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Full text of "Marguerite Morus; drame en trois actes avec musique [par] Jacques d'Ars"

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.lohlfs  de   oussex,   Alphonse 
I-larguerite   l^Drus 


.  lARGUERITE  MORUS 

DRAME    EN    TROIS    ACTES 

Avec    Musique 


PAR 


JACQUES    D'ARS 


TROISIEME     EDITION 


PARIS 

10,  RUE  DE  l'Éperon,  io 


MARGUERITE  MORUS 


DRAME    EN    TROIS    ACTES 


DU     MEME     AUTEUR 


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tion)      2  fr. 

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Evocation,  monologue 0  50 


Sur  demande,  envoi  franco  du  catalogue  de 
Comédies,  Drames  et  Monologues. 


.Nemours.  —  Impiimorie  André  Lesot 


JACQUES    D'ARS 


MARGUERITE  fflORUS 

DRAME    EN    TROIS    ACTES 

Avec    Musique 


TROISIÈME     ÉDITION 


ANDRÉ   LESOT,  Lmu aire-Éditeur 

10,  r;LL  Di:  l'éperon  (près  le  boulevard  saint-germain)- 

PARIS 


PERSONNAGES 


THOMAS  MORUS  (i). 

iMARGUERITE,  sa  filla. 

BETTY,  12  ans     ) 

„_„,,-,  i    ses  deux  plus  jeunes  fille». 

CECILi,  10  ans    ; 

LADY  ESTON,  sa  seconde  femme. 

POLL,  vieille  servante. 

OLIVIA,  amie  de  Marguerite. 

ELISABETH  BARTON. 

DAME  LAURA. 

ÉVA. 

FIGURANTES. 


(i)  Go  rôle  pourra  fret  facilement  être  rempli  par  une  jeune  fille  Ott 
«ne  dame,  ayant  la  voix  un  pou  forte.  Le  costume  s'y  prêtera  tont  à  tait  : 
longue  simarre  avec  hermine;  quant  à  la  fi,i;iire,  elle  sera  encadrée  par 
une  ample  chevelure  et  une  barbe  grises,  et  surojontée  d'un  bonnet  carré 
garni  d'hermine. 


Tous  droits  de  reproduction,  de  tradnclion,  d'odaptaiion 
et  de  représentation  réservés  pour  tous  pays. 


MARGUERITE  MORUS 

DRAME    EN    3    ACTES 

ACTE  PREMIER 

Les    Jardins    de    Chelsea 

Au  fond,  la  maison  de  campagne  de  Thomas  Mo- 
rus,  et  plus  loin  le  village  et  l'église  de  Chelsea, 
puis  la  Tamise  déroulant  ses  méandres  dans  une 
prairie  verdoyante.  A  gauche,  un  coin  de  la  ter- 
rasse avec  une  balustrade  de  hois,  et  quelques 
marches  descendant  jusqu'à  la  berge,  oii  les 
barques  viennent  aborder.  A  droite,  un  chemin 
se  perdant  derrière  des  buissons  en  fleurs,  des 
arbres  touffus;  bancs  de  pierre. 

SCÈNE  I 
LADY  ESTON,   POLL 

LADY  ESTON,  assise  sur  un  banc,  en  train  de  faire 
de  grands  efforts  pour  démêler  un  Peloton  de 
laine. 

Ah  î  mais,  je  commence  à  me  lasser.  Voyons 
un  peu  !...  Plus  je  remue  les  mains,  plus  ça  s'em- 
brouille !...  Ah  !  Poil,  si  jamais  je  l'attrape,  toq 
maudit  singe  ! 

POLL,  riant, 

Qe  pauvre  Apollon  !...  Vous  lui  en  voulez  î 


MARGUERITE   MORUS 


LADY   ESTON 

Oui  !  certes  !...  Avoir  ainsi  emmêlé  ce  peloton 
de  laine...,  et  ce  n'est  pas  la  première  fois  !  On 
dirait  qu'il  le  fait  exprès  !  {S 'impatientant.)  Oh  ! 
c'est  insupportable  !  Je  n'en  finirai  pas  !  Bon  ! 
voilà  que  j'ai  le  fil  autour  de  la  tête! 

POIX,  se  levayit. 
Ah  !  ah  !...  Je  viens  à  votre  secours  ! 

LADY  ESTON,  lui  donnant  le  peloton 
Tiens  !  prends  !...  Moi,  je  n'ai  pas  la  patience 

POLL 

Ah  !  ce  n'est  pouit  votre  vertu  dominante  ! 

LADY    ES TON 

Mais  aussi!...  Tout  m'inquiète  en  ce  mon  cnt!.. 
jusqu'à   mon   mari   lui-même  I 

POLL 

Sir  Thomas  !...  il  n'est  pas  même  ici  ! 

LADY    ESTON 

Ah  !  plût  au  ciel,  qu'il  fût  avec  nous;  je  pour- 
rais le  conseiller;  mais,  à  Londres  !...  Donne-moi 
mon  bas  !  {Elle  s'assied,  se  met  à  tricoter,  et  sou- 
pire.) Ah  !  c'est  un  homme  si  étrang-e  !...  Pierre 
qui  roule  n'amasse  pas  mousse  î 

POLL 

Moi,  le  trouve  qu'il  ne...  roule  pas  de  travers, 
?xi  tout  cas  !  C'est  un  ministre  sag^e  et  honnête, 
tomme  on  n'en  voit  plus  guère  !  Quel  mahre 
excellent  !...   l'ne  bonne  pâte  d'homme,  quoi  ! 


ACTE   I.    —    SCÈNE   1. 


LADY   ESTON,   choquée. 
Oh  !  dame  Poil! 

POLL,  riant. 
Pardonnez-moi,  Madame  !  Vous  savez  bien  que 
j'ai  mon  franc-parler  !  C'est  que  voilà  plus  de; 
quarante  ans  que  je  suis  dans  la  maison  !  II  n'y  a 
pas  beaucoup  de  meubles  aussi  vieux  que  moi  ! 
Et  puis,  j'ai  vu  naître  et  grandir  tous  les  enfants 
de  sir  Thomas  :  Betty,  Cccily  et  Marguerite 
donc  !...  Ah  !  celle-là,  j'en  conviens,  elle  en  sait 
plus  long-  que  moi  ! 

LADY  ESTON,  dépitée. 
Jela  va  même  beaucoup  trop  loin  !..,  C'est  un<* 
pédante;  elle  sait  lire  ! 

POLL 

Elle  sait  lire,  hélas  !  Il  n'y  a  pas  eu  moyen  de 
l'en  empêcher  !...  Mais,  elle  est  si  belle,  avec  ses 
traits  nobles  et  purs,  ses  yeux  calmes  et  brillants 
tour  à  tour,  ses  cheveux  noirs;  enfin  toute  son 
apparence  qui  indique  à  la  fois  la  grâce  et  la 
vigueur  !...  C'est  une  joie  rien  que  de  la  regarder. 
Et  sa  voix  !  Quand  on  l'entend,  on  l'aime  tout  de 
suite  !...   Elle  est  si  bonne  aussi  ! 

LADY    ESTON 

Oui  !...   mais  d'une  vivacité... 

POLL 

Je  vous  assure  !...  bonne  tout  de  même  !...  et 
si  simple,  sans  vanité  !...  C'est  tout  le  portrait  d*» 
son  père  I 

LADY    ESTON 

Oh  !  ptjritr  cela,  je  te  l'accorde  !...  Lui  au5  -i,  il 


8 


MARGUERITE   MORUS 


est  simple,  sans  ambition  !...  Hélas  !  quand  je 
me  suis  remariée,  je  croyais  épouser  un  homme 
ayant  de  l'ambition  ! 

POLL 

L'ambition  !  Euh  !  qu'est-ce  que  c'est?...  Je  vis 
bien  sans  en  avoir,  moi  !...  et  je  ne  m'en  porte 
pas  plus  mal  !... 

LADY  ESTON,  S 'animant. 

Tu  ne  sais  ce  que  tu  dis  !...  Un  lord-chançelîer 
a  le  diroit  d'en  avoir,  de  l'ambition  !...  Si  ce  n'est 
pour  lui,   au  moins  pour  les  siens  ! 

POLL,   riant. 
Je  devine  !  Pour  sa  femme  ! 

LADV    ESTON 

Eh  bien  !  pourquoi  pas  ?...  Pourquoi  n'irais- je 
pas  à  la  Cour,  comme  tant  d'autres...  qui  sont 
heureuses,  elles  !...  Moi,  dans  cette  maison  de 
Chelsea,  je  lang-uis,  je  langTjis...  nouvelle  Péné- 
lope. {Elle  soupire.) 

POLL 

Pénélope  !...  Est-ce  la  femme  au  marchand  de 
grains  ? 

LADV  ESTON,  à  part. 

Sotte  !...  {Haut.)  Mais  non  !  Pénélope  était  une 
grande  dame  de  l'antiquité,  dont  le  mari  avait 
fait  naufrage 


f 


POLL 


Eh  là... 


ACTE  I.  —  SCÈNE  I. 


LADY  ESTON 


Oui  !...  Elle  langfuissait  dans  la  solitude,  dans 
l'ennui...  comme  moi  !  {Elle  soupire  encore.)  Crois- 
tu  que  je  n'aimerais  pas,  moi  aussi,  à  avoir  des 
brocarts  et  des  velours,  des  plumes  et  des  perles  ! 
{Se  regardant  dans  une  petite  glace  à  main.)  Ça 
ne  m'irait  pas  plus  mal  qu'à  une  autre,  tu  sais  ' 

POLL 

Au  contraire  !...  (.4  part.)  Non  !  mais  est-cl''' 
coquette  !...   Quand  on  frise  la  quarantaine  ! 

LADY    ESTON 

Ah  !  Sir  Thomas  ne  pense  guère  à  moi  !  Pourvu 
qu'il  remplisse  les  devoirs  de  sa  charge  scrupuleu- 
sement. 

POLL 

Scru-pu-leu-se-ment  ! 

LADY  ESTON,  avec  amertume. 

Ce  qui  ne  l'empêche  pas  de  déplaire  parfois  à 
Sa  Majesté  !  Entre  le  roi  et  sa  conscience,  il  n'hé- 
site jamais  ! 

POLL 

Ah  !  dame  !  dame  ! 

LADY    ESTON 

C'est  ridicule  !  Il  se  perdra  un  jour,  si  ce  que 
l'on  m'a  dit  est  vrai  !  Je  veux  même  lui  repré- 
senter, lorsqu'il  reviendra...  Car  il  faut  le  ser- 
monner, comme  un  enfant...  pendant  des  heures, 
{Elle  laisse  tomber  le  bas  qu'elle  tricote.) 

POLL,  le  ramassant. 
Ah  !...  votre  bas  I...  Il  n 'avance  g-uère  I 


10  MARClEniTE    MORUS 

I \DY    ESTON 

Vo'ûh  deux  mois  que  j'y  suis  !  Je  ne  le  finirai 
jamais  !  (Soupirant.)  Hélas  !  avec  tous  les  souci'' 
que  j'ai  ! 

POLL 

Voyons  !  Ne  vous  tournez  pas  ainsi  le  sang"  cf 
bile  !  On  dit  que  ça  fait  mourir  jeune  ! 

LADY  ESTON,   minaudant. 
Ah  !  oui  !...  Je  crois...  en  effet,  que  je  mourrai 
jeime  !  (A  une  servante  qui  entre.)  Eh  bien  !  qu'» 

a-t-il  ? 

LA    SERVANTE 

Madame  !  C'est  un  message  de  Londres  !  {Ell^ 
*e  retire.) 

LADV   ESTON,    émuc. 

Ah  !  le  sceau  de  mon  mari  !  Mon  Dieu  !  qu'est 
ce  encore  ? 

POLL 

Ne  tremblez  pas  ainsi  I 

LADV    ESTOV 

Encore  quelque  folie  de  sa  part  î  Tiens,  Poîl, 
lis! 

POLL,  avec  dédain. 
Euh  !...  Je  ne  sais  point  lire  ! 

LADY    ESTON 

Moi,  je  ne  pourrai  jamais  !  c'est  trop  long  !... 
Qui  donc?...  Ah!  Martfuerite  !...  Cours  la  cher- 
cher, Poil  ! 

POLL 

J'y  vais  !...  Ce  que  c'est  com,mo(ie  d'avoir 
comme  ça,  dans  la  maison,  tine  demoiselle...  qui 
sait  lire  !  [Elle  sort.) 


ACTE  I.    —    SCl^iXE  II.  11 

LADY    ESTON,    Seille, 

Une  mauvaise  nouvelle,  sans  dûule  !...  Oh  !  ce 
n'est  pas  étonnant,  après  le  rêve  que  j'ai  fait  cette 
nuit  !...  Je  voyais  le  roi  qui  me  req^nrciait  d'Mn 
air  courroucé,  en  me  montrant  S'ir  Thomas.  Et 
je  l'implorais  pour  mon  pauvre  mari.  «  Sire,  di- 
eais-je,  pardonnez-lui  !  Il  a  l'esprit  si  faible  !  »  — 
Ah  !  il  fera  noire  malheur  ! 


SCÈNE  II 

LADY  ESTON,  MARGUERITE,   OLIVIA. 
PUIS  POLL. 

MARGUERITE 

Vous  m'avez  fait  demander,  Madame  ? 

LADY    ESTON 

Oui,  Madge  !...  Voici  un  message  de  votre  père  ' 

MARGUERITE 

Je  vais  vous  le  lire  !...  Mais,  Olivia... 

LADY    ESTON 

Votre  amie!...  elle  peut  rester!...  Lisez-nous! 
lisez-nous  !...  Ah  !  mon  bas  !  {Elle  prend  le  bas 
et  s'asseoit.) 

MARGUERITE,  dehouî,  Usant. 

«  Ma  chère  amie,  prenez  courage,  car  je  suis 
rt  contraint  de  vous  annoncer  un  mauvaise  nou' 
«  velle... 

,  LADY  ESTOX,  Criant. 

Ah  !  j'en  étais  sûre  !  J'en  étais  sûre  I 


12  MARGUERITE  MORUS 


MARGUERITE 

Madame  !  je  vous  en  prie  ! 

LADY  ESTON,  furieuse. 
Vous  allez  voir  !  Continuez  ! 

MARGUERITE,  Usant. 

«  Le  roi  m'a  demandé  d'approuver  ses  projets 
«  de  divorce,  lesquels,  vous  le  savez,  sont  haute- 
ce  ment  condamnés  par  la  Cour  de  Rome  ;  j'ai 
«  refusé  !  Il  m'a  enjoint,  si  je  voulais  garder  ma 
«  charge  de  le  reconnaître  comme  chef  suprême  de 
«  l'Église  catlîolique;  —  j'ai  préféré  me  retirer 
«  des  affaires  plutôt  que  de  souscrire  à  un 
«  schisme  !  Je  ne  suis  plus  lord-chancelier  !... 

LADY  ESTON,  5e  levant  et  retombant  aussitôt. 

C'en  est  fait  !...  Ah  !  je  meurs  !...  Poil  !  au  se- 
cours !  au  secours  !  (Elle  paraît  se  trouver  mal.) 

POLL,  accourant. 
£h  bien  !  .qu'y  a-t-il? 

MARGUERITE 

Vite  !  un  médecin  ! 

LADY  ESTON,  Se  ranimant. 

Non  !...  un  peu  de  vin  !...  C'est  inouï  !  Ne  pou- 
vait-il faire  plaisir  à  Sa  Majesté  ? 

MARGUERITE 

C'eût  été  renier  toutes  ses  croyances  !  Je  con- 
nais mon  père;  il  préférerait  mourir,., 


ACTE  I.  —  SCÎ:XE  II.  13 


LADY  ESTON 

Voilà  bien  vos  grands  mots  !  Il  s'agissait  d'une 
petite  coniplaisance  de  rien  !  {Nerveuse.)  Mais 
non,  il  préfère  nous  mettre  sur  la  paille,  dans  la 
cendre...  {Fiineuse,  marchant,  trépignant.)  C'eslj 
inouï  !  c'est  épouvantable  !...  {Retombant  assise 
et  gémissant.)  Ah  !  j'étouffe  !  je  me  meurs  ! 

POLL,  revenant  avec  du  vin  et  un  verre. 
Avalez  toujours  ceci  ! 

LADY  ESTON,  5e  ranimant. 

Donne  !  donne  !...  {Elle  boit.)  Merci  !...  En-» 
core  !...  {Elle  boit  un  second  verre.)  Ça  va  mieux! 

OLIVIA,  à  Marguerite. 
Elle  m'a  fait  peur  ! 

MARGUERITE 

Oh  !...  elle  a  si  souvent  de  ces  crises  ! 

LADY  ESTON,  pleurnichant. 

Adieu  !  mes  beaux  rêves  I  Jamais  je  n'irai  chez 
le  roi  ;  je  vais  me  confiner  dans  les  soins  de  la 
basse-cour  ! 

POLL 

C'est  une  cour  qui  vaut  bien  l'autre  I  v 

MARGUERITE 

Dût-il  nous  en  coûter,  ne  reg"rcttons  p^s  l'acte 
courageux  accompli  par  mon  père  !  II  a  préféré  son 
honneur  et  sa  foi  aux  biens  périssables  de  ce 
monde;  il  a  bieo  fait  1 


14  MARGUERITE   MORUS 

LADY  ESTON,  trépignant, 

il  a  mal  fait;  ii  a  mal  fait,  entendez-vous  !  H 
s'est  joué  de  notre  fortune  !...  Quand  je  l'ai 
épousé  en  secondes  noces... 

MARGUERITE 

V^ous  ne  lui  avez  pas  apporté  d'autre  dot  que 
celle  de  vos  vertus  !  De  quoi  vous  plaignez-vous  ? 

LADY    ESTON 

Je...  Ah  !...  Insolente!  Ah  !  que  vous  êtes  bien 
sa  fille  ! 

MARGUERITE 

Et  j'en  suis  fière,  Madame  ! 

LADY  ESTON,  phurant. 

Et...  et...  voilà,  comme  l'on  me  traite  !  J'étais 
jeune,  j'étais  belle;  j'aurais  mieux  fait  d'épouser 
un  homme  plus  intéressé  à  ses  propres  affaires, 
et  qui  eut  pu  un  jour...  me  mener  à  la  Cour  ! 

MARGUERITE,  avBc  Un  gcste  indigné. 
Madame  I 

OLIVIA 

Chère  amie  !  Reprenez-vous  ! 

LADY    ESTON 

Tenez  !  je  m'en  vais  !...  je  vous  cède  la  place  !. .. 
Folle  !  pédante  !  {Fausse  sortie;  puis  revenant.), 
Et  puis  n'essayez  pas  de  m'apprendrc  à  lire, 
parce  que  vous  savez...  {Fausse  sortie.)  Ah  !  mon 
bas,  que  j'oubliais  !  {Elle  sort  brusquement.) 


ACTE   I.    —   SCÈNB   III.  15 

SCÈNE  III 
MARGUERITE,   OLIVIA 

OLIVIA 

[Tu  as  cLd  quelque  peu  dure  pour  ta  belle-mère  I 

MARGUERITE 

Que  veux-tu  ?  Je  suis  ainsi,  moi,  d'une  nature 
toute  impressionnable  !  Quand  j'ai  là,  quelque 
chose  sur  le  cœur,  il  faut  que  je  le  dise  !...  Et 
souvent,  je  le  regrette  après  \ 

OLIVIA 

C'est  que  tu  es  bonne  ! 

\LARGUERITE 

Mon  Dieu  !...  Les  pauvres  gens  que  je  vais  vi- 
siter, me  le  disent  souvent  !...  Je  ne  sais  pas  si 
c'est  vrai?...  je  l'espère! 

OLIVIA 

C'est  vrai  I 

RL\RGUERITE 

Fidèle  Olivia  !...  Tu  es  meilleure  que  moi,  et 
douce...  comme  je  voudrais  l'être  I 

QX.JVIA 

C'est  que  tu  es  douée  d'une  surabondance  de 
vie  et  de  sentiments  !...  Tu  fais  le  bien  avec  en- 
thousiasme; tu  repousses  le  mal  pref^'j'?'"^  du- 
reté ! 

MARGUERITE 

Comme  tu  me  connais  bien  ! 


16  MARGUERITE   MORUS 


OLIVIA 

Sais-tu  qu'à  t'observer,  toi,  si  sérieuse,  si  sa- 
vante, je  me  dis  quelquefois  :  «  Marguerite  est 
presqu'un  homme...   comme  son  père  !   » 

MARGUERITE,    émue. 

Je  lui  ressemble,  n'est-ce  pas  ?  ^ 

OLIVIA 

Oui,  beaucoup  ! 

MARGUERITE 

Ah  !  que  me  dis-tu  là  !  Je  l'aime  tant,  et  lui  me 
le  rend  bien  !  Il  me  dit  quelquefois  que  je  suis 
«  son  meilleur  ami  »...  Tu  comprends  que  tout  à 
l'heure,   quand  lady   Eston... 

OLIVIA 

Oh  !...  laisse-la... 

MARGUERITE 

Oser  bafouer  mon  pire  !...  mon  père  qui  est  le 
plus  loyal  et  le  plus  intelligent  des  hommes  !  Oh  ! 
il  me  semble  quand  je  le  vois,  dans  sa  robe  ornée 
d'hermine,  avec  ses  yeux  profonds  et  bons;...  oui, 
je  crois  contempler  quelque  personnage  illustre 
des  temps  passés  ! 

OLIVIA 

Illustre!...  il  le  sera  dans  l'avenir!  Son  noro 
restera  impérissable  ! 

MARGUERITE 

N'est-ce  pas?...  {Soudainement.)  Mon  Dieu! 
j'ai  comme  un  serrement  de  cœur  !...  Le  voilà 
n^aintenant  en  disgrâce;  tu  sais  que  le  roi  est  un 
ennemi  terrible  !...  {Très  émue.)  Mon  Dieu  !  quel 
funeste  pressentiment  !...  Olivia  !  oh  !  j'ai  peur  I 
{Elle  se  sert  contre  son  amie.) 


ACTE  r.   —  SCÈNE  IV.  17 

OLIVIA 

Prends  courage  ! 

MARGUERITE 

Non  !...  Il  me  semble  qu'il  va  lui  arriver  mal- 
heur !...  La  prison,  le  supplice,  peut-être?... 
{Presque  sanglotant  dans  les  bras  de  son  amie.) 
Ah  !  j'ai  peur,  j'ai  peur  pour  lui  1 

OLIVIA 

Chère  amie  !...   La  moindre  pensée  te  trouble  ! 

MARGUERITE,  froidement. 

Non...  Cette  fois,  oe  n'est  pas  une  impression; 
j'en  suis  sûre  !  Les  mauvais  jours  vont  commen- 
cer pour  lui...  et  pour  nous  !...  {Elle  se  jette  à  ge- 
noux.) O  mon  Dieu  !  quel  que  soit  l'avenir  réservé 
à  mon  père,  faites  que  je  puisse  le  partager  !  S'il 
doit  souffrir,  faites  que  je  souffre  avec  lui;  s'il  est 
accusé,  faites  que  je  sois  accusée  avec  lui;  s'il  est 
condamné,  faites  que  je  sois  condamnée  avec  lui  I 

SCÈNE   IV 

MARGUERITE,  OLIVIA,  POLL,  BETTY, 
CÉCILY,  PUIS  toutes  leurs  amies. 

BETTV,  CÉCILV,  entrant  en  courant,  et  tirant 
Poil  par  ses  jupes. 

Madge  !  Madge  !...  Ah  !  la  voilà  ! 

POLL 

Avez-vous  fini  de  me  faire  courir  comme  ça  !... 
Je  suis  tou-toute  essou-soufîée  I... 


18  MARGUERITE  MORUS 

MARGUERITE 

Bonjour,  chères  petites  !  {Elle  les  embrasse.) 

BETTY 

Bonjour,  Olivia  !  Vous  ne  m'emorassez  pas  ? 

OLIVIA 

Mais  si  !  mais  si  ! 

^.irJT.^f 
Qu'as-tu,  Madg-e?...  Tu  es  triste. 

MARGUERITE 

Moi  !...  mais  non,  chère  Cécily  !..    bien  au  con- 
traire !  Si  vous  saviez...  la  bonne  nouvelle. 

BETTY 

Qu'est-ce?...  une  poupée  que  tu  m'as  achetée? 

MARGUERITE 

Oh  !...  mieux  que  ça  ! 

CÉCILY 

Quoi?...  une  danse  nouvelle? 

MARGUERITE 

Mieux...  n'iieux  que  tout  ça  ! 

BETTY,    CÉCILY 

Mais,  dis  !  dis-le  vite  ! 

MARGUERITE 

Eh  bien  !...  notre  père  bien  aàiné...;  i]  nous  re- 
vient eniin  ! 


ACTE    t.    —    ScàNE    IV.  19 

BETTY,  ciiciLY,  saufcint  et  tapant  des  mains. 

Oh  !...  il  revient  !  il  revient  !  [Elles  courent  de 
tous  côtés  et  embrassent  tout  le  monde.) 

BETTY 

Est-ce  qu'il  nous  rapporte  quelque  chose? 

MARGUERITE 

Sûrement  î 

BETTY,   cÉciLY,   sautant  et  criant. 

Quelle  joie  !  oh  !  quel  plaisir  !  {Elles  couren* 
vers  Poil,  et  les  forcent  à  faire  avec  elles  une. 
ronde  folle.)  Allons,  Poil  !  sois  donc  contente  !... 
Et  Ion  Ion  la  !  et  Ion  Ion  1ère  !  (Elles  tourbillonnent 
avec  Poil.) 

roLL.  fatifruèe. 

OU  !  oh  !  oh  !...  Laissez-moi  !  petites  folles  !,.-, 
Vous  aJIez  me  tu-tuer  [Tombant  assise.)  Ah  !  j/^ 
suis  tou-toute  essou-souflée  ! 

CÉCILY 

Mais  Quand...    quand  revient-il? 

MARGUERITE 

C'est  vrai  ! 

OLIVIA 

OaxiS  sa  lettre,  il  doit  le  dire  I 

MARGUERITE 

Oui  !...  (Lisant.)  «  J'arriverai  samedi  avant  le 
tt  coucher  du  soleil.  Vous  courrez  reconnaître  ma 
«  haraue  de  loin  h  son  nnvillon  bleu  !»  —  Il  sera 
là  tout  à  l'heure  !  Vite  !  il  n'y  a  pas  un  instant  à 


20  MARGUERITE   MORUS 

perdre  !...  Chères  petites  !  appelez  vos  amies... 
que  nous  répétions  encore  une  fois  ce  chant  que 
je  vous  ai  appris  ! 

BETTY,    CÉCILY 

Oui  !  oui  !...  Vite  !  nous  courons  les  chercher  ! 
[Elles  sortent  en  courant,  et  appelant  :  «  Emma, 
Mary,  Lisbeth,  Julietta  !)  » 

POLL 

Et  moi,  j'ai  une  idée,  puisque  tout  le  monde 
s'en  mêle  ! 

OLIVIA 

Qu'est-ce? 

POLL 

Je  cours  à  l'église,  et  je  vais  prier  Monsieur 
Forster,  le  bedeau,  de  monter  dans  le  clocher,  et 
sitôt  qu'il  apercevra  la  barque  là-bas  sur  la  Ta- 
mise, de  sonner  à  toute  volée  ! 

MARGUERITE 

Bravo  !...  Va,  ma  bonne  Poil,  va  î 

POLL,  sortant. 

Oh  !  ça  fera  très  bien  {Elle  fait  semblant  de 
tirer  la  corde  du  clocher.)  T)lng  don  !  ding  don  1... 
Oh  !  ça  fera  très  bien  !  [Elle  sort  en  courant.) 

OLIVIA 

Excellente  femme  ! 

MARGUERITE 

Et  si  dévouée,  si  soumise  !... 

LES  AMIES  DE  BETTY,  CÉCILY,  entrant. 
Bonjour^  Mademoiselle  !  bonjour  Mademoiselle  ! 


ACTE   I.    —    SCÈNE    IV.  21 


MARGUERITE 

Je  VOUS  ai  fait  venir  mes  petites,  pour  quelque 
chose... 

TOUTES,  l'interrompant. 

Oui  !  oui  !...  Nous  voulons  bien  I 

MARGUERITE 

Mon  père  va  arriver  ici  tout  à  l'heure. 

TOUTES 

Nous  savons  !  nous   savons  !...   Qu'est-ce  qu'il 
raut  faire  ? 

MARGUERITE 

Eh  bien  !  voulez-vous  que  nous  répétions,  pour 
le  bien  chanter,  ce  morceau  que  je  vous  ai  appris  ? 

TOUTES,  désappointées. 

Oh  !...  oh  !...    Mais   nous  le  savons  !  Nous  le 
savons  ! 

MARGUERITE 

Vous  le  savez  bien  ? 

TOUTES 

Mais  oui  !  mais  oui  ! 

CÉCILY 

Laissez-nous  plutôt  tresser  des  guirlandes  et  des 
couronnes  !  Ce  sera  si  joli  l 

OLIVIA 

Mais  avec  quoi  ? 

BETTY 

Avec...   avec...   IJ^ontrant  la  campagne.)  Oh  \ 
avec  ces  bleuets^  elfeioçs  épis  dorés* 


09 


MARGUERITE    MORUS 


TOUTES 

Oh  !  oh  !...  oiii  !  oui  ! 

BETTY 

Et  ces»  coquelicots  qui  sont  là-bas  ? 

MARGUERITE 

Ah  !  ce  sera  cliarniant  î...  Allez,  courez,  appor- 
tez-nous ces  fieurs  !  {Les  petites  filles  s'en  vont 
en  poussant  des  cris  de  joie.)  Ah  !  chèro  Olivia, 
que  mon  père  va  être  heureux  de  tout  cela  !  Tu 
sais  combien  la  plus  petite  marque  d'affection  lui 
est  précieuse  ! 

POLL,  rentrant,  essoufflée. 

Voilà  !  c'est  entendu  !  Monsieur  Forster  ne  vou- 
lait pas  monter  d'abord;  il  est  si  gros  cet  hom- 
me !...  Mais  quand  je  lui  ai  dit  que  c'était  pour 
Sir  Thomas,  il  s'est,  précipité  quatre  à  quatre  dans 
l'escalier  !  Dès  qu'il  verra  la  barque,  il  sonnera  à 
toute  volée  ! 

MARGUERITE 

Oh  !  très  bien,  Poil  ! 

POLL,   tombant  assise. 

Ouf  !...  je  n'en  puis  plus  !...  C'est  que  je  suis 
un  peu  comme  le  bedeau,  moi  !...  je  ne  m-aigris 
pas  !...  Et  il  îaut  que  je  danse  des  rondes,  que  je 
coure,  que  je  chante  aussi  !...  Oh  !  ma  tête  !  ma 
Vête  ! 

WAl>GIJ£RITE 

Tu  sais  ce  que  l'on  dit  :  «  La  bonne  femme  est 
celle  qui  n'a  point  de  tête  !   » 


ACTE    I.    —    SCÈNE   IV.  23 


POLL 

Ma  foi  !  c'est  vrai  !  il  suffit  d'avoir  du  cœur  !... 
Allons,  il  faut  être  vaillante.  {Elle  se  relève 
et  regardant  dans  la  coulisse.)  Oh  !  toutes  ces 
fleurs  !  toutes  ces  fleurs  ! 

LES  AMIES  DE  BETTY,  cÉciLY,  rentrant  avec  des 
gerbes  de  fleurs  et  d'épis,  plus  grandes  qu'elles.) 

Voilà  !  i-oUà  !..,  des  coquc'icots,  des  bleuets. 
des  épis  dorés  ! 

OLIVIA 

Bon  !  Tout  le  monde  à  l'ouvrag-e.  {Toutes  s'as- 
soient et  se  mettent  à  tresser  rapidement  des  cou- 
ronnes et  des  guirlandes.) 

MARGUERITE 

Oh  !...  je  me  sens  si  impatiente  !...  Je  veux  voir 
sur  la  berge  !  (Elle  disparaît  dans  la  coulisse  de 
gauche.) 

OLIVIA,  lui  parlant  de  la  scène. 

Prends  g^arde  I  Tu  vas  tomber  I  Ne  te  penche 
pas  ainsi. 

MARGUERITE 

Rien,  rien  encore  ! 

POLL 

Bien  sûr  !...  Nous  ne  verrons  rien  avant  le  be- 
deau !  Il  faut  attendre  .que  les  cloches  sonnent  ! 
MARGUERITE,    revenant,    tournée   vers    la  coulisse. 

Conune  la  Tamise  est  belle,  avec  ses  flots  d'ar- 
gent qui  baignent  cette  verte  prairie...  Déjà  les 
troupeaux  suivent  les  berg^ers  pour  rentrer  à 
l'étable;  le  soleil  devient  rouge  et  descend  lente- 
ment vers  l'hori/ion  lointain  I 


24  MARGUERITE   MORUS 


LES  AMIES  DE  BETTY,  cÉciLY,  se  relevant 
en  tumulte. 

C'est  fini  !  c'est  fini,  (Elles  montrent  les  guir- 
landes et  les  couronnes  et  s'en  parent.) 

OLIVIA 

Bravo  !...   Ah  !  que  c'est  joli  ! 

MARGUERITE 

Surtout  attention  à  bien  chanter. 

POLL,  avec  suffisance. 

Soyez  tranquille!...  je...  je...  chanterai  avec  elles! 
{A  part.)  Il  faut  que  je  fasse  tout;  sans. moi,  ça 
ne  marcherait  pas  ! 

MARGUERITE 

Mon  Dieu  !...  Mais  ce  bedeau,  il  s'est  endormi 
dans  le  clocher  !  (A  ce  moment,  on  entend  sonner 
les  cloches  à  toute  volée.)  Ah  !  les  cloches  !  les 
tloches  !  (avec  joie.)  C'est  mon  père,  mon  père 
bien  aimé  !  Olivia,  chère  amie  !  (Elle  lui  serre  les 
tnains.) 

OLIVIA 

Oui  !  enfin  !  enfin  ! 

LES   AMIES   DE   BETTY,    CÉCILY,    Sautillant. 

Les  cloches  !  les  cloches  !..,  Il  arrive  ! 

BETTY 

Poil  !  tu  n'as  pas  de  couronne  ! 

POLL 

Oh  !  mais  je  n'en  ai  pas  besoin  J 
TOUTES 

Si  !  si  !  si  I 


ACTE  I.   —   SCÈNE  V.  25 

CÉCILV,  lui  offrant  une  grosse  couronne. 
Tiens  !  celle-ci  ! 

POLL 

Je  n'en  veux  pas  !..  elle  est  trop  grosse  ! 

CÉCILY 

Si  !  elle  t'ira  très  bien  !  {Elle  court  après  Poil  et 
lui  met  la  couronne  sur  la  tête;  la  vieille  servante 
disparaît  sous  les  fleurs  et  sous  les  épis.) 

TOUTES,  riant. 
Ah  !  ah  !  ah  ! 

SCÈNE  V 
LES  MÊMES,  PLUS  LADY  ESTON,  et  la  foule. 

LADY  ESTON,  toujours  sombre. 

Qu'y  a-t-il?...  Pourquoi  tout  ce  bruit?...  et 
ces  cloches  qui  sonnent  ? 

MARGUERITE 

Madame  !...  C'est  Sir  Thomas  Morus  qui  nous 
revient  ! 

LADY    ESTON 

Ah  !...  (A  part.)  Je  vous  demande  un  peu..., 
pour  un  homme  en  disgrâce  ! 

DES  FEMMES  ET  DES  ENFANTS,   entrant. 

Sir  Thomas  revient  !...  (Entourant  Marguerite 
et  lui  embrassant  les  mains.)  Chère,  chère  Demoi- 
selle !  {Se  répandant  sur  la  her^e.)  Ah  !  ah  î  vcàfi 
la  barque  ! 


26  MARGUERITE   ASORUS 


MAiîCUHSITE 

i^a  barque  !  Faites- mcii  place,  mes  amies  !  Lai^- 
•vez-moi  voir.  {Elle  fend  la  foule,  et  se  dirige  vers 
la  berge,  à  gauche.)  Oui  !  c'est  lui  !  c'est  lui  1 

TOUS,  criant. 
Salut  !  salut  ! 

MARGUERITE,  à  l'entrée  de  la  coulisse. 

Je  l'aperçois;  il  me  tend  les  bras  !...  Père,  père 
bien  aimé  !  {Elie  lui  envoie  des  baisers.) 

POLL,   aux  petites  filles   qu'elle   range   contre   les 
coulisses  de  droite. 

Attention  !...  vous  autres  !...  Mettez-vous  en 
ordre,  n'est-ce  pas,  et...  et...  tâchez  de  ne  pas 
chanter  faux  ! 

TOUTES 

Oh  !  dame  Poil  !  dame  Poli  ! 

MARGUERITE,    à    ladj    EstoU. 

Madame  !...  Mon  père  débarque  !  Allons  au  de- 
vant de  lui.  {Les  deux  femmes  disparaissent  dans 
la  coulisse  de  gauche.) 

roLL,  aux  petites  filles. 
Et  vous  I...  en  avant  !...  Une,  deux. 


ACTE  I.    —   SCÈNE  V,' 


27 


)-|4-, 


ïm^^ 


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tp: 


^^^^ 


Fleurs  ar-ro  -  j6    -    es     Par  les  ro  -  se    -  es 


Fleurs  ar  ro  -  s6    -   es     Par  les  rt»  -  8* 


iffi 


Du   mois    de     mai; 


Que        je  vous    ai 


me, 


ïiq: 


:îvr3il^ 


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fiu    mois    de     mai; 

erese. 


Que 


je  vojs  ai 


me. 


&: 


-»- 


.'■-'— r-r- 


Vous   que  par  -    se 


me     L'air  cm-baa  -  îxé. 
:r: 


Vous    que  par  -  se    -   me     L'air  eui-  bau  -  u;à. 

Le  bluet  jette 
Sa  frêle  aigrette 
Dans  la  moisson, 
Et  sur  les  roches 
Pendent  les   cloches 
Du  liserou. 

Le  chèvreleuille 
Mêle  sa  feuille 
Au  blanc  jasmin, 
Lt  l'églantine 
Plie  et  s'incline 
Sur  le  chemin 


SfeïFEÎ=^I^Mt5 


28  MARGUERITE   MORUS 

De  la  pervenche 
La  fleur  se  pencha 
Sous  les  cyprès, 
L'onde  qui  glisse 
Voit  le  narcisse 
Fleurir  tout  près(i). 


SCÈNE  VI 

LES  MÊMES,  PLUS  THOMAS  MORUS, 
PUIS  ELISABETH  BARTON 

Pendant  ce  chœur,  Thomas  Morus  entre  en  scène. 
Il  est  vêtu  d'une  longue  simarre  ornée  d'hère 
mine  ;  il  porte  une  ample  chevelure  et  une  lon- 
gue harbe  grises,  et  sur  la  tête  un  bonnet  carré 
avec  un  galon  d'hermine.  Il  est  entre  sa  femme, 
lady  Eston  et  sa  fille  Marguerite.  Tous  l'accla- 
ment ;  on  le  fait  asseoir  sur  un  banc  de  pierre, 
on  lui  offre  des  fleurs,  tandis  que  les  cloches 
sonnent  de  nouveau  ! 

THOMAS  MORUS,  Se  levant  et  faisant  un  geste. 
Merci  !...  merci  à  tous  ! 

MARGUERITE 

Mon  père,  vous  voyez  comme  tous  ces  gens 
vous  aiment  !...  Et  mot,  moi,  ma  joie  est  indicible 
de  vous  revoir,  mon  père  ! 

THOMAS   MORUS 

Marguerite  !  {Elle  s'agenouille,  et  lui  présente 
son  front;  il  lui  offre  un  bouquet  de  marguerites.) 
Je  t'ai  apporté  des  marguerites  comme  toi  ! 

[i)  Ce»  ver»  ioat  de  U.  J.  de  la  MagdelaUta, 


ACTE  I.  —  SCÈNE  vr.  09 

MARGUERITE,  Se  relevant. 

Merci  !...  Voici  mes  .sœurs  !  {Elle  fait  avancer 
Betty  et  Cécily;  Morus  les  embrasse.)  Et  Poil,  la 
fidèle  Poil  ! 

POLL 

Mon  maître  vénéré  !  {Elle  lui  prend  les  mains.) 

UNE  VOIX,  dans  la  foule. 

Laissez-moi  avancer  !...  je  veux  lui  parler  !  {On 
entend  des  murmures.)  Je  veux...  je  veux... 

LADY    ESTON 

Qui  ose  ainsi  ? 

POLL 

Seigneur  !...    C'est   Êlisa   Barton  î 

LADY    ESTON 

Une  folle  !...   Qu'on  la  chasse  ' 

MARGUERITE 

La  sainte  fille  de  Kent  ! 

LADY    ESTON 

Qu'on  la  chasse  !  {Murmures.) 

MARGUERITE 

Pourquoi  ? 

LADY    ESTON 

C'est  nous  perdre  !  Si  l'on  vient  à  savoir  que 
nous  avons  écouté  celte  fen>me  ! 

ÉLISA  BARTON 

Il  faut  que  tu  m'entendes  !  Morus  !  {Elle  par- 
vient à  fendre  la  foule  et  s'arrête  devant  sir  Tho' 


30  MARGUERITE   MORUS 

mas.)  Morrs  !  écoute-moi  !...  Tu  reviens  chez  toi, 
tu  es  tombé  en  disgrâce  ! 

LADY    ESTON 

Qui  te  l'a  dit  ?  C'est  faux  ! 

THOMAS  MORUS,   Se   IcVUnt. 

Non  !  c'est  vrai  !  (Murmures.) 

ÉLISA  BARTON 

Je  puis  te  parler  librement,  maintenant  que  tu 
n'es  plus  chancelier  !...  Morus  !  Morus  !... 
tu  as  bien  fait  de  quitter  le  service  du  roi  !...  Toi, 
l'homme  intèg^re,  tu  ne  pouvais  demeurer  plus 
longtemps  auprès  d'un  prince  sans  honneur,  de 
cet  hérétique  maudit  !... 

TOUS,   murmurant. 
Que  dit-elle? 

ÉLISA  BARTON,  élcvaut  la  voix. 

Écoutez  !  écoutez  tous  !...  Je  vais  parler...  je 
vois...  je  vois  l'avenir  qui  se  déroule  clairement 
devant  mes  yeux!...  Écoutez,  écoutez  tous!...  {On  la 
soutient  tandis  qu'elle  prophétise,  les  yeux  fixes, 
grands  ouverts;  musique  lente.)  Henri  VIII  !  Il 
est  roi,  mais  il  est  mortel  comme  nous  !...  Henri 
VIII  !  Il  csr  coupable  et  il  ne  veut  pas  reconnaître 
ses  fautes  î...  Ah  !  je  vois,  je  vois  ses  crimes  qui 
vont  se  multiplier,  comme  les  grains  de  sable  qui 
roulent  au  fond  des  flots.  Il  inondera  les  marches 
de  son  trône  du  sang  le  plus  pur  et  le  plus  noble. 
Introduite  par  lui,  en  Angleterre,  l'hérésie  s'y 
multipliera  sous  mille  formes  différentes  !  Les  an- 
nées de  son  règne  verront  naître  plus  de  malheu- 
reux   que    la    pluie    du    ciel    ne    fait    croître    de 


ACTE    î.    —    SCKNE    VI.  31 

fleurs  !...  {Élevant  la  voix  avec  menace.)  Un  jour, 
tes  os  rongés  de  vers  seront  enfouis  sous  les 
pierres  du  sépulcre;  mais  ton  exécrable  mémoire 
"denvMircra  parmi  les  hommes,  et  ton  nom,  Henri 
VIII,  marqué  du  sceau  ineffaçable  du  sang",  res- 
tera dans  les  siècles  les  plus  reculés  comme  celui 
d'un   monstre  !...   J'ai  dit  ! 

LADV    ESTON 

Qu'on  la  chasse  !  qu'on  la  chasse  I 

ÉLISA  BARTON 

Un  mot  encore!...  Morus"  !  Morus  !  Prends 
g'arde  au  roi,  car  il  est  comme  le  moissonneur 
jaloux  qui  fauche  en  premier  les  épis  les  plus 
beaux  !  {Elle  tombe  défaillante,  on  l'entraîne.) 

LADY    ESTON 

C'est  affreux  ! 

MARGUERITE,    émue. 

Mon  père  !...  mon  père  !  ne  la  croyez  pas  ! 

THOMAS  MORUS,  Se  levant. 
Si  !...  elle  dit  vrai  ! 

MARGUERITE 

Ne  restons  pas  ici  !  Venez  dans  votre  maison, 
où  je  vous  servirai  de  mes  propres  mains  !  {Tho- 
mas Morus  part  le  premier,  suivi  de  ses  enfants 
et  de  ses  serviteurs,  tandis  que  le  chœur  recom- 
mence, et  que  le  rideau  tombe  sans  attendre  la 
fm.) 


ACTE  DEUXIÈME 

La  bibliothèque  dans  la  maison  de  Clielsea 

Au  fond,  une  porte  à  deux  battants,  ouvrant  sur 
un  couloir,  et  de  chaque  côté  les  rayons  de  la 
bibliothèque  garnis  de  livres.  A  droite,  une 
vaste  cheminée  à  manteau;  auprès,  une  horloge 
surmontée  d'un  petit  coq  qui  chante  les  heures; 
au  premier  plan,  une  petite  porte  donnant  dans 
le  cabinet  de  travail  de  Thomas  Morus.  A  gau- 
che, une  fenêtre  à  vitraux;  encore  des  rayons  de 
livres;  au  premier  plan,  une  table  surchargée  de 
livres  et  de  parchetnins.  A  gauche  de  cette  table, 
un  grand  fauteuil  de  cuir  où  s'assied  Thomas 
Morus  quand  il  travaille;  un  flambeau  de  bronze 
à  cette  place.  —  C'est  le  petit  jour,  une  lampe 
est  allumée  sur  la  table. 

SCÈNE  I 

MARGUERITE  {Elle  est  assise  à  droite  de  la  fable, 
lisant  un  livre  de  jurisprudence.  On  devine  à 
son  visage  qu'elle  a  travaillé  et  pleuré  toute 
la  nuit.) 

Voyons  !  si  je  trouverai  dans  ce  livre  de  droit  ! 
[Elle  feuillette  quelques  pages.)  Ah  !  \'oici  !  (Lt- 
sant.)  «  Des  procès  d'état  et  des  crimes  de  haute 
trahison  ».  —  C'est  bien  de  cela,  hélas  !  qu'on 
l'accuse  !...  {Lisant.)  «  De  la  procédure  et  de  la 
peine  »,  —  «  Quiconque  se  sera  rendu  coupable 
«  du  crime  de  haute  trahison  envers  le  Seigneur 
«  Roi  sera  premièrement  interrogé  à  la  Tour  de 
«  Londres,  par  la  commission  royale.  Si  l'accu- 
«  sation  persiste,   il  aéra  traduit  devant  la  Cour 

3 


84  MARGUERITE   MORUS 


m  et  le  jury;  s'il  est  reconnu  coupable,  il  sera  con- 
«  damné  à  la  décapitation.  »  —  (Répétant  lef 
veux  au  ciel.)  La  décapitation  !...  Ainsi,  s'i5 
*îst  condamné...  oh  !  mais  c'est  affreux  !  [Elle 
pleure.)  Mon  père  !  mon  père  bien  aimé  !  — 
(A  ce  moment,  du  cabinet  voisin,  on  entend 
distinctement  une  voix  entrecoupée  de  san^ 
glots,  qui  prononce  les  mots  suivants  :  «  Mar- 
guerite !  adieu  !  adieu  !  »)...  Qu'est-ce  ?...  Je  crois 
entendre...  (Elle  se  lève  et  va  contre  la  porte  de 
droite;  la  voix  répète  :  «  Marguerite  !  adieu  ! 
adieu  !  )>)...  C'est  lui  !  il  m'appelle  !  il  est  là,  à 
côté  !...  Je  vais  entrer  !...  (Se  ravisayjt.)  Non  !  il 
ne  faut  pas  qu'il  sache  que  j'ai  passé  la  nuit 
ici  !...  Hélas  !  il  souffre  sans  doute  ;  tout  à  l'heure, 
je  pourrai  le  voir,  lui  parler  !  (Allant  à  la  fenêtre.) 
Déjà  le  jour  !...  Ah  !  j'ai  cherché  dans  ces  livres 
quelque  chose,  une  idée,  un  argument,  qui  put  le 
sauver  !...  et  je  n'ai  rien  trouvé  !..,  Ne  désespé- 
rons pas  encore  !  (Elle  s'assied  comme  pour  se 
remettre  au  travail;  on  entend  des  coups  discrets 
frappés  à  la  porte  du  fond.)  Qui  peut  être  là?,., 
à  cette  heure  !...  (On  frappe  de  nouveau,  Margue- 
rite se  lève  pour  ouvrir.) 


SCÈNE  II 
MARGUERITE,    OLIVIA 

MARGUERITE 


Olivia  I 


OLIVIA 

Oui,    c'est  moi  !...   Comment,    Madge,   h.   cette 
heure  tu  es  ici  ? 

MARGUERITE,  lui  prenant  les  mains.) 
Chère  Olivia  I 


Acte  tr.  —  scène  t.  3d 


OLIVIA 

Qu'as-tu?...  Comme  tu  es  pâle!  Tu  as  pleuré!... 
Oh  I  la  lampe  qui  est  restée  allumée  !...  Ah  I  je 
comprends,  tu  n'as  pas  dormi  de  la  nuit  I 

MARGUERITE,  cmharrassêe. 
Mais,.. 

OLIVIA,  montrant  la  table. 

Si  !  je  le  vois...  Ces  notes  écrites  de  ta  maîn;..« 
<t  ce  livre  ouvert...  {Lisant  à  la  page  ouverte.)  : 
*  Des  procès  d'état  et  des  crimes  de  haute  tra- 
iiison.  »  —  Qu'est-ce  que  cela  veut  dire? 

AL'VRGUERITE 

Ah  !...  cela  veut  dire  qu'ils  l'accusent,  qu'ils 
osent  l'accuser  ! 

OLIVIA 

Qui  ? 

MARGUERITE,  éclatant. 
Mais  !...    mon    père,    mon    père    bien    aïmé  !.,. 
{Elle  plctire  dans  les  bras  de  son  amie.)  C'est  in- 
ïâme,  n'est-ce  pas  ? 

OLIVIA 

Chère  amie  !,..  Que  Dieu  te  vienne  en  aide  !... 

Mais  depuis  quand  ? 

MARGUERITE 

C'est  hier  soir... 

OLIVIA 

Explique-moi  ! 

MARGUERITE 

Assieds-toi  !  Olivia  !...  {Olivia,  sans  prendre 
carde,   va  pour  s'asseoir  dans  le  grand  fauteuil 


MARGIJËRITÈ    MOKfS 


de  Thomas  Morus.)  Oh  !  non  !...  pas  là,  je  t'en 
prie  !  C'est  sa  place  accoutumée,  c'est  là  qu'il 
travaille  !. ..  Ce  flambeau  de  bronze  éclaire  ses 
veilles  !...   Personne  ne  s'assied  là...  .que  lui  ! 

OLIVIA,  s'éloigtiant. 
Pardon  î 

MARGUERITE 

Là  !...  près  de  moi  !...  {Olivia  s'assied  contre 
son  amie  et  l'écoute  !)...  Dottc  !  nous  allions  nous 
mettre  à  table  hier  soir,  quand  un  homme  se  pré- 
senta, demandant  à  parler  à  mon  père  ! 

OLIVIA 

Qui   était-ce  ? 

MARGUERITE 

Sir  Cromwell  !...  Ce  nom  seul  te  dit  tout  ;  c'est 
celui  d'un  honwne  qui  fut  toujours  l'ennemi  de 
mon  père  et  qui  est  aujourd'hui  le  pire  conseiller 
du   roi  ! 

OLIVIA 

Et  tu  as  entendu  ? 

MARGUERITE 

J'étais  là  !  j'assistais  à  l'entretien  !...  k  Sir 
«  Thomas,  dit-il,  je  viens  de  la  part  du  roi  vous 
«  prévenir  qu'il  a  appris  avec  indignation  vos  re- 
«  lations  avec  Elisabeth  Barton  !  » 

OLIVIA 

Lh  I  quoi?...  la  sainte  fille  de  Kent? 

MARGUERITE  '' 

Oui  !...  tu  te  souviens,  cette  femme  qu'il  dût 
entendre  malgré  lui  le  jour  de  son  i.rrivée  !  Tu 


ACTE    IT. 


SCf:N-E    II.  37 


n'ignores  pas  que  la  malheureuse  fut  arrêtCx. 
quelques  jours  après  et  inculpée  du  crime  de  haute 
trahison  ! 


Et  ton  père  ?. 


OLIVIA 


MARGUERITE 


Tu  peux  juger  de  sa  stupeur,  lorsque  Cromwell 
lui  apprit  qu'il  était  impliqué  dans  le  procès  intenté 
à  cette  femme  !  11  protesta  disant  qu'il  l'avait  vue 
une  fois  seulement,  et  contre  son  gré  !...  Et 
Cromwell  alors  de  lui  répondre  :  «  Cher  sir  Tho- 
.«  mas,  bien  que  le  roi  soit  très  irrité,  bien  qu  il 
«  veuille  que  cette  folle  et  tous  ceux  qui  ont  cru 
«  en  elle  soient  punis,  il  y  aurait  peut-être  moyen 
«  de  tout  arranger  si  vous  le  voulez  !  —  Que  faut- 
«  il  faire,  dit  mon  père?...  —  Voici,  répliqua 
«  Cromwell  :  Ix;  roi  Henri  VI II  lui-même,  vous 
«  accorde  votre  grâce,  si  vous  voulez  témoigner 
«  que  vous  l'acceptez  et  le  reconnaissez  sans  au- 
«  cune  répugnance,  comme  chef  suprême  de 
«  l'Ëglise  !   » 

OLIVIA 

Comment  !...  souscrire  au  schisme. 

MARGUERITE,    Se    leVUTlt. 

Mon  père,  mon  noble  père,  alors,  regarda  fixe- 
ment Cromwell,  et  lui  dit  simplement  :  «  Mon- 
te sieur  !  je  vous  remercie  !  Quand  commencera 
«  mon  procès?...  Vous  refusez,  hurla  Cromwell, 
«  demain  vous  paraîtrez  devant  la  commission 
«  qui  s'assemble  à  la  Tour  de  Londres;  j'ai  bien 
«  peur  que  vous  n'y  restiez  !  » 

OLIVIA 

Meiuoe  terrible  ! 


38 


MARGUERITE   MORUS 


MARGUERITE,   émue. 

Comprends-tu  maintenant  pourquoi  j'ai  travaillé 
cette  nuit;  pourquoi  j'ai  prié,  j'ai  pleuré? 

OLIVIA 

C'est  aujourd'hui  qu'il  doit  partir  ? 

MARGUERITE 

Oui  !  ce  soir,  sans  doute  !...  {Montrant  la  porte, 
de  droite.)  Pour  l'instant,  il  est  là;  il  travaille  !... 
Je  l'ai  entendu  m'appeler  tout  à  l'heure;  je  n'ai 
pas  répondu,  car  il  ne  sait  pas,  que  je  suis  ici  !... 
Puis,  il  s'est  tu  ! 

OLIVIA 

Il  ne  partira  pas  sans  vous  dire  adieu  ! 

MARGUERITE 

Oh  !  jamais  !..,  D'ailleurs,  j'ai  une  idée... 

OLIVIA 

Que  veux-tu  faire  ?  Dis,  dis-moi  ? 

MARGUERITE,  riant. 
Non  !...  Et  quand  je  ne  veux  pas,  tu  sais... 


SCÈNE  III 

LES  MÊMES,  PLUS  LADY  ESTON 

LADY  ESTON,   entrant  à  fimproviste. 

Alors,    il   n'y   a   pas   moyen    de   vaincre    votre 
çbstination  !...   C'est   comme  votre  £ère,,. 


ACTE   II.    —    SCÈNE   III.  39 


OLIVIA 

De  grâce,  Madame  ! 

LADY    KSTOM 

Cela  lui  aura  servi  à  grand 'chose  !...  Ah  !  &î 
l'on  m'eût  écoutée  !...  N'avais-je  pas  prédit  tout 
ce  qui  arrive,  tout,  tout,  tout?...  C'est  de  sa 
faute  aussi  ! 

MARGUERITE 

Vous  n'avez  pas  de  cœur  pour  oser  parler 
ainsi  !...  Vous  ne  savez  donc  pas? 

LADY    KSTON 

Quoi  ? 

MARGUERITE 

Vous  ne  savez  pas  ce  qui  le  menace  ?...  La  mort' 
la  décapitation  ! 

LADY  ESTON,  très  émue. 

Que  dites-vous?  la  décapitation  !...  Comm.ent  ! 
j'aurais  un  mari  qui  pourrait  finir  de  la  sorte? 
(Criant.)  Ah  !  il  ne  manquait  plus  que  cela  !... 
Quelle  honte!  Ça  ne  sera  pas!...  Où  est-il?  il 
faut  que  je  lui  parle  !  Il  entendra  bien  raison,  il 
fera  ce  que  le  roi  demande  !...  Un  serment  !  la 
belle  affaire  !...  On  jure,  et  puis  après  on  Sait 
tout  ce  qu'on  veut  ! 

MARGUERITE 

Vous  ne  connaissez  pas  mon  père  !...  Il  n'a 
jamais  menti  aux  hommes,  il  ne  commencera  pas 
aujourd'hui  à  mentir  à  Dieu  ! 

LADY    ESTON 

Tout  ça,  ce  sont  des  mots  !...  Moi  !  je  ne  veux 


40  MARGUERITE   MORUS 

pas  que  mon  mari  soit  décapité  !  je  ne  le  veux 
pas  !...  Il  doit  être  à  ce  moment  dans  sa  chambre  ! 

OLIVIA,  montrant  la  porte. 
Non,   Madame  !  il  est... 

MARGUERITE,  la  coiipant. 
Tais-toi  ! 

LADY    ESTON 

Dans  sa  chambre,  ou  peut-être  sur  la  terrasse  ! 
...Je  cours  !...  Dé...  décapité  !  Ah  !  non,  par 
exemple  !  (Elle  sort  en  coup  de  vent.) 

MARGUERITE 

Suis-la,  Olivia  !  Détourne  ses  pas,  qu'elle  ne 
puisse  le  déranger  !  (Olivia  sort.) 

MARGUERITE,    SCulc. 

Qu'il  puisse  au  moins  passer  quelques  heures 
paisibles,  avant  de  quitter  sa  maison  !...  [Émue, 
regardant  la  porte^)  Lorsque  l'hirondelle  va  aban- 
donner son  nid,  elle  le  contemple  une  dernière  fois 
avec  amour  !...  Oui  !  père,  père  bien  aimé,  tra- 
vaille, travaille  encore  en  paix  quelques  instants  !... 


SCÈNE  IV 
MARGUERITE,   POLL,   BETTY,  CÉCILY 

POLL,  amenant  les  sœurs  de  Marguerite. 

Mademoiselle  !...  Je  vous  les  amène,  c'est  l'heure 
de  la  leçon  ! 

MARGUERITE 

C'est  vrai,  chaque  jour...  Venez,  mes  chéri«s  l 


ACTE   n.    —    SCÈNE   IV.  41 

BETTY,   CÉCILY,   avançant  en  sautant 
et  embrassant  leur  sœur. 

Bonjour  !...  Bonjour  !...  Oh  !  que  nous  sommes 
contentes. 

POLL 

Elles  sont  toujours  contentes,  ces  petites  ! 

MARGUERITE  ^ 

C'est  l'indice  d'un  bon  naturel,  d'un  cœur 
droit  !...  Voyons  !  chères  màgnonnes,  asseyez- 
vous  !...  [Cccily  va  se  mettre  dans  le  grand  fau- 
teuil.) 

POLL 

Oh  !  pas  là  !...   petite  effrontée  ! 

CÉCILY 

C'est  vrai  !  {Elle  sort  du  fauteuil, 

MARGUERITE 

Ce  matin,  je  veux  vous  laisser  le  choix  !  Que 
préférez-vous?  Une  leçon  de  grammaire,  d'his- 
toire, de  musique,...  {Riant.)  ou  de  philosophie? 

CÉCILY 

Moi  !...  je  veux  de  la  philo... 

POLL 

Philosophie  !...   Moi  aussi  ! 

BETTY 

Moi  !...  j'aime  mieux  de  la  musique.  {Elle  chan- 
tonne.) Tra  la  la  !  Tra  la  la  ! 

POLL 

C'est  vrai...  J'aime  mieux  la  musique  !...  {Elle 
chantonne  fort.)  Tra  la  la  !  Tra  la  la  î 


42  MARGUERITE  MORUS 

MARGUERITE 

Ah  !  Poil  !...  Si  tu  donnes  le  mauvais  exemple  I 

POLL 

Eh  bien  !  je  serai  punie  !...  Je  l'aurai  bien  mê'- 
rite  ! 

MARGUERITE 

Nous  commencerons  par  un  peu  de  philosophie 
à  votre  usage,  et  puis  nous  passerons  à  la  mu- 
sique !...  Voyons,  Cécily  !...  Qui  est-ce  qui  a  créé 
l'homme  ? 

CÉCILY 

C'est  Dieu  ! 

POLL 

Très  bien  !  Est-elle  futée,  cette  petite  ? 

MARGUERITE 

Tu  es  sûre  que  l'homme  ne  s'est  pas  fait  lui- 
même  ? 

CÉCILY 

Oui. 

MARGUERITE,   avcc  ironie. 

Ne  penses-lu  pas  qu'il  y  a  de  temps  en  temps 
quelques  grands  personnages,  qui  peuvent,  par 
exemple,  organiser  une  tête  qui  sache  faire  i\G.s 
mathématiques,  de  la  musique,  des  vers  ?  [Cécily 
fait  continiiellemeiit  des  signes  négatifs.) 

POLL 

Ça  serait  très  commode,  si  on  pouvait  avoir 
comme  ça,  dans  son  cabinet,  des  têtes  pensantes 
rangées  sur  des  planches,  comme  des  cruches  et 
des  pots  de  terre  î 

MARGUERITE,  riant. 
Tu  es  philosophe,  toi  aussi  { 


ACTE  rr.  —  SCÈNE  IV.  43 

rOLL 

Et  si  on  pouvait  les  cliang"er,  les  têtes  !...  tro- 
quer les  mauvaises  contre  des  bonnes  !...  C'est 
moi  qui  en  demanderais  une  belle,  tout  de  suite  ! 

MARGUERITE 

VoiU\,  en  effet,  les  raisonnements  absurdes  dans 
lesquels  on  tombe  infailliblement,  lorsqu'on  ose 
nier  l'existence  de  Dieu  !...  Dieu  !  mais  il  est  tout 
pour  nous  :  notre  créateur  et  notre  père  !  II  est  la 
bonté,  la  beauté  même  ! 

BETTY 

La  bonté?...  C'est  comme  est  notre  père? 

MARGUERITE 

Oui,  chère  Betty  ! 

POLL 

Et  la  beauté,  qu'est-ce  donc  ?  (A  part.)  Il  faut 
la  faire  jaser,  elle  parle  si  bien  ! 

MARGUERITE,    inspirée,    se    levant. 

La  beauté  !  mais  c'est  une  chose  que  notre  âme 
ck)it  aimer,  sitôt  qu'elle  la  reconnaît,  soit  dans 
sa  source  et  dans  sa  plénitude,  qui  est  Dieu, 
soit  dans  la  nature  !  La  beauté  !...  mais  c'est  ce 
bel  animal,  plein  de  force  et  d'ag-ilité,  dont  la 
course  semble  à  peine  effleurer  l'herbe  des  prés  et 
dont  îa  robe  luisante  laisse  compter  les  veines  et 
admirer  les  formes  souples;  ou  bien  c'est  la  plante 
riche  de  fleurs,  l'arbre  surchargé  de  fruits,  les 
oiseaux  nuancés  de  mille  couleurs,  le  ciel  pur  de 
l'été,  les  étoiles  de  la  nuit  !...  La  beauté  !...  nous 
la  sentons  sans  pouvoir  la  décrire;  nous  l'aimons 
comme  on  aime  la  lumière  ! 

POLL,  transportée. 

Oh  !  chère  demoiselle  !,.,   Non  !  quand  je  vous 


44  MARGUERITE    MORUS 

entends  parler  ainsi,  c'est  plus  fort  que  moi,  il  faut 
que  je  pleure  !  {Elle  essuie  une  larme.) 

iif  MARGUERITE,    souriant. 

Comment  !...  Tu  nous  déranges,  tu  fais  des  ré- 
flexions tout  haut,  et  si  je  me  mets  à  parler,  tu 
pleures  !...  Je  ne  te  permettrai  plus  d'assister  à 
la  leçon  ! 

POLL,  très  émue. 

Oh  !  non  !  pas  ça  !...  Mais  comment  faites- vous 
pour  parler  ainsi?...  Est-ce  parce  que  vous  savez  ' 
lire? 

MARGUERITE,  pensive. 

C'est  surtout,  parce  que  je  ressemble  à  mon 
père  !,..  Tout  ce  que  j'ai  de  bon  en  moi,  c'est  lui 
qui  me  l'a  donné  ! 

POLL 

Et  aimante  avec  ça  !...  Non  !  mais  c'est  un 
ange  !...   Mademoiselle  !...  je  voudrais... 

MARGUERITE 

Quoi? 

POLL 

Vous...  vous  embrasser,  vous  embrasser  ! 

MARGUERITE 

Volontiers  ! 

POLL,    l'embrassant. 

Ah  !  ah  !...  Non  !  mais  quel  ange  !...  quel  ang'e 
du  bon  Dieu  ! 

BETTY 

Moi  aussi,  je  veux  t'embrasser  ! 

CÉCILY 

Moi  aussi,  moi  aussi  !  [Elle$  embrassent  M^r^ 
guérite,) 


ACTE    tf.    —    SCÈNE    IV 


45 


BETTY 

Maintenant,  au  tour  de  la  musique  ! 

MARGUERITE 

C'est  cela  !...   Récite-moi  la  g-amme  ! 

BETTY 

Non  î...  Pas  cela  !...  Chanter  I 


MARGUERITE 


Mais,  je... 


BETTY 

Si,  ie  t'en  prie  !...  Quelque  chose  de  triste  ! 

MARGUERITE,    petïsive. 

Quelque  chose  de  triste  !...  Aujourd'hui  !...  Ah  ! 
je  n'ai  pas  le  courage  de  refuser  !...  Soit,  mes  mi- 
gnonnes, chantez  ! 


L*  TOURTERELLE  ET  L'ÉPÊRVIER 

Chant  populaire.  —  Paroles  de  Sainte  Ursule 


Pourquoi  vo  -1er  vers  l'an  -  bé  -  pi  -  ne,  Ti-mldeoiseau.le 


^ëâi^l^^g^P 


Pourquoi  vo  -  1er  vers  l'au-  bô  -  pi  -  ne,  Ti-inideoiseau,iô 


4«- 


MARGUERITE    MORUS 


jour  fl  -  nit;      Ne    res  -  Ce    pas    sur    la      col  -  li  -  ne,Croi3 


n 


± 


ÏEfcE 


i=n± 


aHa:-eS^Ë5Ei*i*E?_^ 


jour  fi  -  nit;     Ne    res  -  le    pas    sur    la     col  -  li  -ne,Cro;s 


moi,re  tourne  dans  ton    nid.       Re  viens,ôtour-te-rel-le,  Sur  le, 


-?F1 


y-- 


-JJ. L-|i_^ g 0-AM. g 0 ^_J 


moi,  re-lour-ue  dans  Ion    nid.       Re  viens.ôlour-te-rel-le,  Surle 


{toil  de  la  tou    rcl-le,  L'épi^r-vier  te     suit,  Reviens  a -vanl  la 


^w^^^^^^^ 


toilde  la  tou -rel-lc,  L'é-per-vier  te   suit,  Reviens  a -vanl  U 


:r^ii 


nuit. 


;BE±ii 


TÉ 


QUiU 


Un  Jour  par  lui  tu  fus  surprise 
Et  près  de  moi  tu  vins  déjà  ; 
Ma  main  saisit  ton  aile  grise 
Et  mon  regard  te  protégea. 
Reviens,  etc.. 


Acte  ii.  —  scème  V.  4? 

Dans  les  buissons  tu  vas  peui-étre 
Cherclier  bien  loin  un  grain  de  mil, 
Mais  viens  au  bord  de  ma  fenêtre, 
Tu  le  trouveras  sans  péril. 
Reviens,  etc. 

MARGUERITE,   à  part. 

N^ous  aussi,  nous  sommes  des  tourterelles,  et 
l'épervier  qui  nous  guette,  c'est  le  roi  ! 

BETTY 

Qu'as-tu  ? 

MARGUERITE 

/    Rien  !  rien  !...  Seulement,  il  ne  faudra  pas  chan- 
ter cela  à  votre  père  aujourd'hui,  parce  que... 

SCÈNE  V 

LES  MÊMES,   PLUS  LADY  ESTON,   OLIVIA. 

LADY  ESTON,  entrant  en  coup  de  vent. 

C'est  extraordinaire  !...  Nous  ne  l'avons  pas 
trouvé  !  Il  n'est  ni  dans  sa  chambre,  ni  dans  les 
jardins  ! 

MARGUERITE,  soiirîant  avec  Olivia. 
Je  le  conçois  !...  Il  est  là  !  (Montrant  la  porte.) 

LADY  ESTON,   à   Olivia. 
Pourquoi  ne  l'avoir  pas  dit  plus  tôt  ? 

OLIVIA 

Mais,  Madame  !...  vous  couriez...  si  vite,  et, 
you.s  parliez  tout  Le  temi»s...  §t  si  vite! 


48  AÎARGUERÎTE   MORÛS 

LADY    ESTON 

S'il  est  là,  je  vais...  {Elle  fait  un  pas  vers  la 
porte.) 

MARGUERITE,    s'interposatit. 

De  grâce,  il  ne  souffre  pas  qu'on  le  dérange  !... 
Vous  savez  que  moi  seule,  je  peux  entrer  !... 

LADY    ESTON 

Eh  bien  !  frappez  ! 

MARGUERITE 

Oui  !  laissez-moi  faire  !...  (Elle  va  lentement  à 
la  porte,  et  frappe  discrètemetit;  on  ne  répond 
pas.) 

LADY    ESTON 

Plus  fort  ! 

MARGUERITE,  après  avoir  frappé  plus  fort. 

C'est  étrange  !...  D'habitude,  il  me  reconnaît; 
il  me  dit  :  «  Entrez  !  » 

OLIVIA 

Il  est  absorbé,  sans  doute  ! 

MARGUERITE 

Hélas  ! 

LADY    ESTON 

Frappez  encore  ! 

MARGUERITE,  o^rès  avoir  frappé  une  troisième  fois, 
sans  obtenir  de  réponse. 
Mon  père  !  C'est  moi,  Marguerite  !...  {Un  si- 
leyice.)  Pas  de  réponse!...  {Se  troublant.)  Mon 
Dieu  !  est-ce  qu'il...  Oh  !  non  !  c'est  impossible  !... 
\Elle  frappe  à  coups  redoublés,  sans  rien  entendre.)i 
^ien  !  rien!...  Mon  Dieu!  Quelle  angoisse  I 


ACTE  II.  —  SCÈNE  V.  40 


LADY  ESTON 

Eh  bien  !  ouvrez  ! 

MARGUERITE,    défaillante. 
Oh  !...  Je  n'ose  pas  maintenant  !  {Elle  recule.) 

LADY    ESTON 

Alors,  j'y  vais  ! 

MARGUERITE,'  revenant  à  la  porte 

Non  !  non  !...  Laissez,  je  vais...  je  vais  ouvrir  ! 
{Elle  pousse  brusquement  la  porte  et  pousse  un  cri 
rauque.)   Ah  !  personne  ! 

TOUTES,    s'approchent. 
Personne  !  personne  ! 

MARGUERITE 

Personne!...  Mon  Dieu!  mais  oi!i  est-il?...  Je 
veux  voir  !...  {Elle  entre  précipitamment  dans  la 
pièce  voisine;  tout  à  coup  on  l'entend  crier  : 
K  Parti  !  il  est  parti  !  »  ;  elle  sanglote  bruyam- 
ment.) 

POLL,  allant  à  son  secours  dans  la  coidisscti 
Mademoiselle  ! 

LADY    ESTON 

Sans  nou5t  dire  adieu  ! 

BETTY,  cÉciLY,  commençant  à  pleurer. 
Notre  pure  est  parti  ! 

OLIVIA,  les  recevant  dans  ses  bras. 
■  Chères   petites,    chères   mig-nonnas  ! 


50  MARGUERITE   MORLS 


MARGUERITE,  rentrant,  soutenue  par  Poil,  une  lettre 
à  la  main. 

Cette  lettre...  que  j'ai  trouvée...  nous  explique 
tout  ! 

LADY    ESTON 

Lisez  vite  ! 

MARGUERITE,  Usant,   la  voix   entrecoupée 
de  sanglots. 

K  Ma  chère  femme,  mes  chères  filles,  ma  chère 
«  Marguerite  !...  {Elle  s'arrête.)  Je  n'ai  pas.  voulu 
«  vous  imposer  les  douleurs  de  la  séparation;  je 
«  suis  parti,  mais  je  reviendrai  si  Dieu  et  le  roi 
«  le  permettent  !»  —  {A  part.)  Si  le  roi  le  per- 
met... Ah  !  il  ne  reviendra  pas  !  [{Elle  pleure.) 

roLL 

Voyons  !  Madge  !  ma  petite  Madge  !...  Faites- 
vous  une  raison  ! 

MARGUERITE,   CXaltée. 

Non  !...  je  le  connais,  ce  tyran  !  je  les  connais, 
ces  bourreaux  !...  Ils  le  tueront,  ils  le  tueront, 
vous  dis- je  ! 

EETTV,     CÉCILV,     désolécS. 

Tuer  !...  luer  notre  père  !...   Oh  ! 

LADY    ESTON 

II  faut  aviser  ! 

MARGUERITE 

Que  faire  contre  ces  tigres  acharnés  h.  sa  perte  ? 
Il  n'3'  n  plus  d'espoir  !...  (Se  ravisant  soudain.) 
Ah  !  si...  Il  y  a  encore  un  moyen  !...  Oui  !  je 
veux...  je  vais  partir  ! 


ACTE    îi.    —    SCENE    V.  h\ 

POLL 

C'est  insensé  ! 

BETTV,  ciiCiLv,  s'accrocliant  à  elle. 
Non  !  ne  pars  pas  !...   Reste  !  reste  ! 

LADY    ESTON 

Marg-ucrite  !...    Devant   ces   enfants  ! 

MARGUERITE,  5e  reprenant. 

Ah  !  c'est  vrai  !...  {S'efforçant  de  sourire.)  Oui  ! 
oui  !  je  reste,  mes  chéries  !...  Je  vais  bien  vous 
aimer  maintenant,  puisque  je  n'aurai  plus  que 
vous  !...  Je  reste;  c'était  pour  rire  !...  Tout  ça, 
c'était  pour  rire  !...  \'ous  voyez,  je  ris,  je  ris  ! 
{Elle  s'efforce  de  rire  aux  éclats.) 

BETTY,     CÉCILE,     joyCUSCS. 

Ah  !...  c'était  pour  rire  !  {Elles   rient.) 

MARGUERITE,  à  lady  Eston. 
Emmenez-les,  Madame,  je  vous  en  prie  . 

LADV    ESTON 

Venez  !  venez  I  {Elle  sort  arec  les  sœurs  de 
Marguerite.) 

MARGUERITE 

Poil  !  Apporte-moi  mon  manteau  ! 

POLL 

Comment  !  ce  n'e^l  pas  possible  ! 

RLVRGUERITE 

Allons,   Poil  !...    Obéis  pour   une   fois  ! 


5?  MARGUERITE   MORUS 

POLL,    sortant,  navrée» 
Pauvre  demoiselle  !... 


SCÈNE  VI 
MARGUERITE,   OLIVIA 

OLIVIA 

Chère,  chère  amie,  que  te  dire  en  un  pareil 
moment  ? 

MARGUERITE,  assise,  l'amenant  contre  elle. 

Eh  bien  !  dis,  dis-moi  que  tu  es  mon  amie,  la 
meilleure,  la  plus  fidèle  !..  Non  pas  seulement  celle 
qui  sait  rire  ou  chanter,  l'amie  des  jours  heureux  ! 
Dis-moi  que  tu  es  l'amie... 

OLIVIA,  émue. 

Oui  !...  je  suis  aussi  l'amie  des  mauvais  jours  ! 
{Elle  l'embrasse  sur  le  front.) 

MARGUERITE 

Merci  !...  je  suis  plus  forte  maintenant! 

[Allant  à  la  porte  de  droite.)  Parti  !...  et  moi, 
qui  le  croyais  là,  qui  pensais  que  j'allais  pouvoir 
lui  parler,  lui  demander  avant  qu'il  s'en  aille 
quelque  chose,  un  souvenir  de  sa  personne  bien 
aimée  !...  Un  souvenir  !  Peut-être  trouverai-je... 
(Elle  entre  dans  la  pièce  voisine.) 

OLIVIA,   de  la  scène. 
Que  cherches-tu  ? 


ACTE  II.   —  sci^xp:  VI.  53 


MARGUERITE,  rciiti-ant  avec  quelques  papiers 
en  mains. 

Reg'arde  !  j'ai  trouve  ceci  !  Ce  sont  des  notes 
écrites  de  sa  main,  tout  récemment.  L'encre  est 
fraîche  encore,  cette  nuit  même... 

OLIVIA,  regardant. 
C'est  vrai  ! 

MARGUERITE 

Je  peux  lire,  n'est-ce  pas  ?...  Je  le  fais  avec  tant 
de  respect  !...  Et  puis,  il  me  semble  que  je  vais 
apprendre  là,  quelque  chose...  Voyons  !  {Elle  feuil- 
lette les  notes  et  s'arrêtant  tout  à  coup  sur  l'une 
d'elles  et  lisant.)  «  Mon  Dieu  !  Aidez-moi  !  Animez- 
«  moi  du  souffle  de  votre  force,  parce  que  je  suis 
«  l'ouvrag-e  de  vos  mains  !  Secourez-mqi,  car 
«  l'affliction  est  tombée  sur  moi  et  j'en  suis  acca- 
«  blé  !  »  —  (Parlant.)  Une  dernière  prière  de  lui. 
Oh  !  c'est  un  homme  de  foi  !...  Et  plus  loin  ! 
(Lisant.)  «  Ils  dorment  tous  !  je  les  ai  consolés, 
«  ils  n'ont  pu  croire  que  Cromwell  apportait  l'ar- 
ec rêt  de  mort  de  leur  père.  »  —  (Parlant.)  Oh  ! 
j'étais  sûre,  j'étais  bien  sûre  que  c'était  pour  ça  !... 
—  (Lisant.)  «  Il  est  certain  que  ma  perte  est  réso- 
«  lue,  que  le  courroux  du  roi  est  ma  mort  !... 
«  Demain,  à  l'aurore,  je  partirai  pour  me  rendre 
«  à  la  Tour  !  Adieu  maison  bénie  où  j'ai  été  si 
'a  heureux  !  Adieu  chère  femme  !  chers  enfants  !... 
e  Et  Marguerite  !  cette  fleur  que  Dieu  m'a  donnée, 
«  l'âme  de  mon  âme  !...  Marguerite  !  que  j'ai  tant 
«  aimée  !  Ah  !  elle  pleurera  sur  moi  !...  Adieu  ! 
'  «  Marguerite  !  adieu  !  adieu  !  »  —  (Elle  cesse 
de  lire  et  éclate  en  sanglots.)  Oui  !  je  l'ai  entendu 
tout  à  l'heure  :  Marguerite,  adieu  !  disait-il;  et  je 
suis  restée  là,  et  mon  cœur  ne  m'a  pas  dit  qu'il 
s'éloignait  de  moi,  peut-être  pour  toujours  !,..  Ah  ! 


54  MARGUERITE   MORIslS 


Olivia  !  {F^xaltée.)  Ces  notes  disent  la  vérité;  c'est 
sa  mort,  c'est  sa  mort  qu'ils  veulent  !...  Ah  !  père, 
père  bien  aimé,  je  sais  maintenant  que  bientôt,  je 
ne  te  verrai  plus  !...  que  je  n'entendrai  plus  ta 
voix...  que  je  resterai  seule  sur  cette  terre  !... 

OLIVIA 

Marguerite  !  Marguerite  ! 

MARGUERITE,    CXaltêe. 

Eh  bien  !  non  !  cela  ne  sera  pas  !...  On  m'a 
dit  souvent  que  j'avais  le  caractère  d'un  homme, 
voici  le  moment  de  le  montrer  !...  Il  ne  sera  pas 
dit  que  je  n'aurai  pas  tout  tenté  pour  l'arracher 
à  son  sort,  tout,  tout;  entends-tu,  Olivia?...  J^ 
vais  partir  pour  Londres. 

OLIVIA 

C'est  décidé  !...   Alors,  je  t'accompagne  ! 

MARGUERITE 

Non  !. ..  reste,  toi  !...  Tu  as  une  mère,  des 
sœurs  qui  sont  heureuses  I 

OLIVIA 

Elles  n'ont  donc  pas  besoin  de  moi,  pour  l'ins- 
tant !...  Toi,  chère  Madge,  toi,  tu  es  dans  la 
peine  aujourd'hui;  n'est-il  pas  naturel  que  je  t'ac- 
Oômpagne  ! 

MARGUERITE 

Merci  !  C'est  dans  l'adversité  qu'on  reconnaît 
la  sincère  amitié  ! 

POLL,  entrant,  tremblante. 

Voici  votre  manteau,  Mademoiselle  !...  Alors, 
vous  partez  ? 


ACTE    II.    —    SCÈNE    VI.  55 


MARGUERITE 

Oui. 

POLL 

Et...  et  qui  gardera  vos  sœurs,  qui  gardera  la 
maison  ? 

MARGUERITE 

Mais  toi,  Poil  !...  Je  te  les  confie  !  Adieu  I 

POLL,   toute  émue. 

Adieu  !  Mademoiselle  !...  Hélas  !  fallait-il  que 
je  vive  assez  longtemps  pour  voir  le  malheur 
s'abattre  sur  cette  ma,5son  !...  Je  suis  vieille, 
Madge  !  —  C'est  ainsi  que  je  vous  appelais,  quand 
vous  étiez  petite  !...  Qui  sait  si  je  vous  reverrai? 

MARGUERITE,    V cmhrassant. 

Courage,  chère  Poil  !...  Tu  le  comprends;  il  faut 
que  je  parte,  pour  lui... 

POLL,   pleurant. 
Et  que  ferez-vous  donc  ? 

MARGUERITE 

Que  sais-je  ?  Je  me  mettrai  snr  son  passage; 
je  le  soutiendrai  de  ma  présence,  de  mes  regards  ! 

POLL 

Et  si  on  le  jette  en  prison  ? 

MARGUERITE 

Alors  !  je  m'y  ferai  jeter  avec  lui  !  Je  le  servirai 
de  mes  mains,  je  le  consolerai  ! 


56  MARGUERITE   MORUS 


rOLL 

Et  si...  s'ils  vont  jusqu'à...  le  condamner  à 
mort  ? 

MARGUERITE,   exaltée. 

Alors  !  alors  !...  Je  ne  sais  pas  ce  que...  Ah  ! 
si  !  si  !...  Je  le  forcerai  à  s'évader  !...  Je  le  sau- 
verai, te  dis-je  !...  Je  le  sauverai  !  je  le  sauverai  !, 

(Elle  sort  rapiàcment  avec  Olivia.) 


ACTE  TROISIEME 

Une  pièce  meublée  siniplement;  c'est  la  chambre 
de  la  femme  du  geôlier,  à  la  Tour  de  Londres. 
A  gauche,  une  couchette,  table  et  chaises;  au 
fond,  une  porte  ouvrant  sur  un  couloir  sombre. 


SCÈNE  I 
DAME  LAURA,  ÉVA 

DAME  LAURA,    aSSise. 

'  C'est  une  fin  misérable  pour  un  homme  qui  fut 
jadis  chancelier,  et  qui  était,  dit-on,  aussi  bon 
que  juste  ! 

ÉVA 

Vous  êtes  sûre  qu'il  a  été  condamné,  ma  mère  ? 

DAME   LAURA 

Aujourd'hui  même,  oui  !...  C'était  la  douzième 
fois  qu'on  le  traînait  jusqu'au  palais  de  Lambeth, 
pour  comparaître  devant  la  Cour  et  le  jury  I... 
Oh  I  ils  ont  été  impitoyables  ! 

ÉVA 

Et  la  peine  prononcée... 

DAME   LAURA 

Est  horrible  !...  Songe  qu'il  doit  être  traîné  sur 
une  claie  à  travers  les  rues  de  la  cité,  puis  pendu 
à  Tyburn  !  Son  corps  ensuite  sera  mis  en  lam- 
beaux et  sa  tête  exposée  dans  une  ca§"e  sur  le 
pont  de  Londres. 


58  MARGUERITE   MORUS 

ÉVA 

Quel  supplice  ! 

DAME    LAURA 

Il  est  possible  cependant  que  la  peine  soit  com- 
muée par  le  roi;  il  serait  simplement  décapité. 

ÉVA 

Avez-vous  pu  le  voir  lorsqu'il  est  revenu  à  la, 
Tour,  ce  soir  ? 

DAME   LAURA 

Oui  !  Sa  noble  figure  portait  l'empreinte  d'une 
résignation  sublime  !...  En  ce  moment,  il  dort' 
sans  doute  ! 

ÉVA 

C'est  vrai  !...  L'on  n'entend  plus  marcher  à) 
côté...  {Montrant  le  mur.)  Car  c'est  là,  si  je  ne. 
me  trompe  ?... 

DAME   LAURA 

Oui  !...  Sa  cellule  est  à  côté  de  cette  pièce  ! 

ÉVA 

Et  l'exécution... 

DAME   LAURA 

Elle  ne  peut  tarder  !  Demain,  si  le  roi  signe 
cette  nuit  l'arrêt  de  mort  ! 

ÉVA 

Demain  déjà  !...  C'est  affreux  !  Penser  qu'un 
homme  à  côté  de  nous  dort  là  de  son  dernier 
sommeil. 

DAME   LAURA 

Que  veux-tu  ?  Ce  sont  des  choses  si  fréquentes 
ici,  qu'on  finît  par  ne  même  plus  y  penser  lorsque, 
comme  moi,  on  est  l'épouse  du  geôlier  ! 


ACTE    lil.    —    ScftXE    I.  59 


ÉVA 

Ma  tiiL-re  !  écoutez  !...  On  entend  du  bruit,  main- 
tenant !  (Elle  montre  le  mur.) 

DAME    LAURA 

En  effet  !...  Quelqu'un  entre  dans  sa  cellule  ! 
(Ouvrant  la  porte  du  fond.)  Ce  bruit  de  voix  !... 
je  vais  voir.  {Elle  sort  un  moment.) 

ÉVA,  seule. 

L'on  dit  qu'il  a  une  fille  douce,  intelligente, 
dévouée  !...  Depuis  le  commencement  du  procès, 
elle  n'a  pas  quitté  Londres.  Chaque  fois  que  son 
père  a  traversé  la  cité,  pour  comparaître  devant 
la  Cour,  elle  s'est  trouvée  sur  son  chemin  !..,  Elle 
lui  souriait,  l'encourageait  du  regard  !...  Oh  !  je 
voudrais  bien  la  connaître,  je  voudrais  pou- 
voir faire  quelque  chose  pour  elle  !...  (.4  dame. 
Laura,  rentrant.)  Eh  bien  ? 

DAME   LAURA 

Eh  bien  !...  C'est  pour  demain,  à  l'aube  !...  Le 
gouverneur  de  la  Tour,  vient  de  lui  annoncer  que 
le  roi  lui  faisait  la  faveur  de  commuer  sa  peine 
en  celle  de  la  décapitation. 

ÉVA 

Et  qu'a  répondu  sir  Thomas  ? 

DAME    LAURA 

«  Je  suis  très  obligé  envers  Sa  Majesté,  a-t-il 
«  dit,  en  souriant;  mais,  je  souhaite  que  peu  de 
«  gens  aient  besoin  d'une  semblable  faveur  !...  » 
Puis,  il  s'est  étendu  à  nouveau  sur  son  grabat,  et 
s'est  remis  à  dormir. 


bO  MARGUERITE    MORUS 

ÉVA 

Et  cet  homme-là  ne  serait  pas  innocent  !... 

DAME   LAURA 

Paix  !  Silence  !...  Il  a  été  condamné  par  la  Cour 
et  par  le  roi  ! 

ÉVA,  exaltée. 

Ah  !  je  me  moque  du  roi  et  de  la  Cour  !...  jq 
ne  veux  écouter  que  mon  cœur,  que  ma  cons- 
cience, et  ils  me  disent  tous  deux  qu'il  est  inno- 
cent !.,.  Et  sa  fille,  on  dit  qu'il  a  une  fille  char- 
mante !  Ma  mère  !  ah  !  c'est  affreux  !  {Elle  pleure.) 

DAME    LAURA 

Nous  n'y  pouvons  rien  ! 

ÉVA 

Si!...  Prier!  nous  pouvons  au  moins  prier  J 
[Elle  s'agenouille  et  prie  en  silence.) 

DAME   LAURA 

Il  est  minuit  bientôt  !  {Elle  arrange  la  chamhrQ 
pour  la  nuit,  en  silence;  —  par  moments ,  on  en- 
tend  des  sanglots  de  femme,  dans  le  lointain. 
Dame  Laura  s'arrête.)  C'est  étrange  !...  on  di» 
rait... 

ÉVA,   se  levant. 

Qu'>   a-t-il? 

DAME    LAURA 

Écoute  !  On  dirait...  Mais  oui,  ae  sont  des  saA^ 
glots. 

ÉVA 

C'est  lui,  peut-être... 


ACTE   III.    —    SCÈNE   I.  61 

DAME    LAURA 

Non  !  non  !!..,  C'est  au  dehors  !...  {On  entend 
frapper  à  la  porte  de  la  prison.)  Quelqu'un  a  laissé 
retomber  sur  la  porte  le  marteau  de  bronze  !... 
Éva  va  voir  derrière  le  guichet  ! 

ÉVA 

Je  n'ose  pas  dans  ces  couloirs  sombres, 

DAME    LAURA 

Prends  cette  lanterne!...  Va,  va  donc!  {Éva 
sort  en  tremblant.)  C'est  quelque  mendiante,  sanst 
doute,  qui  se  sera  laissé  tomber  là  morte  de  fa-i 
tiofue.  Ah  !  si  l'on  devait  secourir  tous  les  pauvres 
gens  ! 

ÉVA,   rentrant. 

Ma  mère  !  Ce  sont  deux  jeunes  filles  enveloppées^ 
de  longs  manteaux;  l'une  d'elles  demande  du 
secours  pour  sa  compagne  qui  vient  de  s'évanouir. 

DAME   LAURA,    donnant  un  cordial. 
Ciel  !...    Porte-lui   cela  ! 

ÉVA 

Ma  mère;  il  fait  si  mauvais  au  dehors... 

DAME    LAURA 

Eh  bien  !  Fais-les  entrer  un  instant  ! 

ÉVA 

Merci  !  oh  !  merci  !...  Vous  êtes  bonne  !  {Elit* 
sort.) 

DAME    LAURA,    SCulc. 

Allons  !  Nous  ne  dormirons  point  cette  nuit;  il 
faut  en  prendre  son  parti  ! 


62  ÀtARGUERlïE   MORUS 

SCÈNE  II 
LES  MÊMES,   PLUS  MARGUERITE,   OLIVIA. 

ÉVA 

Entrez,  Mesdemoiselles  !...  Venez  vous  reposer  ! 

DAME    LAURA 

Mais  oui  !...  Asseyez- vous. 

OLIVIA 

Merci,  Madame  !...  C'est  pour  elle,  surtout» 
{Elle  montre  Marguerite.) 

DAME    LAURA 

Donnez-lui  un  peu  d'air. 

OLIVIA 

C'est  vrai.  {Elle  découvre  la  tête  de  Marguerite, 
qui  était  restée  voilée;  —  celle-ci  apparaît  pâle 
et  amaigrie.) 

ÉVA 

Pauvre,    pauvre    demoiselle  !    Comment    allez- 


MARGUERITE.  {Elle  porte  une  longue  robe  noire 
traînante  avec  aumonière,  une  toque  plate  en 
velours  avec  plume  ou  aigrette,  et  o.utour  du 
cou  une  chaîne  d'or  avec  médaillon,  se  détachant' 
sur  une  chemisette  de  batiste  plissée.) 

Merci  !...  mes  amies  !...  Je  vais  mieux  !...  J'a- 
vais froid...  et  je  souffre...  Oh  !  vous  ne  pouvez 
savoir  ! 


ACTE  ni.  —  SCÈNE  ir.  63 


OLIVIA 

iîélas  !  depuis  le  commencement  de  la  nuit  elle 
était  là,  sur  une  pierre,  près  de  la  porte  de  la 
Tour...,  et  pleurant,  pleurant  à  fendre  l'âme. 

DAME  LAURA,   à  Marguerite. 
Mais  pourquoi..,   pourquoi,  Mademoiselle? 

MARGCERITE 

Parce  que...  C'est  vrai!  Vous  ne  savez  pas! 
Parle,    parle,    Olivia  l 

OLIVIA 

C'est  que  son  père...  son  pauvre  père  est  pri- 
sonnier à  la  Tour  ! 

DAME  LAURA,  avcc  coiHpassion. 

Pauvre  filie  !...  (.4  Olivia.)  N'est-ce  pas  le  for- 
geron que  l'on  amena  il  y  a  dix  jours  !  Demain, 
il  sera  libre  ! 

ALVRGUERITE 

Hélas  !...  mon  père,  à  moi,  ne  sortira  d'ici  qu€ 
pour  aller  à  la  mort  ! 

DAAiE  LAURA,  avcc  éinotioTi. 
Quoi  !  serait-ce... 

ALVRGUERITE 

Oui  !...  Je  suis  sa  fille,  sa  pauvre  fille.  {Elle 
pleure.) 

ÉvA,  à  part. 

Dieu  !...  C'est  elle  ! 

DAME  LAURA,   à  part. 

Sa  fille,  liélas  !...  {Elle  essuie  une  larme  en  si- 
lence.) 


64  MARGUERITE   MORUS 

ÉVA,  s' agenouillant. 

Oh  !  chère  demoiselle  !.,.  Croyez  que  nous  som-^ 
mes  vos  servantes;  disposez  de  moi  comme  vousj 
l'entendrez. 

MARGUERITE 

Merci!...   Dites-moi,  où  est-il? 

ÉVA 

Sa  cellule  est  juste  à  côté  de  nous.  {Elle  montre 
le  mur.) 

MARGUERITE,  SB  levant  soudainement. 
Quoi  ?...  Juste  à  côté  ?  {Elle  reste  pensive.) 

ÉVA 

Oui  !  si  vous  voulez  passer  le  restant  de  la  nuit 
ici,  acceptez  notre  modeste  hospitalité!...  D'ici, 
vous  pourrez  l'entendre  marcher,  vous  pourrez 
presque  entendre  le  son  de  sa  voix  ! 

MARGUERITE 

Oh  !  que  vous  êtes  bonne  !  {A  dame  Laura.) 
Et  vous,  Madame,  vous  ne  dites  rien  ? 

ÉVA,  allant  à  sa  mère. 
Ma  mère  !  vous  n'allez  pas  refuser  ! 

DAME    LAURA,     bas. 

Et  si  le  gouverneur  apprend  que  la  fille  de  sir 
.Thomas  a  passé  la  nuit  ici  ! 

ÉVA,   bas. 
Ma  mère,  faites  cela  pour  moi  ! 


ACTE    Ht.    —    SCÈNE   II.  65 

OLIVIA 

Madame  !  Je  le  vois;  nous  vous  gênons  !...  Ah  ! 
mieux  vaut  nous  retirer.  {Elle  va  pour  sortir  avec 
Marguerite.) 

ÉVA,  suppliant. 

Ma  mère  !  ma  mère  ! 

DAME  LAURA,  après  tin  silence,  soudainement. 

Ah  !...  restez  !  restez  !...  Il  arrivera  ce  qu'il 
arrivera  !...  Et  puis,  gare  à  mon  mari,  s'il  s'avise 
de  me  gourmander  ! 


Oh  !  merci 


ÉVA 


DAME    LAURA 


Oui,  restez  !...  Vous  êtes  ici  chez  vous,  main- 
tenant !...  Et  moi  aussi,  vous  savez,  je  vous  suis 
toute  dévouée!...  Ah!  mais,  ie  ne  fais  pas  les 
choses  à  demi  ! 

MARGUERITE 

Il  y  a  donc  encore  des  cœurs  généreux  et 
compatissants  ici-bas  !...  Pourquoi  faut-il  qu'on 
ne  les  rencontre  que  chez  les  humbles  et  chez  les 
simples  ! 

DAME  LAURA,    maternelle. 

Voyons,    prenez  courage,   ma  fille  !...    Si   vous 
permettez  que  je  vous  appelle  ainsi  !  {Lui  prenant 
■  les  tnains.)  Comme  vous  avez  dû  souffrir  ! 

MARGUERITE 

Oui  !...  j'ai  beaucoup,  beaucoup  souffert  !...  Au- 
jourd'hui surtout  au  palais  de  Lambeth.  Oh  !  je 
me  tenais  à  peine,  quand,  avec  ma  com- 
pagne, ma  chère  Olivia,  j'ai  pu  pénétrer  dans  la 


MARGUERITE    MORU^ 


salle  d'audience  où  se  trouvait  mon  père  !...  Les 
(jurés  étaient  en  train  de  délibérer;  quelques  gardes 
j seuls  se  promenaient  dans  la  galerie  !...  Puis,  la 
iCour  est  rentrée,  solennelle  et  lugubre;  sir  Au- 
Jdley,  d'abord,  le  nouveau  chancelier;  puis  le  duc 
de  Fitz  James,  et  le  duc  de  Norfolk,  tous  deux 
d'anciens  amis  de  mon  père  devenus  ses  juges 
■impitoyables;  puis  le  terrible  Cromwell.  Et  ils  ont 
osé  le  déclarer  coupable  !...  Et  ils  ont  prononcé 
contre  lui  une  peine  si  terrible,  si  cruelle,  qu'en 
l'entendant,  je  me  suis  évanouie  ! 

OLIVIA,  montrant  Margucriîe. 

Alors,    je   l'ai   entraînée   au   dehors;   et   depuis 
nous  sommes  sans  nouvelles... 

DAME    LAURA 

Ah  !...    Eh   bien  !   cette   peine   horrible,   je   suis 
heureuse  de  vous  l'apprendre,  a  été  commuée... 

MARGUERITE,   anxlcuse. 
Commuée...    Et  remplacée  par... 

DAME    LAURA 

La  décapitation  ! 

MARGUERITE 

Oh  !...  Et  le  jour  de  l'exécution  !  Vous  ne  savez 
pas  ? 

DAME    LAURA 

Mais  c'est... 

ÉvA,  has  à  sa  mère. 
Oh  !  tais-toi  !  tais-toi  1 


ACTE    III.    —    SCÈNE   II.  6*? 

DAME    LAUKA 

Je  ne  sais  pas  !  je  ne  sais  pas  ! 

MAur.ri'RiTi:,    rcganîant   fixement. 
Si  !  vous  le  savez  !...   Dites-moi. 

DAME    LAUKA 

Non  î  je  ne  sais  rien  !...  Quelle  folie  de  se  faire 
des  idées  pareilles  !...  Reposez-vous  tranquillement 
cette  nuit  ! 

MARGUERITE 

Voyons  !...  Vous,  Éva  !...  L'exécution  est  pour 
quand  ? 

ÉVA,   pleurant. 

Mais  je  ne  sais  rien,  chère  demoiselle  !...  je  ne 
sais  rien  ! 

MARGUERITE,  frémissante. 

Vous  me  cachez  quelque  chose  !  C'est  mal  !... 
Croyez-vous  que  je  ne  suis  pas  assez  forte  pour 
entendre  la  vérité  !...  Voyons,  la  vérité,  la  vérité  I 

DAME    LAURA 

Hélas  !...  Ce  sera  bientôt,  c'est  probable  ! 

MARGUERITE 

x\h  !...  Je  vois,  je  devine  sur  votre  visag'e,  je 
lis  dans  vos  yeux...  {Après  un  silence,  subitement, 
les  yeux  hagards.)  C'est...  c'est  pour  demain, 
n'est-ce  pas  ? 

DAME    LAL'RA,    murmurant. 
Oui. 

MARGUERITE 

Pour  demain  !  demain  !...    Dans  fiuçlaues  hç-iJ* 


C8  MARGUERITE   RiORUS 

res  !...  Mon  Dieu  !  mon  Dieu  !  ayez  pitié  de  lui... 
et  de  moi  !  {Elle  tombe  anéantie.) 

OLIVIA 

Chère,   douce,  tendre  amie  ! 

MARGUERITE 

Tout  est  fini,  tout  est  donc  fini  !...  {Se  levant 
soudainement.)  Oh  !  cette  idée  qui  me  vient  !... 
Non,  il  ne  sera  pas  dit  que  je  n'aurai  pas  tout 
tenté  !  (^4  dame  Laura.)  Madame  !  Tout  à  l'heure, 
vous  avez  protesté  de  votre  dévouement. 

DAME    LAURA 

Oui,  c'est  dit,  c'est  dit  ! 

MARGUERITE 

Cependant,  si  je  vous  demandais... 

DAME    LAURA 

Tout  !  je  ferais  tout  pour  vous  ! 

MARGUERITE 

Quoi  !...  vous  consentiriez  même  à...  sauver, 
mon  père,  à  lui  ouvrir  les  portes  de  la  tour. 

DAME  LAURA,   interloquée. 

Ah  !...  ah  !...  je  n'avais  pas  prévu  cela...,  en 
effet! 

ÉVA 

Je  le  ferai,  moi,  je  le  ferai  1 

DAME    LAURA 

Mais,  je  ne  permets  point  I 


ACTE    III.     —    SCl-NF,    IT.  G9 


EVA 

Cela  est  évident  ! 

DAME    LAURA 

Mon  mari  dort  ! 

ÉVA 

C'est  encore  plus  facile;  pendant  son  sommeil, 
je  vais  moi-même  prendre  les  clefs  ! 

DAME    LAURA 

Ah  !  fais  ce  que  tu  voudras  ! 

MARGUERITE 

Oh  !  merci,   Madame  !...   j\iais  il  faut  que  mon 
père  soit  prévenu  !...  Comment  lui  faire  savoir?... 
Ah  !  un  billet  ! 

ÉVA 

C'est  cela,  que  je  vais  lui  remettre  !... 

MARGUERITE 

Oui  !  oh  !  que  vous  êtes  bonnes  !  {Elle  s'assied 
et  écrit.)  «  Mon  père  bien  aim.é;  ta  fille  Margue- 
«  rite  est  réfug'iée  dans  la  Tour  même,  dans  une 
«  chambre  à  côté  de  ta  cellule;  elle  a  pu  g"ag-ner 
«  à  ta  cause  des  amies  sûres.  Prends  un  man- 
«  teau  de  femme  qu'on  te  porte,  suis  celle  qui  te 
«  porte  ce  billet  et  qui  t'ouvrira  les  portes  de  la 
«  prison  !  Sitôt  au  dehors,  des  chevaux  nous 
«  conduiront  à  la  mer,  et  nous  nous  embarquerons 
«  pour  la  France  !...  (5c  levant  et  pliant  le  billet.) 
Mon  Dieu  !  c'est  mon  dernier  espoir;  faites  qu'il 
ne  soit  pas  déçu  !,.,  (-4  Eva,)  Va,  va  vite.  [Eva 
^ort,) 


70  MARGUERITE   MORUS 


DAME    LAURA 

Oh  !  Mademois'Clle  !...  C'est  bien  pour  vous  !... 
Il  m'en  cuira  dur,  c'est  certain  ! 

MARGUERITE 

Votre  mari... 

DAME    LAURA 

Oh  !  lui  ne  m'inquiète  pas  !...  wS'il  fait  mine  de 
gronder,  je  lui  fermerai  la  bouche  avec  des  argu- 
ments sans  réplique!...  Mais,  il  y  a  le  gouver- 
neur !...  Nous  perdrons  notre  place  pour  le  moins  ! 

MARGUERITE 

Alors,  si  mon  père  est  sauvé,  je  prendrai  soin 
de  vous  et  de  votre  famille;  vous  ne  regretterez 
pas  ce  que  vous  aurez  fait,  car  votre  fortune  et 
celle  de  tous  les  Aa'itres  sera  faite,  je  le  jure  ! 

DAME    LAURA 

Allons  que  Dieu  vous  aide  !...  Mais  voici  ma 
fille,   déjà  !  [Après  avoir  regardé  an  dehors.) 

MARGUERITE,  à  Éva  rentrant. 
Eh  bien  !  eh  bien  ! 

ÉVA,    désolée. 
Eh  bien  !...  il...  ne...  veut  pas  se  sauver  ! 

MARGUERITE,    pOUSSant   UTl   cri. 

Mon  Dieu  ! 

ÉVA 

Il  dit  qu'il  est  prêt  à  mourir  en  ce  moment, 
qu'au  surplus,  il  est  bien  heureux  d'offrir  sa  vie 
pour  la  foi  catholique  !...  Il  a  peur  qu'on  ne  nous 
découvre,  qu'on  ne  nous  punisse! 


ACTE  III,    —   SCÈNE  III.  71 

MARGUERITE,  Ic'S  yeiix  hagards. 

Cette  fois...  c'est  bien  fini  !...  J'avais  tort  d'a- 
voir espéré  un  moment  !...  Est-ce  qu'il  y  a  à  espé- 
rer jamais  pour  une  créature  aussi  infortunée  que 
moi  !...  Tout  est  fini  !...  Laissez-moi,  mes  amies, 
laissez-moi,  j'ai  besoin  d'être  seule  ! 

OLIVIA 

Prends  un  peu  de  repos  ! 

DAME    LAUUA 

Oui,  sur  ce  lit  !... 

MARGUERITE 

Laissez-moi,  je  vous  en  prie  ! 

OLIVIA 

Venez  !...  Nous  reviendrons  à  i'aube  ! 

{Toutes  sortent.) 

SCÈNE   III 

MARGUERITE,    seule. 

Allons  !..  je  vais  essayer  de  prendre  quelque 
repos  î...  si  je  puis  !  {Elle  s'étend  un  instant  sur 
le  Ut.)  Mon  Dieu  !  mon  Dieu  !  est-ce  que  je  pour- 
rais dormir  !  {Elle  éclate  en  sanglots.)  Qu'est- 
ce?...  Je  ne  me  trompe  pas;  on  dirait  qu'il  mar- 
che !  (5e  levant  tout  à  fait.)  Oui  !  il  s'est  réveillé; 
je  reconnais  son  pas  !...  Si  je  l'appelais,  il  ne 
m'entendrait  pas  sans  doute  !...  Ah  !  je  vais  chai> 
ter  un  air  qu'il  reconnaîtra,  c'est  sûr  ' 


72 


MARGUERITE   MORUS 


{Elle  se  met  à  cha7ïter  les  premières  paroles  d'une 
ballade  écossaise;  tout  à  coup,  on  entend  la  voix 
de  Morus,  qui  chante  lui  aussi,  et  continue  la 
ballade.  (Au  refrain.) 


M 


tt^-2-w- 


3 


pË33EÈS]5=f^a2=|i3ËÉfg 


Qu'ilssontcouitselcliar-maïUs  cesmonieulsde  la 
ci! y =4H^r. — ^iztvmfcr-^ — ~t  "  "   ' 


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*ziz-^J: 


t-\Ê—jr:z>r-*sz:!^ 


-i^_.^ — XH> 


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isLZ*: 


vl  -  e,      Où  tout  frois-sé  daassou  ea-vi  -  e,     L'eu-faulsefail  u- 


*■/- 


-^- 


-^=d'- 


JSl 


ne    doa-leur        D'un    oiseau      qui    sen-fuit,  d'un     li-las 
3  ,       .  3  3^ 3 


-:&.■ 


qui  se  meurt.  D'un  oi-  seau    qui  s'cu-fuit,   d'un  li  -  las      qui  se 

/»^  Con  simplie;zia. 


^P= 


r^- 


cieurl!  Lé-gci'snu-a    -  ges    Des  premiers  à    -  ges, 

ten. 


-^~ 


Z—:\-. 


lé-gersnu-a    •    ges    Des  jours  se -reins, 


5^ 


rfl_r^_...^z: 


3îÉEÎE^È=5zlp=t: 


Lé  -  gers  nu  - 

=?3 


jes  des  premiers  â  -  ges,         Ahl       restez,  rcs-lez 


j^  •  m  otia-griui, 


ACTE  Iir.    —   SCÈNE   III.  73 


II  me  répond  !...  Nous  pouvons  nous  répon- 
dre !...  Mais  comment,  comment  lui  parler?  En- 
tendre sa  voix  une  dernière  fois,  converser  avec 
lui  !...  Oh  !  ce  serait  si  doux  ! 

(.4  Éva  qui  a  entendu  du  hruit  et  qui  se  présente 
inquiète.)  Éva  !  Éva  !  j'entends  mon  père;  n'y 
a-t-il  pas   un  moyen   de  communiquer  avec  lui  ?. 


ÉVA 


Si  !  peut-être  !  Pourvu  que  je 
d'un  guichet  secret  que  j'ai  c< 


retrouve  les  traces 
connu  autrefois  ! 


MARGUERITE 

Entendre  sa  voix  une  dernière  fois,   converser 

avec  lui...  Oh  !  ce  serait  si  doux  ! 

{Pcnâant  ce  temps,  Éva  cherche  contre  la  muraille 
et  finit  par  enlever  une  petite  partie  de  cloison 
derrière  laquelle  se  trouve  une  petite  grille  très 
serrée  et  aussitôt  on  entend  clairement  la  voix 
de  Thomas  Morus.  Éva  sort  aussitôt.) 

THOMAS    MORUS 

Marguerite  î 

MARGUERITE,    jOyeUSC. 

Mon   père  !...    Oh  !   je   puis   vous   parler,    mon 
père,  vous  pouvez  m'entendre. 

THOMAS   MORUS 

Oui,  ma  fille,  bien  aimée  ! 

MARGUERITE 

Votre  résolution  est  donc  définitive  ?  Vous  n^î 
ypuîez  pas  fuir  ? 


MARGUERITE  MORUS 


THOMAS  MORUS 

Non  !  Car  Dieu  m'appelle  ! 

MARGUERITE 

Et  votre  fille,  votre  pauvre  fille. 

THOMAS    MORUS 

De  là-haut,  je  veillerai  sur  toi  ;  rien  ne  peut 
séparer  deux  cœurs  qui  s'aiment,  pas  même  la 
mort  ! 

MARGUERITE 

Oui,  je  le  crois  !  je  le  crois  !...  Mon  père,  pla- 
cez-vous de  manière  que  je  puisse  voir  votre  vi- 
sagfe  bien-aimé.  {Après  un  silence.)  Oui  !  c'est  cela 
ainsi  !  [Regardant  à  travers  la  grille.)  C'est  bien  là 
votre  front  si  noble;  voilà  bien  vos  yeux  que  j'ai- 
mais tant  !...  Oh  !  ne  pourrais-je  vous  embrasser 
avant  de  mourir  ! 

THOMAS    MORUS 

Ma  fille  !  je  l'espère  !...  Ce  sera  tout  à  l'heure, 
car  voici  l'aube. 

IMARGUERITE,  effarée,  à  part. 

Oui  !  oui  !...  Voici  l'aube...  de  ce  jour  qui,  pour 
lui,  sera  le  dernier  !  O  nuit,  pourquoi  disparais- 
tu  ?  O  soleil,   pourquoi  te  lc\es-tu  déjà  ? 

THOMAS   MOKUS 

On  va  venir  me  chercher  tout  à  l'heure;  mais 
cette  nuit,  j'ai  écrit  une  dernière  lettre  pour  toi. 
ma  fille  ! 

MARGUERITE,  s' approchant. 

Donnez-la-moi,  mon  père  !  {Elle  la  saisit  à  trci- 
•^ers  le  grillage.)  Je  vais  la  lire, 


ACTE    ni.    -—    SCÈNE   III.  75 


THOMAS    MORUS 

Non  !  le  temps  presse  !  Mieux  vaut  prier;  tu  me 
répondras.  {Marguerite  s'agoioiiille,  les  yeux  au 
ciel.) 

THOMAS    MORUS 

Je  remets  mon  âme  entre  vos  mains  I 

MARGUERITE 

Mon  Dieu  !  mon   Dieu  ! 

THOMAS    MORUS 

O  Christ  !  O  Sauveur  ! 

MARGUERITE 

Ayez  pitié  de  nous  ! 

THOMAS    MORUS 

o  Vierge  sainte  ! 

MARGUERITE 

Priez  pour  nous  ! 

THOMAS   MORUS 

Saints,   Saintes  du  Paradis  ! 

MARGUERITE 

Priez,  priez  pour  nous,  {Se  relevant.)  Du  bruit  ! 
On  vient  le  chercher  !  Mon  père  ! 

THOMAS  MORUS  {Voix  souide.) 
A   Dieu  !   Marg^uerite  ! 

MARGUERITE,     à    part. 

Qh  !  cetts  lettre  !.,.  ]e  veux  voir,  je  veux  la  lire 


MARGUERITE   MORUS 


sans  plus  attendre,  car  ce  sont  ses  dernières  pen- 
sées. {Elle  déplie  la  lettre  et  lit  à  haute  voix,  Zen- 
tement.) 

«  Ma  chère  fille, 

«  Le  moment  est  venu  de  nous  séparer,  nous 
a  qui  avions  toujours  vécu  si  unis,  formant  un 
«  seul  cœur,  une  seule  âme.  Merci,  ma  douce 
«  amie,  de  m'avoir  soutenu  et  aimé  comme  tu  l'as 
«  fait.  Après  ma  mort,  je  ne  te  quitterai  pas;  car 
«  mon  âme  sera  toujours  près  de  la  tienne,  tu 
«  pourras  la  reconnaître  !  S'il  est  une  chose  qui 
«  m.e  console,  c'est  que  je  meurs  pour  la  foi  ca- 
«  tholique,  développement  et  perfectionnement  de 
«  la  loi  naturelle,  la  seule,  à  mon  avis,  qui  puisse 
«  soutenir  une  société  sur  des  bases  solides,  puis- 
«  qu'elle  enseigne  une  si  haute  morale,  et  qu'elle 
«  seule  peut  entraver  l'ég-oïsme  si  naturel  à 
«  l'homme,  et  si  contraire  aux   sociétés  ! 

«  A  Dieu,  ma  chère  fille,  ou  plutôt  au  revoir; 
K  car  je  te  reverrai  un  jour,  je  te  serrerai  contre 
«  mon  sein  en  présence  de  Dieu  même  !  «  Je  ver- 
«  rai  mon  Dieu,  disait  Job,  et  je  sais  que  je  res- 
te susciterai   au   dernier  jour  !    » 

«   Je  t'embrasse  et  je   te   bénis  ! 

«  Ton  père,  Thomas  Morus.  » 

MARGUERITE 

C'est  un  précieux  testament  qui  ne  me  quittera 
Jamais  plus  :  je  veux  le  mettre  sur  mon  cœur  î 
(Elle  l'embrasse  et  le  met  sur  son  cœur.) 

SCÈNE    IV 

MARGUERITE.  OLIVIA,  DAME  LAURA, 
ÉVA,  POLL, 

OLIVIA,  entrant. 
Courage,  chère  amie  !„,  Voie»  l'heure  \ 


ACTE   Iir.    -=•    SCÈNE    IV. 


MARGUERITE 

Quand  tout  est  perdu,  c'est  la  seule  chose  qui 
nous  reste,  le  courage  !...  Oui  !  j'en  aurai  ! 

OLIVIA 

Écoute-moi  !...  Il  y  a  ici  quelqu'un  de  CheIsCa  ! 

MARGUERITE 

Qui  donc?...  Poil? 

OLIVIA 

Oui  !  elle  t'a  cherchée  toute  la  nuit, 

MARGUERITE 

Qu'elle  entre  !  qu'elle  entre  I 

OLIVIA 

Venez  Poil  !  (Poil  entre  brusquement  s'arrête, 
puis  se  met  à  sangloter  sans  un  mot  dans  les  bras 
de  Marguerite  qui  l'embrasse.) 

POLL 

Je  -suis  venue...  je  voulais  vous  trouver,  vous 
consoler  !...  Je  ne  pouvais  pas  rester  là-bas  !... 
Et  j'arrive,  et  j'apprends  tout  ! 

MARGUERITE 

C'est  affreux,  n'est-ce  pas?...  Allons,  allons  Poil! 
ne  pleure  pas...  Est-ce  que  c'est  moi  qui  devrais 
te  donner  du  courage  ? 

POLL 

Les  petites  là-bas...  vous  font  dire  bien  des 
choses  et...  et...  pour  leur  père,  elles  ont  cueilli 
ce  bouquet  ! 


ÇS  Marguerite  morus 

MARGUERITE 

Chères  enfants  !...  chères  sœurs  !...  Je  vais  les 
lui  donner  !...  car  il  va  venir;  il  me  l'a  promis.  {A 
ce  moment,  on  entend  da)is  les  coidoirs  des  roule- 
ments de  tambours;  poidant  que  la  grosse  cloche 
de  la  Tour  sonne  lentement.)  Voici  le  moment, 
sans  doute  !...  {Elle  est  prête  à  s'évanouir.)  Poil  ! 
soutiens-moi  ! 

DAME   LAURA,    entrant   précipitamment.    . 

Il  vient,  Mademoiselle  !,..  Mais  il  faut  que  vous 
ayez  du  courage  !...  S'il  vous  voyait  défaillir,  lui- 
même  perdrait  son  énergie  ! 

MARGUERITE,   sc  redressant. 
C'est  bien,  j'en  aurai  ! 

ÉVA,  entrant,  toute  émue. 
Mademoiselle  !,..  Voici,  voici  votre  père  1 


SCÈNE    V 

LES  MÊMES,  PLUS  THOMAS  MORUS.  {Il  ap- 
paraît pâle  mais  courageux,  tenant  une  croix 
de  bois  rouge  à  la  main  :  tous  s'agenouillent.) 

MORUS,   tendant  les  bras. 
Marguerite  ! 

MARGUERITE,  dans  les  bras  de  son  père. 
0)li  !  m©n  père. 

THOMAS   MORUS 

Ma  fille  !...  Je  vais  mourir;  .quand  tu  auras  en- 
tendu le  dernier  so*i  de  la  cloche,  j'aurai  rendu 
mon  âme  à  Dieu  ' 


Acte  m.  —  scène  v.  '/\) 


MARGUERITE 

Mon  père  !  je  veux  vous  suivre...  jusque  dans 
la  mort  ! 

THOMAS    MORUS 

Non,  Marguerite  !  Promets-moi  de  vivre  ! 

MARGUERITE 

Sans  vous  la  vie  ne  me  sera  plus  rien  1 

THOMAS   MORUS 

Si;  il  faut  vivre,  parce  que  Dieu  te  l'ordonne; 
parce  que  ton  père  t'en  supplie;  ton  père,  que  tu 
aimeras  et  respecteras  mort,  comme  tu  l'as  aimé 
et  respecté  vivant  ! 

Tu  vivras  pour  tes  deux  jeunes  sœurs... 

MARGUERITE,   pleurant. 

Mon  père  !  voici  ce  qu'elles  vous  ont  envoyé  de 
là-bas  !  Elles-mêmes  ont  cueilli  ce  bouquet.  [Elle 
donne  le  bouquet.) 

THOMAS    MORUS 

Ah  !  c'est  tout  le  souvenir  de  ma  maison  de 
Chelsea  qui  me  revient  avec  ces  fleurs  !  {Il  les 
embrasse.)  Eh  bien  !  Marguerite  ;  tu  remercieras 
mes  chères  filles;  et  tu  me  remplaceras  près 
d'elles.  {A  ce  moment,  on  entend  «n  roulement  de 
tambour.)  Ah  î  ceci  est  pour  m'indiquer  que  je 
dois  te  quitter.  {Embrassant  encore  sa  fille.)  Mar- 
guerite !  A  Dieu  !  A  Dieu  ! 

MARGUERITE,  défaillante. 
Mon  père  I 


80  MARGUERITE   MORtjS 


THOMAS   MORUS 

Tu  me  l'as  promis  !...  Courage  !  ma  fille  !... 
Je  te  bénis  !...  A  Dieu  !  {Il  sort  brusquement; 
Marguerite  tombe  anéantie  entre  les  bras  des 
personnes  qui  V entourent.  La  cloche  de  la  Tour 
se  met  à  tinter  de  nouveau  lentement;  on  entend 
des  murmures  venant  du  dehors  !) 

MARGUERITE,  Se  ranimant  au  son  de  la  cloche. 

Que  m'a-t-il  dit  ?  Quand  tu  auras  entendu  le 
dernier  son  de  cloche,  j'aurai  rendu  mon  âme  à 
Dieu  !...   Oh  !  écoutez,  la  cloche  sonne  toujours  ! 

OLIVIA 

Chère  amie  !  Ne  l'écoute  point  ! 

MARGUERITE,  exaltée. 
Si  !   écoutez  !  la   cloche  ! 

POLL 

Chère  Demoiselle  ! 

MARGUERITE,    exaliéC. 

Écoute   donc  t   La   cloche   sonne  ! 

DAME    LAURA 

Venez  !  quittez  cette  chambre  ! 

MARGUERITE 

Non  !  Écoutez  !  Écoutez  !  la  cloche  sonne  tou- 
jours !...    KUe    sonne    lentement,    elle    sonne    tou- 


Acte  iir.  —  scène  v.  8î 

jours  !...  Un  coup  !  deux  coups  !  trois  coups  !... 
{A  ce  moment,  comme  la  cloche  s'est  arrêtée,  une 
angoisse  terrible  se  peint  sur  ses  traits...) 

Ah  !  elle  ne  sonne  plus  !...  Mon  père...  mon 
père  est  mort  !... 

[Marguerite  tombe  à  genoux,  les  yeux  au  ciel; 
le  rideau  baisse  lentement.) 


FIM 


MiUCUEBITE    MORUS.  6 


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Les  Petits  Cailloux,  comédie  en  1  acte 1  00 

RENÉ  SOSTA 
La  Chanson  de  l'Oiselle,  comédie  en  2  actes,  av.  musique 

et  accompagnement 2    » 

MOURÛT 
Jeanne  d'Arc,  drame  en  5  actes  caec  musique     ...     1  00 

Marie  Antoinette,  drame  en  3  actes 1  00 

LEMEUNIER 

Sainte-Clotilde,  drame  en  3  actes 2    » 

GAMILLE  NORBERT 

Le  Pot  au-feu  d'Isabelle,  comédie  en  2  actes  .     .     .     .     1  00 

COMTE  DE    LARMANDIE 

La  Mort  d'Athalie,  scène  tragique 2    » 

Le  Mystère  de  la  Rédemption,  tétralogie  évangélique    3    » 

GIRARD 
La    Répétition    d'Athalie,    comédie    en   2  actes,    avec 

musique 1  00 

Les  Bohémiennes,  comédie  en  3  actes,  avec  musique,    l  60 
La  Fille  de  Jephté,  pièce  en  3  actes,  avec  musique.     .    1  60 

Sur  demande,  envoi  franco  du  Catalogue 

des  Comédies,  Drames,  Saynètes  et  Monologues 

POUR  Jeûnes  Gens  et  Jeunes  Filles 


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PIÈGES  POUR  JEUNES  FILLES 

Les  (taprioes   de    l'Infanle.    Opérette  en  2  actes,  par 

Ch.   Le   Roy-Villahs 2 

Ru»itaude    et     Citadine.     Opéi'ettc    en    1    acte,    par 

le  même 2 

La    Fronde    pour    rire.    Comédie    en    un    acte,    par 

le    même 2 

Lc«  Jar«liiiières    de    l'rianon.     Comédie  en    1   acte, 

p;ir    le   iiiême 2 

Les    Sabots    du    Diable     Mystère  de    Noël  en  1  acte, 

par  le  iiiêine 2 

Le  Ciiâteau    de   la   Alare-aux- Biches.  Comédie  en 

2  actes,  par  le  même 2 

Miss    Arabella    fait    ses    confitures.    Comédie    eu 

1  acte,  par  le  même 2 

Le  Trésor  d'Olivette.  Drame  en  1  acte,  parle  môme.       1 
Les    Chaussons    do    la    Duchesse    Anne.    Opéiette 

en  1  acte,  par  le  même 2 

La    Foire    de    Séville.    Opérette-bouffe   en    2    actes, 

par  le  même 2 

Son    Altesse    Prunette.    Opérette-boutfe   en  2  actes. 

pai    le  même 2 

Sainte    Cloiilde     Drame    en  3    actes,  par  Lemeunier.      2 
La    Chanson   de  l'Oiselle     comédie    en   2  actes,  avec 

musitjue  et   accaïufiagitement,  par  René  Sosta  ....     2 
La    Meunière  du   Moulin   Joli.    Opérette  en  2  actes, 

par  Antony  Mars S 

Rose     et     Blanche.     Opérette     en     2   actes,    par   le 

même 2 

Un    Conte    Bleu   Opérette    en   3    actes,   par   le  même.       S 
Les  Deux  Pigeons.  Comédie  en  2  actes  avec  musique 

^     des  couplets,  par  le  même , i 

La    Petite    Cendrillon.    Opérette    en   2   actes,  par  le 

même S 

Dolorès  d'Albe.    Drame  en  4  actes,  par  G.  de  Wailly      î 
La   Mort  d'Athalie,   sct'ne  tragique  par  le  comte  de 

Lahmandie S 

le     Petit    I\oël      Comédie   enfantine   en    1    acte,    avec 

musiqup   par  Lo'ise  Marguerite  d'Ksïhéelles.    ...       : 
Les     Petits     Cailloux.     Comédie    en    1    acte,   par   la 

même 

Le    Pot-au-feu  d'Isabelle.   Comédie  en  2  actes,   par 

Camille  Nurbkrt 

La  Fille  «le  Je|ihté.  Pi^ce   en   3    actes,    avec   chants 

et  musique,  par  Ciraud ' 

La    RéptSiition    d'Athalie.    Comédie    en  2  ndes,  avec 

chants  et  musique,  par  le  même 

f Envoi  franco  du  Catalogue  spécial) 

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?Q  .lohlfs  de   Sussex,    Alphonse 

2388  Marguerite  I-Iorus 

{^6M3 
1890