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MARGUERITE CHALIS
il LA M «. R N D E
DE CL OTILDE DE SURVILLE
Pari'.. — |. ClAYE, Imprimeur, 7, rue S'-Henoit- - [876]
MARGUERITE CHALIS
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PAR A. M A/ON
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Siu\ ie de l'tcte Ji- tnarii villi
d*unc letti • de M. 1 ugéne Villard
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PARIS
ALPHONSE LEMERRE, EDITEUR
27 - 2 93 passage chois e ul, 27-20
M DCCC L X X 1 1 1
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MARGUERITE CHALIS
a publication des Poésies de Clotilde
Ae Surville, en iHoj, souleva à la fois
admiration et le doute : l'admiration
pour le poëte, le doute sur sa veri-
»le personnalité et sur son époque.
A notre avis, le procès littéraire est depuis
longtemps juge. Dès l'apparition du vo]ume édité
par Charles de Vanderbourg, les lettrés recon-
nurent une main plus récente et une langue
mieux formée, en dépit de ses coquetteries
d'antiquité, que la main et la langue d'un poète
du xve siècle. Depuis Carrion-Nisas et Philippe
de Ségur jusqu'à MM. Villemain et Sainte-Beuve,
les critiques les plus autorisés se sont constam-
ment prononcés contre l'authenticité des poésies
de Clotilde, les attribuant, qui à Vanderbourg,
qui au marquis de Surville, mais s'accordant tous
MARGUERITE CHALI».
a y reconnaître une inspiration et une facture
modernes.
Au risque de blesser la susceptibilité patrio-
tique de quelques-uns de nos concitoyens de
l'Ardéche, nous devons avouer que ce jugement
des critiques nous paraît parfaitement fondé. Il
y a, en effet, dans les poésies publiées sous le
nom de Clotilde, une netteté d'idées, une sûreté
d'expressions, une maturité, une souplesse de
langue, enfin un goût; une mesure et un senti-
ment de l'harmonie qui n'existent pas, qui ne
pouvaient pas exister chez les écrivains du
xve siècle. Toute personne compétente qui, sans
parti pris, voudra comparer les œuvres de cette
époque avec les poésies de Clotilde, partagera
notre conviction à cet égard.
Mais si le procès littéraire proprement dit est
depuis longtemps jugé, — et les pièces authenti-
ques que nous apportons dans le débat vont don-
ner au jugement rendu une éclatante confirma-
tion, — le procès d'histoire littéraire est loin
d'être aussi avancé. En d'autres termes, après la
démonstration faite par les critiques, que les
poésies de Clotilde ne sont pas du xvc siècle;
après celle de M. Macé * , qu'elles ne peuvent
i. Les Poésies de Clotilde de Surville, études nouvelles,
suivies de documents inédits, par M. Antonin Macé. Gre-
noble, 1S70.
..lion»
:
I
. : |
i toujours a trov-
| lus belles de la |
Ht ouvrage «:
s de
i >b!e. a mis en 1. néon
quai . dont un bref expos.
ntelligence de ce qui doit
:age de
que . s de Clotilde étaient lœuv.
:erbourg ou jrville.
En i ^ :. :i d'un article pu
•
at une lettre de
ML lent du t.
nal civil de B: G la Correze,
:ement juste lors-
.es au marqu
MARGUERITE CHAHS,
Surville. Ce fait est pour moi de la plus grande
certitude, car il m'a été certifié par mon père
qui, ayant ete le compagnon d'infortune du
malheureux Surville et son ami intime, avait
fini par lui arracher l'aveu qu'il était réellement
l'auteur des prétendues œuvres de son aïeule...
Vous pouvez compter entièrement sur l'exacti-
tude de ces renseignements K »
Quand on a lu le travail de M. Macé, il est
aisé de s'expliquer ce qui a pu donner lieu a
cette affirmation. Il en résulte clairement, en
effet, que le marquis de Surville avait plus ou
moins altéré l'œuvre primitive dont il était pos-
sesseur, ce qui, dans un moment de vanité, a
bien pu lui faire dire qu'il était l'auteur même
des poésies de Clotilde; mais cette version a
contre, elle d'autres faits beaucoup mieux prou-
vés, qui ne permettent pas, selon nous, de s'y
arrêter longtemps.
La légende survillienne raconte que le marquis
Etienne-Joseph de Surville découvrit, en 1782,
les poésies de Clotilde dans de vieux papiers de
famille, et qu'il les déchiffra et les transcrivit
avec l'aide d'un feudiste.
Ce fait, qui a été confirmé à Vanderbourg par
1. Note insérée à la fin du Tableau historique et critique
de la poésie française au xvie siècle, par Sainte-Beuve, 1845.
Paris, Charpentier. v
MARGUERITE CHALIS.
le frère du marquis de Surville, est, en outre,
atteste par plusieurs témoignages dont quelques-
uns ont une véritable valeur.
i° Un compagnon d'armes du marquis, M. de
Fournas, déclare avoir vu ce dernier transcrire
un vieux manuscrit dont le caractère était à
peine lisible.
2° M. Dupetit-Thouars, auteur de l'article
Sur ville dans la Biographie universelle, dit avoir
connu le marquis de Surville a Paris en 1790 et
avoir vu, des cette époque, entre ses mains le
manuscrit des poésies de Clotilde.
30 Le marquis de Brazais, qui était avec le
marquis de Surville, en 1797, dans le canton de
Vaud, lorsque le nom et quelques extraits en
prose et en vers des œuvres de Clotilde furent
pour la première fois livres a la publicité par le
Journal littéraire de Lausanne que dirigeait
Mme Polier, le marquis de Brazais, disons-nous,
déclare que Surville lui avait communiqué tous
les manuscrits de son aïeule et qu'il l'a aide dans
la revision et la correction de plusieurs morceaux.
La lettre du marquis de Brazais a M""' veuve
de Surville, que reproduit M. Macé, n'est pas
sans importance au point de vue qui nous occupe,
et nous en U le passage suivant :
" J it lie, madame, avec votre
malheureux .poux et même avec son frère. Eu
me communiquant tous les ouvrages de Clotilde
MARGUERITE CHALls,
de Vallon, il m'avait fait part de son plan pour
Pédition; il m'avait engagé à l'aider et a corriger
certains morceaux. Sans son inflexible amour
pour les mots les plus vieux et les plus inintel-
ligibles, je m'en serais fait un plaisir; car le
génie sensible, délicat et sublime de Clotilde
perd autant par la barbarie des vieux mots insi-
gnifiants que Surville lui a prêtés dans son
enthousiasme pour la langue romane que par une
élégance trop moderne qu'il lui a quelquefois
donnée 1.,. »
4° A ces faits recueillis par M. Mace nous
pouvons joindre le suivant :
Quand le marquis de Surville quitta la Suisse
pour venir en France remplir la mission poli-
tique qui devait avoir pour lui un résultat si
fatal, il passa à Lyon et alla, un soir, surprendre
un de ses compatriotes du Vivarais, M. Cham-
pahnet, oncle de M. Hippolyte Champahnet, dé-
puté de l'Ardéche sous Louis-Philippe. Le mar-
quis portait avec lui un vieux manuscrit des
poésies de Clotilde dont il donna lecture à ses
hôtes pendant les quelques jours qu'il passa à
Lyon. Ce manuscrit était chargé de corrections
et de ratures. M. Hippolyte Champahnet en
avait copié une partie 2.
i. Macé, p. 127.
2. Ce fait nous a été raconté par M. Tailhand, député
M A R G U F. R I T K C H A L I s .
Le marquis continua sa route vers le Velay. On
sait qu'il fut arrête du côté du Puy et fusillé
dans cette ville le 2 octobre 1798.
La veille de sa mort, il écrivit à sa femme
une longue lettre reproduite pour la première
fois en entier par M. Macé et dont il suffira de
rappeler le passage suivant déjà publie par
Vanderbourg :
« Je ne puis te dire maintenant ou j'ai laissé
quelques manuscrits de ma propre main, rela-
tifs aux œuvres immortelles de Clotilde que je
voulais donner au public. Ils te seront remis
quelque jour par des mains amies a qui je les ai
spécialement recommandes. Je te prie d'en com-
muniquer quelque chose a des gens de lettres
capables de les apprécier, et d'en faire après cela
lusage que te dictera ta sagesse. Fai te au
moins que ces fruits de mes recherches ne soient
-talement perdus pour la postérité, surtout
pour l'honneur de ma famille dont mon frère
l'unique et dernier - ' . »
et président de chambre à la Cour de Nimes, qui le tenait
lui -même de son parent, M. Hippolyte Champanhet.
cent, dan res du
Vivarais pendant lu Révolution, raconte ainsi la mort du
marqi; lie :
Arrivé sur la place d'Armes, ■ If r, dit-il à l'offi-
ui commandait le d I inutile de
..der un prêtre fidèle , , d'ail-
M A K G U E R I I E C H A L I S .
La disparition des manuscrits originaux de
Clotilde est expliquée, dans la légende survil-
lienne, soit par la perte d'une malle que le mar-
quis, à son départ de Suisse, aurait remise à un
homme de confiance, soit par la destruction de
tous les papiers de la famille de Surville, qui
auraient ete livrés en 1793 au comité révolution-
naire de Viviers et brûlés par ses ordres.
Environ trois ans après l'exécution du marquis
de Surville, le 2 décembre 1801, Charles de Van-
derbourg écrivit a sa veuve qui habitait l'ancien
manoir d'Olivier de Serres, le Pradel, prés de
Villeneuve-de-Berg, pour lui demander commu-
nication des manuscrits de son époux et lui offrir
d'en être l'éditeur1. Vanderbourg raconte dans
leurs, à de grands malheurs; veuillez donc, s'il vous plaît,
rn'envoyer le curé constitutionnel.» Le pasteur arrive. «Je
vous plains, monsieur, lui dit le marquis, d'avoir donné ce
funeste exemple de prévarication; je sais néanmoins que,
dans le cas présent où je me trouve, je puis me servir de
vous. Daignez m'administrer. » Le curé, fondant en larmes,
remplit son pénible ministère. M. de Surville reçut ses
consolations avec une piété et une douceur vraiment angé-
liques.Un soldat s'avance pour lui bander les yeux. «Com-
ment! dit-il, depuis mon enfance ]e sers le ciel et mon
roi, et vous ne me supposez pas assez de courage pour
voir venir le plomb mortel! Frappez. » Il est à l'instant
obéi.
1. Pauline de Mirabel, veuve du marquis de Surville,
est morte en 1843 à Villeneuve-de-Berg, où elle partageait
MARGUERITE C H A L I S ,
cette lettre qu'il a, pendant les premiers mois
de son émigration, en 1794, résidé a DusseldorfF,
en même temps que le marquis de Surville, lequel
avait dès lors donné connaissance à plusieurs
personnes de quelques-unes des poésies de Clo-
tilde. Vanderbourg eut même communication de
l'un des volumes de ces poésies ; et, par une indis-
crétion dont il s'accuse, il prit copie de trois des
pièces qui s'y trouvaient : la romance a Rosa-
lyre, l'heroïde a Berenger, le chant royal à
Charles VIII.
Mrne de Polier et le marquis de Brazais, infor-
mes de cette démarche par Vanderbourg lui-
même, s'adressèrent aussitôt, dans le même but,
a MBM de Surville qui, d'ailleurs, ne possédait pas
encore les manuscrits et ne les reçut que quel-
ques mois plus tard de la famille de Chabanolle
qui le marquis avait trouve un asile dans le
00 »es papiers étaient
pourparlers qui eurent heu alors entre La
marquise de Surviile et les trois solliciteurs,
que les divers incidents qui précédèrent la publi-
ât fort 1:
pour la plup notre SUJel .Les
Vandc-r M""' de Surviile (il y
1rs entre la prière, la lecture et le soula^emc
pauvres, qui la regardaient comme leur t;
sur Vilkneuve-de-Bcrg, par l'abbé Mollier, p. 52.)
I O M A R G u E R I r E C H A L I 8.
en a vingt et une) font le plus grand honneur a
cet écrivain et montrent chez lui autant de
loyauté que de délicatesse de sentiments. La
reproduction intégrale de ces lettres montre aussi
l'impartialité de M. Macé, car plus d'un lecteur
attentif en tirera, comme nous, la conclusion que
Vanderbourg lui-même n'a jamais cru d'une foi
bien ferme a l'authenticité des poésies de Clotilde
et qu'il avait fini par ne plus y croire du tout.
Nous allons indiquer brièvement les passages a
l'appui de cette opinion.
Des le lendemain du jour ou les trois volumes
manuscrits du marquis de Surville lui sont par-
venus (22 juillet 1802), Vanderbourg exprime
franchement les doutes qu'ils lui ont inspirés.
((Je me suis déjà occupé à les parcourir, ecrit-il
à la marquise, et je vous avouerai franchement
que ce que j'en ai vu n'a encore servi qu'a redou-
bler mes doutes. Il est bien singulier que le poème
le plus considérable de.la collection soit les trois
plaids d'or dans l'un des volumes, et soit devenu
les cinq plaids d'or dans un autre plus récent.
Comment M. de Surville n'a-t-il pas au moins
conservé le manuscrit de Jeanne de Vallon, si
les originaux de Clotilde même n'existoient plus?
J'aurois mille autres questions à vous faire, aux-
quelles peut-être vous ne seriez pas plus en état
de repondre que moi, et qui toutes révoquent en
doute, d'une manière presque irréfutable, l'au-
MARGUERITE CHALIS. II
thenticite des manuscrits. D'un autre côte, on
ne sauroit comprendre comment au bout de trois
cents ans un homme auroit pu si bien saisir et
peindre les sentiments, les intérêts d; une femme,
d'une mère, d'une Françoise du tems de Char-
les VII ; comment il se seroit amuse a faire des
rondeaux contre Alain Chartier, et a imaginer
tous les personnages dont parle Clotilde. Je m'y
perds, en vérité; ce ne sera qu'après une lecture
complète et réfléchie que je pourrai essayer de
former un jugement, qui peut-être encore se
terminera par le doute K »
Dans une autre lettre, en date du 21 août 1802,
après avoir dit ce qu'il pensait du roman le
Chus tel d'Amour, qui « est évidemment d'une
main moderne, » Vanderbourg ajoute:
" Quant au second cahier qui renferme diffe-
tnorceaux que M. de Surville destin
ce qu'il paroît, a faire le premier volume de scmi
édition, j'avouerai franchement que je voudrois
ne lavoir pas vu. Ce vola t propre qu'a
détruire toute L'illusion d( - de Clotilde,
qu'a r • en doute leur authenticité. J'ai
eu l'honneur de vous parler de la confron-
: que j'ai faite du conte de* Plaids d'or
ce volume et dans l'ancien. Il y a quel-
que chose de pif. La préface de Jeanne de Val-
1. Ifacé, p. 13}.
MARGUERITE CHAHS.
Ion n'est pas non plus la même dans les deux
volumes, a l'article où elle parle des ouvrages
de Clotilde qu'elle veut publier. Elle en promet
beaucoup plus dans le nouveau volume, et comme
Jeanne de Vallon, depuis sa mort, n'a pu faire
aucune découverte, une telle différence dans ce
qu'on lui fait annoncer répand les doutes les
plus fondés sur sa préface, sur son existence
et par conséquent sur celle même de Clotilde
et sur l'authenticité des manuscrits... La par-
tie la plus intéressante de ce volume seroit
l'histoire abrégée de la poésie francoise depuis
Heloïse, si l'on pouvoit compter raisonnablement
sur son authenticité ; mais cela est bien difficile.
Comment croire a cette succession non inter-
rompue de femmes- poètes pendant plusieurs
siècles, sans qu'aucun de leurs contemporains en
ait rien su? Comment croire que, tandis qu'elles
cultivoient la poésie avec tant de succès et avec
des progrès si marqués, tous les hommes de
leur temps fussent livrés au mauvais goût et a
l'ignorance, excepté quelques-uns de leurs
amants? M. de Surville se réclame des mémoires
de Clotilde : que sont-ils devenus? Comment
n;en reste-t-il pas une seule page?... Déplus,
la liste des ouvrages que contient ce même
volume est très-nombreuse ; il y est question
d'un poème épique tout entier, dont nous ne
trouvons plus une seule ligne, et de ce roman
MARGUERITE CHAHS, 1 3
du Chàtel d'Amour que nous reconnoissons
comme apocryphe. Clotilde, qu'il n'avoit annon-
cée, dans son ancien manuscrit, que comme
poète, se trouve élevée dans le prospectus aux
qualités d'historien, de romancier, de philoso-
phe : en un mot, la Clotilde de 1794 n'est plus
celle de 1796; elle n'en est que l'embryon, et
cependant il est impossible de croire que M. de
Surville, pendant ces deux années passées hors
de France, ait pu recouvrer de nouveaux manu-
scrits. Je ne vous dirai pas que ces stances de
Barbe-de-Verrue, qu'il donne ici comme tirées
ta de Clotilde, il disoit, en 1794, les
avoir prises dans les manuscrits de Saint-Ger-
main-des-Pres, ni que je possède la copie d'une
traduction de Sapho par Clotilde qui ne se trouve
• dans les manuscrits que j'ai reçus... Ce
sont la des bagatelles : il faut en venir a la con-
:i. Vous l'avez déjà prévue, madame ;
jue toute personne un peu instruite qui ne
connoltroit Clotilde que par ce volume, que
M. de Surville voulait publier le premier de
et le
^:t sur Les pr que l'on em,
pour en démontrer L'auto
« il nom maintenant 1 ■ volume
ou plutôt le premier, car il est le plu
Si la b : 1 1 c a 1 1 ' > r 1 , L'ei
| lus modernes, et certains
i+ mar.guer.itl: chahs,
mots nouvellement inventés font soupçonner à
juste titre que les poésies de Clotilde ne sont
pas du régne de Charles VIII7 d'un autre côte,
la vérité des sentiments, l'enthousiasme poétique
pour des événements si éloignés de nous, quel-
ques traits qui ne peuvent partir que du cœur
d'une femme, les rondeaux contre un poète,
mort il y a trois cents ans, combattent puissam-
ment pour l'authenticité des pièces renfermées
dans ce volume. La préface de Jeanne de Vallon
y est même favorable, pourvu toutefois qu'on
ne puisse la comparer a celle de la seconde édi-
tion. En un mot, qui ne connoît que ce volume
peut au moins douter i. »
Lettre du 7 octobre 1802, Vanderbourg écrit :
« Je suis reste ferme dans mon opinion ou plutôt
dans mes doutes... »
Et plus bas : « Puisque le ministre ne veut
pas croire a l'authenticité des poésies de Clotilde,
il est inutile de soutenir dans le public une opi-
nion qui n'est pour nous-même que douteuse 2. »
Lettre du 9 juin 1803 adressée au frère du
marquis de Surville : « Les poésies de Clotilde
feront, au premier coup d;œil, autant d'incre-
dules que d'admirateurs éclairés. »
Lettre de la même époque à Mme de Surville:
1. M.a.cè, p. 134 à 137.
2. Macé, p. 141.
MARGUERITE CHALIS. J$
« L'histoire des femmes-poètes est si romanesque
qu'il auroit mieux valu n'en jamais parler *. »
Lettre d'octobre 1805 : « M. de Villeneuve
m'a fait passer divers morceaux copies de sa
main ou de celle de M. de Surville et attribués
a Clotilde, mais je vous avoue que je les crois
tous supposes. Tout me prouve qu'en cela M. de
Surville ressembloit a beaucoup d'autres a qui
l'appétit vient en mangeant; qu'il n'avoit réelle-
ment emporté de France que tres-peu de pièces
originales de Clotilde et qu'il a voulu y suppléer
de son propre fonds. »
La rin de cette lettre est encore plus caracté-
ristique. Vanderbourg dit qu'il ne cesse de penser
à Clotilde et qu'il acheté tous les vieux poètes
qu'il rencontre, mais sans en trouver un seul
qu'on puisse lui comparer, soit pour les pensées,
soit pour la perfection de la versification et du
" Le sentiment seul, ajoute-t-il, soutient
ma foi, mais en admettant que les œuvres de la
muse de l'An:
Il n .:>le que de la à considi rer
.1 • il n'y a pas bi m loin.
En L'ouvrage de M. Macé démontre
clairement :
i p- 17*-
\6 M A K G U I. R I I IL C H A L
i° QueVanderbourg n'a été que l'éditeur intel-
ligent et consciencieux des poésies de Clotilde,
et que ces poésies provenaient trés-réellement
des manuscrits du marquis de Surville ;
2° Que ce dernier a eu en sa possession de
vieux manuscrits qu'il a plus ou moins altérés en
bien ou en mal ;
3° Que les poésies assez médiocres dont le
marquis de Surville est l'auteur avoué, non moins
que ses affirmations constantes, a la veille même
de sa mort, ne permettent pas de lui attribuer
l'œuvre primitive sur laquelle il a travaillé.
Voici la conclusion de M. Macé:
« Il a existé, au xve siècle, dans le Vivarais,
une femme-poéte d'un rare mérite, Clotilde de
Vallon, épouse de Bérenger de Surville; ses vers
ont été modifiés, corrigés, gâtés, embellis, au
xvne siècle, par une de ses descendantes, Jeanne
de Vallon, et à la fin du xviue, par le marquis
de Surville aidé de Mme de Polier et du marquis
de Brazais. Nous n'avons donc pas l'œuvre pri-
mitive ; ce que nous en possédons est, suivant
la très-heureuse et très-juste expression d'un cri-
tique, un excellent tableau original retouché far
des mains habiles 1. C'est la, j'en suis de plus en
plus convaincu, le dernier mot de la question 2. »
i. Lava, article du Moniteur, 26 juillet 1803.
2. Macé, p. 193.
MARGUERITE CHALIS. r 7
Que les poésies de Clotilde soient un excellent
tableau original retouché par des mains habiles,
nous ne le contestons pas, en faisant nos réserves
pour la date ; mais qu elles soient l'œuvre de la
personne indiquée par la légende, voilà, croyons-
nous, ce qu'on ne pourra plus dire en présence
des documents que nous venons livrer a la
publicité et dont nous allons d;abord raconter
l'origine.
Avant nos désastres de 1870, nous avions de
temps a autre, a Paris, le plaisir de nous ren-
contrer avec deux de nos compatriotes et amis,
M. Henri d'Audigier et M. Henri de la Garde.
Le pays natal tenait naturellement une large
place dans nos causeries, et c'est ainsi que
d'Audigier nous lut quelques- uni
fort curieuses qu'il avait découvertes dan- un
vieux manuscrit, petit in-4*, provenant du châ-
de Chômera:, manuscrit
que lui avait . Ce pré-
cieux débris, miraculei ppé aux ruines
et demi, et que nous contem-
n 1 tait autre
quel tre de notaire [Manuale notarum)
Antoine de Brion, n ttaire a Privas,
pour l'année 1437. D'Audigier, qui avait autant
• m% 1 amour des choi rineSj inrtout
\
itt MARGUERITE C H ALI S.
de celles qui se rattachent à l'histoire du Viva-
rais, était parvenu, bien qu'étranger à l'étude
des chartes, a déchiffrer entièrement ce véné-
rable bouquin et, au moyen des indications de
toutes sortes qu'il y avait recueillies, il se pro-
posait de reconstituer l'ancien Privas du xve siècle,
avec son état civil, son aspect féodal, ses mœurs
et sa topographie.
Deux articles publiés par lui en 1869 ou 1870
dans le Constitutionnel donnent une idée de
l'intérêt qu'aurait présenté ce travail, même pour
des lecteurs non vivarois. Le premier racontait,
d'après un acte du Manuale notarum, une action
intentée par un Privadois a un autre Privadois
qui l'avait traité de Bourguignon (on dirait
aujourd'hui Prussien) , et le second commentait
d'une manière fort judicieuse, en les comparant
au temps présent, les conventions passées par
un patron privadois avec son apprenti.
Les événements, puis la maladie, empêchèrent
cet érudit et charmant écrivain de mener a
bonne fin la tâche qu'il s;était donnée, mais les
notes qu'il a laissées ne seront pas perdues, car
M. Henri de la Garde a résolu de continuer cet
intéressant travail, et nous savons qu'il a déjà
mis la main a l'œuvre.
D'Audigier avait trouvé dans le Manuale nota-
rum les trois pièces qu'on trouvera a la lin de
cet opuscule, et il nous les avait lues plus d'une
MARGUERITE CHALIS. 1 9
fois en faisant observer combien elles détrui-
saient radicalement la fiction poétique, attribuée
par lui à Vanderbourg, mais dont l'ouvrage de
M. Macé fait remonter la responsabilité au
marquis de Surville. Notre dernière rencontre
avec d'Audigier date de septembre 1871 ; elle
eut lieu chez M. Henri de la Garde, qui, encore
cloue après dix mois sur son fauteuil, des suites
d'une blessure reçue a l'assaut du plateau de
Cœuilly, recevait notre commune visite. Quant
a d'Audigier qui avait aussi fait bravement son
devoir, en qualité d'artilleur auxiliaire, il était
trop visible qu'il ne survivrait pas a la terrible
maladie que lui avaient value les fatigues et peut-
être les privations éprouvées pendant le siège.
Il avait une de ces toux caractéristiques qui ne
pardonnent guère, et lui-men, jns-nous,
ne se faisait pas illusion sur ion état. Il partit peu
après pour Alger en emportant ses chers manu-
scrits et entre autres Le HanUdlê noturum. On
sait qu'il revint, l'été suivant, mourir au Bourg-
Saint-Ami
documents que nous venons livrer a la
par nous sur la copie
qu'en avait f.. : toutefois
p collationné la a le manu
toujours entre les mains de
M. Henri de ! G lonl nous
re que le
20 MARGUERITE C H A L I S .
pement de celles qu'avait fait naître chez d'Audi-
gier et que fera naître dans tout esprit non pré-
venu la comparaison de la légende de Clotilde
de Surville avec l'histoire de Marguerite Chahs,
femme de Bérenger de Surville.
Dès l'apparition des Poésies de Clotilde en
1803, la notice mise par Vanderbourg en tête
du volume fut sévèrement jugée. On lui repro-
cha d'avoir accueilli trop facilement des fables
indignes de trouver place sous la plume d'un
écrivain sérieux. On a vu plus haut ce que Van-
derbourg pensait lui-même des difficultés de sa
tâche, et. quand on connaît sa correspondance,
on est beaucoup plus disposé à le plaindre qu'a
le blâmer du rôle que ses ouvertures et ses offres
spontanées a Mme de Surville l'obligeaient en
quelque sorte de remplir jusqu'au bout. Dans la
notice, qui est le résultat de cette fausse situa-
tion, Vanderbourg a tire tout le parti possible
d'une cause impossible à défendre; et si son
œuvre est fatalement restée un déri porté à l'his-
toire et au sens commun, il était aisé d'y voir,
entre les lignes, même avant la divulgation de
sa correspondance, que l'écrivain protestait plus
d'une fois contre la dure obligation imposée a
l'éditeur et à l'ami.
MARGUERITE C H A L I 3 . 21
La notice, en effet, malgré quelques réserves
prudentes, ne tend rien moins qu'a faire accep-
ter comme vraie au fond, sinon dans tous les
détails, cette brillante généalogie de poètes fémi-
nins (dont Vanderbourg est le premier a se
moquer dans ses lettres) qu'avait imaginée l'au-
teur de la légende, pour expliquer le phénomène
littéraire qu'aurait présenté sans cela l'existence
de Clotilde au xve siècle. Cette généalogie, où
les noms mêmes exhalent une odeur de roman,
commence a Héloïse Fulbert, l'amante d'Abai-
lard, et se continue jusqu'à Clotilde en passant
par Agnes de Bragelongne, Doéte de Troves,
Marie de France, Sainte-des-Prez, Barbe de Ver-
rue, Rose de Crequy, Flore de Rose, Rose
■ces, Amélie de Montendre, Victoire delà
Tour, Hélène de Grammont, Claire de Parthe-
nay, Blan l ifin Justine de
Levis, la soi-disa: Cl >t:lde.
L'histoire de cette Justine de Levis va nous
donner 0 de la façon de procéder du
m.
.:s de Pu; un nom i
invra >le avant 1 î ri
M11' d - LOUÏI moi-
sel français du Kh ir el
• surtout raillant cavalier, puisqu'un
jour. . ra quinze
quarante
M A R G U E R III". C H A L I S ,
écumeurs de mer, presque tous gigantesques, et
dont la moitié tombèrent sous ses coups. Pendant
une de ses pérégrinations en Italie, Louis de
Puytendre s'endormit un jour dans une forêt.
Justine de Lévis, une noble Italienne, se prome-
nant de ce côté avec deux de ses parentes,
l'aperçut. La beauté du cavalier frappa les trois
jeunes amies. Justine surtout en reçut une im-
pression qui ne s'effaça jamais. Elle ne put s'em-
pêcher de déposer ses tablettes auprès du bel
inconnu après y avoir écrit les vers suivants en
guise de déclaration :
Occhi, stelle mortali,
Ministri de miei mali,
Se chiusi m'uccidete,
Aperti, che farete ?
(Yeux, étoiles mortelles, — ministres de mes maux, —
si, fermés, vous me blessez, — ouverts, que ferez-vous ?)
Après ce beau fait, elle s'éloigna bien vite ainsi
que ses compagnes. On peut juger de l'etonne-
ment de Puytendre lorsqu'à son réveil il trouva
les tablettes et lut ce qu'elles contenaient. Il ne
s'occupa plus que de la recherche de l'inconnue,
et il parcourut inutilement l'Italie entière ; enfin,
au bout de dix-huit mois, étant allé a un tournoi
que les Visconti donnaient a Modene, il y re-
trouva Justine, fut reconnu d'elle et l'épousa.
MARGUERITE CHALIS. 23
Notons, en passant, que les vers italiens cites
plus haut sont de Guarini, qui vivait au xvie siècle,
et que l'aventure dont il s'agit a été racontée
du poète anglais Milton.
L'histoire de Pulchérie, la mère de Clotilde,
n7est guère moins romanesque que celle de son
aïeule.
Pulchérie naquit a Paris « ou elle passa neuf à
dix années de son enfance et de sa première
jeunesse... le goût des lettres fut cultivé chez
elle par le célèbre Froissard. » A dix-sept ans, elle
fut conduite a la cour de Gaston Phœbus, comte
de Foix. Tandis que l'histoire nous représente ce
prince comme occupe de guerres continuelles,
^ende survillienne en fait une sorte de père
des lettres dont la bibliothèque du palais d'Or-
thez contenait ce qui n'était réuni a cou;
aucune autre bibliothèque de l'époque. On
y trouvait, en outre de nombreux manu-
;i Afrique a la
fureur des premj ilmans, les meilleurs
ou > l'dç'-.- itali ux de n trou-
1 Pul hé-
I 11 avait une :
□ i nombre de
■ surtout des femmes qui avaient cultivé
la langue fran oert.
Fuie,1
MARGUERITE C H A L I S,
de Froissard, son maître, et en composa une guir-
lande poétique où les chefs-d'œuvre des anciens
se trouvaient entourés de ce qui avait paru de
meilleur en France et en Italie. Agnès mourut
avant que ce travail fût achevé. Pulchérie était
une vaillante amazone. Le comte de Vallon rom-
pit une lance avec elle et, d'après les conditions
de la joute, Pulchérie, s'étant laissé vaincre, con-
sentit à lui donner sa main. Après la mort
d'Agnès, Pulchérie obtint la permission de quitter
la cour pour suivre son époux en Vivarais, et Gas-
ton lui permit d'emporter les copies qu'elle avait
faites. Pulchérie avait déjà deux nls, mais ce ne
fut qu'après dix ans de séjour à Vallon qu'elle
donna le jour a Clotilde. . .»
Donc, puisque Clotilde est née en 14.05 ou 1406,
Pulchérie quitta Orthez en 139$ ou 1396. Or
l'histoire fait mourir Gaston Phœbus en 1391,
c'est-a-dire quatre ou cinq ans avant l'époque où
il aurait permis à Pulchérie d'emporter les copies
faites par elle a Orthez, copies qui sont si impor-
tantes, dans le système de la légende, pour
expliquer chez Clotilde la rare connaissance de
la langue française et des auteurs anciens et con-
temporains que révèlent ses poésies.
La fable survillienne atteint, dans le récit de
la naissance de Clotilde , un tel degré d'invrai-
semblance, que Vanderbourg n'a pas osé en faire
usage, laissant ce soin à Charles Nodier et Rou-
MARGUERITE CHAHS. 25
joux, dont la publication1, vingt-quatre ans plus
tard, vint jouer dans cette affaire le rôle d'enfant
terrible.
Clotilde naquit dans une forêt près de Vallon.
Sa mère, la belle Pulcherie de Fay-Collan, femme
de Louis-Alphonse-Ferdinand de Vallon, s'etant
égarée a la chasse, en accoucha non loin de la
cabane d'un bûcheron, — un faux bûcheron enlevé
par une princesse anglaise, Alienor, la tille des
Tynds, qui avait voulu s'ensevelir avec lui dans
cette contrée sauvage. Alienor, devenue subite-
ment jalouse de la beauté de Pulcherie, favorisa
l'enlèvement de l'accouchéepar un seigneur voisin,
le comte de B... Quand le bûcheron, qui était allé
prévenir au château de Vallon, revint, il trouva
Alienor allaitant Clotilde, ce qui peut paraître
assez extraordinaire de la part d'une femme qui
n'a pas de nourrisson elle-même. Cédant aux
reproches de son mari, le bûcheron. Alienor alla
en personne redemander Pulcherie au comte
,... On lui rendit L'accon h e, mais on la
retint cil L château de B... fut alors
inr L'ordre du roi, par sept leigneurs
Clotilde comparent
aux sept preux devant 'I Enfin A.
voua une proi I fille,
1. Poésies inédites de Clotilde de Survill . pveu,
éditeur, 1
2.6 MAKGU I . K I 1 1". C H k L 1 9.
et ses leçons exercèrent sur Clotilde une grande
influence. Aliénor était non-seulement poète et
musicienne, mais elle possédait aussi des secrets
admirables de physique qui la firent passer pour
sorcière. « On l'arracha des bras de son époux
le bûcheron pour la traduire à Viviers devant le
juge épiscopal qu'elle traita d'imbécile et de fana-
tique avec tant d'énergie, de sang-froid et de
dignité, qu'il n'osa prononcer la fatale sentence.
Clotilde, déjà veuve et fort éloignée, fut instruite
trop tard de ce danger affreux; et comme elle
accourait avec le bûcheron qui fut l'en avertir,
ils apprirent sa fin tragique qui n'était pourtant
pas celle qu'on peut présumer. Mais je préfère
m'arrêter ici sur ce point plutôt que de risquer
le croquis du tableau le plus déchirant qu'offre
la totalité des mémoires de Clotilde. Elle et son
fils retrouvèrent un père tendre dans linconso
lable mari d'Aliénor; eux seuls lui firent supporter
la vie et semèrent quelques fleurs sur le reste
de ses jours *, »
Tels sont les contes à dormir debout dont le
marquis de Surville accompagnait a Lausanne la
publication des premiers extraits de Clotilde.
Mais abordons la vie de Clotilde elle-même.
A peine âgée de onze ans, par conséquent vers
1417, Clotilde traduit en vers une ode de Pétrar-
1. Poésies inédites de Clotilde, 1827, p. 287.
MARGUERITE CHALIS. 27
que qui est aussitôt envoyée à Christine de Pisan,
laquelle, ravie, se hâte de lui remettre tous ses
droits au sceptre de l'Helicon. Quand on songe
aux difficultés que l'époque opposait aux commu-
nications de tout genre, et dans le Vivarais encore
plus qu'ailleurs; quand on songe que les premiers
essais de l'imprimerie datent seulement de 14.40
et que les procèdes de Gutenberg ne furent
longtemps appliqués qu'a la Bible et à quelques
œuvres capitales de l'antiquité, on a bien quelque
droit de s'étonner de la facilite avec laquelle le
manuscrit d'une petite fille de onze ans court du
Vivarais a Paris et de la rapidité avec laquelle
Christine, qui d'ailleurs était morte en 141s,
expédia a la petite fille son brevet de reine de
l'Heiicon.
Clotilde parut faire peu de cas du suffrage
de Christine ; mais voici qui n'est pas moins
merveilleux : « pour qu'on ne la soupçonnât plus
de vouloir effacer Pétrarque, elle ne s'attacha
plus qu'aux poètes de l'antiquité. » Si Pétrar-
que eût encore vécu a cette époque, et s'il avait
eu avec le Vivarais les relations faciles qu'avait
fine de Pisan, il aurait certainement con-
sacre t a célébrer une modestie si extra-
ordinaire a c ■ •
. teur de la légende a soin d'amener auprès
de Clotil ie, pour expliquer La perfection d
langue, des filles charmantes, entre antres Louise
2.H MARGUERITE CHALIS
d'Effiat et Rose de Beaupuy qui, « nées dans la
capitale et par conséquent habituées a parler un
français plus châtie que celui du temps de Pul-
chérie, instruisirent Clotilde de l'empire de
l'usage sur les locutions et la mirent en état de
juger sainement les écrivains de cette époque
bâtarde. »
Il y avait, de plus, avec elle, Tullie de Royan
et l'Italienne Rocca qui étaient « de vrais poètes »,
et si ces illustres inconnues n'ont « rien laissé
pour leur propre compte a l'admiration delà pos-
térité, c'est qu'elles sacrifièrent tout au tendre
intérêt que leur inspirait Clotilde.»
« Pour qu'il ne manquât rien a cette académie
naissante, Jean du Sault, savant distingué, et
homme de beaucoup de goût, voulut bien en
être l'Aristarque et juger les productions des
jeunes amies. »
Le malheur est que Jean du Sault est tout
aussi inconnu que le reste de l'entourage fan-
tastique que la légende donne à Clotilde, entou-
rage que l'état social du Vivarais à cette époque
rend d'ailleurs, quelque passager qu'on le sup-
pose, complètement invraisemblable.
« Ce fut en 1421 que Clotilde connut et aima
Bérenger de Surville, alors âgé de vingt-deux
ans : il était beau, bien fait, aimable ; Clotilde
l'épousa la même année, malgré la perte encore
récente de sa mère... A peine marié, Bérenger
MARGUERITE CHAHS. 2$
se sépara de son épouse pour aller joindre le
Dauphin, depuis Charles VII, au Puy en Velay...*
C'est alors qu'elle envoie a son époux la déli-
cieuse heroïde :
Clotilde au sien amy doulce mande accolade,
A son espoulx, salut, respect, amour!...
La légende raconte que l'héroïde reçut un indi-
gne accueil au camp même de Charles VII. «En
effet, la langue de Clotilde, mèlee de beaucoup
de mots latins et italiens, devait être fort obscure
pour les chevaliers du Dauphin, non moins igno-
rants que braves. Ce défaut ne devait pas exister
pour les erudits du siècle; mais Alain Chartier,
leur coryphée, se déclara contre l'héroïde et em-
porta sans doute les voix des autres littérateurs. ■
Il paraît que Clotilde avait eu le tort de témoi-
gner peu d'admiration pour les vers d'Alain
Chartier. Celui-ci lui rendait la monnaie de sa
pièce. Clotilde piquée dirigea plusieurs rondeaux
contre Alain Chartier. L'epître a Margu
ose, indi | tant d'une
époque b: n'est pas autre i
qu'un*: ^atire contre .m.
L'union de clotilde avec Bérenger de Surville
dura sept B nournt victime <i
courage et de son patriot: ^édi-
tion hasardent i il laissa un
fils unique, Jean de Suiville.
3 O MARGUERITI. CHALIS.
Clotilde forma des élevés : Sophie de Lyonne
et Juliette de Vivarez, qui se retirèrent ensemble
à l'abbaye de la Villedieu ; deux jeunes Écossaises,
Céphise et Camille de Queensburg, Louise de
Royan, Jeanne Flore, Célinde Millaflor, etc.
Les élèves de Clotilde n'étaient pas moins
extraordinaires qu'elle. C'est ainsi que Sophie de
Lyonne — une Bourguignonne attirée en Vivarais
par le désir ardent de connaître Clotilde et de
profiter de ses leçons — « récita Y Iliade entière
après une étude de quinze ou vingt jours. »
Le bruit du talent de Clotilde serait aussi par-
venu aux oreilles du duc Charles d'Orléans et
de la Dauphine Marguerite d'Ecosse, qui l'enga-
gèrent à venir à la cour ; mais elle repoussa cette
offre.
Clotilde maria son fils unique, Jean de Sur-
ville, à Héloïse de Goyon de Vergy, qui mourut
à Vessaux en 1468, à l'âge de quarante-deux ans,
laissant quatre garçons et trois filles. Clotilde fit
une élégie sur la mort d; Héloïse.
Elle écrivit son chant royal à Charles VIII, à
la nouvelle de la bataille de Fornoue en 149$.
Elle serait morte à Vessaux presque cente-
naire.
La légende continue en racontant qu'au xvne siè-
cle, Jeanne de Vallon , femme de Jacques de
Surville, cinquième descendant de Clotilde, avait
préparé une édition des œuvres du poète, mais
MARGUERITE CHAHS. 3 I
qu'elle mourut avant d'avoir achevé son entre-
prise.
Enfin les éditeurs des Poésies inédites donnent
l'aperçu suivant des œuvres de Clotilde :
« Le nombre des ouvrages de Clotilde dont
les titres nous sont connus est plus grand qu'on
ne peut l'imaginer. Ceux que M. de Surville avait
destines a l'impression eussent complété huit
volumes in-8° de 700 a 800 pages chacun. Indé-
pendamment des poèmes, des poésies légères,
des nouvelles, des drames, des contes, on y eût
trouve deux plaidoyers éloquents en faveur de
l'infortune Jacques Cœur, grand argentier de
France, une théorie des couleurs, une histoire
de l'Atlantide en douze livres, une histoire com-
plète de la poésie française, des notices fort
curieuses et I ; lues sur la vie et les ou-
vrages des femmes-poètes, et des mémoires du
plu haut intérêt sur !■ t les
hommes célèbres de cette époque. Dan- es m -
moires divisés en huit livres, cinq étaient entiers,
lit que d - des deux
antres. Un ouvrage auquel Clotilde avait travaille
quarante mm c uneuse
collection it un p
' des hauts faiti inné
d'Arc .
On com oit fort ai de Vander*
3*
MARCUKRITE CHAL
bourg en trouvant cette enumération dans les
papiers de M. de Surville et Ton comprend aussi
qu'il se soit empressé de laisser de côté des
données aussi douteuses et aussi compromet-
tantes.
A la légende opposons les faits certains et les
actes authentiques.
En premier lieu, il n'y a jamais eu en Vivarais
de famille noble de Vallon. Les deux plus récents
champions de Clotilde, M. Eugène Villedieu et
M. Vaschalde, le reconnaissent eux-mêmes. Ce
sont les barons de la Gorce et les barons d'Ap-
chier qui, du xive au xvie siècle, ont possédé la
seigneurie de Vallon1 où le nom de Vallon-
i. Géraud de la Gorce, chevalier, seigneur de la Gorce,
de Mirabel et de Grospierre, acquit la seigneurie de Val-
lon par son mariage avec Mignone Vilatte, dame de Vallon,
vers la fin du xiv» siècle.
Anne de la Gorce, leur fille, épousa, le 8 mai 1408,
Béraud, seigneur d'Apchier (aujourd'hui Apcher, commune
de Prunières, Lozère), de Ceray, de Vabre, de Vazeilles
(Haute-Loire), de Chély (aujourd'hui Saint-Chély, Lo-
zère), d'Arzens (aujourd'hui Arzenc, Lozère), et de Mon-
taleyrac, — qui testa le 20 février 1452.
Béraud d'Apchier et Anne de la Gorce eurent pour fils
Claude, baron d'Apchier, seigneur de la Gorce, de Vallon,
MARGUERITE CHAL1S. 33
Chalys a toujours été, croyons-nous, inconnu
avant la publication de Vanderbourg et le beau
roman de M. Eugène Villard1.
Tous les noms de l'entourage de Clotilde, à
part ceux de Loire et de Poitiers 2, sont entiè-
rement inconnus dans le Vivarais et même aux
environs.
Bérenger de Surville n'est pas un mythe, puis-
deSalavas et de Mirabel, — qui testa le 12 novembre 1472.
Claude d'Apchier eut pour héritier son frère Jean d'Ap-
chier, seigneur à'Arzens, qui avait épousé Jeanne de Ven-
tadour le i«r novembre 1130, et qui testa le 8 juin 1466.
Jean d'Apchier et Anne eurent pour fils Jean, baron
d'Apchier, seigneur de la Gorce, de Vallon, de Salavas et
ibel, qui vendit en 1484, à Charles des Astards, les
seigneuries de Vallon et de Mirabel.
Il testa le 9 janvier 1523 et il laissa, de Marie de Cas-
telnau de Bretenoux, son épouse, François-Martin, baron
d'Apchier, seigneur de la Gorce et de Salavas, né le il no-
vembre 1^09 et mort en l$7$«
' moire de M. Eugène Villcdicu, lu à la
•tcs de l'Ardèche. i">72.)
1. ( U Valhm-Chal ,s , roman du temps de
Charles VII, par
2. La maison de Pc
:i 1239 où Philippa, tille de Guillaume de
pporta en dot de nombre..:
Aymard de Poil comte de S
l'époque où Bérengcr de Survillc se maria, le gouverneur
iur la ma relait Guillaume
3 +
MARGUERITE C H A L I S ,
que son existence est démontrée par nos docu-
ments ; mais il est certain, d'après le Manuale
notarum:
Qu'il se maria en 1428, et non pas en 1421 ;
A Privas, et non pas à Vallon ;
A Marguerite Chalis, fille de feu messire Cha-
hs, licencié es lois à Privas, et non pas a Mar-
guerite-Clotilde-Éléonore de Vallon-Chalis, fille
de Ferdinand de Vallon et de Pulchérie de Faï-
Collan.
Marguerite est désignée dans Pacte par la qua-
lification de honestci millier, ce qui ne signifie-
rait pas nécessairement qu'elle eût été déjà ma-
riée, si cette qualité ne ressortait pas d'un autre
acte du Manuale notarum, en date du 12 no-
vembre 1427, où elle est nettement designée
comme veuve d'un premier mari nommé Ray-
mond du Bosco, de Barrés. Il est à remarquer
que la terre du Bosco ou du Bois au-dessus de
Chomérac était bien dans ce qu'on appelait alors
le mandement de Barrés.
Une circonstance est à noter dans cet acte du
12 novembre. L'examen du texte montre qu'avant
d'écrire les mots honestam mulierem Marga-
ritam, le notaire a eu d'abord la pensée d'écrire
nobilem, puis il a réfléchi, et après avoir écrit la
première syllabe nob, il Pa biffée.
Marguerite n'était donc pas noble, mais elle
était presque considérée comme noble, soit par
MARGUERITE CHALI5. 3 $
sa fortune, soit peut-être par son premier ma-
riage.
C'était, dans tous les cas, une riche héritière.
Quelques mois avant son mariage, sa tante, Flo-
rence Chalis, l'avait instituée sa légataire princi-
pale et, d'après les autres legs que contient le
testament, on peut supposer que l'héritage de
cette tante était considérable.
Il resuite de son contrat de mariage avec Bé-
renger de Surville qu'elle avait des propriétés a
Privas et a Vessaux que son futur époux s'enga-
geait a venir gérer personnellement, en y éta-
blissant la résidence conjugale, outre d'autres
propriétés à Sceautres et Rochemaure dont elle
entendait garder la disposition personnelle.
Aux termes de l'acte, qui porte la date du
4 janvier 1*28, Marguerite avait en ce moment-
la plus de vingt ans et moins de vingt-cinq, ce
qui correspond exactement, a la date 1405 ou
1406 indiquée par la 1 gende comme étant celle de
la naissance de Clotil
En outre de précautions tres-detaillces réglant
les questions d'intérêt, qui prouvent que les no-
taires d'à. Lient pas moins minutieux que
ceux d'aujourd'hui, il est stipule dans l'acte que
îger achètera a sa future '.es bijoux
pour une valeur de vingt-cinq mouton.s
dont elle disposera a son gré tant pendant sa
vie que pour a] de plus, qu'il de-
36 MARGUERITE CHALIS.
vra lui acheter des vêtements de noces en rap-
port avec la condition des époux.
Nous voyons aussi figurer dans l'acte Antoine
Jourdan, oncle de Berenger et prieur de Vessaux,
qui, pour faciliter le mariage, donne a son neveu
cent moutons d'or. La position de ce person-
nage et ses rapports avec la famille Chalis, pro-
priétaire a Vessaux, indiquent assez qu'il a été
l'initiateur du mariage.
Le contrat est passe a Privas dans la maison
même de Marguerite, et les signataires paraissent
tous des gens importants. Les voici :
Noble et vénérable messire Guillaume de
Rocles, bachelier dans l'un et l'autre droit ;
Nobles :
Guillaume Floccart (châtelain de Privas),
Guillaume de Montgros? de Gras,
Raymond Vieux,
HÉBRARD DU CHEYLARD,
Pierre de Bénéfice ;
Révérends et messires:
Imbertde la Mothe, prieur d'Upie (Drôme),
Eloi Charriere, curé de Privas, Guillaume de
Mourier, Gonet-Allard, Antoine Vallat ;
Et enfin les deux notaires :
Louis Riffard,
Antoine de Brion.
MARGUERITE CHALIS. 37
Le nom de Bérenger de Surville ligure dans
un autre acte du Manuale notarum. Le 28 de
ce même mois de janvier, Bérenger assistait,
comme témoin, au mariage de Pierre de Brion
avec Antonine Corbier, nièce de noble Ray-
mond Vieux.
Tels sont les éléments nouveaux que le Ma-
nuale notarum d'Antoine de Brion jette dans le
débat, et qui non-seulement viennent infirmer
complètement les récits du marquis de Surville
sur la vie de Çlotilde, mais encore font crouler
la légende tout entière et rendent désormais
insoutenable l'authenticité des poésies. Il suffit,
en effet, de parcourir celles-ci pbur reconnaître
qu'elles sont inséparables de la légende et que
la Clotilde des poésies comme celle de la notice
doivent s'envoler dans la même fan
Da.\ écitS de M. de Surville, confirmés
par I '.-s. Clotilde se marie en 1421, .1
nger, qui m premier amour; elle
poui qui
avec 1 la Dauphin le le
(\ Or!
le ia mal de L'ann ate que Jeanne d'Arc
anglais .1 partir.
3 8 MARGUERITE CHALI-.
Tout se tient dans ce système, qui était inatta-
quable tant qu;on n'avait rien de précis et de
certain à lui opposer. Mais tout tombe à la fois
devant les dates et les faits que nous fournit le
registre d'Antoine de Brion.
Un rapide examen des poésies va convaincre
les plus incrédules.
Dans le Rondel II, en 1420, par conséquent a
quatorze ou quinze ans, et sept avant son mariage,
Clotilde décrit son premier rougissement d'a-
mour '.
Le Rondel IV, daté de 1421, pourra paraître
aussi assez extraordinaire à cet âge 2.
Le Rondel VI, de 14.21, est adressé à Louise
d'Effiat « sur ce que menoit ung jeune loup mon
bel amy venant la fois première. »
Le Rondel VII, de 142 r, est adressé à Mon-
seigneur Aymard de Poictiers « s'enquerrant
1. Comme en l'esté se coulore la pesche
S'y fîst mon front; des lors plus de soulaz
Sans cil, pour qui (serois-je emmy i'Ardesche)
Que brusleroy.
(Comme en été se colore la pêche — Mon front se colora;
dès lors plus de plaisir — Sans celui pour qui (serais-je
au milieu de l'Ardèche) — Je brûlerais.)
C'est la seule allusion au pays natal que contiennent les
poésies de Clotilde.
2. Rondel IV à Monseigneur Jacques de Toulon « qui
maintes fois nous demandoit, se gabant, qu'estoit cela :
Foy de pucelle. » 1421.
MARGUERITE CHALI-. 39
de moy trop fièrement quel jeune amy luy pre-
posoye (je lui préférais). »
Le Rondel VIII, de Ï4.23, est destiné à la
doulce mye Rocca « m'interpellant s'avoye sou-
venance du premier tintement d'amour. »
Le Rondel X, de 1+22, est encore adressé à la
doulce mie Rocca « sur ce que vinct ung soir le
bel amy bayzer me desrober a la fontaine. »
Le Rondel XI, de 1422, repond a monseigneur
Aymard de Poictiers « feignant ne vouloir croire
a l'hymen qu'en son absence avoy conclu. »
Comment concilier tout cela avec la date
inflexible [que contient le registre de maître
Antoine de Brion?
Que deviennent aussi devant ce témoin irré-
cusable les affirmations précises jointes a divers
poèmes, par exemple celles-ci ?
CHANT D'AMOUR AU PRINTEMPS.
Ung chant d'amour doibt paindre aux sens moins que
parler à Came... Cettuy du printemps, fiz ung matin 8e jour
de mars 1421.
et 7 des Cbâmtt (Fam<mr.
LMOOI I : l' .
Ce n'est tant l'esté qu'ay voulu paindre que Testât de
mon cœur, ce 20 juillet, vers deux heures, souSz le rocher.
1422.
Mon. iê CJotilde, lir. ; et 7 des C I l ur.
40 MARGUERITE C H A L I
CHANT DAMOUR EN A L T O M N E .
Lors estoyent descolourez les foillages ; donc Altomne
jà s'enfayoit. Eslit mon cœur ce temps grisastre, le 15 no-
vembre de cet an 1422.
Ment, de Clolilde, liv. S et 7 des Chants d'amour.
CHANT D AMOUR EN L HYVER.
Soit l'hyver achoison non sujet (que l'hiver soit l'occa-
sion et non le sujet) de tels chants : espandez-y vostre
ame engtiere... Ainsi fis-je un dernier jour de l'an 1421.
Mém. de Clotilde, liv. j et 7 des Chants d'amour.
Si Ton veut supposer toutes ces dates erronées
et reporter les poèmes en question à l'époque
authentique du mariage de Bérenger, d'autres
difficultés surgissent.
Bérenger s'étant marié en janvier 1428 et
étant mort au siège d'Orléans, c'est-à-dire douze
à quinze mois après, il est assez difficile de con-
cevoir, dans ces conditions, la ballade qui porte
l'épigraphe suivante :
Lors quand tornoit emprez un an d'absence,
Miz en ses bras nostre fils enfançon.
Cet épisode ne pouvait avoir lieu, en effet,
MARGUERITE CHALIS. 4. 1
avant l'hiver de 1428-29, c'est-à-dire juste au
moment ou Berenger, au lieu de revenir, devait
plus que jamais être retenu par les événements
a l'armée de Charles VII. Il y a plus : d'après
l'heroïde A mon espoulx , Berenger n'avait
quitte Clotilde qu'au printemps.
Là, me dis-je, ay receu sa dernière caresse...
le y, les ung ormeil cerclé par l'aubespine
Que doux printemps jà coronoit de fleurs,
. dict adieu...
Si Berenger revient, un an après, c'est-à-dire
en avril ou mai 1429, auprès de sa femme, il n'est
donc pas mort au siège d'Orléans, bien que,
d'après un chapitre d'js Poésies inédites, son
trépas héroïque ail annoncé dans tout le
Vivare^ comme une calamité publique. »
Au reste, l'histoire se joint ici au Manuale
no t arum pour convaincre la légende d'erreur.
Tandis que celle-ci fait mourir Berenger de Sur-
ville au liège d'Orl - chroniques du temps
nous apprennent que le Languedoc, dont le
Vivarais faisait partie, fut précisément un
deux pro. itres aff
ne purent a secours
* ;iiteur de V Inventaire de
luire d<> \ TA . qui était
I rengerde Surville,
4.2 MARGUERITE CHALIS.
raconte ainsi l'immense émotion produite par la
nouvelle du siège d'Orléans :
o Les villes, sans se faire tirer l'oreille, con-
tribuent gayement gens, vivres, argent. Beau-
coup de grands personnages accourent a ce siège,
comme pour garder le dongeon des affaires du
Roy et du royaume... »
Après avoir nommé beaucoup de seigneurs ve-
nus au secours de Charles VII, l'historien ajoute:
« // n'y eut personne des provinces du Dauphiné
et du Languedoc, d'autant que les ducs de Bour-
gongne et de Savoye dressoyent en même temps
une forte armée, par Tentremyse de Louis de Chaa-
lons, prince d'Orenge, pour envahir ces contrées-
la, seules de la fidèle obéissance du Roy *. »
Nous avons eu la curiosité de rechercher les
autres données que l'histoire nous a transmises
sur la situation du Vivarais à cette époque. Voici
ce que nous avons trouvé :
1418. Le Vivarais est maintenu dans le parti
du Dauphin contre la reine Isabeau et le duc de
Bourgogne, par les soins de Louis, seigneur de
Montlaur.
1419. Le vicomte de Polignac est nommé capi-
taine général pour le Dauphin, en Vivarais.
1. Inventaire de l'Histoire de France, édition de 1603, 1. 1,
p. 692.
MARGUERITE CHALIS. 4}
14.20. Toute la noblesse du Vivarais est appelée
par le senechal de Beaucaire contre les Bour-
guignons.
1422. Rochebaron, partisan du duc de Bour-
gogne, parcourt le Vivarais a la tête de huit cents
hommes d'armes.
14.24. Les états du Vivarais se reunissent à
Soyons avec ceux de Gevaudan et du Velay,
pour aviser aux moyens de résister aux troupes
du duc de Bourgogne qui s'avançaient.
1428. Le seigneur de Saint-Remèze (près de
Vallon) met dans plusieurs places qui lui appar-
tiennent des garnisons composées de Bourgui-
gnons ou de routiers. Le ssigneur de la Roche,
chambellan du roi, se rend maître de ces places.
14.30. Le Vivarais est désole tant par la guerre
que les seigneurs de Saint-Remeze et de la Rô-
le faisaient l'un a l'autre, que par une incur-
faitC aux frontières du pays par Louis de
Chalons, prince d'Orange, a la tête de douze
cents Bourgnj Le prince d'Orange, qui
s'était empare du lieu de Colomb: seule-
ment perd cette place, mais il est battu complé-
tai près du Khôn
1431 ignear de Saint-K pour se
défendre contre le seigneur de la RoJie qui con-
t. Histoire générale du Languedoc, par dom Vie et dom
176.
44 MARGUERITE CHAHS.
tinuait de lui faire la guerre, introduit des
troupes anglaises et bourguignonnes dans ses
châteaux. Le seigneur de la Roche s'empare de
ces places, et, en récompense, obtient du roi
une gratification de mille francs.
Les poésies de Clotilde ne contiennent pas la
plus légère allusion à aucun de ces événements.
M. Eugène Villedieu, qui avait eu connais-
sance par d'Audigier des actes du Manuale nota-
rum, a cherché à concilier la légende et la réa-
lité en admettant à la fois le mariage de Béren-
ger de Surville en 1428 et sa mort au siège
d'Orléans. Mais Clotilde elle-même proteste
contre cette solution dans l'épître à Marguerite
d'Ecosse, où elle confirme nettement ses sept ans
de mariage :
Moy qui, sept ans de myrthe environnée,
Ceincte de lors, de roses couronnée,
Vys feux d'amour, sans oncques s'attiédir,
De mon hymen la tige reverdir...
Dans l'héroïde à Bérenger, le poète dit:
L'az donc veu ce daulphin ! ne s'esloingne du Rosne
Qui roule encore ondes franches d'horreurs !
Combien que boutions touz au Dauphin de fiance...
Ne sçay, jusques à toy, comme adira ma lettre :
Charles on dict vers Poitiers cheminant...
M à RGU E RITE CH ALI 5. 4.$
Marguerite n'ayant pu écrire à joti espoulx
avant 1428, date de son mariage, on ne s'expli-
querait pas, si ces vers étaient d'elle, que
Charles VII y fût appelé Dauphin, alors qu'il
portait le titre de roi depuis la mort de son
père en 1422, et qu'on le représentât comme
retire vers le Rhône ou cheminant sur Poitiers,
alors qu'il poursuivait sur la Loire et la Seine
sa campagne victorieuse.
Dans la ballade A mon espoulx, nous trouvons
ces vers:
Aux premiers jours du printemps de mon aage,
avanoy sans craincte et sans dezir ;
Rozes et lys yssoient sur mon vizage;
Tous de mirer, et nul de les cueillir :
quand l'autheur de mon premier souspir
Les fust livrant au plus tendre ra .
Lors m'escriay, me sentant frémollir :
Faut estre deulx pour avoir du playzir ;
Playzir ne l'est qu'autant qu'on le part 1
Comment admettre que Marguerite, veuve
d'un premier mari, ait pu, en ml au se-
cond, l'appeler V auttur de mon premier soupir ?
is un fragment'4. Clotilde confirme
pt an» de maria-.'
noble et ruleureu 1 jui lui lit épouser Bé-
renfl .
1 ne tard.i 1 U suyr, re;
+ 6 MARGUERITE CHAHS,
Toy dont les tendres soings, par les nœuds les plus doulx,
Me soubmirent l'amour, soubz le nom d'un espoulx.
O nom cher et cruel... Soubvenance terrible!
Apres tant beau soleil, fust-il nuict plus horrible?
Ah! quand jeunette encore, au pied de tes autels,
Hymen, receus la foy du premier des mortels,
Qui m'eust dict qu'en sept ans verroye disparoistre
Heur qu'à nulle icybas, si plain n'az faict cognoistre?
Or, Pierre Chalis était un homme de loi, et
il était mort quand sa fille épousa Berenger. Et
il n'était pas noble, comme Pindique le nob effacé
du notaire de Brion. Avons-nous besoin de faire
observer que le mot jeunette n'est plus guère
en situation quand il s'agit d'une riancee-veuve
de vingt-deux ou vingt-trois ans?
Voici qui n'est pas moins fort :
Le Rondel I, adressé au chœur des Muses,
roule tout entier sur un jeu de mots : Vallon
d'Amour, par allusion à Clotilde de Vallon. Que
Marguerite eût pris le nom de Clotilde, pour ses
productions poétiques, on peut encore l'admettre ;
mais qu'elle se soit donne un nom de famille qui
n'était pas le sien, et dont on ne retrouve,
d'ailleurs, la trace nulle part, voila ce qui devient
parfaitement incompréhensible.
Nous n'avons examiné jusqu'ici que l'édition
parue en 1803 avec la notice de Vanderbourg.
Nos lecteurs savent déjà qu'elle fut suivie en
1827 des Poésies inédites publiées par les soins
MARGUERITE CHALIS,
de MM. de Roujouxet Charles Nodier. Or, dans
ce deuxième recueil se trouve un fragment d'un
poëmei<? la Nature et de V Univers ou il est dit:
Non, je ne croiray point, orgueilleux Ptolémée,
Que l'atosme fangeux, où rampons eraprès toy,
Soyt le centre d'ung tout, plus estrangier por moy
Que por l'astre esclatant dont tu fays ton esclave.
Et combien d'aultres corps, que ton système enclave,
Mieulx que la terre, enfin, peuvent-ils s'arroger
Droict d'en faire entour d'eux l'orbite converger?
Ton vaste Jupiter et ton loingtain Saturne
Dont sept globules nayns traynent le char nocturne ;
Ta Venus elle-mesme, aux regards enflammez...
Voila donc Clotilde réfutant, au xve siècle, le
système de Ptolémée et devançant les révélations
de Copernic dont l'ouvrage parut seulement
en 1543 ! Chose non moins merveilleuse, elle
connaît déjà l'existence des sept satellites de
Saturne découverts au xvne et au xvin'' ti<
Entin, dans ce même fragment, elle réfute et
nomme le poète Lucrèce, dont le livre fut re-
en i+7j .
m. liacé convient que cet argument contre
l'autf) lies de Clotilde serait irré-
futable li le fragment en question, au lieu de se
trouver dans le recueil de No ROUJOUX,
OQVait dans celui de Vandcrbourg. Il nous
t\et a nous, que ta fournis par
la publication de 1897 contre l'authenticité des
M A R G U E RITE C H A L I
poésies sont tout aussi valables que ceux fournis
par la publication de 1803, des 4U ^ est prouvé
que toutes deux émanent de la même source;
et c'est ce que M. Macé s'est charge de constater
lui-même, puisqu'il déclare avoir retrouve dans
le Journal littéraire de Lausanne, qui recevait
ses communications du marquis de Surville,
presque tous les morceaux, prose et vers, qui
constituent le recueil de Nodier, et notamment
le fameux fragment du poëme de la Nature*.
D'ailleurs, malgré le soin qu'a pris Vander-
bourg de retrancher les morceaux compromet-
tants, il est aisé de trouver le lien qui unit les
deux recueils et autorise à porter sur eux le
même jugement.
Dans l'élégie sur la mort d'Héloïsa, qui figure
dans la publication de 1803, Clotilde raconte
que ses petits enfants
S'entrequierrent comment
Ne serviroient clouz d'or, dont veyons mille et mille,
Rien qu'à parer l'azur du firmament.
Et elle ajoute:
N'ay semblant d'escouter ; et le confesse esmeue,
Un tel propoz, en effect, me confond;
Sçay trop bien que n'affiert à ma débile veue
D'aller sondant abysme si parfond :
Se par toy n'ont d'esclat, œil du monde où nous sommes,
1. Macé, p. 34, 6$ et 67.
MARGUERITE CHALIs. 4.9
De tant au loing lancent feulx si vermeils,
Qu'à mondes, trop distants pour estre veus des hommes,
Croy, tous à part, que servent de soleils;
Près d'eulx, qu'est de Phœbé l'orbite pasle et morne ?
Veulx ceste-là rouler exprès pour nous ;
Encor pourquoi cettuy, dont œuvres n'ont de borne,
De la peupler ne seroit-il jaloux ?
Possible qu'y reignez, masnes sacrez des justes,
En ce costé qu'à nos yeulx s'offre en plain,
Tandys qu'en ses roschiers, ors glacez, ore adustes,
De reprouvez est l'opposite emplain
Maiz quoy! se peult-il donc que ce globe contemples
Sans démesler mes accents douloureux!....
Comment ne pas reconnaître dans cette elegie
où le terme de globe revient deux fois pour de-
signer la terre, et ou se révèle une si étonnante
intuition de la science astronomique des si
futurs, la même main qui a écrit le fragment du
poème de la Nature?
On le • avec la d- /idence :
l'œuvre poétique i il îde; le fond,
sinon la : iK part de la même
., et l'authenticité des deux s'évanouit en
: temps devant troij ou quatre faits pr
tnment cert - par le vieux
registre du château de Barres.
$0 MARGUERITE CHALIS,
Quelques personnes ont voulu appuyer l'exis-
tence de Clotilde de Surville sur de prétendues
traditions locales de Vallon. M. Macé rapporte
qu'un honorable habitant de Vallon, M. Pes-
chaire-Florian, décédé en 1863, à Pms de quatre-
vingts ans, disait à M. Eugène Villard avoir,
dans sa jeunesse, entendu une de ses vieilles
tantes lui chanter des rondeaux et des ballades
attribués par elle à Clotilde de Surville, et il
ajoute que M. Ollier de Marichard confirme cette
tradition. Certes M. Eugène Villard et M. Ollier
de Marichard sont des hommes fort honorables
et dont la parole ne saurait être mise en doute,
mais comme elle ne fait ici que reproduire un
témoignage assez vague et qui, selon nous, ne
peut s'appliquer qu'à une époque postérieure
soit à la publication de Vanderbourg, soit tout
au moins à la découverte des manuscrits par le
marquis de Surville, on nous permettra de ne
pas lui attribuer la même portée que M. Mace
et d'attendre des faits plus précis et moins sujets
a caution
Un autre de nos compatriotes de l'Ardèche,
M. Vaschalde, a recueilli et publié récemment
des documents d'où il resuite qu'un Jean Chalis
MARGUERITE CHALIS. 51
existait à Vessaux en 1383, que noble Berenger
de Surville a été l'héritier des Chalis de Vessaux
et que Jean de Surville, fils de Berenger, possé-
dait en 1469 un certain nombre de propriétés
à Vessaux.
Aucun de ces faits, qui, d'ailleurs, concordent
avec nos documents, ne touche a la question qui
nous occupe, c'est-a-dire à la personnalité poéti-
que de Clotilde. Quant à cette circonstance que,
dans les propriétés de la famille de Surville a
Vessaux, il se trouvait des jardins, des près, un
moulin et une fontaine, d'où M. Vaschalde con-
clut que ce sont la incontestablement les jardins,
les bois, les près, le moulinet et la fontaine men-
tionnes dans les poésies, notre confrère nous per-
mettra de ne pas nous arrêter a cette supposition,
qui, examinée de près, tournerait plutôt contre
sa thèse, car l'absence même de toute indication
plus reconnaissable ferait supposer que l'auteur
des poésies écrivait ailleurs qu'en Vivarais. On a
vu plus haut que la rivière d'Ardeche est le seul
nom local que contiennent les poésies. Nous
ajouterons que l'expression de gros canal, qui se
trouve dans la même pièce, aurait dû rendre
M. Vaschalde plus ctrconspecl dans ses inductions
graphiques, car il sait aussi bien que nous
qu'il n'y a pas de canal, petit ou gr< -aux,
pa3 plu-, qu'a Privas et a Vallon.
Au reste, un fragment dïpître de Clotilde
5» MARGUERITE CHALIS.
contient des indications topographiques bien au-
trement précises et importantes, sur lesquelles
nous appelons l'attention des lecteurs vivarois :
Clotilde raconte qu'elle atteignit, au haut du
mont, la forêt solitaire
Où des toits délabrés et d'antiques débriz
A l'errant voyagier n'offrent mesme d'abriz ;
Et qui, dict le renom, furent à leur naissance,
Palaiz où des Romains esclatoit la puissance :
En contemple, au hazard, les restes confondus.
Là, soubz d'espaiz moncels de cresneaulx pourfendus,
S'estendent tristement colonnades superbes,
Dont les marbres rompuz, fayzant ployer les herbes
D'aultre part, eslancez, par intorses crevailles,
D'amangliers en flours, inhérants aux murailles,
Cent bouquets, de rubys colorent ces paroys
Dans la cour, et parmy cent portiques déserts,
Des ormes non plantez s'élèvent dans les airs ;
Au centre, où creut jadiz ugne source pérenne,
L'urne d'où jaillissoit, trytons voire et syrenne
Soustinrent enlacés ; ainsy, d'humain sçavoir,
Mollement respirer brunze on ne cuyda voir
Certes, les ruines ne manquent pas en Viva-
rais, mais nous cherchons vainement celles qu'a
voulu désigner Clotilde , dans l'hypothèse de
son séjour soit à Privas, -soit à Vessaux , soit
même à Vallon, la seule de ces trois localités où
fleurisse l'amandier, mais où rien n'indique jus-
MARGUERITE CHALIS. $3
qu'ici que la femme de Bérenger de Surville ait
jamais mis les pieds.
L'auteur de la légende se trahit, à notre avis,
par l'excès même des précautions dont il s'est
entoure pour avoir réponse prête a toutes les
objections de la critique.
A quinze ou seize ans, d'après lalégende, Clotilde
écrit VEpistre à sa doulce amye Rocca, qui est
une sorte d'art poétique beaucoup plus étonnant
pour l'époque que celui de Boileau. Deux ou
trois ans plus tard, elle développe sa didactique
dans le Dialogue entre Apollon et Clotilde.
M. Eugène Villedieu ne voit la rien d'extra-
ordinaire. « Pour s'expliquer, dit-il, la maturité
\tire de ce morceau et de presque tous ceux
qui sont contenus dans ses poésies authentiques,
il faut se rappeler que Clotilde a revu plusieurs
fois, jusqu'à la fin de sa vie, les pièces qui datent
de sa jeunesse, ainsi qu'elle a soin de nous le
dire elle-même en maint endroit de son œuvre. »
. s doutons fort que cette explication paraisse
mte a ceux qui savent qu'au xve siècle la
langue fran i tait loin dï t
1 >mbreux dialectes qui se parlaient sur le
territoire de l'ancienne Gaule. Guillaume de
rs, le plus ancien poète national dont QOUfl
- les vers, a écrit en di
lard en dialecte picard et wallon, R
lais en berrichon et poitevin, Montaigne en
54 MARGUERITE CHALIS,
con, Marot, Marguerite de Navarre et Amyot en
françois K Après le xve siècle seulement, le fran-
çais prend le pas sur les dialectes, en retenant de
chacun d'eux les mots que les circonstances ou
les œuvres des écrivains avaient fait entrer dans
l'usage général.
Au xve siècle, la langue était si peu formée
et elle était si loin de ce que nous la voyons dans
les poésies de Clotilde, que le latin n'avait pas
cessé d'être la langue judiciaire, celle des dépo-
sitions, enquêtes, plaidoiries et actes publics. En
1490 seulement, Charles VIII osa prescrire l'em-
ploi delà langue vulgaire ou langue romane2,
c'est-à-dire du français, pour la rédaction des
dépositions et autres actes publics.
En 1512, Louis XII alla plus loin et ordonna
que les enquêtes et les informations fussent non-
seulement rédigées, mais même faites en langue
vulgaire.
François Ier acheva la réforme par sa célèbre
1. Froissard se moque lui-même des seigneurs anglais
qui, en 1394, le prennent pour un écrivain français.
2. La langue romane était la langue des habitants appelés
Romains par opposition aux barbares. Ce n'était pas la
langue latine. M. Granier de Cassagnac, dans son curieux
travail intitulé Histoire^ des [origines de la langue française,
Didot, 1872, développe cette thèse, plus paradoxale peut-
être en apparence qu'en réalité, que le roman n'était autre
que le celte, la langue maternelle des Gaulois.
MARGUERII t CHALIS. 55
ordonnance de Villers-Cotterets,qui est datée de
IS39-
Or, nous le demandons, toutes ces mesures,
si désirées des rois de France dont elles favori-
saient le grand but politique, celui de l'unifica-
tion nationale, auraient-elles été tant retardées
si la langue avait eu, au commencement du
xve siècle, la clarté et la précision que l'on re-
marque dans les œuvres de Clotilde?
Les partisans de Clotilde ne sont pas plus em-
barrasses quand l'auteur du pastiche se fait
prendre en flagrant délit d'anachronisme, comme,
par exemple, quand il réfute Lucrèce et profite
des découvertes d'Herschell. Ils repondent que
le coupable, c'est Jeanne de Vallon ou bien le
marquis de Surville, mais que l'authenticité des
poésies est au-dessus du débat.
Le procède est commode, mais n'est plus
admissible, depuis qu'il est avère que les trois
branches de la légende : Notice de Vanderbou- "g,
le iBoj et Poésies inédites de 1827, outre
qu'elles constituent un tout inséparable, comme
>urce
COmm L-dire d^s, cartons du marquis
de Surville, ce qui donne a la critique le droit
de prononcer sur son ensetnb
la distinction que M. M ont prè-
le premier et le second
reçu
$6 MARGUERITE C H A L I S.
Un fait domine donc la question, c'est que,
même en admettant certaines modifications aux
manuscrits primitifs, la légende est toute d'une
pièce, elle sort du même cerveau : toutes les
indications de la Notice, dont les champions les
plus déterminés de Clotilde, sans en excepter
M. Villedieu, reconnaissent le caractère roma-
nesque, sont en quelque sorte signées, soit par
des vers de Clotilde, soit par des extraits de ses
mémoires ; elles s'accordent entre elles, sinon
avec les faits connus; la fille des Tynds elle-
même figure dans la dédicace d'une des poésies
du recueil de Vanderbourg; enfin, nous avons
montré, dans l'élégie sur la mort d'Heloïsa, la
trace des mêmes préoccupations astronomiques
qui, dans le second recueil, aboutissent a la dé-
couverte des sept satellites de Saturne.
Si, comme nous le pensons, le marquis de
Surville était incapable d'écrire les poésies de
Clotilde, on peut donc conclure delaqu'il n'a pas
davantage invente le reste et que son travail
d'altération de l'œuvre primitive est peut-être
moins considérable qu'on ne l'a dit.
Il n'est même pas certain, à nos yeux, que le
marquis ait connu le véritable auteur des poésies,
MARGUERITE CHALIS. $7
et, à part les détails tenant à l'origine des ma-
nuscrits, nous serions fort tenté de croire qu'il
n'en savait sur ce sujet guère plus que nous.
Nous laissons à d'autres le soin de découvrir
la personnalité du poète inconnu, mais deux
faits essentiels nous autorisent à penser qu'il
était de la famille de Surville: le premier est la
possession exclusive du manuscrit par un mem-
bre de cette famille ; le second est le nom même
de la personne a qui le poète a voulu laisser
l'honneur de son œuvre. On ne comprendrait
guère, en effet, que cet auteur fût aile bénévole-
ment couronner de gloire le nom d'une famille
qui ne serait pas la sienne.
D'autre part, s'il est évident que le poète ne
connaissait pas très-exactement la vie de la femme
de Berenger de Surville, ce qui montre qu'il
écrivait bien après le xv* siècle, il est clair
qu'il en savait quelque chose, sinon par des
papiers, tout au moins par des traditions de
famille, comme le prou>
vraiment frappantes du récit légendaire avec les
nom de Margue-
rite et celui de Chai mine de
iger, les propr
-aux, et enfin fils, Jean
de Survi
San- te, il' a fallu a L'auteur du pastii be
beau' on pourrait dire un rare
Q
5» MARGUERITE CHALls.
mépris des suffrages humains, pour céder ainsi a
un autre la légitime gloire que lui auraient ac-
quise les poésies. Cette modestie est si rare dans
notre siècle de vanité, qu'elle en paraît presque
inadmissible. Sans prétendre qu'elle ait jamais été
bien commune, il est certain cependant qu'elle
l'était moins, surtout dans les circonstances où
nous la supposons exercée, alors que le nom et
l'honneur de la famille tenaient dans les cœurs
une place que l'égoïsme individuel a aujourd'hui
usurpée. Le nom de la famille était autrefois un
drapeau pour lequel on mourait joyeux et in-
connu, comme heureusement on meurt encore
aujourd'hui pour celui de la grande famille natio-
nale. C'est pourquoi nous concevons fort bien
qu7à une époque où notre société était moins
emiettee qu'aujourd'hui, un Surville ait voulu
reporter la gloire de ses œuvres poétiques a sa
famille elle-même, sous le nom d'un de ses mem-
bres dont il ne connaissait pas même exactement
le nom et l'histoire.
Cet auteur inconnu était-il un homme ou une
femme? Nous serions assez disposé a croire,
contrairement à l'opinion la plus accréditée, que
ce n'était pas une femme. Des qu'il est admis
que l'œuvre est un pastiche, il nous semble
qu'un homme seul a pu lui donner cette perfec-
tion. La tendresse et l'ardeur de sentiments que
respirent les poésies n'ébranlent pas sur ce point
MARGUERITE CHALIS. 59
notre manière de voir. Les femmes sentent
mieux peut-être , mais les hommes peignent
mieux , même les sentiments d'autrui. Qu'on
suppose un observateur, double d'un poète, en-
tendant une mère, à côte du berceau de son
enfant, pousser les deux ou trois exclamations
d'amour maternel et conjugal dans lesquelles se
résument les Verselets à mon premier-né, et
l'on ne trouvera plus rien d'impossible à ce qu'un
homme ait écrit ces vers. Un beau poëme sup-
pose autant de reflexion et de travail que d'in-
spiration et de sentiment. Voilà pourquoi nous
croyons apercevoir dans les poésies de Clotilde
la main d'un homme plutôt que celle d'une
femme. C'est une femme — nous nous trom-
pons — ce sont des millions de femmes qui ont
éprouvé les sentiments si admirablement exprimés
dans les Verselets, qui en ont dit le sens par des
gestes, par des regards, par des exclamation-,
par des phrases, en faisant de la poésie comme
M. Jourdain faisait de la prose, sans le savoir,
lt un homme, a la fois poète, observateur
et travailleur crudit, qui a dû les traduire en
Nous ne savons pas si d'autres decouv'
confirmeront notre double hypoîh< M sur le
table auteur d naît, quel-
que difficile que cela paraisse, nous ne doutons
• rite D ■■ >oit un jour connue. Sans
60 MARGUERITE CHALIS.
parler des dépôts publics, les études de notaires
et les autres archives privées contiennent beau-
coup plus qu'on ne le croit de documents ou
d'indications qui éclaireraient bien des questions
d'histoire locale et d'histoire générale, s'il se trou-
vait plus de personnes ayant les loisirs, la patience
et l'érudition nécessaires pour les consulter. Il
est évident que c'est dans l'Ardéche et le Gard,
parmi les vieux papiers relatifs à la famille de
Surville, qu'il y a le plus de chances de décou-
vrir le fin mot de la question.
En attendant, s'il reste simplement probable
que les poésies de Clotilde sont l'œuvre d'un
membre de la famille de Surville, notre publica-
tion aura du moins démontré avec la dernière
évidence qu'elles ne peuvent pas être de la per-
sonne qu'on a voulu désigner sous le nom de
Clotilde de Surville et que leur date est de beau-
coup postérieure au xve siècle.
«-CI
PIECES JUSTIFICATIVES
EXTRAITES
DU MANUALE NOTARUM ANTHONII DE BRIONE
Notarii Priv acii,
— Allant du 27 mars 14.27 au 23 mars 1428 —
registre de 107 feuilles appartenant
à M. Henri de la Garde,
V
1 .
TESTAMES TUM FLORE N'CIE CHALISSE
RelictC Poncii de Morcrio, Privacii.
In nomine Domini, amen.
Anno Incarnationis ejusdem Domini m" cccc°
xia mentis septembris.
1 haliste, relicta Poncii de More-
riçf Privacii quondam, tanâ mente, licei tim
corpore debilis, actendens diet Domini fore l>
et quoi mil tti morte certius, et volens obideo
igilur testamentum, et voluntatem}
et dispositinnem,/; quitur.
In crimis facto per me Signa sancte crucis -\-
(il MARCUERILE CHALJ-,
dicendo : « In nomine Patris, etc., » animant meam
et corpus meum reddo altissimo Creatori.
Deinde, dum dicta anima mea fuerit separata a
dicto meo corpore, eidem corpori meo cepulturam
heligo in symenterio Beati Thome Privacii in
tumulo in quo mater mea et Jacobus La Balma
maritus meus pre... quondam, et liberi sui et
mei sunt sepulti, et volo, dicta die qud dictum
corpus meum tradetur sépulture, convocari in
dicta ecclesiâ Privacii triginta presbiteri, qui
missas, etc., quibus et eorum cuilibet offerri volo
quindecim denarios Turonenses, semel tantùm, et
clericis quod est moris.
Item, volo quod, per novem dies sequentes post
mortem seu sepulturam, convocentur omnes pres-
biteri Privacii super mea sepulturd, cum eorum
supelliciis induti, et ibidem facere unum cantare
mortuorum; quibus et eorum cuilibet, videlicet
illis qui intererunt, cum dictis eorum supelliciis,
offerri volo, quâlibet die dictarum novem dierum,
sex denarios Turonenses, semel tantum, et clericis
quod est moris.
Item, volo quod, die mei triscesimi, convocentur
in dicta ecclesid alios triginta presbiteros qui
missas... etc., quibus provideri volo in prandio ho-
norificè, et, sumpto prandio, eis et eorum cuilibet
offerri volo alios quindecim denarios Turonenses,
semel tantùm, et clericis quod est moris.
Item, volo dari xxi pauperibus, in pane cocto,
MARGUERITE CHAHS. 6]
decem sestaria bladi seliginis, semel tantum, et
decem cartas salis, semel tantum.
Item, volo quoi oblatio mea panis, vint et lu-
minis fiât in dicta ecclesid Privacii per unum
annum et unam diem immédiate sequentes post
mortem meam, videlicet, quâlibet die, duos dena-
rios Turonenses in pane, unam pintam vini puri,
et unum lumen cere, semel tantum.
Item, lego domino curato Privacii, qui nunc
est, vel qui fuerit, duos solidos cum dimidio Turo-
nenses, semel tantum.
Item, ejus vicario, duos solidos cum dimidio,
semel tantum.
Item, lego luminaribus Béate Marie Privacii
unum potum olei, semel tantum.
Item, legù hospitali Recluse et malapden'e Pri-
vacii, eorum cuilibet, sex denarios Juron
semel tantum.
Item, le. ls animarum Turgatorii, operis
beati Thome pauperum inducendorum, et relicte
ceree firie, ac cereij Pascalis que Jiunt in
dicto loco Privacii, eorum cuilibc! larios
Turonenses, semel tantum.
Item, lego confraterie dominorum presbiterorian
Privacii ultra meam ; : pitalphos
stagni quos pencs me habeo, semel tantum.
Item, lego conventui fratrum minorum
nacii, pro ducentis i convenlu
celct' r i salutc, etc., videlicet v titra
6+ MARGUERITE CH AL 1 8.
ronenscs, semel tantùm, monde currentis, solven-
das infra duos annos post mortem mcam.
Item, pari modo, conventui fratrum Prœdicato-
rum dicti loci, pro aliis ducentis missis modo
predicto celebrandis, alias v libras Turonenses,
semel tantum solvendas ut suprà.
Item, lego conventui Fratrum Augustinorum
Beati Michaelis de Voutà, pro aliis ducentis mis-
sis modo predicto celebrandis, alias v libras Turo-
nenses, semel tantum, solvendas ut suprà.
Item, lego dominis presbiteris habitantibus dic-
tum locum Privacii pro centum missis celebrandis
in dicta ecclesiâ Privacii pro salute, etc., videlicet
duas libras Turonenses, semel tantum, solvendas
infrà unum annum post mortem meam.
Item, lego malapderie Privacii, ultra per me
legata, videlicet unam meam culcitram meliorem,
unum pulvinar, unum linthcarium, duos bodices.
Item, lego noncupato Beylle, de prato Malhesin,
aliam meam culcitram modici valoris, duos bodi-
ces et duo linthearia, semel tantum.
Item, lego Poncio La Balma, filio Poneti quon-
dam, quamdam vineam scitam in monte Romano,
confrontatam cum itinere quo itur de Privacio ad
Sanctum Projectum, et cum vinea Mondoni Gi-
raudi, fabri, et cum suis aliis confrontibus, unà
cum suis ingressibus.
Item, lego Caterine, uxori Stephani de Solerio,
consanguinee mee germane xv solidos Turonenses,
MARGUERITE CHALI5. 6$
semel tantum, sibi solvendos infra nnum annum
post mortem meam.
Item lego Johanni Pascalis, aliàs de Albenacio,
mercatori, pro serviciis per ipsam ejus uxorem mi-
chi Jadis, et pro his in quibus sibi teneri posscm,
viielicet vineam meam scitam « a la Colieyra, »
confrontatam a peie cum orto dicti Johannis, et
cum terra magistri Johannis Falconis, et terra
Gullielmi Ginetti , et cum vineâ Johannis de
Ponte... et cum orto nobilis Helidis, relicte Pétri
Fabri, et cum orto meo et cum suis aliis con-
frontibus, una cum suis ingressibus.
Item, plus, lego eidem Johanni fructus pendan-
tes de presenti in vineis meis, semel tantum: volo
tamen quod dictus Johannes nequesui, nihil pctcrc
possit a dicta hère de med inj 'raser ip ta, nec ipsa
hères mca à dicto Johanne neque suis de his, in
quibus ego dicto Johanni teneri posscm, seu ipse
Johannes mihi teneri posset, qualitercumque, usque
in diem presen:
Et quia heredii institut io caput est et fonda-
mentum totius testamenti ultimi..., igitur, in lotis
aliis bonis meis, mobilibus, juribus, rebut, presen-
et futur ist heredem michi institua uni
t nominando,
lilectam et carissimam Margaritam,filiam
dominé Pétri Ckalissi, in legibus licenciât^ quon-
dam fratrit mei, neptem meam et suos, per quam
toM volo le gâta mca. et débita.
66 MARGUERITE CHALIS.
Exequtores hujus mei ultimi testamenti facio
dominum curatum Privacii, qui nunc est, et domi-
num Johannem de Coluncio, aliàs Ardonis, pres-
biterum, et Beati Thome, quibus do potestatem.
Hoc est testamentum meum ultimum, et volun-
tas mea ultima, dispositio..., quod et quam valere
volo..., jure testamenti, jure codicillorum..., jure
donationum causa mortis, et omni eo meliori
modo. Et, si repperiretur me unquam fecisse
aliud seu alia testamenta, codicillum, àonationem,
causa mortis, et precedenter me fecisse, revoco et
hoc meo ultimo testamento in suo robore perman-
suro, et rogo vos, testes, et te, notarium.
Actum Privacii, in hospitio dicte Margarite, in
quddam caméra, in qud egrotabat, testibus pre-
sentibus...
Domino Egidio Charrerie, curato dicti loci ;
GUILLELMO DE MORERIO J
JOHANNE DE MORERIO ;
JOHANNE DE CORBERIIS ;
Guillelmo Charrerie, aliàs Vasulet ;
Petro Alberti, aliàs Sardi ;
Goneto Lamberti, et
Anthonio Traversa.
MARGUERITE CHALI3. C>7
N° 2.
PRO JOANNE PASCALIS, ALIAS DE ALBENASSIO,
LEGATI EXPEDITIO.
Anno Domini mccccxxvii et die xn mensis ?io-
vembris , cum dudùm honesta mulier Florent ia
Chalisse, relicta Poncii de Morerio quondam Pri-
vacii, suum ultimum condiderit testamcntum cum
instrumente» per me subscriptum notarium in no-
tam recepto, sub anno quo suprà et die undeeimd
mensis septembris, in quoquidem testamento inter
cetera continetur ipsam Florentiam dondsse et
levasse provido viro Johanni Pascalis, aliàs de
Albenassio, mercatori dicti loci Privacii, quamdam
suam ipsius Florentin vineam scitam juxta muros
dicti loci Privacii, loco dicto En la Colicwû, con-
frontatam a pede cum orto dicti Johannis Pasca-
lis, et cum terra ma^istri Johannis Faleonis, et
cum terra Guillelmi (]incli, aliàs Viicbo, et cum
vined nobilis Johannis de Ponte , et, ab oriente, cum
orto ipsius Florentin Chalisse, et cum suis aliis
confrontibus ; ultimamque heredem universalem in
m testamento instituissex honestam mulierem
i. Ici se trouvait le mot nnb (nonilcm), commencé et
68 MARGUERITE CHAHS.
Margaritam Chalisse, ejus neptem, relictam nobilis
Raymundi de Bosco quondam Barresii, etc., etc.
N»
MATRIMONIUM NOBILIS BeRENGERII DE SUPERVILLA
Nemausensis diocesis ex unâ, et honeste mulieris Mar-
garite, filie venerabilis viri domini Pétri Chalissi
quondam Privacii, partibus ex altéra.
In nomine Domini. Amen.
Anno Domini millesimo qnadringentesimo vice-
simo septimo et die quartâ mensis jannarii, etc.
Cum ad Dei laudem, tractaretur de matrimonio,
per verba de futuro, inter nobilem Berengerium
de Supervilld, Nemausensis diocesis, et quosdam
ejus parentes, présentes nomine dicti nobilis ex und,
et honestam mulierem Margaritam, filiam venera-
bilis viri domini Pétri Chalissi quondam licenciati
in le gibus, Privacii, partibus ex altéra.
Tandem ver o jurato futuro matrimonio predicto
inier partes,... quia dotis...
Igitur personaliter constituta in presentia nos-
trûm Ludovici Rijardi et Anthonii de Brione no-
tariorum, dicta Margarita, sponsa futura, non
errans, sed sponte, cum volunlate et consensu
dictorum suorum amicorum se constitua in dotem,
unà cum dicto ejus sponso futuro, videlicet ;
Omnia et singula bona sua, mobilia, immobilia,
jura, res, actiones et quas habet et possidet de
MARGUERITE CHALIS. ÔÇ
presenti duntaxat, ubicumque sint, exceptis ta-
men his que ipsa habet in lotis de Ruppemaurd et
de Seutro, seu eorum territorio, unà cum eorum
iuribus et pertinentiis, de quibus ipsa sponsa pos-
sit facere ad suas voluntates, faciens et con-
stituens dicta sponsa futur a dictum ejus vint*
futurum in dote sua predictd verum dominum et
procuratorem, ità quod, copulato dicto futuro ma-
trimonio, in anthea agere possit, et deinde totum
facere.
Et fuit actum, inter partes, retenlumquc per
dictant sponsam futuram, quod dictus nobilis,
sponsus futurus, incontinenti copulato dicto fu-
tur , matrimonio y veniat super bonis et hereditate
dicte sponse et ibidem, cum ipsd sponsa fu-
turd et ejus familidy videlicet in presenti loco Pri-
vatii, vel Vessaucii domicilium personale continue
facere debeat et larem fovere, bona et heredi-
tatem dicte sponse regere, gubernarc, cultivarc,
benc probe, teneatur et non deteriorare , r.
que bona et hereditatem r : heat cum in-
>ii confections, et cas in casu restitutionis
■-, restitu
Item plus fuit actum, quod, si continr
quMidocumque alterum ex ipsit futur Uconjugibus,
mon ine liberis legitimis ex presenti
futuro matrimonio pfocreatis, uno vel pluribus,
im habeai et lucretur,
bonis premoriCHtis, mo I tot videlicet cen-
70 MARGUERITE CHALI S.
tum scuta auri boni et fini, boneque legis et
cugni domini nostri Francie régis ; quequidem
centum scuta dictus premoriens modo pretacto
gratis et sponte dicto superviventi eorumdem, in
casu predicto adveniente, presenti matrimonio de-
dit sive donavit donatione purd, que fit inter vivos
et propter nupcias.
Et specialiter dicta sponsa hoc pactum fccit
asserens majorent viginti annis et minorent viginti
quinque, renunciando per expressum super hoc
minoris etatis beneficio.
Et que centum scuta solvi debeant per heredes
et successores dicti sic premorientis dicto supervi-
venti vel suis in pace, per solutiones annuales
decem scutorum auri, unà cum dampnis.
Item plus fuit actum, retentumque per dictum
sponsum futurum, quod dicta sponsa futura re-
cognoscere teneatur dicto nobili Berengiero omnia
ea que ipse de suo proprio implicabit in bonis et
hereditate dicte sponse future, videlicet pro evi-
denti commodo et utilitate ipsorum bonorum et
hereditatis, et non aliter, et ea restituere in casu
restitutionis adveniente.
Item plus fuit actum, quod dictus nobilis
Berengierus emere debeat dicte sponse jocalia
usque ad valorem vigenti quinque mutonum auri,
de quibus jocalibus ipsa Margarita, sponsa futura ,
facere possit ad suas omnimodas voluntates, tam
in vitd quant in morte.
MARGUERITE CHALIS. 7 1
Item fuit actum, quod dictus sponsus futurus
etiam emere debeat dicte ejus sponse future vestes
nuptiales bonas et compétentes juxtà coniitionem
personarum ipsorum futurorum conjugum.
Pretereà, personaliter constitutus, in presentid
nostrûm notariorum, nobilis et religiosus vir
dominus Anthonius Joriani, prior Vessaucii,
avunculusque dicti sponsi, affectans ut presens ma-
trimonium suum deducat ejfectum, igitur, non
errans, sed sponte, favore et contemplatione
hujus futuri matrimonii, dédit donatione purd,
que fit inter vivos et propter nupcias, dicto no-
bili Berengiero presenti, videlicet centum muto-
nes auri boni et fini, cugni domini nostri Francie
régis ; quos centum mutoncs auri dictus dominus
prior dicto nobili Berengiero, ejus nepoti presenti,
solvere promisit sub juramcnto, obligatione et
renunciatione infrà scriptis. in pace, ad ejusdem
nobilis Iicrengerii vcl suorum primant rcquisitio-
nem, unà cum dampnis.
Et ità predicta f \ promi tentes, inde ipse
partes contrahentes, bond Jide sud et sub obli-
gatinne et vppothecâ omnium bonnrum suorum ipsa
omnia tenere, et nunquam contra faccre, et
quoi non fecerunt, et juraverunt, prO quitus acteti-
, dicte partes contrahente mm qucli-
'bligavcrunt, se et bon
i et Valentina illo Prmi-
u et totius altcn itatûs Valentinensiî
72 MARGUERITE CHAHS,
et Diensis citrà Rodanum et ultra, et sigillo do-
mini Vivariensis episcopi et ipsorum cujuslibet
renunciantes
De quibus quelibet pars dictorum futurorum
conjugum peciit , videlicet dictas sponsus fu-
turus per me, Ludovicum Riffardi, et dicta sponsa
per me, Anthonium de Brione, notarios publicos,
instrumentum, quando possit jieri, ad consilium
cujuslibet sapientis.
Actum Privacii in hospicio dicte Margarite,
testibus presentibus :
Nobili et venerabile viro domino Guillelmo
de RoculiSj in utroque jure bacallario ;
Nobilibus :
Guillelmo Floccart,
Guillelmo de Montegrosso, aliàs de Gradu,
Raymondo Veteris,
Ebrardo de Cheylario,
Petro de Benefficio;
Religiosis viris et dominis :
Imberto Mote? priore de Upiano,
Égidio Charrerie, curato Privacii,
Guillelmo d"e Morerio,
Goncto Alardi,
Anthonio Vallati? et pluribus aliis et me Ludo-
vi co Riffardi, notario, qui in premissis inter-
fui cum te magistro Anthonio.
Riffardi.
MARGUERITE CHAHS,
73
TRADUCTION
TESTAMENT DE FLORENCE CHAHS
Veuve de Pons de Mourier, à Privas,
Au nom du Seigneur, amen.
L'an de l'Incarnation de Notrc-Seigneur 1427, le
11 du mois de septembre,
Je, Florence Chalis, veuve de Pons de Mourier,
de Privas, jouissant de mes facultés, bien que faible
de corps, sachant que les jours du Seigneur seront
courts et qu'il n'y a rien de plus certain que la
mort, et, par suite, ne voulant pas mourir sans tes-
tament,— fais en conséquence ce testament et acte
de dernières volontés et dispositions comme suit :
Et d'abord ayant fait le signe de la croix -\- di-
sant : Au nom du Père, etc. Je rends mon âme et
mon corps au très-haut Créateur.
. îite, lorsque mon âme aura été séparée de
mon corps, je choisis pour sépulture de ce même
corps, dans le cimetière de Saint-Thomas *, de Pri-
vas, le tombeau dans lequel ma mère et feu Jacques
1.1 ■ t toujours IOM le vocable Je
Thomas.
1
MARGUERITE CHALIi.
la Balme, mon premier mari, ainsi que ses enfants
et les miens ont été inhumés, et je veux, au jour où
mondit corps sera livré à la sépulture, que l'on con-
voque dans ladite église de Privas trente prêtres qui
diront des messes, auxquels prêtres et à chacun
desquels je veux qu'il soit offert quinze deniers
tournois une fois pour toutes, et aux clercs ce qui
est d'usage.
Item, je veux que, pendant les neuf jours qui
suivront ma mort ou mon inhumation, on convoque
tous les prêtres de Privas sur ma sépulture, pour là
célébrer, revêtus de leurs surplis, une absoute;
auxquels prêtres, à tous et à chacun d'eux, c'est-à-
dire à ceux qui auront été présents, revêtus de leurs
surplis, je veux qu'il soit offert, chacun desdits neuf
jours, six deniers tournois une fois pour toutes, et
aux clercs ce qui est d'usage.
Item , je veux que, le trentième jour, on con-
voque dans ladite église trente autres prêtres qui
diront des messes, auxquels je veux qu;il soit offert
un repas convenable, et, après le repas, à chacun
d'eux quinze deniers tournois une fois pour toutes,
et aux clercs ce qui est d'usage.
Item, je veux qu'il soit donné à vingt et un
pauvres en pain cuit dix setiers de seigle, une fois
pour toutes, et dix quartauts de sel, une fois pour
toutes.
Item, je veux que mon offrande de pain, de vin
et de luminaire soit faite dans ladite église de Pri-
MARGUERITE CHALIS. 7 $
vas pendant un an et un jour depuis mon décès, de
la manière suivante, savoir : chaque jour, deux
deniers tournois de pain, une pinte de vin pur et
un cierge, une fois pour toutes.
Item, je lègue au curé actuel de Privas ou à son
successeur deux sols et demi tournois une fois pour
toutes.
Item, à son vicaire, deux sols et demi, une fois
pour toutes.
Item, je lègue aux luminaires de la bienheureuse
Marie de Privas un pot d'huile, une fois pour
toutes.
Item, je lègue à l'hôpital de la Recluse et à la
maladrerie de Privas *, six deniers tournois chacun,
une fois pour toutes.
Item, je lègue aux quêtes du Purgatoire, à l'œuvre
de Saint-Thomas pour habiller les pauvres, au cierge
de la Sainte-Vierge et au cierge pascal, qui existent
1. Il est à présumer que le premier de ces établissements, •
situé au quartier de la Recluse, était l'hôpital proprement
dit et que la maladrerie était exclusivement réservée aux
lépreux. 11 ne reste plus trace de ces établissements détruits,
avec le reste de la ville, en 1629. I de Privas,
situé dans un quartier différent, ne remonte qu'à
IV créent alors un hôpital des
1 sont ino biens
.nus des maladreries de Privas et de Tournon prés
. en suite de l'arrêt du conseil privé du 17 février ;
Il existe une copie de chacun de ces actes aux archives de
tal.
jC MARGUERITE CHAHS.
audit lieu de Privas, à chacune de ces œuvres pies,
six deniers tournois, une fois pour toutes.
Item, je lègue à la confrérie des prêtres de Pri-
vas, outre ma redevance, deux bichets * d'étain que
j'ai chez moi, une fois pour toutes.
Item, je lègue au couvent des frères mineurs
d'Aubenas, pour deux cents messes à célébrer dans
le même couvent, pour le salut de mon âme, cinq
livres tournois, une fois pour toutes, en monnaie
courante, à payer dans le délai de deux ans après
ma mort.
Item, pareillement, au couvent des frères prê-
cheurs du même endroit, pour deux cents autres
messes à célébrer de la manière susdite, cinq autres
livres tournois, une fois pour toutes, à payer comme
ci-dessus.
Item, je lègue au couvent des frères augustins de
Saint-Michel de la Voulte, pour deux cents autres
messes à célébrer de la manière susdite, cinq autres
livres tournois une fois pour toutes, à payer comme
ci-dessus 2.
i. Pitalphus, botta, vasum ad vinum continendum. Du-
cange. Le mot bouto est encore employé dans l'Ardèche
pour désigner des vases en bois contenant du vin. Comme
il s'agit d'un vase d'étain, nous avons cru devoir traduire
par bichet.
2. Les couvents des frères mineurs et des frères prêcheurs
d'Aubenas et celui des frères augustins de Lavoulte n'ont
cessé d'exister qu'à la fin du siècle dernier, lors de la sup-
MARGUERITE CHALIS. JJ
Item, je lègue aux prêtres habitant ledit lieu de
Privas, pour cent messes à célébrer dans ladite
église de Privas pour le salut de mon âme, deux
livres tournois une fois pour toutes, à payer dans le
délai d'un an après ma mort.
Item, je lègue à la maladrerie de Privas, outre
mes autres legs, mon meilleur matelas, un oreiller,
un drap de lit, deux paillasses.
Item, je lègue au nommé Beylle du pré du Mail *
mon autre matelas de moindre valeur, deux pail-
lasses et deux draps de lit.
Item, je lègue à Pons la Balme, fils de feu
Pons, une vigne située sur le mont Romain 2, limi-
trophe à la route qui va de Privas à Saint-Priest, à
la vigne de Mondon Giraud, forgeron, et à d'autres
voisins, le tout avec les droits de passage.
pression générale des établissements religieux. Il y a au\
archives départementales à Privas un certain nombre de
documents provenant de ces couvents, notamment des
copies de cartula
de M. Mamarot, archiviste du département
de l'Ardéche.)
i. On ap: / l'empUcCIBCnl
cupé actuellement par le Champ de Mars en face fU
sernes. C'était là que commençait le chemin du Jeu du Mail
: aujourd'hui le
cimet.
%, Le MênttRoMâm et le quartier ou
du mont Toulon, entre la route nationale Ml nor .1 I
•
j\\ MARGUERITE CHALIS.
Item, je lègue à Catherine, femme d'Etienne de
Soler, ma cousine germaine, quinze sous tournois,
une fois pour toutes, à payer dans le délai d'un an
après ma mort.
Item, je lègue à Jean Pascal, ou d'Aubenas, mar-
chand, pour les services que m'a rendus sa femme,
et pour les choses dont je pourrais lui être rede-
vable, ma vigne située à la Colieyre 1, contigué par
le bas au jardin dudit Jean, et à la terre de maître
Jean Falcon, à la terre de Guillaume Ginet, à la
vigne de Jean Dupont... au jardin de noble Hélide,
veuve de Pierre Fabre, à mon jardin et à d'autres
voisins, le tout avec les droits de passage.
Item, de plus, je lègue au même Jean les fruits
actuellement pendants dans mes vignes, une fois
pour toutes. Je veux cependant que ni ledit Jean ni les
siens ne puissent rien demander de mon héritière
ci-après, et que ladite héritière ne puisse non plus
redemander audit Jean ni aux siens rien de ce que
je puis devoir audit Jean, ou dont ledit Jean peut
m'être redevable de quelque manière que ce soit,
jusqu'au jour d'aujourd'hui.
Et comme l'institution d'un héritier est le but et
la raison de tout testament suprême, en conséquence,
pour tous mes autres biens, meubles, droits et actions,
i. C'est la partie du terrain en pente qui se trouve vis-
à-vis la prison, entre le collège et l'abattoir, et qui descend
jusqu'au ruisseau de Charalon.
MARGUERITE CHALIS. 79
présents et futurs, j'institue pour ma légataire uni-
verselle, l'indiquant et la nommant de ma propre
bouche, ma bien-aimée et très-chère Marguerite,
fille de feu mon frère messire Pierre Chalis, licencia
en droit, ma nièce et les siens, par laquelle je veux
que mes legs et dettes soient acquittés et payés. '
J'institue pour mes exécuteurs testamentaires le
curé actuel de Privas et messire Jean de Colunce ou
Ardone, prêtre de Saint-Thomas, auxquels je donne
pouvoir, etc.
Ceci est mon testament et acte de dernières vo-
lontés et dispositions, lequel j'entends être valable,
comme testament, codicille et donation après décès,
et cela en la meilleure forme de droit.
Et s'il est établi que j'aie jamais fait précédem-
ment un autre ou d'autres testaments, codicilles ou
donations en vue de décès, je les révoque, voulant
que ce présent testament demeure en pleine force et
ir, vous requérant témoins et notaire d'en
ire acte.
Fait à Privas, au domicile de laditj Marguerite,
dans la chambre où elle était malade, en présence
des témoins ci-apr.
\kkii' m, c iré d idit lieu,
GuiLLAUM! DE MOttl :
J 1 1 ,vh 1 i.k , J 1 an di Coi ni 1 1 .
Gi m 1 1 1 .
Pu I
I'k.v. Bat.
HO MARGUERITE C H ALI S.
EXPEDITION DE LEGS POUR JEAN PASCAL
OU d'aubenas.
L'an du Seigneur 1427, le 12 du mois de no-
vembre,
Honorable dame Florence Chalis ayant fait son
dernier testament dans un acte reçu en note par moi
notaire soussigné, dans l'année que dessus, et le
1 1 septembre, dans lequel testament il est dit entre
autres choses :
Que ladite Florence Chalis donne et lègue à Jean
Pascal ou d'Aubenas, marchand audit lieu de Pri-
vas, une sienne vigne située près des murs dudit
lieu de Privas, au lieu dit en la Colieyra, confron-
tant par le bas avec le jardin dudit Jean Pascal,
avec la terre de maître Jean Falcon, avec la terre de
Guillaume Ginet ou Videbo, et avec la vigne de
noble Jean de Pont; et, au levant, avec le jardin
d'elle-même Florence Chalis et avec ses autres voi-
sins;
Et qu'elle a institué, dans ce testament, pour sa
dernière légataire universel1 ■•" honorable dame Mar-
guerite Chalis, sa nièce, veuve de noble Raymond
du Bois de Barrés, etc.
MARGUERITE CHALIS,
MARIAGE
DE NOBLE BERENGER DE SURVILLE
du diocèse de Nîmes, d'une part,
ET D'HONORABLE DAME MARGUERITE *
fille du vénérable feu messire Pierre Chalis2, d'autre part.
Au nom du Seigneur, amen.
L'an du Seigneur 1+27, le * janvier 3.
Des négociations verbales en vue d'un mariage
ayant eu lieu — pour la plus grande gloire de Dieu
— entre noble Bérenger de Surville, du diocèse de
Nîmes, et plusieurs de ses parents présents au nom
1. Le mot mulier s'entendait généralement en latin, mais
plus spécialement au moyen âge, de la femme mari.
opposition a la jeune fille ou f-uella. Souvent aussi il voulait
comme puer était pris pour fis, ainsi qu'on le
voit dans l'inscription 2664 du Recueil Orclli ; mais il est
certain aussi que dins le droit romain le mot millier
pliquait à toutes les femn ou non. On I
iins Ulpit- I I Itères otnnes J;
quœcunque sexûs femitiini surit.
2. Il est as-.cz difficile de
( ilitii ou Chalini. \) A lit lu Chalini.
Nous avons préfér (
ttc date correspond au 4 janvier 1428. L'année com-
mençait alors à Pâques, qui, en 1427, M trouvait être le
'. â]ucs de l'année
1 1
M 2 MARCUERITE C H A L I s .
dudit noble, d'une part, — et honorable dame Mar-
guerite, fille du vénérable feu messire Pierre Chalis,
d'autre part,
Ledit futur mariage ayant, d'ailleurs, été convenu
par serment entre les parties,
Pour la dot à fixer,
A personnellement comparu devant nous, Louis
Riffard et Antoine de Brion, notaires, ladite Margue-
rite, future épouse, dans la plénitude de sa con-
science, et de son plein gré, avec la volonté et le
consentement de ses amis, laquelle s'est constitué en
dot, son futur époux acceptant, savoir * :
Tous et chacun de ses meubles et immeubles,
droits et actions, qu'elle a et possède actuellement,
où qu'ils soient, excepté cependant ceux qu'elle a
suivante, donner à ses actes la date de 1427, bien qu'à par-
tir du Ier janvier il fût en 1428 (nouveau style). En
France, le commencement de l'année a souvent varié. Sous
les rois de la première race, c'était le Ier mai, jour où on
passait les troupes en revue. Sous la deuxième race, ce fut
le jour de Noël ou solstice d'hiver. Sous la troisième, le
jour de Pâques. Un édit de Charles IX de 1564 fixa la
date du Ter janvier.
1. Le régime dotal était presque uniquement en usage
dans le midi de la France; c'est pour cela que le Midi est
de beaucoup resté en arrière du Nord pour le développe-
ment des affaires, car presque tous les immeubles, étant
grevés de l'hypothèque dotale, étaient sans valeur commer-
ciale, ce qui immobilisait la plus grande partie du capital
du pays.
MARGUERITE CHALIS. 83
aux lieux de Rochemaure et de Sceautres, ou sur le
territoire de ces deux localités, avec leurs droits et
appartenances , desquels biens l'épouse veut pouvoir
disposera sa volonté; ladite future épouse faisant et
constituant sondit futur époux vrai maître et adminis-
trateur de sa dot, en sorte que, ledit mariage étant
conclu, il puisse prévoir ce qu'il y a à faire et ensuite
agir en conséquence.
Et il a été stipulé et convenu entre les parties :
Pour la future épouse : que ledit noble futur
époux, aussitôt le mariage accompli, viendrait dans
les biens et le patrimoine de ladite épouse, et là,
avec sa future épouse et sa famille, c'est-à-dire au
présent lieu de Privas ou à Vessaux, devrait prendre
son domicile personnel et y établir ses pénates, et
qu'il sera tenu de régir, gouverner, cultiver bien et
honnêtement les biens et le patrimoine de ladite
épou.s >rer, et qu'il devra
recevoir ces biens et ce patrimoine après inventaire,
et si le cas de restitution survenait, les restiti.
Item, il a été encore stipulé que, s'il arrivait,
n'importe quand, qu'un des futurs époux vînt à
mourir ou décéder sans enfants légitimes issus du
.ut mariage, un ou plusieurs, le survivant
aurait et profiterait, sir les bien-; Ji défunt, de la
manière suivante, savoir : cent écus d'or bon et fin,
mon: le notre sire le roi de
nt écus ledit futur défunt d
de la manière dite, gratis el gré, au survi-
MARGUERITE CHALIS.
vant, dans le cas indiqué, à titre de donation pure
et comme faite entre-vifs en vue du mariage.
Et spécialement ladite épouse a fait ce pacte, affir-
mant qu'elle a plus de vingt ans et moins de vingt-
cinq, renonçant expressément à ce bénéfice de mi-
norité1.
Et les cent écus devront être payés par les héri-
tiers ou successeurs du défunt, au survivant ou aux
siens, sans difficulté, par versements annuels de dix
écus d'or avec les intérêts.
Item, il a été stipulé et convenu :
Pour ledit futur époux : que ladite future épouse
sera tenue de reconnaître audit noble Bérenger tout
ce que lui-même aura apporté de son propre avoir,
dans les biens et le patrimoine de ladite future
épouse, pour le profit évident et l'intérêt de ces
biens, et non autrement, et qu'elle sera tenue de les
restituer au cas où il y aurait lieu à retour.
Item, il a été stipulé que ledit noble Bérenger
devra acheter pour ladite épouse des bijoux pour
une valeur de vingt-cinq moutons d'or2, desquels
i, La loi romaine, suivie dans les pays de droit écrit,
distinguait deux majorités : l'une imparfaite, fixée d'abord
à l'âge de puberté, puis à vingt ans ; l'autre parfaite, fixée
à l'âge de vingt-cinq ans. Les contractants étaient admis
à revenir sur les conventions préjudiciables qu'ils avaient
faites avant ce dernier âge; voilà pourquoi Marguerite décla-
rait renoncer à ce bénéfice de minorité, renonciation sans
valeur légale.
2. Le mouton d'or était une monnaie de France qui por-
MARGUERITE CHAHS. 8$
bijoux ladite Marguerite, l'épouse future, pourra
disposer absolument à sa guise, aussi bien pendant
sa vie que pour après sa mort.
Item, il a été stipulé que ledit futur époux devra
également acheter à ladite future épouse des vête-
ments de noces bons et en rapport avec la condi-
tion personnelle des futurs époux.
En outre, devant nous notaires a personnellement
comparu noble et vénérable Antoine Jourdan, prieur
de Vessaux, oncle dudit époux, lequel, à l'effet de
faciliter le mariage, sciemment et spontanément, en
tait, d'un côté, l'image de saint Jean-Baptiste et, de l'autre,
celle d'un agneau, avec ces mots pour légende : Ecee
agnus Dei. Dans le courant du xve siècle, par conséquent à
l'époque du contrat, la pièce en question valait 7 fr. 95.
Cette valeur néanmoins n'est que celle du poids ; quant a
la valeur relative, elle est incalculable. Du ve au xvie siècle
en effet, l'or conserve une valeur spécifique excessivement
élevée par suite de l'abandon presque général de l'exploi-
tation, et ce ne fut qu'au xvie siècle, après la découverte
de l'Amérique et quand les métaux précieux affluèrent en
Europe, que cette valeur diminua. Au xvie siècle, cette
dépréciation était déjà de plus du tiers, presque de la moi-
tre cette dépréciation progressive de la valeur spé-
cifique de l'or, il y aurait encore a tenir compte de la
dépréciation survenue suite
de l'accroissement de la richesse publique, pour pouvoir
faire une estimât des joyaux de Marguerite. I
tous les cas, on peut dire qu'ils ne le cédaient point, pour
la valeur, aux plus rie: dei noble-
l'aujourd'l,
8 6 MARGUERITE (HALIS.
faveur et en vue de ce futur mariage, a donné, par
donation pure et simple entre-vifs, audit noble
Bérenger présent, à savoir, cent moutons d'or bon
et fin, au coin de notre sire le roi de France, les-
quels cent moutons d'or ledit prieur a promis de
payer exactement audit noble Bérenger, son neveu,
ici présent, en s'y engageant sous serment et en re-
nonçant à toute reprise, à la première requête dudit
noble Bérenger ou de ses ayants droit, le tout avec
intérêt.
Promettant lesdites parties contractantes d'exécu-
ter fidèlement tout ce que dessus, à l'effet de quoi
ces mêmes parties contractantes, de bonne foi, y
engagent tous leurs biens par hypothèque et
s'obligent à tout observer, sans jamais rien faire
contre ce qu'elles ont juré ; et pour tout ce que
lesdites parties contractantes ne feront pas, l'ayant
juré, elles obligent, toutes et chacune d'elles, elles
et leurs biens, sous le sceau royal du Vivarais et du
Valentinois comme aussi sous le sceau de Privas et
de toute l'autre partie du territoire du comté de
Valentinois et de Die en deçà et au delà du Rhône,
le sceau de monseigneur l'évêque de Viviers, et celui
de chacune d'elles, avec renonciation.
De tout ce que dessus, chacun desdits futurs
époux a demandé qu'il fût pris acte, quand il se
pourra, et à la discrétion de chacun des notaires, à
savoir, ledit futur époux par moi, Louis Riffard, et
MARGUERITE CHALIS. 87
ladite future épouse par moi, Antoine de Brion,
notaires publics.
Fait à Privas, au domicile de ladite Marguerite,
en présence des témoins ci-apres :
Noble et vénérable messire Guillaume de
Rocles, bachelier dans l'un et- l'autre droit;
Nobles :
Guillaume Floccart (châtelain de Privas),
Guillaume de Montgros, ou de Gras,
Raymond Vieux,
Hébrard du Cheylard.
Pierre de Bénéfice;
Révérends et messires :
Imkert de la Mothe, prieur d'Upie (Drôme),
Eloi Charrière, curé de Privas,
Guillaume de Mourier,
m-Allard,
imi \'allat,
Et de plusieurs autres encore, ainsi que de moi
Louis Riflard, notaire, qui suis intervenu eu l'acte
ci-dessus avec maître Antoine.
KlIlAKD,
NH MARCUKRI I B CHALI5,
EXTRAIT
Mon cher compatriote,
Je vous renvoie ci-joints les extraits du Manuale
notarum...
Ces documents, dont l'authenticité est indéniable,
sont de nature à hâter la fin du procès littéraire
soulevé, au commencement de ce siècle, par la pu-
blication des poésies de Clotilde. Dès leur apparition,
vous le savez, les princes de la critique ne virent en
elles qu'un pastiche; ils déclarèrent qu'elles étaient
l'œuvre d'un faussaire, et la cause sembla jugée
sans appel.
Il en a été autrement : la question, de nouveau
soulevée en ces derniers temps, est aujourd'hui, plus
que jamais, agitée dans notre Ardèche. Elle se pré-
sente sous deux aspects, entre lesquels il existe une
grande connexité, et qu'il est difficile de considérer
séparément : c'est, d'une part, la personnalité poé-
tique; de l'autre, la personnalité civile et familiale
de Clotilde.
Ne croyez pas, mon cher compatriote, que je
veuille intervenir dans le débat. J'ai publié, en 1859,
un roman sur Clotilde de Surville, et j'ai perdu le
MARGUERITE CHALIS. 89
droit de faire de la critique historique à son sujet ;
on pourrait me dire avec raison : « Vous avez
montré une Clotilde de fantaisie ; gardez votre fic-
tion, elle n'a rien à voir dans ce procès d'his-
toire. » Je veux seulement constater l'état de la ques-
tion? avant de vous faire connaître mon opinion
sur la portée des énonciations contenues dans le
Manuale notarum de mon vénérable confrère du
xve siècle.
En 1863, M. le comte de Watré, représentant,
par les femmes, du marquis de Surville que plu-
sieurs considèrent comme l'auteur du recueil édité
par Ch. Vanderbourg, eut occasion — à propos de
mon roman, qui l'intéressait par son titre et son
sujet — de soumettre à M. A. Macé, professeur
d'histoire à la Faculté des lettres de Grenoble, la
question des poésies publiées sous le nom de Clo-
tilde de Surville. M. Macé ne croyait point alors à
leur authenticité. Une étude sérieuse de la question
modifia son opinion : sans méconnaître les retouches
et les corrections qu'une main indiscrète avait fait
subir I . il pensa qu'elles n'étaient point
m faussaire.
M. '• r point le premier venu : on ne peut
mettre en Q talent de critique et d'écrivain,
et la position qu'il occupe à la Faculté de* lettres Je
Grenoble donne à s .-s jugements une incontestable
autorité. Un article de lui sur les poésies de Clo-
tilde parut, bientôt nu i- Journal de l'In-
ÇO MARGUERITE C H ALI S.
slruction publique, et produisit assez de sensation
parmi les lettrés pour que son auteur fût prié d'en
élargir le cadre et d'y faire entrer in extenso toute
la correspondance de Vanderbourg et de nouveaux
renseignements acquis depuis lors. M. de Watré,
obéissant à un sentiment facile à comprendre, s'as-
socia vivement à cette pensée. Il fut convenu entre
lui et M. Macé que ce travail fournirait la matière
d'un volume dont la publication ne se ferait pas
longtemps attendre. Malheureusement les occupations
graves et nombreuses du savant professeur retar-
dèrent la composition de Fouvrage. M. de Watré
m'annonçait, l'année suivante, qu'il était à peu près
terminé, mais qu'il manquait encore à M. Macé des
renseignements sur la famille de Surville, et me
demandait si je ne pourrais pas en trouver dans les
archives des notaires de Vallon. Mes recherches
furent inutiles. Je dus me borner à préciser à M. de
Watré les traditions locales se rapportant au sou-
venir de Clotilde. Je lui affirmai qu'un vieillard oc-
togénaire de Vallon, M. Peschaire-Florian, mainte-
nant décédé, m'avait dit maintes fois qu'alors qu'il
était tout enfant, une de ses tantes qui datait du
xvme siècle lui récitait des vers attribués à une châ-
telaine du nom de Clotilde de Surville. Ce témoignage
oral, que M. Macé rapporte dans son ouvrage, a été
confirmé par M. Jules Ollier de Marichard, notre fer-
vent et laborieux archéologue vallonnais, neveu dudit
M. Peschaire-Florian.
MARGUERITE CHALIS. 91
Même en tenant pour inventés à plaisir les détails
biographiques consignés dans la préface du recueil
de Vanderbourg, on doit conclure du fait précité
qu'il a existé, longtemps avant la publication de ce
recueil, une femme poëte, appelée Clotilde de Sur-
ville, dont les vers étaient connus dans le Vivarais.
L'honorable M. de Watré n'a pas eu la satisfac-
tion de voir publier le plaidoyer de M. Macé : l'ou-
vrage n'a paru qu'après sa mort. C'est de cette pu-
blication que date le bruit qui s'est fait au sujet des
s de Clotilde.
(Après avoir parlé Mes récents opuscules de
M. Villedieu et de M. Vaschalde, la lettre continue
ainsi : )
Voilà Clotilde en face de la critique. Voyons-la
maintenant par-devant notaire.
(. urne l'indique son titre, le Monnaie notarum
d'Antoine de Brioo est écrit en latin. C'était, à cette
époque, la langue des actes civils aussi bien que des
canoniques ; il avait sur l'idiome national, en
ition, l'avantage d'être une langue
• les Je Me de Brion, il est
loin de re\êtir une forme cicéronienne : ce
plus que du latin de notaire, mais un latin si com-
plaisant qu'il se plie a tra : DOOM Je per-
sonnes, même Jes noiiiK Je choses, par dei vocable*
impossibles et absolument Inédits.
1 et m'émeut dans ces protocoles,
la manifestati itiment religieux dont ils
92 MARGUERITE CHAHS.
portent l'empreinte. On n'y trouve pas un seul acte
important qui ne soit fait au nom du Seigneur et
précédé d'une invocation à la sainte Trinité. Nos
ancêtres n'avaient pas comme nous l'habitude de se
passer de Dieu; ils ne craignaient pas d'affirmer
leur foi. Or je remarque qu'à cette date les An-
glais, devenus maîtres de nos plus belles provinces,
furent chassés par une jeune fille qui disait avoir
mission de Dieu. Aujourd'hui, pareillement, l'étran-
ger détient et foule notre sol, mais je cherche en
vain Jeanne d'Arc...
Le testament de Florence Chalis nous transporte
en plein moyen âge, bien qu'à cette date le moyen
âge approchât de sa fin. Il ne contient pas moins de
seize legs pour des œuvres pies, faits au profit
d'églises, de couvents, de chapelles, de confréries,
d'hospices, de maladreries, etc., les uns en argent,
monnaie de Tours, denarii Turonenses ; les autres
en pain, vin, sel, huile, cire et en effets de literie.
Après une interminable kyrielle de legs particu-
liers, Me de Brion formule, avec une satisfaction
visible, l'institution d'héritier, faite par la testatrice
au profit de sa bien -aimée et très -chère nièce,
Marguerite, dilectam et carissimam nepotem Mar-
garitam.
Vous remarquerez que, dans la copie de ce testa-
ment, les noms des témoins sont placés par éche-
lons et par rang de prééminence. Il en est de même
dans la copie du contrat de mariage. De nos jours
MARGUERITE CHALI>. 0$
encore, bien que le niveau soit l'emblème du droit
moderne, si vous compulsez les signatures apposées
sur un acte public, vous constaterez des préséances
de plume contre lesquelles il serait parfaitement
inepte de réclamer, parce que, si l'égalité civile est
un principe, les inégalités sociales sont un fait.
Le contrat de mariage de Marguerite est la pièce
importante, décisive; elle me fait l'effet d'un obus
tombant sur la préface de Vanderbourg. Chaque
partie y a son notaire. Me Antoine de Brion tient
pour Marguerite et Ma Louis RirTard pour Bérenger.
On voit tout d'abord que, dans cette lutte à main
plate, l'avantage est du côté du notaire de la future :
il suffit pour s'en convaincre de jeter un coup d'œil
sur les conventions du contrat. Mais procédons par
ordre.
Quelleénigme pour les commentateurs qucl'emploi
du mot mulier, appliqué à la future, si le texte de
Jition de legs ne leur apprenait que Margue-
rite était veuve d'un premier mari ! Bien que l'expres-
sion mulier, considérée par opposition au mot vir,
s'applique à toute personne du sexe féminin, il est
certain qu'au : irtout on ne s'en ser-
vait que pour désigner une femme ma -euve.
On peut citer, à l'appui de cette règle, le Dfl
suivant de saint Thomas d'Aquin, tiré Je soi,
(et quatre Évangiles (M., ch. u
«< mulieres enim proprie cor untur. >» Voici
ent le traducteur de saint Thomas interprète
9+ MARGUKRI T E CHALIs.
ce passage : ((femme (millier) signifie dans son sens
propre celle qui a été... » Vous devinez le mot,
n'est-ce pas? tant mieux, cela me dispense de l'é-
crire.
C'est donc à bon escient que Me de Brion s'est
servi de l'expression honestam mulierem pour
désigner Marguerite Chalis. Il ne pouvait en dire
moins, mais il eût pu en dire davantage en mention-
nant son état de viduité et le nom de son premier
mari. Pourquoi donc ne l'a-t-il pas fait? Sans être
dans le secret des inspirations de mon confrère du
temps jadis, je le tiens pour un maître homme et
des plus avisés. Si dans cet acte, où l'individua-
lité de la future se trouve suffisamment établie
d'ailleurs, et où il eût été heureux de pouvoir quali-
fier Marguerite de virgo ou de puella, il a évité
d'écrire le nom et d'évoquer le fantôme de Raymond
du Bois de Barrés, c'est par un sentiment de déli-
catesse qui lui fait le plus grand honneur : peut-être
se rappelait-il que le philosophe Athénagore a défini
le convoi : un honnête adultère.
Disons un mot de Bérenger de Surville : nous
voyons qu'il appartenait au diocèse de Nîmes. Je
mentionne pour mémoire qu'il existe présentement,
à Nîmes, une famille de Surville, qui est une des
plus notables et des plus considérées du Gard.
Examinons maintenant les clauses du contrat. Les
futurs adoptent le régime dotai, cela va de soi. Seu-
lement la prudente Marguerite se réserve la libre
MARGUERITE C H A L I S . 95
disposition des biens qu'elle possède dans les locali-
tés de Rochemaure et de Sceautres. Il est convenu,
en outre, qu'aussitôt le mariage accompli, « copu-
lato matrimonio, » l'époux viendra dans les biens et
le patrimoine de l'épouse, soit à Privas, soit à Ves-
saux, et qu'il sera tenu d'y fixer son domicile per-
sonnel et d'y entretenir son foyer, « larem fovere » ;
quant aux biens dotaux et au patrimoine de ladite
épouse, il sera tenu de les régir, gouverner, cultiver
bien et honnêtement, « probe », et de ne pas les dé-
tériorer, etc.
Peste! quel luxe de précautions, et comme toutes
ces r sont obligeantes pour Bérenger de
Surville!
Suit la stipulation d'un gain de survie de cent
écus d'or au profit de celui des époux qui mourra
rnier, au cas où il n'existerait pas d'enfants
légitima (?) issus dudit maria:: propos de
cette donation, la future, qui, d'après la loi romaine,
n'est majeure qu'imparfaitement, attendu qu'elle
flotte entre la vingtième et la vingt-cinquième année,
déclare renoncer au bénéfice de minorité.
Ah! la bonne ga ger de Surville,
M Marguerite pou. .une lés^Je
. le contrat !
Il est convenu ensuite que la future sera tenue
lui-ci aura
appo: , propre avoir dans lus biens et patri-
ladite future \ Évident et l'uti-
ÇÔ MARGUERITE CHALIS.
lité desdits biens, et pas autrement : c'est-à-dire
que les dépenses d'agrément ne sont pas comprises
dans cette reconnaissance et dans la restitution qui
doit s'ensuivre. En outre, Bérenger s'obligea affecter
vingt-cinq moutons d'or à l'achat de bijoux pour la
future, desquels celle-ci disposera suivant son bon
plaisir, dès à présent et à jamais; il devra lui fournir
aussi des vêtements de noces bons et en rapport
avec la condition personnelle des futurs époux.
Elle n'oublie rien, la jeune veuve ! Et qu'on ne
dise pas qu'Antoine de Brion en a fait à sa guise ;
Marguerite a dû bien comprendre l'économie de ces
diverses dispositions; il n'était pas besoin p)ur cela
qu'elle eût beaucoup d'intelligence et de culture.
Voici venir en dernier lieu un personnage qui ne
fait pas grand bruit, mais qu'on peut considérer à
bon droit comme l'inspirateur et le négociateur du
mariage. C'est le révérend Antoine Jourdan, prieur
de Vessaux, oncle du futur, auquel il fait donation
entre-vifs de cent moutons d'or payables à réquisi-
tion, avec intérêt.
Et maintenant, mon cher compatriote, que con-
clure à l'égard de Marguerite Chalis ? Honorable
dame, « honesta mulier », suivant l'expression de mon
confrère, je n'y contredis point; mais pratique et
réaliste à l'égal d'un homme d'affaires, je le main-
tiens. Ce n'est pas elle qui, par excès de tendresse,
avalera, comme fît Artémise, les cendres de son
conjoint prédécédé. Il importe peu qu'elle fût posi-
MARGUERITE CHALIS. 97
tive par nature ou par tradition de famille, à
l'exemple de sa tante Florence, laquelle avait en-
terré deux maris et avait dû s'en bien trouver au
point de vue des héritages. Rien, chez elle, ni les
goûts, ni les sentiments, ni le caractère, n'appartient
à l'épouse-mère, à la touchante et sublime trouve-
resse qui a fait jaillir du fond de son cœur YHéroïde
à Bérenger, les Verselets à mon premier-né. et le
Chant royal à Charles VIII. Sans parler des con-
tradictions biographiques, maintenant avérées, je
ne puis voir dans la Marguerite Chalis du Manuale
notarum, l'incarnation de notre idéale Clotilde de
Surville.
N'êtes-vous pas du même sentiment?
Mais qui donc alors bénéficiera de cette gloire en
Je n'en sais rien. Je me borne à faire
des vœux pour que ce soit une muse ardéchoise; le
ciel poétique de notre cher Vivarais n'est point assez
resplendissant pour qu'il puisse, sans un irrépa-
rable don. :drc sa plus brillante étoile. Jus-
qu'elle ne lui sera point ravie.
Je ne terminerai pis cette lettre sans vous féliciter
de prendre, malgré vos occupations incess
une part active à l'examen d'une foule de questions
qui intéressent notre province natale...
Recevez, etc.
Villàrd, ancien notaire.
Vallo i | ni 1873 .
98 MARGUERITE C H A L J
LETTRE
DE M. JULES BAISSAC
Sur les poésies de Clotilde de Surville.
Mon cher monsieur Mazon,
Vous m'avez exprimé le désir d'avoir mon avis
sur l'âge des poésies attribuées à Clotilde de Sur-
ville. Cet avis, auquel vous me faites l'honneur
d;attacher quelque prix, ne sera pourtant que le
mien, quelque chose, par conséquent, de tout à fait
personnel et d'entièrement discutable. Je ne vous le
donne, du reste, que comme tel, vous laissant,
bien entendu, la liberté de le traiter comme bon vous
semblera.
Je ne toucherai point, si vous le voulez bien, à
la personne de Clotilde, dont je veux même pa-
raître ignorer l'histoire. Ce n'est pas de l'âge de
l'auteur, en effet, que vous m'avez demandé de
m'occuper, mais de celui du recueil qui porte son
nom. Je n'ai donc à examiner la question qu'au point
de vue de la forme de la pensée, d'abord, et puis au
point de vue de la langue, sous le double rapport
littéraire et philologique.
Pour ne pas vous faire attendre mes conclusions,
MARGUERITE CH A LIS. 99
je vais vous dire tout de suite ce qui demeure à mes
yeux très-nettement établi. Le fait que je tiens pour
démontré, c'est que les poésies publiées en l'an XI
par Ch. Vanderbourg sous le nom de Clotilde de
Surville et celles que MM.de Roujoux et Ch. Nodier
ont fait paraître sous le même nom en 1827 sont des
œuvres relativement modernes, qui ne peuvent guère
remonter plus haut que le dernier siècle. Fort belles
incontestablement pour la plupart, quoique parfois
entachées d'un peu de recherche et d'afféterie senti-
mentale, ce qui semblerait bien, en effet, trahir
une origine féminine, ces poésies ne sauraient, pour
le tour de la pensée comme pour la langue, être
raisonnablement attribuées à l'époque qu'il a plu aux
éditeurs de leur assigner. Ni la pensée ni la parole
n'avaient, au xve siècle, la forme que nous voyons
est ce dont je vais essayer de vous convaincre.
Si j'y réussis, la conséquence à tirer sera tout natu-
rellement celle que je viens d'énoncer.
Avant d'arriver à l'état de précision logique où
elles sont parvenues depuis, les langues déformées
du latin, que l'on appelle aussi néo-latines, ont
toutes débuté par un autre beaucoup moins défini.
Il serait même facile de démontrer que cette Indéfi-
nité de la pensée est un des traits qui caractérisent,
dans toutes les langues, leur période embryonnaire
et aussi, quoique dans des conditions moins va-
gues, les premiers degrés de leur développement;
mais cela m'entraînerait fort au delà des limites de
ÎOO MARGUERITE CHALh.
notre sujet. Je me bornerai donc aux seules indica-
tions que je crois nécessaires pour vous faire saisir
ce que je viens d'énoncer. De ces indications doit,
d'ailleurs, ressortir l'évidence de la thèse posée plus
haut.
Vous vous rappelez les exercices de grammaire
qu'on appelle des analyses logiques. Ces exercices,
ont, comme vous le savez, pour objet de préciser
l'ordre dans lequel les idées se succèdent, non point
dans l'esprit du sujet, mais comme termes de la
proposition et suivant la priorité abstractive des
unes relativement aux autres. La proposition est
prise comme quelque chose de purement extérieur,
indépendamment de l'ordre de conception des idées
proprjment dites, et l'on en détache les divers
membres, pour les étudier d'abord séparément et
puis dans les rapports où ils se trouvent entre eux.
Il résulte de ce double travail de décomposition par
l'analyse et de recomposition une phrase dite lo-
gique, où le sujet est premier, le verbe second et le
complément tout à fait dernier. Or, les langues dans
lesquelles la proposition suit habituellement cet
ordre sont qualifiées d'analytiques. Le français
actuel et la plupart des langues modernes, toutes plus
ou moins transformées par un travail latent de réac-
tion, sont plus ou moins aussi analytiques. Mais
le latin, comme le grec, était loin d'avoir ce carac-
tère. L'ordre de la proposition, dans ces dernières
langues, n'est nullement un résultat de l'analyse.
MARGUERITE CHALIS. 101
ainsi que vous avez pu vous en convaincre. La
réaction de la pensée est, en effet, pour très-peu
dans cet ordre. Les termes ne se suivent point ici
selon le système de progression dont je viens de
parler et qui consiste à énoncer les idées sous
forme sérielle, suivant une certaine filiation abstrac-
tive. En grec, comme en latin, ce n'est point la
priorité de raison d'une idée par rapport à l'autre
qui détermine la place que cette idée -doit occuper
dans la phrase.' Non : ici tout est plus simple.
Comme le point de vue que je développe est
peut-être nouveau et que, d'ailleurs, les explications
dans lesquelles je suis obligé d'entrer, quoiqu'un
peu abstraites, doivent éclairer ma thèse et en faire
ressortir toute la vérité, vous ne trouverez pas mau-
vais que j'y insiste. Ne croyez pas que je sois
hors de la question : j'y suis, au contraire, tout à
fait, et même dans ce qu'elle a de plus intime. Vous
vr.us en apercevrez plus loin. Continuez donc, je
vous prie, à me lire, sans vous préoccuper outre
mesure de ce que viennent faire, dans une étude
sur les poésies dj Clotilde de SurvilL-, le grec, le
latin et tout le matériel dj la linguistique.
Jis donc que, dans lei langliei classiques, la
phrase n'est point le résultat ou le fruit d'un tra-
vail d'analyse de la | in •. 1 1
l'ordre de la proposition ne repi oralement
a sensation elle-m Ile qu'elle
.t une image, an tableau, Un
102 MARGUERITE CHALIS.
exemple vous fera saisir cela, en vous donnant en
même temps la clef de l'inversion grecque ou latine.
On croit assez communément que cette inversion
est tout à fait arbitraire, sans lois, sans principes.
Qu'elle n'ait pas de lois précises, rigoureusement
définies et d'un caractère absolu, c'est ce que je suis
tout disposé à accorder ; mais elle a incontestable-
ment ses principes, ainsi que va vous en convaincre
l'exemple que je viens de vous promettre.
Si je vois une femme faire l'aumône à un pauvre,
la première chose qui me frappe, c'est évidemment
le fait de l'aumône en elle-même, qui constitue le
caractère tout particulier du tableau qui a fixé mon
attention. L'aumône est donc ici la première impres-
sion que je reçois. Je la reproduis par conséquent
la première, en la faisant suivre immédiatement du
verbe ou terme de l'action, qui tire de sa généralité
et complète, en la spécialisant, l'action offerte à mes
sens. Puis viennent le sujet ou agent et en dernier
lieu ce que nous appelons le régime indirect. J'ai de
la sorte, dans cet ordre de choses, la phrase sui-
vante :
Eleemosynam dat millier pauperi.
Un peintre, qui aurait à représenter le même
fait sur la toile, éclairerait évidemment d'un jour
tout particulier et mettrait sur le premier plan la
main qui distribue l'aumône plutôt que celle qui la
reçoit.
MAKGUKRJIE CHALIï. lOj
Un autre exemple, dont j'emprunte le sujet, d'ail-
leurs fort connu, au vme livre de V Enéide, vers
596, complétera ma démonstration.
A la vue d'un cheval au galop, dont le sabot
bruyant fait voler la poussière derrière lui, la pre-
mière chose qui frappe, parce qu'elle constitue ici
encore le caractère spécial du tableau, c'est le galop
lui-même et la poussière qu'il soulève, puis vient le
terme affirmant l'action, qui n'est qu'un complé-
ment lexique, et en dernier lieu se placent ceux qui
expriment le mode de cette même action et le lieu
où elle s'exerce, deux aspects tout à fait secondaires
de l'image que j'ai sous les yeux. La reproduction
de ce tableau dans l'ordre où mes sens se trouvent
affectés doit donner, en conséquence, la phrase sui-
vante, qui est, en effet, le vers mêm. gile :
Quadrupedante putrem sonltu quatit ungula campum.
A l'origine, avant que les flexions grammati-
cales fussent venues déterminer le caractère propre
parties du discours et les rap-
ports des mots entre eux, de manière à relier
tous les membres de la phrase dans un même ta-
bleau et a présenter un ensemble qui fût un et ha -
monique, la p: tait même qu'une série
d'hiéroglyphes qui reproduisaient lasens.ition décom-
! dans l'ordre rigoureux des impressions 1.
Mais ici : : me démonsti
| mrrait nous reporter bien avant le déluge.
IO4. MARGUERITE CHALI\
Qu'il me suffise de vous avoir indiqué le principe,
et laissez-moi continuer mon exposé.
Toutes les constructions grecques ou latines ne
reproduisent pas d'une manière aussi rigoureuse
l'ordre que je viens de dire; mais cela tient à ce
que, devant un tableau un peu général, il est rare
que la nature des impressions produites soit la
même pour tous. Tel détail ou tel aspect, qui affecte
l'un d'une manière, suivant le jour où il est placé,
la situation présente de son esprit, le degré de sa
sensibilité ou la prépondérance de tels de ses sens,
ne paraîtra aux yeux d'un autre qu'au second plan
ou même comme accessoire.
Eh bien ! mon cher ami, l'ordre que je viens de
vous indiquer ne s'est point transformé aussi brus-
quement que l'on paraît le croire, en passant du la-
tin classique à la basse latinité et de celle-ci aux
langues déformées du latin. Non : l'état synthétique,
ainsi qu'on appelle, quoique improprement, à mon
avis, le système de construction phraséologique qui
a précédé l'analyse, s'est perpétué longtemps, chez
nous surtout, après l'extinction totale du latin comme
langue parlée. Durant tout le moyen âge, la pensée
est restée assez fortement agglutinée encore à la sensa-
tion, dont elle ne s'est bien dégagée qu'au xvne siècle,
quand la phrase, devenue périodique, n'a plus re-
produit que l'ordre de filiation logique des idées.
C'est un fait qui me semble incontestable : prenez
les premiers poètes venus, depuis Jean de Meung
MARGULRIIt CHALIs. IO5
jusqu'à Clément Marot, et vous vous convaincrez, je
ne dirai point à chaque ligne, mais du moins à
chaque page, que vous avez devant vous une pensée
elliptique, quelque chose d'agglutiné, — ■ comme je
m'exprimais plus haut, — que vous ne pouvez faire
passer intégralement dans votre parole d'aujourd'hui
qu'en le désagrégeant. Et à ces époques, au temps
aussi, par conséquent, où l'on voudrait qu'eussent
été écrites les poésies de Clotilde de Surville, l'el-
lipse du discours n'était pas une simple figure de rhé-
torique, une recherche, une affectation préméditée
de concision : c'était le tour même de la pensée.
Jusqu'au xvne siècle, la pensée, en effet, est restée
telle, que, pour la bien saisir dans toutes ses parties
et lui faire dire dans notre langage actuel tout ce
qu'elle contient, un commentaire est généralement
indispensable. Cela est si vrai, que, à peu près
comme pour le latin, la traduction du français ar-
chaïque en français moderne donne presque toujours
dix lignes de ce dernier français pour huit de l'autre.
Citons un premier exemple venu, pris entre mille autres:
Amyot, dans sa traducti >n J morales
utarque sur la manière de lire les poètes,
ch. i'r, a cette phrt
1 Les portes closes d'une ville ne la garderont
pas d'être prise, si elle reçoit l'ennemi par un
seule restée ouverte; ni la C mtinence des autres
sentiments ne préservera un jeune homme, si par
il se laisse aller aux plaisirs de l'ouïe,
M A lUi D I. R I I E CHALIv
ains d'autant qu'elle approche plus près du propre
siège de l'entendement, qui est le cerveau : d'au-
tant gaste elle plus celui qui la reçoit, si on n'en
fait soigneuse garde. Pourquoi n'estant à l'avantage
pas possible ni profitable, avec interdire de tout
point la lecture des poètes à ceux qui sont jà de
l'aage de ton fils Cleander et du mien Soclarus,
gardons-les bien diligemment comme ceux qui ont
plus grand besoin de guide en leurs lectures qu'ils
n'ont pas eu en leurs alleures. »
Amyot, qui a vécu de 1513 à 1593, écrivait
comme vous venez de voir, en commentant lui-
même son texte, plus de cent ans après Clotilde de
Surville. Dès cette époque, en pleine Renaissance,
la pensée commençait à prendre une tournure plus
définie, la langue une forme plus analytique. Ce
français-là, qui, encore, est de la prose, c'est-à-
dire une langue plus dégagée de la sensation que
ne l'est la poésie, a pourtant toujours une allure un
peu elliptique et exige, pour être tout à fait compris,
une certaine tension, un petit effort : pour bien en
suivre la lecture, il faut appuyer sur les mots, du
moins dans bien des endroits.
Or, voici comment un moderne, M. Victor Bé-
tolaud, a dû traduire, à son tour, pour être entendu
du commun des lecteurs d'aujourd'hui :
« Ce ne sont pas les portes fermées qui garan-
tissent une ville et l'empêchent d'être prise, s'il y
en a une seule qui reçoive les ennemis. De même
MARGUERIIE CHAL1S. 107
la modération apportée aux autres plaisirs ne ga-
rantit point un jeune homme, si à son insu il se
laisse prendre par l'ouïe. Mais plus cette faculté
touche de près dans notre être au siège de la pensée
et de la raison, plus, si l;on met de la négligence,
elle est funeste et corruptrice pour qui donne prise
à la séduction. Ainsi donc, puisqu'il est peut-être
impossible et qu'en même temps il est inutile d'in-
terdire la poésie à des auditeurs de l'âge de mon
Soclarus ou de votre Cléandre, redoublons de sol-
licitude à leur égard. Ils ont besoin, soyons-en
convaincus, de plus de surveillance dans la direction
de leurs lectures qu'il n'en a fallu pour leur ap-
prendre à marcher. »
Vous voyez par la langue d'Amyot que, près
d'un siècle et demi après l'époque où l'on fait re-
monter le recueil qui porte le nom de Clotilde de
Surville, la pensée était loin d'avoir encore le carac
tère de précision analytique qu'on remarque dans
toutes les pièces de ce recueil sans exception. Oui,
mon cher ami, un siècle et demi après, cent cinquante
ans bien comptés, la pensée, du moins en poésie, était
toujours prise par quelque bout Ju:is l'agglutination
dont je vous parlais plus haut.
Puisque c'est de poésie qu'il s'agit, c'est à la
: que je vais maintenant emprunter mes der-
niers exemples, et je les pr.nJs dans deux auteurs
qui écrivaient, l'un à peu préi au moment OÙ
monde et l'autre en un temps où elle
I O'i M A R G U E RITE C H A L I S.
ne devait guère plus avoir de voix pour chanter ses
amours.
Mon premier exemple est tiré de Froissard : ce
sont les premiers vers de la Dittie de lajlourde
Marguerite.
Voici ces vers :
Je ne me doi retraire de loer
La flour des fîours, prisier et honourer,
Car elle fait moult à recommender.
C'est la Consaude, ensi le voeil nommer.
Et qui li voelt son propre nom donner,
On ne li poet ne tollir ne embler,
Car en françois a à nom, c'est tout cler,
La Margherite,
De qui on poet en tous temps recouvrer.
Tant est plaisans et belle au regarder,
Que dou véoir ne me puis soëler.
Toujours vodroie avec li demorer,
Pour ses vertus justement aviser.
Il m'est avis qu'elle n'a point de per.
A son plaisir le volt nature ouvrer.
Ces vers ont été écrits à la fin du xive siècle,
peut-être même au commencement du xve, peu de
temps avant la naissance de Clotilde.
Quant à l'autre exemple, je le prends dans Villon,
et tout à fait au hasard, comme pour celui que j'ai
tiré de Froissard. Ce sont les premiers vers de la
Requête présentée par le poète à la Cour du Parle-
ment.
MARGUERITE CHALI3. IO9
Tous mes cinq sens, yeulx, oreilles, et bouche,
Le nez, et vous, le sensitif aussi ;
Tous mes membres, où il y a reprouche
En son endroit, ung chascun die ainsi :
Court souverain, par qui sommes icy,
Vous nous avez gardé de desconfire ;
Or la langue seule ne peut suffire,
A vous rendre suffisantes louenges.
Si parlons tous, fille au souverain sire,
Mère des bons, et seur des benoistz anges.
Cueur, fendez-vous, ou percez d'une broche,
Ht ne soyez, au moins, plus endurcy,
Qu'au désert fut la forte bise roche,
Dont le peuple des Juifs fut adoulcy ;
Fondez larmes, et venez à mercy,
Comme humble cueur qui tendrement souspire,
Louez la court, conjoincte au sainct empire,
L'heur des Françoys, le confort des étranges
Procréé la sus, au ciel empire ;
t* des bons, et seur des benoistz anges.
Comparez à cela maintenant la forme ae la pensée
dans les poésies attribuées a Clotilde de Surville.
Pour cela, ouvrez k livre au premier endroit venu,
comme je va. s le faire; lise/ la pLce dj \ers que
t dites-moi ensuite s'il y a le moindre
rapport possible a établir entre cette esthétique et
celie du x. •, par exemple, l'Elégie sur
la mort d'Heloysa :
n'ez donc plus, hélas! doulce et tendre colombe,
D . . | oir !
I 10 MARGUERITE C H ALI S.
Tu n'ez donc plus!... Le ciel de plorer sur ta tombe
Me réservoit le funèbre debvoir.
Que reste-t-il encore à ceulx qu'ainsy deslaysses?
Que reste encore à mon filz esperdu ?
De ta cendre, ô Phcenix ! n'attend que tu renaysses ;
Et, te perdant, scait trop qu'a tout perdu !
Vous connaissez trop bien le recueil de Clotilde
de Surville pour ne pas convenir que, d'un bout à
l'autre, dans ce recueil, tout est à l'avenant de ce
que je viens de citer.
Eh bien ! je crois que ce qui doit frapper tout le
monde, parce que la chose me paraît sauter aux
yeux, c'est, indépendamment du fond, qu'une forme
si remarquablement pleine, des contours si bien
arrondis, une allure si vive, si dégagée, des mou-
vements si larges ne peuvent être d'une époque où
tout, dans les arts, avait encore cette maigreur un
peu étriquée, cette raideur d'expression et cette lé-
gère atonie de regard, qui ne commencent bien à se
modifier qu'en pleine Renaissance, près d'un siècle
plus tard. Il y a, dans les manifestations de la vie,
au moyen âge, que ce soit dans la poésie ou dans
la plastique, quelque chose de beaucoup moins
développé que tout ce que nous voyons ici. Si vous
y avez pris garde, vous aurez remarqué que les
mouvements de estte vie, au lieu de la régularité
continue et si fermement assurée du style de Clo-
tilde, sont généralement encore un peu désordonnés,
ou contraints ou violents. La mesure, en effet, n'est
MARGUERITE CHALIS, III
pas de cette époque. Il faut descendre même jus-
qu'au xvne siècle, pour trouver les premiers exem-
ples de cette grave forme périodique, dont les airs
solennels étaient, du reste, si bien dans le ton
général de l'époque, exemples qui fourmillent dans
le recueil de Vanderbourg. Abstraction faite de la
langue, dont il sera question tout à l'heure et qui
n'est d'aucun temps, comment voulez-vous que je
reporte au xve siècle des phrases comme celle-ci,
que je prends dans YHcroïde, entre cent autres de
même genre :
Soubvent aussi le soir, lorsque la nuict my-sorabre
Me laisse errer au long des prez penchants,
1). telfl soirs me soubvient, OÙ, libres, grâce à l'ombre,
L'ung prez de l'autre assiz en mesmes champs,
Doucement s'e->garer layssoiz mes mains folastres
Sur le contour de tes aymables traicts,
Tandisque de mon sevn tes lèvres idolastres
Kn meyssonnoient les pudiques attraicts.
Il fait, à mou avis, — avis que je voudrais
exprimer un peu moins brutalement, si c'était pos-
sible, pour oe pai Irop bleuir 11 foi de quelques
naïfs compatriotes^ — n'avoir aucune notion d'his-
raire ou manquer en l de sens
tique, pour accepter comme Je provenance
quatre fois séculaire une facture qui sent a ce pont
le frais émoulu et ne date évidemment que d'hier.
ICtement, chaque époque
112 MAKCUKRITE C H A L I -
a un cachet sur lequel il est difficile de se méprendre
longtemps. On peut imiter une manière de faire,
mais, à moins de copier, comme on copie un ta-
bleau ou une statue, on ne reproduit jamais par
l'imitation le tour de la pensée. Ce tour particulier
résulte, en effet, de tant de circonstances combinées
ensemble, qu'on ne Ta intégralement que dans le
milieu où ces circonstances se trouvent réunies.
Avec trente ans d'études de latin on arrivera peut-
être à faire des vers aussi élégants, aussi beaux que
ceux de Virgile ou d'Horace, mais on ne fera point
un Horace ni un Virgile, et si purement que les
Vanière, les Santeuil, les Rapins, les La Rue aient
parlé la langue du siècle d'Auguste, on ne tarde pas
à reconnaître, en les lisant, abstraction faite des
sujets qu'ils traitent, que la forme de leur pensée
n'est pas du tout de ce siècle. L'écrivain, de même
que l'artiste, même dans ces imitations, quand ce
ne sont pas de simples copies, sent toujours son
époque, comme la caque sent toujours le hareng.
Je vous ai dit que ce qui caractérise le tour de la
pensée pendant tout le moyen âge et jusque bien
avant dans la Renaissance, c'est qu'elle est beau-
coup plus elliptique que la nôtre, moins dégagée
de la sensation, en un mot plus agglutinée. Ce
n'est qu'au xvne siècle que l'impression et la
pensée se désagrègent sensiblement et que la forme
devient tout à fait analytique, se développe et s'ar-
rondit : les aspérités du trait final s'émoussent, la
MARGUERITE CHALIS. I 1 3
pointe aiguë se contourne, le plein-cintre, permet-
tez-moi cette figure, — fait place à l'ogive à arrête
sèche.
S'il faut vous dire toute ma pensée, les poésies
de Clotilde de Surville ne remontent pas au delà
du xvme siècle. Vous êtes parfaitement convaincu
qu'elles ne sont ni du xve ni du xvie. Elles
pourraient, à la rigueur , avoir été pastichées
sous le règne de Louis XIV, quoique, à cette
époque, le goût de l'archaïsme ne fût guère en
honneur; mais si l'ampleur et la forme arrondie
de la phrase, le tour généralement périodique et
suivi de la pensée sont aussi de ce temps-là, il y a
d'autres considérations qui me font pencher pour
une époque moins éloignée encore.
Je vous ai dit qu'un des caractères des langues
analytiques, c'était le développement de la pensée.
Or, ce développement, une fois la dernière évolution
effectuée, se continue par la recherche et l'affecta-
tion de la nuance, c'est-à-dire par un emploi plus
fréquent de l'épithète. Au xvn': siècle, le travail de
l'analyse est aussi complet que possible ; au xvmr,
n commence à accentuer davantage la nuance pro-
prement dite. Eh bien! ce qui m'a toujours frappé
dans les poésies de Clotilde, ce qui m'a même été
suspect des le premier abord, c'est la fréquence des
adjec' .eulemeiit de ceux que pourrait exiger
té de compléter ou de préciser le sens des
subst.i irtoul qui u'um d'autre
'S
I I 4 MARGUERITE CHALIS.
objet que de leur donner un ton ou plus chaud ou
plus tendre. Le xvne siècle est plus avare de ces
derniers, qui affluent davantage, au contraire, vers
le milieu et la fin du xvine, et c'est ce qui explique
pourquoi, sous Louis XIV, l'exagération, quand elle
existe, affecte plus particulièrement le substantif et
devient de l'enflure, tandis que, au siècle suivant,
elle affecte de préférence l'adjectif et dégénère en
minauderie. Or, dans les poésies de Clotilde, c'est
cette dernière forme que tend à prendre quelquefois
l'exagération du sentiment.
Croyez-vous qu'une richesse d'épithètes comme
celle des vers suivants date de bien haut?
Quels doulx accords emplissent nos bocages?
Quel feu secret de fécondes chasleurs
Va pénétrant sillons, arbres, pascages,
Et même, entour des tristes marécages,
Quel charme espand ces vivaces couleurs!
Quant à la langue que l'inhabile quoique char-
mant pasticheur fait parler à son poëte, ni gram-
maire ni lexique ne sont ensemble d'aucun siècle.
Je ne relèverai que quelques faits, qui suffiront
amplement, du reste, pour montrer que l'auteur du
pastiche ne se doutait pas qu'il y eût une gram-
maire à règles fixes dé la langue du xve siècle.
A cette époque, il est vrai, les formes grammati-
cales s'étaient déjà singulièrement modifiées, mais
l'emploi n'en était pas arbitraire, comme paraît l'a-
MARGUERITE CHALIS. 1 1 5
voir cru l' imprésario deClotilde. Ainsi, par exemple,
l'article qui avait été jusque-là :
Singulier :
Li, masc. sujet; — li et la, fém. sujet;
Le, masc. régime: — la, fém. rég.;
Pluriel :
Li, masc. sujet ; — les, fém. sujet.
Les, masc. rég.; — les, fém. rég.
Cet article, dis-je, par suite d'une loi d'accentua-
tion qui depuis longtemps déjà tendait à faire pré-
valoir dans le français l'accusatif sur le nominatif,
devient au xve siècle le et la au singulier et les pour
les deux genres au pluriel. Or, non-seulement le
pasticheur ne l'a pas su, mais, en affectant de con-
server l'article des siècles précédents, il l'a employé
à tort et à travers, sans tenir aucun compte de la
énoncée, que, du reste, il ne connaissait évi-
demment pas.
EXEMPL!
Par li Grâces qui t'ont parfaict. (Prêt.. \cj;
y tenter li charmes
Par quoi Cireé dompta li cieulx ? (Id., iJ.)
I • eyzon ne pond li fin \c\.)
. onc ne m'ba fîory li gènes. (/</.,
Une au' die toute moderne, qui se ren-
contre a chaque pas dans le recueil, c'est l'emploi
des pronoms moi, toi, lui comme sujets. Cet formel
I 1 6 M A R G U I". R. I T K CHAH v
pronominales étaient toujours, au xve siècle, des
accusatifs ou régimes.
Des vers comme ceux-ci :
C'est toy qu'elle implore,
Toy qu'elle implore encontre toy ! (xciij.)
ne peuvent pas être du temps que l'on dit.
Le livre de Vanderbourg abonde encore en phrases
de ce genre.
Amors est-il malz? Amors est-il biens?
Mais n'est-il plante qu'en guarisse ?
Le vieux français n'offre pas, je crois, d'exemple
d'une interrogation par le nom et le pronom en-
semble.
Je pourrais m'étendre beaucoup sur ce côté
grammatical et montrer que, la plupart du temps,
les formes verbales sont de pure fantaisie. Je pour-
rais aussi insister sur une foule de formes lexiques
et de mots qui n'ont jamais appartenu ni à la lan-
gue d'oïl ni à aucun dialecte archaïque. Mais tout
cela exigerait un développement trop étendu pour
l'espace que vous m'avez dit vouloir destiner à cette
lettre dans votre travail. Je m'arrête donc ici, sauf
à reprendre plus tard, à l'occasion, cette seconde
partie de ma thèse...
J. Baissac.
FIN.
'«tft&t
NOTE
Notre travail était terminé, quand nous avons
reçu communication d'une nouvelle étude sur les
poésies de Clotilde, due à M. Anatole Loquin, un
des quarante de l'Académie de Bordeaux, et spécia-
lement consacrée à réfuter l'ouvrage de M. Macé1.
If. Loquin relève comme nous les passages de la
correspondance de Vanderbourg d'où il résulte que
cet écrivain avait fini par ne plus croire à l'authen-
ticité d.-s poésies, et fait ressortir la faiblesse des
arguments par lesquels M. Macé s'est cfTorcé d'é-
tablir la il. M juin soupçonne le
lis de Surville d'être le véritable auteur des
>t pas notre sentiment; après comme
i . I > . ]' ■' U I i xrv'ilh — ri
i ferel et fils,
i8
MARGUERITE C H A LIS.
avant Pouvrage de notre confrère de Bordeaux, il
nous semble que les faits connus de la vie du mar-
quis, et surtout la lettre écrite par lui en prison, la
veille de sa mort, lui font une physionomie très-
caractérisée dans laquelle il nous est impossible de
retrouver les tendances d'esprit et les allures senti-
mentales de Fauteur des poésies.
•o<V>o»
[/ BIBLIÔ7HICA
V Ottavitnsis S
IMPRIME PAR J. CLAYE
pour
A. IEMERRE, LIBRAIRE
A PARIS
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La Bibliothèque
Université d'Ottawa
Echéance
The Lit
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