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Full text of "Marabouts et Khouan. Étude sur l'Islam en Algérie"

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Ç'  MAY  1 7 1927^) 

Division  Ô VJ  (d  5 
Section  * . A û V\  O 


I 


MARABOUTS  & KHOUAN 

ÉTUDE 

SUR 

L’ISLAM  EN  ALGÉRIE 


MARABOUTS 

ET 

KHOUAN 


ÉTUDE 

SUR 

L’ISLAM  EN  ALGÉRIE 


. PAR  / 

ouïs  VR 


INN 


Chef  de  bataillon  d’infanterie  hors  cadres 
Chef  du  Service  central  des  Affaires  indigènes  au  Gouvernement  général 
Vice-Président  de  la  Société  historique  algérienne 


AVEC  UNE  CARTE 
INDIQUANT  LÀ  MARCHE,  LA  SITUATION  ET  L’IMPORTANCE 
DES  ORDRES  RELIGIEUX  MUSULMANS 

. — 


ALGER 

ADOLPHE  JOURDAN,  LIBRAIRE-ÉDITEUR 

IMPRIMEUR-LIBRAIRE  DE  L’ACADÉMIE 


1884 


PRÉFACE 


Depuis  une  cinquantaine  d’années,  les  puissances 
occidentales  de  l’Europe  ont  fait  de  grands  efforts  pour 
entraîner  le  Vieil  Orient  dans  le  courant  de  la  civilisation 
moderne.  Les  résultats  obtenus  ne  sont  pas  considé- 
rables ; et  cependant,  les  quelques  progrès  réalisés  ont 
suffi  pour  émouvoir  profondément  les  chefs  religieux  de 
l’Islam,  qui,  par  conviction  comme  par  intérêt,  sont 
opposés  à ces  tendances  et  à ces  réformes. 

Pour  combattre  ce  qu’ils  regardent  comme  un 
danger,  ils  ont,  non  sans  succès,  cherché  à exalter  le 
sentiment  religieux  et  à resserrer  les  liens  spirituels 
qui  unissent  tous  les  disciples  du  Prophète.  Leur  résis- 
tance, d’abord  timide  et  maladroite,  s’est  peu  à peu 
organisée  et  développée,  dans  tous  les  pays  musulmans. 
Aujourd’hui,  elle  a réussi  à déterminer  un  mouvement 
panislamique  qui,  s’étendant  des  îles  de  la  Sonde  à 
l’Atlantique,  constitue  un  véritable  danger  pour  tous  les 
peuples  européens  ayant  des  intérêts  en  Afrique  ou  en 
Asie. 

Ce  panislamisme  a surtout,  comme  force  et  comme 
moyens  d’action,  les  nombreuses  congrégations  et  asso- 


VI  — 


dations  religieuses  qui,  depuis  le  commencement  du 
siècle,  ont  pris  partout  un  énorme  développement  et 
exercent  une  grande  influence  sur  les  masses. 

Sous  prétexte  d’apostolat,  de  charité,  de  pèleri- 
nages et  de  discipline  monacale,  les  innombrables 
agents  de  ces  congrégations  parcourent  ce  monde  de 
l’Islam,  qui  n’a  ni  frontières  ni  patrie,  et  ils  mettent  en 
relations  permanentes  La  Mecque,  Djerboub,  Stamboul 
ou  Bar’dad  avec  Fez,  Tinbouktou,  Alger,  Le  Caire, 
Khartoum,  Zanzibar,  Calcutta  ou  Java.  Protées  aux  mille 
formes,  tour  à tour  négociants,  prédicateurs,  étudiants, 
médecins,  ouvriers,  mendiants,  charmeurs,  saltimban- 
ques, fous  simulés  ou  illuminés  inconscients  de  leur 
mission,  ces  voyageurs  sont,  toujours  et  partout,  bien 
accueillis  par  les  Fidèles  et  efficacement  protégés,  par 
eux,  contre  les  investigations  soupçonneuses  des  gou- 
vernements réguliers. 

Comme  nation  souveraine,  suzeraine  et  limitrophe 
de  peuples  musulmans,  la  France  a un  intérêt  politique 
considérable  à être  bien  fixée  sur  le  nombre  de  ces 
Ordres  religieux,  sur  leurs  doctrines,  leurs  tendances, 
leurs  foyers  de  propagande,  leurs  rayons  d’action,  leurs 
modes  de  recrutement,  leurs  organisations,  etc. 

Tous  ces  renseignements  ne  sont  pas  faciles  à se 
procurer.  Si  les  statuts  des  Ordres  religieux  ne  sont  pas 
absolument  tenus  secrets,  ils  sont,  du  moins,  mis,  le 
plus  possible,  à l’abri  des  regards  des  Européens.  On 
ne  nous  en  montre  guère  que  la  partie  conniie  de  la 
masse  des  Khouan  ou  consignée  dans  des  livres  de 


vu  — 


doctrines,  tombés,  en  quelque  sorte,  dans  le  domaine 
public  des  lettrés  musulmans  ; et  c’est  encore  une  chose 
délicate  et  difficile  que  d’en  avoir  de  bonnes  copies  ! 

Aussi,  même  en  Algérie,  cette  question  des  Ordres 
religieux  n’est  pas  connue  comme  il  serait  nécessaire 
qu’elle  le  fût  pour  la  bonne  surveillance  du  pays.  Les 
quelques  publications,  qui  ont  été  faites,  en  français, 
sur  cette  matière,  sont  très  rares,  déjà  anciennes,  ou 
perdues  dans  des  recueils  volumineux;  la  plupart  ne  se 
trouvent  plus  en  librairie  (1). 

Nous  pensons  donc  avoir  fait  œuvre  utile  en  offrant 
aux  lecteurs  un  exposé  aussi  impartial  et  aussi  explicite 
que  possible  de  la  situation  de  l’Islam  en  Algérie.  Sans 
doute,  il  est  regrettable  que  cet  exposé  se  borne  à notre 
France  transméditerranéenne,  alors  que  dans  l’Islam 
tout  se  tient,  tout  est  connexe,  sans  distinction  de  pays. 
Mais,  tel  qu’il  est,  et  malgré  ses  lacunes  forcées  ou  ses 
imperfections  involontaires,  ce  livre  facilitera  toujours, 
dans  une  certaine  mesure,  les  recherches  et  études  des 
travailleurs,  comme  aussi  il  fournira  des  indications 
précieuses  à tous  les  agents  français  qui,  à un  titre 
quelconque,  en  Algérie  ou  à l’Étranger,  ont  la  délicate  et 
difficile  mission  de  surveiller  les  agissements  religieux 
ou  politiques  des  Musulmans. 


(1)  Les  meilleurs  sont  : Les  Khouan,  par  le  capitaine  de  Neveu, 
Paris,  1846.  — Les  Khouan , par  M.  Brosselard,  Alger,  1862.  — Ces 
deux  ouvrages  n’existent  plus  en  librairie.  — Citons  aussi  les 
chapitres  xxi,  xxii,  xxm  du  tome  2 de  La  Kabylie  et  les  coutumes 
kabyles , par  Hanoteau  et  Letourneux,  Paris,  1873. 


VIII 


Grâce  à la  haute  bienveillance  de  M.  le  Gouverneur 
général  Tirman,  à qui  nous  sommes  heureux  d’offrir  ici 
l’expression  de  notre  respectueuse  gratitude,  nous 
avons  eu  toutes  les  facilités  désirables  pour  puiser  nos 
informations  aux  sources  les  plus  autorisées  ; nos 
relations  personnelles  avec  quelques  notabilités  reli- 
gieuses, telles  que  Si  Ahmed  Tedjini,  Cheikh  el-Missoum, 
Ali  ben  Otsman,  nous  ont  permis  de  vérifier  et  de 
compléter  ces  informations. 

Plusieurs  de  nos  camarades  du  Service  des  Affaires 
indigènes  et  du  Corps  des  Interprètes  militaires  ont  bien 
voulu  nous  prêter  leur  concours  empressé  ; parmi  eux, 
nous  avons  tout  particulièrement  à remercier  M.  le 
capitaine  Bissuel,  qui  a été  chargé  d’établir  la  carte 
jointe  à ce  volume,  et  MM.  les  interprètes  Arnaud  et 
Colas,  qui  ont  consacré  de  longues  heures  à des  tra- 
ductions ardues  et  hérissées  de  difficultés. 


i 


MARABOUTS  I KHOUAN 


ÉTUDE 

SUR 

L’ISLAM  EN  ALGÉRIE 


CHAPITRE  PREMIER 

DOCTRINE  POLITIQUE  DE  L ISLAM 


Lorsque,  sans  parti  pris  ni  passion,  on  regarde  autour 
de  soi  en  pays  musulman,  qu’on  interroge  l’histoire  ou 
qu’on  étudie  les  livres  des  docteurs  de  l’Islam,  on  s’aper- 
çoit bien  vite  que  le  caractère  dominant  de  la  religion 
musulmane  n’est  ni  l’intolérance,  ni  le  fanatisme. 

Ce  qui  domine  et  déborde  dans  l’œuvre  de  Mohammed, 
c’est  Vidée  théocratique,  et  ce  qui  frappe  chez  ses  adep- 
tes, c’est  l’ardeur  des  convictions  religieuses.  Tous  les 
Musulmans,  sans  exception,  ont  cette  foi  robuste  qui 
n’admet  ni  compromis  ni  raisonnement,  et  qui,  naïve- 
ment, se  complaît  dans  son  « credo  quia  absurdum.  » 


— 2 — 


Dans  ses  origines,  comme  dans  son  essence,  la  société 
musulmane  a toujours  été  et  est  restée  foncièrement 
théocratique.  Ses  premiers  souverains  n’étaient  ni  prin- 
ces, ni  rois,  ni  chefs,  ni  juges,  ils  étaient  prêtres , et 
eux-mêmes  se  nommaient  « pontifes  et  vicaires  du 
Prophète.  » 

Les  guerres  qui,  après  la  mort  de  Mohammed,  divi- 
sèrent et  ensanglantèrent  l’Islam  pendant  plusieurs 
siècles,  eurent  surtout  pour  objectif  V Imamat , c’est- 
à-dire  le  sacerdoce  universel.  La  plupart  des  fondateurs 
des  dynasties  musulmanes  du  Mar’reb  furent  des  per- 
sonnages religieux  avant  d’ètre  des  personnages  poli- 
tiques; et,  devenus  souverains,  ils  se  donnèrent  comme 
pontifes  et  successeurs  du  Prophète.  Car  Mohammed 
lui-même  n’avait  fondé  sa  puissance  temporelle  qu’en 
raison  de  la  mission,  qu’il  disait  avoir  reçue  du  ciel,  de 
ramener  les  hommes  au  culte  des  anciens  patriarches  et 
à l’unité  de  Dieu. 

A travers  les  siècles,  planant  au-dessus  de  toutes  les 
révolutions  politiques  et  de  tous  les  progrès  de  la 
science  ou  de  la  civilisation,  l’idée  théocratique  est  res- 
tée la  clef  de  voûte  de  l’édifice  de  l’Islam.  Et,  telle  cette 
idée  s’affirmait,  en  681,  lors  de  l’assassinat  d’Ali,  chez 
les  premiers  puritains  Ouahbites  (1),  telle  elle  s’affirme 
encore  aujourd’hui,  en  plein  XIXe  siècle,  non  seulement 
dans  les  doctrines  mystiques  des  Senoussya  et  autres 
ordres  religieux,  mais  même  dans  tout  l’enseignement 
officiel,  normal  et  orthodoxe  des  écoles  publiques  mu- 
sulmanes* 

Dans  un  livre,  classique  en  Orient,  et  l’un  des  caté- 
chismes les  plus  autorisés  et  les  plus  en  faveur  chez  les 
professeurs  des  établissements  où  se  donne  l’instruc- 
tion islamique,  le  « très  vénéré  » imam  Nedjem  Ed-Din- 
Nassafî  (mort  à Bar’dad  en  537-1142)  résume,  en  58  ar- 


(1)  Voir  chapitre  XI . 


— 3 — 


ticles,  les  dogmes  fondamentaux  de  l’Islam,  et  s'exprime 
ainsi  (1)  : 

« Les  Musulmans  doivent  être  gouvernés  par  un  imam 
» qui  ait  le  droit  et  l’autorité  : de  veiller  à l’observation 
» des  préceptes  de  la  loi,  de  faire  exécuter  les  peines 
» légales,  de  défendre  les  frontières,  de  lever  les  armées, 

» de  percevoir  les  dîmes  fiscales,  de  réprimer  les  re- 
» belles  et  les  brigands,  de  célébrer  la  prière  publique 
» du  vendredi  et  les  fêtes  de  Beyram,  de  juger  les  ci- 
» toyens,  de  vider  les  différends  qui  s’élèvent  entre  les 
» sujets,  d’admettre  les  preuves  juridiques  dans  les 
» causes  litigieuses,  de  marier  les  enfants  mineurs  de 
» l’un  et  l’autre  sexe  qui  manquent  de  tuteurs  naturels, 
» de  procéder  enfin  au  partage  du  butin  légal.  » 

Tout  l’Islamisme  est  renfermé  dans  ces  quelques 
lignes,,  qu’un  des  commentateurs  les  plus  autorisés  et 
les  plus  connus,  Sad-Ed-Din-Teftazani  (mort  à Boukhara 
en  808-1405)  précise  et  complète  en  ces  termes  : 

« L’établissement  d’un  imam  est  un  point  canonique 
» arrêté  et  statué  par  les  Fidèles  du  premier  siècle  de 
» l’Islam.  Ce  point,  qui  fait  partie  des  règles  apostoliques 
» et  qui  intéresse,  d'une  manière  absolue,  la  loi  et  la 
» doctrine,  est  basé  sur  cette  parole  du  Prophète  : Celui 
» qui  meurt  sans  reconnaître  V autorité  et  Vimam  de 
» V époque,  est  censé  mort  dans  V ignorance 3 c'est-à-dire 
» dans  l’ Infidélité...  Le  peuple  musulman  doit  donc  être 
» gouverné  par  un  imam.  Cet  imam  doit  être  seul, 
» unique  ; son  autorité  doit  être  absolue  ; elle  doit  tout 
» embrasser  ; tous  doivent  s’y  soumettre  et  la  respecter  ; 
» nulle  ville,  nulle  contrée  ne  peut  en  reconnaître  aucun 


(1)  C’est  l’article  ou  le  chapitre  33.  Voir,  dans  l’excellent  ouvrage 
du  chevalier  de  Mouradja  d’Ohssou,  Tableau  de  l’Empire  ottoman , 
l’exposé  et  le  développement  de  ces  58  dogmes  fondamentaux. 


— 4 — 


» autre,  parce  qu’il  en  résulterait  des  troubles  qui  com- 
» promettraient  et  la  religion  et  l’État  ; et,  quand  même 
» une  autre  autorité  indépendante  serait  à V avantage 
» temporel  de  cette  ville de  cette  contrée > elle  n’en  serait 
» pas  moins  illégitime  et  contraire  à l’esprit  et  au  bien 
» de  la  religion,  qui  est  le  point  le  plus  essentiel  et  le 
» plus  important  de  l’administration  des  imams.  » 

A quelques  variantes  près,  dans  les  détails,  tous  les 
anciens  docteurs  musulmans  reconnaissent  et  profes- 
sent ces  doctrines.  Le  Coran  n’a-t-il  pas  dit  : (1)  Soyez 
soumis  à Dieu,  au  Prophète  et  à celui  d’entre  vous  qui 
exerce  l’autorité  suprême.  Portez  vos  différends  devant 
Dieu  et  devant  l’Apôtre,  si  « vous  croyez  en  Dieu  et  au 
» jugement  dernier.  Ceci  est  le  mieux.  » Et  Mohammed 
a précisé  dans  ses  hadits,  en  disant  : « Celui  qui  meurt 
» sans  reconnaître  l’autorité  de  l’imam  de  son  temps 
» meurt  dans  l’ignorance,  c’est-à-dire  dans  l’Infidélité.  » 

Le  Coran  reste  donc,  en  réalité,  la  seule  loi  légitime 
aux  yeux  des  Musulmans  ; il  renferme  la  loi  politique, 
la  loi  civile  et  la  loi  criminelle  ; il  est  l’enseignement  par 
excellence  ; il  suffit  à tout,  et  dirige  tout. 

On  comprend  facilement  les  difficultés  qu’un  pareil 
état  de  choses  peut  opposer  à notre  action  gouverne- 
mentale en  Algérie.  On  s’explique  aussi  comment,  avec 
la  meilleure  volonté  de  ne  pas  heurter  les  sentiments 
religieux  des  Musulmans,  nous  ne  pouvons  pas  réaliser 
un  progrès  ni  inaugurer  une  réforme,  sans  nous  attirer 
les  malédictions  des  vrais  Croyants  assez  instruits  pour 
connaître  l’esprit  et  les  dogmes  de  leur  religion. 

Heureusement  pour  nous,  les  gens  réellement  ins- 
truits, même  en  matière  religieuse,  sont  rares  en  Algé- 
rie ; la  masse  des  Musulmans  ne  connaît  guère  que  les 
pratiques  d’une  dévotion  étroite,  limitée  aux  prières 
quotidiennes  et  à l’observance  d’usages  traditionnels 


(1  ) Chap.  IV,  verset  62, 


— 5 — 


que  nos  réformes  n’atteignent  pas  directement.  Puis, 
la  masse  de  la  population  est  plutôt  berbère  qu’arabe  ; 
elle  n’est  pas  insensible  à la  satisfaction  de  ses  intérêts 
matériels,  et  elle  a déjà  répudié  une  partie  de  la  loi  isla- 
mique, pour  la  remplacer  par  des  kanoun  ou  coutumes, 
qui  se  rapprochent  plus  ou  moins  des  nôtres. 

Nous  avons  donc  pu,  sans  user  de  procédés  violents, 
et  sans  nous  créer  des  difficultés  trop  grandes,  séparer, 
en  Algérie,  trois  choses  ordinairement  confondues  dans 
tous  les  pays  musulmans  : la  justice,  la  religion  et  l’ins- 
truction. 

La  substitution  de  notre  système  pénal  français  aux 
répressions  prescrites  par  le  Coran  s’est  faite,  presque 
au  lendemain  de  la  conquête  (vers  1842),  sans  soulever 
d’objection  : c’était  un  progrès  réel  et  un  grand  adoucis- 
sement à ce  que  subissaient  les  Algériens  sous  le  joug 
des  Turcs.  Quant  à la  juridiction  civile,  elle  a été  laissée 
à des  magistrats  musulmans,  appliquant  la  loi  islamique, 
sous  certaines  réserves  qui  ne  sont  pas  toujours  subies 
sans  froissement  par  les  lettrés  musulmans,  et  qui  sont 
sourdement  exploitées,  contre  nous,  par  les  personna- 
lités religieuses. 

En  matière  d’instruction,  tous  nos  efforts,  depuis  1830, 
ont  eu  pour  objet  de  réduire  l’enseignement  coranique 
et  d’y  substituer,  progressivement,  un  enseignement 
plus  rationnel,  plus  pratique  et,  surtout,  plus  français. 
Bien  que  ces  efforts  n’aient  pas  toujours  obtenu  les*' 
résultats  que  nous  espérions,  ils  ont  suffi  pour  nous 
aliéner  la  grande  masse  des  lettrés  et  marabouts  musul- 
mans qui  avaient,  avant  notre  arrivée,  la  direction  exclu- 
sive des  établissements  d’instruction,  et  qui  ont  préféré 
s’abstenir,  ou  s’éloigner,  plutôt  que  de  subir  notre  con- 
trôle et  de  modifier  leur  enseignement  dans  un  sens  libé- 
ral et  laïque. 

Quoi  qu’il  en  soit,  d’ailleurs,  la  séparation  que  nous 
avons  cherché  à réaliser,  est  aujourd’hui  assez  marquée, 
pour  que  la  question  de  l’instruction  publique  musul- 


— 6 — 


mane  soit  tout  à fait  distincte  de  la  question  religieuse 
proprement  dite,  la  seule  que  nous  ayons  ici  l’intention 
d’examiner. 

Laissant  donc  de  côté  ces  deux  questions,  malgré  leur 
connexité  trop  réelle,  nous  pouvons  dire  qu’en  Algérie, 
l’action  religieuse  musulmane  est  exercée  par  trois  ca- 
tégories d’individus  qu’il  est  important  de  ne  pas  con- 
fondre. 

La  première  catégorie  comprend  le  clergé  musulman, 
investi  et  salarié  au  même  titre  que  celui  des  autres 
cultes  reconnus  par  les  lois  françaises. 

La  seconde  catégorie  se  compose  des  marabouts  lo- 
caux> religieux  libres,  exerçant  les  devoirs  du  sacerdoce 
ou  de  l’enseignement  islamique,  sans  attaches  officiel- 
les ni  salaire,  et  dans  des  édifices  leur  appartenant,  ou 
construits  et  entretenus  par  la  piété  des  fidèles  (zaouïa, 
mammera,  djamâ,  mesdjed,  kobba,  etc.). 

La  troisième  et  dernière  catégorie  comprend  les  ordres 
religieux  congréganistes  (ou  khouan). 

Ces  trois  catégories  sont  presque  toujours  absolument 
distinctes  et  séparées.  Cependant,  on  rencontre  quelque- 
fois, parmi  les  membres  du  clergé  investi  et  parmi  les 
religieux  libres,  des  individus  et  même  des  groupes 
affiliés  à des  sociétés  religieuses,  exactement  comme  on 
voit  chez  nous,  soit  dans  les  clergés  paroissiaux,  soit 
dans  la  société  laïque,  des  membres  isolés  de  certains 
ordres  religieux  ou  confréries  laïques,  subissant  la 
direction  spirituelle  de  congrégations  appartenant  au 
clergé  régulier. 


— 7 — 


CHAPITRE  II 

CLERGÉ  INVESTI  ET  SALARIÉ 

(MOFTI  ET  IMAM) 


Il  n’y  a que  fort  peu  de  chose  à dire  sur  l’élément  reli- 
gieux musulman  officiel. 

Les  membres  du  clergé  investi  et  salarié  sont,  en  gé- 
néral, de  très  braves  gens,  choisis  avec  soin,  et  souvent 
même  très  francisés.  Ainsi,  dans  les  villes  du  littoral, 
ils  invitent  volontiers  les  fonctionnaires  français  et  leurs 
familles  à' assister  aux  grandes  cérémonies  du  culte 
musulman,  dans  les  principales  mosquées  (1),  et  ils 
viennent  eux-mêmes,  sans  répugnance  aucune,  faire 
acte  de  présence  à nos  Te  Deum  et  à nos  prières  pu- 
bliques officielles,  comme  aussi  aux  messes  d’enterre- 
ment ou  de  mariage  des  personnes  qu’ils  connaissent. 

A Alger,  Oran,  Constantine,  Bône,  etc...,  il  y a des 
mofti  (2)  : c’est  le  titre  le  plus  élevé  dans  les  fonctions 
religieuses  musulmanes  officielles. 


(1)  Les  mosquées  se  nomment  en  arabe  djamâ,  lorsque  ce  sont 
des  mosquées-cathédrales  ayant  un  menber  (chaire)  , et  dans  les- 
quelles on  fait  la  grande  prière  publique  officielle  du  vendredi,  la 

khotba  ( ) ou  prône,  qui  comporte  des  vœux  pour  le  souverain 

ou  le  gouvernement.  On  appelle  mesdjed  (chapelle,  oratoire)  les 
autres  mosquées.  — Les  djamâ  et  les  mesdjed  se  confondent  dans 
l’usage. 

(2)  Mofti  ) y interprète  de  la  loi  qui  donne  des  décisions 

ou  fetoua , sur  les  questions  de  religion  ou  de  droit.  Le  mofti, 
dans  les  États  musulmans,  est  le  supérieur  du  cadhi.  En  Algérie, 
c’est  le  titre  purement  honorifique  donné  par  nous  à quelques  imams 
importants. 


— 8 — 


Le  mofti  a la  préséance  sur  les  imams  ; il  est  dit,  offi- 
ciellement, chef  du  culte,  dans  la  circonscription  qui  lui 
est  assignée,  c’est-à-dire  dans  la  ville. 

A la  tête  de  chaque  mosquée,  desservie  ou  non  par 
un  mofti,  il  y a un  imam  (1).  Le  titre  est  moins  élevé, 
mais  cependant,  en  dehors  des  villes  où  existe  un  mofti, 
il  n’y  a pas  de  lien  hiérarchique,  religieux  ou  autre,  bien 
défini  entre  les  moftis  et  les  imams.  Le  clergé  musul- 
man n’a,  en  Algérie,  personne  à sa  tête  ; chaque  mofti 
ou  imam  est  maître  absolu  de  son  personnel,  dans  sa 
mosquée,  et  il  ne  relève  que  de  l’autorité  administrative 
du  lieu  de  sa  résidence. 

Il  y a peut-être  là  une  lacune  dans  notre  organisation 
politique  algérienne,  et  il  est,  à notre  humble  avis,  re- 
grettable que  nous  n’ayons  pas  institué,  dès  le  début, 
un  cheikh  el-Islam , chef  suprême  de  la  religion  musul- 
mane en  Algérie.  Ce  personnage,  qui  eût  été  ntfire  créa- 
ture, aurait  contribué  à isoler  les  Musulmans  algériens 
de  leurs  frères  d’Orient.  C'était  le  moyen  qu’employaient 
jadis  les  Souverains  du  Mar’reb,  lorsqu’ils  se  rendaient 
indépendants  de  l’autorité  du  khalife  de  Bar’dad  ou  de 
Damas,  et  il  y aurait  eu  profit  pour  nous  à suivre  cet 
exemple. 

Les  mofti  et  les  imam  des  deux  rites,  Maléki  et  Ha- 
néfi  (2),  sont  choisis  parmi  les  lettrés,  savants,  magis- 


(1)  Imam , ^L»! , pl.  aima  (pontife),  de  ^L»|  amarn  (devant)  : 

c’est  celui  qui  marche  en  tête  et  sur  qui  on  se  règle  pour  faire  la 
prière.  Ce  mot  s’emploie  aussi  dans  un  sens  profane. 


(2)  La  religion  musulmane  est  essentiellement  monothéiste  et 
repose  sur  la  croyance  aux  trois  livres  révélés  : Bible,  Évangile  et 
Coran.  Elle  nie  la  Trinité  et  la  divinité  de  Jésus  (Sidna  Aïssa),  qui 
n’est,  pour  les  Musulmans,  qu’un  prophète  précurseur  de  Moham- 
med. Elle  comporte  quatre  rites  orthodoxes,  ne  différant  entre  eux 
que  sur  des  questions  secondaires  de  droit  civil  et  de  pratiques  reli- 
gieuses, ce  sont  : 1°  le  rite  Maléki,  spécial  à l’Afrique  ; 2°  le  rite 
Hanéfi,  spécial  aux  Ottomans  ; 3°  le  rite  Chaféite,  spécial  à l’Égypte 
et  à l’Yemen  ; 4°  le  rite  Iianebalite,  répandu  surtout  aux  Indes  et 


— 9 — 


trats  et  personnages  religieux  rallies  à la  cause  fran- 
çaise ; aussi  les  Musulmans  exaltés  les  tiennent-ils  en 
médiocre  estime,  à cause  précisément  de  leurs  attaches 
avec  les  Chrétiens, -et  les  prêtres  musulmans  sont  un 
peu  dans  la  situation  où  se  trouvaient,  en  France,  il  y a 
un  siècle  environ,  les  prêtres  assermentés  catholiques. 

Cela  n’a  rien  qui  doive  nous  étonner  ; nous  trouvons 
il  est  vrai,  sans  difficulté,  des  imams  salariés,  et  nous 
en  trouverons  tant  que  nous  en  voudrons  ; mais  ce  fait 
seul  d’assimiler  des  religieux  à des  fonctionnaires  cho- 
que les  Musulmans  instruits.  Dans  l’exposé  de  la  foi 
musulmane  du  docteur  turc  Mohammed  ben  Pir  El- 
Berkaouï  (1),  qui  est  un  ouvrage  classique,  on  trouve, 
parmi  les  recommandations  faites  aux  fidèles  : « Ne  faire 
ni  les  fonctions  d’imam } ni  V annonce  de  la  prière , n'en- 
seigner ni  le  Koran  ni  la  théologie  pour  un  salaire.  » 
Et,  en  effet,  en  pays  musulman,  les  prêtres  officiants 
n’ont  pas  de  salaire,  mais  ils  vivent  sur  les  habous  ou 
ouakef  (2)  de  la  mosquée  qu’ils  desservent. 


dans  l’extrême  Orient.  En  Algérie,  il  n’y  a de  Hanéfi  que  dans  les 
villes  du  littoral,  ce  sont  les  descendants  des  Turcs. 

(1)  La  traduction  de  ce  catéchisme  a été  donnée  en  entier  par 
M.  Garcin  de  Tassy,  dans  son  livre  de  l’Islamisme.  — Paris,  1874, 
3e  édition. 

(2)  Il  y a deux  sortes  de  habous  ou  ouakf  immobilisation)  : 1°  ceux 
dont  l’usufruit  est  laissé  à des  particuliers  et  dont  le  fonds  appartient 
à un  établissement  religieux  ; 2°  ceux  des  mosquées,  biens  de  main- 
morte, dégrevés  de  tout  usufruit  temporel,  et  constituant  les  revenus 
de  ces  établissements. 

A notre  arrivée  en  Algérie,  tous  les  biens  dont  les  revenus  étaient 
affectés,  à un  titre  quelconque,  aux  mosquées,  furent  déclarés  réunis 
au  Domaine  de  l’État,  qui  en  prit  effectivement  possession,  à charge 
par  lui  de  pourvoir  aux  dépenses  du  Culte.  Cette  mesure  a toujours 
été  sévèrement  appréciée  par  les  Musulmans  et  a donné  lieu,  de  leur 
part,  à beaucoup  de  récriminations.  Aussi,  en  1882,  lors  de  l’annexion 
duMzab,  le  Gouverneur  général,  M.  Tirman,  se  borna-t-ii  à déclarer 
que  les  biens  et  revenus  des  mosquées  Ibadites  seraient  considérés 
comme  « biens  de  fabrique  » et  soumis,  en  principe,  à la  législation 
qui,  en  France,  règle  la  gestion  des  biens  de  l’espèce. 


— 10  — 


A cette  cause  de  déconsidération  aux  yeux  des  Musul- 
mans, vient  s’en  ajouter  une  autre,  qui  n’est  pas  spé- 
ciale à l’Algérie  et  qui  a toujours  existé  dans  les  États 
musulmans  : 

Dès  les  premiers  temps  de  l’Islam,  (1)  « le  clergé  investi, 
» qui  se  disait  dépositaire  exclusif  de  la  science  reli- 
» gieuse,  de  la  sagesse  divine,  et  qui  était  à la  tête  des 
» fonctions  de  l’enseignement  public  et  de  la  justice,  se 
» vit  disputer  l’influence  qu’il  s’arrogeait  sur  la  direction 
» des  esprits,  par  les  Soufi,  sortes  d’Esséniens  de  l’Isla- 
» misme  dont  les  Eulama  étaient  les  Pharisiens.  » 

En  Algérie,  ces  Soufi  sont  : ou  les  marabouts  libres  et 
sans  attaches  ni  rétributions  officielles,  ou  les  supérieurs 
des  ordres  religieux. 

A la  science  théologique  et  à la  sagesse  des  livres  des 
Eulama  et  membres  du  clergé  officiel,  les  marabouts  et 
les  khouan  opposent  la  pureté  de  leur  vie  ascétique  et 
les  perceptions  surnaturelles  de  leurs  extases  mystiques, 
qui  les  mettent  en  rapport  direct  avec  l’esprit  de  Dieu. 

Gela  est  peut-être  moins  orthodoxe,  mais  cela  a bien 
plus  de  prestige  aux  yeux  des  foules  ignorantes  et 
superstitieuses.  A côté  d’eux,  les  moftis  et  imams 
salariés  restent  sans  influence  aucune,  et  leur  rôle  se 
borne  à dire  les  prières,  publiques  et  privées,  en  se  con- 
formant aux  règles  canoniques  (2)  musulmanes  ortho- 
doxes, tout  en  tenant  compte,  cependant,  de  leur  situa- 
tion de  sujets  et  de  fonctionnaires  français. 


(1)  Dugat,  Histoire  des  Philosophes  Musulmans, 

(2)  Le  Prophète  a dit  : cr  L’édifice  de  l’Islamisme  est  appuyé  sur 
cinq  points  : 1°  la  profession  de  foi  ; 2°  la  prière  namaz  (c’est-à-dire 
les  cinq  prières  quotidiennes)  ; 3°  la  dîme  aumônière  ; 4°  le  jeûne 
canonique  du  ramdan  ; 5°  le  pèlerinage  de  La  Mecque. 

Ce  sont  là,  en  effet,  les  statuts  de  la  religion  musulmane.  On  y 
ajoute  : la  prière  publique  du  vendredi,  les  prières  pour  la  circonci- 
sion, le  mariage,  les  funérailles,  les  calamités  publiques,  les  événe- 
ments extraordinaires,  etc. 


— 11  — 


La  tradition  islamique  veut  que  la  prière  publique  du 
vendredi  ne  soit  faite  qu’au  nom  du  successeur  aposto- 
lique et  légitime  du  Prophète,  c’est-à-dire  au  nom  du 
khalife,  vicaire  de  Mohammed,  chef  suprême  de  la  reli- 
gion. Ce  khalife  est,  dans  tous  les  États  (1)  musulmans  : 
ou  le  Souverain  régnant,  ou  le  Sultan  de  Stamboul,  son 
suzerain. 

En  1830,  le  premier  jeudi  après  l’entrée  des  Français 
à Alger,  un  medjelès  (2),  composé  des  principaux  savants 
et  personnages  religieux  de  la  ville,  se  réunit  spontané- 
ment pour  étudier  la  question  de  la  prière  publique  du 
vendredi,  qui,  jusqu’alors,  s’était  faite  au  nom  du  Sultan 
de  Constantinople. 

Après  mûre  délibération,  la  formule  suivante  fut 
adoptée  : 


! il*)  ! 3j  \ wXj  ! î 

te ^ î ^ te  j L> ux) î I ^ ^ I 


) ^ 


« Fortifie,  ô mon  Dieu  ! quiconque  fortifiera  la  religion 
musulmane.  Vivifie  les  bons  sentiments  du  cœur  de 
quiconque  vivifiera  la  tradition  du  Prophète.  Protège- 
nous,  mon  Dieu  ! contre  les  troubles  mondains  et  les 
peines  de  l’autre  monde,  car  tu  es  tout  puissant.  » 


Soumise  à la  sanction  de  M.  le  Général  Comte  de  Bour- 
mont,  cette  rédaction  fut  ratifiée  et  approuvée. 


(1)  Chez  les  Touareg  et  à l’Est  de  l’Algérie,  en  Afrique,  la  prière 
se  fait  au  nom  du  Sultan  de  Constantinople.  Au  Touat,  au  Gourara  et 
dans  l’Ouest,  elle  se  fait  au  nom  de  l’Empereur  du  Maroc. 

(2)  Medjelès,  assemblée,  et  mieux  : lieu  où  l’on  s’assemble. 


— 12  — 


Plusieurs  Gouverneurs  généraux , dans  les  premiers 
temps  de  la  conquête,  maintinrent  ce  texte  et  le  rendirent 
officiel. 

Depuis,  il  n’a  pas  varié  : la  République  de  1848,  l’Em- 
pire, ni  la  République  de  1870  n’y  ont  apporté  aucun  chan- 
gement. — Chaque  fois  que  des  étrangers  musulmans, 
ou  des  fanatiques  algériens,  ont,  en  Algérie,  introduit 
dans  la  prière  du  vendredi  le  nom  du  Sultan,  le  Gouver- 
nement général  a sévi  contre  les  auteurs  et  complices 
de  ces  manifestations  anti-françaises. 

Lorsque  des  prières  publiques,  actions  de  grâces, 

Te  Deurrij  etc sont  ordonnés  par  le  Gouvernement, 

on  ajoute  à la  prière  du  vendredi  la  sourat  El-Feteh 
^.sô\  (du  Coran),  qui  est  celle  qui  se  lit  lors  des 

fêtes  publiques  dans  les  États  musulmans.  On  la  fait 
précéder  de  quelques  vœux  pour  « le  Fortuné  Gouver- 
nement de  la  France  »,  sans  qu’il  y ait  de  texte  officiel 
et  réglementé. 

Le  clergé  musulman  salarié  coûte  à l’État,  en  Algérie, 
166,490  fr.,  répartis  entre  : 1°  16  moftis,  payés  de  1,200  fr. 
à 4,000  fr.,  soit  28,200  fr.  ; 2°  81  imams,  de  300  fr.  à 
1,500  fr.,  soit  40,300  fr.,  et,  3°  un  nombre,  variable,  d'a- 
gents en  sous-ordre,  qui  n’existent  que  dans  les  mos- 
quées importantes. 

Ce  sont: 

Les  mouderrès , clercs  ou  professeurs  , chargés  de 
donner  l’enseignement  religieux  aux  enfants  et  aux 
élèves  adultes. 

Les  bach-hazzab , chefs  des  lecteurs,  et  les  hazzab , 
chargés  de  la  lecture  du  Coran  et  autres  livres  du  culte. 

Les  bach-moueddiiij  ou  mouekkqtin , chargés  de  diri- 
ger le  service  des  moueddin  ou  crieurs  de  la  prière. 

Les  gardiens  de  tombeaux,  chapelles,  etc 

Ce  personnel  subalterne  coûte,  ensemble,  76,070  fr.  à 
l’État. 


— 13  — 


L’entretien  des  mosquées  et  le  matériel  du  culte  mu- 
sulman officiel  est  inscrit,  au  budget  de  l’Algérie,  pour 
une  somme  de  49,850  fr.  C’est  donc,  en  résumé,  une  dé- 
pense de  216,340  fr.  pour  l’entretien  du  culte  musulman 
en  Algérie  où  il  y a 3,000,000  de  fidèles. 

C’est  infiniment  au-dessous  des  besoins  réels  d’une 
population  très  attachée  à son  culte  et  très  fervente  dans 
ses  croyances.  Aussi  celle-ci,  qui  n’a  déjà  pour  ce  clergé 
officiel  qu’une  sympathie  fort  limitée,  va-t-elle  en  masse 
chercher  la  satisfaction  de  ses  aspirations  religieuses  : 
soit  auprès  des  chioukli  des  khouan,  soit  auprès  des  ma- 
rabouts indépendants,  qui  exercent  les  fonctions  sacer- 
dotales en  dehors  de  toute  attache  officielle,  dans  des 
établissements  entretenus  par  les  aumônes  ou  dons 
volontaires  des  Croyants. 

Il  n’est  pas  sans  intérêt  de  comparer  les  dépenses  du 
culte  musulman  à celles  afférentes  aux  autres  cultes 
reconnus  par  l’État,  en  Algérie  (1)  ; en  voici  le  résumé  : 

310.000  Catholiques  (ou  inscrits  comme  tels) 

coûtent  920.100  fr.,  soit  par  tête  : 2 f.  93 
7.500  Protestants  — 83.100  — 11  08 

35.665  Israélites  — 26.100  — 0 731 

2.842.497  Musulmans  — 216.340  — 0 076 


(1)  Cette  comparaison  avait  déjà  été  faite,  par  M.  le  député  Gastu, 
dans  son  rapport  de  la  Commission  du  budget  de  l’exercice  1880. 
Nous  reproduisons  ses  chiffres,  sauf  pour  les  Israélites  et  les  Musul- 
mans, où  nous  avons  pris  ceux  donnés  par  le  recensement  de  1881 . 


— 14  — 


CHAPITRE  III 

MARABOUTS 

(RELIGIEUX  INDÉPENDANTS) 


Les  prêtres  musulmans,  libres  de  toute  attache  offi- 
cielle et  n’appartenant  pas  à des  congrégations,  forment, 
sous  le  nom  de  marabouts  locaux,  la  seconde  catégorie 
de  l’élément  religieux  algérien. 

Là  se  rencontrent  les  personnages  les  plus  disparates 
et  différant  souvent,  du  tout  au  tout,  comme  valeur  in- 
tellectuelle, situation  sociale  et  influence  politique. 

Au  premier  plan  se  place  le  marabout  propriétaire 
d’une  zaouïa  (1)  plus  ou  moins  riche,  et  héritier  du  pres- 


(1)  La  traduction  exacte  du  mot  zaouïa  (dont  le  sens  primitif  est 
coin,  retraite)  serait  monastère.  Mais  toutes  n’ont  pas  une  même  im- 
portance. Quelques-unes,  seulement,  sont  réellement  semblables  aux 
anciens  monastères  qui  couvraient  l’Europe  au  moyen  âge.  Dans 
celles-là,  à côté  de  moines  ou  religieux  ( merâboi ),  hôtes  habituels  de 
ces  établissements,  se  trouvent  des  serviteurs,  des  clients,  et  toute 
une  population  flottante  : d’étudiants  qui  viennent  suivre  les  cours 
professés,  de  malheureux  qui  viennent  chercher  un  refuge  et  un 
asile,  de  pèlerins  venant  faire  leurs  dévotions,  et  enfin  de  voyageurs 
et  de  mendiants  demandant  un  gîte  passager  ou  une  aumône.  Ces 
sortes  de  zaouïa  se  rencontrent  surtout  entre  les  mains  des  vieilles 
familles  maraboutiques  étudiées  dans  ce  chapitre.  Quant  aux  zaouïa 
appartenant  aux  ordres  religieux,  elles  ne  sont  guère,  en  dehors  des 
maisons  mères  et  des  maisons  provinciales,  que  des  établissements 
d’une  importance  peu  considérable.  Quelques-unes  même  se  rédui- 
sent à de  simples  masures  près  desquelles  l’enseignement  se  donne 
en  plein  air,  et  qui  ne  sont,  en  réalité,  que  des  lieux  de  réunions  acci- 
dentelles ou  périodiques. 


— 15  — 


tige  religieux  d’un  ancêtre,  chérif  (1)  ou  ouali  (2),  vénéré 
dans  le  pays.  Son  influence  est  souvent  considérable  et 
peut  même  éclipser  celle  de  certains  aghas  et  caïds. 
Puis,  par  des  degrés  successifs,  on  descend  du  grand 
seigneur  religieux  jusqu’au  petit  marabout,  qui,  n’ayant 
que  son  gourbi  et  son  chapelet,  vit  misérablement  de  la 
charité  publique,  à côté  de  la  tombe  modeste  d’un  an- 
cêtre mort  en  odeur  de  sainteté. 

C’est,  en  effet,  uniquement  par  droit  de  naissance  que 
l’on  est  marabout,  et  cette  qualité  ne  s’acquiert  jamais 
pendant  la  vie,  quelque  vertueux  que  l’on  puisse  être. 
Aussi  il  y a des  tribus  entières  de  marabouts,  comme 
les  Oulad-Sidi-Cheikh,  les  Cheurfa,  etc.,  etc.  Il  va  sans 
dire  que  la  masse  de  ces  tribus  est  absolument  igno- 
rante et  que  ses  membres  sont,  généralement,  sans  in- 
fluence, à l’exception  des  quelques  groupes  de  choix,  où 
se  sont  conservées  les  traditions  de  savoir  et  de  vertu, 
apanage  des  descendants  immédiats  et  directs  de  l’an- 
cêtre béatifié  par  le  respect  des  fidèles. 

Les  marabouts  locaux  n’ont  pas  d’affiliés;  ils  n’ont  que 
des  disciples,  des  élèves  et  des  serviteurs  religieux,  ou 
clients,  qui  sont  tenus  de  leur  faire  des  ziara  (3),  c’est-à- 


(1)  Cherif  (v , descendant  du  Prophète  par  sa  fille  Fathma- 

/ / 

Zohra  (pluriel  Cheurfa),  noble  de  noblesse  religieuse  de  ( être 

élevé,  noble,  illustre,  etc.). 

(2)  Ouali  (^Jj)  ? ami  de  Dieu,  saint,  patron  (de  être 

proche).  Ne  pas  confondre  ce  mot  avec  ouali , wali,  gouver- 

neur, commandant  de  province. 

(3)  ÿjbj  ziara,  visite,  — visite  pieuse,  ou  de  respect,  à une  per- 
sonne d’un  rang  supérieur,  mais  plus  spécialement  aux  lieux  saints, 
aux  personnages  religieux.  Les  pèlerinages  religieux  ailleurs  qu’à  la 
Mecque  sont  des  ziara.  Mais  les  ziara,  même  aux  tombeaux,  étant 
toujours  accompagnées  d’une  offrande,  le  mot  ziara  est  absolument 
synonyme  d’offrande.  On  reçoit  et  on  fait  des  ziara.  On  envoie  un 
serviteur  faire  des  ziara,  c’est-à-dire  faire  des  quêtes  religieuses. 
Voir,  chapitre  VI,  quelques  détails  complémentaires  sur  ce  que  peu- 
vent rapporter  ces  ziara 


16  — 


dire  des  visites  accompagnées  d’offrandes  proportion- 
nées à la  fortune  des  visiteurs.  Ces  offrandes  sont,  en 
apparence,  absolument  volontaires  et  facultatives,  mais 
le  marabout  sait  toujours  les  réclamer,  et  se  les  faire 
donner,  dans  un  certain  rayon  autour  de  sa  demeure, 
rayon  d’ailleurs  parfaitement  limité,  et  en  dehors  duquel 
le  marabout  le  plus  vénéré  ne  recueillera  que  des  témoi- 
gnages de  respect  tout  à fait  platoniques.  Les  marabouts, 
habitant  presque  toujours  sur  un  lieu  consacré,  soit  par 
le  tombeau  d’un  de  leurs  ancêtres,  marabout  comme 
eux,  soit  par  une  lgabba  (chapelle)  placée  sous  le  vocable 
d’un  Saint,  bénéficient  encore  des  ouada  faites  par  les 
Musulmans  à la  mémoire  du  Saint  (1). 

L’étendue  territoriale  où  s’exerce  le  prestige  et  l’in- 
fluence d’un  marabout  est  excessivement  variable;  cela 
tient  à des  causes  complexes.  La  situation  sociale  est 
un  des  éléments  principaux  du  succès  et  du  prestige  des 
marabouts,  mais  ce  n’est  pas  le  seul,  et  la  vénération 
des  fidèles  pour  l’ancêtre  béatifié  fait  souvent  plus,  pour 
l’importance  d’un  marabout  local,  que  sa  fortune  et  ses 
propres  mérites. 

En  dehors  de  la  grande  famille  maraboutique  des 
Oulad-Sidi-Cheikh,  dont  les  chefs  ont  encore  conservé, 
malgré  leurs  menées,  une  situation  exceptionnelle 
comme  prestige  et  comme  influence,  nous  n’avons  plus 
en  Algérie  de  marabouts  locaux  qui  nous  soient  hostiles, 
car  tous,  aujourd’hui,  ont  compris  qu’ils  peuvent  faci- 


(1)  Les  ouada  ( pl.  Jobj  ),  de  Jxj  promettre,  faire  un  vœu, 

sont  de  plusieurs  sortes.  11  y a d’abord  l’ex-voto,  ou  l’offrande  pure  et 
simple,  déposée  sur  le  tombeau  ou  dans  l’oratoire  du  saint  à l’inter- 
cession duquel  le  Musulman  a eu  recours.  Puis,  il  y a le  sacrifice  d’un 
jeune  chameau,  d’un  bœuf  ou  d’un  mouton,  égorgé  en  exécution 
d’un  vœu  sur  le  lieu  consacré  ; les  pauvres  sont  conviés  à manger  la 
bête  tuée,  et  si  les  convives  font  défaut,  le  gardien  du  sanctuaire 
garde  les  restes.  Il  y a des  ouada  traditionnelles  que  certaines  fa- 
milles, ou. certaines  tribus,  font  annuellement,  ou  mensuellement,  à 
certains  lieux  consacrés. 


— 17  — 


lement  être  atteints,  par  nous,  dans  leurs  personnes  ou 
dans  leurs  biens.  Aussi,  les  plus  mal  disposés,  à notre 
égard,  se  bornent  à se  tenir  à l’écart  des  Chrétiens  ; leurs 
manifestations  malveillantes  s’arrêtent  là,  ils  payent 
correctement  leurs  impôts  et  se  conforment  à nos  or- 
dres généraux  d’administration  et  de  police. 

Cette  obéissance  à des  Chrétiens  ne  trouble  pas,  du 
reste,  la  conscience  des  Musulmans,  car,  disent-ils, 
« rien  n’arrive  sans  la  volonté  de  Dieu,  et  puisque  Dieu 
» a donné  la  force  aux  Chrétiens  et  leur  a permis  de 
» soumettre  les  Musulmans,  les  vrais  Croyants  doivent 
» ^e  courber  devant  cette  force,  qui  est  une  émanation 
» de  la  volonté  de  Dieu.  » 

Beaucoup  de  marabouts  poussent  la  résignation  bien 
plus  loin  et  acceptent,  volontiers,  des  emplois  lu- 
cratifs : plusieurs,  et  des  plus  en  renom,  sont  aghas  ou 
caïds,  il  en  est  un  qui  vient  d’être  nommé  Commandeur 
de  la  Légion  d’honneur  pour  services  de  guerre,  c’est 
l’agha  El-Hadj-Kaddour-ben-Sahraouï) . 

D’autres,  au  contraire,  refusent  les  honneurs  et  fonc- 
tions officielles,  mais  ils  s’emploient  volontiers  à notre 
service,  à titre  officieux,  et  entretiennent  avec  nous  des 
relations  très  courtoises  (1). 

A ceux-là,  on  témoigne  certains  égards,  et  on  fait 
quelques  faveurs  qu’ils  reconnaissent,  le  plus  souvent, 
en  s’entremettant,  sur  notre  demande,  pour  ramener 


(1)  Parmi  ceux-là,  nous  citerons  le  marabout  Si  Abd-es-Semed,  du 
Djebel-bou-Arif,  près  Batna,  qui,  en  1871,  recueillit  chez  lui  et  pro- 
tégea, contre  les  rebelles,  un  groupe  important  du  village  d’El-Ma- 
dher,  pillé  et  incendié  par  les  rebelles.  En  raison  de  sa  conduite 
méritoire,  en  cette  circonstance,  et  d’autres  services  rendus  précé- 
demment, l’autorité  militaire  voulut  le  faire  décorer  : il  s’y  opposa 
formellement,  disant  qu’il  n’avait  fait  que  son  devoir.  Et  lorsque,  plus 
tard,  à la  Cour  d’assises  de  Constantine  où  il  paraissait  comme  té- 
moin, le  président  lui  adressa  publiquement  des  éloges  mérités,  il 
fit  la  même  réponse  : « Ce  n’était  que  mon  devoir  de  musulman.  »> 

2 


— 18  — 

dans  le  devoir  des  tribus  récalcitrantes  ou  apaiser  des 
luttes  de  soff(l). 

Plusieurs  marabouts  ont  des  zaouïa  (2),  qui  tiennent 
à la  fois  des  monastères  et  des  universités  du  Moyen- 
Age  ; des  professeurs,  sous  leur  direction,  y enseignent 
le  Coran,  le  droit  musulman  et  la  grammaire.  Des  étu- 
diants (tolba)  (3)  y sont  entretenus:  soit  par  le  marabout 
lui-même,  soit  par  la  piété  des  fidèles  ; les  voyageurs  y 
sont  hébergés  et  il  s’y  fait  de  grandes  aumônes. 

Le  fanatisme  est  rare  chez  ces  marabouts,  lorsqu’ils 
ne  sont  affiliés  à aucun  ordre  religieux.  On  a vu,  dans 
des  insurrections,  certains  d’entre  eux  donner  asile  à 
des  Français  et  les  protéger  contre  les  révoltés  ; d’au- 
tres, en  temps  ordinaire,  sont  souvent  venus,  spontané- 
ment, en  aide  à des  Français  isolés,  égarés  ou  dans  le 
besoin. 

Nous  avons  dit  que  leur  influence  ne  dépassait  jamais 
un  certain  rayon.  Cependant,  comme  professeurs  et  doc- 
teurs, en  théologie  ou  en  droit,  ils  ont  souvent  des  dis- 
ciples et  des  élèves  qui  viennent  souvent  de  fort  loin  ; 
mais,  quelle  que  soit  leur  réputation,  ils  ne  font  pas  de 
prosélytisme  religieux  et  ils  n’ont  ni  dikr  particulier,  ni 
affiliés,  ni  missionnaires. 

Si  leurs  revenus  sont  insuffisants,  ils  se  bornent  à 
faire  des  quêtes  religieuses  (ziara)  dans  les  pays  soumis 
à leur  influence.  Du  reste,  tout  étudiant  qui  vient  à une 
zaouïa,  tout  fidèle  qui  vient  prier  à la  tombe  du  saint, 
ancêtre  du  marabout  local,  tient  à honneur  de  déposer 
son  offrande  religieuse,  en  argent  ou  en  nature. 


(1)  Soff,  parti  politique. 

(2)  Zaouïa,  du  verbe  jj)  vivre  à l’écart,  d’où  (h  jtj)  angle, 
coin,  cellule  : monastère.  Ce  mot,  très  arabe,  est  connu  dans  tout  le 
monde  musulman  ; cependant,  en  Turquie,  on  emploie  encore,  dans 
le  même  sens,  les  mots  Tekkié  ou  Keniça,  et  en  Egypte  celui  de 
Khaouanek, 

(3)  Tolba  est  le  pluriel  de  -.3  LJL  étudiant  (litt.  qui  demande  (la 

science),  du  verbe  v demander. 


— 19  — 

Le  marabout  reçoit  toujours  et  rend,  plus  ou  moins, 
en  aumônes. 

Il  n’est  pas  rare  de  voir  les  marabouts  locaux  divisés 
entre  eux  par  de  grandes  rivalités,  mais  leurs  antipa- 
thies les  plus  vives  sont  surtout  dirigées  contre  les 
Khouan  qui,  de  l’extérieur,  viennent,  par  leurs  quêtes, 
appauvrir  leurs  « serviteurs  religieux  » , et  diminuent 
ainsi  les  influences  locales  au  profit  d’une  confrérie 
étrangère  à la  tribu.  Dans  la  grande  zaouïa  de  Chellata, 
tenue  près  d’Akbou  par  Ben-Ali-Cherif-Mohamed-Saïd, 
un  article  du  règlement  exclut  de  la  zaouïa  tout  étudiant 
qui  s’affilie  à un  ordre  religieux. 

Dans  le  cercle  de  Tiaret,  le  marabout  et  agha  El-Hadj- 
Kaddour-ben-Sahraoui,  n’admet  pas  que  ses  administrés 
s’affilient  à des  ordres  religieux,  et,  à mesure  que  son 
influence  a augmenté,  le  nombre  des  Khouan  a diminué 
dans  son  commandement.  En  1851,  le  cercle  de  Tiaret, 
réduit  à ses  limites  actuelles,  comptait  2,325  Khouan 
de  divers  ordres;  en  1882,  il  n’en  avait  plus  que  578. 
C’est  le  seul  point  de  l’Algérie  où  l’on  puisse  constater 
une  pareille  diminution. 

L’animosité  des  marabouts  locaux  contre  les  Khouan 
est  analogue  à celle  qui  existe  souvent,  en  pays  catho- 
lique, entre  le  clergé  séculier  et  le  clergé  régulier  ; mais 
elle  prend  parfois,  en  raison  des  mœurs  locales  et  du 
tempérament  africain,  un  caractère  bien  plus  aigu  et 
bien  plus  violent.  Trop  souvent  aussi  les  petits  mara- 
bouts locaux,  qui  se  sentent  amoindris,  sans  crédit  et 
sans  revenu,  abdiquent  et  s’affilient  à un  ordre  religieux, 
surtout  s’ils  peuvent  y obtenir  une  situation. 

En  résumé,  ces  marabouts  locaux  sont  des  gens  à 
surveiller  discrètement,  mais  aussi  à ménager  et  à bien 
traiter,  car  ils  sont  les  seuls  auxiliaires  que  nous  puis- 
sions espérer  avoir  avec  nous,  dans  notre  lutte  de 
chaque  jour  contre  l’influence  ou  les  agissements  des 
Khouan. 

Le  concours  de  ces  marabouts  n’est  jamais  bien  diffi- 


— 20  — 


cile  ni  bien  onéreux  à obtenir  ; et  les  services  politiques 
que  nous  sommes  à même  d’en  tirer,  si  nous  sommes 
habiles,  ne  sont  certes  pas  à dédaigner. 

Ils  nous  dispensent,  d’ailleurs,  de  faire  de  grosses  dé- 
penses pour  assurer  le  service  du  culte  et  donner  satisfac- 
tion aux  besoins  religieux  des  populations  musulmanes. 

Nous  ne  parlons  pas  ici,  bien  entendu,  des  faux  mara- 
bouts, des  pseudo-chérifs  qui  surgissent  un  jour,  on  ne 
sait  d’où,  pour  prêcher  la  Guerre  Sainte,  et  qui  sont,  le 
plus  souvent,  ou  de  vulgaires  escrocs  spéculant  sur  la 
bêtise  humaine,  ou  bien  les  instruments  de  grandes 
personnalités  politiques  ou  de  chefs  d’ordres  religieux. 
Nous  ne  disons  rien,  non  plus,  de  ces  malheureux  at- 
teints, soit  d’idiotisme,  soit  d’aliénation  mentale,  et  que 
les  masses  ignorantes  entourent  d’un  respect  supersti- 
tieux et  décorent,  parfois,  du  nom  de  marabout. 

D’après  des  documents  officiels  existant  au  Bureau 
Politique,  on  comptait,  en  1880,  pour  toute  l’Algérie, 
115  familles  maraboutiques,  d’influences  très  variables, 
et  n’ayant  aucune  attache  avec  les  ordres  religieux  ; 
savoir  : 20  dans  la  province  d’Oran,  55  dans  celle  d’Alger 
et  40  dans  celle  de  Constantine.  Ces  familles  sont  celles 
qui  ont  paru,  aux  autorités  locales,  susceptibles  d’être 
signalées  comme  ayant  une  influence  dont  nous  avons  à 
tenir  compte  pour  l’administration  du  pays.  Ce  chiffre 
est  bien  loin  de  donner  le  nombre  exact  des  familles 
maraboutiques,  car  il  y a en  Algérie  des  tribus  entières 
d’origine  maraboutique,  et  chaque  chef  de  famille  dans 
ces  tribus  peut,  en  raison  de  son  titre  de  chérif,  plus  ou 
moins  authentique,  acquérir  tout  à coup  une  impor- 
tance considérable.  Le  chiffre  de  115  représente  donc  : ou 
les  grandes  influences  locales  qui,  en  pays  arabe,  s’é- 
tendent sur  des  régions  entières;  ou,  en  pays  kabyle, 
les  nombreux  petits  marabouts  dont  l’action  politique 
est,  en  temps  normal,  bornée  au  toufik , au  soff,  ou  à la 
confédération  de  quelques  villages. 


— 21 


CHAPITRE  IV 

ORIGINE  & DÉNOMBREMENT  ANALYTIQUE 

DES  ORDRES  RELIGIEUX 


Les  fautes  politiques  ou  religieuses  clés  Papes,  aussi 
bien  que  les  agissements  des  Souverains,  ont  été,  dans 
le  monde  chrétien,  les  causes  principales  de  la  formation 
des  schismes  et  des  hérésies.  Alors,  ceux  qui  regardaient 
le  Souverain-Pontife,  comme  le  vicaire  du  Christ  et  le 
seul  successeur  légitime  des  Apôtres,  organisèrent  des 
associations  religieuses  et  des  ordres  monastiques, 
pour  combattre,  par  les  armes  spirituelles,  les  sectes 
dissidentes,  maintenir  partout  l’unité  de  doctrine  et 
étendre  le  domaine  du  Christianisme,  tel  que  le  com- 
prenait la  grande  majorité  des  Fidèles  restés  partisans 
de  la  Papauté. 

Dans  l’Islamisme,  les  mêmes  causes  ont  produit  les 
mêmes  effets  : les  excès  des  trois  premiers  khalifes  et 
l’effroyable  anarchie  qui,  à partir  de  la  mort  d’Ali,  ensan- 
glanta le  monde  musulman  pendant  plusieurs  siècles, 
eurent  pour  résultat  de  faire  naître  72  sectes  dissidentes 
dans  la  religion  de  Mohammed. 

Les  deux  plus  importantes,  les  seules  qui  aient  con- 
servé jusqu’aujourd’hui  leur  notoriété  et  leur  rôle  politi- 
que, sont  : celle  des  Chiites  et  celle  des  Ouahbites.  Elles 
ont  eu  et  ont  encore,  dans  l’Islam,  un  rôle  identique  à 
ceux  du  Schisme  grec  et  du  Protestantisme  dans  la  Chré- 
tienté. 

La  secte  des  Chiites  représente,  en  effet,  la  religion 
d’État  en  Pérse  ; ses  adeptes,  qui  ont  une  dévotion  spé- 


— 22  — 

ciale  pour  Ali  et  ses  descendants,  refusent,  aux  trois  pre- 
miers khalifes  comme  au  Sultan  de  Stamboul,  le  titre 
de  vicaire  du  Prophète. 

Les  Ouahbites-Ibadites  (1),  dont  les  premiers  furent  les 
complices  de  l’assassinat  d’Ali,  ne  reconnaissent  au  con- 
traire d’autorité  religieuse  qu’aux  trois  premiers  khali- 
fes (2)  ; ils  rejettent  tout  imamat  héréditaire,  n’admettant 
que  l’imamat  électif  et  révocable  par  les  mechâïkh,  ou 
présidents  des  collèges  religieux , qui , dans  chaque 
localité,  ont  la  direction  spirituelle  et  temporelle  de  la 
communauté.  Les  Ouahbites  sont,  de  fait,  organisés  en 
un  nombre  indéterminé  de  petites  républiques,  ou  de 
communes  théocratiques,  à la  tête  de  chacune  desquel- 
les se  trouve  le  Conseil  de  douze  ihazzaben  (ou  clercs), 
présidé  par  un  cheikh.  Ces  Ouahbites  sont,  en  réalité, 
les  Puritains  et  les  Presbytériens  de  l’Islam  ; et  chez 
eux,  comme  chez  les  Protestants  chrétiens,  les  sectes 
sont  nombreuses;  on  les  rencontre  aujourd’hui  à Mas- 
cate,  dans  l’Oman  et  dans  le  Mzab  algérien. 

Ce  fut  principalement  contre  ces  deux  schismes  des 
Chiites  et  des  Ouahbites,  qui,  de  bonne  heure,  menacè- 
rent d’absorber  l’Islam,  que  les  Musulmans  restés  fidè- 
les au  Khalifa  eurent  à engager  la  lutte.  Ils  le  firent  par 
les  armes,  mais  ils  le  firent  aussi,  surtout,  par  la  créa- 
tion de  nombreux  ordres  religieux  dont  les  adeptes  et 
les  émissaires  furent  chargés  de  parcourir  les  pays 
schismatiques,  et  de  ramener  chacun  aux  pures  doctri- 
nes et  à l’unité  de  dogme. 

Le  Mar’reb , principal  théâtre  des  premières  luttes 
entre  les  Musulmans,  fut  aussi  un  des  premiers  pays 


(1)  Voir  sur  les  Ouahbites  et  sur  le  Mzab  : 1°  la  chronique  d’Abou- 
Zakaria,  par  le  professeur  Masquerav  (Alger,  1879)  5 2°  le  Mzab,  par 
le  commandant  Coyne  (Alger,  Jourdan,  1879)  et,  3°,  plus  /om,  le  cha- 
pitre XI  du  présent  ouvrage. 

(2)  Ils  n’acceptent  Ali  que  jusqu’au  montent  où  lui-méme  a quitté 
la  voie  droite  en  consentant  à l’arbitrage.  (Voir  ceci  au  chapitre  XI.) 


— 23  — 

livrés  aux  entreprises  des  réformateurs  religieux  et 
envahis  par  les  hérésies  et  les  schismes  musulmans. 

Le  terrain,  du  reste,  y était  admirablement  préparé. 

Lors  de  l’invasion  musulmane,  les  Berbères  qui  étaient, 
au  fond,  restés  plus  ou  moins  attachés  au  donatisme, 
avaient  été -séduits  par  la  simplicité  de  la  formule  isla- 
mique, et  avaient  adopté,  sans  répugnance } cette  religion 
nouvelle  qui  ne  heurtait  en  rien  ni  leur  unithéisme  chré- 
tien, ni  leurs  doctrines  égalitaires. 

L’égalité  devant  Dieu  comme  devant  la  loi,  fut,  en  effet, 
un  des  attraits  puissants  qu’offrit  l’Islamisme  dans  sa 
marche  à travers  le  monde  : il  n’y  a dans  la  loi  du  Pro- 
phète ni  patriciens,  ni  plébéiens  : gouvernants  et  gou- 
vernés, riches  ou  pauvres,  puissants  ou  faibles  sont,  au 
même  titre,  les  serviteurs  du  Dieu  unique,  et  ils  ne  peu- 
vent se  distinguer  entre  eux  que  par  l’excellence  de  leur 
foi. 

Mais  quand  les  Berbères  virent  que  les  gouverneurs 
envoyés  de  Damas  ne  pratiquaient  en  rien  les  préceptes 
du  Livre-Sacré,  et  qu’ils  n’avaient  fait  que  changer  d’op- 
presseurs, ils  se  révoltèrent  à la  fois  : contre  la  religion 
orthodoxe  des  khalifes,  et  contre  leurs  agents,  comme 
jadis  ils  s’étaient  révoltés  contre  le  clergé  orthodoxe  et 
les  gouverneurs  de  la  Rome  chrétienne,  et  ils  embrassè- 
rent, avec  enthousiasme,  les  doctrines  ouahbites  qui  leur 
rappelaient,  de  si  près,  les  principes  puritains  et  sépara- 
tistes de  leur  ancienne  religion  (1). 

Dès  lors,  aussi,  l’œuvre  des  missionnaires  orthodoxes 
commença  dans  le  Mar’reb  : tantôt  intimement  liée  à 
l’action  politique  exercée  par  les  conquérants  arabes  ou 
par  les  souverains  berbères,  tantôt  isolée  et  due  à l’ini- 
tiative des  chefs  d’ordres  religieux  existant  dans  l’Orient, 
et,  plus  tard,  dans  les  royaumes  de  Tlemcen,  de  Fez  et 
de  Maroc. 


(I)  Voir  Masqueray.  (Loco  citato.) 


— 24  — 


Les  associations  religieuses  existaient  d’ailleurs  depuis 
longtemps  dans  l’Islam,  car  la  première  avait  pris  nais- 
sance du  vivant  même  du  Prophète. 

« Les  historiens  arabes  rapportent  que,  dans  la  pre- 
» mière  année  de  l’Hégire,  90  habitants  de  La  Mecque  et 
» de  Médine,  convertis  à la  nouvelle  religion,  se  réuni- 
» rent  entre  eux,  faisant  serment  de  rester  fidèles  jus- 
» qu’à  la  mort  à la  doctrine  prêchée  par  Mohammed, 
» et  qu’ils  formèrent  ensemble  une  sorte  d’association 
» ayant  pour  objet  : d’établir  entre  eux  la  communauté 
» des  biens j et  de  s’ acquitter tous  les  jours , de  certaines 
» pratiques  religieuses , dans  un  esprit  de  pénitence  et 
» de  mortification  (1).  » 

Ces  gens  étaient,  surtout,  les  plus  pauvres  des  compa- 
gnons du  Prophète,  ceux  qui,  n’ayant  pas  d’abri,  avaient 
élu  domicile  sur  le  banc  de  l’enceinte  de  la  mosquée  ; on 
appelait  ces  fokara  (2),  gens  du  banc  (ahl-es-soffa)  (3). 
Mohammed,  le  soir,  allant  souper,  en  appelait  quelques- 
uns  et  envoyait  les  autres  à ses  principaux  disciples. 
Parmi  eux  se  trouvaient  Djandab-ben-Djenada,  Abou- 
Dhar-El-Ghafari,  Abou-Houira  et  d’autres  célèbres  Musul- 
mans. 

A cette  époque  (1  de  l’Hégire,  622  de  J. -G.),  il  y avait 
déjà,  en  Orient,  des  ordres  religieux  chrétiens  connus 
des  Arabes,  notamment  les  Antonins  de  la  Thébaïde, 
les  Tabénites  d’Égypte  et,  surtout,  les  Carmes  du  Mont- 
Carmel,  auprès  desquels  Mohammed  avait  déjà  puisé 
plusieurs  de  ses  inspirations  religieuses. 


(1)  Brosselard,  Les  Khouan,  p.  29. 

(2)  Pluriel  de  fakir,  pauvre. 

(3)  La  ressemblance  de  ce  mot  avec  « Soufi  » l’a  fait  donner  comme 
origine  de  ce  dernier.  Cela  est  inadmissible  à tous  égards;  il  existait 
des  Soufi  dans  l’Inde  et  chez  les  Chrétiens  avant  les  Soufi  musulmans . 
(Voir  la  note  ci-après.) 


L’idée  qui  vint  aux  premiers  disciples  du  Prophète 
s’explique  donc  facilement.  Ce  ne  fut  pas  cependant  le 
principe  du  monachisme  chrétien  qui  prévalut  chez  eux; 
et,  pour  éviter  qu’il  y eût  doute  ou  confusion  sur  ce  point, 
les  néophytes,  ainsi  réunis  en  communauté  religieuse, 
se  donnèrent  de  suite  comme  ayant  adopté  la  manière 
de  vivre  des  Soufi. 

Le  Soufisme  n’étant  ni  une  secte  religieuse,  ni  un  sys- 
tème philosophique,  n’avait,  en  effet,  rien  de  contraire  à 
la  doctrine  nouvelle  de  l’Islam,  et  cette  déclaration  ne 
diminuait  en  rien  la  valeur  de  l’adhésion  du  groupe  à 
l’apostolat  de  Mohammed.  C’était,  au  contraire,  un  relief 
de  sainteté  donné  à l’ordre  naissant,  car  le  Soufisme  (1), 
comme  son  nom  l’indique  en  partie,  n’est  autre  chose 
que  la  recherche,  par  l’exercice  de  la  vie  contemplative 
et  les  pratiques  pieuses,  d’un  état  de  pureté  morale  et 
de  spiritualisme  assez  parfait  pour  permettre,  à l’âme, 
des  rapports  plus  directs  avec  la  Divinité. 

Il  y a des  soufi  et  des  mystiques  dans  toutes  les  reli- 
gions qui  ont  subi  l’influence  de  l’ancienne  philosophie 
indienne.  Pendant  longtemps,  le  soufisme  se  prêcha  à 


(1)  Soufi  peut,  à la  rigueur,  venir  du  radical (Sofa  = Être  pur, 
choisi),  d’où  (soufoa  = élite,  choix).  Le  Prophète  est  quelque- 
fois désigné  par  ces  mots  : iâLk  ! syuo  (celui  que  Dieu  a choisi 

dans  sa  création).  Ce  mot  ^3*0  (soufi)  appartient  à la  même  famille 
que  le  grec  aoyoç  (sage),  et  aboutit,  en  dernière  analyse,  à la  racine 
berbère  unilitère  3 C (afa  = lumière),  dont  3 C if  ou  ioufa  (valoir 
mieux,  exceller),  est  un  des  sens  dérivés.  Le  factitif  ou  nom  d’extrac- 
tion de  3 C (if),  et  sa  première  forme  dérivée,  est  3 C Q c’est-à-dire 
S F (Voir  dans  la  Revue  africaine,  1881  -1882,  nos  essais  sur  les 
origines  berbères.  ) Quant  à l’étymologie  qui  fait  dériver  soufi  de 
i (Souf  = laine  et  blancheur),  mais  nous  la  croyons  pas  fon- 
dée, bien  que,  d’après  l’orthographe  arabe  du  mot  soufi  , 

ce  soit  celle  qu’il  faudrait  adopter. 


— 26  — 


Bar’dad,  du  haut  des  chaires  des  mosquées.  Saladin 
fonda,  pour  les  soufî,  un  monastère  en  Égypte,  et  c’est 
de  là  que  le  soufisme  pénétra  dans  le  Nord  de  l’Afrique. 

Ceux  qui  se  groupèrent  à La  Mecque  et  Medine,  en  622, 
formèrent  le  noyau  du  plus  ancien  des  ordres  religieux 
musulmans  orthodoxes. 

Avant  de  dire  ce  que  furent  ces  ordres,  et  surtout  ce 
qu’ils  sont  devenus,  nous  croyons  nécessaire  d’en  donner 
d’abord  l’énumération  analytique,  et  chronologique  au- 
tant que  nous  le  pourrons.  Cette  énumération,  malgré  sa 
longueur,  est  loin  d’être  complète,  et  elle  ne  comprend  : 
ni  les  confréries  qui  font  plus  loin  l’objet  d’un  chapitre 
spécial,  ni  les  sectes  ou  schismes > qui  ne  sont  pas  recon- 
nus comme  orthodoxes  par  les  traditionnalistes  des 
rites  Maleki,  Hanefi,  Hannbali  et  Chafeï. 

Par  contre,  elle  donne  souvent,  comme  des  congréga- 
tions distinctes,  des  ordres  locaux  ou  secondaires  qui 
ne  sont,  en  réalité,  que  des  dénominations  spéciales  de 
branches  collatérales,  ou  dérivées,  d’ordres  religieux 
déjà  nommés.  Au  point  de  vue  philosophique,  cette 
énumération  pourrait  donc  être  réduite,  mais,  nous 
avons  pensé  qu’il  pouvait  être  utile  de  donner  la  liste, 
aussi  complète  que  possible,  des  dénominations  qui,  à 
tort  ou  à raison,  ont  été,  ou  sont  encore  en  usage  chez 
les  Musulmans.  Cette  énumération  comporte  donc  un 
certain  nombre  d’ordres  qui  n’existent  plus  aujourd’hui, 
et  qui  ne  sont  là  que  comme  renseignement  historique. 

1 

(An  1 de  l’Hégire.  — 622-623  de  J.-C.) 

Ordre  religieux  des  Seddikya  qui  prit  son  nom  d’Abou-Beker-es-Sed- 
dik,  compagnon  du  Prophète  et  premier  khalife  (1).  — Par  une  suite 


(1)  Les  adeptes  d’un  ordre  religieux  musulman  se  désignent  toujours 
par  l’adjectif  relatif  formé  du  nom  ou  du  surnom  du  fondateur  de  l’or- 
dre, adjectif  qui  se  terminé  en  I au  singulier  et  en  IIA  au  pluriel. 
C’est  pour  rendre  ces  deux  I que  nous  avons  adopté  l’orthographe 

4 


— 27  — 


non  interrompue  de  chefs  spirituels,  cet  ordre  s’est  perpétué  jusqu’à 
nos  jours.  Il  est  encore  très  répandu  dans  le  Levant,  surtout  en 
Égypte,  où  les  khouan-profès  s’appellent  Mohammedia. 

Si  Snoussi  se  glorifie  d’appartenir  à cet  ordre,  auquel  nous  ne 
connaissons  que  fort  peu  d’adhérents  en  Algérie,  bien  que  le  khalife 
Si  Abou-Beker-es-Seddik  soit  l’ancêtre  du  célèbre  cheikh  Si  Abd-cl- 
Qader-ben-Mohammed,  souche  de  la  grande  famille  des  Oulad-Sidi- 
Cheikh.  (V.  chap.  XII.) 


2 

(An  37  de  l’Hégire.  - 657-658  de  J.-C.) 

Ordre  religieux  des  Aouissya  (1),  fondé  par  A ouis- Abon- Omar- el- 
Karani,  né  à Kara,  dans  le  Yémen,  et  mort  en  657  de  (J.-C.)  (36-37  de 
l’Hégire).  — Aouis  avait  été  le  disciple  direct  du  compagnon  du  Pro- 
phète, Omar- Abou-Assa- ben- el-Khettab -el-Farouk  (le  judicieux), 
deuxième  khalife,  et  le  premier  qui  prit  le  titre  d’Émir  El-Moumenin. 
Il  était  donc  de  ceux  que  les  Musulmans  appellent  Tabi,  et  qui  sont 
honorés  presque  à l’égal  des  compagnons  du  Prophète. 

C’est  encore  un  ordre  levantin,  à peu  près  inconnu  en  Algérie,  mais 
dont  les  doctrines  sont  invoquées  par  la  plupart  des  autres  chefs 
d’ordres.  Le  cheikh  Snoussi,  qui  est  affilié  aux  Aouissia,  fait  d’autant 
plus  cas  des  doctrines  du  fondateur,  qu’il  est  lui-même  descendant 
de  la  famille  du  khalife  Omar-el-Khettab.  (V.  chap.  XXXI.) 

3 

(An  149  de  l’Hégire.  — 766-767  de  J.-C.) 

Ordre  religieux  des  Allouanya,  fondé  par  Sid  El-Allouan-Abou-Ha- 
chim-el-Koufi,  mort  à Djedda,  en  766  de  J.-C.  (148-149  de  l’Hégire').  — 
Il  est  cité,  par  Mouradja  d’Hosson,  comme  un  des  ordres  les  plus 
considérés  de  l’Orient.  Il  a,  en  effet,  nous  a-t-on  assuré,  des  adhé- 
rents en  Égypte,  mais  nous  ne  lui  en  connaissons  pas  en  Algérie,  et 
il  ne  semble  pas  faire  partie  des  quarante  ordres  sur  lesquels  s’ap- 
puie le  cheikh  Snoussi.  Cependant,  Si  Allouan  mérite  une  mention 
spéciale,  car  il  fut  réellement  le  premier  cheikh  ou  chef  de  congré- 


par  Y.— Dans  le  langage,  surtout  au  Maroc,  on  emploie  aussi,  abusi- 
vement, le  pluriel  en  IN,  qui  ne  doit  pas  s’écrire.  Nous  n’avons  adopté 
cette  « incorrection  » que  pour  quelques  ordres  marocains,  dont  les 
dénominations  régulières  auraient  pu  paraître  prétentieuses  : Taïbin, 
Zianin,  etc. 

(1)  Ne  pas  confondre  les  Aouissia  avec  les  Aïssaoua. 


— 28  — 


gation  religieuse,  et  ce  fut  lui,  qui,  le  premier,  formula  nettement  les 
règles  du  noviciat,  détermina  les  cérémonies  de  l’afïiliation,  et  fixa 
les  divers  degrés  d’initiation,  ainsi  que  les  devoirs  respectifs  des 
directeurs  spirituels  et  des  nouveaux  adeptes. 

4 

(An  161  de  l’Hégire.  — 777-778  de  J.-C.) 

Ordre  religieux  des  Adhemya,  fondé  par  Abou- Isak-  Ibrahim-ben  - 
Adhem-ben-Mansour-el-Adjeli-el-Balekhi-el-Khoraçani , né  à Balkhe,  en 
Khoraçan,  et  mort  à Damas,  ou  plus  exactement  à Djebala,  l’an  777 
de  J.-C.  (160-61  de  l’Hégire).  — Cet  ordre  remonte,  par  les  chefs  spiri- 
tuels de  son  fondateur,  au  4e  khalife,  Si  Ali-ben-  Abou-Thaleb.  Il  est  peu 
connu  sous  ce  nom  en  Algérie,  mais  la  plupart  des  chefs  des  grands  or- 
dres religieux,  comme  Si  Snoussi,  Si  Abd-el-Qader-el-Djilani,  etc.,  s’ho- 
norent d’avoir  eu  pour  prédécesseur  et  pour  inspirateur  Ibrahim-ben- 
Adhem.  Ce  cheikh  était,  du  reste,  un  très  saint  homme,  qui  ne  man- 
geait que  ce  qu’il  avait  gagné  de  ses  mains,  et  qui  refusa  de  faire 
valoir  ses  droits  au  pouvoir,  pour  se  consacrer  à la  vie  religieuse. 
Ibn-Batouta  donne,  sur  ce  saint  personnage  et  sur  son  père,  des 
détails  anecdotiques  qui'  ne  sont  pas  sans  intérêt  (t).  D’Herbelot 
raconte  de  lui  un  pèlerinage  fantastique  de  Damas  à La  Mecque, 
pèlerinage  qui  dura  douze  ans  et  pendant  lequel,  tous  les  mille  pas, 
il  faisait  mille  prosternations. 


5 

(An  200  de  l’Hégire.  - 815-816  de  J.-C.) 

Ordre  des  Soufi  du  Khorasan  ou  de  Abou-Saïd-lb)i-Abi-el-Khaïr,  qui 
est  donné,  par  beaucoup  d’auteurs  musulmans,  comme  fondateur  du 
soufisme  dans  l’Islam.  — En  réalité,  ce  saint  personnage  ne  fonda 
qu’un  monastère,  un  khanakah,  où  il  réunit  des  ascètes,  auxquels  il 
imposa  une  règle  sévère.  Il  fut  le  premier  qui  fit  revêtir  ses  disciples 
de  laine  (souf,  et  c’est  là  l’étymologie  donnée,  du  mot  « sbufi  »,  par 
quelques  écrivains,  qui  le  font  dériver  de  « souf  » (laine,  vêtement  de 
laine).  C’est  aussi  de  l’existence  de  cette  congrégation  qu’est  sortie 
l’opinion  erronée,  encore  soutenue  de  nos  jours,  qu’il  y a une  secte 
de  soufi. 

L’ordre  fondé  par  Abou-Saïd-Ibn-el-Khaïr  ne  dura  pas  ; il  disparut, 
divisé  en  deux,  et  absorbé  par  les  ordres  des  Bostamia  et  des  Dje- 
nidia. 


(1)  Voir  Ibn-Batouta,  tome  Ier,  page  173,  édition  de  l’Imprimerie 
Impériale,  1853. 


— 29 


Il  y a un  autre  Abou-Saïd  qui  fut  chef  d’un  ordre  souli  et  qui  vécut 
de  892  à 901  (1)  de  J.-C.  C’est  Abou-Saïd-el-Khouas,  contemporain 
lui-même  du  karmathe  ouahbite  Abou-Saïd-el-Djenobi,  qui  enleva  la 
pierre  noire  de  la  Kaaba,  vers  899  de  J.-C.  (285-286  de  l’IIégire). 

6 

(An  253  de  l’Hégire.  - 867  de  J.-C. 

ou 

an  294-295  de  l’Hégire.  — 907  de  J.-C.) 

Ordre  religieux  des  Sekatya,  fondé  par  Abou-el-Hocein-Moufiles-Seri- 
Sahti  (ou  Sakati),  mort  à Bar’dad  en  907  de  J.-C.  — 294-295  de  l’Hégire 
(ou,  selon  une  autre  version,  en  867  de  J.-C.  — 253  de  l’Hégire).  — 
Cet  ordre,  dont  la  filiation  mystique  remonte  à Ali-ben-Abou-Thaleb, 
est  inconnu  en  Algérie  ; mais  son  fondateur  est  cité  par  tous  les  chefs 
des  grands  ordres  cardinaux  de  l’Islam,  comme  un  des  pères  du  sou- 
fisme musulman.  Si  Snoussi  le  compte  parmi  ses  chefs  spirituels. 

Il  est  à remarquer  que,  comme  doctrine,  les  Sekatya  reconnaissent 
en  Dieu  des  attributs  distincts  de  son  essence,  ce  qui  est  contesté 
par  la  plupart  des  docteurs. 

7 

(An  261  de  l’Hégire.  — 874-875  de  J.-C.) 

Ordre  religieux  des  Besthamya,  fondé  par  le  Persan  Abou-Azid-el- 
Besthami,  mort  en  874  de  J.-C.,  au  Djebel-Bestham,  dans  le  Khoraçan. 
— Cet  ordre  qui,  par  ses  attaches,  remonte  à Ali-ben-Abou-Thaleb,  est 
inconnu  en  Algérie.  Mais  Abou-Azid-el-Besthami  est  un  des  Saints  de 
l’Islam  sur  l’autorité  desquels  s’appuient  les  principaux  chefs  des 
grands  ordres  religieux:  Si  Snoussi,  Si  Abd-el-Qader-ben-Djilani  et 
autres.  Abou-Azid-el-Besthami  était  un  soufi  dont  les  doctrines,  bien 
que  réputées  orthodoxes,  étaient  fortement  empreintes  du  panthéisme 
mystique  des  Indiens  ; on  cite  de  lui  ces  maximes  : 

« Quand  les  hommes  s’imaginent  adorer  Dieu,  c’est  Dieu  qui  s’adore 
lui-même.  » 

« Je  suis  l’océan  sans  fond,  sans  commencement,  sans  fin.  » 


(1)  892  de  J.-C.  - 278-279  de  l’Hégire. 
901  de  J.-C.  - 288-289  de  l’Hégire. 


— 30  — 


8 

(An  296  de  l’Hégire.  — 908-909  de  J.-C. 

ou 

an  298  de  l’Hégire.  — 910-911  de  J.-C.) 

Ordre  des  Djenidya,  fondé  par  Abou-el-Kacem-el-Djenidi-el-Bar'dadi- 
el-Zadjadji,  mort  à Bar’dad  vers  910  de  J.-C.  — 297-98  de  l’Hégire  (ou 
912  de  J.-C.  — 299-300  de  l’Hégire).  — El-Djenidi  (Djonaid),  est  un  des 
philosophes  musulmans  les  plus  remarquables  et  les  plus  célèbres. 
C’est  de  sa  doctrine  que  se  sont  inspirés  presque  tous  les  ordres 
religieux  mystiques  venus  après  le  sien.  Il  n’y  a pas,  en  Algérie,  de 
khouan  se  disant  Djenidi,  mais,  en  réalité,  tous  sont  de  son  école. 

Si  Snoussi  reconnaît  El-Djenidi  pour  son  chef  spirituel  et  un  de 
ses  meilleurs  appuis  dans  la  voie  du  soufisme.  (V.  chap.  XIV.) 

9 

(An  561  de  l’Hégire.  — 1165-1166  de  J.-C.) 

Ordre  religieux  des  Qadrya,  fondé  par  Abd-el-Qader-el-Djilani , né  en 
470  de  l’Hégire  (1077-1078  de  J.-C.),  dans  le  Djilan,  au  petit  village  de 
Nif,  mort  à Bar’dad  en  561  de  l’Hégire.  — 1165-1166  de  J.-C.  — C’est 
un  des  plus  grands  ordres  religieux,  et  l’un  des  plus  vénérés  dans 
tout  le  monde  musulman.  Il  a beaucoup  d’adhérents  en  Algérie  et 
Si  Snoussi  est  un  de  ses  adeptes.  Nous  consacrons,  plus  loin,  une 
notice  particulière  à cet  ordre  si  important.  (V.  chap.  XV.) 

10 

(An  578  de  l’Hégire.  — 1182-1183  de  J.-C.) 

Ordre  religieux  des  Refaya,  fondé  par  Abou-Abbas- Ahmed-ben- Ali- 
ben- Ahmed-er-Refaï,  mort  entre  Bar’dad  et  Bassora,  en  1182  de  J.-C. 
(577-78  de  l’Hégire),  et  enterré  dans  la  grande  zaouïa  d’Oum-Obeidah, 
à une  journée  démarché  d’Ouacith  (Mésopotamie). — Er-Refaï  est  un 
des  anciens  docteurs  musulmans  dont  l’autorité  est  encore  invoquée 
par  les  chefs  des  ordres  plus  modernes.  Il  forma  l’un  des  professeurs 
de  Si  Chadeli,  Sid  Abou-Djafar-ben-Abdallah-ben-Sid-Boussa. 

Les  Refaya  comptent  parmi  les  grands  ordres  de  l’Islam.  Très 
répandus  en  Orient  et  en  Égypte,  ils  sont  peu  connus  en  Algérie. 
Leurs  pratiques  se  rapprochent  de  celles  des  Aïssaoua.  Ainsi,  ils 
allument  de  grands  feux,  dansent  au  milieu  des  flammes  qu’ils  étei- 
gnent en  se  roulant  sur  les  charbons  ardents,  et  en  mangent  des 
braises  enflammées  ; d’autres  avalent  des  serpents,  etc.  Ils  ont,  à 
La  Mecque,  des  agents  très  actifs,  fort  mal  disposés  pour  les  Euro- 
péens. 


— 31  — 

Si  Snoussi  cite  cet  ordre  des  Refaya  parmi  ceux  dont  il  préconise 
l’autorité. 

11 

(An  594  de  l’Hégire.  — 1197-1198  de  J.-C.) 

Ordre  religieux  des  Madanya  ( anciens  ) qui  remonte,  d’après  Si 
Snoussi,  à Chocab-ben-Hoceïn-Abou-Median-el-Andalousi,  né  en  520  (1126- 
1127  de  J.-C.),  mort  en  594  (1197-1198  de  J.-C.),  et  enterré  près  de 
Tlemcen  (à  Si-Bou-Médine). 

Abou-Median  avait  été  l’ami  et  le  disciple  de  Si  Abd-el-Qader-el- 
Djilani  et  il  avait  reçu  les  leçons  d’un  adepte  des  Djenidia.  Ce  fut 
plutôt  un  chef  d’école  que  le  fondateur  d’un  ordre  religieux.  (Voir 
chap.  XVII.) 

12 

(An  602  de  l’Hégire.  — 1205-1206  de  J.-C.) 

Ordre  des  Seherourdya  , fondé  par  Chehab-ed-Din-Amar-ben- 
Mohammed-ben-Abdallah-es-Seherourdi,  mort  à Bar’dad  en  602  de  l’Hé- 
gire (1205-1206  de  J.-C.).  C’est  surtout  un  ordre  asiatique,  ayant  la 
majorité  de  ses  adhérents  en  Perse  et  aussi  aux  Indes,  mais  ayant  eu 
une  influence  très  grande  sur  nos  ordres  algériens.  (V.  chap.  XVI.) 

13 

(An  618  de  l’Hégire.  - 1221-1222  de  J.-C.) 

Ordre  des  Kebraya,  fondé  par  Abou-Djonnab- Ahmed-ben- Omar- el- 
Khiouaki-el-Kobra,  qui  étudia  dans  le  pays  de  Kharezm,  dans  le  Khou- 
zistan,  chez  le  cheikh  Ismaïl-Kasry  ; à Alexandrie,  chez  Abou-Tahar- 
Ahmed-Assilofy  ; puis  au  Caire.  Revenu  dans  son  pays,  il  mourut  en 
l’an  618  de  l’Hégire  (1221-1222  de  J.-C.),  martyr  de  l’Islam,  en  combat- 
tant les  Mongols,  lors  de  la  prise  de  Kharezm. 

Son  mausolée,  situé  près  de  cette  ville,  est  l’objet  de  nombreux 
pèlerinages.  Il  a laissé  un  livre  intitulé  : « Oussoul-ech-Cheriat,  » les 
cinq  articles  fondamentaux  de  la  foi.  Son  surnom  de  El-Kebra  était, 
en  réalité,  Thammchi-Kobra  (le  dernier  jugement ),  parce  que,  en  rai- 
son de  son  savoir,  son  avis  prévalait  toujours  dans  les  discussions. 

Nous  manquons  de  renseignements  sur  cet  ordre  des  Kebraya,  qui 
existait  encore  en  1327  de  J.-C.  (727-728  de  l’Hégire),  à l’époque  des 
voyages  d’Ibn-Batouta. 

14 

(An  625  de  l’Hégire.—  1227-1228  de  J.-C.) 

Ordre  des  Sellemya  ou  Mechichya,  fondé  par  Abd-es-Sellem-ben - 


— 32  — 


Mechich,  soufi,  décédé  en  625  de  l’Hégire  (1227-1228  de  J.-C.),  et  dont 
le  tombeau  se  trouve  dans  la  montagne  dite  « Djebel-el-Alem  »,  dans 
le  voisinage  de  Tétouan,  chez  les  Beni-Arouis.  Il  est  souvent  nommé 
Imam- ech- Chadeli,  l’imam  de  Chadeli,  car  il  fut  le  professeur  de 
Si  Chadeli,  et  l’élève  de  Si  Abou-Median-et-Tlemçani. 

Les  Sellemya  (ou  Mechichya)  sont,  en  réalité,  une  branche  tuni- 
sienne de  Djenidya  ou  de  Madinya,  se  confondant  souvent  avec  les 
Chadelya  ou  les  Derkaoua  qui  en  dérivent. 

On  ne  connaît  pas  les  Sellemya  ou  Mechichya  en  Algérie.  Si  Snoussi 
cite  Abd-es-Sellem-ben-Mechich  parmi  ses  appuis,  mais  il  le  donne 
comme  un  cheikh  des  Djenidya  et  des  Madinya,  et  non  comme  un 
chef  d’ordre. 

Les  Sellemya  sont  rattachés  aux  Qadrya  par  les  Madinya  (Voir 
chap.  XVII.) 


15 

(An  636  de  l’Hégire.  — 1238-1239  de  J.-C.) 

Ordre  des  Chischtiya,  fondé  par  le  cliérif  Khodja-Maouin- Ed-Din- 
Chischti-ben-Qaous-Ed-Din-elHoucaïni , né  dans  le  Séjestan  en  537 
de  l’Hégire  (1142-1143  de  J.-C.),  disciple  d’Abd-el-Qader-el-Djilani  et 
mort  à Adjemir  (Hindoustan),  le  samedi,  6 redjeb,  636  de  l’Hégire 
(12  février  1239  de  J.-C.).  — Son  tombeau,  sur  les  bords  du  Jalilara, 
est  l’objet  de  nombreux  pèlerinages. 

Ordre  indien  cité  par  Garcin  de  Tassy. 

16 

(An  656  de  l’Hégire.  — 1258  de  J.-C.) 

Ordre  des  Chadelya,  fondé  par  cheikh  Abou-el-Hessen- Ali-ben- Abdal- 
lah-el-Djebar-ech-Chadeli-ech-Cherif-el-Haçani,  né  à R’omara  (Maroc),  en 
571  de  l’Hégire  (1175-1176  de  J.-C.),  mort  en  656  de  l’Hégire  (1258  de 
J.-C.),  à Homaïthira  (Haute-Égypte). 

Cet  ordre  est  extrêmement  répandu  dans  tous  les  pays  musulmans; 
il  compte  de  nombreux  adhérents  en  Orient,  en  Égypte  et  aussi  en 
Algérie.  Il  a,  de  plus,  donné  naissance  à une  grande  quantité  de 
branches  qui  forment  de  véritables  ordres  spéciaux  ; ses  doctrines 
sont  invoquées  par  presque  tous  les  ordres  modernes,  et  sa  notoriété 
est  telle  que,  souvent,  les  Musulmans  le  désignent  comme  la  souche 
d’ordres  qui  existaient  avant  Si  Chadeli,  mais  n’ont  été  célèbres  que 
postérieurement  à 1258. 

Si  Snoussi  est  affilié  à cet  ordre  dont  il  vante  les  nombreux  méri- 
tes. (V.  chap.  XVII.) 


17 

(An  672  de  l’Hégire.  — 1273-1274  de  J.-C.) 

L’ordre  des  Moulanya,  d’abord  nommé  ordre  des  Djelalyci,  fut  fondé 
par  Ilazralh-Djelal-ed-Din-Maoulana  ( noire  maître ),  surnommé  Molla- 
Hunkear  et  aussi  Er-Roumi,  mort  à Counya  en  G72  de  l’Hégire  (1273- 
1274  de  J.-C.)  (1).  C’est  un  ordre  oriental,  inconnu  en  Algérie,  mais 
très  répandu  en  Turquie  et  surtout  en  Asie-Mineure,  où  il  est  très 
populaire  et  très  considéré.  On  nous  a affirmé  qu’il  avait  des  adhé- 
rents au  Maroc.  Cet  ordre  est  un  des  plus  riches  de  tous  : sa  zaouïa 
de  Counya  a de  grands  revenus.  Il  y a,  chez  les  Moulanya,  un 
singulier  mélange  d’austérité,  de  politique  obséquieuse  vis-à-vis  du 
sultan,  et  de  pratiques  frivoles,  telles  que  danses  et  musique.  Le 
général  de  l’ordre  est  toujours  choisi  dans  la  famille  du  fondateur. 

Si  Snoussi  cite  souvent  Djelal-ed-Din-er-Roumi  et  Mohammed-Be- 
lia-ed-Din  parmi  ses  appuis. 


18 

(An  675  de  l’Hégire.  — 1276-1277  de  J.-C.) 

Ordre  des  Badaouya  ou  Hamedia,  fondé  par  Abou-el-Fetan-Ahmed- 
Badaoui  (2),  mort  à Tanta  (Égypte),  en  675  de  l’Hégire.  — 1276-1277 
de  J.-C. 

Ordre  égyptien,  qui  ne  paraît  pas  avoir  d’adeptes  en  Algérie,  mais 
qui  occupe,  dans  l’Islam,  une  très  grande  place  et  a de  nombreux 
adeptes.  Le  cheikh  El-Badaoui  était,  en  effet,  un  des  Saints  les  plus 
vénérés  de  l’Égypte,  et,  chaque  année,  il  se  fait  à son  tombeau,  dans 
le  Delta,  deux  grands  pèlerinages  où  se  rencontrent  beaucoup  de 
Musulmans. 

A La  Mecque,  l’ordre  des  Hamedia  a,  encore  aujourd’hui,  une  très 


(1)  11  était  fils  de  Mohammed-Beha-ed-Din,  descendant  du  khalife 
Abou-Beker;  sa  réputation  comme  Saint  est  immense;  on  l’a  sur- 
nommé Sultan  El-Arefin,  souverain  maître  des  spirituels. 

(2)  Ne  pas  confondre  ce  Saint  avec  Nacer -ed-Din- Abou-Saïd- 
Abdallah- ben -Mohammed  (ou  ben-Omar)  ben-Ali-Beidhaoui,  né  à 
Beidha  (Perse),  devenu  cadhi  à Chéraz  et  mort  à Tebriz  en  l’an  de 

( 685  = 1286-1287  ) 

l’Hégire  j 692  «=  1292-1293  > de  J.-C.,  selon  les  auteurs.  — Celui- 
( 716  = 1316-1316  ) 

ci  est  un  des  commentateurs  du  Coran  les  plus  renommés,  et  il  a 
laissé  un  grand  nombre  d’ouvrages  religieux  et  historiques  qui  ont 
été  l’objet  de  nombreux  commentaires. 


grande  situation  et  il  paraît  animé  de  sentiments  tout  «à  fait  hostiles 
contre  les  Chrétiens. 

19 

Vers  1300  de  J.-C.  (699-700  de  l’Hégire?) 

L’ordre  des  Haïdarya  est  connu  en  Perse  et  aux  Indes.  Il  a eu 
pour  fondateur  le  cheikh  Qotb-ed-Din-Haider,  né  à Zaouch,  près  Nica- 
bour,  dans  le  Ivhorassan,  et  enterré  dans  ce  pays.  Ce  personnage 
passe  pour  avoir  été  le  premier  qui  employa  les  semences  du  chan- 
vre pour  provoquer  des  extases  à ses  disciples. 

Les  Haïdarya  paraissent,  d’ailleurs,  avoir  les  mêmes  pratiques  que 
les  Refaya.  Ils  ont,  comme  signe  remarquable,  l’habitude  de  porter 
des  anneaux  de  fer  aux  mains,  au  cou,  aux  oreilles,  et  même  aux  par- 
ties génitales,  car  ils  font  vœu  de  chasteté.  Ces  Fakir-Haïdarya  sont 
mentionnés  par  Ibn-Batouta,  qui  les  a rencontrés  au  commencement 
du  XIVe  siècle  de  Jésus-Christ  (vers  727  de  l’Hégire.  — 1326-1327  de 
J.-C.),  et  a assisté,  non  loin  de  Dehli,  à leurs  exercices  consistant  à 
danser  dans  le  feu  et  à se  rouler  sur  les  braises  enflammées. 

Il  y a eu  un  soufi  célèbre,  nommé  Cheikh-Iiaïdar-ben-Djoneid-ben- 
Safi-ed-Din,  et  ancêtre  du  schah  Ismail,  fondateur  de  la  dynastie  per- 
sane des  Sophi , mais  il  vivait  au  commencement  du  XVe  siècle  de 
Jésus-Christ,  c’est-à-dire  postérieurement  à l’existence  constatée  des 
Haïdarya. 

20 

(Vers  1310  de  J.-C.  - 709-710  de  l’Hégire? 

ou 

vers  1315  de  J.-C.  — 714-715  de  l’Hégire?) 

L’ordre  des  Oufaya  est  une  branche  des  Chadelya  fondée  par  l’I- 
mam El-Hak-Mohammed-Ouafa-beii-Ahmed-Ouafa.  (V.  chap.  XVIII.) 

Cheikh  Snoussi  s’était  fait  affilier  plusieurs  fois  à cet  ordre. 

21 

(An  719  de  l’Hégire.  — 1319-1320  de  J.-C.) 

L’ordre  des  Nakechibendya  fut  fondé  par  l’ouali  (ou  le  Pir)  Sid  El- 
Khodja-Béha-ed-Din-Mohammed-ben-Mohammed-el-Boukhari-Nakechiben- 
di,  mort  à Ksar-Arifann,  en  Perse,  l’an  719  de  l’Hégire  (1319-1320  de 
J.-C.).  C’était  le  contemporain  de  Otsman  Ier,  fondateur  de  la  monar- 
chie ottomane.  Bien  qu’à  peu  près  inconnu  en  Algérie,  cet  ordre,  qui 
a eu  jadis  des  adeptes  au  Maroc,  et  qui  a de  nombreux  adhérents  en 
Asie  et  en  Turquie,  est  considéré  comme  un  des  ordres  cardinaux  de 
l’Islam. 

La  parfaite  conformité  de  ses  doctrines  avec  celles  d’Abou-Beker, 
]a  grande  dignité  que  conservent  toujours  ses  pratiques  extérieures, 


l'habitude  qu'ont,  en  Orient,  les  personnages  des  classes  élevées  de 
la  société  musulmane  de  s'affilier  à cet  ordre  ; toutes  ces  causes  ont, 
de  tout  temps,  créé  aux  Nakechibendya,  une  situation  spéciale  parmi 
les  autres  khouan  ou  derwiches.  (V.  chap.  XIX.) 

22 

(An  724  de  l'Hégire.  — 1323-1324  de  J.-C.) 

Ordre  des  Kalenderya  ou  des  Melamya,  fondé  par  le  cheikh  et  che- 
rif  Bou-Ali-Yoïicef-el-Andalousi-el-Kalenderi,  né  à Panipat,  non  loin  de 
Dehli  (Hindoustan)  selon  les  uns,  originaire  d’Espagne  selon  les  au- 
tres, et  mort  vers  724  de  l’Hégire  (1323-1324  de  J.-C.). 

Bou-Ali-Youcef-el-Andalousi-el-Kalenderi  fut  le  disciple  d’El-IIadj- 
Bektasch  (ou  Bektach)  de  DjelqJ-ed-Din-Moulana,  et  aussi  d’un  cheikh 
des  Chischia,  nommé  Qotb-ed-Din.  Il  se  sépara  violemment  de  cet 
ordre,  voyagea  beaucoup  et  acheva  sa  vie  à Panipat,  où  son  tombeau 
est  l’objet  de  nombreux  pèlerinages. 

Les  statuts  des  Kalenderya  ou  Meïamya,  les  obligent  à ne  vivre  que 
.d’aumônes,  à voyager  toujours,  le  plus  souvent  sans  chaussures,  à 
ne  rien  conserver  pour  eux  ni  pour  les  leurs,  et,  enfin,  à observer  les 
pratiques  spiritualistes  des  Soufi.  Quelques  historiens  ont  distingué 
les  Kalenderya  des  Melamya,  en  disant  que  les  premiers  ne  devaient 
rien  avoir,  dans  leur  extérieur,  qui  mît  en  relief  leurs  occupations 
mystiques  et  leurs  pratiques  religieuses,  tandis  que  les  Melamya  de- 
vaient laisser  voir  leur  détachement  des  choses  de  ce  monde  (1). 

Cet  ordre  existe  encore  aux  Indes,  en  Perse,  en  Turquie.  Son  dikr 
se  compose  d’une  invocation  aux  mérites  de  Abou-Ali-Youcef-Kalen- 
deri,  — de  la  feteha,  — de  : trois  fois  le  verset  du  trône,  — ? trois  fçis 
le  chap.  LXXXIII  du  Coran  (les  fraudeurs),  — - dix  fois  le  chap.  XII 
(Joseph),  — deux  fois  la  prière  Douroud  (2). 


(1)  Ces  deux  termes  Kalenderi  et  Melami  sont  aussi  employés 
comme  noms  communs,  sans  impliquer  l’idée  d’une  affiliation  à un 
ordre  religieux  spécial.  Seherourdi  définit  les  Kalenderya  « des  gens 
» possédés  de  l’ivresse  de  ce  qu’ils  appellent  la  paix  du  cœur,  en 
i)  sorte  qu’ils  ont  anéanti  les  coutumes  et  ont  secoué  le  joug  des 
» règles  de  convenance  observées  dans  la  société  et  dans  les  rapports 
» mutuels.  » Voir  Sylvestre  de  Sacy,  Notice  et  Extraits  des  Manuscrits, 
tome  XII,  pages  340  et  341. 

(2)  Voici  cette  prière,  en  usage  chez  tous  les  Ilanefites  : « 0 mon 
* Dieu , sois  propice  à Mohammed  et  à sa  famille , accorde  ta  béné - 
» diction , ta  paix  et  ton  salut  à tous  tes  prophètes  et  envoyés  ; à tes 
» saints  anges  et  à tous  tes  bons  serviteurs.  Exauce-nous  dans  la 
» miséricorde , 6 le  plus  miséricordieux  des  êtres  ! » 


— .36  — 


23 

(An  736  de  l’Hégire.  - 1335-1336  de  J.-C.) 

L’ordre  des  Saadya  a été  fondé  en  Syrie,  en  736  de  l’Hégire  (1335- 
1336  de  J.-C.),  par  Sâad-ed-Din-Djebaouî,  mort  à Djeba,  aux  environs 
de  Damas  ; il  jouit  d’un  grand  crédit  en  Égypte,  où  il  passe  pour 
une  branche  des  Refaya,  mais  il  n’est  pas  connu  sous  ce  nom  en 
Algérie.  Les  Sâadya,  comme  les  Refaya,  offrent,  dans  leurs  pratiques 
extérieures,  des  usages  qui  ont  été  plus  ou  moins  imités  par  les  Aïs- 
saoua  algériens  et  les  Hamdouchya  marocains. 

Saad-ed-Din-Djebaouï  nous  a été  donné  comme  l’auteur  d’un  livre 
intitulé  : « Ech-Charat-fi-Tessaout,  » instruction  et  introduction  à la 
vie  spirituelle.  — Son  vrai  nom  serait  : Sâad-ed-Din-Mahfoud-ben- 
Amed-Djebaoui.  • 

En  Égypte,  le  cheikh  de  cet  ordre  a,  le  plus  ordinairement,  le  pri- 
vilège d’être  le  héros  de  la  cérémonie  du  « doleh,  » cérémonie  dans 
laquelle  il  passe,  à cheval,  sur  le  corps  des  khouan  et  des  autres 
fidèles  étendus  sur  le  sol  devant  lui,  comme  un  tapis,  et  ne  recevant, 
d’ailleurs,  aucun  dommage  sérieux  de  cette  singulière  manifestation 
religieuse. 

A La  Mecque,  cet  ordre  est.  toujours  plein  de  vitalité  et  occupe  une 
grande  situation.  Ses  chefs  sont  animés  d’un  très  mauvais  esprit 
contre  les  Chrétiens.  Le  centre  de  direction  des  Sâadya,  et  le  plus 
grand  nombre  de  leurs  adhérents  semblent  être  aujourd’hui  dans  le 
Yemen  et,  surtout,  dans  le  pays  d’Assyr. 

24 

(An  759  de  l’Hégire.  — 1357-1358  de  J.-C.) 

L’ordre  des  Bektachya  fut  fondé  par  l’ouali  El-Hadj-Beklach-Khoras- 
sani,  mort  à Kir-Schehher,  en  759  de  l’Hégire  (1357-1358  de  J.-C.),  et 
célèbre,  en  Turquie,  par  la  bénédiction  qu’il  donna  aux  Janissaires, 
lors  de  leur  création. 

Extérieurement,  c’est  essentiellement  un  ordre  mendiant,  très  répan- 
du dans  l’Asie-Mineure  et  dans  la  Turquie  d’Europe.  Il  jouit  d’une 
immense  popularité  dans  l’armée  ottomane,  qui  a conservé,  pour  les 
religieux  de  cet  ordre,  des  traditions  de  respect  et  de  confraternité. 
Mais  il  paraîtrait  que,  dans  l’intérieur  de  leurs  monastères,  les  digni- 
taires et  chefs  de  l’ordre  des  Bektachya  professent  des  doctrines 
offrant  un  singulier  mélange  de  panthéisme  et  de  matérialisme. 

« Chaque  âme  humaine  est  une  portion  de  la  divinité,  et  la  divinité 
» ne  réside  que  dans  l’homme.  L’âme  éternelle,  servie  par  des  orga- 
» nés  périssables,  change  constamment  de  demeure,  mais  sans  quitter 
» la  terre Toute  la  morale  consiste  à jouir  des  biens  du  monde 


— 37  — 


» sans  nuire  à autrui,  et  tout  ce  qui  ne  fait  de  mal  à personne  est 

» licite  et  indifférent Le  sage  est  celui  qui  règle  ses  jouissances, 

» car  le  plaisir  est  une  science  qui  a ses  degrés,  un  mystère  qui,  peu 
» à peu,  se  découvre  à l’œil  des  initiés.  De  toutes  ces  jouissances,  la 
» plus  vive  est  la  contemplation,  qui  devient  la  rêverie  et  la  vision 
» céleste.  » 


25 

(An  750  de  l’Hégire.  — 1349-1350  de  J.-C. 

ou 

an  800  de  l’Hégire.  — 1397-1398  de  J.-C.) 

L’ordre  des  Khelouatya  fut  fondé  par  cheikh  Brahim-ez-Zehctd,  vers 
le  milieu  du  XIV8  siècle,  puis  continué  par  Si  Mahmed-el-Khelouati, 
et,  surtout,  par  Omar-Khelouati,  mort  à Kaissaria  (Césarée  de  Syrie), 
en  800  (1397-1398  de  J.-C.).  C’est  un  des  ordres  cardinaux  de  l’Islam, 
très  répandu  et  très  considéré  dans  l’Orient.  Il  est  peu  connu  sous  ce 
nom  en  Algérie,  bien  que  ce  soit  le  tronc  d’où  s’est  détaché  l’ordre  si 
répandu  des  Rahmanya. 

Si  Snoussi  est  affilié  à cet  ordre  qu’il  cite  parmi  ses  appuis.  (Voir 
chap.  XX.) 

26 

(Date  inconnue) 

L’ordre  des  Fekerouya  est  une  branche  des  Khelouatya,  nommée 
par  Si  Snoussi,  et  sur  laquelle  nous  n’avons  pu  recueillir  aucun  ren- 
seignement. 

27 

(An  775  de  l’Hégire.  — 1373-1374  de  J.-C.) 

Ordre  des  Djelalya  (ou  des  Malanya),  fondé  par  le  chérif  Djelil- 
ed-Din-el-Bokhari,  enterré  à Utchou,  ville  du  Multan  (Indes),  où  il 
mourut  le  11  dhou-el-hadja  775  de  l’Hégire  (24  mai  1374  de  J.-C.). 

C’est  un  ordre  indien.  Son  fondateur  avait  été  le  disciple  d’un  cheikh 
des  Selierourdya. 


28 

(An  837  de  l’Hégire.  - 1433-1434  de  J.-C.) 

Ordre  des  Madarya  (ou  des  Dâfalya,  Tambourineurs),  fondé  par  le 
saiyed  (le  chérif;  El-Qotb-Badi-ed-Din-Zindah-Schah-Madar-ben-Sid-Ali- 
Iialabi),  né  à Alep  et  mort  le  7 djoumad-el-ouel  837  (20  décembre  1433 
de  J.-C.),  à Makan-Pur,  village  près  de  Firouzabab,  province  d’Agra 


— 38  — 


(Ilindoustan).  C’est,  dans  les  Indes,  le  plus  célèbre  des  Saints  musul- 
mans ; les  Hindous  se  joignent  aux  disciples  de  Mohammed  pour 
célébrer,  par  de  grandes  fêtes,  l’anniversaire  de  sa  mort.  Dans  ces 
fêtes,  on  traverse  des  brasiers  allumés  en  chantant  les  louanges  du 
Saint. 

Cet  ordre  n’existe  qu’aux  Indes  ; les  fakirs  qui  le  composent  sc  . 
nomment  Azad  (indépendants).  (V.  Garcin  de  Tassy,  loco  citalo,  p.  345.) 

29 

(An  838  de  l’Hégire.  — 1434-1435  de  J.-C.) 

Ordre  des  Zaïnya,  fondé  par  Zaïn-ed-Din-Abou-Beker-Khafi,  mort  à 
Koufa  (Irak-Arabie),  en  838  de  l’Hégire  (1434-1435  de  J.-C.).  (Cité  par 
d’Hosson.) 

30 

(Vers  1460  de  J -C.  - 864-865  de  l’Hégire.) 

L’ordre  des  Aroussya  est  une  des  branches  importantes  de  celui 
des  Chadelya.  Il  a été  fondé  par  Si  Aboul-Abbas-Ahmed-el-Arous,  qui  fut 
l’un  des  professeurs  de  Si  Aboul-Abbas-Ahmed-Zerrouk.  Cité  par  Si 
Snoussi  parmi  ses  appuis.  (Voir  chapitre  XVIII.) 

31 

(An  869  de  l’Hégire.  — 1464-1465  de  J.-C.) 

L’ordre  des  Djazoulya  est  une  branche  spéciale  de  celui  des  Chade- 
lya, placée  sous  le  patronage  de  Abou-Abdallah-el-Djazouli-Ech-Cherif- 
El-Hesseni,  auteur  d’un  ouvrage  intitulé  : Delaïl-el-Kheirat , et  person- 
nage d’une  certaine  notoriété  parmi  les  Musulmans.  (V.  chap.  XVIII.) 

32 

(An  869-870  de  l’Hégire.  — 1465  de  J.-C.) 

Ordre  des  Babaya,  qui  fut  créé  par  Abd-ei-R'ani-Pir-Babayi,  mort  à 
Andrinople  en  870  de  l’Hégire  (1465-1466  de  J.-C.). 

(Cité  par  d’Hosson.) 

33 

(An  875-876  de  l’Hégire.  — 1471  de  J.-C.) 

Ordre  des  Bayramya,  qui  fut  fondé  par  El-Uadi-Bayram-Ankaroui , 
mort  à Angora  en  876  de  l’Hégire  (1471-1472  de  J.-C.). 

(Cité  par  d’Hosson.) 


34 

(An  898-899  de  l’Hégire.  — 1493  de  J.-C.) 

Ordre  des  Escherafya,  qui  fut  fondé  par  Sid  Abdallah- ech-  Gherif - 
Iloumi,  mort  à Tchinn-Iznek  en  899  de  l’Hégire  (1493-1494  de  J.-C.). 

^Cité  par  d’Hosson.) 

35 

(An  899  de  l’Hégire.  — 1493-1494  de  J.-C.) 

Ordre  des  Zeroukya,  branche  secondaire  des  Chadelya,  ayant  pour 
fondateur  et  patron  l’imam  Aboul-Abbas-Ahmed-Zerroak-el-Bernoussi , né 
entre  Fez  et  Taza,  au  Maroc,  en  845  de  l’Hégire  (1441-1442  de  J.-C.). 
(Voir  chapitre  XVIII.). 

Est  cité  parmi  les  appuis  de  cheikh  Snoussi. 

36 

(An  909  de  l’Hégire.  — 1503-1504  de  J.-C.) 

Ordre  des  Bekerya,  Bekrya  ou  Bekerya-Zerroukya,  branche  spé- 
ciale des  Chadelya,  ayant  pour  patron  Si  Mohammed-ben- Abou-Bekra- 
Mohammed-el-Bekeri,  connu,  en  Orient,  sous  le  nom  de  Pir-Abou-Be- 
ker-Ouafay,  et  enterré  à Alep,  où  il  est  décédé  en  909  de  l’Hégire 
(1503-1504  de  J.-C.).  (Voir  chapitre  XVIII.) 

Le  cheikh  Snoussi  était  affilié  à cette  branche  qu’il  cite  parmi  ses 
appuis. 

37 

(Vers  1500  de  J.-C.  — 905-906  de  l’Hégire) 

Ordre  des  Kobirya  ou  Kobir-Panthi,  fondé  aux  Indes  par  un  tisse- 
rand hindou  nommé  Kobir , qui  vivait  à la  fin  du  XVe  siècle  de  J.-C., 
sous  le  Sultan  de  Dehli,  Si  Kauder  Lodi,  qui  régna  de  1488  de  J.-C. 
(893-894  de  l’Hégire)  à 1516  de  J -C.  (921-922  de  l’Hégire).  — Son  tom- 
beau, situé  à Ratempour,  dans  le  royaume  d’Aoude,  est  l’objet  de 
nombreux  pèlerinages.  — Ses  disciples,  réputés  orthodoxes  parmi 
les  Musulmans,  récitent  sans  cesse  des  distiques  religieux  et  mysti- 
ques de  sa  composition.  — A sa  mort,  les  Brahmanes  voulurent  brûler 
son  corps,  le  considérant  comme  un  des  leurs,  les  Musulmans  voulu- 
rent l’enterrer,  mais,  dit  la  légende,  le  cadavre  disparut. 

38 

, (Vers  1500  de  J.-C.  - 905-906  de  l’Hégire) 

(XVIe  siècle) 

Ordre  des  Hamdouchya,  fondé  au  Maroc,  dans  le  cours  du  XVRsiè- 


— 40 


cle,  par  Mouley-Hamdouch,  l’un  des  héritiers  spirituels  de  la  doctrine 
des  Djelaba  d’Idris,  et  élève  du  dar  El-Eulm  fondé  à Fez  par  ce  sou- 
verain. 

Cet  ordre  qui,  à ses  débuts,  avait  un  caractère  national,  et  dont  les 
doctrines  étaient  très  pures  au  point  de  vue  musulman,  est  aujour- 
d’hui adonné  extérieurement  aux  pratiques  de  jonglerie  et  à l’élève 
des  serpents. 

39 

(An  930  de  l’Hégire.  — 1524  de  J.-C.) 

Ordre  des  Aïssaoua,  fondé  vers  1525  de  J.-C.,  à Méquinez  (Maroc), 
par  le  chérif  Si  Mahmed-ben-Aissa . 

Très  répandu  au  Maroc,  cet  ordre  dérive  des  Djazoulya  qui,  eux- 
mêmes  se  rattachent  aux  Chadelya.  Par  leurs  pratiques  extérieures, 
les  Aïssaoua  se  rapprochent  beaucoup  des  Refaya  et  des  Sadya. 
Ils  comptent  en  Algérie  un  assez  grand  nombre  d’adhérents. 

Nous  n’avons  pas  vu  que  Si  Snoussi  citât  l’ordre  des  Aïssaoua 
parmi  ses  appuis.  Mais  il  cite,  parmi  ses  maîtres,  El-Djazouli,  qui  est 
l’un  des  chefs  spirituels  de  Si  Mahmed-ben-Aïssa.  (Voir  chap.  XXI.) 

40 

(An  931  de  l’Hégire.  — 1524-1525  de  J.-C.) 

Ordre  des  Rachidya,  branche  secondaire  des  Chadelya  du  Maroc 
ayant  pour  patron  Si  Ahmed-ben-Youcef-el-Miliani-er-Rachedi,  décédé 
l’an  931  de  l’Hégire,  1524-1525  de  J.-C.  (Voir  chapitre  XVIII.) 

Le  cheikh  Snoussi  est  affilié  à cette  branche  qu’il  cite  parmi  ses 
appuis. 

41 

(An  931  de  l’Hégire.  - 1524-1525  de  J.-C.) 

L’ordre  des  Rachidya-Zeroukya  est  une  branche  distincte  de  l’ordre 
précédent,  qui  est  aussi  citée  parmi  les  appuis  de  cheikh  Snoussi. 
(Voir  chapitre  XVIII.) 


42 

(Vers  932-933  de  l’Hégire.  — 1526  de  J.-C.) 

Ordre  des  Razya,  branche  marocaine  de  celui  des  Chadelya. 
Il  est  cantonné  dans  l’Oued-Drâa,  où  il  fut  importé  par  un  nommé 
Sid  Abou-el-Hessen-el-Kacem-el-Razi , qui  avait  reçu  l’affiliation  de  Si  Ali- 
ben-Abdallah-el-Filali,  disciple  de  Si  Ahmed-ben-Youcef.  (Voir  cha- 
pitre XVIII.). 


— 41 


(An  936  de  l’Hégire.  — 1529-1530  de  J.-C.) 

Ordre  des  Sonboulya,  qui  fut  fondé  par  Sid  Sonboul-Youcef-bou - 
Laoui , mort  à Constantinople  en  936  de  l’Hégire  (1529-1530  de  J.-C.). 

(Cité  par  d’Hosson.) 

44 

(An  936-937  de  l’Hégire.  - 1530  de  J.-C.) 

Le  groupe  maraboutique  des  Sahelya,  famille  de  Cheurfa  maro- 
cains, constitue  une  branche  secondaire  des  Chadelya,  sous  le  patro- 
nage de  Sid  Mahmed-ben-Abd-er-Rahman-Es-Saheli,  mort  en  1530  de 
J.-C.  (936-937  de  l’Hégire),  et  connu  aussi  sous  le  nom  de  Mouley- 
Sehoul.  (Voir  chapitre  XVIII.) 

45 

(An  939-940  de  l’Hégire.  — 1533  de  J.-C.) 

Ordre  des  Goulchenya  ou  des  Rouschenya,  fondé  par  Ibrahim- 
Goulcheny,  mort  au  Caire  en  940  de  l’Hégire  (1534-1535  de  J.-C.).  — Le 
nom  de  Rouschenya  vient  de  Dédé-Omer-Rouscheni,  précepteur  et 
consécrateur  d’ibrahim. 

(Cité  par  d’Hosson.) 


46 

(An  950-951  de  l'Hégire.  — 1544  de  J.-C.) 

Ordre  des  Ighith-Baschya,  fondé  par  Chems-ed-Din-lghilh-Baschi , 
mort  à Magnésie  en  951  de  l’Hégire  (1544-1545  de  J.-C.). 

47 

(An  959  de  l’Hégire.  — 1551-1552  de  J.-C.) 

Ordre  des  Oum-Sinnanya,  fondé  par  le  cheikh  Oum  Sinnan,  mort  à 
Constantinople  en  959  de  l’Hégire  (1551-1552  de  J.-C.). 

(Cité  par  d’Hosson.) 


48 

(An  960  de  l’Hégire.  — 1553  de  J.-C.) 

Ordre  des  Bekkaya,  branche  chadelienne  qui  parait  avoir  été  im- 
plantée ou  organisée  à Tombouktou  par  le  cheikh  Omar-ben- Ahmed-el- 
Bekkay,  mort  en  960  de  l’Hégire  (1553  de  J.-C.).  (Voir  chapitre  XXII.) 


— 42 


49 

(An  987-988  de  l’Hégire.  — 1580  de  J.-C.) 

Ordre  des  Djelouatya,  fondé  par  le  pir  ou  ouali  Sid  Ouftada-Moham- 
med-Djelouati,  mort  à Brousse  en  988  de  l’Hégire  (1580-1581  de  J.-C.). 
(Cité  par  d’Hosson.) 

50 

(An  1000-1001  de  l’Hégire.  — 1592  de  J.-C.) 

Ordre  des  Aachakya,  fondé  par  Hassein-ed-Din-Aachaki,  mort  à 
Constantinople  en  1001  de  l’Hégire  (1592-1593  de  J.-C.) 

(Cité  par  d’Hosson.) 

51 

(An  1009-1010  de  l’Hégire.  — 1601  de  J.-C.) 

Ordre  des  Chemsya,  fondé  par  Chems-ed-Din-Siouasi,  mort  aux  envi- 
rons de  Médine  en  1010  de  l’Hégire  (1601-1602  de  J.-C.). 

(Cité  par  d’Hosson.) 


52 

(Vers  1610  de  J.-C.  — 1018-1019  de  l’Hégire.) 

Ordre  des  Kerzazya  ou  de  Mouley-Kerzaz,  fondé  vers  1610  de  J.-C. 
(1018-1019  de  l’Hégire),  àKerzaz  (oued  Guir),  sud-ouest  de  Figuig,  par 
Sid  Ahmed-ben-Moussa,  cherif  de  la  famille  des  Edrissites  (et  plus  par- 
ticulièrement de  la  branche  des  Cheurfa  d’Ouazzan).  Sid  Ahmed-ben- 
Moussa  était  alors  grand  moqqadem  de  l’ordre  des  Chadelya. 

Si  Snoussi  cite,  parmi  ses  appuis,  Sid  Ahmed-ben-Moussa,  (Voir 
chapitre  XXIII.) 


53 

(Vers  1022-1023  de  l’Hégire.  — 1615  de  J.-C.) 

Ordre  des  Cheikhya,  groupe  des  Chadelya,  ayant  pour  patron  Sidi 
Cheikh- Abd-el-Qader -ben- Mohammed,  chef  de  la  grande  famille  mara- 
boutique  et  guerrière  des  Ouled-Sidi-Cheikh,  et  mort  vers  1022-1023  de 
l’Hégire  (1615  de  J.-C.).  (Voir  chapitre  XXV.) 

54 

(An  1078-1079  de  l’Hégire.  --  1668  de  J.-C.) 

Ordre  des  Sinann-Oummya,  fondé  par  Alim-Sinann-Oumi , mort  à El- 
Mali  en  1079  de  l’Hégire  (1668-1669  de  J.-C.). 

(Cité  par  d’Hosson.) 


— 43  — 


55 

(Vers  1669  de  J.-C.  — 1079-1080  de  l’Hégire) 

L’ordre  des  Nacerya  est  une  des  branches  des  Chadelya,  importée 
par  Mohammed-ben- N acer- El- Der ai,  dans  l’oued  Drâa,  et  ayant  sa  mai- 
son mère  à Tamegrout. 

Le  cheikh  Snoussi  était  affilié  à cet  ordre,  qu’il  cite  parmi  ses  ap- 
puis. (Voir  chapitre  XVIII.) 

56 

(An  1089  de  l’Hégire.  — 1678-1679  de  J.-C.) 

Les  Musulmans,  et  surtout  les  Marocains,  font  remonter  la  fonda- 
tion de  l’ordre  des  Taïbin  (et  mieux  Taïbya)  à Mouley-Idris  (Idris  Ier), 
arrière-petit-fils  d’Ali-ben-Abou-Thaleb,  et  chef  de  la  dynastie  maro- 
caine des  Idricites  (en  173  de  l’Hégire,  soit  789-790  de  J.-C.). 

En  réalité,  le  véritable  fondateur  de  l’ordre  est  Mouley-Taïeb-ben- 
Mohammed-ben-Mouley-Abdallah,  petit-fils  et  héritier  spirituel  du  fon- 
dateur de  la  zaouïa  de  Ouazzan,  Mouley  Abdallah,  qui  mourut  en 
1089  de  l’Hégire  (soit  1678-1679  de  J.-C.). 

C’est  cette  date  qui  doit  être  donnée  comme  celle  de  la  fondation 
de  l’ordre.  (Voir  chapitre  XXV.) 

57 

(An  1105-1106  de  l’Hégire.  — 1694  de  J.-C.) 

Ordre  des  Niyazya,  fondé  par  Mohammed-Niyazi-Masri  (l’Égyptien), 
mort  à Lemnos  en  1106  de  l’Hégire  (1694-1695  de  J.-C.). 

(Cité  par  d’IIosson.) 

58 

(An  1114  de  l’Hégire.  — 1703  de  J.-C.) 

Ordre  des  Hansalya,  fondé  par  Abou-Aiman-Saïd-ben-Youcef-el-Han- 
sali,  mort  au  Maroc  le  Ie"  redjeb  1114  (1703  de  J.-C.).  (V.  chap.  XXVI.) 

59 

(An  1125  de  l’Hégire.  - 1713  de  J.-C.) 

Ordre  des  K.hadirya,  fondé  le  8 redjeb  1125  de  l’Hégire  (31  juillet  1713 
de  J.-C.),  par  Sid  Abd-el-Aziz-Ed-Debagh,  né  en  1683,  à Fez.  Cet  ordre 
passe  pour  avoir  été  directement  révélé  par  le  mystérieux  El-Khadir. 

Il  a des  adeptes  au  Maroc,  et  Si  Snoussi  se  fait  gloire  d’appartenir 
à cet  ordre . (Voir  chapitre  XXVII.) 


60 

(An  1120-1121  de  l’Hégire.  — 1709  de  J.-C.) 

L'ordre  de  Mohammed  ( Mahomet ) n’est,  en  réalité,  qu’une  branche 
de  l’ordre  des  Khadirya  : il  a été  fondé,  comme  ce  dernier,  par  Si 
Abd-el-Aziz-Ed-Debar*  en  1713  de  J.-C.  (1124-1125  de  l’Hégire).  Il  a de 
nombreux  affiliés  au  Maroc  et  en  Tripolitaine,  où  le  cheikh  Snoussi 
l’a  propagé.  Il  en  a aussi  en  Algérie  et  en  Tunisie. 

C’est  l’ordre  dont  cheikh  Snoussi  affecte  d’observer  le  plus  parti- 
culièrement les  pratiques  et  la  règle.  (Voir  chapitre  XXVII.) 

61 

(An  1131-1132  de  l’Hégire.  — 1719  de  J.-C.) 

Ordre  des  Mouradya,  fondé  par  Mourad-Schamg,  mort  à Constanti- 
nople en  1132  de  l’Hégire  (1719-1720  de  J.-C.). 

(Cité  par  d’Hosson.) 


62 

(10  ramdan,  1145  de  l’Hégire.  — 1732  de  J.-C.) 

L’ordre  des  Zianin  (et  mieux  des  Zianya)  est  une  branche  tout  à 
fait  distincte  des  Chadelya,  formée  par  des  religieux  de  l'Oued-Drâa 
venus  à Kenadsa,  avec  le  cheikh  Si  Mohammed- Abou-Zian-Kandousi. 

C’est  un  ordre  très  connu  sur  notre  frontière  marocaine,  et  ayant 
un  grand  nombre  d’adhérents  en  Algérie. 

Cheikh  Snoussi  y est  affilié.  (Voir  chapitre  XXVIII.) 

63 

(An  1145-1146  de  l’Hégire.  — 1733  de  J.-C.) 

Ordre  des  Nour-ed-Dinya,  fondé  par  Nour-ed-Din-Djerralii , mort  à 
Constantinople  en  1146  de  l’Hégire  (1733-1734  de  J.-C.). 

(Cité  par  d’Hosson.) 


64 

(An  1163-1164  de  l’Hégire.  — 1759  de  J.-C.) 

L’ordre  des  Hafnya  ou  Hafnaouya,  est  une  branche  importante 
de  l’ordre  des  Khelouatya.  Il  fut  fondé  par  Abou-Abdallah-Mohammed- 
ben-Salem-El-Hafnaoui , qui  avait  aussi  des  attaches  avec  l’ordre  des 
Chadelya. 

Si  Snoussi  cite  cet  ordre  des  Hafnaouya  dans  le  livre  exposant  ses 
appuis  religieux.  (Voir  chapitre  XVIII.) 


(An  1163-1164  de  l’Hégire.  — 1750  de  J.-C.) 

Ordre  des  Djemalya,  fondé  par  Mohammed-Djemaled-Din-Dirnaoui , 
mort  à Constantinople  en  1164  de  l’Hégire  (1750-1751  de  J.-C.). 

Cet  ordre,  du  moins  dans  ses  pratiques  extérieures,  n’est  pas  sans 
analogie  avec  celui  des  Seherourdya. 

Nous  ne  lui  connaissons  pas  d’adeptes  en  Algérie. 

66 

(An  1165-1166  de  l’Hégire.  - 1752  de  J.-C.) 

L’ordre  des  Habibiin  (et  mieux  Habibya)  a été  fondé,  au  Tafilalet, 
par  Si  Ahmed-el-Habib-El-Lemti,  mort  en  1752  de  J.-C  (1165-1166  de 
l’Hégire).  — La  maison-mère  et  le  supérieur  général  sont  au  Tafilalet, 
à Zaouat-el-Mati,  au  sud-est  de  Er-Rissani. 

Cet  ordre  est  cité  par  Si  Snoussi  parmi  ses  appuis.  (V.  chap.  XVIII.) 

67 

(An  1196  de  l’Hégire.  — 1781-1782  de  J.-C.) 

Ordre  des  Tidjanya,  fondé  en  1196  de  l’Hégire  (1781-1782  de  J.-C.), 
par  Si  Ahmed-ben-Mokhiar-et-Tidjini,  né  en  1373  de  J.-C.  (1149-1150  de 
l’Hégire),  à Aïn-Madhi  (près  Laghouat)  et  mort  à Fez  (Maroc),  le 
20  octobre  1814  (17  choual  1229).  C’est  là  qu’est  son  tombeau,  mais  la 
maison-mère  est  tantôt  à Aïn-Madhi,  tantôt  à Temacin,  car,  jusqu’en 
1875,  la  succession  spirituelle  a été  dévolue  alternativement  à un 
membre  de  sa  famille  et  à un  membre  de  la  famille  de  Si  El-Hadj- 
Ali.  originaire  de  Yambo.  (Voir  chapitre  XXIX.) 

68 

(An  1208  de  l’Hégire.  — 1793-1794  de  J.-C.) 

Ordre  des  Rahmanya,  fondé  à la  fin  du  XVIIIe  siècle,  par  SiMahmed.- 
ben-Abd-er-Rahman-bou-Qobrin-el-Djerdjeri-El-Guechtouli-Ez-Zouaoui-El- 
Ahzari 

C’est  la  branche  des  Khelouatya,  importée  en  Algérie  vers  l’an  1177 
de  l’Hégire,  soit  1763-1764  de  J.-C. 

Si  Snoussi  cite  le  fondateur  de  l’ordre  des  Rahmanya  parmi  ses 
maîtres  et  ses  appuis.  (Voir  chapitre  XXX.) 

69 

(Vers  1799  de  J.-C.  — 1213-1214  de  l’Hégire 

ou 

1800  de  J.-C.  - 1214-1215  de  l’Hégire) 

Ordre  de  Hafid,  cité  par  Si  Snoussi  comme  un  de  ceux  sur  lesquels 


il  appuie  sa  doctrine,  et  qui  a eu  pour  chef,  sinon  pour  fondateur,  un 
nommé  Hassan-ben-Ali-El-Acljimi-El-Mekki,  sur  lequel  nous  n’avons  pu 
nous  procurer  aucun  détail. 

Le  cheikh  Abou-  Abdallah  -Mohammed -ben -Ali-ben-Ech-Charef-El- 
Mazouni  (de  Mazouna),  qui  vivait  vers  1830  de  J.-C.  (1245-1246  de 
l’Hégire),  appartenait  à cet  ordre,  auquel  il  avait  été  initié  par 
son  père,  disciple  du  cheikh  Hassen.  Ce  qui  semble  reporter  la  fon- 
dation de  cet  ordre  vers  la  fin  du  XVIII6  siècle  ou  le  commencement 
du  XIX6. 

70 

(Vers  1800  de  J.-C.  — 1214-1215  de  l’Hégire) 

L’ordre  des  Derkaoua,  qui  tire  son  nom  de  Mouley-El-Arbi-Ahmed- 
EUDerkaoui , n’est,  à proprement  parler,  qu’une  dénomination  diffé- 
rente de  l’ordre  des  Chadelya. 

Cette  dénomination,  usitée  surtout  au  Maroc  et  dans  l’ouest  de 
l’Algérie,  fut  employée,  du  vivant  même  de  Mouley-El-Arbi  et  bien 
avant  la  mort  de  ce  cheikh,  dont  le  décès  n’eut  lieu  que  vers  1823  de 
J.-C.  (1238-1239  de  VHégire).  (Voir  chapitre  XVII.) 

71 

(An  1217-1218  de  l’Hégire.  — 1803  de  J.-C.) 

Ordre  des  Padris,  fondé  en  1803  de  J.-C.  (1217-1218  de  l’Hégire),  à 
Sumatra,  par  trois  pèlerins  qui  étaient  allés  à La  Mecque,  au  moment 
où  l’enseignement  de  Si  Ahmed-ben-Idris-El-Khadiri  attirait,  dans 
cette  ville,  les  Musulmans  de  tout  l’Extrême-Orient. 

Le  rigorisme  des  Padris  les  a fait  quelquefois  classer  comme  Ouah- 
bites  ; en  réalité  ce  sont  des  Khadirya.  Ils  se  lient  donc  étroitement 
avec  les  ordres  des  Soualya  et  des  Snoussya,  puisque  l’indien  El- 
Mogherani  et  Si  Snoussi  sont  les  deux  continuateurs  de  Si  Ahmed- 
ben-Idris. 

Cet  ordre  fomenta  à Sumatra  des  troubles  graves  et  une  insurrec- 
tion qui  dura  de  1821  de  J.-C.  (1236-1237  de  l’Hégire)  à 1837  de  J.-C. 
(1252-1253  de  l’Hégire),  et  ne  se  termina  que  lorsque  les  Hollandais 
eurent  repris  Bondjol,  centre  du  mouvement  politique  des  Padris. 
Aujourd’hui,  cét  ordre  a encore  de  nombreux  partisans  à Sumatra, 
mais  il  se  cache  : 

(Bien  que  Dozy  donne  à cette  congrégation  le  nom  de  Padris,  qu’il 
explique  d’ailleurs  pertinemment,  on  remarquera  la  coïncidence  de 
ce  nom  Padris  avec  Adris  ou  Idris,  et  surtout,  avec  Bou-Idris  qui 
pourrait  bien  être  le  nom  véritable.) 


— 47 


72 

(Vers  1825  de  J.-C.  — 1240-1241  de  l’Hégire) 

Ordre  des  Madinya  modernes,  fondé  à Mezrata  de  Tripoli,  par  Mo- 
hammed-Zaffar-ben-Hamza-El-Madani , moqqadem  des  Derkaoua-Clia- 
delya.  (Voir  chapitre  XVII.) 


73 

(An  1250-1251  de  l’Hégire.  — 1835  de  J.-C.) 

Ordre  des  Snoussya,  fondé  en  1250-1251  de  l’Hégire  (1835  de  J.-C.), 
en  Tripolitaine,  par  le  cherif  algérien  Si  Mohammed-ben-Ali-ben-es- 
Snoussi-El-Khottabi-el-Hassani-el-Idrissi , né  en  1206  de  l’Hégire  (1791  - 
1792  de  J.-C.),  au  douar  Thorch,  delà  fraction  des  Ouled-Sidi-Youcef 
(tribu  des  Ouled-Sidi-Abdallah,  du  Medjolier,  environs  de  Mostar’a- 
nem),  mort  en  1859.  (Voir  chapitre  XXXI.) 

74 

(An  1250-1251  de  l’Hégire.  - 1835  de  J.-C.) 

Ordre  des  Idricïin,  ou  Idricya,  ou  Soualya,  ou  mieux  encore 
Megheranya,  fondé  en  1835  de  J. -Ci  (1250-1251  de  l’Hégire),  à La  Mec- 
que, par  Si  Mohammed-Satah-el-Megherani,  indien  musulman,  élève  de 
Si  Ahmed-ben-Idris-el-Fassy,  qui  était  chef  de  l’ordre  des  Khadirya 
à La  Mecque. 

Sid  Mohammed-Salah  était  le  condisciple  et  le  rival  de  Si  Snoussi. 
à qui  il  disputa  la  succession  spirituelle  de  Si  Ahmed-ben-Idris. 

La  zaouïa-mère  et  le  grand-maître  de  l’ordre  des  Megherania  sont 
à La  Mecque,  à Dar-El-Khaizan. 

C’est  donc  un  ordre  rival  et  ennemi  de  celui  de  Si  Snoussi  ; à ce 
titre  il  nous  intéresse.  (Voir  chapitres  XXVII  et  XXXI.) 

75 

(Sans  indication  de  date) 

Ordre  des  Sarouarya  dits  aussi  Djalala,  fondé  par  SultàniSarouar- 
ben-Sid-Zin’El-Abdin,  enterré  près  de  Moultan,  à Donakhal,  dans  la 
province  de  Lahore,  où  son  tombeau  est  l’objet  d’un  pèlerinage 
annuel. 

(Pas  de  date).  -*■  Ordre  indien  cité  par  Garcin  de  Tassy. 

76 

(An  1292-1293  de  l’Hégire.  - 1876  de  J.-C.) 

Ordre  des  Habbab  ou  Derdourya,  qui  fut  fondé  en  1876  dans  l’Aurès 
par  Si  El-Hachemi-ben-Si-Ali’Derdour , né  à Medrouna,  village  de  l’Oued- 
Ahdi. 


— 48  — 


Ce  personnage  était  le  ûls  d’un  moqqadem  des  Rahmanya,  relevant 
de  la  branche  tunisienne,  et  il  avait  d’abord  suivi  les  pratiques  de  cet 
ordre,  sous  la  direction  de  son  père,  avec  qui  il  avait  longtemps  habité 
Tunis  et  La  Mecque.  N’ayant  pas  été  élu  moqqadem  à la  mort  de  ce 
dernier,  en  1871,  il  s’isola  des  autres  Rahmanya  et  se  mit  à vivre  en 
ascète.  Autour  de  lui,  se  groupèrent  bientôt  de  nombreux  disciples, 
qu’il  organisa  en  une  société  religieuse,  où  les  biens  étaient  en  com- 
mun, et  où  l’on  s’efforçait  d’observer  la  loi  islamique  dans  toute  sa 
pureté.  Cette  association  se  sépara  presque  complètement  des  autres 
Musulmans  du  pays,  évitant  d’aller  devant  le  cadhi,  et  se  bornant  à 
payer  régulièrement  l’impôt  et  à fournir  les  prestations  ordonnées. 

En  1879  (1296-1297  de  l’Hégire),  ils  furent  un  peu  compromis  dans  les 
troubles  de  l’Aurès,  non  pas  tant  par  leurs  actes,  que  par  des  corres- 
pondances avec  le  prétendu  chérif,  chef  des  rebelles. 

L’insurrection  réprimée,  les  Habbab,  qui  étaient  au  nombre  de  500, 
répartis  dans  les  villages  de  Medrouna,  Hallaoua,  Haidouss,  Nerdi, 
etc.,  refusèrent  de  s’acquitter  des  prestations  sur  les  chemins  vicinaux 
et  d’obtempérer  aux  réquisitions  et  ordres  des  chefs  investis.  Si  El- 
Hachemi-ben-Si-Ali-Derdour  fut  alors  arrêté  avec  six  de  ses  princi- 
paux moqqadem  ; plusieurs  enquêtes  administratives  furent  faites, 
qui,  en  1880,  aboutirent  à l’internement  en  Corse  des  chefs  des  Hab- 
bab et  de  plusieurs  moqqadem. 

Depuis  lors,  tout  est  rentré  dans  le  calme  ; la  société  religieuse 
existe  bien  encore,  des  réunions  ont  toujours  lieu  dans  des  maisons 
notables  ; mais  les  Habbab  sont  absolument  dociles  aux  ordres  de 
l’autorité.  Ils  sont,  du  reste,  surveillés  avec  jalousie  par  les  vrais 
Rahmanya  restés  dans  le  pays,  et,  surtout  par  le  caïd  de  la  tribu, 
Si  Mahmed-bel-Abbès,  chérit  descendant  d’Abd-el-Qader-El-Djilali, 
grand  moqqadem  des  Qadrya,  et  notre  fidèle  serviteur  depuis  1847  (1). 

L’ordre  des  Habbab  Aurasiens  paraît  être  une  branche  des  Kheloua- 
tya,  ou,  peut-être,  des  Chadelya.  Il  n’a  rien  de  commun  avec  les 
Habibïin  du  Maroc. 

Cette  tentative  d’organisation  théôcratique  a fait  croire,  un  instant, 
qu’on  avait  affaire  à des  Snoussya,  mais  cela  est  peu  probable  ; l’im- 
prudence et  la  légèreté,  qui  ont  présidé  à cette  constitution  de  société, 
ne  permettent  pas  d’admettre  l’action  d’une  direction  aussi  intelli- 
gente et  aussi  habile  que  celle  des  Snoussya.  S’il  y a réellement  eu 
des  relations  avec  la  Tripolitaine,  elles  ont  dû  avoir  lieu  plutôt  avec 
les  Madanya  qui  étaient  alors,  et  sont  toujours,  au  service  d’influences 
politiques  musulmanes  hostiles  à la  France. 


(1)  Le  fils  aîné  du  caïd  Si  Mahmed-bel-Abbès,  Si  Lahsen,  a été 
tué  dans  nos  rangs,  lors  de  Finsurrection  de  FAurès,  en  1879. 


— 49  — 


77 

(Date  inconnue) 

L’ordre  des  Fadelya,  fondé  par  l’ouali  Sid  Mohamed-Fadel,  à Chin- 
guetti,  dans  l’Adrar.  C’est  une  branche  dérivée  des  Qadrya.  Il  a con- 
servé en  partie  le  rituel  de  l’ordre  primitif  et  a les  mêmes  doctrines 
de  tolérance  et  de  charité.  Son  influence  est  grande  dans  tout  le  pays 
compris  entre  l’Atlantique,  le  Sénégal,  Timbouktou,  les  parcours  nord- 
ouest  des  Touareg  et  l’oued  Drâa.  Il  était  jadis  très  florissant,  mais 
ses  zaouïas  de  Chinguetti,  Ouadan,  Ouldjet  et  Attar  sont  aujourd’hui 
moins  prospères  par  suite  de  l’influence  rivale  d’une  autre  branche 
des  Qadrya  (les  Lessidya),  et  par  suite  aussi  des  progrès  faits  dans 
l’Adrar  par  les  Tidjanya  et  les  Taïbya. 

En  1879,  le  grand  maître  de  l’ordre  était  le  chikh  Mel-Aïni,  descen- 
dant direct  de  Sid  Mohamed-el-Fadel. 

78 

(Date  inconnue) 

L’ordre  des  Lessidya,  ordre  chérifien  dérivé  des  Qadrya,  ayant  sa 
maison  mère  à Ouadan,  dans’l'Adrar,  et  ses  succursales  à Chinguetti, 
Attar  et  Ouldjet.  La  direction  en  est  aujourd’hui  héréditaire  dans  la 
famille  des  Ouled-Lessidi,  qui  est  celle  du  fondateur.  Cet  ordre  paraît 
animé  du  même  esprit  que  celui  des  Qadrya;  il  jouit  d’une  très  grande 
influence  dans  tout  le  pays  compris  entre  l’Atlantique,  le  Sénégal, 
Timbouktou,  les  parcours  nord-ouest  des  Touareg,  et  l’oued  Dràa.  Il 
est  bien  rare  que  les  Nomades  pillards  osent  toucher  aux  caravanes 
ayant  un  sauf-conduit  d’un  moqaddem  de  cet  ordre.  Nous  ignorons 
l’époque  de  la  fondation  des  Lessidya,  nous  savons  seulement  qu’ils 
sont  postérieurs  aux  Fadelya,  qu’aujourd’hui  ils  ont  dépassé  en  im- 
portance. 

Nous  avons  encore  trouvé,  mentionnés  dans  des  docu- 
ments dignes  de  foi,  mais  malheureusement  peu  expli- 
cites et  sans  aucun  renseignement  de  nature  à aider  les 
recherches,  les  ordres  ci-après  : 

79 

(Date  inconnue) 

Ordre  des  Damiatya  ou  de  Sid  Ahmed-el-Damiati  « qui  aurait  quel- 
ques khouan  à Alger,  Constantine  et  au  Maroc.  » (Il  est  probable  que 
c’est  là  une  dénomination  locale  des  Hansalia .) 


— 50  - 


80 

(Date  inconnue) 

« Ordre  de  Sidi-Abdel-Rezak,  des  Djebaïlya,  du  Maroc,  entre  Té- 
touan  et  Rebat.  » 


81 

(Date  inconnue) 

Ordre  des  Sekellya  ou  de  Mouley-Ahmed-el-Sekelli  (le  Sicilien). 
« Ayant  surtout  ses  khouans  à Fez,  où  se  trouve  le  tombeau  du  fon- 
dateur et  une  grande  zaouïa.  » 

82 

(Date  inconnue) 

Ordre  des  Kourdassya.  — En  1856,  sept  familles  du  ksar  Tadjerouna 
(entre  Laghouat  et  Berezina)  étaient  signalées  comme  « ayant  le  dikr 
de  Sidi  Moussa-es-Sahi-el-Khourdassi,  dont  la  qobba  est  à Kourdassa, 
près  le  Caire,  en  Égypte.  » 


83 

(Date  inconnue) 

Les  Doussakya,  ordre  particulier  à l’Égypte  et  au  Yémen,  fondé 
par  Ibrahim- Doussouki ; il  a son  centre  entre  Roselle  et  Dossouq,  sur 
le  Nil,  au  tombeau  du  fondateur,  et  des  représentants  assez  nombreux 
à Sana  et  à La  Mecque.  Il  est  très  hostile  aux  Européens. 

84 

(Date  inconnue) 

Les  Semaan,  ordre  particulier  au  Yémen,  a des  adeptes  nombreux 
dans  le  Soudan,  en  Égypte  et  à La  Mecque  où,  en  1882,  il  est  repré- 
senté par  le  moqaddem  Ahmed-Semaan.  Nous  est  très  hostile. 

85 

(Date  inconnue) 

Les  Saouya,  ordre  particulier  au  Yémen,  a des  adeptes  dans  le  pays 
d’Assyr  et  à La  Mecque,  et  nous  est  très  hostile. 

86 

(Date  inconnue) 

Les  Baoumya,  ordre  particulier  au  Yémen,  a des  adeptes  dans  le 


— 51 


pays  d’Assyr,  en  Égypte  et  à La  Mecque.  Est  très  hostile  aux  Euro- 
péens. 


87 

(Sans  date) 

Les  Rou-Alya,  congrégation  de  Qadrya,  ayant  son  centre  à Tozer 
où  la  direction  de  la  congrégation  est  héréditaire  chez  les  descen- 
dants du  marabout  Abou-Ali.  Les  zaouïas  de  Qadrya,  de  Nefta,  de 
Gafsa  et  d’une  partie  du  Djerid  relèveraient  de  celle  de  Tozer. 

88 

(Sans  date) 

Les  Aouamrya,  branche  tunisienne  des  Aïssaoua,  ayant  son  centre 
à-  Monaster  où  la  direction  de  la  congrégation  est  héréditaire  chez  les 
descendants  du  fondateur  de  Tordre.  Compte  des  adhérents  à Sfax  et 
dans  plusieurs  autres  lieux  de  Tunisie. 


CHAPITRE  V 


GÉNÉRALITÉS  SIR  LES  ORDRES  RELIGIEUX 

LEURS  ATTACHES  ORTHODOXES 


Les  ordres  religieux  orthodoxes  présentent  entre  eux 
de  sensibles  divergences.  Comme  tendances,  comme 
pratiques,  et  même  comme  doctrine,  chacun  a son  indi- 
vidualité nettement  accusée  et  est,  le  plus  souvent,  en 
rivalité  ou  en  dissidence  avec  les  autres.  Cependant,  tous 
ont  entre  eux  assez  de  points  communs  pour  que  quel- 
ques écrivains,  français  ou  musulmans,  aient  cru  pou- 
voir assigner  une  origine  unique  et  commune  à tous  les 
ordres  religieux. 

Historiquement,  c’est  aller  beaucoup  trop  loin.  S’il  est 
exact  que  tous  les  ordres  religieux  orthodoxes  aboutis- 
sent, en  fin  de  compte,  au  Prophète  Mohammed,  c’est-à- 
dire  à Dieu,  s’il  est  vrai  que  les  derniers  venus  ont  sou- 
vent calqué  leurs  organisations  sur  celles  de  leurs  pré- 
décesseurs, il  n’en  est  pas  moins  vrai  que  chaque  fonda- 
teur d’un  ordre  nouveau  a,  toujours,  imprimé  à son 
œuvre  un  cachet  particulier,  qui  la  distingue  de  la  con- 
grégation voisine,  plus  ancienne  ou  plus  moderne. 

N’en  est-il  pas  de  même  chez  nous  ? Les  Trappistes, 
les  Jésuites,  les  Dominicains,  les  Chartreux,  etc...,  n’ont- 
ils  pas  entre  eux  bien  des  points  communs  de  discipline 
et  d’organisation?  Songe-t-on  pour  cela  à les  faire  tous 
dériver  des  premiers  ordres  monastiques  chrétiens  ? 

Ce  qui  est  exact,  c’est  qu’il  n’y  a pas  d’ordre  religieux 
musulman  possible,  sans  l’existence  de  certaines  condi- 
tions essentielles  qui,  par  suite,  se  retrouvent,  forcément, 


— 53  — 

dans  toutes  les  doctrines  et  dans  toutes  les  organisations 
de  l’espèce. 

Trois  choses  servent  à caractériser  un  ordre  religieux 
musulman  ; elles  varient  pour  chaque  ordre,  mais  cette 
variété  a pour  limites  les  exigences  étroites  de  l’ortho- 
doxie musulmane,  que  toutes  ces  associations  affectent 
de  respecter  et  de  pratiquer. 

Cette  orthodoxie  est  la  condition  la  plus  essentielle  ; 
sans  elle,  un  ordre  n’est  plus  qu’un  schisme,  une  secte 
abominable,  un  objet  d’horreur  aux  yeux  des  Musul- 
mans. Donner  la  preuve  de  l’orthodoxie  est  la  première 
préoccupation  d’un  fondateur  d’ordre  religieux.  Cela, 
du  reste,  est  assez  facile,  il  suffit  d’avoir  suivi  les  cours 
de  quelque  pieux  docteur  bien  connu  comme  professant 
les  doctrines  orthodoxes,  et  d’appuyer  son  enseignement 
sur  l’autorité  du  dit  maître  et  de  ceux  qui  lui  ont  trans- 
mis la  vérité.  On  dresse  la  liste  de  tous  ces  pieux  doc- 
teurs, et  on  remonte  ainsi  jusqu’au  Prophète  lui-mème, 
qui  fut  le  premier  maître.  Cette  liste  est  ce  que  les  Arabes 
appellent  Selselatj  la  chaîne et  les  gens  qui  la  compo- 
sent sont  le  Ahl-es-Selselatj  le  clan  de  la  chaîne. 

On  a souvent  comparé  cette  chaîne  des  Saints,  qui  se 
sont  transmis  « la  vérité,  » à la  rmp«.  èppioum,  ou  chaîne 
hermétique  des  Néo- Platoniciens , avec  lesquels  les 
Khouan-Soufî  ont  tant  de  rapports.  La  comparaison  est 
très  juste,  mais  elle  s’inspire  d’un  ordre  d’idées  philoso- 
phiques inconnu  aujourd’hui  aux  Musulmans.  Pour  res- 
ter dans  la  vérité  des  faits,  il  ne  faut  voir  dans  cette 
chaîne , qu’une  des  formes  habituelles  par  laquelle  s’af- 
firme, chez  tous  les  Musulmans,  cette  puissance  souve- 
raine qu’on  appelle  la  tradition.  (Kheber-Sadik,  la  tra- 
dition constante  et  véridique)  (1).  C’est  toujours  sur  elle 
! , 


(1)  Il  est  recommandé  dans  « l’Exposé  de  la  foi  » de  Mohammed- 
ben-Pir-Ali-El-Berkaouï  de  ne  point  abandonner  les  pratiques  fon- 
dées sur  une  tradition  vénérée,  de  ne  point  donner  dans  les  innova- 
tions. 


— 54  — 

que  s’appuient  les  auteurs,  sacrés  ou  profanes,  et  cela 
n’est  point  particulier  aux  docteurs  congréganistes.  Les 
« hadit  » ou  paroles  du  Prophète,  qui  tiennent  une  si 
grande  place  dans  la  doctrine  musulmane  officielle,  sont 
toutes  formulées  en  ces  termes  : « J’ai  appris  d’un  tel,  qui 

» l’avait  su  par  N , qui  lui-même  le  tenait  de  N’ , à 

» qui  cela  avait  été  dit  par , etc » 

Il  en  est  de  même  pour  la  plupart  des  livres  de  doc- 
trine : tel  est  le  cas  du  « Moûetha  » de  l’imam  Malek, 
du  Sahih  de  Bokhari.  Cette  liste  se  nomme  SanacL  (JH) 
ou  appui  (sur  lequel  repose  l’enseignement).  Les  seules 
sources  où  l’on  peut  puiser  directement,  se  bornent,  en 
effet,  au  texte  du  Coran  à celui  de  la  Sonna,  au  consen- 
tement général  des  anciens  Musulmans.  On  rattache 
toujours  à un  texte  les  jugements,  décisions  ou  opinions, 
sinon  on  risque  de  tomber  dans  l’hérésie  des  Bathinya, 
qui  admettent  l’interprétation  allégorique  des  livres  sa- 
crés. 

En  établissant  « la  chaîne  » des  Saints  sur  lesquels  ils 
appuient  leur  enseignement,  les  chefs  des  ordres  reli- 
gieux n’ont  donc  pas  d’autre  préoccupation  que  de  se 
conformer  à un  usage,  consacré  par  tous  les  docteurs 
musulmans,  et  de  se  mettre  à l’abri  du  reproche  d'inno- 
vation, toute  innovation  en  matière  islamique  étant  une 
hérésie. 

Le  seul  côté  mystique  que  présentent  « les  chaînes,  » 
qui  servent  de  point  de  départ  aux  ordres  religieux,  est 
le  choix  des  dénominations  données  à chacun  des  saints 
ou  docteurs  qui  les  composent,  et  encore  ces  dénomina- 
tions, malgré  leur  identité  complète  avec  celles  des 
Gnostiques,  des  Mazdiens  ou  des  Néo-Platoniciens,  sont- 
elles  admises,  pour  la  plupart,  par  les  docteurs  non 
congréganistes. 

La  dénomination  la  plus  élevée  est  celle  de  R’outs 
(vj^yül),  le  recours  suprême  des  affligés,  le  refuge,  le 
sauveur,  c’est  celui  qui,  en  raison  de  la  surabondance 
de  sa  sainteté,  et  de  l’influence  de  ses  mérites  auprès  de 


Dieu,  peut,  sans  compromettre  son  salut,  prendre  à sa 
charge  une  partie  des  maux  et  des  péchés  des  Fidèles. 
C’est  bien  là  « le  Soter,  » sauveur  des  Gnostiques. 

Mais  la  croyance  au  R’outs  n’est  pas  limitée  aux 
congréganistes. 

La  majorité  des  Musulmans  croit  qu’il  existe,  sur  terre, 
une  légion  de  saints  qui,  de  leur  vivant,  sont  inconnus 
à tous  et  à eux-mêmes.  Ils  sont  toujours  au  nombre  de 
quatre  mille  selon  les  uns,  de  trois  cent  cinquante-six 
selon  les  autres,  et  ils  forment  ce  qu’on  nomme  le 
« R’outs- el-Alem , » le  refuge  du  monde.  « Les  bien- 
» heureux  qui  le  composent  sont  rangés  en  sept  classes, 
» que  l’on  regarde  comme  autant  de  degrés  mystérieux 
» de  leur  béatification.  » La  première  est  occupée  par  le 
chef  ou  le  coryphée  de  cette  légion,  distingué  sous  le 
nom  de  R’outs-Adham  (grand  R’outs)  ; la  seconde,  par 
son  vizir  ou  premier  ministre,  sous  le  titre  de  Qotb  qui 
signifie  pôle  ; la  troisième,  est  composée  de  quatre  mi- 
nistres aoutâd  (pieux,  piquets  de  tente)  (1) 

Les  noms  varient  suivant  les  théologiens  et  docteurs, 
pour  les  autres  classes  de  ces  êtres  privilégiés  qui  de 
leur  vivant  ont,  à leur  issu,  accès  dans  le  ciel  et  place 
réservée  dans  les  bienheureuses  phalanges  qui  entou- 
rent le  trône  de  Dieu. 

Voici  celles  de  ces  dénominations  qui  se  retrouvent  le 
plus  souvent  chez  les  auteurs  musulmans  qui  presque 
tous,  même  les  moins  mystiques,  croient  absolument  à 
l’existence  sur  la  terre  de  ces  Saints  dans  lesquels  s’in- 
carne l’Esprit  de  Dieu. 

Après  le  R’outs,  que  nous  avons  suffisamment  défini, 
vient  le  Qotb  (wJaè),  l’étoile  polaire,  le  pôle,  l’axe  du 
monde.  « C’est  le  saint  par  excellence,  celui  qui  occupe 
le  sommet  de  l’axe  autour  duquel  le  genre  humain,  avec 
toutes  ses  créatures,  toutes  ses  grandeurs,  toutes  ses 


(1)  Mouradja  Ohsson,  tome  I,  p.  315.  (Voir  dans  la  Revue  africaine 
de  1859,  p.  15,  un  article  de  M.  Brosselard.) 


— 56  — 


vertus,  toutes  ses  sciences  et  aussi  tous  ses  vices,  tou- 
tes ses  petitesses,  accomplit  son  éternelle  et  immuable 
révolution.  C’est  en  un  mot  l’homme  le  plus  considérable 
de  son  époque  (1).  » 

Les  Musulmans  précisent  l’idée  en  disant  Qotb-el- 
Ouoqtj  le  pôle  de  l’époque,  et  ils  augmentent  la  force 
de  l’expression  en  désignant  leur  saint  de  prédilection 
comme  étant  le  Qotb-el-Qtoub  le  pôle  des 

pôles. 

La  dénomination  d ’aoutâd  piquets > qui,  dans 

ce  langage  usuel  s’applique  aux  principaux  personnages 
d’un  pays,  se  dit  chez  les  Mystiques  des  hommes  parve- 
nus au  plus  haut  degré  de  perfection  dans  la  connais- 
sance de  Dieu.  Il  n’y  a jamais  dans  l’Islam,  à une  même 
époque  que  quatre  aoutâd  et  ils  sont  placés  dans  les 
régions  occupant  les  quatre  points  cardinaux  par  rap- 
port à La  Mecque. 

Après  les  Outad,  viennent  les  Khiar  ( ^L^l),  les  Élus 
(les  choisis j les  meilleurs ).  Ils  sont  au  nombre  de  sept  et 
voyagent  constamment  pour  répandre  les  lumières  de 
l’Islam  ; mais,  de  leur  vivant,  ils  n’ont  pas  conscience 
de  leur  supériorité  spirituelle  et  ils  ne  sont  connus  que 
des  R’outs. 

Au  cinquième  rang  de  la  hiérarchie  sont  les  Abdal  (Jl  Aj  ! 
sing.  J jA),  les  Changeants  j ainsi  nommés  parce  que  si 
l’un  d’eux  vient  à disparaître  un  autre  le  remplace  im- 
médiatement. Ce  sont  encore  ceux  dont  le  cœur  a été 
purifié  des  vices  par  la  vertu  et  qui  se  sont  ainsi  trans- 
formés. C’est  en  considération  de  leur  mérite  que  Dieu 
jette  un  regard  favorable  sur  la  terre.  Ils  sont,  selon  les 
auteurs,  au  nombre  de  70,  de  40,  ou  de  7 seulement. 
Dans  les  deux  premiers  cas,  40  occupent  la  Syrie. 

Au  sixième  rang  est  le  Nedjih  le  distinguée 

Vexcellent . Les  Nedjab  sont  au  nombre  de  70  et  ils  se 
tiennent  surtout  en  Égypte. 


(I)  Brosselard,  loco  citalo. 


5 1 


Le  septième  et  dernier  rang  est  formé  par  ceux  qui 
ont  le  nom  deNeqib  (^iJ),  chef{ d’un  groupe  de  saints). 
Ils  sont  au  nombre  de  300,  s’ignorent  eux-mêmes  et  ne 
sont  connus  que  de  leurs  égaux  ou  de  leurs  supérieurs 
en  sainteté.  Ils  habitent  surtout  l’Afrique  sauf  l’Égypte. 

Quant  au  ouali  (1)  c’est  l’ami  de  Dieu,  le  saint  de 

toutes  les  religions,  l’être  privilégié  entre  tous  et  ayant 
le  don  des  miracles  ; le  mot  arabe  signifie  proprement  : 
celui  qui  est  près  de  Dieu  (de  ^3 ^ oula,  être  très  proche). 
On  dit  souvent  Ouali  Allah  JJj),  le  Saint  de  Dieu. 

Cette  qualité  de  Ouali,  ^-3j,  ne  peut  s’appliquer  qu’à 
un  mort  ; nul  ne  peut  y prétendre  de  son  vivant  : c’est 
la  vénération  des  Fidèles  qui  décerne  cet  honneur  pos- 
thume. 

Ces  titres  reviennent  à chaque  instant  dans  les  chaînes 
généalogiques  des  ordres  religieux;  mais  ils  ne  sont  pas 
donnés  au  hasard  et,  toujours,  l’épithète  qui  accompagne 
le  nom  d’un  saint  ou  d’un  docteur  a sa  valeur,  car  elle 
indique,  le  plus  souvent,  le  degré  d’importance  et  d’in- 
fluence que  l’attributaire  a eu,  dans  la  formation  de  l’or- 
dre qui  le  cite  parmi  ses  appuis. 

L’étude  de  ces  chaînes  a rarement  été  faite,  cependant 
elle  est  utile,  même  pour  nous,  Français  ; la  présence 
d’un  même  nom,  cité  dans  les  appuis  d’ordres  différents 
et  rivaux,  met  en  évidence  leurs  points  communs,  et  les 
possibilités  de  rapprochement  qui  peuvent  exister  entre 
deux  ou  plusieurs  congrégations.  Certains  noms  anciens 
reviennent  incessamment,  et  sont  souvent  le  point  d’at- 
tache de  plusieurs  chaînes  différentes,  remontant  d’ail- 
leurs toutes,  comme  nous  l’avons  déjà  dit,  au  Prophète 
Mohammed,  à qui  l’ange  Gabriel  a transmis  la  science 
de  la  Vérité. 

Ali-ben-Abou-Taleb  est  celui  des  compagnons  du  Pro- 


(1)  Ce  mot  est  de  meme  origine  que  celui  de  ouali,  gouverneur;  il 
est  de  la  même  famille  que  moula,  maître. 


phète  auquel  se  rattache  la  presque  totalité  des  ordres 
religieux  ; mais  ceux  qui  sont  réputés  avoir  reçu  la  doc- 
trine d’Abou-Beker-es-Seddik,  ou  d’Omar-ben-El-Khettab, 
sont  réputés  plus  saints  et  plus  vénérables  que  les  au- 
tres, car  alors  « l’imamat  était  parfait.  » 

Les  ordres  se  rattachant  directement  à Abou-Beker- 
es-Seddik  sont  ceux  des  Seddikyà,  Bestamya,  Nakchi- 
bendya,  et  Bektachya.  Ceux  qui  s’y  rattachent  indirecte- 
ment, comme  ayant  eu  des  fondateurs  affiliés  aux  ordres 
précédents,  sont  plus  nombreux;  nous  citerons,  xentre 
autres:  les  Qadrya,  Djenidya,  Khadirya,  Snoussya,  et 
leurs  dérivés. 

Les  Aoussya,  Adhemya,  Djenidya,  Khadirya,  Snous- 
sya, etc.,  se  rattachent  à Omar-ben-Et-Khettab,  mais  ils 
se  rattachent  aussi  à Ali-ben-Abou-Taleb. 

A son  autre  extrémité,  la  « chaîne  d’or,  » ou  chaîne 
mystique,  ne  s’arrête  pas  au  fondateur  de  l’ordre  : elle 
continue  après  lui,  dans  les  mêmes  conditions,  pour 
aboutir  au  chef  d’ordre  en  fonctions. 

Il  y a lieu  ici  de  distinguer  la  liste  des  chefs  successifs 
de  l’ordre  qui  forment  la  chaîne  mystique  principale 
des  autres  chaînes  collatérales,  s’embranchant  soit  sur 
un  des  supérieurs  généraux,  soit  même  sur  un  simple 
moqaddem  qui,  dans  certains  ordres,  a pu  être  nommé 
à l’élection  et,  par  Suite,  ne  pas  se  relier  effectivement 
au  chef  d’ordre  en  fonctions.  Ce  moqaddem,  chef  de 
branche,  se  trouve  alors  dénommé  adepte  ou  disciple  du 
fondateur  de  l’ordre  ; la  chaîne  dont  il  est  le  point  de 
départ  est  parfaitement  régulière  aux  yeux  des  Musul- 
mans ; mais  il  sera  quelquefois  utile  de  tenir  compte  de 
ce  mode  d’attache,  lorsque,  par  exemple,  on  cherchera 
à fixer  une  date  ; car,  on  commettrait  une  erreur  gros- 
sière si  on  prenait  ledit  chef  de  branche  pour  le  disciple 
direct  et  contemporain  du  fondateur  de  l’ordre  (1). 


(1)  C’est  exactement  ici  la  même  chose  que  lorsque  en  Français 
nous  disons  : M.  Cousin  était  un  disciple  de  Platon. 


— 59  — 


Plusieurs  ordres  ajoutent  encore  à leur  prestige  par  la 
noblesse  d’origine,  plus  ou  moins  authentique,  de  leurs 
fondateurs  ou  continuateurs  qui  sont  Cherfa,  c’est-à-dire 
descendants  du  Prophète  par  Fathma-Zolira  et  Ali-ben- 
Abou-Taleb.  Tels  sont,  entre  autres,  les  ordres  des 
Qadrya,  Taïbya,  Tidjanya,  Zianya,  Aïssaoua,  Snoussya, 
etc... 

Bien  que  tous  les  ordres  religieux  soient  à même  de 
montrer  la  « chaîne  d’or  » des  saints  et  docteurs  qui  leur 
ont  transmis  la  vérité,  plusieurs  congrégations  préten- 
dent tenir  leurs  doctrines  et  leur  rituel  d’une  « révéla- 
tion directe  » faite  par  Dieu  à leur  fondateur. 

Cette  origine  surnaturelle  est  toujours  contestée  par 
les  docteurs  étrangers  à l’ordre,  mais  elle  est,  par  con- 
tre, exaltée  par  les  adeptes  et  facilement  admise  par  la 
masse  des  ignorants,  toujours  crédule  et  avide  de  mira- 
cles. Aussi,  ceux-là,  même  parmi  les  fondateurs  d’ordre 
religieux  qui  ont  les  chaînes  les  meilleures  et  les  plus 
authentiques,  jugent  bon  de  compléter  les  preuves  de 
leur  mission  par  le  récit  d’une  révélation  directe.  C’est  à 
cette  révélation  divine,  dont  ils  ont  été  honorés,  que  les 
ordres  des  Aïssaoua,  des  Khedrya,  des  Rahmanya,  des 
Tidjanya,  doivent  une  partie  de  leur  popularité. 

La  croyance  à la  communication  de  Dieu  avec  ses  créa-  & 
tures  est,  en  effet,  admise  par  les  Musulmans;  elle  peut 
se  faire  par  des  songes,  mais  elle  se  fait  surtout  par  l’en- 
tremise de  Sid  El-Khadir. 

Sid  El-Khadir,  c’est  le  prophète  Élie  qui,  comme  le 
prophète  Idris  (Henoch),  a bu  à la  source  de  vie  et  a 
été  exempté  de  la  mort.  Sa  personnalité  est  dédoublée  : 
Elias  erre  sur  la  terre,  El-Khadir  vit  au  fond  de  la 
mer.  Un  jour  par  an,  ils  se  rencontrent  pour  se  con- 
certer : El-Khadir  est  alors  l’intermédiaire  ordinaire 
entre  Dieu  et  les  hommes,  il  leur  dévoile  l’avenir  et, 
surtout,  leur  confère  les  dons  de  Baraka  (1)  et  de  Tes - 


(1)  La  Baraka  « est  la  bénédiction,  » mais  ici  avec  le  sens  « d’abon- 


— 60 


sarouf(l),  c’est-à-dire  le  pouvoir  de  faire  des  miracles 
et  d’être  exaucés  dans  tout  ce  qu’ils  demandent,  pour 
eux  ou  pour  les  autres. 

On  comprend  combien  l’investiture  par  un  tel  person- 
nage donne  de  relief  à son  élu,  chez  un  peuple  plein  de 
foi  et  crédule  comme  le  peuple  musulman. 

Aussi,  est-ce  en  grande  partie  au  caractère  surnaturel 
de  la  révélation  faite  à leurs  fondateurs,  qu’il  faut  attri- 
buer l’influence  considérable  dont  jouissent  les  sectes 
religieuses  des  Aouissya,  Khadirya,  Snoussya  et  autres. 
Tous  leurs  membres,  en  effet,  participent  à la  « Baraka,  » 
transmise  par  les  héritiers  de  ces  fondateurs,  par  les 
chefs  d’ordre  qui  peuvent,  dans  de  certaines  conditions 
connues  et  nettement  formulées  dans  les  livres  de  doc- 
trine, entrer  en  communication  secrète  et  directe,  avec 
El-Khadir  et  avec  le  Prophète. 

Mais  (2)  « quoique  les  Mystiques  musulmans  se  pi- 
» quent  de  faire  remonter  l’origine  de  leurs  doctrines 
» jusqu’aux  premiers  temps  de  l’Islamisme  et  qu’ils 
» s’autorisent  même  de  certaines  paroles  attribuées  à 
» Mohammed,  ils  ont  trouvé  parmi  les  Musulmans  un 
» grand  nombre  d’adversaires  qui  les  regardent  comme 
» des  impies  et  des  apostats;  et  il  faut  avouer  que  beau- 
» coup  de  leurs  expressions  prises  à la  lettre,  et  surtout 
» l’indifférence  dont  leurs  plus  célèbres  écrivains  font 
» profession  pour  toutes  les  religions  positives,  sem- 
» blent  justifier  l’horreur  qu’ils  inspirent  aux  fidèles 
» disciples  de  l’Islamisme.  Le  pouvoir  surnaturel  qu’ils 


dance,  » de  profusion,  de  surabondance  de  biens.  — Le  sens  primitif 
de  barek  est  s’accroupir,  s’agenouiller,  mais  d’abord,  s’ac- 

croupir écrasé  sous  le  poids  de  la  charge. 

(1)  Le  Tessarouf  ^ de  ^ est  le  don  d’être  dispensateur, 
et  de  disposer  des  forces  de  la  création,  dans  l’administration  du 
monde. 

(2)  Sylvestre  de  Sacy,  Notices  et  extraits  des  Manuscrits , tome  XII, 
page  289. 


— 61  — 


» s’attribuent  ne  paraît  à ceux-ci  qu’une  misérable  jon- 
» glerie  ou  les  effets  d’un  art  diabolique  ; leur  quiétisme 
» et  leur  panthéisme,  un  voile  dont  ils  cherchent  à cou- 
» vrir  la  corruption  de  leurs  mœurs.  Leur  intime  res- 
» semblance  avec  les  Djoguis  de  l’Inde  peut  faire  soup- 
» çonner  que  leurs  doctrines  existaient  dans  la  Perse 
» orientale,  antérieurement  à Mohammed,  et  que  c’est  de 
» là  qu’elles  se  sont  mêlées  d’abord  à l’Islamisme.  » 


CHAPITRE  VI 


LES  DOCTRINES  DES  ORDRES  RELIGIEUX 


Aux  preuves  d’orthodoxie,  fournies  déjà  par  l’exis- 
tence de  la  chaîne  et  par  les  mérites  attachés  au  titre  de 
Gherif,  les  fondateurs  d’ordres  religieux  ont  toujours 
soin  d’ajouter  l’autorité  d’un  enseignement  écrit,  en 
parfaite  concordance  avec  les  textes  sacrés  et,  surtout, 
avec  les  paroles  du  Prophète. 

Aussi,  dans  la  plupart  des  livres  de  doctrines  des 
Kouan,  retrouve-t-on  la  constante  préoccupation  de  ne 
pas  s’écarter  des  cinq  commandements,  sur  lesquels 
roulaient  habituellement  les  entretiens  du  Prophète  avec 
ses  compagnons,  commandements  qui  sont  restés  la 
base  de  la  doctrine  islamique,  et  que  les  ordres  religieux 
s’appliquent,  plus  particulièrement,  à exécuter  à la 
lettre  : 

« 1°  Craignez  Dieu  du  plus  profond  de  votre  cœur,  et  que  cette 
crainte  guide  vos  actions,  car  elle  est  le  principe  de  tout  bien,  et 
tout  est  fondé  sur  elle. 

Elle  vous  commande  de  vous  méfier  de  vos  passions  qui,  en  vous 
entraînant  vers  l’abîme  des  iniquités,  engendrent  la  haine,  l’envie, 
l’orgueil,  l’avarice  et,  enfin,  tous  les  vices  qui  ont  leur  siège  dans  le 
cœur. 

Vos  yeux,  vos  mains,  vos  oreilles,  votre  langue,  votre  estomac, 
votre  nez,  vos  parties  génitales  et,  enfin,  tout  ce  qui  exprime  vos 
actions,  sera  dompté  chez  vous,  par  la  crainte  de  Dieu; 

2°  Conformez-vous  à la  sonna , c’est-à-dire,  imitez  en  toutes  choses 
mes  actions,  car,  celui  qui  s’y  conformera  me  donnera  des  preuves  de 
son  amour,  et  celui  qui  y dérogera  ne  sera  point  considéré  comme 
musulman  ; 

3°  N’ayez  pour  les  créatures  ni  amour,  ni  haine,  ne  préférez  pas 
celui  qui  vous  donne  à celui  qui  ne  vous  donne  pas.  L’amour  ou  la 


haine  détourne  l’homme  de  ses  devoirs  envers  la  Divinité  ; vous 
n’avez  qu’un  cœur,  s’il  est  occupé  par  les  choses  terrestres,  que 
restera-t-il  à Dieu  ? 

4°  Contentez-vous  de  ce  que  le  Créateur  vous  donne  en  partage,  ne 
vous  affligez  pas  s’il  vous  prive  d’une  partie  de  vos  richesses,  ou  s’il 
vous  accable  de  maux;  ne  vous  réjouissez  pas  s’il  augmente  votre 
bien-être,  ou  s’il  vous  fait  jouir  d’une  bonne  santé  ; 

5°  Attribuez  tout  à Dieu,  parce  que  tout  vient  de  lui.  Que  votre 
résignation  soit  telle  que  si  le  Mal  et  le  Bien  étaient  transformés  en 
chevaux,  et  qu’on  vous  les  offrît  pour  monture,  vous  n’éprouviez 
aucune  hésitation  à vous  élancer  sur  le  premier  venu,  sans  chercher 
quel  est  celui  du  mal  ou  celui  du  bien.  Tous  deux  venant  de  Dieu, 
vous  n’avez  pas  de  choix  à faire. 


Le  Prophète,  prévoyant  déjà  que,  dans  la  suite  des 
temps,  sa  loi  recevrait  des  atteintes,  et  qu’on  se  relâche- 
rait de  la  foi  qu’il  avait  prêchée,  dit  à ses  disciples  : « Je 
» vous  ai  enseigné  des  maximes  que  je  vous  ordonne  de 
» publier  dans  ce  monde  ; je  compte  pour  cela  sur  votre 
» zèle,  mais  il  viendra  un  temps  où  ceux  que  vous  aurez 
» formés  s’écarteront  de  ces  maximes.  Sachez  que  je 
» crains  moins  les  ennemis  de  la  religion  que  j’ai  établie 
» que  les  chefs  religieux  que  le  temps  doit  amener  ; ils 
» feront,  il  est  vrai,  les  cinq  prières,  ils  observeront 
» quelques-unes  de  nos  pratiques,  mais  ils  s’écarteront 
» de  beaucoup  d’autres  et  seront  divisés  en  73  classes, 
» lesquelles  seront  vouées  au  feu,  à l’exception  d’une 
» seule,  qui  aura  conservé  intacts  mes  cinq  commande- 
» ments.  » 

Les  congrégations  musulmanes  appliquent  ces  derniè- 
res paroles  aux  religieux  non  congréganistes  qui,  selon 
eux,  reconnaissent  une  autre  autorité  que  celle  des  livres 
saints,  par  le  seul  fait  de  leur  obéissance  aux  détenteurs, 
chrétiens  ou  musulmans,  d’un  pouvoir  temporel  con- 
damné dans  son  principe  par  la  loi  divine. 

Chaque  congrégation  prétend,  au  contraire,  avoir  con- 
servé intacte  l’obéissance  aux  cinq  commandements  du 
Prophète,  et  tenir  de  lui  la  meilleure  voie  pour  éviter 
l’erreur,  arriver  au  salut  de  l’âme  par  la  connaissance  de 


— 64  — 


la  vérité,  et  atteindre,  par  Dieu  seul  et  avec  Dieu  seul,  le 
but  de  la  vie,  qui  est  l’union  avec  Dieu. 

Elles  acceptent  et  professent  tout  ce  que  le  Coran 
enseigne  et  professe,  mais  en  exagérant.  Elles  ont  pour 
appui  les  mêmes  saints  et  les  mêmes  docteurs  que  le 
reste  de  l’Islam.  Comme  toutes  les  associations  reli- 
gieuses (1),  elles  proclament  hautement  qu’elles  ne 
travaillent  que  pour  la  plus  grande  gloire  de  Dieu  et 
l’exaltation  de  la  vraie  foi.  Leur  objectif  déclaré  est 
d’amener  les  fidèles  à mériter,  par  leurs  efforts  et  leurs 
pieuses  pratiques,  la  félicité  éternelle  que  le  Coran  pro- 
met à ceux  qui  suivent  « la  bonne  voie.  » Dans  cette 
« voie  »,  révélée  par  l’ange  Gabriel  au  Prophète,  qui  l’a 
transmise  aux  fondateurs  des  ordres  religieux,  les 
Chioukh  guident  le  néophyte  et  l’amènent,  par  des  étapes 
successives,  à un  état  moral  de  plus  en  plus  épuré, 
aboutissant  à la  perfection  spirituelle  qui,  elle-même, 
rapproche  la  créature  de  la  Divinité. 

La  voie  ( triqa  Xb  jJ?  chemin)  est  donc  simplement 
l’ensemble  des  doctrines,  pratiques  et  prières  particu- 
lières à l’ordre.  On  lui  donne  aussi  le  nom  de  Ouerd 
Sjj  (2),  mot  qui  signifie  « accès arrivée.  » Ce  dernier 

(1)  Voir  dans  le  livre  intitulé  : Étude  sur  l’Insurrection  du  Dahra, 
par  le  capitaine  Richard,  Alger  1846,  le  chapitre  V qui  traite  des 
Confréries  religieuses. 

C 

(2)  Il  ne  faut  pas  confondre  ce  mot  à.j  accès,  arrivée,  avec  le  mot 

Z t ✓ 

3 J j signifiant  des  roses , bien  que  cette  confusion  soit  faite,  même, 
en  Algérie,  par  des  Khouan  ignorants  et  illettrés,  qui  ne  voient  là 
qu’une  expression  figurée.  C’est  donc  à tort,  croyons-nous,  que  plu- 
sieurs auteurs  ont  rapproché  ce  mot  ouerd  de  la  rose  mystique  et  des 
roses-croix  de  la  franc-maçonnerie.  Mais,  ce  qui  est  possible,  c’est 

que  le  mot  latin  ordo  soit  de  la  même  famille  que  le  mot  arabe  j 
auquel  le  dictionnaire  donne  le  sens  de  « arriver  à l’abreuvoir.  » 

En  dernière  analyse,  le  mot  ouerd  se  résoudrait  à R.  D. , ce  qui 
d’après  un  système  que  nous  avons  développé  dans  nos  essais  de 
linguistique  berbère,  équivaut  aux  deux  lettres  racines  □ et  /\ 
c’est-à-dire  à : A = ad,  cum,  et  □ ar,  ire,  ce  qui  revient  à aditus 
ou  simul , ire , aller  vers,  aller  ensemble. 


— 65  — 

terme  est  même  plus  usité  que  le  premier,  du  moins  dans 
le  langage. 

Les  nuances  qui  séparent  les  deux  mots  sont  peu 
importantes  et  l’on  dit  indifféremment  Ouerd-Sidi-Abdel- 
qader  ou  Triqat-el-Qadria  (ordre  de  Si  Abdelqader).  Un 
individu  qui  se  fait  affilier  à un  ordre  religieux,  prend 
Vouer d de  Sid  N.  ; celui  qui  l’initie  donne  Vouer d.  Aussi, 
le  mot  ouerd  a-t-il  pris,  par  extension,  le  sens  de  ini- 
tiation ; en  réalité  V ouerd  est,  à la  fois,  la  doctrine  et  la 
règle  qui  constitue  la  voie. 

Elle  comporte,  comme  nous  l’avons  dit,  différentes 
étapes  ou  stations,  qu’il  n’est  pas  donné  à tous  les  ini- 
tiés de  franchir,  et  qui,  dans  le  langage  mystique,  ont 
des  noms  multiples  et  variables,  suivant  les  congréga- 
tions ou  les  pays. 

Beaucoup  d’ordres  admettent  sept  degrés  successifs, 
pour  amener  l’âme  à l’état  parfait,  d’autres  en  admettent 
moins.  Le  premier  degré  se  nomme  tantôt  la  loi , tantôt 
V initiation,  tantôt  V humanité  ; il  se  résume,  pratique- 
ment, à la  récitation  dikr  et  à quelques  pratiques  : c’est 
là  que  s’arrête  la  masse  des  Khouan. 

Puis,  viennent  les  divers  goûts  (v^Jji)  ou  degrés 
d’extase  ( ),  l’extase  passionnée,  l’extase  du  cœur, 

l’extase  de  l’âme  immatérielle,  l’extase  mystérieuse, 
l’extase  d’obsession.  Ces  cinq  stations,  souvent. réunies 
en  une,  forment  ce  que  d’autres  ordres  nomment  le 
Hal  (1)  ( Jla^î  = l’état)  ou  encore  le  Maqam  (^U^l  = 
station),  le  Haqq  (v .=  la  vérité),  etc. 


Les  Khouans  qui  expliquent  j par  rose,  ajoutent  que  cette  fleur 
a été  prise  pour  symbole  des  Associations  religieuses  parce  que  la 
rose  est  sainte,  comme  ayant  été  créée  de  la  sueur  du  Prophète. 

(1)  D’après  le  livre  des  définitions  de  Scherourdi  (voir  chap.  XVI), 
il  y a cette  différence  entre  les  Hal  et  les  maqam  que  « les  Hal  sont 
» de  purs  dons  de  Dieu  et  que  les  Maqam  sont  le  fruit  du  travail  ; 
» les  Hal  viennent  de  la  pure  libéralité  de  Dieu,  les  Maqam  s’ob- 
» tiennent  à force  d’efforts.  » Le  Hal  exprime  aussi  un  état  fixe  et 
durable,  le  Maqam  un  état  transitoire  ou  passager. 


5 


— 66  — 


Ces  degrés  sont  acquis  par  un  ascétisme  de  plus  en 
plus  sévère,  par  le  jeûne,  la  méditation,  les  veilles,  etc. 

Selon  son  avancement  dans  la  voie  spirituelle,  le  Mu- 
sulman prend  différents  noms,  variables  selon  les  pays 
et  les  auteurs. 

Au  début,  alors  qu’il  se  prépare  seulement  à entrer 
dans  la  voie  et  qu’il  n’a  encore  reçu  aucune  initiation, 
le  fidèle  est  dit  : Talamid  ( sLd»  ) disciple  et  mieux  assis- 
tant (de  A J = regarder % en  face)  c’est  celui  qui  se  prépare 
à l’admission  ; c’est  le  novice. 

Cette  admission  prononcée,  le  talamid  entré  dans  la 
voie  de  Dieu  est  dit  Mourid  ( àsy  ) aspirant  (de 
= demander j désirer) ; c’est  celui  qui  aspire  à Dieu  et 
le  désire  ; c’est  aussi  plus  simplement  l 'initié  > le  néo- 
phyte. 

Avançant  dans  la  voie  spirituelle,  le  mourid  devient 
Faqir  ( ) pauvre,  dans  le  sens  mystique  du  mot 
ainsi  défini  par  les  docteurs  : « Le  faqir  est  l’homme 
» réduit  au  néant,  c’est-à-dire  l’homme  dont  l’existence 
» est  soustraite  à ses  propres  regards  » ou  encore  : 
» celui  qui  s’est  choisi  lui-même  la  pauvreté  pour  par- 
» venir  à la  proximité  de  Dieu.  La  pauvreté  étant  le 
» commencement  du  Soufisme.  » 

Au-dessus  du  faqir  vient  le  Soujl  « celui  que  Dieu  lui- 
même  a choisi  pour  en  faire  l’objet  de  son  amour.  » Mais, 
pour  beaucoup  de  docteurs,  l’état  de  Soufi  indique  plutôt 
une  perfection  morale  qu’un  rang  déterminé  dans  la 
hiérarchie  spirituelle  ; nous  reviendrons  sur  ce  mot. 

Quand  le  Soufi  est  déjà  plus  avancé  dans  la  voie  de 
Dieu,  il  est  favorisé  de  visions  ou  révélations  surnatu- 
relles, qu'il  peut  comprendre  et  distinguer  (car  l’igno- 
rant est  souvent  le  jouet  de  songes  et  d’apparitions 
d’origine  satanique).  Arrivé  à ce  point,  le  Soufi  est  dit 
Salek  (^=JLJI)  le  marchant  dans  la  voie  ( vers  le  terme 
du  chemin  qui  mène  à Dieu);  son  esprit  affiné  plane  déjà 
au-dessus  des  pratiques  matérielles  du  culte. 

Enfin,  plus  près  de  Dieu  encore  est  le  Medjedoub 


— 67  — 

) le  ravi,  P attiré  (à  Dieu).  A lui  le  ravissement 
mystique,  l’habitude  des  visions  surnaturelles.  C’est 
l’homme  arrivé  au  moment  psychologique  où  l’équilibre 
est  rompu  entre  l’esprit  et  la  matière  et  où  l’âme  se  sent 
attirée  par  Dieu.  C’est  un  moment  critique  qui  se  traduit 
par  l’inspiration  ou  la  folie;  aussi  le  mot  Medjedoub 
est-il  souvent,  dans  le  langage  usuel,  synonyme  de  foUj 
comme  chez  nous  les  mots  inspirée  illuminé. 

Arrivé  à cet  état  de  dégagement  des  sens  qui  le  rend 
susceptible  de  recevoir  les  dons  divins  et  les  faveurs 
spontanées  de  la  Divinité,  le  fidèle  est  parfois  aussi  dit 
Mohammedi , c’est-à-dire  plein  de  l’esprit  du  Prophète.  Il 
est  alors  en  dehors  de  la  vie  matérielle;  la  vie  spirituelle 
seule  existe  pour  lui  et  les  pratiques  du  culte  cessent  de 
lui  être  nécessaires.  Le  khouan  Mohammedi  est  dans 
un  état  de  grâce  tel  qu’il  ne  peut  rien  faire  de  mieux  que 
de  s’absorber  dans  la  contemplation  entière  de  Dieu. 

Au-dessus  de  cet  état  de  Mohammedi,  il  y a encore 
l’état  de  béatitude  suprême  désigné  sous  le  nom  de 
Touliid  (confession  de  l’unité  de  Dieu)  ou  de  Marifa 
(connaissance). 

Le  khouan  Touhidi , ou  en  état  de  touhid,  est  tellement 
possédé  de  l’esprit  de  Dieu  qu’il  est  pour  ainsi  dire  iden- 
tifié avec  la  Divinité  et  qu’il  connaît  et  goûte  l’état  divin. 
Dans  ce  degré  sublime,  l’âme  humaine  perd  le  senti- 
ment de  son  individualité  et  celui  de  son  absorption  en 
Dieu,  « car,  sans  cela,  il  y aurait  pour  elle  une  dualité  et 
l’unité  ne  serait  pas  parfaite.  » C’est,  en  réalité,  sous  un 
autre  nom,  le  Nivwana  indien. 

t)n  retrouve  ainsi,  ici,  sans  le  moindre  changement, 
tous  les  termes  mystiques  de  la  langue  des  Soufi.  C’est 
qu’en  effet  les  ordres  religieux  ont  toujours  été  les  pro- 
pagateurs les  plus  ardents  du  Soufisme  dans  l’islam  et 
l’on  peut  d’un  mot  résumer  les  doctrines  des  congréga- 
nistes musulmans  en  disant  qu’elles  sont  celles  des 
Soufi. 

C’est  du  reste  ce  que  proclament  hautement  les  chefs 


des  ordres  religieux  et  leurs  moqaddem  quand  on  les 
interroge  sur  les  principes  qui  servent  de  base  à leur 
enseignement  mystique.  Ils  disent  tous  que  celui-là  est 
Soufi,  qui  adonné  à la  vie  contemplative  essaie  d’arriver, 
par  les  exercices  ascétiques,  l’obéissance  passive  envers 
les  supérieurs  et  le  renoncement  au  monde,  à l’illumi- 
nation de  l’esprit,  à la  quiétude  de  l’âme  et  à l’union 
intime  avec  Dieu,  grâce  à l’intermédiaire  des  différents 
chefs  spirituels  ou  saints  qu’ils  prennent  comme  patron. 
Cependant  les  chefs  religieux  ne  sont  pas  bien  d’accord 
sur  ce  qu’il  faut  avoir  perçu  ou  fait  pour  êfre  Soufi.  Les 
uns  estiment  qu’il  suffît  d’avoir  pratiqué  avec  ferveur  les 
œuvres  prescrites  et  les  autres  qu’il  faut,  pour  mériter 
ce  titre,  avoir  eu  des  visions  mystiques. 

Le  Soufisme,  en  effet,  n’est  ni  un  système  philoso- 
phique ni  une  secte  religieuse,  c’est  une  manière  de  vivre 
dans  un  état  de  pureté  parfaite.  Il  ne  comporte  ni  dogme, 
ni  règle  fixe,  ni  raisonnement,  ni  démonstration.  Il  puise 
son  existence  dans  1 e sentiment^  l’intuition > l’impression 
et  autres  données  vagues  et  indéfinissables.  Il  n’est  ni 
Musulman,  ni  Chrétien,  ni  Indien. 

Les  extraits  que  nous  donnerons  plus  loin  en  étudiant 
les  doctrines  particulières  des  principaux  ordres,  per- 
mettront de  se  rendre  un  compte  exact  de  ce  qu’il  est 
devenu  entre  les  mains  des  Congréganistes  musulmans. 
Mais  nous  pouvons,  dès  à présent,  donner  un  aperçu 
sommaire  de  la  façon  dont  les  docteurs  de  l’islam  com- 
prennent et  appliquent  le  Soufisme. 

Voici  d’abord  la  définition  que  donnait  au  XIVe  siècle 
l’orthodoxe  Ibn  Khaldoun  (1)  : 

« Ce  qui  forme  l’essence  de  tout  le  système  des  Soufis,  dit  Ibn 
» Khaldoun,  c’est  cette  pratique  d’obliger  souvent  l’âme  à se  rendre 
» compte  de  toutes  ses  actions  et  de  tout  ce  qu’elle  ne  fait  point,  et. 


(1)  Ibn  Khaldoun  est  né  à Tunis,  le  1er  ramdan  732  (mai  1332). 
Il  est  mort  le  25  ramdan  808  (mars  1406)  ; son  histoire  s’arrête  à 
1394  environ. 


» en  outre,  l’exposition  et  le  développement  de  ces  goûts  et  de  ces 
» extases  qui  naissent  des  eombats  livrés  aux  inclinations  naturelles, 
» puis  deviennent  pour  le  disciple  de  la  vie  spirituelle  des  stations 
» dans  lesquelles  il  s’élève  progressivement  en  passant  de  l’une  à 
» l’autre.  Le  dégagement  des  sens  arrive  le  plus  souvent  aux  hommes 
» qui  pratiquent  le  combat  spirituel,  et  alors  ils  obtiennent  une  per- 
» ception  de  la  véritable  nature  des  êtres,  car  la  méditation  est 
» comme  la  nourriture  qui  donne  la  croissance  à l’esprit.  Les  grands 
» personnages  mystiques  ne  font  point  de  cas  de  ce  dégagement  des 
» sens  ; ils  ne  révèlent  rien  de  ce  qu’ils  savent  sur  la  nature  réelle  et 
» secrète  d’aucune  chose,  quand  ils  n’ont  point  reçu  l’ordre  d’en 
» parler.  Les  modernes  ont  mis  un  grand  intérêt  à ce  dégagement  des 
» sens,  de  sorte  que  l’âme  parvienne  à jouir  de  la  faculté  de  perce- 
» voir  qui  lui  appartient  par  son  essence,  depuis  le  trône  de  Dieu 
» jusqu’à  la  plus  légère  pluie.  » 

« Les  notions  fournies  par  le  Soufisme,  dit-il  ailleurs  (1),  se  prêtent 
» encore  plus  difficilement  que  les  autres  à une  classification  scienti- 
» fique.  Cela  tient  à ce  que  les  Soufis  prétendent  résoudre  tous  les 
» problèmes  au  moyen  de  perceptions  obtenues  par  eux  dans  le 
» monde  spirituel,  et  qu’ils  évitent  l’emploi  de  la  démonstration. 
» Mais  on  sait  combien  les  inspirations  de  ce  genre  diffèrent  des 
» notions  fournies  par  les  sciences;  elles  ne  s’accordent  avec  celles-ci 
» ni  dans  leurs  tendances,  ni  dans  leurs  résultats.  » 

Voici  maintenant  comment  s’exprime  au  XIXe  siècle, 
à propos  du  Soufisme,  un  chef  d’ordre  religieux  algérien, 
le  chikh  Mohammed-el-Missoum,  khalifat  de  l’ordre  des 
chadelia  : 

« Les  devoirs  d’un  véritable  Souli  consistent  dans  l’accomplisse- 
» ment  des  prescriptions  de  Dieu  : jeûne,  prière,  aumône,  pèleri- 
» nage.  Connaître  Dieu  et  le  prier  sans  cesse,  en  proclamant  ses 
» louanges,  en  disant  : il  n’y  a pas  d’autre  divinité  qu’Allah  ; louange 
» à Dieu  ! Dieu  est  très  grand.  (On  peut  aussi  remplacer  « Dieu  est  très 
» grand  » par  l’un  des  autres  attributs  de  Dieu). 

» La  première  condition  pour  le  Soufi  est  de  mettre  entièrement  de 
» côté  ce  bas  monde  et  ceux  qui  l’habitent  ; c’est  d’avoir  continuelle- 
» ment  devant  les  yeux  la  vie  future,  d’oublier  l’orgueil  et  l’envie  ; 

» c'est  de  ne  point  s'exposer  à la  mort  dans  des  entreprises  au-dessus  de 
» ses  forces.  En  effet,  Dieu  a dit  : « Ne  travaillez  pas  à votre  mort.  » 


(1)  Prolégomènes,  p.  170-171,  trad.  de  Slane. 


» Tous  les  efforts  du  Soufi  doivent  tendre  à trouver  sur  terre  une 
» place  où  il  pourra  librement  et  sûrement  s’occuper  de  ses  exercices 
» de  piété. 

» Tels  sont  les  véritables  principes  du  Soufisme  : toute  autre  doc- 
» trine  est  fausse.  » 

Certes,  il  y a des  marabouts  non  congréganistes  qui 
se  conforment  à cette  règle  cle  conduite  et  qui  cherchent, 
par  un  ascétisme  rigoureux  et  une  vie  exemplaire,  à 
acquérir,  après  leur  mort,  le  renom  de  Ouali  ; mais  tous 
les  marabouts  ne  pratiquent  pas  le  Soufisme  : il  en  est  qui 
vivent  comme  tout  le  monde  et  qui,  bien  que  donnant 
l’exemple  des  vertus  islamiques,  ne  se  livrent  à aucun 
de  ces  exercices  surérogateurs  si  chers  aux  mystiques. 

Il  est  au  contraire  bien  rare  de  ne  pas  rencontrer  le 
Soufisme  comme  le  modèle  proposé,  aux  initiés  d’élite, 
dans  tous  les  ordres  religieux. 

Nous  avons  dit  déjà  que  ce  titre  de  Soufi  avait  été  pris 
du  vivant  même  du  Prophète,  par  les  gens  qui  furent 
à la  fois  ses  premiers  adeptes  et  le  noyau  du  premier 
ordre  religieux  fondé  : celui  des  Seddikia. 

Le  Soufisme  se  développa  plus  tard,  en  partie  par  les 
mêmes  causes  qui  amenèrent  la  formation  des  associa- 
tions religieuses. 

Le  Soufisme,  dit  M.  Dugat  (1)  « naquit,  dans  l’Islamisme, 
» d’une  réaction  contre  le  laisser-aller  d’une  vie  dissipée 
» et  mondaine,  produite  par  l’accumulation  des  riches- 
» ses,  par  suite  des  conquêtes  musulmanes  et,  plus  tard, 
» contre  la  corruption  du  clergé  musulman,  qui  s’était 
» enrichi  dans  son  monopole  des  fonctions  scolaires, 
» juridiques  et  religieuses.  » 

Ce  fut  là  l’origine  des  marabouts  locaux,  d’abord  sim- 
ples ascètes  qui  moururent  en  odeur  de  sainteté,  mais 
dont  les  descendants  n’imitèrent  ni  la  simplicité  ni  l’aus- 


(1)  Dugat,  Histoire  des  philosophes  et  des  théologiens  musulmans , 
page  336. 


térité,  et  qui  finirent  par  devenir  ces  seigneurs  religieux 
dont  nous  avons,  ailleurs,  signalé  l’importance. 

Ce  n’était  pas  là  ce  que  recherchaient  les  Soufi,  et  ils 
comprirent  bien  vite  que,  pour  que  la  réaction  qu’ils 
essayaient  fût  efficace,  il  fallait  autre  chose  que  des 
exemples  individuels,  ou  que  les  enseignements  dogma- 
tiques faits  du  haut  de  la  chaire.  Ils  pensèrent  donc,  de 
bonne  heure,  à grouper  leurs  efforts  en  se  réunissant  en 
association  religieuse,  et  en  mettant  au  service  de  la 
diffusion  et  de  la  propagation  de  leurs  idées  philosophi- 
ques, la  force  immense  que  donnent  le  nombre  et  la 
discipline. 

L’important  était  d’avoir  beaucoup  d’adhérents.  Pour 
cela,  les  ordres  religieux  se  montrèrent  excessivement 
habiles  ; au  lieu  d’effaroucher  les  gens  en  leur  parlant  de 
vertus  transcendantes,  ou  d’austérités  qui  n’ont  en  elles- 
mêmes  rien  de  bien  séduisant,  les  chefs  et  moqaddem 
se  sont  bornés  à vanter  les  mérites  surnaturels  des  priè- 
res qu’ils  enseignent,  et  les  grâces  spéciales  attachées 
au  titre  de  khouan,  faqir  (1)  ou  d envi  ch  (2).  (Ces  trois 
mots  sont  identiques.) 

L’initiation  faite,  les  dignitaires  choisissent  leurs  su- 
jets et,  avec  une  merveilleuse  souplesse,  ils  adaptent 
leur  enseignement  aux  facultés  morales  des  disciples, 
donnant  à chacun  les  satisfactions  spirituelles  qui  con- 
viennent à ses  aspirations. 

La  rigidité  de  la  règle  des  ordres  religieux  musulmans 
n’existe  que  sur  deux  ou  trois  points  : l’obéissance  au 
cheikh,  le  secret  en  ce  qui  concerne  les  affaires  de  l’or- 
dre, la  solidarité  avec  les  autres  khouan  ; hors  de  là  il  y 


(1)  Le  faqir  est  le  pauvre,  l’humble  : souvent  des  Musulmans 
non  khouan  terminent  leurs  lettres  par  cette  formule  : le  pauvre 

devant  Dieu  k’j  ^jJî  jJLaJî . 

(2)  Derwich  est  un  mot  turc  ayant  le  même  sens  de  pauvre,  men- 
diant. — On  dit  surtout  faqir  dans  l’extrême  Est,  derwich  en  Turquie 
et  khouan  dans  le  nord  de  l’Afrique. 


— 72 


a,  dans  la  pratique,  une  grande  élasticité  pour  l’applica- 
tion de  l’ouerd.  Les  chioukh  et  les  moqaddem,  comme 
tous  les  personnages  religieux  d’un  rang  un  peu  élevé, 
excellent  dans  l’art  de  conduire  les  hommes,  et  savent 
faire  la  part  des  besoins  et  des  passions  de  chacun,  lors- 
que cela  peut  être  profitable  à l’ordre.  Pour  eux,  il  y a 
des  accommodements  avec  le  ciel,  et  le  néophyte,  sans 
même  se  douter  des  prévenances  dont  il  est  l’objet,  ne 
reçoit,  jamais  de  la  règle  et  de  l’initiation,  que  ce  qui 
convient  à son  tempéramment  spirituel.  A l’esprit  étroit 
du  « bigot,  » l’ouerd  applique  ses  pratiques  minutieuses 
d’un  dikr  absorbant  ; pour  l’esprit  faible,  il  a les  talismans 
et  les  pratiques  superstitieuses,  si  chères  aux  ignorants 
et  aux  malheureux;  pour  le  mystique,  les  énivrements 
de  l’extase  religieuse  amenée  par  des  procédés  habiles  ; 
à l’homme  sérieux,  il  offre  sa  morale  épurée  et  une  aus- 
térité qui  rappelle  celle  des  Ouahbites,  sans  toutefois 
tomber  dans  l’hérésie;  au  savant,  il  offre  des  livres  et 
des  doctrines  de  philosophie  spéculative  ; aux  faibles  et 
aux  opprimés,  il  promet  l’appui  et  la  force  d’une  asso- 
ciation toute  puissante.  Et,  ce  qu’il  y a de  remar- 
quable, c’est  qu’il  n’est  même  pas  nécessaire  de  s’a- 
dresser pour  cela  à des  ordres  différents  : chaque 
congrégation  a,  dans  l’habile  application  de  ses  statuts, 
les  moyens  de  se  mettre  à la  portée  de  toutes  les 
intelligences,  de  tous  les  caractères  et  de  toutes  les 
situations  sociales. 

La  profonde  ignorance  de  la  plupart  des  khouan  ne 
leur  permettrait  pas,  d’ailleurs,  d’aborder  le  niveau  des 
conceptions  et  des  idées  philosophiques  auxquelles  s’élè- 
vent leurs  directeurs  spirituels. 

Les  concessions,  faites  vis-à-vis  de  certaines  indivi- 
dualités qu’il  y a intérêt  à ménager  ou  à s’attacher, 
n’empêchent  pas  les  chefs  d’ordre  de  toujours  pré- 
coniser bien  haut,  dans  leurs  écrits  et  dans  leurs 
exhortations  : le  renoncement  au  monde,  la  solitude, 
le  silence,  la  méditation,  les  mortifications,  les  veil- 


les,  la  prière  continue,  enfin  l’ascétisme  sous  ses 
diverses  formes,  ainsi  que  les  vertus,  négatives  et 
anti-sociales,  qui  font  les  Saints  et  dans  lesquelles  se 
complaisent  les  mystiques  de  toutes  les  religions  et  de 
tous  les  pays. 

Heureusement,  nous  l’avons  dit,  il  y a dans  l’applica- 
tion des  tempéraments  politiques,  et  il  s’en  faut  de  beau- 
coup  que,  même  la  majorité  des  khouan,  soit  tenue 
de  se  livrer  à tous  les  exercices  soi-disant  reli- 
gieux. En  réalité,  il  n’y  a qu'un  nombre  relativement 
restreint  qui  pénètre  assez  avant  dans  le  Soufisme, 
pour  subir  effectivement  l’influence  néfaste  de  ces  doc- 
trines dissolvantes  qui,  sous  prétexte  d’honorer  le 
Créateur,  atrophient  l’intelligence  et  les  forces  utiles  de 
la  créature. 

Aussi,  les  conséquences  pratiques  sont-elles  moins 
graves  qu’on  ne  serait  porté  à le  croire,  d’après  ce  que 
nous  avons  dit. 

Au  point  de  vue  philosophique,  l’influence  des  ordres 
religieux  a même  été  profitable  à l’Islam  car,  à côté  de 
cet  idéal  chimérique  montré  comme  objectif  à quelques 
natures  exceptionnelles,  ces  ordres  ont,  pour  la  généra- 
lité, un  enseignement  qui  n’a  rien  de  mauvais. 

Les  livres,  qui,  dans  chacun  d’eux,  renferment  l’exposé 
des  principes  formulés  par  le  fondateur  et  les  instruc- 
tions à donner  aux  adeptes,  contiennent,  en  général, 
d’excellents  conseils  et  des  exhortations  à pratiquer  une 
morale,  plus  épurée  et  plus  élevée  que  celle  du  Coran  ; 
morale  qui  se  rapproche,  par  beaucoup  de  points,  de 
celle  prêchée  par  les  moralistes  ou  les  philosophes  chré- 
tiens. On  peut  même  dire,  d’une  façon  absolue,  que  les 
chefs  des  congrégations  musulmanes  ont,  de  la  morale 
et  de  la  vertu,  un  souci  et  une  préoccupation  qu’on  ne 
rencontre  pas,  au  même  degré,  chez  les  autres  mara- 
bouts non  congréganistes,  ou  investis  de  fonctions  sa- 
cerdotales officielles. 

On  sait,  du  reste,  que  l’influence  du  Soufisme,  dans 


— 74  — 


les  premiers  siècles  de  l’Islam,  fut  très  salutaire.  On  a 
été  jusqu’à  dire  que  « les  Soufi  pouvaient  être  regardés 
» comme  les  fondateurs  de  la  morale  en  Orient  (1).  » Lors- 
que, à Bagdad,  ils  s’allièrent  aux  orthodoxes  pour  défen- 
dre la  sonna,  leur  conduite,  leur  désintéressement,  leur 
piété  produisirent  un  effet  des  plus  salutaires  sur  les 
mœurs  de  la  société  musulmane  ; bon  nombre  d’entre 
eux  furent  honorés  par  les  khalifes  de  Bagdad,  et  sont 
restés  de  grands  Saints,  révérés  par  toutes  les  commu- 
nions de  l’Islam. 

En  Algérie,  l’influence  des  ordres  religieux  n’a  pas 
toujours  été  mauvaise;  l’hostilité  qu’ils  nous  ont  témoi- 
gnée et  le  danger  que  certains  d’entre  eux  peuvent  cons- 
tituer, vis-à-vis  de  notre  politique  et  de  notre  action  civi- 
lisatrice, ne  doivent  pas  nous  faire  oublier  les  services 
qu’ils  ont  pu  rendre  aux  populations.  Ce  que  les  Daï,  ou 
missionnaires  ouahbites  avaient  déjà  fait,  aux  premiers 
siècles  de  l’Hégire,  pour  adoucir  les  mœurs  des  Berbè- 
res revenus  presque  à l’état  sauvage,  ce  que  les  mara- 
bouts libres  recommencèrent,  plus  tard,  lorsque  l’Isla- 
misme orthodoxe  étendit  son  action  sur  tout  le  nord  de 
l’Afrique,  les  congrégations  religieuses  l’ont  entrepris  à 
leur  tour,  depuis  un  siècle  environ,  alors  que  les  fils  de 
ces  premiers  marabouts,  devenus  des  individualités  plus 
ou  moins  puissantes,  se  cantonnèrent  dans  la  jouissance 
des  revenus  acquis  par  leurs  ancêtres,  et  délaissèrent 
l’œuvre  pieuse  du  prosélytisme. 

On  cite  plus  d’une  tribu,  où  le  développement  des  con- 
grégalions  religieuses  a mis  fin  à des  guerres  sanglantes 
et  à des  divisions  sans  cesse  renaissantes. 

La  grande  autorité  des  moqaddem  et  l’esprit  de  disci- 
pline qu’ils  ont  inculqué  à leurs  disciples  ont,  plus  d’une 
fois,  empêché  des  fractions  entières  de  se  jeter  dans  des 
luttes  de  soff,  sans  issue  ni  profit  pour  ceux  qui  y pre- 
naient part. 


(1)  M.  Dugat,  loco  citato. 


— 75  — 


Lorsque  l’élément  français  est  intervenu,  les  choses 
ont  pu  se  modifier,  mais,  même  encore  depuis  1830,  nous 
avons,  plus  d’une  fois,  dû  à la  sagesse  de  chefs  d’ordre 
religieux,  de  voir  avorter  des  insurrections  partielles,  ou 
de  pouvoir  maintenir  dans  le  devoir,  sans  déploiement 
de  troupes,  des  fractions  frémissantes  et  disposées  à 
prendre  les  armes  contre  nous.  Que  cette  conduite  ait  été 
inspirée  par  des  raisons  d’intérêts  privés  bien  compris 
et  bien  raisonnés,  et  non  pas  par  sympathie  réelle  pour 
nous,  cela  est  certain,  mais  le  résultat  n’en  a pas  moins 
été  profitable  et  aux  populations  indigènes  et  à nous- 
mêmes.  Tous  les  ordres,  du  reste,  ont  comme  principe 
écrit  de  se  tenir  en  dehors  des  affaires  politiques, 
mais  on  sait  comment,  en  tous  pays,  les  commu- 
nautés religieuses  entendent  l’abstention  en  matière  po- 
litique, et  il  serait  puéril  d’insister  sur  le  peu  de  valeur 
de  ces  déclarations  de  principes  dans  la  bouche  des 
Musulmans. 

D’autre  part,  ce  que  nous  avons  dit,  de  la  Règle  et  de 
la  façon  dont  les  chefs  d’ordre  en  faisaient  application, 
nous  dispense  d’entrer  dans  de  plus  amples  considéra- 
tions sur  l’esprit  général  des  doctrines  professées  par 
les  diverses  congrégations  qui  ont  des  adeptes  en 
Algérie  : c’est  seulement  en  abordant  l’exposé  des 
détails,  spéciaux  à chacune  d’elles,  que  nous  pour- 
rons nous  rendre  un  compte  exact  de  leurs  tendances 
particulières,  et  des  raisons  qui  doivent  nous  porter 
à nous  montrer  plus  ou  moins  tolérants  vis-à-vis  de 
telle  ou  telle. 

Disons  seulement  ici,  que  ce  qui  différencie  surtout 
l’enseignement  doctrinal  de  chacune  d’elles,  c’est  l’em- 
ploi de  pratiques  de  dévotions  ou  de  prières  spéciales  et 
la  préférence  marquée,  par  le  fondateur  de  l’ordre,  pour 
certaines  vertus  privilégiées  ou  certains  idéals  qui  res- 
tent proposés  comme  objectif  aux  adeptes.  Ainsi  : chez 
les  Qadrya,  la  doctrine  recommande  surtout  la  charité  ; 
chez  les  Khelouatya,  l’isolement  et  la  retraite  ; chez  les 


— 76  — 


Aïssaoua,  le  mysticisme  (prouvé  par  l’insensibilité  phy- 
sique); chez  les  Bektachya,  l’humilité  ; chez  les  Derkaoua, 
la  pauvreté  et  l’éloignement  des  détenteurs  du  pouvoir  ; 
chez  les  Taïbya,  la  vénération  et  le  dévouement  aux  des- 
cendants du  Prophète;  chez  les  Tidjanya,  la  tolérance; 
chez  les  Snoussya,  la  suprématie  théocratique  et  le  pa- 
nislamisme, etc.,  etc. 


t 


— 77  — 


CHAPITRE  VII 

ORGANISATION  & FONCTIONNEMENT 

DES  ORDRES  RELIGIEUX 

(RÈGLES,  PRATIQUES,  RITUELS) 


La  tendance  qu’ont  les  ordres  religieux  musulmans  à 
développer  chez  leurs  adeptes  l’amour  de  la  vie  contem- 
plative, est  certainement  le  côté  le  plus  attaquable  de 
leurs  doctrines  ; car  elle  contribue , dans  une  large 
mesure,  à atrophier  l’intelligence  des  Khouan,  et  à les 
immobiliser  dans  une  paresse  improductive,  qui  les 
éloigne  de  tout  progrès  et  de  tous  rapports  avec  les 
Européens. 

C’est  ainsi,  du  reste,  qu’on  voit  dans  l’histoire  de 
l’Islam  l’extension  et  l’envahissement  des  doctrines 
Soufistes  amener  partout  la  diminution  de  l’énergie  in- 
tellectuelle des  savants  arabes,  et  la  décadence  des 
écoles  philosophiques  musulmanes  qui  avaient  jeté  jadis 
un  si  grand  éclat. 

Mais,  quelque  fâcheuse  que  puisse  être  cette  action 
néfaste  et  dissolvante  du  Soufisme  propagé  aujourd’hui 
par  tous  les  ordres  religieux,  à des  degrés  différents, 
cela  n’est  rien  encore  en  comparaison  du  danger  qui 
résulte  pour  la  chose  publique  et  pour  les  gouvernants, 
musulmans  ou  chrétiens,  de  l’organisation  spéciale  de 
ces  congrégations  et  des  obligations  que  la  règle  impose 
aux  adeptes. 

Cette  organisation  est  la  même,  à quelques  détails 
près,  pour  tous  les  ordres  musulmans;  elle  est  très 


78  — 


simple,  mais  aussi  très  vigoureusement  constituée,  et 
rappelle,  par  certains  points,  celle  des  grands  ordres 
religieux  catholiques. 

En  tête,  est  l’héritier  spirituel  du  fondateur  de  l’ordre, 
le  successeur  de  l’imam  et-triqa  : on  le  nomme  Moulay- 
Triqa,  Cheikh-Triqa,  Khalifat-el-Ouerd  et,  aussi 

« le  Cheikh  » sans  épithète.  C’est  le  supérieur  général,  le 
grand  maître,  le  général,  le  chef  de  l’ordre.  Il  réside,  le 
plus  souvent,  à l’endroit  où  est  le  tombeau  du  Saint  fon- 
dateur de  l’ordre,  ou  dans  le  principal  établissement  de 
la  congrégation  qu’il  dirige. 

Quelquefois,  le  chef  de  l’ordre  a,  pour  le  suppléer  dans 
les  pays  trop  éloignés,  des  coadjuteurs,  ou  vicaires- 
généraux,  auxquels  il  donne  une  partie  de  ses  pouvoirs. 
Ces  délégués,  auxquels  la  piété  des  fidèles  donne  le  nom 
de  Chikh  sont  dits  les  Khelifat  ou  les  Naïb  (1)  du  chef 
de  l’ordre. 

Au-dessous  de  lui,  le  Cheikh  a un  nombre  variable 
de  moqaddem  (2),  ou  prieurs,  souvent  aussi  appelés 
« Cheikh  »,  qui  ont  qualité  pour  conférer  YOuerdj  c’est- 
à-dire  donner  l’initiation,  soit  sur  une  étendue  de  pays 
déterminée,  soit  à tous  ceux  qui  s’adressent  à eux. 

Les  moqaddem  ont  quelquefois,  pour  les  assister 
et  assurer  leurs  relations  avec  le  chef  de  l’ordre,  les 
autres  moqaddem,  ou  les  Khouan,  des  agents  su- 


(î)  Ces  deux  mots  sont  synonymes;  le  sens  propre  de 
(Khelifa)  est,  d’après  la  racine  « celui  qui  vient  immédiatement  après  », 
le  suppléant  ; celui  de  est  « le  remplaçant.  » Les  deux  mots  se 

traduisent  indifféremment  par  : lieutenant,  vicaire,  substitut,  sup- 
pléant, représentant,  etc. 

(2)  Le  moqaddem  est  « celui  qui  est  mis  en  avant  » ; le  mot 

prieur  traduit  fidèlement  cette  expression  qui,  dans  d’autres  cas,  doit 
se  rendre  par  : préposé , chef,  curateur,  tuteur  d'office  ’ chef  de  file,  etc. 

Nota.  — La  transcription  de  ce  mot  est  en  français  moqaddem;  c’est 
par  suite  d’une  faute  de  correction  qu’il  a été  écrit  précédemment 
avec  une  autre  orthographe. 


— 79  — 


balternes,  toujours  choisis  parmi  les  affiliés  et  qui  por- 
tent, selon  les  ordres,  les  noms  de  chaouch , reqqab  (1) 
ou  naqib  (2). 

Les  simples  membres  des  ordres  religieux  portent, 
presque  toujours,  le  nom  de  Khouan  (frères),  et  rare- 
ment celui  de  Mourid  (3)  ( adepte,  initié ) qui  est  aussi 
celui  donné  au  novice  non  encore  admis,  au  néophyte,  à 
l’aspirant  Khouan. 

Les  moqaddem,  en  parlant  de  leurs  Khouan,  les  nom- 
ment Ashab  ( ),  les  compagnons  les  amis.  Parfois 

aussi  ils  complètent  cette  désignation  en  disant  : Ashab 
el-Jltoua,  compagnons  de  la  décision;  Ashab  el-beçat, 
compagnons  du  tapis  ou  de  la  natte  (servant  à la  prière)  ; 
Ashab  et-triqa,  compagnons  de  la  voie;  Ashab  ebh- 
chedd,  compagnons  du  zèle,  du  lien  à la  même  foi; 
Ashab  el-ied,  compagnons  de  la  main.  Ils  disent  aussi, 
pour  l’ensemble  de  l’ordre,.  Ahl  et-triqa,  les  gens  de  la 
voie,  etc. 

En  dehors  des  Khouan  et  des  néophytes  en  instance 
d’initiation,  plusieurs  congrégations  ont  encore  des  ser- 
viteurs religieux  (Kreddam).  Ce  sont  de  simples  clients, 
politiques  plutôt  que  religieux.  Ils  ne  reçoivent  pas  le 
dikr,  mais  ils  adoptent  le  chapelet  spécial  à l’ordre  et, 
quelquefois,  certaines  prières.  Ils  apportent  des  ziara  et 
ont  des  mots  de  ralliement  secrets  pour  se  faire  agréer 
et  protéger  par  les  Khouan.  Ce  sont,  en  quelque  sorte, 
les  membres  laïques  de  l’ordre,  analogues  aux  frères 
convers  ou  aux  jésuites  à robe  courte. 


(1)  Le  Reqqab  est  le  courrier  à pied  (v >lij)  de  v Aj  battre  la 

campagne,  aller  à la  découverte,  observer,  épier. 

(2)  Naqib  v préposé,  chef  (dans  le  style  soutenu),  de  la  racine 

v JL J (percer  à jour)  d’où,  au  figuré,  v JLJ  (examiner  scrupuleuse- 

ment). 

* 

(3)  (Mourid)  est  l’aspirant,  l’initié,  le  novice,  le  néophyte  ; de 
la  racine  i ^ t (désirer) . 


— 80  — 

Disons  maintenant  un  mot  du  mode  de  nomination  aux 
diverses  fonctions  occupées  par  les  membres  des  con- 
grégations religieuses. 

Le  chef  de  l’ordre  désigne,  presque  toujours,  de  son 
vivant,  son  successeur  spirituel;  cependant,  par  imita- 
tion du  Prophète,  qui  n’avait  pas.  réglé  le  mode  de  suc- 
cession au  pouvoir  suprême,  certains  chefs  d’ordre  lais- 
sent ce  soin  aux  moqaddem  réunis  qui,  alors,  procèdent 
par  élection. 

C’est  ce  qui  est  arrivé  dans  l’ordre  de  Si  Abderrahman- 
bou-Qobréin,  et  ce  qui  a amené  les  divisions  à la  suite 
desquelles  l’unité  de  direction  a disparu  au  profit  d’un 
certain  nombre  de  cheikhs  ou  moqaddem  principaux 
devenus,  dans  l’ordre,  les  chefs  d’autant  de  congréga- 
tions distinctes. 

Mais  le  plus  grand  nombre  des  chefs  d’ordre  religieux, 
se  basant  au  contraire  sur  l’exemple  du  khalifa  Abou- 
Beker,  qui  a lui-même  désigné  Omar.-ben-el-Khattab 
pour  son  successeur,  ont  soin  de  confier,  de  leur  vivant, 
à l’homme  de  leur  choix,  l’héritage  spirituel  qu’ils  ont 
reçu  de  leur  prédécesseur. 

Ce  choix  porte  quelquefois  sur  un  membre  de  la  famille 
du  chef  de  l’ordre,  surtout  si  le  fondateur  est  cherif,  c’est 
ce  qui  a lieu  chez  les  Qadria,  les  Taïbya  et  quelques 
autres.  Toutefois,  la  nécessité  de  n’avoir  pour  chefs 
d’ordre  que  des  hommes  d’élite  a fait  presque  partout 
admettre  dans  la  règle  que  la  haute  direction  de  la  com- 
munauté, n’était  pas  l’apanage  exclusif  de  la  famille  du 
fondateur.  Cela  n’empêche  en  rien  les  descendants  d’un 
cheikh  de  conserver,  comme  marabouts  et  du  fait  de 
leur  ancêtre,  un  grand  prestige  auprès  des  fidèles,  soit 
qu’ils  remplissent  des  fonctions  en  sous-ordre  dans  la 
congrégation,  soit  même  qu’ils  n’en  fassent  plus  partie. 

Par  ce  moyen,  les  intérêts  supérieurs  de  l’ordre 
peuvent  être  bien  mieux  sauvegardés,  et  le  supérieur 
général. a plus  de  facilité  pour  rencontrer  l’homme  à qui 
peuvent  être  confiées  les  hautes  et  difficiles  fonctions  de 


— 81  — 


chef  d’une  communauté  religieuse.  Son  choix  se  porte 
toujours  sur  un  homme  savant  et  déjà  âgé,  dont  la  vie  a 
été  irréprochable,  dont  tous  les  actes  ont  été  inspirés 
par  la  crainte  de  Dieu,  et  qui  a su  s’attirer  le  respect  de 
tous  les  Khouan. 

Ce  qu’on  recherche  surtout  chez  lui,  c’est  l’esprit  de 
conduite  et  l’aptitude  spéciale  au  gouvernement  des 
hommes  ; ce  n’est  pas  un  honneur  ou  une  récompense 
qu’il  s’agit  de  conférer  au  plus  méritant,  c’est  l’intérêt  de 
la  communauté  qu’il  faut  sauvegarder  par  tous  les 
moyens,  en  en  confiant  la  défense  au  plus  fort,  au  plus 
habile,  à celui  dont  l’autorité  s’imposera  à tous  dès  le 
premier  jour,  sans  difficulté  ni  résistance. 

Aussi,  presque  tous  les  chefs  d’ordres  musulmans 
sont-ils  des  hommes  réellement  supérieurs,  et  surtout 
des  diplomates  hors  ligne. 

En  Algérie,  leur  correspondance  politique  avec  l’auto- 
rité française  est  tout-à-fait  remarquable,  et  il  est  peu 
de  chancelleries  européennes  qui  aient  des  rédacteurs 
plus  habiles  dans  l’art  de  tout  dire,  et  surtout  de  tout 
cacher,  sous  des  phrases  polies,  correctes  et  parlemen- 
taires. Même  dans  les  ordres,  où  l’hérédité  des  fonctions 
dans  la  famille  du  fondateur  peut  amener  au  pouvoir  des 
hommes  d’une  valeur  moindre,  la  direction  suprême 
n’en  est  pas  moins  entourée  de  certaines  garanties.  Les 
grands  moqaddem,  intéressés  à la  prospérité  de  la  com- 
munauté, savent  toujours  s’arranger  pour  imposer,  au 
chef  incapable,  un  entourage  intelligent  qui  ne  paraît 
pas,  mais  qui,  en  réalité,  garde  la  gestion  des  intérêts 
généraux  de  l’ordre,  et  s’efforce  de  maintenir  le  cheikh 
dans  une  ligne  de  conduite  convenable. 

Dans  la  plupart  des  instituts  religieux,  le  supérieur 
général  se  prépare,  par  la  retraite,  le  jeûne  et  la  prière,  à 
la  cérémonie  de  la  désignation  de  son  successeur.  Après 
ces  préliminaires  indispensables,  il  réunit  auprès  de  lui 
les  moqaddem  importants  et  le  plus  grand  nombre  pos- 
sible de  Khouan,  et  il  leur  déclare,  qu’après  avoir  dé- 
fi 


— 82 


mandé  au  Prophète  de  guider  son  choix,  il  estime  que 
celui  de  ses  disciples  qui  lui  paraît  réunir  les  conditions 
voulues,  pour  faire  prospérer  la  communauté,  en  main- 
tenant les  traditions  du  fondateur,  et  la  pureté  de  la 
doctrine,  est  le  nommé  un  tel.  Et  il  leur  demande 
d’agréer  cette  désignation. 

Cette  formalité  remplie,  le  consentement  est  toujours 
donné  séance  tenante  et  à l’unanimité,  et  le  cheikh 
donne,  ou  montre,  un  écrit  qui,  à sa  mort,  constituera  la 
nomination  irrévocable  de  son  successeur.  Cette  nomi- 
nation est  désignée  en  arabe  par  le  mot  Idjaza . 

A Constantinople  (et  en  pays  musulman),  certains 
ordres  demandent  au  Souverain,  ou  plutôt  au  Cheikh-el- 
Jslam,  ou  grand  Muphti,  la  confirmation  de  cette  nomi- 
nation, confirmation  qui  ne  se  refuse  jamais,  l’adhésion 
du  souverain  ou  de  son  délégué  n’étant,  dans  ce  cas, 
que  la  réponse  forcée  d’un  prince  musulman  à un  acte 
de  déférence  accompli  par  une  communauté  religieuse 
orthodoxe. 

Les  nominations  des  moqaddem  sont  également  en- 
tourées de  nombreuses  précautions,  et  il  est  bien  rare 
qu’un  chef  d’ordre  impose  un  moqaddem  qui  n’aurait 
pas  été  présenté,  d’abord,  par  les  Khouan  intéressés. 
On  peut  même  dire  qu’en  général  les  Khouan  élisent 
leurs  moqaddem  et  présentent  leur  choix  à la  ratification 
du  chef  de  l’ordre.  Mais  celui-ci,  seul,  ou  ses  khalifat 
confèrent  le  diplôme  de  moqaddem. 

Ce  diplôme  n’est  pas  un  document  banal,  une  simple 
lettre  de  service,  il  est  au  contraire  souvent  très  long  et 
peut  renfermer  : la  chaîne  complète  des  Saints  qui  ont 
transmis  la  doctrine  au  fondateur  de  l’ordre  ; puis  celle 
des  cheiks  qui  se  sont  succédés  à la  tète  de  la  congré- 
gation; enfin,  il  contient,  sous  forme  d’instruction 
( ouassia  un  résumé  de  l’ouerd,  comme  doctrine, 

recommandations  et  pratiques  religieuses. 

Ce  sont  des  pièces  généralement  très  soignées  au 
point  de  vue  de  la  calligraphie  ; ceux  de  l’ordre  de  qadrya, 


— 83  — 


— qui  ont  plus  de  2 mètres  de  long,  — sont  très  remar- 
quables. 

Il  y a toujours  un  moqaddem  à la  tète  de  chaque  zaouïa 
ou  monastère;  mais  il  y a aussi  des  moqaddem  sans 
zaouïa.  Les  uns  sont  sédentaires  et  chargés  d’une  région 
déterminée,  autour  de  leur  résidence.  Les  autres  sont 
voyageurs  et  remplissent  des  missions  de  propagande 
ou  de  diplomatie  dans  l’intérêt  de  l’ordre. 

Bien  qu’en  fait  la  direction  effective  d’une  zaouïa,  qui 
quelquefois  compte  plusieurs  professeurs,  donne  tou- 
jours un  relief  particulier  au  supérieur  de  cette  zaouïa, 
les  moqaddem  ont,  tous,  les  mêmes  attributions  spi- 
rituelles : chacun  d’eux  est  le  « maître  éducateur  » 

JL-j  y Jl  (cheikh  et-Terbia)  (1)  de  ses  Khouan.  Leur  au- 

C" 

torité  à tous,  sur  les  adeptes  de  l’ordre,  est  considérable  ; 
leur  influence  et  leur  importance  seules  varient,  en 
raison  de  leur  valeur  morale  et  de  leurs  capacités. 

Il  existe  aussi  quelques  moqaddem  choisis  parmi  des 
gens  en  évidence,  bien  vus  de  l’autorité  française,  et  qui 
semblent  peu  faits  pour  ces  fonctions,  dont  ils  acceptent 
les  bénéfices  sans  montrer  un  zèle  exclusif  pour  les 
intérêts  religieux  de  la  communauté.  Il  semble  que  ces 
choix  sont  dus  à des  considérations  politiques  ayant 
pour  point  de  départ,  chez  certains  chefs  d’ordre,,  le 
désir  de  nous  montrer  la  parfaite  innocuité  des  gens  qui 
suivent  leur  voie.  Derrière  ces  moqaddem,  en  quelque 
sorte  officiels,  et  véritables  hommes  de  paille,  se  dissi- 
mule souvent,  dans  les  rangs  subalternes  de  l’entou- 
rage, un  coadjuteur  qui  a charge  de  sauvegarder  les 
intérêts  religieux  de  la  congrégation. 

Les  moqaddem  sont  chargés  de  conférer  l’ouerd,  c’est- 
à-dire  de  recruter  les  membres  de  l’ordre.  Ils  doivent 
aussi  recueillir  le  produit  des  offrandes  ou  cotisations 


(1)  ÿ est  l’éducation  des  enfants,  des  hommes,  des  animaux  ou 
des  plantes  (de  ^ j élever,  nourrir,  faire  prospérer  et  grandir). 


84  — 


religieuses,  et  les  faire  parvenir  au  chef  de  Tordre  ou  à 
son  khalifa. 

Une  ou  deux  fois  par  an,  et  chaque  fois  qu’ils  en  sont 
requis,  ils  se  réunissent  en  assemblée,  ou  « chapitre  » 
auprès  du  cheikh  Mouley  Triqa,  ou  de  son  khalifa,  et, 
lorsqu’ils  ne  peuvent  s’y  rendre  eux-mêmes,  ils  se  font 
représenter  par  un  suppléant  choisi,  avec  l’agrément  du 
cheikh,  parmi  les  plus  intelligents  et  les  plus  sûrs  des 
Khouan. 

Ces  assemblées  se  nomment  liadra  (1).  On  y traite 
toutes  les  questions  intéressant  la  communauté.  Le 
grand  maître  de  Tordre  encaisse  les  revenus,  vérifie  la 
gestion  des  moqaddem,  donne  des  instructions,  délivre 
les  lettres-patentes,  nommant  les  nouveaux  cheikhs  pré- 
sentés par  les  Kbouan,  et  les  investit  lui-même  s’ils  sont 
présents.  Puis  il  renvoie  les  membres  du  chapitre,  avec 
des  lettres  pastorales  ou  des  mandements,  donnant  sa 
baraka  (bénédiction)  à tous  les  Khouan.  Souvent  aussi, 
il  y joint  une  provision  de  chapelets  bénits,  et  ayant 
plus  ou  moins  touché  le  tombeau  du  Prophète,  ou,  tout 
au  moins,  celui  du  Saint,  fondateur  de  la  congrégation. 

De  retour  chez  lui,  chaque  moqaddem  réunit  à 
son  tour  les  khouan,  en  une  autre  assemblée,  ou 
synode,  qui  prend  les  noms  de  Djelala  (2)  ou  de  io jj 


(1)  hadra , présence,  assistance,  réunion,  assemblée  et 
quelquefois,  par  extension,  fête  en  l’honneur  d’un  marabout  (de^^ 
hcider  être  présent,  assister  à) . 

(2)  Djelala  signifie  une  chose  importante,  du  verbe  J.9.  djal  (être 

grand,  majestueux,  important  au  moral),  d’où  Djelal,  affaire 

grave,  meilleure  et  majeure  partie  d’une  chose. 

Le  mot  synode  qui  signifie  « réunion  des  prêtres  d’un  diocèse,  » 
traduit  bien  le  mot  djelala,  mais  il  ne  rend  pas  cette  idée  de  glorifi- 
cation (de  Dieu)  que  contient  le  mot  Djelala.  — A Alger,  les  simples 
Djelala  prennent  souvent  le  nom  de  Hadra. 

Un  taleb,  trop  ingénieux,  nous  a donné,  pour  le  mot  djelala,  une 
autre  étymologie  qui,  si  elle  n’est  pas  vraie,  montre  au  moins 
combien  les  indigènes  ignorants  sont  peu  embarrassés  pour  fournir 


— 85  — 


Zerda  (1).  Là  il  offre  un  repas  aux  khouan,  leur  expose 
le  résultat  de  la  hadra,  leur  lit  les  lettres  du  cheikh,  et 
stimule  le  zèle  de  chacun.  La  cérémonie  se  termine  par 
un  défilé  général  des,  khouan  qui,  l’un  après  l’autre, 
viennent  embrasser  la  tête  du  moqaddem,  assis , et 
déposer  une  offrande  extraordinaire  sur  le  plateau  qui 
leur  est  présenté. 

Parfois  dans  ces  hadra  on  se  livre,  dans  l’intérêt  de  la 
caisse  de  l’ordre,  à un  commerce  assez  curieux  et  qui 
n’est  pas  sans  analogie  avec  nos  « ventes  de  charité.  » 
On  met  aux  enchères  des  amulettes  ou  objets  bénis  par 
le  grand  maître  de  l’ordre  et  comme  tels  emportant  avec 
eux  une  partie  de  la  Baraka  du  saint  fondateur.  Il  n’est 
pas  rare  de  voir  alors,  un  chapelet  ou  une  simple  gre- 
nade s’élever  à des  prix  fabuleux. 

C’est  encore  dans  ces  sortes  d’assemblées  que  se  font 
les  cérémonies  d’initiation  des  nouveaux  adeptes.  Ces 
cérémonies  varient  un  peu,  selon  les  ordres,  mais  elles 
comportent  toujours  quelques-unes  des  pratiques  habi- 
tuelles à toutes  les  sociétés  mystiques. 


une  explication  de  ce  qu'ils  ne  comprennent  pas.  Selon  ce  taleb,  le 
mot  djelala  vient  de  djelal  (couverture  et,  spécialement,  couverture 
de  cheval)  parce  que,  habituellement,  pour  que  l’on  voit  bien  ce  que 
chaque  invité  donne  à la  quête  finale,  le  moqaddem  couvre  son  pla- 
teau ou  tambour  de  basque,  de  son  mouchoir  ; lorsque  le  khouan  a 
mis  son  offrande,  le  moqaddem  crie  : « Merci  un  tel  pour  tant  d’ar- 
gent que  tu  as  donné  » puis  il  tire  le  djelal  et  le  replace  sur  la  tota- 
lité déjà  reçue,  pour  continuer  ainsi  jusqu’au  dernier  adepte. 

(1)  La  Zerda  est  toute  réunion  solennelle  ayant  un  but  religieux.  — 
Ojj  vient  de  avaler  une  bouchée.  La  zerda  étant  toujours 

accompagnée  d’un  repas,  ce  mot  est  pris  souvent  dans  le  sens  de 
banquet,  agapes. 

En  effet,  la  zerda  est  aussi  le  repas  que  les  fidèles  prennent  en 
commun,  en  commémoration  de  la  naissance  ou  de  la  mort  d’un 
saint,  près  du  tombeau  ou  de  la  qobba  de  ce  saint.  La  traduction  cor- 
recte de  ce  mot  serait  donc  agapes  ; elles  existent  dans  tous  les  pays 
musulmans.  Voir  dans  Hanoteau  et  Letourneux,  la  Kabylie  et  les  Cou- 
tumes kabyles,  t.  II,  p.  52,  ce  que  ces  agapes  musulmanes  sont  aujour- 
d’hui en  Kabylie. 


— 86  — 


Le  néophyte  s’est  d’abord  préparé  par  le  jeûne,  la  re- 
traite, la  prière,  l’aumône,  etc.,  puis  il  a été,  pendant  plu- 
sieurs jours,  catéchisé  et  instruit  des  demandes  et  répon- 
ses qu’il  aura  à faire  ; son  éducation  spirituelle  est  déjà 
commencée  quand  il  se  présente  officiellement,  en  séance 
solennelle,  assisté  de  deux  khouan  qui  le  patronnent. 

La  première  obligation  que  lui  impose  le  moqaddem 
c’est  de  s’engager  par  serment:  1°  à une  discrétion  abso- 
lue sur  tout  ce  qui  intéresse  les  hommes  ou  les  choses 
touchant  à la  congrégation  ; 2°  à une  obéissance  complète 
aux  constitutions  de  l’ordre  et  aux  injonctions  de  son 
moqaddem.  Puis,  vient  généralement  la  profession  de 
foi  islamique,  la  proclamation  des  sept  attributs  de 
Dieu.  Il  est  fait  ensuite,  au  néophyte,  une  instruction, 
plus  ou  moins  complète,  sur  les  obligations  que  com- 
porte son  admission  dans  l’ordre,  après  quoi,  on  lui  révèle 
le  dikr  ou  prière  spéciale  de  l’ordre.  Enfin,  l’assemblée 
réunie  récite  la  fatha  sur  le  néophyte,  qui  donne  le  baiser 
de  paix  à ses  nouveaux  frères  ou  le  reçoit  d’eux. 

Tout  ceci  est  accompagné  d’un  cérémonial,  spécial  à 
chaque  ordre,  et  entremêlé  de  prières,  faites  par  le  cheikh 
ou  par  toute  l’assemblée.  Tantôt,  le  cheikh  prend  les 
mains  du  récipiendaire  et  les  garde  dans  les  siennes  pen- 
dant un  certain  temps,  tantôt  il  lui  fait  revêtir  un  manteau 
ou  un  turban  de  couleur  et  de  forme  spéciales,  tantôt, 
enfin,  il  lui  donne  l’accolade,  ou  lui  impose  les  mains. 

Dans  cetains  ordres,  comme  ceux  des  Rahmanya, 
des  Qadria,  etc.,  l’initiation  est  facile  et  les  épreuves 
courtes.  Dans  d’autres,  comme  les  Maoulaya  et  les 
Bektachya  de  Turquie,  il  faut  un  véritable  noviciat  de 
mille  et  un  jours,  pendant  lesquels  le  candidat  est,  ou 
employé  aux  plus  humbles  fonctions  de  la  domesticité, 
ou  aux  épreuves  les  plus  pénibles.  Ce  n’est  qu’après  ce 
noviciat  effectif  qu’a  lieu  la  cérémonie  « Telqin  » (1). 


(1)  telqin,  nom  d’action  du  verbe  ^-à_J  leqqan,  endoc- 

triner quelqu’un,  lui  faire  la  leçon. 


87  — 


Les  réunions  des  khouan  auprès  de  leur  moqaddem 
ont  lieu,  quand  c’est  possible,  à époques  fixes  ; dans  les 
villes,  la  djelala  ou  hadra  locale  se  tient  toutes  les  se- 
maines. La  séance  est  employée  à prier  en  commun, 
suivant  le  rituel  de  l’ordre,  à lire  des  passages  du  Coran 
et  des  livres  de  doctrine,  à écouter  les  instructions  ou 
le  « prêche  » du  moqaddem  et,  enfin,  à accomplir  les 
cérémonies  spéciales  à l’ordre,  telles  que  chants,  musi- 
que, danse  et  autres  exercices. 

Ces  réunions  se  passent  toujours  dans  un  ordre  par- 
fait. Le  moqaddem,  président,  assis  au  milieu  du  cercle, 
ou. sur  une  estrade,  ne  se  lève  que  pour  les  prières.  Il  a 
près  de  lui,  pour  l’assister  et  diriger  les  membres  de 
l’assemblée,  tout  un  personnel  de  khouan  investis  par 
lui  de  fonctions  permanentes  et  bien  définies  : 

C’est  d’abord  : le  maître  des  cérémonies  ou  cheikh-el- 
hadrüj  qui,  dans  certains  ordres,  est  doublé  d’un  imam 
plus  particulièrement  chargé  de  la  conduite  des  prières. 

Puis  viennent:  les  chaouch;  les  chantres  ou  improvi- 
sateurs (meddah),,  les  lecteurs  de  poèmes  sacrés  ( kes • 
sad )j  les  porte-étendards  ( allam );  et,  enfin,  les  khouan 
chargés  du  service  des  rafraîchissements  (. sakka )_,  les- 
quels ont  aussi  la  responsabilité  de  la  cuisine  et  des 
distributions,  lorsque  la  réunion  comporte  un  repas. 

Tous  ces  emplois  sont  recherchés  des  khouan  et  rem- 
plis, non  pas  seulement  avec  sérieux,  mais  avec  convic- 
tion et  comme  devoirs  religieux. 

C’est  qu’en  effet  il  n’est  pas  une  de  ces  fonctions  qui 
n’ait  sa  raison  d’être,  comme  pratique  imitative  des  ac- 
tes de  la  vie  d’un  Saint  musulman.  Ainsi,  le  fait  de  don- 
ner des  rafraîchissements  est  destiné  à rappeler  que 
plusieurs  derwiches,  ou  soufi  fameux,  se  firent  les  ser- 
viteurs des  pauvres,  en  se  promenant  dans  les  rues, 
porteurs  d’une  outre  dont  ils  distribuaient  l’eau  aux  pas- 
sants altérés. 

Le  personnel  organisé  pour  les  hadra  ou  djelala  n’est 


— 88  — 


pas  le  seul  qui  soit  à la  disposition  des  moqaddem,  pour 
le  service  habituel  de  l’ordre. 

Outre  son  vicaire  et  suppléant,  appelé  neqib,  tout 
cheikh  a des  reqqab,  un  oukil  s’il  est  chef  de  zaouïa,  et 
quelquefois  des  aides  féminins  appelés  moqaddemat. 

L’oukil  est  l’économe  ou  l’intendant  chargé  de  toute 
la  gestion,  en  deniers,  matériel  ou  cheptel  du  monas- 
tère. Il  a de  gros  intérêts  en  mains,  aussi  est-ce  toujours 
un  personnage  d’une  certaine  importance,  choisi  parmi 
les  khouan  d’élite. 

Le  reqqab  est  à la  fois  le  courrier  diplomatique  et  le 
« missus  dominicus.  » Il  sert  à toutes  les  relations  entre 
le  moqaddem,  le  chef  d’ordre  et  les  khouan.  Les  lettres 
qu’il  porte  sont,  le  plus  souvent,  banales  et,  à priori, 
sans  importance  ; mais  le  cachet  du  moqaddem  et  cer- 
taines phrases  conventionnelles  servent  à accréditer  le 
reqqab,  comme  homme  de  confiance  et  fondé  de  pou- 
voirs du  cheikh.  Aussi  est-il,  sur  sa  route,  accueilli  avec 
respect  et  déférence  par  tous  les  khouan  de  l’ordre. 

C’est  presque  toujours  verbalement  que  le  reqqab  doit 
remplir  sa  mission,  et  souvent  il  doit  parcourir  rapide- 
ment de  très  longues  distances,  sans  éveiller  l’attention 
ni  des  agents  de  l’autorité  politique,  ni  des  Musulmans 
étrangers  à l’ordre.  Pour  eux,  son  caractère  de  req- 
qab doit  être  ignoré,  et  sa  marche  doit  être  assez  rapide 
pour  pouvoir,  le  cas  échéant,  devancer  ceux  qui  auraient 
intérêt  à entraver  sa  mission,  ou  échapper  à ceux  qui  le 
poursuivraient. 

Plusieurs  ordres  religieux,  tels  que  les  rahmanya, 
tedjanya,  qadrya,  aïssaoua,  etc.,  admettent  des  femmes 
qui  portent  le  titre  de  « sœurs  » (khouatât). 

Elles  sont  soumises  aux  devoirs  et  aux  pratiques  de 
l’ordre,  assistent  aux  réunions  avec  les  hommes,  en  se 
tenant  un  peu  à part,  ou  ont  des  réunions  particulières. 
Les  plus  intelligentes  d’entre  elles  peuvent  être  nom- 
mées moqaddemat  et,  dans  ce  cas,  bien  que  soumises 
en  tout  aux  moqaddem,  dont  elles  ne  sont  que  les  neqib 


— 89  — 


féminins,  elles  ont  ordinairement  pour  fonction  d’initier 
les  nouvelles  adeptes,  et  de  présider  leurs  réunions,  ou 
d’assister  le  moqaddem,  quand  celui-ci  préside  lui- 
même. 

Les  moqaddemat  n’existent  guère  que  dans  les  agglo- 
mérations de  Khouan.  Aussi,  le  moqaddem  initie-t-il 
souvent,  lui-même,  les  femmes  qui  demandent  l’ouerd; 
l’initiation  se  fait  alors  en  présence  des  autres  khouatat 
et,  rarement,  dans  les  réunions  d’hommes. 

Quant  aux  Khouan,  ou  adeptes,  s’ils  ont  tous  les 
mêmes  devoirs  et  les  mêmes  obligations,  s’ils  sont  bien 
réellement  soumis  à la  même  règle,  l’égalité  qui  existe 
entre  eux  n’empêche  pas  qu’il  y ait,  dans  le  degré  d’ini- 
tiation à cette  règle,  des  différences  très  notables,  selon 
les  capacités  intellectuelles,  l’instruction  ou  la  moralité 
desdits  Khouan. 

Tout  chef  d’ordre  ou  tout  moqaddem  exerçant  réelle- 
ment les  fonctions  de  maître  éducateur  (cheikh  et-terbia) 
classe,  en  effet,  ses  disciples  (gandouz)  (1)  en  trois  caté- 
gories: V élite  de  V élite  (2)  (Mourid  khiar  el-khaoua)  ; 
V élite  (Mourid  khiar);  le  vulgaire  (Mourid  El-Amma). 

L’initiation  est  toujours  progressive  et  proportionnée 
à l’intelligence  : 


« Lorsque  l’adepte  est  d’une  nature  vulgaire,  il  convient  qu’il  ne 
» soit  initié  aux  préceptes  que  progressivement,  aussi  ne  faut-il  lui 
» imposer  que  des  prières  faciles,  jusqu’à  ce  que  son  âme  soit  forti- 
» fiée  et  affermie  par  degrés.  Alors  on  augmente  l’enseignement  en  y 
» ajoutant  des  invocations  parle  Prophète.....  lorsque  les  fruits  pro- 
» duits  par  la  pratique  de  l’invocation-  dite  du  dikr  et  par  une  foi 


(1)  j jjji  (Gandouz),  au  pluriel  ( Guenadez ),  corruption  barba- 

resque  de  s’amender,  arriver  à résipiscence . 

(2)  Les  G-uenadez  de  la  première  catégorie  sont  dits  aussi 

( Khouan- es- Salekin) , de  ^XIw  (Sellek)  se  tirer 

d’afFaire,  être  quitte,  faire  son  chemin.  L’expression 
sera  exactement  traduite  par  : Frères  profès. 


— 90  — 


» profonde,  ont  effacé  les  impuretés  de  Pâme,  lorsque  par  les  yeux  du 
» cœur,  on  ne  voit,  dans  ce  monde  et  dans  l’autre,  que  l’Être  unique, 
» alors  on  peut  aborder  la  prière,  etc.  (1).  » 


En  réalité,  la  masse  des  Khouan,  le  « vulgum  pecus  » 
de  la  troisième  catégorie,  se  borne  à recevoir  le  dikr  ou 
la  prière  spéciale  à l’ordre,  et  la  notion  rigoureuse  de  ses 
obligations,  morales  et  matérielles,  vis-à-vis  de  la  con- 
grégation. 

Il  est  vrai  que  ce  dikr  doit  lui  procurer  le  salut  éternel 
dans  l’autre  monde,  et  que  l’accomplissement  de  ces 
obligations  lui  assure  l’aide  et  la  protection  de  tous  les 
membres  de  la  communauté. 

L’ouerd,  ou  la  règle,  impose  en  effet,  à tous  les  adeptes, 
des  obligations  étroites  vis-à-vis  du  cheikh,  des  moqad- 
dem  et  des  autres  Khouan. 

Les  devoirs  envers  le  moqaddem  se  résument,  dans 
toutes  les  congrégations  musulmanes,  sans  exception, 
en  cette  « obéissance  absolue  » que  définit  si  énergique- 
ment le  « perindè  ac  cadaver  » des  Jésuites.  La  formule 
arabe  est  du  reste  absolument  la  même  : 


« Tu  seras  entre  les  mains  de  ton  cheik  comme  le  cadavre  entre 
» les  mains  du  laveur  (des  morts) 

» Obéis  lui  en  tout  ce  qu’il  a ordonné, 

» car  c'est  Dieu  même  qui  commande  par  sa  voix,  lui  désobéir  c’est 
» encourir  la  colère  de  Dieu.  N’oublie  pas  que  tu  es  son  esclave  et 
» que  tu  ne  dois  lien  faire  sans  son  ordre. 

» Le  cheikh  est  l’homme  chéri  de  Dieu  ; il  est  supérieur  à toutes 
» les  autres  créatures  et  prend  rang  après  les  Prophètes.  Ne  vois 
» donc  que  lui,  lui  partout.  Bannis  de  ton  cœur  tonte  autre  pensée 
» que  celle  qui  aurait  Dieu  ou  le  cheikh  pour  objet  (2).  » 

La  confiance  dans  le  cheikh  doit  être  entière.  « Son 


(1)  Extrait  d'une  citation  faite  par  le  cheikh  Si  Snoussi  dans  le 
« Livre  de  ses  appuis  »,  page  21  de  la  traduction  de  M.  Colas. 

(2)  Extrait  des  « Présents  dominicaux  »,  ou  Règle  des  Rahmania , 
déjà  cités  par  M.  Brosselard  et  par  MM.  Hanoteau  et  Letourneux. 


— 91  — 


» image,  dit  Si  Snoussi  (1),  doit  toujours  être  présente  à 
» la  pensée  de  l’adepte,  sans  cesse  soumis  à ses  pres- 
» criptions.  Ce  soutien  le  sauve  de  ce  qui  peut  être  aussi 
» mortel  pour  son  âme  que  la  dent  d’un  lion  féroce  peut 
» être  dangereuse  pour  son  corps. 

» De  même,  dit  Bou-Goubrin,  qu’un  malade  ne  doit 
» avoir  rien  de  caché  pour  le  médecin  de  son  corps,  de 
» même  tu  es  tenu  de  ne  dérober  au  cheikh  aucune  de 
» tes  pensées,  aucune  de  tes  paroles,  aucune  de  tes 
» actions.  Le  cheikh  est  le  médecin  de  ton  âme.  » 

Cette  confiance  exclut,  de  la  part  de  l’adepte,  toute 
initiative,  tout  raisonnement:  « Il  doit,  selon  Djenidi, 
» tenir  son  cœur  enchaîné  à son  cheikh...,  écarter  de 
» l’esprit  tout  raisonnnement  bon  ou  mauvais,  sans 
» l’analyser,  ni  rechercher  sa  portée,  dans  la  crainte  que 
» le  libre  cours  donné  aux  méditations  ne  conduise  à 
» l’erreur.  » 

Il  est  inutile  d’étendre  ces  citations,  qui  ne  seraient 
que  des  répétitions  avec  quelques  variétés  d’expression  ; 
le  but  humain  de  tout  ordre  religieux  étant  toujours, 
d’annihiler  les  volontés  particulières  des  adeptes,  et 
d’absorber  les  individualités,  au  profit  de  l’œuvre  imper- 
sonnelle poursuivie  par  la  communauté. 

Cette  soumission  est  d’autant  plus  complète,  qu’elle 
est  toujours  librement  consentie  par  ceux  qui  viennent 
se  confier  à la  direction  spirituelle  des  moqaddem,  et 
que  le  fidèle  croit  accomplir  un  acte  d’intérêt  personnel, 
puisqu’il  s’agit  du  salut  de  son  âme. 

Les  devoirs  réciproques  des  Khouan  sont,  dans  tous 
les  ordres,  ceux  que  la  nature  et  les  liens  du  sang  impo- 
sent à des  frères  : un  dévouement  et  une  ^affection  sans 
bornes,  une  charité  que  rien  ne  rebute,  une  solidarité 
poussée,  dans  certains  ordres,  jusqu’au  communisme  : 


(1)  Si  Senoussi,  loco  citato,  p.  26. 


— 92  — 

« les  affiliés  (des  Ghadelya)  se  caractéristent  par  l’amitié 
» qu’ils  se  vouent  les  uns  aux  autres,  par  leur  habitude 
» de  ne  rien  se  restituer.  » 

Dans  les  « Présents  dominicaux,  » ou  développement 
de  la  règle  des  Rahmanya  (1),  le  cheikh  s’adressant  au 
néophyte  doit  lui  donner  à cet  égard  les  instructions 
suivantes  : 

« Mon  enfant  ! tu  serviras  tes  frères  avec  dévouement.  Les  servir, 
» c’est  pour  toi  comme  un  titre  de  noblesse. 

» Tu  fermeras  les  yeux  sur  leurs  défauts,  et  tu  cacheras  leurs  fau- 
» tes,  si  tu  les  connais.  Celui  qui  dévoile  les  actions  coupables  de 
» ses  frères  détache  le  voile  qui  couvre  ses  propres  péchés. 

» Aime  ceux  qui  les  aiment,  déteste  ceux  qui  les  haïssent,  car  vous 
» ne  formez  tous  qu’une  seule  et  même  âme. 

» Pardonne-leur  les  offenses  dont  ils  peuvent  se  rendre  coupa - 
» blés  envers  toi. 

» Ferme  ton  oreille  au  mal  qu’on  pourrait  te  dire  sur  leur  compte. 

» Assiste-les  dans  la  maladie,  viens  à leur  aide  dans  l’adversité. 

» Garde-toi,  dans  tes  rapports  avec  tes  frères,  de  l’hypocrisie,  du 
» mensonge  et  de  l’orgueil. 

» Soustrais  ton  cœur  à l’envie,  car  l’envie  consume  les  bonnes  œu- 
» vres  comme  le  feu  consume  le  bois. 

» Quand  tu  parles  de  tes  frères,  applique-toi  à vanter  leurs  mérites 
» et  fais  voir  que  tu  es  fier  de  leur  confraternité. 

» Pense  avec  eux  d’un  même  esprit  ; agis  avec  eux  d’un  même 
» cœur  ; avance  d’un  même  pas  dans  la  voie  du  salut  des  âmes,  dans 
» cette  voie  tracée  par  le  fondateur  de  l’ordre,  le  plus  grand  des  hom- 
» mes,  sur  la  terre,  après  le  Prophète. 

» Lorsque  tu  parles  de  la  société  à laquelle  tu  es  lié  par  tes  ser- 
» ments,  souviens-toi  qu’il  est  convenable  et  digne  de  l’élever  au- 
» dessus  de  toutes  les  autres.  » 

Ces  prescriptions,  qui  sont  sensiblement  les  mêmes 
dans  tous  les  ordres,  sont  exécutées  scrupuleusement 
par  les  Khouan,  car  les  obligations  imposées  ont  pour 
compensation,  non-seulement  les  services  rendus  par  la 
collectivité  à tous  les  instants  de  la  vie,  mais  encore 
l’assurance  formelle  de  bénéficier,  dans  l’autre  monde, 


(1)  Cités  par  M.  Brosselard  et  par  MM.  Hanoteau  et  Letourneux. 


93  — 


des  prières  faites  en  commun  dans  les  réunions  des 
Khouan. 

Or,  tout  Musulman  est  convaincu  que  les  prières  fai- 
tes en  commun  ont  plus  d’efficacité  que  les  autres,  et 
que  Dieu  y a attaché  des  mérites  particuliers.  Et  ce  n’est 
pas  seulement  des  prières  ainsi  faites,  d’une  façon  géné- 
rale, que  bénéficie  le  Khouan  ; dans  la  plupart  des  or- 
dres, quand  un  malheur  frappe  un  des  adeptes,  tous  les 
frères  qui  en  ont  connaissance  doivent  se  réunir  et  réci- 
ter, plusieurs  fois  dans  la  journée,  des  chapitres  du 
Coran,  ou  les  prières  spéciales  « dont  ils  ont  les  secrets 
» particuliers.  » 

Cette  solidarité  étroite,  née  à la  fois  de  l’intérêt  maté- 
riel et  de  l’intérêt  spirituel,  ne  contribue  pas  peu  à com- 
pléter l’effacement  de  la  personnalité  du  Khouan,  car, 
non-seulement  il  appartient  à son  cheikh,  mais  il  appar- 
tient encore  à ses  frères,  dont  il  peut  espérer  tant  de 
bienfaits  s’il  reste  dans  la  voie  tracée. 

Les  pratiques  de  dévotion  que  l’ouerd  impose  aux 
Khouan  sont  conçues  dans  le  même  esprit  ; elles  achè- 
vent l’œuvre  d’anéantissement  de  l’individu. 

Ces  pratiques,  plus  ou  moins  obligatoires  selon  les 
ordres,  mais  toujours  méritoires,  sont  les  suivantes,  en 
commençant  par  la  moins  importante  : 

Le  renoncement  au  monde  ( azlet  an  en-nas , ^ 3! 

y-UI)  ; 

La  retraite  ( el-kheloua , ) ; 

La  veille  (es-salu^  ) ; 

L’abstinence  ( es-siam>  ; 

L’assistance  aux  réunions  ( hadra > zerda , djelala 

iWs.  iOjj  ; 

La  ziara 

La  hadia  ( Aj  j^I); 

Le  dikr  (jS  'i). 


94  — 


Des  quatre  premières  nous  ne  dirons  rien,  sinon  qu’elles 
font  partie  de  ces  procédés  habituels  d’entraînement 
mystique,  dans  lesquels  l’état  morbide  et  l’excitation 
nerveuse  jouent  un  si  grand  rôle  et  facilitent  d’autant  la 
tâche  des  directeurs  spirituels. 

Nous  avons  vu,  d’autre  part,  ce  qu’étaient  ces  réunions 
de  Khouan,  et  comment  elles  se  liaient  avec  la  percep- 
tion d’aumônes  religieuses. 

Quant  à la  ziara,  proprement  dite,  nous  l’avons  définie 
en  parlant  des  marabouts  libres.  Celle  qui  incombe  aux 
Khouan  n’en  diffère  que  par  son  caractère  obligatoire,  et 
par  la  fixité  de  son  quantum  égal  pour  tous  et  déterminé 
de  façon  à en  rendre  le  paiement  facile  aux  fortunes  les 
plus  modestes.  Ici  la  ziara  n’est  plus  un  hommage  rendu 
à un  personnage  religieux,  c’est  la  cotisation  due  par  le 
membre  d’une  association  constituée.  Le  moqaddem 
envoie  la  percevoir  par  ses  chaouch  au  domicile  du 
Khouan  retardataire  ; car  c’est  le  prix  du  concours  ma- 
tériel et  spirituel  que  la  congrégation  assurera  à un  mo- 
ment donné. 

Les  pauvres  « frères  » subissent  ces  exigences  sans 
montrer  aucune  mauvaise  humeur  : « ce  n’est  pas  à 
» l’homme  que  nous  donnons,  disent-ils,  c’est  à Dieu  ; » 
et  ils  livrent  leurs  offrandes  avec  une  extrême  facilité. 

En  Algérie,  la  perception  des  ziara  a été  tout  d’abord 
réglementée  par  l’autorité  française  qui,  dès  les  premiers 
jours  de  l’occupation,  les  a soumises  à l’autorisation 
préalable,  sans  d’ailleurs  jamais  en  reconnaître  la  légiti- 
mité ni  intervenir  en  quoi  que  ce  soit  dans  cette  percep- 
tion, si  ce  n’est  plus  tard,  pour  protéger  au  besoin  les 
individualités  désireuses  de  se  dégager  de  ces  obliga- 
tions. Puis,  peu  à peu  le  nombre  de  ces  autorisations  a 
été  réduit  ; au  lieu  d’être  données,  sur  place  et  sans 
formalité,  par  les  autorités  locales,  elles  n’ont  plus  été 
accordées  que  par  les  Commandants  de  subdivision,  et 
même  dans  ces  dernières  années  par  les  Généraux  de 
division  et  les  Préfets.  Tout  récemment,  en  1880,  M.  Al- 


— 95 


bert  Grévy  a retiré  à ces  fonctionnaires  ce  droit  d’auto- 
risation et  il  a posé  en  principe  que  les  ziara  seraient 
partout  interdites  et  assimilées  à des  actes  de  mendicité, 
sauf  dans  le  cas  exceptionnel  oü,  pour  des  raisons  poli- 
tiques d’ordre  supérieur,  le  Gouverneur  croirait  devoir 
les  autoriser.  En  fait,  ces  autorisations  n’ont  dès  lors  été 
accordées  que  très  rarement  (1). 

Ces  mesures  restrictives,  il  faut  bien  le  dire,  n’empè- 
chent  nullement  les  ziara  d’être  perçues,  car  les  Khouan, 
engagés  par  leur  conscience,  et  par  leur  serment  reli- 
gieux à les  faire  parvenir  à leurs  moqaddem  s’arrangent 
toujours  pour  s’acquitter  de  ce  qu’ils  considèrent  comme 
une  dette  sacrée.  Mais  les  entraves,  que  nous  apportons 
à ces  perceptions  limitent  le  nombre  des  offrandes  et 
permettent  aux  tièdes  et  aux  hésitants  de  se  dégager 
plus  facilement;  elles  ont  en  outre  le  grand  avantage 
d’empêcher  dans  une  certaine  mesure,  ces  allées  et 
venues  de  moqaddem  et  d’émissaires  qui  vont  réveiller 
le  zèle  religieux  et  appauvrir  les  populations.  Aussi,  au 
fond,  la  majorité  des  indigènes  ne  nous  sait  pas  trop 
mauvais  gré  de  ces  entraves. 

Par  contre,  au  Maroc,  où  ces  ziara  sont  entièrement 
libres,  elles  donnent  lieu  à des  abus  dont  on  a peine  à se 
rendre  compte.  On  a vu  des  chefs  d’ordre  se  rendre  chez 
des  cultivateurs  généralement  peu  aisés  et  y prélever 
leurs  offrandes  comme  de  véritables  impôts  ; et  ces  pau- 
vres paysans  de  leur  répondre  : « Prenez  ce  que  vous 
» voudrez  ; votre  khalifa,  votre  naïb,  votre  moqaddem 
» sont  déjà  venus  ; nous  leur  avons  donné  et  notre  rede- 


(1)  Une  fois  au  Cherif  d’Ouazzan,  grand  maître  des  Taïbya,  sur  la 
demande  de  notre  Ministre  de  France  à Tanger,  et  pour  Si  Abdesse- 
lem  ou  son  fils  seulement  et  non  pas  pour  scs  moqaddem  ; une  autre 
fois  au  grand  maître  des  Zianin,  de  Kenadna,  en  récompense  de  ser- 
vices rendus  pendant  l’insurrection.  — Enfin,  deux  autres  fois  : à 
Tidjani,  grand  maître  des  Tidjanya,  et  à Si  Ali-ben-Otsman,  de  Tol- 
ga,  grand  maître  des  Rahmanya  du  Sud.  En  tout  quatre  fois,  et,  nous 
le  rappelons,  en  récompense  de  services  rendus. 


» vance  et  le  plus  que  nous  pouvions  ; il  ne  nous  reste 
» presque  rien,  mais  peu  importe,  prenez  ce  que  vous 
» désirez,  puisez  à votre  discrétion  : tout  est  à Dieu,  il 
» est  le  plus  sage,  il  est  le  dispensateur  et  le  rénuméra- 
» teur.  » 

Ces  exigences  et  ces  rapacités  des  chefs  religieux, 
congréganistes  ou  non,  sont  une  des  principales  causes 
de  la  misère  qui  règne  en  permanence  dans  la  plupart 
des  États  musulmans  et  spécialement  au  Maroc  où 
abondent  les  représentants  des  divers  ordres  religieux, 
les  marabouts  locaux,  et  les  Gherfa,  ou  descendants  du 
Prophète  qui  sont  à la  fois  chefs  de  Khouan  et  mara- 
bouts par  excellence  (1). 

En  dehors  du  paiement  de  la  ziara,  le  Khouan  peut, 
dans  certains  cas  avoir  à payer  une  autre  redevance 
appelée  Hadia  (£j  = don,  cadeau). 

La  Hadia  est,  à proprement  parler,  l'offrande  expia- 
toire ou  l’amende  imposée  au  profit  de  la  caisse  de  la 
congrégation,  à tout  Khouan  qui  a commis  une  infrac- 
tion à la  règle,  a manqué  à ses  devoirs,  ou  demande  à 
rentrer  dans  la  communauté  après  en  avoir  abandonné 
les  pratiques. 

Cette  hadia  est  toujours  en  rapport  avec  la  fortune  du 
Khouan  à qui  elle  est  imposée. 

La  hadia  est  aussi  l’aumône,  religieuse  et  propitiatoire , 
que  les  moqaddem  sont  dans  l’habitude  de  se  faire  don- 
ner, en  temps  de  troubles  et  d’insurrection,  par  les 
agents  politiques  et  chefs  indigènes  qui  refusent  de  faire 
cause  commune  avec  les  Khouan  ; que  ces  chefs  indigè- 
nes fassent  ou  non  partie  de  la  congrégation,  peu  im- 
porte. 

Beaucoup  de  chefs  donnent  cette  hadia,  de  leur  propre 
mouvement,  sous  forme  d’un  cadeau  consistant  en  un 
cheval,  en  un  objet  mobilier,  ou  même  en  argent.  Bien 


(1)  Voir  chapitre  XXIV  : Cheikha,  un  aperçu  de  ce  qu’étaient  il  y 
a 25  ou  30  ans  ces  redevances  en  Algérie. 


peu  osent  refuser,  car  cet  acte  de  déférence  vis-à-vis  de 
l’idée  religieuse,  que  représente  le  moqaddem,  assure  à 
l’agent  qui  s’y  soumet  certains  ménagements  en  cas  d’in- 
succès : cela  lui  donne  la  certitude  de  n’ètre  pas,  au 
début  du  mouvement,  la  victime  d’un  assassinat,  d’un 
empoisonnement  ou  d’un  incendie  accompli,  sur  l’ordre 
du  moqaddem,  pour  montrer  à tous  comment  sont  punis 
ceux  qui  ne  reconnaissent  pas  le  caractère  religieux  de 
la  congrégation. 

Ce  qu’il  y a d’étrange,  c’est  que  le  paiement  de  la  hadia 
n’empèche  pas  toujours  celui  qui  la  paie  de  nous  servir 
fidèlement  et  de  se  faire  tuer  pour  notre  cause.  Parfois 
môme  il  se  ménage,  par  ce  moyen,  avec  les  Khouan 
rebelles,  des  relations  dont  il  se  sert,  à notre  profit,  pour 
l’exercice  de  ses  devoirs  professionnels,  contre  ces 
mêmes  rebelles. 

Nous  sommes  en  droit  de  juger  très  sévèrement  ces 
usages  qui  répugnent  à nos  habitudes  de  loyauté  ; mais 
notre  politique  est  de  paraître  les  ignorer,  et  surtout,  de 
ne  pas  nous  exagérer  la  gravité  de  cette  hadia  qui,  de 
Musulman  à Musulman,  n’est,  le  plus  souvent,  qu’un 
acte  de  dévotion,  une  « aumône  propitiatoire.  » 

Il  nous  reste  à parler  de  la  dernière  et  de  la  plus 
importante  des  pratiques  des  Khouan,  du  dikr(l)  (j-fi). 

Le  sens  propre  et  usuel  de  ce  mot  jJï  est  : « mention, 
exposé,  énonciation  ; » c’est,  au  fond,  celui  qu’il  a con- 
servé dans  le  style  religieux:  la  mention  par  excellence 
étant  celle  qui  a Dieu  pour  objet,  on  est  arrivé  aux  sens 
de  : « mention  de  Dieu , » « livre  révélé , » « prière , » 
« invocation,  » « oraison.  » 


(1)  La  prononciation  du  3 est  très  variable  et  oscille  du  D ordinaire 
ou  Z.  En  Algérie,  et  surtout  dans  la  province  de  Constantine,  les 

oreilles  très  exercées  peuvent  seules  distinguer  le  ^ du  û.  Ailleurs, 
la  nuance  est  plus  sensible,  c’est  ce  qui  explique  les  différences  d’or- 
thographe, telles  que  : Chadeli,  Chadzeli,  Chazeli  ; — Dikr,  Dzikr, 
Zikr,  etc. 


— 98  - 

Chez  les  Khouan,  le  dikr  est  l’Oraison  spéciale  et 
distinctive  de  la  congrégation. 

C’est  le  plus  souvent,  sinon  toujours,  une  invocation 
très  courte,  mais  qui  doit  se  répéter  de  suite  un  nombre 
immense  de  fois,  de  sorte  que  c’est  avec  raison  que  l’on 
a traduit  souvent  le  mot  dikr  par  « Oraison  conti- 
nue (1).  » 

L’origine  de  ce  genre  d’oraison,  comparable  à nos  lita- 
nies, est  dans  le  41e  verset  du  chapitre  XXXII  du  Coran. 

//  '/ 

\j+a&  \J$  3 ^ I i ^ i a)  I I Lj 

(O  croyant,  énoncez  (le  nom)  de  Dieu,  par  un  nombre 
considérable  d’énonciations,  et  célébrez-le  matin  et  soir.) 

L’application  en  est  faite,  par  les  Musulmans  non 
Khouan,  en  récitant  le  chapelet,  dont  chacun  des  99 
grains  correspond  à un  des  noms  de  Dieu. 

Chez  les  Khouan,  le  dikr  consiste  à répéter,  cent, 
deux  cents,  cinq  cents  ou  mille  fois  de  suite,  soit  le  mot 
soit  une  formule  courte  telle  que  la  profession  de  foi 
islamique  aÜI (il  n’y  a d’autre  divinité  que  Dieu), 
soit  une  invocation  brève  comme  : pardonne  mon  Dieu  ! 
(«Ül  ^ûjcJ),  soit  un  verset  du  Coran,  etc.  En  général,  plus 
l’oraison  est  courte,  plus  on  la  répète  de  fois. 

Le  dikr  d’une  congrégation  comprend  toujours,  au 
moins,  quatre  articles  ou  versets  placés  dans  un  or- 
dre déterminé,  et  pouvant  servir  de  moyen  de  ralliement 
et  de  signe  de  reconnaissance,  entre  les  Khouan  qui  se 
rencontrent  sans  se  connaître.  L’un  récite  à haute  voix 
la  première  phrase  du  dikr,  et  l’autre  répond  par  la  se- 
conde; une  deuxième  épreuve,  portant  sur  les  versets 


(1)  C’est,  croyons -nous,  M.  Cherbonneau  qui,  le  premier,  a donné 
cette  expression  comme  équivalente  du  mot  dikr  (Revue  africaine , 
1859,  p.  470). 


— 99  — 


suivants,  leur  montre  bien  vite  qu’ils  appartiennent  au 
même  ordre  religieux  (1). 

Le  dikr  se  complète,  d’ailleurs,  par  la  récitation  de 
prières  plus  ou  moins  longues,  ou  de  chapitres  du  Coran 
auxquels  le  fondateur  de  l’ordre  a attaché  des  indul- 
gences spéciales,  et  que  l’ouerd  impose  au  Khouan  dans 
des  circonstances  déterminées. 

Chaque  ordre  a,  en  outre,  certaines  particularités  d’at- 
titude ou  d’intonation,  dans  la  prière  et  dans  le  mode  de 
récitation  du  dikr,  qui  permettent  facilement  de  recon- 
naître les  Khouan  de  plusieurs  ordres.  Enfin,  il  y a aussi 
certaines  couleurs  adoptées  pour  les  vêtements,  les 
turbans,  les  ceintures,  comme  pour  les  bannières  dé- 
ployées dans  les  hadra  ; mais  l’emploi  de  ces  couleurs 
distinctives  n’est  ni  obligatoire,  ni  général,  ni  important. 
' Nous  examinerons  plus  en  détail  ces  particularités, 
dans  les  notices  spéciales  aux  principales  congrégations 
pouvant  jouer  un  rôle  en  Algérie. 

Revenons  pour  l’instant  au  dikr. 

Les  courtes  phrases  qui  le  composent  sont,  en  elles- 
mêmes,  fort  inoffensives;  elles  sont  toujours  très 
simples  car,  parmi  les  points  de  doctrine  communs  à la 
majorité  des  congrégations,  se  trouve  l’affirmation  que: 
« la  foi  est  d’autant  plus  pure  que  la  prière  est  plus 
simple.  » C’est,  d’ailleurs,  un  procédé  commun  à tous 
les  agents  de  propagande  religieuse  de  réduire  la  croyan- 
ce à la  plus  stricte  expression,  et  de  la  mettre  ainsi 
facilement  à la  portée  des  masses  illettrées  ou  inintel- 
ligentes. 

Celles-ci  d’ailleurs  s’attachent  très  vite  à ces  pratiques 
surérogatoires  qui  ne  leur  demandent  pas  grand  effort 
et  qu’ils  finissent  par  préférer  aux  pratiques  canoniques 
et  obligatoires. 

Le  sens  des  phrases  prononcées  dans  le  dikr  n’a,  du 
reste,  rien  qui  soit  de  nature  à attirer  notre  attention, 


(1)  Voir  spécialement  le  dikr  des  Taïbya,  chapitre  XXV. 


— 100  — 

car  le  dikr  ne  résume  pas  toujours  les  doctrines  ou  les 
tendances  de  l’ordre. 

Mais,  ce  qu’il  importe  de  bien  mettre  en  relief,  c’est  le 
fait  même  de  la  récitation  du  dikr.  Quand  un  rahmani  a, 
pendant  vingt-quatre  heures,  redit  trois  mille  fois  son 
dikr  : « La  illaha,  ilia  Allah,  Mohammed  rassoul  Allah. 
Il  n’y  a d’autre  divinité  que  Allah,  Mohammed  est  l’en- 
voyé de  Dieu  »,  il  semble  bien  difficile  qu’il  puisse  con- 
server une  parfaite  lucidité  d’esprit,  et  surtout  qu’il  ait 
l’esprit  disposé  au  raisonnement,  ou  même  à la  gestion 
des  affaires  ordinaires  de  la  vie. 

Cette  répétition  mécanique,  consécutive  et  prolongée 
d’une  même  phrase  conduit  fatalement  à l’abêtissement, 
à la  monomanie  ou  à l’exaltation  cérébrale.  « Peu  à peu 
» la  faculté  de  vouloir  et  de  réfléchir  s’éteint,  l’intelli- 
» gence  s’atrophie  et  l’adepte  devient,  réellement,  l’ins- 
» trument  docile  et  aveugle  des  maîtres  qui  se  sont  ré- 
» servé  le  droit  de  penser  pour  lui  (1).  » C’est  toujours 
la  continuation  du  système  d’entraînement  mystique, 
que  nous  avons  déjà  signalé,  et  vers  lequel  concourent 
toutes  les  pratiques  dévotes  et  toutes  les  prescriptions 
de  l’ouerd.  Les  unes  et  les  autres  sont,  du  reste,  admi- 
rablement combinées  en  vue  du  but  à atteindre. 

On  comprend  l’énorme  influence  qu’assurent,  à leurs 
chefs,  de  pareilles  institutions,  chez  un  peuple  où,  de- 
puis des  siècles,  l’idéal  religieux  se  confond  avec  l’idéal 
politique.  Aussi,  l’observance  de  la  règle  est-elle  la 
préoccupation  constante  des  moqaddem  et,  dans  cette 
règle,  ce  à quoi  ils  s’attachent  le  plus,  c’est  la  récitation 
du  dikr.  Ils  en  proclament  constamment  l’importance  et 
en  exaltent  les  bons  effets  spirituels  : c’est,  de  toutes 
les  pratiques,  la  plus  méritoire,  la  plus  indispensable, 
celle  qui  assure  aux  fidèles  les  plus  grandes  indul- 
gences. 

C’est  dans  cet  ordre  d’idée  que  Sid  Mahmed-ben-Abd- 


(1)  Hanoteau  et  Letourneux,  loco  citato. 


— 101  — 

er-Rahman,  le  fondateur  des  Rahmanya,  a été  jusqu’à 
dire  que  « quiconque  aura  entendu  une  fois  réciter  son 
» dikr  entier  sera  sauvé  ! » 

Et  en  fait  c’est,  le  plus  souvent,  au  paiement  de  la  ziara 
et  à la  récitation  du  dikr  que  se  bornent  les  pratiques 
de  la  masse  des  Khouan  ; cela  suffit  au  chef  d’ordre  ; la 
ziara  remplit  la  caisse,  et  le  dikr  maintient  l’habitude  de 
la  discipline  et  de  la  soumission.  Avec  de  l’argent  et  des 
gens  disciplinés,  en  peut  faire  de  grandes  choses.  C’est 
ce  qu’ont  bien  compris  les  fondateurs  d’ordre,  et  c’est  ce 
que  leurs  successeurs  s’appliquent  à maintenir. 

C’est  aussi  là  qu’est,  pour  nous,  le  principal  danger 
des  ordres  religieux,  bien  plus  encore  que  dans  l’exalta- 
tion, le  mysticisme  ou  les  prétendus  mystères  de  leurs 
doctrines. 

Nous  avons  dit  ce  qu’était  l’ensemble  de  ces  doctrines 
et  de  cette  organisation;  nous  donnerons  plus  loin, 
d’après  des  textes  arabes  originaux,  ou  d’après  des  ren- 
seignements fournis  directement  par  des  chefs  d’ordre, 
des  moqaddem  et  des  Khouan,  quelques  détails  sur  cha- 
cune des  principales  congrégations,  et  on  verra  que 
tous  les  prétendus  mystères  concernant  les  Khouan  se 
réduisent  à bien  peu  de  chose.  Tout  le  danger  pour  nous, 
et  il  est  immense,  réside  dans  l’ organisation,  la  disci- 
pline et  l'argent  des  Sociétés  religieuses  musulmanes. 
Quant  au  fanatisme  des  Khouan,  il  n’est,  en  réalité,  ni 
plus  grand,  ni  moindre  que  celui  de  n’importe  quel 
Musulman  convaincu  et  pratiquant  : tout  vrai  croyant 
est  fanatique,  quelle  que  soit  sa  religion. 

Un  fait  qui  montre,  du  reste,  que  le  « fanatisme  » des 
Khouan  n’est  pas  toujours  agressif,  c’est  que  certains 
moqaddem  délivrent  à des  Chrétiens  des  lettres  que  l’on 
pourrait  appeler  des  « brevets  de  Khouan  honoraires  », 
car  elles  confèrent  aux  porteurs,  en  tous  temps,  en  tous 
lieux,  l’aide  et  la  protection  des  membres  de  la  congré- 
gation qui  doivent  les  considérer  comme  étant  leurs 
frères. 


— 102  — 


Nous  devons  aussi  ajouter  ici  que  l’organisation  redou- 
table, dont  nous  venons  de  tracer  rapidement  l’esquisse, 
comporte,  dans  la  pratique,  certains  tempéraments  qui 
en  atténuent  la  gravité.  Dans  beaucoup  de  cas,  l’immense 
extension  prise  par  un  ordre  religieux,  et  sa  dispersion 
dans  des  régions  éloignées  peu  accessibles  aux  commu- 
nications fréquentes,  ont  eu  pour  effet  d’en  détruire  l'ho- 
mogénéité matérielle.  La  règle  spirituelle  seule  est  restée 
intacte,  et  encore  pas  toujours.  Il  en  résulte  que  l’ordre 
finit  quelquefois  par  se  composer  d’un  nombre  plus  on 
moins  grand  de  congrégations  dont  les  khalifat  arrivent 
peu  à peu  à se  détacher  complètement  de  la  maison- 
mère  et  à devenir  eux-mêmes  de  véritables  chefs  d’ordres 
nouveaux,  suivant  la  règle  ou  le  rituel  de  l’ordre  primitif 
mais  n’obéissant  plus  à sa  direction  temporelle. 

Les  Qadrya,  les  Rahmanya,  les  Ghadelya,  les  Ckeikhha, 
etc.,  forment  chacun  une  quantité  considérable  de  con- 
grégations indépendantes,  quoi  qu’ayant  conservé  le 
nom  et  le  rituel  de  l’ordre  primitif.  Au  contraire,  les 
Tidjanya,  les  Snoussya,  les  Zianya,  les  Kerzazya  ne 
forment  chacun  qu’une  congrégation. 

Cette  distinction  entre  V ordre  religieux  et  la  congré- 
gation a,  au  point  de  vue  politique,  une  grande  impor- 
tance. Nous  aurons  occasion  d’y  revenir. 


— 103  — 


CHAPITRE  VIII 

ROLE  POLITIQUE 


L’influence  et  la  popularité  des  ordres  religieux  ortho- 
doxes, bien  qu’immenses  en  Algérie,  ne  sont  pas  sans 
restriction,  et  ces  ordres  ont,  dans  l’Islamisme  même, 
de  nombreux  ennemis. 

Les  premiers  sont  les  ulémas,  les  savants  et,  avec 
eux,  le  clergé  officiellement  investi,  parles  gouvernants, 
de  la  direction  spirituelle  des  fidèles.  Pour  maintenir 
leur  suprématie  sacerdotale,  leur  situation,  leurs  reve- 
nus et  leur  influence  intellectuelle,  uléma,  mofti  et 
tolba  ont,  plus  d’une  fois,  à Stamboul,  en  Perse  et  en 
Égypte,  cherché  à réagir  contre  l’envahissement  des 
congrégations  musulmanes.  Ils  l’ont  fait  surtout  en  met- 
tant en  avant  la  cause  sacrée  de  l’orthodoxie  musulmane. 
Mais,  sur  ce  terrain  de  l’orthodoxie,  les  arguments  qu’ils 
invoquent,  en  les  puisant  dans  le  Coran  ou  dans  les 
livres  des  anciens  docteurs,  sont  combattus,  non  sans 
succès,  par  les  Khouan  au  moyen  d’autres  citations  pri- 
ses dans  les  livres  saints. 

Le  peu  que  nous  avons  dit  de  la  doctrine  islamique 
montre,  d’ailleurs,  que  tout  prêtre  musulman,  salarié 
ou  protégé  par  un  pouvoir  politique,  est  dans  une  situa- 
tion fausse,  car,  le  Coran  à la  main,  le  sacerdoce  prime 
la  souveraineté  temporelle.  C’est  pour  cette  raison  que 
dans  ces  luttes  théologiques  contre  les  ordres  religieux, 
le  rôle  du  clergé  investi,  en  Turquie  comme  ailleurs,  fut 
toujours  peu  efficace  : tout  au  plus  parvint-il  à faire  clas- 
ser, comme  hérétiques,  quelques  individualités  qui  man- 


— 104  — 


quaient  de  prudence  dans  l’exposé  de  leurs  doctrines  et 
s’écartaient  un  peu  trop  de  la  souna  ; mais  ce  fut  tout. 
Et  encore,  plus  d’un  derwich  ou  soufi,  exécuté  comme 
hérétique  ou  novateur,  est-il  devenu,  peu  de  temps  après 
sa  mort,  un  grand  Saint  et  une  des  lumières  de  l’Islam  ! 

Aussi,  malgré  les  rapports  nombreux  que  les  doctri- 
nes des  ordres  religieux  ont  avec  celles  des  schismati- 
ques, motazélites,  ouabbites,  chiites,  ismaéliens  et  au- 
tres ; malgré  l’espèce  de  panthéisme  inconscient  auquel 
arrivent  les  plus  mystiques  de  ces  ordres,  ils  sont  restés 
orthodoxes;  et,  démontrer  le  contraire,  n’a  pas  été  possi- 
ble aux  docteurs  de  l’Islam. 

Ne  pouvant  atteindre  les  ordres  religieux,  au  point  de 
vue  de  doctrines  qui  reposent  sur  des  textes  indiscu- 
tables et  vénérés  pour  tous  les  Musulmans,  les  uléma  ne 
manquent  pas  de  les  attaquer  dans  leurs  écrits,  soit  en 
blâmant  leur  ascétisme,  soit  surtout  en  réprouvant, 
comme  contraire  à la  dignité  humaine,  leurs  danses, 
leur  musique  et  leurs  exagérations  de  tous  genres. 

Ibn  Khaldoun,  le  célèbre  historien  des  Berbères,  ayant 
à parler  d’un  cadhi  de  Fez,  Khouan  trop  zélé  (1),  sans 
doute  un  derkaoui,  s’exprime  ainsi  : « Emporté  par  son 
» zèle,  il  se  laissa  aller  aux  inspirations  de  cette  dévo- 
» tion  fanatique,  dont  les  pratiques  nous  sont  venues  de 
» l’étranger.  » 

Mais,  à côté  de  ces  blâmes  mesurés  et  exprimés  en 
termes  choisis,  viennent  se  placer  les  railleries  les  plus 
vives.  « La  littérature  turque  est  remplie  de  contes  et  de 
» satires  sur  les  derwichs  (ou  Khouan),  et  ceux-ci  ne 
» sont  pas  mieux  traités  que  nos  moines  dans  les 
» fabliaux  du  XIe  et  du  XIIe  siècles.  Du  reste,  on  ne  voit 
» pas  que  ces  moqueries  perpétuelles  aient  nui  en  rien 


(1)  Ibn  Khaldoun,  Histoire  des  Berbères , tome  IV,  p.  185  de  la  tra- 
duction de  M.  de  Slane. 


— 105  — 

» au  crédit  dont  les  derwichs  continuent  à jouir  parmi 
» le  peuple  (1).  » 

Nous  avons,  nous-même,  bien  souvent  entendu  des 
kabyles  intelligents,  et  aussi  quelques  rares  chefs  arabes, 
nous  raconter  les  choses  les  plus  violentes  contre  les 
Khouan;  citant  leurs  ruses,  leur  influence  néfaste,  la 
fausseté  de  leurs  prétendues  doctrines,  leur  rapacité, 
leurs  mensonges,  etc.  Toutefois,  si  un  devoir  profes- 
sionnel nous  mettait  alors  en  présence  d'un  moqaddem 
quelconque  ainsi  incriminé,  nous  voyions  aussi  ces 
.mêmes  kabyles  et  ces  mêmes  chefs  indigènes,  pleins  de 
respect  pour  son  caractère  religieux,  lui  témoigner,  en 
public,  les  plus  grands  égards  et,  bien  que  non  affiliés  à 
son  ordre,  lui  apporter  leur  ziara  et  lui  demander  sa 
bénédiction,  tout  comme  les  dévots  et  les  Khouan  les 
plus  convaincus  (2). 

Quant  à la  masse  des  Musulmans,  qui  n’entendent 
rien  à ces  questions  de  philosophie  religieuse,  ils  sont 
au  contraire  séduits  par  la  force  considérable  et  l’in- 
fluence que  l’union  donne  à ces  Khouan,  et  ils  s’affilient 
de  plus  en  plus  aux  ordres  religieux.  Les  danses,  musi- 
ques, jongleries  et  les  autres  manifestations  extérieures 
des  Khouan  ne  les  choquent  en  rien  : ils  ne  mettent  pas 
en  doute  leur  caractère  religieux,  ils  les  acceptent  com- 
me ils  acceptent  « les  miracles  » des  Aïssaoua,  « mira- 
» clés  dus  à une  perfection  morale  qui  attire  la  faveur 
» de  Dieu  sur  les  adeptes  de  cette  secte.  » 


(1)  Ubicini,  Lettres  sur  la  Turquie  (Paris,  1851). 

12)  Lorsque  je  relevai  le  contraste  existant  entre  leur  conduite  et 
leurs  paroles  que  cependant  je  n’avais  pas  provoquées,  tous  me  ré- 
pondaient par  des  raisons  de  prudence  ou  de  convenance  mondaine  ; 
ils  avaient  peur  de  l’influence  du  moqaddem.  Un  jour,  en  pareille 
occurence,  un  chef  arabe  de  grande  famille  se  contenta  de  sourire  et 
de  me  citer  le  proverbe  arabe  dont  le  sens  est  : « Méfie-toi  de  la 
» femme  par  devant,  de  la  mule  par  derrière,  et  du  marabout  par  tous 
» les  bouts.  » 


106  — 


« Rien  n’arrive  sans  la  permission  de  Dieu,  et  plus  une 
» chose  est  étrange,  incompréhensible,  en  dehors  des 
» règles  établies,  plus  l’intervention  de  Dieu  est  évi- 
» dente.  » 

La  majorité  des  musulmans  a toujours  regardé  ces 
Khouan,  derwichs  ou  fakirs,  et  surtout  leurs  chefs 
d’ordre,  comme  des  âmes  chéries  du  Ciel,  en  commerce 
intime  avec  les  puissances  spirituelles,  et  comme  faisant 
partie  des  Saints  du  Ghaout-el-Alem,  dont  nous  avons 
parlé  plus  haut. 

Les  moins  enthousiastes  ou  les  moins  bien  disposés 
vis-à-vis  des  Khouan  n’oseraient  se  prononcer  ouverte- 
ment contre  eux.  Ils  regardent  ce  mélange  de  pratiques 
religieuses  et  d’exercices  profanes  comme  un  mystère, 
devant  lequel  tout  Musulman  ayant  la  foi  doit  s’incliner 
en  silence. 

Ces  idées  superstitieuses,  les  Khouan  ont  le  talent  de 
les  entretenir  et  de  les  maintenir  à travers  les  âges.  C’est 
derrière  elles  qu’ils  s’abritent  et  prospèrent,  et  c’est  en 
les  exploitant  habilement  qu’ils  réussissent  à s’attirer  la 
vénération  et  les  bienfaits  de  toutes  les  âmes  crédules. 
Ce  côté  surnaturel  et  superstitieux  des  pratiques  des 
Khouan  est,  précisément,  ce  qui  exerce  le  plus  de  séduc- 
tion et  d’attrait  sur  les  masses  ignorantes.  En  outre,  les 
statuts  des  sociétés  religieuses  flattent  l’amour-propre 
et  les  tendances  égalitaires  des  malheureux.  « Un 
» homme  qui  n’appartient  pas  à la  caste  religieuse  voit, 
» avec  un  profond  sentiment  d’orgueil,  que,  grâce  au 
» concours  de  l’ordre  auquel  il  appartient,  il  peut,  sans 
» instruction  et  malgré  l’obscurité  de  sa  naissance, 
» acquérir  un  pouvoir  religieux  égal,  et  quelquefois  bien 
» supérieur,  à celui  des  marabouts  (1).  » 

Mais,  si  les  ordres  religieux  musulmans  ont  l’attache- 
ment et  le  respect  superstitieux  des  masses,  ils  ont,  en 


(1)  Hanoteau  et  Letourneux,  Les  Kabyles  et  les  Coutumes  kabyles. 
(Tome  II,  page  104). 


— 107 


dehors  de  l’inimitié  des  uléma  et  du  clergé,  celle  de  tous 
les  gouvernements  musulmans  ou  chrétiens. 

On  comprend,  en  effet,  sans  qu’il  soit  nécessaire  d’in- 
sister, combien  peu  le  despotisme  oriental  doit  s’accom- 
moder de  ces  sociétés  secrètes,  qui  forment  un  État 
dans  l’État,  et  où  le  pouvoir  d’un  chef  d’ordre  peut  arri- 
ver à battre  en  brèche  l’autorité  du  Souverain. 

Plusieurs  princes  connaissent,  pour  s’en  être  servis 
avant  de  monter  sur  le  trône,  la  force  de  ces  congréga- 
tions. Aussi  ils  les  ménagent  généralement,  d’autant 
plus  qu’ils  en  ont  plus  peur,  et  ils  cherchent  à gagner  les 
cheikhs  par  des  présents  et  des  faveurs  de  toutes  sortes. 
Quant  à espérer  se  débarrasser  de  ces  congrégations, 
les  Souverains  musulmans  savent,  mieux  que  personne, 
que  ce  n’est  pas  possible. 

Toutes  les  fois  que  la  politique  d’un  ministre  ou  la 
rigidité  d’un  magistrat  a proposé,  à Constantinople, 
d’abolir  ces  ordres,  le  public,  toujours  favorable  à ces 
anachorètes,  n’a  élevé  qu’une  voix  pour  leur  conserva- 
tion, dans  la  crainte,  disait-il,  d’attirer  sur  l’Empire  les 
anathèmes  de  toutes  les  âmes  saintes.  Avec  de  pareilles 
croyances,  on  comprend  que  la  destruction  des  zaouïa 
des  Khouan  et  la  confiscation  de  leurs  biens  seraient 
considérées,  par  les  masses,  comme  une  œuvre  anti- 
religieuse, qu’un  Souverain  musulman  n’oserait  assu- 
mer ; ce  serait  donner  à ces  religieux  l’auréole  du  martyr. 

Ce  n’est  pas  que  des  tentatives  n’aient  été  faites  à 
diverses  reprises. 

Vers  le  milieu  du  XVIe  siècle,  lorsque  le  Sultan  méri- 
nite  Mouley-Smaïl,  effrayé  du  crédit  que  prenait  Si 
Mahmed-ben-Aïssa  (le  fondateur  de  Aïssaoua),  voulut 
le  bannir,  lui  et  ses  Khouan,  toute  la  population  de 
Méquinez  suivit  le  Saint,  et  Mouley  Smaïl,  abandonné  de 
tous,  ne  trouva  même  plus  les  maçons  nécessaires  aux 
constructions  qu’il  avait  entreprises.  Bientôt  pour  éviter 
de  plus  grand  malheurs,  il  dut  rappeler  les  Aïssaoua  et 
les  combler  de  faveurs. 


108  — 


Un  siècle  plus  tard,  en  Turquie,  sous  le  règne  de 
Mohammed  IV,  lorsque  le  célèbre  Vizir  Kouprouli  Mo- 
hammed Pacha,  qui  était  pourtant  un  homme  de  grande 
valeur,  essaya  de  supprimer  à la  fois  les  ordres  des  Mou- 
leya,  des  Khelouatya,  des  Djelouatya  et  des  Ghemsya, 
il  ne  réussit  qu’à  mettre  en  relief  l’impuissance  du  Sultan 
et  à augmenter  le  crédit  des  ordres  ainsi  attaqués.  Bra- 
vant les  fetoua  des  muphti,  les  fîrmans  des  Sultans  et  les 
railleries  des  écrivains,  les  ordres  religieux  menacés  se 
cachèrent,  et  reparurent  bientôt  plus  puissants  que 
jamais. 

En  1826,  le  Sultan  Mahmoud,  peu  après  le  massacre 
des  Janissaires,  essaya  de  se  débarrasser  des  Bektachia. 
Ce  fut  une  suppression  officielle  dans  toutes  les  règles  : 
les  uléma  et  muphti  l’avaient  appuyée  de  leur  autorité 
religieuse,  le  supérieur  général  et  ses  deux  khalifat 
furent  exécutés  publiquement,  l’abolition  de  l’ordre  pro- 
clamée, plusieurs  zaouïa  démolies,  les  principaux  mo- 
qaddem  et  derwichs  exilés  ; ceux  qui  furent  tolérés  à 
Constantinople  durent  quitter  leur  costume.  Mais  cela  ne 
dura  guère,  et  les  Bektachya,  bientôt  réorganisés,  repri- 
rent leur  place  dans  la  société  musulmane. 

Nous-mêmes,  en  Algérie,  chaque  fois  que  nous  avons 
eu  à réprimer  une  insurrection  grave,  nous  avons  cru 
devoir  détruire  les  zaouïa  des  ordres  religieux  qui  pa- 
raissaient inspirer  les  rebelles.  Ces  exemples,  ou  ces 
satisfactions  données  à notre  amour-propre,  n’ont  pas  eu 
pour  effet  de  ralentir  le  recrutement  des  Khouan  ; bien 
au  contraire,  cela  n’a  fait  que  donner  du  relief  aux  or- 
dres ainsi  frappés  et  accélérer  leur  développement.  Seu- 
lement les  Khouan  se  sont  cachés;  nous  avons  alors 
ignoré  leurs  lieux  de  réunion,  leur  nombre,  ainsi  que 
les  noms  et  les  résidences  des  moqaddem  ; notre  sur- 
veillance a dû  être  plus  active,  plus  tracassière,  tout  en 
étant  bien  moins  efficace. 

Les  Rahmanya  et  les  Derkaoua  sont  les  deux  ordres 
que  nous  avons  le  plus  frappés,  parce  que  ce  sont  eux 


— 109  — 


qui  ont  paru,  jusqu’ici,  fournir  le  plus  d’inspirateurs  ou 
de  combattants  aux  insurrections  ; ce  sont  aussi  les 
deux  ordres  qui  ont  pris,  depuis  notre  arrivée  en  Algérie, 
le  plus  de  développement.  Ceux,  au  contraire,  avec 
lesquels  nous  n’avons  jamais  eu  à entrer  en  lutte  ou- 
verte, ou  que  nous  avons  protégés  un  peu  ostensible- 
ment, sont  restés  stationnaires  ou  n’ont  prospéré  que 
dans  des  limites  restreintes.  Notre  bienveillance  pleine 
de  prudentes  réserves  vis-à-vis  des  chefs  et  les  services 
mêmes  que  ces  chefs  nous  ont  rendus  ont  quelque  peu 
déconsidéré  ces  ordres  aux  yeux  des  purs  ; tel  est  le  cas 
des  Tidjanya,  Aïssaoua,  Hansalya  (1).  Nous  estimons 
donc  que,  de  même  qu’il  y a faute  à détruire  les  palmiers 
et  les  ksour  des  Nomades  que  nous  ne  pouvons  con- 
naître, surveiller  et  atteindre  dans  leurs  personnes  qu’en 
ménageant  des  centres  de  réunion,  des  séjours  tempo- 
raires, des  lieux  de  production,  de  ravitaillement  et  de 
commerce,  de  même  aussi,  nous  ne  pouvons  connaître, 
surveiller  et  atteindre  les  Khouan  qu’en  tolérant,  dans 
notre  rayon  d’action,  un  nombre  de  zaouïa  suffisant  pour 
leur  permettre  de  se  grouper,  sur  des  points  connus  et 
toujours  à notre  discrétion. 

Cela  faciliterait  grandement  la  recherche  et  la  répres- 
sion de  tout  moqaddem  ou  Khouan  qui  cesserait  d’ètre 
dans  notre  main.  Un  peu  d'argent  et  de  politique  nous 
rendraient  vite  maîtres  de  la  situation. 

Jusqu’à  ce  jour,  nous  n’avons  osé  ni  nous  appuyer  sur 
les  ordres  religieux, ni  les  supprimer;  notre  circonspec- 
tion hésitante  a oscillé  entre  des  répressions  souvent 
sévères  et  des  tolérances  méfiantes.  Aussi,  nous  n’avons 
réussi  ni  à faire  disparaître  des  ennemis,  ni  à augmenter 
le  crédit  et  l’influence  de  nos  amis. 

L’intérêt,  l’ambition,  l’orgueil  et  toutes  les  mauvaises 


(1)  Voir  dans  l'ouvrage  de  MM.  Hanoteau  et  Letourneux  ( Les 
Kabyles  et  les  Coutumes  kabyles,  tome  II,  page  102),  les  causes  du 
développement  de  l’ordre  des  Rahmanya  en  Kabylie. 


— 110  — 


passions  humaines  ne  manqueraient  cependant  pas  de 
jeter,  dans  les  ordres  religieux  favorisés  de  nos  larges- 
ses et  de  nos  faveurs,  bon  nombre  de  Musulmans  algé- 
riens. C’est  ce  que  les  Sultans  de  Stamboul  ont  fait  avec 
les  Mouleya  et  les  Bektachya.  A Constantinople,  on 
s’affilie  à ces  ordres  par  intérêt  ou  comme  preuve  de  bon 
goût  et  de  bonne  compagnie  : tous  les  grands  du  pays 
font  partie  du  premier.  C’est  aussi  ce  qu’ont  fait  l’Empe- 
reur du  Maroc  et  le  Bey  de  Tunis  vis-à-vis  des  Taïbya  et 
des  Tidjanya. 

Nous  aurions  peut-être  eu  intérêt  à suivre,  en  Algérie, 
une  conduite  analogue,  et  à reconnaître  une  existence 
légale  à ceux  de  ces  ordres  religieux  dont  les  chefs 
pourraient  être  gagnés  à notre  cause  par  de  sérieux 
avantages  pécuniaires  et  honorifiques. 

Maintenus  par  ce  moyen,  en  dehors  des  préoccupa- 
tions politiques,  compromis  par  leurs  attaches  avec 
nous,  ces  ordres  ne  seraient  plus  un  danger  pour  nous, 
et  leur  influence  sur  les  masses  musulmanes  cesserait 
d’être  aussi  nuisible;  car  chez  les  Khouan  l’idée  politique 
est  toujours  bien  plus  dangereuse  pour  nous  que  l’idée 
religieuse.  Ni  l’Islamisme  ni  le  Soufisme  ne  sont  fanati- 
ques dans  leur  essence,  et,  à ce  point  de  vue,  les  Khouan 
ne  se  distinguent  en  rien  des  autres  Musulmans  ; ils 
sont  plus  dévots,  plus  remuants,  mais,  dans  la  majeure 
partie  des  ordres,  ils  ne  sont  ni  plus  fanatiques,  ni  plus 
intolérants  que  les  autres. 

Et  ce  n’est  ni  le  fanatisme,  ni  l’intolérance,  ni  même 
l’idée  religieuse  qui  lance  les  Khouan  dans  les  hasards 
de  l’insurrection,  ou  dans  le  crime.  Si  on  examine  froi- 
dement les  choses,  on  reconnaît  toujours  que  les  causes 
premières  aussi  bien  que  les  buts  visés,  sont  du  domaine 
de  la  politique  ou  des  passions  humaines  ; un  intérêt, 
une  rivalité,  une  vengeance  ou  une  colère.  Les  grands 
mots  de  Guerre  Sainte  et  de  zèle  religieux  sont  bien  mis 
en  avant,  surtout  quand  il  s’agit  de  faits  collectifs  insur- 
rectionnels; mais  ce  ne  sont  que  des  mots  sonores, 


— 111  — 


derrière  lesquels  les  meneurs  abritent  leurs  ambitions 
malsaines,  pendant  que  les  comparses  et  complices 
cherchent  eux-mêmes  à donner  une  apparence  décente  à 
de  mauvais  instincts  et  à des  appétits  inavouables. 

Si  le  sentiment  religieux  était  le  mobile  réel  des  insur- 
rections, on  verrait  plusieurs  ordres  religieux  s’unir,  au 
moins  momentanément,  pour  le  triomphe  de  la  foi  ; or, 
c’est  le  plus  souvent  le  contraire  qui  a lieu  : l’insurrec- 
tion se  localise  toujours  dans  le  pays  où  domine  l’ordre 
religieux  qui  prête  son  formidable  appui  au  chef  des  re- 
belles; si,  par  exception,  on  rencontre,  dans  les  rangs 
des  insurgés,  des  Khouan  de  différentes  congrégations, 
c’est  que  les  événements  ont  été  plus  forts  qu’eux  et  les 
ont  irrésistiblement  entraînés,  ou  qu’ils  ont  eu  des  cau- 
ses particulières  pour  se  joindre  au  mouvement. 

L’insurrection  de  1871  nous  fournit  une  preuve  bien 
nette  de  ce  que  nous  avançons  ; elle  fut  commencée  par 
le  bach-agha  de  la  Medjana,  Si  El-Hadj -Ahmed -el- 
Mokrani,  personnage  politique , noble  d’épée,  et  sans 
attache  religieuse.  Ce  ne  fut  pas  la  cause  de  l’Islam  qu’il 
mit  en  avant,  mais  la  situation  qui  lui  était  faite  par  les 
événements  et  son  mécontentement  personnel.  Trop 
faible  pour  pouvoir  résister  longtemps  avec  les  contin- 
gents que  son  influence  de  famille  et  sa  bravoure  avaient 
réunis  autour  de  lui,  il  invoqua  l’appui  des  Rahmanya, 
dont  les  Khouan  étaient  dirigés  par  des  cheiks  ayant 
toujours  été  plus  ou  moins  inféodés  à son  soff. 

Les  Rahmanya,  si  nombreux  dans  la  province  de 
Gonstantine  et  dans  la  grande  Kabylie,  étaient  alors, 
comme  ils  le  sont  encore  aujourd’hui,  sans  unité  de 
direction,  et  partagés  entre  trois  ou  quatre  supérieurs 
généraux  ayant  chacun  la  prétention  d’ètre  le  grand 
maître  de  l’ordre. 

Un  seul,  après  de  longs  pourparlers,  répondit  à l’appel 
de  Mokrani  : ce  fut  le  vieux  cheikh  El-Haddad  résidant 
à Seddouk,  près  de  Bougie,  celui  de  tous  qui  avait  le  plus 
grand  nombre  d’adhérents  et  dont  l’action  s’étendait  sur 


— 112  — 


tout  le  littoral  et  le  Tell,  depuis  Palestro  jusqu’à  Bône. 
Les  autres  khalifat,  et  notamment  celui  de  Tolga,  dont 
l’influence  est  à peu  près  aussi  considérable,  sur  les 
Hauts-Plateaux  et  dans  le  Sud,  refusèrent  de  donner  à 
leurs  moqaddem  les  ordres  nécessaires  pour  autoriser 
leurs  Khouan  à nous  faire  la  guerre. 

Ce  ne  fut  donc  ni  l’idée  religieuse  ni  le  fanatisme  qui 
souleva  contre  nous  les  Rahmanya  du  Nord,  puisque 
ceux  du  Sud  restèrent  calmes;  et  cependant,  il  n’y  a 
entre  ceux  du  Nord  et  ceux  du  Sud  aucun  point  de  doc- 
trine pouvant  les  diviser.  Ce  furent  les  personnalités 
dirigeantes,  les  khalifat  seuls,  qui  déterminèrent  la  dif- 
férence de  leur  attitude  en  cette  circonstance. 

Était-ce  donc  parce  que,  de  ces  deux  khalifat,  véritables 
chefs  d’ordre,  l’un  était  plus  arriéré  et  plus  intransigeant 
que  l’autre?  Nullement,  le  vieux  cheikh  El-Haddad  était, 
il  est  vrai,  plus  ascète,  mais  il  avait  eu  bien  plus  de 
compromission  avec  nous,  par  sa  famille,  que  le  cheikh 
Ali-ben-Otsman  de  Tolga.  Il  nous  avait  abandonné  en 
quelque  sorte  un  de  ses  fils,  Si  Aziz,  que  nous  avions  fait 
caïd.  Ce  fils  avait,  quelque  temps  auparavant,  donné  sa 
démission  parce  que  l’autorité  avait  refusé  de  le  nommer 
bach-agha,  mais  il  était  resté  l’ami  de  tous  les  Français 
et  le  compagnon  de  chasse,  souvent  même  l’hôte,  des 
jeunes  officiers  des  garnisons  de  Sétif  et  de  Bougie. 
C’était  un  ambitieux,  mondain  et  débauché,  bien  fait 
pour  compromettre  le  prestige  de  son  père.  Quant  aux 
Khouan,  recevant  le  mot  d’ordre  de  Seddouk,  c’étaient 
des  Kabyles  ou  des  Telliens  en  contact  journalier  avec 
nous,  amis  de  la  paix  et  plus  soucieux  de  leurs  intérêts 
agricoles  et  commerciaux  que  de  pratiques,  religieuses 
et  ascétiques,  qu’ils  ne  connaissaient  du  reste  que  de 
nom. 

Bien  différents  étaient  les  Khouan  arabes  relevant  de 
Si  Ali-ben-Otsman,  hommes  absorbés  dans  les  pratiques 
religieuses,  étrangers  au  travail  et  au  commerce  et  vivant 
absolument  à l’écart  des  Européens.  Leur  cheikh,  il  est 


\ 


— 113  — 


vrai,  n’avait  rien  d’un  ascète;  c’était  surtout  un  profes- 
seur, très  digne  dans  sa  conduite  mais  sans  affectation 
dans  ses  manières  et  qui,  tout  en  se  tenant  systémati- 
quement à l’écart  des  affaires  publiques,  n’avait  jamais 
eu  personnellement  que  de  bonnes  relations  avec  les 
détenteurs  de  l’autorité. 

Ses  Khouan  dévots  exaltés  et  sauvages  restèrent  tran- 
quilles dans  sa  main  et  ce  furent  les  Khouan  les  plus 
éclairés  et  les  moins  religieux,  conduits  par  le  cheikh 
dont  le  fils  avait  été  notre  agent  et  notre  commensal, 
qui,  seuls,  consentirent  à soutenir  la  révolte  politique 
de  Mokrani. 

Et,  chose  remarquable,  lorsque  les  pourparlers  enga- 
gés eurent  abouti  et  que  le  cheikh  El-Haddad  se  mit 
à prêcher  la  guerre  sainte,  la  proclamation  (1)  qu’il 
adressa,  comme  chef  religieux,  est  pleine  de  considéra- 
tions purement  politiques.  Malgré  la  violence  que  com- 
porte forcément  un  document  de  ce  genre,  ce  n’est  pas 
tant  la  cause  de  l’Islam  qu’il  met  en  avant,  que  l’intérêt 
matériel  des  Kabyles.  Sans  doute,  il  promet  l’entrée  dans 
le  Paradis  et  des  grâces  spéciales  à ceux  qui  se  feront 
tuer  dans  cette  croisade  contre  les  Chrétiens,  mais  ce 
n’est  nullement  le  style  d’un  fanatique  dont  la  haine  viru- 
lente fait  explosion,  et  dont  la  ferveur  ultra  religieuse 
dirige  la  pensée  ; c’est  une  proclamation  rédigée  dans  le 
langage  voulu  pour  le  but  à atteindre,  par  un  homme  de 
sang-froid,  pesant  le  pour  et  le  contre,  et  tirant  habile- 
ment tout  le  parti  qu’il  peut  tirer  de  son  caractère  reli- 
gieux et  de  son  autorité  spirituelle  sur  les  masses  qu’il 
veut  appeler  au  combat  ; mais,  au  fond,  on  sent  que 
l’idée  religieuse  n’est  qu’un  instrument  aux  mains  de 
Cheikh-el-Haddad,  comme  Cheikh-el-Haddad  n’a  été,  lui- 
même,  qu’un  instrument  aux  mains  de  Mokrani . 


(1)  Cette  pièce  est  dans  le  dossier  de  la  procédure  instruite  contre 
les  chefs  de  l’insurrection  de  1871  ; nous  en  avons  eu  jadis  un  exem- 
plaire entre  les  mains,  mais  nous  n’avons  pu  le  retrouver. 

8 


— 114  — 


En  1876,  lors  de  la  rébellion  d’El-Amri  ; en  1879,  lors 
des  troubles  de  l’Aurès;  en  1880,  lors  de  l’insurrection 
du  Sud  Oranais  ; les  enquêtes  administratives  ou  judi- 
ciaires ont  toutes  démontré  « que  le  fanatisme  religieux 
» n’a  figuré  qu’à  l’arrière  plan  et  comme  drapeau  dans 
» le  mouvement  (1).  » Sans  doute,  il  a donné  un  appoint 
considérable,  mais  les  causes  premières  des  soulève- 
ments étaient  surtout  dans  les  circonstances  politiques, 
les  fautes  des  chefs  investis,  ou  les  agissements  des 
grandes  familles  féodales  mécontentes. 

En  effet,  même  dans  les  ordres  les  plus  intransigeants 
et  les  plus  franchement  hostiles  aux  gouvernements 
laïques,  les  doctrines  écrites  n’ont  jamais  rien  de  bien 
agressif:  elles  vont  jusqu’à  déclarer  qu’il  est  méritoire 
de  résister  aux  ordres  de  ceux  qui,  en  dehors  des  chefs 
religieux,  commettent  l’action  coupable  d’exercer  une 
autorité  quelconque  sur  leurs  semblables;  mais  ces 
affirmations  théoriques  sont  entourées  de  prudents  cor- 
rectifs, et  cela  se  borne,  dans  la  pratique  en  temps 
ordinaire,  à une  abstention  rigoureuse  des  fonctions 
publiques  ou  à une  sourde  opposition  aux  agents  de 
l’autorité.  Encore  devons-nous  ajouter  bien  vite  que  les 
chefs  de  ces  ordres  s’abstiennent,  avec  soin,  de  compro- 
mettre leur  influence  en  poussant  leurs  Khouan  à des 
résistances  individuelles  inutiles  et  dont  les  détenteurs 
du  pouvoir  temporel  auraient  facilement  raison  par  la 
force.  Aussi,  dans  les  questions  de  détail,  les  cheikhs  et 
les  dignitaires  évitent-ils  avec  soin  d’entraver  l’action 
gouvernementale,  tant  que  celle-ci  reste  puissante  et  ne 
se  montre  pas  vexatoire  à leur  égard. 

Forcés  ainsi,  par  des  raisons  de  haute  prudence,  de  ne 
pas  mettre  leurs  actes  en  rapport  avec  les  doctrines  de 
leurs  livres,  impuissants  à protéger  contre  l’autorité  les 


(1)  Ce  sont  les  termes  mêmes  de  la  Commission  d’enquête  sur  les 
troubles  de  l’Aurès. 


— 115  — 


individualités  qui  encourent  nos  répressions,  les  chefs 
de  ces  ordres  intransigeants  recrutent  peu  d’adeptes,  et, 
en  fin  de  compte,  leurs  congrégations  finissent  par  être 
quelquefois  moins  dangereuses  que  telles  autres  d’al- 
lures en  apparence  plus  calmes  et  plus  tolérantes. 


— 116  — 


CHAPITRE  IX 

LES  CONFRÉRIES 


A côté  et  en  dehors  des  ordres  religieux  proprement 
dits,  qui,  tous  ont  des  doctrines  écrites  et  des  traditions 
les  rattachant  à l’enseignement  donné  par  le  Prophète  et 
ses  compagnons,  il  existe,  et  il  surgit  de  temps  à autre, 
des  associations,  ou  des  confréries,  dont  le  côté  islami- 
que ne  se  dégage  pas  bien  nettement,  et  dont  le  caractère 
religieux  est  contesté,  par  les  Musulmans,  même  les  plus 
tolérants. 

Ces  sociétés  affectent,  cependant,  de  se  donner  comme 
des  associations  pieuses  ; leurs  adeptes  portent  le  nom 
de  Khouan;  leurs  chefs  celui  de  Moqaddem. 

Leur  but  est,  en  réalité,  l’exploitation  de  la  bêtise  hu- 
maine et  de  la  superstition  la  plus  niaise  ; leurs  pratiques, 
toujours  extérieures,  sont,  le  plus  souvent,  bruyantes 
ou  théâtrales  ; et  elles  se  targuent  de  donner  à leurs 
adeptes  des  pouvoirs  surnaturels  ou  des  talismans  aux- 
quels rien  ne  résiste. 

Presque  partout,  les  membres  actifs  de  ces  confréries 
sont  des  musiciens  ambulants,  instrumentistes,  chan- 
teurs, danseurs,  charmeurs  de  serpents,  jongleurs,  sal- 
timbanques, acrobates  qui  entremêlent  leurs  réprésen- 
tations et  leurs  boniments,  de  prières  plus  ou  moins 
connues  et  de  versets  du  Coran,  que  tous  les  assistants 
écoutent  avec  respect. 

Ces  associations  ne  sont  pas  sans  présenter  certaines 
analogies  avec  les  confréries  qui,  au  Moyen-Age,  sous 
un  prétexte  religieux  plus  apparent  que  réel,  se  livraient 


— 117  — 

en  public  à la  représentation,  ou  à la  récitation,  « des 
jeux,  miracles,  mystères,  chants,  soties  les  plus  variés.  » 

Vis-à-vis  des  Français,  ces  confréries  se  donnent  com- 
me de  simples  corporations  ambulantes,  sans  le  moindre 
caractère  religieux. 

Vis-à-vis  des  Musulmans  assez  éclairés  pour  ne  pas 
être  dupes  de  leur  charlatanisme,  les  adeptes  de  ces 
confréries  se  donnent  comme  les  émissaires  déguisés 
d’ordres  religieux,  et  présentent  leurs  exercices  comme 
des  stratagèmes  destinés  à éloigner  les  soupçons  des 
agents  de  l’autorité,  et  à leur  permettrê  de  circuler  par- 
tout. 

En  fait,  cela  arrive  souvent,  car,  lorsqu’on  prend  la 
peine  d’étudier  et  de  suivre  un  de  ces  groupes,  on  ne 
tarde  pas  à découvrir,  presque  toujours,  parmi  les  com- 
parses les  moins  en  vue,  quelque  individualité  d’une 
intelligence  au-dessus  de  la  moyenne  et,  par  suite,  apte 
à jouer  le  rôle  délicat  d’émissaire  ou  d’agent  secret. 

Les  ordres  religieux  réguliers  désavouent  ouvertement 
ces  confréries  qui,  selon  eux,  compromettent  la  dignité 
du  caractère  maraboutique,  mais  il  est  hors  de  doute 
que  ces  désaveux  n’empêchent  en  rien  l’existence  des 
relations  que  nous  signalons. 

C’est  surtout  au  Maroc  que  ces  sortes  d’associations 
sont  nombreuses,  et  c’est  de  ce  pays  que  viennent  la 
plupart  des  groupes  qui  cherchent  à parcourir  l’Algérie, 
en  dépit  des  prescriptions  gouvernementales  et  des  or- 
donnances de  police  qui  prescrivent  d’arrêter,  et  de  re- 
conduire à la  frontière,  tous  les  individus  se  livrant  à 
ces  professions  interdites. 

La  plus  importante  de  ces  confréries  marocaines  est 
celle  des  Adjaïba  (les  Merveilleux),  véritables  saltim- 
banques et  prestidigitateurs,  qui  invoquent  comme  pa- 
tron, un  certain  Ahmed-ben-Moussi  dont  le  tombeau  est 
à Illigh,  dans  le  Sous-el-Aksa. 

Nous  n’essaierons  pas  de  faire  l’historique  de  ces 
confréries,  qui  n’ont  que  de  très  lointains  rapports  avec 


— 118 


la  question  religieuse  ; nous  dirons  cependant  quelques 
mots  de  trois  d’entre  elles  qu’il  peut  être  utile  de  con- 
naître, car  elles  peuvent  servir  de  noyau  à des  sociétés 
secrètes,  réclamant  une  surveillance  active  et  éclairée  : 
ce  sont  les  confréries  de  Amar-bou-Senna,  des  Bou-Alya 
et  des  Mekahlya. 

I 

En  1831,  un  nommé  El-Hadj-Mbarek-ben-Youcef,  ma- 
rocain, résidant  à Alger  où  il  exerçait  la  profession  de 
cordonnier,  quittait  cette  ville  et  se  rendait  à Guelma. 
Là,  il  formait  une  corporation  de  quelques  musiciens,  à 
la  tête  desquels  il  gagna  sa  vie,  parcourant  les  tribus 
en  chantant  des  poèmes  de  guerre  et  d’amour. 

Ayant,  quelques  années  plus  tard,  fait  le  pèlerinage  de 
La  Mecque,  où  il  s’était  sans  doute  lié  avec  des  derwich 
venus  d’Orient,  il  conçut  le  projet  de  faire,  de  sa  troupe, 
le  noyau  d’un  ordre  religieux. 

A son  retour,  il  s’arrêta  à Tunis  où  il  résida  quelques 
années,  et  organisa,  dans  cette  ville,  une  nouba  qui  joi- 
gnit, à ses  occupations  musicales,  la  récitation  de  ver- 
sets du  Coran  et  de  prières  chantées. 

Il  fit  ensuite  la  même  chose  à Bône,  à Constantine  et, 
enfin,  à Guelma,  où  il  se  posa  en  chef  d’ordre  religieux. 

Plusieurs  zerda  ayant  eu  lieu  près  de  Bône,  au  tom- 
beau de  Si  Amar-bou-Senna  : ce  fut  ce  marabout  qui  fut 
pris  comme  patron  do  la  confrérie. 

Si  El-Hadj-Mbarek  continua  à former  des  élèves  musi- 
ciens et  à organiser  de  petites  troupes  ou  reïta  qui  le 
considérèrent  comme  leur  grand  chef. 

Des  troupes  de  l’espèce,  ne  dépassant  généralement 
pas  une  dizaine  d’individus  ont  été  constatées  en  dehors 
des  localités  précitées:  aux  Djebaïlya  (des  Biban),  aux 
Beni-Abbès  (d’Akbou),  aux  Fennaïa(de  Bougie),  et,  enfin, 
à Biskra  et  à Alger.  El-Hadj-Mbarek  a même  une  certaine 
réputation  de  sainteté,  dans  la  capitale  de  l’Algérie,  sur- 


tout  dans  les  cafés  maures  de  la  haute-ville,  où,  deux 
fois  par  mois,  il  se  donne  en  son  honneur  des  soirées 
chantantes  suivies  de  quêtes  religieuses. 

Plusieurs  groupes  ou  troupes  de  cette  confrérie  ont 
essayé  d’exercer  leur  industrie  dans  les  tribus,  mais  cela 
leur  a été  interdit  par  mesure  de  police. 

Il  se  peut  néanmoins  que  El-Hadj-Mbarek  arrive  un 
jour  à former  un  ordre  religieux,  ou  soit  lui-même  l’a- 
gent d’un  ordre  oriental  ; mais  jusqu’ici  il  ne  paraît  pas 
avoir  été  pris  très  au  sérieux.  Seule,  sa  personnalité  se 
dégage  sympathique,  dans  un  certain  milieu,  où  son 
extrême  vieillesse  (88  ans)  est  encore  exagérée,  et  où 
il  passe  pour  avoir  130  ans. 

Cette  confrérie  ne  nous  a jamais  créé  de  difficultés, 
bien  que  plusieurs  de  ses  membres  aient  été  souvent 
arrêtés  et  punis  comme  exerçant  des  professions  inter- 
dites, ou  comme  vagabonds  sans  domicile. 

Elle  compte  aujourd’hui  en  Algérie  15  moqaddem  et 
environ  1,062  khouan,  tous  dans  la  province  de  Constan- 
tine  (1).  Le  chef-lieu  de  ce  département  compte  à lui  seul 
800  affiliés  qui  se  réunissent  en  hadra  deux  fois  par 
semaine,  rue  Sérigny,  n°  38. 


(1)  Voici  la  statistique  officielle  de  cette  confrérie;  mais  il  faut  tenir 
compte  de  ce  que  en  raison  de  la  surveillance  coercitive  dont  ils  sont 
l’objet,  les  adeptes  de  Si  Amar-bou-Senna  ne  sont  pas  tous  connus. 
Ces  chiffres  sont  donc  un  minimum,  et  tout  à fait  approximatifs  : 


Alger  (ville). 

. . 1 moqaddem, 

10 

compagnons, 

Constantine  (ville). . . . 

. 3 

id. 

800 

id. 

Bône  (ville) 

id. 

10 

id. 

Guelma  (ville) 

. 1 

id. 

10 

id. 

Biskra  (ville) 

id. 

10 

id. 

Akbou  (Beni-Abbès). . 

. 8 

id. 

205 

id. 

Bougie  (Fennaya). . . . 

,.  1 

id. 

7 

id. 

Bibans  (Djebaïlya). . . 

,.  1 

id. 

10 

id. 

Total 

. . 17  moqaddems, 

1,062 

compagnons 

— 120 


II 

La  conférie  des  Bou-Alya  a été  connue  vers  1876,  à la 
suite  de  réunions  clandestines  tenues  à Bône  parmi  cer- 
tain El-Habib-ben-S’rir,  tunisien,  originaire  de  Gabès, 
qui  fut  successivement  traduit  devant  le  tribunal  de 
simple  police  et  expulsé  d’Algérie. 

A la  même  époque,  un  autre  moqaddem,  originaire  du 
Souf,  était  signalé  à Constantine,  mais  l’expulsion  de  Si 
El-Habib  l’avait  sans  doute  rendu  prudent,  et  les  réu- 
nions cessèrent. 

Cette  confrérie  fut  présentée  d’abord  comme  une  bran- 
che dissidente  des  Aïssaoua,  puis  des  Rahmanya;  mais 
il  fut  reconnu  qu’elle  n’avait  aucun  rapport  avec  ces 
ordres  religieux. 

En  réalité  elle  avait  eu  pour  chef  un  certain  Bou-Ali, 
marabout  enterré  près  de  Nefta  et,  de  son  vivant,  moqad- 
dem des  Qadrya,  mais  moqaddem  désavoué,  parce  qu’il 
avait  voulu  modifier  la  règle  et  se  faire  chef  d’un  nouvel 
ordre. 

Les  adeptes  de  Bou-Alya  se  livraient  à des  pratiques 
de  jonglerie  et  à des  danses  épileptiques  analogues  à 
celles  des  Aïssaoua. 

Depuis  1876,  il  n’a  plus  été  question  d’eux  : ils  n’avaient 
du  reste  été  signalés  qu’à  Bône  et  Constantine. 

Cependant,  cette  association,  qui  en  Algérie,  n’a  été 
qu’une  confrérie  de  saltimbanques,  semble  être  réelle- 
ment un  ordre  religieux  dans  le  sud  de  la  Tunisie.  Le 
marabout  Bou-Ali  est  vénéré  dans  le  Djerid  et  passe, 
chez  les  Arabes,  pour  avoir  été  l’un  des  ancêtres  des 
fondateurs  de  Tozer  (1)  ; ses  descendants  ont  dans  cette 
ville  une  zaouïa  de  Qadrya,  dont  relèvent  les  zaouïa  de 


(1)  Tozer  existait  bien  avant  l’établissement  de  l’Islamisme  en  Al- 
gérie. C’est  l’antique  Thusuros  des  Romains,  jadis  siège  d’un  évêché. 


Nefta,  de  Gafsa  et  du  Djerid;  ces  Qadrya  sont  souvent 
dites  pour  cette  raison  Bou-Alia. 

III 

En  résumé  il  n’existe,  en  Algérie,  qu’une  seule  confré- 
rie ayant  un  passé  connu  et  une  organisation  fonction- 
nant d’une  façon  permanente. 

C’est  celle  des  Mokahlya  ou,  plus  exactement,  des  Re- 
maya car,  bien  que  ce  second  nom  soit  moins  connu 
que  le  premier,  il  est  le  plus  ancien  et  c’est  celui  qui  lui 
est  donné  dans  les  documents  écrits  que  l’on  nous  a 
montrés. 

Cette  confrérie  existe  dans  la  plupart  des  États  musul- 
mans, et  le  groupe  algérien,  qui  a son  chef,  ou  président, 
aux  environs  de  Mascara,  relève,  dit-on,  d’un  khalifa,  ou 
président  honoraire,  résidant  dans  la  ville  de  Merakech 
et  dépendant  lui-même  du  grand-maître  qui  habite  à 
Tazeroualt,  dans  le  Sous  marocain  (1). 

C’est,  en  réalité,  aujourd’hui,  une  société  de  « francs- 
tireurs  , » après  avoir  été  jadis  une  corporation  de 
«francs-archers.  » Le  mot  Remaya  (AjUj),  au  singulier 

Rami  ( ),  signifie  « habile  à lancer,  bon  tireur;  » le 

mot  Mekhali  ( jh5*)  signifie  « fusilier,  » (au  pluriel  Me- 

kahlya  (LL.LC»)  et  on  s’en  sert  souvent  pour  désigner  les 
Saga  ou  contingents  à pied. 

Ceux  qui  font  partie  des  Remaya  ne  sont  pas  astreints 
à porter  un  chapelet,  ni  à réciter  des  prières  particuliè- 
res ; ils  ne  sont  tenus  que  de  rester  bons  Musulmans, 
de  pratiquer  les  préceptes  du  Coran,  de  se  consacrer  à 
l’équitation  et,  surtout,  à l’art  « de  lancer  » la  flèche  ou 
la  balle. 


(1)  Il  ne  faut  pas  oublier  que  c’est  du  Sous  que,  d’après  certaines 
prophéties  musulmanes,  doit  un  jour  sortir  le  Mehdi  qui  régénérera 
le  monde  « et  remplira  la  terre  de  justice  autant  qu’elle  est  remplie 
>>  d’iniquités.  » 


122  — 


Voici  l’origine  de  cette  confrérie  qui  fut  fondée  du  vi- 
vant même  de  Mohammed,  et  dont  le  premier  organisa- 
teur fut  Saad-ben-Bou-Okkas,  compagnon  du  Prophète. 

Ce  Saâd-ben-Bou-Okkas  était  un  guerrier  d’une  grande 
notoriété,  très  adroit  au  tir  de  l’arc,  et  « dont  la  flèche 
» ne  manquait  jamais  le  but.  » 

Au  combat  de  Bedr,  il  se  trouvait  aux  côtés  de  Mo- 
hammed, en  même  temps  que  d’autres  fidèles.  Un  Ko- 
reïchète  idolâtre,  armé  d’une  longue  lance,  fît  le  vide 
autour  de  lui  et  s’approcha  du  groupe  où  se  tenait  l’En- 
voyé de  Dieu,  vers  lequel  il  dirigea  la  pointe  acérée  de 
son  arme.  Mohammed  se  tourna  aussitôt  vers  Saâd-ben- 
Bou-Okkas  et  lui  dit:  « Montre-moi  ce  que  tu  peux  faire; 
débarrasse-moi  de  ce  mécréant.  » Saâd  obéit  prompte- 
ment, et  lança  une  flèche  qui  alla  se  planter  au  front  de 
l’idolâtre.  Celui-ci  tomba  raide  mort. 

« Tu  es  l’archer  par  excellence,  dit  le  Prophète  à Saâd  : 
» je  te  bénis  et  bénis  tous  ceux  qui  apprendront  de  toi  à 
» bien  tirer  l’arc.  » Puis,  s’adressant  à ceux  qui  l’entou- 
raient, Mohammed  ajouta:  « Enseignez  à vos  enfants  le 
» tir  de  l’arc  et  l’équitation,  cela  les  préparera  à la  Guerre 
» Sainte  (1).  » 

Saâd-ben-Bou-Okkas  prit  ces  paroles  pour  devise;  il  y 
ajouta  les  suivantes,  du  17e  verset  de  la  Sourata  intitulée  : 


(1)  Parmi  les  haddit  ou  paroles  du  Prophète,  les  Musulmans  citent 
encore  les  phrases  suivantes  : 

1°  « Tout  espèce  d’amusement  doit  être  interdit  comme  frivole, 
a excepté  ces  trois  choses  : l’exercice  de  l’arc,  le  maniement  du  che- 
» val  et  les  plaisirs  pris  en  famille  ; » 

2°  Les  seuls  droits  qu’ont  les  enfants  vis-à-vis  leurs  parents, 
c’est  de  demander  qu’on  leur  enseigne  à écrire,  à nager  et  à tirer  de 
l’arc  ; 

3°  Trois  classes  de  personnes  entreront  dans  le  paradis  : celles  qui 
fabriquent  des  flèches  avec  l’intention  de  les  faire  tourner  à la  défense 
de  la  religion,  celles  qui  les  lancent  et  celles  qui  les  présentent  à 
l’archer. 


— 123  — 


« le  Butin.  » « Quand  tu  lances  un  trait,  ce  n’est  pas  toi 
qui  le  lances,  c’est  Dieu.  » 

Dès  lors,  la  confrérie  des  Remaya  fut  établie  et  se 
perpétua  par  la  transmission  d’imam  en  Imam. 

Les  principes  de  la  société,  ses  traditions  et  quelques 
manuscrits  la  concernant  ont  été  apportés,  au  XVIe  siè- 
cle, dans  le  Maroc,  par  des  pèlerins  de  la  région  de  Sous  (1). 

C’était  au  moment  de  la  grande  lutte  des  Marocains 
contre  les  Portugais.  En  peu  de  temps,  de  nombreuses 
sociétés  de  tir  s’organisèrent  et  la  confrérie  prit  à la  fois 
une  grande  extension. 

En  1536,  au  siège  d’Agadir  (Sainte-Croix  des  Portugais), 
les  Mokahlya  firent  des  prodiges  d’adresse  : leurs  balles 
passaient  toutes  à travers  les  créneaux  et  ils  contribuè- 
rent pour  une  large  part  à la  prise  de  la  ville. 

En  1578,  à la  bataille  de  Ksar-el-Kebir  ou  de  l’Oued- 
Mekharem,  ce  fut  leur  feu  qui  décida  le  premier  mouve- 
ment de  retraite  de  l’armée  de  Don  Sébastien  et  de  Mou- 
ley-Ahmed. 

Les  services  rendus  par  les  Makahlya  avaient  été  si 
brillants  que  l’empereur  Mohammed-Chikh,  mort  en  1621, 
voulut  leur  donner  une  organisation  susceptible  de  res- 
serrer leurs  biens  et  surtout  de  lui  permettre  d’avoir 
toujours  sur  eux  la  haute  main. 

A cet  effet,  il  choisit  Sid  Ali-ben-Mohammed-ben-Na- 
cer,  moqaddem  des  Chadelya  et  frère  de  Si  Mohammed- 
ben-Nacer,  fondateur  et  grand-maître  des  Nacerya  dont 
la  maison-mère  est  à Tamegrout,  dans  le  Sous. 


(1)  D’Herbelot,  Bibliothèque  orientale,  t.  III,  p.  393,  cite  un  livre 
intitulé  : Talim-ou-el-Alem-fi-remi-el-feham,  traité  pour  bien  tirer  de 
l’arc , composé  par  Ali-ben-Khacem-el-Sadi-el-Halebi-el-Rami-el- 
Emir,  officier  principal  des  Tcherkes  ou  Mamelouk  d’Égypte  de  la 
seconde  dynastie  II  existe  à la  Bibliothèque  de  Leyde,  n°s  92  et  499, 
un  traité  d 'Art  militaire,  par  Nedjem-ed-din-Hassen-el-Ahdab  ( le 
bossu),  El-Remaï,  mort  en  695  de  l’Hégire,  1295  de  J.-C.  ; d’autres 
livres  de  même  genre  existent  encore  à la  Bibliothèque  nationale  à 
Paris , 


— 124  — 


Sid  Ali-ben-Nacer  donna  une  vive  impulsion  religieuse 
à la  confrérie  qui,  entre  ses  mains,  fut  un  véritable  ordre 
analogue  à celui  des  Templiers.  Aussi  quelques  auteurs 
ont-ils  classé  les  Mekahlya  comme  formant  une  branche 
particulière  des  Nacerya. 

Gela  fut  vrai  en  effet,  au  commencement  du  XVIIe  siè- 
cle ; mais  dès  la  mort  de  Sid  Ali-ben-Nacer,  les  Mekahlya 
ne  tardèrent  pas  à s’affranchir  du  lien  spirituel  qui  les 
unissait  à cet  ordre  religieux.  Le  groupe  fixé  à Taze- 
roualt  fut  le  premier  h reprendre  son  autonomie  et  son 
caractère  laïque;  les  autres  l’imitèrent;  mais  tous  ont 
conservé  vis-à-vis  des  Nacerya  une  grande  déférence. 

Aujourd’hui  encore,  beaucoup  de  descendants  de  Si 
Ali-ben-Mohammed,  sont  les  chefs  des  Mekahlya  ; ils 
recueillent  les  offrandes  et  ont  des  moqaddems  sur  toute 
la  surface  de  l’Empire  marocain. 

Au  printemps  de  chaque  année,  une  fête  commémora- 
tive réunit  une  foule  de  fidèles  auprès  du  tombeau  de  Si 
Ali-ben-Mohammed  qui  est  situé  à Maroc  même,  à peu 
de  distance  de  la  porte  dite  Bab-el-Debagh.  — Après  le 
repas,  et  une  fois  la  prière  du  Dolior  terminée,  les  Re- 
maya se  livrent  à des  exercices  de  tir  et  d’escrime. 

Dans  toutes  les  zaouïas  des  villes  et  bourgades  du 
Maroc,  dans  toutes  les  tribus  où  se  trouvent  des  moqad- 
dems, les  Remaya  se  réunissent  aussi  chaque  vendredi 
et,  après  la  prière  du  Dohor,  se  livrent  à leurs  exercices- 
habituels. 

Ils  jouissent  dans  le  Maroc  d’une  certaine  considéra- 
tion et  les  gens  des  hautes  classes  de  la  société  sont 
heureux  de  leur  demander,  moyennant  salaire,  des  le- 
çons de  tir;  mais  ces  mêmes  personnages  regarderaient 
comme  au-dessous  d’eux  de  se  faire  admettre  dans  la 
corporation. 

Les  membres  de  la  Société  se  surveillent  mutuellement 
ét  appliquent  entre  eux,  de  la  façon  la  plus  rigoureuse, 
un  règlement  dont  voici  les  principales  dispositions  : 


Un  Rami  qui  attaque  un  Khouan  (des  Remaya)  avec  un  fusil,  sera 
puni,  par  le  cheikh,  d’une  amende  de  six  mitscal  (6  francs). 

Un  Rami  qui  attaque  un  Khouan  avec  n’importe  quel  morceau  de 
fer,  sera  puni  d’une  amende  de  trois  mitscal  (3  îrancs). 

Un  Rami  qui  attaque  un  Khouan  avec  un  bâton  ou  une  pierre,  sera 
puni  d’une  amende  de  cinq  onces  (1  fr.  50). 

Un  Rami  qui  crache  sur  un  Khouan  sera  puni  d’une  amende  de 
un  mitscal  (1  franc). 

Un  Rami  qui  trahit  une  chose  confiée  sera  puni  de  dix  mitscal 
(10  francs). 

Un  Rami  qui  se  dispute  avec  un  Khouan  sera  puni  d’une  amende 
de  un  mitscal  (1  franc). 

Un  Rami  qui  jure  par  des  choses  sacrées  sera  puni  d’une  amende 
de  douze  onces  (3  francs). 

Un  Rami  qui  fait  un  serment  sera  puni  d’une  amende  de  six  onces 
(1  fr.  80). 

Un  Rami  qui  donne  un  soufflet  à un  Khouan  sera  puni  d’une  amende 
de  un  mitscal  (1  franc). 

Un  Rami  convaincu  de  meurtre  sera  puni  d’une  amende  de  trente 
mitscal  (30  francs). 

Un  Rami  coupable  d’adultère  sera  puni  d’une  amende  de  vingt 
mitscal  (20  francs),  etc.,  etc. 

Si  le  cheikh  ou  le  moqaddem  commet  une  des  choses  ci-dessus 
mentionnées,  sa  peine  sera  double  de  celle  fixée  pour  un  simple 
Rami  (1). 

Le  règlement  qui  précède,  est  rigoureusement  ob- 
servé : les  Khouan  des  Remaya  exercent,  vis-à-vis  les 
uns  des  autres,  une  police  sévère  ; si  un  Rami  vient  à 
faillir,  il  paye,  bon  gré  mal  gré,  l’amende  prescrite,  entre 
les  mains  d’un  chaouch  ou  d’un  moqaddem. 

Une  partie  des  sommes  ainsi  réunies  devient,  dit-on, 
la  propriété  des  chefs  de  la  société  ; l’autre  est  conser- 
vée, par  un  membre  désigné  à l’avance,  et  sert  à couvrir 
les  frais  des  repas  pris  en  commun  par  les  Khouan. 

A l’instar  des  vrais  ordres  religieux,  la  société  com- 


(1)  Extrait  d’un  petit  manuscrit  sur  la  tradition  de  « l’art  de  lancer,  » 
communiqué  à M.  le  Chef  du  bureau  arabe  de  Tiaret,  par  le  maré- 
chal-des-logis  Mustapha-ben-Chanem,  du  2e  spahis,  cheikh  des  Re- 
maya. 


— 126  — 


prend  des  chioukh  ou  moqaddem,  et  des  khouan.  On  y 
rencontre  même  des  chaouch  chargés  de  recevoir  les 
ziara  et  des  offrandes. 

La  société  des  Remaya,  peu  importante  à Aflou,  Aïn- 
Sefra,  Saïda,  Frenda  et  Beni-bou-Saïd,  de  Mar’nia,  est 
au  contraire  très  connue  à Géryville  et  à Tiaret. 

Un  grand  nombre  de  Trafï  et  de  Ksouriens  en  font 
partie  (sauf  cependant  les  habitants  de  Chellala,  Dah- 
raouïa,  de  Chellala-Gueblia  et  de  Bou-Semghoun.) 

Plus  à l’Est,  les  Remaya  sont  très  rares  en  Algérie;  si 
même  il  en  existe  ; on  en  a signalé  cependant  parmi 
d’anciens  spahis. 

La  statistique  officielle  faite  en  1882  n’a  donné  pour  les 
Remaya  que  les  chiffres  suivants,  mais  ils  n’ont  pas  été 
recensés  partout. 


Cercle  de  Saïda  

moqaddem, 

52 

membres, 

Cercle  de  Géryville,  non  recencés.  . . . 

» 

id. 

» 

id. 

Cercle  de  Marnia  (Beni-bou-Saïd),  id.. 

. » 

id. 

» 

id. 

Commune  mixte  de  Mascara 

id. 

07 

id. 

Mostaganem 

. » 

id. 

12 

id. 

Commune  mixte  de  l’Hillil 

. 1 

id. 

12 

id. 

Commune  mixte  de  Tiaret 

, 1 

id. 

12 

id. 

Total 

, 8 

moqaddem, 

155 

membres. 

Ce  nombre  peut  certainement  être  doublé  et  il  sera 
encore  au-dessous  de  la  réalité,  qui  doit  se  rapprocher 
d’environ  30  moqaddem  et  500  membres. 


— 127  — 


CHAPITRE  X 


LES  FAUX  (Il  E li  I F S 

# 

Pour  compléter  l’étude  des  divers  éléments  religieux, 
qui  ont  un  rôle  politique  en  Algérie  et  que  notre  intérêt 
est  de  bien  connaître,  afin  de  pouvoir,  par  une  surveil- 
lance active,  prévenir  les  conséquences  de  leurs  menées 
hostiles,  nous  devons  mentionner  ces  faux  cherifs  qui 
précèdent,  ou  accompagnent,  chaque  mouvement  insur- 
rectionnel. 

Les  faux  cherifs  ne  sont  pas  rares,  et  il  s’en  produirait 
beaucoup  plus,  si  l’autorité  administrative  ou  judiciaire 
ne  coupait  court  à leurs  agissements,  dès  leurs  débuts 
et  avant  qu’ils  ne  soient  devenus  dangereux. 

Nous  ne  ferons  pas  ici  l’histoire  de  ceux  qui  ont  paru, 
et  nous  ne  les  nommerons  même  pas,  car  ce  serait  ra- 
conter en  détail  la  majeure  partie  de  nos  insurrections, 
mais  nous  dirons,  d’une  façon  générale,  ce  qu’ils  sont  et 
ce  qu’ils  font. 

Quelques-uns  ne  sont  que  des  intrigants  qui  veulent 
exploiter  la  crédulité  publique  et  vivre  aux  dépens  des 
naïfs,  qu’ils  espèrent  persuader  de  la  vérité  de  leur  pré- 
tendue mission. 

Sauf  de  rares  individualités,  servies  par  des  circons- 
tances exceptionnelles  ou  par  une  intelligence  d’élite, 
ces  faux  cherifs  échouent  misérablement  avant  même 
d’avoir  pu  s’affirmer  et  sans  avoir  joui  du  bénéfice  maté- 
riel de  leur  rôle.  Ces  gens-là  ne  sont  pas  les  plus  redou- 
tables. 

Mais  il  en  est  d’autres  autrement  dangereux,  ce  sont 


ces  illuminés,  demi-lettrés  qui,  sous  l’empire  d’une  exal- 
tation quelconque  ou  d’une  monomanie  religieuse  bien 
caractérisée,  se  croient  réellement  appelés  à une  mission 
apostolique.  Très  souvent,  l’exaltation  n’est  que  le  résul- 
tat de  la  pression  morale  exercée,  sur  un  esprit  faible, 
par  un  mécontent  ou  une  personnalité  remuante  qui  a 
besoin  d’un  cherif  pour  se  créer  des  partisans. 

Dans  ce  dernier  cas,  ledit  cherif  n’est,  le  plus  ordinai- 
rement, qu’un  simple  halluciné  inoffensif,  que  la  supers- 
tition a déjà  décoré  du  nom  cle  marabout,  et  qu’un  intri- 
gant intéressé  se- charge  de  faire  prendre  au  sérieux,  en 
inventant  une  révélation  quelconque  qui  fait  reconnaître, 
comme  un  descendant  du  Prophète,  le  pauvre  insensé 
dont  l’innocente  folie,  la  veille  encore,  était  un  objet  de 
pieuse  commisération  (1). 

Rarement  le  faux  cherif  appartient  à un  ordre  reli- 
gieux, car  les  chefs  de  ces  sociétés  sont  trop  prudents, 
pour  tolérer  qu’un  des  leurs  se  lance,  isolément,  dans 
des  aventures  qui  pourraient  porter  préjudice  à l’ordre 
tout  entier,  ou  qui  donneraient,  à un  simple  adepte,  un 
rôle  prépondérant,  au  détriment  des  chefs-directeurs  ou 
du  supérieur  général.  La  discipline  des  ordres  religieux 
est,  d’ailleurs,  presque  toujours  assez  forte  pour  empê- 
cher un  de  leurs  adeptes  de  les  compromettre,  par  un 
zèle  maladroit  ou  inopportun,  et  les  moqaddem  n’hési- 
teraient pas  à sacrifier,  au  besoin,  un  des  leurs  qui  cher- 
cherait ainsi  à échapper  à leur  tutelle.  Ceci  n’est  pas  une 
supposition  ; le  fait  s’est  produit  plusieurs  fois. 

Quant  aux  moyens  qu’emploient  les  faux  cherifs  pour 
s’affirmer  et  se  créer  des  adhérents,  ils  ne  varient  guère 
et,  pour  être  des  plus  simples,  ils  n’en  sont  pas  moins 
efficaces  vis-à-vis  de  populations  ignorantes,  crédules, 


(1)  Telle  fut  l’histoire  du  faux  cherif  Mohammed-ben-Aïech  qui, 
lors  de  l’insurrection  d’El-Amri,  1876,  fut  l’instrument  du  cheikh 
révoqué  Mahmed-ben-Yahia,  seul  auteur  de  cette  levée  de  boucliers, 
dont  la  vraie  cause  fut  exclusivement  politique. 


— 129  — 

superstitieuses  et  toujours  avides  de  merveilles  et  d’é- 
motions guerrières. 

Quelques-uns  de  ces  cherifs  apocryphes  se  préparent 
sérieusement  à leur  rôle,  par  une  vie  ascétique  qui  leur 
donne  un  renom  de  sainteté  fort  utile  à leur  influence, 
mais  ce  moyen  est  long  et  ne  convient  pas  aux  impa- 
tients. Un  bon  miracle  fait  plus  vite  l’affaire,  et  ce  n’est 
pas  une  chose  bien  difficile  à se  procurer.  Pour  acquérir 
rapidement  une  réputation  de  thaumaturge,  il  suffit  d’un 
peu  d’adresse  ou  de  quelques  compères  dévoués.  Si  on 
n’est  pas  assez  habile  pour  opérer  adroitement  en  public, 
on  fait  affirmer  le  miracle  par  des  amis  complaisants. 
Cela  ne  demande  pas  une  intelligence  hors  ligne. 

Un  autre  procédé  encore  employé  par  les  faux  cherifs, 
est  le  récit  d’un  songe,  dans  lequel,  l’ange  Gabriel,  le 
Prophète,  Si  El-Khadir  ou  un  Saint  a révélé  à l’intéressé 
sa  mission  providentielle. 

Enfin,  il  y a aussi  les  lettres  mystérieuses  apportées 
par  un  inconnu,  qui  disparaît  sans  que  personne  puisse 
savoir  d’où  il  vient  ni  qui  il  est. 

Ces  procédés,  on  le  voit,  sont  tout  à fait  primitifs,  et 
ils  n’auraient  aucune  chance  de  réussite  chez  un  peuple 
moins  crédule  que  les  Arabes.  Mais,  tels  qu’ils  sont,  ils 
suffisent  pour  agiter  les  esprits  et  servir  de  réclame  à 
celui  qui  les  met  en  œuvre. 

C’est  ainsi,  du  reste,  qu’ont  débuté  la  plupart  des  Saints 
de  l’Islam,  et  bon  nombre  de  chefs  d’ordres  religieux; 
seulement,  ceux-ci  ont  affirmé  leurs  songes  et  leurs 
miracles,  par  une  vie  exemplaire  et  par  des  prédications 
restant  exclusivement  dans  le  domaine  des  dogmes,  du 
culte  ou  de  la  morale  : beaucoup,  parmi  eux,  n’ont  été 
que  des  intrigants  habiles  et  heureux  ; le  succès,  seul, 
les  a tirés  de  l’obscurité  et  a fait  leur  fortune.  Mais,  pour 
un  qui  a réussi  et  est  devenu  célèbre,  combien  sont  morts 
inconnus,  sans  même  laisser  trace  de  leur  passage  ! 

Il  en  est  de  même  des  agitateurs  qui  s’intitulent  che- 
rifs, tous  n’arrivent  pas  à la  notoriété.  Quelque  bons 

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— 130  — 


Musulmans  que  puissent  être  nos  chefs  investis,  ils 
sont  hommes  avant  tout  et  tiennent  aux  situations  qu’ils 
occupent;  aussi,  sont-ils  les  premiers  à voir  d’un  très 
mauvais  œil  tout  individu  qui  s’essaie  dans  ce  rôle  de 
cherif.  Il  ne  se  passe  guère  de  mois  où  les  tribunaux  ou 
l’administration  ne  frappent  quelques-uns  de  ces  candi- 
dats cherifs,  et  cela  assez  tôt  pour  qu’aucune  émotion 
grave  n’ait  encore  pu  résulter  de  leurs  agissements. 

On  a,  cependant,  quelquefois,  reproché,  à l’administra- 
tion algérienne,  sa  sévérité  et  sa  précipitation  à l’égard 
de  ces  illuminés. 

Cette  sévérité  n’est,  en  somme,  que  de  la  prudence  ; car 
ces  pseudo-marabouts  sont  toujours  dangereux,  et  on 
aurait  évité  plus  d’une  insurrection,  si  on  avait  toujours 
considéré  comme  très  sérieuses,  dès  le  début,  les  diva- 
gations malveillantes  d’exaltés  encore  sans  influence,  et 
qui,  plus  tard,  ont  servi  de  drapeau  ou  de  chef  à de  nom- 
breux insurgés. 

Nous  croyons  inutile  d’insister  ici  sur  ces  prétendus 
cherifs,  qui  ne  sont  que  de  simples  agitateurs,  dont  le 
rôle  est  plutôt  politique  que  religieux.  Cependant,  pour 
bien  montrer  quel  est  leur  point  de  départ,  nous  citerons, 
comme  documents  instructifs,  deux  de  ces  lettres  dont 
nous  parlions  plus  haut.  On  remarquera  que  ces  lettres 
ne  contiennent  aucune  injure  contre  les  Français,  ni 
aucun  appel  direct  à l’insurrection  ; elles  se  bornent  à 
réchauffer  le  zèle  religieux  et  à provoquer  des  réunions 
où,  selon  le  nombre  des  assistants,  selon  leur  disposi- 
tion d’esprit  et  leur  zèle  pour  la  Sainte  Cause,  on  déve- 
loppera de  vive  voix,  et  sans  laisser  de  traces  compro- 
mettantes, tel  ou  tel  programme. 

Voici  d’abord  une  lettre  saisie  aux  Rir’a,  du  cercle  de 
Sétif,  au  commencement  de  1875,  et  dont  de  nombreux 
exemplaires  ont  circulé,  de  janvier  à mars  de  cette 
même  année,  dans  les  tribus  voisines  (1)  : 


; (t)  Sept  de  ces  copies  ont  été  saisies  dans  l’annexe  de  Barika  (pro- 


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« Au  nom  de  Dieu  clément  et  miséricordieux, 

» Que  Dieu  répande  ses  bénédictions  sur  notre  Seigneur  Mohammed, 

» Louange  à Dieu,  maître  de  l’univers. 

» Le  moment  appartient  aux  hommes  qui  craignent  Dieu. 

» Voici  la  recommandation  adressée  par  le  Prophète  (que  Dieu 
» répande  sur  lui  ses  bénédictions  et  le  salut),  par  l’intermédiaire  du 
» cheikh  Sid  Ahmed-Er-Raïhani  (1),  directeur  du  Saint  Tombeau  de 
» Mohammed. 

» Recommandation  du  Prophète,  que  Dieu  le  bénisse  et  le  salue  ! 

» Le  14  du  mois  sacré  de  Ramadan,  le  cheikh  Sid  Ahmed-Er-Raï- 
» hani  s’endormit  en  récitant  le  livre  de  Dieu  (qu’il  soit  glorifié  et 
» exalté). 

» Après  avoir  fait  la  prière  de  l’Acha,  je  m’endormis  (gloire  au 
» vivant,  à celui  qui  ne  dort  pas  !)  le  Prophète  m’apparut  et  me  salua 
» — que  sur  toi  soit  le  salut,  lui  répondis-je,  ô Envoyé  de  Dieu. 

» Il  me  dit  alors  : ô cheikh  Ahmed,  préviens  mon  peuple  que  Yheure 
» est  proche. 

» Aujourd’hui,  de  vendredi  à vendredi,  il  est  mort  20,000  (2)  per- 


vince  de  Constantine).  Toutes  ne  concordaient  pas  entre  elles,  mais 
les  différences  constatées  ne  portaient  que  sur  des  points  accessoires, 
le  sens  général  du  document  restait  le  même  dans  tous  les  exemplai- 
res. — Bien  que  le  fait  n’ait  pu  être  établi  d’une  manière  précise,  il 
est  probable  que  ce  document  avait  été  appris  par  cœur,  à La  Mecque, 
par  des  pèlerins  qui,  de  retour  dans  leur  pays,  l’ont  transcrit  ou  dicté 
chacun  selon  l’exactitude  de  ses  souvenirs. 

(1)  Ce  personnage  est  désigné,  dans  chacun  des  exemplaires  saisis 
à Barika,  sous  un  nom  différent,  savoir  : 

Cheikh  Ahmed-ben-Riahni, 

Cheikh  Ahmed-ben-Rihani, 

Cheikh  Ahmed-ben-Rihaï, 

Cheikh  Ahmed-ben -Rehhan, 

Cheikh  Ahmed-ben-Abd-er-Raïhan, 

Cheikh  Hamida-ben-Abd-er-Raïhan, 

Cheikh  Ahmed-ben-Abd-er-Raïhan. 

D’après  un  renseignement,  qui  n’a  pu  être  vérifié,  son  nom  serait  : 
Ahmed-ben-Rihani,  il  habiterait  La  Mecque  et  serait  gardien  du  tom- 
beau du  Prophète. 

On  peut  juger,  par  ce  qui  précède,  de  la  difficulté  que  l’on  rencontre 
à fixer  exactement  le  nom  de  certains  personnages  religieux. 

(2)  Quelques  exemplaires  portent  seulement  : « trois  mille  person- 
nes. » — Certains  traducteurs  ont  cru  voir,  dans  ce  passage,  une  allu- 
sion aux  Tirailleurs  tués  à Freschwiller  (6  août  1870).  Une  des  copies 
porte  en  effet  la  date  incomplète,  de  î = 127,  or  le  6 août  1870 


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» sonnes  des  deux  sexes  appartenant  à mon  peuple,  tous  ont  quitté 
» ce  monde,  en  dehors  de  la  religion  de  l’Islam,  car  elles  négligeaient 
» la  prière,  obéissaient  aux  passions,  refusaient  l’aumône,  se  livraient 
» au  libertinage  et  au  désordre.  On  aime  le  mal  : celui  qui  obéit  aux 
» commandements  de  Dieu  est  humilié,  la  haine  règne  parmi  les 
» Musulmans  ; ils  se  détestent  entre  eux  ; leurs  cœurs  sont  noirs  de 
» haine  ; ils  n’ont  aucune  pitié  les  uns  des  autres  ; ils  ne  compatis- 
» sent  pas  envers  les  pauvres  et  les  faibles;  ils  détestent  la  Justice 
» et  suivent  l’injustice  ; ils  font  de  faux  témoignages,  vendent  leurs 
i)  biens  et  se  livrent  à l’usure. 

» Si  un  Musulman  lit  le  Coran,  on  n’écoute  pas  la  parole  de  Dieu  ; 
» on  s’entretient  dans  les  mosquées  des  choses  de  ce  monde,  on 
» s’occupe  d’obscénités  ; l’enfant  n’a  pas  le  respect  du  vieillard,  ni  le 
» vieillard  celui  de  l’enfant;  le  voisin  ne  compatit  pas  envers  le  voi- 
» sin,  il  n’a  aucune  pitié  de  lui. 

» Le  riche  ne  se  montre  pas  généreux  envers  le  pauvre  ; la  fille  ne 
» respecte  ni  son  père  ni  sa  mère. 

» Trois  (1)  recommandations  ont  été  adressées  à mon  peuple  avant 
» celle-ci. 

» On  ne  s’est  pas  conformé  à ce  que  notre  Prophète  a ordonné  dans 
» ces  avertissements. 

v Dieu  voulait  frapper  de  son  courroux  les  Musulmans  et  leur 
» envoyer  un  châtiment  terrible  ; je  l’ai  supplié  de  leur  faciliter  les 
» moyens  de  se  corriger,  de  leur  donner  un  délai,  grâce  à mon  inter- 
» cession  — je  leur  enverrai  encore  cette  recommandation,  lui  ai-je 
» dit  — (c’est  toi  qui  la  leur  feras  parvenir,  ô Ahmed  !)  s’ils  s’y  con- 
» forment,  tu  les  pardonneras  et  nous  les  sauverons  de  ta  colère  et 
» de  ton  châtiment  ; s’ils  persistent  dans  l’erreur,  fais  d’eux  ce  que 
» tu  voudras,  tu  es  le  Tout-Puissant. 

» Le  Prophète  ajouta,  dit  le  cheikh  Ahmed  : recommande  à mon 
» peuple  d’obéir  à Dieu  et  à son  apôtre  ; de  se  rappeler  les  bienfaits 
» de  Dieu  et  de  son  apôtre;  de  faire  l’aumône  aux  pauvres,  d’honorer 


correspond  au  8 djoumad-el-ouel  1287  ; le  document  pourrait  aussi 
être  fort  antérieur  à 1870;  et  viser  les  morts  de  la  campagne  d’Italie 
(1859)  qui  a eu  lieu  dans  les  derniers  mois  de  l’année  hégirienne  1275  ; 
l’allusion  ne  peut  guère  s’appliquer  qu’à  ces  deux  époques  , car  ce 
n’est  pas  des  morts  de  Crimée  (1270-71  de  l’Hégire),  qu’un  écrivain 
musulman  dirait  : « tous  ont  quitté  ce  monde  en  dehors  de  la  religion 
» de  l’Islam,  # puisque  nous  combattions  alors  pour  la  cause  du  Sul- 
tan de  Constantinople. 

(1)  « Trois  cents  *>  dans  un  exemplaire  saisi  aux  Rir’a  du  cercle  de 
Sétif. 


— 133 


» les  lecteurs  du  Coran,  d’aller  en  pèlerinage  à la  maison  de  Dieu. 
» — Que  les  Musulmans  ne  dévorent  pas  les  biens  des  orphelins  ; 
» qu’ils  ordonnent  à leur  famille  et  à leurs  enfants  de  faire  la  prière; 
» qu’ils  apprennent  le  Coran  à leurs  enfants. 

» Quiconque  lit  le  Livre  Sacré,  agit  d’après  ses  préceptes  et  res- 
» pecte  ceux  qui  le  savent  par  cœur,  pourra  intercéder  auprès  de 
» Dieu,  demain  (au  jour  de  la  résurrection)  pour  75  de  scs  proches. 

» Dis-leur  d’égorger  un  mouton  par  tente,  il  sera  pareil  à ceux  qu’on 
» immole  le  jour  de  l’Aïd,  qu’il  soit  sans  défaut. 

» On  lira  sur  là  victime,  les  versets  : Amâma-el-Rassoulou,  » jus- 
» qu’à  la  fin  de  la  Sourate.  (Chapitre  II,  El-Begra.) 

» Au  moment  du  Tekbir,  on  prononcera  ces  paroles  : 

» Au  nom  de  Dieu! 

» Dieu  est  grand  ! 

» Au  nom  de  Dieu  qui  guérit  î 

» Au  nom  de  Dieu  qui  pardonne  f 

» Au  nom  de  Dieu,  avec  son  nom  aucun  mal  ne  peut  atteindre  sur 
» la  terre  ni  dans  le  ciel,  il  entend  tout. 

» Ils  prépareront  du  henné  (1)  ; la  femme  la  plus  âgée  mettra  du 
» henné  à tous  les  gens  de  la  tente  : aux  hommes,  à la  main  droite  ; 
» aux  femmes,  aux  mains,  aux  pieds  et  à la  tête  ; les  enfants,  à quel- 
» que  sexe  qu’ils  appartiennent,  auront  les  mains  entièrement  teintes. 

» On  jeûnera  pendant  un  jour,  on  rompra  le  jeûne  avec  de  l’àssida 
» (farine  cuite  dans  du  petit  lait  ou  pain  et  miel,  selon  les  pays),  on 
» implorera  le  pardon  de  Dieu  pour  nous  et  pour  vous. 

» L’heure,  s’il  plaît  à Dieu,  est  proche,  suivant  cette  parole  du 
» Très-Haut  : faites  le  bien,  peut-être  serez-vous  heureux  ! 

» Le  cheikh  Ahmed  ajoute  : 

» Ceux  qui  transporteront  cette  missive,  de  pays  en  pays,  mérite- 
» ront  l’intercession  demain  (au  jour  de  la  résurrection),  et  entreront 
» au  Paradis,  s’il  plaît  à Dieu. 

» Quiconque  la  transcrira  et  la  portera  sur  lui,  sortira  sain  et  sauf 
» de  tout  mal  et  sera  absous  de  toute  faute.  Dieu  le  préservera  des 
» embûches  du  Démon  le  lapidé  ; il  sera  toujours  sous  la  protection 
» de  Dieu  et.  de  son  Prophète  (que  Dieu  répande  sur  lui  ses  bénédic- 
» tions  et  le  salut.) 

» En  la  transcrivant  sur  le  linceul  d’un  mort,  celui-ci  sera  à l’abri 
» des  tourments  de  la  tombe. 

» Quiconque  l’écrira  sans  en  donner  lecture  aux  gens,  commettra 
» un  péché  ; de  même,  si  quelqu’un  après  l’avoir  écrite  ne  la  propage 


(1)  Les  prescriptions  relatives  au  henné  ne  sont  pas  les  mêmes 
dans  toutes  les  copies  du  document. 


— 134  — 


» pas,  il  restera  en  dehors  de  mon  intercession  et  je  serai  libre  de 
» tout  engagement  envers  lui  au  jugement  dernier. 

» Quiconque  traitera  cette  missive  de  mensonge  ou  la  tournera  en 
» raillerie,  est  placé  par  ce  fait  en  dehors  de  l’Islam  ; s’il  n’y  ajoute 
» pas  foi,  il  renie  Dieu  et  son  Prophète. 

» Dieu  sait  ce  qu’il  y a dans  le  cœur. 

» L’assistance  vient  de  Dieu  et  la  victoire  est  proche,  annonce  un 
» grand  bonheur  aux  Croyants. 

» Que  Dieu  nous  pardonne  et  vous  pardonne. 

» Il  aime  à pardonner,  il  est  miséricordieux. 

» Il  n’y  a de  force  et  de  puissance  qu’en  Dieu. 

» Fin  de  la  missive  du  Prophète. 

» Que  Dieu  répande  ses  bénédictions  sur  lui  et  le  salut. 

» Année  127  (sic).  — Année  127  (sic)  (1).  » 

L’auteur  de  cette  pièce  est  resté  inconnu,  mais  en  1881, 
au  moment  de  l’expédition  de  Tunisie,  de  très  nombreu- 
ses copies  de  cette  « Ouassia  » circulaient  dans  la  pro- 
vince de  Constantine  et  se  lisaient  dans  les  tribus  (2). 
Un  certain  nombre  de  détenteurs,  et  surtout  de  colpor- 
teurs, furent  arrêtés  et  punis,  disciplinairement , car  la 
nouvelle  loi  sur  la  Presse  ne  permettait  pas  d’atteindre 
judiciairement  les  propagateurs  de  cet  écrit,  d’un  carac- 
tère essentiellement  religieux. 

En  1880,  une  lettre  du  même  genre  devint  le  point  de 
départ  d’une  assez  grosse  affaire,  qui  fut  portée  devant 
le  Parlement  sous  forme  d’interpellation  (3). 


(1)  Cette  date  ne  se  trouve  pas  sur  toutes  les  copies.  L’un  des 

exemplaires  saisis  à Barika  porte,  au  lieu  de  « année  127,  » la  men- 
tion suivante  : « le  21  du  mois  de  Dieu-Sacré  de  safer.  » Le  document 
peut  donc  avoir  été  écrit  du  1er  moharem  1270  au  29  dou-el-had- 
ja  1279,  soit  du  4 octobre  1853  au  17  janvier  1863  de  notre  ère,  mais 
il  paraît  peu  probable  qu’il  date  d’aussi  loin  et  qu'il  n’ait  été  saisi  en 
Algérie,  pour  la  première  fois,  qu’en  1875.  Il  est  possible  qu’il  y ait 
un  chiffre  intermédiaire  omis  et  qu’il  faille  lire  1287  par  exemple,  ce 
qui  ferait  remonter  le  document  du  3 avril  1870  au  22  mars  1871.  Le 
21  sofer  serait  alors  le  .23  mai  1870.  * 

(2)  L’une  d’elles,  saisie  à cette  époque,  porte  cette  mention  : « Cette 

instruction  = ouassia]  est  la  propriété  de  Mohammed- ben- 

Messaoud. 

(3)  Voir  séance  du  24  mars  1881. 


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Le  fait  eut  lieu  dans  l’oasis  de  Sidi-Okba,  qui  est  bien 
la  ville  du  Sahara  où  les  rivalités  de  soff  ont  toujours  été 
les  plus  ardentes  et  les  plus  aiguës;  l’exaltation  reli- 
gieuse y est  aussi  très  grande,  car  elle  est  entretenue 
par  les  allées  et  venues  des  tolba  et  des  dévots,  qui 
viennent  visiter  la  mosquée  où  se  trouve  le  tombeau  du 
célèbre  Sidi  Okba-ben-Nafi. 

En  1879,  l’arrivée  d’un  nouveau  gouverneur  et  l’insur- 
rection de  l’Aurès  avaient  exalté  les  espérances  du  parti 
qui  n’était  pas  au  pouvoir,  et  une  campagne  active  était 
menée  par  les  tolba  et  les  mécontents  pour  obtenir  de 
l’autorité  française  la  révocation  du  cheikh  de  l’oasis. 

C’est  dans  ce  milieu  surexcité,  et  rendu  plus  nerveux 
que  jamais  par  une  sécheresse  exceptionnelle,  qu’au 
mois  d’avril  1880,  un  agent  dévoué  de  l’un  des  membres 
influents  du  parti  mécontent  faisait  circuler  la  lettre 
suivante,  qu’il  donnait  comme  émanant  du  Prophète  et 
comme  ayant  été  apportée  par  un  mendiant  inconnu  : 


« Louange  à Dieu  ! 

» Qu’il  répande  ses  bénédictions  sur  Notre  Seigneur  Mohammed, 
» sur  sa  famille  et  ses  compagnons  et  qu’il  leur  accorde  le  salut  ! 
» Amen  ! 

» Commandements  de  Dieu ! Ces  prescriptions  s’adressent  à Si  Lah- 
» sen  (1),  imam  delà  mosquée  de  Sidi-Okba  (que  Dieu  nous  fasse  par- 
» ticiper  aux  grâces  qu’il  lui  a accordées  et  qu’il  le  couvre  de  sa  pro- 
» tection  !)  au  chef"  de  la  corporation  religieuse  des  Rahmanya  (2)  et, 
» enfin,  à tous  les  habitants  de  Sidi-Okba. 

» Le  pauvre  devant  son  Dieu,  Amara-ben-Ahmed-Es-Soufi-Et-Troudi 
» vous  envoie  ses  salutations  sincères. 

» Après  votre  salut,  je  vous  fais  connaître  (que  Dieu  vous  fasse 
» miséricorde  !)  ô Si  Lahsen  ! que  Mustapha  (le  Prophète)  — que 
» Dieu  le  comble  de  bénédictions  et  lui  accorde  le  salut  ainsi  qu’aux 
» Croyants,  gens  de  bien,  les  marabouts  de  Biskra  ! — nous  ordonne 


(1)  Si  Lhassen-ben-Noui  était,  en  réalité,  oukil  de  la  mosquée  et 
non  imam  ; c’était  un  khouan  des  Rahmanya. 

(2)  Il  s’agit  ici  des  Rahmanya  qui  reçoivent  leur  direction  spirituelle 
du  Djerid  tunisien. 


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» de  vous  faire  connaître  ses  volontés  : invitez  les  gens  à implorer  le 
» secours  de  Dieu  pour  obtenir  une  pluie  abondante,  car  c’est  lui  qui 
» ordonne  tout. 

» Le  jour  où  vous  l’invoquerez  sera  le  lundi  prochain  ; l’endroit  où 
» la  prière  et  la  khettaba  (prône),  seront  faites,  sera  la  mosquée. 

» Vous  êtes  prié,  en  même  temps,  ainsi  que  les  habitants  de  Sidi- 
» Okba,  d’acheter  un  bouc  de  couleur  noire. 

» Ensuite,  il  est  de  toute  obligation  que  chaque  maison  fournisse 
» la  quantité  de  grains,  blé  ou  orge,  que  peut  ramasser  la  paume  de 
» la  main  étendue  d’un  homme  ou  d’une  femme.  Vous  aspergerez 
» toutes  les  maisons  de  henné,  avec  lequel  vous  teindrez  aussi  les 
» mains  et  les  ongles  des  enfants,  et  vous  vous  parfumerez  avec  du 
» benjoin  et  du  bois  d’aloès. 

» Quant  au  bouc,  écourtez-lui  l’oreille  gauche  et  promenez-le  dans 
» le  village,  aux  quatre  points  cardinaux. 

» Il  est  bien  entendu  que  la  dépense  sera  répartie  entre  tous  les 
)>  habitants,  savoir  : chaque  famille  un  sou.  Quant  à la  peau  de  l’a- 
» nimal,  vendez-la  et  achetez,  avec  le  produit  de  la  vente,  de  la  vian- 
» de.  Le  sacrifice  sera  accompli  dans  la  maison,  au  puits,  et  à l’en- 
» droit  où  est  placé  le  settal  (chaudière)  qui  sert  à chauffer  l’eau. 
» Prenez  le  sang  et  la  panse  de  ce  bouc  et  mettez-les  dans  l’endroit 
» précité.  Quant  aux  entrailles,  répartissez-les  entre  les  enfants,  s’il 
» y en  a,  sinon,  faites-les  cuire  pour  les  pauvres  et  les  indigents.  Le 
» bouc  sera  égorgé  par  El-Hadj-Mohammed-ben-Khellad,  qui  fera  ses 
» ablutions  complètes  avant  cette  pieuse  opération,  et  vous  répartira 
» ensuite  la  viande  de  l’animal.  Le  plat  fourni  aux  marabouts  sera 
» préparé  dans  l’endroit  où  les  tolba  font  leur  cuisine.  Vous  donnerez 
» de  la  nourriture  aux  pauvres  et  aux  indigents  sur  la  mosquée.  Vous, 
» ô Si  Lahsen,  appropriez-vous  et  mettez  des  odeurs  aromatiques  sur 
» toute  votre  personne;  couvrez-vous  aussi  de  vos  plus  beaux  vête- 
» ments  et  allez  visiter  les  tombeaux  des  marabouts. 

» Chassez  de  vos  cœurs  la  haine  et  la  vengeance  qui  pourraient 
» germer  en  vous,  ordonnez  la  charité  et,  enfin,  protégez  le  délaissé.  » 

En  marge  : « Les  femmes  qui  prépareront  la  cuisine  seront  pures 
» pendant  cette  pieuse  opération.  » 

i 

Cette  lettre,  colportée  et  lue  dans  le  village,  provoqua 
des  attroupements  et  des  conciliabules.  Les  meneurs  se 
réunirent  à la  mosquée,  déposèrent  l’imam  en  fonctions 
depuis  15  ans,  et  acclamèrent  un  des  leurs,  ex-cadhi 
révoqué,  puis  ils  sortirent  l’étendard  de  Sidi-Okba  et  le 
promenèrent  dans  les  rues,  en  faisant  la  collecte  d’ar- 


— 137  — 


gent,  pour  la  fête  prescrite  par  la  missive  miraculeuse, 
et  en  tenant  des  propos  séditieux.  Sous  l’empire  de  cette 
exaltation,  un  autre  groupe  alla  couper  le  canal  d’irriga- 
tion, qui  arrosait  les  palmiers  du  cheikh,  et  jeta  l’eau 
dans  un  grand  redir  (1)  creusé  jadis  de  main  d’homme, 
intra-muros,  et  dont  l’usage  était  interdit  depuis  1844, 
la  réserve  d’eau  qu’il  pouvait  contenir  étant  considérée 
comme  constituant  un  approvisionnement  de  siège  et, 
par  suite,  un  acte  d'hostilité . » 

L’arrestation  rapidement  et  adroitement  opérée  de  dix- 
huit  des  principaux  meneurs,  une  marche-manœuvre 
faite  par  la  garnison  de  Biskra,  coupèrent  court  à ces 
manifestations  dangereuses  pour  l’ordre  public  ; mais  il 
est  bien  certain  que,  si  au  lieu  de  se  passer  aux  portes 
de  Biskra,  ces  mêmes  manifestations  s’étaient  produites 
dans  une  oasis  éloignée  seulement  de  quelques  jours  de 
marche,  de  graves  désordres  auraient  pu  éclater. 

C’est  ainsi,  en  effet,  que  débutent  toujours  les  mouve- 
ments insurrectionnels.  — Avec  ces  faux  cherifs  et  ces 
illuminés,  l’administration  est  toujours  dans  l’alternative 
ou  d’intervenir  trop  tard  et  quand  le  mal  est  fait,  ou  d’ar- 
rêter, trop  tôt  et  quelquefois  injustement,  de  pauvres 
diables,  qui  n’ont  commis  aucun  délit  réel,  et  qui  ne 
sont  pas  encore  devenus  dangereux. 


(1)  Le  « redir  » est.  à proprement  parler,  un  réservoir  naturel,  mais 
on  voit  qu’on  donne  quelquefois  ce  nom  à des  réservoirs  creusés  de 
main  d’homme  dans  le  sol  et  non  maçonnés. 


— 138  — 


CHAPITRE  XI 

LES  MUSULMANS  IBADITES  ALGÉRIENS 

(BENI  MZAB ) * 


Pour  compléter  l’aperçu  que  nous  avons  essayé  de 
donner  sur  la  constitution  religieuse  de  la  société  mu- 
sulmane en  Algérie,  il  nous  reste  à dire  quelques  mots 
d’un  petit  groupe  d’indigènes  n’appartenant  à aucun  des 
quatre  grands  rites  réputés  orthodoxes  par  la  majorité 
des  Musulmans,  et,  par  suite,  échappant  à l’action  du 
clergé  officiel,  à celle  des  marabouts  libres  et  à celle  des 
ordres  religieux. 

Nous  voulons  parler  des  Béni  Mzab,  aujourd’hui 
sujets  français,  au  même  titre  que  les  autres  indigènes 
algériens  (1). 

Les  Béni  Mzab  appartiennent  au  plus  ancien  des 
schismes  formés,  dans  l’Islam,  par  les  Ouahbites  qui  se 
séparèrent  des  autres  disciples  de  Mohammed,  en  l’an  38 
de  l’hégire  (658-659  de  J.-C.),  au  moment  de  l’arbitrage 
entre  le  khalife  Ali-ben-Abou-Thaleb  et  son  compétiteur 
Moaouïa  (h  originaire  des  Benou  Omeya,  branche 
des  Koreichite  (2). 


(*)  Voir,  sur  les  Béni  Mzab  : Masqueray,  Chronique  d’Abou  Zakaria, 
1879.—  Coyne,  Le  Mzab , 1879  (Revue  africaine  et  tirage  à part). 

(1)  Jusqu’en  1882,  les  Béni  Mzab,  bien  que  formant  enclave  dans  le 
Sahara  algérien,  avaient  été  laissés  dans  une  indépendance  à peu 
près  absolue  et  étaient  plutôt  des  'protégés  que  des  sujets  français.  Ce 
ne  fut  que  le  1er  novembre  1882  que  le  Gouvernement  Français 
proclama  l’annexion  du  Mzab,  et  ce  n’est  que  depuis  le  17  novembre 
delà  même  année  que  nous  administrons  directement  le  Mzab. 

(2)  Le  nom  de  ce  personnage  est  devenu,  par  corruption,  Moaviah, 


139  — 


On  sait  qu’après  la  bataille  de  Siffin,  un  nombre  con- 
sidérable de  Musulmans  protestèrent  contre  l’arbitrage 
dont  il  était  question.  Ils  réclamèrent  d’Ali  l’application 
rigoureuse  du  Coran  qui  veut,  pour  l’Islam,  un  imam 
unique  nommé  à l’élection,  et  menacèrent  le  Khalife  de 
se  soustraire  à son  autorité  si,  pour  un  motif  quelconque, 
il  entrait  en  compromis  avec  Moaouïa,  l’ennemi  et  le 
rebelle. 

Ali  ne  put  avoir  raison  de  ces  mécontents,  dont  l’exal- 
tation religieuse  gênait  ses  plans  politiques  et  qui  mé- 
connaissaient jusqu’à  son  autorité  temporelle;  ses 
efforts  et  ses  mesures  de  rigueur  n’aboutirent  qu’à 
grouper  les  dissidents,  qui  se  donnèrent  pour  imam  et 
chef  suprême  Sid  Abdallah-ben-Ouahb-el-Racibii.  Ils  se 
déclarèrent  alors  Ouahbya , du  nom  de  leur  chef,  mais 
leurs  adversaires  les  appelèrent  les  rebelles,  les  sortis, 
Kharedjiin  (1),  mot  qui,  dans  la  bouche  des  Musulmans 
se  disant  orthodoxes,  ne  tarda  pas  à devenir  synonyme 
d’hérétique. 

Depuis  lors,  les  docteurs  sunnites  ont  expliqué  le  mot 
« Kharedjiin  » par  « Sortis  de  la  Religion  » et  ils  en  ont 
fait  un  terme  injurieux. 

Vaincus  au  combat  de  Nehrouan  (2),  où  Abdallah-ben- 
Ouahb  trouva  la  mort,  les  Ouahbites  se  reformèrent 
rapidement,  et,  après  l’assassinat  d’Ali  par  un  des  leurs, 
nommé  Abd-er-Rahman-Ibn-Moldjem,  leur  nombre 
s’augmenta  de  tous  les  Musulmans  mécontents  ou  indi- 
gnés des  excès  des  Oméyades . 

« Quatre  mille  Ouahbites  avaient  paru  à Nehrouan  ; 


de  même  que  de  Salah-ed-Din  nous  avons  fait  Saladin,  de  Kheir-ed- 
Din,  Conradin,  et  de  l’Émir  El-Moumenin  (le  prince  des  Croyants)  le 
Miramolin. 

(1)  De  kharedj,  sortir  Js  ^ j à.  sortir  contre,  se  révolter. 

(2)  Nehrouan  est  à environ  18  kilomètres  N.-E.  de  Bagdad,  sur  la 
rive  gauche  du  Tigre,  entre  cette  ville  et  Ouacit. 


— 140  — 


» trente  ans  plus  tard,  on  les  comptait  par  dizaines  de 
» mille.  Tous  les  Mahométans  que  la  tyrannie  des  nou- 
» veaux  khalifes  indignait  ou  lésait,  revenaient  à la  doc- 
» trine  des  purs.  L’orgueil  des  Omeyades,  qui  étendaient 
» les  frontières  de  l’Empire  jusqu’aux  Pyrénées  et  jus- 
» qu’à  l’Himalaya  pour  leur  gloire  personnelle,  leur  luxe 
» qui  consumait  les  ressources  des  pauvres,  leur  cruauté 
» toujours  avide  du  sang  le  plus  noble  de  l’Islam,  en 
» faisaient  la  « race  maudite  » qu’Allah  flétrit  dans  son 
» livre.  La  maison  d’Allah,  près  de  laquelle  il  est  défendu 
» de  tuer  même  une  colombe,  réduite  en  cendres  et 
» souillée  par  des  massacres,  des  Mahométans,  Berbers 
» ou  autres,  vendus  sur  les  marchés  au  mépris  des  plus 
» saintes  lois,  les  descendants  d’Ali  égorgés  et  leurs 
» têtes  montrées  en  spectacle,  cent  autres  prétextes  agi- 
» taient  sans  cesse  les  Kharidjites,  dont  les  troupes 
» flottantes,  agrégées  par  occasion,  grossissaient  et  se 
» dissipaient  comme  des  tempêtes.  Conspirateurs  dans 
» les  villes,  guerriers  intrépides  sur  les  champs  de 
» bataille,  la  veille  ils  étaient  un  peuple  en  armes,  le 
» lendemain  on  retrouvait  à peine  leurs  chefs.  L’exter- 
» mination  des  Alides  leur  apporta  sans  doute  de  gros 
» contingents.  Ils  avaient  été  soldats  d’Ali,  et,  s’ils  s’en 
» étaient  séparés,  c’était  par  ce  que  lui-même  abandon- 
» liait  sa  cause.  Ils  s’indignèrent,  et  leurs  livres  en 
» témoignent  encore,  quand  un  des  deux  fils  d’Ali,  plus 
» faible  encore  que  son  père,  reconnut  l’autorité  de 
» Moaouia,  ils  se  réjouirent  certainement  quand  le 
» second,  Hoceïn,  appelé  par  les  gens  de  Coufa,  partit  de 
» La  Mecque  pour  soulever  l’Irak  ; mais  la  fatale  affaire 
» de  Kerbela,  le  plus  poétique  de  tous  les  combats  de 
» l’Islamisme,  les  replongea  dans  leur  farouche  déses- 
» poir.  D’ailleurs  les  recrues  leur  venaient  de  toutes 
» parts.  Les  cités  de  Coufa  et  de  Bosra,  toujours  bouil- 
» tonnantes,  leur  fournissaient  des  populaces  qu’un  in$- 
» tinct  de  race  poussait  à la  ruine  de  la  domination 
» syrienne,  multitudes  incertaines,  peu  musulmanes  au 


— 141  — 


» fond,  et  destinées  aux  grossières  illusions  de  la  secte 
» chiite.  L’Arabie  leur  envoyait  les  esprits  fins  et  subtils 
» du  Hidjaz  cultivés  sur  la  terre  du  Prophète,  et  les 
» fermes  caractères,  les  âmes  droites  du  Nedjed.  Les 
» Nedjediens  furent  assurément  les  soutiens  du  ouah- 
» bisme  à son  origine,  et,  parmi  eux,  la  grande  tribu  des 
» Benou-Temim.  Les  deux  sectaires  qui  tentèrent  d’as- 
» sassiner  Amr  au  Caire  et  Moaouya  à Damas,  pendant 
» qu’Ibn-Moldjem  frappait  Ali  à Médine,  étaient  des 
» Benou-Temim,  pareillement  Abou-Obeïda,  continua- 
» teur  de  Djabir-ben-Zid  et  maître  des  Imans  de  l’Omam 
» et  du  Magreb,  Abd-Allah-ben-Had  et  Abd-Allah-ben- 
» Saffar  qui  donnèrent  chacun  leur  nom  à une  subdivi- 
» sion  des  Ouahbites.  Il  est  probable  qu’Abd-ben-Ouahb 
» était  aussi  Temimi,  du  moins  le  premier  qui  fut  nommé 
» Imam,  après  son  exhortation  à Bosra,  appartenait  aux 
» Benou-Temim. 

» L’ardeur  de  la  lutte  envenimée  par  des  répressions 
» cruelles  ne  tarda  pas  à les  diviser,  comme  il  arrive,  en 
» partis  extrême  et  modéré.  Tandis  que  les  uns  s’en 
» tenaient  à la  doctrine,  telle  que  je  viens  de  l’exposer, 
» les  autres  raffinaient,  non  pas  sur  le  dogme,  mais  sur 
» la  morale,  et,  exagérant  les  prescriptions  les  plus 
» sévères  tombaient  à leur  tour  dans  l’hérésie,  car  ils 
» ajoutaient  à la  religion.  Les  premiers,  Ouahbites-Iba- 
» dites,  tirèrent  leur  nom  d’Abd-Allah-ben-Ibad  ; les  se- 
» conds,  Ouabites-Soufrites,  d’Abd-Allah-ben-Saffar  (1).  » 

Abd-Allah-ben-Ibad-el-Marii  était  originaire  des  Nedjed 
et  vivait  sous  le  règne  des  khalifes  omméiades  Yésid  et 
Abd-el-Meiik,  ce  qui  place  sa  mort  vers  l’an  750  de  J.-C. 
(132-133  de  l’hégire).  Il  vint,  jeune  encore,  â La  Mecque 
avec  son  père  et,  plus  tard,  se  fixa  à Bosra. 

« Son  rôle  fut,  d’accord  avec  Djabir-ben-Zied  vieillis- 


(1)  Masqueray,  Chronique  d' Abou  Zakaria,  préface,  p.  xxix  et  xxx. 


— 142  — 

» sant  et  Abou-Obeida  dans  sa  première  jeunesse,  de 
» contenir  le  Ouahbisme  dans  de  justes  limites  et  de  le 
» préciser.  Le  Ouahbisme,  tel  qu’il  le  conçut,  ne  fut  point 
» une  exagération  de  l’Islamisme,  mais  l’interprétation 
» exacte  de  la  loi  d’Allah.  Cette  loi  fixe,  qui  n’admet  ni 
» addition,  ni  diminution,  excluait,  selon  lui,  aussi  bien 
» les  excès  de  zèle  que  les  relâchements  de  discipline. 

» Son  exemple  et  sa  parole  fortifièrent  les  timides,  re- 
» tinrent  les  violents  (1).  » Par  des  nombreuses  contro- 
verses avec  les  théologiens  sunnites,  il  donna  un  grand  • 
éclat  au  Ouahbisme,  et,  devenu  chef  d’école,  il  rallia 
autour  de  son  nom  « tous  ceux  des  Ouahbites  qui  se 
» décidèrent  à rester  dans  les  limites  du  bon  sens  et  de 
» la  Sunna.  Dès  la  fin  du  VIIe  siècle  de  notre  ère,  ces 
» derniers  s’étaient  dits  Ouabites  ibadites  pour  se  dis- 
» tinguer  des  sectes  à peu  près  semblables  à la  leur. 

» Une  cause  analogue  donna,  plus  tard,  les  Ouahbites 
» ibadites  Noukkar  ou  Nekariens,  les  Ouahbites  ibadites 
» Kheulfîtes  et  bien  d’autres,  parmi  lesquels  nos  Ouah- 
» bites  ibadites  Mozabites  se  vanteront  de  posséder  la 
» vraie  tradition  (2).  » 

Notre  intenlion  n’est  pas  de  faire  ici  l’histoire  des 
Ouahbites,  nous  avons  tenu  seulement  à bien  mettre  en 
relief  l’origine  de  ces  puritains  de  l’Islam,  et  à montrer 
combien  ils  sont  fondés  à déclarer  leurs  pratiques  reli- 
gieuses plus  anciennes,  et  par  suite,  plus  orthodoxes 
que  celles  admises  par  les  partisans  des  grands  rites 
maleki,  hanefï,  hannbali  et  chafei. 

Écrasés  par  le  nombre  de  leurs  adversaires  politiques 
et  religieux,  dès  les  premiers  temps  de  l’Islam,  les  Ouah- 
bites durent,  peu  à peu,  s’éloigner  des  centres  de  l’action 
politique  des  souverains  musulmans.  Les  uns  se  reti- 
rèrent dans  les  déserts  de  la  péninsule  arabique  et  le 


(1)  Masqueray,  loco  citalo. 

(2)  Masqueray,  loco  citato. 


Nedjed,  les  autres  en  Berberie  où,  pendant  plusieurs 
siècles,  ils  luttèrent,  non  sans  éclat,  contre  la  conquête 
arabe  (1). 

Ces  derniers,  qui  étaient  surtout  des  ibadites,  finirent 
par  succomber  et  il  ne  resta  que  quelques  groupes  qui, 
pour  échapper  à la  vengeance  des  vainqueurs,  se  réfu- 
gièrent au  Djebel  Nefoussa,  au  sud-ouest  de  Tripoli,  dans 
File  de  Djerba,  et  au  sud  d’Ouargla  (2),  à Kerima,  Sedrata 
et  Djebel  Ibad  d’où,  plus  tard,  vers  400  de  l’Hégire  (1009- 
1010  de  J.-C.),  ils  vinrent  s’établir  dans  la  chebka  (3)  du 
Mzab  où  ils  sont  encore. 

L'organisation  religieuse  de  ces  Beni-Mzab  ibadites 
mérite  d’autant  plus  de  fixer  notre  attention,  qu’elle  pré- 
sente bien  des  points  de  ressemblance  avec  celle  des 
ordres  religieux  orthodoxes.  Ceci  ne  doit  pas  nous  sur- 
prendre puisque,  d’un  côté,  les  Ibadites  ont  conservé 
sans  altération  les  premières  doctrines  de  l’Islam  et  que, 
de  l’autre,  les  chefs  des  ordres  religieux  mystiques  ont 
eu,  pour  objectif,  de  ramener  les  fidèles  aux  pratiques  et 
à la  morale  de  l’Islam  primitif. 

L’idéal  des  Ibadites  est  l’immamat  universel,  tel  qu’il 
existait  sous  les  premiers  khalifes  (4)  et  jusqu’à  l’an  38 


(1)  Ce  fut  pendant  cette  lutte  que  Tiaret  fut  fondé  en  144  (761-762) 
par  Abder-llhaman-ben-Rostem  l’ibadite,  qui  prit  le  titre  de  khalife, 

et  eut  pour  successeur  son  fils  Abd-el-Ouahab  (v. >l*j)  bcn-Derin- 

ben-Rostem  qu’il  ne  faut  pas  confondre,  ni  avec  Abd-el-Ouahb  (v *».), 

tué  l’an  38  de  l’Hégire  (658-59  de  J.-C.),  ni  avec  Mohammed-ben- 
Abd-el-Ouahliab  (s >h>j)  qui,  au  XVIIIe  siècle,  entreprit  de  renouve- 

ler lTslamisme  dans  le  Nedjed.  M.  Masqueray,  dans  une  note  de  la 
page  149  de  sa  traduction  de  la  Chronique  d’Abou  Zakaria , insiste  sur 
cette  distinction. 

(2)  Voir  Coyne,  loco  citato. 

(3)  Chebka  (-Ax^)  littéralement  Filet.  — On  désigne  ainsi  une 
région  montueuse,  dont  les  ravins  s’entrecroisent  comme  les  mailles 
d’un  filet.  Il  ne  faut  pas  confondre  ce  mot  avec  Sebkha  ( -Adrc-**  ) 
qui  signifie  Lac  salé. 

(4)  Les  musulmans  des  quatre  grands  rites  dits  orthodoxes  donnent 


— 144  — 


de  PHégire  (658-659  de  J.-C.).  Us  comprennent  et  définis- 
sent l’Imam  : « Le  délégué  de  Dieu,  ayant  la  charge  et  le 
» pouvoir  de  faire  exécuter  le  bien  et  d’empêcher  le  mal, 
» conformément  à ce  qui  es-t  écrit  dans  le  Livre.  » Pour 
remplir  de  pareilles  fonctions,  Pimam  doit,  avant  toute 
chose,  posséder  la  connaissance  exacte  de  la  loi  de  Dieu, 
et  avoir  en  main  l’autorité  souveraine  qui,  seule,  lui  per- 
mettra de  faire  prévaloir  cette  loi. 

Il  faut  donc  qu’il  soit  choisi  parmi  les  plus  capables  et 
les  plus  dignes  des  Musulmans,  c’est-à-dire  nommé  à 
l’élection,  par  ceux-là  seuls  qui  sont  en  mesure  d’appré- 
cier ses  connaissances  théologiques,  c’est-à-dire  par  les 
lettrés,  lecteurs  du  Coran.  L’élu  ne  peut,  sous  peine  de 
mort,  se  refuser  à remplir  les  fonctions  qui  lui  sont  im- 
posées. 

Cette  élection  restreinte  est,  du  reste,  conforme  à 
l’exemple  laissé  par  le  Prophète,  et  surtout  par  le  khalife 
Omar  qui  avait  chargé  de  l’élection  de  son  successeur 
un  espèce  de  conclave , composé  des  six  survivants  des 
dix  principaux  compagnons  du  Prophète. 

Pour  faire  régner  la  loi  de  Dieu,  l’imam  a les  pouvoirs 
souverains,  et  celui-là  est  hérétique  qui  prétend  mettre 
des  limites  à l’autorité  de  Dieu,  en  subordonnant  l’action 
de  l’imam  aux  prescriptions  d’une  charte  politique 
(Lp,  charte,  convention). 

Mais  aussi,  dès  que  l’imam  cesse  de  rester  dans  l’ap- 
plication rigoureuse  des  préceptes  du  Coran,  dès  qu’il 
tente  d’ajouter,  de  retrancher,  d ’ innover  > il  doit  être 
révoqué  et  abandonné,  comme  le  fut  l’imam  Ali-ben- 
Abou-Thaleb,  le  jour  où  il  consentit  à soumettre  à l’arbi- 
trage humain  les  actes  de  son  imamat. 

le  nom  de  khalifat  parfait  au  vicariat  des  quatre  pre- 

miers khalifes,  en  s’appuyant  •sur  cette  parole  du  Prophète  : « Après 
» moi  le  khalifat  sera  de  30  ans.  Après  ce  terme,  il  n’y  aura  que  des 
» puissances  établies  par  la  force,  l’usurpation,  la  tyrannie.  » Or, 
Ali  fut  assassiné  l’an  40  de  l’Hégire  (660-661  de  J.-C.),  c’est-à-dire  30 
ans  après  la  mort  du  Prophète. 


— 145  — 


C’est  d’après  ces  bases  qu’en  l’an  38  de  l’Hégire  (G58- 
G59  de  J.-C.),  Abd-el-Ouahb-el-Rassibi  fut  élu  imam  des 
Ouahbites  ; et  c’est  d’après  ces  bases  que  furent  élus  les 
autres  imams  Ibadites. 

Il  peut  se  faire,  toutefois,  que  les  circonstances  poli- 
tiques soient  telles  que  l’exercice  des  fonctions  d’imam 
ne  soit  pas  possible  ; les  Ibadites  ont  prévu  le  cas,  car 
ils  n’admettent  pas  que  l’imam  puisse  être  entravé  dans 
l’exercice  de  ses  fonctions.  Ils  modifient  donc  leur  orga- 
nisation, selon  les  conditions  dans  lesquelles  ils  se 
trouvent,  et,  à la  mort  d’un  imam,  la  première  chose 
qu’ont  à examiner  les  docteurs,  c’est  la  possibilité  de 
l’élection  de  son  successeur;  si  les  Ibadites  sont  en 
mesure  de  tenir  tête  à leurs  ennemis  et  de  rester  indé- 
pendants, l’élection  a lieu  ; si,  au  contraire,  le  pouvoir 
souverain  est,  en  fait,  aux  mains  des  schismatiques  (1), 
hérétiques  ou  mécréants,  il  n’y  a pas  lieu  à l’élection 
d’un  imam,  car  celui-ci  n’aurait  pas  la  liberté  nécessaire 
pour  exercer  son  autorité. 

Les  docteurs  ibadites  ont  des  termes  consacrés,  pour 
exprimer  les  situations  respectives  dans  lesquelles  se 
trouvent  les  fidèles  dans  la  voie  de  Dieu,  situations  qui 
doivent  influer  sur  leur  manière  d’agir. 

Sous  les  khalifes  Abou  Beker  et  Omar,  en  ces  temps 
de  splendeur  de  l’Islam,  les  fidèles  étaient  dans  Vêtat  de 
gloire.  Plus  tard,  chaque  fois  que  les  Ouahbites  ou  Iba- 
dites  furent  assez  forts  pour  lutter,  avec  succès,  contre 
les  Musulmans  sunnites  et  maintenir  leur  indépendance 
politique  et  religieuse,  sur  un  point  quelconque,  ce  fut 
l’état  de  résistance  ; en  cet  état,  l’élection  de  l’imam  est 


(1)  Pour  les  Ibadites,  les  schismatiques  sont  les  sectes  ouahbites 
dissidentes  dont  les  principales  sont  les  Homrites,  les  Cofrites,  les 
Noukkar,  les  Azariqa,  les  Adjarida,  les  Tsaliba,  les  Ouahabites. 

Les  hérétiques  sont  tous  les  Musulmans  non  Ouahbites  ; ils  les  ap- 
pellent aussi  « unitaires  » parce  que,  s’ils  croient  à l’unité  de  Dieu, 
ils  ne  sont  cependant  pas  de  vrais  Musulmans.  Les  mécréants  ou 
polythéistes  (mcherkiinj  sont  : les  chrétiens,  les  juifs  et  les  idolâtres. 

10 


— 146  — 


obligatoire  : les  Ibadites  d’Algérie  eurent  ainsi  sept 
imams.  Mais,  quand  la  résistance  n’est  plus  possible 
sans  compromettre  la  vie  des  femmes  et  des  enfants,  on 
se  trouve  dans  l’état  de  secret  (1)_,  qui  commença,  dans 
le  Maghreb,  à l’époque  de  la  chûte  de  Tiaret,  quand 
l’imam  Yacoub  déclara  qu’après  lui  il  n’y  avait  pas  pos- 
sibilité de  reconstituer  l’imamat  (1503-1504  de  J.-C.,  909 
environ  de  l’hégire). 

C’est  à « l’état  de  secret  » que  sont  aujourd’hui  les 
Ibadites  du  Mzab.  Ils  n’ont  plus  d’imam  et  leur  organi- 
sation religieuse,  d’où  découle  leur  organisation  poli- 
tique, est  essentiellement  constituée  par  la  fédération 
des  diverses  « paroisses  » établies  dans  la  chebka. 
Chaque  groupe  a,  en  effet,  sa  mosquée  qui  est  la  rési- 
dence officielle  et  effective  de  la  halqa  (2),  ou  conseil 
ecclésiastique,  formé  de  douze  clercs,  ou  Yazzaben,  sous 
la  présidence  d’un  cheikh. 

Trois  sont  chargés  de  l’instruction,  un  de  la  conduite 
de  la  prière,  un  de  l’appel  à la  prière,  cinq  du  lavage  des 
morts,  deux  de  la  gérance  des  biens  de  la  mosquée.  Le 


(1)  M.  Masqueray  cite  un  quatrième  état,  Yétat  de  dévouement.  Mais 
il  ne  concerne  que  quelques  individualités  et  non  des  groupes  cons- 
titués : 

« Quand  la  situation  est  presque  désespérée,  quarante  hommes 
» sont  choisis,  qui  ont  vendu  leur  âme  à Allah  en  échange  du  Paradis. 
» Ils  mènent  leurs  frères  à la  bataille,  et  il  leur  est  interdit  de  poser 
» les  armes  avant  d’être  réduits  au  nombre  de  trois.  » (Préface  d’ Abou 
Zaharia , p.  xxm.) 

Cet  usage  ouahbite  s’est  conservé  chez  les  Berbères  du  Djurdjura, 
aujourd’hui  malékitcs  : les  dévoués  sont  devenus  les  Imeselben.  (Voir, 
sur  ces  Imeselben,  un  article  de  M.  le  commandant  Robin,  dans  la 
Revue  africaine  de  1874,  page  401). 

(2)  La  halga , anneau,  carcan,  collier,  cercle,  était  primitivement  le 
cercle  des  disciples  et  auditeurs  d’un  cheikh.  Plus  tard,  le  sens  de 
<«  carcan  »,  ou  cercle  étroit,  prévalut,  ce  fut  le  conseil  étroit  des 
reclus.  M»  Masqueray  fait,  avec  raison,  remarquer  la  similitude 
d’idée  qui  existe  entre  l’emploi  de  ce  mot  « carcan  » dans  le  langage 
religieux  des  Ibadites  et  notre  mot  français  « discipline  » pris  dans  le 
sens  de  règle  étroite. 


— 147 


cheikh  a pour  fonction  spéciale  de  rendre  la  justice, 
assisté  des  quatre  premiers  iazzaben  ; avec  eux,  il  con- 
duit les  affaires  spirituelles  et  les  affaires  temporelles  et 
veille  à ce  que  ces  dernières  ne  prennent  pas  une  impor- 
tance préjudiciable  aux  intérêts  de  la  religion. 

Le  cheikh  de  la  mosquée  a,  en  outre,  la  haute  main 
sur  la  djemâa  ou  conseil  municipal  laïque,  qui  est 
chargé  : de  la  police  locale,  de  la  répartition  et  de  la  per- 
ception des  impôts,  de  l’application  des  règlements  ou 
kanoun,  et,  enfin,  de  tous  les  détails  de  l’administration 
politique  des  gens  de  la  « paroisse.  » Mais  cette  djemâa 
laïque  ne  peut  prendre  aucune  décision  sans  l’approba- 
tion préalable  du  cheikh  de  la  mosquée.  Sur  les  actes 
importants,  ce  dernier  doit  même  apposer  sa  signature 
pour  donner  force  de  loi  à la  décision  des  laïques. 

Les  affaires,  spirituelles  ou  temporelles,  concernant 
plusieurs  villes,  sont  traitées  en  des  assemblées  com- 
posées de  la  réunion  des  conseils  des  groupes  intéres- 
sés, sous  la  présidence  d’un  des  cheikhs  de  mosquée. 
S’il  s’agit  d’affaires  ne  présentant  aucun  côté  religieux, 
la  réunion  se  compose  des  djemâa  laïques;  s’il  s’agit  de 
litiges  civils,  ou  d’affaires  intéressant  la  morale  et  les 
choses  spirituelles,  la  réunion  se  compose  des  Iazzaben 
et  de  leurs  cheikhs,  mais  toujours  la  présidence  reste  à 
un  cheikh  de  mosquée. 

Cette  organisation  est,  on  le  voit,  à peu  de  chose  près, 
celle  de  l’église  presbytérienne  en  Écosse.  La  subordina- 
tion de  l’élément  laïque  à l’élément  religieux  est  abso- 
lue (1),  ou  du  moins  était  absolue  jusqu’en  décembre 
1882,  époque  où  l’Administration  française,  s’étant  défi- 


(1)  Extrait  du  canoun  de  Melika  : « Tout  individu  qui,  par  paroles, 
propos,  calomnie  ou  voies  de  fait,  aura  outragé  les  Azzaba  ou  Tala- 
mid,  sera  puni  d’une  amende  de  7 réaux  kunti  et  banni  pendant  deux 
ans  à Alger  ou  à Tunis.  Cette  peine  est  applicable  indistinctement  à 
tout  indigène,  qu’il  appartienne  ou  non  à la  tribu  de  l’outragé,  car  les 
Azzaba  n’ont  pas  de  fraction  : ils  forment  la  fraction  de  Dieu*  * 


— 148  — 


nitivement  installée  au  Mzab  (1),  a affranchi  les  laïques 
du  contrôle  et  de  la  suprématie  des  clercs. 

Les  devoirs  du  cheikh  et  de  ses  clercs  sont  exposés  en 
détail  dans  les  livres  religieux  du  Mzab  ; voici  en  quels 
termes  s’exprime  le  kitab  du  cheikh  ibadite  Abou- 
Ammar-Abd-el-Kafi,  disciple  de  l’imam  Abou-Yacoub- 
Youcef-ben-Ibrahim  de  Ouargla  (2): 


« La  dénomination  de  Azzàba  (3)  a pour  cause  le  célibat, 

» la  retraite,  l’éloignement  du  monde,  l’usage  exclusif  des  vêtements 
» de  laine,  l’habitude  de  prier  la  nuit  siir  les  sommets  des  mon- 
» tagnes.  Tels  sont  les  traits  distinctifs  des  Azzàba...  Nul  ne  peut 
» faire  partie  de  la  halqa  s’il  ne  satisfait  aux  trois  conditions  sui- 
» vantes  : il  doit,  premièrement,  être  modéré  et  poli  ; secondement, 
» ne  pas  trop  fréquenter  les  marchés  ; troisièmement,  laver  son  corps 
» avec  de  l’eau  et  son  cœur  avec  de  l’eau  et  des  feuilles  de  seder 
» ),  jujubier  sauvage  ; son  corps,  il  le  purifie  du  contact  de  la 

» foule  ; son  cœur,  il  le  purifie  de  la  colère,  de  l’orgueil  et  d’autres 
» vices  semblables,  qui  dégradent  l’homme  de  bien. . . Si  un  Azzâbi  a 
» fait  une  faute  légère,  ses  collègues  doivent  la  dissimuler  et  l’avertir, 
» pour  qu’il  se  délivre  de  son  péché...  Il  doit  savoir  le  Coran  par 
* cœur  et  occuper,  sans  murmurer,  le  poste  qu’on  lui  désigne.  Ses 
» devoirs  extérieurs  se  décomposent  en  quatre  principaux:  d’abord, 
® il  doit  se  montrer  extrêmement  désireux  de  posséder  les  sciences 
» et  l’art  des  convenances  ; ensuite,  il  doit  défendre  énergiquement 
» les  droits  des  faibles  et  des  pauvres,  et  contraindre  le  prévarica- 
» teur  à indemniser  le  lésé  ; troisièmement,  il  doit  faire  régner  la 
» justice  sur  les  marchés,  maintenir  l’ordre  dans  la  ville,  pourvoir 
» aux  besoins  des  faibles  et  des  réfugiés  ; quatrièmement,  il  ne  doit 


(1)  La  proclamation  de  M.  Tirman,  Gouverneur  général,  et  les  ins- 
tructions politiques  destinées  à être  appliquées  au  Mzab  sont  datées 
du  1er  novembre  1882.  La  lecture  de  la  proclamation  et  la  prise  de 
possession  effective  sont  du  6 décembre  de  cette  même  année.  L’ar- 
rêté organisant  le  cercle  de  Ghardaïa  est  du  28  décembre. 

(2)  Cet  extrait  est  donné  dans  une  note  de  la  Chronique  d’Ahou 
Zakaria,  page  254,  par  M.  Masqueray  qui,  le  premier,  a fait  connaître 
cet  auteur. 

(3)  Ne  pas  confondre  qui  vient  de  être  loin  de,  être 

isolé,  reclus,  célibataire  avec  v hazzab,  lecteur  du  Coran, 

emploi  religieux  dans  les  mosquées  hanéfites  ou  malékites. 


— 149  — 


» jamais  accorder  des  subsides  de  la  mosquée  à des  hommes  qui  ont 
» quelque  bien  ou  des  enfants...  Celui  des  membres  de  la  halqa  qui 
» a commis  une  faute  grave,  est  banni  par  les  Azzâba  à l’instant 
» même,  s’il  y a évidence  absolue,  et  il  ne  peut  plus  s’asseoir  au  milieu 
» d’eux,  car  il  ne  fait  plus  partie  de  leur  société,  dès  qu’il  a prononcé 
» une  parole  coupable  ou  commis  un  acte  coupable  au  sù  du  pubic... 
» Du  jour  où  les  gens  de  la  halqa  ont  dit  au  Azzâbi  : « Viens  avec 
» nous  et  aide-nous  dans  les  affaires  de  ce  bas-monde  et  dans  celles 
» du  monde  futur»,  il  doit  penser  que,  s’il  ne  se  souvient  pas  des 
» devoirs  qui  lui  sont  imposés,  il  se  trouvera  dans  une  situation  très 
» difficile,  et  aura  passé  son  cou  dans  un  véritable  carcan  (halqa)  de 
» fer.  Certes,  ses  devoirs  sont  nombreux.  Il  doit  s’écarter  de  sa 
» famille,  de  ses  enfants,  de  sa  fraction,  car  il  a formellement  promis 
» de  s’en  éloigner.  Il  ne  doit  pas  s’occuper  des  gens  de  ce  monde 
» présent,  ni  se  mêler  à eux.  On  ne  doit  le  trouver  que  dans  sa  mai- 
» son,  ou  dans  son  jardin,  ou  à la  mosquée.  Il  doit  fermer  à demi  les 
» yeux,  pour  ne  pas  voir  ce  qui  lui  est  défendu  de  voir,  et  se  boucher 
» les  oreilles,  pour  ne  pas  entendre  les  paroles  des  gens  du  monde 
» présent.  Certes,  les  Azzâba  sont  en  petit  nombre  dans  la  foule,  ils 
» ont  vendu  leurs  âmes  à Allah,  pleins  de  foi  et  comptant  avec  certi- 
» tude  sur  leur  récompense  au  jour  de  la  Résurrection  ; car  ils  mar- 
» chent  hardiment  dans  la  voie  d’Allah.  Le  Très-Haut  a dit  : « Celui 
» qui  veut  labourer  la  vie  future,  je  l’aiderai  dans  son  labour,  et 
» c’est  pourquoi  Abou-Amar  a creusé  sans  relâche  ce  sillon  mer- 
» veilleux.  » 

« ...  Le  cheikh  a de  nombreux  devoirs  envers  lui-même,  envers  les 
» Azzâba  et  envers  les  élèves.  Le  cheikh  tire  de  lui-même  ses  devoirs 
» envers  lui-même  ; il  doit  être  intelligent,  poli,  modéré  et  considé- 
» rer  tout,  plutôt  avec  l’œil  du  cœur  qu’avec  l’œil  du  visage.  Il  nomme 
» et  distribue  les  gens  de  la  halqa  en  trois  sections  : 

» Lui-même,  à lui  seul,  constitue  la  première  ; quatre  membres  de 
» la  halqa  constituent  la  seconde  ; et  le  reste  la  troisième.  Le  cheikh 
» Abou-Amàr-Abd-el-Kàfi  (qu’Allah  lui  fasse  miséricorde  !)  a dit  : les 
» quatres  membres  de  la  halqa  qui  précèdent  les  autres  sont  ceux 
» qui  nouent  et  délient.  Ils  tiennent  dans  leurs  mains  les  affaires  du 
» monde  présent  et  celles  du  monde  futur,  et  ils  ne  substituent  pas 
» les  uns  aux  autres.  Ils  sont  comme  les  pôles  qui  ne  changent  pas 
» de  place,  jusqu’à  ce  qu’Allah  les -appelle  à eux.  Ils  restent  en  cet 
» état,  et,  quand  ils  meurent,  ils  sont  sur  le  chemin  du  Paradis.  Ils 
» doivent  toujours  et  en  tout  cas  consulter  avec  le  cheikh.  Les  autres 
» Azzâba  se  taisent,  regardent  de  leurs  yeux,  et  retiennent  ce  que 
o disent  les  quatre  et  le  cheikh. 

» Le  cheikh  Abou’-Amar’-Àbd-el-Kàfi  (qu’Allah  lui  fasse  miséri- 


— 150  — 


» corde  !)  a dit  : « Les  gens  de  la  halqa  sont  comme  les  Boudala(l),  et 
» le  cheikh  comme  le  R’outs,  et  les  quatre  sont  la  halqa  en  ce  qui 
» concerne  les  affaires  de  ce  monde  et  celles  du  monde  futur.  Si  l’un 
» des  quatre  meurt,  un  autre  Azzâbi  prend  sa  place,  et  ils  restent  en 
» cet  état  jusqu’à  ce  qu’Allah  les  rappelle,  et  qu’ils  aillent  retrouver 
» leurs  prédécesseurs,  guidés  dans  la  bonne  voie.  Certes,  ils  occupent 
» la  place  d’un  Sultan  dispensateur  de  la  justice,  et  telle  est  l’organi- 
» sation  des  gens  de  la  doctrine  (qu’Allah  leur  fasse  miséricorde  !)  » 

« Je  parlerai  maintenant  des  devoirs  du  cheikh  vis-à-vis  de  la 
» mosquée.  Il  n’en  a aucun  de  ceux  qui  sont  obligatoires  aux  gens 
» de  la  halqa,  si  ce  n’est  la  consultation  ; car,  c’est  à lui  qu’elle  revient 
» toujours,  importante  ou  non,  et  personne  ne  peut  remuer  sans  le 
» consulter.  Il  est  le  R’outs,  le  Grand.  Si  cette  loi  n’était  pas  obser- 
» vée  entre  les  gens  de  la  halqa,  ils  seraient  incapables  de  discerne- 
» ment,  et  qui  n’est  pas  capable  de  discernement  est  errant,  égaré, 
» hors  de  la  voie  droite,  le  Très-Haut  a dit  : « Je  les  égarerai  dans 
» des  voies  qu’ils  ne  connaissent  pas.  » 

« Les  gens  qui  lient  et  délient  investissent  le  cheikh.  Ils  consi- 
» dèrent  qui  d’entre  eux  possède  au  plus  haut  degré  la  science,  la  tra- 
» dition,  la  gravité  et  la  contrition,  et  ils  en  font  leur  chef  en  matière 
» de  religion. 

» Un  des1  membres  de  la  halqa  est  Moueddin  ; trois  instruisent  les 
» jeunes  gens  dans  l’école;  cinq  lavent  les  morts;  un  prie  devant  la 
» foule  (imâm)  ; deux  qui  n’ont  pas  une  grande  fortune  et  sont  sans 
» enfants,  gèrent  le  bien  de  la  mosquée.  Un  membre  de  la  halqa  est 
» chargé  de  distribuer  la  nourriture  aux  Azzâba,  aux  élèves  et  aux 
» jeunes  gens  ; un  autre  est  chargé  d’entretenir  les  nattes  et  de  faire 
» balayer  ; il  empêche  aussi  les  animaux  d’entrer  dans  la  mosquée.  » 

Les  lettrés  qui  ne  font  pas  partie  de  la  halqa  sont  dits, 
selon  leur  instruction,  Irouan  (écrivains)  ou  Imesorda 
(étudiants).  Les  illettrés  ou,  plus  exactement,  les  gens 
qui  ne  se  livrent  pas  exclusivement  à la  lecture  des  livres 
sacrés,  les  gens  simples,  ignorants  des  choses  de  la 
religion  sont  les  Aouam  (le  peuple,  les  laïques). 

Les  conseils  des  Azzâba  et  à plus  forte  raison  les  dje- 
maa  laïques,  ne  prononcent  jamais  la  peine  de  mort.  La 


(1)  Les  Boudala  et  plus  exactement  les  Abdal  sont,  d’après 

l’étymologie,  JJj  les  remplaçants,  c’est-à-dire  ceux  appelés  à rem- 
placer les  Azzâba.  Nous  avons  déjà  vu  ce  mot  chapitre  V. 


— 151  — 


loi  ibadite  n’admet  cette  répression  que  pour  l’imam  élu 
qui  refuse  de  remplir  ses  fonctions.  Le  châtiment  le  plus 
rigoureux  qui  puisse  atteindre  l’Jbadite  est  la  tebria  (1), 
c’est-à-dire  Y excommunication,  telle  qu’elle  existait  dans 
les  sociétés  chrétiennes,  aux  époques  où  le  clergé  était 
tout  puissant  ; elle  est  même  plus  terrible,  car,  si  l’ex- 
communié ne  cherche  pas  à s’amender,  ou  si  la  famille 
l’accueille,  la  tebria  frappe  tous  ceux  qui  ont  action 
morale  sur  l’individu  frappé  de  cette  peine.  L’Ibadite 
frappé  de  tebria  est  déchu  de  tous  ses  droits  civils,  civi- 
ques et  de  famille,  l’entrée  de  la  mosquée  lui  est  inter- 
dite, sa  fréquentation  est  défendue.  Aussi,  dans  la  pra- 
tique du  Mzab,  dont  les  habitants  savent  trouver  un 
refuge  assuré  dans  nos  villes  françaises,  la  tebria  équi- 
vaut à un  bannissement. 

Cette  peine  n’est  pas  perpétuelle  et,  le  plus  souvent, 
la  halqa  admet  l’excommunié  à résipiscence,  lorsque 
l’expiation  est  jugée  suffisante.  Mais,  avant  de  pouvoir 
rentrer  dans  ses  droits  de  musulman  et  de  citoyen,  l’in- 
dividu dont  le  repentir  est  accepté  par  les  clercs  doit  faire 
publiquement  pénitence.  Pour  cela,  il  se  place  accroupi 
sur  le  passage  des  Azzâba,  en  criant  grâce,  pendant  plu- 
sieurs heures  et  quelquefois  pendant  plusieurs  jours; 
s’il  est  admis  au  pardon,  il  entre  dans  la  mosquée,  à un 
endroit  spécialement  désigné,  et  il  subit,  devant  toute  la 
paroisse  assemblée,  les  reproches  et  les  admonestations 
de  l’Azzab  chargé  de  conduire  la  prière.  Après  quoi,  il  se 
fait  raser  comme  un  nouveau  converti  et  rentre  dans  la 
vie  commune. 

L’excommunication  ibadite  ou  tebria  est  prononcée 
contre  tout  individu  coupable  de  meurtre  non  justifié, 
de  concubinage,  d’adultère,  de  libertinage,  d’acquisition 
par  violence,  de  recel,  comme  aussi  de  désobéissance 


(1)  Le  mot  signifie  en  arabe  ordinaire  : exemption,  abolition  ; 

le  sens  que  lui  donnent  les  Ibadites  est  celui  d’exclusion,  de  rejet.  La 
traduction  convenable  est  donc  bien  le  mot  excommunication. 


— 152  — 


ou  de  manquements  graves,  soit  vis-à-vis  des  Azzâba,  soit 
vis-à-vis  des  obligations  canoniques  imposées  à tous 
les  Ibadites.  Enfin,  en  dehors  des  faits  précis  rentrant 
dans  la  catégorie  de  ceux  que  nous  venons  d’énumérer, 
la  tebria  peut  toujours  être  prononcée  par  le  cheikh, 
assisté  de  la  halqa,  quand  cela  est  nécessaire,  pour  le 
bien  de  la  religion  et  pour  la  tranquillité  de  la  commu- 
nauté (1). 

La  morale  que  prêche  la  loi  Ibadite  est  excessivement 
austère  et  puritaine.  Les  Musulmans  de  cette  commu- 
nion ont,  à un  haut  degré,  l’horreur  de  l’effusion  du 
sang  (2),  ils  ne  l’admettent  comme  licite  que  dans  le  cas 
où  elle  est  commandée  par  Allah,  pour  la  défense  de  la  foi  ; 
encore  faut-il  que  les  Croyants  soient  attaqués  et  empê- 
chés, par  les  impies,  les  mécréants  ou  les  idolâtres  de 
pratiquer  leur  religion. 

Le  mensonge,  la  simple  médisance,  même  fondée, 
l’emploi  de  termes  injurieux,  obcènes  ou  simplement 
indécents,  le  contact  accidentel  ou  volontaire  de  la  main 
d’une  femme,  celui  d’un  objet  humide,  sale  ou  illicite, 
sont  des  péchés  graves  qui  « abolissent  la  pureté 


(1)  En  dehors  de  la  loi  religieuse,  les  gens  du  Mzab  ont  des  kanoun 
qui  sont,  à proprement  parler,  des  règlements  de  police,  variant 
comme  tarif  selon  les  villes.  Ces  kanoun  comportent  comme  peine  : 
le  bannissement  temporaire  « pendant  la  durée  duquel  il  faut  que  le 
» banni  ait  vu  la  mer  »,  la  prison,  la  bastonnade,  l’amende.  A Béni 
Isquen,  El-Alleuf,  les  peines  laïques  (civiles  ou  pénales)  se  divisent 
Bn  trois  catégories  : 1 °\'adeb  qui  comprend  les  peines  inférieures  à 20 
coups  de  bâton  et  20  jours  de  prison  ; 2°  le  laazer  qui  comprend  les 
peines  inférieures  à 40  coups  de  bâton  et  40  jours  de  prison  ; 3°  le 
nekal  comprend  les  peines  supérieures  dont  les  juges  règlent  la  quo- 
tité. 

(2)  Extrait  du  kanoun  de  Gbardaïa:  « Celui  qui  aura  volontaire- 
» ment  commis  un  meurtre  paiera  100  réaux  d’amende  (250  fr.),  rece- 
» vra  la  bastonnade  et  sera  banni  du  Mzab  à perpétuité.  » 

Extrait  du  kanoun  de  Bou  Noura  : « Celui  qui  sera  reconnu  coupa- 
» ble  de  meurtre  paiera  100  réaux  d’amende,  400  réaux  de  dia  et  sera 
» banni  à perpétuité.  » 


— 153  — 


morale  » et  rendent  nécessaire  des  ablutions  spéciales 
avant  de  pouvoir  prier  (1). 

Le  célibat  (parce  qu’il  favorise  la  débauche),  la  colère, 
les  chants,  la  musique,  le  jeu,  la  danse,  le  luxe  dans  les 
vêtements,  l’usage  du  tabac,  la  fréquentation  des  cafés 
(mais  non  l’usage  privé  du  café  dans  sa  maison),  sont 
choses  formellement  interdites  ; ce  sont  des  péchés  mor- 
tels compromettant  le  salut  des  Fidèles  ; ceux  qui  per- 
sévèrent dans  d’aussi  graves  péchés  doivent  être  punis 
rigoureusement  et  peuvent  encourir  la  tebria  (2). 

La  discrétion,  le  silence,  les  bons  rapports  avec  autrui, 
la  modestie  dans  la  tenue  et  le  langage,  la  sûreté  et 
l’aménité  dans  les  relations,  la  fidélité  dans  la  garde  d’un 
dépôt,  etc.,  sont,  au  contraire,  des  vertus  tout  particu- 
lièrement recommandées. 


(1)  Sans  préjudice  de  l’action  pénale  exercée  dans  un  intérêt  d’ordre 
public,  en  vertu  du  kanoun  particulier  de  la  ville.  Ainsi,  le  kanoun 
d-’El-Alleuf  punit  du  nekal  (en  spécifiant  qu’on  peut  pousser  la  bas- 
tonnade jusqu’à  500  coups  de  bâton)  : « Ceux  qui  font  usage  de  bois- 
» sons  fermentées,  ceux  qui  mangent  de  la  viande  ou  du  sang  d’un 
» animal  non  égorgé,  d’un  porc,  de  la  chair  humaine  ou  des  choses 
» immondes.  » 

(2)  Le  kanoun  de  Milika,  conservé  dans  le  registre  de  la  mosquée 

de  cette  ville,  contient  ce  passage  : * 

« Sont  interdits  : les  réjouissances  en  musique  et  jeux  divers  ; 
» l’usage  du  henné  à l’occasion  d’un  mariage,  d’une  circoncision  ou 
» d’une  naissance.  Tout  contrevenant  arabe  ou  autre,  de  condition 
» libre  ou  servile,  sera  puni  d’une  amende  de  5 réaux  kounti  et  excom- 
» munie  par  les  tolba.  Seront  punis  des  mêmes  peines,  ceux  qui,  en 
» ces  occasions,  toléreront  dans  leurs  maisons  ces  jeux  ou  réjouis- 
» sances.  » 

A Béni  Isquen,  le  kanoun  est  moins  rigoureux  : il  applique  Yadeb, 
peine  inférieure  à 20  coups  de  bâton  et  20  jours  de  prison  aux  infrac- 
tions ci-après  : « Paroles  outrageantes,  excitation  au  désordre,  réjouis- 
» sances  interdites,  jeux,  chants  et  cris,  . paroles  ou  actions  de  nature 
» à porter  atteinte  à la  considération  d’autrui.  Elle  est  infligée  aussi  à 
» celui  qui  pénètre  sans  droit  dans  la  maison  de  quelqu’un,  qui  se 
» refuse  à donner  ce  qui  lui  est  justement  réclamé,  qui  se  vante  d’ap- 
» partenir  à telle  ou  telle  fraction,  qui  s’isole  avec  la  femme  d’un 
» autre,  à ceux  qui  se  réunissent  pour  prendre  du  café  ou  fumer  du 
» tabac,  etc.  » 


— 154 


Et  en  fait,  il  faut  reconnaître  qu’il  y a,  chez  presque 
tous  les  Mozabites,  une  honnêteté  et  une  moralité  de 
beaucoup  supérieure  à celle  des  autres  Musulmans,  Ber- 
bères ou  Arabes. 

C’est,  qu’en  effet,  la  loi  Ibadite  attache  à la  morale  une 
importance  toute  spéciale.  Alors  que  les  Musulmans 
sunnites  déclarent  que  la  foi  seule  suffit  pour  sauver  le 
Fidèle,  quels  que  soient  ses  actes  ; alors  que  la  plupart 
des  Congréganistes  admettent  que  l’on  peut  faire  son 
salut,  en  s’absorbant  dans  de  pieuses  pratiques  de  dévo- 
tion ou  en  récitant  certaines  prières  privilégiées,  les 
Ibadites  n’admettent  pas  le  salut  du  Fidèle,  s’il  n’a  pas 
de  bonnes  œuvres  à son  actif.  Volontiers,  ils  répètent 
cette  maxime  de  Djaber-ben-Sid,  un  de  leurs  premiers 
Imams,  qui  disait  : « La  foi  ne  sert  pas  à l’homme  s’il 
» ne  la  possède  pas  depuis  longtemps,  et  s’il  n’a  pas  fait 
» œuvre  méritoire  avant  sa  mort.  » 

Véritables  puritains  (1)  de  l’Islam,  les  Ibadites  pous- 
sent à l’excès  l’observance  des  prescriptions  du  Coran. 
Leur  rigorisme  n’admet  ni  tempérament  ni  interpréta- 
tion du  Texte  sacré  : ils  disent  même  qu’il  n’y  a pas  de 
discussion  religieuse  possible,  car  s’il  y a divergence 
d’opinion,  il  suffit  de  relire  attentivement  le  Livre  de 
Dieu  et  de  l’appliquer  strictement,  sans  en  rien  retran- 
cher, sans  rien  y ajouter.  Ils  accusent  les  autres  Musul- 
mans de  torturer  le  sens  du  Livre,  et  ils  ont  en  horreur 
les  spiritualistes  ou  batenistes  (2).  Aussi  regardent-ils 
comme  absolument  hérétiques  et  impies  tous  les  der- 
wich,  faqir  et  autres  mystiques. 

Les  Ibadites  ont  des  Docteurs  et  des  Savants  dont  ils 
vénèrent  la  mémoire,  mais  ils  n’ont  pas  de  Saints  pro- 


(1)  Extrait  du  kanoun  de  la  ville  de  Ghardaïa  : « Tout  individu  qui 
» sera  convaincu  d’avoir  adressé  la  parole  à une  femme  dans  la  rue 
» sera  puni  d’une  amende  de  25  réaux  (62  fr.  50;  et  sera  banni  pen- 
» dant  deux  ans.  » 

(2)  De  El-Balen , l’intérieur. 


— 155  — 


prement  dits  ; ils  disent  que,  admettre  l’intercession  d’un 
Prophète  ou  d’un  Saint  comme  pouvant  être  efficace, 
c’est  nier  Dieu,  dont  les  jugements  sont  irrévocables  et 
dont  la  sagesse  ne  peut  être  influencée  par  l’intervention 
d’une  de  ses  créatures. 

Non-seulement  ils  n’admettent  pas  qu’il  puisse  y avoir 
des  illuminés  ou  des  inspirés,  mais  ils  ne  reconnaissent 
pas  le  droit,  à une  créature  humaine,  fut-ce  l’Imam, 
d’amnistier  son  semblable.  Le  Livre  dit  à l’Imam  quand 
il  doit  punir  ; comme  il  lui  prescrit  de  faire  triompher  le 
bien,  il  lui  donne  le  droit  de  mettre  à l’écart  de  la  société 
celui  qui  donne  l’exemple  du  mal  : mais  « Dieu  seul  est 
» juge  souverain  et  peut  apprécier  si  le  repentir  est  de 
» nature  à effacer  la  culpabilité.  » 

Ainsi,  tout  Ibadite  qui  se  sent  mourir  est  assisté,  à 
ses  derniers  moments,  d’un  Azzab  ou  d’un  Clerc  profès 
(Aroui),  qui  reçoit  sa  confession  et  stimule  son  repentir. 
Mais  ce  Clerc  n’absout  pas  le  moribond.  Dieu  seul  peut 
savoir  si  le  repentir  est  suffisant. 

Tels  sont,  résumés  à grands  traits,  les  points  princi- 
paux de  la  doctrine  Ibadite.  Pour  être  plus  explicite,  il 
faudrait  compléter  ce  que  nous  avons  dit  par  des  extraits 
du  Kitab-en-Nil  (1),  dans  lequel  sont  rentermés  les  pas- 
sages essentiels  des  principaux  Docteurs,  tant  au  point 
de  vue  théologique  qu’au  point  de  vue  juridique. 

Mais  cela  nous  entraînerait  trop  loin  ; nous  n’avons 
voulu  donner  ici  qu’un  point  de  repère,  pour  permettre 
de  se  former  une  opinion  sur  ce  qu’a  de  fondé  l’accusa- 
tion de  ouahbisme  formulée,  par  les  Musulmans,  contre 
les  congréganistes  orthodoxes. 

L’étude  de  la  doctrine  Ibadite  mérite,  du  reste,  d’être 
l’objet  d’un  travail  spécial,  aussi  bien  au  point  de  vue 


(1)  Le  Kitab-en-Nil'e st  un  gros  in*4b  de  800  pages  environ  ; il  a, 
pour  les  Mozabites,  la  môme  valeur  que  Sidi  Khelil  pour  les  Maleki- 
tes.  Ce  livre  n’a  pas  encore  été  traduit  en  Français,  mais  cette  traduc- 
tion s’impose,  aujourd’hui  que  nos  tribunaux  français  vont  avoir  à 
appliquer,  en  appel,  la  loi  Ibadite. 


— 156  — 


historique  qu’au  point  de  vue  philosophique.  Le  peu  que 
nous  en  avons  dit  montre  déjà  l’étonnante  ressemblance 
que  présente  le  Ouahbisme  Musulman  avec  le  protes- 
tantisme chrétien.  Nous  avons  nous-même  comparé  les 
Ibadites  aux  presbytériens  d’Écosse,  et  cette  comparai- 
son aurait’  pu  être  renforcée  par  une  foule  de  détails 
typiques,  tels  que  l’obligation  pour  tout  Ibadite  de  com- 
prendre le  sens  des  paroles  qu’il  prononce  en  priant,  ou 
en  récitant  le  Coran,  ce  qui  explique  le  développement 
de  l’instruction  dans  le  Mzab. 

Mais  nous  le  répétons,  nous  n’avions  pas  ici  à faire 
l’histoire  des  Ouahbites  et  nous  avons  dû  nous  borner 
à un  simple  coup  d’œil  sur  leurs  doctrines. 

Ajoutons  que  notre  occupation  du  Mzab  n’a,  en  rien, 
touché  à l’organisation  religieuse  du  pays,  ni  au  mode 
d’administration  de  la  justice  civile.  Nous  nous  sommes 
bornés  à imposer  notre  justice  criminelle,  ce  qui  est  un 
droit  régalien  dont  nous  ne  pouvions  faire  abandon*  et 
à affranchir  les  djemâa  laïques  du  contrôle  et  de  la  tutelle 
de  l’élément  religieux,  ce  qui  était  depuis  longtemps  le 
désir  des  Berbères  Mozabites. 

Les  Musulmans  Ibadites  sont  en  Algérie  au  nombre  de 
35  à 49,000  environ  ; 30,000  environ  (les  statistiques  offi- 
cielles faites  à distance  en  1881  disent  27,115)  sont  agglo- 
mérés dans  les  villes  du  Mzab  ; le  reste  est  épars  dans 
tous  les  centres  européens  ou  indigènes  de  l’Algérie  par 
groupes  très  variables  : ce  sont  ces  Mozabites  bien  con- 
nus dans  nos  villes,  où  leur  commerce  honnête  et  labo- 
rieux leur  a acquis  depuis  longtemps  l’estime  de  tous  les 
Français . 


— 157  — 


CHAPITRE  XII 


ORDRE  RELIGIEUX  DES  SEDDIkYA 

fondé  par 

ABOU-BEKER-ES-SEDIK 

Mort  l’an  1 3 (634-35  de  J.-C.) 


L’ordre  religieux  des  Seddikya  passe  pour  avoir  été 
fondé  par  Abdallah-Ibn-Abou-Kohafah-Abou-Beker-es- 
Sedik-el-Atik  (1),  beau-père  du  Prophète  et  premier 
khalife,  personnage  historique  dont  la  notoriété  nous 
dispense  de  retracer  la  vie. 

Ceux  qui,  ayant  été  plus  particulièrement  les  disciples 
et  clients  de  Si-Abou-Beker-es-Sedik,  avaient  pu  recueil- 
lir ses  paroles  et  ses  pratiques  de  dévotion,  en  avaient 
formé  un  corps  de  doctrine,  qui  devint  la  règle  de  ses 
partisans,  réunis  en  une  sorte  de  société  religieuse  qui 
s’est  perpétuée  jusqu’à  nos  joilrs. 

Le  prestige  d’Abou-Beker  est  immense  dans  tout 


(1)  L’usage  des  anciens  Arabes  était  de  désigner  les  hommes 
adultes  par  le  nom  de  leur  premier  né  précédé  du  mot  Abou  « père.  * 
Abou-Beker  signifie  « le  père  de  la  Vierge  » c’est-à-dire  de  Aïcha, 
la  seule  femme  que  le  Prophète  ait  épousée  vierge,  toutes  ses  autres 
femmes  avaient  été,  en  effet,  déjà  mariées  avant  de  devenir  ses 
épouses.  Le  surnom  d’Es-Seddik  « le  certificateur  »,  a été  donné  à 
Abou-Beker  parce  qu’il  certifia  la  vérité  du  miracle  du  voyage  noc- 
turne du  Prophète.  Le  surnom  d’El-Atik  « le  prédestiné  » aurait  été 
donné  à Abou-Beker  par  le  Prophète  lui-même. 

Si-Abou-Beker  est  né  en  573  de  J.-C.  ; il  fut  khalife  à la  mort  du 
Prophète,  en  632(10-11  de  l’Hégire),  et  fut  assassiné  à Médine  l’an  13 
(634-635  de  J.-C.). 


— 158  — 

l’Islam  : ce  fut  lui,  en  effet,  qui  réunit  en  un  livre  les 
pages  éparses  du  Coran  et  qui,  à la  mort  du  Prophète, 
fut  jugé  le  plus  digne  de  lui  succéder.  Tous  les  actes  de 
sa  vie,  comme  pontife  et  souverain,  sont  restés  marqués 
au  coin  de  l’austérité  et  de  la  ferveur  religieuses,  et  c’est 
avec  raison  qu’il  est  demeuré,  à travers  les  siècles, 
comme  le  type  le  plus  élevé  et  le  plus  pur  du  véritable 
Musulman  intransigeant  dans  sa  foi.  Aussi,  son  nom 
n’est-il  jamais  prononcé,  par  les  Croyants  sans  être  pré- 
cédé du  mot  « Notre  Seigneur»  (Uj^..):  Sidna  Abou- 
Beker , khalifa  rassoul  Allah , Notre  Seigneur  Abou- 
Beker,  vicaire  (khalife)  de  l’Envoyé  de  Dieu  y \ 

C’est,  en  effet,  une  grande  figure  dans  l’histoire  que  ce 
pontife  souverain,  dont  l’activité  guerrière  n’eut  d’égales 
que  la  ferveur  de  son  prosélytisme  religieux  et  la  simpli- 
cité de  sa  vie  privée. 

C’est  à Abou-Béker-es-Sedik  que  se  rattachent,  plus  ou 
moins  directement,  la  plupart  des  grands  ordres  reli- 
gieux de  l’Islam.  L’exposé  des  doctrines  des  Seddikya 
présente  donc  un  intérêt  majeur  pour  l’étude  des  diverses 
congrégations  musulmanes,  car  toutes,  dans  une  cer- 
taine mesure,  se  sont  inspirées  des  préceptes  laissés 
par  le  premier  Isman,  ou  pontife  souverain  de  l’Islam. 

Les  Seddikya  sont  très  répandus  dans  le  Levant,  en 
Égypte  et  dans  l’Yemen  et  s’ils  n’ont  que  fort  peu  d’a- 
deptes en  Algérie,  il  ne  faut  pas  oublier  cependant 
qu’Abou-Beker  est  l’ancêtre  direct  du  grand  Sidi-Cheikh- 
ed-Din,  souche  de  la  grande  famille  religieuse  des  Ouled 
Sidi-Cheikh,  dont  l’influence  politique  et  maraboutique 
s’exerce,  depuis  des  siècles,  dans  tout  le  Sahara 
algérien,  de  Ouargla  jusqu’au  Tafilalet  marocain,  en 
dehors  même  de  leur  action  comme  membres  de  diverses 
congrégations  religieuses  qui  se  rattachent,  par  des 
liens  plus  ou  moins  nets,  à l’ordre  des  Seddikya  (1). 


(1)  Voir  chapitre  XXIV. 


— 159  — 


D’un  autre  côté,  nous  devons  noter  que  le  cheikh 
Snoussi  place  en  première  ligne,  parmi  ses  meilleurs 
appuis,  l’enseignement  qu’il  a reçu  des  grands  maîtres 
ou  moqaddem  des  Seddikya. 

C’est  à un  manuscrit  du  cheikh  Snoussi  que  nous 
empruntons  les  extraits  ci-après,  qui  résument  l’exposé 
de  la  doctrine  et  de  la  règle  des  Seddikya  : 


« Les  principes  fondamentaux  de  cet  ordre  sont  l’absorption  dans 
» la  contemplation  du  Prophète  (que  Dieu  répande  sur  lui  ses  béné- 
» dictions  et  lui  accorde  le  salut  !)  d’une  manière  fervente  et  osten- 
» sible,  en  paroles  et  en  actions.  L’affilié  ne  doit  faire  usage  de  sa 
» langue  que  pour  l'implorer,  et  se  faire  de  cette  obligation  un  devoir 
» impérieux,  dans  presque  tous  les  instants  de  sa  vie,  qu’il  soit  dans 
» l’isolement  ou  en  public,  jusqu’à  ce  qu’il  ait  gagné  son  cœur  et 
» fortifié  son  âme  par  sa  glorification.  Arrivé  à ce  degré  d’illumina- 
» tion,  il  sera  protégé  par  le  retentissement  de  ses  louanges,  son 
» cœur  sera  vivifié  par  sa  présence  et  l’exemple  de  ses  vertus  sera 
» toujours  devant  ses  yeux  pour  le  diriger.  Parvenu  à ce  point  de 
» perfection,  le  Prophète  répandra  sur  lui  ses  bienfaits  spirituels  et 
» corporels  : il  lui  apparaîtra  dans  presque  tous  les  états  où  il  se 
» trouvera,  pendant  son  sommeil  surtout,  puis  pendant  ses  moments 
» difficiles,  alors  qu’il  se  serait  laissé  surprendre,  et,  enfin,  pendant 
» ses  heures  d’extase.  Cette  jouissance  ne  peut  être  comprise  qu’en 
» la  goûtant.  Le  Prophète,  par  un  effet  de  sa  puissance,  fortifiera 
» alors  sa  foi  dans  les  circonstances,  périlleuses,  veillera  sur  ses 
» actions  et  les  dirigera  ; aucune  créature  humaine  n’aura  de  puis- 
» sance  sur  lui,  si  ce  n’est  le  Prophète  (que  Dieu  répande  sur  lui  ses 
» bénédictions  et  lui  accorde  le  salut  !)  Le  fidèle  qui  parvient  à ce 
» degré  de  perfection  s’appelle  Mohammedi,  du  nom  de  Mohammed, 
» à cause  de  ce  qui  vient  d’être  dit,  parce  qu’il  est  dans  la  voie  de  la 
n vérité  et  qu’enfinil  veut  être  conduit  vers  les  récompenses  célestes. 

» Ce  sont  ces  pratiques,  parfaitement  réglées,  dont  le  but  est  la 
» glorification  de  l’Être-Suprême,  qui  doivent  être  scrupuleusement 
» observées  et  que  nous  recommandons  à la  ferveur  générale. 

» Tous  les  adeptes  qui  s’y  soumettent,  sont  invités  à se  livrer  à 
» une  méditation  profonde,  attendu  que  le  but  à atteindre  est  tout 
» d’abord  une  absorption  complète,  jusqu’à  purification,  des  souillures 
» du  péché.  Parvenus  à ce  degré,  ils  auront  à prier  pour  le  Prophète 
» (que  Dieu  répande  sur  lui  ses  bénédictions  et  lui  accorde  le  salut  !) 
» en  répétant  l’oraison  dite  Selat-el-Tama,  qui  fait  partie  des  prières 
» nommées  El-Techchidat-el-Aberrahmia.  Ce  que  nous  prescrivons  ici 


— 160 


0 est  réservé  au  vulgaire.  Aux  adeptes  d’un  esprit  élevé,  nous  ordon- 
» nons  autre  chose  : nous  ne  leur  imposons  pas  seulement  ces  sim- 
» pies  prières,  qui  sont  sans  cesse  dans  leurs  bouches  et  qu’ils  arti- 
» culent  par  surérogation,  sans  discerner  d’abord  les  mystères  qui  y 
» sont  attachés  ; nous  leur  en  demandons  davantage  : ils  doivent 
» s’astreindre  à réciter  chacune  de  ces  prières  douze  fois  de  suite, 
» puis,  lorsque  le  secret  qui  y est  afférent  leur  est  révélé,  par  suite 
» de  la  pureté  de  leur  cœur,  il  importe  qu’ils  passent  dans  une  autre 
» oraison  dans  laquelle  ils  invoqueront  l’Envoyé  de  Dieu  et  implore- 
» ront  son  affection  et  sa  justice.  Voici  cette  oraison  : 0 Dieu,  répandez 
» vos  bénédictions  sur  votre  ami , tel  nombre  de  fois,  et  faire  connaître 
» quel  nombre;  on  invoque  en  ajoutant  : que  ces  bénédictions  soient 
» aussi  nombreuses  que  les  choses  de  ce  monde  que  vous  avez  créées  (les 
» étoiles,  les  grains  de  sable,  etc...),  sans  omettre  de  placer  le  mot 
» Sidna  (notre  Seigneur)  avant  le  nom,  car  un  mystère  y est  attaché 
» qui  ne  se  dévoile  qu’à  celui  qui  s’impose  cette  pratique  avec  fer- 
» veur.  Lorsque  le  cœur,  éclairé  par  la  lumière  de  la  prière,  est  purifié 
» des  impuretés  humaines,  il  ne  doit  plus  articuler  que  des  choses 
» saintes  et  dire,  par  exemple  : « Que  les  bénédictions  soient  sur  le 
* Prophète  (que  Dieu  répande  sur  lui  ses  bénédictions  et  lui  accorde 
» le  salut  !)  Il  n'y  a de  Dieu  que  Allah , Mohammed  est  l'envoyé  de  Dieu 
» (que  Dieu  répande  sur  lui  ses  bénédictions  et  lui  accorde  le  salut  !)  » 
» Ces  invocations  répétées  à tous  les  instants  de  la  vie,  ne  convien- 
» nent  qu’à  une  personne  d’un  esprit  supérieur,  ferme  dans  sa  foi, 
» inébranlable  dans  ses  sentiments  et  dont  l’esprit  est  plein  d’une 
» conviction  profonde.  Elles  renferment,  du  reste,  une  force  qui  ne 
« peut  être  supportée  que  par  les  forts.  Les  lumières  que  l’on  possède 
» alors  sont  un  feu  dévorant  qu’une  âme  aguerrie  peut  seule  con- 
» tenir. 

» Lorsque  l’adepte  est  d’une  nature  vulgaire,  il  convient  qu’il  ne  soit 
» initié  aux  préceptes  que  progressivement.  Aussi  faut-il  ne  lui  im- 
» poser,  dans  le  principe,  que  des  prières  faciles,  jusqu’à  ce  que  son 
» âme  soit  fortifiée  et  affermie  par  degrés.  Alors  on  en  augmente  la 
» progression  en  y ajoutant  des  invocations  pour  le  Prophète  (que 
» Dieu  répande  sur  lui  ses  bénédictions  et  lui  accorde  le  salut  !)  car 
9 ces  prières  pour  le  Prophète  sont  comme  une  eau  qui  fortifie  l’âme 
» et  en  efface  les  mauvais  penchants. 

» A ce  sujet,  notre  Seigneur  Es-Seddik  (que  Dieu  lui  accorde  ses 
» grâces  !)  a dit  : « La  prière  pour  le  Prophète  efface  les  péchés 
» comme  l’eau  fraîche  éteint  le  feu  le  plus  ardent,  etc....  » 

« Lorsque  les  fruits  produits  par  la  pratique  de  l’invocation  dite  du 
» Dikr  de  l’âme  et  par  une  foi  profonde  ont  effacé  les  impuretés  de 
9 l’âme,  lorsqu’on  ne  voit  que  par  les  yeux  du  cœur,  dans  ce  monde 
» et  dans  l’autre,  que  l’Être  unique  (Dieu),  alors  on  peut  aborder  la 


— 161  — 


» prière  qui  élève  l’âme  vers  Dieu,  c’est-à-dire  celle  qui  consiste  à 
» dire  : « Que  le  Dieu  lout-puissant  soit  glorifié  ! 0 noire  Dieu , répandez 
» vos  bénédiclions  sur  notre  Seigneur  Mohammed , sur  sa  famille  et  ses 
» compagnons , accordez-leur  le  salut!  » 

» Quand  cette  prière,  à son  tour,  a porté  ses  fruits  et  que  les  mys- 
» tères  qui  y sont  attachés  se  trouvent  dévoilés,  l’adepte  est  initié  au 
b Dût  menfered  et  doit  répéter  souvent  ce  nom  : Dieu  ! Dieu  !.... 

» Ben-Abdallah  recommande  particulièrement  de  ne  point  omettre 
» la  mention  qui  concerne  le  Prophète  (que  Dieu  répande  sur  lui  ses 
» bénédictions  et  lui  accorde  le  salut  !),  car  c’est  là  une  clef  qui  ouvre 
» toutes  les  portes,  par  la  volonté  de  l’Être  Généreux  et  Dispensateur.  » 
» Abou-Beker  rapporte  que  le  cheikh  Nour-ed-Din-ech-Chouni-el- 
» Masseri  ouvrait  ses  conférences  par  des  prières  pour  le  Prophète 
> (que  Dieu  répande  sur  lui  ses  bénédictions  et  lui  accorde  le  salut  !) 
v la  nuit  qui  précède  le  vendredi  et  ce  jour-là. 

» Il  prescrivait  les  pratiques  suivantes  : réciter  la  Sourate  d’El- 
b Kehef  et  celle  de  Ya-Sine  les  jours  ordinaires,  en  y ajoutant,  dans 
» la  nuit  du  vendredi,  les  autres  Sourates  du  Coran  intitulées  : Taba- 
» rah  et  El-Koutser  qui  doivent  se  répéter  pendant  l’espace  de  trois 
» degrés  (un  quart  d’heure  environ).  ; prononcer  l’invocation  des  mots 
» Dieu  unique  toutes  les  nuits,  mais  particulièrement  et  davantage 
» pendant  celles  du  vendredi  ; réciter  les  deux  derniers  chapitres  du 
b Coran  et  la  Fatha  ; réciter  le  passage  du  livre  commençant  par  : 
» Votre  Dieu  est  le  Dieu  unique , il  n'y  a de  Dieu  que  lui  ; c'est  le  Clément 
» et  le  Miséricordieux  ; il  n'y  a de  Dieu  que  Allah , c'est  le  vivant  et  l'im- 

b muable,  etc et  continuer  jusqu’au  mot  El-Adim,  reprendre 

» ensuite  à partir  de  : A Dieu  appartient  tout  ce  qui  est  dans  les  Cieux 
b et  sur  la  Terre , etc  ...  jusqu’à  la  fin  de  la  Sourate  ; recommencer 
b aux  mots  : Que  Dieu  et  ses  anges  répandent  leurs  bénédictions  sur  le 

b Prophète , etc jusqu’au  mot  Tesseliman;  réciter  ensuite  les  autres 

b prières  auxquelles  sont  attachées  les  grâces  bien  connues  dont  il 
b a été  déjà  question,  en  commençant  par  les  prières  pour  le  Pro- 
b phète  dites  Selat  El-Aberahmia  qui  sont  celles  dont  on  retire  le  plus 
b de  fruits  et  qui  ne  sont  plus  perfectibles. 

b Ces  pratiques  sont  continuées  par  les  gens  pieux,  sans  interrup- 
b tion,  jusqu’à  ce  que  l’âme  de  Mohammed  (que  les  grâces  et  le  salut 
» soient  sur  lui  !)  leur  apparaisse  pendant  le  sommeil  et  pendant 
b qu’ils  veillent.  Cette  âme  sainte  les  nourrit,  les  dirige  et  les  con- 
» duit  vers  les  degrés  les  plus  élevés  du  spiritualisme.  » 


A côté  de  ces  doctrines,  il  n’est  pas  sans  intérêt  de 
citer  encore  quelques-unes  des  paroles  prononcées,  par 
. Abou-Beker,  dans  des  circonstances  graves. 


11 


— 162 


Voici  d’abord  sa  proclamation  lors  de  son  élévation  au 
khalifat  : 

« Me  voici  chargé  de  vous  gouverner,  je  ne  suis  pas 
» le  meilleur  d’entre  vous,  j’ai  besoin  de  vos  avis  et  de 
» votre  concours.  Si  je  fais  bien,  aidez-moi;  si  je  fais 
» mal,  redressez-moi  ; dire  la  vérité  au  dépositaire  du 
» pouvoir  est  un  acte  de  zèle  et  de  dévouement  ; la  lui 
» cacher  est  une  trahison.  Devant  moi , V homme  faible 
» et  V homme  puissant  sont  égaux,  je  veux  rendre  à tous 
» une  impartiale  justice . Tant  que  f obéirai  à Dieu  et  au 
» Prophète,  obéissez-moi  ; si  jamais  je  m'écarte  du  soin 
» de  Dieu,  je  cesse  d'avoir  droit  à votre  obéissance.  » 

Peu  de  temps  après,  alors  qu’il  avait  besoin  d’affermir 
son  autorité  naissante  en  ralliant  à lui  ceux  qui  hésitaient 
encore,  il  refusait  le  concours  d’une  tribu  puissante,  qui 
mettait  comme  condition  à son  alliance  d’être  exempte 
de  la  taxe  des  pauvres  : « L’Islam,  leur  dit-il,  ne  connaît 
» qu’une  loi,  une  et  indivisible;  il  n’est  pas  permis 
» d’obéir  à l’une  de  ses  prescriptions  et  de  rejeter  l’autre.  » 

Cette  hère  réponse,  comme  le  ton  général  de  la  pro- 
clamation, qui  montre  l’homme  politique  sous  son  véri- 
table jour,  nous  semble  compléter  les  extraits  que  nous 
avons  donnés  des  livres  de  doctrines  des  Seddikya.  L’en- 
semble de  ces  documents  qui,  pour  les  Musulmans,  sont 
des  textes  sacrés,  permet  de  pressentir  quels  peuvent 
être  les  principes  des  ordres  religieux  qui  les  invoquent, 
et  expliquent  les  singuliers  mélanges  de  mysticisme  et 
d’intransigeance  que  nous  verrons  dans  presque  tous 
les  ordres. 

Abou-Beker  confia,  de  son  vivant,  la  direction  de  sa 
congrégation  à son  naïb,  Sid-Sliman-el-Farasi,  qui  devait 
bientôt  être  chef  de.  l’ordre.  Celui-ci  transmit  ses  pou- 
voirs spirituels  au  fils  d’Abou  - Beker,  Kacem-ben- 
Mohammed-ben-Abou-Beker-es-Sedik,  dont  la  chaîne 
s’est  perpétuée  jusqu’à  nos  jours. 


— 163  — 


CHAPITRE  XIII 


ORDRE  RELIGIEUX  DES  AOUÏSSYA 

fondé  par 

AOUÏS-BEN-KARANI 
Mort  en  l’an  37  (657-58  de  J.-C.) 


Omar-Abou-Assa-ben-el-Khettab-el-Farrouk  (1),  compa- 
gnon du  Prophète  et  deuxième  khalife  de  l’Islam,  se 
montra,  toute  sa  vie,  Musulman  rigide,  austère  et  exalté. 
Son  fanatisme  religieux  ne  le  fît  cependant  jamais  s’é- 
carter des  règles  de  la  justice.  On  dit  même  qu’avant 
d’être  revêtu  du  pouvoir  souverain,  il  trancha,  un  jour, 
la  tête  d’un  Musulman  qui,  ayant  perdu  son  procès  con- 
tre un  juif,  n’avait  pas  voulu  se  soumettre  à la  sentence. 

Plus  tard,  quand  il  fut  investi  de  l’imamat,  et  que  son 
empire  s’étendit  de  l’Inde  jusqu’à  Tripoli  de  Barbarie,  il 
portait  un  burnous  troué  et  rapiécé,  resté  légendaire 
chez  les  Musulmans  qui  discutent  encore  sur  le  nombre 
de  ses  déchirures. 

Il  couchait  parmi  les  pauvres,  sur  les  degrés  de  la 
mosquée  de  Médine,  et  c’est  de  là  qu’il  montait  sur  la 
tribune  qui  lui  servait  de  trône,  et  où  il  donnait  ses 
audiences  aux  princes  et  ambassadeurs  de  Perse  et  de 
Syrie.  Son  enseignement  était,  comme  sa  conduite  poli- 
tique, extrême  dans  sa  sévérité  et  son  rigorisme. 

Ce  fut  à cette  école  que  se  forma  Aouïs-ben-Omar,  dit 
El-Karani,  c’est-à-dire  natif  de  Karn  dans  le  Yemen. 
Frappé,  sans  doute,  par  tout  ce  qu’il  avait  vu  et  entendu 


(1)  El-Farrouk , le  judicieux. 


— 164  — 


et  entraîné  par  le  délire  d’une  imagination  que  les  ma- 
cérations avaient  surexcitée,  il  déclara,  un  jour,  que 
l’archange  Gabriel  lui  était  apparu  en  songe,  et  qu’il  lui 
avait  ordonné  de  quitter  le  monde,  pour  se  livrer  à une 
vie  contemplative  et  pénitente.  Il  lui  avait,  en  outre, 
Indiqué  et  révélé  la  voie  à suivre  et  les  pratiques  à obser- 
ver: une  abstinence  continuelle,  l’éloignement  de  la 
société,  le  renoncement  à tous  les  plaisirs  et  la  récitation, 
jour  et  nuit,  de  prières  incessantes. 

Ce  fut  l’an  37  de  l’Hégire  (657-58  de  J. -G.)  que  Aouïs, 
fort  de  la  révélation  qu’il  disait  avoir  reçue,  se  mit  à 
recruter  des  adeptes,  avec  lesquels  il  organisa  l’ordre 
religieux  qui  porte  son  nom.  Plus  tard,  « il  se  mit  en 
» communication  directe  avec  l’âme  du  Prophète  » et 
redoubla  d’austérité.  Son  zèle  l’entraîna  jusqu’à  se  faire 
arracher  toutes  les  dents,  en  l’honneur,  disait-il,  du 
Prophète,  qui  en  avait  perdu  deux  dans  un  combat  ; et  il 
imposa  cette  étrange  mortification  à tous  ses  disciples  (1). 

Aouïs-ben-Karani  n’était  pas  affilié  à l’ordre  des  Seddi- 
kya,  mais  il  avait  suivi  l’enseignement  d’Ali-ben-Abou- 
Thaleb. 

L’ordre  des  Aouïssya  est  resté  localisé  dans  le  Yemen 
et  le  Levant;  il  est  inconnu  en  Algérie.  Mais  nous 
l’avons  cité  parce  que  le  cheikh  Snoussi,  qui  descend  du 
khalife  Amar-ben-Abou-Khettab,  paraît  avoir  une  très 
grande  considération  pour  cet  ordre,  auquel  il  est  affilié 
et  qu’il  donne  comme  un  de  ses  meilleurs  appuis  : 

a Cet  ordre,  dit-il,  a conduit  un  grand  nombre  de  Croyants  à l’édu- 
d cation  spirituelle  par  des  initiations  progressives...  Les  adeptes 


(1).  D’après  la  bibliothèque  orientale  de  d’Herbelot,  la  vie  de  Aouïs- 
ben-Karani  a été  écrite  par  Jafès  (section  146  de  son  histoire).  — Jafès, 
dont  le  nom  exact  est  Abdallah-ben-Asâad-el-Yemeni,  mort  l’an  770 
de  l’Hégire  (1368-69  de  J.-C.),  a écrit  un  livre  intitulé:  Raouth-er - 
Riahin,  contenant  la  vie  de  tous  les  saints  et  théologiens  musulmans, 
du  Ier  siècle  de  l’Hégire  à l’an  750  (1349-50  de  J.-C.).  Nous  n’avons 
pu,  malheureusement,  nous  procurer  ce  livre  ni  à la  bibliothèque 
d’Alger  ni  ailleurs. 


— 165  — 


» reçoivent  l’initiation  de  l’âme  même  du  saint  Aouïs  ; mais,  celui 
s>  qui  aspire  à entretenir  les  âmes  sans  tache,  ne  peut  arriver  à cette 
» félicité  qu’en  se  dépouillant  de  ses  habitudes  mondaines,  en  s’impo- 
» sant  la  solitude  pour  penser  exclusivement  à ces  âmos,  et  en  se 
» désintéressant  des  vanités  terrestres,  o 

Cependant  il  est  à remarquer  que,  si  dans  PYemen,  en 
Égypte  et  en  Tripolitaine,  la  personnalité  d’Aouïs-ben- 
Karani  est  en  grand  renom  de  sainteté,  bon  nombre  de 
Musulmans  hanéfites,  non  congréganistes,  n’admettent 
pas,  comme  légitime  et  régulier,  l’ordre  des  Aouïssya  : 
« parce  que,  disent-ils,  cet  ordre  a pour  point  de  départ 
» une  révélation  que  rien  ne  prouve  ni  ne  démontre.  » 

C’est  pour  réfuter  cette  objection,  que  le  cheikh  Snoussi 
cite  plusieurs  pages  de  généalogie  s’entrecroisant  et  ten- 
dant à établir  qu’ Aouïs  fut  le  disciple  des  khalifes  Amar- 
ben-Abou-Khetab  et  Ali-ben-Abou-Thaleb,  et  qu’il  donne 
aussi  une  liste  de  grands  docteurs  musulmans  ou  de 
saints  authentiques  qui,  d’après  lui,  furent  les  adeptes 
et  les  continuateurs  d’Aouïs-ben-Karani. 

Nous  manquons,  d’ailleurs,  de  détails  précis  sur  la 
règle  de  l’ordre  des  Aouïssya  et  sur  le  formulaire  de  ses 
prières;  elles  sont  relatées  dans  un  livre  de  cheikh 
Snoussi,  intitulé  : « El-Salsabil  » (1)  que  nous  n’avons 
pu  nous  procurer. 


(1)  Si-Snoussi  a,  dans  ce  livre,  développé  « toutes  les  pratiques  à 
observer  dans  40  ordres.  » C’est  lui  -même  qui  s’exprime  ainsi  dans  le 
manuscrit  auquel  nous  sommes  déjà  redevables  de  tant  de  détails  pré- 
cieux. Il  y aurait  un  intérêt  réel  à pouvoir  se  procurer  le  Salsabilf 
dont  le  titre  exact  est  : 


« La  source  jaillissante  ou  les  autorités  sur  lesquelles  s’appuient 
les  40  voies.  » 


— 166  — 


CHAPITRE  XIV 

ORDRE  RELIGIEUX  DES  DJENIDYA 

fondé  par 

ABOUL-KACEM-EL-DJENIDI  (EL-DJONEID)  BEN  MOHAMMED 
Mort  en  l’an  296  (908-909  de  J.-C.)  ou  en  l’an  298  (910-911  de  J.-C.) 


Après  les  Seddikya,  institués  par  un  pontife  souverain 
et  conquérant,  nous  avons  dit  un  mot  des  Aouïssya, 
organisés  par  un  ascète  visionnaire  et  illuminé  ; nous 
allons  maintenant  voir  l’œuvre  d’un  Docteur. 

Le  prince  de  l’ordre  Aboul-Kacem-el-Dje- 

nidi  -ben  - Mohammed-  el  - Dj  enidi  - el-  Kaouarizi-  el-Neha  - 
ouendi  (1)  el-Bar’dadi-el-Zadjadji-el-Kazzazi,  naquit  à 
Bar’dad  et  y mourut  l’an  296  ou  298  (2)  de  l’Hégire  (908-09 
ou  910-11  de  J.-C.). 

Quoique  né  aux  environs  de  Bar’dad,  il  était  Persan 
d’origine.  Adonné  de  bonne  heure  à l’étude,  il  avait 
acquis,  dès  l’âge  de  vingt  ans,  une  notoriété  qui  se  chan- 
gea bientôt  en  une  véritable  célébrité,  comme  professeur 
et  théologien.  Il  fut,  à Bar’dad,  le  chef  des  Soufi  de  son 
époque,  et,  de  tous  les  pays  Musulmans,  on  accourait  à 
Bar’dad  pour  suivre  ses  leçons. 

Ce  fut,  en  effet,  un  savant  jurisconsulte,  qui  ne  laissa 
pas  moins  de  183  ouvrages  ou  traités,  sur  des  matières 
théologiques,  philosophiques  et  autres;  sa  réputation  est 


(1)  Nehaouend  est  une  ville  de  l’Irak  Persan  dont  la  famille  de 
Djoneïd  était  originaire. 

(2)  On  donne  les  4 dates  : 296,  297,  298  et  299.  Djani  dit  297, 
Jofei  298. 


— 167  — 


restée  considérable  et  ses  opinions  font  autorité,  chez 
tous  les  Musulmans,  en  matière  religieuse  ou  judiciaire. 

Il  professait  cependant  des  doctrines  fortement 
empreintes  de  ce  panthéisme  vague  et  inconscient,  si 
cher  aux  Persans  et  aux  Indiens;  mais  ces  doctrines 
étaient  présentées  avec  une  grande  habileté  de  paroles 
et  avec  tous  les  ménagements  nécessaires  pour  ne  frois- 
ser en  rien  l’orthodoxie  officielle.  Dans  ce  but,  il  combi- 
nait, d’une  façon  « bien  étonnante,  la  dogmatique  musul- 
» mane  avec  un  système  philosophique  diamétralement 
» opposé  à l’Islamisme  (1).  » Pour  parvenir  à ce  résultat, 
on  avait  alors  recours  à un  moyen  qui  a rendu  d’émi- 
nents services,  dans  tous  les  temps  et  dans  toutes  les 
religions  : on  conservait  les  termes  consacrés,  mais  on 
les  prenait  dans  un  tout  autre  sens.  « Il  en  fut  ainsi  du 
» mot  Touhid,  par  exemple,  qui  signifie  dans  l’Islamisme 
» l’unité  de  Dieu,  mais  que  les  Soufi  emploient  pour 
» désigner  l’unité  panthéiste  (2).  » 

El-Djenidi  était  le  fils  d’un  marchand  de  verre,  d’où  ses 
surnoms  de  El-Kaouarizi  et  de  Zedjadji  ; lui-même  exerça 
la  profession  de  tisserand,  ou  de  fabricant  d’étoffe  de  filo- 
selle,  d’où  le  surnom  d’El-Kazzazi.  Son  premier  profes- 
seur fut  un  forgeron  : Abou-Djaffar-el-Haddad,  sans  doute 
un  voisin  de  l’échoppe  paternelle. 

Abou-Djafar-el-Haddad  était,  du  reste,  un  Soufi  fort 
considéré  de  son  temps;  il  mourut  en  odeur  de  sainteté 
après  avoir  été,  de  son  vivant,  le  chef  de  l’ordre  des 
Aouïssya.  Il  avait  son  disciple  en  grande  estime  et  il 
disait  de  lui  : « Si  la  raison  se  faisait  homme,  elle  pren- 
» drait  la  figure  de  Djenidi.  » 

Djenidi  eut  en  même  temps  pour  maître  son  oncle 
maternel:  Abou-el-Hoceïn-Moufelès-Seri-Saketi,  chef  de 


(1)  Dozy,  Essai  sur  l’Histoire  de  l’Islamisme,  p.  322,  de  la  traduction 
de  Victor  Chauvin  (Paris,  1879). 

(2)  Dozy,  loco  citato . 


— 168  — 


l’ordre  des  Saketya,  lequel  ordre  remonte  à Ali-ben-Abou- 
Thaleb  par  la  chaîne  de  ses  cheikhs,  les  Imam-et-Triqa 
ou  chefs  d’ordre  dont  les  noms  suivent  : 

1.  h' Ange  Gabriel  ; — 2.  h' Envoyé  de  Dieuf  Sidna-Mohammed  ; — 3.  Ali- 
ben- Abou-Thaleb  ; — 4.  Hassen-ben-Aboul-Hassen-Sirati-el-Bosri,  mort 
l’an  ItO  (728-29  de  J.-C.);  — 5.  Abou-Mohammed-Habib-el-Adjeni  ; — 
6.  Daoud-ben-Nacer-et-Taï-el-Koufi,  mort  en  165  (781-82  de  J.-C.)  (1)  ; 
— - 7.  Abou-Sliman  ; — 8.  Maarouf-el-Karakhi  ; — 9.  Abou-el-Hoceïn- 
Seri-el-Saketi-ben-Moflis. 


Les  auteurs  Musulmans  citent,  pour  l’ordre  des 
Djenidya,  une  troisième  chaîne  qui  part  également  d’Ali- 
ben-Abou-Thaleb  par  les  noms  suivants  : 

1.  h' Ange  Gabriel;  — 2.  Le  Prophète;  — 3.  Ali-ben-Abou-Thaleb ; — 
4.  El-IIoussin-ben-Ali,  mort  martyr  en  61  (680-81  de  J.-C.),  fils  et  dis- 
ciple de  son  père,  Ali-ben-Abou-Thaleb  ; — 5.  El-Bakir,  né  à Medine 
et  mort  dans  cette  ville  en  117  (735-36  de  J.-C.),  disciple  et  fils  du  pré- 
cédent ; — 6.  Djafar-es-Sadok,  né  à Medine  et  mort  dans  cette  ville 
en  142  (759-60  de  J.-C.)  ; — 7.  Moussa-el-Kedim,  né  à Laboua  et  mort  à 
Bar’dad  en  133  (750-51  de  J.-C.),  disciple  et  fils  de  son  père;  — 8.  Ali- 
er-Radi-ben-Moussa-el-Kedim,  né  à Medine  et  mort  à Betouch  en  203 
(818-819  de  J.-C.);  — Djafar-ben-Saddok  fut  aussi  le  disciple  de  son 
aïeul  maternel  El-Kacem-ben-Mohammed-ben-Abou-Beker,  lequel 
était  disciple  de  Sliman-el-Faresi,  compagnon  du  Prophète,  et,  de 
plus,  affilié  à l’ordre  des  Seddikya,  d’où  il  résulte  que  l’ordre  des 
Djenidya  remonte,  en  réalité,  à Abou-Beker-es-Seddik,  ce  qui  est,  aux 
yeux  des  Musulmans,  l’origine  la  plus  recherchée. 

On  cite  encore  comme  professeur  de  Djenidi,  Abou- 
Tahar-el-Kebli,  disciple  de  l’Imam  Chafei,  dont  la  doc- 
trine a constitué  le  rite  orthodoxe  des  Musulmans  cha- 
féites. 

Djenidi  fut,  nous  l’avons  dit  déjà,  surtout  un  professeur. 
Voici  en  quels  termes  il  définissait  le  but  du  Soufisme  : 

« Délivrer  l’esprit  des  instigations  des  passions;  se 


(1)  Daoud-et-Taï  avait  été  le  professeur  de  l)Imam  Abou-Hanifa, 
dont  la  doctrine  a constitué  le  rite  fîanefi. 


— 169  — 


» défaire  d’habitudes  contractées  ; extirper  la  nature 
» humaine  ; dompter  les  sens  ; acquérir  des  qualités 
» intellectuelles  ; s’élever  par  la  connaissance  de  la 
» Vérité  et  faire  le  bien.  » 

Il  ajoutait  : 

« Le  prix  et  la  valeur  d’un  homme  se  mesurent  à ce 
» qu’il  estime  : s’il  estime  le  monde  il  n’est  pas  estima- 
» ble,  car  le  monde  ne  l’est  pas;  s’il  estime  les  choses  de 
» l’autre  vie,  le  ciel  est  son  prix;  mais  s’il  estime  Dieu 
» par-dessus  toutes  choses,  son  prix  est  inestimable.  » 

Et  à l’appui  de  cette  assertion,  ses  disciples  citent  cette 
autre  parole  du  Maître  : « Nous  n’avons  pas  appris  le 
» Soufisme  de  tel  ou  tel,  mais  de  la  faim,  du  renonce- 
» ment  au  monde  et  à ses  habitudes.  » 

Djonéïd  n’était  pas  toujours  aussi  clair  et  aussi  précis. 
Les  diverses  paroles  et  maximes  que  les  savants  nous 
ont  conservées  de  ce  personnage  débordent  de  mysti- 
cisme et  leur  paraissent  d’autant  plus  admirables  qu’elles 
sont  plus  difficiles  à comprendre,  et  qu’elles  permettent 
aux  commentateurs  de  longues  dissertations  plus  ou 
moins  explicatives. 

Ainsi,  lorsqu’on  lui  demandait  d’où  venait  sa  science 
(de  l’unité  de  Dieu),  au  lieu  de  la  réponse  si  simple  que 
nous  venons  de  citer,  il  disait  parfois  : « Si  ma  science 
» était  du  genre  des  choses  dont  on  peut  dire  d’où  cela 
» vient-il,  elle  serait  parvenue  à son  terme,  » ce  qui  veut 
dire,  d’après  un  commentateur  : « Elle  ne  serait  pas  éter- 
» nelle  car  le  temps  de  réfléchir  et  d’agir  est  court,  et 
» une  chose  sans  borne  ne  peut  pas  tenir  dans  ce  qui  a 
» des  bornes  étroites.  » 

Tout  le  reste  est  aussi  subtil  ou  aussi  obscur,  et  a 
presque  toujours  besoin  d’être  expliqué.  En  voici  un 
autre  exemple  : 

« L’absorption  du  transport  amoureux  dans  la  science 


— 170  — 


» est  préférable  à l'absorption  de  la  science  dans  le  trans* 
» port  amoureux.  » Ce  qui  veut  dire  que  le  Soufî  « doit 
» préférer  son  progrès  dans  la  connaissance  de  l’unité 
» de  Dieu  à ces  mouvements  passagers  du  cœur  qui, lui 
» font  éprouver  (pour  Dieu)  un  sentiment  vif  d’affection 
» et  d’amour.  » 

Les  doctrines  de  Djenidi  sont,  d’une  façon  absolue, 
celles  des  ordres  religieux  Musulmans  les  plus  épurés  et 
les  plus  élevés.  Les  pratiques  que  la  règle  impose  aux 
Djenidya  sont  aussi  de  celles  où  la  dévotion,  quoique 
empreinte  d’un  ardent  mysticisme,  tombe  moins  sou- 
vent dans  l’absurde  ou  la  puérilité. 


« L’ordre  des  Djenidya,  dit  cheikh- Snoussi  (1),  est  basé,  tant  sur  la 
» stricte  observance  des  préceptes  édictés  par  la  Sonna  de  Moham- 
» med,  que  sur  le  choix  des  allégories  qu’il  présente.  Il  repose  éga- 
» lement  sur  la  préférence  que  l’on  doit  accorder  à l’état  lucide  sur 
» l’état  de  torpeur  et  d’hallucination,  tout  en  s’astreignant  aux  morti- 
» fications  de  la  vie  ascétique  spirituelle,  dans  la  profondeur  des 
» entretiens  secrets  avec  Dieu. 

» Le  fondateur  de  cet  ordre  a imposé  huit  obligations  différentes 
» qui  sont  : 

» 1°  Les  ablutions  fréquentes,  car  les  ablutions  sont  un  feu  éclatant  ; 

» 2°  La  solitude  prolongée.  Il  convient  ici  de  rappeler  qu’en  s’y  ren- 
» fermant,  on  doit  observer  le  même  recueillement  que  si  l’on  entrait 
» dans  une  mosquée,  et  dire  : « Au  nom  de  Dieu.  » On  évoquera  ensuite 
» avec  ferveur  les  âmes  de  ses  cheikhs,  pour  leur  demander  de  con- 
» vertir  cette  solitude  en  une  sorte  de  tombeau,  dans  lequel  on  puisse 
» s’ensevelir  pour  aller  vers  le  Dieu  Très-Haut,  en  dehors  duquel  il 
» n’y  a point  d’autre  Dieu.  Cette  évocation  doit  être  faite  avec  les 
» jambes  croisées,  comme  pour  les  prières  ordinaires,  si  non,  elle 
» reste  sans  efficacité.  Il  est  obligatoire  d’observer  un  repos  d’esprit 
» absolu,  qui  ne  soit  même  pas  troublé  par  les  élans  du  cœur  et  qui 
» rende  insensible  aux  perceptions  physiques.  Dans  cette  position,  il 
» faut  être  tourné  dans  la  direction  de  La  Mecque,  ne  faire  porter  le 
» corps  et  la  tête  sur  aucun  appui,  par  respect  pour  la  Divinité,  et, 
» enfin,  tenir  les  yeux  fermés,  en  signe  de  soumission  envers  ces 


(l)  Loco  citato,  page  39  de  la  traduction  de  M.  l’Interprète  Colas. 


— 171  — 


» paroles  de  Dieu,  recueillies  dans  les  haddits  El-Hadsi  : « Je  suis 
» assis  avec  ceux  qui  me  prient.  » Il  faut  encore  placer  l’image  de 
» son  cheikh  dans  sa  pensée,  occuper  son  cœur  à prier,  dans  toute 
» la  limite  de  ses  forces,  en  demandant  à Dieu,  dans  cette  position, 
» de  vous  accorder  ses  faveurs.  Le  cœur  doit  toujours  être  en  har- 
a monie  avec  la  langue  pendant  les  prières  suivantes  ; on  dit  : 
» « Dieu  » en  baissant  la  tête  au-dessus  du  nombril,  puis,  en  la  rele- 
» vant  lentement,  on  ajoute  : « Il  n’y  a de  Dieu  que  Allah.  » C’est 
» dans  cette  posture  que  l’haleine  peut  se  soutenir  le  plus  long- 
» temps.  On  prolonge  le  son  de  chacune  de  ces  articulations  et  on 
» reprend  gravement  : « Il  n’y  a de  Dieu  que  Allah.  » On  dirige  la  face 
» vers  l’épaule  droite,  toujours  dans  l’attitude  du  recueillement  et  en 
» se  pénétrant  de  l’infimité  de  la  créature  devant  la  grandeur  du  Créa- 
» teur  ; ensuite  on  la  tourne  vers  l’épaule  gauche  et,  en  s’exprimant  avec 
» force,  on  répète  une  troisième  fois  : « Il  n’y  a de  Dieu  que  Allah.  » 


» Enfin,  on  ajoute  du  fond  du  cœur  : « 11  n’y  a d’adorable  que 
» Dieu  » ; 

» 3°  La  longue  pratique  des  invocations  qui  viennent  d’être  décri- 
» tes  ; 

» 4°  Une  austère  observation  des  jeûnes  prolongés  ; 

» 5°  Garder  longtemps  le  silence  et  ne  l’interrompre  que  pour  prier; 

» 6°  Écarter  de  l’esprit  tout  raisonnement  bon  ou  mauvais,  sans 
» l’analyser  ou  recherche^1  sa  portée,  dans  la  crainte  que  le  libre 
» cours  donné  aux  méditations  ne  conduise  à l’erreur  ; ne  pas  com- 
» menter  non  plus  les  versets  du  Coran,  ni  les  récits  de  la  tradition 
» et  autres  ouvrages  sacrés,  à moins  d’en  recevoir  de  Dieu  les  inter- 
» prétations  vraies,  exemptes  des  souillures  des  conceptions  malsai- 
» nés.  On  doit  alors  recueillir  ces  explications,  les  conserver  et  s’en 
» servir  pour  prier.  Si  l’on  craint  de  les  oublier,  il  est  permis  de  les 
» écrire,  mais  à la  condition  de  reprendre  aussitôt  ses  prières  ; 

» 7°  Tenir  son  cœur  enchaîné  à son  cheikh  ; 

» 8°  Renoncer  à tout  esprit  d’opposition  envers  Dieu  et  envers  son 
» cheikh  et  accepter,  constamment,  ce  qu’il  plaît  à la  Divinité  d’en- 
» voyer  en  bienfaits,  en  grâces  comme  aussi  en  déceptions,  en  santé 
» ou  en  maladie. 

» Ces  pratiques  sont  l’observance  des  paroles  du  Dieu  Très-Haut 
» qui  a dit  : a II  se  peut  que  vous  trouviez  désagréable  ce  que  je  vous 
» envoie  et  qui  est  un  bien  pour  vous.  Il  se  peut  aussi  que  vous  dési- 
» riez  une  chose  qui  serait  un  mal  pour  vous,  Dieu  seul  connaît  ce 
» qui  est  bon  ou  mauvais.  Vous,  vous  ne  savez  rien.  » (Louange  au 
» Dieu  maître  des  mondes!)  » 


L’ordre  des  Djenidya  est  peu  connu  aujourd’hui,  sous 


— 172  — 


ce  nom,  du  moins  en  Algérie  où,  cependant,  ses  doc- 
trines se  sont  perpétuées,  sans  modifications  essen- 
tielles, dans  un  grand  nombre  de  branches  secondaires 
devenues  des  ordres  importants. 

Celle  de  toutes  ces  branches  qui  se  rapproche  le  plus, 
par  l’élévation  de  son  enseignement,  des  principes  des 
Djenidya  est  l’ordre  des  Chadelya,  qui  lui-même  se  sub- 
divise à l’infini.  C’est  au  chef  des  Chadelya,  à Si-Aboy- 
Hassen-ech-Chadeli,  que,  en  Algérie,  on  rattache  indis- 
tinctement à peu  près  tous  les  ordres  religieux  mystiques 
connus,  alors  que,  dans  beaucoup  de  cas,  il  serait  plus 
exact  de  les  rattacher  à Djenidi. 

Nous  avons  même  entendu  de  ces  demi  - savants, 
comme  il  y en  a tant  parmi  les  tolba,  soutenir  gravement 
que  l’ordre  des  Qadrya  était  un  ordre  de  Chadelya,  alors 
que  c’est,  au  contraire,  Si-Chadeli  qui,  mort  seulement 
en  656  (1258  de  J.-C.),  a pris  ses  attaches  dans  l’ordre 
fondé  par  Si-Abd-el-Qader-el-Djilani,  mort  en  561  (1165-66 
de  J.-C.),  aussi  bien  que  dans  celui  des  Djenidya. 

Le  cheikh  Snoussi  ne  tombe  pas  dans  une  pareille 
erreur  et  il  dit  nettement  : « Presque  tous  les  ordres 
viennent  se  rattacher  à celui  des  Djenidya.  » Lui-même 
cite  El-Djenidi  comme  étant  le  théologien,  le  pontife,  le 
« kotb  des  ktoub  » au-dessus  de  toutes  les  autres  auto- 
rités religieuses  ; il  ne  perd  aucune  occasion  de  le 
proclamer  son  maître  spirituel  et  de  se  prévaloir  des 
nombreux  appuis  qu’il  a,  lui-même,  dans  l’ordre  des 
Djenidya. 

C’est  pour  cette  raison  que  nous  avons  consacré 
quelques  détails  à cette  congrégation,  peu  connue  en 
Algérie,  mais  dont,  cependant,  l’influence  se  retrouve, 
plus  ou  moins,  dans  presque  tous  les  ordres  religieux 
que  nous  avons  intérêt  à bien  connaître. 


— 173  — 


CHAPITRE  XV 

ORDRE  RELIGIEUX  DES  QADRYA  « 

ABD-EL-QADER-EL-DJILANI 
(An  561  de  l’Hégire.  — 1165-1166  de  J.-C.) 


Après  le  Pontife  souverain,  après  l’ascète  visionnaire 
et  après  le  moraliste  philosophe,  arrive,  comme  chef 
d’ordre  religieux  important,  la  personnalité  sympathi- 
que et  populaire  d’un  véritable  saint  : Sid  Mahi-ed-Din- 
Abou-Mohammed-Abd-el-Qader-el-Djilani-ben-Abou- 
Salah  - Moussa -el-Hassani  (1),  né  à Djil  (ou  Djilan), 
* 

(*)  Les  documents  qui  nous  ont  servi  pour  rédiger  ce  chapitre 
sont  : t 

1°  Le  manuscrit  précité  de  Cheikh-Snoussi  (traduction  de  M.  Colas)  ; 

2°  Les  brevets  et  lettres-circulaires  saisis  sur  des  émissaires  ou 
voyageurs  de  l’ordre  ; 

3“  Les  renseignements  verbaux  recueillis  directement  auprès  des 
moqaddem  ou  affiliés  de  l’ordre  ; entre  autres  ceux  donnés  par 
M.  Hassein-ben-Brihmat,  directeur  de  la  Médreça  d’Alger  ; 

4°  L’ouvrage  du  capitaine  de  Neveu  (mort  général  de  division  en 
1871)  ; 

5°  Une  note,  imprimée  dans  la  Revue  archéologique  de  Conslantine 
(année  1869)  et  due  à M.  Mercier,  interprète  judiciaire,  bien  connu 
en  Algérie  pour  ses  travaux  de  recherches  historiques. 

(1)  La  vie  du  cheikh  Abd-el-Qader  a fait,  en  outre,  l’objet  de 
nombreux  ouvrages  musulmans  : nous  citerons,  d’après  l’historien 
Abou-Ras  : « Anouar-el-Nader,  » par  Abdallah-ben-Nacer-el-Bekri- 
es-Seddiki  ; « Nezhat-en-Nader,  » par  Abd-el-Latif-ben-Hibel-Allah- 
el-Hachemi  ; » Bohdjet-el-Asrar,  » en  3 volumes,  par  Abou-el-Has- 
sane-Ali-ben-Youssef-ben-Djara-el-Lakhim-Ech-Chetnoufi.  — Il  y a 
encore  d’autres  ouvrages,  écrits  en  Hindoustani,  entre  autres  une 
« cacida  » (ou  chant  religieux),  du  poète  hindoustani  Woli,  cité  par 


— 174  — 


près  de  Bar’dad,  l’an  471  de  l’Hégire  (1078-1079  de  J. -G.)  ; 
et  décédé  en  cette  ville  à l’âge  de  90  ans  (1),  dans  la 
nuit  du  vendredi  au  samedi  8 de  Rabi  second  561  (11  fé- 
vrier 1166).  Quoique  d’origine  chérifienne,  il  était  issu  de 
parents  pauvres,  et  il  conserva,  toute  sa  vie,  une  modes- 
tie et  une  douceur  dont  il  ne  s’est  jamais  départi.  Ce 
qui  dominait  chez  lui,  c’était  l’amour  du  prochain  et  une 
charité  ardente  qui  l’a  fait,  de  son  vivant,  le  soutien  des 
pauvres  et  des  faibles  ; et  après  sa  mort,  le  patron  sans 
cesse  imploré  de  tous  ceux  qui  souffrent  ou  qui  sont 
malheureux.  Cette  charité,  Sid  Abd-el-Qader-el-Djilani 
la  pratiqua  dans  toutes  les  phases  de  sa  vie  : comblé  de 
richesses  par  les  dons  des  fidèles  et  des  souverains,  il 
resta  toujours  pauvre,  dépensant  en  aumônes,  le  plus 
souvent  secrètes,  ce  que  la  piété  des  visiteurs  apportait 
à son  humble  habitation. 

Il  répétait  souvent:  « Nous  devons  prier,  non  seule- 
» ment  pour  nous-mêmes,  mais  encore  pour  tous  ceux 
» que  Dieu  a créés  semblables  à nous,  » et,  dans  aucun 
de  ses  livres  ou  préceptes,  on  ne  rencontre  d’allusions 
malveillantes  ou  hostiles  vis-à-vis  des  Chrétiens.  Lors- 
qu’il parle  des  « gens  des  Écritures,  » il  se  borne  à 
regretter  leurs  erreurs  en  matière  de  religion,  et  à mani- 
fester le  désir  de  voir  Allah  les  éclairer. 

Il  avait  une  vénération  toute  particulière  pour  Sidna- 
Aïssa  (N.-S.  Jésus-Christ)  dont  il  admirait  l’immense 
charité  ; aussi,  ses  disciples  et  adeptes  ont-ils  toujours 
conservé,  pour  Sidna-Aïssa,  un  respect  religieux  qu’on 
ne  rencontre  pas,  au  même  degré,  chez  les  autres  Mu- 
sulmans. 

Sid  Abd-el-Qader  avait  horreur  du  mensonge  et  de  l’hy- 
pocrisie. Bien  jeune  encore,  il  était  allé  en  pèlerinage  à 


M.  Garcin  de  Tassy  *vp.  339),  et  un  commentaire  en  Hindoustani,  par 
Abdallali-el-Hoceini-Kes-Diraz,  de  Kalbargah. 

(1)  Il  s’agit  ici,  bien  entendu,  d’années  lunaires,  qui  ne  donnent  en 
réalité  que  83  années  solaires. 


175  — 


La  Mecque,  avec  une  caravane,  n'ayant  que  dix  écus 
d'argent  pour  le  voyage  ; attaqués  par  des  brigands,  ses 
compagnons  furent  dépouillés  de  tout  ce  qu’ils  avaient  ; 
quant  à lui,  le  voyant  si  pauvrement  vêtu,  le  chef  du 
Djich  lui  dit  : « Va-t'en,  tu  n’as  rien,  je  le  vois.  » — Non, 
répondit  l’enfant,  j’ai  dix  écus,  les  voilà.  — Tu  aurais  pu 
les  garder;  pourquoi  cet  aveu?  — Ma  mère  m’a  recom- 
mandé de  ne  jamais  mentir  ! — Étonné  de  cette  réponse, 
le  chef  des  brigands  lui  remit  50  dinars  d’or  qu’Abd-el- 
Qader  s’empressa  de  distribuer  aux  plus  éprouvés  de  la 
caravane. 

Sid  Abd-el-Qader-el-Djilani  est,  bien  certainement,  le 
Saint  le  plus  populaire,  le  plus  universellement  révéré 
dans  l’Islam  : « Si  Dieu  n’avait  pas  choisi  Sidna-Moham- 
» med  (sur  lui  le  salut  et  la  prière  !),  pour  être  le  Sceau 
» des  prophètes,  il  aurait  envoyé  Sid  Abd-el-Qader,  car 
» c’est,  de  tous  les  hommes,  celui  qui,  par  ses  vertus  et 
» son  esprit  de  charité,  s’est  montré  le  plus  semblable  à 
» Sidna-Aïssa  (Notre-Seigneur  Jésus-Christ),  sur  lui  la 
» bénédiction  et  le  salut  (1).  » 

Aussi,  n’est-il  pas  de  qualificatif  honorique  dont  on 
n’accompagne  le  Saint  de  Bar’dad  : le  Sultan  des  Saints 
(Soltan-es-Salihine),  le  Kotb  des  Ktoub , le  R’out , le 
plus  grand  Arc  (2)  (Qous-el-Azam),  le  Roi  de  la  terre  et 
de  la  mer,  le  Soutien  de  l’Islam,  etc.,  etc. 

Le  nombre  des  mosquées,  chapelles,  oratoires,  cime- 
tières et  lieux  dits  consacrés  à Sid  Abd-el-Qader  (3)  el- 
Djilani  est  également  considérable.  Dans  la  seule  pro- 
vince d’Oran,  sans  compter  les  mosquées,  il  existe  plus 
de  200  oratoires  ou  qobba  placés  sous  le  vocable  de  Sidi 


(1)  Opinion  écrite  d’un  moqaddem  des  Qadrya. 

(2)  Chaque  saint  occupe  une  portion  de  circonférence  — Abd-el- 
Qader  étant  le  plus  grand  saint,  selon  ses  adeptes,  occupe  le  plus 
grand  arc , a la  plus  large  influence  auprès  de  Dieu. 

(3)  Dans  l’Extrême-Orient  et  aux  Indes  on  dit  le  Pir  Abd-el-Qader- 
el-Djilani.  — Dans  l’ouest  du  Maghreb,  Mouley  Abd-el-Qader. 


— 176  — 


Abd-el-Qader-el-Djilani  (1).  Depuis  la  mer  de  la  Sonde 
jusqu’à  l’Atlantique,  la  dévotion  des  Musulmans  a,  par- 
tout, multiplié  les  monuments  placés  sous  son  tout-puis- 
sant patronage.  « Car  Dieu  ne  refuse  jamais  d’accueillir 
» l’intercession  de  Sid  Abd-el-Qader,  dont  l’âme  plane 
» toujours  entre  le  ciel  et  la  terre,  prête  à venir  en  aide  à 
» quiconque  a besoin  de  secours,  et  à faire  encore  un 
» miracle  en  sa  faveur  ; or,  tout  le  monde  sait  que,  par 
» la  volonté  de  Dieu,  rien  n’est  impossible  à Sid  Abd-el- 
» Qader.  » 

Nul  Saint,  en  effet,  ne  posséda  à un  si  haut  degré  le 
pouvoir  de  faire  des  miracles,  et  il  en  est  peu  qui  aient 
donné  lieu,  après  leur  mort,  à autant  de  légendes  mer- 
veilleuses. Aussi,  dans  tout  pays  musulman,  entend-on 
à chaque  instant  invoquer  son  nom  : qu’un  incident 
survienne,  victime  et  assistants  s’écrient  spontanément  : 
« Ah  ! ia  Sidi  Abd-el-Qader  ! (Oh  ! monseigneur  Abd-el- 
Qader  !)  »,  la  femme  dans  les  douleurs  de  l’enfantement, 
l’ouvrier  qui  plie  sous  le  fardeau,  accompagnent  chaque 
effort  d’un  énergique  et  fervent  : « Ah  ! ia  Sidi  Abdelka- 
der ! » ce  qui,  toujours,  les  conforte,  les  soutient  et  les 
soulage. 

Les  mendiants,  aux  abords  des  mosquées,  aux  portes 
des  villes,  sur  les  marchés,  dans  les  rues,  ne  demandent 
jamais  l’aumône  sans  faire  intervenir  Sid  Abd-el-Qader, 
et  ils  psalmodient,  avec  quelques  variantes,  une  des 
formules  suivantes  : 

« — Donnez-moi  par  la  face  de  Sid  Abd-el-Qader,  pour 
» l’amour  de  lui  et  pour  l’amour  de  Dieu  ! O vous  qui 
» craignez  Dieu  et  Sid  Abd-el-Qader  ! 

» Ayez  piété  de  moi  pour  l’amour  du  Sultan  des  Saints, 


(1)  Ce  chiffre  résulte  d’un  relevé  statistique  fait  en  1856  avec  beau- 
coup de  soin  : l’emplacement  de  189  de  ces  qobba  dédiées  à Sid  Abd- 
el-Qader  y est  donné  d’une  façon  précise  et  on  rencontre  plusieurs 
fois  la  mention  : « En  dehors  de  99  qobba  élevées  à Sid  Abd-el- 
Qader,  il  existe  encore  celles  de » 


— 177  — 

» Sidi  AM-el-Qader,  le  maître  de  Bar’dad,  le  maître  de 
» l’oriflamme  (Bou-Alam),  celui  dont  l’intercession  est 
» toute  puissante  sur  terre  et  sur  mer  ! » 

Chaque  année  de  grands  pèlerinages  se  font  à Bar’dad, 
aux  sept  chapelles  à dômes  dorés  qui  entourent  son 
tombeau  ; et  pas  un  voyageur  musulman  ne  passe  dans 
ces  régions,  sans  se  détourner  de  sa  route  pour  visiter 
ce  monument.  Dans  beaucoup  d’endroits,  au  Maroc  et  en 
Algérie,  des  pèlerinages  de  même  nature  ont  lieu,  dans 
les  premiers  mois  du  printemps,  aux  zaouïa,  et  chapelles 
du  Saint.  Dans  les  Indes,  les  Musulmans  nomment  le 
mois  de  Rabi  2e  : lune  de  Miran-ji,  mois  du  seigneur- 
prince,  et  le  11e  jour  ont  lieu,  partout,  de  grandes  fêtes, 
en  commémoration  de  Sid  Abd-el-Qader. 

Sid  Abd-el-Qader  ne  fut  pas  seulement  un  homme  bien- 
faisant, ce  fut  aussi  un  savant  professeur  et  un  ardent 
propagateur  du  Soufisme. 

Il  a laissé  un  certain  nombre  d’ouvrages  mystiques 
et  théologiques  estimés,  qui  ont  eu  les  honneurs  de  nom- 
breux commentaires  : en  Arabe,  en  Turc  et  en  Hindous- 
tani.  « Telle  était,  du  reste,  la  culture  de  son  esprit,  dit 
» l’historien  Bou-Ras,  qu’il  pouvait  disserter  sur  treize 
» branches  de  connaissances  : il  rendait  des  décisions 
» sur  les  points  litigieux  des  doctrines  chaféites  et  han- 

» balites l’Imamat  lui  fut  abandonné,  dans  l’Irak, 

» par  droit  de  mérite.  » 

Mais  l’enseignement  du  haut  de  la  chaire  ne  suffisait 
pas  à son  âme  ardente,  et,  après  avoir,  pendant  quelques 
temps,  pris  le  bâton  de  voyageur  et  parcouru  le  monde, 
prêchant  les  saines  doctrines,  il  se  donna  des  coadju- 
teurs dans  cette  œuvre  pie,  en  fondant  un  ordre  religieux 
qui  subsiste  aujourd’hui  encore,  plein  de  sève  et  de  force 
expansive. 

Ce  furent  les  nombreux  missionnaires  de  cet  ordre 
qui  contribuèrent  le  plus  à ramener  les  Berbères  d’Afri- 
que dans  la  voie  orthodoxe:  il  en  vint  d’Égypte  où  s’était 

12 


— 178  — 

établi  Fun  des  dix  fils  du  Saint  (1),  le  cheikh  Aïssa, 
auteur  d’un  traité  sur  le  Soufisme,  intitulé  « Lataïf-el- 
Anouar.  » 

Il  en  vint  surtout  d’Espagne,  de  la  postérité  de  deux 
autres  de  ses  fils,  le  cheikh  Brahirn  et  le  cheikh  Abd-el- 
Aziz  qui,  d’Andalousie,  émigrèrent  à Fez  après  la  prise 
de  Grenade. 

Dieu  ayant  accordé  sa  protection  aux  descendants  du 
Saint  homme,  leurs  enfants  multiplièrent;  c’est  ce  qui 
explique,  disent  les  Musulmans,  le  grand  nombre  de 
marabouts,  de  vrais  Cheurfa,  venus  de  l’Occident  et 
allant  vers  l*Est.  Ce  qui  est  certain,  c’est  que  toutes  les 
familles  maraboutiques  algériennes,  qui  se  disent  issues 
du  Prophète,  placent  toujours  un  de  leurs  ancêtres 
dans  le  pays  de  Seguiat-el-Hamra,  qui  est  le  Sous  ma- 
rocain. 

L’ordre  des  Qadrya  étant  un  ordre  chérifien,  il  n’est 
pas  mauvais  de  dire  un  mot  de  la  généalogie  de  son  fon- 
dateur. — Nous  la  copions  sur  un  très  beau  diplôme, 
délivré  par  les  principaux  dignitaires  chefs  de  la  zaouïa- 
mère,  à Bar’dad. 

Ce  document  est  daté  du  15  Choual  1292  (14  novem- 
bre 1875)  et  porte  les  empreintes  de  plusieurs  cachets, 
parmi  lesquels  celui  de  Sid  Abd-el-Qader  ou,  du  moins, 
celui  que  se  transmettent  les  chefs  de  l’ordre  ; il  porte  : 


(1)  Neuf  des  fils  de  Si  Abd-el-Qader,  qui  tous  furent  de  savants 
professeurs,  sont: 

Cheikh  Aïssa,  mort  à Karaf  en  573  (1177-1178  de  J.-C.); 

Cheikh  Abdallah,  mort  à Bar’dad  en  589  (1193  de  J.-C.)  ; 

Cheikh  Brahirn,  dont  la  postérité  existe  encore  à Fez  et  en  Syrie, 
mort  à Ouarita  (entre  Bosra  et  El-Koufa  en  592  1195-1196  de  J.-C.)  ; 
Cheikh  Abd-el-Ouahab,  mort  à Bar’dad  en  593  (1196-1197  de  J.-C.); 

Cheikh  Mohammed  I morts  à Bar'dad  en  600  (1202-1203  de  J.-C.)  ; 
Cheikh  Abd-er-Rezeg,  mort  à Bar’dad  en  603  (1206-1207  de  J.-C.); 
Cheikh  Moussa,  mort  à Damas  en  613  (1206-1207  de  J.-C.); 
Cheikh  Abd-el-Aziz,  qui  émigra  à Fez . 


« Il  n’y  a de  Divinité  que  Dieu,  le  cheikh  Abd-el-Qader. 
œuvre  de  Dieu  (1).  » 

Il  débute  ainsi  : 


Au  nom  du  Dieu  clément  et  miséricordieux, 

« Ceci  est  un  arbre  généalogique,  au  tronc  illustre,  aux  branches 
» vigoureuses.  Celui  auquel  il  a été  remis  est  un  homme  éminent. 

» Je  prie  Dieu  de  lui  donner  une  conduite  droite,  par  les  mérites  de 
» notre  maître  Mohammed,  qui  a reçu  la  révélation  divine. 

» J’ai  signé  cet  arbre  généalogique  et  lui  ai  donné  une  valeur 
» authentique,  moi,  le  plus  pauvre  des  hommes,  le  serviteur  des 
» pauvres,  Sliman-el-Qadri,  desservant  la  mosquée  de  mon  aïeul, 

» le  cheikh  Abd-el-Qader-El-Djilani,  de  Bar’dad. 

» Louange  à Dieu  qui  pénètre  les  cœurs  quand  on  l’invoque,  qui 
b découvre  les  secrets  de  l’avenir  à tout  cœur  pieux,  qui  donne  à 
b ceux  qui  le  louent  les  moyens  de  s’approcher  davantage  de  lui  ! Je 
b le  remercie  de  m’avoir  fait  entrer  parmi  le  peuple  qui  croit  à son 
b unité  et  le  supplie  de  m’accorder  les  marques  de  sa  bienveillance. 
» Que  Dieu  répande  ses  grâces  sur  notre  maître  Mohammed,  le  plus 
» grand  de  ses  prophètes,  le  meilleur  de  ses  serviteurs,  qu’il  lui 
» accorde  le  salut  à lui,  à sa  famille,  à ses  compagnons  qui  possèdent 
» une  large  part  des  faveurs  célestes.  Voici  les  paroles  du  serviteur 
» de  Dieu,  qui  reconnaît  son  impuissance  et  sa  faiblesse,  qui  espère 
» le  pardon  de  ses  fautes,  le  pieux  Sid  Sliman-El-Qadri-ben-Sid-Ali* 
» ben-Sidi-Seliman-ben-Sidi-Mostefa-ben-Zin-ed-Din-ben-Sid-Moham* 
b med-derwich-ben-Sid-Hassam-ed-din*ben-Sid-Nour-ed-din-ben*Sid* 
» Ouali-  ed-  din  - ben-Sid-Zin-ed-din-ben-  Sid-Cherf-ed-din-ben-Sid- 
» Chems-ed-din-ben-Sid-Mohammed-el-Hannak-ben-Sid-Abdelaziz,  fils 
b de  Sa  Seigneurie,  l’étoile  polaire  de  l’existence,  la  perle  blanche,  le 
» guide  de  ceux  qui  administrent  les  affaires  de  la  religion,  l’être 
» préféré  de  Dieu,  l’imam,  la  substance  génératrice,  l’homme  à qui 
» Dieu  avait  donné  le  pouvoir  de  changer  la  nature  des  êtres,  l’étoile 
» des  étoiles,  l’intermédiaire  obligé  entre  le  monde  et  le  ciel,  SidAbd- 
» el-Qader-et-Djilani,  au  saint  et  mystérieux  pouvoir,  fils  d’Abou-Salah* 
» Moussa-Djanki-Doust-ben-Sid-Abdallah-el-Djili  - ben-  Sid-Yahia-el- 
» Zahid-ben-Sid-Mohammed-ben-Sid-Daoud-ben-Sid-Moussa-ben-Sid- 
» Abdallah-ben-Sid-Moussa-el-Djaoun-ben-Sid-Abdallah-el-Mahdi-ben- 
» Sid-Hassein-el-Motna-ben-el-Imam-Hassein-Radhi-Allah,  fils  de 
» l’Imam,  prince  des  Croyants  Ali-ben-Abou-Thaleb,  le  comblé  des 
b faveurs  de  Dieu.  » 


(1)  ôÜt  Chose  de  Dieu  : cette  mention  s’applique  à quelques 
grands  saints  regardés  comme  des  créatures  privilégiées. 


— 180  — 


Puis  la  généalogie  continue  en  remontant  par  Cham, 
Noé,  Seth  et  Adam  « père  des  hommes  ».  « Adam  fut  créé 
» avec  de  la  boue;  la  boue  vient  de  la  terre;  la  terre,  de 
» l’écume;  l’écume,  des  flots;  les  flots,  de  l’eau;  l’eau, 
» de  l’esprit  de  Dieu  ; l’esprit,  de  sa  puissance  ; sa  puis- 
» sance,  de  sa  volonté;  sa  volonté,  de  sa  science.  » 


A côté  de  la  généalogie  réelle  se  place,  dans  tous  les 
actes  concernant  l’ordre  des  Qadrya,  la  généalogie  mys- 
tique qui  est  la  suivante  : 

L’étoile  des  savants,  le  guide  des  hommes  pieux,  le  cheikh  Abd-el- 
Qader-el-Djilani,  dont  le  cheikh  fut  (1)  — Abou-Saïd-el-Mebarek-ben- 
Ali-ben-Mendar-el-Makhzoumi,  — Le  cheikh  El-Islam-Abou-el-Hacem- 
ben-Ali-ben-Ahmed-ben-Youcef-el-Helari-el-Korchi,  — Abou-Feradj- 
Mohammed-ben-Abdallah-el-Tarsoussi, — Abou-Ferdj-Abd-el-Ouahab- 
ben-Abdelaziz-el-Harets-el-Tamimi,  — Abou-Beker-Mohammed-ben- 
Delou-ben-Khalef-ben-Mohammed-ben-Moudjedan-ech-Chebli,  mort  en 
394  de  l’Hégire  (1003-1004  de  J.-C.)  et  disciple  d’Abou-Kacem-el-Djeni- 
di,  chef  de  l’ordre  des  Djenidya,  cité  d’autre  part. 

L’ordre  des  Qadrya  se  rattache  donc  au  Prophète  par 
Ali-ben-Abou-Thaleb,  par  Omar-el-Khettab,  par  Abou- 
Beker.  Cet  ordre  a aussi  des  attaches  avec  Abou-Beker 
par  voie  de  révélations  directes  faites  par  l’âme  de  ce 
Saint-Pontife,  qui  apparut  à Abou-Beker-ben-Haouara- 
el-Sahraoui,  qui  eut  pour  disciple  Abou-Mohammed-el- 
Chankabi,  professeur  d’Abou-el-Oufa-el-Kerdi,  qui  à son 
tour  fut  un  des  professeurs  de  Sid  Abd-el-Qader-el- 
Djilani. 

A la  mort  de  ce  dernier,  la  direction  spirituelle  de 
l’ordre  des  Qadrya  échut  à son  fils,  Abd-el-Aziz,  et  s’est 
perpétuée  jusqu’aujourd’hui  dans  sa  famille.  Le  supé- 
rieur général  a toujours  résidé  à Bar’dad,  c’est  aujour- 
d’hui Sid  El-Hadj-Mahmoud-el-Qadri,  qui  a succédé,  il 


(1)  Cette  mention,  en  arabe,  s’interpose  entre  chaque  nom,  avec 
plus  ou  moins  de  qualificatifs  laudatifs. 


— 181  — 


y a peu  d’années,  à Sliman-el-Qadri  dont  nous  avons 
plusieurs  brevets  entre  les  mains. 

Bien  que  le  chef-lieu  de  l’ordre  soit  toujours  Bar’dad, 
et  que  l’unité  de  tradition,  de  pratiques  et  de  dikr  se 
soit  maintenue  chez  les  Qadrya,  ils  forment,  cependant, 
plusieurs  branches  ou  congrégations,  qui  se  distinguent 
par  les  cérémonies  usitées  lors  de  l’initiation  : celle-ci 
est  donnée  : tantôt  avec  l’investiture  du  manteau  sym- 
bolique ou  de  la  ceinture,  tantôt  par  la  simple  imposi- 
tion des  mains. 

Il  ne  semble  pas,  du  reste,  que  les  relations  entre  les 
moqaddem  d’Algérie  et  la  maison-mère  de  Bar’dad  soient 
bien  suivies.  Chaque  moqaddem  paraît  jouir  d’une  véri- 
table indépendance.  Ils  sont,  de  temps  à autre,  visités  par 
des  reqab  qui,  le  plus  souvent,  débarquent  dans  nos  vil- 
les du  littoral,  comme  commerçants,  munis  de  papiers  en 
règle  et  ayant  des  références  sérieuses,  derrière  lesquel- 
les s’abrite  leur  mission.  Contrairement  à ce  qui  se  passe 
pour  les  autres  ordres  religieux,  ces  émissaires  ne  mon- 
trent aucune  avidité  pour  les  offrandes  religieuses,  et  ce 
désintéressement  est  fort  apprécié  des  fidèles.  Les  dons 
volontaires  affluant  de  l’Asie  et  de  l’Inde  à la  maison- 
mère  de  Bar’dad,  qui  est  immensément  riche,  expliquent 
la  réserve  de  ces  émissaires  qui,  armés  de  pouvoirs 
considérables,  confirment  les  moqaddem,  les  révoquent, 
les  dirigent,  leur  laissent  des  instructions  spirituelles  et 
partent,  le  plus  souvent,  sans  que  leur  présence  ait  été 
signalée  ou  ait  donné  lieu  à des  manifestations  inquié- 
tantes. 

Les  doctrines  des  Qadrya  s’inspirent  des  idées  morales 
et  philosophiques  communes  à tous  les  ordres  religieux. 
Voici  ce  que  nous  trouvons  dans  un  des  catéchismes  à 
l’usage  des  Néophytes  : 


« Si  l’on  te  demande  ce  que  c’est  que  la  voie  -AÂJji?,  tu  répondras  : — 
» C’est  la  science,  la  continence,  la  patience,  et  l’excellence  des  suc- 
» cesseurs.  Si  l’on  te  demande  quelles  sont  les  obligations  de  la  voie  ? 


— 182  — 

» — Tu  répondras:  « De  rejeter  les  mauvaises  paroles;  de  prononcer 
» sans  cesse  le  nom  de  Dieu  ; de  mépriser  les  biens  de  la  terre  ; de 
» repousser  les  amours  humaines  et  de  craindre  le  Dieu  Très-Haut. 

» — Si  l’on  te  demande  à quels  signes  se  reconnaissent  les  gens  de 
» la  voie,  tu  répondras.  — Ces  signes  sont:  la  bienfaisance,  la  retenue 
» de  langue,  la  pitié,  la  douceur  et  l’éloignement  des  péchés. 

» — Si  l’on  te  demande  quel  est  ton  Ouerd  et  ce  qu’il  t’impose,  tu 
» répondras  : — « La  recherche  du  salut  et  de  la  nourriture  divine  ; 
» la  douceur  des  paroles,  la  confraternité  et  la  sincérité  du  langage 
» et  des  œuvres. 


v Si  l’on  te  demande  quelle  est  la  maison  périssable  ? Quelle  est  la 
» maison  éternelle  ? Tu  répondras  : La  terre  est  périssable,  avec  tout 
» ce  qu’elle  contient,  car  c’est  la  maison  de  l’illusion,  conformément 
» à cette  parole  divine:  « La  vie  de  la  terre  n’offre  que  des  jouissan- 
» ces  trompeuses  (Coran).  » Quant  à la  maison  éternelle,  c’est  la  mai- 
» son  de  l’autre  vie,  et  ne  l’habitera  pour  l’éternité  que  celui  qui  aura 
» fait  les  bonnes  œuvres,  multiplié  les  bienfaits,  rejeté  l’impureté  et 
» l’immoralité,  méprisé  les'  amours  terrestres,  et  détourné  ses  regards 
» des  choses  illicites.  C’est  la  réunion  des  serviteurs  au  plus  haut 
t>  des  cieux;  c’est  en  ce  lieu  qu’ils  obtiendront  l’intercession  efficace 
» de  Mohammed,  l’Envoyé  de  Dieu,  le  Maître  des  miracles. 


> — Si  l’on  te  demande,  ce  qu’il  y a entre  toi  et  ton  indicateur,  tu 
» répondras  : Il  y a entre  nous,  le  pardon  de  Dieu  magnifique,  Sei- 
» gneur  de  Moise  et  d’Abraham,  selon  cette  parole  divine  : « O ! vous 
» qui  croyez,  offrez,  en  entier,  votre  repentir  à Dieu,  et  demandez- 
» lui  le  pardon  de  vos  fautes.  » Et  cette  parole  : « Celui  qui  accom- 
» plira  l’engagement  contracté  envers  Dieu,  je  le  récompenserai  ma- 
» gnifiquement  (1).  » 


Nous  donnerons  plus  loin,  en  entier,  ce  catéchisme, 
que  nous  croyons  moderne,  et  qui  sera  mieux  en  situa- 
tion, quand  nous  parlerons  des  cérémonies  de  l’initia- 
tion. 11  est  préférable,  du  reste,  pour  bien  apprécier  l’es- 
prit général  de  l’ordre  des  Qadrya,  de  se  reporter  aux 
doctrines  professées  par  Sid  Abd-el-Qader-el-Djilani  lui- 
même.  La  note  dominante,  dans  sa  vie  comme  dans  son 


(1)  Traduction  de  M.  Mercier  (loco  citato) . 


— 183  — 

enseignement,  était,  comme  nous  l’avons  dit,  la  charité, 
dans  toutes  ses  formes  et  vis-à-vis  toutes  les  créatures 
humaines,  sans  distinction  de  religion. 

Cet  ordre  est  à peu  près  le  seul  qui  ait  été  fondé  dans 
un  but  humanitaire  et  philantropique  : ce  que  voulait  le 
Saint  de  Bar’dad,  c’était  non  seulement  relever,  par  le 
Soufisme,  la  moralité  des  Musulmans  corrompus,  mais 
c’était,  surtout:  alléger  toutes  les  misères  humaines  et 
reconforter  les  créatures,  soit  en  ravivant  la  foi  dans  les 
récompenses  d’une  autre  vie,  soit  en  aidant,  par  des 
aumônes,  les  pauvres,  les  infirmes  ou  les  déshérités  de 
la  société. 

Gomme  tous  les  hommes  profondément  religieux , 
Si  Abd  - el  - Qader  croyait  à l’efficacité  de  la  prière , 
pour  calmer  et  adoucir  les  peines  des  âmes  abattues 
par  l’adversité;  il  croyait  aussi  qu’occuper  l’esprit  du 
malheureux  à de  nombreux  exercices  de  dévotion,  qui 
l’absorbent  et  l’empêchent  de  penser  à son  mal,  c’était 
lui  faire  encore  du  bien;  aussi  son  Ouerd  est-il  surchargé 
de  pratiques  religieuses  et  de  prières  interminables.  Mais 
il  y en  a pour  tous  les  tempéraments  : depuis  le  simple 
dikr  des  initiés  ordinaires,  jusqu’aux  longues  et  mysti- 
ques oraisons  prescrites  aux  lettrés. 

Le  dikr  le  plus  répandu,  et  celui  qu’il  suffit  de  donner 
aux  Khouan  lors  de  l’initiation,  consiste  à « réciter 
» 165  fois,  à la  suite  de  chacune  des  cinq  prières  obliga- 
» toires,  et  toutes  les  fois  que  la  chose  sera  possible,  la 
» parole  de  l’Unité  de  Dieu  : « Il  n’y  a de  Divinité  que 
» Allah/  » (La  ilaha,  ilia  Allah  !),  car  l’ange  Gabriel  a dit  au 
» Prophète  : J’ai  entendu  le  Tout-Puissant  dire  : il  n’y  a 
» de  Divinité  que  Allah  : c’est  là  ma  forteresse.  Celui  qui 
» prononcera  ces  paroles  entrera  dans  ma  forteresse, 

» et  celui  qui  y entrera  sera  en  sûreté  contre  mes  châti- 
» ments  (1).  » 


(1)  Page  52  du  manuscrit  précité  de  Si  Snoussi. 


— 184  — 

Ce  dikr  est  le  seul  donné  par  les  brevets  authentiques 
délivrés  à Bar’dad. 

Cependant,  quelques  branches  des  Qadrya,  en  Algérie, 
ajoutent  à ce  simple  dikr  les  deux  formules  suivantes, 
qu’on  doit  dire  dans  les  mêmes  conditions  : 

100  fois:  Que  Dieu  pardonne  ! 

100  fois  : O mon  Dieu,  que  Dieu  répande  ses  bénédictions  sur 
notre  Seigneur  Mohammed,  le  prophète  (1)  illettré 

î O iXwi  ^ ! çho  i 

/ 

Là  ne  se  bornent  pas  les  dikr  en  usage  dans  l’ordre  ; 
le  cheikh  Snoussi  nous  indique  encore,  comme  spéciales 
aux  Qadrya,  les  oraisons  suivantes,  qui  sont  réservées 
aux  adeptes  privilégiés  et  plus  avancés  dans  la  voie  spi- 
rituelle, ou  qui  servent,  dans  les  Hadra,  pour  les  prières 
faites  en  commun  par  les  adeptes  réunis  : 

« Réciter  la  Fatha,  après  les  prières  ordinaires,  en  demandant  que 
» tous  les  mérites  qui  y sont  attachés  soient  reportés  sur  le  Prophète 
» (que  Dieu  répande  sur  lui  ses  bénédictions  et  le  salut  !)  sur  Pâme 
» du  cheikh  Sidi  Abd-el-Qader-El-Djilani  (que  Dieu  lui  accorde  ses 
» grâces  !)  et  sur  les  âmes  de  tous  les  cheikhs  de  l’ordre  fondé  par 
» lui. 

» Répéter  121  fois  en  chœur,  avec  tous  les  adeptes  : « O Dieu,  répan- 
» dez  vos  bénédictions  sur  notre  Seigneur  Mohammed  et  sur  sa  fa- 
» mille,  un  nombre  de  fois  cent  mille  fois  plus  grand  que  celui  des 
» atomes  de  l’air  ; bénissez-le  et  accordez-lui  le  salut  ! » 

Répéter  121  fois  aussi:  « Que  Dieu  soit  glorifié,  Louange  à Dieu, Il  n'y 
» a de  divinité  que  Allah , Dieu  est  très  grand , Il  n'y  a de  force  et  de 
» puissance  que  dans  le  Dieu  Très-Haut  et  très  grand ! ....  » 

Répéter  121  fois  encore  : « 0 Cheikh  Ahd-eDQader-El-Djilani , quelque 
» chose  pour  Dieu! » 

Réciter  une  fois  la  sourate  de  Ya-Sine. 

Réciter  41  fois  la  sourate  commençant  par  : « Est-ce  que  je  ne  m'ex- 
» plique  pas  ?..  . . » 

(1)  Ce  mot  se  rapporte  au  radical  ^*1  mère,  il  se  traduit  par 

« ignorant  comme  l’enfant  qui  vient  de  naître.  » C’est  du  moins  le 
sens  le  plus  ordinairement  donné  par  les  commentateurs. 


— 185  — 

Réciter  121  fois  la  sourate  commençant  par:  « Lorsque  viendra  le 
» secours  de  Dieu » 

Réciter  encore  121  fois  la  prière  transcrite  plus  haut  ; 

Réciter,  si  l’on  sait  lire,  8 fois  la  sourate  de  la  Fatha,  y compris  la 
formule  de  : Au  nom  de  Dieu , etc  ...» 

Réciter,  si  l’on  sait  lire,  la  sourate  d’El-lkhelas. 

Dire,  si  l’on  sait  lire,  trois  fois  : Que  Dieu  répande  ses  bénédictions 
sur  le  Prophète. 

La  Fatha  conduit  vers  le  Prophète  (que  Dieu  répande  sur  lui  ses 
bénédictions  et  lui  accorde  le  salut!),  vers  le  cheikh  Abd-el-Qader  et 
vers  tous  les  cheikhs  de  l’ordre  fondé  par  lui. 


Les  Qadrya  ont  une  manière  particulière  de  se  tenir 
pour  prier,  et  les  mendiants  initiés  ne  manquent  pas 
d’adopter  cette  posture  pour  demander  la  charité.  Voici 
en  quels  termes  s’exprime  le  cheikh  Snoussi  à ce  sujet  : 

La  position  à prendre  pour  prier  consiste  à s’asseoir  les  jambes 
croisées  ; alors  on  touche  l’extrémité  du  pied  droit,  puis  l’artère  prin- 
cipale nommée  El-Kias  (?)  qui  contourne  les  entrailles  ; on  place  la 
main  ouverte,  les  doigts  écartés,  sur  le  genou,  en  prononçant  le  nom 
de  Dieu,  d’une  voix  grave  et  prolongée,  en  faisant  chaque  fois  traîner, 
autant  que  la  respiration  le  permet,  la  finale  de  ce  mot,  et  en  médi- 
tant sur  l’infinie  justice  de  Dieu.  Il  convient  encore  de  prier,  non- 
seulement  pour  soi-même,  mais  aussi  pour  autrui  que  Dieu  a créé 
semblable  à nous.  Ces  actes  de  dévotion  doivent  se  prolonger  jusqu’à 
ce  que  l’esprit  et  le  cœur,  parvenus  aux  doux  instants  du  plaisir  ex- 
tatique, reçoivent  les  révélations  des  lumières  divines. 

Nous  trouvons  encore,  dans  ce  même  manuscrit,  les 
quelques  indications  ci-après,  qui  nous  montrent  la  par- 
tie de  la  règle  des  Qadrya,  relatives  aux  exercices  mys- 
tiques particulièrement  recommandables  aux  yeux  du 
cheikh  Snoussi. 

« Cet  ordre  a été  institué  par  le  plus  puissant  de  tous  les  Saints, 
» le  pontife  de  ceux  dont  la  foi  est  inébranlable,  le  Cheikh  notre  maî- 
u tre  Abd-el-Qader-El-Djilani  (que  Dieu  lui  accorde  ses  grâces  !)  Les 
» pratiques  qui  en  forment  la  base  sont  les  suivantes  : 

La  prière  à haute  voix,  faite  en  se  réunissant  en  rond;  les  pénibles 
mortifications  de  la  vie  ascétique,  auxquelles  on  doit  s’assujétir  avec 


— 186  — 


assiduité  ; arriver  progressivement  à ne  manger  que  le  moins  possi- 
ble ; éviter  la  société;  commencer,  avant  tout,  à méditer  sur  la  gran- 
deur de  Dieu  et  le  glorifier.  C’est  par  ces  actes  de  dévotion  que  l’ame 
s’assouplit  et  se  forme  à la  foi;  elle  y puise  la  force,  qui  lui  est  né- 
cessaire, pour  se  purifier  des  souillures  qui  l’alourdissent  dans  la 
matière. 

Il  faut  aussi  s’astreindre  aux  prières  dites  Ouerd-Debered,  qui 
amènent  à l'anéantissement  de  l’individualité  de  l’homme  absorbé 
dans  l’essence  de  Dieu  (c’est-à-dire  l’état  à la  suite  duquel  on  arrive 
à la  contemplation  de  Dieu  en  ses  attributs)  et  qui  font  ensuite  reve- 
nir à l’état  ordinaire. 

Ces  prières  ont  été  instituées  par  le  Cheikh  des  Cheikhs  Sidi  Abd- 
el-Qader.  Pour  les  faire,  on  doit  s’asseoir  comme  il  a été  déjà  dit, 
porter  sa  face  vers  l’épaule  droite,  en  disant  ha,  puis  vers  l’épaule 
gauche,  en  disant  hou , puis  la  baisser  en  disant  hi,  puis  recommen- 
cer. Il  importe,  et  cela  est  indispensable,  que  celui  qui  les  prononce, 
s’arrête  sur  le  premier  de  ces  noms  aussi  longtemps  que  son  haleine 
le  lui  permet,  puis  quand  il  s’est  purifié,  il  appuie  de  la  même  manière, 
sur  le  nom  de  Dieu,  tant  que  son  âme  peut  être  sujette  au  reproche  : 
ensuite  il  articule  le  nom  hou,  quand  la  personne  est  disposée  à l’o- 
béissance ; enfin,  lorsque  l’âme  a atteint  le  degré  de  perfection  dési- 
rable, il  peut  dire  le  dernier  nom  hi,  mais  toujours  en  observant 
scrupuleusement  les  prescriptions  imposées.  Les  diverses  obligations 
particulières,  afférentes  à ces  pratiques,  sont  exposées  ailleurs,  dans 
mon  ouvrage  Es-Salsabil. 


En  raison  de  sa  dispersion  sur  toute  l’étendue  du 
monde  musulman,  en  raison  aussi  de  son  caractère 
gépéral  de  tolérance  et  de  charité,  l’ordre  des  Qadrya 
n’a  pas  cette  homogénéité  de  statuts  que  l’on  rencontre 
dans  d’autres  congrégations,  qui  semblent  former  de 
petites  églises  fermées  hors  desquelles  il  n’y  a plus  de 
salut.  L’ordre  de  Qadrya  est  au  contraire  ouvert  à tous  ; 
loin  de  fuir  les  Grands  de  la  Terre  ou  les  détenteurs 
du  pouvoir,  il  cherche  ,à  vivre  en  bonnes  relations  avec 
eux,  stimule  leur  charité,  leur  demande  des  faveurs,  et 
présente  à leur  adhésion  la  nomination  de  ses  moqad- 
dem  : en  un  mot,  il  ne  se  cache  jamais  et  il  cherche  à 
se  faire  accepter,  même  en  pays  chrétien. 

Le  respect  pour  le  chef  de  l’ordre  est,  partout,  porté  à 
un  très  haut  degré  ; tous  les  Khouan  qui  arrivent  de 


— 187 


Bar’dad  sont  l’objet  d’une  grande  vénération  ; mais  l’au- 
torité exercée  par  le  Grand-Maître  n’est  ni  tracassière, 
ni  rapace,  ni  bien  rigide,  et  ce  qui  le  montre  c’est  que, 
malgré  l’espèce  de  fétichisme  dont  il  est  l’objet,  il  y a, 
chez  ses  adeptes,  bien  des  différences  de  pratiques  et  de 
prières.  Nous  en  avons  déjà  touché  un  mot  en  disant 
que  l’initiation  se  fait  de  diverses  manières,  suivant  les 
congrégations  dont  l’ensemble  constitue  l’ordre  propre- 
ment dit. 

Nous  avons,  sur  ce  genre  de  cérémonies,  des  détails 
donnés  par  divers  auteurs. 

Le  cheikh  Snoussi  décrit  avec  précision  les  opérations 
et  prières  imposées  au  néophyte,  lors  de  l’investiture, 
mais  il  passe  rapidement  sur  ce  qui  lui  est  dit  par  le 
cheikh,  pour  lui  faire  connaître  les  devoirs  de  l’ordre  : 


« Au  nombre  des  cérémonies  que  nous  avons  remarquées  dans  cet 
» ordre,  dit-il,  nous  avons  constaté  que  les  pratiques  nécessaires 
» pour  obtenir  du  cheikh  la  faveur  de  l’initiation  étaient  les  sui- 
» vantes  : 

» Renouveler  ses  premières  ablutions  ; toutefois  un  lavage  complet 
» est  préférable  ; 

» Faire  deux  poses  de  prière,  avec  abnégation  totale  de  ses  idées 
» personnelles,  en  récitant  la  Fatha  et  la  Sourate  d’El-Ikhelas  sept 
» fois  ; 

» S’asseoir  devant  le  cheikh  dans  la  posture  accoutumée  de  la 
» prière.  Le  cheikh  prend  alors  dans  les  siennes  les  mains  de  l’as- 
» pirant  et  dit  : 

Àu  nom  de  Dieu  clément  et  miséricordieux  (une  fois).  Que  Dieu  'pardonne 
(sept  fois).  Je  crois  en  Dieu , à ses  anges , à son  Livre,  à son  Envoyé , au 
jour  du  jugement  dernier , à ses  décrets , à ses  bienfaits , aux  malheurs  dont 
le  Seigneur  afflige , à la  résurrection  après  la  mort  (une  fois).  L’aspirant 
répond  à cela  : Je  suis  Musulman  et  je  reçois  la  confrmation  dans  mon 
culte  et  dans  ma  foi  ; je  me  purifie  de  tous  mes  péchés  par  un  repentir 
sincère  ; je  répudie  l’hérésie  et  tout  ce  qui  peut  m’y  conduire , puis  il 
ajoute  : Il  n'y  a de  Dieu  que  le  Dieu  unique , qui  n’a  point  d'associé;  je 
déclare  que  Mohammed  est  son  serviteur  et  son  Envoyé.  C’est  de  lui  que 
je  reçois  l'admission  dans  l'ordre,  je  me  pare  de  la  coiffure  qui  en  est  le 
symbole , je  fais  le  serment  de  fidélité  entre  les  mains  du  docte , un  tel, 
je  m'engage  à observer  les  lois  divines  et  brillantes,  à accomplir  tous  mes 


— 188  — 


actes  en  vue  de  Dieu , à accepter  tout  ce  qu'il  lui  plaira  de  m'envoyer , à 
le  remercier  des  malheurs  dont  il  m'accablera. 

Le  cheikh,  reprenant  la  parole,  se  proclame  le  disciple  du  cheikh 
qui  l’a  investi,  nomme  les  chefs  de  l’ordre,  ses  devanciers,  en  énu- 
mérant leurs  qualités  et  leurs  vertus  ; il  peut  les  désigner  tous,  ou 
n’en  citer  que  quelques-uns,  selon  qu’il  le  juge  opportun.  Cela  fait, 
il  récite  les  paroles  du  Dieu  Très-Haut,  au  passage  du  Coran  com- 
mençant aux  mots  : Ceux  qui  le  proclament  jusqu’à  celui  de  grande- 
ment, puis  la  Fatha;  puis  il  recommande  à l’adepte  d’observer  la  loi 
religieuse,  et  les  statuts  de  l’ordre.  Prenant  ensuite  des  ciseaux  dans 
la  main  il  lui  coupe  deux  cheveux  sur  le  haut  du  front  en  disant  : 
« Mon  Dieu,  coupez  ainsi  ses  pensées  personnelles  : protégez-le  contre  la 
désobéissance , raffermissez -le  dans  la  religion  de  l'Islam.  » Puis,  lui  pla- 
çant la  couronne  ou  le  turban  sur  la  tête,  il  ajoute  : « 0 mon  Dieu, 
parez-le  de  la  couronne  delà  venu  et  du  bonheur;  » ensuite,  lui  tendant 
une  coupe  dans  laquelle  il  le  fait  boire,  il  récite  le  passage  du  Coran 
commençant  à Aujourd'hui  je  vous  ai  confirmé  dans  voire  foi  jusqu’aux 
mots  votre  religion  ; puis  il  fait  deux  poses  de  prière  pour  glorifier 
Dieu,  en  récitant  une  fois  avec  chacune,  la  Fatha,  et  onze  fois  la 
Sourate  d’El-Ikhelas.  Alors  seulement  l’aspirant  donne  la  main  à son 
cheikh  et  à tous  les  affiliés  présents. 

Toutes  ces  cérémonies  terminées,  le  cheikh  initie  l’aspirant  au 
rituel  de  Sidi  Abd-el-Qader. 

Le  cheikh  ne  se  borne  pas  à recommander  à l’adepte  : 
« d’observer  la  loi  religieuse  et  les  statuts  de  l’ordre,  » 
il  s’assure,  en  outre,  que  le  néophyte  connaît  ses  devoirs 
et,  pour  cela,  il  lui  fait  subir  un  interrogatoire  en  règle, 
résumé  dans  une  sorte  de  catéchisme,  sans  nom  d’au- 
teur, qu’il  nous  paraît  utile  et  curieux  de  reproduire  en 
entier.  On  y trouvera  un  singulier  mélange  de  morale, 
de  mysticisme  et  de  pratiques  rappelant  celles  de  toutes 
les  sociétés  secrètes. 

Il  va  sans  dire  qu’avant  de  subir  cet  examen,  le  néo- 
phyte a déjà  été  catéchisé  par  le  cheikh,  qui  lui  a raconté 
la  chute  d’Adam,  son  repentir,  son  pardon,  son  « revê- 
tement du  manteau,  de  la  décision  et  de  la  ceinture 
symbolique  » par  l’ange  Gabriel,  la  même  cérémonie 
pour  Abraham,  puis  pour  les  disciples  du  Prophète,  avec 
Ali  comme  principal  acteur. 


— 189  — 


Il  a édifié  le  néophyte  : sur  l’importance  de  son  enga- 
gement, sur  les  peines  terribles  qui  atteignent  ceux 

« qui  rompront  le  pacte  et  V alliance » car,  « même 

» les  Infidèles  respectent  entre  eux  la  parole  donnée . » 
Dans  ces  instructions  assez  longues,  il  a aussi  insisté 
sur  l’égalité  qui  existe  entre  les  Croyants,  car  Dieu,  a atta- 
ché avec  la  ceinture  symbolique,  les  compagnons  du 
Prophète,  en  mettant  un  pauvre  avec  un  riche,  un  faible 

avec  un  puissant  (1),  etc 

Voici  maintenant,  comment  s’exprime  le  manuscrit 
anonyme,  au  sujet  du  rituel  de  la  séance  de  réception 
du  néophyte  et  de  son  interrogatoire  : 


« Tout  d’abord,  le  cheikh  rasera  la  tête  du  néophyte,  puis  il  rece- 
» vra  de  lui  l’acte  de  contrition  et  l’engagement  (Ahed).  » 

« Ensuite  il  le  coiffera  du  diadème  et  le  revêtira  du  manteau.  Il  le 
» liera  à tel  frère  qu’il  voudra,  lui  ceindra  aux  reins  la  ceinture  et 
» l’initiera  à la  science. 

» Cela  terminé,  il  le  fera  asseoir  sur  le  tapis,  lui  préparera  la  frian- 
» dise  et  chacun  en  mangera.  On  en  enverra  en  différents  endroits, 
» et  de  ville  en  ville,  à ceux  qui  n’ont  pu  être  présents,  afin  de  leur 
» prouver  l’intérêt  constant  que  leur  portent  les  frères.  Il  y aura  un 
» interprète  de  langue  pour  expliquer  les  mystères. 

» Il  est  nécessaire  que  le  compagnon  de  la  ceinture  et  de  la  main 
» retienne,  par  cœur,  les  préceptes  et  les  questions  qui  suivent,  les- 
» quels  lui  vaudront  les  grâces  divines  et  le  rendront  glorieux  auprès 
» des  maîtres  de  la  connaissance. 

» Il  devra,  tout  d’abord,  réciter  cette  invocation  : « Je  cherche, 
» auprès  de  Dieu,  un  refuge  contre  sa  colère,  et  le  prie  de  me  dé- 
» tourner  de  rejeter  la  ceinture,  de  rompre  le  pacte  et  de  méconnaître 
» la  confrérie  établie  au  nom  de  Dieu.  Car  quiconque  conservera  la 
» ceinture,  le  pacte  et  la  confrérie,  sera  conservé  par  Dieu,  et  obtien- 
» dra  ses  bénédictions  ; mais  quiconque  les  rejetera,  irritera  Dieu 
» contre  lui  ; aussi,  le  jour  de  la  résurrection,  il  se  présentera  le 
» visage  noir,  de  sorte  que  les  anges  du  ciel  le  maudiront  ! » 

« Le  néophyte  devra  aussi  apprendre  tout  le  résumé  qui  précède. 


(1)  Voir  dans  le  Recueil  de  la  Société  archéologique  (année  1869, 
page  410),  la  traduction  plus  explicite,  par  M.  Mercier,  du  document 
que  nous  analysons  — l’article  est  intitulé  : « Étude  sur  la  confrérie 
des  Khouan  de  Sid  Abdelkader-el-Djilani.  » 


— 190  — 


» Comme  il  est  essentiel  que  le  compagnon  du  tapis  soit  versé  dans 
» la  loi,  la  justice,  la  voie  droite  et  la  connaissance,  voici  les  répon- 
» ses  qu’il  devra  donner  aux  questions  qui  lui  seront  posées.  C’est 
» avec  le  questionnaire  suivant  que  le  cheikh  initiera  à la  connais- 
» sance  du  Dieu  Très-Haut.  » 


QUESTIONNAIRE 

« D.  Qui,  le  premier,  a reçu  la  ceinture  ? 

» R.  Gabriel. 

» D.  Où  l’a-t-il  reçue  ? 

» R.  Au  ciel. 

» D.  Qui  l’en  a ceint  ? 

» R.  Les  anges  du  ciel,  par  l’ordre  de  la  Vérité.  — Que  sa  gloire 
» soit  proclamée  ! 

» D.  Qui,  le  second,  a reçu  la  ceinture? 

» R.  N. -S.  Mohammed. 

» D.  Qui  l’en  a ceint  ? 

» R.  Gabriel,  par  l’ordre  du  Maître  de  l’univers. 

» D.  Qui,  le  troisième,  a reçu  la  ceinture  ? 

» R.  Ali,  fils  d’Abou  Thaleb. 

» D.  Qui  l’en  a ceint  ? 

» R.  Mohammed. 

» D.  Qui,  le  quatrième,  a reçu  la  ceinture? 

» R.  Sliman-el-Farsi. 

» D.  Qui  l’en  a ceint  ? 

» R.  Ali. 

» D.  A qui  appartient  la  ceinture  (au  fig.  fermeté)  et  à qui  la  main 
» (puissance)  ? 

» R.  La  ceinture  est  à Ali,  fils  d’Abou-Thaleb,  et  la  main  à Moham- 
» med,  car  Dieu  a dit  : Ceux  qui  se  soumettront  à toi,  seront  comme 
» s’ils  se  soumettaient  à Dieu,  et  ceux  qui  se  révolteront  contre  toi, 
» se  révolteront  contre  eux-mêmes,  car  la  main  de  Dieu  est  au-dessus 
» d’eux.  Celui  qui  accomplira  ce  que  Dieu  lui  a imposé  comme  enga- 
» gement,  je  le  récompenserai  d’une  manière  magnifique  (1). 

» D.  Combien  y a-t-il  de  ceintures? 

» R.  Deux  : la  ceinture  supérieure  est  à Gabriel  ; elle  est  dans  le 
» ciel;  la  ceinture  inférieure  est  à Ali,  fils  d’Abou-Thaleb;  elle  est  sur 
» la  terre  : c’est  la  confrérie. 


(1)  Ces  deux  phrases  sont  des  citations  plus  ou  moins  altérées  du 
Coran . 


— 191  — 

» D.  La  ceinture  (confrérie),  de  combien  d’éléments  est-elle  com- 
» posée  ? 

» R.  De  trois  éléments.  Le  premier  est  Gabriel;  le  second,  Moham- 
» med,  et  le  troisième,  Ali,  fils  d’Abou-Thalcb. 

» D.  Sur  combien  de  bases  repose  la  ceinture  ? 

» R.  Sur  deux  bases,  qui  sont:  El-Haçan  et  El-IIoceïn,  fils  d’Ali. 

» D.  Qu’est-ce  que  la  voie  (trika)? 

» R.  C’est  la  science,  la  continence,  la  sagesse,  la  patience  et  l’ex- 
» cellence  des  successeurs. 

» D.  Quelles  sont  les  obligations  de  la  voie  ? 

» R.  De  rejeter  les  mauvaises  paroles  ; de  prononcer  sans  cesse  le 
» nom  de  Dieu  ; de  mépriser  les  biens  de  la  terre  ; de  repousser  les 
» amours  humaines  et  de  craindre  le  Dieu  Très-Haut. 

» D.  A quels  signes  se  reconnaissent  les  gens  de  la  voie  ? 

» R.  Ces  signes  sont  : la  bienfaisance,  la  retenue  de  la  langue,  la 
» piété,  la  douceur  et  l’éloignement  des  péchés. 

» D.  Quel  est  ton  Ouerd,  et  que  t’impose-t-il  ? 

» R.  La  recherche  du  salut  et  de  la  nourriture  divine  ; la  douceur 
» des  paroles  ; la  confraternité  et  la  sincérité  du  langage  et  des 
» œuvres. 

» D.  Qu’est-ce  que  le  tapis  de  la  voie? 

» R.  C’est  le  tapis  à prières  du  cheikh,  sur  lequel  on  se  prosterne 
» et  on  est  purifié;  c’est  sur  lui  que  se  passent  les  mystères. 

» D.  Le  tapis  de  la  voie,  combien  a-t-il  d’attributs  ? 

» R.  Quatre. 

» D.  Quels  sont-ils  ? 

» R.  Loi  divine,  vérité  suprême,  voie  droite,  connaissance  du  Dieu 
» Très-Haut. 

» D.  Le  tapis,  combien  a-t-il  de  mots  symboliques  et  quels  sont-ils  ? 

» R.  Quatre  : le  premier  est  Gabriel,  le  second  Michel,  le  troisième 
» El-Haçan  et  le  quatrième  El-Hoceïn. 

» D.  Combien  y a-t-il  de  lettres,  et  quelles  sont-elles  ? 

» R.  Il  y en  a quatre  : la  première  est  ta  O,  la  deuxième  mim  ç, 
» la  troisième  a et  la  quatrième 

» D.  Quelle  est  la  signification  de  ces  quatre  lettres? 

» R.  La  première,  ta,  veut  dire  que  le  compagnon  du  tapis  doit  être 
» la  poussière  des  gens  de  la  voie  ; le  mim,  qu’il  doit  être  sem- 

» blable  à l’eau  *L»  courante  et  pure  ; le  ha,  qu’il  doit  être  comme  le 
» zéphir  soufflant  dans  le  feuillage  des  arbres,  le  compagnon 

» du  tapis  doit,  en  effet,  être  un  esprit  répandant  sur  les  gens  de  la 
» voie,  la  perfection  et  les  faveurs  légales  ; le  noun  ^ indique  qu’il 
» doit  être  comme  le  feujl»  qui  embrase  la  maison  du  pervers. 


— 192  — 


» D.  Vers  qui  marchez-vous  ? 

» R.  Vers  la  place  d’Ali. 

» D.  Quelle  est  la  forme  de  cette  place,  qu’y  a-t-il  au-dessus  d’elle, 
» que  contient-elle  ? 

» R.  La  place  d’Ali  est  tracée  parles  vieillards,  compagnons  de  Ja 
» fetoua  ; sur  elle,  est  le  tapis,  et,  au-dessus  d’elle,  est  la  Vérité 
» (Dieu),  le  Tout-Puissant,  le  Généreux,  qui  domine  ses  esclaves. 

» D.  Combien  faut-il  de  pas  pour  la  traverser? 

» R.  Quatre  pas  : un  pour  chacun  des  Saluts  que  connaît  l’inter- 
» prête  de  langue,  qui  en  explique  les  secrets  et  les  mystères. 

» D.  Combien  doit-on  passer  de  ponts  pour  arriver,  à la  place  d’Ali, 
» et  s’asseoir  sur  le  tapis  ? 

» R.  Trois  ponts. 

» D.  Qu’y  a-t-il  à votre  droite,  à votre  gauche,  derrière  vous,  devant 
» vous,  sur  votre  tête  et  sous  vos  pieds  ? 

» R.  A ma  droite  est  Gabriel  ; à ma  gauche,  Michel  ; derrière  moi, 
» Azraïl  ; devant  moi,  Assafil  ; au-dessus  de  moi,  le  Souverain  Glo- 
» rieux  ; et  sous  mes  pieds,  la  Mort,  qui  est  plus  proche  de  nous  que 
» la  veine  jugulaire  ne  l’est  de  la  gorge,  conformément  à cette  parole 
» divine  : « Toute  âme  doit  goûter  de  la  mort  ; vous  recevrez  votre 
» salaire  le  jour  de  la  résurrection  (Coran).  » 

» D.  Qu’y  a-t-il  dans  votre  tête,  dans  votre  oreille,  dans  votre  œil, 
» dans  votre  poitrine  et  dans  vos  pieds  ? 

» R.  Dans  ma  tête  : la  noblesse  des  pensées,  l’intelligence  et  la 
» connaissance  ; dans  mon  oreille  : les  paroles  de  celui  qui  m’a  dirigé 
» vers  l’obéissance  de  Dieu  ; dans  mon  œil  : la  vue  de  la  face  du  Seï- 
» gneur  Généreux  (Dieu)  ; dans  ma  bouche  : la  loi  divine,  la  vérité, 
» la  règle,  la  connaissance  et  les  paroles  de  bien;  dans  ma  poitrine 
» (cœur)  : la  patience  pour  supporter  les  calamités  et  les  mauvaises 
» paroles  ; et  dans  mes  pieds  : un  moyen  de  me  rendre  auprès  des 
» maîtres  de  la  connaissance,  sur  le  tapis  de  la  voie  droite,  en  pré- 
» sence  des  gens  de  la  vérité. 

» D.  Qu’y  a-t-il  dans  votre  cœur  ? 

» R.  L’impureté  et  l’ignorance,  que  je  dois  racheter  par  l’humilité 
» et  la  soumission  devant  mon  Maître. 

» D.  Quels  sont  vos  témoins  ? 

» R.  Ma  main  droite  et  ma  main  gauche  ; elles  porteront  témoignage 
» le  jour  de  la  comparution  suprême,  par  devant  le  Maître  de  l’Uni- 
» vers,  et  les  deux  anges  écrivant  par  mon  ordre. 

» D.  En  se  rendant  vers  la  place  d’Ali,  d’où  vient-on,  et  par  où 
» s’en  va-t-on? 

» R.  On  vient  de  la  maison  périssable,  et  on  se  rend  vers  la  mai- 
» son  de  l’éternité.  Accorde-moi  la  richesse,  ô Riche!  et  l’éternité,  ô 
» Eternel  ! 


— 193  — 

» D.  Quelle  est  la  maison  périssable  ? Quelle  est  la  maison  éter- 
» nelle  ? 

» R.  La  terre  est  périssable,  avec  tout  ce  qu’elle  contient,  car  c’est 
» la  maison  de  l’illusion,  conformément  à cette  parole  divine  : « La 
» vie  de  la  terre  n’offre  que  des  jouissances  trompeuses  (Coran).  » 
» Quant  à la  maison  éternelle,  c’est  la  maison  de  l’autre  vie,  et  ne 
» l’habitera  pour  l’éternité  que  celui  qui  aura  fait  les  bonnes  œuvres, 
» multiplié  les  bienfaits,  rejeté  l’impureté  et  l’immoralité,  méprisé 
» les  amours  terrestres,  et  détourné  ses  regards  des  choses  illicites. 
» C’est  la  réunion  des  serviteurs  au  plus  haut  des  cieux  ; c’est  en  ce 
» lieu  qu’ils  obtiendront  l’intercession  efficace  de  Mohammed,  l’En- 

voyé  de  Dieu,  le  Maître  des  miracles. 

» D.  Lorsque  vous  entrez  sur  la  place  et  que  vous  vous  avancez 
» au  milieu  des  vieillards,  compagnons  de  la  voie,  comment  vous 
» accueille  le  cheikh  ? 

» R.  Il  m’accueille  avec  une  invocation  sincère,  et  m’enveloppe  de 
» son  regard  bienfaisant. 

» D.  Quels  sont  vos  initiateurs  pour  entrer  dans  la  voie  de  la  pureté? 

» R.  Ce  sont  les  vieillards  sages  qui  sont  mes  intermédiaires  auprès 
» d’Ali.  C’est  en  leur  présence  et  dans  leur  généreuse  société  qu’on 
» est  reçu. 

» D.  Où  est-on  reçu  ? 

» R.  Sur  le  tapis  de  la  vérité,  sous  les  pieds  du  trône  de  Dieu,  sur 
» la  place  d’Ali,  et  en  présence  des  compagnons  de  la  fetoua. 

» D.  Combien  avez-vous  de  frères  dans  la  voie  droite  ? 

» R.  Deux,  qui  sont  ma  ceinture  et  mon  pacte,  que  je  tiens  dans  ma 
» main,  et  qui  m’accompagnent  dans  la  vie  et  dans  la  mort. 

» D.  Par  quelle  porte  entre-t-on,  et  par  quelle  porte  sort-on  ? 

» R.  On  entre  par  la  porte  de  l’amour,  et  on  sort  par  celle  de  la 
» miséricorde  et  de  l’accueil  des  compagnons.de  la  fetoua. 

» D.  Où  est  cuite  notre  bouchée,  qui  l’a  humectée  et  qui  l’apporte  ? 

» R.  Elle  est  cuite  au  foyer  du  Miséricordieux  (Dieu)  et  est  apportée 
» par  les  anges  du  paradis  de  délices. 

» D.  Où  la  dépose-t-on  ? 

» R.  Sur  le  tapis  de  la  puissance,  entre  les  mains  des  compagnons 
» de  la  décision. 

» D.  En  arrivant  dans  la  réunion  des  gens  de  la  voie  droite,  sur 
» quoi  s’assied-on? 

» R.  Sur  le  tapis  d’Ismaïl  (que  le  salut  soit  sur  lui!) 

» D.  Comment  s’assied-on  sur  le  tapis  de  la  voie? 

» R.  Par  la  permission  que  le  cheikh  en  donne,  et  avec  le  cœur 
» rempli  d’humilité  et  de  modestie,  en  présence  des  intermédiaires. 

» D.  Qu’est-ce  que  la  foula  (pièce  d’étoffe)?  Quelle  est  son  origine 
» et  quelle  largeur  a-t-elle? 


13 


— 194  — 

R.  La  première  fouta  a été  formée  des  feuilles  de  figuier  dont  se 
» sont  couverts  Adam  et  Ève.  La  largeur  de  la  fouta  est  celle  de  votre 
»* bras  droit,  et  sa  longueur  est  celle  de  votre  bras  gauche.  Son  ori- 
» gine  revient  à Omar-Ibn-Omeïa-el-Medowi,  car  c’est  lui  qui  en  fit 
» présent  à l’imam  Ali. 

» D.  Comment  entre-t-on  dans  la  voie,  et  comment  en  sort-on  ? 

» R.  On  y entre  avec  l’âme  humble  de  l’impétrant,  et  on  en  sort 
» avec  le  cœur  joyeux  de  celui  qui  a obtenu. 

» D.  Lorsqu’on  vous  boucle  la  ceinture,  qu’y  a-t-il  dans  votre  main 
» droite  ? 

» R.  Nous  tenons  dans  notre  main  droite  le  livre  de  notre  destin, 
» selon  cette  parole  divine  : « O ! mon  Dieu,  donne-moi  mon  livre 
» (destin),  dans  ma  main  droite  et  non  dans  ma  main  gauche  ! » 

» D.  Qu’y  a-t-il  entre  votre  main  droite  et  votre  main  gauche  ? 

» R.  Il  y a,  entre  les  deux,  l’alliance  du  Dieu  Très-Haut. 

» D.  Qu’y  a-t-il  entre  vous  et  votre  initiateur  ? 

» R.  Il  y a,  entre  nous,  le  pardon  du  Dieu  magnifique,  Seigneur  de 
» Moïse  et  d’Abraham  ; selon  cette  parole  divine  : « O ! vous  qui 
» croyez,  offrez,  en  entier,  votre  repentir  à Dieu,  et  demandez-lui  le 
» pardon  de  vos  fautes.  » Et  cette  autre  parole  : « Celui  qui  accom- 
» plira  l’engagement  contracté  envers  Dieu,  je  le  récompenserai  ma- 
» gnifiquement.  » 

» D.  Par  quoi  est-on  affranchi? 

» R.  Par  la  pureté  du  cœur  de  l’initiateur  et  la  sincérité  du  néophyte. 

» D.  Qui  possède  la  chose  longue,  et  qui  la  chose  courte  ? 

» R.  L’homme  juste  a la  langue  longue  et  le  pécheur,  dans  son 
» avilissement,  a la  langue  courte. 

» D.  Quelle  est  la  clef  du  ciel  ? 

» R.  La  profession  de  foi  : « Il  n’y  a de  Divinité  que  Allah,  Moham- 
» med  est  le  prophète  de  Dieu  ; (que  Dieu  répande  sur  lui  ses  grâces 
» et  lui  accorde  le  salut  !)  » 

» D.  Quelles  choses  sont  venues  du  ciel,  et  dont  l’une  est  supé- 
» rieure  à l’autre  ? 

» R.  Le  blé  et  la  viande.  La  viande  est  supérieure  au  blé,  car  le 
» blé  a été  apporté  du  paradis  par  Adam,  tandis  que  le  bélier  a été 
» envoyé  du  ciel,  pour  servir  de  rançon  à Ismaïl,  que  son  père  allait 
o immoler. 

» D.  Quelle  est  la  maison  sans  porte,  la  mosquée  sans  mihrab  (1) 
» et  le  prédicateur  sans  livre  ? 

» R.  La  maison  sans  porte,  c’est  la  terre,  qui  n’est  qu’un  séjour 


(1  ) Le  Mihrab,  dans  les  mosquées,  est  une  sorte  de  niche  pratiquée 
du  côté  de  la  Mecque  et  dans  laquelle  se  met  le  prédicateur,  lorsqu’il 
ne  monte  pas  dans  la  chaire  (khettaba) . 


» d’illusions  trompeuses  ; la  mosquée  sans  mihrab,  c’est  la  Kabâ, 

» que  Dieu  Très-Haut  la  protège  ! — et  le  prédicateur  sans  livre, 
» c’est  Mohammed,  car  il  prêchait  sans  livre,  et  on  écrivait,  au  con- 
» traire,  ses  paroles  sur  le  livre. 

» D.  Le  diadème  de  l’Islam  est-il  sur  ma  tête,  ou  sur  la  vôtre  ? 

» R.  Il  est  sur  ma  tête,  sur  la  vôtre  et  sur  celle  de  tous  les  servi- 
» teurs  ; car  Dieu  l’Unique,  le  Puissant,  est  celui  qui  dit  à une  chose  : 

» « Sois  ! » et  elle  est. 

» D.  En  quoi  espérez-vous  ? 

» R.  En  la  miséricorde  de  Dieu,  afin  qu’il  me  fasse  admettre,  ainsi 
» que  vous,  au  paradis. 

» D.  Par  quoi  s’obtiennent  la  loi,  la  justice,  la  règle  et  la  connais- 
» sance  ? 

» R.  La  loi  s’obtient  par  le  travail  et  l’étude  ; la  justice,  par  la 
» volonté  du  Dieu  Très-Haut,  celui  qui  n’a  pas  de  pareil,  le  dispen* 
» sateur  de  tout  bien,  le  créateur  de  toute  chose,  le  vivificateur  et 
» l’exterminateur  de  ce  qui  existe  ; on  arrive  à la  règle  en  suivant 
» la  voie  de  la  vérité  et  de  la  sincérité  ; enfin,  la  connaissance  con- 
» siste  dans  la  science  des  paroles  de  Dieu,  de  son  livre,  et  dans  les 
» efforts  pour  rester  dans  l’obéissance  de  Dieu. 

» D.  Quelle  est  la  clef  de  la  loi,  et  quelle  est  sa  serrure  ? 

» R.  Sa  clef  est  cette  parole  : « Au  nom  de  Dieu  clément  et  misé- 
» ricordieux  !»  et  sa  serrure,  cette  autre  parole  : « Louange  à Dieu, 
» Maître  de  l’univers  ! » 

» D.  En  quoi  consiste  l’observance  ? 

» R.  Elle  consiste  à se  nourrir  de  ce  qui  est  permis,  à rejeter  ce 
» qui  est  illicite,  à obéir  aux  deux  fils  (Haçan.et  Hoceïn)  et  à se  rap- 
» procher  de  Dieu. 

» D.  Si  la  viande  se  gâte,  par  quoi  la  rectifie-t-on  ? 

» R.  Par  le  sel. 

» D.  Et  si  le  sel  se  gâte,  comment  le  rectifie-t-on  ? 

» R.  Par  l’assemblée  sur  la  place  d’Ali. 

» D.  Quelle  est  la  signification  de  ces  paroles  ? 

» R.  La  viande  représente  les  gens  de  notre  sainte  société;  le  sel 
» est  le  cheikh.  Si  les  membres  de  la  confrérie  de  la  voie  se  gâtent, 
» le  cheikh  les  guérit  ; et  si  le  cheikh  se  gâte,  on  le  remplace  dans 
» l’assemblée. 

» D.  Quels  sont  les  mystères  qui  enveloppent  le  tapis  ? 

» R.  Il  est  entouré  par  quatre  fatiha  (1)  ; on  le  déroule  avec  une 
» fatiha,  on  le  roule  avec  une  fatiha,  et  on  l’emporte  avec  une  fatiha. 

» D.  Que  fait  le  cheikh  en  approchant  du  tapis? 

» R.  Il  commence  par  invoquer  le  salut  et  indiquer  les  prescrip- 


(1)  La  « Fatiha  » est  le  premier  chapitre  du  Coran, 


— 196  — 


» tions  de  la  voie.  Puis  il  avance  son  pied  droit  et  soulève  le  pied 
» gauche  ; il  récite  alors  une  fatiha,  et  fait,  sur  le  pied  gauche,  com- 
» me  il  a fait  sur  le  pied  droit.  Il  s’avance  ainsi  peu  à peu,  en  réci- 
o tant  la  fatiha,  et  termine  par  la  bénédiction,  et  l’appel  des  faveurs 
>'  divines  et  du  salut  sur  N. -S.  Mohammed,  le  Maitre  des  Envoyés. 

» D.  Comment  le  cheikh  se  retire-t-il  du  tapis? 

» R.  En  prononçant  trois  fatiha  : la  lekbira  pour  le  Dieu  Très-Haut, 
» l’appel  de  la  bénédiction  et  du  salut  sur  N. -S.  Mohammed,  Maître 
» des  Envoyés,  sur  sa  famille  et  sur  ses  compagnons  ; et  l’invocation 
» du  salut  pour^tous.  Enfin,  il  implore  Dieu  de  nous  pardonner,  ainsi 
y>  qu’à  vous  et  à tous  les  Musulmans  et  les  Musulmanes,  les  Croyants 
» et  les  Croyantes.  Amen  ! Amen,  par  les  mérites  de  Mohammed,  le 
» Seigneur  des  Envoyés  ! 

» Fin  du  questionnaire  ainsi  que  de  la  fetoua,  par  la  grâce  do 
» Dieu  ! » 


C’est  après  avoir  subi  ces  épreuves  que  le  Khouan 
reçoit  son  brevet,  s’il  lui  en  est  délivré,  ce  qui  n’arrive 
pas  toujours. 

Dans  ce  cas,  voici  comment  cette  pièce  est  libellée  : 

« Au  nom  de  Dieu  clément  et  miséricordieux, 

» A nos  frères  musulmans  qui  prendront  connaissance  du  présent. 

» Puisse  Dieu  vous  diriger  en  science  et  en  sagesse  ! 

» Le  porteur  de  ce  diplôme,  El-Hadj-Mohammed-El-Megherbi,  de- 
» rouich-profès,  s’est  présenté  à Bar’dad  et  a visité  l’établissement  de 
» mon  aïeul,  l’étoile  des  savants,  le  guide  de  ceux  qui  suivent  la  voie 
» droite,  le  cheikh  Abd-el-Qader-El-Djilani  (Que  Dieu  sanctifie  son 
» mystérieux  pouvoir  ! que  les  mérites  de  sa  piété  et  de  ses  bonnes 
d œuvres,  s’étendent  sur  nous  tous  !) 

» En  conséquence,  soyez  persuadés  que  le  sus-nommé  est  entré 
» dans  la  confrérie  de  mon  saint  aïeul.  Dès  lors,  il  convient  que  vous 
» l’honoriez,  le  considériez,  le  protégiez  contre  tout  acte  hostile, 
» conformément  à ce  verset  du  Livre  saint  : 

« Certes,  Dieu  ne  frustrera  pas  les  hommes  bienfaisants  de  leurs 
» récompenses.  » Le  Prophète  n’a-t-il  pas  dit  : « Le  paradis  est  à 
» celui  qui  honorera  l’étranger  dans  son  exil,  ou  calmera  sa  souf- 
» franco  par  une  gorgée  d’eau,  ou  le  nourrira,  ou  le  vêtira,  ou  l’ac- 
» cueillera  le  sourire  aux  lèvres.  » 

» Les  paroles  du  Prophète,  de  l’Élu,  de  Dieu  doivent  être  regar- 
» dées  comme  absolument  vraies.  Le  desservant  de  la  mosquée  de 
» mon  aïeul  Sliman-El-Qadri,  prince  des  cheikhs  à Bagdad,  » 


— 197  — 


Les  porteurs  de  ces  brevets  sont  habituellement  nantis 
d’une  autre  pièce  écrite  sur  papier  satiné,  de  25  à 30  cent, 
de  large  sur  2 mètres  environ  de  long,  et  donnant,  en 
belle  calligraphie,  la  généalogie  de  Sid  Abd-el-Qader,  par 
Ali  et  le  Prophète,  jusqu’à  Adam  et  la  liste  des  chefs  de 
l’Ordre. 

Ce  diplôme  ne  donne  ni  le  titre  de  cheikh  ni  celui 
de  moqaddem,  il  dit  simplement  que  le  porteur  est  un 
homme  pieux 

La  partie  constituant  le  diplôme  d’affilié  est  ainsi 
conçue  : 


« S’est  présenté  à moi,  à Bar’dad,  l’homme  de  bien  qui  se  dirige 
» vers  Dieu,  en  se  détournant  de  tout  ce  qui  n’est  pas  Lui,  qui  désire 
» parvenir  en  l’autre  vie,  le  derouiche  El-Hadj  Mohammed-ben-El- 
» Ouadoudi-El-Amri-El-Zammouri-Ech-Chaïbi-El-Moghrabi,  il  a visité 
» la  seigneurie  de  mon  aïeul,  l’étoile  des  mondes,  la  perle  la  plus 
» précieuse,  qui  met  au  même  niveau  les  grands  et  les  petits,  astre 
o de  la  religion,  flambeau  étincelant,  maître  des  signes  et  des  pen- 

# sées,  le  cheikh  Abd-el-Qader-El-Djilani. 

» Après  sa  visite,  le  sus-nommé  est  venu  à nous  et  nous  a demandé 
» de  l’instruire  de  l’Unité  de  Dieu.  Je  lui  ai  donné  cette  science,  de 
» même  que  je  l’avais  reçue  de  mon  maître  et  par  Sid  Ali-El-Qadri, 
» lequel  l’avait  reçue  de  son  maître  et  cousin  Abd-el-Qader-El-Qadri, 

» qui  l’avait  reçue  de 

)) 

» qui  la  tenait  de  son  père,  l’Émir  des  Croyants,  Ali- 

» ben-Bou-Thaleb,  mon  ami,  la  fraîcheur  de  mon  œil,  le  Prophète  de 
» Dieu  m’a  fait  part  que  l’ange  Gabriel  lui  avait  dit:  « J’ai  entendu  le 
» Puissant  dire:  il  n’y  a de  Dieu  que  Dieu:  c’est  là  ma  forteresse. 
» Celui  qui  prononcera  ces  paroles  entrera  dans  ma  forteresse,  et 
» celui  qui  y entrera  sera  en  sûreté  contre  mes  châtiments.  » . . . . 

» 

» . . . . Après  donc  que  nous  eûmes  appris  au  néophyte  la  parole  de 
» l’unité  de  Dieu,  nous  lui  avons  ordonné  de  la  réciter  165  fois,  à la 
» suite  de  chaque  prière  obligatoire  et  toutes  les  fois  que  la  chose 
» lui  sera  possible.  Et  celui  qui  rompra  le  pacte,  le  rompra  à son 

* détriment.  Celui,  au  contraire,  qui  conservera  l’alliance  faite  avec 
v Dieu,  recevra  une  récompense  magnifique. 

» Que  Dieu  répande  ses  faveurs  sur  notre  maître  Mohammed  et  ses 
» compagnons,  sur  sa  famille  et  lui  accorde  le  salut  ! 

# » 


198  — 


En  réalité,  cette  pièce  (1)  paraît  être  une  espèce  de 
relique,  qui  se  délivre  en  même  temps  que  le  diplôme 
« aux  gens  éminents,  » car  on  a trouvé  le  môme  docu- 
ment aux  mains  de  moqaddem  Qadrya,  porteurs  de 
brevets  ainsi  conçus  : 


« DIPLOME  DE  MOQADDEM 
» conféré  au  frère 

» EL-HADJ-AHMED-BEN-MOHAMMED-BEN-BEL-KHEIR 

» Louange  au  Dieu  unique  ! etc, 

» (Empreinte  effacée  d’un  cachet.) 

» Louange  à Dieu  ! 

> Nous  sommes  guidés  vers  la  voie  droite,  et,  certes,  nous  ne 
i serions  pas  dans  le  droit  chemin,  si  Dieu  ne  nous  y avait  dirigés, 
» car  les  envoyés  de  Notre-Seigneur  nous  ont  apporté  la  vérité  et 
» nous  ont  dit  : « Vous  hériterez  du  paradis,  selon  ce  que  vous  aurez 
» fait  sur  la  terre.  » 

» O ! mon  Dieu,  place-nous  au  nombre  de  ceux  qui  seront  sauvés  ! 
» Dirige-nous  vers  l’abreuvoir  du  Prophète,  et,  de  là,  au  paradis  ! 

» O ! mon  Dieu,  dirige-nous  vers  le  bien  et  la  voie  droite  ! 

» Nous  accordons  à El-Hadj-Ahmed-ben-Mohammed-ben-Bel-Kheïr, 
» la  faveur  entière,  lui  conférons  le  diplôme  authentique,  complet, 
» général,  conformément  à la  règle  du  cheikh  Abd-el-Qader. 

» Nous  l’élevons  au  rang  de  moqaddem,  de  telle  sorte  qu’aucune 
» main  ne  sera  au-dessus  de  la  sienne  parmi  les  moqaddem. 

» Il  conférera  l’Ouerd,  donnera  le  titre  de  naïb  (vicaire)  à qui  lui 
» en  fera  la  demande  et  s’il  le  juge  digne  de  recevoir  cet  honneur. 

» Les  frères  devront  avoir  confiance  en  lui,  comme  nous  avons  eu, 
» nous-même,  confiance  ; et  quiconque  parmi  les  frères  lui  obéira, 
» obéira  au  cheikh  Abd-el-Qader;  mais  quiconque  lui  désobéira,  se 
» rendra  criminel. 

» Il  (El-Hadj-Ahmed)  se  servira  de  ce  pouvoir  comme  il  le  voudra, 
» dans  l’intérêt  de  la  vérité,  de  la  loi  et  de  la  secte. 


(1)  Le  diplôme  que  nous  citons  émane  d’un  moqaddem  de  la  des- 
cendance d’Abd-el-Aziz-ben-Sid-Abd-el-Qader,  dont  les  chefs  spiri- 
tuels ont  été  indiqués  plus  haut. 

D’autres  diplômes,  délivrés  au  môme  lieu,  mais  émanant  d’un  des- 
cendant de  Si  Abd-er-Rezeg-ben-Sid-Abd-el-Qader,  sont  conçus  à 
peu  près  dans  les  mêmes  termes. 


— 199 


» Il  ne  fera  pas  de  distinction  entre  les  frères,  qui  devront  tous 
» être  sur  le  même  rang. 

» S’il  est  d’un  avis  contraire  aux  frères,  ceux-ci  ne  devront  pas  le 
» contredire. 

» Lorsque  les  frères  auront  résolu  une  entreprise,  il  faudra  absolu- 
» ment  qu’ils  prennent  son  avis,  et  quiconque  parmi  les  frères  lui 
» désobéira,  dans  ce  qu’il  aura  dit  pour  le  bien,  ne  sera  plus  des 
» nôtres. 

» O ! frères,  vous  écouterez  sa  parole  et  aucun  de  vous  ne  devra 
» mettre  opposition  aux  droits  que  ,lui  confère  son  diplôme,  lequel 
» devra  être  lu  publiquement,  le  jour  du  festin,  afin  de  rehausser  et 
» de  répandre  la  gloire  du  moqaddem  susdit  ! 

» O ! enfants  de  la  grâce,  il  faut  absolument  que  vous  obéissiez  à 
» notre  moqaddem  El-Hadj-Ahmed,  et  que  nul  de  vous  ne  lui  fasse 
» obstacle  dans  l’accomplissement  de  la  bonne  œuvre,  car  il  a été 
» nommé  par  Sid  Mohammed  Effendi,  descendant  du  saint  des  saints, 

» le  cheikh  Abd-el-Qader,  — que  Dieu  nous  fasse  profiter,  ainsi  que 
» vous,  des  faveurs,  dont  il  est  entouré,  amen  ! O ! Maître  de  l’Uni- 
» vers  ! Salut  ! 

» Écrit  dans  les  dix  derniers  jours  du-  mois  de  Dieu,  redjeb,  an- 
» née  1269  (du  30  avril  au  9 mai  1853). 

(Empreinte  d’un  cachet  sur  lequel  on  lit  : El-Hadj,  plus  bas  : Sid, 
ou  peut-être  Effendi,  et  au-dessous  : Mohammed  ; ce  qui  donne  : Sid 
El-Hadj-Mohammed,  ou  El-Hadj -Mohammed-Effendi.) 

» Pour  conférer  l’alliance  du  cheikh  Abd-el-Qader,  vous  prendrez 
» la  main  du  néophyte  et  vous  réciterez  ce  verset  : « Je  cherche  au- 
» près  de  Dieu,  un  refuge  contre  Satan  le  lapidé  (Coran).  » 

» Puis,  vous  lui  ferez  prononcer  ce  serment  : « Je  m’engage  envers 
» Dieu,  et  je  prends  à témoin,  que  je  ne  me  détournerai  ni  ne  me 
« retirerai  de  la  règle  du  cheikh  Abd-el-Qader.  » Cette  phrase  sera 
» répétée  trois  fois. 

» Vous  lui  direz  ensuite,  par  trois  fois  : « Acceptez-vous,  acceptez- 
» vous  ? » 

» Il  vous  répondra  : « J’accepte.  » 

» Vous  lui  conférerez  alors  l’ouerd  selon  la  règle. 

» Salut!  » 

(Suit  une  prière.) 

Les  moqaddem,  dans  l’ordre  des  Qadrya,  nomment 
généralement  leur  successeur  lorsqu’ils  se  sentent  arri- 
vés au  terme  de  la  vie;  mais  si  la  mort  les  surprend* 


200  — 


avant  qu’ils  aient  pu  faire  cette  désignation,  les  nouveaux 
moqaddem  sont  choisis  par  les  Khouan,  et  nommés 
à l’élection,  en  hadra  ; ils  réclament  ensuite  la  sanction 
du  chef  de  l’ordre  à Bar’dad,  ou  vont  la  chercher  eux- 
mêmes.  Il  n’y  a pas  d’exemple  que  le  chef  de  l’ordre  ait 
refusé  de  sanctionner  une  élection  faite  par  les  Khouan 
intéressés. 

L’ordre  des  Qadrya  compte  un  nombre  incalculable 
d’adeptes  dans  tous  les  pays  musulmans  et  notamment 
au  Maroc,  dans  le  Touat,  le  Tafilalet,  le  Gourara,  l’Adrar  ; 
dans  l’Oued-Nsaoura  cet  ordre  marche,  comme  impor- 
tance, de  pair  avec  ceux  des  Tidjanya,  Taïbya,  Kerzazya, 
Zianya  et  Chadelya. 

En  Algérie,  d’après  la  statistique  officielle  de  1882,  les 
Qadrya  ont  29  zaouïa,  268  moqaddem,  14,574  Khouan. 

Ils  sont  répartis  en  un  grand  nombre  de  congrégations 
ayant  chacune  plusieurs  moqaddem,  sans  qu’il  y ait, 
entre  ces  diverses  congrégations,  des  relations  plus  sui- 
vies que  celles  existant  entre  leurs  chefs  respectifs  et  la 
maison-mère  de  Bar’dad.  Il  ne  nous  a pas  été  possible 
de  fixer  le  nombre  exact  de  ces  congrégations  en  Algérie. 

Au  point  de  vue  politique,  l’ordre  des  Qadrya  ne  nous 
est  pas  hostile,  et  il  est  le  plus  souvent  empreint  d’un 
grand  esprit  de  tolérance.  Nous  avons,  parmi  ses  grands 
moqaddem,  des  caïds,  des  cadhi,  des  assesseurs,  dont 
la  fidélité  et  le  dévouement  se  sont  affirmés  depuis  la 
conquête.  En  1879,  pendant  l’insurrection  de  l’Aurès, 
notre  meilleur  appoint  contre  les  rebelles  a été  le  chef 
des  Qadrya  de  ce  pays,  le  caïd  Si  Mahmed-bel-Abbès, 
dont  le  fils  a été  tué  dans  nos  rangs. 

Cependant,  cet  ordre  a besoin  d’être  surveillé,  parce 
qu’il  peut  être  suivi  en  même  temps  qu’un  autre,  et  qu’il 
est  susceptible  d’avoir,  vis-à-vis  des  congrégations  hos- 
tiles, les  mêmes  tolérances  qu’il  a vis-à-vis  de  tout  le 
monde.  Il  a,  en  effet,  les  défauts  de  ses  qualités,  et  la  défé- 
rence de  ses  chefs,  vis-à-vis  des  détenteurs  de  l’autorité, 
fait  qu’il  subit  facilement  les  influences  du  milieu  où  il 


— 201  — 


se  trouve.  Ainsi,  à La  Mecque,  les  Qadrya  se  sont  mis  à 
l’unisson  des  sentiments  qui  dominent  chez  les  autorités 
religieuses  des  deux  villes  saintes  et  ils  sont,  tout  autant 
que  les  autres  ordres,  fanatiques  et  hostiles  aux  Chré- 
tiens. De  plus,  la  grande  popularité  dont  jouissent  les 
Qadrya,  fait  rechercher  leur  alliance  par  tous  les  agita- 
teurs et  personnages  politiques  en  quête  d’appuis  reli- 
gieux. C’est  ainsi  que  jadis  l’Émir  Abd-el-Qader,  qui  était 
moqaddem  de  cet  ordre,  a essayé,  sans  y réussir,  d’en- 
traîner avec  lui  toutes  les  congrégations  algériennes  du 
rituel  d’Abd-el-Qader-el-Djilani.  C’est  pour  cette  raison 
encore  que  Si  Snoussi  s’est  fait  affilier  aux  Qadrya, 
comme  plus  tard  Bou-Amama. 

Mais  ces  affiliations  intéressées  n’ont  pas  en  général 
l’effet  qu’en  attendent  ceux  qui  les  recherchent.  Les 
moqaddem  Qadrya  influents  qui,  en  Algérie  surtout, 
sont  de  véritables  chefs  de  confréries  à peu  près 
autonomes,  voient  d’un  très  mauvais  œil  toute  nouvelle 
autorité  religieuse  qui  tend  à se  constituer  à côté  d’eux. 
Par  jalousie  ou  intérêt,  ils  dévoilent  et  désapprouvent 
plus  ou  moins  hautement  la  vanité  des  mobiles  politi- 
ques qui  inspirent  les  agitateurs.  Ne  voulant  ni  com- 
promettre leur  situation  acquise  auprès  des  autorités 
locales,  ni  risquer  d’amoindrir  leurs  revenus  religieux, 
ils  refusent  tout  concours  à leurs  nouveaux  collègues. 
Pour  cela,  ils  se  retranchent  derrière  leur  dépendance 
de  Bar’dad  et  demandent  qu’on  leur  montre  un  diplôme 
ou  une  pièce  authentique  émanant  du  Grand-Maître  de 
l’ordre,  et  conférant  aux  nouveaux  moqaddem  une  auto- 
rité quelconque  sur  les  anciens.  Ils  savent  bien,  en  effet, 
que  la  maison-mère  de  Bar’dad  est  très  loin,  qu’elle  est 
très  prudente,  et  qu’il  n’est  pas  dans  ses  habitudes  de  se 
mêler  à des  aventures  politiques  incertaines,  et  surtout, 
absolument  contraires  aux  statuts  de  l’ordre  et  aux 
idées  tolérantes  et  humanitaires  qui  doivent  inspirer  les 
chefs  et  les  disciples  des  Qadrya. 


— 202  — 


CHAPITRE  XVI 


LES  SEHEROURDYA 

CHEHAB-ED-DIN-ABOU-HAFS-OMAR-BEN- 

MOHAMMED-BEN-ABDALLAH-ES-SEHEROURDI 

(An  632  de  l’Hégire.  — 1234-1235  de  J.-C.) 


L’ordre  religieux  des  Seherourdya  fut  fondé,  et  surtout 
organisé,  par  Chehab-ed-Din  - Abou-Hafs-Omar-ben- 
Mohammed-ben- Abdallah- es-Seherourdi,  né  à Sehe- 
rouerd,  bourgade  près  de  Zendjan,  dans  l’Irak-Adjemi 
(Perse). 

Il  appartenait  à une  famille  qui  remontait  au  khalife 
Abou-Beker-es-Seddik  et  dans  laquelle  la  vocation  reli- 
gieuse et  le  mysticisme  étaient  héréditaires. 

Son  aïeul  Mohammed-ben-Abdallah- A mmouya  (û^*&) 
es-Seherourdi  et  son  grand-père  Ouadjih  (1)  ed-Din- 
Amar-6e/z-AfoA«mmcrf-Ammouya  furent  contemporains 
et  disciples  de  Sid  Abd-el-Qader-el-Djilani  (qui  vécut  de 
471.  à 561,  soit  1078  à 1166  de  J.-C.). 

Son  oncle  Abou-Nedjib-Dia-ed-Din-Abd-el-Kcthir-hen- 
Abdallah-ben-Messaoud-cs-S'cAcroardtj  né  en  489  = 1096 
de  J.-C.,  avait,  dans  sa  jeunesse,  suivi  les  leçons  du  célè- 
bre Abou-Ahmed-Ghazzali  (mort  en  505  = 1111-1112  de 
J.-C.)  et  celles  des  disciples  directs  de  ce  grand  théolo- 
gien. Il  est  lui-mème  très  connu  comme  prédicateur  et 
comme  soufî,  et  avait  des  attaches  dans  plusieurs  ordres 


(1)  Ibn-Batoutah  donne  Ouahid-ed-Din  (X^)’  d’Herbebt . de 
Sacy,  Dozy  et  Chikli-Snoussi  donnent  Ouadjih-ed-Din  (^>j). 


— 203  — 

religieux.  Il  mourut  en  563  = 1167-1168  de  J.-C.,  laissant 
deux  ouvrages  très  estimés:  l’un  est  F « Adeb-el-Mou- 
ridin  » ou  « manuel  des  disciples  traitant  des  qualités 
et  conditions  obligatoires  pour  ceux  qui  veulent  s’avan- 
cer dans  la  voie  spirituelle.  L’autre  est  intitulé  : l’«  Abed- 
el-Mohaditin  » ou  « manuel  traitant  de  l’esprit  de  ceux 
qui  ont  rapporté  les  traditions  du  Prophète.  » 

Ce  fut  surtout  à l’école  d’Abou-Nedjib  que  se  forma 
Chehab-ed-Din-Abou-Hafs-Omar-es-Seherourdi , l’imam 
et  triquat  de  l’ordre  religieux  des  Seherourdya. 

Né  en  539  = 1144-1145  de  J.-C.,  il  mourut  en  632  (1)  = 1234- 
1235  de  J.-C.,  à Bagdad,  où  on  lui  a élevé,  au  centre  de  la 
ville,  un  magnifique  tombeau  entouré  de  jardins  et  de 
vastes  constructions  affectées  à des  œuvres  de  piété  ou 
de  bienfaisance.  Il  a laissé  de  nombreux  ouvrages  qui 
font  encore  autorité  en  matière  de  soufisme , tels  sont  : 
le  livre  des  définitions  (Aouarif-el-Maarif)  ; l’Ateur-el- 
Hadd,  ou  « V Enseignement  de  la  vraie  direction  et  des 
croyances  des  hommes  pieux  ; » l’Adellat-el-Aïou,  ou 
« Traité  de  logique , » etc. 

Ces  livres  contiennent  les  indications  les  plus  com- 
plètes et  les  plus  précises  sur  tous  les  termes  techni- 
ques employés  par  les  Soufi  et  sur  les  doctrines  qui  s’y 
rattachent.  Ils  sont  souvent  cités  par  les  auteurs  musul- 
mans et  il  n’est  guère  de  chef  d’ordre  religieux  ou  de 
théologien  mystique  qui  n’y  ait  fait  de  nombreux  em- 
prunts. Ces  livres  ont  eu  les  honneurs  de  plusieurs  tra- 
ductions, en  turc  et  en  persan,  et  de  plusieurs  commen- 
taires (2). 

Il  ne  faut  pas  confondre  le  soufi  Chehab-ed-Diiwl&oa- 


(1)  D’Hosson  le  fait  mourir  en  602  — 1205-1206  de  J.-C.,  contrai- 
rement à d’Herbelot  et  à Silvestre  de  Sacy,  qui  donnent  539 
(1144-1145  de  J.-C.),  d’apres  Ibn-Khalican,  auteur  d’une  biographie 
de  Chehab-ed-Din-es-Seherourdi. 

(2)  Silvestre  de  Sacy  a donné  quelques  extraits  du  Livre  des  défini- 
tions qui  se  trouve  à la  Bibliothèque  nationale  de  Paris,  sous  le  n°  375. 
Voir  tome  X et  tome  XII  des  Notices  et  extraits  des  manuscrits. 


— 204 


i^q/s-Omar-es-Seherourdi  avec  son  quasi-homonvme  et 
contemporain  Chehab-ed-Din-  Faàhz-ben-Habech-ben- 
Amizei-es-Sefierourdi-el-Hakim-e\-Bekeri>  appelé  souvent 
Chikh-el-Meqtoul  (le  vénérable  assassiné).  Ce  dernier, 
qui  était  né  dans  la  même  localité  en  548  = 1153-1154  de 
J.-C.,  fut  aussi  célèbre  comme  érudit  et  comme  philo- 
sophe (hakim) , et  il  a écrit  plusieurs  ouvrages , entre 
autres  un  traité  contre  les  doctrines  des  Platoniciens  et 
des  Péripapeticiens.  Accusé  de  magie  par  les  uns,  dé- 
noncé par  les  autres  comme  plus  attaché  à la  philosophie 
qu’à  la  religion,  il  fut  mis  à mort  en  585  = 1189-1190  de 
J.-C.,  dans  la  ville  du  Caire,  par  ordre  du  sultan  Salah- 
cd-Din  (Saladin).  Ce  philosophe,  exalté  parles  uns  com- 
me un  martyr,  et  décrié  par  les  autres  comme  un  héréti- 
que (zendik),  ne  semble  pas  avoir  eu  de  lien  de  parenté 
avec  la  famille  du  fondateur  de  l’ordre  des  Seherour- 
dya  (1). 

Chehab-ed-Din-Abou-Hafs-Omar-es-Seherourdi,  l’imam 
et-triquat,  avait  des  appuis  dans  tous  les  ordres  reli- 
gieux existant  à son  époque. 

Une  première  chaîne,  composée  de  personnages  peu 
connus  est,  à la  fois,  la  propre  généalogie  de  sa  famille 
et  la  liste  des  chikhs  qui,  de  père  en  fils,  se  sont  trans- 
mis l’enseignement  donné  par  l’ancêtre  commun  Abou- 
Beker-es-Seddik. 

Une  deuxième  chaîne,  celle-ci  composée  de  docteurs 
ou  de  saints  plus  connus  et  passant  par  El-Djenidi,  relie 
encore  les  Seherourdya  à Abou-Beker-es-Seddik.  Voici 
cette  chaîne: 

A.  L’ange  Gabriel.  — Le  Prophète.  — 1,  Abou-Beker-es-Seddiq.  — 
2,  Seliman-el-Faressi.  — 3,  El-Kacem-ben-Mohammed-ben-Abou-Be- 


( l ) Il  y a un  sixième  Seherourdi  nommé  Taki-ed-Din-Abou-Am- 
ran-Otsman-ben-Abdcrrahman-Ibn-Salah-Seherourdi,  mort  en  634 
(1236-1237  de  J.-C.)  et  auteur  d’un  livre  estimé,  ayant  pour  titre: 
Abd-el-Slofti-el-Mostofi , et  traitant  des  qualités  requises  pour  exercer 
avec  distinction  les  fonctions  de  mofti. 


— 205  — 

ker-es-Seddiq.  — 4,  Djaffar-es-Sadok.  — 5»  Moussa-el-Kadim.  — G,  Ali- 
er-Radi-ben-Moussa.  — 7,  Abou-Kacem-el-Djenidi  297  (909-910  de  J.-C). 

— 8,  Ali-ben-Sahl-es-Soufi.  — 9,  Memchad-Omar-ed-Dinaoueri.  — 10, 
Ahmed-el-Assoud-ed-Dinaoueri.  — 11,  Akhou-Feradj-ez-Zendjàni. — 
12,  Mohammed-bén-Abdallah,  El-Ammouya-el-Seherourdi.  — 13,  Ouad- 
jih-ed-Din-Omar-ben  -Mohammed-  Ammouya- es- Seherourdi.  — 14, 
Abou-Nedjib-Dia-ed-Din-Abd-el-Kahir-Seherourdi.  — 15,  Chehab-ed- 
Din-Abou-IIofs-Omar-bcn-Mohammed-ben-Abdallah-es-Seherourdi. 

Une  troisième  chaîne,  passant  encore  par  El-Djenidi, 
rattache  l’ordre  des  Sehërourdya  à Ali-Taleb  et  donne 
plusieurs  noms  différents  de  ceux  de  la  chaîne  précé- 
dente : 

B.  L’ange  Gabriel.  — Le  Prophète.  — 1,  Ali-ben- Abou-Taleb.  — 
2,  Abou-Saïd-Hassan-el-Bosseri.  — 3,  Habib-el-Adjemi.  — 4,  Abou- 
Seliman-Daoud-et-Taï.  — 5,  Marouf-el-Kerkhi.  — 6,  Sari-Sakati.  — 
7,  Abou-Kacem-el-Djenidi.  — 8,  Abou-jVIohammed-Rouïyem-ben-Ah- 
med-el-Baghdadi.  — 8 bis,  Abou-Mohammed-Djafar-Khouldi.  — 9, 
Chikh-el-Islam-Abou-Abdallah-Mohammed-ben-Khefif-el-Chirazi  (331 

— 942-943  de  J.-C. h — 10,  Abou-Abbas-Ahmed-en-Mehaouendi-ben- 
Mohammed.  — 11,  Akbou-Feradj-ez-Zendjani  (qui  est  le  n*  11  de  la 
chaîne  A). 

Une  quatrième  chaîne  relie  les  Seherourdya  à El-Dje- 
nidi d’une  façon  un  peu  différente  et  par  peu  de  noms 
qu’il  est  bon  de  constater  à cause  de  la  notoriété  de  ceux 
qui  les  portent  : 

C.  7,  Abou-Kacem-el-Djenidi.  — 8,  El-Djeraïre-el-Moraï.  — 9,  Chems- 
ed-Din-Abou-Taleb-el-Mekki.  — 10,  Abou-Maali.  — 11,  Zin-ed-Din- 
Abou-Ahmed-Mohammed-ben-Mohammed-ben-Alimed  el-Ghazzali.  — 
12,  Abou-Nedjib-Dia-ed-Din-Abd-el-Kahir-es-Seherourdi  (qui  est  le  n° 
14  de  la  chaîne  A). 

Une  cinquième  chaîne,  reliant  l’ordre  aux  Aouissya, 
est  ainsi  établie  : 

D.  L’ange  Gabriel.  — Le  Prophète.  — 1,  Amar-ben-el-Khettab.  — 
1 bis,  Ali-ben-Abou-Taleb.  — 2,  Abou-Amar-Aouïs-el-Karani.  — 3, 
Moussa-ben-Yazid-el-Raï.  — 4,  Abou-Ishak-Brahim-ben-Abdehem-ben- 
Mansour,  el-Adjeli,  el-Temini,  el-Belekhi-el-Khersani.  — 5,  Abou-Ali- 


— 206  — 

ben-Ali-ben-Brahim-el-Belekhi.  — 6,  Khatem-el-Àssem.  — 7,  Abou-Te- 
rab-Asker-ben-Hessaïn-en-Nekhechebi.  — 8,  Abou-Amar-el-Astekhiri. 
— 9,  Abou-Mohammed-Djafar-el-Heda  (ou  el-Hedani).  — 10,  Rouïyem 
ben-Ahmed-el-Baghdadi  (qui  est  le  n°  8 de  la  chaîne  B). 


Enfin,  nous  rappellerons  que  les  deux  premiers  Sehe- 
rourdi  cités  dans  ces  chaînes,  étaient  disciples  de  Sid 
Abd-el-Qader-el-Djilani. 

Ces  listes  ne  sont  pas  les  seules  présentées  par  les 
Seherourdya  pour  établir  la  parfaite  orthodoxie  de  leur 
doctrine,  et  ces  chaînes  se  continuent  en  se  divisant  à 
l’infini  en  Égypte,  en  Asie  et  surtout  en  Perse  où  l’ordre 
compte  de  très  nombreux  adhérents. 

Nous  allons  donner  une  de  ces  chaînes  allant  jusqu’au 
commencement  de  ce  siècle,  parce  que,  quelque  arides 
que  puissent  paraître  ces  nomenclatures  de  noms,  ces 
listes  sont  fort  instructives.  En  effet  la  plupart  des  saints 
et  docteurs  nommés  dans  les  chaînes  des  Seherourdya, 
reparaissent  dans  les  chaînes  des  congrégations  reli- 
gieuses établies  plus  tard  dans  le  nord  de  l’Afrique,  et 
c’est  par  eux  que  le  mysticisme  panthéiste  des  Persans 
a fait  invasion  dans  les  doctrines  des  Soufi  ou  Khouan 
du  Maghreb. 

Voici  donc  une  (1)  des  continuations  des  chaînes  pré- 
cédentes : 

15,  Chehabed-Din-Abou-Hafs-Omar-Seherourdi,  imam  et-triqat.  — 
16,  Nour-ed-Din-Abd-es-Semed-en-Nesseri.  — 17,  Beder-ed-Din-Mali- 
moud-es-Sehoussi.  — 17  bis,  Nedjem-ed-Din-Mahmoud-es-Assebe- 
hani.  — 18,  Youcef-el-Adjemi.  — 19.  Hassan-et-Tastouri.  — 20,  Sid 
Ali-Saheb-ed-Dik.  — 20  bis , Ahmed-ez-Zahed.  — 21,  Choaïb-Abou- 
Median-el-Andalousi-el-Tlemsani.  — 22,  Khol-Abd-el-Daïm-Sid-el- 
Ostad-el-Khebir.  — 23,  Mohammed-ben-Abd-el-Daïm,  dit  Ben-Okt- 


(1)  L’historien  Ibn-Batoutah  fut  affilié  en  727  — 1326-1327  de 
J.-C.,  à Ispahan,  à l’ordre  des  Seherourdya  ; il  donne  la  chaîne 
suivante.:  L’imam  et-triquat  es-Seherourdya — 16,  Chehab-ed-Din- 
Ali-Aredja.  — 17,  Tadj-ed-Din-Mahmoud,  fils  du  précédent.  — 
18,  Chems-ed-Din,  fils  du  précédent.  — 19,  Katb-ed-Din-Hocein,  fils 
du  précédent.  — 20,  Ibn-Batoutah. 


Médian.  — 24,  Ali-bel-Khir-el-Morseli.  — 24  bis,  Mohammcd-es-Se- 
roui-ben-el-Haïl.  — 25,  Si  Mohammcd-ech-Chenaoui.  — 25  bis,  El- 
Herchi.  — 26,  Abd-el-Qader-ech-Chetaroui.  — 26  bis,  Sid  El-Belkhir- 
el-  Berra.  — 27,  Abou-Abbas-el-Herchi.  — 28,  Beder-ed-Din-el-Ali.  — 
29,  Abd-el-Latif.  — 30,  El-Ahed-Abdallah-ben-Mohammed-el-Ali.  — 
31  bis,  Sid  Mohammed.  — 32,  Abou-Beka-el-Mekki.  — 33,  Chikh-Snous- 
si,  lequel  avait  été  encore  aflîlié  à cet  ordre  par  d’autres  chikh  en 
Arabie  et  en  Syrie. 

Nous  ne  croyons  pas  nécessaire  de  nous  étendre  sur 
les  doctrines  des  Seherourdya.  Au  point  de  vue  philoso- 
phique, elles  se  résument  en  ce  panthéisme  spirituel 
développé  dans  presque  tous  les  livres  indiens  et  per- 
sans et  elles  se  complaisent  dans  les  abstractions  chimé- 
riques d’un  mysticisme  quintessencié. 

Le  principal  ouvrage  de  Chehab-ed-Din-Abou-Hafs-es- 
Seherourdi  contient  de  nombreux  chapitres  consacrés  à 
l’absorption  de  l’âme  en  Dieu,  aux  stations  mystiques, 
aux  sublimes  états  extatiques  « où  le  mystique  disparaît 
» si  complètement  à ses  propres  yeux  et  à sa  propre 
» pensée,  qu’il  n’est  plus  occupé  même  de  la  considéra- 
» tion  des  attributs  divins  ; toutes  ses  facultés  et  tout 
» son  être  étant  anéantis  et  absorbés  en  Dieu.  Dans  ce 
» dernier  état,  il  n’y  a plus  de  moi  ; le  mystique  a dis- 
» paru,  ses  qualités,  ses  membres,  ses  actions,  ne  sont 
» plus  à lui,  tout  cela  est  Dieu.  » 

Un  autre  chapitre  est  consacré  à l’exaltation  de  « cet 
» état  parfait  des  Soufî  qui,  se  reposant  entièrement  sur 
» la  Providence,  ne  se  donnent  aucun  mouvement  pour 
» se  procurer  de  quoi  vivre  et  attendent  que  Dieu  pour- 
» voie  à leurs  besoins  par  des  voies  surnaturelles 


» . . . . Quand  le  Soufî  est  parvenu  à un  dégoût  parfait  du  monde, 
» il  ne  conçoit  plus  aucun  souci  relativement  aux  choses  nécessaires 
» à sa  subsistance  ; alors  Dieu  lui  fait  connaître  les  plus  légers  défauts 
» de  ses  actions  par  des  signes  extérieurs  qui  sont  comme  une  com- 

» pensation  de  la  faute  dans  laquelle  il  est  tombé Par  le  bon 

> usage  que  le  mystique  fait  de  ces  avertissements  divins,  il  finit  par 
» ne  plus  voir  en  toutes  choses  que  l’action  de  Dieu,  qu’il  sait  pour* 


— 208 


» voir  à tout,  indépendamment  d’aucune  action  étrangère.  Alors  il 
» renonce  à tout  moyen  de  gagner  sa  vie,  même  à la  mendicité,  et 
» c’est  à ce  moment  que  Dieu  fait  que  les  choses  dont  il  a besoin  ar- 
» rivent  d’elles-mêmes,  et  qu’il  lui  ouvre  encore  la  porte  des  bien- 
» faits Dans  cet  état,  le  mystique  est  favorisé  de  manifesta- 

» tions  de  la  Divinité,  manifestations  dont  il  y a divers 

» ordres  ; et.  dès  qu’il  est  arrivé  aux  premiers  degrés  de  ces  faveurs 
» divines,  il  ne  reçoit  plus  sa  subsistance  que  par  des  voies  surna- 
» turelles.  » 


Cet  extrait  qui  montre  l’apathie  musulmane  érigée  en 
système  et  glorifiée,  nous  a paru  intéressant  à citer  à 
cause  de  ses  conséquences  économiques  sociales  et 
politiques.  Car,  bien  que  les  Seherourdya  n’aient  pas 
d’adhérents  directs  en  Algérie,  tous  les  ordres  religieux, 
qui  existent  aujourd’hui  en  Égypte  et  dans  les  anciens 
États  barbaresques,  sont  plus  ou  moins  les  successeurs 
et  les  continuateurs  des  Seherourdya  à qui  ils  ont  em- 
prunté, avec  leurs  théories  dissolvantes,  tous  les  saints 
et  tous  les  docteurs  que  nous  retrouverons  dans  les 
chaînes  de  nos  ordres  algériens. 

Aussi,  les  Rahmanya  ont  dans  leurs  appuis,  Abou- 
Nedjib-Dia-ed-Din-es-Seherourdi  ; les  Chadelya,  Der- 
qaoua,  Zianya,  Kerzazya,  Habibya,  et  autres  citent  Zi  li- 
ed - Din  - Abou  - Ahmed  - el  - Ghazzali,  le  maître  d’Abou- 
Nedjib. 

Voici  maintenant,  comme  complètement  des  notions 
que  nous  venons  d’exposer,  quels  sont  aujourd’hui, 
d’après  le  cheikh  Snoussi  (1),  la  règle  et  le  rituel  des 
Seherourdya  : 

Réciter  dans  la  solitude,  l’invocation  : 11  n'y  a de  Divinité  que  Allah, 
en  mettant  le  cœur  d’accord  avec  la  langue.  Commençant  par  le  premier 
mot,  on  place  le  visage  en  face  du  nombril,  puis  d’une  voix  lente  et 
grave,  on  articule  toute  l’invocation  en  dirigeant  la  tête  vers  l’épaule 
droite,  absolument  comme  cela  se  pratique  chez  les  Djemmalya.  Ces 
paroles  s’accentuent  avec  une  énergie  que  l’on  pourrait  comparer  à 


(l)  Chikh  Snoussi,  loco  cilato.  Traduction  de  M.  Colas, 


— 209  — 


celle  d’un  vigoureux  coup  de  talon,  afin  d’en  imprimer  fortement  la 
trace  dans  le  cœur.  On  répète  indéfinitivement  et  sans  interruption 
aucune,  ces  mots  : il  n’y  a de  Divinité  que  Allah  (excepté  toutefois 
lorsque  le  moment  est  venu  de  faire  les  prières  d’El-Ferd  et  d’El-Senen, 
qui  sont  obligatoires  et  qui  ne  peuvent  être  omises  en  aucun  cas). 
Lorsque  l’on  s’est  acquitté  de  ce  devoir  d’une  manière  convenable, 
cette  obligation  englobe  le  cœur,  pénètre  l’âme  des  qualités  glori- 
fiantes, et  lui  donne  l’humilité  nécessaire  pour  faire  cesser  les  aspi- 
rations qui  tendraient  à autre  chose  qu’à  Dieu.  Cet  état,  une  fois  ob- 
tenu, on  passe  à l’invocation  simple,  c’est-à-dire  celle  qui  consiste  à 

répéter  le  seul  nom  Dieu,  Dieu,  Dieu à l’infini,  pendant  tout  le 

temps  (nécessaire  pour  qu’elle  produise  ses  fruits).  Ce  but  atteint,  on 
voit  la  vérité,  on  se  place  sous  son  empire  et  on  ne  pense  plus  à 
autre  chose.  Alors  on  prend  cette  autre  invocation  qui  consiste  à 
dire  le  mot  Lui,  que  l’on  articule  indéfiniment. 

Les  Seherourdya  se  distinguent  par  leurs  prières  qu’ils  font  à haute 
voix,  en  réunion  de  plusieurs  individus.  Ils  se  livrent  surtout  aux 
pratiques  édictées  par  le  chef  de  leur  ordre,  Es-Seherourdi,  dans  son 
ouvrage  traitant  de  ses  connaissances  et  des  portions  du  Coran  qu’il 
a données  pour  tâche  de  répéter.  Parmi  ces  pratiques,  figure  la  prière 
indiquée  plus  loin,  dont  l’elficacité  a été  éprouvée  un  grand  nombre 
de  fois.  Quiconque  la  récite  sept  ou  dix  fois  le  jour  d’Achoura,  après 
avoir  fait  deux  pauses  de  prières  ordinaires  et  avoir  soufflé  sur  sa 
personne  ou  sur  un  être  doué  de  raison,  ainsi  que  sur  ses  enfants  ou 
autres  membres  de  sa  famille,  en  renouvelant  pour  chacun  la  prière 
et  la  pause,  est  assuré  de  ne  pas  mourir  dans  l’année.  Ce  fait  a été 
observé  très  souvent,  on  le  trouve  signalé  par  Ben-Ferhoun  et  autres 
auteurs,  tels  que  notre  Seigneur  le  R’outs,  le  cheikh  Kotb-ed-Din-el- 
Hanifi,  qui  l’a  vu  expérimenter  par  un  grand  nombre  de  personnes. 
Voici  cette  prière  : « Que  Dieu  soit  glorifié  — O Dieu,  remplissez  la 
» balance  et  chargez  le  plateau  (de  nos  bonnes  actions)  avec  le  poids 
» de  votre  grandeur  et  de  votre  satisfaction  pour  moi,  et  de  votre 
» trône  divin.  Il  n’y  a de  refuge  et  de  secours  qu’en  Dieu.  Que  Dieu 
» soit  glorifié  autant  de  fois  que  l’on  pourrait  l’imprimer  à l’aide  des 
» nombres  pairs  et  impairs,  et  autant  de  fois  qu’il  y a de  paroles 
» divines.  J’implore  de  vous  la  paix,  ô le  plus  clément  des  miséricor- 
» dieux.  Il  n’y  a de  force  et  de  puissance  qu’en  Dieu  le  sublime.  Lui 
» seul  me  suffit,  c’est  le  meilleur  mandataire,  le  meilleur  maître  et  le 
d meilleur  défenseur.  Que  Dieu  répande  ses  bénédictions  sur  la  plus 
» parfaite  de  scs  créatures  (Mohammed)  et  sur  tous  les  membres 
» de  sa  famille,  qui  sont  purs  et  sanctifiés,  qu’il  leur  accorde  le 
» salut  ! » 

Il  y a encore  parmi  les  Seherourdya,  la  pratique  qui  consiste  à se 
couvrir  d’un  vêtement  composé  d’un  grand  nombre  de  pièces  d’étof- 

14 


— 2iO  — 

fes  différentes  et  à se  souvenir  que  l’homme  est  constamment  nu  et 
observé  par  Dieu. 

L’explication  de  ce  vêtement  symbolique  est  donnée  par  diverses 
autorités,  elle  est  entièrement  intellectuelle.  La  création  se  compose 
d’une  multitude  de  choses  diverses,  dont  la  plus  parfaite  est  l’homme 
et  sa  raison  ; les  pièces  du  vêtement  représentent  cette  multitude  de 
choses,  et,  l’homme  qui  le  porte,  rappelle  que  c’est  pour  lui  que  Dieu 
les  a fait  exister.  Quiconque  arrive  à saisir  la  portée  de  cette  figure, 
a atteint  la  perfection  à laquelle  il  doit  prétendre. 

L’institution  de  ce  vêtement  a pour  but  de  modifier  la  nature  hu- 
maine, de  la  pénétrer  des  œuvres  saintes  et  de  lui  faire  renoncer  à 
ses  tendances  profanes. 


— 211  — 


CHAPITRE  XVII 

ORDRE  PRINCIPAL  DES  CHADELÏA 

TADJ  - ED  - DIN- ABOU  - EL-HASSEN-ALI-BEN  -ATHA-AL- 
LAH-BEN-ABD-EL-DJEBBAR-ECH-GHADELI  (*) 

(An  656  de  l’Hégire.  — 1258  de  J.-C.) 


Sid  Abou  - Médian  - Choaïb  - ben  - Hoceïn  - el  - Andalousi , 
plus  connu  sous  son  nom  populaire  de  Bou-Medine,  fut 
le  premier  Musulman  célèbre  qui  importa,  dans  le  Magh- 
reb, les  pures  doctrines  du  Soufisme  ; il  peut  donc  être 
considéré,  historiquement,  comme  le  chef  du  plus  ancien 
des  ordres  religieux  mystiques  répandus  en  Algérie. 

Ce  fut  lui,  en  effet,  qui,  avant  tout  autre,  vulgarisa 
dans  ce  pays  les  principes  de  Djoneïd  et  ceux  de  Sid 
Abd-el-Qader-ben-Djilani,  non  pas  comme  simple  disci- 
ple de  ces  deux  personnages,  mais  bien  comme  chef 
d’école  et  comme  fondateur  d’un  ordre  religieux  spécial, 
dont  les  adeptes  se  nommèrent  d’abord  Madinya  ou 
Madanya. 

Choaïb-Abou-Median  naquit  à Séville  vers  l’an  520  de 
l’Hégire  (1126-1127  de  Jésus-Christ).  Malgré  l’opposition 
de  sa  famille  qui  le  destinait  à la  carrière  des  armes,  il 
s’adonna  de  bonne  heure  à l’étude  de  la  théologie  et  à la 
vie  contemplative.  Ne  trouvant  pas,  à Séville,  l’ensei- 
gnement qu’il  désirait,  il  vint  se  fixer  à Fez,  où  il  reçut 
les  leçons  du  légiste  Abou-el-Hocein-ben-R’aleb  et  celles 
des  cheikhs  Abou-el-Hassen-Ali-ben-Ismaïl-ben-Moham- 


(*)  D’Herbelot,  qui  ne  donne  aucun  détail  sur  Chadeli,  le  nomme 
Abou -Hassen-Yacout-ben-Atha- Allah. 


med-ben-Abdallah-el-Harzihourn  et  Abou-Yazza-el-Nour- 
ben-Mimoun-ben-Abdallah-el-Azmiri.  Le  premier  de  ces 
cheikhs  mourut  en  569  (1173-1174),  et  le  second  en  572 
(1176-1177).  C’étaient  deux  soufî  très  renommés.  Abou- 
Yazza,  qui  vécut  130  ans,  passâtes  18  dernières  années 
de  sa  vie  dans  une  solitude  absolue,  ne  vivant  que  d’her- 
bes et  de  racines,  et  n’ayant  pour  tout  vêtement  qu’une 
tunique  de  feuilles  de  palmiers,  un  burnous  en  lambeaux 
et  une  chachia  en  jonc. 

Lorsque,  à leur  école,  Abou-Median  eut  acquis  un 
certain  renom,  comme  théologien  et  comme  savant,  il 
quitta  Fez,  avec  l’intention  de  faire  le  pèlerinage  après 
s’être  arrêté,  sur  sa  route,  dans  les  principaux  centres 
intellectuels  et  religieux. 

La  première  ville  importante  où  il  se  présenta  fut 
Tlemcen  ; l’accueil  qu’il  y reçut  ne  fut  d’abord  pas  très 
bienveillant.  En  effet,  soit  que  les  uléma,  ayant  entendu 
parler  de  sa  science  et  de  sa  popularité,  eussent  peur  de 
trouver  en  lui  un  rival  et  un  maître,  soit  pour  toute 
autre  cause,  il  se  vit  refuser  l’entrée  de  la  ville.  Une 
députation  de  notables,  venue  à sa  rencontre,  lui  expli- 
qua : qu’il  n’y  avait  pas  place  pour  lui  dans  la  ville,  que 
Tlemcen  était  aussi  rempli  de  professeurs  que  la  jatte 
de  lait  qu’on  lui  offrait,  et  qui  était  pleine  à déborder. 
Mais  Abou-Median,  tirant  de  son  burnous  une  rose 
nouvellement  éclose,  bien  que  ce  ne  fût  plus  la  saison 
de  ces  fleurs,  effeuilla,  sur  la  jatte  de  lait,  les  pétales 
qui  surnagèrent  sans  faire  déborder  le  liquide. 

Cette  réponse  muette  et  le  prodige  de  la  rose  fraîche, 
à une  pareille  époque  de  l’année,  changèrent  complète- 
ment les  dispositions  des  gens  de  Tlemcen,  qui  l’accueil- 
lirent avec  empressement.  Il  s’établit  alors  sur  la  mon- 
tagne qui  domine  le  village  d’El-Eubbad,  auprès  du  tom- 
beau de  l’ouali  Sid  Abdallah-ben-Ali.  Là,  il  professa  assez 
longtemps  avec  un  très  grand  succès,  et  ne  tarda  pas  à 
acquérir,  par  ses  vertus  et  son  éloquence,  une  réputation 
bien  établie  de  sainteté  et  de  savoir. 


— 213  — 


Cependant,  se  dérobant  aux  ovations  de  ses  auditeurs, 
il  partit  pour  La  Mecque,  où  il  rencontra  Sid  Abd-el- 
Qader-el-Djilani,  venu  comme  lui  en  pèlerinage.  Les  deux 
savants  ne  tardèrent  pas  à se  lier  d’une  étroite  amitié  et 
Abou-Median,  devenu  le  disciple  de  prédilection  de  Sid 
El-Djilani,  suivit  à Baghdad  son  nouveau  maître. 

Après  avoir  séjourné  quelque  temps  dans  cette  ville, 
il  retourna  en  Espagne,  professa  à Séville,  à Cordoue,  et, 
enfin,  vint  s’établir  à Bougie  où  les  hautes  études  théo- 
logiques étaient  en  grand  honneur. 

Entouré  de  la  vénération  de  tous,  et  déjà  fort  âgé,  il 
avait  alors  renoncé  aux  voyages  et  ne  songeait  qu’à  de- 
meurer dans  cette  ville,  quand,  tout  à coup,  son  énorme 
popularité  porta  ombrage  à quelques  courtisans  du  sul- 
tan Almohade-Yacoub-el-Mansour  (Almanzor).  Ce  souve- 
rain, tout  en  y mettant  beaucoup  de  formes,  fit  mander 
près  de  lui,  à Tlemcen,  Abou-Median  qu’il  désirait  voir 
et  interroger  sur  des  questions  religieuses. 

Les  disciples  du  savant  soufi,  ayant  appris  les  propos 
tenus  contre  leur  maître,  redoutaient  fort  cette  entrevue, 
et  ils  mirent  tout  en  œuvre  pour  empêcher  Abou-Median 
de  quitter  Bougie.  Mais  celui-ci,  plein  de  sécurité,  leur 
dit  : « Ma  dernière  heure  est  proche,  et  il  est  écrit  que  je 
» ne  dois  pas  mourir  ici. Tel  est  le  décret  de  Dieu  et  je  ne 
» puis  m’y  soustraire.  Je  suis  faible  et  d’un  âge  avancé, 
» à peine  puis-je  marcher,  le  Très-Haut  a envoyé  vers 
» moi  ceux  qui  doivent  me  conduire  à ma  dernière  de- 
» meure  avec  les  ménagements  nécessaires.  Mais  sa- 
» chez-le  bien,  je  ne  verrai  pas  le  sultan  et  il  ne  me  verra 
» pas.  » 

Sa  prédiction  se  réalisa  : en  arrivant  en  vue  de  Tlem- 
cen, à Aïn-Taklalet,  Sid  Abou-Median  montrant  le  rebat  (1) 
d’El-Eubbad  à ses  disciples,  s’écria  : « Combien  ce  lieu 
* est  propice  pour  y dormir  de  l’éternel  sommeil  ! » Pres- 
que aussitôt  il  tomba  malade,  et,  après  quelques  heures 


(1)  Faubourg. 


de  marche,  se  sentant  défaillir,  il  fît  signe  à ses  disciples 
d’approcher,  fît  sa  profession  de  foi  et  ajouta  : « Dieu  est 
» la  vérité  suprême.  » A ce  moment  il  expira  ; on  était 
alors  en  594  (1197-1198).  Son  corps  fut  transporté  à El- 
Eubbad,  où  son  élégant  tombeau  est  encore  aujourd’hui 
l’objet  de  pèlerinages  nombreux. 

Abou-Median  fut  réellement  un  savant  et  un  homme 
de  bien.  « Nul  ne  pratiqua  plus  que  lui  le  renoncement 
» au  monde,  ne  s’abîma  davantage  dans  la  contempla- 
» tion  des  mystères  divins,  et  ne  pénétra  plus  avant 
» dans  la  recherche  des  secrets  du  spiritualisme.  C’était 
» un  soufi  parfait,  et  comme,  à la  science  profonde  des 
» doctrines  mystiques,  il  joignait,  disent  ses  adeptes, 
» une  éloquence  rare,  il  en  fut,  sa  vie  durant,  un  des 
» propagateurs  les  plus  autorisés  (1).  » 

Voici  en  quels  termes  s’exprime,  sur  Abou-Median, 
un  auteur  musulman  (2):  « C’était  un  homme  supérieur, 
» unique,  que  Dieu  avait  gratifié  des  dons  les  plus  pré- 
» cieux  de  l’intelligence.  A la  connaissance  approfondie 
» des  dogmes  de  l’Islamisme,  il  joignait  celle  des  lois 
» morales  ; mais  ce  qui  le  distinguait  de  tous  les  autres 
» savants  de  son  siècle,  à un  degré  éminent,  c'était 
» la  perspicacité  merveilleuse  avec  laquelle  il  avait 
» sondé  les  mystères  de  la  vie  spirituelle.  Rien  n'était 
» caché  pour  lui  des  choses  du  monde  invisible.  Il  en 
» pénétrait  tous  les  secrets,  et  certainement,  Dieu,  en  le 
» créant  principalement  pour  être  le  soutien  de  la  doc- 


(1)  Brosselard,  Revue  africaine  1860,  page?. 

(2)  lbn*Saad,  cité  dans  le  livre  intitulé  ^ ^b-J! 

Ulxllj  (le  Jardin  des  récits  touchant  les  savants  et  les  saints 

de  Tlemcen ) par  Mohammed-ben-Mohammed-ben-Ahmed,  plus  connu 
sous  le  nom  d’Ibn-Meryem-Cherif,  et  qui  écrivait  vers  680  de  l'Hégire 
(1281-1282  J.-C.).  Nous  n’avons  pu  nous  procurer  ce  manuscrit,  très 
rare,  et  ce  que  nous  en  donnons  ici  est  emprunté  aux  extraits  donnés 
par  M.  Brosselard,  dans  la  Revue  africaine  de  1860. 


» trine  contemplative,  lui  avait  donné  la  mission  d’appe- 
» 1er  les  hommes  à le  suivre  dans  cette  voie.  Il  s’attachait 
» à méditer  sur  l’appui  que  l’on  trouve  en  Dieu.  Il  avait 
» la  conscience  d’être  toujours  observé  par  son  créateur, 
» et  c’était  vers  lui  que  se  reportaient  sans  cesse  toutes 
» ses  pensées.  Il  avait  une  éloquence  qui  charmait  et  qui 
» paraissait  tenir  du  prodige,  comme  toutes  ses  actions. 
» Lorsqu’il  prêchait,  on  venait  de  tous  côtés  pour  l’en- 
» tendre.  Les  oiseaux  même,  qui  volaient  au-dessus  de 
» la  foule  pressée  pour  l’écouter,  suspendaient  leur  vol, 
» comme  s’ils  eussent  été  charmés  de  sa  parole.  Ceux-là 
» aussi  étaient,  à leur  manière,  des  amateurs  de  la  Divi- 
» nité. 

» Il  avait  écrit  plusieurs  traités  de  doctrines  spiritua- 
» listes  (wa^_^Jl),  et  il  se  plaisait  à composer  des  poé- 
» sies  allégoriques,  dont  le  sens  profond  ne  peut  être 
» saisi  que  par  un  petit  nombre  d’esprits  d’élite.  Lors- 
» qu’il  sortait,  on  se  pressait  sur  ses  pas.  C’était  à qui 
» pourrait  le  voir,  l’approcher,  entendre  le  son  de  sa  voix 
» ou  baiser  les  pans  de  ses  vêtements.  C’est  bien  avec 
» toute  raison  qu’il  fut  surnommé  le  cheikh  des  cheikhs 
» et  que  l’admiration,  aussi  bien  que  le  respect  pour  sa 
» sainteté,  lui  ont  fait  décerner  le  titre  d’ouali  et  ceux 
» plus  glorieux  encore  de  qotb  et  de  r’out.  » 

Abou- Médian  affectait  une  grande  humilité  et  une 
grande  modestie.  A ceux  qui  l’interrogeaient  sur  son 
rôle  dans  le  monde,  il  réponüait  : « Je  n’en  ai  pas  d’au- 
» tre  que  celui  de  faire  preuve  d’humilité  constante  dans 
» la  pratique  de  la  vie,  d’aimer  Dieu,  de  l’adorer,  de  le 
» bénir  et  d’invoquer  sans  cesse  son  saint  nom.  » 

Voici  comment  il  définissait  son  mysticisme:  « Le  sen- 
» timent  de  la  grandeur  et  de  la  toute-puissance  divines 
» exalte  mon  âme,  s’empare  de  tout  mon  être,  préside  à 
» mes  pensées  les  plus  intimes,  de  même  qu’aux  actes 
» que  j’accomplis  au  grand  jour  et  aux  yeux  du  monde. 
» Ma  science  et  ma  piété  s’illuminent  de  l’éclat  des  lu- 


— 216  — 


» mières  d’en  haut.  Quel  est  celui  sur  qui  se  répand  l’a- 
» mour  de  Dieu  ? C’est  celui  qui  le  connaît  et  qui  le  re- 
» cherche  partout,  et  encore  celui  dont  le  cœur  est  droit 
» et  qui  se  résigne  entièrement  à la  volonté  de  Dieu. 
» Sachez-le  bien,  celui-là  seul  s’élève  dont  tout  l’ètre 
» s’absorbe  dans  la  contemplation  du  Très-Haut.  Dieu 
» n’exauce  point  la  prière,  si  son  nom  n’est  pas  invoqué. 
» Le  cœur  de  celui  qui  le  contemple  repose  en  paix  dans 
» un  monde  invisible.  C’est  de  lui  qu’on  peut  dire  : « Tu 
» verras  les  montagnes,  que  tu  crois  solidement  fixées, 
» marcher  comme  marchent  les  nuages.  Ce  sera  l’ouvra- 
» ge  de  Dieu  qui  dispose  savamment  toutes  choses  (1).  » 

Interrogé  sur  l’amour  divin,  Abou-Median  répondait  : 
« Le  principe  de  l’amour  divin,  c’est  d’invoquer  constam- 
» ment  et  en  toutes  circonstances  le  nom  de  Dieu,  d’em- 
» ployer  toutes  les  forces  de  son  âme  à le  connaître,  et 
» de  n’avoir  jamais  en  vue  que  lui  seul.  » 

Abou-Median  prétendait  que  Dieu  s’était  manifesté  à 
lui  et  lui  avait  dit  : « Choaïb,  les  actes  d’humilité  que  tu 
» as  accomplis  ont  doublé  ton  mérite  à mes  yeux,  et  je 
» te  pardonne  tes  fautes.  Heureux  l’homme  qui  t’aura  vu 
» ou  qui  connaîtra  celui  qui  t’aura  vu.  » 

Les  chaînes  mystiques  des  saints,  qui  transmirent  à 
Abou-Median  la  science  de  la  vérité  et  les  pures  doctrines 
du  Soufisme,  sont  nombreuses  et  varient  selon  les  au- 
teurs, et  selon  les  chefs  d’ordres  qui  se  disent  ses  conti- 
nuateurs. 

La  plupart  d’entre  elles  remontent  à Aboul-Kacem-el- 
Djoneïd.  Voici  celle  qui  est  généralement  admise,  en 
Algérie,  par  les  ordres  qui,  comme  les  Chadelya  et  les 
Derqaoua,  sont  plus  particulièrement  considérés  comme 
les  héritiers  spirituels  d’ Abou-Median  : 

Chaîne  A.  L’ange  Gabriel.  — Le  Prophète.  — 1,  Ali-ben- Abou-Ta- 
leb.  —2,  Hasean-el-Bosri.  — 3,  Habib-ben-el-Hadjemi.  — 4,  Daoud- 


(l)  (Coran  XXVII-90.) 


— 217  — 


ben-Nacer-et-Taï.  — 5,  Marouf-el-Kerkhi.  — 6,  Seri-Sakati.  — 7,  .\bou- 
Kacem-el-Djoneïdi.  — 8,  Chems-ed-Din-Abou-Thaleb-el-Mekki.  — 
8 bis , Mohammed-el-Harirri.  — 8 ter,  Abou-Mohammed-Djari.  — 9, 
Abou-Maali-el-Djouini.  — 10,  Abou-Ahmed-el-Ghazzali.  — 11,  Fakhr- 
ed-Din-Mohammed-ben-Abou-Beker-ben-Arabi.  — 12,  Abou-Hassen * 
Ali-ben-Ismaïl-ben-Mohammed-ben-Abdallah-ben-Harzihoum,  mort  en 
569  (1173-1174).  — 12  bis,  en  même  temps  Abou-Yazza-en-Nour-ben- 
Mimoun-ben-Abdallah-el-Azmiri-el-Askri,  mort  en  572  (1176-1177).  — 
13,  Abou-Median-Choaïb-el-R’out. 

Une  seconde  chaîne,  également  admise  par  les  Chade- 
lya,  est  la  suivante  : 

Chaîne  B.  L’ange  Gabriel.  — Le  Prophète.  — 1,  Ali-ben- Abou-Ta- 
leb.  — 2,  El-Hocein-ben-Ali.  — 3,  Ali-Zin-el-Abidin.  — 4,  Mohammed- 
elrBaker.  — 5,  Djafar-es-Saddok-ben-Mohammed-el-Beker,  145  (765-766 
de  J.-C.)  (était  fils  de  Oum-Serouak,  fille  du  khalife  Abou-Beker).  — 
6,  Moussa-el-Kadem.  — 7,  Sid  Ali-ben-Moussa-er-Rida.  — 8,  Marouf- 
el-Kerakhi.  — 9,  Seri-Sakati.  — 10,  Djoneid.  — 11,  Abou-Yacoub-en- 
Nahrdjouri.  — 10,  Abou-Saïd-el-Maghrerbi.  — 11,  Ech-Chachi.  — 12, 
Abou-Median-Choaib-el-R’out. 


Une  autre  chaîne  encore  admise,  toujours  avec  quel- 
ques variantes,  selon  les  ordres,  ne  passe  pas  par  Djo- 
neidi,  mais  part,  directement,  de  Seri-Sakati  (n°  6 de  la 
chaîne  A). 

Chaîne  C.  6,  Seri-Sakati.  — 7,  Abou-el-Hocein-Ali-en-Nour.  — 8,  Abou- 
Beker-el-Hassan-el-Djouhari.  — 9,  Abdallah-ben-Abou-Beker  — 10, 
Abou-Mohammed-Abd-el-Djeill-ben'Reïhane.  — 11,  Abou-Mohammed- 
Tenouri. — 12,  Abou-Choaïb-Ayoub  ben-Saïd-es-Senhadji.  — 13,  Abou- 
Yazza-ben-Mimoun-el-Azemori-el-Askouri.  — 14,  Abou-Median-Choaïb- 
el-R’out.  ' 


Enfin  nous  rappellerons  qu’une  des  chaînes,  qui  relient 
l’enseignement  de  Djoneidi  à celui  du  Prophète,  passe 
par  Sliman-el-Farani,  compagnon  du  Prophète  et  affilié 
aux  Seddikya. 

D’où  il  résulte  que  l’ordre  des  Madinya-Chadelya  se 
rattache,  entre  autres  autorités,  à celle  de  Sid  Abou-Be- 
ker-es-Seddik,  le  plus  vénéré  des  compagnons  du  Pro- 


phète,  ce  qui  classe  cet  ordre  parmi  les  plus  recomman- 
dables de  l’Islam. 

Abou-Median  forma  un  grand  nombre  de  disciples  qui 
se  dirent  Madanya  (au  singulier  Madani),  épithète  que 
prirent  ensuite  plusieurs  docteurs,  en  souvenir  du  Saint 
d’El-Eubbad.  Son  successeur,  et  le  véritable  chef  de  l’or- 
dre nouveau  issu  de  son  enseignement,  fut  le  Marocain 
A bou-Mohammed-A  bd-es~Sellem-ben-Machich-ben-Man- 
sour-ben-Brahim-el-Hassanij  chérif  originaire  des  Beni- 
Arous,  du  Djebel-Alem,  près  de  Tétouan. 

Contemporain  et  sujet  du  sultan  Abd-el-Moumen  (mort 
en  1160  de  J.-C.)  (1),  Abd-es-Sellem-ben-Machich  semble 
avoir  voulu  continuer  l’œuvre  religieuse  entreprise  par 
le  fondateur  de  la  dynastie  des  Almohades  (unitaires)  (2). 

A l’exemple  d’Ab-el-Moumen  et  de  Sid  Abdallah-ben- 
Tomert  qui,  avant  d’ètre  souverains,  s’affirmèrent  comme 
pontifes  intransigeants  vis-à-vis  tout  pouvoir  temporel, 
Abd-<  ,s-Sellem-ben-Machich  professa,  toute  sa  vie,  un 
unitéisme  rigoureux,  et  excessif  dans  ses  déductions 
dogmatiques,  liturgiques  ou  politiques.  Plus  religieux 
que  ses  deux  illustres  prédécesseurs,  n’ayant  pas  leur 
ambition  malsaine,  et  sincèrement  imbu  des  doctrines 
soufîtes  de  son  maître  spirituel,  il  resta  constamment 
en  dehors  de  toute  compromission  avec  les  représen- 
tants de  l’autorité  séculière,  et  recommanda  à ses  disci- 
ples le  mépris  de  toutes  les  fonctions  publiques  et  l’éloi- 
gnement absolu  de  tous  les  détenteurs  du  pouvoir.  Mais, 
s’il  encouragea  l’insoumission,  il  ne  prêcha  pas  la  ré- 
volte, et  il  blâma  toujours  ceux  qui,  sous  un  prétexte 
religieux,  prenaient  part  à des  soulèvements  politiques. 
Son  enseignement  ne  fut  jamais  ni  agressif,  ni  turbulent. 
Il  avait  coutume  de  dire  : « Priez  Dieu  sans  cesse  et  sans 


(1)  L’année  1160  de  J.-C.  comprend,  dans  le  calendrier  hégirien, 
les  onze  derniers  jours  de  l’an  554.  toute  l’année  555  et  le  premier 
jour  de  l’année  556. 

(2)  El-Monhidoun,  les  unitaires,  AaJ  un. 


— 219  — 


» compter;  11e  parlez  pas  d’autrui,  et  préservez  vos  cœurs 
» du  désir  de  voir  les  hommes  à vos  pieds.  L’amour  de 
» Dieu  est  le  seul  pôle  autour  duquel  tournent  tous  les 

» biens Que  votre  langue,  au  lieu  de  parler  des  cho- 

» ses  de  ce  monde,  ne  parle  que  de  Dieu;  que  votre  cœur 
» s’attache  au  Créateur,  au  lieu  de  s’attacher  à la  créa- 
» ture.  Purifiez  votre  cœur  des  doutes  et  des  pensées 
» vaines,  avec  l’eau  de  la  certitude  des  vérités  morales. 
» Ne  levez  jamais  votre  pied  du  sol  et  ne  l’y  posez  jamais 
» sans  avoir  en  vue  l’obéissance  à Dieu.  Ne  vous  asseyez 
» jamais  que  là  où  vous  serez  certain  de  ne  pas  rencon- 
» trer  la  révolte  contre  Dieu.  » 

Sa  conduite  était  en  tout  conforme  à ses  paroles.  Aussi 
fut-il  un  des  premiers  à dévoiler  l’imposture  d’un  certain 
Mohammed-ben-Mohammed-ben-Abou-Touadjin,  thauma- 
turge et  intransigeant,  qui  s’était  mis  à la  tête  d’un  parti 
de  rebelles.  Ben-Machich  paya  de  sa  vie  sa  noble  attitude 
vis-à-vis  de  cet  énergumène,  qui  le  fit  assassiner  par  ses 
partisans,  l’an  625  de  l’Hégire  (1227-1228  de  J.-C.).  Les 
Berbères,  furieux  de  la  mort  de  ce  saint  homme,  tuèrent 
aussitôt  son  assassin. 

Mouley-Abd-es-Sellem-ben-Machich  est  resté,  depuis, 
l’objet  de  la  vénération  de  tous  les  Musulmans:  de 
nombreux  pèlerinages  ont  lieu  à son  tombeau,  dans  le 
Djebel- Alem,  et  les  Khouan-Soufi  de  la  Tunisie  por- 
tent, encore  aujourd’hui,  le  nom  de  Mechichya  ou  de 
Sellamya. 

Mais  ce  qui  contribua  surtout  à illustrer  Ben-Machich, 
ce  fut  d’avoir  eu  l’honneur  de  former  à son  école  le  célè- 
bre Abou-Hassen-Ali-ech-Chadeli . Aussi,  parmi  les  élo- 
gieuses  appellations  que  lui  a décernées  la  piété  des 
fidèles,  se  trouve  le  titre  de  « précurseur  et  maître  de 
Chadeli  » en  arabe  Imam-ech-Chadeli  et,  par  corruption, 
Imam-Chadouli . 

Son  disciple  de  prédilection  et  son  successeur  spirituel 
fut,  en  effet,  le  chérif  Tadj-ed-Din-Abou-el-Hassen-Ali- 
ech-Chadeli-ben-Atha-A  llah-ben-Abd-el-Djebbar , né  en 


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l’an  593  de  l’Hégire  (1196-1197  de  J. -G.),  dans  un  village 
ditGhemara,  près  de  Geuta. 

Ghadeli  avait  été,  fort  jeune,  initié  aux  doctrines  du 
Soufisme  et,  quand  il  suivit  les  leçons  de  Abd-es-Sellem- 
ben-Mechich,  il  avait  déjà  reçu  l’investiture  du  manteau 
des  mains  de  Abou-Abdallah-Mohammed  (fils  de  Cheikh- 
Abou-Hassen-Ali-ben-Harzehoum),  disciple  de  Abou- 
Mohammed  - Salah  - ben  - Bensar  - ben  -Okban  - ed  - Dekali- 
el-Aleki,  disciple  d’Abou-Median. 

Si  Abd-es-Sellem-ben-Mechich  avait,  du  reste,  bien  vite 
reconnu  chez  son  élève  les  qualités  nécessaires  à l’apô- 
tre, et  il  lui  aurait  dit  : « Tu  te  rendras  en  Ifrikia,  et  tu 
» demanderas  la  localité  appelée  Chadel;  Dieu  désire  que 
» tu  t’appelles  Ghadeli;  tu  iras  ensuite  à Tunis,  où  tu 
» auras  à souffrir  de  la  part  du  pouvoir.  De  là  tu  te  diri- 
» géras  sur  l’Orient,  où  tu  hériteras  de  la  polarité.  » 

En  625  (1227-1228),  à la  mort  de  son  cheikh,  Si  Ghadeli, 
âgé  seulement  de  vingt-deux  ans,  quitta  donc  le  Maghreb, 
à la  recherche  de  la  localité  qui  lui  avait  été  indiquée 
comme  étant  située  aux  environs  de  Tunis. 

Il  s’installa  sur  le  Djebel-Zlass,  dans  une  caverne  dont 
il  fit  un  hermitage  (kheloua),  qui  devint  bientôt  célèbre. 
Autour  de  lui  affluèrent  les  gens  de  la  ville  et  de  la  cam- 
pagne. Bientôt  sa  popularité  fut  telle,  qu’il  porta  ombrage 
aux  détenteurs  du  pouvoir.  Il  avait  surtout  pour  ennemi 
le  cadhi  de  la  ville,  un  certain  Ben-el-Berra,  qui  par  ja- 
lousie, mit  tout  en  œuvre  pour  nuire  au  pieux  soli- 
taire. 

Les  choses  en  vinrent  à un  tel  point  que  Si  Ghadeli  fut 
forcé  de  s’éloigner  et  partit  pour  l’Égypte.  Ayant  appris 
que  la  haine  de  son  ennemi  l’avait  précédé,  et  qu’il  était 
signalé  à tous  les  ulémas  du  Caire  comme  un  athée  et  un 
possédé,  il  ne  voulut  pas  entrer  en  lutte  pour  s’imposer 
en  cette  ville,  et  demeura  d’abord,  non  loin  d’Alexandrie, 
dans  une  grotte  au  bord  de  la  mer. 

Il  y vécut  longtemps  dans  la  retraite,  l’isolement  et  la 


— 221  — 


pauvreté.  Il  raconta,  plus  tard,  qu’étant  resté  une  fois 
trois  jours  sans  prendre  aucune  nourriture,  il  vit  un  vais- 
seau grec  jeter  l’ancre  à portée  de  son  ermitage  et  des- 
cendre à terre  quelques-uns  de  ses  matelots.  Ceux-ci,  en 
l’apercevant,  se  dirent  : « C’est  un  ermite  musulman,  » et 
touchés  sans  doute  de  la  dignité  de  son  attitude,  déposè- 
rent devant  lui  des  vivres  abondants  : « Je  fus,  dit  Cha- 
» deli,  étonné  de  leur  conduite  et  ne  pus  m’empêcher  de 
» remarquer  que  le  secours  m’arrivait  par  la  main  des 
» Infidèles,  et  non  par  la  main  des  Musulmans;  j’enten- 
» dis  alors  une  voix  qui  me  dit  : ce  n’est  pas  quand  on 
» est  secouru  par  des  amis  qu’on  est  réellement  homme, 
» mais  bien  quand  on  l’est  par  des  ennemis.  » 

Dans  cette  même  retraite,  l’ange  Gabriel  lui  apparut  et 
lui  demanda  quelle  punition  il  voulait  voir  infliger  au 
calomniateur  Ben-Berra;  Chadeli  demanda  qu’il  perdît  la 
mémoire  et,  qu’après  sa  mort,  sa  tombe  devînt  un  lieu 
d’immondices. 

Sa  prière  fut  exaucée  : le  cadhi  mourut  peu  de  temps 
après,  et  ses  descendants  ont  beau  nettoyer  sa  tombe, 
elle  est  toujours,  le  matin,  couverte  d’ordures  et  de  fu- 
mier; le  miracle  dure  encore  de  nos  jours. 

Nous  ne  savons  au  juste  à la  suite  de  quelles  circons- 
tances Chadeli  quitta  la  kheloua  d’Alexandrie,  pour  venir 
habiter  le  Caire  et  se  mêler  aux  savants  prévenus  contre 
lui.  Une  légende  nous  dit  que  le  souverain  de  l’Égypte, 
qui  avait  partagé  l’animosité  des  ulémas  contre  lui,  fut, 
une  nuit,  roué  de  coups  par  une  légion  d’anges  et  de 
génies  monstrueux;  et  qu’à  la  suite  de  cé  songe,  il  revint 
à de  meilleurs  sentiments  vis-à-vis  de  l’exilé  du  Maghreb. 

Quoi  qu’il  en  soit,  d’ailleurs,  des  causes  de  son  arrivée 
au  Caire,  il  est  certain  que  ce  fut  dans  cette  ville  que  le 
Saint  (qui  déjà  était  parvenu  à des  degrés  élevés  dans  la 
vie  contemplative  et  avait  été  l’auteur  de  miracles  illus- 
tres) se  révéla  comme  docteur  et  s’imposa  comme  un 
des  plus  grands  savants  de  l’Islam. 

Il  eut  très  vite  un  nombre  considérable  de  disciples. 


— 222  — 


Parmi  eux,  se  trouva  bientôt  Azzeddin-ben-Abd-es-Sel- 
lem,  cheikh  el-Islam  et  président  des  ulémas  du  Caire, 
qui,  après  avoir  été  un  de  ses  premiers  adversaires, 
devint  un  de  ses  plus  fervents  admirateurs.  Abou-Hassen 
avait,  en  effet,  vu  en  songe  le  Prophète,  qui  lui  avait 
inspiré  des  réponses  tellement  nettes  et  telllement  bril- 
lantes, qu’elles  avaient  confondu  tout  le  cénacle  des 
savants.  « Sid  Chadeli  ayant  alors  ajouté  que  le  Prophète 
» l’avait  chargé  de  ses  bénédictions  pour  Sid  Azzeddin, 
» le  cheikh  El-lslam,  en  proie  à un  transport  religieux, 
» se  mit  à sauter  et  à danser,  entraînant  avec  lui  tous 
» les  ulémas » 

» Telle  était,  du  reste,  sa  vaste  érudition  que,  quelle 
» que  fût  la  science  sur  laquelle  on  l’interrogeait,  il  en 
» parlait  avec  tant  de  naturel,  et  en  sondait  avec  tant  de 
» grâce  toutes  les  profondeurs,  que  chacun  en  l’enten- 
» dant  se  disait  : certes  il  ne  possède  pas  que  cette  seule 
» branche  de  connaissances.  » 

A ceux  qui  lui  demandaient  où  il  avait  appris  tout  ce 
» qu’il  savait,  il  répondait  : « Quand  je  suis  interrogé  sur 
» une  question  scientifique  et  que  je  ne  sais  quelle  ré- 
» ponse  faire,  je  vois  aussitôt  cette  réponse  tracée,  par 
» une  main  invisible,  sur  les  murs  ou  sur  les  tapis.  » 

A ceux  qui  lui  demandaient  quel  était  son  cheikh,  il 
répondait:  « Tout  d’abord,  j’ai  considéré  comme  tel  Abd- 
» es-Sellem-ben-Machich,  aujourd’hui  je  me  désaltère  à 
» cinq  mers  terrestres  : Mohammed,  Abou-Beker,  Omar, 
» Otsman  et  Ali,  puis  à cinq  mers  célestes  : Gabriel, 
» Michel,  Asrafil,  Azraïl  et  PEsprit  de  Dieu  (Jésus).  » 

La  sainteté  de  Sid  Chadeli  est  l’objet  de  très  nombreux 
récits  hagiographiques  qui,  tous,  montrent  combien  est 
grande  la  vénération  des  Musulmans  à son  égard. 

Ainsi,  ses  disciples  racontent,  comme  preuve  de 
cette  sainteté  surnaturelle,  qu’un  jour,  l’air  ayant  été 
obscurci  par  des  nuées  d’hirondelles  voltigeant  autour 


— 223  — 


de  Si  Ghadeli,  le  Saint  aurait  répondu  à ceux  qui  l’inter- 
rogeaient sur  la  cause  de  la  persistance  de  ces  oiseaux 
à s’approcher  de  lui  : « Ce  sont  des  âmes  du  Purgatoire 
(Berzekh)  qui  viennent  participer  aux  bénédictions  céles- 
tes dont  Dieu  m’a  comblé.  » 

Une  autre  fois,  dans  le  désert  d’Aïzab,  Sid  Ghadeli  ren- 
contra El-Khadir  qui  lui  dit  : « Abou-Hassen,  Dieu  t’a 
favorisé  de  sagesse  ; il  est  avec  toi  dans  le  repos  et  dans 
le  mouvement.  » 

« Si  Chadeli  était  de  grande  taille,  mais  son  corps  était 
» maigre  et  frêle  ; il  avait  le  teint  olivâtre  et  la  barbe  peu 
» fournie  le  long  des  joues.  Ses  doigts  étaient  effilés  et 
» longs  comme  ceux  des  gens  du  Hidjaz.  Sa  parole  était 
» douce,  son  élocution  facile,  et  il  montra  toujours  une 
» grande  bienveillance  dans  son  enseignement.  Il  ne 
» cherchait  nullement  à imposer  au  néophyte  des  fati- 
» gués  ou  des  difficultés.  Il  voulait,  au  contraire,  les  lui 
» éviter  et  n’en  parlait  pas  : « On  ne  vient  pas  à nous, 
» disait-il,  pour  rechercher  les  fatigues,  mais  bien  le 
» repos.  » Pourvu  que  l’on  cherchât  à se  réunir  à Dieu, 
» qu’on  aimât  la  retraite  et  la  prière,  il  laissait  chacun 
» parfaitement  libre  d’adopter  telle  ou  telle  voie.  Ii  ne 
» voulait  même  pas  obliger  le  néophyte  à ne  pas  voir 
» d’autre  cheikh  que  lui.  » 

Tous  les  ans,  pendant  son  séjour  au  Caire,  Si  Chadeli 
fît  le  voyage  de  La  Mecque;  il  partait  par  la  Haute-Égypte 
et  passait  dans  la  ville  sainte  le  mois  de  Redjeb  et  les 
suivants,  jusqu’à  l’accomplissement  des  cérémonies  du 
pèlerinage.  Puis  il  visitait  le  tombeau  du  Prophète  et 
revenait  dans  son  pays  en  faisant  le  grand  tour  par  la 
route  de  terre,  traversant  le  Hidjaz  et  le  désert. 

Une  certaine  année,  ce  fut  la  dernière  fois  qu’il  se  mit 
en  route,  il  dit  à son  disciple  et  serviteur  Omar  : « Prends 
une  pioche,  un  panier,  des  aromates  et  tout  ce  qu’il  faut 
pour  ensevelir  un  mort.  » 


— 224  — 

— Pourquoi  cela,  ô mon  maître?  lui  demanda  le  ser- 
viteur. 

— Tu  le  sauras  à Homaithira,  lui  répondit  Ghadeli  ; et 
il  ajouta  : « Je  ferai  cette  année  le  pèlerinage  de  la  délé- 
gation (1).  » 

En  effet,  arrivé  à ce  lieu,  le  cheikh  fit  ses  ablutions  et 
récita  une  prière  de  deux  reka.  A peine  avait- il  terminé 
sa  dernière  prosternation,  que  Dieu  le  rappela  à lui.  Il 
fut  enseveli  à cet  endroit.  Ibn-Batouta,  qui  raconte  ce 
fait  (2),  dit  qu’il  a visité  son  tombeau,  couvert  d’une  pierre 
sépulcrale  sur  laquelle  sont  gravés  : le  nom  de  Sid 
Ghadeli  et  la  généalogie  du  Saint,  qui  remonte  à Sid 
Hassen-ben-Ali-ben-Abou-Thaleb. 

Homaithira  est  dans  les  montagnes  de  la  Haute-Égypte, 
à Test  de  Daraou,  à trois  journées  de  marche  de  ce  village 
vers  la  mer  Rouge.  Là,  dans  une  plaine,  se  trouvent  des 
puits  d’eau  douce,  dits  aujourd’hui  Biar-Chadelya.  La 
tombe  du  Saint,  sur  laquelle  un  souverain  mamelouk  a 
fait  élever  une  coupole  gracieuse,  est  tenue  en  grande 
vénération  par  les  Égyptiens  et  il  s’y  fait  encore,  de 
nos  jours,  de  nombreux  pèlerinages. 

Dans  l’Yemen,  à Moka,  et  sur  les  bords  de  la  mer  Rou- 
ge, on  raconte  un  peu  différemment  la  mort  de  Si  Ghadeli 
et  la  légende  arabe  rattache,  à cet  événement,  la  décou- 
verte du  café;  voici  cette  légende,  traduite  par  M.  Syl- 
vestre de  Sacy  (3),  d’un  livre  turc,  le  Djihan-Numa , de 
Hadji-Khalfa  : 


(1)  Allusion  à ce  qu’a  dit  le  Prophète  : « Quiconque  mourra  dans 
la  route  du  pèlerinage,  Dieu  déléguera  un  ange  pour  accomplir  ce  # 
devoir  à sa  place  et  lui  fera  avoir  la  récompense . » 

(2)  Ibn-Batouta,  tome  I,  page  39,  traduction  de  Defrémery  et  San- 
guinetti . 

(3)  Voir  Sylvestre  de  Sacy,  Chreslomathie , tome  II,  page  233.  Ex- 
trait de  Sidi  Abd-el-Qader-ben-Mohammed-Ansari-Djeziri-Hambali, 
et  surtout  note  60,  page  277  du  même  volume.  — Dans  une  autre 
note  M.  de  Sacy  rappelle  que  Fauste  Neiron  attribuait  l’invention  de 


225 


« L’an  de  l’Hégire  656  (1258  de  J.-C.),  le  cheikh  Abou-Hassen-Cha- 
» deli,  allant,  par  Souakim,  en  pèlerinage  à La  Mecque,  dit  à son 
» disciple,  le  cheikh  Omar,  lorsqu’il  fut  arrivé  entre  la  montagne 
» d’Ebrek,  qui  est  à six  jours  de  la  montagne  des  Émeraudes,  et 
» celle  d’Adjin,  qui  est  aussi  à six  journées  de  la  montagne  d’Ebrek  : 

« Je  mourrai  en  cet  endroit-ci.  Quand  j’aurai  rendu  l’ame,  vous 
» aurez  soin  de  faire  tout  ce'  que  vous  dira  une  personne  que  vous 
» verrez  venir,  et  qui  aura  le  visage  voilé.  » 

» Peu  après  la  mort  du  cheikh  Chadeli,  la  personne  qu’il  avait  an- 
» noncée  apparut  effectivement,  avec  le  visage  couvert,  et  creusa 
» tant  soit  peu  au  même  lieu.  A l’instant  l’eau  parut  par  la  permission 
» de  Dieu  : le  cheikh  Omar  se  servit  de  cette  eau  pour  laver  le  corps 
» du  cheikh  Chadeli,  puis  il  l’enterra.  Quand  cette  personne  voulut 
» se  retirer  et  s’en  aller,  le  cheikh  Omar  l’arrêtant  par  le  bas  de  sa 
» robe,  la  pria  de  lui  dire  qui  elle  était  Cette  personne  ayant  alors 
» levé  le  voile  qui  lui  couvrait  le  visage,  le  cheikh  Omar  vit,  avec 
» grande  surprise,  que  c’était  le  cheikh  Chadeli  lui-même,  qui  lui 
» remit  une  boule,  et  lui  enjoignit  de  ne  s’arrêter  qu’à  l’endroit  où 
» cette  boule  demeurerait  sans  mouvement. 

» Le  cheikh  Omar  se  rendit  à Souakim,  mais  ayant  remarqué  que 
» la  boule  remuait,  il  ne  s’y  arrêta  pas.  Il  s’embarqua  sur  un  bâti- 
» ment  pour  Moka  ; y étant  arrivé,  il  vit  que  la  boule  ne  faisait  plus 
» de  mouvement.  Il  s’y  arrêta  donc,  et  se  logea  dans  une  cabane  qu’il 
» fit  avec  des  joncs.  Il  creusa  en  cet  endroit  un  puits,  d’où  sortit  une 
» eau  douce  et  agréable.  Il  n’y  avait  point  précédemment  d’eau  pota- 
» ble  à Moka;  il  fallait  y en  apporter  de  très  loin. 

» Quelque  temps  après,  les  habitants  de  Moka  furent  affligés  d’une 
» maladie  dont  ils  guérissaient  par  l’intercession  et  les  prières  du 
» cheikh  ; le  peuple  lui  portait  des  malades  sur  lesquels  il  faisait  des 
» prières.  La  fille  du  roi  du  pays,  qui  était  d’une  rare  beauté,  ayant 
» aussi  été  attaquée  de  la  même  maladie,  le  roi  la  fit  transporter  chez 
» le  cheikh.  Le  cheikh  pria  sur  elle  pendant  quelques  jours,  et  elle 
» fut  guérie  par  son  intercession.  Mais  cet  événement  donna  lieu  à 
» des  propos  de  la  part  du  peuple.  On  dit  qu’il  n’était  pas  convenable 
» qu’une  si  belle  princesse  soit  restée  si  longtemps  chez  le  cheikh,  et 
» qu’il  n’y  avait  pas  apparence  qu’il  ne  se  fût  pas  passé  quelque  chose 
» contre  son  honneur.  Le  roi,  apprenant  ces  discours,  eut  honte  de 


l’usage  du  café  à deux  moines  français  « Chadli  et  Aider,  également 
» honorés  chez  les  Turcs  qui  leur  adressent  des  prières  quotidiennes.  » 
Aidar,  est  évidemment  Haidar,  l’inventeur  du  hatchich.  Niebuhr, 
dans  son  Voyage  en  Arabie  au  XVIIIe  siècle,  fait  allusion  à cette 
légende,  il  attribue  même  la  fondation  de  Moka  à Si  Chadeli3  qui  a 
donné  son  nom  à une  des  portes  de  la  ville. 


15 


— 226  — 

» la  démarche  qu’il  avait  faite  ; il  chassa  le  cheikh  de  Moka,  et  l’exila 
» à la  montagne  d’Oursab,  où  il  fut  conduit  avec  quelques-uns  de  ses 
» disciples.  Là,  ils  ne  trouvèrent  rien  à manger  que  du  café  ; ils  en 
» prenaient,  en  faisaient  bouillir  dans  une  marmite,  et  en  buvaient  la 
» décoction.  Vers  ce  temps-là,  les  habitants  de  Moka  furent  attaqués 
» de  la  gale.  Quelques  amis  du  cheikh  étaient  allés  le  voir  à la  mon- 
» tagne  d’Oursab,  y burent  de  cette  décoction,  et  furent  guéris  sur- 
» le-champ  de  cette  incommodité.  Quand  ils  furent  de  retour  à la 
» ville,  les  habitants  leur  demandèrent  comment  ils  avaient  été  gué- 
» ris  ; ils  dirent  que  c’était  par  la  vertu  d’une  eau  qu’ils  avaient  bue 
» chez  le  cheikh  Omar.  Cette  nouvelle  se  répandit  dans  la  ville,  et 
» vint  jusqu’aux  oreilles  du  roi,  qui  fit  prier  le  cheikh  de  revenir  à 
» Moka,  le  combla  de  caresses,  et  lui  fit  bâtir  un  hospice.  Cet  hospice 
» est  aujourd’hui  l’objet  de  la  dévotion  du  peuple,  ainsi  que  cette 
» boule  dont  nous  avons  parlé,  qui  y est  conservée. 

» Quelques  années  après,  le  cheikh  Omar  se  maria  ; il  eut  un  fils 
» auquel  il  recommanda,  quand  il  eut  un  âge  mûr,  d’aller  à Souakim, 
» au  même  endroit  où  il  était  demeuré  quelques  jours  et  de  s’y  éta- 
» blir.  Il  y bâtit  un  hospice  qui  est  aujourd’hui  en  grande  vénération, 
» et  les  cheikhs  qui  l’habitent  sont  les  descendants  de  ce  fils  du 
» cheikh  Omar.  » 

Quoi  qu’il  en  soit  d’ailleurs  des  détails  relatifs  à cette 
mort,  et  de  la  véracité  de  la  légende,  le  fait  qui  s’en  dé- 
gage est  que  le  cheikh  Abou-Hassen-Ali-ech-Chadeli 
mourut  dans  le  mois  de  Dou-el-Qada  656  de  l’Hégire, 
soit  octobre-novembre  1258  de  J. -G. 

Ce  savant  ne  laissait  aucun  ouvrage  écrit  de  sa  main  ; 
bien  souvent,  cependant,  il  avait  été  sollicité  par  ses 
disciples  de  résumer,  en  un  catéchisme  ou  ouvrage  spé- 
cial, les  preuves  de  l’existence  de  Dieu  et  les  instruc- 
tions propres  à conduire  les  hommes  dans  la  voie  droite. 
A ces  sollicitations , il  répondait  toujours  : « Mes 

livres,  ce  sont  mes  compagnons  et  mes  disciples.  » 

L’un  d’eux,  et  le  plus  autorisé  d’entre  eux,  Abou-Ab- 
bas-el-Morci,  complétant  et  précisant  la  pensée  de  son 
maître,  disait  plus  tard  à ce  propos  : « Je  n’écris  pas  de 
» livre,  parce  que  les  sciences  qui  s’occupent  de  la  preu- 
» ve  (de  Dieu)  ne  sont  pas  à la  portée  de  l’intelligence  de 
» la  foule:  tout  ce  que  renferment  les  ouvrages  écrits 


227  — 


» pour  le  peuple,  n’est  guère  que  la  poussière  des  rivages 
» de  la  mer.  » 

Mais  s’il  n’existe  aucun  livre  didactique  dû  à la  plume 
de  Si  Chadeli,  ses  disciples  et  ses  continuateurs  ont  écrit 
plusieurs  exposés  complets  des  doctrines  et  des  pres- 
criptions du  maître,  exposés  qui  ont  tous,  pour  point  de 
départ  et  pour  appui,  les  paroles  mêmes  prononcées  par 
Si  Chadeli  et  pieusement  recueillies  par  ses  contempo- 
rains. 

Il  n’est  donc  pas  sans  intérêt  de  citer  ici  quelques-unes 
de  ces  paroles  (1),  avant  d’aborder  les  extraits  mêmes 
des  livres  de  doctrine  ou  de  rituel  spéciaux  aux  Cha- 
delya  : 

« Tu  ne  sentiras  pas  le  parfum  de  la  sainteté,  disait  Chadeli,  tant 
» que  tu  ne  seras  pas  détaché  du  monde  et  des  hommes.  Celui  qui 
» désire  la  gloire  dans  ce  monde  et  dans  l’autre  doit  entrer  dans  ma 
» voie.  Il  rejettera  alors  de  son  cœur  tout  ce  qui  n’est  pas  Dieu,  ne 
» recherchera  que  Dieu,  n’aimera  que  Dieu,  ne  craindra  que  Dieu  et 
» n’agira  qu’en  vue  de  Dieu. 

» Écoute  qui  t’appelle  à la  quiétude  et  non  qui  t’appelle  à la  lutte. 

» Dieu  m’a  donné  un  registre  dans  lequel  mes  compagnons  et  les 
» disciples  de  mes  compagnons  sont  inscrits,  comme  étant  à l’abri  du 
» feu  de  l’enfer,  jusqu’au  jour  de  la  résurrection. 

» Obéis  à ton  cheikh  avant  d'obéir  au  souverain  temporel. 

» Le  plus  malheureux  des  hommes  est  celui  qui  est  opposé  à son 
» maître,  s’occupe  de  ses  intérêts  mondains,  oublie  le  commencement 
» et  la  fin,  et  ne  fait  pas  d’œuvres  en  vue  de  la  vie  future.  Si  tu  te 
» trouves  dans  la  société  des  savants,  ne  leur  parle  que  de  sciences 
» traditionnelles  et  de  faits  parfaitement  authentiques  et  relatifs  à la 
» foi,  et  en  cela  tu  les  instruiras  ou  tu  t’instruiras  toi-même.  Si  tu  te 
» trouves  avec  des  dévots,  des  ascètes,  assieds-toi  devant  eux  sur  le 
» tapis  de  la  contemplation  et  de  l’adoration  ; parle-leur  de  façon  à, 
» édulcorer  ce  qu’ils  trouvent  d’amer  dans  la  vie;  fais-les  goûter  aux 
» connaissances  dont  ils  ignorent  la  saveur. 


(1)  Ces  paroles  de  Chadeli  sont  extraites  du  Lataif-cl-Mounan-oua - 
el-Akhlak , d’Abd-el- Ouhab-el-Charani  (V.  plus  loin);  elles  nous  ont 
été  communiquées  par  Cheïkh-Missoum,  khalifa  de  l’ordre  en  Algé- 
rie. La  traduction  est  de  M.  Arnaud,  interprète  militaire. 


— 228  — 

» Si  tu  te  trouves  avec  des  gens  vrais  dans  leur  foi,  laisse  de  côté 
» ce  que  tu  sais,  et  tâche  d’apprendre  ce  que  tu  ne  sais  pas. 

» Ne  discute  pas  Dieu  et  tu  seras  unitaire  ; agis  d’après  la  loi  et  tu 
» seras  sonnite;  si  tu  ne  discutes  pas  Dieu  et  que  tu  agisses  selon  la 
» loi,  tu  seras  dans  la  vérité. 

» Mange  la  nourriture  des  Musulmans,  fussent-ils  pervers;  ne  mange 
» pas  la  nourriture  des  polythéistes  fussent-ils  cénobites. 

» Vois  la  pierre  noire  (de  La  Mecque),  elle  n’est  devenue  noire  que 
» par  le  toucher  des  polythéistes  et  non  par  celui  des  Musulmans. 
» Évite  les  bienfaits  des  hommes  avec  plus  de  soin  que  leurs  mau- 
» vais  traitements,  car  les  bienfaits  atteindront  ton  cœur,  tandis  que 
» les  mauvais  traitements  ne  feront  souffrir  que  ton  corps.  Or,  il  vaut 
» mieux  souffrir  dans  son  corps  que  dans  son  cœur.  Nul  n’atteint  un 
» degré  supérieur  de  la  science,  sans  avoir  eu  quatre  épreuves  à 
» subir  : les  injures  des  ennemis,  le  blâme  des  amis,  les  attaques  des 
» ignorants,  et  la  jalousie  des  savants. 

» Il  faut  cinq  grâces  pour  être  kotb  (pôle).  Que  celui  qui  prétend 
» les  posséder,  toutes  ou  en  partie,  montre  donc  : 1°  qu’il  a le  secours 
» de  l’émanation,  de  la  miséricorde,  qu’il  a le  vicariat  et  la  déléga- 
» tion  divine  ; qu’il  a le  secours  des  porteurs  du  trône  de  Dieu  ; 
» 2°  qu’il  a reconnu  le  véritable  caractère  de  l’essence  de  Dieu,  ainsi 
» que  les  attributs  qui  renferment  Dieu  tant  extérieurement  qu’inté- 
» rieurement;  3°  qu’il  possède  la  grâce  du  jugement  ; qu’il  est  à même 
» d’indiquer  la  séparation  entre  les  deux  substances,  dont  la  nature 
» est  d’être  saisie  par  les  sens  intérieurs  ; 4°  qu’il  est  à même  de  faire 
» comprendre  la  disjonction  de  la  première  chose  d’avec  son  origine 
» et  la  continuelle  dépendance  de  cette  première  chose  avec  son  ori- 
» gine  jusqu’à  sa  fin  ; 5°  qu’il  possède  la  certitude  de  cette  première 
» origine,  le  jugement  antérieur,  le  jugement  postérieur,  le  jugement 
» de  ce  qui  n’a  ni  priorité  ni  antériorité  ; la  science  du  commence- 
» ment,  science  qui  embrasse  toute  science,  ainsi  que  le  tout  connu, 
» dont  la  création  est  sortie  du  premier  inconnu  et  en  dépendra  jus- 
» qu’à  la  fin  de  la  matière,  pour  revenir  ensuite  à sa  cause  première.  » 

Dans  un  manuscrit  inédit,  intitulé  : les  Hautes  glorifi- 
cations des  qualités  des  Chadelga  ^ 

SJ^LUI),  écrit  par  Ahmed-ben-Mohammed-Abbad-ech- 
Chafei,  nous  relevons  encore  les  paroles  et  sentences 
suivantes,  attribuées  à Si  Ghadeli  (1)  : 


(1)  Traduction  de  M.  Arnaud, 


229  — 


« N’allez  pas  de  compagnie  avec  qui  se  préfère  à vous-même,  car 
» celui-là  est  un  homme  vicieux  ; ne  prenez  pas  non  plus  pour  com- 
» pagnon  celui  qui  vous  préfère  à lui-même,  car  c’est  là  un  sentiment 
» qui  ne  durera  pas.  Mais  prenez  pour  compagnon  celui  qui,  s’il  parle, 
» prie  Dieu. 

» Méfiez-vous  de  la  compagnie  de  trois  espèces  d’hommes  : des  faux 
» lecteurs  du  Coran,  des  Soufi  ignorants,  des  puissants  sans  foi. 

» Il  y a trois  classes  de  frères  : 1°  les  frères  en  religion,  avec  les- 
» quels  il  n’y  a de  contestation  possible  qu’en  affaires  de  règlement 
» de  compte;  2°  les  frères  de  votre  société  (de  votre  monde),  avec 
» lesquels  il  n’y  a à craindre  que  les  dissentiments  de  caractère  ; 
b 3°  les  frères  qui  vous  imposent  les  relations  mondaines,  et  dont  il 
» faut  songer  à éviter  le  mal. 

» Ne  permettez  à votre  langue  de  parler  que  pour  prier  Dieu  et 
» pour  accomplir  certains  devoirs  sociaux,  tels  que  les  conversa- 
b tions  en  famille  dans  certaines  circonstances,  et  les  discours  pour 
» rendre  service  à quelque  frère.  » 


Parmi  les  paroles  textuelles  de  Si  Chadeli,  il  faut  en- 
core citer  la  leçon,  ou  « oraison  de  la  mer  » (jse?5! 
prière  qui  fait  partie  du  rituel  de  tous  les  ordres  Chade- 
lya,  et  que  récitent  également,  surtout  en  voyage,  les 
Musulmans  non  congréganistes. 

Voici  cette  prière  (1)  : 

« O Dieu,  ô être  sublime,  ô être  magnifique,  doux  et  savant,  c’est 
b toi  qui  es  mon  Seigneur!  Il  me  suffît  de  te  connaître.  Quel  excellent 
» maître  est  le  mien  ! Tu  secours  qui  tu  veux,  tu  es  l’être  illustre  et 
» clément.  Nous  implorons  ta  protection  dans  nos  voyages,  dans  nos 
» demeures,  dans  nos  paroles,  dans  nos  désirs  et  nos  dangers  ; contre 
b les  doutes,  les  opinions  fausses  et  les  erreurs  qui  empêcheraient 
» nos  cœurs  de  connaître  tes  mystères.  Les  Musulmans  ont  été  éprou- 
» vés  par  l’affliction  et  violemment  ébranlés.  Lorsque  les  hypocrites 
» et  ceux  dont  le  cœur  est  malade  diront  : Dieu  et  son  Envoyé  ne 
» nous  ont  fait  que  de  fausses  promesses;  affermis-nous,  secours- 
» nous  et  calme,  devant  nous,  les  flots  de-  cette  mer,  comme  tu  l’as 
o fait  pour  Moïse  ; comme  tu  as  assujetti  les  flammes  à Abraham  ; 
» comme  tu  as  soumis  les  montagnes  et  le  fer  à David  ; les  vents,  les 
» démons  et  les  génies  à Salomon.  Calme  devant  nous  chaque  mer 


(1)  Extrait  d’Ibn-Batouta,  tome  Ier,  page  41,  traduction  de  MM.  De- 
frémery  et  Sanguinetti. 


— 230  — 


» qui  t’appartient  sur  la  terre  et  dans  le  ciel,  dans  le  monde  sensible 
» et  dans  le  monde  invisible,  et  la  mer  de  cette  vie  et  celle  de  l’autre 
» vie.  Assujettis-nous  toutes  choses,  ô toi  qui  possèdes  toutes  chôses 
» C.  H.  Y.  ’A.  S.  (1). 

» Secours-nous,  ô toi  qui  es  le  meilleur  des  défenseurs,  et  donne- 
» nous  la  victoire,  ô toi  le  meilleur  des  conquérants  ; pardonne-nous, 
» ô toi  le  meilleur  de  ceux  qui  pardonnent  ; fais-nous  miséricorde, 
» ô toi  le  meilleur  des  êtres  miséricordieux;  accorde-nous  notre  pain 
» quotidien,  ô le  meilleur  de  ceux  qui  distribuent  le  pain  quotidien  ! 
» Dirige-nous  et  délivre-nous  des  hommes  injustes.  Accorde-nous  les 
» vents  favorables,  ainsi  que  le  peut  ta  science  ; tire-les  pour  nous 
» des  trésors  de  ta  clémence,  et  soutiens-nous  généreusement  par  leur 
» moyen,  en  nous  conservant  sains  et  saufs  dans  notre  foi,  dans  ce 
» monde  et  dans  l’autre  ; car  tu  peux  toutes  choses.  O mon  Dieu  ! 
» Fais  réussir  nos  affaires,  en  nous  accordant  le  repos  et  la  santé, 
» pour  nos  cœurs  comme  pour  nos  personnes,  en  ce  qui  touche  nos 
» intérêts  religieux  et  nos  intérêts  mondains.  Sois  notre  compagnon 
» de  voyage,  et  remplace-nous  au  sein  de  notre  famille.  Détruis  les 
» visages  de  nos  ennemis  et  fais  empirer  leur  condition  ; qu’ils  ne 
» puissent  nous  échapper  ni  marcher  contre  nous z> 

La  prière  chadelienne  s’arrête  là  : c’est  à peu  près  la 
moitié  de  l’oraison  qui  continue  par  une  série  de  versets 
du  Coran  juxtaposés,  les  uns  à la  suite  des  autres,  sans 
qu’on  s’explique  bien  l’idée  qui  a présidé  à cet  assem- 
blage. 

La  réputation  de  Si  Chadeli  est  restée  considérable 
chez  tous  les  Musulmans,  et  il  est  aussi  célèbre  comme 
moraliste,  jurisconsulte,  théologien  qu’il  est  vénéré  com- 
me personnage  religieux  et  chef  mystique  : 

« Ce  saint,  ce  grand  savant,  cet  imam,  cette  lune  dans  son  plein, 
» résumait  toute  la  science  de  la  tradition  : extrêmement  bien  doué 
» sous  le  rapport  de  l’intuition,  son  esprit  non  seulement  avait  sondé 
» le  monde  des  âmes  et  celui  des  corps,  les  mystères  de  la  loi  revé- 
» lée  et  de  la  vérité,  mais  il  en  a encore  montré  les  merveilles;  il  en  a 
» rendu  les  abords  faciles,  il  en  a divulgué  les  secrets.  Aussi  les 
» cheikhs  de  son  ordre  sont-ils  des  puits  de  science,  et  le  simple 
» fakir  chadeli  est  un  cheikh  pour  la  science  à côté  des  cheikhs  des 


(1)  Ces  lettres  ou  monogrammes  commencent  le  chapitre  XIX  du 
Coran,  qui  traite  delà  miséricorde  de  Dieu  envers  Zacharie,  etc. 


— 231 


» autres  confréries.  Si  Abou-Hassen-ech-Chadeli  était  le  pôle  de  son 
» époque,  le  pôle  par  excellence,  celui  vers  qui  on  se  réfugiait;  il  était 
» le  phare  qui  éclairait  le  monde,  le  porte-étendard  que  voyaient 
» tous  les  yeux,  l’argument  du  soufi,  la  science  des  cœurs  dociles,  la 
o parure  des  savants il  réunissait  toutes  les  perfections  (1).  » 


Aussi,  ceux-là  même  d’entre  les  Musulmans  qui  n’a- 
vaient aucun  goût  pour  la  vie  dévote  et  les  exercices 
spirituels  des  fakirs,  recherchèrent-ils  partout,  avec 
avidité,  les  enseignements  transmis  à ses  disciples,  par 
ce  saint  doublé  .d’un  philosophe  et  d’un  savant. 

Le  nom  de  Ghadeli  devint  bientôt  très  populaire  chez 
tous  les  lettrés  du  Maghreb,  et,  en  peu  de  temps,  ses 
doctrines  mystiques  prirent  une  extension  considérable 
dans  tout  le  nord  de  l’Afrique.  Ses  nombreux  adeptes, 
disséminés  de  l’Arabie  à l’Espagne,  formèrent  des  grou- 
pes distincts  qui,  tout  en  s’inspirant  des  préceptes  du 
maître,  devinrent  autant  de  congrégations  isolées,  ayant 
chacune  des  règles  spéciales  et  aussi  des  aspirations 
déterminées,  d’après  les  circonstances  qui  avaient  en- 
touré leur  fondation. 

Cependant,  tous  ces  ordres,  plus  ou  moins  autonomes, 
se  détachent  d’un  groupe  principal  dont  les  adeptes  ont 
conservé,  en  Algérie,  le  nom  de  Chadelya,  tandis  qu’ils 
ont  pris,  au  Maroc,  celui  de  Derqaoua,  et,  plus  tard,  en 
Tripolitaine,  celui  de  Madanya- 

Ces  trois  branches,  dont  les  centres  de  direction  sont 
différents,  ont  sensiblement  les  mêmes  règles  et  ap- 
puient leurs  doctrines  sur  une  seule  et  même  chaîne 
mystique  qui  est  la  suivante  : 

13,  Abou-Median  ; 

14,  Abd-es-Sellem-ben-el-Mechich  ; 

15,  Abou-Hassen-ech-Chadeli  ; 

16,  Abou-el-Abbas-Ahmed-ben-Amar-el-Ansari-el-Morci  (mort  en  686, 
1287-1288  de  J.-C.)  ; 

17,  Tadj-ed-Din-Abou-el-Fadhel-Ahmed-ben-Mohammed-ben-Abd-el- 


(1)  Extrait  de  Charani  communiqué  par  Chikh-el-Missoum. 


— 232  — 

Kcrim-ben-Atha-Allah-cl-Iskenderi-el-Maleki,  mort  au  Caire  l’an  709 
(1309-1310  de  J.-C.)  ; 

18,  Abou-Abbas-el-Hassen-el-Karafi  ; 

19,  Cheikh-Mohammed-ben-Yacoub-el-Hadrami  ; 

19  bis,  Cheikh-Ahmed-ben-Okba-el-Hadrami  ; 

20,  Sid  Abou-Abbas-Ahmed-Zerouk-el-Bernoussi,  mort  en  899-900 
(1494  de  J.-C.); 

20  bis,  Sid  Ahmed-ben-Youcef-el-Miliani-er-Rachedi  ; 

20  ter,  Abou-el-Anouar-Ibrahim-ben-Ali-el-Zerhouni  ; 

21,  Ibrahïm-ben-Ajeham  (ou  El-Djemi-ou-Amdjam)  ; 

21  bis,  Sid  Ali-es-Soussi  ; 

21  ter,  Sid  El-R’azi-ben-Belgacem  ; 

22,  Youcef-es-Sanhadji-ed-Daouar  ; 

22  bis,  Aboul-H-Akem-Ali-ben-Ahmed-es-Sanhadji-ecl-Daouar  ; 

23,  Abouzid-Abd-er-Rahman-el-Facy-el-Oukil-el-Medjdoub  ; 

23  bis,  Djemal-ed-Din-Abou-Mehassen-Youcef-ben-Mohammed-el- 
Facy  vivait  en  986  (1578-1579  de  J.-C.); 

24,  Mohammed-ben-Abdallah  ; 

25,  Kacem-el-Khessass  ; 

25  bis,  Sid  Ahmed-el-Yamani  ; 

26,  Ahmed-ben-Abdallah  ; 

27,  El-Arbi-ben-Abdallah  ; 

28,  Abou-Hassan-Moulay-Ali-ben-Abd-er-Rahman-el-Djemal-el-Facy  ; 

29,  Mouley-el-Arbi-ben-Ahmed-ed-Derqaoui. 


Quelques  Tolba-Derqaoua  intercalent  dans  cette  chaîne  : 

Ibrahïm-el-Matbouli, 

Ali-el-Khaouas, 

Abd-el-Ouahab-ben -Ahmed-ben- Ali-ech-Charani,  dit 
aussi  en  Égypte  El-Charaouï,  né  en  899  (1493-1494  de  J.-C.), 
mort  en  973  (1565-1566  de  J.-C.). 

Ces  trois  personnages  sont  bien,  en  effet,  des  Chade- 
lya,  mais  le  plus  grand  nombre  des  docteurs  estime 
qu’ils  n’appartiennent  pas  à la  chaîne  mystique  aboutis- 
sant à Mouley-el-Arbi-ben-Ahmed-ed-Derqaoui. 

Abou-Hassan-Mouley-Ali-ben-Abd-er-Rahman-el-Dje- 
mal-el-Facy,  l’avant-dernier  cheikh  de  cette  chaîne,  passe, 
aux  yeux  de  beaucoup  de  Musulmans,  pour  avoir  été  le 
véritable  fondateur  de  l’ordre  religieux  des  Derqaoua; 
en  réalité,  il  n’a  fait  que  donner,  dans  l’ouest  du  Magh- 


— 233  — 


reb,  une  nouvelle  extension  à l’ordre  des  Chadelya,  que 
les  populations  délaissaient  pour  se  rapprocher  de  celui 
des  Taïbya,  déjà  inféodé  à la  dynastie  régnante. 

Mouley-Ali-el-Djemal  fut  un  pieux  Musulman  et  un 
savant  théologien,  qui  acquit  une  grande  réputation  de 
sainteté,  par  de  nombreux  actes  de  bienfaisance  et  un 
profond  mépris  pour  tous  les  biens  de  ce  monde. 

Lorsque,  peu  de  temps  avant  sa  mort,  il  transmit  ses 
pouvoirs  spirituels  à son  élève  et  coadjuteur,  Mouley-el- 
Arbi-ben-Ahmed-ed-Derqaoui,  la  tradition  rapporte  qu’il 
lui  fit,  en  ces  termes,  ses  dernières  recommandations  : 

« Les  devoirs  de  mes  frères  consisteront  à triompher  de  leurs  pas- 
» sions.  Pour  accomplir  ces  devoirs,  ils  chercheront  à imiter  : 

» Notre  Seigneur  Moussa  (Moïse),  en  marchant  toujours  avec  un 
» bâton  ; 

» Notre  Seigneur  Abou-Beker  et  notre  Seigneur  Omar-ben-el-Khet- 
» tab,  en  se  vêtant  d’étoffes  rapiécées  (el-mroqa  ; 

» Djafar-ben-Abou-Thaleb,  en  célébrant  les  louanges  de  Dieu  par 
» des  danses  (Reqs 

» Bou-Hariro  (secrétaire  du  Prophète),  en  portant  au  cou  un  cha- 
» pelet  (sebha  ; 

» Notre  Seigneur  Aïssa  (Jésus-Christ),  en  vivant  dans  l’isolement 
» et  le  désert  (es-sahara  \ys^=>). 

» Ils  marcheront  pieds  nus,  endureront  la  faim,  ne  fréquenteront 
» que  les  hommes  pieux  fes-salhin 

» Us  éviteront  la  société  des  hommes  exerçant  un  pouvoir.  Ils  se 
» garderont  du  mensonge.  Ils  dormiront  peu,  passeront  les  nuits  en 
» prières,  feront  des  aumônes  ; ils  informeront  leur  cheikh  de  leurs 
» plus  sérieuses  comme  de  leurs  plus  futiles  pensées,  de  leurs  actes 
» importants  comme  de  leurs  faits  les  plus  insignifiants.  Ils  auront 
» pour  leur  cheikh  une  obéissance  passive  et,  tous  les  instants,  ils 
» seront  entre  ses  mains  comme  le  cadavre  aux  mains  du  laveur  des 
» morts.  » 


MouIey-el-Arbi-ben  - Ahmed  - ben  - el  - Hassen  - Derqaoui 
naquit  chez  les  Beni-Zeroual,  du  Sif  marocain,  dans  la 
seconde  moitié  du  XVIIIe  siècle  (1).  Il  devait  son  surnom 


(l)  Soit  de  1163  à 1214  de  l’Hégire. 


234  — 


de  Derqaoui  à un  cherif  de  ses  ancêtres,  nommé  Youcef- 
Abou-Derqa  (1).  C’était  un  lettré,  qui,  étant  maître  d’école 
à Fez,  dans  le  quartier  des  Fontaines,  avait  suivi  les 
leçons  de  Mouley-Ali-el-Djemal  et  était  devenu  son  dis- 
ciple de  prédilection,  puis  son  khalifa  et  son  ami. 

D’un  caractère  très  doux,  d’un  abord  facile,  bienveil- 
lant pour  tous  les  malheureux,  Mouley-el-Arbi  vécut 
toujours  sans  se  préoccuper  des  choses  temporelles. 
« Le  monde,  disait-il  à ses  adeptes.,  doit  être,  pour  un 
» homme  voué  à Dieu,  comme  les  étincelles  du  feu,  qui 
» brûlent,  qu’elles  soient  grosses  ou  petites;  que  per- 
» sonne  de  vous  ne  désire  donc  l’exercice  du  pouvoir  ni 
» les  biens  de  la  terre,  car  celui  qui  aura  des  ambitions 
» terrestres  périra  et  sera  déshonoré.  » 

Mouley-el-Arbi  conforma  toujours  ses  actes  à ses  prin- 
cipes. 

Lorsque,  l’an  1220  de  l’Hégire  (1805-1806  de  J.-C.),  son 
khalifa  Abd-el-Qader-&e/7-ec4-CAenT-es-Salih  (2),  enivré 
du  succès  de  son  prosélytisme  religieux,  réunit  à ses 
Khouan  tous  les  mécontents  arabes  et  berbères  pour 
marcher  contre  les  Turcs,  Mouley-el-Arbi  essaya,  par 
ses  lettres  et  par  ses  émissaires,  de  le  ramener  à une 
ligne  de  conduite  plus  conforme  aux  règles  de  l’ordre. 
N’ayant  pas  réussi,  il  se  rendit  de  sa  personne  auprès 
de  lui,  alors  que  ce  dernier  faisait  le  siège  d’Oran. 

« Il  le  trouva  environné  du  faste  des  grands  de  la  terre, 
» et  constata  qu’il  n’avait  plus  pour  lui  le  même  respect 
» qu’autrefois.  Le  cheikh  prit  alors  une  poignée  de  pous- 


(1)  Abou-Derqa,  l’homme  au  bouclier. 

(2)  Voir  la  Reçue  africaine  de  1873,  page  37,  un  article  de  M.  Del- 
pech donnant  le  récit  de  ce  soulèvement,  d’après  un  Arabe  employé 
du  Bey  et,  par  suite,  ennemi  de  Derqaoua.  On  pourra  remarquer  que 
le  rôle  joué  par  El-Arbi  reste  néanmoins  conforme  à la  version 
que  nous  donnons  ici,  d’après  les  renseignements  recueillis  auprès 
de  Cheikh-el-Missoum  et  d’autres  moqaddems  Chadelyaet  Derqaoua, 


— 235  — 

» sière  et  la  jeta  au  vent  en  s’écriant  : « Ainsi  sera  l’ave- 
» nir  de  Ben-Cherif  ! » et  il  rentra  au  Maroc.  Les  événe- 
» ments  qui  suivirent  donnèrent  raison  à la  prophétie 
» du  grand  maître.  » 

Lorsque  plus  tard,  en  1821  (1236-1237  de  J.-C.),  de  gra- 
ves insurrections  compromirent  au  Maroc  l’autorité  de 
l’empereur  Mouley-Sliman  (1),  et  alors  que  les  rebelles 
avaient  reconnu  comme  sultan  Mouley-Ibrahim  : à Tan- 
ger, El-Kessar,  Tétouan  et  El-Arach,  Mouley-el-Arbi  re- 
fusa de  se  mêler  à ces  désordres,  empêcha  ses  Khouan 
d’y  prendre  part,  mais  leur  interdit  aussi  de  prêter  leur 
appui  aux  partisans  de  l’empereur.  Mouley-Sliman, 
prince  très  pieux  et  qui,  dans  sa  jeunesse,  s’était  fait 
affilier  à l’ordre  des  Chadelya,  fut  très  irrité  de  l’attitude 
inerte  de  son  ancien  cheikh.  Il  le  fit  jeter  en  prison  et  l’y 
maintint  une  année  entière.  Puis,  une  fois  les  troubles 
apaisés,  l’empereur  se  montra  clément  et  rendit  la  liberté 
à Mouley-el-Arbi.  Mais  celui-ci  refusa  de  partir  en  disant  : 
« Je  ne  quitterai  ma  prison  que  lorsque  Sliman  quittera 
» le  trône.  » 

Peu  de  temps  après,  en  1822  (1237-1238  de  J.-C.),  l’em- 
pereur mourait  et  Mouley-Ali  rentrait  aux  Beni-Zeroual. 
Nous  ignorons  l’époque  précise  de  sa  mort,  nous  savons 
seulement  qu’elle  suivit  d’assez  près  celle  de  Si  Sliman. 
Son  tombeau  est  près  de  Fez,  au  lieu  dit  Zaouiat-bou- 
Berih,  où  est  la  zaouiat  El-Harak-M’ta-Mouley-el-Arbi 
qu’il  avait  fondée.  C’est  un  vaste  et  riche  établissement 
où  la  plupart  de  ses  successeurs  sont  enterrés. 

Mouley-el-Arbi  avait,  dans  sa  longue  carrière,  fait  de 
nombreux  disciples  ; plusieurs  d’entre  eux  sont  devenus 
chefs  de  branches  distinctes,  dont  les  adeptes  ont  con- 
servé, pour  la  plupart,  le  nom  de  Chadelya  ou  Derqaoua. 

Le  tableau  ci-après  donne  le  nom  des  cheikhs  qui  ont, 


(1)  Mouley-Sliman  régna  de  février  1793  au  28  novembre  1822 
(soit  de  Djoumad-et-Tsani-Redjeb  1207  au  13  Rebia-el-Ouel  1238  H). 


— 236 


jusqu’à  ce  jour,  continué  la  chaîne  mystique  des  Cha- 
delya  : 


29,  Mouley-el-Arbi-ben-Ahmed-ed-Derqaoui  : 

A.  Branche  marocaine  (Derqaoua-Chadelya,  du  Rif;  chef-lieu  à Bou- 
Berch,  près  de  Fez)  ; annexes  à Tétouan,  Tanger,  R’omara  et  peut- 
être  Maghd’ara  ; 

30,  Si  Mohammed-el-Bouzidi; 

30  bis,  Sid  El-Hadj-Abd-el-Moumen-el-R’omari  ; 

31,  Si  Mohammed-el-Arag  ; 

31  bis,  Si  Mohammed -ben -Ibrahim,  mort  en  1840  (1255-1256  de 
l’Hégire)  ; 

31  ter,  Sid  Mohammed-ben-Abd-es-Sellem-el-R’omari  ; 

32,  Sid  El-Hadj-Mohammed-ould-es-Soufi-es-Soussi  ; 

32  bis,  Si  El-Habib-ben-Amian  ; 

32  ter,  Si  Mohammed-el-Miliani  ; 

33,  Sid  Abdallah-ben-Chouirek,  mort  en  1881  (1298-1299  Hégire). 

AA.  Branche  du  Tafilalet  marocain  (Derqaoua-Cheurfa,  de  Mar- 
dara)  : 

30,  Si  Ahmed-el-Bedoui,  inhumé  à Fez  ; 

31,  Cherif-  Mohammed-el  - Hachemi-ben-el  - Arbi-Cherif-el-Mar’dara, 
âgé  de  80  ans  en  1882  (1299-1300  Hégire); 

1E  Branche  algérienne  (Derqaoua-Chadelya: 

30,  Mouley-  el  - Arbi-ben  -Attia-  es  - Sid- Abdallah- Abou-Thouil-el- 
Ouanoherici  ; 

31,  Sid  Adda-ben-Relam-Allah  ; 

32,  Sid  Mohammed -el-Missoum- ben -Mohammed,  ordinairement 
appelé  Cheikh-el-Missoum,  et  chef  de  la  branche  algérienne,  mort  le 
3 février  1883  (25  Rebia-el-Oual  1300)  ; 

G.  Branche  tripolitaine  (devenue  V ordre  des  Madanya  modernes)  : 

30,  Si  Mohammed-ZafTar-ben-Hamza-el-Madani  ; 

31,  Si  Hamza-ben-Ahmed-el-Madani. 

De  cette  dernière  branche  est  issue  celle  des  Derqaoua,  dissidents 
de  Sidi-Moussa,  qui  n’a  eu  qu’une  existence  éphémère  en  Algérie. 


Chacune  de  ces  branches  se  dit  autonome  et  indépen- 
dante des  autres;  mais,  sauf  peut-être  en  ce  qui  concerne 
les  Madanya,  cette  séparation  n’est  pas  bien  prouvée, 
et  il  y aurait,  quelque  part  (au  Caire  ?)  un  grand-maître 
général,  ayant  autorité  sur  tous  les  chefs  des  branches 


— 237  — 


précitéôs,  que  nous  n’en  serions  nullement  étonnés, 
malgré  les  affirmations  contraires  qui  nous  ont  été 
faites.  L’histoire,  en  effet,  ne  saurait  séparer  ces  diffé- 
rents groupes  qui  ont  conservé  les  mêmes  dénomina- 
tions primordiales,  les  mêmes  doctrines  et  la  même  ligne 
de  conduite  que  les  Chadelya  au  temps  de  Mouley-el- 
Arbi-ed-Derqaoui. 

Nous  continuons  donc  notre  monographie  de  cet  ordre, 
sans  nous  préoccuper  plus  particulièrement  de  l’une 
quelconque  de  ces  branches,  et  nous  ferons  ressortir, 
plus  loin,  les  raisons  qui  nous  font  présenter  les  Mada- 
nya,  non  comme  une  simple  branche,  mais  bien  comme 
un  ordre  nouveau. 

Le  personnage  qui  mérite  le  premier  une  mention  spé- 
ciale, après  Mouley-el-Arbi-el-Derqaoui,  est  Si  Moham- 
med-ben-Brahïm,  parce  qu’il  fut  l’un  de  ceux  qui,  dans 
des  circonstances  graves,  affirma  les  principes  des  Cha- 
delya en  refusant  de  jouer  un  rôle  politique. 

Lorsque  le  pouvoir  turc,  en  s’écroulant  avec  la  prise 
d’Alger,  laissa  le  champ  libre  aux  vieilles  haines  des  tri- 
bus, l’anarchie  fut  partout.  Un  nombre  considérable  de 
notables  étrangers  des  Hachem,  Flitta,  Harrar  et  autres 
tribus,  vinrent  un  jour  trouver  Si  Mohammed-ben-Bra- 
hïm,  en  son  gourbi  de  l’Oued-el-Abd  (Sidi-bel-Abbès),  et 
le  supplièrent  d’intervenir,  de  sa  personne,  au  milieu  des 
Musulmans,  pour  rétablir  l’ordre  et  ramener  la  paix  dans 
le  pays.  On  lui  proposait  d’être  le  grand  juge  et  l’arbitre 
de  toutes  les  rivalités  en  présence. 

Cette  besogne,  toute  politique,  répugnait  fort  au  soli- 
taire, qui  fît  ce  qu’il  put  pour  se  soustraire  à cet  honneur. 
Forcé  cependant  d’intervenir,  il  alla  s’établir  dans  la 
plaine  d’Eghris,  et,  sept  jours  durant,  il  s’efforça  de  faire 
comprendre  à la  foule,  assemblée  autour  de  lui,  que  le 
gouvernement  de  Dieu  était  le  seul,  l’unique,  que  l’homme 
dût  établir  sur  terre,  et  que  chacun  devait  vivre  en  paix 
avec  ses  voisins,  sous  la  direction  des  gens  de  biens 


238  — 


versés  dans  le  Coran.  Les  prédications  ne  faisaient  pas 
grand  effet  sur  les  masses,  et  étaient  loin  de  répondre  à 
ce  qu’auraient  voulu  les  notables,  qui  comptaient  sur 
l’aide  du  saint  homme  pour  constituer,  à leur  profit,  le 
gouvernement  réel  des  tribus  rassemblées. 

Invité  à se  départir,  dans  l’intérêt  général,  de  la  rigi- 
dité de  ses  principes,  et  à prêter  son  ministère  à des 
combinaisons  politiques,  Si  Mohammed-ben-Brahim, 
pendant  la  septième  nuit  de  son  séjour  à Eghris,  s’é- 
chappa furtivement  de  sa  tente,  laissant,  sur  son  tapis, 
une  lettre  expliquant  sa  conduite  et  les  raisons  qui  le 
forçaient,  lui  homme  de  Dieu,  à ne  pas  s’occuper  ainsi 
des  choses  temporelles. 

On  dit  que,  plus  tard,  l’émir  Abd-el-Qader,  jaloux  de 
l’ascendant  moral  de  Mohammed-ben-Brahim,  partit  un 
jour  de  Mascara  pour  l’enlever,  mais  que,  par  suite  de 
la  protection  divine,  il  s’égara  la  nuit  et  ne  put  le 
joindre.  La  vérité  est  que  le  Derqaoui  refusa  toujours 
son  concours  à l’œuvre  politique  de  l’émir,  et  fut  au 
nombre  de  ceux  qui,  par  inertie,  entravèrent  tous  ses 
projets. 

Ce  fut  Mohammed-ben-Brahim  qui  nomma  moqaddem 
des  Derqaoua  Si  Abd-er-Bahman-Touti,  qui  eut  un  ins- 
tant de  triste  célébrité  à l’occasion  de  l’affaire  de  Sidi- 
bel-Abbès  en  1845  (1260-61-62  Hégire). 

Si  Abd-er-RahmanTouti  était  un  fanatique  et  un  ambi- 
tieux. Il  n’avait  recherché  ces  fonctions  de  moqaddem 
que  parce  qu’il  comptait  que  l’organisation  puissante 
d’une  association  religieuse,  en  pleine  prospérité,  lui 
permettrait  de  se  recruter  des  partisans  qui  l’aideraient 
à jouer  un  rôle  politique  et  à combattre  les  chrétiens. 

Dès  que  ses  projets  se  dessinèrent,  Mohammed-ben- 
Brahim  essaya  de  le  ramener  aux  vrais  principes  des 
Derqaoua  ; ne  pouvant  y réussir,  il  le  révoqua  et  nomma 
moqaddem,  à sa  place,  El-Hadj-Mohammed-ould-Soufi- 
es-Soussi. 

Sur  ces  entrefaites  Si  Mohammed-ben-Brahim  mourut 


— 239  — 


(en  1840  (1)  1255-1256  Hégire)  empoisonné,  dit-on,  par 
des  parents  de  l’émir.  Si  El-Hadj-Mohammed-ould-Soufi- 
es-Soussi,  privé  de  l’appui  de  son  maître,  se  retira  au 
Maroc  avec  un  autre  moqaddem  des  Douair,  SiEl-Habib- 
ben-Amian.  Si  Abd-er-Rahman-Touti  resta  alors  maître 
de  la  situation.  Par  de  fréquents  voyages  auprès  de  Si 
El-Hadj-Mohammed-ben-Abd-el-Moumen  au  Rif,  et  auprès 
de  Mouley-el-Arbi-ben-Attia,  de  l’Ouarensenis,  il  fit  croire 
à ses  partisans  qu’il  avait  l’appui  des  chefs  de  l’ordre. 

On  sait  ce  qui  arriva  le  21  moharem  1261  Hégire  (30 
janvier  1845)  à Sidi-Bel-Abbès.  Ce  jour-là,  le  comman- 
dant supérieur,  chef  de  bataillon  Vinoy,  avait  été  éloigné 
à dessein  du  bordj,  par  les  renseignements,  sciemment 
erronnés,  de  l’Agha  Abd-el-Qader-ould-Zin,  vendu  aux 
Derqaoua. 

A dix  heures  du  matin,  Si  Abd-er-Rahman-Touti,  à la 
tète  d’une  bande  composée  de  66  individus,  couverts  de 
haillons  et,  la  plupart,  armés  de  bâtons  « qui  devaient  à 
sa  voix  se  changer  en  fusils,  » se  présenta  à la  porte  du 
bordj,  demandant  à parler  au  commandant.  Le  faction- 
naire refusa  énergiquement  l’entrée  et  croisa  la  baïon- 
nette; mais  il  fut  renversé  et  tué,  pendant  que  le  chef 
des  rebelles,  poussant  son  cri  de  guerre,  se  précipitait 
dans  le  fort. 

Heureusement  la  garnison  était  sur  ses  gardes  : le 
commandant  de  la  redoute  avait,  en  effet,  été  prévenu, 
le  matin,  d’avoir  à se  méfier  et,  en  moins  d’une  heure, 
50  des  rebelles  étaient  tués. 

L’Arabe,  qui  avait  ainsi  prévenu  l’autorité  française, 
était  précisément  un  Derqaoua  des  plus  austères,  mais 
un  disciple  de  Sid  El-Hadj-Mohammed-ould-Soufi,  c'est- 
à-dire  un  de  ceux  qui  avaient  toujours  refusé  de  se  mê- 
ler aux  agitateurs. 


(1)  11  ne  faut  pas  confondre  ce  Mohammed-ben-Brahim  avec  un 
cherif  du  même  nom,  agitateur  fanatique  qui  fut  arrêté  en  1851  (1267- 
1268  Hégire). 


Pendant  que  ces  faits  se  passaient  dans  l’Ouest,  un 
autre  Derqaoui  dissident  essayait  aussi,  dans  la  province 
d’Alger,  d’exploiter,  au  profit  de  son  ambition  person- 
nelle, l’exaltation  religieuse  développée  chez  les  Derqaoua 
par  le  mysticisme  austère  et  intransigeant  de  leurs  chefs 
spirituels. 

Il  se  nommait  El-Hadj-Moussa-ben-Ali-ben-Hoceïn  et 
devint,  plus  tard,  presque  célèbre  sous  le  nom  de  Abou- 
Hamar  (l’homme  à l’âne). 

C’était  un  égyptien  qui,  compromis  dans  une  révolte 
militaire,  s’était  réfugié  à Tripoli,  dans  la  zaouïa  du 
cheikh  Mohammed-Zaffar-ben-Hamza-el-Madani,  de  Mes- 
rata,  alors  grand  moqaddem  des  Derqaoua-Chadelya  et 
chef  des  Khouan  de  l’Est. 

Moussa  fut  affilié  à l’ordre  et  envoyé  en  mission  au 
Maroc,  vers  1243  (1827-1828  de  J.-C.).  Deux  ans  plus  tard, 
après  avoir  été  arrêté  à Mascara,  par  les  Turcs,  il  arri- 
vait à Laghouat  où  il  remplit  les  fonctions  de  moued- 
din  à la  mosquée  des  Ahlaf. 

L’entrée  des  Français  à Alger  fit  sur  lui  une  violente 
impression,  et  il  11e  songea  plus,  dès  lors,  qu’à  organi- 
ser la  résistance  contre  nous,  et  à prêcher  la  Guerre 
Sainte. 

A Laghouat,  l’influence  prédominante  des  Tejanya  et 
le  bon  sens  de  Ksouriens  firent  justice  de  ses  déclama- 
tions violentes  et  comme  on  ne  se  sentait  nullement 
menacé,  on  mit  i’énergumène  en  demeure  de  quitter  la 
ville. 

Il  se  rendit  alors  auprès  du  cheikh  Derqaoui  Mouley- 
el-Arbi-ben-Attia-el-Ouancherici,  espérant  trouver,  au- 
près de  ce  chef  spirituel,  l’appui  qu’il  désirait.  Mais  il  fut 
fort  mal  reçu.  Après  une  discussion  fort  vive,  Ben-Atia 
lui  rappela  ces  paroles  de  Mouley-Arbi-el-Derqaoui  : 
« Personne  ne  désirera  le  pouvoir  terrestre  qu’il  ne  pé- 
» risse.  » « Dieu,  ajouta  le  cheikh,  m’a  découvert  tous  les 
» troubles  qui  doivent  arriver  sur  terre,  depuis  mon  siè- 
» cle  jusqu’à  la  venue  de  Aïssa  (Jésus-Christ).  Je  n’ai  vu 


— 241 


» personne  de  notre  confrérie  devenir  puissant  en  ce 
» monde....  Or,  tu  as  tellement  à cœur  le  désir  de  te 
»>  faire  une  situation  politique,  que  tu  es  sorti  de  la  voie 
» des  Soufî,  et  que  tu  te  conduis  d’une  façon  contraire 
» aux  règles  de  notre  ordre.  » 

Au  lendemain  de  cet  entretien,  plusieurs  des  partisans 
de  Si  Moussa  l’abandonnèrent  pour  rentrer  dans  la  voie 
dirigée  par  Ben-Atia. 

Cela  ne  découragea  point  Si  Moussa,  qui  continua  à 
recruter  des  partisans  et  à se  poser  en  chef  d’ordre.  En 
1833  (1248-1249  Hégire)  il  s’alliait,  à Blida,  avec  El-Berkani, 
le  lieutenant  de  l’émir,  et  marchait,  en  1834  (1249-50  H.) 
sur  Médéa,  où  il  entrait  après  quelques  difficultés. 

Peu  de  temps  après,  il  eut  à Ouamri,  avec  l’Émir  Abd-el- 
Qader,  une  entrevue  à la  suite  de  laquelle,  humilié  dans 
son  orgueil,  il  se  déclara  l’ennemi  de  l’émir,  et  lui  offrit 
le  combat  (1835  — 1250-1251  Hégire). 

Si  Moussa  fut  complètement  battu,  ses  partisans  mas- 
sacrés, et  il  échappa  seul,  avec  une  dizaine  de  cavaliers. 
Il  se  réfugia  chez  les  Ouled-Nayl,  à Msaâd,  assurant 
qu’il  avait  su  d’avance  ce  qui  devait  arriver,  que  Dieu 
avait  envoyé  ces  peines  à ses  Fidèles  pour  les  éprouver, 
qu’ils  auraient  encore  une  autre  défaite  à subir  des  Chré- 
tiens, mais  qu’au  troisième  combat  ils  seraient  victo- 
rieux ; qu’alors  un  tiers  des  Français  périrait,  un  tiers 
se  sauverait  en  France  sur  les  vaisseaux,  et  que  le  troi- 
sième tiers  se  ferait  musulman. 

* 

Ce  fut  à Msaâd  qu’il  organisa  son  ordre,  qu’il  par- 
tagea les  tribus  entre  ses  deux  khalifa  : Si  Ben-el-Hadj 
pour  le  Sud,  Si  Kouider-ben-Si-Mohammed,  pour  le 
Nord,  et  qu’il  se  prépara  à une  nouvelle  levée  de  bou- 
cliers. 

L’arrestation  de  Si  Kouider  par  l’autorité  française 
désorganisa  le  complot;  Si  Moussa,  chassé  de  Msaâd 
par  la  colonne  Yusuf,  s’enfuit  d’abord  en  Kabylie,  chez 
les  Beni-Yala  ; puis,  en  1848,  à Metlili.  De  là,  il  passa  à 
Zaatcha  où  il  fut  tué. 


16 


— 242  — 


Il  existe  à l’heure  actuelle  deux  fils  de  Si  Moussa  : 
l’un,  Si  Bou-Beker,  est  à la  tête  de  la  Zaouïa  des  Mada- 
nya  de  Laghouat,  dite  aussi  Derqaoua  de  Sidi-Moussa  ; 
l’autre,  Mostafa,  habite  Tunis;  il  est  professeur  d’arabe 
dans  un  collège  fondé  par  S.  E.  le  cardinal  de  Lavigerie 
et  dirigé  par  les  Pères  Blancs  d’Afrique. 

Les  Madanya  forment,  aujourd’hui,  un  ordre  absolu- 
ment distinct  et  séparé  des  Chadelya-Derqaoua  de  Cheikh- 
el-Missoum  ou  du  Maroc.  Le  chef-lieu  de  cet  ordre  est  à 
Tripoli,  ou  plutôt  à Mesrata. 

Le  chef  des  Madanya  a,  en  effet,  rompu  complète- 
ment avec  les  traditions  d’abstention  en  matière  politi- 
que, pratiquées  par  les  Ghadelya  ; il  est  devenu,  en  appa- 
rence au  moins,  l’auxiliaire  et  le  serviteur  dévoué  du  sul- 
tan de  Stamboul,  qui  essaie  de  se  servir  de  ses  Khouan 
pour  combattre  l’influence  des  ordres  religieux  indé- 
pendants ou  hostiles,  comme  les  Snoussya,  Tidjanya, 
Ghadelya  purs,  Taïbya  ou  autres.  Mais  en  réalité,  les 
Madanya  jouent  un  double  rôle  et  sont,  à la  fois,  à la 
solde  du  sultan  de  Stamboul  et  à celle  de  Si  Snoussi. 
Tout  en  conservant  une  autonomie  qui  facilite  leurs  intri- 
gues, les  chefs  des  Madanya  font  surtout  les  affaires  des 
Snoussya.  Le  sultan  les  subit  et  leur  obéit  bien  plus 
qu’il  ne  les  dirige.  Il  y a du  reste  là  toute  une  question 
fort  délicate  qui  n’est  pas  encore  bien  élucidée  : ce  qui 
s'en  dégage,  toutefois,  c’est  que  les  Madanya,  qui  prê- 
chent « l’union  de  tous  les  Musulmans  pour  l’expulsion 
des  Chrétiens  de  l’Afrique  (et  de  l’Asie)  » , sont  en  fait  les 
alliés  et  les  auxiliaires  de  Stamboul  et  de  Cheikh  Snoussi. 

Mais,  si  on  excepte  ces  Madanya  ainsi  détachés  de 
la  voie  des  Ghadelya,  les  Turcs  ont  contre  les  autres 
associations  religieuses  Ghadelya  dont  ils  ne  peuvent 
réussir  à disposer,  une  animosité  extrêmement  vive  et 
fort  ancienne;  et  c’est  surtout  vis-à-vis  des  Derqaoua  (ou 
Chadelya  de  l’Ouest)  que  cette  animosité  est  poussée  à 
ses  dernières  limites. 

Pour  les  Ottomans,  pour  les  Hanéfites  et,  en  général, 


— 243  — 


pour  tous  les  Arabes  algériens  qui  ont  été  plus  ou  moins 
les  agents  du  Gouvernement  Turc,  le  terme  de  « Der- 
qaoui  » est  absolument  synonyme  de  « rebelle,  révolté  » 
et  ils  dépeignent  les  adeptes  de  cet  ordre  comme  des 
énergumènes  insociables,  grossiers  et  ennemis  achar- 
nés de  tous  les  agents  d’un  pouvoir  temporel  quelcon- 
que. 

Voici  comment  un  fonctionnaire  turc,  El-Mosselem- 
ben-Mohammed,  secrétaire-général  (bach-defter)  du  bey 
Hassan,  à Oran,  définissait  les  disciples  de  Mouley-el- 
Arbi  : « Les  Derqaoua  font  parade  du  mépris  qu’ils  res- 
» sentent  pour  toute  espèce  d’obéissance  ; ils  ne  se  réu- 
» nissent  jamais  que  secrètement  et  dans  les  lieux  les 
» plus  déserts  ; ils  vont  vêtus  de  haillons  et  parés  de 
» colliers  de  coquillages  ; ils  voyagent  avec  de  longs 
» bâtons  ou  à dos  d’ânes;  ils  font  montre  d’un  grand 
» ascétisme  et  ne  prononcent  le  nom  de  Dieu  que  dans 
» leurs  prières.  » 

C’est  ainsi,  en  effet,  que  nos  agents  indigènes  nous 
représentent  volontiers  les  Derqaoua  qui  sont  toujours, 
pour  eux,  des  administrés  peu  souples.  Dans  le  langage 
usuel,  le  mot  « derqaoui  » a même,  communément,  le 
sens  de  « déguenillé,  loqueteur  » en  même  temps  que 
celui  de  « rebelle  » (1). 

(1)  Dans  le  dictionnaire  pratique  du  savant  et  regretté  Beaussier, 
on  trouve  le  verbe  (derqa),  avec  le  sens  de:  insurger,  soulever, 

révolter  (tederqa),  s’insurger,  etc. 

D’autre  part,  des  lettrés  musulmans  présentent  le  mot  derqaoui, 
comme  formé  de  l’arabe  'ixbj  (reqâa),  pièce,  morceau,  et  du  préfixe 
berbère  S D,  formatif  des  adjectifs  qualificatifs  berbères.  — Cette 
formation  hybride,  provenant  d’un  mot  arabe  jeté  dans  le  moule 
berbère,  n’a  rien  d’extraordinaire,  étant  donné  que  Mouley-el-Arbi 
est  un  Berbère  ; mais  cette  étymologie  ne  saurait  être  admise,  un 
ordre  religieux  se  désignant  toujours  par  le  relatif  du  nom  de  son 
fondateur,  ou  d’un  de  ses  principaux  cheikhs,  et  non  par  un  accident 
de  costume. 


— 244  — 


Ces  appréciations  passionnées  sont  loin  d’être  confor- 
mes à la  réalité  des  faits;  et  nous  en  avons  déjà  fait  jus- 
tice, en  donnant  plus  haut  un  aperçu  de  ce  que  pensaient 
et  professaient  les  principaux  grands  maîtres,  disciples 
et  successeurs  de  Choaïb-Abou-Median. 

Il  est  bien  vrai  que  l’on  rencontre  des  Derqaoua  sales, 
déguenillés,  laissant  croître  démesurément  leurs  che- 
veux et  leur  barbe,  ayant  un  gros  chapelet  autour  du 
cou,  voyageant  un  bâton  à la  main,  sans  jamais  avoir 
de  domicile  fixe,  et  lançant  des  imprécations  contre  qui- 
conque prend,  vis-à-vis  d’eux,  des  allures  autoritaires. 
Mais  ce  genre  de  religieux  ambulants  et  mendiants  n’est 
pas  spécial  à l’ordre  des  Derqaoua  ; on  en  trouve  d’affi- 
liés à presque  toutes  les  congrégations  religieuses  : ce 
sont  ou  des  fous  ou  des  misérables,  affectant  ces  excès 
de  dévotion  et  d’ascétisme  extérieurs,  en  vue  d’exploiter 
la  charité  publique.  La  grande  majorité  des  Derqaoua  est 
loin  d’être  ainsi  : ce  sont  des  gens  comme  les  autres, 
n’affichant  pas  d’une  façon  ridicule  ou  inconvenante  leur 
caractère  de  derqaoua,  et  se  bornant  à mettre  plus  ou 


On  doit  donc  rejeter,  comme  n’étant  pas  en  situation,  cette  étymo- 
logie, de  même  que  les  suivantes,  qui  ont  été,  tour  à tour,  mises 
en  avant  par  des  lettrés  musulmans  : 

tm  P % 

(dorr-perle)  (qaouï,  grosse),  c’est-à-dire  science  consi- 

dérable ; 

2°  j 3 (darr-lait)  (qaouï,  fort,  abondant),  parce  que  le  Prophète 
a dit  : « rêver  de  lait  signifie  avoir  une  science  considérable  » ou 
parce  que  « ceux  qui  sucent  le  lait  du  derqaouisme  sont  des  gens 
forts  et  robustes  dans  leur  foi  ; 

3°  ^ (derq,  être  caché,  voilé),  parce  que  leurs  réunions  sont 

secrètes  ; 

4°  (Derqa),  nom  d’une  ville  dont  Mouley-el-Arbi  était  ori- 

ginaire, ville  qui,  depuis,  aurait  changé  de  nom.  Le  nom  de  cette 
ville  devait  alors  s’écrire  ^ j à pour  donner  naissance  à l’ethnique 

La  seule  étymologie  vraie  et  sérieuse  est  celle  indiquée  à la  pa- 
ge 234. 


— 245  — 


moins  de  réserve  dans  leurs  rapports  avec  les  déten- 
teurs des  pouvoirs  temporels. 

Ces  relations  doivent,  en  effet,  être  évitées  le  plus  pos- 
sible par  les  Chadelya  ; un  des  leurs,  Si  Abd-el-Ouahab- 
el-Charani,  disait  à ce  propos  : 


« Grâce  à Dieu,  j’ai  toujours  vivement  regretté  de  m’être  trouvé 
» avec  les  grands  (émirs,  etc.),  pour  autre  chose  que  quelque  ques- 
» tion  ou  affaire  de  religion  ou  de  loi,  qui  fût  à approfondir  pour  le 
» bien  de  tous  ; et  j’ai  toujours  eu  en  extrême  aversion  tout  homme 
» de  rang  élevé  que  la  justice  et  l’équité  ne  guidaient  point,  m’eût-il 
» accordé  son  amitié,  et  m’eût-il  attiré  à me  rendre  auprès  de  lui 
» pour  quelque  prétexte  détourné.  Car  je  ne  sais  pas  assez  me  défen- 
» dre  contre  celui  pour  lequel  j’ai  de  l’amitié.  Et  puis,  je  suis  homme 
» comme  les  autres  ; et  ce  que  je  vois  faire  par  autrui,  parmi  les 
» hauts  personnages,  je  crains  de  me  laisser  aller  à le  faire. 

» J’ai  connu  un  individu  qui  approuvait  tout  ce  que  le  prince  ou 
» émir  avait  en  projet,  et  ne  savait  se  décider  à condamner  une  &c- 
» tion  mauvaise,  quand  même  il  le  pouvait.  Bien  plus,  il  donna  des 
» éloges  pour  des  actes  d’abstention  inique  ; il  disait  : « Ce  n’est  pas 
» toi,  prince,  qui  as  envoyé  ces  dures  épreuves  aux  raïas.  C’est  Dieu 
» lui-même  qui  les  envoie  à ses  serviteurs.  » Il  jetait  ainsi  le  repro- 
» che  sur  Dieu  et  donnait  la  louange  à l’émir  ; il  blâmait  Dieu  et  flat- 
» tait  l’émir. 

y>  La  grande  faute  de  cet  individu  était  de  manger  des  mets  de  cet 
» émir,  de  ne  pas  refuser  toute  invitation.  Nous  avons  connu  des 
» fakirs  ou  simples  soufis  qui  allaient  assister  aux  repas  des  émirs 
» quand  la  nécessité  l’exigeait,  mais  ils  n’y  prenaient  rien  des  ali- 
» ments  servis.  Tels  furent  Sidi  Mohammed-Ibn-Annân,  le  cheikh 
» Abou-el-Haçan-el-R’amri,  etc.  ; ils  emportaient  avec  eux,  dans  la 
» large  manche  de  leur  vêtement,  une  galette  de  pain,  et,  à mesure 
» qu’on  servait  le  repas,  ils  ne  mangeaient  que  de  leur  galette,  s’ar- 
» rageant  de  façon  que  l’émir  ne  s’en  aperçût  pas. 

» Gardez-vous,  disait  le  vertueux  Ali-el-Khawwas,  de  fréquenter 
» aucun  des  émirs,  ou  de  manger  de  leur  nourriture,  ou  de  rester 
» muets  sur  le  mal  que,  dans  leurs  réunions,  vous  voyez  commettre 
» en  paroles  ou  en  actes.  Autrefois,  les  pieux  et  saints  docteurs  ou 
» savants  s’abstenaient  d’aller  chez  les  khalifes  ; et  si  une  circons- 
» tance  impérieuse,  ou  si  un  prétexte  supposé,  les  appelait  à s’y  pré- 
» senter,  ces  docteurs  leur  donnaient  des  conseils,  les  menaçaient  de 
» la  vengeance  céleste,  les  gourmandaient,  les  exhortaient  au  bien. 
» Aujourd’hui,  hélas  ! cette  manière  de  faire  n’est  plus  possible.  » 


— 246  — 


Puis,  Charani  raconte  qu’un  jour,  à La  Mecque,  un 
saint  docteur  nommé  Tâous,  ayant  été  forcé  de  se  ren- 
dre aux  instances  du  khalife  Hischam,  qui  désirait  l’en- 
tretenir, se  mit  à apostropher  et  réprimander  le  souve- 
rain si  rudement,  que  celui-ci  en  demeura  tout  confus  et 
tout  tremblant;  et  Charani  ajoute  : « Lecteur,  mon  frère, 
» si  tu  te  sens  la  force  d’adresser  des  paroles  de  cette 
» sorte  aux  émirs,  va,  fréquente-les  ; sinon,  tiens -toi 
» loin  d’eux.  » 

L’éloignement  des  agents  de  l’autorité  est,  en  effet,  le 
signe  distinctif  du  derqaoui,  mais,  dans  la  pratique,  cet 
éloignement  n’est  pas  absolu  et  n’a  nullement  un  carac- 
tère malveillant:  ainsi,  nous  avons  des  imams,  des  as- 
sesseurs, des  cadhis,  des  khodja  qui  sont  derqaoua  et 
ont,  avec  nous,  des  relations  fort  courtoises. 

Le  rituel  spécial  aux  Chadelya-Derqaoua  ne  présente 
non  plus,  en  lui-même,  rien  qui  le  différencie  essentiel- 
lement de  ceux  des  autres  ordres  religieux. 

Lorsqu’un  Musulman  veut  se  faire  recevoir  derqaoui, 
il  doit  d’abord  ne  se  présenter  au  cheikh  que  dans  un 
état  parfait  de  pureté.  Cette  condition  remplie,  le  néo- 
phyte se  tient  dans  la  posture  d’un  homme  en  prière  : le 
cheikh  lui  prend  les  mains  dans  les  siennes  et  prononce 
cette  courte  prière  : « Il  n’y  a pas  d’autre  Divinité  qu’Al- 
» lah,  il  est  tout-puissant,  il  n’a  point  d’associé  à sa 
» puissance,  à lui  appartient  tout,  il  peut  tout,  il  donne 
» la  vie  et  la  mort,  répandons  nos  louanges  sur  lui.  » 
Le  cheikh  fait  alors  jurer  au  néophyte  « qu’il  se  confor- 
» mera  aux  statuts  de  l’ordre,  qu’il  aimera  ses  frères, 
» qu’il  évitera  le  péché,  qu’il  fera  abnégation  de  lui- 
» même  pour  tout  ce  qui  concerne  la  vie  matérielle, 
» qu’il  ne  tiendra  compte  ni  des  injures,  ni  des  coups,  ni 
» de  la  faim,  ni  de  la  soif,  ni  de  la  misère;  qu’il  ne  recher- 
» chera  pas  les  satisfactions  de  la  chair,  qu’il  s’efforcera 
» de  pratiquer  toutes  les  vertus,  qu’il  s’instruira  tout 
» d’abord  de  ses  devoirs  envers  Dieu,  qu’il  accomplira 
» strictement  ses  ablutions,  ses  prières  et  tout  ce  qui  est 


— 247  — 


» d’obligation  divine.  » Le  cheikh  remet  ensuite  le  néo- 
phyte au  frère  profès  chargé  de  l’instruire,  et  il  lui  est 
permis  d’assister  aux  hadra. 

« Ces  hadra  (1)  ont  lieu  les  portes  closes  et  les  lumières  éteintes, 
» ou,  la  nuit,  dans  des  lieux  retirés,  hors  de  portée  des  intrus.  Les 
» frères,  pour  prier,  se  forment  en  cercle  compacte,  sans  solution  de 
» continuité.  Ils  psalmodient:  « Il  n’y  a de  Dieu  que  Dieu,  » d’abord 
» sur  un  rhythme  lent  et  en  appuyant  fortement  sur  les  longues,  puis 
» plus  rapidement,  et,  enfin,  sur  un  mode  précipité  ! Lorsqu’ils  sont 
» arrivés  à un  certain  état  de  surexcitation,  ils  se  lèvent  et  récitent, 
» en  donnant  au  corps  un  balancement  cadencé  : « Allah  ! » puis  « hou  » 
» (lui),  puis,  enfin,  « Ah  ! » Pendant  ce  temps,  le  nekib  (ou  chef  de 
» section)  tourne  autour  d’eux  en  récitant  des  vers  ou  des  sentences 
» propres  à redoubler  l’enthousiasme.  Puis,  à un  signal  du  moqad- 
» dem  resté  au  milieu  du  cercle,  les  frères  s’arrêtent,  le  moqaddem 
» récite  des  vers,  des  oraisons,  prononce  la  formule:  « Il  n’y  a pas 
» d’autre  Divinité  que  Dieu  » et  termine  la  cérémonie  par  la  récita- 
» tion  de  la  fatiha.  » 


Décrivant  les  cérémonies  du  rituel  des  Chadelya,  le 
cheikh  Snoussi  s’exprime  ainsi  (2)  : 


Les  postures  à prendre,  dans  cet  ordre,  pour  faire  les  prières,  con- 
sistent à s’accroupir  sur  la  terre,  les  jambes  croisées,  en  élevant  les 
genoux,  les  bras  jetés  autour  des  jambes,  la  tête  baissée  entre  les 
deux  genoux  et  les  yeux  fermés.  On  relève  la  tête  en  disant  : II  n'y  a 
de  Dieu  que  Dieu , cela  pendant  le  temps  qui  s’écoule  à partir  du  mo- 
ment où  elle  arrive  à la  hauteur  du  cœur,  jusqu’à  celui  où  elle  atteint 
l’épaule  droite;  on  observe  avec  attention  d’écarter  de  son  esprit 
tout  ce  qui  est  étranger  à Dieu.  Lorsque  la  bouche  atteint  le  niveau 
du  cœur,  on  articule  avec  vigueur  l’invocation  : Il  n'y  a de  Dieu  que 
Dieu , pour  qu’elle  s’y  grave  et  que  ses  effets  se  répandent  de  là  dans 
tous  les  membres.  La  prière  faite  ainsi  se  nomme  Dikr-es-Sef-ou-en- 
Necher  (prière  de  la  compression  et  de  l’expulsion).  Elle  conduit  celui 
qui  s’y  soumet  à expulser  de  son  cœur  les  vices  qui  le  souillent,  car 
elle  en  arrache  le  principe  de  la  tiédeur  et  les  pensées  profanes,  en 
rejetant  ces  défauts  derrière  l’épaule  droite.  On  répète  encore  cette 


(1)  Détails  communiqués  par  un  moqaddem  de  l’Ouest. 

(2)  Snoussi,  loco  citato,  traduction  de  M.  Colas. 


— 248  — 


invocation  en  face  du  cœur,  d’une  manière  plus  énergique,  elle  vient 
alors  y condenser  les  principes  de  la  crainte  de  Dieu  et  affirmer  son 
unité  exclusive.  En  effet,  les  idées  parties  vers  d’autres  Divinités  sont 
la  négation  de  la  Divinité  véritable.  Ces  idées  engendrent  dans  le 
cœur  le  refroidissement  et  l’erreur.  Elles  mettront  les  fautes  humai- 
nes à nu  le  jour  du  jugement  dernier.  L’affilié  doit  donc  être  prêt  à 
combattre  pour  la  foi  en  s’éloignant  de  la  multitude. 

Il  convient  qu’il  s’impose,  impérieusement  et  sans  relâche,  les  priè- 
res de  l’ordre  et  ses  pratiques  ; c’est  vers  ce  but  que  doivent  tendre 
ses  aspirations  et  ses  habitudes  ordinaires.  Ainsi  il  les  récitera  et  se 
les  rendra  obligatoires,  jusqu’à  ce  qu’elles  constituent  dans  son  âme 
un  tout  aussi  homogène  que  la  création.  Alors,  il  passera  à l’invoca- 
tion du  nom  de  Dieu  et  la  poursuivra  sans  cesse,  jusqu’au  moment  où 
ce  qui  lui  était  caché  se  dévoilera  à ses  yeux;  sans  s’arrêter,  il  con- 
tinuera jusqu’à  l’épuisement  de  ses  forces.  Ensuite,  il  répétera  l’in- 
vocation d’un  autre  nom  de  Dieu,  hou  (lui,  l’Être  Suprême  existant 
par  lui-même),  jusqu’à  ce  qu’il  parvienne  au  degré  de  perfection  qui 
lui  est  accessible. 

Les  affiliés  de  cet  ordre  se  caractérisent  par  l’amitié  qu’ils  se  vouent 
les  uns  aux  autres,  par  leur  habitude  de  ne  rien  se  demander,  mais 
aussi  de  ne  rien  se  restituer,  enfin  par  leur  indifférence  à se  parer 
d’insignes  spéciaux.  Ils  sont  en  possession  de  secrets  particuliers 
qu’ils  appliquent  entre  eux.  Ainsi,  quand  un  malheur  frappe  un  des 
leurs,  ils  récitent  dix  fois  la  sourate  de  Y a Sine,  après  l’aurore;  avant 
la  prière  du  matin,  ils  y ajoutent  : « 0 Dieu , je  vous  invoque , vous  qui 
êtes  Dieu  » ils  continuent  par  ces  mots  : « Yamen  houa  Akoum  Kaf 
adem  hammou , ha.  Amen  » (paroles  mystiques  qui  n’ont  aucun  sens 
arabe)  qu’ils  répètent  70  fois,  puis  ils  terminent  par  : « Pour  que  vous 
m’accordiez  telle  ou  telle  chose  qui  ne  peut  arriver  que  par  la 
permission  du  Dieu  Très-Haut.  » 

Le  cheikh  Abou-Hassan-ech-Chadeli  a dit  que  ces  mots  mystiques 
étaient  les  noms  les  plus  élevés  que  l’on  pouvait  donner  à Dieu. 

Dans  un  de  ses  ouvrages,  Si  Abd-el-Ouhab-el-Charani  dit  : « Les 
affiliés  de  cet  ordre  ont  des  secrets  particuliers  » et  il  reproduit  tex- 
tuellement ce  qui  est  transcrit  ci-dessus. 

Dans  le  livre  intitulé  « les  Gloires  élevées  du  mémo - 
rial  des  Chadelya  (1),  » écrit  par  le  cheikh  Ahmed-ben- 
Mohammed-el-Abbad,  l’auteur  définit,  en  ces  termes,  les 
conditions  morales  de  l’affiliation  à l’ordre  et  de  la  réci- 
tation du  dikr  : 


(1)  LtalàJt^îLdl  ^ Traduction  de  M.  Arnaud. 


— 249  — 


« Notre  voie  (celle  des  Chadelya)  repose  sur  cinq  principes  fonda- 
» mentaux  : avoir  la  crainte  de  Dieu,  en  secret  et  en  public  ; se  con- 
» former  à la  sonna  en  paroles  et  en  actions  ; se  détacher  du  monde 
» avec  énergie,  même  au  prix  d’une  lâcheté  ; être  satisfait  de  Dieu 
» en  toutes  choses,  soit  petite,  soit  grande  ; revenir  à Dieu  dans  la 
» joie  et  la  tristesse.  Ces  principes  prennent  leur  origine  dans  la 
» hauteur  des  aspirations,  dans  le  respect  des  choses  saintes,  dans 
» le  ferme  exercice  de  la  piété,  dans  l’observation  des  prescriptions 
» essentielles  de  la  loi,  et  dans  la  préconisation  de  la  faveur  divine. 
» Élever  ses  aspirations,  c’est  élever  son  degré  ; respecter  Dieu,  c’est 
» être  respecté  de  Dieu;  se  consacrer  avec  ardeur  au  service  de  Dieu, 
» c’est  obliger  Dieu  à être  généreux  ; observer  le  fond  de  la  loi,  c’est 
» perpétuer  sa  bonne  direction  ; préconiser  la  faveur  divine,  c’est 
» être  reconnaissant;  et,  en  être  reconnaissant,  c’est  en  rendre  néces- 
» saire  une  plus  grande. 

» L’affiliation  à la  confrérie  des  Chadelya  se  fait  de  quatre  maniè- 
» res  : 

» La  lro  comprend  la  pression  de  la  main,  l’enseignement  du  dikr, 
» le  port  du  froc  (khirka),  l’extrémité  du  turban  pendant  derrière  la 
» tête  (adaba),  comme  moyens  de  mériter  les  bénédictions  et  pour  se 
» conformer  à la  sonna  seulement  ; 

» La  2e  consiste  à suivre  une  leçon,  c’est-à-dire  à lire  les  livres  des 
» Chadelya,  sans  en  analyser  le  sens,  pour  s’en  faire  un  mérite  et 
» avoir  un  titre  à se  dire  Chadely; 

» La  3°  consiste  à prendre  une  leçon,  mais  pour  analyser  leurs 
» livres  de  façon  à en  comprendre  le  sens,  sans  toutefois  aller  jusqu’à 
» l’action. 

» La  plupart  des  Chadelya  ne  connaissent  que  ces  trois  manières 
» d’entrer  dans  la  confrérie. 

» Il  n’y  a pas  de  mal  à se  faire  affilier  par  plusieurs  cheikhs. 

» La  4a  façon  d’entrer  dans  la  confrérie  des  Chadelya  consiste  à 
» façonner  son  caractère,  à perfectionner  ses  mœurs,  à se  familiariser 
» avec  les  exercices  de  piété  par  le  combat  contre  soi-même,  qui 
» conduit  à l’intuition  ; à borner  sa  satisfaction,  à confesser  l’unité 
» de  Dieu  et  à y demeurer.  On  ne  devra  sortir  de  ces  principes  qu’avec 
» l’autorisation  de  son  cheikh. 

» On  peut  encore  se  dire  Ghadely,  même  ne  suivrait-on  qu’un  seul 
» des  principes  de  la  confrérie,  ne  s’associerait-on  qu’une  infime  par- 
» tie  de  ses  idées,  pourvu  que  l’on  en  aime  les  affiliés.  Ainsi,  lire  un 
» hizb  suffit  pour  donner  droit  au  titre  de  Chadely.  « Quiconque  lira 
» ce  hizb,  disait  le  cheikh,  participera  à nos  droits  et  à nos  devoirs.  » 

» Quand  on  prie  Dieu  à voix  basse,  s’il  vous  survient  une  pensée 
» étrangère,  on  priera  à voix  haute,  afin  de  chasser  du  cœur  cette 


— 250  — 

» pensée.  Si  cet  effort  ne  suffit  pas,  on  récitera  la  formule  de  la  de- 
» mande  de  pardon  et  on  lira  la  fatiha. 

» Le  serviteur  doit  constamment  réciter  le  dikr  ; s’il  ne  le  peut  tou- 
» jours,  ce  sera  au  moins  à la  suite  de  chaque  prière  obligatoire. 
» S’il  y a encore  impossibilité,  il  le  récitera  une  fois  dans  la  nuit  et 
» une  fois  dans  le  jour,  mais  de  façon  à s’en  occuper  pendant  une 
» demi-heure  au  moins,  l’heure  équivalant  à 15  degrés. 

» Les  rangs  auxquels  il  faut  parvenir  dans  la  confrérie  sont  au  nom- 
» bre  de  quatre  : on  ne  peut  arriver  au  deuxième  sans  avoir  occupé 
» le  premier,  c’est-à-dire  qu’il  faut  posséder  successivement  chaque 
» degré,  et  n’arriver  à l’un  qu’après  avoir  bien  connu  l’autre.  Le 
» lor  de  ces  degrés  est  celui  de  la  contrition  ; le  2e  celui  de  la  droi- 
» ture,  le  3e  celui  de  la  perfection  des  mœurs,  le  4e  celui  de  la  proxi- 
» mité. 

» La  faim,  la  veille,  le  silence,  la  retraite  sont  recommandés  au 
» frère,  mais  il  ne  faut  pas  qu’il  y ait  excès  dans  ces  privations  ; on 
» doit  s’arrêter  quand  elles  deviennent  une  cause  de  souffrance  phy- 
» sique.  Il  faut  y avoir  recours,  comme  à un  remède  pour  le  corps, 
» quand  le  besoin  s’en  fait  sentir. 

» Pour  bien  s’acquitter  du  dikr,  il  faut  remplir  vingt  conditions, 
» dont  cinq  antérieures,  douze  concurremment  avec  le  dikr,  et  trois 
» postérieures. 

» Les  cinq  vertus  antérieures  sont  : 1°  le  repentir  réel,  l’abandon  de 
» toute  préoccupation,  de  tout  acte,  de  toute  intention  étrangère  ; 
» 2°  le  lavage  du  corps,  les  ablutions  ; 3°  le  silence,  le  repos  afin  de 
» bien  pénétrer  le  cœur  de  l’important  devoir  qu’il  va  remplir,  de  le 
» porter  tout  entier  vers  Dieu  ; la  langue  pourra  ensuite  accompagner 
» le  cœur  dans  la  récitation  de  la  formule  : « Il  n’y  a de  Divinité  que 
» Dieu;»  4°  voir  parle  cœur  les  bénédictions  du  cheikh;  5°  réclamer 
» en  pensée  le  secours  du  cheikh,  lequel  l’a  réclamé  du  Prophète 
» dont  il  est  le  représentant. 

» Les  douze  conditions  à remplir  au  moment  du  dikr  sont  : 1°  s’as- 
» seoir  en  un  lieu  pur  pour  réciter  les  prières  obligatoires  ; 2°  placer 
» les  deux  paumes  des  mains  sur  les  cuisses  ; 3°  parfumer  le  lieu  où 
» l’on  est  assis,  ainsi  que  ses  vêtements  ; 4°  se  vêtir  d’habillements 
» parfumés  ; 5°  choisir  un  endroit  sombre  si  cela  se  peut  ; 6°  fermer 
» les  yeux  pour  annihiler  les  sens  extérieurs  et  ne  permettre  que  le 
» jeu  des  sens  intéressés;  7°  placer  devant  ses  yeux  l’image  fictive 
» du  cheikh  ; 8°  mettre  une  telle  sincérité  dans  le  dikr,  qu’il  soit 
» aussi  vrai  en  secret  qu’en  public  ; 9°  avoir  la  candeur  qui  purifie 
» l’acte  de  tout  désir  d’être  vu.  Par  la  vérité  et  la  sincérité  on  arrive 
» au  degré  des  cœurs  sincères,  pourvu  que  l’on  confesse  au  cheikh 
» toutes  ses  pensées,  bonnes  ou  mauvaises  ; si  on  ne  le  fait  pas,  on 
» est  parjure  et  on  rend  impossible  la  faveur  divine;  10°  choisir  de 


— 251  — 


» préférence  dans  le  dikr,  la  formule  : « Il  n’y  a de  Divinité  que  Dieu,  » 
o car  il  n’y  a rien,  même  dans  les  prières  obligatoires,  de  plus  efïi- 
» cace  qu’elle  pour  le  fidèle.  Il  faut  la  prononcer  à voix  haute,  sonore, 
» pleine,  large,  sans  aucune  gêne  et  en  voir  le  sens  avec  tout  son 
» cœur;  11°  avoir  présent  dans  le  cœur  le  sens  du  dikr,  qui  croit 
»>  avec  le  degré  où  s’est  élevé  le  cœur,  et  découvrir  au  cheikh  ses 
» sensations,  au  fur  et  à mesure  qu’on  pénètre  dans  les  goûts  ou 
» voluptés,  afin  qu’il  vous  instruise  de  la  conduite  qu’il  faut  tenir  ; 
» 12°  exiler  de  son  cœur  tout  être  et  n’y  conserver  que  Dieu,  n’y 
» permettre  le  séjour  à aucune  divinité  si  ce  n’est  à Dieu,  afin  que 
» Dieu  seul  y exerce  une  souveraine  influence  et  se  répande  de  là 
» dans  les  membres.  Il  faut  que  l’homme  lorsqu’il  dit  « Dieu  » se  sente 
» frémir  de  la  tête  aux  pieds.  C’est  là  un  état  indiquant  qu’il  est  réel- 
» ment  méritant  et  fait  espérer  qu’il  parviendra  au  degré  le  plus 
» élevé. 

» Quant  aux  conditions  qui  doivent  suivre  le  dikr,  ce  sont  : 1°  être 
» en  repos  si  l’on  est  silencieux;  s’adjoindre  l’humilité;  se  renfermer 
» dans  son  cœur  en  attente  d’un  complément  de  prière,  qui,  s’il  ar- 
» rive,  vous  fera  instantanément  parvenir  à un  degré  que  vous  n’eus- 
» siez  pas  atteint,  par  la  mortification  et  le  combat  contre  vous- 
*»  même,  pendant  trente  ans  ; 2°  bannir  ses  propres  pensées,  car 
» les  cheikhs  ont  dit  que  c’est  là  le  moyen  le  plus  rapide  d’amener 
» la  lumière  à la  vue  intérieure,  de  faire  tomber  le  voile,  de  couper 
» court  aux  pensées  humaines  et  diaboliques  ; 3°  se  priver  de  boire 
» de  l’eau,  parce  que  le  dikr  communique  au  cœur  une  certaine 
» chaleur,  un  désir  ardent  d’union  avec  celui  auquel  il  s’adresse  — 
» ce  qui  est  le  principal  but  du  dikr  — et  que  l’eau  bue  à la  suite 
» du  dikr  éteint  ce  sentiment.  » 


Quant  au  dikr  proprement  dit,  il  a quelque  peu  varié 
selon  les  branches.  Si  Abd-es-Sellem-Mechich  recom- 
mandait de  s’acquitter  du  dikr  en  se  bornant  à répéter, 
le  plus  souvent  qu’on  le  pouvait,  le  mot  Allah,  en  ap- 
puyant sur  le  lam  (L)  et  en  prolongeant  le  son  A.  Plu- 
sieurs branches  de  l’ordre  ont  conservé  ce  dikr. 

Si  Ghadeli  augmenta  cette  oraison  trop  concise  et 
prescrivit  de  réciter,  cent  fois  au  moins  par  jour,  et  plus 
quand  on  le  pourrait  : « Il  n’y  a de  Divinité  qu’ Allah,  la 
» vérité  évidente,  Mohammed  le  sincère,  le  fidèle,  est  le 
» Prophète  de  Dieu.  » 

Gheikh-el-Missoum,  en  ce  moment  khalifa  des  Chade- 


— 252  — 


lya  en  Algérie,  nous  a donné,  sur  le  dikr  actuel  de  son 
ordre,  le  renseignement  suivant  : 

« Mouley-el-Arbi-ed-Derqaoui  disait  : le  dikr  que  j’ai  reçu  de  mon 
» cheikh,  Sid  Ali-el-Djemal-el-Facy,  se  composait  de  : 

» 100  fois  : je  demande  pardon  à Dieu. 

» 100  fois  : que  les  grâces  divines  soient  sur  le  Prophète. 

» 1,000  fois:  il  n’y  a pas  d’autre  Divinité  qu’Allah. 

» Mouley-Ali-el-Djemal,  en  me  le  donnant,  disait:  ce  dikr  est  par- 
» ticulier  à ceux  qui  suivent  le  sens  littéral  des  écritures,  tels  que  les 
» Zianya  ; si  vous  en  préférez  un  autre,  vous  pouvez  réciter  : 

100  fois  : je  demande  pardon  à Dieu. 

» 100  fois  : que  les  bénédictions  de  Dieu  soient  sur  le  Prophète. 

»"100  fois  : il  n’y  a pas  d’autre  Divinité  qu’Allah. 

» Puis,  vous  prononcerez  ensuite  : Allah,  Allah  en  redoublant  for- 
» tement  le  lam  et  en  prolongeant  le  son  A qui  lui  appartient  Alla.... 
» a....aah. 

» Ce  second  dikr  est  celui  qui  est  pratiqué  par  les  Saints  qui  sui- 
» vent  les  sens  cachés  et  les  allégories  des  écritures  (les  bathenistes 

» J»î)  (1). 

» Ce  second  dikr  est  plus  connu  ; quelques  personnes  l’augmentent 
» en  ajoutant  la  proclamation  de  la  grandeur  de  Dieu,  ses  louanges, 
» ses  attributs,  ses  litanies » 


Le  cheikh  Abou-Salem-Ibrahim-et-Tazi,  chef  d’une 
branche  maugrebine  des  Chadelya,  disait  : 

« L’invocation  supérieure  entre  toutes,  est  celle  qui  consiste  à 
» répéter:  a II  n’y  a pas  d’autre  Divinité  qu’Allah;  » cette  invocation 
» a la  propriété  d’enlever  du  cœur  le  voile  d’impureté  qui  le  recou- 
» vre.  » 

Ce  saint  personnage  prescrit  de  se  soumettre  aux 
commandements  que  voici  : 

« Respecter  les  chefs  spirituels  ; — Se  soumettre  à leurs  ordres  ; 
» — Affectionner  les  affiliés  ; — Observer  l’humilité  ainsi  que  la 
» compassion  à l’égard  des  Croyants  et  la  pitié  envers  tous  les  êtres 
» créés  par  Dieu  ; — Réciter  100  fois,  chaque  matin,  cette  prière  : « Que 
» la  louange  de  Dieu  soit  'proclamée  ; Que  grâces  lui  soient  rendues  ; Que 


(1)  D’après  Si  Snoussy,  loco  citato. 


253  — 


» le  Dieu  Très-Haut  soit  glorifié.  Je  demande  pardon  à Dieu.  Il  n'y  a de 
» Dieu  que  Dieu,  le  souverain  Maître , celui  qui  est  la  justice  éclatante.  » 


Cet  auteur  affirme  que  ces  invocations  ont  la  vertu 
de  consoler  dans  la  misère  et  de  faciliter  l’accomplisse- 
ment (des  actes  que  l’on  entreprend).  Il  prescrit  en  outre 
de  réciter,  chaque  jour  et  chaque  nuit,  quatre  sourats  du 
Coran,  aux  passages  commençant  par  ces  mots  : Récite 
le  nom  de  Dieu,  etc ....  Certes,  je  V ai fait  descendre,  etc .... 
Lorsque  tremblera,  etc....  Kereïch  ne  se  joindra  pas, 
etc..,.  « qui  possèdent  la  propriété  de  repousser  les  maux 
apparents  et  cachés,  ainsi  que  l’expérience  l’a  déjà 
démontré.  » 

Les  Derqaoua  de  la  province  d’Oran,  qui  représentent 
plus  spécialement  la  branche  marocaine  des  Chadelya, 
ont  l’ouerd  suivant  : 

« Réciter,  après  la  prière  du  matin  et  après  la  prière  du  soir,  en 
» égrenant  le  chapelet  : 

» 100  fois  : je  demande  pardon  à Dieu. 

» 100  fois  : ô mon  Dieu,  répands  tes  bénédictions  sur  le  Prophète 
» illettré,  sur  sa  famille,  sur  ses  compagnons. 

» 99  fois  : il  n’y  a de  Divinité  qu’Allah.  * 

» Il  complète  l’égrenage  des  cent  grains  du  chapelet,  en  disant  : il 
i>  n’y  a de  Divinité  qu’Allah. 

» Mohammed  est  le  Prophète  de  Dieu,  que  Dieu  répande  sur  lui 
» ses  grâces. 

» Le  frère  peut  en  outre  réciter  ce  dikr  plus  souvent,  et  quand 
» cela  lui  plaît.  Il  n’est  nullement  limité  à cet  égard.  » 


Les  pratiques  des  Chadelya-Derqaoua  ne  se  bornent 
pas  à la  récitation  du  dikr,  le  rituel  comporte  de  nom- 
breuses pripres  et  des  lectures  pieuses,  résumant  ou 
développant  les  conseils  et  les  doctrines  des  Saints  de 
l’ordre. 

Il  y a d’abord  des  « ouerd  » ou  oraisons  spéciales  pour 
toutes  les  heures  canoniques  de  la  journée,  pour  toutes 


— 254  — 


les  circonstances  de  la  vie.  Voici,  à titre  de  spécimen, 
l’ouerd  à réciter  après  la  prière  de  l’aceur  (1)  : 

« Je  me  réfugie  en  Dieu  contre  le  démon,  le  lapidé. 

» Au  nom  de  Dieu  clément  et  miséricordieux.  Louange  à Dieu,  maî- 
» tre  des  mondes,  etc 

» C’est  Dieu,  il  n’y  a de  Divinité  que  lui,  le  vivant,  le  subsistant.... 
» (jusqu’à  : le  grand,  l’immense). 

» Le  Prophète  a cru,  etc  .... 

» Il  n’y  a de  Divinité  que  lui,  le  vivant,  le  subsistant.  Il  a révélé 
» le  livre  avec  la  vérité,  comme  affirmation  de  ce  qui  est  entre  ses 
» mains  ; auparavant,  il  a révélé  le  Pentateuque  et  l’Évangile,  comme 
» une  direction  pour  les  hommes  ; il  a ensuite  révélé  le  Coran.  Cer- 
» tes,  ceux  qui  ne  croient  pas  aux  signes  de  Dieu  seront  atteints 
» d’un  châtiment  sévère.  Dieu  est  glorieux,  il  sait  se  venger.  Rien 
» n’est  caché  à Dieu,  ni  sur  la  terre  ni  dans  le  ciel.  C’est  lui  qui  nous 
» donne  la  forme  qu’il  veut  dans  le  sein  de  nos  mères.  Il  n’y  a de 
» Divinité  que  lui;  il  est  glorieux;  il  est  sage.  Dis  : ô mon  Dieu,  c’est 
i toi  qui  est  le  maître  du  pouvoir  ; tu  donnes  le  pouvoir  à qui  tu  veux 
» et  l’enlèves  à qui  tu  veux  ; tu  élèves  qui  tu  veux  ; tu  abaisses  qui 
b tu  veux.  Entre  tes  mains  est  le  bien.  Tu  es  puissant  en  toutes  cho- 
» ses  ; tu  fais  entrer  la  nuit  dans  le  jour  et  le  jour  dans  la  nuit  ; tu 
» fais  sortir  le  vivant  du  mort  et  le  mort  du  vivant  ; tu  donnes  à qui 
» tu  veux  la  richesse  sans  compter.  C’est  lui  qui  m’a  créé,  c’est  lui 
b qui  me  dirige,  qui  me  nourrit,  qui  m’abreuve,  qui  me  guérit  quand 
» je  suis  malade;  c’est  lui  qui  me  fera  mourir  et  revivre;  c’est  de  lui 
» que  j’espère  le  pardon  de  mes  fautes  au  jour  de  la  rétribution. 
» Mon  Dieu,  donne-moi  une  ligne  de  conduite,  range-moi  au  nombre 
» des  vertueux,  accorde-moi  le  langage  de  la  vérité  pour  les  der- 
b niers  (sic),  place-moi  au  nombre  des  héritiers  du  délicieux  jardin  ; 
b pardonne  à mon  père  qui  était  du  nombre  des  égarés  ; ne  me  couvre 
b pas  de  confusion  au  jour  de  la  résurrection,  dans  ce  jour  où  la 
b fortune  ne  servira  de  rien,  où  les  enfants  seront  inutiles,  où  il  n’y 
b aura  d’heureux  que  ceux  qui  se  présenteront  à Dieu  avec  un  cœur 
b sain.  Le  paradis  appartient  à ceux  qui  craignent  Dieu  et  l’enfer  à 
b ceux  qui  sont  dans  l’erreur. 

» Ce  qui  est  dans  le  ciel  et  sur  la  terre  proclame  la  louange  de 
» Dieu  : c’est  lui  qui  est  le  puissant,  le  sage  ; il  possède  l’empire  des 
b cieux  et  de  la  terre  ; il  fait  vivre  et  mourir  ; il  peut  toute  chose  ; 
b c’est  lui  qui  est  le  premier  et  le  dernier,  qui  est  apparent  et  caché, 


(1)  Extrait  de  la  Vie  de  Si  Abou-Abbas-el-Morcy,  écrite  par  Si  Abd- 
cl-Kerim-ben-Atha- Allah,  2e  grand-maître  de  l’ordre  après  Si  Cbadeli 
(traduction  de  M.  Arnaud). 


— 255  — 


» qui  connaît  toutes  choses,  qui  a créé  les  cieux  et  la  terre  en 
» six  jours,  et  s’est  ensuite  fermement  assis  sur  le  trône  ; il  sait  ce 
» qui  entre  dans  la  terre  et  ce  qui  en  sort,  ce  qui  tombe  du  ciel  et  ce 
» qui  en  descend.  Il  est  avec  vous  partout  où  vous  êtes.  Dieu  voit 
» fort  bien  ce  que  vous  faites  ; il  possède  l’empire  des  cieux  et  de  la 
» terre.  C’est  vers  Dieu  que  convergent  toutes  les  affaires.  Il  fait  en- 
» trer  la  nuit  dans  le  jour  et  le  jour  dans  la  nuit.  Il  connaît  les  pen- 
» sées  des  cœurs.  C’est  lui  qui  est  Dieu  ; il  n’y  a pas  d’autre  Divinité 
b que  lui  ; il  connaît  l’avenir  et  le  présent.  Il  est  le  clément,  le  misé- 
» ricordieux.  C’est  lui  qui  est  Dieu,  il  n’y  a pas  d’autre  Divinité  que 
» lui.  Il  est  le  maître,  le  saint,  le  salut,  la  protection  ; il  est  le  puis- 
b sant,  l’irrésistible,  le  très  grand.  Il  est  trop  sublime  pour  avoir  des 
» associés  ; c’est  lui  qui  est  Dieu,  le  créateur,  et  qui  a ainsi  donné  une 
b forme  au  monde;  les  noms  les  plus  beaux  lui  appartiennent;  ce 
b qui  est  dans  le  ciel  et  sur  la  terre  célèbre  sa  gloire  ; il  est  le  puis- 
b sant,  le  sage... ... 

b O mon  Dieu,  nous  te  prions  de  nous  donner  la  crainte  comme 
b compagnie,  de  nous  accabler  sous  le  désir  de  te  posséder,  de  nous 
» accorder  la  certitude  de  la  science  et  la  perpétuité  de  ton  souvenir. 
» Nous  te  prions  de  nous  dévoiler  le  plus  beau  des  secrets,  qui  nous 
b préservera  des  maux,  afin  que  nous  ne  puissions  nous  maintenir 
b dans  le  crime  et  le  péché.  Éloigne-nous  des  fautes  et  dirige-nous 
b vers  les  actions  conformes  aux  paroles  que  tu  nous  as  communi- 
b quées  par  l’intermédiaire  de  ton  Envoyé,  et  par  lesquelles  tu  avais 
» déjà  éprouvé  Ibrahim  ton  ami,  lequel  s’est  conformé  à ce  qu’elles 
» indiquaient.  Tu  as  dit  : je  te  place  comme  le  guide  des  hommes.  — 
» Mais  ce  rôle  reviendra-t-il  à ma  race  ? dit  Ibrahim.  — Dieu  répon- 
» dit  : Ma  promesse  ne  concerne  pas  les  gens  iniques.  Place-nous 
b au  nombre  de  ceux  qui  font  le  bien,  parmi  la  postérité  d’ibrahim, 
b parmi  la  postérité  d’Adam  et  de  Noé.  Conduis-nous  dans  le  che- 
» min  qu’ont  suivi  les  guides  de  ceux  qui  craignent.  Au  nom  de  Dieu  ! 
b tout  est  par  Dieu,  de  Dieu,  à Dieu.  Que  ceux  qui  veulent  se  con- 
» fier  placent  en  Dieu  leur  confiance.  Dieu  me  suffit  ; je  crois  en  Dieu  ; 
» j’accepte  les  volontés  de  Dieu;  je  me  confie  en  Dieu.  Il  n’y  a de 
» force  que  par  Dieu.  Je  témoigne  qu’il  n’y  a de  Divinité  que  Dieu 
» seul,  qu’il  n’a  pas  d’associé.  Je  confesse  que  Mohammed  est  son 
b serviteur  et  son  envoyé.  Mon  maître,  pardonne-moi,  ainsi  qu’aux 
» Musulmans  et  aux  Musulmanes.  Louange  à Dieu,  maître  des  mon- 

» des,  etc Dis:  Louange  à Dieu,  salut  sur  les  serviteurs  qu’il  a 

» élus.  Mon  maître,  j’ai  été  souvent  bien  inique  envers  moi-même  ; 
» pardonne-moi,  fais-moi  la  grâce  de  me  corriger.  Il  n’y  a de  Divinité 
» que  toi,  que  ta  louange  soit  proclamée,  j’étais  une  créature  inique. 

» O Dieu,  ô grand,  ô immense,  ô sage,  ô savant,  qui  entends,  qui 
» sais,  qui  as  la  volonté,  ô puissant,  ô vivant,  ô subsistant,  ô misç- 


— 256  — 


» ricordieux,  ô clément,  ô toi  qui  es  Lui,  Lui,  Lui,  ô Lui,  ô premier, 
» ô dernier,  ô toi  qui  parais,  qui  es  caché,  que  le  nom  de  mon  Maître, 
» qui  a la  grandeur  et  la  générosité,  soit  de  plus  en  plus  béni.  O mon 
» Dieu,  permets-moi  l’accès  de  ton  nom  sublime,  avec  lequel  les  cri- 
» mes  ne  causent  pas  de  souffrance  ; indique-moi,  sur  ce  nom,  une 
» méthode  grâce  à laquelle  tu  satisferas  les  besoins  avouables  du 
» cœur,  de  l’intelligence,  de  l’esprit,  du  secret,  du  corps,  et  aussi  une 
» méthode  au  moyen  de  laquelle  tu  enlèveras  les  besoins  malsains 
» du  cœur,  de  l’intelligence,  de  l’âme  et  du  corps.  Place  nos  noms 
» au-dessous  de  tes  noms,  nos  attributs  au-dessous  de  tes  attributs 
» et  nos  actions  au-dessous  de  tes  actions,  soit  au  degré  du  salut, 
» de  l’expulsion  du  blâme,  de  la  descente  des  prodiges  et  de  la  pos- 
» session  de  l’imamat.  Achève,  en  ma  faveur,  les  révélations  que  tu 
» as  faites  aux  imams  de  la  direction  vraie  (pères  de  la  foi).  Enrichis- 
» moi  de  façon  que  tu  t’enrichisses  par  moi  ; donne-moi  la  vie  de  telle 
» sorte  que,  par  moi,  tu  distribues  la  vie  à ce  que  tu  veux  et  à qui 
» tu  veux  de  tes  serviteurs.  Place-moi  dans  la  classe  des  quarante 
» et  au  nombre  de  ceux  qui  craignent  sincèrement.  Pardonne-moi  ; 
» car  ton  pacte  ne  concerne  pas  les  iniques.  » 


Si  le  néophyte  est  un  lettré  intelligent,  le  moqaddem 
complète  son  éducation  en  lui  faisant  connaître  l’ouas- 
sia,  ou  le  mandement  envoyé  d’Alexandrie,  aux  pères 
d’Occident,  par  Abd-el-Kerim-ben-Atha-Allah  (deuxième 
successeur  de  Sid  Chadeli). 

Voici  ce  mandement  (1)  : 

« Sachez  que  la  protection  divine,  bien  qu’elle  soit  cachée,  a son 
» existence  basée  sur  un  témoignage.  Il  est  des  voies  qui  y con- 
» duisent  sûrement.  Vous  obtiendrez  la  protection  de  Dieu  en  ne  sor- 
» tant  pas  des  limites  qu’il  vous  a tracées,  en  restant  fidèles  à ses 
» pactes.  — Est-ce  donc  que  le  signe  de  l’affection  de  Dieu  pour  son 
» serviteur  n’existe  pas  dans  l’affection  du  serviteur  pour  Dieu  ? — 
» L’un  des  caractères  du  signe  de  l’affection  du  serviteur  pour  Dieu 
» est  qu’il  ne  lui  préfère  rien,  qu’il  ne  voit  que  lui.  — L’un  des  carac- 
» tères  du  signe  que  le  serviteur  ne  préfère  rien  à Dieu,  c’est  son 
» regard  de  mépris  pour  les  biens  de  ce  monde  et  son  regard  d’ad- 
» miration  pour  les  êtres  immatériels.  Le  bienheureux  est  celui  au- 
» quel  Dieu  a donné  un  cœur  qui  se  rappelle,  un  regard  qui  sait 
» comparer,  une  oreille  ouverte  à la  voix  de  Dieu  et  une  âme  active 


(l)  Extrait  du  môme  ouvrage. 


— 257  — 


» dans  le  service  de  Dieu.  Celui  des  devoirs  envers  Dieu  qui  mérite 
» le  plus  l’examen  des  serviteurs,  ce  sont  les  actions  de  grâces  qu’on 
*>  lui  doit.  Ces  actions  de  grâces  sont  extérieures  ou  intérieures. 

» Celles  qui  sont  extérieures  se  composent  de  l’accord  de  la  con- 
» duite  avec  la  volonté,  et  les  autres  de  la  vue  de  ses  faveurs  : n’est 
» pas  reconnaissant  envers  Dieu,  celui  qui  n’obtempère  pas  à son 
» ordre,  n’exécute  pas  ses  prescriptions  ; n’est  pas  observateur  de  sa 
» loi,  celui  qui  perd  ses  pactes. 

» Soyez  donc  reconnaissants  pour  les  bienfaits  de  Dieu  envers  vous. 

» Les  hommes  négligents  et  aveugles  demandent  à Dieu  de  renouve- 
» 1er  ses  faveurs,  sans  lui  rendre  grâces  de  ce  qu’il  leur  a déjà  ac- 
» cordé.  Comment  Dieu  vous  renouvellera-t-il  un  bienfait  que  vous 
» demandez,  alors  que  vous  avez  perdu  le  souvenir  d’une  précédente 
» faveur,  qui  vous  a poursuivis  jusqu’à  ce  qu’elle  vous  ait  atteints. 

» Quand  vous  avez  à réclamer  les  bienfaits  de  Dieu,  le  meilleur 
» moyen  que  vous  ayez  à employer,  c’est  de  lui  rendre  grâces.  Vous 
» montrer  reconnaissants,  c’est  demander  pour  vous  les  grâces  de 
» Celui  auquel  vous  manifestez  votre  reconnaissance,  quand  même 
» vous  ne  parleriez  pas  de  votre  désir  ; vous  obtiendrez  davantage 
» en  vous  montrant  reconnaissants,  quand  même  vous  resteriez  muet 
» à l’égard  de  l’objet  de  vos  désirs.  Dieu  garantit  des  faveurs  en 
» surplus  à ceux  qui  se  montrent  reconnaissants,  et  il  sera  géné- 
» reux  sans  réserves.  Il  a dit  : « Certes,  si  vous  êtes  reconnaissants, 
» je  vous  donnerai  en  plus.  » Si  donc  Dieu  garantit  aux  cœurs  re« 
» connaissants  d’autres  faveurs  que  celles  qu’il  a déjà  accordées, 
» comment  ne  leur  perpétuerait-il  pas  ses  premiers  bienfaits.  Quand 
» on  aime  une  chose,  on  l’attache  avec  des  liens,  de  peur  qu’elle  ne 
» disparaisse.  Attachez  donc  en  vous  les  bienfaits  de  Dieu,  en  vous 
» montrant  reconnaissants  de  ce  qu’il  a fait.  On  aide  à la  reconnais- 
» sance  par  la  contemplation  des  faveurs  du  bienfaiteur,  de  ses  nom* 
» breux  actes,  de  ses  bienfaits  passés  et  futurs,  du  commencement 
» de  ses  grâces  et  de  leur  fin. 

» Vous  ne  regarderez  jamais  avec  les  yeux  de  la  foi,  que  vous  ne 
» constatiez  déjà  l’existence  d’un  bienfait  de  Dieu  et  d’une  grâce  qui 
» l’a  suivi,  et  votre  certitude  à cet  égard  sera  plus  grande,  si  vous 
» examinez  la  façon  dont  vous  vous  comportez  envers  Dieu  et  la  con- 
» duite  de  Dieu  envers  vous.  En  effet,  si  vous  regardez  la  manière 
» d’être  de  Dieu  envers  vous,  vous  n’y  verrez  que  bonté  et  bienfaisance; 
» tandis  que  si  vous  examinez  la  façon  de  vous  tenir  à l’égard  de 
» Dieu,  vous  n’apercevrez  que  négligence  et  révolte. 

» L’origine  des  biens  célestes,  la  mine  des  bénédictions  divines  se 
» trouve  dans  une  obéissance  effective  à Dieu,  dans  le  soin  d’éviter 
» tout  acte  de  révolte  contre  lui. 

» Montrez  un  repentir  sincère,  car  sur  le  repentir  repose  ce  qui 

17 


— 258  — 


» doit  suivre,  et  les  bénédictions  dont  il  sera  l’objet  se  reporteront 
» sur  ce  qui  l’a  précédé.  Il  n’est  pas  de  station  où  l’on  n’ait  besoin 
» du  repentir.  Les  états  ne  seront  purs,  les  actions  ne  seront  accep- 
» tées,  les  degrés  de  l’inspiration  ne  seront  sûrs,  qu’autant  que  le 
» repentir  aura  été  sincère.  Les  caractères  généraux  de  la  contrition 
» sont  indiqués  par  ses  caractères  particuliers.  Ne  connaissez-vous 
» pas  les  paroles  du  Souverain  Maître  : « Soyez  tous  repentants,  ô 
» Musulmans  ; car,  peut-être,  alors  serez-vous  heureux.  » 

» Tous  les  Musulmans  ont  parlé  en  faveur  du  repentir,  et  cet  accord 
» est  la  preuve  de  son  immense  efficacité.  La  retraite  est  l’aide  de  la 
» pensée  ; la  connaissance  des  souffrances  de  la  retraite  est  l’aide  de 
» la  méditation.  Au  nombre  des  preuves  de  l’arrivée  au  dernier  de- 
» gré,  se  trouve  l’existence  réelle,  en  votre  cœur,  des  premiers. 
» Vous  assurer  la  station  du  repentir,  c’est,  de  la  part  de  Dieu,  vous 
» être  plus  utile  que  de  vous  faire  connaître  soixante-dix  mille  secrets 
» et  de  vous  les  faire  perdre  ensuite. 

» Sachez  que  Dieu  a placé  les  lumières  du  monde  spirituel  dans 
» les  diverses  formes  de  soumission.  La  perte  d’une  forme  de  sou- 
» mission,  ou  une  seule  défectuosité  dans  l’accord  symétrique  de  vos 
» actes  avec  les  ordres  divins,  amène  l’absence  d’une  lumière  en 
» rapport  avec  la  faute.  Ne  négligez  donc  aucune  circonstance  des  actes 
» de  soumission,  ne  pensez  pas  que  les  lumières  surnaturelles  qui  ar- 
» rivent  au  cœur  puissent  remplacer  les  Ouerd.  N’ayez  pas,  pour 
» votre  âme,  la  même  condescendance  que  ceux  qui  prétendent  que 
» les  vérités  spirituelles  coulent  par  leur  bouche,  alors  que  leur  cœur 
» est  vide  de  lumières  célestes.  La  divine  Providence  a voulu  que  la 
» soumission  imposée  à ses  serviteurs  fût,  pour  eux,  comme  le  batte- 
» ment  exercé  sur  la  porte  au  delà  de  laquelle  on  veut  pénétrer. 
» Celui  qui  observe  la  soumission  envers  Dieu  et  les  transactions 
» sociales,  en  y mettant  la  conduite  voulue,  verra  les  voiles  de  l’ab- 
» sence  ou  du  secret  s’écarter  pour  lui.  L’interposition  des  voiles 
» devant  les  secrets  indique  la  présence  des  défauts.  En  purifiant  ton 
» cœur  des  défauts,  tu  t’ouvriras  la  porte  du  secret.  Ne  sois  pas  de 
» ceux  qui  demandent  la  venue  de  Dieu  dans  leur  âme,  au  lieu  de 
» demander  la  venue  de  leur  âme  dans  Dieu,  car  c’est  là  la  façon 
» d’agir  des  ignorants  qui  ne  comprennent  pas  Dieu  et  que  l’émana- 
» tion  de  Dieu  ne  va  pas  trouver.  Le  Croyant  n’agit  pas  ainsi  : le 
» Croyant,  au  contraire,  sollicite  son  âme  d’aller  à Dieu  et  ne  solli- 
» cite  p.as  Dieu  de  venir  à son  âme.  Si  son  vœu  n’est  pas  immédiate- 
» ment  exaucé,  il  accuse  du  retard  sa  conduite  et  ne  dit  pas  que  c’est 
» sa  demande  qui  a été  retardée.  Il  n’est  permis  d’entrer  dans  le 
» monde  des  âmes  qu’à  celui  qui  s’est  purifié  des  vices  inhérents  à 
» l’humanité,  en  s’assimilant  la  nature  de  Dieu,  en  s’annihilant  pour 
» tout  ce  qui  n’est  pas  Dieu,  en  s’appropriant  l’adoration  par  le  res- 


259  — 


» pect  de  la  volonté  de  Dieu  et  l’abandon  à ses  décisions.  Si  tu  es 
» arrivé  à cette  perfection,  tu  obtiendras  une  large  place  dans  le  se- 
» cret  et  une  habitation  dans  le  monde  spirituel  ; les  secours  céles- 
» tes  t’arriveront,  et  les  bienfaits  progressifs  de  Dieu  seront  ta  com- 
» pensation.  Tu  arriveras  à posséder  tous  ces  biens,  en  ne  portant 
» que  peu  tes  regards  sur  les  substances  extérieures,  et  en  prenant 
» souci  des  mystères.  En  effet,  les  mystères  ne  se  dégagent  pas  à 
» L’aide  d’une  méditation  basée  sur  les  substances  extérieures,  à 
» moins  qu’elles  ne  soient  accompagnées  d’un  amour  pur  qui  con- 
» duise  les  cœurs»  et  d’une  lumière  lumineuse  qui  fasse  fuir  les  ténè- 
» bres  des  crimes.  Malheureusement  on  trouve  la  route  longue,  parce 
» qu’on  ne  la  suit  pas  selon  la  méthode  du  vrai,  et  qu’on  n’y  entre 
» pas  avec  sincérité.  Si  on  suivait  la  voie  dans  les  conditions  vou- 
» lues,  il  n’y  aurait  pas  de  voiles  pour  cacher  les  demandes  ; au  con- 
» traire,  ce  seraient  les  demandes  qui  rechercheraient  le  demandeur.  » 

A ceux  qui  peuvent  comprendre  le  document  qui  pré- 
cède (ou  tout  autre  analogue,  selon  le  choix  du  cheikh, 
car  le  choix  ne  manque  pas),  on  fait  aborder  des  lectu- 
res empreintes  d’un  mysticisme  encore  plus  transcen- 
dant, comme,  par  exemple,  l’extrait  suivant  du  livre  pré- 
cité des  « Gloires  révélées  du  mémorial  des  Chadelya  : » 

« Le  sytème  de  morale  des  Chadelya,  se  divisât-il  en  diverses  bran. 
» ches  et  y poussât-on  jusqu’à  l’extrême  les  combinaisons  métaphy- 
» siques,  pourrait  toujours  être  ramené  à deux  bases  principales  : la 
» théorie  et  la  pratique,  reposant  elles-mêmes  soit  sur  les  principes 
» de  la  loi  révélée,  soit  sur  des  principes  en  dehors  de  cette  loi. 

» Pour  franchir  l’espace  qui  nous  sépare  de  l’âme  et  connaître  la 
» réalité  des  êtres  immatériels,  il  y a deux  méthodes  : 

» La  première  est  celle  de  la  manifestation,  à laquelle  on  se  pré* 
» pare  par  la  mortification  de  soi-même  et  la  purification  de  l’esprit. 
» Si,  dans  ses  actes,  on  se  laisse  guider  par  une  loi  révélée,  c’est  du 
» soufisme  pur  ; sinon,  on  appartient  aux  illuminés,  qui  ne  sont  autres 
» que  les  Éléates  ; 

v La  seconde  consiste  à rechercher  la  sagesse  au  moyen  des  scien- 
» ces.  Si,  dans  ses  études,  on  s’appuie  sur  une  loi  révélée,  on  est 
)>  scholastique  ; sinon,  on  appartient  au  péripatétisme,  sorte  de  phi- 
» losophie  qui  a eu  pour  premier  chef  Aristote,  fondateur  de  la  méta- 
» physique  basée  sur  la  recherche  des  premiers  principes. 

» Il  n’y  a pas  lieu  de  parler  ici  des  doctrines  qui  n’ont  pas  la  loi 
» révélée  pour  soutien.  La  philosophie  qui  prend  cette  loi  pour  point 


— 260  — 

b de  départ  mérite  seule  que  nous  entrions  dans  quelques  détails  à 
» son  sujet. 

» L’école  de  la  manifestation  dit  que  l’âme  ressemble,  dans  son  pre- 
» mier  développement,  à un  miroir  poli  et  sans  tache,  réfléchissant 
» tous  les  objets  qui  sont  à sa  vue,  soit  que  ces  objets  aient  une 
» existence  antérieure  ou  qu’ils  soient  à l’état  adventice.  Mais  deux 
» choses  s’opposent  à ce  que  l’âme  joue  librement  ce  rôle  : 1°  sa  ter- 
» nissure  par  des  substances  corporelles,  produite  par  une  intuition, 
>>  une  croyance  ou  une  autorité  sur  laquelle  on  s’appuie  ; 2°  une 
» fausse  direction,  qui,  en  l’écartant  des  sciences,  lui  fera  perdre  de 
» vue  son  objectif,  et  rendra  impossible  la  transformation  en  sa  pro- 
» pre  substance  des  matières  qu’elle  irait  puiser  dans  les  connais- 
» sances. 

» Si  donc,  rien  ne  vient  empêcher  la  réflexion,  l’âme  aura  la  vision, 
» et  les  voiles  qui  s’interposeraient  entre  elle  et  les  objets  disparaî- 
» tront.  Ainsi,  par  suite  d’une  bonne  direction,  il  n’y  aura  pas  de 
» voiles,  et  l’âme  jouira  de  la  vision. 

» L’existence  d’une  seule  des  deux  imperfections  précitées  éloigne 
» forcément  l’âme  du  but  qu’elle  poursuit,  sans  que  jamais  il  lui  soit 
» possible  d’y  arriver. 

» Comment  des  rayons  lumineux  s’échapperaient-ils  du  cœur,  si 
» des  substances  en  ternissent  la  surface  ? Comment  le  cœur  irait-il 
» à Dieu,  s’il  est  enchaîné  aux  passions  ? Comment  jouirait-il  de  la 
» présence  de  Dieu,  s’il  n’est  pas  préalablement  purifié  du  crime  de 
» négligence  ? Et  comment,  enfin,  percevrait-il  la  délicatesse  des  se- 
» crets  divins,  s’il  ne  revient  pas  de  ses  omissions  ? 

» On  compare  aussi  l’âme  à une  source  dont  l’eau  représente  les 
» connaissances  et  les  sciences  morales.  Lorsque  l’eau  de  la  source 
» est  absorbée  par  le  sol,  on  a recours  au  sondage. 

b Cette  comparaison  de  l’âme  à une  source  est  fort  juste.  En  effet, 
b les  idées  malsaines,  les  liens  étrangers  font  disparaître  les  mani- 
b festations  des  réalités  et  des  sciences  qui  se  sont  produites  à 
b l’âme  au  jour  de  l’initiation,  et  les  font  évanouir  comme  l’eau  de  la 
b source.  Il  faudra  alors,  pour  ramener  cette  eau  à la  surface,  c’est- 
b à-dire  ramener  l’àme  à l’état  de  pureté,  prendre  la  pioche  du  com- 
b bat  et  la  pelle  des  exercices  spirituels. 

b Cette  façon  de  diriger  l’âme  appartient  à l’école  de  l’inspiration 
b ou  de  l’illumination. 

b Cette  école  considère  que  la  meilleure  méthode  de  traitement, 
b dans*  les  affections  de  l’âme,  est  celle  qui  consiste  à remonter  à 
b l’origine  du  mal,  et  à en  faire  disparaître  la  cause  ; car  la  cause 
b disparaissant,  les  effets  disparaissent  aussi.  Il  en  serait  tout  autre- 
b ment  si  l’on  s’attaquait  tout  d’abord  à l’effet. 

b Pour  arriver  sûrement  à extirper  la  souffrance,  par  l’emploi  de 


— 261 


» remèdes  appropriés  à la  maladie,  il  faut  d’abord  connaître  la  na- 
» ture  de  la  maladie,  puis  son  origine.  Tant  que  la  cause  ou  le  germe 
» restent  ignorés,  on  peut,  il  est  vrai,  faire  disparaître  le  mal,  après 
» avoir  réussi  à lui  donner  une  forme  bien  déterminée,  mais  le  prin- 
» cipe  de  ce  mal  subsistera  et  empêchera  les  remèdes  d’avoir  un  effet 
» radical. 

» ^.insi,  s’attacher  uniquement  à l’effet,  c’est  employer  un  mode  de 
» traitement  plein  d’incertitude,  c’est  retarder  la  guérison,  et  peut- 
» être  la  rendre  impossible;  en  tout  cas,  c’est  agir  en  dehors  de 
» toute  règle.  Au  contraire,  en  attaquant  la  cause  de  la  maladie,  le 
» médecin,  au  moyen  d’un  traitement  facile,  obtiendra  de  suite  la 
v guérison,  sans  avoir  de  rechute  à craindre. 

» L’origine  de  toute  maladie  physique  est  un  trouble  dans  l’or- 
» ganisme,  dont  les  actions  et  les  impressions  n’ont  plus  alors  de 
» cours  naturel. 

» L’origine  de  toute  maladie  morale  est  un  trouble  de  l’âme  en 
» mouvement  vers  s'es  désirs,  dont  la  pierre  de  touche  est  la  satisfae- 
» tion  de  la  conscience.  Par  suite  de  cette  altération,  les  actions  et 
» les  impressions  de  l’âme  n’ont  plus  de  cours  régulier  ; la  voix  des 
» passions  et  des  opinions  malsaines  seule  domine;  la  certitude  s’af* 
» faiblit,  avec  la  perte  de  la  notion  du  bien  et  du  mal. 

» Le  traitement  de  la  maladie  morale  consiste  à empêcher  l’âme 
» de  tomber  dans  les  fautes  et  négligences,  et,  si  elle  y est  tombée, 
» à l*en  purifier.  La  piété  et  la  droiture  sont  le  commencement  de  la 
» médication  ; viennent  ensuite  le  repentir  et  la  contrition,  avec  leur 
» corollaire  obligé  de  pratiques  de  dévotion,  qui  doivent  être  cons- 
» tantes,  de  façon  à devenir  une  seconde  nature. 

» Ces  moyens  de  corriger  l’âme  et  de  lui  donner  le  poli  du  miroir, 
» ne  sont  pas  nouveaux  : ils  existaient  déjà  avant  l’illuminisme,  car  ils 
» constituaient  l’école  de  l’illumination.  Cette  école  ne  devait  point 
» disparaitre  de  longtemps  ; mais  sa  doctrine  se  borna  tantôt  au 
» système  de  solitude,  de  classification,  tantôt  à la  simple  obser- 
» vance  des  principes  fondamentaux,  au  respect  de  soi-même,  ou  à 
» un  énergique  et  vigoureux  effort  de  tension  vers  Dieu.  Plus  tard, 
» elle  ne  consista  plus  qu’à  recevoir  et  à donner  le  brevet  d’affi- 
» liation. 

» Certainement,  l’homme  cherchera  jusqu’à  la  fin  des  temps  le 
» moyen  de  perfectionner  son  âme  ; mais  certains  signes,  certains 
» témoignages  nous  permettent  d’affirmer  qu’il  n’y  a plus  aujourd’hui 
» ni  système,  ni  convention  pour  l’éducation  de  l’âme.  Des  érudits 
» assurent  que  depuis  l’année  824  de  l’Hégire  (1421  de  J.-C.),  il  ne  reste 
» plus,  de  toute  la  méthode  des  degrés,  que  la  puissance  morale  de 
» quelques  personnages. 

» L’école  philosophique,  qui  prétendait  arriver  à la  perfection  mo- 


— 262  — 

» raie  par  la  recherche  de  la  science,  avait  posé  comme  principe  que 
» la  science  est  le  critérium  de  la  vérité.  Il  y a,  en  cela,  accord  entre 
» elle  et  le  Prophète,  qui  a dit  : « La  science  est  le  guide  de  la  pra- 
» tique  car  l’action  suit  la  science.  » 

» L’homme  a besoin,  pour  se  conduire,  de  quatre  sciences  : 1°  la 
» science  de  l’essence  ; 2°  la  science  des  attributs  ; 3°  la  science  du 
» droit,  avec  l’exégèse  du  Coran  et  la  tradition  du  Prophète  ; 4°  la 
» science  des  attitudes  et  des  stations,  qui  comprend  la  manière  de 
» se  conduire  et  les  transactions  sociales.  » 


Quoique  les  Chadelya  - Derqaoua  aient  de  grandes 
prétentions  à appartenir  à un  ordre  « savant , » bien 
peu  de  leurs  Khouan,  même  parmi  les  moqaddem,  sont 
aujourd’hui  en  état  de  comprendre  ou  de  commenter 
la  lecture  des  livres  mystiques  écrits  par  leurs  anciens 
docteurs. 

En  Algérie,  les  Chadelya-Derqaoua  sont  nombreux  ; 
tous  affirment  qu’en  dehors  des  quelques  individualités, 
qu’ils  ont  été  les  premiers  à désavouer  et  à répudier,  ils 
n’ont,  en  réalité,  été  mêlés  activement  à aucun  fait  insur- 
rectionnel. Il  est  bien  évident  cependant  qu’il  ne  faudra 
jamais  demander  aux  Derqaoua  d’être  les  auxiliaires  dé- 
voués de  nos  agents  politiques,  et  que  nous  ne  réussi- 
rons pas  à les  faire  coopérer  activement  à l’œuvre  de 
progrès  et  de  civilisation  que  nous  poursuivons  en  Algé- 
rie. Ils  refusent  du  reste  tout  emploi  dans  l’administra- 
tion, en  dehors  de  ceux  du  culte  et  de  la  justice.  Mais  il 
faut  reconnaître  aussi  que,  si  les  chefs  Chadelya  et  Der- 
qaoua mettent  une  grande  réserve  dans  leurs  relations 
avec  nous,  cette  réserve  n’est  ni  agressive  ni  malveil- 
lante. 

En  1853  (1269-1270  de  l’Hégire),  le  moqaddem  en  chef  de 
la  zaouïa  des  Derqaoua  à Fez,  Mouley-Ali-ben-el-Arbi, 
acceptait  avec  reconnaissance  d’être  embarqué  sur  la 
frégate  « l’Albatros  »,  qui  prenait  à son  bord,  pour  les 
conduire  à Alexandrie  d’Égypte,  le  grand  maître  des  Taï- 
bya  et  d’autres  notables  personnages  de  la  cour  Chéri- 


— 263  — 


tienne,  se  rendant  en  pèlerinage  à la  Mecque.  Son  atti- 
tude, vis-à-vis  l’état-major  du  bateau  et  vis-à-vis  l’agent 
consulaire  de  France,  qui  accompagnait  les  Marocains, 
fut  des  plus  courtoises  et  des  plus  sympathiques.  En 
Algérie,  à diverses  reprises,  notamment  lors  des  insur- 
rections de  1864  (1280-1281  de  l’Hégire)  et  de  1871  (1287- 
1288  de  l’Hégire),  le  cheikh  El-Missoum,  soit  spontané- 
ment, soit  sur  notre  demande,  s’est  employé  à calmer 
les  esprits  et  a écrit,  à ses  Khouan,  des  lettres-circulaires 
leur  prescrivant  de  ne  pas  prêter  la  main  aux  agitateurs, 
et  lançant  l’anathème  contre  quiconque  se  mêlerait  des 
affaires  politiques  ou  ne  resterait  pas,  strictement,  en 
dehors  des  menées  insurrectionnelles. 

En  résumé,  les  Chadelya-Derqaoua  constituent  une 
école  philosophique  et  religieuse  des  plus  importantes, 
en  raison  du  nombre  considérable  de  congrégations  qui 
suivent  leur  rituel  et  s’inspirent  de  leurs  doctrines  éga- 
litaires, antisociales  et  rétrogrades.  Les  chefs  des  bran- 
ches qui  représentent  le  mieux  l’ordre  primitif  ont  con- 
tinué à prêcher  l’abstention  des  affaires  politiques  ou 
commerciales,  et  l’éloignement  des  représentants  de 
l’autorité  temporelle;  mais,  malgré  tout  ce  qu’on  a dit  et 
écrit,  ils  n’excitent  directement  personne  contre  nous. 
Ils  ont  les  qualités  de  leurs  défauts,  et  l’on  peut  vivre  en 
bonne  intelligence  avec  eux,  à la  condition  de  les  bien 
connaître  et  de  mettre  toujours,  dans  les  relations  avec 
eux,  la  vigilance,  le  tact,  la  prudence  et  l’habileté  qu’il 
faut  avoir,  en  tout  pays,  vis  à vis  des  adversaires  de 
l’esprit  moderne  et  du  progrès. 

Dans  le  prochain  chapitre,  nous  parlerons  des  princi- 
paux ordres  religieux  qui  sont  issus  des  Chadelya  ou  qui 
les  continuent;  nous  nous  bornerons  à dire  ici  qu’en 
Algérie,  la  statistique  officielle  donne,  pour  les  Chadelya 
proprement  dits,  appelés  Derqaoua  dans  l’Ouest,  les 
chiffres  suivants,  sans  qu’il  soit  possible  de  séparer  net- 
tement ceux  de  ces  affiliés  qui  reçoivent  leur  direction 


— 264  — 


du  Maroc,  de  ceux  qui  la  reçoivent  de  la  zaouïa  de 
Cheikh-el-Missoum.  (Voir  la  carte.) 


Province  d’Oran.. ..... . 7 Zaouïa,  185  moqaddem,  6.921  khouan. 

Province  d’Alger 7 — 31  — 2.228  — 


Province  de Constantine.  18  — 52  — 5.425 


Totaux '..  32  zaouïa,  268  moqaddem,  14.574  khouan. 


— 265  — 


CHAPITRE  XVIII 


LES  BRANCHES  SECONDAIRES  & LES  ORDRES  DÉRIVÉS 
DES  CHADELYA 


Abou -Médian,  Ben-Mechich  et  Ghadeli  maintinrent 
toujours  leur  enseignement  doctrinal  dans  les  hautes 
sphères  du  mysticisme  et  de  la  morale.  Dégagés  de  toute 
préoccupation  humaine,  n’ayànt  aucun  objectif  temporel, 
ils  furent  les  chefs  vénérés  d’une  école  philosophique 
religieuse,  plutôt  que  les  chefs  d’une  congrégation. 

Les  règles  liturgiques,  ouerd,  dikr  et  autres  pratiques 
du  rituel  des  Chadelya,  furent  surtout  l’œuvre  de  leurs 
disciples  ; et,  comme  ces  disciples  étaient  extrêmement 
nombreux  dans  tout  le  nord  de  l’Afrique,  en  Arabie,  en 
Syrie  et  en  Espagne,  il  en  résulta  que,  de  très  bonne 
heure,  les  Chadelya  se  fractionnèrent  en  de  nombreux 
groupes,  parfaitement  distincts.  Nous  avons,  dans  le 
chapitre  précédent,  suivi  l’évolution  d’un  de  ces  groupes, 
de  celui  qui,  pour  nous  Français,  est  le  plus  important, 
car  il  est  réputé  en  Algérie,  celui  qui  a le  mieux  conservé 
les  doctrines,  les  traditions,  le  rituel  et  les  tendances 
des  premiers  grands  maîtres  des  Chadelya.  Mais,  à côté 
de  ce  groupe,  il  en  existe  d’autres,  qui  se  sont  détachés 
de  lui  à des  époques  différentes,  et  qui  ont  formé,  dans 
les  divers  États  musulmans,  et  aussi  en  Algérie,  de 
petites  ou  de  grandes  congrégations  ayant  conservé, 
avec  les  Chadelya,  des  attaches  plus  ou  moins  sérieuses. 

Quelques-unes  de  ces  congrégations  ne  sont  que  des 
branches  secondaires  ou  collatérales  de  l’ordre  principal 


— 266  — 


que  nous  avons  étudié.  Leurs  statuts  n’ont  rien  qui  les 
différencient,  et,  sauf  leurs  centres  de  direction  et  leurs 
noms  qui  se  sont  modifiés,  elles  ont  conservé  les  doc- 
trines et  la  règle  des  Chadelya  ; ce  sont  des  congréga- 
tions de  Chadelya -,  et  elles  le  sont  si  bien,  que  plusieurs 
d’entre  elles  ont  pour  patron  un  des  membres -de  la 
chaîne  mystique  que  nous  avons  donnée  dans  le  précé- 
dent chapitre.  D’autres,  au  contraire,  se  sont  tout  à fait 
séparées  du  groupe  principal,  en  introduisant,  dans  leurs 
statuts,  des  dispositions  nouvelles  et  en  mitigeant  les 
doctrines  mystiques  du  premier  grand  maître,  par  l’in- 
dication d’objectifs  temporels  et  humains  qui  leur  don- 
nent un  caractère  spécial,  tout  à fait  différent  de  celui 
des  Chadelya.  Ces  groupes,  quoique  dérivés  des  Chade- 
lya, sont  de  véritables  ordres  nouveaux.  Leur  séparation 
est  aujourd’hui  un  fait  accompli  et,  malgré  leurs  atta- 
ches premières,  ils  n’ont  presque  plus  de  rapports  avec 
la  branche  mère  dont  ils  sont  issus. 

Les  uns  et  les  autres  mériteraient  une  étude  spéciale, 
car  leur  importance  peut  être  énorme  à un  moment 
donné.  L’Islam,  nous  l’avons  dit,  n’a  jamais  reconnu  les 
limites  que  la  politique  a tracées  entre  les  divers  peuples 
disciples  du  Prophète,  et,  du  fond  de  l’Arabie  comme  du 
fond  du  Maroc,  un  ordre  religieux  peut,  à un  moment 
donné,  exercer  une  action  très  réelle  sur  nos  sujets 
Algériens. 

Mais,  le  plus  souvent,  les  éléments  d’information  en 
pays  étranger  nous  manquent  tout  à fait,  et  nous  ne 
pouvons  donner,  ici,  qu’une  énumération  très  incom- 
plète de  ces  ordres,  que  nous  aurions  tant  d’intérêt  à 
connaître  ; souvent  même,  nous  serons  forcés  de  n’ins- 
crire que  le  nom  d’une  branche,  sans  pouvoir  dire  au 
juste  quel  est  son  centre  de  direction. 

Les  congrégations  qui  se  sont  détachées  des  Chadelya 
sont,  dans  l’ordre  chronologique,  les  suivantes  : 


— 267  — 


I 

(Vers  1310  de  J. -G.,  709-710  de  — L’ordre  des 
Oufaya , branche  distincte  des  Chadelya , ayant  pour 
patron  et  fondateur  l’Imam  el  hâq  Mohamrned-Ouafa- 
ben-Ahmed-Ouafa,  qui  figure  dans  plusieurs  chaînes,  et 
qui  était  le  disciple  direct  d’Abd-el-Kerim-ben-Atha-Allah- 
el-Iskanderi  (n°  17  de  la  chaîne  principale).  Ce  dernier 
étant  mort  en  709  de  PH.  (1309-1310  de  J.-C.),  l'ordre  des 
Oufaya  peut  être  considéré  comme  ayant  pris  naissance 
vers  1310  de  J.-G.  (709-710  de  PH.)  ou  vers  1315  de  J.-G. 
(714-715  de  l’H.) . 

Les  Oufaya,  qui  existent  croyons-nous  en  Égypte, 
observent  les  mêmes  pratiques  que  les  autres  Chadelya, 
mais,  au  lieu  de  réciter  l’oraison  dite  « Hezab-ech-Cha- 
deli,  » ils  récitent  celle  dite  « Hezab-el-Fath,  » dont  l’au- 
teur est  Ouafa-Ali,  fils  et  successeur  spirituel  du  fonda- 
teur de  l’ordre.  En  outre, 

« Lorsqu’ils  font  leurs  prières,  ils  élèvent  la  voix  en  chœur  et  les 
» psalmodient  à l’unisson,  car  ces  prières  font  jaillir,  du  briquet  de 
» l’amour  divin,  des  étincelles  qui  viennent  consumer,  de  leur  feu, 
» le  germe  de  l’impureté  et  de  la  tiédeur.  » 

L’imam  El-Ouafa  figure  dans  la  chaîne  qui  est  com- 
mune aux  Zerroukya,  Rachidya,  Bekerya,  R’azya,  etc., 
dont  il  sera  parlé  plus  loin. 

Il  figure  encore  dans  cette  autre  chaîne,  qui  est  celle 
citée  par  Gheikh-Snoussi  dans  ses  appuis  : 

1°  Imam  el  hâq  Mohammed-el-Ouafa  ; — 2°  Ali-ben- el- Ouafa  ; — 
3°  Cheikh-Abd-er-Rahman  ; — 4°  Cheikh-Djemal-ed-Din-ben-Abd-er- 
Rahman  ; — 5°  Cheikh-Abou-Hessen-el-Bekeri  (1553  de  J.-C.,  960-961  de 
l’Hégire)  ; — 6°  Mohammed-ben-Abou-Hessen-el-Bekeri  ; — 7°  Abou- 
Mouaheb-el-Chenaoui;  — 8°  Abou-Abbas-el-Araïchi,  qui  fut  un  des  maî- 
tres éducateurs  de  Cheikh-Snoussi  au  commencement  de  ce  siècle  (1). 


(t)  Cette  chaîne  est  évidemment  incomplète;  il  y a eu,  de  1350  à 
1800,  plus  de  8 cheikhs.  Cheikh-Snoussi  n’a  cité  que  les  principaux 
personnages . 


268  — 


II 

(Vers  853-854  de  l’H.,  1450  de  J. -G.).  — L’ordre  des 
Aroussya,  branche  secondaire  des  Chadelya,  ayant  pour 
patron  et  fondateur  Sid  Abou-el-Abbas-Ahmed-ben-el- 
Arous,  moqaddem  des  Chadelya,  qui  eut  pour  cheikh 
Abou-Abbas-Ahmed-ben-Okba-el-Hadrami,  qui  est  le  n°  19 
de  la  chaîne  principale,  ce  qui  place  l’origine  du  nouvel 
ordre  vers  1450  ou  1460  de  J.-G. 

Cette  branche  se  relie,  en  outre,  à l’ordre  des  Qadrya, 
car  le  cheikh  El-Hadrami  était  moqaddem  des  Qadrya, 
par  la  chaîne  descendante  suivante  : 

5,  Abou-  Zakaria-Yahia  - el-Kadouri.  — 4,  Abou-es-Saoud-el-Mes- 
saoudi.  — 3,  Ahmed-ben-Abou-Solih-en-Nacer. — 2,  Abou-Beker-Abd- 
er-Rezek,  fils  et  disciple  de  Sid  Abd-el  Qader-el-Djilani. 

Le  cheikh  Abou-Abbas-Ahmed-ben-Arous  a écrit  un 
ouvrage  intitulé  : (le  Joyau  de 

Sid  El-Mahdi-el-Fassi);  dans  lequel  on  trouverait,  sans 
doute,  les  détails  que  nous  n’avons  pu  nous  procurer 
sur  les  pratiques  spéciales  à cet  ordre. 

Le  cheikh  Snoussi,  qui  le  cite  parmi  ses  appuis,  donne 
à cet  ordre  la  chaîne  suivante  : 

1,  Abou-Abbas-Ahmed-ben-Arous  (qui  fut  aussi  l’un  des  maîtres 
éducateurs  de  l’imam  Zerrouk-el-Bernoussi).  — 2,  El-Màmar- Abou- 
Salem-Ibrahim-ez-Zouaouï-et-Tounsi  (de  Tunis).  — 3,  Sid  Abou-Me- 
hassen-Youcef-ben-Mohammed-el-Fassi,  qui  vivait  en  986  de  J.-C. 
(1578-1579  de  l’H.)  (1)  et  est  cité  dans  la  chaîne  principale  des  Chadelya 
sous  le  n°  23  bis.  — 4,  Abou-Zid-Abd-er-Rahman-el-Fassi,  frère  du 
précédent.  — 5,  Cheikh-el-Islam-Abou-Mohammed-Abd-el-Qader-el- 
Fassi,  neveu  du  précédent.  — 6,  Abd-es-Sellem-Benani.  — 7,  Djas- 
sous.  _ 8,  El-Beder-ben-Ameur-el-Hedani,  qui  fut  un  des  maîtres  de 
Cheikh-Snoussi  au  commencement  de  ce  siècle. 


(1)  Cette  date  est  donnée  par  l’historien  Bou-Ras,  qui  cite  Abou- 
Mehassen-Youcef-ben-Mohammed-el-Fassi,  comme  assistant  à la 
bataille  de  El-Mekhazen,  livrée  par  Abd-el-Melek,  souverain  du 
Maroc,  à Mohammed-ben-Abdaliah  et  à Don  Sébastien. 


— 269  — 


(En  869  de  J.-C.,  1464-1465  de  PH.).  — L’ordre  des 
Djazoulya,  branche  marocaine  des  Chadelya,  sous  le 
patronage  de  l 'imam  Abou-Abd-Allah-Mohammed-ben- 
Abou-Beker-&ùma/2-e^Z)/tf£owù‘-ech-Cherif-el-Hassani-es- 
Semlali-ech-Chadouli.  Ce  Saint  fut  le  grand-père  ou  le 
bisaïeul  de  Si  Mahmed-ben-Aïssa,  fondateur  de  l’ordre 
des  Aïssaoua.  Il  était  né  à Sousse  ou,  plus  exactement, 
dans  le  voisinage,  à un  lieu  dit  Djazoula;  il  se  fixa  aux 
environs,  à Afghal,  puis  à Metouara,  et  mourut  empoi- 
sonné en  869  de  J.-C.  (1464-1465  de  l’H.).  Enterré  d’abord 
au  lieu  dit  Haha  (Sala.),  il  fut,  plus  tard,  exhumé  et 
transporté  à Maroc  même,  où  son  tombeau  est  l’objet 
de  nombreux  pèlerinages. 

L’imam  El-Djazouli  est  l’auteur  d’un  livre  intitulé  : 
« Les  meilleurs  arguments , » traitant  des 
prières  à faire  pour  le  Prophète,  prières  encore  en  usage 
dans  plusieurs  groupes  de  Chadelya.  Son  ordre  n’est 
guère  aujourd’hui  qu’une  expression  historique,  car  les 
Chadelya-Djazoulya  se  sont  transformés  en  de  nouvelles 
congrégations  portant  d’autres  noms  : Aïssaoua,  Habi- 
bya,  Taïbya. 

Plusieurs  chaînes  sont  données  comme  rattachant 
l’imam  Djazouli  aux  Chadelya;  la  plus  connue  est  celle 
qui  est  commune  aux  Aïssaoua  et  aux  Taïbya,  et  qui 
remonte  à Abd-el-Kerim-ben-Atha-Allah,  n°  17  de  la  chaîne 
principale.  (Voir  chap.  XXII  et  XXVI.) 

Les  Habibya  ont  une  chaîne  plus  courte,  dans  laquelle 
ils  présentent  le  cheikh  de  l’imam  Djazouli,  Abou-Abd- 
Allah-Mohammed-Amrar-Cherif,  comme  disciple  d’un 
nommé  Abd-Allah-el-Ili,  disciple  direct  lui-même  d’ Abd- 
el-Kerim-ben-Atha-Allah. 

Le  cheikh  Snoussi,  qui  cite  les  Djazoulya  dans  ses 
appuis,  évite  de  nommer  les  chefs  des  ordres  qui  en 
dérivent,  et  donne  une  chaîne  un  peu  différente,  qu’il 


— 270  — 


est  bon  de  connaître,  car  elle  semble  être  celle  qui  con- 
tinue les  Djazoulya  purs  : 


1°  L’imam  El-Djazouli;  — 2°  Aboul-Amedad-Abd-el-Aziz-ben-Abd- 
el-Haq-el-Hersar,  surnommé  Atteba  ; — 3°  Aboul-Beka-Amar-ben-Abd* 
el-Aziz-el-Khettobi-el-Zerhouni  ; — 4°  Cheikh-el-Medjedoub-Sid-Abd- 
er-Rahman-el-Oukil  ; — 5°  Abou-Mehassen-Youcef-ben-Mohammed-el- 
Fassi  (1578  de  l’H.,  986  de  J.-C.)  ; — 6°  Abd-er-Rahman-ben-Moham- 
med-el-Fassi,  frère  du  précédent;  — 7°  Abou-Barkat-Abd-el-Qader- 
el-Fassi,  neveu  du  précédent  ; — 8°  Sid  Mohammed-ben-Abd-er-Rah- 
man-ben-Abd-el-Qader-el-Fassi,  petit-fils  du  précédent  ; — 9°  Sid  Mo- 
hammed-Abdallah-er-R’azi-el-Madani;  — 10°  Sid  El-Sindi;  — 11°  Abou- 
Abbas-el-Araïchi,  qui  fut  l’un  des  maîtres  de  Cheikh-Snoussi  au  com- 
mencement de  ce  siècle. 


IV 

(En  899  de  J.-C.,  1493-1494  de  EH.).  — L’ordre  des 
Zerroukya,  branche  des  Chadelya,  ayant  pour  patron  et 
pour  fondateur  l’imam  Sid-Abou-Abbas-Ahmed-Zerrouk- 
el-Bernoussi,  qui  est  le  n°  20  de  la  chaîne  des  Derqaoua. 
Ahmed-Zerrouk  est  né  en  845  de  J.-C.,  1441-42  de  l’H.,  à 
Bernoussi,  qui  est  entre  Fez  et  Taza,  au  Maroc,  un  « lieu 
dit , » où  on  lui  a élevé  une  koubba  vénérée.  Il  eut  de 
nombreux  professeurs  et  chefs  spirituels,  parmi  lesquels 
on  cite,  outre  le  cheikh  El-Hadrami  (n°  19),  l’imam  Sid- 
Ahmed-ben-Arous,  chef  des  Aroussya  ; Abd-Allah-es- 
Sakhri,  qui  figure  dans  la  chaîne  des  Kerzazya  ; le  savant 
docteur  Abou-Abbas-Ahmed-ben-Mohammed-ez-Zekri 
(mort  en  910  de  J.-C.,  1504  de  l’H.,  et  patron  de  la  mosquée 
Sidi-Zekri,  à Tlemcen),  etc. 

L’imam  Zerrouk  a laissé  de  nombreux  ouvrages  très 
estimés  de  tous  les  Musulmans  ; les  Chadelya  citent, 
entre  autres,  un  savant  commentaire  du  livre  de  Tadj- 
ed-Din-Abd-el-Kerim-ben-Atha-Allah,  et  un  autre  inti- 
tulé : le  Bouclier  préservateur  des  innovations  dans 
la  tradition  (Al*î)l  ^ ^ Il  mourut 


— 271  — 

en  899  de  J.-C.  (1494  de  l’H.),  à Mezrata,  dans  la  Tripoli- 
tain  e. 

Par  le  cheikh  El-Hadrami,  les  Zerroukya  se  rattachent 
aux  Qadrya  ; leur  chef,  l’imam  Zerrouk,  est  en  outre 
compté  parmi  les  appuis  des  Bekerya,  Rachidya,  Rachi- 
dya-Zerroukya,  R’azya-Sahilya,  Cheikya-Kerzazya-Nace- 
rya,  Zianya,  c’est-à-dire  parmi  les  principales  branches 
des  Ghadelya. 


V 

(909  de  l’H.,  1503-1504  de  J.-C.).  — L’ordre  des  Bekerya 
ou  Bekriya,  branche  des  Chadelya,  pouvant  bien  avoir 
son  centre  de  direction  à la  Mecque,  où  Si  Mohammed- 
ben-  Abou-Beker,  disciple  de  l’imam  Zerrouk  (n°  20) 
est  vénéré  comme  le  patron  et  le  fondateur  de  ce  groupe, 
quelquefois  dénommé  aussi  Bekerya-Zerroukya. 

Ce  personnage  nous  a été  donné  comme  étant  le  même 
que  celui  désigné,  en  Orient,  sous  le  nom  de  Pir-Abou- 
Beker-Oufayi,  mort  à Alep,  en  909  de  l’H.  (1503-1504 
de  J.-C.).  Peut-être  est-ce  simplement  un  de  ses  descen- 
dants. 

Les  Bekerya  se  distinguent  des  autres  Chadelya,  par 
l’habitude  où  ils  sont  de  comprendre,  dans  leur  rituel, 
une  prière  surérogatoire  dite  « Hezab-el-Fath , » prière 
imposée  par.  Abou-Hassen-el-Bekri,  fils  et  successeur 
spirituel  du  fondateur  de  l’ordre. 

Si  Snoussi  donne,  dans  ses  appuis,  la  chaîne  suivante, 
comme  étant  celle  des  cheikhs  qui  ont  continué  l’ensei- 
gnement des  Bekerya  : 

1,  Si  Mohammed  - ben  - Abou-Beka-el-Bekeri.  — 2,  Le  kotb  Abou- 
Hassen-ben-Mohammed-el-Bekeri.  — 3,  Aboul-Mekarem-Mohammed- 
el-Bekeri,  fils  du  précédent.  — 4,  Sid  Zin-el-Abed-ben-Mohammed- 
ben-el-Bekeri.  — 5,  Abou-Salem-el-Ayachi,  qui  fut  un  des  cheikhs  de 
Si  Snoussi  et  qui  dit  avoir  été  initié  à La  Mecque  « par  voie  de  révé- 
lation » du  précédent  (sans  doute  dans  un  songe). 


— 272  — 

VI 

(931  de  l’H.,  1524-1525  de  J. -G.)-  — L’ordre  des  Youcefya 
ou  Rachidya,  branche  secondaire  et  locale  des  Chadelya, 
ayant  pour  patron  Sid  Ahmed-ben-Youcef-el-Miliani-er- 
Rachidi,  l’une  des  plus  grandes  célébrités  maraboutiques 
du  Mar’reb  ; de  nombreuses  légendes  hagiographiques 
racontent  sa  vie  ou  ses  miracles,  et  son  tombeau,  à 
Miliana,  est  le  but  de  nombreux  pèlerinages  faits,  indis- 
tinctement, par  tous  les  Musulmans  affiliés  ou  non  aux 
ordres  religieux. 

Sid  Ahmed- ben-Youcef-el-Miliani-er-Rachidi,  mort 
Fan  931  de  FH.  (1524-1525  de  J. -G.),  était  moqaddem  des 
Chadelya  (n°  20  bis  de  la  chaîne  principale).  Il  passe 
pour  avoir  importé  les  doctrines  du  soufisme  dans  la 
tribu  marocaine  des  Cheurfa  d’Archidia  ou  Rachidia,  de 
l’amalat  de  Taza. 

Les  membres  de  cette  tribu  sont  aujourd’hui  considé- 
rés comme  formant,  sinon  un  ordre  religieux,  du  moins 
un  groupe  maraboutique  pratiquant  le  rituel  des  Chade- 
lya. Ils  habitent  plusieurs  gros  villages  au  S.-O.  de  Deb- 
dou,  à 50  kilomètres  environ  de  la  rive  droite  de  la  Mou- 
laïa.  Ils  possèdent,  en  outre,  en  dehors  de  leur  pays,  des 
zaouïa  importantes,  notamment  à Bou-Rached,  près  du 
village  de  Zahledj  (ou  Zahleg),  chez  les  Beni-Ouaraïn  ; 
à Zekkous,  entre  les  Beni-Ouaraïn  et  les  Reggou  ; à Miter, 
près  du  Djebel-et-Teldj.,  chez  les  Ouled-el-Hadj,  et,  enfin, 
à Quiliz,  dans  la  plaine  de  Garet,  chez  les  Beni-bou-Yahi. 
Leur  influence  et  très  grande  sur  tout  ce  pays  qui  est 
déterminé  par  les  affluents  de  la  Haute-Mouïouya,  à 
l’ouest  de  l’Oued-Charef,  au  Maroc. 

Ils  vont  souvent  à Miliana  visiter  le  tombeau  de  leur 
patron,  et  faire  acte  de  déférence  vis-à-vis  des  descen- 
dants de  Sid  Ahmed-ben-Youcef,  qui  habitent  dans  la 
tribu  des  Beni-Ferat,  aux  environs  de  Miliana,  sans  être 
cependant  tous  affiliés  à l’ordre  des  Chadelya. 

Sid  Ahmed-ben-Youcef  figure  parmi  les  appuis  des 


— 273  — 

Zeroukya,  R’azya,  Sahelya,  Cheikhya,  Kerzazya,  Nacerya, 
Zianya. 


VII 

(931  de  VH.,  1524-1525  de  J.-G.).  — L’ordre  des  Rachi- 
dya-Zerroukya  est  indiqué,  par  Cheikh-Snoussi,  comme 
distinct  du  précédent.  D’après  la  liste  qu’il  donne,  il  sem- 
ble que  cet  ordre  représente  un  soff  comprenant  la 
branche  méridionale  et  occidentale  des  Chadelya-Ra- 
chedya.  Voici  en  effet  cette  liste  : 

1,  Sid  Ahmed-ben-Youcef-el-Miliani-er-Rachidi.  — 2,  Sid  Ahmed- 
ben-Moussa  (mort  vers  1608  et  chef  des  Kerzazya).  — 3,  Abou-Abbas~ 
Ahmed-ben-Mohammed-Adebal.  — 4,  Abou-Salem-Abdallah-ben-Mo- 
hammed-ben-Abou-Beker-el-Ayachi  (qui  vivait  encore  en  1663  de  J.-C., 
1073-1074  de  PH.).  — 5,  Mohammed-ben-Abd-er-Rahman-ben-Abd-el- 
Qader-el-Fassi. •—  6,  Sid  Mohammed-ben-Abd-es-Sellem-el-Benani. — 
7,  Djassous.  — ■ 7 bis , Abou-Yacoub-Youcef-ben-Mohammed-en-Naceri. 
— 8,  Cheikh-Abd-es-Sellem-en-Naceri  et,  8 bis , Cheikh-Beder-ben- 
Ameur-el-Hedani  qui,  tous  deux,  furent  professeurs  de  Cheikh-Snoussi 
au  commencement  de  ce  siècle. 

Une  autre  branche  des  Rachidya  existe  au  Gourara  ; 
ses  adhérents  se  disent  descendants  de  Mansour,  fils  de 
Sid  Ahmed-ben-Youcef.  D’autres  descendants  du  Saint 
ont  aussi  fait  souche  à Thiout  ; ils  ont  des  serviteurs 
religieux  à Aïn-Sefra,  Sfissifa,  Ich,  Figuig,  Beni-Goumi, 
Igli,  et  se  relient  avec  les  précédents.  Les  chefs  de  cette 
branche  de  Thiout  représentent  le  soff  Français  dans 
cette  région. 

La  statistique  faite  en  1882  donne,  pour  les  Rachidya- 
ou-Youcefya,  en  Algérie:  une  zaouïa,  5 moqaddem  et 
519  Khouan,  savoir  : 

A Alger... 1 moqaddem  60  khouan 


A Aïn-Sefra:  Ouled-Aliat 

1 

— 

246 

— Thiout 1 zaouïa, 

1 

— 

101 

A Géryville  : Ouled-Moullah 

1 

— 

2 

A Tlemcen  : Ouled-Ahmed-ben-Youcef. . 

1 

— 

10 

A Oran  : Douairs  de  Melata 

1 

— 

100 

18 


— 274  — 


Mais,  cette  statistique  est  certainement  très  incom- 
plète, beaucoup  de  personnes  estimant,  à tort,  que  les 
Ouled-Sidi-Youcef  n’ont  que  des  serviteurs  religieux  et 
pas  de  khouan. 


VIII 

(Vers  1526  de  J.-C.,  932-933  de  PH.).  — L’ordre  des 
R’azya,  branche  secondaire  des  Ghadelya,  cantonnée 
dans  l’Oued-Draâ  au  Maroc,  a pour  patron  et  fondateur 
Sid  Abou-el-Hassen-el-Kacem-el-R’azi,  ou  Cheikh-er- 
R’azi-ben-Belgacem  (1).  C’est  sous  ce  dernier  nom  qu’il 
figure  (sous  le  n°  21  ter)  dans  la  chaîne  principale  des 
Chadelya  comme  disciple  direct  de  Sid-Ahmed-ben-You- 
cef-el-Miliani.  — Mais  d’autres  chaînes  le  donnent 
comme  ayant  eu  pour  maître  un  disciple  de  ce  dernier, 
Sid  Ali-ben- Abd-Allah-el-Fi la li. 

Peut-être,  aussi,  la  date  que  nous  donnons  pour  la 
fondation  de  cet  ordre  est-elle  inexacte,  car  il  a existé 
un  nommé  Abou-Abd-Allah-Mohammed-ben-Ali-ben- 
R’azi,  qui  pourrait  bien  être  le  vrai  fondateur  de  l’ordre. 
Or,  ce  dernier,  qui  était  un  soufi  célèbre,  était  né  à 
Méquinez  en  841  de  l’H.  (1437-1438  de  J.-C.),  et  il  est  mort 
dans  cette  ville,  en  919  de  l’H.  (1513-1514  de  J.-C.)  (2). 

Nous  n’avons  aucun  détail  sur  les  R’azya,  qui,  d’après 
le  cheikh  Snoussi,  se  sont  continués  par  la  chaîne  sui- 
vante : 

1,  Cheikh -Abou-el-Ivacem-er-R’azi.  — 2,  Sid  Ahmed  - ben -Ali-el- 
Hadj-ed-Deraï.  — 3,  Sid  Abdallah-ben-el-Hessen-er-Radi.  — 4,  Sid 
Mohammed-ben-Nacer-ed-Deraï,  chef  de  l’ordre  des  Nacerya(1669  de 
J.-C.,  1079-1080  de  l’H.).  — 5,  Si  Ahmed-ben-Nacer.  — 6,  Sidi-Meba- 


(1)  On  dit  aussi  Cheikh-er-R’azi-ben-Abou-Kacem. 

(2)  D’Herbelot  cite  aussi  un  Abou-Hassen-R’azi-Abd-er-Rahman- 
ben-Omar-ben-Sohaïl-cs-Sofi,  fort  estimé  pour  la  règle  austère  qu’il 
donna  aux  Soufi,  et  mort  en  876  de  l’H.  (1471-1472  de  J.-C.)  à l’âge 
de  85  ans. 


— 275  — 


rek-ben-Kerni-el-Filali.  — 7,  Sidi  Amar-ben-Zian.  — 8,  Sidi  Abd-el- 
Ouahab-et-Tazi.  — 9,  Sid  Ahmed-ben-Idris,  mort  en  1835  de  J.*C., 
(1250-1251  de  l’H.),  après  avoir  été  le  maître  et  l’ami  de  Cheikh-Snoussi. 

Cette  chaîne  montre  que  les  R’azya  ont  des  attaches 
avec  les  Nacerya  ; ils  en  ont  aussi  avec  les  Zianya,  car 
Sid  Abou-el-Hessen-el-Kacem-el-R’azi  figure  dans  les 
appuis  de  ce  dernier  ordre.  (Voir  chap.  XXIX.) 

Enfin,  par  leur  origine  première,  ils  ont  d’autres  atta- 
ches encore  avec  tous  les  ordres  dont  les  chaînes  com- 
portent l’imam  Zerouk,  ou  Sid  Ahmed-ben-Youcef-el- 
Milani. 


IX 

(Vers  1525  de  l’H.,  930  deJ.-C.).  — Ordre  religieux 
des  Aïssaoua , dérivé  des  Djazoulya,  fondé  par  Si-Mah- 
med-ben-Aïssa  (Voir  chap.  XXI). 


X 

(Vers  1530  de  J.-C.,  936-937  de  l’H.).  — Le  groupe  mara- 
boutique  des  Sohaïlya  ou  Sohelya,  famille  de  Cheurfa 
marocains  qui,  sans  être  peut-être  absolument  organisés 
en  congrégation  religieuse,  n’en  suivent  pas  moins  le 
rituel  des  Chadelya,  sous  la  direction  des  descendants 
de  Sid  Mohammed-ben-Abd-er-Rahman-es-Soheli , qui 
était  disciple  de  Sid  Ahmed-ben-Youcef  (n°  20  bis  de  la 
chaîne  principale). 

D’après  la  tradition,  Sid  Mohammed-ben-er-Rahman 
était  originaire  de  Yambo  (sur  la  mer  Rouge).  Après  avoir 
reçu  en  Orient  l’affiliation  à l’ordre  des  Chadelya,  il  était 
venu  compléter  ses  études  dans  le  Mar’reb  et  s’était 
attaché  au  Saint  de  Miliana.  A une  époque  qui  ne  saurait 
être  précisée,  il  quitta  son  maître  et  vint  vivre  dans  la 
solitude  et  la  retraite,  au  pied  d’une  montagne  dite  Dje- 
bel-Sehoul,  à 70  kilom.  S.-O.  d’Aïn-Chair  et  à 112  kilom. 


276  — 


N.-E.  de  Riçani  du  Tafilalet,  près  de  l’Oued-Guir.  Là  il 
bâtit  un  oratoire  et  s’adonna  à la  vie  contemplative,  sans 
chercher  à faire  des  disciples.  Mais  sa  réputation  était 
déjà  grande,  et  bientôt  le  nombre  de  ceux  qui  vinrent 
lui  demander  de  les  instruire  augmenta  dans  de  telles 
proportions,  qu’il  fallut  construire  la  zaouïa  actuelle,  et 
qu’une  ville  s’éleva  autour  de  la  demeure  de  Sid  Moham- 
med-ben-Abd-er-Rahman  qui,  dès  lors,  prit  le  nom  de 
Soheli  ou  de  Mouley-Sehoul  (1). 

Parmi  ses  disciples,  on  cite  le  grand  Sidi  Cheikh-Adb- 
el-Qader-ben-Mohammed,  fondateur  des  Gheikhya  et  Sid 
Ahmed'ben-Moussa,  fondateur  des  Kerzazya.  Aussi,  chez 
tous  les  Ghadelya,  la  zaouïa  de  Soheli  et  ses  chefs  sont- 
ils  l’objet  de  la  plus  grande  vénération. 

Le  grand  maître  des  Sohelya  porte  le  titre  de  Cheikh-el- 
Mechaïkh,  dans  le  but,  assure-t-on,  d’affirmer  sa  supré- 
matie spirituelle  sur  les  deux  ordres  des  Gheikhya  et  des 
Kerzazya,  qui,  du  reste,  la  reconnaissent  par  des  égards 
et  des  présents.  Au-dessous  de  lui  le  cheikh  El-Mechaikh 
a des  Khalifa,  des  Moqaddem,  des  Khouan  et  des  Kho- 
dam  ou  simples  serviteurs  non  affiliés.  Cet  ordre  passe 
pour  être  un  de  ceux  où  on  observe  le  mieux  le  rituel 
liturgique  des  Chadelya.  Ses  tendances  sont  pacifiques 
et  tolérantes,  son  influence  considérable  dans  le  Sud 
Marocain  ; ses  Khouan  accompagnent  les  caravanes  des 
nomades  et  leur  servent  de  caution. 

Le  chef  actuel  de  cet  ordre  est  un  nommé  Sid  El-Hadj- 
el-Mahi,  soufi  austère,  toujours  plongé  dans  les  pratiques 
outrées  d’une  dévotion  incessante  qui  semble  avoir  atro- 

(1)  Nous  avons  reproduit  la  légende  locale  qui  donne  à Sid  Moham- 
med-ben-Abd-er-Rahman  le  surnom  de  Soheli,  à cause  de  la  monta- 
gne voisine  ; mais  Soheli  peut  être  aussi  une  épithète  dérivée  de 
Sohaïl  Canope,  étoile.  Ce  surnom  a été  donné  à de  nombreux  savants, 
en  Espagne  et  ailleurs;  entre  autres  à Abou-Kncem-Abd-er-Rahman- 
es-Sohaïli-el-Andalousi,  auteur  du  Raoudh- el-Onof,  livre  de  théologie 
estimé,  et  mort  en  581  de  l’H.  (1185-1186  de  J.-C.),  à l’âge  de  85  ans. 
Citons  encore  Abou-Abd-Allah-es-Soheli,  prédicateur  que  Ibn-Ba- 
touta  rencontra  en  753,  en  Espagne,  à Malaga. 


— 277  — 


phié  son  intelligence.  C’est  du  reste  un  homme  doux, 
inoffensif,  nullement  fanatique,  et  charitable  à l’excès. 
Sa  zaouïa,  où  affluent  les  offrandes,  est  toujours  très 
pauvre,  en  raison  des  nombreuses  aumônes  qui  s’y  font 
journellement. 

Cet  ordre  a peu  ou  point  d’adhérents  en  Algérie,  sauf 
chez  les  étrangers.  Par  contre,  il  en  a un  très  grand 
nombre  dans  le  Tell  et  le  Sahara  Marocain,  chez  les 
Beni-Guill  et  les  Doui-Menia,  ainsi  que  dans  les  Ksour 
de  Figuig,  du  Tafilalet  et  de  Saguiet-el-Hamra. 


• XI 

(Vers  960  de  l’H.,  1553  de  J.-C.).  — Ordre  religieux  des 
Bakkaya,  fondé  par  Cheikh-Amar-ben-Ahmed-el-Bakkay 
à Tinboktou.  (Voir  chap.  XXII.) 


XII 

(Vers  1610  de  J.-C.,  1018-1019  de  l’H.).  — Ordre  reli- 
gieux des  Ahmedya  ou  Kerzazya,  dont  les  appuis  se  rat- 
tachent au  n°  20  de  la  chaîne  principale,  par  Ahmed- 
Zerrouk.  (Voir  chap.  XXIII.) 

XIII 

(Vers  1022  de  l’H.,  1615  de  J.-C.).  — Ordre  religieux 
des  Cheïkhya  fondé  par  Sidi  Cheikh-Abd-el-Qader-ben- 
Mohammed.  (Voir  chap.  XXIV.) 


XIV 

(Vers  1669  de  J.-C.,  1079-1080  de  l’H.).  — Ordre  religieux 
des  Nacerya,  qui  a pour  fondateur  et  patron  Mohammed- 
ben-Nacer-ed-Drâï,  dont  les  attaches  avec  les  Chadelya 
remontent  à Sid  Ahmed-ben-Youcef-el-Miliani,  soit  par 


— 278  — 

la  chaîne  indiquée  plus  haut  pour  les  R’azya,  soit  par 
celle-ci  : 

1,  Ahmed-ben-Youcef.  — 2,  Abou-Salem-el-Kacem-et-Tazi.  —3,  Sid 
Ahmed-ben-Ali-el-Hadj-Drâï.  — 4,  Ali-ben-Abdallah.  — 5,  Abdallah- 
ben-Hoceïn-er-R’adi.  — 6,  Mohammed-ben-Nacer-ed-Dràï. 

On  trouvera  plus  loin  une  troisième  chaîne,  car 
Mohammed-ben-Nacer-ed-Drâï  figure  encore  parmi  les 
appuis  des  Zianya  de  Kenadsa.  (Voir  chap.  XXVIII). 

La  maison-mère  des  Nacerya  est  à Tamegrout,  dans 
rOued-Drâa,  où  se  trouve  le  tombeau  de  Mohammed- 
ben-Nacer-ed-Drâï,  mort  vers  1669  de  J. -G.  (1079-1080 
de  PH.). 

Les  descendants  de  ce  Saint  sont  encore  aujourd’hui 
à la  tête  de  la  zaouïa.  Parmi  eux  figurent  des  personna- 
ges marquants,  dont  l’influence  s’étend  très  loin  et  pour- 
rait, sûrement,  être  mise  à profit  par  ceux  qui  sauraient 
capter  ou  acquérir  leur  bienveillance.  Leurs  agents  vont 
recueillir  la  ziara  jusqu’aux  points  les  plus  reculés  du 
Sahara.  Ils  se  rendent  dans  l’Adghar  (Atlantique),  avec 
les  caravanes,  et  poussent  encore  plus  loin.  Partout  ils 
sont  comblés  de  riches  présents. 

Au  début  de  son  organisation,  Pordre  des  Nacerya  fut 
investi,  par  le  sultan  marocain  Mohammed-Cheikh  (1), 
de  la  direction  spirituelle  des  Mekahalya.  Mais  cet  essai 
ne  réussit  pas,  et  les  compagnons-tireurs  se  retirèrent 
assez  vite  de  ces  exercices  dévots,  pour  lesquels  ils 
n’avaient  que  fort  peu  de  goût. 

Nous  avons  cité  ce  fait,  parce  qu’il  a eu  pour  résultat 
de  faire  regarder  quelquefois  les  Mekahalya  comme  un 
ordre  dérivé  des  Ghadelya,  ou  comme  une  branche  spé- 
ciale des  Nacerya. 

La  zaouïa  de  Tamegrout  a un  certain  nombre  de  succur- 


(1)  Ou  plus  exactement  par  Sid  Ali-ben-Nacer,  frère  de  Sid  Mo- 
hammed-ben-Nacer,  qui  était  alors,  comme  son  frère,  simple  moqad- 
dem  des  Chadelya.  — Le  sultan  marocain  Mouley-Mohammed-Cheikh 
est  mort  en  1621  de  J.-C.  (1030-1031  de  l’H.). 


— 279 


sales.  Ses  Khouan  et  ses  serviteurs  religieux  se  trouvent 
dans  tous  les  Ksour  de  POued-Drâa  oriental,  chez  les 
Arib,  dans  la  majeure  partie  du  Tafilalet,  chez  les  Aït- 
Assa,  etc. 

Il  y a certainement  des  Nacerya  en  Algérie,  notamment 
chez  les  Trafl,  Beni-Ziad,  Laghouat-el-Ksel  et  chez  les 
Ahmour  ; mais  nous  n’en  savons  pas  exactement  le 
nombre,  car  ce  sont  surtout  des  étrangers  résidant  au 
milieu  de  nos  tribus  de  l’Ouest.  Ils  n’ont  pas  été  signajés 
dans  le  recensement  de  1882,  alors  que,  cependant,  en 
1851  un  document  officiel  en  donnait  3,000  pour  toute 
l’Algérie;  ce  chiffre  semble  fort  exagéré,  nous  pensons 
qu’il  y en  a environ  un  millier. 

N 

XV 

(Vers  1089  de  l’H.,  1678-1679  de  J.-C.).  — Ordre  religieux 
des  Taïbya  (ou  Taïbin),  fondé  à Ouazzan  (Maroc)  par 
Mouley-Abdallah-ben-Ibrahim-Chérif,  père  de  Mouley- 
Taïeb.  Ce  personnage,  mort  en  1089  (1678-1679  de  J. -G.), 
tenait  ses  attaches  des  Chadelya,  par  une  chaîne  remon- 
tant à Mohammed-  ben  - Sliman- el  - Djazouli,  chef  des 
Djazoulya,  dont  les  appuis  ont  été  indiqués  plus  haut. 
(Voir  chap.  XXV.)  | 


XVI 

(Vers  1733  de  J.-C.,  1145-1146  de  l’H.).  — Ordre  religieux 
des  Zianya  (ou  Zianin),  fondé  à Kenadsa  par  El-Hadj- 
Mahmed-ben-Abd-er-Rahman-ben-bou-Zian,  moqaddem 
des  Nacerya,  ce  qui  rattache  l’ordre  des  Zianya  à Sid 
Ahmed-ben-Youcef-el-Miliani.  (Voir  chap.  XXVIII.) 


XVII 

L’ordre  des  Hafnya,  qui  est  cité  par  Cheikh-Snoussi 
comme  une  des  principales  branches  des  Chadelya.  Le 


— 280  — 

personnage  religieux  qui  a donné  son  nom  à cette  bran- 
che est  Si  Abou-Salem-el-Hafnaoui , dit  aussi  Cheikh- 
Hafni,  qui  était  à la  fois  moqaddem  des  Khelouatya  et 
moqaddem  des  Chadelya. 

L’ordre  des  Hafnya  est  le  même  que  celui  des  Haf- 
naouya,  indiqué  d’autre  part  comme  dérivé  des  Khe- 
louatya. 

La  chaîne  reliant  l’enseignement  de  Sid  Abou-Salem-el- 
Hafni  à celui  de  Sid  Chadeli,  serait  la  suivante  : 

1,  Tadj-ed-Din-ben-Abd-el-Kerim-ben-Atha-Allah  (n°  17  de  la  chaî- 
ne principale). — 2,  Abou-Hafs-Omar-ben-Frad-el-Kenidi.  — 3,  Fekr- 
ed-Din-ben-el-Mokrellet.  — 4,  Ali-el-Abbas-Ahmed-ben-Omar-ben- 
Ahelal-er-Robeï.  — 5,  Hassein-ben-Ali.  — 6,  Tahar-ben-Ali-ben-Mo- 
hammed-en-Nouini.  — 7,  Ali-es-Senhouri.  — 8,  Salem-es-Senhouri.  — 
9,  Sid  Ibrahim-el-Lakani.  — 10,  Sid  Ali-el-Adjeher.  — 11,  Si  Moham- 
med-el-Kerchi.  — 11  bis,  Sid  Abd-el-Baki-ez-Zekani.  — 12,  Si  Abd- 
Allah-el-Mer’orbi.  — 12  bis,  Mohammed-es-Selmouni.  — 13,  Ali-ben- 
Ahmed-el-Adoui-es-Saïdi.  — 14,  Salem-en-Nefraouï.  — 15,  Abou-Sa- 
lem-el-Hafni. 

Cet  ordre  des  Hafnaouya,  qui  représente  la  branche 
égyptienne  des  Chadelya,  a besoin  d’être  étudié  sur  les 
lieux  mêmes  où  il  s’est  développé.  Nous  n’avons  rien  pu 
savoir  de  précis  en  Algérie  le  concernant. 

Voici  la  seule  chose  que  nous  en  dise  Cheikh-Snoussi  : 

Les  pratiques  de  la  branche  des  Hafnya  sont  les  mêmes  que  celles 
observées  par  les  Seherourdya,  en  ce  qui  concerne  les  prières  à haute 
voix  et  l’ordre  des  trois  invocations  : toutefois,  contrairement  à ceux- 
ci,  qui  se  servent  des  prières  des  Chadelya,  ils  récitent  leurs  invoca- 
tions de  la  manière  suivante  : celle  dite  El-H.ezb-el-K.ebir,  après  la 
prière  ordinaire  du  matin  ; celle  dite  EL-Behar,  après  celle  du  milieu 
de  l’après-midi  ; un  certain  nombre  d’adeptes  récitent  encore,  à ce 
moment,  celle  de  Hezb-en-Nour-,  puis,  après  le  coucher  du  soleil,  celle 
de  Hezb-el-Tenour,  instituée  par  Ben-Nekib-el-Djillaoui  ; après  le 
dîner,  celle  de  Hezb-M'hammed,  instituée  par  El-Morseli  ; pendant  leur 
veille,  enfin,  celle  de  Menadjat,  instituée  par  Ben-Attalah. 


XVIII 

(Vers  1114  de  l’H.,  1703  de  J. -G.).  — L’ordre  religieux  des 


— 281  — 


Hansalya,  fondé  au  Maroc  par  Abou-Aïman-Saïd-ben- 
Youcef-el-Hansali , est  très  populaire  aux  environs  de 
Constantine.  (Voir  chap.  XXVI.) 


XIX 

(Vers  1753  de  J.-C.,  1166-1167  de  l’H.).  — L’ordre  reli- 
gieux des  Habibya  (ou  Habibiin),  dérivé  des  Chadelya,  a 
pour  patron  et  fondateur  Sid  Ahmed-ben-el-Habib-el- 
Lamti,  mort  en  1752-1753  de  J.-G.  (1165-1167  de  l’H.),  après 
avoir  été  moqaddem  des  Chadelya.  Il  était  originaire  du 
Tafilalet,  et  la  maison-mère  de  ses  disciples  et  continua- 
teurs est  dans  ce  pays,  au  milieu  d’une  oasis  dite  Zaouïet- 
el-Mahi. 

Les  attaches  des  Habibya  avec  les  Chadelya  remon- 
tent, par  Sliman-el-Djazouli,  à Sid  Abd-el-Kerim-ben- 
Atha- Allah  (n°  17  de  la  chaîne  principale).  En  voici  la 
série  : 

1,  Abd-el-Kerim-ben-Atha-Allah.  — 2,  Abd-Allah-el-Mogherbi.  — 
3,  Abd-Allah-el-Ili.  — 4,  Abou  - Abd-Allah- Mohammed -Amrar-ech- 
Cherif.  — 5,  Mohammed-ben-Sliman-el-Djazouli  (869  de  l’H.,  1464-1465 
de  J.-C.)-  — 6,  Mohammed-ben-Sliman.  — 7,  Abd-el-Aziz-et-Tebbai.  — 
8,  Ali-Salah.  — 9,  Si  Ahmed-el-Hassani. — 10,  Mohammed-el-R’omari. 

— 11,  Si  Mohammed-ben- Ali-el-Habibi.  — 12,  Sidi  Salah-el-Meressi. 

— 13,  Sid  Mahmed-el-R’omari.  — 14,  Si  Mohammed-el-Filali.-—  15,  Si 
Ahmed-ben-Habib-el-Lamti  (1752  de  J.-C.,  1165-1166  de  l’H.).  — 16,  Abd- 
Allah-ben-Azouz  (ou  ben-Arzouz).  — 17,  Si  Mohammed-ben-Abd-Al- 
lah-el-Abassi.  — 18,  Sid  Abou-Abd-Allah-el-Abassi.  — 19,  Sid  Ahmed- 
el-Habib. 

L’ordre  des  Habibya  fut,  dès  ses  débuts,  remarquable 
par  son  grand  esprit  de  tolérance  et  de  détachement.  Le 
dernier  cheikh  dont  nous  avons  le  nom,  Si  Abdallah-ben- 
Azouz,  de  Merakech  (Maroc),  homme  peu  instruit  mais 
d’un  rare  bon  sens,  a composé  plusieurs  livres,  un,  entre 
autres,  dans  lequel  il  attaque  violemment  et  traite  de 
chose  coupable  et  hérétique  l’habitude  qu’ont  les  familles 
religieuses  de  recevoir  des  offrandes  des  fidèles  et  d’ex- 


— 282  — 

ploiter,  au  point  de  vue  temporel,  la  vénération  dont  elles 
sont  l’objet  (1). 

De  pareilles  doctrines  ne  pouvaient  être  du  goût  des 
Cheurfa,  et  les  copies  de  ce  livre  sont  extrêmement  ra- 
res. Le  nombre  des  adeptes  des  Habibya  est  aussi  très 
restreint.  Les  descendants  du  fondateur  ne  s’occupent 
guère  aujourd’hui  que  de  commerce,  et  ils  amènent,  une 
ou  deux  fois  par  an,  une  caravane  à Tlemcen.  Cependant 
l’ordre  subsiste  toujours  au  Tafilalet,  et  certains  indices 
tendent  à montrer  que  les  khouan  de  cet  ordre  nous 
verraient,  avec  satisfaction,  nous  avancer  vers  le  Sud, 
« car  les  Français  savent  faire  régner  la  paix  sur  leur 
» territoire  et  sur  celui  de  leurs  voisins,  et  avec  la  paix 
» les  gens  de  Dieu  peuvent  porter  les  lumières  spirituel- 
» les  de  la  religion  là  où  ils  n’osent  pas  aller  en  temps 
» de  trouble.  » 

En  somme,  les  Habibya  ne  rêvent  pas  les  palmes  du 
martyre  ; en  gens  pratiques  ils  préfèrent  la  sûreté  des 
routes  et  le  commerce  des  caravanes  qui,  tout  en  les 
faisant  vivre,  contribue  à créer  des  relations  sociales 
favorables  aux  progrès  tle  l’Islam. 

S’il  y a des  Habibya  en  Algérie,  ils  sont  fort  rares;  dans 
le  cercle  de  Sebdou  et  à Tlemcen  on  en  comptait  40  en 
1851.  Il  est  probable  que  ce  chiffre  est  resté  à peu  près 
stationnaire. 


XX 

(Vers  1825  de  J.-C.,  1240-1241  de  l’H.).  — L’ordre  des 
Madanya.  (Voir  chap.  XVII.) 


(1)  Nous  n’avons  pu  avoir  ce  livre  que  M.  Pilard,  ancien  interprète 
militaire,  a entre  les  mains  et  qu’il  cite,  dans  un  travail  manuscrit, 
sans  en  donner  d’extrait. 


283  — 


CHAPITRE  XIX 


ORDRE  RELIGIEUX  DES  NAKECHIBENDYA 

SID  EL- KHOUADJA-ABED-ED-DIN -MOHAMMED-BEN  - 
MOHAMMED  - BEH  A-ED  - DIN-EL-BOKHARI-EN-N  AKE- 
CHIBENDI. 

(An  719  de  l’Hégire.  - 1319-1320  de  .T.-C.) 


Le  Pir  Sid  El-Khouadja-Abed-ed-Din-Mohammed-ben- 
Mohammed-Beha-ed-Din-el-Bokhari-en-Nakechibendi  est 
mort  Pan  719  de  l’Hégire  (1319-1320  de  J. -G.),  à Ksar- 
Arifan,  en  Perse.  Il  a laissé  deux  ouvrages  intitulés  : 
El-Makemat  et  Aourad-el-Baliaïat  ; le  premier  est  un 
livre  de  mélanges  philosophiques  et  littéraires,  le  second 
un  livre  de  prières,  très  estimé  de  tous  les  Musulmans. 

Beha-ed-Din-Nakechibendi  était  un  homme  d’un  grand 
savoir,  d’une  piété  sincère  et  d’une  grande  vertu,  en  un 
mot  c’était  un  véritable  soufi. 

Frappé  des  abus  qui  s’étaient,  peu  à peu,  introduits 
dans  les  pratiques  et  dans  la  discipline  des  ordres  reli- 
gieux, il  entreprit  de  ramener  les  Musulmans  aux  pures 
doctrines  enseignées,  aux  premiers  temps  de  l’Islam, 
par  les  imam  et  khalifa  Abou-Beker  et  Ali. 

Convaincu  d’ailleurs  que  la  vie  monastique,  telle  qu’elle 
était  alors  menée  dans  les  konia  ou  zaouïa  d’Orient,  était 
. à la  fois  contraire  à la  loi  musulmane  (1)  et  aux  principes 
de  la  vraie  morale,  il  n’essaya  pas  de  fonder  un  ordre 
religieux,  dans  le  vrai  sens  du  mot  ; il  institua  une 


(1)  Ce  qui  est  exact. 


— 284  — 


sorte  d’association  religieuse  ayant  pour  but  les  réu- 
nions pieuses  et  les  prières  en  commun,  sans  manifes- 
tations extérieures  ni  pratiques  particulières.  Il  avait, 
en  effet,  pour  coutume  de  répéter  : l’extérieur  est  pour 
le  monde,  l’intérieur  est  pour  la  Vérité  (pour  Dieu). 

Mais  bientôt  ces  associations  se  multiplièrent  et,  du  vi- 
vant même  de  leur  promoteur,  elles  arrivèrent  à s’orga- 
niser tout  à fait  comme  les  autres  ordres  religieux, 
à cette  différence  près  que  la  vie  conventuelle  n’y  fut 
jamais  en  honneur. 

Cet  ordre  des  Nakechibendya  est  compté  au  nombre 
des  ordres  cardinaux  (Oussoul)  de  l’Islam,  et  c’est  un 
des  plus  considérés,  tant  à cause  de  l’élévation  de  ses 
doctrines,  qu’à  cause  de  la  situation  sociale  des  gens  qui 
le  composent  et  qui,  tous,  sont  des  gens  bien  posés  parmi 
les  savants,  les  gens  du  monde,  les  hauts  fonctionnaires. 
Les  adeptes,  même  dans  leur  mysticisme  exagéré,  con- 
servent toujours  une  certaine  modération  et  ils  gardent, 
en  toutes  circonstances,  les  allures  de  gens  intelligents 
et  bien  élevés. 

L’ordre  des  Nakechibendya  est  à peu  près  inconnu  en 
Afrique,  du  moins  dans  le  Mar’reb,  mais  il  compte  en 
Asie  de  nombreux  adhérents  et  de  véritables  savants. 
Cheikh-Snoussi,  qui  y est  affilié,  paraît  en  faire  le  plus 
grand  cas  ; il  le  nomme  dans  ses  appuis,  et  il  a soin  de 
bien  faire  ressortir  qu’aujourd’hui  les  Nakechibendya 
ont  des  attaches  avec  les  ordres  des  Seddikya,  Djenidya 
et  Qadrya,  c’est-à-dire  avec  les  ordres  principaux  d’où 
dérivent  tous  les  ordres  africains. 

C’est  en  raison  de  cette  relation,  dont  la  gravité  ne 
saurait  échapper,  que  nous  avons  cru  devoir  consacrer 
quelques  mots  à cet  ordre  et  donner,  ici,  quelques-uns 
des  détails  que  nous  avons  pu  nous  procurer  et  quel- 
ques extraits  que  nous  empruntons  à V Abreuvoir  du 
cheikh  Snoussi. 


— 285  — 

Voici  d’abord  la  chaîne  des  Saints  ou  maîtres  éduca- 
teurs : 

L’ange  Gabriel.  — Le  Prophète.  — 1,  Abou-Beker-es-Seddik.  — 
2,  Selman-el-Farasi. — 3,  Kacem-ben-Mohammed-ben-Abou-Beker-es- 
Seddik.  — 4,  Djafar-ben-Saddok.  — 5,  Abou-Yazid-el-Bostami.  — 
6,  Abou-en-Nacer-el-Kerkani.  — 7.  En-Nessadj-ben-ech-Cheikh-Aboul- 
Kacem-Abd-er-Rahman-ben- Ali  -el-Kerkani  -et-Tounsi.  — 8,  Ali-el- 
Aremdani  (1).  — 9,  El-Hedja-er-Razali.  — 10,  Khouadja-Abou-Youcef- 
el-Hemdani.  — 11,  El-Khouadja-Abd-el-Kholek-el-Medjedani  (2).  — • 
12,  El-Khouadja-Mohammed-el-Adjez-Faker-Kekelouli.  — 13,  Hederet. 
el-Khouadja-Ali-er-Remelemteni  (3)  el-Azizat.  — 14,  El-Khouadja- 
Aref-Dioukeri.  — 15,  El-Khouadja-i4àed-ed-Din-A/o/iammed-ben-Moham- 
med-Beha-ed-Din-e\-Bo\tha,Ti-en-Nakechibendi. 

Cette  chaîne  ne  contient,  en  dehors  d’Abou-Beker-es-Seddik,  aucun 
nom  de  chef  d’ordre,  mais  En-Nessadj-ben-Ali-el-Kerkani  (n°  7 de  la 
chaîne),  avait  reçu  l’Ouerd  des  Djenidya,  par  Abou-Otsman-Saïd- 
ben-Sellem-el-Mer’arbi,  disciple  de  Abou-Ali-Youssef-ben-Ahmed-el- 
Kattebi-el-Morsi,  disciple  de  Abou-Ali-ed-Doubari,  dit  aussi  Ahmed- 
ben-Mohammed-ben-el-Kacem-ben-Mansour,  disciple  de  Djoneidi. 


Les  attaches  des  Nakechibendya  avec  les  Qadrya  et 
Chadelya  sont  beaucoup  plus  modernes;  nous  croyons 
inutile  de  les  donner  en  détail  ici,  puisque  cet  ordre  des 
Nakechibendya  est  à peu  près  inconnu  des  Musulmans 
d’Algérie;  il  nous  paraît  suffisant  de  constater  l’exis- 
tence de  ces  attaches,  et  de  les  rapprocher  de  celles  déjà 
signalées  plus  haut  avec  les  Snoussya. 

Voici  maintenant,  comme  détails  sur  les  doctrines  ou 
le  rituel  des  Nakechibendya,  ce  que  nous  trouvons  dans 
le  Livre  des  Appuis  du  cheikh  Snoussi  : 

« Cet  ordre  remonte  à son  fondateur  et  chef  suprême,  celui  qui  est 
» le  modèle  de  ceux  qui  sont  dans  la  voie  de  la  vérité,  le  saint  Beha- 
» ed-Din-Mohammed-el-Boukhari,  connu  sous  le  nom  de  Nakechibendi 
» (que  Dieu  lui  accorde  ses  grâces  ! ) Il  repose  sur  l’anéantissement 


(1)  On  trouve,  suivant  les  manuscrits  : Faremdi,  Rassenti,  Aremdani . 

(2)  On  trouve  aussi  Kedjadouï.  — Ce  sont  là  des  variantes  dues  sans 
doute  à des  erreurs  de  copistes. 

(3)  On  trouve  Ramessi, 


— 286  — 

» de  l’individualité  de  l’homme  absorbé  dans  l’essence  de  Dieu.  On 
» arrive  à cet^e  situation  par  les  moyens  indiqués  ci-après  : 

» Le  premier  consiste  à réciter  les  prières  qui  plongent  l’esprit 
» dans  les  attributs  de  la  Divinité,  et  à répéter  les  paroles  qui  lui 
» conviennent  le  mieux,  c’est  - à - dire  : « II  n'y  a de  dieu  que  Dieu  ! » 
» Pour  cela,  il  faut  prendre  la  même  posture  que  pour  les  prières 
» ordinaires,  fermer  les  yeux,  serrer  les  lèvres,  replier  la  langue  con- 
» tre  le  palais  et  placer  ses  mains  contre  les  cuisses.  Alors,  on  com- 
» mence  par  ménager  son  haleine  et  on  dit  gravement  : Il  n'y  a de 
» dieu  que  Dieul  en  élevant  la  tête  à partir  du  milieu  du  corps  et  en 
» la  reportant  à sa  position  naturelle.  On  répète  cette  même  invoca- 
» tion,  en  replaçant  la  tête  au  même  point  de  départ,  et  en  la  diri- 
» géant  vers  l’épaule  droite,  puis  enfin  vers  l’épaule  gauche,  toujours 
» avec  la  plus  grande  ferveur.  Cet  acte  se  répète  un  nombre  de  fois 
» impair.  Ensuite  on  oblique  la  tête  à droite  et,,  retenant  son  haleine, 
» on  ajoute  : « Mohammed  est  l'Envoyé  de  Dieu!  » puis  : 0 Divinité,  vous 
» êtes  mon  but,  je  crois  en  vous  et  je  vous  implore . Après  quoi  on 
» donne  libre  cours  à sa  respiration,  pour  recommencer  encore,  et 
t ainsi  de  suite.  On  a soin  d’observer  scrupuleusement  de  rejeter  de 
» son  esprit  toute  pensée  autre  que  celle  de  la  prière,  et  de  s’imposer 
» le  recueillement  et  la  ferveur  qui  conviennent  à une  pareille 
» situation. 

» Le  deuxième  moyen  se  borne  à la  répétition  mentale  de  l’invo- 
» cation  « Il  n'y  a de  dieu  que  Dieu,  » qui  a pour  but  d’accélérer  le 
» résultat  vers  lequel  on  tend. 

» Le  troisième  moyen,  qui  consiste  à s’absorber  dans  l’esprit  de  son 
» Cheikh,  n’est  profitable  qu’à  celui  qui  est  naturellement  porté  à 
» l’extase.  Pour  atteindre  le  but,  il  faut  se  graver  dans  l’esprit  l’image 
» de  son  cheikh  et  la  considérer  comme  son  épaule  droite,  ensuite,  tra- 
» cer  de  l’épaule  au  cœur  une  ligne  destinée  à donner  passage  à l’es- 
» prit  du  cheikh,  pour  qu’il  vienne  prendre  possession  de  cet  organe. 
» Cet  acte  doit  se  renouveler  jusqu’à  ce  que  le  chef  religieux  que 
» l’on  invoque  vienne  vous  absorber  dans  la  plénitude  de  son 
» être. 

» Le  quatrième  moyen  repose  sur  la  conscience  que  l’homme  a d’être 
» constamment  vu  et  observé  par  Dieu.  Il  offre  deux  manières  d’arriver 
» au  but:  la  première  consiste  à surveiller  son  cœur  et  à l’empêcher 
» d’être  accessible  aux  pensées  mondaines,  jusqu’à  ce  qu’il  soit  péné- 
» tré  de  la  ferveur  la  plus  parfaite.  Le  cœur  arrive  ainsi  à percevoir 
» la  vérité.  Après  quoi  il  se  trouve  assoupli  par  le  feu  qui  fait  briller 
» la  majesté  et  la  grandeur  de  Dieu  de  leur  plus  vif  éclat.  Cet  état 
» d’extase  conduit  à la  vue  de  son  cheikh. 

t>  La  deuxième  manière  est  celle  qui  amène  le  plus  vite  au  résultat 
» désiré  ; mais  elle  n’est  praticable  que  pour  ceux  qui  sont  doués 


— 287 


» d’une  foi  sincère,  ardente  et  inébranlable.  Si  on  la  choisit,  on  doit 
» s’absorber  avec  recueillement  dans  tout  ce  qui  a trait  à la  Divinité 
» et  au  nom  de  Dieu,  sans  s’attacher  à remarquer  si  l’on  s’exprime 
» en  langue  arabe  ou  étrangère  ; il  faut  faire  abstraction  complète 
» de  son  être,  absolument  comme  si  on  n’existait  pas,  et  agir  comme 
» si  l’on  s’ignorait  soi-même,  afin  de  faire  affluer  les  forces  physiques 
» et  les  perceptions  des  sons  vers  le  cœur  vital,  en  s’aidant  de  toute 
» sa  ferveur.  Si  ces  pratiques  présentent  des  difficultés,  on  se  con- 
» tente  d’abord  de  s’absorber  dans  l’esprit  de  la  Divinité,  considérée 
» comme  un  feu  indivisible  recouvrant  tout  ce  qui  est  créé,  et  per- 
» sister  dans  cet  état,  jusqu’à  ce  que  le  cœur  se  soit  suffisamment 
» préparé  à passer  à un  degré  plus  élevé,  et  que  l’image  (des  choses 
» profanes)  s’évanouisse. 

» Il  existe  une  particularité  chez  les  Nakechibendya  ; ils  affection- 
» nent  beaucoup  de  se  trouver  en  réunion  de  plusieurs  personnes  au 
» lieu  d’être  isolés,  à la  condition  de  ne  s’occuper  que  de  choses 
» pieuses,  d’où  sont  exclues  toutes  sortes  d’intrigues.  Ils  parlent  peu, 
» prétendant,  à ce  sujet,  qu’une  trop  grande  abondance  de  paroles 
» rend  le  cœur  inaccessible  à la  ferveur.  Il  y a encore  chez  eux  une 
» autre  singularité  qui  consiste  à réciter  le  Coran  en  entier.  Chacun 
» sait  qu’il  est  accordé,  pour  cette  pratique,  l’obtention  de  choses 
» que  l’on  désire.  En  dehors  de  cela,  ils  font  deux  poses  de  prières, 
» après  chacune  desquelles  ils  récitent  après  la  Fatha,  le  verset  d’El- 
» Korsi  et  la  Sourate  d’El-Ikhelas  à trois  reprises  différentes.  Ceci 
» fini,  ils  font  leurs  invocations  à Dieu,  souvent  réitérées,  après  quoi 
» ils  récitent  la  prière  dite  d'El-Kereb  que  voici  : Il  n'y  a de  dieu  que 
» Dieu,  le  doux , le  généreux.  Gloire  à Dieu , le  maître  du  souverain  trône. 
» Lduange  à Dieu , le  maître  des  Mondes.  J' implore  de  vous  toute  la  misé - 
» ricorde  que  vous  pouvez  me  donner  et  toute  la  clémence  qu'il  vous  plaira 
» de  m'accorder.  Faites-moi  facilement  gagner  toutes  les  vertus , ainsi  que 
» mon  salut,  de  toutes  les  manières.  Faites-moi  monter  au  ciel  et  préser- 
» vez-moi  du  feu  de  l'enfer.  Accordez-moi  le  pardon  de  mes  fautes  et  la 
» rémission  de  mes  péchés.  Ne  me  laissez  pas  atteindre  par  les  maux  de 
» ce  monde  sans  me  secourir.  Envoyez  -moi  tout  ce  qui  vous  plaira,  je 
» l'accepterai  et  m'y  soumettrai  pour  votre  gloire  à vous  qui  êtes  le  clé- 
» ment,  le  miséricordieux. 

» Après  cette  prière,  ils  passent  à la  suivante,  qui  est  indispensable, 
» et  que  voici  : 0 Dieu , ô vous  qui  ouvrez  les  portes , ô vous  que  êtes  la 
» cause  première  de  tout.  0 vous  qui  êtes  celui  où  aboutissent  les  cœurs  et 
» la  vue  de  tous  les  hommes,  qui  êtes  le  guide  des  indécis,  le  secours  de 
* ceux  qui  vous  implorent , l'appui  des  affligés , venez  à mon  aide,  j'ai 
» recours  à vous  mon  Seigneur.  J'abandonne  ma  destinée  à Dieu,  à ce 
» Dieu  qui  donne  la  vue  à ses  serviteurs.  Cette  prière  finie,  ils  arrivent 
» à celle  dite  El-Khelem-el-Mebareli,  qui  consiste  à faire  ce  qui  suit: 


— 288  — 

» réciter  sept  fois  le  chapitre  de  la  Fatha,  y compris  l’invocation  Au 

» nom  de  Dieu,  etc Réciter  cent  fois  l’invocation  appelant  les  béné- 

» dictions  de  Dieu  sur  le  Prophète.  Réciter  99  fois  le  chapitre  com- 

» mençant  par  ces  mots  : Est-ce  que  je  n'ai  pas  expliqué,  etc ainsi 

» que  l’invocation  Au  nom  de  Dieu , etc réciter  mille  et  une  fois  le 

» chapitre  d’El-Ikhelas,  ainsi  que  l’invocation  Au  nom  de  Dieu,  etc 

» Réciter  cent  fois  encore  l’invocation  appelant  les  bénédictions  de 
* Dieu  sur  le  Prophète  ; réciter  de  nouveau  sept  fois  le  chapitre  de 

» la  Fatha,  y compris  l’invocation  Au  nom  de  Dieu,  etc Ces  prières 

» terminées,  ils  demandent  à Dieu  de  reporter  les  mérites  qui  y sont 
» attachés  : sur  l’âme  de  Sidi  Khouadja-Beka-ed-Din,  et  sur  celle  de 
» tous  les  chefs  spirituels  qui  se  sont  succédés  dans  la  branche  des 
» Nakechibendya.  S’ils  désignent  nominativement  tous  ces  chefs, 
» le  premier  passe  avant  les  autres,  et  ainsi  de  suite.  Ils  implorent 
» ces  âmes  sanctifiées,  et  les  supplient  de  leur  accorder  telle  ou 
» telle  chose  qu’ils  leur  demandent.  Ces  prières  se  font  : soit  le 
*>  vendredi,  soit  le.  lundi,  ou  bien  pendant  les  nuits  qui  précèdent 
» ces  jours-là. 

» Le  cheikh  de  nos  cheikhs,  Ahmed-ech-Chenaoui  dit  que  l’on  doit 
» réciter  les  prières  dites  Sebehan,  pendant  trois  nuits  consécutives, 
» après  s’être  purifié,  avoir  fait  ses  ablutions,  s’être  parfumé,  s’être 
» paré  de  deux  vêtements  neufs  et  avoir  jeûné  pendant  trois  jours. 
» C’est  par  ce  moyen  que  l’on  est  le  plus  proche  d’atteindre  son  but. 
» Tel  est  le  sens  des  prescriptions  de  ce  saint  personnage. 

» Les  pratiques  dont  nous  parlons  sont  ainsi  faites  lorsqu’on  est 
» seul.  Si  l’on  veut  se  réunir  pour  les  entreprendre,  il  convient  de  for- 
» mer  un  groupe  (1)  de  sept  personnes,  et  les  autres  assistants  doi- 
» vent  observer  le  plus  rigoureux  silence  pendant  que  les  sept  prient 
» à haute  voix.  Un  des  assistants  compte  les  prières  et  les  invoca- 
» tions  qui  se  prononcent,  en  fait  la  répartition  entre  tous  et  veille  à 
» ce  que  le  nombre  de  fois  prescrit  pour  chacune  d’elles  soit  scrupii- 
» leusement  observé,  sans  augmentation  ni  diminution.  On  mange 
» ensuite  certaines  choses  douces  dont  on  consacre  une  partie  aux 
» âmes  des  cheikhs.  Cette  manière  de  procéder  conduit  sûrement  au 
» but  que  l’on  a en  vue  ; nulle  autre  ne  peut  lui  être  comparée  sous 
» le  rapport  de  la  promptitude  et  de  l’infaillibilité  des  résultats  ; elle 
» est  semblable  à un  médicament  énergique  qui  combat  tous  les 
» maux.  On  l’a  expérimentée  un  nombre  de  fois  incalculable,  elle  a 
» toujours  dépassé  toutes  les  espérances,  même  dans  des  cas  où  l’es- 
» prit  considérait  la  chose  comme  tout  à fait  irréalisable.  Les  efforts 


(l)  On  peut  aussi  traduire  : « Il  convient  de  se  grouper  au  nombre 
de  sept  et  d’observer  le  plus  grand  recueillement  pendant  qu’on  les 
récite.  » 


— 289  — 

» ont  été  constamment  couronnés  d’un  succès  aussi  complet  que  le 
» désirait  l’intelligence.  Il  est  bon,  toutefois,  d’ajouter  que  les  condi- 
» tions  indispensables  pour  atteindre  le  but  sont  : la  confiance,  la  foi 
» absolue  en  Dieu  et  la  représentation  constante  à l’esprit  de  l’image 
» du  Seigneur.  C’est  lui  qui  accorde  tout  (grâces  lui  soient  ren- 
» dues  ! ) » 


19 


— 290  — 


CHAPITRE  XX 

ORDRE  DES  KHELOEATYA 

OMAR-EL-KHELOUATI 
(An  800  de  l’Hégire.  — 1397-1398  de  J.-C.) 


On  fait,  le  plus  souvent,  remonter  à l’ascète  Ibrahim- 
ez-Zahid-el-Kilani  l’origine  de  l’ordre  des  Khelouatya,  qui 
est  la  branche  - mère  des  Rahmanya  algériens  et  des 
Hafnaouya  égyptiens. 

Nous  n’avons  pu  avoir,  sur  ce  personnage,  aucun  dé- 
tail précis  ; il  est  possible  cependant  qu’il  ne  soit  autre 
que  Ibrahim -el-Mesri- Abou-Tadja-el-Mokhtar-ben-Mo- 
hammed-el-Zahid,  mort  en  658  (1)  de  l’Hégire  (670  (2) 
selon  d’autres),  et  commentateur  distingué  des  livres  de 
théologie  et  de  scolastiques  de  l’imam  Abd-el-Hassen- 
Mohammed-el-Kodouri,  mort  en  428  (3)  de  l’Hégire.  Cet 
Ibrahim  aurait,  alors,  été  un  savant  distingué  et  une 
personnalité  religieuse  ayant  eu  une  certaine  notoriété. 

Quoi  qu’il  en  soit,  d’ailleurs,  le  nom  de  l’ordre  viendrait 
de  son  successeur  spirituel  et  disciple,  Mohammed-el-Khe- 
louati,  sur  lequel  nous  n’avons  pas  non  plus  de  détails. 
El-Khelouati  est  un  surnom  que  l’on  pourrait  traduire 
par  : « celui  qui  fréquente  les  ermitages  ; » les  Kheloua- 
tya sont  les  disciples  de  Khelouati  (et  non  pas  les  soli- 
taires ou  ermites,  comme  on  pourrait  le  croire  à priori , 


(1)  658  de  l’Hégire.  — 1259-1260  de  J.-C. 

(2)  670  de  l’Hégire.  — 1271-1272  de  J.-C. 

(3)  428  de  l’Hégire.  - 1036-1037  de  J.-C. 


— 291 


car  Khelouatya  (1),  pluriel  de  Khelouiat  (2),  signifie  aussi 
solitaires). 

En  Orient,  et  plus  particulièrement  en  Turquie,  ce  n’est 
pas  encore  Mohammed  - el  - Khelouati  qui  est  regardé 
comme  le  véritable  organisateur  de  l’ordre,  mais  bien 
Omer-el-Khelouati,  mort  à Kassaria,  l’an  800  de  l’Hégire, 
1397-1398  de  J.-C. 

Ce  dernier  était  un  Saint,  vivant  dans  une  retraite 
absolue,  se  livrant  souvent  à des  abstinences  rigides  et 
restant,  de  temps  à autre,  douze  jours  consécutifs  sans 
prendre  autre  chose  qu’un  peu  de  pain  et  d'eau.  Il  faisait 
cela  en  l’honneur  des  douze  imam  ; et  cette  pratique 
s’est  conservée,  sous  le  nom  de  retraite  spirituelle,  ou 
kheloua  (3). 

On  raconte  qu’un  jour,  ayant  quitté  sa  retraite,  le  Saint 
entendit  une  voix  céleste  lui  crier  : « O Omar-el-Khe- 
louati  ! pourquoi  m’abandonnes-tu  ? » Ce  fut  par  obéis- 
sance pour  cet  avertissement  céleste,  qu’il  consacra  le 
reste  de  sa  vie  à des  œuvres  de  pénitence,  et  qu’il  fonda 
l’ordre  religieux  des  Khelouatya. 

A partir  de  ce  moment  aussi,  il  porta  la  retraite  spiri- 
tuelle (kheloua)  à quarante  jours  de  suite,  ce  qu’on  ap- 
pelle la  quarantaine  jl). 

Pendant  cette  retraite  de  quarante  jours,  les  khouan 
Khelouatya  prient  pour  l’expiation  des  péchés,  la  sanc- 
tification des  âmes,  la  gloire  de  l’Islam,  le  salut  général 
du  peuple  musulman  et  (en  Turquie  et  en  Égypte)  pour 
la  prospérité  de  l’État.  Ils  demandent  au  Ciel  de  préser- 


(1) 

(2) 

De  khelouàt  (oijkk),  pluriel  de  ïjLk  (solitude,  retraite,  désert), 
se  forme  l’adjectif  relatif  (homme  des  solitudes,  des 

retraites).  — Si  cet  adjectif  relatif  se  formait  du  singulier,  il  ferait 
khelouy. 

(3)  ifjLk. 


— 292  — 


ver  la  Nation  de  toutes  les  calamités  publiques,  telles 
que:  la  guerre,  la  famine,  la  peste,  les  incendies,  les 
tremblements  de  terre,  etc 

L’ordre  des  Khelouatya  est  un  des  ordres  cardinaux 
(oussoul)  de  l’Islam,  et  l’un  des  plus  vénérés  dans  tout 
le  monde  musulman;  c’est  même  (toujours  en  Turquie 
et  en  Égypte)  l’ordre  qui,  avec  celui  des  Nakechibendya, 
marche  en  première  ligne,  comme  considération  de  la 
part  des  détenteurs  du  pouvoir,  car  il  a donné  naissance, 
dans  ces  pays,  à une  foule  d’ordres  secondaires. 

En  dehors  des  Rahmanya  algériens,  le  plus  connu  des 
ordres  dérivés  directement  des  Khelouatya  est,  en  Égyp- 
te, celui  des  Hafnaouya  (ou  Hafenya),  dont  le  cheikh 
Mahmed-ben-Salem-el-Hafeni-el-Mofti  fut  le  fondateur. 
Ce  cheikh  était  en  même  temps  moqaddem  des  Chade- 
lya,  aussi  avons-nous  déjà  signalé  son  ordre  parmi  ceux 
issus  de  la  philosophie  mystique  des  Chadelya. 

Les  Khelouatya  se  rattachent,  par  leur  chaîne  mysti- 
que, aux  Seherourdya,  ou  plus  exactement  aux  Djeni- 
dya,  car  Abou-Nadjeb-Seherourdi,  qui  figure  dans  la 
chaîne  mystique,  que  nous  donnons  ci-après,  était  Dje- 
nidi,  et  ce  fut  son  disciple  et  neveu  qui  fonda  l’ordre  des 
Seherourdya. 

Voici,  au  surplus,  la  chaîne  des  Khelouatya  dans  l’or- 
dre descendant  : 


Dieu.  — L’ange  Gabriel.  — Le  Prophète.  — 1,  Ali-ben-Abou-Tha- 
leb.  — 2,  El-Hassen.  — 2 bis,  El-Hocein.  — 3,  El-Hassen-el-Bosri.  — 
3 bis,  Kamil-ben-Ziad.  — 4,  Habib -el-Adj ami.  —5,  Abou-Sliman- 
Daoud-ben-Nador-et-Taï.  — 6,  Marouf-ben-Feirouz-el-Kerakhi,  dont 
le  tombeau  est  à Bar’dad.  — 7,  Abou-el-Hassen-Moufilès -Seri- 
Sokti  (253  de  l’H.,  867  de  J.-C.).  — 8,  El-Djeneidi-el-Bar’dadi  (296  de 
l’H.,  908-809  de  J.-C.).  — 9,  Si  Mechad-Omar-ed-Dinaoueri.  — 10,  Si 
Mohammed-el-Bekri.  — 11,  Ouadjih-ed-Din-Abou-Omar-Mohammed- 
es-Seherourdi.  — 12,  Abou-Nedjib-Dia-ed-Din-Abd-el-Qahir-es-Sehe- 
rourdi  (562-563  de  l’H.  — 1167  de  J.-C.).  — 13,  Kotb-ed-Din-el-Abhari 
(Sid  El-Bekri).  — 14,  Rokn-ed-Din-Mohammed-en-Nedjachi.  — 15, 
Chehab-ed-Din-Mohammed-ech-Chirazi.  — 16,  Djemal-ed-Din-Tabe- 
rizi-ben-ëd-Dridjani.  — 17,  Ibrahim-ez-Zahed-el-Kilani  (750  de  l’H.,  1349- 


— 293 


1350  de  J.-C.).  — 18,  Si  Mohammed-el-Khelouati.  — 19,  Si  Omar-cl- 
Khelouati  (800  de  l’H.,  1397-1398  de  J.-C.). 


Les  successeurs  spirituels  de  Omar-el-Khelouati  fu- 
rent : 

20,  Mohammed-ould-Ibrahim-el-Khelouati.  — 21vEl-Hadj-Izi-ed-Din. 

— 22,  Seder-ed-Din-el-Djiani-el-Andalousi.  — 23,  Sid  Yahia-el-Bakouli. 

— 24,  Sid  Mohammed-ben-Beha-ed-Din-ech-Cherouani-el-Aouadjeti. — 
25,  Sid  Soltan-cl-Mokades-Djemal-ed-Din-el-Khelouati.  — 26,  Kheir- 
ed-Din-et-Tekadi.  — 27,  Chaban-el-Kestamoun.  — 28,  Ismaïl-Saïd-el- 
Djermi,  originaire  de  Djorm,  près  de  Badâa,  et  enterré  en  Syrie.  — 
29,  Cheikh-Ali-Effendi-Kara-Bacha.  — 30,  Mostfa-et-Taïbi,  fils  du  pré- 
cédent. — 31,  Mostfa-Effendi-el-Adenaoui  (d’Aden).  — 32,  Abd-el- 
Attif-el-Khelouati-el-IIalabi  (d’Alep).  — 33,  Mostfa-ben-Kemel-ed-Din- 
ben-Ali-el-Bekri-es-Sediki.  — 34,  Mohammed-ben-Salem-el-Hafnaoui- 
el-Mosri.  — 35,  Mahmoud-el-Kheurdi. 


Cette  liste  est  celle  des  grands  maîtres  de  l’ordre,  d’a- 
près les  Rahmanya  d’Algérie  ; elle  est  à peu  près  repro- 
duite par  Si  Snoussi,  mais  celui-ci  indique  en  outre,  une 
deuxième  chaîne  mystique,  pour  la  branche  où  l’inves- 
titure se  donne  par  la  poignée  de  main.  Cette  chaîne,  qui 
semble  composée  en  majeure  partie  de  simples  moqad- 
dem,  comprend  cependant  plusieurs  noms  assez  remar- 
quables pour  qu’il  paraisse  utile  de  l’indiquer  ici,  à titre 
de  renseignement  : 

Elle  se  détache  de  la  précédente  (âu  n°  12)  à Nedjeb-es-Seherourdi, 
et  se  continue  par  : 13,  Nedjeb-ed-Din-Ali-ben-Berkech-ech-Chirazi.  — 
14,  Nour-ed-Din-Abd-es-Semed-el-Mendari.  — 15,  Beder-ed-Din-et-Touni. 
— 15  bis,  Nedjem-ed-Din-el-Assebehani. — 16,  Hassan-ech-Chemsiri. — 
17,  Aboul-Mehassen-Djemal-ed-Din-ben-Youcef-ben-Abdallah-el-Kou- 
rani.  — 18,  Zin-ed-Din-Abou-Beker-Mohammed-ben-Ali-el-Khouafi.  — 
19,  Chehab-ed-Din-Ahmed-ben-Ali-el-Demiali-ez-Zeliani.  — 20,  Cheikh- 
el-Islam-Zakaria-el-Ansari. — 21,  Le  célèbre  Abd-el- Ouahab-ben-Ah- 
med'ben-Ali-ech-Chàrani,  né  dans  le  Behnaca  (Haute-Égypte),  l’an  899 
de  l’H.  (1493-1494  de  J.-C.)  et  mort  en  973  de  l’H.  (1565-1566  de  J.-C.)  (1). 


(I)  Voir  dans  la  Revue  africaine  de  1870,  p.  209  et  247,  deux  articles 
de  M.  le  docteur  Perron  sur  Chârani. 


— 294  — 


— 22,  Ben-Cheikh-Abd-el-Khedous-el'Abassi-ech-Chenaoui.  — 23,  Son 
fils  Ali.  — 24,  Son  fils  Aboul-Mouhcb-Ahmed-ch-Chenaoui-el-Mezi. — 
25,  Es-Safi-el-Kechachi.  — 26,  Mouley-Ibrahim-ben-Hassan-el-Kourani. 

— 27,  Mohammed-ben-Mohammed-el-Boudiri.  — 28,  Mohammed-ben- 
Salem-el-Hafni,  qui  est  le  même  que  le  n°  34  de  la  liste  des  grands 
maîtres. 


Ce  qu’il  y a de  curieux  dans  cette  liste,  c’est  d’y  voir 
figurer  Abd-el-Ouhhab-ech-Chàrani  qui,  précisément,  s’est 
élevé  dans  ses  écrits  (Balance  de  la  loi  musulmane) 
contre  ceux  qui  vivent  loin  du  monde,  loin  de  leurs  frè- 
res, et  qui  mettent  leur  bonheur  dans  les  macérations  et 
la  solitude  absolue,  menant  ainsi  une  existence  stérile. 

Chârani,  qui  prêchait  volontiers  le  travail  avec  la  vie 
d’édification,  et  qui  voulait  la  vie  productive  pour  le  bien 
de  la  religion  et  de  la  société,  s’exprime  ainsi  au  sujet 
des  derwich  ou  khouan  : 

« Ces  hommes  finissent  par  tomber  dans  les  aberrations  et  par  être^ 
» le  jouet  de  visions  futiles,  quand  ils  se  sont  épuisés  par  l’absti- 
» nence,  par  le  silence,  par  l’insomnie,  par  l’isolement  complet.  Ils 
» voient  alors  des  fantômes  engendrés  par  leur  exaltation  et  qui  leur 
» parlent,  ou  bien  ils  voient  des  lumières,  ou  des  ténèbres,  ou  de  hi- 
» deuses  images,  telles  que  des  chiens,  des  vipères,  des  scorpions, 

» etc La  sainteté  (l’état  qui  caractérise  le  véritable  Saint)  est  un 

» don  de  Dieu,  non  une  chose  acquise.  Celui  qui,  par  la  vie  solitaire, 

» isolée,  par  les  pratiques  de  mortification,  cherche  à devenir  un 
» Saint,  se  leurre  lui-même. 

» J’ai  entendu  Ali-el-Kaouas  dire  à un  individu  qui  s’était  retiré  de 
» la  société,  vivait  chez  lui,  évitant  tout  contact  avec  ses  frères, 

» priant  abondamment,  souffrant  la  faim,  tout  cela  dans  l’intention 
» de  parvenir  à la  sainteté  : « Mon  frère  en  Dieu,  sors  de  ton  isole- 
» ment  ; ce  qui  t’est  réservé  ne  peut  manquer  de  t’arriver.  Mais  la 
» sainteté  essentielle  et  réelle  ne  s’obtient  pas  par  des  actes  : elle  est 
» un  privilège  céleste,  venant  de  Dieu,  ainsi  que  la  qualité  de  Pro- 
» phète,  et  elle  n’a  pour  précédent  aucune  œuvre.  Quant  à la  sain- 
» teté  ordinaire,  commune,  elle  s’acquiert  au  contraire  par  des  actes, 

» par  des  œuvres.  C’est  là  ce  que  veut  dire  le  Coran  par  les  paroles 
» divines  : « Mon  serviteur  est  celui  qui  ne  cesse  de  se  rapprocher  de  moi 
» par  les  pratiques  surèrogaloires  de  piété , afin  que  je  l'aime.  » Oui,  mon 
» frère,  quand  même  ton  cheikh  te  mettrait  en  retraite  et  te  comman- 
» derait  de  souffrir  de  la  faim  pendant  trente  ans,  tu  n’arriverais 


» pas  à la  hauteur  clc  cette  sainteté  à laquelle  tu  prétends  atteindre 
» par  le  moyen  des  souffrances  de  la  faim  que  tu  endures.  — Je  ne 
» sortirai  point  de  ma  solitude,  répondit  l’individu.  — Renonce  à cette 
» résolution  et  repens-toi  de  ton  obstination.  Adore  ton  Dieu  con- 
» formément  à ses  volontés  simples,  car  ta  fin  approche.  — L’individu 
» refusa  de  suivre  ces  sages  conseils  ; il  mourut  de  faim  deux  jours 
» après.  J’en  instruisis  le  cheikh  Ali-el-Khaouas  qui  me  dit  alors  : Ne 
» prie  pas  sur  ses  restes  mortels , car  cel  homme  est  mort  coupable  ; il  s'est 
» suicidé  par  la  faim.  Le  cheikh  ajoutait  : « Employons  en  bonnes  œuvres , 
» en  œuvres  utiles , le  temps  qui  nous  est  donné.  » 


Il  est  difficile  de  condamner  d’une  façon  plus  formelle 
la  vie  ascétique  et  solitaire  vantée  par  les  Khelouatya, 
aussi  doit-on  se  demander  si  c’est  par  ignorance,  ou  par 
politique,  que  le  cheikh  Snoussi  a donné  dans  cette  chaî- 
ne, le  nom  de  Sid  Abd-el-Ouahhab-ech-Chârani. 

Quoi  qu’il  en  soit,  d’ailleurs,  de  la  valeur  de  cette  se- 
conde chaîne  et  des  considérations  que  peuvent  soulever 
certains  noms,  voici,  d’après  Cheikh-Snoussi,  affilié  à 
cet  ordre,  ce  que  nous  apprennent  les  livres  des  Khe- 
louatya sur  le  fond  même  de  leurs  doctrines  : 


Les  principes  fondamentaux  de  cet  ordre  sont  l’invocation  la  plus 
agréable  (à  Dieu),  c’est-à-dire  : Il  n'y  a de  dieu  que  Allah , en  prenant 
la  posture  suivante  : on  s’asseoit,  les  jambes  croisées,  et  on  répète 
pendant  un  certain  temps  II  n'y  a de  dieu  que  Allah , en  portant  la 
bouche  alternativement  de  dessus  l’épaule  droite  au  devant  du  cœur 
sous  le  sein  gauche.  Ensuite,  .on  récite  l’invocation  qui  consiste  à 
articuler  les  noms  de  Dieu  qui  impliquent  l’idée  de  sa  grandeur  et 
de  sa  puissance,  en  ne  citant  que  les  dix  suivants,  dans  l’ordre  où  ils 
se  trouvent  placés  : Lui,  Juste,  Vivant,  Irrésistible,  Donneur  par 
excellence,  Pourvoyeur  par  excellence,  Celui  qui  ouvre  à la  vérité 
les  cœurs  des  hommes  endurcis,  Unique,  Éternel,  Immuable.  Une 
des  conditions  essentielles  en  vigueur  parmi  les  affiliés  consiste, 
pour  l’aspirant,  à n’aborder  le  second  de  ces  noms  que  lorsque  Dieu, 
par  l’intermédiaire  de  son  cheikh,  lui  a fait  transmettre  les  révéla- 
tions afférentes  au  premier,  et  ainsi  de  suite  pour  tous  les  autres. 
En  dehors  de  ces  prescriptions,  l’adepte  doit,  à la  suite  de  chacune 
des  invocations,  réciter  cent  fois  la  Sourate  de  la  Fatha,  puis  dire 
cent  fois  aussi  : 0 Dieu  répandez  vos  bénédictions  sur  notre  Seiyneur 
Mohammed , votre  serviteur , votre  Prophète,  votre  Envoyé , votre  ami,  le 


— 296  — 


Prophète  illettré , ainsi  que  sur  sa  famille  et  ses  compagnons  ; accordez - 
lui  le  salut  ! Lorsque  l’aspirant  a pu  arriver  à pouvoir  réciter  les  dix 
noms,  après  avoir  reçu  les  révélations  nécessaires  les  concernant,  il 
ajoute  aux  prières  ou  invocations  dont  il  vient  d’être  question,  la 
Sourate  d’El-Kouther  qu’il  récite  cent  fois,  et  cette  autre  invocation  : 

« Il  n'y  a de  dieu  que  Allah , le  souverain  maître , le  juge  indubitable.  » 

Les  affiliés  observent,  dans  leurs  pratiques,  de  se  former  en  cer- 
cle lorsqu’ils  sont  réunis  pour  faire  leurs  prières  particulières.  Celui 
qui  les  récite,  en  disant  Lui  rentre  la  tête  au  milieu  du  rond  en 
l’obliquant  à droite,  puis  il  là  reporte  en  arrière,  du  côté  gauche,  vers 
la  partie  extérieure.  Un  seul  d’èntre  eux  commence  à dire  le  mot 
Lui,  après  quoi  tous  les  autres  en  chœur,  en  faisant  aller  la  tête  à 
droite,  puis  à gauche.  Leur  signe  distinctif  est  le  vêtement  noir. 

Dans  cet  ordre,  de  même  que  dans  celui  des  Fekerouya,  les  adeptes 
croient  fermement  à l’interprétation  des  visions  qui  se  manifestent 
en  songe,  si  bien  que  quelques-uns  d’entre  eux  ont  avancé  que  les 
bases  sur  lesquelles  leur  ordre  a été  fondé  avaient  cette  croyance 
pour  pivot.  Je  vais  citer  quelques-unes  de  leurs  versions,  que  je  ferai 
suivre  d’explications  particulières  indiquant  les  pratiques  auxquelles 
ils  se  livrent  dans  le  cours  des  extases  de  la  vie  spirituelle  dont  nous 
appellerons  les  divers  degrés  les  sept  remparts  (de  la  foi). 

Je  dirai  donc,  avec  l’aide  du  Dieu  Très-Haut,  qu’une  vision  est  ce 
que  l’on  aperçoit  en  songe,  et  qu’une  perception  est  ce  qui  frappe 
les  sens  pendant  que  l’on  est  dans  cet  état,  intermédiaire  entre  le 
somme  et  la  veille,  qui  est  la  somnolence.  Or,  dans  ces  deux  situa- 
tions, il  existe  des  circonstances  particulières  qui  ne  méritent  aucune 
attention,  et  d’autres  qui  doivent  au  contraire  la  fixer.  Certaines  de 
ces  visions  et  de  ces  perceptions  ne  sont  que  le  fait  de  conceptions 
ordinaires  de  l’esprit.  D’autres  sont  susceptibles  d’être  interprétées, 
mais  seulement  quand  il  ne  s’agit  pas  d’apparitions  se  manifestant 
pendant  l’état  de  veille. 

Voici  la  manière  d’interpréter  les  songes,  d’après  les  principes  éta- 
blis : 

Il  importe  d’abord  de  tenir  compte  de  la  situation  du  visionnaire, 
tant  à l’égard  de  ce  qui  se  rapporte  à sa  personne  que  du  but  de  ses 
aspirations.  Ceci  observé,  on  saura  que  : voir  l’essence  du  Prophète 
(que  Dieu  répande  sur  lui  ses  bénédictions  et  lui  accorde  le  salut  ! ) 
veut  dire  que  l’on  jouira  de  l’apparition  de  l’Être  Incommensurable 
(Mohammed). —Voir  ses  enfants,  signifie  que  ceux-ci  seront  assistés  ; 
— voir  son  père,  indique  une  intelligence  qui  se  fera  jour;  — voii 
son  cheikh,  est  un  indice  de  sagesse  ; — voir  l’âme  (?)  représente  le 
monde  et  tout  ce  qu’il  comporte  ; — voir  ce  que  l’on  possède  dans  le 
monde,  c’est-à-dire  sa  mère,  sa  femme,  sa  fille,  son  fils,  indique  les 


— 297  — 


vertus  du  cœur  et  ce  qui  en  découle  ; — voir  des  aliments,  indique 
une  découverte  de  richesses  ; — voir  quelque  chose  de  la  nature  des 
aliments,  signifie  un  rang  illustre  avec  tout  ce  qui  y est  attaché;  — 
voir  les  attributs  de  cette  qualité  est  un  signe  de  turpitude  ; — voir 
un  animal  mort  ou  une  de  ses  parties,  telle  que  son  sang  ou  autre, 
annonce  les  choses  défendues  ; — voir  des  fruits  tels  que  des  raisins 
ou  autres  semblables  est  une  marque  de  bonnes  œuvres  ; — voir  des 
bêtes  de  somme  dont  la  chair  est  illicite,  indique  une  tendance  de 
l’âme  à se  rapprocher  du  bien  dans  les  limites  de  sa  nature  ; — voir 
des  boissons,  telles  que  le  vin,  le  lait  aigre,  l’eau,  le  miel,  dpit  être 
interprété  d’après  les  observations  relevées  sur  le  visionnaire  ; ainsi 
le  vin  indique  la  science  de  la  théologie  absolue  ; le  lait  aigre,  les 
sciences  occultes  ; l’eau,  la  théologie  pratiquée  par  les  âmes  agréa- 
bles à Dieu;  le  miel,  les  sciences  mystiques;  — voir  du  vinaigre, 
signifie  que  l’âme  sera  touchée  par  les  préceptes  des  sciences  occul- 
tes et  mystiques  ; — voir  des  fruits  en  général,  tels  que  des  dattes, 
des  olives  ou  autres,  est  une  marque  de  bonnes  œuvres.  La  prière 
signifie  la  proximité  du  Dieu  Très-Haut  vers  lequel  on  arrivera  ; — 
un  bain  {général),  indique  la  purification  des  souillures  et  des  péchés  ; 

— voir  une  réunion  de  personnes  priant  en  cercle  ou  une  assemblée 
de  docteurs,  veut  dire  qu’un  concile  s’occupe  des  choses  sacrées  ; — 
voir  un  cercle  do  chanteurs,  de  musiciens  ou  autres  semblables, 
comme  aussi  voir  la  forme  du  démon,  est  un  signe  que  le  visionnaire 
doit  se  purifier  de  la  manière  qui  lui  sera  indiquée  par  son  cheikh  ; 

— voir  vivant  un  homme  qui  est  mort,  est  un  signe  de  bonnes  œuvres  ; 

— l’inverse  indique  la  chose  contraire V oir  sa  mère  ou  son  ami, 

indique  que  l’on  s’aperçoit  de  sa  propre  conduite  ; — voir  un  étranger, 
est  un  signe  d’autorité  extérieure  en  rapport  avec  la  valeur  du  vision- 
naire. Celui-ci  doit  être  assez  sage  pour  savoir  ce  qu’il  lui  est  permis 
de  faire  ou  de  ne  pas  faire  en  cette  circonstance. 


Telles  sont  les  principales  lois  de  la  divination  et  les  secrets  de 
certaines  interprétations.  Tels  sont  aussi  les  cas  qui  doivent  être 
soumis  au  cheikh  pour  que  celui-ci  puisse  sainement  les  apprécier. 

Nous  dirons  maintenant  que  les  apparitions  ne  peuvent  frapper 
l’adepte  que  dans  la  solitude  et,  seulement,  à la  suite  de  longues  pra- 
tiques de  piété.  Alors  lui  apparaît  la  lumière  résultant  des  ablutions 
et  des  prières,  puis  la  lumière  du  démon  en  même  temps  que  celle 
des  honneurs.  Il  voit  ensuite  la  vérité  se  manifester  dans  tout  son 
éclat,  tantôt  sous  la  forme  de  choses  inanimées,  comme  le  corail, 
tantôt  sous  celle  de  plantes  et  d’arbres  tels  que  le  palmier,  tantôt 
sous  celle  d’animaux,  comme  les  chevaux,  tantôt  sous  la  sienne  pro- 
pre et,  enfin,  sous  celle  de  son  cheikh.  Ces  sortes  de  visions  ont  causé 
la  mort  d’un  grand  nombre  de  personnes.  L’adepte  jouit  ensuite  de 


— 298  — 

la  manifestation  d’autres  lumières  qui  sont,  pour  lui,  le  plus  parfait 
des  talismans. 

Le  nombre  de  ces  lumières  est  de  soixante-dix  mille;  il  se  subdivise 
en  plusieurs  séries  et  compose  les  sept  degrés  par  lesquels  on  par- 
vient à l'état  parfait  de  l'âme.  Le  premier  de  ces  degrés  est  Yhuma- 
nité.  On  y aperçoit  dix  mille  lumières,  perceptibles  seulement  pour 
ceux  qui  peuvent  y arriver  ; leur  couleur  est  terne,  elles  s’entremê- 
lent les  unes  dans  les  autres;  cet  état  permet  en  outre  de  voir  les 
génies.  Ce  premier  degré  est  facile  à franchir,  l’âme  étant  naturelle- 
ment poussée  à fuir  les  ténèbres  pour  rechercher  la  clarté.* Pour  at- 
teindre le  second,  il  faut  que  le  cœur  se  soit  sanctifié  ; alors  on  dé- 
couvre dix  mille  autres  lumières  inhérentes  à ce  second  degré  qui 
est  celui  de  l'extase  passionnée , leur  couleur  est  bleu  clair. 

Conduit  ensuite  par  le  bien  que  l’on  a fait,  qui  appelle  sur  vous 
d’autres  biens  et  blanchit  les  âmes  élevées,  en  leur  faisant  absorber 
les  mérites  conquis  par  le  cœur  et  en  les  purifiant  de  leurs  souillures, 
on  arrive  au  troisième  degré,  qui  est  l'extase  du  cœur.  Là,  on  voit 
l’enfer  et  ses  attributs,  ainsi  que  dix  mille  autres  lumières  dont  la 
couleur  est  aussi  rouge  que  celle  produite  par  une  flamme  pure  * 
seulement,  pour  les  apercevoir,  il  faut  que  les  aliments  dont  on  se 
nourrit  soient  dégagés  des  choses  que  l’on  aime  le  plus  et  dont  on 
est  le  plus  friand,  sinon  elles  apparaissent  mélangées  d’une  fumée 
qui  en  ternit  l’éclat.  Si  ce  phénomène  se  produit,  on  ne  doit  pas  aller 
plus  loin.  Ce  point  est  celui  qui  permet  de  voir  les  génies  et  tous 
leurs  attributs,  car  le  cœur  peut  jouir  de  sept  états  spirituels,  acces- 
sibles seulement  à certains  affiliés. 

S’élevant  ensuite  à un  autre  degré,  on  voit  dix  mille  lumières  nou- 
velles, faisant  partie  des  soixante-dix  mille  qui  nous  occupent,  et  inhé- 
rentes à l’état  d'extase  de  l'âme  immatérielle.  Ces  lumières  sont  d’une 
couleur  jaune  très  accentuée,  on  y aperçoit  les  âmes  des  Prophètes 
et  des  Saints. 

Le  cinquième  degré  est  celui  de  l'extase  mystérieuse  ; on  y contemple 
les  anges  et  dix  mille  autres  lumières  d’un  blanc  éclatant. 

Le  sixième  est  celui  de  l'extase  d'obsession  ; on  y jouit  aussi  de  dix 
mille  autres  lumières  dont  la  couleur  est  celle  des  miroirs  limpides. 
Parvenu  à ce  point,  on  ressent  Un  délicieux  ravissement  d’esprit  qui 
a pris  le  nom  d’El-Khadir  et  qui  est  le  principe  de  la  vie  spirituelle. 
Alors  seulement  on  voit  notre  Prophète  Mohammed  (que  Dieu  répande 
sur  lui  ses  bénédictions  et  lui  accorde  le  salut  ! ) 

Enfin  on  arrive  aux  dix  mille  dernières  lumières  cachées,  en  attei- 
gnant le  septième  degré,  qui  est  la  béatitude.  Ces  lumières  sont  ver- 
tes et  blanches,  mais  elles  subissent  des  transformations  successives, 
ainsi  elles  passent  par  la  couleur  des  pierres  précieuses  pour  pren- 
dre ensuite  une  teinte  claire,  puis  enfin  acquièrent  une  autre  teinte 


— 299  — 


qui  n’a  pas  de  similitude  avec  une  autre,  qui  est  sans  ressemblance, 
qui  n’existe  nulle  part,  mais  qui  est  répandue  dans  tout  l’univers. 
Parvenu  à cet  état,  les  lumières  qui  éclairent  les  attributs  de  Dieu 
se  dévoilent  et  on  entend  les  paroles  du  Seigneur,  rapportées  dans  le 
récit  de  la  tradition,  aux  passages  commençant  par  ces  mots  : « Je 

l'ai  entendu , etc Il  ne  reste  plus  que  la  vérité.  » Il  ne  semble  plus 

alors  que  l’on  appartienne  à ce  monde,  les  choses  terrestres  dispa- 
raissent pour  vous. 

Certains  cheikhs,  pour  traiter  la  question  de  ces  lumières,  ont  dressé 
un  tableau  explicatif  que  voici  : 


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Tel  est  ce  que  nous  avons  voulu  faire  connaître  par  le  présent  ex- 
posé destiné  aux  adeptes,  exposé  révélant  les  mystères  attachés  aux 
sept  états  de  la  vie  extatique  dont  nous  venons  de  parler.  Cette  des- 
cription est  forcément  sommaire,  parce  que  les  apparitions  lumineuses 
sont  nombreuses,  extrêmement  variées  et  entièrement  soumises  à la 
volonté  de  Dieu. 

L’adepte  ne  pourra  jouir  des  apparitions,  alors  même  qu’il  se  trou- 
verait dans  l’état  spirituel  le  plus  favorable,  que  lorsqu’il  aura  fait 
abnégation  de  sa  personne,  au  point  où  l’âme  isolée  est  portée  ins- 
tinctivement à imposer  sa  volonté,  même  par  la  violence.  Il  ne  verra 
l’ensemble  (de  ce  qui  peut  être  révélé),  y compris  Vâme  sublime  en 
entier,  que  lorsqu’il  sera  en  état  de  pouvoir  distinguer  son  âme  à lui 
toute  nue.  Ce  que  nous  disons  là  est  un  fait  dogmatique  qu’il  faut 
croire.  Celui  qui  est  chargé  d’interpréter  les  révélât1' ons  devra  obser- 
ver que,  dans  quelque  état  d’extase  que  soient  les  visionnaires,  peu 
d’entre  eux  pourront  arriver  à ne  point  se  laisser  éblouir,  aussi  les 
cheikhs  n’observent-ils  pas  toujours  ce  qui  paraît  ressortir  des  révé- 
lations mystérieuses  des  âmes. 

On  saura  que  toutes  les  révélations  divines  s’obtiennent  par  la  lutte 
(contre  les  passions)  et  par  la  vie  ascétique,  c’est-à-dire  qu’on  peut 
les  voir  dans  n’importe  quelle  religion.  Il  n’en  est  pas  de  même  de 
la  révélation  des  attributs  de  Dieu;  celle-là  ne  peut  être  accordée 
qu’à  ceux  qui  pratiquent  le  culte  du  Prophète  (que  Dieu  répande  sur 
lui  ses  bénédictions  et  lui  accorde  le  salut!)  Toutes  ces  révélations, 
moins  cette  dernière,  doivent  être  considérées  comme  une  pente  glis- 
sante. Combien  d’êtres  se  sont  égarés  en  les  recherchant,  ou  ont 
péri  en  arrivant  à en  obtenir  qui  affectaient  les  formes  divines.  Ceux- 
là  ont  été  victimes  d’une  similitude  trompeuse  ; le  démon  qui  en 
était  l’auteur,  leur  montrait  un  (faux)  trône  de  Dieu,  car  le  trône  du 
démon  est  placé  entre  le  ciel  et  la  terre.  Certains  autres,  croyant 
avoir  été  absorbés  par  l’esprit  et  par  l’âme  de  Dieu,  ont  cru  entendre 
les  voix  de  la  vérité,  et  ont  encore  été  conduits  vers  leur  perte.  Il 
n’est  pas  permis  à tous  les  affiliés,  même  aux  plus  fervents  et  aux 
plus  sincères,  de  percevoir  directement  les  révélations.  Le  plus 
grand  nombre  est  privé  de  cette  jouissance,  témoin  les  compagnons 
et  les  disciples  du  Prophète,  auxquels  il  n’a  pas  été  donné  de  se 
trouver  dans  cette  situation. 


— 303  — • 


CHAPITRE  XXI 


ORDRE  DES  A I S S A 0 L A 

M AHM  ED-BEN- AI  SS  A 
(Mort  vers  930  de  l’Hégire.  — 1523-1524  de  J.-C.) 


Tout  le  monde  a entendu  parler  des  Aïssaoua  et  de 
leurs  étranges  pratiques,  cependant  peu  de  personnes 
savent  au  juste  ce  qu’ils  sont. 

Pour  la  majeure  partie  des  Musulmans,  ignorants  et 
crédules,  ce  sont  des  saints  animés  de  l’esprit  de  Dieu, 
ayant  le  don  des  miracles  et  pouvant,  grâce  à l’interces- 
sion toute  puissante  de  leur  patron,  Si  Mahmed-ben- 
Aïssa,  affronter  et  subir,  sans  danger  ni  souffrance,  les 
tortures  les  plus  cruelles. 

Pour  les  autres  Musulmans,  comme  pour  la  plupart 
des  observateurs  superficiels,  ce  ne  sont  que  des  jon- 
gleurs et  des  prestidigitateurs  sans  caractère  religieux 
aucun,  de  simples  exploiteurs  de  la  bêtise  humaine. 
Les  plus  savants  font  remarquer  que  la  plupart  de  ces 
exercices  extraordinaires  qui  ne  sont  pas  des  tours 
d’adresse,  sont  de  simples  phénomènes  de  névrose, 
d’hystérie,  de  magnétisme  et  d’hypnotisme  facilement 
explicables. 

La  vérité  est  que  les  Aïssaoua  sont  des  religieux  exal- 
tés, se  livrant  à des  pratiques  qui  ne  sont  autre  chose 
que  les  manifestations  bizarres  d’un  mysticisme,  aigu  et 
maladif,  absolument  identique  à celui  qui,  au  XVIIIe  siè- 
cle, inspirait  les  convulsionnaires  de  St-Médard.  C’est  ce 


• — 304  — 


que  nous  allons  essayer  de  démontrer,  en  insistant  sur 
le  côté  religieux  qui  est  très  peu  connu. 

Si  Mahmed-ben-Aïssa  naquit  à Méquinez  vers  la  fin 
du  XVe  siècle.  Son  histoire  n’est  qu’une  longue  suite  de 
légendes  hagiographiques,  où  les  miracles  succèdent 
aux  miracles,  sans  qu’il  soit  toujours  possible  de  re- 
trouver le  fait  réel  qui  a servi  de  point  de  départ  aux 
pieux  récits  des  fidèles. 

Quoique  fort  pauvre,  il  appartenait  à une  famille  d’ori- 
gine chérifienne  se  rattachant,  par  Mouley  - Amar  - el  - 
Idrissi  à la  famille  royale  des  Idrissites.  L’imam  Sliman- 
el-Djazouli  était  son  grand-père. 

Après  avoir  étudié  quelque  temps  à la  zaouïa  de 
Méquinez  et  s’être  fait  affilier  à l’ordre  des  Chadelya- 
Djazoulya,  dont  il  reçut  le  dikr  des  mains  d’Ahmed-el- 
Haristi,  disciple  direct  de  Sliman-el-Djazouli , il  fit  le 
pèlerinage  de  La  Mecque,  et,  soit  dans  les  villes  saintes, 
soit  en  Égypte,  il  fut  en  relations  avec  des  derwiches 
qui  l’instruisirent  dans  les  pratiques  des  ordres  orien- 
taux’ Haïdirya  et  Saadya. 

Quand  il  rentra  dans  son  pays,  il  était  à la  fois  un 
thaumaturge  des  plus  habiles,  et  un  savant  versé  dans 
toutes  les  sciences  touchant  à la  théologie  et  au  mysti- 
cisme. Il  avait  rapporté,  de  ses  voyages,  de  grandes  con- 
naissances en  médecine  et  en  agriculture,  connaissances 
qu’il  mit  sans  doute  à profit,  et  que  l’exagération  arabe  a 
transformées  en  des  dons  surnaturels.  Ainsi  Si  Mahmed- 
ben-Aïssa  est-il  souvent  surnommé  « le  maître  du  puits 
et  de  l’olivier,  » parce  qu’il  avait  planté,  dit  la  légende, 
un  olivier  dont  les  fruits  suffisaient  à la  nourriture  de 
tous  ses  adeptes,  et  qu’il  avait  creusé  un  puits  dont  l’eau 
permettait  d’irriguer  tous  les  jardins  des  khouan.  Il  est 
probable  qu’il  ne  faut  voir  là  que  l’expression,  exagérée, 
de  l’effet  produit  par  des  procédés  de  culture  et  d’irriga- 
tion importés  par  Si  Mahmed-ben-Aïssa.  Car,  ailleurs, 
une  autre  légende  dit  qu’il  suffisait  à ce  saint  person- 
nage de  secouer  de  la  main  cet  olivier  miraculeux,  pour 


qu’une  pluie  de  soltani  d’or  tombât,  de  ses  branches  ; 
comme  il  lui  suffisait  aussi  de  descendre  un  seau  dans 
son  puits  pour  l’en  retirer  rempli  de  pièces  d’or. 

La  tradition  donne  encore  pour  maître,  à Si  Mahmed- 
ben-Aïssa,  un  certain  Beghan-el-Mehoudjoub-el-Alebi, 
originaire  d’Alep,  qui  serait  venu  dans  le  Maghreb  et  lui 
aurait  donné  le  dikr  d’un  ordre  oriental.  Ce  Beghan-el- 
Mehoudjoub  serait  enterré  dans  la  même  koubba  que 
son  disciple. 

Quoi  qu’il  en  soit  d’ailleurs,  des  causes  qui  firent  la 
fortune  de  Si  Mahmed-ben-Aïssa,  ce  qui  est  bien  cer- 
tain, c’est  que,  de  son  vivant  même,  sa  popularité  fut 
assez  grande  pour  porter  ombrage  au  sultan  de  Méqui- 
nez  (1),  Mouley-Ismaïl  le  Mérinite,  qui  lui  enjoignit  de 
quitter  la  ville  avec  ses  disciples. 

Si  Mahmed-ben-Aïssa  s’exécuta,  mais  son  départ  pro- 
duisit un  tel  vide  dans  Méquinez,  que  le  sultan  n’y  trou- 
va plus,  bientôt,  les  ouvriers  nécessaires  pour  continuer 
la  construction  de  l’enceinte. 

Dans  cet  exode,  les  disciples  de  Si  Mahmed-ben-Aïssa, 
mourant  de  faim  et  de  fatigue,  demandèrent  un  jour  à 
manger  ; le  saint  leur  répondit  de  se  nourrir  de  ce  qui 
était  sur  leur  chemin.  Il  n’y  avait  que  des  pierres,  des  ser- 
pents et  des  scorpions,  mais  tant  était  grande  leur  foi 
dans  leur  maître,  qu’ils  n’hésitèrent  pas  à avaler  ces  cail- 
loux et  ces  animaux  venimeux.  Ce  qui  d’ailleurs  ne  leur 
fit  aucun  mal  par  suite  de  la  protection  miraculeuse  de 
Si  Mahmed-ben-Aïssa. 

C’est  en  souvenir  de  ce  fait,  qu’aujourd’hui  encore,  les 
Aïssaoua,  dans  leurs  exercices  publics,  avalent  des  rep- 
tiles, des  morceaux  de  pierre,  de  verre,  etc. 

Pendant  son  exil,  l’influence  de  Si  Mahmed-ben-Aïssa 


(1)  Toutes  les  traditions  donnent  ce  sultan  comme  se  nommant 
Mouley-Smaïl-el-d/m'm,  et  elles  le  distinguent  nettement  de  Mouley- 
Smaïl,  le  chérif,  qui  fut  empereur  au  siècle  suivant  (de  1672  à 1727) 
et  qui  est  bien  plus  connu. 


20 


— 306  — 


s’accrut  encore,  et,  comme  il  reprochait  hautement  au 
sultan  mérinite  de  ne  pas  avoir  secouru  les  Maures  d’Es- 
pagne, et  de  ne  pas  les  avoir  aidés  à chasser  les  Infidèles 
de  l’Andalousie,  il  eut  bientôt  autour  de  lui  un  tel  nom- 
bre de  fanatiques  et  de  mécontents,  qu’il  devint  tout- 
puissant  dans  l’opinion  publique. 

De  nombreuses  légendes  racontent,  sous  des  formes 
différentes,  les  miracles  du  Saint  et  ses  fréquents  triom- 
phes dans  sa  lutte  contre  le  souverain  de  Méquinez.  Ce 
qui  s’en  dégage  nettement,  c’est  que  ce  souverain  dut 
compter  avec  cette  puissance,  et  qu’il  dut  faire  une 
démarche  personnelle,  auprès  du  marabout,  pour  obte- 
nir qu’il  rentrât  à Méquinez  en  allié  et  en  ami. 

Il  alla  même  jusqu’à  lui  conférer  le  titre  de  Mouleyr 
Méquinez,  dit  une  de  ces  légendes  ; mais  ce  qui  paraît 
plus  certain  c’est  que,  lorsque  Ben-Aïssa  consentit  à 
revenir  en  ville,  il  avait  obtenu  que  tous  ses  adeptes 
* seraient  exempts  d’impôt  et  de  corvées.  Il  rentra  donc 
comblé  d’honneurs  et  de  richesses,  richesses  qu’il  dis- 
tribua aux  pauvres,  car  il  vécut  toujours  en  ascète  et 
tout  son  luxe  consistait  à coucher  sur  une  peau  de  pan- 
thère. Cette  peau,  qui  a été  conservée  comme  relique, 
existe  encore  de  nos  jours  en  Algérie,  aux  mains,  des 
descendants  du  Saint  qui  habitent  les  Ouzera,  près  de 
Ben-Chicao  — et  aussi  au  Maroc à Méquinez,  dans  la 
zaouïa  du  chef  de  l’ordre. 

Un  grand  monastère  et  de  nombreuses  propriétés  fu- 
rent donnés,  par  le  souverain  de  Méquinez,  à Si  Mahmed- 
ben-Aïssa,  dont  l’influence  ne  cessa  de  grandir  jusqu’à 
sa  mort,  bien  qu’à  l’exemple  de  tous  les  Saints  musul- 
mans, il  affectât  de  ne  pas  se  montrer  en  public,  et  de 
vivre  dans  la  solitude  et  le  recueillement. 

On  raconte  qu’un  jour,  s’étant  montré  à la  foule  et 
ayant  été  l’objet  d’une  ovation  plus  enthousiaste  et  plus 
ardente  que  jamais,  il  voulut  éprouver  ses  disciples.  Il 
leur  déclara  donc  que  le  Prophète  lui  était  apparu  en 
songe  et  lui  avait  ordonné  de  faire  un  sacrifice  à Dieu. 


— 307  — 


« J’ai  résolu,  continua-t-il,  d’immoler  ce  que  j’ai  de  plus 
» cher,  c’est-à-dire  les  plus  fervents  de  mes  disciples. 
» Que  celui  d’entre  vous  qui  m’aime  réellement,  et  qui 
» est  prêt  à me  donner  sa  vie,  entre  dans  ma  maison 
» pour  être  immolé  à Dieu.  » Un  des  disciples  se  pré- 
sente, entre  avec  Si  Mahmed-ben-Aïssa  : on  entend  un 
cri  et  l’on  voit  le  sang  couler  par  un  conduit  sortant  de 
la  maison. 

Ben-Aïssa  sort,  les  mains  rouges  de  sang,  et  demande 
une  autre  victime  : déjà  la  foule  est  moins  compacte, 
mais  un  second  disciple  entre  dans  la  maison.  On  entend 
encore  une  plainte  et  un  nouveau  filet  de  sang  annonce 
une  nouvelle  victime.  Et  la  même  scène  se  répète  qua- 
rante fois,  seulement  les  rangs  de  ceux  qui  tout  à l’heu- 
re poussait  des  acclamations,  se  sont  singulièrement 
éclaircis,  et  quand  la  quarantième  victime  est  entrée,  les 
abords  de  la  maison  sont  absolument  déserts. 

Chacun  des  quarante  dévoués  avait,  en  entrant,  reçu 
ordre  d’égorger  un  mouton,  et  c’était  le  sang  de  ces  qua- 
rante moutons  qui  avait  coulé  au  dehors  de  l’habitation, 
pendant  que  des  cris  poussés  à dessein  donnaient  le 
change  aux  assistants  (1). 

Les  moutons  furent  rôtis  et  distribués  aux  pauvres  ; 
quant  aux  quarante  fidèles,  ils  restèrent,  dès  lors,  les 
compagnons  du  Saint  jusqu’à  sa  mort,  et  formèrent  près 
de  lui  la  hadra,  ou  chapitre  général  de  l’ordre,  chapitre 
qui  a été  maintenu  jusqu’à  ce  jour. 

Mahmed-ben-Aïssa  mourut  en  930  de  l’Hégire  (1523- 
1524  de  J.-C.),  à Méquinez,  où  son  tombeau  est  situé 
dans  le  quartier  de  Bab-el-Djedid.  C’est  dans  ce  même 
quartier  que  se  trouve  la  maison -mère  de  l’ordre,  occu- 
pée aujourd’hui  par  le  conseil  suprême,  composé  du 


(1)  La  même  légende  a été  aussi  racontée  à propos  de  Sid  Ahmed- 
ben-Youcef,  mais  pour  ce  dernier  saint  la  légende  n’a  pas  d’autre 
suite,  tandis  que  pour  Sid  Ahmed-ben-Aïssa,  elle  se  termine  par  cette 
création  d’un  conseil  permanent  de  40  membres. 


— 308  — 


khalifa  et  de  39  moqaddem,  reclus  qui  ne  sortent  de  leur 
monastère  qu’une  fois  par  an,  à la  fête  du  Mouloud.  Ce 
jour-là,  « tous  les  malades  et  infirmes,  qui  ont  le  bon- 
» heur  d’approcher  d’un  des  40  Saints,  sont  immédiate- 
» ment  guéris,  ou  simplement  soulagés,  selon  le  degré 
» de  leur  foi.  » Car  Si  Mahmed-ben-Aïssa  a transmis  à 
tous  ses  moqaddem  : sa  baraka,  le  don  des  miracles  et 
le  pouvoir  de  guérir  toutes  les  maladies,  ainsi  que  de 
braver  tous  les  poisons. 

Les  doctrines  des  Aïssaoua  sont,  en  principe,  celles 
des  Chadelya,  et  plus  spécialement  celles  des  Djazoulya. 
Si  Mahmed-ben-Aïssa  n’avait  en  effet  rien  innové,  et 
s’était  borné  à l’adjonction  de  quelques  prières  spéciales 
et  à l'organisation  du  Conseil  des  40  Saints  à Méquinez. 
Ce  sont  surtout  ses  successeurs  qui,  pour  affirmer  la 
vertu  merveilleuse  de  l’ordre,  ont  introduit  quelques- 
unes  de  ces  pratiques  qui  donnent  aux  Aïssaoua  leur 
cachet  particulier. 

Un  savant  musulman,  intelligent  et  éclairé,  que  nous 
interrogions  sur  ces  doctrines  des  Aïssaoua,  nous  répon- 
dit : on  peut  les  résumer  en  peu  de  mots  : 

« En  matière  religieuse  : l’expansion  continuelle  vers 
» la  Divinité,  la  sobriété,  l’abstinence,  l’absorption  en 
» Dieu  poussée  à un  tel  degré  que  les  souffrances  corpo- 
» relies  et  les  mortifications  physiques  ne  peuvent  plus 
» affecter  les  sens  endurcis  à la  douleur. 

» En  matière  morale  : ne  rien  craindre,  ne  reconnaître 
» que  l’autorité  de  Dieu  et  des  Saints,  et  n’obéir  qu’à  ceux 
» qui  laissent  pratiquer  les  principes  du  Livre-Sacré.  » 

Ces  quelques  lignes  résument  en  effet  assez  bien  les 
doctrines  des  Aïssaoua,  et  les  dégagent,  à la  fois,  et  des 
légendes  ou  superstitions  populaires,  et  des  anathèmes 
dont  les  frappent  bon  nombre  de  prétendus  savants,  qui 
considèrent  les  Aïssaoua  comme  une  confrérie  de  jon- 
gleurs et  de  saltimbanques,  et  non  comme  un  ordre  reli- 


* 


— 309  — 

gieux  orthodoxe  et  régulier.  Ces  prétendus  savants  ap- 
puient leur  opinion  en  disant  : que  les  Aïssaoua  (comme 
les  Snoussya)  n’ont  pas  de  chaîne  mystique  reliant  leur 
enseignement  à celui  du  Prophète,  et  que  leur  dikr  leur 
a été  donné  par  une  prétendue  révélation  d’El-Khatir, 
inventée  pour  les  besoins  de  la  cause  par  Si  Mahmed- 
ben-Aïssa. 

En  réalité,  il  n’en  est  point  ainsi;  Si  Mahmed-ben-Aïssa 
dit  très  nettement  que  sa  voie  est  « celle  des  Soufl,  celle 
des  Chadelya.  » Il  était  lui-même  moqaddem  de  cet  ordre, 
ayant  eu  pour  maître  le  cheikh  Ahmed-el-Haristi,  dis- 
ciple direct  de  Si  Abou-Abdallah-Mohammed-ben-Abou- 
Beker-zS^'ma/z-c^-Zi/a^ow^-ech-Cherif-el-Hassini,  chef  de 
l’ordre  des  Djazoulia,  branche  des  Chadelya. 

La  chaîne,  qui  relie  au  Prophète  l’enseignement  de  Si 
Mahmed-ben-Aïssa,  est  une  de  celles  réputées  les  plus 
authentiques.  C’est,  de  Sliman-el-Djazouli  à Si  Chadeli, 
la  même  que  celle  donnée  par  les  Taïbya  ; de  Si  Chadeli 
jusqu’au  Prophète,  c’est  à la  fois  celle  des  Taïbya  et  celle 
que  Si  Snoussi  donne  pour  l’ordre  des  Chadelya. 

Voici,  du  reste,  cette  chaîne  : 


Le  Prophète. — 1,  Si  Ali-ben-ben-Abou-Thaleb.  —2,  Abou-Moham- 
med-el-Hassein.  — 3,  Abou-Mohammed-Djabar-ben-Abdallah-el-Amari 
(78  de  l’H.,  697-698  de  J.-C.). — 4,  x\bou-Saïd-el-Razouani.  — 5,  Abou- 
Mohammed-Fath-es-Saoudi.  — 7,  Saad-Saïd-Abou-Mohammed-Falah- 
el-Markouani.  — 8,  Abou  - el -Kacem- el  - Merouani.  — 9,  Abou-Isaak- 
Ibrahim-el-Bosri  (1).  — 10,  Zen -ed-Din- Mohammed -el-Razouani.  — 
11,  Chems-ed-Din-el-Tarkmani  (le  Turcoman).  — 12,  Tadj-ed-Din- 
Mohammed.  — 13,  Nour-ed-Din-Abou-Hassen-Ali.  — 14  (2),  Fakher- 
ed-Din.  — 15,  Taki-ed-Din-el-Fakir-es-Soufi-Abd-el-Irak.  — 16,  Abou- 
Zîd-Abd-er-Rahman-el-Hossem-el-Madani-el-Attari-ôe/-ZîûL  — 17,  Abd- 


(1)  Abou-Isaak-Ibrahim-el-Bosri  est  l’auteur  de  prières  pour  les 
morts  en  usage  dans  toutes  les  mosquées. 

Voir  dans  Massoudi , chap.  XC1V,  le  langage  hautain  et  fier  tenu 
par  ce  soufi  au  khalifa  Mouaouia,  page  266  du  tome  V de  la  traduc- 
tion de  Barbier  de  Meynard. 

(2)  D’autres  disent  Mahi-Eddin. 


— 310  — 

Es-SELEM-BEN-MAcmcu-ben-Mansour-beti-Ibrahim-ecli-Cherif.  - 18,  Tadj- 
ed- Din-ABoxj-llASSEN-Iacout-ben- Ata- Allah-ecli- Chaeelï.  — 19,  Abou-Ab- 
&as-Ahmed-ben-Amar-el-Ansari-el-Mourci  (686  de  l’H.,  1287-1288  de 
J.-C.).  20,  radj-ed-Z^m-Aboii-Fadel-Ahmed-ben-Mohammed-ben- 

Abd-el-Kacem-ben-iMa/i-el-Askenderi-el-Maleki  (709  de  l’H.,  1309-1310 
de  J.-C.)  — 21,  Abou- Abd-Allah-el-Megherbi.  — 22,  Abou-Abbas-el- 
Hassen-el-Karafi.  — 23,  Sid  Hannous-el-Bedaoui-Rai-el-Ibel.  — 24,  Abou- 
el-Fatah  (el-Iadel)  el-Hindi.  — 25,  Abd-er-Rahman-el-Redjeradji.  — 
26,  Saïd-Abou-Otsman-el-Hartani.  — 27,  Abou-Abd-Allab-Mohammed- 
Amr’ar.  — 28,  Abou-Abd-Allah-Mohammed-ben-Abou-Beker- Seliman-el- 
DjAZOELi-el-Cherif-Thasseni  (869  de  l’H.,  1464-1465  de  J.-C.).  — 29,  Ahmed- 
el-Haristi.  —30,  Mahmed-ben-Aïssa,  —31,  Abou-Rouaïn-el-Mahdjoub. 


A la  mort  de  ce  dernier,  la  grande  maîtrise  est  rentrée 
dans  la  famille  de  Sid  Mahmed-ben-Aïssa  et  est  restée 
héréditaire  chez  ses  descendants. 

Quant  aux  doctrines  des  Aïssaoua,  elles  sont  loin  d’être 
ce  que  l’on  serait  tenté  de  croire,  en  voyant  les  manifes- 
tations extérieures  auxquelles  se  livrent  les  adeptes  de 
cet  ordre.  On  pourra  en  juger  par  les  quelques  extraits, 
que  nous  donnons  ici,  d’un  livre  de  doctrine,  ou  manuel, 
dont  nous  avons  pu  prendre  copie,  grâce  à la  courtoisie 
d’un  des  descendants  du  Saint,  khalifa  de  l’ordre  en 
Algérie,  qui  a bien  voulu  prêter  à un  chérif,  de  nos  amis, 
un  manuscrit,  écrit  il  y a plus  de  200  ans,  par  un  petit- 
fils  de  Si  Mahmed-ben-Aïssa  : une  véritable  relique,  usée 
par  les  baisers  des  fidèles,  mais  laissant  beaucoup  à 
désirer  sous  le  rapport  de  la  correction  du  style  et  de 
l’orthographe  (1). 

Voici  le  commencement  de  ce  manuscrit  qui,  pendant 
les  premières  pages,  n’est  que  le  long  cri  de  l’âme  d’un 
mystique  aspirant  à Dieu  et  s’abîmant  dans  son  indi- 
gnité : 


(1)  M.  l’Interprète  militaire  Arnaud  a bien  voulu  se  charger  de  colla- 
tionner les  copies  qui  onf  été  faites  de  cette  « relique,  o et  d’un  autre 
manuscrit  qui  est  lui-même  une  copie,  avec  quelques  variantes  de  ce 
manuel.  M.  Arnaud,  a bien  voulu,  en  outre,  traduire  ces  manuscrits, 
dont  certains  passages  sont  difficiles  à comprendre,  en  raison  de  l’a- 
ridité des  idées  métaphysiques  ou  mystiques  qui  y sont  exprimées. 


— 311  — 


« Au  nom  de  Dieu  clément  et  miséricordieux, 

» Que  Dieu  répande  ses  grâces  et  scs  bénédictions  sur  notre  sei- 
» gneur  Mohammed,  sur  sa  famille,  sur  scs  compagnons,  et  qu’il  leur 
» accorde  le  salut  ! 

» Ceci  est  la  leçon  lithurgique  du  cheikh,  du  saint,  du  vertueux,  du 
» pôle  évident,  Sidi  Mahmed-ben-Aïssa.  Puisse  Dieu  nous  faire  parti- 
» ciper  aux  grâces  qu’il  lui  a accordées.  Amen. 

» Je  place  ma  confiance  dans  le  Vivant,  qui  ne  doit  point  finir 
» (3  fois).  Dis  : Louange  à Dieu  qui  n’a  point  de  fils,  n’a  point  d’asso- 
» cié  à son  empire  et  ne  se  voit  point  dans  la  nécessité  de  prendre 
» un  aide.  Proclame  la  grandeur  de  Dieu.  Louange  à Dieu  qui  nous 
» a conduits  dans  cette  voie.  Nous  n’étions  pas  capables  d’être  diri- 
» gés  si  Dieu  ne  nous  avait  guidés.  Mais  les  Envoyés  de  notre  Dieu 
» nous  ont  apporté  la  vérité  (3  fois).  Puisse  Dieu  récompenser,  à notre 
» place,  notre  Seigneur  et  notre  Prophète  (que  Dieu  répande  sur  lui 
» ses  bénédictions  et  lui  accorde  un  salut  encore  plus  complet  que 
» celui  dont  il  est  digne)  (3  fois).  Mon  Dieu,  n’égare  pas  nos  cœurs 
» après  nous  avoir  dirigés.  Accorde-nous  l’une  de  tes  miséricordes, 
» car  tu  es  le  souverain  donnateur  (3  fois).  Je  me  réfugie  dans  les 
» sublimes  paroles  de  Dieu  par  peur  du  mal  existant.  J’ai  recours  au 
» nom  de  Dieu,  car,  avec  ce  nom,  on  n’a  rien  à craindre  sur  la  terre 
» ni  dans  le  ciel.  Dieu  entend  et  sait  (3  fois).  Que  la  louange  de  mon 
» Divin  Maître  soit  proclamée  ! j’ai  recours  à sa  louange.  Il  n’y  a de 
» force  qu’en  Dieu,  le  grand,  le  sublime  (3  fois).  J’implore  le  pardon 
» de  Dieu,  qui  est  le  seul  Dieu,  qui  a créé  les  cieux  et  la  terre,  ainsi 
» que  ce  qui  est  entre  eux  ; je  le  supplie  d’effacer  mes  crimes  et  mes 
» iniquités,  les  péchés  dont  je  me  suis  rendu  coupable  ; je  m’en  re- 
»>  pens.  Il  est  l’Étre  glorieux,  il  a la  puissance  ; il  n’y  a de  Dieu  que 
» Allah  ; il  est  la  sagesse,  la  perfection  ; il  n’y  a de  Dieu  que  Allah, 
» car  il  a les  qualités  infinies  ; il  n’y  a de  Dieu  que  Allah,  car  il  est 
» partout  présent  et  il  est  généreux;  il  n’y  a de  Dieu  que  Allah,  car  il 
» répond  à nos  vœux  et  il  est  bienfaisant  ; il  n’y  a de  Dieu  que  Allah, 
» car  il  est  compatissant  et  nous  accorde  ses  faveurs 


» Mon  Dieu,  tu  es  notre  suprême  défenseur  ! Mon  Dieu,  tu  es  notre 
» maître  éternel.  Mon  Dieu,  tu  es  notre  maître  éternel,  tu  es  présent 
» partout,  tu  vois  tout  ; tu  es  éternellement  présent  en  tous  lieux,  tu 
» vois  les  choses  de  toute  éternité.  Puisse  ton  nom  être  glorifié,  toi 
» qui  es  unique,  irrésistible,  sans  rival,  sans  pareil.  Qu’il  soit  exalté. 
» Celui  qui  est  la  perfection,  qui  n’a  ni  ressemblance  ni  similitude  avec 
» aucun  être.  Qu’il  soit  exalté,  Celui  qui  est  glorieux,  qui  embrasse 
» tout,  que  l’intelligence  ne  peut  comprendre.  Qu’il  soit  exalté, 
» Celui  qui  a existé  avant  toute  chose,  pour  lequel  on  ne  conçoit, 
» dans  l’univers,  aucun  terme  de  comparaison.  Qu’il  soit  exalté, 


— 312  — 

» Celui  qui  se  trouve  partout,  l’Être  préexistant,  qui  n’a  ni  rival  ni 
» pareil. 

» Dieu  était  seul  : il  n’y  avait  autour  de  lui  que  le  néant.  Il  créa 
» l’univers  pour  faire  connaître  sa  puissance  ; il  créa  le  monde  pour 
» qu’on  l’adorât.  Il  est  la  Divinité,  l’excellent  Maître,  l’Être  nécessaire. 

» La  créature  passe  ; l’excellent  Maître  est  seul  éternel,  La  créature 
» se  renouvelle  ; l’excellent  Maître  est  seul  immuable.  La  créature 
» naît  périssable  ; l’excellent  Maître  existe  toujours.  L’excellent  Mai- 
» tre  est  immense,  riche  ; la  créature  est  pauvre.  L’excellent  Maître 
» est  glorieux  ; la  créature  est  humble.  L’excellent  Maître  est  sublime  ; 
» la  créature  est  méprisable.  L’excellent  Maître  est  grand;  la  créature 
» est  petite.  L’excellent  Maître  est  puissant  ; la  créature  est  faible. 
» L’excellent  Maître  est  savant  ; la  créature  est  ignorante.  L’excellent 
o Maître  est  parfait  ; la  créature  est  incomplète.  L’excellent  Maître 
» est  élevé  et  ne  ressemble  point  aux  créatures.  L’excellent  Maître  est 
» dans  le  cœur  de  ceux  qui  savent.  L’excellent  Maître  occupe  la  pre* 
» mière  place  dans  le  cœur  de  ses  adorateurs.  L’excellent  Maitre 
» occupe  entièrement  le  cœur  de  ceux  qui  l’approchent.  L’excellent 
» Maître  est  trop  grand  pour  être  enfermé  tout  entier  dans  les  cœurs; 
» aucune  place  ne  lui  est  particulière,  qu’il  soit  exalté,  l’Être  sublime. 

» 

)> 

» Ce  sont  là  des  connaissances  que  l’on  ne  peut  pas  ignorer.  Étudiez 
» donc  l’unité  de  Dieu,  car  c’est  une  science  nécessaire,  absolue,  qu’il 
» n’est  pas  permis  à l’homme  d’ignorer.  L’unité  de  Dieu  est  la  base 
» de  la  religion  ; il  ne  faut  pas  en  douter.  Celui  qui  ignore  ne  peut 
» avoir  la  foi,  fût-il  savant;  il  ne  peut  avoir  la  foi,  fut-il  même  un 

fervent  adorateur  de  Dieu.  Qui  n’a  pas  la  foi,  n’a  pas  la  sécurité. 
» Je  prie  Dieu  de  nous  sortir  de  notre  ignorance,  de  nous  apprendre 
» qu’il  est  puissant.  Que  sa  gloire  soit  proclamée.  O mon  Maître,  ô 
» toi  qui  es  partout  présent,  qui  écoutes  nos  prières,  exauce  nos  vœux 
» dans  ta  bonté  infinie.  Nous  sommes  tes  serviteurs  ; nous  craignons 
» ta  justice.  O toi  qui  sais  tout,  nous  sommes  tes  serviteurs,  nous 
» avons  soif  de  ta  générosité.  Dieu  clément  et  miséricordieux,  Dieu 
» bon  et  généreux,  c’est  toi  qui  es  Dieu,  qui  es  Dieu,  notre  maître, 
» tu  es  unique,  rien  hors  de  toi  n’existe  

» . 4 . . 

» Puisse  ton  nom  être  exalté  ! Tu  es  notre  maître  ; tu  es  présent  au 
» milieu  de  nous.  Ta  science  embrasse  tout.  Tu  es  présent  au  milieu 
» de  nous;  ta  science  embrassait  tout  antérieurement  à la  création. 
» Tu  es  présent  au  milieu  de  nous  ; ton  entendement  est  éternel.  Tu 
» es  présent  au  milieu  de  nous  ; tu  vois  tout  de  toute  éternité.  Tu  es 
» présent  au  milieu  de  nous  avec  ta  puissance  qui  a toujours  existé. 
» Tu  ês  présent  au  milieu  de  nous  avec  ta  volonté  immuable.  Que  ton 


— 313  — 


» nom  soit  exalté  ! Tu  es  présent  au  milieu  de  nous  avec  ta  volonté 
» préexistante.  Tu  es  présent  au  milieu  de  nous  avec  tous  tes  attri- 
» buts.  Tu  es  notre  maître,  que  ta  louange  soit  proclamée  ! 


Suit  une  longue  prière  pour  le  Prophète  Mohammed, 
prière  écrite  dans  le  même  style  de  litanie,  avec  des 
phrases  courtes  se  prêtant  à une  diction  rythmée  ou 
psalmodiée. 

Puis  la  litanie  continue  au  nom  d’El-Khadir,  d’Élias, 
de  Jonas,  de  tous  les  Saints  de  l’Orient,  de  l’Occident,  du 
Nord,  du  Midi,  des  habitants  du  ciel,  des  habitants  de 
la  terre,  du  chœur  des  anges,  de  ceux  qui  entourent  le 
trône  de  Dieu,  des  Saints  amis  de  Dieu  ; puis  vient  l’énu- 
mération des  32  (1)  ou  34  Saints  soufî,  appartenant  aux 
diverses  branches  communes,  et  groupés  sans  ordre 
apparent,  ou  avec  des  répétitions  amenées  en  vue  de  la 
rime  ou  du  rythme  ; le  texte  continue  ainsi  : 

« Puissent  les  bénédictions  de  tes  Saints,  ô mon  Dieu  ! se  répandre 
» parmi  nous,  ô mon  Dieu  ! 

« Dans  toutes  nos  assemblées,  ô mon  Dieu  ! Dans  cette  assemblée, 
» ô mon  Dieu  ! 

» Puisse  mon  cheikh  être  présent,  ô mon  Dieu  ! Puisse  le  cri  de 
» mon  Seigneur  être  entendu,  ô mon  Dieu  ! 

» Prends-moi  par  la  main,  ô mon  Dieu  ! Conduis-moi  à ton  amour, 
» ô mon  Dieu  ! 

» Remplis  mon  cœur  de  toi,  ô mon  Dieu  ! Inspire-moi  la  soumission 
» qui  t’es  due,  ô mon  Dieu  ! 

» Purifie  mon  corps,  ô mon  Dieu  ! Donne-moi  la  crainte  que  je  dois 
» avoir  de  toi,  ô mon  Dieu  ! 

» Pardonne  mes  péchés,  ô mon  Dieu  ! Inspire-moi  le  respect  qui 
» t’est  dû,  ô mon  Dieu  ! 

» Couvre  mes  défauts,  ô mon  Dieu  ! 

» Après  cette  litanie,  il  faudra  réciter  cent  fois,  ou  mille  fois,  ou 
» tout  au  moins  un  nombre  de  fois  en  rapport  avec  les  circonstances 
» où  l’on  se  trouve  : 

» Il  n’y  a de  Dieu  que  Allah. 


(1)  Selon  les  manuscrits. 


— 314  — 


» On  devra  faire  précéder  chaque  centaine  de  ces  mots  : 

» Mohammed  est  l’Envoyé  de  Dieu.  Que  Dieu  répande  sur  lui  scs 
» bénédictions  et  lui  accorde  le  salut. 

» Après  avoir  prononcé  ces  deux  formules  sacrées,  il  convient  de 
» dire  trois  fois  : 

» O mon  Dieu,  fais-nous  vivre,  pour  réciter  cet  acte  de  foi  ; permets* 
» nous  de  mourir  en  le  récitant  ; fais  que  nous  ne  l’oubliions  pas  au 
» moment  de  l’adversité  et  lors  des  affres  de  la  mort. 

» Puis  on  dira  la  prière  suivante  : 

» O toi  qui  es,  de  droit  et  avec  vérité,  mon  maître,  pardonne-nous 
» nos  fautes,  ouvre-nous  la  voie  comme  tu  l’as  ouverte  au  peuple 
» fidèle,  que  tu  as  dirigé  et  mis  au  nombre  des  bienheureux,  rends- 
» nous  évidentes  les  vérités  de  la  voie  des  Soufites,  qui  est  la  voie 
» des  Chadelya.  Nous  prions  la  meilleure  des  créatures,  Mohammed, 
» d’intercéder  auprès  de  Dieu  et  de  nous  montrer  la  voie.  Que  les 
» faveurs  célestes  les  plus  marquées,  ainsi  que  le  salut,  soient  sur 
» lui,  sur  sa  famille,  sur  ses  compagnons,  jusqu’à  la  fin  des  temps  ! 
» Ainsi  soit-il,  ô Maître  des  mondes;  ainsi  soit-il,  ô toi,  l’Être  géné- 
» reux  ; au  nom  de  cette  voie,  soit  miséricordieux  pour  nos  pères  et 
» mères  ; pardonne-nous  nos  péchés  par  les  bénédictions  répandues 
» sur  les  Saints,  sur  les  Prophètes  et  sur  les  Envoyés.  Nous  sommes 
» tes  serviteurs  craintifs,  nous  attendons  à ta  porte  le  pardon.  O toi, 
» l’Être  généreux,  miséricordieux,  compatissant,  accorde-nous  la  grâce 
» de  nous  corriger,  ô mon  Dieu  ! Mets  dans  nos  cœurs  la  plus  grande 
» certitude  de  ton  être.  Affermis -nous  dans  notre  foi,  ô notre  Maître  ! 
» Éloigne  de  nous  les  méchants.  Sauve-nous,  ô notre  Maître,  des 
» deux  anges  du  tombeau.  Secours-nous,  ô notre  Maître,  contre  les 
» attaques  des  impies.  Reçois-nous  dans  le  sein  de  ta  miséricorde,  ô 
» notre  Maître;  sois  miséricordieux  pour  tous  les  Musulmans.  Ainsi 

» soit-il,  ainsi  soit-il,  ainsi  soit-il,  ô Maître  des  mondes! 

» » 


Puis  vient  l’Ouerd,  que  nous  donnons  plus  loin,  puis 
l’Ouassia  suivante,  dans  laquelle  le  cheikh  Mahmed-ben- 
Aïssa  donne  des  exhortations,  des  conseils  moraux,  des 
aphorismes  et,  enfin,  une  définition  assez  curieuse  de 
l’amour  mystique,  définition  qui  peut  prêter  à des  rap- 
prochements intéressants  avec  les  écrits  de  nos  mysti- 
ques chrétiens. 


« Ouassia.  — Mon  frère,  le  repentir  se  reconnaît  à sept  marques  : 
» le  regret,  la  contrition,  la  résipiscence,  la  soumission,  l’humilité, 


— 315  — 

» la  constance  dans  les  prières,  l’acquiescement  à la  volonté  de  Dieu 
» et  la  pureté  de  pensée  envers  le  Maître  de  la  vie. 

» Le  cheikh,  que  Dieu  l’ait  pour  agréable,  a dit  : « Sept  choses 
» enlèvent  le  mérite  du  repentir  : l’envie,  la  haine,  l’amour-propre, 
» l’hypocrisie,  l’orgueil,  l’amour  des  louanges,  le  désir  du  commande- 
» ment.  » 

» Celui  qui  est  orgueilleux  de  sa  science,  qui  a un  mauvais  naturel 
» et  voit  les  autres  aussi  mal  doués  que  lui,  est  un  hypocrite  bien 
» qu’il  appelle  les  hommes  au  repentir. 

» Vingt  conditions  règlent  les  rapports  des  frères  avec  leurs  cheikhs  : 
» cinq  concernent  la  réunion  des  frères  avec  les  cheikhs,  cinq  leur 
» absence,  cinq  leur  dikr  et  cinq  leur  amour.  — Un  maintien  simple, 
» le  respect,  la  retenue,  la  modestie,  la  crainte  doivent  signaler  la 
» présence  des  frères  devant  leur  cheikh.  — L’attention,  l’esprit  de 
» pauvreté,  une  communion  incessante  d’esprit  avec  les  mérites  du 
» cheikh,  rappeler  sans  cesse  en  esprit  ses  vertus,  le  glorifier,  telles 
» sont  les  qualités  du  frère  loin  des  yeux  de  son  cheikh.  — Quant  aux 
» qualités  que  l’on  doit  posséder  dans  le  dikr,  ce  sont  : avoir  devant 
» les  yeux  son  cheikh,  mettre  en  lui  son  espoir,  avoir  recours  aux 
» bénédictions  dont  Dieu  l’a  comblé,  avoir  toujours  sous  les  yeux  le 
» pacte  qui  vous  lie  à lui. 

» Les  qualités  de  l’amour  sont  : une  ardeur  constante,  une  modestie 
» continuelle,  vouloir  toujours  être  avec  lui,  avoir  le  cœur  ému  en  sa 
» présence,  éprouver  le  désir  de  le  posséder.  Il  faut  aussi  s’humilier, 
» exécuter  sa  volonté,  conserver  un  maintien  modeste,  avoir  de  la 
» vénération,  se  préserver  de  tout  orgueil,  s’emplir  le  cœur  d’amour, 
» implorer  la  clémence  divine,  veiller  attentivement  sur  soi-même, 
» suivre  l’exemple  des  Saints,  se  garder  de  toute  vanité. 

» On  doit  chercher  à posséder  les  dix  qualités  qui  se  trouvent  dans  le 
» chien  (1):  ne  dormir  que  peu  dans  la  nuit,  ce  qui  est  la  qualité  des 
» âmes  vraiment  aimantes  ; ne  se  plaindre  ni  de  la  chaleur  ni  du  froid, 
» ce  qui  est  la  qualité  des  cœurs  patients  ; ne  laisser  après  sa  mort 
» aucun  héritage,  ce  qui  est  le  caractère  de  la  véritable  dévotion  ; 
» n’avoir  ni  colère  ni  envie,  ce  qui  est  le  caractère  du  vrai  Croyant  ; 
» rester  loin  de  celui  qui  mange,  ce  qui  est  le  caractère  du  pauvre  ; 
» n’avoir  aucun  domicile  fixe,  ce  qui  est  le  caractère  du  pèlerin  ; se 
» contenter  de  ce  qu’on  vous  jette  à manger,  ce  qui  est  le  caractère 
» de  l’homme  modéré  ; dormir  où  l’on  se  trouve,  ce  qui  est  le  carac- 


(1)  Les  prescriptions  qui  suivent  n’ont  pas  été  inventées  par  Sid 
Mahmed-ben-Aïssa.  Ce  sont,  en  effet,  les  dix  qualités  que  Si  Hassan- 
el-Bosri,  mort  l’an  110  de  l’Hégire  (728  de  J.-C.)  imposait  à tout  soufi 
ou  derwiche.  Il  y a cependant,  dans  l’énoncé  de  ces  qualités,  quelques 
variantes,  mais  elles  sont  sans  importance, 


316  — 


» tère  des  cœurs  satisfaits  ; ne  pas  méconnaître  son  maître  et,  s’il 
» frappe,  revenir  à lui,  ce  qui  est  le  caractère  de  ceux  qui  savent  ; 

» avoir  toujours  faim,  ce  qui  est  le  caractère  des  hommes  vertueux. 

» La  fréquentation  de  la  foule  enlève  au  cœur  sa  lumière  et  au 
» visage  sa  pudeur.  Mourir  dans  la  fréquentation  du  vulgaire,  c’est 
» vouloir  paraître,  au  jour  de  la  résurrection,  avec  un  visage  sombre 
)>  comme  une  lune  éclipsée.  Que  l’homme  intelligent  s’efforce  donc  de 
» n’avoir  de  rapports  qu’avec  la  classe  des  privilégiés  : il  y recueillera 
» la  science,  la  pureté  du  cœur,  et  sa  poitrine  sera  libre  de  toute 
» inquiétude  pour  l’avenir. 

» Fréquenter  la  foule,  c’est  vouloir  transformer  son  âme  en  hyacinthe 
» pourprée,  tout  en  détruisant  les  limites  imposées  par  Dieu;  c’est  cher- 
» cher  à atteindre  le  degré  de  perfection  des  hommes  de  choix,  en 
» s’appuyant  sur  le  succès  des  actes  de  la  classe  ignorante;  c’est  vou- 
» loir  acquérir  le  mérite  de  la  piété,  tout  en  commettant  des  actions 
» impies. 

» J1  faut  recommander  aux  aspirants  de  se  conformer  aux  règles 
» de  la  sonna  en  disant,  au  sortir  des  assemblées  : que  ta  louange 
» soit  proclamée,  ô mon  Dieu  ! que  ton  nom  soit  béni  ! que  ta  gloire 
» soit  exaltée  ! il  n’y  a d’autre  Divinité  que  toi  ! pardonne-moi  si  ma 
» langue  a péché  dans  cette  assemblée. 

» Les  cœurs  sont  des  jardins  : les  prières  en  sont  les  arbres  ; la 
» science  sert  à exprimer  les  pensées  ; les  mots  sont  l’eau  vivifiante  ; 
» la  grandeur,  la  majesté  et  la  perfection  de  Dieu  se  voient  dans  les 
» préceptes  que  nous  ont  laissés  ceux  qui  nous  ont  précédés,  dans  les 
» leçons  des  hommes  saints.  La  conversation  ne  doit  être  qu’une 
» moisson  ajoutée  à d’autres  moissons. 

» O toi  qui  recherches  la  sainteté,  crois  et  observe.  Croire  à Dieu 
» est  une  lumière  ; la  science  est  une  preuve  de  son  existence  : ne 
» pas  le  prier,  c’est  courir  à sa  perte. 

» Les  Saints  (1)  pensent  du  bien  des  créatures  de  Dieu;  les  Eulama, 
» eux,  ne  voient  dans  les  hommes  que  le  mal,  car  ils  remarquent, 
» dans  le  sombre  repli  de  leur  cœur,  le  penchant  à obéir  aux  mau- 
» vais  instincts.  Cette  persistance  à ne  pas  voir  dans  les  créatures 
» les  signes  de  la  faveur  de  Dieu,  de  son  élection,  de  la  correction 
» qu’il  a mise  en  eux  en  les  attirant  à Lui  (2),  les  fait  ressembler 


(1)  Les  Saints,  c’est-à-dire  les  cheikhs. 

(2)  Nous  dirions,  en  français:  « les  signes...  de  l’état  de  grâce  dans 
» lequel  ils  se  trouvent  par  l’effet  du  choix  du  Seigneur,  » mais  nous 
avons  tenu,  dans  les  passages  traduits,  à nous  rapprocher  le  plus  pos- 
sible du  texte  arabe,  craignant  toujours  de  nous  égarer  en  substituant 
des  expressions  françaises  aux  expressions  musulmanes. 


— 317  — 


)>  à un  homme  qui  se  réveillerait  subitement  aveugle  et  se  croirait 
» simplement  dans  les  ténèbres  de  la  nuit. 

» Évitez  de  vous  réunir  aux  criminels.  Se  réunir  aux  impies,  c’est 
» s’endurcir  le  cœur  ; tandis  que  se  réunir  aux  hommes  pieux,  c’est 
» illuminer  son  cœur,  et  illuminer  son  cœur,  c’est  permettre  à son. 
» âme  de  parcourir  les  espaces  célestes. 

» La  science  est  le  remède,  l’ignorance  la  maladie.  La  science  est 
» un  signe  divin,  l’ignorance  une  inimitié.  La  science  est  la  marque 
» du  vrai  Croyant,  l’ignorance  celle  de  l’impiété. 

» La  retenue  est  la  moitié  de  la  foi  ; bien  mieux,  ce  pourrait  être  la 
» foi  tout  entière.  Ainsi  le  Prophète  a dit  : 

» Celui  qui  n’a  pas  de  retenue,  n’a  pas  de  foi  ; celui  qui  n’a  pas  la 
» foi,  n’est  pas  dans  l’Islamisme  ; celui  qui  n’est  pas  dans  l’Islamisme, 
» ne  reconnaît  pas  l’unité  de  Dieu  ; celui  qui  ne  reconnaît  pas  l’unité 
» de  Dieu,  n’a  aucune  confiance  ; celui  qui  n’a  pas  de  confiance,  n’a 
» pas  de  religion  ; celui  qui  n’a  pas  de  religion,  n’a  aucun  bien  ; ce- 
» lui  qui  n’a  aucun  bien,  n’a  aucun  avantage  dans  ce  monde  ni  .dans 
» l’autre. 

» Ainsi,  la  foi  ne  marche  pas  de  front  avec  les  distractions  et  le 
» jeu,  mais  avec  la  prière  et  l’anéantissement  de  soi-même.  La  foi  ne 
» va  pas  avec  les  soucis  et  les  chagrins,  mais  avec  les  prières  et  la 
» pureté  du  cœur.  La  foi  n’existe  pas  avec  les  plaisirs  et  l’abandon 
» aux  sensations  extérieures,  mais  avec  la  bonne  tenue  et  l’attache- 
» ment  constant  à l’idée  de  Dieu.  La  foi  ne  se  trouve  que  dans  la  di- 
» rection  vers  les  choses  divines.  La  lumière  ne  se  voit  pas  dans  les 
» discours  de  révolte.  Pas  de  foi  sans  l’amour  ombrageux  de  l’Isla- 
» misme.  Pas  de  foi  avec  l’omission  de  ses  devoirs  et  la  fréquentation 
o des  impies.  La  foi  n’existe  que  dans  le  cœur  simple  et  aimant  ; qui 
» ne  ressent  pas  la  jalousie,  n’a  pas  de  foi  ; qui  n’a  pas  de  foi,  n’est 
» pas  dans  l’Islamisme  ; qui  n’est  pas  dans  l’Islamisme,  n’a  pas  à 
» prier;  qui  ne  prie  pas,  n’a  pas  à jeûner;  qui  ne  jeûne  pas,  n’a  pas 
» à faire  d’aumônes. 

» Le  Prophète  a dit  : 

» Qui  serties  amis  de  Dieu  n’a  rien  à craindre  de  Dieu,  tant  qu’il 
» servira  son  frère  musulman.  Servir  les  amis  de  Dieu,  c’est  la  ré- 
» compense  de  celui  qui  jeûne  le  jour  ou  qui  veille  à prier  Dieu.  Celui 
» qui  combat  dans  la  voie  de  Dieu,  ou  qui  est  pieux  sur  la  terre, 
» n’aura  pas  une  plus  belle  récompense  que  ce  serviteur.  Quelle  belle 
» situation  occupera  le  serviteur  des  amis  de  Dieu  au  jour  de  la 
» résurrection  ! il  n’aura  pas  de  compte  à rendre  ! il  n’aura  pas  de 
» punition  à craindre.  Un  tel  serviteur  obtiendra  la  même  récompense 
» que  celui  qu’il  aura  servi.  — Auprès  de  Dieu,  il  n’y  a pas  d’état 


318  — 


» plus  beau,  pour  un  pauvre  véritable,  que  celui  de  servir.  Les  anges 
» même  ne  sont  pas  plus  élevés  aux  yeux  de  Dieu,  dans  les  sept 
» cieux  et  sur  les  sept  terres,  ou  dans  les  mondes  qui  occupent  leurs 
» intervalles. 

» Le  Prophète  dit  un  jour  à Abou-Dirr-el-R’ifari  : « O Abou-Dirr, 
» le  rire  des  pauvres  est  une  adoration  ; leurs  jeux,  la  proclamation 
» de  la  louange  de  Dieu  ; leur  sommeil,  l’aumône.  » 

» Le  cheikh  a encore  dit: 

« Prier  et  jeûner  dans  la  solitude  et  n’avoir  aucune  compassion  dans 
» le  cœur,  cela  s’appelle,  dans  la  bonne  voie,  de  l’hypocrisie.  » 

« L’amour  (1)  est  le  degré  le  plus  complet  de  la  perfection.  Celui 
» qui  n’aime  pas,  n’est  arrivé  à rien  dans  la  perfection.  Il  y a quatre 
» sortes  d’amours  : l’amour  par  l’intelligence,  l’amour  par  le  cœur, 
» l’amour  par  l’âme,  l’amour  mystérieux.  L’amour  par  l’intelligence 
» s’appelle  l’amour  spirituel  ; l’amour  par  le  cœur  s’appelle  passion  ; 
» l’amour  par  l’âme  s’appelle  désir  de  concomitance  ; l’amour  secret 
» s’appelle  identification  avec  l’objet.  L’amour  par  l’intelligence  ou 
» amour  spirituel,  c’est  l’amour  perpétuel  de  Dieu,  l’amour  qui  rem- 
)»  plit  l’être  intérieurement  et  extérieurement  ; il  donne  naissance  au 
» désir  de  se  confondre  avec  l’objet  aimé,  de  le  posséder,  de  le  prier. 
» Le  désir  de  posséder  l’objet  aimé  amène  les  frissons  de  la  chair, 
» les  palpitations  du  cœur,  les  larmes,  les  soupirs.  Le  désir  de  pos- 
» séder  Dieu  est  mon  coursier,  disait  le  Prophète.  — L’amour  par  le 
» cœur,  qui  s’appelle  passion,  se  montre  lorsqu’il  arrive  à la  face 
» extérieure  du  cœur.  Il  se  traduit  alors  par  de  la  langueur,  des 
» regrets,  des  lamentations,  l’oubli  du  monde,  le  désir  de  Dieu,  la 
» compassion,  le  mystère  et  ses  inquiétudes,  les  larmes,  la  faim,  la 


(1)  L’amour  mystique  ne  diffère  guère  de  l’amour  humain  : Abou- 
Haçan-Ali-ben-el-Hocein-Ibn-Ali-el-Massoudi,  dans  ses  Prairies  d’or, 
chapitre  CXII,  dit  : « Une  fraction  des  Soufi  et  des  propagandistes 

» (ilcjJi  v (qui,  à Bagdad  et  dans  d’autres  écoles,  rejettent 

» de  leurs  doctrines  l’union  et  la  séparation),  soutient  que  Dieu  impose 
» l’amour  à l’homme  comme  une  épreuve,  pour  l’exercer  à l’obéis- 
» sance  envers  l’objet  aimé;  en  souffrant  des  rigueurs,  en  se  réjouis- 
» sant  de  la  tendresse  de  la  personne  chérie,  l’homme  en  déduit  la 
» portée  de  l’obéissance  qu’il  doit  au  Tout-Puissant,  au  Dieu  incom- 
» parable  et  sans  égal  qui  l’a  créé  sans  y être  contraint,  qui  le  nour- 
» rit  et  le  comble  de  ses  bienfaits  dès  le  premier  jour.  Puisque  l’homme 
» se  soumet  aux  lois  de  son  semblable,  il  convient  à plus  forte  raison 
» qu’il  recherche  les  faveurs  de  Dieu.  Cette  thèse  est  longuement  dé- 
» veloppée  par  les  Batheniens  Soufi.  » — Tome  \T,  page  384  de  la 
traduction  de  C.  Barbier  de  Meynard. 


— 319  — 


» patience,  la  solitude  et  le  penchant  à la  soumission  à Dieu.  — L’a- 
» mour  par  l’âme  se  traduit  par  l’embarras,  l’étonnement,  le  regret, 
» les  sanglots,  la  soif,  la  frénésie,  l’anéantissement  de  soi-même  en 
» Dieu,  la  suspension  de  ses  facultés,  la  présence  en  Dieu  sans  trêve, 
» l’amour  de  l’obéissance,  l’abandon  à Dieu  et  à son  Envoyé,  la  re- 
» nonciation  au  libre  arbitre,  l’abaissement  en  Dieu,  la  pauvreté.  De 
» toutes  ces  vertus  naît  une  lumière  blanche,  résultant  de  la  prière 
» et  de  l’amour,  et  qui  s’échappe  du  Trône  divin. 

» A l’apparition  de  cette  lumière,  le  cœur  s’ouvre  aux  fureurs  de 
» l’amour.  Une  lumière  jaune  lui  succède,  elle  sort  du  trône  de  Dieu 
» lui-même.  Le  cœur,  en  le  recevant,  est  enveloppé  de  feu;  sa  fréné- 
» sie  augmente  avec  ses  soupirs  et  son  émotion.  Dieu  se  manifeste 
» alors  et  se  réunit  à l’âme.  L’épouvante  cesse  par  le  jeûne  ; le  cœur 
» se  calme  par  la  faim  ; la  vue  s’éclaircit  à la  clarté  de  la  lumière 
» intérieure  ; l’oreille  se  ferme  aux  bruits  extérieurs  ; l’âme  se  repait 
» de  sa  souffrance  et  se  réjouit  de  sa  douleur  ; la  solitude  plaît  ; 
» l’existence  et  le  néant  se  confondent. 

» L’amour  complet  consiste  à suivre  les  préceptes  du  Prophète,  en 
# ce  qui  regarde  les  choses  extérieures  et  intérieures.  Dieu  a dit  : 
» Dis  : si  vous  aimez  Dieu,  suivez-moi.  Dieu  alors  vous  aimera. 

» L’amour  secret  consiste  à se  renfermer  en  Dieu;  à s’abîmer  dans 
» sa  louange,  par  l’étude  de  soi-même;  à s’anéantir  dans  la  contempla- 
» tion  de  l’essence  de  Dieu,  de  façon  à se  laisser  entièrement  absorber 
» dans  l’Être  divin;  à concentrer  toutes  ses  facultés  dans  la  vue  de  son 
» amour  en  faisant  abstraction  de  l’amour  que  l’on  a pour  soi.  Lorsque 
» l’amour  secret  est  arrivé  en  communication  avec  l’amour  intérieur 
» de  Dieu,  la  prière  fait  alors  jonction  avec  la  prière  et  la  dualité 
» devient  unité.  On  voit  alors  des  esprits  lumineux,  on  éprouve  des 
» joies  spirituelles,  des  visions  délicieuses  nées  du  rapprochement 
» avec  l’objet  aimé  (1). 

» De  l’amour  secret  naissent  le  ravissement,  l’oubli  de  soi-même  et 
» la  pudeur  ; on  est  tout  entier  rempli  d’un  souffle  de  la  Divinité.  (Il 
» est  nécessaire  de  parcourir  tous  les  degrés  de  l’amour.) 

» O Croyant  ! que  le  degré  de  perfection  où  tu  es  arrivé  soit  tou- 
» jours  présent  à tes  yeux.  Si  tu  veux  parvenir  au  degré  de  l’intelli- 
» gence,  tu  dois  prêter  l’oreille  et  obéir  à Dieu  et  à son  Prophète. 
» Dieu  a dit  : « Interrogez  les  hommes  de  prière  lorsque  vous  ne 
» savez  pas.  » — « Sois  savant,  a dit  le  Prophète,  ou  instruis-toi,  ou 
» écoute  ; mais  ne  sors  pas  de  ces  trois  états.  » 

» Si  tu  es  arrivé  au  degré  de  l’amitié  de  cœur,  tu  dois  obéir  à Dieu 
» et  à son  Prophète.  Dieu  a dit  : « C’est  un  jour  (2)  où  l’on  ne  reti- 


(!)  Le  texte  arabe  de  ce  passage  est  fort  défectueux. 
(2)  Le  jour  de  la  mort. 


— 320  — 

» rera  profit  ni  de  la  fortune,  ni  de  ses  enfants,  mais  seulement  de 
» l’abandon  entier  du  cœur.  » Le  cœur  confiant  est  celui  qui  a été 
» éprouvé  par  l’amour  de  Dieu  et  s’est  abandonné  à lui  sans  restric- 
» tion. 

» Si  tu  es  arrivé  au  degré  de  l’amour  par  l’àme,  il  te  faut  obéir  à 
» Dieu  et  à son  Envoyé.  Dieu  a dit  : « On  t’interroge  au  sujet  de  l’à- 

» me.  Réponds  : l’àme  est  dans  la  dépendance  de  Dieu,  etc » Les 

» âmes  forment  une  armée  compacte  qui  entoure  le  trône.  Lors  même 
» que  l’àme  est  aujourd’hui  emprisonnée  dans  le  corps,  elle  n’en  voit 
» pas  moins  les  mystères  du  monde  invisible. 

»»  Si  tu  es  arrivé  au  degré  de  l’amour  mystérieux,  il  te  faut  encore 
» obéir  à Dieu  et  à son  Envoyé.  Dieu  a dit:  « Je  connais  ce  que  vous 
cachez  et  ce  que  vous  découvrez.  » Celui  qui  conserve  son  secret. 
» Dieu  le  garantira  contre  sa  divulgation  (on  ne  doit  pas  faire  parade 
» des  mystères  que  Dieu  a jugé  bon  de  révéler).  N’avancerais-tu  que 
» d’un  pas  dans  la  voie  de  la  perfection,  qu’il  y a pour  chaque  degré  de 
» l’amour  ou  de  l’amitié  des  signes  visibles,  des  marques  auxquelles 
» on  ne  saurait  se  tromper.  Dieu  a dit  : « On  les  oonnaît  par  la  mar- 
» que  de  leurs  prosternations,  qui  se  trouve  sur  leur  visage.  — Ils 
» dormaient  peu  pendant  la  nuit.  » 

» L’amour  est  une  mer  sur  laquelle  flotte  le  vaisseau.  Ton  amour 
>»  sera  sur  la  mer  des  états,  ou  la  mer  du  goût,  ou  la  mer  de  l’incen- 
» die,  ou  la  mer  de  la  perdition.  » 


Un  des  manuels  contient,  en  outre,  une  sorte  de  caté- 
chisme très  peu  clair  sur  des  questions  de  métaphysique 
qui  ne  sont  pas  abordées  dans  l’autre  manuscrit;  nous 
en  extrayons  ceci  : 

« Les  entretiens  et  les  causeries  (sont  permis).  Le  Prophète, 

» en  effet,  a dit  : « Il  y a dans  mon  peuple  des  personnes  qui  s’en- 
» tretiennent  des  choses  saintes,  de  même  qu’il  y en  a qui  conversent 
» de  toute  autre  chose.  Omar  est  de  ceux-là.  » 

» L’œuvre  première  est  un  repentir  sincère.  L’œuvre  intermédiaire 
» est  la  crainte  respectueuse  et  la  proclamation  de  la  grandeur  de 
» Dieu.  L’œuvre  dernière  est  la  perte  de  l’existence  extérieure  et  la 
» concentration  des  facultés  dans  l’abîme  des  grandeurs  de  Dieu,  et 
» aussi  la  vie  en  Dieu. 

» La  plus  grande  science  est  celle  qui  marche  de  front  avec  la 
» crainte  de  Dieu. 

» La  meilleure  action  est  celle  qui  est  prise  en  vue  de  Dieu. 

» La  clef  de  toute  science  est  la  science  de  Dieu.  (Théologie.) 

» La  plus  belle  action  est  celle  qui  est  exempte  de  toute  passion. 


» Si  quelqu’un  vous  demande  : qu’est-ce  que  le  combat,  l'attention, 

» la  vision,  la  certitude  simple,  la  certitude  morale  ? Dieu  est-il  sur 
» la  terre  ou  dans  le  ciel  ? 

» Apprenez  que  le  combat  est  le  premier  degré,  l’attention  le  degré 
» moyen,  et  la  vision  le  degré  extrême. 

» Vous  dites  : où  Dieu  est- il?  sur  la  terre.  Pourquoi  ne  disons- 
» nous  pas  qu’il  est  dans  le  ciel?  puisque  le  mot  ciel  (sama)  signifie 
» hauteur,  et  qu’il  indiquerait,  dès  lors,  la  hauteur  de  Dieu  et  sagran- 
# deur,  car  il  possède  seul  les  attributs  de  la  perfection,  de  la  plénitude, 

» qu’on  ne  peut  concevoir  ni  par  l’intelligence  ni  par  l’analogie. 

» Quand  nous  disons  que  Dieu  est  sur  terre,  ce  n’est  là  qu’une 
» façon  de  s’exprimer,  un  moyen  de  proclamer  sa  grandeur,  de  le 
» prier,  de  le  craindre,  de  l’aimer.  Ce  sont  là  des  mystères  dont  est 
» plein  le  cœur  de  ceux  qui  savent,  qui  ne  cessent  de  prier.  Le  Maî- 
» tre  souverain,  ce  Vrai  absolu,  est  trop  grand  pour  s’ouvrir  à l’ana- 
» lyse,  pour  se  prêter  à la  mobilité,  à la  fixité,  à la  compressibilité 
» dans  un  lieu. 

» Vous  parlez  de  certitude  simple,  de  certitude  morale? 

» Sachez  que  la  certitude  simple  est  une  mer  sans  rivages.  Au- 
» dessus  d’elle  se  trouvent  la  certitude  morale  et  la  certitude  physi- 
» que.  Les  génies  et  les  hommes  se  réuniraient  pour  donner  l’expli- 
» cation  de  ces  différentes  certitudes,  qu’ils  ne  pourraient  en  définir 
» une  seule  lettre.  La  porte  des  interprétations  restera  toujours  ou- 
» verte,  quand  même  il  ne  se  trouverait  plus  sur  terre  une  seule  plante 
» dont  on  tire  les  plumes  à écrire. 

» La  certitude  simple  comprend  l’examen  et  la  preuve,  après  qu’on 
» est  sorti  des  ténèbres  de  l’imitation.  En  effet,  l’imitation,  en  fait  de 
» foi,  renferme  implicitement  le  doute;  tandis  que  l’examen  et  la 
» preuve  indiquent  la  certitude. 

» La  certitude  morale,  c’est  la  conviction,  basée  sur  un  ensemble 
» de  preuves  et  de  témoignages,  de  l’unité  de  Dieu. 

» La  certitude  physique  est  fondée  sur  le  jugement  qui  va  du  Créa- 
» teur  à la  créature.  Le  premier  degré  de  cet  état  est  l’établissement 
» de  l’unité  de  Dieu,  le  deuxième  l’abstraction  en  Dieu  et  le  troisième 
» l’isolement  en  Dieu. 

» Le  combat  est  la  résistance  à soi-même,  l’abandon  de  tout  repos, 
» l’abondance  des  pleurs,  l’étude,  la  recherche  des  vérités  éternelles, 
» sans  sortir  des  limites  établies  par  le  Livre  et  la  Sonna. 

» L’attention  est  la  retenue. 

» Le  combat  contre  soi-même  et  l’attention  sont  deux  états  acces- 
» sibles  à l’homme.  Il  n’en  est  pas  de  même  de  la  vision,  qui  est  la 
» contemplation  des  choses  divines  et  que  pourrait  seul  définir  un 
» extatique  ou  un  spiritualiste.  La  vision  comporterait  de  longues 
» explications  qu’il  n’y  a pas  lieu  de  donner. 


21 


— 322  — 

» A celte  question  : « A quelle  distance  Dieu  est-il  de  toi  ? » Réponds  : 
» « A la  même  distance  que  je  suis  de  lui.  Il  est  avec  vous  en  quel- 
» que  lieu  que  vous  soyez.  » A cette  autre  question  : « Dieu  est-il 
» près  ou  loin  ? » Réponds  : « Il  est  près  sans  jonction,  il  est  loin 
» sans  séparation.  » 

» La  proximité  et  la  « lointaineté,  » disent  certains  philosophes, 
» indiquent  une  distance,  ce  qui  serait  absurde  (en  parlant  de  Dieu) 
» et  l’absurde  n’est  point  admis  par  la  raison. 

» Si  quelqu’un  te  demande  : « Dieu  est-il  dans  la  science  ou  en 
» dehors.  » Réponds  : « Dieu  n’est  ni  au-dessus,  ni  au-dessous,  ni  à 
» droite,  ni  à gauche,  ni  devant,  ni  derrière  la  science.  » Ne  pas  per- 
» cevoir  l’objet  entier  n’indique  pas  l’absence  de  perception. 

» Rien  n’est  comparable  à Dieu  : il  entend  et  voit. 

» Si  au  lieu  de  trouver  en  tête  de  ce  verset  une  proposition  néga- 
» tive,  on  y voyait  seulement  que  Dieu  entend  et  connaît , le  doute, 
» l’incertitude  et  la  discussion  seraient  permis  à l’intelligence  en  ce 
» qui  concerne  l’incomparabilité  de  Dieu.  Mais  en  parlant  ainsi,  Dieu 
» s’est  mis  au-dessus  de  tout  et  s’est  purifié  de  tout  contact  avec  la 
» matière,  la  contingence  et  l’essence  des  choses  ; il  s’est  écarté  de 
» tout  terme  de  comparaison,  de  toute  dualité.  Il  plane  bien  au-des- 
» sus  de  toutes  les  entités. 

» On  te  dira  : « Qu’est-ce  que  la  contingence  ? » Réponds  : « Le  ca- 
» ractère  de  la  contingence  est  de  ne  pas  durer  deux  instants  ; elle 
» n’existe  pas  de  soi-même.  Elle  se  divise  en  contingence  absolue  et 
» en  contingence  relative.  » 

» La  contingence  absolue  se  compose  des  couleurs,  des  substances 
» corporelles,  du  goût,  des  odeurs. 

» La  contingence  relative  se  subdivise  en  contingence  dépendante 
» et  contingence  indépendante. 

b La  contingence  dépendante  comprend  : la  science  dans  l’homme 
» savant,  l’ignorance  dans  l’homme  ignorant,  l’amour  dans  l’objet 
» aimé,  la  haine  dans  l’objet  haï,  etc.... 

» La  contingence  indépendante  comprend  : la  faim,  la  soif,  la  joie, 
» le  chagrin,  etc 

» Dieu,  notre  maître,  est  immensément  éloigné  de  tous  ces  carac- 
» tères. 

b Les  contingences  sont  les  données  intérieures  de  la  matière  et 
» de  l’essence.  La  mort,  la  science,  l’ignorance,  l'ouïe,  la  vue,  la  pa- 
» rôle,  le  mouvement,  le  repos  sont  des  contingences,  ainsi  que  tou- 
» tes  les  données  intérieures  à la  matière  et  à l’essence.  La  matière 
b et  l’essence  n’existent  pas  dans  la  contingence,  et  celle-ci  n’est 
b pas  forcément  dépendante  de  l’existence  de  la  matière  et  de  l’es- 
» sence. 

» Dieu  est  infiniment  au-dessus  de  toute  quomodcité , de  toute  con- 


— 323 


» tingence,  de  toute  matérialité,  des  lieux,  des  temps,  et  de  toute 
» direction.  * 

» Que  sont  les  corps,  qu’est-ce  que  l’essence  ? vous  dira-t-on. 

» Les  corps  sont  un  composé  de  substances,  en  quantités  plus  ou 
» moins  grandes  ; chaque  corps  occupe  une  portion  de  l’espace. 

» Les  substances  sont  formées  d’atomes  qui  ont  appartenu  à d’au- 
» très  substances.  Les  atomes  sont  indivisibles. 

» Les  corps  sont  de  deux  sortes  : les  corps  diaphanes  et  les  corps 
» opaques. 

» Les  corps  diaphanes  sont,  par  exemple  : l’air,  le  vent,  les  nuages, 
» la  fumée,  les  brouillards,  l’eau,  le  feu,  etc.  .. 

» Les  corps  opaques  sont,  par  exemple:  les  pierres,  les  arbres.  » 


Il  est  bien  évident  qu’il  n’y  a,  dans  les  manuscrits 
dont  nous  avons  pu  disposer,  que  la  doctrine  extérieure 
et  en  quelque  sorte  officielle  : la  doctrine  ésotérique  ne 
se  communique,  sans  doute,  qu’aux  adeptes  déjà  arrivés 
à un  certain  degré  d’initiation.  C’est,  du  moins,  ce  qu’on 
peut  présumer  des  cérémonies  mêmes  de  l’initiation  et 
de  l’Ouerd  qui  se  trouvent  dans  les  manuscrits.  Rien,  en 
effet,  lors  de  l’admission  du  néophyte  ou  lors  de  la  réci- 
tation du  rituel  spécial  des  Aïssaoua,  ne  peut  faire  soup- 
çonner les  habitudes  de  mortification  ou  les  exercices 
thaumaturgiques  auxquels  se  livrent  ces  khouan. 

Voici  en  quels  termes  le  manuscrit  du  petit-fils  de  Ben- 
Aïssa  s’exprime  au  sujet  de  la  réception  des  adeptes  : 

« La  première  chose  qu’il  faut  connaître,  dit  le  cheikh  Sidi  Mah- 
» med-ben-Aïssa,  en  entrant  dans  la  confrérie,  et  après  avoir  appris 
» le  Touhid  et  les  statuts  de  la  société,  ce  sont  les  cinq  formules  sui- 
» vantes  : 

» 1°  Dieu  me  voit,  Dieu  témoigne  contre  moi  ; 

» 2°  Ton  Dieu  ne  t’ordonne  pas  de  faire  ce  qu’il  a défendu.  (1). 

» En  premier  lieu,  on  doit  réciter  sept  fois  la  formule  par  laquelle 
» on  se  réfugie  auprès  de  Dieu,  pour  éviter  les  embûches  du  démon  le 
» lapidé. 

» Réciter  sept  fois  : 


(1)  Il  doit  y avoir  ici  une  lacune. 


324  — 


» Au  nom  de  Dieu  clément  et  miséricordieux. 

» Réciter  cent  fois  : Au  nom  de  Dieu. 

» On  dira  ensuite  la  louange  de  Dieu  Très-Haut  et  on  le  remerciera 
» de  sa  bonté,  puis  on  ajoutera  : 

» O toi,  souverain  gardien,  qui  vois  tout,  qui  es  notre  secours,  gar- 
» de-moi.  O toi  qui  es  doux  et  compatissant,  qui  es  bienfaisant  ; c’est 
» en  toi  que  je  mets  mon  appui,  ô Dieu,  ô Dieu,  ô Dieu  ! 

» On  dira  de  nouveau  la  formule  par  laquelle  on  se  réfugie  auprès 
» de  Dieu  et  celle  de  : au  nom  de  Dieu,  et  l’on  ajoutera  : 

» O mon  Dieu,  j’implore  ton  pardon  pour  toutes  mes  fautes  vénielles 
» et  mortelles,  contre  mes  péchés  d’oubli,  de  pensée,  contre  les  omis- 
» sions  dont  je  me  suis  rendu  coupable. 

» Après  cela,  on  louange  Dieu  et  on  lui  rend  grâce,  puis  on  ajou- 
» tera  : 

» O toi,  le  gardien,  qui  vois  tout,  etc...,  comme  il  a été  dit  plus 
» haut.  Cette  formule  sera  répétée  au  commencement  de  chaque  cen- 
» taine.  On  récitera  de  nouveau  la  formule  du  refuge  auprès  de  Dieu 
» et  celle-ci  : au  nom  de  Dieu.  Puis  on  dira  : 

» O mon  Dieu,  répands  tes  grâces  et  tes  bénédictions  sur  notre 
» Seigneur  Mohammed,  ton  Envoyé  et  le  guide  de  ta  voie,  grâces  et 
» bénédictions  à la  faveur  desquelles  je  serai  élevé  dans  les  hauteurs 
» de  la  pureté  et  obtiendrai  tes  récompenses  particulières.  Daigne 
» accorder  à ton  Prophète  un  salut  aussi  étendu  quêta  science,  aussi 
» infini  que  les  mystères  de  ton  Livre.  » 


Le  dikr  des  Aïssaoua  est  sensiblement  le  même  que 
celui  des  Chadelya.  Il  n’est  pas  explicitement  formulé 
dans  les  manuscrits  que  nous  avons,  mais  les  rensei- 
gnements qui  nous  ont  été  donnés  d’autre  part  nous 
font  penser  que  ce  dikr  consiste  dans  ce  que  le  manus- 
crit appelle  YOuerd  du  matin , et  qu’on  trouvera  ci- 
après. 

Il  est,  en  effet,  à remarquer  que  la  leçon  liturgique  de 
Si  Mahmed-ben-Aïssa  donne  un  rituel,  ou  Ouerd,  spécial 
pour  chacune  des  cinq  prières  quotidiennes  du  Hamaz. 

Voici  ces  formules  : 

Ouerd  du  matin  : 

— Réciter  cent  fois  : 

« Au  nom  de  Dieu  clément  et  miséricordieux.  » 

— Réciter  cent  fois  : 


e 


— 325  — 


« Il  n’y  a de  Dieu  que  Allah  ! » 

— Réciter  cent  fois  ; 

« J’implore  le  pardon  de  Dieu.  » 

— Réciter  cent  fois  : 

« Que  la  louange  de  Dieu  soit  proclamée  ! Je  prie  Dieu  de  pardon- 
» ner  mes  péchés.  » 

— Réciter  cent  fois  : 

« J’implore  le  pardon  de  Dieu  et  je  proclame  la  louange  de  mon 
» Maître.  » 

— Réciter  cent  fois  : 

« Il  n’y  a de  Dieu  que  Allah  ! le  redoutable,  le  fort,  l’irrésistible.  » 

O mon  Dieu  ! répands  tes  bénédictions  sur  notre  Seigneur  Moham- 
med en  nombre  aussi  étendu  que  ta  création,  aussi  grandes  que  le 
poids  de  ton  trône,  aussi  abondantes  que  l’encre  qui  sert  à transcrire 
ta  parole,  aussi  étendues  que  ta  science  et  tes  prodiges. 


Ouerd  du  Doha  (en  moyenne  8 heures  du  matin). 

— Réciter  cent  fois  : 

« Au  nom  de  Dieu  clément  et  miséricordieux.  » 

— Réciter  mille  lois  : 

« Il  n’y  a de  Dieu  que  Allah.  » 

— Réciter  mille  fois  : 

« Dis  : il  est  le  Dieu  unique.  » 

— Réciter  mille  fois  : 

« O mon  Dieu,  répands  tes  bénédictions  sur  notre  Seigneur  Moham- 
med, sur  sa  famille,  sur  ses  compagnons,  et  accorde-leur  le  salut  ! » 


Ouerd  du  Dohor  (après-midi). 

— Réciter  mille  fois  : 

« Au  nom  de  Dieu  clément  et  miséricordieux.  » 

— Réciter  mille  fois  : 

« Il  n’y  a de  force  et  de  puissance  qu’en  Dieu,  le  grand,  le  sublime.  » 

— Réciter  mille  fois  : 

« Répands  tes  grâces,  ô mon  Dieu,  sur  notre  Seigneur  Mohammed, 
sur  sa  famille,  sur  ses  compagnons,  et  accorde-leur  le  salut  ! » 


— 326  — 

Ouerd  de  l’Acer  (instant  médian  entre  midi  et  le  coucher  du  soleil). 

— Réciter  mille  fois  : 

« Au  nom  de  Dieu  clément  et  miséricordieux,  e 

— Réciter  mille  fois  : 

« Il  n’y  a de  Dieu  que  Allah,  l’Être  adorable,  le  Saint,  le  Maitre 
des  anges  et  de  l’âme.  » 

— Réciter  mille  fois  : 

« Il  n’y  a de  force  et  de  puissance  qu’en  Dieu,  le  grand,  le  sublime.  » 

— Réciter  mille  fois  : 

« O mon  Dieu,  répands  tes  bénédictions  sur  notre  Seigneur  Moham- 
med, sur  sa  famille,  sur  ses  compagnons,  et  accorde-leur  le  salut!  » 


Ouerd  du  Mar’reb  (coucher  du  soleil). 

— Réciter  mille  fois  : 

« Au  nom  de  Dieu  clément  et  miséricordieux.  » 

— Réciter  mille  fois  : 

« La  sourate  El-Fatiha.  » 

— Réciter  mille  fois  la  sourate  commençant  ainsi  : 

« Dis  : Il  est  le  Dieu  unique.  » 

— Réciter  mille  fois  : 

« O mon  Dieu,  répands  tes  grâces  sur  notre  Seigneur  Mohammed, 
sur  sa  famille,  sur  ses  compagnons,  et  accorde-leur  le  salut  ! » 


Ouerd  de  l’Acha  (soir). 

— Réciter  mille  fois  : 

« Au  nom  de  Dieu  clément  et  miséricordieux.  » 

— Réciter  mille  fois  : 

« Que  ta  louange  soit  proclamée  ! Tu  es  Dieu.  Que  ta  grandeur  et 
ta  louange  soient  proclamées  ! Tu  es  Dieu,  tu  es  l’Être  infini,  que  ta 
louange  soit  proclamée  ! Tu  es  Dieu.  » 

— Réciter  mille  fois  : 

« O mon  Dieu,  répands  tes  bénédictions  sur  notre  Seigneur  Moham- 
med, sur  sa  famille,  sur  ses  compagnons,  et  accorde-leur  le  salut  ! * 


On  devra  terminer  chaque  centaine  par  ces  mots  : 

« O Protecteur  ! ô toi  qui  vois  tout  ! 6 toi  qui  es  notre  secours  ! 
protège-moi,  Être  clément,  miséricordieux,  bienfaisant.  Tu  es  mon 
appui,  ô Dieu  ! ô Dieu  ! ô Dieu  ! » 


— 327  — 


Après  l’Ouerd,  de  chaque  moment  de  la  journée,  les 
khouan  doivent  encore  réciter  la  longue  prière  sui- 
vante : 

« O Maître  ! inspire-moi  le  bien  et  aide-moi  à l’accomplir.  — O Maî- 
» tre  ! place-moi  dans  le  séjour  de  tes  amis  ; au  jour  de  ta  rencontre, 
» dans  le  tombeau,  annonce-moi  que  je  serai  du  nombre  des  bienheu- 
» reux.  — O mon  Maître  ! agrée  complètement  mon  repentir,  de  façon 
» à ce  qu’il  ne  reste  plus  trace  de  mes  péchés.  — O mon  Maître  ! main- 
» tiens  mon  cœur  sous  ton  joug  et  affirme-le  dans  l’idée  de  ton  unité. 
» — O mon  Dieu  ! ne  me  punis  pas  à cause  de  mes  crimes,  épargne- 
» moi  l’effet  de  ta  colère,  oublie  mes  révoltes  contre  toi.  — O mon 
» Maître  ! place-moi  sous  ta  sauvegarde,  toi  le  souverain  et  éternel  pro- 
» tecteur,  sois-moi  propice,  fais-moi  ton  élu,  sauve-moi  par  le  secours 
» de  ta  bonté.  — O mon  Maître  ! éloigne  de  moi  le  mal  produit  par 
» les  hommes  de  mal,  écrase  pour  moi,  qui  suis  faible,  les  hommes 
» d’iniquité,  fais  le  vide  dans  leurs  demeures  à cause  de  leur  injus- 
» tice.  — O mon  Maître  ! toi  qui  as  la  grandeur,  la  générosité,  fais- 
» moi  goûter  à la  douceur  de  ta  miséricorde.  — O mon  Maître  ! fais 
» que  je  te  sois  agréable,  fais  que  j’éprouve  mon  bonheur  en  toi,  que 
» je  sois  généreux  pour  toi.  — O mon  Maître  ! déverse  sur  moi  un  peu 
» de  ta  science,  toi  qui  as  augmenté  celle  d’El-Khadir  (1),  qui  lui  as 
» découvert  tes  secrets  par  un  effet  de  ta  miséricorde.  — O mon  Maî- 
» tre  ! purifie  mon  cœur  en  lui  enlevant  le  doute,  le  penchant  à t’as- 
» socier  d’autres  dieux  ; accorde-moi  la  certitude,  l’unité  de  foi  et  de 
» pensée  en  toi.  — O mon  Maître  ! place-moi  à l’ombre  de  ton  trône 
» au  jour  où  il  n’y  aura  d’autre  ombre  que  la  tienne.  — O Maître  ! 
» fais  que  je  te  regarde  comme  suffisant,  car  toi  seul  es  suffisant,  et 
» rien  ne  peut  se  passer  de  toi.  — O Maître  ! ne  me  mets  point  à l’é- 
» cart  de  ta  générosité,  car  tu  es  l’Être  généreux  par  excellence.  — 
» O Maître  ! fais  que  je  possède  mon  esprit,  afin  qu’il  ne  me  commande 
» pas,  car  tu  es  le  seul  souverain,  le  seul  être  actif.  — O Maître  ! sauve- 
» moi  de  l’orgueil  de  l’insoumission  et  du  mal  de  la  rébellion.  — O 
» mon  Maître  ! fais-moi  persister  dans  mon  obéissance  en  m’éloignant 
» toujours  de  l’infidélité  ; rends-moi  patient  dans  les  douleurs  et  les 
» épreuves,  par  un  effet  de  ta  bonté.  — O Maître  ! la  terre  est  trop 
» étroite  pour  moi,  malgré  son  étendue  ; mon  esprit  est  trop  petit  ; je 
» suis  convaincu  qu’il  n’y  a d’autre  refuge  que  toi.  — O Maître  ! ta 
» bonté  est  plus  grande  et  plus  étendue  que  mes  crimes.  Pardonne- 
» moi  par  un  effet  de  ta  clémence  et  de  ta  générosité.  — O Maître  ! 
» fais  que  je  me  contente  de  ce  que  tu  as  permis  et  que  je  me  détourne 


(1)  Personnage  légendaire  du  Coran. 


— 328  — 


» de  ce  que  tu  as  défendu,  que  j’aime  ton  joug  sans  jamais  me  révol- 
» ter  contre  toi  ; fais  que  je  me  contente  de  toi,  sans  jamais  songer  à 
® d’autre  que  toi,  car  tu  es  le  seul  être  riche  et  bienfaisant.  — O mon 
» Maitre  ! ouvre-moi  les  portes  de  ta  miséricorde  et  de  ta  mansuétude; 
» ouvre  mon  cœur  à la  lumière  de  ta  miséricorde,  de  telle  sorte  que 
» je  ne  connaisse  que  toi,  que  je  ne  voie  que  toi.  — O Maitre  ! puri- 
» fie-moi  de  toute  pensée  qui  m’empêcherait  d’arriver  jusqu’à  toi; 
•>  amène  mon  âme  en  la  présence  de  ta  sainte  majesté. — O mon  Dieu! 
t délivre-moi  des  fléaux  du  démon  et  de  ses  armées,  interpose-toi 
» entre  moi  et  ceux  qui  voudraient  me  séparer  de  toi.  — O Maitre! 
» rends-moi  témoin  de  ta  grandeur  et  de  ta  majesté  ; permets,  dans 
» ta  bonté,  que  je  témoigne  de  ton  unité  à mon  heure  dernière.  — 
» O mon  Maître  ! rends-moi  facile  la  route  qui  conduit  à toi  ; donne- 
» moi  la  lumière  qui  me  mènera  vers  toi.  — O mon  Maître  ! ta  promesse 
» est  vraie,  ta  parole  est  vraie,  mets-moi  au  nombre  de  ceux  auxquels 
» tu  as  promis  le  pardon  et  une  magnifique  récompense.  — O Maître  ! 
» je  n’ai  d’espoir  qu’en  toi,  tu  es  ma  foi,  mon  but.  O toi  qui  conduis 
» qui  tu  veux  au  droit  chemin,  conduis-nous  à la  voie  la  plus  lumi- 
» neuse,  montre-toi  à moi  directement,  par  les  mérites  de  tes  Prophè- 
» tes,  de  tes  Saints,  et  répands  tes  bénédictions  sur  notre  seigneur 
» et  maître,  Mohammed,  sur  sa  famille,  sur  ses  compagnons,  et  ac- 
» corde-leur  le  salut.  » 


II  semble  qu’avec  de  pareilles  prières  à réciter,  le 
temps  doive  être  complètement  absorbé  pour  les  khouan; 
il  paraît  qu’il  n’en  est  rien,  car,  après  bon  nombre  de  li- 
tanies et  de  prières  que  nous  ne  reproduisons  pas  ici, 
le  manuscrit  donne  « le  grand  Ouerd  du  cheikh  Mahmed- 
ben-Aïssa;  celui  qu’il  faut  réciter  cent  fois,  et  dix  fois 
seulement  si  on  est  dans  des  circonstances  tourmen- 
tées. » 

Ce  grand  Ouerd  ne  diffère  de  l’Ouerd  ordinaire  que  par 
le  nombre  de  répétitions  des  formules  islamiques,  nom- 
bre qui  atteint  des  proportions  formidables;  puis  aussi 
par  l’intercalation  de  prières  relativement  courtes,  de  8 
ou  10  lignes,  qu’il  faut  répéter  cent  fois,  etc.  Nous 
croyons  inutile  de  transcrire  ici  cet  Ouerd,  qui  ne  fait 
que  développer  les  extraits  déjà  si  longs  que  nous  ve- 
nons de  donner. 

En  somme,  ce  qui  se  dégage  de  tous  ces  extraits, 


— 329  — 


c’est  un  mysticisme  ardent,  une  tension  d’esprit  conti- 
nuelle vers  la  Divinité,  une  multiplicité  d’invocations. 

Dans  la  pratique,  ces  invocations  se  font  à haute  voix, 
sur  un  rythme  rapide  que  soutient  la  musique  des  tam- 
bours, et  qui  va  toujours  en  s’accélérant,  jusqu’à  ce  que 
l’excitation  et  l’étourdissement  amènent  une  sorte  d’in- 
sensibilité physique  et  d’ivresse  cérébrale  favorable  aux 
hallucinations,  aux  extases  et  au  délire  religieux. 

Sans  doute,  les  chefs  des  Aïssaoua  et  les  véritables 
dévots  s’arrêtent  à ce  point;  mais  il  faut  plus  pour 
frapper  les  yeux  des  masses  et  entretenir  leur  supers- 
titieux respect.  Alors  les  procédés  physiques  les  plus 
divers  viennent  en  aide  aux  Aïssaoua  : c’est  une  affaire 
de  métier  et  de  secrets  professionnels,  dont  l’examen 
appartient  au  physiologiste  et  au  chimiste. 

Ces  procédés  Sont  aujourd’hui  connus  chez  les  indi- 
gènes, et  beaucoup  les  exploitent,  se  donnant  pour  des 
Aïssaoua,  alors  qu’ils  ne  sont  que  d’habiles  prestidigita- 
teurs (1). 

Nous  avons  sous  les  yeux  une  lettre  toute  récente,  par 
laquelle  le  Grand-Maître  de  l’ordre  à Méquinez  accré- 
dite, en  Algérie,  un  Tripolitain  nommé  chaouch  de  l’or- 
dre et  rentrant  dans  son  pays  ; le  Grand-Maître,  en  re- 
commandant cet  indigène,  engage  ses  adeptes  à ne  pas 


(1)  Nous  croyons  inutile  et  en  dehors  de  notre  sujet  de  décrire 
les  exercices  des  Aïssaoua,  qui  ont  fait  l’objet  de  plusieurs  publica- 
tions et  sont  connus.  Nous  nous  bornerons  seulement  à faire  remar- 
quer que  tout  ce  que  M.  Henri  Martin  raconte  des  convulsionnaires 
de  St  Médard,  tout  ce  qui  a été  écrit  au  sujet  de  ces  fanatiques  chré- 
tiens, s’applique  exactement  aux  Aïssaoua.  Les  pratiques  sont  sou- 
vent absolument  identiques,  et  on  y retrouve  aussi  l’alliance  étrange 
du  véritable  sentiment  religieux  et  de  la  morale  la  plus  élevée,  avec 
des  insanités  maladives  ' et  des  manifestations  aussi  puériles  que 
grossières. 

Nous  rappellerons  que,  d’apres  les  traditions  arabes,  le  premier 
qui  découvrit  les  qualités  narcotiques  de  la  graine  de  chanvre  et  du 
hatchich  était  un  Soufi  indo-persan  nommé  Haïdar,  lequel  employa 
d’abord  sa  découverte  à donner  des  extases  et  des  hallucinations  re- 
ligieuses aux  disciples  de  sa  zaouïa  et  de  son  ordre  (les  Haïdarya). 


v 


— 330  — 

prendre  au  sérieux  tous  les  gens  qui  se  disent  Aïssaoua 
et  qui  ne  sont  que  des  magiciens. 

Voici  la  traduction  de  cette  pièce,  la  seule  que  nous 
ayions  émanant  de  la  zaouïa  de  Méquinez  : elle  se  ter- 
mine par  une  demande  d’offrande  qui  montre  que  les 
préoccupations  mystiques  ne  sont  pas  les  seules  qui 
hantent  l’esprit  des  « Saints  de  Méquinez  »,  encore  bien 
que  la  richesse  de  leur  zaouïa  soit  considérable. 


« Louange  à Dieu  ! qu’il  accorde  ses  bénédictions  à notre  Seigneur 
» Mohammed  et  lui  fasse  entendre  de  nombreuses  paroles  de  paix 
» jusqu’au  jour  de  la  rétribution. 

» El-Hadj-Mohammed-ben-Mohammed-Abbeya,  de  Tripoli,  est  venu 
» au  tombeau  du  Cheikh  accompli  (du  chef  de  la  Communauté),  de 
» celui  qui  est  attaché  à Dieu,  du  noble,  du  bienfaisant,  de  celui  qui 
» dirige  vers  Dieu,  du  plus  courageux  des  hommes,  de  mon  Seigneur 
» et  Maître  Mahmed-ben-Aïssa  ; il  s’est  trouvé  avec  tous  les  enfants 
» du  Cheikh,  lesquels  ont  fait  des  vœux  pour  que  le  bonheur  le  plus 
» complet  lui  soit  accordé,  et  l’ont  traité  avec  bonté. 

» Nous  vous  demandons  de  lui  faire  du  bien,  d’en  avoir  soin,  de  le 
» respecter  et  lui  venir  en  aide,  pour  l’amour  du  Cheikh  accompli. 

» Après  notre  salut  sur  tous  les  Fokara  (adeptes),  grands  et  petits, 
» sur  le  cheikh  Miloud  et  sur  El-Hadj-Ali,  sachez  que  nous  avons 
» nommé  El-Hadj-Mobammed,  chaouch  de  la  secte  du  Cheikh  parfait. 
» Cette  nomination  est  irrévocable. 

» Ensuite,  nous  avons  appris  que  des  individus  habiles  dans  la  magie 
» (le  sens  parait  être  ici  « des  imposteurs  »)  vont  vous  voir,  sepréten- 
« dant  issus  du  Cheikh  et  que  vous  leur  faites  du  bien.  A partir  d’au- 
* jourd’hui,  si  quelqu’un  vient  vous  visiter,  ne  lui  accordez  aucune 
» confiance  ; la  généalogie  du  Cheikh  est  connue  et  les  enfants  du 
» Cheikh  ne  sortent  pas  du  pays. 

» Sachez  aussi  que  la  ville  de  Meknas  (Mequinez)  n’est  pas  éloignée 
» pour  des  gens  pénétrés  d’amour  (pour  leur  cheikh)  ; il  n’arrive  de 
» votre  part,  au  Cheikh,  ni  ziara,  ni  étoffes  pour  recouvrir  le  tom- 
» beau  du  Cheikh.  Vous  ne  pensez  ni  peu  ni  beaucoup  aux  enfants 
» du  Cheikh;  c’est  honteux  pour  vous. 

» Salut  sur  tous  les  Fokara  (adeptes).  Nous  vous  recommandons, 
» dans  le  cas  où  El-IIadj-Moliammed  arriverait  auprès  de  vous  dénué 
» de  ressources,  de  lui  venir  en  aide  ; celui  qui  lui  donnera  qù.eîque 
» chose  sera  agréable  à Dieu  et  au  Cheikh  parfait. 


» Salut. 


— 331  — 

» Le  neuvième  jour  de  Djoumada-et-tsania,  année  douze  cent  qua- 
» tre-vingt-treize,  1293. 

» Le  serviteur  de  son  Dieu,  El-Hadj-el-Aïssaoui  et  toute  la  réunion 
» des  enfants  du  Cheikh,  grands  et  petits. 

> El-Hadj-el-Aïssaoui,  Sidi  Mohammed,  Sidi  Abdallah,  Sidi  Ahmed, 
» Sidi  Mohammed  et  Sidi  Allai. 

» Et  le  salut.  Année  1293.  » 


Nous  avons  parlé  du  respect  superstitieux  qui  entoure 
les  Aïssaoua,  et  de  leur  popularité.  C’est  qu’en  effet,  la 
croyance  commune  veut  que,  plus  que  les  autres  khouan, 
ils  aient  le  pouvoir  de  guérir  les  maladies. 

« Évidemment,  parmi  ces  gens  qui  se  torturent  ainsi 
pour  l’amour  de  Dieu,  il  doit  se  trouver  de  vrais  Saints, 
peut-être  même  un  R’outs  (1)  ; si  on  les  amène  dans  la 
maison  d’un  malade,  pour  y faire  leurs  prières,  ils  peu- 
vent impunément  se  charger  de  la  maladie,  qui  n’a  pas 
prise  sur  eux,  et  la  retirer  au  patient.  » 

Aussi,  les  Aïssaoua  vont-ils  à domicile  donner  des 
séances  de  prières  et  d’exercices  pour  guérir  ceux  qui 
souffrent.  C’est  la  vieille  théorie  indienne  de  l’innocent 
qui,  par  amour  de  Dieu,  s’offre  en  expiation  et  souffre 
pour  les  coupables  et  les  malheureux. 

Les  touristes  qui  assistent  à ces  séances  ne  se  dou- 
tent généralement  pas  qu’à  côté  d’eux,  dans  une  cham- 
bre voisine,  souffre  un  pauvre  diable  que  cet  infernal 
vacarme  est  censé  devoir  guérir. 

Ce  n’est  pas  seulement  dans  le  peuple  que  les  Aïssaoua 
sont  en  faveur.  A Méquinez,  ils  sont  presque  tous 
exempts  d’impôt  et  de  corvées;  et  en  Algérie,  la  même 
faveur  était  accordée,  par  les  Turcs,  à tous  les  Ouzeras, 
descendants  de  Si  Mahmed-ben-Aïssa.  Le  chef  de  cette 
famille  nous  a montré  23  lettres  émanant  des  Deys  d’Al- 
ger, des  Beys  de  Tittery  et  d’autres  grandes  personnali- 
tés turques,  leur  confirmant  les  exemptions  d’impôt, 


(l)  Voir  chapitre  V. 


— 332  — 

ainsi  que  le  droit  de  Touiza  sur  les  tribus  voisines,  et 
ordonnant  à tous  de  les  honorer  et  de  les  protéger 
« par  amour  pour  la  vertu  de  leurs  aïeux  (1).  » 

Cette  famille  dirigeait  la  tribu  des  Ouzera  (de  Médéa), 
qui  nous  résista  jusqu’en  1842.  A cette  époque,  elle  fit  sa 
soumission  et  depuis  ne  donna  jamais  lieu  à aucune 
plainte. 

Il  existe,  dans  le  cercle  d’Aumale,  une  tribu  qui  se 
dit  issue  de  Si  Mahmed-ben-Aïssa,  et  qui  est  dénommée 
Ouled-Sidi-Aïssa  ; c’est  un  groupe  de  Cherfa,  plutôt 
qu’une  fraction  de  l’ordre.  Le  directeur  religieux  de  cette 
tribu  appartient  à la  famille  de  Si  El-Atreuch-ben-Moham- 
med-ben-Robia,  moqaddem  de  l’ordre. 

Depuis  1842,  et  dans  les  trois  provinces,  les  Aïssaoua 
sont  toujours  restés  en  dehors  des  insurrections  ou  des 
troubles  locaux;  non  pas  sans  doute  d’une  façon  abso- 
lue, mais  au  moins  en  tant  que  groupes  constitués  d’un 
ordre  religieux.  Ils  vivent  du  reste  très  à l’écart,  et  si, 
dans  les  villes,  ils  font  facilement  acte  de  déférence  en 
laissant  les  Français,  amis  des  fonctionnaires,  assisterà 
leurs  séances,  leur  mysticisme  les  éloigne  fortement  de 
notre  civilisation,  et  les  rend  inaccessibles  à tous  les 
progrès  dont  nous  essayons  de  faire  profiter  leurs  co- 
religionnaires. 

Aussi,  bien  qu’ils  n’aient-jamais  donné  prise  à des  ac- 
cusations justifiées,  il  est  prudent  de  les  surveiller,  car 
ils  ont  leur  point  d’attache  et  leur  centre  de  direction 
hors  de  l’Algérie,  et  leurs  doctrines  chadelites  les  met- 
tent en  relations  faciles  avec  tous  les  ordres  religieux 
existant  dans  les  autres  États  musulmans. 

Si  Snoussi,  il  est  vrai,  ne  nomme  pas  les  Aïssaoua  par- 
mi les  ordres  qu’il  préconise,  et  cela  à cause  de  leurs 
pratiques  que  sa  rigidité  réprouve;  mais  il  nomme  les 
Djazoulya,  qui  n’existent  plus  que  de  nom  et  dont  les 


(I)  Le  plus  ancien  de  ces  actes  remonte  à 1051  de  l’Hégire,  soit 
1641-42  de  J.-C.  11  est  timbré  du  cachet  de  Youcef-Bey. 


— 333 


Aïssaoua  sont  les  continuateurs,  comme  les  Taïbya, 
Chadelya,  Derqaoua,  etc. 

Nous  avons  vu,  d’ailleurs,  que  les  exercices  des  Aïs- 
saoua tiennent  une  bien  petite  place  dans  l’esprit  des 
chefs  de  l’ordre,  et  les  extraits  que  nous  avons  donnés 
des  livres  et  doctrines  n’ont  rien  qui  ne  puisse  être  hau- 
tement apprécié  par  les  soufi  les  plus  austères. 

En  Algérie,  les  Aïssaoua  comptent  : 


Prov.  d’Alger 2 zaouïa,  11  moqadd.,  750  khouan 

— d’Oran 7 23  1364 

— de  Constant.  4 1 1 957 


i 3.116 
\ Aïssaoua. 


En  Algérie,  le  khalifat  de  l’ordre  des  Aïssaoua  paraît  être 
Si  El-Atreuch-ben-Mohammed, vieillard  de  88  ans  environ, 
gardien  du  tombeau  du  petit-fils  de  Sidi-Aïssa,  à la  li- 
mite du  cercle  d’Aumale  et  de  Bouçada.  Il  n’a  ni  zaouïa, 
ni  mcid  ; il  vit  en  ascète  et  a peu  de  rapports  avec  les 
Français,  mais  ces  rapports  sont  bons  et  des  plus  cour- 
tois. 

Il  passe  pour  être  en  communication  constante  avec 
l’âme  de  Sidi  Aïssa.  Ces  prétendues  visions  lui  ont  donné 
un  très  grand  renom  chez  les  indigènes,  et  malgré  la 
simplicité  et  l’isolement  de  sa  vie,  lui  ou  ses  enfants 
pourraient  jouer,  s’ils  le  voulaient,  un  rôle  politique  im- 
portant. Heureusement,  ils  ne  paraissent  guère  y songer. 
Si  El-Atreuch  et  son  fils  Si  Hocein,  appelé  à lui  succéder, 
sont  des  gens  sages,  amis  de  l’ordre  et  ayant  toujours 
prêché  la  paix. 

Ils  reçoivent  des  ghafara,  ou  offrandes  religieuses,  des 
tribus  suivantes  : 


Ouled-Dris,  Ouled-Msellem,  Ouled-bou-Arif,  Ouled-Salem,  Ouled- 
Ferah,  Ouled-Barka  (du  cercle  d’Aumale)  ; 

Nomades  des  cercles  de  Médéa,  Boghar  et  commune  mixte  de  Te- 
niet-el-Haad  ; 

Larba  (de  Laghouat); 

Ouled-Chair  (de  Bouçada)  ; 


— 334 


Selmia,  Rahman,  Bou-Azid,  Ouled-Zekri  (du  cercle  de  Biskra)  ; 
Souama,  Ouled-Madhi  (du  cercle  de  Msila)  ; 
Ouled-Djelal-Kebbacha,  Ouled-Trif  (de  Bordj-bou-Arreridj). 

I)[  y a,  en  outre,  dans  le  cercle  de  Boghar,  deux  tribus  de  la  des- 
cendance de  Sidi  Aïssa,  en  relations  constantes  avec  Si  El-Atreuch. 


— 335  — 


CHAPITRE  XXII 

LES  BAKKAYA 

CHIKH-OMAR-BEN-SID-AHMED-EL-BAKKAY 
(960  de  J.-C.  — 1552-1553  de  l’Hégire) 

Parmi  les  ordres  religieux  et  les  groupes  marabouti- 
ques  se  rattachant  aux  Chadelya,  les  Bakkaya  de  Tin- 
bouktou  méritent  une  étude  toute  spéciale,  en  raison 
des  pays  où  s’exerce  leur  influence.  Malheureusement, 
nous  n’avons  pas  les  données  nécessaires  à cette  étude, 
et  nous  sommes  forcé  de  nous  borner,  ici,  à un  aperçu 
beaucoup  trop  vague  et  beaucoup  trop  sommaire. 

L’ordre  des  Bakkaya,  qui  a son  centre  à Tinbouktou, 
est  entièrement  dans  la  main  de  la  famille  maraboutique 
des  Bakkay,  qui  en  a la  direction  depuis  plusieurs  siè- 
cles. 

Le  docteur  Barth  (1)  nous  a fait  connaître  la  généalogie 
des  Bakkay;  nous  croyons  devoir  la  reproduire  ici,  parce 
que  ces  noms  peuvent  fournir  des  indications  utiles  et 
aussi  parce  que,  à un  certain  moment,  la  généalogie 
réelle  se  confond  avec  la  chaîne  mystique  des  Saints  qui 
se  sont  transmis  l’enseignement  et  les  pouvoirs  reli- 
gieux. 

1,  Sidi  Okba  (2)  lbn-Nafi-el-Fihri,  le  grand  conquérant  de  la  Berbe- 
rie.  — 2,  Sakeri.  — 3,  Yadroub.  — 4,  Saïd.  — 5,  Abd-el-Kerim.  — 


(1)  Travels  and  discoveries  in  nord  and  Central  Africa.  Tome  IV. 
Annexe. 

(2)  Barth  dit  : « Okba-ben-Ornar-el-Mourtadjeb-el-Djohani  ; » c’est 
une  erreur:  le  grand  conquérant  de  l’Afrique  fut  Okha-Ibn-Nafi-el- 


— 336  — 


6,  Mohammed.  — 7,  Yakhsta.  — 8,  Dahman.  — 9,  Yahia.  — 10,  Ali. — 

11,  Sid  Ahmed  (ou  Mohammed)  El-Kounti,  né  d’une  mère  Lemtounia 
appelée  Yaquedech,  et  mort  à Fask,  à l’ouest  de  Schinguit  (Adrar).  — 

12,  Sid  Ahmed-el-BAKKAY,  mort  au  Oualata.  — 13,  Sidi  Omar-ech- 
Chikh,  qui  fit  abolir  la  cruelle  habitude  que  l’on  avait,  avant  lui,  de 
tuer  tous  les  enfants  mâles  sauf  un  ; il  laissa  vivre  ses  trois  fils.  Il 
était  lié  avec  Abd-el-Kerim-ben-Mohammed-et-Mougheli,  et,  il  était 
allé,  en  sa  compagnie,  rendre  visite  au  savant  cheikh  Es-Syouli , en  Égypte. 
Il  mourut  en  960  de  l’H.  (1552-1553  de  J.-C.)  dans  le  district  d’Igdi,  à 
l’est  de  Seguiet-el-Amera.  — 14,  Sid  El-Ouafa  qui,  bien  que  second 
fils  d’Omar,  lui  succéda  comme  ouali , pendant  que  la  charge  de  chef 
restait  aux  mains  de  l’ainé,  Sid  El-Mokhtar;  celui-ci  mourut  dans  la 
koubba  dite  Zaouiet-Kunti,  située  dans  le  voisinage  de  Bou-Ali,  ksar 
du  Touat  où  réside  la  famille  de  El-Mougheli  : Ouafa  avait  un  jeune 
frère  nommé  Sid  Ahmed-er-Rega.  — 15,  Sid  Habib-Allah.  — 16,  Sid 
Mohammed.  — 17,  Abou-Beker.  — 18,  Baba- Ahmed;  ces  quatre  der- 
niers furent  seulement  de  saints  personnages  sans  avoir  la  dignité 
de  cheikh. — 19,  Mokhtar,  autrement  dit  Mokhtar-el-Kebir,  afin  de  le 
distinguer  de  ses  petits-fils.  Avec  lui  la  dignité  de  cheikh  passa  dans 
une  autre  branche  de  la  famille;  il  mourut  en  1226  de  l’H.  (1811-1812 
de  J.-C.).  Un  songe  ou  vision  surnaturelle  qu’il  eut  en  1209  de  l’H.  (1794- 
1795  de  J.-C.)  est  restée  célèbre  dans  tout  le  Soudan.  — 20,  Sid  Mo- 
hammed-ech-Cheikh,  mort  le  2 choual  1241  (10  mai  1826),  alors  que  le 
major  Lanig  était  dans  les  montagnes  d’Azouad.  — 21,  Mokhtar,  son 
fils  aîné,  mort  en  1263  de  l’H.  (1846-1847  de  J.-C.),  à Tinbouktou.  — 
22,  Sid  Ahmed-el-Bakkay,  jeune  frère  de  Mokhtar,  actuellement  (en 
1855)  cheikh  et  chef  de  la  famille. 


En  1861,  son  fils  aîné  se  nommait  Sid  Mohammed  ; un 
autre  Mohammed,  son  neveu,  fut  en  relations,  à cette 
époque,  avec  M.  Duveyrier,  et  ce  savant  voyageur  a fait 
de  lui  le  plus  grand  éloge. 

Sid  Okba-ben-Nafi-el-Fihri  ayant  conquis  le  Sous  et 
s’étant  avancé,  en  62  de  J.-C.  (681-682  de  PH.),  au  sud  de 
ce  pays  pour  combattre  et  soumettre  les  Messoufa,  la 
présence  à Tinbouktou  d’un  descendant  de  ce  person- 
nage n’a  rien  d’extraordinaire.  Ce  ne  fut  cependant  pas  à 


Fihri;  il  était  du  reste  contemporain  de  Okba-ben-Omar,  compagnon 
du  Prophète,  puis  gouverneur  d’Égypte  et  conquérant  de  l’île  de 
Rhodes,  l’an  47  de  l’Hégire  (667-668  de  J.-C.). 


— 337  — 


l’époque  de  l’expédition  de  Sidi  Okba  que  la  famille  de 
Cheikh-Bakkay  s’installa  dans  le  Soudan,  c’est  ce  que 
démontre  la  diversité  des  lieux  de  sépulture  connus  pour 
quelques-uns  de  ses  membres.  Du  reste,  lorsque  en  754 
de  J.-C.  (1353-1354  de  TH.),  Ibn-Batouta  passe  à Tin- 
bouktou,  ce  savant  nomme,  suivant  l’usage  des  auteurs 
musulmans,  toutes  les  notabilités  religieuses  ou  politi- 
ques qu’il  rencontre,  et,  dans  cette  énumération,  il  ne 
fait  mention  d’aucun  des  ancêtres  de  Bakkay.  Par 
contre,  Ibn-Batouta  cite  le  tombeau  d’un  poète  originaire 
d’Espagne  : Abou-Ishak-el-Garnati  (de  Grenade),  et  il 
raconte  une  anecdote  démontrant  qu’à  cette  époque  il  exis- 
tait des  relations  suivies  entre  Tinbouktou  et  l’Égypte. 

Plus  tard,  lorsque,  en  dou-el-hedja  998  (octobre  1590), 
le  sultan  marocain  Mouley-Abbas-Ahmed-el-Mansour 
entreprit  la  conquête  du  Soudan,  et  qu’il  s’adressa,  par 
écrit,  « au  personnage  religieux  le  plus  important  » de 
Tinbouktou,  ce  ne  fut  pas  à un  Bakkay  qu’il  envoya  sa 
lettre,  mais  bien  à un  savant  imam  et  cadhi,  nommé 
Omar-ben- Sid-Mahmoud-ben-Omar-Agit-es-Senhadji. 
Il  faut  donc  en  conclure  que  la  grande  influence  des 
Bakkay,  dans  cette  région,  n’a  commencé  que  vers  le 
XIe  siècle  de  l’Hégire  (soit  dans  la  période  comprise 
entre  les  années  1591  et  1688  de  notre  ère). 

Cependant,  avant  cette  époque,  la  famille  des  Bakkay 
comptait  déjà,  parmi  ses  ancêtres,  plusieurs  notabilités 
restées  célèbres  dans  le  Touat  et  le  Gourara. 

Le  premier  personnage  de  la  liste  généalogique  ci- 
dessus,  dont  nous  sachions  quelque  chose,  est  Abd-el- 
Kerim.  C’était  un  de  ces  Merabtin  conquérants  et  mis- 
sionnaires qui , venus  du  Maroc , imposèrent  l’Islam 
dans  l’extrême-sud  du  Sahara  occidental  ; mais,  s’il  faut 
en  croire  la  légende  reproduite  par  le  commandant  de 
Colomb,  il  ne  dépassa  pas  le  Gourara,  qu’il  soumit  et 
ramena  dans  la  voie  de  l’Islam,  dont  l’avait  fait  sortir  un 
Juif,  nommé  Gourari,  qui  laissa  son  nom  aux  habitants 
de  cette  région. 


22 


— 338  — 


Le  fils  d’Ab-el-Kerim  se  fixa  au  Touat,  dans  le  district 
de  Bou-Ali,  où  ses  héritiers  se  groupèrent  autour  de  son 
tombeau  devenu  le  ksar  Zaouïet- Cheikh- ben -Abd-el- 
Kerim. 

Yahia  (1),  l’un  des  descendants  de  celui-ci,  fut  le  père 
d’Ali  (Abou-Ali)  ; il  est  cité  au  n°  10  de  la  liste  généalo- 
gique, et  c’est  son  nom  de  Bou-Ali  qui  est  devenu  l’eth- 
nique de  la  grande  tribu  maraboutique  des  Kounta  ou 
Ouled-Sidi-bou-Ali,  et  celui  du  district  de  Bou-Ali,  dans 
le  Touat  (2). 

Un  des  fils  de  ce  Bou-Ali,  Sid  Ahmed-el-Kounti  (n°  11 
de  la  liste),  né  d’une  mère  Lemtouna,  est  le  même  dont 
le  nom  sert,  concurremment  avec  celui  de  son  grand- 
père  Bou-Ali,  à désigner  cette  grande  tribu  des  Kounta, 
qui  campe  vers  El-Mabrouk  et  gravite  entre  le  Touat  et 
Tinbouktou. 

Un  des  ksour  du  district  de  Bou-Ali  se  nomme  Zaouïat- 
Kounti  ou  Bou-Ali-Djedid  ; les  chefs  de  cette  zaouïa  sont 
encore  serviteurs  religieux  des  Bakkay  de  Tinbouktou, 
et  ils  exercent  une  autorité  religieuse,  — et  politique,  — 
non  seulement  sur  le  district  de  Bou-Ali,  mais  même  sur 
celui  de  Anzegmir  qui  compte  neuf  ksour  (3). 

Le  personnage  qui,  ensuite,  paraît  avoir  eu  le  plus  de 
notoriété,  parmi  les  ancêtres  de  Bakkay,  est  le  chikh 
Omar  dont  le  docteur  Barth  vante  l’humanité  et  l’ac- 
tion civilisatrice.  Le  soin  que  prend  l’auteur  anglais  de 
consigner  le 'voyage  du  cheikh  en  Égypte,  et  la  visite 


(1)  Ce  Yahia  n’est  pas  le  patron  de  la  mosquée  de  Tinbouktou,  bâtie 
en  837  de  J. -G.  (1433-34  de  l’H.),  car  Barth  dit  expressément  que 
celle-ci  fut  élevée  par  Mohammed-ben-Nacer,  gouverneur  de  Tinbouk- 
toü  et  placée  sous  le  patronage  d’un  Saint  nommé  Yahia  et  originaire 
de  Tadelet,  versant  sud  de  l’Atlas. 

(2)  Le  district  de  Bou-Ali  compte  six  ksours  : Zaouat-Kounti  ou 
Bou-AILDjedid  (le  neuf],  Kasba-Cherfa,  Zaouïet-Chikh-ben-Abd-el- 
Kerim,  Bou-Ali-el-Bali  (le  vieux),  El-Biod,  Tazoul. 

(3)  En  1860  de  J.-C.  (1276-1277  de  l’H.),  le  chef  de  la  zaouïa  Kounti, 
à Bou-Ali,  était  Mouley-Smail-Ould-Mouley-el-Kebir. 


— 339  — 

faite  au  célèbre  Djelal-ed-Din-es-Syouti  méritent  de  fixer 
notre  attention. 

A cette  époque,  Xe  siècle  de  l’Hégire  (de  1494  à 1591  de 
J.-C.),  le  Songhaï  et  le  Soudan  avaient  déjà  resserré,  par 
de  nombreux  pèlerinages,  leurs  anciennes  relations  avec 
l’Égypte.  Vers  la  fin  du  siècle  précédent,  en  899  de  J. -G. 
(1493-1494  de  l’H.),  le  souverain  nègre  de  Gaô  (à  l’est  de 
Tinbouktou),  El-Hadj-Mohammed-Sokya,  allant  à La  Mec- 
que, s’était  fait  donner,  au  Caire,  l’investiture  temporelle 
par  le  khalife  Abasside  El-Motewekkel,  et  l’investiture 
spirituelle  par  le  Cheikh-El-Islam,  qui  était  ce  même 
Djelal-ed-Din-es-Syouti,  dont  il  a été  parlé  plus  haut. 
Trois  ans  plus  tard,  un  autre  Nigritien,  l’ouali  Mour- 
Salah-Djour-el-Ouakari , officiellement  investi  par  « le 
cherif  El-Abassi  (1),  » de  la  lieutenance  du  Songhaï,  sui- 
vait aussi  la  direction  spirituelle  du  « très  saint  et  pieux 
Djellal-es-Syouti.  » 

La  visite  que  le  cheikh  Omar-ben-Ahmed-el-Bakkay 
fit,  à quelques  années  de  là,  à ce  grand  khalifat  des  Cha- 
delya,  était  certainement  l’acte  de  déférence  d’un  khouan 
ou  d’un  simple  moqaddem  à l’un  des  principaux  chefs 
spirituels  de  son  ordre.  Djelal-ed-Din-Abou-Fadel-Abd- 
er-Rahman-Mohammed-es-Syouti,  dit  El-Moghrebi  parce 
qu’il  avait  été  élevé  par  un  Moghrebin  époux  de  sa  mère, 
mourut  en  911  de  l’H.  (1505-1506  de  J.-C.)  (2)  ; le  cheikh 
Omar,  mort  lui-même  en  960  de  l’H.  (1552-1553  de  J.-C.), 
était  donc  encore  jeune  quand  il  fit  le  pèlerinage,  en 
compagnie  d’Abd-el-Kerim-el-Mougheli  qui  était  déjà, 
sans  doute,  son  maître  spirituel. 

Quoi  qu’il  en  soit  de  ces  rapprochements,  nous  croyons 
être  fondé  à rattacher  les  Bakkaya  aux  Chadelya  par 
l’intermédiaire  de  Djelal-ed-Din-es-Syouti.  Ce  qui  nous 
donne  la  chaîne  suivante  : 


(1)  Ahmed-Baba-et-Tinboukti.  Voir  Revue  africaine,  tome  I,  p.  287, 
la  Conquête  du  Soudan , d’après  les  documents  arabes,  par  M.  de  Slane. 

(2)  Il  était  né  en  849  de  l’H.  (1445-1446  de  J.-C.). 


— 340*— 

1,  Sid  Abou-Hacen-ech-Chadeli  (656  de  l’H.,  1258  de  J. -C.).  — 2,  Abou- 
Abbas-el-Mourci  (686  de  l’H.,  1287-1288  de  J.-C.).  — 3,  Tadj-ed-Din-ben- 
Atta-AWah  (709  de  FH.,  1309-1310  de  J.-C.).  — 3 bis , Abd-Allah-el-Ha- 
chemi-el-Archi  (732  de  PH.,  1331-1332  de  J.-C.).  — 4,  Nour-ed-Din- 
Abou-Maali-Mohammed-ben-Abd-ed-Daîm-Amor-ben-Selama-el-Mesri. 
— 5,  Chems-ed-Din-Mohammed-ben-Hassen-ben-Ali-et-Tamini.  — 6, 
Abou-Abbas-es-Soussi.  — 7,  Djelal-ed-Din-es-Syouli.  — 8,  Cheikh  Abd- 
el-Kerim-el-Mougheli.—  8 bis,  Cheikh  Amar  (1)  ben-Ahmed-el-Bakkay. 


A partir  de  ce  personnage,  la  chaîne  mystique  conti- 
nue par  les  membres  de  la  famille  désignés  dans  la  liste 
généalogique  citée  plus  haut. 

Nous  ignorons  les  ouerd,  le  rituel  et  le  dikr  spécial 
des  Bakkaya;  nous  savons  seulement  que  leurs  moqad- 
dem  et  khouan  affectent  de  ne  s’occuper  que  des  choses 
religieuses,  et  qu’ils  ont  toujours  refusé  d’exercer  l’au- 
torité politique,  ce  qui  est  conforme  aux  doctrines  des 
Chadelya.  Les  chefs  de  l’ordre  des  Bakkaya  n’en  sont  pas 
moins,  partout,  les  véritables  maîtres  des  tribus  ou  des 
villes  dont  ils  ont  la  direction  spirituelle.  Ils  ont,  jadis, 
donné  au  docteur  Barth  et  à Duveyrier  des  preuves  non 
équivoques  de  leur  tolérance  et  de  leur  esprit  élevé;  rien, 
dans  les  faits  qui  se  sont  passés  depuis,  ne  nous  auto- 
rise à penser  que  ces  bonnes  dispositions  à l’égard  des 
étrangers  se  soient  modifiées  : (2)  les  Touareg,  assassins 


(1)  Il  y a,  dans  un  des  ksour  de  l’Aouaguerout,  près  le  G-ourara, 
line  zaouïa  de  Cheikh-Omar.  C’était  un  marabout  célèbre  par  sa  piété, 
sa  résistance  au  mauvais  esprit,  son  indépendance  vis-à-vis  du  sultan 
de  Fez,  et,  enfin,  son  zèle  à réciter  son  dikr.  Nous  ignorons  si  ce  per- 
sonnage est  le  même  que  celui  qui  nous  occupe. 

(2)  Cependant  sur  la  foi  de  documents  qui  semblaient  démontrer,  à 
la  fin  du  siècle  dernier,  des  relations  amicales  entre  les  Bakkaya  et 
les  Tidjanya,  nous  avions  demandé  à Si  Ahmed-Tedjini  des  rensei- 
gnements sur  ces  Chadelya  de  Tinbouktou,  et  voici  ce  qui  nous  a 
été  répondu  par  ce  marabout  : a Le  cheikh  El-Bakkay  nous  est 
» complètement  étranger,  c’est-à-dire  qu’il  n’a  aucun  rapport  avec 
» nous.  Nous  ne  le  connaissons  que  parce  qu’il  nous  est  arrivé  une 
» lettre  où  on  le  dépeint  comme  ennemi  acharné  de  notre  ordre.  » 

Peut-être  n’y-a-il  qu’une  rivalité  résultant  de  la  perception  des  ziara 
par  chacun  de  ces  deux  ordres  dans  les  memes  régions  du  Soudan. 


de  la  mission  Flatters,  étaient  des  Hoggar,  et  n’apparte- 
naient pas  à la  confédération  sur  laquelle  les  Bakkaya 
exercent  une  action  réelle. 

C’est  à la  zaouïa  de  Tinboüktou  que  se  trouve  la  mai- 
son-mère de  l’ordre;  ses  principales  succursales  sont  : 
dans  le  Tikidelt,  à Agabli  ; dans  le  Touat,  aux  deux  dis- 
tricts de  Bou-Ali  et  d’Anzegmir,  ainsi  que  dans  les  ksour 
de  Bled-Sali  et  d’Aoulef. 

L’action  religieuse  et  l’influence  des  Bakkaya  s’éten- 
dent : à l’Est  et  au  Sud,  sur  les  tribus  de  la  grande  confé- 
dération des  Touareg  Aou-el-Ammiden  ; à l’Ouest  et  au 
Nord,  sur  les  Trarza,  Brakna-Tadjakant,  Ouled-Delim, 
Ouled-Moulet,  Assaouad,  Kunta  ou  Ouled-bou-Ali,  dans 
tout  le  Bas-Touat  et  dans  le  Gourara. 

Cette  énumération,  bien  incomplète  cependant  et  sur- 
tout très  peu  précise,  suffit  pour  démontrer  l’importance 
de  cette  influence  maraboutique,  qui  s’étend  sur  tous  les 
pays  situés  entre  l’Algérie  et  le  Sénégal,  et  l’intérêt  que 
nous  aurions  à posséder  une  bonne  monographie  de  l’or- 
dre des  Bakkaya. 


CHAPITRE  XXIII 


ORDRE  RELIGIEUX  DES  kERZAZYA  ou  AHAMMEDUiN 

fondé  par  le  Chérif 

AHMED-BEN-MOUSSA-EL-HASSANI-MOULEY-KERZAZ 
(1608  de  J.-C.  — 1016-1017  de  l’Hégire  (*)) 


Sid  Ahmed-ben-Moussa-el-Hassani  appartenait  à la 
grande  famille  des  Idrissites,  qui  est  celle  de  l’empereur 
du  Maroc  et  du  chef  de  l’ordre  des  Taïbya. 

Il  naquit  à Kerzaz,  oasis  au  sud-ouest  de  Figuig,  vers 
l’an  1502  de  J. -G.  (907-908  de  l’H.)  et  y mourut  à l’âge  de 
108  ans,  après  une  vie  exclusivement  consacrée  aux 
exercices  religieux  les  plus  austères. 

Il  avait  embrassé  avec  ardeur  les  doctrines  mystiques 
des  Chadelya,  et  était  moqaddem  de  cet  ordre,  quand,  à 
la  suite  de  jeûnes  prolongés  et  de  nuits  passées  en  priè- 
res, il  eut  des  extases  et  des  visions,  dans  lesquelles 
Dieu  lui  ordonna  de  bâtir  un  monastère  et  lui  révéla  le 
dikr  qu’il  devait  donner  à ses  disciples. 

Sid  Ahmed-Moussa,  dit  la  tradition,  consulta  ses  mai- 
tres  spirituels,  parmi  lesquels  se  trouvaient  le  célèbre 
Si  Ahmed-ben-Youcef-er-Rachedi-el-Miliani,  mort  en  1526 
de  J. -G.  (932-933  de  PH.),  et  le  non  moins  célèbre  Sid 
Ahmed-ben-Abd-er-Rahman-es-Saheli,  dont  le  tombeau 
et  la  zaouïa,  situés  à 70  kilomètres  sud-ouest  d’Aïn-Chaïr, 
près  de  l’Oued-Guir,  sont  restés  l’objet  de  la  vénération 
des  fidèles  et  le  but  de  très  nombreux  pèlerinages. 


(1)  On  dit  aussi  Kerzazin  ; cette  expression,  bien  que  très  usuelle, 
est  moins  correcte. 


— 343  — 


Ces  saints  personnages  ayant  engagé  Sid  Ahmed-ben- 
Moussa  à obéir  à la  volonté  de  Dieu,  clairement  mani- 
festée dans  ces  songes,  celui-ci  fit  connaître  sa  mission, 
et  enseigna  le  Dikr  qui  lui  avait  été  révélé. 

De  très  nombreux  miracles  (1)  affirmèrent  bientôt, 
aux  yeux  de  tous  les  Musulmans,  l’authenticité  des  révé- 
lations reçues  par  Sid  Ahmed-ben-Moussa,  et  le  nombre 
des  adeptes  ne  tarda  pas  à devenir  considérable. 

Les  doctrines  de  l’ordre  de  Sidi  Moussa  sont  identi- 
quement les  mêmes  que  celles  des  Chadelya.  On  y ob- 
serve les  mêmes  principes  fondamentaux,  les  mêmes 
règles,  les  mêmes  recommandations  que  chez  tous  les 
Soufis  en  général  : l’obéissance  passive  et  absolue  au 
chef  de  l’ordre  et  à ses  représentants;  le  renoncement 
complet  aux  biens  de  ce  monde,  la  retraite,  l’oraison 
continue,  sont  prescrits  aux  Ahammediin,  à peu  près 
dans  les  mêmes  termes  qiie  dans  les  autres  ordres 
dérivés  des  Chadelya  : on  ordonne  formellement  aux 
khouan  : « de  rejeter  tout  raisonnement,  comme  condui- 
» sant  à l’erreur,  et  de  se  laisser  en  tout  guider  par  les 
» chefs  spirituels,  conformément  aux  inspirations  de  la 
» foi  ; de  mépriser  la  mort,  de  la  souhaiter  même  quand 
» on  combat  pour  Dieu.  » 

Ce  que  ne  dit  pas  la  doctrine  écrite,  mais  ce  qui  cepen- 
dant est  très  réel,  c’est  que,  dans  la  pensée  du  fondateur 
de  l’ordre,  comme  dans  la  conduite  constante  de  ses 
successeurs  spirituels,  un  des  objectifs  que  se  propo- 
sent les  adeptes  de  Sid  Ahmed-ben-Moussa,  est  la  pro- 
tection des  Ksouriens  contre  l’élément  nomade.  Cette 
protection,  toute  religieuse,  donnée  aux  faibles  et  aux 
humbles,  contre  les  puissants  et  orgueilleux  Nomades, 


(1)  Parmi  ces  miracles,  le  plus  célèbre  est  celui  où  Sid  Moussa,  en 
voyage  avec  ses  disciples  et  prêt  à mourir  de  soif,  fit  jaillir  une  source 
en  posant  sa  main  sur  un  rocher.  Étant  donné  le  nom  du  personnage, 
Moussa,  qui  est  Moïse,  le  miracle  était  tout  indiqué  dans  une  légende 
hagiographique. 


est  trop  remarquable  pour  ne  pas  être  signalée,  à la 
louange  de  l’ordre.  Il  y a,  en  outre,  dans  ce  fait  le  prin- 
cipe d’une  rivalité  possible  avec  une  autre  congrégation 
Chadelya  du  Maroc,  celle  des  Zianya  qui,  eux,  s’adres- 
sent surtout  à l’élément  nomade. 

Une  autre  habitude,  particulière  aux  adeptes  de  Sid 
Ahmed -ben-Moussa,  consiste  à n’accepter  d’aliments, 
de  gens  étrangers  à l’ordre,  que  s’ils  ont  été  préparés 
spécialement  pour  eux  ; ce  n’est  pas,  d’ailleurs,  que  ces 
aliments  aient  besoin  d’une  préparation  particulière,  il 
suffit  qu’ils  aient  été  cuits  et  servis  à part.  Aussi,  les 
Kerzazya,  invités  à un  repas  où  il  y a déjà  d’autres  per- 
sonnes, s’excusent-ils  toujours.  Quelle  est  l’origine,  et 
quel  est  le  but  de  cette  singularité?  Est-ce  une  obligation 
liturgique  ou  un  simple  usage?  C’est  ce  que  nous  n’a- 
vons pu  savoir. 

Les  khouan  de  l’ordre  de  Mouley-Kerzaz  donnent  la 
liste  suivante,  comme  chaîne  mystique  rattachant  leurs 
doctrines  à celles  des  pères  de  l’Islam  : 

L’ange  Gabriel.  — Mohammed.  — 1,  Ali-ben-Abou-Taleb.  — 2,  El- 
Hassan-el-Bosri.  — 3,  Hàbib-el-Hadjemi.  — 4,  Daoud-et-Taï.  — 5, 
Marouf-el-Kerki.  — 6,  Sari-es-Sakati.  — 7,  Er-Djoneïd.  — 8,  Abou- 
Taleb-el-Mekki.  — 9,  Ahmed-el-Ghazsali.  — 10,  Mohamed-ben-Abou- 
Beker-bel-Arabi. — 11,  Ali-ben-Arzhoum.  — 12,  Mahmed-Abou-Iazza. 
— 13,  Abou-Median-Choaïb-el-Andalousi-et-Tlemsani.  — 14,  Abouzid- 
el-Bostami.  — 15,  Abd-es-Selem-ben-Mechich.  — 16,  Abou-el-Kacem- 
egh-Chadeli  (1258  de  J.-C.,  655-56-57  de  l’H.).  — 17,  Abou-Abbas-x\h- 
med-ben-Omar-el-Moursi  (686  de  l’H.,  1287-88  de  J.-C.).  — 18,  Ahmed- 
ben-Abd-el-Kerim-ben-Ata-Allah.  — 19,  El-Kebabi.  — 20,  Es^Saha- 
raoui.  — 21,  Abd-Allah-el-Kerafi.  — 22,  Abd-Allah-es-Sakhri.  — 23, 
Ahmed-Zerrouk  (1494  de  J.-C.,  899-900  de  l’H.). — 24,  Ahmed-ben-Abd- 
er-Rahman-es-Saheli  (1).  — 24  bis,  Sid-Ahmed-ben-Youcef-el-Miliani- 


(1)  Ahmed-ben-Abd-er-Rahman-es-Saheli,  comme  moqaddem  des 
Chadelya,  a été  le  cheikh  (maître,  directeur)  du  grand  Sidi  Cheikh 
(Abd-el-Kader-ben-Mohammed),  mort  en  1583  de  J.-C.  (990-991  de 
PH.),  ancêtre  des  Ouled-Sidi-Cheikh  (Cheraga  etR’ràba). 

Les  descendants  de  Saheli  ont,  dans  le  Tafilalet,  une  zaouïa  très 
vénérée,  et  les  Ouled-Sidi-Cheikh,  comme  les  Kerzazya,  y vont  faire 
encore  leurs  dévotions. 


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er-Rachidi.  — 25,  Ahmed-ben-Moussa  (vers  1608  de  J.-C,  1016-1017  de 
l’Hégire). 

Les  chefs  de  l’ordre  qui  se  sont  succédés  depuis  la 
mort  du  fondateur,  et  qui  ont  toujours  été  choisis  dans 
sa  famille,  sont  : 

Mohammed-ben-Djerad,  Abd-er-Rahman-el-Hamzaoui,  Abd-er-Rah- 
man-ben-Feldja  (Mahmed-el-Ayachi  ?),  Mahraed-ben-Abd-er-Rahman, 
Mohammed -ben- Mohammed -Mouley-el-Hadj  (Si  Abd- Allah -ben- 
Abd-er-Rahman  ?),  El-Kebir-Assoun-ben-Mahmed,  Ali-ben-Hassoun, 
Mohammed-ben-Abd-Allah-Mouley-Djemàa,  Mohammed-ben-Moham- 
med-ech-Cherif-et-Touati,  Mohammed-Ali-ben-Mohammed,  Moham- 
med-ben-Ali-ben-Abd-er-Rahman,  El-Kebir-ben-Mohammed  (mort  en 
1881)  et  Sid  Ahmed-ben-Sid-el-Kebir-bou-Hadjaja , chef  actuel  de 
l’ordre. 


Le  Dikr  des  Kerzazya  est,  en  principe,  celui  des  Cha- 
delya,  que  Sid  Ahmed-ben-Moussa  voulut  conserver 
intégralement  ; mais,  pour  bien  distinguer  ses  adépteè 
des  autres  Chadelya,  il  ajouta  l’obligation  supplémen- 
taire de  réciter  500  fois,  tous  les  matins,  la  première 
phrase  du  Coran  : « Au  nom  de  Dieu  clément  et  miséri- 
cordieux, » mais  cela  n’est  obligatoire  que  depuis  le  pre- 
mier jour  de  l’hiver  jusqu’au  dernier  de  cette  saison. 

Les  gens  exerçant  une  profession  manuelle,  et  ceux 
dont  le  temps  n’est  pas  continuellement  disponible,  ont 
la  faculté  de  se  borner  à ne  prononcer  que  100  fois  la 
phrase  consacrée.  Mais  il  est  de  toute  rigueur  que  le 
Dikr  soit  articulé,  selon  les  cas,  500  ou  100  fois,  sans 
augmentation  ni  diminution. 

Le  prononcer  une  seule  fois  en  plus,  ou  en  moins, 
obligerait  le  fidèle  à le  recommencer,  et  cette  répétition 
enlèverait  à l’invocation  une  partie  de  ses  mérites  sur- 
naturels. 

L’organisation  constitutive  de  l’ordre  de  Mouley-Ker- 
zaz  est  très  forte  et  très  centralisatrice.  Le  grand-maître 
ou  cheikh,  a plusieurs  khalifas,  chaque  moqaddem  a 


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plusieurs  naïb.  Enfin,  au-dessous  des  khouan,  il  y a 
encore  un  grand  nombre  de  serviteurs  religieux. 

Ceux-ci  sont  les  gens  qui,  volontairement,  apportent 
des  ziara  aux  moqaddem , sans  cependant  réclamer 
leur  affiliation.  Ils  ne  sont  donc  pas  astreints  aux  prati- 
ques de  l’ordre,  et  les  secrets  de  l’Ouerd  ne  leur  sont 
point  révélés. 

Nous  avons  dit  déjà  que  le  grand-maître,  résidant  à 
Kerzaz,  était  toujours  pris  dans  la  famille  du  fondateur  : 
il  est,  le  plus  ordinairement,  désigné  par  le  nom  de  Mou- 
ley-Kerzaz,  le  seigneur  (maître)  de  Kerzaz.  Seul  il  a le 
droit  de  conférer  le  diplôme  de  moqaddem. 

La  zaouïa-mère  est  extrêmement  pauvre,  ou  du  moins 
passe  pour  l’être.  Cela  tient  à ce  que  tous  les  grands- 
maîtres,  qui  se  sont  succédés  dans  la  direction  de  l’or- 
dre, ont  rigoureusement  observé,  pour  eux-mêmes,  le 
principe  du  renoncement  aux  biens  de  ce  monde,  et  ont 
donné,  à tous,  l’exemple  de  la  pauvreté  volontaire.  Cette 
réputation  d’austérité,  de  désintéressement,  et  aussi 
de  générosité,  n’a  pas  peu  contribué  à la  grande  vénéra- 
ration  dont  cet  ordre  est  l’objet  de  la  part  de  tous  les 
fidèles. 

Les  khalifa  sont,  à quelques  exceptions  près,  choisis 
dans  la  famille  de  Sid  Ahmed-ben-Moussa.  Ils  ont  un 
rôle  d’inspection  permanente  sur  les  moqaddem,  chacun 
dans  une  région  déterminée,  font  de  fréquentes  tour- 
nées, vérifient  la  façon  dont  se  donne  l’enseignement, 
reçoivent  les  plaintes  contre  les  moqaddem  et  encaissent 
les  ziara  destinées  au  grand-maître  et  à la  zaouïa-mère. 

Ils  peuvent,  en  cas  d’urgence,  nommer  ou  révoquer 
les  moqaddem,  sous  la  réserve  de  la  sanction  du  chef  de 
l’ordre. 

Les  moqaddem  sont  toujours  choisis  par  les  khouan, 
présentés  au  khalifa  en  tournée,  et  nommés  par  diplôme 
du  grand-maître  de  l’ordre.  Ils  sont  très  facilement  révo- 
qués, lorsqu’ils  mécontentent  soit  le  chef  de  l’ordre,  soit 
les  affiliés.  Contrairement  d’ailleurs  à ce  qui  se  passe 


347  — 


dans  la  plupart  des  congrégations  musulmanes,  les  mo- 
qaddem  perçoivent,  à leur  profit,  les  ziara  des  khouan, 
et  ne  sont  tenus  à prélever,  pour  le  chef  de  l’ordre, 
qu’une  quote-part  laissée  à leur  générosité. 

L’admission  d’un  néophyte  ne  se  fait  pas  en  hadra  ; le 
moqaddem  doit,  au  contraire,  se  trouver  seul  avec  lui  : 
tous  deux  se  tendent  les  mains,  enlacent  leurs  doigts  et 
se  regardent  fixement. 

Le  moqaddem  fait  jurer  à l’aspirant  de  ne  point  trahir 
les  secrets  qui  lui  seront  confiés,  et  d’observer  fidèle- 
ment toutes  les  pratiques  de  l’Ouerd.  Après  avoir  reçu 
ce  serment,  le  moqaddem  adresse  au  néophyte  une  grave 
et  longue  exhortation,  puis  il  lui  révèle  les  prières  spé- 
ciales de  l’ordre,  le  Dikr,  la  règle,  et  les  divers  secrets 
qu’il  doit  garder. 

Quand  l’admission  est  demandée  par  une  femme,  la 
cérémonie  est  la  même,  sauf  que  l’enlacement  des  doigts 
est  remplacé  par  l’immersion  des  mains  dans  un  vase 
rempli  d’eau. 

Aucun  diplôme  n’est  délivré  aux  simples  khouan. 

Tous  les  membres  de  l’ordre  ont,  comme  marque  dis- 
tinctive extérieure,  un  anneau  de  fer  passé  dans  leurs 
chapelets,  anneau  dont  le  diamètre  intérieur  est  un  peu 
plus  grand  que  celui  des  grains  de  chapelet. 

Outre  ce  signe  visible,  ils  ont,  comme  moyen  de  recon- 
naissance entre  eux,  plusieurs  mots  mystiques,  connus 
d’eux  seuls  et  qu’il  leur  est  défendu  de  révéler  à qui  que 
ce  soit,  étranger  à l’ordre. 

Les  khouan  de-  l’ordre  Mouley-Kerzaz  affectent  de  se 
tenir  en  dehors  des  affaires  politiques  et  des  soffs  lo- 
caux. 

Le  chef  d’ordre  et  ses  khalifas  interviennent  souvent, 
comme  arbitres  ou  conciliateurs,  entre  les  partis  rivaux, 
mais  leur  action  se  borne  à empêcher  l’effusion  du  sang. 

Le  chef  de  l’ordre  a toujours  cherché  à entretenir  de 
bonnes  relations  avec  les  autorités  françaises  des  cer- 
cles qui  touchent  à la  frontière  marocaine.  Nos  dissi- 


348  — 


dents  des  Ouled-Sidi-Cheikh  ont,  souvent,  il  est  vrai, 
trouvé  refuge  et  bon  accueil  à la  zaouïa  de  Kerzaz;  ce- 
pendant la  conduite  des  chefs  et  affiliés  Ahammediin  a 
toujours  été  correcte  vis-à-vis  de  nous,  si  toutefois  on 
tient  compte  de  leur  indépendance  politique,  et  de  leur 
action  religieuse  qui  leur  impose  une  stricte  neutralité. 
Pendant  la  dernière  insurrection,  et  depuis  la  mort  de 
Sid  El-Kebir  (1881),  nos  relations  avec  Kerzaz  ont  été 
plus  cordiales  que  jamais,  et  le  chef  actuel  de  l’ordre 
nous  a même  offert  son  entremise,  pour  ramener  une 
partie  de  nos  dissidents  réfugiés  au  Maroc. 

L’ordre  de  Mouley-Kerzaz  a des  adeptes  dans  toutes 
les  tribus  de  l’Est  et  du  Sud  marocain,  depuis  les  Beni- 
Snassen  jusqu’au  Touat,  où  la  zaouïa  de  Kerzaz  possède 
de  nombreux  domaines  : les  groupements  les  plus  ser- 
rés sont  chez  les  Beni-Guill  et  les  Douï-Menia,  et  aussi 
chez  les  Hamyan  (Djamba  et  Chafâa). 

Dans  la  province  d’Oran,  ils  sont  nombreux  dans  tous 
les  ksour  du  Sud-Ouest  ; mais  au  delà  du  cercle  de  Seb- 
dou,  ils  sont  clair-semés,  et  leur  limite  d’extension  vers 
l’Est  est  : Aïn-Temouchent,  Tlemcen. 

La  statistique  officielle,  donne  pour  eux  : 

Province  d’Oran  : 62  moqaddem,  2,924  khouan  ; soit  : 
2,986  affiliés. 


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CHAPITRE  XXIV 

LES  CHEIkHM  ou  OULED-SIDI-GHEIKII 

SIDI  CHEIKH-ABD-EL-QADER-BEN-MOHAMMED 
(1615  de  J.-C.  — 1023-1024  de  l’Hégire  (O  ) 


Parmi  les  ordres  religieux  issus  de  la  philosophie 
mystique  de  Sid  Abou-Hassen-ech  - Chadeli,  l’un  des 
plus  importants  à connaître,  en  Algérie,  est  celui  des 
Cheikhya,  représenté  surtout  par  la  grande  famille  des 
Ouled-Sidi-Cheikh. 

Cet  ordre  prit  naissance^en  1023-24  de  TH.  (1615  de 
J.-C.),  à la  mort  de  Sid  Abd-el-Qader-ben-Mohammed, 
resté  célèbre  sous  le  nom  de  Sidi  Cheikh.  C’était  un 
grand  seigneur  féodal,  qui  avait  été  fait  moqaddem  des 
Chadelya  par  Si  Mahmed-ben-Abd-er-Rahman-es-Saheli, 


(1)  Nous  avons  eu,  pour  rédiger  ce  chapitre,  les  documents  sui- 
vants : 

1°  Notice  historique  sur  Les  Ouled-Sidi-Cheikh , par  le  commandant 
Deligny,  chef  du  bureau  arabe  de  Mascara,  en  1849  ; 

2°  Complément  de  la  notice  précédente,  par  le  capitaine  Font,  chef  de 
bureau  arabe,  en  mai  1880  ; 

3°  Situation  politique  de  l’Algérie , par  Gourgeot,  ex-interprète-prin- 
cipal. Paris,  Challamel,  1881  ; 

4°  Notice  sur  les  ordres  religieux  de  la  division  d’Oran,  par  M.  Colas, 
interprète  militaire,  1883  ; 

5°  Bulletin  de  la  Société  de  Géographie  d'Oran , n°  15,  1883.  Article 
du  capitaine  Guenard,  chef  de  bureau  arabe. 

6°  Documents  divers  inédits. 


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disciple  de  Sid  Ahmed-ben-Youcef-el-Mihani-er-Rachidi 
(n°  20  bis  de  la  chaîne  principale  des  Chadelya). 

Cet  ordre  des  Cheikhya  n’est,  à proprement  parler,  ni 
une  communauté  religieuse , ni  une  congrégation , ni 
même  une  association  pieuse  ; c’est  un  faisceau  d’in- 
fluences maraboutiques,  aux  mains  d’individus  souvent 
très  divisés,  mais  ayant  tous  une  origine  commune,-  et 
plaçant  leur  autorité  religieuse  sous  le  double  patro- 
nage : de  leur  ancêtre,  le  Grand  Sidi  Cheikh,  et  de  leur 
guide  spirituel,  Sid  Abou-Hassen-ech-Chadeli,  dont  ils 
suivent  plus  ou  moins  les  rituels. 

L’importance  des  Ouled-Sidi-Cheikh  est  immense  dans 
tout  le  sud  algérien,  mais  elle  est  aujourd’hui  beaucoup 
plus  politique  que  religieuse  (1). 

Sans  doute,  le  caractère  maraboutique  de  plusieurs 
des  premiers  ancêtres,  morts  en  odeur  de  sainteté,  a 
contribué,  pour  une  large  part,  au  développement  de 
l’influence  de  cette  famille  ; mais  aujourd’hui , le  rôle 
religieux  de  ses  chefs  se  borne  à entretenir  et  à exploi- 
ter le  fétichisme  des  vassaux  et  clients  au  profit  d’inté- 
rêts exclusivement  temporels  et  politiques. 

Le  prestige  et  la  vénération  qui,  toujours  et  partout, 
entourent  les  Ouled-Sidi-Cheikh,  ont  aussi  pour  cause 
la  noblesse  de  l’origine  de  leur  famille,  car  ils  descen- 
dent en  ligne  directe  du  khalife  et  compagnon  du  Pro- 
phète Abou-Beker-es-Seddiq  (2).  Leurs  ancêtres  se 


(1)  Nous  avons  écarté  de  ce  chapitre  tout  ce  qui  est  histoire  ou 
politique,  pour  n’envisager  les  Ouled-Sidi-Cheikh  qu'au  point  de  vue 
religieux.  On  trouvera  ces  questions  politiques  traitées  : dans  les  docu- 
ments précités,  dans  l 'Histoire  de  l’insurrection  de  i86i , par  le  colo- 
nel Trumelet  (Revue  africaine  et  librairie  Jourdan,  1884',  et,  enfin, 
d’une  façon  résumée  et  très  précise,  dans  une  publication  récente, 
intitulée:  l'Insurrection  du  Sud  oranais , réponse  à Sahraoui,  notes 
recueillies  et  publiées  par  le  citoyen  Bézy.  Oran,  1864. 

(2)  Voici  une  partie  de  cette  généalogie,  que  les  papiers  de  la  famille 
font  remonter  jusqu’à  « Adam,  fils  du  limon.  »>  1,  le  khalife  Abou- 
Beker-es-Seddiq.  — 2,  Abd-er-Rahman.  — 3,  Mohammed.  — 4,  So- 


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nommaient  Bou-Bekeria,  ou  Ouled-bou-Beker,  et  leurs 
descendants  conservèrent  ce  nom  jusque  en  1023-24  de 
PH.  (1615  de  J.-C.). 

C’est  sous  ce  nom  de  Bou-Bekeria  que,  dans  le  pre- 
mier siècle  de  l’Islam,  ils  furent  chassés  de  La  Mecque, 
à la  suite  de  discussions  de  famille  ou  de  querelles  reli- 
gieuses. Ils  s’arrêtèrent  quelque  temps  en  Égypte,  puis 
plus  longtemps  en  Tunisie  où  ils  restèrent  jusque  vers 
le  XIVe  siècle  de  J.-C.  (69.9-802  de  l’H.),  jouissant  déjà 
d’une  grande  considération  et  traités  avec  beaucoup 
d’égards  par  les  souverains  de  Tunis. 

Vers  cette  époque,  ils  quittèrent  ce  royaume,  sous  la 
conduite  de  Sid  Maâmar-ben-Sliman-el-Alia,  emmenant 
avec  eux,  comme  vassaux  et  clients,  les  chefs  et  ancê- 
tres des  Akerma,  Ouled-Abd-el-Kerim  (Trafl),  Ouled- 
Ziad  et  Rezaïna.  Ce  fut  à l’aide  de  ces  groupes  qu’ils 
s’installèrent  dans  les  environs  des  Arbaouat,  dans  le 
pays  des  Béni -Amer,  dont  ils  opérèrent  peu  à peu  le 
refoulement  vers  le  littoral. 

Le  premier  personnage  des  Bou-Bekeria  dont  le  mau- 
solée s’éleva  en  Algérie  fut,  précisément,  ce  Maâmar- 
ben-Sliman-Alia,  dont  la  koubba  est  à El-Arba-et-Tahtani, 
entourée  des  tombes  de  ses  fils  et  petits-fils  : Aïssa,  Bou- 
Lala,  Bel-Haïa. 

Si  Bou-Smaha,  qui  vint  après  ceux-ci,  mourut  en 
Égypte,  laissant  en  Algérie  son  fils,  Sliman,  qui  s’établit 
à Figuig,  où  il  repose  près  d’une  zaouïa  située  au  ksar 
des  Beni-Oussif,  habité  encore  par  plusieurs  de  ses 
descendants. 


fian.  — 5,  Azeraou.  — 6,  El-Mediou.  — 8,  Toufil.  — 9,  Yazid.  — 
10,  Zidan.  — 11,  Aïçsa. — 12,  Mohammed-ech-Chabili.  — 13,  Tsoudi. 
— 14,  Aïssa.  — 15,  Ahmed.  — 16,  Zid.  — 17,  Asker.  - 18,  Hafidh- 
ben-Hermet- Allah.  — 19,  Akil.  — 20,  Saad.  — 21,  Sliman.  — 22, 
Maamrnar.  — 23,  Aïssa.  — 23  bis,  Bou-Lala.  — 24,  Ben-Haya.  — 
25,  Bou-Smagha.  — 26,  Sliman.  — 27,  Mohammed- Abd-el-Qader 
(Sidi  Chikh),  né  en  951  de  TH.  (1544-1545  de  J.-C.),  mort  en  1023-24 
de  l’H.  (1615  de  J.-C.). 


— 352  — 


Si  Sliman-ben-Bou-Smaha  eut  trois  enfants.  L’aîné, 
Si  Mohammed,  se  fixa  à Chellala-Dahrania,  où  est  son 
tombeau  ; c’est  le  père  du  Grand  Sidi  Cheikh.  Le  second 
enfant,  Si  Ahmed-el-Medjdoub-bou-Ramar,  laissa  un 
très  grand  renom  de  sainteté  et  mourut  à Asla,  où  il  a 
une  koubba  ; mais  son  tombeau  est  à Chellala-Dahrania. 
Il  est  l’ancêtre  des  Ouled-Sid-Ahmed-ben-Medjdoub,  qui 
ont  toujours  conservé  une  certaine  indépendance  vis-à- 
vis  des  Ouled-Sidi-Cheikh.  Le  troisième  enfant  de  Si  Sli- 
man  fut  une  fille,  Lalla-Sifïa,  patronne  du  ksar  Sfisifa 
et  mère  de  la  tribu  des  Ouled-en-Nahr,  qui  est  restée, 
non  - seulement  dissidente , mais  même  ennemie  des 
Ouled-Sidi-Cheikh  proprement  dits. 

Si  Mohammed-ben-Sliman-ben-Smaha  eut  deux  fils. 
L’aîné,  Si  Brahim,  fut  un  personnage  assez  effacé  ; il  est 
enterré  au  sud  du  ksar  R’erbi,  à El-Abiod,  et  ses  des- 
cendants résident  au  ksar  des  Beni-Oussif  ou  campent 
aux  environs  de  Bou-Semghoun. 

Le  second  fils  fut  Abd-el- Qader,  devenu  si  célèbre 
sous  le  nom  de  Sidi  Cheikh  ; il  naquit  l’an  951  de  l’H. 
(1544-1545  de  J.-C.). 

Par  ses  vertus  et  sa  piété,  il  ajouta  encore  au  prestige 
de  sa  naissance,  et  il  semble  s’être  toujours  acquitté, 
d’une  façon  édifiante,  des  devoirs  que  lui  imposait  son 
titre  de  moqaddem  des  Chadelya.  Bien  que  vivant  à une 
époque  et  dans  un  pays  où  le  fusil  faisait  loi,  il  ne  s’oc- 
cupa que  d’exercices  de  piété.  Par  la  seule  autorité  de 
son  nom  et  de  son  caractère,  il  devint  l’arbitre  du  Sahara 
et,  à la  satisfaction  de  tous,  il  régla,  selon  les  lois  de 
l’équité  et  de  la  justice,  toutes  les  contestations  et  tous 
les  différends  qui  s’élevaient  entre  les  nomades.  Les  fai- 
bles et  les  opprimés  vinrent  en  foule  vers  lui,  et  il  se 
créa  ainsi  une  très  nombreuse  clientèle. 

Pour  hospitaliser  tout  ce  monde  qui  se  pressait  autour 
de  lui,  il  créa  à El-Abiod,  le  premier  des  cinq  ksour 
actuels,  celui  qui  est  dit  ksar  R’erbi  ou  ksar  Sid-el-Hadj- 
Abd-el-Kerim.  Ce  ksar  fut  bâti  sur  *1111  terrain  où  était 


— 353  — 

déjà  installé  un  cherif  marocain,  descendant  de  Sid  Abd- 
el-Kader-ben-Djilani , et  nommé  Sid  Bou-Tkil  (1).  Ce 
moqaddem  dut  céder  la  place. 

Sidi  Cheikh-Abd-el-Qader  vécut  84  années  musulma- 
nes, laissant  un  testament  par  lequel  il  affranchissait 
ses  nombreux  esclaves  nègres  et  les  désignait,  eux  et 
leurs  descendants , pour  être  les  surveillants  et  les 
administrateurs  du  temporel  de  la  zaouïa  qu’il  avait 
fondée.  Ces ' affranchis  sont  les  ancêtres  des  Abid  ou 
Zoua  actuels.  Il  laissait  en  outre,  comme  instructions 
spirituelles,  la  recommandation  expresse  à ses  des- 
cendants de  suivre  la  voie  des  Chadelya,  en  y ajoutant 
comme  dikr  spécial,  trois  fois  la  récitation  de  la  Fatiha 
à chacune  des  cinq  prières  de  la  journée. 

La  personnalité  de  Sidi  Cheikh-Abd-el-Qader  avait  été 
si  brillante  et  si  célèbre  qu’à  sa  mort  ses  descendants, 
et  aussi  les  enfants  de  ses  collatéraux  et  ascendants, 
prirent  le  nom  d’Ouled-Sidi-Cheikh. 

Sidi  Cheikh  laissa  18  enfants  (2),  dont  plusieurs  mou- 


(1)  Sid  Bou-Tkil  alla  d’abord  s’installer  à Benout,  puis  plus  tard,  à 
El-Arba-Tahtani,  où  il  mourut. 'Une  zaouïa  se  forma  dans  ce  ksar,  à 
côté  de  son  tombeau;  mais  les  Ouled-Sidi-Cheikh,  redoutant  l’influence 
des  enfants  de  Sid  Bou-Tkil,  les  chassèrent  plus  tard  de  cette  zaouïa 
qu’ils  confièrent  à des  Abids  et  à des  Hassasna  à leur  dévotion.  Les 
descendants  de  Bou-Tkil  s’éloignèrent  vers  l’Ouest  et  fondèrent  le 
ksar  d’Aïn-Sefra  (aujourd’hui  chef-lieu  d’un  cercle  militaire). 

(2)  Sept  d’entre  eux  moururent  sans  postérité  : quatre  encore  en 
bas-âge,  Si  Bou-Hassen,  enterré  à Roura,  chez  les  Ouled-en-Nhar, 
puis  Si  El-Hacen  et  Si  El-Haoussin , enterrés  à El-Arba.  — L’aîné  de 
tous  les  enfants  de  Sidi  Cheikh  fui  Si  E l- H adj- ben-Cheikh,  enterré  à El- 
Abiod  ; le  second  fut  Ez-Zerouki  dont  les  descendants,  peu  nombreux, 
vivent  près  d’ Aïn-Temouchent.  Le  3e  Si  El-Hadj-bou-Hafs  et  le  4 e Sid 
El-Hadj-Abd-el-Hakem  ; le  18e  et  dernier  est  Sid  El-Hadj-Ahmed , enterré 
avec  El-Hadj-Abd-el-Hakem  à El-Abiod  ; ses  descendants  sont  les 
Ouled-bou-Asria , Ouled-Sidi-Mazouz.  — Les  autres  enfants  sont,  sans 
que  nous  puissions  fixer  leur  rang  de  naissance:  Abd-er-Rahman, 
enterré  au  ksar  des  Uahmana,  à El-Abiod  et  dont  les  descendants 
vivent  avec  les  Ouled-Balagh  (de  Daya)  et  les  Ouled-Mimoun  (de 
Lamoricière).  — Si  El -Hadj-Mohammed-Abd- Allah,  enterré  à El-Abiod 
et  dont  les  descendants  sont  au  Maroc  et  à Tabelkouza  (du  Gourara). 

23 


— 354  — 


rurent  en  odeur  de  sainteté,  et  dont  les  descendants  for- 
ment aujourd’hui  des  tribus  importantes.  Pour  des  rai- 
sons que  nous  ignorons,  il  désigna,  dans  son  testament, 
comme  chef  de  famille  et  héritier  de  ses  pouvoirs  politi- 
ques et  religieux,  le  troisième  de  ses  enfants  : Sid  El- 
Hadj-bou-Hafs,  qui  était  né  d’une  fille  de  Si  Ahmed-el- 
Medjdoub. 

Sid  El-Hadj-bou-Hafs  (que  par  corruption  on  nomme 
souvent  Sid  El-Hadj-Bahout),  mourut  en  1660  de  J.-G. 
(1070-71  de  l’H.),  laissant  neuf  enfants  (1),  mais  tous  trop 
jeunes  pour  pouvoir  lui  succéder.  Aussi  donna-t-il,  par 
testament,  ses  pouvoirs  spirituels  et  temporels  à son 
frère,  quatrième  fils  de  Sidi  Cheikh,  Sid  El-Hadj-Abd-el- 
Hakem. 

Sid  El-Hadj-Abd-el-Hakem  transmit  l’héritage  à son 
fils,  Si  Bou-Hafs-ben-el-Hadj-Abd-el-Hakem.  Mais  celui- 
ci,  fatigué  des  discussions  soulevées  par  les  représen- 


— Si  Mostefa,  enterré  à El-Abiod  et  dont  les  descendants  sont:  partie 
à Aïn-Temouchent,  partie  chez  les  Oulhassa,  des  environs  de  Rach- 
goun.  — Si  Mohammed-ben-Cheikh,  enterré  à El-Abiod,  d’autres  disent 
à Insalah,  où  se  trouve  le  gros  de  ses  descendants,  dont  une  fraction 
existe  près  d’ Aïn-Temouchent.  — Sid  Ben-Aïssa , le  boiteux,  enterré 
à Figuig,  chez  les  Beni-Oussif,  à côté  de  Sliman-ben-Smaha  ; ses 
descendants  sont  chez  les  Beni-Guil  et  Douï-Menia.  — Sidi  Tadj , 
dont  les  descendants  sont  chez  les  Amour  et  aux  environs  des  deux 
Moghar.  C’est  l’ancêtre  de  Bou-Amama,  le  chef  de  l’insurrection 
de  1881. 

Selon  d’autres  traditions,  il  n’y  aurait  eu  que  trois  enfants  de  Sidi 
Chikh  morts  sans  postérité,  et  les  quatre  dont  nous  n’avons  pas  donné 
les  noms,  seraient  : 1°  Si  Bou-en-Nouar,  enterré  à Metlili  et  dont  les 
descendants  sont  à Insalah  et  au  Tidikelt,  confondus  souvent  avec 
ceux  de  Sid  El-Bou-en-Nour-ben-el-Hadj-bou-Hafs  ; 2°  Sid  El-Hadj- 
ed-Din , enterré  à El-Arba;  ses  descendants  sont  fort  disséminés; 
3°  Sid  EL-Hadj-Brahim , enterré  à Moghar-Tahtani  et  dont  les  descen- 
dants vivent  au  Maroc  et  chez  les  Beni-Guil  ; 4°  Sid  El-Madani , dont 
les  descendants  sont  aux  environs  d’El-Bïaïr,  entre  les  Oulhassa  et 
les  Ouled-Khalfa. 

(1)  Parmi  lesquels  Si  Hazeghem,  Si  Bou-en-Nouar  et  Si  Mohammed, 
dont  les  descendants  sont  établis  au  Tidikelt,  à Feguiguira  et  au  sud 
d’Insalah. 


— 355  — 


tants  de  la  branche  aînée,  et  peut-être  aussi  poussé  par 
un  sentiment  d’équité  vis-à-vis  d’eux,  remit  le  comman- 
dement et  la  direction  spirituelle  des  Ouled-Sidi-Cheikh 
à son  cousin,  Sid  El-Hadj-ed-Din-ben-el-Hadj-bou-Hafs  ; 
puis  il  partit  pour  l’Orient  et  mourut,  dit-on,  dans  la  ville 
du  Caire. 

Sid  El-Hadj-ed-Din  a sa  koubba  au  ksar  qui  porte  son 
nom,  au  sud  de  Brezina;  on  croit  cependant  que  ses 
cendres  reposent  réellement  au  Gourara. 

Son  fils,  Si  Ben-ed-Din,  devenu  chef  de  la  tribu  et  de 
la  zaouïa  de  Sidi-Cheikh,  ne  tarda  pas  à acquérir  une 
très  grande  réputation  de  justice  et  de  sainteté.  Ce  fut 
lui  qui  fit  construire  à Chellala,  Arba,  El-Abiod,  Sid-el- 
Hadj-ed-Din,  toutes  les  coupoles  qui  recouvrent  les  tom- 
bes de  ses  ancêtres.  Ce  fut  lui  aussi  qui  fonda  le  second 
ksar  d’El-Abiod,  qui,  bâti  à l’est  de  la  koubba  de  Sidi 
Cheikh,  prit  le  nom  de  ksar  Chergui,  tandis  que  l’ancien 
ksar,  situé  à l’ouest  de  cette  même  koubba,  fut,  dès  lors, 
désigné  sous  le  nom  de  ksar  B’erbi  (1). 

Si  Ben-ed-Din  s’installa  dans  le  nouveau  ksar,  avec 
tous  les  descendants  de  Si  El-Hadj-bou-Hafs,  et  un  cer- 
tain nombre  de  familles  collatérales,  issues  des  autres 


(1)  Il  y a cinq  ksour  au  lieu  dit  El-Abiod-Ouled-Sidi-Cheikh  : 1°  le 
ksar  R’erbi  ; le  ksar  Chergui  (dont  il  vient  d’être  parlé)  ; 3°  le  ksar 
des  Rahmana,  qui  ne  compte  plus  que  trois  ou  quatre  maisons  et  qui 
avait  été  bâti  par  Si  Ben-Abd-er-Rahman,  fils  du  Grand  Sidi  Cheikh; 
4°  le  ksar  des  Ouled-Sidi-el-Hadj- Ahmed,  fondé  vers  la  fin  du  XVIIIe 
siècle,  par  Si  Maamar-ben-Djilali  et  Sid  El-Hadj-Cheikh-ben-Youcef  ; 
5°  le  ksar  des  Ouled-Sidi-bou-Douïa,  fondé  au  commencement  de  ce 
siècle  par  Si  Bou-Beker-el-Mazouzi  et  Si  Ben-Zian-el-Mazouzi. 

L’emplacement  de  ces  ksour  et  ceux  des  tombeaux  des  divers  chefs 
de  branches  des  Bekerya  ou  Ouled-  Sidi-Cheikh,  aussi  bien  que  le 
détail  des  R’fara  perçus  par  cette  famille,  démontrent  péremptoire- 
ment combien,  lors  du  traité  de  1845  avec  le  Maroc,  nous  nous 
sommes  laissés  duper  par  les  Indigènes.  En  réalité,  les  Ouled  -Sidi- 
Cheikh,  dits  R’eraba,  ne  sont  pas  plus  Marocains  que  les  Cheraga,  et 
l’histoire,  d’accord  avec  la  géographie,  affirme  nos  droits  sur  Figuig, 
le  Gourara,  le  Touat  et  le  Tidikelt. 


— 356 


fils  de  Sidi  Cheikh.  Il  y transporta  également  la  zaouïa 
de  son  ancêtre. 

En  mourant,  Si  Ben-Eddin  avait  laissé  la  direction  des 
Ouled-Sidi-Cheikh  à son  fils,  Si  El-Arbi  ; mais  celui-ci 
ne  garda  pas  longtemps  la  plénitude  des  attributions 
seigneuriales  et  religieuses  de  ses  prédécesseurs. 

A l’époque  où  nous  sommes  arrivés  (seconde  moitié 
du  XVIIIe  siècle),  la  koubba  du  Grand  Sidi  Cheikh  atti- 
rait de  nombreux  visiteurs,  et  les  offrandes  des  pèlerins 
constituaient  de  très  gros  revenus.  Ces  revenus  étaient 
encaissés  par  le  chef  unique  des  Ouled-Sidi-Cheikh,  c’est- 
à-dire  par  le  représentant  de  la  branche  issue  d’El  Hadj- 
bou-Hafs.  De  là  une  jalousie  très  grande  chez  les  descen- 
dants de  Si  El-Hadj-Abd-el-Hakem,  qui  réclamèrent  leur 
part  de  revenus,  alléguant  les  droits  que  leur  avaient 
créés,  à la  direction  de  la  zaouïa,  la  suprématie  momen- 
tanée de  Si  El-Hadj-Abd-el-Hakem  et  le  renoncement 
volontaire  du  fils  de  celui-ci  en  faveur  de  Sid  El-Hadj- 
ed-Din. 

N’ayant  pu  faire  admettre  ces  prétentions,  le  représen- 
tant des  Ouled-Abd-el-Hakem,  Si  Sliman-ben-Kaddour, 
âgé  de  19  ans,  résolut  de  trancher  le  différend  par  les 
armes.  Il  gagna  à sa  cause  lesHamyan  et  marcha,  à leur 
tête,  contre  les  Ouled-el-Hadj-bou-Hafs,  dont  il  r’azza  les 
troupeaux  sur  l’oued  Seggour. 

Si  El-Arbi  répondit  par  une  autre  r’azzia  faite  sur  l’oued 
R’erbi. 

Ces  deux  coups  de  main  furent  le  point  de  départ  de 
la  grande  scission  qui,  désormais,  allait  séparer  les 
Ouled-Sidi-Cheikh  en  deux  groupes,  en  deux  soff,  à 
jamais  irréconciliables  : les  Cheraga  (ou  partisans  des 
Ouled  - bou  - Hafs) , habitants  du  ksar  Chergui , et  les 
R’eraba  (ou  partisans  des  Ouled-Abd-el-Hakem),  habi- 
tants du  ksar  R’erbi. 

Après  une  série  de  combats  indécis,  mais  dans  les- 
quels Davantage  resta  finalement  aux  Ouied-Sid-el-Hadj- 
Abd-el-Hakem  (ou  R’eraba),  Si  El-Arbi  dut  leur  céder  la 


— 357  — 

moitié  des  revenus  de  la  zaouïa  de  Sidi  Cheikh.  Si  Sli- 
man-ben-Kaddour  fonda  alors,  dans  le  ksar  R’erbi,  la 
zaouïa  de  Sid  El-Hadj-Abd-el-Hakem. 

Cet  arrangement  fut  de  courte  durée,  les  Cheraga  (ou 
Ouled-bou-Hafs)  regrettaient  la  concession  faite,  et  se 
prétendaient  lésés  par  la  construction  de  la  zaouïa  de 
Sid  El-Hadj-Abd-el-Hakem.  De  là  de  nouveaux  conflits, 
de  nouvelles  luttes  entre  les  deux  branches  rivales,  et 
la  création  d’une  troisième  zaouïa,  spécialement  consa- 
crée à Si  El-Hadj  bou-Hafs. 

Après  bien  des  difficultés,  on  finit  cependant  par  s’en- 
tendre, en  1766  de  J.-C.  (1179-1180  de  l’H.).  Il  fut  alors 
convenu  que  les  offrandes  et  les  dons  seraient  divisés 
en  trois  parts  égales  : l’une  pour  la  zaouïa  principale  de 
Sidi  Cheikh  (entretien  de  la  koubba,  hébergement  des 
hôtes,  etc.);  la  seconde  pour  la  zaouïa  Cherguia;  la 
troisième  pour  la  zaouïa  R’erbia.  En  réalité,  la  zaouïa 
de  Sidi  Cheikh  étant  restée  dans  le  ksar  Chergui,  les 
Cheraga  eurent  deux  parts  et  les  R’eraba  une  seule.  Ce 
mode  de  partage  est  toujours  en  vigueur. 

A partir  de  cette  époque,  l’histoire  des  Ouled-Sidi- 
Cheikh  n’est  plus  que  le  récit  des  rivalités  politiques  et 
des  compétitions  d’intérêts  qui  divisent  les  deux  bran- 
ches ennemies  et  les  arment,  à chaque  instant,  l’une  con- 
tre l’autre.  Au  milieu  de  ces  luttes  fratricides,  il  n’est  plus 
question  des  paisibles  doctrines  de  renoncement  et  de 
mysticisme  que  professait  le  moqaddem  des  Chadelya. 
Des  vertus  religieuses  et  sociales  du  Grand  Sidi  Cheikh, 
il  ne  reste  que  le  souvenir  et  les  légendes  hagiographi- 
ques; mais  cela  suffit  pour  permettre' aux  descendants 
du  Saint  d’El-Abiod  de  porter  le  titre  de  marabouts  et 
d’exploiter,  au  mieux  de  leurs  intérêts  temporels,  la 
vénération  attachée  au  nom  de  leur  ancêtre. 

C’est  de  cette  exploitation  que  vivent  exclusivement 
les  principaux  personnages  des  familles  d’El-Hadj-bou- 
Hafs  et  d’El-Hadj-Abd-el-Hakem,  qui  sont  restées  les 
deux  branches  seigneuriales  des  Ouled-Sidi-Cheikh,  et 


— 358 


qui  ont  continué  à percevoir,  plus  ou  moins  régulière- 
ment, les  ziara  et  les  « refar  » (1)  de  la  plupart  des  tribus 
vassales  de  leurs  ancêtres.  Quand  cette  ressource  vient 
à leur  manquer,  « les  marabouts  » lancent  ou  conduisent 
eux-mêmes  des  r'azzou  (2)  sur  les  non-payants,  et  ils  se 
font  hardiment  coupeurs  de  route.  Mais,  comme  ils  le 
font  avec  une  grande  bravoure,  cela  ne  les  déconsidère 
pas  autant  qu’on  pourrait  le  croire  aux  yeux  des  Saha- 
riens, et,  malgré  leur  arrogance  ou  leurs  exactions,  ils 
conservent  toujours  le  prestige  attaché  à leur  origine 
maraboutique. 

Cependant,  ces  procédés  violents  leur  ont  aliéné  l’af- 
fection de  nombreux  groupes,  appartenant  surtout  aux 
branches  collatérales  de  leur  propre  famille. 

C’est  ainsi  que,  depuis  1766,  plusieurs  chefs  de  tentes, 
désireux  de  continuer  en  paix  les  pratiques  religieuses 
préconisées  ou  instituées  par  le  Grand  Sidi  Cheikh,  ont 
quitté  El-Abiod  et  sont  venus  s’installer  sur  plusieurs 
points  du  Tell  de  la  province  d’Oran,  où  leurs  descen- 
dants, de  nomades  qu’ils  étaient,  sont  devenus  séden- 
taires. 

Les  principales  localités  où  on  les  retrouve  aujourd’hui, 
sont  : les  Ouled-Mimoun  et  Beni-Smiel  (de  Lamoricière), 
les  Ouled-Belagh  (de  Daya),  les  Ouled-Zaïr  et  Ouled- 
Khalfa  (d’Aïn  - Temouchent) , les  Laghouat  des  Douair 
(d’Oran),  les  Oulhassa  (de  Remchi)  et  les  Beni-Snouss 
(de  Mar’nia). 


(1)  La  ziara  est  l’offrande  volontaire  et  facultative  ; le  refar  est,  au 
contraire,  la  redevance  fixe  que  les  seigneurs  religieux  perçoivent  sur 
leurs  vassaux.  C’est  ordinairement  chez  les  Ouled-Sidi-Cheikh  une 
brebis  suitée  par  tente  et  par  an.  Certaines  tribus  doivent  cependant 
une  chamelle  par  tente,  d’autres  un  sac  de  grains  ou  de  dattes.  (Voir 
plus  loin,  même  chapitre  ) 

(2)  Le  r’azzou  est  la  bande  ou  la  troupe  légère  qui  opère  des  coups 
de  mains  ou  r’azzia.  — Moins  nombreux,  le  r’ezzou  n’est  plus  qu’un 
djich , mot  qui,  en  réalité,  signifie  armée,  mais  qui,  dans  le  Sahara 
algérien,  est  employé  avec  le  sens  de  « petite  troupe  de  brigands.  » 


— 359  — 

Les  chefs  de  ces  familles,  ainsi  séparés  des  branches 
seigneuriales  ou  sahariennes,  se  sont  alors  érigés  en 
représentants  de  l’ordre  des  Ouled-Sidi-Cheikh  ; ils  don- 
nent l’affiliation  religieuse  aux  gens  de  la  contrée,  qui 
sont  devenus  leurs  khouan,  ou  mieux  leurs  serviteurs 
religieux,  et  qui  leur  remettent  les  offrandes  pieuses,  ou 
ziara,  que  jadis  ils  allaient  porter  à El-Abiod-Sidi- 
Gheikh. 

Mais  ces  familles  telliennes  n’ont  à leur  tête  aucune 
individualité  marquante,  aucun  lien  ne  les  réunit,  cha- 
cune d’elles  se  dirige  à son  gré  et  cherche  à accaparer  à 
son  profit  le  plus  de  ziara  possible.  Toutes,  sans  excep- 
tion, sont  très  pauvres,  et  obligées  de  vivre  du  travail 
de  leurs  mains,  leur  prestige  est  peu  considérable  et  les 
ziara  ne  suffisent  pas  à assurer  leur  subsistance. 

Cependant,  comme,  en  leur  qualité  de  descendants 
authentiques  du  Grand  Saint  d’El-Abiod,  ces  moqaddem 
jouissent  du  privilège  d’avoir  toujours  leurs  prières 
exaucées  par  le  Tout-Puissant,  les  ziara  ne  leur  font 
jamais  absolument  défaut:  ceux  qui  les  donnent  espé- 
rant bien  que  leurs  pieuses  offrandes  ne  resteront  pas 
sans  récompense. 

Il  est  utile,  à ce  propos,  de  faire  connaître  la  petite 
cérémonie  qui  accompagne,  presque  toujours,  la  remise 
de  ces  ziara  chez  les  Ouled-Sidi-Cheikh  du  Tell  : 

Le  fidèle,  après  avoir  déposé  son  offrande,  récite,  avec 
le  moqaddem,  totalité  ou  partie  du  dikr  chadelien  qui  lui 
a été  enseigné.  Puis,  le  cheikh  lui  prend  les  mains,  et  le 
visiteur  formule  ses  vœux  temporels  qui,  le  plus  sou- 
vent, sont  les  suivants  : « O mon  Dieu,  donnez-moi  une 

bonne  récolte  ! O mon  Dieu,  ne  me  donnez  que  des 

enfants  mâles  ! O mon  Dieu,  faites  que  mes  bestiaux 

ne  produisent  que  des  femelles! Mon  Dieu,  donnez- 

moi  la  santé,  etc » Chacun  de  ces  vœux  n’est  pas 

plus  tôt  énoncé,  qu’il  est  aussitôt  répété  gravement  par 
le  cheikh  qui  murmure  avec  onction  : « O mon  Dieu, 


— 360  — 


donnez-lui  une  bonne  récolte.....  O mon  Dieu,  ne  lui 
donnez  que  des  enfants  mâles  ! etc.  » 

Le  rôle  religieux  de  ces  Ouled-Sidi-Cheikh  du  Tell  est, 
on  le  voit,  bien  effacé  ; quant  à leur  rôle  politique,  il  est 
nul.  Si  quelques  individualités  vont  parfois  en  pèlerinage 
à El-Abiod,  ou  visitent  quelques  membres  des  branches 
sahariennes,  cela  ne  tire  pas  à conséquence  : une  fois 
fixés  au  sol,  les  Indigènes  ne  retournent  plus  à la  vie 
nomade,  et  nous  n’avons  pas  à craindre  de  voir  cesser 
la  scission  qui  existe  entre  les  Ouled-Sidi-Cheikh  du  Tell 
et  ceux  du  Sahara. 

Notons  encore  ce  fait  curieux  qu’alors  que,  dans  le 
Tell,  des  gens  étrangers  à la  famille  « prennent  le  chape- 
let » des  Cheikhya  et  se  déclarent  leurs  serviteurs  reli- 
gieux; dans  le  Sud,  des  groupes  entiers  ou  des  indivi- 
dus de  la  famille  des  Ouled-Sidi-Cheikh  se  font  affilier  à 
d’autres  ordres  religieux,  tels  que  : les  Sahelya,  Der- 
qaoua,  Qadrya  et  Taïbya.  L’ancien  agha  de  Géry ville, 
Sliman-ben-Kaddour,  chef  des  Ouled-Sidi-Cheikh-R’eraba, 
qui  vient  de  mourir,  était  Taïbi  et,  comme  tel,  relevait 
spirituellement  du  cherif  d’Ouazzan,  Sid  Abd-es-Selem, 
grand-maître  des  Taïbya.  Ce  dernier  point  explique  l’in- 
tervention officieuse  de  Sid  Abd-es-Selem,  en  diverses 
circonstances  intéressant  Si  Sliman. 

Quant  à l’affiliation  d’un  grand  nombre  d’Ouled-Sidi- 
Cheikh  à l’ordre  des  Qadrya,  elle  s’explique  par  le  fait 
que  nous  avons  signalé  plus  haut,  l’existence  ancienne, 
à El-Abiod,  d’un  descendant  de  Sid  Abd-el-Qader-el- 
Djilani,  Si  Bou-Tkil,  qui,  avant  Sidi  Cheikh,  représentait, 
dans  toute  la  région  au  sud  de  Géryville,  l’influence  reli- 
gieuse dominante. 

L’étude  des  attaches  ou  servitudes  religieuses  chez 
les  Ouled-Sidi-Cheikh  est,  du  reste,  une  question  des 
plus  complexes  et  pour  laquelle  il  serait  difficile  de  poser 
des  règles  générales  ou  absolues,  car,  dans  une  même 
fraction,  il  y a souvent  des  tendances  fort  divergentes. 


— 361  — 

Ces  tendances  se  multiplient  selon  les  temps,  selon  les 
personnalités  dirigeantes,  selon  les  circonstances  poli- 
tiques, et  même  selon  les  circonstances  atmosphéri- 
ques. 

En  effet,  dans  les  tribus  nomades  et  pastorales,  ce  qui 
prime  toutes  les  autres  considérations  sociales,  c’est  la 
nécessité  d’assurer  la  vie  et  la  prospérité  de  la  famille, 
en  garantissant  la  subsistance  des  troupeaux  et  la  liberté 
des  échanges  commerciaux.  Pour  se  concilier  la  bien- 
veillance du  maître  temporel  d’une  région,  et  pour  s’at- 
tirer les  bénédictions  du  saint,  patron  d’un  pays  où  ils 
ont  leurs  intérêts,  les  nomades  n’hésitent  pas  à se  faire 
les  serviteurs,  politiques  ou  religieux,  de  ceux  dont  ils 
croient  avoir  besoin.  De  là  cet  enchevêtrement  de  dévo- 
tions particulières  à tel  ou  tel  Saint,  en  superfétation  ou 
en  contradiction  avec  telles  ou  telles  attaches  religieuses 
déjà  existantes. 

Pour  bien  montrer  quelle  est  cette  situation,  et  pour 
donner  aussi  une  idée  des  charges  extra -légales  que 
l’ignorance,  la  routine  et  la  superstition  imposent  à des 
malheureux  qui  n’osent  ni  ne  veulent  s’en  affranchir, 
nous  allons  donner  l’exposé  détaillé  des  redevances  reli- 
gieuses de  toute  nature,  que  payaient,  en  1856,  les  tribus 
du  cercle  de  Géryville  inféodées  aux  Ouled-Sidi-Cheikh, 
alors  que  ces  derniers  étaient  à l’apogée  de  leur  puis- 
sance (1). 

Ces  détails,  quoiqu’un  peu  longs,  ne  sont  pas  sans 


(1)  Inutile  de  dire  qu’aujourd’hui  (1884),  il  ne  reste  officiellement 
aucune  trace  de  ces  redevances  dont  le  gouvernement  français  n’a 
jamais,  à aucune  époque,  reconnu  la  légitimité.  Mais  cependant  il 
ne  faut  pas  non  plus  croire  qu’elles  ont  entièrement  disparu.  Bon 
nombre  d’indigènes  se  font  encore  un  cas  de  conscience  de  les  payer 
spontanément  aux  intéressés,  beaucoup  d’autres  aussi,  tout  en  dési- 
rant s’en  affranchir,  n’osent  pas  les  refuser  quand  elles  leur  sont  direc- 
tement demandées  par  les  descendants  de  Sidi  Cheikh,  encore  bien 
qu’ils  aient  été  souvent  prévenus  que  la  protection  des  autorités  fran- 
çaises couvre,  toujours,  ceux  d’entre  eux  qui  veulent  se  soustraire  à 
ces  obligations  religieuses  ex  tua -légale  s. 


— 362  — 


intérêt,  car,  bien  qu’ils  se  rapportent  à une  époque  déjà 
ancienne  et  que  beaucoup  de  ces  redevances  aient  cessé 
d’être  perçues,  il  y a,  dans  cette  énumération,  des  précé- 
dents utiles  à connaître. 

Notons  d’abord  que,  tous  les  ans,  les  chefs  des  bran- 
ches seigneuriales  des  Ouled-Cheikh  font  eux-mêmes 
l’offrande  d’un  tapis,  d’un  chameau  et  d’une  négresse  à 
la  zaouïa  marocaine  de  Sid  Abd-er-Rahman-es-Saheli, 
et  cela,  en  souvenir  d’un  cadeau  de  même  valeur  fait 
jadis  à leur  ancêtre. 

Par  contre,  voici  ce  qu’ils  étaient  jadis  en  droit  d’espé- 
rer de  leurs  vassaux,  clients,  serviteurs  ou  khouan.  * 

Les  Trafi,  grande  confédération  comprenant  six  tribus  : Derraga, 
Ouled-Maala,  Ouled-Abd-el-Kerim,  Ouled-Serour,  Ouled-Ziad,  Re- 
zaina,  présentent  la  situation  que  nous  allons  détailler  (1). 

Les  Derraga-R’eraba  (231  tentes),  sont  presque  tous  khouan  de 
Mouley-Taïeb  ; quelques-uns  seulement  sont  Qadrya  ou  Cheikhya. 

Les  gens  des  deux  sous-fractions  Trihat  et  Brahmia  sont  serviteurs 
religieux  de  Si  Bou-Tkil,  descendant  d’Abd-el-Qader-el-Djilani  et  ils 
payent,  à la  zaouïa  des  Qadrya,  établie  aux  Arbaouat  : un  agneau  et 
une  mesure  de  beurre  par  tente,  plus  un  chameau  par  fraction,  et  une 
mesure  de  dattes  par  tente  à l’époque  de  la  caravane  annuelle  du 
Gourara. 

Comme  serviteurs  religieux  des  Ouled-Sidi-Cheikh,  ils  payent,  à 
titre  de  refar,  outre  les  redevances  précédentes,  savoir  : 

Les  Trihat  : un  agneau  par  tente  à la  zaouïa  de  Sid  Abd-el-Hakem, 
et  un  chameau  pour  tout  le  groupe  partant  au  Gourara. 

Les  Brahmia:  1°  à la  zaouïa  de  Sidi  Cheikh;  2°  à la  zaouïa  de  Si  Ah- 
med-ben-Medjboub  (Aïn-Sefra),  un  agneau  par  tente. 

Les  Razna  : à la  zaouïa  de  Sidi  Cheikh,  un  agneau  par  tente. 

Les  Derraga-Cheraga  (147  tentes),  sont  presque  tous  khouan  Qa- 
drya, comme  serviteurs  religieux  des  descendants  de  Sidi  Bou-Tkil. 
Les  Ouled-Sbaho  et  les  Sebahha  payent  à la  zaouïa  des  Arbaouat  un 
agneau  par  famille,  une  mesure  de  beurre,  une  d’orge,  une  de  dattes 
et  un  chameau  par  fraction. 

Comme  serviteurs  religieux  des  Ouled-Sidi-Cheikh,  les  Ouled-Sbaho 


(1)  Nous  transcrivons  un  document  de  1856  : les  chiffres  portés  pour 
les  tentes  ne  sont  donc  plus  vrais  aujourd’hui. 


et  les  Sebahha  payent  les  mêmes  redevances  que  ci-dessus  à la  zaouïa 
R’erbia,  d’El-Abiod. 

Les  Ouled-Chaaneb  payent  les  mêmes  redevances,  mais  seulement 
à la  zaouïa  Cherguia,  d’El-Abiod. 

Les  Ouled-Maala  (198  tentes),  comptent  2 khouanCheikhya,  25  khouan 
Zianya,  12  Taïbya,  et  un  grand  nombre  de  Qadrya.  Ils  payent  tous  : 
1°  à:  la  zaouïa  des  Qadrya,  de  Sidi  Bou-Tkil,  par  tente  : un  agneau, 
une  mesure  de  beurre,  une  d’orge,  une  de  dattes  et,  pour  la  tribu, 
un  chameau;  2°  à la  zaouïa  de  Sidi  Cheikh,  les  mêmes  redevances  ; 
3°  à la  zaouïa  R’erbia,  les  mêmes  redevances  sauf  le  chameau. 

Les  khouan  Zianya  et  Taïbya  donnent,  en  outre,  aux  zaouïa  respec- 
tives de  leur  ordre,  un  agneau  et  une  mesure  d’orge. 

Les  Akerma  (158  tentes).  Ils  sont  presque  tous  Qadrya,  4 seulement 
sont  Taïbya,  et  3 Cheikhya. 

Ils  payent  comme  redevances  religieuses  : 

1°  A la  zaouïa  de  Sidi  Cheikh,  par  tente  : un  agneau,  une  mesure 
de  beurre,  une  d’orge,  une  de  dattes,  et  deux  chameaux  pour  toute 
la  tribu  ; 

2°  A la  zaouïa  de  Sid  Ahmed-ben-Medjdoub,  à Asla,  un  agneau  par 
tente  ; 

3°  A la  zaouïa  Cherguia,  un  agneau  par  tente  ; 

4°  Aux  descendants  de  Sid  Ahmed-ben- Youcef,  à Miliani,  un  agneau 
par  tente  ; 

5°  A la  zaouïa  de  Sid  El-Hadj-ben-Amer,  par  tente  : une  toison  de 
bélier,  un  agneau,  un  chevreau,  une  mesure  de  grains,  une  de  beurre, 
une  de  dattes. 

Les  Ouled-Abd-el-Kerim  (221  tentes),  comptent  neuf  chefs  de  famille 
Taïbya,  dix  Qadrya,  et  un  certain  nombre  de  Tidjanya  dans  les  sous- 
tractions des  Razazga,  Ouafa  et  Ouled-Messaoud. 

Ils  payent  : 

1°  A la  zaouïa  de  Sid  Mohammed-ben-Sliman,  à Chellala-Dahrania, 
par  tente  : un  agneau,  une  mesure  de  beurre,  une  de  grains,  une  de 
dattes,  et  pour  toute  une  tribu,  un  chameau  ; 

2°  A la  zaouïa  de  Sidi  Cheikh  (sauf  les  Ouled-Messaoud),  un  agneau 
par  tente  et  un  chameau  pour  toute  la  tribu  ; 

3°  A la  zaouïa  de  Sid  El-Hadj-ben-Amer,  par  tente  : une  toison  de 
bélier,  un  agneau,  un  chevreau,  une  mesure  de  grains,  une  de  beurre 
et  une  de  dattes. 

Les  Ouled-Messaoud  payent  cette  même  redevance  à la  zaouïa  Cher  - 
guia.  Quelques  tentes  des  Ouled-Djilali-ou-Diouba  payent  en  outre 
chacune  un  jeune -chameau  aux  Ouled-Djilali,  des  Ouled-en-Nahr,  du 
cercle  de  Sebdou. 


— 364  — 


Les  Ouled-Serour  (69  tentes),  ne  payent  qu’à  la  zaouïa  de  Sidi 
Cheikh,  par  tente  : un  agneau,  une  mesure  de  beurre,  une  d’orge, 
une  de  dattes  et  un  chameau  pour  toute  la  tribu. 

Les  Ouled-Ziad  (564  tentes),  ont  des  khouan  Taibya,  QadryaetTid- 
janya. 

Ils  payent  : 

1°  Un  tiers  de  la  tribu,  à la  zaouïa  de  Sidi  Cheikh,  par  tente  : un 
mouton,  un  pot  de  beurre,  une  musette  d’orge  et  une  de  dattes; 

2°  Un  tiers  delà  tribu,  à la  zaouïa  R’erbia,  mêmes  redevances; 

3°  Un  tiers  de  la  tribu,  à la  zaouïa  Cherguia,  mêmes  redevances  ; 

4°  Toute  la  tribu-,  un  mouton  par  tente  et,  ensemble,  un  ou  deux 
chameaux  aux  koubba  des  ancêtres  de  Sidi  Cheikh,  aux  Arbaouat  ; 

5°  A Sid  El-Hadj-ben-Amer  (1),  par  tente  : une  toison  de  bélier,  un 
agneau,  un  chevreau,  une  mesure  de  grains,  une  de  beurre  et  une  de 
dattes. 

Les  Rezaïna  (408  tentes),  payent  comme  redevance  religieuse  an- 
nuelle : 

1°  A la  zaouïa  de  Sidi  Cheikh,  par  tente  : un  mouton,  un  pot  de 
beurre,  une  mesure  d’orge,  une  de  dattes  ; 

2°  Up  tiers  de  la  tribu  seulement,  à la  zaouia  Cherguia,  mêmes  re- 
devances que  ci-dessus  ; 

3°  Un  tiers  de  la  tribu  seulement,  à la  koubba  de  Si  Maamar,  à 
Chellala,  une  musette  d’orge  et  une  de  dattes  par  chameau  revenant 
de  la  caravane  annuelle  du  Gourara. 

Les  Laghouat-el-Ksel  se  divisent  en  cinq  fractions  ayant  chacune 
des  attaches  dissemblables  : ce  sont  les  Ouled-Moumen,  Rezeigat,  Ou - 
led-Aïssa , Gueraridi , Ahl-Sliten. 

Les  Ouled-Moumen  (303  tentes),  50  chefs  de  tentes  sont  Taibya,  30  Qa- 
drya. 

Ils  payent  comme  redevances  religieuses  : 

1°  A la  zaouïa  de  Sidi  Cheikh,  par  tente  : une  brebis  avec  son  agneau, 
une  mesure  de  beurre,  une  de  grains,  une  de  dattes,  plus  un  chameau 
pour  toute  la  tribu  ; 

2°  A la  zaouïa  Cherguia,  mêmes  redevances  moins  le  chameau  ; 

3°  A la  mosquée  de  La  Mecque  : un  chameau  pour  toute  la  tribu. 


(1)  Sid  El-Hadj-ben-Amer  était  un  marabout  qui  mourut  en  1603  ; 
il  avait  été  lié  avec  Sidi  Chikh.  Ses  descendants  ont  successivement 
habité  le  petit  ksar  de  Sid-el-Hadj-ben-Amer  ou  se  sont  dispersés 
chez  les  Ouled-Sidi-Cheikh,  Trafi  et  Laghouat-el-Ksel. 


— 365  — 


Les  Rezaïgal  (352  tentes)  dont  32  sont  affiliées  aux  Taïbya. 

Ils  payent  comme  redevances  religieuses  annuelles  : 

1°  A la  zaouïa  de  Sidi  Cheikh,  par  tente  : une  brebis  suivie  de  son 
agneau,  une  mesure  de  beurre,  une  de  grains  et  une  de  dattes.  Qua- 
tre sous-fractions  donnent  chacune  un  chameau.  — Une  sous-fraction 
(les  Ouled-Yahia),  donne  en  argent  de  80  à 100  francs  ; 

2°  A la  zaouïa  Cherguia,  par  tente  : une  mesure  de  beurre,  une  de 
grains,  une  de  dattes  ; par  troupeau,  c’est-à-dire  que  si  trois  ou  qua- 
tre familles  sont  réunies  pour  avoir  un  berger  commun,  elles  ne  don- 
nent à elles  toutes,  qu’une  brebis;  les  familles  qui  ont  plusieurs  trou- 
peaux ne  donnent  qu’une  brebis  suitée. 

Les  Ouled-Aïssa  (199  tentes),  comptent  deux  chefs  de  tentes  khouan 
Chcikhya,  et  quatre  Taïbya. 

Ils  payent  comme  redevances  : . 

1°  A la  zaouïa  de  Sidi  Cheikh,  par  tente:  une  brebis  (sans  agneau), 
une  mesure  de  beurre,  une  de  grains,  et  pour  toute  la  tribu,  un  cha- 
meau ; 

2°  A la  zaouïa  Cherguia,  mêmes  redevances  religieuses  annuelles  ; 

3°  Aux  Ouled-Sidi-el-Hadj-Ahmed  (des  Ouled-Sidi-Cheikh),  la  sous- 
fraction  des  Amourat  donne  en  outre  un  agneau  par  tente  ; 

4°  Aux  Ouled-Sidi-Atta-Allah,  de  Tadjemout  (marabouts  locaux  du 
cercle  de  Laghouat),  un  grand  nombre  de  tentes  donnent  une  mesure 
de  beurre  et  quelquefois  un  agneau. 

LesQueraridj  (111  tentes),  comptent  11  Taïbya,  17  Qadrya,  3 Cheikhya. 

Ils  payent  comme  redevances  religieuses  annuelles  : 

1°  A la  zaouïa  de  Sidi  Cheikh,  par  tente  : une  brebis,  une  mesure 
d’orge,  une  de  dattes;  pour  toute  la  tribu,  deux  chameaux; 

2°  A la  zaouïa  Cherguia,  mêmes  redevances  moins  les  deux  chameaux. 

Ahl-Stiten  (74  tentes  et  139  maisons,  plus  3 mosquées  et  6koubba). 

Ils  payent  comme  redevances  religieuses  annuelles  : 

1°  Aux  trois  zaouïa  d’El-Abiod,  par  tente  : une  brebis,  trois  mesu- 
res d’orge,  une  de  beurre.  La  perception  a lieu  par  chacune  des  zaouïa 
à tour  de  rôle  ; 

2°  Aux  Ouled-Sidi-ben-Abd-er-Rahman,  des  Ouled-Sidi-Cheikh  (ksar 
Rahmanya),  les  2/3  de  la  tribu  payent  une  mesure  d’orge  par  tente  ; 

3°  Aux  marabouts  des  Ouled-Sidi-Abd-Allah,  de  Tadjemout  (La- 
ghouat), la  soustraction  des  Beni-Zeroual,  qui  est  composée  de  Cherfa, 
offre  tous  les  ans  une  habeia  en  laine  ; 

4°  Une  ziara  facultative  accompagnant  une  visite  faite  chaque  année 
par  un  individu  de  chaque  famille  aux  koubba  d’El-Abiod. 

Les  Ouled-Yacoub-Zerara  (308  tentes),  partagés  en  serviteurs  des 


— 366  — 


Ouled-Sidi-Cheikh  et  en  khouan  des  Tidjanya,  payent  comme  rede- 
vances religieuses  par  tente  : une  brebis  et  une  mesure  de  beurre  à 
la  zaouïa  de  Sidi  Cheikh. 

Les  Arbaouat,  deux  ksour  de  65  maisons,  2 mosquées  et  5 koubba, 
dont  4 aux  Ouled-Sidi-Cheikh  (Sidi-Maamar,  Bel-Alia,  Sidi-Aïssa, 
Sidi-Brahim)  et  une  à Sidi-Bou-Tkil,  descendant  d’Abd-el-Qader-ben- 
Djilani. 

Ils  payent  comme  redevances  religieuses  annuelles  : 

1°  A chacune  des  trois  zaouïa  d’El-Abiod,  par  maison  : une  musette 
d’orge,  un  kouffa  de  navets,  une  citrouille  ; 

2°  Aux  marabouts  de  Sidi  Atta-Allah  (de  Tadjemout),  par  maison  : 
une  musette  d’orge  et  une  citrouille  ; 

3°  A la  zaouïa  d’Aïn-Madhi,  par  maison  : moutons,  beurre,  dattes  et 
argent,  selon  leurs  facultés. 

El-Abiod-Sidi-Cheikh  perçoit  les  ziara  et  presque  tout  le  monde  y 
vit  dans  la  domesticité  des  familles  seigneuriales  ; on  y comptait  seu- 
lement 17  Taïbya,  2 Tidjanya,  3 Qadrya  et  16  Cheikha. 

Chellala-Dahrania;  les  77  maisons  vivent  en  partie  du  produit  des 
ziara  aux  4 koubba  de  : 1°  Mohammed-ben-Sliman,  père  de  Sidi  Cheikh  ; 
2“  Sidi  Abd-el-Qader-ben-Djilani;  3°  Sid  Abd-el-Djeber-ould-Mouley- 
Taïeb  ; 4°  Sid  Ahmed-Tidjani.  Elles  comptent  3 Cheikha,  10  Qadrya, 
15  Taïbya,  20  Tidjanya. 

Elles  payent  comme  redevances  religieuses  annuelles  : 

1°  Une  musette  d’orge  par  maison  pour  les  trois  zaouïa  d’El-Abiod 
qui  en  prennent  chacune  le  tiers  ; 

2°  Les  serviteurs  de  Tidjani  payent  (seulement  à la  zaonïa  d’Aïn- 
Mahhi)  une  ziara  proportionnée  à leurs  facultés  et  à leur  degré  de 
dévotion. 

Chellala-Gueblia  ; sur  28  chefs  de  maisons,  27  sont  khouan  de 
Tidjani,  et  ils  payent  chacun  un  mouton  à la  zaouïa  d’Aïn-Madhi.  Ils 
ne  payent  rien  aux  Ouled-Sidi  Cheikh. 

Ghanoul,  ksar  de  60  maisons  ; il  y a 20  Taïbya,  10  Tidjanya. 

On  paye  comme  redevances  religieuses  annuelles  : 

1°  La  dîme  (ou  dixième)  des  grains  récoltés  qui  est  partagée  entre 
les  trois  zaouïa  d’El-Abiod  ; 

2°  Une  tasse  d’orge  par  maison,  à Sid  El-Hadj-Amer,  pour  être  pré- 
servé de  la  piqûre  des  scorpions  ; 

3°  Une  ziara  facultative  variant  d’un  mouton  à une  galette,  à la  zaouia 
de  Sidi  Cheikh,  où  on  va  annuellement  en  pèlerinage  ; 


— 367  — 

4°  Une  djellal,  une  habaïa,  et  par  maison  une  tasse  d’orge  à deux 
petits  marabouts  locaux. 

Brezina,  ksar  de  50  maisons  ; on  compte  26  Qadrya  et  3 Cheikhya. 

On  paye  comme  redevances  religieuses  annuelles  : 

1°  A la  zaouïa  de  Sidi  Cheikh,  une  musette  d’orge  par  maison  ; 

2°  A la  zaouïa  Cherguia,  par  maison,  trois  mesures  d’orge  ; 

3°  Aux  Ouled-Sid-el-Hadj-ed-Din,  par  maison,  une  mesure  d’orge  ; 

4°  Aux  Ouled-Sidi-Ata-Allah  (de  Tadjemout,  Laghouat),  une  habaïa. 

Les  Makhena  comprennent  les  ksour  de  Bou-Ali  et  de  Sidi-Tifour 
(253  tentes),  150  maisons.  La  moitié  de  la  tribu  est  affiliée  à l’ordre  des 
Taïbya. 

Ils  payent  comme  redevances  religieuses  annuelles  : 

Les  Ouled-bou-Ali,  par  tente  : 1°  trois  musettes  d’orge  et  une  de  blé  à 
la  zaouïa  de  Sidi  Cheikh  ; 2°  une  musette  d’orge  et  une  de  blé  à la  zaouïa 
Cherguia  ; 3°  un  agneau  sevré  aux  Ouled-Sidi-Kaddour-ould-Sidi- 
Cheikh. 

Les  Makhena , Chelaïba  et  Bou-Aeda,  par  tente  : 

1°  Un  agneau  aux  Ouled-Sidi-Kaddour-ould-Sidi-Cheikh  ; 

2°  Un  agneau  à la  zaouïa  de  Sidi  Cheikh  ; 

3°  Une  brebis  aux  Ouled-Sidi-Ata-Allah  (de  Tadjemout). 

A ces  Refar,  qui  n’ont  pu  être  connus  en  détail  que  dans  le  cercle 
de  Géryville,  il  faut  ajouter  les  produits  venant  de  l’extérieur,  soit  : 

A.  Les  produits  connus  : 

Moghar-Foukania  (150  maisons)  qui  payent  par  maison,  à la  zaouïa 
de  Sidi  Cheikh,  une  mesure  de  dattes. 

les  Mehaïa  et  lesZehouna  [des  Angad  marocains ),  qui  payent  : 1°  à la 
zaouïa  de  Sidi  Cheikh,  un  mouton  et  une  mesure  d’orge  ; 

Un  tiers  des  Mehaïa  qui  paye  à la  zaouïa  Cherguia,  un  mouton, 
un  pot  de  beurre,  une  musette  d’orge. 

Les  Beni-Mathar  [ Marocains ),  qui  payent  la  même  redevance  sauf  la 
mesure  de  dattes. 

Les  Ayach  [du  Gourara ) qui  donnent,  par  maison,  une  mesure  de  dat- 
tes à la  zaouïa  R’erbia. 

Les  Delloul  [du  Gourara)  qui  donnent  par  tente,  une  mesure  de  dat- 
tes. Tabelkouza,  Aouin,  Hamou,  Fêtis  [du  Gourara ),  qui  payent  par  tête 
d’adulte  mâle,  une  musette  de  dattes. 

B.  Les  produits  dont  nous  n’avons  pas  le  compte  et  qui  proviennent 
d’El-Goléa,  de  Ouargla,  des  Châambda  [Berazga,  Hab-er-Rih,  Mouadhi) 
et  des  Mekhadma,  qui  sont  les  serviteurs  religieux  des  Ouled-Sidi- 
Cheikh-Cheraga. 


C.  Les  produits  accidentels  ou  ziara  facultatives  qui  proviennent 
des  fractions  issues  des  collatéraux  du  Tell,  du  Maroc,  du  Touat,  du 
Gourara,  du  Tidikelt  qui,  en  outre,  payent  sur  place,  à leurs  chefs  de 
groupe,  des  redevances  dont  nous  ignorons  la  quotité. 

On  voit  par  ce  qui  précède  que,  chez  les  Ouled-Sidi- 
Cheikh,  les  influences  familiales,  féodales  et  marabouti- 
ques  l’emportent  de  beaucoup  sur  celles  qui  résultent 
du  lien  religieux  déterminé  par  l’affiliation  à l’ordre  des 
Cheikhya. 

Aussi,  dans  le  vaste  espace  compris  entre  Ouargla, 
Géry ville,  Saïda,  Oran,  la  limite  orientale  du  Tafilalet,  le 
Touat,  le  Gourara  et  le  Tidikelt,  ne  pouvons-nous  appré- 
cier exactement  le  nombre  ni  de  leurs  serviteurs  reli- 
gieux, ni  de  leurs  serviteurs  politiques. 

La  statistique  officielle  ne  peut  nous  fournir  que  le 
chiffre  des  khouan  qui  suivent  le  rituel  des  Cheikhya, 
sous  la  direction  de  moqaddem  sans  influence  et  sans 
lien  entre  eux.  Ces  chiffres,  qui  ne  donnent  aucune  idée 
de  la  puissance  religieuse  des  Ouled-Sidi-Cheikh,  sont 
les  suivants  : 


, cercle  de  Ghardaïa 

Zaouïa, 

moqaddem,  khouan. 

3 1.176 

Arrondissement  et  banlieue  d’Oran.  . 

. » 

1 

20 

Aïn-Temouchent  (et  banlieue).  . . . 

. 

2 40 

Sidi-Bel-Abbès  (id.) 

» 

1 

10 

Mascara  (id.).  

1 

52 

Tlemcen  (id.) 

1 20 

Lamoricière  (id.) 

. 

1 

20 

Sebdou  (commune  mixte) 

. » 

1 

9 

Aïn-Sefra  (cercle) 

. » 

6 

197 

Daya  (id.) 

1 

70 

Géry  ville  (id.) 

6 

120 

Lalla-Mar'nia  (id.) 

1 

118 

Saïda  (id.) 

1 

11 

Sebdou  (id.) 

. » 

13 

917 

369 


CHAPITRE  XXV 

LES  T A I B Y A 

MOU  LE  Y-TAIE  B 
(1678-1679  de  J.-C.  — 1089  de  l’Hégire  («)) 


C’est  une  opinion  assez  accréditée  chez  un  grand  nom- 
bre de  Musulmans,  que  le  premier  fondateur  de  l’ordre 
religieux  des  Taïbya  fut  Môuley-Idris-ben-Abdallah-ben- 
Haam,  fils  du  khalife  Ali-ben-Abou-Taleb,  et  fondateur 
de  la  dynastie  marocaine  des  Idricites.  Ils  ajoutent  que, 
lorsque  Mouley-Idris,  après  le  combat  de  Fekh,  en  169  de 
l’H.  (786  de  J.-C.),  conquit  le  Maghreb-el-Aksa  et  s’empara 
de  Tlemcen,  puis  de  Tanger,  il  vint  moins  en  conquérant 
qu’en  réformateur  religieux.  En  ce  temps-là,  les  Berbères 
étaient  païens,  juifs,  chrétiens  ou  musulmans  héréti- 
ques : Idris,  qui  avait  puisé  auprès  d’El-Houin  la  con- 
naissance de  la  Vérité,  fonda  à Fez  la  célèbre  université, 
ou  zaouïa,  qui  porte  le  nom  de  Dar-el-Alim  (^1*3!  jta  — 

maison  de  la  science).  Là  se  formèrent  des  savants  et 
des  missionnaires  qui  prêchèrent  la  Vérité,  ramenèrent 
les  Musulmans  à l’orthodoxie,  et  se  constituèrent  en 
une  société  religieuse  de  gens  choisis,  dont  les  mem- 
bres se  nommaient  Djelala  (les  élus,  les  gens  d’élite). 
Cette  association  se  serait  prolongée  jusque  vers  le 
XVIe  siècle  de  notre  ère,  époque  où  elle  se  serait  divi- 
sée en  deux  branches  représentées  : par  Mouley-Ham- 


(1)  On  dit  plus  souvent  Taïbiin  ce  qui  est  moins  correct. 

24 


— 370  — 

dan,  le  fondateur  de  l’ordre  marocain  des  Hamdachia, 
et  par  Mouley-Abd-es-Selem-ben-Machich,  qui  fut  un 
des  professeurs  de  Si  Ghadeli,  et  dont  la  doctrine  fut 
transmise,  par  une  série  de  saints  moqaddem,  jusqu’à 
Mouley-Taïeb  qui  donna  son  nom  à l’ordre. 

Cette  version,  bien  que  ne  s’éloignant  pas  complètement 
de  la  vérité,  n’est  cependant  pas  exacte  (1)  : elle  mêle 
des  faits  d’ordre  différent  et  confond  les  origines,  relati- 
vement modernes,  de  l’ordre  religieux  des  Taïbya  avec 
les  origines  réelles  de  la  famille  chérifienne  à laquelle 
appartiennent,  depuis  près  de  deux  siècles,  et  les  empe- 
reurs du  Maroc,  et  les  grands-maîtres  de  l’ordre  des 
Taïbya. 

Mouley-Idris  fut  bien  un  réformateur  religieux,  mais 
il  ne  fut  ni  le  fondateur,  ni  même  le  précurseur  d’un 
ordre  religieux.  Les  Djelala  ne  furent  pas  des  khouan, 
mais  des  groupes  de  gens,  d’origine  chérifienne,  allant 
toujours  en  se  multipliant,  en  se  divisant  et  s’isolant  les 
uns  des  autres,  comme  le  sont  aujourd’hui  les  groupes 
de  populations  appelées  « Gherfa.  » La  dynastie  à laquelle 
appartient  l’empereur  du  Maroc  a eu,  pour  ancêtre,  ml 
frère  même  de  Idris,  mais  non  Idris  lui-même. 

La  descendance  directe  d’Idris  continua  à fournir,  à la 
zaouïa  de  Dar-el-Alim,  de  nombreuses  personnalités 
chérifiennes  qui  allèrent,  ensuite,  propager  et  étendre 
l’orthodoxie  musulmane  dans  tout  le  Maghreb.  La  plu- 
part se  contentèrent  du  prestige  que  leur  donnait  leur 
titre  de  chérif,  et  ils  restèrent  en  dehors  des  congréga- 
tions religieuses;  d’autres,  au  contraire,  se  firent  affilier 
à des  ordres  existant  dans  le  pays. 

De  ce  nombre  fut,  au  XVIIe  siècle  de  notre  ère,  Mou- 
ley-Abd-Allah-ben-Ibrahim , qui  était  alors  affilié  aux 
Djazoulya,  branche  des  Ghadelya,  voisine  de  celle  des 


(1)  Mouley-Abd-es-Selem-ben-Machich  est  mort  en  1160  de  J.-C.; 
Mouley-Hamdan  paraît,  au  contraire,  être  mort  vers  l’an  1500  et  n’a 
pas  été  contemporain  du  précédent. 


Derqaoua,  avec  laquelle  elle  est  très  souvent  confon- 
due. 

Mouley-Abd-Allah,  à la  suite  de  songes,  dans  lesquels 
le  Prophète  s’était  révélé  à lui  et  lui  avait  donné  ses 
instructions,  fonda  la  zaouïa  de  Ouazzan,  qui  prit  le  nom 
de  Dar-ed-Daman  (maison  de  la  sûreté),  parce  que,  en 
effet,  ce  fut  un  lieu  d’asile  pour  tous  les  malheureux  ou 
criminels  qui  venaient  y chercher  un  refuge. 

Cet  établissement  occupe  aujourd’hui  un  vaste  local 
et  a des  dépendances  considérables.  Là  sont  enterrés 
tous  les  chefs  de  l’ordre  depuis  sa  création.  C’est  un 
lieu  de  pèlerinage  où  les  fidèles  viennent  apporter  leurs 
offrandes,  depuis  les  plus  minimes  jusqu’aux  plus  impor- 
tantes. Les  personnages  marquants,  les  dignitaires  de 
l’oVdre,  les  riches  visiteurs  sont  reçus  par  le  grand- 
' maître  en  personne,  les  autres  sont  admis  dans  une  salle 
commune  où  ils  sont  hébergés  et  où  un  khalifa  ou  naïb 
vient  ramasser  leurs  offrandes  et  les  conduire  dans  un 
autre  local  où  on  leur  fait  faire  les  prières  en  commun. 
Il  n’y  a de  dérogation  que  pour  les  Touatiens  qui  tous, 
riches  ou  pauvres,  sont  reçus  par  le  grand-maître  en 
personne  (1). 

Les  détails  que  nous  avons  pu  recueillir  sur  Mouley- 
Abd-Allah,  qui  mourut  en  1089  de  l’H.  (1678-79  de  J.-C.), 
sont  surtout  des  légendes  religieuses  (2),  qui  n’ont  d’at- 


(1)  On  sait  que  ce  n’est  que  depuis  1860  (c’est-à-dire  à l’issue  des 
voyages  de  1859,  du  commandant  de  Colomb,  et  de  1860,  du  comman- 
dant Colonieu  et  du  lieutenant  Burin),  que  la  prière  au  Touat  se  fait 
au  nom  de  l’empereur  du  Maroc.  On  comprend  donc  le  but  de  cet 
accueil  spécial  fait  aux  Touatiens  par  le  grand-maître  des  Taïbya, 
agissant  alors  comme  représentant  religieux  officiel  de  l’empereur 
du  Maroc. 

(2)  Il  y a,  entre  autres,  la  légende  du  songe  d’Abd-Allah,  où, 
transporté  dans  le  3e  ciel,  il  aperçoit  un  arbre  dont  toutes  les  bran- 
ches sont  desséchées,  à l’exception  de  deux  qui  sont  chargées  de 
fruits.  Ces  deux  branches  sont:  celle  de  la  confrérie  de  Mouley-Abd- 
Allah  et  celle  de  la  confrérie  des  Qadrya.  Plus  loin,  il  arrive,  avec  son 
troupeau,,  sur  la  rive  d’un  grand  fleuve  qu’il  faut  traverser.  Là  se 


— 372 


traits  et  de  valeur  que  pour  des  Musulmans.  Cependant 
on  peut,  en  les  étudiant,  en  dégager  le  but  humain  que 
se  proposa  Mouley-Abd-Allah,  en  se  séparant  des  Dja- 
zoulya  et  en  se  faisant  chef  d’ordre.  Ce  but  paraît  avoir 
été,  surtout,  de  détacher  les  Musulmans  marocains  de 
l’ordre  des  Qadrya  qui  était  dominant  dans  le  Sous  et 
qui,  ayant  son  point  d’attache  à Bagdad,  était  soumis  à 
des  influences  étrangères  au  Maroc. 

Le  chef  souverain  du  Maroc  luttait  alors  contre  l’im- 
mixtion des  Turcs  dans  ce  pays;  il  avait  à combattre 
les  Portugais,  et  il  espérait  trouver  un  appui  et  une  for- 
ce dans  ce  groupement  religieux  qui  tendait  à faire, 
d’Ouazzan,  le  chef-lieu  d’une  véritable  église  nationale, 
ayant  pour  directeur  spirituel  un  chérif  de  la  famille 
même  du  souverain  régnant. 

Aussi,  dès  le  début,  la  protection  officielle  de  la  cour 
de  Fez  fut-elle  acquise  à la  zaouïa  d’Ouazzan  : protection 
qui,  tout  en  sauvant  les  apparences,  mettait  en  réalité  le 
bras  séculier  à la  disposition  de  l’idée  religieuse,  car  le 
représentant  du  pouvoir  temporel,  simple  khouan,  s’in- 
clinait devant  la  bénédiction  du  chef  de  l’ordre,  et  de- 
mandait à ce  « saint  homme,  » tout  confit  en  dévotion 
et  détaché  des  choses  de  ce  monde,  des  inspirations  et 
des  conseils  qui  étaient  exécutés  par  la  masse  comme  la 
volonté  de  Dieu. 

Le  successeur  de  Mouley-Abd-Allah  fut  Mouley-Mo- 
hammed,  qui  ne  paraît  pas  avoir  laissé  un  souvenir  bien 
considérable;  mais  après  lui  vint  Mouley-Taïeb,  — qui 
développa  et  compléta  l’organisation  de  la  confrérie.  Ce 
fut  lui  qui,  en  raison  de  son  activité,  et  en  raison  aussi 
des  perfectionnements  qu’il  apporta  aux  statuts  de  la 


trouvent  aussi  arrêtés,  avec  leurs  troupeaux,  Sidi  Abd-el-Qader  et 
d’autres  saints  personnages.  On  tente  le  passage  : Sidi  Abd-el-Qader 
n’arrive  à faire  passer  le  fleuve  qu’à  la  moitié  de  son  troupeau,  les 
autres  saints  en  perdent  les  trois-quarts,  tandis  que  lui,  Mouley- 
Abd-Allah,  prend  tous  ses  moutons  dans  son  burnous  et  leur  fait 
ainsi  passer  le  fleuve  sans  en  perdre  un  seul. 


— 373  — 

zaouïa,  mérita  de  donner  son  nom  à l’ordre  fondé  par 
son  grand-père. 

Mouley-Taïeb,  d’après  certaines  versions  musulmanes, 
fut  celui  qui  reçut,  du  Prophète  même,  le  dikr  encore  en 
usage  chez  les  Taïbya  : d’autres  disent  que  ce  fut  Mouley- 
Abd-Allah;  beaucoup  confondent,  du  reste,  les  deux  saints. 

La  vie  de  Mouley-Taïeb  offre  de  singulier  contraste.  Il 
se  refusait  à lui-même  toute  espèce  de  bien-être,  se  lais- 
sait manquer  des  choses  les  plus  nécessaires  à la  vie, 
s’infligeait  des  mortifications  douloureuses,  se  montrait 
animé  d’un  grand  esprit  de  tolérance  et  de  concorde 
dans  ses  relations  personnelles,  mais  il  était  en  même 
temps,  pour  tout  ce  qui  regardait  son  œuvre,  d’une  avi- 
dité insatiable,  et  s’il  ne  réussissait  pas  dans  ses  mesu- 
res d’apaisement  et  de  conciliation,  il  ne  reculait  devant 
aucune  cruauté  pour  assurer  le  triomphe  de  ses  entre- 
prises, toujours  inspirées  d’ailleurs  parle  désir  de  voir 
régner  partout  la  paix,  la  prospérité,  et  d’augmenter  le 
nombre  de  ses  khouan. 

Mouley-Taïeb  est  l’auteur  d’une  prédiction  célèbre  bien 
connue  dans  l’ouest  algérien  : il  aurait,  en  effet,  dit  à ses 
khouan  : « Vous  dominerez  plus  tard  tous  les  pays  de 
l’Est;  tout  le  pays  d’Alger  vous  appartiendra.  Mais  avant 
que  mes  paroles  s’accomplissent,  il  faut  que  cette  con- 
trée ait  été  possédée  par  les  Benou-Asfer  (enfants  du 
jaune  ou  Français).  Si  vous  vous  en  emparez  maintenant, 
ils  vous  enlèveront  votre  conquête;  si,  au  contraire,  ils 
prennent  le  pays  les  premiers,  le  jour  viendra  où  vous  le 
reprendrez  sur  eux  (1). 

La  tradition  rapporte  que  Mouley-Taïeb  fit  de  nom- 
breux prosélytes,  surtout  chez  les  Nègres.  Il  réunit  tous 


(1)  Cette  prédiction  n’est  du  reste  que  la  répétition  d’une  autre, 
bien  plus  ancienne,  qui  se  trouve  dans  une  espèce  de  recueil  prophé- 
tique remontant  au  XIVe  siècle  de  Jésus-Christ,  et  qui  dit  que  les 
Roumis  doivent  être  maîtres  de  tout  le  littoral  africain,  de  T à T (sic) 
avant  l’arrivée  du  « Maître  de  l’heure,  » qui  rendra  à l’Islam  l’empire 
universel. 


— 374  — 


ses  néophytes  avec  les  Nègres  du  domaine  impérial,  qui 
furent  affranchis,  et  il  en  forma  la  garde  noire  de  l’empe- 
reur, organisée  en  milice  religieuse  à laquelle  fut  donné 
le  nom  de  Abed-Bekhari,  en  souvenir  du  célèbre  tradi- 
tionniste  musulman  dont  les  ouvrages  sont  restés  la 
base  de  la  sounna. 

On  voit  encore,  dans  ce  fait,  comme  dans  la  prophétie 
ci-dessus  rapportée,  la  continuation  bien  nette  du  carac- 
tère politique  de  cet  ordre  des  Taïbya,  dont  la  ligne  de 
conduite  n’a  guère  varié,  et  qui,  par-dessus  toute  chose, 
est  resté  l’ordre  national  marocain,  inféodé  au  chérif, 
souverain  de  ce  pays,  et  l’ordre  rival  ou  ennemi  des 
Qadrya,  des  Tidjanya,  des  Derqaoua  et,  en  général,  de 
tous  les  autres  ordres. 

Depuis  Si  Abd-Allah,  chaque  fois  qu’un  souverain  ma- 
rocain a des  difficultés  avec  ses  sujets,  c’est  toujours  le 
chef  de  l’ordre  des  Taïbya,  le  chérif  d’Ouazzan,  qui  est 
envoyé  d’abord  comme  médiateur  ou  conciliateur. 

Les  Taïbya  jouissent  d’une  très  grande  considération 
dans  tout  le  nord  du  Maroc  et  dans  la  province  d’Oran, 
et  cette  considération  leur  vient,  peut-être,  encore  plus 
de  la  descendance  chérifienne  des  chefs  de  l’ordre,  que 
de  la  pureté  des  doctrines  transmises  par  les  saints  qui 
ont  précédé  Monley-Abd-Allah  et  Mouley-Taïeb. 

Aussi,  les  deux  généalogies  ont-elles  une  égale  impor- 
tance aux  yeux  des  Musulmans  ; la  masse  semble  même 
faire  plus  grand  cas  de  la  généalogie  naturelle  que  tous 
les  Taïbya  savent  et  donnent  volontiers,  tandis  que  la 
généalogie  mystique  ne  semble  connue  que  des  adeptes 
d’un  degré  supérieur. 

Voici  la  descendance  des  chefs  de  l’ordre  : 

Mohammed.  — 1,  Fathma-Zohra.  — 2,  Hocein-ben-Ali.  — 3,  Haçan. 
— 4,  Abd-Allah  (1).  — 5,  Ali.  — 6,  Hoçain.  - 7,  /rfns-el-Kebir.  — 


(1)  Le  n°  4,  Si  Abd-Allah-el-Kamel,  est  l’ancêtre  commun  : au  sou- 
verain actuel  du  Maroc  (qui  est  de  la  famille  des  Alaouïn),  et  au  ché- 


8,  Idris-S’rir.  — 9,  Mohammed.  — 10,  Haidra.  — 11,  Mezouar.  — 
12,  Sellam.  — 13,  Aïssa.  — 14,  Hormal.  — 15,  Ali.  — 16-,  Ali-Beker.— 
17,  El-Mechich.  — 18,  Imelah.  — 19,  Mohammed.  — 20,  Abd-el-Djebbar. 

— 21,  Ahmed.  — 22,  Amar.  — 23,  Brahim.  — 24,  Si  Moussa.  — 25,  Si 
El-Hassen.  — 26,  Moussa.  — 27,  Mouley-Brahim.  — 28,  Mouley-Abd - 
Allah.  —29,  Mouley-Mohammed.  — 30,  Mouley-Taïeb.  — 31,  Si  Ahmed. 

— 32,  AUail.  — 33,  Si  El-Hadj-el-Arbi.  — 34,  Si  Abd-es-Selam. 


Quant  à la  généalogie  mystique  reliant  l’enseignement 
des  Taïbya  à celui  du  Prophète,  c’est  celle  de  Sid  Abou- 
Hassen-ech-Chadeli,  telle  qu’elle  est  admise  par  les  Dja- 
zoulya,  les  Aïssaoua,  les  Nacerya  et  les  Hansalya. 

L’ange  Gabriel.  — Le  Prophète.  — 1,  Ali-ben- Abou-Taleb.  — 2,  El- 
Haoussin.  — 3,  Abou-Abd-Allah-Djabir-ben-Abd-Allah-el-Ansari.  — 
4,  Abou-Saïd-el-Razouani.  — 5,  Abou-Mohammed-Fath-es-Saoud.  — 
6,  Saâd.  — 7,  Abou-Mohammed-Saïd-el-Makhezoum.  — 8,  Abou-el- 
Kacem-el-Merouani.  — 9,  Abou-Isahak-Ibrahim-el-Bosri.  — 10,  Zin- 
ed-Din-Mohammed-el-Kazuime. — 11,  Chems-ed-Din-el-Turkomani. — 
12,  Tadj-ed-Din-Mohammed.  — 13,  Nour-ed-Din-Abou-Hassen-Ali.  — 
14,  Fakhr-ed-Din.  — 15,  Taki-ed-Din-el-Faqir.  — 16,  Abou-zid-el- 
Madani.  — 17,  Abd-es-Selem-ben-Mecliich.  — 18,  Abou-Hassen-ech-Chadeli. 

— 19,  Abou-Abbas-el-Mourci.  — 20,  Tadj-ed-Din-ben-Atta- Allah.  — 
21,  Abou- Abd-Allah-el-Mogherbi.  — 22,  Abou-Hassen-el-Harafi.  — 
23,  Sid  Annous-el-Bedaoui.  — 24,  Abou-el-Fadel-el-Hindi.  — 25,  Abd- 
er-Rahman-er-Redjeradji.  — 26,  Abou-Osman-el-Hartani.  — 27,  Abou- 
Abd-Allah-Mohammed-Amr’ar-Cherif.  — 28,  Abou-Abd-Allah-Moham- 
med-ben-Abou-Beker-Seliman-el-Djazouli.  — 29,  Abd-el-Aziz-el-Teb- 
bai.  — 30,  Abd-Allah-el-Razouani.  — 31,  Mahmed-et-Taleb.  — 32,  Aïssa- 
el-Hassen-el-Messab.  — 33,  Ali-ben-Ahmed.  — 34,  Mouley-Abd-Allah- 
ben-Brahim-ech-Cherif.  — 35,  Mouley-Mohammed.  — 36,  Mouley-Tcdeb . 

— 37,  Sid  Ahmed.  — 38,  Allaïl.  — 39,  Sid  El-Hadj-el-Arbi.  — 40,  Sid 
El-Hadj-Abd-es-Selem. 

A partir  de  34,  la  liste  généalogique  se  confond  avec  la 
chaîne  mystique. 

Les  doctrines  des  Taïbya  n’ont  rien  qui  les  distingue 


rif  d’Ouazzan  (Ouazzania).  En  dehors  de  ces  deux  familles  princières 
ou  chérifiennes,  il  en  existe  une  3e,  descendant  également  d’Idris, 
mais  par  un  autre  arbre  généalogique.  C’est  celle  qui  a conservé  le 
nom  de  « famille  des  Idrissiin.  » 


376  — 


à priori  de  celles  des  autres  ordres  ayant  les  mêmes 
appuis.  D’après  les  préceptes  consignés  dans  les  livres 
comme  d’après  les  instructions  écrites  ou  données  en 
public,  le  but  de  la  congrégation  serait  uniquement  : 
« d’élever  l’âme  vers  Dieu,  de  détacher  les  frères  des 
» choses  d’ici-bas,  pour  les  reporter,  par  la  contempla- 
» tion  et  les  bonnes  œuvres,  dans  le  sentier  droit  de  la 
» justice  et  de  l’équité.  » Volontiers  même  — les  moqad- 
dem  affirment,  urbi  et  orbi,  qu’ils  ne  se  mêlent  jamais 
de  politique  — et  cependant,  quand  on  va  au  fond  des 
choses,  on  s’aperçoit  bien  que  les  Taïbya  sont,  avant 
tout,  une  association  : religieuse  dans  ses  pratiques 
extérieures,  mais  essentiellement  politique  dans  son 
essence  même  comme  dans  son  but  secret. 

Il  n’y  a qu’à  examiner  le  dikr  compliqué  des  Taïbya 
pour  comprendre  que  l’on  a soigné,  tout  particulière- 
ment, dans  l’organisation  de  l’ordre,  tout  ce  qui  était  de 
nature  à augmenter  les  moyens  de  reconnaissance  entre 
les  adeptes,  comme  cela  a lieu  dans  toutes  les  associa- 
tions secrètes  ayant  un  objectif  politique. 

Ce  dikr  est  un  des  points  les  plus  intéressants  que 
fournisse  l’étude  des  Taïbya,  et  il  a un  cachet  particulier 
que  n’ont  pas  les  dikr  des  autres  ordres  : c’est  moins 
une  oraison  continue,  qu’une  série  de  versets  et  répons 
servant  de  signes  de  ralliement  entre  les  adeptes  et  pou- 
vant, à un  moment  donné,  se  transformer  en  de  vérita- 
bles mots  de  passe. 

Voici  ce  dikr,  qui  doit  se  dire  de  préférence  après  la 
prière  du  matin  et  après  celle  de  l’après-midi.  Ces  deux 
instants  de  la  journée  passant  pour  être  bien  plus  favo- 
rables aux  œuvres  pieuses  que  les  trois  autres  moments 
de  la  prière,  et  ayant  été  sanctifiés  d’une  manière  toute 
particulière  par  le  Prophète,  qui  a reçu  du  Ciel,  à leur 
sujet,  les  deux  sourates  GUI  et  CXIII  (1). 

(1)  La  sourate  CIII  est  intitulée  : l’heure  de  V après-midi, 
celle  CXIII,  l’aube  du  jour,js^\. 


— 377  — 


A.  Toutes  les  bonnes  oeuvres  que  vous  avancerez  dans  votre  inté- 
rêt, vous  les  retrouverez  auprès  de  Dieu,  cela  vous  vaudra  mieux, 
cela  vous  vaudra  i&ic  récompense  plus  grande,  implorez  le  pardon 
de  Dieu,  car  il  est  indulgent  et  miséricordieux. 

(Sourate  LXXIII,  verset  20.) 

li*  Célébrez  le  nom  de  Dieu  avant  le  lever  du  soleil  et  avant  son 
coucher  (1). 

C.  C’est  Lui  (le  Prophète),  ses  anges  qui  prieront  pour  vous. 

I>.  Dieu  et  les  anges  honorent  le  Prophète.  Croyants,  adressez  sur 
son  noni  des  paroles  de  vénération  et  prononcez  son  nom  avec  salu- 
tation. 

(Sourate  XXX,  verset  56.) 

E.  Sache  qu’il  n’y  a point  d’autre  Dieu  que  Allah. 

(Sourate  XLV1I,  verset  51.) 

»•  Implorez  le  pardon  de  Dieu,  le  clément,  le  miséricordieux. 

(Se  répète  100  fois.) 

1>*  Célébrez  Dieu,  célébrez  ses  louanges. 

(Se  répète  100  fois.) 

c.  Mon  Dieu,  répandez  vos  grâces  sur  notre  seigneur  Mohammed, 
sur  ses  épouses  et  sur  ses  descendants. 

(Se  répète  50  fois.) 

d.  Mon  Dieu,  répandez  vos  grâces  sur  notre  seigneur  Mohammed, 
votre  prophète,  sur  sa  famille  et  ses  compagnons,  que  son  nom  soit 
prononcé  avec  salutation. 

(Se  répète  100  fois.) 

e.  Il  n’y  pas  d’autre  Dieu  que  Allah,  Mohammed  est  le  prophète  de 
Dieu,  que  Dieu  répande  sur  lui  ses  grâces,  qu’il  reçoive  le  salut. 

(Se  répète  100  fois.) 

Voici  maintenant  la  manière  dont  se  récitent  les  priè- 
res : 


(1)  Cette  formule  est  une  altération  de  : 
Célébrez  votre  Dieu  soir  et  matin . 
(Sourate  XXXIII,  verset  41.) 


— 378 


Le  Adèle  répète,  trois  fois,  le  premier  des  cinq  versets 
du  Coran  que  nous  avons  marqués  de  lettres  majuscules. 

Puis  il  dit  la  première  phrase  marqiree  d’une  minus- 
cule, autant  de  fois  que  nous  l’avons  indiquée.  Il  fait  de 
même  pour  le  verset  B,  avant  de  passer  à la  phrase 
marquée  par  la  lettre* b,  et  ainsi  de  suite  pour  les  autres, 
de  sorte  que  le  dikr  se  compose  de  465  récitations  ou 
invocations,  qu’on  compte  sur  le  chapelet. 

Chacun  des  versets  du  Coran,  marqué  d’une  majus- 
cule, s’appelle  meftah  (clef,  mot  de  passe)  de  la  phrase 
ou  prière  marquée  de  la  minuscule  correspondante. 
Celui  qui  demande  le  mot,  prononce  la  prière  ; celui  qui 
le  rend,  répond  par  le  verset  correspondant. 

On  peut  parler  pendant  que  l’on  fait  ces  prières,  cepen- 
dant celui  qui  s’abstient  fait  mieux  ; on  peut  aussi  les 
réciter  en  dehors  des  heures  habituelles,  pourvu  toute- 
fois qu’elles  soient  dites  dans  la  journée,  sinon,  il  fau- 
drait rappeler,  en  sus  du  dikr  quotidien,  ce  qui  n’aurait 
pas  été  dit,  ou  payer  au  moqaddem  une  hadia  comme 
aumône  expiatoire. 

Ces  tolérances  offertes  aux  Adèles  montrent  une  fois 
de  plus  combien  l’ordre  des  Taïbya  est  politique,  et 
quelles  précautions  il  prend  pour  ne  pas  gêner  « les 
gens  du  monde  » et  les  hauts  et  puissants  seigneurs 
qui,  comme  l’empereur  du  Maroc,  sont  afAliés  à cette 
congrégation. 

Elles  montrent  aussi  que  le  côté  Anancier  n’est  pas 
négligé  chez  les  Taïbya,  et  que  le  commerce  des  indul- 
gences s’y  fait  en  grand. 

Les  cinq  invocations,  répétées  chacune,  matin  et  soir,  le 
nombre  de  fois  indiqué,  constituent  ce  que  les  moqad- 
dem appellent  le  dikr  simple,  celui  qui,  d’après  la  parole 
révélée  par  le  Prophète  à Mouley-Taïeb,  sufAt  pour  que 
l’on  soit  « du  troupeau  » ou  « des  Als  de  Mouley-Taïeb.  » 
En  l’exécutant  Adèlement,  on  est  certain  de  racheter  ses 
fautes,  quelles  qu’elles  soient,  est  l’on  est  assuré  d’être 
reçu  dans  le  paradis. 


— 379  — 


Pour  ceux  qui  aspirent  à un  plus  haut  degré  de  sain- 
teté, ou  qui  veulent  arriver,  dès  cette  vie,  à avoir,  soit 
des  extases  qui  leur  donneront  un  avant-goût  des  féli- 
cités éternelles,  soit  des  visions  dans  lesquelles  le  Pro- 
phète se  révélera  à eux,  ceux-là  doivent  décupler  le 
dikr  et  dire,  par  conséquent,  4,650  récitations  par  jour, 
au  lieu  de  465. 

Il  est  bien  certain,  en  effet,  qu’un  pareil  exercice,  répété 
pendant  plusieurs  jours,  amènera  fatalement  une  né- 
vrose cérébrale,  qui  facilitera  les  extases  et  les  visions 
chez  le  malheureux  ayant  la  foi  assez  exaltée  pour  se 
livrer  à ces  dévotions  excessives. 

L’admission  dans  l’ordre  se  fait  assez  simplement  : 
l’aspirant  va  trouver  le  moqaddem  le  plus  voisin,  et  lui 
demande  l’ouerd.  Le  cheikh  cherche  à l’en  détourner,  en 
lui  montrant  combien  sont  difficiles  à remplir  les  devoirs 
qui  lui  seront  imposés.  Tout  en  ayant  l’air  de  refuser, 
le  cheikh  exalte  la  certitude  qu’ont  tous  ses  membres 
d’entrer  sûrement  en  paradis,  et,  quand  il  voit  l’aspirant 
bien  décidé,  il  convoque  une  djelalcc  des  khouan  des 
environs.  On  lit  le  dikr,  le  néophyte  prête  serment  de  ne 
pas  abandonner  la  voie ^ de  ne  pas  voler,  de  ne  pas  se 
mêler  avec  les  agitateurs  ni  avec  les  assassins.  Il  s’en- 
gage, devant  Dieu,  à obéir  au  cheikh,  à s’acquitter  exac- 
tement du  dikr,  et  à ne  pas  passer  un  jour  sans  remplir 
cette  formalité  indispensable. 

Ceci  fait,  on  litlafatiha,  et  le  néophyte  remet  au  cheikh 
une  ouquia  (Lij,  petite  pièce  de  monnaie  de  la  valeur  de 
0 fr.  30  à 0 fr.  35).  Cette  légère  imposition  a pour  but  de 
lui  indiquer  qu’il  doit  toujours  être  prêt  à faire  abandon, 
au  profit  de  l’ordre,  des  biens  dont  Dieu  l’a  comblé. 

Le  choix  des  moqaddem  a lieu  en  unehadraoudjelala 
où  se  rassemblent  les  khouan  intéressés.  Les  droits  du 
candidat  sont  discutés  chaudement;  puis,  lorsque  la 
décision  est  prise,  on  écrit  à Ouazzan,  pour  demander 
une  ratification  qui  n’est  presque  jamais  refusée,  et  qui 


— 380  — 


est  envoyée,  sous  la  forme  d’un  brevet  ou  diplôme, 
accompagné  de  quelques  pieux  conseils  et  d’un  mande- 
ment adressé  aux  khouan. 

Tous  les  ans,  des  inspecteurs,  khalifa,  ou  délégués 
spéciaux  partent  de  la  zaouïa  d’Ouazzan,  et  se  rendent 
partout  où  il  y a des  khouan.  Sur  leur  route,  ils  font 
des  quêtes  lucratives,  s’assurent  de  l’état  des  esprits, 
réconfortent  les  faibles , encouragent  les  fervents , et 
réchauffent,  chez  tous  les  adeptes,  le  zèle  religieux, 
tout  en  drainant  singulièrement  les  finances  de  leurs 
fidèles. 

L’ordre  de  Mouley-Taïeb  est  un  de  ceux  avec  lesquels 
nous  devons  le  plus  compter;  non  pas  qu’il  nous  soit 
hostile,  ni  qu’il  produise  de  ces  exaltés  qui  deviennent 
dangereux  à un  moment  donné,  mais  simplement  parce 
que  cet  ordre  religieux  est,  avant  tout,  une  association 
politique,  tantôt  dirigeant  l’empereur  du  Maroc,  tantôt 
recevant  son  mot  d’ordre.  Et  cela  n’est  pas  d’aujour- 
d’hui : Mouley-Taïeb  disait,  en  parlant  de  ses  khouan  et 
de  l’empereur,  et  en  donnant  cette  parole  comme  révélée 
par  le  Prophète  : 


Phrase  assez  obscure  qui  montre  toutefois  nettement 
le  rapport  intime  qui  existe  entre  l’ordre  des  Taïbya  et  le 
souverain,  car  l’interprétation  qu’on  donne  est:  « l’em- 
pereur ne  peut  réussir  sans  l’aide  des  Taïbya,  mais  ceux- 
ci  ne  sont  pas  uniquement  à sa  dévotion.  » 

En  ce  qui  nous  concerne  et  si  l’on  va  au  fond  des 
choses,  on  trouve  qu’à  aucune  époque  nous  n’avons 
eu  à nous  plaindre  des  Taïbya.  Notre  ignorance  des 


De  vous  (de  votre  fait),  il  ne  réussira  pas, 
Et  sans  vous,  il  ne  réussira  pas. 


— 381  — 


choses  religieuses  musulmanes  nous  a,  il  est  vrai,  au 
début  de  l’occupation  française,  fait  mettre  à la  charge 
de  ces  khouan  et  de  l’empereur  du  Maroc  bien  des  faits 
résultant  au  contraire,  des  agissements  des  ordres  reli- 
gieux marocains  rivaux  des  Taïbya,  lesquels  ordres 
cherchaient  un  regain  de  popularité  dans  des  excitations 
ou  des  attaques  contre  les  Français.  Il  paraît  même  dé- 
montré aujourd’hui  que,  déjà  au  courant  de  notre  force 
et  de  nos  intentions,  et,  instruit  par  les  événements  de 
1831  et  1832,  le  gouvernement  marocain  aurait  voulu 
empêcher  les  faits  regrettables  qui  amenèrent,  en  1844, 
l’entrée  du  maréchal  Bugeaud  à Oudjda  et  la  bataille 
d’Isly. 

Les  sympathies  de  la  cour  de  Fez  n’étaient,  en  effet, 
nullement  pour  El-Hadj-Abd-el-Qader-ben-Mahi-ed-Din 
qui,  le  28  novembre  1832,  avait  été  proclamé  sultan  des 
Arabes,  et  dont  la  popularité  portait  ombrage  au  souve- 
rain du  Maroc. 

D’une  famille  chérifienne,  ayant  la  prétention  de  re- 
monter à Abd-el-Qader-ben-Djilani  (le  saint  de  Bagdad) 
et,  de  plus,  rnoqaddem  de  cet  ordre  religieux  rival  des 
Taïbya,  Si  Abd-el-Qader-ben-Mahi-ed-Din  avait,  au  con- 
traire, au  Maroc,  de  très  nombreux  partisans,  qui  échap- 
paient absolument  à l’action  de  l’empereur.  Celui-ci, 
d’ailleurs , comme  Musulman , ne  pouvait  pas  refuser 
asile  à un  chérif  musulman  vaincu  dans  la  Guerre  Sainte, 
et  comme  souverain,  il  était  impuissant  à empêcher  ses 
sujets j Qadrya  et  autres,  d’acclamer  le  martyr  de  l’Is- 
lam et  de  courir  sus  au  Chrétien.  Il  l’essaya  cependant 
(on  connaît  les  efforts  de  son  khalifa,  Si  El-Djennaoui, 
amel  d’Oudjda),  mais  ce  fut  en  vain  : les  Taïbya  étaient 
débordés  et  leurs  arguments,  tous  d’ordre  politique,  ne 
pouvaient  réussir  contre  l’explosion  des  sentiments 
religieux  dont  Abd-el-Qader  était  le  représentant  popu- 
laire et  tout-puissant.  Tout  ce  que  put  obtenir  l’em- 
pereur, de  son  hôte  forcé,  fut  que  ses  « Réguliers  » ne 
combattissent  pas  la  France  sur  le  territoire  marocain  ; 


— 382  — 

et,  en  effet,  pas  un  soldat  d’Abd-el-Qader  ne  prit  part  à la 
bataille  d’Isly  (1). 

Ce  point  historique,  peu  connu,  donne  l’explication  de 
bien  des  faits  qui  se  passent,  encore  de  nos  jours,  sur  la 
frontière  marocaine,  et  qui  seraient  absolument  incom- 
préhensibles, si  on  n’avait,  pour  les  expliquer,  la  situation 
des  ordres  religieux  au  Maroc,  où  les  Taïbya,  défenseurs 
du  trône,  sont  en  rivalité  d’influence  avec  les  Qadrya, 
Zianya,  Kerzazya,  Nacerya,  Habibya,  Derqaoua,Tidjanya, 
Aïssaoua,  tous  ordres  beaucoup  plus  détachés  qu’eux- 
mêmes  des  choses  politiques. 

Les  Taïbya  ont  aujourd’hui  pour  chef  spirituel  et  grand- 
maître  Si  Abd-es-Sellem-ben-el-Hadj-el-Arbi,  plus  connu 
sous  le  nom  de  chérif  d’Ouazzan.  C’est  un  grand  admi- 
rateur de  la  civilisation  européenne  et  un  sincère  ami 
de  la  France.  Bien  que  marié  à une  Anglaise,  ancienne 
institutrice  dans  la  famille  d’un  diplomate,  il  a toujours 
eu  pour  notre  pays  une  préférence  bien  marquée.  En 
1876,  il  sollicitait  le  titre  de  citoyen  français,  faveur  qui, 
pour  des  raisons  trop  longues  à expliquer,  ne  put  lui 
être  accordée.  Mais  ce  refus,  dont  il  put  apprécier  le 
bien-fondé,  ne  modifia  en  rien  sa  ligne  de  conduite,  qui 
resta  toujours  sympathique  à nos  intérêts.  En  1883,  il  a 
obtenu  du  gouvernement  français  une  bourse  d’interne 
pour  un  de  ses  fils,  issu  d’un  premier  mariage,  et  cet 
enfant  fait  actuellement  ses  études  au  lycée  d’Alger. 
Enfin,  tout  récemment  (16  janvier  1884),  il  vient  d’obtenir  • 


(1)  Nous  avons  emprunté  ce  détail  à un  travail  manuscrit  de  M.  le 
commandant  Varigault,  intitulé  « Vie  'politique  et  militaire  d’Abd-el- 
Qader,  » conférences  faites  à la  Réunion  des  Officiers  d’Alger,  mai- 
juin  1879.  Ce  travail  contient  des  renseignements  inédits  puisés  aux 
meilleures  sources  : soit  auprès  de  Si  El-Hadj-Abd-el-Qadcr  lui- 
même,  soit  auprès  de  M.  Bellemare  et  d’autres  personnes  ayant  vécu 
avec  l’ex-émir,  soit,  enfin,  dans  des  documents  conservés  aux  archives 
du  Bureau  politique. 

On  trouvera  encore  les  mêmes  appréciations,  émises  sous  une  autre 
forme,  dans  l’ouvrage  du  capitaine  Richard,  Étude  sur  l’insurrection 
du  Uahra,  page  133  à 137.  Alger,  1846. 


— 383 


le  titre  de  protégé  français,  tel  qu’il  est  défini  par  l’ar- 
ticle 16  du  traité  de  Madrid  (1).  C’est  là  un  acte  d’une 
haute  importance  politique,  et  dont  les  résnltais  peuvent 
être  considérables. 

Car  nous  ne  devons  pas  perdre  de  vue  le  mal  énorme 
que  pourraient  nous  faire  les  Taïbya,  en  Algérie,  au 
Sénégal,  au  Maroc,  s’ils  étaient  dirigés  par  une  personne 
hostile  à notre  autorité,  ou  gagnés  par  une  puissance 
européenne  rivale  ou  ennemie  de  la  France. 

Il  ne  faut  pas,  cependant,  exagérer,  outre  mesure,  ces 
résultats. 

La  solidarité  étroite  qui  unit  tous  les  musulmans,  et 
le  discrédit  inévitable  qui  frappe  ceux  d’entre  eux  qui 
se  rallient  ouvertement  aux  idées  européennes,  empê- 
cheront certainement  le  chérif  d’Ouazzan  de  nous  ren- 
dre des  services  aussi  effectifs  qu’il  le  voudrait  ; mais 
son  attitude  franchement  sympathique,  ou  sa  neutralité 
bienveillante,  facilitera  toujours,  dans  une  large  mesure, 
nos  combinaisons  diplomatiques,  politiques  ou  militai- 
res. Car,  quelles  que  soient  les  haines  islamiques  soule- 
vées contre  lui  par  son  amitié  pour  la  France,  Si  Abd- 
es-Sellem  conservera  toujours  l’auréole  sacrée  que  lui 
donne  son  titre  de  chérif,  et  il  restera,  quand  même, 
pour  les  masses  marocaines,  le  «maître  de  la  Baraka,  » le 
fétiche  devant  lequel  les  dévots  ignorants  continueront 
à se  prosterner,  en  proclamant  sa  sainteté  et  sa  puis- 
sance surnaturelle.  S’il  a jugé  devoir  se  placer  sous  la 
protection  de  la  France,  lui  l’élu  du  Seigneur  et  le  des- 
cendant du  prophète,  c’est  que  c’est  bien  la  volonté  de 


(1)  Lorsque  ce  fait  a été  connu  à Tanger,  de  nombreux  Marocains, 
jouissant  de  la  considération  générale,  sont  venus,  spontanément, 
exprimer  au  ministre  de  France,  M.  Ordéga,  leurs  regrets  de  n’avoir 
pas,  comme  le  chérif  d’Ouazzan,  des  titres  suffisants  pour  invoquer 
notre  protection.  Cet  hommage  spontané  et  désintéressé,  rendu  par 
des  Musulmans  étrangers  au  caractère  bienfaisant  et  tutélaire  de 
notre  politique,  est  à retenir  à l’éloge  de  la  France. 


— 384  — 

Dieu  que  les  Musulmans  reconnaissent  la  suprématie  de 
la  France. 

Depuis,  du  reste,  que  cette  protection  couvre  en  droit 
et  en  fait  (1)  le  chérif  d’Ouazzan,  l’influence  de  la  France 
s’accroît  tous  les  jours  chez  les  populations  marocaines. 

Les  Taïbya  étendent  leur  action  fort  loin  d’Ouaz- 
zan : on  en  trouve  en  Tunisie,  en  Tripolitaine,  en  Égypte, 
dans  le  Gourara,  dans  le  Touat  où  ils  ont  une  importante 
zaouïa,  sur  l’oued  Drâa  où,  près  de  Tamengrout,  se  trouve 
la  zaouïa  de  Sid  El-Hadj-el-Arbi,  qui  a des  adhérents  chez 
les  Reguibat  et  dans  l’Adrar. 

Au  Maroc,  en  dehors  d’Ouazzan,  les  grandes  zaouïa 
sont  celles  de  Fez,  Rbat,  Reni-Znoum. 

Les  Taïbya  sont  surtont  répandus  dans  la  province 
d’Oran,  où  ils  comptent  11  zaouïa,  203  moqaddem  et 
9,805  khouan  ; 

Dans  la  province  d’Alger,  ils  ne  comptent  que  3 zaouïa, 
62  moqaddem  et  2,851  khouan  ; 

Dans  la  province  de  Gonstantine,  leur  nombre  est  sen- 
siblement le  même  que  dans  celle  d’Alger:  6 zaouïa, 
36  moqaddem  et  3,088  khouan  ; 

Soit,  pour  toute  l’Algérie,  un  total  de  20  zaouïa  et  de 
16,045  Taïbya  dont  301  moqaddem  et  15,744  khouan. 


(1)  Nous  faisons  allusion  ici  à la  révocation  du  gouverneur  d’Ouaz- 
zan, obtenue  par  notre  ministre  M.  Ordega,  comme  punition  de  vexa- 
tions  exercées  contre  des  clients  placés  sous  la  sauvegarde  du  cherif. 


— 385  — 


CHAPITRE  XXVI 


LES  HANSALYA 

ABOU-AIMAN-SAID-BEN-YOUCEF-EL-HANSALI 

(1er  redjeb  1114.  — 21  novembre  1702  de  J.-C.). 


Le  fondateur  (1)  de  l’ordre  des  Hansalya,  qui  dérive  de 
celui  des  Chadelya,  fut  Abou-Aïman-Saïd-ben-Youcef-el- 
Hansali  (2),  né  au  Maroc,  dans  le  courant  du  XVIIe  siècle 
de  notre  ère,  et  mort  le  1er  redjeb  1114  (21  novembre  1702). 

Il  appartenait  à une  famille  maraboutique  berbère, 
originaire  des  Hansala,  fraction  et  village  (3)  de  la  tribu 
des  Beni-Mettir,  situé  au  sud  de  Fez,  sur  une  des  routes 
du  TafilaleL  Au  XIIIe  siècle,  un  de  ses  ancêtres,  Si  Saïd- 
el-Hansali-el-Kebir  (4),  après  avoir  acquis  une  grande 


(1)  On  donne  souvent,  en  Algérie,  comme  fondateur  de  l’ordre  des 
Ilansalia  : Sidi  Youcef-el-Hansali,  c’est-à-dire  le  fils  du  fondateur 
et  le  premier  grand-maître  de  l’ordre. 

(2)  On  doit  écrire  Hansali  et  non  pas  Hamsali  ; ce  nom,  sur  les  car- 
tes que  nous  avons  pu  consulter,  est  écrit  Hansalen,  qui  est  la  forme 
du  pluriel  marocain  du  mot  hansala.  La  position  du  village  est  appro- 
ximativement 32°  latit.  Nord  et  7°55  longit.  Ouest  du  méridien  de 
Paris.  Ce  nom  (écrit  Hahansalah),  figure  sur  la  carte  au  1/1, 600, 000e 
du  ministère  de  la  guerre. 

(3)  Les  détails  biographiques  sur  Sid  Saïd-ben-Youcef  sont  extraits 
d’un  manuscrit  arabe  communiqué  par  M.  le  chef  d’escadron  Cartai- 
rade,  directeur  des  affaires  indigènes  de  la  division  de  Constantine. 

(4)  Si  Saïd-el-Kebir,  était  le  disciple  d’Abou-Mohammed-Salah  qui 
est  mort  à Sofi  où  il  lui  a été  élevé  une  koubba,  objet  d’une  très  grande 
vénération.  Abou  - Mohammed -Salah  était,  lui -meme,  disciple  du 
célèbre  Abou-Median,  de  Tlemcen. 


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notoriété  comme  missionnaire  (daï)  et  comme  soufi, 
était  mort,  en  odeur  de  sainteté,  au  sud  du  Djebel-Deren, 
à Dadès  (1),  où  sa  koubba  est  restée  un  lieu  de  pèlerinage 
très  en  vogue  dans  le  pays. 

Ce  fut  à la  suite  d’une  pieuse  visite,  faite  au  tombeau 
de  ce  saint,  que  Nedjma,  femme  de  Youcef,  conçut  et 
mit  au  monde,  avant  terme,  un  enfant  à qui,  en  l’honneur 
de  son  ancêtre,  on  donna  le  nom  de  Saïd. 

A son  entrée  dans  la  vie,  il  était  si  chétif  et  si  faible  de 
complexion,  que  ses  biographes  regardent  comme  un 
miracle  qu’il  ait  pu  conserver  l’existence  ; et  la  légende 
s’est  emparée  de  ce  fait  pour  raconter,  à ce  sujet,  des 
choses  invraisemblables. 

Saïd-ben-Youcef  était  encore  dans  la  première  enfance, 
quand  il  perdit  son  père  ; il  fut  recueilli,  avec  sa  mère  et 
son  jeune  frère  Mohammed,  par  un  de  ses  oncles.  Con- 
trarié dans  ses  goûts  pour  l’étude  par  son  tuteur,  qui 
lui  faisait  garder  les  moutons  et  l’empêchait  de  s’instrui- 
re, il  prit  la  fuite  et  se  réfugia,  no;i  loin  du  Djebel-Ghe- 
nim,  à Tislit,  chez  un  maître  d’école  qui  lui  apprit  le 
Coran. 

Il  quitta  ensuite  le  modeste  mcid  et  partit,  pour  com- 
pléter son  instruction,  allant,  de  ville  en  ville,  entendre 
les  cheikh  en  renom.  Il  se  fixa  d’abord  à Ksar-el-Kebir  (2), 
où  il  demeura  six  ou  sept  ans.  Là,  soit  zèle  religieux  fail- 
lit lui  être  fatal,  car  il  s’en  fallut  de  peu  qu’il  ne  fût  tué 
par  la  population,  un  jour  que,  dans  un  accès  d’intolé- 
rance, il  s’était  mis  à éventrer,  avec  son  couteau,  un 
certain  nombre  d’outres  de  vin  colportées  en  ville.  Con- 
duit devant  le  cadhi,  il  se  borna  à répondre  : « J’ai  vu 
une  chose  réprouvée  par  notre  religion,  je  l’ai  dé- 
truite. » Le  cadhi  le  félicita  d’être  aussi  bon  musulman, 


(1)  Dadès  est  marqué  sur  la  carte  d’Algérie  au  1/1 ,600,000^  du 
ministère  de  la  guerre,  entre  32°  et  31°  de  latitude  Nord  et  1°  et  8°  de 
longitude  Ouest. 

(2)  Ksar-el-Kebir  est  au  nord  de  Fez. 


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déclara  qu’il  n’avait  rien  à payer  aux  propriétaires  des 
outres  et  le  couvrit  de  sa  protection. 

Quand  Sid  Saïd-ben-Youcef  quitta  Ksar-el-Kebir,  ce 
fut  pour  se  rendre  à Fez  où  il  resta  sept  ans. 

De  là,  il  se  rendit  à Sidjilmassa  (Tafilalet),  et  demeura 
sept  ans  à la  zaouïa  de  Akhennous,  auprès  du  chef  de 
cette  zaouïa,  le  cheikh  Abou-Abd-Allah-Mohammed-ben- 
Sidi-Hafid,  des  Oulad-Mahmed. 

Sid  Saïd-ben-Youcef  ne  quitta  cette  maison  hospitalière 
que  pour  faire  le  pèlerinage.  Il  l’avait  à peine  terminé 
qu’il  fut  atteint  de  la  variole  à Médine.  Après  sa  guérison, 
il  séjourna  trois  ans  dans  cette  ville,  puis  il  se  rendit  au 
Caire,  où  il  compléta  ses  études  à la  mosquée  El-Azhara. 

Il  eut  de  nombreux  professeurs,  parmi  lesquels  ses 
descendants  citent  : l’imam  El-Kharchi  et  le  cheikh  Sol- 
tan.  Le  premier  était  un  Savant  jurisconsulte;  le  second 
était  un  soufi,  qui  se  prétendait  en  relations  spirituelles 
avec  le  Prophète,  par  le  roi  des  Génies  Chamcharous  ; 
Sidi  Saïd-ben-Youcef  apprit  de  lui  comment  le  Prophète 
récitait  le  Coran. 

Pendant  son  séjour  au  Caire,  il  alla  plusieurs  fois  à 
Damiette,  rendre  visite  au  cheikh  Sidi  Aïssa-el-Djoneïdi- 
ed-Damiati,  auprès  de  qui  il  resta  pendant  un  certain 
temps. 

Parmi  les  ouerd  nombreux  que  ce  cheikh  donna  à Sid 
Saïd,  figure  le  poème  de  l’imam  Abou-Abd-Allah-Chems- 
ed-Din-Mohammed-el-Dirouti-el-Damiati.  Ce  poème,  connu 
dans  le  public  sous  le  nom  de  Damiatia3  est  devenu  un 
des  ouerd  des  Hansalya;  nous  aurons  occasion  d’y  re- 
venir. 

De  Damiette,  Sid  Saïd  alla  à Alexandrie,  au  tombeau 
de  Sid  Abou-el-Abbas-el-Mersi  (1).  Ce  fut  dans  la  mos- 
quée attenante  à ce  sépulcre  que  se  décida  sa  vocation 
apostolique  : une  nuit  qu’il  lisait  le  Coran,  il  vit  le  mur 
du  sanctuaire  s’entr’ouvrir,  et,  pendant  qu’il  continuait 


(1)  Voir  chapitre  XVII,  les  Chadelya. 


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sa  lecture,  tous  les  Saihts  de  l’Orient  vinrent  le  saluer 
et  s’asseoir  auprès  de  lui.  Quand  il  y en  eut  un  nombre 
considérable,  arriva  un  dernier  saint,  devant  qui  tous  les 
autres  s’inclinèrent  (c’était,  croit-on,  Abd-el-Qader-el- 
Djilani).  Les  saints  signifièrent  alors,  à Sidi  Saïd,  que  le 
moment  était  venu  pour  lui  de  quitter  Alexandrie  et  de 
se  rendre  au  Moghreb  pour  ramener  les  hommes  au  bien. 

Si  Saïd  se  défendit  longuement,  alléguant  son  désir 
de  rester  près  des  lieux  saints’  sa  pauvreté,  son  peu  de 
crédit  auprès  des  saints  d’Occident,  les  difficultés  de 
l’apostolat,  etc.  Les  saints  d’Orient  répondirent  à toutes 
ces  objections,  et  la  discussion  se  prolongea  jusqu’au 
jour,  sans  que  l’Hansali  ait  pris  un  parti. 

Après  la  prière  du  matin,  il  alla  consulter  un  homme 
pieux  qui  lui  annonça  que,  la  nuit  suivante,  il  verrait 
le  Prophète  présider  l’assemblée  des  Saints  et  lui  confir- 
mer l’ordre  de  Dieu. 

Les  choses,  en  effet,  se  passèrent  ainsi  la  nuit  sui- 
vante : tout  à coup  les  odeurs  les  plus  délicieuses  se 
répandirent  dans  le  sanctuaire,  subitement  encombré 
des  fleurs  les  plus  rares  et  les  plus  belles,  le  Prophète 
parut  et  présida  l’assemblée,  mais  il  ne  prit  pas  la  parole 
et  se  contenta  de  confirmer,  par  signes,  ce  que  disaient 
les  Saints  (1). 

Tout  le  monde  put  constater  la  réalité  de  cette  appari- 
tion, car  le  lendemain,  lorsque  le  muezzin  entra  dans  la 
mosquée,  les  suaves  odeurs  persistaient  encore.  Il  y eut 
ensuite  des  réunions  de  Saints  (mais  sans  le  Prophète), 
jusqu’à  la  veille  du  départ  de  Si  Saïd-ben-Youcef.  Dans 
la  dernière  séance,  les  Saints  lui  remirent  un  fouet  de 
cuir,  en  lui  disant  : « Prenez  ce  fouet,  et,  si  vous  rencon- 
» trez  des  gens  qui  ne  soient  pas  dans  la  bonne  voie  et 
» à qui  vous  souhaitiez  d’ètre  bien  dirigés  par  Dieu,  ou 
» si  vous  trouvez  un  homme  atteint  de  maladie,  frappez- 


(1)  Nous  abrogeons  ici  le  long  récit  de  ces  deux  séances  nocturnes 
sur  lesquelles  insiste  beaucoup  le  manuscrit  arabe. 


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» le  de  ce  fouet,  et  vous  obtiendrez  aussitôt  le  résultat 
» désiré.  » 

C’est  de  là  que  vient  l’usage  des  flagellations,  conservé 
chez  les  Hansalya. 

Le  retour  de  Si  Saïd  dans  son  pays  ne  présenta  rien 
d’anormal,  jusqu’aux  environs  de  Tlemcen,  où  il  fut 
dévalisé  par  des  brigands  des  Beni-Amer,  qui  lui  enle- 
vèrent tous  ses  livres  et  le  laissèrent  nu. 

La  frayeur  qu’il  ressentit  en  cette  circonstance,  comme 
aussi  les  fatigues  de  son  long  voyage,  paraissent  avoir 
affecté  vivement  le  physique  et  le  moral  du  Saint,  car, 
en  ce  moment,  il  s’aperçoit  tout  à coup  qu’il  a oublié  le 
Coran  et  tout  ce  qu’il  a appris  en  Égypte.  De  toute  sa 
science,  qui  était  considérable,  sa  mémoire  n’a  conservé 
que  les  deux  sourates  préservatrices  (CXIII  et  CXIV)  et 
le  poème  de  l’imam  Damiati. 

Ce  fut  dans  cet  état  qu’il  arriva  dans  le  Drâa,  à la  zaouïa 
des  Nacerya,  auprès  de  Sidi  Mohammed-ben-Nacer-el- 
Derai  (1),  où  il  demeura  quelque  temps.  Le  saint  homme 
lui  remémora  l’ouerd  des  Chadelya. 

De  là,  il  se  rendit  chez  le  cheikh  Sid  Ahmed-ben-Abd- 
Allah  - ben  - Ahmed  - es  - Saddoq  (2)  qui  lui  conféra  son 
ouerd. 

Il  continua  ainsi  ses  pérégrinations  dans  le  Maroc,  en 
refaisant  son  éducation  spirituelle,  et  il  prit  les  ouerd  de 
13  cheikhs  différents.  (Le  manuscrit,  que  nous  avons,  ne 
nomme  pas  ces  cheikhs.) 

Cependant,  si  sa  mémoire  était  revenue,  il  ne  pouvait 
réussir  à retrouver  les  extases  et  les  apparitions  qu’il 
avait  eues  en  Égypte.  Pour  y arriver,  il  se  rendit  au  Dje- 
bel-Alem,  au  tombeau  du  cheikh  Sid  Abd-es-Selem-ben- 
Mechich,  et  s’enferma  une  année  entière  dans  une  khe- 
loua  voisine  de  ce  sanctuaire,  ne  vivant  que  d’un  peu  de 
farine  d’orge  délayée  dans  de  l’eau.  Ces  exercices  ascéti- 


(1)  Voir  chapitre  XVIII. 

(2)  Nous  n’avons  pu  savoir  quel  était  ce  cheikh. 


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ques  n’amenèrent  pas  les  résultats  qu’il  en  espérait,  et 
ils  n’eurent  pour  effet  que  de  provoquer  une  nouvelle 
crise  maladive,  dans  laquelle  ses  facultés  mnémoniques 
subirent  un  nouvel  échec. 

Il  se  dirigea  alors  vers  Fez  où,  pendant  deux  ans,  il 
suivit  les  cours  de  professeurs  en  renom.  A la  zaouïa-  de 
Sidi  Beka-el-Delmaoui,  il  eut,  entre  autres  professeurs, 
Sid  Abd-el-Malek-el-Tadjemout,  de  Sidjilmassa,  et  Sid 
El-Hassen-ben-Messaoud. 

Puis,  dans  une  autre  zaouïa,  située  entre  Fez  etZerara, 
près  de  Tadela  (1),  il  devint,  avec  le  temps,  le  disciple  de 
prédilection  de  Sidi  Ali-ben-Abd-er-Rahman-el-Tadje- 
mouti,  moqaddem  des  Djazaoulya.  Celui-ci  lui  confia  le 
soin  de  donner  l’ouerd  aux  gens  qui  viendraient  la  de- 
mander à la  zaouïa.  Alors  Si  Saïd-ben-Youcef  fit  venir 
près  de  lui  ses  parents  et  se  livra  à l’enseignement  ; sur 
l’ordre  de  Sid  Ali-ben-Abd-er-Rahman,  il  voyagea  pour 
prêcher  ses  doctrines  et  visita  ainsi  successivement 
Taria,  le  Djebel-Fechtal,  Adjarsak,  Akemis,  etc.  Enfin, 
toujours  sur  les  conseils  de  son  cheikh,  Sid  Saïd  cons- 
truisit , aux  Aït-Metrif,  une  zaouïa  où  il  fît  plusieurs 
miracles,  et  où  il  mourut,  le  mardi  1er  redjeb  1114-  = 
(21  novembre  1702  de  J.-C.),  après  avoir  désigné,  pour  lui 
succéder,  son  fils  Sid  Abou-Amran-Youcef-ben-Saïd-el- 
Hansali. 

L’importance  de  l’ordre  grandit  démesurément  sous 
ce  dernier,  et  c’est,  pour  cette  raison  que,  souvent,  les 
Indigènes  donnent,  comme  fondateur  de  l’ordre,  Sidi 
Youcef-ben-Saïd-el-Hansali. 

L’influence  de  Sidi  Youcef  s’étendit  sur  toutes  les  po- 
pulations berbères  qui  habitent  les  montagnes  de  l’At- 
las; elle  devint  même  assez  considérable  pour  porter 
ombrage  au  sultan  Mouley-Ismaïl  et,  surtout,  à son 
entourage  de  Cheurfa. 


(1)  Le  manuscrit  arabe  dit:  entre  Fez  et  Zerara,  près  de  Tadela,  à 
deux  ou  trois  parasanges. 


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Un  jour,  on  manda  Sidi  Youssef  à la  cour  de  Méque- 
nez,  sous  prétexte  de  lui  rendre  honneur;  on  s’empara 
de  sa  personne,  et  il  fut  mis  à mort,  sans  que  ses  khouan 
aient  jamais  pu  savoir  où  ses  restes  avaient  été  déposés. 

Les  Hansalya  perdirent  alors  beaucoup  de  leur  crédit 
et  furent  absorbés  par  les  ordres  chérifiens  des  Taïbya 
et  des  Aïssaoua.  Cependant  deux  zaouïa  subsistent  en- 
core : l’une  à Dadès } où  est  le  tombeau  de  Sidi  Saïd-el- 
Hansali-el-Kebir,  chef  de  la  famille  (elle  est  aujourd’hui 
dirigée  par  le  cheikh  Ahÿned-ben-Ahmed-el-Hansali,  qui 
passe  pour  le  grand-maître  de  l’ordre)  (1);  l’autre  aux 
Aït-Métrif,  au  tombeau  de  Sidi  Youcef,  père  de  Sidi 
Youcef-el-Hansali . 

L’ordre  des  Hansalya  a été  importé  en  Algérie  par 
Sid  Sadoun-el-Ferdjioui,  *qui  avait  fait  ses  études  à la 
zaouïa  de  Sidi  Youcef-el-Hansali,  et  qui  était  moqaddem, 
lors  de  la  mort  de  son  cheikh.  Ce  fut,  sans  doute,  peu 
après  cet  événement,  que  Sid  Sadoun  quitta  le  Maroc 
pour  rentrer  dans  son  pays  d’origine,  ce  qui  fixe,  pour 
l’introduction  de  l’ordre  en  Algérie,  une  date  antérieure 
à 1727,  puisque  Mouley-Smaïl  mourut  le  22  mars  de  cette 
année  (29  redjeb  1139). 

Sid  Sadoun  eut  pour  successeur,  en  Algérie,  Sid 
Maammar,  marabout  originaire  de  la  tribu  des  Telaghma 
où  est  situé  son  tombeau.  Celui-ci  transmit  ses  pouvoirs 
à Sid  Ahmed-el-Zouaoui,  personnage  issu  d’une  vieille 
famille  maraboutique,  très  vénérée  dans  les  environs 
de  Constantine,  où,  dès  le  XVIe  siècle  (2),  elle  possédait, 


(1)  Nous  n’avons  pu  nous  procurer  la  chaîne  de  la  branche  maro- 
caine. 

(2)  Le  membre  de  cette  famille,  qui  vivait  à cette  époque,  était 
Abou-Zakaria-Yahia-ben-Amor-ez-Zaouï,  disciple  d’Abou-Hafs-Sid- 
Amor-el-Ouzan.  cheikh  El-Islam  de  Constantine,  mort  en  965  de  l’H. 
(1557-1558  de  J .-C.).  Le  cheikh  Zouaï,  à cette  époque,  était  déjà  ins- 
tallé au  Chettaba,  non  loin  des  ruines  romaines  de  Phuentia  et  Arsa- 
col,  et  près  de  l’emplacement  où  a depuis  été  bâti  le  village  de  Rouf- 
fach. 


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à 8 kilomètres  de  la  ville,  sur  le  Chettaba  (1),  une  zaouïa 
déjà  célèbre  et  influente. 

Le  cheikh  Ahmed-ben-Zouaouï  a une  grande  notoriété  : 
de  nombreuses  légendes  hagiographiques  racontent  ses 
miracles,  parmi  lesquels  nous  relevons  un  voyage  fait, 
en  1775  de  J.-G.  (1188-1189  de  l’H.),  en  deux  nuits  consé- 
cutives: la  première,  employée  pour  aller  de  Constantine 
à Alger,  jeter  à la  mer  les  Chrétiens  de  O’Reilly,  et  la 
seconde  pour  revenir  d’Alger  à Constantine  sur  la  même 
jument,  la  célèbre  Roksa.  # 

Mais  ce  qui  est  certain,  c’est  que  le  cheikh  Ahmed-ez- 
Zouaouï  était  renommé  pour  sa  grande  charité,  que  son 
intervention  toute-puissante  s’est  exercée  très  souvent 
pour  protéger  les  faibles  et  les  malheureux  contre  la 
tyrannie  des  Turcs,  et  que  sa  zaouïa  était  un  lieu  d’asile 
que  nul  n’osait  violer. 

Salah-Bey,  à qui  le  chef  des  Hansalya  avait  souvent 
tenu  tête,  essaya  de  se  débarrasser  de  ce  marabout  in- 
commode; il  ne  put  y réussir. 

Les  traditions  de  charité  se  sont  perpétuées  chez  les 
successeurs  de  Sid  Ahmed-ez-Zaouï,  et  elles  font  partie 
intégrante  des  doctrines  des  Hansalya,  qui,  tous,  sont 
renommés  pour  leur  bienfaisance. 

Nous  avons  dit  que  le  fondateur  de  l’ordre  au  Maroc, 
Sid  Saïd-ben-Youcef,  avait  reçu  l’ouerd  d’un  grand  nom- 
bre de  cheikh,  tant  dans  cette  contrée  qu’en  Orient. 

La  chaîne  que  ses  successeurs  invoquent  est  celle  des 
Chadelya  et,  plus  particulièrement,  celle  qui  est  adoptée 
par  les  Aïssaoua  et  les  Taïbya  jusqu’au  n°  26  (Si  Moha- 
med-ben-Sliman-el-Djazouli). 

Voici  cette  liste,  telle  qu’elle  est  présentée  par  les 
Hansalya  : 


(l)Sur  le  Chettaba,  voir  un  article  de  M.  Cherbonneau  dans  Y An- 
nuaire archéologique  de  Constantine  (1854-1855)  ; sur  cheikh  Zaouï, 
voir  Revue  africaine  (1865,  p.  303)  et  Annuaire  archéologique  de  Cons- 
tantine (1868,  p.  370  et  1869,  p.  466),  articles  de  M.  Vayssett.es. 


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L’ange  Gabriel.  — Le  Prophète.  — 1,  N. -S.  Ali-ben-Abou-Taleb. — 
2,  Le  premier  des  pôles,  Sidi  El-Hassan.  — 3,  Qotb-Abou-Mohammcd- 
Djaber.  — 4,  Qotb-Sidi-el-R’azouani.  — 5,  Qotb-Abou-Mohammed- 
Fath-es-Saoudi,  — 6,  Qotb-Saad.  — 7,  Qotb-Abou-Mohammed-Saïd.— 
8,  Qotb-Abou-el-Kassein-Ahmed-el-Merouani.  — 9,  Qotb-Abou-Ishak- 
Ibrahim-el-Bosri.  — 10,  Qobt-Zin-ed-Din-Mohad-el-Kazouini.  — 11, 
Qotb-Chems-ed-Din-el-Turkomani.  — 12,  Qotb-Tadj-ed-Din-Mobammed. 

— 13,  Qotb-Nour-ed-Din-Abou-el-HassanAli.  — 14,  Qotb-Mahi-ed- 
Din.  — 15,  Qotb-Taki-ed-Din.  — 16,  Qotb-Sidi-Abd-er-Rahman-el- 
Madani.  — 17,  Qotb-el-Ktob-Abou-Mohammed-Abd-es-Selam-ben-Me- 
chich.  — 18,  Qotb-Sidi-Abbu-Hassen-ech-ChadeJi.  — 19,  Sidi  Abd- 
Allah-el-Megherbi.  — 20,  L’imam  Abou-el-Abbas-Ahmed-el-Karafi.  — 
21,  Sidi  Amous-el-Badaoui.  — 22,  Sidi  Abou-Fadel-el-Hindaoui. — 23, 
Sidi  Abd-er-Rahman-cr-Redjeradji.  — 24,  Sidi  Abou-Otsman-el-Har- 
tani.  — 25,  Sidi  Abd-Allah-Ameraï-ecli-Cherif.  — 26,  Sidi  Mohammed- 
ben- Sliman-el-Djazouli  (869  de  l’H.  (1464-1465  de  J.-C.).  —27,  SidiAbd- 
cl-Aziz-et-Tebbaï.  — 28,  Abdelkerim-el-Fellahi.  — 29,  Bou-Anes- 
el-Merakchi.  — 30,  Abou-Beker-ed-Della.  —31,  Mohammed-ed-Dadassi. 

— 32,  Ali-ben-Abd-er-Rahman-ed-Deraï.  — 32  bis,  Mohammed-ben- 
Nacer-ed-Deraï,  chef  des  Nacerya.  — 33,  Abou-Aïman-Saïd-ben-You- 
cef-el-Hansali,  fondateur  de  l’ordre. 

La  chaîne  continue  par: 

34,  Sidi  Abou- Amran-Youcef-ben-Sidi-Saïd-el-Hansali.  — 35,  Sidi 
Saadoun-el-Ferdjiouï-el-Hansali.  — 36,  Sidi  Maammar-ez-Zaouï  (enterré 
chez  les  Telaghma).  — 37,  Cheikh  Ahmed-ez-Zaouï-el-Hansali.  — 38, 
Sid  Hammou-ben-Ahmed-ez-Zaouï-el-Hansali.  — 39,  Sid  Youcef-ben- 
Si-Hammou-Zaouï-el-Hansali,  encore  en  fonctions  aujourd’hui. 


Les  doctrines  et  le  rituel  des  Hansalya  semblent  avoir 
été  inspirés  par  les  divers  et  nombreux  professeurs  qui 
donnèrent  l’enseignement  à Sid  Abou-Aïman-Saïd-ben- 
Youcef-el-Hansali,  et  aussi  par  les  circonstances  parti1 
culières  qui  marquèrent  les  différentes  phases  de  l’exis- 
tence de  ce  saint  personnage. 

Au  mysticisme  exalté  des  maîtres  de  la  djemâa  El- 
Azhar  et  des  Djazoulya,  précurseurs  des  Aïssaoua,  les 
Hansalya  ont  mêlé  la  charité  ardente  des  Qadrya  et  l’es- 
prit de  tolérance  relative,  puisé  tant  auprès  du  chef  des 
Nacerya,  Si  Mahmed-ben-Nacer-ed-Draï,  que  dans  les 


— 394  — 


zaouïa  du  Touat  et  du  Tidikelt,  soumises  à l’influence 
des  Bakkay  de  Tinbouktou. 

Le  rituel  des  Hansalya  emprunte  aux  Saints  d’Orient 
et  aux  Djazoulya  les  danses  et  les  chants  destinés  à 
produire  l’excitation  nerveuse  favorable  aux  extases 
mystiques.  L’unithéisme  excessif  des  descendants  de 
Toumert  se  laisse  entrevoir  dans  les  ouerd  où,  à côté 
de  500  invocations  affirmant  avec  énergie  l’unité  de  Dieu, 
on  ne  relève  que  100  invocations  mentionnant  le  Prophè- 
te. Le  souvenir  du  séjour  à Damiette  se  retrouve  dans  la 
récitation,  imposée  aux  Hansalya,  du  poème  dit  : « Da- 
miatia  » dont  nous  avons  parlé  plus  haut.  La  flagellation 
en  usage  dans  cet  ordre  rappelle  le  présent  fait,  par  les 
Saints  d’Orient,  à Sidi  Saïd  quittant  Alexandrie.  Enfin, 
les  difficultés  rencontrées  par  Sidi  Saïd  pour  imposer 
sa  règle,  dans  un  pays  où  les  ordres  chérifiens  étaient 
tout  puissants,  et  où  les  persécutions  furent  nombreu- 
ses pour  son  ordre  naissant,  ont  amené  les  Hansalya, à 
ne  se  livrer  à leurs  exercices  spirituels  qu’en  réunions 
peu  nombreuses,  et  dans  des  lieux  clos  dont  l’entrée 
est  interdite  au  public. 

Voici,  en  effet,  quel  est  le  grand  ouerd  de  cette  con- 
grégation : 

1°  Après  la  prière  du  matin  (salat-el-fedjer)  : 20  fois  la  sourate  El- 
Hamdou-Lillahi  (ou  fatiha)  et  100  fois  la  formule:  « Pardonne  ô mon 
Dieu  » * 

2°  Après  la  prière  de  midi  (salat-ed-dohor)  : 20  fois  la  fatiha  et 
100  fois  : « Il  n’y  a pas  d’autre  Divinité  qu’Allah  » .✓Jt  ^ ) ‘ 

3°  Après  la  prière  de  l’après-midi  (salat-el-acer)  : 20  fois  la  fatiha  et 

100  fois  : « Au  nom  de  Dieu  clément  et  miséricordieux  » (ôÜt  ^%*** ? 

^ ^ ) j 

4°  Après  la  prière  du  soleil  couchant  (salat-el-Moghrab)  : 20  fois  la 
fatiha  et  100  fois  la  sourate  CXIII  (1); 


(1)  Voici  cette  sourate  : 1°  dis  : je  cherche  un  refuge  auprès  du  sei- 
gneur de  l’aube  du  jour;  2°  contre  la  méchanceté  des  êtres  qu’il  a 


— 395  — 


5°  Après  la  prière  du  soir  : 20  fois  la  fatiha  et  100  fois  « la  prière 


sur  le  Prophète  ! » 


(^Jl  Je  «U!). 


En  outre  de  ce  dikr,  qui  est  le  dikr  habituel  et  ordi- 
naire, les  khouan  Hansalya,  parvenus  à un  degré  de 
pureté  morale  complet,  peuvent  être  autorisés,  par  leurs 
moqaddem  à réciter,  un  nombre  de  fois  déterminé  par 
jour  (le  plus  souvent,  20  fois  à l’acer  et  21  fois  au  magh- 
reb),  l’un  des  99  vers  choisis  par  le  moqaddem  dans  le 
poème  de  la  Damiatia.  Mais,  sous  peine  de  voir  cette 
invocation  lui  être  très  préjudiciable,  le  khouan  hansali 
ne  doit  ni  augmenter  ni  diminuer  le  nombre  de  fois  qui 
lui  a été  prescrit  par  le  cheihh.  S’il  se  trompe,  le  moins 
qu’il  puisse  lui  arriver  est  de  devenir  fou,  et  dans  ce 
cas , en  Algérie , on  dit  que  l’individu  est  medemiat 
c’est-à-dire  privé  de  raison  par  le  fait  d’El-Da- 

miati. 

Ce  poème  de  la  Damiatia,  qui  n’est  qu’une  sorte  de 
psaume  rimé  sur  les  quatre-vingt-dix-neuf  attributs  de 
Dieu,  est  célèbre  chez  tous  les  Musulmans  qui  ont,  pour 
sa  récitation  ou  sa  lecture  à haute  voix,  un  respect  su- 
perstitieux. Il  est,  en  effet,  admis  chez  eux  que  quicon- 
que prononce  uu  seul  de  ces  vers  sans  être  dans  un  état 
de  pureté  morale  complet,  s’expose  très  gravement  à la 
malédiction  divine.  Mais,  par  contre,  si  l’invocation  ne 
se  retourne  pas  d’une  façon  terrible  contre  celui  qui  l’a 
faite,  elle  est  alors  rigoureusement  efficace  contre  la 
personne  visée. 

Aussi,  les  Hansalya  qui  peuvent  être  autorisés  à réci- 
ter 41  fois  dans  une  journée  un  de  ces  vers  redoutables, 
sont-ils  l’objet  de  la  vénération  de  tous  ceux  qui  les 


créés;  3°  contre  le  mal  de  la  nuit  sombre  quand  elle  nous  surprend  ; 
4°  contre  la  méchanceté  de  celles  qui  soufflent  sur  les  nœuds  ; 5°  con- 
tre le  mal  de  l’envieux  qui  nous  porte  envie.  — Ce  chapitre,  qui  est 
l’avant-dernier  du  Coran,  se  porte  souvent  en  amulette. 


— 396  — 

approchent,  « car  ce  sont  de  véritables  saints  et  leur 
pouvoir  est  immense.  » 

Le  poème  d’Abou-Abd-Allah-Chems-ed-Din-el-Dirouit- 
el-Damiati  est,  d’ailleurs,  remarquable  comme  style  et 
comme  poésie.  En  voici  un  court  extrait,  en  arabe  et  en 
français,  car  c’est  en  arabe  surtout  qu’il  faut  pouvoir  le 
lire. 


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Je  te  supplie,  Dieu  Pardonneur  de  m’accorder  pardon  et  repentir  ; 
de  dompter,  ô souverain  Dominateur,  quiconque  se  soustrait  à ta  loi. 

Par  ta  puissance,  Être  glorieux,  ma  force  sera  considérable;  — ô toi, 
qui  humilies,  jette  dans  l’abaissement  les  prévaricateurs. 

Donne-moi,  ô Généreux,  science  et  sagesse  ; — facilite-moi,  Toi  qui 
sustentes  la  vie  matérielle. 

Divin  collecteur  des  âmes,  saisis  l’àme  de  tout  homme  ennemi  de  ta 
parole  ; — Toi  qui  répands  les  faveurs,  augmente  en  moi  le  désir  du 
beau. 

O dispensateur  de  l’abjection,  abîme  le  pouvoir  de  tout  adversaire 
de  ta  religion,  — Toi  qui  élèves,  élève-moi,  malgré  ceux  qui  me  haïs- 
sent. 


— 397  — 


Nous  avons  déjà  dit  que  les  hadra  des  Hansalya  étaient 
toujours  entourées  d’un  certain  mystère  ; aussi  n’avons- 
nous  pas  pu  obtenir  des  renseignements  bien  précis  sur 
ce  qui  s’y  passe,  non  plus  que  sur  le  mode  de  réception 
et  d’investiture  des  affiliés  et  moqaddem. 

Nous  savons  seulement  que  ces  derniers  sont  choisis 
par  les  frères,  et  présentés  à la  nomination  du  grand- 
maître  ou  du  khalifa  de  l’ordre.  Nous  savons  aussi  que, 
dans  ces  hadra,  on  chante  le  poème  de  l’imam  Damiati 
sur  un  rythme  qui  va  toujours  en  s’accélérant,  en  même 
temps  que  la  voix  s’élève  et  que  la  danse  se  précipite, 
jusqu’à  ce  que  les  khouan  tombent  épuisés  ou  arrivent 
à l’état  extatique. 

Au  Maroc,  les  Hansalya  semblent  n’avoir  pas  une  très 
grande  influence,  et  nous  ne  leur  connaissons  que  deux 
zaouïa  : celle  des  Aït-Metir,  au  tombeau  de  Sidi  Saïd- 
ben-Youcef,  et  celle  de  Dadès,  au  tombeau  de  Sidi  Saïd- 
el-Hansali-el-Kebir. 

Dans  la  province  d’Oran,  ils  sont  en  décroissance  et 
paraissent  manquer  de  direction  ; on  ne  les  connaît  pas 
dans  la  province  d’Alger;  mais  dans  les  arrondissements 
de  Constantine  et  de  Philippeville,  ils  sont  très  nombreux 
et  jouissent  d’une  très  grande  popularité.  Dans  toute 
cette  région,  on  estime  que  les  Hansalya  ont  des  secrets 
pour  faire  sortir,  du  corps  des  malades,  les  djinn  qui 
causent  la  souffrance  et  amènent  la  mort.  Aussi,  sont- 
ils  constamment  priés  de  donner  des  hadra  dans  les 
maisons  sur  lesquelles  la  maladie  s’est  abattue.  On  croit 
aussi  qu’ils  ont  une  grâce  spéciale  pour  connaître  les 
choses  cachées,  retrouver  les  objets  volés  et  dévoiler 
les  criminels. 

Les  amulettes  qu’ils  fabriquent  ont  une  vertu  souve- 
raine pour  préserver  des  accidents,  mais  il  n’est  pas 
facile  d’en  obtenir. 

Malgré  cette  très  réelle  influence  sur  les  masses,  les 
Hansalya  se  sont  toujours,  depuis  la  prise  de  Constan- 
tine, tenus  à l’écart  des  affaires  politiques  ou  adminis- 


— 398  — 


tratives.  Mais  leur  abstention  n’a  rien  d’hostile;  leurs 
relations  avec  les  agents  de  l’autorité  française  ont  tou- 
jours été  des  plus  correctes  et  des  plus  courtoises.  En 
ce  moment  même,  le  chef  de  la  zaouïa  de  Chellaba  est 
adjoint  indigène  de  la  commune  de  Rouffach. 

Cet  ordre  semble  aujourd’hui  localisé  dans  la  région 
de  Constantine;et,  si  son  khalifa  entretient  des  relations 
avec  la  zaouïa-mère  de  Dadès,  au  Maroc,  et  avec  celle 
du  Kef,  en  Tunisie,  où  se  trouve  aussi  un  groupe  d’Han- 
salya,  ces  relations  ne  nous  sont  pas  connues,  et  aucun 
fait  ne  nous  autorise,  personnellement,  soit  à les  affir- 
mer, soit  à les  nier. 

Les  Hansalya,  en  Algérie,  sont  ainsi  répartis  : 

Province  de  Constantine. . . 5 zaouïa,  48  moqaddem,  3,530  khouan. 

d’Oran » 1 58 

d’Alger » 1 10 


Total.  ...  5 zaouïa,  50  moqaddem,  3,598  khouan. 


— 399  — 


CHAPITRE  XXVII 


ORDRE  RELIGIEUX  DES  KHADIRYA 


ou 

DU  PROPHÈTE  MOHAMMED 

fondé  par 


SID  ABD-EL-AZIZ-ED-DEBBAR 
(En  1713  de  l’Hégire.  — 1125  de  J.-C.) 


Sid  Abd-el-Aziz-ed-Debbar,  né  vers  1683,  était  issu 
d’une  famille  chérifienne,  dans  laquelle  les  dispositions 
au  mysticisme  étaient,  en  quelque  sorte,  héréditaires. 
Son  grand-oncle  maternel  était  Sid  El-Arbi-el-Fichtali, 
véritable  halluciné  mort  de  la  peste,  à Fez,  en  1679  (1), 
et  honoré  depuis  comme  un  des  grands  Saints  du  Maroc. 
Cet  oncle  avait,  peu  de  temps  avant  de  mourir,  prédit  à 
sa  nièce  que  l’enfant  qui  naîtrait  d’elle  serait  un  puissant 
marabout;  et  il  avait  prescrit  de  conserver  précieusement 
en  dépôt,  pour  son  petit  neveu,  sa  calotte  (chéchia)  et 
ses  souliers  noirs  (2). 

C’étaient  là  de  véritables  reliques,  et  Si  Abd-el-Aziz  ne 
doutait  pas  de  leur  bienfaisante  vertu.  Voici,  du  reste, 
d’après  un  successeur  spirituel,  Si  Ahmed-ben-Embarek, 


(J)  1089-1090  de  l’Hégire. 

(2)  Une  partie  des  détails  que  nous  donnons  ici  nous  ont  été  fournis 
par  un  travail  manuscrit  de  M.  l’Interprète  militaire  Pilard,  aujour- 
d’hui en  retraite,  soit  par  le  livre  du  cheikh  Snoussi  (traduction  ma- 
nuscrite de  M.  l’Interprète  militaire  Colas). 


— 400  — 

en  quels  termes,  il  racontait  lui-même  ses  débuts  dans 
la  vie  ascétique  (1). 


« A partir  du  moment  où  je  revêtis  les  objets  laissés  en  dépôt  par 
» Sidi  El-Arbi-el-Fichtali,  et  où  je  puis  comprendre  ce  qu’il  avait  dit 
» à leur  sujet,  Dieu  jeta  dans  mon  cœur  le  désir  de  la  dévotion  pure 
» et  désintéressée,  et  je  me  mis  à rechercher  (les  moyens  de  m’y 
» livrer  efficacement).  Aussi,  dès  que  j’entendais  le  public  traiter  quel- 
» qu’un  de  maître  spirituel  (cheikh),  ou  désigner  quelqu’un  comme  un 
» saint  (ouali),  je  me  rendais  près  de  cet  homme  et  me  mettais  sous 
» sa  direction;  mais,  quand  je  m’étais  attaché  à lui  pendant  quelque 
« temps,  et  que  je  m’étais  conformé  aux  pratiques  qu’il  m’indiquait, 
» je  me  sentais  la  poitrine  oppressée  et  je  ne  voyais  aucun  progrès 
» s’accomplir  en  moi.  Alors  j’abandonnais  ce  maître  et  j’allais  en  trou- 
» ver  un  autre,  dont  je  suivais  les  prescriptions,  sans  que  cela  me 
» réussît  mieux  qu’avec  le  premier.  Je  quittais  alors,  ce  second  direc- 
» teur  pour  un  troisième,  avec  lequel  je  n’obtenais  pas  un  meilleur 
» résultat.  Je  restai  ainsi,  perplexe  et  chagrin,  depuis  l’année  1109 
» jusqu’à  l’année  1121  (1698-1709).  Or,  j’avais  l’habitude  de  passer  la 
« nuit  du  jeudi  au  vendredi  au  tombeau  du  saint,  du  juste  Sidi  Àli- 
» ben-Herzhoum,  et,  chaque,  fois,  je  récitais  en  entier  le  a Borda  » (2), 
» en  compagnie  de  ceux  qui  passaient  aussi  la  nuit  là.  Un  certain 
» jeudi  soir,  je  montai,  suivant  ma  coutume,  au  tombeau;  nous  lûmes 
» le  Borda  en  entier,  et,  quand  nous  eûmes  terminé,  je  sortis  del’en- 
» ceinte  consacrée  (Roudha).  Je  trouvai  un  homme  assis  sous  le  juju- 
» bier  réservé  (3)  qui  est  près  de  la  porte  de  cette  enceinte.  Cet  homme 


(1)  Extrait  du  chap.  II  de  Ylbriz  — « L’or  pur  ou  les  actes  de  Sidi  Abd- 

el-Aziz , » jjJI  par  Sidi  Ahmed- 

ben-Mbarek,  chef  de  l’ordre  des  Khadirya  et  disciple  de  Sid  Abd-el- 
Aziz. 

(2)  « El-Borda  (le  manteau)  est  le  nom  vulgaire  d’un  poème  intitulé 
« les  Planètes  étincelantes,  » comprenant  cent  soixante-deux  vers,  et 
composé,  au  XIIIe  siècle  de  notre  ère,  par  un  cheikh  égyptien,  Sidi 
Mohammed-ben -Saïd-el-Bousini.  Cet  opuscule,  dont  la  récitation 
chantée,  dure  une  heure  et  demie  environ,  est  consacré  à la  glorifica- 
tion de  l’apôtre  Mohammed.  Les  Musulmans  attribuent  « au  Borda  » 
une  vertu  surnaturelle,  soit  pour  la  guérison  des  maux  physiques, 
soit  pour  l’allègement  des  douleurs  morales.  Les  Tlemceniens,  qui 
chantent  d’habitude  ce  poème  aux  enterrements,  y ajoutent  dix-huit 
vers  qui  ne  sont  pas  dans  l’original. 

(3)  « Es-Sedra-el-Moharrara  » (le  jujubier  sauvage  réservé).  C’est 


— 401  — 


» m’adressa  la  parole  et  me  révéla  quelques-unes  de  mes  pensées 
» intimes  : je  compris  que  j’avais  devant  moi  un  des  Saints  de  Dieu, 
» savant  en  Dieu  (exaltons-le  ! glorifions-le  !)  et  je  lui  dis:  Seigneur  ! 
» donne-moi  l’ouerd  et  revèle-moi  le  dikr  ! mais  l’étranger  affecta  de 
» ne  prêter  aucune  attention  à ma  requête,  et  de  me  parler  d’autre 
» chose.  En  un  mot,  j’insistais  dans  ma  demande,  tandis  que  lui  se 
» défendait  d’y  satisfaire.  Son  but  était  de  me  faire  éprouver  un  désir 
» assez  ferme,  pour  que  je  ne  fusse  pas  tenté  de  prendre  ses  paroles 
» à la  légère.  Cela  dura  jusqu’au  moment  où  l’aurore  vint  à poindre, 
» et  où  la  lanterne  se  montra  sur  le  minaret  (1).  L’homme  me  dit  alors  : 
» Je  ne  te  donnerai  l’ouerd  que  si  tu  me  donnes  ta  foi  de  Dieu,  que 
» tu  le  conserveras  toujours.  » Je  lui  fis  cette  promesse  et  je  m’atten- 
» dais  à ce  qu’il  me  donnât  un  ouerd  semblable  à ceux  des  cheikh 
» que  j’avais  eus  avant  lui;  mais  voici  qu’il  se  mit  à dire  : « Tous  les 
» jours,  tu  répéteras  sept  mille  fois  ces  mots:  O Dieu,  répandez  vos 
» bénédictions  sur  notre  seigneur  Mohammed-ben- Abd-Allali  ! ô Dieu, 
» ô Maitre  ! En  considération  de  notre  seigneur  Mohammed-ben-Abd- 
» Allah  (que  les  bénédictions  divines  et  la  paix  soient  avec  lui  !)  fai- 
» tes-moi  jouir  d’une  entrevue  avec  notre  seigneur  Mohammcd-ben- 
» Abd-Allah  en  ce  monde,  avant  de  nous  réunir  à lui  dans  l’autre.  » 
» Nous  nous  levâmes  tous  deux  alors,  et  Sidi  Amar-ben-Mohammed- 
» el-Haouari,  gardien  du  sanctuaire,  étant  survenu,  l’inconnu  lui  dit, 
» en  me  désignant  : « Aie  soin  de  celui-ci,  je  te  le  recommande.  » 
» Si  Amar  lui  répondit  : « Comment  ne  le  ferais-je  pas,  il  est  mon 
» siied  (2).  » 

» Or,  lorsque  plus  tard,  Sidi  Amar  fut  sur  le  point  de  passer  vie  à 
» trépas,  il  me  dit  : « Sais-tu  qui  t’a  initié  au  dikr,  près  du  jujubier 
» réservé.  » — Non,  lui  répondis-je.  — Eh  bien,  me  dit-il,  c’était  notre 
» seigneur  El-Khadir.  La  paix  soit  avec  lui  ! » 


Si  Abd-el-Aziz  se  conforma  aux  instructions  qu’il  avait 
reçues  ; il  répéta  la  formule  sept  mille  fois  par  jour, 
pendant  cinq  ans,  et  finit  par  s’acquitter  légèrement  de 


un  arbuste  dont,  par  respect  pour  le  lieu  où  il  croît,  on  ne  coupe 
jamais  les  branches  et  qui,  par  suite,  atteint  un  développement  excep- 
tionnel. 

(1)  Il  s’agit  ici  de  la  lanterne  ou  fanal  que  l’on  hisse  au  haut  du 
minaret,  pour  annoncer  la  prière  du  fedjeur  (aurore)  à ceux  qui  sont 
hors  de  la  portée  de  la  voix  du  crieur  (moueddin). 

(2)  Seigneur  — sans  doute  à cause  de  la  qualité  du  chérif  de  Sid 
Abd-cl-Aziz. 


26 


— 402  — 


ce  devoir  qui,  en  commençant,  lui  semblait  aussi  long 
que  fastidieux  : cette  oraison  constitue  le  dikr  des  Kha- 
dirya,  et  est  dite  « prière  khadirya.  » 

Sa  constance  fut  récompensée  et,  le  jeudi,  8 de  redjeb 
1125  (31  juillet  1713),  en  plein  jour,  à la  porte  des  Vic- 
toires (Bab-el-Foutouk),  à Fez,  Dieu,  daignant  se  révéler 
à lui,  lui  dévoila  tous  les  mystères  de  la  nature  et  lui 
accorda  ce  don  de  Tcisarrouj,  qui  permet  aux  Saints 
de  disposer  de  toutes  les  forces  de  la  création,  et  d’en 
changer,  à leur  volonté,  l’ordre  établi  et  la  marche  régu- 
lière. S’il  faut  en  croire  son  biographe,  Si  Abd-el-Aziz 
usa  largement  de  cette  permission,  et  peu  de  jours  s’é- 
coulaient sans  qu’il  opérât  quelque  miracle. 

A partir  de  cette  époque,  Si  Abd-el-Aziz  vécut  entouré 
de  la  vénération  générale;  de  nombreux  disciples  (Mou- 
rid,  aspirant)  se  mirent  sous  sa  direction.  L’un  d’eux, 
homme  fort  instruit,  nommé  Si  Ahmed-ben-Mobarek-el- 
Lamthi  (1),  avait  d’abord  pris  le  cheikh  pour  but  de  ses 
sarcasmes;  mais  en  1717,  il  changea  d'avis,  s’attacha  à 
Si  Abd-el-Aziz,  bien  qu’il  fût  beaucoup  plus  savant  et  un 
peu  plus  âgé  que  ce  dernier,  devint  son  disciple  de  pré- 
dilection et  fut,  plus  tard,  son  successeur  spirituel. 

Si  Ahmed-ben-Mobarek  a écrit  sur  la  mission,  les  mi- 
racles, les  faits,  gestes  et  dires  de  son  maître,  un  livre 
que  nous  possédons  et  qui  est  intitulé  : « Ed-Delieb-el- 
Ibriz-fi-Menakib-Sidi-AbdL-el-AziZj  » c’est-à-dire  : l’or  pur 
et  sans  alliage  ou  les  mérites  de  Sidi  Abd-el-Aziz. 

Au  savant  et  crédule  Si  Ahmed-ben-Mobarek  succéda 
Si  Abd-el-Ouahhab-et-Tazi  (2),  dont  l’instruction  était 


(1)  Si  Ahmed-ben-Mobarek-el-Lamthi  était  originaire  du  Tafilalet, 
et  parent  de  Si  Ahmed-et-Habib-et-Lamtbi,  fondateur  de  l’ordre  reli- 
gieux des  Habibiin,  branche  des  Chadelya.  (Voir  chap.  XVIII.) 

(2)  Si  Abd-el-Ouahab-et-Tazi  était  originaire  de  la  tribu  d’Archida 
(ou  Rechida),  tribu  chérifienne  de  l’amalat  de  Taza.  Les  gens  de  cette 
tribu  sont  considérés,  d’après  certains  auteurs,  comme  formant  une 
branche  spéciale  des  Chadelya.  (Voir  chap.  XVIII.) 


— 403  — 

aussi  peu  étendue  que  celle  du  premier  cheikh,  Si  Abd- 
el-Aziz. 

Gomme  on  le  voit,  la  direction  de  la  secte  échappa 
complètement  à la  postérité  du  fondateur.  Les  descen- 
dants de  ce  dernier  résident  à Fez;  ce  sont  des  mara- 
bouts vénérés,  mais  n’ayant  pas  grande  influence,  soit 
politique,  soit  religieuse;  ils  ne  sont,  dit-on,  affiliés  à 
aucune  confrérie. 

Après  Si  Abd-el-Ouahhab,  vint  Si  Ahmed-ben-Idris-el- 
Fassi  (de  Fez).  Ce  dernier  personnage,  après  avoir  acquis, 
dans  son  pays,  un  grand  renom  d’austérité,  se  rendit  en 
Orient  et  arriva  à La  Mecque  en  1797.  Il  y enseigna  pen- 
dant de  longues  années,  de  1797  à 1833,  croyons-nous  ; 
et  un  grand  nombre  de  moïirid 3 venus  de  tous  les  pays 
de  l’Islam,  depuis  l’Inde  et  la  Tartarie  jusqu’au  Maroc  et 
au  pays  des  Nègres,  se  groupèrent  autour  de  lui  ; cette 
affluence  de  disciples  et  la  haute  situation  que  Si  Ahmed 
avait  su  se  créer,  excitèrent  la  jalousie  des  Eulema  (sa- 
vants) du  pays.  On  lui  chercha  querelle  au  sujet  de  certai- 
nes prescriptions  qu’il  avait  faites  à ses  élèves,  concer- 
nant le  mode  de  procéder  à la  prière. 

Nous  reviendrons,  plus  loin,  sur  ces  détails  de  dévotion, 
que  les  khouan  de  Si  Snoussi  ont  adoptés  et  qui,  bien 
qu’insignifiants  en  eux-mêmes,  servirent  de  prétexte  à 
la  haine  des  docteurs  malékites  résidant  à La  Mecque. 
Si  Ahmed-ben-Idris  se  vit  l’objet  de  tracasseries  conti- 
nuelles, et,  le  gros  mot  d’ « hérésiarque  » ayant  été  pro- 
noncé par  ses  adversaires,  le  professeur  moghrcbin  ne 
se  crut  plus  en  sûreté  et  alla  se  réfugier  à Sobia,  ville  de 
l’Yémen,  distante  de  quinze  journées  de  marche  de  la 
Ville-Sainte.  Sobia  était  alors,  et  est  peut-être  encore 
aujourd’hui,  au  pouvoir  des  Ouahabites. 

Ces  puritains  de  l’Islam  surent,  sans  doute,  gré  au 
nouveau  venu,  de  quelques  points  de  la  doctrine  qu’il 
professait  et  qui  se  rapprochaient,  timidement  il  est  vrai, 
de  la  grande  réforme  qu’eux-mêmes  avaient  imposée  à 
presque  toute  la  péninsule  arabique,  et  ils  le  laissèrent 


— 404  — 


en  paix.  Si  Ahmed-ben-Idris  mourut  à Sobia,  vers  1835, 
laissant  des  enfants  qui  vivent  encore  aujourd’hui  en 
simples  particuliers. 

Il  reste,  comme  monument  de  l’enseignement  de  Si 
Ahmed,  un  livre  composé  par  un  lettré  de  La  Mecque, 
dont  nous  ignorons  le  nom,  et  intitulé  : 

J à 1 | Î l.  s\3  ^ J ! î 

El  - Akecl- en- Nafis-fl  - Menctkib -Sidi-A  hmed-ben-Idris 
c’est-à-dire  : « le  Collier  précieux  ou  les  mérites  de  Si 
Ahmed-ben-Idris.  » 


L’ordre  des  Khadirya  est  donc,  en  somme,  un  ordre  qui 
fut  révélé  directement  à Si  Abd-el-Aziz-ben-Debbar.  Mais, 
si  la  révélation  directe  est  admise,  par  tous  les  soufî, 
comme  chose  possible  et  acceptable,  cette  théorie  est 
combattue  par  les  légistes,  les  littérateurs  et  les  savants 
non  congréganistes  qui,  tout  en  ne  niant  pas  la  possibi- 
lité de  la  chose  (Dieu  est  tout-puissant  ! ),  estiment  qu’il 
ne  faut  accepter,  comme  vraies,  que  les  révélations 
consacrées  par  le  témoignage  d’une  longue  suite  de  doc- 
teurs et  de  personnages  éminents. 

Aussi,  le  cheikh  Snoussi,  pour  montrer  l’excellence  et 
l’orthodoxie  de  cet  ordre  révélé,  dont  il  est  le  continua- 
teur, s’efforce-t-il  d’accumuler  les  preuves  et  les  appuis. 
Il  cite  le  savant  cheikh  Mahi-ed-Din-ben-el-Arbi,  né  à 
Murcie  en  560  de  l’H.  (1164-65  de  J.-C.),  mort  en  638  de  l’H. 
(1240-41  de  J.-C.),  et  l’un  des  auteurs  les  plus  réputés  en 
matière  de  soufisme.  Or  ce  Mahi-ed-Din  était  le  disciple 
d’un  certain  Ali-ben- Abd-Allah-ben-Djebbar-el-Moussouli, 
qui  avait  reçu  les  révélations  d’El-Khadir. 

Le  cheikh  Snoussi  indique  aussi,  en  ces  termes,  le 
moyen  bien  simple  d’arriver  à ces  révélations,  si  on  est 
en  état  de  grâce . 


— 405 


« Le  cheikh  de  nos  cheikhs,  Aboul-Beker-el-Mekki,  a dit  : « Parmi 
» les  pratiques  éprouvées  qui  peuvent  faire  apercevoir  en  vision  notre 
s)  seigneur  El-Khadir  et  notre  Prophète  (que  la  bénédiction  et  le  salut 
» soient  sur  lui  !),  il  n’y  a que  celle  qui  consiste  à répéter  la  prière 
» nommée  Ed-Daâ-es-Sifi,  41  fois  pendant  la  nuit  où  doit  se  manifes- 
» ter  l’apparition  d’El-Khadir.  Si  l’on  peut  réciter  cette  prière  le  nom- 
» bre  de  fois  indiqué,  on  est  certain  d’obtenir  le  bonheur  de  jouir  de 
» la  présence  de  ce  saint  personnage,  avec  la  permission  de  Dieu.  Si 
» cette  pratique  n’arrive  pas  à mettre  celui  qui  la  fait  en  communica- 
» tion  avec  celui  avec  lequel  il  désire  s’unir,  c’est  que  son  àme  n’a 
» point  encore  atteint  le  degré  de  perfection  spirituelle  nécessaire. 
» Pour  y arriver,  il  devra  persévérer  dans  ces  prières,  se  représenter 
» tous  les  jours  et  toutes  les  nuits  les  âmes  qu’il  évoque,  et  persister 
» dans  cette  voie  jusqu’au  moment  où  il  sera  admis  à les  contempler 
» clairement,  par  la  grâce  du  Dieu  très-haut.  Dès  lors  celui-là  sera 
o dirigé,  et  bien  dirigé  par  elles  dans  toutes  ses  actions  et  dans  toutes 
» les  circonstances  de  sa  vie. 

» La  prière  dont  je  viens  de  parler  m’a  été  révélée  par  l’intermé- 
» diaire  du  cheikh  de  nos  cheikhs  et  par  son  cheikh  qui,  par  la  grâce 
» de  Dieu,  est  une  des  plus  puissantes  autorités.  » Mon  cheikh  Aboul- 
» Abbas-el-Araïchi  m’avait  dit  que  cette  prière  lui  avait  ensuite  été 
» révélée,  encore  directement,  par  le  Prophète  (que  Dieu  répande 
« sur  lui  ses  bénédictions  et  lui  accorde  le  salut!).  Le  Prophète 
» lui  avait  ordonné  d’y  joindre  certains  passages  qu’il  lui  indiquait 
» à cause  des  grâces  qui  y sont  attachées,  et  il  lui  avait  ensuite  dit  les 
» paroles  suivantes  : « Pratiquez  cette  prière  pour  la  glorification  de 
» Dieu,  et  non  comme  certains  hommes  qui  ne  la  récitent  qu’en  vue 
» d’obtenir  des  faveurs  particulières  ou  des  avantages  terrestres.  J’ai 
» constaté  que  ceux  qui  l’observent  comme  je  la  recommande,  peuvent, 
» en  agissant  ainsi,  obtenir  autant  de  grâces,  par  ces  simples  prières, 
» que  d’autres  peuvent  en  gagner  par  une  année  entière  d’actes  de 
» dévotion,  de  jeûnes  et  d’exercices  de  culte.  » 

» On  peut,  dans  l’ordre  qui  nous  occupe,  ajoute  Cheikh-Snoussi, 
» recueillir  les  doctrines  du  Prophète  et  entrer  en  communication 
» avec  lui  (que  Dieu  répande  sur  lui  ses  bénédictions  et  lui  accorde 
» le  salut)  : d’abord,  sous  l’influence  de  ce  haut  degré  d’attention  où 
» l’homme,  voué  à la  vie  contemplative,  possède  la  faculté  de  saisir 
» les  moindres  avertissements  que  Dieu  lui  envoie,  et  celle  de  com- 
» prendre  à quoi  ils  se  rapportent;  ensuite,  pendant  le  sommeil,  et 
9 cela  bien  que  le  Prophète  soit  mort.  C’est  ainsi  que  chacun  des 
9 chefs  des  trois  principaux  ordres  a pu  arriver,  dans  la  dernière  par- 
» tie  de  son  existence,  à n’avoir  de  confiance  en  aucun  autre  qu’en 
« lui  (le  Prophète).  Tout  le  monde  doit  retourner  à lui  (que  Dieu  ré- 
» pande  sur  lui  ses  bénédictions  et  lui  accordé  le  salut  !)  Les  affiliés 


— 406  — 


» de  l’ordre  de  Mohammed  jouissent  spécialement  de  cette  laveur; 
» aussi  est-ce  pour  cette  raison  qu’ils  sont  exclusivement  qualifiés  do 
» Mohammediin.  » 


En  1835,  à la  mort  de  Si  Ahmed-ben-Idris-el-Fassi,  ses 
disciples  ne  purent  s’entendre  sur  le  choix  de  son  suc- 
cesseur. Deux  groupes  rivaux  se  formèrent,  et  l’ordre 
des  Khadirya  se  scinda  en  deux  branches  ennemies, 
ayant  pour  directeurs,  la  première,  un  Indien,  Si  Moham- 
med-Salah-el-Megherani,  la  seconde,  un  Algérien,  Si 
Mohammed-ben-Ali-ben-es-Snoussi.  Il  va  sans  dire  que 
chacun  de  ces  deux  cheikh  se  prétendit  le  seul  continua- 
teur, autorisé  et  légitime,  de  l’œuvre  de  Si  Ahmed-ben- 
Idris,  et  le  seul  véritable  grand  maître  des  Khadirya  ou 
Mohammediin. 

Chacun  d’eux  aussi  s’empressa  de  construire,  à La 
Mecque  même,  une  zaouïa  pour  servir  de  chef-lieu  à 
l’ordre  qu’il  dirigeait.  Si  Mohammed-Salah-el-Megherani 
fut  assez  heureux  pour  construire  la  sienne  dans  le 
quartier  béni  de  Dar-Khaizaran  (1),  où  se  trouve  l’empla- 
cement de  la  maison  dans  laquelle  le  Prophète  tenait  ses 
conventicules  secrets,  avant  la  conversion  d’Omar.  C’est, 
après  le  temple  et  après  la  maison  de  Khedidja,  «l’en- 
» droit  le  plus  favorable  à la  prière,  celui  où  toutes  les 
» prières  sont  exaucées.  » 

Les  kliouan  qui  s’attachèrent  à Si  Ahmed-ben-Salah- 
ol-Megherani  et  à la  zaouïa  de  Dar-Khaizaran  sont  au- 
jourd’hui connus  sous  le  nom  de  Mogharanya  ou  de 
Soualiah. 

Quant  à ceux  des  disciples  d’Ahmed-ben-Idris  qui 
avaient  suivi  Si  Mohammed-ben-Ali-Snoussi,  ils  aidèrent 
ce  dernier  à bâtir  une  zaouïa,  sur  la  montagne  d’Abou- 
Kobaïs,  qui  passe  pour  être  la  première  des  montagnes 


(1)  Ce  terrain  fut  acheté  au  IIIe  siècle  de  l’Hégire  par  Khaizaran, 
mère  du  khalife  Haroun-cr-Rachid,  et  il  a conservé  le  nom  de  cette 
personne. 


— 407  — 


que  Dieu  créa  et  celle  où  sont  enterrés  Adam,  Eve  et  leur 
fils  Seth. 

Les  khouan  de  la  zaouïa  d’Abou-Kobais  ne  tardèrent 
pas  à prendre  le  nom  de  Snoussya,  qu’ils  ont  conservé 
depuis. 

De  sorte  qu’aujourd'hui,  l’ordre  des  Khadirya  n’est 
guère  connu,  sous  ce  nom,  que  par  les  gens  instruits, 
la  masse  des  musulmans  préférant  donner  aux  khouan 
Mohammediin  les  dénominations  de  Mogharanya  ou  de 
Soualiah  ou  de  Snoussya. 

Les  Mogharanya  ou  Soualiah  sont  restés  puissants 
à La  Mecque  et  dans  l’Orient;  mais  nous  manquons,  ici, 
de  renseignements  précis  sur  leur  compte.  Quant  aux 
Snoussya,  dont  le  centre  n’est  plus  à La  Mecque,  où  ils 
n’ont  qu’une  succursale  de  leur  maison-mère,  ils  sont 
plus  loin  l’objet  d’un  chapitre  spécial. 


— 408  — 


CHAPITRE  XXVIII 

Z I À N Y A 

EL-  HADJ  - MAHMED  - BEN  - ABDERRAHMAN  - BEN- 
ABOU-ZIAN 

(Mort  le  10  ramadan  1145.  — 24  février  1733  de  J.-C.  (b) 


Si  Mahmed-ben-Abderrahman-ben-Abou-Zian,  plus 
connu  sous  le  nom  de  Mouley-Bouzian,  naquit,  vers  le 
milieu  du  XVIIe  siècle  de  notre  ère,  d’une  famille  de 
Cherfa  fixée  à l’embouchure  de  l’oued  Draâ.  Il  étudia 
d’abord  à l’Université  de  Fez  ; mais  il  fjit  chassé  de  cette 
ville  par  ordre  de  l’empereur  à qui  i)  avait  été  repré- 
senté comme  possédé  du  démon  et  magicien.  La  vérité, 
dit  la  légende,  c’est  que  Dieu  avait  lait  pour  lui  un 
miracle,  en  faisant  couler  de  son  kalant  (roseau-plume) 
l’huile  qu’il  devait  payer  pour  sa  quote-part,  comme 
salaire  de  son  professeur. 

Mouley-Bouzian  se  réfugia  alors  au  Tafilalet,  auprès 
d’un  saint  homme  nommé  Embarck-bei>Abdel-Aziz,  le- 
quel était  moqaddem  des  Nacerya  ; il  prit  le  dikr  de  cet 
ordre,  et,  quand  il  n’eut  plus  rien  à apprendre  de  son 
maître,  il  partit  dans  la  direction  de  la  Mecque,  et 
séjourna  plus  ou  moins  longtemps  auprès  des  person- 
nalités religieuses  qu’il  rencontra  sur  sa  route. 

Chemin  faisant,  il  édifia  les  gens  par  sa  piété  sincère  et 
sa  grande  perspicacité  tant  dans  les  choses  humaines 
que  dans  les  choses  de  Dieu.  A La  Mecque  il  fut  favorisé 


(1)  On  dit  aussi  Zianin,  mais  c’est  moins  correct. 


— 409  — 


de  visions  extatiques,  de  révélations  surnaturelles,  et  il 
reçut  le  don  de  Kerama  ( c’est-à-dire  le  pouvoir  de 
faire  des  miracles. 

Lors  de  son  retour  au  Caire,  à Tripoli,  à Tunis,  « la 
lumière  qu’il  répandait  autour  de  lui  était  tellement  res- 
plendissante que  de  tous  côtés  les  fidèles  lui  deman- 
daient la  grâce  d’être  initié  par  lui  au  dikr  des  Chadelya.  » 
Cédant  à leurs  instances,  il  créa,  sur  ces  divers  points, 
des  khalifa  ou  des  moqaddem  ; ceux-ci  ont  fait  souche  de 
petites  congrégations  locales  qui,  aujourd’hui,  l’invo- 
quent comme  un  saint  de  leurs  chaînes  et  se  servent  de 
son  nom  pour  demander  des  ziara. 

Au  lieu  de  rentrer  dans  son  pays,  il  s’arrêta  chez  les 
Doui-Menia,  non  loin  de  l’oued  Guir,  au  lieu  dit  Kenadsa, 
où  il  fonda  une  zaouïa  qui  est  devenue  le  centre  d’un 
ksar  important. 

De  nombreux  disciples  vinrent  bientôt  se  grouper  au- 
tour de  lui,  jaloux  de  s’instruire  et  de  participer  à sa 
baraka.  Quand  sa  réputation  fut  bien  établie  et  son  ensei- 
gnement assuré  par  ses  élèves,  il  entreprit  dans  le 
Sahara  de  grandes  pérégrinations  qui  achevèrent  d’éten- 
dre et  de  grandir  son  influence. 

Cette  influence  personnelle,  « aussi  bien  que  les  pou- 
voirs surnaturels  dont  Dieu  l’avait  gratifié»,  Mouley- 
Bouzian  les  employa,  sa  vie  durant,  à terrifier  et  à châ- 
tier les  voleurs,  bandits  et  coupeurs  de  route,  qui  de  son 
temps  infestaient  le  Sahara. 

Parmi  les  nombreux  miracles  que  lui  attribuent  les 
légendes  hagiographiques,  nous  citerons  le  suivant,  parce 
que  le  souvenir  en  est  toujours  vivant  dans  le  Sahara  et 
surtout  parce  qu’il  est  le  point  de  départ  de  la  ligne  de 
conduite  suivie  par  les  descendants  et  les  adeptes  de 
Mouley-Bouzian. 

« Un  jour,  pendant  que  le  Saint  était  dans  la  mosquée  à prier,  des 
voleurs  osèrent  s’emparer  de  ses  troupeaux  provenant  des  offrandes 
des  fidèles.  Mais  Dieu  se  chargea  de  les  châtier.  El-Khadir,  sous  la 
forme  et  les  traits  de  Mouley-Bouzian  qui  priait  toujours  dans  la 


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mosquée,  se  présenta  tout  à coup  aux  voleurs  et  les  mit  en  joue  avec 
son  bâton.  Aussitôt  ceux-ci  tombèrent  morts.  Les  bergers  qui  les 
avaient  suivis,  en  se  cachant,  furent  témoins  du  miracle  et  ramenèrent 
les  troupeaux  au  cheikh  qui  n’avait  pas  bougé  de  la  mosquée  où,  ses 
prières  terminées,  il  s’était  mis  à instruire  ses  disciples.  » 


Ce  miracle  « incontestable  » fit  grand  bruit,  et,  depuis 
lors  jusqu’aujourd’hui,  les  coupeurs  de  route  n’ont  plus 
osé  s’attaquer  aux  troupeaux  ni  aux  caravanes  placés 
sous  la  protection  de  Mouley-Bouzian  qui,  bien  que 
mort,  continue  à faire  la  police  du  Sahara  « quand  on 
s’adresse  à lui  avec  un  cœur  pur.  » 

Gomme  doctrines,  Mouley-Bouzian  se  disait  le  conti- 
nuateur de  Sid  Chadeli;  il  conserva  toujours  intégra- 
lement son  dikr  et  se  contenta  d’y  ajouter  quelques 
formules  et  prières  surérogatoires. 

Le  premier  jour  du  mois  de  ramadan  1145  (15  fé- 
vrier 1733),  après  avoir  présidé,  plein  de  santé,  les  prières 
publiques  faites  à cette  occasion,  il  annonça  aux  fidèles 
rassemblés  que  sa  mort  était  proche.  Prenant  alors  à 
part  un  de  ses  disciples.,  il  le  chargea  d’aller  annoncer 
cette  nouvelle  à un  de  ses  amis.  — Dois-je,  ô Maître,  me 
presser  de  vous  le  ramener,  demanda  le  disciple.  — 
Non,  répondit  gravement  le  cheikh,  il  est  écrit  que  nous 
ne  nous  reverrons  plus  sur  terre.  Dix  jours  plus  tard 
(24  février  1733)  Mouley-Bouzian  mourait  et  était  enterré 
à Kenadsa  qui  est  resté  le  lieu  de  sépulture  de  sa  famille 
et  de  tous  les  chefs  de  l’ordre  qui,  par  la  volonté  expresse 
de  Mouley-Bouzian,  sont  toujours  choisis  dans  la  famille 
de  ce  saint. 

La  chaîne  mystique  qui  relie  l’enseignement  des  Zianya 
à celui  du  Prophète  et  de  Sid  Chadeli,  nomme  un  grand 
nombre  de  saints  qui  nous  sont  déjà  connus  comme 
chefs  d’ordres  ou  de  branches  dérivées  des  Chadelia  ; en 
voici  la  liste  : 


L’ange  Gabriel.  — Le  Prophète.  — 1,  Ali-ben-Abou-Taleb.  — 2,  Iias- 
san-el-Bosri. -t  3,  Habib-el-Iladjemi.  — 4,  Daoud-et-Taï.  — 5,  Marouf- 


411  — 


cl-Kcrkhi.  — 6,  Seri-Sakali.  — 7,  Abou-Kacemel-Djenidi.  — 8,  Abou- 
Mohammed-Djarir. — 9,  AbouTalcb-el-Mekki. — 10, 1)ia-cd-Din-Abou- 
Maali-Abdel-Melek-cl-Djouimi  478  (1085).  — 11,  Abou-Ahmed-cl-R’azali 
504  (1111).  — 12,  Abou-Beker -Mohammed-ben- Abdallahech-Chibli-el- 
Moali-ben-el-Ai  abi  546  (1151).  — 13,  Abou-Yazza.  — 14,  Ali-ben-el- 
Ilarazoum. — 15,  Choaïb-Abou-Median-el-R'out. — 16,  Abou-Mohammcd- 
el-Madani.  — 17,  Abderrahman-el-Madani.  — 18,  Abdesselem-ben-Ma- 
chich.  — 19,  Abou-ilassen-ech-Chadeli.  — 20,  Abou-Abbas-cl-Mourci.  — 
21,  Tadj-ed-Din-ben-Ata-Allah.  — 22,  Daoud-el-Betahii.  — 23,  Ouafa. 

— 24,  Ali-ben-Ouafa.  — 25,  Yahia-el-Qadiri.  — 26,  Ahmed-ben-Okba- 
el-Hadrami.  — 27,  Ahmed-Zenouk-el-Bernoussi.  — 28,  Ahmed-ben-Yoncef- 
el-Miliani.  — 29,  Ali-ben-Abdallah-el-Filali.  — 30 , Abou  el-Hassen-Kacem- 
er-Razi , dit  aussi  Er-Razi-ben-Abou-el-Kacem.  — 31,  Ahmed-ben-Ali. 

— 32,  Mohammcd-bcn-lbrahim.  — 33,  Abdallah-ben-el-Hoceïn.  — 
34,  Mohammed-ben- N acer-ed- Dr  ai.  — 35,  Embarek-ben-Mohammed- 
ben-Sid-Abd-el-Aziz-el-Sildjemassi-el-R’orfi.  — 35  bis,  Sid  Moham- 
med-ben-Ali-ben-Embarek.  — 36,  Sid  El-Hadj-Mahmed-ben-Abder- 
rahman-ben-Abou-Zian,  dit  Mouley-Bouzian,  mort  le  10  ramadan  1145 
(24  février  1733),  selon  les  uns,  mais  seulement  en  1151  (1739),  selon 
d’autres. 

Ses  successeurs  ont  été:  37,  Mohammed  dit  El-Aradj  (fils  du  précé- 
dent, 1196  (1781).  - 38,  Abou-Median-ben-el-Aradj,  1214  (1799).  — 39, 
Mohammed,  dit  Ben-Abdallah-ben-Abou-Median,  1241  (1825).  — 40, 
Abou-Median-ben-Mohammed-Abdallah,  1270  (1853).  — 41,  Mohammed- 
ben-Mohammed,  dit  Ben-Mostefa-ben-Mohammed,  frère  du  précédent, 
1272  (1855).  — 42,  Sid  Mohammed-ben-Abdallah,  chef  actuel  de  l’ordre. 


Les  Zianya  pratiquent  les  divers  ouerd  des  Chadelia, 
mais  leur  dikr  ordinaire  consiste  à répéter  le  matin  à la 
prière  du  Fedjer  : 

100  fois  : « Demande  pardon  à Dieu  » dit 

100  fois  : O mon  Dieu,  la  prière  sur  notre  Seigneur  et 
notre  maître  Mohammed,  sur  ses  parents,  sur  ses  com- 
pagnons, et  le  salut  ! 

31  j J.^csr'3  U^jj^  j U dit  ^13 1 
1,000  fois  : Il  n’y  a de  divinité  que  Allah,  dit  Yt  dit  Y. 
100  fois:  Que  Dieu  soit  loué,  que  Dieu  soit  glorifié  ! 

8-X^.cs.  j dit  -^Lssm^w. 

1,000  fois:  Allah!  dit. 


412  — 


La  légende  musulmane  veut  que  ce  dikr  ait  été  donné 
à Ali,  par  le  Prophète,  qui  le  tenait  de  l’ange-  Gabriel,  qui 
le  tenait  de  l’ange  Michael,  qui  le  tenait  de  l’ange  Isra- 
phil,  qui  le  tenait  de  Dieu  lui-même. 

C’est,  au  dire  du  Prophète  et  de  la  tradition,  le  meilleur 
de  tous  les  dikr  et  celui  qui  conduit  infailliblement  au 
salut,  s’il  est  fidèlement  observé. 

Cependant,  à certains  frères  qui  s’élèvent  au-dessus 
des  autres  par  leur  ferveur,  on  recommande  encore  de 
réciter  aussitôt  après  la  prière  de  l’aurore,  celle  dite  : 
« Oudifet  Sidi-Ahmed-Zerrouk.  » Un  grand  secret  est 
attaché  à la  récitation  de  cette  prière  privilégiée,  secret 
qui  n’est  dévoilé  qu’à  un  petit  nombre  d’adeptes  : « Mais 
» on  sait,  en  outre,  que  celui  qui  fait  le  matin  cette  prière 
» avec  un  cœur  pur  et  tout  le  recueillement  désirable, 
» est  absolument  préservé  de  tout  malheur  pendant  la 
» journée.  » 

Les  pratiques  d’austérité,  de  prières  continues,  de  re- 
noncement aux  biens  de  ce  monde,  sont,  non-seulement 
enseignées  chez  les  Zianya,  mais  observées  d’une  façon 
effective.  Les  chefs,  khalifas  et  moqaddem,  passent  pour 
être  pauvres,  malgré  l’affluence  des  ziara,  toutes  em- 
ployées, disent-ils,  en  œuvres  pieuses. 

Les  doctrines  de  l’ordre  de  Si  Mahmed-bou-Zian  ne 
paraissent  pas  d’ailleurs  présenter  de  points  particuliers, 
qui  les  différencient  de  celles  des  Djenaïdia  et  des  Cha- 
delia. 

Dans  la  pratique,  la  spécialité  des  Zianya  est  de  con- 
duire les  caravanes  et  de  les  protéger  contre  les  brigands 
et  les  coupeurs  de  route  ; ils  sont  les  pilotes  du  Sahara. 
Pas  un  commerçant  n’oserait  faire  partir  un  convoi  de 
marchandises  dans  le  Sud,  sans  en  avoir,  au  préalable, 
assuré  la  protection  par  les  Zianya.  En  échange  de  la  ziara 
fournie  et  .de  l’acte  de  déférence  fait  vis-à-vis  de  lui  ou 
de  ses  moqaddem,  le  chef  de  l’ordre  donne  sa  bénédic- 
tion et  un  rekkab  muni  d’une  lettre  portant  son  cachet. 
Ce  rekkab  sert  à la  fois  de  guide  et  d’imam  à la  caravane. 


— 413  — 


Outre  la  connaissance  qu’il  a des  chemins  et  des  hommes 
du  pays,  il  est,  par  son  caractère  religieux  et  sa  qualité 
de  frère-profès  de  Si  Mahmed-bou-Zian,  la  meilleure 
sauvegarde  possible  pour  les  chameliers  et  pour  leurs 
chargements. 

Les  bénéfices  que  rapporte  à la  zaouïa  mère  ce  genre 
de  service  est  considérable,  surtout  dans  les  temps  de 
troubles.  Aussi,  les  propriétés  des  Zianya  sont-elles  nom- 
breuses, tant  à Kenatsa  qu’au  Tafilalet,  chez  les  Beni- 
Goummi  et  dans  l’oued  Draâ.  Cependant  la  vie  des  chefs 
de  zaouïa  reste  toujours  très  austère  et,  personnelle- 
ment, ils  paraissent  pauvres,  car  tous  les  revenus  sont 
dépensés. 

Tous  les  ans,  des  khalifas,  appartenant  tous  à la  fa- 
mille du  chef  de  l’ordre  et  munis  par  lui  de  pouvoirs 
spéciaux,  sont  envoyés  en  inspection  dans  les  tribus  ; 
ils  font  rentrer  les  ziara,  procèdent  aux  nominations  des 
moqaddem  présentés  par  les  adeptes,  donnent  les  ins- 
tructions du  grand  maître,  stimulent  l’envoi  des  cara- 
vanes, enfin  s’occupent  à la  fois  des  affaires  spirituelles 
et  temporelles  de  la  communauté. 

C’est,  en  somme,  un  ordre  animé  d’un  grand  esprit  de 
tolérance;  presque  tous  ses  membres  vivent  très  digne- 
ment, en  dehors  des  choses  de  ce  monde,  faisant  du 
bien  autour  d’eux,  se  livrant  à l’enseignement  du  Coran 
et  continuant  à donner  à l’ordre  le  relief  de  sainteté  qui 
lui  attire  la  vénération  des  fidèles,  de  nombreux  adhé- 
rents et  des  ziara  fructueuses. 

Hâtons-nous  de  dire  que  l’hospitalité  se  donne  large- 
ment dans  toutes  les  zaouïa  des  Zianya  ; que  les  aumônes 
faites  sont  considérables  et  que  moqaddem  et  khouan 
évitent,  avec  le  plus  grand  scrupule,  de  se  mêler  aux 
soffs  locaux  ou  régionaux,  leur  impartialité  absolue,  en 
tous  temps  et  en  tous  lieux,  étant  une  question  essen- 
tielle pour  le  maintien  de  leur  influence  et  la  réussite  de 
leur  action  protectrice  sur  les  caravanes. 

Les  zaouïa  donnent  asile  aux  vaincus  ; les  moqaddem 


— 414-  — 


s’interposent  pour  la  paix,  mais  ils  refusent  leur  con- 
cours à tel  ou  tel  soff;  l’empereur  du  Maroc,  comme  aussi 
les  Taïbya,  se  sont  souvent  heurtés  à la  force  d’inertie 
opposée  par  les  Zianya  à leurs  influences  politique  ou 
religieuse.  Les  Ouled-Sidi-Cheikh  n’ont  pas,  non  plus, 
réussi  à entraîner  les  Zianya  dans  leur  parti,  bien  qu’un 
certain  nombre  de  Cheraga  se  soient  affiliés  à leur  ordre, 
parce  que  plusieurs  familles  des  R’raba  étaient  affiliées 
aux  Taïbya.  Les  Zianya  sont  restés  bien  avec  les  uns 
comme  avec  les  autres. 

Leur  conduite,  à notre  égard,  a été  toujours  conforme 
à ces  principes  : ils  ont  donné  asile  à nos  ennemis, 
mais  ils  n’ont  jamais  excité  personne  contre  nous.  Nous 
devons  même  signaler  à ce  propos  que  les  premiers  in- 
surgés du  cercle  de  Géryville,  qui  ont  fait  volontairement 
leur  soumission  en  1881,  étaient  des  individus  apparte- 
nant aux  Tidjanya  et  aux  Zianya.  En  cette  circonstance, 
l’attitude  du  marabout  de  Kenadsa  a été  très  bonne. 

En  tous  temps  ses  khalifa  s’efforcent  d’entretenir  de 
bonnes  relations  avec  les  autorités  de  la  frontière,  et, 
s’ils  ont  des  gens  à envoyer  pour  recueillir  des  ziara,  ils 
le  demandent  officiellement,  dans  des  termes  convena- 
bles et  en  renouvelant  toujours  leurs  protestations 
d’amitié  pour  la  France,  amitié  qui,  du  reste,  ne  les  a ja- 
mais fait  se  départir  de  leur  stricte  neutralité  vis-à-vis  de 
nos  dissidents.  Ceux-ci  s’approvisionnent  chez  eux  sans 
difficulté  aucune,  cela  étant  considéré,  par  les  mara- 
bouts de  Kenadsa,  comme  une  affaire  de  conscience  et 
de  commerce,  et  non  comme  une  alliance  de  guerre. 

En  1870,  lors  de  l’expédition  de  l’oued  Guir,  le  générai 
Wimpffen  a obtenu  très  gracieusement,  du  chef  de  la 
zaouïa  de  Kenadsa,  de  l’orge  et  surtout  des  animaux  de 
boucherie  dont  il  avait  grand  besoin. 

Les  Zianya  ont  des  adeptes  nombreux  dans  le  Maroc, 
à Aïn-Thaïr,  au  Tafïlalet,  à l’oued  Draâ,  chez  les  Beni- 
Snassen,les  Doui-Menia,  les  Beni-Guil,  les  Ouad-Djerer, 


— 415  — 


chez  les  Mehaia,  à Figuig,  etc.  L’empereur  les  a en 
grande  considération  : il  les  exempte  de  tout  impôt  et, 
de  temps  à autre,  leur  envoie  des  présents. 

Dans  le  Sud  indépendant,  les  Zianya  ont  des  khouan 
chez  les  Beni-Goumi,  dans  le  Touat,  le  Gourara  et  jus- 
que dans  le  Soudan. 

Sur  la  frontière  même  il  y a de  nombreux  Zianya,  chez 
les  Angad  et  les  Hamyan,  tant  Marocains  qu’ Algériens. 

Dans  la  province  d’Oran,  ils  sont  ostensiblement  en 
bons  termes  avec  les  Taïbya,  les  Kerzazya,  les  Qadrya  et 
les  Tidjanya;  mais  ces  apparences  peuvent  et  doivent 
certainement  cacher  des  rivalités  secrètes. 

Le  nombre  de  leurs  adhérents,  dans  cette  province  où 
ils  ont  quatre  zaouïa,  est  de  91  moqaddem  et  3,088 
khouan. 

Dans  la  province  d’Alger,  ils  ont  6 moqaddem  et  217 
khouan,  mais  ils  n’ont  pas  d’adeptes  dans  la  province  de 
Constantine. 

C’est  donc  un  total  de  3,400  affiliés  pour  toute  l’Al- 
gérie. 


— 416  — 


CHAPITRE  XXIX 


LES  TIDJANYA 

SI  AHMED-BEN-MOHAMMED-BEN-EL-MOKHTAR-BEN- 
S ALE  M-ET-TI  DJ  AN  I 

Ordre  religieux  fondé  à Bou-Semghroun  en  1196  de  l’Hégire. 

- 1781-82  de  J.-C.  - 
Maison-mère  à Aïn-Madhi  ou  à Temacin 


Dès  le  XVIIe  siècle  de  notre  ère,  la  petite  ville  d’Aïn- 
Madhi,  située  sur  les  dernières  pentes  du  Djebel-Amour, 
à 70  kilomètres  de  Laghouat,  était  célèbre,  dans  tout  le 
Sahara,  par  le  nombre  et  l’érudition  des  Cheurfa,  qui  y 
affluaient  des  divers  points  de  l’Afrique  Septentrionale. 

Plusieurs  savants , réputés  comme  ayant  été  les 
lumières  de  l’Islam,  ont  professé  dans  cette  zaouïa, 
dont  parlent  avec  éloge  deux  écrivains  marocains  bien 
connus  : El-Ayachi  qui,  vers  1640  de  J.-G.  (1049-1050  de 
l’H.),  était  cadhi  aux  sources  de  la  Moulaya  ; et  Mouley- 
Ahmed  qui,  vers  1719  de  J.-C.  (1131-1132  de  l’H.),  fut 
l’imam  de  la  zaouïa  de  Tamagrout,  sur  l’oued  Dra. 

La  famille  la  plus  importante,  parmi  ces  Cheurfa,  était 
celle  des  Ouled-Cheikh-Sidi-Mohammed,  que  la  tradition 
donnait  comme  issue  du  chérif  marocain  fondateur  de 
la  ville  d’ Aïn-Madhi,  bien  avant  la  conquête  d’Alger  par 
les  Turcs  (1). 


(1)  Voir,  sur  Sid  Ahmcd-Tidjani,  dans  la  Revue  africaine , trois  arti- 
cles de  M.  Arnaud,  interprète  militaire.  — Année  1861,  p.  468,  « His- 
toire du  Ouali  Sid  Ahmed-el-Tidjani.  » — - Année  1864,  p.  354  et  p.  435, 
Siège  d’ Aïn-Madhi,  par  El-Hadj-Abd-el-Qader-ben-Mahi-ed-Din.  — 
Voir  aussi  les  Touareg  du  Nord,  par  H.  Duveyrier,  p.  306. 


— 417  — 


En  1150  de  l’H.  (1737-38  de  J.-C.),  le  chef  de  cette  famille, 
Sid  Mohammed-ben-el-Mokhtar-et-Tidjani,  homme  ins- 
truit et  distingué,  eut  un  fils,  Sid  Ahmed,  qui,  de  bonne 
heure,  se  fît  remarquer  par  son  intelligence  et  sa  piété. 

Avant  même  qu’il  eût  atteint  l’âge  de  puberté,  son  sa- 
voir, sa  modestie  et  ses  vertus  l’avalent  fait  remarquer 
et  le  faisaient  citer  comme  exemple.  A la  mort  de  son 
père,  survenue  en  1166  de  l’H.  (1752-53  de  J.-C.),  Sid 
Ahmed,  bien  qu’âgé  seulement  de  16  ans,  était  déjà 
assez  instruit  pour  continuer  l’enseignement  de  son 
père,  ce  qu’il  fît  pendant  cinq  ans. 

En  1171  de  l’H.  (1757-1758  de  J.-C.),  il  quitta  Aïn-Madhi 
et,  suivant  l’usage  des  tolba,  il  se  mit  à voyager,  pour 
pouvoir  profiter  des  leçons  que  donnaient,  en  d’autres 
pays,  les  professeurs  les  plus  renommés.  11  commença 
par  se  rendre  à Fez,  où  il  resta  quelque  temps  au  Dar-el- 
Alem,  augmentant  chaque  jour  sa  science,  par  la  fré- 
quentation des  habiles  docteurs  de  cette  université.  Muni 
de  diplômes  lui  conférant  le  droit  d’enseigner  toutes  les 
sciences  connues  des  Musulmans  de  cette  époque,  il 
revint  à Aïn-Madhi,  en  s’arrêtant  dans  les  diverses  zaouïa 
situées  sur  sa  route.  Il  se  rendit  ensuite  à El-Abiod- 
Sidi-Cheikh,  où  il  demeura  quelque  temps  auprès  de  Sidi 
Cheikh-ben-ed-Din,  puis  à Tlemcen  en  1181  de  l’H.  (1767- 
68  de  J.-C.),  où  il  professa  plusieurs  années. 

Lorsque,  plus  tard,  en  1186  de  l’H.  (1772-73  de  J.-C.), 
âgé  seulement  de  36  ans,  il  fît  le  pèlerinage  de  La 
Mecque,  il  étonna  tous  les  docteurs  de  la  Ville-Sainte 
par  la  maturité  de  son  esprit  et  l’étendue  de  ses  connais- 
sances; aussi,  de  tous  côtés,  on  lui  demandait  quel  était 
son  cheikh  ; ce  à quoi  il  répondait  : « Tout  ce  que  je 
sais,  je  l’ai  recueilli,  non  pas  d’un  seul  homme,  mais  de 
tous  les  savants  que  j’ai  rencontrés.  » 

Cette  réponse  était  l’expression  de  la  vérité  ; car  Si 
Ahmed,  qui  s’était  fait  affilier  à un  grand  nombre  d’or- 
dres religieux,  avait  eu  de  nombreux  maîtres.  Son  pre- 
mier cheikh  avait  été  un  moqaddem  des  Qadrya,  sid 

27 


— 418  — 


Ahmed-ben-Hassen  (à  Fez);  puis  il  avait  pris,  de  Mou- 
ley-Taïeb  lui-même,  le  dikr  des  Taïbya  ; et  de  Sid  Mah- 
med-ben-Abd-er-Rahman  (Bou-Qobrin),  celui  des  Rah- 
manya.  Il  avait  eu,  ensuite,  pour  cheikh,  un  moqaddem 
des  Nacerya,  Sid  Mohammed-ben-Abd-Allah-et-Tezani  ; 
puis  un  moqaddem  des  Habibya,  Sid  Ahmed-el-Habib- 
ben-Mohammed-el-Ghomari-el-Filali-es-Seddiki,  etc.  Il 
cite  encore  : Sid  Ahmed-et-Touachi,  de  Taza  ; Si  Abd-es- 
Semed-el-Bohouri,  à Tunis,  en  1186  de  TH.  (1772-1773  de 
J. -G.)  ; Sid  Ahmed-ben-Abd-Allah-el-Hendi,  à La  Mecque, 
en  1187  de  l’H.  (1773-1774  de  J.-C.)  ; Sid  Mohammed-ben- 
Abd-el-Kerim,  dit  Cheikh-es-Semman,  à Médine;  et, 
enfin,  Sid  Mahmoud-el-Kordi,  au  Caire.  Ce  fut  ce  dernier 
qui,  après  l’avoir  fait  moqaddem  des  Hafnaouya,  l’enga- 
gea à réunir  ses  disciples  en  une  association  religieuse 
ayant  son  dikr  particulier. 

En  quittant  ce  cheikh,  Sid  Ahmed  se  rendit  à Tunis, 
puis  rentra  à Aïn-Madhi  d’où  il  repartait  bientôt  pour 
Tlemcen  et  Fez. 

C’est  dans  cette  ville,  où  il  arriva  pour  la  seconde  fois 
en  1191  de  l’H.  (1777-1778  de  J.-C.),  qu’il  commença  à jeter 
les  premières  bases  de  l’ordre  qu’il  voulait  fonder.  Il 
avait  déjà,  depuis  longtemps,  recueilli  et  rassemblé  ce 
qui  lui  avait  semblé  le  meilleur,  dans  tout  ce  qu’il  avait 
lu  ou  appris,  et  il  en  avait  formé  un  corps  de  doctrine 
essentiellement  éclectique,  qu’il  se  mit  alors  à professer 
publiquement.  Il  eut  bien  vite,  autour  de  lui,  un  noyau 
de  disciples  dévoués;  mais  estimant  sans  doute  que  le 
milieu  de  Fez,  où  s’agitaient  de  nombreuses  intrigues 
politiques  et  religieuses,  n’était  pas  celui  qui  convenait 
pour  le£  débuts  d’un  nouvel  ordre  mystique,  il  quitta 
cette  ville,  en  1196  de  l’H.  (1781-82  de  J.-C.),  et  se  rendit  à 
Bou-Semghoun  (1).  Là,  il  trouva  une  immense  quantité 
de  personnes  attirées  par  l’annonce  de  son  arrivée,  et 
désireuses  de  le  prendre  pour  directeur  spirituel. 


(1)  Bou-Semghoun,  ksar  et  oasis  à 120  kilom.  sud  de  Géryville. 


— 419  — 


Ce  fut  là,  en  1196  de  PH.  (1781-82  de  J.-C.)  que  Sid 
Ahmed-ben-Mokthar-et-Tidjani  déclara  que  le  Prophète 
lui  était  apparu,  et  qu’il  lui  avait  ordonné  d’abandonner 
toutes  les  voies  qu’il  avait  suivies  jusqu’alors,  en  lui 
disant:  « Personne  n’aura  de  reproche  à te  faire,  car 
» c’est  moi  qui  serai  ton  intermédiaire  auprès  de  Dieu, 
» et  aussi  ton  auxiliaire.  » 

Fort  de  cet  avertissement  céleste,  Tidjani  fît  solennel- 
lement prendre  à ses  disciples  le  dikr  que  le  Prophète 
lui  avait  révélé,  et  les  organisa  en  congrégation.  Le  point 
principal  du  règlement  particulier  qu’il  leur  imposait, 
sous  peine  d’expulsion  et  de  malédiction,  fut  de  ne  ja- 
mais s’affilier  à un  autre  ordre  religieux. 

En  même  temps,  parmi  les  nombreux  appuis  qu’il 
avait,  il  adoptait  définitivement  pour  son  enseignement 
la  chaîne  des  Khelouatya  à laquelle  il  se  rattachait  par 
Si  Mahmoud-el-Kordi,  et  que  lui-même,  dans  ses  ou- 
vrages, donne  de  la  façon  suivante  : 

L’ange  Gabriel.  — Le  Prophète.  — 1,  Ali-ben-Abou-Taleb.  — 2,  Abou- 
Hassan-el-Bosri,  mort  en  redjeb  de  l’an  110  (728).  — 3,  Habib-cl- 
Adjemi.  — 4,  Abou-Seliman-Daoud-ben-Aoceir-et-Taï,  mort  à Koufa, 
vers  160  (776).  — 5,  Marouf-el-Kherkhi,  mort  à Bagdad,  en  200  (815). 

— 6,  Es-Seri-ben-Morales-es-Saati,  251  (865).  — 7,  Abou-Kacem-ben- 
Mohammed-el-Djundi,  297  (910).  — 8,  Memchad-ed-Dinoueri,  299  (912). 

— 9,  Ouadjih-ed-Din-Mohammed-el-Bekri.  — 10,  Omar-el-Bekri.  — 
11,  Abo\i-Ned]ib-Cheiiab-ed-Din-es-Seheronrdi,  né  en  539  (1144),  mort  en 
632  (1234)  et  qui  était  disciple  d’Abd-el-Qader-el-Djilali.  — 12,  Qotb- 
ed-Din-el-Abhary-Abou-Bekr-Abd-Allah-ben-Tahar-el-Abhary.—  13, 
Chehab-ed-Din-Mohammed-ech-Chirazy.  — 14,  Djemel-ed-Din.  — 15, 
Ibrahim-ez-Zahed-el-Kilani.  — 16,  Mohammed-el-Khelouati. — 17,  Omar- 
el-Khelouati.  — 18,  Mohammed-Amabram  (ou  Maram  (sic).  — 19,  El-Hadj- 
Izz-ed-Din.  — 20,  Sedder-ed-Din.  — 21,  Sidi  Yahia-el-Bekri.  — 22, 
Hohammed-ben-Belia-ed-Din-Cherouany.  — 23,  Sultan-el-Mokades 
(de  Jérusalem),  Djemal-ed-Din-el-Khelouati.  — 24,  Khir-ed-Din-el- 
Nekadi.  — 25,  Chaban-el-Kestamouni.  — 26,  Mahi-ed-Din-el-Kesta- 
mouni.  — 27,  Sid  Omar-el-Aouady.  — 28,  Ismaïl-el-Hamari,  dont  le 
tombeau  est  près  de  celui  de  Bellal  l’Abyssinien,  en  Syrie.  — 29,  Mos- 
tefa-et-Tayebi.  — 30,  Chikh-Ali-Effendi-Kara-Pacha,  fils  du  précédent. 

— 31,  Chikh-Mostcfa-Effendi-el-Dinouri.  — 32,  Abd-el-Latif-el-Khe- 
louati.  — 33,  Sid  Mostefa-ben-Kamcd-el-Bekri-es-Seddiki.  — 34,  El- 


420  — 


Ilafni-el-Mosri.  — 35,  Sid  Mahmoud-el-Kourdi,  né  en  Irak  et  habitant 
l’Égypte.  — 36,  Sid  Ahmed- Tidjani  (1). 


Telle  fat  la  naissance  de  l’ordre  des  Tidjanya.  De  1196 
à 1213  de  PH.  (1781-1799  de  J.-C.),  c’est-à-dire  pendant 
environ  18  ans,  Sid  Ahmed  se  fit  le  missionnaire  actif  de 
sa  doctrine,  en  parcourant  le  Sahara,  le  Touat,  le  Soudan, 
la  Tunisie,  créant  partout  des  zaouïa  et  des  moqaddem 
pour  la  propagation  de  son  ordre. 

Cet  ordre  naissant  avait  pris  rapidement  une  extension 
considérable  et  était  devenu  une  véritable  puissance. 
Aussi,  dès  1783  de  J.-C.  (1197-98  de  l’H.),  l’influence  de 
Sid  Ahmed-el-Tidjani  donnait-elle  des  inquiétudes  au 
gouvernement  turc,  et  le  bey  d’Oran,  Mohammed-el- 
Kebir  (2),  venait,  en  1784-85  de  J.-C.  (1199  de  l’H.),  s’em- 
parer d’Aïn-Madhi  et  lui  imposer  un  tribut  annuel  de 
188  réaux. 

Deux  ans  plus  tard,  en  1787  de  J.-C.  (1201-1202  de  l’H.), 
son  fils,  le  bey  Otsman,  dut  recommencer  la  môme  expé- 
dition, pour  se  faire  payer  la  redevance  imposée  par  son 
père. 

Vers  1798-99  de  J.-C.  (1213  de  l’H.),  Sid  Ahmed,  fatigué, 
non  pas  de  son  apostolat,  mais  des  mesquines  querelles 
que  lui  suscitait,  à Aïn-Madhi  même,  un  parti  qui  se 
distinguait  de  ses  disciples  par  le  nom  de  Tidjadjna, 
quitta  définitivement  le  Sahara  et  vint  s’installer  à Fez. 

Les  habitants  de  cette  ville,  qui  depuis  longtemps  le 
connaissaient,  lui  firent  un  accueil  chaleureux,  et  de 
nombreux  adhérents  se  pressèrent  autour  de  lui. 

Le  moment  était,  du  reste,  bien  choisi  pour  la  propa- 
gation de  ses  doctrines  : le  Maroc  était  fatigué  par  plu- 


(1)  Il  n’est  pas  sans  intérêt  de  faire  remarquer  que  les  Tidjanya  qui, 
en  Algérie,  sont  partout  en  rivalité  d’influence  religieuse  et  politique 
avec  les  Rahmanya,  se  trouvent  avoir  la  même  chaîne. 

(2)  Voir  dans  les  tomes  III  et  IV  de  la  Revue  africaine,  le  récit  des 
sièges  de  Laghouat  et  d’Aïn-Madhi,  en  1199  de  l’H.  (1784-85  de 
J.-C.),  d’après  un  manuscrit  par  M.  Gorguos. 


— 421  — 


sieurs  années  de  guerres  civiles,  causées  par  la  faiblesse 
cle  ses  souverains  ; le  nouvel  empereur,  Mouley-Sliman, 
était  un  prince  énergique,  intelligent  et  désireux  de 
ramener  la  paix  et  la  prospérité  dans  ses  états.  En  véri- 
table chérif,  ce  souverain  comptait,  d’ailleurs,  s’appuyer 
sur  le  concours  de  l’élément  religieux;  il  venait  tout  juste 
de  s’assurer  celui  de  Mouley-Ali-ben-Ahmed,  chef  des 
Taïbya,  quand  Sid  Ahmed-Tidjani  arriva  à Fez. 

Mouley-Sliman,  très  versé  dans  les  études  théologi- 
ques, savait  que  les  Tidjanya,  bien  que  prêchant,  dans 
leurs  doctrines,  l’abstention  des  affaires  politiques, 
recommandaient  aussi  l’obéissance  aux  gouvernements 
réguliers.  Le  souverain  se  montra  donc  très  bien  disposé 
pour  le  chef  d’ordre  et  il  lui  fit  don  d’un  magnifique 
palais,  dit  Haouch-el-Meraïat  (le  domaine  des  glaces), 
dans  lequel  Sid  Ahmed  s’installa  avec  sa  famille  et  ses 
serviteurs. 

Ce  fut  dans  cette  résidence  princière  qu’il  dicta  à ses 
disciples,  Sid  El-Hadj-Ali-el-Harazimi  et  Si  Mohammed- 
ben-el-Mechri-es-Saïhi,  l’histoire  de  sa  vie  et  ses  recom- 
mandations à ses  khouan.  Ce  manuscrit,  devenu  le  livre 
de  doctrine  des  Tidjanya,  est  appelé  le  Kounnache,  cor- 
ruption verbale  du  titre:  Min-Koulli-Nachine , 

(de tout  recueilli,  le  meilleur);  il  porte  la  date  de  dou-el- 
kada  1214  (mars-avril  1800). 

Nous  reviendrons  sur  ce  livre,  que  Sid  Ahmed  a donné 
à ses  disciples  comme  ayant  été  écrit  « à la  suite  d’un 
» songe  dans  lequel  le  Prophète  lui  avait  donné  la  mis- 
» sion  d’expliquer  les  passages  obscurs  du  Saint-Livre 
» et  de  la  Sounna,  et  de  commenter  les  leçons  laissées 
» par  les  docteurs  et  les  cheikh.  » 

A la  même  époque,  Sid  Ahmed  faisait  élever  à Fez, 
dans  le  quartier  appelé  Houmet-el-Blida-er-R’arouya, 
une  zaouïa  où,  chaque  jour,  il  allait  réciter  ses  prières, 
lire  et  expliquer  le  Koran  et  la  tradition  à ses  nombreux 
khouan  et  disciples.  C’était  alors  un  beau  vieillard  à la 
barbe  éclatante  de  blancheur,  à la  physionomie  intelli- 


— 422  — 


gente  et  réfléchie.  Bien  qu’obèse  et  un  peu  voûté,  com- 
me tous  les  gens  d’étude,  il  avait  très  grand  air  ; sa  voix 
forte  et  sa  parole  éloquente  le  servaient  admirablement 
dans  ses  prédications. 

Vers  la  fin  de  sa  vie,  tout  le  temps  qu’il  ne  donnait  pas 
à l’enseignement  public  et  aux  exercices  de  piété,  il  le 
consacrait  à l’éducation  de  ses  deux  fils  : Sid  Moham- 
med-el-Kebir,  né  vers  1211  de  l’H.  (1796-97  de  J.-C.),  et 
Sid  Mohammed-S’rir,  né  en  1216  de  l’H.  (1801-1802  de  J.-C.). 

Il  ne  quitta  plus  Fez  qu’une  seule  fois,  en  1228  de  l’H. 
(1813  de  J.-C.),  pour  faire  un  dernier  voyage  à Aïn-Madhi 
où  il  ne  resta  que  quelques  jours.  Il  mourut  deux  ans 
plus  tard,  le  14  choual  1230  (19  septembre  1815),  et  fut 
enterré  dans  sa  zaouïa  de  Houmet-el-Blida-er-R’arouya. 

Avant  de  mourir,  il  avait  confié  la  tutelle  de  ses  deux 
fils  à la  sage  direction  de  Mohammed-ben-Ahmed-et- 
Tounsi,  et  il  avait  remis  la  direction  spirituelle  et  la 
grande  maîtrise  de  son  ordre  à un  autre  de  ses  amis  et 
disciples,  Sid  El-Hadj-Ali-ben-El-Hadj-Aïssa,  originaire 
d’El-Yambo  (Arabie),  et,  depuis  longtemps  déjà,  moqad- 
dem,  chef  de  la  zaouïa  de  Temacin  (1). 

Mais,  Sid  Mohammed-ben-Ahmed-et-Tounsi  étant  mort 
peu  de  temps  après  son  maître,  Sid  El-Hadj-Ali  vint,  en 
toute  hâte,  prendre  à Fez  les  deux  fils  de  Tidjani,  que 
déjà  la  rapacité  de  l’empereur  Mouley-Yazid-ben-Ibra- 
him  (poussé  peut-être  par  les  Taïbya  jaloux  du  crédit 
des  Tidjanya)  avait  dépouillés  du  palais  donné  par  Mou- 
ley-Sliman  et  d’une  partie  de  leurs  biens  patrimoniaux. 

Sid  El-Hadj-Ali  resta  quelque  temps  à Aïn-Madhi, 
puis,  après  avoir  remis  tout  en  .ordre  et  ramené  la  pros- 
périté matérielle  dans  la  zaouïa,  il  rentra  à Temacin. 


(1)  Il  y avait  déjà,  depuis  assez  longtemps,  un  centre  religieux  à 
Temacin,  où  une  superbe  mosquée-cathédrale  avait  été  bâtie,  l’an  817 
de  1TJ.  (1414-15  de  J.-C.),  par  un  nommé  Ahmed-ben-Mohammed- 
el-Fassi.  Cette  mosquée  est,  comme  la  zaouïa,  située  en  dehors  de  la 
ville  et  forme  un  bourg  distinct  appelé  Tamelhalt. 


— 423  — 


Bien  que  n’ayant  pas  la  charge  de  la  direction  spirituelle 
de  l’ordre,  Si  Mohammed-el-Kebir  et  son  jeune  frère  sou- 
tinrent dignement  l’honneur  de  leur  nom.  Ils  firent 
venir,  de  l’Ouest,  de  savants  docteurs  qui  maintinrent, 
à la  zaouïa,  son  ancien  prestige,  et  bientôt  eux-mêmes 
furent  cités  pour  leur  profond  savoir.  Mais  cette  vie 
tranquille  dura  peu  : des  dissidents,  Tidjadjna  expulsés 
d’Aïn-Madhi  par  Sid  Ahmed,  et  réfugiés  dans  le  Djebel- 
Amour  , amenèrent  avec  eux , contre  cette  ville , des 
contingents  d’Arabes  de  l’Ouest.  L’attaque  ayant  com- 
plètement échoué,  les  Tidjadjna  allèrent  implorer  le 
secours  du  bey  d’Oran,  Hassen,  qui  vint  mettre  le  siège 
devant  Aïn-Madhi,  en  1820  de  J.-G.  (1235-1236  de  l’H.). 
Les  Tidjanya  achetèrent,  moyennant  100,000  boudjou 
d’argent,  l’éloignement  du  bey;  le  Turc  accepta  l’argent, 
puis  canonna  la  ville  pendant  36  heures,  tenta  plusieurs 
assauts  infructueux,  et,  finalement,  dut  rebrousser  che- 
min après  avoir  éprouvé  des  pertes  sérieuses. 

En  1822  de  J.-G.  (1237-1238  de  l’H.),  le  bey  du  Tittery, 
Moustafa-ben-Mezrag,  fit,  contre  Ain-Madhi,  une  autre 
tentative  qui  ne  fut  pas  plus  heureuse. 

Soit  que  ces  deux  attaques  aient  donné  aux  marabouts 
le  désir  de  se  venger  des  Turcs,  soit,  plutôt,  que  l’échec 
des  deux  bey  ait  eu  assez  de  retentissement  pour  faire 
regarder  les  maîtres  d’Aïn-Madhi  comme  des  alliés  puis- 
sants, toujours  est-il  que,  sur  la  demande  des  Hachem 
(de  Mascara),  les  deux  Tidjani,  à la  tête  de  nombreux 
contingents,  se  dirigèrent,  en  1826  de  J.-G.  (1241-42  de  l’H.), 
vers  Mascara  ; mais  ils  furent  arrêtés  à Souara,  près  du 
Chott,  par  un  fort  parti  de  Marocains  du  Zegdou  (1),  qui 
les  força  à reculer. 

Si  Mohammed-el-Kebir-et-Tidjani,  blessé  grièvement 
au  cou,  dut  rentrer  à Aïn-Madhi,  où  il  resta  deux  mois 
entre  la  vie  et  la  mort.  Il  reprit  néanmoins  ses  projets, 
l’année  suivante,  en  1827  de  J.-C.  (1242-43  de  l’H.),  et, 


(1)  Le  Zegdou  marocain  est  une  confédération  voisine  de  Figuig. 


cette  fois,  il  arriva  presque  sous  les  murs  cle  Mascara  : 
deux  faubourgs  de  la  ville  étaient  déjà  en  son  pouvoir, 
quand  les  Hachem  firent  défection,  et  le  massacrèrent 
avec  400  des  siens. 

Sid  Mohammed-S’rir,  qui  était  resté  à Bou-Semghoun, 
n’avait  pas  assisté  à ce  combat  ; il  regagna  de  suite  Aïn- 
Madhi,  et  prit  en  mains  la  direction  des  affaires  politi- 
ques. 

Son  administration  fut  remarquable,  tant  dans  les 
choses  temporelles  que  dans  les  choses  spirituelles.  11 
fît  alliance  avec  Si  Ahmed-ben-Salem,  le  chef  du  soff 
Chergui  dans  la  confédération  des  Laghouat,  et  il  donna, 
dans  tout  le  Sahara  de  l’Ouest,  une  grande  extension  à 
l’ordre  fondé  par  son  père. 

L’honneur  de  cette  sage  direction  revient,  du  reste,  à 
Si  El-Hadj-Ali,  de  Temacin,  qui,  en.  droit  et  en  fait,  était 
resté  le  chef  de  l’ordre  des  Tidjanya  et  qui  avait  imposé 
dans  l’Ouest,  à Si-Mohammed-Srir,  la  ligne  de  conduite 
que  lui-même  suivait,  avec  succès,  dans  le  Sahara 
oriental  et  en  Tunisie. 

Ce  fut  surtout  vers  l’extrême  Sud  que  se  porta  l’activité 
des  Tidjanya,  qui  travaillèrent  à se  créer  des  relations 
continues  avec  l’Afrique  centrale,  les  Touareg  et  le 
Soudan. 

Pour  atteindre  ce  but,  ils  ne  se  bornèrent  pas  à ren- 
voi de  simples  missionnaires  : ils  se  livrèrent  à un 
immense  commerce,  fait  par  des  caravanes  que  condui- 
saient et  escortaient  des  moqaddem  et  des  khouan  des 
zaouïa  d’Aïn-Madhi,  Bou-Semghoun,  Fez  et  Tlemcen. 
Ces  caravanes  se  grossissaient,  en  route,  des  adeptes 
appartenant  aux  tribus  traversées,  et  elles  allaient  ainsi, 
en  toute  sécurité,  jusqu’à  Chinguetti,  dans  l’Adrar  occi- 
dental, jusqu’à  Tinbouktou,  Segou  et  le  Fouta  sénégalais. 
Chemin  faisant,  elles  menaient  de  pair,  avec  un  égal 
sucqès,  le  commerce  et  le  prosélytisme  religieux. 

De  grandes  richesses  affluaient  à Temacin  et  à Aïn- 
Madhi,  et  à cette  époque,  1830  à 1843  de  J.-C.  (1245  à 


- 425  — 

1259  de  l’H.),  les  gouverneurs  du  Sénégal  constataient 
dans  leurs  rapports  officiels,  les  progrès  de  l’Islamisme 
dans  l’Afrique  centrale. 

Cette  prospérité  toujours  croissante,  cette  immense 
extension  dans  le  Sud,  cette  influence  considérable,  tout 
à la  fois  religieuse  et  politique,  avaient  fait,  des  Tid- 
janya,  une  véritable  puissance,  et,  de  tous  côtés,  leur 
alliance  était  recherchée. 

Mais,  ni  le  chef  de  l’ordre,  ni  le  marabout  d’Àïn-Madhi 
n’étaient  disposés  à compromettre  cette  situation  en  se 
jetant  dans  les  hasards  des  expéditions  militaires. 

Aussi,  quand,  dès  les  premiers  jours  de  l’occupation 
française,  le  derkaoui  El-Hadj-Moussa-ben-Madani-bou- 
Hamar,  moqaddem  des  Madanya,  sollicita  la  population 
de  Laghouat  de  s’attacher  à sa  fortune,  le  cheikh  Ahmed- 
ben-Salem  lui  répondit  (1)  : « Nous  sommes  Tidjanya; 
» mon  père  m’a  nommé  de  ce  nom,  et  Tidjani  lui-même 
» m’a  fait,  à ma  naissance,  avaler  des  dattes  mâchées  par 
» lui,  comme  faisait  le  Prophète  aux  enfants  de  Médine. 
» — Cependant  nous  te  traiterons  avec  bienveillance  et 
» n’empêcherons  pas  ceux  à qui  il  plaira  de  sortir  de 
» notre  ordre,  de  suivre  ta  voie.  » El-Hadj-Moussa  dut 
se  contenter  de  cette  réponse  ; il  ne  trouva  qu’un  très 
petit  nombre  d’adhérents  et  dut  se  retirer  bientôt  devant 
l’attitude  des  Tidjanya. 

Plus  tard,  vers  1836  de  J.-C.  (1251-52  de  l’H.),  peut-être 
avant,  l’émir  El-Hadj-Abd-el-Kader-ben-Mahi-ed-Din 
chercha,  par  tous  les  moyens  possibles,  à mettre  les 
Tidjanya  dans  son  parti.  Mais  il  ne  put  y réussir  et  ses 
avances  réitérées  échouèrent  toutes  contre  le  bon  sens 
de  Sid  El-Hadj-Ali  et  de  Si  Mohammed-S’rir.  Ceux-ci 
avaient  déjà  compris  que,  dans  sa  lutte  contre  la  France, 
l’émir  serait  vaincu  ; ils  n’avaient,  du  reste,  rien  à ga- 
gner à son  service,  même  en  cas  de  réussite,  car  le  Tell 


(1)  Voir,  sur  El-Hadj-Moussa-el-Madani,  le  cbap.  XVIL 


— 426  — 

appartenait  à d’autres  ordres  religieux,  déjà  anciens  et 
fortement  enracinés  chez  les  populations. 

Il  ne  convenait  pas  non  plus  aux  seigneurs  d’Aïn- 
Madhi  et  de  Temacin  de  se  faire  les  vassaux  de  l’émir. 
Bref,  leur  réponse  fut  un  refus  formel,  enveloppé  dans 
une  onctueuse  phraséologie  : 

« Je  désire,  écrivait  Tidjani,  rester  dans  le  calme  de  la 
» vie  religieuse  et  ne  m’occuper  que  des  choses  du  Ciel  ; 
» je  n’ai,  d’ailleurs,  ni  la  force,  ni  l’influence  que  l’on  me 
» suppose,  et,  s’il  est  dans  les  desseins  de  Dieu,  qui  a 
» amené  les  Français  en  pays  musulman,  de  les  en 
» chasser  et  de  leur  faire  repasser  la  mer,  il  n’est  pas 
» besoin  de  mon  bras  pour  l’accomplissement  de  cette 
» sainte  œuvre. 

» Le  calme  de  la  vie  religieuse,  dans  laquelle  je  me 
» suis  retiré,  m'a  fait  contracter  l’obligation  et  le  devoir 
» de  diriger  dans  le  respect  de  Dieu  ceux  qui  me  sont 
» attachés,  et  de  les  maintenir  en  dehors  des  conflits 
» temporels  dont  on  ne  saurait  prévoir  la  fin.  » 

Le  5 juin  1838  (12  rabi-el-ouel  1254),  après  bien  des  mois 
de  correspondance  inutile,  l’émir,  à la  tête  de  son  armée, 
campait  sous  les  murs  d’Aïn-Madhi  et  commençait  le 
siège  de  la  ville  (1).  Tidjani  résista  8 mois  derrière  ses 
murailles  que  renversaient  ies  mines  et  le  canon  de 
l’émir.  Lorsqu’en  janvier  1839  (choual-et-dhou-el-kada 
1254),  l’émir  enleva  Aïn-Madhi  et  que  Tidjani,  vaincu,  se 
réfugiait  à Laghouat,  le  prestige  des  Tidjanya  avait  en- 
core grandi  dans  le  Sahara,  quoiqu’ils  fussent  les  enne- 
mis de  l’émir  Abd-el-Qader. 

Le  chef  des  Tidjanya,  en  sa  qualité  de  chef  d’un  ordre 
religieux  musulman,  ne  pouvait  pas,  après  le  départ  des 


(1)  Voir  le  récit  détaillé  de  ce  siège  dans  la  Revue  africaine  de  1864 
et  dans  l 'Histoire  de  l’insurrection  des  Ouled  Sidi  Chikh  par  le  colonel 
Trumelet.  Alger,  1884,  librairie  A.  Jourdan. 


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Turcs,  se  déclarer  partisan  de  la  domination  des  chré- 
tiens en  Algérie  ; mais  Si  El-Hadj-Ali  et  Si  Mohammed- 
S’rir,  qui  suivaient  attentivement  les  progrès  de  notre 
conquête,  étaient,  au  fond,  sympathiques  à notre  établis- 
sement. Ils  blâmaient  hautement  les  résistances  qui 
nous  étaient  opposées  sur  certains  points  du  pays,  et 
ils  disaient  aux  Musulmans  que  notre  autorité,  qui  res- 
pectait leurs  croyances  et  s’appuyait  sur  la  justice  et 
l’équité,  devait  être  acceptée  jusqu’à  ce  que  les  temps 
fixés  par  Dieu  pour  notre  départ  fussent  arrivés.  Du 
reste,  au  lendemain  du  siège  d’Aïn-Madhi,  les  Tidjanya 
conformèrent  leurs  actes  à leurs  paroles. 

En  1840  de  J.-C.  (1255-1256  de  l’H.),  Sid  Mohammed- 
S’rir-et-Tidjani  offrait,  spontanément,  à M.  le  maréchal 
Valée,  son  concours  moral  et  matériel  contre  l’émir  El- 
Hadj -Abd-el-Qader . 

En  1844  de  J.-G.  (1259-1260  de  l’H.),  lorsque  le  général 
duc  d’Aumale  marchait  sur  Biskra,  tous  les  nomades  du 
Sahara  oriental  allèrent  prendre,  àTemacin,  les  instruc- 
tions du  grand-maître  de  l’ordre.  Sid  El-Hadj-Ali  leur 
répondit  : « C’est  Dieu  qui  a donné  aux  Français  l’Algé- 
» rie  et  tous  les  pays  qui  en  dépendent;  c’est  lui  qui 
» protège  leur  domination.  Restez  donc  en  paix  et  ne 
» faites  pas  parler  la  poudre.  Dieu  vous  a délivrés  de 
» vos  oppresseurs  qui  ne  connaissaient  d’autre  règle 
» que  la  violence. 

» Laissez  faire  aux  autres  ce  qu’ils  veulent,  car  ils 
» paraissent,  quoique  infidèles,  avoir  pris  le  chemin  de 
» la  justice  et  de  la  sagesse,  par  lequel  fructifiera  le  bien 
» de  tous.  Le  Droit  suit  le  Droit;  tout  ce  qui  vient  de 
» Dieu  doit  être  respecté.  » 

La  même  année,  Ahmed-ben-Salem,  chef  du  sofï  Cher- 
gui  à Laghouat  et  moqaddem  des  Tidjanya,  venait,  sur 
l’ordre  exprès  du  marabout  d’Aïn-Madhi,  faire  acte  de 
soumission  au  général  Marey-Monge  installé  avec  sa 


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colonne  à Zakkar,  à 100  kilomètres  N.-E.  de  cette  ville. 
Ahmed-ben-Salem  amena  la  colonne  dans  la  ville  même 
de  Laghouat  et  dans  les  ksour  de  l’oued  Mzi,  dont  le 
général  prit  possession  au  nom  de  la  France,  et  dont  Si 
Ahmed-ben-Salem  fut  nommé  khalifa.  En  même  temps 
(le  3 rabia-et-tsani  1260),  le  22  avril  1844,  le  lieutenant- 
colonel  de  St-Arnaud  et  12  officiers  allaient  rendre  visite 
à Tidjani,  dans  la  zaouïa  même  d’Aïn-Madhi,  où  ils 
étaient  reçus  avec  la  plus  grande  cordialité. 

Quelques  mois  après,  Si  El-Hadj-Ali  de  Temacin  mou- 
rait, laissant  la  grande  maîtrise  de  l’ordre  à Si  Moham- 
med-S’rir-ben-Ahmed-el-Tidjani.  Celui-ci  continua  à nous 
prêter  son  concours  sans  arrière  pensée  et,  dans  plu- 
sieurs circonstances  difficiles  que  notre  khalifa  eut  à 
traverser  depuis  cette  époque,  il  fut  toujours  aidé  par 
les  Tidjanya,  au  mieux  de  nos  intérêts  politiques  ou  ad- 
ministratifs. 

En  mars  1853  (djoumad-el-ouel  et  djoumad-et-tsani 
1268),  Si  Mohammed-S’rir-ben-Ahmed-Tidjani  mourut  (1), 
après  avoir  confié  la  direction  spirituelle  de  l’ordre  au 
fils  de  Si  El-Hadj-Ali,  de  Temacin,  Si  Mohammed-El-Aïd. 


(1)  Si  Mohammed-STir-ben-Ahmed-Tidjani  est  enterré  à Aïn- 
Madlii.  Son  tombeau  se  compose  d’une  chapelle  rectangulaire  sur- 
monté d’une  koubba  à jour  reposant  sur  des  colonncttes  séparées  par 
des  arcades.  Au  centre  de  la  chambre  est  un  sarcophage  très  élevé  en 
bois  peint  et  contenant  les  restes  du  saint  homme.  L’intérieur  de  la 
coupole,  les  colonnes,  les  murs,  les  arceaux,  sont  couverts  de  pein- 
tures vertes  et  rouges  d’un  assez  bel  effet;  sur  un  des  côtés  de  la 
pierre  se  trouve  une  fausse-porte  formée  d’un  panneau  renaissance 
en  vieux  chêne  et  or  d’un  joli  travail,  évidemment  d’origine  euro- 
péenne. La  façade  opposée  est  formée  par  des  grilles  placées  entre 
des  colonnes  peintes,  et  ces  grilles  sont  elles-mêmes  cachées  par  des 
portes  pleines.  Les  pèlerins  sont  admis  à regarder  le  sarcophage  à 
travers  ces  grilles  et  une  prière  faite,  en  vue  de  ces  reliques,  procure 
des  grâces  spéciales  au  fidèle.  Il  n’y  a que  les  dignitaires  et  les 
membres  privilégiés  de  l’ordre  qui  sont  admis  dans  l’intérieur  du 
sanctuaire.  C’est  là  un  honneur  que  Si  Ahmed-Tidjini  fait  du  reste 
toujours  spontanément  aux  hauts  fonctionnaires  et  aux  officiers  fran- 
çais qui  visitent  Aïn-Madhi . 


— 429  — 

Les  enfants  de  Si  Mohammed-S’rir  étaient  alors  en  bas 
âge  : Paîné  n’avait  que  3 ans,  le  second  un  an  (1)  ; un 
acte,  dont  l’authenticité  est  très  discutable,  en  confia  la 
tutelle  à l’oukil  de  la  zaouïa  d’Aïn-Madhi,  El-Mecheri- 
Ryan,  depuis  caïd. 

Si  Mohammed-el-Aïd-ben-el-Hadj -Ali,  le  quatrième 
grand-maître  des  Tidjanya,  suivit  à notre  égard  la  meme 
ligne  de  conduite  que  ses  prédécesseurs  spirituels;  et 
nul  n’a  servi  notre  cause  avec  plus  de  loyauté. 

En  1854  de  J.-C.  (1270-1271  de  l’H.),  son  influence  dans 
le  Souf  et  l’oued  Rir’  facilita  beaucoup,  au  général  Des- 
vaux, l’établissement  de  l’autorité  française  dans  toute 
cette  région. 

En  1860  de  J.-C.  (1276-1277  de  l’H.),  il  donnait  son 
chapelet  et  le  diplôme  de  khouan  à M.  H.  Duvevrier,  qui 
a dû  en  partie,  à ce  concours  du  chef  des  Tidjanya,  de 
pouvoir  accomplir  son  admirable  voyage  chez  les  Toua- 
reg (2). 

En  1864  de  J.-C.  (1280-1281  de  l’H.),  les  Tidjanya  sépa- 


(1)  On  a aussi  conteste  la  légitimité,  ou  plutôt  la  véracité  de  la 
filiation  de  ces  deux  enfants.  Cette  version  a été  racontée  tout  au 
long  par  M.  le  colonel  Trumelet,  dans  la  Revue  africaine  de  1877, 
page  343. 

(2)  Voir  Duveyrier:  Les  Touareg  du  Nord,  page  309,  où  le  célèbre 
voyageur  rend  un  juste  hommage  à Si  Mohammed-el-Aïd  et  aux 
Tidjanya.  — On  sait  que  la  même  protection  avait  été  donnée  au 
colonel  Flatters  qui  était  accompagné  du  nommé  Abd-el-Qader-ben- 
Hamida,  moqaddem  des  Tidjanya.  Ce  moqaddem  fut  massacré  traî- 
treusement le  10  mars,  alors  qu’il  était  envoyé  en  parlementaire  par 
M.  Dianous.  Il  mourut  en  invoquant  en  vain  le  nom  du  saint  patron 
de  l’ordre.  C’est  que,  de  1860  à 1881,  l’influence  exercée  chez  les 
Touareg  par  les  Tidjanya  est  passée,  en  grande  partie,  auxSnoussya. 

La  suppression  de  la  traite  des  nègres  en  Algérie  a,  peu  à peu, 
éloigné  du  Sud  algérien  les  caravanes  de  l’Afrique  centrale  dont  ce 
négoce  constituait  le  principal  élément  de  trafic.  — Ces  caravanes 
se  sont  donc  dirigées  sur  R’adamès,  Morzouk,  R’at,  où,  peu  à peu, 
elles  ont  trouvé  les  zaouïa  Snoussiennes  comme  comptoirs  com- 
merciaux et  comme  centres  religieux.  M.  Duveyrier  le  constatait 
déjà  très  explicitement  en  1860,  et,  depuis  cette  époque,  les  progrès 
des  Snoussya  ont  été  malheureusement  énormes. 


— 430  — 


rèrent  d’autant  plus  nettement  leur  cause  de  celle  des 
Ouled-Sidi-Cheikh-Cheraga  révoltés,  que  bon  nombre  de 
ces  Cheraga  appartiennent  à l’ordre  des  Quadria;  aussi, 
soit  par  Temacin,  soit  par  Aïn-Madhi,  nous  eûmes  tou- 
joursdes  indications  précieuses  pour  nous  aider  à lutter 
contre  les  Ouled-Hamza. 

Malheureusement,  pendant  que,  à Temacin,  la  direc- 
tion spirituelle  de  l’ordre,  représentée  par  Si  Mohammed- 
El-Aïd,  continuait  à s’exercer  avec  intelligence  et  de 
façon  à mériter  toute  notre  sympathie,  il  se  passait  à 
Aïn-Madhi  toute  une  série  de  faits  préjudiciables  aux 
intérêts  de  l’Ordre. 

Le  vieux  Ryan,  ou  plutôt  ses  fils,  n’avaient  ni  l’ins- 
truction, ni  le  sens  moral  nécessaires  pour  accomplir 
fidèlement  la  mission  qu’ils  disaient  avoir  reçue  de  Si 
Mohammed-S’rir  : ils  soulevèrent  une  question  de  supré- 
matie entre  la  zaouïa  d’Aïn-Madhi  et  celle  de  Temacin, 
espérant  attirer  entre  leurs  mains  le  produit  des  ziara, 
au  détriment  de  la  zaouïa  de  Temacin.  Ce  fut  cependant 
le  contraire  qui  se  produisit,  car,  si  les  deux  pupilles  de 
Ryan  restèrent  bien  à l’état  de  fétiches  vénérés,  aux 
yeux  des  Larbaâ  et  des  gens  immédiatement  voisins 
d’Aïn-Madhi,  leur  prestige  religieux  allait  néanmoins 
s’amoindrissant.  Ryan,  en  effet,  pressé  de  voir  les  of- 
frandes arriver  à Aïn-Madhi,  cherchait  à soustraire  les 
Tidjanya  de  l’Ouest  à l’action  directrice  du  grand-maître 
résidant  à Temacin,  et,  par  une  spéculation  malhonnête, 
il  exaltait  le  caractère  maraboutique  et  chérifien  des 
deux  fils  Tidjani,  au  détriment  des  véritables  intérêts  de 
l’ordre.  En  un  mot,  il  préparait,  entre  les  deux  zaouïa, 
la  scission  qui  existe  en  fait  aujourd’hui  à l’état  latent. 

Entre  les  mains  de  ce  tuteur  maladroit,  l’éducation  de 
Si  Ahmed  et  de  Si  El-Bachir  laissa  fort  à désirer,:  ils  n’a- 
vaient, en  somme,  près  d’eux,  aucune  personne  ayant 
l’ascendant  moral  nécessaire  pour  les  guider,  pour  ré- 
fréner en  eux  l’ardeur  de  la  jeunesse  et  pour  leur  donner 
cet  esprit  de  conduite  et  ce  sens  politique  que  possé- 


— 431  — 

daient  à un  si  haut  degré  leurs  ascendants  et  les  chefs 
spirituels  de  l’ordre. 

Cependant,  en  ce  qui  concernait  leurs  relations  avec 
nous,  Sid  Ahmed,  qui,  dès  1865  de  J. -C.  (1281-1282  de  FH.), 
avait  été  émancipé  et  nommé  caïd  d’Aïn-Madhi  (à  15  ans), 
affirma  toujours  son  dévouement  par  des  actes  et  par 
un  concours  sérieux  à notre  cause.  Il  le  fit  même  quel- 
quefois avec  une  fougue  qui,  rapprochée  des  écarts  de 
sa  conduite  privée,  acheva  de  le  déconsidérer  aux  yeux 
des  Musulmans  de  l’Ouest,  chez  lesquels  dominaient  les 
ordres  religieux  des  Qadrya,  des  Taïbya  et  des  Der- 
qaoua. 

Tous  les  Hachem  de  Mascara,  la  plupart  Qadrya  et  an- 
ciens serviteurs  de  leur  moqaddem  et  émir  Abd-el-Qader- 
ben-Mahi-ed-Din,  avaient  encore  présent  à la  mémoire 
le  siège  d’Aïn-Madhi,  qui  avait  été  le  prélude  des  revers 
de  leur  chef  religieux  et  politique.  Les  Taïbya  avaient 
tout  intérêt  à déconsidérer  les  chefs  de  la  zaouïa  de  Fez, 
comme  aussi  à étendre  leur  action  dans  la  province 
d’Oran,  et,  dans  cette  lutte  sourde  contre  les  Tidjanya, 
ils  trouvaient  encore  un  appui  chez  les  Zianya  et  les 
Kerzazya,  dont  les  intérêts  sahariens  et  trans-sahariens 
étaient  en  rivalité  avec  ceux  des  Tidjanya.  Enfin,  à Tlem- 
cen,  les  Derqaoua-Chadelya  rappelaient,  volontiers,  l’at- 
titude hautaine  d’Aïn-Madhi  vis-à-vis  d’El-Hadj-Moussa- 
el-Madani. 

Les  fils  de  Tidjani  n’étaient  pas  à hauteur  des  difficul- 
tés que  leur  créait  une  pareille  coalition  de  rancunes  et 
d’intérêts  politiques  et  religieux.  D’un  autre  côté,  la  plu- 
part de  nos  chefs  indigènes  et  agents  politiques  de  la 
province  d’Oran,  même  les  plus  foncièrement  dévoués 
à la  cause  française,  subissaient,  sans  quelquefois  s’en 
rendre  compte,  ces  influences  musulmanes  si  hostiles 
aux  Tidjanya.  Un  courant  d’opinion  malveillante,  à l’é- 
gard. de  Sid  Ahmed  et  de  Si  El-Bachir,  ne  tarda  pas  à 
s’établir  dans  les  sphères  officielles  du  commandement. 

Les  choses  en  étaient  là,  quand,  en  1869  de  J.-C.  (1285- 


— 432  — 


1286  de  PH.),  les  Ouled-Ziad  de  Géryville,  serviteurs  reli- 
gieux des  Tidjanya,  mais  que  leur  position  isolée  au  milieu 
des  Ouled-Sidi-Cheikh-Cheraga  avait  forcés  à suivre  le 
mouvement  des  Ouled-PIamza,  supplièrent  les  Tidjanya 
de  négocier,  avec  les  chefs  de  l’insurrection,  leur  retour 
sur  leur  territoire  et  leur  séparation  des  insurgés. 

Sid  Ahmed,  se  fiant  à son  prestige  religieux  et  aux 
bonnes  relations  qui  avaient  existé  entre  son  aïeul  et 
le  grand-père  du  chef  des  Ouled-Sidi-Cheikh,  entra  en 
pourparlers  avec  les  Ouled-Hamza  qui,  précisément, 
venaient  de  se  rapprocher  de  Laghouat. 

Ces  négociations  ne  furent  pas  plus  tôt  connues, 
qu’elles  furent  incriminées  et  que  nos  chefs  indigènes 
nous  dénonçaient  les  deuxTidjani  comme  devant  quitter 
la  zaouï'a  d’Aïn-Madhi,  pour  faire  cause  commune  avec 
les  Ouled-Sidi-Cheikh. 

Pour  empêcher  cette  éventualité,  bien  improbable  ce- 
pendant, le  1er  février  1869,  le  colonel  de  Sonis  arrêtait, 
dans  leur  zaouïa,  Sid  Ahmed  et  Sid  El-Bachir  qu’on  in- 
ternait à Alger  (1).  Quelques  mois  après,  les  Ouled-Ziad 
faisaient’ leur  soumission. 

Sid  Ahmed  avait  alors  17  ans  ; il  resta  un  an  à Alger, 
fort  tranquille,  mais  sans  réussir  à dissiper  complète- 
ment les  préventions  que  l’on  avait  contre  lui.  Il  y était 


(1)  Le  fait  reproché  aux  fils  Tidjaui  était  de  n’avoir  pas  fermé  les 
portes  d’Aïn-Madhi  devant  les  contingents  des  Ouled-Sidi-Cheikh  et 
de  n’avoir  pas  renouvelé,  vis-à-vis  de  ces  rebelles,  la  résistance  faite 
jadis  contre  les  Turcs  et  contre  Abd-el-Qader.  Pour  l’autorité  mili- 
taire, c’était  en  effet  une  défaillance  coupable;  mais,  si  on  tient 
compte  à la  fois,  et  des  mœurs  arabes,  et  des  pourparlers  engagés 
entre  les  marabouts  d’Aïn-Madhi  et  ceux  des  Ouled-Sidi-Cheikh,  cette 
compromission  n’avait  rien  d’anormal. 

La  population  d’Aïn-Madhi  racheta  du  reste  bien  vite  ce  que  cette 
conduite  pouvait  avoir  d’équivoque,  car,  les  deux  fils  Tidjani  en  tête, 
elle  poursuivit  vigoureusement  à coups  de  fusil  les  fuyards  des  Ouled- 
Sidi-Cheikh,  vaincus  le  leb  février  1869  par  le  colonel  de  Sonis,  sous 
les  murs  même  de  la  ville.  Cependant,  le  soir  de  ce  combat,  Tidjani 
était  arrêté  et  le  2 il  était  dirigé  sur  Alger. 


— 433  — 


encore  au  commencement  de  la  guerre  contre  l’Alle- 
magne., quand  des  notables  indigènes  d’Alger  eurent 
l’idée  d’envoyer  une  lettre  collective  de  félicitations  aux 
survivants  des  Tirailleurs  de  Wissembourg  et  de  Reichs- 
hoffen  ; Sid  Ahmed  offrit  d’aller  lui-même  remettre 
cette  lettre. 

Avant  de  partir,  il  adressa  une  circulaire  à ses  moqad- 
dem  de  l’Ouest,  pour  leur  annoncer  son  départ  volon- 
taire, et  pour  leur  recommander  la  soumission  aux 
Français,  dont  il  allait  visiter  le  pays. 

Il  s’embarqua,  avec  sa  suite,  le  16  août  1870  (18  djou- 
mad-el-ouel  1287),  et  arriva  à Paris,  où  il  fut  bientôt 
rejoint  par  son  frère  El-Bachir. 

Au  4 septembre,  on  jugea  prudent  d’éloigner  les  Tidjani 
de  Paris,  et  on  les  envoya  à Bordeaux  où  ils  furent  pré- 
sentés au  général  Daumas,  au  cardinal-archevêque,  au 
premier  président  de  la  Cour  d’appel.  La  bonne  mine 
de  Sid  Ahmed  qui,  à cette  époque,  était  un  homme  re- 
marquablement beau,  ses  manières  affables,  lui  attirèrent 
les  sympathies  générales  de  la  population  ; et  quand,  le 
17  octobre,  il  assista,  au  grand  théâtre,  avec  tous  les 
siens,  à une  représentation  au  profit  des  blessés,  il  fut 
accueilli  par  une  salve  d’applaudissements. 

Ce  fut  à Bordeaux  que  ce  marabout  fit  la  connaissance 
de  la  fille  d’un  gendarme  retraité,  Mlle  Aurélie  Picard, 
qu’il  épousa  morganatiquement,  et  au  profit  de  laquelle, 
peu  de  temps  après  son  retour  en  Algérie,  en  1872  de 
J.-G.  (1288-1289  de  l’H.),  il  répudia  ses  autres  femmes. 

Au  moment  de  l’insurrection  de  1881  de  J.-G.  (1298  de 
l’H.),  les  mêmes  intrigues  recommencèrent,  dans  le  but 
de  nous  faire  prendre, des  mesures  coercitives  vis-à-vis 
de  Sid  Ahmed  ; mais  M.  Albert  Grévy  se  borna  à inviter 
le  marabout  à venir  passer  quelque  temps  à Alger. 

Là,  Si  Ahmed  écrivit  plusieurs  lettres  pressantes  à ses 
khouan  de  l’Ouest,  pour  faire  rentrer  de  défection  ceux  . 
d’entre  eux  à qui  leur  isolement  n’avait  pas  permis  de  • 
résister  à l’agitateur. 


28 


— 434  — 


Lui-même  nous  demanda  qu’un  officier  français  fût 
installé  à Aïn-Madhi,  pour  rendre  compte  à l’autorité 
supérieure  de  ce  qui  se  passait  dans  sa  zaouïa.  Satisfac- 
tion lui  ayant  été  donnée  sur  ce  point,  il  s’est  mis,  plus 
tard  (1),  en  instance  pour  obtenir  qu’un  instituteur  fran- 
çais fût  envoyé  à Aïn-Madhi. 

Pendant  que,  depuis  1853  de  J.-C.  (1269-70  de  PH.),  ces 
divers  incidents  se  produisaient  autour  de  la  personne 
du  petit-fils  du  grand  Tidjani,  le  chef  officiel  de  l’ordre, 
Si  Mohammed-el-Aïd,  continuait,  à Tamelhalt  (2),  à admi- 
nistrer, avec  une  rare  prudence  et  un  grand  tact,  les 
affaires  spirituelles  des  khouan  Tidjanya.  Son  attitude 
vis-à-vis  de  nous  restait  toujours  absolument  digne  et 
correcte,  et,  en  toutes  circonstances,  il  savait  faire  preuve 
d’un  sens  politique  remarquable.  Ses  vertus  privées  et 
son  esprit  de  charité  l’avaient  fait  surnommer  « l’ami 
de  tous.  » 

En  1871  de  J.-G.  (1287-1288  de  PH.),  sa  ligne  de  conduite 
fut  très  nette,  et  il  n’y  eut  aucune  défection  parmi  les 
khouan  relevant  de  son  autorité. 

Si  Mohammed-el-Aïd  mourut  le  12  novembre  1875 
(13  choual  1292),  à l’âge  de  65  ans.  Il  fut  remplacé  comme 
chef  de  l’ordre  (3),  le  19  novembre  (20  choual  1292),  par 


(1)  En  décembre  1882  (moharem  et  safer  1300). 

(2)  Tamelhalt,  où  est  située  la  zaouïa  dite  de  Temacin,  forme  une 
ville  à part,  ayant  son  enceinte  particulière,  et  habitée  exclusivement 
par  les  serviteurs  de  la  zaouïa  ; c’est  une  sorte  de  faubourg  de  l’oasis 
de  Temacin. 

C’est  à Tamelhalt  qu’est  le  tombeau  de  Sid  El-Hadj-Ali-ben- 
Aïssa,  sous  un  immense  dôme  très  élevé,  ayant,  à l’intérieur  surtout, 
un  très  grand  cachet.  Les  murs  et  la  coupole  sont  garnis  de  sculp- 
tures en  plâtre  découpé,  de  peintures  aux  vives  couleurs  et  de  nom- 
breuses inscriptions  en  relief  reproduisant  les  99  noms  de  Dieu  et 
divers  versets  du  Coran.  Un  côté  de  la  chambre  sépulcrale  est 
fermé  par  une  grille  donnant  sur  une  chapelle  richement  décorée.  On 
répète  à Tamelhalt,  pour  la  vue  de  ce  tombeau,  les  mômes  erre- 
' ments  que  ceux  observés  à Aïn-Madhi  pour  le  tombeau  de  Moham- 
med-S’rir-el-Tidjani,  et  décrit  dans  la  note  1 de  la  page  428. 

(3)  Et  à F élection. 


— 435  — 


son  frère,  Si  Mohammed-S’rir-ben-el-Hadj-Ali,  qui  était 
le  moqaddem,  chef  de  la  zaouïa  de  Guemar,  dans  le  Souf. 

Ce  choix  surprit  beaucoup  de  monde  et  impressionna 
vivement  Sid  Ahmed-Tidjani,  car  on  croyait  savoir  que 
la  volonté  du  fondateur  de  l’ordre  avait  été  que  le  grand- 
maître  fût  pris,  alternativement,  dans  sa  propre  famille 
et  dans  celle  de  Sid  El-Hadj-Ali. 

Cependant  le  choix  fait,  le  19  novembre,  par  les  mo- 
qaddem réunis  à Tamelhalt,  était  logique  et  excellent. 
Ce  n’était,  du  reste,  que  l’application  de  ce  grand  prin- 
cipe qui  veut  que,  dans  toutes  les  associations  religieu- 
ses, l’intérêt  de  l’ordre  passe  avant  celui  de  telle  ou  telle 
personnalité. 

Or  il  était  bien  évident  que,  par  ses  antécédents,  ses 
habitudes,  son  âge  même  (il  n’avait  alors  que  23  ou 
24  ans),  Sid  Ahmed  n’était  pas  en  situation  de  prendre 
en  mains,  avec  une  autorité  morale  suffisante,  la  direc- 
tion suprême  de  l’ordre  fondé  par  son  aïeul. 

On  était  au  courant,  à Tamelhalt,  des  progrès  effrayants 
faits  par  les  Snoussya,  à l’est  et  au  sud  de  l’Algérie;  on 
en  comprenait  la  gravité,  et  l’on  sentait  que,  pour  empê- 
cher les  défaillances  des  Tidjanya,  pour  lutter  avec  suc- 
cès contre  les  tendances  chimériques  du  panislamisme 
prêché  par  Si  Snoussi,  il  fallait  une  tête  bien  organisée 
et  une  grande  maturité  d’esprit. 

Si  Mohammed-S’rir-ben-el-Hadj-Ali,  âgé  de  55  ans, 
jurisconsulte  des  plus  distingués,  ayant  fait  ses  preuves 
comme  chef  d’une  zaouïa  importante,  réunissait  toutes 
les  conditions  voulues  de  science,  de  piété  et  de  vertu. 

C’est,  en  effet,  un  homme  sage,  tolérant,  simple  dans 
ses  allures  et  d’une  grande  finesse  d’esprit,  qui,  comme 
tous  ses  prédécesseurs,  se  montre  vis-à-vis  de  nous 
plein  de  dévouement  et  de  bon  vouloir.  11  a gardé  près 
de  lui  son  frère,  Si  Maammar,  qui  était  déjà  le  factotum 
de  son  prédécesseur,  et  il  lui  a laissé  la  haute  direction 
du  temporel  et  du  personnel.  Ce  Si  Maammar  est  un  hom- 
me d’une  grande  valeur  intellectuelle  ; quoique  d’une 


— 436  — 


laideur  peu  commune  et  d’allures  brusques,  il  est  sym- 
pathique à tous  ceux  qui  l’approchent. 

Toujours  en  mouvement,  l’air  jovial  et  bon  enfant,  il 
devient,  le  cas  échéant,  un  diplomate  des  plus  habiles, 
et  apporte,  dans  les  discussions,  un  esprit  élevé  et  un 
grand  bon  sens. 

La  correspondance  politique  de  la  zaouïa  de  Temacin 
avec  l’autorité  française  est  toujours  extrêmement  re- 
marquable, au  point  de  vue  des  idées  et  de  la  rédaction. 

Sans  entrer  dans  des  citations  qui  nous  entraîneraient 
en  dehors  de  notre  sujet,  nous  croyons  devoir  donner 
ici,  à titre  de  document  montrant  bien  l’esprit  de  tolé- 
rance qui  anime  les  Tidjanya,  copie  d’une  lettre  de  re- 
commandation, écrite,  sur  la  demande  de  M.  Tirman, 
gouverneur  général,  pour  être  remise  à M.  le  colonel 
Borgnis-Desbordes,  se  rendant  à Segou  et  au  Fouta,  pays 
dont  les  souverains  sont  les  serviteurs  religieux  des 
Tidjanya  : 


« Louange  au  Dieu  unique  ! Que  Dieu  répande  ses  grâces  sur  notre 
» seigneur  et  notre  maître  Mohammed,  sur  sa  famille  et  sur  ses  com- 
» pagnons,  et  qu’il  leur  accorde  le  salut  ! » 

( Cachets  de  Mohammed-es-S’rir-ben-el-Hadj-A li-et-Tidjani 
et  de  Maammar-ben-el-Hadj-Ali-et-Tidjani.) 

<t  Louange  à Dieu  ! Que  Sa  Majesté  soit  célébrée,  que  ses  noms  et 
» ses  attributs  soient  sanctifiés  ! 

» Cette  lettre  est  adressée  à nos  généreux  amis,  à leurs  illustres 
» Seigneuries,  le  très  considérable  et  l’excellent  sultan  du  Fouta  et 
» ceux  qui  l’entourent.  Dieu  vous  protège  et  vous  garde  ! Que  le  salut 
» soit  sur  vous  ; que  le  Créateur  vous  fasse  miséricorde  et  vous  dis- 
» pense  ses  bénédictions,  ses  bienfaits  et  ses  faveurs  aussi  longtemps 
» que  l’univers  existera  et  continuera  à se  mouvoir. 

» Comment  êtes-vous  et  dans  quel  état  vous  trouvez-vous  ? Nous  le 
» souhaitons  agréable  à Dieu  et  formons  le  vœu  de  ne  jamais  recevoir 
» de  vous  que  de  bonnes  nouvelles. 

» Nous  vous  informons,  et  c’est  là  un  avis  sincère,  que  la  personne 
» qui  vous  remettra  cette  lettre,  l’illustre  et  très  élevé  lieutenant- 
» colonel  Borgnis-Desbordes,  se  rend  dans  vos  parages,  poussé  par 


— 437  — 


» le  désir  de  connaître  vos  contrées  et  de  s’occuper  de  ce  qui  a trait 
» aux  choses  de  votre  royaume.  Peut-être  vous  servira- t-il  d’intermé-' 
*>  diaire,  dans  l’avenir,  pour  créer  des  relations  commerciales  au  sujet 
» d’articles  importants  que  vous  ne  connaissiez  pas  auparavant,  d’ob- 
» jets  précieux,  vêtements  et  autres  marchandises  que  vous  obtiendrez' 
» à bas  prix,  contrairement  à ce  qui  a lieu  maintenant,  dans  vos  tran- 
» sactions  avec  ceux  qui  vous  fréquentent  et  commercent  avec  vous. 

» Nous  ne  vous  écrivons  qu’après  avoir  attentivement  étudié  tout  ce 
» qui  le  concerne  et  nous  être  enquis  du  but  qu’il  poursuit.  Nous' 
» avons  la  certitude ‘que  celui  qui  le  protégera,  lui  indiquera  la  voie 
» à suivre  et  s’emploiera  à lui  faciliter  sa  tâche,  sera  récompensé 
» dans  ce  monde  et  dans  l’autre,  aura  droit  à la  reconnaissance  des- 
» hommes  éclairés  et  se  créera,  auprès  d’eux,  des  titres  de  gloire. 

» Vous  n’ignorez  pas,  illustres  seigneurs,  que  les  affaires  commer- 
» ciales  sont  désirées  et  recherchées,  que  les  lois  divines  et  humaines 
» les  permettent  entre  tous  les  peuples,  aussi  bien  dans  les  régions 
» orientales  de  la  terre  que  dans  l’occident,  et  entre  les  sectateurs" 
» de  toutes  les  doctrines. 

» Vous  ne  vous  laisserez  pas  abuser  par  ces  détracteurs  aveugles, 
» ces  perturbateurs,  suppôts  du  démon,  qui  emploient  la  calomnie, 

» cette  arme  que  réprouvent  toutes  les  religions,  et  viendront  vous 
» dire  : ces  gens  veulent  ceci,  désirent  cela,  ou  vous  tiendront  des 
» propos  auxquels  ne  sauraient  ajouter  foi  que  des  faibles  d’esprit 
» ou  des  créatures  dénuées  d’intelligence. 

» Mais  vous  êtes  hommes  de  sens  et  vous  savez  connaître  ce  qui 
» est  bon  et  juste,  et  vous  vous  écarterez  de  ceux  qui  sont  dans  l’er- 
» reur,  et  tiennent  des  discours  vains  et  mensongers  ; vous  êtes  de 
» ceux  qui  pèsent  les  avis  et  suivent  le  meilleur.  Ce  qui  a été  dit,  que 
» le  but  poursuivi  est  de  tenter  de  s’introduire  dans  les  provinces  en 
» vue  de  les  soumettre  par  la  force,  de  s’en  emparer  et  d’y  demeurer 
» ne  saurait  avoir  lieu  : ce  serait  tromperie,  perfidie,  ruse,  folie.  Les 
» personnages,  qui  se  rendent  auprès  de  vous,  y vont  sur  l’ordre  des 
» principaux  de  leur  pays,  et  entreprennent  leur  voyage  pour  obéir 
» à leurs  chefs. 

» Vous  savez  que  leur  peuple  est  l’un  des  plus  grands  qui  aient 
» existé  au  cours  des  siècles,  et  l’une  des  plus  considérables  puis- 
» sances  connues  ; que  toutes  les  fois  qu’ils  ont  entrepris  quelque 
» chose,  ils  l’ont  fait  ostensiblement,  et  de  manière  que  chacun  en 
» pût  être  témoin,  agissant  avec  courage,  disposant  de  grandes  ri- 
» chesses  et  d’une  armée  puissante  et  redoutable.  Vous  nous  com- 
» prenez,  et  des  personnes  de  votre  sagacité  pénètrent  le  sens  de 
» nos  paroles.  Si  les  choses  se  passent  comme  nous  l’espérons,  vous 
» n’en  retirerez  que  repos  et  tranquillité. 

» Nous  n’avons  eu  en  vue,  en  vous  écrivant,  que  de  vous  donner  de 


— 438  — 


» bons  conseils  et  de  vous  rendre  la  situation  plus  facile,  d’ouvrir 
» des  débouchés  à votre  commerce,  et  de  vous  mettre  à même  de  vous 
» procurer  des  choses  précieuses,  que  vous  n’auriez  jamais  vues  et 
v dont  vous  êtes  encore  à ignorer  l’existence.  Plaise  à Dieu  que  cette 
» tâche  nous  soit  confiée,  car,  suivant  ce  qu’a  dit  le  Législateur,  notre 
» Prophète  (sur  Lui  soient  les  grâces  les  plus  complètes  et  le  salut 
» le  plus  pur  ! ) « Celui  qui  indique  le  bien  est  comme  celui  qui  le  fait.  » 

» Animés  des  meilleurs  sentiments  envers  vos  Hautes  Seigneuries, 
» nous  vous  souhaitons  ce  qui  peut  vous  être  le  plus  profitable  et  vous 
» prions  de  nous  répondre,  pour  nous  faire  connaître  ce  que  vous  avez 
» fait,  car,  en  toute  circonstance,  une  réponse  est  nécessaire.  C’est  à 
» Dieu  que  tout  fait  retour,  c’est  à Lui  (que  sa  louange  soit  proclamée!) 
» que  nous  demandons  d’accorder  à chacun  ce  qu’il  désire  et  ce  qui 
» peut  lui  plaire.  Puissiez-vous  vivre  toujours  en  paix  et  en  sécurité, 
» par  la  puissance,  la  protection  et  la  bonté  divines  ! 

» Recevez,  individuellement,  les  salutations  que  vous  adressent,  en 
» commun,  ceux  qui  ont,  pour  votre  puissance,  une  haute  considéra- 
» tion,  le  cheikh  de  l’ordre  des  Tidjanya,  Sidi  Mohammed-es-S’rir  et 
» son  frère,  le  très  pieux,  le  cheikh  Sidi  Maammar,  fils  d’El-IIadj-Ali- 
® et-Tidjani. 

» Ce  27  moharem  1300  (8  décembre  1882).  » 


A la  même  époque,  Sid  Ahmed-Tidjani,  à qui  il  avait 
été  également  demandé  une  pièce  de  même  nature,  re- 
mettait la  lettre  ci-après  qui  peut  fournir  un  rapproche- 
ment curieux  et  instructif  : 


« Louange  à Dieu  unique  ! Que  Dieu  répande  ses  grâces  sur  notre 
» seigneur  Mohammed  et  sur  sa  famille  ! 

(Cachet  de  Sid  Ahmed , le  serviteur  de  Dieu , Ahmed,  fils  de 
notre  maître,  Mohammed-et-Tidjani.) 

O toi  qui  connais  les  secrets,  souverain  dispensateur  des  biens,  de 
qui  viennent  tous  les  dons,  pardonne-nous  nos  péchés. 

» De  la  part  de  notre  seigneur,  de  notre  intermédiaire  auprès  de 
» Dieu,  Sid  Ahmed-ben-Mohammed-et-Tidjani,  cheikh  de  la  confrérie 
» des  Tidjanya,  sanctuaire  de  la  science,  protecteur  suprême,  soutien 
» des  hommes  de  foi,  guide  de  ceux  qui  savent. 

» A tous  nos  amis,  à ceux  qui  font  partie  de  nous-mêmes  ou  qui  se 


— 439  — 

» rattachent  à notre  personne,  soit  à nos  amis  qui  habitent  le  terri- 
» toire  du  Fouta,  le  salut  ! 

» Je  m’adresse  d’une  façon  particulière  à chacun  de  vous  que  je 
» connais,  et  à tous  en  général.  Je  parle  à tous  ceux  qui,  grands  ou 
» petits,  sans  excepter  personne,  appartiennent  à la  confrérie  des 
» Tidjanya. 

» Que  le  salut  soit  sur  vous  tous,  ainsi  que  la  miséricorde  de  Dieu 
» et  ses  bénédictions  ! 

» Comment  vous  portez-vous  et  dans  quel  état  se  trouvent  vos  af- 
» faires  que  nous  prions  Dieu  d’avoir  pour  agréables  et  de  maintenir 
» dans  une  bonne  direction  ? 

» Si  vous  voulez  bien  vous  informer  de  ce  qui  nous  concerne,  nous 
» vous  dirons  que,  sous  le  gouvernement  français,  nous  jouissons  de 
» toutes  les  félicités,  d’une  paix  entière  et  durable.  Nous  en  rendons 
» grâces  à Dieu. 

» Nous  n’avons  à vous  entretenir  que  de  bien. 

» L’un  des  principaux  personnages  de  la  France  se  rend,  avec  sa 
» suite,  dans  votre  pays.  Son  intention  est  seulement  de  parcourir 
» votre  contrée,  dans  le  but  de  nouer  des  relations  commerciales  avec 
» vous. 

» Je  désire  que  vous  facilitiez  l’accomplissement  de  ses  désirs,  que 
» vous  ne  l’entraviez  en  rien,  que  vous  l’accompagniez,  en  quelque 
» lieu  de  votre  pays  qu’il  dirige  ses  pas,  et,  enfin,  que  vous  lui  prêtiez 
» votre  concours  en  toute  circonstance,  sans  jamais  chercher  à lui 
» nuire  en  quoi  que  ce  soit. 

» Veuillez  écouter  nos  paroles  et  vous  conformer  à nos  recomman- 
» dations. 

» En  effet,  le  gouvernement  français  nous  a fait  beaucoup  de  bien, 
» et  cela  doit  suffire  pour  que  vous  dirigiez  votre  conduite  dans  le 
» sens  que  nous  indiquons. 

» Écrit  par  ordre  de  notre  seigneur  Ahmed-ben-Mohammed-et-Tid- 
» jani,  le  8 de  dou-el-hidja  (21  octobre  1882). 

» Signé  : Ahmed-ben-Mohammed-ben-Ahmed-et-Tidjani.  » 


On  remarquera  que  dans  ces  lettres  (1),  Si  Moham- 
med-S’rir  et  Sid  Ahmed-Tidjani , écrivant  officielle- 
ment comme  chefs  religieux,  à un  souverain,  placent 


(!)  A la  même  date,  deux  autres  lettres , à peu  près  identiques, 
étaient  adressées,  par  ces  mêmes  personnages,  au  sultan  de  Segou, 
Cheikh-Ahmadou-ould-el-Hadj-Amor. 


— 440 


leurs  cachets  en  tète  de  leurs  lettres,  ce  qui  ne  se  fait 
que  de  supérieur  à inférieur  (1).  On  remarquera  aussi 
que  Sid  Ahmed-Tidjani  parle  tout  à fait  en  maître  et 
comme  s’il  était  réellement  le  chef  de  l’ordre.  C’est  qu’en 
effet,  il  n’a  pas  accepté,  comme  le  concernant,  la  nomi- 
nation de  Si  Mohammed-S’rir.  Il  est  resté  en  relations 
courtoises  avec  lui  (2)  ; mais  il  a gardé,  en  fait,  la  direc- 
tion suprême  des  zaouïa  et  des  moqaddem  des  contrées 
situées  à l’ouest  du  méridien  d’Alger. 

De  sorte  qu’en  réalité  il  y a aujourd’hui  deux  bran- 
ches de  Tidjanya  : cèux  relevant  de  Tamelhalt  (Temacin), 
et  ceux  relevant  d’Aïn-Madhi  (3). 


(1)  Inutile  de  dire  que,  lorsqu’ils  écrivent  à des  Français,  les  chefs 
des  Tidjanya  placent  toujours  leurs  cachets  en  bas  de  la  lettre.  Si 
Mohammed-S’rir  le  place  même,  habituellement,  au  verso  de  la  feuille 
écrite,  ce  qui  est  encore  plus  respectueux,  et  ce  qui  est  aussi  la  mar- 
que d’une  « profonde  et  inaltérable  amitié.  » 

(2)  Au  moment  où  nous  écrivons,  Si  El-Bachir  vient  de  passer  deux 
mois  à la  zaouia  de  Temacin. 

(3)  Quel  que  soit  le  prestige  de  la  zaouïa  de  Temacin  dans  le  sud 
de  la  province  de  Constantine,  il  s’y  est  produit,  vers  la  fin  de  1878, 
un  incident  qu’il  est  utile  de  signaler  : 

Un  homme  des  Oulad-Saïah,  nommé  Mohammed-ben-Belkacem, 
avait  épousé  Lalla-Khéira,  fille  d’une  sœur  de  Si  Maammar,  et  en 
avait  eu  quatre  enfants  : Mohammed.-Cherif,  Mohammed-S’rir,  Ahmed 
et  Mahmoud.  Il  mourut  sans  laisser  de  fortune  ; et  comme,  pour  des 
raisons  intimes,  Si  Maammar  ne  se  montrait  pas  fort  large  à l’égard 
de  ses  petits-neveux,  deux  de  ces  jeunes  gens,  Mohammed-S’rir  et 
Ahmed,  se  mirent  à voyager.  Abusant  de  leur  parenté  avec  les  chefs 
de  l’ordre,  ils  recueillirent  des  offrandes  pour  leur  propre  compte,  et 
même  se  mêlèrent  activement  à des  intrigues  de  toutes  sortes,  qui 
avaient  pour  but  essentiel  de  ruiner,  à leur  profit,  le  crédit  de  la  zaouïa 
de  Tamelhalt.  — Les  menées  de  Mohammed-S’rir  chez  les  Touareg 
attirèrent  l’attention  de  l’autorité  supérieure  qui  crut,  un  instant, 
avoir  affaire  à des  Tidjanya  réguliers.  Une  enquête  administrative 
dégagea  la  responsabilité  de  la  zaouïa  directrice,  qui  exposa  combien 
elle-même  avait  à se  plaindre  des  procédés  des  neveux  de  Si  Maam- 
mar, et  qui  demanda  formellement  leur  punition.  Mohammed-S’rir  et 
Ahmed,  aussitôt  démasqués,  se  réfugièrent  à Tunis  ; puis,  Mohammed- 
S’rir,  étant  revenu  plus  tard  en  Algérie,  fut  interné  à Barika.  En  1880, 
il  adressa  à Si  Maammar,  en  son  nom  et  au  nom  de  son  frère  resté  à 


441  — 


C’est  pour  tenir  compte  de  cette  situation  qu’elle  n’a 
pas  intérêt  à modifier,  que,  dans  certains  cas,  l’autorité 
s’adresse,  à la  fois,  aux  deux  chefs  effectifs  des  Tid- 
janya. 

Au  point  de  vue  des  doctrines  et  des  pratiques,  rien  ne 
distingue  la  branche  de  l’Est  de  la  branche  de  l’Ouest. 
Partout  les  khouan  Tidjanya,  ou,  pour  employer  le  mot 
dont  ils  se  servent  de  préférence,  les  « habab  » (amis) 
sont  reconnaissables  à leur  chapelet.  Il  est  en  bois  de 
santal  et  les  grains  sont  séparés  en  six  groupes,  par 
cinq  flocons  de  soie  rouge  très  apparents.  Un  sixième 
flocon  pareil  termine  le  chapelet  à sa  base  et  est  sur- 
monté de  dix  rondelles  plates,  du  même  diamètre  que 
les  grains  du  chapelet,  mais  glissant  moins  facilement 
que  ces  derniers  sur  le  cordon,  aussi  en  soie  rouge,  qui 
leur  sert  de  monture. 

Ces  rondelles  servent  à marquer  les  centaines  dans  la 
récitation  du  dikr. 

Voici  la  formule  du  dikr  des  Tidjanya  : 


100  fois  : « Dieu  clément  » ( , | ) ' 

100  fois : « Que  Dieu  pardonne  » (ôÜ!  j£x£wt)  ; 

100  fois  : « Il  n’y  a de  Divinité  qu’Allah  ; » 

100  fois : « O Dieu!  répands  tes  grâces  et  accorde  le  salut  à notre 
» seigneur  Mohammed  qui  a ouvert  ce  qui  était  fermé,  qui  a clos  ce 


Tunis,  une  lettre  de  soumission  qui  amena  sa  mise  en  liberté  et  la 
réconciliation  des  deux  frères  avec  la  zaouïa.  — Cette  réconciliation 
est-elle  sincère?  Il  serait  téméraire  de  répondre  à cette  question. 
Toujours  est-il  que  les  fils  de  Mohammed-ben-Belkacem  ont  fondé, 
à Taïbet-el-Gueblia,  une  fort  jolie  zaouïa  qu’ils  habitent,  et  il  est 
possible  que  Si  Maammar  ait  jugé  plus  politique  de  paraître  oublier 
les  torts  de  ses  neveux,  que  de  rompre  carrément  en  visière  avec 
une  zaouïa,  naissante  il  est  vrai,  mais  qui  pourrait  bien  être,  un  jour, 
le  point  de  départ  d’un  groupe  cherchant  à s’affranchir  de  la  tutelle 
de  Temacin,  comme  Temaciq  s’est  affranchi,  en  fait,  de  celle  d’Aïn- 
Madhi. 


— 442  — 


» qui  a précédé,  qui  fait  triompher  la  vérité  par  la  vérité  (1).  Ainsi 
» qu’à  sa  famille  suivant  son  mérite  et  la  mesure  immense  qui  lui  est 
» due.  » 

12  fois  : « O Dieu  ! répands  tes  grâces  et  accorde  le  salut  : — à la 
» source  de  miséricorde  divine,  brillante  comme  le  diamant,  certaine 
» dans  sa  vérité,  environnant  le  centre  des  intelligences  et  des  pen- 
» sées  ; — à la  lumière  des  existences  qui  a formé  l’homme  ; — à celui 
» qui  possède  la  vérité  divine  ; — à l’éclair  immense  traversant  les 
» nuages  précurseurs  de  la  pluie  bienfaisante  des  miséricordes  divi- 
» nés,  et  qui  illumine  le  cœur  de  tous  ceux  dont  la  science  a la  pro- 
» fondeur  de  la  mer  et  recherche  l’union  avec  Dieu  ; — à ta  lumière 
» brillante,  remplissant  ton  Être  qui  renferme  tous  les  lieux.  — O Dieu  ! 
» répands  tes  grâces  et  accorde  le  salut  : à la  source  de  la  vérité  qui 
» pénètre  les  tabernacles  des  réalités  (2)  ; — à la  source  des  connais- 
» sances  ; — au  plus  droit,  au  plus  complet,  au  seul  véritable  des  sen- 
» tiers.  — O Dieu  ! répands  tes  grâces  et  accorde  le  salut  : à la  con- 
» naissance  de  la  vérité  par  la  vérité  ; — au  trésor  le  plus  sublime  ; 
» — la  largesse  provient  de  toi  et  retourne  à toi  ; — au  cercle  de  la 
» lumière  sans  couleur  ; — que  Dieu  répande  ses  grâces  sur  lui  et  sur 
» sa  famille,  grâces  par  lesquelles,  ô Dieu  ! tu  nous  le  feras  connaî- 
» tre.  » 


Celui  qui  n’est  pas  taleb  dit,  à la  place  de  cette  dernière 
prière,  douze  fois  ce  verset  du  Coran  : 

« Dieu  est  unique  et  éternel;  il  n’a  pas  enfanté  et  n’a  point  été 
» enfanté,  il  n’a  pas  d’égal  en  qui  que  ce  soit.  » 


Le  dikr  des  Tidjanya  se  dit,  au  lever  de  l’aurore,  à 
l’acer  (3)  et  au  coucher  du  soleil.  « Il  ne  doit  pas  être 
prononcé  à haute  voix,  mais  assez  distinctement,  cepen- 


(!)  N ^ \ On  pourrait  donc  traduire  aussi  : « Fait 

triompher  le  droit  par  le  droit;  mais  s £ — dans  le  langage  des 

mystiques,  est  la  vérité  de  Dieu,  le  Dieu  vrai,  et  non  le  droit  tel  que 
nous  l’entendons  en  français. 

(2)  (J*,/' 

(3)  L’acer  est  entre  trois  et  quatre  heures,  selon  les  saisons  ; c’est 
l’instant  médiat  entre  le  midi  vrai  et  le  coucher  du  soleil. 


— 443  — 

dant,  pour  que  les  oreilles  entendent  ce  que  la  bouche 
murmure.  » 

« Une  punition  (de  Dieu)  et  même  la  mort  atteindra  quiconque  aban- 
o donnera  cet  ouerd  après  l’avoir  accepté.  — Les  affiliés  des  autres 
» ordres  ne  peuvent  le  recevoir , à moins  de  renoncer  à celui  qu'ils  possè * 
» dent,  et  de  promettre  qu’ils  n’y  reviendront  jamais.  » 

« — Il  faut  une  permission  spéciale  du  cheikh  pour  le  distribuer  » 
(c’est-à-dire  que  nul  ne  peut  être  moqaddem  par  l’élection  des  khouan 
et  que,  seul,  le  grand-maître  a qualité  pour  nommer  les  cheikhs). 

« Toute  personne  qui  veut  entrer  dans  l’ordre  des  Tidjanya,  doit 
» jurer  de  se  conformer  strictement  à ces  conditions.  — Ce  n’est  pas 
» que  l’ouerd  des  Tidjanya  ait  une  origine  plus  sainte  que  les  ouerd 
» des  autres  congrégations,  non,  car  tous  ces  ouerd  conduisent  au 
» salut  ; mais  c’est  là  le  règlement  formel  des  Tidjanya,  et  l’on  doit 
» s’y  conformer. 

» Tout  « Habib  » qui  abandonne  une  autre  voie  pour  celle  des  Tid- 
» janya  n’a  rien  à craindre,  ni  de  son  ancien  cheikh,  ni  du  Prophète, 
» ni  de  Dieu  ; de  même  il  n’a  rien  à redouter  de  qui  que  ce  soit,  s’il 
b préfère  la  voie  où  il  se  trouve  à celle  des  Tidjanya.  b 

— Quiconque  recevrait  dans  l’ordre  une  personne  appartenant  déjà 
à une  autre  congrégation,  serait  immédiatement  destituée.  — « Tout 
b adepte  de  notre  voie  ne  devra  visiter  aucun  saint  vivant  b : (c’est- 
à-dire  aucun  moqaddem  étranger  à l’ordre)  ; « il  lui  est,  toutefois, 
» facultatif  de  visiter  les  morts,  qui  sont  les  portes  par  lesquelles  on 
b pénètre  vers  Dieu.  » 


Cet  extrait  du  règlement  a été  pris  dans  le  Kounache, 
livre  dicté  par  Tidjani  à son  secrétaire,  à Fez,  en  1213  et 
1214  de  l’H.  (soit  de  1798  à 1800  de  J.-C.) 

Le  titre  exact  de  ce  livre  est  : « Les  perles  des  pensées 
et  V arrivée  aux  désirs,  au  sujet  des  émanations  célestes 
dont  fut  V objet  Abou  el-Abbas-et-Tidjani  »_,  parle  cheikh 
Ali-Harazem-ben-el-Arbi-Benada-el-Mer’erbi-el-Fassi. 

C’est  un  gros  in-quarto,  d’environ  600  pages,  qui, 
traduit  littéralement,  formerait  cinq  ou  six  volumes  en 
français.  Il  n’est  nullement  tenu  secret,  et  la  bibliothèque 
nationale  d’Alger  en  a un  très  bel  exemplaire  (1).  Cet 


(1)  Section  des  manuscrits  arabes. 


444  — 


ouvrage  est  divisé  en  six  chapitres,  ou  livres,  qui  com- 
prennent le  résumé,  souvent  prolixe,  de  la  vie  du  cheikh, 
de  ses  faits  et  gestes  et  de  ses  doctrines.  Voici  l’indica- 
tion sommaire  des  matières  traitées  par  les  auteurs  : 


Préface.  — De  l’excellence  du  soufisme. 

Livre  I.  — Naissance,  origine,  famille,  généalogie  et  jeunesse  de 
Tidjani. 

Livre  IL  — Ses  études  dans  le  soufisme  ; sa  manière  d’être,  son 
caractère,  son  aménité  et  sa  bienfaisance. 

Livre  III.  — Ses  prodiges,  sa  vaste  érudition  en  matière  de  juris- 
prudence, sa  piété. 

Livre  IV.  — Ses  ouerd,  ses  dikr,  sa  congrégation.  — Portrait  du 
véritable  aspirant,  formules  de  prières  instituées  par  Tidjani. 

Livre  V.  — Commentaires  sur  certains  versets  du  Coran  et  sur  les 
Iiadit.  Épîtres  et  aphorismes  du  cheikh. 

Livre  VI.  — Récit  de  quelques-uns  de  ses  miracles. 


Cet  ouvrage,  malheureusement,  n’est  pas  traduit. 
L’extrait  suivant,  que  M.  l’interprète  Arnaud  a bien 
voulu  faire,  sur  notre  demande,  montrera  cependant  que 
cette  traduction  ne  serait  pas  dépourvue  d’un  certain 
intérêt;  les  doctrines  des  Tidjanya  ayant,  presque  tou- 
jours, un  caractère  bien  marqué  d’éclectisme  et  de  libé- 
ralisme : 


Commentaire  de  ce  verset  du  Coran  : « Dis  : Si  vous  aimez  Dieu, 
suivez-moi,  Dieu  vous  aimera.  » 


Dieu  aime  tout  ce  qui  dépend  de  sa  volonté.  L’amour  c’est  la  vo- 
lonté elle-même,  puisque,  quand  Dieu  aime  une  chose,  il  la  veut.  Si 
l’on  est  bien  pénétré  de  cette  vérité,  on  demeure  convaincu  que  tout 
ce  qui  existe  est  aimé  de  Dieu,  et  que,  dans  cet  amour,  l’incrédule  ou 
l’Infidèle  (Kafer)  est  compris  aussi  bien  que  le  Croyant.  En  effet,  si 
l’Infidèle  et  le  Croyant  n’avaient  pas  été  ensemble  l’objet  de  sa 
volonté,  il  ne  les  eut  pas  créés. 


— 445  — 


Moïse  demandant  la  mort  de  Karoun,  Dieu  lui  dit  : 

« J’ai  mis  la  terre  sous  ta  puissance  ; fais-y  ce  que  tu  voudras.  » 


— O terre,  s’écria  Moïse,  prends  Karoun  et  ses  partisans. 

Karoun  se  trouvait  alors  sur  un  trône  d’or  magnifique.  Quand  il 

sentit  que  la  terre  commençait  à engloutir  son  trône,  ce  maudit  com- 
prit que  la  main  de  Dieu  s’appesantissait  sur  lui,  comme  elle  s’était 
appesantie  sur  les  incrédules. 

Il  voulut  se  repentir  ; mais  il  ne  le  put. 

— O Moïse,  dit-il,  je  te  conjure  au  nom  de  Dieu  et  de  nos  liens  de 
parenté  ! 

Moïse  ne  prêta  aucune  attention  à ses  supplications,  et  continua  à 
crier  : 

— Terre,  prends-les. 

Karoun  lui  avait  déjà  renouvelé  soixante-dix  fois  la  même  prière. 
A la  soixante-dixième  fois,  la  terre  finit  par  l’engloutir,  et  il  ne  ces- 
sera de  descendre  ainsi,  au  fond  de  l’abîme,  jusqu’au  jour  de  la 
résurrection. 

Dieu  fit  de  fortes  remontrances  à Moïse  sur  sa  cruauté. 

— Comment,  lui  dit  le  Très-Haut,  Karoun  t’a  appelé  soixante-dix 
fois  à son  aide,  et  tu  n’as  pas  eu  pitié  de  lui  ! S’il  m’avait,  moi,  invo- 
qué une  seule  fois,  je  l’eusse  secouru.  Sais-tu,  ajouta  Dieu,  pourquoi 
tu  n’as  pas  eu  pitié  de  lui  ? Parce  que  tu  ne  l’as  pas  créé  ; car  si  tu 
l’avais  créé,  tu  aurais  eu  de  la  compassion  pour  lui.  Je  le  jure  par 
ma  puissance  et  ma  grandeur,  jamais,  après  toi,  il  ne  m’arrivera  de 
confier  à quelqu’un  le  commandement  de  la  terre. 

Ces  paroles  de  Dieu  : « c’est  parce  que  tu  ne  l’as  pas  créé  ; car  si 
tu  l’avais  créé  tu  aurais  eu  pitié  de  lui,  » sont  la  preuve  que  Dieu  aime 
toutes  ses  créatures. 

On  rapporte  que  Karoun,  entendant  les  cris  de  désespoir  de  You- 
nès  (Jonas)  que  venait  d’avaler  un  poisson,  pria  les  anges  chargés  de 
son  châtiment  de  lui  laisser  un  moment  de  répit,  afin  qu’il  pût  inter- 
roger le  malheureux  prophète.  Les  anges  y consentirent. 

— O Jonas,  cria  Karoun,  qui  t’a  donc  mis  dans  cette  triste  position  ? 

— Mes  crimes,  répondit-il. 

— Reviens  à ton  maître  que  tu  trouveras  dès  ton  premier  pas. 

— Pourquoi  toi-même  n’es-tu  pas  revenu  à Dieu,  ne  t’es-tu  pas  re- 
penti ? 

— Je  suis  revenu  à Dieu  en  toute  sincérité  ; mais  le  fils  de  ma  tante 
maternelle,  Moïse,  délégué  pour  recevoir  mon  repentir,  l’a  refusé. 

Ce  fait  prouve  que  toutes  les  créatures  sont  aimées  de  Dieu,  qu’il 
s’agisse  de  Croyants  ou  d’infidèles.  En  effet,  tous  les  êtres  sont  les 


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témoignages  sensibles  de  sa  Divinité,  et  il  les  a créés  pour  montrer 
en  eux  les  perfections  de  sa  Divinité. 

Les  mystiques  disent  que  Dieu  n’a  créé  aucun  être  inutilement,  c’est- 
à-dire  qu’il  n’y  a pas  de  créature  qui  n’ait  sa  raison  d’être.  Les  êtres 
sont  les  signes  visibles  de  sa  Providence  et  de  sa  Divinité.  Ainsi 
donc,  les  créatures  sont  toutes  aimées  de  Dieu. 

On  ne  doit  pas,  en  cette  matière,  s’arrêter  à l’opinion  étroite  des 
gens  de  la  science  extérieure.  L’examen  d’une  semblable  question 
revenant  aux  hommes  de  la  science  spirituelle,  les  autres  n’ont  pas 
à y prendre  part. 

Le  cheikh,  à propos  du  verset  précité,  affirmait  que  les  Infidèles  sont 
sous  la  protection  de  l'amour  de  Dieu.  Il  citait,  à l’appui,  cette  parole 
de  Dieu  : « Ma  miséricorde  embrasse  tout  et  je  l’inscrirai  en  faveur 
de  ceux  qui  craignent,  etc.  » 

(Le  sens  de  ce  deuxième  verset  est  : j’établirai  ma  miséricorde, 
libre  de  châtiment,  en  faveur  de  ceux  qui  craignent.) 

D’après  ces  paroles  divines,  les  créatures  formeraient  deux  clas- 
ses : une  classe  qui  éprouve  la  miséricorde  divine  après  avoir  éprouvé 
le  châtiment,  et  l’autre  qui  n’éprouvera  que  la  miséricorde  sans  châ- 
timent. 

En  ce  qui  concerne  la  classe  de  ceux  qui  éprouveront  la  miséricorde 
divine  après  avoir  subi  le  châtiment,  Dieu  a dit  : « Mon  châtiment 
atteindra  qui  je  voudrai,  et  ma  miséricorde  s’étend  sur  tout.  » 

Au  sujet  de  la  classe  de  ceux  qui  éprouveront  seulement  la  misé- 
ricorde divine,  sans  châtiment,  Dieu  a dit:  « J’inscrirai  ma  miséri- 
corde en  faveur  de  ceux  qui  me  craignent,  etc.  » 

Le  verset  : « Et  ceux  qui  auront  été  incrédules  pour  les  signes  de 
Dieu  et  n’auront  pas  cru  à sa  rencontre,  ceux-là  auront  à désespérer 
de  ma  miséricorde,  à ceux-là  un  châtiment  douloureux,  » vient-il 
détruire  l’absolu  de  la  miséricorde  divine  ? 

Dans  ce  dernier  verset,  le  mot  miséricorde  signifie  le  para- 
dis seulement,  qui  sera  interdit  à tout  Incrédule.  Mais  le  Paradis  n’est 
pas  le  dernier  terme  de  la  miséricorde  de  Dieu,  car  l’intelligence  ne 
peut  pénétrer  l’immensité  de  cette  miséricorde  : Dieu  fera  miséricorde 
aux  Infidèles  comme  il  l’entendra. 

Les  mystiques  croient  que,  dans  l’enfer,  il  existe  des  effets  de  la 
miséricorde  divine  en  faveur  des  Infidèles.  Ainsi,  à certaines  époques, 
les  Infidèles  y deviennent  insensibles  aux  horribles  tortures  du  feu  : 
des  fruits  de  toutes  sortes  et  des  mets  leur  y sont  offerts,  ils  y man- 
gent à leur  aise  ; ils  se  réveillent  ensuite  de  cette  léthargie  et  souf- 
frent alors  les  tourments  auxquels  ils  sont  voués.  Voilà  un  exemple 
de  la  miséricorde  de  Dieu  pour  les  Incrédules . 


Après  avoir  dit  que  l’amour  de  Dieu  embrasse  toute  la 


— 447  — 

nature,  et  que,  même  les  Infidèles  sont  l'objet  de  son  affection , le  cheikh 
ajoutait  : 

Il  y a deux  sortes  de  puretés  : la  pureté  originelle  et  la  pureté 
accidentelle  : la  pureté  originelle  se  trouve  dans  les  choses  existan- 
tes, soit  qu’on  les  prenne  en  totalité,  soit  qu’on  les  considère  en 
détail.  Les  cires  ont  leur  source  dans  Dieu ; ce  sont  les  parties  détachées 
d'un  mystère  qui  a nom  Très  Saint.  Chaque  atome  des  êtres  est  une  éma- 
nation du  Très  Saint , lequel  est  absolument  pur  


Admettre  une  souillure  dans  un  atome,  serait  supposer  l’existence 
d’une  impureté  dans  les  attributs  divins,  qui  sont  parfaits  et  purs  de 
toute  imperfection  ; ce  serait  détruire  la  Divinité  qui  comprend  tous 
les  atomes  ; en  effet,  la  Divinité  est  ce  degré  de  Dieu  qui  embrasse 
tous  les  êtres.  Rien  n’existe  qui  ne  soit  soumis  à la  Divinité  et  tenu  de 
lui  rendre  hommage  par  l’abaissement,  l’humiliation,  l’adoration,  la 
proclamation  de  ses  louanges,  la  prosternation.  Si  l’atome  était  souillé, 
il  ne  lui  serait  pas  permis  d’adorer  Dieu,  de  se  prosterner  devant  lui, 
de  le  prier.  L’atome  est  donc  pur,  puisqu’il  est  entouré  par  la  Divi- 
nité, qu’il  est  une  émanation  de  son  nom  très-saint. 

Tels  sont  les  caractères  de  la  pureté  originelle. 

Un  homme  de  la  science  extérieure  demandera  certainement  com- 
ment les  atomes  sont  une  émanation  du  nom  Très-Saint.  Voici  ce  que 
nous  répondrons: 

Le  Prophète  a dit  : « La  nature  n’existe  que  par  le  concours  des 
noms  apparents  et  cachés.  » C’est-à-dire,  il  n’y  a dans  la  nature  aucun 
atome,  aucun  infiniment  petit,  sur  lequel  la  lumière  du  nom  de  Dieu 
ne  s’étende  séparément. 

Si  l’atome  ne  recevait  pas  cette  lumière,  il  serait  resté  dans  le 
néant.  Cette  lumière,  qui  découle  d’un  seul  nom,  ne  s’étend  pas  sur 
deux  êtres  réunis,  pas  plus  qu’un  atome,  qui  n’a  qu’une  seule  essence, 
ne  reçoit  la  lumière  de  deux  noms. 

Les  lumières  des  noms  divins  éclairant  chaque  atome  des  êtres, 
aussi  petit  qu’il  soit,  la  nature  est  donc  tout  entière  soumise  à ces 
lumières,  qui  ont  fait  apparaître  les  choses  existantes. 

Dès  qu’on  a reconnu  la  vérité  de  ce  principe,  on  est  convaincu  de 
l’existence  de  la  nature  par  l’intermédiaire  des  noms  de  Dieu;  on 
demeure  certain  que  les  noms  de  Dieu  font  partie  intégrante  de  la 
Divinité,  et  que  tous  ont  leur  manifestation  dans  le  nom  très-saint  de 
Dieu 


La  pureté  accidentelle  est  définie  par  ce  verset  du  Coran  : « Seule- 
ment les  polythéistes  sont  impurs.  » En  outre,  les  prophètes  ont  re- 
commandé de  se  garder  contre  les  choses  impures,  c’est-à-dire  celles 


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qui  sont  regardées  comme  telles  par  la  loi,  au  moment  d’accomplir 
les  actes  d’adoration,  et  qui  ne  le  sont  pas  originairement. 

L’impureté  dont  parle  la  loi  est  accidentelle  et  non  essentielle  ; elle 
n’a,  dès  lors,  d’autre  durée,  que  celle  de  la  loi,  qui  est  l’ensemble  des 
obligations  des  Musulmans.  Lorsque  la  trompette  de  la  résurrection 
se  fera  entendre,  la  loi  finira , toute  chose  reviendra  à son  origine  et  il 
n'y  aura  plus  de  devoir. 

Le  châtiment  dû  aux  Infidèles  est  accidentel , tandis  que  la  miséricorde  et 
l'amour  sont  fondamentaux.  Les  Infidèles , quelle  que  soit  la  punition  qui 
les  ait  atteints , sont  donc  aimés  de  Dieu  et  obtiendront  sa  miséricorde , 

car  Dieu  a dit  : « Ma  miséricorde  embrasse  tout 

Si  nous  disons  à une  chose  que  nous  voulons  : sois,  elle  est.  » Or,  le 
mot  sois,  constituant  la  volonté  et  la  sublime  parole  de  Dieu , laquelle  ne 
s'applique  qu'à  un  objet  aimé,  voulu  par  lui,  a aussi  rapport  aux  Infidè- 
les. Donc , la  miséricorde  divine  qui  s'étend  sur  tout,  les  concerne  égale- 
ment, quel  que  soit  le  châtiment  qu'ils  aient  encouru.  Tels  sont  les  juge- 
ments de  la  Providence.  Il  n’y  a,  dans  la  création  entière,  ni  plaisir, 
ni  peine,  ni  repos,  ni  épreuve,  ni  pitié,  ni  vengeance,  qui  ne  soit  dans 
les  desseins  de  la  Divinité;  tout  émane  de  Dieu  seul. 

En  conséquence,  la  miséricorde  et  l’amour  divins  concernent  chaque 
être,  comme  on  le  voit  dans  ce  verset:  « Dieu  est  clément  et  miséri- 
cordieux pour  les  hommes.  Le  Musulman  et  l’incrédule,  étant  des 
hommes,  sont  compris  dans  cette  miséricorde.  Cet  autre  verset:  « Nous 

avons  été  généreux  pour  les  enfants  d’Adam Nous  les  avons 

traités  avec  une  plus  grande  bonté  que  beaucoup  de  ce  que  nous 
avons  créé,  » comprend  encore  le  Musulman  et  l’Infidèle.  On  trouve 
ici  une  révélation  de  la  miséricorde  fondamentale. 

Ces  autres  versets  : 

« Les  plus  mauvaises  des  bêtes  auprès  de  Dieu  sont  ceux  qui  sont 
ingrats  et  incrédules  (1). 

« Ceux  qui  ont  été  incrédules  appartiennent  aux  gens  du  Livre  et 
aux  polythéistes ceux-là  sont  le  mal  du  genre  humain.  » 

Ces  versets  indiquent  seulement  des  jugements  de  la  Divinité, 
portés  contre  les  hommes  d’une  façon  accidentelle.  Quant  au  juge- 
ment fondamental,  essentiel,  nous  le  découvrons  dans  ces  paroles 
du  Prophète  sur  le  caractère  de  la  nature  : « Dieu  préféra  les  enfants 
d’Adam.  » Cette  préférence,  d’après  le  terme  générique  employé, 
implique  aussi  bien  l’incrédule  que  le  Musulman.  Toujours  ce  souve- 
rain principe  : amour,  miséricorde. 

La  bonté,  dont  il  est  parlé  dans  le  verset  du  Coran,  est  la  cause 


(1)  Coran , vm,  57,  traduction  de  Kazimirski. 


universelle  ; tout  ce  qui  arrive  apres  est  accident  de  la  substance, 
ou  phénomène  transitoire  ; au  delà  de  ce  terme  est  le  retour  à l’o- 
rigine. 


Ce  qui  ajoute  une  certaine  valeur  à ces  opinions  du 
chef  des  Tidjanya  touchant  les  non-musulmans,  c’est 
qu’elles  étaient  écrites  en  1213  de  PH.  (1798-1799  de  J.-C.), 
dans  son  palais  de  Fez,  c’est-à-dire  en  plein  pays  musul- 
man et  à l’abri  de  toutes  relations  intéressées  avec  les 
Chrétiens.  L’indépendance  de  caractère  de  Tidjani  s’af- 
firme, du  reste,  en  d’autres  passages  de  son  livre  ; ainsi, 
à propos  du  paiement  de  la  zekkat,  il  écrit  : 

a Je  fis,  un  jour,  cette  question  au  Prophète:  Est-ce  que  la  zekkat, 
que  perçoivent  de  force  les  émirs  et  tyrans  musulmans,  affranchit  le 
Croyant  de  cette  obligation  (envers  les  pauvres)  ? 

Ai-je  donc,  me  répondit  le  Prophète,  ordonné  aux  Musulmans 
d’obéir  à ces  princes  peu  scrupuleux? 

— Mais  que  dites-vous,  lui  répliquai-je,  du  Musulman  qui  verse  la 
zekkat  entre  les  mains  des  princes  dont  il  n’a  rien  à redouter  ? 

— Que  la  malédiction  de  Dieu  soit  sur  lui  ! » 

Ce  dernier  extrait,  si  essentiellement  musulman,  pour- 
rait servir  de  thème  à d’intéressantes  considérations 
philosophiques,  politiques  et  économiques.  Nous  nous 
bornerons  à faire  remarquer  qu’ici  Tidjani  vise,  tout  par- 
ticulièrement, le  gouvernement  turc  dont  il  n’avait  pas 
eu  à se  louer,  et  qui  était  odieux  à tous  les  Berbères. 

Cette  attitude  des  Tidjanya  vis-à-vis  des  « émirs  et  ty- 
rans musulmans  » Turcs  ou  Arabes,  ne  contribua  pas 
peu,  alors,  à grandir  leur  popularité  dans  le  Nord  de  l’A- 
frique et  à leur  attirer  de  nombreux  adhérents.  Mais,  par 
contre,  leur  ligne  de  conduite,  toujours  si  réservée  et  si 
correcte  vis-à-vis  de  l’autorité  française,  semble  avoir 
porté  un  coup  fatal  à leur  influence  et  a arrêté  net  le  dé- 
veloppement de  leur  ordre. 

On  peut  et  on  doit  le  regretter.  La  congrégation  des 
Tidjanya  est  la  seule  des  congrégations  musulmanes  qui 

29 


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ait,  exclusivement  en  Algérie,  ses  origines,  ses  traditions 
et  ses  intérêts  matériels.  C’est  la  seule  qui,  par  ses  sta- 
tuts mêmes,  ne  peut  pas  avoir  d’attaches  avec  les  ordres 
religieux  de  l’Orient  ou  du  Maroc.  Il  y avait  donc  là, 
pour  nous,  si  nous  l’eussions  voulu,  le  noyau  d’une  vé- 
ritable église  musulmane  algérienne,  dont  les  membres 
eussent  été,  pour  notre  gouvernement,  des  auxiliaires 
aussi  dévoués  et  aussi  sûrs  que  le  sont  les  Taïbya  pour 
le  gouvernement  marocain.  Pour  arriver  à ce  résultat, 
nous  n’aurions  eu  qu’à  faire  au  chef  de  l’ordre  une 
situation  ostensiblement  supérieure  à celle  de  nos  plus 
grands  khalifas  et  bach-agha.  Aux  yeux  de  nos  sujets  in- 
digènes, comme  aux  yeux  du  monde  musulman,  cela 
eût  été  parfait,  et  nous  aurions  pu  tirer  parti  du  concours 
et  de  l’influence  du  chef  d’un  grand  ordre  religieux. 
Ainsi  mis  en  relief,  ce  personnage,  officiellement  reconnu 
par  nous  comme  le  véritable  chef  de  la  religion  musul- 
mane en  Algérie,  comme  notre  «cheikh  El-Islam  »,  aurait 
pu  être  opposé  avec  succès  aux  cheikh  El-Islam  de 
Stamboul,  de  La  Mecque  et  des  autres  pays  musul- 
mans. 

Au  lieu  de  cela,  dominés  par  les  préjugés  de  notre 
passé  catholique,  ou  emportés  par  les  intolérances 
maladroites  de  soi-disant  libres-penseurs,  nous  nous 
sommes,  le  plus  souvent,  bornés  à une  bienveillance 
banale  qui  n’a  eu  d’autre  effet  que  de  déconsidérer  les 
Tidjanya  vis-à-vis  des  fanatiques.  Et  pendant  ce  temps, 
grandissaient  dans  l’ombre  les  ordres  rivaux  qui  puisent 
leurs  aspirations  chez  les  étrangers,  comme  les  Snous- 
sya,  Taïbya,  Khelouatya,  Madanya  et  autres,  sur  lesquels 
notre  action  ne  saurait  être  efficace. 

Bien  que  l’influence  des  Tidjanya  soit  plutôt  en  dé- 
croissance dans  l’Ouest,  cet  ordre  a cependant  encore  de 
nombreux  adhérents  au  Maroc  ; il  en  a surtout  dans 
l’Oued-Nsaoura,  où  ses  khouan  sont  plus  nombreux  que 
ceux  des  Qadrya . Enfin  il  compte  encore  des  adeptes 
chez  les  nomades  Reguibat,  entre  Seguiet-el-Hamra  et 


— 451  — 

PAdrar.  Dans  ce  dernier  pays  il  existe,  à Chinguit,  une 
zaouïa  importante  des  Tidjanya.  Mais  plus  au  sud,  vers 
le  centre  de  l’Afrique  et  le  Soudan,  le  prestige  des 
Tidjanya  ne  s’est  pas  conservé  aussi  grand  qu’il  y a une 
vingtaine  d’années. 

C’est  aujourd’hui  dans  l’Est  et  en  Tunisie  que  cette  in- 
fluence semble  s’être  surtout  développée. 

L’ancien  bey,  Si  .Mohammed-Saddok,  était  affilié  à 
l’ordre  qui  compte  encore,  parmi  ses  membres,  plusieurs 
hauts  dignitaires  du  Bardo. 

La  statistique  officielle  donne,  pour  l’Algérie  : 


Prov.  d’Alger 3 zaouïa,  26  moqaddem,  4,348  khouan. 

d’Oran 2 20  588 

de  Constantine. . . 12  54  6,146 


Total 17  zaouïa,  100  moqaddem,  11,082  khouan. 


Soit  un  total  de  11,182  affiliés. 


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CHAPITRE  XXX 

LES  RAHMAÎW A 

SI  MAHMED-BEN-ABD-ER-RAHMAN-BOU-QOBRIN 
(1208  de  l’Hégire.  — 1793-1794  de  J.-C.(h) 


Si  Mahmed-ben-Abd-er-Rahman-el-Guechtouli-el-Djerd- 
jeri-el-Ahzari-Abou-Qobrin  est  né,  de  1715  à 1728  de 
J. -G.  (1126-1133  de  TH.),  dans  la  tribu  des  Aït-Smaïl,  qui 
faisait  alors  partie  de  la  confédération  des  Guechtoula, 
dans  la  Kabylie  du  Djurdjura. 

Il  appartenait  à une  famille  de  tolbas,  venue  jadis  du 
Maroc,  et  qui  s’attribuait  une  origine  chérifienne;  il 
commença  ses  études  à la  zaouïa  du  cheikh  Seddik- 
ou-Arab,  chez  les  Aït-Iraten;  puis,  après  avoir  étudié 
quelque  temps  à Alger,  il  partit,  vers  l’an  1152  de  l’H. 
(1739-1740  de  J.-C.),  pour  le  pèlerinage  de  La  Mecque. 

En  route,  ou  plutôt  à son  retour,  il  s’arrêta  longtemps 
au  Caire,  à la  djemaâ  El-Ahzar,  où  il  suivit  les  leçons  de 
nombreux  et  savants  professeurs,  parmi  lesquels  il  cite 
tout  particulièrement:  Salem-en-Nefraoui,  Aomar-el- 
Tahlaoui,  Hassen-el-Djedaoui  et  cheikh  El-Amrousi.  C’est 
à cause  de  son  long  séjour  dans  cette  mosquée  qu’il  fut 
nommé  El-Ahzari. 


(1)  Il  a été  publié  sur  les  Rahmanya,  en  dehors  des  notices  que  leur 
ont  consacré  MM.  de  Neveu  et  Brosselard  : 1°  Uné  étude  de  MM.  Ha- 
noteau  et  Letourneux,  dans  leur  livre  sur  la  Kabylie  et  les  coutumes 
Kabyles  ; — 2°  « Un  diplôme  de  moqaddem  de  la  confrérie  religieuse 
des  Rahmanya,  » article  de  M.  Adrien  Delpech  dans  la  Revue  afri- 
caine de  1874. 


— 453  — 


Ce  fut  alors  qu’il  se  fit  affilier  à l’ordre  des  Khelouatya, 
et  qu’il  devint  le  disciple  de  prédilection  du  cheikh 
Mohammed-ben- Salem-el-Hafnaoui,  grand-maître  de 
l’ordre  et,  plus  tard,  chef  de  la  branche  des  Hafnaouïa. 

C’est  avec  un  sentiment  de  profonde  vénération  que 
Bou-Qobrin  parle,  dans  ses  écrits,  de  ce  maître  à qui  il 
s’était  donné  corps  et  âme,  et  auprès  duquel,  nuit  et 
jour,  « il  brisait  toutes  ses  facultés  intellectuelles  au  ser- 
» vice  de  Dieu,  restant  entre  les  mains  de  son  cheikh 
» comme  le  cadavre  entre  les  mains  du  laveur.  » 

Lorsque  Ben-Abd-er-Rahman  eut  acquis  un  degré 
d’instruction  suffisant,  son  maître  le  chargea,  à plusieurs 
reprises,  de  missions  de  propagande  religieuse  au  Sou- 
dan et  aux  Indes.  Mais  ce  fut  surtout  dans  le  Soudan 
qu’il  séjourna  le  plus  longtemps  et  que  son  prosélytisme 
eut  le  plus  de  succès  ; c’est,  du  moins,  ce  qu’il  dit  dans 
les  écrits  où  il  a raconté  ses  voyages. 

Après  plus  de  trente  ans  d’absence  d’Algérie,  vers  l’an 
1183  de  l’H.  (1770  de  J.-C.),  il  reçut,  de  son  cheikh,  l’ordre 
de  rentrer  dans  son  pays  et  d’y  enseigner  « les  pures 
» doctrines  des  Khelouatya.  » Il  partit  emmenant  avec 
lui  sa  femme,  ainsi  qu’un  serviteur  et  une  servante 
nègres  qu’il  avait  ramenés  du  Soudan. 

Dès  son  arrivée  aux  Aït-Smaïl,  il  commença  ses  prédi- 
cations avec  un  tel  succès,  qu’il  eut  bientôt  contre  lui 
tous  les  marabouts  du  voisinage,  dont  on  désertait  en 
foule  les  zaouïa  pour  venir  entendre  ses  leçons  et  rece- 
voir sa  baraka. 

Sa  popularité  s’accrut  rapidement,  et  bientôt  il  fut,  en 
Kabylie,  le  chef  d’une  véritable  église  nationale,  autour 
de  laquelle  se  groupaient  toutes  les  populations  indé- 
pendantes du  Djurdjura. 

Quand  il  eut  ainsi  bien  affirmé  sa  mission  dans  son 
pays,  Ben-Abd-er-Rahman  vint  professer  à la  djemaâ  du 
Hamma,  près  d’Alger,  où  déjà  l’avait  précédé  sa  réputa- 
tion de  savant  et  de  Saint  faisant  des  miracles. 

Mais  les  marabouts  et  uléma  d’Alger,  qui  voyaient 


— 454  — 


avec  peine  s’élever  ce  nouveau  pouvoir  religieux  rival 
du  leur,  et  qui  étaient  jaloux  des  succès  du  nouveau  pro- 
fesseur, lui  firent  une  opposition  extrêmement  vive.  Ils 
dénoncèrent  même  son  enseignement  comme  non  con- 
forme à la  sonna,  et  l’accusèrent  de  vouloir  créer  un 
schisme.  Ils  obtinrent  ainsi  de  le  faire  comparaître  de- 
vant un  medjelès,  pour  avoir  à expliquer  et  justifier  ses 
prétendus  extases,  révélations,  songes  et  apparitions. 

Le  medjelès  était  présidé  par  le  mufti  malékite  d’Alger, 
qui  alors  était  Sid  El-Hadj-Ali-ben-Amine,  homme  aussi 
remarquable  par  ses  vertus  que  par  ses  grandes  connais- 
sances en  matière  théologique. 

Les  uléma  espéraient  bien  obtenir  un  fetoua,  désa- 
vouant le  derwich  kabyle  et  le  forçant  à renoncer  à ses 
doctrines  mystiques.  Ils  étaient,  du  reste,  poussés  dans 
cette  voie  par  les  hommes  du  gouvernement  turc.  Ceux- 
ci,  en  effet,  ne  pouvaient  être  que  peu  sympathiques  à 
cette  congrégation  naissante,  car  elle  menaçait  de  grou- 
per, autour  d’un  chef  religieux  appartenant  à la  confédé- 
ration indépendante  des  Guechtoula,  les  tribus  voisines 
du  Sebaou  et  de  Tisser,  où  s’arrêtaient  les  limites  de 
l’autorité  du  Dey. 

Mais  la  nouvelle  de  la  mesure  qui  avait  été  prise  eut 
pour  résultat  de  provoquer,  dans  la  montagne,  des  ma- 
nifestations non  équivoques  en  faveur  de  Si  Mahmed- 
ben-Abd-er-Rahman . 

Ne  se  croyant  pas  de  force  à lutter  contre  l’influence 
acquise  déjà  par  le  moqaddem  des  Khelouatia,  les  Turcs 
jugèrent  inutile  de  s’aliéner  les  populations  belliqueuses 
du  Djurdjura,  et  le  medjelès,  sous  l’empire  de  ces  consi- 
dérations politiques,  rendit  un  fetoua  en  faveur  de  l’or- 
thodoxie de  Ben-Abd-er-Rahman. 

Néanmoins,  celui-ci  crut  prudent  de  ne  pas  prolonger 
son  séjour  au  Hamma,  et  il  ne  tarda  pas  à rentrer  à sa 
zaouïa  des  Aït-Smaïl. 

Six  mois  après  son  retour,  il  réunit  les  khouan  en 
hadra  et  leur  dit  : 


— 455 


« Mes  enfants,  je  sens  que  ma  vie  est  près  de  s’étein- 
» dre,  celui  qui  m’a  créé  me  rappelle  à lui,  demain 
» j’aurai  cessé  de  vivre,  et  je  vous  ai  mandés  pour  vous 
» dire  ce  que  j’attends  de  vous. 

» J’institue  pour  mon  successeur  l’homme  qui  m’a 
» témoigné  toute  ma  vie  un  dévouement  sans  bornes  ; 
» il  sera  votre  chef  après  moi,  écoutez  ses  avis,  c’est  un 
» homme  de  bien.  Je  vous  prends  tous  à témoins  que  je 
» mets  à ma  place  et  que  je  donne  tout  mon  pouvoir  à 
» Sid  Ali-ben-Aïssa-el-Megherbi  ; il  sera  mon  khalifa.  J’ai 
» déposé  dans  son  sein  tous  les  secrets  et  je  lui  ai  confié 
» toutes  les  bénédictions.  Ne  lui  désobéissez  pas  en  quoi 
» que  ce  soit,  car  il  est  mon  visage  et  ma  langue.  » 

Un  acte  authentique  était,  en  même  temps,  remis  à 
Ben-Aïssa,  constituant  habbous  : les  livres,  les  biens  et 
les  terres  de  Ben-Abd-er-Rahman. 

Celui-ci  mourut  le  lendemain,  en  l’an  1208  de  l’H. 
(1793-1794  de  J.-C.),  laissant  ainsi  le  pouvoir  à son  disci- 
ple marocain  Si  Ali-ben-Aïssa,  car  il  n’avait  trouvé,  ni 
dans  sa  famille,  ni  parmi  ses  compatriotes,  un  homme 
ayant  la  valeur  morale  nécessaire  pour  continuer  son 
œuvre. 

Sa  mort  fut  le  signal  de  nouvelles  manifestations  sym- 
pathiques, qui  attirèrent  dans  la  montagne  tous  ses 
nombreux  adeptes  de  la  plaine.  Les  Turcs,  voyant  cette 
affluence,  regrettèrent  vivement  de  n’avoir  pu  réussir  à 
se  débarrasser,  quand  il  était  temps  encore,  de  ce  per- 
sonnage dangereux.  Et  pour  couper  court  à ce  pèlerinage, 
qui  les  effrayait  en  raison  du  milieu  où  il  se  produisait, 
ils  imaginèrent  de  s’emparer  du  corps  de  Si  Mahmed  et 
de  l’enterrer  à Alger  même,  ou  du  moins  dans  la  ban- 
lieue. 

Deux  ou  trois  bandes  de  khouan  partirent,  à cet  effet, 
de  la  ville,  et  pendant  que  deux  d’entre  elles  se  présen- 
taient dans  les  principaux  douars,  comme  députées  par 
leurs  frères  d’Alger,  et  détournaient  l’attention  des 


— 456  — 

Kabyles,  le  troisième  groupe  exhumait  le  corps  et  rap- 
portait à Alger. 

Mais  les  montagnards,  ayant  eu  vent  de  cette  violation 
de  sépulture,  se  transportèrent,  sans  délai,  au  tombeau 
du  Saint,  enlevèrent  la  terre  et  s’assurèrent  que  le  corps 
de  Ben-Abd-er-Rahman  était  intact  dans  son  linceul. 

Cependant  les  khouan  d’Alger  avaient  bien  emporté 
le  corps  du  Saint,  qui  plus  tard  fut  enterré  en  grande 
pompe  au  Hamma  où  les  Turcs  lui  firent  bâtir  une  koubba 
et  une  mosquée  (1). 

Des  deux  côtés,  on  prétendit  posséder  le  vrai  corps  de 
Ben-Abd-er-Rahman,  et  les  khouan  furent  assez  habiles 
pour  répandre  le  bruit  que  Dieu  avait  fait  un  miracle, 
en  permettant  que  le  corps  du  Saint  se  dédoublât,  pour 
occuper  réellement  les  deux  tombeaux. 

Le  bruit  de  ce  miracle  s’accrédita  très  vite,  et  le  sur- 
nom de  Bou-Qobrïn  fut  immédiatement  donné  à Si 
Mahmed-ben-Abd-er-Rahman,  dont  le  nom  n’est  jamais 
prononcé  par  les  Musulmans  Algériens  sans  cette  épi- 
thète rappelant  sa  double  sépulture. 

Au  fond,  les  Kabyles  ne  croient  généralement  pas  à ce 
miracle  ; mais  comme  ils  sont  certains  d’avoir  conservé 
chez  eux  le  véritable  corps,  ils  ne  voient  aucun  incon  vé- 
nient à cette  pieuse  légende  qui  rehausse  le  mérite  de 
leur  Saint  national. 

De  l’an  1208  de  l’H.  (1793-1794  de  J.-C.)  à l’an  1251  (1835- 
1836  de  J.-C.),  c’est-à-dire  pendant  prés  de  43  ans,  Sid 


(1)  Une  plaque  en  marbre  contient,  en  arabe,  la  dédicace  de  la 
mosquée  ainsi  conçue  : 

« Ceci  est  la  mosquée  de  ceux  qui  combattent  dans  la 

Guerre  Sainte,  la  grande  et  la  petite  en  même  temps.  Son  patron 

est  Notre  Maître  Mahmed-ben-Abd-er-Rahman-ben- Ahmed » 

(Suit  la  généalogie  chérifienne  par  Idris-ben-Idris-el-Fathma,) 

puis  les  surnoms  du  Saint  « lequel  a dit  : Quiconque  visitera,  avec 
intention,  cette  mosquée,  sera  du  nombre  des  heureux  dans  ce 
monde  et  dans  l’autre.  ...... 


— 457 


Ali-ben-Aïssa-el-Maghrebi  dirigea  la  zaouïa-mère  et 
donna  à l’ordre  une  très  grande  extension.  Son  succes- 
seur, Si  Belkacem-ou-el-Hafid,  originaire  des  Maatka  ou 
du  Babor,  ne  resta  que  peu  de  temps  en  fonctions,  et 
serait  mort  empoisonné. 

A partir  de  cette  époque  1252  de  PH.  (1836-1837  de  J.-C.), 
la  direction  de  l’ordre  manqua  de  cohésion  et  d’unité  ; 
bientôt  des  discussions  irritantes  aboutirent  à le  frac- 
tionner en  un  nombre  variable  de  branches,  rivales  et 
ennemies,  dirigées  par  des  moqaddem  échappant  abso- 
lument à l’autorité  du  chef  de  la  zaouïa  des  Aït-Smaïl . 
Mais,  chose  remarquable,  ces  divisions  n’empêchèrent 
pas  l’ordre  de  continuer  à s’étendre  rapidement  et  à 
recruter  partout  de  nombreux  prosélytes . 

Un  marocain,  Si  El-Hadj-el-Bachir-el-Maghrebi  fut  nom- 
mé, en  1252  de  l’H.  (1836-1837  de  J. -G.),  grand-maître  de 
l’ordre,  mais  à une  élection  partielle  qui  fut  vivement 
attaquée  et  contestée.  L’intervention  de  l’émir  SidEl-Hadj- 
Abd-el-Qader-ben-Mahi-ed-Din,  ami  particulier  d’El-Hadj- 
El-Bachir,  ne  réussit  pas  à faire  cesser  ces  divisions  ; 
elle  détermina  même  une  grande  manifestation  hostile 
de  la  majorité  des  montagnards  kabyles,  qui  ne  vou- 
lurent reconnaître  ni  l’autorité  politique  de  l’émir,  ni 
l’autorité  religieuse  d’El-Hadj-el-Bachir.  Ce  dernier  dut 
quitter  le  pays  et  se  réfugier  chez  l’émir. 

Pendant  quelque  temps,  ce  fut  en  réalité  Lalla-Khe- 
didja,  veuve  de  Si  Mahmed-ben-Aïssa,  qui,  restée  à la 
zaouïa  des  Aït-Smaïl,  avec  ses  filles,  fut,  sinon  la  véri- 
table directrice  de  l’ordre,  du  moins  la  personne  la  plus 
en  vue  et  le  fétiche  vers  lequel  se  portaient  tous  les 
vœux  des  fidèles.  Cependant,  ne  réussissant  pas  à éten- 
dre son  action  sur  les  moqaddem  éloignés,  voyant  les 
revenus  de  la  zaouïa  diminuer,  elle  s’adressa  de  nouveau 
à l’émir  El-Hadj-Abd-el-Qader-ben-Mahi-ed-Din  et  le  pria 
de  renvoyer  El-Hadj-Bachir,  lui  affirmant  que  les  Ka- 
byles, revenus  de  leurs  erreurs,  reconnaîtraient  celui-ci 
comme  grand-maître  de  l’ordre. 


— 458  — 

La  chose  eut  lieu,  en  effet,  et  El-Hadj-el-Bachir  fut 
réinstallé  dans  ses  fonctions.  Il  mourut  vers  1257  de  l’H. 
(1841-1842  de  J.-C.)  et  fut  enterré  à la  Djamâ  Tala-ou- 
R’anim,  des  Cherfa. 

Le  cheikh  Si  Mohammed-ben-Belkacem-N’aït-Anan, 
originaire  des  Beni-Zeminzer  et  personnalité  fort  effa- 
cée, lui  succéda,  sans  réussir  à ramener  à lui  les  mo- 
qaddem  du  Sud.  Il  ne  resta  qu’un  ou  deux  ans  en  fonc- 
tions, et,  après  lui,  en  1259  de  l’H.  (1843-1844  de  J.-C.),  la 
grande  maîtrise  échut  à Sid  El-Hadj-Amar,  époux  de 
Lalla-Fathma,  une  des  filles  de  Si  Mahmed-ben-Aïssa. 

Ce  fut  El-Hadj-Amar  qui,  en  1857,  organisa  chez  les 
Aït-Smaïl  la  résistance  contre  les  Français. 

A la  suite  de  sa  défaite  et  de  la  soumission  de  la  Ka- 
bylie  par  le  maréchal  Randon,  il  obtint  l’autorisation  de 
se  rendre  dans  l’Est  et  s’installa  à Tunis,  où  il  continua 
ses  fonctions  de  grand-maître  de  l’ordre. 

Lors  de  son  départ,  les  khouan  avaient  pris  pour 
chefs  d’autres  moqaddem.  Ce  fut  d’abord  Si  Mahmed-el- 
Djaâdi,  originaire  des  Beni-Djaâd,  d’Aumale,  qui  fut  re- 
connu comme  Cheikh-et-triqa.  Mais  cette  reconnaissance 
fut  loin  d’être  générale,  car  ce  personnage  n’avait  ni 
assez  de  crédit,  ni  assez  d’habileté,  pour  rallier  à lui  les 
dissidents  et  reconstituer  cette  centralisation  adminis- 
trative et  politique,  dont  l’expédition  de  1857  avait  privé 
l’ordre  des  Rahmanya. 

Aussi  la  majorité  des  Kabyles  se  tourna-t-elle  vers  un 
moqaddem  qui,  sans  nomination  régulière,  fut  bientôt, 
en  fait  sinon  en  droit,  le  véritable  grand-maître  des 
Rahmanya  du  Tell  et  de  la  Kabylie.  Ce  fut  Si  Mohammed- 
Amzian-ben-el-Haddad,  de  Seddouk,  le  môme  qui,  sous 
le  nom  de  cheikh  El-Haddad,  a joué  un  si  grand  rôle 
pendant  l’insurrection  de  1871,  et  dont  nous  avons  déjà 
eu  l’occasion  de  parler  à propos  de  l’influence  politique 
des  khouan  (1).  Mais  il  resta  un  groupe  compact  de 


(1)  Voir  chapitre  VIII. 


— 459  — 


khouan  fidèles  à Si  El-Hadj-Mahmed-el-Djaâdi,  et,  plus 
tard,  à son  fils  Si  Mahmed-ben-Mohammed-Amzian,  des 
Maatka,  qui  se  regardait  comme  chef  de  la  branche  mère 
des  Rahmanya,  avait  une  zaouïa  très  fréquentée,  et  tenait 
sa  hadra  annuelle  à la  mosquée  de  Sidi-Naâman. 

A cette  branche  s’étaient  ralliés  les  nommés  Si  Mah- 
med-Salah  et  Si  Mohammed-el-Bachir,  les  deux  fils  du 
grand-maître  El-Hadj-el-Bachir,  qui  avaient  leur  hadra 
à la  djemaâ  Azoum-en-Nebi,  située  entre  le  village 
d’Ighandoucen  et  celui  d'Ihaddaden.  Malgré  leur  rivalité 
avec  les  khouan  relevant  de  Seddouk,  ceux  des  Maatka 
firent  cause  commune  avec  eux  pendant  l’insurrection 
de  1871,  et  leurs  moqaddem  se  firent  remarquer  par  leurs 
excitations  anti-françaises  (1).  Pendant  que  la  direction 
suprême  de  l’ordre  des  Rahmanya  se  divisait  ainsi  en 
des  branches  rivales,  le  même  fait  s’était  passé,  dans 
l’Est  et  dans  le  Sud,  où  des  khalifa  de  l’ordre  s’étaient, 
depuis  longtemps,  rendus  indépendants  de  la  maison 
mère,  et  étaient  devenus,  eux  aussi,  chefs  de  branches 
importantes,  séparées  entre  elles  par  des  rivalités  ana- 
logues . 

Le  fondateur  de  l’ordre,  Si  Mahmed-ben-Abd-er-Rah- 
man-bou-Qobrïn,  avait,  en  effet,  de  son  vivant,  investi 
comme  son  khalifa,  dans  l’Est,  un  homme  de  Constan- 
tine,  Si  Mostfa-ben-Abd-er-Rahman-ben-Bach-Tarzi-el- 
Koulour’li,  auquel  succéda,  plus  tard,  Sid  Mohammed- 
ben- Azzouz,  originaire  de  l’oasis  d’El-Bordj  dans  les 
Ziban. 

A la  prise  de  Biskra  (1843),  Si  Mohammed-ben-Azzouz 
quitta  El-Bordj  où  il  résidait,  et  se  retira  à Nefta,  en 
Tunisie,  où  il  fonda  une  zaouïa  importante.  Mais  avant 
son  départ  il  avait  créé  cinq  grands  moqaddem  : 

1°  Sid  Ali-ben-Amor,  fondateur  de  la  zaouïa  de  Tolga 
(Ziban)  ; 


(1)  Sid  El-Hadj-Mahmed-el-Djaâdi  a été  condamné  à la  dépor- 
tation . 


— 460  — 

2°  Cheikh  El-Mokhtar-ben-Khelifa  (des  Ouled-Djellal  de 
Biskra)  ; 

3°  Sid  Embarek-ben-Kouïder  ; 

4°  Sid  Saddok-bel-Hadj,  fondateur  de  la  zaouïa  de  Sidi- 
Masmoudi  (1)  ; 

5°  Sid  Abd-el-Hafid  de  Khanga-Sidi-Nadji  (2). 

A la  mort  de  Si  Mohammed-ben-Azzouz,  chacun  de  ces 
moqaddem  s’isola  et  aucun  d’eux  ne  voulut  reconnaître 
à un  khalifa  d’autorité  supérieure  à la  sienne  propre. 

Cependant  Si  Ali-ben-Amor  fut,  généralement,  consi- 
déré comme  le  khalifa  réel  des  Rahmanya  sahariens,  et 
en  mourant  il  institua  pour  son  successeur  Si  Mostfa- 
ben-Azzouz,  le  fils  de  son  maître  et  le  chef  de  la  zaouïa  de 
Nefta.  Celui-ci,  à son  tour,  institua  pour  son  successeur 
spirituel  Si  Ali-ben-Otsman-ben-Amor,  fils  de  son  cheikh, 
et  chef  religieux  de  Tolga. 

Ce  sont  aujourd’hui  les  deux  villes  de  Tolga  et  de 
Nefta,  et  la  zaouïa  de  Cherfet-el-Hamel  (près  Bou-Saâda), 
qui  sont,  dans  le  Sud,  les  grands  centres  d’action  des 
Rahmanya.  A Nefta  se  trouvent  deux  établissements  : 
l’un  dirigé  par  Si  Ahmed-ben-el-Hafnaoui-ben-Azzouz, 
petit-fils  de  Mohammed-ben-Azzouz;  l’autre  par  Si  El- 
Haoussin-ben-Ali-ben-Amor,  frère  du  marabout  de  Tolga. 


(1)  Sid  Saddok-bel-Hadj  fut  le  principal  instigateur  de  l’insur- 
rection de  1859.  Il  est  mort  à la  maison  centrale  d’El-Harrach, 
en  1862. 

Cette  zaouïa  de  Sidi-Masmoudi  fut  détruite,  en  1859,  par  le  général 
Desvaux,  mais  elle  s’est  reconstituée  à Timermacin  et  nous  est  tou- 
jours restée  très  hostile.  Le  faux  chérif  d’El-Hamman,  en  1879, 
Mohammed-ben-Abd-er-Rahman,  était  un  khouan  sorti  de  cette 
zaouïa. 

(2)  Sid  Abd-el-Hafid  fut  accusé  d’avoir  pris  part  à l’insurrection 
de  1859,  qui  aboutit  au  combat  du  17  septembre  à Seriana,  mais  en 
réalité  sa  conduite  n’a  jamais  été  bien  élucidée.  Son  fils,  Si  Moham- 
med-el-Ahzari- ben-Abd-el-Hafid,  est  chef  d’une  petite  zaouïa  à 
Kheiran,  dans  le  Djebel-Chechar  ; comme  son  père,  il  vit  dans  la 
retraite  et  l’isolement,  au  milieu  de  ses  khouan  qui  ne  font  pas  parler 
d’eux, 


— 461 


L’attitude  des  khouan  Rahmanya,  relevant  de  la  zaouïa 
de  Tolga,  a toujours  été  très  correcte  et  leur  chef  s’est 
constamment  attaché  à se  maintenir  en  d’excellentes 
relations  avec  les  représentants  de  l’autorité  française. 

Nous  avons  dit  que  le  fondateur  de  l’ordre  des  Rahma- 
nya se  donnait  comme  le  continuateur,  en  Algérie,  de 
l’ordre  des  Khelouatya.  C’est  donc  la  chaîne  mystique, 
déjà  donnée  pour  cet  ordre,  que  l’on  trouve  dans  les 
livres  de  doctrines  des  Rahmanya  et  dans  les  diplômes 
des  moqaddem  ; ce  sont  aussi  les  préceptes  moraux  et 
les  théories  religieuses  et  mystiques  des  Khelouatya  que 
professent  les  Rahmanya. 

Cependant,  s’il  a prescrit  l’observance  de  l’ensemble 
des  préceptes  de  l’ascète  Ibrahim-ez-Zahedi,  Sid  Mahmed- 
ben-Abd-er-Rahman-bou-Qobrin  a introduit,  dans  son 
rituel,  un  certain  nombre  de  pratiques  qui  le  distinguent 
de  celui  des  anciens  Khelouatya. 

Ainsi  les  Rahmanya  ne  se  renferment  pas  uniquement 
dans  la  vie  ascétique  : l’enseignement  de  la  loi  islamique 
ou,  si  l’on  veut,  la  prédication  religieuse  rentre  dans  les 
attributions  des  moqaddem.  Les  diplômes  de  ces  der- 
niers indiquent  généralement  qu’ils  ont  reçu  la  double 
licence  d’enseigner  la  loi  extérieure,  c’est-à-dire  la  loi 
divine  (chéra  et  la  loi  ésotérique  ou  voie  secrète 

( 'iÀ>  jL  triqa  ). 

Parmi  la  longue  énumération  de  professeurs  de  droit 
(feka  -/%£?),  de  jurisprudence  et  de  dogme,  cités  dans  ces 
diplômes,  on  trouve,  en  remontant  assez  loin  : Sid  Abou- 
Hassen-ech-Chadeli  et  l’imam  Malek-ben-Anan,  le  chef 
du  rite  maleki  (1). 


(1)  Cette  énumération,  fort  longue  puisqu’elle  remonte  au  Prophète, 
se  trouve  dans  la  Revue  africaine  de  1874,  dans  l’article  déjà  cité  de 
M.  Delpech,  page  422. 

Il  ne  nous  a pas  paru  utile  de  la  donner  ici,  car  elle  n’est  pas  spé- 
ciale aux  Rahmanya  et  est  la  même  que  celle  invoquée  par  de  nom- 
breux professeurs  non  congréganistes. 


— 462  — 


La  présence  de  Si  Chadeli  dans  les  appuis  invoqués, 
pour  leur  enseignement  juridique,  par  les  professeurs 
égyptiens  de  Sid  Mahmed-ben-Abd-er-Rahman-bou- 
Qobrin  est  à retenir,  car  elle  explique  peut-être  l’alliance 
étroite  qui  a toujours  existé  entre  les  Rahmanya  et  les 
divers  ordres  religieux  qui  ont  Si  Chadeli  dans  leur  chaî- 
ne mystique.  Aussi  n’est-il  pas  rare  de  voir  des  moqad- 
dem  Rahmanya  être  en  même  temps  affiliés  à l’ordre 
des  Chadelya,  comme  l’était,  du  reste,  Si  Salem-ben-el- 
Hafnaoui  pour  la  voie  mystique. 

Dans  les  diplômes  des  khelifa  ou  grands  moqaddem, 
après  l’énumération  des  professeurs  de  la  loi  extérieure 
(chera),  on  lit  : 


« J’ai  terminé  maintenant  la  généalogie  de  la  loi  divine  (chera)  et 
» je  la  communique,  par  la  grâce  de  Dieu,  avec  son  aide  admirable 
» et  son  assistance. 

» Quant  à l’idjaza  (licence)  que  je  donne  à N....,  relativement  à la 
» voie  spirituelle  et  à la  généalogie  de  celle-ci,  je  dis: 

» J’autorise  le  Sid  N....,  déjà  nommé,  à donner  à l’ouerd  de  la  congré- 
» gation  pure  des  Khelouatya,  à quiconque  la  lui  demandera  et  à 
» tous  ceux  qu’il  voudra  initier  ; en  un  mot,  dans  l’un  et  l’autre  cas, 
» attendu  qu’il  devient  possesseur  des  secrets  de  la  triqa  et  de  la 
» chera  ensemble.  Que  Dieu,  par  ses  mains,  donne  la  victoire,  ainsi 
» que  par  les  mains  de  ceux  qui  seront  affiliés  par  lui,  à toutes  épo- 
» ques , en  tous  lieux  et  par  tout  homme  pour  l’éternité.  » 


Les  préceptes  de  la  triqa  des  Rahmanya  sont  dévelop- 
pés dans  des  livres  à l’usage  des  adeptes,  entre  autres 
dans  celui  des  Présents  dominicaux  (1),  dont  nous  avons 
déjà  cité  quelques  passages.  Ils  se  trouvent  aussi  résu- 
més dans  YOuassia,  recommandations  ou  instructions 
liturgiques,  données  aux  adeptes  par  les  moqaddem  et 
répétées  dans  les  hadra  de  khouan.  L’ouassia  des  Rah- 


(1)  Cité  par  M.  Brosselard  qui,  dans  son  livre  Les  Khouan,  en  a 
donné  des  extraits  reproduits  par  MM.  Hanoteau  et  Letourneux  dans 
leur  ouvrage  sur  la  Kabylie  et  les  Coutumes  kabyles.  Voir  plus  haut, 
chapitre  VII. 


— 463  — 


manya  se  trouve  non-seulement  dans  les  divers  ouvrages 
de  Si  Mahmed-ben-Abd-er-Rahman-bou-Qobrin,  mais 
môme  dans  les  diplômes  qu’il  écrivait  de  sa  main  et 
donnait  à ses  premiers  khelifa  ou  grands  moqaddem. 
Voici,  en  effet,  ce  qu’on  lit  dans  ces  diplômes  : 


« L’initiant  dira  au  néophyte  (Mourid)  : « Écoute  ma  recommanda- 
» tion,  tu  t’y  conformeras,  comme  tu  y es  obligé  par  l’engagement  et  le 
» pacte  que  tu  as  souscrits  à Dieu;  sois  toujours  dans  la  crainte  de 
» Dieu  ! Agis  toujours  d’une  manière  désintéressée  (c’est-à-dire  que 
» tes  actes  aient  toujours  pour  mobile  l’amour  de  Dieu  et  rien  autre 
» chose)  ; ne  cherche  pas  à être  vu  des  hommes,  bien  au  contraire, 
» cache-toi  d’eux  et  ne  sois  vu  que  de  Dieu.  » 

» Soumets  à sa  surveillance  tes  actes  manifestes  et  secrets.  Suis 
» les  prescriptions  du  livre  et  celles  de  la  tradition,  car  le  livre  et  la 
» tradition  sont  la  loi  qui  mène  au  Dieu  très  haut.  Que  tes  actes 
» soient  désintéressés  de  toute  préoccupation  d’avantage  personnel, 
» dans  ce  monde  ou  dans  l’autre  ; qu’ils  n’aient  pas  pour  but  de  te 
» donner  en  spectacle,  opérant  des  miracles;  qu’ils  ne  soient  inspirés 
» ni  par  la  crainte  des  châtiments  de  Dieu,  ni  par  l’ambition  d’obtenir 
» ses  récompenses!  Aie  pour  tout  objet  d’être  agréable  à Dieu,  de 
» l’aimer  et  d’observer  strictement  les  obligations  de  la  vie  dévote. 
» Il  est  hors  de  doute  que  les  récompenses  (divines)  seront  le  résultat 
» (que  tu  obtiendras),  et  c’est  une  puérilité  que  de  se  préoccuper 
» d’une  chose  qui  doit  certainement  arriver.  Agis  bien  avec  les  créa- 
» tures,  honore  le  grand,  aie  pitié  du  petit.  Détache-toi  des  choses 
» de  ce  monde.  N’en  prends  que  ce  qu’il  faut  pour  couvrir  ta  nudité, 
» abriter  ton  corps  et  apaiser  ta  faim.  Si  tu  en  prends  davantage, 
» prends  garde  de  te  laisser  aller  à de  vains  désirs.  Abstiens-toi  de 
» tout  ce  qui  est  douteux.  (La  loi  partage  les  choses  en  trois  caté- 
» gories  : l’illicite,  le  licite  et  le  douteux.) 

» Ne  rends  pas  le  mal  qu’on  te  fait.  Sois  patient,  la  patience  est  la 
» tête  de  la  piété.  Sois  satisfait  de  Dieu  en  toutes  choses,  sois  satis- 
» fait  de  ce  qu’il  te  fera  éprouver.  Recherche  la  compagnie  de  ceux 
» qui,  par  leurs  paroles  et  leurs  actions,  peuvent  te  guider  vers 
» Dieu.  Retiens  ta  langue  pour  les  choses  qui  ne  te  regardent  pas.  En 
» tout  lieu,  à toute  heure,  aie  confiance  en  Dieu.  Il  faut  se  remettre 
» entièrement  entre  les  mains  de  Dieu  et  le  louer.  Pense  à la  mort, 
» cette  pensée  est  la  base  du  renoncement.  Garde-toi  des  contro- 
» verses,  des  discussions,  quand  bien  même  tu  serais  dans  ton  droit. 
» Loin  de  toi  l’injustice,  le  désir  d’être  cité  avantageusement,  le 
» penchant  à être  loué  par  le  monde.  Aie  des  manières  convenables 
» avec  toutes  les  créatures  sans  exception.  Dans  les  moments  dif- 


— 464  — 

» ficiles,  ne  désespère  ni  de  la  miséricorde,  ni  de  l’assistance 
» divines. 

r>  Dieu  a dit  : « A côté  de  la  gêne  est  l’aisance  ; certes  l’aisance 
» est  à côté.  (Coran  XCIV,  5-6.)  » Tu  vois  bien  que  dans  ce  passage, 
» le  mot  gêne  se  trouve  placé  en  regard  de  deux  mentions  du  mot 
» aisance.  Ainsi  l’aisance  surpasse  la  gêne  (1).  Ne  te  plains  à per- 
» sonne  des  épreuves  que  Dieu  te  fait  subir,  car  c’est  Dieu  qui  par- 
» donne  et  c’est  lui  qui  éprouve  ; c’est  lui  qui  prend  et  c’est  lui  qui 
» donne,  c’est  lui  qui  nuit  et  c’est  lui  qui  est  utile.  Sois  dans  ce 
» monde  comme  un  étranger,  un  voyageur  qui  passe. 

» Abandonne  ce  que  tu  pourrais  acquérir  des  choses  illicites,  et 
» attache-toi,  au  contraire,  à acquérir  les  choses  licites. 

» Laisse  là  ce  qui  pourrait  t’éloigner  ou  simplement  te  distraire  de 
» l’adoration  de  Dieu  très  majestueux  et  très  puissant;  oblige  ton 
» esprit  à méditer,  habitue  tes  yeux  à veiller,  fais  du  dikr  ton 
» compagnon,  du  chagrin  ton  familier;  que  le  renoncement  soit  ton 
» drapeau,  l’abstinence  ton  vêtement  et  le  silence  ton  compagnon.  Que 
» la  faim  et  la  soif  occupent  tes  jours  ; que  la  veille,  les  pleurs  et  la 
» méditation  sur  tes  péchés  passés  occupent  tes  nuits  ! 

» Figure-toi  que  tu  as  le  Paradis  à ta  droite,  l’Enfer  à ta  gauche, 
» le  (pont  du)  Sirath  sous  tes  pieds  et,  à la  main,  la  balance  (où 
» sont  pesées  les  actions  des  hommes  au  jour  du  jugement);  figure- 
» toi  que  tu  as  devant  toi  Dieu  qui  t’examine  et  qui  te  dit:  «Lis 
» l’écrit  qui  te  concerne  et  sois  aujourd’hui  ton  propre  juge  ! (Co- 
» ran  XVII,  15.)» 

» Choisis  ce  qui  peut  être  utile,  c’est-à-dire  l’obéissance,  et  laisse 
» là  ce  qui  est  nuisible,  c’est-à-dire  la  désobéissance.  Et  sache  que 
» Dieu  très  glorieux  et  très  haut  a dit  : « Celui  qui  aura  fait  du  bien 
» le  poids  d’un  atome,  le  verra,  et  celui  qui  aura  fait  du  mal  le  poids 
» d’un  atome,  le  verra  ! (Coran  XCIX,  7 et  8.)  » 

» Ne  vaut-il  pas  mieux  renoncer  d’abord  à la  désobéissance  que  se 
» repentir  (plus  tard)  des  péchés  que  l’on  aura  commis  ? 

» Et  un  de  nos  poètes  a dit  : 

« Le  repentir  est  obligatoire.  » 

» Mais  il  est  plus  obligatoire  encore  de  s’abstenir  de  pécher. 

» Il  est  merveilleux  de  voir  comment  le  temps  s’écoule.  Mais  l’in- 
» souciance  de  l’homme  à le  voir  s’écouler  est  plus  merveilleuse 
» encore. 

» Il  est  dur  de  faire  des  œuvres  dignes  de  récompense.  Mais  per- 
» dre  la  récompense  est  plus  dur  encore. 

» Tout  ce  que  vous  espérez  voir  arriver  est  proche.  Mais  ce  qui  est 
» le  plus  proche  de  tout  c’est  la  mort.  » 


(1)  Le  texte  dit:  deux  aisances  valent  mieux  qu’une  gêne. 


465  — 


Ces  conseils,  d’un  ordre  tout  à fait  élevé,  sont  complé- 
tés par  des  recommandations  expresses,  beaucoup  plus 
précises  encore,  en  ce  qui  concerne  les  devoirs  du  khouan 
vis-à-vis  des  frères.  Mais  ces  recommandations  ne  sont 
pas  spéciales  aux  Rahmanya. 

Le  dikr  particulier  des  Rahmanya  consiste  : 


1°  A répéter  le  plus  souvent  que  l’on  petit,  « durant  les  instants  de 
la  nuit  et  les  moments  du  jour  »,  depuis  l’aceur  du  vendredi  jusqu’à 
l’aceur  du  jeudi,  c’est-à-dire  pendant  six  jours  : Il  n’y  a pas  d’autre 
divinité  qu’Allah  ^ ^JîY). 

Cette  formule  peut  se  répéter,  soit  en  étant  en  état  de  pureté,  soit 
en  n’y  étant  pas  ; 

2°  A répéter  80  fois,  au  moins,  de  l’aceur  du  jeudi  à l’aceur  du 
vendredi,  étant  en  état  de  pureté  légale,  la  prière  Chadoulite 
( qui  se  dit  ainsi  : 

« O mon  Dieu,  répandez  vos  grâces  sur  notre  Seigneur  Mohammed, 
sur  sa  famille  et  sur  ses  compagnons,  et  sur  lui  le  salut!  » 

On  peut  aussi,  au  lieu  de  cette  formule,  employer  la  suivante  qui 
en  diffère  bien  peu  : « O mon  Dieu,  accordez  vos  faveurs  à notre  Sei- 
gneur Mohammed,  le  prophète  illettré  ( ),  à sa  famille  et  à ses 

compagnons,  et  sur  lui  le  salut.  » 


Dans  la  règle  ou  ouerd,  les  Rahmanya,  selon  les  kha- 
lifa  dont  ils  relèvent,  ajoutent  à ce  dikr  plus  ou  moins 
des  pratiques  des  Khelouatya  : notamment  la  façon  de 
prier  en  se  formant  en  cercle. 

Dans  presque  toutes  les  zaouïa,  on  reste  en  prières 
continues  et  à haute  voix,  de  l’aceur  du  jeudi  à l’aceur 
du  vendredi;  les  khouan  entrent  et  sortent,  mais  il  doit 
toujours  en  rester  pour  qu’il  n’y  ait  pas  interruption 
dans  la  récitation  des  oraisons  spéciales  ou  dans  le 
« dikr  du  nom  de  Dieu.  » 

Il  existe  même  des  zaouïa  de  Rahmanya  où  les  khouan 
se  partagent  en  petits  groupes,  se  relevant  d’heure  en 
heure,  le  jour  et  la  nuit,  afin  que  le  nom  de  Dieu  ne  cesse 
pas  un  seul  instant  d’être  proclamé  dans  le  mesdjed  de 
la  zaouïa. 

A propos  des  prières  ou  lectures  pieuses  qu’affection- 

30 


— 466  — 


lient  les  Rahmanya,  et  qui  rentrent  dans  leur  rituel  ordi- 
naire, nous  trouvons  les  recommandations  suivantes, 
formulées  par  le  fondateur  de  l’ordre,  pour  conjurer  l’in- 
fluence du  mauvais  esprit  : 


« On  a dit  que  la  haine  qui  existe  entre  l’homme  et  son  (mauvais) 
»>  génie  est  grande  ; celui  qui  lira  la  sepiaine  (1)  ( **?***dt  ) suivante, 
» matin  et  soir,  ou  tout  simplement  le  matin,  verra  cette  haine  con- 
» vertie  en  amitié  par  la  volonté  de  Dieu. 

» 1°  Répéter  trois  fois  le  verset  du  Trône  (2)  : « Allah  est  le  seul 
» Dieu,  il  n’y  a d’autre  divinité  que  lui,  le  vivant,  l’immuable.  Ni  l’as- 
» soupissement,  ni  le  sommeil  n’ont  de  prise  sur  lui.  Tout  ce  qui  est 
» dans  les  cieux  et  sur  la  terre  lui  appartient. 

» Qui  peut  intercéder  auprès  de  lui  sans  sa  permission  ? Il  connait 
» ce  qui  est  devant  eux  et  ce  qui  est  derrière  eux,  et  les  hommes 
» n’embrassent,  de  la  science,  que  ce  qu’il  veut  leur  apprendre.  Son 
» trône  s’étend  sur  les  cieux  et  sur  la  terre,  et  leur  garde  ne  lui  coûte 
» aucune  peine.  Il  est  le  Très-Haut,  le  Grand  ; » - 

» 2°  La  première  sourate  du  Coran  ; 

» 3°  La  sourate  de  délivrance  (112e)  ; 

» 4°  La  sourate  de  l’aube  du  jour  (113e)  ; 

» 5°  La  sourate  des  hommes  (3).  » 

Une  autre  lecture  pieuse,  qui  fait  partie  du  rituel  ordi- 
naire et  habituel  des  Rahmanya,  est  le  récit  des  sept 
songes  de  Si  Mohammed-ben-Abd-er-Rahman,  tel  qu’il 
l’a  écrit  lui-même  et  laissé  à ses  disciples. 

Il  faut  la  foi  robuste  des  Musulmans  pour  admettre  ce 
morceau  de  réclame  religieuse. 


(1)  Les  catholiques  font  leurs  neuvaines;  les  Rahmanya  ont  leur 
mesbaât,  mot  dont  le  radical  est  sept. 

(2)  Le  verset  du  Trône  est  le  256k  Verset  du  chapitre  IL  — Il 
constitue  une  prière  usuelle  chez  tous  les  Musulmans,  et  on  le  porte 
très  souvent  en  amulette. 

(3)  Les  sourates  113e  et  114e  sont  dites  « les  deux  préservatifs  » 

parce  qu’elles  commencent  par  les  mots  : je  cherche  un 

refuge On  les  porte  communément  en  amulette  dans  tous  les  pays 

musulmans.  La  sourate  113e  préserve  des  malheurs  qui  peuvent  at- 
teindre le  corps,  et  la  sourate  114e  des  dangers  que  peut  courir  l’âme. 


— 467  — 


Nous  le  donnons  cependant  ici,  car  il  montre  le  chef 
de  l’ordre  des  Rahmanya,  le  disciple  des  Khelouatya,  fort 
différent  de  ce  qu’il  est  dans  les  instructions,  si  élevées, 
qui  résument  les  doctrines  de  son  ordre.  Il  est,  d’ailleurs, 
inutile  de  dire  que  ce  récit  a beaucoup  plus  de  succès,  / 

auprès  des  masses  musulmanes,  que  1 ’ouassia  citée  plus 
haut. 

« Le  cheikh  Sidi-Mahmed-ben-Abd-er-Rahman-el-Ahzari  a dit: 

» J’ai  vu  le  Prophète,  celui  choisi  par  Dieu  et  qui  a nom  Mohammed, 

» (sur  lui  le  salut!)  et  je  lui  ai  dit:  «Prophète!  que  dis-tu  de  ma 
» voie  (Triq)  ? » Il  me  répondit  en  ce  moment  : « Ta  voie  est  comme 
» l’arche  de  Noé,  celui  qui  y est  entré  est  sauvé,  ainsi  que  l’a  dit 
» Ibrahim  (Abraham).  » 

» Je  l’ai  revu  une  deuxième  fois,  et  je  lui  ai  dit:  « O Rassoul-Allah 
» (ô  Prophète  de  Dieu),  ma  doctrine  est-elle  acceptée  par  Dieu?»  «Oui, 

» me  répondit-il,  et  tous  ceux  qui  la  reçoivent  de  toi  ou  de  tes  mo- 
» qaddem  sont  garantis  de  l’enfer,  et  je  leur  serai  présent  au  moment 
» de  la  mort  et  au  jour  du  jugement.  » 

» Je  l’ai  revu  une  troisième  fois,  et  l’ai  questionné  sur  différents 
» points  qui  me  concernent  vis-à-vis  de  Dieu  ; il  répondit  à toutes 
» ces  choses  en  remplissant  mon  âme  de  joie:  « O envoyé  de  Dieu, 

» lui  dis-je,  j’ai  annoncé  aux  hommes  que  celui  qui  aurait  le  bonheur 
» de  me  contempler,  ne  serait  pas  dévoré  par  l’enfer.  » « Oui,  me  ré- 
» pondit-il,  celui  qui  t’a  vu  ou  qui  jj’a  pu  voir  que  le  septième  de  ceux 
» qui  t’ont  contemplé,  est  affranchi  d’enfer.  » 

» Je  l’ai  revu  une  quatrième  fois  et  j’ai  sollicité  de  lui  que  celui 
» qui  a entendu  mon  dikr  et  mon  ouerd  soit  considéré  comme  un 
» de  mes  disciples.  « Oui,  dit-il,  tous  ceux  qui  ont  entendu  ton  dikr 
» sont  du  côté  du  droit,  c’est-à-dire  dans  le  Paradis.  » 

» Je  l’ai  revu  une  cinquième  fois,  et  j’ai  fait  la  prière  du  matin,  en 
» me  plaçant  derrière  lui,  et  je  lui  ai  demandé  que  tout  chakie  (ou 
» maudit)  ne  pût  se  présenter  à ma  tombe;  mais  Rassoul-Allah  (ou 
» le  Prophète),  devinant  mon  désir,  ne  me  laissa  pas  achever  ma 
» demande  et  dit  : Que  celui  qui  ne  lira  pas  ton  dikr  ou  prière, 

» soit  chakie  ou  maudit.  (Sidi-Mahmed  a dit  que  les  derniers  mots 
» de  cette  dernière  phrase  ont  été  ajoutés  par  le  Prophète  avant  la 
» demande  du  marabout.) 

» Je  l’ai  revu  une  sixième  fois,  assis  devant  la  porte  du  Paradis, 

» entouré  de  personnes  qui  récitaient  (el-hadra).  M’étant  assis  à côté 
» de  lui,  j’attendis  que  l’on  eût  fini  de  réciter  le  dikr  et  qu’on  le 
» laissât  seul  ; alors  je  lui  dis  : « O Rassoul-Allah  ! les  hommes 
» éprouvent  de  la  répugnance  pour  la  hadra,  ils  s’y  opposent.  » Le 


— 468  — 


» Prophète  me  répondit  : ceux  auxquels  elle  répugne,  ou  qui  s’y  op- 
® posent,  sont  les  hommes  condamnés  à l’enfer.  Je  lui  dis  aussi  que 
» beaucoup  doutaient  de  l’efïïcacité  de  la  hadra;  à ce  quoi  le  Pro- 
» phète  répondit  que  celui  qui  doute  se  prépare  à une  triste  fin.  Le 
» Prophète  de  Dieu  ajouta  encore  : Il  faut  craindre  que  celui  qui 
b doute  et  qui  n’a  pas  confiance  ne  soit  privé  à son  dernier  moment 
» de  se  rappeler  le  Prophète. 

» Enfin,  je  l’ai  revu  une  septième  fois,  et  je  lui  ai  demandé  : Suis- 
» je  de  ton  sang  ? Oui,  me  répondit-il,  tu  es  de  mon  sang. 

» Alors,  j’ai  vu  toutes  les  personnes  composant  la  hadra,  comme 
» si  elles  étaient  venues  au  jour  du  jugement  en  présence  de  leur 
» juge. 

» Elles  témoignaient  le  désir  de  faire  le  tour  du  Tribunal  du  Pro- 
» phète  Mustapha,  assis  dans  une  chaire  de  lumière  éclatante  ; je  me 
b prosternai  devant  lui,  et  il  m’attira  comme  une  mère  attire  à elle 
» son  enfant.  Il  était  assis  au  milieu  de  quatre  hommes  d'une  beauté 
b éblouissante.  Je  lui  dis:  ô Prophète  ! quels  sont  ces  hommes?  Ce 
» sont,  me  répondit-il  : Abou-Beker,  Omar,  Otsman  et  Ali,  que  Dieu 
b les  favorise  ! A ces  mots,  je  me  prosternai  devant  eux,  et  je  vis  un 
» spectacle  imposant,  « Quelle  est  cette  merveille,  lui  dis-je,  ô Pro- 
» phète  de  Dieu  ? b II  me  répondit,  c’est  le  Sirat  (1).  Je  lui  demandai 
» comment  on  pourrait  le  traverser.  Il  sourit  à ces  paroles  en  me 
» disant:  «As-tu  peur  pour  tes  amis,  tes  disciples  et  tes  parents?  » 
» Oui,  Prophète  de  Dien  ! Mon  âme  est  remplie  de  crainte.  Et  le 
» Prophète  me  dit  alors  : Celui  qui  marche  dans  ma  voie  n’a  rien  à 
b craindre  du  Sirat. 

» Je  jure  par  Dieu  que  si,  depuis  dix  ans,  je  ne  voyais  pas  le  Pro- 
» phète  Mustapha,  au  moins  une  fois  ou  deux  par  jour,  je  ne  me 
b considérerais  pas  comme  un  Musulman,  b 


Ce  n’est  pas,  du  reste,  dans  cet  écrit  seulement  que 
Ben-Abd-er-Rahman-bou-Qobrin  exalte  les  vertus  effica- 
ces de  son  ouerd ; dans  plusieurs  de  ses  manuscrits, 
résumant  la  substance  de  ses  songes,  il  dit  formelle- 
ment: 

« Seront  exempts  des  flammes  de  l’enfer  : 

» 1°  Quiconque  est  affilié  à mon  ordre  ; 

b 2°  Quiconque  aime  mon  ordre  ou  m’aime  ; 

(1)  Sirat,  pont  étroit  qu’il  faut  traverser  au  jour  du  jugement 
dernier. 


— 469  — 


» 3°  Quiconque  m’a  visité  vivant  ; 

» 4°  Quiconque  s’arrêtera  devant  ma  tombe; 
» 5°  Quiconque  entendra  réciter  mon  dikr.  » 


On  voit  que  les  Rahmanya  se  montrent  larges  sur  le 
chapitre  des  indulgences  ; aussi  ils  ont  de  nombreux 
adhérents,  et  les  deux  tombeaux  du  Saint  sont  l’objet 
d’incessants  pèlerinages. 

11  est,  du  reste,  facile  de  s’affilier  à cette  congrégation, 
dont  on  rencontre  des  moqaddem  sur  presque  tous  les 
points  de  l’Algérie  situés  à l’est  du  méridien  d’Alger. 

Cette  initiation  se  fait  avec  une  certaine  solennité,  et 
se  compose  de  deux  opérations  souvent  séparées  : d’a- 
bord l’engagement,  El-Ahd  ( ),  puis  l’initiation  pro- 

prement dite  ou  talkin  : 


main  droite  dans  la  main  droite  du  mourid,  tous  deux  s’étant  préa- 
lablement purifiés.  La  paume  de  la  main  du  cheikh  est  placée  sur  la 
paume  de  la  main  du  mourid. 

Le  premier  tient  le  pouce  du  second  ; l’un  et  l’autre  doivent  avoir 
les  yeux  fermés,  et  le  cheikh  doit  prévenir  le  néophyte.  — Alors  il 
dira  à celui-ci  : « Dis,  je  fais  appeLà  Dieu  contre  Satan  le  lapidé,  au 
nom  de  Dieu  clément  et  miséricordieux.  » 

Le  néophyte  devra  répéter  une  fois  cette  phrase,  ainsi  que  celles- 
ci,  que  prononce  le  cheikh  : 

— « J’implore  le  secours  de  Dieu.  » 

— « Je  demande  pardon  à Dieu  et  à son  apôtre.  » 

— « O mon  Dieu,  pardonne-nous  ce  qui  est  écoulé,  et  rends-nous 
facile  ce  qui  reste  de  la  vie.  » 

Puis  le  cheikh  récite  les  passages  suivants  du  Coran  : 

« O vous  qui  croyez,  revenez  à Dieu  avec  un  repentir  sincère,  et  il 
se  pourra  que  Dieu  vous  pardonne  vos  mauvaises  actions,  et  qu’il 
vous  fasse  entrer  dans  des  jardins  arrosés  de  cours  d’eau,  et  cela,  le 
jour  où  Dieu  ne  trompera  pas  l’espérance  du  Prophète  et  de  ceux 
qui  ont  cru  avec  lui.  Leur  lumière  courra  devant  eux  et  à leur  droite. 
Ils  diront:  Seigneur!  complétez  votre  lumière  et  pardonnez-nous,' 
car  vous  êtes  tout-puissant  (Coran  LXVI,  8).  » 


Pour  procéder  à l’engagement 


cheikh  place  sa 


Il  récite  ensuite  cet  autre  passage  : 

« Certes,  ceux  qui  t’auront  engagé  leur  foi,  l’auront  engagée  à Dieu, 


— 470  — 


et  la  main  de  Dieu  sera  posée  sur  leurs  mains.  Celui  qui  faussera  son 
serment,  sera  parjure  à son  propre  détriment,  et  celui  qui  remplira 
ce  à quoi  il  s’est  engagé  vis-à-vis  de  Dieu,  recevra  bientôt  une  ré- 
compense considérable  (Coran  XLVII1,  10).  » 

Puis  encore  cet  autre  : 

« Accomplissez  l’engagement  que  vous  avez  pris  vis-à-vis  de  Dieu, 
ne  faussez  pas  la  foi  que  vous  lui  avez  donnée  ; vous  avez  pris  Dieu 
comme  gardien  de  vos  serments.  Dieu  sait  ce  que  vous  faites  (Co- 
ran XVII,  93).  » 

Le  cheikh  prie  pour  le  mourid  et  dit  : « O mon  Dieu,  éclairez-le  ! 
gardez-le  ! acceptez  ses  œuvres  ? ouvrez-lui  la  porte  de  tout  bien, 
comme  vous  l’avez  ouverte  à vos  Prophètes  et  à vos  Saints  ! » 

Puis  il  dira  : 

« O mon  Dieu,  accueillez-nous,  acceptez  nos  œuvres.  Soyez-nous 
utile  et  faites  que  nous  soyons  utiles,  conduisez-nous  et  faites  que 
nous  conduisions  ; dirigez-nous  et  faites  que  nous  dirigions,  rendez- 
nous  vertueux  et  faites  que  nous  rendions  (les  autres)  vertueux  ! 

» O mon  Dieu,  montrez-nous  la  vérité  vérité,  et  inspirez-nous  de 
la  suivre.  Montrez-nous  le  mensonge  mensonge,  et  donnez-nous  la 
faculté  de  l’éviter  ! 

» O mon  Dieu,  écartez  de  nous  tout  ce  qui  pourrait  nous  détourner 
de  vous,  mais  vous-même  ne  nous  écartez  pas  de  vous  ; ne  nous  oc- 
cupez pas  d’autre  chose  que  de  vous  ! » 

Puis  le  cheikh  dira  : 

« Je  prends  Dieu  à témoin  de  ce  que  nous  disons  ! (Coran  XII,  66).» 

Puis  il  lira  la  Fatiha.  (C’est  le  premier  chapitre  du  Coran.) 


Quant  à l’initiation  (Talkin),  voici  comment  on  doit  y 
procéder  : 

Après  avoir  fait  une  prière  de  deux  prosternations  (Roq’a),  s’être  mis 
en  état  de  repentir  et  avoir  récité  l’ouerd  (c’est-à-dire  les  oraisons), 
comme  il  est  indiqué  ci-dessus,  le  mourid,  tourné  vers  la  Kibla,  s’a- 
croupira  sur  ses  talons,  à genoux  devant  le  cheikh.  Celui-ci  (qui 
sera  dans  la  même  position  et  vis-à-vis)  donnera  un  coup  sur  la  tête 
du  mourid,  fera  une  prière  intérieure,  ayant  les  mains  posées  sur  ses 
genoux  ; tous  deux  auront  les  yeux  baissés. 

Le  cheikh  dira  trois  fois  : 

« Écoute  le  dikr  que  je  vais  dire,  et  réponds-moi  trois  fois.  » « Je 
t’écoute»,  et  cela  en  tenant  les  yeux  fermés. 


— 471  — 


Puis  le  cheikh  invoquera  l’assistance  des  Saints,  qui  sont  les  an- 
neaux de  la  chaîne,  et  dira:  « Je  vous  implore,  ô apôtre  de  Dieu!  Je 
vous  implore,  ô (docteurs  ou  Saints)  de  cette  confrérie!  Je  vous  im- 
plore, ô gens  de  science  ! Je  vous  implore,  ô Pôle  du  moment!  — Puis 
il  donnera  l’initiation  à l’adepte  (c’est-à-dire  il  lui  apprendra  le 
dikr). 

Si  l’engagement  pris  par  le  mourid  et  l’initiation  doivent  se  faire 
en  même  temps,  l’engagement  devra  précéder  l’initiation,  et,  à la 
suite  des  deux  cérémonies,  le  cheikh  priera  pour  le  mourid,  avant 
que  celui-ci  ne  se  lève  devant  lui,  car  c’est  cette  prière  qui  consacre 
l’engagement  et  le  rend  valable. 

Pour  terminer,  l’initiant  ordonnera  à son  disciple  de  se  racheter  du 
feu.  Voici  la  rançon  : le  néophyte  répétera  soixante-dix  mille  fois  : 
•Ai  V « il  n’y  a pas  d’autre  divinité  qu’Allah.  » Puis  il 

dira:  «O  mon  Dieu,  que  la  récompense  attachée  à ces  soixante-dix 
mille  fois  me  serve  de  rançon  à moi-même  contre  le  feu  ! » Cette  pra- 
tique a été  clairement  exposée,  par  Sid  Mohammed-ben-Youcef-es- 
Snoussi  (1),  à ses  disciples. 

Ensuite,  lorsque  le  nouveau  khouan,  définitivement  admis,  est  un 
taleb  désireux  de  s’instruire  des  choses  de  Dieu,  on  l’initie  à la  con- 
naissance des  sept  noms  secrets  de  Dieu,  qui  sont  ses  sept  princi- 
paux attributs,  correspondant  : aux  sept  cieux,  aux  sept  lumières 
divines,  aux  sept  couleurs  simples.  Ces  sept  noms  sont  : 1°  Allah , 
Dieu,  expression  de  son  unité  et  de  sa  toute-puissance  ; — 2°  Houa , 
lui,  celui  qui  est,  le  Jéhovah  des  Hébreux  : reconnaissance  authen- 
tique de  son  existence  immuable;  — 3°  Hak,  la  Justice  ou  la  Vérité  ; 

— 4°  Hai,  le  vivant;  — 5°  Qaïoum  (2)  l’éternel  ; — 6°  Alem,  le  savant; 

— 7°  Kahar , le  dompteur. 


On  voit  que  les  noms  préconisés  par  les  Rahmanya, 
parmi  les  99  attributs  de  la  Divinité,  diffèrent,  comme 
nombre  et  comme  choix,  de  ceux  adoptés  par  la  branche 
même  des  Khelouatya. 

Les  moqaddem  des  Rahmanya  sont  nommés  par  les 
khalifa,  sur  la  demande  et  la  présentation  des  khouan 


(1)  Il  ne  faut  pas  confondre  l’ouali  Mohammed-ben-Youcef-es- 
Snoussi,  qui  vivait  au  XVe  siècle  de  J.-C.,  avec  Sid  Mohammed-ben- 
es-Snoussi,  qui  est  mort  en  1859,  et  fut  le  fondateur  de  l’ordre  des 
Snoussya.  (Voir  chap.  XXXI.) 

(2)  Celui  qui  existe  par  lui-même,  l’immuable;  (racine  fl s être 

debout). 


— 472  — 


intéressés.  Chaque  khalifa  a son  cachet,  qu’il  met  en  tête 
d’un  diplôme  ainsi  conçu  : 

De  la  part  du  cheikh  N....,  khalifa  du  cheikh  du  pontife  Si-Mahmed- 
bcn-Abd-er-Rahman-el-Ahzari,  que  Dieu  le  protège  dans  l’une  et 
l’autre  vie!  Ainsi  soit-il. 

A tous  nos  amis  qui  verront  le  présent  mandat,  Musulmans,  Khouan 
affectionnés,  Disciples  sincères,  Moqaddem,  Eulema,  Kadi,  Muphti 
du  pays  ou  étrangers,  que  le  Dieu  très-haut  leur  soit  miséricordieux 
et  les  reçoive  en  totalité. 

Le  salut  sur  vous,  accompagné  de  la  miséricorde  et  de  la  bénédic- 
tion de  Dieu  très-haut,  pendant  toute  la  durée  de  la  marche  du 
monde. 

Je  vous  informe  que  j’ai  permis  et  accordé  la  faveur  à notre  fils, 
non  d’entrailles,  mais  de  cœur,  le  sieur  N -ben-N de  don- 

ner les  Ouardat  de  notre  voie  bénie  et  bienfaisante  à celui  qui  les 
lui  demandera  ou  auquel  il  les  proposera. 

« Sa  langue  pour  vous  est  la  nôtre;  par  conséquent,  celui  qui  aura 
reçu  deluil’ouerd  sera  comme  s’il  l’avait  reçu  de  nous.  S’il  plait  à 
Dieu,  il  (l'initié)  la  recevra  avec  goût  et  passion  (1). 

» Rien  n’est  meilleur  que  la  multiplicité  des  dikr  ),  récita- 
tions de  la  prière  pendant  la  nuit  et  pendant  le  jour.  Recommande- 
lui  d’avoir  la  crainte  de  Dieu  le  Superbe,  en  secret  aussi  bien  qu’en 
public  ; le  Dieu  très-haut  n’ignore  pas  les  choses  les  plus  secrètes.  » 


Les  grands  diplômes  imprimés  qui  étaient  délivrés 
par  Cheikh-el-Haddad  avant  1870  contiennent,  en  sus  de 
ceci,  le  paragraphe  suivant  : 

« N aura  la  faculté  de  communiquer  les  sept  noms  à quiconque 

» sera  digne  de  parcourir  les  différents  degrés  et  de  montrer  le  signe 
» convenu  dans  la  confrérie,  de  nous  apporter  chaque  année  les  of- 
» frandes.  Puisse  Dieu  le  rendre  utile  et  avantageux  aux  Musulmans, 
» par  les  mérites  de  la  meilleure  des  créatures,  Notre  Seigneur 
» Mohammed  ! — Salut  de  la  part  de  celui  qui  a été  nommé  ci-dessus 
» en  premier  lieu  (le  cheikh  El-Haddad)  sur  tous  ceux  qui  ne  contre- 
» viendront  ni  à nos  instructions,  ni  à celles  de  Dieu,  ni  à celles  du 
» Prophète.  — Ici  finit,  en  abrégé,  le  grand  diplôme.  — Écrit  avec 


(1)  On  traduirait  peut-être  plus  exactement  en  disant  : l’affilié  arri- 
vera, s’il  plaît  à Dieu,  au  désir  passionné  et  au  goût 


— 473  — 


» l’autorisation  de  notre  cheikh  (El-IIaddad),  notre  intermédiaire 
» auprès  de  Dieu.  Amen.  — Le... . du  mois année » 


L’ordre  des  Rahmanya  compte  un  grand  nombre 
d’adeptes  féminins  ou  khouatat  (sœurs),  qui  ont  des 
moqaddemat  (supérieures),  partout  où  elles  forment  des 
groupes  de  quelque  importance. 

En  faisant  l’historique  de  la  succession  des  khalifa, 
nous  avons  dit  quelques  mots  de  l’attitude  politique  des 
différentes  branches  des  Rahmanya. 

En  résumé,  nous  les  avons  trouvés  activement  mêlés 
à toutes  nos  insurrections  algériennes,  non  pas  tou- 
jours comme  instigateurs  directs,  mais  au  moins  comme 
agents  actifs,  venant  se  mêler  aux  combattants  et  les 
excitant  de  leurs  prédications  religieuses.  Deux  bran- 
ches seulement  de  cet  ordre  nous  sont  restées  fidèles 
depuis  l’occupation  française,  ce  sont  les  deux  congré- 
gations ayant  leur  centre  de  direction  à Tolga  et  aux 
Oulad-Djellal,  cette  dernière  aujourd’hui  à Cheurfat-el- 
Hamel  (cercle  de  Bou-Saâda).  Certainement  les  disposi- 
tions personnelles  des  intelligentes  personnalités  qui 
dirigent  ces  groupes  sont  pour  beaucoup  dans  cette 
attitude,  qui  fut  aussi  celle  de  Cheikh-el-Haddad,  de  1857 
à 1871  (1). 

Sans  rien  ôter  au  mérite  de  ces  chefs  religieux  du  Sud 
dont,  personnellement,  nous  avons  pu  constater  l’esprit 
conciliant  et  éclairé,  nous  devons  cependant  faire  remar- 
quer que  leurs  khouan  habitent  un  pays  où  vivent,  à 
côté  et  au  milieu  d’eux,  des  Tidjanya,  adversaires  incon- 
ciliables, qui,  en  nombre  souvent  égal  et  parfois  supé- 
rieur, les  surveillent  et  les  maintiennent. 

Si,  en  1871,  nous  avions  eu  à notre  disposition,  de 
Palestro  à Bône,  une  influence  religieuse  rivale  à opposer 
à celle  des  Rahmanya,  cet  ordre  n’aurait  pas  donné  à 
l’insurrection  un  aussi  formidable  appoint.  Mais,  alors 


(1)  Voir  chapitre  VIII. 


— 474  — 


comme  aujourd’hui,  dans  tout  ce  pays,  nous  n’avions, 
pour  contrebalancer  leur  influence  hostile,  que  des  grou- 
pes isolés  et  des  minorités  incapables  de  leur  tenir  tête 
sans  l’appui  d’une  force  armée,  dont  nous  ne  pûmes  dis- 
poser en  temps  utile. 

L’étude,  sur  la  carte,  des  groupements  et  des  attaches 
des  Rahmanya  fait  bien  ressortir  cette  situation.  Tout  le 
pays  insurgé  en  1871,  de  Palestro  à Collo,  correspond  à 
un  faisceau  très  serré,  ayant  son  point  d’attache  à Sed- 
douk  et  aux  Aït-Smaïl.  Par  contre,  tout  le  pays  où  les 
groupes  de  Rahmanya  s’entrecroisent  avec  ceux  des  au- 
tres ordres  religieux  et  partent  de  Tolga  ou  de  Cheurfet- 
el-Hamel,  est,  en  grande  partie,  resté  dans  le  devoir.  Les 
exceptions  de  détail  s’expliquent  même  facilement,  sur 
plusieurs  points,  par  des  relations  et  des  attaches  parti- 
culières conservées  avec  la  zaouïa  de  Seddouk  et  avec 
celle,  non  moins  hostile,  des  Rahmanya  de  Nefta. 

Ces  attaches,  indiquées  sur  la  carte  treize  ans  après 
les  faits  auxquels  nous  faisons  allusion,  nous  montrent 
que  la  situation  ne  s’est  pas  beaucoup  modifiée,  encore 
bien  que  les  Rahmanya  aient  sensiblement  diminué, 
comme  nombre  et  comme  importance,  sur  le  littoral  à 
l’est  du  méridien  d’Alger. 

Dans  le  Djurdjura,  aux  Aït-Smaïl,  Si  Mohammed-el- 
Bedjaoui  et  les  autres  descendants  de  Sid  Abd-er-Rah- 
man-bou-Qobrin  ont  toujours  un  énorme  prestige,  mais 
peut-être  plus  comme  marabouts  locaux  que  comme 
chefs  de  khouan. 

Plus  à l’Est,  la  zaouïa  de  Seddouq  a été  détruite,  ses 
chefs  ont  été  condamnés  ou  exilés,  leurs  biens  confis- 
qués et  donnés  à la  colonisation  ; un  charmant  village 
français  grandit  et  prospère  sur  le  terrain  même  du  mo- 
nastère dont  les  khammès  sont  devenus  les  domestiques 
des  colons.  Mais  ce  serait  se  tromper  étrangement  que 
de  croire  la  congrégation  des  Rahmanya  de  Seddouq 
abattue  sous  les  coups  qui  ont  frappé  ses  principaux 
chefs  et  hors  d’état  de  nous  nuire. 


— 475  — 

Avant  de  mourir,  « dans  les  prisons  des  Chrétiens  et 
martyr  de  la  Guerre  Sainte,  » le  vieux  cheikh  El-Haddad 
avait  pris  ses  précautions  pour  que  sa  succession  spiri- 
tuelle fût  assurée.  Il  avait  désigné  Si  El-Hadj-el-Hamlaoui, 
moqaddem  à Châteaudun-du-Rhummel,  comme  devant 
remplacer  son  fils  Si  Aziz  en  cas  de  décès  ou  d’empêche- 
ment. 

C’était  là  un  choix  habile,  car  la  personnalité  de  Si  El- 
Hadj-Hamlaoui  était  assez  effacée  pour  ne  porter  ombrage 
ni  à l’administration  française,  ni  aux  membres  en  exil 
de  la  famille  des  anciens  maîtres  de  Seddouq.  Ce  khalifa 
est,  du  reste,  un  homme  sage,  avenant  et  surtout  très 
adroit,  qui  a conservé  des  allures  absolument  correctes. 
On  affirme  qu'en  cela  il  s’est  conformé  aux  ordres  for- 
mels du  vieux  cheikh  El-Haddad  mourant;  cela  est  bien 
possible,  mais  en  tout  cas,  il  a fait  preuve  de  bon  sens 
et  d’habileté,  étant  donné  la  surveillance  rigoureuse  dont 
il  est  l’objet  de  la  part  de  Padministration. 

Malheureusement,  en  mai  1881,  le  fils  de  Cheikh- el- 
Haddad,  Si  Aziz,  ou  plutôt,  comme  on  l’appelle  aujour- 
d’hui, Cheikh-Aziz  est  parvenu  à s’évader  de  la  Nouvelle- 
Calédonie  où  il  subissait  sa  condamnation.  Depuis  cette 
époque,  il  a vécu  tantôt  à La  Mecque,  tantôt  à Djedda. 
Grâce  aux  facilités  que  lui  donne  son  séjour  dans  ces 
centres  musulmans,  il  est  en  relations  directes  avec  tous 
les  chefs  religieux  de  l’Islam,  et  il  entretient,  par  la 
poste  et  par  les  pèlerins,  une  correspondance  active  avec 
ses  anciens  moqaddem. 

Mûri  par  l’âge,  formé  à la  dure  école  du  malheur,  sa- 
chant ses  frères  détenus  en  Corse,  ses  parents,  ses  fem- 
mes et  son  fils  (1)  entre  nos  mains,  Si  Aziz,  depuis  son 
évasion,  affecte  de  se  montrer  animé  des  meilleurs  senti- 
ments. 

Parlant  notre  langue  avec  élégance  et  facilité,  d’un 
extérieur  séduisant  et  distingué,  il  n’a  pas  cessé,  depuis 


( 1)  Son  fils  a fait  toutes  ses  études  comme  boursier  au  lycée  d’Alger. 


— 476  — 

trois  ans,  de  mettre  en  œuvre  toutes  les  ressources  de 
son  esprit  délié,  pour  persuader  nos  agents  diplomati- 
ques de  son  repentir  sincère  et  pour  implorer  une  mesure 
de  clémence  du  gouvernement  de  la  République. 

Malgré  l’habileté  de  ses  démarches  et  la  chaleur  de  ses 
protestations  de  dévouement,  il  ne  semble  pas  cependant 
qu’il  ait  abdiqué  son  titre  de  khalifa  des  Rahmanya  ; l’or- 
gueil du  chef  religieux  perce,  toujours  et  quand  même, 
sous  les  démonstrations  intéressées  du  proscrit. 

Nous  n’en  voulons,  pour  exemple,  que  cet  extrait  d’une 
lettre  arabe  qu’il  écrivait  récemment,  de  La  Mecque,  à un 
de  nos  consuls  qu’il  avait  jadis  connu  en  Algérie  : 

« Mon  désir  de  rentrer  en  grâce  n’est  pas  toutefois  motivé  par  la 
» gêne  qui  résulterait  pour  moi  de  l’exiguité  des  ressources  dont  je 
» dispose  ici  ; et  je  jure,  par  Dieu,  que  je  n’y  ai  même  pas  songé  ; 
» d’autant  plus  que  l’on  trouve  partout  ici  des  moyens  de  subsistance, 
» surtout  si  l’on  manifeste  des  sentiments  hostiles  à l’égard  de  la 
» France. 

» Plusieurs  personnes  ont  insisté  auprès  de  moi  afin  que  je  de- 
» meure  chez  elles  ; je  citerai  parmi  ces  personnes  le  représentant 
» à La  Mecque  de  la  zaouïa  de  Snoussi,  lequel  m’a  déclaré  qu’il  m’en- 
» verrait  au  besoin  auprès  de  son  cheikh,  à Djerboub,  c’est-à-dire 
» auprès  de  celui  qui  s’annonce  comme  devant  être  le  Madhi,  et  qui, 
» d’après  ce  que  me  fait  savoir  son  représentant,  a une  affection  par- 
» ticulière  pour  les  Algériens  musulmans.  J’ai  rejeté  ses  offres  cap- 
» lieuses.  Ayant  été , avant  1871,  un  chef  supérieur  au  Snoussi,  pouvais-je 
» aujourd’hui  m’abaisser  au  point  de  devenir  le  jouet  d’un  homme , et 
» n’ai-je  point  été  à même  de  constater,  en  1871,  la  mauvaise  foi  des 
o hommes?  Aussi  ne  serai-je  jamais  plus  du  nombre  des  rebelles. 

» Pour  les  motifs  que  je  viens  de  vous  exposer,  je  vous  prie  d’inter- 
» céder  pour  moi.  Je  ne  me  rendrai  jamais  plus  coupable  d’aucun 
» acte  hostile  contre  le  gouvernement,  et  je  suis  convaincu  qu’il  trou- 
» ver  a son  profit  à m'accorder  ma  grâce,  à cause  de  ce  que  je  pourrai 
» dire  à mes  compatriotes  sur  ce  que  j’ai  éprouvé  et  sur  ce  dont  j’ai 
» été  témoin.  Vous  connaissez  les  Arabes  et  vous  savez  combien  faci- 
» lement  ils  ajoutent  foi  à ce  qui  leur  est  dit.  Moi,  je  saurai  détruire 
» dans  leur  cœur  la  mauvaise  impression  qu’auront  pu  y laisser  tous  les 
» propos  vides  de  sens.  » 


Si  Aziz,  on  le  voit,  parle  en  homme  qui  a le  sentiment 


— 477  — 

de  sa  valeur  et  de  son  influence  très  réelle  sur  les  mas- 
ses ; ce  n’est  pas  le  forçat  évadé  qui  supplie,  c’est  le 
grand-maître  des  Rahmanya  de  Seddouq,  le  pontife,  fils 
et  successeur  spirituel  du  « saint  et  vénéré  » cheikh  El- 
Haddad,  qui  nous  offre  son  alliance  et  en  fait  ressortir  la 
valeur.  Il  le  fait  avec  discrétion  et  habileté,  car  il  est 
bien  trop  fin  diplomate  pour  se  prévaloir,  vis-à-vis  de 
nous,  de  ce  titre  religieux  qui  ne  pourrait  que  gâter  ses 
affaires. 

Il  affecte,  au  contraire,  en  ces  matières  délicates,  les 
allures  d’un  esprit  indépendant,  et  c’est  d’un  ton  con- 
vaincu, en  apparence,  qu’il  conseillait  tout  récemment  à 
un  de  nos  consuls  du  Levant  d’insister  pour  « faire  inter- 
dire, cette  année,  le  pèlerinage  aux  Algériens,  en  raison 
des  ferments  de  fanatisme  jetés  dans  le  Hedjaz  par  les 
nouvelles  du  Madhi  et  du  Soudan.  » 

Mais,  quelques  précautions  que  prenne  Si  Aziz  pour 
nous  persuader  de  la  pureté  de  ses  intentions,  on  voit 
toujours  percer  les  préoccupations  ambitieuses  du  chef 
de  khouan,  qui,  en  1871,  s’intitulait  « l’Émir  des  soldats 
de  la  Guerre  Sainte . » 

Ce  titre,  du  reste,  n’avait  alors  rien  d’exagéré  ; et  nous 
ne  devons  pas  oublier  que,  de  tous  les  gens  insurgés  en 
cette  année  terrible,  Si  Aziz  est  celui  qui  nous  a fait  le 
plus  de  mal;  car  c’est  lui  qui  a soulevé  le  plus  de  pays, 
c’est  lui  qui  a armé,  contre  nous,  en  pesant  sur  les 
consciences  et  en  pillant  avec  ses  khouan , les  popula- 
tions les  moins  disposées  à l’insurrection  et  les  chefs 
indigènes  les  mieux  en  main. 

Si  Aziz,  berbère  francisé,  petit-fils  d’un  humble  artisan 
kabyle,  n’avait  même  pas  alors  les  prétendus  griefs  ni 
les  craintes  qui  poussèrent  à la  révoite  le  bach-agha 
Mokrani  menacé  dans  sa  situation  politique. 

Ce  fut  de  sang-froid,  par  ambition,  haine  et  orgueil, 
que,  le  27  mars  1871,  à Seddouq,  dans  une  réunion  de 
khouan,  Aziz  commença  à prêcher  le  massacre  et  l’ex- 
termination des  Français.  Le  8 avril  suivant,  cédant  aux 


— 478'— 


sollicitations  de  son  fils  bien-aimé,  le  cheikh  El-Haddad, 
âgé  de  80  ans,  lançait  son  appel  à la  Guerre  Sainte,  appel 
qui  entraînait  contre  nous,  au  profit  du  bach-agha,  toutes 
les  tribus  situées  entre  Palestro  et  Collo. 

En  ce  temps-là,  Si  Aziz  écrivait  à ses  parents  et  amis 
des  lettres  conçues  dans  le  même  esprit  que  la  procla- 
mation de  son  père.  Voici  une  de  celles  adressées  par  lui 
à son  beau-frère,  le  caïd  Bou-Araour,  de  Djidjelli  : 


« (Après  les  compliments  d’usage)....  Nous  vous  donnons  avis,  ce 
» sera  pour  le  bien,  s’il  plaît  à Dieu,  que  nous  nous  sommes  levés 
» pour  la  Guerre  Sainte,  pour  soutenir  la  cause  divine,  et  que  nous 
» nous  sommes  décidés  à combattre  les  ennemis  de  Dieu  et  de  son 
» Envoyé. 

» Nous  avons  secoué  Le  joug  de  la  domination,  louange  à Dieu 
» pour  cela  ! 

» Quant  à vous,  ami,  vous  mine  de  générosité  et  de  libéralité, 
» vous  homme  de  race  antique  et  illustre,  souvenez-vous  de  ce  qui 
» est  digne  de  vous  et  de  la  noblesse  de  votre  origine. 

» Certes,  antérieurement  à l’heure  actuelle,  nous  avons  été  dans  l'im - 
» possibilité  de  faire  la  Guerre  Sainte , pour  plusieurs  motifs  parmi  lesquels 
» il  faut  compter  l'absence  d'union  entre  les  peuples  Musulmans , la  puis- 
» sance  du  gouvernement  français  en  argent  et  en  soldats. 

» Mais  aujourd’hui  ce  motif  a cessé  : sur  tous  les  points  de  la  terre 
» les  Musulmans  se  sont  unis  pour  exalter  la  parole  de  l’Islam  ; tous 
» ont  brisé  les  liens  de  la  soumission  à la  France,  d’Alger  à Aumale, 
» Bougie,  Sétif  et  jusqu’aux  dernières  limites  du  Hodna. 

» De  ce  côté-ci  le  pays  s’est  entendu  pour  la  même  cause. 

» En  outre , le  gouvernement  français  se  trouve  dans  une  situation  cri- 
» tique  produite  par  la  divergence  des  opinions  en  France  et  par  la 
» domination  absolue  de  la  Prusse  qui , après  avoir  détruit  ses  armées , la 
» spolie  de  ses  richesses. 

» Telles  sont  les  causes  qui  ont  mis  fin  aux  obstacles  de  la  Guerre 
» Sainte,  et  il  ne  reste  à un  homme  aussi  intelligent  que  vous  qu’à  se 
» lever  avec  nous. 

» Je  vous  prie  de  me  répondre,  comme  je  l’espère  de  votre  part,  et 
» comme  il  convient  à votre  générosité,  car  vous  êtes  un  homme  de 
» science  et  de  religion. 

» Je  prie  Dieu  de  nous  diriger  tous  deux  et  de  nous  aider,  avant 
» qu’il  soit  trop  tard,  à faire  le  bien  pour  l’honneur  de  Mohammed, 
» que  Dieu  répande  sur  lui  ses  grâces  ! etc 

» Je  vous  prie  également  d’opérer  votre  jonction  avec  moi  pour 


— 479  — 

» attaquer  le  caïd  Ben-Habylcs  qui  résiste  et  s’oppose  à la  Guerre 
» Sainte 

» Écrit  par  ordre  du  défenseur  de  la  religion  Sid  Aziz-ben-el- 
» Haddad,  khalifa  de  son  père,  etc.,  etc.;  22  safar  1280  (4  mai  1871).  » 


Cette  lettre  montre  Si  Aziz  sous  son  véritable  jour; 
elle  nous  donne  la  mesure  de  ce  que  nous  sommes  en 
droit  de  présumer,  et  de  son  dévouement  personnel,  et 
de  l’attitude  de  ses  Rahmanya  de  Seddouq,  si  la  France 
ou  l’Algérie  avaient  encore  à traverser  des  circonstances 
difficiles. 

Or  ces  Rahmanya,  qui  ne  sont  en  somme  qu’une  bran- 
che des  Khelouatya  du  Caire,  et  qui  ont  tant  d’affinités 
et  de  points  de  doctrine  communs  avec  les  divers  ordres 
Chadelya  du  monde  musulman  et  avec  les  Snoussya  de 
Tripolitaine,  comptent,  en  Algérie,  96,915  affiliés  mâles, 
sans  compter  les  femmes  qui  sont  très  nombreuses  (dans 
lai  seule  commune  d’Akbou,  on  affirme  qu’il  y en  a près 
de  4,000). 

Sans  doute,  tous  les  Rahmanya  algériens  ne  seraient 
pas  contre  nous,  et,  comme  en  1871,  nous  bénéficierions 
certainement  des  rivalités  qui  divisent  les  khalifa,  et  des 
dispositions  personnelles  de  quelques  moqaddem  in- 
fluents et  ambitieux,  jaloux  de  se  créer  des  situations 
indépendantes  et  de  se  poser  en  khalifa  d’ordre.  Mais  ce 
sont  là  des  appoints  bien  aléatoires,  car  ils  reposent  ex- 
clusivement sur  les  sentiments  ou  les  convenances  per- 
sonnelles de  chefs  religieux  qui  peuvent  disparaître  et 
avoir  des  successeurs  tout  à fait  différents. 

Car  il  est  à remarquer  que  les  rivalités  qui  divisent  si 
profondément  les  khalifa  n’existent  pas  chez  les  simples 
khouan.  Tous  les  Rahmanya > ayant  la  même  règle , le 
même  rituel , le  même  dikr,  peuvent  changer  de  moqad- 
dem et  surtout  de  khalifa  sans  manquer  à leurs  devoirs 
religieux.  Sur  certains  points,  aussi  bien  dans  le  Sahara 
que  dans  le  Tell,  on  voit  quelquefois,  vivant  côte  à côte, 
des  moqaddem  Rahmanya  suffragants  de  Seddouq,  de 


— 480  — 


Tolga,  de  Nefta,  de  Cherfat-el-Hamel,  et,  s’il  n’y  a pas  là 
des  soff  politiques  divisant  les  fidèles,  il  suffit  du  pas- 
sage d’un  Naïb  habile  pour  déplacer  les  attaches  — et  les 
zi  ara  — de  groupes  entiers,  au  profit  de  telle  ou  telle 
zaouïa.  Aujourd’hui  nous  pouvons  compter  sur  le  gros 
des  Rahmanya  du  Sahara,  demain  cela  ne  sera  peut-être 
plus  vrai  ; en  tous  cas,  la  statistique,  par  congrégation 
rahmanienne,  ne  peut  être  établie  avec  certitude,  et  il 
faut  s’en  tenir  aux  chiffres  donnés  en  bloc  pour  l’ensem- 
ble de  l’ordre  et  aux  indications  fournies  par  la  carte. 
Ces  chiffres  sont  les  suivants  : 


Alger 


Département 

Territoire  de  commandement 


Constantine. 


{ Département 

j Territoire  de  commandement 


Or  an, 


Département 

Territoire  de  commandement 


Zaouïa, 

moqaddem, 

khouan. 

79 

177 

19.735 

13 

62 

16.925 

98 

318 

34.126 

20 

104 

22.177 

10 

88 

2.677 

» 

5 

521 

Total 


220 


754  96.161 


— 481  — 


CHAPITRE  XXXI 

LES  SNOIISSU 

SI  MOHAMMED-BEN-ALI-BEN-ES-SNOUSSI, 

DIT  CHEIKH-SNOUSSI 
(Ordre  fondé  en  1250  H.  (1835  J.-C.)  (D  ) 


Si  Mohammed-ben-Si-Ali-ben-Snoussi-el-Khettabi-el- 
Hassani-el-Idrissi-el-Medjahiri,  naquit  l’an  1206  de  PH. 
(1791-92  de  J. -G.),  non  loin  de  Mostar’anem,  au  douar 
Thorch,  dans  la  fraction  des  Ouled-Sidi-Youcef,  de  la 
tribu  des  Ouled-Sidi-Abd-Allah-ben-el-Khettabi-el-Med- 
jahiri,  alors  campée  entre  la  plaine  de  Sirat  et  la  forêt 
d’En-Naro,  c’est-à-dire  sur  le  territoire  actuel  de  la  com- 
mune mixte  de  l’Hillil  (2). 


(1)  Nous  avons  eu  pour  rédiger  ce  chapitre  : 1°  Un  travail  manus- 
crit de  M.  l’Interprète  militaire  Pilard  ; 2°  des  rapports  d’agents  se- 
crets ; 3U  une  volumineuse  correspondance  politique  ou  diploma- 
tique, qui  remonte  à 1855,  époque  où  on  commença  à se  préoccuper 
des  Snoussya. 

Au  moment  de  la  mise  en  pages  de  ce  chapitre,  nous  avons  reçu 
un  excellent  travail  de  M.  Du  veyrier,  publié  par  la  Société  de  Géo- 
graphie de  Paris,  sous  le  titre  de  « la  Confrérie  musulmane  de  Sid 
Mohammed-ben- Ali -es-Snoussi  et  son  domaine  géographique,  en  l’an  de 
l’Hégire  1300  (1883  de  notre  ère).  » Nous  engageons  vivement  nos 
lecteurs  à lire  cette  étude. 

(2)  Les  Ouled-Sidi-Abd- Allah,  qui  restèrent  attachés  à la  fortune 
d’Abd-el-Qader-ben-Mahi- ed-Din,  se  soumirent  en  1841  et  furent 
compris  dans  l’aghalik  des  Mehadjer.  En  1867,  ils  furent  divisés  en 
deux  douars-communes  (Sidi-Youcef  et  Ouled-bou-Abça),  aujourd’hui 
sections  de  la  commune  mixte  de  l’Hillil,  sauf  les  parties  prélevées 

31 


— 482  — 


Sa  famille,  comme  toutes  celles  des  Ouled-Sidi-Abd- 
Allah,  se  disait  d’origine  chérifienne  et  prétendait  des- 
cendre du  Prophète  par  Hassen,  fils  de  Fathma,  puis  par 
Idris,  fondateur  de  la  dynastie  actuelle  du  Maroc.  Aussi, 
dans  ses  ouvrages,  Si  Mohammed-ben-Ali-ben-Snousi 
joint-il  à son  nom  les  qualificatifs  de  El-Hassani,  El- 
Idrissi  ; mais  l’usage  a prévalu  de  dire  simplement  Cheikh 
Snoussi.  Cette  appellation  n’implique  en  rien  un  rapport 
d’origine  avec  la  tribu  des  Beni-Snouss,  de  la  banlieue 
de  Tlemcen,  ni  une  parenté  quelconque  avec  le  célèbre 
soufi  du  XVe  siècle,  Si  Mohammed-ben-Youcef-ben-Amer- 
ben-Chaïb-es-Snoussi,  décédé  en  odeur  de  sainteté  l’an 
895  de  l’H.  ( en  mai  1490  de  J.-C.),  et  dont  le  tombeau,  situé 
à El-Eubbad,  est  resté  un  lieu  de  pèlerinage  vénéré  (1). 
Si  le  grand-père  du  fondateur  de  l’ordre  des  Snoussya 
se  nommait  Snoussi,  cela  tient  simplement  à ce  que,  en 
mémoire  du  saint  d’El-Eubbad,  ce  nom  de  Snoussi  est 


pour  les  communes  de  plein  exercice  d’Aboukir,  Bled-Thaouria, 
Souk-el-Mitou. 

Les  Ouled-Sidi-Abd- Allah  appartiennent,  en  réalité,  à la  famille 
berbère  des  Beni-Zian  qui  fut  chassée  de  Tlemcen , vers  la  fin  du 
XIIIe  siècle  (1293),  par  Bou  -Yacoub,  sultan  des  Beni-Merin  ; mais, 
au  commencement  du  XVIe  siècle,  Si  Abd-Allah-ben-Khettab,  l’an- 
cêtre de  la  tribu,  vint  se  fixer  à Ain-Mesra  (aujourd’hui  Aboukir),  où 
il  épousa  une  fille  des  Chelaïia,  descendants  du  chérif  Hassen-es-Sa- 
dik,  lequel  venait  de  l’Ouest  et  était  de  la  postérité  de  Hassen,  fils  de 
Fathma  et  d’Ali-ben-Abou-Thaleb. 

Ils  font  même  remonter  leur  généalogie  d’une  façon  plus  complète 
à Fathma,  en  prétendant  que  Sidi  Abd- Allah  descend  d’un  chérif  venu, 
au  XIIe  siècle  de  J.-C.,  dans  la  tribu  des  Beni-Zian,  où  il  se  maria 
avec  une  femme  berbère. 

Cependant,  cette  origine  leur  est  contestée  par  les  tribus  chérifien- 
nes Flitta,  bien  que  les  Ouled-Sidi-Abd-Allah  se  donnent  pour  ancê- 
tre Si  Abd-Allah-ben-Khettab-  ben-bel-Acel-ben-Si-Ali-ben-Si-Ra- 
ched,  le  propre  ancêtre  des  Cheurfa  des  Flitta. 

(1)  M.  Cherbonneau,  dans  le  Journal  asiatique  de  février  1854,  et 
M.  Ch.  Brosseîard,  dans  la  Revue  africaine  de  1859  et  de  1861,  ont 
donné  sur  Si  Mohammed-to-Yoïme/'-es-Snoussi  des  notices  des  plus 
intéressantes. 


— 483  — 

extrêmement  usité  dans  toute  la  région  ouest  de  l’Al- 
gérie. 

Cheikh-Snoussi-el-Medjahiri  montra,  de  très  bonne 
heure,  un  grand  amour  pour  l’étude  : il  fréquenta  d’abord 
les  écoles  de  son  pays  et  eut  pour  maître  : à Mostar’a- 
nem,  Si  Mahi-ed-Din-ben-Chehla,  Si  Abd-el-Halim,  Si 
Bel-Gandouz  (1);  à Mazouna,  Si  Bou-Thaleb  et  Sid 
Mohammed-ben-Ali-ben-Gharef-el-Mazouni  ; puis  à Mas- 
cara, le  célèbre  Bou-Bas  (2). 

En  1237  de  l’H.  (1821-22  de  J.-C.),  un  de  ses  cousins  ger- 
mains, Mohammed-bel-Atrech,  avec  qui  il  était  en  pro- 
cès, furieux  de  s’entendre  condamner  par  le  medjelès, 
le  frappa  d’un  soufflet  devant  l’assemblée  des  Eulema. 

Indigné  de  ce  traitement,  Si  Mohammed-ben-Ali-ben- 
Snoussi,  alors  âgé  de  30  ans,  quitta  son  pays  d’origine 
et  se  rendit  à Fez  où  il  resta  sept  ans,  étudiant  sous  les 
maîtres  les  plus  en  renom  dans  la  ville.  Ses  professeurs 
furent  : Si  Taïeb-ben-Khiran,  Si  Idris-el-Begraoui,  Si 
Hamdoun-bel-Hadj  et  Si  Taoudi-ben-Souda,  commenta- 
teur distingué  de  l’ouvrage  de  droit  d’Ibn-Acem. 

Il  acquit,  dans  cette  ville,  une  grande  réputation  de 
savoir,  et  l’empereur  Mouley-Soleïman  lui  adressa  un 


(1)  Si  Bel-Gandouz  porta  ombrage  au  bey  Hassan,  qui,  n’aimant 
guère  les  khouan  et  le  trouvant  dangereux,  le  fit  arrêter,  conduire 
à Mazouna  et  exécuter  en  1829. 

Prévenu  de  sa  prochaine  arrestation,  Bel-Gandouz  ne  voulut  pas 
fuir  et  se  borna  à dire  : « Il  arrivera  malheur  à Gandouz  par  sa  faute, 
et  aux  Turcs  à cause  de  Gandouz.  » C’était  une  véritable  prédiction  : 
en  1830  les  Turcs  étaient  chassés  d’Alger. 

Aussi,  la  réputation  de  Bel-Gandouz  est-elle  grande  dans  le  pays. 
Cette  exécution  injuste  est  un  des  nombreux  griefs  de  Cheikh-Snoussi 
contre  les  Turcs. 

(2)  L’imam  Djemal-ed-Din-el-Hadj-Mohammed-i&otf-.to-ben-en- 
Nacer,  historien  et  savant  musulman,  né  en  1665  de  l’H.  (1751  de 
J.-C.)  entre  le  djebel  et  l’oued  Houret,  chez  les  Beni-Meniarin  de 
Saïda,  mort  en  1138  de  l’H.  (1823  de  J.-C.)  et  enterré  à Mascara. 

Il  a composé  une  sorte  d’histoire  ou  de  compilation,  qui  a été  tra- 
duite par  M.  l’Interprète  militaire  Arnaud,  et  que  publie  en  ce  mo- 
ment la  Revue  africaine. 


— 484  — 


riche  manuscrit,  en  le  priant  de  vouloir  bien  en  écrire  un 
commentaire;  mais  Cheikh-Snoussi  qui,  par  tempéra- 
ment, était  fort  peu  courtisan  et  qui  était  déjà  tourné 
vers  le  mysticisme,  s.’excusa  puis  quitta  Fez,  vers  la  fin 
de  l’année  1829,  pour  aller  en  pèlerinage  à La  Mecque. 

Il  fit  ce  voyage  lentement,  comme  déjà  il  avait  fait  celui 
des  Medjaher  à Fez,  visitant  sur  son  passage  toutes  les 
zaouïa  ou  écoles  célèbres  et  demandant,  aux  divers 
moqaddem  qu’il  rencontrait,  l’initiation  aux  ordres  reli- 
gieux qu’ils  dirigeaient.  C’est  ainsi  qu’après  avoir  pris 
déjà,  à Fez,  plusieurs  dikr,  entre  autres  ceux  des  Qadrya, 
Chadelya,  Djazoulya,  Derqaoua,  Nacerya,  Habibya,  etc., 
il  prit,  dans  le  pays  des  Ahmour,  ceux  des  Zianya  (de 
Kenadsa),  et  des  Mahmediya  (de  Kerzaz).  Il  s’arrêta  fort 
peu  dans  ces  pays,  traversa  le  djebel  Amour  (d’Aflou), 
et  se  dirigea  sur  Aïn-Madhi,  où  il  prit  le  dikr  des  Tid- 
janya.  Il  séjourna  quelque  temps  à Laghouat  où  il  pro- 
fessa la  grammaire  et  la  jurisprudence,  puis  il  se  rendit 
à Messaàd  où  il  épousa  une  femme  des  Ouled-Touaba, 
nommée  Menna-bent-Si-Mohammed-ben-Abd-er-Rahman, 
femme  que  la  piété  des  fidèles  lui  avait  offerte  en  pré- 
sent. De  là,  passant  par  Djelfa,  il  se  rendit  à Bou-Saada 
et  séjourna  plusieurs  mois,  soit  dans  cette  ville,  soit  dans 
le  djebel  Sahari.  C’était  à l’époque  de  l’expédition  d’Alger, 
et  Cheikh -Snoussi  lui-même  a raconté  « qu’il  passait 
dans  le  Sahara  algérien  quand  Alger  fut  pris.  » 

Ce  fut  donc  en  1830  qu’il  quitta  Bou-Saàda,  où  il  répu- 
dia sa  femme  Menna  qui,  pendant  son  union  avec  lui, 
était  restée  inféconde.  Elle  se  remaria  avec  un  homme 
des  Ouled-Khenata,  nommé  Mohammed-ben-Ahmed- 
Megouis,  dont  elle  eut  des  enfants.  On  prétend  qu’au 
moment  du  divorce,  Menna  était  enceinte,  et  que  son 
premier  enfant,  Saïda,  était  la  fille  de  Cheikh-Snoussi. 
Saïda  vivait  encore  en  1874,  elle  était  mariée  au  nommé 
Cheikh-ben-Daoud.  Cheikh-Snoussi  ne  s’est  jamais  préoc- 
cupé ni  de  sa  première  femme  ni  de  sa  fille. 

Quand  il  partit  de  Bou-Saada,  il  n’était  encore  ni  chef 


— 485  — 


d’ordre,  ni  même  moqaddem,  mais  ce  n’était  déjà  plus 
le  simple  thaleb  voyageur  ; le  maître  s’affirmait,  et  le 
professeur  faisait  l’expérience  de  l’ascendant  qu’allaient 
bientôt  lui  donner,  sur  ses  coreligionnaires,  sa  parole 
éloquente  et  sa  science  théologique. 

Ce  fut  donc  en  enseignant  et  en  ranimant  la  ferveur 
religieuse  des  populations  qu’il  continua  son  voyage. 
Il  passa  à Temacin,  traversa  le  Djerid  tunisien,  la  Tripo 
litaine,  la  Cyrénaique  et  arriva  en  Égypte. 

Dans  les  prolégomènes  de  sa  « Fahrasa  » (1),  Cheikh- 
Snoussi  a,  lui-même,  raconté  cette  époque  de  sa  vie, 
pendant  laquelle  il  noua  des  amitiés  solides  et  des  rela- 
tions qui,  plus  tard,  le  servirent  pour  la  diffusion  et  la 
propagation  de  son  enseignement  panislamique  (2). 


(1)  Fahrasa  (index).  C’est  une  petite  brochure  dans  laquelle  tout 
lettré  musulman,  qui  veut  professer  avec  autorité,  fait  l’exposé  des 
diplômes  et  licences  qu’il  a reçus,  et  des  livres  qu’il  a lus  et  qu’il  est 
en  état  de  commenter  et  d’enseigner.  Il  donne  aussi  ses  appuis  (sanad, 

c’est-à-dire  « la  liste  des  docteurs  par  l’entremise  desquels 
» l’enseignement  de  l’auteur  de  chaque  livre  est  arrivé  à l’aspirant 
» professeur.  » Si  Snoussi  cite  150  ouvrages  avec  leurs  senad,  tous 
relatifs  à la  loi  extérieure  (ou  cheria),  et  aussi  une  sèche  énumération 
des  différentes  voies  qu’il  a étudiées  et  qui  constituent  la  loi  ésotéri- 
que (hakika). 

(2)  Ce  récit,  bien  que  manquant  de  précision,  est  curieux  à plus 
d’un  titre,  et  nous  croyons  devoir  le  donner  à titre  de  document  : 

Extrait  de  la  Fahrasa.  — « Dans  les  voyages  qu’il  m’a  été  donné  de 
» faire,  au  temps  où  j’allais  d’un  endroit  à l’autre,  j’ai  eu  l’occasion 
» de  me  rencontrer  avec  un  nombre  considérable,  une  illustre  com- 
» pagnie,  de  gens  ayant  une  instruction  solide,  un  noble  caractère. 
» Combien  parmi  eux,  d’orateurs  habiles,  d’imams  éminents  et  rem- 
» plis  de  discernement  ! L’un  aspirait  à suivre  la  voie  qui  devait  le 
» mener  au  Roi  des  Rois  (c’est-à-dire  se  faire  initier  aux  doctrines 
o mystiques).  — L’autre  voulait  simplement  (étudier  et)  acquérir  la 
» licence,  afin  d’obtenir  la  bénédiction  (divine),  par  les  mérites  des 
>:  docteurs  dont  l’autorité  servait  de  base  à l’enseignement  de  leur 
» maître.  J’en  ai  rencontré  : dans  les  vastes  étendues  de  pays,  dans 
» des  régions  bien  éloignées  les  unes  des  autres,  dans  l’Aradh  et  sur 
» les  confins  du  Djerid,  à Tripoli  de  Barbarie  et  dans  les  localités, 
» éloignées  ou  proches,  qui  en  dépendent  ; d’autres  chez  les  Sel- 


— 486  — 


Il  avait  d’abord  eu  l’intention  de  s’arrêter  au  Caire,  où 
il  comptait  compléter  son  instruction  à la  djemaâ  El- 
Azhar;  mais,  dans  ce  milieu  semi-officiel  d’uléma,  ayant 
des  charges  à la  cour  du  khédive  ou  inféodés  aux  Os- 
manlis,  il  ne  rencontra  ni  le  genre  d’enseignement  qui 
répondait  à ses  aspirations  mystiques  et  puritaines,  ni 
les  satisfactions  d’amour-propre  qu’il  avait  auprès  des 
tolba  du  Sahara.  Ayant  même  voulu,  un  jour,  professer 
en  public,  il  effraya  les  chefs  de  la  mosquée  par  la  har- 
diesse de  ses  doctrines  intransigeantes,  et  le  cheikh  El- 
Hanich,  un  des  grands  personnages  religieux  du  Caire, 
lança  contre  lui  un  véritable  anathème,  le  dénonçant  au 
peuple  musulman  comme  un  novateur  et  un  réformateur 
religieux. 

On  ajoute  même  qu’il  essaya  de  le  faire  empoisonner, 
et  que  ce  ne  fut  que  par  miracle  que  Si  Snoussi  s’échappa 
du  Caire.  Aussi,  ce  dernier  conserva-t-il,  toute  sa  vie, 
une  haine  invétérée  contre  les  Égyptiens. 

La  légende  s’est  emparée  de  ce  fait  : on  a prétendu  que 
Si  Snoussi  racontait  lui-même  que,  pendant  son  séjour  au 
Caire,  il  avait  fait  un  jour  la  rencontre  d’un  Saint  dont  il 
cachait  le  nom,  et  que  ce  Saint  lui  avait  dit  : « Tu  es 
» bien  fier,  Snoussi,  d’obéir  exactement  à la  souna, 


» laoua  de  Tunis  et  dans  les  pays  environnants,  villes  ou  campagnes, 
» dans  les  zaouïa  du  désert  de  Barka  ; d’autres  dans  certaines  bour- 
» gades  d’Égypte  d’autres,  enfin,  dans  le  pays  qui  entoure  le  tombeau 
» de  l’imam  Zerrouk,  dont  la  doctrine  a inondé  les  Occidents  et  les 
»>  Orients.  De  la  continuité  de  nos  visites  réciproques,  des  convcrsa- 
» tions  nombreuses  que  nous  eûmes  ensemble  et  où  nous  traitions, 
» dans  un  langage  incompréhensible  au  vulgaire,  de  la  quintescence 
» des  sciences,  de  ce  qu’elles  ont  de  rare,  d’agréable  et  de  luxuriant, 
» passant  de  l’une  à l’autre  selon  que  notre  entretien  nous  y ramenait, 
» de  tout  cela,  dis-je,  résulta  entre  nous  et  ceux  que  nous  eûmes 
« occasion  de  rencontrer,  une  confraternité  vraie,  une  amitié  ayant 
» le  bien  pour  but.  Ils  formèrent  alors  le  dessein,  avec  leurs  âmes 
» pures  et  les  perfections  cachées  qu’elles  renferment,  de  se  faire 
» instruire  par  moi  et  de  recevoir  la  licence,  suivant  les  règles  en 
» usage,  etc.,  etc.  » 


« 


— 487  — 


» sans  jamais  manquer  à ses  prescriptions  ; mais  moi, 
» je  te  prendrai  en  faute  et  tu  t’en  souviendras.  » 

A quelques  jours  de  là,  Cheikh-Snoussi  oublia,  en  se 
couchant,  de  couvrir  une  setla  d’eau  (la  souna  prescrit 
de  couvrir  la  nuit  tous  les  vases  creux).  Son  ennemi,  le 
Saint,  pénétra  dans  sa  chambre  sous  la  forme  d’un  ser- 
pent (hanech  et  bava  dans  la  setla.  Le  lendemain, 

Si  Snoussi  but  de  cette  bave  et  demeura  malade  toute  sa 
vie. 

On  peut  voir,  par  cette  légende,  ce  que  devient  souvent 
un  fait  réel  en  passant  par  la  bouche  des  Musulmans  : 
tout  repose  ici  sur  la  consonnance  commune  : au  mot 
hanech  (serpent),  et  au  nom  de  l’uléma  El-Hanich. 

Si  Snoussi  donna,  il  est  vrai,  de  son  départ  précipité 
d’Égypte,  une  version  qui  s’éloigne  encore  plus  de  la 
vérité  que  la  légende  populaire,  mais  qui  es-t  calculée  de 
façon  à montrer,  à ses  adeptes,  que  l’inspiration  divine 
l’a  toujours  guidé  dans  ses  actes.  Ce  n’est,  du  reste,  que 
la  reproduction,  à son  profit,  d’un  récit  hagiographique 
commun  à plusieurs  Saints  de  l’Islam.  Voici,  en  effet, 
ce  que  les  Snoussya  racontent  sur  les  causes  qui  firent, 
subitement,  quitter  le  Caire  à Cheikh-Snoussi  : « Un  jour 
» le  cheikh  venait  de  faire  ses  ablutions  dans  la  mos- 
» quée  d’El-Azhar,  quand,  en  sortant  par  l’étroite  porte 
»*  du  mida  (1),  il  heurta,  avec  une  certaine  rudesse,  un 
» pauvre  fellah  qui  ne  se  rangeait  pas  assez  vite.  » — 
« Pourquoi  agis-tu  ainsi  avec  moi,  ô Snoussi?»  dit  le 
fellah.  — « D’où  sais-tu  mon  nom  ? » répliqua  le  cheikh. 
— « Je  le  sais,  » dit  l’autre,  « parce  que  je  suis  le  qotb  de 
l’époque.  » — « Alors,  c’est  toi  que  je  cherche  ! » s’écria 
Si  Snoussi.  Mais  son  interlocuteur  inconnu  lui  dit  : « Tu 
» n’as  rien  à faire  près  de  moi  ; c’est  à La  Mecque  qu’il 
» faut  aller.  » ' 

Arrivé  à La  Mecque,  Cheikh-Snoussi  prit,  pour  maître 
de  cheria  (ou  loi  extérieure),  le  mufti  de  cette  ville,  Mou- 


Ci)  Mida,  chambre  aux  ablutions. 


— 488  — 


ley-Abd-el-Hafidh-ben-Mohammed  ; et  il  trouva,  dans 
Si  Mohammed-ben-Idris-el-Fassy,  supérieur  général  de 
l’ordre  des  Khadirya  depuis  trente-trois  ans,  le  maître 
éducateur  que,  jusqu’alors,  il  avait  vainement  cherché, 
et  que  le  fellah  de  la  mosquée  El-Azhar  lui  avait  implici- 
tement indiqué,  en  l’envoyant  à La  Mecque. 

Cheikh-Snoussi  s’attacha  sincèrement  à Si  Mohammed- 
ben-Idris-el-Fassy,  et  quand  celui-ci,  en  butte  à la  haine 
des  euléma  de  La  Mecque,  dût  se  réfugier  à la  Sobia  (1), 
il  le  suivit  dans  son  exil,  et  il  resta  son  disciple  de  pré- 
dilection. Plus  tard,  dans  ses  écrits,  Cheikh-Snoussi  n’a 
cessé  d’exalter  les  mérites  de  ce  maître  vénéré  et  de 
proclamer,  en  toute  occasion,  son  respect  pour  les  doc- 
trines des  Khadirya. 

En  1835,  à la  mort  de  Si  Mohammed-ben-Idris-el-Fassy, 
Cheikh-Snoussi  se  trouva  en  compétition  avec  Si  Moham- 
med - Salah  - el  - Megherani,  pour  l’héritage  spirituel  du 
maître  commun,  et  les  Khadirya  se  partagèrent  en  deux 
branches  rivales  et  ennemies. 

Un  certain  nombre  de  disciples  se  groupèrent  autour 
d’El-Megherani  ; ils  établirent  leur  zaouïa  à La  Mecque, 
à Dar-Khaizaran,  'et  affectèrent  d’abord  de  se  dire  Idri- 
siin;  mais,  la  majeure  partie  des  Khadirya  se  rangea 
sous  l’autorité  de  Cheikh-Snoussi,  qui,  voulant  lui  aussi 
que  le  chef-lieu  de  l’ordre  fût  à La  Mecque,  éleva  sa  pre- 
mière zaouïa  sur  la  montagne  d’Abou-Kobaïs. 

De  1835  à 1843,  Cheikh-Snoussi  résida  à La  Mecque, 
dans  cet  établissement;  pendant  ce  temps,  Si  Moham- 
med-Salah-el-Megherani,  par  ses  compromissions  habi- 
les et  politiques  vis-à-vis  des  uléma  de  La  Mecque,  avait 
réussi  à faire  revenir  les  chefs  du  pays  à des  sentiments 
plus  conciliants  vis-à-vis  des  Khadirya-Idrissiin,  qui, 
à sa  mort,  changèrent  leur  nom  en  celui  de  Soualiah 
et  proclamèrent  son  fils  grand-maître  de  l’ordre. 

Le  crédit,  dont  jouissait  officiellement  la  zaouïa  de 


(1)  Voir  plus  haut  chapitre  XXVII,  ordre  des  Khadirya. 


— 489  — 


Dar-Khaizaran,  ne  porta  cependant  pas  préjudice  à celle 
d’Abou-Kobaïs,  où  la  supériorité  de  l’enseignement  de  Si 
Snoussi,  son  indépendance  absolue  vis-à-vis  des  grands 
de  la  terre,  attirèrent  toujours  un  nombre  considérable 
de  disciples  sérieux  et,  aussi,  un  groupe  important  de 
mécontents,  ayant  plus  ou  moins  à se  plaindre  des  auto- 
rités turques  ou  arabes  de  La  Mecque. 

Mais  la  situation  personnelle  de  Cheikh-Snoussi  deve- 
nait difficile  : l’inflexibilité  de  ses  doctrines  intransigean- 
tes, ses  relations  personnelles  avec  les  fils  de  son  maître  Si 
Mohammed-ben-Idris,  restés  à Sobia,  en  pays  ouhabite, 
l’extrême  vénération  dont  il  jouissait,  tout  contribuait  à 
entretenir  l’hostilité  contre  cette  personnalité  hors  ligne, 
dont  la  supériorité  exaspérait  les  demi-savants,  et  dont 
les  allures,  un  peu  hautaines,  choquaient  les  détenteurs 
du  pouvoir  politique. 

Aussi,  en  1843,  la  position  n’étant  plus  tenable,  Cheikh- 
Snoussi  dut  se  résigner  à quitter  La  Mecque.  Mais  il 
n’était  point  dans  son  caractère  de  paraître  céder  à la 
pression  des  circonstances.  Ne  voulant  pas  que  son 
départ  pût  ressembler  à une  fuite  et  devenir  ainsi  préju- 
diciable à la  prospérité  de  la  zaouïa  d’Abou-Kobaïs,  il 
résolut  de  le  faire  servir  à l’exaltation  de  l’œuvre  qu’il 
avait  entreprise.  Pour  cela,  il  eut  recours  à l’interven- 
tion divine  ; et  voici  ce  qu’il  imagina  : 

Autour  de  lui  se  pressaient  alors  des  savants,  des 
étudiants  et,  en  outre,  dê  nombreux  adeptes  illettrés,  la 
plupart  appartenant  aux  tribus  de  la  Tripolitaine  et  qui, 
incapables  de  suivre  son  enseignement  élevé,  ne  venaient 
là  que  pour  recevoir  sa  baraka.  Il  tenait  en  médiocre 
estime  ces  serviteurs  religieux,  qui  n’avaient  pas,  en 
général,  les  qualités  voulues  pour  servir  de  propaga- 
teurs à ses  doctrines  mystiques,  et  il  ne  cherchait  pas  à 
les  attirer  par  des  libéralités  exagérées.  Les  tolba,  du 
reste,  s’entretenaient  eux-mêmes  et  le  désintéressement 
du  maître,  qui  affectait  de  ne  point  poursuivre  un  but 


— 490  — 


humain,  rendait  les  aumônes  religieuses  assez  faibles  ; 
elles  étaient  insuffisantes  pour  cette  multitude. 

Aussi , sous  prétexte  de  mortifications  spirituelles , 
le  cheikh  Snoussi  leur  imposait-il  des  jeûnes  rigoureux 
et  prolongés  qui,  cependant,  ne  réussissaient  pas  à 
diminuer  le  nombre  de  ces  fidèles  convaincus,  bien 
que  beaucoup  d’entre  eux  fussent  exténués  d’un  pareil 
régime. 

L’un  d’eux,  à bout  de  forces  et  près  de  mourir,  se  ren- 
dit alors  au  tombeau  du  Prophète  et  se  plaignit  de 
n’avoir  pas  la  vigueur  nécessaire  pour  supporter  les  pri- 
vations que  le  cheikh  lui  imposait.  Au  même  instant 
l’apôtre  apparut  à Si  Snoussi  et  lui  ordonna  de  prescrire, 
à ses  disciples  illettrés,  au  lieu  de  diètes  prolongées, 
l’obligation  de  construire,  de  leurs  mains,  des  établis- 
sements, religieux. 

Le  cheikh  Snoussi  et  ses  disciples  firent  grand  bruit 
de  cette  apparition  ; et,  pour  obéir  au  Prophète,  il  fut 
décidé  que  tous  les  Mourid  illettrés  quitteraient  La 
Mecque,  où  le  nombre  des  zaouïa  était  suffisant  pour  les 
tolba,  et  qu’ils  iraient  en  construire  dans  les  pays  qui 
en  manquaient.  Cheikh  Snoussi  était,  parait-il,  un  géo- 
mètre distingué,  et  il  avait  beaucoup  de  goût  pour  la 
construction. 

Ce  fut  donc  en  exécution  de  cet  ordre  de  l’apôtre 
de  Dieu,  et  non  pour  une  autre  cause,  qu’il  quitta 
La  Mecque,  en  1843,  laissant  à un  de  ses  moqaddem 
la  direction  de  la  zaouïa  d’Abou-Kobaïs. 

Il  alla  d’abord  à Ben-Ghazi,  ou  plus  exactement, 
à la  zaouïa  de  Refa,  à 20  kilomètres  de  cette  ville; 
il  n’y  resta  que  fort  peu  de  temps  et  se  rendit  dans 
le  Djebel- Lakhdar,  où  il  construisit,  à El-Beïda,  sa 
première  zaouïa,  qui  fut  le  véritable  berceau  de  sa  gran- 
deur. 

Mais  il  ne  s’en  tint  pas  à cette  seule  construction,  et, 
le  nombre  de  ses  serviteurs  religieux  illettrés  augmen- 
tant chaque  jour,  il  continua  à les  employer  à bâtir  des 


— 491  — 


zaouïa,  partout  où  il  fut  en  mesure  d’envoyer  un  moqad- 
dem  et  un  petit  groupe  de  tolba. 

En  peu  d’années,  le  Djebel-Lakhdar  fut  littéralement 
couvert  d’établissements.  Snoussi  entreprit  alors  de 
nouvelles  constructions  : dans  le  reste  de  la  Tripolitaine, 
dans  le  sud  de  la  Tunisie,  dans  la  Marmarique,  en  Égypte, 
en  Arabie,  à Mourzouk,  à R’at,  à R’adamès,  à Insalah,  au 
Touat,  chez  les  Touareg  et  jusque  dans  le  Soudan.  Cha- 
que jour  son  influence  grandissait  et,  vers  la  fin  de  sa 
vie,  maître  de  22  zaouïa,  dont  18  dans  le  district  de  Ben- 
Ghazi,  il  était  devenu  le  véritable  souverain  de  tout  l’im- 
mense pays  que  limite,  au  Nord,  le  littoral  méditerra- 
néen d’Alexandrie  à Gabès,  et  qui  s’étend,  dans  le  Sud, 
jusqu’aux  royaumes  nègres,  au  milieu  desquels  ses 
moqaddem  commençaient  déjà,  à son  profit,  leurs  con- 
quêtes pacifiques. 

Cette  souveraineté,  Si  Snoussi  la  devait,  certainement, 
à la  puissante  organisation  qu’il  avait  su  donner  à l’or- 
dre dont  il  était  le  chef,  et  à la  discipline  rigoureuse 
qu’il  maintenait  parmi  ses  adeptes;  mais  il  la  devait 
aussi  à la  hardiesse  de  son  enseignement  et  aux  inter- 
prétations profondes  et  savantes  qu’il  savait  donner,  en 
matière  religieuse,  sans  jamais  cesser  de  s’appuyer  sur 
les  textes  les  plus  orthodoxes. 

On  peut  donc  dire  que  sa  supériorité  morale  et  intel- 
lectuelle s’imposait  à tous  les  Musulmans  qui  l’appro- 
chaient, car,  l’austérité  de  ses  doctrines  puritaines,  son 
caractère  sombre  et  silencieux,  sa  sévérité  envers  tous 
et  envers  lui-même,  n’étaient  pas  de  nature  à lui  attirer 
de  bien  nombreuses  sympathies. 

Il  se  montrait  peu  en  public  ; son  abord  était  froid  et, 
lorsqu’il  donnait  une  audience,  il  avait  sa  montre  à la 
main,  pour  n’accorder  aux  gens  qu’il  recevait  que  le 
temps  qu’il  leur  avait  fixé  d’avance.  Cependant,  il  accueil- 
lait toujours  avec  une  bienveillance  marquée  les  étudiants 
originaires  de  son  pays  natal  ou  des  environs  de  Mosta- 
r’anem.  C’était,  d’ailleurs,  un  homme  de  grande  taille,  à 


492  — 


l’aspect  imposant,  à la  parole  facile  et  éloquente,  ayant, 
en  un  mot,  tout  ce  qu’il  faut  pour  dominer  les  masses. 

Vers  1855,  se  voyant  de  plus  en  plus  en  butte  à l’ini- 
mitié des  Turcs  et  des  Ulema  de  Constantinople,  d’Égypte 
et  de  La  Mecque,  il  jugea  prudent  de  quitter  le  Djebel- 
Lakhdar  et  d’établir  son  chef-lieu,  plus  loin  de  la  côte, 
hors  de  la  portée  de  ses  ennemis.  Ce  fut  alors  qu’il  créa 
la  zaouïa  deDjer’boub  (1),  au  sud-ouest  et  à deux 

ou  trois  journées  de  marche  de  l’oasis  de  Syouah. 

L’éloignement  et  l’isolement  au  milieu  du  désert  aug- 
mentaient à la  fois  sa  sécurité  et  sa  tranquillité,  sans 
nuire  en  rien  à l’exercice  de  son  autorité  spirituelle. 

Ce  fut  à Djer’boub  que  le  cheikh  Snoussi  forma  le 
principal  noyau  des  missionnaires  nègres  qui  devaient, 
plus  tard,  lui  donner  la  haute  main  sur  le  Ouadaï  (2). 
Ces  nègres  avaient  été  pris  dans  leur  pays  et  conduits, 
en  Égypte,  par  une  caravane  de  marchands  d’esclaves. 
Cette  caravane  fut  pillée  par  les  nomades  des  frontières 
de  Tripoli  et  d’Égypte,  et  Cheikh  Snoussi  fit  acheter  tous 
ces  esclaves. 

Il  les  éleva  à la  zaouïa,  les  affranchit,  et,  quelques 
années  plus  tard,  quand  il  les  reconnut  suffisamment 
instruits,  il  les  renvoya  dans  leur  pays  répandre  ses 
doctrines . 

Depuis  cette  époque,  les  nègres  du  Ouadaï  viennent 
spontanément,  comme  serviteurs,  dans  les  zaouïa  des 
Snoussya,  et  le  Sultan  du  Ouadaï  est  devenu  un  des  plus 
fidèles  disciples  du  cheikh  Snoussi. 

Ce  fut  à Djer’boub  que  mourut,  en  1859,  Si  Mohammed- 
ben-Ali-ben-Es-Snoussi.  C’est  là  que  repose,  sous  un 


(1)  On  dit  encore,  au  pluriel,  Djer’abib  ( ) que  Ton  écrit 

aussi,  suivant  la  prononciation  égyptienne,  Iegabeb  ; on  trouve 
aussi  les  orthographes  suivantes  : Deghboub,  Ieghboub,  Ierhboub, 
legueboub,  et,  par  corruption,  Yagboub  ou  Yakboub  ; c’est  pour- 
quoi nous  avons  donné  le  mot  écrit  en  arabe. 

(2)  On  écrit  quelquefois  Wadaï. 


— 493  — 


riche  mausolée,  objet  de  la  vénération  de  tous  les  Mu- 
sulmans, cet  homme  remarquable  qui,  sans  effusion  de 
sang  et  par  la  seule  force  de  son  génie,  créa,  dans  l’em- 
pire Ottoman,  un  véritable  état  théocratique,  absolument 
indépendant,  et  dont  les  limites  sont  chaque  jour  recu- 
lées par  ses  successeurs. 

Il  avait  eu  pour  collaborateurs,  dans  cette  œuvre  im- 
mense, quelques  hommes  remarquables  dont  il  est  juste 
de  faire  mention.  Tel  fut  son  moqaddem  Si  Abdallah- 
Sunni,  qui  vivait  encore  en  1877  et  qui,  sous  ses  ordres, 
fit  construire,  dans  le  district  de  Tripoli,  les  sept  zaouïa 
de  Mezrata,  Mezdha,  Amamra,  Ourfellah,  Haraba,  Si- 
naoun,  Matrès  et  Tounen. 

Tel  fut  aussi  le  moqaddem  Si  El-Hadj-Ahmed-Touati, 
qui  dirigea  les  constructions  des  zaouïa  de  Mourzouk, 
de  Zouila,  Gatrouna  et  Ouaou-Ech-Cheouf,  ces  trois 
dernières  au  Fezzan. 

Il  y avait  encore  un  autre  homme  du  Touat,  nommé 
Si  Abdallah,  qui  était  son  disciple  de  prédilection  et  qu’il 
avait  même  désigné  pour  être  son  successeur  spirituel. 
Mais  cet  homme  fut  tué  en  1851,  à Safra,  près  de  Médine, 
et,  à la  mort  de  cheikh  Snoussi,  la  succession  échut  à 
Tainé  de  ses  fils,  Si  El-Madhi-ben-Si-Mohammed-bcn-Si- 
Ali-ben-Si-Snoussi,  dénommé  cheikh  Snoussi  par  les 
Européens,  et  cheikh  El-Mahdi  ou  Imam-el-Mahdi  par  les 
Musulmans. 

Cheikh  El-Mahdi  et  son  frère,  Si  Mohammed-Chérif, 
étaient  fort  jeunes  alors  (El-Mahdi  avait  13  à 14  ans), 
mais  ils  trouvèrent,  pour  les  diriger,  des  hommes  choi- 
sis par  leur  père,  et  notamment  les  moqaddem  Si  Ahmed- 
er-R’omari  et  Si  El-Madani-ben-Mostefa-ben-Ahmed-et- 
Tlemcani  ; ce  dernier  fut  leur  tuteur  et  resta  leur  con- 
seiller. 

On  cite  aussi  Si  Ali-ben- Abd-el-Moula,  originaire  de  la 
banlieue  de  Tunis,  Si  Amran-et-Trabelsi  et  Si  Ahmed-er- 
Rifi,  originaire  des  Guellaya  Marocains. 

Ce  qui  est  certain,  c’est  que  ces  enfants  furent  bien 


— 494  — 


conseillés  et  que  l’œuvre  de  leur  père  ne  périclite  pas 
entre  leurs  mains. 

Rien  ne  fut  changé  aux  errements  suivis  ni  à la  ligne 
politique  observée  du  vivant  du  fondateur  de  l’ordre. 

Cheikh  El-Mahdi  a,  aujourd’hui,  la  haute  direction 
des  affaires  générales  ; mais  c’est  son  frère  Si  Moham- 
med-Chérif,  qui  est  chargé  de  l’enseignement  reli- 
gieux. Ce  dernier  serait  un  jurisconsulte  et  un  théo- 
logien hors  ligne.  Quant  à cheikh  El-Mahdi,  il  a un 
immense  prestige  dans  tout  le  monde  musulman.  Son 
nom,  son  âge,  rapprochés  de  certaines  prophéties,  le  dé- 
signent aux  yeux  des  masses  ignorantes,  comme  devant 
être  le  Mahdi  qui  doit  régénérer  le  monde  au  commen- 
cement du  XIIIe  siècle.  On  ajoute  que,  comme  preuve  de 
sa  mission,  il  porte  entre  les  deux  épaules  « le  signe  des 
prophètes»,  c’est-à-dire  un  nœvus  (ou  envie)  rond  et 
bleuâtre,  signe  « qui  existait  à la  même  place  sur  les 
corps  de  Moïse,  Jésus-Christ  et  Mohammed.  » 

Les  doctrines  professées  par  Cheikh-Snoussi  et  ses 
fils  sont  celles  des  Soufi. 

« Les  principes  dogmatiques  fondamentaux»,  sur  les- 
quels elles  s’appuient,  « sont  ceux  développés  dans  les 
différents  ordres  mystiques  des  rites  orthodoxes.  » 

Les  Snoussya  ne  sont  ni  des  novateurs,  ni  des  réfor- 
mateurs : ce  qu’ils  prêchent,  c’est  d’abord  l’observance 
du  « contrat  primitif,  » c’est-à-dire  les  doctrines  du  Coran 
et  de  la  Sonna,  dépouillées  de  toutes  les  innovations  et 
hérésies  qui  ont  été  introduites,  soit  par  les  détenteurs 
des  pouvoirs  politiques,  soit  même  par  les  cheikh  de 
plusieurs  ordres  religieux,  qui  se  sont  écartés  des  règles 
tracées  dans  le  Livre  de  Dieu  et  observées  par  les  vrais 
soufi. 

En  somme,  les  doctrines  des  Snoussya  ne  sont  autre 
chose  que  le  retour  au  Coran  et  au  soufisme  des  premiers 
siècles  de  l’Islam;  ce  qui  revient  à dire  qu’elles  affirment 
la  nécessité  de  « l’Imamat  » comme  gouvernement,  et 
l’excellence  absolue  de  la  vie  contemplative  et  dévote. 


— 495  — 


Nous  avons  dit  déjà  que  la  Loi  musulmane  entendait 
par  « Imamat  » « la  théocratie  panislamique  » et  c’est, 
en  effet,  vers  ce  but,  gigantesque  et  redoutable  pour  tous 
les  gouvernements  musulmans,  que  tendent  tous  les 
actes  et  toutes  les  prédications  des  Snoussya. 

Seulement,  en  gens  intelligents  et  convaincus  de  l’ex- 
cellence de  leur  cause,  les  Snoussya  ne  demandent  ni  à 
la  violence,  ni  aux  excitations  révolutionnaires,  la  réali- 
sation de  leurs  espérances.  Ils  poursuivent  leur  but  froi- 
dement, sans  jamais  avoir  recours  à des  coups  de  force 
qui  pourraient  compromettre  ou  retarder  le  résultat 
qu’ils  cherchent,  et  sans  jamais  avoir  la  moindre  com- 
promission, ou  le  moindre  engagement  politique,  avec 
les  gouvernements  musulmans  ou  chrétiens  dont  ils 
veulent  la  destruction.  C’est  le  coin  qui  s’enfonce,  lente- 
ment et  sûrement,  dans  le  vieil  édifice  vermoulu  de 
l’empire  ottoman,  et  c’est  la  barrière  qu’au  nom  d’Allah, 
l’Islam  régénéré  voudrait  opposer  aux  sataniques  inno- 
vations de  la  civilisation,  européenne  et  de  l’esprit  mo- 
derne. 

Les  Snoussya  sont  certainement  l’ordre  religieux  qui 
affecte  le  plus  de  se  tenir  en  dehors  des  choses  po- 
litiques, et  cependant  c’est,  en  matière  politique,  celui 
dont  l’influence  est  la  plus  dangereuse. 

Tout,  chez  lui,  est  exclusivement  fait  dans  un  but  reli- 
gieux : Dieu  seul  est  son  objectif,  tous  ses  actes  sont 
inspirés  par  l’idée  religieuse  dégagée  de  toute  considéra- 
tion humaine  ou  temporelle  ; l’Ordre,  avec  une  inflexible 
logique,  poursuit,  partout  et  toujours,  la  même  ligne  de 
conduite. 

En  vain,  en  1872  et  à d’autres  époques,  les  Prussiens 
ont-ils  essayé  d’entamer  des  négociations  avec  Cheikh- 
el-Mahdi,  pour  obtenir  qu’il  prêchât  la  Guerre  Sainte 
contre  nous  ; ils  ont  été  éconduits,  sans  même  avoir  pü 
s’aboucher  avec  le  chef  de  l’ordre  (1).  En  vain,  le  Sultan 


(1)  Lorsque  le  voyageur  allemand  Rohlfs  vint  pour  voir  le  cheikh 


— 496  — 


a-t-il  demandé  aux  Snoussya  de  lui  fournir  des  contin- 
gents dans  sa  guerre  contre  les  Russes,  pas  un  homme 
n’a  quitté  la  Tripolitaine  ; en  vain  les  Italiens  ont-ils 
cherché  à s’allier  aux  Snoussya  pour  battre  en  brèche 
notre  influence  en  Tunisie,  la  mission  italienne  explo- 
rant la  Cyrénaique,  en  1881,  a échoué  misérablement  et 
l’excursion  faite  dans  le  djebel  Lakhdar,  à Derma,  par  le 
capitaine  Gamperio,  a eu  pour  résultat  d’indisposer  les 
esprits  au  lieu  de  les  concilier.  Enfin,  pendant  la  révolte 
d’Arabi,  les  Snoussya  n’ont  pas  bougé,  soit  que  leur 
chef  sût  qu’il  y avait  des  connivences  secrètes  entre 
Arabi  et  les  personnages  politiques  de  Stamboul,  soit, 
simplement,  qu’il  ait  estimé  que  ce  n’est  pas  par  la  guerre 
que  doit  se  reconstituer  l’Imamat  universel  des  premiers 
khalifes  (1). 

En  1855,  pour  la  première  fois,  nous  nous  sommes 
occupés  des  Snoussya,  quand  Cheikh-el-Mahdi  fit  un 
voyage,  presque  dans  le  Djerid,  pour  fonder  une  zaouïa, 
et  que  les  rapports  de  nos  agents  indigènes  nous  le 
présentèrent  comme  un  nouveau  chérif  se  levant  pour 
la  Guerre  Sainte.  Depuis  cette  époque,  nous  avons  cru 
voir  la  main  des  Snoussya  dans  toutes  nos  insurrec- 
tions algériennes,  et  cependant,  nous  n’avons  jamais 
réussi  à saisir  une  lettre,  ni  même  à recueillir  une  dépo- 
sition confirmant  nos  soupçons  à cet  égard. 

C’est  qu’en  effet  les  Snoussya  n’avaient  envoyé  ni  mot 
d’ordre,  ni  subside,  ni  excitation  directe.  Ils  étaient,  en 


El-Madhi,  il  s’arrêta  à Bir-Selam,  près  de  Djer’boub,  et  eut  de  longs 
entretiens  avec  Si  Ahmed-ben-Biskri  qui,  en  cette  circonstance,  joua 
le  rôle  de  Si  El-Mahdi,  ainsi  que  cela  lui  arriva  souvent  par  ordre  de 
son  maître.  (Voir  page  507.) 

(1)  Tout  récemment  encore,  en  janvier  1884,  et  alors  que  cer- 
tains journaux  annonçaient  le  départ  du  chef  des  Snoussya  pour 
la  Haute-Égypte  et  sa  connivence  avec  le  Mahdi  du  Soudan,  un 
télégramme  officiel  de  Tripoli  signalait  l’envoi,  par  Cheikh-el-Mah- 
di-ben-Snoussi,  d’un  mandement  « enjoignant  à tous  les  Musulmans 
» de  ne  pas  prêter  leur  concours  au  prétendu  Mahdi,  qui  n’est  qu’un 
» imposteur  et  un  menteur.  » 


— 497  — 


apparence,  tout  à fait  en  dehors  ; mais  leurs  idées  inspi- 
raient, en  réalité,  les  principaux  meneurs  ; leurs  sym- 
pathies étaient  pour  eux,  et  si,  dans  leur  imperturbable 
logique,  ils  répugnaient  à ces  moyens  violents  qui,  à 
leurs  yeux,  n’avaient  aucune  chance  de  réussite,  ils 
n’en  étaient  pas  moins  les  véritables  instigateurs  ; car 
ils  n’ont  jamais  cessé  un  seul’  instant  d’exalter,  comme 
objectif  suprême  de  tous  les  Musulmans,  l’organisation 
théocra tique  qu’ils  ont  su  réaliser,  et  ils  ont  toujours 
ouvert  à deux  battants  les  portes  de  leurs  zaouïas  à 
tous  nos  rebelles,  qui,  brisés  dans  une  lutte  inégale, 
allaient  se  réfugier  dans  le  djebel  Lakhdar  ou  à Djer’boub, 

Ce  n’est  pas  la  révolte  que  prêchent  les  chefs  des 
Snoussya,  c’est  l’émigration.  Car,  à leurs  yeux,  l’émi- 
gration est  le  seul  moyen  qu’ont,  pour  rentrer  dans  l’Is- 
lam (^bL.'sSTjta)  (l),  les  vrais  Croyants  vivant  sous  le 
joug  des  Chrétiens  ou  sous  celui,  non  moins  maudit,  de 
ces  souverains  musulmans  qui,  comme  ceux  de  Cons- 
tantinople, du  Caire,  de  Tunis  ou  de  Fez,  sont  à la  merci 
des  puissances  européennes,  et  subissent  leurs  perni- 
cieuses influences. 

Nous  relevons,  dans  une  lettre  pastorale  écrite,  en 
1869,  par  un  moqaddem  des  Snoussya,  Si  El-Habib-ben- 


(I)  j.bLo'ïST j ta  (Dar-el-Islam)  — sous  le  rapport  politique,  les  habi- 
tants de  la  terre  sont  classés,  par  les  Musulmans,  en  quatre  catégo- 
ries : 1°  les  Musulmans  vrais  Croyants,  disciples  du  Pro- 

phète; 2°  les  Dimmi  (^O)  ou  Raïa  (^^)),  sujets  chrétiens,  juifs 

ou  païens  des  souverains  musulmans  ; 3°  (Moustemiin), 

a les  accrédités  » ou  étrangers  de  passage,  en  mission,  etc.  ; 4°  les 
Hcrbi  « les  ennemis  »,  c’est-à-dire  tous  les  gens  des  pays 

non  musulmans.  Les  trois  premières  catégories  forment  le  jta 

(Dar-cl-Islam,  — la  demeure  de  l’Islam,  le  pays  de  la  sécurité,  le 

Paradis);  la  quatrième  forme  le  v >j — srMjta  (Dar-el-Herb,  — le 

pays  de  la  guerre,  pays  de  l’Infidèle,  séjour  de  la  perdition,  l’Enfer). 

32 


— 498  — 


Ammar(l),  cheikh  de  la  zaouïa  de  Nedjila  (Marmarique), 
le  passage  suivant  qui  vient  démontrer  ce  que  nous 
avançons  : 

« Je  vous  recommande,  mes  frères,  la  récitation  du  dikr  en 

» secret  et  en  public.  Confiez-vous  entièrement  à Dieu,  au  Livre  et  à 
» la  tradition,  suivant  le  contrat  primitif  sur  lequel  il  faut  toujours 
» se  reposer.  C’est  vers  Dieu  qu’il  vous  faut  aller,  c’est  en  lui  que  nous 

» devons  chercher  un  appui Soyez  dans  la  crainte  de  Dieu  et  faites 

» ce  qu’il  vous  a prescrit  de  faire,  abstenez-vous  de  ce  qu’il  a défendu  ; 
» aimez  sa  parole  chérie.  Laissez-là  les  individus  occupés  des  cho- 
» ses  de  ce  monde,  les  menteurs  qui  s’écartent  de  la  porte  de  Dieu. 
» La  porte  de  Dieu  est  ouverte;  celui  qui  l’a  ouverte  est  noble  et 
» généreux  ; il  a des  trésors  vastes  et  sans  bornes.  — Réciter  le  dikr , 
» c’est  se  tenir  à la  porte  de  Dieu.  — Si  quelqu’un  frappe  à la  porte 
» de  Dieu,  on  lui  ouvrira,  et  celui  qui  dit  le  dikr  est  en  compagnie  (2) 
» de  la  Vérité  (3)  (exaltons-là!  ) Et  si  quelqu’un  recherche  la  Vérité , il 
» lui  sera  donné  ce  qu’il  n’a  pas,  parce  qu’en  Notre  Seigneur,  il  n’y 
» a pas  d’avarice.  « Laissez-là  les  créatures  et  ce  qu’elles  disent: 
» Dieu  veut  quelles  soient  comme  elles  sont  » (4).  Dieu  ne  se  révèle 
« forcément,  ni  à un  Arabe  ni  à un  Étranger.  Le  but  c’est  Lui,  l’uni— 
» que,  le  seul,  qui  n’engendre  pas  et  n’a  pas  été  engendré,  à qui  nul 
» n’est  pareil.  O mes  frères  ! si  vous  en  avez  le  pouvoir,  ne  négligez 
» ni  nous  ni  nos  cheikhs.  Dieu  a dit,  dans  son  livre  chéri:  « Au  jour  qui 
» équivaut  à cinquante  mille  années  (Coran  LXX,  verset  4)  : Est-ce  que 
» la  terre  de  Dieu  n'est  point  vaste?  Changez-donc  de  résidence  sur 
» cette  terre:  quant  à ceux-là  ( ceux  qui  n'émigreront  pas),  leur  demeure 
» sera  l'enfer  et  combien  triste  sera  leur  départ!  (pour  s’y  rendre).  » 
» Mais  les  faibles,  hommes  et  femmes,  qui  n’ont  pu  trouver  ni  res- 
sources pour  émigrer,  ni  personne  pour  leur  indiquer  le  chemin, 


(1)  Était  originaire  des  Akerma-R’raba  (commune  mixte  de  l’Hillil, 
département  d’Oran). 

(2)  Littéralement  : est  assis  en  compagnie  de  la  Vérité. 

(3)  El  -Haq  s — La  Vérité  ou  la  Justice  est  le  nom  de  Dieu 

pour  les  Soufis  (mystiques). 

(4)  L’écrivain,  par  ignorance  sans  doute,  défigure  ici  une  maxime 
connue  de  l’imam  Zerrouk  : 

^.3  ^obJi  U iilâ.  ^ t>&\  *Jî  U J s S l5ÿ\ 

V 

Ce  qui  veut  dire  : « Ne  cherche  pas  à changer  la  destinée  des  créa- 
tures ; ce  qu’elles  sont,  c’est  ce  que  Dieu  désire  qu’elles  soient.  >» 


— 499  — 


» peut-être  Dieu  leur  pardonncra-t  il.  Et  celui  qui  quittera  sa  patrie 
» pour  suivre  la  voie  de  Dieu , trouvera  sur  la  terre  des  asiles  nom - 
» breux  et  commodes.  Quant  à celui  qui  sort  de  sa  demeure,  émigrant, 
» pour  aller  vers  Dieu  et  son  Envoyé,  et  que  la  mort  surprend  en 

» chemin,  Dieu  a déjà  préparé  sa  récompense (Coran  IV,  ver- 

» sets  99,  100,  101).  Mais,  si  Dieu  sait  que  vous  avez  de  bonnes  pcn- 
» sces  dans  le  cœur,  il  vous  donnera  plus  qu’il  ne  vous  a été  enlevé 

» et  il  vous  pardonnera (Coran  VIII,  verset  71),  et  cela  quand  bien 

» même  vous  seriez  dans  le  pays  des  Infidèles,  si  vous  ne  trouvez 
» pas  moyen  d’en  sortir  ; mais  si  vous  y restez  parce  que  vous  tenez 
» peu  à nous,  nous  nous  rencontrerons  le  jour  où,  ni  les  richesses, 
» ni  les  enfants  ne  serviront  de  rien,  si  ce  n’est  à celui  qui  viendra  à 
Dieu  avec  un  cœur  pur  (Coran  XXVI,  versets  88,  89).  » 

» Dieu  très  grand  a dit  dans  son  noble  Livre  : « Ceux 

» qui  entreront  d’abord  au  Paradis  ce  seront  les  premiers  d'entre 
» les  émigrés  (de  La  Mecque)  et  les  auxiliaires  de  Médine  (1)  et 
» ceux  qui  les  ont  suivis  dans  les  pratiques  du  bien.  » Dieu  a 
» été  satisfait  d’eux  et  ils  ont  été  satisfaits  de  lui.  Il  leur  a pré- 
» paré  des  jardins  au-dessous  desquels  courent  des  fleuves  et  ils 

» y demeureront  éternellement.  (Coran  IX,  verset  101) Certes,  Dieu 

» a acheté  aux  Croyants  leur  âme  et  leurs  biens  à condition  de  leur 
» donner  le  Paradis.  ( Ibidem , verset  112).  Dieu  très  grand  a dit:  Dieu 
» a été  propice  au  Prophète,  ainsi  qu’aux  émigrés  et  aux  auxiliaires 
» et  à ceux  qui  l’ont  assisté  à l’heure  de  la  disette,  au  moment  où  le 
» cœur  allait  faillir  à une  partie  d’entre  eux,  c’est  alors  que  Dieu  se 

» tourna  vers  eux » ( Ibidem , versât  118).  Enfin,  si  vous  aimez  Dieu 

» et  l’Apôtre,  suivez-moi,  Dieu  vous  aimera  et  vous  pardonnera  vos 
» péchés  (Coran  III,  verset  29).  » 


On  remarquera,  dans  cette  instruction  (ouassia),  com- 
bien le  rédacteur  a eu  soin  de  s’effacer,  pour  laisser  le 
plus  possible  la  parole  au  Livre  de  Dieu.  C’est  qu’en 
effet,  la  constante  préoccupation  des  chefs  des  Snoussya 
est  d’effacer  leur  personnalité  derrière  le  « Livre  révélé,  » 
ou  les  paroles  des  Saints  dont  l’orthodoxie  est  incontes- 
table. 


(1)  Les  premiers  des  Mohadjirin  (émigrés)  et  des  Ansar  (auxiliaires) 
sont,  suivant  les  commentateurs  : ou  ceux  qui  ont  prié,  tournés  vers 
les  deux  Kibla  (Jérusalem  d’abord  et  La  Mecque  ensuite)  ; ou  ceux 
qui  ont  assisté  au  combat  de  Bedr;  ou  bien,  enfin,  ceux  qui  ont  em- 
brassé l’Islamisme  avant  l’Hégire. 


— 500  — 


La  doctrine  de  l’émigration  obligatoire  n’est  pas  une 
nouveauté  : l’imam  Mahi-ed-Din-Abou-Zakaria-Yahia- 
ben-Charef-ech-Chafaï,  mort  l’an  676  de  l’hégire  (1277-78 
de  J.-C.),  à Damas,  et  l’un  des  plus  célèbres  docteurs 
musulmans  orthodoxes,  non  congréganistes,  a dit  : 

« L’émigration  est  obligatoire  pour  tous  les  Musulmans,  lorsque 
» leur  territoire  vient  à tomber  aux  mains  des  Infidèles.  » 


Dans  les  mosquées  turques,  on  prêche  encore  sur  ce 
texte,  et,  en  1881,  le  Gouvernement  français  chassait 
d’Alger  un  Syrien  qui  avait  commencé,  à la  grande 
Mosquée,  des  conférences  religieuses  sur  ce  fetoua. 

D’ailleurs,  pour  montrer  l’excellence  de  la  vie  dévote 
et  l’orthodoxie  des  doctrines  qu’il  enseigne,  le  cheikh 
Snoussi  ne  se  contente  pas  de  rappeler  qu’il  est  le  disciple 
et  le  continuateur  de  Si  Ahmed- ben -Idris-el-Fassy,  le 
grand-maître  de  l’ordre  des  Khadirya,  il  étale  complai- 
samment « ses  appuis  » dans  les  divers  ordres  religieux 
et  mystiques,  dont  il  a étudié  les  livres,  ou  dont  il  a reçu 
l’affiliation. 

Il  cite  ainsi  plus  de  64  ordres  ou  branches  d’ordre, 
dont  voici  la  liste  : 

Seddikya  (6  branches).  — Aouissya  (4  branches).  — Adhemya.  — 
Bestamya.  — Sekalya.  — Djenidya.  — Qadrya  (5  branches).  — Refaya. 
— Madinya.  — Seherourdya  (4  branches).  — Chadelya  (5  branches).—* 
Chadelya-Aroussia.  — Nakechibendya  (3  branches).  — Khelouatya 
(2  branches).  — Fekerouya.  — Nasserya  (ou  Nasseryn)  (3  branches).  — 
Chadelya-Zeroukya  (3  branches).  — Chadelya-Bekerya.  — Chadclya- 
Bekerya-Zcroukya.  — Chadelya-Rachedya.  — Chadelya-Rachedya- 
Zcroukya.  — Chadelya-Razya.  — Djazoulya  (d’où  dérivent  les  Aïssaoua) 
(2  branches).  — Kerzazya.  — Khadirya  (6  branches).  — Zianya.  — 
Chadelya-Hafenya.  — Habibya.  — Tidjanya.  — Hafidya.  — Rahmanya 
(nombreuses  branches). 

Cette  liste  a été  prise  dans  le  livre  même  du  cheikh 
Snoussi,  mais  le  total  de  64  n’est  pas  explicitement 
donné  par  Si  Snoussi,  qui  fait  rentrer  ses  appuis  dans 


— 501  — 


dix  ordres  principaux,  groupement  que,  dans  un  autre 
de  ses  ouvrages,  le  « Selsabil  » (1),  il  porte  au  chiffre  de 
quarante. 

Car  Mohammed  a dit,  autrefois,  que  : 


« Quiconque  apprendra  aux  Fidèles . quarante  traditions,  pour  les 
» instruire  dans  la  voie  du  Ciel,  tiendra  en  Paradis  le  même  lieu, 
» que  les  plus  savants  et  les  plus  zélés  docteurs  de  la  loi  y pourraient 
» occuper.  » 


Ce  qui  fait  qu’un  grand  nombre  de  docteurs  musul- 
mans se  sont  appliqués  à ramasser  40  traditions,  sur 
différentes  matières  concernant  la  religion  musulmane. 
C’est  à leur  imitation  que  Si  Snoussi  a choisi,  parmi  ces 
64  branches,  40  voies  dont  il  développe  les  pratiques  et 
qu’il  recommande  à ses  disciples.  Ces  40  voies  abou- 
tissent toutes  à lui,  comme,  déjà,  il  le  dit  pour  plusieurs 
groupes  indiqués  ci-dessus,  dans  le  livre  que  nous 
avons  eu  à notre  disposition. 

Il  s’en  faut,  du  reste,  que  les  64  branches  dont  nous 
avons  donné  l’énumération  soient  composées  d’adeptes 
de  Si  Snoussi.  Le  contraire  est  même  certain  pour  beau- 
coup d’entre  elles,  telle  que  celle  des  Tidjanya,  qui  n’ad- 
met pas  que  l’on  puisse  prendre  le  dikr  de  plusieurs  or- 
dres; seulement,  et  c’estlà  que  semontre  encore  l’habileté 
de  Si  Snoussi,  ces  64  voies  sont  déclarées  par  lui  ortho- 
doxes, et,  par  suite,  susceptibles  de  mener  les  Fidèles  à 
Dieu  : à ceux  qui  en  font  partie,  l’ordre  des  Snoussya 
tend  les  bras  et  fait  ses  offres  de  services  ; accepteront 
ceux  qui  voudront. 

C’est,  en  effet,  un  des  côtés  saillants  des  doctrines  des 
Snoussya,  de  ne  pas  être  exclusifs  et  de  chercher,  au 
contraire,  à rassembler,  en  un  seul  faisceau,  tous  les 


|1|  ^ Lw  I I I 

La  source  jaillissante  (Selsabil)  ou  les  autorités  sur  lesquelles  s’ap- 
puient les  40  voies  (nous  n’avons  pu  nous  le  procurer). 


— 502 


ordres  religieux  qui,  souvent,  divisent  plutôt  qu’ils  n’u- 
nissent les  populations  musulmanes.  Si  Snoussi  se  réser- 
ve d’ailleurs  de  démontrer  que  tous  ces  ordres,  lorsqu’on 
remonte  à leurs  fondateurs,  font  retour  à une  interpréta- 
tion uniforme  du  Coran,  interprétation  qui  est,  en  réalité, 
celle  que  lui,  Snoussi,  a toujours  professée  et  indiquée 
comme  la  seule  bonne. 

On  peut  donc  rester  Derqaoui,  Aïssaoui,  etc.,  tout  en 
devenant  Snoussi;  il  suffira,  pour  les  adeptes  de  ces 
ordres,  de  rejeter  les  doctrines  révolutionnaires,  ou  les 
exercices  de  danse  et  de  prestidigitation  qui  ont  été  in- 
troduits dans  ces  rituels,  contrairement  à l’enseignement 
de  Sliman-ben-Djazouli,  l’un  des  chefs  spirituels  com- 
mun aux  Derqaoua  et  aux  Aïssaoua,  et  que  Si  Snoussi 
classe  parmi  ses  modèles  dans  le  soufisme. 

Extérieurement,  les  Snoussia  se  distinguent  des  autres 
khouan  par  leur  dikr  et  par  leur  manière  de  procéder  à 
la  prière. 

Ils  prient  les  bras  croisés  sur  la  poitrine,  le  poignet 
gauche  pris  entre  le  pouce  et  l’index  de  la  main  droite, 
tandis  que  tous  les  Maleki  prient  les  bras  collés  au 
corps  et  étendus  de  tout  leur  long  (1).  Cette  dérogation 
aux  usages,  suivis  par  les  Musulmans  d’Afrique,  suffit 
pour  faire  reconnaître,  très  facilement,  les  affiliés  de  cet 
ordre. 

Le  dikr  des  Snoussya  consiste  dans  les  oraisons  sui- 
vantes : 

1°  Lorsqu’on  se.  recouche  après  la  prière  du  Fedjer  et  que,  étant 
couché  sur  le  flanc  droit,  l’on  a la  tête  appuyée  sur  sa  main  droite, 
on  dit  40  fois  : « O mon  Dieu  ! bénissez-moi  au  moment  de  la  mort  et 
» dans  les  épreuves  qui  suivent  la  mort  ; » 


(1)  Cette  dérogation  aux  usages  suivis  par  les  Maleki  peut  nous 
paraître  bien  insignifiante  : elle  a cependant  soulevé  de  grosses  que- 
relles , et  le  cheikh  Snoussi  a écrit  un  livre , pour  prouver  qu’elle 
n’offense  pas  l’orthodoxie  ; dans  ses  preuves  il  s’appuie  sur  Sidi 
Khelil. 


— 503  — 


2°  On  dit  cent  fois,  en  égrenant  le  chapelet  : « J’ai  recours  au  pardon 
# de  Dieu.  » !)j 

3°  Cent  fois  : « Il  n’y  a de  Divinité  qu’Allah  (i^il  ^ >0!  Y)  * 


4°  Cent  fois  : « O mon  Dieu  ! répandez  vos  grâces  sur  notre  seigneur 
Mohammed  le  Prophète  illettré  (1),  ainsi  que  sur  sa  famille  et  sur  ses 
compagnons  et  donnez-leur  le  salut.  » 


jJL  j aJî  j Ao.sr'5  ! 


La  série  des  trois  chapelets  (c’est-à-dire  des  oraisons  2,  3 et  4) 
doit  être  répétée  trois  fois. 


Au  lieu  de  la  deuxième  oraison,  les  initiés  privilégiés 
peuvent  encore,  s’il  n’y  a pas  d’auditeurs  étrangers  à 
l’ordre,  réciter  cent  fois  la  formule  suivante,  à laquelle 
sont  attachées  des  grâces  spéciales,  et  qui  doit  rester 
secrète  : 

^ '■LsCS:'*  6^1  Yl  «iJI 

<Xx.w J U 3 Ac  j 

Il  n’y  a de  Divinité  qu’Allah  ; Mohammed  est  son  Envoyé.  Que  dans 
chaque  regard  et  à chaque  anhélation,  Dieu  répande  ses  bénédic- 
tions sur  notre  seigneur  Mohammed,  un  nombre  de  fois  aussi  incom- 
mensurable que  l’horizon  de  la  science  de  Dieu  (2). 


Les  principales  prescriptions  du  rituel  sont  les  sui- 
vantes : 

1°  Porter  son  chapelet  et' ne  pas  le  suspendre  au  cou; 

2°  N’avoir,  dans  les  réunions,  ni  tambour  ni  aucune  espèce  d’ins- 
trument de  musique  ; 


(1)  Le  Prophète  illettré  ^-^YÎ  Mohammed,  quoique  fort 

instruit,  affectait  de  se  dire  illettré,  pour  mieux  faire  ressortir  que  ce 
n’était  pas  lui  qui  parlait,  mais  Dieu  lui-même  qui  lui  révélait  le 
Coran. 

(2)  M.  Duveyrier  (loco  citato)  a donné,  de  cette  partie  du  dikr 
des  Snoussya,  une  texte  un  peu  différent,  et,  par  suite,  une  tra- 
duction tout  autre. 


— 504  — 


3°  Ne  pas  danser  ; ’ 

4°  Ne  pas  chanter; 

5°  Ne  pas  fumer; 

6°  Ne  pas  priser  ; 

7°  Ne  pas  boire  de  café.  (Le  thé  est  toléré.) 

L’ordre  des  Snoussya  comporte  les  mêmes  rouages  et 
le  même  genre  de  personnel  que  toutes  les  grandes 
congrégations  ; mais  ici , cette  organisation  est  plus 
fortement  constituée  que  partout  ailleurs,  et  Ton  voit, 
dans  l’ensemble  comme  dans  les  détails  du  fonctionne- 
ment de  l’ordre,  la  main  d’un  homme  supérieur . 

Les  Snoussya  ont  aujourd’hui  plus  de  100  zaouïa,  tant 
en  Afrique  qu’en  Arabie  (1).  Toutes  reçoivent  leur  haute 


(1)  En  voici  une  liste  incomplète  : chef-lieu  actuel,  1,  Djerboub. 
Dans  le  Djebel-Lakhdar  : 2,  El-Beïda,  chef-lieu  de  l’ordre,  de  1843 
à 1855.  — 3,  Ben-Ghazi.  — 4,  Talimoun.  — 5,  Deriana.  — - 6,  Tou- 
kra.  - 7,  Toulimita.  — 8,  El-Merdj.  — 9,  El-Qsarin.  — 10,  Bou- 
touda.  — 11,  Quifanta.  — 12,  El-Fidia.  — 13,  El-Grana.  — 14,  El- 
Hamatna.  — 15,  Soussa.  — 16,  Derna.  — 17,  Aziot.  — 18,  El-Ksour. 

— 19,  El-Haouiez.  — 20,  Merad-Messaoud . — 21,  El-Haouïa.  — 
22,  El-Arboub.  — 23,  Tert.  — 24,  Bechara.  — 25,  Mara.  — 26, 
Mistouba.  — 27,  Djendjour-Defana.  — 28,  El-Hoga.  —29,  Nedjila. 

Dans  la  Tripolitaine,  district  de  Honis-el-Djebel  : 30,  Tabaga.  — 
31,  Mouzda  (1855).  — 32,  Nezurat  (1855).  — 33,  Redjeban  (1854).  — 
34,  El-Alam  (oued  Quellis).  — 35,  Bou-Mehedi.  — 36,  Amamra  (près 
de  Mecellata,  1852).  — 37,  Orfella  (Beni-Ouled,  1852).  — 38,  Ilaroba 
(à  Bequequila,  1848). 

Sur  la  route  de  Ghadamès  : 39,  Sinaoun,  1859.  — 40,  Matres,,1859. 

— 41,  Tounen,  1859.  — 42,  Ghadamès,  1857. 

Dans  le  Fezzan  : 43,  Tounen  (près  Ghat,  1847).  — 44,  Mourzouk, 
1352.  — 45,  Zôuïla,  1854.  — 46,  El-Gahoum.  — 47,  Ouaou-ech- 
Cheouf,  1865.  — 48,  Sokna,  1866.  — 49,  Hon,  1863. 

Dans  l’oasis  d’Audjela  : 50,  Audjela.  — 51,  dessous.  — 52,  Lebba 
(à  Djallo). 

Dans  les  oasis  de  Djer’boub  : outre  la  zaouïa  du  chef-lieu  ; 53,  Bir- 
bou-Aloua.  — 54,  El-Haouch. 

Sur  les  routes  d’Égypte  : 55,  Sioua.  — 56,  Oum-Rikhem.  - 57, 
Berbeta.  — 58,  Terbia.  — 59,  Keb.  — 60,  Natroum.  — 61,  Cheminas. 
Sur  la  route  du  Ouadaï  : 62,  Bir-Kofra.  — 63,  Sidi-Abd-er-Rebou. 

— 64,  Sidi-bou-Chenafa  et  dans  toutes  les  localités  du  Ouadaï. 


— 505  — 


direction  de  celle  de  Djer’boub,  qui  est  le  chef-lieu  de 
Tordre,  la  résidence  du  grand-maître,  et  l’endroit  où  s’é- 
lève le  tombeau  du  fondateur,  Si  Mohammed-ben-Ali- 
es-Snoussi. 

Djer’boub,  qui  fut  bâtie  en  1855,  et  qui  occupe  à peu 
près  le  centre  de  l’empire  des  Snoussya,  est  une  bour- 
gade qui  renferme  une  population  de  6 à 7,000  âmes, 
peut-être  même  davantage.  Elle  est  entourée  de  murs 
percés  de  4 portes,  orientées  vers  les  points  car- 
dinaux. L’une  d’elles,  plus  large  que  les  autres,  est  ré- 
servée aux  caravanes  des  pèlerins.  Au  centre  de  la  ville 
est  la  zaouïa,  grand  édifice,  admirablement  bâti,  nous 
affirment  les  indigènes,  orné  de  marbres,  de  faïences 
vernies,  de  peintures,  de  fers  ouvrés,  de  boiseries 
sculptées,  de  vitraux  de  couleurs  (1),  etc.  Dans  la  zaouïa 
est  le  tombeau  de  Cheikh-Snoussi,  splendidement  dé- 
coré et  « couvert  de  richesses.  » 

Environ  400  khouan,  originaires  de  tous  les  pays,  ré- 
sident à la  zaouïa  métropolitaine  ou  dans  les  maisons 
qui  en  dépendent;  une  quinzaine  seulement  sont  mariés; 
les  autres  sont  des  tolba  célibataires  qui  vivent  dans  un 
ascétisme  très  sévère. 

Cent  esclaves  nègres  sont  chargés  du  service  intérieur 
de  l’établissement,  dans  lequel  deux  puits  suffisent  à 
l’alimentation  générale.  Autour,  existe  une  petite  oasis, 
arrosée  par  13  puits  à noria,  et  divisée  en  13  jardins 
comprenant  des  oliviers  et  de  150  à 200  palmiers. 


En  Arabie  : 12  zaouïa  (La  Mecque,  Médine,  Djeddo,  Yembo,  etc.). 
— En  Égypte,  3 zaouïa  (Alexandrie,  Le  Caire,  Suez). 

Au  Touat,  au  Maroc,  au  Tidikelt,  un  nombre  que  nous  n’avons  pu 
fixer.  — A Insalah,  une.  — Dans  le  Djerid  tunisien  ? etc. 

M.  Duveyrier  (loco  citato)  a donné  la  position  géographique  de  la 
presque  totalité  de  ces  zaouïa  et  de  plusieurs  autres  encore  ; elles 
figurent  sur  l’excellente  carte  jointe  à son  travail.  Nous  y renvoyons 
nos  lecteurs. 

(1)  « C’est  un  des  plus  beaux  monuments  que  j’aie  vus  en  Afri- 
que», nous  disait  un  indigène,  homme  intelligent  et  ayant  beaucoup 
vu. 


— 506  — 

Les  exercices  religieux  ne  font  pas  négliger  les  soucis 
de  la  défense  ; tout  le  monde  est  armé  : on  compte  400 
fusils  et  200  sabres  en  service,  et  un  armement  de  ré- 
serve pour  3,000  hommes.  Ces  armes  tapissent  les  murs 
de  20  chambres  remplies  de  poudre  et  de  plomb;  quatre 
(ou  quinze)  canons,  achetés  en  Égypte  et  débarqués  à 
Tabrouk  (1),  sont  soigneusement  dissimulés.  En  outre, 
il  existe  à Djer’boub  un  certain  nombre  d’ouvriers  ar- 
muriers, munis  de  tout  l’outillage  nécessaire  pour  les 
réparations  et  la  fabrication.  Un  jour,  un  personnage 
considérable  du  Sud  marocain  demanda  à Si  Él-Madhi 
si  cet  armement  formidable  était  destiné  à agir  contre 
les  Français  ou  contre  les  Turcs  : — « Ni  contre  les 
» uns , ni  contre  les  autres,  » répondit  le  cheikh  El- 
Madhi  ; « mon  père  a commencé  une  œuvre  dont  il  at- 
» tendait  les  plus  grands  résultats  ; je  tiens  à la  conti- 
» nuer,  et  je  n’ai  pas  d’autre  but.  » 

C’est  à Djer’boub  que  se  réunit,  à des  époques  qui  n’ont 
pu  nous  être  précisées  (2),  le  grand  conseil  de  l’ordre, 
ou  hadra,  présidé  par  le  cheikh  El-Madhi,  assisté  de 
son  frère  et  de  ses  conseillers  ordinaires.  Parmi  ces 
derniers,  outre  ceux  que  nous  avons  déjà  cités  incidem- 
ment, il  faut  mentionner  les  deux  oukils  qui,  ici,  portent 
le  titre  de  « ouzir  » (vizir)  : l’un,  assisté  de  deux  ou 
trois  tolba,  est  chargé  de  la  centralisation  de  l’adminis- 
tration des  * zaouïa  ; l’autre,  dont  les  deux  filles  ont 
épousé,  l’une  Si  El-Mahdi  et  l’autre  Si  Mohammed-Chérif, 
s’occupe  plus  particulièrement  des  affaires  de  la  zaouïa 
de  Djer’boub  et  de  celles  de  la  famille  du  chef  de  l’ordre. 

Un  système  de  courriers,  à méhari  ou  à cheval,  est  orga- 
nisé autour  de  Djer’boub,  sur  plusieurs  lignes  distinctes: 
Égypte,  Marmarique,  Cyrénaïque,  Tripolitaine,  Fezzan, 
Ouadaï.  Des  zaouïa  et  des  puits  jalonnent  ces  différentes 
routes,  et  nul  ne  peut  arriver  à Djer’boub  sans  avoir  été 


(1)  Ils  ont  été  achetés  à Alexandrie  et  débarqués  à Tabrouk. 

(2)  Les  uns  nous  ont  dit  à l’Aïd-Srir,  les  autres  à l’Aïd-el-Kebir. 


— 507  — 


signalé  bien  longtemps  à l’avance.  La  police  des  Snous- 
sya  est  admirablement  faite  : aussi  bien  à Constanti- 
nople, en  Égypte  ou  en  Algérie,  que  dans  les  environs  de 
leurs  zaouïa. 

En  arrivant  à Djer’boub,  l’étranger  musulman  qui  n’a 
été  ni  mandé  par  le  chef  de  l’ordre,  ni  préalablement  ac- 
crédité dans  les  formes  voulues  par  un  moqaddem,  est 
soumis  à un  examen  minutieux.  Installé  d’abord  dans 
une  maison  des  hôtes  jta),  extérieure  à la 

zaouïa,  il  est  interrogé  sur  son  pays,  sur  le  lieu  de  son 
départ,  et  sur  le  but  de  son  voyage.  Au  fur  et  à mesure 
qu’il  répond  à ces  questions,  faites  avec  toute  la  cour- 
toisie que  comporte  la  politesse  orientale,  il  est  peu  à 
peu  entouré  de  tolba,  ou  de  serviteurs  originaires  des 
endroits  dont  il  a parlé,  et  alors,  sous  prétexte  de  de- 
mander des  nouvelles  de  parents  et  d’amis  que  l’on  n’a 
pas  vus  depuis  longtemps,  les  interrogations  recom- 
mencent plus  précises  et  plus  serrées., 

Ce  n’est  qu’après  deux  ou  trois  jours,  quelquefois 
plus,  de  cet  examen,  qu’on  peut  espérer  voir  un  digni- 
taire de  l’ordre,  et,  plus  rarement,  le  cheikh  El- 
Madhi. 

Celui-ci,  du  reste,  a,  pour  recevoir  les  étrangers  avec 
qui  il  ne  tient  pas  à entrer  en  relations  directes,  un  de 
ses  khouan,  originaire  de  Biskra,  et  dont  l’emploi,  à la 
zaouïa,  est  de  jouer  le  rôle  de  El-Madhi  dans  les  au- 
diences accordées  à ces  étrangers.  Il  paraît  que  la  res- 
semblance de  ce  Biskri  avec  cheikh  El-Mahdi  est  sur- 
prenante (1). 

Chacune  des  autres  zaouïa  a son  cheikh  ou  moqad- 
dem, son  oukil,  ses  reggab,  ses  tolba,  ses  serviteurs, 
ses  esclaves  nègres.  Chacune  aussi  a ses  cours  d’adul- 
tes et  son  école  primaire,  où  l’on  enseigne  aux  enfants 


(1)  Il  ne  serait  pas  impossible  que  cet  homme  fût  l’enfant  naturel 
de  quelque  fille  des  nomades  de  Biskra  donnée  en  présent  à Cheikh 
Snoussi  pendant  son  voyage  de  Bou-Saâda  à Temacin. 


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des  nomades  la  pure  doctrine  de  l’Islam,  c’est-à-dire  les 
préceptes  des  Snoussya. 

Les  terres  qui  avoisinent  ces  zaouïa  sont  labourées 
au  moyen  de  corvées  fournies  par  les  Arabes  nomades, 
qui  doivent  à l’ordre  : deux  journées  de  travail  lors  des 
labours,  et  deux  autres  lors  de  la  récolte,  sans  préjudice  de 
la  dîme  religieuse  (achour)  qu’ils  doivent  payer  sur  leurs 
propres  récoltes,  ni  de  la  zekkat  (taxe  des  pauvres),  à la- 
quelle ne  doivent  pas  se  soustraire  les  bons  Musulmans. 

Sous  la  surveillance  des  esclaves,  paissent,  autour  des 
cultures,  des  troupeaux  de  chameaux  et  de  chevaux  tous 
marqués  à Laide  d’un  fer  rouge  du  mot  ôüt  Allah  ! (Dieu). 
Plusieurs  des  zaouïa,  celles  d’Aziatet  de  Adjela  entre 
autres,  ont  des  équipages  de  quatre  à cinq  cents  cha- 
meaux porteurs,  équipés  avec  soin,  pourvus  d’outres,  et 
prêts,  à un  signal  donné,  à transporter  rapidement  le 
chef  de  l’ordre  dans  le  Soudan,  si  les  Turcs  ou  les  Chré- 
tiens venaient  à menacer  sa  sécurité. 

Les  desservants  et  khouan  lettrés  des  zaouïa  du  litto- 
ral sont,  officiellement,  exemptés  d’impôts  par  le  gou- 
vernement turc  ; quant  aux  autres  adeptes  des  districts 
de  Tripoli,  Homs  et  Ben-Ghazi,  ils  ne  payent  guère  que 
ce  qu’ils  jugent  utile  à leurs  intérêts  temporels. 

Ce  sont  les  cheikhs  de  zaouïa  qui  détiennent  réelle- 
ment toute  l’influence  et  exercent,  sur  les  populations, 
l’autorité  temporelle  aussi  bien  que  l’autorité  spirituelle. 
Cela  est  surtout  vrai  dans  le  district  de  Ben-Ghazi,  où 
toutes  les  tribus  sont  inféodées  aux  Snoussya,  à l’ex- 
ception de  celle  des  Megarba,  qui  sont  campés  à l’ouest 
de  cette  ville  jusqu’à  Sort,  et  appartiennent,  presque 
tous,  à l’ordre  des  Madanya.  A Ben-Ghazi,  même,  le  prin- 
cipal personnage  n’est  pas  le  Mutessarif  turc,  mais  bien 
le  procureur  des  Snoussya,  « Oukil-ech-Cheikh(l)  »,  à qui 


(1)  En  ce  moment,  juin  1884,  un  certain  Abdallah-ben-Zenad-el- 
Marini,  moqaddem  des  Snoussya,  serait  à la  fois  l’agent  de  la  zaouïa, 
du  pacha  de  Tripoli  et  du  gouvernement  turc. 


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le  gouvernement  ottoman  fait  une  pension  de  500  pias- 
tres par  mois.  Tous  les  gens  investis  de  fonctions  judi- 
ciaires ou  municipales  sont  des  Snoussya. 

A l’est  de  Ben-Ghazi,  les  Caïmacans  turcs  semblent 
plutôt  être  tolérés  par  les  habitants  que  les  gouverner, 
et  leur  seule  préoccupation  est  de  ne  pas  mécontenter 
les  Snoussya. 

En  somme,  il  y a,  dans  ce  district  de  Ben-Ghazi,  25,000 
fantassins  et  1,500  cavaliers  (1)  qui,  en  dehors  du  per- 
sonnel proprement  dit  des  20  zaouïa,  sont  absolument  à 
la  disposition  du  chef  de  l’ordre. 


(I)  Voici  la  liste  de  ces  tribus  : 

Fantassins  Cavaliers 

El-Ghebaïl,  Üuled-Ali-Lefrad,  El-Mehafid,  El-Araoua, 

El-Quetifa 2.100  80 

Abeidan,  Ailet-Ghect,  Ailet-Mansour,  Ailet-Meriem, 

Ailet-Chain,  Ailet-Erfad,  Ailet-Boudaouï,  Aovogla.  3.400  250 

Braasa-Ailet-Haddout-Ailet-Abed-Ailet-Djouefi-Ai- 
let-Djelgof-Ailet-Abderrahman,  Ailet-Zraël,  Slam.  1.800  300 

Hasa 800  80 

Dursa,  Ailet-Frerig-Ailet-Hamed,  Ailet-Adel.  . . . 700  40 

Ourfa-Toresch  -Slatana-  Ailet-el-Haouarim,  Ailet- 

bou-Chahma 1.600  70 

Abid,  Ailet-Schaoua,  Ailet-bou-Legoub,  Ailet-bou- 

Golba 600  30 

Seet 200  10 

Houta,  Merarga-Nefouf-Ghermat,  Aït-Alig 1.000  20 

Habboun-et-Schouaër-Heddaied-Moualeg 700  20 

Glieltaan,  El-Merobtin,  El-Khamma-Meravat-Ailet- 

Encoua 1.200  40 

Djerara,  Ailet-Betoun,  Ailet-Abd-el-Ouahed-Ailet- 

es-Semii,  Senenat,  Ailet-Abd-el-Rohem 1.000  25 

Meufa,  Ailet-bou-Hadedja-Ailet-Beredan-Ailet-Hadj- 

Erdjed-Ailet-Et-Nadjjas-Ailet-Khaieb 2.800  40 

Fouakher-Ailet-Oumclieba-Ailet-Habib-Allah  . . . 1.100  20 

Cheebat-Ailet-Mansour,  Ailet-bou-Naam,  Ailet-Dif- 

Allab 300  15 

Mrabtin  - Ailet-Encoua , Ailet-  Saïad , Mrabtin  - el  - 

Aghaïel-el-Mesamir 150  4 

Beragra 300  25 

Ouaghers 4.000  400 


Total  général . . 


23.750  1.469 


— 510  — 


C’est  ensuite  dans  le  Fezzan  et  dans  l’Ouadaï  que  se 
rencontrent  les  masses  les  plus  considérables  de  Snous- 
sya.  Dans  POuadaï,  le  sultan  Youcef  n’est  qu’un  naïb  de 
Cheikh-el-Mahdi,  et  tous  ses  sujets  sont  affiliés  à l’ordre. 

Dans  le  Fezzan,  il  y a six  zaouïa  des  Snoussya  ; il  y en 
a,  en  outre,  à R’at,  à R’adamès,  chez  les  Touareg,  dans 
le  Tidikelt,  à Insalah,  dans  le  Touat  et  vers  l’oued  Dra, 
c’est-à-dire  dans  tous  les  pays  musulmans  non  soumis 
aux  Turcs  ou  aux  souverains  barbaresques. 

L’importance  de  l’ordre  des  Snoussya  est  donc  consi- 
dérable. Le  but  qu’ils  visent,  et  qui  est  la  réunion,  ou  la 
fédération,  de  tous  les  ordres  religieux  orthodoxes,  en 
une  espèce  de  théocratie  panislamique  exclusive  de  toute 
autorité  séculière,  est  tout  à fait  l’opposé  de  ce  que  reven- 
diquent les  idées  modernes,  dont  les  Européens  sont 
les  représentants  les  plus  autorisés.  L’esprit  qui  anime 
les  Snoussya  est  absolument  hostile  à tout  progrès, 
qu’il  vienne  de  nous  ou  même  d’un  souverain  musul- 
man, et  leur  haine  contre  les  Turcs,  les  Égyptiens,  les 
Tunisiens,  n’est  pas  moins  vive  que  celle  qu’ils  ont 
contre  les  Européens . 

Leurs  excitations  incessantes  pour  ramener  les  Mu- 
sulmans aux  pures  doctrines  de  l’Islam  primitif,  sont 
un  danger  pour  tous  les  gouvernements,  car  ces  doc- 
trines austères,  bases  de  toutes  les  religions  qui  consi- 
dèrent les  hommes  comme  égaux  devant  Dieu,  n’admet- 
tent pas  l’exercice  d’un  pouvoir  temporel  quelconque, 
en  dehors  de  la  théocratie  qui  en  est  l’idéal  logique. 

La  prédication  de  ces  doctrines  aux  Algériens  soumis 
à la  France,  ou  simplement,  l’exemple  donné,  à côté  de 
nous,  d’un  état  Musulman  indépendant  et  établi  sur  les 
bases  théocratiques  définies  par  le  Coran,  est  une  cause 
constante  de  troubles  et  d’excitations  malsaines  pour 
nos  tribus. 

Nous  avons  donc  raison  de  regarder  les  Snoussya 
comme  nos  ennemis  et  d’empêcher,  par  tous  les  moyens 
possibles,  leurs  émissaires  de  parcourir  l’Algérie  : la 


— 511  — 


surexcitation  du  sentiment  religieux  est  un  danger  par- 
tout, même  avec  des  nationaux,  à plus  forte  raison  chez 
un  peuple  conquis. 

Il  ne  faut  cependant  pas  s’exagérer  le  danger,  ni  le 
provoquer  par  des  mesures  vexatoires  qui  iraient  contre 
le  résultat  à obtenir,  ce  qui  arriverait  infailliblement  si, 
confondant  dans  une  même  réprobation  tous  les  ordres 
religieux,  nous  nous  montrions  intolérants  vis-à-vis  de 
tous  les  khouan. 

Dans  son  œuvre,  Si  Snoussi  s’est  déjà  heurté  souvent 
et  se  heurtera  encore,  aux  intérêts  politiques,  moraux 
et  matériels  des  autres  chefs  d’ordre  religieux. 

Ni  les  Taïbya  du  Maroc,  ni  les  Bektachya  de  Stamboul, 
ni  les  Tidjanya  d’Algérie,  ne  consentiront  jamais  à abdi- 
quer au  profit  des  Snoussya,  s’ils  rencontrent,  dans 
leurs  gouvernements  respectifs,  la  considération  morale 
et  la  protection  matérielle  qui  les  fait  prospérer.  Il  en 
sera  de  même  de  tous  les  chefs  d’ordres  ayant  de  grandes 
situations,  comme  les  Aïssaoua  à Mequinez,  les  Zianya 
à Kenadsa,  les  Kerzazya  à Kerzaz,  les  Qadrya  à Bar’dad, 
les  Rahmanya  à Tolga.  Certainement,  il  pourra  y avoir, 
à un  moment  donné,  des  alliances  contre  nous,  mais 
elles  tomberont  vite  et  seront  sans  effet  durable,  si  ces 
ordres  indépendants  trouvent,  près  de  nous,  la  satis- 
faction de  leurs  besoins  et  de  leurs  intérêts  ; car,  ce  que 
leur  demandent  les  Snoussya,  ce  n’est  pas  un  effort 
toujours  facile  à faire  pour  des  Musulmans,  c’est  une 
abnégation  continue  de  leur  personnalité  et  une  ligne  de 
conduite  persistante  : deux  choses  peu  compatibles  avec 
le  tempérament  des  masses  islamiques. 

Les  Snoussya,  en  effet,  ne  sont  ni  des  énergumènes, 
ni  des  conspirateurs  ; ils  ne  trament  pas,  dans  l’ombre 
de  leurs  zaouïa,  le  renversement  par  la  force,  d’États 
plus  forts  qu’eux.  Ce  sont  des  ennemis  intelligents  pré- 
parant l’avenir  et  attendant  tout  « de  Dieu  » et  d’une 
idée  qu’ils  croient  juste  et  féconde  en  résultats. 

Puis,  en  dehors  même  de  ces  rivalités  de  paroisses, 


— 512  — 

l’œuvre  de  Si  Snoussi  a d’autres  ennemis  acharnés.  Car 
ce  n’est  jamais  impunément  qu’un  philosophe  ou  un 
prêtre  essaie  de  ramener  à son  berceau  une  religion  déjà 
vieille  de  plusieurs  siècles;  et  ce  n’est  pas  impunément 
non  plus  qu’on  vient  dire,  à des  religieux  et  à des 
laïques,  intéressés  à la  conservation  d’abus  consacrés 
par  plusieurs  générations  : « Revenons  au  Livre  qui  est 
» la  base  et  la  source  de  nos  croyances,  et  faisons  table 
» rase  de  toutes  ces  prétendues  traditions  qui  ont,  peu 
» à peu,  substitué  un  dogme  officiel  et  universel  à la 
» pensée  et  aux  préceptes  des  premiers  apôtres.  » 

Qu’il  soit  Chrétien,  Musulman  ou  Bouddhiste,  l’homme 
qui  parle  ainsi  a contre  lui  tout  le  clergé  officiel,  qui  vit 
de  compromis  avec  les  pouvoirs  publics  et  avec  les  clas- 
ses dirigeantes:  cet  homme  est  un  novateur 
un  réformateur  un  dissident,  un  protes- 
tant, un  schismatique  ( ),  c’est-à-dire  un  héré- 

tique, être  bien  autrement  haïssable  qu’un  simple  mé- 
créant (j9  Lf). 

C’est  ce  qui  arrive  aux  Snoussya  de  la  part  des  Musul- 
mans dits  orthodoxes  ; nous  avons  vu  le  chef  des  Kha- 
dirya,  Si  Ahmed-ben-Idris,  menacé  à La  Mecque,  Si 
Snoussi  anathématisé  et  chassé  de  la  djemâa  El-Azhar, 
au  Caire,  et  forcé  d’abandonner  la  direction  de  sa  zaouïa, 
dans  la  ville  Sainte,  où  la  gent  maraboutique  ne  voulait 
plus  le  tolérer.  Il  faut  entendre  avec  quelle  âpreté, 
les  ulémas,  les  muftis,  imams,  cadhis,  chefs  indigènes,  ou 
chefs  d’ordres  religieux,  prodiguent  aux  Snoussya  les 
épithètes  les  plus  malsonnantes,  qui  se  résument  toutes 
en  celle  de  « ouahbite  »,  c’est-à-dire  hérétique. 

Et  cependant,  les  Snoussya  n’entendent  se  séparer 
d’aucun  des  premiers  docteurs  sur  lesquels  repose  l’en- 
seignement théologique  de  l’Islam;  ils  reconnaissent 
comme  légitimes  et  valables  tous  les  grands  ordres  reli- 
gieux ; ils  en  acceptent  les  doctrines  mystiques,  ils  en 
prônent  les  pratiques  spirituelles  ; ils  permettent  de  s’af- 


— 513  — 


filier  à tous  à la  fois,  et  ils  ne  sont  pas  exclusivistes 
comme  les  Tidjanya  : leur  voie  est  ouverte  à tous  les 
khouan,  et  ils  vont  au-devant  de  tous  les  congréga- 
nistes musulmans. 

Mais,  comme  beaucoup  ont  compris  que  ces  avances 
avaient  pour  objectif  final  l’absorption  de  leurs  ordres 
religieux  au  profit  des  Snoussya,  ils  ont  ouvert  les  yeux 
et  se  sont  tenus  dans  une  prudente  réserve.  Forcés  de 
compter  avec  ce  sentiment,  les  Snoussya  ont  agi  comme 
les  missionnaires  chrétiens  : ils  ont  tourné  leur  activité 
vers  les  idolâtres  de  l’Afrique  centrale,  plutôt  que  vers  les 
agglomérations  musulmanes  vivant  sous  des  gouver- 
nements bien  organisés  et  les  tenant  par  leurs  intérêts. 

Leur  prodigieuse  extension  dans  la  Cyrénaïque  n’est 
due  qu’à  la  faiblesse  du  gouvernement  turc  : mais  même 
là,  ils  n’ont  pas  pu  faire  disparaître  les  Madanya,  et  si, 
en  ce  moment,  ceux-ci  sont  entièrement  à leur  dévotion, 
rien  ne  dit  que  cette  alliance  durera. 

En  Tunisie,  ils  se  sont  heurtés  contre  les  Tidjanya,  et 
ce  n’est  que  dans  le  Djerid  qu’ils  se  sont  établis  dans  de 
bonnes  conditions.  Mais  à R’adamès,  chez  les  Touareg, 
et  surtout  dans  le  Fezzan  et  le  Ouadaï,  ils  ont  triomphé, 
parce  que  l’anarchie  et  l’ignorance  étaient  telles  qu’ils 
ont  trouvé,  en  quelque  sorte,  un  champ  vierge,  où  leurs 
prédications  ont  pu  réussir. 

Enfin,  ne  l’oublions  pas,  la  forme  que  prend  la  propa- 
gande des  Snoussya,  en  Algérie,  est  l’appel  à l’émigra- 
tion des  indigènes.  Cela  peut  être  mauvais  et  dangereux 
pour  l’avenir,  mais  cela  ne  menace  en  rien  la  vie  de  nos 
colons  ni  ne  compromet  encore  la  prospérité  de  leurs 
établissements. 

La  statistique  détaillée,  faite  en  1882,  donne  pour  les 
Snoussya,  en  Algérie,  les  renseignements  ci-après  : 


33 


Muqaddem  Khouari 

f Dellys  (comm.  de  plein  exercice).  . » 5 

Pi-ovine»  d’Alger  £jurlju™  (°omrnune  taix‘e>;  ■ • - 1 

° J Bou-Saada  (commune  indigène).  . » 10 

[ Boghar  (commune  indigène)  ...  » 14 

Province  de  Constantine » » 

Territoires  militaires  de  la  division  d’Oran ,,  » 

Territoires  civils  du  département  d’Oran  : 

Zaouïa 


St-Lucien  (commune  mixte) » » 37 

Mascara  (id.)  » 1 25 

Aboukir  (commune  de  plein  exercice) » 1 20 

Aïn-bou-Dissar  (id.)  » 1 20 

Aïn-Tédelès  (id.)  » » 2 

Bled-Touaria  (id.)  » 5 13 

Pont-du-Chélif  (id.)  » 2 40 

Relizane  (id.)  » » 10 

Souk-el-Mitou  (id.)  » 1 19 

L’Hillil  (commune  mixte) 1 13  256 

Zemorrah  (id.)  » 4 1 

Mostar’anem » 1 4 


Totaux 1 30  481 

Total  des  affiliés 511 


Ces  chiffres,  bien  qu’officiels  et  récents  (1),  n’ont  pas 
une  grande  valeur.  Il  résulte,  en  effet,  de  l’ensemble  des  do- 
cuments recueillis  depuis  1875,  que  les  SnoUssya  n’exis- 
tent pas  en  Algérie  à l’état  de  congrégation  organisée.  Les 
chiffres  ci-dessus  représentent,  en  réalité,  les  serviteurs 
religieux  et  affiliés  de  la  zaouïa  de  Ben-Tekkout,  et  ceux- 
ci  seraient  plus  justement  classés  parmi  les  Khadirya, 
ainsi  que  l’ont  du  reste  compris  certains  administrateurs 
qui  ont  intitulé  leurs  données  statistiques  : Khadirya  ou 
Snoussya. 

Par  contre  il  est  bien  certain  que  sur  tous  les  points 
de  l’Algérie,  dans  les  villes,  dans  les  agglomérations  in- 
digènes nomades,  dans  la  plupart  des  zaouïa  des  autres 


(1)  Les  statistiques  sont  de  la  fin  de  Tannée  1882. 


— 515  — 


ordres  religieux,  il  y a des  agents  secrets  des  Snoussya 
qui  ne  se  font  pas  connaître,  mais  observent  et  rendent 
compte  à leurs  chefs  tripolitains.  Ces  agents  ont  été 
souvent  signalés;  mais  chaque  fois  qu’on  a fait  sur  eux 
les  enquêtes  prescrites  par  l’autorité  supérieure,  le  ter- 
rain s’est  dérobé,  et  on  n’a  trouvé  ni  preuve  ni  fait  précis. 
Il  n’est  resté  que  des  présomptions,  ou  plus  exactement 
des  impressions  vagues.  On  arrive  aux  mêmes  résul- 
tats négatifs  dans  les  arrestations  et  les  fouilles  qui 
sont  faites,  lorsque  l’autorité  met  la  main  sur  ces  voya- 
geurs étrangers  et  musulmans  qui  traversent  souvent 
l’Algérie,  dans  des  conditions  irrégulières  et  suspectes. 

En  1879,  après  l’insurrection  de  l’Aurès,  on  signala 
dans  l’Aurès  un  groupe  de  500  Snoussya.  Mais  lorsqu’on 
alla  au  fond  des  choses,  on  trouva  un  chef  religieux, 
fondateur  d’un  ordre  nouveau  (les  Derdourya),  dérivé  des 
Rahmanva  ou  des  Chadelya,  ayant,  peut-être , eu  des 
relations  avec  Si  Snoussi,  mais  sans  que  rien  ait  pu  éta- 
blir ces  relations. 

En  somme,  depuis  1875,  tous  les  documents  recueillis 
en  Algérie  sont  négatifs  en  ce  qui  concerne  les  Snoussya, 
sauf  ceux  provenant  de  l’arrondissement  de  Mostar’anem 
qui,  eux-mêmes,  sont  discutables.  Cependant,  malgré 
ces  constatations,  il  ne  serait  pas  impossible  qu'un  grand 
nombre  de  Snoussya  existent  cachés  dans  les  autres 
ordres  religieux,  principalement  chez  les  Madanya  de 
Mesrata.  Notre  surveillance  sur  ce  point  ne  doit  donc 
pas  se  relâcher  un  seul  instant. 


— 516  — 


CHAPITRE  XXXII 


RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS 


La  situation  de  l’Islam  en  Algérie  peut  se  résumer  en 
peu  de  mots  : un  clergé  investi  et  salarié,  peu  nom- 
breux et  sans  action  ; des  marabouts  locaux  indépen- 
dants, dont  l’influence,  très  variable,  est  toujours  cir- 
conscrite dans  un  certain  territoire  ; des  confréries  sans 
importance  et  sans  rôle  politique;  de  petits  groupes 
d’ibadites  inoffensifs,  et,  enfin,  des  ordres  religieux  for- 
mant des  congrégations  toutes-puissantes,  qui  enserrent 
les  populations  dans  les  mailles  plus  ou  moins  étroites 
des  réseaux  formés  par  leurs  zaouïa,  leurs  moqaddem 
et  leurs  khouan. 

Pour  2,845,757  Musulmans  algériens  (1),  il  existe  plus 
de  355  zaouïa,  1,955  moqaddem,  167,019  khouan  connus, 
enrégimentés  et  disciplinés,  sous  les  ordres  d’une  ving- 
taine de  grands  chefs,  dont  les  rivalités  peuvent  dispa- 
raître à un  moment  donné,  et  qui,  presque  tous,  sont 
étrangers  ou  reçoivent  leurs  inspirations  des  principaux 
chefs  de  l’Islam,  en  Orient  ou  au  Maroc. 

Les  khouan  ne  sont  ni  des  malfaiteurs,  ni  des  énergu- 
mènes  altérés  du  sang  des  Chrétiens  et  ne  rêvant  que 
massacres  et  pillage.  La  masse  se  compose,  plutôt,  de 


(1)  Le  chiffre  officiel  du  recensement  quinquennal  de  1882  est 
2,842,497  Musulmans,  sujets  français  ; mais  il  faut  y ajouter  des 
groupes  d’origine  marocaine,  Algériens  de  fait,  et  un  certain  nom- 
bre de  dissidents  du  Sud  oranais  rentrés  depuis  le  dernier  recense- 
ment. 


— 517  — 


dévots  simples  et  crédules,  ou  d’ignorants  superstitieux, 
entièrement  dans  la  main  de  chefs  et  de  moqaddem  qui 
les  exploitent  et  vivent  à leurs  dépens. 

Ces  chefs  ne  sont  ni  des  fous  ni  des  conspirateurs  ; ce 
sont  des  gens  fort  habiles  ; mieux  que  personne,  ils 
savent  que  leurs  khouan,  enrichis  par  la  paix,  appor- 
teront plus  d’offrandes  que  s’ils  sont  ruinés  par  la 
guerre. 

Ces  chefs  ne  sont  pas  tous  des  fanatiques,  dans  le 
vrai  sens  du  mot;  et  si,  par  métier,  ils  prêchent  un 
mysticisme  exalté  et  dangereux  dans  ses  écarts,  ils 
sont,  en  général,  gens  très  pratiques,  et  ils  ont  le  sens 
politique  beaucoup  trop  développé  pour  se  lancer,  de 
gaîté  de  cœur,  dans  les  hasards  d’une  insurrection. 
Mais  tous  ne  sont  pas.  absolument  maîtres  de  leurs 
actes;  les  uns  sont  sous  la  dépendance  de  supérieurs 
généraux  tout  à fait  hostiles  aux  Chrétiens  : ils  ne  peu- 
vent qu’obéir;  les  autres,  quoique  plus  indépendants, 
doivent  aussi  compter  avec  les  passions  et  les  préjugés 
de  leurs  adeptes,  dont  ils  risqueraient  de  refroidir  le 
zèle  religieux  et  de  diminuer  le  nombre,  si  eux-mêmes, 
désertant  la  cause  sacrée  de  l’Islam,  se  montraient  trop 
partisans  des  idées  françaises,  trop  amis  des  « Infi- 
dèles. » 

Parmi  ces  chefs,  il  en  est  cependant  encore  qui  sont 
tout  disposés  à nous  prêter  le  concours  de  leur  grande 
influence,  si,  par  des.  faveurs  ou  des  honneurs,  nous 
consentons  à reconnaître  et  à affirmer  officiellement 
leur  autorité  religieuse. 

Devons-nous,  sans  réserve,  accueillir  ces  ouvertures  ? 
Devons-nous  les  provoquer  ? 

Sans  doute,  la  France,  souveraine  de  l’Algérie  qui,  en 
fait  de  Musulmans,  ne  compte  encore  que  des  sujets 
serait  en  droit  d’agir  comme,  en  tous  pays,  agissent  les 
souverains  absolus;  elle  pourrait  s’appuyer  sur  les 
chefs  religieux  influents,  les  gagner  à sa  cause  par  l’ap- 
pât de  hautes  situations  honorifiques  ou  lucratives,  et 


— 518 


leur  demander,  en  retour,  des  services  que  ceux-ci 
n’hésiteraient  pas  à lui  rendre. 

Une  pareille  politique,  pratiquée  longtemps  avec  suite, 
sans  réticences  ni  parcimonie,  produirait  certainement 
des  résultats  considérables;  mais,  est-elle  possible? 
est-elle  digne  de  la  France  ? 

Nous  ne  le  pensons  pas. 

Et  tout  d’abord,  n’y  aurait-il  pas  quelque  chose  d’in- 
juste et  de  malséant  dans  cette  protection  excessive  ac- 
cordée à un  culte  exotique,  qui  ne  compte  aucun  Fran- 
çais de  naissance,  alors  précisément  que  nos  aspira- 
tions modernes  tendent,  de  plus  en  plus,  à affranchir 
l’État  et  la  Société  de  toute  compromission  et  de  toute 
alliance  avec  les  chefs  de  nos  religions  métropolitaines  ? 

D’un  autre  côté , pouvons-nous , décemment , nous 
faire  les  complices  et  les  alliés  de  ces  congréganistes 
musulmans,  qui  confisquent,  à leur  profit  exclusif,  une 
partie  des  forces  vives  de  l’Algérie,  en  retardant  l’éman- 
cipation intellectuelle  et  matérielle  de  tant  de  milliers 
de  malheureux  ? 

Le  servage  des  khouan,  pour  être  librement  consenti, 
est-il  moins  terrible  et  moins  dégradant  que  l’esclavage 
des  nègres  ? 

D’ailleurs,  sommes-nous  sûrs  de  pouvoir  toujours 
tenir  en  main  ces  chefs  religieux?  Sommes-nous  bien 
certains  de  réussir  à leur  faire  accepter,  sans  arrière- 
pensée,  nos  idées  et  nos  progrès?  Nous  ne  saurions 
l’affirmer.  Toute  notre  histoire  montre  que,  nous  autres, 
Français,  nous  ne  savons  pas  rester  longtemps  les 
maîtres  d’une  situation  dans  laquelle  l’élément  religieux 
joue  un  rôle  actif.  Nous  manquons  de  sang-froid,  de  pa- 
tience ou  d’habileté,  et  nous  finissons,  le  plus  souvent, 
par  être  débordés. 

Jusqu’ici,  nous  n’avons  pas  été  très  heureux  en  Algé- 
rie, quand  nous  avons  voulu  utiliser  le  concours  des 
chefs  congréganistes  musulmans  : des  résultats  impor- 
tants ont  pu  être  obtenus,  mais  ils  ont  toujours  été  de 


— 519  — 


courte  durée,  et  notre  protection,  trop  restreinte  et  trop 
hésitante,  est  arrivée,  le  plus  souvent,  à diminuer  le 
prestige  religieux  de  nos  amis  et  à augmenter  celui  de 
nos  ennemis. 

Nous  ne  devons  donc  pas  continuer  plus  longtemps 
ces  errements  ; nous  ne  devons  pas  non  plus  accepter, 
sans  réagir,  une  situation  qu’il  ne  nous  est  pas  possible 
de  supprimer  brusquement  ; et  il  est  urgent  de  sortir  de 
cette  impasse,  sans  avoir  recours  à des  mesures  vexa- 
toires  de  nature  à nous  aliéner  des  chefs,  dont  nous 
avons  encore  intérêt  à ménager  le  crédit  et  à utiliser 
l’influence  ou  la  neutralité. 

Ne  pouvant  supprimer  l’ardente  dévotion  de  nos  Mu- 
sulmans algériens,  il  nous  faut,  tout  d’abord,  faire  la 
part  du  feu  et  donner  nous-mêmes  une  satisfaction 
convenable  à ce  besoin  impérieux  qu’ils  ont  de  prières 
et  d’exercices  religieux;  cela  vaudra  infiniment  mieux 
que  de  laisser  faire  la  chose  par  des  moqaddem  relevant 
de  Fez,  La  Mecque  ou  Bar’dad. 

Aujourd’hui,  sous  la  tente  et  dans  le  gourbi,  en  cas  de 
maladie  grave,  de  circoncision,  de  mariage  ou  de  mort, 
on  appelle  le  thaleb  ou  le  khouan  voisin  pour  lire  les 
prières  et  faire  les  cérémonies  traditionnelles  du  culte 
Islamique. 

Si,  dans  chaque  douar  ou  village,  il  y avait  une  mos- 
quée officielle,  et  surtout  un  imam  titulaire,  investi  et 
salarié  par  le  Gouvernement  pour  exercer  gratuitement 
les  fonctions  sacerdotales,  la  grande  masse  des  paysans 
indigènes  s’adresserait  à lui,  de  préférence  aux  mara- 
bouts locaux  ou  aux  khouan,  que  l’on  sait  mal  vus  de 
l’autorité. 

Rien  ne  nous  empêcherait  d’ailleurs  d’utiliser  comme 
imam  ruraux,  partout  où  il  y aurait  avantage  à le  faire, 
les  marabouts  locaux  ou  même  les  khouan  dont  les 
chefs  seraient  absolument  dans  notre  main  ( comme  les 
Tidjanya). 

Lorsque  nos  fonctionnaires  religieux  seront  nombreux, 


— 520  — 


bien  payés,  et  qu’ils  se  sentiront  soutenus,  ils  tiendront 
à conserver  leurs -places  et  leurs  appointements,  et  ils 
seront  les  premiers  à faire  aux  moqaddem  de  tous  les 
ordres  une  concurrence  active  dont  nous  bénéficierons 
directement. 

Puis,  pendant  que  notre  clergé  officiel  donnera  ainsi  à 
l’exubérance  religieuse  une  issue  sans  danger,  nous  au- 
rons le  temps  de  mettre  en  œuvre  un  moyen  bien  autre- 
ment efficace  et  énergique. 

Ce  moyen  est  celui  auquel  on  arrive  toujours,  en  fin 
de  compte,  lorsqu’on  étudie  à fond  une  question  algé- 
rienne, et  qu’on  élargit  l’horizon  des  points  de  vue  pro- 
fessionnels, c’est  la  création  de  lignes  ferrées. 

Cette  conclusion  d’un  livre  traitant  uniquement  de 
mysticisme,  de  religion  et  de  politique,  peut,  a priori , 
sembler  paradoxale . Elle  est  cependant  bien  pratique  et 
rigoureusement  logique. 

Nous  ne  pouvons  surveiller  les  khouan,  les  diriger,  les 
maintenir  et  en  amener  la  disparition  progressive,  qu’en 
transformant  la  société  musulmane. 

Or,  on  ne  transforme  pas  un  peuple  avec  des  phrases, 
des  décrets,  des  fonctionnaires  ou  des  baïonnettes,  mais 
bien  en  multipliant  les  relations,  en  stimulant  la  pro- 
duction agricole,  en  sollicitant  les  intérêts  commerciaux, 
en  fondant  partout  des  écoles,  en  dégageant  et  dévelop- 
pant les  initiatives  individuelles,  et  même  en  créant  des 
besoins  nouveaux  et  multiples. 

Le  chemin  de  fer  procure  tout  cela  à brève  échéance, 
en  même  temps  qu’il  décuple  les  moyens  d’action  des 
grands  services  publics. 

Tout  d’abord,  il  donne  la  sécurité,  car  il  permet  : à 
nos  troupes,  le  contact  de  l’ennemi  saharien,  dont  toute 
la  force  est  dans  la  vitesse  ; à nos  administrateurs,  la 
surveillance  effective  et  rapide  des  populations. 

Lorsque  nous  aurons  bien  compris  que  le  chemin  de 
fer,  étant,  par  excellence,  l’engin  tout-puissant  du  pro- 
grès et  de  la  civilisation,  doit  partout  précéder  et  non 


— 521  — 

pas  seulement  suivre  la  colonisation  ; lorsqu’une  ligne 
ferrée , partant  d’Aïn-Sefra , descendra  par  Figuig  et 
l’oued  Nsaoura  jusqu’à  Insalah,  pour  remonter  sur 
Ouargla,  Tougourt,  Biskra  et  Gabès;  lorsqu’un  réseau 
de  railways  remplacera  ou  masquera,  sur  notre  carte 
d’Algérie,  les  réseaux  multicolores  des  congrégations 
religieuses  ; alors  — mais  alors  seulement  — les  khouan 
et  les  marabouts  ne  seront  plus  à craindre.  Tout  au 
plus  restera-t-il  quelques  rêveurs  inoffensifs,  attar- 
dés à -la  poursuite  d’un  idéal  mystique,  et  le  souvenir 
historique  d’une  organisation  disparue. 

En  attendant,  n’oublions  jamais  que,  derrière  nos 
168,000  khouan  algériens,  il  y a,  sur  notre  territoire 
même,  plus  de  2,000,000  de  Musulmans  qui  ne  sont  ni 
meilleurs  ni  pires,  et  derrière  eux  encore,  173,000,000 
d’autres  Musulmans  qui,  avant  d’être  Marocains,  Tuni- 
siens, Tripolitains,  Égyptiens,  Syriens,  Arabes,  Turcs, 
Persans,  Indiens  ou  Chinois,  sont  sujets  de  l’Islam, 
sujets  d’Allah,  c’est-à-dire  partisans  convaincus  de  la 
supériorité  et  de  la  légitimité  de  l’Imamat,  tel  que  le 
prêchent  les  Snoussya  et  tel  que  le  définissent  ou  l’or- 
donnent le  Coran  et  la  Sonna. 


APPENDICE 


STATISTIQUE  DES  ORDRES  RELIGIEUX  EN  ALGÉRIE 
d’après  les  documents  officiels 


Les  difficultés  que  présente  le  recensement  des  affi- 
liés des  ordres  religieux  musulmans  sont  telles,  qu’un 
travail  d’ensemble  contient  toujours  forcément  des  la- 
cunes et  des  omissions.  Aussi  les  chiffres  des  tableaux 
ci-après  ne  sont-ils  que  des  minima  donnant  seulement 
le  nombre  des  khouans  connus , et  les  circonscriptions 
où  leur  présence  a été  constatée. 

Pour  se  rendre  compte  de  l’importance  réelle  que  peut 
avoir  en  Algérie  un  ordre  religieux  quelconque,  il  faut 
ajouter  aux  chiffres  indiqués  : 

1°  Les  khouan  inconnus  ; 

2°  Les  femmes  khouatat  si  nombreuses  chez  les  Rah- 
manya  et  les  Qadrya  ; 

3°  Les  serviteurs  religieux  ( non  affiliés  comme 
khouan)  ; 

4°  Les  enfants  adultes,  parents,  amis  et  clients  qui 


— 524  — 

subissent  l’autorité  ou  Pinfluence  de  chaque  khouan, 
chef  de  famille  ; 

5°  Les  khouan  appartenant  aux  groupes  en  défection. 

Ce  sont  là  autant  d’éléments  variables  qui  ne  peuvent 
être  appréciés  numériquement,  sous  peine  de  n’avoir 
que  des  données  sans  valeur  ni  précision. 

Les  chiffres  ci-après  ont  été  fournis  par  tribus  ou  par 
douars-communes  ; ils  ont  été  soigneusement  vérifiés  et 
contrôlés  au  service  central  des  Affaires  indigènes,  à 
Alger,  où  des  rectifications  ont  pu  être  faites  à l’aide  de 
documents  probants.  Ces  rectifications  ont  surtout 

i 

porté  sur  les  statistiques  de  quelques  communes  de 
plein  exercice,  dont  les  maires  n’avaient  pas  eu  en  mains 
les  moyens  d’information  nécessaires  pour  opérer  un 
recensement  aussi  délicat. 

Il  eût  été  intéressant  de  donner  comme  terme  de  com- 
paraison une  statistique  antérieure;  malheureusement, 
il  n’en  existe  aucune  embrassant  toute  l’Algérie,  et  les 
quelques  documents  de  détail  qui  ont  été  établis  en  1851 
sont  trop  incomplets,  et,  en  général,  trop  inexacts  pour 
pouvoir  être  utilisés  (1). 


(1)  Cette  statistique,  bien  que  nulle  pour  les  cercles  de  Dellys, 
Aumale,  Boghar,  Mostar’anem,  Bougie  et  Bouçada,  donnait,  en 
effet,  533,026  khouan  pour  toute  l’Algérie,  c’est-à-dire  un  tiers  de 
la  population  totale,  alors  estimée  à 1,668,372,  ce  qui  était  exagéré. 
Il  est  vrai  que  des  tribus  entières,  femmes  et  enfants  compris , y figu- 
raient comme  affiliés  en  bloc  à un  seul  ordre.  Ainsi,  tout  le  cercle 
militaire  d’Alger  était  donné  comme  composé  de  154,267  Rahmanya  : 
c’était  une  façon  de  dire  que  dans  ce  cercle  l’influence  dominante 
était  celle  des  Rahmanya,  ce  qui  est  vrai  ; mais  il  y avait  encore 
d’autres  influences  dont  on  ne  tenait  pas  assez  compte. 


— 525  — 

Enfin,  nous  croyons  devoir  rappeler  que  les  chiffres 
donnés  ici  pour  les  zaouïa,  s’appliquent  à « tout  établis- 
sement, maison  ou  lieu-dit,  où  se  donne  en  permanence 
l’enseignement  congréganiste,  et  où  se  tiennent  les  as- 
semblées de  khouan.  » Toutes  ces  zaouïa  ne  sont  donc 
pas,  à proprement  parler,  des  monastères,  et  quelques- 
unes  d’entre  elles,  en  tant  qu’immeubles,  n’ont  aucune 
valeur.  (Voir  la  note  du  chap.  III,  p.  14.) 


— 526  — 


DÉPARTEMENT  D’ALGER 


DÉSIGNATION 

DES 

NOMBRE  DES 

Localités 

Ordres 

Z. 

M. 

K. 

Affiliés 

Terrltoir 

' 

*e  ci* 

il 

ARRONDISSEMENT  D’ALGER 

Qadrya  .... 

» 

1 

72  1 

1 

Ghadelya  . . 

» 

1 

45 

Aïssaoua  . . 

» 

1 

85  1 

1 

Alger  (14,670  hab.).< 

Taïbya  .... 

» 

1 

55 

> 1.555 

Hansalya  . . 
Tidjanya  . , . 

» 

1 

10  | 

1 

1 

» 

1 

30 

Rahmanya  . 

» 

2 

1.250  - 

1 

! Arba  (4,372) 

Rahmanya  . 

» 

3 

250 

253 

| Aumale  (3,309) .... 

Aïssaoua  . . 

» 

1 

10 

H 

j 

Qadrya  .... 

» 

1 

61  , 

Ghadelya  . . 

» 

1 

Jj  j 

| 

Blida  (13,022) < 

1 Aïssaoua  . . 
| Taïbya 

» 

1 

1 

26  ( 
129  ( 

627 

( 

Zianya 

D 

1 

114 

| 

v R,ahmanya  . 

)) 

3 

275  / 

Qadrya  .... 

» 

1 

20  ^ 

j 

Ghadelya . . . 

) Taïbya  .... 

» Zianya ‘ 

)) 

» 

20 

| Boufarik  (4,526)....- 

J 

)) 

B 

1 

1 

20  ( 
30  1 

> 165 

' Rahmanya  . 

» 

1 

30 

! 

) Youcefya  . . 

» 

1 

40  j 

/ 

' Qadrya  .... 

D 

1 

10  > 

j 

1 

i Chadelya  . . 

» 

1 

100  ( 

545 

Cherchell  (5,227)..< 
1 

Aïssaoua  . . 

» 

1 

f Taïbya  .... 

)) 

1 

80  1 

V Rahmanya  . 

)) 

1 

150  / 

/ 

Douera  (1,213)  . . . . | 

| Taïbya  .... 

» 

1 

20  | 

21 

Koléa  (2,228) 1 

f Aïssaoua  . . 
j Taïbya 

)) 

1 

1 

20  ) 47 
25  ) 

Ménerville  (4,660)  . 

Rahmanya  . 

3 

4 

95 

99 

Mostafa  (636) 

Rahmanya  . 

1 

2 

10 

12 

Od-el-AIleg  (1,916). 

Taïbya 

» 

1 

25 

26 

"Rivet.  (2,765) 

Rahmanya  . 
Rahmanya . 

1 

1 

35 

36 

Rouïba  (1,433) 

1 

2 

50 

52 

S.-Pierr.-S.-P1(4403) 

Qadrya  .... 

» 

» 

4 

4 

A REPORTER 

3.453 

— 527  — 


DÉSIGNATION  DES 

NOMBRE  DES 

Localités 

Ordres 

Z. 

M. 

K. 

Affiliés 

Rep< 

DRT . . . 

3.453 

Souma  (2,968  hab.).j  • ; ; 

)) 

)) 

1 

0 

15  ) an 

6 S 11 

Qadrya  .... 

,, 

1 

20  ï 

ï 

Aïn-Bessem  C.  M. 

i Chadelya  . . 
1 Tedjanya  . . 

1 

1 

9 ( 

53 

(27,516)  

1 

1 

9 \ 

Ralimanya  . 

1 

1 

Il  ; 

1 

Aumale  C . M . 
(28,759)....,.... 

Qadrya 

Aïssaoua  . . 

)) 

» 

1 

39  ; 

10 

î 1.812 

R,ahmanya  . 

2 

6 

1.756 

I 

| Beni-Mansour  C.  M. 

Chadelya. . . 

» 

1 

15  ; 

| 142 

1 (16,080) 

Rahmanya  . 

1 

1 

125  « 

Qadrya  .... 

„ 

1 

19  1 

| 

G o u r a y a C.  M.' 

Chadelya . . . 
Taïbya 

» 

1 

47  ( 

441 

(23,492) 

» 

1 

83  i 

Rahmanya  . 

» 

2 

287  , 

) 

P a 1 e s t r o C . M . ( 
(20,046) | 

' Qadrya 

1 Taïbya 

[ Rahmanya  . 

2 

ï 

15 

1 

1 

15 

ni  ; 
180 

3.596  ' 

| 3.904 

( 

Qadrya 

» 

1 

30  j 

TablatC.M.  (38,160) j 

| Taïbya. . *.  . 

» 

1 

20 

895 

[ Rahmanya  . 

6 

36 

807  ‘ 

10.722 

Soit,  pour  rarrondissement  comprenant  281.192  musulmans, 

10.722  affiliés  de  divers  ordres. 

- 39 

communes,  comprenant 

59.701  musulmans, 

sont  données  comme  n’ayant  aucun 

khouan. 

ARRONDISSEMENT  DE 

1 MÉDÉA 

Boghar  (1,403)  . . . . | 

| Chadelya  . . 

1 

2 

30  | 

32 

Chadelya  . . 

1 

1 

6 1 

i 

Boghari  (1 ,788) . . . . J 

Aïssaoua  . . 

» 

1 

15 

39 

; Tidjanya  . . 

» 

1 

15  ] 

1 

/ 

' Qadrya 

1 

1 

19  \ 

l 

, Chadelya  . . 

1 

1 

25  i 

1 

Médéa  (9,613) 

! 

Taïbya 

» 

1 

15 

104 

' Tidjanya  . . 

» 

1 

20  \ 

1 

^ Rahmanya  . 

» 

1 

20  , 

I 

Ben-Chicao  C.  M.l 
; (i8,i4i) ; 

[ Qadrya 

Chadelya  . . 
| Rahmanya  . 

» 

» 

» 

1 

7 

4 

io  ; 

259 

118 

399 

> 

A REPORTER 

574 

— 528  — 


DÉSIGNATION 

DES 

NOMBRE  DES 

Localités 

Ordres 

Z. 

M. 

K. 

Affiliés 

Rep( 

)RT . . . 

’ 

574 

Qadfya 

» 

1 

8 i 

| 

j Bcrrouaghia  C.  M. 
| (22,387  hab.)  .... 

Chadelya  . . 
Aïssaoua  . . 
Tidjanya . . . 

4 

1 

» 

4 

1 

1 

1.063  j 
194 
36  1 

> 1.966 

Rahmanya  . 

» 

9 

656  J 

1 

Boghari  C.  M. 
(18,149) 

Qadrya 

Chadelya  . . 

» 

1 

9 

30  J 
334 

1 

► 627 

Rahmanya  . 

» 

ï 

259  ] 

1 

3.167 

! Soit,  pour  une  population  totale  de 

71,808  musulmans,  3,167 

affiliés.  — La  commune  de  plein  exercice  de  Bcrrouaghia  (327  h.) 

n’aurait  pas  de  khouan. 

ARRONDISSEMENT  DE 

MILIANA 

! Qadrya  .... 

» 

1 

30 

Chadelya  . . 

» 

» 

10 

! 

\ Aïssaoua  . . 

» 

1 

72  ( 

! 

Miliana  (3,695) 

1 

’ Taïbya  .... 

» 

1 

63 

242 

j Zianya 

B 

» 

10  ( 

1 

1 

Rahmanya.. 

U 

1 

32 

\ Youcefia  . . . 

1 » 

1 

20  - 

1 

Saint- Cyprien-des-j 

[ Qadrya 

1 

1 

44  i 

! 61 

Attaf  (2,390) | 

1 Taïbya..... 

1 

1 

15  1 

I 

I 

' Chadelya... 

» 

1 

10  ' 

| 

Teniet-el-Hâd 

\ Aïssaoua  . . 

» 

», 

8 i 

28 

(2,171) , 

/ Taïbya  .... 

» 

» 

2 ( 

) jCO 

^ Rahmanya  . 

» 

» 

7 j 

1 

1 

Qadrya  .... 

» 

» 

20  ] 

| 

i Adelia  et  Hammam- 

\ Chadelya  . . 

)) 

2 

13 

335 

rw 

P 

O 

g 

Taïbya 

» 

8 

13I 

(10,504) | 

| Zianya 

» 

1 

2 ! 

| 

i Rahmanya . 

)) 

3 

149 

1 

( Qadrya  .... 

» 

1 

11  ' 

| 

Les  B r a z C.  M. 

\ Chadelya  . . 
) Taïbya 

» 

1 

15  { 

399 

(96  775^ 

» 

1 

87  ( 

' 1 • • * ’ • • | 

\ Rahmanya.. 

B 

3 

280  ; 

1 

f Qadrya  .... 

» 

1 

50 

i Chadelya  . . 

1 

5 

395  j 

Djendel  C.M. 

1 Aïssaoua  . . 

)) 

1 

20  | 

> 630 

(19,098) ' 

j Taïbya  .... 

)) 

6 

80 

[ Zianya 

» 

1 

% 

| 

k Rahmanya.. 

)) 

1 

40 

1 

A REPORTER 

1.695 

— 529  — 


DÉSIGNATION 

DES 

NOMBRE  DES 

Localités 

Ordres 

Z. 

M. 

K. 

Affiliés 

Repc 

>RT . . . , 

' 

1.695 

( 

Qadrya 

)) 

4 

i 

30  \ 

Teniet-el-Had  C.  M.) 

Chadelya  . . 

4 

10 

301 

917 

(27,737  hab.) j 

Taïbya 

» 

6 

140  ( 

Rahmanya  . 

» 

10 

419  ) 

2.612 

Soit,  pour  une  population  totale  de  95,69G 

musulmans,  2,612 

affiliés.  — 6 communes,  représentant  une  population  de  8,326  mu- 

sulmans,  n’auraient  pas  de  khouan. 

ARRONDISSEMENT 

D^OR  LÉ  ANS  VILLE 

Qadrya  ... 
Taïbya  .... 
Zianya 

» 

20  ] 

Orléansville  (4,865). 

» 

» 

1 

10  1 
10  j 

51 

Rahmanya  . 

» 

» 

io  ! 

1 

Qadrya  .... 

» 

» 

10  ] 

Ténès  (2,779) 

Chadelya  . . 
| Aïssaoua. . . 

» 

» 

» 

1 

3 

40 

64 

L Taïbya  .... 

» 

» 

10  J 

| 

j Qadrya  .... 

2 

3 

. 26  > 

1 Aïn-Meran  C.  M.' 

| Chadelya  . . 

2 

6 

300  | 

> 501 

(21,995) j 

1 Taïbya  .... 

1 

2 

85 

[ Rahmanya  . 

» 

2 

77  J 

| 

, Qadrya 

» 

» 

28  - 

| 

1 Malakoff  C.  M., 
(27,836) 

\ Chadelya  . . 
! Taïbya  .... 
Zianya 

» 

1 

3 

» 

29  j 
93  1 
7 ! 

! 166 
| 

! 

[ Rahmanya  . 

» 

1 

4 , 

1 

/ Qadrya  .... 

» 

» 

20  ’ 

Üuarsenis  C.  M. 
! (33,627) 

i Chadelya  . . 
( Taïbya  .... 
1 Zianya 

» 

» 

4 

12 

1 

56  i 
216  1 
4 1 

608 

\ Rahmanya  . 

» 

9 

286  , 

Oued-Fodda  C.  M. 
(12,988) . .. 

( Qadrya.... 
j Chadelya  . . 
| Zianya 

» 

4 

» 

» 

4 

1 

37 

42 

10 

| 94 

/ Qadrya  .... 

» 

1 

80 

\ i 

1 Chadelya  . . 

» 

6 

289 

I 

Ténès  C.  M.  (23,596) 

) Aïssaoua  . . 
j Taïhya 

» 

» 

» 

2 

4 l 
164  i 

l 660 

f Rahmanya  . 

» 

1 

92 

\ Madanya . . . 

» 

1 1 

20 

/ 

. 

2.144 

Soit,  pour  130,731  musulmans, 

2,144 

affiliés.  — La  commune 

1 de  Montenotte  (3,04 

5 hab . ) n’aurait  pas  de  khouan . 

34 


— 530  — 


Localités 


Tizi-Ouzou  (6,162). 

AzcfFoun  C.  M. 
(43,941) 

D e 1 1 y s C . M . 


Djurdjura  C. 


M. 

M. 


Dra-el-Mizan  C, 
(38,781) 

Fort-National  C.  M. 
(36,661).... 

Haut-Sebaou  C.  M. 
(28,466) 


DES 

NOMBRE  DES 

Ordres 

Z. 

M. 

K. 

Affiliés 

MDISSEMENT 

DE  T 

IZI-OI 

JZOU 

Rahmanya  . 

» 

1 

3 1 

! 9 

! Snoussya... 

» 

» 

5 ! 

1 y 

Rahmanya  . 

1 

1 

69 

70 

Rahmanya  . 

10 

11 

292 

303 

( Qadrya  .... 

» 

» 

10  i 

! 209 

! Rahmanya  . 

O 

2 

197  ! 

j .UJ 

j Rahmanya . 

27 

27 

6.556  i 

j 6.589 

j Snoussya  . . 

» 

1 

5 

Rahmanya  . 

5 

6 

283 

289 

R,ahmanya  . 

2 

2 

205 

207 

Rahmanya  . 

2 

2 

730 

732 

( Qadrya  .... 

» 

» 

10 

i 

) Chadelya  . . 

1 

1 

20 

[ 266 

i Tidjanya  . . . 

» 

» 

5 

1 Rahmanya  . 

1 

6 

224 

) 

8.674 
5 communes 


Les  Isser  (65,827).. 


Soit,  pour  223,075  musulmans,  8,674  affiliés.  - 
1,608  mus.)  n’auraient  pas  de  khouan. 

RÉCAPITULATION  DU  TERRITOIRE  CIVIL 


Qadrya 

Chadelya 

Aïssaoua 

Taïbya 

Zianya 

Hansalya 

Tidjanya 

Rahmanya 

Madanya 

Snoussya  

Si  Ahmed  ben  Youcef. 

Totaux. . . . 

Soit,  pour  902,502  musulmans  : 

Zaouïa 110 

Khoquane.m::::::  26.111  î 27 ■ 349 

dont  52  communes,  représentant  83,007  h.,  n’ayant  pas  de  khouan. 


Z. 

M. 

K. 

6 

23 

894 

20 

64 

3.450 

1 

10 

710 

3 

54 

1.754 

» 

6 

217 

» 

1 

10 

1 

5 

115 

79 

177 

19.735 

» 

1 

20 

>, 

1 

10 

» 

2 

60 

110 

344 

26.975 

— 531  — 


DÉSIGNATION 

DES 

NOMBRE  DES 

Localités 

Ordres 

* Z. 

M. 

K. 

Affiliés 

rerrItoIs*e 

mitât 

aire 

Cercle  d’Aumale 

(18,214  hab.).... 

Chadelya  . . 
Aïssaoua  . . 
Rahmanya  . 

» 

1 

ï 

3 

3 , 
40 

375  j 

! 422 

Chadelya  . . 

» 

1 

162  ' 

Cercle  de  Boghar 
(-18,934) 

Tidjanya. . . 
Rahmanya  . 
Madanya. . . 

1 

» 

1 

10 

38  i 
2.457  1 
17  | 

[ 2.700 

Snoussya  . . 

H 

” 

14 

Tidjanya  . . . 

1 

1 

120  ' 

Cercle  de  Bou-Saâda 

Rahmanya  . 

11 

13 

3.135  1 

3.350 

(21,259)  

l Madanya. . . 

1 

1 

70  1 

> Snoussya  . . 

» 

” 

10  , 

1 

r Qadrya  .... 

» 

» 

3 ' 

) 

1 

\ Chadelya  . . 

» 

117  , 

Chellala  (15,489). . . 

1 

Taïbya  .... 
Tidjanya... 

* 

2 

241 

i 1.276 

» 

i) 

2 1 

1 

1 

[ Rahmanya  . 

6 

905  \ 

1 

1 Qadrya  .... 

» 

» 

10  ^ 

| 

Chadelya  . . 

\ Taïbya 

| Tidjanya  . . . 

» 

1 

404 

Djelfa  (43,351) 

» 

» 

2 

3 

50  | 
235  | 

> 9.749 

| 

' Rahmanya.. 

» 

22 

8.333 

} 

\ Madanya . . . 

» 

7 

688  ; 

1 

1 Qadrya  .... 

1 

7 

1.273  \ 

1 

, Cheikhya  . . 
\ Taïbya  .... 
i Tidjanya  . . . 

» 

3 

1.176 

) 

R’ardaïa  (42,854)  . . 

» 

2 

î 

713  1 
20  ( 

4.503 

i 

f Rahmanya  . 

» 

4 

875 

\ Madanya . . . 

» 

o 

k* 

427  , 

i 

[ Qadrya  .... 

» 

1 

48  i 

! 

( Taïbya  .... 
; Tidjanya... 

» 

2 

93 

Laghouat  (15,746). . - 

1 

1 

15 

3.818 

» 5.081 

Rahmanya . 

1 

4 

845 

1 

' Madanya... 

1 

O 

253  ! 

27.081 

— 532  — 


RÉCAPITULATION 

DU  TERRITOIRE 

MILITAIRE 

Z. 

M. 

K. 

Qadrya 

1 

8 

1.334 

Chadelya 

9 

686 

» 

Aïssaoua 

1 

î 

40 

Cheikhya 

. . D 

3 

1.176 

Taïbya 

» 

8 

1.097 

Tidjanya 

9 

21 

4.233 

Rahmanya 

13 

62 

16.925 

Madanya . . 

9 

6 

1 .455 

Snoussya 

» 

24 

Totaux. . 

19 

111 

26.970 

Soit,  pour  175,919  musulmans  : 

Zaouïa 

19 

Moqaddem 

Khouan 

111  j o7 
26.970  ! 

.081  affiliés. 

RÉCAPITULATION  GÉNÉRALE  DU  DÉPARTEMENT 

Z. 

M. 

K. 

Territoire  civil 

110 

344 

26.975 

Territoire  militaire. . 

19 

111 

26.970 

Totaux. . 

129 

455 

53.945 

Report  des  moqaddem  . 

455 

Affiliés 

54.400 

DÉPARTEMENT  DE  CONSTANTINE 


DÉSIGNATION 

DES 

NOMBRE  DES 

Localités 

Ordres 

Z. 

M. 

K. 

Affiliés 

Terri  toi  r 

*e  cii 

vil 

ARRONDISSEMENT  DE  CONSTANTINE 

Aïn-Beïda (1,209  h.) 

Qadrya  .... 
Aïssaoua  . . 

1 

1 

I 

1 

36  ; 
30 

[ 68 

Aïn-Smara  (2,097) . 

Hansalya. . . 
Ralimanya.. 

1 

1 

1 

1 

7 » n 

6 j 15 

Qadrya  .... 

» 

1 

30  , 

| 

Batna,  ville  (2,394). 

Tidjanya . . . 

» 

1 

30 

93 

Rahmanya.. 

» 

1 

30  1 

I 

Qadrya  .... 

» 

1 

20 

i Chadelya  . . 

» 

1 

30 

! 

Aïssaoua  . . 

» 

» 

4 1 

Biskra,  ville  (6,723).< 

Taïbya  .... 

» 

» 

10 

967 

j 

Tidjanya... 

1 

2 

150  | 

' Rahmanya . 

» 

4 

740 

1 

, Madanya . . . 

U 

)) 

5 

f 

1 

[ Taïbya 

)) 

8 

94  j 

\ 

Bizot  (6,705) • 

! Hansalya. . . 

» 

3 

37 

216 

1 

| Rahmanya  . 

0 

4 

70  j 

! 

' Qadrya  .... 

» 

1 

15  - 

C o n cl  é - Smendoir 

) Taïbya  .... 

1 

2 

25  | 

178 

(10,484) j 

1 Hansalya... 

» 

2 

25  | 

. Rahmanya  . 

2 

8 

100  , 

' Qadrya 

1 

1 

150  1 

, Chadelya  . . 

>» 

1 

40  j 

i 

| Aïssaoua  . . 

1 

1 

500 

F 

Constantine  (17,900)< 

' Taïbya  .... 

1 

1 

1.500  ] 

> 3.599 

i 

Hansalya. . . 

1 

1 

500 

{ 

1 

' Tidjanya... 

1 

2 

500  1 

i 

i 

l Rahmanya.. 

1 

2 

400  1 

Guettar  - el  - Aïchl 

(1,545) 1 

Rahmanya . 

3 

3 

3 | 

6 

i Taïbya  .... 

1 

3 

200  | 

i 

Le  Tlamma  (4,174).  < 

Hansalya. . . 

» 

1 

45 

279 

[ Rahmanya  . 

» 

1 

29  | 

1 

Le  Kroub  (6,420). . | 

Hansalya  . . 

” 

l 

60  | 

61 

A REPORTER 

5.482 

534 


DÉSIGNATION 

DES 

NOMBRE  DES 

Localités 

Ordres 

Z. 

M. 

K. 

Affiliés 

1 

Repc 

>RT 

5.482 

1 i 

Qadrya  .... 

>, 

» 

20  ) 

373 

Mila  (6,329  h.) ! 

Hansalya. . . 

V 

1 

100 

1 

Rahmanya . 

V 

2 

250  ] 

Od-Athmenia  (4,984)  | Hansalya  .. 

» 

1 

100  | 

101 

/ 

Chadelya  . . 

» 

1 

H ) 

i 

Oued-Zenati  (8,134) 

Hansalya  . . 
Tidjanya . . . 

1 

1 

2 

30 

81 

! 

Rahmanya  . 

2 

3 

22  ) 

l 

» 

3 

2 

1.050  \ 
420  j 

1.475 

Sidi-Merouan  (2094)j 

Taïbya  .... 
Rahmanya  . 

• 

2 

2 

81  i 

87  1 

| 172 

Qadrya 

1 

1 

60  1 

278 

Tébessa,  ville  (2039) 

Aïssaoua  . . 

» 

1 

15 

1 Rahmanya  . 

» 

1 

200  ] 

i 

Zeraïa  (1,979) 

| Rahmanya . 

» 

1 

60  j 

1 61 

Aïn-Mlila  C.  M.1 
(1,291) ] 

[ Hansalya  . . 

Tidjanya  . . 
| Rahmanya. 

1 

2 

9 

1 

12 

370  , 
29 

870  1 

1.291 

i 

[ Qadrya  .... 

» 

1 

2^  ; 
77 

! 826 

BatnaC.  M.  (16,894). 

Hansalya. . . 

» 

1 

14 

| Rahmanya  . 

» 

8 

780  | 

1 

Chateaudun  - du  - 

i Taïbya  .... 

1 

1 

1° 

M4 

Rumtnel  C.  i\l.  . 

] Hansalya. . . 

» 

1 

200 

(16,344) 

( Rahmanya  . 

2 

2 

400 

/ Chadelya  . . 

» 

1 

45 

246 

El  - Milia  C.  M. 

j Taïbya 

» 

3 

1.860 

(36,725)  

j Hansalya. . . 

;) 

1 

200 

1 Rahmanya  . 

2 

22 

1 . 342 

Fedj-Mezala  C.  M. 
(43,979) 

( Chadelya  . . 
} Hansalya  . . 

)) 

)) 

1 

1 

15 

65 

| 589 

| Rahmanya  . 

)> 

14 

493 

) 

( Qadrya  . . . . 

1 

4 

200 

) 

Khenchela  C.  M. 

) Chadelya  . . 

» 

1 

50 

> 449 

(15,633) 

j Tidjanya  .. 

» 

1 

40 

1 Rahmanya  . 

3 

3 

150 

) 

Meskiana  C.  M. 
(13,384) 

f Qadrya 
J Tidjanya  . . 
1 Rahmanya  . 

» 

3 

3 

1 

3 

3 

91  i 

412  2.029 

1.519  \ 

A REPORTER 

. 15.681 

535  — 


DESIGNATION  DES 


Localités 


Ordres 


NOMBRE  DES 


Oued-Zenati  C. 
(17,133  hab.). 


M 


Qadrya  .... 
Ohadelya  . . 
Ilansalya  . . 
Tidjanya . . . 
Rahmanya . 

Ouled-(  Qadrya  . . . . 
Soltan  C.M. (20816;/  Rahmanya.. 

Oum  - el  - Bouaghi(  Tidjanya  . . . 
C.  M.  (11,319)  . .(  Rahmanya.. 

Scdrata  C.  M.(  Tidjanya... 
(12,166) | Rahmanya.. 


Mgaous 


ou 


Z. 

M. 

K. 

IRT.  . . 

1 

1 

25 

» 

1 

25 

)) 

• » 

20 

1 

9 

45 

1 

4 

90 

» 

1 

9 

3 

12 

2.371 

» 

1 

120 

1 

1 

130 

1 

4 

113 

1 

10 

CO 

CO 

15.681 


213 


2.393 


252 


360 


18.899 

Soit,  pour  334,882  musulmans,  18,899  affiliés  à divers  ordres. 
— Les  communes  d’Aïn-Tin,  Lambesse,  Oued-Seguin  et  Oulcd- 
Rahmoun  (soit  8,405  mus.),  sont  données  comme  n’ayant  pas  de 
khouan. 

ARRONDISSEMENT  DE  BONE 

( Qadrya  ....  » 1 

Aïn-Mokra,  ville  eti  Chadeiya  . . 

C.  M.  (1,117  plus'  Hansalya  .. 

13,645  = 14,762).  Tidjanya  .. 

' Rahmanya. 

Barrai  (183) | Rahmanya.. 

( Qadrya  .... 

Bône  (ville)  (6,196)  ' Aïssaolla--- 


Hansalya. . . 
Rahmanya  . 

Rahmanya  . 
Rahmanya  . 

Qadrya  .... 
Chadeiya  . . 
Rahmanya  . 

Herbillon  (27) | Rahmanya  . 

Qadrya  . . . . 


Bugeaud  (190). . . . 
Duvivier  (715). . . . 

Duzerville  (2,848). 


La  Calle  (1,564)  .. 

Mondovi  (380) 

Nechmaya  (383)  . . 
Penthièvre  (1,193). 


Rahmanya  . 
Rahmanya  . 
Rahmanya  . 
Chadeiya 

A REPORTER 


1 


2.729 


224 

6 

35 

383 

10 

67 

15 

10 

51 

3.538 


— 536  — 


DÉSIGNATION 

DES 

NOMBRE  DES 

Localités 

Ordres 

Z. 

M. 

K. 

Affiliés 

• 

Repc 

)RT.  . . 

3.538 

EnJ»(D,?16h.)..|  SS*,; 

)) 

» 

1 

» 

100  j 
150  < 

251 

Qadrya  .... 

» 

2 

155 

Z e r i z e r C . M . 

Chadelya  . . 

»> 

6 

325  I 

1.130 

(15,126) 

Tidjanya. . . 

)> 

1 

9 i 

Rahmanya  . 

» 

14 

618  . 

4.919 

Soit,  pour  48,813  musulmans,  4,919  affiliés  à 

divers  ordres. 

ARRONDISSEMENT  DE 

GUELMA 

Qadrya  .... 

3 

9 

129  j 

i 

G u cl  ma,  ville  et 
C.  M.  (35,058).. 

Aïssaoua  . . 
Hansalya. . . 
Tidjanya . . . 

1 

» 

1 

î 

1 

60 
20  ) 
230  j 

• 1.185 

I 

^ Rahmanya  . 

4 

5 

737  J 

f 

' Chadelya. . . 

» 

9 

27  ' 

Sefia  C.  M.  (29,864)' 

! Hansalya. . . 
) Tidjanya... 

» 

» 

ï 

1 

20  1 
606  | 

[ 3.587 

k Raïimanya  . 

4 

14 

2.916  , 

4.772 

Soit,  pour  une  population  de  71,460  musulmans,  4,772  affiliés  à 

divers  ordres.  — 7 

communes,  représentant 

une  population  de 

6,538  musulmans,  sont  données  comme 

n’ayant  pas  de 

khouan. 

ARRONDISSEMENT  DE 

BOUGIE 

1 

[ Qadrya  .... 

» 

1 

50  ' 

Bougie  (7,860) < 

1 Aïssaoua  . . 
j Taïbya  .... 

» 

» 

1 

1 

150  ( 
91  I 

558 

1 Rahmanya  . 

» 

3 

261  ; 

Djidjelli  (3,380). . . . 

j Qadrya  .... 
i Rahmanya  . 

1 

2 

30  i 
200  ! 

[ 232 

Duquesne  (2,459) . , 

I Rahmanya  . 

» 

» 

46 

46 

Strasbourg  (1,473)  . 

1 Taïbya  .... 

» 

» 

39 

39 

AkbouC.M.  (44455) 

[ Aïssaoua. . . 
| Rahmanya  . 

37 

4 

14 

150  j 
3.160  | 

| 3.328 

Fennaïa  C.  M . 

j Qadrya  .... 

» 

» 

2 , 

| 427 

(34,721) 

( Rahmanya  . 

» 

6 

419  1 

A REPORTER 

4.630 

— 537  — 


DESIGNATION  DES 


Localités 


NOMBRE  DES 


Guergour  C.  M 
(54,056  hab.)  .. 


Oued-Mersa  C.  M 
(18,965)  

Sidi-Aïch  C.  M 
(41,212) 

Tababort  C.  M 
(26,446)  


Taher  C . M 
(19,948) 


Takitount  C.  M 
(28,298) 


Ordres 

Z. 

M. 

K. 

Affiliés 

Rep< 

DRT . . . 

4.630 

Qadrya  .... 

)) 

» 

50  l 

\ 

1 Chadelya  . . 

» 

1 

20  | 

! 

) Taïbya  .... 

)> 

» 

6 

► 237 

1 Hansalya  . . 

» 

2 

20  1 

| 

1 Rahmanya . 

» 

2 

136  - 

1 

Rahmanya . 

)) 

2 

130 

132 

Rahmanya  . 

)) 

2 

295 

297 

| Chadelya  . . 

» 

1 

21 

j 512 

[ Rahmanya  . 

)) 

7 

483 

[ Qadrya  .... 

» 

1 

30  1 

1 Taïbya  .... 

D 

» 

2 1 

i 744 

| Hansalya. . . 

» 

2 

155  1 

i Rahmanya  . 

» 

12 

542  ; 

1 

| Rahmanya  . 

» 

10 

647  | 

657 

7.209 

Soit,  pour  une  population  de  284,581  musulmans,  7,209  affiliés. 
— Les  communes  d’El-Kseur  et  de  FOued-Amizour  (1,308  hab.) 
sont  données  comme  n’ayant  pas  de  khouan . 

ARRONDISSEMENT  DE  PHILIPPEVILLE 


Oollo,  ville  et  C.  M. 
(2,646) 


El-Arrouch,  ville  et] 
C.  M.  (15,482)... 


El-Kantour  (2,542)  .< 


( Qadrya  .... 

» 

1 

15  \ 

1 Chadelya  . . 

» 

7 

131 

.]  Aïssaoua  . . 

» 

» 

6 \ 

] Taïbya  .... 

>) 

3 

294  i 

I Hansalya. . . 

» 

4 

275  \ 

( Rahmanya  . 

s 

13 

1.274  ] 

1 Qadrya  .... 

» 

» 

J \ 

, l Chadelya  . . 

)» 

1 

39 

| Taïbya  .... 

» 

1 

57 

I Hansalya. . . 

» 

1 

16 

1 Rahmanya  . 

» 

1 

187  J 

( Taïbya  .... 

» 

3 

23  1 

j Hansalya  . . 

» 

3 

20  \ 

( Rahmanya  . 

» 

3 

91  ) 

2.023 


307 


143 


A REPORTER 2.473 


35 


538  — 


DÉSIGNATION  DES 

NOMBRE  DES 

Localités 

Ordres 

Z. 

M. 

K. 

Affiliés 

Rep 

/ Qadrya  . . . . 
) Chadelya  . . 

ORT. . . 

1 

21 

. 2.473 

il  Jemmapes,  ville  et 

») 

3 

114 

648 

C.  M.  (1,227  h.). 

J I Iansalya  . . 

» 

1 

29 

[ Rahmanya  . 

» 

4 

475 

) 

Philippeville  (1,885) 

[ Qadrya  . . . . 
\ Rahmanya  . 

» 

» 

» 

1 

40 

117 

| 158 

j St-Charles  (2,205).. 

Taïbya  .... 

» 

2 

110 

112 

| Stora  (1,263) 

Rahmanya  . 

» 

» 

40 

40 

1 

. Taïbya  .... 

» 

1 

91 

Attia,  C.  M . (15,194) 

Hansalya  . . 

» 

3 

75 

914 

' Rahmanya . 

» 

6 

738  1 

Robert  ville  (4,239)  . 

Rahmanya  . 

» 

2 

, 250  | 

1 252 

4.597 

Soit,  pour  une  population  de  87,182  musulmans,  4,597  affiliés  à 
divers  ordres.  — Les  communes  de  Gastonville  et  de  Gastu 

(3,115  mus.)  sont  données  comme 

: n’ayant  pas  de  khouan. 

ARRONDISSEMENT  DE  SÉTIF 

Âïn-Abessa  (3,148).  | 

Chadelya  . . 

» 

)) 

10  | 

10 

Bordj-bou-Arreridj , ( 

Qadrya  .... 

)) 

1 

40  J 

ville  et  C.  M.< 

Chadelya  . . 

1 

1 

84 

708 

(20,053, | 

1 Rahmanya . 

6 

7 

575  J 

El-Ouricia  (1,689)..| 

Rahmanya.. 

3 

3 

45  | 

48 

’ Qadrya  .... 

» 

1 

40  ) 

Sétif,  ville  et  C.  M.) 

l Chadelya  . . 

» 

1 

9 

5.066 

(25,572) 

Aïssaoua. . . 

» 

1 

38 

Rahmanya. 

5 

4 

4.972  J 

( 

Chadelya  . . 

3 

12 

340  1 

1.180 

Biban  C.  M.  (30, 537) j 

Rahmanya . 

4 

22 

785 

Madanya . . . 

» 

7 

20  ) 

| E u 1 m a C . M . ( 

Tidjanya . . . 

» 

i 

10  j 

680 

(20,721) | 

Rahmanya.. 

3 

6 

663  i 

( 

Chadelya  . . 

» 

2 

35  i 

375 

S Rira C.M.  (18,391). 

Taïbya 

» 

3 

45  } 

1 

Rahmanya.. 

» 

15 

275  J 

8.067 

Soit,  pour  une  population  de  128,924  musulmans,  8,067  affiliés 

à divers  ordres.  — 

Les  communes  d’Aïn-Roua,  Aïn-Tagrout, 

ji  Bouhira,  St- Arnaud  (8,413  mus.),  sont  données  comme  n’ayant  pas 

\ dekhouan. 

— 539  — 


DESIGNATION  DES 


Localités 


Ordres 


NOMBRE  DES 

Z.  M.  K.  Affiliés 


RECAPITULATION  DU  TERRITOIRE  CIVIL 


Z. 

M. 

K. 

Qadrya 

10 

28 

1.585 

Chadelya 

6 

49 

2.369 

Aïssaoua 

4 

11 

957 

Taïbya 

4 

34 

2.924 

Hansalya 

5 

47 

3.500 

Tidjanya 

9 

24 

2.475 

Rahmanya 

98 

318 

34.126 

Madanya 

» 

1 

25 

Totaux  .... 

136 

512 

47.961 

Soit,  pour  955,842  musulmans  : 

Zaouïa 136 

Moqaddem 512  j 

Khouan 47.961  ) 

dont  19  communes,  représentant  27,779  h.,  n’ayant  pas  de  khouan. 


48.473  affiliés, 


Territoire  militaire 


Cercle  de  Biskra. . . < 


Cercle  de  Batna . . . 

( 

Annexe  de  Ba-| 

Cercle  du  Djebel- ( 
Chechar  ou  d e{ 
Khenchela(11265)| 

Cercle  de  la  Calle. . 
Annexe  de  Msila  . . 


Cercle  de  Souk- 
Ahras 


Qadrya  .... 

4 

11 

1.620  n 

Chadelya  . . 

1 

1 

205 

Taïbya  .... 

2 ' 

9 

164 

Tidjanya  .-. 

2 

19 

2.330 

Rahmanya.. 

8 

32 

13.870  / 

Qadrya  .... 

» 

7 

1.563  ) 

Tidjanya  . . 

» 

3 

150  ( 

Rahmanya . 

1 

29 

1.099  ( 

Derdourya  . 

1 

4 

200  J 

Rahmanya  . 

1 

2 

701  | 

Qadrya  .... 

» 

1 

33  ) 

Tidjanya . . . 

1 

1 

79 

Rahmanya  . 

4 

4 

2.687  J 

Qadrya  

» 

1 

23  ) 

Rahmanya  . 

» 

1 

138  i 

Qadrya  

» 

» 

10  j 

Rahmanya  . 

2 

2 

640  i 

Qadrya  .... 

» 

2 

81  i 

Hansalya. . . 

» 

î 

30  ( 

Tidjanya  . . 

» 

5 

456  i 

Rahmanya  . 

» 

12 

879  ) 

18.254 


3.055 


703 


2.805 


163 


652 


1.466 


A REPORTER 27.098 


— 540  — 


Localités 

Ordres 

Z. 

M. 

K. 

Affiliés 

1 

Qadrya  . . . . 

Cercle  de  Tébessa  .1  Çfiadelya. . . 

Iidjanya... 

Rahmanya  . 


Report 27.098 

3.365 


1 

2 

510  ) 

» 

1 

9 

» 

2 

656 

4 

22 

2.163  J 

30.463 


RECAPITULATION  DU  TERRITOIRE  MILITAIRE 


M. 


Qadrya  . . . 
Chadelya  . 
Taïbya 
Hansalya. . 
Tidjanya  . . 
Rahmanya 
Derdourya 


5 

1 

2 

» 

3 

20 

1 


24 

2 

2 

1 

30 


K. 

3.840 

214 

164 

30 

3.671 


104  22.177 

4 200 


Totaux. . . . 


32 


167  30.296 


Soit,  pour  215,809  musulmans  : 

Zaouïa 32 

Moqaddem 167 

Khouan 30.296 


30.463  affiliés. 


RECAPITULATION  GÉNÉRALE  DU  DÉPARTEMENT 

Z.  M.  K. 

Territoire  civil 136  512  47.961 

Territoire  militaire ... . 32  167  30.296 


Totaux....  168 
Report  des  moqaddem,. 


679  78.257 

679 


Affiliés , 


78.936 


— 541  — 


DÉPARTEMENT  D’ORAN 


DESIGNATION  DES 


NOMBRE  DES 


Localités 

Ordres 

Z. 

M. 

K. 

Affiliés 

. 

Territoire  civil 


ARRONDISSEMENT  D’ORAN 


Oran  (9,084  h, 


Aïn-  Tcmouchent 
C.  M.  (23,371)..' 


Saint-Lucien  C.  M. 


Qadrya  .... 

1 h 

1 

17  \ 

Chadelya  . . 

» 

1 

26  J 

Aïssaoua  . . 

» 

2 

450  f 

Cheikhya  . . 

u 

ï 

20  \ 

Taïbya  .... 

D 

1 

30 

Zianya 

» 

1 

16  ) 

Tidjanya .. . 

» 

1 

17  ) 

Qadrya  .... 

» 

8 

185  \ 

Chadelya  . . 

» 

6 

33 

Aïssaoua  . . 

)) 

2 

15  J 

Cheikhya. . . 

)) 

2 

40  ( 

Taïbya  .... 

1 

1 

146  ) 

Zianya 

» 

1 

90  l 

Hansalya. . . 

1> 

» 

19  ] 

Tidjanya. . . 

» 

2 

15 

Rahmanya . 

” 

U 

21  / 

Qadrya  .... 

)) 

1 

350  1 

Taïbya  .... 

)> 

5 

620 

Zianya 

» 

1 

140  ) 

Qadrya  .... 

>, 

3 

103  \ 

Chadelya  . . 

)) 

» 

92 

Taïbya  .... 

» 

1 

95  / 

Zianya 

M 

1 

20  ( 

Hansalya. . . 

)) 

» 

19  1 

Tidjanya. . . 

)) 

)) 

4 \ 

Rahmanya.. 

)) 

1 

14 

Snoussya  . . 

)) 

» 

37  / 

584 


586 


1.117 


390 


2.677 

Soit,  pour  91,307  musulmans.  2,677  affiliés.  — 25  communes 
de  l'arrondissement  (soit  19,842  musulmans)  sont  données  comme 
n’ayant,  pas  de  khouan. 


— 542  — 


DÉSIGNATION 

DES 

NOMBRE  DES 

Localités 

Ordres 

Z. 

M. 

K. 

Affiliés 

ARRONDISSEMENT  DE  MASCARA 


Mascara  (6,303  h 


Mascara  G.  M 


(13,828) 


/ Qadrya  

» 

3 

80  \ 

l Chadelya  . . 

1 

2 

60  J 

' Aïssaoua  . . 

» 

1 

40  f 

. < Taïbya  .... 

» 

1 

50  \ 

j Zianya 

1 

1 

60  l 

f Tidjanya. . . 

>» 

1 

30  ) 

\ Rahmanya  . 

” 

1 

50  i 

j Qadrya  .... 

5 

418  \ 

Chadelya  . . 

1 

5 

281 

1 Aïssaoua  . . 

» 

. 1 

6 

. ! Taïbya 

» 

1 

m \ 

. \ Zianya  .... 

» 

5 

231  ( 

1 Hansalya. . . 

»> 

1 

20  \ 

I Rahmanya . 

» 

o 

65 

\ Snoussya  . . 

» 

î 

25  / 

/ Qadrya  .... 

» 

1 

189  \ 

[ Chadelya  . . 

» 

1 

133 

. \ Aïssaoua  . . 

» 

1 

29  f 

A Taïbya 

» 

1 

20  ( 

1 Zianya 

» 

1 

70 

\ Rahmanya.. 

» 

» 

100  / 

[ Qadrya  .... 

» 

3 

1 

\ Chadelya  . . 

1 9 

3 

37 

. / Taïbya 

S 9 

4 

67  \ 

j Zianya 

S 9 

4 

59  ( 

î Rahmanya  . | 

I d 

2 

34  ) 

/ Qadrya  .... 

» 

6 

110  \ 

I Chadelya  . . 

» 

3 

130 

\ Aïssaoua  . . 

» 

1 

31  / 

' Cheikhya  . . 

» 

1 

'j  Taïbya 

» 

7 

112  ( 

I Zianya 

» 

8 

\ Tidjanya  . . . 

» 

1 

9 / 

7 musulmans, 

2,957 

affiliés.  — l co 

380 


t.175 


546 


258 


598 


2.957 


Palikao,  de  38  habitants,  est  donnée  comme  n’ayant  pas  de 
Jthouan. 


— 543 


DÉSIGNATION 

DES 

NOMBRE  DES 

Localités 

Ordres 

Z. 

M. 

K. 

Affiliés 

ARRONI 

)ISSEMENT  I 

)E  MC 

ISTAR 

,’ANEM 

i 

Aboukir  (2,245  h.). 

Qadrya  .... 
Snoussya. . . 

» 

1 

1 

6 i 
20  ; 

, 

28 

Aïn  - b ou  - Dinar 

Qadrya  .... 

» 

3 

40  i 

j 64 

(1,194) 

Snoussya  . . 

» 

1 

20 

Aïn-Nouissi  (812). . 

Qadrya  .... 
Snoussya.. . 

» 

» 

» 

» 

10  i 

2 1 

[ 12 

Aïn-Tedelcs  (1,888) 

Qadrya  .... 

» 

» 

22 

1 22 

j Bled-Touaria  (1,930)|  Snoussya.. 

» 

5 

13  1 

| 18 

.r  ,~,,s  ( Aïssaoua... 

Mazagran  (/44)....J  Rah(nanya  _ 

» 

» 

1 

» 

» i 

il  : 

! H 

Qadrya  . . . 

» 

1 

25  ' 

1 

Chadelya  . . 

» 

1 

25 

| 

i Aïssaoua  . . 

1 

1 

27  j 

1 

Mostar’anem  (5,298)< 

) Taïbya  .... 

» 

» 

1 

» 

10  1 
3 i 

î 35 

I 

f Tidjanya... 

» 

1 

15  ' 

Rahmanya  . 

» 

1 

20 

! 

k Snoussya. . . 

» 

» 

4 , 

Pélissier  (1,981)  . . . | 

| Taïbya 

» 

2 

40  | 

| 42 

Pont-du  - Chélifi 

: Qadrya  .... 

» 

1 

30  i 

| 73 

(3,380) ( Snoussya. . . 

» 

2 

40  ! 

( Chadelya  . . 

» 

» 

6 i 

Relizane  (2,283)... 

| Aïssaoua  . . 

» 

1 

6 

23 

( Snoussya. . , 

» 

» 

10  1 

Rivoli  (970) J 

| Qadrya  .... 
; Rahmanya  . 

» 

» 

1 

» 

l ! 

: 9 

Souk  - el  - Mit  o u( 

' Chadelya  . . 

» 

» 

3 i 

! <^3 

(1,585) i 

i Snoussya... 

» 

1 

19  1 

i 

Tounin  (1,867). Q^rya  ; 

» 

» 

2 

ï 

20  i 
10  î 

î 33 

i 

1 

f Qadrya  .... 

» 

8 

236  \ 

( 

Chadelya  . . 

» 

5 

90 

i 

Ammi-Moussa 

) Taïbya 

4 

44 

2.048  f 

2.801 

C.  M.  (53,197).. 

! 

Zianya 

Tidjanya . . . 

» 

» 

27  l 

» 

4 

4 ' 

| 

^ Rahmanya  . 

1 

5 

383  ) 

A REPORTER 

3.295 

544  — 


DÉSIGNATION 

DES 

NOMBRE  DES 

Localités 

Ordres 

Z. 

M. 

K. 

Affiliés 

Rep< 

DRT. . . 

3.295 

/ Qadrya  .... 

» 

7 

337 

I 

, Chadelya  . . 

1 

8 

1.196  - 

l Cassaigne  C.  M. 

) Aïssaoua  . . 

» 

1 

40  1 

(41,366  hab.)  .... 

\ Taïbya  .... 

)) 

11 

288  i 

) 2.129 

' Zianya 

)> 

1 

10  1 

\ Rahmanya.. 

1 

4 

226 

Qadrya  .... 

)) 

1 

99 

Chadelya... 

» 

2 

116  | 

Il  Inkermann  C . M . 

I Aïssaoua  . . 

» 

» 

3 1 

> 378 

(8,927) 

Taïbya 

» 

1 

60  1 

Tidjanya . . . 

» 

1 

4 ! 

Rahmanya  . 

» 

1 

90  , 

Qadrya 

2 

19 

383 

\ 

Chadelya  . . 

» 

4 

81 

1 L’Hi  11  il  C.  M. 
(42,026) 

1 Aïssaoua  . . 

Taïbya 

) Zianya 

» 

» 

» 

1 

4 

2 

36  | 
99 

40  ! 

f 

1.456 

t 

( 

Rahmanya  . 

1 

12 

506 

, Snoussya. . . 

1 

13 

256  ; 

1 

Qadrya 

1 

1 

119  ' 

1 Tiar  e t C . M . 
(14,492) 

Chadelya  .. 

1 

2' 

93  i 

Taïbya 

Zianya 

1 

3 

327 
72  | 

[ 693 

» 

» 

, Rahmanya.. 

1 

1 

75  , 

! Qadrya  .... 

» 

15 

74  \ 

1 

Chadelya  . . 

4 

15 

164 

Zemmora  C.  M. 
(31,997) ‘ 

! Zianya 

1 Rahmanya  . 

» 

6 

6 

1 

58 

56  i 
10 

1.069  \ 

1.474 

Madanya. . . 

» 

1 

» 

Snoussya. . . 

» 

4 

1 / 

9.425 

Soit,  pour  218,359  musulmans,  9,425  affiliés  à divers  ordres.  — 

2 communes,  Bouguira  et  la  Stidia  (178  hab.) 

n’auraient  pas  de 

khouan. 

ARRONDISSEMENT  DE  SIDI-BEL- 

•ABBÉS 

Chadelya  . . 

» 

1 

20 

Sidi-bel- Ab  bèsj 
(3,215) 

| Cheikhya. . . 

Taïbya  .... 
1 Zianya 

» 

M 

)) 

1 

1 

» 

10 

20 

10 

73 

1 

, Tidjanya... 

» 

10 

A REPORTER 

73 

DÉSIGNATION 

DES 

NOMBRE  DES 

Localités 

Ordres 

Z. 

M. 

K. 

Affiliés 

Repi 

DRT. . . 

73 

Qadrya  .... 

» 

1 

20  ' 

| 

Bou-Khancfis  C.  M. 

Chadelya  . . 

»» 

O 

52  1 

> 377 

(5,816  hab.) 

Taïbya  .... 

» 

3 

34  1 

Zianya 

» 

5 

260  ! 

1 

Qadrya  .... 

» 

1 

710  ' 

| 

La  Mekcrra  (13,877) 

Taïbya  .... 
Zianya 

» 

2 

2 

95  ( 
100  i 

960 

Rahmanya  . 

» 

» 

50  i 

1 

1.410 

Soit,  pour  25,016  musulmans, 

1,410  affiliés.  — 4 communes 

(Sidi-Brahim,  Sidi-Lhassen,  Tessala,  les  Trembles),  soit  2,108 

musulmans,  étant  données  comme  n’ayant 

pas  de  khouan. 

ARRONDISSEMENT  DE 

TLEMCEN 

' Qadrya  .... 

2 

2 

500  ’ 

Chadelya . . . 

» 

ï 

50 

Aïssaoua  . . 

3 

3 

500 

Tlemcen  (1,690  li  ).( 

| Kerzazya. . . 
i Cheikhya. . . 

» 

» 

1 

40  ' 
20  , 

i 1.690 

i 

1 

Taïbya  .... 

2 

1 

500 

i 

! 

' Zianya 

i Tidjanya... 

» 

1 

20  1 

i 

1 

1 

50  , 

i 

1 Qadrya  .... 

1 

5 

107  \ 

1 

Chadelya  . . 

» 

» 

11 

j 

Aïssaoua  . . 

1 

1 

9 i 

Lamoricière  C.  M. 
9,563) ( 

i Cheikhya. . . 
' Taïbya 

» 

1 

1 

5 

20 

87 

) 397 

| Zianya 

» 

1 

25 

I 

f Tidjanya... 

» 

2 

19  1 

Rahmanya  . 

» 

» 

12 

( Madanya . . . 

1 

4 

88  l 

i 

f Qadrya  .... 

1 

9 

415  \ 

Chadelya  . . 

1 

2 

236 

j 

Nedroma  C.  M. 
(20,072) j 

1 Aïssaoua  . . 

Kerzazya. . . 
J Taïbya 

1 

» 

2 

2 

4 

8 

80  1 
173 
560  \ 

1.769 

( 

Zianya. . . . 

1 

7 

272 

) • 

v Snoussya.. . 

» 

1 

»>  y 

A REPORTER 

3.856 

— 546  — 


DESIGNATION  DES 


Localités 

Ordres 

Z. 

M. 

K. 

Affiliés 

NOMBRE  DES 


Report, 


R e m c h i C . 
(26,251  hab.) 


M. 


Sebdou  C.  M. 


1 Qadrya  .... 

» 

16 

285  \ 

1 Chadelya  . . 

» 

» 

2! 

\ Aïssaoua  . . 

1 

3 

85  / 

1 Kerzazya  . . 

» 

13 

150  ) 

1 Taïbya  .... 

» 

17 

231  \ 

[ Zianya 

1 

8 

164 

Tidjanya. . . 

» 

1 

4 / 

1 Qadrya 

» 

11 

64  \ 

( Chadelya  . . 

» 

» 

21 

\ Kerzazya  . . 

» 

14 

111 

j Chekhya  . . . 

»> 

1 

10 

f Taïbya 

» 

10 

90  \ 

\ Zianya 

» 

9 

80  ! 

3.856 


998 


421 


5.275 

Soit,  pour  79,883  musulmans,  5,275  affiliés.  — Les  communes 
de  Nemours  et  d’Hennaya  (1,459  mus.)  n’auraient  pas  do  khouan. 


RECAPITULATION  DU  TERRITOIRE  CIVIL 


Qadrya . . 

Z. 

7 

M. 

136 

K. 

5.006 

Chadelya 

9 

64 

2.980 

Aïssaoua 

7 

22 

1.357 

Kerzazya 

» 

31 

474 

Cheikhya 

Taïbya  

» 

8 

171 

11 

142 

5.803 

Zianya 

3 

60 

1.906 

Hansalya 

» 

1 

58 

Tidjanya 

1 

12 

181 

Rahmanya 

10 

88 

2.677 

Madanya ... 

1 

5 

88 

Snoussya  

1 

29 

447 

Totaux  .... 

50 

598 

21.148 

Soit,  pour  505,012  musulmans  : 

Zaouïa 50 

“?(Jaddcm 598  j 21.146  affiliés, 

dont  34  communes,  représentant  23,625  h.,  n’ayant  pas  de  khouan. 


547 


DÉSIGNATION 

DES 

NOMBRE  DES 

Localités 

Ordres 

Z. 

M. 

K. 

Affiliés 

rerrltoire 

mi  lit 

aire 

/ Qadrya 

» 

2 

114 

\ 

j Chadelya  . . 

» 

1 

23 

Cercle  de  Daya 

1 Aïssaoua  . . 

» 

1 

7 

[ 440 

(11,158  hab.).... 

) Cheikhya. . . 

» 

1 

70 

' Taïbya 

» 

2 

183 

\ 

\ Zianya.  . . . 

» 

1 

35  i 

1 

( Qadrya 

» 

6 

139 

> Kerzazya... 

» 

a 

3 

Cercle  de  Géryville 
(5,808) 

1 Cheikhya. . . 

/ Taïbya 

Zianya 

5 

» 

» 

6 

7 

120 

168 

1 

l 774 

f Tidjanya  . . 

1 

6 

316 

Youcefia  . . . 

» 

» 

2 

Qadrya  .... 

16 

1.131  v 

i Chadelya  . . 

» 

4 

301 

)■ 

Cercle  de  Lalla- 
Mar’nia  (19,002)/ 

Kerzazya... 
( Cheikhya. . . 
j Taïbya 

» 

» 

» 

10 

1 

25 

374  i 
118 
1.568 

- 4.500 

1 

[ Zianya.  .... 
i Tidjanya  . . 

1 

15 

924 

| 

1 

» 

1 

12  y 

I 

/ Qadrya 

» 

22 

306  ï 

i 

Chadelya. . . 

» 

1 

* i 

| 

Cercle  de  Sebdou' 
(14,349)  ' 

) Kerzazya. . . 
j Cheikhya. . . 

» 

» 

17 

13 

1.344  1 
917  ( 

3.064 

1 

' Taïbya 

» 

18 

302  ' 

| 

v Zianya 

» 

11 

113  J 

1 j 

Qadrya  .... 

D 

1 

51  ) 

Cercle  de  Saïda| 

| Chadelya... 

» 

1 

15 

j ou  de  la  Yacoubia^ 

Cheikhya. . . 

)) 

1 

11 

248 

1 (10,612) j 

1 Taïbya 

)) 

5 

130 

{ 

Zianya 

» 

2 

31  1 

[ 

Qadrya 

» 

2 

109  \ 

, Kerzazya . . . 

)) 

4 

729 

Cercle  d’Aïn  - Sefra] 

Cheikhya. . . 

.)) 

6 

197  ( 

1.498 

(3,260) 

| Taïbya ..... 

)) 

1 

50 

' Zianya 

a 

1 

50 

Youcefia. . . 

1 

2 

347  / 

Cercle  de  Tiaret( 

Qadrya  .... 

» 

» 

4 \ 

i Chadelya  . . 

» 

a 

6 [ 

579 

(11,110) ) 

Taïbya 

Rahraanya  . 

» 

» 

448  ( 

( 

)) 

2 

119  ) 

A REPORTER 

11.103 

— 548  — 


DÉSIGNATION 

DES 

NOMBRE  DES 

Localités 

Ordres 

Z. 

M. 

K. 

Affiliés 

Rép 

ORT. . . 

, 11.103 

( Qadrya 

)) 

» 

51  \ 

Annexe  d’Aflou*  Taïbya  . . . 

)) 

2 

1 

105  1 

1.643 

(11,981  hab.).... 

Tedjanya  . . 

» 

ï 

79  î 

Rahmanya  . 

» 

3 

402  ] 

1 

Qadrya  .... 

» 

» 

10  \ 

Poste  de  Frenda 

Chadelya . . . 

» 

» 

20 

106 

(3,893) 

Taïbya 

0 

1 

48  t 

Zianya .... 

» 

1 

26  J 

12.852 

RECAPITULATION  DU  TERRITOIRE  MILITAIRE 

Z. 

M. 

K. 

Qadrya 

» 

49 

1.915 

Chadelya. . . . 

» 

7 

365 

Kerzazya  . . . 

)) 

31 

2.450 

Cheikhya  . . . 

5 

28 

1.433 

Aïssaoua  . . . 

» 

1 

7 

Taïbya 

» 

61 

4.002 

Zianya 

1 

31 

1.180 

Tidjanya  . . . . 

1 

8 

407 

Rahmanya  . . 

» 

5 

521 

Youcefya  . . . 

t 

9 

349 

Totaux . . . 

8 

223 

12.629 

Soit,  pour  91,173  musulmans  (*) 

Zaouïa. . . . 

8 

Moqaddem 223  ) 

Khouan 12.629  j 

12.852 

affiliés. 

RÉCAPITULATION  GÉNÉRALE  DU  DÉPARTEMENT 

Z. 

M. 

K. 

Territoire  civil 

50 

598 

21.148 

Territoire  militaire. . . . 

8 

223 

12.629 

Totaux. . . . 

58 

821 

33.777 

Report  des  moqaddem. 

821 

Affiliés. 

34.598 

Il  conviendrait  d’ajouter  à ces 

chiffres  environ 

1,000  khouan 

des  Nacerya  répandus  dans  tout  le  Sud  jusque 

; sur  Gréry ville,  et 

40  Habibya  dans  la  subdivision  de  Tlemcen. 

(*)  Ce  chiffre  officiel  de  la  statistique  de  1881  comporte  87,913  musul- 

mans  , sujets  français  ; la  différence  , 

3,260,  provient 

: de 

Marocains 

fixés  en  Algérie,  d’un 

recensement  postérieur  fait  à 

Aiu-Sefra  et  de  dis- 

sidents  rentrés. 

STATISTIQUE  GÉNÉRALE  DE  CHAQUE  ORDRE 


— 549  — 


NOMBRE  TOTAL 

DES 

Affiliés 

c^c->.cocoo5inoooc4in  — *^cooo*^ 
(XKN^OlOOOcO^^OîcOifî-^O  O* 

*cf<  O CO  oi  CO  CO  CO  CO  -r- 

■'T-'  -r-  T-l  «tH  05 

168.974 

1 w 

^ <^1  o'«5f  OO  CO  G^  — 100^05000 

t-CDt'C^OO^OïOGOCÛOOOOOO^O 
looooît'i'-incoo-r'ioo'^o  G'* 

>^OCO(NCNiOCOM"F-CD^  ^-1 

*T-|  «r^  05 

167.019 

1.955 

168.974 

S 

OOOOiOG'üO'HOt^O^fOO^  a a »cfi 
00c<rcû«0l0  030i0-r'00 

G*  -ri  CO  — t- 

1.955 

: 

N 

05  CO  CO  «lûOlO^1  t'OCO<r-r-  « a -?h 
G'*  CO  G^  t-  G-i 

04 

355 

CONSTANTINE 

NOMBRE  DE 

w 

5.425 

2.583 

957 

» 

3.088 

3.530 

6.146 

56.303 

25 

» 

» 

» 

200 

78.257 

679 

78.936 

H 

1 04  rH  — a a cO  OC  a G"4  «r«  a » a « -=f 

lO  LO -TH  CO"*f  iOG4 

679 

ES3 

a s cûio  s C4oo  « a « a a •—* 

168 

ORAN 

NOMBRE  DE 

K. 

^ic<^^^iccocûxcoa)r-050o  a 
04'cfc00400»j00000a500«sf>cf0«cî' 

05  CO  CO  05  CO  GO  OiO^  *vfi  CO  O 

C0C0'*!HG4^05  CO  CO 

34.817 

821 

35.638 

1*1 

| îfî CO  C4  O CO  rH  — ' O CO  iO  05  04  a » a 
œ t'  G1*  CO  CO  O 05  0*0  C4 

I - (Gi 

821 

. S r-ost'-  a lO  a a <* 

N S ^ ^ 

58 

ALGER 

NOMBRE  DE 

oo  co  o a co^ot'oooio^o  a a a 

G^COiO  t-iO-n^sÿCOl^COCO 

G'*  «rn  t—  r-OO  04  CO  CO  «c* 

04  *cf  G^4  *cf  CO  «s-i 

CO 

53.945 

455 

54.400 

M. 

I HCû-i  a co  c4 -h  co  O O t'  — (N  a a a 

CO  CO  «r-  CO  G'*  CO 

1 ^ 

455 

^ 1 

I t"-  O 04  a a CO  a a CO  G'*  O*  « a a a » 
O*  05 

129 

NOMS 

des 

ORDRES 

Qadrya  

Cliadelya-Derqaoua 

Aïssaoua 

Kerzazya 

Cheikhya 

Taïbya 

Hansalya 

Zianya 

Tidjanya 

Rahmanya 

Madanya 

Snoussya 

Youcefya-Rachidya 

Nacerya 

Habibya 

Derdourya 

Totaux  

* 


ERRATA 


c 12,  ligne  5,  supprimer  ni. 

17,  — 19,  ajouter  qui , depuis,  a été  révoqué  pour  dissimula- 

tions d'impôts,  séquestrations  arbitraires,  menées 
anti- françaises,  etc. 

67,  — 29,  au  lieu  de  Nivwana,  lire  Nirwana. 

243,  — 23,  au  lieu  de  loqueteur,  lire  loqueteux. 

255,  — 22,  au  lieu  de  dans  le  péché,  lire  sans  le  péché. 

286,  3 fois  au  lieu  de  II  n’y  a de  dieu  que  Dieu , lire  II  n’y 

a de  dieu  que  A llah. 

335,  s. -titre  au  lieu  de  960  J. -G.  — 1552-1553  de  VHègire , 
lire  960  de  l’Hégire  — 1552-1553  J .-G . 

— au  lieu  de  1713  de  l’Hégire  — 1125  J.-C .,  lire 
1125  de  l’IIêgire  — 1713  J. -G. 


399, 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Préface. 

Chapitre 


I.  — Doctrine  politique  de  l’Islam 

II.  — Clergé  musulman  investi  et  salarié.  . . 

III.  — Marabouts  ou  religieux  indépendants.  . 

IV.  — Origine  et  dénombrement  analytique  des 

ordres  religieux 

V .  — Généralités  sur  les  ordres  religieux  ; 
. leurs  attaches  orthodoxes 

VI.  — Les  doctrines  des  ordres  religieux  . . . 

VII.  — Organisations,  fonctionnements,  règles, 

pratiques,  rituels 

VIII.  — Rôle  politique  des  ordres  religieux.  . . 

IX.  — Les  Confréries 

X.  — Les  faux  Cherifs 

XL  — Les  Musulmans  Ibadites  (Mzabites).  . . 
XII.  - Les  Seddikya  (13  H.  — 634-635  J.-C.)  . 

XIII.  — Les  Aouïssya  (37  H.  - 657-658  J.-C.)  . 

XIV.  - Les  Djenidya  (296  H.  - 908-909  J.-C.)  . 

XV.  — Les  Qadrya  (561  H.  — 1165-1166  J.-C.). 

XVI.  — Les  Seherourdya  (632  H.  - 1234-1235 

J.-C.) 

XVII.  - Les  Chadelya  (656  H.  - 1258  J.-C.)  . . 

XVIII.  — Les  branches  secondaires  et  les  ordres 
dérivés  des  Chadelya 


Pages 

V 

1 

7, 

14 

21 

52 

62 

77 

103 

116 

127 

138 

157 

163 

166 

173 

202 

211 

265 


552  — 


Chapitre  XIX.  — Les  Nakechibendya  (719  H.  — 1319-1320 
J.-C.) 

— XX.  — Les  Khelouatya  (800  H.  — 1397-1398 
J.-C.) 

- XXL  - Les  Aïssaoua  (930  H.  — 1523-1524  J.-C.). 

— XXII.  — Les  Bakkaya  (960  H.  — 1552-1553  J.-C.). 

- XXIII.  - Les  Kerzazya  (1016  H.  — 1608  J.-C.).  . 

— XXIV.  — Les  Cheikhya  (1023  H.  — 1615  J.-C.}.  . 

— XXV.  — Les  Taïbya  (1089  H.  — 1678-1679  J.-C.). 
— XXVI.  — Les  Hansalya  (1114  H.  — 1702  J.-C.).  . 

- XXVII.  — Les  Khadyria  (1125  H.  - 1713  J.-C.).  . 

- XXVIII.  - Les  Zianya  (1145  H.  - 1733  J.-C.).  . . 

XXIX.  — Les  Tidjanya  (11 96  H. -1781-1782  J.-C.). 

XXX.  — Les  Rabmanya  (1208  H.  - 1793-1794 
J.-C.) 

- XXXI.  - Les  Snoussya  (1250  H.  - 1835  J.-C.).  . 

— XXXII.  — Résumé  et  conclusions 

Appendice.  — Statistique  officielle  des  ordres  religieux  en 
Algérie 

Carte  indiquant  l’importance  numérique,  la  situation  et  la 
marche  des  ordres  religieux  en  Algérie. 


Pages 

283 

290 

303 

335 

342 

349 

369 

385 

399 

408 

416 

452 

481 

516 

523 


Alger.  — Typographie  Adolphe  Jourdan.