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// a été tiré de cet ouvrage
? j exemplaires numérotés sur papier de Hollande.
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JOYZEI
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OUVRAGES DU MÊME AUTEUR
: Trésor des Humbles (15' mille). (Mercure
de^ France ) 3 fr. jO
. Sagesse et la Destinée (i8 B mille). (Fas-
quelle, édii.) 3 fr. 50
, Vie des Abeilles (19» mille). (Fasquelle,
édil.) 3 fr. .50
)mna Vanna, pièce en 3 actes (20° mille).
(Fasqnelle, Mit.) 2 fr.
: Temple Enseveli (14' mille). (Fasquelie). 3 fr. 50
iéatbe. (Lacomblei, éditeur à Bruxelles,
Belgique.) 3 vol. à 3 lr. 50
Ornement lias Noces spirituelles, de Ruys-
brœck l'Admirable, traduit du lia ma u d
et précédé d'une Inlroducliou. (Lacom-
blez, édit.) 5 fr. »
es Disciples a Sais et les Fbagments de
Novalis, traduits de l'allemand et précédés
d'une Introduction. (Lacomblez, édit.). . 5 fr. »
irresChaudbs (poésies). (Lacomblez, édit.). 3 fr. »
LBUK de douze chansons. (Stock, édit.) , .' 10 fr. il
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MAURICE MAETERLINCK
JOYZELLE
PIÈCE EN CINQ ACTES
Représentée pour la première f va av théâtre du Gyn..
le Su mai 1903.
Librairie CHARPENTIER et FASQUELLE
EUGÈNE FUSQUEILE, ÉDITEUR
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A J.-J. SCHURMANN
Au Directeur qui accueillit Joyielle.
135382
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PERSONNAGES
MERLIN MM. Jean Kbmm.
LANGÉOR, Fil) de Merlin . , Albert Dabiiopit.
JOVZELLE M m "' Geotigette Leblah
ARIELLE, Génie de Merlin.
(Invisible ani autres per-
sonnages) Juliette Margsl.
La scène dins l'Ile de Merlin.
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ACTE PREMIER
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j^uy Google
JOYZELLE
ACTE PREMIER
Une galerie dans le palais de Merlin.
SCENE PREMIERE
MERLIN, ARIELLE
(Merlin prés d'Arielle endormie sur les marches d'un escalier
de marbre. — Il fait nuit.)
Tu dors, mon Arielle, toi ma force intérieure,
la puissance oubliée qui sommeille en toute âme,
j a ,tiz B dbvG00gle
et que seul, jusqu'ici, je réveille à mon gré...
Tu dors, ma petite fée docile et familière, et tes
cheveux épars comme une vapeur bleue, invi-
sibles aux hommes, se mêlent à la lune, aux
parfums de la nuit, aux rayons des étoiles, aux
roses qui s'elîeuillent, à l'azur qui l'inonde,
pour nous rappeler ainsi que rien ne nous sépare
de tout ce qui existe, et que notre pensée ne sait
pas où commence la lumière qu'elle espère, où
se termine l'ombre à laquelle elle échappe...
Tu dors profondément, et tandis que tu dors, je
perds toute ma science, et redeviens semblable à
mes aveugles frères qui ne savent pas encore
qu'il y a sur cette terre autant de dieux cachés
que de cœurs qui palpitent... Hélas! je suis pour
eux le génie qu'il faut fuir, le mauvais magi-
cien qui a fait alliance avec leurs ennemis... Ils
n'ont pas d'ennemis ; ils n'ont que des sujets qui
ne trouvent plus leur roi... Ils sont persuadés
que ma vertu secrète, à laquelle obéissent les
plantes et les astres, l'eau, la pierre et le feu,
et ù qui l'avenir dévoile par moments quelques
uns de ses traits; ils sont persuadés que cette
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ACTE PREMIER, SCÈNE I 5
vertu nouvelle, et pourtant si humaine, est
cachée dans des philtres, des paroles maudites,
des herbes infernales, des signes redoutables...
— Non, c'est en moi qu'elle est comme elle
réside en eux; c'est en toi qu'elle se trouve, ma
fragile Ârielle, qui te trouvais en moi... J'ai
fait deux ou trois pas plus hardis dans la nuit...
J'ai fait un peu plus tôt ce qu'ils feront plus
tard... Tout leur sera soumis quand ils auront
appris à ranimer enfin ta bonne volonté, comme
je l'ai ranimée... Mais j'aurais beau' leur dire
que tu sommeilles ici, et leur montrer du doigt
ta grâce éblouissante, ils ne te verraient point...
Il faut que chacun d'eux te découvre en lui-
même; il faut que chacun d'eux entr'ouvre
comme moi le tombeau de sa vie et vienne
t'éveiller ainsi que je t'éveille...
(Il se penche sur Arielle et lui donne un baiser.]
ARIELLE, s éveillant.
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Voici l'heure, Arielle, où l'amour doit veiller...
Je troublerai souventton sommeil ces jours-ci...
Mon sommeil fut si long que toujours j'y
retombe; mais je me sens plus forte et deviens
plus heureuse à chacun des réveils que ta pensée
m'impose...
Ou conduis-tu mon fils, et quand le reverrai-
je?...
Je le suivais des yeux dans mon rêve attentif...
Il s'approche de nous... Il se croit égaré; et son
destin le mène où l'attend le bonheur...
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ACTE PREMIEIt, SCÈNE I
Me reconnaltra-t-il ?... Voilà bien des annéi
que l'épreuve prescrite exige que nous vivio:
étrangers l'un à l'autre ; et j'ai hâte de pouvo
l'embrasser comme jadis, lorsqu'il était enfant.
Non, il faut que le sort se décide libremei
et que l'amour d'un père dont il doit ignon
l'existence, ne fausse pas l'épreuve...
Mais depuis que Joyzelle est ici, prè& de noui
depuis qu'il vient vers elle, l'avenir s'éclaire-t-i
y lis-tu plus avant?...
arielle, regardant la mer et la nuit,
dans une sorte d'extase.
J'y liscequej'y lus dès les premières heures.
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8 JOYZELLE
Le destin de ton fils est inscrit tout entier dans
un cercle d'amour. S'il aime, s'il est aimé d'un
amour merveilleux, qui d'ailleurs devrait être
celui de tous les hommes, mais qui devient si
rare qu'il leur semble à présent éblouissant et
fou-, s'il aime, s'il est aimé d'un amour ingénu
et pourtant clairvoyant, d'un amour simple et
pur comme l'eau des montagnes et tout puissant
comme elle, d'un amour héroïque et plus doux
qu'une fleur, d'un amour qui prend tout, et
rend plus qu'il ne prend, qui n'hésite jamais,
qui ne se trompe pas, que rien ne déconcerte et
que rien ne rebute, qui n'entend, ne voit plus
qu'un bonheur mystérieux, invisible atout autre,
qui l'aperçoit partout, à travers toutes les formes
et toutes les épreuves, et qui en souriant, s'avance
jusqu'au crime pour le revendiquer... S'il obtient
cet amour qui existe quelque part, et l'attend
dans un cœur que j'ai cru reconnaître; sa vie
sera plus longue, plus belle et plus heureuse
que celle des autres hommes. Mais s'il ne le
trouve pas avant la lin du mois, car le cercle se
ferme, si l'amour de Joyzelle n'est pas celui que
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ACTE PREMIER, SCÈNE I »
l'avenir lui tend du haut des cieux; si la flamme
n'atteint pas tes limites de la flamme, qu'un
doute l'obscurcisse ou qu'un regret la voile, c'est
la mort qui l'emporte, et Ion Sis est perdu...
Ah ! certes, pour tout homme, c'est une heure
importante que celle de l'amour...
Pour Laocéor, hélas ! c'est l'heure impitoya-
ble.. Il touche ces jours-ci, au sommet de sa vie.
Il effleure, à tâtons, le bonheur et la tombe... Il
dépend tout entier des derniers pas qu'il fait et
du. geste' de la vierge qui vient à sa rencontre...
Et si Joyzclle n'est point celle que le sort
désigne?...
JatoedbvGoOgk
Je crains bien que l'épreuve que nous allons
tenter, ne soit la seule qu'il offre ; mais il ne
faut jamais que l'homme perde courage en face
de l'avenir...
Pourquoi tenter l'épreuve si elle est incer-
taine?...
ARIELLE
Si nous ne l'offrons pas, le destin l'offrira; elle
«st inévitable mais livrée au hasard; et c'est
pourquoi j'essaie d'en diriger lecours...
Et s'il aime Joyzelle sans qu'elle l'aime de
l'amour que le destin exige?...
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ACTE PREMIER, SCÈNE I
C'est alors qu'il faudra que nous intervenions
plus manifestement.
MERLIN
Comment?
■l'essaierai de le savoir..
Arielle, je t'en prie, puisqu'il s'agit ici de
l'être le plus cher, de bien plus que moi-même,
puisque je n'ai qu'un fils et qu'il peut devenir
ce que nous savons bien que je ne saurais être;
est-il donc impossible de faire vers l'avenir un
effort inouï, presque désespéré, de violer le
temps, d'arracher aux années, dussent-elles se
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12 JOYZELLE
venger sur nous deux, le secret qu'elles recèlent
avec tant de rigueur, et qui contient bien plus
que notre propre vie et que notre bonheur?...
Non, je m'efforce en vain, je n'atteins pas plus
loin... L'avenir est un monde limité par nous-
mêmes, où nous ne découvrons que ce qui nous
concerne; et parfois, par hasard, ce qui intéresse
«eux que nous aimons le plus... Je vois très
clairement tout ce qui se déroule autour de Lau-
«éor, jusqu'à ce que sa roule coupe celle di'S
Joyzelle. Mais autour de Joyzelle, les années
sont voilées. C'est un voile éclatant, un rideau
de lumière, mais il cache les jours aussi profon-
dément qu'un voile de ténèbres... Il interrompt
la vie. Puis, par delà le voile, je retrouve le bon-
heur et la mort qui attendent, comme deux hôles
«gaux, indifférents, impénétrables; et je ne sau-
rais dire lequel est le plus proche, le plus impé-
rieux... Il ne m'est pas possible de savoir si
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1
J
ACTE PREMIER, SCÈNE I 13
Joyzelle est la prédestinée... Tout promet que
c'est elle; mais rien ne le confirme... Son visage
est tendu vers les années qui viennent... et j'ai
beau l'appeler de toute ma puissance, elle ne
me répond pas, ne se retourne point. Rien ne
peut la distraire; et je n'ai jamais vu ses traits
que je devine... Un seul signe est certain; c'est
celui des épreuves, très nettes et cruelles, qu'elle
devra surmonter... Ce n'est qu'à ces épreuves
que nous la connaîtrons.
1) nous faut donc aussi, à partir de ce point
que je puis franchir, nous soumettre aux pou-
voirs inconnus, interroger les faits comme les
autres hommes; attendre leur réponse, et (en-
ter de les vaincre s'ils veulent le malheur de
ceux que nous aimons...
Mais voici qu'ils s'avancent dans l'aube qui
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14 JQYZELLE
lève... Hâtons-nous, ils s'approchent .. Laissons
à leur destin qui commence son œuvre, la soli-
tude el le silence qu'il exige.
(Sortent Merlin et Arielle. Quelques instants après,
tandis que la clarté du Jour augmente rapidement,
entrent et se rencontrent Joyzelle et Lancéor.)
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ACTE PREMIEB, SCENE II
SCENE II
JOYZELLE, LANCÉOR
JOTZELLE, s'arrétant étonnée devant Lanceur.
Que cherchez-vous ?
LANCÉOR
Je ne sais où je suis... Je cherchais un asile...
Qui êtes- vous ?
Je m'appelle Joyzelle.
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(CÉOR
iom... 11 caresse comme
e fleur, un souffle d'allé-
nière... Il vous peint tout
i le cœur, il éclaire les
CÉOR
îême qui je suis... II y a
pelais Lanctior, je savais
lissais... Aujourd'hui, je
e en moi-même et tout
rre dans la brume, au
el s mirages ?. . . Depuis
cette lie?...
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ACTE PREMIER, SCÈNE II
Depuis hier..
C'est étrange, on ne m'avait pas dit...
Personne ne m'a vu... J'errais sur le rivage,
j'étais désespéré...
Oh! Pourquoi?
J'étais bien loin d'ici, j'étais bien loin de lui,
quand une lettre me dit que mon vieux père se
meurt... Je m'embarque aussitôt. Nous navi-
j a ,tiz B dbvG00gle
guons longtemps; puis, dans le premier port où
le vaisseau relâche, j'apprends qu'il est trop
tard, que mon père n'est plus... Je continue ma
route, pour rejoindre du moins son dernier sou-
tenir, et pour exécuter sa dernière volonté...
Pourquoi êtes- vous ici ?. ..
LAXCÉOR
Pourquoi ? — Je n'en sais rien, et comment, je
l'ignore... La mer était très claire et le ciel était
pur... On ne voyait que l'eau sommeillant dans
l'azur... Tout à coup, sans raison, de grandes
vapeurs bleues ont envahi les vagues. — Elles
montaient comme un voile qui s'attachait aux
mains, aux agrès, au visage... Puis le vent a
soufflé, notre ancre s'est rompue et le navire
aveugle, poussé par un courant qui le faisait
frémir, s'est trouvé vers le soir dans le port
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ACTE PREMIER, SCÈNE II 19
inconnu de cette île imprévue... Triste et
découragé, je descends sur fa plage, je m'en-
dors dans une grotte qui regarde la mer; et
lorsque je m'éveille, la brume s'était levée; et
je vois le navire qui s'évanouissait comme une
aile lumineuse à l'horizon des flots.
Qu'était-il arrivé ?
Je ne sais... j'aurais voulu le suivre, mais je
n'ai pu trouver de barque dans le port... Il me
faut donc attendre qu'un autre vaisseau passe...
JOVZELLE
C'est curieux... C'est comme moi...
LANCÉOR '
Comme vous?...
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ACTE PREMIER, SCÈNE II 21
Qui?
Celui qu'on avait cru devoir choisir pour
moi...
UNCÉOR
Vous étiez .fiancée ?.. .
JOTZELLE
Oui.
LAKCÉOR
L'aimez-vous?...
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LANCÉOR
Mais alors?...
JOTZELLE
Ma mère le voulait...
LANCÉOR
Vous allez obéir?
JOYZELLE
Ah! c'est bien!... J'aime cela... Et moi aussi,
mon père, au moment de sa mort, voulait que je
choisisse celle qu'il avait choisie... Il avait ses
raisons, des raisons très profondes et très
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ACTE PREMIER, SCENE II 23
graves, paraît-il... Et puisqu'il l'a voulu, et
qu'il n'est plus sur terre, il faut que j'obéisse...
JOYZELLE
Pourquoi?
On ne peut se soustraire aux volontés
morts...
JOÏZELLE
Pourquoi?
Elles ne peuvent plus changer... Il faut avoir
pitié, il faut les respecter...
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Vous n'obéiriez pas?..
Joyzellel... C'est affreux!..
Non, les morts sont affreux, s'ils veulent qu<
nous aimions ceux que nous m'aimons pas...
LANCEUR
.loy/elle!... J'ai peur de vous...
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ACTE PREMIER, SCÈNE If
J'ai dit... Qu'est-ce que j'ai dit?... J'ai peul-
ôtre été prompte...
Joyzelle, vos yeux se mouillent au souvenir
des morts et démentent vos paroles...
Non, ce n'est pas pour eux... J'ai peut-èlic
été dure... Et pourtant, ils ont tort.
Ne parlons plus des morts... vous ne m'avez
pas 'lit comment votre naufrage...
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C'est on brouillard épais qui nous a égarés...
Un brouillard si épais, qu'il emplissait les mains,
comme de plumes blanches... Le pilote s'est
trompé. Il a perdu la roule... Il a cru voir un
phare... Le navire s'est ouvert sur des récifs
cachés... Mais personne n'a péri... Les vagues
m'ont emportée; et puis, j'ai vu l'eau bleue
glisser devant mes yeux, comme si je descendais
dans un ciel étouffant... Je descendais toujours...
Puis, quelqu'un m'a saisie, et j'ai perdu cons-
cience...
LANCÉOR
Qui donc vous a saisie?...
Le maître de cette lie.
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ACTE PREMIER, SCÈNE II 27
Et quel est-il, ce maître?
Cest un vieillard qui erre comme une -ombre
inquiète en ce palais de marbre...
LANCÉOR
Si j'avais été là!...
Qu'auriez-vous fait?
LANCÉOR
Je vous aurais sauvée !...
j a ,tiz B dbvG00gle
Ne suis-je pas sauvée?...
LAKCÉOR
Ce n'est pas la même chose!... Vous n'auriez
pas souffert, rien ne vous eût atteinte... Je vous
aurais portée sur la crête des vagues... Ah! je ne
sus comment... Comme une coupe pleine de
perles précieuses, dont pas une ne doit èlre
frôlée d'une ombre, comme une fleur de l'aube
où l'on craint d'ébranler une goutte de rosée...
Quand je pense aux dangers que vous avez
courus, si belle et si fragile, dans tes rochers
cruels, aux bras de ce vieillard!... Ce qu'il a fait
est beau; il a fait l'impossible... Mais ce n'est
pas assez... Comment avez-vous pu gagner enfin
la rive?...
JOTZELLE
Je me suis réveillée étendue sur le sable.., Le
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ACTE PREMIER, SCENE II 29
vieillard était là. Puis, il m'a fait porter dans ce
Il est roi de cette île 1
L'île est presque déserte, et l'on n'y voit per-
sonne que quelques serviteurs qui passent en
silence... Il n'aurait pour sujets que les arbres,
les fleurs et les oiseaux heureux dont l'île
semble pleine...
C'est bien, ce qu'il a fait. .'.
Il est bon et humain, et il m'a accueillie,
j a ,tiz B dbvG00gle
comme mon père lui-même n'aurait pu m'ac-
Gueillir... Pourtant, je ne l'aime pas...
LANCEUR
Pourquoi?
Je crois qu'il m'aime..
Comment?... Il oserait!... Non, ce n'est pas
possible, ou les années n'ont plus le poids
qu'elles doivent avoir et la raison nous fuit
lorsque la mort s'annonce...
Et pourtant, je le crains... II me l'a fait
entendre... Il est étrange et triste... 11 a, dit-on,
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ACTE PREMIER, SCÈNE II 31
un fils qui est bien loin d'ici, qui est perdu
peut-être... Il y pense toujours... Quand il croit
le revoir, son visage s'éclaire, il... Le voici !...
j a ,tiz B dbvG00gle
SCÈNE III
LANCÉOR, JOYZELLE, MERLIN
Je vous cherchais, Joyzelle... (Se tournant vers
Lanceur et le regardant d'un œil menaçant.) Vous, je sais
qui vous êtes, et je sais les raisons qui vous oui
amené dans cette île, la ruse de ce naufrage
simulé, et quel est l'ennemi qui vous a envoyé. .
Moi? Mais c'est le hasard seul qui m'a fait
aborder ..
'D 3 'fe«iby Google
ACTE PREMIEIt, SCÈNE HI
Ne prononçons pas de phrases inutiles.
JOÏZELLE
Qu'a-t-il fait?
Il voudrait faire, hélas! ce que l'homme peut
faire de plus vil; trahir la bonté, tromper
l'amitié et vendre à l'ennemi l'hôte trop géné-
reux qui allait l'accueillir...
Pourquoi non? Vous le connaissez donc?
j a ,tiz B dbvG00gle
JOYZELLE
Oui.
Depuis quand?
Depuis que je l'ai \
Et depuis quand l'avez-vous vu?
Depuis qu'il est entré dans cette salle.,
MERLIN
C'est peu...
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE PKEH1ER, SCÈNE III
Non, Joyzelle; et bientôt, des preuves et des
faits vous montreront que c'est insuffisant ; et
qu'un regard loyal, l'innocence du sourire, la
candeur des paroles, cachent souvent des pièges
plus dangereux que ceux de la vieillesse ingrate
ou de l'amour qui n'a que peu d'espoir...
Que comptez-vous faire ?
J'attends les dernières certitudes; et alors, je
ferai ce qu'il est légitime et nécessaire de faire,
JatoedbvGoOgk
pour n'avoir plus à craindre un ennemi qui ne
reculerait devant rien. Les mesures impitoyables
que je prendrai importent a votre sûreté autant
qu'à la mienne; car la même intrigue nous
enveloppe l'un et l'autre, et le sort nous unit...
Je ne puis, aujourd'hui, vous en dire davan-
tage; ayez confiance en moi; peut-être savez-
vous déjà que votre bonheur est le mien...
Vous m'avez sauvé la vie, je m'en souviens...
Vous vous en souvenez sans aucune douceur;
mais j'espère qu'un jour vous me rendrez jus-
tice. (A Lanoéor.) Pour vous, allez! L'avis que j'ai
reçu ne peut être douteux. Quand les faits que
je crains l'auront confirmé, j'agirai. En atten-
dant, vous êtes mon prisonnier. On vous indi-
quera la partie du palais qui vous est réservée.
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE PREMIER, SCÈNE III 37
Si vous franchissez les limites prescrites, vous
vous jugez vous-même et vous prononcez la
sentence. Elle sera sans recours. Allez', mes
ordres sont donnés...
' ■ LAN'CÉOB
J'obéis, mais c'est en attendant que vous
reconnaissiez votre erreur. A bientôt, Joyzelle...
Non , dites-lui adieu ; car i! est douteux que vous
la revoyiez jamais... Cependant, Joyzelle, il se
peut qu'un hasard vous remette en présence de
cet homme. Dans ce cas, fuyez-le, votre vie et la
sienne dépendent très strictement de votre
prompte fuite. Si j'apprends que vous vous êtes
revus, vous êtes irrévocablement perdus. (A Lau-
céor.) Me promettez-vous de la fuir?
LANCÉOR
S'il y va de sa vie, oui.
s. Â
Et vous, Joyzelle ?
JOYZKLLE
iNon.
(Rideau.)
j a fe B db y Google
ACTE DEUXIÈME
j a ,tiz B dbvG00gle
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE DEUXIEME
Un jardin sauvage, abandonné, plein de ronces et de
mauvaises herbes. A droite, on mur énorme et sombre,
percé d'une porte à claire-voie.
SCENE PREMIERE
JOYZELLE, puis LANCËOR
JOYZELLE, entrant.
C'est le jardin que personne ne visite ; le !
n'y vient plus, les pauvres fleurs sauvages
JatoedbvGoOgk
quelles on fait la guerre parce qu'elles ne sont
pas belles, y attendent la mort et les oiseaux s'y
taisent. Voici la violette qui n'a plus de parfum,
la renoncule d'or, tremblanle et si chélive! et le
coquelicot qui s'effeuille sans cesse... Voici la
scabieuse qui demande un peu d'eau, l'eu-
phorbe vénéneuse qui cache ses fleurs vertes, la
campanule bleue qui agite en silence ses cloches
inutiles... Je vous reconnais toutes, humbles et
méprisées, si bonnes et si laides'... Vous pour-
riez être belles; il n'y manque presque rien : un
rayon de bonheur, une minute de grâce, un sou-
rire plus hardi pour appeler l'abeille... Mais nul
œil ne vous voit, nulle main ne vous sème, nulle
main ne vous cueille; et je viens parmi vous
pour être seule aussi... Que tout est morne ici!...
L'herbe est déserte et sèche, les feuilles sont ma-
lades, les vieux arbres se meurent, et le prin-
temps lui-même et la rosée de l'aube ont peur
de s'attrister dans cette solitude...
[Lanceur parait derrière la porte à claire-voie.)
JatoedbvGoOgk
ACTE II, SCÈ.SE I
LAnCÉOR
Joyzelle!..
JOYZELLE, se retournant brusquement
Lancéor ! . .
LANCÉOR
Joyzelle...
JOYZELLE
Va-t'en!... Va-t'en!... Frends garde!... S'il te
voit, c'est la mort!...
Il ne nous verra pas; il est bien loin d'ici.
JOYZELLE
Où est-il?...
JatoedbvGoOgk
'^^wSîs'îB'r^
j a fe B db y Google
ACTE U, SCÈNE I
vie; je le sais, il l'a dit... Il soupçonne que je
t'aime... Il ne cherche qu'une excuse à ce qu'il
voudrait faire... Va-t'en!,.. C'est déjà trop...
Si tu ne t'en vas pas, c'est moi qui m'en irai...
LANCEUR
Si tu l'en vas, Joyzelle, je reste à cette porte
jusqu'à ce que la nuit le ramène au palais... Il
me retrouvera sur ce seuil défendu... J'ai franchi
les limites qui m'étaient assignées, j'ai donc dé-
sobéi; et je veux qu'il le voie, et je veux qu'il ie
sache!..,
Lancéor aie pitié! je t'en prie, Lancéor!...
j a fe B db y Google
C'est tout notre bonheur que tu hasardes ainsi!...
Ne pense pas qu'à toi seul!... J'irai où lu vou-
dras si tu quittes cette grille!... Nous nous ver-
rons ailleurs, plus tard, un autre jour... II faut
avoir le temps, il faut qu'on prenne garde, il
faut que l'on prépare... Vois, je te tends les
bras... que veux-tu que je fasse?... Que faut-il
te promettre?.-.
Ouvre la porte.
Non, non, non, je ne puis...
Ouvre, ouvre, Joyzelle, si tu veux que je
vive...
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE II, SCÈNE I
Pourquoi veux-tu que j'ouvre?...
Je veux le voir de près, je veux toucher tes
mains que je n'ai pas touchées, te regarder eu-
core comme je t'ai regardée lorsque le premier
jour... Ouvre ou je veux me perdre; je ne m'en
irai pas...
JOTZELLE
T'en iras-tu dès que?...
Je te promets, Joyzelle... Dès que lu ouvriras,
avant qu'une hirondelle, avant qu'une pensée
ait le lemps d'accourir de l'endroit où il est pour
surprendre ma main qui va toucher la tienne...
j a ,tiz B dbvG00gle
Je l'en supplie, Joyzelle, ceci est trop cruel... Je
suis à cette porte comme un mendiant aveugle...
Je ne vois que ton ombre qui passe entre les
feuilles... Ces barreaux sont odieux et cachent
ton visage... Un seul regard, Joyzelle, où je te
verrai toute; et puis je m'en irai comme un vo-
leur qui fuit avec un grand trésor qui ruisselle
derrière lui... Personne ne le saura, et nous
serons heureux...
Lancéor, c'est affreux!... Je ne tremble ja-
mais, mais je tremble aujourd'hui... C'est peut-
être ta vie; et c'est déjà la mienne... Quelle est
cette clarté qui s'élève si vite?... Elle vient nous
menacer, elle va nous trahir!...
Mois non, c'est le soleil qui monte derrière
le mur... C'est l'innocent soleil, le bon soleil
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE II, SCÈNE I 4»
de mai qui vient nous réjouir... Ouvre donc,
ouvre vite, chaque minute qui passe ajoute ses
dangers aux dangers que tu crains. Un seul
geste, Joyzelle, un élan de ta main, et tu
m'ouvres vraiment les portes de la vie !...
(Joyzelle tourne la clef; la porte s'ouvre ; Lanceur en
franchit le seuil.)
LANCÉOK, saisissant Joyzelle dans ses bras.
Joyzelle!...
JOYZELLE
Me voici!...
J'ai tes mains et les yeux, tes cheveux et tes
lèvres, dans le même baiser et dans le même
instant, tous les dons de l'amour que je n'ai
jamais eus et toute sa présence!... Mes bras sont
si surpris qu'ils ne peuvent les porter, et ma
j a ,tiz B dbvG00gle
vie tout entière ne peut les contenir... N'écarle '
point ton front, n'éloigne pas tes lèvres ! . . .
Ce n'est point pour te fuir, mais pour mieux
m'approcher...
Ne tourne point la tête ; ne me dérobe pas
une ombre de tes cils, une lueur-de les yeux;
ce ne sont pas les heures mais les minutes
mêmes qui menacent ce bonheur...
Je cherchais ton sourire...
LAKC&Olt
Et le tien le rencontre dans le premier baiser
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE II, SCÈNE I . 51
qui passe entre nos lèvres pour unir nos des-
tins... Tl me semble aujourd'hui que je t'ai tou-
jours vue et toujours embrassée ; et que je recom-
mence, dans la réalité, au seuil du paradis, ce
que j'ai fait sur terre en embrassant ton ombre...
Je t'embrassais la nuit, quand j'embrassai
mes rêves...
Je n'ai pas eu de doute..
Je n'ai pas eu de crainte..,
Et tout m'est accordé..
j a fe B db y Google
Et tout me rend heureuse !.
Que tes yeux sont profonds et pleins de con-
fiance!...
El que les tiens sont purs et pleins de certi-
tudes!...
LANCÉOR
Comme je les reconnais!...
El comme je les retrouve!.
JgitizMby GOOgle
ACTE II, SCÈNE I
Tes mains sur mes épaules ont le geste qu'elles
avaient quand je les attendais sans oser m'éveil-
ler...
Et ton bras sur mon cou reprend la même
place...
LANCÉOR
C'est ainsi qu'autrefois tes paupières se fer-
maient au souffle de l'amour.
Et c'est de même aussi que les larmes mon-
taient dans tes yeux qui s'ouvraient...
LANCÉOR
Quand le bonheur est tel...
j a ,tiz B dbvG00gle
Le malheur ne vient pas tanl que l'amour
l'enchaîne...
LANCÉOR
Tu m'aimes?...
JOÏZELLE
Oh! comme tu m'as dit oui!... Oui jusqu'au
fond du cœur, jusqu'au fond des pensées et jus-
qu'au fond de l'âme!... Je le savais peut-être;
mais il fallait le dire; et nos baisers eux-mêmes
ne comptaient pas sans lui... Maintenant, c'est
assez, il nourrira ma vie; toutes les haines de
la terre ne sauraient l'effacer, et trente ans de
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE II, SCÈNE I 55
détresse ne sauraient l'épuiser ! ... Je suis dans la
lumière etle printemps m'accable!... Je regarde
le ciel et le jardin s'éveille!... Entends-tu les
oiseaux qui font chanter les arbres et répètent
ton sourire et le « oui » merveilleux ; et vois-tu
les rayons qui caressent tes cheveux comme des
diamants qui jouent parmi les flammes, et les
milliers de fleurs qui se penchent sur nous pour
surprendre en nos yeux le mystère d'un amour
qu'elles ne connaissaient pas'....
JOYZEIXE ouvrant les yeux.
Il n'y avait ici que de pauvres fleurs mortes...
(Elle regarde autour d'elle, stupéfaite; car dès l'entrée
de Lancéor, sans qu'ils y aient pris garde, le morue
jardin, s'est peu à peu et magiquement transfiguré.
Les plantes sauvages, les mauvaises herbes qui
l'empoisonnaient ont grandi, et chacune, selon son
espèce, a magnifié iusqu'au prodige ses fleurs épa-
nouies. Le chélif liseron est devenu une liane puis-
sante dont les admirables calices enguirlandent les
arbres surchargés de fruits mars et peuplés d'oi-
seaux miraculeux. Le mouron blanc est un grand
arbrisseau d'un vert ardent et tendre, où éclatent
des fleurs plus larges que des lys. La pâle sca-
j a ,tiz B dbvG00gle
56 ■ JOYZELLE
bieuse a allongé ses liges où se dressent des houp-
pes pareilles à présent à des tournesols mauves...
Les papillons volent, les abeilles bourdonnent, les
oiseaux chantent, les fruits se balancent et tombent,
la lumière ruisselle. La perspective du jarJîn s'est
étendue à l'infini; et l'on entrevoit maintenant, à
droite, un bassin de marbre, à demi-caché derrière
une haie de lauriers* roses et d'héliotropes taillés
en arcades.)
LASCÉOR
Il n'y a plus ici que les fleurs de la vie'....
Regarde!... Elles descendent, elles- ruissellent
sur nous!... Elles éclatent aux branches, elles
font ployer les arbres, elles entravent nos pas,
elles se pressent, elles s'écrasent, elles s'ouvrent
toutes grandes lés unes dans les autres, elles
aveuglent les feuilles, elles éblouissent l'herbe ;
je n'en connais aucune et le printemps est ivre ;
je n'eu ai jamais vu d'aussi désordonnées,
d'aussi resplendissantes!,..
Où sommes-nous ?. .
j a ,tiz B -jbvGoogle
ACTE IL SCÈNE I
Nous sommes dans le jardin que tu ne voulai
pas ouvrir & mon amour..,
Qu'avons-nous fait?
J'ai donné le baiser qu'on ne donne qu'une
fois; et lu as dit le mot que l'on ne redit pas...
JOYZELLE, déraillant.
Laneéorje suis Toile ou nous allons mourir...
LANCÉOR, la souten&nt.
Joyzelle, tu pâlis, et les chers bras me pres-
j a ,to B dbvG00gle
sent comme si tu craignais qu'un ennemi
caché...
Tu n'avais donc pas vu?.
Quoi?
Nous sommes pris au piège, et ces fleurs
nous trahissent... Les oiseaux se taisaient, les
arbres étaient morts, il n'y avait ici que de
mauvaises herbes que personne n'arrachait... Je
les reconnais toutes et retrouve leurs noms qui
me rappellent encore leur ancienne misère...
Voîci la renoncule chargée de disques d'or, le
pauvre mouron blanc est un buisson de lys, les
grandes scabieuses s'effeuillent sur nos tètes; et
ces cloches de pourpre qui dépassent le mur,
pour annoncer au monde que nous nous sommes
JatoedbvGoOgk
ACTE II, SCENE I 50
vus, c'était la digitale qui végétait dons l'ombre. ..
On dirait que le ciel a répandu ses fleurs... Ne
les regarde pas; elles sont là pour nous perdre...
Ah! j'ai tort de chercher et j'aurai dû com-
prendre... Il avait murmuré de confuses
menaces... Oui, oui, je savais bien qu'il avait
des prestiges... On m'avait dit un jour, mais je
n'avais pas cru... Maintenant c'est son heure;
c'est bien, il est trop tard, mais on verra peut-
être que l'amour sait aussi...
(Çn entend l'appel du cor.)
Écoute...
C'est le pas des chevaux et la corne d'appel..
Il revient. Sauve-loi...
j a ,tiz B dbvG00gle
Moi, je n'ai rien à craindre, que son odieux
amour... Va-t'en!..
LAMCÉOB
Je reste près de loi, et si sa violence..
Tu nous perdras tous deux... Va-t'en !...
Cache-toi là, derrière ces euphorbes... Quoi
qu'il dise, quoi qu'il fasse, ne te découvre pas
et ne crains rien pour moi, je saurai me dé-
fendre^.. Va-t'en! C'est lui qui vient!... Va-
t'en!... J'entends sa voix...
(Lancéor se cache derrière une touffe de hautes eu-
phorbe». La porte à claire-voie s'ouvre, et Merlin
entre dans le jardin.)
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE II, SCÈNE II
MERLIN, JOYZELLE, LANCÉOR, caché.
II est ici, Joyzelle?..
Ces fleurs ne mentent pas; elles dénoncent
l'amour... Elles étaient vos gardiennes, et m'ont
■ D 3 ,tiz e dby Google
G2 . JOYZELLE
été fidèles... Je ne suis pas cruel et pardonne
plus d'une fois... Vous pouvez le sauver en me
montrant du doigt le buisson qui le cache...
(Joyzeiie reste immobile.) Ne me regardez pas avec ces
yeux de haine... Vous m'aimerez un jour; car
l'amour a des voies obscures et généreuses...
Vous ne croyez donc pas que je tienne mes pro-
Je n'ai rien fait, Joyzelh, qui mérite tant de
haine, ni une pareille injure... Puisque vous le
voulez, je laisse agir le sort...
(On entend un cri de douleur derrière le buisson d'eu-
phorbes.)
JOYZELLE, se précipitant derrière le buisa
Lancéor ! . . .
j a fe B db y Google
ACTE II, SCÈNE II
Joyzelle ! Je suis blessé... Un serpent m'a
mordu. . .
Ce n'est pas un serpent... C'est une bête
affreuse!... Elle se dresse contre toi!... Je
l'écrase sous le pied... Elle bave... Elle est
morte... Lanc^or, tu pâlis!... Appuye-toi sur
mon cou... Ne crains rien, je suis forte...
Montre-moi ta blessure... Lanceor, je suis là...
Lancéor, réponds-moi!...
MERLIN, l'approchant et examinai] t I
La blessure est mortelle... Le poison est très
lent, et son action étrange... Ne désespère pas...
Seul, je saisie remède...
j a ,tiz B dbvG00gle
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE II, SCÈ.NE II
Va, ne crains rien, mon fils, vn, c'est pour ton
bonheur, et que tout mon cœur s'ouvre dans le
premier baiser que je puisse te donner.
(Il l'embrasse longuement. Enlre Arielle.)
j a ,tiz B dbvG00gle
SCENE III
MERLIN, LANCEOR, ARIELLE
Maître, il faut se hàler, tendre le nouveau
Y tombera- t-il?
L'homme y tombe toujours quand son instinct
le mène; mais voilons sa raison, changeons son
■ Go J%Jk
ACTE II, SCENE III 67
caractère; nous aurons un spectacle qui nous
fera sourire...
Je ne sourirai pas, car le spectacle est triste;
et je n'aime pas à voir un noble et bel amour,
un amour qui se croit prédestiné, unique, s'a-
néantir ainsi dès la première épreuve, dans les
bras d'un fantôme...
Lancéor n'est pas libre, puisqu'il n'est plus
lui-même et que durant une heure je le livre à
L'instinct...
Il aurait dû le vai*rére...
Tu parles de la sorte parce que je suis sou-
j a ,tiz B dbvG00gle
mise ; mais souviens-^)! du temps où j'étais
moins docile.
Tu te crois très docile parce que je t'ai vain-
cue ; mais même dans la lumière où j'ai su l'éle-
ver, il te reste de l'ombre, et je retrouve en toi
trop aux
le savoir
;uve.
, y Google
ACTE II, SCÈNE III
Et tu ne le sais pas ?
Non, elle a un esprit qui n'est pas tout entier
dans ma sphère; qui dépend d'un principe que je
ne connais pas, que je n'ai vu qu'en elle, et qui
change l'avenir... J'ai essayé de la soumettre;
mais elle ne m'obéit que dans les petites choses.
Mais il est temps d'agir. — Va retrouver Joyzelle
et laisse-moi ton fils. — Va-t'en, pour ne pas
faire dévier l'épreuve... Je vais le ranimer, je
vais renouveler et rendre plus profonde et plus
aveugle encore l'ivresse dans laquelle je viens
de le plonger ; et je vais devenir visible à ses
regards pour tromper ses baisers...
MERLIN, avec un reproche souriant dans la voix.
Arielle...
j a ,tiz B dbvG00gle
Va-t'en, laisse-moi faire... Tu le sais, les
baisers que l'on donne à la pauvre Arielle,
passent comme le reflet d'une aile qui se ferme
sur une eau qui s'écoule...
(Merlin s'éloigne. Arielle se dirige ver» le bassin de
marbre ; ei là, à demi cachée derrière la flnie de lau-
riers-roses, elle entr'ouvre les voiles qui l'envelop-
pent, s'assoit sur lesgradin&g&ionnés qui entourent
le bassin et dénoue lentement sa longue chevelure,
tandii que Lancéor s'éveille en tâtonnant.)
Où m'étais-je endormi? Je ne sais quel poison
est entré dans mon cœur... Je ne suis plus le
même et ma raison s'égare... Je lutte contre
l'ivresse et j'ignore OÙ je vais... (Apercevant Arielle.)
Mais qu'elle est cette femme derrière les lauriers-
roses... (Il s'approche de la haie de lauriers et regarJe.)
Elle est belle !... Elle est à demi-nue et son pied
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE U, SCÈNE III 71
recourbé comme une fleur prudente, tâle l'eau
qui sourit en le cerclant de perles... Elle lève les
bras pour nouer ses cheveux ; et la clarté du
ciel coule entre ses épaules, comme une eau
lumineuse sur des ailes de marbre... (Sapproehant
davantage.) Elle est belle, elle est belle!... Il
faut que je la voie... Voici qu'elle se retourne et
l'un de ses seins nue, à travers ses cheveux,
ajoute des rayons aux rayons qui l'assaillent...
Elle écoute, elle entend ; et ses yeux agrandis
interrogent les roses... Elle m'a vu, elle se
cache, elle va fuir... (Passant à travers la haie.) Non,
non, ne me fuis pas!... J'ai vu... II est trop
tard !... (Prenant Arielle dans ses bras.) Je veux savoir
le nom d'une vision si pure, qui plonge dans la
nuit tout ce que j'ai aimé ! Je veux savoir aussi
quelle ombre trop fidèle, quelle profonde retraite
recelait la merveille que je liens dans mes
bras!... Quels arbres, quelles grottes, quelles
tours, quelles murailles pouvaient donc étouffer
l'éclat de cette chair, le parfum de cette vie, la
flamme de ces yeux?... Où doue te cachais-tu,
toi qu'un aveugle même retrouverait sans peine
j a ,tiz B dbvG00gle
dans une foule en fêle?... Non, ne m'écarte pas:
ce n'est point la passion, l'ivresse d'un moment ;
c'est l'éblouissement durable de l'amour!... Je
suis à tes genoux que j'embrasse humblement...
Je me donne à loi seule... Je ne suis plus qu'à
toi... Je ne demande rien qu'un baiser de tes
lèvres pour oublier le reste et sceller l'avenir...
Que ta tête s'incline... Je la vois qui se penche,
je la vois qui consent; et j'appelle le signe que
rien n efface plus... (11 l'embrasse ardemment. On entend
un cri de détresse derrière les buissons.) — Qu'est-ce?. ..
(Ârielle qu'il tenait embrassée se dégage, fuit et dis-
paraît. — Entre Joyzellc.)
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE II, SCÈNE IV
SCENE IV
LANCÉOR, JOYZELLE
JOYZELLE. bouleversée.
D'où viens-tu donc, Joyzelle?
J'ai vu et entendu..
j a ,tiz B dbvG00gle
Eh bien, quoi?... (ju'as-tu vu?... Regarde
autour de toi, il n'y a rien à voir... Les lauriers
sont en fleurs, l'eau du bassin sommeille, les
colombes roucoulent, les nénuphars s'enir'ou-
vrent; c'est tout ce que je vois, tout ce que tu
peux voir...
Qui?...
JOYZELLE
Celle qui vient de fuir...
LANCËOR
Comment donc l'aimeiais-jë?... Je ne l'avais
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE II, SCENE IV ' :5
jamais vue... Cette femme était là, je passais
par hasard... Elle pousse un grand cri... J'ac-
cours... Elle semblait perdre pied; et au moment
où je lui tends la main, elle me donne le baiser
que tu as' entendu..!
Est-ce bien toi qui parles?
LAPiCÉOR
Oui, regarde-moi donc; c'est bien moi tout
entier... Approche-loi davantage, touche-moi si
tu doutes...
L'épreuve était affreuse ; mais ceci est mortel. .
LANCÉOR
Quoi?...
j a ,tiz B dbvG00gle
C'était la première fois que lu voyais cette
femme?...
Je n'en parlerai plus... Je comprendrai peut-
être; en tout cas je pardonne...
LAMCÉOR
Il n'y a rien à pardonner.
Que dis-tu?...
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE II, SCÈNE IV
Je dis que je n'ai que faire du pardon dont tu
accables une faute que je n'ai pas commise.
Que tu n'as pas commise?... Je n'ai donc pas
vu ce que j'ai vu, entendu ce que j'ai entendu?...
Lancéor! Lancéor!... Quand tu me nomme-
rais ainsi durant plus de mille ans, rien ne chan-
gerait rien à ce qui ne fut rien!,..
j a ,tiz B dbvG00gle
JOYZELLE
Jfi ne t.fli= pr (mi nasse Mitre nns deux
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE 0, SCÈNE IV 7fl
pas: d'un seul mot tu l'effaces... Tu sais bien,
comme moi, que l'amour a des mois auxquels
rien ne résiste; et que la plus grande faute,
quand elle est avouée dans un baiser loyal,
devient une vérité plus belle que l'innoceuce...
Dis-le moi, ce mot-là ; donne-le, ce baiser;
avoue la vérité, avoue celle que j'ai vue, celle
que j'ai entendue; et tout redevient pur comme
il avait élé; et je retrouve tout ce que lu m'as
donné...
LANCÉOR
J'ai dit ce que j'ai dit ; si tu ne me crois pas,
va-t'en, tu m'importunes..
Regarde-moi... Tu l'aimes puisque tu mens
ainsi?...
Non, je n'aime personne; et toi moins que les
autres....
JatoedbvGoOgk
Lancéor!... Qu'ai-je fait?...
savoir?...
LANCËOft
Peut-être sans
Rien, ce n'est pas cela... Mais moi je ne
point celui que tu croyais, et liens à ne
l'être... Je suis pareil aux autres; je veux
SUIS
plus
que
tes
je
la
Je
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE II, SCÈNE IV 81
En tout cas ce n'est pas celui que j'espérais...
Puis encore dès larmes!... elles coulent trop
tard!... Tu ne m'as pas aimé, je ne t'ai pas
aimée... Une autre m'aurait dit... Ah! une
autre aurait su!... Mais toi, non, non, va-t'en !...
Mais va-t'en donc, te dis-je!...
(Joyzelle s'éloigne silencieusement, en sanglotant
Quand elle a fait quelques pas, elle se retourne,
hésile, regarde tristement Lancéor et disparaît, en
criant à voix basse : « Je t'aime!... » Lancéor,
accablé, égaré, va s'appuyer, en chancelant, contre
un Ironc d'arbre.)
LANCÉOR
Qu'ai-je fait?... J'obéis... A quoi donc?... Je
ne sais... (ju'ai-je dit?... Ce n'est pas moi qui
parle... J'ai perdu le bonheur, le présent, l'ave-
nir... Je ne m'appartiens plus... Je fais ce que
je hais... Je ne sais qui je suis... Joyzelle!...
Ah! ma Joyzelle...
(Il tombe, en sanglotant, la face contre terre.)
j a fe B db y Google
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE TROISIEME
j a ,tiz B dbvG00gle
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE TROISIÈME
Un appartement dans le palais.
SCÈNE PBEMIÈRE
LANCÉOR, puis J,OYZELLE
(On aperçoit Lancéor amaigri, voûté, vieilli, méconnaissable.)
LANCÉOR, devant un miroir.
Qui suis-je? En quelques heures j'ai vieilli de
trente ans. . . Le poison fait son œuvre, et la dou-
leur aussi... Je me regarde avec effroi dans ce
j a ,tiz B dbvG00gle
86 JOYZELLE
miroir qui me renvoie les débris de moi-même...
Pourtant, il ne ment pas. (Allant à un autre miroir.)
Car en voici un autre qui dit les mêmes choses...
A moins qu'ils ne mentent tous; comme tout
semble mentir et se jouer de moi dans l'île
extraordinaire, tu se tMe le visage.) Hélas! ils ont
raison!... Ces rides que suit ma main, ce n'est
pas leur cristal malveillant qui les forme... Elles
son t bien dans ma chair ! ... El ces taches affreuses
qui ne s'effacent pas, je les sens sous mes doigts...
Ces épaules qui se voûtent, ne se redressent plus ;
mes cheveux sont éteints comme une cendre
pâle que la llamme a quittée; mes yeux, même
mes yeux se reconnaissent à peine... Ils s'ou-
vraient, ils riaient, ils saluaient ia vie... Ils cli-
gnottent maintenant, et leurs regards me fuient
comme les regards d'un fourbe... Il ne me reste
rien de tout ce, que je fus; et ma mère passerait
devant moi sans me voir... C'est fini... (Tirant le
rideau d'une haute renJtre.) Cachons-nous ; et que la
grande nuit recouvre tout ceci!... [H »a s'étendre
dans un coin obscur de l'appartement.: Je renonce, jecOQ-
sens... J'ai fait ce que l'amour ne peut point par-
JaUizsdby GOOglc
ACTE III, SCÈNE I 8*
donner... Je perds enfin la vie comme j'ai perdu
Joyzelle... Elle ne me verra plus, je ne la verrai
plus...
(Une porte s'ouvre. — Entre Joyzelle.)
JOYZELLE, surprise par l'obscurité, elle s'arrête un iusUnt
sur le seuil. Puis, son regard ayant fait le tour de ta pièce,
elle aperçoit Lancéor couché dans un coin, et s'élance vers
lui les bras tendus.
Lancéor!... Ah! ces troisjours passés j'ai vécu
comme une folle ! Je te cherchais partout. J'ap-
prochais de la tour... Les portes étaientfermées,
les fenêtres aussi. Je rampais sur le seuil pour
surprendre ton ombre, j'appelais, je criais, per-
sonne ne répondait... Mais comme tu es pâle,
amaigri !... Je le dis des paroles et je ne songe
pas... Donne-moi tes deux mains...
Tu me reconnais ?
JOYZELLE
Pourquoi non?
JatoedbvGoOgk
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE III, SCENE I 89
regard, ce que tu as aimé... Je pie raccroche à
moi, au peu qui m'en demeure... Je voudrais me
cacher, enfouir ma détresse; et cependant je
veux que tu me voies d'abord, pour que tu saches
enfin ce qu'il faudrait aimer, si tu m'aimais
encore... Viens, viens, plus près, plus près...
Non pas plus près de moi, mais plus près des
rayons qui éclairent ma misère... Regarde donc
ces rides, ces yeux morts et ces lèvres... Non,
non, n'approche pas, de peur que le dégoût...
Je me ressemble moins que si je revenais d'un
monde que la vie n'a jamais visité.. . Tu ne recules
pas? Tu ne t'étonnes point?... Tu ne me vois
donc pas comme me voient ces miroirs ?...
Je vois que tu es pâle ei que tu semblés las...
N'éloigne point mes bras... Rapproche ton vi-
sage... Pourquoi ne veux-tu pas que j'y pose mes
lèvres, comme je les y posais quand tout nous
souriait dans le jardin des fleurs?... L'amour a
bien des jours où rien ne sourit plus... Qu'im-
JgitizKlby GOOgle
90 JOVZELLE
porte s'il est là pour sourire quand on pleure...
J'écarte tes cheveux qui cachaient ton visage et
le rendaient si triste... Regarde, ils sont pareils
à ceux que j'écarlais daus le premier baiser...
Va, va, ne pense plus aux mensonges des mi-
roirs... Ils ne savent ce qu'ils disent; mais
l'amour le sait bien... Déjà la vie revient aux
yeux qui me retrouvent... Ne garde aucune
crainte puisque je n'en ai point... Je sais ce
qu'il faut faire, et j'aurai le secret qui guérira
ton mal...
LASCÉOR
Joyzelle!...
Oui, oui, rapproche-toi ; je t'aime de plus près
qu'à la minute heureuse où tout nous unissait.. .
Ah! je comprends ceci; mais l'autre, l'autre
chose!...
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE III, SCÈNE I
Quelle chose?
Je comprends qu'où retrouve son'amour dans
les ruines, qu'on ramasse ses débris et qu'on les
aime encore... Mais où sont ceux du nôtre! Il
n'en reste plus rien ; puisqu'avant que le sort
m'eût frappé comme tu vois, j'avais anéanti ce
qu'il n'eût pu détruire... J'ai trompé, j'ai menti;
et dans le moment même où le moindre men-
songe recommence dans une sphère où plus
rien ne s'efface, une faute que l'amour aurait pu
pardonner... La vérité est morte dans notre
cœur unique... J'ai perdu la confiance où toutes
mes pensées entouraient tes pensées, comme une
eau transparente entoure une eau plus claire...
Je n'y crois plus moi-même, je ne crois plus en
moi; je n'ai plus rien de pur où tu puisses te
pencher pour retrouver mon ombre; et mon
âme est encore plus triste que mon corps...
j a ,tiz B dbvG00gle
je m'étais trom-
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE III, SCÈNE I
A quoi bon te le dire, Joyzelle, il est trop
tard... Tu ne me croirais plus, car il te faudrait
croire ce qui n'est pas croyable... Je marchais
dans un rêve, dans une sorte de songe invin-
cible et moqueur,.. Mon esprit, ma raison, ma
volonté, que sais-jc? étaient plus loin d'eux-
mêmes que ce corps délabré n'est loin de ce
qu'il fut... J'aurais voulu te dire, te crier mille
fois que j'étais un mensonge qui n'obéissait plus ;
et que les mots honteux qui violaient mes lèvres,
étouffaient malgré moi les ardentes paioles
d'amour désespéré et l'aveu tout en pleurs qui
s'élançaient vers toi... Je faisais des efforts à me
rompre la gorge, à me briser le cœur; et j'en-
tendais ma voix perfide me trahir, sans que mes
bras, mes mains, mes yeux ou mes baisers pus-
sent la démentir; car excepté mon âme que lu
ne voyais pas, je me sentais en proie à une force
ennemie, irrésistible, hélas! et incompréhen-
sible...
j a fe B db y Google
Mais si, je la voyais!... Et j'ai su tout de suite
que ce n'était pas toi qui me mentais ainsi; que
c'était impossible...
Comment le savais-tu ?
Parce que je faire
Mais que suîs-je, Joyzelle, qu'aimes-tu donc
en moi, en qui j'ai profané, en qui l'on a détruit
tout ce que tu aimais?..
JafeedbvGoOgle
ACTE III, SCÈNE' I
Que reste-t-il de moi ?... Ce ne sont pas ces
mains qui ont perdu leur force, ce ne sont pas
ces yeux qui n'ont plus leur éclat, et ce n'est
pas ce cœur qui a trahi l'amour...
C'est toi et toujours toi et ce n'est que toi-
même!... Qu'importe qui tu es, pourvu que je
te trouve!... Ah! je ne saurais dire comment
cela s'explique.., Quand on aime comme je
t'aime, on est aveugle et sourde, parce qu'on
voit plus loin et qu'on écoute ailleurs... Quand
on aime comme je t'aime, ce n'est pas ce qu'il
dit, ce n'est pas ce qu'il fait, ce n'est pas ce qu'il
est qu'on aime dans ce qu'on aime ; c'est lui, et
rien que lui, qui demeure le même, à travers les
j a ,tiz B dbvG00gle
96 JOYZELLE
années et les malheurs qui passent... C'est lui
seul, c'est toi seul, où rien ne peut changer qui
n'augmente l'amour... Lui qui est tout en toi;
toi qui es tout en lui, que je vois, que j'entends,
que j'écoute sans cesse et que j'aime toujours...
Joyzelle!...
Oui, oui, embrasse-moi, étreins-moi tout en-
tière!... Nous avons a lutter, nous aurons à
souffrir; nous voici dans un monde qui semble
plein de pièges... Nous ne sommes que deux,
mais nous sommes tout l'amour!..
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE III, SCÈNE II
JOYZELLE, ARIELLE, puis MERLIN
{Un bosquet. Juyzelle est endormie sur un banc de gazon,
devant une baie de buis taillés en arcades où fleurissent
des lys. — Il fait nuit. — Un jet d'eau murmure. — La
lune brille.)
(Entre Arielle.)
Elle dort... Les souffles du jardin se taisent
autour d'elle pour écouter son souille; et seul
le rossignol, délégué par la nuit qui la baigne
d'argent, vient bercer son sommeil... Qu'elle
est belle et paisible; et qu'elle semble pure et
mille fois plus pure que l'eau qui coule la, des-
j a ,tiz B dbvG00gle
98 JOÏZELLK
cendue des glaciers, dans l'albâtre qui chanle
sous les feuillages pâles... Sa douce chevelure
s'épanche comme nu flot (te lumière immobile;
et la lune ne sait plus à qui appartient l'or qui
se môle à l'azur où glissent ses rayons... Elle
a clos ses yeux clairs; et pourtant les lueurs
qui tombent des étoiles, soulèvent en tremblant
ses pieuses paupières, pour retrouver sous elles
le dernier souvenir du beau jour qui n'estplus...
Sa bouche qui est une fleur humide qui respire;
et les lys ont versé des gouttes de rosée sur son
épaule nue, pour lui donner sa part des perles
que la nuit distribue en silence, au nom des
cieux qui s'ouvrent sur le trésor des mondes...
Ah ! Joyzellc, Joyzelle ! Je ne suis qu'un fantôme
égaré dans lu nuit, plus égaré que toi malgré
ma clairvoyance, el plus près de la tombe où
s'éteint le bonheur... Je ne m'appartiens pas,
j'obéis à mon maîlre, je n'ai rien à donner qu'un
baiser invisible, qui ne peut t'éveillcr et n'est
même pas à moi... Mais je t'aime, je t'aime,
comme une sœur moins heureuse aime celle que
l'amour a choisi avant elle... Je f aime, je t'en-
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE III, SCÈNE II 99
vironne de toutes les puissances qui ne sont pas
nommées dans les prières de l'homme, et vou-
drais que mon maître t'eût rencontrée plus tôt,
avant que le destin qui chasse devant lui cette
heure incomparable, eût fixé l'avenir de larmes
qui l'attend et m'altend avec lui... Je penche
ma tendresse impuissante et troublée sur ton
sommeil si calme... Voici le seul baiser que je
puisse te donner... Ah! pourquoi donc celui
dont je ne suis que l'ombre inconsciente et do-
cile ne vient-il pas lui-même le poser sur tes
lèvres qui appellent les miennes, comme tout ce
qui est beau appelle le mystère...
(Elle donne a Joyzelle un baiser sur le front.)
JCtYZËLLE, endormie.
Encore un... Le dernier, comme on boit à la
j a ,tiz B dbvG00gle
source défendue par les angfes qui gardent les
secrets du temps et de l'espace, et au bord de
laquelle on ne s'assoiera plus...
JOïZELLG, endormie et d'une voix de rêve.
Est-ce toi, Lancéor?... Que tes lèvres sont
douces aux souffles de l'aurore!... Je succombe
sous les fleurs qui tombent du paradis...
Fidèle dans le sommeil et constante dans le
songe!... Les démons de la nuit ne déroberont
rien à l'amour qui remplit le passé et l'avenir
d'un cœur!... Ah! mon maître et' mon père!...
C'est elle qu'attendit en vain ton seul espoir,
pour détourner le sort qui menace ta vieillesse!...
maître! si lu veux, il en est temps encore; et
le bonheur est là, que tu n'as qu'à cueillir... Il
oscille incertain entre Ion fils et toi; un geste
suturait pour le fixer sur nous... Approche! elle
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE III, SCÈNE 11 101
est à toi!... Viens, viens, viens, je t'appelle...
Je sais que j'ai raison; et que l'homme ne doit
pas renoncer à la vie, et se perdre lui-même pour
sauver ceux qu'il aime...
MEIU.IN, de loin, et d'une voii de grave re, roche.
Arielle!...
(Il entre, enveloppé d'un long manteau.)
C'est pour loi que je parle et ma voix est ta
voix... C'est au nom de ton cœur qui aime pro-
fondément et n'ose se l'avouer... Il fallait ren-
conlrer, à ce moment prescrit, cette femme
endormie, pour en éviter une qui perdra ta
vieillesse...
Va-l'en, il est trop lard..
j a ,tiz B dbvG00gle
Non, il n'est pas trop tard; c'est la minute
unique; et ton destin dépend du geste que tu
vas faire...
Va-t'en; ne me tente pas; sinon je te replonge
dans ton ombre impuissante... C'est pour m'ou-
vrir les yeux et non pour m'égarer que je t'en ai
tirée...
Ce n'est point s'égarer que d'écouter l'instinct
qui seu) sauve les hommes... Pense aux jours
effrayants que prépare Viviane, celle que tu dois
aimer si tu n'aimes celle-ci...
Viviane'?... Est-ce dans cette vieou-dans un
autre monde, que ce nom retentit au secret de
j a^^y Google
ACTE III, SCENE II 103
mon cœur comme un nom de folie, de détresse
et de honte?...
Non, c'est dans cette vie, la seule que tu pos-
sèdes... C'est le nom de la fée, qui dans BroceV
ltande, où ton destin te mène, attend que tu
paraisses pour briser la vieillesse... Oh ! maître!
je la vois!... Prends garde, elle s'approche et va
gagner ton cœur!... Dès que cet amour-ci, si
pur, si'salulaire, aura perdu ses droits, le sien
rampe hors de l'ombre... Maître! je t'en supplie!...
Mes yeux comptent ses ruses, elle t'enlace de
ses bras qui parodient l'amour, elle te prend ta
puissance, la raison, la sagesse; elle t'arrache
enlin le secret de ta force; et comme un vieillard
ivre, tu tombes sur le sol... Alors elle te dé-
pouille, te raille, se redresse et referme sur nous
la caverne mortelle qui ne s'ouvrira plus...
MERLIN
C'est donc inévitable?...
JatoedbvGoOgk
Tu le sais comme moi, rien ne peut me
tromper quand il s'agit de toi... Maître, je t'en
supplie, et pour toi et pour moi qui aime tant la
lumière et ia perds avec toi !... C'est l'heure irré-
vocable!... Choisis, choisis la vie!... Puisqu'elle
s'offre encore, c'est qu'elle nous appartient et
que lu y as droit!...
Va-t'en, c'est inutile... Du reste celle-ci ne
m'eût jamais aimé...
Il suffit que tu l'aimes et que celui qu'elle
aime ne soit plus entre vous... Voilà ce que je
lis dans un double avenir...
MERLIN, essuyant une sueur d'angoisse.
/ Va-l'en, puisque je sais... Il était donc écrit
Jï^by.GoOglC
ACTE III, SCENE II 108
qu'enaimantcelteenfantj'auraispu me sauver... .
Mais elle n'est pas pour moi; et mon heure est J
passée.. .[C'est l'heure de ceux qui viennent et se
sont rencontrés comme l'a voulu le temps,
comme l'a voulu la vie... Va-t'en, va-t'en, te
dis-je ! {Arielle, se voilant la. face, s'éloigne eu silence.)
J'abandonne ma part; et c'est pour toi, mon
fils, que j'achève l'épreuve.:, pi ûte son manteau, et
apparaît grandi el rajeuni, couvert de vêtements pareils à
ceux que porte Lancéor et lui ressemblant étrangement. S'ap-
prochant de Joyzeiie.) Ah! ma pure Joyzelle!... Tu
vas souffrir aussi, tu dois souffrir encore, puis-
que c'est dans tes pleurs que se cache le destin;
mais qu'importent les peines qui mènent à
l'amour.. Je voudrais échanger contre la plus
cruelle de ces peines heureuses toutes les joies
que j'ai eues dans ma pauvre existence... (Se pen-
chant sur jpYzelle.) Arielle disait vrai. Je n'ai qu'à
faire un geste pour faire rélrograder les heures
et les jours, et me soustraire ainsi à l'effroyable
fin que le sort me réserve... Oui; mais ce geste-
là anéantit celui que j'aime plus que moi-môme,
celui que les années ont choisi pour l'amour que
j a ,tiz B dbvG00gle
106 JOYZELLE
j'avais espéré... Ah! quand on tient ainsi dans
les mains son bonheur et celui d'un autre
homme; qu'il faut écraser l'un pour que l'autre
survive, c'est alors que l'on sent quelles pro-
fondes racines nous attachent à la terre sur
laquelle nous souffrons; c'est alors que la vie
pousse un cri surhumain pour se faire écouter
et défendre ses droits!... Mais c'est alors aussi
qu'il faut prêter l'oreille à l'autre voix qui parle,
qui n'a rien à nous dire de précis ni de sûr, qui
n'a rien à promettre ; et qui n'est qu'un murmure
plus sacré que les cris informes de la vie...
Lancéor et Joyzelle, aimez-vous, aimez-moi,
car je vous ai aimés... Je suis faible et fragile,
et fait pour le bonheur comme les autres
hommes; et ce n'est pas sans lutte que je cède
ma part... Aimez-vous, mes enfants, j'écoute le
murmure de la petite voix qui n'a rien à me dire
mais qui seule à raison...
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE III, SCENE II
JOTZELLE, B'éveillant.
Lancéor!...
Oui, c'est moi que la nuit a conduit près de
toi ; et qui viens l'éveiller dans un nouveau bai-
ser, afin que tu retrouves...
JOYZELLE, se dressant brutquement et le regardant avec
Qui êtes- vous?...
merlin, avançant les bras pour l'enlacer.
Tu le sais bien, Joyzelle, el l'amour doit te
dire...
JOYZELLE, s'écartaot violemment.
Ah ! ne me touchez pas ou j'appelle la mort
pour qu'elle vienne mettre fin à cet horrible
J ;:■.,«..! byCiOOglC
11)8 JOYZELLE
rêve!... Je ne sais quels fantômes ont hanté
cette nuit, mais voici le plus vil, le plus bas, le
plus lâche que l'ombre ait envoyé!... Je n'y
crois pas encore!... Je cherche le réveil en meur-
trissant mes yeux!... Ah! ne m'approchez pas!...
Arrière!... Allez vous-en! Vous me faites hor-
reur!...
Regarde-moi, Joyzelle... Je ne te comprends
pas et le sommeil sans doute trouble encore...
JOYZELLE
Où est-il?...
Réveille-loi, Joyzelle..
Où est-il, et qu'en avez-vous fait?...
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE III, SCÈNE II
Il est tout où je suis; et si tes yeux t' égarent. . .
jIOrZELLE
Vous ne savez donc pas que je le porte ici,
dans ces yeux qui vous voient et comparent ce
qu'il est avec ce que vous êtes?... Vous n'avez
donc pas vu ce qu'il est dans mon cœur, pour
l'imiter ainsi!... Vous, à côté de lui; vous sous
ses vêtemenls et sous son apparence, ah! c'est
comme si la mort voulait être la vie!... Mais
vous seriez vingt mille qui lui ressembleriez, et
lui seul parmi vous ne serait plus pareil à ce
qu'il était hier; que je renverserais les vingt
-mille fantômes, pour aller au seul homme qui
ne soit pas un son^e parmi les autre songes !...
Oh ! n'essuyez donc pas de vous cacher dans
l'ombre... Vous reculez trop tard; je vous ai dé-
couvert cl je sais qui vous êtes... Je connais
vos prestiges; et comme j'en rirais, si je ne
j a fe B db y Google
110 JOYZELLE
craignais point que par vos maléfices, vous
n'ayez usurpé, en le faisant souffrir, une forme
si chère et si méconnaissable!... Que lui avez-
vous fait?... Où est-il?... Je saurai... Vous ne
partirez pas sans avoir répondu... (Saisissant la main
de Merlin.) Je suis seule, je suis faible... Mais je
veux, mais je veux... Je saurai, je saurai!...
Je t'aime Irop, Joyzelle, pour lui faire aucun
mal, tant que tu l'aimeras. — Il n'a donc rien à
craindre. — Ne me crains pas non plus. Je ne
suis pas ici pour profiter de l'ombre et surprendre
ton cœur. J'avais un autre but. — Écoule-moi,
Joyzelle, ce n'est plus le rival ou l'amant mal-
heureux; c'est un père prévoyant et inquiet qui
te parle... Avant que fût venu celui qui t'a con-
quise, comme jamais homme au monde n'a con-
quis une femme, j'avais, je le confesse, enlrevu
un bonheur qu'il est vain de poursuivre au dé-
clin des années... Aujourd'hui, je renonce, triste,
mais de bonne foi... Je sais combien lu aimes
j a ,tiz B dbvG00gle
le pauvre être inconscient qu'un hasard mal-
veillant a placé sur ta route... Et ne l'y trompe
point, je t'en parle, à présent, sans haine et sans
envie, mais non pas sans effroi, lorsque je pense
aux jours navrants qu'il te prépare... C'est pour-
quoi je m'obstine à l'éclairer sur lui, au risque
de te déplaire... Je n'ai plus d'autre soin que de
te détourner d'un malheureux amour, où toutes
les déceptions, toutes les larmes t'attendent...
Je n'espère rien pour moi... Je ne demande pas
que tu m'aimes à sa place. . . Tu m'as assez montré
que ce n'est point possible... Je souhaite sim-
plement que lu ne l'aimes plus ; c'est tout ce que
j'implore de la bonté du sort; et le sort, cette
nuit, exauce ma prière...
JOïZELLE
Comment?...
L'épreuve est grave et triste ; j'aurais voulu te
j a ,tiz B dbvG00gle
Ht JOYZEU.E
l'épargner... Mais tu sais mieux que moi qu'il y
a des souffrances salutaires, devant lesquelles il
est honleux de fuir... Un geste va suffire pour
renverser un monde... Un petit mouvement de
ce cou qui se penche encore sans inquiétude, un
unique regard de ces youx trop confiants et trop
pleins d'innocence, va détruire devant moi la
chose la plus belle que l'amour ait créée dans le
cœur d'une femme... El pourtant, il le faut... Il
est juste, il est bon, qu'elle s'abîme aujourd'hui
dans des larmes qui ne seront peut-être pas inef-
façables, puisque plus lard, elle aurait dû crouler
dans des douleurs que rien n'eût consolées.
Que voulez-A
Qu'en ce moment même, où tout ce que ton
cœur a d'intact etde vrai, de limpide et d'ardent,
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE III, SCÈNE II 113
où toutes les vertus transparentes de ton âme,
toute la fidélité, toute la loyauté et toute l'inno-
cence de ton s.ing virginal s'élèvent vers celui
que tu avais choisi pour en faire le plus pur, le
plus heureux des hommes, il est là, derrière
nous, à deux pas de ce banc, à l'abri de ces
feuilles qu'il croit impénétrables, dans les bras
de la femme avec qui l'autre jour, comme tu l'as
vu toi-même, il profanait déjà l'amour mira-
culeux que tu lui as donné !...
Pourquoi me dis-tu non, sans avoir regardé?...
| JOYZELLE
I Parce qu'il est moi-même...
D 3 'fe«iby Google
Je se demande pas que lu croies mes paroles;
je demande simplement que tu tournes la tète...
Entends-tu le murmure de leurs voix qui s
mêlent, et le chant des baisers qui répondent au
N'élève pas la voix pour interrompre un crime
que tu ne veux pas voir... Ils ne t'entendront
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE. III, SCENE II H5
pas; ils n'écoutent que leurs lèvres!... Mais
retourne-toi donc, Joyzelle, je t'en supplie!... Il
y va de la vie et de tout le bonheur auquel ta
auras droit!... Ne repousse pas ainsi la vérité"
qui s'offre et qui vient te sauver si tu as le cou-
rage de l'accueillir enfin! Elle ne reviendra plus
que pour te faire pleurer quand il sera trop
lard!... Mais regarde! regarde!... Il ne faut
même plus que tu tournes la tète!... Ton étoile
est clémente et ne se lasse point!... Ne ferme pas
les yeux, elle vient les dessiller!... Vois!... l'om-
bre même de leurs bras, allongée par la lune,
rampe sous cette arcade pour couvrir tes ge-
noux!... Ouvre les yeux ! Regarde!... Elle vient
te braver et monte jusqu'à les lèvres!...
JOYZELLE
Non.
( Un silence.)
MERLIN
Je te comprends, Joyzelle. Ce n'est pas devant
.oo^l^
116 JOYZELLË
moi que tu dois renier les restes de ton amour...
te laisse à toi-même, en face de ton devoir,
face de Ion destin. .. De pareils sacrifices ne
nient pas de témoins et demandent le si-
îce... La vérité est là; il est lâche de la fuir...
sauras l'affronter lor?que tu seras seule... Il
est temps encore... Je t'admire, Joyzelle...
vie et ton bonheur invoquent ton courage et
pendent d'un regard...
(Merlin sort. Joyzelle, un long moment, reste assise
sur le banc, immobile et lei yeux agrandis, regar-
dant fixement devant elle. Puis file se lève, se
redresse et s'éloigne lentement sans tourner la tête.)
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE QUATRIÈME
JatoedbvGoOgk
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE QUATRIÈME
Une salle dans Ie'palais. Vers le fond, adroite, un grand
lil de marbre, sur lequel Lancéor, inanimé, est étendu.
Joyzelle anxieuse, échevelée, s'empresse autour de lui.
SCENE PREMIERE
JOYZELLE, LANCÉOR, puis MERLIN
Lancéor! Lancéor!... Il ne peut'plus m'enlen-
tlrc!... Ses yeux sont grands ouverts... Lancéor,
j a ,tiz B dbvG00gle
Regarde-
plus!...
[i faible,
ans mes
. Viens,
mour!...
èvent la
ssent les
I, quand
souvent
i-aimées
île serait
paradis;
on, non,
che, son
igls sont
linalement
a... Mais
Iplus...
;s miens
pas pos-
ouv rirai
! Lancéor.)
3y Google
ACTE IV, SCÈNE I 121
Lancéor! Lancéor ! Tout le feu de ma vie va ren-
trer dans ton cœur !... Ne crains rien, no crains
rien! c'est la flamme qui sauve et la vie qui l'ait
vivre!... Aspire-!a tout entière dans les der-
niers replis de mon souffle quî t'aime.... Je vou-
drais suffoquer en échangeant nos vies!.. Je te
verse ma force, mes heures, mes années!... Les
voici, les voici!... Tu n'its qu'à faire un geste, à
entr'ouvrir les lèvres!.,. Il faut que cela soil !...
11 faut qu'il soil possible de faire revivre ainsi
ceux qu'on aime plus que soi!... Puisqu'on leur
donne tout, il faut bien qu'ils le prennent!...
{Redressant la tête poar regar 1er Lancéor.) Il retombe! il
s'éloigne!. .. (Affolée elle le reprend dans ses brus.) Au
secours!... Non, c'est trop!... Au secours! Venez
donc!... Ah! non, je le sais bien, non, non, ce
n'est pas elle... Elle ne vient pas ainsi quand
l'amour la menace!... Non, non, je ne crains,
rien, non, non, je ne veux pas!... Mais je crie au
secours ! Je ne puis rester seule, je ne puis lut-
ter seule contre toutes les forces de la mort qui
s'avance!... Si personne ne vient, elle finira par
vaincre!... Au secours, je vous dis!... 11 faut
j a ,tiz B dbvG00gle
qu'on vienne à l'aide!... Il faut que la vie m'aide,
ou ce n'est plus possible et nous succombe-
jEUe tombe en sanglotant sur le corps inanimé de
Lancéor. Entre Merlin.)
Joyzelle, me voici...
JOTZELLE, se dressant comme pour courir au-devant
de Merlin, tout en tenant Lancéor étroitement embrassé.
Ah! c'est vous!... C'est donc vous!... Enfin,
voici de l'aide et de la vie qui vient!... Regardez
donc, voyez!... Il est temps, il retombe!... Je me
jette à vos pieds !... Oui, oui, vous pouvez tout;
etj'ai vu clair en tout!... Ah! dans ces moments-
ci, on verrait clair au fond de la nuit que les
inondes n'ont jamais parcourue!... Ah! je vous
en supplie, dites-moi ce qu'il faut faire?... Je ne
suis plus Joyzelle, je ne suis plus farouche et je
j a fe B db y Google
ACTE IV, SCENE I 123
n'ai plus d'orgueil... Je suis brisée et morte, je
me traîne à vos pieds ; et il n'est plus question de
ceci, de cela, d'amour ou de baisers, ni de toutes
petites choses!... C'est la vie et la mort qui se
trouvent face à face, qui combattent sous nos
yeux el qu'il faut séparer... Vous ne faites pas
un pas!... Ah ! je sais votre haine et que vous
détestez cet homme sans défense... Oui, vous
avez raison, il est toul ce qu'on veut, il esl
lâche, il est fourbe, il est voire ennemi, il a
trahi vingt fois, puisque vous y tenez!... Oui, je
le reconnais, j'ai eu tort, je l'avoue, et je ne
l'aime plus puisque vous le voulez, et je suis
prête à tout, pourvu qu'il soit sauvé!... Mais
c'est cela qu'il faut, et c'est cela qui compte et tout
le reste esl fou!... mais venez, mais venez, je
vous dis qu'elle triomphe et qu'elle va l'em-
porter!.... Voyez, ses mains bleuissent et ses
yeux se ternissent et c'esl abominable!...
Joyzelle, ne crains rien; sa vie est dans mes
j a ,tiz B dbvG00gle
mains, et je le. sauverai si tu veux qu'on le
sauve...
JOYZELLE
Si je veux qu'on le sauve!... Mais vous ne
voyez pas que si vous hésitiez, mais vous ne
savez pas que s'il fallait pour lui... Non, non, je
voulais dire... la détresse m'égare... 11 ne res-
pire plus, je n'entends plus son cœur... Vous me
semblez si lent!... Vous ne croyez donc pas qu'il
y ait du danger, qu'il' faille se hâter?... Je ne
parlerai plus; c'est moi qui vous fais perdre des
minutes qui peut-être passaient pour le sauver. . .
Si vous ne voulez pas le secourir vous-même, —
et je comprends cela, car vous ne l'aimez pas, —
dites-moi simplement ce qu'il faut que je fasse,
pour lui venir en aide; et je saurai le faire...
Mais je vois, je suis sûre qu'on ne peut plus
attendre et qu'il faut qu'on se hâte...
Je te l'ai dit, Joyzelle, sa vie est en mes
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE IV, SCÈNE I I»
mains et ne peut s'échapper si je n'y consens
pas. Je t'avais prévenue . Le poison fait son
œuvre et je la reconnais. Seul je puis le guérir,
l'arracher à la mort, rappeler sa. vigueur, sa
beaulé qui s'en vont; et te le rendre tel qu'il
était avant que...
Ah ! je vous en supplie, ne tardez pas ainsi!...
Que m'importe sa beauté si sa vie nous
échappe!... Rendez-le tel qu'il est, quel qu'il
soit, que m'importe, pourvu que je le trouve et
pourvu qu'il respire!...
Oui, je te le rendrai. J'ai déjà fait deux fois,
— et m'en suis repenti, — ce que je vais refaire
une dernière fois puisque tu le demandes; mais
c'est un sacrifice que nul autre que toi n'aurait
pu obtenir. En lui rendant la vie, je hasarde la
j a ,tiz B dbvG00gle
mienne. Pour réveiller sa force, pour rappeler
son âme. c'est une part de ma force, c'est une
part de mon âme que je dois lui donner. Il se
peut qu'il m'en prenne plus qu'il ne m'en
demeure, et que je tombe mort à côlé du rival que
j'aurai ranimé... Autrefois je risquais ainsi mon
existence pour sauver un passant, presque sans
hésiter et sans rien exiger en échange... Mais
aujourd'hui, je suis plus prudent et plus sage.
Puisque j'offre ma vie, il est juste qu'on la paie,
et qu'on la paie d'avance, et je ne la lui donne
que si tu me promels le moment le plus cher
de la tienne. ..
Comment?... Que faut-il faire?...
pauvre enfant trop pure!... Et vous,
pensées chastes, ne vous mêlez donc pa:
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE IV, SCÈNE I
odieuses paroles que ma voix va réf
autour de leur amour!... Je rougis Je Ï6\
et j'ai honte des mots que je dois empl<
Tu me pardonneras lorsque lu sauras lou
n'est pas moi qui parle; c'csl i'aveni
l'homme ne devrait point connaître ; 1'
sans pudeur, l'avenir sans pitié, qui ne
un jour et n'éclaire un destin que pour
le reste et qui veut que je sache si c'est t<
désigne...
Que dites-vous?... Pourquoi hésîtez-v
Il n'y a rien au monde, j'ai beau m'inte:
je ne vois rien au monde, dans le nôtre c
l'autre, qu'on puisse demander et que je
prête...
Voici : je ne parlerai plus par énigme:
homme que tu vois et que tes bras élreig
est là, étendu aussi près de la mort que s
j a ,tiz B dbvG00gle
couché sur la dalle de sa tombe... Un geste le
ramène du côle" de la vie; un geste le fait choir
du côté opposé... Eh bien, à l'instant même que
tu auras dit oui, et avant que l'écho qui som-
meille là-bas sous ces arceaux de marbre n'ait le
temps de redire que tu as consenti, je fais le
'"geste sûr qui le prend aux ténèbres/ pourvu que
fu promettes de venir cetle nuit, ici, dans cette
salle où je vais te le rendre, et sur ce même lit
où te voilà penchée, pour le donner à moi, sans
pudeur, sans réserve...
Moi?... Medonnerà vous?...
Moi, me donner à vous quand il me sera
rendu?...
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE IV, SCÈNE I
Pour qu'il te soit rendu.
Non, je n'ai pas compris... Il est des mois,
sans doule, que je ne comprends pas... Non, il
n'est pas possible qu'un homme qui n'est pas un
des princes de l'enfer vienne aussi dans l'ins-
tanl où toute la douleur de l'amour ne sait plus
ce qu'elle peut espérer, ce qu'elle doit entre-
prendre... Non, j'ai mal entendu, et je vous fais
injure... Il faut me pardonner, je suis vierge,
ignorante, et je ne sais pus bien ce que ces mots
renferment... Mais je vois à présent... Oui, vous
avez raison... Oui, oui, vous voulez dire qu'il
est juste que je prenne une part du danger, et
que ma vie s'unisse un moment à la vôtre pour
créer l'autre vie qui doit le ranimer... Mais
cette part, je la veux, je la veux pour moi seule,
j a ,tiz B dbvG00gle
je la veux tout entière, la plus grande possible
et je n'espérais pas qu'on pût me la donner!...
Joyzelle, le temps presse... Ne cherche pas
ailleurs, tu sais ce que j'exige, et. le mot veut
bien dire ce que tu n'oses croire...
Alors, il faudra donc que dans le même instant
où il me reviendra, quand je le reverrai respirer
dans mes bras et sourire à l'amour qu'il aura
retrouvé, je lui arrache tout ce que j'avais
donné?... Mais que lui rcste-t-il si vous nous
prenez tout; et que vais-je lui dire quand il
m'embrassera?...
Tu ne lui diras rien si tu veux son bonheur...
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE IV, SCÈNE I
Mais il faudra tout dire puisque je l'aime!...
Non, non, je le vois bien, cela ne se peut pas,
cela n'existe point; et il doit y avoir des dieux
ou des démons pour empêcher ces choses, sinon
je ne sais plus pourquoi l'on voudrait vivre...
J'ai confiance en eux, j'ai confiance en vous...
Ce n'était qu'une épreuve; et tout ceci n'est
pas, ne peut être réel... 11 me semble déjà que
vous me regardez avec moins de rancune...
Tenez, je vous supplie, je me jette à vos pieds et
je baise vos mains... Je vous avouerai tout... Je
ne vous aimais pas, vous le haïssiez trop; mais
je n'ai jamais cru que vous fussiez injuste ou
indigne d'amour... Quand vous êtes entré, je
n'ai pas hésité, je suis allée à vous, je vous ai
demandé d'arracher à la mort le seul homme que
j'aime; et pourtant je savais que vous m'aimez
aussi... Mais, je ne sais pourquoi, mon instinct
me disait que vous êtes généreux et capable de
faire ce que j'eusse fait pour vous, ce qu'il eût
j a ,tiz B dbvG00gle
fait lui-même; et quand vous aurez fait ce que
nous aurions fait, vuus aurez dans nos cœurs
une pari de notre amour, qui n'est pas la motus
bonne, qui n'est pas la moins belle ni la plus
périssable...
Oui, je sais ; lorsque je lui aurai rendu la vie,
au risque de la mienne, il aura les baisers,
les lèvres et les yeux, et les jours et les nuits,
tout ce qui forme enfin le bonheur éphémère
et si vain de l'amour!... Mais moi, j'aurai
bien mieux; el l'on m'accordera, quelquefois,
par hasard, en passant, un sourire bienveillant,
qui ne périra pas, pourvu que je m'abstienne
de le réclamer trop souvent... Non, Joyzelle, à
mou âge, on ne seconlenie plus d'illusions de ce
genre, ni de ces restes décevants. L'heure est
passé'- pour moi du mensonge héroïque. Je veux
ce qu il aura. Peu m'importe ton sourire que je
sais impossible, c'est toi-même que je veux; je
te veux tout entière, ne fût-ce qu'un moment;
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE IV, SCENE I 133
mais j'aurai ce moment; celui-ci me le donne...
(S'approchant de Lanceur.) Regarde le, J.oyzelle, sa
face se décompose, nous avons trop tardé et le
péril augmente à chaque instant qui passe...
Viendras-tu?.,.
JOYZF.LLE, regardant autour d'elle a
Rien n'éclate, rien ne tombe, et l'on est seul
au monde !...
MERLIN, tàUnt le corps.
Le danger devient grave... Je reconnais les
signes...
Eh bien, oui! je viendrai!... Je viendrai dès
cette nuitlje viendrai dès ce soir!... Mais sau-
vez-le. d'abord et rendez lui la vie!... Voyez, ses
yeux se creusent et ses lèvres se fanent et moi je
j a ,tiz B dbvG00gle
134 JOYZELLE
suis ici à marchander ses jours comme s'il
11 te sera rendu; mais souviens-toi, Joyzelle,
que si tu n'étais pas fidèle à ta promesse, la
main qui le guérit le frapperait sans merci...
Mais j'y serai fidèle, et j'irais à genoux au
bout de l'autre monde pour y rester fidèle !...
Àh! je viendrai, vous dis-je! Je me donne tout
entièrecl je suis toute à vous!... Que vous faut-
il de plus?... Il ne me reste rien!...
C'est bien; j'ai ta promesse, j'accomplirai la
mienne. [\ part, prenant Lancëor dans ses bras.) l'ar-
donne-moi, mon fils, au nom de ton deslin qui
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE IV, SCENE I 135
exige ce supplice... (Il se penche sur Lancéor et lui
baise longuement les paupières et le» lèvre?. Haut.) Le
voici qui revient des régions sans lumière... La
vie lui est rendue, mais ne s'éveillera que dans
tes bras ardents. Je te laisse à ton œuvre. Rap-
pelle-toi ta parole...
(Il sort. — Joyze'.le a pris Lancéor dans aeS bras et
le regarde avec angoisse, — Bientôt, les jeux de
son amant s'entrouvrent, et ses mains font un
faible mouvement.)
Lancéor!... Ses yeux se sont ouverts et se
sont refermés, et j'ai vu la lumière se baigner
dans l'azur! Et voici que ses mains semblent
chercher les miennes!... Elles sont là; Lan-
céor, elles sont là dans les tiennes qui ne
sont plus glacées!... Elles n'osent les quitter
de peur qu'elles ne les perdent; et pourtant
je ' voudrais soutenir ton épaule et enlacer
ton cou qui se penche sur mon sein... Ah ! tous
les biens reviennent et reviennent à la fois!...
j a ,tiz B dbvG00gle
J'entends battre son cœur, je respire son
souille, on m'avait tout repris, mais on m'a
tout rendu !... — Ecoute-moi, Lancéor, je vou-
drais te revoir, je cherche ton visage, ne cache
pas ton front dans mes oheveux qui t'aiment ;
mes yeux t'aiment davantage et veulent leur
part aussi !... (Lancéor relève un peu la tête.) — Oh! H
m'a entendue et il m'a exaucée !... 11 est là; il
est là, il n'y a plus de doute, il est là, devant
moi, plus vivant que la vie !. . Il est là devant
moi, et les roses de l'aurore et les fleurs du
réveil ont ranimé ses joues et couvrent son sou-
rire, car il sourit déjà comme s'il me revoyait!...
Ah ! les dieux sont trop bons!... Ils ont pitié des
hommes!... Il y a des cieux qui s'ouvrent! 11 y
a des dieux d'amour ! Il y a des dieux de vie !...
Il faut leur rendre grâces et s'aimer puisqu'ils
aiment!... Viens, viens, viens dans mes bras,
les yeux me cherchent encore, mais tes lèvres
me trouvent!... Elles s'ouvrent enfin pour
appeler les miennes; et les miennes sont là,
qui portent tout l'amour!...
(Un silence ; elle J'embrasse longuement, ardemment.)
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE IV, SCÈNE I
LiNCÉOR, reprenant
. Joyzelle...
Oui, oui, c'est moi; c'est moi; regarde-moi,
regarde!... Voici mes mains, mon front, mes
cheveux, mon épaule... Et voici mes baisers que
les tiens reconnaissent !...
Oui, c'est toi, c'est bien toi, c'est toi et la
lumière... Et puis la salle aussi que j'avais
déjà vue... 11 faut attendre un peu... Que
jn'est-il arrivé!... Je reviens, je reviens... j'étais
couché là-bas, là-bas, je ne sais où, devant de
grandes portes qu'on essayait d'ouvrir... J'étais
enseveli et le froid me gagnait... Et puis je
t'appelais, je t'appelais sans cesse et tu ne
venais pas...
j a ,tiz B dbvG00gle
Mais si, je suis venue, j'étais là ! j'étais là!...
LANCÉOR
Non, tu n'étais pas là... J'étais pris dans les
glaces, j'étais pris dans la nuit et je' perdais la
vie... Mais maintenant c'est toi!... Oui, oui,
mes yeux te voient, te retrouvent tout à coup
au sortir des ténèbres... Ils ont beau s'effarer
dans la grande lumière ; c'est bien toi que
voilà, et je passe de la tombe à la joie du
soleil dans les bras de l'amour! Gela semble
impossible à qui vient de si loin !... Il faut que
je te touche, il faut que je m'attache aux
caresses de tes mains, aux rayons de tes yeux,
il faut que je saisisse l'or réel des cheveux
qui m'attestent le jour!... Ah! tu ne saurais
croire comme on aime en mourant, et comme
je vais t'aimer après t'avoir perdue et t'avoir
retrouvée !...
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE IV, SCÈNE I
Moi aussi, moi aussi ! . . j
LAXCÉOR
Et la joie du retour dans les bras qui vous
serrent et qui tremblent encore parce qu'ils n'es-
péraient plus !... Sens-tu frémir les tiens et les
miens l'adorer?... Ils se cherchent, ils s'en-
lacent, ils craignent de se perdre et n'osent
plus s'ouvrir... Ils n'obéissent plus, ils ignorent
qu'ils nous blessent et vont nous étouffer dans
leur ivresse aveugle !... Ah! ils savent enfin ce
que vaut une étreinte autour d'un corps ardent ;
et l'on voudrait mourir pour apprendre la vie
et connaître l'a
Oui, l'on voudrait mourir..
j a ,tiz B dbvG00gle
jrsque j'étais là-bas, dans la
qu'un s'est approché que j'ai
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE IV, SCÈNE I
LÀtfCÉOK
Je ne comprends pas bien... Il m'a donc rap-
pelé à l'amour, à la vie?... 11 a voulu me rendre
à celle qui m'aimait et qu'il. aimait lui-même?...
Oui.
LANCÉOR
Mais pourquoi l'a-t-il fait?...
JOYZELLE
Je l'ai tant supplié qu'il y a consenti.
Pourquoi?
Il disait qu'en te sauvant la vie, il hasardait
la sienne.
Rien ne l'y obligeait... Et alors, simplement,
il a rendu la vie, au seul homme qui enlève tout
espoir à l'amour qui ferait le bonheur de sa
j ; :..«..i > r/ Google
ACTE IV, SCÈNE I
Et sans rien demander, par bonté, par pitié,
par générosité? ..
Ah! nous étions injustes elles pires ennemis
sont meilleurs qu'on ne croit!... II y a des trésors
de noblesse et d'amour au cœur môme de la
haine !... Et ce qu'il a fait là!... Non, je ne sais
vraiment si j'aurais pu le faire; et je n'aurais
pas cru que ce pauvre vieillard... Mais n'est-ce
pas, Joyzelle, que c'est presque incroyable et
que c'est héroïque?.» '
j ; :..«..i > r/ Google
Où esl-il? II faut que nous allions nous jeter
h ses pieds, confesser notre erreur, effacer l'in-
justice que nous avons commise quand nous ne
l'aimions pas... Il faut qu'il ait sa part, et la
meilleure part du bonheur qu'il nous rend!... Il
faut qu'il ait nos cœurs, nuire joie, nos sourires
et nos larmes d'amour, tout ce qu'on peut don-
ner à ceux qui donnent tout!...
Nous irons, nous irons..
Joyzelle, qu'y a-t-il?.„. Tu me réponds à
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE IV, SCÈNE I 145
peine... Je ne sais si mes sens sont encore au
pouvoir Je la nuit d'où je sors, niais je reconnais
mal tes parûtes et tes gestes... On dirait que tu
cherches, que tu doutes, que tu rêves... Et
moi qui te reviens plein de joie et d'amour,
j'en retrouve si peu dans tes yeux qui me
fuient, daus tes mains qui m'oublient. .. Que
s'est-il donc passé?... Pourquoi me rappeler et
me rendre la vie, si pendant mon absence j'ai
perdu ce que j'aime?...
Oh! non, non, Lancé~or, tu ne m'as point
perdue!..
Ta voix cherche un sourire et ne trouve qu'une
plainte...
Oui, je voudrais sourire et je souris déjà!.
j a ,tiz B dbvG00gle
is ftet'étonne pas, j'ai pleuré si longtemps et
.t désespéré que les larmes remontent encore
igré moi... La joie était si loin qu'elle ne peut
enir dès les premiers baisers... Il en faudra
tucoup avant qu'elle Reprenne confiance dans
n coeur, et je suis presque triste au milieu du
ilie.ur.
)h! ma pauvre JoyzeUe!... C'est donc là ce
; dit ton silence si grave ?. . . Et moi qui m'agi-
i comme un enfant stupide... Je ne pense
à moi, je suis ivre de vie et ne comprends
s rien... J'oubliais qu'à ta place j'aurais
du courage... C'est vrai, tu as raison, c'est
. ce n'est pas moi qui reviens de la mort; et
ïnd deux êtres s'aiment comme nous nous
ions, celui qui ne meurt pas, meurt seul
llement... Ne cache plus tes larmes... Plus
me parais triste, plus je sens que tu
limes... Maintenant, c'est à moi de prendre
n de toi, maintenant c'est à moi de rappeler
i àme, à moi de réchauffer tlss mains
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE IV, SCENE I 141
déconcertées, de poursuivre tes lèvres et de
te ramener au milieu du bonheur que nous
avions perdu... Nous y serons bientôt puisque
l'amour nous guide... Il triomphe de tout quand
il trouve deux cœurs qui se donnent à lui sans
crainte et sans réserve... Tout le reste n'est rien,
tout le reste s'oublie, tout le reste s'écarte et
doit lui faire place...
JOYZELLE, regardant fixement devant elle.
Tout le reste s'écarte et doit lui faire place..
j a fe B db y Google
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE CINQUIEME
j a ,tiz B dbvG00gle
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE CINQUIÈME
Une galerie dans le palais.
SCÈNE PREMIÈRE
Entrent HKRL1N et LANCËOR
LÀNCÉOR
Mon père!... Il est Jonc vrai q.ue vous êtes
mon père!!.. Depuis que je le sais, il me semble
en effet que'rien ne l'ignorait dans mon cœur
clairvoyant... (S'approchant davantage.) l Mais OUI)
j a ,tiz B dbvG00gle
c'est merveilleux? Je vous revois enfin tel je
vous voyais parmi mes jeux d'enfant; et quand
je vous regarde, c'est moi que j'aperçois eu un
miroir plus grave, plus noble et plus profond que
ceux qui me reflètent le long de cette salle. Mais
que dira Joyzelle?... Elle va rire aux éclats en
songeant à ses craintes, car elle s'imaginait...
Non, elle-même vous dira ce qu'elle avait pensé,
pour se punir ainsi de ses folles terreurs... Elle
vous haïssait, mais d'une tendre haine qui sou-
riait déjà comme celle que vont percer les rayons
de l'amour... Mais où donc se cache-t-elle?...
Voilà près de deux heures que je la cherche en
vain... L'avez-vous aperçue? Il faut que je lui
dise tout de suite le bonheur inouï que ce soir
nous apporte...
Pas encore. Je dois être pour elle, jusqu'à la
iin du jour, le tyran sans pitié qu'elle maudit
dans son cœur. Mon pauvre et cher enfant!...
Comme j'ai torturé votre adorable amour!...
JgtodbyGOOglC
ACTE V, SCÈNE I 153
Mais je t'ai déjà dit le but de ces épreuves... Je
n'ai été, en vous faisant souffrir, que l'instrument
du sort et l'esclave indigné d'une autre volonté
dont j'ignore la source, et qui semble exiger que
le moindre bonheur soit entouré de larmes... Je
n'ai fait que hâter, pour hâter le bonheur, la
venue de ces larmes qui étaient en suspens dans
vos deux destinées... Vous saurez quelque jour
grâce à quelle puissance, qui n'a rien de magi-
que ni de surnaturel, mais qui se cache encore
au fond des vies humaines, je commande par
moments à certains phénomènes, à certaines
apparences qui vous ont égarés. Vous appren-
drez aussi que j'ai acquis le don, bien souvent
inutile, de lire dans l'avenir, un peu plus claire-
ment et un peu plus avant que le reste des
hommes... Je vous avais donc vus, vous cher-
chant à tâtons, dans le temps et l'espace, pour
un amour unique, le plus parfait peut-ôlre que
les deux ou trois siècles parcourus par mes yeux
recelassent dans leur ombre... Vous auriez pu
vous joindre après beaucoup d'erreurs; mais il
fallait hâter la rencontre attendue, à cause de
j a ,tiz B dbvG00gle
loi, mon fils, que la mort réclamait au défaut de
l'amour... Et d'un autre côté, rien ne marquait
Joyzelle pour l'amour espéré, si ce n'est quel-
ques traits épars et incertains et les épreuves
mêmes qu'elle devait surmonter. J'ai donc pré-
cipité les épreuves prescrites; toutes étaient pé-
nibles mais nécessaires; la dernière sera décisive
et plus grave...
Grave?... Que voulez-vous dire?... Elle n'est
pas dangereuse pour Joyzelle ou pour d'au-
Elle n'est pas dangereuse pour Joyzelle, mais
elle met en péril, une dernière fois, l'amour pré-
destiné auquel se lie ta vie... C'est pourquoi
malgré tout, malgré ma confiance, malgré mes
prévisions, ma cerlilude même, j'ai peur, je
tremble un peu à l'approche de l'heure qui sera
décisive...
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE V, SCENE I
Si Joyzelle décide, l'amour n'a rien à craindre. . .
Allez, n'hésitez pas, Joyzelle sera toujours Ici
source de la joie... Mais je ne comprends pas,
que sachant l'avenir, vous ne puissiez pas voir,
d'avance, son triomphe?...
Je vous l'ai déjà dit, avant d'entrer ici, Joy-
zelle peut changer l'avenir qu'elle affronte... Elle
possède une force que je n'ai vue qu'en elle;
c'est pourquoi je ne sais si la belle victoire que
ton amour attend, ne sera pas mêlée d'un peu
d'ombre et de larmes...
Que voulez-vous dire?... Vous semblez in-
quiet... Que me cachez-vous donc?... Gomment
j a ,tiz B dbvG00gle
s croire que Joyzelle soit jamais la
s larme ou la cause d'une ombre?...
en dans Joyzelle, pas même la
qu'elle pourrait infliger, il ne s'y
qui n'apporte le salut, le bonheur et
Ah! comme je vois bien que vous
jeu le triomphe vivant, l'aurore iué-
'il y a dans sa voix, dans ses yeux,
aurl... 11 faut l'avoir tenue dans les
ivoir quels Irésors d'espérance, quels
itudes émanent du moindre mot que
ses lèvres, du plus petit sourire qui
son front... Mais je retarde trop la
patiente. Allez, allez, mon père...
i, j'attends, je regarde passer les
ureuses, jusqu'à ce qu'un grand cri
na Joyzelle m'apprenne que l'amour
stïn...
rlin embrasse Lancéor et sort lentement.)
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE V, SCÈNE il
MERLIN, ARIELLE, puis JOYZELLE et LANCÉOR
{La même salle qu'au quatrième acte. La lune l'éclairé de la
lumière bleue. A droite, sur ud grand lit de marbre, est
a*sis Merlin. Arielle, au chevet, est agenouillée sur les
marches de l'estrade qui supporte le lit.)
Arielle, l'heure sonne et Joyzelle s'approche...
J'ai fait le sacrilice de ma vie inutile ; et pourtant
je voudrais que ma mort, s'il se peut, ne vint
pas attrister l'amour le plus ardent et le plus -
innocent que la terre ait porte... Mais tu
trembles, tu pleures, tu me caches tes yeux
j 3 fe B db V Google
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE V, SCÈNE II
à toi d'arrêter l'arme encore incertaine que
Joyzelle s'apprête à lever contre nous...
Mais je ne puis savoir si je le pourrai faire!...
La force de Joyzelle est si prompte, si profonde,
qu'elle échappe à mon bras, qu'elle échappe à
mes yeux, qu'elle échappe au destin!... Je ne
vois que l'éclair de l'acier qui retombe... Tout
se mêle dans une ombre ; et ma vie et la tienne
dépendent d'un mouvement de ma main malha-
bile...
MERLIN
Elle est là, je l'entends, elle lâte la porte. —
Obéis et tais-toi ; moi j'obéis aussi. Veille et sois
promple et forte. — Je vais fermer les yeux pour
attendre mon sort...
ARIELLE, épouvantée et affolée.
Renonce!... Je ne puis!... Je refuse!... Je veux
fuir!...
j a ,tiz B dbvG00gle
inv7wi iv
j a fe B db y Google
ACTE V, SCENE II 161
juste, c'étail inévitable!... Mais maintenant lout
change et j'ai tout oublié... II y a d'autres forces,
il y a d'autres voix, el je suis toute seule conlre
tout ce qui parle dans la nuit incertaine... Jus-
lice, oîi Ôles-VQUS?... Justice! que faut-il faire?...
C'est moi qui vais agir parce que vous le vou-
liez... Vous m'avez, convaincue el vous m'avez
poussée... La, lout à l'heure encore, sous les
milliers d'étoiles qui éclairaient la porte et que
vous invoquiez pour rassurer mon âme!... Il n'y
avait pas de doule, alors ! el toute la certitude de
tout ce qui respire et de lout ce qui vibre et <Ie
tout ce qui aime et a droit à l'amour illuminait
mon cœur... Mais en face de l'acte, vous reculez
vous-même, vous reniez vos lois et vous m'aban-
donnez!... Ah! je me sens Irop seule, livrée
comme une esclave aveugle à l'inconnu... Je
vais marcher sans voir... Je ne regarde rien et
e ne lèverai mes yeux fous sur le lit qu'au mo-
ment où la chose... (Elle s'avance d'un pas pour ainsi
îécanique jusqu'au pied du ut). Maintenant, c'est
e sort lui-même qui va dire oui... (Elle élève u
ampe, regarde le lit, aperçoit Merlin endormi, et, étonoée,
j a ,tiz B dbvG00gle
162 JOÏZELLE
faitun gesie de recul.) 11 dort!... Qu'est-ceci?... Je
n'avais pas prévu... Tout excepté ceci... Faut-il
attendre encore?... Oh! je voudrais attendre!...
Il dort profondément ... Il ne voulait donc
point... Mais s'il ne dormait pas, je n'aurais pu
le faire... Il m'aurait désarmée, il m'aurait maî-
trisée... C'est donc vrai, c'est le sort, c'est le
sort juste et bon qui me le livre ainsi... Moi
qui cherchais un signe?... Mais le voilà, le
signe!... Mais que me faul-il donc s'il me faut
davantage?... Et pourtant, puisqu'il dort, je ne
puis pas savoir... Peut-être a-t-il pitié, peut-être
qu'il renonce et qu'il dirait : « va-t'en! »...
Il n'était pas sans âme; et dans bien des mo-
ments il parlait comme un père... Ah! s'il s'était
levé, s'il avait été là, les bras tendus vers moi,
dans un geste de.. . C'est alors, c'est alors que
j'aurais été forte et que j'aurais vaincu !... Mais
uo homme qui dorl... Cela brise la haine... Et
puis, on ne sait plus... El changer ce sommeil
qu'un seul mot met en fuite, en celui qu'aucune
force humaine ou surhumaine ne peut plus
ébranler!... Oh! je voudrais du moins qu'une
j a fe B db y Google
ACTE V, SCÈNE II 1M
parole de pardon... Ah! non, je suis trop lâche I...
C'est la terreur qui cherche... Je ne suis pas
venue pour méditer encore... Il n'y a pas de
doute après ce qu'il a fait, après ce qu'il a dit!..,
Je n'écoute que ma voix, la voix de mon destin
qui veut que je nous sauve !... Tant pis si je me
trompe!... J'ai raison! J'ai raison!... Toi ma
lampe, éteins-toi; j'ai vu ce qu'il faut voir...
(Elle éteint la lampe, la pose sur une des marches de marbre,
saisit le poignard qu'elle tenait cacué, l'élève et le regarde un
instant.) Maintenant, c'est à toi li„ Ah! si tu pou-
vais faire ce que veut ma pensée, ma pitié accu-
lée, et que la mort qui brille au bout de cette
lame ne fût pas la vraie mort, l'irrévocable
mort!... Mais c'est trop... II est temps... C'est
dit, c'est fait, je frappe !...
(Elle lève la lame pour frapper .Merlin. — Arielle, invi-
sible, lui saisit le poignet, et, sans aucun effort
apparent, paralyse Sun geste. Au même moment,
Merlin ouvre les yeux en snuriant, se dresse etdaas
un mouvement île joie, entoure tendrement Joyïelle
de ses bras.)
j a ,tiz B dbvG00gle
C'est bien!... Joyzelle est grande et Joyzelle
triomphe!... Elle a vaincu le sort en écoutant
l'amour: et c'est toi, mon enfant, que le destin
désigne... »
JOYZELLE, ne comprenant pas encore et se débattant.
Non, non, non!... Je n'ai pu... Ah! si le cœur
me manque, j'ai pourtant du courage!... Et j'ai
toute ma vie si je n'ai plus ma force, et jamais,
non jamais, tant que j'aurai le souffle ..
Regarde-moi, Joyzelle... Je restitue sa force
au bras que tu levais pour défendre l'amour... Je
lui laisse son arme qui voulait me frapper et
frappait justement... Jusqu'à ce geste-là, tout
était indécis; à présent tout est clair, tout est
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE V, SCÈNE II 165
radieux et sûr... Regarde-moi, Joyzelle, et ne
crains plus mes lèvres... Elles cherchent Ion
front poury poser enfin le baiser que le père met
au front de sa fille...
Qu'est-ce donc, et que voulez-vous dire que je
ne comprends pas?... — Oui, je vois dans vos
yeux que vous semblez m'aimer comme on aime
un enfant... Je m'étais donc trompée et j'étais
sur le point?...
Non, tu avais raison ; tu n'aurais pas été celle
que l'amour exige, si tu n'avais pas l'ait ce que
Je ne sais plus, je rêve... Mais puisque ce
j a ,tiz B dbvG00gle
n'est pas l'abominable chose, je m'abandonne
au songe...
Oui, c'est vrai, ma Joyzelle, je m'atiarde à
ma joie, à ta surprise heureuse, à suivre tes
regards qui me semblent si beaux dans leur
fuite étonnée où point la confiance, et qui ne
savent plus où reposer leurs ailes, comme des
oiseaux de mer qui ont perdu la rive... C'est que
je prends ma part du bouheur que je donne...
Je n'en aurai pas d'autre... Mais ne t'inquiète
point, nous entrerons ensemble dans les secrets
du sort, et lorsque Lancéor...
JOÏZELLE
Où est-il?
Ali! ce nom te réveille, et voici que la rive
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE V, SCÈNE II 167
apparaît aux regards égarés dans l'espace!...
Écoute, je l'entends... Ton cœur, à notre insu,
est allé l'avertir que tu l'avais aimé jusqu'au
point que l'amour ne peut pas dépasser... Il
accourt, il est là...
(La porte s'o
invisible.)
entre Lancéor suivi d'Arielle,
Mon père ! . . . Elle est à moi ! .
Mon fils, elle triomphe ; le destin te la donne.
LANCÉOR, saisissant Joyzplle dans ses bras et la couvrant
de baisers éperdus.
Ah! comme je le savais, et comme j'en éiais
sûr!... Joyzelle, ma Joyzelle!... Je ne demande
pas ce que tu as pu faire pour désarmer le sort...
j a fe B db y Google
168 JOYZËLLE
Je nesais rien encore; mais on sait toul d'avance
quand on s'aime comme nous; et je salue déjà
la vérité nouvelle qu'on a dû découvrir en
touchant à ton cœur!... Ah! mon père, mon
per«! je vous l'avais bien dit!.,. Mais elle ne
comprend pas pourquoi je vous embrasse...
C'est vrai, je vais trop vite... Approche-toi, Joy-
zelle, que je puisse vous unir tous les deux dans
mes brus... Nous avions près de nous un
ennemi qui nous aime; il était obligé de nous
faire souffrir; et ce doux, ennemi, c'était mon
propre père que j'avais cru perdu, mon père que
voîci, mon père retrouvé qui n'ai tond qu'un
sourire pour t'embrasser aussi... Oli ! ne t'écarte
pas, ne me regarde pas de ces yeux qui déjà se
chargent de reproches... Je ne t'ai rien caché...
Je le sais d'aujourd'hui, de ce soir, de l'instant
où tu m'avais quitté, et dès que je l'ai su, j'ai
dû fuir loin de loi pour ne pas me trahir, car
tout notre bonheur dépendait, parait-il, de ce der-
nier secret; et lorsque l'on dépose un secret dans
l'amour, c'est comme si l'on cachait une lampe
allumée dans un vase de cristal... Tu aurais
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE V, SCÈNE II 109
tout appris rien qu'en voyant mes yeux, mes
mains, mou ombre même; et je ne pouvais pas
le montrer mon bonheur... Tu devais l'ignorer
jusqu'à la grande épreuve... Il fallu it que tu
fisses une chose impossible... Laquelle?... Je'
n'en sais rien; mais j'avais beau sourire, il a
fallu céder; il m'a fallu attendre et compter
patiemment les minutes de l'heure qui séparait
aiusi deux ivresses sans patience... Mais main-
tenant j'accours, j'écoute, je veux savoir...
Parle, parle, j'écoute...
Puisque tu es heureux, je suis heureuse,
aussi... Je ne sais rien de plus... Je me réveilla
à peine d'un songe plein d'horreur et incompré-
hensible...
Oui, ma pauvre Joyz( lie, le songe était hor-
rible; mais le voilà vaincu, et l'épreuve est
j ; :..«..i > r/ Google
à
170 ■ JOYZELLE
passée en fondant un bonheur que plus rien ne
menace, si ce n'est l'ennemie qui menace tous
les hommes...
Mais quelle était enfin cette épreuve effroya-
ble?...
Joyzelle te le dira dans les premiers baisers
purs de toute inquiétude que vous échangerez
après cette victoire. Ils voileront bien mieux que
mes pauvres paroles ce qui, dans cette épreuve,
parait impardonnable... Elle était dangereuse
et presque insurmontable... Joyzelle pouvait
choisir une voie différente... Elle aurait pu
céder, se sacrifier elle-môme, sacrifier son
amour, désespérer, que sais-je?... Elle n'aurait
pas été la Joyzelle attendue... Il n'était qu'un
sentier tracé par le destin ; elle s'y est engagée,
la suivi jusqu'au bout, et t'a sauvé la vie en
sauvant son amour...
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE V, SCÈNE II
Il est donc ordonné que l'amour frappe el tue
tout ce qui tenterait de lui barrer la route?...
Non, Joyzelle, je ne sais... Ne faisons pas de
lois avec quelques débris ramassés dans la nuit
qui entoure nos pensées... Mais celle qui devait
faire ce que tu voulais faire, était celle que le
sort désignait pour mon (ils... Il était donc écrit
pour toi et pour toi seule, et peut-être pour
celles qui te ressemblent un peu, qu'elles ont
droit à l'amour que le destin leur montre; et que
cet amour-là doit briser-l'injustice... Je ne te
juge point; c'est le sort qui t'approuve; mais je.
suis bienheureux qu'il l'ait choisie ainsi entre
toutes les femmes...
Mon père!... Je tremble encore lorsque je vois
j a ,tiz B dbvG00gle
cette arme qui durant un instant... Pardonnez-
moi, mou père, je vous aimais déjà...
C'est moi qui te demande de me tendre à
prisent une main qui pardonne...
Non, non, ce ne sont pas les mains froides du
pardon... Ce sont celles qui caressent, adorent
et rendent grâces!... Je comprends maintenant
pourquoi, malgré ma haine, je ne pouvais
haïr!... Ce que vous avez fait était plus difficile
que tout ce que j'ai fait puisque c'était cruel; et
lorsque je repense à ce qui s'est passé, c'est vous,
c'est vous , mon père, qui avez supporté
l'épreuve la plus lourde et la plus méritoire...
Non, la plus méritoire n'était point parmi
j a ,tiz B dbvG00gle
ACTE V, SCENE ]l 173
celles que tu peux découvrir.,. -Elle sera le
secret de ce cœur qui vous aime et vous unit en
lui; et qui ne vous demande, à tous deux, mes
enfants, pour changer en bonheur ce secret trop
profond, qu'un instant de vos joies; et peut-être
un baiser un peu plus long que ceux qu'on
accorde en passant aux vieillards qui s'éloi-
gnent...
LANCÉOR, se jetant dans ses bras.
Mon père!...
JOYZELLE, l'embrassant également.
Mon père aussi!...
Personne ne me voit, et personne ne songe à
me donner ma part de l'amour arraché par mes
j a ,tiz B dbvG00gle
invisibles aux mains parcimonieuses des
I des années...
MERLIN, souriant.
vois, Arielle, tu nous aimes tous trois ;
?rs Joyzelle monte un baiser plus ardent
ix que tu nous donnes... Va, tu peux l'cm-
■; l'épreuve est terminée dans mon vieux
ussi... Encore un peu de temps, et nous
loin d'elle et loin de tout amour...
(Arielle embrasse Joyzelle longuement...)
dites-vous, mon père, et à qui parlez-
.. Il semble que des Beurs que je ne puis
• viennent frôler mon front et caresser
les écarte point, elles sont tristes et
^Google
ACTE V, SCÈNE II 115
pures... Cesl ma pauvre Arielle qui les répand
sur toi ; c'est ma fille invisible, la bonne fée de
l'île, qui vous a découverts et vous a protégés.
Elle voudrait se mêler, une dernière fois, à votre
grand amour, et demande une part, aussi dis-
crète qu'elle, du bonheur qu'on lui doit...
JOÏZELLE
Où est-elle?... Je ne vois près de moi que
vous et Lancéor...
Et cr ois-tu donc, ma fille, qu'on voit tout ce
qui vit dans noire vie profonde?... Sois accueil-
lante et douce à la pauvre Arielle... Elle te
donne h présent le baiser du départ, avant de
s'éloigner pour se perdre avec moi aux lieux où
le sort veut que mon destin s'achève...
Pour se perdre avec vous?... Mon père, .je ne
sais...
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terrogeons pas ceux qui n'ont plus rien à
Maintenant tout se fixe... Grâce aux
ignorés, j'ai pu faire le bonheur des deux
qui m'étaient les plus chers; mais je ne
lus rien, et vous ne pouvez rien pour mon
bonheur... Je vais à mon destin, et j'y
i silence, pour ue pas affliger cette heure
ate qui n'appartient qu'à vous... Je sais
m'attend; et néanmoins je pars...
, non, non, non, mon pore, vous ne par-
as !.. Nous sommes autour de vous, et si
ie danger que nous ne pouvons voir,
e votre vieillesse, nous essayerons du
d'en alléger la crainte... IJuaud on est
qui s'aiment, à subir un malheur, le
ur se transforme en un fardeau d'amour
on porte avec joie...
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ACTE V, SCÈNE II
Hélas! non, ma Joyzelle, tout serait inutile...
Plût aux dieux que les hommes n'eussent à tra-
verser que des maux bienveillants, comme les
vôtres le furent!... Mais toutes les volontés
secrètes de la vie ne sont pas aussi claires, ne
sont pas aussi bonnes... Mais nous parlons en
vain de ce qui est- écrit... Je suis encore ici,
aux bras de ceux m'aiment... Le jour de ma
détresse n'est pas encore ce jour... Jouissons
de notre heure, dans la douce tristesse qui
suit les grandes joies, en écoutant passer et
couler une à une nos miaules d'amour, en Ce
frêle rayon de lumière nocturne où nous nous
ctreignons pour être plus heureux... Le reste
n'appartient pas encore aux hommes...
3y Google
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NOTES
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NOTES
Notb 1. — (Acte III, scène 11, p. 105). Si, au théâtre, on
ne peut réaliser d|une manière satisfaisante cette trans-
figuration de Merlin, il est facile de l'éviter, en coupant
de la page 107 à la page 111, tout ce qui suit l'exclama-
tion de Joyxelle. I.a scène se présente alors de la façon
suivante :
JOYZELLE, s'éveillant.
Lancéor!... (reconnaissant Merlin, avec un mouve-
ment d'horreur.) Vous!...
Oui , c'est moi , l'épreuve est grave et triste, etc.
jLe reste comme à la page H! et 113.)
j a fe B db y Google
Note 2. (Acte V, scène u, p. 139.) — Si l'on craint les
longueurs (comme le faisait remarquer VHliers de i'Isle-
Adam, To be or not to be, et en général tout ce que dit
Hamtet, s'appellerait aujourd'hui, longueurs), on peut,
à partir de la Réplique d'Àrielle (page 173) précipiter le
dénouement de la manière que voici :
ABIELLE, qui est restée debout au pied du lit, d'une voix
grase et triste.
Maître!...
MEBLIN
Je te vois Arielle, et je vais obéir...
JOVZELLE
Que dites-vous, mon père, et a qui parlez-
vous?
A celle qui vous ouvrit le chemin du bon-
heur. Elle te donne à présent le baiser du départ
que je te donne aussi...
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JOïZBLLE.
Le baiser du départ?
LÀKCÉOU
Mon père?
JOÏZELLE
Qu'est-ce à dire, et qu'cst-il arrivé?
N'interrogeons pas ceux qui n'ont plus rien
à dire. Plût aux dieux que les hommes n'eus-
sent à traverseï' que des maux bienveillants
comme les vôtres le furent, etc.
Le reste comme dans la tirade finale de Merlin.
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