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CHAMFORT
MAXIMES
ET PENSEES
PARIS
LES ÉDITIONS G. GRÈS & G"
21, RUE HAUTEFEUILLE
MCMXXIII
MAXIMES ET PENSEES
DE
CHAMFORT
îli**
MAXIMES
ET PENSÉES)
DE
CHAMFORT
SUIVIES DE DIALOGUES PHILOSOPHIQUES
TEXTE REVU SUR l'ÉDITION ORIGINALE
ET PUBLIÉ AVEC DES NOTES ET UN INDEX
PAR AD. VAN BEVER
1-
PARIS
LES ÉDITIONS G. GRÈS & G"
21, RUE HAUTEFEUILLE
MCMXXIII
AVANT-PROPOS
DE
L'ÉDITEUR
•J ES Maximes et Pensées de Chamforl, ainsi que
X-/ les Caractères et Anecdotes que nous nous
proposons de réimprimer également, sont extraites
de l'édition donnée par Ginguené, en Van IIL
Elles figurent, on le sait, au tome IV de cet ouvrage,
les trois premiers étant consacrés à divers essais
de morale et de critique, au théâtre, aux poésies
et à la correspondance de l'auteur. Bien que la
réimpression des œuvres de Chamfort, établie par
P,-R. Auguis, en 1824-1825, apparaisse, dans
l'ensemble, plus complète et mieux ordonnée, c'est
VI MAXIMES ET PENSÉES
au texie original, malgré ses imper fecl ions el ses
lacunes, que vonl nos préférences. On trouve /à,
en effet, pour la première fois réunis, les obser-
vations, les mots et les traits de génie du plus
spirituel et du plus profondément humain des
moralistes français. Les deux éditions, il faut le
dire, renferment une leçon identique, dont le
second éditeur n'a eu rien à modifier, sauf l'ortho-
graphe et la ponctuation.
Nous réimprimons donc ce texte d'après la
version de l'an III, corrigeant seulement quelques
fautes anciennes et complétant le tout par une série
de « Pensées » tirées des papiers de Chamfort et
reproduites déjà par feu M. de Lescure. (Œuvres
Choisies, Paris, 1879, t. /.)
On déplorera, certes, que nous n'ayons pu, —
quelques recherches que nous ayons entreprises —
retrouver les manuscrits de l'écrivain (1) et revoir
sur ces précieux documents la leçon des premiers
imprimeurs ; mais on nous saura gré, vous voulons
le croire, de n'avoir point alourdi d'un commen-
taire le présent livre. En fait, rien n'eût été plus
(1) On sait qu'ils appartinrent à Feuillet de Conches el que c'est à
ce dernier que M. de Lescure en dut la communication. C'est en vain
que nous avons tenté de les découvrir. Ils ont disparu à la mort du
célèbre collectionneur.
AVANT-PROPOS VII
inopporlun qu'une préface. On connaît la vie de
Chamforl. Les quelques pages qu^on lira par la
suite, du comte P.- L. Rœderer, nous donnent de
lui un portrait fidèle et sincère. Qu'ajouter de plus,
alors que le meilleur de son œuvre est reproduit
intégralement ici, et que, l'auteur s'exprimant en
toute liberté, lui-même, ne répugne point à prendre,
parfois, un ton de confident? Bon nombre de ses
productions ont été perdues ; d"* autres ne nous sont
guère connues que par leur titre, telles ces Soirées
de Ninon, dont les contemporains regrettaient bien
à tort, peut-être, la disparition. Nous avons,
toutefois, pour compenser cette perte, les Petits
Dialogues Philosophiques. Ils sont insérés à la
suite des « Maximes », et ce n^est point trop dire
qu'ils en sont Pheureux complément.
Le classement de tous ces écrits est celui qu'adop-
tèrent les premiers éditeurs. Nous Pavons admis,
à notre tour, en raison de son caractère tradi-
tionnel, et aussi parce qu^il respecte P ordre indiqué
par l'auteur. M. de Lescure a imaginé une clas-
sification différente, qu'on a trouvée ingénieuse,
mais dont l'emploi serait superflu dans un livre
pourvu, comme celui-ci, d'un copieux index alpha-
bétique.
VÏIl MAXIMES ET PENSEES
Quelques noies succincles, rendues indispensables
par certaines obscurités du iexle, ei des variantes
fournies par une lecture attentive des Œuvres
Choisies de Chamfort, imprimées en 1879, ter-
minent Vouvrage.
Considéré comme penseur, comme moraliste,
N. Chamfort vient après La Rochefoucauld et
La Bruyère, corrigeant en amertume et en scepti-
cisme ce que l'un offre de conventionnel ou de
suranné et l'autre de volontairement morose. Avec
La Bruyère, il représente, a-t-on dit, Pesprit fran-
çais dans ce qu^il a de plus original et de plus
affiné. Observateur qui sait, à Voccasion, se mêler
à la comédie sociale, s^il est misanthrope, c^est par
infortune plus encore que par goût ou par mépris.
L'expérience des hommes lui a ouvert les yeux. Ses
mots sont à la fois brillants et brillants, mais sa
philosophie trouve un correctif dans sa propre sen-
sibilité. Cet homme de Vancien régime, désabusé,
ce classique rebelle à son temps, — et qui Peut été
également au nôtre, — cet apôtre de la liberté, fidèle
à son dogme et qui en mourut, est un homme nou-
veau. Rien dans son œuvre ne semble avoir vieilli.
Les « Maximes » d^ autrefois : traits caustiques et
réparties ingénieuses, qu'il exprime en termes
AVANT-PROPOS IX
lapidaires, cesl la pensée et hier el de demain,
celle de loul à Fheure el d^ aujourd'hui.
Qui ne comprendrail, après cela, combien nous
lenions à présenter son œuvre el, collaborateur
ennobli par la lâche, à réaliser une édition digne
à la fois de Vécrivain el de son public ?
Ad. van Bever.
NOTES SUR CHAMFORT
PAR
LE COMTE P.-L. RŒDERER
Le texte ci-après, qui nous fournit les
détails les plus exacts sur Chamfort, est
extrait des Œuvres complètes de Rœderer.
Paris, F. Didot, 1853-1859, t. IV. La pre-
mière partie de ces a Notes » et « Anecdotes »
tirée du Journal de Paris, figure également
dans l'édition des Œuvres complètes de
Chamfort, publiée par P.-R. Auguis, en 1825,
t. V, pp. 339-347. — NOTE des éditeurs.
NOTES SUR CHAMFORT
ST-CE que vous ne défendrez pas Chamfort
contre Delacroix ? (1) — Ma foi, je n*en sais
rien. — N*étiez-vous pas de ses amis ? — J^en étais,
certainement. — Et vous l'abandonneriez ! —
N'a-t-il pas été lerroriste / — Oui, jusqu'à la
menace ; non, jusqu'aux actions. Il croyait néces-
saire de paraître terrible, pour éviter d^tre cruel.
Il s'est arrêté, quand il a vu la férocité frapper avec
les armes que le patriotisme alarmé ne voulait que
(l) Delacroix avait fait insérer dans le Journal de Paris, une lettr*
dans laquelle il parlait peu avantageusement de Chamfort, auquel il
reprochait d'avoir pris une part trop active à la Révolution. — n. d. è.
XIV MAXIMES ET PENSÉES
montrer. Le confondriez-vous avec les hommes de
sang ? — Non ; mais je ne le mettrai pas non plus au
rang des esprits sages qui ont prévu les consé-
quences des déclamations incendiaires, ni des âmes
courageuses qui ont travaillé à empêcher les fureurs
populaires, ni même des âmes sensibles qui en ont
constamment gémi. N'est-ce pas lorsque la terreur
l'a atteint lui-même qu'il a cessé d'applaudir au
terrorisme ? — C'est bien avant ; et il ne s'est pas
borné au silence, il a frappé sur le terrorisme, dès
qu'il l'a vu cruel, comme il l'avait fait sur le despo-
tisme dans tous les tems, et sur le modérantisme
quand il l'a cru dangereux. Ignorez-vous qu'il fut
mis en arrestation pour avoir refusé à Héraut-
Séchelles d'écrire contre la liberté de la presse ?
N'avez -vous pas entendu citer ce mot qui lui
échappa au sujet de la fralernilé, que les tyrans
proclamaient sans cesse : Ils parleni, dit-il, de la
fralernilé d'Éléocle el Polynice P Ce fut lui qui,
entendant déplorer l'indifférence du public pour
les chefs-d'œuvre de la scène tragique, l'expliqua en
ces mots : La tragédie ne fait plus d*effel depuis
qu'elle court les rues. Ce fut lui qui dit de Barrère,
à la naissance de son pouvoir : C'est un brave
homme que ce Barrère, il vient toujours au secours
NOTES SUR CHAMFORT XY
du plus forl. C'est un ange que voire Pache, dit-il
un jour à un ami de celui-ci, mais à sa place Je
rendrais mes comptes. Ce furent ces discours et
cent autres que ceux-là supposent, qui indispo-
sèrent les décemvirs contre lui. On sait qu'au
moment de son arrestation, il fît ce qu'il put pour
se tuer; remis en liberté, ses amis lui reprochaient
d'avoir tenté de se donner la mort. Mes amis,
répondit-il, du moins je ne risquais pas d'être jeté
à la voirie du Panthéon, C'est ainsi qu'il appelait
cette sépulture depuis l'apothéose de Marat. Quelque
tems après sa délivrance, un des amis qui lui
ont fermé les yeux, Colchen, le félicitait d'être
échappé à ses propres coups ; Chamfort lui répondit :
Ah! mon ami, les horreurs que je vois me donnent
à tout moment l'envie de me recommencer. Ne
voyez-vous pas dans ces paroles lessentimens d'une
âme sensible et courageuse ? — Je me plais à les
reconnaître en lui ; mais pourquoi donc cet emporte-
ment de paroles, ce débordement d'invectives et de
menaces contre les mêmes castes, contre la plupart
des mêmes individus que Marat et Robespierre
proscrivirent depuis ? — Vous l'avez dit : parce que
Chamfort n'était pas un esprit sage ; j'ajouterai
même qu'en politique il n'était pas un esprit éclairé.
XVI MAXIMES ET PENSÉES
Il avait vu les abus et les vices attachés à l'ancien
régime ; il leur avait juré la guerre : et il croyait
nécessaire de la faire à outrance, sans précaution,
comme sans mesure ; voilà son erreur. — Mais n'y
a-t-il pas eu du mauvais cœur dans sa conduite, et
au moins de cette méchanceté qui se plaît à nuire
pour peu que la justice y autorise ; de cette méchan-
ceté qui n'est pas celle du scélérat, mais celle de
l'homme dur et violent ? — Nullement, et ce qui le
prouve, c'est qu'il a cessé ses emportemens dès
qu'il a vu qu'on prenait à la lettre les discours des
Marat et des Robespierre ; il voulait faire peur et
non faire du mal, puisqu'il s'est arrêté dès qu'il a
vu qu'on faisait mal pour faire mal et encore pour
faire peur. — Mais n'a-t-il pas voulu satisfaire des
vues personnelles ? N'est-ce pas son intérêt qui lui
a conseillé de flatter les partis dominants ? — Son
intérêt n'a été pour rien dans sa conduite. Toujours
Chamfort s'y montra supérieur; disons plus : il en
fut toujours l'ennemi. Non seulement il s'attacha à
la révolution, mais même il poursuivit avec passion
jusque sur lui-même tous les abus, ou ce qu'il
croyait être les abus de l'ancien régime. Il se
déchaîna contre les pensions jusqu'à ce qu'il n'eut
plus de pensions ; contre l'Académie, dont les jetons
NOTES SUR CHAMFORT XVII
étaient devenus sa seule ressource, jusqu'à ce qu'il
n'y eut plus d'Académie ; contre toutes les idolâtries,
toutes les servilités, toutes les courtoisies, jusqu'à
ce qu'il n'existât plus un seul homme qui osât se
montrer empressé à lui plaire; contre l'opulence
extrême, jusqu'à ce qu'il ne lui restât plus un ami
assez riche pour le mener en voiture ou lui donner
à dîner. Enfin il se déchaîna contre la frivolité, le
bel esprit, la littérature même, jusqu'à ce que
toutes ses liaisons, occupées uniquement des intérêts
publics, fussent devenues indiflérentes à ses écrits,
à ses comédies, à sa conversation. Il s'impatientait
d'entendre louer son Marchand de Smyrne comme
une comédie révolutionnaire ; il s'indignait même
qu'on se crût réduit à tenir compte de si faibles
ressources pour servir une si grande cause. Je ne
croirai pas à la Révolution, disait-il souvent en
1791 et 1792, lanl que je verrai ces carrosses et ces
cabriolets écraser les passans. Voici une anecdote
qui le caractérise : le lendemain du jour où l'Assem-
blée constituante supprima les pensions, nous fûmes,
lui et moi, voir M-Larmontel] à la campagne. Nous
le trouvâmes, et sa femme surtout, gémissant de la
perte que le décret leur faisait éprouver ; et c'était
pour leurs enfans qu'ils gémissaient. Chamfort en
XVIII MAXIMES ET PENSÉES
prit un sur ses genoux : Viens, dît-il, mon petit
ami ; tu vaudras mieux que nous, quelque jour tu
pleureras sur ton père, en apprenant qu'il eut la
faiblesse de pleurer sur toi, dans l'idée que tu
serais moins riche que lui. Chamfort perdait lui-
même sa fortune par le décret de la veille. Si
Chamfort, comme on voit, ne passait rien aux
autres, il ne se passait rien non plus à lui-même. Il
fut misanthrope, peut-être, mais non pas inhumain ;
il haïssait les hommes, mais parce qu'ils ne s'aimaient
point ; et le secret de son caractère est tout entier
dans ce mot qu'il répétait souvent : Tout homme
qui à quarante ans n'est pas misanthrope, n'a
jamais aimé les hommes. On lui a reproché d'avoir
été ingrat envers des amis qui l'avaient obligé
pendant leur puissance, et l'on s'est fondé sur son
ardeur à poursuivre les abus dont ils vivaient. La
belle raison I La preuve que Chamfort ne fut point
ingrat, c'est qu'il resta attaché à ses amis dépouillés
d'abus, comme il l'avait été quand ils en étaient
revêtus. — A ce compte, il n'y aurait qu^à admirer
dans Chamfort ; et ce que vous appelez le défaut de
sagesse de son esprit, ne serait que la faculté de
s'émouvoir trop vivement pour le bien et contre le
mal ! — Vous allez maintenant trop loin. La moro-
NOTES SUR CHAMFORT XIX
site de Chamfort, sa misanthropie furent des défauts
sérieux; il irrita souvent des gens qu'il aurait pu
ramener. Il affligea des hommes honnêtes par des
jugemens inconsidérés; il provoqua sans le vouloir,
il autorisa des passions perverses, et arma des
hommes atroces de maximes violentes et de raison-
nemens spécieux ; et quand il avait lancé un mot
piquant ou accablant sur quelque homme que ce
fût, il ne revenait plus sur l'opinion qu'il en avait
donnée, non qu'il fût arrêté par la crainte mépri-
sable de déprécier un mot vaillant, mais plutôt
parce qu'il voulait se faire craindre d'un ennemi
qu'il croyait trop blessé pour ne pas être irrécon-
ciliable : c'est ainsi qu'il resta toute sa vie le
détracteur de La Harpe, parce qu'il l'avait été un
jour ; il s'obstina à soutenir que cet excellent litté-
rateur, dont il honorait d'ailleurs le patriotisme, ne
savait pas le latin, parce qu'il l'avait surpris autre-
fois je ne sais dans quelle erreur sur le sens d'un mot
de Tite-Live. Ces travers sont inexcusables, mais
je ne puis pour cela passer condamnation sur des
reproches qui attaquent le fond de son cœur. — Je
vous entends ; mais, après tout, à quoi bon célébrer
Chamfort? Qu'a-t-il fait pour la révolution? Il n'a
pas imprimé une seule ligne pour en hâter ou en
XX MAXIMES ET PENSÉES
arrêter la marche, suivant les circonstances, non
plus que pour Téclairer. — Comptez-vous pour rien
une foule de mots saillans qui ont passé mille fois
dans toutes les bouches ? Sa réponse à des aristo-
crates qui, après le 14 juillet 1789, se demandaient
douloureusement ce que devenait la Baslille :
Messieurs, elle ne fait que décroître et embellir !
Ces autres paroles sur la manière de faire la guerre
à la Belgique : Guerre aux châteaux, paix aux
chaumières! Paroles qui, pour être devenues
l'adage du vandalisme et de la tyrannie en France,
n'en étaient pas moins justes et politiques relative-
ment à des ennemis étrangers et des agresseurs
cruels. Cette prédiction malheureusement démentie
par M. Pitt, mais qui devait lui servir de leçon, et
fournira à l'Angleterre un éternel reproche contre
lui : L^ Angleterre ne fera pas la guerre à la France,
elle aimera mieux sucer notre sang que de le
répandre. Enfin, cette réflexion décisive sur des
projets de loi proposés à l'Assemblée constituante
pour réprimer la licence des écrits calomnieux :
Toute loi sera inutile contre la calomnie, parce
qu^elle ne coûte guère et qu'elle se vend bien?
Chamfort imprimait sans cesse, mais c'était dans
l'esprit de ses amis. Il n'a rien laissé d'écrit, mais il
NOTES SUR CHAMFORT XXI
n'aura rien dit qui ne le soit un jour. On le citera
longtenis ; on répétera dans plus d'un bon livre
des paroles de lui, qui sont l'abrégé ou le germe
d'un bon livre... Ne craignons pas de le dire : on
n'estime pas à sa valeur le service qu'une phrase
énergique peut rendre aux plus grands intérêts. Il
est des vérités importantes qui ne servent à rien,
parce qu'elles sont noyées dans de volumineux
écrits, ou errantes et confuses dans l'entendement ;
elles sont comme un métal précieux en dissolution ;
en cet état, il n'est d'aucun usage ; on ne peut même
apprécier sa valeur. Pour le rendre utile, il faut
que l'artiste le mette en lingot, l'affine, Pessaye, et
lui imprime sous le balancier des caractères auxquels
tous les yeux puissent le reconnaître. Il en est de
même de la pensée; il faut, pour entrer dans la
circulation, qu'elle passe sous le balancier de
l'homme éloquent ; qu'elle y soit marquée d'une
empreinte ineflaçable, frappante pour tous les yeux,
et garante de son aloi. Chamfort n'a cessé de frapper
de ce genre de monnaie, et souvent il a frappé de
la monnaie d'or ; il ne la distribuait pas lui-même
au public, mais ses amis se chargeaient volontiers
de ce soin ; et, certes, il est resté plus de choses de
lui, qui n'a rien écrit, que de tant d'écrits publiés
XXII MAXIMES ET PENSÉES
depuis cinq ans et chargés de tant de mots. — Je
me rends, citoyen ; mais que puis-je faire de mieux
pour la mémoire de Chamfort que d'écrire notre
entretien et de le publier ? Y consentez-vous ? —
Volontiers. »
{Journal de Paris^ du 28 ventôse, an III
[19 mars 1795].)
II
Chamfort a plus observé le monde que la Société ;
plus les effets que les causes de ce qui s'y passe ; et,
entre les effets, il a été plus frappé des ridicules,
des bizarreries ou des absurdités, que des vices et
des désordres ; et entre les ridicules, ceux des
manières, du ton, du langage, ne le frappaient pas
moins que celui des mœurs, de Pesprit ou du
caractère.
Il était lui-même très soigneux d'éviter le ridicule;
il regardait comme un malheur d'y tomber ; il
mettait de l'importance à l'éviter. Il tenait cette
faiblesse de la contagion du grand monde : On ne
saurait croire, disait -il, combien il faut d'esprit
pour n'être jamais ridicule. — L'art de la plaisan-
terie, dit-il ailleurs, préserve du malheur, toujours
fâcheux pour un honnête homme, d'être faux ou
NOTES SUR CHAMFORT XXIII
pédant. Comment un honnête homme balancerait-
il entre la fausseté et la pédanterie P Et comment
est-il fâcheux d'être pédant ou d'être réputé tel,
quand il faut blâmer, censurer, sous peine de faus-
seté ? Et comment la raillerie sauve-t-elle du
reproche de fausseté, quand elle prend la place de
la censure rigoureuse et de l'indignation énergique ?
La crainte du ridicule est souvent une cause de
ridicule, parce qu'elle est une cause de gaucherie.
La crainte du ridicule de ton et de manières fait
souvent tomber dans un ridicule d'esprit et de
mœurs.
C'est la crainte d'un ridicule qui jette dans un
autre. C'est par ses efforts pour ne pas ressembler
au provincial à Paris, que le provincial s'y fait
remarquer ; c'est pour n'être pas bourgeoise de Paris
à Versailles, qu'une bourgeoise s'y fait moquer ;
c'est surtout quand on se moque d'un ridicule qu'on
a voulu éviter, qu'on court risque d'être souverai-
nement ridicule soi-même.
Ce sont les prétentions qui rendent ridicules, non
les mœurs ni les manières simples ou familières :
elles peuvent être bizarres et ne sont pas ridicules.
La dame de petite ville se moque quelquefois,
non de la femme, mais de la dame de village ; mais
XXIV MAXIMES ET PENSEES
la dame de grande ville se moque bien plus de la
dame de petite ville, et surtout de la sotte confiance
avec laquelle celle-ci se moque de la villageoise ; et
tandis qu'elle rit ainsi de la première devant une
dame de Paris, celle-ci rit de toutes, et surtout de
celle qui lui parle, en attendant qu'elle vienne, à
son tour, s'exposer à la risée d'une ancienne femme
de Versailles, à qui elle racontera le tout à Paris.
Est-on soi, on est rarement ridicule ; est-on ridi-
cule par accident, il faut braver la plaisanterie,
élargir et tendre sa poitrine devant elle, recevoir
ses traits, sûr de les émousser en les recevant de
face.
Chamfort a mieux connu les principes du grand
monde ; La Bruyère, mieux les caractères des
hommes du monde; Montaigne, Vauvenargues,
mieux la société civile; Pascal, La Rochefoucauld,
mieux la nature humaine.
Chamfort a saisi, indiqué et fortement censuré le
ridicule ou l'odieux des principes reçus dans le
monde. — La Bruyère a saisi, peint, fait sentir
le ridicule non seulement des principes, mais des
mœurs des gens du monde.
NOTES SUR CHAMFORT XXV
Chamfort marque au fer chaud, mais c'est souvent
la même marque qu'il imprime à la même chose. —
La Bruyère peint, il peint tout ce qu'il montre avec
les couleurs propres, et il n'y a rien qu'il ne peigne.
Vauvenargues fait plus de réflexions, Chamfort
plus d'observations ; l'un a pris en lui-même, l'autre
sur autrui.
Les réflexions de Vauvenargues sont souvent
des aveux modestes ; les observations de Chamfort
sont toujours des censures amères. On peut dire de
la Rochefoucauld ce que je dis de Vauvenargues.
« Nous sommes consternés de nos rechutes, dit
V^auvenargues, et de voir que nos malheurs
mêmes n'ont pu nous corriger de nos défauts. »
« Quelque vanité qu'on nous reproche, dit-il
encore, nous avons besoin quelquefois qu'on nous
assure de notre mérite. »
« Nous plaisons plus souvent, dit La Roche-
foucauld, dans le commerce de la vie par nos fautes
que par nos bonnes qualités. »
« La vanité est si ancrée dans le cœur de l'homme,
qu'un goujat, un marmiton, un crocheteur, se vante
et veut avoir ses admirateurs. Ceux qui écrivent
contre la gloire veulent avoir la gloire d'avoir bien
XXVI MAXIMES ET PENSÉES
écrit, et ceux qui le lisent veulent avoir la gloire
de l'avoir lu ; et moi, qui écris ceci, j'ai peut-être
cette envie, et peut-être que ceux qui le liront
l'auront aussi. » (Pensées de Pascal, ch. XXIV.)
On ne trouve jamais de ces confessions dans
Chamfort. Les vices qu'il censure, les ridicules
qu'il relève, il ne les a jamais vus que dans les
autres. C'est moins l'amour de la vérité qui l'a
conduit dans ses recherches utiles, que la haine des
choses et des personnes qui ont offensé ses regards.
Il a plus écrit par humeur que par philosophie.
« C'est la plaisanterie, dit Chamfort, qui doit
faire justice de tous les travers des hommes et de la
société. C'est par elle qu'on évite de se compro-
mettre, c'est par elle qu'on met tout en place
(il faut : à sa place), sans sortir de la sienne. C'est
elle qui atteste notre supériorité sur les choses et
les personnes dont nous nous moquons, sans que
les personnes puissent s'en offenser, à moins
qu'elles ne manquent de gaieté ou de mœurs. La
réputation de savoir bien manier cette arme donne à
l'homme d'un rang inférieur, dans le monde et dans
la meilleure compagnie, cette sorte déconsidération
que les militaires ont pour ceux qui manient supé-
rieurement l'épée.
NOTES SUR CHAMFORT XXVII
« Otez à la plaisanterie son empire, et je quitte
demain la Société. C'est une sorte de duel où il n*y
a pas de sang répandu^ et qui, comme l'autre, rend
les hommes mesurés et plus polis. » (De la Sociélé.)
Pascal et Chamfort s'accordent à regarder la plai-
santerie qui offense comme mauvaise ; mais ils
diffèrent dans les motifs qu'ils en donnent. Chamfort
veille davantage sur la perfection de la plaisanterie,
sur le succès du plaisant, sur la sûreté qu'elle donne
à rhomme de mérite dans la société'. Pascal est
plus occupé de l'amélioration du cœur, de la sûreté
de la conscience, de la satisfaction de l'homme
de bien^.
Toute Tattention, toute la philosophie de Chamfort
paraissent s'être tournées uniquement vers ces
vues : échapper au ridicule, se dérober aux liens
du mariage, se soustraire à l'autorité des gens de
1. « C'est une règle excellente à adopter sur l'art de la raillerie et
de la plaisanterie, que le plaisant et le railleur doiv^t être garans du
iuccès de leur plaisanterie à l'égard de la personne plaisantée ; et
quand celle-ci se fâche, l'autre a tort. » (Chamfort, Pensées, 79.)
2. « L'homme aime la malignité, mais ce n'est pas contre les mal-
heureux, mais contre les heureux superbes. L'épigramme de Martial
•ur les borgnes ne vaut rien, parce qu'elle ne les console pas, et ne fait
que donner une pointe à la gloire de l'auteur. Tout ce qui n'est que
pour l'auteur ne vaut rien : Ambitiosa recidet ornamenta. 11 faut plaire
à ceux qui ont les sentiments humains et tendres, et non aux âmes
barbares et inhumaines. {Pensées de Pascal, ch. XXXI,)
XX vin MAXIMES ET PENSÉES
fortune, à la domination des gens en puissance,
à celle de hautes naissances, à celle des gens de
lettres.
Chamfort est plein de plaisanteries fines et
piquantes ; mais La Rochefoucauld est plein d'idées
grandes et profondes; Vauvenargues, d'idées éle-
vées ; Pascal, d'idées sublimes.
Chamfort est plaisant, gai, piquant ;
Vauvenargues, plus élevé; La Rochefoucauld,
plus profond ; Pascal, grand, fort, sublime.
L'expression de Chamfort est toujours juste,
exacte, souvent forte ; la contexture de sa phrase
est toujours correcte, même élégante ; mais toutes
ses pensées ont la même forme, et son ton ne varie
que de l'amertume à la gaieté. — Quelle différence
entre lui et La Bruyère ! Il n'est point de tours dans
la langue, point de mouvemens dans le style, que
La Bruyère n'ait employés avec succès. Il n'est
point de ton qu'il n'ait pris avec intérêt. Il sait être
pathétique, piquant, par sa gaieté ou son humeur.
Chamfort marque son empreinte à l'emporte-
NOTES SUR CH A M FORT XXIX
pièce ; La Bruyère fait un tableau où il répand de la
richesse, de la variété.
II affectait un profond mépris pour les chiens,
parce qu'il les trouvait serviles et rampants, et
beaucoup d'estime pour les chats, parce qu'il leur
trouvait un caractère plus libre et non moins d'atta-
chement. — Un jour, pendant qu'il discourait sur
ce sujet, son chat saute sur les genoux de la per-
sonne à qui il parlait, et cette personne s'aperçoit
que le chat a les ongles rognés jusqu'au bout : c'était
une précaution de Chamfort contre la liberté des
griffes.
Ducis lui laissait voir quelque désir d'avoir le
cordon noir. — Eh ! mon ami, lui dit Chamfort, lu
ne r auras pas plus lot qu'il faudra le parler! »
Chamfort disait à Rulhière : « Je n'ai^amais fail
qu'une méchancelé. » — Rulhière répondit : « Quand
finira-l-elle^ ? »
(1) Mademoiselle Arnould d*autreg disent: Mademoiselle Quinault^,
appelait plaisamment Chamfort : Don Brusquin d'Algarade, parodiant
ainsi le titre du roman : Don Guzman d'Alfarache. et caractérisant en
mèma temps la brusquerie du personnage. {iVolc de l'Éditeur.)
XXX MAXIMES ET PENSEES
Il disait dans ces derniers tems : « La Révo-
lulion esi comme un chien perdu que personne
n'ose arrêter. »
Chamfort ne s'est jamais présenté dans les
sections pour y exercer ses droits de citoyen, et
Ton a dit que c'était dans la crainte d'être obligé de
présenter son acte de baptême... Voici une anecdote
que je tiens de lui, mais à laquelle il était intéressé.
Un étranger, qui se trouvait chez Mademoiselle
de Lespinasse avec d'Alembert et beaucoup d'autres
personnes distinguées, s'impatientait d'entendre un
impitoyable parleur. Il prend d'Alembert en parti-
culier : Savez-vous, lui dit-il, ce que c'esi que cet
homme qui force ainsi tout le monde à se taire et
à Vécouter? C'est un misérable bâtard de,,, —
Monsieur, reprend d'Alembert, vous vous adressez
mal; fai le malheur d'être dans le même cas que
ce monsieur. L'étranger étourdi va se jeter près de
Mademoiselle de Lespinasse, sur le sopha où elle
était assise. Que je suis maladroit et malheureux !
lui dit-il. Voici ce qui vient de m'arriver avec
M, d'Alembert, Et il lui raconte l'aventure. Que Je
vous plains, monsieur! lui répond Mademoiselle
NOTES SUR CHAMFORT XXXI
de Lespinasse ; je suis dans le même cas que
M, d*Alemherl. Ce qui complète la singularité de
cette anecdote, c'est que Chamfort, qui nous la
racontait, à M. de Talleyrand et à moi, aurait pu
dire à celui de qui il la tenait, la même chose
que d'Alembert avait dite à l'occasion du parleur,
et Mademoiselle de Lespinasse à l'occasion de
d'Alembert. Chamfort était fils d'un chanoine de
la Sainte-Chapelle. Il a constamment fait mystère
de sa naissance, excepté à un ou deux amis.
Se promenant sur le port d'Amsterdam avec le
comte de Choiseul et le comte de Vaudreuil, qui
admiraient l'activité des crocheteurs et l'habileté
des charpentiers : « Qu'est-ce, leur dit-il, qu'un
gentilhomme français, en comparaison de ces
hommes-là ! »
Vaudreuil, Choiseul - Gouffîer reprochaient à
Chamfort, qui était pauvre, de ne pas 4eur confier
ses besoins. « Je vous promets, leur dit-il, de vous
emprunter cent louis à chacun, quand vous aurez
payé vos dettes. »
AVERTISSEMENT DU PREMIER ÉDITEUR
CHAMFORT était, depuis longtems, en usage
(Técrire chaque jour sur de petits carrés de
papier, les résultats de ses réflexions, rédigés en
maximes, les Anecdotes qu'il avait apprises, les
faits servant à l'histoire des mœurs, dont il avait
été témoin dans le monde; enfin les mois piquans
et les reparties ingénieuses qu'il avait entendus ou
qui lui étaient échappés à lui-même.
Tous ces petits papiers, il les jetait pêle-mêle
dans des cartons. Il ne s'était ouvert à personne
sur ce qu'il avait dessein d'en faire. Lorsqu'il est
mort,, ces cartons étaient en assez grand nombre,
XXXIV MAXIMES ET PENSÉES
el presque tous remplis; mais la plus f^ande
partie fui vidée el enlevée, sans doule avanl
Vapposilion des scellés. Le Juge de paix renferma
dans deux portefeuilles, ce qu'il y trouva de reste.
C'est du choix très scrupuleux fait parmi cette
espèce de débris, que fai tiré ce qui compose ce
volume.
Je ne serais peut-être jamais parvenu à y établir
quelque ordre, si, parmi cette masse de petits
papiers, je n'en avais trouvé un qui m'a donné la
clef du dessein de l'Auteur, et même le titre de
l'ouvrage. Voici ce qui y est écrit :
Produits de la Civilisation perfectionnée.
r*' Partie. Maximes et Pensées.
2* Partie. Caractères.
3*^ Partie. Anecdotes.
En lisant ceci. Je ne doutai point que ce ne fût le
litre et la division d'un grand ouvrage, dont
Chamfort avait parlé à mots couverts à très peu
de personnes, et dont il avait depuis si longtems
rassemblé les matériaux.
Le titre est parfaitement dans le genre de son
esprit : il était dans sa philosophie de voir comme
le produit de ce perfectionnement de civilisation que
AVERTISSEMENT DU PREMIER EDITEUR XXXV
Von vanle, l'excessive corruption des mœurs, les
vices hideux ou ridicules, et les travers de toute
espèce qu^il prenait un plaisir malin à caracté-
riser et à peindre.
Je fis donc, en suivant cette division établie par
lui-même, un premier triage. La première partie
se trouva très abondante, et me parut susceptible
d'être subdivisée par chapitres. La partie des
Caractères était la plus faible, soit qu'il se fût
moins exercé dans ce genre, soit qu'elle soit plus
riche dans les très nombreux papiers que je n'ai
pas. Je la réunis à celle des Anecdotes, et ayant
ainsi divisé le tout seulement en deux parties, je
réduisis, par un examen sévère, à un seul volume,
ce qui, si pavais tout employé, en pouvait fournir
plus de deux.
J'ai éprouvé dans tout ce travail, aussi fastidieux
que pénible^ que l'amitié donne plus de patience
que l'amour-propre, et que l'on peut prendre, pour
la mémoire d'un ami, des soins qu'Jl paraîtrait
insupportable de prendre pour soi-même.
Je me serais fort trompé dans mon jugement, si
ce volume, et surtout si la partie des Maximes et
Pensées, n'ajoute beaucoup à la réputation de
Chamfort, assez connu comme Écrivain et
XXXVI MAXIMES ET PENSEES
comme Homme de Lettres, mais trop peu comme
Philosophe.
Quant aux Caractères et Anecdotes, Je n'ai pas
cru devoir les diviser par chapitres. Leur mélange
produit une variété que la classification eût fait
disparaître. La Cour, la Ville, Hommes, Femmes,
Gens de Lettres, figurent tour à tour et presque
ensemble dans cette scène mobile, comme ils
figuraient dans celle du monde, oii Chamfort ayant
été longtems acteur et spectateur, était plus que
personne, par sa position, à portée de saisir la
ressemblance des personnages, comme il l'était
par son talent de les représenter dans ses peintures.
On trouvera dans cette partie beaucoup de noms
connus et d'indications faciles à reconnaître; je
ne me suis cru permis ni de supprimer les uns, ni
d*ôter aux autres le léger voile dont l'Auteur les
avait couverts.
J'ai placé en tête de la première partie, et
comme une sorte d'Avertissement de l'Auteur, une
Question qu'il s'était souvent entendu faire, et ses
réponses, remplies d'originalité, à cette question
triviale.
Je regrette infiniment de n'avoir pas eu à ma
disposition le reste de ces matériaux précieux.
AVERTISSEMENT DU PREMIER EDITEUR XXXVII
Peul-êlre serais-je parvenu à en faire à peu près
ce que VAuleur complaît en faire lui-même; et
cet ouvrage, devenu complet, serait un des plus
piquans de ce siècle.
J'exhorte, au nom de l'Amitié, de la Philosophie
et des Lettres, ceux qui peuvent posséder ce trésor,
à ne le pas enfouir, et à rendre à la mémoire du
malheureux Chamfort tout ce qui lui appartient.
GINGUENÉ,
QUESTION ET RÉPONSES
QUESTION
Pourquoi ne donnez-vous plus rien au public ?
RÉPONSES
C'est que le public me paraît avoir le comble
du mauvais goût et la rage du dénigrement.
C*est qu'un homme raisonnable ne peut agir sans
motif, et qu'un succès ne me ferait aucun plaisir,
tandis qu'une disgrâce me ferait peut-être beaucoup
de peine.
C'est que je ne dois pas troubler mon repos,
parce que la compagnie prétend qu'il faut divertir
la compagnie.
C'est que je travaille pour les Variétés Amu-
santes, qui sont le théâtre de la nation, et que je
XL MAXIMES ET PENSÉES
mène de front, avec cela, un ouvrage philosophique,
qui doit être imprimé à PImprimerie Royale.
C'est que le public en use avec les Gens de
Lettres comme les racoleurs du Pont Saint-Michel
avec ceux qu'ils enrôlent : enivrés le premier
jour, dix écus, et des coups de bâton le reste de
leur vie.
C'est qu'on me presse de travailler, par la même
raison que quand on se met à sa fenêtre, on
souhaite de voir passer, dans ITa] rue, des singes
ou des meneurs d'ours.
Exemple de M. Thomas, insulté pendant toute
sa vie et loué après sa mort.
Gentilshommes de la Chambre, Comédiens, Cen-
seurs, la Police, Beaumarchais.
C'est que j'ai peur de mourir sans avoir vécu.
C'est que tout ce qu^on me dit pour m'engager à
nie produire, est bon à dire à Saint-Ange et à
Murville.
C'est que j'ai à travailler et que les succès
perdent du tems.
C'est que je ne voudrais pas faire comme les
(jrens de Lettres, qui ressemblent à des ânes, ruant
et se battant devant un râtelier vide.
C'est que si j'avais donné à mesure, les baga-
QUESTION ET REPONSES XLI
telles dont je pouvais disposer, il n'y aurait plus
pour moi de repos sur la terre.
C'est que j'aime mieux Festime des honnêtes
gens, et mon bonheur particulier que quelques
éloges, quelques écus, avec beaucoup d'injures et
de calomnies.
C'est que s'il y a un homme sur la terre qui ait le
droit de vivre pour lui, c'est moi, après les méchan-
cetés qu'on m'a faites à chaque succès que j'ai
obtenu.
C'est que jamais, comme dit Bacon, on n'a vu
marcher ensemble la gloire et le repos.
Parce que le public ne s'intéresse qu'aux succès
qu'il n'estime pas.
Parce que je resterais à moitié chemin de la
gloire de Jeannot.
Parce que j'en suis à ne plus vouloir plaire qu'à
qui me ressemble.
C'est que plus mon affiche littéraire s'efface, plus
je suis heureux. •
C'est que j'ai connu presque tous les hommes
célèbres de notre tems, et que je les ai vus malheu-
reux par cette belle passion de célébrité, et mourir,
après avoir dégradé par elle leur caractère moral.
MAXIMES
ET
PENSÉES
CHAPITRE PREMIER
MAXIMES GÉNÉRALES
CHAPITRE PREMIER
MAXIMES GÉNÉRALES
I
LES Maximes, les Axiomes sont, ainsi que les
Abrégés, Pouvrage des gens d'esprit qui ont
travaillé, ce semble, à l'usage des esprits médiocres
ou paresseux. Le paresseux s'accommode d'une
maxime qui le dispense de faire lui-même les
observations qui ont mené l'auteur de la maxime
au résultat dont il fait part à son lecteur. Le
paresseux et l'homme médiocre se croient dispensés
d'aller au delà, et donnent à la maxime une gêné-
4 MAXIMES ET PENSÉES
ralité que l'auteur, à moins qu'il ne soit lui-même
médiocre, ce qui arrive quelquefois, n'a pas pré-
tendu lui donner. L'homme supérieur saisit tout
d'un coup les ressemblances, les différences qui
font que la maxime est plus ou moins applicable à
tel ou tel cas, ou ne l'est pas du tout. Il en est de
cela comme de l'histoire naturelle, où le désir de
simplifier a imaginé les classes et les divisions. Il a
fallu avoir de l'esprit pour les faire. Car il a fallu
rapprocher et observer des rapports. Mais le grand
naturaliste, l'homme de génie voit que la nature
prodigue des êtres individuellement diflerens, et
voit l'insuffisance des divisions et des classes qui
sont d'un si grand usage aux esprits médiocres ou
paresseux ; on peut les associer : c'est souvent la
même chose, c'est souvent la cause et l'effet.
II
La plupart des faiseurs de recueils de vers ou de
bons mots ressemblent à ceux qui mangent des
cerises ou des huîtres, choisissant d'abord les
meilleures et finissant par tout manger.
III
Ce serait une chose curieuse qu'un livre qui
indiquerait toutes les idées corruptrices de l'esprit
MAXIMES GENERALES D
humain, de la société, de la morale, et qui se
trouvent développées ou supposées dans les écrits
les plus célèbres, dans les auteurs les plus consa-
crés ; les idées qui propagent la superstition reli-
gieuse, les mauvaises maximes politiques, le despo-
tisme, la vanité de rang, les préjugés populaires de
toute espèce. On verrait que presque tous les livres
sont des corrupteurs, que les meilleurs font presque
autant de mal que de bien.
IV
On ne cesse d'écrire sur l'Éducation et les
ouvrages écrits sur cette matière ont produit
quelques idées heureuses, quelques méthodes
utiles, ont fait, en un mot, quelque bien partiel.
Mais quelle peut être, en grand, l'utilité de ces
écrits, tant qu'on ne fera pas marcher de front les
réformes relatives à la législation, à la religion, à
l'opinion publique ? L'Éducation n'ayant d'autre
objet que de conformer la raison de l^nfance à la
raison publique relativement à ces trois objets,
quelle instruction donner, tant que ces trois objets
se combattent ? En formant la raison de l'enfance,
que faites -vous que de la préparer à voir plutôt
l'absurdité des opinions et des mœurs consacrées
b MAXIMES ET PENSÉES
par le sceau de l^autorité sacrée, publique, ou légis-
lative, par conséquent, à lui en inspirer le mépris ?
V
C'est une source de plaisir et de philosophie, de
faire l'analyse des idées qui entrent dans les
divers jugements que portent tel ou tel homme,
telle ou telle société. L'examen des idées qui déter-
minent telle ou telle opinion publique, n'est pas
moins intéressant, et l'est souvent davantage.
VI
Il en est de la Civilisation comme de la cuisine.
Quand on voit sur une table des mets légers, sains
et bien préparés, on est fort aise que la cuisine soit
devenue une science ; mais quand on y voit des
jus, des coulis, des pâtés de truffes, on maudit les
cuisiniers et leur art funeste : à l'application.
VII
L'homme, dans l'état actuel de la Société, me
paraît plus corrompu par sa raison que par ses
passions. Ses passions (j'entends ici celles qui
appartiennent à l'homme primitif) ont conservé,
dans l'ordre social, le peu de nature qu'on y
retrouve encore.
MAXIMES GÉNÉRALES 7
VIII
La Société n'est pas, comme on le croit d'ordi-
naire, le développement de la Nature, mais bien sa
décomposition et sa refonte entière. C'est un second
édifice, bâti avec les décombres du premier. On en
retrouve les débris, avec un plaisir mêlé de sur-
prise. C'est celui qu'occasionne l'expression naïve
d'un sentiment naturel qui échappe dans la société;
il arrive même qu'il plaît davantage, si la personne
à laquelle il échappe est d'un rang plus élevé, c'est-
à-dire plus loin de la Nature. Il charme dans un Roi,
parce qu'un roi est dans l'extrémité opposée. C'est
un débris d'ancienne architecture dorique ou corin-
thienne, dans un édifice grossier et moderne.
IX
En général, si la Société n'était pas une compo-
sition factice, tout sentiment simple et vrai ne pro-
duirait pas le grand effet qu'il produit. Il plairait
sans étonner. Mais il étonne et il plaît. Notre sur-
prise est la satire de la Société, et notre plaisir est
un hommage à la Nature.
X
Les fripons ont toujours un peu besoin de leur
honneur, à peu près comme les espions de police,
8 MAXIMES ET PENSÉES
qui sont payés moins cher quand ils voient moins
bonne compagnie.
XI
Un homme du peuple, un mendiant, peut se
laisser mépriser, sans donner Pidée d'un homme vil,
si le mépris ne paraît s'adresser qu'à son extérieur.
Mais ce même mendiant qui laisserait insulter sa
conscience, fût-ce par le premier souverain de
l'Europe, devient alors aussi vil par sa personne
que par son état.
XII
Il faut convenir qu'il est impossible de vivre
dans le monde, sans jouer de tems en tems la
comédie. Ce qui distingue l'honnête homme du
fripon, c'est de ne la jouer que dans les cas forcés,
et pour échapper au péril ; au lieu que l'autre va
au-devant des occasions.
XIII
On fait quelquefois dans le monde un raison-
nement bien étrange. On dit à un homme, en
voulant récuser son témoignage en faveur d'un
autre homme : c'est votre ami. Eh I morbleu, c'est
mon ami, parce que le bien que j'en dis est vrai,
parce qu'il est tel que je le peins. Vous prenez la
MAXIMES GÉNÉRALES 9
cause pour l'efiet, et PefTet pour la cause. Pourquoi
supposez-vous que j'en dis du bien, parce qu'il est
mon ami ? et pourquoi ne supposez-vous pas plutôt
qu'il est mon ami, parce qu'il y a du bien à en dire ?
XIV
Il y a deux classes de Moralistes et de Politiques,
ceux qui n'ont vu la nature humaine que du côté
odieux ou ridicule, et c'est le plus grand nombre :
Lucien, Montaigne, La Bruyère, La Rochefoucauld,
Swift, Mandeville, Helvétius, etc. Ceux qui ne
l'ont vue que du beau côté et dans ses perfections ;
tels sont Shaftersbury et quelques autres. Les
premiers ne connaissent pas le palais dont ils n'ont
vu que les latrines. Les seconds sont des enthou-
siastes qui détournent leurs yeux loin de ce qui les
oflense, et qui n'en existe pas moins. Esl in medio
verum.
XV
Veut-on avoir la preuve de la paffaite inutilité
de tous les livres de Morale, de Sermons, etc. ? Il n'y
a qu'à jeter les yeux sur le préjugé de la noblesse
héréditaire. Y a-t-il un travers contre lequel les
Philosophes, les Orateurs, les Poètes, aient lancé
plus de traits satyriques, qui ait plus exercé les
10 MAXIMES ET PENSÉES
esprits de toute espèce, qui ait fait naître plus de
sarcasmes ? Cela a-t-il fait tomber les présentations,
la fantaisie de monter dans les carrosses ? Cela
a-t-il fait supprimer la place de Cherin ?
XVI
Au Théâtre, on vise à l'effet ; mais ce qui distingue
le bon et le mauvais poète, c'est que le premier
veut faire effet par des moyens raisonnables, et,
pour le second, tous les moyens sont excellens. Il
en est de cela comme des honnêtes gens et des
fripons, qui veulent également faire fortune. Les
premiers n'emploient que des moyens honnêtes, et
les autres, toutes sortes de moyens.
XVII
La Philosophie, ainsi que la Médecine, a beaucoup
de drogues, très peu de bons remèdes, et presque
point de spécifiques.
XVIII
On compte environ cent cinquante millions
d'âmes en Europe, le double en Afrique, plus du
triple en Asie ; en admettant que l'Amérique et les
Terres Australes n'en contien[nent] que la moitié de
ce que donne notre hémisphère, on peut assurer
qu'il meurt tous les jours, sur notre globe, plus de
MAXIMES GÉNÉRALES 11
cent mille hommes. Un homme qui n'aurait vécu
que trente ans, aurait [encore] échappé environ mille
quatre cents fois à cette épouvantable destruction.
XIX
J'ai vu des hommes qui n'étaient doués que d'une
raison simple et droite, sans une grande étendue
ni sans beaucoup d'élévation d'esprit, et cette raison
simple avait suffi pour leur faire mettre à leur place
les vanités et les sottises humaines, pour leur donner
le sentiment de leur dignité personnelle, leur faire
apprécier ce même sentiment dans autrui. J'ai vu
des femmes à peu près dans le même cas, qu'un
sentiment vrai, éprouvé de bonne heure, avait
mises au niveau des mêmes idées. Il suit de ces
deux observations que ceux qui mettent un grand
prix à ces vanités, à ces sottises humaines, sont de
la dernière classe de notre espèce.
XX
Celui qui ne sait point recourir à^propos à la
plaisanterie, et qui manque de souplesse dans
l'esprit, se trouve très souvent placé entre la
nécessité d'être faux ou d'être pédant : alternative
fâcheuse à laquelle un honnête homme se soustrait,
pour l'ordinaire, par de la grâce et de la gaîté.
12
MAXIMES ET PENSEES
XXI
Souvent une opinion, une coutume commence à
paraître absurde dans la première jeunesse, et en
avançant dans la vie, on en trouve la raison ; elle
paraît moins absurde. En faudrait-il conclure que
de certaines coutumes sont moins ridicules? On
serait porté à penser quelquefois qu'elles ont été
établies par des gens qui avaient lu le livre entier
de la vie, et qu'elles sont jugées par des gens qui,
malgré leur esprit, n'en ont lu que quelques pages.
XXII
Il semble que, d'après les idées reçues dans le
monde et la décence sociale, il faut qu'un prêtre,
un curé croie un peu pour n'être pas hypocrite,
ne soit pas sûr de son fait pour n'être pas into-
lérant. Le Grand Vicaire peut sourire à un propos
contre la religion, l'Evêque rire tout à fait, le
Cardinal y joindre son mot.
XXIII
La plupart des nobles rappellent leurs ancêtres,
à peu près comme un Cicérone d'Italie rappelle
Cicéron.
XXIV
J'ai lu, dans je ne sais quel voyageur, que
MAXIMES GÉNÉRALES 13
certains sauvages de l'Afrique croient à l'immor-
talité de Pâme. Sans prétendre expliquer ce qu'elle
devient, ils la croient errante, après la mort, dans
les broussailles qui environnent leurs bourgades, et
la cherchent plusieurs matinées de suite. Ne la
trouvant pas, ils abandonnent cette recherche, et
n'y pensent plus. C'est à peu près ce que nos philo-
sophes ont fait, et avaient de meilleur à faire.
XXV
Il faut qu'un honnête homme ait l'estime
publique sans y avoir pensé, et, pour ainsi dire
malgré lui. Celui qui l'a cherchée donne sa mesure.
XXVI
C'est une belle allégorie, dans la Bible, que cet
Arbre de la Science du Bien et du Mal qui produit
la Mort. Cet emblème ne veut-il pas dire que
lorsqu'on a pénétré le fond des choses, la perte des
illusions amène la mort de l'âme, c'est-à-dire, un
désintéressement complet sur tout oa qui touche
et occupe les autres hommes ?
XXVII
Il faut qu'il y ait de tout dans le monde; il faut
que, même dans les combinaisons factices du
système social, il se trouve des hommes qui oppo-
14 MAXIMES ET PENSÉES
sent la Nature à la Société, la vérité à l'opinion,
la réalité à la chose convenue. C'est un genre d'es-
prit et de caractère fort piquant, et dont l'empire
se fait sentir plus souvent qu'on ne croit. Il y a des
gens à qui on n'a besoin que de présenter le vrai,
pour qu'ils y courent avec une surprise naïve et
intéressante. Ils s^étonnent qu'une chose frappante
(quand on sait la rendre telle) leur ait échappé
jusqu'alors.
XXVIII
On croit le sourd malheureux dans la Société.
N'est-ce pas un jugement prononcé par l'amour-
propre de la Société qui dit : Cet homme-là n'est-il
pas trop à plaindre de n'entendre pas ce que nous
disons ?
XXIX
La pensée console de tout, et remédie à tout. Si
quelquefois elle vous fait du mal, demandez-lui le
remède du mal qu'elle vous a fait, et elle vous le
donnera.
XXX
Il y a, on ne peut le nier, quelques grands carac-
tères dans l'histoire moderne; et on ne peut com-
prendre comme[nt] ils se sont formés. Ils y semblent
M A XI M ES GÉNÉRALES 15
comme déplacés. Ils y sont comme des cariatides
dans un entresol.
XXXI
La meilleure philosophie, relativement au monde,
est d'allier, à son égard, le sarcasme de la gaîté
avec l'indulgence du mépris.
XXXII
Je ne suis pas plus étonné de voir un homme
fatigué de la Gloire, que je ne le suis d'en voir un
autre importuné du bruit qu'on fait dans son
antichambre.
XXXIII
J'ai vu, dans le monde, qu'on sacrifiait sans cesse
l'estime des honnêtes gens à la considération, et le
repos à la célébrité.
XXXIV
Une forte preuve de l'existence de Dieu, selon
Dorilas, c'est l'existence de l'homme, de l'homme
par excellence, dans le sens le moin* susceptible
d'équivoque, dans le sens le plus exact, et, par
conséquent, un peu circonscrit, en un mot, de
l'homme de qualité. C'est le chef-d'œuvre de la
Providence, ou plutôt le seul ouvrage immédiat de
ses mains. Mais on prétend, on assure qu'il existe
16 MAXIMES ET PENSÉES
des êtres d'une ressemblance parfaite avec cet être
privilégié. Dorilas a dit : est-il vrai ? quoi ! même
figure, même conformation extérieure ! Eh bien,
l'existence de ces individus, de ces hommes, puis-
qu'on les appelle ainsi, qu'il a niée autrefois, qu'il a
vue, à sa grande surprise, reconnue par plusieurs
de ses égaux, que, par cette raison seule, il ne nie
plus formellement, sur laquelle il n'a plus que des
nuages, des doutes bien pardonnables, tout-à-fait
involontaires, contre laquelle il se contente de pro-
tester simplement par des hauteurs, par l'oubli des
bienséances, ou par des bontés dédaigneuses; l'exis-
tence de tous ces êtres, sans doute mal définis,
qu'en fera-t-il ? Comment l'expliquera-t-il ? Com-
ment accorder ce phénomène avec sa théorie ?
Dans quel système physique, métaphysique, ou, s'il
le faut, mythologique, ira-t-il chercher la solution
de ce problème ? Il réfléchit, il rêve, il est de bonne
foi; l'objection est spécieuse ; il en est ébranlé. Il a
de l'esprit, des connaissances. Il va trouver le mot
de l'énigme; il l'a trouvé, il le tient, la joie brille
dans ses yeux. Silence. On connaît, dans la
Théologie Persane, la doctrine des deux principes,
celui du Bien et celui du Mal. Eh quoi ! vous ne
saisissez pas ? Rien de plus simple. Le génie, les
MAXIMES G ENIVRA LES 17
talens, les vertus, sont des inventions du mauvais
principe, d*Orimane, du Diable, pour mettre en
évidence, pour produire au grand jour certains
misérables, plébéiens reconnus, vrais roturiers, ou
à peine gentilshommes.
XXXV
Combien de militaires distingués, combien dWfî-
ciers généraux sont morts, sans avoir transmis
leurs noms à la postérité : en cela moins heureux
que Bucéphale, et même que le dogue espagnol
Bérécillo, qui dévorait les Indiens de Saint-Domin-
gue et qui avait la paie de trois soldats !
XXXVI
On souhaite la paresse d'un méchant et le silence
d'un sot.
XXXVII
Ce qui explique le mieux comment le malhonnête
homme, et quelquefois même le sot, réussissent
presque toujours mieux, dans le monde, que
l'honnête homme et que l'homme d'esprit, à faire
leur chemin : c'est que le malhonnête homme et le
sot ont moins de peine à se mettre au courant et au
ton du monde, qui, en général, n'est que malhon-
nêteté et sottise, au lieu que l'honnête homme et
l'homme sensé, ne pouvant pas entrer sitôt en
5
18 MAXIMES ET PENSÉES
commerce avec le monde, perdent un tems précieux
pour la fortune. Les uns sont des marchands qui,
sachant la langue du pays, vendent et s'approvi-
sionnent tout de suite, tandis que les autres sont
obligés d'apprendre la langue de leurs vendeurs et
de leurs chalands. Avant que d'exposer leur mar-
chandise, et d'entrer en traité avec eux, souvent
même ils dédaignent d'apprendre cette langue, et
alors ils s'en retournent sans étrenner.
XXXVIII
Il y a une prudence supérieure à celle qu'on
qualifie ordinairement de ce nom; l'une est la
prudence de l'aigle, et l'autre, celle des taupes. La
première consiste à suivre hardiment son caractère,
en acceptant avec courage les désavantages et les
inconvénients qu'il peut produire...
XXXIX
Pour parvenir à pardonner à la raison le mal
qu'elle fait à la plupart des hommes, on a besoin de
considérer ce que ce serait que l'homme sans sa
raison. C'était un mal nécessaire.
XL
Il y a des sottises bien habillées, comme il y a des
sots très bien vêtus.
MAXIMES GÉNÉRALES 19
XLI
Si Ton avait dit à Adam, le lendemain de la mort
d'Abel, que dans quelques siècles il y aurait des
endroits où, dans l'enceinte de quatre lieues carrées,
se trouveraient réunis et amoncelés sept ou huit
cent mille hommes, aurait-il cru que ces multitudes
pussent jamais vivre ensemble ? Ne se serait-il
pas fait une idée encore plus affreuse de ce qui s'y
commet de crimes et de monstruosités ? C'est la
réflexion qu'il faut faire, pour se consoler des abus
attachés à ces étonnantes réunions d'hommes.
XLII
Les prétentions sont une source de peines, et
l'époque du bonheur de la vie commence au moment
où elles finissent. Une femme est-elle encore jolie
au moment où sa beauté baisse ? ses prétentions la
rendent ou ridicule ou malheureuse : dix ans après,
plus laide et vieille, elle est calme et tranquille. Un
homme est dans l'âge où l'on peut réussii»et ne pas
réussir auprès des femmes; il s'expose à des
inconvéniens, et même à des afironts : il devient
nul ; dès lors plus d'incertitude, et il est tranquille.
En tout, le mal vient de ce que les idées ne sont
pas fixes et arrêtées. Il vaut mieux être moins et
20 MAXIMESETPENSÈES
être ce qu'on est, incontestablement. L'état des
ducs et pairs, bien constaté, vaut mieux que celui
des princes étrangers, qui ont à lutter sans cesse
pour la prééminence. Si Chapelain eût pris le parti
que lui conseillait Boileau, par le fameux hémistiche,
Que n'écrit'il en prose ? il se fût épargné bien des
tourmens, et se fût peut-être fait un nom, autre-
ment que par le ridicule.
XLIII
N'as-tu pas honte de vouloir parler mieux que tu
ne peux ? disait Sénèque à Tun de ses fils, qui ne
pouvait trouver Pexorde d'une harangue qu'il avait
commencée. On pourrait dire de même à ceux qui
adoptent des principes plus forts que leur caractère ;
n'as-tu pas honte de vouloir être philosophe plus
que tu ne peux ?
XLIV
La plupart des hommes qui vivent dans le monde,
y vivent si étourdiment, pensent si peu, qu'ils ne
connaissent pas ce monde qu'ils ont toujours sous
les yeux. Ils ne le connaissent pas, disait plaisam-
ment M. de B..., parla raison qui fait que les hanne-
tons ne savent pas l'histoire naturelle.
MAXIMES GéNÉRÀLES 21
XLV
En voyant Bacon, dans le commencement du
seizième siècle, indiquer à Tesprit humain la
marche qu'il doit suivre pour reconstruire Pédifice
des sciences, on cesse presque d'admirer les grands
hommes qui lui ont succédé, tels que B[ojyle,
Locke, etc. Il leur distribue d'avance le terrain
qu'ils ont à défricher ou à conquérir. C'est César,
maître du monde après la victoire de Pharsale,
donnant des royaumes et des provinces à ses parti-
sans ou à ses favoris.
XLVI
Notre raison nous rend quelquefois aussi
malheureux que nos passions ; et on peut dire de
l'homme, quand il est dans ce cas, que c'est un
malade empoisonné par son médecin.
XLVII
Le moment où l'on perd les illusions, les passions
de la jeunesse, laisse souvent des regrets; mais
quelquefois on hait le prestige qui nous a trompés.
C'est Armide qui brûle et détruit le palais où elle
fut enchantée.
XLVIII
Les médecins et le commun des hommes ne
22 MAXIMES ET PENSÉES
voient pas plus clair les uns que les autres dans les
maladies et dans l'intérieur du corps humain. Ce
sont tous des aveugles ; mais les médecins sont des
Quinze-Vingts qui connaissent mieux les rues, et
qui se tirent mieux d'affaire.
XLIX
Vous demandez comment on fait fortune. Voyez
ce qui se passe au parterre d'un spectacle, le jour
oùilyafoule; comme les uns restent en arrière,
comme les premiers reculent, comme les derniers
sont portés en avant. Cette image est si juste que
le mot qui l'exprime a passé dans le langage du
peuple. Il appelle faire fortune, se pousser. Mon
fils, mon neveu se poussera. Les honnêtes gens
disent, s'avancer, avancer, arriver, termes adoucis,
qui écartent Tidée accessoire de force, de violence,
de grossièreté, mais qui laissent subsister l'idée
principale.
L
Le Monde physique paraît Touvrage d'un Être
puissant et bon, qui a été obligé d'abandonner à un
être malfaisant l'exécution d'une partie de son plan.
Mais le Monde moral paraît être le produit des
caprices d'un diable devenu fou.
MAXIMES GÉNÉRALES 23
LI
Ceux qui ne donnent que leur parole pour
garant d'une assertion qui reçoit sa force de ses
preuves, ressemblent à cet homme qui disait : j^ai
Fhonneur de vous assurer que la terre tourne
autour du soleil.
LU
Dans les grandes choses, les hommes se montrent
comme il leur convient de se montrer; dans les
petites, ils se montrent comme ils sont.
LUI
Qu'est-ce qu'un Philosophe ? C'est un homme qui
oppose la Nature à la Loi, la raison à l'usage, sa
conscience à l'opinion, et son jugement à l'erreur.
LIV
Un sot qui a un moment d'esprit, étonne et scan-
dalise, comme des chevaux de fiacre au galop.
LV
Ne tenir dans la main de personne, être Vhomme
de son cœur, de ses principes, de ses sentimens,
c'est ce que j'ai vu de plus rare.
LVI
Au lieu de vouloir corriger les hommes de cer-
24 MAXIMES ET PENSÉES
tains travers insupportables à la Société, il aurait
fallu corriger la faiblesse de ceux qui les souffrent.
LVII
Les trois quarts des folies ne sont que des sottises.
LVIII
L'opinion est la reine du monde, parce que la
sottise est la reine des sots.
LIX
Il faut savoir faire les sottises que nous demande
notre caractère.
LX
L'importance sans mérite obtient des égards sans
estime.
LXI
Grands et petits, on a beau faire, il faut toujours
se dire comme le fiacre aux courtisanes, dans le
Moulin de Javelle : Vous autres et nous autres,
nous ne pouvons nous passer les uns des autres.
LXII
Quelqu'un disait que la Providence était le nom
de baptême du hasard; quelque dévot dira que le
hasard est un sobriquet de la Providence.
LXIII
Il y a peu d'hommes qui se permettent un usage
MAXIMES GÉNÉRALES 25
vigoureux et intrépide de leur raison, et osent
l'appliquer à tous les objets dans toute sa force. Le
tems est venu où il faut l'appliquer ainsi à tous
les objets de la Morale, de la Politique et de la
Société, aux rois, aux ministres, aux grands, aux
philosophes, aux principes des Sciences, des Beaux-
Arts, etc., sans quoi, on restera dans la médiocrité.
LXIV
Il y a des hommes qui ont le besoin de primer,
de s'élever au-dessus des autres, à quelque prix que
ce puisse être. Tout leur est égal, pourvu qu'ils
soient en évidence sur des tréteaux de charlatan;
sur un théâtre, un trône, un échafaud, ils seront
toujours bien, s'ils attirent les yeux.
LXV
Les hommes deviennent petits en se rassemblant;
ce sont les diables de Milton, obligés de se rendre
pygmées, pour entrer dans le Pandémonium.
LXVI
On anéantit son propre caractère dans la crainte
d'attirer les regards et l'attention, et on se précipite
dans la nullité, pour échapper au danger d'être
peint.
26 MAXIMES ET PENSÉES
LXVII
Les fléaux physiques, et les calamités de la
nature humaine ont rendu la Société nécessaire. La
Société a ajouté aux malheurs de la Nature. Les
inconvéniens de la Société ont amené la nécessité
du gouvernement, et le gouvernement ajoute aux
malheurs de la Société. Voilà Fhistoire de la nature
humaine.
LXVIII
L'ambition prend aux petites âmes plus facile-
ment qu^aux grandes, comme le feu prend plus
aisément à la paille, aux chaumières qu'aux palais.
LXIX
L'homme vit souvent avec lui-même, et il a
besoin de vertu; il vit avec les autres, et il a besoin
d'honneur.
LXX
La fable de Tantale n'a presque jamais servi
d'emblème qu'à l'avarice. Mais elle est, pour le
moins, autant celui de l'ambition, de l'amour de la
gloire, de presque toutes les passions.
LXXI
La Nature en faisant naître à la fois la raison et
les passions, semble avoir voulu, par le second
MAXIMES GÉNÉRALES 27
présent, aider l'homme à s'étourdir sur le mal
qu'elle lui a fait par le premier, et en ne le laissant
vivre que peu d'années après la perte de ses
passions, semble prendre pitié de lui, en le déli-
vrant bientôt d'une vie qui le réduit à sa raison,
pour toute ressource.
LXXII
Toutes les passions sont exagératrices, et elles ne
sont des passions que parce qu'elles exagèrent.
LXXIII
Le Philosophe qui veut éteindre ses passions,
ressemble au chimiste qui voudrait éteindre son feu.
LXXIV
Le premier des dons de la Nature est cette force
de raison qui vous élève au-dessus de vos propres
passions et de vos faiblesses, et qui vous fait
gouverner vos qualités mêmes, vos talens et vos
vertus.
LXXV
Pourquoi les hommes sont-ils si sots, si sub-
jugués par la coutume ou par la crainte de faire
un testament, en un mot, si imbéciles, qu'après
eux ils laissent aller leurs biens à ceux qui rient
de leur mort, plutôt qu'à ceux qui la pleurent ?
28 MAXIMES ET PENSÉES
LXXVI
La Nature a voulu que les illusions fussent pour
les sages comme pour les fous, afin que les pre-
miers ne fussent pas trop malheureux par leur
propre sagesse.
LXXVII
A voir la manière dont on en use envers les
malades dans les hôpitaux, on dirait que les
hommes ont imaginé ces tristes asiles, non pour
soigner les malades, mais pour les soustraire aux
regards des heureux, dont ces infortunés trouble-
raient les jouissances.
LXXVIII
De nos jours, ceux qui aiment la Nature sont
accusés d'être romanesques.
LXXIX
Le Théâtre tragique a le grand inconvénient
moral de mettre trop d'importance à la vie et à
la mort.
LXXX
La plus perdue de toutes les journées est celle
où l'on n'a pas ri.
LXXXI
La plupart des folies ne viennent que de sot-
tise (1).
(1) Cette maxime fait double emploi avec maxime LVII.
MAXIMES GÉNÉRALES 29
LXXXII
On fausse son esprit, sa conscience, sa raison,
comme on gâte son estomac.
LXXXIII
Les lois du secret et du dépôt sont les mêmes.
LXXXIV
L'esprit n'est souvent au cœur que ce que la
bibliothèque d'un château est à la personne du
maître.
LXXXV
Ce que les poètes, les orateurs, même quelques
philosophes nous disent sur l'amour de la Gloire,
on nous le disait au Collège, pour nous encourager
à avoir les prix. Ce que l'on dit aux enfans pour
les engager à préférer à une tartelette les louanges
de leurs bonnes, c'est ce qu'on répète aux hommes
pour leur faire préférer à un intérêt personnel
les éloges de leurs contemporains ou de la
postérité. •
LXXXVI
Quand on veut devenir Philosophe, il ne faut
pas se rebuter des premières découvertes affli-
geantes qu'on fait dans la connaissance des hommes.
Il faut, pour les connaître, triompher du méconten-
30 MAXIxMES ET PENSÉES
tement qu'ils donnent, comme l'anatomiste triomphe
de la Nature, de ses organes et de son dégoût, pour
devenir habile dans son art.
LXXXVII
En apprenant à connaître les maux de la Nature,
on méprise la mort; en apprenant à connaître ceux
de la Société, on méprise la vie.
LXXXVIII
Il en est de la valeur des hommes comme de
celle des diamans, qui, à une certaine mesure
de grosseur, de pureté, de perfection, ont un prix
fixe et marqué, mais qui, par delà cette mesure,
restent sans prix, et ne trouvent point d'acheteurs.
CHAPITRE 11
SUITE DES MAXIMES GÉNÉRALES
CHAPITRE II
SUITE DES MAXIMES GÉNÉRALES
LXXXIX
EN France, tout le monde paraît avoir de
l'esprit, et la raison en est simple. Comme
tout y est une suite de contradictions, la plus légère
attention possible suffit pour les faire "remarquer
et rapprocher deux choses contradictoires. Cela
fait des contrastes tout naturels, qui donnent à
celui qui s'en avise l'air d'un homme qui a beau-
coup d'esprit. Raconter, c'est faire des grotesques.
Un simple nouvelliste devient un bon plaisant,
6
34 MAXIMES ET PENSÉES
comme l'historien, un jour, aura l'air d'un auteur
satyrique.
XC
Le Public ne croit point à la pureté de certaines
vertus et de certains sentimens ; et, en général,
le Public ne peut guère s'élever qu'à des idées
basses.
XCI
Il n'y a pas d'homme qui puisse être, à lui tout
seul, aussi méprisable qu'un corps. Il n'y a point
de corps qui puisse être aussi méprisable que
le Public.
XCII
Il y a des siècles où l'opinion publique est la
plus mauvaise des opinions.
XCIII
L'espérance n'est qu'un charlatan qui nous
trompe sans cesse. Et pour moi, le bonheur n'a
commencé que lorsque je l'ai eu perdue. Je
mettrais volontiers sur la porte du Paradis le vers
que le Dante a mis sur celle de l'Enfer :
Lasciale ogni speranza, voi ch'enlrale.
XCIV
L'homme pauvre, mais indépendant des hommes,
n'est qu'aux ordres de la nécessité. L'homme riche,
SUITE DES MAXIMES GÉNÉRALES 35
mais dépendant, est aux ordres d'un autre homme
ou de plusieurs.
xcv
L'ambitieux qui a manqué son objet, et qui
vit dans le désespoir, me rappelle Ixion mis sur
la roue pour avoir embrassé un nuage.
XCVI
Il y a, entre l'homme d'esprit, méchant par
caractère, et l'homme d'esprit, bon et honnête, la
différence qui se trouve entre un assassin et un
homme du monde qui fait bien des armes.
XCVII
Qu'importe de paraître avoir moins de faiblesses
qu'un autre, et donner aux hommes moins de
prises sur vous ? Il suffît qu'il y en ait une, et
qu'elle soit connue. Il faudrait être un Achille sans
lalon, et c'est ce qui paraît impossible.
XCVIII
Telle est la misérable condition aes hommes,
qu'il leur faut chercher, dans la Société, des consola-
tions aux maux de la Nature, et, dans la Nature,
des consolations aux maux de la Société. Combien
d'hommes n'ont trouvé, ni dans l'une ni dans
l'autre, des distractions à leurs peines I
36 MAXIMES ET PENSÉES
XCIX
La prétention la plus inique et la plus absurde
en matière d'intérêt, qui serait condamnée avec
mépris, comme insoutenable, dans une société
d'honnêtes gens choisis pour arbitres, faites-en la
matière d'un procès en justice réglée. Tout procès
peut se perdre ou se gagner, et il n'y a pas plus
à parier pour que contre. De même toute opinion,
toute assertion, quelque ridicule qu'elle soit, faites-
en la matière d'un débat entre des partis diffé-
rens dans un corps, dans une assemblée, elle peut
emporter la pluralité des sufirages.
C
C'est une vérité reconnue que notre siècle a
remis les mots à leur place ; qu'en bannissant les
subtilités scolastiques, dialecticiennes, métaphy-
siques, il est revenu au simple et au vrai, en phy-
sique, en morale et en politique. Pour ne parler que
de morale, on sent combien ce mot, l'honneur,
renferme d'idées complexes et métaphysiques.
Notre siècle en a senti les inconvéniens ; et, pour
ramener tout au simple, pour prévenir tout abus
de mots, il a établi que Vhonneur restait dans toute
son intégrité à tout homme qui n'avait point été
repris de justice. Autrefois ce mot était une source
SUITE DES MAXIMES GÉNÉRALES 37
d'équivoques et de contestations : à présent, rien
de plus clair. Un homme a-t-ilété mis au carcan ?
n'y a-t-il pas été mis ? voilà l'état de la question.
C'est une simple question de fait, qui s'éclaircit
facilement par les registres du greffe. Un homme
n'a pas été mis au carcan : c'est un homme d'hon-
neur, qui peut prétendre à tout, aux places du
ministère, etc. Il entre dans les corps, dans les
académies, dans les cours souveraines. On sent
combien la netteté et la précision épargnent de
querelles et de discussions, et combien le commerce
de la vie devient commode et facile.
CI
L'amour de la gloire, une vertu I Étrange vertu
que celle qui se fait aider par l'action de tous les
vices, qui reçoit pour stimulans l'orgueil, l'ambi-
tion, l'envie, la vanité, quelquefois l'avarice
même ! Titus serait-il Titus , s'il avait eu pour
ministres Séjan, Narcisse et Tigelin ?
Cil
La Gloire met souvent un honnête homme aux
mêmes épreuves que la fortune ; c'est-à-dire, que
l'une et l'autre l'obligent, avant de le laisser parve-
nir jusqu'à elles, à faire ou souffrir des choses
38 MAXIMES ET PENSÉES
indignes de son caractère. L'homme intrépidement
vertueux les repousse alors également l'une et
l'autre, et s'enveloppe ou dans l'obscurité ou dans
l'infortune, et quelquefois dans l'une et dans l'autre.
cm
Celui qui est juste au milieu, entre notre ennemi
et nous, nous paraît être plus voisin de notre
ennemi. C'est un effet des lois de l'optique, comme
celui par lequel le jet d'eau d'un bassin paraît
moins éloigné de l'autre bord que de celui où vous
êtes.
CIV
L'opinion publique est une juridiction que
l'honnête homme ne doit jamais reconnaître par-
faitement, et qu'il ne doit jamais décliner.
cv
Vain veut dire vide ; ainsi, la vanité est si misé-
rable, qu'on ne peut guère lui dire pis que son
nom. Elle se donne elle-même pour ce qu'elle est.
CVI
On croit communément que l'art de plaire est un
grand moyen de faire fortune : savoir s'ennuyer est
un art qui réussit bien davantage. Le talent de
faire fortune, comme celui de réussir auprès des
femmes, se réduit presque à cet art-là.
SUITE DES MAXIMES GÉNÉRALES 39
CVII
Il y a peu d'hommes à grand caractère qui
n'aient quelque chose de romanesque dans la tête
ou dans le cœur. L'homme qui en est entièrement
dépourvu, quelque honnêteté, quelque esprit qu'il
puisse avoir, est à l'égard du grand caractère, ce
qu'un artiste, d'ailleurs très habile, mais qui n'as-
pire point au beau idéal, est à l'égard de l'artiste,
homme de génie, qui s'est rendu ce beau idéal
familier.
CVIII
Il y a de certains hommes dont la vertu brille
davantage dans la condition privée, qu'elle ne le
ferait dans une fonction publique. Le cadre l[a]
déparerait. Plus un diamant est beau, plus il faut
que la monture soit légère. Plus le chaton est riche,
moins le diamant est en évidence.
CIX
Quand on veut éviter d'être charlatan, il faut
fuir les tréteaux; car si l'on y monte, on est bien
forcé d'être charlatan, sans quoi l'assemblée vous
jette des pierres.
ex
Il y a peu de vices qui empêchent un homme
40 MAXIMES ET PENSÉES
d'avoir beaucoup d'amis, autant que peuvent le
faire de trop grandes qualités.
CXI
Il y a telle supériorité, telle prétention qu'il
suffit de ne pas reconnaître pour qu'elle soit anéan-
tie, telle autre qu'il suffit de ne pas apercevoir
pour la rendre sans effet.
CXII
Ce serait être très avancé dans l'étude de la
Morale, de savoir distinguer tous les traits qui
difiérencient l'orgueil et la vanité. Le premier est
haut, calme, fier, tranquille, inébranlable. La
seconde est vile, incertaine, mobile, inquiète et
chancelante. L'un grandit l'homme, l'autre le
renfle. Le premier est la source de mille vertus,
l'autre, celle de presque tous les vices et tous les
travers. Il y a un genre d'orgueil dans lequel sont
compris tous les commandemens de Dieu ; et un
genre de vanité qui contient les sept péchés
capitaux.
CXIII
Vivre est une maladie dont le sommeil nous
soulage toutes les seize heures. C'est un palliatif.
La Mort est le remède.
SUITE DES MAXIMES GÉNÉRALES 41
CXIV
La Nature paraît se servir des hommes pour ses
desseins, sans se soucier des instrumens qu'elle
emploie, à peu près comme les tyrans qui se défont
de ceux dont ils se sont servis.
cxv
Il y a deux choses auxquelles il faut se faire,
sous peine de trouver la vie insupportable. Ce sont
les injures du tems et les injustices des hommes.
CXVI
Je ne conçois pas de sagesse sans défiance.
L'Ecriture a dit que le commencement de la sagesse
était la crainte de Dieu ; moi, je crois que c'est la
crainte des hommes.
CXVII
Il y a certains défauts qui préservent de quelques
vices épidémiques, comme on voit, dans un tems
de peste, les malades de fièvre quarte échapper à
la contagion. •
CXVIII
Le grand malheur des passions n'est pas dans les
tourmens qu'elles causent, mais dans les fautes,
dans les turpitudes qu'elles font commettre, et qui
dégradent l'homme. Sans ces inconvéniens, elles
42 MAXIMES ET PENSÉES
auraient trop d'avantage sur la froide raison, qui
ne rend point heureux. Les passions font vivre
l'homme, la sagesse le fait seulement durer,
CXIX
Un homme sans élévation ne saurait avoir de
bonté ; il ne peut avoir que de la bonhomie.
cxx
Il faudrait pouvoir unir les contraires, Pamour
de la vertu avec Pindifiérence pour l'opinion
publique, le goût du travail avec l'indifiérence
pour la gloire, et le soin de sa santé avec l'indiffé-
rence pour la vie.
CXXI
Celui-là fait plus, pour un hydropique, qui le
guérit de la soif, que celui qui lui donne un
tonneau de vin. Appliquez cela aux richesses.
CXXII
Les méchans font quelquefois de bonnes actions.
On dirait qu'ils veulent voir s'il est vrai que cela
fasse autant de plaisir que le prétendent les hon-
nêtes gens.
CXXIII
Si Diogène vivait de nos jours, il faudrait que sa
lanterne fût une lanterne sourde.
SUITE DES MAXIMES GÉNÉRALES 43
CXXIV
Il faut convenir que, pour être heureux en
\ ivant dans le monde, il y a des côtés de son âme
qu'il faut entièrement paralyser,
cxxv
La Fortune et le costume qui l'entoure font de la
vie une représentation au milieu de laquelle il faut
qu'à la longue l'homme le plus honnête devienne
comédien malgré lui.
CXXVI
Dans les choses, tout est affaires mêlées, dans
les hommes, tout est pièces de rapport. Au moral
et au physique, tout est mixte. Rien n'est un, rien
n'est pur.
CXXVII
Si les vérités cruelles, les fâcheuses découvertes,
les secrets de la Société, qui composent la science
d'un homme du monde parvenu à l'âge de quarante
ans, avaient été connues de ce même* homme, à
l'âge de vingt, ou il fût tombé dans le désespoir, ou
il se serait corrompu, par lui-même, par projet ; et
cependant on voit un petit nombre d'hommes sages
parvenus à cet âge-là, instruits de toutes ces choses
et très éclairés, n'être ni corrompus ni malheureux.
44 MAXIMES ET PENSÉES
La prudence dirige leurs vertus à travers la corrup-
tion publique ; et la force de leur caractère, jointe
aux lumières d'un esprit étendu, les élève au-
dessus du chagrin qu'inspire la perversité des
hommes.
CXXVIII
Voulez-vous voir à quel point chaque état de la
Société corrompt les hommes ? Examinez ce qu'ils
sont, quand ils en ont éprouvé plus longtems
l'influence, c'est-à-dire dans la vieillesse. Voyez ce
que c'est qu'un vieux courtisan, un vieux prêtre, un
vieux juge, un vieux procureur, un vieux chirur-
gien, etc.
CXXIX
L'homme sans principes est aussi ordinairement
un homme sans caractère ; car s'il était né avec du
caractère, il aurait senti le besoin de se créer des
principes.
cxxx
Il y a à parier que toute idée publique, toute
convention reçue, est une sottise, car elle a convenu
au plus grand nombre.
CXXXI
L'estime vaut mieux que la célébrité, la considé-
SUITE DES MAXIMES GÉNÉRALES 45
ration vaut mieux que la renommée, et l'honneur
vaut mieux que la gloire.
CXXXII
C'est souvent le mobile de la vanité qui a engagé
l'homme à montrer toute l'énergie de son âme.
Du bois ajouté à un acier pointu fait un dard ;
deux plumes ajoutées au bois font une flèche.
CXXXIII
Les gens faibles sont les troupes légères de
l'armée des méchans. Ils font plus de mal que
l'armée même ; ils infestent et ils ravagent.
CXXXIV
Il est plus facile de légaliser certaines choses que
de les légitimer.
CXXXV
Célébrité : l'avantage d'être connu de ceux qui
ne vous connaissent pas.
CXXXVI
On partage avec plaisir l'amitié de ses amis pour
des personnes auxquelles on s'intéresse peu soi-
même ; mais la haine, même celle qui est la plus
juste, a de la peine à se faire respecter.
CXXXVII
Tel homme a été craint pour ses talens, haï
46 MAXIMES ET PENSÉES
pour ses vertus, et n'a rassuré que par son carac-
tère. Mais combien de tems s'est passé avant que
justice se fît I
CXXXVIII
Dans l'ordre naturel comme dans l'ordre social,
il ne faut pas vouloir être plus qu'on ne peut.
CXXXIX
La sottise ne serait pas tout-à-fait la sottise, si
elle ne craignait pas l'esprit. Le vice ne serait pas
tout-à-fait le vice, s'il ne haïssait pas la vertu.
CXL
Il n'est pas vrai (ce qu'a dit Rousseau après
Plutarque) que plus on pense, moins on sente ;
mais il est vrai que plus on juge, moins on aime.
Peu d'hommes vous mettent dans le cas de faire
exception à cette règle.
CXLI
Ceux qui rapportent tout à l'opinion ressemblent
à ces comédiens qui jouent mal pour être applaudis,
quand le goût du Public est mauvais. Quelques-uns
auraient le moyen de bien jouer si le goût du
Public était bon. L'honnête homme joue son rôle
le mieux qu'il peut, sans songer à la galerie.
SUITE DES MAXIMES GÉNÉRALES 47
CXLII
Il y a une sorte de plaisir attaché au courage qui
se met au-dessus de la fortune. Mépriser l'argent,
c'est détrôner un Roi. Il y a du ragoût.
CXLIII
Il y a un genre d'indulgence pour ses ennemis,
qui paraît une sottise plutôt que de la bonté ou de
la grandeur d'âme. M. de C... me paraît ridicule
par la sienne. Il me paraît ressembler à Arlequin,
qui dit : « Tu me donnes un soufflet, eh bien I je ne
suis point encore fâché. » Il faut avoir l'esprit de
haïr ses ennemis.
CXLIV
Robinson dans son île, privé de tout, et forcé
aux plus pénibles travaux pour assurer sa subsis-
tance journalière, supporte la vie, et même goûte,
de son aveu, plusieurs momens de bonheur.
Supposez qu'il soit dans une île enchantée, pourvue
de tout ce qui est agréable à la vi€^ peut-être le
désœuvrement lui eût-il rendu l'existence insup-
portable.
CXLV
Les idées des hommes sont comme les cartes et
autres jeux. Des idées que j'ai vu autrefois regarder
48 MAXIMES ET PENSÉES
comme dangereuses et trop hardies, sont depuis
devenues communes, et presque triviales, et ont
descendu jusqu'à des hommes peu dignes d'elles.
Quelques-unes de celles à qui nous donnons le nom
d'audacieuses seront vues comme faibles et com-
munes par nos descendans.
CXLVI
J'ai souvent remarqué dans mes lectures, que le
premier mouvement de ceux qui ont fait quelque
action héroïque, qui se sont livrés à quelque
impression généreuse, qui ont sauvé des infortunés,
couru quelque grand risque et procuré quelque
grand avantage, soit au public, soit à des parti-
culiers, j'ai, dis-je, remarqué que leur premier
mouvement a été de refuser la récompense qu'on
leur en offrait. Ce sentiment s'est trouvé dans le
cœur des hommes les plus indigens et de la der-
nière classe du peuple. Quel est donc cet instinct
moral qui apprend à l'homme sans éducation que
la récompense de ces actions est dans le cœur de
celui qui les a faites ? Il semble qu'en nous les
payant, on nous les ôte.
CXLVII
Un acte de vertu, un sacrifice ou de ses intérêts
SUITE DES MAXIMES GÉNÉRALES 49
OU de soi-même, est le besoin d'une âme noble,
Tamour-propre d^un cœur généreux, et, en quelque
sorte, l'égoïsme d'un grand caractère.
CXLVIII
La concorde des frères est si rare que la Fable ne
cite que deux frères amis, et elle suppose qu'ils ne
se voyaient jamais, puisqu'ils passaient tour à tour
de la terre aux Champs-Elysées, ce qui ne laissait
pas d'éloigner tout sujet de dispute et de rupture.
CXLIX
Il y a plus de fous que de sages, et dans le sage
même, il y a plus de folie que de sagesse.
CL
Les Maximes générales sont, dans la conduite de
la vie, ce que les routines sont dans les Arts.
CLI
La conviction est la conscience de l'esprit.
CLII •
On est heureux ou malheureux par une foule de
choses qui ne paraissent pas, qu'on ne dit point et
qu'on ne peut dire.
CLIII
Le plaisir peut s'appuyer sur l'illusion, mais le
7
50 MAXIMES ET PENSÉES
bonheur repose sur la vérité. Il n'y a qu'elle qui
puisse nous donner celui dont la nature humaine
est susceptible. L'homme heureux par l'illusion, a
sa fortune en agiotage. L'homme heureux par la
vérité, a sa fortune en fonds de terre, et en bonne
constitution.
CLIV
Il y a dans le monde bien peu de choses sur
lesquelles un honnête homme puisse reposer
agréablement son âme ou sa pensée.
CLV
Quand on soutient que les gens les moins sen-
sibles sont, à tout prendre, les plus heureux, je me
rappelle le proverbe indien : « Il vaut mieux être
assis que debout, être couché qu'assis ; mais il vaut
mieux être mort que tout cela. »
CLVI
L'habileté est à la ruse, ce que la dextérité est à
la filouterie.
CLVII
L'entêtement représente le caractère, à peu près
comme le tempérament représente Vamour.
CLVIII
Amour, folie aimable ; ambition, sottise sérieuse.
SUITE DES MAXIMES GÉNÉRALES 51
CLIX
Préjugé, vanité, calcul : voilà ce qui gouverne le
monde ; celui qui ne connaît pour règles de sa
conduite, que raison, vérité, sentiment, n'a presque
rien de commun avec la Société. C'est en lui-même
qu'il doit chercher et trouver presque tout son
bonheur.
CLX
Il faut être juste avant d'être généreux, comme
on a des chemises avant d'avoir des dentelles.
CLXI
Les Hollandais n'ont aucune commisération de
ceux qui font des dettes. Ils pensent que tout
homme endetté vit aux dépens de ses concitoyens,
s'il est pauvre, et de ses héritiers, s'il est riche.
CLXII
La Fortune est souvent comme les femmes riches
et dépensières, qui ruinent les maisons où elles ont
apporté une riche dot. #
CLXIII
Le changement de modes est l'impôt que l'indus-
trie du pauvre met sur la vanité du riche.
CLXIV
L'intérêt d'argent est la grande épreuve des
52
MAXIMES ET PENSEES
petits caractères, mais ce n'est encore que la plus
petite pour les caractères distingués ; et il y a loin
de l'homme qui méprise l'argent à celui qui est
véritablement honnête.
CLXV
Le plus riche des hommes, c'est l'économe. Le
plus pauvre, c'est l'avare.
CLXVl
Il y a quelquefois entre deux hommes de fausses
ressemblances de caractère, qui les rapprochent
et qui les unissent pour quelque tems. Mais la
méprise cesse par degrés, et ils sont tout étonnés
de se trouver très écartés l'un de l'autre, et repous-
sés, en quelque sorte, par tous leurs points de
contact.
CLXVII
N'est-ce pas une chose plaisante de considérer
que la gloire de plusieurs grands hommes soit
d'avoir employé leur vie entière à combattre des
préjugés ou des sottises qui font pitié et qui sem-
blaient ne devoir jamais entrer dans une tête
humaine ? La gloire de Bayle, par exemple, est
d'avoir montré ce qu'il y a d'absurde dans les
subtilités philosophiques et scolastiques qui feraient
SUITE DES MAXIMES GÉNÉRALES 53
lever les épaules à un paysan du Gâtinais, doué
d'un grand sens naturel. Celle de Locke, d'avoir
prouvé qu'on ne doit point parler sans s'entendre,
ni croire entendre ce qu'on n'entend pas. Celle de
plusieurs Philosophes, d'avoir composé de gros
livres contre des idées superstitieuses qui feraient
fuir, avec mépris, un sauvage du Canada. Celle de
Montesquieu, et de quelques auteurs avant lui,
d'avoir (en respectant une foule de préjugés misé-
rables) laissé entrevoir que les gouvernans sont
faits pour les gouvernés, et non les gouvernés
pour les gouvernans. Si le rêve des Philosophes
qui croient au perfectionnement de la Société,
s'accomplit, que dira la postérité de voir qu'il ait
fallu tant d^efïorts pour arriver à des résultats si
simples et si naturels ?
CLXVIII
Un homme sage en même tems qu'honnête se
doit à lui-même de joindre à la pureté qui satisfait
sa conscience, la prudence qui devine é\. prévient
la calomnie.
CLXIX
Le rôle de l'homme prévoyant est assez triste.
Il afflige ses amis, en leur annonçant les malheurs
auxquels les expose leur imprudence. On ne le
54 MAXIMES ET PENSÉES
croit pas ; et, quand ces malheurs sont arrivés, ces
mêmes amis lui savent mauvais gré du mal qu'il a
prédit, et leur amour-propre baisse les yeux devant
l'ami qui devait être leur consolateur, et qu'ils
auraient choisi s'ils n'étaient pas humiliés en sa
présence.
CLXX
Celui qui veut trop faire dépendre son bonheur
de sa raison, qui le soumet à l'examen, qui chicane,
pour ainsi dire, ses jouissances, et n'admet que des
plaisirs délicats, finit par n'en plus avoir. C'est un
homme qui, à force de faire carder son matelas, le
voit diminuer, et finit par coucher sur la dure.
CLXXI
Le tems diminue chez nous l'intensité des plai-
sirs absolus, comme parlent les métaphysiciens ;
mais il paraît qu'il accroît les plaisirs relatifs ; et je
soupçonne que c'est l'artifice par lequel la Nature a
su lier les hommes à la vie, après la perte des
objets ou des plaisirs qui la rendaient le plus
agréable.
CLXXII
Quand on a été bien tourmenté, bien fatigué par
sa propre sensibilité, on s'aperçoit qu'il faut vivre
I
SUITE DES MAXIMES GENERALES 55
au jour le jour, oublier beaucoup, enfin, éponger la
vie, à mesure qu'elle s'écoule.
CLXXIII
La fausse modestie est le plus décent de tous les
mensonges.
CLXXIV
On dit qu'il faut s'efforcer de retrancher tous les
jours de nos besoins. C'est surtout aux besoins de
l'amour-propre qu'il faut appliquer cette maxime :
Ce sont les plus tyranniques et qu'on doit le plus
combattre.
CLXXV
Il n'est pas rare de voir des âmes faibles qui, par
la fréquentation avec des âmes d'une trempe plus
vigoureuse, veulent s'élever au-dessus de leur
caractère. Cela produit des disparates aussi plaisans
que les prétentions d'un sot à l'esprit.
CLXXVI
La vertu, comme la santé, n'est pas le souverain
bien. Elle est la place du bien plutôt que le bien
même. Il est plus sûr que le vice rend malheureux
qu'il ne l'est que la vertu donne lebonheur. La raison
pour laquelle la vertu est le plus désirable, c'est
parce qu'elle est ce qu'il y a de plus opposé au vice.
CHAPITRE III
DE LA SOCIÉTÉ,
DES GRANDS, DES RICHES,
DES GENS DU MONDE
CHAPITRE III
DE LA SOCIÉTÉ,
DES GRANDS, DES RICHES,
DES GENS DU MONDE
CLXXVII
JAMAIS le monde n'est connu par les livres, on
Ta dit autrefois, mais ce qu'on n'a pas dit, c'est
la raison ; la voici. C'est que cette connaissance est
un résultat de mille observations fines dont l'amour-
propre n'ose faire confidence à personne, pas même
au meilleur ami. On craint de se montrer comme
un homme occupé de petites choses, quoique ces
petites choses soient très importantes au succès
des plus grandes aflaires.
60 MAXIMES ET PENSÉES
CLXXVIII
En parcourant les Mémoires et Monumens du
siècle de Louis XIV, on trouve, même dans la
mauvaise compagnie de ce tems-là, quelque chose
qui manque à la bonne d'aujourd'hui.
CLXXIX
Qu'est-ce que la Société, quand la raison n'en
forme pas les nœuds, quand le sentiment n'y jette
pas d'intérêt, quand elle n'est pas un échange de
pensées agréables et de vraie bienveillance ? Une
foire, un tripot, une auberge, un bois, un mauvais
lieu et des petites maisons ; c'est tout ce qu'elle est
tour à tour pour la plupart de ceux qui la com-
posent.
CLXXX
On peut considérer l'édifice métaphysique de la
Société comme un édifice matériel qui serait composé
de difiérentes niches ou compartimens d'une gran-
deur plus ou moins considérable. Les places avec
leurs prérogatives, leurs droits, etc., forment ces
divers compartimens, ces différentes niches. Elles
sont durables et les hommes passent. Ceux qui
les occupent sont tantôt grands, tantôt petits,
et aucun ou presque aucun n'est fait pour sa place.
DE LA SOCIÉTÉ 61
Là, c'est un géant, courbé ou accroupi dans sa
niche ; là, c'est un nain sous une arcade ; rarement
la niche est faite pour la stature ; autour de l'édi-
fice, circule une foule d'hommes de différentes
tailles. Ils attendent tous qu'il y ait une niche de
vide, afin de s'y placer, quelle qu'elle soit. Chacun
fait valoir ses droits, c'est-à-dire sa naissance, ou
ses protections, pour y être admis. On sifflerait
celui qui, pour avoir la préférence, ferait valoir la
proportion qui existe entre la niche et l'homme,
entre l'instrument et l'étui. Les concurrens mêmes
s'abstiennent d'objecter à leur adversaire cette
disproportion.
CLXXXI
On ne peut vivre dans la Société après l'âge des
passions. Elle n'est tolérable que dans l'époque
où l'on se sert de son estomac pour s'amuser, et de
sa personne pour tuer le tems.
#
CLXXXII
Les gens de robe, les magistrats, connaissent la
cour, les intérêts du moment, à peu près comme les
écoliers qui ont obtenu un exeai, et qui ont dîné
hors du collège, connaissent le monde.
62 MAXIMES ET PENSÉES
CLXXXIII
Ce qui se dit dans les cercles, dans les salons,
dans les soupers, dans les assemblées publiques,
dans les livres, même ceux qui ont pour objet de
faire connaître la Société, tout cela est faux ou
insuffisant. On peut dire sur cela le mot italien per
la predica, ou le mot latin ad populum phaleras.
Ce qui est vrai, ce qui est instructif, c'est ce que
la conscience d'un honnête homme qui a beaucoup
vu et bien vu, dit à son ami au coin du feu : quel-
ques-unes de ces conversations-là m'ont plus
instruit que tous les livres et le commerce ordi-
naire de la Société. C'est qu'elles me mettaient mieux
sur la voie, et me faisaient réfléchir davantage.
CLXXXIV
L'influence qu'exerce sur notre âme une idée
morale, contrastante avec des objets physiques et
matériels, se montre dans bien des occasions; mais
on ne la voit jamais mieux que quand le passage
est rapide et imprévu. Promenez-vous sur le bou-
levard, le soir : vous voyez un jardin charmant, au
bout duquel est un salon, illuminé avec goût. Vous
entrevoyez des groupes de jolies femmes, des
bosquets, entr'autres, une allée fuyante, où vous
DE LA SOCIÉTÉ 63
entendez rire : ce sont des nymphes, vous en jugez
par leur taille svelte, etc. Vous demandez quelle est
cette femme, et on vous répond : c'est Madame de
B..., la maîtresse de la maison. Il se trouve par
malheur que vous la connaissez, et le charme a
disparu.
CLXXXV
Vous rencontrez le baron de Breteuil, il vous
entretient de ses bonnes fortunes, de ses amours
grossières, etc. Il finit par vous montrer le portrait
de la Reine au milieu d'une rose garnie de diamans.
CLXXXVI
Un sot, fier de quelque cordon, me paraît au-
dessous de cet homme ridicule, qui, dans ses
plaisirs, se faisait mettre des plumes de paon au
derrière par ses maîtresses. Au moins il y gagnait
le plaisir de... Mais l'autre I... Le baron de Breteuil
est fort au-dessous de Peixoto.
CLXXXVII
On voit, par l'exemple de Breteuil, qu'on peut
ballotter dans ses poches les portraits en diamans
de douze ou quinze souverains, et n'être qu'un sot.
CLXXXVIII
C'est un sot, c'est un sot, c'est bientôt dit : voilà
64 MAXIMES ET PENSÉES
comme vous êtes extrême en tout. A quoi cela se
réduit-il ? Il prend sa place pour sa personne, son
importance pour du mérite, et son crédit pour une
vertu. Tout le monde n'est-il pas comme cela ?
Y a-t-il là de quoi tant crier ?
CLXXXIX
Quand les sots sortent de place, soit qu'ils aient
été ministres ou premiers commis, ils conservent
une morgue ou une importance ridicule.
cxc
Ceux qui ont de l'esprit ont mille bons contes à
faire sur les sottises et les valetages, dont ils ont
été témoins, et c'est ce qu'on peut voir par cent
exemples. Comme c'est un mal aussi ancien que la
Monarchie, rien ne prouve mieux combien il est
irrémédiable. De mille traits que j'ai entendu
raconter, je conclurais que, si les singes avaient le
talent des perroquets, on en ferait volontiers des
ministres.
CXCI
Rien de si difficile à faire tomber qu'une idée
triviale ou un proverbe accrédité. Louis XV a fait
banqueroute en détail trois ou quatre fois, et on
DE LA SOCIETE
65
n^en jure pas moins foi de gentilhomme. Celle de
M. de Gu[é]ménée n'y réussira pas mieux.
CXCII
Les gens du monde ne sont pas plutôt attroupés,
qu'ils se croient en société.
CXCIII
J'ai vu des hommes trahir leur conscience pour
complaire à un homme qui a un mortier ou une
simarre. Etonnez-vous ensuite de ceux qui l'échan-
gent pour le mortier, ou pour la simarre même.
Tous également vils, et les premiers absurdes plus
que les autres.
CXCIV
La Société est composée de deux grandes classes :
ceux qui ont plus de dîners que d'appétit, et ceux
qui ont plus d'appétit que de dîners.
cxcv
On donne des repas de dix louis ou de vingt à
des gens en faveur de chacun desquels qn ne don-
nerait pas un petit écu, pour qu'ils fissent une
bonne digestion de ce même dîner de vingt louis.
CXCVI
C'est une règle excellente à adopter sur l'art de
la raillerie et de la plaisanterie, que le plaisant et
8
66 MAXIMES ET PENSÉES
le railleur doivent être garans du succès de leur
plaisanterie à l'égard de la personne plaisantée, et
que, quand celle-ci se fâche, l'autre a tort.
CXCVII
M... me disait que j'avais un grand malheur :
c'était de ne pas me faire à la toute-puissance des
sots. Il avait raison, et j'ai vu qu'en entrant dans
le monde, un sot avait de grands avantages, celui
de se trouver parmi ses pairs. C'est comme frère
Lourdis dans le temple de la Sottise.
Tout lui plaisait; et, même en arrivant.
Il crut encore être dans son Couvent.
CXGVIII
En voyant quelquefois les friponneries des petits
et les brigandages des hommes en place, on est
tenté de regarder la société comme un bois rempli
de voleurs, dont les plus dangereux sont les archers,
préposés pour arrêter les autres.
CXCIX
Les gens du monde et de la Cour donnent aux
hommes et aux choses une valeur conventionnelle
dont ils s'étonnent de se trouver les dupes. Ils
ressemblent à des calculateurs, qui, en faisant un
DE LA SOCIÉTÉ 67
compte, donneraient aux chiffres une valeur
variable et arbitraire, et qui, ensuite, dans l'addi-
tion, leur rendant leur valeur réelle et réglée,
seraient tout surpris de ne pas trouver leur compte.
ce
Il y a des momens où le monde paraît s'apprécier
lui-même ce qu'il vaut. J'ai souvent démêlé qu'il
estimait ceux qui n'en faisaient aucun cas ; et il
arrive souvent que c'est une recommandation
auprès de lui, que de le mépriser souverainement,
pourvu que ce mépris soit vrai, sincère, naïf, sans
affectation, sans jactance.
CCI
Le monde est si méprisable que le peu de gens
honnêtes qui s'y trouvent, estiment ceux qui le
méprisent, et y sont déterminés par ce mépris
même.
CCII
Amitié de Cour, foi de renards et Société de
loups.
CCIII
Je conseillerais à quelqu'un qui veut obtenir une
grâce d'un ministre de l'aborder d'un air triste,
plutôt que d'un air riant. On n'aime pas à voir plus
heureux que soi.
68 MAXIMES ET PENSÉES
CCIV
Une vérité cruelle, mais dont il faut convenir,
c'est que dans le monde, et surtout dans un monde
choisi, tout est art, science, calcul, même l'appa-
rence de la simplicité, de la facilité la plus aimable.
J'ai vu des hommes dans lesquels ce qui paraissait
la grâce d'un premier mouvement, était une combi-
naison, à la vérité très prompte, mais très fine et
très savante. J'en ai vu associer le calcul le plus
réfléchi à la naïveté apparente de l'abandon le plus
étourdi. C'est le négligé savant d'une coquette,
d'où l'art a banni tout ce qui ressemble à l'Art. Cela
est fâcheux, mais nécessaire. En général, malheur
à l'homme, qui, même dans l'amitié la plus intime,
laisse découvrir son faible et sa prise I J'ai vu les
plus intimes amis faire des blessures à l'amour-
propre de ceux dont ils avaient surpris le secret. Il
paraît impossible que dans l'état actuel de la Société
(je parle toujours du grand monde), il y ait un seul
homme qui puisse montrer le fond de son âme et
les détails de son caractère et surtout de ses
faiblesses à son meilleur ami. Mais encore une fois,
il faut porter (dans ce monde-là), le raffinement si
loin qu'il ne puisse pas même y être suspect, ne
fût-ce que pour ne pas être méprisé comme acteur
dans une troupe d'excellens comédiens.
DE LA SOCIÉTÉ 69
ccv
Les gens qui croient aimer un Prince, dans l'ins-
tant où ils viennent d'en être bien traités, me rap-
pellent les enfans qui veulent être prêtres le lende-
main d'une belle procession, ou soldats, le lende-
main d'une revue à laquelle ils ont assisté.
CCVI
Les favoris, les hommes en place mettent quel-
quefois de l'intérêt à s'attacher des hommes de
mérite, mais ils en exigent un avilissement prélimi-
naire qui repousse loin d'eux tous ceux qui ont
quelque pudeur. J'ai vu des hommes dont un
favori ou un ministre aurait eu bon marché, aussi
indignés de cette disposition qu'auraient pu l'être
des hommes d'une vertu parfaite. L'un d'eux me
disait ; les grands veulent qu'on se dégrade, non
pour un bienfait, mais pour une espérance. Ils
prétendent vous acheter, non par un lot, mais par
un billet de loterie; et je sais des fripo^g, en appa-
rence bien traités par eux, qui, dans le fait, n'en ont
pas tiré meilleur parti que ne l'auraient fait les plus
honnêtes gens du monde.
CCVII
Les actions utiles, même avec éclat, les services
70 MAXIMES ET PENSÉES
réels et les plus grands qu'on puisse rendre à la
Nation et même à la Cour, ne sont, quand on n'a point
la faveur de la Cour, que des péchés splendides,
comme disent les théologiens.
CCVIII
On n'imagine pas combien il faut d'esprit pour
n'être jamais ridicule.
CCIX
Tout homme qui vit beaucoup dans le monde me
persuade qu'il est peu sensible; car je ne vois
presque rien qui puisse y intéresser le cœur, ou
plutôt rien qui ne l'endurcisse; ne fût-ce que le
spectacle de l'insensibilité, de la friv^olité et de la
vanité qui y régnent.
ccx
Quand les Princes sortent de leurs misérables
étiquettes, ce n'est jamais en faveur d'un homme de
mérite, mais d'une fille ou d'un boufion. Quand les
femmes s'affichent, ce n'est presque jamais pour un
honnête homme, c'est pour une espèce. En tout,
lorsqu'on brise le joug de l'opinion, c'est rarement
pour s'élever au-dessus, mais presque toujours pour
descendre au-dessous.
DE LA SOCIÉTÉ 71
CCXI
Il y a des fautes de conduite que de nos jours on
ne fait plus guère, ou qu'on fait beaucoup moins.
On est tellement raffiné que, mettant Pesprit à la
place de l'âme, un homme vil, pour peu qu'il ait
réfléchi, s'abstient de certaines platitudes, qui
autrefois pouvaient réussir. J'ai vu des hommes
malhonnêtes, avoir quelquefois une conduite fière
et décente avec un prince, un ministre, ne point
fléchir, etc. Cela trompe les jeunes gens et les
novices qui ne savent pas, ou bien qui oublient,
qu'il faut juger un homme par l'ensemble de ses
principes et de son caractère.
CCXII
A voir le soin que les conventions sociales
paraissent avoir pris, d'écarter le mérite de toutes
les places où il pourrait être utile à la Société, en
examinant la ligue des sots contre les gens d'esprit,
on croirait voir une conjuration de valets pour
écarter les maîtres.
CCXIII
Que trouve un jeune homme, en entrant dans le
monde? Des gens qui veulent le protéger, prétendent
l'honorer, le gouverner, le conseiller. Je ne parle
72 MAXIMES ET PENSÉES
point de ceux qui veulent l'écarter, lui nuire, le
perdre ou le tromper. S'il est d'un caractère assez
élevé pour vouloir n'être protégé que par ses
mœurs, ne s'honorer de rien, ni de personne, se
gouverner par ses principes, se conseiller par ses
lumières, par son caractère, et d'après sa position,
qu'il connaît mieux que personne, on ne manque
pas de dire qu'il est original, singulier, indomptable.
Mais s'il a peu d'esprit, peu d'élévation, peu de
principes, s'il ne s'aperçoit pas qu'on le protège,
qu'on veut le gouverner, s'il est l'instrument des
gens qui s'en emparent, on le trouve charmant et
c'est, comme on dit, le meilleur enfant du monde.
CCXIV
La Société, ce qu'on appelle le Monde, n'est que
la lutte de mille petits intérêts opposés, une lutte
éternelle de toutes les vanités qui se croisent, se
choquent, tour à tour blessées, humiliées l'une par
l'autre, qui expient le lendemain, dans le dégoût
d'une défaite, le triomphe de la veille. Vivre soli-
taire, ne point être froissé dans ce choc misérable,
où l'on attire un instant les yeux pour être écrasé
l'instant d'après, c'est ce qu'on appelle n'être rien,
n'avoir pas d'existence. Pauvre humanité I
DELASOCIÉTÉ 73
ccxv
Il y a une profonde insensibilité aux vertus qui
surprend et scandalise beaucoup plus que le vice.
Ceux que la bassesse publique appelle grands
seigneurs, ou grands, les hommes en place
paraissent, pour la plupart, doués de cette insensi-
bilité odieuse. Cela ne viendrait-il pas de l'idée
vague et peu développée dans leur tête, que les
hommes, doués de ces vertus, ne sont pas propres
à être des instruments d'intrigue ? Ils les négligent,
ces hommes, comme inutiles à eux-mêmes et aux
autres, dans un pays où, sans l'intrigue, la fausseté
et la ruse, on n'arrive à rien 1
CCXVI
Que voit-on dans le monde ? Partout un respect
naïf et sincère pour des conventions absurdes, pour
une sottise (les sots saluent leur reine), ou bien
des ménagemens forcés pour cette même sottise
(les gens d'esprit craignent leur tyran^.
CCXVII
Les bourgeois, par une vanité ridicule, font de
leurs filles un fumier pour les terres des gens de
qualité.
74
MAXIMES ET PENSEES
CCXVIII
Supposez vingt hommes, même honnêtes, qui
tous connaissent et estiment un homme d'un mérite
reconnu, Dorilas, par exemple; louez, vantez ses
talens et ses vertus; que tous conviennent de ses
vertus et de ses talens; l'un des assistans ajoute :
« C'est dommage qu'il soit si peu favorisé de la
fortune. — Que dites-vous ? reprend un autre;
c'est que sa modestie l'oblige à vivre sans luxe.
Savez- vous qu'il a vingt-cinq mille livres de rente ?
— Vraiment ! — Soyez-en sûr, j'en ai la preuve. »
Qu'alors cet homme de mérite paraisse, et qu'il
compare l'accueil de la Société et la manière plus
ou moins froide, quoique distinguée, dont il était
reçu précédemment. C'est ce qu'il a fait : il a
comparé, et il a gémi. Mais dans cette société, il
s'est trouvé un homme dont le maintien a été le
même à son égard. « Un sur vingt, dit notre philo-
sophe; je suis content. »
CCXIX
Quelle vie que celle de la plupart des gens de la
Cour! Ils se laissent ennuyer, excéder, avilir, asser-
vir, tourmenter pour des intérêts misérables. Ils
attendent pour vivre, pour être heureux, la mort
DELASOCIÉTÉ 75
de leurs ennemis, de leurs rivaux d'ambition, de
ceux même qu'ils appellent leurs amis; et pendant
que leurs vœux appellent cette mort, ils sèchent,
ils dépérissent, meurent eux-mêmes, en demandant
des nouvelles de la santé de Monsieur tel, de
Madame telle, qui s'obstinent à ne pas mourir.
ccxx
Quelques folies qu'aient écrites certains physio-
nomistes de nos jours, il est certain que l'habitude
de nos pensées peut déterminer quelques traits de
notre physionomie. Nombre de courtisans ont l'œil
faux, par la même raison que la plupart des tailleurs
sont cagneux.
CCXXI
Il n'est peut-être pas vrai que les grandes for-
tunes supposent toujours de l'esprit, comme je l'ai
souvent ouï dire, même à des gens d'esprit; mais
il est bien plus vrai qu'il y a des doses d'esprit et
d'habileté à qui la fortune ne saura^ échapper,
quand bien même celui qui les a posséderait l'hon-
nêteté la plus pure, obstacle qui, comme on sait,
est le plus grand de tous pour la fortune.
CCXXII
Lorsque Montaigne a dit à propos de la grandeur :
76 MAXIMES ET PENSÉES
« Puisque nous ne pouvons y atteindre, vengeons-
nous-en à en médire », il a dit une chose plaisante,
souvent vraie, mais scandaleuse, et qui donne des
armes aux sots que la fortune a favorisés. Souvent
c'est par petitesse qu'on hait l'inégalité des condi-
tions ; mais un vrai sage et un honnête homme
pourraient la haïr comme la barrière qui sépare
des âmes faites pour se rapprocher. Il est peu
d'hommes d'un caractère distingué qui ne se soient
refusés aux sentimens que leur inspirait tel ou tel
homme d'un rang supérieur, qui n'aient repoussé,
en s'affligeant eux-mêmes, telle ou telle amitié qui
pouvait être pour eux une source de douceurs et de
consolations. Ceux-là, au lieu de répéter le mot de
Montaigne, peuvent dire : Je hais la grandeur qui
m'a fait fuir ce que j'aimais ou ce que j'aurais
aimé.
CCXXIII
Qui est-ce qui n'a que des liaisons entièrement
honorables ? qui est-ce qui ne voit pas quelqu'un
dont il demande pardon à ses amis? Quelle est la
femme qui ne s'est pas vue forcée d'expliquer à la
Société la visite de telle ou telle femme qu'on a été
surpris de voir chez elle ?
DELASOCIÉTÉ 77
CCXXIV
Etes-vous Pami d^un homme de la Cour, d'un
homme de qualité, comme on dit, et souhaitez-vous
de lui inspirer le plus vif attachement dont le cœur
humain soit susceptible ? Ne vous bornez pas à lui
prodiguer les soins de la plus tendre amitié, à le
soulager dans ses maux, à le consoler dans ses
peines, à lui consacrer tous vos momens, à lui
sauver dans l'occasion la vie ou l'honneur ; ne
perdez point votre tems à des bagatelles. Faites
plus, faites mieux; faîtes sa généalogie.
ccxxv
Vous croyez qu'un ministre, un homme en place, a
tel ou tel principe, et vous le croyez parce que vous le
lui avez entendu dire. En conséquence, vous vous
abstenez de lui demander telle ou telle chose qui le
mettrait en contradiction avec sa maxime favorite.
Vous apprenez bientôt que vous avez été dupe, et
vous lui voyez faire des choses qui vous prouvent
qu'un ministre n'a point de principes, mais seu-
lement l'habitude, le tic de dire telle ou telle chose.
CCXXVI
Plusieurs courtisans sont haïs sans profit, et pour
le plaisir de l'être. Ce sont des lézards, qui, à
ramper, n'ont gagné que de perdre leur queue.
78 MAXIMES ET PENSÉES
CCXXVII
Cet homme n'est pas propre à avoir jamais de la
considération : il faut qu'il fasse fortune, et vive
avec de la canaille.
CCXXVIII
Les corps (Parlemens, Académies, Assemblées)
ont beau se dégrader, ils se soutiennent par leur
masse, et on ne peut rien contre eux. Le déshon-
neur, le ridicule glissent sur eux, comme les balles
de fusil sur un sanglier, sur un crocodile.
CCXXIX
En voyant ce qui se passe dans le monde,
l'homme le plus misanthrope finirait par s'égayer,
et Heraclite par mourir de rire.
ccxxx
Il me semble qu'à égalité d'esprit et de lumières,
l'homme né riche ne doit jamais connaître aussi
bien que le pauvre, la Nature, le cœur humain et
la Société. C'est que dans le moment où l'autre
plaçait une jouissance, le second se consolait par
une réflexion.
CCXXXI
En voyant les Princes faire de leur propre mou-
vement certaines choses honnêtes, on est tenté de
DELASOCIÉTÉ 79
reprocher à ceux qui les entourent la plus grande
partie de leurs torts ou de leurs faiblesses ; on se
dit : quel malheur que ce prince ait pour amis
Damis ou Aramont I On ne songe pas que, si Damis
ou Aramont avaient été des personnages qui
eussent de la noblesse ou du caractère, ils n'auraient
pas été les amis de ce prince.
CCXXXII
A mesure que la Philosophie fait des progrès, la
sottise redouble ses eflbrts pour établir l'empire des
préjugés. Voyez la faveur que le gouvernement
donne aux idées de la gentilhommerie. Cela est
venu au point qu'il n'y a plus que deux états pour
les femmes : femmes de qualité, ou filles ; le reste
n'est rien. Nulle vertu n'élève une femme au-dessus
de son état ; elle n'en sort que par le vice.
CCXXXIII
Parvenir à la fortune, à la considération, malgré
le désavantage d'être sans aïeux, et cela à travers
tant de gens qui ont tout apporté en Baissant, c'est
gagner ou remettre une partie d'échecs, ayant
donné la tour à son adversaire. Souvent aussi les
autres ont sur vous trop d'avantages conven-
tionnels, et alors il faut renoncer à la partie. On
peut bien céder une tour, mais non la dame.
80 MAXIMES ET PENSÉES
CCXXXIV
Les gens qui élèvent les Princes et qui pré-
tendent leur donner une bonne éducation, après
s'être soumis à leurs formalités et à leurs avi-
lissantes étiquettes, ressemblent à des maîtres
d'arithmétique, qui voudraient former de grands
calculateurs, après avoir accordé à leurs élèves
que trois et trois font huit.
ccxxxv
Quel est l'être le plus étranger à ceux qui l'envi-
ronnent ? Est-ce un Français à Pékin ou à Macao ?
est-ce un Lapon, au Sénégal ? ou ne serait-ce pas
par hasard un homme de mérite sans or et sans
parchemin, au milieu de ceux qui possèdent l'un
de ces deux avantages, ou tous les deux réunis?
N'est-ce pas une merveille que la Société subsiste
avec la convention tacite d'exclure du partage de
ses droits les dix-neuf vingtièmes de la Société ?
CCXXXVI
Le Monde et la Société ressemblent à une biblio-
thèque où au premier coup d'œil tout paraît en
règle, parce que les livres y sont placés suivant les
formats et la grandeur des volumes, mais où dans
le fond tout est en désordre, parce que rien n'y est
DELASOCIÉTÉ 81
rangé suivant l'ordre des sciences, des matières, ni
des auteurs.
CCXXXVII
Avoir des liaisons considérables, oumême illustres,
ne peut plus être un mérite pour personne, dans
un pays où l'on plaît souvent par ses vices, et où
Ton est quelquefois recherché pour ses ridicules.
CCXXXVIII
Il y a des hommes qui ne sont point aimables,
mais qui n'empêchent pas les autres de l'être.
Leur commerce est quelquefois supportable ; il y en
a d'autres qui, n'étant point aimables, nuisent
encore par leur seule présence au développement
de l'amabilité d'autrui ; ceux-là sont insupportables :
c'est le grand inconvénient de la pédanterie.
CCXXXIX
L'expérience qui éclaire les particuliers, corrompt
les Princes et les gens en place.
CCXL
Le public de ce moment-ci est comme la tragédie
moderne, absurde, atroce et plat.
CCXLI
L'état de Courlisan est un métier dont on a voulu
faire une science. Chacun cherche à se hausser.
9
82 MAXIMES ET PENSÉES
CCXLII
La plupart des liaisons de société, la camara-
derie, etc., tout cela est à l'amitié ce que le sigis-
béisme est à Pamour.
CCXLIII
L'art de la parenthèse est un des grands secrets
de l'éloquence dans la Société.
CCXLIV
A la Cour, tout est courtisan, le prince du sang, le
chapelain de semaine, le chirurgien de quartier,
l'apothicaire.
CCXLV
Les magistrats chargés de veiller sur l'ordre
public, tels que le lieutenant criminel, le lieutenant
civil, le lieutenant de police, et tant d'autres
finissent presque toujours par avoir une opinion
horrible de la Société. Ils croient connaître les
hommes et n'en connaissent que le rebut. On ne
juge pas d'une ville par ses égouts, et d'une maison
par ses latrines. La plupart de ces magistrats me
rappellent toujours le collège où les correcteurs ont
une cabane auprès des commodités, et n'en sortent
que pour donner le fouet.
1
DELASOCIÉTÉ 83
CCXLVI
C'est la plaisanterie qui doit faire justice de tous
les travers des hommes et de la Société. C'est par
elle qu'on évite de se compromettre. C'est par elle
qu'on met tout en place sans sortir de la sienne.
C'est elle qui atteste notre supériorité sur les
choses et sur les personnes dont nous nous moquons,
sans que les personnes puissent s'en offenser, à
moins qu'elles ne manquent de gaîté ou de mœurs.
La réputation de savoir bien manier cette arme
donne à l'homme d'un rang inférieur, dans le
monde et dans la meilleure compagnie, cette sorte
de considération que les militaires ont pour ceux
qui manient supérieurement l'épée. J'ai entendu
dire à un homme d'esprit : ôtez à la plaisanterie son
empire et je quitte demain la Société. C'est une
sorte de duel où il n'y a pas de sang versé, et qui,
comme l'autre, rend les hommes plus mesurés et
plus polis.
CCXLVII
On ne se doute pas, au premier coup d'oeil, du mal
que fait l'ambition de mériter cet éloge si commun :
Monsieur un lelesi 1res aimable. Il arrive, je ne sais
comment, qu'il y a un genre de facilité, d'insou-
ciance, de faiblesse, de déraison, qui plaît beaucoup.
84 MAXIMES ET PENSÉES
quand ces qualités se trouvent mêlées avec de
l'esprit ; que l'homme, dont on fait ce qu'on veut,
qui appartient au moment, est plus agréable que
celui qui a de la suite, du caractère, des principes,
qui n'oublie pas son ami malade ou absent, qui sait
quitter une partie de plaisir pour lui rendre ser-
vice, etc. Ce serait une liste ennuyeuse que celle des
défauts, des torts et des travers qui plaisent. Aussi,
les gens du monde, qui ont réfléchi sur l'art de
plaire, plus qu'on ne croit et qu'ils ne croient eux-
mêmes, ont la plupart de ces défauts, et cela vient
de la nécessité de faire dire de soi : Monsieur un
tel est très aimable.
CCXLVIII
Il y a des choses indevinables pour un jeune
homme bien né. Comment se défierait-on, à vingt
ans, d'un espion de police qui a le cordon rouge ?
CCXLIX
Les coutumes les plus absurdes, les étiquettes les
plus ridicules, sont en France et ailleurs sous la
protection de ce mot : c^esi l'usage. C'est préci-
sément ce même mot que répondent les Hottentots,
quand les Européens leur demandent pourquoi ils
mangent des sauterelles, pourquoi ils dévorent la
DELASOCIÉTÉ 85
vermine dont ils sont couverts. Ils disent aussi : c'est
l'usage.
CCL
La prétention la plus absurde et la plus injuste,
qui serait sifflée dans une assemblée d'honnêtes
gens, peut devenir la matière d'un procès, et dès
lors être déclarée légitime ; car tout procès peut se
perdre ou se gagner, de même que dans les corps,
l'opinion la plus folle et la plus ridicule peut être
admise et l'avis le plus sage rejeté avec mépris. Il
ne s'agit que de faire regarder l'un ou l'autre
comme une affaire de parti, et rien n'est si facile
entre les deux partis opposés qui divisent presque
tous les corps.
CCLI
Qu'est-ce que c'est qu'un fat sans sa fatuité ?
Otez les ailes à un papillon, c'est une chenille.
CCLII
Les Courtisans sont des pauvres ecfrichîs par la
mendicité.
CCLIII
Il est aisé de réduire à des termes simples la
valeur précise de la célébrité ; celui qui se fait
connaître par quelque talent ou quelque vertu,
86 MAXIMES ET PENSÉES
se dénonce à la bienveillance inactive de quelques
honnêtes gens, et à l'active malveillance de tous
les hommes malhonnêtes. Comptez les deux classes,
et pesez les deux forces.
CCLIV
Peu de personnes peuvent aimer un philosophe.
C'est presque un ennemi public qu'un homme qui
dans les différentes prétentions des hommes, et
dans le mensonge des choses, dit à chaque homme
et à chaque chose : « Je ne te prends que pour ce que
tu es, je ne t'apprécie que [pour] ce que tu vaux ; »
et ce n'est pas une petite entreprise de se faire
aimer et estimer, avec l'annonce de ce ferme propos.
CCLV
Quand on est trop frappé des maux de la Société
universelle et des horreurs que présentent la capi-
tale ou les grandes villes, il faut se dire : il pouvait
naître de plus grands malheurs encore de la suite
de combinaisons qui a soumis vingt-cinq millions
d'hommes à un seul, et qui a réuni sept cent mille
hommes sur un espace de deux lieues carrées.
CCLVI
Des qualités trop supérieures rendent souvent un
homme moins propre à la Société, On ne va pas au
DELASOCIÉTÉ 87
marché avec des lingots ; on y va avec de Targent
ou de la petite monnaie.
CCLVII
La Société, les Cercles, les Salons, ce qu'on appelle
le monde, est une pièce misérable, un mauvais
opéra, sans intérêt, qui se soutient un peu par les
machines et les décorations.
CCLVIII
Pour avoir une idée juste des choses, il faut
prendre les mots dans la signification opposée à
celle qu'on leur donne dans le monde. Misan-
thrope, par exemple, cela veut dire Philanthrope ;
mauvais Français, cela veut dire bon citoyen qui
indique certains abus monstrueux ; Philosophe,
homme simple, qui sait que deux et deux font
quatre, etc.
CCLIX
De nos jours, un peintre fait votre portrait en
sept minutes; un autre vous apprend àp peindre en
trois jours ; un troisième vous enseigne l'anglais
en quarante leçons. On veut vous apprendre huit
langues avec des gravures, qui représentent les
choses et leurs noms au-dessous, en huit langues.
Enfin, si on pouvait mettre ensemble les plaisirs,
88 MAXIMES ET PENSÉES
les sentimens, ou les idées de la vie entière, et
les réunir dans Pespace de vingt-quatre heures, on
le ferait ; on vous ferait avaler cette pilule, et on
vous dirait : « allez-vous-en. »
CCLX
Il ne faut pas regarder Burrhus comme un homme
vertueux absolument. Il ne l'est qu'en opposition
avec Narcisse. Sénèque et Burrhus sont les hon-
nêtes gens d'un siècle où il n'y en avait pas.
CCLXI
Quand on veut plaire dans le monde, il faut se
résoudre à se laisser apprendre beaucoup de choses
qu'on sait par des gens qui les ignorent.
CCLXII
Les hommes qu'on ne connaît qu'à moitié, on ne
les connaît pas ; les choses qu'on ne sait qu'aux
trois-quarts, on ne les sait pas du tout. Ces deux
réflexions suffisent pour faire apprécier presque
tous les discours qui se tiennent dans le monde.
CCLXIII
Dans un pays où tout le monde cherche à
paraître, beaucoup de gens doivent croire, et croient
en effet qu'il vaut mieux être banqueroutier que
de n'être rien.
DE LA SOCIETE
89
CCLXIV
La menace du rhume négligé est pour les méde-
cins ce que le Purgatoire est pour les prêtres, un
Pérou,
CCLXV
Les conversations ressemblent aux voyages qu'on
fait sur l'eau : on s'écarte de la terre sans presque
le sentir, et l'on ne s'aperçoit qu'on a quitté le bord
que quand on est déjà bien loin.
CCLXVI
Un homme d'esprit prétendait, devant des mil-
lionnaires, qu'on pouvait être heureux avec deux
mille écus de rente. Ils soutinrent le contraire avec
aigreur, et même avec emportement. Au sortir de
chez eux, il cherchait la cause de cette aigreur de
la part de gens qui avaient de l'amitié pour lui. Il
la trouva enfin. C'est que par là, il leur faisait
entrevoir qu'il n'était pas dans leur dépendance.
Tout homme qui a peu de besoins seiVible menacer
les riches d'être toujours prêt à leur échapper. Les
tyrans voient par là qu'ils perdent un esclave. On
peut appliquer cette réflexion à toutes les passions
en général. L'homme qui a vaincu le penchant à
l'amour, montre une indifïérence toujours odieuse
90 MAXIMES ET PENSÉES
aux femmes. Elles cessent aussitôt de s'intéresser à
lui. C'est peut-être pour cela que personne ne
s'intéresse à la fortune d'un philosophe : il n'a pas
les passions qui émeuvent la Société. On voit qu'on
ne peut presque rien faire pour son bonheur, et on
le laisse là.
CCLXVII
Il est dangereux pour un philosophe attaché à un
grand (si jamais les grands ont eu auprès d'eux un
philosophe) de montrer tout son désintéressement ;
on le prendrait au mot. Il se trouve dans la néces-
sité de cacher ses vrais sentimens, et c'est, pour
ainsi dire, un hypocrite d'ambition.
CHAPITRE IV
DU GOUT POUR LA RETRAITE
ET DE LA DIGNITÉ DU CARACTÈRE
CHAPITRE IV
DU GOUT POUR LA RETRAITE
ET DE LA DIGNITÉ DU CARACTÈRE
CCLXVIII
UN Philosophe regarde ce qu'on appelle un élai
dans le monde, comme les Tartares regardent
les villes, c'est-à-dire, comme une prison. C'est un
cercle où les idées se resserrent, se corfcentrent, en
ôtant à l'âme et à l'esprit leur étendue et leur
développement. Un homme qui a un grand état
dans le monde a une prison plus grande et plus
ornée. Celui qui n'y a qu'un petit état, est dans un
cachot. L'homme sans état est le seul homme libre.
94 MAXIMES ET PENSÉES
pourvu qu'il soit dans l'aisance, ou du moins qu'il
n'ait aucun besoin des hommes.
CCLXIX
L'homme le plus modeste, en vivant dans le
monde, doit, s'il est pauvre, avoir un maintien très
assuré et une certaine aisance qui empêche qu'on
ne prenne quelque avantage sur lui. Il faut, dans ce
cas, parer sa modestie de sa fierté.
CCLXX
La faiblesse de caractère ou le défaut d'idées, en
un mot tout ce qui peut nous empêcher de vivre
avec nous-mêmes, sont les choses qui préservent
beaucoup de gens de la misanthropie.
CCLXXI
On est plus heureux dans la solitude que dans le
monde. Cela ne viendrait-il pas de ce que dans la
solitude on pense aux choses, et que, dans le monde,
on est forcé de penser aux hommes ?
CCLXXII
Les pensées d'un solitaire, homme de sens, et
fût-il d'ailleurs médiocre, seraient bien peu de
chose, si elles ne valaient pas ce qui se dit et se fait
dans le monde.
i
DU GOUT POUR LA RETRAITE 95
CCLXXIII
Un homme qui s'obstine à ne laisser ployer ni sa
raison, ni sa probité, ou du moins sa délicatesse,
sous le poids d'aucune des conventions absurdes
ou malhonnêtes de la Société, qui ne fléchit jamais
dans les occasions où il a intérêt de fléchir, finit
infailliblement par rester sans appui, n'ayant
d'autre ami qu'un être abstrait qu'on appelle la
vertu, qui vous laisse mourir de faim.
CCLXXIV
Il ne faut pas ne savoir vivre qu'avec ceux qui
peuvent nous apprécier : ce serait le besoin d'un
amour-propre trop délicat et trop difficile à con-
tenter; mais il faut ne placer le fond de sa vie
habituelle qu'avec ceux qui peuvent sentir ce
que nous valons. Le Philosophe même ne blâme
point ce genre d'amour-propre.
CCLXXV
On dit quelquefois d'un homme qui vit seul : il
n'aime pas la Société. C'est souvent comme si on
disait d'un homme qu'il n'aime pas la promenade,
sous le prétexte qu'il ne se promène pas volontiers
le soir dans la forêt de Bondy.
96 MAXIMES ET PENSÉES
CCLXXVI
Est-il bien sûr qu'un homme qui aurait une
raison parfaitement droite, un sens moral parfaite-
ment exquis, pût vivre avec quelqu'un ? Par vivre,
je n'entends pas se trouver ensemble sans se
battre : j'entends se plaire ensemble, s'aimer,
commercer avec plaisir.
CCLXXVII
Un homme d'esprit est perdu, s'il ne joint pas à
l'esprit l'énergie de caractère. Quand on a la lan-
terne de Diogène, il faut avoir son bâton.
CCLXXVIII
Il n'y a personne qui ait plus d'ennemis dans le
monde qu'un homme droit, fier et sensible, disposé
à laisser les personnes et les choses pour ce qu'elles
sont, plutôt qu'à les prendre pour ce qu'elles ne
sont pas.
CCLXXIX
Le monde endurcit le cœur à la plupart des
hommes. Mais ceux qui sont moins susceptibles
d'endurcissement, sont obligés de se créer une sorte
d'insensibilité factice, pour n'être dupes ni des
hommes, ni des femmes. Le sentiment qu'un
homme honnête emporte, après s'être livré quelques
DU GOUT POUR LA RETRAITE 97
jours à la Société, est ordinairement pénible et
triste. Le seul avantage qu'il produira, c'est de
faire trouver la retraite aimable.
CCLXXX
Les idées du public ne sauraient manquer
d'être presque toujours viles et basses. Comme il ne
lui revient guère que des scandales et des actions
d'une indécence marquée, il teint de ces mêmes
couleurs presque tous les faits ou les discours
qui passent jusqu'à lui. Voit-il une liaison, même
de la plus noble espèce, entre un grand Seigneur
et un homme de mérite, entre un homme en place
et un particulier ? il ne voit, dans le premier cas
qu'un protecteur et un client, dans le second que
du manège et de l'espionnage. Souvent, dans un
acte de générosité, mêlé de circonstances nobles et
intéressantes, il ne voit que de l'argent prêté à un
homme habile par une dupe. Dans le fait qui donne
de la publicité à une passion quelquefois très
intéressante d'une femme honnête et d'un homme
digne d'être aimé, il ne voit que du catinisme ou
du libertinage. C'est que ses jugemens sont déter-
minés d'avance par le grand nombre de cas où il a
dû condamner et mépriser. Il résulte de ces obser-
10
98 MAXIMES ET PENSÉES
vatîons, que ce qui peut arriver de mieux aux
honnêtes gens, c'est de lui échapper (1).
CCLXXXI
La Nature ne m'a point dit : ne sois point pauvre ;
encore moins : sois riche ; mais elle me crie : sois
indépendant.
CCLXXXII
Le Philosophe se portant pour un être qui ne
donne aux hommes que leur valeur véritable, il est
fort simple que cette manière de juger ne plaise à
personne.
CCLXXXIII
L'homme du monde, l'ami de la fortune, même
l'amant de la gloire, tracent tous devant eux une
ligne directe qui les conduit à un terme inconnu.
Le sage, l'ami de lui-même, décrit une ligne circu-
laire, dont l'extrémité le ramène à lui. C'est le lotus
leres alque rolundus d'Horace.
CCLXXXIV
Il ne faut point s'étonner du goût de J.-J. Rousseau
pour la retraite ; de pareilles âmes sont exposées à
se voir seules, à vivre isolées, comme l'aigle ; mais
(1) Voyez la maxime DLVIIl de la p. 193.
DU GOUT POUR LA RETRAITE 99
comme lui, l'étendue de leurs regards et la hauteur
de leur vol sont le charme de leur solitude.
CCLXXXV
Quiconque n'a pas de caractère n'est pas un
homme : c'est une chose.
CCLXXXVI
On a trouvé le moi de Médée sublime, mais celui
qui ne peut pas le dire dans tous les accidens de la
vie, est bien peu de chose, ou plutôt n'est rien.
CCLXXXVII
On ne connaît pas du tout l'homme qu'on ne
connaît pas très bien ; mais peu d'hommes méritent
qu'on les étudie. De là vient que l'homme d'un vrai
mérite doit avoir en général peu d'empressement
d'être connu. Il sait que peu de gens peuvent
l'apprécier, que, dans ce petit nombre, chacun a
ses liaisons, ses intérêts, son amour-propre, qui
l'empêchent d'accorder au mérite l'attention qu'il
faut pour le mettre à sa place. Quant 'aux éloges
communs et usés qu'on lui accorde quand on soup-
çonne son existence, le mérite ne saurait en être
flatté.
CCLXXXVIII
Quand un homme s'est élevé par son caractère,
ÏOO MAXIMES ET PENSÉES
au point de mériter qu'on devine quelle sera sa
conduite dans toutes les occasions qui intéressent
l'honnêteté, non seulement les fripons, mais les
demi-honnêtes gens le décrient et l'évitent avec
soin. Il y a plus, les gens honnêtes, persuadés que,
par un efïet de ses principes, ils le trouveront dans
les rencontres où ils auront besoin de lui, se
permettent de le négliger, pour s'assurer de ceux
sur lesquels ils ont des doutes.
CCLXXXIX
Presque tous les hommes sont esclaves, par la
raison que les Spartiates donnaient de la servitude
des Perses, faute de savoir prononcer la syllabe
non. Savoir prononcer ce mot et savoir vivre seul
sont les deux seuls moyens de conserver sa liberté
et son caractère.
ccxc
Quand on a pris le parti de ne voir que ceux qui
sont capables de traiter avec vous aux termes de la
morale, de la vertu, de la raison, de la vérité, en
ne regardant les conventions, les vanités, les
étiquettes, que comme les supports de la Société
civile; quand, dis-je, on a pris ce parti (et il faut
DU GOUT POUR LA RETRAITE 101
bien le prendre, sous peine d'être sot, faible ou vil),
il arrive qu'on vit à peu près solitaire.
CCXCI
Tout homme qui se connaît des sentimens élevés
a le droit, pour se faire traiter comme il convient,
de partir de son caractère, plutôt que de sa position.
CHAPITRE V
PENSÉES MORALES
CHAPITRE V
PENSÉES MORALES
CCXCII
LES Philosophes reconnaissent quatre vertus
principales, dont ils font dériver toutes les
autres. Ces vertus sont la justice, la tempérance,
la force et la prudence. On peut dire que cette
dernière renferme les deux premières, la justice et
la tempérance, et qu'elle supplée, en quelque sorte,
à la force, en sauvant à l'homme qui a le malheur
d'en manquer, une grande partie des occasions où
elle est nécessaire.
106 MAXIMES ET PENSÉES
CCXCIII
Les Moralistes, ainsi que les Philosophes qui ont
fait des systèmes en Physique et en Métaphysique,
ont trop généralisé, ont trop multiplié les Maximes.
Que devient, par exemple, le mot de Tatice : Neque
mulier, amissa pudicitia, alia abneril, après
l'exemple de tant de femmes qu'une faiblesse n'a
pas empêchées de pratiquer plusieurs vertus ? J'ai
vu madame de L..., après une jeunesse peu diffé-
rente de celle de Manon Lescaut, avoir, dans l'âge
mûr, une passion digne d'Héloïse. Mais ces exemples
sont d'une morale dangereuse à établir dans les
livres. Il faut seulement les observer, afin de n'être
pas dupe de la charlatanerie des moralistes.
CCXCIV
On a, dans le monde, ôté des mauvaises mœurs
tout ce qui choque le bon goût ; c'est une réforme
qui date des dix dernières années.
ccxcv
L'âme, lorsqu'elle est malade, fait précisément
comme le corps ; elle se tourmente et s'agite en tout
sens, mais finit par trouver un peu de calme. Elle
s'arrête enfin sur le genre de sentimens et d'idées
le plus nécessaire à son repos.
PENSÉES MORALES 107
CCXCVI
Il y a des hommes à qui les illusions sur les choses
qui les intéressent sont aussi nécessaires que la vie.
Quelquefois cependant ils ont des aperçus qui
feraient croire qu'ils sont près de la vérité ; mais ils
s'en éloignent bien vite, et ressemblent aux enfans
qui courent après un masque, et qui s'enfuient si le
masque vient à se retourner.
CCXCVII
Le sentiment qu'on a pour la plupart des bien-
faiteurs, ressemble à la reconnaissance qu'on a pour
les arracheurs de dents. On se dit qu'ils vous ont
fait du bien, qu'il vous ont délivré d'un mal, mais
on se rappelle la douleur qu'ils ont causée, et on
ne les aime guère avec tendresse.
CCXCVIII
Un bienfaiteur délicat doit songer qu'il y a dans
le bienfait une partie matérielle dont il faut dérober
l'idée à celui qui est l'objet de sa bienfaisance. Il
faut, pour ainsi dire, que cette idée se perde et
s'enveloppe dans le sentiment qui a produit le bien-
fait, comme entre deux amans, l'idée de la jouis-
sance s'enveloppe et s'[en]noblit dans le charme de
l'amour qui l'a fait naître.
108 MAXIMES ET PENSÉES
CCXCIX
Tout bienfait qui n'est pas cher au cœur est
odieux. C'est une relique, ou un os de mort. Il faut
l'enchâsser ou le fouler aux pieds.
CGC
La plupart des bienfaiteurs qui prétendent être
cachés, après vous avoir fait du bien, s'enfuient
comme la Galatée de Virgile : El se cupit ante
videri,
ceci
On dit communément qu'on s'attache par ses
bienfaits. C'est une bonté de la Nature. Il est juste
que la récompense de bien faire, soit d'aimer.
CCCII
La calomnie est comme la guêpe qui vous impor-
tune, et contre laquelle il ne faut faire aucun mou-
vement, à moins qu'on ne soit sûr de la tuer, sans
quoi elle revient à la charge, plus furieuse que
jamais.
CCCIII
Les nouveaux amis que nous faisons après un
certain âge, et par lesquels nous cherchons à rem-
placer ceux que nous avons perdus, sont à nos
anciens amis ce que les yeux de verre, les dents
PENSÉES MORALES 109
postiches et les jambes de bois sont aux véritables
yeux, aux dents naturelles et aux jambes de chair
et d'os.
CCCIV
Dans les naïvetés d'un enfant bien né, il y a quel-
quefois une philosophie bien aimable.
cccv
La plupart des amitiés sont hérissées de si et de
mais, et aboutissent à de simples liaisons, qui sub-
sistent à force de sous-enlendus,
CCCVI
Il y a, entre les mœurs anciennes et les nôtres, le
même rapport qui se trouve entre Aristide, contrô-
leur général des Athéniens, et l'abbé Terray.
CCCVII
Le genre humain, mauvais dans sa nature, est
devenu plus mauvais par la Société. Chaque homme
y porte les défauts : 1% de l'humanité, 2**, de l'indi-
vidu, 30, de la classe dont il fait partie dans l'ordre
social. Ces défauts s'accroissent avec le tems; et
chaque homme, en avançant en âge, blessé de tous
ces travers d'autrui, et malheureux par les siens
mêmes, prend pour l'Humanité et pour la Société un
mépris qui ne peut tourner que contre l'une et l'autre.
110 MAXIMES ET PENSÉES
CCCVIII
Il en est du bonheur comme des montres. Les
moins compliquées sont celles qui se dérangent le
moins. La montre à répétition est plus sujette aux
variations. Si elle marque de plus les minutes,
nouvelle cause d'inégalité; puis celle qui marque
le jour de la semaine et le mois de Tannée, toujours
plus prête à se détraquer.
CCCIX
Tout est également vain dans les hommes, leurs
joies et leurs chagrins. Mais il vaut mieux que la
bulle de savon soit d'or ou d'azur, que noire ou
grisâtre.
cccx
Celui qui déguise la tyrannie, la protection, ou
même les bienfaits, sous l'air et le nom de l'amitié,
me rappelle ce prêtre scélérat qui empoisonnait
dans une hostie.
CCCXI
Il y a peu de bienfaiteurs qui ne disent comme
Satan : Si cadens adoraveris me.
CCCXII
La pauvreté met le crime au rabais.
PENSÉES MORALES 111
CCCXIII
Les Stoïciens sont des espèces d'inspirés, qui
portent dans la morale l'exaltation et l'enthousiasme
poétiques.
CCCXIV
S'il était possible qu'une personne sans esprit
pût sentir la grâce, la finesse, l'étendue et les diffé-
rentes qualités de l'esprit d'autrui, et montrer qu'elle
le sent, la société d'une telle personne, quand même
elle ne produirait rien d'elle-même, serait encore
très recherchée. Même résultat de la même suppo-
sition, à l'égard des qualités de l'âme.
cccxv
En voyant ou en éprouvant les peines attachées
aux sentimens extrêmes, en amour, en amitié, soit
par la mort de ce qu'on aime, soit par les accidens
de la vie, on est tenté de croire que la dissipation et
la frivolité ne sont pas de si grandes sottises, et que
la vie ne vaut guère que ce qu'en font les gens du
monde. •
CCCXVI
Dans de certaines amitiés passionnées, on a le
bonheur des passions et l'aveu de la raison par-
dessus le marché.
112 MAXIMES ET PENSÉES
CCCXVII
L'amitié extrême et délicate est souvent blessée
du repli d'une rose.
CCCXVIII
La générosité n'est que la pitié des âmes nobles.
CCCXIX
Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi, ni à
personne : voilà, je crois, toute la morale.
cccxx
Pour les hommes vraiment honnêtes, et qui ont
de certains principes, les Commandemens de Dieu
ont été mis en abrégé sur le frontispice de l'Abbaye
de Thélème : Fais ce que lu voudras,
CCCXXI
L'Education doit porter sur deux bases, la morale
et la prudence; la morale, pour appuyer la vertu;
la prudence, pour vous défendre contre les vices
d'autrui. En faisant pencher la balance du côté de
la morale, vous ne faites que des dupes ou des
martyrs; en la faisant pencher de l'autre côté, vous
faites des calculateurs égoïstes. Le principe de toute
société est de se rendre justice à soi-même et aux
autres. Si l'on doit aimer son prochain comme soi-
PENSÉES MORALES 113
même, il est au moins aussi juste de s'aimer comme
son prochain.
CCCXXII
Il n'y a que l'amitié entière qui développe toutes
les qualités de l'âme et de l'esprit de certaines per-
sonnes. La société ordinaire ne leur laisse déployer
que quelques agrémens. Ce sont de beaux fruits,
qui n'arrivent à leur maturité qu'au soleil, et qui,
dans la serre chaude, n'eussent produit que quelques
feuilles agréables et inutiles.
CCCXXIII
Quand j'étais jeune, ayant les besoins des pas-
sions, et attiré par elles dans le monde, forcé de
chercher dans la Société et dans les plaisirs quelques
distractions à des peines cruelles, on me prêchait
l'amour de la retraite, du travail, et on m'assommait
de sermons pédantesques sur ce sujet. Arrivé à
quarante ans, ayant perdu les passions qui rendent
la Société supportable, n'en voyant plu% que la
misère et la futilité, n'ayant plus besoin du monde
pour échapper à des peines qui n'existaient plus, le
goût de la retraite et du travail est devenu très vif
chez moi, et a remplacé tout le reste. J'ai cessé
d'aller dans le monde. Alors, on n'a cessé de me
11
114 MAXIMES ET PENSÉES
tourmenter pour que j*y revinsse. J'ai été accusé
d'être misanthrope, etc. Que conclure de cette
bizarre différence ? Le besoin que les hommes ont
de tout blâmer.
CCCXXIV
Je n'étudie que ce qui me plaît ; je n'occupe mon
esprit que des idées qui m'intéressent. Elles seront
utiles ou inutiles, soit à moi, soit aux autres. Le
tems amènera ou n'amènera pas les circonstances
qui me feront faire de mes acquisitions un emploi
profitable. Dans tous les cas, j'aurai eu l'avantage
inestimable de ne me pas contrarier, et d'avoir obéi
à ma pensée et à mon caractère.
cccxxv
J'ai détruit mes passions, à peu près comme un
homme violent tue son cheval, ne pouvant le
gouverner.
CCCXXVI
Les premiers sujets de chagrin m'ont servi de
cuirasse contre les autres.
CCCXXVII
Je conserve pour M. de la B[orde] le sentiment
qu'un honnête homme éprouve en passant devant
le tombeau d'un ami.
PENSÉES MORALES 115
CCCXXVIII
J'ai à me plaindre des choses, très certainement,
et peut-être des hommes; mais je me tais sur ceux-
ci; je ne me plains que des choses, et si j'évite les
hommes, c'est pour ne pas vivre avec ceux qui me
font porter les poids des choses.
CCCXXIX
La Fortune, pour arriver à moi, passera par les
conditions que lui impose mon caractère.
cccxxx
Lorsque mon cœur a besoin d'attendrissement, je
me rappelle la perte des amis que je n'ai plus, des
femmes que la mort m'a ravies ; j'habite leur cer-
cueil, j'envoie mon âme errer autour des leurs.
Hélas ! je possède trois tombeaux.
CCCXXXI
Quand j'ai fait quelque bien, et qu'on vient à le
savoir, je me crois puni, au lieu de me croire
récompensé.
CCCXXXII
En renonçant au monde et à la fortune, j'ai trouvé
le bonheur, le calme, la santé, même la richesse; et,
en dépit du proverbe, je m'aperçois que qui quitte
la partie la gagne.
116 MAXIMES ET PENSÉES
CCCXXXIII
La célébrité est le châtiment du mérite et la
punition du talent. Le mien, quel qu'il soit, ne me
paraît qu'un délateur, né pour troubler mon repos.
J^éprouve, en le détruisant, la joie de triompher
d'un ennemi. Le sentiment a triomphé chez moi de
l'amour-propre même, et la vanité littéraire a péri
dans la destruction de l'intérêt que je prenais aux
hommes.
CCCXXXIV
L'amitié délicate et vraie ne souffre l'alliage
d'aucun autre sentiment. Je regarde comme un
grand bonheur que l'amitié fût déjà parfaite entre
[M. de] M et moi, avant que j'eusse occasion
de lui rendre le service que je lui ai rendu, et que je
pouvais seul lui rendre. Si tout ce qu'il a fait pour
moi avait pu être suspect d'avoir été dicté par
l'intérêt de me trouver tel qu'il m'a trouvé dans
cette circonstance, s'il eût été possible qu'il la prévît,
le bonheur de ma vie était empoisonné pour jamais.
cccxxxv
Ma vie entière est un tissu de contrastes apparens
avec mes principes. Je n'aime point les Princes, et
je suis attaché à une Princesse et à un Prince. On
PENSÉES MORALES 117
me connaît des maximes républicaines, et plusieurs
de mes amis sont revêtus de décorations monar-
chiques. J'aime la pauvreté volontaire, et je vis
avec des gens riches. Je fuis les honneurs, et
quelques-uns sont venus à moi. Les lettres sont
presque ma seule consolation, et je ne vois point de
beaux esprits, et ne vais point à l'Académie. Ajoutez
que je crois les illusions nécessaires à l'homme, et
je vis sans illusion; que je crois les passions plus
utiles que la raison, et je ne sais plus ce que c'est
que les passions, etc.
CCCXXXVI
Ce que j'ai appris, je ne le sais plus. Le peu que
je sais encore, je l'ai deviné.
CCCXXXVII
Un des grands malheurs de l'homme, c'est que
ses bonnes qualités même lui sont quelquefois inu-
tiles, et que l'art de s'en servir et de* les bien
gouverner n'est souvent qu'un fruit tardif de
l'expérience.
CCCXXXVIII
L'indécision, l'anxiété est à l'esprit et à l'âme ce
que la question est au corps.
118 MAXIMES ET PENSÉES
CCCXXXIX
L'honnête homme, détrompé de toutes les illu-
sions, est l'homme par excellence. Pour peu qu'il
ait d'esprit, sa société est très aimable. Il ne saurait
être pédant, ne mettant d'importance à rien. Il est
indulgent, parce qu'il se souvient qu'il a eu des
illusions, comme ceux qui en sont encore occupés.
C'est un effet de son insouciance d'être sûr dans le
commerce, de ne se permettre ni redites, ni tracas-
series. Si on se les permet à son égard, il les oublie
ou les dédaigne. Il doit être plus gai qu'un autre,
parce qu'il est constamment en état d'épigramme
contre son prochain. Il est dans le vrai et rit des
faux pas de ceux qui marchent à tâtons dans le faux.
C'est un homme qui, d'un endroit éclairé, voit dans
une chambre obscure les gestes ridicules de ceux
qui s'y promènent au hasard. Il brise, en riant, les
faux poids et les fausses mesures qu'on applique aux
hommes et aux choses.
CCCXL
On s'effraie des partis violens, mais ils convien-
nent aux âmes fortes, et les caractères vigoureux
se reposent dans l'extrême.
CCCXLI
La vie contemplative est souvent misérable. Il
PENSÉES MORALES 119
faut agir davantage, penser moins, et ne pas se
regarder vivre.
CCCXLII
L'homme peut aspirer à la vertu; il ne peut
raisonnablement prétendre de trouver la vérité.
CCCXLIII
Le Jansénisme des chrétiens, c'est le Stoïcisme
des païens, dégradé de figure et mis à la portée
d'une populace chrétienne; et cette secte a eu des
Pascal et des Arnaud pour défenseurs I
CHAPITRE VI
DES FEMMES,
DE L'AMOUR, DU MARIAGE
ET DE LA GALANTERIE
CHAPITRE VI
DES FEMMES, DE L'AMOUR,
DU MARIAGE ET DE LA GALANTERIE
CCCXLIV
JE suis honteux de Topinion que vous avez de
moi. Je n'ai pas toujours été aussi Céladon que
vous me voyez. Si je vous contais trois ou quatre
traits de ma jeunesse, vous verriez que cela n'est
pas trop honnête, et que cela appartient à la
meilleure compagnie.
CCCXLV
L'amour est un sentiment qui, pour paraître
honnête, a besoin de n'être composé que de lui-
même, de ne vivre et de ne subsister que par lui.
124 MAXIMES ET PENSÉES
CCCXLVI
Toutes les fois que je vois de Tengouement dans
une femme, ou même dans un homme, je commence
à me défier de sa sensibilité. Cette règle ne m'a
jamais trompé.
CCCXLVII
En fait de sentimens, ce qui peut être évalué n'a
pas de valeur.
CCCXLVIII
L'amour est comme les maladies épidémiques.
Plus on les craint, plus on y est exposé.
CCCXLIX
Un homme amoureux est un homme qui veut
être plus aimable qu'il ne peut; et voilà pourquoi
presque tous les amoureux sont ridicules.
CCCL
Il y a telle femme qui s'est rendue malheureuse
pour la vie, qui s'est perdue et déshonorée pour un
amant qu'elle a cessé d'aimer parce qu'il a mal ôté
sa poudre, ou mal coupé un de ses ongles, ou mis
son bas à l'envers.
CCCLI
Une âme fière et honnête, qui a connu les
passions fortes, les fuit, les craint, dédaigne la
DES FEMMES, DE l'aMOUR 125
galanterie ; comme l'àme qui a senti Pamitié,
dédaigne les liaisons communes et les petits
intérêts.
CCCLII
On demande pourquoi les femmes affichent les
hommes ; on en donne plusieurs raisons dont la
plupart sont offensantes pour les hommes. La véri-
table, c'est qu'elles ne peuvent jouir de leur empire
sur eux que par ce moyen.
CCCLIII
Les femmes d'un état mitoyen, qui ont l'espé-
rance ou la manie d'être quelque chose dans le
monde, n'ont ni le bonheur de la Nature, ni celui
de l'opinion. Ce sont les plus malheureuses créa-
tures que j'aie connues.
CCCLIV
La Société, qui rapetisse beaucoup les hommes,
réduit les femmes à rien.
CCCLV
Les femmes ont des fantaisies, des engouemens,
quelquefois des goûts. Elles peuvent même s'élever
jusqu'aux passions. Ce dont elles sont le moins
susceptibles, c'est l'attachement. Elles sont faites
pour commercer avec nos faiblesses, avec notre
126 MAXIMES ET PENSÉES
folie, mais non avec notre raison. Il existe entre
elles et les hommes des sympathies d'épiderme, et
très peu de sympathies d'esprit, d'âme et de carac-
tère. C'est ce qui est prouvé par le peu de cas
qu'elles font d'un homme de quarante ans. Je dis,
même celles qui sont à peu près de cet âge.
Observez que, quand elles lui accordent une préfé-
rence, c'est toujours d'après quelques vues malhon-
nêtes, d'après un calcul d'intérêt ou de vanité, et
alors l'exception prouve la règle, et même plus que
la règle. Ajoutons que ce n'est pas ici le cas de
l'axiome : qui prouve trop ne prouve rien.
CCCLVI
C'est par notre amour-propre que l'amour nous
séduit ; hé I comment résister à un sentiment qui
embellit à nos yeux ce que nous avons, nous rend
ce que nous avons perdu et nous donne ce que
nous n'avons pas ?
CCCLVII
Quand un homme et une femme ont l'un pour
l'autre une passion violente, il me semble toujours
que, quels que soient les obstacles qui les séparent,
un mari, des parens, etc., les deux amans sont
l'un à l'autre, de par la Nature, qu'ils s'appar-
DES FEMMES, DE L AMOUR
127
tiennent de droit divin, malgré les lois et les
conventions humaines.
CCCLVIII
Otez Pamour-propre de Pamour, il en reste trop
peu de chose. Une fois purgé de vanité, c'est un
convalescent affaibli, qui peut à peine se traîner.
CCCLIX
L'amour, tel qu'il existe dans la Société, n'est
que l'échange de deux fantaisies et le contact de
deux épidermes.
CCCLX
On vous dit quelquefois, pour vous engager à
aller chez telle ou telle femme, elle est 1res
aimable : mais si je ne veux pas l'aimer I II vau-
drait mieux dire, elle est très aimante, parce qu'il
y a plus de gens qui veulent être aimés, que de
gens qui veulent aimer eux-mêmes.
•
CCCLXI
Si l'on veut se faire une idée de l'amour-propre
des femmes, dans leur jeunesse, qu'on en juge par
celui qui leur reste, après qu'elles ont passé l'âge
de plaire.
128 MAXIMES ET PENSÉES
CCCLXII
Il me semble, disait M. de , à propos des
faveurs des femmes, qu'à la vérité, cela se dispute
au concours, mais que cela ne se donne ni au senti-
ment, ni au mérite.
CCCLXIII
Les jeunes femmes ont un malheur qui leur est
commun avec les Rois, celui de n'avoir point d'amis.
Mais heureusement, elles ne sentent pas ce malheur
plus que les Rois eux-mêmes. La grandeur des uns
et la vanité des autres leur en dérobe le sentiment.
CCCLXIV
On dit, en politique, que les sages ne font point
de conquêtes : cela peut aussi s'appliquer à la
galanterie.
CCCLXV
Il est plaisant que le mot : connaître une femme,
veuille dire, coucher avec une femme, et cela dans
plusieurs langues anciennes, dans les mœurs les
plus simples, les plus approchantes de la Nature ;
comme si on ne connaissait point une femme sans
cela. Si les patriarches avaient fait cette décou-
verte, ils étaient plus avancés qu'on ne croit.
DES FEMMES, DE l'aMOUR 129
CCCLXVI
Les femmes font avec les hommes une guerre où
ceux-ci ont un grand avantage, parce qu'ils ont les
filles de leur côté.
CCCLXVII
Il y a telle fille qui trouve à se vendre, et ne
trouverait pas à se donner.
CCCLXVIII
L'amour le plus honnête ouvre Pâme aux petites
passions. Le mariage ouvre votre âme aux petites
passions de votre femme, à l'ambition, à la
vanité, etc.
CCCLXIX
Soyez aussi aimable, aussi honnête qu'il est
possible, aimez la femme la plus parfaite qui se
puisse imaginer, vous n'en serez pas moins dans le
cas de lui pardonner ou votre prédécesseur, ou
votre successeur. •
CCCLXX
Peut-être faut-il avoir senti l'amour pour bien
connaître l'amitié.
CCCLXXI
Le commerce des hommes avec les femmes
12
130 MAXIMES ET PENSÉES
ressemble à celui que les Européens font dans
l'Inde ; c'est un commerce guerrier.
CCCLXXII
Pour qu'une liaison d'homme à femme soit vrai-
ment intéressante, il faut qu'il y ait entre eux
jouissance, mémoire ou désir.
CCCLXXIII
Une femme d'esprit m'a dit un jour un mot qui
pourrait bien être le secret de son sexe : c'est que
toute femme, en prenant un amant, tient plus de
compte de la manière dont les autres femmes voient
cet homme, que de la manière dont elle le voit
elle-même.
CCCLXXIV
Madame de a été rejoindre son amant en
Angleterre, pour faire preuve d'une grande ten-
dresse, quoi qu'elle n'en eût guère. A présent, les
scandales se donnent par respect humain.
CCCLXXV
Je me souviens d'avoir vu un homme quitter le»
filles d'Opéra, parce qu'il y avait vu,^ disait-il,
autant de fausseté que dans les honnêtes femmes.
DES FEMMES, DE l'amOUR 131
CCCLXXVI
Il y a des redites pour Poreille et pour Pesprit ;
il n'y en a point pour le cœur.
CCCLXXVII
Sentir fait penser. On en convient assez aisé-
ment ; on convient moins que penser fasse sentir ;
mais cela n'est guère moins vrai.
CCCLXXVIII
Qu'est-ce que c'est qu'une maîtresse ? Une femme
près de laquelle on ne se souvient plus de ce qu'on
sait par cœur, c'est-à-dire de tous les défauts de
son sexe.
CCCLXXIX
Le tems a fait succéder dans la galanterie le
piquant du scandale au piquant du mystère.
CCCLXXX
Il semble que l'amour ne cherche pas les perfec-
tions réelles ; on dirait qu'il les craint. Il n'aime
que celles qu'il crée, qu'il suppose ; il ressemble à
ces rois qui ne reconnaissent de grandeurs que
celles qu'ils ont faites.
CCCLXXXI
Les naturalistes disent que, dans toutes les
132 MAXIMES ET PENSÉES
espèces animales, la dégénération commence par
les femelles. Les philosophes peuvent appliquer au
moral cette observation, dans la Société civilisée.
CCCLXXXII
Ce qui rend le commerce des femmes si piquant,
c'est qu'il y a toujours une foule de sous-entendus
et que les sous-entendus qui, entre hommes sont
génans, ou du moins insipides, sont agréables d'un
homme à une femme.
CCCLXXXIII
On dit communément : la plus belle femme du
monde ne peut donner que ce qu'elle a ; ce qui est
très faux : elle donne précisément ce qu'on croit
recevoir, puisqu'en ce genre, c'est l'imagination
qui fait le prix de ce qu'on reçoit.
CCCLXXXIV
L'indécence, le défaut de pudeur sont absurdes
dans tout système, dans la philosophie qui jouit,
comme dans celle qui s'abstient.
CCCLXXXV
J'ai remarqué, en lisant l'Ecriture, qu'en plu-
sieurs passages, lorsqu'il s'agit de reprocher à
l'Humanité des fureurs ou des crimes, l'auteur dit
DES FEMMES, DE l'aMOUR 133
les enfans des hommes, et quand il s'agit de
sottises ou de faiblesses, il dit les enfans des
femmes.
CCCLXXXVI
On serait trop malheureux, si auprès des femmes
on se souvenait, le moins du monde, de ce qu'on
sait par cœur.
CCCLXXXVII
Il semble que la Nature, en donnant aux hommes
un goût pour les femmes, entièrement indestruc-
tible, ait deviné que sans cette précaution, le
mépris qu'inspirent les vices de leur sexe, princi-
palement leur vanité, serait un grand obstacle au
maintien et à la propagation de l'espèce humaine.
CCCLXXXVIII
Celui qui n'a pas vu beaucoup de filles, ne
connaît point les femmes, me disait gravement un
homme, grand admirateur de la sienne, qui le
trompait.
CCCLXXXIX
Le Mariage et le Célibat ont tous deux des
inconvéniens ; il faut préférer celui dont les
inconvéniens ne sont pas sans remède.
134 MAXIMES ET PENSÉES
cccxc
En amour, il suffit de se plaire par ses qualités
aimables et par ses agrémens. Mais, en mariage,
pour être heureux, il faut s'aimer, ou du moins, se
convenir par ses défauts.
CCCXCI
L'amour plaît plus que le mariage, par la raison
que les Romans sont plus amusans que l'Histoire.
CCCXCII
L'Hymen vient après l'Amour, comme la fumée
après la flamme.
CCCXCIII
Le mot le plus raisonnable et le plus mesuré qui
ait été dit sur la question du Célibat et du Mariage,
est celui-ci : « Quelque parti que tu prennes, tu t'en
repentiras. » Fontenelle se repentit, dans ses der-
nières années, de ne s'être pas marié. H oubliait
quatre-vingt-quinze ans, passés dans l'insouciance.
CCCXCIV
En fait de mariage, il n'y a de reçu que ce qui
est sensé, et il n'y a d'intéressant que ce qui est
fou. Le reste est un vil calcul.
cccxcv
On marie les femmes avant qu'elles soient rien
DES FEMMES, DE l'aMOUR 135
et qu'elles puissent rien être. Un mari n'est qu'une
espèce de manœuvre qui tracasse le corps de sa
femme, ébauche son esprit et dégrossit son âme.
CCCXCVI
Le Mariage, tel qu'il se pratique chez les grands,
est une indécence convenue.
CCCXCVII
Nous avons vu des hommes, réputés honnêtes,
des sociétés considérables, applaudir au bonheur
de M"*"..., jeune personne, belle, spirituelle, ver-
tueuse, qui obtenait l'avantage de devenir l'épouse
de M..., vieillard malsain, repoussant, malhonnête,
imbécile, mais riche. Si quelque chose caractérise
un siècle infâme, c'est un pareil sujet de triomphe,
c'est le ridicule d'une telle joie, c'est ce renver-
sement de toutes les idées morales et naturelles.
CCCXCVIII
L'état de mari a cela de fâcheux, que le mari qui
a le plus d'esprit, peut être de trop p^tout, même
chez lui, ennuyeux, sans ouvrir la bouche, et
ridicule, en disant la chose la plus simple. Être
aimé de sa femme, sauve une partie de ces travers.
De là vient que M... disait à sa femme : « Ma chère
amie, aidez-moi à n'être pas ridicule. »
136 MAXIMES ET PENSÉES
CCCXCIX
Le divorce est si naturel, que dans plusieurs
maisons, il couche toutes les nuits entre deux
époux.
CD
Grâce à la passion des femmes, il faut que
l'homme le plus honnête soit ou un mari, ou un
sigisbée ; ou un crapuleux, ou un impuissant.
CDI
La pire de toutes les mésalliances est celle du
cœur.
CDU
Ce n'est pas tout d'être aimé, il faut être apprécié,
et on ne peut l'être que par ce qui nous ressemble.
De là vient que l'amour n'existe pas, ou du moins
ne dure pas, entre des êtres dont l'un est trop
inférieur à l'autre ; et ce n'est point là l'effet de la
vanité, c'est celui d'un juste amour-propre dont il
serait absurde et impossible de vouloir dépouiller
la nature humaine. La vanité n'appartient qu'à la
nature faible ou corrompue ; mais l'amour-propre,
bien connu, appartient à la nature bien ordonnée.
CDIII
Les femmes ne donnent à l'amitié que ce qu'elles
empruntent à l'amour.
I
I
DES FEMMES, DE l'aMOUR 137
CDIV
Une laide, impérieuse, et qui veut plaire, est un
pauvre qui commande qu'on lui fasse la charité.
CDV
L'amant, trop aimé de sa maîtresse, semble
Paimer moins, et vice versa. En serait-il des senti-
mens du cœur comme des bienfaits ? Quand on
n'espère plus pouvoir les payer, on tombe dans
l'ingratitude.
CDVI
La femme qui s'estime plus pour les qualités de
son âme ou de son esprit que pour sa beauté, est
supérieure à son sexe. Celle qui s'estime plus pour
sa beauté que pour son esprit ou pour les qualités
de son âme, est de son sexe. Mais celle qui s'estime
plus pour sa naissance ou pour son rang, que pour
sa beauté, est hors de son sexe, et au-dessous de
son sexe.
CDVII
Il paraît qu'il y a dans le cerveau des femmes
une case de moins, et dans leur cœur une fibre de
plus, que chez les hommes. Il fallait une organi-
sation particulière, pour les rendre capables de
supporter, soigner, caresser des enfans.
138 MAXIMES ET PENSÉES
CDVIII
C'est à l'amour maternel que la Nature a confié
la conservation de tous les êtres ; et, pour assurer
aux mères leur récompense, elle l'a mise dans les
plaisirs, et même dans les peines attachées à ce
délicieux sentiment.
CDIX
En amour, tout est vrai, tout est faux; et c'est
la seule chose sur laquelle on ne puisse pas dire
une absurdité.
CDX
Un homme amoureux, qui plaint l'homme rai-
sonnable, me paraît ressembler à un homme qui lit
des contes de fées, et qui raille ceux qui lisent
l'histoire.
CDXI
L'amour est un commerce orageux, qui finit
toujours par une banqueroute ; et c'est la personne
à qui on fait banqueroute qui est déshonorée.
CDXII
Une des meilleures raisons qu'on puisse avoir de
ne se marier jamais, c'est qu^on n'est pas tout à fait
la dupe d'une femme, tant qu'elle n'est point la vôtre.
CDXIII
Avez-vous jamais connu une femme qui, voyant
un de ses amis assidu auprès d'une autre femme.
DES FEMMES, DE L AMOUR 139
ait supposé que cette [autre] femme lui fût cruelle ?
On voit par là l'opinion qu'elles ont les unes des
autres. Tirez vos conclusions.
CDXIV
Quelque mal qu'un homme puisse penser des
femmes, il n'y a pas de femme qui n'en pense
encore plus mal que lui.
CDXV
Quelques hommes avaient ce qu'il faut pour
s'élever au-dessus des misérables considérations
qui rabaissent les hommes au-dessous de leur
mérite. Mais le Mariage, les liaisons de femmes,
les ont mis au niveau de ceux qui n'approchaient
pas d'eux. Le Mariage, la Galanterie sont une sorte
de conducteur qui fait arriver ces petites passions
jusqu'à eux.
CDXVI
J'ai vu, dans le monde, quelques hommes et
quelques femmes qui ne demandent pas l'échange
du sentiment contre le sentiment, mais du procédé
contre le procédé, et qui abandonneraient ce der-
nier marché, s'il pouvait conduire à l'autre.
CHAPITRE VII
DES SAVANS
ET DES GENS DE LETTRES
CHAPITRE VII
DES SAVANS ET DES GENS
DE LETTRES
CDXVII
IL y a une certaine énergie ardente, mère ou com-
pagne nécessaire de telle espèce de talens,
laquelle pour l'ordinaire condamne ceux qui les
possèdent au malheur, non pas d'être «ans morale,
de n'avoir pas de très beaux mouvemens, mais de
se livrer fréquemment à des écarts qui suppose-
raient l'absence de toute morale. C'est une âpreté
dévorante dont ils ne sont pas maîtres, et qui les
rend très odieux. On s'afflige, en songeant que
144 MAXIMES ET PENSÉES
Pope et Swift en Angleterre, Voltaire et Rousseau,
en France, jugés non par la haine, non par la
jalousie, mais par Péquité, par la bienveillance, sur
la foi des faits attestés ou avoués par leurs amis et
par leurs admirateurs seraient atteints et con-
vaincus d'actions très condamnables, de sentimens
quelquefois très pervers. O altiludo !
CDXVIII
On a observé que les écrivains en physique,
histoire naturelle, physiologie, chimie, étaient ordi-
nairement des hommes d'un caractère doux, égal,
et en général heureux ; qu'au contraire les écri-
vains de politique, de législation, même de morale,
étaient d'une humeur triste, mélancolique, etc.
Rien de plus simple : les uns étudient la Nature, les
autres la Société. Les uns contemplent l'ouvrage
du grand Être, les autres arrêtent leurs regards
sur l'ouvrage de l'homme. Les résultats doivent
être différens.
CDXIX
Si l'on examinait avec soin l'assemblage de
qualités rares de l'esprit et de l'âme qu'il faut pour
juger, sentir et apprécier les bons vers, le tact, la
délicatesse des organes, de l'oreille et de l'intelli-
1
DES SAVANS ET GENS DE LETTRES 145
gence, etc., on se convaincrait que malgré les pré-
tentions de toutes les classes de la Société, à juger
les ouvrages d'agrément, les poètes ont dans le fait
encore moins de vrais juges que les géomètres.
Alors les poètes, comptant le public pour rien, et
ne s'occupant que des connaisseurs, feraient à
l'égard de leurs ouvrages ce que le fameux mathé-
maticien Viète faisait à l'égard des siens, dans un
tcms où l'étude des mathématiques était moins
répandue qu'aujourd'hui. Il n'en tirait qu'un petit
nombre d'exemplaires qu'il faisait distribuer à ceux
qui pouvaient l'entendre et jouir de son livre, ou
s'en aider. Quant aux autres, il n'y pensait pas.
Mais Viète était riche, et la plupart des poètes sont
pauvres. Puis un géomètre a peut-être moins de
anité qu'un poète, ou s'il en a autant, il doit la cal-
culer mieux.
CDXX
Il y a des hommes chez qui Vespril (cet instru-
ment applicable à tout) n'est qu'un lalenl, par
lequel ils semblent dominer, qu'ils ne gouvernent
pas, et qui n'est point aux ordres de leur raison.
CDXXI
Je dirais volontiers des métaphysiciens ce que
13
146 MAXIMES ET PENSÉES
Scaliger disait des Basques : on dit qu'ils s'en-
tendent, mais je n'en crois rien.
CDXXII
Le Philosophe qui fait tout pour la vanité, a-t-il
droit de mépriser le Courtisan qui fait tout pour
l'intérêt ? Il me semble que l'un emporte les louis
d'or et que l'autre se retire content, après en avoir
entendu le bruit. D'Alembert, courtisan de Voltaire
par un intérêt de vanité, est-il bien au-dessus de
tel ou tel courtisan de Louis XIV, qui voulait une
pension ou un gouvernement ?
CDXXIII
Quand un homme aimable ambitionne le petit
avantage de plaire à d'autres qu'à ses amis, comme
le font tant d'hommes, surtout de gens de lettres,
pour qui plaire est comme un métier, il est clair
qu'il ne peut y être porté que par un motif d'in-
térêt ou de vanité. Il faut qu'il choisisse entre
le rôle d'une courtisane et celui d'une coquette,
ou si l'on veut d'un comédien. L'homme qui se
rend aimable pour une société, parce qu'il s'y
plaît, est le seul qui joue le rôle d'un honnête
homme.
DES SAVANS ET GENS DE LETTRES
147
CDXXIV
Quelqu'un a dit que de prendre sur les Anciens,
c'était pirater au delà de la ligne ; mais que de
piller les Modernes, c'était filouter au coin des rues.
CDXXV
Les vers ajoutent de l'esprit à la pensée de
l'homme qui en a quelquefois assez peu ; et c'est
ce qu'on appelle talent. Souvent ils ôtent de l'esprit
à la pensée de celui qui a beaucoup d'esprit, et c'est
la meilleure preuve de l'absence du talent pour les
vers.
CDXXVI
La plupart des livres d'à présent ont l'air d'avoir
été faits en un jour, avec des livres lus de la veille.
CDXXVII
Le bon goût, le tact et le bon ton, ont plus de
rapport que n'affectent de le croire les Gens de
Lettres. Le tact, c'est le bon goût appliqué au main-
tien et à la conduite ; le bon ton, c'est le bon goût
appliqué aux discours et à la conversation.
CDXXVIII
C'est une remarque excellente d'Aristote, dans
sa Rhétorique, que toute métaphore fondée sur
l'analogie doit être également juste dans le sens
renversé. Ainsi, l'on a dit de la vieillesse qu'elle est
148 Maximes et pensées
l'hiver de la vie ; renversez la métaphore et vous
la trouverez également juste, en disant que l'hiver
est la vieillesse de Tannée.
CDXXIX
Pour être un grand homme dans les Lettres, ou
du moins opérer une révolution sensible, il faut,
comme dans l'ordre politique, trouver tout préparé
et naître à propos.
CDXXX
Les grands seigneurs et les beaux esprits, deux
classes qui se recherchent mutuellement, veulent
unir deux espèces d'hommes dont les uns font un
peu plus de poussière et les autres un peu plus de
bruit.
CDXXXI
Les Gens de Lettres aiment ceux qu'ils amusent,
comme les voyageurs aiment ceux qu'ils étonnent.
CDXXXII
Qu'est-ce que c^est qu'un Homme de Lettres qui
n'est pas rehaussé par son caractère, par le mérite
de ses amis, et par un peu d'aisance ? Si ce dernier
avantage lui manque au point qu'il soit hors d'état
de vivre convenablement dans la Société où son
mérite l'appelle, qu'a-t-il besoin du monde ? Son
seul parti n'est-il pas de se choisir une retraite où
i
DES SAVANS ET GENS DE LETTRES 149
il puisse cultiver en paix son âme, son caractère et
sa raison ? Faut-il qu'il porte le poids de la Société,
sans recueillir un seul des avantages qu'elle procure
aux autres classes de citoyens ? Plus d'un homme
de lettres, forcé de prendre ce parti, y a trouvé le
bonheur qu'il eût cherché ailleurs vainement. C'est
celui-là qui peut dire qu'en lui refusant tout, on lui
a tout donné. Dans combien d'occasions ne peut-on
pas répéter le mot de Thémistocle : « Hélas I nous
périssions, si nous n'eussions péri I »
CDXXXIII
On dit et on répète, après avoir lu quelque
ouvrage qui respire la vertu : c'est dommage que
les auteurs ne se peignent pas dans leurs écrits, et
qu'on ne puisse pas conclure d'un pareil ouvrage
que l'auteur est ce qu'il paraît être. Il est vrai que
beaucoup d'exemples autorisent cette pensée; mais
j'ai remarqué qu'on fait souvent cette réflexion
pour se dispenser d'honorer les vertus dont on
trouve l'image dans les écrits d'un honnête homme.
CDXXXIV
Un auteur, homme de goût, est, parmi ce public
blasé, ce qu'une jeune femme est au milieu d'un
cercle dç vieux libertins.
150 MAXIMES ET PENSÉES
CDXXXV
Peu de philosophie mène à mépriser Pérudition ;
beaucoup de philosophie mène à l'estimer.
CDXXXVI
Le travail du Poète, — et souvent de l'homme de
lettres, — lui est bien peu fructueux à lui-même ;
et, de la part du public, il se trouve placé entre le
grand merci et le va te promener. Sa fortune se
réduit à jouir de lui-même et du tems.
CDXXXVII
Le repos d'un écrivain qui a fait de bons
ouvrages, est plus respecté du public que la fécon-
dité active d'un auteur qui multiplie les ouvrages
médiocres. C'est ainsi que le silence d'un homme
connu pour bien parler, impose beaucoup plus que
le bavardage d'un homme qui ne parle pas mal.
CDXXXVIII
Ce qui fait le succès de quantité d'ouvrages est le
rapport qui se trouve entre la médiocrité des idées
de l'Auteur et la médiocrité des idées du Public.
CDXXXIX
A voir la composition de l'Académie Française, on
1
DES SAVANS ET GENS DE LETTRES 151
croirait qu'elle a pris pour devise ce vers de
Lucrèce :
Cerlare ingenio» conlendere nohililale,
CDXL
L'honneur d'être de l'Académie Française est
comme la Croix de Saint-Louis, qu'on voit égale-
ment aux soupers de Marly et dans les auberges à
vingt-deux sols.
CDXLI
L'Académie Française est comme l'Opéra qui se
soutient par des choses étrangères à lui, les pen-
sions qu'on exige pour lui des opéra-comiques de
province, la permission d'aller du parterre aux
foyers, etc. De même, l'Académie se soutient par
tous les avantages qu'elle procure. Elle ressemble
à la Cidalise, de Gresset :
Ayez-la, c'est d'abord ce que vous lui devez.
Et vous l'estimerez après, si vous pouvez.
CDXLII
Il en est un peu des réputations littéraires, et
surtout des réputations de théâtre, comme des
fortunes qu'on faisait autrefois dans les Iles. Il
suffisait presque autrefois d'y passer, pour parvenir
152 MAXIMES ET PENSÉES
à une grande richesse, mais ces grandes fortunes
mêmes ont nui à celles de la génération suivante :
les terres épuisées n'ont plus rendu si abondam-
ment.
CDXLIII
De nos jours, les succès de Théâtre et de Littéra-
ture ne sont guère que des ridicules.
CDXLIV
C'est la Philosophie qui découvre les vertus utiles
de la Morale et de la Politique. C'est l'Éloquence
qui les rend populaires. C'est la Poésie qui les
rend pour ainsi dire proverbiales.
CDXLV
Un sophiste éloquent, mais dénué de logique, est
à un orateur philosophe ce qu'un faiseur de tours
de passe-passe est à un mathématicien, ce que
Pinetti est à Archimède.
CDXLVI
On n'est point un homme d'esprit pour avoir
beaucoup d'idées, comme on n'est pas un bon
général pour avoir beaucoup de soldats.
CDXLVII
On se fâche souvent contre les Gens de Lettres
DES SAVANS ET GENS DE LETTRES 153
qui se retirent du monde. On veut qu'ils prennent
intérêt à la Société dont ils ne tirent presque point
d'avantage. On veut les forcer d'assister éternelle-
ment aux tirages d'une loterie où ils n'ont point de
billet.
CDXLVIII
Ce que j'admire dans les anciens philosophes,
c'est le désir de conformer leurs mœurs à leurs
écrits : c'est ce que l'on remarque dans Platon,
Théophraste et plusieurs autres. La Morale pra-
tique était si bien la partie essentielle de leur philo-
sophie, que plusieurs furent mis à la tête des écoles,
sans avoir rien écrit; tels que Xénocrate, Polémon,
Heusippe, etc. Socrate, sans avoir donné un seul
ouvrage et sans avoir étudié aucune autre science
que la morale, n'en fut pas moins le premier philo-
sophe de son siècle.
CDXLIX
Ce qu'on sait le mieux, c'est : 1^ ce qu'on a
deviné ; 2^, ce qu'on a appris par l'expérience des
hommes et des choses ; 3°, ce qu'on a appris, non
dans les livres, mais par les livres, c'est-à-dire par
les réflexions qu'ils font faire ; 4°, ce qu'on a appris
dans les livres ou avec des maîtres.
154 MAXIMES ET PENSÉES
CDL
Les Gens de Lettres, surtout les Poètes, sont
comme les paons, à qui on jette mesquinement
quelques graines dans leur loge, et qu'on en tire
quelquefois pour les voir étaler leur queue, tandis
que les coqs, les poules, les canards et les dindons
se promènent librement dans la basse-cour, et rem-
plissent leur jabot tout à leur aise.
CDLI
Les succès produisent les succès, comme l'argent
produit l'argent.
CDLII
Il y a des livres que l'homme qui a le plus
d'esprit ne saurait faire sans un carrosse de remise,
c'est-à-dire sans aller consulter les hommes, les
choses, les bibliothèques, les manuscrits, etc.
CDLIII
Il est presque impossible qu'un Philosophe,
qu'un Poète ne soient pas misanthropes : 1° parce
que leur goût et leur talent les portent à l'observa-
tion de la société, étude qui afflige constamment le
cœur ; 2" parce que leur talent n'étant presque
jamais récompensé par la Société (heureux même
DES SAVANS ET GENS DE LETTRES 155
s'il n'est pas puni), ce sujet d'affliction ne fait que
redoubler leur penchant à la mélancolie.
CDLIV
Les Mémoires que les gens en place ou les Gens
de Lettres, même ceux qui ont passé pour les plus
modestes, laissent pour servir à l'histoire de leur
vie, trahissent leur vanité secrète et rappellent
l'histoire de ce saint qui avait laissé cent mille écus
pour servir à sa canonisation.
CDLV
C'est un grand malheur de perdre par notre
caractère les droits que nos talens nous donnent
sur la Société.
CDLVI
C'est après l'âge des passions que les grands
hommes ont produit leurs chefs-d'œuvre, comme
c'est après les éruptions des volcans que la terre
est plus fertile.
CDLVII
La vanité des gens du monde se sert habilement
de la vanité des Gens de Lettres. Ceux-ci ont fait
plus d'une réputation qui a mené à de grandes
places. D'abord, de part et d'autre, ce n'est que du
156 MAXIMES ET PENSÉES
vent, mais les intrigans adroits enflent de ce vent
les voiles de leur fortune.
CDLVIII
Les Economistes sont des chirurgiens qui ont un
excellent scalpel et un bistouri ébréché, opérant à
merveille sur le mort et martyrisant le vif.
CDLIX
Les Gens de Lettres sont rarement jaloux des
réputations quelquefois exagérées qu'ont certains
ouvrages de gens de la cour; ils regardent ces succès
comme les honnêtes femmes regardent la fortune
des filles.
CDLX
Le Théâtre renforce les mœurs ou les change. Il
faut de nécessité qu'il corrige le ridicule ou qu'il le
propage. On l'a vu en France opérer tour à tour
ces deux efiPets.
CDLXI
Plusieurs Gens de Lettres croient aimer la gloire
et n'aiment que la vanité. Ce sont deux choses bien
différentes et même opposées; car l'une est une
petite passion, l'autre en est une grande. Il y a,
entre la vanité et la gloire, la différence qu'il y a
entre un fat et un amant.
DES SAVANS ET GENS DE LETTRES 157
CDLXII
La Postérité ne considère les Gens de Lettres que
par leurs ouvrages, et non par leurs places. Plutôt
ce qu'ils ont fait que ce qu'ils ont été, semble être
sa devise.
CDLXIII
Sperone-Speroni explique très bien comment un
auteur qui s'énonce très clairement pour lui-même
est quelquefois obscur pour son lecteur : c'est, dit-il,
que l'auteur va de la pensée à l'expression, et que
le lecteur va de l'expression à la pensée.
CDLXIV
Les ouvrages qu'un auteur fait avec plaisir, sont
souvent les meilleurs; comme les enfans de l'amour
sont les plus beaux.
CDLXV
En fait de Beaux-Arts, et même en beaucoup
d'autres choses, on ne sait bien que ce que l'on n'a
point appris.
CDLXVI
Le peintre donne une âme à une figure, et le
poète prête une figure à un sentiment et à une idée.
CDLXVII
Quand La Fontaine est mauvais, c'est qu'il est
158 MAXIMES ET PENSÉES
négligé; quand La Motte Test, c'est qu'il est re-
cherché.
CDLXVIII
La perfection d'une comédie de caractère consis-
terait à disposer l'intrigue, de façon que cette
intrigue ne pût servir à aucune autre pièce. Peut-
être n'y a-t-il au théâtre que celle du Tartufe qui
pût supporter cette épreuve.
CDLXIX
Il y aurait une manière plaisante de prouver
qu'en France les philosophes sont les plus mauvais
citoyens du monde. La preuve, la voici : C'est
qu'ayant imprimé une grande quantité de vérités
importantes dans l'ordre politique et économique,
ayant donné plusieurs conseils utiles, consignés
dans leurs livres, ces conseils ont été suivis par
presque tous les souverains de l'Europe, presque
partout, hors de France ; dont il suit que la prospé-
rité des étrangers augmentant leur puissance, tandis
que la France reste aux mêmes termes, conserve
ses abus, etc., elle finira par être dans l'état d'infé-
riorité, relativement aux autres puissances; et c'est
évidemment la faute des philosophes. On sait à ce
sujet la réponse du duc de Toscane à un Français,
DES SAVANS ET GENS DE LETTRES 159
à propos des heureuses innovations, faites par lui
dans ses Etats. « Vous me louez trop à cet égard,
disait-il ; j'ai pris toutes mes idées dans vos livres
français. »
CDLXX
J'ai vu à Anvers, dans une des principales églises,
le tombeau du célèbre imprimeur Plantin, orné de
tableaux superbes, ouvrages de Rubens, et consa-
crés à sa mémoire. Je me suis rappelé à cette vue
que les Estienne, Henri et Robert, qui par leur
érudition grecque et latine ont rendu les plus grands
services aux lettres, traînèrent en France une
vieillesse misérable, et que Charles Estienne, leur
successeur, mourut à Thôpital, après avoir contribué
presque autant qu'eux aux progrès de la littérature.
Je me suis rappelé qu'André Duchêne, qu'on peut
regarder comme le père de l'Histoire de France, fut
chassé de Paris par la misère, et réduit à se réfugier
dans une petite ferme qu'il avait en Champagne. H
se tua en tombant du haut d'une charrette, chargée
de loin, à une hauteur immense. Adrien de Valois,
créateur de l'histoire métallique, n*eut guère une
meilleure destinée. Samson, le père de la Géogra-
phie, allait à soixante-dix ans faire des leçons, à
pied, pour vivre. Tout le monde sait la destinée
160 MAXIMES ET PENSÉES
des Du Ryer, Tristan, Maynard, et de tant
d'autres. Corneille manquait de bouillon, à sa der-
nière maladie. La Fontaine n'était guère mieux.
Si Racine, Boileau, Molière et Quinault eurent un
sort plus heureux, c'est que leurs talens étaient
consacrés au Roi, plus particulièrement. L'abbé
de Longuerue, qui rapporte et rapproche plusieurs
de ces anecdotes sur le triste sort des hommes de
lettres illustres en France, ajoute : « C'est ainsi
qu'on en a toujours usé dans ce misérable pays. »
Cette liste si célèbre, des Gens de Lettres que le
Roi voulait pensionner, et qui fut présentée à Col-
bert, était l'ouvrage de Chapelain, Perrault,
Tallemant, l'abbé Gallois, qui omirent ceux de
leurs confrères qu'ils haïssaient, tandis qu'ils y
placèrent les noms de plusieurs savans étrangers,
sachant très bien que le Roi et le Ministre seraient
plus flattés de se faire louer à quatre cents lieues
de Paris. »
CHAPITRE VIII
DE L'ESCLAVAGE
ET DE LA LIBERTÉ. DE LA FRANCE
AVANT ET DEPUIS LA RÉVOLUTION
14
CHAPITRE VIII
DE L'ESCLAVAGE
ET DE LA LIBERTÉ. DE LA FRANCE
AVANT ET DEPUIS LA RÉVOLUTION
CDLXXI
ON s'est beaucoup moqué de ceux qui parlaient
avec enthousiasme de l'état sauvage, en
opposition à l'état social. Cependant j6 voudrais
savoir ce qu'on peut répondre à ces trois objections.
Il est sans exemple que chez les sauvages on ait vu :
1% un fou, 2°, un suicide, 3°, un sauvage qui ait voulu
embrasser la vie sociale ; tandis qu'un grand nombre
d'Européens, tant au Cap que dans les deux Amé-
164 MAXIMES Eï PENSÉES
riques, après avoir vécu chez les sauvages, se
trouvant ramenés chez leurs compatriotes, sont
retournés dans les bois. Qu'on réplique à cela sans
verbiage, sans sophisme.
CDLXXII
Le malheur de l'Humanité, considérée dans l'état
social, c'est que, quoique en Morale et en Politique
on puisse donner comme définition que le mal est
ce qui nuit, on ne peut pas dire que le bien esl ce
qui serl; car ce qui sert un moment peut nuire
longtems ou toujours.
CDLXXIII
Lorsque l'on considère que le produit du travail
et des lumières de trente ou quarante siècles, a été
de livrer trois cents millions d'hommes, répandus
sur le globe, à une trentaine de despotes, la plupart
ignorans et imbéciles, dont chacun est gouverné
par trois ou quatre scélérats, quelquefois stupides,
que penser de l'Humanité, et qu'attendre d'elle à
l'avenir?
CDLXXIV
Presque toute l'Histoire n'est qu'une suite d'hor-
reurs. Si les tyrans la détestent, tandis qu'ils vivent,
il semble que leurs successeurs souffrent qu'on
ESCLAVAGE ET LIBERTÉ 165
transmette à la postérité les crimes de leurs devan-
ciers, pour faire diversion à l'horreur qu'ils inspirent
eux-mêmes. En effet, il ne reste guère, pour consoler
les peuples, que de leur apprendre que leurs ancêtres
ont été aussi malheureux, ou plus malheureux.
CDLXXV
Le caractère naturel du Français est composé des
qualités du singe et du chien couchant. Drôle et
gambadant comme le singe, et dans le fond, très
malfaisant comme lui, il est comme le chien de
chasse, né bas, caressant, léchant son maître qui le
frappe, se laissant mettre à la chaîne, puis bondis-
sant de joie quand on le délie pour aller à la chasse.
CDLXXVI
Autrefois, le Trésor royal s'appelait l'Epargne. On
a rougi de ce nom qui semblait une contre-vérité,
depuis qu'on a prodigué les trésors de l'Etat, et on
l'a tout simplement appelé le Trésor royal.
CDLXXVII
Le titre le plus respectable de la Noblesse fran-
çaise, c'est de descendre immédiatement de quel-
ques-uns de ces trente mille hommes casqués,
cuirassés, brassardés, cuissardes, qui sur de grands
166
MAXIMES ET PENSEES
chevaux bardés de fer, foulaient aux pieds huit ou
neuf millions d'hommes nus, qui sont les ancêtres
de la nation actuelle. Voilà un droit bien avéré à
Pamour et au respect de leurs descendans ! et pour
achever de rendre cette Noblesse respectable, elle se
recrute et se régénère par l'adoption de ces hommes
qui ont accru leur fortune en dépouillant la cabane
du pauvre, hors d'état de payer les impositions.
Misérables institutions humaines qui, faites pour
inspirer le mépris et l'horreur, exigent qu'on les
respecte et qu'on les révère I
CDLXXVIII
La nécessité d'être gentilhomme pour être capi-
taine de vaisseau, est tout aussi raisonnable que
celle d'être secrétaire du roi pour être matelot ou
mousse.
CDLXXIX
Cette impossibilité d'arriver aux grandes places,
à moins que d'être gentilhomme, est une des absur-
dités les plus funestes, dans presque tous les pays.
Il me semble voir des ânes défendre les carrousels
et les tournois aux chevaux.
CDLXXX
La Nature, pour faire un homme vertueux ou un
homme de génie, ne va pas consulter Chérin,
ESCLAVAGE ET LIBERTÉ 167
CDLXXXI
Qu'importe qu'il y ait sur le trône un Tibère ou
un Titus, s'il a des Séjan pour ministres?
CDLXXXII
Si un historien, tel que Tacite^ eût écrit l'histoire
de nos meilleurs rois, en faisant un relevé exact de
tous les actes tyranniques, de tous les abus d'auto-
rité dont la plupart sont ensevelis dans l'obscurité
la plus profonde, il y a peu de règnes qui ne nous
inspirassent la même horreur que celui de Tibère.
CDLXXXIII
On peut dire qu'il n'y eut plus de gouvernement
civil à Rome, après la mort de Tiberius Gracchus;
et Scipion Nasica, en partant du Sénat pour em-
ployer la violence contre le Tribun, apprit aux
Romains que la force seule donnerait des lois dans
le Forum. Ce fut lui qui avait révélé avant Sylla ce
mystère funeste.
CDLXXXIV
Ce qui fait l'intérêt secret qui attache si fort à la
lecture de Tacite, c'est le contraste continuel et
toujours nouveau de l'ancienne liberté républicaine,
avec les vils esclaves que peint l'auteur. C'est la
comparaison des anciens Scaurus, Scipion, etc..
168 MAXIMES ET PENSÉES
avec les lâchetés de leurs descendans. En un mot,
ce qui contribue à l'effet de Tacite, c'est Tite-Live.
CDLXXXV
Les Rois et les Prêtres, en proscrivant la doctrine
du suicide, ont voulu assurer la durée de notre
esclavage. Ils veulent nous tenir enfermés dans un
cachot sans issue; semblables à ce scélérat, dans le
Dante, qui fait murer la porte de la prison où était
renfermé le malheureux Ugolin.
CDLXXXVI
On a fait des livres sur les intérêts des Princes ;
on parle d'étudier les intérêts des Princes ; quelqu'un
a-t-il jamais parlé d'étudier les intérêts des peuples?
CDLXXXVII
Il n'y a d'histoire digne d'attention que celle des
peuples libres. L'histoire des peuples soumis au
despotisme n'est qu'un recueil d'anecdotes.
CDLXXXVIII
La vraie Turquie d'Europe, c'était la France. On
trouve dans vingt écrivains anglais : Les pays
despotiques, tels que la France et la Turquie.
CDLXXXIX
Les ministres ne sont que des gens d'affaires, et
ESCLAVAGE ET LIBERTÉ 169
ils ne sont si importans que parce que la terre du
gentilhomme, leur maître, est très considérable.
CDXC
Un ministre, en faisant faire à ses maîtres des
fautes et des sottises nuisibles au public, ne fait
souvent que s'affermir dans sa place : on dirait qu'il
se lie davantage avec eux par les liens de cette
espèce de complicité.
CDXCI
Pourquoi arrive-t-il qu'en France un ministre
reste placé, après cent mauvaises opérations, et
pourquoi est-il chassé pour la seule bonne qu'il
ait faite ?
CDXCII
Croirait-on que le despotisme a des partisans,
sous le rapport de la nécessité d'encouragement
pour les Beaux-Arts ? On ne saurait croire combien
l'éclat du siècle de Louis XIV a multiplié le nombre
de ceux qui pensent ainsi. Selon Q^x, le dernier
terme de toute société humaine est d'avoir de belles
tragédies, de belles comédies, etc. Ce sont des gens
qui pardonnent à tout le mal qu'ont fait les prêtres,
en considérant que sans les prêtres, nous n'aurions
pas la comédie du Tartufe,
170 MAXIMES ET PENSÉES
CDXCIII
En France, le mérite et la réputation ne donnent
pas plus de droits aux places que le chapeau de
rosière ne donne à une villageoise le droit d'être
présentée à la Cour.
CDXCIV
La France, pays où il est souvent utile de mon-
trer ses vices, et toujours dangereux de montrer
ses vertus.
CDXCV
Paris, singulier pays, où il faut trente sols pour
dîner, quatre francs pour prendre Pair, cent louis
pour le superflu dans le nécessaire, et quatre
cents louis pour n'avoir que le nécessaire dans le
superflu.
CDXCVI
Paris, ville d'amusemens, de plaisirs, etc., où les
quatre cinquièmes deshabitans meurent de chagrin.
CDXCVII
On pourrait appliquer à la ville de Paris les
propres termes de Sainte Thérèse, pour définir
l'Enfer : l'endroit où il pue et où on n'aime point.
CDXCVIII
C'est une chose remarquable que la multitude des
étiquettes dans une Nation aussi vive et aussi gaie
ESCLAVAGE ET LIBERTÉ 171
que la nôtre. On peut s'étonner aussi de Pesprit
pédantesque et de la gravité des corps et des com-
pagnies; il semble que le législateur ait cherché à
mettre un contre-poids qui arrêtât la légèreté du
Français.
CDXCIX
C'est une chose avérée qu'au moment où M. de
Guibert fut nommé Gouverneur des Invalides, il se
trouva aux Invalides six cents prétendus soldats
qui n'étaient point blessés et qui, presque tous,
n'avaient jamais assisté à aucun siège, à aucune
bataille, mais qui, en récompense, avaient été
cochers ou laquais de grands seigneurs ou de gens
en place. Quel texte et quelle matière à réflexions 1
D
En France, on laisse en repos ceux qui mettent le
feu, et on persécute ceux qui sonnent le tocsin,
DI
Presque toutes les femmes, soit de Versailles, soit
de Paris, quand ces dernières sont d'un état un peu
considérable, ne sont autre chose que des bour-
geoises de qualité, des madame Naquart, présentées,
ou non présentées.
172 MAXIMES ET PENSÉES
DU
En France, il n'y a plus de Public ni de Nation,
par la raison que de la charpie n'est pas du linge.
DIII
Le public est gouverné comme il raisonne. Son
droit est de dire des sottises, comme celui des
ministres est d'en faire.
DIV
Quand il se fait quelque sottise publique, je songe
à un petit nombre d'étrangers qui peuvent se trouver
à Paris, et je suis prêt à m'affliger, car j'aime tou-
jours ma patrie.
DV
Les Anglais sont le seul peuple qui ait trouvé le
moyen de limiter la puissance d'un homme dont la
figure est sur un petit écu.
DVI
Comment se fait-il que sous le despotisme le plus
affreux, on puisse se résoudre à se reproduire? C'est
que la Nature a ses lois plus douces, mais plus impé-
rieuses que celle des tyrans ; c'est que l'enfant sourit
à sa mère sous Domitien comme sous Titus.
DVII
Un Philosophe disait : Je ne sais pas comment un
ESCLAVAGE ET LIBERTÉ 173
Français qui a été une fois dans Pantichambre du
Roi, ou dans l'Œil-de-bœuf, peut dire de qui que ce
puisse être : C'est un grand seigneur.
DVIII
Les flatteurs des Princes ont dit que la chasse était
une image de la guerre; et en effet, les paysans
dont elle vient de ravager les champs, doivent
trouver qu'elle la représente assez bien.
DIX
Il est malheureux pour les hommes, heureux
peut-être pour les tyrans, que les pauvres, les mal-
heureux, n'aient pas l'instinct ou la fierté de
l'éléphant qui ne se reproduit point dans la servitude.
DX
Dans la lutte éternelle que la Société amène entre
le pauvre et le riche, le nobleet le plébéien, l'homme
accrédité et l'homme inconnu, il y a deux obser-
vations à faire : la première est que leurs actions,
leurs discours sont évalués à des mesui^s différentes,
à des poids différens, l'une d'une livre, l'autre de
dix ou de cent, disproportion convenue, et dont on
part comme d'une chose arrêtée ; et cela même est
horrible. Cette acception de personnes, autorisée
par la loi et par l'usage, est un des vices énormes
174 MAXIMES ET PENSÉES
de la Société, qui suffirait seul pour expliquer tous
ses vices. ][ L'autre observation est qu'en partant
même de cette inégalité, il se fait ensuite une autre
malversation ; c'est qu'on diminue la livre du
pauvre, du plébéien, qu'on la réduit à un quart,
tandis qu'on porte à cent livres les dix livres du
riche ou du noble, à mille ses cent livres, etc. C'est
l'effet naturel et nécessaire de leur position respec-
tive; le pauvre et le plébéien ayant pour envieux
tous leurs égaux, et le riche, le noble, ayant pour
appui, et pour complices le petit nombre des siens
qui le secondent pour partager ses avantages et en
obtenir de pareils.
DXI
C'est une vérité incontestable qu'il y a en France
sept millions d'hommes qui demandent Taumône,
et douze millions hors d'état de la leur faire.
DXII
La Noblesse, disent les nobles, est un intermé-
diaire entre le Roi et le Peuple... Oui, comme le
chien de chasse est un intermédiaire entre le chas-
seur et les lièvres.
DXIII
Qu'est-ce que c'est qu'un Cardinal ? C'est un prêtre
ESCLAVAGE ET LIBERTE
175
habillé de rouge, qui a cent mille écus du Roi, pour
se moquer de lui au nom du Pape.
DXIV
La plupart des institutions sociales paraissent
avoir pour objet de maintenir l'homme dans une
médiocrité d'idées et de sentimens qui le rendent
plus propre à gouverner ou à être gouverné.
DXV
Un citoyen de Virginie, possesseur de cinquante
acres de terres fertiles, paye quarante-deux sols de
notre monnaie pour jouir en paix, sous des lois
justes et douces, de la protection du gouvernement,
de la sûreté de sa personne et de sa propriété, de la
liberté civile et religieuse, du droit de voter aux
élections, d'être membre du Congrès, et par consé-
quent législateur, etc. Tel paysan français, de
l'Auvergne ou du Limousin, est écrasé de tailles,
de vingtièmes, de corvées de toute espèce, pour
être insulté par le caprice d'un subdélégué, empri-
sonné arbitrairement, etc., et transiftettre à une
famille dépouillée cet héritage d'infortune et d'avi-
lissement.
DXVI
L'Amérique septentrionale est l'endroit de l'uni-
vers où les droits de l'homme sont le mieux connus.
176 MAXIMES ET PENSÉES
Les Américains sont les dignes descendans de ces
fameux républicains qui se sont expatriés pour fuir
la tyrannie. C'est là que se sont formés des hommes
dignes de combattre et de vaincre les Anglais
mêmes, à l'époque où ceux-ci avaient recouvré leur
liberté et étaient parvenus à se former le plus beau
gouvernement qui fut jamais. La Révolution de
l'Amérique sera utile à l'Angleterre même, en la
forçant à faire un examen nouveau de sa constitu-
tion, et à en bannir les abus. Qu'arrivera-t-il ? Les
Anglais, chassés du continent de l'Amérique septen-
trionale, se jetteront sur les Iles et sur les possessions
françaises et espagnoles, leur donneront leur gou-
vernement qui est fondé sur l'amour naturel que
les hommes ont pour la liberté, et qui augmente
cet amour même. Il se formera dans ces îles espa-
gnoles et françaises, et surtout dans le continent de
l'Amérique espagnole, alors devenue anglaise, il se
formera de nouvelles constitutions dont la liberté
sera le principe et la base. Ainsi les Anglais auront
la gloire unique d'avoir formé presque les seuls des
peuples libres de l'univers, les seuls, à proprement
parler, dignes du nom d'hommes, puisqu'ils seront
les seuls qui aient su connaître et conserver les
droits des hommes. Mais combien d'années ne faut-il
ESCLAVAGE ET LIBERTE
177
pas pour opérer cette Révolution ? Il faut avoir purgé
de Français et d'Espagnols ces terres immenses où
il ne pourrait se former que des esclaves, y avoir
transplanté des Anglais pour y porter les premiers
germes de la liberté. Ces germes se développeront
et, produisant des fruits nouveaux, opéreront la
Révolution, qui chassera les Anglais eux-mêmes des
deux Amériques et de toutes les Iles.
DXVII
L'Anglais respecte la loi et repousse ou méprise
l'autorité. Le Français, au contraire, respecte l'auto-
rité et méprise la loi. Il faut lui enseigner à faire le
contraire, et peut-être la chose est-elle impossible,
vu l'ignorance dans laquelle on tient la Nation,
ignorance qu'il ne faut pas contester en jugeant
d'après les lumières répandues dans les capitales.
DXVIII
Moi, tout ; le reste, rien. Voilà le Despotisme,
l'Aristocratie et leurs partisans. — Moi, c'est un
autre ; un autre, c'est moi : voilà le régime popu-
laire et ses partisans. Après cela, décidez.
DXIX
Tout ce qui sort de la classe du Peuple, s'arme
contre lui, pour l'opprimer, depuis le milicien, le
16
178 MAXIMES ET PENSÉES
négociant devenu le secrétaire du Roi, le prédi-
cateur sorti d'un village pour prêcher la soumission
au pouvoir arbitraire, Phistoriographe, fils d'un
bourgeois, etc. Ce sont les soldats de Cadmus : les
premiers armés se tournent contre leurs frères, et
se précipitent sur eux.
DXX
Les pauvres sont les nègres de l'Europe.
DXXI
Semblable aux animaux qui ne peuvent respirer
Pair à une certaine hauteur sans périr, l'esclave
meurt dans l'atmosphère de la liberté.
DXXII
On gouverne les hommes avec la tête. On ne
joue pas aux échecs avec un bon cœur.
DXXIII
Il faut recommencer la Société humaine, comme
Bacon disait qu'il faut recommencer l'entendement
humain.
DXXIV
Diminuez les maux du Peuple, vous diminuez sa
férocité, comme vous guérissez ses maladies avec
du bouillon.
ESCLAVAGE ET LIBERTE
179
DXXV
J'observe que les hommes les plus extraordinaires
et qui ont fait des révolutions, lesquelles semblent
être le produit de leur seul génie, ont été secondés
par les circonstances les plus favorables et par
l'esprit de leur tems. On sait toutes les tentatives
faites avant le grand voyage de Vasco de Gama aux
Indes Occidentales. On n'ignore pas que plusieurs
navigateurs étaient persuadés qu'il y avait de
grandes îles, et sans doute un continent à l'ouest,
avant que Colomb l'eût découvert, et il avait lui-
même entre les mains les papiers d'un célèbre
pilote avec qui il avait été en liaison. Philippe avait
tout préparé pour la guerre de Perse, avant sa
mort. Plusieurs sectes d'hérétiques, déchaînés
contre les abus de la communion romaine, précé-
dèrent Luther et Calvin, et même Viccleff.
DXXVI
On croit communément que Pierre-le-Grand se
réveilla un jour avec l'idée de tout créer en Russie ;
M. de Voltaire avoue lui-même que son père Alexis
forma le dessein d'y transporter les arts. Il y a
dans tout une maturité qu'il faut attendre. Heureux
l'homme qui arrive dans le moment de cette
maturité I
180 MAXIMES ET PENSÉES
DXXVII
L'Assemblée Nationale de 1789 a donné au Peuple
français une constitution plus forte que lui. Il faut
qu'elle se hâte d'élever la Nation à cette hauteur
par une bonne éducation publique. Les législateurs
doivent faire comme ces médecins habiles qui,
traitant un malade épuisé, font passer les restau-
rans à l'aide des stomachiques.
DXXVIII
En voyant le grand nombre des députés à
l'Assemblée Nationale de 1789, et tous les préjugés
dont la plupart étaient remplis, on eût dit qu'ils ne
les avaient détruits que pour les prendre, comme
ces gens qui abattent un édifice pour s'approprier
les décombres.
DXXIX
Une des raisons pour lesquelles les corps et les
assemblées ne peuvent guère faire autre chose
que des sottises^ c'est que dans une délibération
publique, la meilleure chose qu'il y ait à dire pour
ou contre l'afl'aire ou la personne dont il s'agit, ne
peut presque jamais se dire tout haut, sans de
grands dangers ou d'extrêmes inconvéniens.
ESCLAVAGE ET LIBERTE
181
DXXX
Dans rinstant où Dieu créa le Monde, le mou-
vement du chaos dut faire trouver le chaos plus
désordonné que lorsqu'il reposait dans un désordre
paisible. C'est ainsi que chez nous Pembarras d'une
Société qui se réorganise doit paraître l'excès du
désordre.
DXXXI
Les Courtisans et ceux qui vivaient des abus
monstrueux qui écrasaient la France, sont sans
cesse à dire qu'on pouvait réformer les abus sans
détruire comme on a détruit. Ils auraient bien
voulu qu'on nettoyât l'étable d'Augias avec un
plumeau.
DXXXII
Dans l'ancien régime, un philosophe écrivait des
vérités hardies. Un de ces hommes que la naissance
ou des circonstances favorables appelaient aux
places, lisait ces vérités, les affaiblissait, les modi-
fiait, en prenait un vingtième, passait pour un
homme inquiétant, mais pour un homme d'esprit. Il
tempérait son zèle et parvenait à tout. Le philo-
sophe était mis à la Bastille. Dans le régime
nouveau, c'est le philosophe qui parvient à tout ;
182 MAXIMES ET PENSÉES
ses idées lui servent, non plus à se faire enfermer,
non plus à déboucher Tesprit d'un sot, à le placer,
mais à parvenir lui-même aux places. Jugez comme
la foule de ceux qu'il écarte peut s'accoutumer à ce
nouvel ordre de choses.
DXXXIII
N'est- il pas trop plaisant de voir le marquis
de Bièvre (petit-fils du chirurgien Maréchal), se
croire obligé de fuir en Angleterre, ainsi que
M. de Luxembourg et les grands aristocrates,
fugitifs après la catastrophe du 14 juillet 1789.
DXXXIV
Les théologiens, toujours fidèles au projet d'aveu-
gler les hommes, les suppôts des gouvernemens,
toujours fidèles à celui de les opprimer, supposent
gratuitement que la grande majorité des hommes
est condamnée à la stupidité qu'entraînent les
travaux purement mécaniques ou manuels : ils
supposent que les artisans ne peuvent s'élever aux
connaissances nécessaires pour faire valoir les
droits d'hommes et de citoyens. Ne dirait-on pas
que ces connaissances sont bien compliquées ? Sup-
posons qu'on eût employé, pour éclairer les der-
nières classes, le quart du tems et des soins qu'on
ESCLAVAGE ET LIBERTÉ 183
a mis à les abrutir ; supposons qu'au lieu de mettre
dans leurs mains un catéchisme de métaphysique
absurde et inintelligible, on en eût fait un qui eût
contenu les premiers principes des droits des
hommes et de leurs devoirs, fondés sur leurs
droits, on serait étonné du terme où ils seraient
parvenus en suivant cette route, tracée dans un
bon ouvrage élémentaire. Supposez qu'au lieu de
leur prêcher cette doctrine de patience, de souf-
france, d'abnégation de soi-même et d'avilissement,
si commode aux usurpateurs, on leur eût prêché
celle de connaître leurs droits et le devoir de les
défendre, on eût vu que la Nature qui a formé les
hommes pour la Société leur a donné tout le bon
sens nécessaire pour former une Société raisonnable.
SUPPLÉMENT
AUX
« MAXIMES ET PENSÉES »
Les soixante-huit « Pensées» qui suivent,
sont extraites de l'édition des Œuvres
choisies de Chamforl, publiées par
M. de Lescure (Paris, Librairie des
Bibliophiles, mdccclxxix, in-18, t. I).
Les quarante et une premières (dxxxv à
DLXxv) figurent dans cet ouvrage comme
inédites ; elles sont accompagnées d'as-
térisques qui les désignent à l'atten-
tion du lecteur; les vingt -sept autres
(dlxxvi à DCii), quoique publiées là
sans mention aucune, nous paraissent
également nouvelles. C'est en vain que
nous les avons cherchées dans les leçons
antérieures de l'écrivain. — n. d. e.
SUPPLÉMENT
AUX « MAXIMES ET PENSÉES »
DXXXV
C'est une jolie allégorie que celle qui représente
Minerve, la déesse de la Sagesse, rejetant la flûte
quand elle s'aperçoit que cet instrument ne lui
sied pas.
DXXXVI
C'est une jolie allégorie que celle gui fait sortir
les songes vrais par la porte de corne, et les songes
faux, c'est-à-dire les illusions agréables, par la
porte d'ivoire.
DXXXVII
Un homme d'esprit disait de M..., son ancien
188 MAXIMES ET PENSÉES
ami, qui était revenu à lui dans la prospérité : « Non
seulement il veut que ses amis soient heureux, mais
il l'exige. »
DXXXVIII
Un homme, attaquant une femme sans être prêt,
lui dit : « Madame, s'il vous était égal d'avoir encore
un quart d'heure de vertu ? »
DXXXIX
L'Amour, dit Plutarque, fait taire les autres
passions : c'est le dictateur devant qui tous les
autres pouvoirs s'évanouissent.
DXL
M..., entendant prêcher contre l'amour moral, à
cause des mauvais effets de l'imagination, disait :
« Pour moi, je ne le crains pas. Quand une femme
me convient et qu'elle me rend heureux, je me livre
aux sentimens qu'elle m'inspire, me réservant de
n'être pas sa dupe si elle ne me convient. Mon
imagination est le tapissier que j'envoie meubler
mon appartement, quand je vois que j'y serai bien
logé ; sinon, je ne lui donne aucun ordre, et voilà
les frais d'un mémoire épargnés. »
DXLI
M. de L... m'a dit qu'au moment où il apprit l'infi-
SUPPLÉMENT 189
délité de Madame de B..., il sentit au milieu de son
chagrin qu'il n'aimerait plus, que l'amour dispa-
raissait pour jamais, comme un homme qui, dans
un champ, entend le bruit d'une perdrix qui lève
et qui s'envole.
DXLII
Vous vous étonnez que M. de L... voie Madame
de D...? Mais, monsieur, M. de L... est amoureux,
je crois, de Madame de D..., et vous savez qu'une
femme a souvent été la nuance intermédiaire qui
associe plutôt qu'elle n'assortit deux couleurs tran-
chantes et opposées.
DXLIII
On a comparé les bienfaiteurs maladroits à la
chèvre qui se laisse traire et qui, par étourderie,
renverse d'un coup de pied la jatte qu'elle a remplie
de son lait.
DXLIV
Son imagination fait naître une» illusion au
moment où il vient d'en perdre une, semblable à
ces rosiers qui produisent des roses dans toutes les
saisons.
DXLV
M... disait que ce qu'il aimait par-dessus tout.
190 MAXIMES ET PENSÉES
c'était paix, silence, obscurité. On lui répondit :
C'est la chambre d'un malade.
DXLVI
On disait à M..., homme brillant dans la Société :
« Vous n'avez pas fait grande dépense d'esprit hier
soir avec M... » Il répondit : « Souvenez-vous du
proverbe hollandais : Sans petite monnaie, point
d'économie. »
DXLVII
Une femme n'est rien par elle-même ; elle est ce
qu'elle paraît à l'homme qui s'en occupe : voilà
pourquoi elle est si furieuse contre ceux à qui elle
ne paraît pas ce qu'elle voudrait paraître. Elle y
perd son existence. L'homme en est moins blessé
parce qu^il reste ce qu'il est.
DXLVIII
Il avait, par grandeur d'âme, fait quelques pas
vers la fortune, et par grandeur d'âme il la méprisa.
DXLIX
M..., vieux célibataire, disait plaisamment que le
mariage est un état trop parfait pour l'imperfection
de l'homme.
DL
Madame de Fourq... disait à une demoiselle de
compagnie qu'elle avait : « Vous n'êtes jamais au
SUPPLÉMENT 191
fait des choses qu'il y a à me dire sur les circons-
tances où je me trouve, de ce qui convient à mon
caractère, etc., par exemple dans quel tems il est
très-vraisemblable que je perdrai mon mari. J'en
serai inconsolable. Alors il faudra me dire, etc..»
DLI
M. d'Osmond jouait dans une société deux ou
trois jours après la mort de sa femme, morte en
province. « Mais, d'Osmond, lui dit quelqu'un, il
n'est pas décent que tu joues le lendemain de la
mort de ta femme. — Oh I dit-il, la nouvelle ne
m'en a pas encore été notifiée. — C'est égal, cela
n'est pas bien. — Oh ! oh ! dit-il, je ne fais que
carotter. »
DLII
«Un homme de lettres, disait Diderot, peut avoir
une maîtresse qui fasse des livres ; mais il faut que
sa femme fasse des chemises. »
DLIII •
Un médecin avait conseillé un cautère à M. de ***.
Celui-ci n'en voulut point. Quelques mois se pas-
sèrent, et la santé du malade revint. Le médecin,
qui le rencontra, et le vit mieux portant, lui
demanda quel remède il avait fait. « Aucun, lui dit
192 MAXIMES ET PENSÉES
le malade. J'ai fait bonne chère tout Pété ; j'ai une
maîtresse, et je me suis réjoui. Mais voilà l'hiver
qui approche : je crains le retour de l'humeur qui
afflige mes yeux. Ne me conseillez-vous pas le cau-
tère ? — Non, lui dit gravement le médecin ; vous
avez une maîtresse : cela suffît. Il serait plus sage
de la quitter et de mettre un cautère; mais vous
pouvez peut-être vous en passer, et je crois que ce
cautère suffit. »
DLIV
Un homme d'une grande indifférence sur la vie
disait en mourant : « Le docteur Bouvard sera
bien attrapé. »
DLV
C'est une chose curieuse de voir l'empire de la
Mode. M. de la Trémoille, séparé de sa femme,
qu'il n'aimait ni n'estimait, apprend qu'elle a la
petite vérole... Il s'enferme avec elle, prend la même
maladie, meurt et lui laisse une grande fortune avec
le droit de convoler.
DLVI
Il y a une modestie d'un mauvais genre, fondée
sur l'ignorance, qui nuit quelquefois à certains
caractères supérieurs, qui les retient dans une
sorte de médiocrité : ce qui me rappelle le mot que
SUPPLÉMENT 193
disait à déjeuner à des gens de la Cour un homme
d'un mérite reconnu : « Ah 1 Messieurs, que je
regrette le temps que j'ai perdu à apprendre com-
bien je valais mieux que vous 1 »
DLVII
Les conquérans passeront toujours pour les
premiers des hommes, comme on dira toujours que
le lion est le roi des animaux.
DLVIII
Le public ne croit point à la pureté de certaines
vertus et de certains sentimens, et en général
le public ne peut guère s'élever qu'à des idées
basses (1).
DLIX
M..., ayant voyagé en Sicile, combattait le pré-
jugé où Ton est que l'intérieur des terres est rempli
de voleurs. Pour le prouver, il ajoutait que partout
où il avait été, on lui avait dit : « Les brigands sont
ailleurs. » M. de B..., misanthrope gai, lui dit :
« Voilà, par exemple, ce qu'on ne vous dirait pas
à Paris. »
DLX
On sait qu'il y a dans Paris des voleurs connus
de la police, presque avoués par elle et qui sont à
(1) Cette pensée résume la maxime CCLXXX de la p. 97.
16
194 MAXIMES ET PENSÉES
ses ordres, s'ils ne sont pas les délateurs de leurs
camarades. Un jour, le Lieutenant de police en
manda quelques-uns et leur dit : « Il a été volé tel
efîet, tel jour, en tel quartier. — Monsieur, à quelle
heure ? — A deux heures après midi. — Monsieur,
ce n'est pas nous, nous ne pouvons en répondre ; il
faut que cela ait été volé par des forains. »
DLXI
M... disait plaisamment qu'à Paris chaque honnête
homme contribue à faire vivre les espions de police,
comme Pope dit que les poètes nourrissent les cri-
tiques et les journalistes.
DLXII
Il était passionné et se croyait sage ; j'étais folle,
mais je m'en doutais, et, sous ce point de vue,
j'étais plus près que lui de la Sagesse.
DLXIII
C'est un proverbe turc que ce beau mot :
« O malheur ! je te rends grâce, si tu es seul. »
DLXIV
Les Italiens disent : Sotio umbilico ne religione
ne verilà.
DLXV
Pour justifier la Providence, Saint Augustin dit
qu'elle laisse le méchant sur la terre pour qu'il
SUP|PLÉMENT 195
devienne bon, ou que le bon devienne meilleur
par lui.
DLXVI
Les hommes sont si pervers que le seul espoir et
même le seul désir de les corriger, de les voir
raisonnables et honnêtes, est une absurdité, une
idée romanesque qui ne se pardonne qu'à la simpli-
cité de la première jeunesse.
DLXVII
« Je suis bien dégoûté des hommes », disait M. de
L... — « Vous n'êtes pas dégoûté », lui dit
M. de N..., non pour lui nier ce qu'il disait, mais
par misanthropie, pour lui dire : votre goût est bon.
DLXVIII
M..., vieillard détrompé, me disait : « Le reste
de ma vie me paraît une orange à demi-sucée, que
je presse je ne sais pas pourquoi, et dont le suc ne
vaut pas la peine que je l'exprime. »
DLXIX
Notre langue est, dit-on, amie de la clarté. C'est
donc, observe M..., parce qu'on aime le plus ce
dont on a le plus besoin ; car, si elle n'est maniée
très adroitement, elle est toujours prête à tomber
dans l'obscurité.
196 MAXIMES ET PENSÉES
DLXX
Il faut que Phomme à imagination, que le poète,
croie en Dieu :
Ab Jove principium Musis,
Ou:
A b Jove Musarum primordia,
DLXXI
Les vers, disait M..., sont comme les olives, qui
gagnent toujours à être pochetées.
DLXXII
Les sots, les ignorans, les gens malhonnêtes,
vont prendre dans les livres des idées, de la raison,
des sentimens nobles et élevés, comme une femme
riche va chez un marchand d'étoffes s'assortir pour
son argent.
DLXXIII
M..., disait que les érudits sont les paveurs du
temple de la Gloire.
DLXXIV
M..., vrai pédant grec, à qui un fait moderne
rappelle un trait d'antiquité. Vous lui parlez de
l'abbé Terray, il vous cite Aristide, contrôleur
général des Athéniens.
SUPPLÉMENT 197
DLXXV
On offrait à un homme de lettres la collection du
Mercure à trois sols le volume. « J'attends le
rabais », répondit-il.
DLXXVI
M. de***, amoureux passionné, après avoir vécu
plusieurs années dans l'indifférence, disait à ses
amis, qui le plaisantaient sur sa vieillesse préma-
turée : « Vous prenez mal votre tems : j'étais bien
vieux il y a quelques années, mais je suis bien jeune
à présent. »
DLXXVII
La plupart des bienfaiteurs ressemblent à ces
généraux maladroits qui prennent la ville et qui
laissent la citadelle.
DLXXVIII
Un homme d'esprit, s'apercevant qu'il était
persiflé par deux mauvais plaisans, leur dit :
« Messieurs, vous vous trompez, je ne suis ni sot ni
bête ; je suis entre deux. »
DLXXIX
Une femme laide qui se pare pour se trouver
avec de jeunes et jolies femmes fait, en son genre,
ce que font, dans une discussion, les gens qui
198 MAXIMES ET PENSÉES
craignent d'avoir le dessous : ils s'efforcent de
changer habilement l'état de la question. Il s'agissait
de savoir quelle était la plus belle : la laide veut
qu'on demande quelle est la plus riche.
DLXXX
M. D... avait refusé les avances d'une jolie
femme. Son mari le prit en haine comme s'il les
eût acceptées, et on riait de M. D... qui disait :
« Morbleu I s'il savait du moins combien il est
plaisant! »
DLXXXI
Un homme connu pour avoir fermé les yeux sur
les désordres de sa femme, et qui en avait tiré parti
plusieurs fois pour sa fortune, montrait le plus
grand chagrin de sa mort, et me dit gravement :
« Je puis dire ce que Louis XVI disait à la mort de
Marie-Thérèse : Voilà le premier chagrin qu'elle
m'ait jamais donné. »
DLXXXII
Une jolie femme dont l'amant était maussade et
avait des manières conjugales, lui dit : « Monsieur,
apprenez que, quand vous êtes avec mon mari dans
le monde, il est décent que vous soyez plus aimable
que lui. »
SUPPLEMENT
199
DLXXXIII
Un médecin disait : « Il n'y a que les héritiers
qui payent bien. »
DLXXXIV
Il y a une sorte de reconnaissance basse.
DLXXXV
Les vieillards, dans les capitales, sont plus cor-
rompus que les jeunes gens. C^est là que la pourri-
ture vient à la suite de la maturité.
DLXXXVI
Il n'est vertu que pauvreté ne gâte.
Ce n'est pas la faute du chat quand il prend le
dîner de la servante.
DLXXXVII
M. D... L... vint conter à M. D... un procédé
horrible qu'on avait eu pour lui, et ajoutait : « Que
feriez-vous à ma place? » Celui-ci, homme devenu
indifférent à force d'avoir souffert des injustices,
et égoïste par misanthropie, lui répondit froidement :
« Moi, Monsieur I dans ces cas-là je soigne mon
estomac et je tiens ma langue vermeille. »
DLXXXVIII
Un docteur de Sorbonne, furieux contre le
Système de la Nature, disait : « C'est un livre
200 MAXIMES ET PENSÉES
exécrable, abominable ; c'est l'athéisme démontré. »
DLXXXIX
Il en est des philosophes comme des moines, dont
plusieurs le sont malgré eux et enragent toute leur
vie. Quelques autres prennent patience ; un petit
nombre enfin est heureux, se tait et ne cherche
point à faire des prosélytes, tandis que ceux qui
sont désespérés de leur engagement cherchent à
racoler des novices.
DXC
Il y a des gens qui mettent leurs livres dans leur
bibliothèque, mais M... met sa bibliothèque dans
ses livres. (Dil d'un faiseur de livres faits,)
DXCI
Une petite fille disait à M..., auteur d'un livre
sur l'Italie : « Monsieur, vous avez fait un livre sur
l'Italie ? — Oui, Mademoiselle. — Y avez-vous
été ? — Certainement. — Est-ce avant ou après
votre voyage que vous avez fait votre livre ? »
DXCII
M..., à qui on demandait fréquemment la lecture
de ses vers, et qui s'en impatientait, disait qu'en
commençant cette lecture il se rappelait toujours
ce qu'un charlatan du Pont Neuf disait à son singe
SUPPLÉMENT 201
en commençant ses jeux : « Allons, mon cher
Bertrand, il n'est pas question ici de s'amuser. Il
nous faut divertir l'honorable compagnie. »
DXCIII
Il y a une mélancolie qui tient à la grandeur de
l'esprit.
DXCIV
Un curé de campagne dit au prône à ses parois-
siens : « Messieurs, priez Dieu pour le possesseur
de ce château, mort à Paris de ses blessures. »
(Il avait été roué.)
DXCV
On disait de M... qu'il tenait d'autant plus à un
grand seigneur qu'il avait fait plus de bassesses
pour lui. C'est comme le lierre qui s'attache en
rampant.
DXCVI
Un homme fort riche disait en parlant des pauvres :
« On a beau ne leur rien donner, ces drôles-là
demandent toujours. » Plus d'un prince pourrait
dire cela de ses courtisans.
DXCVII
Un provincial, à la Messe du Roi, pressait de
questions son voisin : « Quelle est cette dame ? —
202 MAXIMES ET PENSÉES
C'est la reîne. — Celle-ci ? — Madame. — Celle-là,
là ? — La comtesse d'Artois. — Cette autre ? »
L'habitant de Versailles, impatienté, lui répondit :
« C'est la feue reine. »
DXCVIII
A l'époque de l'Assemblée des Notables (1787),
lorsqu'il fut question du pouvoir qu'il fallait
accorder aux intendans dans les assemblées pro-
vinciales, un certain personnage important leur
était très favorable. On en parla à un homme d'esprit
lié avec lui. Celui-ci promit de le faire changer
d'opinion, et il y réussit. On lui demanda comment
il s'y était pris ; il répondit : « Je n'ai point insisté
sur les abus tyranniques de l'influence des inten-
dans ; mais vous savez qu'il est très entêté de
noblesse, et je lui ai dit que de fort bons gentils-
hommes étaient obligés de les appeler : Monsei-
gneur, Il a senti que cela était énorme, et c'est ce
qui l'a amené à notre avis. »
DXCIX
Définition d'un Gouvernement despotique : un
ordre de choses où le supérieur est vil et l'inférieur
avili.
DC
Les ministres ont amené la destruction de l'auto-
SUPPLÉMENT 203
rite royale, comme le prêtre celle de la Religion.
Dieu et le Roi ont porté la peine des sottises de leurs
valets.
DCI
Un homme disait naïvement à un de ses amis :
« Nous avons, ce matin, condamné trois hommes à
mort. Il y en avait deux qui le méritaient bien. »
DCII
« On dit la puissance spirituelle, disait M..., par
opposition à la puissance bête. Spirituelle, parce
qu'elle a eu l'esprit de s'emparer de l'autorité. »
1
PETITS DIALOGUES PHILOSOPHIQUES
Sur les LXXIII Dialogues philoso-
phiques qui constitueat cette partie du
présent ouvrage, les quarante-neuf premiers
sont extraits du tome III, de l'édition
originale ; les vingt-quatre autres (L à
LXXIII) ont été publiés pour la première
fois par M. de Lescure, dans son édition
des Œuvres choisies de Chamfort, t. II.
Nous en donnons la réimpression fidèle.
N. D. é.
PETITS DIALOGUES PHILOSOPHIQUES
I
A. — Comment avez-vous fait pour n'être plus
sensible ?
B, — Cela s'est fait par degrés.
A, — Comment ?
B, — Dieu m'a fait la grâce de n'être plus
aimable; je m'en suis aperçu, et le reste a été
tout seul.
II
A, — Vous ne voyez plus M...?
B. — Non, il n'est plus possible.
208 MAXIMES ET PENSÉES
A. — Comment ?
B, — Je l'ai vu, tant qu'il n'était que de mau-
vaises mœurs, mais depuis qu'il est de mauvaise
compagnie, il n'y a pas moyen.
III
A. — Je suis brouillé avec elle.
B. — Pourquoi ?
A. — J'en ai dit du mal.
B. — Je me charge de vous raccommoder; quel
mal en avez-vous dit ?
A, — Qu'elle est coquette.
B. — Je vous réconcilie.
A, — Qu'elle n'est pas belle.
B, — Je ne m'en mêle plus.
IV
A. — Croiriez-vous que j'ai vu Madame de...
pleurer son ami, en présence de quinze personnes ?
B. — Quand je vous disais que c'était une
femme qui réussirait à tout ce qu'elle voudrait
entreprendre.
V
A, — Vous marierez-vous ?
B, — Non.
A, — Pourquoi?
B. — Parce que je serais chagrin.
DIALOGUES PHILOSOPHIQUES 209
A, — Pourquoi?
B. — Parce que je serais jaloux ?
A. — Et pourquoi seriez-vous jaloux ?
B, — Parce que je serais cocu.
A, — Qui vous a dit que vous seriez cocu ?
B. — Je serais cocu, parce que je le mériterais.
A. — Et pourquoi le mériteriez-vous ?
B. — Parce que je me serais marié.
VI
Le Cuisinier. — Je n'ai pu acheter ce saumon.
Le Docteur de Sorbonne. — Pourquoi ?
Le C, — Un Conseiller le marchandait.
Le D. — Prends ces cent écus ; et va m'acheter
le saumon et le Conseiller.
VII
A, — Vous êtes bien au fait des intrigues de nos
ministres I
B. — C'est que j'ai vécu avec eux.
A, — Vous vous en êtes bien trouvé, î'espère.
B. — Point du tout. Ce sont des joueurs qui
m'ont montré leurs cartes, qui ont même, en ma
présence, regardé dans le talon, mais qui n'ont
point partagé avec moi les profits du gain de la
partie.
17
210 MAXIMES ET PENSÉES
VIII
Le Vieillard. — Vous êtes misanthrope de bien
bonne heure. Quel âge avez-vous?
Le Jeune Homme. — Vingt-cinq ans.
Le V. — Comptez-vous vivre plus de cent ans?
Le J. H. — Pas tout à fait.
Le V. — Croyez-vous que les hommes seront
corrigés dans soixante-quinze ans ?
Le J. H. — Cela serait absurde à croire.
Le V. — Il faut que vous le pensiez pourtant,
puisque vous vous emportez contre leurs vices...
Encore cela ne serait-il pas raisonnable, quand ils
seraient corrigés d'ici à soixante-quinze ans; car il
ne vous resterait plus de tems pour jouir de la
réforme que vous auriez opérée.
Le J, H. — Votre remarque mérite quelque
considération : j'y penserai.
IX
A. — Il a cherché à vous humilier.
B. — Celui qui ne peut être honoré que par lui-
même, n'est guère humilié par personne.
X
A, — La femme qu'on me propose n'est pas riche.
B. — Vous l'êtes.
DIALOGUES PHILOSOPHIQUES 211
A. — Je veux une femme qui le soit. Il faut bien
s'assortir.
XI
A. — Je l'ai aimée à la folie; j'ai cru que j'en
mourrais de chagrin.
B, — Mourir de chagrin I mais vous l'avez eue ?
A. — Oui.
B, — Elle vous aimait?
A. — A la fureur, et elle a pensé en mourir aussi.
B, — Eh bien I comment donc pouviez-vous
mourir de chagrin ?
A. — Elle voulait que je l'épousasse.
B. — Eh bien 1 Une jeune femme belle et riche,
qui vous aimait, dont vous étiez fou.
A. — Cela est vrai, mais épouser, épouser!
Dieu merci, j'en suis quitte à bon marché.
XII
A. — La place est honnête.
B. — Vous voulez dire lucrative.
A. — Honnête ou lucratif, c'est tout un.
XIII
A. — Ces deux femmes sont fort amies, je crois.
B. — Amies! là... vraiment?
212 MAXIMES ET PENSÉES
A. — Je le crois, vous dis-je ; elles passent leur
vîe ensemble ; au surplus, je ne vis pas assez dans
leur société pour savoir si elles s'aiment ou se
haïssent.
XIV
A. — M. de R... parle mal de vous.
B. — Dieu a mis le contrepoison de ce qu'il peut
dire, dans l'opinion qu'on a de ce qu'il peut faire.
XV
A. — Vous connaissez M. le comte de... ; est-il
aimable ?
B. — Non. C'est un homme plein de noblesse,
d'élévation, d'esprit, de connaissances : voilà tout.
XVI
A. — Je lui ferais du mal volontiers.
B. — Mais il ne vous en a jamais fait.
A. — Il faut bien que quelqu'un commence.
XVII
Damon. — Clitandre est plus jeune que son âge.
Il est trop exalté. Les maux publics, les torts de la
Société, tout l'irrite et le révolte.
Célimène, — Oh I il est jeune encore, mais il a
un bon esprit ; il finira par se faire vingt mille
DIALOGUES PHILOSOPHIQUES 213
livres de rente, et prendre son parti sur tout le
reste.
XVIII
A. — Il paraît que tout le mal dit par vous sur
Madame de... n'est que pour vous conformer au
bruit public, car il me semble que vous ne la
connaissez point.
B, — Moi, point du tout.
XIX
A. — Pouvez-vous me faire le plaisir de me mon-
trer le portrait en vers que vous avez fait de
Madame de... ?
B. — Par le plus grand hasard du monde, je l'ai
sur moi.
A. — C'est pour cela que je vous le demande.
XX
Damon. — Vous me paraissez bien revenu des
femmes, bien désintéressé à leur égard.*
Cliiandre. — Si bien que, pour peu de chose, je
vous dirais ce que je pense d'elles.
Dam. — Dites-le-moi.
Cli'l. — Un moment. Je veux attendre encore
quelques années. C'est le parti le plus prudent.
214 MAXIMES ET PENSÉES
XXI
A . — J'ai fait comme les gens sages, quand ils
font une sottise.
B, — Que font-ils?
A, — Ils remettent la sagesse à une autre fois.
XXII
A. — Voilà quinze jours que nous perdons.
Il faut pourtant nous remettre.
B. — Oui, dès la semaine prochaine.
A. — Quoil sitôt?
XXIII
A. — On a dénoncé à M. le Garde des Sceaux
une phrase de M. de L...
B. — Comment retient-on une phrase de L...?
A. — Un espion I
XXIV
A. — Il faut vivre avec les vivans.
B. — Cela n'est pas vrai; il faut vivre avec les
morts (1).
XXV
A. — Non, Monsieur, votre droit n'est point
d'être enterré dans cette chapelle.
B. — C'est mon droit; cette chapelle a été bâtie
par mes ancêtres.
(1) C'est-à-dire avec ses livres.
DIALOGUES PHILOSOPHIQUES 215
A. — Oui, mais, il y a eu depuis une transaction
qui ordonne qu'après Monsieur votre père qui est
mort, ce soit mon tour.
B. — Non, je n'y consentirai pas. J'ai le droit
d'y être enterré, d'y être enterré tout à l'heure.
XXVI
A. — Monsieur, je suis un pauvre comédien de
province qui veut rejoindre sa troupe : je n'ai pas
de quoi...
B. — Vieille ruse, Monsieur, il n'y a point là
d'invention, point de talent.
A. — Monsieur, je venais sur votre réputation...
B. — Je n'ai point de réputation, et ne veux
point en avoir.
A. — Ah I Monsieur I
B, — Au surplus, vous voyez à quoi elle sert,
et ce qu'elle rapporte.
XXVII
A. — Vous aimez Mademoiselle..., elle sera une
riche héritière. ^
B, — Je l'ignorais : je croyais seulement qu'elle
serait un riche héritage.
XXVIII
Le Molaire. — Fort bien. Monsieur, dix mille
écus de legs ; ensuite ?
216 MAXIMES ET PENSÉES
Le Mourant. — Deux mille écus au notaire.
Le N, — Monsieur, mais où prendra-t-on l'argent
de tous ces legs ?
Le M. — Eh ! mais vraiment, voilà ce qui
m'embarrasse.
XXIX
A, — Madame..., jeune encore, avait épousé un
homme de soixante-dix-huit ans qui lui fit cinq
enfans.
B. — Ils n'étaient peut-être pas de lui.
A. — Je crois qu'ils en étaient, et je l'ai jugé à
la haine que la mère avait pour eux.
XXX
La Bonne à l'Enfant. — Cela vous a-t-il amusée
ou ennuyée ?
Le Père. — Quelle étrange question I Plus de
simplicité. Ma petite ?
La Petite Fille. — Papa ?
Le Père. — Quand tu es revenue de cette
maison-là, quelle était ta sensation ?
XXXI
A. — Connaissez- vous Madame de B... ?
B. - Non.
DIALOGUES PHILOSOPHIQUES 217
A. — Mais vous l'avez vue souvent.
B. — Beaucoup.
A. — Eh bien?
B. — Je ne l'ai pas étudiée.
A, — J'entends.
XXXII
Clilandre. — Mariez- vous.
Damis. — Moi, point du tout ; je suis bien avec
moi, je me conviens, et je me suffis. Je n'aime
point, je ne suis point aimé. Vous voyez que c'est
comme si j'étais en ménage, ayant maison et vingt-
cinq personnes à souper tous les jours.
XXXIII
A. — M. de... vous trouve une conversation
charmante (1).
B. — Je ne dois pas mon succès à mon par-
tenaire, lorsque je cause avec lui.
XXXIV
A. — Concevez-vous, M..., comme il a été peu
étonné d'une infamie qui nous a confondus !
B, — Il n'est pas plus étonné des vices d'autrui
que des siens.
(1) C'était un sot.
218
MAXIMES ET PENSEES
XXXV
A. — Jamais la Cour n*a été si ennemie des gens
d'esprit.
B, — Je le crois, jamais elle n'a été plus sotte,
et quand les deux extrêmes s'éloignent, le rappro-
chement est plus difficile.
XXXVI
Dam. — Vous marierez-vous ?
Clil, — Quand je songe que, pour me marier, il
faudrait que j'aimasse, il me paraît, non pas impos-
sible, mais difficile, que je me marie ; mais quand
je songe qu'il faudrait que j'aimasse et que je fusse
aimé, alors, je crois qu'il est impossible que je me
marie.
XXXVII
Dam, — Pourquoi n'avez-vous rien dit quand
on a parlé de M... ?
cm, — Parce que j'aime mieux que l'on calom-
nie mon silence que mes paroles.
XXXVIII
Madame de,,, — Qui est-ce qui vient vers nous ?
M, de C,„ — C'est Madame de Ber...
Madame de,,, — Est-ce que vous la connaissez ?
M. de C. — Comment ? vous ne vous souvenez
donc pas du mal que nous en avons dit hier 1
DIALOGUES PHILOSOPHIQUES 219
XXXIX
A. — Ne pensez- vous pas que le changement
arrivé dans la Constitution sera nuisible aux
Beaux-Arts ?
B. — Au contraire. Il donnera aux âmes, aux
génies, un caractère plus ferme, plus noble, plus
imposant. Il nous restera le goût, fruit des beaux
ouvrages du siècle de Louis XIV, qui, se mêlant à
l'énergie nouvelle qu'aura prise Tesprit national,
nous fera sortir du cercle des petites conventions
qui avaient gêné son essor.
XL
A, — Détournez la tête. Voilà M. de L...
B, — N'ayez pas peur : il a la vue basse.
A. — Ah 1 Que vous me faites de plaisir I Moi,
j'ai la vue longue, et je vous jure que nous ne nous
rencontrerons jamais.
XLI
SUR UN HOMME SANS CARACTÈRE.
Dor. — Il aime beaucoup M. de B#..
Philinte. — D'où le sait-il ? qui lui a dît cela ?
XLII
DE DEUX COURTISANS.
A, — Il y a longtems que vous n'avez vu
M. Turgot ?
220 MAXIMES ET PENSÉES
B. — Oui.
A. — Depuis sa disgrâce, par exemple.
B, — Je le crois : j'ai peur que ma présence ne
lui rappelle l'heureux tems où nous nous rencon-
trions tous les jours chez le Roi.
XLIII
DU ROI DE PRUSSE ET DE DARGET.
Le Roi, — Allons, Darget, divertis-moi : conte-
moi l'étiquette du Roi de France : commence par
son lever.
Alors, Darget entre dans tout le détail de ce qui
se fait, dénombre les officiers, les valets de chambre,
leurs fonctions, etc.
Le Roi (en éclatant de rire.) — Ah 1 grand
Dieu I si j'étais Roi de France, je ferais un autre roi
pour faire toutes ces choses-là à ma place.
XLIV
DE l'empereur et DU ROI DE NAPLES.
Le Roi. — Jamais éducation ne fut plus négligée
que la mienne.
L'Empereur. — Comment? (à /?ar/.) Cet homme
vaut quelque chose.
Le Roi. — Figurez-vous qu'à vingt ans je ne
savais pas faire une fricassée de poulet ; et le peu
DIALOGUES PHILOSOPHIQUES 221
de cuisine que je sais, c'est moi qui me le suis
donné.
XLV
ENTRE MADAME DE B... ET M. DE L...
M, de L... — C'est une plaisante idée, de nous
faire dîner tous ensemble. Nous étions sept, sans
compter votre mari.
Madame de B.,, — J'ai voulu rassembler tout ce
que j'ai aimé, tout ce que j'aime encore d'une
manière différente, et qui me le rend. Cela prouve
qu'il y a encore des mœurs en France ; car je n'ai
eu à me plaindre de personne, et j'ai été fidèle à
chacun pendant son règne.
M, de L,,. — Cela est vrai ; il n'y a que votre
mari qui, à toute force, pourrait se plaindre.
Madame de B... — J'ai bien plus à me plaindre
de lui, qui m'a épousée sans que je l'aimasse.
M, de L,.. — Cela est juste. A propos; mais un
tel, vous ne me l'avez point avoué : est-ce avant ou
après moi ?
Madame de B,,, — C'est avant ; je n'ai jamais
osé vous le dire ; j'étais si jeune quand vous m'avez
eue I
M, de L... — Une chose m'a surpris.
222 MAXIMES ET PENSÉES
Madame de B.., — Qu'est-ce?
M. de L.., — Pourquoi n'aviez- vous pas prié le
chevalier de S... ? Il nous manquait.
Madame de B.,. — J'en ai été bien fâchée. Il est
parti il y a un mois, pour l'Isle de France.
M, de L,,, — Ce sera pour son retour.
XLVI
ENTRE MADAME DE L... ET M. DE B...
M. de B,.» — Ah I ma chère amie, nous sommes
perdus : votre mari sait tout.
Madame de L... — Comment? Quelque lettre
surprise.
M, de B,., — Point du tout.
Madame de L... — Une indiscrétion? Une
méchanceté de quelques-uns de nos amis ?
M. de B... — Non.
Madame de L... — Eh bien I quoi, qu'est-ce?
M. de B.,. — Votre mari est venu ce matin
m'emprunter cinquante louis.
Madame de L... — Les lui avez- vous prêtés ?
M, de B,.. — Sur-le-champ.
Madame de L... — Oh bien ! il n'y a pas de mal;
il ne sait plus rien.
DIALOGUES PHILOSOPHIQUES 223
XLVII
ENTRE QUELQUES PERSONNES, APRÈS LA
PREMIÈRE REPRÉSENTATION DE l'oPÉRA DES DANAIDES
PAR LE BARON DE TSCHOUDY.
A. — Il y a dans cet opéra quatre-vingt-dix-huit
morts.
B. — Comment ?
C. — Oui. Toutes les filles de Danaûs, hors
Hypermnestre ; et tous les fils d'Egyptus, hors
Lyncée.
D. — Cela fait bien quatre-vingt-dix-huit morts.
£"., Médecin de profession. — Cela fait bien des
morts; mais il y a en effet bien des épidémies.
F. , Prêtre de son métier. — Dites-moi un peu ;
dans quelle paroisse cette épidémie s'est-elle
déclarée ? Cela a dû rapporter beaucoup au curé.
XLVIII
ENTRE d'aLEMBERT ET UN SUISSE DE PORTE.
Le Suisse. — Monsieur, où allez-vojis ?
D'Alembert. — Chez M. de...
Le S. — Pourquoi ne me parlez-vous pas ?
D'Al. — Mon ami, on s'adresse à vous pour
savoir si votre maître est chez lui.
Le S. — Eh bien, donc ?
224 MAXIMES ET PENSÉES
D'Al. — Je sais qu'il y est, puisqu'il m'a donné
rendez-vous.
Le S, — Cela est égal; on parle toujours. Si on
ne me parle pas, je ne suis rien.
XLIX
ENTRE LE NONCE PAMPHILI ET SON SECRÉTAIRE.
Le Nonce, — Qu^est-ce qu'on dit de moi dans le
monde ?
Le Secrétaire, — On vous accuse d'avoir empoi-
sonné un tel, votre parent, pour avoir sa succession.
Le N, — Je l'ai fait empoisonner, mais pour une
autre raison. Après?
Le S. — D'avoir assassiné la Signora... pour vous
avoir trompé.
Le N. — Point du tout; c'est parce que je crai-
gnais pour un secret que je lui avais confié. Ensuite?
Le S, — D'avoir donné la à un de vos pages.
Le N. — Tout le contraire; c'est lui qui me l'a
donnée. Est-ce là tout ?
Le S. — On vous accuse de faire le bel esprit; de
n'être point l'auteur de votre dernier sonnet.
Le N. — Cazzo! Coquin; sors de ma présence.
L
A. — Je n'en sais rien; mais on le dit, et je le
crois.
DIALOGUES PHILOSOPHIQUES 225
B. — Vous commencez par croire, et c'est peut-
être ce que n'ont pas fait ceux qui ont mis ce bruit-là
dans le monde.
LI
A. — Vous m'aviez dit que c'était un honnête
homme.
B. — Non; je vous ai dit que c'était un assez
honnête homme.
LU
A, — Vous m'avez accusé de malhonnêteté !
B. — Cela n'est pas vrai. Au surplus, quel mal
cela vous fait-il ? On sait bien que l'on n'est pas
pendu pour être malhonnête.
LUI
A. — Il n'a pu vous voir; il a eu des afiaires.
B, — Je le crois : comme il n'en finit aucune, il
ne saurait manquer d'en avoir toujours beaucoup.
LIV •
Dovincourt. — Je le lui ferai entendre à lui-même ;
je lui dirai : Monsieur...
Aramonl. — Si vous lui disiez Monsieur, toute
conversation finirait, car il n'aime à être appelé que
Monseigneur.
18
226 MAXIMES ET PENSÉES
LV
ENTRE UN MAITRE ET SON VALET.
Le Maître, — Coquin, depuis que ta femme est
morte, je m'aperçois que tu t'enivres tous les jours.
Tu ne t'enivrais autrefois que deux ou trois fois par
semaine. Je veux que tu te remaries dès demain.
Le Valei. — Ah 1 Monsieur, laissez quelques
jours à ma douleur I
LVI
— Je suppose, Monsieur, que vous me devez
dix mille écus.
— Monsieur, prenez, je vous prie, une autre
hypothèse.
LVII
d'un homme hrouillé avec un ancien ami.
A, — Je vous parle de M. de L...
B, — Je ne le connais pas.
A. — Que me dites-vous là? Je vous ai vus très
bien.
B, — Je croyais le connaître.
LVIII
B. — Ne trouvez-vous pas M... très aimable?
C. — Pas autrement.
B, — Cela est extraordinaire.
DIALOGUES PHILOSOPHIQUES 227
C, — Il l'est davantage que vous le trouviez tel.
B, — Je n'en reviens pas. Vous ne l'avez peut-
être jamais vu que chez lui ; il faut le voir dans les
maisons où il est à son aise. (C'élail un homme que
sa femm.e maîlrisaii au point de l'empêcher de
parler,)
LIX
A. — Cet homme a-t-il de l'esprit ? (Il parlait).
B, — Vous ressemblez aux gens qui demandent
l'heure qu'il est tandis que la pendule sonne.
LX
A. — Vous avez trop mauvaise opinion des
hommes : il se fait beaucoup de bien.
B, — Le diable ne peut pas être partout.
LXI
A. — N'auriez-vous pas besoin d'argent ?
B, — Toujours.
LXII
Mademoiselle*** , — Je lui ai confié notre amour;
je lui ai tout dit.
B. — Comment avez-vous tourné cela?
Mademoiselle. — Je lui ai prononcé votre nom.
LXIII
A. — On dit que vous voulez épouser Mademoi-
selle***.
228 MAXIMES ET PENSÉES
B, — Non. Quel étrange propos I
A. — Pourquoi pas?
B, — Le nœud est trop fort pour Tintrigue.
LXIV
Cléon. — Je ne vous vois pas. C'est que votre
mari n'est pas fait comme un autre homme.
Céphise. — Il croit par là éviter de ressembler à
tous les maris.
LXV
A. — Madame de*** vous trouve très-aimable.
B, — J'ai cela de bon que je fais peu de cas de
mes succès.
LXVI
Cidalise. — Vous aimez ma sœur : elle n^a
pourtant pas d'esprit.
Dorise, — Cela est vrai, et je ne m'en pique
point.
Damon. — Vous avez plus d'esprit que moi : car
sans m'aimer vous avez l'esprit de me plaire, et moi
je n'ai pas celui de vous plaire en vous aimant.
LXVII
A, — Si vous faites cela, je ne vous le pardonne-
rai jamais.
B, — Parbleu I c'est bien ce que j'espère.
DIALOGUES PHILOSOPHIQUES 229
LXVIII
A. — Je dois me défier de tout le monde, à ce
qu'il prétend.
B, — Eh bien ?
A. — Je fais ce qu'il ordonne, à commencer par
lui.
LXIX
A, — Vous avez beaucoup à vous plaindre de
son ingratitude.
B, — Pensez-vous que lorsque je fais le bien je
n'aie pas l'esprit de le faire pour moi ?
LXX
Céline, — Il ne m'aime pas.
Damon. — Comment vous aimerait-il ? vous réu-
nissez presque toutes les perfections.
Céline. — Eh bien ?
Damon, — L'amour aime qu'elles soient son
ouvrage. Il n'a rien à parer chez vous. Son ima-
gination ne peut ni créer ni embellir. Elle reste en
repos.
LXXI
Chloé, — Madame, n'avez- vous jamais été jeune?
Ariémise. — Jamais tant que vous, Madame.
230 MAXIMES ET PENSÉES
LXXII
A. — Il faut le quitter.
B, — Le quitter! Plutôt la mort!... Que me
conseillez- vous ?
LXXIII
Damon (au bal, à Églé sous le masque). —
Étes-vous jolie ?
Églé. — Je l'espère.
QUESTION
QUESTION
SI, DANS LA SOCIÉTÉ,
UN HOMME DOIT OU PEUT LAISSER PRENDRE SUR LUI
CES DROITS QUI SOUVENT HUMILIENT l'aMOUR-PROPRE?
CETTE question est plus difficile à résoudre
qu'elle ne le paraît d'abord. Ceux qui sont
pour l'affirmative prétendent que l'amitié véritable
est un contrat par lequel chacune des parties
consacre à l'autre toute son existence. Ils disent
que, si l'amitié ne laisse pas le droit de donner des
secours à son ami, ou d'en recevoir, elle est une
chimère ridicule ; que son principal bonheur
consiste à lever ou déchirer ce voile de décence
234 MAXIMES ET PENSÉES
que les hommes ont jeté sur leurs besoins, pour se
dispenser de se secourir, en continuant de se pro-
diguer les marques de l'affection la plus vive ; que
c'est celui qui donne, qui est honoré et obligé, etc.
Ceux qui sont pour la négative me paraissent
appuyer leur opinion par des raisons plus solides.
Ils disent que l'amitié étant une union pure des
âmes, elle ne doit pas se laisser soupçonner d'un
autre motif. On peut appliquer cette réflexion à
l'amour même. En tout état de cause, on fait
toujours très-bien de ne donner que le moins qu'on
peut atteinte à cette règle. Celui qui reçoit n'accepte
sûrement que parce qu'il respecte l'âme de celui
qui donne : mais d'où sait-il que cette âme ne se
dégradera point? et alors quel désespoir de lui avoir
obligation I D'où sait-il que cette âme, en supposant
qu'elle reste noble, ne cessera point de Taimer,
voudra bien ne jamais se prévaloir de ses avan-
tages ? Quelle âme il faut avoir pour laisser à celle
d'un autre la liberté de tous ses mouvemens, tandis
que je pourrais les contraindre et les diriger vers
mon bonheur apparent I Ce sacrifice continuel de
mon intérêt est peut-être plus difficile que le sacri-
fice momentané de ma personne, et le bienfaiteur
qui en est capable a nécessairement l'avantage sur
QUESTION 235
celui qu'il a obligé, en leur supposant d'ailleurs une
égale élévation dans le caractère. Or, j^ai peine à
croire que l'homme puisse supporter l'idée de la
supériorité d'une âme sur la sienne. J'en juge par
la peine avec laquelle les âmes les plus fortes
voient une supériorité fondée sur des choses moins
essentielles. Il suit, au moins, de tout ceci que, dès
que je reçois un bienfait, je m'engage, pour mon
bienfaiteur, qu'il sera toujours vertueux, qu'il
n'aura jamais tort avec moi, qu'il ne cessera point
de m'aimer, ni moi de lui être attaché. Si les deux
premières de ces conditions n'ont pas lieu, c'est au
bienfaiteur à rougir, mais celui qui a reçu le
bienfait doit pleurer.
QU'EST-CE QUE LA PHILOSOPHIE?
QU'EST-CE QUE LA PHILOSOPHIE?
HATiMTHAi se dît un jour : Je veux être
heureux ; Tesprit et la vertu procurent seuls
des plaisirs purs et durables.
Il ouvrit son salon aux hommes de lettres ; il
nourrit tous les pauvres à sa porte ; on voyait
chaque jour la nombreuse population^ qui n'a pas
le nécessaire parce que d'autres ont le superflu, se
presser aux heures des repas sur le seuil de son
palais ; et chaque jour il avait à sa table les
hommes d'esprit les plus distingués de l'empire.
Outre les festins qu'ils y trouvaient avec plaisir,
240 MAXIMES ET PENSÉES
ils recevaient de lui des présens à chaque ouvrage
qu'ils lui dédiaient, et presque à chaque lecture
qu'ils faisaient devant ses sociétés habituelles.
Cependant, en un moment de réflexion, il
remarqua que Saphar ne s'était jamais présenté
chez lui : Saphar, qui a écrit la Chronique de
VEmpire, qui a publié le plus savant ouvrage de
métaphysique, et qui a dédié aux dames son poème
du Jardin des Roses, Cet homme universel vit
solitaire ; la promenade au fond des forêts est son
seul délassement ; et il a soin de se cacher dans
l'épaisseur des taillis quand la chasse vient de son
côté.
Hatimthai ne l'a jamais vu. On cherche toujours
la nouveauté, avec une curiosité qui procure une
émotion vive et agréable. Il veut absolument
interroger ce philosophe ; et il ordonne une chasse
au cerf, dont le seul objet est d'entourer et de
prendre l'homme de lettres le plus sauvage du
monde.
Le projet s'accomplit ; Hatimthai est en face de
Saphar :
— Pourquoi ne t'ai-je jamais vu ?
— Parce que ni toi ni moi n'avons besoin de
nous voir.
k
qu'est-ce que la philosophie? 241
— Me dédaignes-tu ?
— Je te loue de faire le bonheur des autres.
— Qui t'empêche d'y prendre ta part ?
— Parce que ce qui fait leur bonheur, ne ferait
pas le mien.
— Aimes-tu mieux ta vie misérable ?
— Sans doute. Mon père est pauvre, je ne veux
recevoir de lui que peu de chose, mais ce peu me
suffit. Je n'ai donc pas besoin que tu me donnes
davantage.
— Quelle vertu î se dit Hatimthai, en se retirant.
Avant de rentrer dans son palais, il aperçoit
Gemmade, qui portait avec peine un lourd fagot
sur ses épaules.
— Pourquoi te fatigues-tu, lui dit-il, au lieu d'aller
recevoir ta nourriture à la porte d'Hatimthai ?
Gemmade lui répondit :
— Parce que celui qui sait se suffire à soi-même
ne veut rien devoir à Hatimthai.
Celui-ci réfléchit : •
— Quelle noblesse, dit-il, dans un si pauvre
homme. Et quoi ! n'aurais-je à ma porte, et même
dans mon salon, que les deux parties les plus viles
de l'espèce humaine ? et ceux qui ont un peu de
vertu ou de fierté rougiraient-ils d'accepter mes
bienfaits ?
19
242 MAXIMES ET PENSÉES
Mais ceci, me dira-t-on, est le pont aux ânes ; c'est
ce qui a été dit partout. On a prouvé mille fois que
la philosophie rendait un homme heureux dans la
solitude, et qu'elle lui faisait dédaigner ces joies du
monde qui ne satisfont ni l'âme ni le cœur. Serait-ce
donc là le seul bienfait de la philosophie ? Rousseau
a-t-il raison ?
Hatimthai, en rentrant au palais, traverse la
foule des pauvres vivant des restes de ses festins.
Il voit entre autres Zilcadé, ce jeune paresseux,
qui court devant ses pas en semant des roses sur
la terre, et qui est toujours le premier à crier :
Vive Hatimthai I
— Tu es bien brillant de santé, lui dit-il.
— C'est que les carcasses de tes faisans sont
depuis quelque temps plus grasses et plus succu-
lentes encore.
— Tes bras sont nerveux.
— Parce que mon estomac leur donne de la force
et que je les exerce peu.
— Ton dos n^est pas voûté par les travaux.
— Depuis qu'Hatimthai me nourrit, je ne me
fatigue jamais.
— De tout cela, je conclus que tu pourrais porter
des fagots.
qu'est-ce que la philosophie? 243
— Sans doute, et je serais alors inutile à la société.
Hatimthai est tout à coup saisi d'étonnement.
— Sache, ajoute Zilcadé, quelle est ma philo-
sophie. Il plaît à la vanité d'Hatimthai d'avoir des
pauvres à sa porte ; il est peut-être orgueilleux et
peut-être heureux seulement de sa bienfaisance.
Que m'importe ? Je reçois ses dons, qui m'évitent
les maux de la vie et me laissent du tems libre
que j'emploie à faire autant de bien que lui.
Hatimthai est encore plus étonné.
— Sans doute, ajoute Zilcadé, quand j'ai reçu à
ta porte le déjeuner du matin, je me sens fort et
bien portant. Je vais chez cette pauvre et faible
Rhège, qui demeure au bord du fleuve, et qui a six
enfans en bas âge. C'est moi qui jette et qui
attache ses filets ; et après le repas du soir, je vais
les retirer. Le poisson qu'elle recueille ainsi lui
suffit pour nourrir sa famille. Dans le cours de la
journée, je me promène au marché sans rien faire,
mais j'y vois le prix de chaque denrée, 'et je vais
en rendre compte à nos riches marchands, qui
évitent ainsi de se déranger de leur commerce.
Très souvent je découvre des tromperies dont je
préviens les acheteurs ; et souvent aussi je donne
de bons conseils aux hommes des campagnes, pour
244 MAXIMES ET PENSÉES
qu'ils nous fournissent les marchandises qui se
vendront le mieux. On peut être utile sans tra-
vailler; et pourrais-je rendre de tels services si
j'étais occupé tout le jour à couper du bois pour
chauffer mon potage ?
Hatimthai ne répondit pas ; et, à peine rentré
dans son palais, il trouva, à la porte de son sérail,
la jolie Fatmé qui l'attendait pour recevoir ses
ordres ; et, dans son salon, le vif, l'ingénieux Ricca,
qui était arrivé déjà pour le repas du milieu du
jour ; car Fatmé, en se retirant, devait avoir, peu
d'heures après, un concert et un bal avec ses com-
pagnes ; et elle était pressée de passer à sa toilette,
pour paraître toujours la plus belle.
Hatimthai pensait encore aux diverses réponses
qu'il avait entendues ; il s'arrêta un moment près
de Fatmé, et l'interrogea de manière à ce qu'elle
lui prouvât bien vite l'utilité dont elle était dans ce
monde.
— Hatimthai, lui dit-elle, il y a près d'ici une
pauvre mère de famille, qui a besoin de tes secours :
elle veut te vendre une parure de perles les plus
fines et les plus égales ; elle est réduite à s'en
défaire, et tu ne me la refuseras pas. Je te demande
encore quelques-uns de ces jolis oiseaux que vend
qu'est-ce que la philosophie? 245
ce pauvre mollah ; et souviens-toi aussi de nos
nouvelles danses. Rhédi, qui les invente, n'a que
cela pour vivre. Voilà quels sont aujourd'hui mes
caprices ; tu vois qu'ils feront des heureux.
Hatimthai se retire, et appelle Ricca. C'est le
poète de ses spectacles ; les opéras qu'il compose
sont brillans d'esprit dans le dialogue, de féerie
dans l'action, et de magie dans les décorations. Ils
excitent la surprise au plus haut degré.
— Ricca, lui dit Hatimthai, j'ai vu Saphar ; il est
heureux à lui seul : c'est le philosophe le plus sage.
— T'a-t-il dit, répond Ricca, ce que son père est
devenu ?
— Non, mais il lui coûte peu de chose.
— Il est vrai ; toutefois son père était un des
riches marchands de ton empire ; devenu vieux et
aveugle, il avait compté sur son fils pour tenir ses
livres, régler ses paiemens et défendre ses intérêts.
Lorsque Saphar se mit à composer dans les forêts,
son père fut obligé de prendre un commis à sa
place. Il en eut un infidèle, qui l'a trompé ; et il ne
s'en est aperçu que lorsque sa ruine a été complète.
Il a abandonné ses biens qui n'ont pas suffi au
paiement de ses créanciers ; il est aujourd'hui
commis lui-même chez un de ses anciens amis ; et
246 MAXIMES ET PENSÉES
le peu qu'il donne à son fils lui est plus onéreux
que le plus brillant état qu'il eût donné chez lui
autrefois.
— Hatimthai, ajoute Ricca, je suis plus philosophe
que Saphar ; il vit dans les bois ; il n'a de relations
qu'avec lui-même ; il n'entre pas dans les ambi-
tions, et il évite, j'en conviens, tous les vices de la
société ; mais il n'est utile à personne. La malheu-
reuse Zilia tirait avec peine quelques grains de blé
de son jardin ; je lui ai enseigné une nouvelle
manière de cultiver les roses ; et elle en récolte
maintenant une si grande abondance, qu'elle s'est
enrichie avec l'essence qu'elle vend, et m'en donne,
sans se faire tort, pour verser à flots sur les habits
d'Hatimthai. Le malheureux Calva, qui publie
chaque jour les ordres et rend compte des plaisirs
d'Hatimthai, était tombé dans la misère, parce qu'il
avait imprimé les œuvres des écrivains médiocres
que le public dédaigne; je consacre quelques heures
par jour à lire les manuscrits qu'on lui porte; et il
nourrit à présent sa famille avec le produit des
bons ouvrages que je lui conseille de publier. Je ne
pourrais pas rendre de tels services si j'étais forcé
de m'occuper de moi-même. Mais Hatimthai, que
j'amuse, doit en échange me nourrir grassement ;
qu'est-ce que la philosophie? 247
moi, j'enrichis Galva, parce que j'en tire à mon
tour l'avantage de lui faire imprimer mes poésies,
et j'ai acquis ainsi une réputation qui satisfait mon
amour-propre.
— O Hatimthai I ajoute Ricca, le vrai philosophe
est un ministre d'Oromaze (1) dans l'état social.
(1) Ou Orrauzd, ou Ahouramazda, Dieu suprême et principe du Bien
dans l'ancienne religion mazdéenne, fondée par Zoroastre, ou Zara-
thoustra.
NOTES ET VARIANTES
NOTES ET VARIANTES
Page XII. Noie, ligne 4 : « La première partie de ces
Notes el Anecdotes... figure également dans Védilion des
Œuvres complètes... publiée par P.-R. Auguis,., » Elle est
suivie d'un autre article fort remarquable {Variétés),
emprunté au même Journal de Paris, daté du 12 germinal,
an III, mais non signé. Cet article, qu'on ne peut attribuer à
Rœderer, est le complément du premier. On y relève des
anecdotes caractéristiques qui prouvent aue son auteur
vécut dans la familiarité du moraliste. Nous en déta-
chons ce portrait singulier : « Je l'ai connu, dès la
jeunesse, ce Chamfort ; et je doute beaucoup qu'il fut
digne d'être misanthrope à quarante ans, si, pour en
avoir le droit, il faut avoir aimé les hommes. Il n'aima
jamais que Chamfort; c'était un homme habile à lancer
252 MAXIMES ET PENSÉES
un trait d'esprit acéré, comme une arbalète chasse une
flèche...
« Chamfort fut toujours [craint] ; sa figure était char-
mante dans la jeunesse; le plaisir l'altéra étrangement, et
l'humeur finit par la rendre hideuse. Il ne montra d'abord
que de la gaîté, et seulement un petit germe de méchan-
ceté ; mais ce germe ressemblait au plus petit des grains
qui devient un arbre : il ombragea toute sa vie... »
Page XVIII, ligne 5 : « Chamforl perdait lui-même sa
fortune par le décret de la veille,.. » On sait qu'il était
pensionné par l'ancien régime. Dans un état annoté des
demandes de gratifications sollicitées à la cour par
divers gens de lettres et publié par Charles Asselineau,
d'après des Mélanges curieux et anecdotiques (Cf. Bulletin
du Bibliophile, 1861), on lit ce qui suit : « M. de Champ-
fort {sic), auteur de Mustapha et Zéangir et de plusieurs
autres ouvrages de mérite, espère que le ministre voudra
bien proposer pour lui au roi une pension de 3.000 fr. »
— et, à la suite, cette apostille attribuée au contrôleur
des finances, ou à l'un de ses subordonnés : « 2.000 fr. ».
Page XXVII, Note 1, 1. 4 : Pensées, 79. Ce chiffre renvoie
au tome I de l'édition Ginguené.
Page XXXI, ligne 8 : « Chamfort était fils d'un chanoine de
la Sainte Chapelle... » Il naquit à Clermont, en Auvergne,
paroisse Saint-Genès, le 6 avril 1740, et prit, tout d'abord,
les noms de Sébastien-Roch Nicolas. Son acte de nais-
sance a été publié dans U Amateur d'autographes (1870,
p. 138).
NOTES ET VARIANTES 253
Page XXXIII : Averiissemenl du premier éditeur. Cette
curieuse notice de Ginguené n'a pas été reproduite, mais
simplement résumée, au cours de la préface d'Auguis
(Œ. C, t. II).
Page XXXVII, ligne 5 : aJ'exhorle au nom de Vamilié...
ceux qui peuvent posséder ce trésor à ne le pas enfouir,., »
L'appel adressé par Ginguené ne fut malheureusement
point entendu. On n'a rien retrouvé des papiers de
Chamfort, sauf ceux qui constituèrent les Maximes et
Pensées, les Anecdotes et Caractères, ainsi que les Petits
Dialogues Philosophiques et les additions données par
M. de Lescure. L'édition publiée par Auguis, en 1824, la
plus complète de toutes, ne contient, en effet, outre les
ouvrages révélés par Ginguené, que des essais et divers
écrits empruntés à des publications collectives, tel
l'ancien Mercure de France.
Page 9, ligne 9 : Mandeville. Lisez : Bernard de Man-
deville (1670-1733), auteur d'un singulier ouvrage : The
Fable oftheBees. {La Fable des Abeilles), publié en 1723.
Page 10, ligne 4 : Cherin. Sans doute Bernard Cherin,
généalogiste des ordres du roi, mort à Paris, le 21 mai
1785.
Page 21, ligne 5 (voir également p. 92, ligne 19) :
B[o]yle.., Le texte des premières éditions porte :
Bayle, Nous avons adopté la correction proposée par
M. de Lescure. On lit dans les notes des Œuvres
Choisies, t. I, p. 269 : « Il s'agit de Robert Boy le,
célèbre physicien et chimiste anglais, né à Limore,
en Irlande, le 25 janvier 1626, mort à Londres, le
254 MAXIMES ET PENSÉES
30 décembre 1691. Il naquit l'année même de la mort de
Bacon. » Le nom de Pierre Bayle, l'illustre auteur du
Dictionnaire historique, pouvait être également admis.
On sait la place qu'il tint par ses idées et par ses
ouvrages, annonçant la philosophie de Voltaire et pré-
parant les doctrines de l'Encyclopédie.
Page 45, cxxxii : « Du bois ajouté à un acier pointu... »
M. de Lescure a cru devoir reproduire deux fois cette
pensée, en la faisant suivre d'un commentaire dont nous
détacherons l'essentiel. « Chamfort, dit-il, a évidemment
voulu indiquer par cette image ce que l'esprit ajoute de
légèreté et de portée à l'arme de la plaisanterie. Sa
rédaction primitive était celle-ci : « Deux plumes atta-
chées à un acier pointu font une flèche de l'arme qui
n'eut qu'un dard. » C'est ainsi, ajoute-t-il en substance,
qu'il revient à la même idée, à propos de l'influence de
l'amour-propre sur la volonté et sur l'art d'aiguiser et
de perfectionner notre énergie.
Page 114, ligne 18. AI. de la Borde... Ce nom nous
est fourni par Lescure. Les textes primitifs portent
seulement M. de la B... Il s'agit vraisemblablement de
Jean-Benjamin de la Borde, né à Paris, le 5 septembre
1734, premier valet de chambre de Louis XV, et fermier
général, mort sur l'échafaud, le 22 juillet 1794. Poly-
graphe, musicien et bibliophile, il a laissé de nombreux
ouvrages recherchés uniquement pour leur présentation
somptueuse, tels un choix de Chansons mises en musique
(Paris, 1773, 4 vol. in-4") et un Essai sur la Musique
ancienne et moderne (Ibid., 1780, 4 vol. in-8o.) On lui
NOTES ET VARIANTES 255
doit également un recueil de Maximes ei Pensées, publié
en 1791 et réimprimé en 1802, avec une notice sur
l'auteur.
Page 116, cccxxxiv : (( Je regarde comme un grand
bonheur que l'amitié fui déjà parfaite entre [M. de] M.,,
et moi... » Il s'agit ici de Mirabeau. Voyez dans l'édition
Auguis (V., pp. 353-418) les lettres que le grand tribun
adressa à Chamfort. Elles sont au nombre de XI, et il
est infiniment regrettable que nous ne possédions point
les réponses de ce dernier.
Page 136, cdiii: « Les femmes ne donnent... » Dans l'édi-
tion Ginguené, cette pensée est liée à la suivante et les
deux n'en font qu'une seule.
Page 153, ligne 13 : Heusippe. Dans l'édition Auguis,
que corrige le texte de Lescure, on lit ce nom : Xentippe.
Page 186, Note, ligne 10 : « Les vingt-sept autres...
nous paraissent également nouvelles... » En réalité, ce ne
sont point XXVII, mais XLIV « maximes et pensées »
qu'on trouve insérées, en majeure partie, et pour la
première fois, mais sans désignation aucune, dans l'édi-
tion Lescure. Nous avons écarté XVII de ces pièces, les
unes faisant double emploi avec celles qui précèdent,
les autres appartenant à la série des Caractères et
Anecdotes, qui, nous l'avons dit, feront l'objet d'un
prochain volume. C'est là qu'on les lira. Parmi ces der-
nières, il nous faut mentionner deux proverbes italiens
dont l'invention n'appartient pas à Chamfort (1). Par
(1) Voici ces deux proverbes : I. « Il pastor romano non vuole pecora
senza lana. » II. u Chi mant^a facili, caga diavoli. »
256 MAXIMES ET PENSÉES
contre, nous avons dû rétablir à leur place XIII pensées
que le précédent éditeur avait un peu arbitrairement
insérées parmi les Anecdotes.
Page 205 : Pelils Dialogues Philosophiques. La pre-
mière série de ces compositions figure également au
tome I de l'édition Auguis, p. 319.
Page 239 : Qu'est-ce que la Philosophie ? Cette fiction
a été publiée pour la première fois par Auguis (Œuvres
complètes, III, p. 451).
Ainsi que nous l'avons annoncé dans notre Avant-
Propos, nous avons reproduit le texte de l'édition
établie par Ginguené, en l'an III. Une lecture attentive
nous a permis de corriger quelques fautes graves, d'uni-
fier la graphie et d'améliorer la ponctuation trop souvent
défectueuse de cette version originale. Nous n'avons
fait en cela que nous conformer à la méthode des deux
derniers éditeurs, Auguis et M. de Lescure, bien que
nous n'ayons pas cru devoir modifier totalement,
comme l'un, la dite ponctuation, ni, comme l'autre,
le caractère orthographique de l'ouvrage. On trouvera
ci-après quelques variantes relevées, le plus souvent,
dans l'édition de Lescure, laquelle, — nous voulons le
croire, — reproduit fidèlement la leçon des manuscrits de
l'auteur. Pour faciliter l'intelligence de ces notes, nous
désignons de la sorte les éditions qui ont servi de base à
notre travail : G. (éd. Ginguené); L. (éd. Auguis);
L. (éd. Lescure). Nous ne ferons pas figurer ici les chan-
NOTES ET VARIANTES 257
gements de ponctuation observés dans le texte d'Auguis ;
ils sont nombreux, uniformes, mais peu importants. En
voici un exemple entre cent. Ginguené imprime : « Au
moral et au physique, tout est mixte. Bien n'est un... »
Auguis publie à son tour : « Au moral et au physique
tout est mixte ; rien n'est un. » On sait, d'autre part, que
Ginguené abusait des majuscules et que Lescure réta-
blissant l'orthographe ancienne, écrit j'étois, pour J'étais,
On admettra que nous n'avions pas à les imiter.
Page 7, ligne 20 : Les fripons... Var. (A.) Des fripons...
Page 27, ligne 6, pour toute ressource... Var. (L.) :
pour seuie ressource...
Page 36, xcix : « elle peut emporter la pluralité des suf-
frages, » Dans les Notes qui accompagnent le texte de
son édition, Lescure nous fournit, d'après les papiers de
l'auteur, la variante qui suit: « La prétention la plus
absurde et la plus injuste qui serait sifflée dans une
assemblée d'honnêtes gens, peut devenir la matière
d'un procès, et dès lors être déclarée légitime ; car tout
procès peut se perdre ou se gagner : de même que,
dans les corps, l'opinion la plus folle et la plus ridicule
peut être admise, et l'avis le plus sage rejeté avec
mépris. Il ne s'agit que de faire regarder l'un ou l'autre
comme une affaire de parti, et rien n'est si facile entre
les deux partis opposés qui divisent presque tous les
corps. » (I, 269.)
Page 39, ligne 12 : Le cadre l[a] déparerait... Var. (L.) :
Le cadre les déparerait...
20
258 MAXIMES ET PENSÉES
Page 49, ligne 2 : L'amour-propre d'un cœur généreux,
el, en quelque sorte... Var. (A. et L.) : L'amour-propre
d'un cœur généreux esf, en quelque sorte...
Page 64, ligne 6 : Soit qu'ils aient été ministres...
Var. (L.) : Soit qu'ils aient été premiers ministres...
Page 64, ligne 20 : et on n'en jure pas moins...
Var. (L.) : et ron n'en jure pas moins...
Page 68, ligne 24 : Pour ne pas être méprisé comme
acteur... Var. (L.) : Pour ne pas être méprisé comme un
mauvais acteur...
Page 71, ligne 10: ou bien oublient... Var. (A.): ou
bien qui oublient...
Page 77, ligne 2 : Souhaitez-vous de lui inspirer...
Var. (A. et L.) : Souhaitez-vous lui inspirer...
Page 79, ligne 2: On se dit... Var. (L.) : On dit...
Page 86, ligne 10 : quejDOur ce que tu vaux... Var. (L.) :
que ce que tu vaux...
Page 87, ligne 18 : Vous enseigne l'anglais en quarante
leçons... Var. (L.) : Vous enseigne l'anglais en quatre
leçons...
Page 97, ligne 14 : ... de l'espionnage. Souvent dans...
Var. (L.) : de l'espionnage souvent. Dans...
Page 97, ligne 16 : à un homme habile.., Var. (L.) : à
un habile homme...
Page 106, ligne 1 : Les Moralistes, ainsi que les Philo-
sophes... Var. (L.) : Les Moralistes ainsi que les femmes
philosophes...
NOTES ET VARIANTES
259
Page 107, ligne 20 : et s'[en]noblit. Le texte des pre-
mières éditions porte : s^anoblit.
Page 109, ligne 19 : prend pour l'Humanité el pour la
Société un mépris... Var. (L.) : Prend pour l'Humanité
un profond mépris...
Page 110, ligne 4 : Si elle marque de plus les minutes,,,
Var. (L.) : Si elle marque de plus les secondes,,.
Page 123, ligne 5 : Vous verriez que cela n'est pas
trop honnête... Var. (A.) : Vous verriez que cela n'est
pas très honnête...
Page 146, ligne 15 : Il est clair qu'il ne peut y être
porté... Il faut qu'il choisisse entre le rôle, etc.
Nous avons adopté la leçon d'Auguis ; dans la 1" édi-
tion, ainsi que dans celle de Lescure, le texte est au
pluriel.
Page 158, ligne 13 : Ayant donné plusieurs conseils
utiles... Var. (L.) : et ont donné plusieurs conseils utiles...
Page 158, ligne 16 : Hors de France... Var. (L.) : Hors
en France...
•
Page 161 : De l'esclavage et de la liberté. De la
France, etc. Le texte d'Auguis porte ce titre erroné :
De l'esclavage et de la liberté de la France, etc.
Page 181, ligne 18: Mais pour un homme d'esprit...
Var. (L.) : Mais pour homme d'esprit...
260 MAXIMES ET PENSÉES
Page 199, ligne 16, « et je tiens ma langue vermeille. »
Le manuscrit ajoute, selon Lescure : « et mon urine
bien briquetée. »
Page 222. Dialogue XLVI, Dans les éditions Auguis
et Lescure, il y a une interversion des personnages.
M. DE B. devient, ainsi que dans le Dialogue XLV,
M. DE L., et Madame de L. prend le nom de Madame
DE B. Le piquant du tableau, quand on le rapproche du
précédent dialogue qu'il complète, en semble atténué.
Le texte débute de la sorte : M. de L. — Ah I ma chère
amie, etc. — Madame de B. — Comment?...
Ad. b.
TABLE ALPHABÉTIQUE
DES
MAXIMES ET PENSÉES
TABLE ALPHABÉTIQUE
DES
MAXIMES ET PENSÉES
ABBAYE DeThÉLÈME,
CCCXX.
Abel, xli.
Abus d'autorité, cdlxxxii.
Académie française,
cdxxxix, cdxl, cdxli,
Académies, ccxxviii.
Achille, xcvii.
Actions utiles, ccvii.
Adam, xli.
Affaires mêlées, cxxvi.
Afrique, xviii, xxiv.
Agir, cccxli.
Aimable, ccxxxviii, ccxlvii,
CCCLX, CCCLXIX, CDXXIII.
Aimer, ceci, cccl.
Aisance, cclxix.
Alembert (d'), cdxxii.
Allégorie, xxvi, dxxxv,
DXXXVI.
Amant, ccclxxiv, dlxxxii,
CDV.
Ambitieux, xcv.
Ambition, lximii, lxx, clviii,
CCXLVII.
Ame, xviii, xxvi, cxxiv,
cxxxii, ccxcv.
Ame faible, clxxv.
Ame fière, cccli.
Ame noble, cxlvii.
264
MAXIMES ET PENSÉES
Amérique, xviii, dxvi.
Ami, Amis, xiii, cccxxx,
DXXXVII.
Amitié, cxxxvi, ccxxiv,
cccv, cccxv, cccxvi,
cccxvii, cccxxii,
cccxxxiv, ccclxx, cdiii.
Amitié de cour, ccii.
Amitié des femmes, cdiii.
Amour, clvii, clviii, cccxv,
cccxlv, cccxlviii, ccclvi,
ccclix, ccclx, ccclxviii,
ccclxx, ccclxxx, cccxc,
cccxci,cccxcii, cdu, cdiii,
cdix, cdxi, dxxxix, dxli.
Amour maternel, cdviii.
Amour moral, dxl.
Amour partagé, ccclvii.
Amour -PROPRE, clxxiv,
cccxxxiii, ccclvi,
ccclviii, ccclxi, cdu.
Amoureux, cccxlix, cdx,
DLXXVI.
Analogie, cdxxviii.
Ancien régime, dxxxii.
Anciens, cdxxiv.
Anciens philosophes,
cdxlviii.
Anes, cdlxxix.
Anglais, dv, dxvi, dxvii.
Antichambre du Roi, dvii.
Anxiété, cccxxxviii.
Appétit, cxciv.
Apprendre, cccxxxvi, dlvi.
Arbre de la science, xxvi.
Archimède, cdxlv.
Argent, cxlii, clxiv.
Aristide, cccvi, dlxxiv.
Aristocratie, dxviii.
Aristote, cdxxviii.
Arlequin, cxliii.
Armide, xlvii.
Arnauld (Antoine) ,
cccxliii.
Arracheur de dents,
CCXCVII.
Assemblée des Notables (l')
dxcviii.
Assemblée Nationale (l'),
dxxvii, dxxviii.
Assemblées, ccxxviii,
DXXIX.
Assertion, li.
Athéisme, dlxxxviii.
Aumône, dxi.
Auteur, cdxxxiv,
cdxxxviii, cdlxiv.
Autorité royale, dc.
Avare, clxv.
Avarice, lxx.
Axiomes, i.
TABLE ALPHABÉTIQUE
265
B*** (Madame de),
CLXXXIV, DXLI.
B*'* (M. de), xliv, dlix.
Bacon (R.)> xlv, dxxiii.
Banqueroute, cdxi.
Basques (les), cdxxi.
Bassesse, dxcv.
BaYLE (P.), CLXVII.
Beaux-Arts, cdlxv.
Beaux esprits, cdxxx.
bérécillo, xxxv.
Bibliothèque, dxc.
Bien (Le), xxxiv, clxxvi,
cccxxxi.
Bienfaiteurs , ccxcvii ,
CCXCVIII, CGC, cccxi,
DXLIII, DLXXVII.
Bienfaits, ccxcix, ceci,
cccx.
BifevRE (Marquis de),
DXXXIII.
Blâmer, cccxxiii.
Boileau (Nicolas), xlii,
CDLXX.
Bon, dlxv.
Bon GOUT, cdxxvii.
Bonheur , cliii , clxx ,
cccviii, cccxxxii.
Bonhomie, cxix.
Bonnes actions, cxxii.
Bons mots, ii.
Bouffon, ccx.
Bourgeois, ccxvii.
Bourgeoise de Paris, di.
Bouvard (Docteur), dliv.
BoYLE (Robert), xlv.
Breteuil (Baron de),
CLXXXV , CLXXXVI ,
clxxxvii.
Brigands, dlix.
Bucéphale, xxxv.
burrhus, cclx.
c*** (m. de.), cxliii.
Calamités, lxvii.
Calcul, clix, cciv.
Calomnie, cccii.
Calvin, dxxv.
Camaraderie, ccxlii.
Capitaine de vaisseau,
cdlxxviii.
Caractère, xxx, lix, lxvi,
cvii, cxxxvii, clvii,
cclxxxv, cdlv.
Caractère français,
CDLXXV.
Carcan, c.
Cardinal, xxii, dxiii.
Carrosse, xv, cdlii.
Cartes, cxlv.
Céladon, cccxliv.
Célébrité, xxxiii, cxxxi,
CXXXV, CCLIII, CCCXXXIIl.
266
MAXIMES ET PENSÉES
célibat, ccclxxxix,
cccxciii.
Cercles, clxxxiii, cclvii.
Cerveau des femmes (le),
CDVII.
César (Jules), xlv.
Chagrins, cccix, cccxxvi.
Chamfort (Confession de),
CCCXXIII, cccxxiv,
CCCXXV, CCCXXVI,
CCCXXVIII à cccxxxvi.
Chapelain (Jean), xlii,
CDLXX.
Charlatan, dxcii, xciii, cix.
Chat, dlxxxvi.
ChÉRIN (B.), XV, CDLXXX.
Chirurgien, cxxviii.
Choses, lu, cxxvi, ccxlviii,
cclviii, cclxii, cccxxviii.
CiCÉRON, XXIII.
Citoyen de Virginie, dxv.
Civilisation, vi.
Cœur, lxxxiv, cccxxx,
ccclxxvi, cdu
Cœur de femmes, cdvii.
Cœur généreux, cxlvii.
colbert (j.-b.), cdlxx.
Colomb(Christophe), dxxv.
Comédie de caractère,
cdlxviii.
Commandemens de Dieu,
cccxx.
Commerce des femmes,
CCCLXXI.
Condamnés a mort, dci.
Condition des hommes,
XCVIII.
Conduite, ccxi.
Connaître une femme,
CCCLXV.
Conquérans, dlvii.
Conscience, xi, lxxxii,
CXCIII.
Considération, xxxiii,
cxxxi, ccxx, ccxxvii,
ccxxxiii.
Convention, cxxx.
Conventions sociales,
CCXII.
Conversations, clxxxiii,
CCLXV.
Conviction, cli.
Corneille (Pierre), cdlxx.
Corps (Les). Voyez : Aca-
démies, Parlemens, etc.,
ccxxviii, dxxix.
Corps humain, xlviii, xci.
Cour, cxcix, ccii, ccxliv.
C0URTISAn[s], cxxviii, CCXX,
ccxxvi, ccxli, cclii,
cdxxii, dxxxi, dxcvi.
Coutume, xxi, ccxlix.
Crainte de Dieu, cxvi.
TABLE ALPHABÉTIQUE
267
Crimes, xli, cccxii.
Croyance en Dieu, dlxx.
Curé de campagne (mot
d'un), dxciv.
D
*** (Madame de),
dxlii.
D***, L***, (M.), DLxxxvii.
d*** (m.),dlxxx,dlxxxvii.
Dante, xciii, cdlxxxv.
Dard, cxxxii.
Défaut de pudeur,
CCCLXXXIV.
défauts, cxvii.
Défiance, cxvi.
Dégénération, ccclxxxi.
Délicatesse, cclxxiii.
Dépôt, lxxxiii.
Désillusion, cccxxxix.
Désœuvrement, cxliv.
Despotes, Despotisme,
CDLXXIII, CDXCII, DVI,
DXVIII.
Dettes, clxi.
Dextérité, clvi.
Diamans, lxxxviii.
Diderot (Denis), dlii.
Dîners, cxciv.
diogène, cxxiii, cclxxvii.
Divination, deviner,
CDXLIX.
Divorce, cccxcix.
DoMITIEN, DVI.
dorilas, xxxiv, ccxviii.
Dot, clxii.
DucHÈNE (André), cdlxx.
Ducs, xlii.
Du Ryer (Isaac), cdlxx.
r
econome, clxv.
Économistes, cdlviii.
Écrivain, cdxvii, cdxviii.
Écrivain (Repos de l'),
cdxxxvii.
Éducation, iv, ccxxxiv,
cccxxi.
Égoïsme, cxlvii.
Elévation, cxix,
cclxxxviii.
Éloges, lxxxv.
Éloquence, cdxliv.
Empire des femmes, ccclii.
Enfance, Enfant, iv,ccciv.
Enfans des femmes,
ccclxxxv.
Enfer (l'), cdxcvii.
Engouement, cccxlvi,
CCCLV.
Ennemi, cm.
Entêtement, clvii.
Épargne, cdlxxvi.
Épidermes, ccclix.
Érudits, Érudition,
cdxxxv, dlxxiii.
268
MAXIMES ET PENSÉES
Esclave, Esclavage,
cclxxxix, dxxijcdlxxxv.
Espagnols, dxvi.
Espérance, xciii.
Espion[s] de police, X,
CCXLVIII, DLXI.
Esprit, xx, xxvii, lxxxii,
lxxxiv, lxxxix, cxxxix,
cli, cxc, ccviii, ccxi,
ccxxi, ccxlvii, cdxx.
Esprit (Mot d'), dlxxviii.
Esprit d'autrui, cccxiv.
Esprit humain (L'), xlv.
EsTiENNE (Charles), cdlxx.
EsTiENNE (Henri et
Robert), cdlxx.
Estime, cxxxi.
Estime publique, xxv.
État sauvage, cdlxxi.
État social, cdlxxi.
Étiquettes, ccxlix,
cdxcviii.
Étranger, ccxxxv, div.
Être, cxxxviii.
Étudier, cccxxiv.
Europe, xviii.
Européens, ccclxxi.
Existence de Dieu, xxxiv.
(Voir : Providence el
Puissance spirituelle.)
Expérience, ccxxxix,
CCCXXXVII.
faiblessse, xcvii.
Faiblesse de carac-
tère, CCLXX.
Fantaisies, ccclix.
Fat, Fatuité, ccli.
Fausse modestie, clxxiii.
Faveur des femmes, ccclxii.
Favoris, ccvi.
Femmes, xix, ccxxiii,
cclxvi, cclxxix, ccxciii,
cccxxx, cccl, cccliii,
cccliv, ccclv, ccclvii,
ccclx, ccclxi, ccclxvi,
ccclxviii, ccclxix,
ccclxxxi, ccclxxxii,
ccclxxxiii, ccclxxxvi,
ccclxxxvii, ccclxxxviii,
cccxcv, cdxvi, di,
dxxxviii, dxlvii.
Femme d'esprit, ccclxxiii.
Femme laide, xlii, cdiv,
DLXXIX.
Fierté, cclxix.
Fierté de l'éléphant, dix.
Filles, ccx, ccclxvi,
ccclxvii, ccclxxxviii.
Filles d'Opéra, ccclxxv.
Filouterie, clvi.
Flatteurs, dviii.
Fléaux physiques, lxvii.
TABLE ALPHABETIQUE
269
Folie, lvii, lxxxi, cxlix,
ccxx.
fontenelle, cccxciii.
foralns, dlx.
Force, cccxii.
Forêt de Bondy, cclxxv.
Fortune (La), cxxv, cxlii,
CLXII , ccxxi , CCXXXIII ,
cccxxix, CCCXXXII,
DXLVIII.
Fortune (Faire), xlix, cvi.
FouRQ... (Madame de), dl.
Fous, CXLIX.
Français (Le), cdlxxv,
CDXCVIII, dxvii.
Français (Mauvais),cclviii.
France , lxxxix , cdxciii ,
cdxciv, cdxcviii, d, du.
Frères, cxlviii.
Fripons, Friponneries,
XjXII, CXCVIII.
Frivolité, ccix.
gaîté, xxxi.
Galanterie, ccclxiv,
ccclxxix, cdxv.
Gallois (Abbé), cdlxx.
Gama (Vasco de), dxxv.
Généalogie, ccxxiv.
Généreux, clx.
Générosité, clx, cccxviii.
Genre humain, cccvii.
Gens de la Cour, cxcix,
ccxix.
Gens de lettres, cdxxvii,
CDXXXI, cdxlvii, cdl,
CDLVII, CDLIX, CDLXI,
CDLXII.
Gens du monde, cxcii, cxcix.
Gens faibles, cxxxiii.
Gens malhonnêtes, dlxxii.
Gentilhomme, cdlxxviii,
CDLXXIX.
Gentilhommerie, ccxxxii.
Gloire, xxxii, lxx, lxxxv,
c, en, cxx, cxxxi, clxvii,
CDLXI.
gouts, ccclv.
Gouvernement, lxvii.
Gouvernement despotique,
DXCIX.
Gouverner, dxxii.
Gracchus (Tiberius),
cdlxxxiii.
Grandeur, ccxxii.
Grandeur d'ame, dxlviii.
Grands, lxi, ccvi, cclxvii.
Grands Seigneurs, ccxvi,
CDXXX.
Gresset (J.-B.), cdxli.
GuÉMÉNÉE (Prince de), cxci.
Guerre des Femmes,
CCCLXVI.
Guibert (M. de), cdxcix.
270
MAXIMES ET PENSÉES
habileté, clvi.
Haine, cxxxvi.
Harangue, xliii.
Hasard, lxii.
Helvétius (C.-A.), XIV,
Heraclite, ccxxix.
Héritiers, clxi, dlxxxiii,
Heureux , cxxiv , clii ,
CCLXXI.
Heusippe, cdxlviii.
Histoire , xxx, cdlxxiv ,
cdlxxxii, cdlxxxvii.
Hollandais, clxi.
Homme (L') ou Hommes (Les)
vii, xviii, xix, xxxiv,
XLVi, lu, lv, lvi, lxiii,
LXIV, LXV, LXIX, LXXI,
LXXV, LXXXVI, XCIV,
XCVIII, CVII, CVIII, CXVIII,
CXIX, CXXVI, CXXVIII, CCVI,
CCIX , CCXVIII , CCXXIX ,
CCXXX, CCXXXVIII, CCXLV,
CCLXII , CCLXIX , CCLXXI ,
CCLXXIII, CCLXXV, CCLXXVI,
cclxxix, cclxxxvii,
cclxxxviii, ccxci, cccix,
cccxxviii, cccxlii, ccclv,
ccclvii, cdxvi.
Homme droit, cclxxviii.
Homme de génie, i.
Homme de goût, cdxxxiv.
Homme de qualité, ccxxiv.
Homme de lettres,
cdxxxii, cdxxxvi, dlii.
Homme d'esprit , xxxvii ,
xcvi, cclxvi, cclxxvii,
cdxlvi, dxxxvii, dlxxviii.
Homme (grand), cdxxix.
Homme (honnête), xii, xx,
xxv, xxxvii, xcvi, cii,
civ, cxli, cliv, cccxxxix.
Hommes du monde, cxxvii,
cclxxxiii.
Homme du Peuple, xi.
Homme riche, xciv.
Homme sage, cxxvii, clxviii.
Homme sans principes,
cxxix.
Homme vertueux, cii.
Honnêtes gens, xlix.
Honneur, lxix, c, cxxxi.
Hôpitaux, lxxvii.
Hostie, cccx.
hottentots, ccxlix.
Humanité, ccclxxxv,
cdlxxii, cdlxxiii.
Hydropique, cxxi.
Hymen, cccxcii.
idées, v, cxlv.
Idée morale, clxxxiv,
cccxcvii.
Idées du public, cclxxx.
Ignorants, dlxxii.
TABLE ALPHABÉTIQUE
271
Illusions, xlvii, lxxvi,
CLIII, ccxcvi , cccxxxv ,
cccxxxix.
Imagination, ccclxxxiii,
DXLIV.
Immortalité de l'ame, xxiv.
Importance, lx.
Indécence, ccclxxxiv,
cccxcvi.
Indécision, cccxxxviii.
Indépendant, xciii, cclxxxi.
Indifférent, dlxxxvii.
Individualisme, lv.
Indulgence, cxliii.
Infidélité, dxli.
Injures du tems, cxv.
Injustice des hommes, cxv.
Insensibilité, ccix, ccxv,
CCLXXIX.
Institutions sociales, dxiv.
Intendans, dxcviii.
Intérêt, xcix, clxix.
Intérêts des princes,
cdlxxxvi.
Invalides (Les), cdxcix.
Italie, dxci.
Italiens, dlxiv.
IXION, XCV.
jansénisme, cccxliii.
Jeune homme, ccxiii.
Jeunes femmes, ccclxiii.
Jeux, cxlv.
Joies, cccix.
Jolie femme (Mot d'une),
DLXXXII.
Jouir, cccxix.
Journées, lxxx.
Juge, cxxviii.
Jugement des poètes, cdxix.
Juger, cxl.
Juste, cm, clx.
Justice, ccxcii.
L*** (Madame de),
CCXCIII.
L*** (M. de), dxli, dxlii,
dlxvii,
La B. [orde] (M.), cccxxvii.
La Bruyère (J. de), xiv.
La Fontaine (Jean de),
CDLXVII, CDLXX.
La Motte (H. de), cdlxvii.
La Trémoille (M. de), dlv.
Langues, cclix.
Langue française, dlxix.
La Rochefoucauld (F. de),
XIV. ^
Lectures, cxlvi.
Légaliser, cxxxiv.
Légitimer, cxxxiv.
Lettres, cccxxxv,
CDXXIX.
Lézards, ccxxvi.
272
MAXIMES ET PENSEES
Liaisons, ccxxiii, ccxxxvii,
ccxlii, ccclxxii.
Liberté, dxxi.
Livres, m, clxxvii, cdxxvi,
cdlii, dxc.
Livres de Morale, xv.
Livres de Sermons, xv.
Locke (Jean), xlv, clxvii.
Longuerue (Abbé de),
CDLXX.
Louis XIV, cdlxx.
Louis XV, cxci.
Louis XVI (Mot de),
DLXXXI.
Lucien (de Samosate), xiv.
Lucrèce, cdxxxix.
Luther, dxxv.
M
DLII.
*** (M.), CXCVII,
CDXLIX, DLXVIII.
M*** (M. de), cccxxxiv.
Macao, ccxxxv.
Magistrats, clxxxii
CCXLV.
Maîtresse, ccclxxviii.
Mal (Le), xxxiv.
Malades, lxxvii.
Malheureux, clii,
ccclxxxvi.
Malheurs, clxix,
cccxxxvii.
MaNDEVILLE (B. de), XIV.
Manon Lescaut, ccxciii.
Mari, cccxcv, cccxcviii, dl,
dlxxx, dlxxxi, dlxxxii.
Mariage, ccclxviii,
ccclxxxix, cccxc,
cccxci, cccxciii, cccxciv,
cccxcv, CCCXCVI, cdxii,
cdxv, dxlix.
Mariage inconvenant,
cccxcvii.
Mauvaise compagnie,
clxxviii.
Mauvaises mœurs, ccxciv.
Maux de la Nature,
LXXXVII.
Maximes, i, cl, ccxciii.
Maynard (François),
CDLXX.
Méchans, xxxvi, xcvi,
cxxii, cxxxiii, dlxv.
Médecine, xvii.
Médecins, xlvi, xlviii, dliii,
dlxxxiii.
Mélancolie, dxciii.
Mémoires, cdliv.
Mendiant, xi.
Mendicité, cclii.
Mépris, Mépriser, xi, xxxi.
Mercure de France,
DLXXV.
Mérite, cccxxxiii, cdxciii.
Mésalliances, cdi.
TABLE ALPHABÉTIQUE
273
Messe du Roi, dxcvii.
Métaphore, cdxxviii,
cdxcviii.
Métaphysique, Métaphysi-
ciens, CCXCIII, CDXXI.
Militaires, xxxv.
MiLTON, LXII.
Minerve, dxxxv.
Ministres, cciii, ccxxv,
cdlxxxix, cdxc, cdxci, dc.
Misanthropes, cclviii,
CDLIII.
Misanthropie, cclxx,
DLXVII.
Mode, clxiii, dlvi.
Modernes, cdxxiv.
Modestie, cclxix, dlvi.
Mœurs anciennes, cccvi.
Moi, cclxxxvi, dxviii.
Moines, dlxxxix.
Molière (J.-B. Poquelin
de), cdlxx.
Monarchie, cxc.
Monde (Le), xii, xxvii,
xxxi, xxxiii, xliv, cuv,
CLXXVII, ce, CCI, cciv,
ccix, ccxiii, ccxiv, ccxvi,
ccxxix, ccxxxvi, cclvii,
cclxix, cclxxi, cclxxix,
ccxciv, cccxxiii,
cccxxxii, dxxx.
Monde moral, l.
Monde physique, l.
Montaigne (Michel de),
xiv, ccxxii.
Montesquieu (Ch. de),
CLXVII.
Morale, c, cxii, cccxxi,
cdxliv, cdlxxii.
Morale pratique, cdxlviii.
Moralistes, xiv, ccxciii.
Mort, xxvi, lxxxvii, cxiii,
DLL
Mortalité, xviii.
Mots, c.
(( Moulin DE Javelle » (Le),
LXI.
N*** (M. de), DLXVII.
Naquart (Madame),
DI.
Narcisse, ci, cclx.
Nation, du.
Nature, ix, xxvii, lxxi,
lxxiv, lxxvi, lxxviii,
XCVIII, CXIV, ccxxx,
CCLXXXI,CCCLXXXVII,
CDLXXX. ^
Nature humaine, xiv, lxvii.
Nécessité, xciv.
Nègres, cxx.
Nobles, xxiii, dx.
Noblesse, xv, cdlxxvii,
DXII.
21
274
MAXIMES ET PENSEES
Nouveaux Amis, ccciii.
Nouvelliste, lxxxix.
Nymphes, clxxxiv.
Opinion, v, xxi, xxvii,
lviii, xcii, c, cm,
CXLI, ccx, cccxliv.
Opinion des femmes, cdxiii,
CDXIV.
Opinion publique, v, xcii,
civ.
Orange, dlxviii.
Orateurs, xv, lxxxv.
Ordre public, ccxlv.
Orgueil, cxii.
OSMOND (M. d'), dli.
Ouvrage[s], cdxxxiii,
cdxxxviii, cdlxiv.
Pairs, xlii.
Paix, dxlv.
Pandémonium, lxv.
Paons, cdl.
Paraître, cclxiii, dxlvii.
Pardonner, ccclxix.
Paris , cdxcv , cdxcvi ,
CDXCVII, DI, DLX, DLXI.
Parenthèse (Art de la),
CCXLIII.
Paresseux, i.
Parlements, ccxxviii.
Parole, ci.
Partis violens, cccxl.
Pascal (Blaise), cccxliii.
Passionné, dlxii.
Passions, xlvi, xlvii, lxx,
lxxi, lxxii, lxxiii, lxxiv,
cxviii, cccxxin, cccxxv,
cdlvi.
Passions des femmes, ccclv,
CD.
Patrie, div.
Pauvres, cclxix, cclxxxi,
DX, dxx, dxcvi.
Pauvreté, cccxii, cccxxxv,
DLXXXVI.
Paysan français, dxv.
péchés, ccvii.
pédant, pédanterie,
ccxxxviii, dlxxiv.
Peintre, cclix, cdlxvi.
Peixoto, clxxxvi.
Pékin, ccxxxv.
Pensée, xxix, ccxx.
Penser, cxl, ccclxxvii.
Perfection en amour
CCCLXXX.
Perrault (Ch.), cdlxx.
Perses (Les), cclxxxix.
Pervers, dlxvi.
Petite fille (Mot d'une)
DXCI.
Petits, lxi.
Peuple[s], cdlxxxvii, dxix,
DXXIV.
TABLE ALPHABETIQUE
275
Philosophes, xv, xliii, lui,
LXXIII, LXXXV, LXXXVI,
CLXVII , CCLIV , CCLVIII ,
CCLXVII, CCLXVIII, CCLXXIV,
cclxxxii, ccxcii, ccxciii,
cdxxii, cdxlviii, cdliii,
cdlxix, dvh, dlxxxix.
Philosophie, v, xvii, xxxi,
ccxxxii, cdxxxv, cdxliv.
Physionomistes, ccxx.
Physique, ccxciii.
Pièces de rapport, cxxvi.
Pierre-le-Grand, dxxvi.
PiNETTI, CDXLV.
Places, cdxciii.
Plaire (Art de), cvi, cclxi,
ccxlvii, cdxxiii.
Plaisanterie, xx, cxcvi,
CCXLVI.
Plaisirs, v, cxlii, cliii,
CLXXI.
Plantin (Ch.), cdlxx.
Platon, cdxlviii.
Plébéien, dx.
Plutarque, cxl, dxxxix.
Poésie, ii, cdxxv, cdxliv,
dlxxi, dxcii.
Poètes, xv, xvi, lxxxv,
cdxix, cdxxxvi, cdl,
cdliii, dlxi, dlxx, dxcii.
POLÉMON, CDXLVIII.
Politique, cdxliv, cdlxxii.
Politiques (Les), xiv.
Pope (A.), cdxvii, dlxi.
Postérité, xxxv, lxxxv,
CDLXII.
Préjugés, clix, clxvii,
CCXXXII.
Prestige, xlvii.
Prétentions, xlii, cxi, ccl.
Prêtres, xxii, cxxviii,
CDLXXXV.
Prévoyant, clxix.
Primer, lxiv.
Princes, ccv, ccx, ccxxxi,
ccxxxiv, ccxxxix, dxcvi.
Princes étrangers, xlii.
Principes, cxxix, ccxxv.
Probité, cclxxiii.
Procès, xcix.
Procureur, cxxviii.
Protection, cccx.
Proverbe hollandais,
DXLVI.
Proverbe indien, clv.
Proverbe italien, dlxv.
Proverbe turc, dlxiv.
Providence «(La) , xxxiv ,
lxii, dlxv.
Prudence, xxxviii, cxxvii,
CLXVIII, CCXCII, cccxxi.
Public, xc, xci, xcix, cxli,
ccxl, du, diii, dlviii.
Puissance spirituelle, dcii.
21*
276
MAXIMES ET PENSÉES
Pureté, clxviii.
QUALITÉS, CCLVI,
CCCXXXVII.
QUINAULT (Ph.), CDLXX.
RACINE (Jean), cdlxx.
Raconter, lxxxix.
Raillerie, cxcvi.
Raison, xix, xxxix, xlvi,
LXIII, lxxi, lxxiv, lxxxii,
CXVIII, CLIX, CLXXIX,
clxxix, cclxxiii, cclxxvi.
Récompense, cxlvi.
Reconnaissance, dlxxxiv.
Recueils de vers, ii.
Redites, ccclxxvi.
Religion, xxii.
Remède, dliii.
Renommée, cxxxi.
Réorganisation sociale,
dxxx.
Repas, cxcv.
Réputations de théâtre ,
CDXLII.
Réputations littéraires ,
CDXLII.
Ressemblances, clxvi.
Retraite, cclxxxiv.
Réussir, cvi.
Révolutions, dxxv.
Rhétorique d'aristote,
cdxxviii.
Rhume négligé, cclxiv.
Riche, cclxxxi, dx.
Richesses, cxxi, cccxxxii.
Rire (Le), lxxx.
robinson, cxliv.
Rois, ccclxiii, cdlxxxv.
Romanesques, lxxviii, cvii.
Romans, cccxci.
Rosiers, dxliv.
Rousseau (J.-J.), cxl,
cclxxxiv, cdxvii.
Routines, cl.
Ruse, clvi.
Sages, cxlix, cclxxxiii,
CCCLXIV.
Sagesse, cxvi, cxlix.
Saint-Augustin, dlxv.
Saint-Domingue, xxxv.
Sainte-Thérèse (Mot de),
CDXCVII.
Salons, clxxxiii, cclvii.
Samson, géographe, cdlxx.
Santé, cxx, cccxxxii.
Sauvages, xxiv.
Savoir, cdxlix.
Savoir-vivre, cclxxiv.
Scaliger (J.-C), cdxxi.
Scandales, ccclxxiv.
Scaurus, cdlxxxiv.
SciPiON Nasica, cdlxxxiii,
CDLXXXIV.
TABLE ALPHABÉTIQUE
277
Secret, lxxxiii.
Secrétaire du roi,
cdxlviii.
Sejan, ci, cdlxxxi.
Sénèque le philosophe,
xliii, cclx,
Sensibilité, clxxii.
Sensibles, clv.
Sentimens, xc, clix, ccxci,
cccxlvii.
Sentir, ccclxxvii.
ShAFTERSBURY (AnT.). XIV.
Sicile, dlix.
Siècle de Louis XIV,
clxxviii, cdxcii.
Siècles, xcii.
SiGISBEE, CD.
Sociabilité, cclxxvi.
Société (La), vu, viii, xxvii,
xxviii, lxvii, lxxxvii,
xcviii, cxxviii, clix,
clxxix, clxxx, clxxxi,
clxxxiii, cxciv , cxcviii ,
ccxiv, ccxxx, ccxxxv,
ccxxxvi, ccxlv , cclv ,
cclvi , cclvii , cclxxv ,
cccvii, cccxxii, cccxxiii,
cccliv, dx, dxxiii.
Société civile, ccxc.
Société humaine, dxxiii.
socratb, cdxlviii.
Solitaire, cclxxii, ccxc.
Solitude, cclxxi.
Songes, dxxxvi.
Sophiste, cdxlv.
Sots, xxxvi, xxxvii, xl,
liv , lviii , clxxxvi ,
clxxxviii , clxxxix ,
CXCVII, dlxxii.
Sottise, xix, xl, lvii, lviii,
lix, lxxxi, cxxx, cxxxix,
clxvii, cxc, ccxvi,
ccxxxii, div.
Sous-entendus, cccv,
ccclxxxii.
Sourd, xxviii.
Spartiates, cclxxxix.
Spécifiques, xvii.
Sperone-Speroni, cdlxiii.
Stoïcisme, stoïciens,
cccxiii, cccxliii.
Succès, cdli.
Succès de théâtre, cdxliii.
Succès littéraire,
CDxxxviii, cdxliii.
Suicide, cdlxxxv.
Supériorité, cxi.
Swift (J.), xiv, cdxvii.
Sylla, cdlxxxiii.
« Système de la Nature »
(Le), dlxxxviii.
Système social, xxvii.
278
MAXIMES ET PENSÉES
TACITE, CCXCIII,CDLXXXII,
cdlxxxiv.
Tact, cdxxvii.
Talens, cxxxvii, ccliii,
cccxxxiii, cdxvii, cdxx.
TaLLEMANT (P.)) CDLXX.
Tantale, lxx.
Tartares, cclxviii.
Tartufe, cdlxviii, cdxcii.
Tempérance, ccxcii.
Tems, clxxi.
Terray (abbé) , cccvi ,
DLXXIV.
Terres australes, xviii.
Testament, lxxv.
Théâtre, xvi, cdlx.
Théâtre tragique, lxxix.
Théologie persane, xxxiv.
Théologiens, dxxxiv.
Théophraste, cdxlviii.
Tibère, cdlxxxi, cdlxxxii.
TlGELIN, ci.
Tite-Live, cdlxxxiv.
Titus, ci, cdlxxxi, dvi.
Tocsin, d.
Torts, ccxlvii.
Toscane (Duc de), cdlxix.
Travail, cdlxxiii.
Travail (Goût du), cxx,
cdlxxiii, dxxx.
Travaux, cxliv.
Travers, lvi, ccxlvii.
Trésor royal (Le),
CDLXXVI.
Tristan l'Hermite, cdlxx.
Turquie, cdlxxxviii.
Tyrannie, cccx.
Tyrans, cdlxxiv.
u
V
SAGE, CCXLIX,
ALEUR DES HOMMES
lxxxviii.
Valois (Adrien de), cdlxx.
Vanité, cv, cxii, cxxxii,
clix, ccix, ccclviii, cdu,
CDLXI.
Vanité littéraire,
CCCXXXIII, CDLVII.
VÉRITÉ, XXVII, CLIII, CLIX,
CCCXLII.
Vers, cdxix, cdxxv, dlxxi,
DXCII.
Vertus, lxix, xc, cviii,
CXXXVII, CXXXIX, CLXXVI,
ccliii, cclxxiii, cccxlii,
cdxxxiii, dlxxxvi.
Vertu (Acte de), cxlvii.
Vertu (Amour de la), cxx.
ViCCLEFF, DXXV.
Vices, ex, cxvii, cxxxviii,
CXXXIX, CLXXVI, ccxv.
TABLE ALPHABETIQUE
279
Vie, XXI, lxxxvii, cxxv,
CLXXII, DLXVIII.
Vie CONTEMPLATIVE, CCCXLI.
Vieillards, cccxcvii,
DLXXXV.
Vieillesse, cxxviii, dlxxvi.
ViETE, CDXIX.
Virgile, ccc.
Vivre, cxiii, cclxxvi.
Voleurs, dlix, dlx.
Voltaire, cdxvii, dxxvi.
Vouloir être, cxxxviii.
Voyage, dxci.
Voyageurs, xxiv, cdxxxi.
Vrai (Le), xxvii.
Xénocrate, cdxlviii.
Xentippe (Voir
Heusippe), cdxlviii.
TABLE
AVANT-PROPOS V
NOTES SUR N. CHAMFORT, PAR P.-L. RŒDERER. . . , XIII
AVERTISSEMENT DU PREMIER ÉDITEUR XXXIII
QUESTION ET RÉPONSES XXXIX
MAXIMES ET PENSÉES
I. MAXIMES GÉNÉRALES 1
H. SUITE DES MAXIMES GÉNÉRALES 31
III. DE LA SOCIÉTÉ, DES GRANDS, DES RICHES, ETC. . . 57
IV. DU GOUT POUR LA RETRAITE ET DELA DIGNITÉ, ETC. 91
V. PENSÉES MORALES 103
VI. DES FEMMES, DE l' AMOUR, DU MARIAGE, ETC. . . 121
282 TABLE
VII. DES SAVANS ET DES GENS DE LETTRES 141
VIII. DE l'esclavage ET DE LA LIBERTÉ, ETC 161
SUPPLÉMENT AUX « MAXIMES ET PENSÉES » 185
PETITS DIALOGUES PHILOSOPHIQUES 205
QUESTION 231
qu'est-ce que la PHILOSOPHIE ? 237
NOTES ET VARIANTES 249
TABLE ALPHABÉTIQUE DES « MAXIMES ET PENSÉES » . . 261
TABLE DES MATIERES 281
:: ACHEVÉ d'imprimer ::
PAR GEORGES SUPOT, IMPRIMEUR A ALENÇON
LE XXVIII JANVIER MCMXXIII
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Jha.'nfort, Sebastien Roch
-axL-îies et Pensées
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