
duira beaucoup plus que l’ancienne.
40 1 AR ACTES
Cette anciénne terre , qui a tou:
jours produit & travaillé , & qui par-
conféquent ne peut-être qu'épuifée ;
eft bien dans le cas de ne rapporter
qu'à raifon de cinq pour un, tout au
plus ; au lieu que la nouvelle terre,
ne pouvant manquer de rendre juf-
qu'à fix, fept & mème huit pourun,
par Arpent , doublera , triplera &
quadruplera fon produit ordinaire ;
ce qu'il eft aife de concevoir, en
fe rappellant ce qui a été dit dans
l'Article précédent.
Il en eft de même des autres
opérations de l’engrais & de la fe-
mence , que le Laboureur n’exécute
pas mieux , en les faifant toujours
de même, fans diftinétion de terrein ;
ce qui occafionne encore un aufli
grand défordre.
Ce qui fe pañle fur ce terrein par-
ticulier qu'on vient de donner pour
PRÉLIMINAIRES. 3t
exemple , fe pañle fur toutes nos
terres, dans tous nos corps de Fer-
me qui, étant généralement très-mal
labourés, très-mal amandés , & très-
malfemés,ne rapportent pas moitié,
ni même le quart de ce qu'on pour-
roit en tirer.
On ne difcoenvient point qu'il
n'y ait quelques bons Laboureurs
qui fe fervent mieux de leur prati-
que locale , mais le nombre en eft
fi peu confidérable, qu’il ne fçauroit
en impofer , à moins qu'on ne ré-
pande dans les Campagnes des in-
ftru@ions qui apprennent à tous les
autres comment 1l faut s’en fervir;
c'eft ce qu'on n’a pas encore fait, &
voilà pourquoi le mal fubfifte tou- :
jours,
II°. La feconde caufe du déla-
brement de notre Agriculture , qui
confifte dans le défaut de Prairies,
32 MRTICÉES
occafionne encore bien du dépé-
riflement dans nos Campagnes.
Si on faifoit ufage, comme on le
peut , des plantes de Sainfoin , de
Luzerne , de Trefle, &c. que l’An-
teur de la Nature nous a données
pour fuppléer aux Prairies , la Fran-
ce, en peu d'années, fe verroit dans
toute fon étendue également fertile
& peuplée.
Pour s'en convaincre , il ne s’agit
que de comparer les cantons où la
Nature a étäblr des Prairies , avec
ceux qui en font privés, & qui con-
tiennent infiniment plus d’étendue.
Pour s’en convaincre encore , 1l
ne s'agit que de faire attention que,
fans les Prairies , foit naturelles, foit
artificielles, & fans les Beftiaux , ïl
n'eftpas poflible d’effeuer , comme
on le doit, l'opération de l’engrais,
qui eff fi néceffaire , & quiaugmente
auffi
PRÉLIMINAIRES. 33
aufli prodigieufement en tout genre
les produ&tions de nos Terres, lorf-
qu'elle eft bien réglée , jufqu’à en
doubler, tripler & même quadrupler
le revenu; c'eft ce qu'on dévelop-
pera davantage dans la fuite.
Ces deux vices étant aufli évi-
demment les vraies & principales
fources du dépériflement de notre
Agriculture , il eft certain que, tant
qu'on ne commencera point par tra-
vailler à les tarir , tout ce qu'on
pourra faire d’ailleurs pour la réta-
blir & la relever fera inutile.
IH°. Il y a une troifiéme caufe
qui contribue encore au dérange-
ment de notre Avcriculture , qu'on
ne doit point déseuifer, & à laquelle
Al faut aufli remédier , puifqu’on
peut dire que le bonheur & la ri-
chefle de l'État en dépendent.
Elle confifte dans les impoñitions
(®
34 HRTICLES
& charges de nos Laboureurs, com:
me Tailles , Capitation , Corvées,
&c. qui ont été détaillées ci-deflus.
Elles font fi confidérables qu'ils
peuvent à peine acquitter leurs re-
devances envers les Propriétaires,
& que ceux-ci de leur côté font
très-embarraflés de payer les impôts
dont ils font auf chargés.
Ne conviendra-t'on pas ( Et cela
peut-il être contefté ? ) qu’en met-
tant nos Terres en état d'être dou-
blées & triplées ; c’eft-à-dire de
rapporter en produit net deux à
trois fois plus qu'on n’en retire au-
jourd’hui , comme on vient de le
faire comprendre ci-deflus, ce fera
le vrai moyen de mettre les Pro-
priétaires & les Laboureurs, bien au-
deflus des impôts & charges qu'on les
oblige d'acquitter.
Pour y parvenir, dl ne s'agit que
PRÉLIMINAIRES. 3$
de retirer nos Laboureurs de leur
routines, & de travailler à remédier
au défaut de Prairies dans tous les
endroits qui en manquent, ou qui
n'en ont pas aflez.
L’Article fuivant commencera par
apprendre ce quil faut faire pour
retirer infailliblement tous nos La-
boureurs de leurs routines.
À'RUE, LOGE E NY
Dés pratiques locales, 6 comme leur
établiffement renferme & contient la
Jeule & véritable méthode de l'Agri=
culture.
À Moins qu’on ne donne aux gens
de la Campagne l'explication de
leur Livre d'Agriculture, qui confifte
& quine confitera jamais que dans
leurs pratiques locales, & à moins
qu'on ne leur faffe connoître la de-
Ci
36 À RATE C LES
-ftination des ufages qu'elles con-
tiennent , chacune fur leurs opéra-
tions, ils refteront toujours dans leurs
-routines, c'eft-à-dire qu'ils cultive-
ront toujours mal
Quoique ce foit abfolument Îa
première chofe , par laquelle il faut
commencer pour rétablir notre Agri-
culture & pour mettre nos Labou-
reurs bien au-deflus de toutes leurs
impofitions & charges; néanmoins ,
dans tout ce qu'on débite & écrit
aujourd'hui fur ce qui la concerne,
1l n’en eft feulement pas faitla moin-
dre mention. |
Au contraire, toutes les nouvel-
les méthodes ne travaillent qu’à dé-
crier & détruire nos pratiques lo-
cales. :
Parceque nos Laboureurs culti-
vent mal,& parcequ'ils ne fe condui-
fent que par leurs routines, on en a
PRÉLIMINAIRES. 3%
conclu qu'ellesétoient défetueufes,
& qu'il falloit les réformer.
Parceque des Horlogers feront
mal des Montres & des Pendules, :
s'enfuit-il qu'il faille fupprimer le r°
Art, & leur en donner un autre ?
- Il ne faut pas s'étonner que les:
Auteurs de ces nouvelles méthodes :
fe foient écarés jufqu'a ce point ;:
puifque, pour bien connoitre les pra-
tiques locales , il faut avoir prati-
qué long-tems.
- Cependant: on a tellement ap-:
plaudi à toutes ces nouvelles Mé-)
thodes, qu'elles ont trouvé quan-»
tité de Partifans.
Le Traité des Prairies artificielles ,
avoit annoncé fur les engrais une!
maxime qui ne peut que réfulter
de chaque pratique locale bien en-
tendue , laquelle fait même le prin-:
cipe de la méthode qui en réfulte,
| C ü
38 ARTICLES.
& qui contribueroit tant à rétablir
nos Campagnes, en y répandant l’a-
bondance : cependant ce Traité n’a
pas été, à beaucoup près, auffi bien
reçu que ces nouvelles méthodes
qui ne peuvent réellement fervir
qu'a embrouiller de plus en plus no-
tre Agriculture , & qu'à la faire en-
fin méconnoitre.
Il s’agit donc d'apprendre ce que
c’eft que ces pratiques locales, qui
fortent comme autant de branches
de la pratique générale de l’Agricul-
ture. Aufhi cette pratique générale
eft univerfellement divifée & parta-
gée en autant de pratiques locales
qu'il y a de Pays, de Cantons, &c.
Il n’y a mème point de terroir qui
nait chacun fa pratique locale, quoi
qu'elle puifle {e trouver la même
fur plufieurs.
Qu'on les parcoure , tant qu'on
WPRÉLIMINAIRES. 39
voudra , & qu'on les examine bien,
on verra qu'elles commencent par
apprendre , tant en général que fépa-
rément , que l'Agriculture conffte
généralement dans les opérations
du labour, des engrais, des femen-
ces, & que, pour les mieux faire réuf-
fr, on a recours aux jachères qui
donnent aux terres le repos dont
elles peuvent avoir befoin.
On verra qu'elles apprennent en-
core, tant en général qu’en païti-
culier, les différentes façons de les
exécuter, avec quelle méthode , &
fur quels principes.
On verra enfin que tout cela fe
découvre par l’établiflement des dif-
férences d’ufages qui fe trouvent
généralement entre elles, & par
l’établifflement des ufages qui fe
trouvent dans chacune.
Pour développer ce que perfonne
C iv
40 7 ARTICLES 6
n'a encore entrepris, il convient de
commencer par dire ce qu'on en-
tend par Pratiques locales, en ajou-
tant à la définition qu'on va en
donner , quelques éclairciflemens
néceflaires qu'on ne pourra con-
tefter.
1° On entend par Pratiques locales ;
une forte de culture confiftant en
certains ufages fixes & déterminés ,
qui font établis de tems immémo-
rial dans un Canton, un Pays, un
Terroir; tant fur le labour, les fe-
mences, les engrais, que fur les
jachères & fur les inftrumens donton
doit fe fervir pour travailler la terre.
1°. Ces ufages fixes & détermi-
nés, n'ont pu être établis que fur les
fortes de qualités générales & com-
munes qui fe trouvent fur le terrein
dominant d'un Canton, d'un Ter,
roir; & ils n’ont pu l'être , comme
PRÉLIMINAIRES. 4T
ils le font , qu'en employant l'exa-
men de ces fortes de qualités , &
qu'en employant l'expérience.
On n'y feroit jamais parvenu , fi
on avoit tenté de ne les établir que
fur les diverfités & fur les nuances
qui fe trouvent toujours dans cha-
cune de ces fortes de qualités géne-
rales & communes ; parceque le
plus ou le moins de ces nuances ne
pouvant fe définir, & parceque, n’é-
tant pas poflible de découvrir juf-
qu'à quel dégré l’un ou l’autre peut
aller & s'étendre , quand même on
s'obftineroit à vouloir le pénétrer
& le creufer par l’examen le plus
férieux , ce n’eft point par ce moyen
qu'on peut parvenir à connoitre les
cultures qui conviennent à ces for-
tes de qualités générales & conm-
munes : on doit concevoir que ce
n'eft que par l'expérience , qui ft
“= ARTICLES
un moyen bien plus court, bien plus
für , & même le feul dont on doive
fe fervir.
Il convient donc de fçavoir faire,
fur un terrein, la diftin@tion des
fortes de qualités générales & com-
munes qu'il peut avoir, d'avec les
nuances & diverfités qui fe trouvent
dans chacune.
Tout cela séclaircira encore
quand on traitera de l'examen des
terreins & de l'expérience , en don-
nant le détail de ces fortes de qua-
lités.
IIT°. On ne difconviendra point
qu'indépendamment du terrein domi-
nant qui fe trouve fur un Terroir,
fur un Canton, il n'y ait encore
d’autres terreins particuliers d'une
moindre étendue, qui ont chacun
auffñ leur forte de qualités géné-
rales & communes, mais différen-
PRÉLIMINAIRES. 43
tes de celles du terrein dominant,
& qui leur font même oppoiées ; en
voici un exemple.
Les fortes de qualités générales
& communes du terrein dominant
d'un Terroir, feront, 1°. d’être aifé
à labourer; parceque les terres y
font féches & légères, 2°. d’être
d'une qualité médiocre, 3°. de n’a-
voir que peu de fond de terre, &
que ce qu'ilen faut pour faire réuf-
fir les grains & femences qu'on y
employe, 4°. de ne point retenir
les eaux de pluie, $°. de n'être point
fujet à pouffer des herbes.
Quoique ces fortes de qualités
ÿ dominent, & quoi qu’elles ayent
donné lieu à la Pratique locale qui
s'y trouve établie , cela n'empêche
pas qu'il ne puifle fe rencontrer,
dans fon étendue, d’autres terreins
particuliers , dont les fozres de qua-
44 ARTICLES
lités générales & communes , feront;
1°. ou d’être difiiciles à labourer,
parceque les terres y font pefantes ;
humides, glaifeufes, compañtes ,
&c. 2°. ou d'être d'une bonne qua-
lité, 3°. ou d'avoir beaucoup de
fonds de terre , 4°. ou d’être fujets à
retenir les eaux, 5°. ou d’être très-
fujets a poufler des herbes.
Aunfi ileft clar que, lorfqu'on
a établi les Pratiques locales fur cha-
que Terroir, fur chaque Canton,
n'ayant pas été poffible d'éntrer en
mèême-tems dans le détail des fortes
de qualités générales & communes
des terreins particuliers qui fe trou-
voient dans leur étendue , ni en-
core moins de leur faire à chacun
une pratique particulière ; on a en-
tendu qu'au lieu de leur appliquer
la Pratique locale, qui ne leur con-
vient nullement, ce feroit au Cul:
PRÉLIMINAIRES. 45
#ivateur, pour les bien cultiver , à
4e faire une pratique particulière fur
les mêmes principes dont fe font
fervis ceux qui ont établi les Prati-
ques locales.
IV°. Un Terroir eft une étendue
de terrein plus ou moins confidéra-
ble, ordinairement d’une lieue ou
de deux , qui dépend d'une Com-
munauté , comme d’une Ville , d’un
Bourg , d'un Village , d'un Hameau,
& qui eft cultivé par ceux qui l’ha-
bitent. sp
V°. Le terrein dominant d'un
Terroir, eft celui dont les fortes de
qualités générales & communes font
plus remarquables & plus dominan-
tes que celles qu'on peut encore
y trouver fur des terreins particu=
liers ; elles font ainf: appellées gé-
pérales 8 communes, parceque les
unes ou les autres fe rencontrent fur
fout terrein,
46. : AR TAGLES
VI. Enfin on ne conteftera point
que ce ne font que les fortes de
qualités des terreins dominants des
Terroirs, qui ont occafionné tou-
tes les difiérences d'ufages qui fe
trouvent entre toutes les Pratiques
locales.
Tout cela pofé, & tous ces éclair-
ciflemens donnés, il ne fera pas dif.
ficile de faire voir que toutes les
Pratiques locales, tant en général
que féparément , en quelque pays,
& chez quelque Nation que ce foit
où on cultive , apprennent les vrais
principes de l'Agriculture ; qu’on ne
peut les bien connoître que par el-
les; & que dans l'établiflement de
fa Pratique locale, tout Laboureur
peut trouver la véritable méthode
qu'il doit fuivre pour bien cuitiver
le terrein qu'il a à faire valoir ,quel-
ques fortes de qualités qu'il puifle
PRÉLIMINAIRES. 47
avoir , & fi oppofées qu’elles puif-
fent être aux fortes de qualités du
terrein dominant de fon Terroir.
PREMIÈREMENT, elles lesap-
prennent par les différences d’ufa-
ges qui fe trouvent généralement
entr'elles.
Qu'un Laboureur ; ou un Pro-=
priétaire qui fait valoir par lui-mé-
me, dont l'intention feroit de vou-
loir s’inftruire par l'examen de plu-
fieurs pratiques locales, ait la cu-
riofité de parcourir les Terroirs cir-
convoifins, & même d’aller plus loin;
plus il s’éloignera, plus 1l s’'apper-
cevra des différences d’ufages qui
{e trouvent entr'elles.
Il apprendra qu’on laboure , non-
feulement 4 plat, qui eft la façon
la plus ordinaire ; mais encore par
bandes & par planches ; que le labour
_{ fait plus ou moins profondé-
8. “ABRITII :G'LE'S
ment; qu'on en donne plus où moins;
qu'il fe fair avec des chevaux ou
avec des bœufs, en fe fervant de
charrues à oreille ou à verfoir, & de
charrues à roulettes ou fans roulet-
tes; que fur la quantité de femen-
ce employée par arpent, il y a des
différences qui vont jufqu'au tiers ,
ou à la moitié; qu'il en eft de m&ê-
me fur la quantité des engrais, &
qu'on en fait de toute forte; il verra,
qu'oncommence plus tôt ou plustard
les femences : enfin 1l remarquera
que les jachères font généralement
obfervées ,avec cette différence , ce-
pendant, qu'il y a quelques cantons
& contrées où elles ne le font pas.
Voilà donc les différentes façons
d'exécuter les opérations de l’Agri-
culture , & les différences d'ufages
qui fubfftent.
Si enfuite il réfléchit fix toutes
ces
PRÉLIMINAIRES. 49
ces différences d’ufages qui fe trou-
vent entre les Pratiques locales ,
n'enconclura-t-1l pas, ( fuppofé qu'il
ait pratiqué, & qu'il ait acquis une
certaine expérience, ) que, n'étant
toutes occafonnées fur les Cantons
& Terroiws qu'il aura parcourus ,
que par les différences qui fe trou-
vent entre les fortes de qualités gé-
nérales de leurs terreins dominans,
elles apprennent ce grand principe :
Qu'il faut ajufler & proportionner les
opérations de l'Agriculture à toutes les
differences de terreins qui fe rencontrent ;
& que ce principe, depuis que l’A-
griculture fubfifte, eft généralement
reçu , adopté & reconnu dans tou-
tes les Pratiques locales du monde
entier ?
Ne conclura-t:1l pas de l’établife-
ment de ce principe, 1°. Qu'il faut
examiner les fortes de qualités gé-
D
so ARTLCLES
nérales & communes des terreins ;
qui commencent par indiquer les
cultures qui leur conviennent ? 2°.
Que comme , pour s'en aflurer , il
n'eft pas pofñble d'approfondir &
de creufer toutes les diverfités &
nuances qu'elles peuvent avoir cha-
cune , on ne peut fe difpenfer d’a-
voir recours à l'expérience, pour ap-
prendre à les fixer & à les détermi-
ner. 3°. Qu'on ne peut fe difpenfer
de fçavoir & de connoitre les diffé-
rentes façons d'exécuter les opéra-
tions de l'Agriculture , relativement
aux fortes de qualités de terreins qui
peuvent fe rencontrer.
SECONDEMENT, toutes les
Pratiques locales, confidérées fépa-
rement , apprennent encore ces mê-
mes principes par l’établiffement &
la deftination des ufages qui font
contenus dans chacune.
PRÉLIMINAIRES, ji
On a déja dit que tous les ufa-
ges qui fe trouvent dans chaque
Pratique locale , ne peuvent avoir
été établis que fur les fortes de qua-
lités générales des terreins dominans
des Terroirs, & non fur les qualités
des terreins particuliers qui s’y ren-
contrent.
Or, ces ufages n'ayant pas été re-
olés & ajuftés comme ils le font fans
employer l'examen de ces qualités
générales, fans le fecours de l'expé-
rience , & fans la connoifflance des
différentes façons d'exécuter les opé-
rations de l'Agriculture, &c. 1l eft
évident que l’établiflement des ufa-
ges de chaque Pratique locale, ap-
prend encore à tout Laboureur, en
particulier , les vrais principes de
l'Agriculture , & la véritable métho-
de qu'il doit fuivre pour bien cul-
tiver,
Di;
TE ARTICQUES
Il eft donc bien démontré que Îe
Laboureur ne doit pas appliquer,
auf indiftin@tement qu'il le fait, {a
Pratique locale fur tout rerrein.
Il faut au contraire , (conformé-
ment à l'intention des premiers
Cultivateurs qui ont établi les Pra-
tiques locales ) qu'il ne la regar-
de que comme une méthode qui
lu apprend qu'on ne peut fe dif-
penfer d'employer l'examen & l’ex-
périence fur les qualités de ter-
reins qu'il a à cultiver, quand elles
font différentes de celles du terrein
dominant de fon Terroir.
Ainf, pour agir plus fürement dans
tout ce qu'il a à cultiver, 1l doit, à
l'exemple de ce qu'on a fait pour
établir fa Pratique locale, fe com-
porter de même , pour fe faire une
Pratique particulière fur tous les ter-
reins particuliers qu'il peut rencon-
PRÉLIMINAIRES. 53
trer , en fe réglant toujours fur le
principe de fa Pratique locale , qui
eft , qu'il faut ajufter & propor-
tionner les opérations de l’Agricul-
ture à toutes les fortes de qualités
de terreins qu'il a à cultiver.
Pour ne laifler rien à défirer fur
l'exécution de cette méthode , nous
ajouterons que les Pratiques locales
donnent encore les infirumens les
plus propres & les plus convenables
pour bien travailler la terre.
Les charrues étant toutes à ver-
foir ou à oreille ,1l n’y a point de
terrein labourable, fi dificile qu'il
puifle être, qui, par le moyen de
l’une ou de l'autre , ne puifle être
bien ameubli , bien retourné, bien
fouillé , & même renouvellé, lorfque
le fond le permet.
Ne pouvant être exige rien de plus
D i
s4 ARTICLES
de l’ufage d’une charrue, à quoi donc
peuvent fervir toutes les inventions
nouvelles en ce genre, propofées
par M. Thull & par d’autres ?
Nos Laboureurs, nos Gens de
Campagne , qui tiennent toute no-
tre Agriculture, & qui font fi fort
attachés à leurs habitudes, pourront-
ils jamais fe déterminer à s’en fer-
vir, quand ils verront qu'elles ne
leur procureront, ni plus d’avanta-
ges , ni plus d’utilités que les inftru-
mens dont ils fe fervent.
Il y a encore l'invention du Se-
moir, fur lequel quantité d’Ama-
teurs de l'Agriculture travaillent
tous les jours pour parvenir à le
perfectionner & à le rendre moins
couteux.
Quoique cette invention foit l'ef-
fet d'une grande imagination, &
quon mette tout en œuvre pour
PRÉLIMINAIRES. $ÿ$
J'introduire , cela nempèche pas
qu'elle ne {oit très-inutile dans notre
façon de cultiver, n'étant néceffaire
que dans la pratique de la nouvelle
méthode.
C'eft ce que l’on verra dans la
réfutation qu'on fe propole de faire
ci-après de la nouvelle méthode de
M. Thuil.
En attendant, écoutons ce que
dit Olivier de Serre, de toutes les
nouvelles inventions, dans fon Téea-
tre d'Agriculture, chap. 2, pag. 81,
82, dédié au Roi Henri IV, €& im-
primé en 1600. Ayant fait valoir par
lui-même , fa Terre de Pradel, pen-
dant foixante ans , on peutle citer.
Après un grand détail, fur toutes
les différentes Pratiques locales qui
{ont obfervées dans les Provinces
du Royaume, & dans tous les diffé:
rens Cantons qui s'y trouvent , il
D iv
s6 ARTICLES
commence par dire : Qu'il faut bier
Je donner de garde d'y toucher, ni d'y
rien changer.
I n’en dit pas davantage , parce-
que , pour lors, on ne foupçonnoit
nullement qu'on s’aviferoit jamais de
les vouloir réformer , n1 encore
moins de leur fubftituer de nouvel-
les méthodes.
I ne parle donc que des nouvel-
les inventions , au fujet des inftru-
mens dont on fe fert dans toutes les
Pratiques locales pour travailler la
terre.
Apparemment que de fon tems
il y avoit déja quelques Agriculteurs
de Cabinet, qui en vouloient don-
ner de leur invention ; aufñi, après
avoir rapporté cet Oracle de Caton:
Ne change point de Soc, ayant pour
fufpeéte toure zowvelleté , ilajoûte :
» Et de fait, ceux fe font faits
PRÉLIMINAIRES. ç7
» pltôt admirer qu'imiter , qui ont
»# inventé de nouveaux Socs, rant a
» de mageflé l'antique façon de manier
» La terre , de laquelle l’on ne fe doit
» départir que le moins que l’on peut
» & avec grande confidération. Il eft
» vrai que les efprits des hommes
» S'afniffent tous les jours, & que,
# pour le préfent ,nous pouvons fça-
-» voir ce que nos Peres ont {çu le
#tems pañlé. Avec jugement pou-
» VOns-Nous y ajouter de nos inven-
» tions expérimentales, pour fervir
» d'adrefle à la conduite de nos af-
» faires , ce qu'on ne doit opiniâtre-
» ment rejetter; mais c'eff zontefois
» avec un Jufqu’oi ÿ POUr ne pas s'a-
» bandonner à toutes fortes de nou-
» velles inventions, de peur que,
» par mauvafe rencontre , oz ne chée
» e7 Hoquerie , étant toujours le guer-
» don d'une trop grande curiofité, »
53 ARTICLES
Quoi qu'Olivier de Serre dife
que les efprits des hommes s’affinif-
Jant tous les jours , on peut trou-
ver des inventions expérimentées ;
cependant il fait aflez entendre com-
bien il faut s’en défier, puifqu'il dé-
clare que ce n'eff qu'avec un Jufqu’où
qu'on peut les adopter.
En tout cas, fera-ce un Amateur
d'Agriculture , qui n’a jamais expé-
rimenté , ou que très-peu, qui fera
capable de les trouver? tandis que
de tous ceux qui, jufqu'a préfent»
ont véritablement connu l’Agricul-
ture, & qui l'ont pratiquée toute
leur vie avec les inftrumens ordi-
naires , 1] n'y en a pas un feul qui
ait propofé , fur les charrues & fur
la façon de femer, aucune nou-
veauté, parcequ'ils en ont toujours
conçu l'inutilité.
Voilà pourquoi Olivier de “Serre
PRÉLIMINAIRES. $9
décide fi nettement que ceux qui s’a-
vifent de les propofer & de les adop-
ter, s’expofent à chéeren moquerie.
On peut donc établir que toutes
les Pratiques locales , qui contien-
nent chacune tout ce qui peut bien
apprendre l'Art de l'Agriculture , &
qui contiennent encore tout ce qui
peut être ufité , tant pour bien tra-
vailler la terre, que pour la bien fe-
mer , nous ont confervé l'antique fa-
con de manier la terre qui a tant de ma”
jefté : & que n'y ayant, par confé-
quent, que la méthode qui réfulte
de leurs établifemens, qu'on puiffe
pratiquer , c'eft fe tromper foi-mê-
me , & tromper les autres , que
d'en propofer aucune autre qui s’en
écarte.
Combien fe feroit récrié Olivier
de Serre, fi de fon tems il avoit paru
ine nouvelle méthode femblable à
60 MRTICLES
celle de M. Thull, qui non con-
tente de détruire les Socs ordinaires
& la façon de femer , fe feroit avifé
d'attribuer à l'Agriculture d'autres
principes & d’autres ufages que ceux
qui ont toujours été reconnus par
toutes nos Pratiques locales ?
Sans-doute qu'en parlant aufli for-
tement contre les nouveaux Socs
qu'on pourroit propofer , 1l faifoit
attention à la pofition de notre Agri-
culture qui fe trouve entièrement
entre les mains des gens de la Cam-
pagne ; c'eft à quoi il paroit que
n'ont pas penfé feulement tous ceux
qui propofent des nouveautés.
Dans les premiers fiécles du mon-
de , c'étoient les Propriétaires qui
fafoient valoir par eux-mêmes leur
propres Domaines ; il n'étoit pas
queftion de les louer , ni de les affer-
mer , tous les gens de la Campagne
n'étoient que leurs feris.
PRÉLIMINAIRES Gp
Pour lors l’Art de l’Agricuiture,
dont les premiers hommes faifcient
tant de cas, parcequ'ils fentoient
mieux que nous le befoin qu'on en
a, étoit poufié à fon plus haut dégré
de perfeétion.
Ils avoient tout inventé ; & dans
leurs inventions de charrues & au-
tres inftrumens qu'ils nous ont laif-
{és , il n'y a point de doute, qu'ils
ne nous ayent donné tout ce qu'il
falloit pour bien remuer la terre ,
pour la renouveller & pour en tirer
tout le parti qu'il étoit poffible de
fouhaiter.
Toutes les Pratiques locales qu'ils
avoient formées & établies , ne fer-
voient que de méthodes pour ap-
prendre à tout Cultivateur ce qui
devoit le régler dans la culture de
fon terrein; on ne les appliquoit pas
fur toutes les fortes qui fe rencon-
Ga CARE I CLEPS
troient aufñ indiftinétement qu'on le
fait aujourd’hui , & on les entendoit
comme elles devoient l'être.
Mais, depuis que notre Agriculture
fe trouve entre les mains des gens de
la Campagne , qu'ils en font devenus
les Fermiers & les Locataires, ceux-
ci n'ayant pas compris, faute d'in-
ftruétions, l'ufage qu'il falloit faire de
leurs Pratiques locales , & ne fe con-
duifant , par conféquent , que par
routines , nos terres font tombées
dans le plus grand délabrement ,
comme on l’a fait voir ci-deflus ; &
1l s’en faut bien qu'elles foient au-
jourd’hui de la même valeur qu’el-
les étoient dans ces premiers fiécles.
\
4)
2
N
a
4
PRÉLIMINAIRES. 63
PLAN DE CE MANUEL,
Dans lequel on propofe les vrais € feuls
moyens de rétablir l'Agriculture.
Pu ISQU'IL s'agit de donner à nos
Laboureurs, pour leur ufage & pour
les retirer de leurs routines, la métho-
de qui fe trouve dans chacune de
leurs Pratiques locales, après avoir
dit ce que c’eft que l'Art de l’Agri-
culture , quelles font fes opérations,
& quel eft généralement fon grand
principe de fécondité , conformé-
ment à ce que nous en apprennent
ces mêmes Pratiques locales , on
traitera dans ce Manuel qu’on don-
ne 1C1 pour eux:
1°. De l'examen des terreins &
des fortes de qualités générales &
communes qu ils contiennent.
II. De l'expérience ; comment
64 ARTICLES
on lacquiert , & quels font fes
effets.
IIN°. Des différentes façons d’exé:
cuter les opérations de l’Agricultu:
re , relativement aux fortes de qua-
lités générales & communes des ter:
reins.
En prenant ainfi nos Laboureurs
par leurs Pratiques locales, qu'ils
regardent comme leur Livre d'A:
griculture , 1l y a lieu de s’aflurer
qu'ils recevront avec empreflement
la méthode qui en proviendra, &
qu'elle leur ouvrira les yeux fur les
défauts de leurs routines,
Ce fera une nouveauté qui exci-
tera d’autast plusleur curiofité,qu’on
ne s'eft pas encore donné la peine
de les inftruire aufli direétement.
Croiroit-on que le Traité des Prar.
ries artificielles a été copié en entier
par l'un d'eux, parcequ'il a fenti
qu'il
PRÉLIMINAIRES. 65
qu'il ne s’écartoit point des princi-
pes de fa Pratique locale.
Qu'on juge après cela de l'effet
qu'auroit ce aruel dans toutes les
Campagnes, fi on l'y répandoit.
Voilà donc le premier moyen de
réparer notre Agriculture.
indépendamment des routines de
nos Laboureurs, qui forment la pre-
æmière caufe de fon délabrement , le
défaut de Prairies & de Beftiaux
l'occañonnant encore , & ne pou-
vant être réparé fans le concours des
Propriétaires avec leurs Fermiers,
on fera voir qu'ils ne peuvent le re-
fufer , & que ce concours contient
l’autre moyen de la réparer complet-
tement.
Il découvrira une vérité qu'il eft
étonnant qu'on nait pas encore ap-
pérçue jufqu’a préfent, qui eft qu'on
ne parviendra jamais à faire profpérer
E
66 ARTICLES
l'Agriculture en France que par les Pro:
priétaires.
Ces deux moyens font les feuls
qu'on puifle employer pour y par-
venir efficacement, tant en France
que dans tous les autres Etats où
l'on cultive : il n’y en a réellement
point d’autres ; quoiqu'aucun de
ceux qui ont écrit jufqu'a préfent
fur cette matière , n’en ayent feu-
lement pas fait la moindre men-
tion.
Quand on a expérimenté l’Agri-
culture pendant frente années, on
a afléz d'expérience pour aflurer
qu'on ne réuflira point autrement.
Or; eomme ces deux moyens ne
peuvent bien s'effetuer danstoute
Tétendué du Royaume, qu'autant
que le Gouvernement les protégera
‘& les encouragera ; ce Manuel à À-
“griculture {era divifé en trois Parties,
PRÉLIMINAIRES 67
La première, concernera le La-
boureur.
La feconde , le Propriétaire.
La troifiéme , le Gouvernement,
En donnant ainfi a nos Laboureurs
la vfaie méthode quifoit capable de
les retirer de leurs routines, & de
leur apprendre à bien cuïtiver, en
donnant encore le feul moyen de
parvenir à remédier au défaut de
prairies qui ne peut s'éffeûuer que
par le concours des Propriétaires
avec leurs Fermiers,toutesnos terres
alors prenant le train de rapporter
au double & au triple , il s'enfuivra
néceffairement , qu'on remédiera à
ce quioccafonne encorëlatroifiéme
caufe du délabrement de notre Agri-
culture, puifque tous les Laboureurs
& Propriétaires feront mis bien au-
deflus de toutes lescharges & impof-
tions dont ils font tenus aujourd’hui,
E
68 ARTICLES, &c.
Enfin on terminera ce Manue!
par la réfutation de la nouvelle Mé-
thode de M. Thull, pour faire voir
que nos gens de la Campagne ne
s’en ferviront jamais, & qu'elle fera
toujours propofée inutilement en
France & ailleurs, ainfi que fon fe-
moir , pour le rétabliflement de l’A-
griculture , quand même il ne feroit
queftion que d'en faire ufage feule-
ment dans la façon ordinaire de cul-
tiver.
&
"Hi
to TE re re
M A. NU Æ EL
D'AGRICULTURE:
BONE
LE LADBOUREUS:
Définition de l'Agriculture
Quelles font fes Opérations ?
Quel eff fon vrai Principe ?
En quor confifle la Méthode
qui en réfulte ?
L'AGRICULTURE eft l’Art de
cultiver la terre. Étant une fcien-
ce- pratique , elle a néceffairement
fes opérations quoiqu’elle ait plu-
fieurs parties; fçavoir , les Terres la-
E iij
70 MANUEL D'AGRICULTURE
bourables , les Prairies, les Bois’,
la Vigne, le Jardin;'il ne fera ici
queftion que des Terres laboura-
bles, qui en forment teliement la
partie effentielle & principale, que,
communément dans fa fignification
on nentend que cet obiet. Il
s'agit donc, en ne confidérant l'A-
griculture que du côté des Terres
labourables , d'en donner une idée
quite & exacte,
On ne peut mieux la concevoir
qu'en la regardant comme un Aït
qui eft généralement compofé du
labour, des engrais , des jachères &
de la femence. Cette idée paroit
d'autant plus jufte, que ce {ont tou-
tes les Pratiques locales elles-mêmes
qui nous apprenent qu'on ne doit
pas la concevoir autrement.
C'eft ce qu'on a vu par l'explica-
tion qu'on en a donnée cr-deflus
POUR LE LABOUREUR. 71
dans le cinquiéme Article des préli-
minaires. AR
Cependant il y a quelques Can-
tons dont les terres, par leur heu-
reufe poñition, n’ont befoin que d'ê-,
tre labouürées & femées, fans qu'il:
foit queftion d'y employer les en-
grais & les jachères ; 1l y a même,
quelquesPratiques locales entières,
où, par le moyen des engrais ; Où
péut fe pafler des: jachères ;-on en,
parlera plus amplement. quand -on
traitera des engrais & des jachères,,
Sections H°-& ILE , dullis Chapitre.
«Ces mêmes Pratiques, quappren-
nent quelles font généralement les
opérations de l'Agriculture , nous
apprennent encore que- fon. pria-
cipe général de fécondité eft de Les
ajujler & de les proportionner & toutes
les fortes de qualités qui [e rencontrent
fur tout terreur,
Eiv
72 MANUEL D'AGRICULTURE
Ce principe ne pouvant être cons
tefté, il en réfulte néceflairement
que fa méthode doit confifter :
1°. Dans l'examen des fortes de
qualités qui peuvent fe rencontrer
fur le terrein qu'on a à cultiver.
- 2°. Dans l'expérience du Labou-
reur.
3°. Dans la connoiffance des dif-
férentes façons d'exécuter les opéra:
tions qu'on vient de détailler, rela-
tivement aux fortes de qualités des
terreins.
Ces trois Objets formeront au-
tant de Chapitres dont le troifième
contiendra quatre Se@ions fur le
labour , les engrais, les jachères &
les femences.
Puifque cette méthode & fon prin:
cipe font ainfi appuyés par toutes
les Pratiques locales dû monde en-
tier où l'on cultive, & qu'ils y font
POUR LE LABOUREUR. 73
généralement reconnus , il faut re-
jetter toutes les nouvelles métho-
des, qui non-feulement admettroient
d’autres principes , mais qui fuppri-
meroient quelques-unes des opéra-
tions détaillées ci-deflus , ou fe-
roient des changemens dans la façon
de les exécuter: Tant l'antique façon
de manier la terre a de majefle ; & doit,
fuivant Olivier de Serre , ez impofer{
74 MANUEL D'AGRICULTURE
STE ER
-CHAPITRE PREMIER.
DE L'EXAMEN DES TERREINS.
à
Comment on. doit examiner les
T'erreins.
Qi ne peut nier que rien ne foit fi
diverfiñié que la terre, & que ces
variétés, dans les fortes de qualités
générales & communes qu'on y ap-
perçoit d'abord, ne s'étendent, pour
ainfñ dire , jufqu'aà l'infini.
Cela eft fi vrai que deux piéces
de terre qui feront, royées l’une de
l'autre , ne fe reflemblent pas abfo-
lument, quoique paroiffant de même
qualité ; mais avec le tems on y dé-
couvre des différences & des nuan-
ces ; on les trouvera encore dans
deux portions de terre , même les
plus petites: ainfi ne pourroit-on pas
POUR LE LABOUREUR. 75
dire qu'il en eft de la diverfité des
terreins comme des vifages dont au-
cun ne fe reffemble ?
Cela étant , ce n'eft point cette
diverfité qu'il faut examiner & ap-
profondir pour connoitre les fortes
de cultures qu'il convient de don-
ner. Il y a un chemin bien plus court
à fuivre, qu'on trouve & qu'on ap-
prend dans la méthode qui réfulte
de toutes les Pratiques locales , qui
eft de n’examiner que les fortes de
qualités générales & communes qui
fe trouvent fur tout terrein; parce-
que , commençant par indiquer ,
chacune , les fortes de-culture qui
peuvent leur convenir ,; au moyen
de l’Expérience qu'on appelle à fon
fecours, on parvient à les décider
& a les déterminer avec certitude.
/ Ilfaut n'avoir pas la moindre tein-
ture de la pratique de l'Agriculture ,
76 MANUEL D'AGRICULTURE
1l faut même ignorer jufqu’à fes pre-
miers principes , pour ne pas {çavoir
que c’eft principalement l’Expérience
qui apprend à bien ajufter & propor-
tionner les opérations de l’Agricul-
ture à toutes les fortes de qualités de
terreins qui {e rencontrent. Où enfe-
roït-on fi, pour y parvenir , il falloit
creufer toutes leurs nuances ?
Quelle idée peut-on donc avoir de
tous ceux qui fe mêlent aujourd'hui
d'écrire fur l'Agriculture ? puifqu'il
n'y en a aucun qui n'ait cherché à
donner les plus grands détails fur tou-
tes les fortes de diverfités qui peu-
vent fe rencontrer, s’imaginant que
fans cela il n’eft pas poffible de bien
apprendre à donner une bonne cul-
ture ; que penfera-t-on encore de
ceux qui ont écrit dans les Provin-
ces pour s'informer de toutes les ef
péces particulières de terreins qui
POUR LE LABOUREUR. 77
pouvoient fe trouver fur chaque
Canton , fur chaque Terroir ? tan-
dis qu'il n’eft queftion que de con-
noître leurs fortes de qualités géné-
rales & communes , en employant
en même tems l'expérience.
IL.
Des fortes de qualités générales & com-
munes qui fe trouvent fur tout Terrein.
Rien n’eft fi aifé que de trouver
Les fortes de qualités générales &
communes qui font fur tout terrein;
mais cette découverte échappera
toujours à ceux qui ne fçavent que
la théorie de l'Agriculture.
Il faut connoitre les Pratiques lo-
cales, & fçavoir encore par foi-mê-
me quels font les ufages de la Cam-
pagne, pour dénommer toutes les
fortes de qualités de terreins qui s'y
xençontrent,
78 MANUEL D'AGRICULTURE
Quand on parle d’un corps de
‘Ferme, d’un Domaine, d'un Ter-
rein, on dit de l’un où de l’autre ;,
pour le défigner.
» Il eft facile à labourer, parce-
» que les terres y font féches &
» légères.
» [left difficile à labourer , par-
» ceque les terres y font pefantes,
» humides, &c.
» Les terres y font. bonnes, ou
» médiocres, ou mauvaifes.
» Elles ont du fond, ou elles n’en
» ont pas, c'eft-a-dire, qu'elles n'en
» ont que pour faire venir les pro-
» duétions de Agriculture.
» Les terres y font fpongieufes,
» dit-on encore , quand elles retien-
» nent les eaux ; ou elles ne le font
» pas, quand elles ne les retiennent
# pas.
» Enfin elles font plus où moins
» fujettes à pouffer des herbes,
POUR LE LABOUREUR. #79
Voilà à quoi fe réduifent toures
les fortes de qualités générales &
communes qui peuvent fe rencon-
trer fur tout terrein qu'on veut cul-
tiver, & pour cette ration elles font
ainfi dénommées.
En les obfervant, on ne difcon-
viendra pas qu'elles ne commencent
par indiquer chacune la forte de cul-
ture qui peut leur convenic , & qu’in-
dépendamment de cet examen, 1l
faut encore l'expérience du Labou-
reur pour aider à le décider.
Un terrein, qui paroit bon, com-
mence par indiquer qu'il lui faut
moins d'engrais & moins de femen-
ces qu'à un autre qui fera médiocre ;
cependant, cela ne fufñt pas pour
bien inftruire le Laboureur , il faut
qu'il ait recours a-fon expérience
pour mieux s'aflurer des quantités
qu'il convient d'employer.
8o MANUEL D'AGRICULTURE
Un terrein qui a du fond & qui
paroit en avoir dix à douze pouces,
commence par indiquer qu'on peut
le foncer pour le renouveller ; ce-
pendant il n'y a encore que l'expé-
rience qui apprendra s'il convient
de le faire.
Ces deux exemples fufifent pour
faire voir que c’eft principalement
V'Experience qui apprend comment on
doit cultiver tout terrein ; & que,
pour y parvenir, il n'eft queftion
que de connoiître les fortes de qua-
lités générales & communes qui peu-
vent s’y rencontrer, & non leurs di-
verftés, c’eft-à-dire, toutesles nuan-
ces qui peuvent fe trouver dans cha-
cune. Il faut donc fçavoir en faire la
diftinion, comme on l'a déja dit ;
c'eft , pour ainfi dire, l’Alphabet
de l'Agriculture ; cependant cette
leçonne laïflera pas que de furpren-
dre
e
POUR LE LABOUREUR. $r
dre un peu nos Agriculteurs &: nos
Ecrivains modernes.
| 1 9 a
Ce qui occafionne les qualités des bons,
des médiocres & des mauvais terreins ,
& de la difference des [els & des Jucs
qu'on y trouve.
P OuR le bien & l’avantage de l’A-
griculture , 1l n’eft pas néceffaire de
fonder les caufes de toutes les fortes
de qualités générales & commu-
nes qu'on vient de détailler : nos
Fermiers n’ont pas befoin d’une pa-
reille diflertation ; 11 fuffit qu'ils fça-
chent ce qui occafionne les qualités
des bons, des médiocres & des mau-
vais terreins.
Il eft certain qu'ils ne font tels
qu'à raifon du plus ou du moins de
fels & de fucs qui y font contenus,
qu'on doit regarder comme fafant
| F
82 MANUEL D'AGRICULTURE
la pâturede routes les Plantes que
la terre peut contenir & recevoir.
Ne pourroit-on pas dire qu'il en eft
de cette pâture, qui eft dans l’inté-
rieur de la terre pour les plantes,
comme de celle qui eft fur fa fuper-
ficie, & qui fert à la nourriture des
beftiaux ?
On y diftingne la pâture des prés,
qui eft pour le gros bétail, d’avec la
pature des champs, qui eft plus con-
venable aux bêtes blanches.
Dans ces fortes de pâtures, on
voit de très - grandes différences,
tant du côté de leur qualité , que du
côté de leur quantité : on apperçoit
les mêmes différences dans tous les
fels & les fucs de la terre.
Quoiqu'on puifle dire qu'ils peu-
vent convenir à toutes les fortes
de plantes , & qu'elles peuvent s'en
nourrir, cependant l'Expérience ap-
7 2
POUR LE LABOUREUR. 83
prend qu'il y en a qui conviennent
mieux, OU qui conviennent moins à
certaines plantes;
Voila pourquoi, par exemple , le
Lin , le Chanvre, le Colza, &c. réuf-
fiflent mieux dans certains terreins
que dans d’autres qui paroïffent avoir
la même fertilité. Le Froment réuf
fira mieux dans un terrein qui fera
un peu gazonneux, que dans uñ ter-
rein leger & fec; & dans ce terrein
fec & leger, le Seigle réuflira mieux
que dans celui qui convient au Fro-
ment.
Ce qui prouve encore que les
fels & les fucs ne font pas tous de
la même qualité, que la terre en
contient qui font de différentes
fortes, c’eft ce qui arrive à l'occa-
fion de l'alternative des femences &
des plantes.
Après un Froment , une Lentille,
F i
84 MANUEL D'AGRICULTURE
qui eft auffli un grain d'hyver, reuf-
fira beaucoup nueux qu'un Froment
qu'on remettroit encore; après un
pommier, un poirier, un pêcher,
ou tout autre arbre, fi on en plante
un qui foit d'une efpéce différente ,
il eft certain qu’il réufhira beaucoup
mieux que celui qu'on remettroit,
qui feroit de la même efpéce de ce-
lui qui y étoit auparavant, qui ne
pourroit bien réufhr que dans le cas
qu’on renouvelleroit , & qu'on chan-
geroit le terrein.
Indépendamment des différences
qui fe trouvent dans les qualités des
fels & des fucs de la terre, ilyena
encore une très-grande dans leur
quantité.
C’eft principalement cette diffé-
rence qui fait les bons , les médiocres
&z les mauvais terreins , comme c'’eft
ordinawement le plus ou Ie moins
POUR LE LABOUREUR. 85
d'herbes qui fait les bons , les médio-
cres & les mauvais prés.
Les Laboureurs ne peuvent en-
core tre trop attentifs à toutes ces
différences de qualités & de quanti-
tés qui fe trouvent dans les fels & les
fucs de la terre; non-feulement pour
mieux diriger & ajuiter leurs opéra-
tions, mais pour le choix des grains
& femences qui peuvent le mieux
convenir à leurs terreins.
Il n’eft pas douteux qu’un bon ter-
reinne contienne plus de fels & plus
de fucs qu'un médiocre : mais ne
pourroit-il pas arriver que des ter-
reins ne feroient médiocres & mé-
me mauvais , que parcequ'ayant un
fond qu'on auroit pu fouiller & re-
tourner, à l’effet de le mélanger avec
le deflus qui eft épuifé pour avoir
toujours produit, on auroit négligé
de le faire , en fe contentant de les
Fu;
86 MANUEL D'AGRICULTURE
labourer à la façon ordinaire , quine
confifte qu'à les travailler, à raifon
de quatre à cinq pouces , tel fond
qu'ils puifient avoir ; c’eft ce dont
on traitera dans la fuite.
POUR LE LABOUREUR. 87
GHRAIP'ETRE IE
DE LIE'X P EF RIREIN CE.
Comment on l’acquiert ; & quels font
fs aus
Pu ISQUE le Laboureur parvient,
principalement par fon expérience ,
à bien ajufter & proportionner les
opérations de l'Agriculture fur tout
terrein, en n’emploÿyant fimplement
que l'examen des fortes de qualités
générales & communes qui peuvent
s’y trouver, il s’agit de lui apprendre
a s'en fervir.
Dans l'Agriculture , on entend
par Expérience, les connoïffances que
l'on acquiert en obfervant bien
exactement les effets qui réfultent
des épreuves qu'on a faites fur un
terrein,
Fiv
88 MANUEL D'AGRICULTURE
Ainfi le Laboureur qui a befoin
d'expérience, & quine peut être bien
conduit que par elle , ne doit regar-
der que comme des épreuves toutes
les opérations qu'il fait fur fon ter-
rein, pour bien examiner, chaque
année , les effets qui en réfultent.
Or, pour bien examiner ces effets,
& acquérir par leur moyen les con-
noïffances qui forment l'expérien-
ce , 1l doit remonter à la caufe des
effets de fes opérations ; parceque ,
s'ils font défe&tueux, la caufe en
étant connue, le reméde fera bien-
tÔt trouvé.
C'eft ainfi que le Laboureur éten-
dra fes connoiflances & qu'il appren-
dra avec le tems a bien cultiver.
Au moyen de l'expérience , on
eft difpenfé , comme l'on voit, de
fonder toutes les nuanceg, qui fe
trouvent dans un terrein ; &ilne s'a-
POUR LE L'ABOUREUR. 89
git que de commencer par examiner
quelles font les fortes de qualités gé-
nérales & communes qu'on y ap-
perçoit d’abord.
Par l'Expérience on apprend donc
le fecret de l'Agriculture, puifque
par elle on parvient à cultiver un
terrein auffi bien, & même plus fure-
ment, que fi on s'étoit appliqué à
connoiître toutes fes nuances parti-
culières.
Ce n'eft qu'au bout d'un an qu'on
voit, dans l'Agriculture, les effets
des épreuves que l’on fait, & même
au bout de trois ans qu'on peut faire
les comparaifons & les confronta-
tions d’une récolte avec une autre
qui proviendra du même champ;
ce qui arrive, lorfque tout un corps
de Ferme fe trouve partagé dansles
trois foles ordinaires de grains d’hy-
ver , de grains de mars & des jachè-
.
90 MANUEL D'AGRICULTURE
res; mais, comme ces comparaifons
doivent être répétées plus d’une fois
avant de pouvoir bien s'inftruire ,
on doit concevoir qu'il faut bien du
tems & bien des années pour for-
mer un bon Laboureur , un bon"Cul-
tivateur; & que la fcience de la Pra-
tique de lAgricuiture n’eft pas auff
aifée que bien des gens fe l'imagi-
nent.
Pour donc bien ajufter & pro-
portionner les opérations de l’A-
griculture à toutes les fortes de qua-
lités générales & communes qui peu-
vent fe rencontrer fur un terrein, il
faut encore fçavoir les différentes
façons de les exécuter qui leur font
relatives : on en va traiter dans le
Chapitre fuivant.
+
POUR LE LABOUREUR. 91
GYÉANESTETER UE CELE
Des différentes facons d'exécuter les opé-
rations de Agriculture, relativement
a routes les fortes de qualités de ter-
reins.
PREMIÈRE SECTION.
De l'Opération du Labour.
ŸE Laboureur devant varier fon
labour fuivant les différentes quali-
tés des terreins, 1l faut lui faire con-
noiître les différentes façons de l’e-
xécuter :
1°. On le fait à plat, par Bandes
& par Planches.
2°. On ne peut trop le répéter.
3°. On doit foncer le labour,
felon que le terrein a plus ou moins
de fond.
4°. On apprendra en quel tems
912 MANUEL D'AGRICULTURE
il convient de commencer les la-
bours.
5°. On ajoutera certaines maxi-
mes générales qui ne tendent qu'à
les perfectionner.
6°. On parlera des charrues qui
font ufitées dans toutes les pratiques
locales.
7°. On fera voir qu’un Laboureur
doit être bien monté.
I
Du labour & plat, par bandes & par
planches.
ON laboure 4 plar tous les terreins
fecs & lègers, parce qu'ils reçoivent
l'eau, & qu'ils ne la retiennent pas;
cela veut dire qu'on continue de
les labourer fans aucune interru-
ption, jufqu’à ce qu'ils foient finis.
Quand les terreins au contraire
{ont humides & parconféquent fujets
POUR LE LABOUREUR. 93
à retenir les eaux de pluie ou d’inon-
dation , après avoir été labourés à
plat , on fait fur ces terreins , a la
diftance de fix à fept toifes, plus ou
moins de profonds fillons que l’on
fonce davantage du côté de la pente
pour donner plus de facilité à l'é-
coulement des eaux; c’eft ce qu'on
appelle Zabourer en bandes.
Si ces précautions ne fuffent pas,
on forme des planches, de trois à qua-
tre pieds feulement de largeur , bor-
dées de deux fillons, dont le milieu
fera en dos d’äne , ce que le Labou-
reur exécutera en donnant de l'élé-
vation au milieu de la planche.
Pour former ces planches , on
commence par faire dans le milieu
un fillon qu'on remplit par un la-
bour fait à droit & à gauche; on
continue de même dans toute l'é-
tendue de la piéce de terre, jufqw’à
94 MANUEL D'AGRICULTURE
ce qu'elle foit finie : les petites émi-
nences , qui en réfultent dans le
milieu de chacune des planches,
s'appellent Billons.
C'eft ainfi qu’on partage en pe-
tites planches tout un terrein , pour
lui retirer plus facilement les eaux
dont l'abondance & le trop long
féjour ne pourroient que nuire aux
grains qu'on y femeroit.
Ainfñ, quand dans un terrein, les
eaux ne s'irhbibent pas facilement,
on doit le labourer par planches & par
bandes | nonobftant que l'ufage de la
pratique locale foit de labourer 4
plat , parceque la qualité générale
du terroir fur lequel elle eft établie,
eft de ne point retenir les eaux.
de
POUR LE LABOUREUR. 95
IL
On ne peut trop répéter le Labour,
Ce ST une maxime généralement
reçue & reconnue dans toutes les
Pratiques locales , qu'il faut bien
adoucir un terrein, & qu'il faut, pour
ainf dire, le pulvérifer. |
On peut dire que cette maxime
dérive du principe général de l’Agri-
culture , parceque non-feulementil
faut ajuiter toutes fes opérations aux
différentes qualités des terreins ,
mais 1! faut encore les ajufter & pro-
portionner relativement aux plantes
qu'elle emploie.
Qu'un terrein foit gazonneux ou
léger, qu'il foit difficile ou aifé à la-
bourer , il faut le réduire & l’adou-
cir, c'elt-a-dire , qu'il faut en déta-
cher tous les petits grains de terre
qui le compofent.
96 MANUEL D'AGRICULTURE
Les grands Phyficiens , qui trai-
tent de l'Agriculture , fe fervent du
terme de Molécules pour exprimer
cespetits grains de terre : mais, cor1-
me ce Manuel n'eft que pour les gens
de la Campagne, parce qu'ils com-
pofent feuls, en France, tout le corps
des Agriculteurs, on croit devoir
préférer une expreflion qui ef plus
à leur portée ; ils n’entendroient
pas l’autre qui ne convient qu'aux
Amateurs de l'Agriculture, & qu'a
quelques Propriétaires qui font va-
loir par eux-mêmes.
Ainfi ce terme de Molécule ne
pouvant être employé , quoiqu'aflu-
rement beaucoup meilleur, fi un ter-
rein eft extrêmement gazonneux ,
s'il eft pefant , humide, compaéte,
glaifeux , &c. 1l n’y a point à héfiter
de répéter les labours , & de les ré-
péter jufqu'à ce que les petits grains
de
POUR LE LABOUREUR. 97
de terre qui les compofent, foient dé:
tachés & féparés les uns des autres.
En voici la raïfon :
Les racines des grains, & de tou-
tes les plantes, que l'Agriculture em-
ploie , font mifes bien plus en état
de pénétrer, de s’infinuer, & par con-
féquent de mieux fuccer les nourri-
tures qui leur conviennent,
Un terrein bien labouré , bien
ameubli, ne fe reflent-il pas mieux
des influences de l'air , du foleil à
Les pluies ne le pénétrent-elles pas
davantage ?
Quoique les terreins légers, &
même les plus légers n'exigent pas
tant de labours pour les réduire, en-
core ne peut-on moins faire que de
leur en donner trois.
Quand ils font pris en tems con-
venable , ainfi qu’on le verra ci-
G
93 MANUEL D'AGRICULTURE
après , ils n'en font que plus humi:
des, étant fouvent labourés.
” Et même, pour qu’un labour foit
bien fait, il faut qu'un terrein foit
retourné , à l'effet de mieux mêlan-
ger la terre qu'un bon Laboureur
cherche toujours à ramener; ce qui
ne peut s'exécuter, fi le travail de
la charrue n'’eft répété trois fois.
On doit comprendre qu'il n’eft ici
queftion que des labours qu'on don-
ne au froment & au feigle , qui font
des grains d'hyver , & qu'il ne s’agit
point de ceux qu'on donne aux
grains de Mars qu'on ne fait que
deux fois ; l'un avant l'hyver, l'autre
au printems, ou plutôt qu'on ne fait
qu'une fois au printems, fuivant un
mauvais ufage qu'on tâchera , ci-
après , de détruire.
On pourroit donner la raifon poux
POUR LE LABOUREUR. 09
jaquelle ces fortes de grains n'ont
befoin que de deux labours, c’eft
que , fuccédant ordinairement au
froment & au fegle ; ils font femés
dans des terreins qui ont été extrês
mement travaillés, & qui ne peu-
vent que s’en refientir:
H conviert d'obferver, que né
pouvant parvenir à bien retourner
un terrein qu'au troifiéme labour
ce n'eft que quand il fera fait qu'il
s'agira de le croifer, fi la fituation
du terrein le permet, parcequ'en fais
fant plutôt le croifement, c’eft-à-
dire après le premier ou le fecond
labour , il empècheroit que le
terrein ne fût retourné comme il
doit l'être ; au lieu que n'étant fait
que comme on le propofe, après
le troifiéme labour, il aura tout le
bon effet qu’on peut s’en promettre.
Ce n'eft pas entendre le travail du
Gi
»
100 MANUEL D'AGRICULTURE
labour , que de propofer autrement
ce croifement.
ILE
On doit foncer le Labour félon que le
terreën a plus ou rnoins de fond.
D E toutes les opérations de l’A-
griculture il n’y en a point de plus
intéreflante,qui demande autant d’at-
tention, & qui foit plus capable d’a-
méliorer un terrein , que celle du
labour, principalement dans ceux
qui ont encore un fond de terre au-
deflous de celui qu’exigent fes pro-
du&tions , à la différence des autres
terreins , quin'ont que ce qu'il leur
faut pour les faire venir , dans lef-
quels l’opération de l'engrais eft
celle qui a le plus d'effet.
Comme les produétions de l’A-
griculture ne font que des plantes
POUR LE LABOUREUR. 1o1
annuelles & des plantes fibreufes,
qui ne cherchent qu’à s'étendre , il
ne faut dans tout terrein labourable
qu'environ quatre pouces de fond
de terre pour les faire venir ; le fro-
ment , dont les racines pivottent &
s'étendent plus que celles de toutes
les autres, n’en exige pas davan-
tage.
L’Auteur de la Nature l'a ainfi
réglé, afin que l’homme , en tel en-
droit de la Terre qu'il habite, puifle
trouver à fe procurer plus facile-
ment fes befoins les plus néceffaires.
Les produétions de l'Agriculture
n'exigeant pas plus de fond , c’eft ce
qui a occafionné, dans toutes les Pra-
tiques locales , l’introduétion de l’u-
fage de ne faire les labours qu’à rai-
fon de quatre à cinq pouces ou
environ.
I ne faut cependant pas s'y mé-
G il
xo2 MANUEL D'AGRICULTURE
prendre; trous nos Laboureurs, en
fe conformant à cet ufage , donnent
dans une rottine qui porte à l’A-
griculture le plus grand préjudice.
_ Le principai objet de l'opération
du labour , lorfque le fond le per-
met , étant de renouveller un ter-
rein , c'eft donc plutôt le fond
qu'il peur avoir qu'il faut confulter,
que celui que ces produétions peu
vent occuper. |
Mais, y ayant une aufli grande va:
“ation dans le plus où le moins de
fond de tous les différens terreins,
& même d’un terrein qui paroïît d’u-
ne mème qualité, il n’a pas été pof-
fble à aucune Pratique locale de
ftatuer autrement fur le fond du
labour,
On a déja vû que, pour le bien
régler , on en a renvoyé la déci-
fion à l'examen & à l'expérience
POUR LE LABOUREUR. 103
de chaque Laboureur en particu-
her.
Au furplus le principe , qui ré-
fuite de l'établifiement de toutes
les Pratiques locales étant qu’Z/
faut ajufler & proportionner les ope-
rations de l'Agriculture a toutes des
différences de terreins qui peuvent fe
rencontrer ; & Ce principe étant
aufli généralement reçu & recon-
nu dans toutes les Pratiques lo-
cales, il eft évident que tout Las
boureur en particulier, de tel Pays,
de tel Canton que ia Terre quil
puifle être , ne doit régler fon
labour que fur le plus ou le moins
de fond que peut avoir le terrein
qu'il a à cultiver.
N'y ayant, en conféquence de
ce principe général , comme on l'a
fait voir ci-deflus , que l'examen du
terrein & l'expérience qui doivent
G iv
104 MANUEL D'AGRICULTURE
guider le Laboureur dans toutes fes
opérations ,1l ne doit fe confier aux
ufages de fon terroir que relative-
ment à ce principe.
Ainfi la grande fcience du Labou-
reur,eft de connoitre fon terrein,
ce qu'il peut avoir de fond, & com-
ment il doit s'y prendre pour s’en
aflurer.
Pour mieux l'inftruire fur tout
cela, 1l s'agit de quelques obferva-
tions.
Le terrein qu'il cultive, fait par-
tie du premier lit de la terre.
On fçait que la terre eft parta-
gée & divifée en plufñeurs cou-
ches, c'eft-à-dire en pluñeurs lits.
Le premier lit, qui compofe fa fuper-
ficie, eft ce qu'on appelle Terrern; ileft
plus amolh, plus attendri que tous les
autres qui font deflous, parcequ'il
eft plus à portée d'être continuel-
POUR LE LABOUREUR. 105
lement pénétré par les pluies, les
influences de l'air , du foleil, & par
les gélées, les dégels, les brouil-
lards, &c.
Dans ce premier liton trouve une
grande diverfité de fond.
Il y a des terreins qui n'ont que
cinq à fix pouces; 1l y en a quin'en
ont que trois à quatre , & qui n'ont
que ce qu'il faut pour faire venir les
produétions annuelles de l’Agricul-
ture ; 1l s'en trouve même qui n’en
ont pas affez ; ce qui occafionne des
terreins incultes & abandonnés.
Cependant on peut y trouver plus
de fond, comme de dix à douze ,
ou de douze à quinze pouces; on
en trouve mème qui ont jufqu’à deux
& trois pieds, quoique de même
qualité.
Cette variation fur le plus ou le
moins , eft telle qu’elle peut fe ren-
106 MANUEL D'AGRICULTURE
contrer dans ce qui compofe un ar-
pent, & dans moins d'étendue encore.
De façon que quand on trouve
un certain fond , 1l faut fçavoir s'il fe
fuit & s’il fe foutient.
Il n'y a que ce premier lit que la
charrue puiffe travailler, & qui peut
fervir à l'Agriculture ; le lit qui eft
deflous, qu'on appelle Tuf, ne peut
que lui être nuifible , n'étant ordinai-
rement qu'un terrein graveleux, ou
crayonneux , qui commence à fe
former en pierre, & qui, pour cette
raifon, ne pourroit qu'altérer & def-
fécher le lit de deflus, fi la char-
rue les mêlangeoit,
On entend même par le terme de
Tuf, une terre dont la couleur eft
différente de celle du premier lit: ainf
lorfque la charrue la rencontrera, 1l
faut s’en défier, toute aifée qu'elle
paroifle à labourer, n'étant , fuivant
FOUR LE LABOUREUR. 107
les apparences , pénétrée d'aucune
des influences qu'on vient de détail-
ler, & qui font fi néceflaires pour
faciliter la végétation.
Si on veut s’en fervir, 1l faut com-
mencer par en faire l'épreuve en
petit.
De façon qu'afin de ne point fe
tromper dans l’idée qu'on doit fe
former d'unterrein, 1l faut que toute
la terre qui le compofe , pour pou-
voir être réputée de même qualité,
foit de la même couleur.
On doit concevoir que tous les
autres lits qui font après le tuf,
font généralement -encore bien
moins propres à l'Agriculture.
Il faut faire attention que dans l’é-
paifleur de ce premier lit, c’eft-à-
dire que dans les terreins qui ont au-
delà de ce que les produétions annuel-
les de l'Agriculture peuvent oçccu-
108 MANUEL D'AGRICULTURE
per, il convient d’y diftinguer la par-
tie de deflus qu’elles occupent , qui
ne peut être que d'environ quatre
pouces , & d’y diftinguer encore la
partie de deflous, qui contient une
nouvelle terre de même qualité &
de même couleur que celle de def-
fus , que la charrue peut fouiller,
rechercher & amener pour le réta-
bliflement , l'amélioration & le re-
nouvellement de la partie de deflus.
Pour entendre comment cette
partie de deflous peut renouveller
la partie de deflus par le travail da
la charrue , il faut fçavoir que fon
{oc , enlevant la terre de deflous, à
chaque labour qu’elle fait, elle la
renverfe en même-temsau moyen de
fon oreille ou de fon verfoir, pour
la mélanger avec celle de deflus ;
de forte quil ne fe peut qu'au
moyen de fon oreille, ou de fon
POUR LE LABOUREUR. 109
verfoir , elle ne renverfe la terre de
deflous pour la mélanger avec celle
de deflus.
Il faut encore faire attention que,
pour bien renouveller un terrein ,
il ne faut pas moins trouver qu’en-
viron quatre pouces de terre dans
la partie de deflous, c’eft-a-dire
qu'il en faut trouver autant qu’en
occupent & qu’en exigent les plan-
tes de l'Agriculture.
S'il s'en trouve davantage , c’eft-
à-dire trois à quatre pouces de plus,
le renouvellement s’en fera encore
mieux, aura plus d'effets & fera plus
durable.
En fin il faut fçavoir que tel fond
de bonne terre que puifle avoir un
terrein, il ne s’agit que d’en enlever,
avec la charrue , environ dix à
douze pouces, & même en deux
fois, par rapport aux trop grandes
410 MANUEL D'AGRICULTURE
difficultés de tirage qui pourroient
en réfulter, fur tout dans des ter-
reins forts & pefants, comme ceux
qu, pour un labour feulement de
quatre à cinq pouces ou environ,
exigent quatre ou fix chevaux, ou
autant de bœufs.
Dans les terres légères, où on
pourroit en enlever facilement da-
vantage , cela ne ferviroit de rien,
parceque , dans un fond de dix à
douze pouces de terre , on trouve
fufifamment de quoi exécuter le re-
nouvellement dont eft queftion.
Puifqu'il ne s'agit pas d'enlever
plus de fond de terre , le Laboureut
n’a donc befoin que de fa charrue
& de fa pioche pour täter & fon-
der fon terrein, pour fçavoir ce qu'il
peut avoir de fond, & s'il eft fuf-
ceptible de pouvoir être renouvellé.
Une fonde ne le ferviroit pas auf
POUR LE LABOUREUR. rre#
bien, puifque , quand même elle lui
découvriroit , en quelques endroits
de fon terrein, le fond qu'il pourroit
fouhaiter , 1l ne feroit pas auf afluré
qu'avec fa charrue , fice fond fe fui-
vroit & fe foutiendroit également,
ce qu'il eft eflentiel de fçavoir , y
ayant bien des terreins qui, avec
l'apparence de beaucoup de fond,
ne fe trouvent avoir, quand on les
fonde avec la charrue, que cinq à
fix pouces qui fe fuivent, à raïifon.
des inégalités qui s’y rencontrent.
On peut donc dire que l'invention
de la fonde n’eft pas fi merveilleufe
ni fi utile à l'Agriculture qu’on fe
left imaginé : dans un bon terrein
qui a du fond, on trouvera des fe-
cours & meilleurs & plus furs que
tout ce qu'on pourroit tirer des en-
trailles de la terre.
Pour un terrein qui na même
112 MANUEL D'AGRICULTURE
que le fond qu'il lui faut, l’engrais
ordinaire des beftiaux, bien exate-
ment renouvellé, lui conviendra
toujours mieux que tout ce qu'on
pourroit découvrir avec la fonde ;
il convient mieux de s’en tenir aux
reflources qui {font plus aifées,
moins difpendieufes & qui font d’un
profit plus afluré & même beaucoup
plus confidérable.
Un Propriétaire qui commence
à faire valoir, peut cependant s’en
amufer: on n'entend point en inter-
dire l’ufage , quoique tous les bons
Laboureurs , & ceux qui fçavent ce
que c’eft qu'Agriculture , ne s’avife-
ront point d'y avoir recours ; ils la
regardent même comme une frivo-
lité.
D E toutes les obfervations pré:
cédentes, ilréfulteque, fi dans unter.
rein ;,
POUR LE LABOUREUR. 114
fein il ne fe trouve qu'environ le
fond de terre qu'il faut aux plantes
de l'Agriculture pour les faire venir
comme quatre à cinq pouces ou cinq
à fix environ, le Laboureur s’en tien-
dra à la façon de iabourer de fa Prati-
que locale ; parceque pour lors, ne
lui étant pas poñfible de foncer da-
vantagé pour le rétablir & le renou-
veller , il ne lui reftera d'autre parti
à prendre que de recourir à l'en-
grais, & d'en faire ufage ; c'eft ce que
l'on traitera dans la feconde Se&ion
de ce troifiéme Chapitre;
Cependant ;, comme les plantes de
l'Agriculture n'occupent qu'environ
quatre pouces, le Laboureur dans
tous les labours qu'il fera, s'il veut
s'en bien acquitter , ne fera pas dif-
penfé d'examiner, de tâter & de fon-
der avec fa Tharrue , Ce que fon ter-
rein peut avoir de fond au-dejà de
H
114 MANUEL D'AGRICULTURE
ce que cesplantes exigent, pour, fans
rencontrer le Tuf , faire enforte d’a-
mener toute la nouvelle terre qu'il
pourra trouver, à l'effet de contri-
buer encore a l'amélioration de fon
terrein , fans que cela le difpenfe
d'avoir recours à l’engrais.
Quand même , avec fa charrue ;
il n'ameneroit qu'un pouce, deux
pouces de nouvelle terre , cela fe-
roit encore d'autant mieux qu'il lui
faudroit moins d'engrais.
Un Laboureur, qui entend bien à
manier fa charrue , ne s’embarrafle
pas même des inégalités de fond
qu’elle peut rencontrer; il trouve
encore le moyen de fe procurer
une nouvelle terre.
Auflitôt qu'il apperçoit que celle
qu'elle amene, eft tant {oit peu dif-
férente en çouleur défcelle de fon
terrein, il ne manque pas de la rele-
POUR LE LABOUREUR. 11
ver en continuant fon labour, & en
tâtant toujours fon terrein, pour
recommencer à le foncer dès qu'il
s'apperçoit qu'il a plus de fond.
Dans le tems que l’Auteur des
Prairies artificielles faioit valoir par
lui-nième, {a grande attention étoit
quef es Laboureursentendiffent ainfi
à manier leurs charrues, & 1l étoit
exa@ a les fuivre de près dans tous
leurs labours ; parceque rien n'’eft
plus avantageux , que de chercher
toujours à amener la nouvelle ter-
re, nonobftant les difficultés qu'on
peut rencontrer.
Si, au contraire , on eft aflez heu-
reux pour faire valoir un domaine,
un corps de Ferme, qui, dans fa
contenance , ait tout le fond qu'on
puule défirer pour renouveller la
partie de deflus, en lui fubftituant
une nouvelle terre, par les labours
Hi
116 MANUEL D'AGRICULTURE
que l'on fera ; on peut regarder ce
fond de terrein comme une Mine
très-riche , en état de donner les
plus belles & les plusabondantes ré-
coltes , par l'opération feule du la-
bour.
On doit concevoir ce que c’eft
qu'une nouvelle terre, qui a toute
fa force, qui n’a point travaillé, &
qui doit contenir d'autant plus de
fels & de fucs, qu'elle eft dans le cas
de recevoir ceux de la terre de la
partie de deflus, lorfque les pluies,
les détrampant trop, les en détache,
I n'y auroit point d'exagération
en difant qu'une pareille terre , qui
provient de la partie du deflous
d'un terrein qu'on laboure, doit
avoir plus d'efficacité que le meil-
leur engrais tel qu'il foit, qu'on em-
ployeroit ; puifque, n'ayant d'autre
effet, comme on le dira @-après ,
POUR LE LABOUREUR. 117
que de nourrir, de fortifier & de
rétablir les fels & les fucs de la par-
tie du terrein de deflus, c’eft-à-dire,
de la partie qu'occupent les plantes,
ils ne doivent pas être mis en com-
paraïfon avec une nouvelle terre
qui a toutes les qualités qu'on vient
de détailler , & qui procure de nou-
veaux fels & de nouveaux fucs en
grande abondance.
En fubftituant une nouvelle terre
à celle qui a travaillé, c’eft un nou-
veau terrein qu'on donne aux plan-
tes : peut-on rien de plus avanta-
geux , & qui puifle procurer autant
d'effets ?
En tout cas, fi cette nouvelle
terre exigeoit quelques engrais, ïl
en faudroit bien peu; car on peut
dire généralement , que quand un
renouvellement de rerrein aura été
bien fait & bien travaillé, c’eft-à-
| H
118 MANUEL D'AGRICULTURE
direque quand le deflus & le def-
fous auront été bien fouillés, bien
recherchés & bien retournés par l'o-
pération & par le travaitde la char-
rue, on pourra fe pañler d'engrais.
Toutes les épreuves que l'on en
fera , ne pourront que le confirmer ;
à moins qu'un terrein, par fui-mè-
me, quoiqu'ayant beaucoup de fond,
ne {oit extrêmement léger & cen:-
dreux , ou ne foit tfop froid.
Cependant un grand avantage ;
qu'on trouvera toujours, en faifant
ainf le renouveliement d'unterrein,
& qui confirme qu'il ne fera pas be-
foin de recourir à l’engrais, ou du
moins qu'il n'en faudra que très-peu,
c'eft que dans les terres léoères , la
partie de deffous ayant toujours plus
d'humidité & plus de confiftance que
Ja partie de deffus ; & dans les ter-
res bumides & pefantes, la partie de
POUR LE LABOUREUR. r19
deffous ayant plus de féchereffe &
plus de lésèreté que la partie de def-
fus, comme on l’expliauera ci-après,
cela fait réciproquement un con-
trafte fi heureux , qu'on ne peut
rien exécuter de plus avantageux:
pour l'Agriculture, ni rien qui puifie
mieux procurer le rétabliflement &
Famélioration d'un terrein par le
mêlange qui fe fait nécefairement
de toutes ces qualités oppofées.
Que ne propofe-t-on cette façon
de mêlanger le terrein, plutôt que.
celle qui ne fe fait qu'en allant cher-
cher des terres au loin, & qu'on ap-
pelle Engrais artificiels. Cette autre
façon a cependant été annoncée
comme une découverte merveil-
leufe ; on en parlera plus particuhè:
sement dans la Section fuivante.
Dans un terrein qui a du fond;
on trouvera toujours fous fes pieds j
H 1v
120 MANUEL D'AGRICULTURE
avec la charrue, cet engrais arti-
ficiel , c’eft à-dire , une terre au
moins aufh convenable & aufli ana-
logue que celle qu'on ne pourrait
aller chercher qu'avec beaucoup de
dépenfes & un tems confidérable.
C'eft dans ces fortes de terreins
qu'on peut dire véritablement que
le reméde eft toujours à côté du
mal.
L'Engrais artificiel , qui fe fait
donc en allant chercher des terres
au loin , d'une qualité oppofée à
celles avec lefquelles il s’agit de les
mêlanger , quoique trèsbon , ne
doit fe pratiquer que dans des ter-
reins qui n’ont pas aflez de fond
pour les plantes annuelles de l’Agri-
culture.
Encore dans les terreins, qui n’ont
que ce qu'il faut pour les faire venir,
l'engrais ordinaire , c’eft-à-dire ,
POUR LE LABOUREUR. 121
celui des beftiaux conviendra-t-il
mieux : c’eft ce que l'on expliquera
plus au long dans la Seétion fuivante.
Les effets merveilleux & furpre-
nants, quine peuvent que réfulter
du renouvellement de terrein, au
moyen de la feule opération du la-
bour, font fi fenfibles que quoiqu'on
püt fe difpenfer de les juftifier par
des expériences ; on va cependant
rapporter celles qui ont été faites
par l’Auteur des Prairies artificielles
dans le tems qu'il faifoit valoir fa
Terre par lui-même.
Quoique fituée en Champagne où
il y a bien peu de fond de terre, &
à peine ce qu'il en faut pour les pro-
duétions de l'Agriculture , il a trouvé
dans fon corps de Ferme quelques
piéces de terre, qui au lieu de qua-
tre à cinq pouces de fond, en avoient
jufqu'a neuf à dix, bien fuivis & bien
foutenus.
122 MANUEL D'AGRICULTURE
Ayant profité de ce fond pour y
eflayer le renouvellement de terrein
par l'opération du Labour, & pour
y femer du froment , quoiqu'aupara-
vant on n'y eût femé que du feigle »
il eft arrivé que, fans avoir employé
le moindre amandement , il a re-
cueilli par arpent environ huit fep-
tiers de froment, du poids de cent
quarante livres chacun, tandis qu'au-
paravant 1l n'y recucilloit qu'envi-
ron cinq feptiers de feigle à la mê-
me mefure.
Il eft bon de faire fentir tout l'a-
vantage de ce changement.
Si on fe fouvient de ce qui a été
dit dans l’Article II des Préliminai-
res, à l’occafion du produit de nos
terres , on verra que dans le tems
que ces piéces de terres , labourées
fnivant la routine ordinaire, ne rap-
portoient qu'environ çinq feptiers
POUR LE LABOUREUR. 123
en feigle, cela ne faifoit qu'un fep-
tier de refte , tous frais faits.
Or, au lieu d'un feptier de feigle
de refte, s'agiflant de trois feptiers
de froment, & le froment valant or-
dinairement le double du feigle on
doit concevoir l'augmentation con-
fidérable qui réfulte de ce renouvel-
lement.
Aïnfi on voit par cette expérien-
ce, comment ( en quelque pays &
canton de la Terre que foit fitué
un corps de Ferme ) on peut par-
‘venir à en doubler , tripler le re-
venu & même au-delà, fans qu’on
puifle, & fans mème qu'il foit per-
mis d'en douter.
Cette expérience fert encore à
rendre bien fenfble le tort prodi-
gieux que font à notre Agriculture
Les routines de nos Laboureurs, en
ue profitant pas d'un terrein qui a
124 MANUEL D'AGRICULTURE
un fond fufffant ; & on voit com-
bien il eft important de travailler à
les en retirer.
Si une pareille expérience a réufl
en Champagne dans quelques ter-
reins qui avoient du fond ; quels
effets merveilleux ne doit-on pas en
attendre dans les Pays & Cantons où
il fe trouve de bonnes terres ?
Cependant , comme les terres y
font généralement très-légères , ce
n’eft que dans celles qui ont quel-
que confiftance , que le renouvelle-
ment de terrein peut ainfi réuflir
fans engrais; autrement , comme on
la déjà obfervé , il convient d'y
avoir recours ; mais il n'en faudra
que moitié de ce qu'on en emploie
ordinairement , & ce fera toujours
beaucoup gagner.
._ Ce n’eft que faute de bien foncer
le labour dans les terreins qui ont
POUR LE LABOUREUR. 115
du fond, qu'ils font ordinairement
réputés médiocres & mauvais.
On doit d'autant mieux le conce-
voir que, auand , fuivant la routine
ordinaire , un terrein eft toujours la-
bouré dans le même fond de qua-
tre à cinq pouces, & quand il n’eft
foulagé que par les jachères, & n'eft
foutenu que par quelques légers en-
grais qui ne font pas renouvellés
à propos, tout cela ne peut fufire
pour le bien entretenir ; il ne peut
même que fuccomber en peu d’an-
nées, fur tout fi l’on fait attention
à la quantité de fels & de fucs qu'il
doit fournir à chaque récolte qu'il
donne, quand même elle ne feroit
que médiocre.
Car rien n’épuife tant un terrein
que les produ&tions de l'Agriculture,
parcequ'elles ne peuvent occuper
qu'environ quatre pouces de la fu-
426 MANUEL D'AGRICULTURE
perficie , en s'étendant horifontale-
ment de tous les côtés, à la diffé-
rence des plantes vivaces , dont les
racines, prenant beaucoup plus de
fond , ne fatiguent pas’, à beaucoup
près , autant la fuperficie de la
terre.
FN ESTE à faire voir comment un
Labouréur pourra s'y prendre pour
exécuter ce renouvellement fur fon
corps de Ferme , en lui fuppoñfant
un fond de terrein fuffifant.
Dans les labours qu'il a à faire, au
lieu de n’enlever avec fa charrue,
comme 1l le fait ordinairement ,
qu'environ cinq pouces de terre,
qu'il tente , au premier qu'il donne-
ra, d'en enlever feulement un pou-
ce ou deux de plus?
Si cetté première tentative lu
réuflit fans rencontrer le Tuf, ou
POUR LE LABOUREUR. 127
une terre de couleur différente de
celle de fon terrein , 1l rentrera dans
le même fillon quil vient de faire
pour tâcher d'en enlever encore qua-
tre à cinq pouces.
Après avoir ainfi enlevé un pied
de bonne terre , il en reftera la, &
continuera fon labour de même juf-
qu'à ce que fon champ foit fini.
Il eft vrai que cette façon de la-
bourer donne beaucoup plus de pe:
nes; mais on eft bien récompenfe.
Il continueroit donc la même opé-
ration de labour dans tout ce qui fe
trouveroit dépendre de fon corps de
Ferme, ou du moins dans tout ce
qui s'en trouveroit fufceptible.
Après avoir ainfi fait fon premier
labour, 11 ne feroit queftion dans tous
les autres qu'il donneroit jufqu'au
tems de la femence , que de les faire
128 MANUEL D'AGRICULTURE
a l'ordinaire, c'eft-à-dire, d'environ
cinq pouces; parcequ'au moyen du
premier double labour , tout le ter-
rein fe trouve renverfé.
Cependant, pour rendre moins pé:
nible cette opération, & pour qu'elle
prenne moins de tems , on pourroit
la partager en trois, en fix, ou
neuf ans, c'eft-à-dire que , tous les
ans , on laboureroit , comme on vient
de le dire , la troifiéme , la fixiéme,
ou la neuviéme partie de fon corps
de Ferme ; &, s’il étoit partagé dans
trois foles ordinaires , cela revien.
droit tous les ans au tiers , à la moi-
tié , ou au total de ce qui fe trouve-
roit en jachères.
Ainfi en trois, en fix ou neuf ans,
_on peut entièrement revouveller
tout le terrein d’un corps de Fer-
me, & le mettre par conféquent en
état de rapporter au double , ou
at
POUR LE LABOUREUR. 129
au triple de ce qu'il rapportoit ci-
devant,
L'exécution de l'opération de ce
renouvellement pourroit encore fe
faire autremént,
Au lieu de le faire en deux fois,
en revenant dans le mème fillon,
pour achever d'enlever quelques
pouces de bonne terre, on pourroit
enlever le tout à la fois, en doublant
les forces de tirage.
Le Laboureur prendra le parti
qui lui femblera le plus convenable.
Cette opération {e trouvant exé-
cutée en trois, en fix ou en neuf
ans, comme le renouvellement de
terrein , qu'elle procure, eft autre-
ment durable que lengrais , on pour-
roit ne le recommencer que tous les
neuf ou douze ans, pendant lequel
intervalle on ne feroit le labour qu'à
lordinaire.
130 MANUEL D'AGRICULTURE
Le terrein fe reffentiroit fuffifam-
ment de la nouvelle terre qu’on li
auroit procurée ; & , pendant cesneuf
ou douze ans, la partie de deffous,
qui fe repoferoit , reprendroit toute
la qualité d’une bonne terre nou-
elle ; de façon que, par cette alter-
native , on feroit toujours en état de
bien entretenir le renouvellement.
Enfin, pour réuflir dans l'exécution
de ce renouvellement, & pour lui
donner un fuccès afluré, il ne faut
-pas manquer d'en faire le premier
labour avant’ l'hyver , c'eft-à-dire
vers le tems de la Saint Martin.
On doit en fentir la néceffité ,
-puifque , s'agiffant d'amener , par le
moyen de la charrue , une nouvelle
terre qui ne s’eft pas fi bien reflentie
des influences de l'air , du foleil, des
pluies & de tous les effets de l'Ath-
mofphère , que celle de la fuperfcie,
POUR LE LABOUREUR. 134
les fels & les fucs qui y font conte-
nus ont befoin d'être expofésd'abord
à la faifon de l'hyverpour être rani-
més & fortifiés, cette faifon fe trou-
vantla plus propre & la plus favora-
ble pour faire fondre tout le terrein
par ie moyen des dégels, des neiges,
des brouillards, &c.
Au lieu œue , fi on ne commen-
çoit ce renouvellement qu'au prin-
tems, on courroit grand rifque de
‘’en pas tirer tout le fuccès qu'on
en efpéreroit ; il pourroit même arri-
ver qu'on verroit manquer fon opé-
ration , parcequ'il s’agit de bien dé-
gager des fels qui fe trouveroient
comme inanimés,
Dans l'Article fuivant, on vaien-
core voir combien font avantageux
tous es labours qu'on fait avant
Fhyver.
1j.
132 MANUEL D'AGRICULTURE
I V:
En quel tems il convient de commencer
les Labours.
NN Os Laboureurs, nos Fermiers
font dans l’ufage de ne commencer
leur labour qu'au printems , tant
pour les bleds que pour les Mars.
On ne fçait fur quoi peut être fon-
dé ce mauvais ufage qui ne peut
faire que beaucoup de tort à l’Agri-
culture ; l'Expérience ayant toujours
fait voir que, quand on les anthy-
verne , c'eft-à-dire que quand on
commence à leur donner le premier
labour vers la Saint Martin, ils ont
bien plusde fuccès.
Cependant aucune occupation
pour lors ne les en empêche, puifque
tous les travaux de la campagne font
finis.
Une feule façon avant l'hyver
POUR LE LABOUREUR. 133
pulverifera plus la terre que deux
qui feroient données au printems ;,
enforte que , pour lors, le tirage de
la charrue fe trouveroit bien moins
pémible.
Cette façond’anthyverner , ajou-
te un labour de plus , tant aux bleds
qu'aux Mars, & on peut dire que ce
labour fera toujours le meilleur de
tous ceux qu'on pourra leur donner.
Il eft d'abord conftant qu'il réufñt
mieux pour lors, que dans toute
autre faifon , à détruire & à faire
mourir toutes les racines des herbes,
en les mettant à découvert avant les
gêlées, (ce qu'il eft bien important
de fçavoir & d'exécuter dans tous
les pays & cantons qui font plus
fujets à pouffer beaucoup d'herbes ).
Mais , indépendamment de cet effet,
c'eft que la terre, qui eft ainf re-
tournée avant l'hyver , fe refait &
Ji
134 MANUEL D'AGRICULTURE
fe rétablit beaucoup mieux que f
eile n'étoit pas labourée, les pluyes,
les neiges, les gèlées, les brouillards
la pénétrant beaucoup plus facile
ment. ;
On fçait que l'hyver eft le temps
que Îa nature prend tous les ans
pour fe renouveller, & pour fe re-
mettre du travail qu'elle a eu pen-
dant les deux fañfons du printems
& de l'été : 1l s'agit de reprendre
Phuñidité qui lui eit fi néceffaire
pour rétablir fes fels & fes fucs, &
pour qu'ils puiflent recommencer à
agir. ,
Cette humidité étant le principe
effentiel de la végétation , le La-
boureur doit être attentif à faifir le
temps le plus capable de la lui ren-
dre , & 1l doit encore avoir l’atten-
tion de la lui conferver dans tous les
labours qu’il a à donner pendant les
POUR LE LABOUREUR. 135
deux fañons du printemps & de
l'été, ce à quoi 1l ne réufhra qu'en
obfervant toujours de ne les faire.
que dans les temps convenabies ,
ainfi qu'il fera dit ci-après : il doit
furtout avoir cette double attention
pour les terres légères , dont le
defféchement ordinaire eft l'unique
caufe de leur ftérilité.
Ainfi le labour, qu'on leur don-
nera avant l'hyver ; leur fera d’au-
tant plus favorable , que c'eft prin-
cipalement par cette opération ,
qu'elles contraftent davantage l’hu-
midité dont elles ont tant de be-
foin.
À légard des-terres fortes, pe-.
fantes , humides, le labour avant
lhyver ne pouvant fervir qu'à les
rendre beaucoup plus faciles à être
labourées au printemps, & qu'à les
rendre beaucoup plus meubles, on
Jiv
136 MANUEL D'AGRICULTURE -
peut dire qu'il contribuera à les
deffécher davantage & à ne leur
laïfler que l’humidité qu'il leur faut.
En prénant la précaution de ne
les labourer dans la fuite que dans
les temps qui peuvent leur conve-
nir, on ne fera point furpris de voir
deux effets différens provenir d'une
même caufe.
Tout ce qu’on vient de dire con-
cerne les terres qui doivent être
énfemencées en grains d'hyver.
Pour les mêmes raïfons , furtout
pour faire un labour ‘plus aïfé &
plus ameubli au printemps , il con-
vient de ne pas manquer d'anthy-
verner encore les terres qui doivent
être enfemencées en Mars, & de
leur donner deux labours aulieu
d'un.
L'opération d’anthyverner les ter-
res à Mars , fe fait aufh-tôt la re-
POUR LE LABOWREUR. 137
colte des fromens & des fegles , d’au-
tant plus avantageufement , qu’elle
retourne & enclos les chaumes qui
pour lors peuvent fervir d'amande-
mens ; cependant il eft encore inté-
reflant de ménager la pâture des
Bètes blanches & d'y avoir atten-
tion.
V.
Maximes générales fur les Labours.
TS
DE quelque façon que s'exécu-
tent les labours , qu'on les fonce
autant que le terrein peut le per-
mettre , qu'on les fafle exaëétement
avant l’hyver, en un mot , que
le Laboureur fe retourne tant qu'il
voudra pour tâcher de parvenir de
fon mieux à les ajufter & propor-
tionner à toutes les différences de
terreins qui {e rencontrent, en faifant
bien ufage de fon expérience, en-
138 MANUEL D'AGRICULTURE
core n'aura-t-1l pas un plein fuccès,
fi, en faifant fes labours, il n'a pas
l'attention de les faire en tems con-
venable , & s’il n'a pas encore celle
de ne les recommencer que quand la
terre aura repris la liafon qu'elle
avoit avant d'être labourée.
Quoique ces deux maximes foient
généralement reçues & reconnues
dans toutes les Pratiques locales ;
quoique leur exécution foit d'une
aufñ grande conféquence, cela n’em-
pèche pas que la plüpart de nos La-
boureurs , emportés par leurs rou-
tines, ne penient pas feulement à
obferver la première , qui mérite le
plus d'attention; ils vont prefque
toujours fuivant le tems,& le pré-
nent comme 1l vient; cependant
cette première maxime eft d'autant
plus importante , que , dans tous les
labours que l’on fait, fi variés qu'ils
POUR LE LABOUREUR. 9
uifent être , il s’agit de conferver
fon terrein aMnnidité que le repos
de l'hyver lui a rendue, &.qu'il sa-
gitencore de ne lui en laifler que ce
qu'il en faut, fuppofé qu'il fe trouve
qu'elle y domine trop.
On ne contéftera point que l’hu-
midité ne foit le principe eflentiel
de la végétation; ce n’eft que par
elle que les fels & les fucs de la terre
font mis en état d'agir: s'il n’y en a
pas aflez, ils ne font que languir,
& sil y en a trop, ils font comme
éteints, fans force & fans vigueur.
Il ef donc de la plus grande con-
féquence pour le Laboureur, de la
ménager & de la régler , fuivant que
fon terrein eft plus ou moins fec,
plus ou moins humide.
Cela ne pouvant s'exécuter que
par les labours , il s'enfuit qu'il ne
convient de labourer ies terres fé-
140 MANUEL D’AGRICULTURE
ches & légères que dans les tems un
peu humides, comme après une pe-
tite pluie, & qu'il ne convient de
labourer les terres humides, fortes &
pefantes que dans un tems un peu
fec:
Quand un Fermier, dans fon corps
de Ferme , a plufieurs piéces de terre
de différentes qualités, il peut plus
facilement s'arranger , fuivant le
tems ou il fe trouve.
Ces deux fortes de terres féches
ou humides, quoiqu'auffi oppoiées,
ne doivent point encore être travail-
lées dans des tems trop pluvieux ou
trop fecs.
Quand un terrein fec ou humide
eft labouré dans un tems où il eft
trop imbibé & comme en mortier,
la moindre fécherefle qui furvien-
dra , le durcira de façon que quand
même 1} y auroit encore des labours
POUR LE LABOUREUR. 141
à faire, ils ne pourroient que s’en
reflentir ; ce feroit une récolte man-
quée.
Si,au contraire,cesdeuxterreins,
quoiqu'oppoiés, font travaillés dans
un tems fi fec que la terre forme des
fentes , indépendamment deslabours
fuivans , il y refteroit toujours des
parties qui ne pourroient s’ameu-
blir , fur tout dans celui qui feroit
humide & pefant, ce qui retireroit
tellement à l’un & à l'autre l’humi-
dité qui leur eft néceffaire , que ce .
feroit encore une récolte manquée.
C'eft un proverbe dans les Cam-
pagnes, que /e labour , fait à propos,
vaut un amandement.
Quand l'Auteur des Prairies artificiel.
Les pourroit parvenir à ne faire labou-
rer fes terres les plus féches, les plus
légères, même les plus mauvailes,
qu'après une peute pluie, & que dans
14 MANUEL D'AGRICULTURE
un temis un peu humide ,il en réful-
toit toujours de merveilleux effets.
Ces effets ne pouvant être les mê-
mes par-tout où il eft queition d’A-
griculture, on doit par conféquent
s'attendre à de pareils fuccès danses
terreins humides & pefans, quandies
labours n'y feront donnés que com-
me on vient de le dire.
Tout cela fait voir que le labour,
quand il eft bien conduit, eft un
grand principe de fertilité dans les
terres mêmes les plus féches & les
plus légères, & prouve combien fon
opération mérite d'attention.
Quoique le Laboureur ne foit pas
le maitre des faifons , & qu'il ne
puifle pas deviner les tems , il peut
cependant un peu compter fur une
variation qui leur eft aflez ordinaire.
Ainfi, pour qu'il fe mette en état
de pouvoir parvenir à ne travailler
POUR LE LABOUREUR. 143
Ja terre que dans un tems conve-
nable , autant que cela peut dépen-
dre de lui , il doit extrêmement dili-
genter les premiers labours du prin-
tems ; c’eft-a-dire ceux que l’on
fait pour les Mars, quoiqu'il doive
auffi avoir l’attention de ne les faire
qu'à propos; & il convient de les
finir le plutôt qu'il pourra, en les
commençant dès que la faifonle per-
mettra.
Les Mars achevés de bonne heure
pourront lui donner lieu de com-
mencer plutôt les labours des terres
à bleds ; & , au moyen de l'avance
qu'il fe fera procurée , il pourra fe
mettre en état de choifir les tems
les plus convenables pour les labours
fuivans, foit en les reculant, foit en
les avançant , fans que cela empé-
che d'exécuter tous ceux qu'il con-
viendra de faire,
t44 MANUEL D'AGRICULTURE
Au lieu que s’il eft en retard dans
fes Mars, faute d’avoir bien pris fon
tems, tous les labours fuivans ne
pourront que s'en reflentir, & il Jui
arrivera ce qui arrive à la plüpart des
Laboureurs qui, fe trouvant en retard
pour cependant ne point perdre une
fafon dans laquelle ils font dans l'u-
fage de donner ou de continuer leurs
labours , font déterminés par leurs
routines à prendre le tems comme
il ef.
Pour les raïfons qu'on vient de
détailler , il conviendroit bien mieux
d'omettre un labour, que de le faire
dans un tems qui ne feroit pas con-
venable.
C'’eft pourquoi l’a@ivité, la dili-
gence font des qualités néceflaires
& indifpenfables dansun Laboureur :
on ne peut trop les lui recomman-
der.
LA
FOUR LE LABOUREUR, 145
La SECONDE maxime confifte à
ne recommencer les labours que
quand les terres ont repris la liaifon
qu’elles avoient avant d'être labou-
rées, & de laifler un intervalle fuf-
fifant qui puifle opérer cet effet.
Cette attention eft fi néceflaire,
que , fi on agifloit autrement, on
les deffécheroit & on en évaporeroit
les fels & les fucs ; puifque ce n’eft
que par la liaïfon que reprennent les
terres, après être nouvellement la-
bourées en tems convenables, qu’el-
les font maintenues dans la propor-
tion d'humidité dont elles ont be-
foin pour mieux effectuer la végé-
tation des plantes & des femences
qu'on leur deftine.
Cet intervalle qu'il faut met-
tre entre les labours, demande
plus ou moins de tems, fuivant les
K
146 MANÛÜEL D'AGRICULTURE
terres ; ce qui roule fur envi-
ton trois à quatre femaines , &
même quelquefois plus, en obfervant
que cette reprife de liaifon fe fait
mieux & plutôt, quand il furvient
une pluie.
On peut dire que nos Laboureurs
font bien dans le cas d'obferver cet
intervalle par rapport à la multipli-
cité d'ouvrages dont ils font acca-
blés, & qui fe fuccédent les uns. aux
autres.
Ils n’ont pas plutôt achevé leurs
Mars, que, fans retard & fans inter-
ruption, fi le tems eft convenable ;
ils ne doivent point différer de com-
mencer les terres à bleds.
Dans un corps de Ferme compoié
de deux ou trois charrues, quand
même 1l n'y en auroit qu'une, il ne
faut pas moins qu'environ trois fe-
naines ou un mois poux finir les la-
® POUR LE LABOUREUR, 147.
bours de la fole des bleds, & pour
les recommencer.
Voila donc déja un intervalle fuf.
fifant pour la reprife de la liaifon des
terres, puifqu'il a été entièrement
occupé & employé à travailler cette
fole.
Mais elle n’eft pas plutôt finie,
qu'avant de recommencer le labour,
il eft queftion de charier les fumiers
d'hyver, qui ne Font pu être plutôt,
tant à caufe de la difficulté des char-
rois , que par rapport à la néceflité
de ne point retarder les Mars & les
labours fuivans.
Après le fecond labour de la fole
des bleds, il s’agit pour lors de la
moiflon des foins, & de conduire
encore des fumiers.
Tout cela n'eft pas plutôt fait,
qu'indépendamment du troifiéme la-
bour , les moiflons de toute efpéce
K ij
148 MANUEL D'AGRICULTURE
furviennent , comme de lentilles, de
fegle , de froment, d'orge , d’avoi-
ne , de pois, de farrafins , &c. qu'on
ne peut renfermer fans employer
bien du tems.
. Jufqu’à celui de la femence , il y a
encore des engrais à conduire.
Si, pendant tous ces ouvrages pé-
nibles, le Laboureur n’a pas Fatten-
tion de réferver une charrue, foit
pour ne point difcontinuer fes la-
bours , foit pour les faire & les re-
prendre à propos, 1l ne pourra que
tomber dans l’écueil dont on a parlé
ci-deflus, qui lui cauferoit un très-
grand préjudice.
Quand même un Laboureur n’au-
roit pas d'engrais à voiturer, ou
qu'il n’en auroit que très-peu, par le
défaut de prairies, n’a-t-1l pas fes
labours à reprendre ‘auflitôt que le
tems eft favorable ? 11 faut qu'il le
POUR LE LABOUREUR. 149
guette & le fafñfle fitôt qu'il fe
préfente.
On doit donc fentir combien le
tems du Laboureur eft précieux.
Après tout ce détail , qu'on ne
peut contefter, pourra-t-on difcon
venir que, quand on détourne le
Laboureur de fes ouvrages, fur-tout
de fes labours, ce ne foit faire le
plus grand tort à l'Agriculture &
par conféquent à l'Etat ?
Le travail du Laboureur eft un
travail fi continuel, qu’il a befoin de
tout fon tems, & qu'ilne peut être
interrompu qu'il ne s’enfuive fa perte
& la ruine de toute fa famille.
C’eft aflurément bien méconnoitre
l'Agriculture , que de fe perfuader
qu'on peur prendre le tems du La-
boureur , & qu’on peut en difpofer.
Si on agifloit avec une Com-
munauté d'Ouvriers quelle qu’elle
K ü]
\
150 MANUEL D’AGRICULTURE
puifle être, comme on agit avec
le corps des Agriculteurs , on ver-
roit qu’elle diminueroit tous les ans
& qu'infenfiblement elle viendroit
à rien.
VI
Des charrues € autres infirumens ufites
dans toutes les Pratiques locales.
Gx peut dire que dans toutes les
Pratiques locales on ne fe fert que
de deux fortes de charrues pour
réduire la terre, pour l'ameublir &
pour la mettre en état de faire fru-
lifier les femences qu'on y jette; du
moins ce font celles qui font le plus
généralement ufitées.
Ces deux fortes de charrues font
à oreille ou à verfoir.
Celle qui eft le plus en ufage ,eft
la charrue à oreille, qui doit être plus
POUR LE LABOUREUR. 15i
ou moins forte , fuivant la qualité du
terrein.
Elle eft ainfi appellée , parceque
du côté du foc il y a une planche
contournée de façon qu’elle ren-
verfe toujours la terre du côté
qu'elle eft placée ; &, comme on peut
placer cette planche du côté que
lon veut, le Laboureur eft le mai-
tre de renverfer la terre , foit à droit,
foit à gauche.
Ainfi lorfqu’il commence à labou-
rer une piéce de terre, ayant d’a-
bord mis l'oreille de fa charrue du
côté de fa main droite pour faire le
premier fillon, 1l renverfe la terre du
côté droit ; &, quand il eft queftion
de faire le fecond fillon, il attache
l'oreille du côté de fa main gauche.
De cette façon ilrenverfe la terre
dans le fillon qu'il vient de former,
toujours changeant de droit & de
: K 1v
152 MANUEL D'AGRICULTURE
gauche l’oreille de fa charrue, à cha-
que nouveau fillon qu'il fait , pour
continuer de renverfer la terre du
même côté, jufqu'a ce que fa piéce
de terre foit entièrement labourée.
Avec cette forte de charrue à
oreille, on eft en état de labourer
tout terrein.
La charrue à verfoir, au lieu d’o-
reille , a une piéce de bois forte-
ment attachée au côté droit de la
charrue , & qui ne varie point; c’eft
cette piéce de bois qu’on appelle
V'erfoir.
Comme elle renverfe la terre tou-
jours du même côté, pour labourer
entièrement une piéce de terre, il
faut la tourner jufqu’à ce qu’elle foit
finie.
À cette différence près, les ufages
de ces deux fortes de charrues font
les mêmes, & on s'en fert indifié-
POUR LE LABOUREUR. 153
remment dans les terres fortes on
lécères; cependant celle qui eft à
oreille, eft plus ordinairement pré-
férée quand on fe fert de chevaux,
ence qu’à chaque fillon qu’elle fait,
comme on eft obligé de s'arrêter
pour changer le côté de l'oreille ,
cela leur donne un petit repos.
Leur ufage confifte à piquer con-
venablement le terrein qu’on tra-
vaille , à quoi on parvient en avan-
çant ou reculant l’age de la fellette ;
1l confifte encore à renverfer & à
retourner un terrein pour mélanger
la terre de deflous avec celle de
deflus , en faifant defcendre celle-ci.
Ces deux fortes de charrues font
compofées de deux petites roues,
qu'on appelle Roulettes, & d'un
eflieu fur lequel eft dreflé la fellette
à laquelle eft attaché le timon, le
foc, l’oreille ou le verfoir , & le
154 MANUEL D'AGRICULTURE
coûtre , qui fert à faciliter le ti-
rage.
Il y a cependant encore une troi-
fiéme forte de charrue qui n’a point
de Roulettes , dont on ne fe fert que
dans les Provinces Méridionales.
On peut en ajouter une quatrié-
me, qui eft à deux oreilles, qu’on
n'employe que dans les terres gazon-
neufes ou trop humides, pour les
mieux dégazonner , en les ouvrant
davantage , ou pour leur donner le
moyen de fe mieux deflécher ; dans
les labours qu'on anthiverne , on les
emploie très utilement.
La herfe eft un inftrument defti-
né à brifer & à unir les terres ; elle
eft de bois, garnie de longues dents,
foit de bois ou de fer, & elle eft de
forme quarrée ou triangulaire.
Son principal ufage eft de la faire
pañfer fur un terrein chaque fois qu'il
POUR LE LABOUREUR. 155
vient d'être labouré , pour achever
de brifer, de cafler & de fondre les
mottes ou gazons, que le labour au-
roit échappé, ou qu'il n’auroit fait
que commencer.
On s’en fert encore pour bien ap-
planir un terrein avant de le femer,
a l'effet de répandre plus également
la femence qui, faute de cette pré-
caution, tomberoïit prefque entière-
ment dans les fillons , & pour cou-
vrir toutes les femences qu'on em-
ploye en Mars ; à la différence des
grains d’hyver, quine fe couvrent
ordinairement qu'avec Îa charrue.
Il convient d’obferver qu'il faut
plus d'un tour de herfe pour bien
couvrir la femence , devant être
abfolument de deux tours , lorf-
qu'on ne fe fert que d’une herfe, à
moins qu'il n’y en ait deux qui fe
fuivent.
156 MANUEL D'AGRICULTURE
Quand une herfe n'enfonce pas
fufifamment pour bien couvrir la
femence, on l'appefantit en mettant
de groffes pierres deflus.
Il ne faut point oublier la Rouleau
qui eft affez en ufage dans toutes
nos Pratiques locales.
C’eft une groffe piéce de bois,
longue , ronde & très-pefante , qu’un
cheval tire au moyen de deux cor-
dages qui , étant attachés aux extrê-
mités de la Rouleau, fe réuniflent à
une traverfe de bois.
Son principal ufage confifte à
douçoyer & à applanir le terrein
des avoines pour en rendre le fau-
chage plus facile.
On s'en fert aufli pour rouler les
fromens dans les terres légères, à
l'effet de les affermir , & d'empêcher
les häles du printems d’en déchauffer
les racines.
POUR LE LABOUREUR. 1:57
La rouleau fert encore à cafler &
à fondre les mottes de terre.
1l faut obferver qu'il n’en faut
faire ufage que dans un tems fec.
Au moyen de ces fortes de char-
rues, de herfe & de la rouleau, il n’y
a point de terrein labourable, quel
qu'il foit, qu'on ne puifile réduire ,
ameublir & bien fouiller.
Voilà donc pourquoi 1l faut laïffer
à nos Laboureurs leur foc, comme
l’établit , d’après Caton , Olivier de
Serre dont on a parlé ci-deffus.
Qu'importe comme foit le couteau ;
(dit encore Liébaut dans fa Maifon
Ruflique, pag. $10 , livre $ , ) pourvu
qu’il coupe le pain; ne traitant de læ
charrue, que pour dire qu'il faut la
laïffer telle qu’elle eft , fans même
entrer dans aucun détail fur fa con-
ftruction ; parcequ'il eft clair que tous
les changemens qu'on pourra propo-
158 MANUEL D'AGRICULTURE
fer, feront toujours au moins inu-
tiles.
Tous ceux qui connoïffent l’Agrt-
culture, & qui la pratiquent, penfe-
ront toujours comme ces deux grands
Auteurs ; & il feroit d'autant plus
difficile de faire changer aux gens
de la Campagne leurs inftrumens,
qu'ils ne verroient point qu'avec
ceux qu'on pourroit leur propofer ,
ils duflent faire mieux qu'avec leurs
focs.
Tout ce qu'il y a à leur recom-
mander, fur-tout pour les terreins
forts & difficiles à brifer, c’eft de
fe munir d’un fer à charrue bien fo-
lide , plus pointu & moins large par
le haut qu'il ne l’eft ordinairement ,
avec encore la précaution d'en chan-
ger plus fouvent , ou plutôt de le
faire rebattre , lorfqu’il en fera be-
foin.
POUR LE LABOUREUR. 159
: A l'égard du tirage de la charrue,
on fe fert de chevaux ou de Bœufs,
fuivant l’ufage des lieux.
Dans les premiers fiécles du mon-
de., les labours ne fe faifoient qu’a-
vec des bœufs, on n’y employoit
point les chevaux.
Le bœuf convient mieux dans les
terreins difficiles, & dans les terreins
inégaux , ayant beaucoup plus de
force que le cheval, qui s'y fatigue-
roit trop ; & on peut dire que le
bœuf a fur le cheval quelqu’avantage.
Un bœuf coute moins à nourrir
qu'un cheval , puifqu'on ne lui
donne point de grain, mais du
foin & de la paille. Il eft moins fujet
aux maladies ; &, quandil a bien tra-
vaillé, s'il fe trouve hors d'état de
continuer , on l’engraifle pour le
vendre beaucoup plus qu'il n’a coûté.
Le cheval exige plus de dépenfe &
160 MANUEL D'AGRICULTURE
d'entretien, & lorfqu’après avoir bien
travaillé il fe trouve hors de fervice,
il ne peut rapporter à fon maitre au-
cun intérêt, parcequ'il ne peut être
vendu comme le bœuf, cependant,
il eft beaucoup plus eftimé & beau=
coup plus en ufage , parcequ'il fe
manie mieux à la charrue, qu'il fait
beaucoup plus d'ouvrage , & qu'il
eft bien plus propre à tous les cha-
TOIS.
Il y a encore une raïfon qui le
rend préférable au Bœuf, c’eft que
pour une charrue , ilne faut qu'un
attelage de chevaux, au lieu qu'il en
faut denx de bœufs,dont l’un foit pour
le travail de la matinée, & l’autre
pour celui de l’après-midi, toujours
ainfi alternativement, afin que l’un
des deux fe repofe; autrement le
même attelage de bœufs, qui ne dif-
continugroit pas fon travail , 1iroit
extrèmement
POUR LE LABOUREUR: r6i
extrèmement lentement ; ce quiobli-
ge d'en avoir deux pour bien fairé
aller une charrue:
Or, en ce eas, une charrue dé
bœufs coûte plus qu'une charrue de
chevaux, parcequ'indépendamment
de l'inconvénient de fe manier bien
moins que les chevaux , les bœufs
exigent deux conducteurs à la char:
tue:
VIÏ
Le Laboureur doit être bien rtorité,
Si 6n fait attention à tout le dé:
tail qu'on vient de donner fur les
labours ; foit pour les varier fuivant
les différentes qualités générales &
communes des terreins, foit pour
les foncer ; felon qu'ils ont plus où
moins de fond , foit encore pour né
les faire que dans des tems conve:
L
161 MANUEL D'AGRICULTURE
nables, &c. on doit fentir qu'il faut
quun Laboureur foit bien monté
pour fe trouver en état d'exécuter,
comme 1l convient, toutes les char-
rues qu'il peut avoir à faire valoir
dans fon corps de Ferme.
En fuppofant qu'il ne feroit com-
polé que de deux charrues, y auroit-
il de l'inconvénient , que le Labou-
reur foit monté comme s'il en avoit
environ trois ?
Ses terres, qui ne pourroient qu’en
être mieux tenues, ne le dédomma-
geroient-elles pas bien amplement
de cetté petite augmentation ?
Mais il s’en faut bien que tous
nos Fermiers & Laboureurs ayent
feulement autant de charrues qu'ils
devroient en avoir.
Pour peu qu'on veuille jetter un
coup d'œil fur nos Campagnes, on
n'en verra qu'un très-petit nombre
POUR LE LABOUREUR. 163
dans le cas d’être montés comme il
convient de l'être.
Tandis qu'une charrue ne devroit
être que d'environ vingt-cinqarpens
au plus par foie, on lui en fait com-
prendre jufqu'à trente - cinq à qua-
rante; c'eft-à-dire que, fiun corps de
Ferme eft detrois cens arpens,onne
le fera valoir que comme n'ayant
que trois charrues, tandis qu'il de-
vroit en comprendre quatre & mêè-
me cinq, fi le terrein eft difficile.
Aufñ en réfulte-t-1l que généra-
Jement toutes nos terrés font très-
-mal labourées.
Quoique le défaut d’être bien
monté ne puifle que caufer un très-
grand préjudice au Fermier; quoiqu'il
le fente ,il n’y remédie cependant
pas, foit qu'il ne fe trouve pas en
étar de pouvoir le faire, foit poux
d’autres raïfons, &c. .
Li
164 MANUEL D'ÂGRICULTURE
Mais, comme ce défaut caufe en-
core plus de préjudice au Proprié-
taire , parcequ'il intérefle fon fond
qui ne peut donner de bonnes ré-
coltes, & qui ne peut être reloué
avantageufement , qu'autant qu'il
eft bien tenu, bien labouré, bien
fouillé , &c. 11 fuit que c’eft à lui
à avoir l'attention que fon Fermier
foit en état de bien cultiver fes ter-
res; & que, s'il ne le peut, il doit,
ou le changer , ou lui faire des avan-
ces qui le mettent en état de fe
monter comme il le faut, & il doit
le foutenir , puifqu'il en feroit mieux
payé.
C’eft ce que l’on verra plus am-
plement dans le Manuel d'Agriculture
pour le Propriétaire ; cette obligation
étant du nombre de celles qui fe
trouvent à fa charge,
POUR LE LABOUREUR. 16$
SECONDE SECTION.
. De l'opération de l’'Engrais.
C N peut dire que l'opération de
l'Engrais eft la plus importante qu’on
puifle admettre pour tous les Ter-
reins, Pays & Cantons, où if ne
fe trouve pas aflez de fond pour
pouvoir être renouvellés par une
nouvelle terre , & qu’elle eft le plus
grand principe de fertilité dont on
puifle faire ufage : on va le con-
cevoir.
Lorfqu'un terrein eft toujours la-
bouré dans un mème fond , de qua-
tre à cinq pouces, fans pouvoir être
renouvelié , 1l arrive infailliblement
qu'il s'épuife par les récoltes conti-
nuelles qu'on entire, quand même
on y obferveroit les jachères, c'eft-
ä-dire qu'on le laieroit repofer al-
ternativement tous lestrois ans, con-
Lu
166 MANUEL D'AGRICULTURE
formément à la diftribution générale
des terres en trois foles. On en a
l'expérience dans tous les pays du
monde où l’on cultive ; il faut donc
recourir à l’engrais qui feul peut
le foutenir, le rétablir & l'améliorer.
Au lieu que sil s'y trouvoit un
fond fuffifant pour pouvoir être re-
nouvellé par le travail du labour ,
pour lors l’engrais n'eft plus fi inté-
reflant ; c’eft le labour qui devient
{on plus grand principe de fertilité.
Le labour & l'engrais font donc
les deux plus grandes reflources
dont on puifle fe fervir par-tout où
Ton cultive;, pour réparer lesterres,
pour les bonifier & les mettre en
pleine valeur; avec cette différence
cependant , que le befoin de l’en-
grais eft beaucoup plus général que
çelui du renouvellement de terrein:
Comme 1l s'agit d'ajufter & de
POUR LE LABOUREUR. 167
proportionner l'engrais à toutes les
qualités êes terreins que le Labou-
reur ne peut que rencontrer dans ce
qu'il a à faire valoir, conformément
au principe général que lui ap-
prend fa Pratique locale ; & s’agif-
fant encore de l’entretenir & de le
renouveller, pour qu'il ait toujours
également fon effet , nous alfons trai-
ter en neuf Articles de tout ce qui
a rapport à cet objet. |
1°. Nous parlerons des différentes
façons de varier & de diverffier l'en.
gras.
2°. De la nécefité de l’entretenir
& de le renouveller.
3°. Comment on doit exécuter ce
renouvellement,
4°. Comment on peut parvenir à
amander, tous les ans, la fixiéme ou
la neuviéme partie de fon corps de
Ferme , de quelque contenance qu'il
Liv
168 MANUEL D'AGRICULTURE
puifle être, & même la quatriéme
partie , en le fuppofant fans jachè-
res.
s°. Nous détaillerons les grands
avantages de ce renouvellement.
6°. Nous ferons connoiïtre une
autre pratique de renouvellement
d'engrais , dans le cas qu'un corps
de Ferme ne feroit ni divifé, ni dif-
erfé,
7°. Nous démontrerons que de
tous les engrais qu'on peut em-
ployer, ceux de beftiaux font pré-
férables. |
8°, Nous lui apprendrons ce qu’il
faut pratiquer pour les faire confom-
mer en très-peu de tems.
9°. Nous finirons par répondre à
guelques objections qui ont été fai-
tes cantre les établiflemens de Prai-
vies artificielles.
POUR LE LABOUREUR. 169
L
Des, différentes façons d’exécuter les
opérations de l’Engrais.
ÎLES différentes façons de varier
& de diverfifier l’engrais, ne peu-
vent concerner que fa qualité & fa
quantité.
Parmi les engrais de Beftiaux , il
ÿ en a qui conviennent mieux à cer-
tains terreins. Les crottins de pi-
geons, de brebis & de moutons font
plus analogues aux terreins froids &
humides ,que ne peuvent l'être ceux
de vaches , de bœufs, de chevalou
de l’un ou de l’autre mêlés enfemble
qui font employés plus fruétueufe-
ment fur des terreins fecs & arides.
Comme il n’y a que le Laboureur,
qui puifle bien connoitre fon ter-
rein, & {çavoir, par fon expérience,
la qualité d'engrais qui lui convient ,
170 MANUEL D'AGRICULTURE
on ne peut la lui indiquer ; il fufit
de lui dire qu'il faut qu'il donne
a fon terrein la forte d'engrais qui
lui convient.
Entre ceux dont 1l peut faire ufa-
ge, & qui font à fa portée , il n’y a
que lui qui doit décider & choifir.
Il en eft de même de la quantité
d'engrais qu'il convient d’employer
par arpent, c'eft encore à lui à la
fixer & à connoitre le befoin de
fon terrein.
Il doit fçavoir que le plus ou le
moins ne pourroit que lui être pré-
qudiciable. ART
Il n'y a donc point fur tout cela
d'avis particuliers à donner au La-
boureur.
POUR LE LABOUREUR. 171
IL.
De l'entretien & du renouvellement
de l'Engrais.
ÂL ne fuffit pas de fçavoir bien ré<
gler la qualité & la quantité de l'en-
grais , 1l faut encore que le Labou-
reur l’entretienne & le renouvelle
lorfqu'il commence à finir & quil
eft au terme de fa durée, pour qu'il
ait toujours fon effet ; bien plus 1
faut qu'il lébtebente & le renou-
velle fur la totalité de ce qu'il fait
valoir , & fur toutes les terres de fon
corps de Ferme, fi confidérable qu'il
_puifle être, du moins il faut qu'il
l'entretienne fur celles qui n’ont pas
aflez de fond pour pouvoir être re-
nouvellées par le travail de la char-
que.
Avec une pareille pratique , bien
foutenue & bien fuivie , il fera aflu-
172 MANUEL D’AGRICULTURE
ré , tel Pays, telle Province, tel
Royaume qu'il puifle habiter, de
toujours maintenir fes terres en plei-
ne & parfaite valeur.
Quand , fans embrafler la totalité
d'un corps de Ferme , on ne fait des
engrais tantôt que fur une partie,
tantôt fur une autre , fans les entre-
tenir n1 renouveller , comme c’eft
l'ordinaire parmi les Laboureurs qui
n'ont point de prairies, ou qui n’en
ont pas aflez, un corps de Ferme
refte toujours comme 1l eft ; loin de
devenir meilleur, on peut dire qu'il
languit toujours.
NZ
Ce)
Æ
POUR LE LABOUREUR. 153
II L
Comment exécuter le renouvellement de
l'Engrais [ur la totalité d’un corps
de Ferme de trois cens arpens.
T>
#Z ANS tout ce qu'on cultive à la
charrue , & non à la bèche, l’ufa-
ge eft que les engrais de beftiaux,
quand on obferve les jachères, fe
font pour trois, pour fix , pour neuf,
& même pour douze ans, fuivant
la qualité des terreins.
Les engrais pour trois, ou pour
fix ans , fe pratiquent ordinaire-
ment fur les meilleures terres; & les
engrais pour neuf ou pour douze
ans , n'ont lieu que fur les terres
médiocres & mauvaifes.
On doit concevoir que fur ces
dernières 1l y faut trois ou quatre
fois plus d'engrais que fur les autres.
Aufh {e maintiennent-ils tous de
174 MANUEL D'AGRICULTURE
façon que ce n'eft qu'à l'expiration
de leurs différents termes, que les
terres ne s'en refientent plus.
Si donc on veut parvenir à aman-
der la totalité d'un corps de Ferme,
d'un Domaine qu'on fuppofe être
de trois cens arpens, & toujours y
entretenir & renouveller les en-
gras ; tout le {ecret confifte à le
partager en autant de parts & por-
tions que la durée des engrais qu'on
y employe, a d'années, pour en
amander une , tous les ans fans dif-
continuation.
En fuppofant que l’engrais qu'ori
y fait fera pour neuf ans , la neuvié-
me partie confiftant en trente-trois
arpens environ, ce {era donc cette
quantité qu'il s'agira d’amander tous
les ans; & , comme fur ce corps de
Ferme il y eft queftion de jachères,
ces trente-trois arpens en feront
POUR LE LABOUREUR. 1#$
exattement le tiers; puifque les ja-
chères dont on traitera dans la Se-
étion fuivante, compofent ordinaire-
ment la troifiéme partie ou environ
de ce que l’on fait valoir.
On fe régleroit ainfi fur tout corps,
de Ferme à jachères , à raïfon de fa
contenance & à raf{ôn de la durée
des amandemens qu’on y feroit.
L'ufage , dans les Campagnes,
étant, pour bien amander un arpent
de médiocres ou de mauvaïfes ter-
res, d'y employer depuis quinze juf-
qu'a vingt voitures de fumiers de
beftiaux ; tandis que pour les bon-
nes , il n’en eft queftion que depuis
fix jufqu'a dix , il s'enfuivroit que
our les trente-trois arpens ou en-
viron, qu'il s’agit d’amander tous les
ans dans ce corps de Ferme de trois
cens arpens où les amandemens sy
font pour neuf ans , parceque les ter
176 MANUEL D'AGRICULTURE
res y font fuppofées généralement
médiocres, il n’y faudroit pas moins
qu'environ cinq cens voitures.
Il s'enfuivroit encore que l’Au-
teur des Prairies artificielles, qui a fi
bien fçu exécuter fur le corps de
Ferme de fa Terre fituée en Cham-
pagne lés renouvellemens d'engrais,
& qui, pour y parvenir, avoit à met-
tre tous les ans en valeur environ
25 arpens qui en faifoient la neu-
viéme partie , parceque les engrais
s’y faifoient auf pour neuf ans , au-
roit donc dû employer tous les ans
environ trois cens cinquante voitu-
tures de fumiers.
Celaparoitroit comme impofüble,
fur-tout dans les pays où il n'y a mi
prairiès ni beftiaux , fi on ne fçavoit
qu'on peut en établir, & fi on ne
fçavoit qu'il y a des déduétions à
faire , qui facilitent extrêmement
l'opération
POUR LE LABOUREUR. 177
l'opération de ce renouvellement ;
auf méritent-elles qu'on y fafle at-
tention.
1°. Dans une aufli grande quan-
ité d’arpens , comme trente-trois ou
vingt-cinq, qu'il conviendroit d’a-
mander tous les ans, il ne fe peut
qu'il ne s'y rencontre des terres qui
foient meilleures les unes que les au-
tres , & qui par conféquent , au lieu
de quinze voiturés par arpent, n'en
exigeroient que huit, dix ou douze
tout au plus; puifqu'il ne faut pas
oublier qu'il eft de principe de pro-
portionner toujours la quantité de
l'engrais à la qualité du terrein.
2°. Ce qui eft le plus à obferver ;
& ce qui peut occafionner la plus
grande diminution des engrais, c’eft
que fi on y trouve des terres qui
ayent du fond , & qui foient fufcep-
tibles d’être renouvellées par le tra:
M
178 MANUEL D'AGRICULTURE
vail de la charrue, ou il n'y faudra
pas de fumier, ou il n’en faudra que
très-peu.
Ces déduétions ne pouvant man-
quer de fe rencontrer , la quantité
prodigieufe de fumiers, annoncée ci-
defius, ne pourra jamais être *auffi
confidérable , & peut fe réduire aux
deux tiers, à la moitié & mème moins,
fuivant la qualité des terres & fuivant
le fond qu’on peut y trouver.
Ce n'eft que par le moyen de ces
déduétions que l’Auteur des Prairies
artificielles a faites dans fa Terre,
quoique fituée en Champagne, où
à peine il y a le fond néceflaire pour
faire venir les produétions qu’on y
féme , a trouvé le fecret, après avoir
fait fon établiffement de prairies,
de n'emploÿer tout au plus, par an,
qu'environ deux cens voitures de fu-
miers, au lieu de trois cens cin-
POUR LE LABOUREUR. 179
quante que fembloient exiger les
vingt-cinq arpens qu'il étoit obligé
de mettre en valeur tous iles ans ;
c’eft donc prefque environ moitié
de fumiers de diminution ?
Si, dansun pays, comme la Cham-
pagne , cet Auteur a ainfi {çu trou-
ver les moyens de diminuer la oran-
de quantité d'engrais au’il lui au-
roit fallu employer tous les ans; à
plus forte raïfon les trouvera-t-on
dans d’autres pays plus favorables
& plus heureux , où les terres font
meilleures & où elles ont un fond
plus que fufifant.
Après l'exemple de cet Auteur, il
n’y a donc point à s'effrayer ni à fe
rebuter, quand on propofe d’amander
tous les ans une aufli grande quan-
tité d'arpens, pour parvenir à en-
tretenir toujours & exécuter les re-
nouvellemens d'engrais; ptuifque,
Mi
180 MANUEL D'AGRICULTURE
quand mème il n’y auroit ni prairies
ni beftiaux, on peut en établir: c’eft
ce qui va faire le fujet de l'Article
fuivant.
EWV:
Comment fe procurer tous les ans la
grande quantité d'engrais néceffaire
pour exécuter leur renouvellement fur
un corps de Ferme de trois cens ar-
pens, quoique la Nature n’y ait point
établi de prairies,
CN doit concevoir qu'on ne
peut parvenir à fe procurer tous les
ans la quantité d'engrais néceflaire
à l'exécution du renouvellement ,
que par le moyen des engrais de
beftiaux.
Il faut beaucoup de beftiaux , &
par conféquent beaucoup de prai-
ries, ou plutôt il faut une certaine
quantité de beftiaux proportionnée
POUR LE LABOUREUR. 181
aux engrais dont on a befoin ; & il
faut une certaine quantité de prai-
ries artificielles , proportionnée à la
quantité de beftiaux qu'il s'agit de
nourrir.
Ce n’eft pas tout ; il faut encore
une quantité de pailles de froment ou
de fegle, d'orge & d'avoine propor-
tionnée à la quantité de beftiaux
qu'il s’agit d’avoir; parceque les fu-
miers ne peuvent fe bien faire fans
elles pour la néceflité de leur liai-
fon, & parceque les pailles, fur-tout
de froment ou de fegle, font la prin-
cipale nourriture des beftiaux ; c’eit,
pour ainfi dire , leur pain.
Indépendamment de l'angmenta-
tion qu'elles donnent à la quantité
des-fumiers , elles font encore né-
ceffaires & indifpenfables aux bef-
tiaux pour leur litière qu'il faut faire.
tous les jours; autrement ils feroient
- Mi
182 MANUEL D'AGRICULTURE
dans une malpropreté , qui ne pour-
‘roit que leur être très-nuifible.
C'eft très mal l'entendre , que de
fe contenter, pour leur litière, de
ce qui refte de leurs rations d’herba-
ges ; foit en verd, foit en fec.
Quoique les pailles foient d’une
auf grande néceflité, & qu’on ne
puifle pas augmenter les beftiaux
fans travailler en même-tems à faire
l'augmentation des paiiles; eepen-
dant dans tous les Ecrits & Mémoires
qu'on donne préfentement fur ŸA-
griculture , ikfemble que les prairies
-& les beftiaux peuvent s'établir fans
leur ufage, puiiqu'il n'en eft fait au-
cune mention. 3
Pour peu qu'onait d'expérience ,
on n'oublie pas unéehofe aufli eflen-
‘tielle, & on n'ignore: pas:tous les
avantages que-leur abondance pro-
cure dans les Campagnes! =: :
POUR LE LABOUREUR. 183
Sans les pailles on ne peut faire
aucun bon nourri en fec; mais il
faut établir une alternative avec ce
qu'on peut donner d'ailleurs & la
bien régler.
M. Patullo qui, dans fon Effai fur
Zamélioration des terres , propofe de
mettre en herbages la moitié & même
les deuxtiers d'un corps de Ferme de
trois cens.arpens pour nourrir une
quantité prodigieufe de beftiaux qui
doit monter jufqu’à fix cens vaches
ou bœufs; puifque , fuivant lui, un
arpent de fain-foin ou de Luzerne
peut en nourrir trois , a-t-1l prevu
qu'il ne pouvoit réfulter de ce qu'il
laifle en culture une aflez grande
quantité de pailles pour feulement
faire leur litière ? En réfulteroit-1l
même affez de grains pour nourrir
& entretenir le ménage ?
On peut dire que M. Patullo à
M iv
184 MANUEL D'AGRICULTURE
mal fupputé , ou plutôt qu'il ne s'en
eft pas donné fa peine.
On feroit curieux de fçavoir en
quel Canton , en quel Pays, en quel
Royaume un pareil plan de culture
a pu s'établir & s'exécuter; ou du
moins il auroit fallu le rendre plus
vraifemblable , en fuppofant un Do-
maine bien moins confidérable. (a)
(a) On convient qu'un Propriétaire ou Fer-
mier, dont le principal objet feroit de nour-
rir des befljaux ou des chevaux, parcequ'il ÿ
trouveroit plus fon profit qu'a vendre du grain,
pourroit ainfi mettre les deux tiers de ce qu'il
feroit valoir en herbages ; en ce cas, réfulte-
roit-il quon en pourroit faire un plan géné-
ral de culture > Puifque ce ne ferait plus Le
grain qui en feroir le principal objer. Il ne faut
donc pas que M. Patullo propofe ce plan comme
clui qui eft le plus faivi en Angleterre.
Quoiqu'on s'exphque ainfi, on n'en a pas
moins d'eftime pour cet Auteur, puifqu'en
le propofant, fon intention n’a pu qu'être
bonne ; fon plan inftruira du moins ceux
Qui, par rapport à leur fituation , ou pour d'ay-
POUR LE LABOUREUR. 185$
Pour avoir donc une certaine
quantité de beftiaux, capable de met-
tre en état d'exécuter le renouvel-
lement d'engrais dont il eft ici que-
ftion, deux chofes font néceffaires &
indifpenfables , fçavoir des prairies
& des pailles.
Il eft bien plus aifé de fe procu-
rer des prairies; on les fait quand
on veut, & dans la quantité qu'on
juge néceflaire ; encore faut-il les
partager fuivant leur durée, & ne
les femer que d'années en années.
Il n’en eft pas de mème des pail-
les ; l'augmentation ne peut s'en
faire qu'au fur & à mefure que les
tres raifons de convenance, trouveroient plus
de profit à vendre des beftiaux &; des che
vaux qu'ils n'en pourroient avoir en vendant
du grain, Quand il s’agit du bien public, un
bon Citoyen ne défaprouve point qu’on trouve
à le critiquer.
156 MANUEL D'AGRICULTURE
terres deviennent meilleures parles
amandemens.
Il faut donc n'établir les prairies
& les beftiaux qu’à raifon de cette
augmentation, pour n'être pas dans
le cas d'acheter des pailles.
Ce feroit une dépenfe confidéra-
ble , que cet achat, pendant plu-
fieurs années ; ce feroit même une
dépenfe qui ne pourroit générale-
ment que rebuter & décourager.
Cependant il pourroit fe trouver
quelques riches Propriétaires qui,
faifant valoir par eux-mêmes , n’hé-
fiteroient pas de la faire pour jouir
plutôt , en fafant encore l’établife-
ment de prairies, en bien moins de
tems qu'on le dira ci-après.
S'ils s’y déterminoient , il en réful-
teroit cet inconvénient , que , quand
on feroit dans le cas d'en retourner
la moitié pour l’établir @lleurs, fup-
POUR LE LABOUREUR. 167
pofé qu'il eût été fait en deux ans,
on feroit tout d’un coup privé de la
moitié de fa prairie , au lieu qu'en
ne la faifant que comme on va le
dire , on ne s’appercevroit prefque
pas de la privation de la partie qu'on
feroit obligé de retourner.
Mais ce n’eft point à des Proprié-
taires qu'on parle , il ne s’agit ici que
des Fermiers qui compofent feuls
en France le corps des Agriculteurs.
Quand même on leur feroit des
baux de vinget-fept ans, encore en
trouveroit-on très-pen qui'feroient
difpofés à faire la dépenfe de lachapt
des pailles pour aller plus vite, ils
préfèreroient toujours de n’agir que
fuivant leur augmentation; certai-
nement ils s’en trouveroient mieux.
On a affez d'expérience pour éta-
‘blir que dans un corps de Ferme de
‘la contéhance de trois cens arpens,
188 MANUEL D'AGRICULTURE
une trentaine de gros bétail, comme
vaches oubœufs, avec environ trois
a quatre cens bêtes blanches, au
moyen des déduétions dont on a
parlé ci-deflus, peuvent générale-
ment fuffire pour s'y procurer toute
la quantité d'engrais néceflaire , par-
ce qu'en outre de ces beftiaux, on a
les chevaux d'exploitation ou les
bètes de tirage qui donneront beau-
coup de fumiers , indépendamment
des pigeons, cochons, poules, &c.
qui en procureront encore.
Si lafituation d'un corps de Fer-
me n'étoit pas avantageufe pour les
bêtes blanches, nonobftant la prati-
que des jachères ; ce qui fe trouve-
roit dans le cas qu'ilfüt fitué en
lieu marécageux : comme cela occa-
fionneroit fréquemment leur pourri-
ture, on augmenteroit le troupeau
du gros bétal à proportion de ce
POUR LE LABOUREUR. 18g
quon diminneroit des bêtes blan-
ches.
On en compte ordinairement cinq
à fix pour une vache ou pour un
bœuf.
Suppofé même qu'une aufli gran-
de quantité de bêtes blanches excé-
dât ce que le terroir pourroit nour-
rir pour la part que celui à qui elles
appartiendroient , auroit fur ledit
terroir , chaque habitant ayant éga-
lement droit fur les jachères ou päà-
tures de fon Terroir , à raifon de la
quantité de terres qu'il peut y faire
valoir, en réduifant cette quantité au
prorata du droit d’un chacun, on
augmenteroit , à raïfon de la diminu-
fion qu’on en feroit , le troupeau
du gros bétail.
Ce qui pourroit d'autant mieux fe
faire , qu'il n’en eft pas du gros bé-
tal comme des bêtes blanches,
190 MANUEL D'AGRICULTURE
qu'on eft obligé de faire fortir & de
faire pâturer tous les jours.
Âu lieu que ; quand le nombre
du gros bétail excéde le droit qu'on
peut avoir aux pâtures communes ,
on n'en fait fortir que la moitié ou
le quart alternativement , pour ne,
pas préjudicier au droit des autres
habitans.
Comme 1l convient de n'établir
ce nombre de gros bétail, qu’on
vient de déterminer, qu'au fur & à
mefufe de l'augmentation des pail-
les, le peu qu'on trouveroit, où qu’on
établiroit d’abord en vaches, auroit
le tems de s'établir d'elles mêmes,tous
les ans , pourvu qu'on élevat & gar-
dât tout ce qui en proviendroit.
Il en feroit de même des bêtes
blanches, ou brebis, qui donnent tous
les ans des agneaux.
On a encore aflez d'expérience
POUR LE LABOUREUR. 1917
pour établir qu'en prenant dans ce
corps de Ferme de troiscens arpens ,
environ un huitiéme ou un demi
quart de ce qui le compofe , c’eft-
à-dire trente-cinq à quarante ar-
pens, pour les mettre en prairies
artificielles, cela feroit généralement
fufñfant , au moyen de ces dédu-
étions dont on a parlé ci-deflus ,
pour nourrir toute cette quantité de
beftiaux , en fuppofant qu'on fût
parvenu à avoir & à recueillir la
quantité de païlles néceflaire.
Ainfi, lorfqu'il s’agiroit de com:
mencer ces deux établiflemens de
Prairies & de beftiaux, on ne les
feroit qu’à raïifon du produit en pail-
les que ce corps de Ferme donne-
roit pour lors ,à l’effet de ne les aug-
menter par la fuite tous les ans , qu’à
raifon de l'augmentation des pailles ,
& jufqu'à ce qu’enfin elle devint fuf-
192 MANUEL D'AGRICULTURE
fifante avec la prairie pour avoir
toute cette quantité de beftiaux
qu'on vient de défigner.
Comme on ne peut commencer
à avoir fur le corps de Ferme de
trois cens arpens, qu'on propole , le
produit en pailles qu'on peut en
attendre, que quand il aura été au
moins une fois amandé entièrement
en neuf ans, il faut ne faire fa prairie
qu’en neuf ans, & partager lestrente-
cinqä quarante arpens qu'on propofe
d'y employer, en neuf portions à
peu-près égales pour les femer tous
les ans chacune, foit en fain-foin , foit
en luzerne , tréfle , &c. qu'on renou=
vellera exattement fuivant le tem,
de leur durée, pour toujours entre-
tenir la même quantité de prairies.
On ne doit aufli former le nom-
bre de beftiaux néceflaires qu'en
neuf ans ; encore faut-il bien prendre
garde
POUR LE LABOUREUR. 193
garde s'il ne convient pas d'ÿ imet-
tre plus de tems,; de même qu'a la
praine ; pour attendre le produit
complet dés pailles qu'on peut avoir,
année commune:
Ce n'eft donc point ën trois &
quatre années ; comme l'ont avancé
quelques Auteurs ; qu'on peut s'enri-
chir dans l'Agriculture:
Suivant l’expoié qu'on vient dé
faire , qui ne peut pas être conteité
par les bons Cultivateurs ; on voit
qu'ilne faut pas moins de 10 a 12 ans
pour commencer à mettre un corps
de Fermé en pleiné valeur ; pour
peu quil foit confidérable.
Cependant on n'auroit pas plutôt
mis en train ce qu'il faut faire pour
parvenir à l'exécution du renouvei-
lement de l’engrais, que nos terres
deviendrotent par dégré meilleures,
& qu'on s'appercevroit d’un heureux
N
194 MANUEL D'AGRICULTURE
changement qui ne feroit qu’aug-
menter tous les ans.
Il ny a donc point à dire que
cette pratique eft trop lente ; &
ceux qui parleroient ainfi, fe-
roient voir qu'ils n'ont nulle expé-
rience. |
Il en eft des progrès qui fe font
dans l'Agriculture comme de ceux
qui fe font dans le commerce , qui
exigent de la part d’un Commerçant,
bien du tems, bien des peines, &
une bonne conduite : ce n’eft géné-
ralement qu'au bout de vingt ans
qu'il voit la folidité des gains & pro-
fits qu'il a retirés de fes entreprifes.
Il eft vrai que s'il ne s’agifloit que
d'exécuter fur un corps de Ferme le
renouvellement de terrein par le tra-
vail de la charrue , en lui fuppoñfant
un fond de terre fufäfant, cela iroit
beaucoup plus vite.
POUR LE LABOUREUR. 195
Mais où trouver dans des terres
à jachères des corps de Ferme, qui
n’ayent befoin que de ce fecours à
en ce casil ne faudroit que moitié
du tems qu'on propofe & peut être
moins , comme on l’a déja fait enten-
dre ci-déflus dans a premiere Se&tion
de ce Manuel.
On conçoit que, fiun corps de Fer-
me n’eft que de cent cinquante arpens
au total , 1! n’y faudra que la moitié
de prairies & de beftiaux propofés
ci-deflus, toujours à raifon des pail-
les qu'il pourra produire.
Ainfi des autres corps de Ferme
qui auroient plus ou moins de conte-
nance, fur lefquels cette exécution
fe fera également à proportion.
On a pris pour exemple un corps
de Ferme de trois cents arpens, fur
lequel les engrais fe font pour neuf
ans ; parceque d'une exécution en
Ni
196 MANUEL D'AGRICULTURE
grand , qu'on demontre poflble &
qu'on a effayé foi-même, 1l s'enfuit
néceflairement toute exécution en
petit.
Au lieu que de l'exécution en pe-
tit, il ne s'enfuit pas toujours l’exé-
cution en grand.
On en a un exemple dans la nou-
velle Méthode de M. Thull, par le-
quel on voit que , nonobftant toutes
les expériences qu'on rapporte , il
ne s'enfuit pas bien évidemment que
de l'exécution en petit, qu’on ne
ceffe de recommander, on puiffe al-
ler à l'exécution en grand.
V.
Des grands avantages de la Pratique du
Renouvellement d'engrais.
dé Fa U1sSQU'IL convient d'atten-
dre les pailles & de ne faire l’aug-
mentation du gros & menu bétail
POUR LE LABOUREUR. 197
qu'à raïon de l'augmentation des
pailles , il s'enfuit qu'ayant tout le
tems de le laifler augmenter par lui-
même , jufqu'a ce qu'on foit parve-
nu à en avoir le nombre qu'on a
jugé néceffaire, iln'y a aucun achat
a faire.
Ainfi , lorfqu'il s'agira de faire
cette augmentation dans un corps
de Ferme de trois cents arpens, ou
de telle autre contenance, on pourra
fe contenter de le prendre en l’état
où il eft , par rapport au nombre de
beftiaux qui s’y trouvera.
Généralement un Fermier n'en-
treprend point de faire valoir un
corps de ferme , quel qu'il foit, qu'il
n'y mette le nombre de beftiaux né-
ceffaire pour la confommation des
pailles qu'il peut prodiure ; c'eit l'u-
fage de la Campagne.
. On diroit d’un Feriuier qui en agi-
N 1
198 MANUEL D'AGRICULTURE
roit autrement qu'il s'y prend mal
& qu'il ne réufhira point ; ce qu'on
dit encore de ceux qui vendent leurs
pailles, au lieu d’avoir des beftiaux
qui pourroient les confommer.
Si avec cet ufage , qui eft bon, on
y introduifoit celui de l’établiffe-
ment des prairies , lorfqu'il y en
manque , ou qu'il n'y en a pas aflez,
il ne refteroit à défirer, pour le bien
& la profpérité des Campagnes, que
de détruire les routines qui ne s'y
font que trop établies.
2°. Il n'y aura point encore de
dépenfe à faire dans ce corps de
Ferme pour les femences de l’éta-
bliffement de prairies , quoiqu'on
propofe d'y employer trente-cinq à
quarante arpens.
Ayant déja fait voir qu'on ne doit
faire cet établiffement qu'en neuf
années, ne peut-on pas, dès la pre-
POUR LE LABOUREUR. 199
mière où il ne s'agira que de femer
quatre ou cinq arpens, recueillir
aflez de femences pour fe difpenfer
d’en acheter l’année fuivante? A plus
forte raifon par la fuite pour le con-
tinuer , le completter & le renouvel-
ler autant de fois qu'il en fera né-
ceflaire ?
Ne peut-on pas encore en vendre
pendant quelques années , jufqu'à
ce qu'on foit parvenu à retirer les
frais des premières femences qu'on
aura été obligé d'acheter , & pour
en faire même fon profit ?
3°. Ces 3$ à 40 arpens, qu'on
prendroit dans ce corps de Ferme de
trois cens arpens, bien loin d'y por-
ter préjudice , & d'en diminuer le
revenu , ferviroient au contraire à
le doubler, le tripler , & même aug-
menter ay-dela. Idée que n’ont pas
nos gens de Campagne, faute de
Niv
2:00 MANUEL D'AGRICULTURE
fe donner la peine de calculer, ou
plutôt parceque leurs baux font trop
courts pour pouvoir profiter du
grand bénéfice qui en réfulteroit.
_ Préfentement qu’on peut les faire
jufqu'a dix-huit & vingt-fept ans,
ils entendront plus facilement raiï-
fon.
N’étant ici queftion que des terres
à jachères , qui font fans prairies,
ÿ! faut fe fouvenir qu’on a démontré
dans le troifñiéme articlendes Préli-
minaires de ce Manuel , que, ces for-
tes de terres ne rapportant généra-
lement , tout au plus , que cinq
pour un , ou plutôt ne rendant , tous
frais faits, par arpent qu'un feptier,
& même rien, leur produit pourroit
être facilement doublé, triplé , qua-
druplé, &c.
Il ÿ a cependant cette différence
à obferver qu'il y aura toujours
POUR LE LABOBREUR. 2017
beaucoup plus à gagner dans les
terres médiocres & mauvaifes que
dans les bonnes, puifque les pre-
mières , ne rapportant pas feulement
cinq pour un, avant que de les bien
faire valoir , feront mifes après au
niveau des meilleures.
- Quoiqu'il en foit , 1l n'y a donc
point à douter que, quand le corps
de Ferme dont il eft queftion , fera
mis en état de pouvoir exécuter fur
fa totalité, ou fur tout ce qui en
aura befoin , l'entretien & le renou-
vellement de l’engrais, par des éta-
blffemens de prairies & de beftiaux
fufñfants , quelque qualité de terrein
qu'il puifle avoir, à moins qu'il ne
foit purement fabloneux, il ne s’y
fafñle lheureufe révolution d’aug-
mentation qu'on vient d'annoncer
nonobitant la difiraétion de trente-
cinq à quarante arpens qu'on y au-
2:02 MANUEL D'AGRICULTURE
roit faite pour l’établifflement de prai-
ries.
Il n’y a point de bon Cultivateur,
pour peu qu'il ait d'expérience, qui
n'en convienne , fans même qu'on
donne pour preuve ce qui eft arrivé
à l’Auteur des Prairies artificielles ,
qui a eflayé lui-même cette prati-
que pendant trente années avec
tant de fuccès.
On peut dire qu'il eft le premier
dans toute l'Agriculture , qui en ait
donné l'exemple , & un exemple qui
doit d'autant plus frapper, que, fi
on l'imitoit dans tout ce qui fe trou-
ve fans prairies, la France devien-
droit le plus riche Royaume de l'U-
nivers.
4°. Ces trente-cinq à quarante
arpens occafionneront encore fur
les beftiaux d'augmentation un pro-
fit qui dédommagera bien au-delà
POUR LE LABOUREUR. 203
de la diftraétion qu’on en aura faite.
De huit à dix vaches qui pou-
voient fe trouver dans ce corps de
Ferme , lorfqu’on a commencé à le
mettre en état de pouvoir y exécu-
ter le renouvellement dont ileft que-
ftion , le nombre s'en étant aug-
menté jufqu'à trente, en mettant
feulement le produit des vingt de
furplus , à raifon de 15 livres par
année l’une dans l’autre , cela fait
déja 300 livres au moins d'augmen-
tation de revenu.
Les bêtes blanches fe trouvant
augmentées jufqu’à quatre cents, au
lieu de cent qui pouvoient s’y trou-
ver, en mettant le produit de leurs
toifons à raïon de 2 livres 10 fols
chacune par an, l'une dans l’autre ,
& la livre à raifon de vingt fols ; en
ne faifant attention qu’au produit de
l'augmentation des trois cents, voilà
204 MANUEL D'AGRICULTURE
encore fept à huit cents livres qu’on
peut avoir tous les ans de furplus.
On ne fait pas mention du profit
qu’on peut trouver fur la vente &
revente , & fur le commerce de tous
ces beftiaux, parcequ'il doit fe com-
penfer avec les pertes & mbitahtés
qui peuvent arriver.
Pour cette raifon encore , afin de
n'être pas accufé d’exagérer , on ne
fixera , année commune, tout le
produit de leur augmentation, qu’à
la fomme de 800 livres; quoiqu'en
détail 11 puifle ( comme on vient de
le faire voir monter jufqu'à environ
1200 livres.
Qu'on compare préfentement ce
produit fixe de 800 livres, qu'on ré-
duira même à 600 livres fi l’on veut,
avec celui qu'on auroit en ne fai-
fant point cette augmentation de
prairies & de beftiaux, on verra bien
de la différence.
POUR LE LABOUREUR. 205$
I! convient de la rendre fenfible
pour qu'on y fafle plus d'attention.
En ne faifant point de prairies ni
d'augmentation de beftiaux ,-& en
laiflant dans le corps de Ferme qu’on
donne pout exemple, les trente-fix
à quarante arpens pour porter tou-
jours du grain, à quoi pourra mon-
ter leur produit tous les ans ? tout
au plus à la fomme de 200 livres ; il
eft aifé de le faire concevoir & mêé-
me de le démontrer.
Dans ces trente-cinq à quarante
arpens , étant queftion de jachères,
il nepeut y avoir tous les ans qu'en-
viron vingt-cinq à vingt-fix arpens
“en:rappoôrt, fçavoir moitié froment,
-& moitié Mars.
Ce rapport ne pouvant être tout
au plus , comme on l’a déja dit, qu'à
raïifon de cinq pour un , & dans ces
“éing pourun, n'y en ayant qu'un de
206 MANUEL D'AGRICULTURE
refte du produit net , tous frais faits;
peut-il jamais excéder ce à quoi on
vient de le faire monter , y compris
même les Mars? Il n’y va pas même
à beaucoup près ; &, en le facrifiant,
ne s'en trouvera-t-on pas bien dé-
dommagé ? puifque du côté feule-
ment des beftiaux, ces trente -fix
à quarante arpens qui mettent en
état de pouvoir les nourrir, rappor-
teront au moins trois fois autant,
indépendamment de l'augmentation
prodigieufe qu'ils procureront fur ce
corps de Ferme , en donnant lieu
d'exercer le renouvellement de l’en-
grais fur fa totalité.
n'y a donc point à héfiter de pren-
dre fur ce corps de Ferme , c’eft-a-
dire fur les trois foles qui le com-
pofent , ainfi que fur tout autre à pro-
portion de fa contenance , la quan-
tité de terres qu'il faudra pour un
POUR LE L'ABOUREUR. 207
établifiement de prairies, d'autant
plus que toutes les terres, qui y paf-
feront, n'en feront que beaucoup
meilleures , ayant , fur tout le fain-
foin, l'effet de lesbien nettoyer de
toutes les mauvaifes herbes & raci-
nes qu'elles peuvent avoir.
On repliquera fans doute que ;
puifqu'il y a tant de profits à augmen-
ter les beftiaux , 1l n'y a donc pas
a héfiter de préférer de mettre en-
tièrement en prairies les jachères
qui en procureroient davantage ,
en augmentant à proportion les be-
faux.
Sans entrer encore dans l'examen
de la fupprefion des jachères, pour
les mettre en prairies , qu’on referve
pour la Seétion fuivante , on fe con-
tentera préfentement d'établir qu'un
arpent de terre en pleine valeur, y
compris les pailles qu'il donnera;
108 MANUEL D'AGRICULTURE
qui fervent à nourrit les beftiaux ,
rapportera toujours beaucoup plus
qu'un arpent de prairies,
Qu'on en fafle le calcul, fa dé:
monftration fera bien évidente , en
ÿY comprenant fur-tout l'augmenta-
tion confidérable , que le fond en
acquerra ; ce qui eft le plus à confi-
dérer.
Ilne faut donc pas donnef dans
l'excès de praïries ; ce feroit une au=
tre forte d’Agromanie.
À l'égard de l'augmentation dut
gros & ment: bétail ; telle qu'on la
propofeicifur ce corps de Ferme de
trois cents arpens ; comme elle eft
affez confidérable , 1! y auroit feule-
ment quelques dépenfes à faire pour
aggrandir les bergeries & étables, s'ils
n'étoient pas affez ip r + ri
contenir. EU
Mais pébt-ôn' faire attention à
cette
POUR LE LABOUREUR, 209
cette dépenfe én la mettant eri com-
paraifon avec les produits réels
qu'on vient de démontrer, & qui
font auffi confidérables ?
On peut voir, dans le Traité des
Prairies artificielles , le détail qu'on y
fait pour parvenir à faire au meil-
leur compte cette forte de dépenfe.
Quant à l'augmentation de la
grange, on s’en difpenfera, fi l’on
veut, en mettant en meule ce qui
ne pourroit pas y être renfermé.
_ On fçait dans les Campagnes ;
comment il faut s’y prendre pour
faire ces fortes de meules; quand el:
les font bien faites , le grain & les
pailles s'y confervent au moins auffi
bien que dans les granges, puifque
l'air y pénétre mieux de tous les
côtés. | MAT Hp
s°. Pour ne rien oublier de tout
.ce qui peut réfulter d'avantageux de
MONET 0
210 MANUEL D'AGRICULTURE
l'exécution du renouvellement de
l'engrais, c'eft que pour engraifler
quelques vaches, quelques bœufs, ou
quelques autres animaux de la baffe
cour, à l'effet de les vendre plus
favorablement , on pourra, tous les
ans ; feulement dans la fole des
Mars , femer quelques arpens de
gros navets , de panais, de patates,
&c. fans craindre que ce que l’on
en prendra, puiffe faire le moindre
tort à ce que cette fole doit fournir
pour la nourriture des bêtes de tirage,
comme chevaux ou bœufs qui doi-
vent fervir à l'exploitation.
On dit Jeulement dans la fole des
Mars , parcequ'on penfe qu'il ne con-
vient pas que , dans la fole des ja-
chères , rien n’y dérange n1 ne gêne
les labours & engrais qu'il faut y
bien faire pour pouvoir mieux pré-
parer & cultiver les terres qui font
POUR LE LABOUREUR. 2711
deftinées à être enfemencées en fro-
ment ou en fegle.
Pour bien engraifler des vaches &
des bœufs , chaque pays a fa façon;
il femble que la meilleure eft de leur
donner du grain, comme orge ou
avoine , mais fur-tout de l'orge, ce
qui leur donne beaucoup plus de
goût qu'en les engraiflant fimple-
ment avec de l'herbe & des racines:
en faifant venir de l’orge ou de l’a-
voine au lieu de ces racines, il pa-
roit qu'il n'en coûteroit pas davan-
tage.
On ne parle que d’un Fermier ,
d'un Laboureur, qui ne peut en-
graifler fes beftiaux qu’au moyen du
produit de fon corps de Ferme.
On ne peut mieux finir cet Arti-
cle qu’en difant que dans le renou-
vellement de l’engrais , ainfi que
dans celui du renouvellement de
0 ïi
212 MANUEL D'AGRICULFURE
terreins , réunis ou féparés, fe trou-
ve le vrai moyen de rétablir l'Agri-
culture, & de la faire profpérer gé-
néralement.
Y.L
s#utre pratique de renouvellement
d'Engrais.
dk OUT ce qu'on vient de dire juf-
-qu'à préfent dans les Articles précé-
dens fur le renouvellement de l’en-
grais, ne concerne que les corps de
Ferme dont le Domaine eft divifé
& difperfé fur tout un Terroir, & fur
les trois foles qui le partagent ordi-
nairement.
Dans ces fortes de Domaines,
qui fuivent le mème partage que
celui des Terroirs fur, lefquels ils
font fitués , il n’eft pas poflible de
déranger leurs foles ; il faut les
Jaïfler telles qu’elles. font : on en
POUR LE LABOUREUR. 213
verra les raïfons dans la Seétion fui
vante , qui traitera des jachères.
Cependant, quoique prefque tous
les domaines & corps de Ferme fe
trouvent ainfi difperfés fur tout un
Terroir, & fur les trois foles qui
le partagent , il s’en trouve qui font
réunis, & dont les piéces de terres
qui le compôfent ne font point di-
fperfées, quoiqu'ellesfoient cultivées
avec les trois foles ordinaires.
On eft donc le maître, dans ces
fortes de Domaines ou corps de Fer-
me de faire telle divifion qu'on ;u-
gera la plus convenable ; on peut y
augmenter les foles ; & , en confer-
vant lesjachères, on peut y en éta-
blir quatre dans lefquelles, indé-
pendamment des produétions ordi-
naires, dont on ne peut fe pañler , on
pourra faire venir encore plus fa-
cilement d’autres produ@ions qui
O ii
214 MANUEL D’AGRICULTURE
pourroient occafionner plus de pro-
fits: voici comme on s’y prendroit.
En ne faifant point dans un corps
de Ferme de trois centsarpens, qu'on
fuppoferoit n'être pas difperfé , une
diftraétion plus confidérable que
dans le précédent Plan de culture,
pour y former l'établiffement de prai-
ries , on compoferoit lés quatre {o-
les à raifon de foixante-cinq arpens
ou environ chacune:
I! y en auroitune pourlesjachères,
une autre pour le froment ou pour
le fegle, une autre feroit en avoine
ou orge pour la nourriture des bèr
tes de tirage qui fervent à l’exploi-
tation , & 1] y en auroit encore une
qui feroit foit en lin, chanvre, paftel,
garence, foi en gros navets, &c.
Il eft vrai que dans cette divifion
en quatre foles, il fe trouveroit
moins de froment que dans la pré-
POUR LE LABOUREUR. 215$
cédente pratique ; mais on pourroit
en être bien dédommagé par les
plantes qu'on fe procureroit au
moyen de l’établiflement de la qua-
triéme fole. |
Comme on auroit ; dans cette pra-
tique , la même quantité de prairies
& de beftiaux que dans la précé-
dente , on feroit en état d'y exécu-
ter également le renouvellement
de l’engrais, tant fur la fole des ja-
chères, que fur la quatriéme fole
qui contiendroit les plantes qu’on
vient de détailler.
Ce neferoit donc que dans les Do-
maines ou corps de Ferme qui fe-
roient réunis , & dont les piéces de
terres qui les compofentne font point
difperfées , qu’on pourroit prendre
celle des deux pratiques qui feroit
jugée la plus convenable & la plus
avantageufe , quoique toutes les
O iv
216 MANUEL D'AGRICULTURE
deux ne peuvent que tendre égale-
ment à augmenter prodigieufement
leur revenu,
VII
Des Engrais de Befliaux.
On ne fait ici mention que des
engrais qui proviennent des be-
faux, parceque ce n’eft que d’eux
qu'on peut tirer toute la quantité né-
ceflaire pour amandet, tous les ans,
la troifiéme , la fixiéme ou la neu-
viéme partie d'un corps de Ferme
où il feroit queftion des jachères.
Ce qui les rend encore préféra-
bles à toutes les autres fortes d’en-
grais, c'eft que dans les beftiaux on
trouve un double avantage, non-
feulement celui de l'engrais qui eft
le plus confidérable & qui enrichit
le plus, ne/tendant pas moins qu'à
augmenter prodigieufement & le
POUR LE LABOUREUR. 217
fond & le revenu d’un Domaine;
mais encore celui de leurs laines, de
leurs peaux & de leurs produétions ,
comme géniffes, agneaux,laitage,&cc,
dont on fait aufli de grands profits.
En faifant de plus attention au
commerce que l’on en fait , on con-
viendra que c'eft avec raïfon que
Jon a toujours dit que‘ce n'étoit
que par les beftiaux, qu'on pouvoit
procurer & établir l'aifance & l’a-
bondance dans les Campagnes.
n'y a point de fortes de terreins
labourables & en état de porter du
grain, auquel leur engrais ne con-
vienne, |
Y en a-t-il un meilleur que celui
de moutons ou de brebis , pour les
terres humides, froides & pefantes,
qui foit plus propre pour les réchauf-
fer , les ranimer , & même pour les
rendre plus meubles & les bien di-
218 MANUEL D'AGRICULTURE
vifer ; fans cependant qu'on puifle
dire qu'ilsne conviennent point à
d’autres terres, qui feroient même
d'une qualité contraire ?
On n’en peut pas dire autant de la
marne , quoique ce foit un engrais
très-eftimé , lequel ne convient nul-
lement dans un terrein fec & chaud,
puifqu'elle. le brüleroit infaillible-
ment, & le rendroit ftérile pour bien
des années, fi on l'y employoit 1n-
confidérément.
À ces mêmes terres humides &
froides, les crottins de pigeons (2)
(a) Le pigeon eft fi utile , qu'il convient
de le faire connoître une bonne fois, pour qu’on
ne foit pas tenté de le détruire mal à propos:
Indépendamment qu’il eft d'une très-grande
réflource dans les Campagnes, il n’eft pas auf
deftruéteur & aufli nuifible que bien des gens
fe le font imaginé. Quand un Laboureur a
l'attention de bien couvrir fes feimences , com-
me il doit le fçavoir , il n’y a rien à craindre
de fes pattes qui ne grattent jamais. Si avant
POUR LE LABOUREUR. 219
conviennent aufli beaucoup ; ils ont
même tant de force & de chaleur
la moiffon il fait tort à quelque froment , il le
répare bien par l'excellent engrais qu'il pro-
cure, qui en fait venir beaucoup plus qu'il
n'en peut manger. Il ne faut pas avoir un Co-
lombier bien confidérable , pour être en état
d’amander tous les ans deux à trois arpens.
Auflitôt que la moiflon eft ouverte , ce n'eft
plus au froment qu'il en veut, nià l'avoine,
ni aux lentilles, &c. c'eft principalement aux
petites graines qui fe détachent des mauvai-
fes herbes qui ont müries avec la moiflon,
& qui font fciées & fauchées en même tems ;
cela eft fi vrai qu'on n’en voit que très-rare-
ment fur les gerbes de froment, ou fur les
cochets d'avoine, de lentilles , &c. En man-
geant & en détruifant toutes ces petites grai-
nes , les terres produifent beaucoup moins de
mauvaifes herbes l’année fuivante , ce qui
fait que les grains qu'on y enfemence , pro-
fpérent beaucoup mieux. Le véritable tems où
le pigeon fait plus de dégât au froment, c'eft
un peu avant la moiflon, quand il commence à
mürir, pour lors il en abbat les tiges avec fes
ailes pour fe jeter fur leurs épis, auffitôt qu'ils
font couchés. Avant la moiflon , il fait en-
220 MANUEL D'AGRICULTURE
que , pour les répandre très-claire-
ment , on eft obligé de les femer à
la main comme le bled.
core du tort aux lentilles, parcequ'elles font
ordinairement couchées , verfant au moindre
orage qu'elles effuyent ; comme on en féme
peu, ce préjudice n'eft pas une raifon fufi-
fante pour demander la deftruétion du Pi-
gcon , n'y ayant que le froment qui puifle
J'autorifer. Ne mangeant point de fegle il
eft bien moins nuifible dans les pays, &
les Cantons où cette forte de bled fait le prin-
cipal objet de la récolte. Il ne faut donc pas
écouter fi légèrement les plaintes des Labou-
reurs qui ne les font le plus fouvent que par-
ceque n'ayant point de colombiers, foit pour
n'avoir pas aflez de terres , foit pour d’autres
raifons , ils font extrêmement jaloux con-
tre ceux qui font fondés à jouir de ce droit.
Que ne fait-on plutôt des Ordonnances ,
comme dans le Brandebourg, & même ail-
leurs, contre lés moineaux qui font bien plus
de dégâts fur les fromens , & dont on ne tire
aucune utilité. Par ces Ordonnances , les gens
de la Campagne font tenus de repréfenter tous
les ans une certaine quantité de têtes de moi-
nçaux.
POUR LE LABOUREUR. 221
Les engrais de vaches, de bœufs
& de chevaux, même mêlés enfem-
ble ,font plus analogues aux terreins
chauds & fecs ; ce quin’empèche pas
qu'ils ne puiflent être aufli employés
avec fuccès fur tout terrein, quand
même on y mêleroit encore ceux de
cochons, de poules & de toutes les
autres efpéces d'animaux qui peu-
vent fe trouver dans une bafle-cour.
Quoique l'engrais de beftiaux
puifle être employé aufli utilement
fur tout terrein , & fans en craindre
aucun inconvément ,1ly a cependant
le pur fable, fur lequel ‘ne prendra
point , & fur lequel il fera toujours
mis en pure perte; parceque chaque
grain de fable n'eft qu'une petite
pierre bien formée dont il ne peur
fortir aucun fel ni aucun fuc qui
{oit propre à la végétation.
C'eft pourquoi, fi le fumier, qu’on
222 MANUEL D'AGRICULTURE
ÿ auroit mis, ne réuflit que par
place, comme 1l arrive aflez ordi-
nairement , Ce ne fera que parce-
qu'il s’y fera trouvé quelques vei-
nes de terres mélangées avec le
fable.
Le fentiment de ceux qui préten-
dent que l’engrais en général , à l’ex-
ception de celui de terre, ne donne ni
fels ni fucs, & qu'il n’a d'autre effet
que de nourrir, ranimer, fortifier &
réparer ceux qu'il trouve , ne feroit
donc pas fans fondement.
Toute la reflource de ces terreins
de pur fable, ne conffteroit par-
conféquent qu’à les ouvrir & qu'à
les éventrer, fuivant l’expreffion de
l'Auteur des Prairies artificielles | pour
en tirer la terre de deflous, à l’ef-
fet de la mettre deflus, pourvû qu’elle
ne fe trouvât pas trop enfoncée ,
c’eft-à-dire au-delà de deux à trois
pieds de profondeur.
POUR LE LABOUREUR. 223
Ce pur fable étant comme un cri-
ble à travers duquel l’eau des pluies
pañle toujours pour s'imbiber def-
fous , il y a lieu de croire qu'on y
trouveroit une nouvelle terre con-
venable , laquelle , étant mife deflus
en fuffifante quantité , le mettroit
en état de pouvoir être cultivé pour
y faire venir du grain.
Un autre moyen encore, feroit
d'y voiturer de la bonne terre & de
la mettre à environ un demi-pied
d’épaifleur.
Mais, comme ces dépenfes feroient
fort couteufes & pourroient même
excéder de beaucoup le produit
qu'on en retireroit , la terre en gé-
néral ayant plufeurs deftinations
pour mieux fournir à tous nos be-
foins , ces fortes de terreins de pur
fable feront employés beaucoup
plus utilement eu y plantant du bois
114 MANUEL D'AGRICULTURE
ou de la vigne, parceque leurs raci-
nes; qui font fortes & profondes;
font en état de pouvoir atteindre la
bonne terre de deflous dont on vient
de parler, -
Dans le cas qu’au lieu d'une terre
convenable , il ne fe trouvât deflous
le fable que des pierres & des blo-
cailles, comme cela arrive aflez fou-
vent, la terre étant encore deftinée
à les produire pour nous mettre en
état de faire des logemens folides,
on n'en exigeroit rien de plus, puif-
que fa deftination feroit remplie.
Ce qui détermine encore à ne
point entrer dans le détail des autres
fortes d'engrais qu'on pourroit aufli
employer très-utilement, comme les
cendres, les boues, les décombres,
la marne , &c, c’eft qu'étant queftion
d'amander,tousles ans, dansun corps
de Ferme une partie auf confidé-
rable
POUR LE LABOUREUR. 2:34
table que l’eft la fitiéme ou la neu-
viéme ; pour pouvoir tOuJOurs y en-
tretenir & renouvelier l’engrais, ils
ne pourroient y contribuer qu’en
bien peu de chofe , n’étañt pas pof-
fible d'en ramañler une aflæ grande
quantité.
Quand cela feroit ; combien de
tems n’employeroit-on pas pour al-
ler les chercher ? au lieu qu'on peut
avoir chez foi & dans fa Rañle-cour
tous les engrais de beftiaux dont on
a befoin.
Il eneft de même des engrais artifi-
ciels, quoiqu'aufli très-bons ; qui,
pour la même raïfon, ne font point
intéreflants dans des amandemens
auiñ coniidérables que ceux dont
eft queftion ; 1ls y feroient fi peu
qu'à peine les remarqueroit-on.
D'ailleurs, pour les faire, cela
prend bien du tems, & ils occupent
IL
2126 MANUEL D'AGRICULTURE
extrèmement , dans le courant d’une
année, & des domeftiques & des
chevaux, qui ont bien des occupa-
tions à remplir, s’agiflant de mêlan-
ger avec de la terre la quantité de
fumiers qu'on peut avoir, on qu'on
veut employer ; ce quife fait dans
une foffe faite exprès,par des couches
alternatives de l'un & de l’autre d’en-
viron un bon demi-pied d’épaiffeur.
Quoique cette pratique foit mer-
veilleufe , & quoique l’ufage desfor-
tes d'engrais qu'on vient de détail-
ler, autres que ceux de beftiaux, foit
aufli très-bon ; cependant on peut
dire qu'ils feront mieux employés
aux petites cultures dont on a parlé
dans l’Introdu@tion de ce Manuel,
c’eft-à-dire dans les terres qu’on ne
laboure qu’à la béche, attendu que
l'entretien & le renouvellement de
l'engrais , qui peut s’y pratiquer , ne
POUR LE LABOUREUR. 227
doit faire qu'untrès-petir objet; ceux
qui cultivent ainfi à la bêche n’en
pouvant prendre ou louer que deux
à trois arpens au plus, pour les faire
bien valoir.
C’eft encoré dans la culture des
jardins que les engrais artificiels corn
viendroient admirablement. Quel
changement heureux ne feroient-ils
pas fur les légumes, fur les fruits &
même fur les fleurs ? On ne peut pro-
pofer rien qui puifle y faire autant
d'effets. |
Enfin n'étant pas douteux que l’en-
tretien & le renouvellement d’en-
grais ordinaires, bien exécuté fur la
totalité d’un corps de Ferme, n’aitle
même effet, avec le tems, que celui
de l’engrais artificiel : 11 femble que
ce feroit fe donner inutilement bien
de la peine que de s’entèter à | VOu-
loir les y employer.
Pi
228 MANUEL D'AGRICULTURE
VIIL
Comment s'y prendre pour faire confom-
mer les engrais de befliaux en peu
de tems.
es E n’eft pas afez de s'être mis en
état d’amander tous les ans la neu-
viéme partie d'un corps de Ferme
de trois cents arpens pour entrete-
nir continuellement fur fa totalité le
renouvellement de l’engrais ; 1l faut
encore que tout le fumier de be-
ftiaux , qu'on y employera, foit
bien confomme.
Une voiture de bon fumier a plus
d'effets que deux & même trois qui
feroient chauffourés.
Le bon fumier doit fe faire avec
promptitude, pour que le Labou-
reur puufle le charier fouvent, &
puifle le charier dans les intervalles
POUR LE LABOUREUR. 229
qu'il eft obligé de donner à fes la-
bours, comme on l’a dit ci-deflus,
pour leur donner le tems de fe re-
prendre.
En le conduifant fouvent , non-
feulement il aura plus de chaleur,
mais il s’en trouvera beaucoup
plus que fi on ne le charrioit que
rarement ; puifqu'en le laiffant trop
long-tems dans fa foffe , il ne fe peut
qu'il ne fe pourrifle , & qu'il ne s’en
perde beaucoup; ce feroit mème une
perte affez confidérable,
Il n’en eft pas de l’engrais de
beftiaux comme des autres fortes
dont on vient de parler, n’y ayant
rien à faire à ceux-ci avant de les
employer ; au lieu qu'à l'égard de
ceux de beftiaux, on ne le doit
qu'après avoir travaillé à les rendre
bons. |
Qui conduiroit les fumiers fur les
P
230 MANUEL D'AGRICULTURE
terres en fortant des écuries, ne fe-
toit qu'une très-petite befogne.
Pour parvenir donc à les rendre
bons, c’eft-à-dire bien confommés,
voici ce quife pratique par les Labou-
reurs aétifs & vigilans , qui fe réglent
fuivant la conformation de leur baffe-
cour.
Quand elle eft étroite , longue ou
quarrée , environnée de bâtimens,
la foffe à fumier fe trouvant dans le
milieu, 1ls ont l'attention, dans les
tems de chaleur & de fécherefle,
de faire jetter deflus une quantité
convenable de feaux d’eau qu'on
tire du puits ; ce qu’on répéte deux
à trois fois la femaine , fuivant le
befoin.
Uls ne manquent pas enfuite de
faire pañler deflus tous les jours leurs
beftiaux , lorfqu'ils rentrent ou qu'ils
{ortent; ce qui donne lieu, par leur
POUR LE LABOUREUR. 231
poids & leur pefanteur , de faire re-
monter l’eau fur la fuperficie du fu-
mier; & on conçoit qu'étant par.ce
moyen toujours imbibé , il doit être
bientôt fait & confommé : il ne faut
pour cela qu'environ trois femaines
ou un mois au plus, fi chaud & fifec
que le tems puifle être.
Une autre façon, qui n’a pas moins
d'effets dans une pareille baffe-cour,
& qui n’exige pas plus de tems, c’eft
pour les tems de pluies, de ménager
l'écoulement des goutières, pour
tomber direétement dans la foffe à
fumier , avec cependant la précau-
tion de leur faire une fortie, dans
le cas d’une trop grande abondance.
Cette fortie pourroit fe prati-
quer au moyen d'un conduit de
pierre ou de bois, qui dégage-
roit ledteaux au dehors, & pour qu'il
ne reftât , dans la foffe que la quan:
P iv
231 MANUEL D'AGRICULTURE
tité d’eau qui lui conviendroit ; ce
conduit feroit pofé dans une ouver-
ture qui auroit été exactement prife
dans le nülieu de la profonieur de
la foie.
Les beftiaux paflant & repañlant
continuellement defius, quand ils for-
tiroient & rentreroient, ne manque-
roient pas de faire remonter l’eau
qui fe trouveroit au fond.
De telle façon que l’eau foit pro-
curée au fumier , il faut toujours
faire enforte qu'il n’y en refte point
au fond de la fofle , & qu’elle re-
monte fur la fuperficie du fumier.
Lorfque la phue fera trop long-
teims fans venir, on aura recours au
‘premier moyen.
Si au contraire la bafle-cour eft
grande & fpacieufe, & fi la fofle à
fumier fe trouve dans un coimà côté
des écuries ou dans le milieu, il ef
POUR LE LABOUREUR, 233
important que cette fofle foit exatte-
ment faite en cul de lampe & de fa-
çon qu’elle y retienne & conferve
l'eau.
En cet état , toutes les fois qu'on
y déchargera les fumiers qui feront
tirés des écuries & des étables, on
ne manquera pas de les étendre &
de les répandre le long des bords, &
on aura fur-tout attention de laifer
voir le fond ou le creux de cette
fofle.
Quand elle commencera à s'em-
plir, en évitant toujours de laifler
tomber le fumier au fond , on jettera
pendant quelques jours plufeurs
feaux d’eau fur les bords, & quand
ils feront achevés d'être bien cou-
verts de fumiers , autant qu'ils en
pourront contenir , & toujours en
y jettant quelques feaux d’eau juf-
qu'a ce que le creux ou le fond de
234 MANUEL D'AGRICULTURE
la foffe s’en trouve rempli , il ne s’a-
gira plus pour lors, que de l’y puifer
avec un poëlon pour en arrofer les
bords; ce qui étant fouvent répété,
on verra que le fumier fera bientôt
fait & confommé : tout cela ne de-
mandera pas plus de trois femaines.
Au moyen de cette opération,
il ne fera pas néceflaire de faire paf-
fer les beftiaux fur cette fofle , pui-
qu'au moyen de fon creux qui doit
toujours fe trouver bien dégagé de
fumier , on eft en état d’y puifer l’eau
qui en eft fortie pour la jetrer fur les
bords, quand on le jugera nécef-
faire ; ce qui auroit le même efket
que celui de la faire remonter par
la pefanteur des beftiaux.
Bien plus , fi la conformation de
la baffe-cour ne permettoit pas qu'on
y pratiquât une foffe , on laïfleroit
le fumier en tas dans un coin , & on
POUR LE LABOUREUR. 235$
le feroit confommer en auffi peu de
tems, à mefure qu'il fe formera &
s'amafñlera en y jettant exaëtement
de l’eau.
Rien ne doit moins coûter que ces
attentions , étant fi différent d’ern-
ployer de bons ou de mauvais fu-
miers.
Quand une récolte manque, ou
n'a pas bien réufli, nonobftant que
le champ ait été amandé avec toute
la quantité de fumiers qu'il pou-
voit exiger , c'eft fouvent parce-
qu'elle n'étoit pas bien confommée,
ou parcequ'elle n’a pas été répandue
n'y enclofe à propos.
C’eft pourquoi il convient d’ajoü-
ter qu'il faut encore avoir l’atten-
tion de faire répandre le fumier auf-
fitôt qu'il eft conduit & charié à fa
deftination , & même au fur & à me-
fure qu'on le décharge.
236 MANUEL D'AGRICULTURE
On le répand plus facilement ; il
s'étend mieux, & on y gagne beau-
coup plus que fi on différoit ; il a
même plus d'effets en le répandant
auflitôt ; puifqu’en le laïffant deflé-
cher à l'air, il perd beaucoup de fa
bonne qualité,
On ne peut donc trop-tôt fe pref-
fer de le retourner & de l’enclore
avec la charrue , dès qu'il fera ré-
pandu : une pluie qui furviendroit
pour lors lu feroit bien favorable ;
ce qui peut engager de l'attendre ,
fi on prévoit qu'elle ne differera
pas,
Il ne faut pas oublier de dire en-
core que parmi les bons Laboureurs,
on ne répute bons fumiers que ceux
qui font faits avec des pailles de
froment, ou de fegle, d'orge &
d'avoine , & qu'ils ne font aucun
cas de ceux qui ne font faits qu'a-
POUR LE LABOUREUR. 23
vec ce qui refte des rations d’herba-
ges, foit en verd, foit en fec , qu'on
donne aux beftiaux ; il s'en faut
bien que ceux-ci ayent là même
force , la même chaleur & les me-
mes qualités des autres, & qu'ils
durent aufli long-tems.
IX.
Réponfe a un certain Auteur au fujet
des établiffernens de Prairies.
ra
KZ UOIQUE tous les avantages
qu'on peut tirer des établifemens
de prairies artificielles foient fi clairs
& fi évidents, fur-tout quand ils font
bien réglés, croiroit-on qu'ils ne
font pas du goût d’un certain Au-
teur ?
Ne pouvant , fuivant lui, y faire
paturer les beftiaux , parce que ce
feroit une pâture dangereufe , il en
238 MANUEL D'AGRICULTURE
conclud qu'il vaut mieux s’en pañler,
& chercher d’autres moyens de fe
procurer les engrais néceflaires ,
pour les fuppléer au défaut de prai-
ries naturelles & de patures com-
munes.
On convient que les établifle-
mens de prairies artificielles ne font
pas faits pour fervir de pâturages au
gros bétail, non plus que les prairies
naturelles, où i1ne peut aller qu'après
qu'elles font entièrement fauchées.
Mais ils peuvent fervir à le bien
nourrir pendanttoute l’année , quand
même il ne fortiroit point; ou que
très-peu. $
Il y a bien des Cantons & bien des
Terroirs en France fur lefquels il n’y
a ni prairies naturelles, ni pâtures
communes ; cela n'empêche pas
qu'il ne s’y trouve quelques beftiaux
comme vaches ou bœufs,
POUR LE LABOUREUR. 239
Or , l'ufage dans ces fortes de
Cantons eft de les nourrir dans leurs
étables avec l'herbe des champs,
que les fervantes vont y chercher
pendant les trois faifons du printems,
de l'été & de l’automne , & encore
avec quelques bottes de ces mêmes
herbes qu’elles ont fait fécher, &
qu’elles refervent pour leur tenir
lieu de foin, dont elles font même
une provifon pour l’hyver.
Enajoutant alternativementaà cette
forte de nourriture quelques bottes
de pailles qui fervent auf pour leur
litière , cela fait que ce gros bétail
fe trouve bien nourri: mais on doit
concevoir qu'on ne peut en avoir
que très-peu.
Cependant, quoique fur ces Ter-
roirs ou Cantons , il n'y ait ni prai-
ries naturelles, ni pâtures communes,
on ne laifle pas de le faire fortir de
:40 MANUEL D'ÂAGRICULTURE
tems en tems , fur-tout aufli-tôf
les moiflons pour le conduire dans
les pâtures grafles, c’eft-a-dire dans
les chaumes de froment ou de fe-
gle, où il fe trouve pour lors ordinai-
rement beaucoup d'herbes dont ce
gros bétail eft très-friand.
Depuis la moiflon jufqu'au prin-
tems, on le conduit ainfi de tems
en tems fur les terres qui ont été
moiflonnées , dans lefquelles 1l peut
trouver à pâturer ; mais, ce tems
pañté , on ne le fait fortir que pour
le mener boire ; il refte ordinai-
rement à l’érable jufqu'au teins de
la moiflon , & on ne le conduit point
dansiles térres qui font en jachères,
parcequ'elles font fpécialement ré-
fervées pour les bêtes blanches , qui,
à la différence du gros bétail, doivent
fortir tous les jours.
Suivant le détail de ces ufages,
qui
« POUR LE L'ABOUREUR. 241
qui ont, ainñ lieu fur les Terrowsoï
11 n'y a ni pâtures communes ni prais
tics naturelles, on peut avoir du
gros bétail, en le nourriffant com-
me.on vient.de le dire: Am ; aù
moyen des établifflemens de Prai-
ries artificielles, on aura bien plus
de faciité, à nourrir le gros béta,
foit en verd, foit en feé ; pen-
dant toute l'année ; & l’on parvien-
dra à s'en procurer ie nombre nécef-
faire pour fe mettre en état d'exécu-
er tous les engrais dont on peat
avoir befoin , fans qu'ii foit queftion
que ces fortes d’établiflemens lui fer-
vent de pâturages. |
Cela ne conviendroit même pas,
fur-tout , s'ils ne confftoient qu'en
luzerne ; parceque cette plante,
quand elle n'eft pas donnée avec
économie , peut être dangereufe,
cuoique très-bonne en elle-mème:;
Q
242 MANUEL D'AGRICULTURE
on s’en eft expliqué fufifamment
dans le Traité des Prairies artificiel-
Les. Quoiqu'il n’y ait pas le même
danger pour les établiflemens de
fain-foin, de tréfle , &c. encore vaut-
il mieux ne faire pâturer le gros be-
tail que quand toutes les coupes &
fauchaifons en auront été faites ,
c’eft-à-dire , vers le tems de laS. Re-
mi ou de la S. Martin, pour fe nour-
rir de ce qu'il peut y refter en verd :
il n'y auroit pour lors aucun danger
de le conduire dans une luzerne.
Ce n'’eft donc que , faute de con-
noitre tous les ufages de la Campa-
gne , fi cet Auteur s’eit ainfi déclaré
contre les établiflemens de prairies
artificielles ; il ne connoiït apparem-
ment que ceux qui ont lieu fur les
Cantons ou Terroirs où il fe trouve
des pâtures communes , & des prai-
ries naturelles.
POUR LE LABOUREUR. 143
Il n’y a cependant que Les prairies
artificielles qui puiflent fuppléer à
leur défaut , puifqu'on peut dire que
ce n’eft que dans cette vue que l’Au-
teur de la Nature nous en a gratifié;
autrement à quoi pourroit nous fer-
vir un don aufli précieux? La plus
grande partie de nos terres refte-
roient toujours dans une ftérilité
dont on ne pourroit les retirer ?
On ne conçoit pas comment un
pareil préjugé a pu prendre fur un
Auteur qui paroît d'ailleurs fi éclairé,
TROISIEME SECTION.
Des Jachères,
CDN à déja établi que l'Agricnl-
ture étoit généralement compofée
des opérations du labour, desfemen.
ces & des engrais ; & que, pour les
faire mieux réuflir, on ajoutoit les
Q5ÿ
244 MANUEL D'AGRICULTURE
jachères pour donner du repos aux
terres ?
Ce repos méritant la plus grande
attention, il s'agit de fçavoir quand
il convient d'employer ou de fup-
primer les jachères: on peut dire
qu’en cela confifte la grande fcience
de l'Agriculture.
On fera voir que leur fuppreffion
ne doit être regardée dans toute l’A-
griculture , que comme un cas par-
ticulier; & qu'iln’en eft, de cette
fuppreflion, vis-à-vis de leur ufage
que comme d’une exception à l’é-
gard d'une régle générale.
On fera donc bien étonné d’ap-
prendre que c’eft renverfer tous les
principes de l’Agriculture ; que de
propofer de rendre générale la fup-
preflion des Jacheres.
En attendant on commencera par
dire que, faute de bien connoitre ce
POUR LE LABOUREUR. 245
que c’eft que Jachères, foit pour les
obferver, foit pour les fupprimer,
on ignore pleinement l'Agriculture,
& qu’on ne peut que s'égarer.
La preuve n’en eft que trop évi-
dente dans les Écrits de nos Au-
teurs modernes, & dans ceux mème
qui ont eu la plus grande réputation,
puifqu'ils n’ont fait que bésayer fur
cette importante matière ; c’eft du
moins le jugement qu'en ont porté
les Cultivateuts qui ont le plus d’ex-
périence, & qui peuvent feuls déci-
der. Ils ont mème inféré de la gran-
de réputation que ces Anten uis fe
font ainñ faite qu’on eft encore bien
ignorant en France fur l'Agriculture;
tandis que fur toute autre matiere
on eft fi éclairé.
SNA
RS
SL
Qu
246 MANUEL D'AGRICULTURE
Fe
Ce qu'on entend par Jachères.
<2 N entend par Jachères, des ter-
res qui, après avoir été moiflonnées,
reftent dans le repos, non-feule-
ment pendant l'automne & pendant
l'hyver ; mais encore dans les deux
faifons du printems & de l'été de
l'année fuivante ; de façon qu'elles
font , une année entière & même
plus, fans être enfemencées ; tout ce
tems n'étant employé qu'à les la-
bourer , les cultiver & les préparer,
pour recevoir les femences qu'on
leur deftine.
Quoiqu'on pue dire que cette
idée des Jachères foit exaëte ; cepen-
dant , pour lui donner plus de préci-
fion , on ajoutera qu’elle ne doit ab-
folument tomber que fur le repos
que les terres ont pendant les deux
POUR LE LABOUREUR. 247
faifons du printems & de l'été, &
non fur celui qu'elles ont déja eu
précédemment pendant l'automne &
pendant l’hyver; puifqu’on ne peut
appeller serres a Jachères , celles qui,
après s'être repofées pendant l’hy-
ver ,font enfemencées au mois de
Mars; c’eft-à-dire dans la faifon du
printems.
Voilà donc la vraie définition des
Jachères , a laquelle on ne peut trop
faire attention.
Les terres auxquelles on laifle ce
fecond repos , font appellées Jachè-
res , parceque , quoiqu’elles foient
labourées dans les deux faifons du
printems & de l'été, cela n'empêche
pas qu’elles ne puiflent fervir de
pâture aux bêtes blanches, le terme
de Jachères, fignifiant, férvant de pa-
rie. Cette pature des champs, com-
me on l’expliquera ci-après, eft la
Q iv
»48 MANUEL D'AGRICULTURE
meilleure , & même ia feule quon
pue leur procurer.
Il eft vrai que les terres qui fe re-
pofent dabord dans les deux fañons
de l'automne & de jhyver, quon
peut encore labourer quand le tems
le permet, fervent auihi de patures
aux bêtes blanches, & que pour
ette raïfon, elles pourroïent être
‘galement appellées Jachères ; mais
ufage, qu fixe la véritable fignifi-
tion des termes, n’a attaché celut-
ci, dans toutes les Campagnes,
qu'aux terres dont le repos eft con-
tinué pendant les deux faifons du
printems & de l'été,
_ fin'yaque ceux qui ne connoïffent
SE (e)
l'Agriculture qu'en fpéculation , qui
confondent ces deux repos, & qui
sy méprennent
+
Vo RE M “mm dt nt"
)
L
L
|
$
L
4
|
POUR LE LABOUREUR. 249
IL.
Ce qui occafionne & néceffite les Jachères.-
© UoiïqQuE dans l'Agriculture ,
on fafle ufage de beaucoup d’efpé-
ces de femences, & de bien des for-
tes de grains; cependant , en ne les
confidérant que par rapport aux
deux différens tems de les femer,
on n'y en reconnoit que deux for-
tes, qui font les grains de Mars &
les grains d'hyver.
Par grains d’hyver, on entend eflen-
tiellement le froment & le fegle, qui
font les deux grands objets & les plus
précieux de l'Agriculture.
Les grains de Maïs, comme orge,
avoine , &c. font enfemencés au
printems dans des terres qui fe font
repoiées pendant l'hyver ; n'étant
que quatre, cinq à fix mois enterre,
ilspe uvent donner leur récolte aflez
250 MANUEL D'AGRICULTURE
à tems, en plein été, pour pouvoir
bien mürir.
I n’en eft pas ainfi des grains d'hy-
ver ,comme froment, fegle , &c. qui
devant être neuf à dix mois enter-
re, exigent qu'on les féme dans la
faifon de l'automne avant l’hyver,
pour que leur récolte puifle aufii
tomber en plein été dans les mois
de Juillet ou d'Août, qui eft Le tems
le plus propre à leur maturité.
Ils peuvent être ainfi femés , fans
crainte qu'un hyver, fi rigoureux
qu'il puifle être , leur nuife ; pourvu
que la terre foit féche, & que les
fortes gelées ne furviennent point
immédiatement après d'abondantes
pluies. Au contraire les fortes & lon-
gues gelées leur font avantageu-
fes en rendant leurs récoltes plus
grainées , ce que n'opèrent pas les
longues pluies d’'hyver qui leur font
POUR LE L'ABOUREUR. 251
très - prépudiciables ; c’eft ce qu'on
apprend par l'expérience.
Si on femoit les grainsd'hyver au
mois de Mars, il eft bien eertain
qu’il n’en réfulteroit que des récol-
tes tardives, qui à peine payeroient
le Laboureur de fes femences.
Ne pouvant donc être enfemen-
cées qu’en automne & non au prin-
tems, 1l s'enfuit que les terres, dans
lefquelles ils font employés , doi-
vent fe repofer dans les deux faifons
du printems & de l’été, indépenda-
ment du repos qu'elles ont déja eu
pendant l’hyver, & qu’elles foient,
une année entière & mème plus,
fans rien porter ; parcequ'il paroît
qu'il feroit contre l’ordre de la Na-
ture , que des terres, qui ont tra-
vaillé pendant les deux faïfons du
printems & de l'été , fuflent encore
dans le même cas pendant les deux
:52 MANUEL D'AGRICULTURE
faïfons fuivantes de l'automne & de
Fhyver.
Au printems, tout renait, tout
reverdit, tout fleurit ; la terre re-
prend fon travail; elle employe, elle
épuife même tous fes fels & tous {es
fucs pendant les trois faifons confé-
cutives du printems, de l'été & de
Fautomne , pour nourrir toutes les
femences qu'on lui a confiées.
Mais, pendant l’hyver, elle eft,
pour ainfi dire, dans le repos, &
c'eft ce repos qui lui eft fi nécefaire
pour la rétablir & pour lui rendre
toute fa vigueur.
Enun mot, c’eft l’hyver quiremet
la terre en état, chaque année , au
printems , de vivifier toutes les plan-
tes, tant annuelles que‘vivaces.
Il femble contre l’ordre de la Na-
ture de fupprimer les Jachères ; on
peut même dire que leur fupprefhion
POUR LE LABOUREUR. 253
auroit bien des inconvéniens , &
qu'il ne feroit pas aufl facile de l’exé.
cuter qu'on fe l’imagine.
Dans le cas que des terres, après
avoir été enfemencées & moifflon-
nées pendant les deux faifons du
printems & de l'été, fuflent encore
enfemencées dans la fafon de l’au-
tomne fuivant, c'eft-a-dire vers le
mois d'Oftobre; comme le tems de
leurs moifions qu'on vient de faire,
tombe en Juillet & même en Août,
il n'y auroit tout au plus qu’en-
viron deux mois d'intervalle juf
qu'à ce qu'on les enfemençât de
nouveau.
Dans un fi court efpace peut-
on donner au froment tons les
labours qui lui conviennent , n’y
ayant point de grain qui exige au-
tant de peine , & qui demande à être
aufh bien cultivé,
:$4 MANUEL D'AGRICULTURE
On ne pourroit tout au plus que
lui donner deux labours, tandis qu’il
lui en faut davantage, foit pour bien
ameublir la terre, foit pour dé-
truire les herbes.
Il s’agit de bien dégazonner une
terre qui vient d’être moiflonnée,
& qui, parconféquent fe trouve
pleine de racines ; autrement, com-
ment celles du froment, qui font fi
tendres & fi menues, pourroient-el-
les pénétrer ?
D'ailleurs, fi le terrein qu’on cul-
tiveroit dans un fi court efpace , eft
fujet à donner beaucoup d'herbes,
ce ne fera pas dans la faifon de l’été
& de l'automne qu’on parviendra à
les détruire ,n’y ayant que celle du
printems ou plutôt celle de l'hyver
qui puifle avoir plus efficacement
cet effet par des labours après Ia
faint Martin.
POUR LE LABOUREUR. 255
A l'égard des engrais qu'il con-
vient de donner à une terre qu'on
feroit ainfi travailler fans la laïfler re-
pofer, & qui parconfequent doivent
être beaucoup plus confidérables
dans le cas qu'elle n’auroit pas aflez
de fond pour pouvoir être renou-
vellée par le travail de la charrue,
comment pourroit-on les faire ?
Quel embarras pour les conduire
& les répandre , dans le même tems
qu'on ne peut fe difpenfer de don-
ner au moins deux Labours ? On
s’en expliquera plus au-long ci-après.
Tout ne fe fafant qu'a la hâte, &
un terrein ne pouvant recevoir en
fi peu de tems qu'une culture for-
cée, peut-il jamais rendre autant
que quand on le laiffe en Jachères,
nonobftant qu'il paroïfle qu’on ga-
gne beaucoup en ne les obfervant
pas ?
256 MANUEL D'AGRICULTURE
Il faut un peu d'expérience pour
fentir la vérité de ce détail qu'on ne
peut contredire; voilà pourquoi ceux
qui n'en ont point, nannoncent &
ne propofent que fupprefion des Ja-
chères.
Un autre motifencore, pour ob
ferver les Jachères , qui eft très-inté-
reflant, c'eft qu'il n’y a- générale.
ment que ces fortes de terres qui
donnent au bétail blanc, depuus le
commencement de Mars jufqu'a la
moiflon, la pâture qui leur con-
vient.
Sans les jachères , c’eft-à-dire fans
le repos des terres pendant les deux
faifons du printems & de l'été, Les
bêtes blanches ne pourroient aller
paturer dans les champs, que depuis
la moiflon jufqu’au printems ; pour
lors, pendant près de fix mois, on ne
pourroit les conduire que fur les
chemins
EM
#
POUR LE LABOUREUR. 257
chemins ou fur les bordures de quel-.
ques fofés.
On fe donne bien de garde de les
mettre dans les prés, cette pâture
leur étant très-pernicieule, par rap-
port à la pourriture qu'elle ne man-
queroit pas de leur, donner ; c’eft.
une maladie qu’elles prennent faci-
lement ; c’eft pourquoi il ne leur
faut que l'herbe des champs, fur-
tout les racines qu’elles fçavent fi
bien trouver dans le labouré des.
Jachères,
On ne peut donc faire trop d’at-
tention au peu de tems que laifle
la fuppreflion des jachères, pour
bien cultiver le froment.
Voilà pourquoi dans les Pays &
Cantons où la fuppreffion des jachè-
res a lieu ; ce n'eft pas tant le frc=
ment qui en fait le principal objet, ,
que d'autres grains d’'hyver, comme
R
258 MANUEL D’'AGRICULTURE
le colza, la lentille, &c. qui ne
demande pas autant de culture.
III.
De la divifion & du partage des terres
a Jachères.
LES grains d'hyver, & les grains de
Mars fe fément en deux différens
tems, les uns au printems , les au-
tres en automne , avant l'hyver, &
rempliffent chacun deux parties de
terre bien réellement diftinguées
l'une de l’autre ; d’ailleurs les grains
d'hyver exigent qu’on laifle dans le
repos les terres qu'on leur deftine,
depuis le tems qu’elles ont été moif-
fonnées, jufqu’à celui qu’on doit les
enfemencer , pour être feulement
Jabourées & cultivées; ce qui fait
ai moins une année entière, & par-
conféquent une autre partie de terre
POUR LE LABOUREUR. 259
féparée des deux autres, De tout
cela 1l fuit que , fur tous les Terroirs
& corps de Fermes , où les jachères
font obfervées, les terres , qui for-
ment leur contenance , {ont toutes
partagées & divifées en trois can-
tons ou foles, qu’on appelle Jachè-
res, Grains d'hyver & Grains de Mars,
Cette divifon améne néceffaire-
ment quatre conféquences.
1°. Sur le Canton des jachères
d'un Terroir , n'y ayant aucun
grain de Mars , ni aucun grain
d'hyver , & ne devant point y en
avoir , les bêtes blanches peuvent les
parcourir pendant toute l’année,
fans que rien les arrête ; & le Ber-
ger qui les conduit ne feroit nul-
lement refponfable du tort qu’elles
pourroient faire à un grain de Mars
ou à ua grain d'hyver qui s’y ren-
contreroit ; parceque la pâture des
R ij
260 MANUEL D'AGRICULTURE
jachères leur étant deftinée depuis
que l'Agriculture fubfifte , c’eft un
droit immémorial & un avantage
public, auquel aucun particulier ne
peut déroger.
2°. Comme les trois foles, de tous
les terroirs à jachères, ne peuvent
être compofées chacune , que des
pofleffions de différens Propriétai-
res, qu'on appelle Domaines ou Corps
de Ferme ,| ils ont tous néceflaire-
ment la même divifñion & le même
partage que celui de leur terroir,
& c’eft d'où provient la diftribu-
tion des piéces de terre qui les
compofent , ne s’y en trouvant point
dont le Domaine foit réuni, à moins
qu'ils ne faffent terrein abfolument à
part. Cette conformité de divifion ne
peut donc fe déranger ; car, fuppo-
fant que , dans les cantons des grains
de Mars, on laiflàt quelques piéces
POUR LE LABOUREUR. 261
de terre en jachères , comment
pourroit-on aller les labourer & cul-
tiver dans le tems que tout ce qui
les environneroit feroit en verdure,
& a la veille d'être moiffonné ?
Comment, dans tout ce tems, pou-
voir traverier , avec une charrue &
des bêtes de tirage, ces grains de
Mars, fans occafionner des préjudi-
ces confidérables à ceux auxquels
ils appartiennent ? Lesmêmes incon-
véniens fe rencontreroient pareïlle-
ment dans le canton des grains d’hy-
ver, fi on vouloit femer au printems
quelques grains de Mars.
3°. Ces trois foles roulant, pour.
ainfñ dire , fur elles - mêmes, el-
les font chacune fucceffivement en
jachères, en grains d’hyver & en
grains de Mars, fans qu'aucune d’elles
fe rencontre , parceque toutes les
trois , chaque année, font cultivées
Ru
:62 MANUEL D'AGRICULTURE
en différens tems, de façon que
quand l'une eft en jachères, l’autre
eft en grains d'hyver , & la troi-
fiéme fe trouve néceffairement en
grains de Mars. Chaque fole rou-
lant ainfi fur elle-même , on con-
çoit qu'il n'eft pas néceflaire qu'el-
les ayent chacune la même conte-
nance.
4°. Tous lesans, ces trois foles
fe trouvant alternativement en ja-
chères, en grains d’hyver &en grains
de Mars, il n’y en a que deux qui
produifent & qui donnent des récol-
tes tous lesans, & il y en a tou-
jours une troifiéme fur un terroir,
fur un corps de Ferme, qui cha-
que année, ne rapporte rien.
Quoique, par la première de ces
quatre conféquences, on ait décidé
que rien ne devoit arrêter , dans les
jachères, la pâture des bêtes blan-
POUR LE LABOUREUR. 263
ches ; cependant elle ne doit point
empêcher un établifflement de prai-
ries artificielles, qui feroit réparti
fur les trois foles d’un Terroir , ainfi
que fur celles d'un corps de Ferme
qui y feroit fitué , dans le cas qu'il
ne s'y trouveroit pas de prairies na-
turelles , ou qu'il ne s'y entrouveroit
pas aflez; puifque leur établiffement
eft une amélioration dont dépend
abfolument le rétabliflement de l’A-
griculture dans tout le Royaume , &
par-tout où on cultive : leur établif.
fement contribueroit même encore à
mieux nourrir les bêtes blanches lorf-
qu'elles reviennent à la maïfon.
N'y ayant point de loi générale ,
point de droit public fans exception,
celle dont il eft queftion, ne doit
faire aucune difficulté , quand elle
fait encore davantage le bien public.
On a fixé généralement cet éta-
R iv
264 MANUEL D'AGRICULTURE
bliflement, fur tout corps de Ferme,
à environ un huitiéme de fa conte-
nance , & on a fait voir quiln'en
falloit pas davantage pour le bien
renouveller d'’amandement, foit tous
les fix ans , foit tous les neuf ans, en
fuppofant qu'on feroit parvenu à ti-
rer de chaque corps de Ferme, tous
les ans , la quantité de pailles qu'il
pourroit produire, puifqu'elle fait la
plus folide nourriture des beftiaux ,
& qu'elle doit y entrer au moins
pour un tiers, lorfqu'on les nourrit
en fec.
Bien plus , on a fait voir que cet
établiflement de prairies n'iroit pas
même à un huitiéme , & qu'il pour-
roif diminuer de beaucoup , fi on fe
{ervoit du travail de la charrue dans
les terres où il fe trouveroit un fond
faffifant pour pouvoir les renouvel-
ler au befoin, en ajoutant que ce
sh ue bahintie "2 #2, pm pd
nr Sn >
|
|
POUR LE LABOUREUR. 216$
renouvellement de terrein étoit plus
intérefflant que celui de l'engrais.
Ne s’asiffant donc que d'environ
un huitiéme au plus, à prendre fur
la totalité de tout corps de Ferme
ou de tout Domaine, quelque foit
fa contenance , pour faire un éta-
bliffement de prairies fuffant, & ne
s'agiflant que du tiers d'un huitiéme
fur chacune des trois foles qui les
compofent , fuppofant un corps de
Ferme de trois cens arpens, cela ne
fait fur {a totalité, qu'environ trente-
fept à trente-huit, & fur chaque
fole , qu'environ douze à treize ar-
pens , & ainfi de tous les corps de
Ferme ou Domaine, à proportion
de leufr contenance.
Ne s’agiflant de même que d’un
huitiéme fur tout un Terroir, & que
du tiers d'un huitiéme fur chacune
des trois foles qui le compofent ,
266 MANUEL D'AGRICULTURE
en le fuppofant de quinze cents ar-
pens , cela ne fait fur fa totalité
qu'environ cent foixante arpens, &
fur chaque fole qu'environ cinquante
a foixante arpens ; 1l ne s'en trou-
veroit donc pas davantage tous les
ans dans la fole des jachères dudit
Terroir de quinze cents arpens ?
Or , chaque fole d’un Terroir de
quinze cents arpens , étant d'envi-
ron cinq cents, celle des jachères
ayant par conféquent la même con-
tenance , quel tort , quel préjudice
pourroient faire à cette pâture des
bêtes blanches, environ cinquante
à foixante arpens de prairie ?
Encore faut-il, pour y employer
cette quantité, que , fur ce Terroir,
tous ceux qui y auroient des poffef-
fions & des corps de Ferme ,y ayent
chacun établi une prairie dans cette
éxatte proportion qu'on vient de
POUR LE LABOUREUR. 2167
fixer, qui doit fufñre, & qu'on ne
pourroit excéder.
Encore faut-il que, fur ce Ter-
roir , il n'y ait point de renouvelle-
ment de terrein à faire , puifque
cela diminueroit de beaucoup, com-
me on l’a dit, les .établiflemens de
prairies.
Ces établiflemens pouvant fe ré-
duire fur bien des Terroirs à plus
de la moitié, 1l eft, fans difficulté,
qu’ils ne peuvent faire aucun tort à
la pâture des bêtes blanches.
Ainfi ce feroit un bien & un avan-
tage de la plus grande importance ,
pour tout le Royaume, file Con-
feil accordoit un Arrêt qui défen-
dit, fous des peines convenables, à
tout Berger, de conduire des bêtes
blanches dans les établifflemens de
prairies qui fe rencontreroient dans
les jachères,
268 MANUEL D'AGRICULTURE
Il n'y a point de beftiaux qui leur
foient auff nuifibles , parceque la
dent du mouton attaque toujours
“de façon à faire crever les raci-
nes de toutes les plantes, à la dif-
férence du gros bétail, qui n’en
cherche que le verd & les feuilles.
Cet Arrêt feroit d'autant plus né-
ceffaire que prefque tous ceux qui
ont commencé des établiflemens de
prairies pour Île rétabliflement de
leurs terres, n'ont pu les continuer ,
parceque les Bergers ne s’emba-
rafloient point de leurs défenfes,
étant fouvent éxcités par quelques
particuliers, & même par une Com-
munauté, à ne point refpeéter ces
fortes d'établifflemens.
Il y a eu plufieurs procès intentés
a ce fujet , qui ont été différemment
décidés, fuivant que les Juges étoient
plus ou moins inftruits fur l’Agricul-
ture.
{
POUR LE LABOUREUR. 269
Mais , cet Arrêt, qui fimroit tou-
tes les difficultés, n’autoriferoit dans
tout le Royaume ces fortes d’établif-
femens de prairies qu'à condition
qu’ils n’excéderoient point le huitié-
me des terres à jachères qu’on feroit
valoir.
Un pareil Arrèt contribueroit en
bien peu de tems au rétabliffement
de l'Agriculture ; il ranimeroit le
zèle des Cultivateurs qui ne peuvent
ètre que découragés , en voyant
périr leurs établiflemens de prairies,
par la malice des Bergers, fans pou-
voir trop s'y oppofer.
Il eft fi indifpenfable d’accorder
cet Arrêt , que l’Auteur des prairies
artificielles s'étant donné bien des
mouvemens pour établir dans Îa
Champagne les prairies arrificielles,
ayant même fat quelques voyages
dans les terres les plus confidérables
270 MANUEL D'AGRICULTURE
qui y font fituées pour qu’elles don-
naffent des exemples qui pufent en
impofer davantage , il eft arrivé
que , nonobftant qu'il publiât qu'il
n'y avoit que ce moyen dans toute
la Province pour y rétablir l’Agri-
culture , & la faire fleurir dans tou.
tes fes vaftes plaines, on lui a répon-
du par-tout où 1l s’étoit tranfporté ,
qu'on convenoit que le moyen qu'il
propofoit étoit infaillible & aifé à
pratiquer ; mais que les Fermiers ne
vouloient n1 accepter les baux de
vingt-fept ans, qu'on eft aujourd’hui
autorifé à faire , ni confentir à fe
charger des établiflemens de prai-
ries , qu'auparavant on ne füt bien
& duement autorifé à empècher les
Bergers de conduire leurs troupeaux
dans ces prairies artificielles.
Etant donc certain que ces prai-
riesartificielles forment danstous les
POUR LE ÉABOUREUR. 271
Pays à jachères où il ne fe trouve
point de prairies naturelles, une amé-
lioration dont dépend le rétabliffe-
ment des corps de Ferme qui y font
fitués , ne peut-on pas dire que cet
Arrèt viendroit à l'appui de celui
qui a été rendu au Confeil le 8
Avril 1762 , ou du moins à l'appui
de l'exécution de ce qui y eft con-
tenu de plus intéreffant ?
Par cet Arrèt il eft ordonné que
les baux à ferme des biens-fonds,
feront à l'avenir pañés pour un ter-
me au-deflus de neuf ans jufqu'à
vingt-fept, au moyen defquels les
Fermiers feront chargés de défricher,
marner , planter , ou autrement ame-
liorer, en tout ou en partie, les ter-
res comprifes dans lefdits baux, fe-
ront exempts des droits d'infinua-
tion, centiéme ou demi-centiéme
denier , & des droits de francs-
272 MANUEL D'AGRICULTURE
fiefs , fa Majefté dérogeant, &c.
Ne pouvant être contefté que les
établiffemens de prairies ne faflent
la plus folide amélioration qu'on
puifle employer , & qufts ne foient
compris dans cet Arrèt, que devien-
droient-ils, & à quoi ferviroit cet Ar-
rêt , sil n’en furvenoit un fecond
en interprétation, pour défendre à
tous les Bergers d'y occafionner le
moindre préjudice?
Au moyen de ce fecond Arrêt,
qui feroit accordé, les Fermiersn’hé-
fiteroient plus d'accepter les baux
de vingt-fept ans qu'on leur propo-
feroit , ni de fe charger de ces éta-
bliflemens ; autrement lé premier
refteroit fans effet, & n’auroit point
d'exécution, où du moinsil n'en au-
roit que très-peu ; & il n’en réfulte-
roit aucunement le bien qu'on en
attend.
La
POUR LE LABOUREUR. 253
La divifion & le partage des ter-
res à jachères, confftant donc à
établir fur tous les Terroirs & corps
de Ferme où elles font obfervées,
trois foles qui y forment trois Can
tons bien féparés les uns des autres,
& dont l'un, tous les ans , alter-
nativement , ne rapporte rien, 1l
faut convenir qu'il en coûte beau-
coup pour les pratiquer. Ce n’eft
pas encore tout.
On ne peut bien cultiver, com-
me on l’a dit, les terres à Jachères,
qui font fans prairies ,qu'onne pren-
ne fur leur totalité, environ un hui-
hiéme de ce qui les compofe , pour
en faire un étabiifiement.
Or, ce huitiéme ne rapportant
encore aucun grain , il s'enfuit qu'il
s’agit tous les ans d’une diminution
aflez confidérable fur ces fortes de *
terres, pour les bien faire valoir.
S
274 MANUEL D’AGRICULTURE
Voilà ce qui révolte nos Ama-
teurs d'Agriculture , & ce qu'ils ne
peuvent concevoir, parcequ'ils font
fans expérience.
Voilà encore pourquoi ils ne font
aucun cas du plan de culture de
l’'Auteur des Prairies artificielles ,
qui ne traite que du renouvellement
de l’engrais , & nullement de la fup-
preflion des jachères. .
PV.
De l'obfervation générale des Jachères.
A :
&2 UOIQU'IL faille tant facrifier
pour l’obfervation des jachères, &
pour bien cultiver les terres qui y
font aflujetties ; quoique depuis que
l'Agriculture fubfifte , on ait tou-
jours fenti le déchet confidérable
qu'elles occafonnent , encore font-
elles généralement obfervées par-
VOTE ML
POUR LE LABOUREUR. 175
tout où il s'agit de grains d’hyver,
& principalement de la culture du :.
froment.
C’eft ce que nous apprennent tou-
tes les Pratiques locales.
Qu'on lesparcoure dans ce Royau.
me, dans toutes nos Provinces &
dans d’autres Pays & Etats où il eft
aufh queftion de grains d'hyver ,
qu’on les examine bien , on verra
qu'il y en a très-peu où les jachères
fe trouvent fupprimées, & on verra
que leur fupprefion ne fert que
comme d'une exception à une foi
générale.
La raifon en eft bien fimple; c’eft
que deux arpens bien cultivés valent
toujours beaucoup mieux que qua-
tre, fix & même plus, qui ne le
font que médiocrement.
On fe trompe donc bien lourde-
ment, quand on s'attache tant à
S if
276 MANUEL D'AGRICULTURE
la quantité des terres , n’y ayant rien
de fi précieux que leur bonne qua-
lité. |
Il eft vrai que , dans l'obfervation
des jachères, la quantité en fouffre,
mais on y trouve une culture aifée;
les labours fe font dans les tems con-
venables ; les amandemens & leur re-
nouvellement s’exécutent bien, &
on eft bien plus que dédommagé
par le produit confidérable qu’elles
procurent.
Ainfi , en réfléchiffant fur la diffé-
rence des grains de Mars d'avec les
grains d'hyver, qui occafionnent les
jachères par rapport aux deux diffé-
rens tems de les femer, en réfléchif-
fant qu'elles procurent aux bêtes
blanches une pâture qui leur eft fi
néceflaire , ne peut-on pas penfer
que l’Auteur de la Nature n’a ainfi
établi ces deux différens tems de fe-
PCUR LE LABOUREUR. 277
mer, que pour favorifer davantage
la propagation & la multiplication
de ce menu bétail.
Après ie vivre, on ne pent difcon-
venir que rien nintérefle tant les
hommes que leur vêtement qui,
dans notre climat, ne leur provient
principalement que des laines des
bêtes blanches.
Dira-t-on encore après cela qu'il
faudroit une loi en France , qui obli-
geät tous les Propriétaires de cha-
que Terroir de s'arranger entr'eux,
pour pouvoir réumr toutes les pié-
ces de terre de leurs corps de Ferme,
qui font difperfés fur les trois foles
d'un Terroir, à l'effet de pouvoir
fupprimer les jachères? Dira-t-on
encore, qu'on ne peut rien faire de
bien dans l'Agriculture, n1 la réta-
blir , qu’on n'ait obtenu une pareille
loi qui ne tendroit qu'a détruire
S ii
278 MANUEL D'AGRICULTURE
celle que la Nature a fi fagement
établie à
On convient que, dans un pays,
où Canton, dans lequel il fe trou-
ve quelques montagnes ou beau-
coup de terres incultes, elles favori-
fent encore la propagation & ia mul-
tiplication de ce menu bétail , indé-
pendamment des jachères; & que,
quand il ne s'y en trouveroitpoint ,
cela ne lui feroit aucun tort : mais y
a-t-il par-tout des montagnes & des
terres incultes ?
Ve
»
De la fuppreflion des Jachères par Le
renouvellement de Terrein.
LES Pratiques locales, en nous
apprenant ce qui a déterminé géné-
ralement les jachères, nous.appren-
nent encore ce qui a donné lieu de
POUR LE LABOUREUR. 279
les fupprimer dans quelques Pays &
Cantons.
On peut bien s’en rapporter à ce
qu’elles nous enfeignent là-deflus ,
puifque c’eft le meiileur livre d’A-
griculture qu'on puifle confuiter.
Il n’y a que ce livre dans tous les
pays du monde où on cultive , pour
bien apprendre àgouvernerlesterres.
En le confultant donc fur ce qui
a pu déterminer la fupprefñon des
jachères dans quelques Cantons ,
nonobftant l’ufage des grains d’hy-
ver, qui ne fe fément qu'en automne,
on voit que c’eft parceque les ter-
res y font de la meilleure qualité,
qu'elles font aifées à labourer & à
ameublir ; & qu’elles ont un fond
fufifant pour pouvoir être rénouvel-
lées au befoin par le travail de la
charrue.
On y voit même que , faute de
S 1v
28e MANUEL D'AGRICULTURE
trouver dans un terrein ces trois qua:
lités, & fur-tout un fond fufifant, il
n'y a aucune Pratique locale ou il
{oit queftion de les{fupprimer , quand
même on pourroit s'y procurer faci-
lement tous les engrais néceflaires,
par le moyen de la grande quantité
de beftiaux & de prairies qui sy
trouvent naturellement.
Il neft pas difhcile d'en conce-
voir la principale raifon.
Quand on eft en érat de renouvel.
ler un bon terrein, par le travail de
la charrue, ce n’eft plus pour lors la
même terre qu'on fait porter , mais
une nouvelle qu'on lui fuppiée ,
qui s'eft repofée depuis long-tems,
& qui parcanfequent ne dérange
paint l'ordre de la Nature qui ne
veut point qu'une terre qui a déja
travaillé , porte encore, fans avoir
eu auparavant le repos de l'hyver
POUR LE LABOUREUR. 28#
qui lui eft fi néceffaire pour la réta-
blir.
On peut donc conclure que , fui-
vant le Livre des Pratiques locales,
l'engrais ni fon renouvellement fi
fréquent & fi rédoublé qu'il puiffe l’'é-
tre, ne fufffent pas, pour donnerun
fuccès bien afuré à la fuppreffion des
jachères, & que c’eft principalement
au renouvellement de terrein qu'il
faut l’attribuer.
Ainfi , il s’agit de le bien exécu-
ter pour gagner le bénéfice de cette
fupprefion qui ne va pas moins
qu'à mettre tousles ans enproduit &
en rapport, tout ce qu'on fait valoir.
Examinons préfentement les diffé-
rentes façons dont on peut fe fer-
vir pour bien exécuter le renouvel-
lement de terrein.
Dans le Chapitre ds Labours ;
au fujet des terres à jachères , qui
283 MANUEL D'AGRICULTURE
font le principal objet de ce Ma-
nuel, ainfi que de toute l'Agricul-
ture , parcequ'elles font générale-
mens en ufage, ayant été prouvé
que le plus grand moyen de rétablir
celles où il fe trouvoit un fond fuff-
fant étoit d'en renouveller le terrein,
par le travail de la charrue ; comme la
façon de l’exécuter pourroit don-
ner également un grand fuccès à la
fupprefion des jachères dans les ter-
reins qui lui feroient propres , on
n'héfite pas de la répéter, quand
ce ne feroit que pour pouvoir en
mieux faire la comparaïfon avec
d’autres façons de renouvellement,
qui font encore ufitées , dont on va
donner aufi le détail ; on fera même
plus en état de juger de celle qui
fera la meilleure & la plus conve-
nâble à fon terrein.
Cette façon de renouvellement
POUR LE LABOUREUR. 283
confifte , en fe fervant d’une char-
rue à oreille, à faire le premier fil-
lon d'environ quatre à cinq pouces
de fond, & d’en enlever la terre qui
fe renverfe , pour commencer à faire
une élévation, qu’on appelle Roye.
Quand le premier fillon eft ackhe-
vé, on y rentre, en changeant de
côté , avec la main, l'oreille de la
charrue , pour enlever & renverfer
encore autant de terre que la pre-
mière fois, c'eft-à-dire quatre à cinq
pouces qu’on renverfe au moyen
de l'oreille , pour élever au double
la premiere Roye; ce qui ne man-
que pas de doubler auflile creux du
premier fillon.
Ce premier filon ainfi fait, on
pale au fecond qu'on fair en deux
fois comme ci-deffus.
A la première les quatré à cinq
pouces de terre de la fuperñcie ,
284 MANUEL D’AGRICULTURE
qu'onenleve , tombent dans le creux
du premier filon , c’eft-a-dire au
fond.
À la feconde, les quatre à cinq
pouces de terre, qu'on enleve, en-
core, font jettés fur ce qui a été ren-
verié d’abord.
De ce fecond fillon, on pañfe au
troifiéme, toujours avec le même tra-
vail de la charrüe en deux fois ; à
moins qu'on ne veuille, pour avoir
plutôttait, employer deux charrues ,
qui fe fuivent dans le mème fillon ,
dont la feconde enleveroit au-def-
fous de ce que la première enléve.
On pañferoit ainf à tous les autres
fillons qui font à faire dans la piéce
de terre qu’on a entreprife, jufqu'à
ce qu'elle foit achevée d’être labou-
rée.
On doit concevoir qu'au moyen
de ce travail , un terrein eft bien
POUR LE LABOUREUR. 285$
renouvellé, & qu'il eft abfolument
retourné.
Ce terrein fera d'autant mieux
renonvellé, qu'il ne faut qu'environ
quatre pouces de fond de terre
pour faire venir , comme on l’a déja
dit, les produétions de l'Agriculture,
& que ce ne fera plus la même terre
qui portera ; mais une autre nou-
velle qui aura tout le fond nécef-
faire.
Cependant pour donner plus d’eff-
cacité à ce renouvellement, ce n’eft
point aufhtôt que le grain de Mars
aura été moiflonné, qu'il s’agit de
l'exécuter ; 1l convient de s’y pren-
dre de bien plus loin ; c’eft avant
lhyver qui doit précéder le prin-
tems où 1l fera enfemencé, qu’il eft
a propos de commencer , c’eft-
dire vers la faint-Martin: on en a
détaillé les raifons dans le Chapitre
des Labours,
è*
286 MANUEL D'AGRICULTURE
Qu'on n’appréhende pas que le
grain de Mars, qu'on aura femé au
printems fur la nouvelle terre, l’em-
pêche d’être une feconde fois enfe-
mencée avec fuccès, l'automne fui-
vant ; elle réuflira bien mieux que
l'ancienne qui portoit toujours.
On doit fentir ce que c’eft qu’une
nouvelle terre qui peut-être n’a ja-
mais porté , ou qui n'a porté de long-
tems, & qu'en l'occupant ainfi da-
bord par un grain leger, comme ce-
lui d’un grain de Mars, qui ne tra-
vaille pas la terre autant qu'un grain
d'hyver , il ne peut nuire à un fro-
ment & encore moins à un autre
grain d'hyver, fur-tout , fi avant de
l'enfemencer en automne, on a la
précaution d’en labourer le terrein
un peu plus avant qu'il ne l'aura été
lorfqu'on l’a enfemencé en Mars.
Un grain de Mars, anfi employé,
4
Le à
ne
POUR LE LABOUREUR. 283
d’abord dans une nouvelle terre, ne
ferviroit même qu'à la mieux pré-
parer à recevoir un froment , en lui
donnant un peu d'engrais, fi on le
juge néceflaire.
Il eft vrai que, dans cette façon de
renouvellement, il s’agit d’un labour
fait en deux fois , ou fait avec deux
charrues qui fe fuivent , fi on en a
la commodité ou le pouvoir.
Mais ce n’eft que dans une faifon,
où on n’a pas autre chofe à faire,
qu'on doit l’entreprendre pour le
bien exécuter.
Ce double labour , qui ne doit fe
faire que vers la faint-Martin avant
lhyver , peut faire durer pendant
plufeurs années le renouvellement
de terrein qu'il procure , n'étant
queftion après cela , que de faire
le labour à l'ordinaire, c’eft-à-dire à
ralon de quatre à cinq pouces, &
288 MANUEL D'AGRICULTURE
n’y ayant que l'expérience du La-
boureur, qui puifle lui apprendre
quand il faudra en répéter le renou-
veliement.
Ce double labour, qui donne une
terre entièrement nouvelle,a encore
l'avantage d'exiger peu d'engrais, &
de ne l’exiger que dans le cas qu'elle
feroit jugée trop légère & trop fé-
che.
Enfin, fi ce double labour fe trou-
ve bien fait, dans un bon terrein , il
ne fera pas néceffaire d'en rien facri-
fier pour le mettre en prairies artifi-
cielles ; on auroit en piein rapport
fon Domaine entier.
L'autre façon de renouveller un
terrein , demande à la vérité moins
de tems, mais donne plus de pei-
nes , ne rend qu'une terre mêlée
d'ancienne & de nouvelle, & peut
exiger beaucoup d'engrais,
Elle
POUR LE LABOUREUR. 189
« Elle confifte à faire un labour
plus profond qu’à l'ordinaire, c’eft-
ä-dire d’environ fept à huit pouces,
& même plus, fi on le peut, par con-
féquent de trois à quatre pouces
plus qu’on ne le fait communément ;
cette pratique, devant fe répéter à
chaque labour, exige que les for-
ces de tirage foient augmentées
au double. Les productions de l’'A-
griculture n'occupant qu'environ
trois à quatre pouces de la fuper-
ficie de la terre , & ne pénétrant
généralement pas plus avant , à
moins que ce ne foit dans des ter-
reins de la meilleure qualité , on
conçoit que dès que les trois à qua-
tre pouces de plus , que la charrue
raméne , fe mêlangent avec la terre
qui vient de porter ; cela lui rend
de nouveaux fels & de nouveaux
fucs qui peuvent la mettre en état
T
290 MANUEL D'AGRICULTURE
de fupporter la fuppreffion des ja»
chères. |
Il y a des Laboureurs qui ne fon-
çant leur charrue qu'à l'ordinaire,
foit qu'ils manquent de force de ti-
rage, foit quils en jugent inutile
l'augmentation , labourent par plan-
ches d'environ une toife & demie de
largeur , en fe contentant de faire
dans les entre-deux , un petit fofé
d'environ un pied & demi de lar-
geur & de profondeur , pour en jet-
ter la terre fur les planches, qu'ils
répandent enfuite, à l'effet d'en re-
nouveller le terrein ; ce qui pourroit
même s'exécuter encore avec fuccès
fur des terres qui n’auroient qu'un
fond ordinaire , pour tenter d'y fup-
primer les jachères , avec l’attention
de ne pas faire les foffés plus avant
que ce fond, en leur donnant un
peu plus de largeur.
«|
POUR LE LABOUREUR. 208
Quoique ce renouvellement , de
quelque façon qu'on y parvienne,foit
le plus grand moyen dont on puiffe
faire ufage pour parvenir à foutenir.
toujours fur un terrein qui a du,
fond ; la fuppreffion des jachères ;
encore faut-il qu'il foit aifé & facile
à travailler, fuivant ce que nous ap-
prennent encore nos Pratiques loca.
les , parcequ'autrement il ne fe-
roit pas. poffble. de .le faire valoir
comme il convient en fi peu de,
tems, c'eft-à-dire dans l’efpace d’en-
viron deux mois, depuis qu'il au-
roit été moiflonné , jufqu'à ce qu'il
feroit queftion de l’enfemencer : en.
ce cas il feroit beaucoup plus pro-
fitable de le laiffer en jachères, non-
obftant fon fond fufffant , & qu’il
eût même beaucoup de qualité.
. Refte à fçavoir-fi, fur un terrein,
qu: auroit du fond > & quiferoit d'une
Ti
292 MANUEL D'AGRICULTURE
qualité médiocre , quoique très-aifé
à labourer & à ameublir, on pour-
roit fupprimer les jachères avec
fuccès, en fe fervant tous les ans de
beaucoup d'engrais ; c’eft ce qu'on
va examiner dans l'Article fuivant.
VI.
De la fuppreffion des Jachères par Le
renouvellement de l'Engrais.
P'AROISSANT bien décidé par toutes
les Pratiques locales , que la fuppref-
fion des jachères ne doit avoir lieu
que dans les meilleurs terreins qui
fe labourent aifément , & qui ont
principalement un fond fufñfant pour
pouvoir être renouvellé par le tra-
vail de la charrue , ne peut-on pas
én conclure que cette fuppreflion,
fur dés terreins médiocres , quoi-
qu'ayant un fond fufifant, ne peut
réuflir par la feule opération de l’en-
POUR LE LABOUREUR. 29;
grais & de fon renouvellement, fi ré-
pété qu'il puiffe l'être ?
C'eft cependant ce que nos Au-
teurs modernes & nos grands Ama-
teurs de l'Agriculture auront de [a
peine à entendre.
Ils prétendent que la fuppreffion
des jachères, fur tout terrein , foit
qu'il y ait du fond, foit qu'iln’y en ait
pas ; foit qu'il foit d’une bonne ou
médiocre qüalité , aifé ou difficile à
ameublir, eft le meilleur plan de
culture qu'on puifle généralement
propofer pour le rétabliffemenr de
l'Agriculture, pourvu qu’on fe mette
en état d'employer l’engrais & fon
renouvellement , autant de fois qu'il
fera néceffaire.
IL s’agit de fçavoir fi cette préten-
tion peut s'exécuter aufli générale-
ment qu'ils le prétendent.
Il n’y a pourtant pas d'apparence
T üj
294 MANUEL D'AGRICULTURE
que, depuis qu'on cultive , on ait
jamais tenté un pareil fyftème , quoi-
qu'on fefoit toujours apperçu, com-
me aujourd’hui, du déchet confidé-
table qu'occafñonne l’obfervation
des jachères. :
Comment l'auroit-on ofé ? puif-
"que la néceffité de ne femer les grains
d'hyver qu'en automne, & non au
printems , entraine généralement
leur obfervation, vu fur-tout le peu
de tems que donneroit leur fup-
preffion pour bien cultiver avant de
femer , fi non dans le cas qu'un ter-
rein auroit toutes les qualités défi-
gnées ci-deflus.
D'ailleurs l'effet de l'engrais ,com-
me on va le faire voir , ne peut al-
ler jufqu'à fuppléer au dérangement
de l’orire de la Nature , comme
pourroit le faire le renouvellement
de terrein.
POUR LE L'ABOUREUR. 29;
Cependant M. Patullo , fans s’ap-
percevoir qu'il alloit contre les pre-
miers principes de l'Agriculture, n'a
pas héfité de propofer fon grand
fyftème d’herbages & de beftiaux,
pour parvenir à établir générale-
ment fur toutes fortes de terreins ,
indéfiniment, la fupprefion des ja-
chères par le feul moyen des en-
grais, comme sil nétoit queftion
que d'employer leur abondance , &
leur renouvellement pour en tirer,
fans les laifler repofer , autant de ré-
coltes qu’on le voudroit.
Il faut fçavoir que les engrais de
beftiaux , & même que toute autre
éfpéce en général ; à l'exception des
amandemens de terre, ne fervent
qu'à nourrir les fels & les fucs de la
terre, qu'à les fortifier, les rétablir,
& leur donner plus de chaleur &
plus d’aétivité ; ils les multiplient mê-
T'iv
296 MANUEL D'AGRICÜLTURE
me en en reflufcitant une grande
quantité qui, fans leur ufage, refte-
roit dans l'ination.
Mais on ne peut pas dire que l’en-
grais ait l'effet de créer des fels &
des fucs; 1l n'ya que la terre qui
le puifle.
Ce qui le prouve, c’eft qu’il n’a-
git que plus où moins, felon qu'il
entrouve plus où moins ; & que dans
un mauvais terrein , comme le pur
fable, où il ne fe trouve ni fels ni
fucs , il ne peut rien opérer , quel-
que quantité qu'on y employe, &
quelque renouvellement qu’onpuifle
en faite.
Cela étant , toute cette prodr
gieufe quantité d'engrais peut-elle
effeuer ce que nous promet M. Pa-
tullo , puifqu'elle n’agit même bien,
qu'autant qu'elle eft proportionnée
aux {els qu'elle trouve ? Elle ne peut
POUR LE LABOUREUR. 297
donc fervir qu'à épuifer un terrein
qu'on fait trop porter, & qui, à force
d'être encore travaillé par trop de
nourriture & trop d’aétivité, fe trou-
ve, avec le tems, réduit à ne pou.
voir plus poufler que des herbes,
au lieu de continuer à faire fruéti-
fier les femences qu’on lui donne.
On à beau dire que l'alternative
de prairies & de culture , qu’on pro-
pofe de donner aux terres dans le
tems qu'on les amanderoit aufli for-
tement , leur donneroit un repos
qui les remettroit. Quand on l’ac-
corderoit , quoiqu'on püt le con-
tefter , s’enfuivroit-il que, pendant
l'alternative en culture , toutes les
fortes de terreins indéfiniment qui
s'y trouveroient, feroient en état
de porter plufeurs années de fui-
te , & qu'on feroit en état, n'y
ayant point de jachères, de don-
298 MANUEL D'AGRICULTURE
ner tous les ans les labours conve-
nables?
Il y aura toujours fur cela des in-
convémiens qui , indépendamment
de ceux de la trop grande abon-
dance de l’engrais, arrêteront en-
core le fuccès de la fuppreflion des
jachères fur des terreins qui n’au-
roient pas toutes les qualités dont il
eft queftion.
Mais, dira-t-on, il n'y a point de
fuppreflion de jachères , fans que la
terre ne fe repofe tous les deux ans
pendant l'hyver , après avoir donné
deux recoltes de fuite en grains de
Mars & en grains d'hyver, c’eft l’or-
dinaire de ces fortes de terre ; &
cela ne pouvant mème être autre-
ment, comme on le verra ci-après,
y auroit-1l un fi grand inconvénient
d'établir généralement la fupreflion
des jachères fur toute forte de
POUR LE LABOUREUR. 299
terreins indéfiniment, en employant
les engrais de beftiaux d'une facon
plus convenable & plus proportion
nées
Cela feroit beaucoup plus raïfon-
nable : mais, quoiqu’on convienne
qu'une terre fans jachères doit né-
ceffairement fe repofer tousles deux
ans pendant l'hyver, céla n'empêche
pas que deux récoltes de fuite ne
la travaillent extrêmement , & que
ce double travail, qui eft contre
l’ordre de la Nature, ne tende à l’é-
puifer entièrement , nonobftant les
engrais proportionnés qu’on pour-
roit lui donner, s’il n’a pas de fond
fufifamment ,& s’il n’a pas les autres
qualités qu'exigent nos Pratiques
locales.
On le concevra facilement , fi on
veut faire attention, combien il faut
qu'un terrein fournifle de fels & de
300 MANUEL D’AGRICULTURE
fucs , pour pouvoir ainfi , deux fois
de fuite , donner des récoltes fans fe
repofer.
Quand même la grande abondan-
ce d'engrais , que propofe M. Pa-
tullo pourroit faire réuflir, fur toute
forte de terrein, la fuppreffion des
jachères ; encore fon fyftême d’her-
bages & de Beftiaux ne pourroit-il
s'exécuter.
C'eft une maxime , dans l’Asricud-
ture , qui ne fera démentie par au-
cun Cultivateur, qu'on ne doit fixer
la quantité de beftiaux dans un corps
de Ferme , que fur la quantité de
pailles qu'il peut rendre, & non fur
la quantité de prairies qu’on peut
avoir, Ou quon peut fe procurer;
parceque la paille eft la première
nourriture des beftiaux, & qu’elle
rend faines & falutaires toutes les
autres qu'on peut leur donner,
POUR LE LABOUREUR. 307
C'eft-à-dire qu'on ne peut aug-
menter les prairies & les beftiaux
qu'au fur & à mefure que les pail-
les augmentent dans un corps de
Ferme, quand on entreprend de le
mieux faire valoir par les engrais.
Lorfque les beftiaux font nourris
au fec, ce qui dure pendant cinq à
fix mois, qui ne leur donneroit que
des bottes de fain-foin , de trefle,
de luzerne , &c. qui les échauffe-
roient extrèmement , les expoferoit
a des maladies; on en a l'expérience;
toutes ces fortes de nourriture ne leur
étant bonnes & profitables qu'autant
qu'on les entremêle de pailles.
La quantité de beftiaux ne pou-
vant donc fe régler que fur la quantité
de pailles qu'on peut avoir , année
commune , comment M. Patullo a-
t-1l pu propofer de prendre dans un
corps de Ferme de trois cents ar-
302 MANUEL D’AGRICULTURE
pens, les deux tiers de fa conte-
nance pour les mettre entièrement
en prairies , en n'en laiffant qu'un
tiers pour la culture ?
Suivant lui , comme on l'a déja
dit, un bon arpent de fain-foin, &
de luzerne , &c. pouvant nourrir
trois vaches ou trois bœufs , & ré-
fultant de là que les deux tiers de
ce corps de Ferme, mis en herba-
ges, pourroient fournir aflez de pä-
turages , foit en verd , foit en fec,
pour en nourrir environ fix cents ,
#eroit-1l poflible que le troifiéme
tiers , qui fe trouveroit en grains de
Mars & en grains d'hyver , donnût
aflez de pailles & aflez de fourages
pour toute cette prodigieufe quan-
tité de beftiaux ?
Sans faire le calcul de ce que
pourroit produire en pailles ce troi-
fiéme tiers, en le fuppofant dans la
POUR LE LABOUREUR. 303
plus grande valeur, on doit fentir
qu'il n’en fourniroit jamais aflez,
pas même le quart ni le demi-quart
de ce qu'il en faudroit.
Quand on fe contenteroit de met-
tre {eulement en herbages, dans ce
corps de ferme de trois cens arpens,
la partie des jachères, on n’auroit
pas même, à beaucoup près ; encore
aflez de pailies pour tous les: be-
fiaux que cette partie pourroit
nourrir , puifque cela iroit à envi,
ron trois cents ; 1l faudroit donc
les réduire au prorata de ce qu'on
auroit de pailles ?
La partie des jachères devant par
conféquent fe réduire aufh de mé-
me, ne s’enfuit-il pas qu’on ne peut
encore propofer de mettre, feule-
ment toutes les jachères en prairies
artificielles ? Lairuon
Voilà pourquoi M. Patullo n'an-
304 MANUEL D'AGRICULTURE
nonce pas, qu'il ait pratiqué lui-
même le fyftème qu'il propofe: on
n’en eft pas étonné.
11 dit feulement, pour Pappuyer ;
qu'il ne propofe que ce qu'il a vû
pratiquer en Angleterre , & que fon
fyftème y eft regardé comme le
meilleur qu’on puifle fuivre : c’eft-
à cette occafion quil dit n'avoir
point entendu parler de celui de M,
Thull, quoiqu'il foit fi connu en
France ; là deflus on peut l’en croire.
On ne nie cependant point , com-
me on l'a déja fait entendre dans
une note ci-deflus , quil n'ait pu
voir en Angleterre quelques Proprié-
taires, ou Fermiers , mettre en her-
bages jufqu'aux deux tiers de leurs
terres, n’en laiflant en culture que
le troifiéme tiers , pour feulement
nourrir leur ménage ; c'étoit tout
ce qu’on en pouvoit tirer,
Mais
POUR LE LABOUREUR. 30$
Mais 51] eût fait plus d'attention à
cette façon de cultiver ,ilauroit jugé
que ce qui en faifoit Le principal ob-
jet,étoit le commerce desbeftiaux ou
des chevaux, & non celui de grains,
& il n'en auroit pas conclu que
cette façon de cultiver étoit un plan
qu'on pouvoit généralement pro-
pofer pour améliorer & rétablir en
France l'Agriculture.
S'il avoit encore examiné de plus
près ce fyftème d’herbages, il au-
roit vü, que la grande quantité de
beftiaux , que ces fortes de Cuitiva-
teurs avoient ,ne reftoient chez eux,
que dans le tems que duroit le verd ,
pour les vendre enfuite , & en ra-
cheter d’autres au printems.
En ce cas, le tiers de leursterres
qu'ils avoient tousles ans en culture,
pouvoit fournir aflez de pailles, avec
ce quils pouvoient ramañler ou
V
306 MANUEL D'AGRICULTURE
acheter d'ailleurs , pour feulement
faire la litière à tous leurs beftiaux,
putfqu'il n’étoit pas queftion de les
nourrir en fec. |
En Angleterre , le commerce des
beftiaux s'y fait plus qu'ailleurs,
il y eft fort lucratif, par rapport à
la Marine qui et toujours fi confi-
dérable , & qui exige des provifions
immenfes de falaifons.
Cependant la nouveauté de ce
grand fyftème d'herbages, qui en
rempliroit les deux tiers de toutes
les terres de la France , qui inonde-
roit toutes nos Campagnes de va-
ches , de bœufs , de cochons, &c.
& dont même il réfulteroit fi peu de
grains, quil n'y en refteroit feule-
ment pas pour l’approvifionnement
de nos villes, a été ‘fort goûtée de
nos Amateurs ce l'Agriculture.
C'eft un hazard quils ne s'y
POUR LE LABOUREUR. 367
foient pas livrés en plein, & qu'ils
n'ayent pas donné dans cet excès
comme dans un autre qui 4 été fi
bien relevé par un ceïtain Auteur
Ce). Heureufement ils fe font bornés
à en conclure la fuppreflion des ja-
chères fur toute forte de terrein in:
définiment , en les mettarit enz
tièrement en prairies, croyant par-
là beaucoup gagner; & ils ont re:
gardé cette fupprefion générale de
U)
jachères , qui réfultoit du fyfième
de M. Patullo , comme une imven-
tion admirable de fa part, ainfi qué
ces enclos garnis de haies & de
plants d'arbres, qui ont cependant
revolté tous les bons Cultivateurs.
C’eft pourquoi ce plan de fuppref-
fion des jachères , en les mettant en
prairies, eft venu à la mode, & il
(a) L’Auteur du Préfervatif contre l’Agro=
e1ANtEs
Vi
308 MANUEL D'AGRICULTURE
paroït qu'on n'entend pas aujour-
d’hui pratiquer autrement l’Agricul-
ture ; ce qui fait bien voir encore
qu'on eft en France bien éloigné
de la connoitre à fonds.
Mais une mode n’a qu'un tems,
& 1l en fera aflurément de même de
celle-ci, n'étant pas pofible, com-
me on vient de le faire voir, de met-
tre feulement en prairies toute la
partie des jachères d'un corps de
Ferme , qui ne donneroit jamais
aflez de pailles pour les beftiaux
qu'elle pourroit procurer.
En ce cas, tireroit-on aflez d'en-
grais de la partie de terrein qu'on
ne pourroit que mettre en prairies
pour foutenir la fuppreflion des ja-
chères dans un terrein qui auroit à
la vérité un fond fuffifant pour pou-
voir être renouvellé parle travail de
la charrue, qui feroit encore aifé à
#
POUR LE LABOUREUR. 309
abourer & à ameublir, mais qui ne
feroit pas de la meilleure qualité,
& qui ne feroit au contraire que mé-
diocre & légère?
Il faut donc revenir à l'obferva-
tion des jachères , & la regarder
comme le feul plan de culture,
qu'on puifle généralement propo-
fer ; puifque leur fuppreflion exige
abfolument dans un terrein les trois
qualités qu’on vient de détailler, &
qu'il eft fi rare de rencontrer.
Il y vient plus de froment & plus
de bled fur les terres à jachères, que
fur celles qui n'en ont point ; c’eft
un proverbe qui eft généralement
reçu dans toutes les Campagnes ,
parcequ'ils y viennent plus facile-
ment , & qu'ils y réufflent mieux.
Il ne faut pas oublier de dire que
dans toutes les terres qui ne portent
naturellement que des fegles, com-
V üj
310 MANUFL D'AGRICULTURE
me dans la Champagne, ou dans
quelques Cantons des autres Pro-
vinces, qu'on voudra mettre en fro=
ment, en y employant exaétement
le renouvellement de l’engrais , foit
tous les fix ans, foit tous les neuf
ans, on n'y parviendra que par l'ob-
fervation des jachères & jamais au-
trement:
VII,
De la Divijion & du partage des verres
qui font fans Jachères,
FR
À OUTES les terres fans jachères
n’ont que deux foles , c’eft-à dire
deux divifions qui fe trouvent tous
les ans en plein rapport ; quoiqu’on
y employe, comme dans les terres
à jachères, les grains d'hyver &les
grains de Mars.
Voici comme leur culture fe pra:
tique, |
POUR LE LABOUREUR. 311
Après que les grains de Mars ont
été enfemencés au printems dans lu-
ne des deux foles qui font , chacune,
environ la moitié de ce qu'on fait
valoir , & après que la moiïñlon en a
-été faite dans la faifon de l'été , on
feme , l'automne fuivant , les grains
dhyver dans cette même moitié,
après l'avoir préparée par les la-
bours & les amandemens pendant
environ l’efpace de deux mois.
Ces grains d'hyver ne fe récol-
tant que l’année fuivante en plein
été , &, pour cette raifon, la fole dans
laquelle ils font, fe trouvant occupée
au printems, c’eft dans l’autre fole
qui s'eft repofée pendant l'hyver
qu'on feme les grains de Mars, après
la récolte defquels on feme , conmi-
me on l'a dit ci-deflus, les grains d’hy-
ver l'automne fuivant.
” C’eft pourquoi Îles terres , fans
V iv
312 MANUEL D’AGRICULTURE
jachères ne peuvent avoir que deux
foles, à la différence des terres où
elles font obfervées, qui en ont
trois, dont l'une fe repofe tous les
ans alternativement , & qui forment
chacune environ le tiers de ce qu'on
fait valoir.
Ces deux foles, qui n’ont lieu que
dans les terres fans jachères, après
avoir donné chacune tous les ans
alternativement deux récoltes de
fuite en grains de Mars & en grains
d'hyver, fe repofent de même auf
alternativement , chacune, l'hyver
fuivant pour reprendre leur force &
pour fe rétablir , à la différence des
terres où elles font obfervées, qui
à chaque récolte qu'elles donnent,
foit en grains de Mars, foit en grains
d'hyver, fe repofent pendant lhy-
ver.
Ne pouvant donc fe trouver que
POUR LE LABOUREUR. 313
deux foles dans tous les Pays &
Cantons , fur tous les Terroirs &
corps de Ferme où il n’eft pas que-
ftion de jachères , ils’enfuit que les
bêtes blanches ne peuvent y pâ-
turer que depuis la moiïflon juf-
qu'au printems , & que pour lors
tout pâturage des champs leur eft
interdit.
Auffi toutes ces fortes de terres
ne favorifent-elles pas à beaucoup
près autant la multiplication des bè-
tes blanches , que celles où elles
font obfervées , qui leur donnent
une fole entière pour leur pâturage
pendant toute l'année.
Les bêtes blanches pouvant du
moins aller pâturer depuis la moif-
fon jufqu'au printems dans les ter-
res fans jachères, un Fermier, un
Propriétaire même, ne doit donc pas
interrompre ce pâturage par un
314 MANUEL D’AGRICULTURE
grain d’hyver, qu'il lui prendroit fan-
taifie de femer dans ce quieft re-
fervé pour n'être enfemencé qu’en
Mars. |
Ce pâturage étant abfolument ur
droit public comme celui qui réfulte
de l’obfervation des jachères, & qui
eft même encore plus précieux, puif-
qu'il eft bien moins confidérable que
Fautre , il s'enfuit aufh qu'un Ber-
ger ne feroit point répréhenfble, fi
fes bêtes blanches faifoient du tort à
ce grain d'hyver, qui dérangeroit
Fordre du terroir.
Ce ne feroit donc que dans le cas
d'une prairie artificielle , dont on
auroit befoin pour mieux foutenir la
fuppreflion des jachères dans quel-
ques piéces de terre qu'on pourroit
interrompre ce pâturage , laquelle ,
fe prenant fur les deux foles, ne
pourroit pas, comme dans les terres
POUR LE LABOUREUR. 315$
a jachères , excéder le huitiéme des
terres qu'on feroit valoir , puifque la
fappreflion des jachères doit s’éta-
blir plutôt par le renouvellement de
terrein que par celui de l’engräis.
Les terroirs fans jachères , ou
plutôt les deux foles qui les divifent,
ne peuvent donc porter trois an-
nées de fuite , & il faut qu'après deux
récoltes fuivies elles fe repofent
chacune, alternativement, pendant
l'hyver , pour recommencer enfuite
a porter & à être enfemencées en
grains de Mars.
_ I doit en être ainfi des Domai-
nes & corps de Ferme qui font
{ur ces fortes de terroir , qui ne peu-
vent de même porter troisannées de
fuite ; puifque , compofant leur con-
tenance , ils ne peuvent avoir d’au-
tres divifions que celle de leur ter-
Foir,
316 MANUEL D’AGRICULTURE
Quand mème un corps de Ferme
feroit réuni , quand tout ce qui le
compofe ne feroit point difperfé , &
quand il feroit un terrein féparé de
‘fon terroir , n’y étant pas queftion
d'obfervation de jachères , on ne
pourroit aufi faire porter trois fois
de fuite l'une des deux foles, qui
en feroit la diviñon & le partage ;
parceque , devant être alternative-
ment en grains de Mars & en grains
d'yver, cela ne fe rencontreroit
plus. Il réfulteroit delà que dans la
mème année on auroit deux récol-
tes de grains d’hyver.
Il eft vrai qu'une récolte de grains
de Mars ne vaut pas une récolte de
grains d'hyver; mais par la fuite on
s'y trouveroit bien trompé; puifque
forçant ainfi un terrein par trois
récoltes de fuite, fans lui donner le
epos de l’hyver; ce feroit l'épui-
fer abfolument.
POUR LE LABOUREUR. 317
C'eft déja un aflez grand effort
que de le faire porter deux fois de
fuite , encore ne peut-on y parve=
nir qu'en le renouvellant par le tra-
vail de la charrue: mais ce renou-
vellement ne peut avoir lieu qu'une
fois ; puiique pour lopérer ; s’agif-
{ant de trouver une nouvelleterre,
1! n’eft pas poffible d’en trouver en-
core une autre pour le recommen-
cer ?
Quand on la trouveroit , ce qui
ne pourroit arriver qu'en faifant re-
venir, par ie travail de la charrue,
celle qui portoit l’année précédente,
qui auroit toujours travaillé aupara-
vant, & qui pourroit abfolument
fouffrir une troifiéme récolte, par-
cequ'elle s’eft repofée affez long-
tems, encore ne feroit-il pas à pro-
pos de s’en fervir.
Un Laboureur , un Cultivateur ne
318 MANUEL D'AGRICULTURE
peut fe pañler tous les ans de re-
cueillir des grains de Mars pour la
nourriture & l'entretien de fon mé-
nage ; 1l femble que cela ne coute
rien quand on recueille , & cela fait
toujours plus de plaïfr que de l’a-
cheter.
D'ailleurs, 1l en coute du teéms &
bien de la peine pour renouveller
un terrein : on a dû le fentir, quand
on a détaillé ce qu'il falloit faire pour
y parvenir , & c’eft une chofe qui
ne peut bien s’exécuter, qu'en s'Y
prenant de loin , comme on l’a déja
dit, c'eft-à-dire qu'en s’y prenant
vers la faint-Martin, avant lhy+
ver:
Or cela ne fe pourroit au fecond
renouvellement , puifque , vers la
faint-Martin, le grain d’hyver, après
lequel on voudroit en faire venir un
autre, occuperoit déja pour lors le
POUR LE LABOUREUR. 31%
- terrein qu’on voudroit faire porter
trois fois ; ilne pourroit donc fe faire
qu'auffitôt qu'il auroit été moiflonné.
Il eft bien difficile de faire porter
avec fuccès trois fois de fuite la mê-
me terre qu'on ne feroit point re-
pofer pendant un hyver , fans la dé-
grader & l’épuifer ; la reflource de
l'engrais ne feroit que très-foible par
les raifons qu'on en a déja données,
& 1l ne pourroit qu’en réfulter tou-
jours bien des inconvéniens.
VIIL
Comment un Laboureur doit fe conduire
en tout pays , par rapport aux
Jachères.
ÎuEs jachères fervant à donner
plus de fuccès aux femences de
grains d'hyver, fur-tout à celles du
froment ,1l s’agit de la part de tout
320 MANUEL D'AGRICULTURE
Cultivateur , de fçavoir quand il
convient de les obferver ou de les
fupprimer. Cependant , quand le
Domaire ou le corps de Ferme,
qu'il fait valoir , fat partie du
Terroir fur lequel il eft fitué , &
quand les piéces de terre , qui le
compofent, font répandues fur les
foles qui forment fa contenance,
foit qu'on y obferve les jachères,
foit qu'on ne les y obferve pas, il ne
peut faire autrement que de fe con-
former à la diviñion de fon Terroir.
On en a dit les raifons, & on a fait
voir les inconvéniens qui en réfulte-
roient, s'il en agifloit autrement.
On lui a encore fait voir que dans
le casque fon corps de Ferme feroit
réuni, & feroit terrein à part, iln’a
point d’autres principes à fuivre que
ceux qu'on vient de lui donner,
foit pour y obferver, foit pour y
fupprimer
POUR LE LABOUREUR. 321
fipprimer les jachères , en faifant
attention que , quand il s’agit de les
fupprimer , il ne le peut qu’aux con-
ditions qu’on a prefcrites.
Il eff fi néceflaire de s’y confor-
mer que, quand dans un corps de
Ferme qui fait terrein à part, con-
tre l’ufage qui y eft établi d’y ob-
ferver les jachères, un Fermier
avide , qui n'a pas. envie de recom.
mencer fon bail, parcequ'il a en vue
une autre Ferme qui lui feroit plus
convenable, s'avife cependant de
les fupprimer , en faifant porter fes
terres plufñeurs années de fuite , ou
du moins une bonne partie; il en
arrive que le Fermier qui lui fuccé-
de , ne peut réuffir, attendu qu'il les
trouve épuifées.
Quelquefois même ce défordre
n'arrive que les dernières années
x.
322 MANUEL D'AGRICULTUrE
d’un bail ; mais la Ferme n'en eff
pas moins ruinée.
Ces fortes de défordres qui n’ar-
rivent que trop fouvent , font telle-
ment à craindre, que dans tous les
baux & même les plus anciens, 1l
eft toujours d'ufage d'y inférer [a
claufe de ne point defloiler les ter-
res,&c. Tantil eff vrai que la fuppref-
fon des jachères n'a jamais fait dans
l'Agriculture qu'un cas particulier !
Mais cetre claufe n'arrête aucu-
nement les Fermiers mal intention-
nés, voyant que leurs Propriétaires
font fi peu inftruits de l'Agriculture,
& que même ils croiroient déroger ,
s'ils fe rabbaifloient jufqu’à porter
une autre attention {ur leurs Fermes,
que celle d’en tirer le revenu.
_ On fe flatte cependant que le
Manuel qu'ils trouveront ici pour
POUR LE LABOUREUR. 323
eux, qui fera la feconde partie de
cet Ouvrage, leur ouvrira enfin les
yeux. |
| IX:
C onclufion,
Avant donc fait vir jufqu’où
peuvent s'étendre les divifions qui
doivent fe pratiquer , tant dans les
terres à Jachéres, que dans celles
qui nen ont point, par rapport aux
grains d’hyver & aux grains de Mars,
qui généralement font d'ufage par-
tout où on cultive , & quelles font
les. différentes cultures qui s’enfui-
vent: ce Manuel! qui eft fait pour
nos Laboureurs de France a l'effet de
les retirer de leurs routinés, ne peut-
il pas fervir également dans tous les
Etats des Souverains de l'Europe ;
puifque par-tout l'Aori uliure ne
peut avoir que les es princi-
Xi
324 MANUEL D'AGRICULTURE
pes , qui ne peuvent réfulter que de
toutes les Pratiques locales du mon-
de entier.
Si dans toutes les terres de leur
dépendance, fi à chaque Domaine
& à chaque corps de Ferme qui
s'y trouve , où la Nature n’a pas
donné de prairies on n’en a pas
donné aflez, on y en établifloit d’ar-
tificielles , proportionnément à la
quantité de terres dont ils feroient
gompofés , & comme il a été réglé
ci deflus ; fi on fçavoit manier par
le travail de la charrue, un bon ter-
rein qui a du fond, & fi on fçavoit
encore bien régler le renouvelle-
ment de l’engrais; les femences dont
on vatraiter ci-après ne pourroient.
qu'avoir par-tout un plein fuccès ;
& tous les Souverains tireroient de
l'Agriculture des richefles qui leur
feroient beäucoup plus profitables
POUR LE LABOUREUR. 315
que celles qui leur viennent du Pé-
rou & de tout le ecommerce des
Indes.
QUATRIÈME SECTION.
De l'opération des Semences.
0 E n’eft pas aflez à un Laboureur
de bien travaiiler fes terres, de ies
bien fouiller, de les bien aman-
der, &c. Il doit encore , conformé-
ment à ce que fui apprend fa Prati-
que locale , donner toute fon atten-
tion à fes femences, s’il veut avoir
de bonnes récoltes.
Quoique l'Agriculture en fafle
ufage de beaucoup , on ne s’éten-
dra que fur celle du froment, qui
fait fon principal objet.
Les femences qu’elle employe,
font appellées grains d'hyver &
grains de Mars ; on en a déja parlé
X 14
3126 MANUEL D'AGRICULTURE
dans la Seétion des jachères, & elles
y font détaillées,
_ On met encore au nombre des
femences de l'Agriculture , le fain-
foin , la luzerne , le tréfle , &c. pour
faire des prairies artificielles, & qui
exiftant plufieurs années, font ap-
pellées plantes vivaces, à la diffé-
rence des grains de Mars & des
grains d'hyver, qui ne font que des
plantes annuelles.
Pour faire réuffir la-femence du
froment,, il y a bien des précautions
a prendre : il s’agit,
1°. De s’en procurer la meilleure
qualité,
2°, De la préferver de la bruine,
3°. De la fortifier par des lotions
ou leffives pour la garantir des in-
fetes, pour en dilater tous les ger-
mes , & pour la faire mieux taler &e
multiplier,
POUR LE LABOUREUR. 327
4°. De bien proportionner fa
quantité à la qualité du terrein fur
lequel on la féme ; de la jetter &
répandre également ; de la bien
couvrir pour la garantir encore des
oifeaux ; enfin, de ne pas manquer de
la femer en tems convenable,
LE
L
Corment fe procurer la merlleure qualité
de Froment.
“A Laboureur obfervera de met-
tre de côté tous les ans dans fa gran-
ge, les meilleures serbes de fa récol-
te; c'eft-a-dire celles qui provien-
nent du Canton de fa Ferme, qui
Jui a paru le meilleur & le plus mür:
on le bat légèrement , en ne lui don-
nant que deux à trois coups de fléau,
pour n'en tirer que le grain le plus
mûr, qui eft toujours celui qui fe
X 1v
3:18 MANUEL D'AGRICULTURE
détache le plus facilement de lépi.
Il obfervera encore de changer de
femence tous les deux ou trois ans.
Si dans l’étendue de fon corps de
Ferme , il fe trouve des cantons d’u-
ne qualité de terre oppofée , 1l en
changeraréciproquement les femen-
ces; ce qui ne laïfle pas que de réuf-
fir ; mais la meilleure façon d'en
changer , c’eft de fe fervir d’un fro-
ment qui provienne de quelques .
Cantons éloignés.
En général, toutes les femences
aiment à changer d’air & de terrein;
parceque la diverfité leur plait ,
aufll en réfuite-t-il de très-grands
avantages.
L'Auteur des Prairies artificielles
qui, dans le tems qu'il faifoit valoir
fa terre, ne regardoit tous les ans
toutes fes opérations que comme des
épreuves , ayant pendant quelques
POUR LE LABOUREUR. 329
années femé le froment qui prove-
noit de fa terre dans la moitié d'une
même piéce de terre, tandis que
l'autre moitié étoit femée avec un
autre froment qu'il tiroit de dix à
douze lieues, il avoit la fatisfa@ion
de voir une différence de récolte
qui le furprenoit. Tant il eft vrai que
le changement de femence , loin
d'être à négliger , eft d’une extrême
importance !
Il n’y a point de Laboureur qui
ne puifle l’exécuter, fans même qu'il
lui en coûte rien; parcequ'en ven-
dant celui qu'il a recueilli, ilachéte
au même prix un froment d’un Can-
ton éloigné : en tout cas il ne pour-
roit être que bien dédommagé du
furplus qu'il pourroit ajoûter.
at.
IN
330 MANUEL D’AGRICULTURE
IL.
De la Bruine & de fa veritable canfe,
LE quelque bonne qualité que
paroiïfle un froment , il faut tra-
vailler à le préferver d'une maladie
qu'on appelle Bruine, à laquelle 1l
eft très-fujet , & qui lui fait un tort
très-confidérable.
Cette maladie eft la pefte des
fromens; elle en diminue beaucoup
le-prix & encore la quantité , juf-
qu'à la réduire quelquefois à la moi-
tié ; elle ne donne toujours qu'une
paille noire , qui désoûte les che-
vaux & les beftiaux.
Les épis de froment, qui enfont
infeétes , font remplis d’une pouffère
noire très-puante , au lieu de con-
tenir une farine blanche.
Quand on bat à la grange des
POUR LE LABOUREUR. 331
gerbes remplies de ces mauvais épis,
la pouffière qui s'en exhale, s’atrache
aux poils qui fe trouvent à l’extre-
mité de tous les autres grains qui
font fains, de façon que tout le bled,
qui eft battu, s’en trouve attaqué, &
que le pain qui en provient eft tou-
jours noir,
Si on veut corriger ce défaut on
lave le bled avant de Le faire moudre;
mais la farine n'en eft plus ni fi
bonne n1 fi ferme , & ne renfle plus
auf bien qu’elle auroit pu le faire
auparavant.
Comme ce lavage occafionie un
certain déchet, ily en a qui préfè-
rent de laifler le grain tel qu'il eft;
parceque le noir qu'il a contraëté ,
n'en change point le goût, quoique
la couleur du pan foit défagréable à
la vue.
On connoit ces épis bruinés avant
332 MANUEL D'AGRICULTURE
la moiflon , à leur couleur verte,
brune & un peu blanchätre , c’eft
auffitôt que la fleur eft pañlée qu’on
les apperçoit.
Il y a encore une autre maladie
qui arrive moins fouvent aux fro-
mens, & qui caufe encore bien du
dégât ; on l'appelle Miele.
C'eft une efpéce de rouille qui
s'attache à leurs tiges, lorfqu'ils font
prèts à mürir, & qui a l’effet d’em-
pècher de groflir les grains qui font
contenus dans l’épi, de façon qu'ils
s'y defféchent, & qu'y reftant très-
menus, ils ne contiennent prefque
point de farine.
Cet accident provient de la trop
grande ardeur des rayons du foleil,
quand ils furviennent trop fubite-
ment après un brouillard, une ro-
fée & mème une pluie, avant que
la tige ait eu le tems de fécher : on
POUR LE LABOUREUR. 333
ne peut y remédier , quoiqu'on en
connoiïfle la caufe.
Il n’en eft pas de même de la brui-
ne dont on peut garantir le fro-
ment. Il s’agit de voir quelle en eft
la caufe, & ce qu’on peut faire pour
s'en préferver.
L'opération eft fimple ; elle ne
confifte qu’à tremper le froment dans
une eau tiéde , en le remuant forte-
ment plufieurs fois en tous fens avec
un bâton, & écumant chaque fois
avec un écumoir, tous les grains
qui furnagent ; on répéte cette opé-
ration juiqu'a ce qu'il n'en furnage
plus.
Or, tousles grains qui furnagent;
ne peuvent être que de faux grains
qui, n'ayant pas la plénitude & la
pefanteur des grains qui font murs
& fains , doivent naturellement re-
venir au-deflus de l’eau.
334 MANUEL D'AGRICULTURE
Ce qui prouve que c'eft le meil-
leur expédient qu'on puuiffe em-
ployer, c’eft qu’on a l'expérience
que, quand on ne féme qu'un grain
bien mûr & bien net, qui ne pro-
Yient que des meilleures gerbes, fur
lefquelles on n’a donné que quelques
coups de fleau, on eft exempt de la
bruine. |
I! paroït donc que cette maladie
ne provient que de la foiblefle &
de l’imperfettion de Ia femence,
c’eft-a-dire de fon défaut de matu-
rité , ou de quelque altération.
Cependant om obferve que cette
caufe de la bruine agit plus ou moins,
füivant qu'il furvient plus ou moins
de brouillards ou de fraîcheurs , lorf-
que le froment eft en fleur ; parce
que quand le rems eft pour lors favo-
rable , ilarrive qu'une partie de ces
grains foibles & imparfaits réufif
fent quelquefois.
POUR LE LABOUREUR. 33$
Mais il paroït qu'on ne doit pas
abfolument attribuer la caufe de la
bruine , ni à ces browillards, n1 à
ces fraicheurs , parcequ'on a l’expé-
rience que, nonobftant ces contre-
tems , le froment réuflit toujours,
lorfqu'on a pris les précautions qu’on
vient de détailler.
Comme il peut fe glifler de faux
grains, lorfqu'on fe contente de
faire battre légèrement des gerbes
choiïfies , on fera mieux d’ajouter
Vopération de l'eau tiéde , parce-
qu'on fera bien afluré qu'il n’y en
reftera point.
Auflitôt que le fromert eft retiré
de cette eau, on a l'attention, pour
le faire fécher , de jetter deflus une
quantité raifonnable de chaux vive,
bien fondue, & bien réduite en pouf.
fière, qui fert à le fortifier & à le
faire germer plus vite.
336MANUEL D'AGRICULTURE
Pour bien faire cette opération
de l’eau tiéde, il faut que ce foit en
petite quantité, chaque fois d’envi-
ron un boiffeau, ou deux tout au plus,
nonobftant la quantité de froment
qu'on auroit à femer; l'opération en
fera plus exacte.
L'Auteur des Prairies artificielles
qui a fait valoir fa terre pendant
trente ans n'a été exemt de la bruine
que quandila été inftruit de ce qu’on
vient de détailler ; cependant il
avoit employé auparavant toutes
les lotions qui pañloient pour ètre
les meilleures , comme celles qui
fe font avec le falpêtre , avec le
verd-de-eris, avec l'eau de fumier
compofée , & mème avec l'urine
des beftiaux & les meilleures cen-
dres de bois de chêne, en obfer-
vant très-fcrupuleufement de ne
point fe fervir de çelles qui prove-
noient
POUR LE LABOUREUR. 337
noient de bois flotté: cette derniere
expérience , quil avoit faite avec
plus de confiance que les autres, ne
lui a pas mieux réuff.
Il avoit encore lù tout ce aw’on
a écrit pour parvenir à connoitre la
caufe de cette maladie & pour en
découvrir le reméde fpécifique.
Mais, n'ayant rien trouvé qui l'ait
pu fatisfaire, & fes récoltes conti-
nuant toujours à en être infectées ,
il s’eft enfin déterminé à confulter
lesgens du métier, c’eft-à-dire quel-
ques anciens Laboureurs.
I! a été furpris bien agréablement
d'en trouver un qui lui dit bien afir-
mativement qu'il n’avoit jamais eu
de bruine , & qu'il étoit afluré de
n’en jamais avoir , fans même chan-
ger de femences ; parceque l’expé-
rience lui en avoit fait connoître &
Ja canfe & le reméde,
*
338 MANUEL D’AGRICULTURE
Cet habile Laboureur ayant fait
part de ce qui eft rapporté ci-deflus
avec un bon fens admirable , on va
donner le détail des expériences
qui en ont été faites pour s’aflurer
davantage de cette pratique.
La première année que ledit Au-
teur a fait ufage du froment qui pro-
venoit de l'opération de l’eau tiéde,
il a femé en même-tems pareille
quantité de froment , préparé feule-
ment avec une lotion ordinaire.
Il a eu la fatisfaétion de voir
qu'il n’y avoit de la bruine que dans
la feconde partie, & que dans l’au-
tre il n’y en avoit point.
Non content de cette première
expérience , afin de s’aflurer davan-
tage que la caufe de la bruine ne
provenoit que de faux grains , & de
grains viciés & altérés ; & pour s’af-
furer encore que le plus sûr moyen
POUR LE L'ABOUREUR. 339
d'y remédier, confiftoit à les retirer
& à n’en point femer , il fit l'année
fuivante une autre expérience , qui
a été de femer dans une même piéce
de terre, en pareille quantité, trois
parties de froment.
Sçavoir , une partie bien exaéte-
ment pañlée par l'opération de l’eau
tiéde.
Une autre qui ne l’étoit pas, &
qui ne provenoit que de gerbes
choifies, légèrement battues.
Et une troifiéme partie qui n’étoit
compofée que de froment, ni choifi,
ni pañlé par l’eau tiéde ; mais feule-
ment préparé avec une lotion ordi-
naire.
A la récolte , il n’a apperçu de la
Pruine que dans la troifiéme partie,
& n’en a jamais trouvé dans les deux
autres,quoiqu'ilaitrépété cette même
expérience pendant plufieurs années.
| V1}
_
340 MANUEL D’AGRICULTURE
Si cet Auteur n’avoit pas été char-
gé des affaires de la ville de Reims ,à
Paris, en qualité de Député , dans le
tems que l’Académie de Bourdeaux a
propolé un prix fur la caufe de la
bruine & fur ce qui pouvoit yremé-
dier ,1ln’auroit pas manqué de fe met-
tre du nombre des concurrens; ilen
avoit même écrit, avant d'être char-
gé de cette députation , au Secré-
taire de cette Académie , qui a bien
voulu lhonorer de fa réponfe.
Mais , pendant tout ce tems, 1la
été occupé à folliciter l'exécution
des projets , ‘qu'il avoit feul imaginés
& dreflés, pour obtenir en faveur
de fa patrie , qui eft la Ville du Sa-
cre de nos Rois, l'honneur d'y éri-
ger le monument de Sa Majefté.(4)
(a) C'eft à fa follicitation , foutenue de la
protection de M. le Marquis de Puizieux , Mi-
niftre & Secrétaire d'Etat, pour lors, des affai-
POUR LE LABOUREUR. 341
Il faut convenir qu'il a été bien
malheureux jufqu'a préfent pour
l'Agriculture , que , parmi nos La-
res étrangères , & de l'avis favorable de M. de
Saint-Conteft de la Chataigneraye, Intendant
de fa Généralité de Champagne, qu'il a été ac-
cordé pour le commencement de cette exécution
la fomme de fix cents mille livres, à prendre en
plufieurs années fur la partie des Oftrois de la-
dite Ville, qui appartient au Roi. Avec les mêmes
protections , il a encore obtenu dansle même
tems fur La même partie des O&rois , la fomme
de cent quatre-vingt mille livres, pour conti-
nuer le bel établiffement des Fontaines qu’a-
voit commencé le célébre Abbé Godinot, Cha-
noine de ladite Ville. IL a fini heureufement
fa Députation par le Traité qu'il a dreffé &
conclu pour ce monument, avec le fameux
Sculpteur (M. Pigall) fi connu par le chef-
d'œuvre du maufolée du Maréchal de Saxe ,
& par d’autres ouvrages qui, comme le: dit
M. de Voltaire, auroient été mis au nombre
des plus beaux & des plus rares morceaux de
l'Antiquité fi on les avoit trouvés fous quel-
ques ruines anciennes. Le Confeil Municipal
de la Ville de Reims avoit pour lors: un digne
Chef & un grand Citoyen, en la perfonne de
Y üi
342 MANUEL D'AGRICULTURE
boureurs intelligens , qui ont toute
lexpérience pofble , il ne s’en foit
pas encore trouvé qui ayent pu met-
tre fur le papier les réfléxions inté-
M. Rogier , Confeiller en la Cour des Mon-
noyes , qui, ayant fenti combien tous ces pro-
jets illuftreroient fa Patrie, les a adoptés, &
a employé tont fon zèle pour les faire agréer
des Magiftrats qui compoloient ce Confeil.
11 a fait de grandes libéralités à fa Patrie; l’a-
mour qu'il avoit pour les ralens & les beaux
Arts, l’a encore dérerminé à perpétuer , par une
fondation de prix confidérables, les écoles de
Mathématiques & de Deffeins, qu’avoit établies
M. de Pouilly , fon Prédéceffeur , avec qui il
étoit d'autant plus lié, qu'il trouvoit , dans ce
grand homme , le même goût & le même
amour pour faire germer les talens de fes Con-
citoyens , & pour enrichir fa Patrie de Monu-
mens utiles. Ce M. de Pouilly , de l’Académie
des Infcriptions , avoit quitté, au regret des
Sçavants, la ville de Paris, où il avoit beau-
coup d'amis & de réputation : 1l s'eft enfin
diftingué par l'excellent ouvrage de la Théorie
des Sentimens agréables , que la République
des Lettres a fi bien reçue.
POUR LE LABOUREUR. 343
reflantes que la Pratique leur avoit
fait faire; c'eft ce qui a donné tout
l'avantage apparent à ceux qui ont
ofé écrire fur cet Art, mais d’après
de fimples fpéculations.
ITI.
Lotion \ ou Leffive éprouvée , pour
fortifier le froment, &c.
UN Laboureur ne doit pas fe con-
tenter que fon froment foit exemt
de la bruine , il doit fonger encore
à fortifier fa femence , par de bon-
nes lotions ou leffives pour la mieux
faire taller & multiplier, puifqu’elle
contient une fi grande quantité de
germes , & fur-tout pour la garan-
tir des infeétes qui, la rongeant plus
ou moins, en font manquer beau-
coup , ou en altèrent une partie, de
façon qu'ils peuvent bien auffi oc-
cafionner Ja bruine.
| Y iv
344 MANUEL D'AGRICULTURE
On peut dire que toutes les lo-
tons font bonnes, quoiqu'il y en ait
de meilleures les unes que les au-
tres, mais , quelque bonnes qu’elles
puiflent être, il ne faut pas croire
qu'en garantiflant le froment de ces
infeétes., elles foient fuffifantes pour
Ôter toute caufe de bruines ; fur
quoi on ne peut compter qu'aupa-
ravant , comme on l’a démontré ci-
deflus , on n’ait retiré de la femence
qu'on veut employer , tous les faux
grains qui peuvent s'y trouver , par
le moyen de l'opération de l'eau
tiéde , dont on vient de parler.
Tout ce qu'on peut donc con-
clure de lufage de ces lotions, à
l'égard de la bruine , c'eft qu'on ne
peut mieux faire que de les ajoû-
ter à cette opération, pour être plus.
afluré d'en être exempt à caufe des
infectes.
POUR LE LABOUREUR, 345
I! eft bon de dire encore que fans
la précaution de cette opération, 1l
ne faut pas croire qu'aucune lotion
ou leflive , quelque bonne qu’elle
puifle ètre foit généralement fuf-
fante parcequ'elle aura réufli fur
quelques terreins.
11 y a bien des attentions à appor-
ter fur leurs diverfités qui convien-
nent plus où moins aux froments,
ou qui leur font plus où moins pro-
pres.
Il ÿ en a encore beaucoup à faire
fur les qualités des femences, qui
peuvent plus ou moins contenir de
ces faux grains , & qui peuvent
même n’en point contenir.
Dans la Picardie , par exemple ;
qui eft un bon pays à froment, où
il fe plait, & où on ne féme des
fégles que pour avoir des liens, il
eft certain que la bruine n’y a pas
346 MANUEL D'AGRICULTURE
lieu auf fréquemment que dans
d’autres Provinces ou Cantons où,
les terres étant féches & légères ,
l’on ne fait venir du froment , au lieu
de fégle , qu'à force d’engrais.
Dans ces fortes de terreins qui
conviennent plutôt aux fégles, les
fromens n’y viennent pas auffi bien à
leur perfeétion qu’en Picardie ; il sy
trouve plus d’altération & plus de
faux grains ; ils y font plus fujets à
la bruine.
Ainfi lorfqu'on employe en Pi-
cardie , ou dans d’autres bons pays
à froment, ces lotions ou leflives,
fans avoir fait auparavant l'opéra-
tion dont il s’agit, 1l ne fera pas
étonnant qu'on ne voye point de
bruine dans ce qu'on aura femé ;
parceque dans ces fortes de bons
pays ; les récoltes s’y trouvant géné-
ralement d'une bonne qualité, 1l n’y
POUR LE L'ABOUREUR. 347
a point ordinairement de faux grains
dans les femences qui en provien-
nent comme dans celles qui vien-
nent des terres féches & légères,
qui ne font pas fi propres au froment,
& où ces fortes de lotions, fi aflu-
rées qu'on le dife , ne fuflifent pas
pour les exempter de la bruine , fi-
non dans quelques années favora-
bles , ainfi qu'on l’a déja dit.
Après cela pourra-t-on regarder
comme fi merveilleufe cette lotion
particulière , qu'on a annoncée avec
tant d’emphafe , fans cependant dé-
terminer la caufe de la bruine ; &
pourra-t-on encore ÿ avoir une auff
grande confiance ?
Quand on veut rendre générales
des expériences qu'on a faites, &
prétendre qu'elles réufhront par-
tout , 1l faut les avoir pratiquées fur
toutes fortes de terreins , même les
348 MANUEL D'AGRICULTURE
plus fecs & les plus légèrs, comme
les crayonneux , fur lefquels, en
Champagne , on ne réuflit à faire
venir des froments , qu'avec de fre-
quens & de forts amandemens ; au-
trement ce n'eft pas connoitre l’A-
griculture , c'eft-à-dire , les diffé-
rens effets de la diverfité des ter-
reins.
Cependant , quand il s’agit d’une
matière auffi importante, on doit
toujours beaucoup d’éloges au tra-
vail de ceux qui ont eu de bonnes
intentions.
Voici quelle eft la lotion que
l'Auteur des Prairies artificielles ajoû-
toit à l'opération de l’eau tiéde ,
pour fortifier fa femence de froment,
pour la garantir des infeétes , & pour
la faire mieux taller & multiplier.
Commeilen afaitufage pendant plus
de vingt ans,avec des effets toujours
POUR LE LABOUREUR. 349
furprenans : on la propofe avec con-
fiance.
Il s’agit d’avoir un tonneau de la
contenance d'environ trente à qua-
rante feaux, qu'on remplit à moitié
de crotte de pigeons, de crotte de
poulles, de crottin de brebis ou de
moutons, de tout cela par tiers ; on
l'emplit enfuite d’eau de fumier à
cinq à fix pouces près du bord, par-
ceque ce mêlange doit renfler.
On laifle tremper le tout pen-
dant environ trois femaines ou un
mois ; pendant lequel tems on ne
manquera pas de remuer fouvent.
Enfuite on tire cette infufion au
clair en la répandant dans un au-
tre tonneau au moyen d’une claie
qu'on met fur l’ouverture ; on verra
que ce tonneau ne fe trouvera qu'à
moitié environ ; c’eft pourquoi , fi
l'on veut un tonneau complet ; on
350 MANUEL D'AGRICULTURE
aura deux tonneaux pour l’infufon,
& à proportion de la quantité de
froment qu'on aura à femer.
Dans ce tonneau , ainfi tiré au
clair, enle fuppofant environ plein,
on jettera une vingtaine d'écuellées
de cendres, de tel bois que l’on vou-
dra , pourvu qu’il n'ait pas été flotté ;
celles de chène doivent être préfé-
rées ; on y jettera environ autant
d’écuellées de chaux vive, c'eft-à-
dire qui ne vient que d'être fon-
due ,& l’on y ajoutera en même tems
deux boifleaux au moins de fon de
froment ou de fégle , pour épaiflir &
rendre glutineufe ladite infufion ;
on remuera bien exaétement le tout,
deux à trois fois par jour, jufqu’à ce
qu'on en fafle ufage, & fur-tout dans
le moment qu'on voudra s’en fervir.
Ce tonneau, qu’on a propofé de la
contenance d'une quarantaine de
POUR LE LABOUREUR. 351
feaux, pourra fufire pour une quin-
zaine de feptiers de froment , me-
fure de Paris, à raifon d’un feau &
demi par feptier ; il convient de
le jetter en différentes fois, en re-
muant bien le froment : & pour le
fécher plus vite, on jettera fur cha-
que feptier , environ trois écuellées
de chaux vive.
On proportionnera ce tonneau à
la quantité de froment qu’on aura
a femer; & , fi on ne peut en avoir
que de la contenance d’une vingtai-
ne de feaux ou environ, on en aura
plufieurs pour fuffire à ce qu’on
aura à femer. |
Cette infufion glutineufe s'attache
tellement à chaque grain, que, quand
ils font fecs, on les voit exa@tement
enveloppés de feuilles de fon ,
qui font elles-mêmes imbibées
de cette matière ; & elles font fi
352 MANUEL D'AGRICULTURE
parfaitement collées , que nile mou-
vement de mettre le grain dans le
fac, ni celui de le femer, ne font
pas capables de les en détacher ; de
façon que chaque grain conferve
toute la force qu'on lui donne, en
quoi confifte l'excellence de cette
infufon au-deflus de toutes les au-
tres qu'on peut annoncer, qui n'é-
tant pas aufli glutineufes , fe diffi-
pent prefque entièrement lorfqu'on
féme, & n'ont que peu d'effets fur
le grain.
Au moyen de l’ufage de cette in-
fufion , l'Auteur des Prairies artificiel-
les a toujours eu de belles & d’abon-
dantes récoltes; les épis en étoient
remarquables , en ce qu'ils étoient
plus forts & mieux garnis que ceux
des récoltes des Laboureurs de fon
Canton. Auff, a la grange , fon bled
sendoit-1l plus que celui des autres.
L'avantage
POUR LE LABOUREUR. 353
L'avantage encore de cette infu-
fion, c’eft qu'elle ne coute que la
peine de la faire , le prix de la chaux
étant de fi peu de conféquence que le
Laboureur n'y fait pas attention.
Soit qu'il foit queftion de cette
infufñon , foit qu'il s’agifle de faire
la première opération qui empèche
la bruine , elles font l’une & l’au-
tre fi importantes que le Fermier ne
doit pas s’en rapporter à des do-
meftiques ; 1l ne doit jamais man-
quer de les faire foi-mèême , ou de les
faire faire en fa préfence.
L’Auteur des Prairies artificielles
portoit fur cela les plus grandes at-
tentions.
Il ne faut pas oublier de faire con-
noître le profit réel & a@uel, qui
réfulte de ces deux opérations, &
qui ne laiffe pas que d'être confidé-
rable,
| Z.
354 MANUEL D'AGRICULTURE
Comme elles font extrêmement
renfler le grain, fur-tout à caufe de
la grande chaleur que l'infufion lui
donne , on peut compter que ce pro-
fit ne fera pas moins que du quart
en fus, parceque ce n'eft qu'après
qu'il eft préparé, qu'il faut mefurer
la quantité qu'on veut femer.
Quand une femence eft. ainf
préparée , tous les faux grains qui
n’auroient pas levés, ou qui n’au-
roient que mal tournés en font re«
tirés; &, puifqu'on ne feme qu’un
grain bien pur & bien net, l'on peut
croire qu'on en feme davantage.
Il eft cependant vrai que le fro-
ment , ainfi renflé, contient moins
de grains dans la poignée du La-
boureur qui le feme ; mais on ne
peut difconvenir qu’il ne foit mieux
difpofé, pour lors, à fe dilatter & à
s'ouvrir, & que parconféquent 1l ne
convienne de le femer plus clair,
POUR LE LABOUREUR. 356$
Ainf, en fuppofant qu'avant de le
préparer , on ait mefuré quatre {ep
tiers, comme on en trouver ati
moins cinq après , on fera bien dé-
dommagé à tous égards des peines
qu'on aura prifes, vü fur-tout les
merveilleux effets qui en réfulteronts
On a oublié d’obferver qu'avant
de faire ces deux lotions , il ne fal-
loit pas manquer de cribler Îe fro:
nent pour retirer toutes les petites
graines de mauvailes herbes qui
pourroient s’y trouvers
À l'égard des autres grains qui
font encore employés par l’Agricul
teur, dontona ci-deflus fait le détail,
qui font ou grains d'hyver, ou grains
de Mars , il n'y a pas d'autre atten-
tion à avoir avant de les femer, qué
de les bien cribler , & d'en choifir
la femence la plus mûre & la plus
nette,
[AT
356 MANUEL D'AGRICULTURE
IVe
Ce qui doit régler par arpent la quantitë
de froment qu'il convient de femer.
Nos Laboureurs en général don-
nent dans une routine qui leur fait
un tort confidérable , en s’aflujet-
tiflant aufli fervilement qu'ils le
font aux ufages de leurs Pratiques
locales , pour régler leur façon de
femer.
On a déja dit , & on ne peut trop
le répéter , que les ufages de cha-
que Pratique locale n'étant que gé-
néraux , c'eft-a-dire ne pouvant con-
ferver que les fortes de qualités du
terrein dominant de leur terroir, &
non les fortes de qualités des diffé-
rens terreins particuliers qui peu-
vent s’y rencontrer, elle ne doit leur
fervix que de méthode , pour leur
POUR LE LABOUREUR. 357
apprendre à chacun en particulier,
comment ils doivent fe conduire
dans toutes leurs opérations à caufe
de la diverfité de terreins qu'ils ne
peuvent que trouver dans ce qu'ils
ont à faire valoir.
Ainfi, quand il s’agit de femer, ce
ne font que les fortes de qualités du
terrein qu'ils ont à cuitiver, qu'ils
doivent confulter ; & ils doivent
commencer par bien examiner, pour
juger de la quantité de femence qw'il
convient de lui donner.
Voilà la première régle que don-
ne la méthode qui réfulte de leurs
Pratiques locales, dont ils ne difcon-
viendront point , puifqu'ils ne peu-
vent s'empêcher de voir qu'on n'a
pa déterminer la quantité de fe-
mence qu’elle prefcrit, qu'aupara-
vant on ait bien examiné les fortes
de qualités dont fe trouve compofé
Züj
558 MANUEL D'AGRICULTURE
le terrein dominant du terroir fus
lequel elle eft établie.
Ils conviendront encore qu elle
donne une autre régle, qui eft plus
décifive , qui confifte dans une ex-
périence de plufieurs années ; puif-
que fur un fimple examen deterrein,
il n’eft pas poffible de bien détermi-
ner la quantité de femence qui peut
convenir,
I n'y a donc que ces deux régles
qui doivent guider tout Laboureur
en particulier, pour bien fixer &
déterminer fa quantité de femence
fur fonterrein, dans quelque Canton
de la terre qu'il puifle habiter.
Sa Pratique n'ayant été faite &
établie que pour les lui apprendre,
tout l’ufage qu'il doit en faire , con-
fifte à la bien méditer.
Le terrein qu'un Laboureur a à
femer eft bon, médiocre ou mau-
vais,
POUR LE LABOUREUR. 349
Suppofé qu'il foit bon , & qu'en
cette qualité il tienne de la qualité
du terrein dominant de fon Terroir,
fur lequel fa Pratique locale eft éta-
blie, le Laboureur en ce cas peut fe
conformer à ce qu'elle prefcrit fur la
._ quantité de froment qu'il convient
de femer.
Cependant , comme 1l fe trouve
ordinairement quelques nuances &
quelques différences dans les parties
de terreins qui paroiflent être de
même qualité , il aura toujours re-
cours à fon expérience qui feule
peut lui apprendre avec le tems , à
quelle quantité il pourra véritable-
ment s'en tenir.
Si fon terrein au contraire eft mé-
diocre , & même mauvais, tandis
que la qualité de fon Terroir eft ré-
putée bonne , il fe feroit un très-
grand tort de conformer fa quantité
Ziv
360 MANUEL D'AGRICOLTURE
de femence à celle que décide fa
Pratique locale ; puifque, dans toute
l'Agriculture, c'eft une maxime aflez
générale , qu'un terrein médiocre &
mauvais, doit être femé plus fort
que celui qui eft d’une bonne qua-
lité.
Ce qui appuye cette maxime ,
c'eft que dans toutes les Pratiques
locales , par rapport aux différens
ufages qui y font établis, 1l eft re-
connu & arrèté qu'il convient d’a-
jufter & de proportionner les opé-
rations de l'Agriculture à toutes les
fortes de terreins qui fe rencon-
trent.
Ainfi, fuppofé encore que le ter-
rein d'un Laboureur fe rencontre
bon, tandis que la qualité de fon
Terroir fera d’être médiocre ou
mauvaife , 11 doit femer moins fort
que ne le prefcrit fa Pratique locale,
POUR LE LABOUREUR. 36r
& iln’y a que fon expérience qui
puiffe le bien guider fur cela.
Ce n'eft pas tout ; le Laboureur ,
en prenant bien l’efprit de fa Prati-
que locale, verra que l'examen &
l'expérience qu'elle lui donne pour
principe , lui apprennent encore
qu'indépendamment de la qualité du
terrein, on doit examiner la varia-
tion des années , qui influe fi fort fur
le plus ou le moins de récoltes , &
même fur la qualité du grain, en
n'oubliant pas les accidens qui peu-
vent arriver à la femence , avant
que de fortir de la terre.
Il n’eft pas douteux que, quand on
a établi les Pratiques locales, on
n'ait pris toutes ces chofes en con-
fidération pour mieux régler & fixer
la quantité de femence qu’elles pre-
fcrivent par arpent.
La variation des années eft telle
361 MANUEL D'AGRICULTURE
que , quoiqu'elles fe fuivent , on
voit ordinairement tous les ans une
grande différence dans les récoltes,
dont le plus ou le moins ne dépend
pas feulement de la qualité bonne
ou mauvaife du terrein ; mais en-
core de la faifon du printems , qui,
étant plus ou moins favorable , don-
ne lieu au froment de taller & mul-
tiplier plus ou moins.
Ceux qui ont établi les Pratiques
locales , ayant certainement prévû
toutes ces variations & tous ces ac-
cidens, & ayant réglé en confé-
quence la quantité de femence ; tous
nos Laboureurs , en particuiïer ,
après avoir réglé par leur examen,
& par leur expérience ce que peut
exiger la qualité de leur terrein,
doivent, a leur exemple, ajouter plus
ou moins de femence , felon qu'ils
le jugeront convenable pour préve-
POUR LE LABOUREUR. 363
nir de même ces variations, Çes ac=
cidens , &c.
I ne faut donc pas s'étonner fi
nos Pratiques locales paroiflent em-
ployer tant de femences, |
On ne peut obvier à toutes ces
variations & à tous ces accidens qui
füurviennent ordinairement , qu’en
femant un peu plus fort que ne l'exige
le qualité duterrein; maisquandonne
proportionne fa quantité de femence
qu'a cette qualité, on court rifque
d'en être fouvent la dupe , parcequ'il
n'y aplus moyen d'y remédier quand
le mal eff arrivé. Il vaut mieux, dit-
on dans les Campagnes , courir le
rifque d’avoir femé un peu plus fort
que de n'avoir rien,
Il y a encore une chofe qui con-
cerne l'attention du Laboureur , qui
eft auffi une fuite de la méthode qui
rélulte de fa Pratique locale ; c’eft
364 MANUEL D'AGRICULTURE
que, fi le terrein qu'il a à femer eff
extrêmement humide , & par confé-
quent fujet à poufler beaucoup
d'herbes, il doit le femer plus fort,
quoique reconnu d’une bonne qua-
lité | pour occuper davantage fon
terrein , & pour leur donner moins
de prife , & même plus fort que
dans un terrein médiocre ; qui ne
donneroit point d'herbes.
Voilà pourquoi Olivier de Serre
prétend quil n'eft pas abfolument
décidé qu'il faille toujours femer
moins fort dans les bons & les meil-
leurs terreins.
Le plus ou le moins d'herbes
qui peuvent poufler eft beaucoup
à confidérer , de même que l'in-
convénient , lorfqu'ils font femés
trop clair, de ne rendre que des
pailles , dont les tiges font fi groffes
& fi dures, que les bêtes de tirage ,
POUR LE LABOUREUR. 365
& les beftiaux néceflaires pour bien
faire valoir un corps de Ferme , ne
peuvent s’en accommoder.
Quand un froment au contraire
eft femé plus dru , deux épis, qu'on
moiflonne , au lieu d'un, dans la
quantité de la récolte, ne valent-ils
pas bien un gros épi qui ne rendra
pas plus de grains & qui en rendra
même moins? Il en réfulte encore
une paille qui eft beaucoup plus
fine & plus friande pour les beftiaux.
Il faut faire attention que l’objet
de l’Agriculture n’eft pas feulement
de nourrir les hommes , & de leur
procurer leurs befoins ; mais encore
de nourrir les beftiaux dont on ne
peut fe pañer.
Il réfulte donc que cette propor-
tion de femer , qu'exigent les diffé-
rens terreins qu'un Laboureur a à
cultiver , demande toute fon atten-
366 MANUEL D'AGRICULTURE
tion & fon expérience, & qu'il lui faut
bien des années pour commencer à
voir à quoi 1l peut s'en tenir: on
peut même dire que c’eft l’opéra-
tion la plus difficile & la plus emba<
raflante de l'Agriculture.
Cependant, dans la nouvelle Mé-
thode de M. Thuill, rien n’eft fi aifé
ni fi facile que cette proportion 3
puifque , felon lui, ilne s’agit que de
réduire à moitié , au tiers , & même
au quart , la quantité de femence
qu'on employe dans nos Pratiques
locales , pour être afluré ; par Île
moyen de fon femoir ; d’avoir tous
les ans d'excellentes récoltes: il fem-
bleroit donc, à l'entendre , que ce
ne feroit ni l'examen du terrein, nt
l'expérience , ni même toutes les
variations & lesaccidens qu'on vient
de détailler, qui doivent régler la
quantité de femençces par arpent ;
POUR LE LABOUREUR. 367
& que l’ufage de fon femoir auroit
feul cette vertu, parcequ'ila l'effet
d'efpacer chaque grain qu'il ré-
pand , à la diftance de cinq à fix
pouces plus ou moins.
On convient que dans certaines
années favorables, une petite quan-
tité de femences peut beaucoup
mieux réuffir qu'une plus grande,
quoique réglée par l'expérience
qu'on peut s'être faite; en voici un
exemple qui fera cependant voir
que ce feroit une grande imprudence
de réduire toujours ainfi fa femence,
fur-tout fi l'on faifoit ufage du fe<
moir avec une pareille réduétion
dans la façon ordinaire de cultiver.
Ileft arrivé à l’Auteur des Prairies
artificielles | en allant vifiter fes fro=
mens dans la faifon du printems, d'en
trouver un arpent qui, ayant été {e-
mé plus tard que les autres, fe trou-
368 MANUEL D'AGRICULTURE
voit fi éclairci par la rigueur de l'hy-
ver, & par d'autres accidens qu'il
avoit efluyés, quil n'y reftoit pas
la fixiéme partie de la femence
qu'on y avoit jettée ; on n'y voyoit
que des brins de froment extrème-
ment efpécès les uns des autres.
Sans un ancien Laboureur, qui
pour lors l'accompagnoit , 1l étoit
déterminé à faire retourner ce fro=
ment pour y mettre de l'orge; mais
1l lui donna avis de n’en rien faire :
# Parceque , lui difoit-il , fi la fin
» d'Avril & le commencement de
» Mai fe trouvent favorables ; cet ar-
» pent, qui paroit fi défefpéré, fera
» peut-être le plus beau de tous vos
» fromens. «
Ainfi le terrein lui paroïflant extrèé-
mement bon, parcequ'il avoit été
amande plufieurs fois ,il l'engagea à
faire cette épreuve pour lui faire
connoitre
POUR LE LABOUREUR. 369
connoitre ce quil en eft du talle-
ment du froment dans un bon ter-
rein, & jufqu'où il peut s'étendre ;,
quand les années font favorables.
L'avis ayant été fuivi, & la fin
d'Avril & le commencement de Mai
ayant Correfpondu à ce qu'avoit
prédit cetancien Laboureur, la moif-
fon de cet arpentrapporta beaucoup
plus , à proportion que tous les au-
tres froments qu'avoit encore l’Au-
teur des Prairies artificielles.
Ce Laboureur , profitant de cet
événement,ne manqua pas d'ajoûter
que , quoiqu'il eût été témoin d’un
tallement fi prodigieux & fi extra-
ordinaire , 1l ne s’enfuivoit pas qu'il
dût changer fa façon de femer , en
réduifant fa quantité de femence à
un cinquiéme ou à un fixiéme, com-
me luiparoïfloit être réduite celle qui
étoit reftée dans fa piéce de terre;
À a
370 MANUEL D'AGRICULFTURE
attendu que ( par rapport à bien des
accidens qui n'arrivent que trop or-
dinairement au froment , & qu'un
Laboureur doit toujours prévoir ,
qui font même tels que fouvent les
trois quarts, ni même la moitié de
ce qu'on a femé ne réuflit pas)ilne
falloit point difcontinuer de régler
fa quantité de femence fur l'expé-
rience qu'il s'étoit faite ; &, pour lui
prouver que le confeil qu'il lui
donnoit n'étoit fondé que fur l’ex-
périence , il lui dit d'éprouver l'an-
née fuivante de ne femer fur une
petite partie de terrein, que le
quart de ce qu'on employoit de
froment ordinairement. Ce qui ayant
été exactement exécuté, il eft arrivé
que la récolte en a été totalement
manquée.
La leçon de ce bon Payfan ne
vaut-elle pas bien celle de M. Thuil?
POUR LE LABOUREUR. 371
C'eft ce qu'on aura encore lieu de
faire remarquer dans la Réfutation
de fa Nouvelle Methode.
V.
Ce qui eff ufité dans toutes Les Pratiques
locales ,| peur jetter & répandre
également la femence,
L'usa GE du Laboureur , pour
femer, eft de prendre toujours à plei-
ne poignée , dans fon femoir qu’il
porte devant lui, fa femence de fro-
ment, en marchant d'un pas égal,
avec mefure, &enjettant fa poignée
avec un mouvement toujours auff
égal. S'il veut femer plus fort, il va
plus lentement, & c’eft de fa mar-
che qu'il régle le plus ou le moins
de femence qu'il veut employer;
par ce moyen, il en ef fi afluré, que,
fi HS avoir femé un feptier de fro=
À a 1j
572 MANUEL D'AGRICULTURE
ment dans un arpent , il n'en veut
femer que la moitié dans un autre,
il ne s'y trompe pas feulement d'une
demie écuellée.
Il parvient encore à [a répandre
également , fi, avant de femer , ila
l'attention de faire fi bien herfer fon
champ ;, quil devienne parfaite-
ment uni.
Sur ces deux chofes il n'y a certai-
nement point à reprendre le Labou-
reur ; & on peut même dire que, dans
toutes fes opérations , c’eft ce qu'il
exécute le mieux.
Qu'a donc de plus la précifion du
femoir de M. Thull, au-deflus de
celle du Laboureur ; & ce Plus,
quand même on le fuppoferoit , mé-
titeroit-t-1l qu'on le jugeât nécef-
faire au point d’en faire dépendre
le rétabliffement de l'Agriculture ?
Mérite:t-1l feulement qu'on y fafle
la moindre attention ?
POUR LE LABOUREUR. 373
VI.
Le Laboureur ne doit faire fes fermences
que dans un tems convenable,
UN tems favorable fait encore
beaucoup , pour faire profpérer les
femences.
Le froment veut être femé dans
un tems pluvieux ; un tems trop
{ec lui feroit nuifible ; le fégle exige
au contraire un tems fec ; l’avoine,
l'orge , les lentilles, les pois, &c.
veulent un beau tems; mais toutes
ces femences exigent qu'on ne les
faffe point dans le tems qu'il y régne
des vents violens, puifqu'elles ne
pourroient être répandues égale-
ment.
A l'égard de la faifon propre à faire
toutes ces femences , le Laboureur
peut s'en rapporter à ce que lui
Aa
474 MANUEL D'AGRICULTUREÉ
apprend fa Pratique locale , fans ce-
pendant que cela l'empêche de con-
fulter quelquefois fon expérience.
I ne doit pas manquer de bien
faire couvrir fon froment, en mème-
tems qu'il fe féme , pour le garan-
tir des Pigeons & autres oifeaux ;
ce que le Laboureur peut faire en
fe fervant d'une charrue qui le re-
tourne avec la terre , pour lenter-
rer à environ deux pouces plus où
moins , futvant ka qualité du ter-
rein. S'il eft fec on F'enterre un peu
plus; ce qu'il peut faire encore avec
la herfe , en lui faifant faire deux
tours, & avec la précaution de l’ap-
pefantir, comme on l’a déja dit , au
moyen d'une grofle pierre qu’il met-
troit deflus, fuppofé qu'il jugeât que
{a herfe n'enfonce pas autant qu'il
eft néceflaire.
Comme il dépend du Laboureur
POUR LE LABOUREUR. 375
de bien couvrir fon froment & toutes
les autres femences qu'il peut em.
ployer, c’eft à tort que, dans le tems
des femences, ils’en prendroit aux
pigeons qui ne grattent jamais, com=
me nous l’avons prouvé.
GO:NICL'USI ON
De cette première Partie.
; E CROIS qu'il ne me refte plus
rien à prefcrire à tout Laboureur
jaloux du progrès de l’Art de l’A-
griculture.
Après avoir donné la définition de
cette grande Science , montré fes
opérations , difcuté fon vrai princi-
pe & la méthode qui en réfulte , je
fuis entré dans tous les détails nécef-
faires , & les feuls néceffaires. Ainfi
le Laboureur eft à portée aujour:
Aa iv
376 ManNuEL, &c.
d'hui, ou de reétifier fes pratiques ;
ou d'apprendre les vrais principes
qui réfident dans fa Pratique locale,
J'ai dit tout ce que l’on pouvoit dire:
1°. De l'examen des terreins;
2°. De l'Expérience , de la façon
de l’acquérir & de fes effets.;
3°. Enfin des différentes façons
d'exécuter les opérations de l’Agri-
culture , relativement à toutes les
{ortes de qualités de terreins.
Heureux fi les leçons que j'ai tras
cées ici , après avoir été utiles à moïi-
même , le peuvent-être à tous les La-
boureurs! Servir la Patrie eft l’am-
bition d’une belle ame.
Fin de la première Parties
SECONDE PARTIE.
MANUEL
D'AGRICULTURE,
POUR
LE PROPRIÉTAIRE.
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SECONDE PARTIE
MANUEL
D'AGRICULTURE,
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LE PROPRIÉTAIRE.
INTRODUCTION.
Les Laboureurs & les Fermiers,
quoique tenants toutes nos terres,
ne font pas les feuls qui en occañon-
nent le déläbrement par leurs routi-
nes. Les Propriétaires leur portent
encore un préjudice au moins auf
confidérable par leur négligence.
Ayant été établi que la feconde
caule du déläbrement des terrespro-
_3$0 MANGEL D'AGRICULTURE
venoit du défaut de prairies:on va
prouver que leurs établiflemens ne
peuvent concerner que les Proprié-
taires , & nullement les Fermiers.
Ainfi il s'agit de faire voir :
1°. Que le défaut de prairies ne peut
être réparé que par les Propriétaires.
2°. Comment ils doivent s'y pren-
dre pour y parvenir, fans avoir la
peine de faire valoir par eux mêmes.
3°. Ce qu'ils doivent faire encore
après l’établiffement de Prairies.
4°. Comment ils doivent eftimer
leurs terres , pour les louer d'une
façon équitable.
5°. Ce qu'il leur en coûteroit pour
faire faire une prairie.
6°. Quelles font les attentions
qu'ils doivent encore avoir fur leur
corps de Ferme.
7°. Ce qu'ils doivent fçavoir de
l'Agriculture,
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 381
CHAPITRE PREMIER.
Le défaut de Prairies ne peut êre réparé
que par Les Propriétaires.
€ UoïQu'onN puifle facilement
fuppléer au défaut de prairies, en
faifant ufage des plantes de fain-
foin , de luzerne, de treffle , &c. que
l'Auteur de la Nature ne nous a
données que dans cette vue , &
pour rendre la terre également fer-
tile par-tout, cependant on n’y penfe
pas, & on n'y penfera même jamais,
tant qu'il ne fera pas décidé à qui il
appartient d’en faire l’établiflement.
Comme toutes les terres font
louées & affermées par les Proprié-
taires aux gens de la Campagne; &
comme , par le moyen des baux qui
leur en font faits , toute notre Agri-
culture fe trouve entre leurs mains,
382 MANUEL D'AGRICULTUrRE
on n’héfite point de mettre fur leur
compte ce défaut de prairies, & de
les accufer d'être encore les Au-
teurs du déläbrement qu'il occa-
fionne.
Voilà l’idée qu'on a contre eux ;
on l’a depuis que les baux fubfiftent,
& on l'aura toujours, tant que l’on
ne fera point évidemment voir
qu'elle eft mal & injuftement fon-
dée ; on ne ceflera même de dire
que , puifque toutes les terres & les
corps de Ferme leur font abandon-
nés pour en faire leur profit, c’eft
à eux à mettre en œuvre tous les
moyens qui peuvent contribuer à
les augmenter; enfin on eft généraA
lement dans la perfuafion que,
quand un corps de Ferme eft loué,
& quand le bail en eft pañé, il n’eft
plus queftion de s'en occuper.
I faut qu'on fafle bien peu de cas
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 383
de l'Agriculture , pour que, depuis
que les baux fubfiftent, on n'ait pas
encore fait attention quil doit en
être de ces baux, comme de ceux
qui font faits pour louer des maifons
ou autres héritages.
Quoique les avantages qui réful-
tent des augmentations qu'on peut
faire dans ceux-ci, foient bien moins
confidérables que ceux qui peuvent
provenir de celles qu’on aura faites
dans un corps de Ferme ; quoique
les dépenfes excédent de beaucoup
celles qu'on peut y faire, & quoi-
qu’on foit même obligé quelquefois
de les répéter, cela n'empêche pas
qu'on ait toujours été beaucoup plus
attentif & beaucoup plus inftruit
pour les baux des maifons.
On ne manque pas d'y diftinguer
ce qui eft à la charge du Locataire,
d'avec ce qui eft à la charge du
384 MANUEL D'AGRICULTURE
Propriétaire ; &, fans même que cela
foit exprimé , on fçait que c’eft à ce-
lui-ci de faire dans la maifon, qu'il
donne à bail, les améliorations &
augmentations néceflaires pour par-
venir à la louer davantage , & mème
pour l’entrenir dans fa location or-
dinaire , & que c’eft à lui de la ré-
parer quand elle en a befoin.
On fçait qu'il doit avoir l’atten-
tion de voir ou de s'informer fi fa
maïfon eft fuffifamment garnie de
meubles pour la füreté de fes loyers.
On fçait encore que le Locataire
feft tenu de fon côté que de la
maintenir , l’entretenir & la ren-
dre, à la fin de fon bail, comme il l’a
reçue.
Pourquoi ne pas reconnoitre &
admettre la mème diftinétion dans
les baux qui font faits pour louer les
corps de Ferme, comme dans ceux
qui
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 38$
qui font faits pour louer les mai-
fons ?
Pourquoi n'avoir pas les mêmes
attentions pour fçavoir fi un corps
de Ferme eft monté comme il doit
être ,; non-feulement pour la fü-
reté du prix du bail , mais pour
l'exécution de ce qu'il convient de
faire, à l'effet de le bien faire valoir à
Tout cela eft cependant fi clair
& fi évident, qu'il n’eft pas poffible
de n’en pas convenir.
Bien plus , comment les éta-
bliffemens de prairies pourroient-
ils être à la charge du Fermier?
Puifque , s’il fe déterminoit à les
faire , 1l n’en jouiroit pas, ou plu-
tôt il ne pourroit commencer à en
jouir que lorfqu'il fe verroit à la
veille de voir expirer fon bail, s'il
n'étoit que de fix à neufans, com-
me on les a toujours faits jufqu'à
Bb
336 MANUEL D'AGRICULTURE
préfent ; & puifque , ne pouvant les
faire qu'au fur & à mefure de l’aug-
mentation des paiiles, cela demande
plufieurs années, ainfi qu'on l’a fait
voir ; d’ailleurs, feroit-ilafluré qu'on
lui continueroit & qu'on lui renou-
velleroit fon bail, quand fa prairie
feroit faite?
Quand même auellement on le
lui prolongeroit juiqu'à vingt-fept
ans, fuivant la nouvelle Déclaration
du Roi, cela ne déchargeroit pas le
Propriétaire de fes obligations; puif-
que , fuppofant qu'il n’y feroit pas
fait mention d'établiffemens de prai-
ries, le Fermier ne feroit pas plus
obligé d'en faire.
Mais, dira-t-on, pour qu'un Pro-
priétaire entreprenne ces fortes d'é-
tablifiemens ; pour qu'ils foient bien
faits, il faut qu'il prenne le parti de
£ure valoir par lui-même fon corps
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 387
dé Ferme ; autrement , comment le
pourroit-1l ?
Quand une maifon eft louée, ce-
lui qui en eft le Propriétaire, penfe-
t-il qu'il ne peut la réparer, la réta-
blir , y faire des améliorations &
augmentations , qu'il ne la reprenne
& qu'i ne l'occupe
Ne peut-il pas les faire faire par
un Entrepreneur ? &, quand un corps
de Ferme eft loué, le Propriétaire
ne peut-il pas en agir de même, en
fe fervant de fon Fermier ?
Toutes les réparations & amélio-
rations qu'on peut faire dans les
corps de Ferme ne pouvant done
que regarder les Propriétaires, 1l eft
évident que ce ne fera que par eux
qu'on parviendra à bien rétablir l'A-
griculture , foit en France, foit ail-
leurs, & que leurconcours,avec leurs
Fermiers, eft abfolument néceflaire,
Bb ji
388 MANUEL D'AGRICULTURE
Qui que ce foit, jufqu’à préfent,
n'ayant parlé de ce concours , puis-
qu'aucun Auteur qui ait traité de
l'Agriculture , n’en a jamais fait la
moindre mention , à l'exception
de celui des Prairies artificielles, qui
a commencé à en donner la pre-
mière idée , iln’eft pas encore moins
évident que ce concours ne foit une
découverte de la plus grande im-
portance pour le rétabliffement de
l'Agriculture , & qu’elle ne mérite
autant d'attention que celle qu’on
vient de faire de la méthode qui ré-
fulte de toutes les Pratiques locales.
Au moyen de l'explication qu'on
en donne pour retirer nos Labou-
reurs de leurs routines, au moyen
encore de obligation dans laquelle
on fait voir que font tous les Pro-
priétaires de remédier au défaut des
prairies, rien ne fera fi aifé aétuel-
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 389
lement, que de retirer notre Agri-
culture du pitoyable état dans le-
quel elle ef.
On peut bien dire que ces deux
moyens font uniques pour y parve-
nir; quil n'y en a pas d'autres quoi-
qu'on ne les ait pas encore annon-
cés ; & que, tant qu'on ne les em-
ployera pas, notre Aoriculture re-
ftera toujours comme elle ef.
Ainfi, après avoir inftruit nos La-
boureurs & Fermiers, 1l s’agit pré-
fentement d'apprendre à tous lesPro-
priétaires ce qu'ils doivent faire pour
augmenter confidérablement le re-
venu de leurs corps de Ferme, juf-
qu’à le doubler & le tripler,en quel-
que Pays & Canton qu'ils puiflent
être fitués , fans fe donner la peine
de les faire valoir par eux-mêmes, &
en ne dépenfant prefque rien.
Bb üj
390 MANUEL B'AGRICULTURE
CHEL APS RENTE
Comment les Propriétaires doivent s’y
prendre pour faire faire des établif-
femens de Prairies.
@ N ne peut mieux faire que de
propofer aux Propriétaires de corps
de Ferme, de fe modéler fur ce que
font les Propriétaires de Maifons.
Quand il s’agit de faire à celles-ci
des améliorations , des augmenta-
tions & de grofles réparations, foit
pour en entretenir la location , foit
pour l’augmenter, le Propriétaire fait
un marché avec un Entrepreneur.
Dans ce marché , 1l eft ftipulé
tout ce qu'il faut faire, fans pou-
voir l'excéder ; on y convient du
tems qu'on mettra à l'exécution ,
ainfi que des termes pour le paye
ment de la fomme fur laquelle on eft
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 391
d'accord; &, pour la folidité de l’en-
treprife , on convient des matériaux
qui feront employés.
Un Propriétaire, pour n'être pas la
dupe de ces fortes de marchés , ne
manque pas ordinairement de {e met-
tre au fait fur bien des chofes qui y
ont rapport, & de s'informer prin-
cipalement du prix & de la qualité
des différens matériaux qu'on doit
employer.
Sans être Archite@te , voilà en gé-
néral , de la part d'un Propriétaire,
les précautions qu’on eft en ufage
de prendre, quand il eft queftion
de réparer une maïfon qui eft déli-
brée , & qui menace ruine , ou
quand il eft queftion d'en maintenir
les loyers.
De même, pour faire dans un
corps de Ferme des établiffémens de
prairies qui doivent être regardées
B b iv
392 MANUEL D’AGRICULTURE
comme des améliorations & répara-
tions qui intéreffent le fond des ter-
res qui peuvent le compofer, le Pro-
priétaire, fans être Agriculteur, en
fe mettant feulement au fait de tont
ce quipeut concerner l'exécution
de ces fortes d’établiflemens, fe fer-
vira de fon Fermier comme d’un En-
trepreneur , en faifant avec jui un
bail qui doit être regardé comme
une autre forte de marché.
Dans ce bail, aprèsles conditions
ordinaires , 1l feroit fipulé, au fujet
de l'établiflement de prairies : par
exemple :
Qu'il ne confiftera exaétement
que dans un huitième des terres
qui compofent le corps de Ferme
dont 1l eft queftion; qu'il ne l'excé-
dera pas, pour les raïfons qu'on en a
données ci-deflus, & que cet établif-
fement fera également fait fur les
trois foles qui le partagent.
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 393
Qu'il ne fera exécuté, ainfi que
l'augmentation des beftiaux , qu’au
fur & à mefure que les pailles aug-
menteront.
Que, pour cet établiffement, on
employera les plantes dont on fera
convenu , & qui feront les plus pro-
pres aux terreins du corps de Ferme.
Sur ces Articles, ainfi qu’au fu-
jet de la façon de renouveller &
d'entretenir toujours l'établiflement
de prairies, le Propriétaire , pour
s’en bien inftruire , aura recours à ce
quien a été dit ci-deflus dans le Cha-
pitre des Engrais, Articles III & 1F.
Il lira auffi la feconde Partie du
Traité des Prairies artificielles , pour fe
bien mettre au fait de la culture
qu'il convient de faire donner à ces
plantes.
Il fera encore ftipulé dans ce bail
que le terrein fur lequel fe fera
394 MANUEL D'AGRICULTURE
l'établiflement de la prairie, fera
foncé, autant qu’il fera poffble, pour
le mieux faire réuflir, & pour le
faire durer plus long-tems.
Il faut fçavoir à ce fujet ( & il eft
effentiel qu'un Propriétaire y fafle
attention, & qu'il la fafle faire à fon
Fermier, ) que les terres qu'on veut
mettre en prairies artificielles, doi-
vent être foncées bien autrement
que celles où l’'ôn feme les bleds &
les grains qui font employés dans l’A-
griculture.
Ces grains & ces bléds n'étant que
des Plantes annuelles , c’eft-a-dire ,
qui ne durent qu'environ neuf à dix
mois , & même que quatre à cinq ;
leursracinesne pivottant tout au plus
qu’à raifon de trois à quatre pouces,
& s'étendant plutôt horizontalement
le long de la fuperficie de la terre, ils
exigent qu'environ quatre à cinq
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 395$
pouces de labour pour bien produire.
Il n’en eft pas ainfi des plantes
dont onfe fert pour faire des prairies,
qu'on appelle Plantes vivaces, parce-
qu'elles durent plufieurs années.
Quand on les employe , il faut né-
ceflairement foncer le rerrein au-
tant qu'il peut le permettre, fans
cependant le déterriorer ; ce qui ar-
riveroit fi, en le labourant trop
avant, c'eft-à-dire au-delà de fon
premier lit qui compofe la fuperf-
cie, & qui a plus ou moins d’'épaifleur ,
on ramenoit de fon fecond lit du
tuf, qui eft ou crayon, cu gravier,
ou fable , &c. ce à quoi il faut bien
prendre garde ; & c’eft pour l'évi-
ter que , dansle Chapitre des Labours,
on a parlé des différens lits que la
terre peut avoir,
C'eft pourquoi, pour ces fortes
de plantes, le Propriétaire aura l’at«
396 MANUEL D'AGRICULTURE
tention de ftipuler expreflément
dans fon bail, que le Fermier pren-
dra par préférence les terres qui
auront le plus de fond; quand mê-
me elles feroient les meilleures de
la Ferme, on s'en trouveroit bien
dédommagé dans la fuite ; leurs
racines étant fortes & profondes,
elles ne peuvent profiter qu'autant
qu'elles trouvent à pivotter, tandis
que celles des bleds aiment plutôt
a s'étendre horizontalement.
Pour donc bien foncer un terrein
qu'on veut mettre en prairies, Juf-
qu'à même un pied de profondeur,
fi cela fe peut, puifque cela vau-
droit encore mieux , on exécutera
les façons de Labours dont il faut fe
fervir, quand on veut renouveller
un terrein par le travail de la char-
rue : elles font détaillées ci-defius
dans le Manuel du Laboureur, Cha-
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 397
pitre des Labours, Art. III ; on choi-
fira celle qu'on jugera la plus con-
venable à fon terrein.
C’eft ainfñ que le Propriétaire re-
commandera à fon Fermier d’en agir
à l'égard de la Luzerne & du Trefle,
qui veulent des terreins qui ayent
du fond , & qui foient encore de la
meilleure qualité.
Il n’en eft pas abfolument de mêé-
me à l'égard du fain-foin ; il exige
auffi à la vérité beaucoup de fond
de terre ; mais la qualité lui importe
f. peu quil réuffit fur tout terrein,
foit qu'il foit graveleux , crayon-
neux, foit quil foit fablonneux,
en le fuppofant cependant un peu
mêlangé de terre.
Choififfant donc dans un corps
de Ferme un terrein crayonneux
qui s'y rencontrera, & dont la fu-
perficie n’a prefque point de terre,
398 MANUEL D'AGRICULTURE
voici comment il convient qu'un
Fermier s’y prenne pour le labourer
juiqu'à huit à neuf pouces de fond, fi
cela fe peut , fans s’embarafler fi on
ne raméne que du crayon & des pier-
res de cette efpéce.
Vers la Saint Martin , où tous les
ouvrages de la Campagne font gé-
néralement finis, tems ordinaiment
pluvieux & parconféquent très-com-
mode pour labourer ces fortes de
mauvais terreins , qui ne travaillent
jamais fi facilement que quand ils
font bien imbibés , on commencera
par donner un labour de trois à qua-
tre pouces & même plus avant, fi
cela fe peut, bien entendu qu’on dou-
blera les forces du tirage ordinaire,
&c qu’au lieu de deux à trois chevaux
ou bœufs, on en employera jufqu'à
fix ; on aura encore l'attention de fe
munir d'une bonne & forte charrue,
FOUR LE PROPRIÉTAIRE. 399
Quand le premier fillon fera fait
on y rentrera en changeant l'oreille
de la charrue de droit à gauche, &
on enlevera encore tout ce qu'on
pourra pour tacher de foncer da-
vantage.
On en agira de même à chaque
filon, jufqu'à ce que la piéce de
terre foit entierement finie, fans
s'embarafler fi on ne raméne que
des pierres de craye.
On la laiffera ainfi pendant tout
lhyver, pour que les pluyes , les
brouillards , les neiges, les gelées,
les dégels la pénétrent bien; il en
réfultera qu'une bonne partie de ce
qu'on aura retourné fondra & s’a-
meublira, fi on a l'attention, à cha-
que dégel qui arrivera , de herfer
plufieurs fois cette piéce de terre.
Il convient cependant d'obierver
que, fi la première année qu'on fe-
400 MANUEL D'AGRICULTURE
roit ce travail, on ne pouvoit pas
foncer davantage , lorfqu'on ren-
treroit dans le même fillon qu’on au-
roit déja fait, on fe contenteroit du
premier labour qu’on auroit donné ,
pour remettre le fecond à l’année
fuivante ; parceque , pour lors, les
pluyes ayant pu pénétrer davantage
ce mauvais terrein , 1l feroit beau-
coup plus fufceptible de recevoir ce
fecond labour qui pourroit le fon-
cer autant qu'on le defireroit.
En ce cas, jufqu'à ce qu’on y fé-
me du fain-foin , & en attendant
l’année fuivante, on fe contenteroit
d'y mettre un farrazin qui ne pour-
roit manquer de réuflir , après l’a-
voir bien labouré & retourné deux
à trois fois au printeins avant que de
l’'enfemencer. ù
Suppofant donc que ce terrein
crayonneux auroit pü être bien dif-
pofé
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 401
poié en un hyver, & qu'il auroit
encore été bien labouré deux à trois
fois au printems fuivant , il feroit
enfemencé en fain-foin vers la fin
d'Avril.
On peut compter qu'ayant ainfi
reçu un bon labour de huit à neuf
pouces, le fain-foin ne manqueroit
pas d'y réuflir, & aufli-bien que dans
les meilleures terres ; parceque fa
racine, qui ne cherche qu’à pivoter
le pouvant pour lors, y trouveroit
toujours aflez d'humidité à mefure
qu'elle perceroit & pénétreroit, ce
qui lui fufhiroit pour exciter & en-
tretenir fa végétation, fi peu de terre
qu'elle rencontreroit au milieu des
petites pierres de craye qui y fe-
roient encore. .
L'expérience en a été faite dans
la Champagne avec les plus heu-
reux fuccès par M. Petit, Officier du
| Ce
492 MANUEL D'AGRICULTURE
Roi , qui demeure à Bignicour , &
qui y fait valoir par lui-même fon
propre Domaine; elle l’a encore été
également, par le fieur Guillaume ,
Laboureur-Fermier , demeurant à
Pomacie; cesteux villages font fitués
au mieu des plaines les plus féches
& les plus ftériies de cette Province.
L'exemple de ces deux hommes,
quiontentreprisune chofe à laquelle
perfonne n'avoit jamais penfé avant
eux, & qui les rend par conféquent
fi précieux à l'Etat, fufhroit pour
rendre la Champagne également
fertiie & peuplée par-tout , fi les éta-
bliffemens de prairies, qu'on entre-
prendroit d'y faire , étoient appuyés
d'une Ordonnance du Roi, qui dé-
fendt à tout Berger d'y laifler en-
trer , en touttems, leur bétail blanc:
on en a déja parlé ci-deflus dans la
Secuon des Engrais , pour faire voir
POUR LE PROPRIÉTAÏRE. 404
la néceffité indifpenfable de cette
fage Ordonnance.
On doit concevoir que ce doublé
labour , dont on vient de parler
pour les terreins crayonneux , fe fes
toit avec bien plus de facilité dans
ceux qu font graveleux , tufiers,
ou fablonneux ; en fuppofant dans
ceux-ci un peu de mêlange de terre
pour la réufite du fain-foin , pui
qu'autrement 1l feroit inutile de l'y
tenter pour les rafons qu'on a déja
données de leur ftérilité.
Après que le fain-foin auroit réuffi
& fait fon tems dans ces fortes de mau-
vais terreins , qui font plus fouvent
incultes qu'autrement , on les deffa-
varderoit,pour commencer à y mettre
un orge, OU une avoine , ou un farra-
zin, enfuite on pourroit les mettre en
froment , pourvû qu'on ne manquât
pas de les amander convenablement.
| Gci]
404 MANUEL D’AGRICULTURE
Quand ce ne feroit qu'en fégle, on
y gagneroit encore beaucoup.
Qu'on réfléchie fur cette façon
de tirer partie d'un terrein crayon-
neux , & desautres fortes de mauvais
terreins, on concevra qu'on peut
par-tout, en fe fervant de la plante
de fain-foin, faire des établiflemens
de prairies , & qu'on peut, par-tout,
au moyen de cette plante, parvenir
à bonifier les plus mauvaifes terres.
Ainfi, fi, dans la Ferme qu'il eft
queftion de donner à bail pour y
faire faire un établiffement de prai-
ries,1ls'y trouve quelques-uns de
ces mauvais terreins , 1l y feroit
énoncé qu'ils feroient employés en
fain-foins, en leur donnant la cul-
ture qu’on vient de détailler.
On ne fçauroit trop faire l'éloge de
cette plante qui, quoiqu'elle ne four-
nifle pas autant que la luzerne , lui
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 405
eft cependant préférable à tous
égards , parcequ'elle peut réufür
dans toutes fortes de terreins, &
parceque , foit en foin, foit en verd,
elle n'incommode point les beftiaux
& les chevaux de travail.
Mais il faut la femer très-drû ,
pour que fes tiges ne viennent point
trop grofles n1 trop dures, & pour
que fes feuilles foient plus fines &
plus tendres ; autrement les beftiaux
ne s'en foucieroient pas, lorfqu’elle
feroit en foin : il faut en ufer de
même, pour la même raïfon, à l’é-
gard de toutes les autres plantes dont
on fe fert pour faire des prairies.
Qu'on faffe attention que ce qui
rend le foin des prés naturels, pré-
férable à toute autre forte de foin,
c'eft que l'herbe des prés eft tou-
jours extrêmement fine & tendre.
Îl vaut donc mieux imiter la Na-
Ecu
406 MANUEL D'AGRICULTURE
ture que de fe rendre auüx infinua-
tions de ces nouveaux Auteurs qui
veulent qu'on féme le fain-foin par
rangées & par efpaces; ce qui ne
peut qu'en faire venir les tiges ex-
trèmement grofles & dures.
C'eft pourquoi, danse baïl dontil
eft queftion , il y feroit expreflement
marqué que dans ces mauvais terreins
ii fera au moins employé pararpent
juiqu'à dix-huit hoïfleaux de femen-
ce de fain-foins , mefure de Paris,
tandis que dans les terreins ordinai-
res & même les meilleurs , il n'y
feroit queftion que de feize,
Il y feroit encore dit, qu’à l’égard
de la luzerne & du treffle, qu'on
ne hazarderoit point dans ces mauvais
terreins , on en fémeroit par arpent
vingt à vingt-cinq livres pefant dans
les bons, & dans ce qui feroit jugé
pouvoir leur être propre,
POUR LE PROPRIÉTAIRE.407
Ilconvient beaucoup mieux afluré-
ment que toutes ces graines ne foient
point femées fuivant la Méthode de
M. Thull, mais fuivant l’ufage ordi-
naire de la Campagne, c’eft-a-dire,
à la poignée , parceque certe Me-
thode n'efl réellement bonne ( com-
me l’a déja dit l’Auteur des Prairies
artificielles | ) que pour contenter la
curiofité de ceux qui veulent voir juf-
qu'ou peut s'étendre € groffir une plan-
ze , quand elle ef? efpacée.
On fe récrie fi fortcontre les pailles
qui proviennent des froments femés
fuivant cette Méthode , parcequ'el-
les font fi grofles & fi dures que les
chevaux ne s’en foucient pas, qu'il
eft étonnant qu'on s'entête encore
de vouloir la foutenir.
En continuant de donner des in-
ftruétions aux Propriétaires fur tout
Cciv
408 MANUEL D'AGRICULTURE
ce qui peut les mettre en état de
réuflir dans leurs établiflemens de
prairies , il convient d'ajouter qu'il
ne faut pas qu'ils s'imaginent que
leurs Fermiers y contribueront en
rien ; quand même ils y trouve-
roient quelques profits , ils ne fe
prêteront à les faire , & à les bien
exécuter qu'autant que les Pro-
priétaires feront toutes les avances
néceflaires, & qu'ils les dédomma-
geront des terres qui y feront em-
ployées & fur tout ce qui pourroit
leur porter préjudice d’ailleurs.
Ainfi il fera encore énoncé dans
ce bail, que le Propriétaire livrera
a fon Fermier la quantité de femen-
ces, dont il aura befoin, pour enfe-
mencer la première portion qu'il
s'agira de mettre en prairie, fauf à
y inférer qu'elle lui fera rendue
dans le courant dudit bail; parce-
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 409
que,comme cette prairie ne fe fera
qu'en plufieurs années par égales
portions , la première ayant donné
aflez de femences pour femer la fe-
conde , & celle-ci, pouvant en don-
ner plus qu'il n’en faut avec la pré-
cédente, pour continuer, ainfi des
autres, on fe trouvera en état en
trois ou quatre ans, de reprendre
les premières femences que le Pro-
priétaire aura livrées.
Quant aux terres qu'il faudra em-
ployer a l'établiffement des prairies,
quine pourra excéder le huitiéme de
ce quipeut encompofer la Ferme, le
Propriétaire en tiendra compte à fon
Fermier au fur & à mefure qu’on en
prendra, à raïfon d’un feptier de fro-
ment du poids de cent foixante li-
vres par arpent , fi la Ferme ne pro-
duit que du froment , & d’un feptier
de fégle à la même mefure , auf par
410 MANUEL D'AGRICULTURE
arpent, f. la Ferme ne produit que
du fégle , n'étant ici queition que
des terres fans prairies, qui, tous
frais faits, & toutes charges & im-:
pôts acquittés, ne peuvent rappor-
ter , année commune, qu'un feptier
par an, quoiqu’elles produifent tous
les ans environ cinq pour un, con-
formément à l’eftimation générale
qui en a été faite ci-deflus dans les
Articles préliminaires, qu'on ne peut
contefter.
I! eft vrai que cette dépenfe oc-
cafionnera une déduétion affez con-
fidérable fur le prix du bail ; mais,
étant faite, 1l ne fera plus queftion
d'y revenir, ayant l'attention d’en-
tretenir toujours & de renouveller
la prairie , quand il en fera befoin ,
a la différence des réparations de
maifons qu'il faut fouvent répéter ,
& avec beaucoup plus de dépenfes
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 411
qu'il n’en eft queftion ici, avec cette
grande différence encore, qu'on re-
tirera bien au-delà de cent pour
cent de la dépenfe qu’on aura faite
pour un bon établifiement de prai-
ries, comme on le verra ci-après.
Le Propriétaire tiendra encore
compte à fon Fermier des veaux &
agneaux qu'il l'obligera de garder,
pour l'augmentation des beftiaux,
a raifon de la prairie , & à raïfon des
pailles ; il lui en tiendra compte fi-
vant l’eftimation dont il fera con-
venu dans le bail ; bien entendu
que , fi le Fermier quitte après l’ex-
piration de fon bail, il ne pourra
emmener les beftiaux que fon Pro-
priétaire lui aura ainf payés , & qui
hu appartiendront.
Enfin , le Propriétaire tiendra
compte à fon Fermier des labours
extraordinaires qu'il faudra donner
412 MANUEL D'AGRICULTURE
aux terres qu'on mettra en prairies,
puifqu'il eft indifpenfable de les
foncer autrement que celles qu'on
met en bleds, & 1l lui en tiendra
compte à raïon du prix du lieu par
arpent ; bien entendu encore que,
dans l’eftimation dont on convien-
droit , le Fermier déduira les labours
qu'il auroit été obligé de donner,
s'il avoit été queftion de les mettre
en bleds.
Ainfi, pour réfumer en peu de
mots les claufes & conditions qu'on
inferera dans un bail de neuf ans,
qu'il eft plus à propos de préférer à
un bail de fix ans quand il s’agit de
faire faire un établiflement de prai-
ries, 1l y fera ftipulé :
1°. Qu'il ne s'agira que de pren-
dre un huitiéme des terres qui com-
pofent la Ferme , & que ce huitié-
me fera également pris fur les trois
foles qui la divifent ;
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 413
2°. Qu'il ne fera exécuté qu’en
fix ou fept années, par égale por-
tion , parcequ'il faut attendre les
pailles par rapport aux beftiaux ;
3°. Qu'on n’y employera que les
plantes qui feront les plus conve-
nables aux terreins qu'on prendra ;
4°. Que les terreins feront foncés
autant qu'il fera pofhble de le faire ;
5°. Que toutes ces plantes feront
femées plutôt drû qu'autrement ,
& qu'on employera par arpent les
quantités de femences qu'on vient
de déterminer pour chaque efpéce ;
6°. Que le Fermier fera dédom-
magé dans tout le courant de fon
bail des rerres qu'on employera à
l'établiffement de prairies, à raifon
d'un feptier par arpent, chaque an-
née ;
7°. Qu'on lui payera les veaux &
agneaux que le bétail qu'il aura em-
414 MANUEL D'AGRICULTURE
mené dans la Ferme produira, à rai-
fon de ce qu'ils vaudront dans le
lieu & dans le Canton;
8°. Qu'on lui tiendra compte des
labours extraordinaires qu'il don-
nera pour la réuflite de la prairie ;
9°. Que, faute de l'exécution de
toutes les conventions qui concer-
nent le Fermier , le Propriétaire de
fon côté ayant tenu exa@tement les
fiennes , 1 feroit tenu à la fin du
bail envers fon Propriétaire de cer-
tains dommages & intérêts dont on
feroit convenu dans le bail.
Voilà donc ce qui peut concerner
le premier bai où il feroit que-
ftion de l’établiflement d’une prairie.
2
Ce)
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 415$
CG H:A:PUE TE RE: LIE
Ce que le Propriétaire doit encore faire
après l'établiffement de la Prairie.
A
KZ UAND le premier bail de neuf
ans fera expiré, pour lors la prairie
fe trouvera établie ; les amande-
mens auront été beaucoup plus forts
que dans tous les baux précédens;
les terres auront rendu beaucoup
plus de païlles, ainfi que beaucoup
plus de grains, & les beftiaux sÿ
trouveront en plus grande quantité.
Cependant ni les beftiaux ni les pail-
les ne feront pas encore au point
d'augmentation qu'il leur faut pour
fe trouver en état de pouvoir aman-
der tous les ans la fixiéme ou da
neuviéme partie des terres qui com-
pofent le corps de Ferme, n'y ayant
416 MANUEL D'AGRICULTURE
que cela , comme on la fi bien éta-
bli ci-deflus, qui puifle réellement
effeduer le renouvellement de l’en-
grais fur fa totalité, & par confé-
quent le doublement & le triple-
ment de fon revenu & de fa loca-
tion , qui font tout l’objet de l’éta-
bliflement de la prairie.
C’eft pourquoi , dans le bail fui-
vant, qui fera encore de neuf ans,
en laiflant au Fermier les trois ou
quatre premières années pour ache-
ver l'augmentation néceflaire des
beftiaux & des pailles, ilne feroit
queftion après que du doublement
de la location de la Ferme pour le
continuer jufqu'à ce que ce fecond
bail foit expiré, en ajoutant à ce
doublement de location , le loyer
de tout ce qui fe trouveroit en prai-
rie , à raifon d’un feptier de froment
par arpent , fi la Ferme produit du
froment
FOUR LE PROPRIÉTAIRE. 41%
froment , & d'un feptier de fégle,
fi elle ne produit que du fégle ; par.
cequil convient qu'un Propriétaire
tire parti de tout ce qui compofe fa
Ferme ; & même dans les trois pre-
mières années de ce bail, il y feroit
déja queftion du loyer de la prairie
à raion de cette eftimation.
Il eft bien certain que, auand on
eft parvenu à pouvoir amender , tous
les ans fans difcontinuation , la fixié-
me ou la neuviéme partie des ter-
res qui compofent un corps de Fer-
me , elles ne peuvent que doubler
& tripler tous les ans en revenu: on
l'a fi bien fait comprendre dans les
Articles Préliminaires, qu'il n'y «
point de Fermier qui Ôsàt en dif-
convenir.
Dans ce fecond bail , il y fera ex-
prefiément énoncé que le Fermier
entretiendra la prairie , ce qu'il exé-
| Dd
418 MANUEL D'AGRICULTURE
cuteroit en retournant une por=
tion qui commenceroit à finir , pour
en établir ailleursune pareille , dans
Ja même efpéce de plante qu'il au-
roit détruite : ce qu'ilne manque-
roit pas de faire, tous es ans , c’eft-
a-dire quand il en feroit néceflaire
pour entretenir toujours la même
quantité de prairies.
Si, pour ce fecond bail, il s’agit
d'un nouveau Fermier , le Proprié-
taire lui remettra les beftiaux qu'il
aura achetés à fon Prédécefleur, au
moyen du payement qu'il lui a fait
des veaux & agneaux que pro-
duifoit le bétail à lui appartenant,
& il aura foin que , fon nouveau Fer-
mier ait aflez de beftiaux pour com-
pletter, avec ce qu'il y trouvera à
lui appartenant, le même nombre
qui fe trouvoit ci-devant.
Les beftiaux, qui fe trouveroient
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 419
ainfi appartenir au Propriétaire, {e-
roient à celui-ci d'une grande utilité
nonfeulément pour trouver des Fer:
miers {uffamment montés , mais
pour aider à compietter le nombré
de beftiaux néceffaire ; il n'en exi:
geroit même ; pour toute obligation
de la part du Fermier , que de retrou-
ver famême quantité à la fin du bail,
Le fecond bail expiré , il n’y aura
point à héfiter de tripler la location
du baïl fuivant, parceque les reñou:
vellemens d'engrais commençant à
s'exécuter fur la totalité de la Fer
me ; les terres qui ne rapportoierit
que cinq pour un, avant l’établiffez
ment dé la prairie , rapporterornit
pour lors, au moins fept pour ur;
ce qui fuñit pour être en état de de<
mander trois cinquiémes en fus du
produit total de la Ferme,
Dds
4:0 MANUEL D'AGRICULTURE
En fe rappellant ce qui a été fi
bien détaillé à ce fujet dans les #r-
ticles Préliminaires |, on comprendra
parfaitement , que deux cinquiémes
en fus au pardeflus de tous les frais,
impôts, &c. font un doublement de
revenu , & que trois cinquiémes en
fus font un triplement.
C’eft tout ce qu'on peut exiger
d'un bon arpent deterre , que de rap-
porter, année commune, environfept
pour un (le feptiêr à raïfon du poids
de cent foixante livres ) & fur-tout
de tout un corps de Ferme , quine
peut que comprendre bien des iné-
galités dans les qualités de terrein
qu'il peut avoir. Ainfi, dans tous les
baux fuivans, il ne feroit plus que-
{tion d'aucune augmentation, quoi-
que cela paroïfle beaucoup plus
avantageux au Fermier qu’au Pro-
priétaire.
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 421
La bonne façon de louer, c'eft de
donner à gagner à un Fermier,
pour en être bien payé.
Dans ces trois baux de neuf ans
chacun , un Propriétaire auroit la
fatisfation de voir par lui-même les
effets furprenans , qui réfulteroient
de fon établiffement de prairies;
puifqu’au fecond bail fa Ferme com-
menceroit à rapporter une fois plus,
& que dès le commencement du
bail fuivant , le revenu en feroit
triplé.
Mais comme tout cela exige quel-
ques détails & quelques attentions
qui pourroient n'être pas du goût
de bien des Propriétaires, ils pour-
ront , s'ils veulent, ou plutôt sis
le peuvent, profiter de la Déclara-
tion du Roi, qui autorife de prolon-
ger les baux de corps de Ferme juf-
Dd 1}
422 MANUEL D'AGRICULTURE
qu'à vingt-fept ans, à condition d’a-
méliorations, &c,
En ce cas, en donnant fa Fer«
me à un prix raifonnable , il ne s’a-
gira , les douze premières années de
ce bail, que de charger le Fermier
de l'établiflement de la prairie , de
l'augmentation des beftiaux, & de
mettre le tout en état de parve-
nir à en amender tous les ans la fixié-
me ou la neuvième partie, fans qu'il
oit queflion d'aucune augmentation
pendant tout ce tems, & 1l ne s’agi-
voit d'en doubler & tripler la loca-
tion que conformément aux tems
qu'on a obfervés dans les baux de
neuf ans,
Cela feroit plus commode pour
un Propriétaire , de donner ainfi à
long bail fa Ferme : mais s'il ne
trouvoit pas de Fermier, ou plutôt
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 423:
s'il n'en trouvoit que de très-difi-
cultueux , 1l n'héfiteroit pas de s'en
tenir à ne faire que des baux de neuf
ans pour faire faire par lui-même
fon établiflement de prairie qui lui
coûteroit fi peu.
D d iv
424 MANUEL D'AGRICULTURE
CH AP DE RE ASIN.
Ce qu'un Proprietaire doit [çavoir pour
donner une jufle eflimation a la
location de fa Ferme.
e, Uoreu’ox puifle ainf doubler
& tripler la location d'un corps de
Ferme , qui aura été rétabli & remis
en bonne valeur , cela doit néceflai-
rement fuppofer qu'auparavant il
étoit loué raifonnablement , puif-
qu'autrement , on tomberoit dans
un prix qui excéderoit toujours ce-
lui de la Ferme; c’eft ce qu'il faut
éviter, pour trouver facilement de
bons Fermiers. Il faut donc qu'un
Propriétaire fe mette au fait de la
jufte évaluation qu'il convient de
donner à fon corps de Ferme , en
quelque fituation qu'il prufle être ;
UR LE PROPRIÉTAIRE. 425$
c’eft-à-dire, foit qu'il fe trouve en
bonne valeur , foit qu'il n'y foit
point , pour pouvoir en tirer une
location qu’on foit en état de lui
payer.
On peut dire qu'aujourd'hui les
Propriétaires louent leurs Fermes
fans en connoitre la valeur, & fans
fçavoir quels en font les frais, les
charges & les impôts, avant de pou-
voir en tirer un produit net; tout ce
qui les guide, font d’anciens baux
qui ne fervent au contraire qu'à les
tromper, puifque les impôts & char-
ges d'Etat , dont font a@uellement
chargés leurs corps de Ferme, font
bien différens de ce qu'ils étoient
anciennement. Quand on diroit qu'ils
font doublés, triplés, & même plus,
on ne diroit rien de trop. |
Faute d'y faire attention , on veut
louer le même prix ; on veut même
4:26 MANUEL D'AGRICULTURE
augmenter, & cependant on trouve
des Fermiers, parcequ'ils n’y font
pas aufü plus d'attention , ne cher-
chant, en louant ou en relouant,
qu'à vivre , à occuper une fa-
mille & a s'occuper eux-mêmes ,
fans s’'embarrafler de ce qu'il en ar-
rivera. |
C’eft ce qui occafionne la grande
mifère du Royaume , dont on fe
plaint préfentement avec raïfon,
les Fermiers, ne pouvant que s’ac-
quitter des impôts dont leurs Fer-
mes font chargées , ne payent point
leurs Propriétaires ; & ceux-ci n'é-
tant point payés, ou ne l'étant que
très-mal, font fort embarraflés de
leur côté d’acquitter les impôts dont
ils font chargés.
Il eft bien certain que c’eft la mê-
me terre qui doit payer les impôts
. du Fermier comme ceux du Pro-
prictaire.
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 427
C’eft pourquoi , avant de fçavoir
ce qu'il peut refter au Fermier, il
faut néceffairement commencer par
prélever non-feulement les frais de
geftion , mais encore les impôts
dont il eft chargé, comme Taille,
Capitation, frais de Milice, en n'ou-
bliant pas d'y comprendre ceux de
Corvées.
On a démontré dans l’Arsicle TITI
des Préliminaires de ce Manuel, par
un détail qu'on ne peut contefter ,
que fur toutes les terres du Royau-
me, qui font cultivées & qu'on fait
valoir , foit qu’elles foient bonnes,
foit qu'elles foient médiocres, il faut
néceflairement y prélever quatre
feptiers de bieds par arpent, pour
acquitter tous les frais & impôts
dont les Fermiers font chargés,
avant qu'il foit queftion de penfer
à payer le Propriétaire.
418 MANUEL D'AGRICULTURE
On a établi dans ce même A#rri-
cle, que généralement toures les ter-
res du Royaume , qui font fans praï
ries , ne rapportent tout au plus que
cinq pour un.
Il n’eft pas moins vrai que la plus
forte évaluation qu’on puiffe don-
ner aux meilleures terres du Royau-
me , qui font en fi petite quantité en
comparaïon des autres, c’eft de rap-
porter, (tous les frais & impôts ci-
deflus acquittés) trois feptiers par
arpent , c'et-à-dire de produire à
raïfon de fept pour un.
On fçait bien qu'un bon arpent de
terre peut rapporter plus de fept
pour un; il peut même aller jufqu'à
dix ; mais ce ne fera pas tous les
ans, parceque , quoique les années
fe fuivent , elles ne fe reflemblent
pas toujours ; d'ailleurs dans un
corps de Ferine qui en contient une
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 429
certaine quantité, il ne faut pas
croire qu'ils rapportent tous égaie-
ment : ainfi, en mettant les meilleu-
res terres les unes dans les autres,
année commune, à raifon de fept
pour un par arpent , c’eft la plus
jufte valeur qu’on puifle leur don-
ner à toutes en général.
Un fait qui eft encore très-vrai,
& qu'on ne peut aufhi contefter,
c’eft qu'il y a bien des terres dans le
Royaume, indépendamment de cel-
les qui ne rapportent que cinq pour
un, qui , quoique cultivées & affer-
mées , ne rapportent rien aujour-
d’hui ; c’eft-à-dire qu’elles ne rappor-
tent tout au plus que trois à qua-
tre pour un, à caufe des fufdits frais,
impôts & corvées; aufli font-elles
prefque abandonnées; cependantles
Propriétaires ne font pas moins te-
nus d'en acquitter les vingtiémes &
430 MANUEL D'AGRICULTURE
autres charges , comme entretien,
réparations , &cs
Les Propriétaires ne pouvant donc
tabler que fur ces différentes efti-
mations, & que fe régler en confé-
quence, pour bien déterminer la
jufte valeur qu'ils doivent donner
aux locations de leur corps de Fer-
me , après s'être bien informés de
la qualité des terres qui peuvent les
compofer, fi elles ne rapportent qu’à
raifon de cinq pour un , parcequ’el-
les font fans prairies , 1ls n'héfiteront
pas de ne les louer qu’à ratfon d'un
feptier l’arpent, attendu qu'il en
faut néceffairement prélever quatre
pour acquitter tous les frais & im-
pôts dont elles font chargées. Ce
fera pour eux la meilleure façon d'en
agir avec leurs Fermiers, puifqu'au
lieu de n’en avoir rien, ils tireront
du moins quelque chofe.
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 431
Si au contraire leurs corps de Fer-
me font fitués dans les meilleurs
Cantons, foit parceque la Nature y
a établi des prairies & des beftiaux
en fuffifante quantité, foit par rap-
port à leur heureufe poftion, ils
pourront les louer à raifon de trois
feptiers l’arpent, parcequ’elles rap-
porteront fept pour un ; &, dans le
cas que , fuivant l’eftimation qu’ils en
feroient faire , & dont ils feroient
aflurés , elles ne rapportaffent que
fix pour un, ils ne loueroient qu'à
raifon de deux feptiers l’arpent.
Mais fi leurs terres fe trouvoient
dans ces malheureux Pays & Can-
tons qui font fans prairies & qui
ne rapportent qu'a peine de quoi
payer & acquitter les frais, charges
&c impôts auxquels ils font afflujet-
tis, fans pouvoir en rien tirer pour
eux, & fans être payés des loca-
432 MANUEL D'AGRICULTURE
tions qu'ils en ont faites , ils cefle-
ront d'en rien exiger, & ils lesregar-
deront comme des maïfons détrui-
tes & fondues , dont on ne peut
tirer aucuns loyers, à moins qu'elles
ne foient reconftruites.
Ainfi ils n'héfiteroient pas d'y
faire établir des prairies & des be-
ftiaux , dans l’exaéte proportion
qu'on a donnée ci-deflus, en fe fer-
vant de leur Fermier ; ils atten-
droient , pour commencer à les
louer qu’ellesrapportaflent cinq pour
un ; ce ne feroit donc qu'un feptier
par arpent qu'ils en exigeroient
d’abord ; enfuite quand les engrais
deviendroient afiez forts pour pou-
voir en amender tous les ans la fixié-
me ou la neuvième partie , pour
lors ils pourroient en doubler la lo-
cation à raïfon de fix pour un, & à
la fin ils parviendroient, comme on
l'a
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 43 3
Va fait voir ci-deflus, à pouvoir là
tripler , en mettant l’arpent à fept
pour un ; ils pourroient compter
qu'ils feroient dédommagés au cen-
tuple, & bien au-delà de la dépenfè
qu'ils auroient pu faire:
Tous les Propriétaires prenant
ainfi lé parti de louer auf raifonna-
blemént à caule de tous les impôts,
chargès & corvées dont on vient de
parler , tout fe rétabliroit dans le
Royaume ; les Fermiers fe voyant en
état de payer toutes leurs redevan-
ces & toutes leurs charges, s'acquit-
teroient d'autant plus volontiers des
établiffemens de prairies qu'on leur
feroit faire , qu'ils verroient leurs
profits augmeriter de jour en jour
par les augmentations d'engrais dont
ils profiteroient ; & les Propriétaires
fe verroient bien plus en état d’ac-
quitter les impôts & charges aux-
Ee
434 MANUEL D'AGRICULTURE
quels ils font eux-mêmes aflujettis ,
puifqu'ils feroient plus exaétement
payés de leurs Fermiers.
Il réfulteroit même de cette juite
évaluation de toutes les terres que
les Fermiers n'héfiteroient pas de
doubler & de tripler leur location ,
lorfqu'ils verroient que les renou-
vellemens d'engrais pourroient exa-
étement fe faire fur toute la conte-
nance de leur corps de Ferme, &
ils n'héfiteroient plus, foit qu'il fût
queftion de baux de neuf ans, foit
qu'il fût queftion de les prolonger
jufqu’à vingt-fept ans.
Cependant on ne prétend pas dé-
ranger tant les baux qui fubfiftent ,
que les faufles eftimations qui ont
pu ètre faites.
En laïffant le tout fur le même
pied , & attendant qu’on ait à renou-
eller le bail, on ne reloueroit pour
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 43 $
lors qu'à raifon de cinq pour un,
Enfuite , quand on verroit que les
terres commenceroient à rapporter
le double, c’eft-a-dire , qu'au lieu
de cinq pour un, elles commence-
roient à rapporter fix pour un, &
quand on vérroit qu'elles rapporte
roient fept pour un, c'eft-a-dire le
triple, on ne doubleroit & ne tri-
pleroit les nouveaux baux que l'on
feroit qu'à raifon de la jufte éva-
luation qu'on leur auroit donnéé
d’abord ; enforte que tout revien-
droit à fa juite vaieur, & qu'il ne
feroit plus queftion de misère dans
les Campagnes.
On ne manquera pas d’objeéter que
dans cette eftimation , qu'on fait
des terres, toute juite & toute équi-
table qu’elle paroifle, on n'y déter-
mine rien pour le profit du Fermier
qui doit être payé de fes peines.
; Ecij
436 MANUEL D'AGRICULTURE
Onrépond que quand une efti-
mation eft auf jufte & auffi raifon-
nable , on met un Fermier bien à
fon aife , & que, pour peu qu'il foit
entendu , il trouvera toujours à fe
tirer d'affaire : d’ailleurs ne lui refte-
t-il pas fa bafle-cour, fur laquelle
on ne prend rien, & qui peut lui
valoir beaucoup? En un mot l’efti-
mation qu’on vient de donner ef fi
raïlonnable qu'on peut être afluré
qu'aucun Fermier ne s'en plaindras
Az.
N°
PURE
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 437
CPE AP PT RE: V.
Ce qu’il en coûteroit au Propriétaire
pour faire faire une prairie dans le
courant d'un bail de neuf ans.
t> N a beau vanter à un Proprié-
taire tous les avantages qu'il retire-
roit d'un établiflement de prairies,
qu'il feroit faire par fon Fermier,
& on a beau lui dire qu'il ne lui en
coûteroit prefque rien, qu'il n’au-
roit mème aucune avance à faire,
puifque toute la dépenfe, qu'il y
mettroit, ne confifteroit que dans
des déduétions & diminutions qu'il
feroit à fon Fermier fur la location
de fon bail, tout cela ne feroit pas
capable de le déterminer fi on ne
lui faifoit voir bien clairement &
bien nettement article par article,
Ee u]
438 MANUEL D'AGRICULTURE
en quoi pourroit confifter cette dé-
penfe, & à quoi elle pourroit mon-
ter.
On eft encore aujourd'huu fi peu
au fait de ce qui concerne l’Agri-
culture, fur-tout depuis qu’on eft
inondé de quantité de Méthodes,
qui ne fervent au contraire qu’à l’em-
brouiller , qu'il n'eft pas étonnant
qu'on ne {çache quel parti prendre,
& qu’on ne foit pas plus inftruit.
Il faut efpérer que ce Manuel ou-
vrira enfin les yeux, puifqu'il n'y a
point d’autre chemin à fuivre que
celui qu'il indique,
S'agiffant donc abfolument de
faire voir , & même de démontrer
le peu qu'il en coûteroit pour cette
dépenfe qi eft fi néceflaire , on s'y
prendra’ de façon qu'on n'aura rien
à répliquer , quoiqu'on en ait déja
parlé à la fin du Chapire IT de çe
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 439
Manuel | & qu’on n'ait pas manqué
d'y bien faire fentir fa modicité ;
cependant on n'héfite pas de la re-
tracgr ici, pour la mettre dans une
plus grande évidence.
On à établi que, pour faire faire
une prairie par un Fermier, il fal-
loit: 1°. Une certaine quantité de
femence que le Propriétaire devoit
avancer & payer. 2°. Qu'il falloit
une augmentation de beftiaux , que
le Propriétaire devoit faire à fes
dépens. 3°. Qu'il falloit retirer (4)
(a) Quand on dit qu'il faut retirer un hui-
tiéme des terres qu’en fair valoir, pour le met-
tre en prairies, on parle généralement, pou-
vant artiver que celles qui compofent la con-
tenance d’un corps de Ferme foient prefque
toutes de bonne nature & de bonne qualité, &
qu'il s'y trouve un bon fond qu'on pourroit
renouveller par le travail de la charrue ; en ce
cas , quoique la Nature n'y ait pas établi de
prairies, il ne s’agit pas d'y prendre un huitié-
me pour le mettre en prairies, puifauc les re-
Eeiv
440 MANUEL L'AGRICULTURE
de la Ferme qui eft louée un hui-
tiéme des terres qui forment {a cons
tenance , dont le Propriétaire ne
pouvpit fe difpenfer de tenir compte
à fon Fermier dans tout le cou-
rant du bail. 4°. Qu'il devoit encore
tenir compte à fon Fermier des la-
bours extraordinaires, qu'il donne:
roit pour mieux faire réuñlir la praï:
rie, | |
nouvellemens de terreins qu'on y feroit pour-
roient fuppléer aux renouveilemens d'engrais;
ainfi il ne feroic queftion que d'y faire une
prairie à proportion des amandemens qu'on y
jugeroic néceflaires & indifpenfables , qu'on ne
manqueroit pas de renouvelier toujours & d'en-
tretenir. On s'elt déja expliqué ainfi(dans le
Chapitre des Engrais, Article LIT. En un mot,
quand on dir qu'il faut prendre un huitiéme
pour un établiffement de prairie, c'eft qu'il
y a plus d_ terres qui font dans ce cas qu'au-
tement; ce qui n'empêche pas qu'on ne puifle
en prendre moins , fuivanr les qualités que
peut avoir le terre qu'on fait valoir.
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 44F
Voilà donc en quoi peuvent con-
fifter tous les articles de dépenfe.
Le premier ne coûtera rien au
Propriétaire ; parce que , comme on
l'a déja dit, il pourra fe faire rendre,
dans le courant du bal, toutes les
femences qu'il auroit avancées ; il
n'y a point de conteitation à faire
fur cet article , & on ne peut en
douter.
La dépenfe du fecond eft bien
peu de chofe, on ne fçait même à
quoi l'apprétier , puifqu'il ne s’agit
que d'acheter les veaux & agneaux
qui proviendroient des beftiaux que
le Fermier auroit mis dans la Ferme
en y entrant, & puifqu'ils appar,
tiendroient aux Propriétaires pour y
refter & pour aider par la fuite à
-monter fes Fermiers , quand il en
changeroit , 1l n’auroit aucune avan-
çe à faire , le montant de ces veaux
442 MANUEL D'AGRICULTURE
& agneaux pouvant fe déduire fur
la redevance du Fermier.
D'ailleurs les veaux & agneaux,
que les Propriétaires retiendroient ,
fe multiplieroient par la fuite , de fa-
çon qu'ils fe trouveroient bien dé-
dommagés de l'achat qu'ils en au-
roient fait , par la vente qu’ils pour:
roient faire du furplus qui en pro-
viendroit, quand ce ne feroit que
pour retirer l'argent qu'ils y auroient
mis.
Le troifiéme article eft plus fé-
tieux , puifqu'il s’agit de tenir compte
au Fermier des terres qu'on em-
ployeroit à la prairie , au fur & à
mefure qu'on en prendroit.
Quoiqu'on ne pourroit pasexcéder
le huitiéme de la contenance d’un
corps de Ferme , comme on ne peut:
moins faire , que de prifer l’arpent à
rafon d'un feptier par an en fro-
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 443
ment, fi la Ferme rapporte du fro-
ment , & en fégle fi elle ne ,rap-
porte que du fégle; il y auroit au-
tant de feptiers à déduire tous les
ans fur la redevance du Fermer,
qu'il y auroit d’arpens en prairies.
Dans une Ferme , par exemple,
qui feroit de trois cents arpens, le
huitiéme en faifant environ trente-
fix à quarante, ce feroit autant de
{eptiers dont il faudroit tenir compte
à un Fermier dans le courant de fon
bail.
.. Mais cela ne monteroit à cette
quantité , que quand la prairie {e-
roit faite; puifque ne pouvant l'être
qu'en fix ou fept années, comme on
l'a déja dit, on ne compteroit les
feptiers qui viendroient en dédu-
tion du bail, qu’au fur & à mefure
qu'on formeroit la prairie, & qu'on
prendroit d’arpens de terre pour l’é-
teblir,
444 MANUEL D’AGRICULTURE
Sur un corps de Ferme qui ne
feroit que de cent cinquante arpens,
il ne s’agiroit que de moitie de dé-
duétion , ainfi des autres, à raifon
de leur contenance.
Cela ne laifferoit pas que de
diminuer la redevance de ce pre-
mier bail de neuf ans, qu'on de-
ftineroit à l’établiffement de la prai-
rie ; mais il en feroit de cette di-
minution comme de celle qu'on
eft obligé de faire à un Locataire
de maïifon , quand il furvient quel-
ques grofles réparations qui l'obli-
gent de fe retirer à l'écart, & de
n'en occuper qu'une partie, pour
laifler aux Ouvriers la liberté de
travailler ; avec cependant cette dif-
férence que, quand la Ferme feroit
réparée par un bon établiflement
de prairie, on en tireroit le doubie
& le triple de ce qu'elle étoit louée ;
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 44
au lieu qu'ilne feroit queftion, pour
la maïfon , que d'en continuer le
loyer au même prix , quoiqu'il y
ait été fait beaucoup plus de dé-
penfe qu’à la prairie.
Avec encore cette différence que,
quand la prairie eft faite, il n'eft
plus queftion d'y revenir, puifqu'il
ne s’agit que de l'entretenir, com-
me on l’a déja dit, fans qu'il en coûte
rien de plus; on n’en peut pas dire
autant d’une réparation qu'on a faite
à une maifon.
On ne peut doncdifconvenir que,
quoique la dépenfe , dont on tien-
droit compte à un Fermier dans le
courant de fon bail des terres qu’on
prendroit pour l’établiffement d'une
prairie , paroïfle plus férienfe que
les autres dont ileft queftion, elle
ne foit très modique par elle-mê-
me , en comparaïfon des grands
446 MANCEL D'AGRICULTURE
avantages qui en réfulteroient, &
qui ont été fi bien démontrés,
Il ne feroit queftion de cette dé-
penfe, que dans le premier bail;
puifque dans tous les autres qui fui-
vroient , ne s'agiflant que d’entre-
tenir la prairie, on ne feroit plus
obligé à aucune déduétion envers
le Fermier,
On laiïfle à tous les Propriétaires
qui fe dérermineront à faire faire
des prairies, à en calculer la dépenfe
à raifon d’un feptier l’arpent, puif-
que le plus ou le moins dépend de
la contenance , que les corps de Fer-
me peuvent avoir.
À l'égard du quatriéme & dernier
Article , qui confifte à tenir compte
encore au Fermier des labours ex-
traordinaires , qu'il feroit tenu de
donner aux terres qu'on mettroit
en prairies, par les raïfons qu'on a
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 447
données ci-deflus ; cette dépenfe ,
qui feroit encore bien peu de chofe,
n'auroit lieu que dans le courant du
premier bail; puifque dans les fui-
vants , on pourroit la mettre fur le
compte du Fermier, attendu qu'il
feroit tenu d’entrenir toujours la
prairie.
Si un Propriétaire prenoit Le parti
de faire valoir par lui-même, enne
faifant fa prairie, & l’augmentation
des beftiaux qu’au fur & à mefure de
l'augmentation des pailles, & en ne
s'écartant point de cette régle ,ilne
dépenferoit pas plus à bien monter
fa Ferme , qu'un Fermier qui y en-
treroit ; c'eft un fait qu'on ne peut
encore contefter.
Tout ce dérail n'eft donné que
dans le cas qu'un Propriétaire ne
fe foucieroit pas de profiter de la
Déclaration du Roi, qui autorife
448 MANUEL D'AGRICULTURE
de prolonger les baux des terres la:
bourables jufqu'a vingt-fept ans; &
même dans le cas où 1l ne trouve-
_roit pas de Fermiers qui vouluffent
s'engager pour un auffhi long-tems ;
car, quoique cette Déclaration foit
fi avantageufe , tant pour les Pro-
priétaires que pour les Fermiets , en-
core peut-il s’en trouver de part ou
d'autre , qui aimeront autant, &e
peut-être mieux s’en tenir aux baux
de neuf ans.
L'Auteur des Prairies artificielles
l'a expérimenté, puifqu'ayant pro-
pofé un bail de vingt-fept ans à un
Fermier à raifon d'un établiffement
de prairie avec tous les avantages
qu'il pouvoit fouhaiter ; celui-ci a
répondu qu'il ne vouloit point en-
gager ni fa femme ni fes enfaris
dans le cas où il ne furvivroit pas
à ce long ball,
Tout
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 449
. Tout ce détail n’eft encore donné
que pour infiruire les Propriétaires,
puifqu'ils feront beaucoup plus en
état de voir lequel des deux partis
leur conviendra le mieux, ou de
ne louer que par des baux de neuf
ans , ou de louer pour plus longues
années:
y a même apparence que les
baux de neuf ans feront plutôt du.
goût d'un Fermier que les baux de
vingt-fept ; puifque , comme ül y
feroit queftion dune augmentation
aufli confidérable que celle qui eft
ici propolée , quand même dans ce
bail de vingt-fept années, on lui ac-
corderoit les douze premières à rai-
fon de l’eftimation la plus raifonna-
ble, & quand elle feroit telle qu'on
l'a fixée ci-deflus, encore pourra-til
penfer que, s'il s’y déterminoit , il
auroit fujet de s'inquiéter.
| F£
450 MANUEL D'AGRICULTURE
Ainfi, fiun Propriétaire veut pren-
dre férieufement le parti de réparer
fa Ferme par un bon établiflement
de prairies , il ne doit point héfiter
de: commencer par s'en charger :
après quoi , quand le Fermier ver-
roit par lur même tout ce qu'ilen-
réfulteroit , il ne balanceroïit plus
d'acquiefcer au doublement &'mê-
me au triplement de fa location.
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 451
CHA TRE SVI
De certaines attentions que le Proprié=
zaire doit avoir fur fon Corps
de Ferme.
ÂL ne fuffit pas de faire faire, par
fon Fermier, un établiflement de
prairies , qui puifle nourrir afiez de
beftiaux pour pouvoir, tous les ans,
amender fans difcontinuation la fixié-
ne ou la neuviéme partie de fon Corps
de Ferme , à l'effet d'y entretenir
toujours le renouvellement de l’en-
grais , 1l faut encore que le Proprié-
taire ait l'attention que fon Fermier
foit bien monté , c’eft-à-dire qu'il
ait aflez de chevaux ou de bœufs
pour pouvoir bien labourer & cul-
tiver fa Ferme.
On a établi dans le Manuel pour le
Ffi
452 MANUEL D'AGRICULTURE
Laboureur , que la perfettion du La-
bour confiftoit à renouveller un
terrein par le travail de la charrue ,
quand il s'y trouvoit aflez de fond
pour pouvoir l'exécuter ; & on a
établi , pour cette raïfon , qu'une
charrue ne devoit comprendre , tout
au plus,que vingt à vingt-cinq ar-
pens de terre par fole , d'autant plus
encore qu'il ne falloit faire les la-
bours qu'à propos & en des tems
convenables.
Ainfi , fi un corps de Ferme eft
compofé de trois cents arpens de
terre , il faut qu'il foit monté com-
me ayant quatre ou cinq charrues
fuivant que les terres {ont plus ou
moins fortes, ainfi d'un autre à pro-
portion.
On objeétera , fans doute, que
dans la fituation où font aétuelle-
ment nos Campagnes, il eft bien dif-
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 453
ficile de trouver des Fermiers qui
foient bien montés ; & que, fi on
y infiftoit abfolument , on courroit
grand rifque de ne point louer fa
Ferme.
En ce cas, plutôt que de flufer
des terres incuites , il faut prendre
un Fermier tel qu'on le trouve, en
s’attachant feulement à ce qu'il foit
laborieux , intelligent & d'une bon-
ne conduite.
Cependant il feroit de Favantage
du Propriétaire de lui avancer ce
quil faudroit pour achever de fe
bien monter; puifqu'autrement, ne
pouvant que mal labourer fes ter-
res, elles ne rapporteroient pas à
beaucoup près autant que fi elles
étoient bien cultivées.
Ce que le Fermier acheteroit au
moyen de l'avance qui lui auroit
Ffij
454 MANUEL D’A GRICULTURE
été faite , ne fufiroit-1l pas pour en
répondre avec toutes les autres fü-
retés qu'un Propriétaire pourroit
prendre ? & pourroit-il courir aucun
rifque ?
Mais les Propriétaires n'enten-
dent pas encore cela; il faut efpé-
rer qu'ils l'entendront quand ils fe-
sont mieux inftruits fur l’Agricultu-
re ; cependant on n'héfite pas de
prèter à des perfonnes qui doivent
nous intérefler beaucoup moins
qu'un Fermier, & qui n'ont pas mê-
me autant de füretés à donner.
Une autre attention qu'un Pro-
priétaire doit encore avoir, c'eft
que dans le tems que fon Fermier
travaille à faire fa prairie, il pour-
roit s'y tranfporter pour voir com-
ment il s’en acquitte ; cela en vau-
droit bien la peine, puifqu'il ne s'a-
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 455$
git pas moins que de parvenir cer-
tainement, comme on l'a démontré,
à doubler & à tripler le revenu de
{a Ferme, 8 même le fond , étant
toujours eftimé à raifon de ce qu'il
peut rapporter. Pour des objets bien
moins intéreflants, on n'héfite pas
de faire des voyages éloignés.
Partout ce qui a été dit dans ce
Manuel pour le Propriétaire, on doit
voir qu'il n'y eft pas queftion de l’en-
gager à faire valoir par lui-même ;
parceque, dès qu'il s'acquitteroit,
en cette qualité. , de fes obligations
envers fon corps de Ferme, il tire-
roit autant de profit, que s'il fe don-
noit cette peine.
Si dans fon corps de Ferme il fe
trouvoit quelques défrichemens à
faire; comme cela ne peut que le
regarder , & nullement fon Fermier,
Ffiv
456 MANUEL D'AGCRICULTURE
il feroit beaucoup mieux d’aiten-
dre , pour s'en occuper & ies fai-
re faire, qu'il eût remis en bonne
valeur les terres qui font en cul:
fure.
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 457
CH A PÉDRRE VIL
, os , . ,
Ce qu'un Propriétaire doit fcavoir de
l'Agriculture,
Quoi QU'IL paroifie qu'un Pro-
priétaire qui ne fait point valoir
par lui-même, pourroit fe contenter
de fe mettre au fait de la jufte va-
leur de fes terres & de tout ce qui
peut concerner un bon établiffe-
ment de prairies, 1l feroit cepen-
dant encore bien de fe donner une
idée jufte de l’Agriculture.
Etant le plus beau de tous les Arts,
le plus noble & le plus interreffant,
elle mérite bien qu'il en fafle fon
amufement.
S'il jettoit feulement un coup
d'œil fur Z Manuel pour le Laboureur,
il verroit en quoi confifte la vraie
458 MANUEL D'AGRICULTURE
méthode qu'on doit fuivre & pro-
pofer pour bien cultiver ; il verroit
encore qu'il ne peut y en avoir d’au-
tre , même dans tous les pays du
monde où on cultive ; puifque , dans
ce même Manuel, il eft démontré fi
clairement qu'elle fe trouve dans
l'explication des établiflemens de
toutes les Pratiques locales, tant en
général que féparément.
Il ne pourroit s'empêcher d’admi-
rer une découverte aufli précieufe ,
qu'il ne manqueroit pas de regarder
comme un préfervanif merveilleux
contre toutes les nouvelles & faufles
méthodes qu’on s’aviferoit de débi-
ter encore.
Il ne feroit pas moins furpris de
voir dans fon Manuel, une autre dé-
couverte qui n'eft pas moins intéref-
fante , & qui confifte ez ce qu’il n'ap-
partient qu'aux Propriétaires de remédier
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 459
au défaut de prairies, & que , ne l'ayant
pas fait jufqu’à préfent , 1ls ont occa-
fionné, ainf que nos Laboureurs par
leurs routines, le malheur de notre
Agriculture.
Une fimple leûure le mettroit
encore en état de bien veiller fur la
conduite de fon Fermier & de voir s'il
s'y prend bien pour exécuter les
établiffemens de prairies qu'il lui
fait faire ,& pour mettre fon corps
de Ferme en pleine valeur.
Etant donc aufhi intéreflant que
tout Propriétaire s'intruife ainfi, 1l
fembleroit néceffaire que dans l’édu-
cation de la jeunefle on fit entrer
cet art fublime qui apprend à cuiti-
ver la terre.
On y comprend quelquefois la
Géométrie , qui apprend l’art de la
mefurer ; le premier ne feroit-il pas
au moins aufh utile que l’autre ? Cela
460 MANUEL D'AGRICULTURE
tourmeroit même à l'avantage des
Bureaux d'Agriculture ; puifque ,
par la fuite , on pourroit n’y admet-
tre que des fujets qui, après avoir
été inftruits dans leur jeuneñe ,
auroient encore pratiqué & fait
valoir par eux-mêmes, pendant plu-
fieurs années , leurs propres Do-
maines.
Les premières idées qu'on don-
neroit ainfi à la jeunefle , lui infpi-
reroient pour l'Agriculture un goût
qui ne s'effaceroit jamais ; & qui,
fe perfeétionnant dans la fuite par la
pratique , feroit éclairé autrement
que celui qu'on a généralement au-
jourd’hui pour tout ce qui concer-
ne cet art.
Quels effets merveilleux n’auroit
pas cette éducation dans laquelle on
feroit ainfi entrer l'art de l'Agricul-
ture ? puifque les Propriétaires ne
POUR LE PROPRIÉTAIRE. 46 4
peuvent fe difpenfer, comme on l’a
démontré, de concoutir avec leurs
Fermiers , à tout ce qui regarde
‘ les réparations , améliorations & en-
tretien de leurs terres.
On pourroit regarder comme un
Rudiment d'Agriculture le Manuel
pour le Laboureur , qu'on donne 1c1 :
en amufant la jeuneffe , il auroit cer-
tainement l'effet d'exciter fa curio-
fité.
Ÿ
DATE
(er LU
&
Un AS
+
462 MANUEL, &rc.
CONCLUSION
De cette feconde Partie.
EN réfumant tout ce que J'ai écrit
en cette feconde Partie pour le Pro-
priétaire, 1l fera facile de remarquer
que , fi je lui ai tracé des devoirs, je
lui ai, avec la mème vérité, décou-
vert des avantages réels. L'on verra
encore que je ne me fuis pas con-
tenté de lui démontrer fes obliga-
tions ; mais que je lui ai de plus ex-
pofé les régles qu'il doit fuivre; régies
que j'ofe donner pour vraies, puifque
je les ai expérimentées moi- même
pendant trente années.
De la pratique de ces principes ;
il refultera néceffairement que les
richeffes de l'Etat augmenteront con-
fidérablement ; le Fermier fera plus
heureux, & le Propriétaire plus équi-
table & beaucoup plus riche.
Fin de la feconde Partie,
TROISIÈME PARTIE.
ME AN U EL
D'AGRICULTURE,
POUR
LE GOUVERNEMENT,
MANUEL
ME A N° UE JT
D'AGRICULTURE,
POUR
LE GOUVERNEMENT.
INTRODUCTION.
Avant fait voir auf évidem4
ment dans les deux Manuels précé-
dens , que les vraies caufes du dé-
librement de notre Agriculture
confiftoient dans les routines de nos
Laboureurs, dans le défaut de prai-
ties, par rapport à l'exécution de
| Ge
466 MANUEL D'AGRICULTURE
l'engrais , quieftfi importante; qu’el-
les confiftoient encore dansles im-
- pôts & charges de la Campagne; &
que, pour mettre les Laboureurs &les
Propriétaires bien au-deflus de ces
charges & impôts , 1l fuffifoit de
retirer les premiers de leurs routines,
& de déterminer les feconds à con-
courir avec leurs Fermiers pour
faire des établiflemens de prairies
artificielles : comme ces deux moyens
ne tendent pas moins qu'a doubler
& tripler le revenu de nos terres,
le Gouvernement ne doit point hé-
fiter de concourir de fon côté à les
faire réuffir.
Ainfi il s'agit de lui propofer:
1°. De concourir à retirer nos La:
boureurs de leurs routines;
2°. De concourir à remédier au
défaut de prairies ;
POUR LE GOUVERNEMENT. 46
3°. De connoitre la jufte valeur
de nos terres, pour fçavoir à quoi
fe réduit aujourd'hui le produit net
qu'on peut én retirer ;
4°. De s'infiruire de lAgricul-
ture,
CEA
Ggi
468 MANUEL D'AGRICULTURE
mm mm ue |
CHAPITRE PREMIER.
Comment le Gouvernement peut concoue .
. / .
rir a retirer nos Laboureurs de leurs
TOuULINES.
KZ UAND on a donné l'explication
des Pratiques locales dans le cinquié-
me Article des Préliminaires , on ne
l'a fait que parceque nos Laboureurs
les entendent mal, & qu'ils ne s’ap-
perçoivent pas qu'il réfulte nécef-
fairement de leurs établiffemens &
des ufages qui leur font propres,
une admirable Méthode , la feule
capable de les retirer de leurs routi-
nes qui font un tort fi confidérable
dans l'Agriculture ; c’eft ce qu'on a
fait concevoir dans ce cinquiéme
Article des Préliminaires.
Car à quoi fe réduit généralement
POUR LE GOUVERNEMENT. 469
ce qu'ils apprennent préfentement
de leurs Pratiques locales? A fça-
voir feulement qu’elles contiennent
certaines opérations qui ont cha-
cune leurs ufages fixes & déter-
minés , auxquels ils s’aflujettiffent
fervilement fur tout terrein, & à
apprendre quels font les inftrumens
dont ils doivent fe fervir pour bien
travailler la terre.
Malheureufement pour l'avantage
de l'Agriculture , ils ne vont pas plus
loin, faute d'inftructions,
Or , comme le Manuel pour le
Laboureur n'eft donné que pour ex-
pliquer les Pratiques locales, & faire
voir qu'il en réfulte évidemment une
méthode qu'il eft fi intéreffant de
faire connoiïtre à tous les Labou-
reurs , le Gouvernement ne peut fe
difpenfer de le répandre & de le
Ggiül
470 MANUEL D'AGRICULTURE
diftribuer dans toutes les Campa-
gnes, :
On peut dire que ce feroit le plus
grand fervice qu'il rendroit à l'Etat,
puifque le Gouvernement doit mê-
me concevoir par tout ce qui a été
dit de cette Methode dans le Aa-
auel pour le Laboureur , qu'il ne fe-
soit pas poffbie de parvenir fans elle
à rétablir l'Agriculture.
Cette diftribution pourroit ne lui
sien couter, n1 mème aux gens de la
Campagne ; il feroit facile d'en don-
ner l’expédient,
On dira , fans doute , que les gens
de la Campagne ne lient pas. L
Suppofé qu'on parle ainfñ, on ne
feroit pas attention qu'on ne man-
que jamais de lire tout ce qui eft
utile à nos intérèts , & qu’on s’en fait
un plaifir, de quelque état & condi-
tion qu'on pue être,
POUR LE GOUVERNEMENT, 471
Les gens de la Campagne étant
auf attachés qu'ils le font à leurs
Pratiques locales , qui peut douter
qu'ils ne reçoivent avec avidité
l'explication qu’on leur en don-
nera ?
lis feroient même flattés de voir
qu’on regarde chacune de leurs Pra-
tiques locales, comme contenant le
feul Livre d'Agriculture qu’on puifle
propoler & fuivre; cela leur donne-
roit une curiofité qui ne pourroit
qu'avoir les plus merveilleux effets.
Qu'on fe fouvienne de ce qu’on
a dit ci-deflus au fujet de la patience
qu'a eu un Laboureur de copier en
entier le Traité des Prairies artif-
cielles ?
On n'en citera pas autant des
Nouvelles Méthodes, parcequ'elles
renverfent & détruifent les Pratiques
locales.
Gg av
472 MANUEL D'AGRICULTURE
CH ACP TT REPRATE
Comment le Gouvernement peut concou:
rir a remédier au défaut de. Prairies.
LE Gouvernement, pour concou:
rir à remédier au défaut de Prairies,
rendroit un Arrêt qui, en déclarant
(comme il a été dit ci-deflus dans la
troifiéme Sedion des Jachères Arti-
cle IT) que, pour faire une prairie
on n’excéderoit pas le huitiéme des
terres qu'on cultiveroit, feroit dé-
fenfe à tout Berger, ainfi qu'à tout
autre , d'y introduire fes bêtes blan-
ches, en quelque tems & en quelque
faifon que ce füt, fous dés peines
convenables , comme amende, pri-
fon, &c.
En conféquence, tous les Proprié-
taires n'héfiteroient plus de faire
POUR LE GOUVERNEMENT. 473
faire par leurs Fermiers des érabliffe-
mens de prairies,
Il y auroit mème des Habitans des
Villes ,qui prendroient le parti de fe
retirer à la Campagne pour faire
valoir par eux-mêmes leurs propres
Domaines & corps de Ferme, On a
déja parlé dans le premier Article
des Préliminaires ,| des égards & at-
tentions qu’ils mériteroient de la part
du Gouvernement.
Ce feroit faire un grand bien à
l'Agriculture que d’eñgager ainf les
Propriétaires à faire valoir par eux-
mêmes ; puifque , devant s'intérefler
bien autrement que des Fermiers à
mettre leur corps de Ferme en bon-
ne valeur , leur exemple & leur fuc-
cès en impoferoient bien davantage
dans les Campagnes.
Ceux qui fe diftingueroient le
474 MANUEL D'AGRICULTURE
plus , foit en faifant valoir par eux-
mêmes, foit en fe fervant de leurs
Fermiers pour faire des établiffemens
de prairies, ne mériteroient-ils pas
des honneurs, des récompenies, des
diftin@ions, fuivant leur état & con-
dition , comme on en accorde à ces
habiles Artiftes qui excellent dans
la Peinture , la Sculpture , l’Archi-
tecture , la Chirurgie , la Muf-
que , &c.
Pourquoi n’agiroit-on pas de mê-
me envers quelques Propriétaires
qui auroient excellé dans l’Agricul-
ture? puifqu’on ne peut lui refufer
le premier rang parmi les Arts.
Pour peu qu’on réfléchiffe fur cet
Art fublime de l'Agriculture , qui eft
l'unique fource de toutes nos richef-
fes réelles, on ne peut qu'être ex-
trêmement furpris de voir quon
POUR LE GOUVERNEMENT. 475
l'ait ainfi négligé jufqu'à préfent ; il
femble mème qu'on n’ait cherché
qu'à l’aviir.
Quand mème cet Arrêt donne-
roit da liberté de faire des établif-
femens de prairies dans tous les
corps de Ferme où il n'y en auroit
pas ou pas aflez, encore fe trouve-
roit-il des Propriétaires qui ne fe
foucieroient pas d'y concourir ;
tels que les Bénéficiers , parmi le
Clergé , qui ne font qu'Ufufrui-
fiers.
En cette qualité , attendu la petite
dépenfe inévitable dans laquelle les
jetteroit, vis-a-vis de leurs Fermiers,
un établiffement de prairies, quel-
ques-uns s’en exempteroient peut-
être, parcequ'ils pourroient penfer
qu'ils ne jouiroient pas des grands
avantages qui en réfulteroient, &
qu'ils ne travailleroient que pour
leurs Succefleurs,
476 MANUEL D'AGRICULTURE
Pour lesengager & mème les obli-
ger à fe foumettre , comme tout Pro-
priétaire , aux établiflemens de prai-
ties, dans le cas qu'il en manqueroit,
ou quiln'y en auroit pas fufifam-
ment dans quelques unes des Fer-
mes de leurs dépendances , il n'y
auroit pas à héfiter de la part du
Gouvernement d'inférer dans ce mê-
me Arrêt, que, faute par eux de s’en
acquitter , & de les faire faire par
leurs Fermiers, le revenu des corps de
Ferme quine feroient pas mis enprai-
ries, feroit faifi au profit de l’'Econo-
mat, jufqu'à ce qu'ils y euffent fatisfait
ou commencé à le faire, lis mérite-
roient d'autant plus de n'être point
ménagés, qu'ils refuferoient alors
de concourir au rétabliflement gé-
néral de l'Agriculture.
Comme il y a aufli bien des Pro-
priétaires qui , fans ten au Clergé,
POUR LE GOUVERNEMENT. 477
ne font qu'Ufufruitiers , fçavoir
ceux qui font dans le célibat, & ceux
qui, étant mariés, n'ont point d'en-
fans , on n’oublieroit pas d’énoncer
dans cet Arrêt, que, faute par eux
de faire faire des établifiemens de
prairies dans les corps de Ferme de
leurs dépendances qui en aurotent
befoin , les revenus en feroient faifis
au profit du Domaine.
"Au moyen de ces précautions qui
font fi néceflaires; la France, en peu
d'années c’eft-a-dire en dix ou
douze ans au plus, commenceroit à
devenir également fertile & peuplée
par-tout ; & fe trouveroit enfin en-
tièrement femblable à tous ces
bons Pays & Cantons où la Na-
ture a fait des établiflemens de prai-
ries,
Les peres de famille étant naturel-
lement portés d'eux-mêmes à faire
478 MANUEL D'AGRICULTURE
tout ce qui convient pour rendre
leurs fucceffions plus confidérables,
fur-tout quand il y a peu à dépen-
fer, ne fe trouveroient pas léfés
de fe voir aflujettis aux établifle-
mens de prairies dans les-cas fuppo-
fés ci-deflus.
Cet Arrêt qui auroit le merveil-
leux effet de doubler & de tripler
les richeffes de l'Etat, & qu'on feroit
obferver avec la plus grande exaéti-
tude , feroit enregiftré dans toutes
les Cours & Jurifdiétions , pour que
perfonne ne püt l'ignorer.
72
>
C7)
<
N
)
4
POUR LE GOUVERNEMENT. : 439
NL A PA RCE III.
De quel avantage il feroit que le Gou-
vernement connût la jufte valeur
de nos Terres.
LE Gouvernement fera bien plus
emprefié de fe fervir des deux
moyens quon vient de lui propo-
fer pour concourir au rétablifle-
ment de lAgriculture , quand ïül
{çaura à quoi fe réduit préfentement
leftimation qu'on peut donner aux
terres qu'on fait valoir , & comment
elle doit fe faire.
Rien ne l'inftruira mieux, fur un
objet aufñi important, que le troifié-
me Article des Préliminaires ; on y
voit tout ce qu'il fant néceflaire-
ment prélever {ur un arpent pour en
connoitre le produit net.
On y apprend que fur fa plus
“ 480 MANUEL D'AGRICULTURE
grande partie des terres du Royau-
me, ce produit net, qui ne peut être
deftiné que pour payer le Proprié-=
taire , ne pouvant aller aujourd’hui
qu'à un feptier au plus par arpent;
( en fuppofant le feptier à raifon du
poids de cent foixante livres ; ) eft à
peine fufhfant pour payer les impôts
dont 1l eft chargé de fon côté, y
compris les frais d'entretien & de
féparation, n'y ayant point de corps
de Ferme fi peu confidérable qu'il
foit, qui n’aitune maïfon & quelques
dépendances. |
Ainf il ne refte prefque rien au
jourd'hui aux Propriétaires ; 1l y en
a mème qui ne retirent pas de quoi
payer les impofitions.
Cela a été prouvé dans le Mas
nuel du Propriétaire, Article IV; y
ayant bien des terres dans le Royau-
me , fur lefquelles, quoique labou«
rées
Four LE GOUVERNEMENT, 48 à
rées & cultivées, ce produit nef
d’un feptier par arpent, ne fe trouve
plus. Cependant toutes ces terres
quoique médiocres, pourroient rap-
porter ; tout prélevé, jufqu'à trois
feptiers pararpent, comme les meil=
leures terres du Royaume:
L’Auteur des Prairies artificielles ÿ
qui a fait valoir pendant trente ans,
l’a démontré de façon à n’en pouvoir
douter , s'étant fervi du moyen des
renouvellemens d'engrais bien exé-
cutés {ur tout un corps de Ferme,
La vraie fituation de notre Agri-
culture eft tellement repréfentéé
dans ces deux Articles (tant du côté
des Fermiers que du côté des Pro:
priétaires ) que , perfonne ne poui-
vant en contefter la vérité, il y a
d'autant plus à s’empreffer de la part
du Gouvernement ; de mettre en
exécution ce qu'on luipropofe, que,
Hh
482 MANUEL D'AGRICÜLTURE
s'il ne fe décidoit pas pour s’en ac=
quitter, toutes nos Campagnes cons
tinueroient à fe dépeupler, & de-
viendroient à rien.
Ainfi, de tous les projets qu’on
peut préfenter au Gouvernement
pour rétablir l'Etat, & pour l’enri-
chir, il n’y a que celui de concourir
de fa part à retirer nos Laboureurs
de leurs routines, & à remédier au
défaut de prairies , en ordonnant les
établiffemens dont il eft queftion, qui
puifle réellement avoir tout l'effet
qu'on peut défrer, parceque les
Fermiers , comme les Propriétaires,
feroient bientôt mis en état de pou:
voir s'acquitter des impôts dont ils
font chargés.
LUZ
C9
ak
$OUR LE GOUVERNEMENT. 484
D 8 9 6 TOME
CH A PA TRES IV:
Combien il feroit avantageux au Gouver:
nement de s'infrutre de l’Agriculiure.
ré E Gouvernement ne pouvant fe
difpenfer de concourir ainfi au réta-
‘bliflement de nos terres, & ce réta:
‘bliffement ne pouvant s’exécuter fañs
fon concours, l'Agriculture doit faire
‘Ta première & principale attention,
Quel eft l'Art , comme celui de
TAgriculture » qui mérite autant
qu'on s'y applique ? puifqu'en prati-
quant ce qu'on propofe dans cet
Ouvrage , on y découvré en mème
tems le véritable fecret de doublés
& de tripler les richefles de l'Etat,
comme celui de doubler & de triplex
celles des fujets, |
Hh ji
484 MANUEL D'AGRICULTURE
Y a-t-il rien, dans le Miniftère,
qui puifle autant l’intérefler ?
I n’y auroit donc point à héfiter
de comprendre cet Art fublime dans
l'éducation d’un Prince pour lui en
infpirer des idées juftes, & pour lui
en apprendre les véritables prin-
cipes.
Cet exemple feul fu“iroit pour
s’en faire un devoir dans toutes les
familles; & il n’y auroit ni Collége,
ni Univerfité qui osàt fe difpenfer de
l'enfeigner à toute la jeuneffe , en
fe fervant du Manuel d'Agriculture
qu'on donne ici, comme du feul
Rudiment dont on puifle faire ufage.
Qu'on juge de l'heureux change-
ment qui en réfulteroit en faveur
de l’Apriculture & en faveur de
l'Etat ?
Qu'on juge encore de celui qui
POUR LE GOUVERNEMENT. 48 ÿ
arriveroit dans tous ces Bureaux d’A-
griculture, qu’on a commencé à éta-
blir dans quelques Provinces ? Quel
emprefflement n'y verroit-on pas,
pour connoitre la véritable Méthode
de l’Agriculture , & les feuls moyens
qu'elle apprend pour la rétablir gé-
néralement ?
Quoique leurs établiffemens faf-
fent tant d'honneur au Gouverne-
ment préfent ; cependant , faute
de ce qu'on n’y a pas encore pris
une idée jufte de l'Agriculture , &
pour s'être trop livré à ces nouvel-
les Méthodes dont on a parlé , qu’en
eft -1l réfulté pour fon rétablifle-
ment ?
Il a été décidé dans lun que, pour
y parvenir , le meilleur parti qu’on
pouvoit prendre , étoit de fuppri-
mer les jachères pour les mettre en-
fièrement en prairies, & qu'il fem-
Hhü}
486 MANUEL D'AGRICULTURE
bloit qu’on en étoit déja convenu
aflez généralement.
Dans unautre , qu’on n’y parviens
droit jamais , qu'auparavant il n’y
eût une Loi en France , qui obligeât
tous les Propriétaires à échanger ré-
ciproquement fur les Terroirs toutes
les piéces de terres de leur corps
‘de Ferme qui y font ordinairement
difperfées, & par conféquent fé-
parées les unes des autres, pour
les réunir en une feule & même
piéce.
“Enfin un Bureau d'Agriculture
dont on devoit attendre une déci-
fion plus réfléchie, n’a fait autre
chofe que d'annoncer la nouvelle in-
vention d'unfemoir plus pe rfeétion-
né & moins coûteux que tous ceux
qu'on avoit propofé auparavant, fans
faire feulement attention que, toute
noire Agriculture ne fe trouvant
POUR LE GOUVERNEMENT. 457
qu'entre les mains des gens de la
Campagne , il ne feroit pas bien aifé
de l'y introduire, & que même on
n'y parviendroit jamais.
Tous ces écarts ont été fi bien re-
levés , tant dans le Manuel pour le
Laboureur | que dans le Manuel pour
le Propriétaire, qu'il n’eft pas pofñble
de les juftifier.
Si, par amour pour le bien pu-
blic & pour celui de l'Etar, la
générofité de ceux qui compofent
ces Bureaux , les engage à propo-
fer des Prix pour infpirer pius d'é-
mulation entre les Laboureurs & les
Fermiers, qu'ils lifent attentivement,
avant que de fe déterminer, la Wé-
thode qu'on donne ici, c’eft-à-dire
tout le Manuel pour le Laboureur ; ils
fçauront bien mieux à quoi s’en te-
nir fur les queftions intérefflantes
Hh iv
°
Li
488 MANUEL D'AGRICULTURE
qu'il conviendroit de donner à dé«
cider.
Ils verroient que prefque toutes
celles qu'on peut faire fur les diffé
rentes façons d'exécuter les opéra-
tions de l'Agriculture, relativement à
toutes les fortes de qualités de ter:
sein, ont été bien expérimentées &
qu'elles font décidées.
Par exemple, à l’occafion du Prix
qui eft annoncé dans la Gazette de
France du 11 Février 1764, au fu:
set de l'opération de l'engrais, n’a
t-on pas entièrement éclairci dans la
Seion qui la concerne , tout ce qui
peut l'intérefler pour s'en bien ac-
quitter , fur-tout en grand, c’eft-à-
dire fur la totalité d'un corps de Fer-
me, fi confidérahle qu'il puiffe être ?
L'on ayouera que cela eft bien
autrement intéreflant que de n'ap:
POUR LE GOUVERNEMENT. 489
prendre à la bien faire que fur quel-
quesarpens, comme on l’a déja établi
dans la Section des Engrais, Art. IE,
pag. 172; ce feroit même fe trom-
per, de penfer qu’en ne s'intéref-
fant que pour de pareils petits ob-
jets , on parviendra au rétablifle-
ment général de nos terres.
Ainfi les Bureaux d'Agriculture
ne deviendront véritablement utiles
& avantageux dans les Provinces,
qu'autant qu'on y travaillera bien
férieufement à opérer le grand Œu-
vre , qui fait tout l’objet de cet
Ouvrage.
J'avois intention de faire entrer
dans ce Manuel pour le Gouvernement ,
un Article concernant la liberté de
lexportation des bleds ; mais , toute
réflexion faite , la matière m'a
paru d'une telle importance , fur-
tout eu égard à l'état aétuel de no-
490 ManurL, &cc.
tre Agriculture , que j'ai penfé que
cette liberté ne devoit nine pouvoit
être bien examinée , quant à fon
utilité & à fes inconvéniens, que
par le Gouvernement même ; & J'ai
encore penfé que , fi on fe détermi-
noit dès-à-préfent pour cette liberté
d'exportation , foit limitée , foit 1ll:-
mitée , j'aurois toujours eu raifon de
dire , dans l’dée fommaire de cet Ou-
vrage, que, quand nos terres, par
les moyens infaillibles qu'on pro-
pofe , feront parvenues à rapporter
au double & au triple de ce qu'el-
les rendent aujourd'hui , les richef-
fes nous viendroient de toute part,
c'eft-à-dire , que le Royaume de
France deviendroit le plus floriffant
Empire de l'Univers.
Fin de la troifieme & dernière Partis,
RÉFUTATION
DE LA NOUVELLE METHODE
D'ERMIPEUU LL
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RÉFUTATICON
DE LA NOUVELLE METHODE
D'ENOME EEP UTILE;
LINCTUR O"D'U;: CTOUN.
. ARMI1les Amateurs de l’Agricul-
ture , il s’en trouve un fi grand nom-
bre , tellement prévenus en faveur
de la Nouvelle Méthode de M. Thull ,
qu'on a penfé qu'on ne pouvoit fe
difpenfer d'en donner la Réfutation
pour mieux parvenir à défendre nos
Pratiques locales , qu'on a eu en vue
de renverfer , en la publiant.
Ayant cependant fufifamment fait
voir combien elles font refpecta-
bles, & qu'on trouve en elles la vraie
494 RÉFUTATION
méthode de l'Agriculture, & la feule
qu'on puufle annoncer, il y a lieu
de croire que l’Apologifte de M:
Thull ne s'eit pas donné la peine de
les examiner à fonds.
Ce font ces Pratiques locales ;
c’eft-a-dire cette Méthode précieufe
qu’elles contiennent, qu'on appel-
lera ici, l’Ancienne Méthode pour l'op:
pofer à la Nouvelle de M. Thull.
Cette Ancienne Méthode eft toute
différente des routines de nos La-
boureurs; on l’a fufffamment fait
voir ; il ne faut donc pas s’y tromper.
La Réfutation qu'on fe propofe
de faire , eft divifée en deux Parties
Dans la première on donne le
Précis de cette nouvelle Méthode.
Dans la feconde , qui eft divifée
en plufieurs Chapitres, on y fait
voir qu’elle n’eft pas propofable à
tous égards.
DE M TauLirz 949$
PR
PREMIERE PARTIE.
Ike BR CUS
DE LA NOUVELLE MÉTHODE
DE M: TE U LE,
a > ANS l’ancienne Méthode of ne
s'eft avifé de labourer les terres à
froment qu'avant de femer ; mais,
dans la nouvelle, on les cultive
avant & après, & on les laboure
dans tout le tems de fa végétation
& de fon accroïfflement , jufqu'à ce
qu'il foit en maturité ; c’eft-a-dire
que , quoique le froment ne foit
qu'une plante annuelle, on hu ap-
plique cependant la même culture
qu'on donne aux plantes vivaces,
“telles que la vigne,
#96 RÉFUTÂTION
Examigons ce que M. Thull prôi
pofe pour parvenir à exécuter ce
fiftème fur un grand terrein ou fus
un corps de Ferme.
Quoique cela foit contenu dans
cinq à fix volumes, & qu'ici cela fe
trouve réduit en Articles qui ne con-
tiennent que quelques pages, on
croit en dire aflez pour faire com-
prendre ce qu'il faut {çavoir de ce
nouveau fiftème.
1°. J1 faut commencer par labour
rer tout un corps de Ferme en ban-
des de fix pieds de largeur chacune.
2°. En les diftinguant chacune par
un fillon, ou plutôt par une raie,
(a) 1l faut les labourer en Billon &
(a) On appelle S;//on une ligne de labour dort
la terre n’eft renverfée que d’un côté, à la
différence de la Raïe où elle left des deux
côtés. On a expliqué dans le Manuel du
Laboureur la différence des labours à Plar &
des labours en Billon.
noñ
Late -
DE MS TÉRUÉE! 409
fon a Plar, parcequ'il plait à M;
Thuil d'attribuer à cette façon de
£ultufe plus de fuccès qu’à l’autre.
3°. Après que toutes les bandes
auront été [abourées trois à quätré
fois, & qu'elles auront été bien
ameubliés, bien retournées & bien
foncées, autant que le terreiñ peut
le permettre , on Îlés partagera ;
äu tems de la femence, en planches
& en plattes bandes.
4°. Les planches feront prifes
dans le milieu des bändes ; ellés en
comprendront environ le tiers; 1l
faut qu'elles foient chacune d'un
pied heuf pouces de largeur ; les
plattes bañdes qui fe trouveront for-
mées de ce qui reftera des bandes
daris l’entre-deux dés planches, au-
font quatre pieds trois ponces dé
largeur , ni plus, ni moins.
5°. Les planches contiendront les
Ii
498 RÉFUTATION
rangées de froment, qui fe réduiront
le plus ordinairement au nombre de
trois ; elles feront diftantes de fept
pouces l’une de l’autre, & dans ces
trois rangées, le froment fera répan-
du grain à grain à la même diftance
de fept pouces; on le couvrira, auf
tôt qu'il fera femé , en renverfant les
élévations des rangées.
6°. N'étant pas pofble de femer
à la main ces trois rangées dans un
grand terrein , on fe fervira d’un fe-
moir qu'on dit être de l'invention
de M. Thull, & qu'il appelle Dr;
auff eft-1l fi prefte dans fes opéra-
tions, qu'en faifant les rangées , il
y répand en même tems le froment ,
& le couvre.
7°. Comme les trois rangées, que
le femoir fera, ne peuvent contenir
que l’efpace de quatorze pouces, on
laïfera, après fon opération , à droit
be M THuLL 495
& à gauche des rangées, deuix peti-
tes bandes de trois pouces & demi
chacune; ce qui achevera de donner
aux planches la largeur défignée ci:
deflus ; on ne touchetfa point à ces
petites bandes , lorfqu’on prendra la
largeur des plattes bandes, & qu'on
les labourera. |
8°. Ces petites bandes n'étänt
donc plus labourées après que les
planches feront faites, elles font de-
{tinées pour occuper le tallement du
froment ; pour faciliter Les labours ;
pour défigner & fixer où ils doi-
Vent commencer, & pour empêcher
qu'on n’approche de trop près les
rangées ; car, quoique les labours ;
fuivant M. Thull, comme on le verra
ci-après ; puifle couper les extrèmi-
tés des racines ; & les déplacer ; il
he faut pas cependant qu'ils les cou-
pent fi près des rangées.
Le
soso RÉFUTATION
9°. Le femoir ne donnera pas plus
de fept pouces de diftance aux trois
rangées , afin que les racines qui en
fortiront, puiffent plutôt atteindre
le labouré des plattes bandes, & il
n’en donnera pas moins aux grains
de froment qu'il répandra dans les
rangées pour empècher les racines
de trop s'embarafler & de fe nuire
les unes les autres.
10°. Dans les meilleurs terreins ;
qui ne feront point fujets à pouffer
des herbes ,; on pourra faire des
planches à quatre rangées, auxquel-
les on ne donnera que fix pouces de
largeur ; mais on y éloignerales grains
de froment à neuf à dix pouces, &
même jufqu'à un pied, pour préve-
nir encore l'embaras des racines.
11°. Dans les terreins humides,
qui pouffent beaucoup d'herbes, on
ne fera que des planches à deux ran-
nee. ns -
DE (MS NULL. As ON
gées pour avoir la facilité de Îles
arracher avec la main, c'eft.à-dire
de les farcler.
M. Thull (2) n'infifte pas fur les
planches à cinq & à fix rangées , dans
la crainte que les racines de Îa ran-
gée du milieu ne puiflent atteindre
afez tôt le labouré des plattes ban-
des, & ne puiffent en profiter.
12°. Les plattes bandes qui ré-
fulteront de l'opération du femoir,
auront nécefairement la largeur de
quatre pieds trois pouces défignés
(a) M. Thull, ou plurôt fon Apologilte , fur
des remontrances bien fondées , qui lui ont été
faites , a bien voulu accorder qu'on ne mit
les grains de froment dans les rangées qu’à
trois & quatre pouces de diftance, & même
moins, au licu de fept, pour remplacer ceux
que les accidens qui arrivent affez ordinaire.
ment tous les ans , pouvoient faire manquer,
& ne pas faire lever; mais il n’a pas cru de-
voir prendre fur lui de fe relâcher fur La di-
ftance des rangées.
li ii
$o2 RÉFUTATION
ci-deflus; & n’en auront pas moins;
puifqu'il faut les labourer avec des
bêtes de tirage comme chevaux on
bœufs. |
13°. Les plattes bandes devant
être labourées à deux fins, fçavoir
pour donner plus de fuccès au fro-
ment, qui eft femé dans les plan-
ches, & fur-tout pour en bien dif-
pofer le terrein, qui doit être enfe-
mencé , l’année fuivante , il faudra
les bien ameublir, les bien retour-
ner & les bien fouiller, antant que
le terrein le permettra. |
% 14°. Jufqu'àa ce que les planches
foient moiflonnées, on donnera qua-
tre à cinq labours aux plattes ban-
des, le premier avant l'hyver , pour
détruire les herbes & pour en difpo-
fer le terrein à être plus facilement
jabouré au printems. Le deuxiéme
aufitôt que les gelées feront pañlées2
DE M FU LAL:) (co
pour augmenter le tallement du fro-
ment, le troifiéme en Mai, & le
quatriéme vers la fant-Jean, pour
faciliter de plus en plus fa végétation
& fon accroifie ment,
15°. Tous les labours des plattes
bandes feront faits à Plar, à la diffé-
rence de ceux des grandes bandes,
qui doivent être faits en Billon, &
cela parceque dans les plattes ban-
des, 1l s’agit de renverfer toujours
la terre du côté des rangées, ce qui
s’exécutera en partageant les plat-
tes bandes en deux parties qui ne
commenceront l’une & l’autre à être
labourées que dans le milieu de la
platte bande, afin de finir précifé-
ment le labour à l'endroit où les
petites bandes des planches fe ter-
minent,
Il y a d'autant plus de néceffité à
partager anfi les labours des plat-
Ï 1 iv
go4 RÉFUTATION
tes bandes, qu’autrement, fi, aprèsies
avoir commencées du côte d'une rans
gée , on continuoit jufqu'à l'autre
planche fans s'arrêter dans le milieu
de la platte bande , on mettroit [a
première rangée de cette planche
en danger d’être à découvert , & de
{e trouver dénuée de la terre dont
elle auroit befoin pour le progrès
ces racines qui en fortiroient.
16°, Pour facihiter les labaurs de
ces plattes bandes , au lieu de faire
tirer de front les bètes de tirage,
en pourra les mettre l'une devant
l'autre, en leur donnant un condu-
éteur, indépendamment de celui qui
doit tenir la queue de la charrue ;
cette précaution, quoique couteu-
fe, étant nécefflaire pour empêcher
le trépignement des chevaux ou des
hœufs {ur les rangées de froment.
47°. Pour faciliter encore les la-
DE M. THULL 550$
bouts & pour que le terrein des plat-
tes bandes foit mieux brifé , retour-
né & fouillé, qu'il ne pourroit l'être
en fe fervant des charrues ordinai-
res, dont il paroït que M. Thull ne
fait pas grand ças, parcequ'il n'en
connoït pas l'ufage, il en propofe
de fon invention, qui font à deux
roues, à une roue , fans roues, &
qui ont plufieurs coûtres; il en don-
ne la defcristion dans fa Nouvelle
Méthod: , ainfi que de fon femoir.
18°, Aufhtôt que toutes les plan-
ches feront moiflonnées, on réta-
blira les grandes bandes de fix pieds
de largeur dans tout le corps de Fer-
me, & on les labourera en Billon,
pour enfuite avec le femoir , au
tems des femences , être encore
partagées en planches & en plattes
bandes, ce qu'on continuera tous
les ans alternativement , pour tou-
ÿ06 RÉFUTATION
jours entretenir la même culture.
19°. Enfin tout fe réduit à faire
& pratiquer des grandes bandes, des
planches, des petites bandes, des
plattes bandes avec la plus exacte
précifion, & à fe fervir d'un femoir
pour fe mettre enétat de cultiver en
grand, & de labourer encore plu-
fieurs fois le froment , après qu'il eft
femé.
C’eff dans cette forte de culture
& dans cette répétition des labours,
que M. Thull, fait confifter le grand
principe de fécondité de fa nou-
velle Méthode.
Au moyen, dit-il, de cette répéti-
tion des labours fur les racines du
froment , indépendamment de ceux
qui ont été faits avant de le femer ,
la terre fe reffentant encore bien
mieux des influences de l'air, du
foleil, des pluyes, acquiert une fi
DE M} MaUurLz $67
grande quantité de fels & de fucs
nourriciers , que, devenant même
inépuifables , n'eft queftion que de
mettre les racines à portée de pou-
voir en profûter pour fe procurer
les plus belles & les plus riches dé-
pouilles.
C'eit pourquoi il prétend que fa
nouvelle Méthode n'a befoin que
des deux opérations du labour &
de la femence ; déclarant qu'il fup-
prime les jachères, ainfi que les en-
grais, à la différence de l’ancienne
qui croit au contraire ne pouvoir
pas s’en pañler, & qui a fur-tout une
grande confiance dans les engrais ,
principalement dans ceux qui pro-
viennent de beftiaux.
Il attribue même tant de force
& de fi merveilleux effets au prin-
cipe de fécondité de fa nouvelle
Méthode, qu'il va jufqu'a établir ,
6oS RÉFUTATION
qu'il ne faut, pour enfemencer Îles
terres awelle cultive , que le tiers,
que le quart, & même que le cin-
quiéme de ce que nos Laboureurs
employent ordinairement.
Pour appuyer ce fingulier fyftème
quirenverfe totalement nos pratiques
locales, on rapporte dans cinq à fix
volumes une grande quantité d'ex-
périences qui , dans le fonds, ne
prouvent rien, ainf qu'on va le dé-
montrer dans la feconde Partie.
1 .. U :
REFUTATION
DE LA NOUVELLE MÉTHODE
DE: Mon EU ie,
INTRODUCTION.
ÂL n'étoit pas difficile d'imaginer
de faire au froment l'application de
la culture qu'on donne aux plantes
vivaces ; la difficulté n'étoit pas
d'exécuter à la main cette applica-
tion fur un petit terrein, comme
fur un quarré de jardin; on pouvoit
l'avoir penfé & même éprouvé avant
M. Thuil.
Mais il s’agifloit d'exécuter cette
$ro RÉFUTATION
application en grand, c’eft-à-dire fus
un corps de Ferme de telle étendne
qu'il pourroit être ; & cette exécu-
tion ne pouvant fe faire à la main
pour ce qui concerne l'opération de
femer , 1l falloit inventer un femoir
qui, aprèsles bandes faites dans tout
un corps de Ferme, püt y drefler
des planches exaétement prifes dans
le milieu, en les femant en même
tems, & qui, en faifant ces planches,
laiffât des plattes bandes, c'eft-à-
dire des intervalles aflez larges entre
les planches pour pouvoir Être la-
bourées en tout tems par des bètes
de tirage ; comme chevaux où
bœufs , après que les planches fe-
roient femées.
Ce femoir fait donc la piéce im-
portante de cette nouvelle Métho-
de, puifque ; pour pouvoir exécuter
en grand, elle en fait néceflarement
DEN FULL, ie
tout le jeu. Auf les Sectateurs de
M. Thull la regardent-ils comme le
chef d'œuvre de l'invention humai-
ne, pour l'avantage de l'Agriculture,
Quoique M. Thull s’attribue cette
invention, cependant , à en juger par
ce que fon Apologifte raconte d’un
femoir dont on failoit ufage en
Efpagne , il y a environ cent ans,
& dont il convient qu’il n’eft plus
queftion aujourd’hui , il fembleroit
que M. Thull n'en auroit pas l’hon-
neur , & que même fon femoir
n’auroit pas un meilleur fuccès en
France, n'étant que le renouvelle-
ment d'une chofe qui auroit déja
échoué.
Comment ce mauvais pronoftic
na-t-il pas commencé à ouvrir les
yeux de l’Apologifte fur le fort de
cette nouvelle Méthode qui ne
peut s'exécuter fans femoir ?
#12 RÉFUTATION
Il s’agit donc de faire voir que la
nouvelle Méthode de M. Thuil n’eft
pas propofable en tout point, de
quelque côté qu'on la confidére.
1°. Par rapport à la pofition de
notre Agriculture , & à la fituation
de nos terres,
2°. Parceque la répétition des la-
bours fur les racines du froment ,;
ne peut lui être auffi avantageufe
qu'on le prétend.
3°. Par rapport à la fupprefon
des engrais.
4°. On fera voir qu’on ne com-
prend point dans cette nouvelle
Méthode, la fuppreflion des lue
res & elle annonce.
5”: On prouvera que toutes les
expériences qu'on rapporte dans
cinq à fix volumes , ne décident rien
en faveur de la nouvelle Méthode.
6°. Pour réfuter encore un nou
veau
DE M PHGLE Gui
veau Traité que l’Apologifte de M.
Thull a donné fous le Titre d’EZmens
d'Agriculture; on fera voir l'inutilité
de l'ufage du femoir dans la Prati-
que ordinaire de cultiver,
Kk
$t4 RÉFUTATION
Le
CHAPITRE PREMIER.
La Methode de M. Thull ne convient
point a la pofition de notre Agricul-
ture & a la fituation de nos terres.
CO N peut commencer par prédire,
avec confiance , que cette nouvelle
Méthode ne s’établira jamais en
France, l'Agriculture n'y étant gé-
néralement exercée que par les gens
de la Campagne , qui doivent être
confidérés comme compofant feuls
tout le corps des Agriculteurs.
S’agiffant d'inftruire des gens qui
font fi attachés à leurs Pratiques
locales, comment a-t-on ofé la pu-
blier ?
On fçait que les gens de la Cam-
pagne tiennent toutes les terres du
Royaume , par des baux de fix ou
DE NE THULE Vas
heuf ans, & qu'il n'eft point dans le
gott de la Nation, que les Proprié-
taes faflent valoir par eux-mêmes;
s'il s'en trouve quelques-uns, c’eft
une fi petite exception, qu'elle ne
mérite pas qu'on y fafle attention.
On ne devoit donc pas fe flatter
d'introduire une nouvelle Méthode
qu'on vient de faire voir être fi rem-
plie de gènes & de difficultés, qui
exige tant de précifion ,; & dont
on peut dire que l'exécution , en
grand, n'eft pas pratiquable; car, pour
pouvoir labourer & former les ban-
des qu’elle établit, & qu’on doit par-
tager en planches & en plattes ban-
des, quand on diroit qu’il faut con-
tinuellement avoir à la main, ou le
pied , ou la toife, & même le com-
pas, on ne diroit rien de trop, par-
cequ'il faut que les bandes n’ayent
exaétement que fix pieds de largeur,
Kky
sté RÉFUTATION
que les planches n’ayent qu'un pied
neuf pouces, y compris les petites
bandes, qui doivent les accompa-
gner à droit & à gauche des rangées,
& qui doivent exaétement n'avoir
chacune que trois pouces & demi,
& parcequ'il faut que les plattes
bandes ayent abfolument quatre
pieds trois pouces en largeur , ni
plus ni moins.
Si les bandes avoient plus de fix
pieds, quand il n'y auroit que
quelques pouces d’excédent , cela
feroit fur le total d'un corps de Fer-
me un déchet & une perte de ter-
rein aflez confidérable ; &, fi elles
avoient moins de fix pieds, il en
réfulteroit qu'on ne pourroit don-
ner aux planches & aux plattes ban-
des leur largeur convenable & nécef-
faire.
1l faut encore la mème attention
DEOMEMPRULE
& la même précifion pour la con-
ftruétion des planches & des plattes
bandes qui font tirées de ces bandes
dont tout le terrein eft deftiné à les
former.esonoq; LS CeSÈS
:'Srles planches avoient pluis d'un
pied neufpouces de largeur , y com-
prisles petites bandes ci-deflus, qu'il:
faut former, le froment de la:ran-
gée du mihèu; feroit en danger de
ne pouvoir arriver aflez tôt pour
étendre fes racines jufqu’au labouré
des plattes bandes ; &; files plattes
bändes avoiènt-moins: de: quatre
pieds trois pouces de largeur, ne s'y
trouveroit-il pas encore bien plus
de gène & de difficulté pour labou-
rer avec les bètes de tirage ; au lieu
que , fi elles avoient trop de largeur,
il s'en enfuivroit encore une perte
de terrein confidérable.
… Ce qu’on vient de dire concerne
KkK 1
518 RÉFUTATION
les planches à trois rangées, qui
{ont les plus ordinaires.
Dans le cas qu'il feroit queftion
de faire des planches à quatre ran-
gees, a raïfon de fix pouces feule-
ment de diftance entr'elles ; comme
elles exigeroient pour leur largeur
deux pieds un pouce , à caufe que
les rangées en prendroient dix-huit,
& que les petites bandes qui doi-
vent les accompagner à droit & à
gauche prendroient fept pouces, 1l
s'enfuivroit qu'il faudroit donner
aux grandes bandes la largeur de
fix pieds quatre pouces, chacune ;
puifqu'il faut toujours donner aux
plattes bandes la largeur de quatre
pieds trois pouces pour la facilité
des labours, à caufe des bêtes de tira-
ge : & fi on ne faifoit que des planches
à deux rangées d’un pied de diftance
entr'elles , il ne s’agiroit donc que
BEM HULL Vi
de donner aux grandes bandes cinq
pieds trois pouces.
Il faut, comme l’on voit, bien de
l'attention , pour proportionner la
conftruétion des grandes bandes aux
différentes planches qu'il eft queftion
de faire, puifqu'autrement on per-
droit fur le total d’un corps de Fer-
me beaucoup de terrein , ou l’on s'y
trouveroit fort embarañé.
Voilà aflurément une plaifante
façon de culture à propofer aux gens
de la Campagne ; puifque, pour
bien exécuter les grandes bandes ,
les planches, les petites bandes &
les plattes bandes, que la nouvelle
Méthode exige, il faut toujours cal-
culer , toujours fupputer , toujours
mefurer.
Quand ils en feroient capables,
comment pourroient-ils encore exé-
cuter cette nouvelle Méthode fur
Kkiv
$20 RÉFUTATION
la totalité de leur corps de Ferme?
On fçait qu'ils font prefque tou-
jours compofés d'une infinité de
piéces de terre, qui font féparées
les unes des autres ; & même, pour
l'ordinaire , elles font toutes fituées
& répandues fur les trois foles d'un
terroir qui généralement eft parta-
gé en Jjachères , en bleds & en
Mars.
Or, tous les corps de Ferme Ctant
cenfés , ou plutôt devant fuivre,
comme on l’a établi, le même par-
tage que celui de leur terroir ,il ne
fe peut que toutes les piéces qui
les compofent n’ayent chacune leurs
royés, leurs tenans & leurs aboutif-
fans.
Encet état, comme, dans la nou-
velle Méthode, il faut toujours cul-
tiver le froment après qu'il eft femé,
tant dans la faifon de l'été, que dans
DE:M THULE $2r
celle du printems; il n’eft pas poffi-
ble de le faire , puifque, pour y
aller, 1l faudroit traverfer avec tout
l'attirail du labourage quantité de
piéces de terres, dont les bleds &
les Mars feroient déja fort avancés
& en train d'atteindre leur maturité,
En fuppofant même que le Do-
maine d'un corps de Ferme feroit
réuni, & ne feroit qu’une feule piéce
de terre ; en ce cas, ne pouvant or-
dinairement ainfi exifter fans avoir
quelques royés, 1l feroit encore difñ-
cile d'aller cultiver le froment quand
il feroit femé, du moins on nele pour-
roit, de même que dans les piéces
de terres qui font répandues fur les
trois foles d’un terroir, fans perdre
beaucoup de terrein ; 1l eft aifé de
le faire concevoir.
Dans un terrein deftiné à être
cultivé fivant la nouvelle Métho-
522 RÉFUTATION
de, quel qu’il foit , divifé ou non di-
vifé , pour labourer les plattes ban-
des d'un bout à l’autre , avec des bè-
tes de tirage, il faut en fortir , 1l
faut y rentrer, ce qui ne fe peut fans
faire un tournant qui exige au
moins une largeur d'environ dix-
huit à vingt pieds; on doit le con-
cevoir en faifant attention à la di-
menfion que doivent occuper une
charrue & des bêtes de tirage , qu'il
faut faire avancer jufqu’au bout , &
enfuite tourner , fur-tout fi on les
met l’une devant l’autre , comme le
recommande M. Thull pour la plus
grande facilité & commodité du la-
bourage, dans un efpace auf étroit,
auf referré ,que l’eft celuides plat-
tes bandes.
Cela feroit donc trente-fix à qua-
rante pieds de terrein en largeur,
autant dise deux verges, qu’il faut
DiE, MY Æ'HU LL. x
néceffairement perdre, fçavoir une
verge d'un côté & une verge de l’au-
tre, dans toute l'étendue que peut
avoir en largeur le terrein qu'on
cultive en planches & en plattes
bandes. On doit fentir que cela
doit faire un déchet confidérable.
On ne peut aflurément le faire
fupporter aux royés , fur-tout dans
untems où leurs bleds ou leurs Mars
prennent leur accroiffement,&c avan-
cent en maturité ; 1l s’en enfuivroit
tous les ans des dommages & inté-
rêts très-confidérables ; il faut donc
faire tomber ce déchet fur foi-mé-
me, c'eft-ä-dire fur fon propre ter-
rein.
D'ailleurs n’y ayant prefque point
de fituation de corps de Ferme réu-
ni, qui feroit 1folé , à l'écart , & fans
avoir des royés des tenans & des
aboutiflans , 1l s'enfuit que de quel-
$24 RÉFUTATION
que côté qu'on fe retourne , il n’y
a que des difficultés, des inconvé-
miens , & mème de l’impoñhbilité
dans l'exécution de la nouvelle Mé-
thode pour pouvoir la travailler en
grand.
Dans l’ancienne Méthode , comme
on ne laboure un terrein à froment,
qu'avant que de le femer , & com-
me tous les royés en font de même,
on doit concevoir qu'on y va quand
on veut, fans faire tort à qui que ce
foit , & qu'on à toute la facilité pot-
fible de cultiver fon terrein fans en
rien perdre.
La nouvelle Méthode n'’eft donc
bonne , tout au plus que pour un:
terroir idéal, appartenant tout au
mème maitre , & où l’on diftribue
les terres comme les planches d’un
jardin. Ce fyftème part de trop loin
pour arriver juiqu'à nous; & dans
DE :M:FHULL 2s
l'état où font les chofes aujourd’hui,
un terroir eft occupé de mille pe-
tites piéces.
L'origine n’en pouvant provenir
que de la divifion générale des ter-
roirs entroisfoles, & que du par-
tage des fucceflions, le projet de
leur réunion pour l'avantage préten-
du de l’Agriculture en faveur de ce
nouveau fyftême , ne feroit donc
qu'une idée chimérique.
Enfin peut-on concevoir qu'on
parviendra à faire labourer nos Fer-
miers & nos Laboureurs dans des
plattes bandes , qui laiflent fi peu de
terrein.
Le travail des labours devient
pour lors exceflif, & demande des
attentions , dont ne font pas capa-
bles des gens de la Campagne, qui
gateront les rayons de froment en
labourant les entre-deux,
526 RÉFUTATION
Auffi jufqu’à préfent, quoiqu'il y
ait bien des années que cette nou-
velle Méthode foit annoncée , n’a-
t-on pas encore vû un feul de tout
le corps des Agriculteurs, qui ait
été feulement tenté de l’effayer , ni
en grand, ni même en petit, malgré
les exemples qu'on s'eft efforcé de
leur en donner.
Ce ne fera point avec une nou-
velle Méthode, quelle qu’elle puiffe
être , qui renverferoit leurs Pratiques
locales, qu'on rétablira en France
l'Agriculture.
A l'égard du femoir dont l’ufage
eft indifpenfable pour exécuter en
grand la nouvelle Methode de M.
Thull, comment fe flatter de pou-
voir l'introduire dans la façon ordi-
naire de cultiver ?
Le méchanfme en eft fi compofé,
qu'il ne peut qu'il ne fe dérange
Des NB HUE "627
quelquefois dans fon opération; en
ce cas, à qui pouvoir recourir dans
les Campagnes pour le rétablir & le
remettre en étar.
Ce femoir ne laiffant pas que de
couter , & pouvant exiger de l’entre-
tien, les gens de la Campagne fe dé-
termineront-ils à en faire la dépenfe ?
Si le tems eft pluvieux, & fi les
terres font tant foit peu molles ou
fraiches , ce femoir ne peut-il pas
s'engorger & laifler fans femences
la moitié du fillon ? Qui peut répon-
dre que cette machine jettera tou-
jours exaétement fon grain de fe-
mence fi le terrein eft inégal ; au
lieu que la main du Laboureur , qui
féme , ne peut fe tromper en rien;
elle eft, comme on l'adeja dit, d’une
exécution plus fûre.
L'opération de femer eft afluré-
ment trop importante pour s’en rap-
528 RÉFUTATION
porter à une machine, quelque in-
génieufe qu’elle puifie ètre.
Ainfi on aura beau leur dire qu’au
moyen de l’ufage du femoir , ils ga-
gneront beaucoup fur leurs femen-
ces jufqu'à la moitié , les deux tiers,
les trois quarts & mème plus, ils
penferont toujours que cette rédu-
étion ne s'accommodera point avec
leur expérience , & ils auront rafon.
CHAPITRE
DE THULL 56
G PRE AE ES
CAE AUPOTÉPSRTE, EE
Les fréquens Labours fur Les racines du
froment , ne peuvent lui étre auffLavan-
tageux que le prétend M, Thull.
ra: , 1] D
KŸ UOIQU'IL n'y ait encore aü-
cun de ceux qui compofent en Fran-
ce le corps des Agticulteurs, qui ait
exécuté cette nouvelle Méthode,
& quoiqu'il n’y en aura jamais ;
cependant quelques Amateurs &
quelques Propriétaires qui font va-
loir par eux-mêmes, en ont fait des
expériences en petit, c'eft-à-diré
fur trois à quatre arpens ou environ,
en fe fervant du femoir.
Il eft vrai que M. Lallin de Cha-
teau-Vièux , Syndic de la Ville de
Genève, l’a exécuté en grand, par-
cequ'il s’eft trouvé avoir un terrein
faitexprès, & parcequ'il a eu plus de
LI
339 RÉFUTATION
conftance que les autres; mais, fi or
lexcepte,onn’en voit point qui(après
leurs épreuves & leurs expériences
en petit, nonobftant les petits fuc-
cès qu'elles ont pu avoir vis-à-vis
les routines de quelques Fermiers
voifins ) ait été tenté d'aller plus
loin , & d'adopter la nouvelle Mé-
thode pour s’en fervir à faire valoir
tout leur corps de Ferme, ou tout
leur Domaine ; ils en ont fenti les
difficultés, la gène , les inconvéniens
& mème l'impoffbilité.
Que penfer de l’Apologife lu-
mème qui ne s'eft pas comporté
autrement dans une de fes terres,
& qui n’a point fuivi l'exemple de
M. de Chateau-Vieux ? On y voit
feulement le Canton que fon Fer-
mier travaille fuivant la nouvelle
Méthode ; encore n'exécute-t-1l que
très-mal & avec répugnance.
DE No T'EUvANR QT
Voilà donc pourquoi toutes les
expériences, qui font rapportées
dans cette nouvelle Méthode , ne
fignifient rien. Elles font même d'aus
tant plus contre M. Thull, que , ne
la propofant que pour être fubfti-
tuée à l’ancienne ; c'étoit des corps
de Ferme entiers , qu'il falloit don-
ner pour expériences , & des corps
de Ferme fitués {ur toutes fortes de
terreins bons; médiocres ; mauvais,
reconnus & annoncés comme tels ;
c'étoit le vrai moyen de la faire
triompher ; au lieu que , ne rappor-
tant que des expériences én petit ;
qui n'ont été exécutées que fur les
meilleurs terreins, 1l donne lieu
d'en conclure, avec raïfon , que fa
nouvelle méthode ne peut s'exécu-
ter qu'en petit, & qu'elle ne peut
téuflir fur les terreins médiocres.
Il ny a point de doute que ce
Lli
532 RÉFUTATION
qui a excité la curiofité de ces Pro-
priétaires à faire quelques expérien-
ces, ce ne foit la nouveauté de cette
feconde culture fur les racines du
froment, dont il n’eft pas queftion
dans l’ancienne Méthode.
Qu'on confulte fur cette feconde
culture les vrais Cultivateurs, ils di-
ront unanimement , & foutiendront
que Île froment , n'étant qu'une plante
annuelle, n’eft pas fait pour être cul-
tivé à la façon des plantes vivaces ;
que cette culture ne lui eft pas auf
avantageufe qu’on peut le penfer ;
& qu'il fuffit de bien s'acquitter des
labours, avant de femer le froment
pour en difpofer fuflifamment le
terrein, parceque n'étant que neuf
à dix mois en terre, il n'y a pas
aflez de tems pour qu'elle puifle
s’affaifler .& durcir de façon à em-
pêcher fes racines de pénétrer; de
DE M THULL 533
s'infinuer & de chercher leur nour-
riture.
Si, avant de le femer, la terrea
été bien ameublie , bien fouillée &
bien retournée plufieurs fois, il
eft fans dificulté que, dans les pre-
miers mois de cette bonne culture,
la racine du froment a aflez de tems
pour fe fortifier & pour fe mettre
fufifamment en état de pouvoir tou-
jours pérétrer, quand même la terre
viendroit à s'affaifler.
C'eft dans le commencement qu'un
froment eft femé, qu'il fufit que la
terre ait été bien remuée plufeurs
fois.
Les Cultivateurs, qui ont bien
pratiqué , diront encore que , bien
loin que cette feconde culture {oit
auf merveilleufe que le prétend M.
Thull, rien ne doit faire plus de
tort à la racine du froment, que de
LI 1}
454 RÉEUVTRA TION
la couper, de la retournerl& de la
déplacer tant de fois , & de l'expofer
À la féchereffe dans le tems qu'il eft
en végétation & qu'il prend fon ac-
croiflement. |
S'il ne lui arrivoit qu'une fois d’ê-
fre anfi travaillée , fa racine pour-
roit avoir le tems de fe reprendre ;
mais il s'en faut bien qu'elle le puif-
fe, puifque le terrein de la platte-
bande dans laquelle on imagine
qu'elle peut s'étendre, doit être
labouré trois à quatre fois depuis le
printems jufqu'en Juillet, parcequ'il
faut ençore le difpoier à ètre enfe-
mencé.
Autant dire que tons les mois il
faut labourer & travailler la racine
du froment quoique fi tendre, fi déhi-
çate , & fi fuperfcielle , tandis que
Ja vigne, qui éft uné plante vivace,
& qui a des racines dures, fortes
px M THULL 535$
& profondes, ne reçoit tous les ans
qu'un labour au printems , n'étant
queftion après cela, jufqu'à la ma-
turité du raifin, que de deux à trois
farclages pour arrêter le progrès des
herbes, tandis encore que les ar-
bres qu'on cultive, ne reçoivent
de même qu'un fabour au printems,
& n’en reçoivent pas davantage ,
dans la crainte de détruire l'humidité
dont leurs racines ont befoin.
Il eft certain que , lorfqu'il s’a-
git de cultiver des plantes vivaces,
après qu'elles font femées ou plan-
tées, le labour du printems eft ce-
lui qui leur eft le plus favorable,
parceque , dans cette faïfon , la terre
& les plantes peuvent profiter beau-
coup mieux des influences de l'air,
du foleil & des pluyes,'& parceque,
pour lors, elles font moins en dan-
ger d'en efluyer de l'inconvénient,
LI iv
9
536 RÉFUTATION
fe refentant encore des grandes frai-
cheurs qu’elles ont reçues pendant
l'hyver ; aulieu que , fi dans le cou-
rant de l'été on ouvre encore laterre
plufieurs fois, comme le recomman-
de expreflément M. Thull, on a à
craindre un defléchement fur les
racines , à caufe du grand air & des
chaleurs.
Si cependant, pour quelques plan-
tes vivaces, on fe détermine à don-
ner des labours pendant l'été , pour
aider & faciliter leur végétation,
aufi-bien que leur accroifiement,
on ne doit les donner qu'avec pré-
caution & attention, & que relative-
ment au tems & à la qualité du ter-
rein ; autrement ils ne peuvent que
leur être plus préjudiciahles q'utiles.
On peut donc facilement conce-
voir que la répétition des labours ,
que M. Thull propofe de donner au
DE M ADHULL. 27
froment fur fes racines pendant la
faifon de l'été, ne peut générale-
ment que lui être nuifble.
À l'égard du labour du printems,
qui feul pourroit lui convenir, nos
Laboureurs font cependant quelque-
fois dans un ufage bien contraire,
puifqu'il leur arrive pour lors de
rouler avec fuccès leur froment ,
pour affaifler la terre , à l'effet de
lui conferver l'humidité dont fa ra-
cine a befoin plus que celle de tou-
tes les autres plantes annuelles.
Îinfi la Méthode de M. Thull ne
peut être que bien hazardée fur ce
labour du printems , & ne peut être
que très-mufble fur tous les autres.
Mais nonobftant tout ce qu’on
vient de dire, 1 ne peut faire antre-
ment , pour foutenir fa Méthode,
que d'inffter fur tous les labours
dans la faifon de l'été, puifque le
538 RÉFUTATION
terrein des plattes bandes eft encore
deftiné à être enfemencé pour être
moiflonné l’année fuivante, & que
pour cette raïfon , on ne peut fe
difpenfer de faire la répétition des
labours.
Voilà comme on fe trouve mal
engagé fans s’en appercevoir , lorf-
qu'on donne pour principe de fé-
condité, un paradoxe, dont on ne
voit pas toutes les conféquences.
Quand on diroit que ce paradoxe
eft généralement un faux principe,
on n’avanceroit rien de trop,
Car, pour peu qu'on ait de prati-
que dans l'Agriculture, on convien-
dra que toutes les expériences qui
font rapportées dans la Méthode
de M. Thull, n'ont pu favorifer ce
paradoxe, qu'autant que le terrein
y étoit difpoié , & que les faifons du
printems & de l'été ne fe font point
DE M THULIL 39
trouvées trop féches, & qu'elles s'y
{ont heureufement prètées.
Ainf, toutes celles qu'on pourra
encore tenter, ne pourront qu'être
hazardées, même fur les meilleurs
terreins.
A l'égard de ceux qui font médio-
cres & mauvais, comment cette fe-
conde culture fur les racines du fro-
ment pourroit-elle avoir feulement
le moindre effet ? fuppofant même ,
ce qui n'eft pas , qu'elles puiflent
s'étendre jufques dans le labouré des
piattes bandes , pricipalement les
racines qui fortent du milieu des
planches : carelles auroient au moins
une efpace de dix à onze pouces à
parcourir & à traverfer pour pouvoir
y arriver,
Il n’eft pas concevable qu'étant
tant de fois coupées , retournées &
déplacées , elles foient en état de
$40 RÉFUTATION
s'y reprendre aflez vite comme dans
un bon terrein, & d'y multiplier
les fuçoirs , comme le prétend M.
Thull.
Cette feconde culture fe rédui-
fant à ne pouvoir réuflir que quel-
quefois & dans certaines années,
{ur de bons terreins l’Apolosïte de
M. Thull a eu grand foin de ne faire
mention que des expériences qui y
ont été faites avec quelque fuccès
apparent , & quinepeuvent, comme
lon voit, en impofer qu’à ceux qui
ne fçavent ce que c’eit qu'Agricul-
ture.
Voudroit-il encore après cela pré-
tendre que la répétition des la-
bours, fur les racines du froment , a
tant d'effets & produit une fi prodi-
gieufe quantité de fels & de fucs,
qu'elle peut agir également & fans
aucune diftinétion fur toutes fortes
DE M: TuuULiL $4r
de terreins, bons, médiocres ou
mauvais ?
Qu'on en fafle l'expérience, &
qu'on les mette en planches & en
plattes bandes en pareille quantité,
en fuppofant qu'ils ayent été égale-
ment plufieurs fois labourés dans
tout le tems de la végétation & de
l’accroiflement du froment jufqu'aw
tems de fa maturité, en fuppofant
même encore que toutes les racines
quifortiront des planches faites dans
ces trois différens terreins, ayent
pu atteindre également aflez:tôt le
labouré des plattes bandes, en réful-
tera-t-1l trois récoltes pareillement
abondantes ?
Elles fuivrontaflurément la nature
de leurs terreins ; & feront voir, à
n’en pouvoir douter, que la terre
indiftin@tement , nonobftant la répé-
tition des labours , n’acquiert pas la
542 RÉFUTATION
grande quantité de fels & de fucs
inépuifables, qu'on veut lui fuppofer;,
quoique les racines ayent été miles
à portée d'en profiter par Les labours
réitérés dans les plattes bandes.
Qu'on prenne dans les plaines de
Champagne ( où cependant on fait
venir un bon froment avec un en-
grais fufffant ) un quarré de terrein
pour le cultiver fuivant la nouvelle
Méthode de M. Thull, quelle pitoya-
ble récolte n'en réfultera-t-1il pas,
nonobftant les labours réitérés dans
les plattes bandes? Ces labours y
procureront-ils des fels & des fucs
inepuifables ?
En général, la répétition des la-
bours ne peut avoir d'autre effet
que de mettre plus ou moins un ter-
rein, fuivant fa portée, en état de
profiter des influences de l'air, du
foleil & des pluyes ; mais elle n’en:
#
DE M THuULL 43
thangera jamais n1 la nature, ni ia
qualité.
Une pareille prétention ne peut
donc fervir qu'à achever de décrier
la nouvelle Méthode , qui femble
ne point reconnoitre la diverfité des
terreins , paroïflant infinuer que
fon principe de fécondité eft fi fupé-
rieur, qu'en sy conformant & en
l'exécutant, on peut fe mettre au-
deffus de cette diverfté.
Cette diverfité fait cependant né-
ceffairement la bafe fondamentale
de tout ce qu'on peut établir pour
bien diriger les opérations de l'A-
griculture : qui penfe autrement re
Ja connoit pas.
E
CIN
$44 RÉFUTATION
CH PA TR EH
De la Juppreffion des Engrais.
ÂL n'eft pas étonnant que , dans
cette nouvelle Méthode , on ait été
jufqu'à fupprimer entièrement les
engrais , qui font cependant fiimpor-
tans dans l'Agriculture , puifqu'on a
attribué au principe de fécondité de
la nouvelle Méthode l'effet de pro-
duire fur tout terre, de quelque
nature qu'il puiffe être, foit bon, foit
Médiocre où mauvais, une fi prodi-
gieufe quantité de fels & de fucs,
qu'ils deviennent même irépuifables.
Mais, comme on a fait voir ci-
deflus , d’une façon à ne pouvoir y
répliquer , qu'un pareil principe n'é-
toit qu'un paradoxe infoutenable , il
en eft de même de toutes les con-
féquences
DIE MER LL. : 4}
Téquences qu'il a plu à M. Thull
d'en tirer.
Cette prétention de pouvoir ainfi
fe pafler d'engrais, n’eft-elle pas fin-
gulière à
Cependant fon Apologifte , fans
faire , apparemment , attention qu'il
devoit autrement refpeéter ce prin-
cipe, & ne lui donner aucune at-
teinte, a eu la complaifance d’ac-
corder de petits engrais, comme les
cendres, les fuyes de cheminées ,
les boues, les cendres de chaux, &c.
à l'exception néanmoins de ceux
de beftiaux, parcequ'étant compo
fés de pailles, ils ne pourroient que
déranger l'ufage du femoir qui ne
veut qu'un terrem aifé , & que rien
ne puiffe arrêter.
Véritablement , quand une terre
eft amandée avec des fumiers de
befliaux, cela ne peut que la rendre
M ma
546 RÉFUTATION
très-inégale , d'autant plus que les
pailles, dont ils font entremêlés,
ne fe trouvent pas toujours bien
pourris au tems de la femence.
Comment peut-on tant vanter une
machine qui ne s’accommode point
avec les fumiers de Beftiaux ?
nent a E
CD PTT RE IV.
Onneconçoitpoint comment on entend;
/
dans la nouvelle Methode, la fuppref-
fion des Jachères qu’elle annonce.
F. E Qu'il y a de plus furprenant
dans cette nouvelle Méthode, c’eft
la fuppreffion des jachères que M.
Thull annonce , comme pour fe don-
ner un air d'avantage fur l’ancienne
Méthode, tandis qu'il ne peut dif-
convenir lui-même , que l’établifle-
ment des plattes bandes n’emporte
plus de la moitié du terrein, fans rien
rapporter ; les tiges de froment ne
pañlant point au-dela des planches.
On a toujours entendu par Ja-
chères, la partie des terres qui fe re-,
pofe alternativement tous les ans,
dans un çorps de Ferme, c’eft-à-dire
| Mnij
53 RÉFUTATION
qui ne porte point , & qui ne pro-=
duitrien pendant une année entière,
fervant en mème tems de pâturage
aux befhiaux ; c'eft cette grande uti-
té qui en réfulte pendant un fi long-
tems, qui lui a même fait donner ie
nom de Jachères.
_ Comment donc M. Thull l'entend
t-1? Le voici. C’eft que, quoique les
terreins des plattes bandes ne por-
tent point & ne produifent rien,
n'étant deftinés qu'a être labourés,
ils n’en font pas moins en travail,
fuivant lui , parce qu'ils ne ceflent
de fournir des fels & des fucs nour-
riciers aux racines qui fortent des
planches pour s'y étendre : il fuppofe
donc qu’elles s'ÿ rendent toutes;
ce qu'on ne croit point pouvoir ar-
river dans des terreins médiocres &
fnauvais.
C'eit donc en conféquence de ce
pe M THuLL 549
travail fuppofé, qu'il fe croit auto-
rifé de prétendre que fa nouvelle
Méthode eft exempte de jachères.
M. Thull entend encore, qu'iln'y
a point de jachères dans fa nouvelle
Méthode , parceque tout ce qui eft
cultivé, par elle , porte tous les ans.
Par exemple, une piéce de terre
qui fera tous les ans cultivée fuivant
fa nouvelle Méthode , fera cenfée »
felon lui, toujours porter, parceque
tous les ans elle fe trouvera en fro-
ment.
Mais il faut faire attention que
dans cette piéce , il ny a que ce qui
fe trouve en planches qui porte &
qui produit, & que les plattes ban-
des ne fervant qu'a être labourées ,il
y a néceflairement dans cette piéce
plus de moitié de fon terrein qui
ne porte point & qui ne produit
rien.
$59o RÉFUTATION
Ainfi quand M. Thull dit qu'il n'y
a point de Jachères dans fa nouvelle
Méthode , parceque les terres, y
étant en travail, ne fe repofent
point, ou parceque tous les ans une
même piéce de terre eft cultivée
pour continuer à toujours donner
du froment ; on appelle cela abufer
des termes , pour en faire accroire à
ceux qui ne fçavent ce que c’eft que
Jachères.
Cela a mème fi bien pris parmi
fes Seétateurs , qu'ils foutiennent
tous, que dans fa nouvelle Métho-
de , rien ne s'y repofe , & que
tout y porte tous les ans; ajoutant
que c’eft en cela que confifte fa
grande prérogative fur l’ancienne
Méthode.
Pourroit-on dire qu'ainfi que fes
Settateurs, M. Thull n’a pas en-
tendu ce que c’eft que Jachères ?
:
DE NT HULL S4r
11 ne les a voulu entendre , du
moins , que dans le fens qu’elles fi-
gnifient Päturages, puifquil con-
vient que le terrein des plattes ban-
des de fa nouvelle Méthode ne peut
fervir de pâtures aux beftiaux , par-
cequ'elles fe trouvent fi étroitement
placées entre deux bleds , qu'il n'eft
pas poffble de les y conduire.
Ce n’eft pas là affurément le bel
endroit de fa nouvelle méthode.
Prévoyant bien les objeétions
qu'on lui feroit à l’occafion de la
fuppreflion des jachères en tant
qu'elles ne fignifient que Pâärurages ;
il n'a pas manqué de les prévenir ,
en difant que , comme fa nouvelle
Méthode donnoit le moyen de
faire rapporter un arpent de prai-
ries artificielles, plus que plufieurs
ne le pourroient dans les jachères ,
& mème dans les prairies ordinai-
Mm iv
552 RÉFUTATION.,
res , il étoit facile de fe dédomma-
ger.
Mais il ne s’agit pas ici feulement
du gros bétail, comme vaches où
bœufs ; on fçait qu'en faifant ufage
des prairies artificielles , on peut
aufli-bien , & même encore mieux
les nourrir , & les engraiïfler en les
gardant dans leurs écuries, qu'en
les conduifant dans les jachères, où
le plus ordinairement 1l n'y a que
peu pour eux à paturer.
C'eft des bêtes blanches qu'il eft
principalement queftion , & qu'on
ne peut garder dans leurs bergeries.
Les jachères ne font, pour ainf
dire , établies que pour elles, comme
on l'a fait comprendre dans le Ma-
nuel pour le Laboureur ; parcequ'elles
s'y nourriflent beaucoup mieux que
tous les autres beftiaux, n’aimant
que l'herbe des champs , & nulle-
DE:4M: HURE MES
ment celles des rrairies qui les pour-
rit, fe nourriflant fur-tout des raci-
nes qu’elles içavent fi adroite-
ment trouver dans le labouré des
Jachères.
I! eft d'autant plus intéreflant de
ne pas ceffer de les y condure, que
la finefñe & la bonté de leurs laines
en dépendent, n'y ayant que le grand
air qui puile les bonifier ; au lieu
qu'en les gardant dans leurs berge-
ries, pour ne les conduire que quel-
ques"fois päturer le long des che-
mins ou fur quelques montagnes,
lorfqu'il s'y en trouve, leurs laines
s'y échaufflent, sy pourniflent, &
ne peuvent qu'en devenir très-mau-
vaifes.
Il eft fi vrai quil n’y a que le
grand air qu bonifie leurs laines ,
qu'on a l'expérience qu’elles réuf-
&flent beaucoup mieux dans les Can-
554 RÉFUTATION
tons où on peut établir des parcs
Ainfi une Méthode qui fupprime
aufli complettement des paturages
qui font fi néceflaires aux bêtes blan-
ches, doit être rejettée. L'intérêt
public exige même qu’on en défen-
de l’ufage , les laines faifant dans no-
tre Royaume, & par-tout ailleurs,
une branche de commerce auñf in-
téreffante.
Que répondra à cela M. Thull ?
S'en tirera-t-1l , comme 1l s’en eft
tiré à l'égard du gros bétail à? ®
La différence qu'il y a donc entre
l'ancienne Méthode & la nouvelle,
c'eft , que dans celle-ci, plus de la
moitié des terres y refte en pure
perte, fans qu’elles puifflent fervir
de pâture aux bêtes blanches, ce
qui mérite une grande attention; au
heu que, dans l’ancienne Méthode ,
ce qui reite tous les ans fans rien
DE M. THULL ss
porter,& qui ne confifte que dans le
tiers des terres qu'on laboure , leur
eft extrèmement profitable.
Quand l’ancienne Méthode n’au-
roit que cette prérogative qui eft fi
précieufe à l'Agriculture & au com-
merce , elle feroit bien fufifante
pour lui donner gain de caufe fur
la nouvelle , & pour faire voir que
celle-ci n’eft pas propofable.
ÿ56 RÉFUTATION
: CH A PAIE RER:
Des expériences rapportées en faveur de
la nouvelle Méthode.
D E tout ce qu’on a dit ci-deflus
il s'enfuit bien clairement , que tou-
tes les expériences en petit, qui font
rapportées fans nombre en faveur de
la nouvelle Méthode, tombent d’el-
les-mèmes , parcequ'on ne peut en
conclure qu'on puifle l'exécuter en
grand ; cela vient d'être prouvé &
démontré de façon à ne point fouf-
frir de réplique.
Il s'y en trouve à la vérité quel-
ques-unes en grand, comme celle qui
a été faite par M. Lallin de Chateau-
vieux , Syndic de la Ville de Gené-
ve; mails on ne peut encore en rien
conclure , parcequ'on a bien fait
DE, M. .THULE 557
voir que , pour pouvoir exécuter en
grand la nouvelle Méthode, il fal-
loit pofléder un terrein fait exprès,
c'eft-à-dire qui foit iolé de tous
les côtés & qui n’ait niroyés, ni te-
nans, ni aboutiffans , ce qu'il eft ex-
trêmement rare de trouver; d’ail-
leurs on ne doit pas s'étonner des
petits fuccès apparens qu'ont pu
avoir toutes ces expériences, n'ayant
été faites que vis-à-vis les routines
de nos Laboureurs.
Ainf, de queique côté qu’on les
confidère , elles ne fignifient & ne
décident rien en faveur de la nou-
velle Methode.
Ofera-t-on , après cela, la mettre
en comparaïifon, vis-ä-vis l’ancienne,
bien entendue , & telle qu’on l’a
donnée & expliquée dans le Manuel
pour le Laboureur, puifqu’elle s’exé-
cute aufl facilement, tant en grand
#
558 RÉFUTATION
qu'en petit, fur tout terrein bon , mé-
diocre, mauvais, avec les plus heu-
reux fuccès, jufqu'à les faire rappor-
tertrois à quatre fois plus. & les faire
tous monter à la plus haute valeur
qu'on puifle leur donner à chacun.
Onenaune preuve bien complette
dans l'expérience , qu'en a faite l’Au.
teur des Prairies artificielles , fur une
terre qu'il pofléde.
Elle feule en dit plus que toutes
ces expériences en petit, quoique
fans nombre ; car n'apprend - elle
pas tout ce qu'on peut défirer de
fçavoir pour bien faire valoir un
corps de Ferme , quelque confidé-
rable qu'il puiffe être, & en quelque
Pays & Canton quil puifle être
fitué 2 |
at
C9
“aie
DE M THULL 59
ee nee ce canne ce ee |
CHAPITRELME
De l'inurilire de l'ufage du Semoir dans
la façon ordinaire de cultiver.
L'AroLoO GISTE de M. Thull a
encore donné un nouveau Traité
fousle Titre d’Elémens d'Agriculture.
C’eft un abregé de la nouvelle
Méthode , dont il vante toujours
le merveilleux principe de fécon-
dité pour engager de plus en plus à
la pratiquer, au moins en petit,
dans l’efpérance qu'a la fin on par-
viendroit plus facilement à pou-
voir l’exécuter en grand.
Mais cependant comme il s’eft ap-
perçu que , malgré toutes fes exhor-
tations , qui contiennent cinq à fix
volumes , on continuoit de ne l’exé-
cuter qu'en petit ; & qu'après les ex-
560 RÉFUTATION
périences, qu’on en avoit même fais
tes avec quelques fuccès apparens,
onn'étoit pas plustenté de l’exécuter
en grand, 1l s'eft déterminé de pro-
pofer dans ce nouvel Ouvrage qu'il
regarde comme un Rudiment d'A-
griculrure , de réduire toure la nou-
velle culture à l’ufage feul du fe-
moir ; parceque, par fon moyen, on
ne pouvoit que beaucoup gagner
fur les femences, ne s'agifant pas
moins , felon lui & tous fes par-
tifans, que de la moitié , des deux
tiers & mème des trois quarts fur
ce qu'on en employe ordinaire-
ment , ajoutant même qu'on gagne-
roit encore beaucoup fur les ré-
coltes.
Enfin il va jufqu'a propofer l’ufa-
ge de fon femoir dans la façon ordi-
naire de cultiver , nonobitant les
routines dont elle eft accompagnée,
bien
DE M. THULL és
bien perfuadé que cela lui procu-
rera un très-grand avantage.
Voilà donc où il borne préfente-:
ment tout ce qu'on peut faire poux
rétablir notre Agriculture.
Il eft inconcevable qu'il continue
d'infifter toujours à attribuer à l’u-
fage du femoir de pouvoir ainfi ré-
duire la femence , fans expliquer la
caufe d’un effet aufh merveilleux.
Dans la pratique de la nouvelle
Méthode, il y a du moins une caufe
apparente dans fon prétendu princi-
pe de fécondité; mais le propofer
encore dans une autre Méthode qui
a des principes différens, avec les
mêmes avantages , fans en expliquer
la caufe, c’eft ce qu’on ne conçoit
point.
Quoi qu'il en foit, comme il eft
de principe , dans toutes les Prati-
ques locales du monde entier , qu'il
Nn
56 RÉFUTATION
n'y a que l'expérience du Labou-
reur, qui puiffle bien déterminer &
régler fa quantité de femence ; & ce
principe étant fi vrai, que l’Apolo-
gifte lui-même ne peut que le re-
connoitre , on ne peut donc bien fe-
mer qu’en fe conformant à ce prin-
cipe, qui a été établi ci-deflus dans
la quatrième Seûtion, Article IV du
troifiéme Chapitre du Manuel pour
le Laboureur ; on ÿ rapporte une ex-
périence qui eft fans replique.
Cela étant, quand la quantité de
femences a été ainfi réglée par le
Laboureur , qu'il fe ferve du femoir,
ou qu'il fe ferve de fa poignée
pour la répandre; y a-t-il quelque
chofe pour lors à gagner pour lui ?
Et y aura-t-il plus d'avantage d’un
côté que de l’autre ?
Or, comme on a encore fait voir
que le Laboureur avêc fa poignée,
DE M THULL 563
la diffribuoit avec tant de précifion,
que , dans la quantité d’un feptier
qu'il étoit déterminé de donner à
un arpént il ne s’y trompoit pas feu-
lément d’une écuellée : à quoi bon
un femoir qui eft dé-
1
tant vahter
montré être anfli inutile , & qui ne
peut gagner que dans le cas qu'on
en feroit ufage vis-à-vis un Labou-
reur qui ne femeroit que par rou-
tine ?
u lieu donc de s’amufer à ces in-
ventions qui ne feront jamais venir
un grain de plus vis-à-vis une bonne
Agriculture ; que ne. soccupe-t-on
plutôt des vrais moyens de la réta-
blir ?
Ne pouvant être contefté, comme
on l’a fi bien démontré, que fon
dérangement ne provient que des
_routines de nos Laboureurs , & que
du défaut du concours des Proprié-
N n i
564 RÉFUTATION
taires avec leurs Fermiers, pour
des établiflemens de prairies, ce ne
fera aflurement point dans l’ufage
du femoir qu'on les trouvera.
Les bons Cultivateurs, c’eft-à-
dire ceux qui fçavent ce que c’eft
qu'Agriculture , & qui en ont toute
l'expérience , ne peuvent que fouf-
frir de voir que depuis fi longtems
on ne donne ainfi que dans la frivo-
lité & dans l'illufion.
DE M. Thurze 6
CO N°C' LU SI ON:
@, UE conclure de tout ce qu’on
vient de dire de cette nouvelle Mé-
thode ? Ce qu’en ont penfé les bons
Cultivateurs , c’eft-à-dire ceux qui
fçavent ce que c’eft que l’Agricul-
ture & qui l'ont pratiquée.
Qu'elle n'eff qu'une idée de cabinet &
rien plus, qui ne peut s'exécuter que [ur
les meilleurs terreins | & qui ne peut s’y
exécuter qu'en petit & que très-difficile-
ment en grand ; encore faut-il que le
terrein foit ifolé de toute part.
En Peur, fi on a la précaution de
choifir un bon terrein, & même le
meilleur qu'on puifle connoitre , elle
amufera beaucoup ceux qui vou-
dront voir jufqu'où peut s'étendre
le talement du froment , qui fait un
Nnu
s66 RÉFUTATION
des plus beaux objets d’admiration
qu'il y ait dans la Nature.
L'exécution en eft. facile fur un
quarré qu'on prendroit dans un Jar-
din ou ailleurs, en dreffant & en la-
bourant à la bèche où à la charrue
les grandes bandes , & en fe fervant
du femoir pour former les planches,
les petites bandes & les plattes ban-
des.
» Cependant, dxa-t-on, M. Lal-
sin de Chateauvieux exécute ez
» grand, depuis plufeurs années,
» cette nouvelle Méthode avec la
» plus exaéte précifion, fans man-
» quer à rien de tout ce qu'elle pre-
» fcrit; 1l en eft même fi content qu'il
» a beaucoup travaillé à perfeétion-
» ner le femoir de M. Thuill. »
Ce qu'on peut répondre, fans même
qu'il y ait à repliquer, c’eft que M.
de Chateauviçux pofléde un. Do-
DE M THULL 567
maine fait exprès pour l’exécurion
de cette nouvelle Méthode, & qu'il
ne connoit l’ancienne que par les
routines de nos Laboureurs, qui vé-
ritablement ne font pas foutenables,
Mais sil la connoifioit telle
qu'elle fe trouve & qu’elle fe déve-
lopne dans toutes les Pratiques loca-
les ainfi que dans celle du Canton
où font fituées toutes les terres qu'il
fait valoir par lui-même, ce qu'il dé-
couvrira mueux que tout autre,
quand il voudra y réfléchir, il n'y
a point de doute qu'il ne revint
bien vite de fon illufion ; il feroit
même furpris, qu’on ait ofé fubfti-
tuer à l’ancienne Méthode la nou-
velle de M. Thull , qui lui paroîtroit
pour lors f. peu raifonnée.
Le retour de M, de Chateauvieux
à la véritable Aoriculture , feroit
| pour celle-ciuneavantageufe acquifi-
Nniv
568 RÉFUTATION
tion, ayant fi bien fait voir qu'il en
étoit zélé Amateur & Cultivateur ,
par la conftance & le courage fans
exemple , qu'il lui a fallu avois pour
furmonter toutes les difficultés qu'il
n’a pu que rencontrer dans l'exécu-
tion de la Méthode de M. Thull.
Malgré tout ce qu'on vient d'en
dire, on ne peut que donner les plus
grands éloges au célébre Acadé-
micien qui a bien voulu en être
l’'Apologifte ; puifque l'Agriculture
lui a des obligations réelles.
Avant lui on n'ofoit, pour ainfi-
dire, en écrire, ni en traiter; on
auroit même cru s’avilir.
Ayant donc franchi le pas, il eft
parvenu à fi bien faire fentir de
quelle importance il étoit de s’appli-
quer à l’Agriculture & de la con-
noître, qu'aujourd'hui il n'y a qu
que ce foir qui ne fe fafle un plaifir
DE M THuLrz $69
de s’en occuper, & qui ne convien-
ne qu'elle eft réellement le feul &
unique fondement de toutes nos
richefes folides.
En un mot c’eft lui qui a ranimé
en France le goût de l'Agriculture ,
qui y étoit comme perdu.
EUTAN.
570 SUPPLÉMENT.
+ !
ÉPÉLEPLITS
SUPPLÉMENT.
OBSERVATION
Sur l'Article IV de la Section des
Engrais, page 194.
Hans le tems que l’Auteur des
Prairies artificielles n’étoit encore que
novice dans la pratique de l’Agri-
culture, il avoit commencé par faire
une très-grande quantité de prairies
& par acheter beaucoup de beftiaux,
voulant fe preffer de jouir & de
mettre fon corps de Ferme en plei-
ne valeur : mais, ayant reffenti auffi-
tôt le défaut de pailles, & s'étant
laflé d'y fuppléer en en achetant les
premières années, il a été enfin
SUPPLÉMENT. $71
obligé de réformer fes prairies &
fes beftiaux pour enfuite ne les
augmenter qu'au fur & à mefure que
le produit des pailles augmenteroit
dans fon corps de Ferme.
On a donc raïfon de dire que ceux
qui trouvent trop lente la Méthode
qu'il propofe pour parvenir à bien
exécuter le renouvellement de len-
grais fur la totalité d’un corps de
Ferme , quelque confdérable qu'il
puüfle être, font fans expérience,
ou du moins qu'ils n'ont pas encore
pratiqué aflez long-tems pour bien
fçavoir ce qu'il en eft de l’Art de
l'Agriculture fur toutes fes opéra-
tions,
$72 SUPPLÉMENT.
DIR'SER V'AITAONN
Sur le Chapitre IV dx Manuel d’Agri-
culture pour le Gouvernement ,
page 489.
N E feroit-il pas plus avantageux
pour le rétabliflement général de
Agriculture en France , de propo-
fer dès-a-préfent des prix ou des ré-
compenfes confidérables en faveur
des premiers Propriétaires qui,
par eux - mêmes ou par leurs Fer.
miers, parviendroient à doubler &
a tripler le revenu de leurs corps
de Ferme de la contenance de trois
cents arpens, ou au moins de deux
cents, foit par le renouvellement de
terrein, enemployantle travail de la
charrue , foit par le renouvellement
& l'entretien de l’engrais , foit enfin
par l’un & par l’autre exécutés en
même tems ?
eh be eee ee mers este age eee apoofe uuge date age she onto
D EE NES
LH Cd 608 POS
DES MATIÈRES.
MANUEL D’AGRICULTURE.
ÂDrE Sommaire de l’'Ouvrage ,
Page V
Explication de l'Eftampe, XIX
T2 PE TER QE SEPT ET PACE OC PAT MENT EEE,
ARTICLES PRELIMINAIRES.
ART. I. De la pofition de notre Agri-
culture , page I
ART. IL Des différentes façons dont
nos terres font tenues par les Gens
de la Campagne,
ART. II. Du déläbrement de lAgri-
culture en France, 16
ART. IV Des véritables caufes du dé-
lâbrement de Agriculture, 27
ART. V. Des Pratiqueslocales,& comme
Jeur établiffement renferme & con-
tient la feule & véritable Méthode
de l'Agriculture, 3$
PLAN, de ce Manuel dans lequel on
propofe les vrais & feuls moyens de
rétablir l'Agriculture, 6;
$74 TABLE
PREMIÈRE PARTIE.
Manuel d'Agriculture pour le
Laboureur.
DEFINITION de l'Agriculture:
Quelles font fes opérations ?
Quel eft ion vrai Principe ? En
«quoi confifte la Méthode qui en
réfuite ? page 69
Cap. Il. De l'examen des Ter-
Jeins,
Secrion I. Comment on doit exami-
ner les terreins, 74
SEcTioN Il. Les fortes de qualités gé-
nérales & communes qui fe trouvent
fur tout térrein, ; 7
SEcTION III. Ce qui occafonfe les
qualités des bons , des médiocres &
des inaüväaïis terreins , & de la diffé-
rence des féls & des fuücs qu'on y
trouve , I
Cap. li. De l'expérience, com-
ment on l'acquiert ; & quels font
fes effets , 87
CHap. II. Des différentes façons
d'exécuter les opérations de l’A-
gricuiture relativement à toutes
les fortes de qualités de ter-
reins.
DES MATIÈRES. $7s
SecTION I. De l'opération du la-
bour , page 91
$ I. Du labour à plat , par bandes & par plan-
ches, 92
$ II. On ne peut trop répéter le labour, 95
$ III. On doit foncer le labour, f{clon que le
terrein a plus ou moins de fond, 100
6 IV. En quel tems il convient de commen-
cer les labours, 232
$ V. Maximes générales fur les labours, 137
$ VI. Des charrues & autres inftrumens ufités
dans toutes les Pratiques locales, 159
& VII Le Laboureur doit être bien monté,
161
SecrTion IL De l'opération de l'En-
grais , 16$
$ 1. ies différentes façons d’exécuter les opé-
rations de l’Engrais, 169
$ II De l'entretien & du renouvellement de
l'Engrais, 171
$ III. Comment exécuter le renouvellement
de l’Engrais fur la totalité d'un corps de
Ferme de trois cents arpens:, 173
$ IV. Comment fe procurer tous les ans la
grande quaniité d'Engrais nécetfaire pour
exécurer leur renouvellement fur un corps
de Ferme de trois cents arpens , quoique
la Nature n'y ait point établi de prai-
ries , 180
$ V.. Des grands avantages de la pratique du
renouvellement d’Engrais, i 196
$ VI. Autre pratique du renouvéilement d’En-
grais , 212
$ VIT. Des Engrais de beftiaux ; 216
$ VIII Commeut s’y prendre pour faire con
fommer les Engrais de beftiaux en- peu de
téms , 22
$ IX. Réponfe à un certain Auteur au- fujec
des établiffemens de Prairies , 137
Supplément à l'Article des Engrais. 579
576 TA-B LE
SecTioN III. Des Jachères , page 243
6
$ I. Ce qu’on entend par Jachères, 24
$ II. Ce qui occañonne & néceflice les Jachè-
res 249
$ It. De la divifion & du partage des terres
à Jachères, 258
$ IV. De l’obfervation générale des Jachères,
174
*$ V. De la fuppreilion des Jachères par le re
nouvellemegt de terrein, 278
$ VI. De la fuppreflion des Jachères par le
renouvellement de l’Engrais, 292
$ VII. De la divifion & du partage des terres
qui font fans Jachères, 319
$ VIII. Comment un Laboureur doit fe con-
duite en tout paÿs, par rapport aux Ja-
chères » 319
$ IX. Conclufion, 323
Section IV. De l'opération des Se-
mences , 2$
$ 1. Comment fe procurer la meilleure qua
lite de froment, 327
$ II. De la bruine & de fa véritable caufe,
- 339
$ III. Lotion, ou leflive éprouvée pour forti-
fier le froment, &c. 343
.$ IV. Ce qui doit régler , par arpent , la quan-
tité de froment qu'il convient de femer ,
, LA u 7
$ V. Ce qui eft ufité dans toutes les Pratiques
locales pour jeter & répandre également
la femence , 572
$ VI. Le Laboureur ne doit faire fes femences
que dans un tems convenable, 373
CONCLUSION de cette première
Partie, 375
SECONDE
DES MATIÈRES. s77
SECONDE PARTIE.
Mn d'Agriculture pour le
Propriétarre.
INTRODUCTION ;, page 379
CHap. I. Le défaut de prairies
ne peut être réparé que par les
Propriétaires, 381
CHap. IL Comment les Proprié-
taires doivent s'y prendre pour
faire faire des établiffemens de
Prairies , 390
CHapr. III. Ce que le Propriétaire
doit encore faire après l’établif-
fement de la prairie, 41$
Cxar. IV. Ce qu'un Propriétaire
doit fçavoir pour donner une
jufte eftimation à la location de
fa Ferme, 424
Cuap. V. Ce qu'il en coûteroit
au Propriétaire pour faire faire
une prairie dans le courant d’un
bail de neuf ans, 437
CHap. VI. De certaines attentions
que le PRÉPARER doit avoir
fur fon corps de Ferme, 451
Oo
78 DES MATIERES.
Car. VIL Ce qu'un Propriétaire
doit fçavoir de l'Agriculture,
PIE 457
CONCLUSION de cette feconde
Partie. 462
TROISIÉME PARTIE.
Manuel d'Aporiculture pour le
Gouvernement.
INTRODUCTION , 465
CHapr. I. Comment le Gouverne-
ment peut concourir à retirer
nos Laboureurs de leurs rou-
tines , 468
CHar. Il. Comment le Gouver-
nement peut concourir à remé-
dier au défaut de prairies, 472
Cap. II. De quel avantage 1l fe-
roit que le Gouvernement con-
nût la jufte valeur de nos ter-
res, 479
CHap. IV. Combien il feroit avan-
tageux au Gouvernement de s'in-
fruire de l'Agriculture, 483
OBSERVATION , 572
DES MATIÈRES. 579
Réfanion à de la Nouvelle
Méthode de M. Thull.
INTRODUCTION ; page 493
PREMIÉRE PARTIE.
Précis de la Nouvelle Méthode
de M. Thull. 495$
SECONDE PARTIE:
Réfuration de la Nouvelle Mé-
thode de M. Thull.
INTRODUCTION , 509
CHap. I. La Méthode de M. Thall
ne convient point à la pofition
de notre Agriculture & à la fitua-
tion de nos terres, 514
CHap. IT. Les fréquens labours fur
les racines du froment , ne peu-
vent lui être aufli avantageux
que le prétend M.Thuil, $29
CHap. ll. De la fuppreffion des
Engrais , 544
Oo i
Bo TABLE, &c:
CHaAP. IV. On ne conçoit pas com
ment on entend, dans la nou-
velle Méthode, la fupprefñion:
des jachères qu’elle annonce ,
| . Page SAT.
CHAP. V. Des expériences rap-
portées en faveur de la Nouvelle
Méthode , 536
CHapr. VI De l'inutilité de l'ufa-
ge du femoir dans la façon or-
dinaire de cultiver, 559
CONCLUSION , 565
EIRE OMC AP SE ET PCA]
SUPPLÉMENT
OBSERVATION fur l'Article IV de
la Seétion des Engrais, 570
OBSERVATION fur le Chapitre IV
du Manuel d'Agriculture pour le
Gouvernement, s72
Fin de la Table des Matières.
NZ
Ca)?
=
APR OBAT TON:
j A1 LU, par ordre de Monfeioneur
le Vice-Chancelier, un Marnufcrit
qui a pour Titre : Manuel d'Agricul-
ture pour le Laboureur, le Propriétaire
& le Gouvernement | & je penfe que
cet Ouvrage eft très-digne de l’im-
prefion. À Paris ce 10 Décembre
1763. Signe MACQU ART, Cen-
feur Royal.
PRIPLLEGE »r DU (ROL
EL OUIS , par la grace de Dieu , Roi
de France & de Navarre , à nos amés &
féaux Confeillers les gens tenans nos
Cours de Parlement, Maïtres des Re-
quêtes ordinaires de notre Hôtel , Grand-
Confeil , Prevôt de Paris , Baillifs , Sé-
néchaux , leurs Lieutenans Civils & au-
tres nos Jufticiers qu'il appartiendra ,
SALUT. Notre amé le fieur de /a
Salle de l'Etarg , Nous 2 fait expofer
qu'il défireroit faire imprimer & don-
ner au Public un Ouvrage de fa compofi-
tion qui a pour titre: Manuel d'Agriculture
532
pour le Laboureur, pour le Propriétaire &
pour le Gouvernement : S'il Nous plaifoit
lui accorder nos Lettres de Privilége pour
ce néceflaires; À ces caufes , voulant fa-
vorablement traiter l’Expofant , Nous lui
avons permis & permettons par ces Pré-
fentes, de faire imprimer fondit Ouvrage
autant de fois que bon lui femblera , &
de le faire vendre & débiter par tout
notre Royaume pendant le temps de &x
années confécutives , à compter du Jour
de la date des Préfentes ; faifons défen-
fes à tous Imprimeurs , Libraires & au-
tres perfonnes , de quelques qualité & con-
dition qu’elles foient , d’en introduire d’im-
refion étrangère dans aucun lieu de
Nos obéiflance ; comme aufli d'impri-
mer ou faire imprimer, vendre, faire
vendre , débiter ni contrefaire ledit Ou-
vrage , ni d’en faire aucun extrait, fous
quelque prétexte que ce puifle être, fans
la permiffion exprefle & par écrit dudit
Expofant, ou de ceux qui auront droit
de lui, à peine de confifcation des exem-
plaires contrefaits , de trois mille livres
d'amende contre chacun des contreve-
nans , dont un tiers à Nous, un tiers à
J'Hôtel-Dieu de Paris, & l’autre tiers au-
dit Expofant , ou à celui qui aura droit
de lui, & de tous dépens , dommages &
intérêts ; à la charge que ces Préfentes
feront enregiftrées tout au long fur le
Regiftre de la Communauté des Impri-
meurs & Libraires de Paris , dans trois
553
mois de la datte d’icelles ; que l'impref
fion dudit Ouvrage fera faite dans notre
Royaume & non ailleurs, en bon papier
& beaux caractères conformément à la
feuille imprimée , attachée pour modéle
fous le contre-fcel des préfentes ; que lim-
pétrant fe conformera en tout aux Régle-
mens de la Librairie, & notamment à ce-
lui du 10 Avril 1725; qu'avant de l’ex-
pofer en vente, le Manufcrit qui aura
fervi de copie à l’imprefion dudit Ouvra-
ge , fera remis dans le même état où l'Ap-
probation y aura été donnée ès mains de
notre très-cher & féal Chevalier Chance-
lier de France , le Sieur DE LAMOIGNON ;
& qu'il en fera enfuite remis deux exem-
plaires dans notre Bibliothéque publique,
un dans celle de notre Château du Lou-
vre , un dans celle dudit Sieur DE L A-
MOIGNON, & un dans celle de notre
très -cher & féal Chevalier Garde des
Sceaux & Vice-Chancelier de France,
le Sieur DE MAUPEOU: le tout à
peine de nullité des Préfentes : Du con-
tenu defquelles vous mandons & enjoi-
gnons de faire jouir ledit Expofant & fes
ayans caufes , pleinement & paifiblement ,
fans fouffrir qu'il leur foit fait aucun trou-
ble ou empêchement : Voulons que la co-
pie des Préfentes , qui fera imprimée tout
au long , au commencement ou à la fin
dudit Ouvrage , foit tenue pour duement
fignifiée, & qu'aux copies collationnées
pat l’un de nos amés & féaux Confeillers
554 7
Sécretaires , foi foit ajoutée comme à l'O-
riginal. Commandons au premier notre
Hüïflier ou Sergent fur ce requis , de
faire , pour l'exécution d'icelles , tous
actes requis & néceffaires, fans demander
autre permiflion & nonobitant clameur de
Haro , Charte Normande & Lettres à ce
contraires : CAR tel eft notre plaifir: Don-
né à l’aris , Le guirziéme jour du mois de Fé-
vrier l'an de grace mil fept-cent foixante-
quatre, & de notre Régne le quarante-
neuviéme.
Par le Roi en fon Confeil ,
Signé, LE BÉGUE.
Regifiré fur le Regiftre XVT de la Cham=
bre Royale & Syndicale des Libraires & Im
primeurs de Paris, N° 86, fol. 76, con=
formément au Réglement de 1723 , qui fair
défenfes , Art. XLI. , à toutes perfonnes de
quelques qualité & condition qu'elles foient , au=
res que les Libraires & Imprimeurs de vendre,
débiter, faire afficher aucuns Livres pour les
vendre en leurs noms, foit qu ils s’en difent Les
Auteurs | ou autrement , & à la charge de four-
nir à La fufdite Chambre néuf exemplaires
prefcrits par l'Art. 108 du même Réglement :
Æ Paris , ce 23 Février 1764,
Signé, LE BRETON, Syndic.
|
De l’Imprimerie de LOT TIN l’Aîné,
Libraire & Imprimeur de Monfeigneur
le Duc de BERRY.
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