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Full text of "Marguerite Chalis et la légende de Clotilde de Surville : étude sur l'authenticité des poésies de Clotilde de Surville : suivie de l'acte de mariage de Béranger de Surville, d'une lettre de M. Eugène Villard et d'une lettre de M. Jules Baissac"

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U  dVof  OTTAWA 


39003002-131210 


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in  2011  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/margueritechalisOOmazo 


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MARGUERITE    CHALIS 


il      LA      M    «.  R  N  D  E 


DE    CL  OTILDE     DE    SURVILLE 


Pari'..  —  |.  ClAYE,   Imprimeur,  7,  rue  S'-Henoit-  -  [876] 


MARGUERITE   CHALIS 

i   i     LA    LÉ0END1 

/)/      <   /  "T//7)/      /)/:    suKjjn  /  / 

PAR    A.    M  A/ON 

■  i    |UI    i  "u  i  in  N  tli  i  i  i     i>i  h  «m  m  Dl     D1       i  ITII  i  i 

Siu\  ie  de  l'tcte  Ji-  tnarii  villi 

d*unc  letti •   de  M.  1  ugéne  Villard 
.'une    lettre    *l<     M 


PARIS 

ALPHONSE     LEMERRE,    EDITEUR 
27 - 2 93    passage    chois e ul,    27-20 


M     DCCC     L  X  X 1 1 1 


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MARGUERITE   CHALIS 


a  publication  des  Poésies  de  Clotilde 
Ae  Surville,  en  iHoj,  souleva  à  la  fois 
admiration  et  le  doute  :  l'admiration 
pour  le  poëte,  le  doute  sur  sa  veri- 
»le  personnalité  et  sur  son  époque. 
A  notre  avis,  le  procès  littéraire  est  depuis 
longtemps  juge.  Dès  l'apparition  du  vo]ume  édité 
par  Charles  de  Vanderbourg,  les  lettrés  recon- 
nurent une  main  plus  récente  et  une  langue 
mieux  formée,  en  dépit  de  ses  coquetteries 
d'antiquité,  que  la  main  et  la  langue  d'un  poète 
du  xve  siècle.  Depuis  Carrion-Nisas  et  Philippe 
de  Ségur  jusqu'à  MM.  Villemain  et  Sainte-Beuve, 
les  critiques  les  plus  autorisés  se  sont  constam- 
ment prononcés  contre  l'authenticité  des  poésies 
de  Clotilde,  les  attribuant,  qui  à  Vanderbourg, 
qui  au  marquis  de  Surville,  mais  s'accordant  tous 


MARGUERITE     CHALI». 


a  y  reconnaître  une  inspiration  et  une  facture 
modernes. 

Au  risque  de  blesser  la  susceptibilité  patrio- 
tique de  quelques-uns  de  nos  concitoyens  de 
l'Ardéche,  nous  devons  avouer  que  ce  jugement 
des  critiques  nous  paraît  parfaitement  fondé.  Il 
y  a,  en  effet,  dans  les  poésies  publiées  sous  le 
nom  de  Clotilde,  une  netteté  d'idées,  une  sûreté 
d'expressions,  une  maturité,  une  souplesse  de 
langue,  enfin  un  goût;  une  mesure  et  un  senti- 
ment de  l'harmonie  qui  n'existent  pas,  qui  ne 
pouvaient  pas  exister  chez  les  écrivains  du 
xve  siècle.  Toute  personne  compétente  qui,  sans 
parti  pris,  voudra  comparer  les  œuvres  de  cette 
époque  avec  les  poésies  de  Clotilde,  partagera 
notre  conviction  à  cet  égard. 

Mais  si  le  procès  littéraire  proprement  dit  est 
depuis  longtemps  jugé,  —  et  les  pièces  authenti- 
ques que  nous  apportons  dans  le  débat  vont  don- 
ner au  jugement  rendu  une  éclatante  confirma- 
tion, —  le  procès  d'histoire  littéraire  est  loin 
d'être  aussi  avancé.  En  d'autres  termes,  après  la 
démonstration  faite  par  les  critiques,  que  les 
poésies  de  Clotilde  ne  sont  pas  du  xvc  siècle; 
après  celle    de  M.  Macé  *  ,  qu'elles  ne  peuvent 


i.  Les  Poésies  de  Clotilde  de  Surville,  études  nouvelles, 
suivies  de  documents  inédits,  par  M.  Antonin  Macé.  Gre- 
noble,  1S70. 


..lion» 
: 
I 

.    :      | 

i  toujours  a  trov- 

|  lus  belles  de  la  | 


Ht  ouvrage  «: 

s  de 
i  >b!e.  a  mis  en  1.  néon 

quai  .  dont  un  bref  expos. 

ntelligence  de  ce  qui  doit 
:age  de 
que   .  s  de   Clotilde  étaient  lœuv. 

:erbourg  ou  jrville. 

En  i    ^  :.  :i    d'un  article    pu 

• 

at   une   lettre    de 
ML  lent  du  t. 

nal  civil  de  B:  G  la  Correze, 

:ement  juste  lors- 
.es  au  marqu 


MARGUERITE     CHAHS, 


Surville.  Ce  fait  est  pour  moi  de  la  plus  grande 
certitude,  car  il  m'a  été  certifié  par  mon  père 
qui,  ayant  ete  le  compagnon  d'infortune  du 
malheureux  Surville  et  son  ami  intime,  avait 
fini  par  lui  arracher  l'aveu  qu'il  était  réellement 
l'auteur  des  prétendues  œuvres  de  son  aïeule... 
Vous  pouvez  compter  entièrement  sur  l'exacti- 
tude de  ces  renseignements  K  » 

Quand  on  a  lu  le  travail  de  M.  Macé,  il  est 
aisé  de  s'expliquer  ce  qui  a  pu  donner  lieu  a 
cette  affirmation.  Il  en  résulte  clairement,  en 
effet,  que  le  marquis  de  Surville  avait  plus  ou 
moins  altéré  l'œuvre  primitive  dont  il  était  pos- 
sesseur, ce  qui,  dans  un  moment  de  vanité,  a 
bien  pu  lui  faire  dire  qu'il  était  l'auteur  même 
des  poésies  de  Clotilde;  mais  cette  version  a 
contre,  elle  d'autres  faits  beaucoup  mieux  prou- 
vés, qui  ne  permettent  pas,  selon  nous,  de  s'y 
arrêter  longtemps. 

La  légende  survillienne  raconte  que  le  marquis 
Etienne-Joseph  de  Surville  découvrit,  en  1782, 
les  poésies  de  Clotilde  dans  de  vieux  papiers  de 
famille,  et  qu'il  les  déchiffra  et  les  transcrivit 
avec  l'aide  d'un  feudiste. 

Ce  fait,  qui  a  été  confirmé  à  Vanderbourg  par 


1.  Note  insérée  à  la  fin  du  Tableau  historique  et  critique 
de  la  poésie  française  au  xvie  siècle,  par  Sainte-Beuve,  1845. 
Paris,  Charpentier.  v 


MARGUERITE      CHALIS. 


le  frère  du  marquis  de  Surville,  est,  en  outre, 
atteste  par  plusieurs  témoignages  dont  quelques- 
uns  ont  une  véritable  valeur. 

i°  Un  compagnon  d'armes  du  marquis,  M.  de 
Fournas,  déclare  avoir  vu  ce  dernier  transcrire 
un  vieux  manuscrit  dont  le  caractère  était  à 
peine  lisible. 

2°  M.  Dupetit-Thouars,  auteur  de  l'article 
Sur  ville  dans  la  Biographie  universelle,  dit  avoir 
connu  le  marquis  de  Surville  a  Paris  en  1790  et 
avoir  vu,  des  cette  époque,  entre  ses  mains  le 
manuscrit  des  poésies  de  Clotilde. 

30  Le  marquis  de  Brazais,  qui  était  avec  le 
marquis  de  Surville,  en  1797,  dans  le  canton  de 
Vaud,  lorsque  le  nom  et  quelques  extraits  en 
prose  et  en  vers  des  œuvres  de  Clotilde  furent 
pour  la  première  fois  livres  a  la  publicité  par  le 
Journal  littéraire  de  Lausanne  que  dirigeait 
Mme  Polier,  le  marquis  de  Brazais,  disons-nous, 
déclare  que  Surville  lui  avait  communiqué  tous 
les  manuscrits  de  son  aïeule  et  qu'il  l'a  aide  dans 
la  revision  et  la  correction  de  plusieurs  morceaux. 
La  lettre  du  marquis  de  Brazais  a  M""'  veuve 
de  Surville,  que  reproduit  M.  Macé,  n'est  pas 
sans  importance  au  point  de  vue  qui  nous  occupe, 
et  nous  en  U  le  passage  suivant  : 

"  J  it  lie,  madame,  avec  votre 

malheureux  .poux  et  même  avec  son  frère.  Eu 
me  communiquant  tous  les  ouvrages  de  Clotilde 


MARGUERITE      CHALls, 


de  Vallon,  il  m'avait  fait  part  de  son  plan  pour 
Pédition;  il  m'avait  engagé  à  l'aider  et  a  corriger 
certains  morceaux.  Sans  son  inflexible  amour 
pour  les  mots  les  plus  vieux  et  les  plus  inintel- 
ligibles,  je  m'en  serais  fait  un  plaisir;  car  le 
génie  sensible,  délicat  et  sublime  de  Clotilde 
perd  autant  par  la  barbarie  des  vieux  mots  insi- 
gnifiants que  Surville  lui  a  prêtés  dans  son 
enthousiasme  pour  la  langue  romane  que  par  une 
élégance  trop  moderne  qu'il  lui  a  quelquefois 
donnée  1.,.  » 

4°  A  ces  faits  recueillis  par  M.  Mace  nous 
pouvons  joindre  le  suivant  : 

Quand  le  marquis  de  Surville  quitta  la  Suisse 
pour  venir  en  France  remplir  la  mission  poli- 
tique qui  devait  avoir  pour  lui  un  résultat  si 
fatal,  il  passa  à  Lyon  et  alla,  un  soir,  surprendre 
un  de  ses  compatriotes  du  Vivarais,  M.  Cham- 
pahnet,  oncle  de  M.  Hippolyte  Champahnet,  dé- 
puté de  l'Ardéche  sous  Louis-Philippe.  Le  mar- 
quis portait  avec  lui  un  vieux  manuscrit  des 
poésies  de  Clotilde  dont  il  donna  lecture  à  ses 
hôtes  pendant  les  quelques  jours  qu'il  passa  à 
Lyon.  Ce  manuscrit  était  chargé  de  corrections 
et  de  ratures.  M.  Hippolyte  Champahnet  en 
avait  copié  une  partie  2. 

i.  Macé,  p.  127. 

2.  Ce  fait  nous  a  été    raconté  par  M.  Tailhand,  député 


M  A  R  G  U  F.  R  I  T  K      C  H  A  L  I  s . 


Le  marquis  continua  sa  route  vers  le  Velay.  On 
sait  qu'il  fut  arrête  du  côté  du  Puy  et  fusillé 
dans  cette  ville  le  2  octobre  1798. 

La  veille  de  sa  mort,  il  écrivit  à  sa  femme 
une  longue  lettre  reproduite  pour  la  première 
fois  en  entier  par  M.  Macé  et  dont  il  suffira  de 
rappeler  le  passage  suivant  déjà  publie  par 
Vanderbourg : 

«  Je  ne  puis  te  dire  maintenant  ou  j'ai  laissé 
quelques  manuscrits  de  ma  propre  main,  rela- 
tifs aux  œuvres  immortelles  de  Clotilde  que  je 
voulais  donner  au  public.  Ils  te  seront  remis 
quelque  jour  par  des  mains  amies  a  qui  je  les  ai 
spécialement  recommandes.  Je  te  prie  d'en  com- 
muniquer quelque  chose  a  des  gens  de  lettres 
capables  de  les  apprécier,  et  d'en  faire  après  cela 
lusage  que  te  dictera  ta  sagesse.  Fai  te  au 

moins  que  ces  fruits  de  mes  recherches  ne  soient 
-talement  perdus  pour  la  postérité,  surtout 
pour  l'honneur  de  ma  famille  dont  mon  frère 
l'unique   et  dernier  -  ' .  » 

et  président  de  chambre  à  la  Cour  de  Nimes,  qui   le  tenait 
lui -même  de  son  parent,   M.  Hippolyte  Champanhet. 

cent,    dan  res    du 

Vivarais  pendant  lu    Révolution,    raconte  ainsi  la  mort  du 
marqi;  lie  : 

Arrivé  sur  la   place  d'Armes,   ■  If  r,    dit-il  à   l'offi- 

ui  commandait    le  d   I  inutile  de 

..der  un  prêtre  fidèle  ,  ,    d'ail- 


M  A  K  G  U  E  R  I   I   E      C  H  A  L  I  S . 


La  disparition  des  manuscrits  originaux  de 
Clotilde  est  expliquée,  dans  la  légende  survil- 
lienne,  soit  par  la  perte  d'une  malle  que  le  mar- 
quis, à  son  départ  de  Suisse,  aurait  remise  à  un 
homme  de  confiance,  soit  par  la  destruction  de 
tous  les  papiers  de  la  famille  de  Surville,  qui 
auraient  ete  livrés  en  1793  au  comité  révolution- 
naire de  Viviers  et  brûlés  par  ses  ordres. 

Environ  trois  ans  après  l'exécution  du  marquis 
de  Surville,  le  2  décembre  1801,  Charles  de  Van- 
derbourg  écrivit  a  sa  veuve  qui  habitait  l'ancien 
manoir  d'Olivier  de  Serres,  le  Pradel,  prés  de 
Villeneuve-de-Berg,  pour  lui  demander  commu- 
nication des  manuscrits  de  son  époux  et  lui  offrir 
d'en  être  l'éditeur1.  Vanderbourg  raconte  dans 

leurs,  à  de  grands  malheurs;  veuillez  donc,  s'il  vous  plaît, 
rn'envoyer  le  curé  constitutionnel.»  Le  pasteur  arrive.  «Je 
vous  plains,  monsieur,  lui  dit  le  marquis,  d'avoir  donné  ce 
funeste  exemple  de  prévarication;  je  sais  néanmoins  que, 
dans  le  cas  présent  où  je  me  trouve,  je  puis  me  servir  de 
vous.  Daignez  m'administrer.  »  Le  curé,  fondant  en  larmes, 
remplit  son  pénible  ministère.  M.  de  Surville  reçut  ses 
consolations  avec  une  piété  et  une  douceur  vraiment  angé- 
liques.Un  soldat  s'avance  pour  lui  bander  les  yeux.  «Com- 
ment! dit-il,  depuis  mon  enfance  ]e  sers  le  ciel  et  mon 
roi,  et  vous  ne  me  supposez  pas  assez  de  courage  pour 
voir  venir  le  plomb  mortel!  Frappez.  »  Il  est  à  l'instant 
obéi. 

1.  Pauline  de  Mirabel,  veuve  du  marquis  de  Surville, 
est  morte  en  1843  à  Villeneuve-de-Berg,  où  elle  partageait 


MARGUERITE      C  H  A  L I  S , 


cette  lettre  qu'il  a,  pendant  les  premiers  mois 
de  son  émigration,  en  1794,  résidé  a  DusseldorfF, 
en  même  temps  que  le  marquis  de  Surville,  lequel 
avait  dès  lors  donné  connaissance  à  plusieurs 
personnes  de  quelques-unes  des  poésies  de  Clo- 
tilde.  Vanderbourg  eut  même  communication  de 
l'un  des  volumes  de  ces  poésies  ;  et,  par  une  indis- 
crétion dont  il  s'accuse,  il  prit  copie  de  trois  des 
pièces  qui  s'y  trouvaient  :  la  romance  a  Rosa- 
lyre,  l'heroïde  a  Berenger,  le  chant  royal  à 
Charles  VIII. 

Mrne  de  Polier  et  le  marquis  de  Brazais,  infor- 
mes de   cette   démarche    par   Vanderbourg   lui- 
même,  s'adressèrent  aussitôt,  dans  le  même  but, 
a  MBM  de  Surville  qui,  d'ailleurs,  ne  possédait  pas 
encore  les  manuscrits  et  ne  les  reçut  que  quel- 
ques mois  plus  tard  de  la  famille  de  Chabanolle 
qui  le  marquis  avait  trouve  un  asile  dans  le 
00  »es  papiers  étaient 
pourparlers  qui  eurent  heu  alors  entre  La 
marquise  de  Surviile  et  les  trois  solliciteurs, 
que  les  divers  incidents  qui  précédèrent  la  publi- 
ât fort  1: 
pour   la    plup  notre    SUJel  .Les 

Vandc-r  M""'  de  Surviile  (il  y 

1rs  entre  la  prière,  la  lecture  et  le  soula^emc 
pauvres,  qui  la   regardaient  comme  leur   t; 
sur   Vilkneuve-de-Bcrg,  par  l'abbé  Mollier,  p.  52.) 


I  O  M  A  R  G  u  E  R  I  r  E     C  H  A  L  I  8. 

en  a  vingt  et  une)  font  le  plus  grand  honneur  a 
cet  écrivain  et  montrent  chez  lui  autant  de 
loyauté  que  de  délicatesse  de  sentiments.  La 
reproduction  intégrale  de  ces  lettres  montre  aussi 
l'impartialité  de  M.  Macé,  car  plus  d'un  lecteur 
attentif  en  tirera,  comme  nous,  la  conclusion  que 
Vanderbourg  lui-même  n'a  jamais  cru  d'une  foi 
bien  ferme  a  l'authenticité  des  poésies  de  Clotilde 
et  qu'il  avait  fini  par  ne  plus  y  croire  du  tout. 
Nous  allons  indiquer  brièvement  les  passages  a 
l'appui  de  cette  opinion. 

Des  le  lendemain  du  jour  ou  les  trois  volumes 
manuscrits  du  marquis  de  Surville  lui  sont  par- 
venus (22  juillet  1802),  Vanderbourg  exprime 
franchement  les  doutes  qu'ils  lui  ont  inspirés. 
((Je  me  suis  déjà  occupé  à  les  parcourir,  ecrit-il 
à  la  marquise,  et  je  vous  avouerai  franchement 
que  ce  que  j'en  ai  vu  n'a  encore  servi  qu'a  redou- 
bler mes  doutes.  Il  est  bien  singulier  que  le  poème 
le  plus  considérable  de.la  collection  soit  les  trois 
plaids  d'or  dans  l'un  des  volumes,  et  soit  devenu 
les  cinq  plaids  d'or  dans  un  autre  plus  récent. 
Comment  M.  de  Surville  n'a-t-il  pas  au  moins 
conservé  le  manuscrit  de  Jeanne  de  Vallon,  si 
les  originaux  de  Clotilde  même  n'existoient  plus? 
J'aurois  mille  autres  questions  à  vous  faire,  aux- 
quelles peut-être  vous  ne  seriez  pas  plus  en  état 
de  repondre  que  moi,  et  qui  toutes  révoquent  en 
doute,  d'une  manière  presque  irréfutable,  l'au- 


MARGUERITE      CHALIS.  II 

thenticite  des  manuscrits.  D'un  autre  côte,  on 
ne  sauroit  comprendre  comment  au  bout  de  trois 
cents  ans  un  homme  auroit  pu  si  bien  saisir  et 
peindre  les  sentiments,  les  intérêts  d; une  femme, 
d'une  mère,  d'une  Françoise  du  tems  de  Char- 
les  VII  ;  comment  il  se  seroit  amuse  a  faire  des 
rondeaux  contre  Alain  Chartier,  et  a  imaginer 
tous  les  personnages  dont  parle  Clotilde.  Je  m'y 
perds,  en  vérité;  ce  ne  sera  qu'après  une  lecture 
complète  et  réfléchie  que  je  pourrai  essayer  de 
former  un  jugement,  qui  peut-être  encore  se 
terminera  par  le  doute  K  » 

Dans  une  autre  lettre,  en  date  du  21  août  1802, 
après  avoir  dit  ce  qu'il  pensait  du  roman  le 
Chus  tel  d'Amour,  qui  «  est  évidemment  d'une 
main  moderne,  »  Vanderbourg  ajoute: 

"  Quant  au  second  cahier  qui  renferme  diffe- 
tnorceaux  que  M.  de  Surville  destin 
ce  qu'il  paroît,  a  faire  le  premier  volume  de  scmi 
édition,  j'avouerai  franchement  que  je  voudrois 
ne    lavoir  pas  vu.  Ce  vola  t    propre  qu'a 

détruire  toute  L'illusion  d(  -  de  Clotilde, 

qu'a   r  •  en  doute    leur   authenticité.     J'ai 

eu  l'honneur  de  vous  parler  de  la  confron- 
:  que  j'ai   faite  du  conte  de*   Plaids  d'or 
ce    volume    et  dans     l'ancien.    Il   y  a  quel- 
que chose  de  pif.   La  préface  de  Jeanne  de  Val- 

1.  Ifacé,  p.  13}. 


MARGUERITE     CHAHS. 


Ion  n'est  pas  non  plus  la  même  dans  les  deux 
volumes,  a  l'article  où  elle  parle  des  ouvrages 
de  Clotilde  qu'elle  veut  publier.  Elle  en  promet 
beaucoup  plus  dans  le  nouveau  volume,  et  comme 
Jeanne  de  Vallon,  depuis  sa  mort,  n'a  pu  faire 
aucune  découverte,  une  telle  différence  dans  ce 
qu'on  lui  fait  annoncer  répand  les  doutes  les 
plus  fondés  sur  sa  préface,  sur  son  existence 
et  par  conséquent  sur  celle  même  de  Clotilde 
et  sur  l'authenticité  des  manuscrits...  La  par- 
tie la  plus  intéressante  de  ce  volume  seroit 
l'histoire  abrégée  de  la  poésie  francoise  depuis 
Heloïse,  si  l'on  pouvoit  compter  raisonnablement 
sur  son  authenticité  ;  mais  cela  est  bien  difficile. 
Comment  croire  a  cette  succession  non  inter- 
rompue de  femmes- poètes  pendant  plusieurs 
siècles,  sans  qu'aucun  de  leurs  contemporains  en 
ait  rien  su?  Comment  croire  que,  tandis  qu'elles 
cultivoient  la  poésie  avec  tant  de  succès  et  avec 
des  progrès  si  marqués,  tous  les  hommes  de 
leur  temps  fussent  livrés  au  mauvais  goût  et  a 
l'ignorance,  excepté  quelques-uns  de  leurs 
amants?  M.  de  Surville  se  réclame  des  mémoires 
de  Clotilde  :  que  sont-ils  devenus?  Comment 
n;en  reste-t-il  pas  une  seule  page?...  Déplus, 
la  liste  des  ouvrages  que  contient  ce  même 
volume  est  très-nombreuse  ;  il  y  est  question 
d'un  poème  épique  tout  entier,  dont  nous  ne 
trouvons  plus   une  seule  ligne,  et  de  ce   roman 


MARGUERITE      CHAHS,  1 3 

du  Chàtel  d'Amour  que  nous  reconnoissons 
comme  apocryphe.  Clotilde,  qu'il  n'avoit  annon- 
cée, dans  son  ancien  manuscrit,  que  comme 
poète,  se  trouve  élevée  dans  le  prospectus  aux 
qualités  d'historien,  de  romancier,  de  philoso- 
phe :  en  un  mot,  la  Clotilde  de  1794  n'est  plus 
celle  de  1796;  elle  n'en  est  que  l'embryon,  et 
cependant  il  est  impossible  de  croire  que  M.  de 
Surville,  pendant  ces  deux  années  passées  hors 
de  France,  ait  pu  recouvrer  de  nouveaux  manu- 
scrits. Je  ne  vous  dirai  pas  que  ces  stances  de 
Barbe-de-Verrue,  qu'il  donne  ici  comme  tirées 
ta  de  Clotilde,  il  disoit,  en  1794,  les 
avoir  prises  dans  les  manuscrits  de  Saint-Ger- 
main-des-Pres,  ni  que  je  possède  la  copie  d'une 
traduction  de  Sapho  par  Clotilde  qui  ne  se  trouve 
•  dans  les  manuscrits  que  j'ai  reçus...  Ce 
sont  la  des  bagatelles  :  il  faut  en  venir  a  la  con- 

:i.     Vous     l'avez    déjà    prévue,     madame  ; 

jue  toute  personne  un  peu  instruite  qui  ne 
connoltroit  Clotilde  que  par  ce  volume,  que 
M.    de   Surville    voulait    publier    le    premier  de 

et  le 

^:t  sur  Les   pr  que  l'on  em, 

pour  en  démontrer  L'auto 

«  il  nom  maintenant  1  ■  volume 

ou  plutôt  le  premier,  car  il    est    le  plu 
Si  la  b  :  1 1  c a 1 1  ' > r  1 ,  L'ei 

|  lus  modernes,  et  certains 


i+  mar.guer.itl:    chahs, 


mots  nouvellement  inventés  font  soupçonner  à 
juste  titre  que  les  poésies  de  Clotilde  ne  sont 
pas  du  régne  de  Charles  VIII7  d'un  autre  côte, 
la  vérité  des  sentiments,  l'enthousiasme  poétique 
pour  des  événements  si  éloignés  de  nous,  quel- 
ques traits  qui  ne  peuvent  partir  que  du  cœur 
d'une  femme,  les  rondeaux  contre  un  poète, 
mort  il  y  a  trois  cents  ans,  combattent  puissam- 
ment pour  l'authenticité  des  pièces  renfermées 
dans  ce  volume.  La  préface  de  Jeanne  de  Vallon 
y  est  même  favorable,  pourvu  toutefois  qu'on 
ne  puisse  la  comparer  a  celle  de  la  seconde  édi- 
tion. En  un  mot,  qui  ne  connoît  que  ce  volume 
peut  au  moins  douter  i.  » 

Lettre  du  7  octobre  1802,  Vanderbourg  écrit  : 
«  Je  suis  reste  ferme  dans  mon  opinion  ou  plutôt 
dans  mes  doutes...  » 

Et  plus  bas  :  «  Puisque  le  ministre  ne  veut 
pas  croire  a  l'authenticité  des  poésies  de  Clotilde, 
il  est  inutile  de  soutenir  dans  le  public  une  opi- 
nion qui  n'est  pour  nous-même  que  douteuse  2.  » 

Lettre  du  9  juin  1803  adressée  au  frère  du 
marquis  de  Surville  :  «  Les  poésies  de  Clotilde 
feront,  au  premier  coup  d;œil,  autant  d'incre- 
dules  que  d'admirateurs  éclairés.  » 

Lettre  de  la  même  époque  à  Mme  de  Surville: 

1.  M.a.cè,  p.  134  à  137. 

2.  Macé,  p.   141. 


MARGUERITE      CHALIS.  J$ 

«  L'histoire  des  femmes-poètes  est  si  romanesque 
qu'il  auroit  mieux  valu  n'en  jamais  parler  *.  » 

Lettre  d'octobre  1805  :  «  M.  de  Villeneuve 
m'a  fait  passer  divers  morceaux  copies  de  sa 
main  ou  de  celle  de  M.  de  Surville  et  attribués 
a  Clotilde,  mais  je  vous  avoue  que  je  les  crois 
tous  supposes.  Tout  me  prouve  qu'en  cela  M.  de 
Surville  ressembloit  a  beaucoup  d'autres  a  qui 
l'appétit  vient  en  mangeant;  qu'il  n'avoit  réelle- 
ment emporté  de  France  que  tres-peu  de  pièces 
originales  de  Clotilde  et  qu'il  a  voulu  y  suppléer 
de  son  propre  fonds.  » 

La  rin  de  cette  lettre  est  encore  plus  caracté- 
ristique. Vanderbourg  dit  qu'il  ne  cesse  de  penser 
à  Clotilde  et  qu'il  acheté  tous  les  vieux  poètes 
qu'il  rencontre,  mais  sans  en  trouver  un  seul 
qu'on  puisse  lui  comparer,  soit  pour  les  pensées, 
soit  pour  la  perfection  de  la  versification  et  du 
"  Le  sentiment  seul,  ajoute-t-il,  soutient 
ma  foi,  mais  en  admettant  que  les  œuvres  de  la 
muse  de  l'An: 

Il  n  .:>le  que  de  la  à  considi  rer 

.1  •  il  n'y  a  pas  bi  m  loin. 
En  L'ouvrage   de  M.   Macé  démontre 

clairement  : 


i  p-  17*- 


\6  M  A  K  G  U  I.  R  I  I   IL     C  H  A  L 


i°  QueVanderbourg  n'a  été  que  l'éditeur  intel- 
ligent et  consciencieux  des  poésies  de  Clotilde, 
et  que  ces  poésies  provenaient  trés-réellement 
des  manuscrits  du  marquis  de  Surville  ; 

2°  Que  ce  dernier  a  eu  en  sa  possession  de 
vieux  manuscrits  qu'il  a  plus  ou  moins  altérés  en 
bien  ou  en  mal  ; 

3°  Que  les  poésies  assez  médiocres  dont  le 
marquis  de  Surville  est  l'auteur  avoué,  non  moins 
que  ses  affirmations  constantes,  a  la  veille  même 
de  sa  mort,  ne  permettent  pas  de  lui  attribuer 
l'œuvre  primitive  sur  laquelle  il  a  travaillé. 

Voici  la  conclusion  de  M.  Macé: 

«  Il  a  existé,  au  xve  siècle,  dans  le  Vivarais, 
une  femme-poéte  d'un  rare  mérite,  Clotilde  de 
Vallon,  épouse  de  Bérenger  de  Surville;  ses  vers 
ont  été  modifiés,  corrigés,  gâtés,  embellis,  au 
xvne  siècle,  par  une  de  ses  descendantes,  Jeanne 
de  Vallon,  et  à  la  fin  du  xviue,  par  le  marquis 
de  Surville  aidé  de  Mme  de  Polier  et  du  marquis 
de  Brazais.  Nous  n'avons  donc  pas  l'œuvre  pri- 
mitive ;  ce  que  nous  en  possédons  est,  suivant 
la  très-heureuse  et  très-juste  expression  d'un  cri- 
tique, un  excellent  tableau  original  retouché  far 
des  mains  habiles  1.  C'est  la,  j'en  suis  de  plus  en 
plus  convaincu,  le  dernier  mot  de  la  question  2.  » 

i.  Lava,  article  du  Moniteur,  26  juillet  1803. 
2.  Macé,  p.  193. 


MARGUERITE     CHALIS.  r  7 

Que  les  poésies  de  Clotilde  soient  un  excellent 
tableau  original  retouché  par  des  mains  habiles, 
nous  ne  le  contestons  pas,  en  faisant  nos  réserves 
pour  la  date  ;  mais  qu  elles  soient  l'œuvre  de  la 
personne  indiquée  par  la  légende,  voilà,  croyons- 
nous,  ce  qu'on  ne  pourra  plus  dire  en  présence 
des  documents  que  nous  venons  livrer  a  la 
publicité  et  dont  nous  allons  d;abord  raconter 
l'origine. 


Avant  nos  désastres  de  1870,  nous  avions  de 
temps  a  autre,  a  Paris,  le  plaisir  de  nous  ren- 
contrer avec  deux  de  nos  compatriotes  et  amis, 
M.  Henri  d'Audigier  et  M.  Henri  de  la  Garde. 
Le  pays  natal  tenait  naturellement  une  large 
place  dans  nos  causeries,  et  c'est  ainsi  que 
d'Audigier  nous  lut  quelques- uni 
fort  curieuses  qu'il  avait  découvertes  dan-  un 
vieux  manuscrit,  petit  in-4*,  provenant  du  châ- 
de  Chômera:,  manuscrit 
que  lui  avait  .  Ce   pré- 

cieux  débris,  miraculei  ppé  aux  ruines 

et  demi,  et  que  nous  contem- 

n  1  tait    autre 

quel  tre    de  notaire   [Manuale  notarum) 

Antoine    de  Brion,  n  ttaire  a  Privas, 

pour  l'année  1437.  D'Audigier,  qui  avait  autant 

•  m%  1  amour  des  choi  rineSj  inrtout 

\ 


itt  MARGUERITE     C  H  ALI  S. 

de  celles  qui  se  rattachent  à  l'histoire  du  Viva- 
rais,  était  parvenu,  bien  qu'étranger  à  l'étude 
des  chartes,  a  déchiffrer  entièrement  ce  véné- 
rable bouquin  et,  au  moyen  des  indications  de 
toutes  sortes  qu'il  y  avait  recueillies,  il  se  pro- 
posait de  reconstituer  l'ancien  Privas  du  xve  siècle, 
avec  son  état  civil,  son  aspect  féodal,  ses  mœurs 
et  sa  topographie. 

Deux  articles  publiés  par  lui  en  1869  ou  1870 
dans  le  Constitutionnel  donnent  une  idée  de 
l'intérêt  qu'aurait  présenté  ce  travail,  même  pour 
des  lecteurs  non  vivarois.  Le  premier  racontait, 
d'après  un  acte  du  Manuale  notarum,  une  action 
intentée  par  un  Privadois  a  un  autre  Privadois 
qui  l'avait  traité  de  Bourguignon  (on  dirait 
aujourd'hui  Prussien)  ,  et  le  second  commentait 
d'une  manière  fort  judicieuse,  en  les  comparant 
au  temps  présent,  les  conventions  passées  par 
un  patron  privadois  avec  son  apprenti. 

Les  événements,  puis  la  maladie,  empêchèrent 
cet  érudit  et  charmant  écrivain  de  mener  a 
bonne  fin  la  tâche  qu'il  s;était  donnée,  mais  les 
notes  qu'il  a  laissées  ne  seront  pas  perdues,  car 
M.  Henri  de  la  Garde  a  résolu  de  continuer  cet 
intéressant  travail,  et  nous  savons  qu'il  a  déjà 
mis  la  main  a  l'œuvre. 

D'Audigier  avait  trouvé  dans  le  Manuale  nota- 
rum les  trois  pièces  qu'on  trouvera  a  la  lin  de 
cet  opuscule,  et  il  nous  les  avait  lues  plus  d'une 


MARGUERITE     CHALIS.  1 9 

fois  en  faisant  observer  combien  elles  détrui- 
saient radicalement  la  fiction  poétique,  attribuée 
par  lui  à  Vanderbourg,  mais  dont  l'ouvrage  de 
M.  Macé  fait  remonter  la  responsabilité  au 
marquis  de  Surville.  Notre  dernière  rencontre 
avec  d'Audigier  date  de  septembre  1871  ;  elle 
eut  lieu  chez  M.  Henri  de  la  Garde,  qui,  encore 
cloue  après  dix  mois  sur  son  fauteuil,  des  suites 
d'une  blessure  reçue  a  l'assaut  du  plateau  de 
Cœuilly,  recevait  notre  commune  visite.  Quant 
a  d'Audigier  qui  avait  aussi  fait  bravement  son 
devoir,  en  qualité  d'artilleur  auxiliaire,  il  était 
trop  visible  qu'il  ne  survivrait  pas  a  la  terrible 
maladie  que  lui  avaient  value  les  fatigues  et  peut- 
être  les  privations  éprouvées  pendant  le  siège. 
Il  avait  une  de  ces  toux  caractéristiques  qui  ne 
pardonnent   guère,  et   lui-men,  jns-nous, 

ne  se  faisait  pas  illusion  sur  ion  état.  Il  partit  peu 
après  pour  Alger  en  emportant  ses  chers  manu- 
scrits et  entre  autres  Le  HanUdlê  noturum.  On 
sait  qu'il  revint,  l'été  suivant,  mourir  au  Bourg- 
Saint-Ami 

documents    que    nous   venons  livrer  a   la 

par  nous  sur  la  copie 

qu'en  avait  f..  :  toutefois 

p  collationné  la  a  le  manu 

toujours    entre    les     mains   de 
M.  Henri  de  !     G  lonl  nous 

re  que  le 


20  MARGUERITE     C  H  A  L  I  S . 


pement  de  celles  qu'avait  fait  naître  chez  d'Audi- 
gier  et  que  fera  naître  dans  tout  esprit  non  pré- 
venu la  comparaison  de  la  légende  de  Clotilde 
de  Surville  avec  l'histoire  de  Marguerite  Chahs, 
femme  de  Bérenger  de  Surville. 


Dès  l'apparition  des  Poésies  de  Clotilde  en 
1803,  la  notice  mise  par  Vanderbourg  en  tête 
du  volume  fut  sévèrement  jugée.  On  lui  repro- 
cha d'avoir  accueilli  trop  facilement  des  fables 
indignes  de  trouver  place  sous  la  plume  d'un 
écrivain  sérieux.  On  a  vu  plus  haut  ce  que  Van- 
derbourg pensait  lui-même  des  difficultés  de  sa 
tâche,  et.  quand  on  connaît  sa  correspondance, 
on  est  beaucoup  plus  disposé  à  le  plaindre  qu'a 
le  blâmer  du  rôle  que  ses  ouvertures  et  ses  offres 
spontanées  a  Mme  de  Surville  l'obligeaient  en 
quelque  sorte  de  remplir  jusqu'au  bout.  Dans  la 
notice,  qui  est  le  résultat  de  cette  fausse  situa- 
tion, Vanderbourg  a  tire  tout  le  parti  possible 
d'une  cause  impossible  à  défendre;  et  si  son 
œuvre  est  fatalement  restée  un  déri  porté  à  l'his- 
toire et  au  sens  commun,  il  était  aisé  d'y  voir, 
entre  les  lignes,  même  avant  la  divulgation  de 
sa  correspondance,  que  l'écrivain  protestait  plus 
d'une  fois  contre  la  dure  obligation  imposée  a 
l'éditeur  et  à  l'ami. 


MARGUERITE     C  H  A  L  I  3 .  21 

La  notice,  en  effet,  malgré  quelques  réserves 
prudentes,  ne  tend  rien  moins  qu'a  faire  accep- 
ter comme  vraie  au  fond,  sinon  dans  tous  les 
détails,  cette  brillante  généalogie  de  poètes  fémi- 
nins (dont  Vanderbourg  est  le  premier  a  se 
moquer  dans  ses  lettres)  qu'avait  imaginée  l'au- 
teur de  la  légende,  pour  expliquer  le  phénomène 
littéraire  qu'aurait  présenté  sans  cela  l'existence 
de  Clotilde  au  xve  siècle.  Cette  généalogie,  où 
les  noms  mêmes  exhalent  une  odeur  de  roman, 
commence  a  Héloïse  Fulbert,  l'amante  d'Abai- 
lard,  et  se  continue  jusqu'à  Clotilde  en  passant 
par  Agnes  de  Bragelongne,  Doéte  de  Troves, 
Marie  de  France,  Sainte-des-Prez,  Barbe  de  Ver- 
rue, Rose  de  Crequy,  Flore  de  Rose,  Rose 
■ces,  Amélie  de  Montendre,  Victoire  delà 
Tour,  Hélène  de  Grammont,  Claire  de  Parthe- 
nay,  Blan  l  ifin  Justine  de 

Levis,  la  soi-disa:  Cl  >t:lde. 

L'histoire  de    cette   Justine    de  Levis  va    nous 
donner     0  de    la    façon    de    procéder  du 

m. 
.:s  de  Pu;  un  nom  i 

invra  >le   avant  1    î  ri 

M11'  d  -   LOUÏI  moi- 

sel  français  du  Kh  ir  el 

•    surtout    raillant   cavalier,    puisqu'un 
jour.  .  ra  quinze 

quarante 


M  A  R  G  U  E  R  III".      C  H  A  L  I  S , 


écumeurs  de  mer,  presque  tous  gigantesques,  et 
dont  la  moitié  tombèrent  sous  ses  coups.  Pendant 
une  de  ses  pérégrinations  en  Italie,  Louis  de 
Puytendre  s'endormit  un  jour  dans  une  forêt. 
Justine  de  Lévis,  une  noble  Italienne,  se  prome- 
nant de  ce  côté  avec  deux  de  ses  parentes, 
l'aperçut.  La  beauté  du  cavalier  frappa  les  trois 
jeunes  amies.  Justine  surtout  en  reçut  une  im- 
pression qui  ne  s'effaça  jamais.  Elle  ne  put  s'em- 
pêcher de  déposer  ses  tablettes  auprès  du  bel 
inconnu  après  y  avoir  écrit  les  vers  suivants  en 
guise  de  déclaration  : 

Occhi,  stelle  mortali, 
Ministri  de  miei  mali, 
Se  chiusi  m'uccidete, 
Aperti,  che  farete  ? 

(Yeux,  étoiles  mortelles,  —  ministres  de  mes  maux,  — 
si,  fermés,  vous  me  blessez,  —  ouverts,  que  ferez-vous  ?) 

Après  ce  beau  fait,  elle  s'éloigna  bien  vite  ainsi 
que  ses  compagnes.  On  peut  juger  de  l'etonne- 
ment  de  Puytendre  lorsqu'à  son  réveil  il  trouva 
les  tablettes  et  lut  ce  qu'elles  contenaient.  Il  ne 
s'occupa  plus  que  de  la  recherche  de  l'inconnue, 
et  il  parcourut  inutilement  l'Italie  entière  ;  enfin, 
au  bout  de  dix-huit  mois,  étant  allé  a  un  tournoi 
que  les  Visconti  donnaient  a  Modene,  il  y  re- 
trouva Justine,  fut  reconnu  d'elle  et  l'épousa. 


MARGUERITE      CHALIS.  23 

Notons,  en  passant,  que  les  vers  italiens  cites 
plus  haut  sont  de  Guarini,  qui  vivait  au  xvie  siècle, 
et  que  l'aventure  dont  il  s'agit  a  été  racontée 
du  poète  anglais  Milton. 

L'histoire  de  Pulchérie,  la  mère  de  Clotilde, 
n7est  guère  moins  romanesque  que  celle  de  son 
aïeule. 

Pulchérie  naquit  a  Paris  «  ou  elle  passa  neuf  à 
dix  années  de  son  enfance  et  de  sa  première 
jeunesse...  le  goût  des  lettres  fut  cultivé  chez 
elle  par  le  célèbre  Froissard.  »  A  dix-sept  ans,  elle 
fut  conduite  a  la  cour  de  Gaston  Phœbus,  comte 
de  Foix.  Tandis  que  l'histoire  nous  représente  ce 
prince  comme  occupe  de  guerres  continuelles, 
^ende  survillienne  en  fait  une  sorte  de  père 
des  lettres  dont  la  bibliothèque  du  palais  d'Or- 
thez   contenait  ce  qui   n'était  réuni   a  cou; 

aucune  autre  bibliothèque  de  l'époque.  On 
y  trouvait,  en  outre  de  nombreux  manu- 

;i   Afrique  a  la 
fureur  des  premj  ilmans,   les  meilleurs 

ou > l'dç'-.-  itali  ux  de  n  trou- 

1  Pul  hé- 

I  11  avait  une  : 

□  i    nombre    de 

■  surtout  des  femmes  qui  avaient  cultivé 

la   langue    fran  oert. 

Fuie,1 


MARGUERITE     C  H  A  L  I  S, 


de  Froissard,  son  maître,  et  en  composa  une  guir- 
lande poétique  où  les  chefs-d'œuvre  des  anciens 
se  trouvaient  entourés  de  ce  qui  avait  paru  de 
meilleur  en  France  et  en  Italie.  Agnès  mourut 
avant  que  ce  travail  fût  achevé.  Pulchérie  était 
une  vaillante  amazone.  Le  comte  de  Vallon  rom- 
pit une  lance  avec  elle  et,  d'après  les  conditions 
de  la  joute,  Pulchérie,  s'étant  laissé  vaincre,  con- 
sentit à  lui  donner  sa  main.  Après  la  mort 
d'Agnès,  Pulchérie  obtint  la  permission  de  quitter 
la  cour  pour  suivre  son  époux  en  Vivarais,  et  Gas- 
ton lui  permit  d'emporter  les  copies  qu'elle  avait 
faites.  Pulchérie  avait  déjà  deux  nls,  mais  ce  ne 
fut  qu'après  dix  ans  de  séjour  à  Vallon  qu'elle 
donna  le  jour  a  Clotilde. . .» 

Donc,  puisque  Clotilde  est  née  en  14.05  ou  1406, 
Pulchérie  quitta  Orthez  en  139$  ou  1396.  Or 
l'histoire  fait  mourir  Gaston  Phœbus  en  1391, 
c'est-a-dire  quatre  ou  cinq  ans  avant  l'époque  où 
il  aurait  permis  à  Pulchérie  d'emporter  les  copies 
faites  par  elle  a  Orthez,  copies  qui  sont  si  impor- 
tantes, dans  le  système  de  la  légende,  pour 
expliquer  chez  Clotilde  la  rare  connaissance  de 
la  langue  française  et  des  auteurs  anciens  et  con- 
temporains que  révèlent  ses  poésies. 

La  fable  survillienne  atteint,  dans  le  récit  de 
la  naissance  de  Clotilde  ,  un  tel  degré  d'invrai- 
semblance, que  Vanderbourg  n'a  pas  osé  en  faire 
usage,  laissant  ce  soin  à  Charles  Nodier  et  Rou- 


MARGUERITE     CHAHS.  25 

joux,  dont  la  publication1,  vingt-quatre  ans  plus 
tard,  vint  jouer  dans  cette  affaire  le  rôle  d'enfant 
terrible. 

Clotilde  naquit  dans  une  forêt  près  de  Vallon. 
Sa  mère,  la  belle  Pulcherie  de  Fay-Collan,  femme 
de  Louis-Alphonse-Ferdinand  de  Vallon,  s'etant 
égarée  a  la  chasse,  en  accoucha  non  loin  de  la 
cabane  d'un  bûcheron,  —  un  faux  bûcheron  enlevé 
par  une  princesse  anglaise,  Alienor,  la  tille  des 
Tynds,  qui  avait  voulu  s'ensevelir  avec  lui  dans 
cette  contrée  sauvage.  Alienor,  devenue  subite- 
ment jalouse  de  la  beauté  de  Pulcherie,  favorisa 
l'enlèvement  de  l'accouchéepar  un  seigneur  voisin, 
le  comte  de  B...  Quand  le  bûcheron,  qui  était  allé 
prévenir  au  château  de  Vallon,  revint,  il  trouva 
Alienor  allaitant  Clotilde,  ce  qui  peut  paraître 
assez  extraordinaire  de  la  part  d'une  femme  qui 
n'a  pas  de  nourrisson  elle-même.  Cédant  aux 
reproches  de  son  mari,  le  bûcheron.  Alienor  alla 
en  personne  redemander  Pulcherie  au  comte 
,...  On  lui  rendit  L'accon  h  e,  mais  on  la 
retint  cil  L     château  de   B...   fut  alors 

inr  L'ordre  du  roi,  par  sept  leigneurs 

Clotilde   comparent 
aux   sept    preux   devant    'I  Enfin    A. 

voua  une  proi  I  fille, 

1.   Poésies   inédites  de  Clotilde  de  Survill  .  pveu, 

éditeur,    1 


2.6  MAKGU  I .  K  I  1  1".      C  H  k  L 1 9. 

et  ses  leçons  exercèrent  sur  Clotilde  une  grande 
influence.  Aliénor  était  non-seulement  poète  et 
musicienne,  mais  elle  possédait  aussi  des  secrets 
admirables  de  physique  qui  la  firent  passer  pour 
sorcière.  «  On  l'arracha  des  bras  de  son  époux 
le  bûcheron  pour  la  traduire  à  Viviers  devant  le 
juge  épiscopal  qu'elle  traita  d'imbécile  et  de  fana- 
tique avec  tant  d'énergie,  de  sang-froid  et  de 
dignité,  qu'il  n'osa  prononcer  la  fatale  sentence. 
Clotilde,  déjà  veuve  et  fort  éloignée,  fut  instruite 
trop  tard  de  ce  danger  affreux;  et  comme  elle 
accourait  avec  le  bûcheron  qui  fut  l'en  avertir, 
ils  apprirent  sa  fin  tragique  qui  n'était  pourtant 
pas  celle  qu'on  peut  présumer.  Mais  je  préfère 
m'arrêter  ici  sur  ce  point  plutôt  que  de  risquer 
le  croquis  du  tableau  le  plus  déchirant  qu'offre 
la  totalité  des  mémoires  de  Clotilde.  Elle  et  son 
fils  retrouvèrent  un  père  tendre  dans  linconso 
lable  mari  d'Aliénor;  eux  seuls  lui  firent  supporter 
la  vie  et  semèrent  quelques  fleurs  sur  le  reste 
de  ses  jours  *,  » 

Tels  sont  les  contes  à  dormir  debout  dont  le 
marquis  de  Surville  accompagnait  a  Lausanne  la 
publication  des  premiers  extraits  de  Clotilde. 

Mais  abordons  la  vie  de   Clotilde  elle-même. 

A  peine  âgée  de  onze  ans,  par  conséquent  vers 
1417,  Clotilde  traduit  en  vers  une  ode  de  Pétrar- 

1.  Poésies  inédites  de  Clotilde,   1827,  p.  287. 


MARGUERITE     CHALIS.  27 

que  qui  est  aussitôt  envoyée  à  Christine  de  Pisan, 
laquelle,  ravie,  se  hâte  de  lui  remettre  tous  ses 
droits  au  sceptre  de  l'Helicon.  Quand  on  songe 
aux  difficultés  que  l'époque  opposait  aux  commu- 
nications de  tout  genre,  et  dans  le  Vivarais  encore 
plus  qu'ailleurs;  quand  on  songe  que  les  premiers 
essais  de  l'imprimerie  datent  seulement  de  14.40 
et  que  les  procèdes  de  Gutenberg  ne  furent 
longtemps  appliqués  qu'a  la  Bible  et  à  quelques 
œuvres  capitales  de  l'antiquité,  on  a  bien  quelque 
droit  de  s'étonner  de  la  facilite  avec  laquelle  le 
manuscrit  d'une  petite  fille  de  onze  ans  court  du 
Vivarais  a  Paris  et  de  la  rapidité  avec  laquelle 
Christine,  qui  d'ailleurs  était  morte  en  141s, 
expédia  a  la  petite  fille  son  brevet  de  reine  de 
l'Heiicon. 

Clotilde  parut  faire  peu  de  cas  du  suffrage 
de  Christine  ;  mais  voici  qui  n'est  pas  moins 
merveilleux  :  «  pour  qu'on  ne  la  soupçonnât  plus 
de  vouloir  effacer  Pétrarque,  elle  ne  s'attacha 
plus  qu'aux  poètes  de  l'antiquité.  »  Si  Pétrar- 
que eût  encore  vécu  a  cette  époque,  et  s'il  avait 
eu  avec  le  Vivarais  les    relations  faciles  qu'avait 

fine  de  Pisan,  il  aurait  certainement  con- 
sacre t  a  célébrer  une  modestie  si  extra- 
ordinaire a  c  ■  • 

.  teur  de  la  légende  a  soin  d'amener  auprès 
de  Clotil  ie,  pour   expliquer  La  perfection  d 

langue,  des  filles  charmantes,  entre  antres  Louise 


2.H  MARGUERITE     CHALIS 

d'Effiat  et  Rose  de  Beaupuy  qui,  «  nées  dans  la 
capitale  et  par  conséquent  habituées  a  parler  un 
français  plus  châtie  que  celui  du  temps  de  Pul- 
chérie,  instruisirent  Clotilde  de  l'empire  de 
l'usage  sur  les  locutions  et  la  mirent  en  état  de 
juger  sainement  les  écrivains  de  cette  époque 
bâtarde.  » 

Il  y  avait,  de  plus,  avec  elle,  Tullie  de  Royan 
et  l'Italienne  Rocca  qui  étaient  «  de  vrais  poètes  », 
et  si  ces  illustres  inconnues  n'ont  «  rien  laissé 
pour  leur  propre  compte  a  l'admiration  delà  pos- 
térité, c'est  qu'elles  sacrifièrent  tout  au  tendre 
intérêt  que  leur  inspirait  Clotilde.» 

«  Pour  qu'il  ne  manquât  rien  a  cette  académie 
naissante,  Jean  du  Sault,  savant  distingué,  et 
homme  de  beaucoup  de  goût,  voulut  bien  en 
être  l'Aristarque  et  juger  les  productions  des 
jeunes  amies.  » 

Le  malheur  est  que  Jean  du  Sault  est  tout 
aussi  inconnu  que  le  reste  de  l'entourage  fan- 
tastique que  la  légende  donne  à  Clotilde,  entou- 
rage que  l'état  social  du  Vivarais  à  cette  époque 
rend  d'ailleurs,  quelque  passager  qu'on  le  sup- 
pose, complètement  invraisemblable. 

«  Ce  fut  en  1421  que  Clotilde  connut  et  aima 
Bérenger  de  Surville,  alors  âgé  de  vingt-deux 
ans  :  il  était  beau,  bien  fait,  aimable  ;  Clotilde 
l'épousa  la  même  année,  malgré  la  perte  encore 
récente  de  sa  mère...  A  peine  marié,  Bérenger 


MARGUERITE     CHAHS.  2$ 

se  sépara  de    son  épouse   pour   aller  joindre  le 
Dauphin,  depuis  Charles  VII,  au  Puy  en  Velay...* 

C'est  alors  qu'elle  envoie  a  son  époux  la  déli- 
cieuse heroïde : 

Clotilde  au  sien  amy  doulce  mande  accolade, 
A  son  espoulx,  salut,  respect,  amour!... 

La  légende  raconte  que  l'héroïde  reçut  un  indi- 
gne accueil  au  camp  même  de  Charles  VII.  «En 
effet,  la  langue  de  Clotilde,  mèlee  de  beaucoup 
de  mots  latins  et  italiens,  devait  être  fort  obscure 
pour  les  chevaliers  du  Dauphin,  non  moins  igno- 
rants que  braves.  Ce  défaut  ne  devait  pas  exister 
pour  les  erudits  du  siècle;  mais  Alain  Chartier, 
leur  coryphée,  se  déclara  contre  l'héroïde  et  em- 
porta sans  doute  les  voix  des  autres  littérateurs.  ■ 

Il  paraît  que  Clotilde  avait  eu  le  tort  de  témoi- 
gner peu  d'admiration  pour  les  vers  d'Alain 
Chartier.  Celui-ci  lui  rendait  la  monnaie  de  sa 
pièce.  Clotilde  piquée  dirigea  plusieurs  rondeaux 
contre    Alain    Chartier.     L'epître    a    Margu 

ose,  indi  |  tant  d'une 

époque    b:  n'est  pas   autre    i 

qu'un*:  ^atire  contre  .m. 

L'union  de  clotilde  avec  Bérenger  de  Surville 
dura  sept  B  nournt  victime  <i 

courage  et  de  son  patriot:  ^édi- 

tion hasardent  i  il  laissa  un 

fils  unique,  Jean  de  Suiville. 


3  O  MARGUERITI.     CHALIS. 


Clotilde  forma  des  élevés  :  Sophie  de  Lyonne 
et  Juliette  de  Vivarez,  qui  se  retirèrent  ensemble 
à  l'abbaye  de  la  Villedieu  ;  deux  jeunes  Écossaises, 
Céphise  et  Camille  de  Queensburg,  Louise  de 
Royan,  Jeanne  Flore,  Célinde  Millaflor,  etc. 

Les  élèves  de  Clotilde  n'étaient  pas  moins 
extraordinaires  qu'elle.  C'est  ainsi  que  Sophie  de 
Lyonne  —  une  Bourguignonne  attirée  en  Vivarais 
par  le  désir  ardent  de  connaître  Clotilde  et  de 
profiter  de  ses  leçons  —  «  récita  Y  Iliade  entière 
après  une  étude  de  quinze  ou  vingt  jours.  » 

Le  bruit  du  talent  de  Clotilde  serait  aussi  par- 
venu aux  oreilles  du  duc  Charles  d'Orléans  et 
de  la  Dauphine  Marguerite  d'Ecosse,  qui  l'enga- 
gèrent à  venir  à  la  cour  ;  mais  elle  repoussa  cette 
offre. 

Clotilde  maria  son  fils  unique,  Jean  de  Sur- 
ville, à  Héloïse  de  Goyon  de  Vergy,  qui  mourut 
à  Vessaux  en  1468,  à  l'âge  de  quarante-deux  ans, 
laissant  quatre  garçons  et  trois  filles.  Clotilde  fit 
une  élégie  sur  la  mort  d; Héloïse. 

Elle  écrivit  son  chant  royal  à  Charles  VIII,  à 
la  nouvelle  de  la  bataille  de  Fornoue  en  149$. 

Elle  serait  morte  à  Vessaux  presque  cente- 
naire. 

La  légende  continue  en  racontant  qu'au  xvne  siè- 
cle, Jeanne  de  Vallon ,  femme  de  Jacques  de 
Surville,  cinquième  descendant  de  Clotilde,  avait 
préparé  une  édition  des  œuvres  du  poète,  mais 


MARGUERITE    CHAHS.  3  I 

qu'elle  mourut  avant  d'avoir  achevé  son  entre- 
prise. 

Enfin  les  éditeurs  des  Poésies  inédites  donnent 
l'aperçu  suivant  des  œuvres  de  Clotilde  : 

«  Le  nombre  des  ouvrages  de  Clotilde  dont 
les  titres  nous  sont  connus  est  plus  grand  qu'on 
ne  peut  l'imaginer.  Ceux  que  M.  de  Surville  avait 
destines  a  l'impression  eussent  complété  huit 
volumes  in-8°  de  700  a  800  pages  chacun.  Indé- 
pendamment des  poèmes,  des  poésies  légères, 
des  nouvelles,  des  drames,  des  contes,  on  y  eût 
trouve  deux  plaidoyers  éloquents  en  faveur  de 
l'infortune  Jacques  Cœur,  grand  argentier  de 
France,  une  théorie  des  couleurs,  une  histoire 
de  l'Atlantide  en  douze  livres,  une  histoire  com- 
plète de  la  poésie  française,  des  notices  fort 
curieuses  et   I  ;  lues  sur  la  vie  et  les  ou- 

vrages des  femmes-poètes,   et   des  mémoires  du 
plu    haut    intérêt    sur    !■  t    les 

hommes  célèbres  de  cette  époque.  Dan-    es  m  - 
moires  divisés  en  huit  livres,  cinq  étaient  entiers, 
lit  que  d  -  des  deux 

antres.  Un  ouvrage  auquel  Clotilde  avait  travaille 
quarante  mm  c  uneuse 

collection  it    un    p 

'    des   hauts   faiti  inné 

d'Arc  . 
On  com  oit  fort  ai  de  Vander* 


3* 


MARCUKRITE     CHAL 


bourg  en  trouvant  cette  enumération  dans  les 
papiers  de  M.  de  Surville  et  Ton  comprend  aussi 
qu'il  se  soit  empressé  de  laisser  de  côté  des 
données  aussi  douteuses  et  aussi  compromet- 
tantes. 


A  la  légende  opposons  les  faits  certains  et  les 
actes  authentiques. 

En  premier  lieu,  il  n'y  a  jamais  eu  en  Vivarais 
de  famille  noble  de  Vallon.  Les  deux  plus  récents 
champions  de  Clotilde,  M.  Eugène  Villedieu  et 
M.  Vaschalde,  le  reconnaissent  eux-mêmes.  Ce 
sont  les  barons  de  la  Gorce  et  les  barons  d'Ap- 
chier  qui,  du  xive  au  xvie  siècle,  ont  possédé  la 
seigneurie   de   Vallon1   où   le   nom   de    Vallon- 


i.  Géraud  de  la  Gorce,  chevalier,  seigneur  de  la  Gorce, 
de  Mirabel  et  de  Grospierre,  acquit  la  seigneurie  de  Val- 
lon par  son  mariage  avec  Mignone  Vilatte,  dame  de  Vallon, 
vers  la  fin  du  xiv»  siècle. 

Anne  de  la  Gorce,  leur  fille,  épousa,  le  8  mai  1408, 
Béraud,  seigneur  d'Apchier  (aujourd'hui  Apcher,  commune 
de  Prunières,  Lozère),  de  Ceray,  de  Vabre,  de  Vazeilles 
(Haute-Loire),  de  Chély  (aujourd'hui  Saint-Chély,  Lo- 
zère), d'Arzens  (aujourd'hui  Arzenc,  Lozère),  et  de  Mon- 
taleyrac,  —  qui  testa  le  20  février  1452. 

Béraud  d'Apchier  et  Anne  de  la  Gorce  eurent  pour  fils 
Claude,  baron  d'Apchier,  seigneur  de  la  Gorce,  de  Vallon, 


MARGUERITE     CHAL1S.  33 

Chalys  a  toujours  été,  croyons-nous,  inconnu 
avant  la  publication  de  Vanderbourg  et  le  beau 
roman  de  M.  Eugène  Villard1. 

Tous  les  noms  de  l'entourage  de  Clotilde,  à 
part  ceux  de  Loire  et  de  Poitiers 2,  sont  entiè- 
rement inconnus  dans  le  Vivarais  et  même  aux 
environs. 

Bérenger  de  Surville  n'est  pas  un  mythe,  puis- 


deSalavas  et  de  Mirabel,  — qui  testa  le   12  novembre  1472. 

Claude  d'Apchier  eut  pour  héritier  son  frère  Jean  d'Ap- 

chier,  seigneur  à'Arzens,  qui  avait  épousé  Jeanne  de  Ven- 

tadour  le  i«r  novembre   1130,  et  qui  testa  le  8  juin  1466. 

Jean    d'Apchier    et  Anne    eurent  pour  fils    Jean,  baron 

d'Apchier,  seigneur  de  la  Gorce,  de  Vallon,  de  Salavas  et 

ibel,  qui  vendit  en   1484,  à  Charles  des  Astards,  les 

seigneuries  de  Vallon  et  de  Mirabel. 

Il  testa  le  9  janvier  1523  et  il  laissa,  de  Marie  de  Cas- 
telnau  de  Bretenoux,  son  épouse,  François-Martin,  baron 
d'Apchier,  seigneur  de  la  Gorce  et  de  Salavas,  né  le  il  no- 
vembre  1^09  et  mort  en  l$7$« 

'  moire    de    M.    Eugène  Villcdicu,    lu   à  la 
•tcs  de  l'Ardèche.    i">72.) 

1.  (  U  Valhm-Chal ,s ,  roman  du  temps  de 
Charles  VII,  par 

2.  La  maison  de  Pc 

:i   1239  où  Philippa,   tille  de  Guillaume  de 
pporta  en  dot  de  nombre..: 
Aymard  de  Poil  comte  de  S 

l'époque  où  Bérengcr  de  Survillc   se  maria,  le  gouverneur 
iur  la  ma  relait  Guillaume 


3  + 


MARGUERITE     C  H  A  L I  S , 


que  son  existence  est  démontrée  par  nos  docu- 
ments ;  mais  il  est  certain,  d'après  le  Manuale 
notarum: 

Qu'il  se  maria  en  1428,  et  non  pas  en  1421  ; 

A  Privas,  et  non  pas  à  Vallon  ; 

A  Marguerite  Chalis,  fille  de  feu  messire  Cha- 
hs, licencié  es  lois  à  Privas,  et  non  pas  a  Mar- 
guerite-Clotilde-Éléonore  de  Vallon-Chalis,  fille 
de  Ferdinand  de  Vallon  et  de  Pulchérie  de  Faï- 
Collan. 

Marguerite  est  désignée  dans  Pacte  par  la  qua- 
lification de  honestci  millier,  ce  qui  ne  signifie- 
rait pas  nécessairement  qu'elle  eût  été  déjà  ma- 
riée, si  cette  qualité  ne  ressortait  pas  d'un  autre 
acte  du  Manuale  notarum,  en  date  du  12  no- 
vembre 1427,  où  elle  est  nettement  designée 
comme  veuve  d'un  premier  mari  nommé  Ray- 
mond du  Bosco,  de  Barrés.  Il  est  à  remarquer 
que  la  terre  du  Bosco  ou  du  Bois  au-dessus  de 
Chomérac  était  bien  dans  ce  qu'on  appelait  alors 
le  mandement  de  Barrés. 

Une  circonstance  est  à  noter  dans  cet  acte  du 
12  novembre.  L'examen  du  texte  montre  qu'avant 
d'écrire  les  mots  honestam  mulierem  Marga- 
ritam,  le  notaire  a  eu  d'abord  la  pensée  d'écrire 
nobilem,  puis  il  a  réfléchi,  et  après  avoir  écrit  la 
première  syllabe  nob,  il  Pa  biffée. 

Marguerite  n'était  donc  pas  noble,  mais  elle 
était  presque  considérée  comme  noble,  soit  par 


MARGUERITE     CHALI5.  3  $ 

sa  fortune,  soit  peut-être  par  son  premier  ma- 
riage. 

C'était,  dans  tous  les  cas,  une  riche  héritière. 
Quelques  mois  avant  son  mariage,  sa  tante,  Flo- 
rence Chalis,  l'avait  instituée  sa  légataire  princi- 
pale et,  d'après  les  autres  legs  que  contient  le 
testament,  on  peut  supposer  que  l'héritage  de 
cette  tante  était  considérable. 

Il  resuite  de  son  contrat  de  mariage  avec  Bé- 
renger  de  Surville  qu'elle  avait  des  propriétés  a 
Privas  et  a  Vessaux  que  son  futur  époux  s'enga- 
geait a  venir  gérer  personnellement,  en  y  éta- 
blissant la  résidence  conjugale,  outre  d'autres 
propriétés  à  Sceautres  et  Rochemaure  dont  elle 
entendait  garder    la  disposition  personnelle. 

Aux  termes  de  l'acte,  qui  porte  la  date  du 
4  janvier  1*28,  Marguerite  avait  en  ce  moment- 
la  plus  de  vingt  ans  et  moins  de  vingt-cinq,  ce 
qui  correspond  exactement,  a  la  date  1405  ou 
1406  indiquée  par  la  1  gende  comme  étant  celle  de 
la  naissance  de  Clotil 

En  outre  de  précautions  tres-detaillces  réglant 
les  questions  d'intérêt,  qui  prouvent  que  les  no- 
taires d'à.  Lient  pas  moins  minutieux  que 
ceux  d'aujourd'hui,  il  est  stipule  dans  l'acte  que 
îger  achètera  a  sa  future  '.es  bijoux 
pour    une    valeur    de    vingt-cinq    mouton.s 

dont  elle  disposera   a  son  gré  tant   pendant  sa 

vie  que  pour  a]  de  plus,  qu'il  de- 


36  MARGUERITE     CHALIS. 

vra  lui  acheter  des  vêtements  de  noces  en  rap- 
port avec  la  condition  des  époux. 

Nous  voyons  aussi  figurer  dans  l'acte  Antoine 
Jourdan,  oncle  de  Berenger  et  prieur  de  Vessaux, 
qui,  pour  faciliter  le  mariage,  donne  a  son  neveu 
cent  moutons  d'or.  La  position  de  ce  person- 
nage et  ses  rapports  avec  la  famille  Chalis,  pro- 
priétaire a  Vessaux,  indiquent  assez  qu'il  a  été 
l'initiateur  du  mariage. 

Le  contrat  est  passe  a  Privas  dans  la  maison 
même  de  Marguerite,  et  les  signataires  paraissent 
tous  des  gens  importants.  Les  voici  : 

Noble  et  vénérable  messire  Guillaume  de 
Rocles,  bachelier  dans  l'un  et  l'autre  droit  ; 

Nobles  : 

Guillaume  Floccart  (châtelain  de  Privas), 
Guillaume  de   Montgros?  de  Gras, 
Raymond  Vieux, 

HÉBRARD   DU     CHEYLARD, 

Pierre  de  Bénéfice  ; 

Révérends  et  messires: 
Imbertde  la  Mothe,  prieur  d'Upie  (Drôme), 
Eloi  Charriere,  curé  de  Privas,  Guillaume  de 
Mourier,  Gonet-Allard,  Antoine  Vallat  ; 

Et  enfin  les  deux  notaires  : 

Louis  Riffard, 
Antoine  de  Brion. 


MARGUERITE      CHALIS.  37 

Le  nom  de  Bérenger  de  Surville  ligure  dans 
un  autre  acte  du  Manuale  notarum.  Le  28  de 
ce  même  mois  de  janvier,  Bérenger  assistait, 
comme  témoin,  au  mariage  de  Pierre  de  Brion 
avec  Antonine  Corbier,  nièce  de  noble  Ray- 
mond Vieux. 


Tels  sont  les  éléments  nouveaux  que  le  Ma- 
nuale  notarum  d'Antoine  de  Brion  jette  dans  le 
débat,  et  qui  non-seulement  viennent  infirmer 
complètement  les  récits  du  marquis  de  Surville 
sur  la  vie  de  Çlotilde,  mais  encore  font  crouler 
la  légende  tout  entière  et  rendent  désormais 
insoutenable  l'authenticité  des  poésies.  Il  suffit, 
en  effet,  de  parcourir  celles-ci  pbur  reconnaître 
qu'elles  sont  inséparables  de  la  légende  et  que 
la  Clotilde  des  poésies  comme  celle  de  la  notice 
doivent  s'envoler  dans   la  même  fan 

Da.\  écitS  de  M.    de  Surville,    confirmés 

par    I  '.-s.    Clotilde     se   marie   en     1421,  .1 

nger,   qui  m    premier     amour;    elle 

poui  qui 
avec  1  la  Dauphin  le  le 

(\  Or! 

le  ia  mal  de   L'ann  ate  que  Jeanne  d'Arc 

anglais  .1  partir. 


3  8  MARGUERITE     CHALI-. 

Tout  se  tient  dans  ce  système,  qui  était  inatta- 
quable tant  qu;on  n'avait  rien  de  précis  et  de 
certain  à  lui  opposer.  Mais  tout  tombe  à  la  fois 
devant  les  dates  et  les  faits  que  nous  fournit  le 
registre  d'Antoine  de  Brion. 

Un  rapide  examen  des  poésies  va  convaincre 
les  plus  incrédules. 

Dans  le  Rondel  II,  en  1420,  par  conséquent  a 
quatorze  ou  quinze  ans,  et  sept  avant  son  mariage, 
Clotilde  décrit  son  premier  rougissement  d'a- 
mour '. 

Le  Rondel  IV,  daté  de  1421,  pourra  paraître 
aussi  assez  extraordinaire  à  cet  âge  2. 

Le  Rondel  VI,  de  14.21,  est  adressé  à  Louise 
d'Effiat  «  sur  ce  que  menoit  ung  jeune  loup  mon 
bel  amy  venant  la  fois  première.  » 

Le  Rondel  VII,  de  142 r,  est  adressé  à  Mon- 
seigneur Aymard    de    Poictiers  «    s'enquerrant 

1.  Comme  en  l'esté  se  coulore  la  pesche 

S'y  fîst  mon  front;  des  lors  plus  de  soulaz 
Sans  cil,  pour  qui  (serois-je  emmy  i'Ardesche) 
Que  brusleroy. 

(Comme  en  été  se  colore  la  pêche  —  Mon  front  se  colora; 
dès  lors  plus  de  plaisir  —  Sans  celui  pour  qui  (serais-je 
au  milieu  de  l'Ardèche)  —  Je  brûlerais.) 

C'est  la  seule  allusion  au  pays  natal  que  contiennent  les 
poésies  de  Clotilde. 

2.  Rondel  IV  à  Monseigneur  Jacques  de  Toulon  «  qui 
maintes  fois  nous  demandoit,  se  gabant,  qu'estoit  cela  : 
Foy  de  pucelle.  »  1421. 


MARGUERITE     CHALI-.  39 


de  moy  trop  fièrement  quel  jeune  amy  luy  pre- 
posoye  (je  lui  préférais).  » 

Le  Rondel  VIII,  de  Ï4.23,  est  destiné  à  la 
doulce  mye  Rocca  «  m'interpellant  s'avoye  sou- 
venance du  premier  tintement  d'amour.  » 

Le  Rondel  X,  de  1+22,  est  encore  adressé  à  la 
doulce  mie  Rocca  «  sur  ce  que  vinct  ung  soir  le 
bel  amy  bayzer  me  desrober  a  la  fontaine.  » 

Le  Rondel  XI,  de  1422,  repond  a  monseigneur 
Aymard  de  Poictiers  «  feignant  ne  vouloir  croire 
a  l'hymen  qu'en  son  absence  avoy  conclu.  » 

Comment  concilier  tout  cela  avec  la  date 
inflexible  [que  contient  le  registre  de  maître 
Antoine  de  Brion? 

Que  deviennent  aussi  devant  ce  témoin  irré- 
cusable les  affirmations  précises  jointes  a  divers 
poèmes,  par  exemple  celles-ci  ? 

CHANT     D'AMOUR      AU      PRINTEMPS. 

Ung  chant  d'amour  doibt  paindre  aux  sens  moins  que 
parler  à  Came...  Cettuy  du  printemps, fiz  ung  matin  8e  jour 
de  mars  1421. 

et  7  des  Cbâmtt  (Fam<mr. 

LMOOI     I  :  l' . 

Ce  n'est    tant    l'esté  qu'ay  voulu  paindre    que  Testât  de 

mon  cœur,  ce  20  juillet,  vers  deux  heures,  souSz  le  rocher. 
1422. 

Mon.  iê  CJotilde,  lir.  ;  et  7  des  C  I  l  ur. 


40  MARGUERITE     C  H  A  L  I 


CHANT     DAMOUR      EN      A  L  T  O  M  N  E . 

Lors  estoyent  descolourez  les  foillages  ;  donc  Altomne 
jà  s'enfayoit.  Eslit  mon  cœur  ce  temps  grisastre,  le  15  no- 
vembre de  cet  an  1422. 

Ment,  de  Clolilde,  liv.  S  et  7  des  Chants  d'amour. 


CHANT     D     AMOUR      EN      L     HYVER. 

Soit  l'hyver  achoison  non  sujet  (que  l'hiver  soit  l'occa- 
sion et  non  le  sujet)  de   tels    chants  :  espandez-y  vostre 
ame  engtiere...  Ainsi  fis-je  un  dernier  jour  de  l'an  1421. 
Mém.  de  Clotilde,  liv.  j  et  7  des  Chants  d'amour. 

Si  Ton  veut  supposer  toutes  ces  dates  erronées 
et  reporter  les  poèmes  en  question  à  l'époque 
authentique  du  mariage  de  Bérenger,  d'autres 
difficultés  surgissent. 

Bérenger  s'étant  marié  en  janvier  1428  et 
étant  mort  au  siège  d'Orléans,  c'est-à-dire  douze 
à  quinze  mois  après,  il  est  assez  difficile  de  con- 
cevoir, dans  ces  conditions,  la  ballade  qui  porte 
l'épigraphe  suivante  : 

Lors  quand  tornoit  emprez  un  an  d'absence, 
Miz  en  ses  bras  nostre  fils  enfançon. 

Cet  épisode  ne    pouvait    avoir   lieu,   en  effet, 


MARGUERITE      CHALIS.  4. 1 

avant  l'hiver  de  1428-29,  c'est-à-dire  juste  au 
moment  ou  Berenger,  au  lieu  de  revenir,  devait 
plus  que  jamais  être  retenu  par  les  événements 
a  l'armée  de  Charles  VII.  Il  y  a  plus  :  d'après 
l'heroïde  A  mon  espoulx ,  Berenger  n'avait 
quitte  Clotilde  qu'au  printemps. 

Là,  me  dis-je,  ay  receu  sa  dernière  caresse... 
le  y,  les  ung  ormeil  cerclé  par  l'aubespine 
Que  doux  printemps  jà  coronoit  de  fleurs, 
.  dict  adieu... 

Si  Berenger  revient,  un  an  après,  c'est-à-dire 
en  avril  ou  mai  1429,  auprès  de  sa  femme,  il  n'est 
donc  pas  mort  au  siège  d'Orléans,  bien  que, 
d'après  un  chapitre  d'js  Poésies  inédites,  son 
trépas   héroïque   ail  annoncé    dans  tout  le 

Vivare^  comme  une  calamité  publique.  » 

Au  reste,  l'histoire  se  joint  ici  au  Manuale 
no  t arum  pour  convaincre  la  légende  d'erreur. 
Tandis  que  celle-ci  fait  mourir  Berenger  de  Sur- 
ville  au  liège  d'Orl  -  chroniques  du  temps 
nous  apprennent  que  le  Languedoc,  dont  le 
Vivarais  faisait  partie,  fut  précisément  un 
deux    pro.  itres     aff 

ne  purent  a  secours 

*  ;iiteur   de   V Inventaire    de 

luire    d<>    \  TA  .    qui   était 

I  rengerde  Surville, 


4.2  MARGUERITE      CHALIS. 

raconte  ainsi  l'immense  émotion  produite  par  la 
nouvelle  du  siège  d'Orléans  : 

o  Les  villes,  sans  se  faire  tirer  l'oreille,  con- 
tribuent gayement  gens,  vivres,  argent.  Beau- 
coup de  grands  personnages  accourent  a  ce  siège, 
comme  pour  garder  le  dongeon  des  affaires  du 
Roy  et  du  royaume...  » 

Après  avoir  nommé  beaucoup  de  seigneurs  ve- 
nus au  secours  de  Charles  VII,  l'historien  ajoute: 
«  //  n'y  eut  personne  des  provinces  du  Dauphiné 
et  du  Languedoc,  d'autant  que  les  ducs  de  Bour- 
gongne  et  de  Savoye  dressoyent  en  même  temps 
une  forte  armée,  par  Tentremyse  de  Louis  de  Chaa- 
lons,  prince  d'Orenge,  pour  envahir  ces  contrées- 
la,  seules  de  la  fidèle  obéissance  du  Roy  *.  » 

Nous  avons  eu  la  curiosité  de  rechercher  les 
autres  données  que  l'histoire  nous  a  transmises 
sur  la  situation  du  Vivarais  à  cette  époque.  Voici 
ce  que  nous  avons  trouvé  : 

1418.  Le  Vivarais  est  maintenu  dans  le  parti 
du  Dauphin  contre  la  reine  Isabeau  et  le  duc  de 
Bourgogne,  par  les  soins  de  Louis,  seigneur  de 
Montlaur. 

1419.  Le  vicomte  de  Polignac  est  nommé  capi- 
taine général  pour  le  Dauphin,  en  Vivarais. 


1.  Inventaire  de  l'Histoire  de  France,  édition  de  1603,  1. 1, 
p.  692. 


MARGUERITE     CHALIS.  4} 


14.20.  Toute  la  noblesse  du  Vivarais  est  appelée 
par  le  senechal  de  Beaucaire  contre  les  Bour- 
guignons. 

1422.  Rochebaron,  partisan  du  duc  de  Bour- 
gogne, parcourt  le  Vivarais  a  la  tête  de  huit  cents 
hommes  d'armes. 

14.24.  Les  états  du  Vivarais  se  reunissent  à 
Soyons  avec  ceux  de  Gevaudan  et  du  Velay, 
pour  aviser  aux  moyens  de  résister  aux  troupes 
du  duc  de  Bourgogne  qui  s'avançaient. 

1428.  Le  seigneur  de  Saint-Remèze  (près  de 
Vallon)  met  dans  plusieurs  places  qui  lui  appar- 
tiennent des  garnisons  composées  de  Bourgui- 
gnons ou  de  routiers.  Le  ssigneur  de  la  Roche, 
chambellan  du  roi,  se  rend  maître  de  ces  places. 

14.30.  Le  Vivarais  est  désole  tant  par  la  guerre 
que  les  seigneurs   de  Saint-Remeze  et  de  la  Rô- 
le faisaient  l'un  a  l'autre,  que  par  une  incur- 
faitC  aux  frontières   du   pays    par  Louis  de 
Chalons,    prince    d'Orange,  a  la    tête   de    douze 
cents    Bourgnj  Le    prince    d'Orange,    qui 

s'était  empare  du  lieu  de  Colomb:  seule- 

ment perd  cette  place,  mais  il  est  battu  complé- 
tai près  du  Khôn 

1431  ignear  de  Saint-K  pour    se 

défendre  contre  le  seigneur  de  la  RoJie  qui  con- 

t.  Histoire  générale  du  Languedoc,  par    dom    Vie  et  dom 
176. 


44  MARGUERITE     CHAHS. 

tinuait  de  lui  faire  la  guerre,  introduit  des 
troupes  anglaises  et  bourguignonnes  dans  ses 
châteaux.  Le  seigneur  de  la  Roche  s'empare  de 
ces  places,  et,  en  récompense,  obtient  du  roi 
une  gratification  de  mille  francs. 

Les  poésies  de  Clotilde  ne  contiennent  pas  la 
plus  légère  allusion  à  aucun  de  ces  événements. 

M.  Eugène  Villedieu,  qui  avait  eu  connais- 
sance par  d'Audigier  des  actes  du  Manuale  nota- 
rum,  a  cherché  à  concilier  la  légende  et  la  réa- 
lité en  admettant  à  la  fois  le  mariage  de  Béren- 
ger  de  Surville  en  1428  et  sa  mort  au  siège 
d'Orléans.  Mais  Clotilde  elle-même  proteste 
contre  cette  solution  dans  l'épître  à  Marguerite 
d'Ecosse,  où  elle  confirme  nettement  ses  sept  ans 
de  mariage  : 

Moy  qui,  sept  ans  de  myrthe  environnée, 
Ceincte  de  lors,  de  roses  couronnée, 
Vys  feux  d'amour,  sans  oncques  s'attiédir, 
De  mon  hymen  la  tige  reverdir... 

Dans  l'héroïde  à  Bérenger,  le  poète  dit: 

L'az  donc  veu  ce  daulphin  !  ne  s'esloingne  du  Rosne 
Qui  roule  encore  ondes  franches  d'horreurs  ! 

Combien  que  boutions  touz  au  Dauphin  de  fiance... 

Ne  sçay,  jusques  à  toy,  comme  adira  ma  lettre  : 
Charles  on  dict  vers  Poitiers  cheminant... 


M  à  RGU  E  RITE     CH  ALI  5.  4.$ 

Marguerite  n'ayant  pu  écrire  à  joti  espoulx 
avant  1428,  date  de  son  mariage,  on  ne  s'expli- 
querait pas,  si  ces  vers  étaient  d'elle,  que 
Charles  VII  y  fût  appelé  Dauphin,  alors  qu'il 
portait  le  titre  de  roi  depuis  la  mort  de  son 
père  en  1422,  et  qu'on  le  représentât  comme 
retire  vers  le  Rhône  ou  cheminant  sur  Poitiers, 
alors  qu'il  poursuivait  sur  la  Loire  et  la  Seine 
sa  campagne  victorieuse. 

Dans  la  ballade  A  mon  espoulx,  nous  trouvons 
ces  vers: 

Aux  premiers  jours  du  printemps  de  mon  aage, 

avanoy  sans  craincte  et  sans  dezir  ; 
Rozes  et  lys  yssoient  sur  mon  vizage; 
Tous  de  mirer,  et  nul  de  les  cueillir  : 

quand  l'autheur  de  mon  premier  souspir 
Les  fust  livrant  au  plus  tendre  ra . 
Lors  m'escriay,  me  sentant  frémollir  : 
Faut  estre  deulx  pour  avoir  du  playzir  ; 
Playzir  ne  l'est  qu'autant  qu'on  le  part  1 

Comment  admettre  que  Marguerite,  veuve 
d'un  premier  mari,  ait   pu,  en  ml  au  se- 

cond, l'appeler  V auttur  de   mon  premier  soupir  ? 

is  un  fragment'4.  Clotilde  confirme 

pt   an»  de    maria-.' 
noble   et  ruleureu  1  jui  lui  lit    épouser  Bé- 

renfl    . 

1  ne  tard.i  1  U  suyr,  re; 


+  6  MARGUERITE      CHAHS, 


Toy  dont  les  tendres  soings,  par  les  nœuds  les  plus  doulx, 
Me  soubmirent  l'amour,  soubz  le  nom  d'un  espoulx. 
O  nom  cher  et  cruel...  Soubvenance  terrible! 
Apres  tant   beau  soleil,  fust-il  nuict  plus  horrible? 
Ah!  quand  jeunette  encore,  au  pied  de  tes  autels, 
Hymen,  receus  la  foy  du  premier  des  mortels, 
Qui  m'eust  dict  qu'en  sept  ans  verroye  disparoistre 
Heur  qu'à  nulle  icybas,  si  plain  n'az  faict  cognoistre? 

Or,  Pierre  Chalis  était  un  homme  de  loi,  et 
il  était  mort  quand  sa  fille  épousa  Berenger.  Et 
il  n'était  pas  noble,  comme  Pindique  le  nob  effacé 
du  notaire  de  Brion.  Avons-nous  besoin  de  faire 
observer  que  le  mot  jeunette  n'est  plus  guère 
en  situation  quand  il  s'agit  d'une  riancee-veuve 
de  vingt-deux  ou  vingt-trois  ans? 

Voici  qui  n'est  pas  moins  fort  : 

Le  Rondel  I,  adressé  au  chœur  des  Muses, 
roule  tout  entier  sur  un  jeu  de  mots  :  Vallon 
d'Amour,  par  allusion  à  Clotilde  de  Vallon.  Que 
Marguerite  eût  pris  le  nom  de  Clotilde,  pour  ses 
productions  poétiques,  on  peut  encore  l'admettre  ; 
mais  qu'elle  se  soit  donne  un  nom  de  famille  qui 
n'était  pas  le  sien,  et  dont  on  ne  retrouve, 
d'ailleurs,  la  trace  nulle  part,  voila  ce  qui  devient 
parfaitement  incompréhensible. 

Nous  n'avons  examiné  jusqu'ici  que  l'édition 
parue  en  1803  avec  la  notice  de  Vanderbourg. 
Nos  lecteurs  savent  déjà  qu'elle  fut  suivie  en 
1827  des  Poésies  inédites    publiées  par  les  soins 


MARGUERITE     CHALIS, 


de  MM.  de  Roujouxet  Charles  Nodier.  Or,  dans 
ce  deuxième  recueil  se  trouve  un  fragment  d'un 
poëmei<?  la  Nature  et  de  V Univers  ou  il  est  dit: 

Non,  je  ne  croiray  point,  orgueilleux  Ptolémée, 
Que  l'atosme  fangeux,  où  rampons  eraprès  toy, 
Soyt  le  centre  d'ung  tout,  plus  estrangier  por  moy 
Que  por  l'astre  esclatant  dont  tu  fays  ton  esclave. 
Et  combien  d'aultres  corps,  que  ton  système  enclave, 
Mieulx  que  la  terre,   enfin,  peuvent-ils  s'arroger 
Droict  d'en  faire  entour  d'eux  l'orbite  converger? 
Ton  vaste  Jupiter  et  ton  loingtain  Saturne 
Dont  sept  globules  nayns  traynent  le  char  nocturne  ; 
Ta  Venus  elle-mesme,  aux  regards  enflammez... 

Voila  donc  Clotilde  réfutant,  au  xve  siècle,  le 
système  de  Ptolémée  et  devançant  les  révélations 
de  Copernic  dont  l'ouvrage  parut  seulement 
en  1543  !  Chose  non  moins  merveilleuse,  elle 
connaît  déjà  l'existence  des  sept  satellites  de 
Saturne  découverts  au  xvne  et  au  xvin''  ti< 

Entin,  dans  ce  même  fragment,  elle  réfute  et 
nomme  le    poète  Lucrèce,    dont   le  livre  fut    re- 

en  i+7j . 
m.  liacé  convient  que  cet  argument  contre 

l'autf)  lies  de  Clotilde  serait   irré- 

futable li  le  fragment  en  question,  au  lieu  de  se 
trouver  dans  le   recueil  de  No  ROUJOUX, 

OQVait  dans  celui  de   Vandcrbourg.     Il  nous 
t\et    a   nous,  que  ta  fournis  par 

la  publication  de  1897  contre  l'authenticité  des 


M  A  R  G  U  E RITE    C  H  A  L I 


poésies  sont  tout  aussi  valables  que  ceux  fournis 
par  la  publication  de  1803,  des  4U  ^  est  prouvé 
que  toutes  deux  émanent  de  la  même  source; 
et  c'est  ce  que  M.  Macé  s'est  charge  de  constater 
lui-même,  puisqu'il  déclare  avoir  retrouve  dans 
le  Journal  littéraire  de  Lausanne,  qui  recevait 
ses  communications  du  marquis  de  Surville, 
presque  tous  les  morceaux,  prose  et  vers,  qui 
constituent  le  recueil  de  Nodier,  et  notamment 
le  fameux  fragment  du  poëme  de  la  Nature*. 

D'ailleurs,  malgré  le  soin  qu'a  pris  Vander- 
bourg  de  retrancher  les  morceaux  compromet- 
tants, il  est  aisé  de  trouver  le  lien  qui  unit  les 
deux  recueils  et  autorise  à  porter  sur  eux  le 
même  jugement. 

Dans  l'élégie  sur  la  mort  d'Héloïsa,  qui  figure 
dans  la  publication  de  1803,  Clotilde  raconte 
que  ses  petits  enfants 

S'entrequierrent  comment 
Ne  serviroient  clouz  d'or,  dont  veyons  mille  et  mille, 
Rien  qu'à  parer  l'azur  du  firmament. 

Et  elle  ajoute: 

N'ay  semblant  d'escouter  ;  et  le  confesse  esmeue, 

Un  tel  propoz,  en  effect,  me  confond; 
Sçay  trop  bien  que  n'affiert  à  ma  débile  veue 

D'aller  sondant  abysme  si  parfond  : 
Se  par  toy  n'ont  d'esclat,  œil  du  monde  où  nous  sommes, 

1.  Macé,  p.  34,  6$  et  67. 


MARGUERITE      CHALIs.  4.9 


De  tant  au  loing  lancent  feulx  si  vermeils, 
Qu'à  mondes,  trop  distants  pour  estre  veus  des  hommes, 

Croy,  tous  à  part,  que  servent  de  soleils; 
Près  d'eulx,  qu'est  de  Phœbé  l'orbite  pasle  et  morne  ? 

Veulx  ceste-là  rouler  exprès  pour  nous  ; 
Encor  pourquoi  cettuy,  dont  œuvres  n'ont  de  borne, 

De  la  peupler  ne  seroit-il  jaloux  ? 
Possible  qu'y  reignez,  masnes  sacrez  des  justes, 

En  ce  costé  qu'à  nos  yeulx  s'offre  en  plain, 
Tandys  qu'en  ses  roschiers,  ors  glacez,  ore  adustes, 

De  reprouvez  est  l'opposite  emplain 

Maiz  quoy!  se  peult-il  donc  que  ce  globe  contemples 
Sans  démesler  mes  accents  douloureux!.... 

Comment  ne  pas  reconnaître  dans  cette  elegie 
où  le  terme  de  globe  revient  deux  fois  pour  de- 
signer la  terre,  et  ou  se  révèle  une  si  étonnante 
intuition  de  la  science  astronomique  des  si 
futurs,  la  même  main  qui  a  écrit  le  fragment  du 
poème  de  la  Nature? 

On  le   •  avec   la  d-  /idence  : 

l'œuvre  poétique  i  il  îde;   le  fond, 

sinon    la  :  iK  part    de  la  même 

.,  et  l'authenticité   des  deux   s'évanouit  en 

:  temps  devant  troij  ou  quatre   faits  pr 

tnment  cert  -  par  le  vieux 

registre  du  château  de  Barres. 


$0  MARGUERITE      CHALIS, 


Quelques  personnes  ont  voulu  appuyer  l'exis- 
tence de  Clotilde  de  Surville  sur  de  prétendues 
traditions  locales  de  Vallon.  M.  Macé  rapporte 
qu'un  honorable  habitant  de  Vallon,  M.  Pes- 
chaire-Florian,  décédé  en  1863, à  Pms  de  quatre- 
vingts  ans,  disait  à  M.  Eugène  Villard  avoir, 
dans  sa  jeunesse,  entendu  une  de  ses  vieilles 
tantes  lui  chanter  des  rondeaux  et  des  ballades 
attribués  par  elle  à  Clotilde  de  Surville,  et  il 
ajoute  que  M.  Ollier  de  Marichard  confirme  cette 
tradition.  Certes  M.  Eugène  Villard  et  M.  Ollier 
de  Marichard  sont  des  hommes  fort  honorables 
et  dont  la  parole  ne  saurait  être  mise  en  doute, 
mais  comme  elle  ne  fait  ici  que  reproduire  un 
témoignage  assez  vague  et  qui,  selon  nous,  ne 
peut  s'appliquer  qu'à  une  époque  postérieure 
soit  à  la  publication  de  Vanderbourg,  soit  tout 
au  moins  à  la  découverte  des  manuscrits  par  le 
marquis  de  Surville,  on  nous  permettra  de  ne 
pas  lui  attribuer  la  même  portée  que  M.  Mace 
et  d'attendre  des  faits  plus  précis  et  moins  sujets 
a  caution 

Un  autre  de  nos  compatriotes  de  l'Ardèche, 
M.  Vaschalde,  a  recueilli  et  publié  récemment 
des  documents  d'où  il  resuite  qu'un  Jean  Chalis 


MARGUERITE     CHALIS.  51 

existait  à  Vessaux  en  1383,  que  noble  Berenger 
de  Surville  a  été  l'héritier  des  Chalis  de  Vessaux 
et  que  Jean  de  Surville,  fils  de  Berenger,  possé- 
dait en  1469  un  certain  nombre  de  propriétés 
à  Vessaux. 

Aucun  de  ces  faits,  qui,  d'ailleurs,  concordent 
avec  nos  documents,  ne  touche  a  la  question  qui 
nous  occupe,  c'est-a-dire  à  la  personnalité  poéti- 
que de  Clotilde.  Quant  à  cette  circonstance  que, 
dans  les  propriétés  de  la  famille  de  Surville  a 
Vessaux,  il  se  trouvait  des  jardins,  des  près,  un 
moulin  et  une  fontaine,  d'où  M.  Vaschalde  con- 
clut que  ce  sont  la  incontestablement  les  jardins, 
les  bois,  les  près,  le  moulinet  et  la  fontaine  men- 
tionnes dans  les  poésies,  notre  confrère  nous  per- 
mettra de  ne  pas  nous  arrêter  a  cette  supposition, 
qui,  examinée  de  près,  tournerait  plutôt  contre 
sa  thèse,  car  l'absence  même  de  toute  indication 
plus  reconnaissable  ferait  supposer  que  l'auteur 
des  poésies  écrivait  ailleurs  qu'en  Vivarais.  On  a 
vu  plus  haut  que  la  rivière  d'Ardeche  est  le  seul 
nom  local  que  contiennent  les  poésies.  Nous 
ajouterons  que  l'expression  de  gros  canal,  qui  se 
trouve  dans  la  même  pièce,  aurait  dû  rendre 
M.  Vaschalde  plus  ctrconspecl  dans  ses  inductions 
graphiques,  car  il  sait  aussi  bien  que  nous 
qu'il  n'y  a  pas  de  canal,  petit  ou  gr<  -aux, 

pa3  plu-,  qu'a  Privas  et  a  Vallon. 

Au   reste,    un   fragment    dïpître    de    Clotilde 


5»  MARGUERITE      CHALIS. 

contient  des  indications  topographiques  bien  au- 
trement précises  et  importantes,  sur  lesquelles 
nous  appelons  l'attention  des  lecteurs  vivarois  : 
Clotilde  raconte  qu'elle  atteignit,  au  haut  du 
mont,  la  forêt  solitaire 

Où  des  toits  délabrés  et  d'antiques  débriz 

A  l'errant  voyagier  n'offrent  mesme  d'abriz  ; 

Et  qui,  dict  le  renom,  furent  à  leur  naissance, 

Palaiz  où  des  Romains  esclatoit  la  puissance  : 

En  contemple,  au  hazard,  les  restes  confondus. 

Là,  soubz  d'espaiz  moncels  de  cresneaulx  pourfendus, 

S'estendent  tristement  colonnades  superbes, 

Dont  les  marbres  rompuz,  fayzant  ployer  les  herbes 

D'aultre  part,  eslancez,  par  intorses  crevailles, 
D'amangliers  en  flours,  inhérants  aux  murailles, 
Cent  bouquets,  de  rubys  colorent  ces  paroys 

Dans  la  cour,  et  parmy  cent  portiques  déserts, 
Des  ormes  non  plantez  s'élèvent  dans  les  airs  ; 
Au  centre,  où  creut  jadiz  ugne  source  pérenne, 
L'urne  d'où  jaillissoit,  trytons  voire  et  syrenne 
Soustinrent  enlacés  ;  ainsy,  d'humain  sçavoir, 
Mollement  respirer  brunze  on  ne  cuyda  voir 

Certes,  les  ruines  ne  manquent  pas  en  Viva- 
rais,  mais  nous  cherchons  vainement  celles  qu'a 
voulu  désigner  Clotilde ,  dans  l'hypothèse  de 
son  séjour  soit  à  Privas,  -soit  à  Vessaux ,  soit 
même  à  Vallon,  la  seule  de  ces  trois  localités  où 
fleurisse  l'amandier,  mais  où  rien  n'indique  jus- 


MARGUERITE     CHALIS.  $3 

qu'ici  que  la  femme  de  Bérenger  de  Surville  ait 
jamais  mis  les  pieds. 

L'auteur  de  la  légende  se  trahit,  à  notre  avis, 
par  l'excès  même  des  précautions  dont  il  s'est 
entoure  pour  avoir  réponse  prête  a  toutes  les 
objections  de  la  critique. 

A  quinze  ou  seize  ans,  d'après  lalégende,  Clotilde 
écrit  VEpistre  à  sa  doulce  amye  Rocca,  qui  est 
une  sorte  d'art  poétique  beaucoup  plus  étonnant 
pour  l'époque  que  celui  de  Boileau.  Deux  ou 
trois  ans  plus  tard,  elle  développe  sa  didactique 
dans  le  Dialogue  entre  Apollon  et  Clotilde. 

M.  Eugène  Villedieu  ne  voit  la  rien  d'extra- 
ordinaire. «  Pour  s'expliquer,  dit-il,  la  maturité 

\tire  de  ce  morceau  et  de  presque  tous  ceux 
qui  sont  contenus  dans  ses  poésies  authentiques, 
il  faut  se  rappeler  que  Clotilde  a  revu  plusieurs 
fois,  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie,  les  pièces  qui  datent 
de  sa  jeunesse,  ainsi  qu'elle  a  soin  de  nous  le 
dire  elle-même  en  maint  endroit  de  son  œuvre.  » 
.  s  doutons  fort  que  cette  explication  paraisse 

mte  a  ceux  qui  savent  qu'au  xve  siècle  la 
langue     fran  i  tait     loin     dï  t 

1  >mbreux  dialectes  qui  se   parlaient  sur  le 
territoire    de     l'ancienne     Gaule.    Guillaume    de 

rs,  le  plus  ancien  poète  national  dont  QOUfl 

-    les    vers,    a   écrit    en    di 

lard    en   dialecte    picard   et    wallon,    R 
lais  en  berrichon  et  poitevin,  Montaigne  en 


54  MARGUERITE      CHALIS, 


con,  Marot,  Marguerite  de  Navarre  et  Amyot  en 
françois  K  Après  le  xve  siècle  seulement,  le  fran- 
çais prend  le  pas  sur  les  dialectes,  en  retenant  de 
chacun  d'eux  les  mots  que  les  circonstances  ou 
les  œuvres  des  écrivains  avaient  fait  entrer  dans 
l'usage  général. 

Au  xve  siècle,  la  langue  était  si  peu  formée 
et  elle  était  si  loin  de  ce  que  nous  la  voyons  dans 
les  poésies  de  Clotilde,  que  le  latin  n'avait  pas 
cessé  d'être  la  langue  judiciaire,  celle  des  dépo- 
sitions, enquêtes,  plaidoiries  et  actes  publics.  En 
1490  seulement,  Charles  VIII  osa  prescrire  l'em- 
ploi delà  langue  vulgaire  ou  langue  romane2, 
c'est-à-dire  du  français,  pour  la  rédaction  des 
dépositions  et  autres  actes  publics. 

En  1512,  Louis  XII  alla  plus  loin  et  ordonna 
que  les  enquêtes  et  les  informations  fussent  non- 
seulement  rédigées,  mais  même  faites  en  langue 
vulgaire. 

François  Ier  acheva  la  réforme  par  sa  célèbre 

1.  Froissard  se  moque  lui-même  des  seigneurs  anglais 
qui,  en  1394,  le  prennent  pour  un  écrivain  français. 

2.  La  langue  romane  était  la  langue  des  habitants  appelés 
Romains  par  opposition  aux  barbares.  Ce  n'était  pas  la 
langue  latine.  M.  Granier  de  Cassagnac,  dans  son  curieux 
travail  intitulé  Histoire^  des  [origines  de  la  langue  française, 
Didot,  1872,  développe  cette  thèse,  plus  paradoxale  peut- 
être  en  apparence  qu'en  réalité,  que  le  roman  n'était  autre 
que  le  celte,  la  langue  maternelle  des  Gaulois. 


MARGUERII  t     CHALIS.  55 

ordonnance  de  Villers-Cotterets,qui  est  datée  de 

IS39- 

Or,  nous  le  demandons,  toutes  ces  mesures, 
si  désirées  des  rois  de  France  dont  elles  favori- 
saient le  grand  but  politique,  celui  de  l'unifica- 
tion nationale,  auraient-elles  été  tant  retardées 
si  la  langue  avait  eu,  au  commencement  du 
xve  siècle,  la  clarté  et  la  précision  que  l'on  re- 
marque dans  les  œuvres  de  Clotilde? 

Les  partisans  de  Clotilde  ne  sont  pas  plus  em- 
barrasses quand  l'auteur  du  pastiche  se  fait 
prendre  en  flagrant  délit  d'anachronisme,  comme, 
par  exemple,  quand  il  réfute  Lucrèce  et  profite 
des  découvertes  d'Herschell.  Ils  repondent  que 
le  coupable,  c'est  Jeanne  de  Vallon  ou  bien  le 
marquis  de  Surville,  mais  que  l'authenticité  des 
poésies  est  au-dessus  du  débat. 

Le     procède    est    commode,  mais    n'est    plus 

admissible,   depuis  qu'il  est  avère  que   les  trois 

branches  de  la  légende  :  Notice  de  Vanderbou- "g, 

le  iBoj  et  Poésies  inédites  de  1827, outre 

qu'elles  constituent  un  tout  inséparable,  comme 

>urce 

COmm  L-dire  d^s,  cartons    du   marquis 

de  Surville,    ce  qui  donne  a   la  critique  le   droit 

de  prononcer  sur  son  ensetnb 
la  distinction  que  M.  M  ont  prè- 

le   premier    et    le    second 
reçu 


$6  MARGUERITE     C  H  A  L  I  S. 


Un  fait  domine  donc  la  question,  c'est  que, 
même  en  admettant  certaines  modifications  aux 
manuscrits  primitifs,  la  légende  est  toute  d'une 
pièce,  elle  sort  du  même  cerveau  :  toutes  les 
indications  de  la  Notice,  dont  les  champions  les 
plus  déterminés  de  Clotilde,  sans  en  excepter 
M.  Villedieu,  reconnaissent  le  caractère  roma- 
nesque, sont  en  quelque  sorte  signées,  soit  par 
des  vers  de  Clotilde,  soit  par  des  extraits  de  ses 
mémoires  ;  elles  s'accordent  entre  elles,  sinon 
avec  les  faits  connus;  la  fille  des  Tynds  elle- 
même  figure  dans  la  dédicace  d'une  des  poésies 
du  recueil  de  Vanderbourg;  enfin,  nous  avons 
montré,  dans  l'élégie  sur  la  mort  d'Heloïsa,  la 
trace  des  mêmes  préoccupations  astronomiques 
qui,  dans  le  second  recueil,  aboutissent  a  la  dé- 
couverte des  sept  satellites  de  Saturne. 

Si,  comme  nous  le  pensons,  le  marquis  de 
Surville  était  incapable  d'écrire  les  poésies  de 
Clotilde,  on  peut  donc  conclure  delaqu'il  n'a  pas 
davantage  invente  le  reste  et  que  son  travail 
d'altération  de  l'œuvre  primitive  est  peut-être 
moins  considérable  qu'on  ne  l'a  dit. 

Il  n'est  même  pas  certain,  à  nos  yeux,  que  le 
marquis  ait  connu  le  véritable  auteur  des  poésies, 


MARGUERITE      CHALIS.  $7 

et,  à  part  les  détails  tenant  à  l'origine  des  ma- 
nuscrits, nous  serions  fort  tenté  de  croire  qu'il 
n'en  savait  sur  ce  sujet  guère  plus  que  nous. 

Nous  laissons  à  d'autres  le  soin  de  découvrir 
la  personnalité  du  poète  inconnu,  mais  deux 
faits  essentiels  nous  autorisent  à  penser  qu'il 
était  de  la  famille  de  Surville:  le  premier  est  la 
possession  exclusive  du  manuscrit  par  un  mem- 
bre de  cette  famille  ;  le  second  est  le  nom  même 
de  la  personne  a  qui  le  poète  a  voulu  laisser 
l'honneur  de  son  œuvre.  On  ne  comprendrait 
guère,  en  effet,  que  cet  auteur  fût  aile  bénévole- 
ment couronner  de  gloire  le  nom  d'une  famille 
qui  ne  serait  pas  la  sienne. 

D'autre  part,  s'il  est  évident  que  le  poète  ne 
connaissait  pas  très-exactement  la  vie  de  la  femme 
de  Berenger  de  Surville,  ce  qui  montre  qu'il 
écrivait  bien  après  le  xv*  siècle,  il  est  clair 
qu'il  en  savait  quelque  chose,  sinon  par  des 
papiers,  tout  au  moins  par  des  traditions  de 
famille,    comme    le    prou> 

vraiment  frappantes  du  récit  légendaire  avec  les 

nom  de  Margue- 
rite et   celui    de    Chai  mine    de 
iger,  les  propr 

-aux,  et  enfin  fils,   Jean 

de  Survi 

San-         te,  il' a  fallu  a  L'auteur  du   pastii  be 
beau'  on  pourrait  dire  un  rare 

Q 


5»  MARGUERITE      CHALls. 

mépris  des  suffrages  humains,  pour  céder  ainsi  a 
un  autre  la  légitime  gloire  que  lui  auraient  ac- 
quise les  poésies.  Cette  modestie  est  si  rare  dans 
notre  siècle  de  vanité,  qu'elle  en  paraît  presque 
inadmissible.  Sans  prétendre  qu'elle  ait  jamais  été 
bien  commune,  il  est  certain  cependant  qu'elle 
l'était  moins,  surtout  dans  les  circonstances  où 
nous  la  supposons  exercée,  alors  que  le  nom  et 
l'honneur  de  la  famille  tenaient  dans  les  cœurs 
une  place  que  l'égoïsme  individuel  a  aujourd'hui 
usurpée.  Le  nom  de  la  famille  était  autrefois  un 
drapeau  pour  lequel  on  mourait  joyeux  et  in- 
connu, comme  heureusement  on  meurt  encore 
aujourd'hui  pour  celui  de  la  grande  famille  natio- 
nale. C'est  pourquoi  nous  concevons  fort  bien 
qu7à  une  époque  où  notre  société  était  moins 
emiettee  qu'aujourd'hui,  un  Surville  ait  voulu 
reporter  la  gloire  de  ses  œuvres  poétiques  a  sa 
famille  elle-même,  sous  le  nom  d'un  de  ses  mem- 
bres dont  il  ne  connaissait  pas  même  exactement 
le  nom  et  l'histoire. 

Cet  auteur  inconnu  était-il  un  homme  ou  une 
femme?  Nous  serions  assez  disposé  a  croire, 
contrairement  à  l'opinion  la  plus  accréditée,  que 
ce  n'était  pas  une  femme.  Des  qu'il  est  admis 
que  l'œuvre  est  un  pastiche,  il  nous  semble 
qu'un  homme  seul  a  pu  lui  donner  cette  perfec- 
tion. La  tendresse  et  l'ardeur  de  sentiments  que 
respirent  les  poésies  n'ébranlent  pas  sur  ce  point 


MARGUERITE     CHALIS.  59 

notre  manière  de  voir.  Les  femmes  sentent 
mieux  peut-être  ,  mais  les  hommes  peignent 
mieux ,  même  les  sentiments  d'autrui.  Qu'on 
suppose  un  observateur,  double  d'un  poète,  en- 
tendant une  mère,  à  côte  du  berceau  de  son 
enfant,  pousser  les  deux  ou  trois  exclamations 
d'amour  maternel  et  conjugal  dans  lesquelles  se 
résument  les  Verselets  à  mon  premier-né,  et 
l'on  ne  trouvera  plus  rien  d'impossible  à  ce  qu'un 
homme  ait  écrit  ces  vers.  Un  beau  poëme  sup- 
pose autant  de  reflexion  et  de  travail  que  d'in- 
spiration et  de  sentiment.  Voilà  pourquoi  nous 
croyons  apercevoir  dans  les  poésies  de  Clotilde 
la  main  d'un  homme  plutôt  que  celle  d'une 
femme.  C'est  une  femme  —  nous  nous  trom- 
pons —  ce  sont  des  millions  de  femmes  qui  ont 
éprouvé  les  sentiments  si  admirablement  exprimés 
dans  les  Verselets,  qui  en  ont  dit  le  sens  par  des 
gestes,  par  des  regards,  par  des  exclamation-, 
par  des  phrases,  en  faisant  de  la  poésie  comme 
M.  Jourdain  faisait  de  la  prose,  sans  le  savoir, 
lt  un  homme,  a  la  fois  poète,  observateur 
et   travailleur  crudit,  qui   a  dû   les   traduire  en 

Nous  ne  savons   pas  si    d'autres   decouv' 
confirmeront  notre  double  hypoîh<  M  sur  le 
table  auteur  d  naît,  quel- 

que difficile  que  cela    paraisse,  nous  ne   doutons 
•    rite    D ■■   >oit   un  jour   connue.   Sans 


60  MARGUERITE      CHALIS. 


parler  des  dépôts  publics,  les  études  de  notaires 
et  les  autres  archives  privées  contiennent  beau- 
coup plus  qu'on  ne  le  croit  de  documents  ou 
d'indications  qui  éclaireraient  bien  des  questions 
d'histoire  locale  et  d'histoire  générale,  s'il  se  trou- 
vait plus  de  personnes  ayant  les  loisirs,  la  patience 
et  l'érudition  nécessaires  pour  les  consulter.  Il 
est  évident  que  c'est  dans  l'Ardéche  et  le  Gard, 
parmi  les  vieux  papiers  relatifs  à  la  famille  de 
Surville,  qu'il  y  a  le  plus  de  chances  de  décou- 
vrir le  fin  mot  de  la  question. 

En  attendant,  s'il  reste  simplement  probable 
que  les  poésies  de  Clotilde  sont  l'œuvre  d'un 
membre  de  la  famille  de  Surville,  notre  publica- 
tion aura  du  moins  démontré  avec  la  dernière 
évidence  qu'elles  ne  peuvent  pas  être  de  la  per- 
sonne qu'on  a  voulu  désigner  sous  le  nom  de 
Clotilde  de  Surville  et  que  leur  date  est  de  beau- 
coup postérieure  au  xve  siècle. 


«-CI 


PIECES     JUSTIFICATIVES 

EXTRAITES 
DU      MANUALE      NOTARUM      ANTHONII      DE      BRIONE 

Notarii     Priv  acii, 

—  Allant  du  27  mars  14.27  au  23  mars  1428  — 

registre  de   107  feuilles  appartenant 
à  M.  Henri  de  la  Garde, 


V 


1 . 


TESTAMES  TUM      FLORE  N'CIE     CHALISSE 
RelictC  Poncii  de  Morcrio,  Privacii. 

In  nomine  Domini,  amen. 

Anno    Incarnationis    ejusdem    Domini    m"  cccc° 
xia  mentis  septembris. 
1  haliste,  relicta  Poncii  de  More- 
riçf    Privacii    quondam,    tanâ   mente,    licei    tim 
corpore  debilis,  actendens  diet  Domini  fore  l> 
et  quoi  mil   tti  morte  certius,  et  volens  obideo 

igilur  testamentum,  et  voluntatem} 
et  dispositinnem,/;  quitur. 

In  crimis  facto  per    me   Signa    sancte  crucis  -\- 


(il  MARCUERILE    CHALJ-, 

dicendo  :  «  In  nomine  Patris,  etc.,  »  animant  meam 
et  corpus  meum  reddo  altissimo  Creatori. 

Deinde,  dum  dicta  anima  mea  fuerit  separata  a 
dicto  meo  corpore,  eidem  corpori  meo  cepulturam 
heligo  in  symenterio  Beati  Thome  Privacii  in 
tumulo  in  quo  mater  mea  et  Jacobus  La  Balma 
maritus  meus  pre...  quondam,  et  liberi  sui  et 
mei  sunt  sepulti,  et  volo,  dicta  die  qud  dictum 
corpus  meum  tradetur  sépulture,  convocari  in 
dicta  ecclesiâ  Privacii  triginta  presbiteri,  qui 
missas,  etc.,  quibus  et  eorum  cuilibet  offerri  volo 
quindecim  denarios  Turonenses,  semel  tantùm,  et 
clericis  quod  est  moris. 

Item,  volo  quod,  per  novem  dies  sequentes  post 
mortem  seu  sepulturam,  convocentur  omnes  pres- 
biteri Privacii  super  mea  sepulturd,  cum  eorum 
supelliciis  induti,  et  ibidem  facere  unum  cantare 
mortuorum;  quibus  et  eorum  cuilibet,  videlicet 
illis  qui  intererunt,  cum  dictis  eorum  supelliciis, 
offerri  volo,  quâlibet  die  dictarum  novem  dierum, 
sex  denarios  Turonenses,  semel  tantum,  et  clericis 
quod  est  moris. 

Item,  volo  quod,  die  mei  triscesimi,  convocentur 
in  dicta  ecclesid  alios  triginta  presbiteros  qui 
missas...  etc.,  quibus  provideri  volo  in  prandio  ho- 
norificè,  et,  sumpto  prandio,  eis  et  eorum  cuilibet 
offerri  volo  alios  quindecim  denarios  Turonenses, 
semel  tantùm,  et  clericis  quod  est  moris. 

Item,  volo  dari  xxi  pauperibus,  in  pane  cocto, 


MARGUERITE     CHAHS.  6] 

decem  sestaria   bladi  seliginis,    semel   tantum,   et 
decem  cartas  salis,  semel  tantum. 

Item,  volo  quoi  oblatio  mea  panis,  vint  et  lu- 
minis  fiât  in  dicta  ecclesid  Privacii  per  unum 
annum  et  unam  diem  immédiate  sequentes  post 
mortem  meam,  videlicet,  quâlibet  die,  duos  dena- 
rios  Turonenses  in  pane,  unam  pintam  vini  puri, 
et  unum  lumen  cere,  semel  tantum. 

Item,  lego  domino  curato  Privacii,  qui  nunc 
est,  vel  qui  fuerit,  duos  solidos  cum  dimidio  Turo- 
nenses, semel  tantum. 

Item,  ejus  vicario,  duos  solidos  cum  dimidio, 
semel  tantum. 

Item,  lego  luminaribus  Béate  Marie  Privacii 
unum  potum  olei,  semel  tantum. 

Item,  legù  hospitali  Recluse  et   malapden'e   Pri- 
vacii,    eorum    cuilibet,    sex    denarios    Juron 
semel  tantum. 

Item,  le.  ls    animarum  Turgatorii,  operis 

beati   Thome   pauperum    inducendorum,    et    relicte 
ceree  firie,  ac  cereij  Pascalis    que  Jiunt  in 

dicto    loco    Privacii,    eorum    cuilibc!  larios 

Turonenses,  semel  tantum. 

Item,  lego  confraterie  dominorum  presbiterorian 
Privacii  ultra  meam  ;  :  pitalphos 

stagni  quos  pencs  me  habeo,  semel  tantum. 

Item,    lego    conventui   fratrum    minorum 
nacii,    pro    ducentis     i  convenlu 

celct'  r  i  salutc,  etc.,    videlicet  v    titra 


6+  MARGUERITE      CH  AL 1 8. 

ronenscs,  semel  tantùm,  monde  currentis,  solven- 
das infra  duos  annos  post  mortem  mcam. 

Item,  pari  modo,  conventui  fratrum  Prœdicato- 
rum  dicti  loci,  pro  aliis  ducentis  missis  modo 
predicto  celebrandis,  alias  v  libras  Turonenses, 
semel  tantum  solvendas  ut  suprà. 

Item,  lego  conventui  Fratrum  Augustinorum 
Beati  Michaelis  de  Voutà,  pro  aliis  ducentis  mis- 
sis modo  predicto  celebrandis,  alias  v  libras  Turo- 
nenses, semel  tantum,  solvendas  ut  suprà. 

Item,  lego  dominis  presbiteris  habitantibus  dic- 
tum  locum  Privacii  pro  centum  missis  celebrandis 
in  dicta  ecclesiâ  Privacii  pro  salute,  etc.,  videlicet 
duas  libras  Turonenses,  semel  tantum,  solvendas 
infrà  unum  annum  post  mortem  meam. 

Item,  lego  malapderie  Privacii,  ultra  per  me 
legata,  videlicet  unam  meam  culcitram  meliorem, 
unum  pulvinar,  unum  linthcarium,  duos  bodices. 

Item,  lego  noncupato  Beylle,  de  prato  Malhesin, 
aliam  meam  culcitram  modici  valoris,  duos  bodi- 
ces et  duo  linthearia,  semel  tantum. 

Item,  lego  Poncio  La  Balma,  filio  Poneti  quon- 
dam,  quamdam  vineam  scitam  in  monte  Romano, 
confrontatam  cum  itinere  quo  itur  de  Privacio  ad 
Sanctum  Projectum,  et  cum  vinea  Mondoni  Gi- 
raudi,  fabri,  et  cum  suis  aliis  confrontibus,  unà 
cum  suis  ingressibus. 

Item,  lego  Caterine,  uxori  Stephani  de  Solerio, 
consanguinee  mee  germane  xv  solidos  Turonenses, 


MARGUERITE     CHALI5.  6$ 

semel    tantum,   sibi  solvendos   infra   nnum   annum 
post  mortem  meam. 

Item  lego  Johanni  Pascalis,  aliàs  de  Albenacio, 
mercatori,  pro  serviciis  per  ipsam  ejus  uxorem  mi- 
chi  Jadis,  et  pro  his  in  quibus  sibi  teneri  posscm, 
viielicet  vineam  meam  scitam  «  a  la  Colieyra,  » 
confrontatam  a  peie  cum  orto  dicti  Johannis,  et 
cum  terra  magistri  Johannis  Falconis,  et  terra 
Gullielmi  Ginetti ,  et  cum  vineâ  Johannis  de 
Ponte...  et  cum  orto  nobilis  Helidis,  relicte  Pétri 
Fabri,  et  cum  orto  meo  et  cum  suis  aliis  con- 
frontibus,  una  cum  suis  ingressibus. 

Item,  plus,  lego  eidem  Johanni  fructus  pendan- 
tes de  presenti  in  vineis  meis,  semel  tantum:  volo 
tamen  quod  dictus  Johannes  nequesui,  nihil  pctcrc 
possit  a  dicta  hère  de  med  inj 'raser ip  ta,  nec  ipsa 
hères  mca  à  dicto  Johanne  neque  suis  de  his,  in 
quibus  ego  dicto  Johanni  teneri  posscm,  seu  ipse 
Johannes  mihi  teneri  posset,  qualitercumque,  usque 
in  diem  presen: 

Et  quia    heredii    institut io  caput    est    et    fonda- 
mentum  totius  testamenti  ultimi...,  igitur,  in  lotis 
aliis  bonis  meis,   mobilibus,  juribus,  rebut,  presen- 
et  futur  ist  heredem  michi  institua  uni 

t  nominando, 

lilectam  et  carissimam  Margaritam,filiam 

dominé  Pétri  Ckalissi,  in  legibus  licenciât^  quon- 

dam  fratrit  mei,  neptem  meam  et  suos,  per  quam 

toM  volo  le  gâta  mca.  et  débita. 


66  MARGUERITE      CHALIS. 

Exequtores  hujus  mei  ultimi  testamenti  facio 
dominum  curatum  Privacii,  qui  nunc  est,  et  domi- 
num  Johannem  de  Coluncio,  aliàs  Ardonis,  pres- 
biterum,   et   Beati   Thome,    quibus  do  potestatem. 

Hoc  est  testamentum  meum  ultimum,  et  volun- 
tas  mea  ultima,  dispositio...,  quod  et  quam  valere 
volo...,  jure  testamenti,  jure  codicillorum...,  jure 
donationum  causa  mortis,  et  omni  eo  meliori 
modo.  Et,  si  repperiretur  me  unquam  fecisse 
aliud  seu  alia  testamenta,  codicillum,  àonationem, 
causa  mortis,  et  precedenter  me  fecisse,  revoco  et 
hoc  meo  ultimo  testamento  in  suo  robore  perman- 
suro,  et  rogo  vos,  testes,  et  te,  notarium. 

Actum  Privacii,  in  hospitio  dicte  Margarite,  in 
quddam  caméra,  in  qud  egrotabat,  testibus  pre- 
sentibus... 

Domino  Egidio  Charrerie,  curato  dicti  loci  ; 

GUILLELMO  DE    MORERIO  J 
JOHANNE  DE    MORERIO  ; 
JOHANNE   DE    CORBERIIS  ; 

Guillelmo  Charrerie,  aliàs  Vasulet  ; 
Petro  Alberti,  aliàs  Sardi  ; 
Goneto  Lamberti,  et 
Anthonio  Traversa. 


MARGUERITE      CHALI3.  C>7 


N°     2. 

PRO    JOANNE    PASCALIS,    ALIAS    DE  ALBENASSIO, 
LEGATI    EXPEDITIO. 

Anno  Domini  mccccxxvii  et  die  xn  mensis  ?io- 
vembris ,  cum  dudùm  honesta  mulier  Florent  ia 
Chalisse,  relicta  Poncii  de  Morerio  quondam  Pri- 
vacii,  suum  ultimum  condiderit  testamcntum  cum 
instrumente»  per  me  subscriptum  notarium  in  no- 
tam  recepto,  sub  anno  quo  suprà  et  die  undeeimd 
mensis  septembris,  in  quoquidem  testamento  inter 
cetera  continetur  ipsam  Florentiam  dondsse  et 
levasse  provido  viro  Johanni  Pascalis,  aliàs  de 
Albenassio,  mercatori  dicti  loci  Privacii,  quamdam 
suam  ipsius  Florentin  vineam  scitam  juxta  muros 
dicti  loci  Privacii,  loco  dicto  En  la  Colicwû,  con- 
frontatam  a  pede  cum  orto  dicti  Johannis  Pasca- 
lis,  et  cum  terra  ma^istri  Johannis  Faleonis,  et 
cum  terra  Guillelmi  (]incli,  aliàs  Viicbo,  et  cum 
vined  nobilis  Johannis  de  Ponte  ,  et,  ab  oriente,  cum 
orto  ipsius  Florentin  Chalisse,  et  cum  suis  aliis 
confrontibus  ;  ultimamque  heredem  universalem  in 
m  testamento    instituissex    honestam    mulierem 

i.    Ici   se  trouvait    le  mot  nnb  (nonilcm),    commencé  et 


68  MARGUERITE     CHAHS. 

Margaritam  Chalisse,  ejus  neptem,  relictam  nobilis 
Raymundi  de  Bosco    quondam  Barresii,  etc.,  etc. 


N» 


MATRIMONIUM    NOBILIS    BeRENGERII    DE    SUPERVILLA 

Nemausensis  diocesis  ex  unâ,  et  honeste  mulieris  Mar- 
garite,  filie  venerabilis  viri  domini  Pétri  Chalissi 
quondam  Privacii,  partibus  ex  altéra. 

In  nomine  Domini.  Amen. 

Anno  Domini  millesimo  qnadringentesimo  vice- 
simo  septimo  et  die  quartâ  mensis  jannarii,  etc. 

Cum  ad  Dei  laudem,  tractaretur  de  matrimonio, 
per  verba  de  futuro,  inter  nobilem  Berengerium 
de  Supervilld,  Nemausensis  diocesis,  et  quosdam 
ejus  parentes,  présentes  nomine  dicti  nobilis  ex  und, 
et  honestam  mulierem  Margaritam,  filiam  venera- 
bilis viri  domini  Pétri  Chalissi  quondam  licenciati 
in   le  gibus,   Privacii,  partibus  ex  altéra. 

Tandem  ver o  jurato  futuro  matrimonio  predicto 
inier  partes,...  quia  dotis... 

Igitur  personaliter  constituta  in  presentia  nos- 
trûm  Ludovici  Rijardi  et  Anthonii  de  Brione  no- 
tariorum,  dicta  Margarita,  sponsa  futura,  non 
errans,  sed  sponte,  cum  volunlate  et  consensu 
dictorum  suorum  amicorum  se  constitua  in  dotem, 
unà  cum  dicto  ejus  sponso  futuro,  videlicet  ; 

Omnia  et  singula  bona  sua,  mobilia,  immobilia, 
jura,  res,  actiones  et   quas   habet   et  possidet  de 


MARGUERITE     CHALIS.  ÔÇ 

presenti  duntaxat,  ubicumque  sint,  exceptis  ta- 
men  his  que  ipsa  habet  in  lotis  de  Ruppemaurd  et 
de  Seutro,  seu  eorum  territorio,  unà  cum  eorum 
iuribus  et  pertinentiis,  de  quibus  ipsa  sponsa  pos- 
sit  facere  ad  suas  voluntates,  faciens  et  con- 
stituens  dicta  sponsa  futur  a  dictum  ejus  vint* 
futurum  in  dote  sua  predictd  verum  dominum  et 
procuratorem,  ità  quod,  copulato  dicto  futuro  ma- 
trimonio, in  anthea  agere  possit,  et  deinde  totum 
facere. 

Et  fuit  actum,  inter  partes,  retenlumquc  per 
dictant  sponsam  futuram,  quod  dictus  nobilis, 
sponsus  futurus,  incontinenti  copulato  dicto  fu- 
tur ,  matrimonio y  veniat  super  bonis  et  hereditate 
dicte  sponse  et  ibidem,  cum  ipsd  sponsa  fu- 
turd  et  ejus  familidy  videlicet  in  presenti  loco  Pri- 
vatii,  vel  Vessaucii  domicilium  personale  continue 
facere  debeat  et  larem  fovere,  bona  et  heredi- 
tatem  dicte  sponse  regere,  gubernarc,  cultivarc, 
benc  probe,  teneatur  et  non  deteriorare ,  r. 
que  bona   et   hereditatem    r  :  heat   cum    in- 

>ii  confections,   et    cas   in   casu   restitutionis 
■-,  restitu 
Item    plus    fuit     actum,     quod,    si    continr 
quMidocumque  alterum  ex  ipsit  futur Uconjugibus, 
mon  ine  liberis  legitimis  ex  presenti 

futuro    matrimonio    pfocreatis,  uno    vel  pluribus, 

im    habeai   et    lucretur, 
bonis  premoriCHtis,  mo  I  tot    videlicet     cen- 


70  MARGUERITE    CHALI  S. 

tum  scuta  auri  boni  et  fini,  boneque  legis  et 
cugni  domini  nostri  Francie  régis  ;  quequidem 
centum  scuta  dictus  premoriens  modo  pretacto 
gratis  et  sponte  dicto  superviventi  eorumdem,  in 
casu  predicto  adveniente,  presenti  matrimonio  de- 
dit  sive  donavit  donatione  purd,  que  fit  inter  vivos 
et  propter  nupcias. 

Et  specialiter  dicta  sponsa  hoc  pactum  fccit 
asserens  majorent  viginti  annis  et  minorent  viginti 
quinque,  renunciando  per  expressum  super  hoc 
minoris  etatis  beneficio. 

Et  que  centum  scuta  solvi  debeant  per  heredes 
et  successores  dicti  sic  premorientis  dicto  supervi- 
venti vel  suis  in  pace,  per  solutiones  annuales 
decem  scutorum  auri,  unà  cum  dampnis. 

Item  plus  fuit  actum,  retentumque  per  dictum 
sponsum  futurum,  quod  dicta  sponsa  futura  re- 
cognoscere  teneatur  dicto  nobili  Berengiero  omnia 
ea  que  ipse  de  suo  proprio  implicabit  in  bonis  et 
hereditate  dicte  sponse  future,  videlicet  pro  evi- 
denti  commodo  et  utilitate  ipsorum  bonorum  et 
hereditatis,  et  non  aliter,  et  ea  restituere  in  casu 
restitutionis  adveniente. 

Item  plus  fuit  actum,  quod  dictus  nobilis 
Berengierus  emere  debeat  dicte  sponse  jocalia 
usque  ad  valorem  vigenti  quinque  mutonum  auri, 
de  quibus  jocalibus  ipsa  Margarita,  sponsa  futura , 
facere  possit  ad  suas  omnimodas  voluntates,  tam 
in  vitd  quant  in  morte. 


MARGUERITE      CHALIS.  7 1 

Item  fuit  actum,  quod  dictus  sponsus  futurus 
etiam  emere  debeat  dicte  ejus  sponse  future  vestes 
nuptiales  bonas  et  compétentes  juxtà  coniitionem 
personarum  ipsorum  futurorum  conjugum. 

Pretereà,  personaliter  constitutus,  in  presentid 
nostrûm  notariorum,  nobilis  et  religiosus  vir 
dominus  Anthonius  Joriani,  prior  Vessaucii, 
avunculusque  dicti  sponsi,  affectans  ut  presens  ma- 
trimonium  suum  deducat  ejfectum,  igitur,  non 
errans,  sed  sponte,  favore  et  contemplatione 
hujus  futuri  matrimonii,  dédit  donatione  purd, 
que  fit  inter  vivos  et  propter  nupcias,  dicto  no- 
bili  Berengiero  presenti,  videlicet  centum  muto- 
nes  auri  boni  et  fini,  cugni  domini  nostri  Francie 
régis  ;  quos  centum  mutoncs  auri  dictus  dominus 
prior  dicto  nobili  Berengiero,  ejus  nepoti  presenti, 
solvere  promisit  sub  juramcnto,  obligatione  et 
renunciatione  infrà  scriptis.  in  pace,  ad  ejusdem 
nobilis  Iicrengerii  vcl  suorum  primant  rcquisitio- 
nem,  unà  cum  dampnis. 

Et  ità  predicta  f  \  promi tentes,  inde  ipse 

partes    contrahentes,    bond  Jide    sud  et   sub  obli- 
gatinne  et  vppothecâ  omnium  bonnrum  suorum  ipsa 

omnia    tenere,    et    nunquam    contra  faccre, et 

quoi  non  fecerunt,  et  juraverunt,  prO  quitus  acteti- 
,  dicte  partes  contrahente  mm   qucli- 

'bligavcrunt,    se   et   bon 

i  et  Valentina  illo  Prmi- 

u  et  totius  altcn  itatûs  Valentinensiî 


72  MARGUERITE      CHAHS, 

et  Diensis  citrà  Rodanum  et   ultra,  et   sigillo  do- 
mini  Vivariensis  episcopi  et  ipsorum  cujuslibet 

renunciantes 

De  quibus  quelibet  pars  dictorum  futurorum 
conjugum  peciit ,  videlicet  dictas  sponsus  fu- 
turus  per  me,  Ludovicum  Riffardi,  et  dicta  sponsa 
per  me,  Anthonium  de  Brione,  notarios  publicos, 
instrumentum,  quando  possit  jieri,  ad  consilium 
cujuslibet  sapientis. 

Actum  Privacii  in  hospicio  dicte  Margarite, 
testibus  presentibus  : 

Nobili   et    venerabile    viro    domino    Guillelmo 
de  RoculiSj  in  utroque  jure  bacallario  ; 
Nobilibus  : 

Guillelmo   Floccart, 

Guillelmo  de  Montegrosso,  aliàs  de  Gradu, 

Raymondo  Veteris, 

Ebrardo  de  Cheylario, 

Petro  de  Benefficio; 

Religiosis  viris  et  dominis  : 

Imberto  Mote?  priore  de  Upiano, 

Égidio  Charrerie,  curato  Privacii, 

Guillelmo  d"e  Morerio, 

Goncto  Alardi, 

Anthonio  Vallati?  et  pluribus  aliis  et  me  Ludo- 
vi co  Riffardi,  notario,  qui  in premissis  inter- 
fui  cum  te  magistro  Anthonio. 

Riffardi. 


MARGUERITE     CHAHS, 


73 


TRADUCTION 


TESTAMENT       DE      FLORENCE     CHAHS 

Veuve  de  Pons  de  Mourier,  à  Privas, 

Au  nom  du  Seigneur,  amen. 

L'an  de  l'Incarnation  de  Notrc-Seigneur  1427,  le 
11  du  mois  de  septembre, 

Je,  Florence  Chalis,  veuve  de  Pons  de  Mourier, 
de  Privas,  jouissant  de  mes  facultés,  bien  que  faible 
de  corps,  sachant  que  les  jours  du  Seigneur  seront 
courts  et  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  certain  que  la 
mort,  et,  par  suite,  ne  voulant  pas  mourir  sans  tes- 
tament,—  fais  en  conséquence  ce  testament  et  acte 
de  dernières  volontés  et  dispositions  comme  suit  : 

Et  d'abord  ayant  fait  le  signe  de  la  croix  -\-  di- 
sant :  Au  nom  du  Père,  etc.  Je  rends  mon  âme  et 
mon  corps  au  très-haut  Créateur. 

.  îite,  lorsque  mon  âme  aura  été  séparée  de 
mon  corps,  je  choisis  pour  sépulture  de  ce  même 
corps,  dans  le  cimetière  de  Saint-Thomas  *,  de  Pri- 
vas, le  tombeau  dans  lequel  ma  mère  et  feu  Jacques 

1.1  ■    t    toujours    IOM  le   vocable    Je 

Thomas. 

1 


MARGUERITE      CHALIi. 


la  Balme,  mon  premier  mari,  ainsi  que  ses  enfants 
et  les  miens  ont  été  inhumés,  et  je  veux,  au  jour  où 
mondit  corps  sera  livré  à  la  sépulture,  que  l'on  con- 
voque dans  ladite  église  de  Privas  trente  prêtres  qui 
diront  des  messes,  auxquels  prêtres  et  à  chacun 
desquels  je  veux  qu'il  soit  offert  quinze  deniers 
tournois  une  fois  pour  toutes,  et  aux  clercs  ce  qui 
est  d'usage. 

Item,  je  veux  que,  pendant  les  neuf  jours  qui 
suivront  ma  mort  ou  mon  inhumation,  on  convoque 
tous  les  prêtres  de  Privas  sur  ma  sépulture,  pour  là 
célébrer,  revêtus  de  leurs  surplis,  une  absoute; 
auxquels  prêtres,  à  tous  et  à  chacun  d'eux,  c'est-à- 
dire  à  ceux  qui  auront  été  présents,  revêtus  de  leurs 
surplis,  je  veux  qu'il  soit  offert,  chacun  desdits  neuf 
jours,  six  deniers  tournois  une  fois  pour  toutes,  et 
aux  clercs  ce  qui  est  d'usage. 

Item ,  je  veux  que,  le  trentième  jour,  on  con- 
voque dans  ladite  église  trente  autres  prêtres  qui 
diront  des  messes,  auxquels  je  veux  qu;il  soit  offert 
un  repas  convenable,  et,  après  le  repas,  à  chacun 
d'eux  quinze  deniers  tournois  une  fois  pour  toutes, 
et  aux  clercs  ce  qui  est  d'usage. 

Item,  je  veux  qu'il  soit  donné  à  vingt  et  un 
pauvres  en  pain  cuit  dix  setiers  de  seigle,  une  fois 
pour  toutes,  et  dix  quartauts  de  sel,  une  fois  pour 
toutes. 

Item,  je  veux  que  mon  offrande  de  pain,  de  vin 
et  de  luminaire  soit  faite  dans  ladite   église  de  Pri- 


MARGUERITE      CHALIS.  7  $ 

vas  pendant  un  an  et  un  jour  depuis  mon  décès,  de 
la  manière  suivante,  savoir  :  chaque  jour,  deux 
deniers  tournois  de  pain,  une  pinte  de  vin  pur  et 
un  cierge,  une  fois  pour  toutes. 

Item,  je  lègue  au  curé  actuel  de  Privas  ou  à  son 
successeur  deux  sols  et  demi  tournois  une  fois  pour 
toutes. 

Item,  à  son  vicaire,  deux  sols  et  demi,  une  fois 
pour  toutes. 

Item,  je  lègue  aux  luminaires  de  la  bienheureuse 
Marie  de  Privas  un  pot  d'huile,  une  fois  pour 
toutes. 

Item,  je  lègue  à  l'hôpital  de  la  Recluse  et  à  la 
maladrerie  de  Privas  *,  six  deniers  tournois  chacun, 
une  fois  pour  toutes. 

Item,  je  lègue  aux  quêtes  du  Purgatoire,  à  l'œuvre 
de  Saint-Thomas  pour  habiller  les  pauvres,  au  cierge 
de   la  Sainte-Vierge  et  au  cierge  pascal,  qui  existent 

1.   Il  est  à  présumer  que  le  premier  de  ces  établissements,  • 
situé  au  quartier  de  la  Recluse,  était  l'hôpital    proprement 
dit  et  que  la  maladrerie    était  exclusivement    réservée    aux 
lépreux.  11  ne  reste  plus  trace  de  ces  établissements  détruits, 
avec  le  reste  de  la  ville,  en  1629.  I  de  Privas, 

situé  dans  un  quartier  différent,  ne  remonte  qu'à 

IV  créent    alors  un    hôpital    des 

1  sont  ino  biens 

.nus   des  maladreries  de  Privas  et  de   Tournon  prés 

.  en  suite  de  l'arrêt  du  conseil  privé  du   17  février  ; 

Il  existe  une  copie  de  chacun  de  ces  actes  aux  archives  de 

tal. 


jC  MARGUERITE     CHAHS. 

audit  lieu  de  Privas,  à  chacune  de  ces  œuvres  pies, 
six  deniers  tournois,  une  fois  pour  toutes. 

Item,  je  lègue  à  la  confrérie  des  prêtres  de  Pri- 
vas, outre  ma  redevance,  deux  bichets  *  d'étain  que 
j'ai  chez  moi,  une  fois  pour  toutes. 

Item,  je  lègue  au  couvent  des  frères  mineurs 
d'Aubenas,  pour  deux  cents  messes  à  célébrer  dans 
le  même  couvent,  pour  le  salut  de  mon  âme,  cinq 
livres  tournois,  une  fois  pour  toutes,  en  monnaie 
courante,  à  payer  dans  le  délai  de  deux  ans  après 
ma  mort. 

Item,  pareillement,  au  couvent  des  frères  prê- 
cheurs du  même  endroit,  pour  deux  cents  autres 
messes  à  célébrer  de  la  manière  susdite,  cinq  autres 
livres  tournois,  une  fois  pour  toutes,  à  payer  comme 
ci-dessus. 

Item,  je  lègue  au  couvent  des  frères  augustins  de 
Saint-Michel  de  la  Voulte,  pour  deux  cents  autres 
messes  à  célébrer  de  la  manière  susdite,  cinq  autres 
livres  tournois  une  fois  pour  toutes,  à  payer  comme 
ci-dessus  2. 


i.  Pitalphus,  botta,  vasum  ad  vinum  continendum.  Du- 
cange.  Le  mot  bouto  est  encore  employé  dans  l'Ardèche 
pour  désigner  des  vases  en  bois  contenant  du  vin.  Comme 
il  s'agit  d'un  vase  d'étain,  nous  avons  cru  devoir  traduire 
par  bichet. 

2.  Les  couvents  des  frères  mineurs  et  des  frères  prêcheurs 
d'Aubenas  et  celui  des  frères  augustins  de  Lavoulte  n'ont 
cessé  d'exister  qu'à  la  fin  du  siècle  dernier,  lors   de  la  sup- 


MARGUERITE      CHALIS.  JJ 


Item,  je  lègue  aux  prêtres  habitant  ledit  lieu  de 
Privas,  pour  cent  messes  à  célébrer  dans  ladite 
église  de  Privas  pour  le  salut  de  mon  âme,  deux 
livres  tournois  une  fois  pour  toutes,  à  payer  dans  le 
délai  d'un  an  après  ma  mort. 

Item,  je  lègue  à  la  maladrerie  de  Privas,  outre 
mes  autres  legs,  mon  meilleur  matelas,  un  oreiller, 
un  drap  de  lit,  deux  paillasses. 

Item,  je  lègue  au  nommé  Beylle  du  pré  du  Mail  * 
mon  autre  matelas  de  moindre  valeur,  deux  pail- 
lasses et  deux  draps  de  lit. 

Item,  je  lègue  à  Pons  la  Balme,  fils  de  feu 
Pons,  une  vigne  située  sur  le  mont  Romain  2,  limi- 
trophe à  la  route  qui  va  de  Privas  à  Saint-Priest,  à 
la  vigne  de  Mondon  Giraud,  forgeron,  et  à  d'autres 
voisins,  le  tout  avec  les  droits  de  passage. 

pression  générale  des  établissements  religieux.  Il  y  a  au\ 
archives  départementales  à  Privas  un  certain  nombre  de 
documents  provenant  de  ces  couvents,  notamment  des 
copies  de  cartula 

de  M.  Mamarot,  archiviste  du  département 
de  l'Ardéche.) 
i.  On  ap:  /    l'empUcCIBCnl 

cupé  actuellement    par    le  Champ  de  Mars  en    face  fU 
sernes.  C'était  là  que  commençait  le  chemin  du  Jeu  du  Mail 

:  aujourd'hui  le 
cimet. 

%,  Le  MênttRoMâm  et  le  quartier  ou 

du  mont  Toulon,  entre  la  route  nationale   Ml  nor  .1     I 

• 


j\\  MARGUERITE      CHALIS. 

Item,  je  lègue  à  Catherine,  femme  d'Etienne  de 
Soler,  ma  cousine  germaine,  quinze  sous  tournois, 
une  fois  pour  toutes,  à  payer  dans  le  délai  d'un  an 
après  ma  mort. 

Item,  je  lègue  à  Jean  Pascal,  ou  d'Aubenas,  mar- 
chand, pour  les  services  que  m'a  rendus  sa  femme, 
et  pour  les  choses  dont  je  pourrais  lui  être  rede- 
vable, ma  vigne  située  à  la  Colieyre  1,  contigué  par 
le  bas  au  jardin  dudit  Jean,  et  à  la  terre  de  maître 
Jean  Falcon,  à  la  terre  de  Guillaume  Ginet,  à  la 
vigne  de  Jean  Dupont...  au  jardin  de  noble  Hélide, 
veuve  de  Pierre  Fabre,  à  mon  jardin  et  à  d'autres 
voisins,  le  tout  avec  les  droits  de  passage. 

Item,  de  plus,  je  lègue  au  même  Jean  les  fruits 
actuellement  pendants  dans  mes  vignes,  une  fois 
pour  toutes.  Je  veux  cependant  que  ni  ledit  Jean  ni  les 
siens  ne  puissent  rien  demander  de  mon  héritière 
ci-après,  et  que  ladite  héritière  ne  puisse  non  plus 
redemander  audit  Jean  ni  aux  siens  rien  de  ce  que 
je  puis  devoir  audit  Jean,  ou  dont  ledit  Jean  peut 
m'être  redevable  de  quelque  manière  que  ce  soit, 
jusqu'au  jour  d'aujourd'hui. 

Et  comme  l'institution  d'un  héritier  est  le  but  et 
la  raison  de  tout  testament  suprême,  en  conséquence, 
pour  tous  mes  autres  biens,  meubles,  droits  et  actions, 


i.  C'est  la  partie  du  terrain  en  pente  qui  se  trouve  vis- 
à-vis  la  prison,  entre  le  collège  et  l'abattoir,  et  qui  descend 
jusqu'au  ruisseau  de  Charalon. 


MARGUERITE      CHALIS.  79 

présents  et  futurs,  j'institue  pour  ma  légataire  uni- 
verselle, l'indiquant  et  la  nommant  de  ma  propre 
bouche,  ma  bien-aimée  et  très-chère  Marguerite, 
fille  de  feu  mon  frère  messire  Pierre  Chalis,  licencia 
en  droit,  ma  nièce  et  les  siens,  par  laquelle  je  veux 
que  mes  legs  et  dettes  soient  acquittés  et  payés.  ' 

J'institue  pour  mes  exécuteurs  testamentaires  le 
curé  actuel  de  Privas  et  messire  Jean  de  Colunce  ou 
Ardone,  prêtre  de  Saint-Thomas,  auxquels  je  donne 
pouvoir,  etc. 

Ceci  est  mon  testament  et  acte  de  dernières  vo- 
lontés et  dispositions,  lequel  j'entends  être  valable, 
comme  testament,  codicille  et  donation  après  décès, 
et  cela  en  la  meilleure  forme  de  droit. 

Et  s'il  est  établi  que   j'aie  jamais   fait  précédem- 
ment un  autre  ou  d'autres  testaments,  codicilles  ou 
donations  en  vue  de  décès,  je  les   révoque,  voulant 
que  ce  présent  testament  demeure  en  pleine  force  et 
ir,    vous    requérant   témoins    et    notaire   d'en 
ire  acte. 

Fait  à  Privas,  au  domicile  de  laditj  Marguerite, 
dans  la  chambre  où  elle  était  malade,  en  présence 
des  témoins  ci-apr. 

\kkii'  m,  c  iré  d  idit  lieu, 

GuiLLAUM!    DE    MOttl  : 

J 1  1  ,vh  1  i.k  ,  J 1  an  di  Coi  ni  1 1 . 

Gi  m  1  1  1  . 

Pu  I 

I'k.v.  Bat. 


HO  MARGUERITE      C  H  ALI  S. 


EXPEDITION     DE     LEGS     POUR    JEAN    PASCAL 

OU     d'aubenas. 


L'an  du  Seigneur  1427,  le  12  du  mois  de  no- 
vembre, 

Honorable  dame  Florence  Chalis  ayant  fait  son 
dernier  testament  dans  un  acte  reçu  en  note  par  moi 
notaire  soussigné,  dans  l'année  que  dessus,  et  le 
1 1  septembre,  dans  lequel  testament  il  est  dit  entre 
autres  choses  : 

Que  ladite  Florence  Chalis  donne  et  lègue  à  Jean 
Pascal  ou  d'Aubenas,  marchand  audit  lieu  de  Pri- 
vas, une  sienne  vigne  située  près  des  murs  dudit 
lieu  de  Privas,  au  lieu  dit  en  la  Colieyra,  confron- 
tant par  le  bas  avec  le  jardin  dudit  Jean  Pascal, 
avec  la  terre  de  maître  Jean  Falcon,  avec  la  terre  de 
Guillaume  Ginet  ou  Videbo,  et  avec  la  vigne  de 
noble  Jean  de  Pont;  et,  au  levant,  avec  le  jardin 
d'elle-même  Florence  Chalis  et  avec  ses  autres  voi- 
sins; 

Et  qu'elle  a  institué,  dans  ce  testament,  pour  sa 
dernière  légataire  universel1  ■•"  honorable  dame  Mar- 
guerite Chalis,  sa  nièce,  veuve  de  noble  Raymond 
du  Bois  de  Barrés,  etc. 


MARGUERITE      CHALIS, 


MARIAGE 

DE  NOBLE  BERENGER  DE  SURVILLE 

du  diocèse  de  Nîmes,  d'une  part, 

ET    D'HONORABLE    DAME    MARGUERITE  * 

fille  du  vénérable  feu  messire  Pierre  Chalis2,  d'autre  part. 

Au  nom  du  Seigneur,  amen. 

L'an  du  Seigneur  1+27,  le  *  janvier  3. 

Des  négociations  verbales  en  vue  d'un  mariage 
ayant  eu  lieu  — pour  la  plus  grande  gloire  de  Dieu 
—  entre  noble  Bérenger  de  Surville,  du  diocèse  de 
Nîmes,  et  plusieurs  de  ses  parents  présents  au  nom 

1.  Le  mot  mulier  s'entendait  généralement  en  latin,  mais 
plus  spécialement  au  moyen  âge,  de  la  femme  mari. 
opposition  a  la  jeune  fille  ou  f-uella.  Souvent  aussi  il  voulait 
comme  puer  était  pris  pour  fis,  ainsi  qu'on  le 
voit  dans  l'inscription  2664  du  Recueil  Orclli  ;  mais  il  est 
certain  aussi  que  dins  le  droit  romain  le  mot  millier 
pliquait  à  toutes  les  femn  ou  non.    On    I 

iins  Ulpit-  I  I Itères  otnnes  J; 

quœcunque  sexûs  femitiini  surit. 
2.  Il  est  as-.cz  difficile  de 

(     ilitii   ou   Chalini.  \)  A  lit  lu  Chalini. 

Nous  avons  préfér    ( 

ttc  date  correspond  au  4  janvier  1428.  L'année  com- 
mençait alors    à  Pâques,  qui,  en   1427,    M    trouvait   être  le 

'.  â]ucs  de  l'année 

1  1 


M  2  MARCUERITE       C  H  A  L  I  s  . 

dudit  noble,  d'une  part, —  et  honorable  dame  Mar- 
guerite, fille  du  vénérable  feu  messire  Pierre  Chalis, 
d'autre  part, 

Ledit  futur  mariage  ayant,  d'ailleurs,  été  convenu 
par  serment  entre  les  parties, 

Pour  la  dot  à  fixer, 

A  personnellement  comparu  devant  nous,  Louis 
Riffard  et  Antoine  de  Brion,  notaires,  ladite  Margue- 
rite, future  épouse,  dans  la  plénitude  de  sa  con- 
science, et  de  son  plein  gré,  avec  la  volonté  et  le 
consentement  de  ses  amis,  laquelle  s'est  constitué  en 
dot,  son  futur  époux  acceptant,  savoir  *  : 

Tous  et  chacun  de  ses  meubles  et  immeubles, 
droits  et  actions,  qu'elle  a  et  possède  actuellement, 
où  qu'ils  soient,  excepté   cependant  ceux    qu'elle  a 

suivante,  donner  à  ses  actes  la  date  de  1427,  bien  qu'à  par- 
tir du  Ier  janvier  il  fût  en  1428  (nouveau  style).  En 
France,  le  commencement  de  l'année  a  souvent  varié.  Sous 
les  rois  de  la  première  race,  c'était  le  Ier  mai,  jour  où  on 
passait  les  troupes  en  revue.  Sous  la  deuxième  race,  ce  fut 
le  jour  de  Noël  ou  solstice  d'hiver.  Sous  la  troisième,  le 
jour  de  Pâques.  Un  édit  de  Charles  IX  de  1564  fixa  la 
date  du  Ter  janvier. 

1.  Le  régime  dotal  était  presque  uniquement  en  usage 
dans  le  midi  de  la  France;  c'est  pour  cela  que  le  Midi  est 
de  beaucoup  resté  en  arrière  du  Nord  pour  le  développe- 
ment des  affaires,  car  presque  tous  les  immeubles,  étant 
grevés  de  l'hypothèque  dotale,  étaient  sans  valeur  commer- 
ciale, ce  qui  immobilisait  la  plus  grande  partie  du  capital 
du  pays. 


MARGUERITE     CHALIS.  83 

aux  lieux  de  Rochemaure  et  de  Sceautres,  ou  sur  le 
territoire  de  ces  deux  localités,  avec  leurs  droits  et 
appartenances ,  desquels  biens  l'épouse  veut  pouvoir 
disposera  sa  volonté;  ladite  future  épouse  faisant  et 
constituant  sondit  futur  époux  vrai  maître  et  adminis- 
trateur de  sa  dot,  en  sorte  que,  ledit  mariage  étant 
conclu,  il  puisse  prévoir  ce  qu'il  y  a  à  faire  et  ensuite 
agir  en  conséquence. 

Et  il  a  été  stipulé  et  convenu  entre  les  parties  : 
Pour  la  future  épouse  :  que  ledit  noble  futur 
époux,  aussitôt  le  mariage  accompli,  viendrait  dans 
les  biens  et  le  patrimoine  de  ladite  épouse,  et  là, 
avec  sa  future  épouse  et  sa  famille,  c'est-à-dire  au 
présent  lieu  de  Privas  ou  à  Vessaux,  devrait  prendre 
son  domicile  personnel  et  y  établir  ses  pénates,  et 
qu'il  sera  tenu  de  régir,  gouverner,  cultiver  bien  et 
honnêtement  les  biens  et  le  patrimoine  de  ladite 
épou.s  >rer,  et  qu'il  devra 

recevoir  ces  biens  et  ce  patrimoine  après  inventaire, 
et  si  le  cas  de  restitution  survenait,  les  restiti. 

Item,  il  a  été  encore  stipulé  que,  s'il  arrivait, 
n'importe  quand,  qu'un  des  futurs  époux  vînt  à 
mourir  ou  décéder  sans  enfants  légitimes  issus  du 
.ut  mariage,  un  ou  plusieurs,  le  survivant 
aurait  et  profiterait,  sir  les  bien-;  Ji  défunt,  de  la 
manière  suivante,  savoir  :  cent  écus  d'or  bon  et  fin, 
mon:  le    notre    sire    le    roi   de 

nt  écus  ledit  futur  défunt  d 
de  la  manière  dite,  gratis  el  gré,  au  survi- 


MARGUERITE     CHALIS. 


vant,  dans  le  cas  indiqué,  à  titre  de  donation  pure 
et  comme  faite  entre-vifs  en  vue  du  mariage. 

Et  spécialement  ladite  épouse  a  fait  ce  pacte,  affir- 
mant qu'elle  a  plus  de  vingt  ans  et  moins  de  vingt- 
cinq,  renonçant  expressément  à  ce  bénéfice  de  mi- 
norité1. 

Et  les  cent  écus  devront  être  payés  par  les  héri- 
tiers ou  successeurs  du  défunt,  au  survivant  ou  aux 
siens,  sans  difficulté,  par  versements  annuels  de  dix 
écus  d'or  avec  les  intérêts. 

Item,  il  a  été  stipulé  et  convenu  : 

Pour  ledit  futur  époux  :  que  ladite  future  épouse 
sera  tenue  de  reconnaître  audit  noble  Bérenger  tout 
ce  que  lui-même  aura  apporté  de  son  propre  avoir, 
dans  les  biens  et  le  patrimoine  de  ladite  future 
épouse,  pour  le  profit  évident  et  l'intérêt  de  ces 
biens,  et  non  autrement,  et  qu'elle  sera  tenue  de  les 
restituer  au  cas  où  il  y  aurait  lieu  à  retour. 

Item,  il  a  été  stipulé  que  ledit  noble  Bérenger 
devra  acheter  pour  ladite  épouse  des  bijoux  pour 
une  valeur  de  vingt-cinq  moutons   d'or2,  desquels 

i,  La  loi  romaine,  suivie  dans  les  pays  de  droit  écrit, 
distinguait  deux  majorités  :  l'une  imparfaite,  fixée  d'abord 
à  l'âge  de  puberté,  puis  à  vingt  ans  ;  l'autre  parfaite,  fixée 
à  l'âge  de  vingt-cinq  ans.  Les  contractants  étaient  admis 
à  revenir  sur  les  conventions  préjudiciables  qu'ils  avaient 
faites  avant  ce  dernier  âge;  voilà  pourquoi  Marguerite  décla- 
rait renoncer  à  ce  bénéfice  de  minorité,  renonciation  sans 
valeur  légale. 

2.  Le  mouton  d'or  était  une  monnaie  de   France  qui  por- 


MARGUERITE     CHAHS.  8$ 

bijoux  ladite  Marguerite,  l'épouse  future,  pourra 
disposer  absolument  à  sa  guise,  aussi  bien  pendant 
sa  vie  que  pour  après  sa  mort. 

Item,  il  a  été  stipulé  que  ledit  futur  époux  devra 
également  acheter  à  ladite  future  épouse  des  vête- 
ments de  noces  bons  et  en  rapport  avec  la  condi- 
tion personnelle  des  futurs  époux. 

En  outre,  devant  nous  notaires  a  personnellement 
comparu  noble  et  vénérable  Antoine  Jourdan,  prieur 
de  Vessaux,  oncle  dudit  époux,  lequel,  à  l'effet  de 
faciliter  le  mariage,  sciemment  et  spontanément,  en 

tait,  d'un  côté,  l'image  de  saint  Jean-Baptiste  et,  de  l'autre, 
celle  d'un  agneau,  avec  ces  mots  pour  légende  :  Ecee 
agnus  Dei.  Dans  le  courant  du  xve  siècle,  par  conséquent  à 
l'époque  du  contrat,  la  pièce  en  question  valait  7  fr.  95. 
Cette  valeur  néanmoins  n'est  que  celle  du  poids  ;  quant  a 
la  valeur  relative,  elle  est  incalculable.  Du  ve  au  xvie  siècle 
en  effet,  l'or  conserve  une  valeur  spécifique  excessivement 
élevée  par  suite  de  l'abandon  presque  général  de  l'exploi- 
tation, et  ce  ne  fut  qu'au  xvie  siècle,  après  la  découverte 
de  l'Amérique  et  quand  les  métaux  précieux  affluèrent  en 
Europe,  que  cette  valeur  diminua.  Au  xvie  siècle,  cette 
dépréciation  était  déjà  de  plus  du  tiers,  presque  de  la  moi- 
tre  cette  dépréciation  progressive  de  la  valeur  spé- 
cifique de  l'or,  il  y  aurait  encore  a  tenir  compte  de  la 
dépréciation  survenue  suite 

de    l'accroissement  de    la    richesse  publique,    pour   pouvoir 
faire  une  estimât  des  joyaux  de  Marguerite.   I 

tous  les  cas,  on  peut   dire  qu'ils  ne  le  cédaient    point,    pour 
la  valeur,   aux  plus  rie:  dei    noble- 

l'aujourd'l, 


8  6  MARGUERITE     (HALIS. 


faveur  et  en  vue  de  ce  futur  mariage,  a  donné,  par 
donation  pure  et  simple  entre-vifs,  audit  noble 
Bérenger  présent,  à  savoir,  cent  moutons  d'or  bon 
et  fin,  au  coin  de  notre  sire  le  roi  de  France,  les- 
quels cent  moutons  d'or  ledit  prieur  a  promis  de 
payer  exactement  audit  noble  Bérenger,  son  neveu, 
ici  présent,  en  s'y  engageant  sous  serment  et  en  re- 
nonçant à  toute  reprise,  à  la  première  requête  dudit 
noble  Bérenger  ou  de  ses  ayants  droit,  le  tout  avec 
intérêt. 

Promettant  lesdites  parties  contractantes  d'exécu- 
ter fidèlement  tout  ce  que  dessus,  à  l'effet  de  quoi 
ces  mêmes  parties  contractantes,  de  bonne  foi,  y 
engagent  tous  leurs  biens  par  hypothèque  et 
s'obligent  à  tout  observer,  sans  jamais  rien  faire 
contre  ce  qu'elles  ont  juré  ;  et  pour  tout  ce  que 
lesdites  parties  contractantes  ne  feront  pas,  l'ayant 
juré,  elles  obligent,  toutes  et  chacune  d'elles,  elles 
et  leurs  biens,  sous  le  sceau  royal  du  Vivarais  et  du 
Valentinois  comme  aussi  sous  le  sceau  de  Privas  et 
de  toute  l'autre  partie  du  territoire  du  comté  de 
Valentinois  et  de  Die  en  deçà  et  au  delà  du  Rhône, 
le  sceau  de  monseigneur  l'évêque  de  Viviers,  et  celui 
de  chacune  d'elles,  avec  renonciation. 

De  tout  ce  que  dessus,  chacun  desdits  futurs 
époux  a  demandé  qu'il  fût  pris  acte,  quand  il  se 
pourra,  et  à  la  discrétion  de  chacun  des  notaires,  à 
savoir,  ledit  futur  époux  par  moi,  Louis  Riffard,  et 


MARGUERITE      CHALIS.  87 

ladite    future   épouse  par    moi,  Antoine  de    Brion, 
notaires  publics. 

Fait  à  Privas,  au  domicile  de  ladite  Marguerite, 
en  présence  des  témoins  ci-apres  : 

Noble  et  vénérable  messire  Guillaume  de 
Rocles,  bachelier  dans  l'un  et-  l'autre  droit; 

Nobles  : 
Guillaume  Floccart  (châtelain  de  Privas), 
Guillaume  de  Montgros,  ou  de  Gras, 
Raymond  Vieux, 
Hébrard  du  Cheylard. 
Pierre  de  Bénéfice; 

Révérends  et  messires  : 
Imkert  de  la  Mothe,  prieur  d'Upie  (Drôme), 
Eloi  Charrière,  curé  de  Privas, 
Guillaume   de  Mourier, 

m-Allard, 

imi  \'allat, 

Et  de  plusieurs  autres  encore,  ainsi  que  de  moi 
Louis  Riflard,  notaire,  qui  suis  intervenu  eu  l'acte 
ci-dessus  avec  maître  Antoine. 

KlIlAKD, 


NH  MARCUKRI  I  B      CHALI5, 


EXTRAIT 


Mon  cher  compatriote, 

Je  vous  renvoie  ci-joints  les  extraits  du  Manuale 
notarum... 

Ces  documents,  dont  l'authenticité  est  indéniable, 
sont  de  nature  à  hâter  la  fin  du  procès  littéraire 
soulevé,  au  commencement  de  ce  siècle,  par  la  pu- 
blication des  poésies  de  Clotilde.  Dès  leur  apparition, 
vous  le  savez,  les  princes  de  la  critique  ne  virent  en 
elles  qu'un  pastiche;  ils  déclarèrent  qu'elles  étaient 
l'œuvre  d'un  faussaire,  et  la  cause  sembla  jugée 
sans  appel. 

Il  en  a  été  autrement  :  la  question,  de  nouveau 
soulevée  en  ces  derniers  temps,  est  aujourd'hui,  plus 
que  jamais,  agitée  dans  notre  Ardèche.  Elle  se  pré- 
sente sous  deux  aspects,  entre  lesquels  il  existe  une 
grande  connexité,  et  qu'il  est  difficile  de  considérer 
séparément  :  c'est,  d'une  part,  la  personnalité  poé- 
tique; de  l'autre,  la  personnalité  civile  et  familiale 
de  Clotilde. 

Ne  croyez  pas,  mon  cher  compatriote,  que  je 
veuille  intervenir  dans  le  débat.  J'ai  publié,  en  1859, 
un  roman  sur  Clotilde  de  Surville,  et  j'ai  perdu  le 


MARGUERITE     CHALIS.  89 

droit  de  faire  de  la  critique  historique  à  son  sujet  ; 
on  pourrait  me  dire  avec  raison  :  «  Vous  avez 
montré  une  Clotilde  de  fantaisie  ;  gardez  votre  fic- 
tion, elle  n'a  rien  à  voir  dans  ce  procès  d'his- 
toire. »  Je  veux  seulement  constater  l'état  de  la  ques- 
tion?  avant  de  vous  faire  connaître  mon  opinion 
sur  la  portée  des  énonciations  contenues  dans  le 
Manuale  notarum  de  mon  vénérable  confrère  du 
xve  siècle. 

En  1863,  M.  le  comte  de  Watré,  représentant, 
par  les  femmes,  du  marquis  de  Surville  que  plu- 
sieurs considèrent  comme  l'auteur  du  recueil  édité 
par  Ch.  Vanderbourg,  eut  occasion  —  à  propos  de 
mon  roman,  qui  l'intéressait  par  son  titre  et  son 
sujet  —  de  soumettre  à  M.  A.  Macé,  professeur 
d'histoire  à  la  Faculté  des  lettres  de  Grenoble,  la 
question  des  poésies  publiées  sous  le  nom  de  Clo- 
tilde de  Surville.  M.  Macé  ne  croyait  point  alors  à 
leur  authenticité.  Une  étude  sérieuse  de  la  question 
modifia  son  opinion  :  sans  méconnaître  les  retouches 
et  les  corrections  qu'une  main  indiscrète  avait  fait 
subir  I  .  il  pensa  qu'elles  n'étaient   point 

m  faussaire. 

M.  '•  r  point  le  premier  venu  :  on  ne  peut 

mettre  en  Q  talent  de  critique   et  d'écrivain, 

et  la  position  qu'il  occupe  à  la  Faculté  de*  lettres  Je 
Grenoble  donne  à  s  .-s  jugements  une  incontestable 
autorité.  Un  article  de  lui  sur  les  poésies  de  Clo- 
tilde parut,  bientôt  nu  i-  Journal  de  l'In- 


ÇO  MARGUERITE      C  H  ALI  S. 


slruction  publique,  et  produisit  assez  de  sensation 
parmi  les  lettrés  pour  que  son  auteur  fût  prié  d'en 
élargir  le  cadre  et  d'y  faire  entrer  in  extenso  toute 
la  correspondance  de  Vanderbourg  et  de  nouveaux 
renseignements  acquis  depuis  lors.  M.  de  Watré, 
obéissant  à  un  sentiment  facile  à  comprendre,  s'as- 
socia vivement  à  cette  pensée.  Il  fut  convenu  entre 
lui  et  M.  Macé  que  ce  travail  fournirait  la  matière 
d'un  volume  dont  la  publication  ne  se  ferait  pas 
longtemps  attendre.  Malheureusement  les  occupations 
graves  et  nombreuses  du  savant  professeur  retar- 
dèrent la  composition  de  Fouvrage.  M.  de  Watré 
m'annonçait,  l'année  suivante,  qu'il  était  à  peu  près 
terminé,  mais  qu'il  manquait  encore  à  M.  Macé  des 
renseignements  sur  la  famille  de  Surville,  et  me 
demandait  si  je  ne  pourrais  pas  en  trouver  dans  les 
archives  des  notaires  de  Vallon.  Mes  recherches 
furent  inutiles.  Je  dus  me  borner  à  préciser  à  M.  de 
Watré  les  traditions  locales  se  rapportant  au  sou- 
venir de  Clotilde.  Je  lui  affirmai  qu'un  vieillard  oc- 
togénaire de  Vallon,  M.  Peschaire-Florian,  mainte- 
nant décédé,  m'avait  dit  maintes  fois  qu'alors  qu'il 
était  tout  enfant,  une  de  ses  tantes  qui  datait  du 
xvme  siècle  lui  récitait  des  vers  attribués  à  une  châ- 
telaine du  nom  de  Clotilde  de  Surville.  Ce  témoignage 
oral,  que  M.  Macé  rapporte  dans  son  ouvrage,  a  été 
confirmé  par  M.  Jules  Ollier  de  Marichard,  notre  fer- 
vent et  laborieux  archéologue  vallonnais,  neveu  dudit 
M.   Peschaire-Florian. 


MARGUERITE      CHALIS.  91 

Même  en  tenant  pour  inventés  à  plaisir  les  détails 
biographiques  consignés  dans  la  préface  du  recueil 
de  Vanderbourg,  on  doit  conclure  du  fait  précité 
qu'il  a  existé,  longtemps  avant  la  publication  de  ce 
recueil,  une  femme  poëte,  appelée  Clotilde  de  Sur- 
ville, dont  les  vers  étaient  connus  dans  le  Vivarais. 

L'honorable  M.  de  Watré  n'a  pas  eu  la  satisfac- 
tion de  voir  publier  le  plaidoyer  de  M.  Macé  :  l'ou- 
vrage n'a  paru  qu'après  sa  mort.  C'est  de  cette  pu- 
blication que  date  le  bruit  qui  s'est  fait  au  sujet  des 
s  de  Clotilde. 

(Après  avoir  parlé  Mes  récents  opuscules  de 
M.  Villedieu  et  de  M.  Vaschalde,  la  lettre  continue 
ainsi  :  ) 

Voilà  Clotilde  en  face  de  la  critique.  Voyons-la 
maintenant  par-devant  notaire. 

(.     urne  l'indique  son  titre,  le   Monnaie  notarum 

d'Antoine  de  Brioo  est  écrit  en  latin.  C'était,  à  cette 

époque,  la  langue  des  actes  civils  aussi  bien  que  des 

canoniques  ;  il  avait  sur  l'idiome  national,  en 

ition,    l'avantage    d'être  une    langue 

•  les  Je    Me   de    Brion,  il  est 

loin  de  re\êtir  une   forme  cicéronienne   :    ce 
plus  que  du  latin  de  notaire,   mais  un   latin  si  com- 
plaisant  qu'il  se   plie    a    tra  :  DOOM  Je  per- 
sonnes, même  Jes  noiiiK  Je  choses,  par  dei  vocable* 
impossibles  et  absolument  Inédits. 

1  et  m'émeut  dans  ces  protocoles, 

la  manifestati  itiment  religieux  dont  ils 


92  MARGUERITE    CHAHS. 

portent  l'empreinte.  On  n'y  trouve  pas  un  seul  acte 
important  qui  ne  soit  fait  au  nom  du  Seigneur  et 
précédé  d'une  invocation  à  la  sainte  Trinité.  Nos 
ancêtres  n'avaient  pas  comme  nous  l'habitude  de  se 
passer  de  Dieu;  ils  ne  craignaient  pas  d'affirmer 
leur  foi.  Or  je  remarque  qu'à  cette  date  les  An- 
glais, devenus  maîtres  de  nos  plus  belles  provinces, 
furent  chassés  par  une  jeune  fille  qui  disait  avoir 
mission  de  Dieu.  Aujourd'hui,  pareillement,  l'étran- 
ger détient  et  foule  notre  sol,  mais  je  cherche  en 
vain  Jeanne  d'Arc... 

Le  testament  de  Florence  Chalis  nous  transporte 
en  plein  moyen  âge,  bien  qu'à  cette  date  le  moyen 
âge  approchât  de  sa  fin.  Il  ne  contient  pas  moins  de 
seize  legs  pour  des  œuvres  pies,  faits  au  profit 
d'églises,  de  couvents,  de  chapelles,  de  confréries, 
d'hospices,  de  maladreries,  etc.,  les  uns  en  argent, 
monnaie  de  Tours,  denarii  Turonenses ;  les  autres 
en  pain,  vin,  sel,  huile,  cire  et  en  effets  de  literie. 

Après  une  interminable  kyrielle  de  legs  particu- 
liers, Me  de  Brion  formule,  avec  une  satisfaction 
visible,  l'institution  d'héritier,  faite  par  la  testatrice 
au  profit  de  sa  bien -aimée  et  très -chère  nièce, 
Marguerite,  dilectam  et  carissimam  nepotem  Mar- 
garitam. 

Vous  remarquerez  que,  dans  la  copie  de  ce  testa- 
ment, les  noms  des  témoins  sont  placés  par  éche- 
lons et  par  rang  de  prééminence.  Il  en  est  de  même 
dans  la  copie  du   contrat  de  mariage.  De  nos  jours 


MARGUERITE      CHALI>.  0$ 

encore,  bien  que  le  niveau  soit  l'emblème  du  droit 
moderne,  si  vous  compulsez  les  signatures  apposées 
sur  un  acte  public,  vous  constaterez  des  préséances 
de  plume  contre  lesquelles  il  serait  parfaitement 
inepte  de  réclamer,  parce  que,  si  l'égalité  civile  est 
un  principe,  les  inégalités  sociales  sont  un  fait. 

Le  contrat  de  mariage  de  Marguerite  est  la  pièce 
importante,  décisive;  elle  me  fait  l'effet  d'un  obus 
tombant  sur  la  préface  de  Vanderbourg.  Chaque 
partie  y  a  son  notaire.  Me  Antoine  de  Brion  tient 
pour  Marguerite  et  Ma  Louis  RirTard  pour  Bérenger. 
On  voit  tout  d'abord  que,  dans  cette  lutte  à  main 
plate,  l'avantage  est  du  côté  du  notaire  de  la  future  : 
il  suffit  pour  s'en  convaincre  de  jeter  un  coup  d'œil 
sur  les  conventions  du  contrat.  Mais  procédons  par 
ordre. 

Quelleénigme  pour  les  commentateurs  qucl'emploi 
du  mot  mulier,  appliqué  à  la  future,  si  le   texte  de 

Jition  de  legs  ne  leur  apprenait  que  Margue- 
rite était  veuve  d'un  premier  mari  !  Bien  que  l'expres- 
sion mulier,  considérée  par  opposition  au  mot  vir, 
s'applique  à  toute  personne  du  sexe  féminin,  il  est 
certain  qu'au    :  irtout  on     ne  s'en   ser- 

vait que  pour  désigner  une  femme  ma  -euve. 

On  peut  citer,  à  l'appui  de   cette  règle,   le    Dfl 
suivant   de  saint  Thomas  d'Aquin,  tiré   Je  soi, 

(et  quatre  Évangiles  (M.,  ch.  u 
«<  mulieres  enim  proprie  cor  untur.  >»  Voici 

ent   le  traducteur   de  saint  Thomas    interprète 


9+  MARGUKRI  T  E      CHALIs. 

ce  passage  :  ((femme  (millier)  signifie  dans  son  sens 
propre  celle  qui  a  été...  »  Vous  devinez  le  mot, 
n'est-ce  pas?  tant  mieux,  cela  me  dispense  de  l'é- 
crire. 

C'est  donc  à  bon  escient  que  Me  de  Brion  s'est 
servi  de  l'expression  honestam  mulierem  pour 
désigner  Marguerite  Chalis.  Il  ne  pouvait  en  dire 
moins,  mais  il  eût  pu  en  dire  davantage  en  mention- 
nant son  état  de  viduité  et  le  nom  de  son  premier 
mari.  Pourquoi  donc  ne  l'a-t-il  pas  fait?  Sans  être 
dans  le  secret  des  inspirations  de  mon  confrère  du 
temps  jadis,  je  le  tiens  pour  un  maître  homme  et 
des  plus  avisés.  Si  dans  cet  acte,  où  l'individua- 
lité de  la  future  se  trouve  suffisamment  établie 
d'ailleurs,  et  où  il  eût  été  heureux  de  pouvoir  quali- 
fier Marguerite  de  virgo  ou  de  puella,  il  a  évité 
d'écrire  le  nom  et  d'évoquer  le  fantôme  de  Raymond 
du  Bois  de  Barrés,  c'est  par  un  sentiment  de  déli- 
catesse qui  lui  fait  le  plus  grand  honneur  :  peut-être 
se  rappelait-il  que  le  philosophe  Athénagore  a  défini 
le  convoi  :  un  honnête  adultère. 

Disons  un  mot  de  Bérenger  de  Surville  :  nous 
voyons  qu'il  appartenait  au  diocèse  de  Nîmes.  Je 
mentionne  pour  mémoire  qu'il  existe  présentement, 
à  Nîmes,  une  famille  de  Surville,  qui  est  une  des 
plus  notables  et  des  plus  considérées  du  Gard. 

Examinons  maintenant  les  clauses  du  contrat.  Les 
futurs  adoptent  le  régime  dotai,  cela  va  de  soi.  Seu- 
lement la   prudente   Marguerite   se  réserve  la  libre 


MARGUERITE     C  H  A  L  I  S  .  95 

disposition  des  biens  qu'elle  possède  dans  les  locali- 
tés de  Rochemaure  et  de  Sceautres.  Il  est  convenu, 
en  outre,  qu'aussitôt  le  mariage  accompli,  «  copu- 
lato  matrimonio,  »  l'époux  viendra  dans  les  biens  et 
le  patrimoine  de  l'épouse,  soit  à  Privas,  soit  à  Ves- 
saux,  et  qu'il  sera  tenu  d'y  fixer  son  domicile  per- 
sonnel et  d'y  entretenir  son  foyer,  «  larem  fovere  »  ; 
quant  aux  biens  dotaux  et  au  patrimoine  de  ladite 
épouse,  il  sera  tenu  de  les  régir,  gouverner,  cultiver 
bien  et  honnêtement,  «  probe  »,  et  de  ne  pas  les  dé- 
tériorer, etc. 

Peste!  quel  luxe  de  précautions,  et  comme  toutes 
ces    r  sont    obligeantes    pour   Bérenger  de 

Surville! 

Suit  la  stipulation  d'un  gain  de  survie  de  cent 
écus  d'or  au  profit  de  celui  des  époux  qui  mourra 
rnier,  au  cas  où  il  n'existerait  pas  d'enfants 
légitima  (?)  issus  dudit  maria::  propos  de 

cette  donation,  la  future,  qui,  d'après  la  loi  romaine, 
n'est  majeure  qu'imparfaitement,  attendu  qu'elle 
flotte  entre  la  vingtième  et  la  vingt-cinquième  année, 
déclare  renoncer  au  bénéfice  de  minorité. 

Ah!  la  bonne  ga  ger  de  Surville, 

M  Marguerite  pou.  .une   lés^Je 

.  le  contrat  ! 

Il  est  convenu     ensuite  que    la    future  sera  tenue 

lui-ci  aura 

appo:  ,  propre  avoir  dans  lus  biens  et  patri- 

ladite  future  \  Évident  et  l'uti- 


ÇÔ  MARGUERITE      CHALIS. 


lité  desdits  biens,  et  pas  autrement  :  c'est-à-dire 
que  les  dépenses  d'agrément  ne  sont  pas  comprises 
dans  cette  reconnaissance  et  dans  la  restitution  qui 
doit  s'ensuivre.  En  outre,  Bérenger  s'obligea  affecter 
vingt-cinq  moutons  d'or  à  l'achat  de  bijoux  pour  la 
future,  desquels  celle-ci  disposera  suivant  son  bon 
plaisir,  dès  à  présent  et  à  jamais;  il  devra  lui  fournir 
aussi  des  vêtements  de  noces  bons  et  en  rapport 
avec  la  condition  personnelle  des  futurs  époux. 

Elle  n'oublie  rien,  la  jeune  veuve  !  Et  qu'on  ne 
dise  pas  qu'Antoine  de  Brion  en  a  fait  à  sa  guise  ; 
Marguerite  a  dû  bien  comprendre  l'économie  de  ces 
diverses  dispositions;  il  n'était  pas  besoin  p)ur  cela 
qu'elle  eût  beaucoup  d'intelligence  et  de  culture. 

Voici  venir  en  dernier  lieu  un  personnage  qui  ne 
fait  pas  grand  bruit,  mais  qu'on  peut  considérer  à 
bon  droit  comme  l'inspirateur  et  le  négociateur  du 
mariage.  C'est  le  révérend  Antoine  Jourdan,  prieur 
de  Vessaux,  oncle  du  futur,  auquel  il  fait  donation 
entre-vifs  de  cent  moutons  d'or  payables  à  réquisi- 
tion, avec  intérêt. 

Et  maintenant,  mon  cher  compatriote,  que  con- 
clure à  l'égard  de  Marguerite  Chalis  ?  Honorable 
dame,  «  honesta  mulier  »,  suivant  l'expression  de  mon 
confrère,  je  n'y  contredis  point;  mais  pratique  et 
réaliste  à  l'égal  d'un  homme  d'affaires,  je  le  main- 
tiens. Ce  n'est  pas  elle  qui,  par  excès  de  tendresse, 
avalera,  comme  fît  Artémise,  les  cendres  de  son 
conjoint  prédécédé.  Il   importe  peu  qu'elle  fût  posi- 


MARGUERITE      CHALIS.  97 

tive  par  nature  ou  par  tradition  de  famille,  à 
l'exemple  de  sa  tante  Florence,  laquelle  avait  en- 
terré deux  maris  et  avait  dû  s'en  bien  trouver  au 
point  de  vue  des  héritages.  Rien,  chez  elle,  ni  les 
goûts,  ni  les  sentiments,  ni  le  caractère,  n'appartient 
à  l'épouse-mère,  à  la  touchante  et  sublime  trouve- 
resse  qui  a  fait  jaillir  du  fond  de  son  cœur  YHéroïde 
à  Bérenger,  les  Verselets  à  mon  premier-né.  et  le 
Chant  royal  à  Charles  VIII.  Sans  parler  des  con- 
tradictions biographiques,  maintenant  avérées,  je 
ne  puis  voir  dans  la  Marguerite  Chalis  du  Manuale 
notarum,  l'incarnation  de  notre  idéale  Clotilde  de 
Surville. 

N'êtes-vous  pas  du  même  sentiment? 
Mais  qui  donc  alors  bénéficiera  de  cette  gloire  en 
Je  n'en  sais  rien.   Je   me  borne  à  faire 
des   vœux  pour  que  ce  soit  une  muse  ardéchoise;  le 
ciel  poétique  de  notre  cher  Vivarais  n'est  point  assez 
resplendissant    pour   qu'il    puisse,  sans    un   irrépa- 
rable don.  :drc  sa  plus  brillante  étoile.  Jus- 
qu'elle ne  lui  sera  point  ravie. 
Je  ne  terminerai  pis  cette  lettre  sans  vous  féliciter 
de    prendre,    malgré    vos   occupations    incess 
une  part  active  à  l'examen  d'une  foule  de  questions 
qui  intéressent  notre  province  natale... 
Recevez,  etc. 

Villàrd,  ancien  notaire. 
Vallo      i  |      ni  1873 . 


98  MARGUERITE      C  H  A  L  J 


LETTRE 

DE      M.     JULES      BAISSAC 

Sur  les  poésies  de  Clotilde  de  Surville. 

Mon  cher  monsieur  Mazon, 

Vous  m'avez  exprimé  le  désir  d'avoir  mon  avis 
sur  l'âge  des  poésies  attribuées  à  Clotilde  de  Sur- 
ville. Cet  avis,  auquel  vous  me  faites  l'honneur 
d;attacher  quelque  prix,  ne  sera  pourtant  que  le 
mien,  quelque  chose,  par  conséquent,  de  tout  à  fait 
personnel  et  d'entièrement  discutable.  Je  ne  vous  le 
donne,  du  reste,  que  comme  tel,  vous  laissant, 
bien  entendu,  la  liberté  de  le  traiter  comme  bon  vous 
semblera. 

Je  ne  toucherai  point,  si  vous  le  voulez  bien,  à 
la  personne  de  Clotilde,  dont  je  veux  même  pa- 
raître ignorer  l'histoire.  Ce  n'est  pas  de  l'âge  de 
l'auteur,  en  effet,  que  vous  m'avez  demandé  de 
m'occuper,  mais  de  celui  du  recueil  qui  porte  son 
nom.  Je  n'ai  donc  à  examiner  la  question  qu'au  point 
de  vue  de  la  forme  de  la  pensée,  d'abord,  et  puis  au 
point  de  vue  de  la  langue,  sous  le  double  rapport 
littéraire  et  philologique. 

Pour  ne  pas  vous  faire  attendre  mes  conclusions, 


MARGUERITE      CH  A  LIS.  99 

je  vais  vous  dire  tout  de  suite  ce  qui  demeure  à  mes 
yeux  très-nettement  établi.  Le  fait  que  je  tiens  pour 
démontré,  c'est  que  les  poésies  publiées  en  l'an  XI 
par  Ch.  Vanderbourg  sous  le  nom  de  Clotilde  de 
Surville  et  celles  que  MM.de  Roujoux  et  Ch.  Nodier 
ont  fait  paraître  sous  le  même  nom  en  1827  sont  des 
œuvres  relativement  modernes,  qui  ne  peuvent  guère 
remonter  plus  haut  que  le  dernier  siècle.  Fort  belles 
incontestablement  pour  la  plupart,  quoique  parfois 
entachées  d'un  peu  de  recherche  et  d'afféterie  senti- 
mentale, ce  qui  semblerait  bien,  en  effet,  trahir 
une  origine  féminine,  ces  poésies  ne  sauraient,  pour 
le  tour  de  la  pensée  comme  pour  la  langue,  être 
raisonnablement  attribuées  à  l'époque  qu'il  a  plu  aux 
éditeurs  de  leur  assigner.  Ni  la  pensée  ni  la  parole 
n'avaient,  au  xve  siècle,  la  forme  que  nous  voyons 
est  ce  dont  je  vais  essayer  de  vous  convaincre. 
Si  j'y  réussis,  la  conséquence  à  tirer  sera  tout  natu- 
rellement celle  que  je  viens  d'énoncer. 

Avant  d'arriver  à  l'état  de  précision  logique  où 
elles  sont  parvenues  depuis,  les  langues  déformées 
du  latin,  que  l'on  appelle  aussi  néo-latines,  ont 
toutes  débuté  par  un  autre  beaucoup  moins  défini. 
Il  serait  même  facile  de  démontrer  que  cette  Indéfi- 
nité  de  la  pensée  est  un  des  traits  qui  caractérisent, 
dans  toutes  les  langues,  leur  période  embryonnaire 
et  aussi,  quoique  dans  des  conditions  moins  va- 
gues, les  premiers  degrés  de  leur  développement; 
mais  cela  m'entraînerait  fort  au  delà   des   limites  de 


ÎOO  MARGUERITE      CHALh. 

notre  sujet.  Je  me  bornerai  donc  aux  seules  indica- 
tions que  je  crois  nécessaires  pour  vous  faire  saisir 
ce  que  je  viens  d'énoncer.  De  ces  indications  doit, 
d'ailleurs,  ressortir  l'évidence  de  la  thèse  posée  plus 
haut. 

Vous  vous  rappelez  les  exercices  de  grammaire 
qu'on  appelle  des  analyses  logiques.  Ces  exercices, 
ont,  comme  vous  le  savez,  pour  objet  de  préciser 
l'ordre  dans  lequel  les  idées  se  succèdent,  non  point 
dans  l'esprit  du  sujet,  mais  comme  termes  de  la 
proposition  et  suivant  la  priorité  abstractive  des 
unes  relativement  aux  autres.  La  proposition  est 
prise  comme  quelque  chose  de  purement  extérieur, 
indépendamment  de  l'ordre  de  conception  des  idées 
proprjment  dites,  et  l'on  en  détache  les  divers 
membres,  pour  les  étudier  d'abord  séparément  et 
puis  dans  les  rapports  où  ils  se  trouvent  entre  eux. 
Il  résulte  de  ce  double  travail  de  décomposition  par 
l'analyse  et  de  recomposition  une  phrase  dite  lo- 
gique, où  le  sujet  est  premier,  le  verbe  second  et  le 
complément  tout  à  fait  dernier.  Or,  les  langues  dans 
lesquelles  la  proposition  suit  habituellement  cet 
ordre  sont  qualifiées  d'analytiques.  Le  français 
actuel  et  la  plupart  des  langues  modernes,  toutes  plus 
ou  moins  transformées  par  un  travail  latent  de  réac- 
tion, sont  plus  ou  moins  aussi  analytiques.  Mais 
le  latin,  comme  le  grec,  était  loin  d'avoir  ce  carac- 
tère. L'ordre  de  la  proposition,  dans  ces  dernières 
langues,    n'est  nullement  un  résultat  de  l'analyse. 


MARGUERITE     CHALIS.  101 

ainsi  que  vous  avez  pu  vous  en  convaincre.  La 
réaction  de  la  pensée  est,  en  effet,  pour  très-peu 
dans  cet  ordre.  Les  termes  ne  se  suivent  point  ici 
selon  le  système  de  progression  dont  je  viens  de 
parler  et  qui  consiste  à  énoncer  les  idées  sous 
forme  sérielle,  suivant  une  certaine  filiation  abstrac- 
tive.  En  grec,  comme  en  latin,  ce  n'est  point  la 
priorité  de  raison  d'une  idée  par  rapport  à  l'autre 
qui  détermine  la  place  que  cette  idée  -doit  occuper 
dans  la  phrase.' Non  :  ici  tout  est  plus  simple. 

Comme  le  point  de  vue  que  je  développe  est 
peut-être  nouveau  et  que,  d'ailleurs,  les  explications 
dans  lesquelles  je  suis  obligé  d'entrer,  quoiqu'un 
peu  abstraites,  doivent  éclairer  ma  thèse  et  en  faire 
ressortir  toute  la  vérité,  vous  ne  trouverez  pas  mau- 
vais que  j'y  insiste.  Ne  croyez  pas  que  je  sois 
hors  de  la  question  :  j'y  suis,  au  contraire,  tout  à 
fait,  et  même  dans  ce  qu'elle  a  de  plus  intime.  Vous 
vr.us  en  apercevrez  plus  loin.  Continuez  donc,  je 
vous  prie,  à  me  lire,  sans  vous  préoccuper  outre 
mesure  de  ce  que  viennent  faire,  dans  une  étude 
sur  les  poésies  dj  Clotilde  de  SurvilL-,  le  grec,  le 
latin  et  tout  le  matériel  dj  la  linguistique. 

Jis   donc  que,  dans  lei   langliei  classiques,   la 
phrase    n'est  point   le  résultat  ou   le   fruit  d'un    tra- 
vail   d'analyse    de    la    |  in     •.    1 1 
l'ordre  de  la  proposition   ne  repi  oralement 

a   sensation  elle-m  Ile  qu'elle 

.t   une   image,   an  tableau,   Un 


102  MARGUERITE     CHALIS. 

exemple  vous  fera  saisir  cela,  en  vous  donnant  en 
même  temps  la  clef  de  l'inversion  grecque  ou  latine. 
On  croit  assez  communément  que  cette  inversion 
est  tout  à  fait  arbitraire,  sans  lois,  sans  principes. 
Qu'elle  n'ait  pas  de  lois  précises,  rigoureusement 
définies  et  d'un  caractère  absolu,  c'est  ce  que  je  suis 
tout  disposé  à  accorder  ;  mais  elle  a  incontestable- 
ment ses  principes,  ainsi  que  va  vous  en  convaincre 
l'exemple  que  je  viens  de  vous  promettre. 

Si  je  vois  une  femme  faire  l'aumône  à  un  pauvre, 
la  première  chose  qui  me  frappe,  c'est  évidemment 
le  fait  de  l'aumône  en  elle-même,  qui  constitue  le 
caractère  tout  particulier  du  tableau  qui  a  fixé  mon 
attention.  L'aumône  est  donc  ici  la  première  impres- 
sion que  je  reçois.  Je  la  reproduis  par  conséquent 
la  première,  en  la  faisant  suivre  immédiatement  du 
verbe  ou  terme  de  l'action,  qui  tire  de  sa  généralité 
et  complète,  en  la  spécialisant,  l'action  offerte  à  mes 
sens.  Puis  viennent  le  sujet  ou  agent  et  en  dernier 
lieu  ce  que  nous  appelons  le  régime  indirect.  J'ai  de 
la  sorte,  dans  cet  ordre  de  choses,  la  phrase  sui- 
vante : 

Eleemosynam  dat  millier  pauperi. 

Un  peintre,  qui  aurait  à  représenter  le  même 
fait  sur  la  toile,  éclairerait  évidemment  d'un  jour 
tout  particulier  et  mettrait  sur  le  premier  plan  la 
main  qui  distribue  l'aumône  plutôt  que  celle  qui  la 
reçoit. 


MAKGUKRJIE      CHALIï.  lOj 

Un  autre  exemple,  dont  j'emprunte  le  sujet,  d'ail- 
leurs fort  connu,  au  vme  livre  de  V Enéide,  vers 
596,  complétera  ma  démonstration. 

A  la  vue  d'un  cheval  au  galop,  dont  le  sabot 
bruyant  fait  voler  la  poussière  derrière  lui,  la  pre- 
mière chose  qui  frappe,  parce  qu'elle  constitue  ici 
encore  le  caractère  spécial  du  tableau,  c'est  le  galop 
lui-même  et  la  poussière  qu'il  soulève,  puis  vient  le 
terme  affirmant  l'action,  qui  n'est  qu'un  complé- 
ment lexique,  et  en  dernier  lieu  se  placent  ceux  qui 
expriment  le  mode  de  cette  même  action  et  le  lieu 
où  elle  s'exerce,  deux  aspects  tout  à  fait  secondaires 
de  l'image  que  j'ai  sous  les  yeux.  La  reproduction 
de  ce  tableau  dans  l'ordre  où  mes  sens  se  trouvent 
affectés  doit  donner,  en  conséquence,  la  phrase  sui- 
vante, qui  est,  en  effet,  le  vers  mêm.  gile  : 

Quadrupedante  putrem  sonltu  quatit  ungula  campum. 

A   l'origine,    avant     que  les    flexions    grammati- 
cales fussent  venues  déterminer  le  caractère  propre 
parties     du    discours    et    les    rap- 
ports   des    mots   entre   eux,    de    manière    à    relier 

tous  les  membres  de  la  phrase  dans  un  même  ta- 
bleau et  a  présenter  un  ensemble  qui  fût  un  et  ha  - 
monique,  la  p:  tait  même    qu'une   série 

d'hiéroglyphes  qui  reproduisaient  lasens.ition  décom- 

!  dans  l'ordre  rigoureux  des  impressions  1. 
Mais  ici    :  :    me    démonsti 

|   mrrait   nous    reporter     bien   avant   le   déluge. 


IO4.  MARGUERITE       CHALI\ 

Qu'il  me  suffise  de  vous  avoir  indiqué  le  principe, 
et  laissez-moi  continuer  mon  exposé. 

Toutes  les  constructions  grecques  ou  latines  ne 
reproduisent  pas  d'une  manière  aussi  rigoureuse 
l'ordre  que  je  viens  de  dire;  mais  cela  tient  à  ce 
que,  devant  un  tableau  un  peu  général,  il  est  rare 
que  la  nature  des  impressions  produites  soit  la 
même  pour  tous.  Tel  détail  ou  tel  aspect,  qui  affecte 
l'un  d'une  manière,  suivant  le  jour  où  il  est  placé, 
la  situation  présente  de  son  esprit,  le  degré  de  sa 
sensibilité  ou  la  prépondérance  de  tels  de  ses  sens, 
ne  paraîtra  aux  yeux  d'un  autre  qu'au  second  plan 
ou  même  comme  accessoire. 

Eh  bien  !  mon  cher  ami,  l'ordre  que  je  viens  de 
vous  indiquer  ne  s'est  point  transformé  aussi  brus- 
quement que  l'on  paraît  le  croire,  en  passant  du  la- 
tin classique  à  la  basse  latinité  et  de  celle-ci  aux 
langues  déformées  du  latin.  Non  :  l'état  synthétique, 
ainsi  qu'on  appelle,  quoique  improprement,  à  mon 
avis,  le  système  de  construction  phraséologique  qui 
a  précédé  l'analyse,  s'est  perpétué  longtemps,  chez 
nous  surtout,  après  l'extinction  totale  du  latin  comme 
langue  parlée.  Durant  tout  le  moyen  âge,  la  pensée 
est  restée  assez  fortement  agglutinée  encore  à  la  sensa- 
tion, dont  elle  ne  s'est  bien  dégagée  qu'au  xvne  siècle, 
quand  la  phrase,  devenue  périodique,  n'a  plus  re- 
produit que  l'ordre  de  filiation  logique  des  idées. 
C'est  un  fait  qui  me  semble  incontestable  :  prenez 
les  premiers  poètes  venus,  depuis  Jean   de  Meung 


MARGULRIIt      CHALIs.  IO5 

jusqu'à  Clément  Marot,  et  vous  vous  convaincrez,  je 
ne  dirai  point  à  chaque  ligne,  mais  du  moins  à 
chaque  page,  que  vous  avez  devant  vous  une  pensée 
elliptique,  quelque  chose  d'agglutiné,  — ■  comme  je 
m'exprimais  plus  haut, —  que  vous  ne  pouvez  faire 
passer  intégralement  dans  votre  parole  d'aujourd'hui 
qu'en  le  désagrégeant.  Et  à  ces  époques,  au  temps 
aussi,  par  conséquent,  où  l'on  voudrait  qu'eussent 
été  écrites  les  poésies  de  Clotilde  de  Surville,  l'el- 
lipse du  discours  n'était  pas  une  simple  figure  de  rhé- 
torique, une  recherche,  une  affectation  préméditée 
de  concision  :  c'était  le  tour  même  de  la  pensée. 
Jusqu'au  xvne  siècle,  la  pensée,  en  effet,  est  restée 
telle,  que,  pour  la  bien  saisir  dans  toutes  ses  parties 
et  lui  faire  dire  dans  notre  langage  actuel  tout  ce 
qu'elle  contient,  un  commentaire  est  généralement 
indispensable.  Cela  est  si  vrai,  que,  à  peu  près 
comme  pour  le  latin,  la  traduction  du  français  ar- 
chaïque en  français  moderne  donne  presque  toujours 
dix  lignes  de  ce  dernier  français  pour  huit  de  l'autre. 
Citons  un  premier  exemple  venu,  pris  entre  mille  autres: 

Amyot,  dans  sa  traducti  >n   J  morales 

utarque  sur  la  manière  de  lire   les  poètes, 
ch.  i'r,  a  cette  phrt 

1    Les   portes  closes  d'une    ville   ne    la   garderont 

pas    d'être    prise,    si    elle    reçoit    l'ennemi   par    un 

seule     restée    ouverte;    ni    la    C  mtinence    des    autres 

sentiments   ne    préservera   un   jeune    homme,  si   par 

il     se    laisse    aller    aux    plaisirs   de   l'ouïe, 


M  A  lUi  D  I.  R  I   I   E       CHALIv 


ains  d'autant  qu'elle  approche  plus  près  du  propre 
siège  de  l'entendement,  qui  est  le  cerveau  :  d'au- 
tant gaste  elle  plus  celui  qui  la  reçoit,  si  on  n'en 
fait  soigneuse  garde.  Pourquoi  n'estant  à  l'avantage 
pas  possible  ni  profitable,  avec  interdire  de  tout 
point  la  lecture  des  poètes  à  ceux  qui  sont  jà  de 
l'aage  de  ton  fils  Cleander  et  du  mien  Soclarus, 
gardons-les  bien  diligemment  comme  ceux  qui  ont 
plus  grand  besoin  de  guide  en  leurs  lectures  qu'ils 
n'ont  pas  eu  en  leurs  alleures.  » 

Amyot,  qui  a  vécu  de  1513  à  1593,  écrivait 
comme  vous  venez  de  voir,  en  commentant  lui- 
même  son  texte,  plus  de  cent  ans  après  Clotilde  de 
Surville.  Dès  cette  époque,  en  pleine  Renaissance, 
la  pensée  commençait  à  prendre  une  tournure  plus 
définie,  la  langue  une  forme  plus  analytique.  Ce 
français-là,  qui,  encore,  est  de  la  prose,  c'est-à- 
dire  une  langue  plus  dégagée  de  la  sensation  que 
ne  l'est  la  poésie,  a  pourtant  toujours  une  allure  un 
peu  elliptique  et  exige,  pour  être  tout  à  fait  compris, 
une  certaine  tension,  un  petit  effort  :  pour  bien  en 
suivre  la  lecture,  il  faut  appuyer  sur  les  mots,  du 
moins  dans  bien  des  endroits. 

Or,  voici  comment  un  moderne,  M.  Victor  Bé- 
tolaud,  a  dû  traduire,  à  son  tour,  pour  être  entendu 
du  commun  des  lecteurs  d'aujourd'hui  : 

«  Ce  ne  sont  pas  les  portes  fermées  qui  garan- 
tissent une  ville  et  l'empêchent  d'être  prise,  s'il  y 
en  a  une  seule  qui  reçoive   les  ennemis.  De  même 


MARGUERIIE      CHAL1S.  107 

la  modération  apportée  aux  autres  plaisirs  ne  ga- 
rantit point  un  jeune  homme,  si  à  son  insu  il  se 
laisse  prendre  par  l'ouïe.  Mais  plus  cette  faculté 
touche  de  près  dans  notre  être  au  siège  de  la  pensée 
et  de  la  raison,  plus,  si  l;on  met  de  la  négligence, 
elle  est  funeste  et  corruptrice  pour  qui  donne  prise 
à  la  séduction.  Ainsi  donc,  puisqu'il  est  peut-être 
impossible  et  qu'en  même  temps  il  est  inutile  d'in- 
terdire la  poésie  à  des  auditeurs  de  l'âge  de  mon 
Soclarus  ou  de  votre  Cléandre,  redoublons  de  sol- 
licitude à  leur  égard.  Ils  ont  besoin,  soyons-en 
convaincus,  de  plus  de  surveillance  dans  la  direction 
de  leurs  lectures  qu'il  n'en  a  fallu  pour  leur  ap- 
prendre à  marcher.  » 

Vous  voyez  par  la  langue  d'Amyot  que,  près 
d'un  siècle  et  demi  après  l'époque  où  l'on  fait  re- 
monter le  recueil  qui  porte  le  nom  de  Clotilde  de 
Surville,  la  pensée  était  loin  d'avoir  encore  le  carac 
tère  de  précision  analytique  qu'on  remarque  dans 
toutes  les  pièces  de  ce  recueil  sans  exception.  Oui, 
mon  cher  ami,  un  siècle  et  demi  après,  cent  cinquante 
ans  bien  comptés,  la  pensée,  du  moins  en  poésie,  était 
toujours  prise  par  quelque  bout  Ju:is  l'agglutination 
dont  je  vous  parlais  plus  haut. 

Puisque    c'est    de    poésie    qu'il    s'agit,    c'est    à  la 

:  que  je  vais  maintenant  emprunter  mes  der- 
niers exemples,  et  je  les  pr.nJs  dans  deux  auteurs 
qui    écrivaient,  l'un    à  peu  préi  au  moment   OÙ 

monde  et  l'autre  en  un  temps  où  elle 


I  O'i  M  A  R  G  U  E  RITE      C  H  A  L I  S. 

ne  devait  guère  plus  avoir  de  voix  pour  chanter  ses 
amours. 

Mon  premier  exemple  est  tiré  de  Froissard  :  ce 
sont  les  premiers  vers  de  la  Dittie  de  lajlourde 
Marguerite. 

Voici  ces  vers  : 

Je  ne  me  doi  retraire  de  loer 

La  flour  des  fîours,  prisier  et  honourer, 

Car  elle  fait  moult  à  recommender. 

C'est  la  Consaude,  ensi  le  voeil  nommer. 

Et  qui  li  voelt  son  propre  nom  donner, 

On  ne  li  poet  ne  tollir  ne  embler, 

Car  en  françois  a  à  nom,  c'est  tout  cler, 

La  Margherite, 
De  qui  on  poet  en  tous  temps  recouvrer. 
Tant  est  plaisans  et  belle  au  regarder, 
Que  dou  véoir  ne  me  puis  soëler. 
Toujours  vodroie  avec  li  demorer, 
Pour  ses  vertus  justement  aviser. 
Il  m'est  avis  qu'elle  n'a  point  de  per. 
A  son  plaisir  le  volt  nature  ouvrer. 

Ces  vers  ont  été  écrits  à  la  fin  du  xive  siècle, 
peut-être  même  au  commencement  du  xve,  peu  de 
temps  avant  la  naissance  de  Clotilde. 

Quant  à  l'autre  exemple,  je  le  prends  dans  Villon, 
et  tout  à  fait  au  hasard,  comme  pour  celui  que  j'ai 
tiré  de  Froissard.  Ce  sont  les  premiers  vers  de  la 
Requête  présentée  par  le  poète  à  la  Cour  du  Parle- 
ment. 


MARGUERITE      CHALI3.  IO9 


Tous  mes  cinq  sens,  yeulx,  oreilles,  et  bouche, 

Le  nez,  et  vous,  le  sensitif  aussi  ; 

Tous  mes  membres,  où  il  y  a  reprouche 

En  son  endroit,  ung  chascun  die  ainsi  : 

Court  souverain,  par  qui  sommes  icy, 

Vous  nous  avez  gardé  de  desconfire  ; 

Or  la  langue  seule  ne  peut  suffire, 

A  vous  rendre  suffisantes  louenges. 

Si  parlons  tous,  fille  au  souverain  sire, 

Mère  des  bons,  et  seur  des  benoistz  anges. 

Cueur,  fendez-vous,  ou  percez  d'une  broche, 

Ht  ne  soyez,  au  moins,  plus  endurcy, 

Qu'au  désert  fut  la  forte  bise  roche, 

Dont  le  peuple  des  Juifs  fut  adoulcy  ; 

Fondez  larmes,  et  venez  à  mercy, 

Comme  humble  cueur  qui  tendrement  souspire, 

Louez  la  court,  conjoincte  au  sainct  empire, 

L'heur  des  Françoys,  le  confort  des  étranges 

Procréé  la  sus,  au  ciel  empire  ; 

t*  des  bons,  et  seur  des  benoistz  anges. 

Comparez  à  cela  maintenant  la  forme  ae  la  pensée 

dans  les  poésies  attribuées  a  Clotilde  de  Surville. 
Pour  cela,  ouvrez  k  livre  au  premier  endroit  venu, 
comme  je  va. s  le  faire;  lise/  la  pLce  dj  \ers  que 
t  dites-moi  ensuite  s'il  y  a  le  moindre 
rapport  possible  a  établir  entre  cette  esthétique  et 
celie  du  x.  •,  par  exemple,  l'Elégie  sur 

la  mort  d'Heloysa  : 

n'ez  donc  plus,  hélas!  doulce  et  tendre  colombe, 
D  .     .  |  oir  ! 


I  10  MARGUERITE     C  H  ALI  S. 

Tu  n'ez  donc  plus!...  Le  ciel  de  plorer  sur  ta  tombe 

Me  réservoit  le  funèbre  debvoir. 
Que  reste-t-il  encore  à  ceulx  qu'ainsy  deslaysses? 

Que  reste  encore  à  mon  filz  esperdu  ? 
De  ta  cendre,  ô  Phcenix  !  n'attend  que  tu  renaysses  ; 

Et,  te  perdant,  scait  trop  qu'a  tout  perdu  ! 

Vous  connaissez  trop  bien  le  recueil  de  Clotilde 
de  Surville  pour  ne  pas  convenir  que,  d'un  bout  à 
l'autre,  dans  ce  recueil,  tout  est  à  l'avenant  de  ce 
que  je  viens  de  citer. 

Eh  bien  !  je  crois  que  ce  qui  doit  frapper  tout  le 
monde,  parce  que  la  chose  me  paraît  sauter  aux 
yeux,  c'est,  indépendamment  du  fond,  qu'une  forme 
si  remarquablement  pleine,  des  contours  si  bien 
arrondis,  une  allure  si  vive,  si  dégagée,  des  mou- 
vements si  larges  ne  peuvent  être  d'une  époque  où 
tout,  dans  les  arts,  avait  encore  cette  maigreur  un 
peu  étriquée,  cette  raideur  d'expression  et  cette  lé- 
gère atonie  de  regard,  qui  ne  commencent  bien  à  se 
modifier  qu'en  pleine  Renaissance,  près  d'un  siècle 
plus  tard.  Il  y  a,  dans  les  manifestations  de  la  vie, 
au  moyen  âge,  que  ce  soit  dans  la  poésie  ou  dans 
la  plastique,  quelque  chose  de  beaucoup  moins 
développé  que  tout  ce  que  nous  voyons  ici.  Si  vous 
y  avez  pris  garde,  vous  aurez  remarqué  que  les 
mouvements  de  estte  vie,  au  lieu  de  la  régularité 
continue  et  si  fermement  assurée  du  style  de  Clo- 
tilde, sont  généralement  encore  un  peu  désordonnés, 
ou  contraints  ou  violents.  La  mesure,  en  effet,  n'est 


MARGUERITE      CHALIS,  III 

pas  de  cette  époque.  Il  faut  descendre  même  jus- 
qu'au xvne  siècle,  pour  trouver  les  premiers  exem- 
ples de  cette  grave  forme  périodique,  dont  les  airs 
solennels  étaient,  du  reste,  si  bien  dans  le  ton 
général  de  l'époque,  exemples  qui  fourmillent  dans 
le  recueil  de  Vanderbourg.  Abstraction  faite  de  la 
langue,  dont  il  sera  question  tout  à  l'heure  et  qui 
n'est  d'aucun  temps,  comment  voulez-vous  que  je 
reporte  au  xve  siècle  des  phrases  comme  celle-ci, 
que  je  prends  dans  YHcroïde,  entre  cent  autres  de 
même  genre  : 

Soubvent  aussi  le  soir,  lorsque  la  nuict  my-sorabre 

Me  laisse  errer  au  long  des  prez  penchants, 
1).  telfl  soirs  me  soubvient,  OÙ,  libres,  grâce  à  l'ombre, 

L'ung  prez  de  l'autre  assiz  en  mesmes  champs, 
Doucement  s'e->garer  layssoiz  mes  mains  folastres 

Sur  le  contour  de  tes  aymables  traicts, 
Tandisque  de  mon  sevn  tes  lèvres  idolastres 

Kn  meyssonnoient  les  pudiques  attraicts. 

Il    fait,    à    mou    avis,    —    avis    que    je    voudrais 
exprimer  un  peu  moins  brutalement,  si   c'était  pos- 
sible, pour  oe   pai  Irop  bleuir  11  foi  de  quelques 
naïfs  compatriotes^  —  n'avoir   aucune  notion    d'his- 
raire    ou    manquer    en  l    de    sens 

tique,  pour  accepter  comme  Je  provenance 
quatre  fois  séculaire  une  facture  qui  sent  a  ce  pont 
le  frais  émoulu    et   ne    date  évidemment  que  d'hier. 

ICtement,  chaque  époque 


112  MAKCUKRITE     C  H  A  L  I  - 


a  un  cachet  sur  lequel  il  est  difficile  de  se  méprendre 
longtemps.  On  peut  imiter  une  manière  de  faire, 
mais,  à  moins  de  copier,  comme  on  copie  un  ta- 
bleau ou  une  statue,  on  ne  reproduit  jamais  par 
l'imitation  le  tour  de  la  pensée.  Ce  tour  particulier 
résulte,  en  effet,  de  tant  de  circonstances  combinées 
ensemble,  qu'on  ne  Ta  intégralement  que  dans  le 
milieu  où  ces  circonstances  se  trouvent  réunies. 
Avec  trente  ans  d'études  de  latin  on  arrivera  peut- 
être  à  faire  des  vers  aussi  élégants,  aussi  beaux  que 
ceux  de  Virgile  ou  d'Horace,  mais  on  ne  fera  point 
un  Horace  ni  un  Virgile,  et  si  purement  que  les 
Vanière,  les  Santeuil,  les  Rapins,  les  La  Rue  aient 
parlé  la  langue  du  siècle  d'Auguste,  on  ne  tarde  pas 
à  reconnaître,  en  les  lisant,  abstraction  faite  des 
sujets  qu'ils  traitent,  que  la  forme  de  leur  pensée 
n'est  pas  du  tout  de  ce  siècle.  L'écrivain,  de  même 
que  l'artiste,  même  dans  ces  imitations,  quand  ce 
ne  sont  pas  de  simples  copies,  sent  toujours  son 
époque,  comme  la  caque  sent  toujours  le  hareng. 

Je  vous  ai  dit  que  ce  qui  caractérise  le  tour  de  la 
pensée  pendant  tout  le  moyen  âge  et  jusque  bien 
avant  dans  la  Renaissance,  c'est  qu'elle  est  beau- 
coup plus  elliptique  que  la  nôtre,  moins  dégagée 
de  la  sensation,  en  un  mot  plus  agglutinée.  Ce 
n'est  qu'au  xvne  siècle  que  l'impression  et  la 
pensée  se  désagrègent  sensiblement  et  que  la  forme 
devient  tout  à  fait  analytique,  se  développe  et  s'ar- 
rondit :  les  aspérités  du  trait  final  s'émoussent,  la 


MARGUERITE      CHALIS.  I  1 3 

pointe  aiguë  se  contourne,  le  plein-cintre,  permet- 
tez-moi cette  figure,  —  fait  place  à  l'ogive  à  arrête 
sèche. 

S'il  faut  vous  dire  toute  ma  pensée,  les  poésies 
de  Clotilde  de  Surville  ne  remontent  pas  au  delà 
du  xvme  siècle.  Vous  êtes  parfaitement  convaincu 
qu'elles  ne  sont  ni  du  xve  ni  du  xvie.  Elles 
pourraient,  à  la  rigueur ,  avoir  été  pastichées 
sous  le  règne  de  Louis  XIV,  quoique,  à  cette 
époque,  le  goût  de  l'archaïsme  ne  fût  guère  en 
honneur;  mais  si  l'ampleur  et  la  forme  arrondie 
de  la  phrase,  le  tour  généralement  périodique  et 
suivi  de  la  pensée  sont  aussi  de  ce  temps-là,  il  y  a 
d'autres  considérations  qui  me  font  pencher  pour 
une  époque  moins  éloignée  encore. 

Je  vous  ai  dit  qu'un  des  caractères  des  langues 
analytiques,  c'était  le  développement  de  la  pensée. 
Or,  ce  développement,  une  fois  la  dernière  évolution 
effectuée,  se  continue  par  la  recherche  et  l'affecta- 
tion de  la  nuance,  c'est-à-dire  par  un  emploi  plus 
fréquent  de  l'épithète.  Au  xvn':  siècle,  le  travail  de 
l'analyse  est  aussi  complet  que  possible  ;  au  xvmr, 
n  commence  à  accentuer  davantage  la  nuance  pro- 
prement dite.  Eh  bien!  ce  qui  m'a  toujours  frappé 
dans  les  poésies  de  Clotilde,  ce  qui  m'a  même  été 
suspect  des  le  premier  abord,  c'est  la  fréquence  des 
adjec'  .eulemeiit  de  ceux  que  pourrait  exiger 

té  de  compléter  ou  de  préciser  le  sens  des 
subst.i  irtoul  qui  u'um  d'autre 

'S 


I  I  4  MARGUERITE      CHALIS. 


objet  que  de  leur  donner  un  ton  ou  plus  chaud  ou 
plus  tendre.  Le  xvne  siècle  est  plus  avare  de  ces 
derniers,  qui  affluent  davantage,  au  contraire,  vers 
le  milieu  et  la  fin  du  xvine,  et  c'est  ce  qui  explique 
pourquoi,  sous  Louis  XIV,  l'exagération,  quand  elle 
existe,  affecte  plus  particulièrement  le  substantif  et 
devient  de  l'enflure,  tandis  que,  au  siècle  suivant, 
elle  affecte  de  préférence  l'adjectif  et  dégénère  en 
minauderie.  Or,  dans  les  poésies  de  Clotilde,  c'est 
cette  dernière  forme  que  tend  à  prendre  quelquefois 
l'exagération  du  sentiment. 

Croyez-vous  qu'une  richesse  d'épithètes  comme 
celle  des  vers  suivants  date  de  bien  haut? 

Quels  doulx  accords  emplissent  nos  bocages? 
Quel  feu  secret  de  fécondes  chasleurs 
Va  pénétrant  sillons,  arbres,  pascages, 
Et  même,  entour  des  tristes  marécages, 
Quel  charme  espand  ces  vivaces  couleurs! 

Quant  à  la  langue  que  l'inhabile  quoique  char- 
mant pasticheur  fait  parler  à  son  poëte,  ni  gram- 
maire ni    lexique  ne  sont  ensemble  d'aucun  siècle. 

Je  ne  relèverai  que  quelques  faits,  qui  suffiront 
amplement,  du  reste,  pour  montrer  que  l'auteur  du 
pastiche  ne  se  doutait  pas  qu'il  y  eût  une  gram- 
maire à  règles  fixes  dé  la  langue  du  xve  siècle. 

A  cette  époque,  il  est  vrai,  les  formes  grammati- 
cales s'étaient  déjà  singulièrement  modifiées,  mais 
l'emploi  n'en  était  pas  arbitraire,  comme  paraît  l'a- 


MARGUERITE       CHALIS.  1 1  5 

voir  cru  l' imprésario  deClotilde.  Ainsi,  par  exemple, 
l'article  qui  avait  été  jusque-là  : 

Singulier  : 

Li,  masc.  sujet;  —  li  et  la,  fém.  sujet; 
Le,  masc.  régime:  —  la,  fém.  rég.; 

Pluriel  : 

Li,  masc.  sujet  ;  —  les,  fém.  sujet. 
Les,  masc.  rég.;  —  les,  fém.  rég. 

Cet  article,  dis-je,  par  suite  d'une  loi  d'accentua- 
tion qui  depuis  longtemps  déjà  tendait  à  faire  pré- 
valoir dans  le  français  l'accusatif  sur  le  nominatif, 
devient  au  xve  siècle  le  et  la  au  singulier  et  les  pour 
les  deux  genres  au  pluriel.  Or,  non-seulement  le 
pasticheur  ne  l'a  pas  su,  mais,  en  affectant  de  con- 
server l'article  des  siècles  précédents,  il  l'a  employé 
à  tort  et  à  travers,  sans  tenir  aucun  compte  de  la 
énoncée,  que,  du  reste,  il  ne  connaissait  évi- 
demment pas. 

EXEMPL! 

Par  li  Grâces  qui  t'ont  parfaict.  (Prêt..   \cj; 

y  tenter  li  charmes 
Par  quoi  Cireé  dompta  li  cieulx  ?  (Id.,  iJ.) 
I    •     eyzon  ne  pond  li  fin  \c\.) 

.  onc  ne  m'ba  fîory  li  gènes.  (/</., 

Une  au'  die   toute   moderne,  qui  se    ren- 

contre a  chaque  pas  dans  le  recueil,  c'est   l'emploi 
des  pronoms  moi,  toi,  lui  comme  sujets.  Cet  formel 


I  1 6  M  A  R  G  U  I".  R.  I  T  K      CHAH  v 

pronominales  étaient  toujours,  au   xve  siècle,    des 
accusatifs  ou  régimes. 

Des  vers  comme  ceux-ci  : 

C'est  toy  qu'elle  implore, 
Toy  qu'elle  implore  encontre  toy  !  (xciij.) 

ne   peuvent  pas  être  du  temps  que  l'on  dit. 

Le  livre  de  Vanderbourg  abonde  encore  en  phrases 
de  ce  genre. 

Amors  est-il  malz?  Amors  est-il  biens? 
Mais  n'est-il  plante  qu'en  guarisse  ? 

Le  vieux  français  n'offre  pas,  je  crois,  d'exemple 
d'une  interrogation  par  le  nom  et  le  pronom  en- 
semble. 

Je  pourrais  m'étendre  beaucoup  sur  ce  côté 
grammatical  et  montrer  que,  la  plupart  du  temps, 
les  formes  verbales  sont  de  pure  fantaisie.  Je  pour- 
rais aussi  insister  sur  une  foule  de  formes  lexiques 
et  de  mots  qui  n'ont  jamais  appartenu  ni  à  la  lan- 
gue d'oïl  ni  à  aucun  dialecte  archaïque.  Mais  tout 
cela  exigerait  un  développement  trop  étendu  pour 
l'espace  que  vous  m'avez  dit  vouloir  destiner  à  cette 
lettre  dans  votre  travail.  Je  m'arrête  donc  ici,  sauf 
à  reprendre  plus  tard,    à  l'occasion,  cette    seconde 

partie  de  ma  thèse... 

J.    Baissac. 

FIN. 


'«tft&t 


NOTE 


Notre  travail  était  terminé,  quand  nous  avons 
reçu  communication  d'une  nouvelle  étude  sur  les 
poésies  de  Clotilde,  due  à  M.  Anatole  Loquin,  un 
des  quarante  de  l'Académie  de  Bordeaux,  et  spécia- 
lement consacrée  à  réfuter  l'ouvrage  de  M.  Macé1. 
If.  Loquin  relève  comme  nous  les  passages  de  la 
correspondance  de  Vanderbourg  d'où  il  résulte  que 
cet  écrivain  avait  fini  par  ne  plus  croire  à  l'authen- 
ticité d.-s  poésies,  et  fait  ressortir  la  faiblesse  des 
arguments  par  lesquels  M.  Macé  s'est  cfTorcé  d'é- 
tablir la  il.  M  juin  soupçonne  le 
lis  de  Surville  d'être  le  véritable  auteur  des 
>t  pas  notre  sentiment;  après  comme 


i .  I  > .  ]'  ■'  U        I  i  xrv'ilh  —  ri 

i  ferel  et   fils, 


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MARGUERITE      C  H  A  LIS. 


avant  Pouvrage  de  notre  confrère  de  Bordeaux,  il 
nous  semble  que  les  faits  connus  de  la  vie  du  mar- 
quis, et  surtout  la  lettre  écrite  par  lui  en  prison,  la 
veille  de  sa  mort,  lui  font  une  physionomie  très- 
caractérisée  dans  laquelle  il  nous  est  impossible  de 
retrouver  les  tendances  d'esprit  et  les  allures  senti- 
mentales de  Fauteur  des  poésies. 


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IMPRIME    PAR    J.    CLAYE 

pour 

A.      IEMERRE,     LIBRAIRE 

A      PARIS 


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La  Bibliothèque 

Université  d'Ottawa 

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