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ftartiarli Collège Etbraco
PROFESSORSHIP OF
lATIN-AMERICAN HISTORV AND
ECONOMICS
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MAXIMILIEN
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LE MEXIQUE
TAJilS. ilIPnlMERIE BDOUABD BLOT, RUE TCRbNNB, 66.
L'empereur muimillea et l'impératrice Cbulolta.
MinmoD. Htaiei. Hejia.
CHARLES D'HÉRICAULT
MAXIMILIEN
ET
LE MEXIQUE
HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
DE l'empire MEXICAIN
PARIS
GARNIER FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS
6, RUE DES SATNTS-PàRES, ET PALAI8-B0TAL, S15
1869
^A34-V7' ^1
'-'V -(VARD COLLEGE UBRAAV
AU6 26 1920
UTIM^M£RICAK
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HISTOIRE
DES DERNIERS MOIS
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L'EMPIRE MEXICAIN
PREFACE
Au milieu de leté de Tannée 1792, un
voyageur anglais traversait les provinces du
nord de la France. II se rendait à Paris, oh
il devait assister à la catastrophe du 10 août.
Il était, comme tous les honnêtes gens de
l'Europe d'alors, ému de l'insolente agres-
sion du 20 juin ; comme à tous les étrangers
intelligents, il lui semblait entendre les der-
2 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
niers craquements du vieux et glorieux trône
de France, et il restait stupéfait de voir,
le long de sa route, en ce moment de su-
prême angoisse qui suivait tant de troubles
et qui précédait immédiatement le plus grand
bouleversement des temps modernes, les
paysans danser en rond sous les ormes touf-
fus. Il se rappelait, dit-il, le temps où, peu
d'annéerf-âuparavant, à son premier voyage
en France, la plus épouvantable convulsion
de la nature eût paru de peu d'importance à
côté de ridée de détrôner un roi ; et il ajoute :
« Il est vrai que ce peuple est si éton-
namment oublieux ! Puis il faut rappeler que
c'est jour de dimanche ; or je ne sache pas
qu'il y ait un Français qui puisse avoir l'air
triste quand il se sait bien habillé^ quand il
porte ses vêtements de fête. »
Ce trait de l'histoire des temps révolu-
tionnaires m'est revenu à la mémoire; —
comment ne pas songer un peu à Louis XVI
DE L'EMPIRE MEXICAIN 3 .
quand on pense à Maximilien ! — et je me
demande sî nous sommes encore ce môme .
peuple oublieux? Joyeux, nous ne le parais-
sons plus, je le sais; nous avons peu d'occa-
sions de montrer nos vêtements de fête ; et
nous ne sommes plus des enfants, il nous
est besoin d'autre chose que de beaux habits
pour nous mettre en joie : il nous faut une
grosse bourse, ou Tivresse/Nous sommes un
peuple d'hommes.
Mais cette faculté d'oubli, la presse, en
nous déroulant chaque jour son panorama
européen, ne Ta-t-elle pas accrue? Et jus*
qu'à ce que cette presse, en s'étendant, en
se purifiant, et en nous intéressant plus
aux choses publiques^ guérisse les maux
qu'elle a faits, ne sentirons-nous pas^aug-
menter en nous cette aimable facilité que
nous possédons de nous pardonner vite les
■
fautes que nous avons faites et les sottises
commises?
4 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Par une assez rare exception, on n'a pas
encore oublié Maximilien et son empire. Sur
ce sujet les publications foisonnent. Elles
abondent en AUemagna et en Espagne, sans
qu'elles paraissent diminuer en France. Il y^
a là, pour nous, un souvenir importun que
nous ne paraissons pas pouvoir éloigner
avant d'en avoir sondé toutes les tristesses.
Souvenir humiliant que nous retenons, tout
en le voulant chasser, comme un mal que
l'on veut guérir et que l'on active en y tou-
chant sans cesse et sans savoir s'en empê-
cher. Puis peut-être sentons-nous que ce
mal, bien entretenu, nous en évitera d'autres
plus grands, et qu'il y a là une leçon bonne
à répéter, pour pousser les foris à l'hu-
milité et les faibles à la vigilance.
Une seule portion de cette histoire est jus-
qu'ici restée dans l'ombre : c'est sur celle-là
que je voudrais jeter quelque lumière.
Je retrouve bien fraîche dans ma mé-
DE L'EMPIRE MEXICAIN 5
moire et dans mon cœur l'impression qui
saisit les diverses classes de la société pari-
sienne, l'an dernier, au commencement de
juillet, quand on apprit la mort de Maximi-
lîen. Ce ne fut pas ce sentiment d'effroi et
d'horreur qui eût bouleversé nos pères à la
pensée de l'assassinat d'un roi : ce fut ce que
peut être une émotion dans notre iemps las
etblasé, d'où la puissance de l'enthousiasme
comme celle de l'indignation semblent s'être
retirées; ce ne fut qu'un frémissement, mais
général, suivi d'un instant de stupeur et de
tristesse. Stupeur et tristesse, c'est d'ailleurs
tout ce que des âmes sceptiques et énervées
peuvent donner comme marque de la plus
vive émotion.
Puis les railleurs, les farceurs journaliers
vinrent à leur curée habituelle. Quelques-
uns d'entre nous, qui avaient aimé Maximi-
lien, ne purent retenir, malgré le mauvais
goût d'un tel procédé, le premier élan de
6 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
rindignatîon, non pas contre les farceurs,
grand Dieu! mais contre les bourreaux.
Le vieux sang jacobin qui, même lui, dort
dans les veines de nos contemporains, se
réveilla. Ceux-là qui ont aboli la peine de
mort pour tous , excepté pour les princes ;
ceux qui se sentent fiers d*être hommes en
voyant tuer un roi ; ceux pour qui la répu-
blique justifie les moyens et qui ne peuvent
admettre que Ton soit barbare si l'on combat
une monarchie ; les doux mathématiciens de
la cruauté qui disaient magistralement: Il a
voulu punir des brigands de la peine capi-
tale, qu'il meure! tous ceux-là tranchèrent
sur la masse. Ils se réjouirent.
Mais cette masse, c'était bien la tristesse
qu'elle ressentait. Elle savait que ce prince,
condamné comme cruel par de féroces métis,
était le plus doux, le plus généreux des
hommes, le plus libéral des princes. Elle
savait dans quelles circonstances, sous quelle
DE L'EMPIRE HEXIGAIN 7
pression, après quelle lutte, il avait signé ce
décret d'octobre, le seul crime qu*on lui re-
prochât, à lui qui n'avait jamais refusé une
grâce. Elle savait surtout, — et c'était l'insup-
portable angoisse — que c'était à notre suite,
sur nos instances, sous notre sauvegarde
qu'il avait consenti à aller là-bas. Nous lui
avions promis de ne pas l'abandonner, et
nous partions, renvoyés par les États-Unis,
après avoir employé nos dernières heures,
sagement peut-être mais rudement, à lui
détruire son armée, et il restait, lui, pauvre
prince ruiné, sans troupes, sans amis, quand
nous, grand peuple, nous étions contraints
de déguerpir. Encore nous songions à la
honte de ceux qui se faisaient les juges de
Maximilien , de ceux qui ne l'avaient pas
vaincu, mais acheté, de ceux qui se disaient
un peuple et qui n'étaient que des tyrans.
Malgré l'appui, les armes et les hommes des
États-Unis, ilsavaientconstammentfui devant
8 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
un corps de 20,000 hommes, ils ne s'étaient
arrêtés que quand on avait cessé de les pour-
suivre, et ils se vengèrent de leur fuite, de
leurs peurs, de leurs incessantes défaites, de
nous, de l'Europe, sur cet homme si bon,
maintenant qu'il était seul, désarmé et trahi.
L'indicible mépris pour les Mexicains, que
nos soldats avaient rapporté de cette expé-
dition, nous rendait la victime de Lopez et
d'Escobedo plus intéressante encore.
A côté de ces émotions, se faisait jour un
étonnement profond dans l'esprit de ceux qui
s'étaient occupés de cette affaire du Mexique.
Nous ne pouvions comprendre comment
Maximilien en avait été réduit si vite aux
dernières extrémités ; les derniers soldajs de
l'intervention française revenaient à peine.
A chaque courrier rentraient quelques-uns
de nos amis qui avaient pris, par les États-
Unis, le chemin des écoliers. C'était la veille,
nous semblait-il, que cette armée de Tinter-
DE L'EMPIRE UEXICAIN 9
vention et les Européens que nous rencon-
trions avaient laissé l'empereur fort tran-
quille dans sa capitale. Nous ne tenions pas
compte des cent incidents qui avaient signalé
les derniers mois de l'occupation française
et les quatre mois pendant lesquels Maximi-
lien avait régné seul. Nous étions faussement
renseignés sur les faits de la première de ces
deux périodes, et nous ignorions complète-
ment ce qui s'était passé ensuite.
Telle est encore, ou peu s'en faut, la situa-
tion où nous sommes aujourd'hui.
C'est cette partie, la plus douloureuse
pour nous, et la plus ingrate, .sans doute,
mais la plus obscure, la plus poignante et la
plus importante de l'histoire de l'empire
mexicain que je me promets d'étudier. Cette
étude n'a pas encore été faite, du moins à
ma connaissance; elle se fera, plus tard,
complètement et de la façon la plus curieuse,
à l'aide de révélations et de récriminations.
1.
10 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Peut-être pourrai-je dès aujourd'hui, bien
que je n'aie ni l'intention ni le pouvoir de
dire tout ce que je sais, et bien que je ne
sache pas tout, redresser quelques erreurs,
et donner lieu à mainte rectification. En tous
cas, j'arrêterai nettement les principaux
points de cette histoire de façon à permettre
un jugement définitif sur les mémoires et
documents qui seront publiés plus tard .
Ce n'est pas seulement l'intérêt de la vé-
rité qui m'a poussé à cette étude : j'y ai
été d'abord entraîné par une sorte de curio-
sité, de fantaisie patriotique. Comment le
dirai-je?
Nous avons tous, au temps de notre en-
fance, entendu raconter, par l'un des héros
mêmes, quelques épisodes de la retraite de
Russie. Le conteur, bon Français, ce vieil
amoureux de la chose militaire et de la fine
rhétorique, — rem militarem et argutè loqui^
— et qui n'est jamais plus heureux que
r
DE L'EMPIRB MEXICAIN 1i
quand il peut réunir ses deux défauts en un
et raconter ses batailles; le conteur, notre
grand-père, le grand-oncle, quelque vieil ami
de la famille, quelque vieux domestique, redi-
sait les anecdotes héroïques dé cette terrible
épopée.
Nous, enfants, nous ignorions les angoisses
de nos grand mères : on ne nous avait en-
core parlé ni de la liberté perdue, ni de la
France à bout de sang, ni de la patrie enva-
hie ; et le narrateur chantait ses exploits avec
la complaisance du marin qui, du rivage,
chante les charmes delà mer en furie. Nous
écoutions haletants, inquiets, mais charmés,
ravis, l'un par tel incident, l'autre par tel
trait, que nous redemandions toujours.
L'un voulait qu'on lui dépeignît sans
cesse les grandes flammes illuminant les
coupoles d'or du Kremlin ; le second pâlis-
sait et tremblait, et il voulait toujours pâlir
et trembler en se faisant redire les grands
12 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
tourbillons de neige enveloppant les batail-
lons entiers ; il voulait toujours voir, accou-
rant derrière le rideau miroitant des collines
blanches, le régiment des cosaques, le nez
sur le col du cheval, la longue lance en
arrêt. Cet autre d'entre nous se cachait les
yeux à Taspect de ce pont de la Bérésina
qui sautait. Celui-ci regardait avec angoisse
ce gouffre qui s'ouvrait sous les chevaux des
lanciers polonais et de leur vaillant chef
Poniatowski; celui-là, plus sensible, ne vou-
lait entendre parler que de Vilna, que de
Varsovie, que des villes oîi nous avions
trouvé un instant de repos, une espérance de
salut.
Puis nous devînmes blasés sur tout cela.
Toutefois il y avait certains épisodes qui ne
nous laissèrent jamais sans frémissements.
On nous montrait les affamés tombant dans
la neige, les blessés se couchant à Tabri des
murailles des villages déserts, les traînards
DE L'EMPIRE MEXICAIN «3
furetant dans les maisons abandonnées, les
r
faibles se laissant aller au pied des sapins
couverts dégivre, les audacieux se lançant à
l'aventure. Mais voici l'ennemi! Alors un
homme énergique surgissait. A sa voix les
écloppés se redressaient, les traînards se ré-
unissaient. Grenadiers, hussards rouges,
marins de la garde, dragons de l'impératrice,
canonniers, tambours, officiers ou soldats
formaient un corps, prenaient une position,
mouraient glorieusement ou repoussaient
l'ennemi. Avec ce génie de la guerre, avec
cette vive intelligence des choses, avec cette
flexibilité, celte adresse, cette pénétration
qui distinguent les Français, ce peloton bi-
* garré, cette compagnie extravagante, ce ba-
taillon de blessés, ce régiment de traînards
faisait la trouée, regagnait le corps d'armée
et revoyait la bonne terre de France, dont la
pensée lui avait peut-être donné l'énergie
nécessaire au moment du danger suprême.
14 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
C'est quelque chose d'analogiie que je
trouve là-bas, en ces derniers mois de l'em-
pire mexicain ; ce sont les débandés, les éga-
rés de la retraite du Mexique, abandonnés
sur la terre étrangère après le départ de
notre armée, se réunissant pour résister, et
jouant un grand rôle en ces derniers
combats.
On devine quelles haines, quel désir
d'âpres vengeances nos victoires avaient ex-
cités chez les Juaristes, et quel sort menaçait,
notre armée une fois partie, les Français que
la nécessité, le hasard, les liens d'affaires,
de famille, ou d'attachement à Maximilien,
retenaient au Mexique.
Ces Français étaient nombreux. Les uns
habitaient les villes soumises encore à l'em-
pire, et ils étaient momentanément proté-
gés. D'autres étaient tout particulièrement
désignés aux vengeances : c'étaient les sol-
«
dats libérés du service militaire français.
DE L'EMPIRE MEXICAIN 15
qui, après avoir obtenu des concessions de
terre, s'étaient établis sur le sol à titre
d'agriculteurs et d'industriels. Quelques-uns
pallièrent notre armée, dans son mouve-
ment de retraite, — décembre 1866 à fé-
vrier 1867; — d'autres ne l'avaient pas pu
ou voulu.
Mais ils comprirent bientôt que la situa-
tion n'était pastenable. Les Juaristes s'avan-
çaient, les enfermant de toute part. Il fallut
forcer le cercle, qui se fermait. Quelques-
uns parvinrent à rejoindre, sur la route de
Mexico à Puebla, Tarrière-garde de l'armée
de l'Intervention ; d'autres furent pris, ex-
terminés ou enrégimentés par les républi-
cains. Une certaine quantité, enfin, parvint
à regagner le centre de l'empire. Nous ver-
rons comment, là, ils sentirent le besoin de
se réunir, de s'organiser, sous la conduite
d'un ancien officier français, d'une solidité
éprouvée, pour lors chef d'escadrons com-
16 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
mandant une compagnie de gendarmerie im-
périale mexicaine.
C'est leur histoire aussi que je désire
écrire.
Je veux donc dire comment ces braves
gens, que ne protégeait plus le drapeau de
la patrie et sur lesquels au contraire son
ombre, qui s'éloignait glorieuse, mais sans
fierté, attirait les colères et les vengeances,
comment ils surent montrer là-bas, seuls et
les derniers, les éclatants reflets de Tépée de
la France ; comment et au milieu de quels
faits pittoresques et émouvants cette petite
troupe fut bientôt considérée comme un
corps d'armée, le meilleur de l'armée impé-
riale et le plus redouté des Juaristes.
Cette histoire, je l'ai indiqué, se mêle aux
annales, encore peu connues, que je cherche
à restituer. Elle fait corps avec la chronique
de ces efforts politiques, de ces combats,
de ces sièges, chronique qui commence à
DE L EMPIRE MEXICAIN
il
l'automne 1866, au moment où Ton apprit le
prochain départ de T Intervention, et qui se
termine à la reddition de Mexico et à la
mort de Maximilien .
Mon récit, je l'emprunte en partie aux
documents officiels, en partie aux souvenirs
de soldats et de diplomates, qui étaient là.
Je n'affirmerai rien sans preuve que je
puisse montrer, sans témoin honorable que
je puisse nommer. Je l'écris avec le senti-
«
ment d'équité qui est la probité de l'his-
torien, mais sans aucune solennité. Je vou-
drais qu'il conservât toujours ce caractère
d'une narration de témoin oculaire, nar-
ration qui embrasse moins d'idées, mais
qui colore mieux les incidents, qui les des-
sine avec plus de vigueur , plus de naï-
veté et plus d'intérêt peut-être. Je me suis
défié des apologies, soit du gouvernement
français, soit du gouvernement mexicain,
soit de tout agent de ces gouvernements.
JS HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Je songe uniquement aux faits , non aux
personnes.
Je n'ignore pas toutefois tout ce que cette
aventure mexicaine renferme de mystères,
de mystères de fourberie, de vilenie, de lâ-
cheté. Je sais toutes les accusations lancées ;
je pourrai, chemin faisant, en détruire quel-
ques-unes, en confirmer d'autres, en pro-
duire de nouvelles.
Pourtant, si impartial que je me sente, si
bien renseigné que je me sois efforcé d'être,
et quelque précaution que j'aie pu prendre
au milieu de documents nombreux, souvent
contradictoires, je ne prétends pas pouvoir
juger en dernier ressort. Il faut laisser au
temps et à l'éloignement le soin de fondire ces
éléments de vérité, qui semblent aujourd'hui
contradictoires, et de préparer ces perspec-
tives un peu vagues, mais sereines, d'oîi se
détache cette vérité relative qui est la vérité
humaine. On balance alors plus équitable-
DE L'EMPIRE MEXICAIN 19
ment les fautes avec les difficultés. On est
moins retenu par cette crainte patriotique
d'affaiblir, en condamnant amèrement la poli-
tique nationale, Ténergie du pays et de réjouir
ses ennemis. Les petites faiblesses, les accès
d'égoïsme ou d'ambition, les obstinations,
les taquineries, les préoccupations de per-
sonne ou d'intérêt, les ruses politiques, les
exigences tyranniques, tout cela, qui paraît
si injuste, si insupportable à Theure du fait
et de la souffrance, tout cela reprend sa me-
sure. L'histoire intelligente, l'histoire indul-
gente, justement parce qu'elle est la consta-
tation de la'misère humaine, pèse toutes .ces
pauvretés en mettant en balance les services
parfois rendus et la bonne volonté fréquente,
et elle pardonne, elle admire quelquefois
même là où les contemporains maudissent
et raillent.
Je m'efforcerai donc d'approcher le plus
possible de cette calme impartialité. J'espère
20 ' HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
pouvoir pourtant, tout en restant juste,
payer mon tribut de reconnaissance à la
mémoire d'un prince digne de toute affec- "
tion, avec lequel je restai en relation depuis
la première heure qu'il mit les pieds sur
cette terre où il devait mourir, et qui voulut
bien me donner les plus nobles marques de •
son amitié et de son estime.
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 21
1
SITUATION GÉNÉRALE.
Les nombreuses discussions qui ont eu
lieu à propos du Mexique ont appris à tous
quels furent les mobiles de l'expédition.
Nous savons pourquoi, au lieu de nous bor-
ner à saisir les douanes de quelque ville et à
occuper Vera-Cruz, Matamaros ou Tampico,
nous fûmes amenés à fonder Tempire mexi-
cain; comment nous fûmes forcés d aban-
donner cet empereur que nous avions créé.
Sauver un peuple de sept millions d'âmeiâ,
qui, depuis cinquante ans de guerres civiles,
était devenu la proie de quelques ambitieux
s'appuyant sur une masse flottante de quel-
que dix mille aventuriers pillards et féroces ;
protéger ce peuple contre Tenvahissement
des États-Unis, qui Tentretenaient dans son
i
I
^
22 HISTOIRE DES DËRNIEHS MOIS
état de faiblesse et d'anarchie, qui lui
avaient déjà enlevé une partie de son terri-
toire et songeaient à lui enlever peu à peu
le reste; ouvrir au commerce européen le
pays le plus riche de l'univers; établir soli-
dement l'influence française au centre de
cet Eldorado; enfin préparer un point
d'appui pour les luttes futures qui doivent
^précipiter l'Europe et l'Amérique l'une sur
(l'autre : telles sont les idées que la politique
française invoqua pour expliquer son entre-
prise.
Idées, dans leur ensemble et dans leur
exposé, grandes et généreuses ! mais avaient-
elles été assez mûries? Étaient-elles réalisa-
bles? Prit-on le moyen de les mener à bien?
En tout état de cause, les difficultés évidentes
de l'entreprise n'étaient-elles pas mathéma-
tiquement supérieures aux bénéfices, et nos
voisins n'avaient-ils pas raison de dire que
le jeu ne valait pas la chandelle ?
DE L*ËMPIRE MEXICAIN 23
r
I Mûri, le projet devait l'être, car, bien que
I je sois le premier à le dire, je puis assurer
r .qu'il avait été présenté par le gouvernement
français à Tarchiduc Maximilien trois ans
avant la signature du traité de Miramar.
L'événement semble avoir prouvé que c'était
une utopie, dans l'état actuel et en présence
des menaces de la politique européenne ;
mais surtout on ne prit pas le seul chemin
qui menait -logiquement à Mexico. C'était
par la Nouvelle-Orléans qu'il y fallait aller.
Jouer contre les États-Unis le rôle qui avait
si bien réussi à ceux-ci dans leurs relations
avec le Mexique; profiter de la faiblesse,
entretenir la guerre civile, ou plutôt preûdre
délibérément parti pour le Sud et briser
ainsi Teffrayante puissance des Américains,
c'était, selon l'opinion généralement admise,
le seul moyen de réussir.
L'établissement d'un empereur autrichien
au Mexique valait-^il les chances que cette
21 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
terrible guerre eût fait courir à la France?
Notre gouvernement parut le croire, mais
ces chances il les voulait partager avec l'An-
gleterre. Celle-ci, à trois reprises différentes,
refusa de s'allier avec nous contre les fédé-
raux. Dès lors, il n'y avait plus qu'à compter
sur la Providence et à supposer qu'elle pren-
drait assez en gré les vœux de la politique
française pour permettre à cent mille con-
fédérés de lutter éternellement contre un
million de fédéraux.
On n'avait pas d'ailleurs trouvé au Mexi-
que les éléments de solidité sur lesquels on
comptait. Dans cette population de sept mil-
lions d'âmes environ, il y avait six millions
d'Indiens, race bonne, honnête, respec-
tueuse, obstinée, pleine d'avenir, mais d'un
avenir lointain, car ces Indiens, bien que
tous sussent lire, étaient restés à l'état de
bètes de somme ou peu s'en faut. Le dernier
million, outre les étrangers, comprenait les
DE L^EMPIRë mexicain ^H
Espagnols, dé sang d'azut\ de sang pur,
gens nobles, fiers et loyaux, mais se désinté-
ressant, avec une sorte de dédain, des affai-
res publiques ; puis ceux qu'on appelle pro-
prement les Mexicains, ceux qui sont nés du
mélange de l'Espagnol et de l'Indien .
Sur ceux-ci, il n'y a qu'un cri. Sans doute,
je connais parmi eux bien des nobles physio-
nomies, et je ne veux pas oublier les grands
faits de persévérance, de piété, décourage, qui
signalèrent, au commencement de ce siècle, la
guerre de l'indépendance ; mais que sont de-
venus le sens moral, la. religion, la- droi-
ture, la dignité, l'énergie, les mœurs,
parmi les descendants de ces héroïques mé-
tis, parmi les Mexicains d'aujourd'hui ? C'est
bien d'eux qu'on peut dire qu'ils ont tous
les défauts, aucune des qualités des deux
races d'pii ils sortent, et je n'ai pas rencon-
tré un seul Européen, je dis pas un seul,
qui ne m'ait présenté le caractère mexicain
\
26 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
comme un mélange de fourberie, de fanfa-
ronne vanité et d'effronterie sans fermeté.
Je n'ai pas interrogé un soldat français qui
ne fût convaincu que tout établissement
régulier était impossible au Mexique avant
l'extermination complète des Mexicains.
Ce n'était pas là une besogne française,
ni un but pour le noble et doux Maximilien.
Pourtant, il faut constater impartialement
que, malgré toutes les chances d'insuccès,
*
malgré les fautes des uns et des autres, mal-
gré la division des chefs divers du gouver-
nement, l'empire, après une succession de
beaux faits d'armes, allait, en l'automne de
1865, se trouver débarrassé de ses enne-
mis. Les principales routes étaient devenues
sûres, et l'on travaillait aux chemins de fer
sans trop de dangers. L'etnpei^eur put sin-
cèrement croire que la lutte politique était
terminée.
Mais les Nord-Américains avaient triom-
DE L'EMPIRE MEXICAIN 27
phé. Ils ne pouvaient laîsser échapper cette
proie qu'ils avaient regardée comme devant
leur appartenir. Ils devaient tout risquer plu-
tôt que de permettre l'existence d'un empire
européen sur leurs frontières.
Dans cet empire, grand environ comme la
moitié de l'Europe, parmi ces dix mille tyran-
neaux habitués aux licences et aux profits de
la guerre civile, nulle paix ne pouvait être
complète. Puis, quoiqu'ils fussent, en grand
nombre, des misérables, quoiqu'ils défen-
dissent surtout leurs vices et qu'ils combat-
tissent principalement pour le droit au
crime et à la tyrannie, ils portaient un dra-
peau vénérable : Independencia. Alors qu'on
croyait les principaux chefs de bandes en
fuite et Juarez réfugié aux États-Unis, on les
vit revenir avec des armes, fusils et canons
t
américains.
Ils ne rapportaient pas autant de dollars
qu'on l'a dit, le dollar n'a nul enthousiasme,
28 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
et d'ailleurs, quoique je paraisse paradoxal, je
puis assurer que l'argent est ce qui manque
le moins au Mexique quand on sait le pren-
dre; or, c'est le métier que les Mexicains de
tout parti connaissent le mieux. Les presta--
mo5 (impôts) sur les villes, villages ^i hacien-
das remplissaient vite les coffres de Vlnde-
pendencia. Elle avait seulement besoin de ce
que les États-Unis pouvaient lui fournir à
foison, d'armes, de soldats. Les yankees
libérés, les aventuriers sudistes, les nègres
à la demi-solde, les enrôlés allemands ou
irlandais, se chargèrent, à titre d'officiers
instructeurs et de premiers soldats, de faire
une armée républicaine avec les Indiens que
Von pressait^ selon l'usage. Nous retrouve-
rons cette armée composite au siège de
Mexico.
Tandis qu'elle se mettait en campagne, la
diplomatie américaine entrait en mouvement,
et elle valait contre nous plus que toutes les
DE L*EMPIRE MEXICAIN 29
forces du Mexique. On me permettra de pas-
ser un peu vite et sans orgueil sur la guerre
diplomatique que nous fit Seward. Bref, les
États-Unis nous déclarèrent, avec toutes les
formes diplomatiques, mais péremptoire-
ment, qu'ils ne pouvaient nous tolérer au
Mexique. Nous leur promîmes de partir.
On se rappelle l'arrivée en France de
l'impératrice Charlotte; la mission du gé-
néral Castelnau. Au Mexique, on était con-
vaincu que le but de cette missiou était
d'engager Maximilien à abandonner le pays
à la suite de l'armée, ou plutôt avant elle.
Marquez et Miramon, les deux chefs mili-
taires du parti conservateur, arrivaient
d'Europe.
L'empereur était à Orizaba. Il s'y était /
retiré après avoir échappé à cette tentative
d'empoisonnement que l'impératrice apprit,
peu de temps après son arrivée en Europe,
au mois d'août, et dont la nouvelle contribua
2.
30 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
à donner une forme précise à sa maladie
dont les symptômes avaient déjà frappé son
entourage.
Maximilien, à Orizaba, souffrait d'une
fièvre dont il n'était pas complètement guéri
■ encore à la date de sa mort. C'était le pré-
texte dont il se servit pour prolonger son sé-
jour loin de Mexico. La vérité est qu'il ne
voulait pas rencontrer l'envoyé de Napoléon
avant d'avoir arrêté définitivement ses idées.
DE L'EMPIRE MEXICAIN 31
II
LES FRANÇAIS ET LES MEXICAINS EN L* AUTOMNE
DE l'année 1866..
Nous voici arrivés à la période qui fait
particulièrement l'objet de notre étude.
Nous sommes au commencement de l'au-
tomne 1866. Le départ de l'armée française
est irrévocablement décidé.
Maximilien, se souvenant des promesses
explicites et formelles qui lui avaient été
faites, répétées, solennellement confirmées,
n'avait pas voulu croire que ce départ s'ef-
fectuerait jamais. Rien n'était prêt en vue
de • cette éventualité : l'armée mexicaine
était en voie de formation; les finances en
étaient venues au comble de la ruine par
l'arrêt que l'administration française avait
mis sur les douanes. Maximilien, que les
32 HISTOIRE DBS DERNIERS MOIS
tendances naturelles de son esprit et ses
théories politiques avaient poussé vers les
libéraux, les abandonne, se rejette du côlé
des conservateurs, ses alliés naturels, ceux
qui l'ont appelé, les seuls qui lui offrent,
en ce péril extrême, quelques chances avan-
tageuses : des hommes, de l'argent, une
puissance morale. Mais le parti avait été af-
faibli, désorganisé par l'empereur lui-même,
et sa brusque arrivée au pouvoir amène de
nouvelles causes de ruine au milieu d'une
situation déjà si troublée.
En résumé donc, les ennemis s'avancent,
les amis s'en vont. On peut aisément pré-
voir l'événement final.
Les protecteurs des Impériaux se retirent,
moralement vaincus par les protecteurs «des
Juaristes ; les Impériaux avaient espéré que
la protection serait éternelle, ils sont donc
faibles, puisqu'ils ne s'étaient pas habitués
à compter sur eux-mêmes et que ceux sur
DE L'EMPIRE MEXICAIN 33
qui ils s'appuyaient se dérobent brusque-
ment. Les Juaristes, au contraire, sont forts
de la force de leurs alliés et de la retraite des
alliés de leurs ennemis ; ils avancent, puis-
que les autres reculent ; et, comn^e ils ont été
toujours et vaincus et actifs, ils sont à la fois
exaspérés et ardents. Les uns sont nécessai-
rement poussés en avant par l'ensemble des
circonstances, les autres en arrière. Tous les
incidents contingents contribuent à donner
aux Juaristes force, ardeur, férocité; aux
Impériaux, faiblesse, hésitation, angoisses.
Nous n'avons pas besoin de prêter l'oreille
à ces bruits qui accusèrent les chefs de notre
armée d'avoir aidé efiectivement les répu-
blicains.. L'impulsion étant donnée, comme
je viens de le dire, ne pas combattre les li-
béraux c'était les aider. Mais je n'ai trouvé ^
nulle preuve évidente à cette imputation
d'avoir, de propos délibéré et par haine de
Maximilien, cédé aux ennemis les munitions,
I
1
34 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
les mulets, les chevaux. Seulement là où on
fut obligé de vendre aux enchères publi-
ques, les Juaristes seuls osèrent acheter ; là
où ils étaient les maîtres ils étaient les ty-
rans : la terreur suivait, avec eux, Tarrière-
garde de l'armée française.
Maintenant, quels faits particuliers avons-
nous à noter au milieu de cette situation gé-
nérale?
Quel dernier but poursuivait la France?
Quels rêves, quelles pensées agitaient l'es-
prit de Maximilien ?
Quelles préoccupations serraient l'âme des
Français, des Européens surtout qui demeu-
raient sur cette terre ennemie?
Quelles espérances, quelles chances, quel
plan de campagne ou de politique restaient
au gouvernement impérial et à ses principaux
adhérents?
C'est ce que je voudrais dire avant de ra-
conter les quelques incidents importants de
DE L/EMPIRE MEXICAIN 35
ces deux mois pleins d'activité fiévreuse, —
décembre 1866, janvier 1867, — qui précé-
dèrent l'abandon de Mexico par notre ar-
mée.
Le gouvernement français, après avoir
pris la résolution d une retraite, utile sans
doute à ses intérêts, nécessaire peut-être en
face des complications de la politique euro-
péenne, mais terriblement cruelle pour
son amour-propre et jugée inique par tous
les impérialistes mexicains, le gouvernement
ne pouvait avoir qu'un seul but. Il devait
rendre les conséquences de la retraite moins
douloureuses pour tous , moins dangereuses
pour Maximilien (et pour cela il fallait l'en-
gager à quitter le pays), moins périlleuses
pour les Européens (et il n'y avait d'autre
moyen que de les inviter à suivre l'armée
française), moins pénibles enfin pour nos
troupes (et on les obligeait à reculer sans
combat devant ces Juaristes, dans lesquels
36 HISTOIRE DES DERiNIERS MOIS
elles n avaient jamais voulu voir de braves
ennemis, mais de lâches pillards).
C'est ici, non pas seulement l'incident le
plus attristant pour notre orgueil national,
mais le point le plus délicat de Thistoire de
l'empire mexicain, le champ de bataille le
plus étroit entre les apologistes de Maxi-
milien et les avocats de la politique fran-
çaise.
Cette politique, que, dans l'espèce, on.peut
nommer une politique à une seule volonté
mais à trois têtes, elle reposait bien sur la
volonté arrêtée de l'empereur Napoléon, mais
elle devait être interprétée et appliquée par
ti^ois personnages difTérents. Or, si j'en crois
des renseignements, mexicains, il est vrai,
mais respectables, ces trois têtes n'étaient pas
toujours dans le même bonnet. Le maréchal
Bazaine et l'état-major de l'armée de l'In-
tervention, l'ambassadeur Dano et la légation
de France^ enfin le général Castelnau, qui
DE L*eMPI'RE MEXICAIN 37
était une légation particulière de Napoléon,
ne représentaient pas, disait-on, cette union
qui fait la force. Nous savons d'ailleurs que
ce n'était pas de force qu'il s'agissait alors
pour la politique française. Quoi qu'il en
soit, cette politique, à propos du fait spécial
dont il s'agit, nous la pouvons dès mainte-
nant juger avec impartialité.
Entre ces trois têtes, entre ces trois actions
chargées d'expliquer et d'appliquer une
décision blessante pour tant d'intérêts sa-
crés, injuste à tant d'yeux, l'interprétation
put être diverse et variable, l'exécution dut
paraître exigeante, peut-être malignement
taquine et tyrannique. Mais il ne faut pas
oublier le grand but d'humanité que tout
le monde s'accordait à poursuivre :. il s'a-
gissait d'arracher aux vengeances juaristes
et Maximilien lui-même et le plus grand
nombre possible des Français, des Euro-
péens, des Mexicains qui avsyient compté
38 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
sur l'éternelle protection de la fière et puis-
sante France.
Dans cette situation, pour décider Maxi-
milien à quitter cette terre, qui devait être
pour lui si cruelle, Ton fut surtout préoc-
cupé de montrer au prince sa faiblesse.
Gela était sage. Mais on la lui montra rude-
ment; peut-être Taugmenta-t-on effective-
ment et de malin propos.
Toutefois faut-il croire que Ton ait été
jusqu'à essayer d'acheter l'influence des plus
intimes conseillers de Maxîmilien, entre
autres du triste P. Fischer^ qui était hostile
à l'abdication et à qui l'on aurait offert un
billet de 150^000 piastres pour ^u'il décidât
l'empereur à partir? L'on cite le nom du
banquier mexicain qui aurait détenu ce bil-
let. Je donne ce nom, Martin Daran, car ail
milieu de tant de petits faits obscurs, il est
bon de préciser certains points : ici, eii
interpellant un honnête homme, on peut
. DE L'EMPIRE MEXICAIN 39
arriver à la vérité. Pour moi, je suis tenté
de voir dans cette affaire de billets une
comédie montée par Marquez, Lopez et la
basse catégorie des personnages tenant pour
Tempire.
Mais l'empereur Maximilien, je le sais,
crut à l'existence ^ ces tentatives de cor-
ruption. Il se sentit mçssé dans sa dignité,
et ce sentiment se joignit aux autres causes
que nous indiquerons tout à l'heure et qui
l'empêchèrent de quitter le Mexique. Il
crut, — et cela je le sais de première source,
— que les Français voulaient abriter leur
reculade derrière son départ et pouvoir
dire : Nous étions venus pour soutenir cet
empereur, mais puisque ce lâche prince
quitte la partie, nous n*avons plus rien à
faire ici. Que ces drôles s'entre-tuent à leur
aise;
. Tout devait le blesser d'ailleurs dans les
nécessités qui s'imposaient alors à la po-
40 HISTOIRE DES DEHNIERS MOIS
litique française, tout contribuait à entre-
tenir, à raviver le souvenir des souffrances
que sa fierté avait endurées. Tout encore
semblait arbitraire en ces nécessités et eût
demandé des précautions délicates, une
bonne entente commune; c'était, au con-
traire, la mésintelligence qui naissait na-
turellement de toutes les circonstances.
Ainsi Tarmée française reculait, frémis-
sante d*être poursuivie par ces bandes qu'elle
avait toujours battues, qui la suivaient en
vainqueurs fanfarons et féroces, qu'elle n'a-
vait pas le droit de repousser, et qui en-
traient dans les villes abandonnées par elle
pour piller, pour éçorger derrière elle, à
portée de ses oreilles, presque sous ses yeux,
ceux dont le seul crime consistait à avoir
été les amis des Français. Il y avait là une
nécessité pourtant, puisqu'il était inutile
• de tuer des soldats mexicains, de faire tuer
des soldats français, dans une guerre ter-
DE L*ElfPlRE MEXICAIN. 4«
minée^ pour une cause abandonnée, au mi-
lieu d'une retraite pénible. Mais que de-
vaient penser Tempereur et les impériaux à
qui Ion montrait Tarmée française livrant
ainsi ses protégés de la veille, ses amis, ses
dévoués, aux atrocités des brigands? N'é-
tait-ce point paraître pactiser avec ces der-
niers ?
Ne disait-on pas que le chef d'escadrons
Billaud avait été blâmé parce que, rencon-
trant dans sa marche de Mexico à Puebla
une troupe de ces coquins établie à Chalco,
sur le lac de ce nom, qui touche presque
à Mexico, il les en avait chassés ! Ne savait-
on pas que de la ferme de Buenavista, oc-
cupée, sur le chemin de retraite de l'ar-
mée, par une compagnie de zouaves français,
entre Ayatla et le Rio Frio, on voyait, à
moins de 800 mètres, une bande de Jua-
ristes réocci^pant Chalco et se livrant contre
les maisons particulières, les femmes et
i
42 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
■ •
les coffres-forts, à leur héroïsme habituel?
Presque aux portes de la capitale, la route
de Chalco àTexcoco n'était-elle pas traversée
chaque jour par les ennemis au moment
môme oîi les Français suivaient cette route
pour évacuer Mexico? et les Juaristes ne pre-
naient d'autres précautions que de ne pas
SQ trouver dans les jambes de nos soldats.
Tout cela se disait, se prouvait. Là-dessus
s'appuyaient les nouvellistes de Mexico qui
racontaient cent histoires des plus noires,
histoires sans doute fausses, mais admises
sans discussion, sur la bonne entente de
l'état-major français avec l'état-major répu-
blicain, sur des ventes de munitions, des
cessions d'armes et de chevaux.
La politique napoléonienne, tout en pour-
suivant un but humain et sage en cette der-
nière extrémité où les circonstances l'avaient
acculée, était donc arrivée à exaspérer l'em-
pereur Maximilien et les Impériaux.
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 43
Au mois de décembre 1866 commença
aussi cette grosse querelle à propos du rapa-
triement des Français, querelle oh. tant de
colères furent soulevées, oîi furent portés de
si grands coups à la pauvre armée de l'em-
pire mexicain, où le maréchal Bazaine parut
le plus tyrannique et où il reçut un si cruel
reproche. Nous étudierons bientôt à fond
cet incident. Mais on voit que la discorde, qui
avait constamment paru être la loi de Tal-
liance franco-mexicaine, n'était pas prête à
disparaître durant les dernières heures de
cette alliance.
Pendant ce temps, que rêvait ou que déci-
dait l'empereur Maxîmilien ?
Ai HISTOIBE DES DERNIERS MOIS
• 4
t
III
PORTRAIT DE MAXIMILIEN. — HESITAllONS.
DÉCISION DÉFINITIVE,
La concfliite de l'empereur a été diverse-
1 ment jugée et doit l'être, selon que l'on se
place au point de vue sentimental ou au
point de vue pratique, selon qu'on juge en
homme de cœur ou en homme d'affaires, d'à-
•; près le mobile ou d'après le résultat. Pour la
\ bien apprécier, il faudrait étudier à fond la .
i nature fine et ondoyante du prince. Je ne
4 fais pas ici sa biographie, je raconte l'his-
\ toire des derniers mois de son empire; je
me bornerai à analyser, mais minutieuse-
ment, quelques traits de son caractère.
On l'a accusé d'être variable. C'est la
seule accusation que j'aie entendu générale-
ment porter contre lui. Elle est vraie. Il n'en
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 45
faut pas conclure qu'il était faible, porté au
favoritisme, docile à toute influence, rusé ou
dissimulé. Non. Sa mobilité ne venait pas de
la faiblesse et n'en montrait aucun des attri-
buts. Mais il ne possédait réellement aucun
des trois grands éléments qui constituent la
ténacité-qualité et la ténacité-défaut.
Il n'avait pas cette puissance de vue et
d'action qui aperçoit le point central et cul-
minant, le point à emporter et qui y marche
à travers tout obstacle.
Il n'avait pas cette étroitesse de visée qui
ne saisit qu'un point au hasard et qui y
pousse l'homme obstinément, parce qu'elle
est incapable d'apercevoir autre chose, inca-
pable de comparer, de juger et de trouver
mieux.
Enfin, il n'avait pas ce troisième et pro-
fond élément de l'obstination gouvernemen-
tale, le mépris de l'humanité, à commencer
par soi-même.
8.
4G HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Il avait la faiblesse d'être fier et de croire
à la bonté de la nature humaine. Il avait des
enthousiasmes, non de Tenthousiasme. Il
avait une ambition d'imagination, une am-
bition latérale^ je veux dire une ambition qui
n'était pas sa première préoccupation et qui
laissait place aux rêves, aux défaillances, à
l'utopie.
Son imagination très- vive, sa nature très-
impressionnable, son intelligence très-sen-
sible, lui montraient mille nuances d'une
idée, cent arguments qui s'équilibraient
pour ou contre, dix facettes dans un événe-
ment, dix possibilités dans un calcul de pré-
vision. Ce n'était pas tout. Quand son juge-
ment était parvenu lentement à une décision
définitive, son cœur très-délicat et très-bon
venait à son tour poser des objections qui
passaient pour des naïvetés et lui consti-
tuaient une diplomatie pilérile.
Comme il avait réellement reçu le don
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 47
de charmer, il croyait réellement à la puis-
sance politique de cette qualité charmer esse.
Comme il était généreux, il se persuadait
aisément que la bonté, les caresses, rafiFec-
tion, le pardon répété, ont plus de vertu
diplomatique que la sévérité. Comme enfin
il était noble, ouvert, libéral, jamais dans
ses plans il ne pouvait faire entrer en ligne
de compte la trahison, difficilement la four-
berie. C'était le prince trop bon qui, ren-
trant à Mexico après quelque temps d'ab-
sence et trouvant son palais dévalisé, comme
si tous les Juaristes y eussent passé, par un
personnage autrichien qu'on m'a nommé,
aimait mieux faire emprunter au voleur une
assiette de faïence que de lui faire, en le
chassant, restituer un plat d'argent.
En politique, il n'était pas*un homme
pratique, mais un idéologue. C'était un
grand artiste en tout, même en philosophie
gouvernementale. Seulement s'il était réelle-
48 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
ment profond et puissant sur les théories, il
manquait trop de cette autre part dé la phi-
losophie qui est la connaissance des hom-
.mes.
Il poussa là-dessus la faiblesse jusqu'à
croire à la vertu mexicaine. Il ne put jamais
rester convaincu que les Almonte, les Mejia,
les Miramon, les Mendez, les La Bastide, les
Salas, les La Madrid, les Vidaurri, les Qui-
roga, les Palacio, les Ortega, les Galvez, et
d'autres que nous nommerons chemin faisant,
étaient des exceptions au milieu de ces sept
millions d'hommes dont les uns ne naîtraient
jamais 'à l'énergie ni les autres à la probité.
Il n'était ferme que dans son orgueil; je
me trompe, car cet orgueil môme pouvait
céder aux amollissants conseils de la bien-
veillance; je dois dire : il n'était tenace que
.dans la dignité, obstiné que dans l'hon-
neur.
1 eût pu faire un grand prince. Il était à
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 40
peu près taiUé sur le modèle de ceux que
Fénelon * demandait pour les mettre sur le
trône de Salente. Son gouvernement du
royaume Lombard- Vénitien avait été réelle-
ment remarquable ; et qu'on le suppose au
moyen âge ou à la Renaissance, il eût pu
être le chevaleresque Richard ou le magni-
fique François I^r.
Mais il avait absolument besoin de ce
voile de respect qui entourait les monar-
ques. Dans notre siècle, oîi l'on ne permet
pas à la royauté d'être autre chose qu'un
rempart et encore à la condition d'être en
même temps une cible ; dans ce temps oîi les
têtes royales ne sont guère que des têtes de
Turc, oh. chaque poing vigoureux vient es-
sayer sa force et trouver ainsi le plus sûr
moyen d'exciter l'admiration de la démo-
cratie ;• dans ce pays mexicain où cinquante
ans de guerre civile n'avaient plus guère
laissé eh pratique que la science de bien
oO HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
fuir et de bien prendre, ce n'était pas, je le
dis avec une amère tristesse, le*roi qui
pouvait mener à bonne fin sa difficile mis-
sion.
Il fallait pour cela, non un monarque in-
telligent, noble, libéral et doux, mais up sol-
dat de génie.
Qu'il fallût un soldat de génie, maint sol-
dat le pensait dans l'armée française, maint
soldat qui pouvait se croire du génie; — c'est
une croyance qui vient aisément, et non
pas seulement aux journalistes et aux musi-
ciens.
Maintenant supposons que ce soldat, qui
est général et qui se croit du génie, a enten-
du un ministre français, un ministre in-
fluent dire : « Nous avons bien mis Maximi-
lien sur le trône du Mexique, pourquoi n'y
mettrions-^nous pas un autre, » voyelz-vous
les rêves ! Cette parole a été dite pour faire
plier le prince autrichien, les rêves ont été
DE L'EMPIRE MEXICAIN. .51
é
. icoura^eusement chassés, le soldatde génie est
resté déterminément dans son devoir patrio-
tique et disciplinaire, mais il voit bien que
le monarque n'est pas Thomme de la situa-
tion. Cette insuffisance princière, qu'il est
encore porté à exagérer, Tirrite, le contra-
rie, le pousse à exagérer aussi son propre
pouvoir et à limiter d'autant le pouvoir sou-
verain. *
Ainsi commence à s'expliquer, par la sim-
pie étude de l'âme humaine et sans admet-
tre d'incroyables et humiliantes accusations,
le désaccord, qui fut presque continuel,
entre les gouverneurs divers de l'empire
mexicain.
Puis, dans cette maligne, gouailleuse et
irrespectueuse armée française, ce n'est pas
seulement le soldat de génie, c'est le soldat
imbécile, ce n'est pas uniquement le général,
c'est le plus hébété des sous-officiers, qui
comprennent les faiblesses de la situation.
52 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Or je ne connais rien de redoutable et d'in-
tolérable comme le soldat français quand il a
perdu le sens du respect.
Il peut être, à un homme qui se sent ar-
dent de patriotisme, permis de juger sincè-
rement son pays, et je crois que si nous
sommes les plus supportables des vain-
queurs, nous sommes bien les plus désa-
gréables protecteurs qu'on puisse vÔir. Nous
ne savons pas faire la différence qu'il y a
^ntre la protection et la domination. Notre
suffisance naturelle, notre difficile intelli-
gence des mœurs et pratiques d'autrui, no-
tre mépris des autres peuples, la franchise
de nos impressions, nos tendances railleuses
et sceptiques font à la longue oublier que
nous ne sommes ni sévères, ni pédants, ni
cruels.
Je l'ai dit, je ne suppose pas qu'il soit peu-
pie au monde pour qui le troupier français,
dont la grande force et la grande faiblesse
DE L'EMPIRB MEXICAIN. S3
è
sont de commencer toujours par mépriser
rennemi, ait ressenti autant de mépris que
pour les Mexicains. Et quelle force, quel
respect pouvait tirer de sa dignité le roi d'un
peuple aussi méprisé?
Ainsi le pouvoir souverain : Tempire, était
faible et fier ; le pouvoir inférieur : l'état-
major, l'armée, la légation de France étaient
forts et dédaigneux.
Que d'occasions de mésintelligence, que
de sourdes irritations, que de vives discus-
sions entre l'Empire et F Intervention, naqui-
rent de là ! L'on peut supposer que si la lé-
gation de France à Mexico eût préféré être la
légation de France au Monomotapa, la cour
mexicaine l'y eût envoyée volontiers, sous la
conduite du maréchal Bazaine et avec l'es-
corte de l'état-major général.
Maximilien , très-bienveillant, compre-
nant, en idée, les petites nécessités de la di*
plomatie, très-sensible du reste, et que la
54 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
moindre marque de respect touchait réelle-
ment, semblait parfois oublier ces difficul-
tés. Une démarche gracieuse de lui déten-^
dait apparemment les relations. Mais le fond
des choses ne changeait pas.
Je ne ^ vois pas à donner aux gens intelli-
gents d'autre clef des affaires mexicaines.
Par là aussi s'explique une partie des hési-
tations et de la décision de Maximilien, à
l'heure solennelle où il voyait qu'il allait
jouer sa fortune sur une seule et bien dou-
teuse carte.
Après cette conspiration de juillet, qui l'a-
vait désolé en lui montrant plusieurs de ses
ministres, de ses courtisans, de ses plus
obligés familiers, complotant pour l'empoi-
sonner; après cette convention du 30 juillet,
qui remettait aux mains de l'administration
française la plus grosse part des douanes, le
seul revenu réel du gouvernement mexicain ;
après la nouvelle de l'insuccès et de la cruelle
r
Dfi L'EMPIRE MEXICAIN. S5
maladie de l'impératrice Charlotte; après
une série d'autres coups non moins doulou-
reux, l'empereur s'était, dans le courant
d'octobre, retiré à Orizaba«
Il était, nous l'avons déjà dit, malade. Il
voyait son empire ruiné, son gouvernement
réduit à l'impuissance, sa femme, la vail-
lante et intelligente compagne de ses pen-
sées, devenue folle. L'insolence des États-
Unis croissait en même temps que le brigan-
dage des dissidents, en même temps que
la désaffection des alliés. Il avait vu ceux
qu'il croyait avoir terrassés à force de bonté
le vouloir assassiner ! Ses amis, ses compa-
triotes, des Européens, grand et noble
mot là-bas, le volaient bassement ! Sa répu-
tation était ternie, la renommée de son
intelligence amoindrie ! Ses illusions sur la
gloire 5 sur l'humanité, sur le bien, ces
illusions politiques qui font l'ardeur, la
probité, la noblesse de l'homme d'État,
5r> HISTOIRE DÊ9 DERNIERS VOIS
étaient disparues ! Il avait aimé sincèrement
d'abord, puis de parti pris la liberté ; et les
libéraux au Mexique se divisaient en deux
classes : ceux qui le battaient et ceux qui le
trahissaient. En Europe, les libéraux se dis-
tinguaient en deux classes aussi : ceux qui le
raillaient et ceux qui le maudissaient ! Reve-
nir dans son pays, en laissant au Mexique la
haine pour récompense d'une si sincère
bonne volonté, en rencontrant en Europe le
ridicule pour prix de si énergiques efforts !
Rien de ce qui peut déchirer un cœur de roi,
un cœur sensible et fier, ne lui fut épargné.
Puis la situation devenait chaque jour plus
difficile. Les agents français, dont la respon-
sabilité croissait, tandis que leur gouverne-
ment se désintéressait de plus en plus, sem-
blaient devenir plus rudes, plus rognes,
plus taquins, plus impérieux à mesure qu'ils
devenaient moins utiles à l'empereur. Les
dissidents avançaient à grands pas ; Hermo-
J
r
DE L'EMPIRE MElLlGAIN. 57
sillo, Matamoros, Monterey, Tampico et cent
autres villes, toutes les villes en un mot,
tout le pays, à peu près, étaient tombés en
leur pouvoir.
Maximilien avait donc songé à abdiquer;
et nous avons dit qu'il allait à Orizaba non-
seulement pour se guérir, mais pour discuter
plus mûrement avec lui-même cette question
d abdication, et aussi pour éviter de rencon-
trer le général Castelnau, avant que ses
propres idées fussent bien arrêtées.
Ces idées d'abdication n'étaient pas nou-
velles. Pour beaucoup d'hommes réfléchis,
elles étaient la solution forcée, mais non pro-
chaine pourtant. On m'assure que M. Lan-
glais, peu de jours avant sa mort, disait à
l'un de ,ses amis, qui le raillait sur cette
étrange idée d'essayer de mettre l'ordre dans
les finances du Mexique : — Eh ! non ! je tra-
vaille a fournir à Maximilien l'occasion d'ab-
diquer honorablement !
58 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Honorablement! C'était toute la question ^
Il ne nous semblait pas en l'automne de 1866
que l'empereur eût assez lutté contre la
• mauvaise fortune. Tous ses amis ont dû,
comme l'auteur de ces lignes, entrevoir la
situation fâcheuse du prince, cédant au pre-
mier choc, revenant piteusement à l'arrière-
garde de l'armée française, et ils travaillèrent
à faire prévaloir les idées de persévérance
dans l'esprit de Maximilien.
Sa fière âme n'était que trop disposée à re-
douter tout ce qui ressemblait au ridicule, à
fuir tout ce qui pouvait prendre l'apparence
de la crainte* Nous ne pensions pas qu'il lui
en coûterait, hélas ! la Vie, et nous lui répé-
tions seulement que la dignité vaut mieux
que la fortune. Les lettres qu'il recevait de
la ôour de Vienne, soit intimes, soit officiel-
ies^ Tencourageaient à rester au Mexique, ou
plutôt, pour être plus précis, le découra-
geaient de revenir en Autriche. Pourtant je
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 59
«
crois que jusque vers le milieu de novembre
il hésita, penchant toutefois vers l'idée d'une
abdication.
A cette époque le bruit courut, à Mexico,
qu'il avait appelé à Orizaba MM. Castelnau et
Dano, pour leiu* communiquer les condi-
tions de son abdication. Ceux-ci, -pour
des raisons que j'ignore, refusèrent de se
rendre auprès de l'empereur *, qui se sen-
tit fort blessé. Ai-je dit qu'il fut parfait,
plein de sérénité comme un dieu indien, et
élevé au-^dessus des petites passions de ce
monde? Non, sa sensibilité naturelle le
poussait non pas seulement à la mobilité ^
mais encore à cette susceptibilité qui souffre
vivement des petites injures, qui en exagère
la portée et se réjouit de les venger*
Je crois bien qu'à cette date de sa vie^ ou-
1. D'autres de mes témoins croient avoir rencontré le gé-
néral et l'ambassadeur^ dans une auberge du' Htà-Frio, et se
tendant alors à Orizaba.
li
GO HISTOIRE DES DERNIERS MOXS
blieux de cent services pour ne se rappeler
que mille taquineries, méconnaissant les de-
voirs qui imposaient au gouvernement fran-
çais la fin d'une expédition ruineuse et mé-
diocrement approuvée par Topinion, il vit
dans ce gouvernement le pire de ses enne-
mis et dans plusieurs des agents français des
êtres plus insolents, plus haïssables que les
Yankees même. Il oublia cette sage parole
écrite à son confident intime, au début de
rempire,»par un personnage politique, le
plus réellement puissant de la Belgique, bon
voltairien saris doute et très -antifrançais,
mais chez qui Tintelligence est restée impar-
tiale : « Manger du prêtre le matin et du
Français le soir, quand on a été appelé par le
clergé et qu'on n'a d'autre appui que la
France, c'est une dangereuse manière de
gouvernement. »
En cet automne 1866, on ne mangeait plus
du prêtre dans la petite Belgique libérale qui
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 61
formait jadis une partie de la cour de Maxi-
mîlien, les conservateurs étaient au pouvoir;
mais, comme je lai dit, l'empereur ne fut pas
insensible au désir de contrarier la politique
française, qui était alors fort accusée de
vouloir une abdication pour pouvoir traiter
tranquillement avec ceux mêmes qu'elle
avait toujours considérés comme des bri-
gands.
Il y avait là quelque chose de particulière-
*ment blessant pour Maximilien. J'ai hâte
d'ajouter que ce ne fut pas la plus énergique
des impulsions qui le dirigèrent.
Lares, alors son premier ministre, Mira-
mon. Marquez, qui revenaient prendre la
conduite militaire du parti conservateur et
les plus importants des membres de ce parti,
l'ambassadeur anglais, le vieux et rusé
Scarlett, et bien d'autres qui n'étaient pas
fâchés de mettre ce bâton dans nos roues,
lui conseillèrent de ne pas encourir ce grand
4
62 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
reproche que Ton faisait à la France, si re-
nommée pourtant par sa générosité, lerepro-
«
che d'abandonner ceux qui s'étaient com-
promis pour elle.
Ainsi ballotté eûtre son intelligence qui
lui démontrait l'impossibilité matérielle de
la lutte, et sa bonté, sa fierté qui lui affir-
maient l'impossibilité morale de la retraite,
Maximilien se décida pour le parti le plus
généreux et le moins raisonnable. « Je ne
veux pas, dit-il, qu'on m'accuse d'être venu
et reparti dans les fourgons de l'armée fran-
çaise. Je ne peux pas laisser sans appui ceux
qui se sont compromis pour mi cause» Je ne
puis souffrir que ces bandes de pillards se
«
vantent d'avoir fait fuir un Européen, un
prince. »
*
Avant de notifier sa résolution^ il avait
rassemblé, à la fin de novembre 1866^ le ^
conseil des ministres et le conseil d'État. La
majorité avait approuvé la Résistance. Ce fut
r
DE L*EMPIRE HBXICÂIR. 63
le 1 *' décembre que le journal officiel, le
Dtario^ publia ce manifeste, qui, analysé
philosophiquement, donne une si parfaite
connaissance du caractère de ce Hapsbourg.
« Son esprit^ disait-il, avait pris la convie-
tion que le pouvoir devait être déposé, mais
ses conseillers lui avaient remontré que son
devoir était de rester. »
Il restait donc. Seulement pour concilier
les arguments de son esprit avec les délica-
tesses de sa conscience, il avait trouvé une
formule qui le peint tout entier, une formule
ingénieuse et idéale, à la fois sagace et im-
praticable, profonde, coupant court, en effet,
à toute difficulté, conciliant et le bonheur du
Mexique et la dignité de Maximilien, sous-
trayant les Impériaux aux vengeances des
Juaristes, et fortifiant le pouvoir impérial,
tout en laissant à l'empereur la possibilité de
partir avec grandeur. Seulement ce plan était
inexécutable au Mexique. Il avait déeidé
61 HISTOIRE DFS DERNIERS MOIS
la réunion d'un congrès formé sur les bases
les plus larges, les plus libérales, où tous les
partis prendraient place, et qui déciderait
en dernier ressort des destinées de la na-
tion.
Avtfc une intelligence supérieure et après
un si long temps passé dans le pays, le
prince n'avait pas encore vu que demander
aux partis mexicains une concession patrio-
tique, une transaction sage, un travail en
commun pour le salut de la patrie, c'était le
rêve des rêves.
Nul, sinon lui, ne songeait uniquement au
bien du pays; chacun voulaitsurtouttriompher
du parti contraire. Il n'y avait plus de Mexi-
cains ; il y avait des conservateurs et des libé-
raux, c'est-à-dire, des ennemis que les longues
guerres civiles ont rendus irréconciliables,
qui préfèrent leurs malheurs, accompagnés de
la défaite de leurs antagonistes, à leur félicité
coïncidant avec le triomphe de leurs rivaux.
..DE L'EMPIRE MEXICAIN. 65
Il n'avait pas deviné encore qu'il n'y a plus
de Mexique possible, puisque les conserva-
teurs préféraient les Français aiD^ libéraux
et que les libéraux haïssaient moins les Yan-
kees que leurs compatriotes conservateurs.
Personne, parmi les républicains, ne bou-
gea pour prendre part à ces agapes patrioti-
ques, etJuarezeutfait pendre, en Taccusant,
selon la tradition, de tyrannie, le libéral qui
eût travaillé à la réunion de cette convention
nationale. Mais il y avait là une ^i touchante
naïveté, une preuve si évidente de bonne
volonté et de désintéressement, que le cou-
rage et l'activité en revinrent au parti impé-
rial. Les conservateurs, dont la fortune et
la vie tenaient au salut de l'empire, promi-
rent 20 millions de francs. Miramon, Mejia,
Marquez se mirent activement à la besogne
militaire.
Vertu momentanée, hélas! Bientôt la
grande masse des impériaux ne vit plus dans
4.
66 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
*
le trouble et la désorganisation qui accom-
pagnaient le départ des Français que ce que
le Mexicain voit de prime-abord dans toute
anarchie : l'occasion de se remuer fiévreuse-
ment, de gesticuler noblement, de piller, de
commander, de monter d'un bond plusieurs
degrés sur son'échelle sociale, et de conqué-
rir un traitement supérieur, dont il opérera
lui-même la rentrée, — difficile, il est vrai,
— dans les caisses du voisinage.
DE L'EMPIRE MEXÎCAIN. 6"
IV
NOVEMBBE ET DÉCEMBRE 1866. — LES CHEFS USERA UX.
PREMIÈRES ESCARMOnCIlES AUPRÈS DE MEXICO.
« Qu'allons-nous devenir si les Français
partent? » Telle était la question que Ton s'é-
tait posée à Mexico et dans toute l'étendue
I deTeinpire, quand, vers la fin de juin 1866,
des indiscrétions du palais impérial avaient
laissé pressentir, pour la première fois, que
la France pourrait bien retirer ses troupes.
Les fanfaronnades, les pillages, les assassi-
nats commis par les troupes américaines à
Matamoros et le long du Rio-Grande, in-
diquaient en effet qu'ils étaient sûrs de la
position et que la France était battue diplo-
. matiquement. Mais, je l'ai indiqué, on comp-
tait sur la mission de l'impératrice Charlotte ;
on relisait le texte du traité de Miramar,'les
déclarations continuelles, publiques, ppr-
68 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
tées à la tribune française ; on redisait Tan-
tique renommée de fierté et de loyauté dont
jouissait notre politique.
Au mois de novembre, il n'y avait plus
de doute. Le 16, on annonça quasi-officiel-
lement que la France, reculant devant Tim-
possibilité de soutenir pjus longtemps une
cause définitivement jugée et perdue, rap-
pelait l'expédition.
« Que ferons-nous quand les Français se-
ront partis? » Ce fut le cri général , non-
seulement dans la colonie française, mais
dans la colonie européenne. Les Mexicains
eux-mêmes étaient atterrés, ceuxrlà du moins
qui se sentaient coupables d'avoir désiré
vivre, vivre en paix, en honneur, en aisance
a l'abri des lois, ceux-là qui se savaient
coupables d'avoir espéré d'autres moyens
d'existence que le pillage, l'incendie, le
me\irtre, d'autres moyens de gouvernement
que l'oubli des autorités.
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 69
L'on se racontait avec une angoisse pro-
fonde la biographie de tous les chefs qui
s'avançaient et qui allaient peut-être re-
devenir les maîtres. Terrible histoire, lé-
gende féroce! Au milieu de tous ces types
farouches, à côté de Porfirio Diaz, qui seul
semblait avoir conservé quelque chose de
civilisé, c'était, en tête, Juarez, un Indien,
un de ces Indiens soumis^ de race serve,
qu'il ne faut pas confondre avec les Indiens
de race militaire que représentent si noble-
ment dans cette histoire le noble Mejia et
le hardi Mendez. Ce Juarez, Indien pur,
avec les qualités et les défauts des races
esclaves, était patient, honnête, obstiné,
étroit, ignorant, facile à conduire par les
préjugés et tenace dans les plus étranges
idées, comme un nègre. Avocat disert, il
avait la vertu de pouvoir parler sur tout et
sans repos; c'était, avec la persévérance,
sa seule qualité politique. Mais il était com-^
70 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
plétement dominé par Lerdo de Tejada,
\ diplomate habile, homme âpre et haineux,
que ses amis mêmes surnomment la vessie
de fiel. On trouvait ensuite Corona, actif et
intelligent, que beaucoup d'entre nous ont
connu à Paris et qui semblait avoir beau-
coup oublié de son éducation européenne ;
Escobedo, habile dans la science d'injurier
] les gens qu'il va assassiner et dont le génie
! militaire, irrésistible au Mexique, consiste
dans l'art d'acheter les généraux ennemis ;*
Canalès qui, dans les villes oîi il entrait,
ouvrait, comme il disait, des bourses de
commerce, c'est-à-dire faisait chaque jour
fusiller quelques négociants pour engager
les autres à lui ouvrir leur cofiFre-fort; Salas,
qui venait de se sauver de la prison de Real-
del-Mônte, oîi il était détenu pour assassi-
nat; Antonio Ferez, chef de plateados (dé-
trousseurs des convois d'argent), et cent
autres de même espèce.
r
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 7i
« Le pillage, le meurtre, la confiscation
des propriétés forment le sinistre programme
des insm*gés, » disait V Estafette de Mexico,
à la date du 11 octobre.
C'était bien là le résumé de la situation,
et Ton se racontait, comme l'exemple de ce
qui menaçait Mexico, ce qui venait d'arriver
h Los ihanos de Apam, dans Apam même,
petite ville située à quinze lieues de la
capitale.
Au mois d'octobre, en effet, quatre mois
avant le départ de l'armée française, Anto-
nio Perez était arrivé jusque-là. Il y avait
établi son quartier général , d'où , après
avoir dévasté la ville même, il se précipi-
tait sur les haciendas voisines* On se redi-
sait à Mexico les affi'eux détails de ces ra-
vages. On nommait les treize jeunes filles les
plus belles, les plus honorables du bourg
qui avaient été ravies par ces routiers.
L'on rappelait les supplications des mères ^
T2 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS -
des victimes elles-mêmes qui cherchaient
à fuir le déshonneur par la mort. Au moins,
disait-on, dans les anciennes guerres, les
chefs seuls étaient redoutables, et les pau-
vres Indiens, enrôlés de force, ne cher-
chaient dans la victoire d'autre récompense
que la possibilité de fuir, et de regagner leurs
foyers. Maintenant, les Juaristqs sont escortés
par ces soldats yankees qui ont vidé Bagdad,
Matamoros, etc., dune façon nette à faire
envie auxplateados eux-mêmes. Ils sont ac-
compagnés par ces nègres de l'armée fédé-
raie, qui, traduisant en actes dénués de tout
artifice diplomatique et avec la naïveté pra-
tique de la race noire le fond des senti-
ments de&politiciem de Washington, avaient,
comme bouquet du pillage de Matamoros,
supplicié un Français, — Roques, c'est son
nom, je crois. — -. Ils l'avaient tué avec des
raffinements de cruauté, après avoir violé sa
femme sous ses yeux. C'était là, pensaient
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 73
les colons français, ce que devra attirer sur
nous cette qualité de Français dont nous
sommes si fiers !
Qu'avait-on pour se défendre contre ces
menaces sinistres ? L'armée impériale mexi*
caine. C'est à son organisation que Maximi-
lien travaillait de toutes ses forces, avec cette
activité laborieuse qui le distinguait.
Une certaine quantité de soldats et d'offi-
ciers français, libérés ou non du service mi-
litaire, s'étaient engagés dans l'armée mexi-
caine avec l'autorisation du gouvernement
français. Ils servirent de noyau et de cadres
pour la formation de dix-sept bataillons de
cazadores. Ces cazadores, chasseurs, pré-
sentaient un effectif d'environ 15,000 hom-
mes, auxquels il fallait joindre dix régiments
de cavalerie. ^— Le premier de ces régiments,
régiment de l'impératrice, était commandé
par Lopez, le fameux Lopez de Queretaro. —
Outre ces corps à demi mexicains, Maximi-
74' HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
lien avait quelques troupes, purement eu-
ropéennes. C'étaient, au 15 décembre 1686,
trois compagnies de gendarmerie : r la
compagnie de Mexico, 280 hommes, 202 che-
«
vaux , commandant Tindal fils ; le père,
lieutenant-colonel, était commandant en
chef de la gendarmerie ; 2** la compagnie de
Puebla, 280 hommes, 200 chevaux, com-
mandant Chenet, que nous allons voir à la
tête de la contre-guérilla française; 3"* la
compagnie d'Orizaba, 250 hommes, 20 che-
vaux, commandant Roude. C'était encore
le régiment des hussards rouges, formé des
débris des hussards et hulans autrichiens,
— 700 hommes, 700 chevaux, — comman-
dant KhevenhuUer, — et le bataillon Ham-
merstein, — 800 hommes. — Enfin, le 25 dé-
cembre, le général La Madrid obtint de
l'empereur l'autorisation de former une
compagnie d'Européens sous le nom de
grenadiers à cheval , qui devinrent plus tard
DE L'EMP^ MEXICAIN. 75
cazadores. 11 est vrai qu'on prît dans les
compagnies de gendarmerie de Mexico et de
Puebla 100 cavaliers montés et équipés
pour servir de noyau à cette nouvelle orga-
nisation .
Nous verrons à la suite de quelles querel-
les avec Tétat-major français cette petite ar-
mée, où Maximilien avait mis toutes ses
ressources et pour l'organisation de laquelle
il avait fait vendre jusqu'à son argenterie,
fut presque complètement détruite.
On n'avait plus assez d'argent pour solder
la légion étrangère belge et autrichienne, qui
avait été licenciée. L'ardeur martiale des
soldats belges n'avait pu aller plus loin que
Monterey ; là ils s'étaient mutinés en son-^
géant aux douceurs du foyer domestique fla-
mand, et ils avaient demandé qu'on les ra--
menât à Bruxelles. On les y ramenait.
A la fin de décembre 1866, il ne restait
donc que les corps que j'ai indiqués plus
76 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
haut; mais ils étaient assez complets et
paraissaient assez solides.
Pourtant, dès cette époque, — et que dut-
ce être quand les incidents dû mois suivant
les eurent démantelés et désagrégés, — l'o-
pinion, à Mexico, les regardait comme in-
suffisants pour lutter contre Tarmée tripar-^
tie^ pour ainsi dire, de Juarez. Cette armée
se composait, en effet, des troupes libérales
dont nous pouvons louer peut-être le patrio-
tisme, mais sans aucun doute la persé-
vérance , et qui avaient toujours tenu la
campagne contre les Français ; des bandits
mexicains qui avaient toujours tenu la cam-
pagne contre les propriétaires ; enfin des va-
gabonds de toute race et de toute couleur, .
accourus des États-Unis ; le tout réuni,
exercé, fortifié par des officiers instructeusrs
de Tarmée fédérale. Pour les Juaristes, les
hommes ne manquaient pas : on pouvait
presser les Iniens par centaines de mille. —
DE L*EMPIBE MEXICAIN. 77
Les Indiens nous lavons dit, sont la chair à
canon de tous les partis au Mexique. — Les
armes et les munitions abondaient : les États-
Unis, après la défaite du Sud, ne demandaient
pas mieux que de vider, moyennant finance,
leurs arsenaux en faveur des républicains.
L'argent ne manquait pas non plus, puis-
qu'on pillait, au nom de la libertad y inde-
pendencia, les fermes, villes ou villages qui
ne consentaient pas à payer des impositions
considérables.
Tout cela paraissait formidable. Les récits,
comme ceux qui racontaient l'histoire dç
Los Ihanos de Apam, foisonnaient. Les habi-
tants de Mexico, de Puebla et de quelques
autres villes, qui tenaient encore pour l'em-
pire, commencèrent à pratiquer ces exer-
cices où les citoyens mexicains sont deve-
venus si experts : on commença à ensevelir
le mobilier, à fermer les boutiques, à ren-
voyer les employés, à retourner les habits et
78 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
à effilocher désespérément les quelques vête-
ments que la civilisation la plus rudimen-
taire rend obligatoires.
Pendant ce temps, — fin décembre 1866,
— Maximilien revenait d'Orizaba et s'arrê-
tait à rhaciendade la Teja, à une demi-lieue
de Mexico, où il ne rentra qu'à la fin de
janvier. Les Impériaux, livrés à leurs pro-
pres forces, essayaient de reprendre l'offen-
T
sive. Miramon s'avançait vers le nord, oh il
devait donner la main à Mejia et à xMendez,
et oîi nous le retrouverons bientôt.
. Mais un gros parti ennemi était déjà en-
tré dans la province de Mexico. Le temps
pressait. L'empereur était à peine arrivé
à la Teja, que Ton annonça la prise, par les
Juaristes, de Cuernavaca, située à dix-sept
lieues de la capitale.
Placée dans une position ravissante, au
milieu des terres les plus fertiles du monde,
cette petite ville enchanteresse, qui semble
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 79
faite pour donnei* ane idée du paradis ter-
restre, avait été le séjour favori de Fernand
Cortez, qui y fit bâtir un palais au centre du
jardin célèbre dans tout le Mexique. Maxi-
milien avait acheté cette propriété, qui lui
était chère entre toutes. C'était de là aussi
que Mexico tirait la plupart de ses appro-
visionnements.
La surveillance de cette partie des envi-
rons de la capitale avait été confiée à l'une
des plus vaillantes troupes, à la Compagnie
franche des partisans de Mexico, comman-
dée par le capitaine Clary. Cette compagnie
fut obligée de cesser son service quand le
départ de l'armée française fut décidé. Les
dissidents qui parcouraient les frontières
septentrionales d'un État voisin, Oaxaca, se
jetèrent sur le pays, dès qu'ils apprirent
l'absence du capitaine Clary. Ils s'avancèrent
jusqu'à Cuernavaca, qu'ils prirent, qu'ils
pillèrent et oîi ils déployèrent naturellement,
80 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
pour saccager le palais de Maximilien, tous
les soins de l'expérience la plus consommée.
Il fallait reprendre Guernavaca. On rassem-
bla 300 gendarmes, 150 cazadores; on mit à
leur tête Paolino La Madrid, colonel com-
mandant la garde municipale de Mexico. La
petite troupe prit la route du sud-ouest, qui
mène au Pacifique par Tixtla et Acapulco,
route accidentée et dangereuse qui monte
jusqu'à cette étrange contrée, connue sous
le nom de Pedregal. Là on rencontre, sur
une largeur d'une dizaine de lieues, un
pays désolé, une terre volcanique, infertile,
inhabiiée, une sorte de long ruban de
pierres, de cendres, de laves, au bout du-
quel apparaît cette mignonne réduction du
paradis terrestre : Guernavaca.
Aux abords de cette ville , La Madrid rencon-
tra la petite garnison impériale, qui en avait
été chassée et qui se joignit à sa colonne.
A leur approche , l'ennemi, selon l'usage,
DE L'EMPIRB MEXICAIN. 8i
s'était éloigné. Ils entrèrent sans coup férir.
Le soir, on apprend que l'ennemi, — espé*
rant qu'on lui rendra procédé pour procédé,
et que, puisqu'il n'a rien laissé à piller, l'on
se retirera courtoisement, — se forme en
dehors des fortifications. La Madrid fait son*
ner à cheval. Puis, sans s'occuper de savoir
s'il est suivi, il pique des deux, franchit les
murailles. Trois trompettes et quatre cava-
liers le rejoignent. Il continue son chemin.
A 200 mètres de la place, il tombe dans une
embuscade. Cent coups de fusil éclatent. Les
trois trompettes et deux de ses cavaliers sont
tués. Lui, blessé au front, fait demi-tour et
revient vers ses cazadores. Ils achevaient de
franchir les fortifications. Surpris au milieu
d'une évolution par l'arrivée des ennemis,
ils se mettent à la débandade et culbutent la
gendarmerie qui les suivait. Celle-ci se re-
forme sous les ordres de La Madrid. L'enne-
mi démasque une pièce d'artillerie qui fou-
5.
82 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
droie les Impériaux, jusqu'à ce que le lieu-
tenant Imbert, à la tête de vingt gendarmes,
parvienne à s'en emparer. Les libéraux cè-
dent. La nuit est venue. On rentre à Cuer-
navaca. Le colonel a disparu. Le lendemain,
on pousse une reconnaissance. On le trouve
au milieu d'un tas de morts, admirablement
dépouillé et si horriblement mutilé qu'on
le reconnut seulement à sa belle barbe noire,
célèbre dans tout Mexico.
Ce La Madrid n'était pas, à vrai dire, un
^militaire. Il était renommé comme le plus
habile laceur du Mexique, comme Thomme
qui, avec son laço^ exécutait les tours de
force les plus difficiles , laçant tel pied du
cheval avec le cou de la bête, liant tel
pied désigné de l'animal avec le corps du ca-
valier. Mais, par-dessus tout, il était brave et
loyal, et nous n'avons pas voulu oublier cette
noble figure mexicaine quand nous avons à
présenter tant de basses physionomies.
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DE L'EMPIRE MEXICAIN. 83
On revint à Mexico, d'oîi Ton fut immé-
diatement envoyé à Tolitca^ — à 1 6 lieues :
l'ennemi gagnait, — pour dégager la garni-
son. On la ramena vers la capitale, traînant
à la suite les habitants qui voulaient fuir les
vengeances juaristes. Le convoi était long.
Ce ne fut ni sans grand'peine, ni sans gran-
des pertes que l'on parvint à passer les célè-
bres défilés de las Cnices. Plusieurs de nos
compatriotes n'oublieront pas cette rude
retraite.
L'ennemi gagnait , avons-nous dit , et
Mexico tombait en frayeur mortelle. L'or
s'enfouît àdes profondeurs inconnues jusque-
là, les boutiques se fermèrent comme des
tombes et les habits prirent des apparences
lamentables, lorsqu'après ces deux expédi-
tions l'on apprit, au- commencement de jan-
vier 1867, que la petite armée impériale
allait recevoir le coup mortel, et cela, au
nom de V empereur Napoléon.
*<"•*•
90 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
L'intérêt français -et l'intérêt mexicain
étaient, en effet, en lutte sur cette question.
Un certain nombre de nos soldats, libérés ou
non du service militaire, étaient entrés dans
cette armée mexicaine. Ils avaient été auto-
risés, avaient reçu une prime d'engagement et
avaient prêté serment à l'empereur Maximi-
'lien. Quand le départ de nos troupes fut dé-
cidé, il y eut, paraît-il, quelque hésitation
sur le point de savoir si l'on devait ou non
laisser ces auxiliaires à Meucimilien. Lui eus-
sent-ils sauvé l'empire et la vie ? L'empire,
non, sans doute; la vie, cela paraît vraisem-
blable. Je n'ai pas rencontré un seul voya-
geur qui n'affirme qu'un corps de 5,000 Eu-
ropéens ne puisse se porter sur tous les
points qu*il lui plaira du Mexique, en culbu-
tant toutes les forces di^ pays. Quoi qu'il en
soit de cette vérité ou de cette présomption,
le désir d'arracher le plus grand nombre
possible de nos nationaux aux vengeances
DE L*EMPIRB MEXICAIN. 16
juaristes remporta sur toute autre consîdé-
ration.
L'avenir dira si ce fut le seul motif déter-
minant et quel a été le sens exact des ordres
envoyés de Paris au maréchal. J'ai eu entre
les mains tous les documents de la question,
sauf ceux-là, et je citerai des ordres du jour
cil l'autorité de l'empereur Napoléon e^t
nettement invoquée pour ordonner le rapa-
triement de tous nos compatriotes.
J'insiste sur ce point, dont Escobedo fît un
des incidents les plus douloureux pour nous
dans cette lugubre histoire. Nous raconte-
rons quelle inattendue et féroce interpréta-
tion il sut donner à la circulaire par laquelle
le maréchal, pour vaincre toute hésitation,
rappelait la loi qui prive de sa qualité de fran-
çais tout Français ayant accepté du service
sous un gouvernement étranger.
Le gouvernement mexicain lutta de toutes
ses forces contre ces prétentions de notre
80 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
état-major. Il sentait bien qu'on lui enlevait
l'une des dernières chances de salut. Il di-
sait que c'était avec le consentement du gou-
vernement français que ces soldats s'étaient
engagés; ils l'avaient fait librement; ils
étaient liés pour cinq ans encore ; ils avaient
reçu une prime de 25 piastres que leur avait .
versée, malgré sa détresse, le trésor mexi-
cain, auquel chacun d'eux avait coûté
325 piastres. Les officiers qui tenaient à
rester affirmaient, eux aussi, que c'était avec
l'autorisation explicite du maréchal qu'ils
avaient prêté serment à Maximilien; ils
niaient le droit qu'on s'arrogeait de les rele-
ver de ce serment et de leur enlever la qua-
lité de français.
Je ne veux pas exposer trop minutieuse- ,
ment cette affaire, malgré son extrême im-
portance. Il suffit d'en noter quelques détails
officiels, qui montreront avec quelles diffi-
cultés était aux prises Maximilien, avec
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 87
quelle tournure à la fois indécise et fiévreuse
se présentait tout incident. Ces détails, im-
partialement généralisés par l'esprit du lec-
teur, permettront de mieux comprendre la
position réciproque du prince et des chefs de
l'armée d'occupation.
83 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
JANVIER 1867.
QUERELLES ENTRE L'EHPEREUR ET L'eTAT-MAJOR FRANÇAIS
QRCULAIRE DU MARECHAL BAZA1NE.
CONFERENCE IMPERIALE. — SIEGE DE TEXCOCO.
CAMPAGNE DE MIRAMON. — BATAILLE DE SAN-JACINTO.
Le 7 janvier 1867, le général Douay, com-
mandant la r* division militaire, et sur le-
quel nul, à ma connaissance, n*a cherché à
faire retomber aucune désagréable respon-
sabilité, écrit à divers officiers français enga-
gés au service mexicain. Je prends, par
exemple, le commandant de la gendarmerie,
à Puebla. Le général lui écrit : « Son Exe. le
maréchal commandant en chef a donné
Tordre formel à M. le lieutenant-colonel
Tindal, commandant la gendarmerie mexi-
caine, de renvoyer immédiatement les mi-
litaires français qui sont entrés dans la gen-
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 89
darmerie mexicaine et qui sont encore liés
au service français. Je vous prie d*assarer
l'exécution de cette disposition, » etc.
, Cette première dépêche n'indique encore
que les militaires liés au service français.
C'est sur ce terrain que la lutte s'engage
entre l'état-major de l'armée de l'Interven-
tion et le gouvernement mexicain. On com-
prend dans quelle pénible situation se trou-
vent nos officiers franco-mexicains, placés
qu'ils sont entre leur devoir français et leur
devoir mexicain, entre le maréchal qui les
punit pour inexécution de ses ordres, et le
général mexicain qui les punit pour exécu-
tion des ordres du maréchal. On conçoit
avec quelle persévérance ils demandent des
explications précises, pertinentes et concor-
dantes, d'autant plus que maint soldat, après
avoir mangé sa prime de 25 piastres, était
fort disposé à vçir dans les ordres du gou-
vernement français les ouvertures les plus
90 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
satisfaisantes et des chances inespérées de
rentrer dans la vie indépendante.
Le H janvier, le général Douay envoie
une nouvelle dépêche :
« L'empereur Napoléon III, — je cite
textuellement, — par une dépêche que me
transmet le maréchal commandant en chef,
prescrit de rapatrier tous les Français, sol-
dats et autres^ qui désirent rentrer, ainsi
que les légions autrichienne et helge^ si elles
le désirent. En présence de prescriptions
aussi formelles, je dois accueillir toutes les
demandes qui me seront faites par nos na-
tionaux. Je le ferai surtout pour les Fran-
çais qui ont servi sous notre drapeau, dont
la protection leur est assurée. J'ai lieu de
penser que cette lettre dégagera votre res-
ponsabilité au sujet des militaires de votre
compagnie qui pourraient réclamer le béné-
fice des intentions bienveillantes de notre
souverain. »
DE L*EUP1RE MEXICAIN. 91
Sans doute ces intentions étaient bien-
veillantes, patriotiques et humaines : il s'a-
gissait de limiter le plus possible les con-
séquences funestes d'une déf^dte politique;
mais Maximilien avait le droit de penser
qu'on était rigoureux et injuste à son égard.
Il voyait bien qu'on cherchait à l'affaiblir de
plus en plus pour rendre plus impérieuse la
nécessité de son abdication. Nous pouvons
aujourd'hui, en contemplant sa mort, pen-
ser que plût à Dieu qu'on eût rendu cette
nécessité inévitable. Mais lui ne pouvait
voir là qu'une violence, analogue à celle
qu'on fait à un enfant indocile pour le forcer
à obéir à son maître.
Puis le terrain du débat avait bien changé,
et les perspectives se trouvaient singulière-
ment agrandies. Ce n'était plus seulement
aux soldats engagés dans le service militaire,
mais à tous les Français, à tous les Euro-
péens, que ces intentions bienveillantes
92 HISTOIRE DBS DERNIERS MOIS
offraient de quitter le Mexique. C'était la
ruine complète de l'armée impériale. Notre
capitaine de gendarmerie le comprenait. Il
communiquait, comme c'était son devoir
meocicain, cette lettre au général Noriega,
commandant à Puebla pour l'empereur.
Le 13, par dépêche télégraphique datée de
Mexico, 10 heures 40 minutes du matin, il
recevait du baron Tindal, commandant la
gendarmerie mexicaine, l'ordre : « Ne don-
nez aucun homme. Je demande de nouvelles
instructions à l'empereur. Je vous enverrai
un télégramme sitôt que j'aurai reçu la
réponse. » A 11 heures 10 minutes vient ce
télégramme : « Par ordre de l'empereur, je
vous défends de remettre un seul gendarme
français au général Douay. »
La position devenait pénible pour notre
officier. Il communique, comme c'est son
devoir français^ les dépêches du colonel
Tindal au général Doùay, du chef d'état-
DE L'EMPIRE UEXIOAIN. 93
major duquel il reçoit ce même jour, 13 jan-
vier, la lettre suivante :
« Le général Douay ne vous demande pas
de lui remettre les gendarmes; il se borne
simplement à donner, ainsi qu'il y est auto-
risé par les instructions du gouvernement
français, la facilité du rapatriement à tous'
les militaires ou civils qui le demandent, et il
continuera, jusqu'à de nouvelles instructions,
à recevoir sous la protection de l'armée fran-
çaise tous les nationaux qui le solliciteront. »
L afiTaire paraissait devenir de plus en
plus obscure, et je crois que notre gen-
darme ne se trouva point parfaitement ren-
seigné. Pourtant je ne sais si j'interprète
mal cette missive rédigée avec une grande
habileté, mais il me semble qu'elle éclaire
bien la situation. On dégageait la responsa-
bilité de l'officier, on ne lui demandait
d'user d'aucune rigueur, mais on offrait la
protection de l'armée française, contre le
94 HISTOIRE DBS DERNIERS MOIS
gouvernement mexicain, à tous les Fran-
çais, quels qu'ils fussent, môme liés par un
engagement, par leur serment, qui vou-
draient quitter Tarmée mexicaine.
Quelle conduite allait tenir Maximilien?
Avait-il quelque moyen de lutter effective-
ment contre ces prétentions? Nous ne le
croyons pas.
Le 14, nouvelle dépêche, moins ferme, du
baron Tindal. Enfin le même jour, il envoie
le télégramme suivant :
« Remettre au général Douay tous les mi-
litaires français qui seront dans votre com-
pagnie. Naturellement vous leur ôterez leurs
armes, chevaux, » etc*
On sauvait les effets : c'était tout ce qu'on
avait pu faire. Ainsi la question est décidée
contre l'empereur pour tous les Français.
Maximilien continue les négociations pour
arriver à ce qu'on ne lui enlève pas les au-
tres Européens.
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 95
Cette conduite faillit, du reste, produire
l'effet attendu. Il semble que les hésita-
tions du prince n'eussent pas complètement
cessé. Le 14 janvier, il réunit, en une con-
férence, sous la présidence de Larès, trente-
quatre des plus considérables partisans de
l'empire. — Je ne compte point dans ce
nombre le maréchal Bazaine, qui pour-
tant assista à cette réunion. — On posa
de nouveau la question : Devait-on con-
server l'Empire? Pouvait-on espérer le con-
solider ?
On établit que l'armée comptait plus de
20,000 hommes, que les revenu^ donnaient
plus de 11 millions de piastres. Marquez
prouva que cela était plus que suffisant pour
triompher des rebelles. Les deux tiers des
membres présents se prononcèrent pour la
continuation de l'empire. Les deux évêques
qui faisaient partie de la réunion s'étaient
abstenus de voter.
96 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
L'empereur fit vendre tout ce qui lui res-
tait, pour venir en aide au trésor. Mais je
ne crois pas qu'alors encore il fût bien con-
vaincu de la sagesse de sa décision. Dans la
soirée du 1" février 1867, je le trouve en
conversation avec M. J. M . Blasio, son secré-
taire particulier, et un gentilhomme fran-
çais, qui resta auprès de lui jusqu'à la der-
nière extrémité.
— Plus que jamais, disait le prince, je
suis décidé à rester au Mexique. D'ailleurs
la conduite que Ton a tenue à mon égard au
sujet de mon abdication m'en fait une ques-
tion d'honneur !
Faisait-il allusion à la conduite des Fran-
çais ou aux marques d'attachement que lui-
avaient données les conservateurs mexi-
cains? Je ne sais ; mais je crois voir dans ces
paroles une réponse à bien des objections
qui s'élevaient au fond de ses pensées inti-
mes. 11 ajouta, en congédiant le Français, et
DE L*BMPIRB MEXICAIN. 97
en lui jetant on regard que celui-ci n'ou-
bliera pas :
— Noblesse oblige.
C'était bien là l'argument décisif, c'était
ce qui coupait court à toutes les objections
de son jugement; c'était la grande pensée
qui anima d'un souffle si vigoureux ses pa-
roles dernières.
Il avait été décidé que l'armée française
quitterait définitivement la capitale le 1 " fé-
vrier. Pendant tout ce mois de janvier,
Mexico était agité par un double mouve-
ment. La ville se remplissait de Mexicains
accourant de l'intérieur; elle se vidait des
Européens qui suivaient les divers corps
français traversant Mexico en venant du nord
ou du centre et continuant leur route vers la
Vera-Cruz, point d'embarquement.
L'ennemi gagnait toujours, d'ailleurs.
Dans la dernière quinzaine de janvier, il
assiégeait Texcoco, ville importante, séparée
98 HISTOIRE DES:|DBRNIBRS MOIS
de la capitale par le lac du môme nom.
Maximilien avait décidé un mouvement de
concentration sur Mexico. C'est à cette épo-
que que je vois paraître dans mes notes deux
personnages qui doivent jouer un rôle bien
différent dans cette histoire et qui se trou-
vent face à face pour la première fois : le
commandant Chenet, futur chef de la con-
tre-guérilla française, et le colonel Lopez.
Celui-ci était alors renommé par son dévoue-
ment à l'empereur, et célèbre pour la con-
duite courageuse qu'il venait de tenir dans
la campagne du Nord contre les flibustiers
yankees*
Le commandant Chenet venant de Puebla,
à la tête de sa compagnie de gendarmes, se
rendait à Mexico, avec tout ce qui restait
de troupes européennes, avec le bataillon
Hamerstein et le régiment des hussards
rouges. Le 25 janvier, le général La Cadena,
commandant la colonne, le fit appeler. Il
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 99
lui ordonna de se rendre, avec sa compagnie
de gendarmes et celle d'Orizaba, à Texcoco
pour faire évacuer la ville que Lopez, avec
700 hommes, défendait à grand peine contre
les Juaristes. Il lui donnait, en outre, Tordre
de faire sauter les fortifications, de ramener
à Mexico le préfet politique, les archives et
environ 500 prisonniers libéraux.
La mission était honorable, mais délicate.
Le préfet était général, Lopez, colonel; Tor-
dre devait leur être absolument désagréable;
il leur était porté par un simple comman-
dant, et notre commandant, sceptique comme
tout Français sur la loyauté mexicaine , était
convaincu que la première pensée de tout
Mexicain recevant une consigne est d'es-
sayer de s'y soustraire en passant à l'en-
nemi. Il commença par demander à La Ca-
dena des pleins pouvoirs écrits. Cette sage
défiance Thonora aux yeux de son chef qui
lui donna sa signature. Puis notre gendarme
400 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
partit dans la nuit du 25 au 26 janvier et
arriva à Texcoco à sept heures du matin. Il
avait traversé les avant-postes juaristes, dont
les ardeurs belliqueuses n'étaient pas encore
éveillées, et qui le laissèrent passer.
Le commandant commença par disposer
sa troupe en bataillon sur la place de la ville
avec toutes les précautions naturelles à un
officier français qui a fait les campagnes de
Crimée et d'Italie, et qui ne veut pas être
mis dedans par des Mexicains. Il alla ensuite
trouver le préfet politique, auquel il apprit
l'objet de sa mission. Celui-ci, furieux,
commença par ofiFrir très-gracieusement
»
d'envoyer les gendarmes loger chez l'habi-
tant. Le commandant répondit que ses
hommes adoraient le grand air. Puis faisant
remarquer leur tournure martiale, il de-
manda à Son Excellence s'il n'y aurait pas
vraiment quelque crime à déranger des
o mines si parfaitement postés au centre de
DE L'EMPIRE MEXICAIN. iOI
la ville, et disposés à obéir au premier signe
de leur commandant. Le préfet monta de la
gracieuseté à la tendresse. Lopez arriva sur
ces entrefaites.
Il débuta par affirmer rudement qu'un
général et un colonel n'avaient pas d'ordres
à recevoir d'un commandant. Le préfet poli-
tique lui fit observer la belle ordonnance
que gardaient les gendarmes. Lopez, quit-
tant la rudesse pour l'éloquence, assura qu'il
n'avait aucune envie de s'opposer aux vo-
lontés du général La Cadena, mais il prouva
victorieusement qu'on serait attaqué à la
sortie, que les prisonniers ne pourraient pas
être gardés, ni les archives défendues, ni les
retranchements abattus.
Le commandant n'avait rien à répondre à
cette éloquence. Il salua silencieusement et
il sortit.
«
Il fit saisir toutes les barques sur le lac
et y fit embarquer les prisonniers et les ar-
< .
402 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
chives. Puis il annonça bruyamment son
départ pour le lendemain à huit heures du
matin.
Le soir venu, un piquet de gendarmes
recueillit les Indiens de bonne volonté ; — et
comment un Indien pourrait-il n'être pas de
bonne volonté en face d'un gendarme? —
on les conduisit aux retranchements, qu'ils
commencèrent à raser, avec l'aide des sol-
dats de Lopez. A une heure du matin, l'ou-
vrage étant fort avancé, le commandant alla
trouver le colonel et le préfet, leur indiquant
son intention de partir à deux heures. Il n'y
avait plus de fortifications, il fallait bien
suivre.
A deux heures. Son Exe. le général et le
senor colonel quittaient Texcoco, à la tête de
leur armée. Le commandant, après avoir mis
partie de sa troupe à l 'avant-garde, partie à
l'arrière-garde, et flanqué le corps mexicain
de 25 gendarmes de chaque côté, vint se met-
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 103
tre respectueusement aux ordres de M. le pré-
fet politique, qui avait passé de la tendresse
au dévouement, et de M. le colonel qui de la
gravité était arrivé à Taustérité. Mais il y
ïtvait trop de gendarmes en avant comme en
arrière : Tun réserva pour une plus facile oc-
casion son dévouement? l'autre son austérité.
On traversa de nouveau l'armée ennemie.
Les Juaristes n'attendaient les ennemis qu'à
huit heures du matin; leur ardeur guerrière
était encore endormie, elle se réveilla quel- '
que peu pourtant. Pendant que les gendarmes
entraient dans leurs lignes, ils se répandi-
rent, à distance, en injures contre la lâcheté
des Européens, qui partaient plus tôt qu'ils
ne l'avaient annoncé. Enfin, se rappelant que
la ville était ouverte f ils se précipitèrent,
— pendant que les assiégés passaient à tra-
vers leur camp , — vers Texcoco pour se
venger sur les magasins de la fourberie
couarde des Impériaux.
104 HISTOIRE DBS DERNIERS MOIS
J'ai raconté avec détail ce fait qui éclaire
mieux qu'une dissertation la situation mili-
taire.
Ce fut peu de temps après cette petite ex-
pédition, que nos Européens apprirent la
fatale issue de la bataille de San-Jacinto et
l'horrible exécution ^ui suivit cette défaite.
Au commencement de janvier, Miramon,
on se rappelle, s'était dirigé vers le Nord. Il
avait pour but de saisir Juarez, de débar-
rasser les provinces de Zacatecas (à plus de
170 lieues au nord de Mexico) et de Du-
rango. Il devait ensuite rallier les troupes
impériales qui défendaient le centre de
l'empire.
Il avait attaqué et emporté Zacatecas et
poursuivi les dissidents jusqu'à 3 lieues de
la ville, — 27 janvier. — Il avait failli pren-
dre Juarez, qui ne dut son salut qu'à la vi-
tesse de ses mules. Il avait rallié divers corps,
et avec une armée de six mille hommes en-
DE L'EMPIRE MEXICAIN. i05
viron, il s'était porté à la rencontre d'un
corps juariste, d'égale force, commandé par
Escobedo.
Les deux troupes s'étaient rencontrées à
San-Jacinto, petit village situé près de la
capitale du Zacatecas. Au milieu de l'action,
un régiment de Miramon, acheté par Esco-
bedo, s'était brusquement tourné contre ses
compagnons de l'armée impériale. Celle-ci,
surprise et ainsi trahie, avait été obligée de
mettre bas les armes. Miramon, avec quel-
ques cavaliers, avait pu s'échapper. Il rejoi-
gnit le général Castillo, son brigadier, près
de San-Luis de Potosi. Il se trouva ainsi
à la tête d'une nouvelle colonne forte de
3,000 hommes. Il fut attaqué à la Quemada,
au pied des montagnes qui séparent au sud
l'État de San-Luis de Potosi de l'État du Gua-
najuato, entre la ville de San-Felipe et celle
de Dolores-Hidalgo. On peut voir la course
qu'il avait faite depuis San-Jacinto. Il re-
^ I
406 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
poussa Tennemi, qui n'avait pas eu le temps
d'acheter quelque colonel. Il continua son
mouvement de retraite sur Queretaro, oii
il arriva le 10 février. Mejia, à la tête de
900 hommes, commandait la place.
Je suis heureux d'avoir pu me procurer le
nom de ce régiment (8* régiment de cavale-
rie) qui trahit à San-Jacinto. J'ignore le nom
de son colonel ; je le voudrais confier à l'his-
toire. C'est à cette première trahison qu'il
faut attribuer la ruine de l'empire, qu'une
série d'autres trahisons devait consommer.
Là du reste, comme à Queretaro, la férocité
devait couronner l'œuvre.
Escobedo fit trier parmi les prisonniers de
guerre 104 officiers européens, parmi les-
quels 97 Français. Il les fit fusiller par grou-
pes de 10, comme un troupeau, après avoir
rappelé aux Français qu'ils n'étaient plus que
des bandits depuis la circuteire du maréchal
Bazaine. Celle-ci, on se le rappelle, déclarait
r'W
DE L'EMPIRE MEXICAIN. i07
déchus de leur qualité de Français tous ceux
qui resteraient dans Tarmée impériale. Il est
probable que beaucoup de ces officiers, en-.
gagés dans l'intérieur ou partis avec Mira-
mon, ignoraient toute cette discussion entre
letat-major français et le gouvernement
mexicain.
J ai le regret d'ignorer aussi les noms de
ces pauvres soldats fusillés. Je sais seulement
qu'ils appartenaient au bataillon de cazado-
res du Zacatecas, à la compagnie des gen-
darmes du Guadalajaron, commandant Lau-
rent, ancienne et célèbre compagnie du
brave commandant Bertelin.
Il y avait dans l'acte d'Escobedo quelque
chose de si insolemment féroce qu'il sem-
blait un accès de folie furieuse. On ne put
l'expliquer qu'en songeant à la couardise se
vengeant avec raffinement de l'ennemi en-
chaîné qui l'a fait longtemps trembler. Mais
la sauvagerie de l'Indien mâtiné se montrait
i08 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
si à clair, que, même au Mexique, même
aux États-Unis, la conscience publique se
révolta. Les compagnons des victimes sur-
tout se sentirent exaspérés.
On voulut faire retomber la faute première
de cette exécution sur le maréchal Bazaine,
fort innocent et, nous l'espérons, fort at-
tristé de l'atroce interprétation qu'un sau-
vage pouvait donner à ses proclamations. Je
ne publierai donc pas in extenso une lettre
que j'ai là, signée par dix officiers français
restés au service de Maximilien, lettre qui
parut à Mexico dans les journaux du 26 fé-
vrier, et qui poursuivait de malédictions le
maréchal au moment oili il allait s'embar-
quer. Il y avait alors une telle exaspération
du gouvernement mexicain contre notre
état-major que cette lettre, m'a-t-on affirmé,
fut revue et augmentée, sinon faite, sur l'or-
dre du cabinet impérial, par un Français
qu'il est inutile de nommer. Ce personnage
•Mmr-n ;
DE L'EMPIRE MEXICAIN. -409
eut, je crois, après la prise de Mexico, de
grosses querelles avec notre ambassadeur.
Cette lettre se terminait ainsi :
« Ce sang crie vengeance et nous le ven-
gerons! Que le gouvernement de- sa Majesté
nous forme en légion, tous tant que nous
sommes, Français, Belges, Autrichiens, et
nous mette en avant-garde sous les ordres du
général Miramon. Nous combattrons, nous
mourrons tous, jusqu'à ce que nous ayons
vengé nos pauvres camarades. On verra alors
si nous ressemblons à ces lâches bandits qui
assassinent les prisonniers et gardent les
blessés pour de nouvelles hécatombes. »
Hécatombe me gâte un peu ce morceau et
sent la main d un homme de plus d.e passion
que de style, mais le sentiment était sincère
et Texaspération partagée par tous les Euro-
péens.
1
MO HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
VI
LE PARTI CONSERVATEUR ET KAXIMILIEN. — MIRAMON.
MARQUEZ. LAREZ. — LES ÉVÊQUES.
DÉPART DES FRANÇAIS. — L'ARMÉE AU MEXIQUE.
UNE COMÉDIE DIPLOMATIQUE.
Les conséquences de lafifaire de San-Ja-
cinto nous ont mené un peu loin. Nous
avons laissé la masse des événements et
quitté le grand courant de l'histoire mexi-
caine à la fin de janvier 1867. Rejoignons-le
à cette date, qui est celle où Maximilien
quitta Thacienda de la Teja pour rentrer à
Mexico même.
Sa pensée n'avait pas quitté les troupes
européennes, les seules sur lesquelles il
croyait pouvoir compter, non-seulement
comme courage, mais surtout comme fidélité,
au milieu des trahisons dont il se savait en-
touré. Il fait publier le 26 de ce même mois,
DE L'EMPIRE MEXICAIN. iil
dans le journal officiel, une lettre et une
proclamation. La lettre, adressée au ministre
du Fomento, recommande de concéder
des terrains aux Français qui se trouvaient
dans l'impossibilité de quitter le Mexique.
C était là un moyen détourné et diplomatique
de contre-balancer reflfet des efforts du ma-
réchal pour le rapatriement de nos nationaux
et d'engager le plus de Français possible à
créer ou à simuler cette impossibilité. La
proclamation, adressée à Tarmée mexicaine,
lui recommandait les sentiments les plus
fraternels pour « le nombre considérable à^^
fils de la noble France » qui s'étaient engagés
dans Tarmée impériale. Ce nombre était
loin d*être aussi considérable que le laissait
supposer la proclamation*
Nous avons indiqué l'état des troupes euro-
péennes au mois de décembre; depuis lors,
la circulaire du maréchal et les efforts de la
légation avaient diminué l'effectif de ces
il2 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS -
troupes dans une proportion notable. Bien
que je n'aie pu avoir le chiffre précis, je suis
porté à croire que Tarmée impériale ne ren-
fermait pas, à la fin de janvier, beaucoup
plus de 500 Français. Mais ici l'exagération
avait un double but. D'abord elle encoura-
geait les soldats indigènes ; les Français , en
effet, disaient, sans Irop se faire prier, qu'un
soldat français vaut cinq soldats mexicains,
et les Mexicains, quoiqu'ils n'en voulussent
rien croire, agissaient souvent en consé-
quence. Les soldats impériaux se sentaient
doûc fort encouragés par la pensée de
compter tant de Français dans leurs rangs.
En second lieu , cette exagération était une
vengeance contre le maréchal et l'ambas-
sade, qu'elle était destinée à irriter.
L'état-major n'avait que trop d'occasions
de rendre coup pour coup, vengeance pour
vengeance, irritation pour irritation. Toute
l'histoire de ces dernières années n'avait été
DE L'EMPIRE MEXICAIN. U3
trop souvent que cet échange d'estocades
diplomatiques, de coups sourds exaspérant
ramour-propre, blessant la vanité et faisant
cabrer l'orgueil.
A ce moment, du reste, l'exaspération
était au comble dans les régions officielles
mexicaines; on n'entendait parler que de la
violdcion del tratado de Miramar^ puis de
el retira del apoyo que el marescal debia al
gohierno de Mexico, mais surtout de el en-
carnizamiento para hacer ahdicar al em-
peradôr (des intrigues pour pousser l'em-
pereur à abdiquer).
Maximilien ne pouvait oublier ce dernier
fait, et, le 1" février 1867, il disait encore :
« Je suis revenu d'Orizaba principalement
parce que j'ai connu quel était le trafic que
l'on faisait en jouant sur mon abdication. »
Je ne comprends pas complètement ce qu'il
voulait dire par ce mot trafic. Je sais bien
que, selon lui, des intérêts particuliers, des
U4 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
intérêts financiers, tout autant que l'intérêt
patriotique français, étaient en mouvement
pour faire réussir cette abdication; mais je
sais surtout que le visage de Maximîlien était
contracté de colère quand il prononçait ces
paroles. Il soupçonnait notre ambassadeur
de songer surtout à sauver ses mines d'ar-
gent; et il croyait qu'on voulait s'entendre
avec Ortega, auquel on demandait la recon-
naissance des dettes contractées envers les
«
Français.
Il disait encore ce même jour, — cinq
jours avant le départ définitif de l'armée de
l'Intervention, — un mot qui ouvre uiie vue
profonde sur ses pensées intimes et sur l'his-
toire de ce temps-là, il disait : // faut que
je spjvyetlle Miramon.
Maximilien portait la peine de la politique
compliquée qu'il avait suivie, politique qui
se résume en ceci : faire de l'ordre avec du
désordre, et s'appuyer sur ses ennemis pour
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 415
les paralyser. Il s'était dît : Les conservateurs
sont nécessairement à moi, puisqu'ils sont
compromis pour moi ; négligeons-les et ral-
lions les révolutionnaires en leur donnaiit le
gouvernement.
Il arriva de là que le clergé, voyant ses
ennemis au pouvoir, s'éloigna de l'empire,
et que les révolutionnaires, en exerçant les
fonctions publiques dans l'empire, employè-
rent naturellement leur autorité impériale à
harceler, par une vengeance instinctive ou
raisonnée, l'influence française, qui avait
détruit la république.
En fait, les ministres libéraux bornèrent
leur action à extorquer à Maximilien sa
signature au bas de cette loi du 3 octobre
contre les soldats libéraux, signature qui lui
coûta la vie.
Je n'ignore pas pourtant tout ce que cette
politique présente d'ingénieux. Je sais com-
bien le clergé mexicain est corrompu, com-
M6 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
bien la diplomatie française fut impatiente,
et combien il était difficile de baser une con-
duite gouvernementale sur les exigences
combinées du clergé mexicain et de Tétat-
major français ; mais Maximilien, capable de
comprendre les plans du génie politique,
était incapable de les exécuter, et, en
somme, les faits condamnèrent ses théories,
puisqu'à la fin de son règne il fut obligé
d'en revenir aux conservateurs.
Alors il ne trouva plus des dévoués, non
plus des amis, mais des alliés qui jouaient,
si je puis dire, leur partie, à côté de la
sienne; seulement ils la jouaient avec ses
propres cartes. Il le sentait, il le savait, il se
défiait de tout.
La froideur que montraient les plus res-
pectables d'entre les évêques mexicains ,
l'archevêque de Mexico, Tévêque de San-
Luiz de Potosi, celui de Tulancingo, était
pleine d'enseignement. Ils indiquaient le
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 117
désîr de rester neutres, et pour eux, qui
savaient n'avoir à attendre que la persécu-
tion et Texil en cas de défaite de l'empire,
garder la neutralité, c'était une énergique
manière d'accuser.
Miramon et Marquez, chefs militaires du
parti conservateur, qui avaient été envoyés
étudier, l'un, l'art de la fortification en Prusse,
l'autre, les progrès de la civilisation en Tur-
quie, revenaient sans aucun désir de retour-
ner , , une fois l'empire victorieux , à leurs
études européennes. Ils défendaient Maxi-
milien, mais pour en hériter.
Cela encore l'empereur le savait, et ce
qu'il disait à l'un de nos compatriotes le
1" février, il le répétait à l'un des trois di»-
plomates qui le visitaient dans sa prison —
je crois bien que c'est à M. Hoorickx : —
« Mais Miramon n'est pas mon homme, et
c'est à Marquez que je dois d'être ici. »
Nous aurons plus tard à juger Marquez;
7.
U8 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
quant à Miramon, sa mort glorieuse, sa bril-
lante fortune, ce quelque peu de sang fran-
çais qu'il avait dans les veines, ses allures
ouvertes, sa tournure chevaleresque, nous
Tout rendu sympathique. Mais Maximilien,
qui avait. dans son cabinet les dossiers de
tous les Mexicains importants, y avait lu
»
de véritables accusations contre Miramon. —
On en peut prendre connaissance, Juarez
ayant publié sous ce titre : les Traîtres ju-
gés par eux-mêmeSy ce dossier qu'on accusa
le P. Fischer d'avoir livré, pour avoir la vie
sauve, sans doute.
Dans ce dossier. Marquez avait aussi in-
scrit à son avoir des crimes sans nombre,
toutefois des crimes purement mexicains,
purement politiques, si l'on veut, et que l'on
pouvait appeler non pas assassinats et vols,
mais actes de férocité. On le surnommait la
hyène de Ttccabaya^ parce que, après une
victoire, il avait fait fusiller des médecins
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 119
coupables d'avoir soigné des blessés enne-
mis. On était convaincu qu'il était resté en
relation avec Santa-Anna; on n'ignorait pas
qu'il était l'homme du clergé, tandis que
Miramon, son rival, représentait une nuance
plus politique du parti conservateur. Maxi-
milien savait que Fischer, son propre chef
de cabinet, et Larez, son premier ministre,
étaient aussi les hommes du clergé. Pour-
tant il ne put résister à l'influence de ces
deux derniers , influence qui s'exerçait uni-
quement en faveur de Marquez et contre
Miramon. Ajoutons, pour excuser encore
Maximilien, que Marquez ne semblait pas
ambitionner le premier rang; il restait obsti-
nément au second, et, des Mexicains de cet
ordre, il était le seul qui n'eût pas été accusé
d'avoir trahi son parti.
Enfin, l'on voit se dessiner de plus en plus
s.
la situation de l'empereur aux dernières
heures qui précèdent le départ des Français :
420 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
pas de parti, seulement une adhésion, et
encore momentanée; pas d*.amis, des alliés,
mais douteux ; pas de peuple en face de lui,
mais une bande de loups, et une multitude
de moutons; nul aide d'aucune nation au
• monde, et un ennemi âpre, acharné, sour-
dement furieux: les États-Unis; enfin des
généraux, mais suspects, et pas d'armée.
Cela, il faut le répéter. Il faut, en effet,
rappeler la composition de toute troupe
mexicaine pour comprendre le coup mortel
que porta à cette force de 20,000 hommes,
constatée en décembre 1866, le rapatriement
des soldats et officiers européens. Les sol-
dats, dans toute armée mexicaine, sont pres-
que uniquement indiens. On a entouré soit
leur village, soit le marché oii ils sont venus
apporter leurs provisions ; on les a saisis et
menés enchaînés dans des casernes où on les
exerce à l'héroïsme et au maniement du fusil,
mais oîi ils ne restent que contraints et for-
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 121
ces. Je ne parle pas des troupes de Mejia et
de Mendez; ces deux généraux étaient des
caciques, des chefs militaires, des princes
féodaux, à peu pr^s indépendants, gui
avaient planté leurs lances devant leur tente
et que leurs hommes suivaient à la guerre.
Dans les autres corps, les soldats sont sou-
vent des prisonniers qu'on a affublés d'une
culotte, d'un chapeau, d'un fusil, prisonniers
patients, ayant la bravoure de la résignation,
mais à qui la victoire ou la défaite, le parti
conservateur ou le parti libéral sont absolu-
ment indifférents, victoire ou défaite ne pou-
vant avoir pour eux d'autres résultats que la
chance de jeter là fusil et cocarde et de fuir
vers le village. Le seul lien qui les retienne,
c'est le cadre, c'est l'œil de l'officier.
On devine quelle débandade arriva, quand
la circulaire du maréchal Bazaine brisa le
cadre des officiers, en enlevant des corps les
Européens I On reforma ce cadre avec d'an-
i22 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
ciens officiers mexicains en non-activité, et
on courut dans les sieTTSJS presser d'autres In-
diens. Mais il fallait recommencer à rompre
ces pauvres gens à una ombre de discipline.
On a accusé les Français d'avoir fait briser
les projectiles, les armes, et noyer les pou-
dres. Les Français répondent qu'on détrui-
sit uniquement tout ce qui était inutile aux
Mexicains. Je n'ai pas, en effet, entendu les
impériaux se plaindre d'avoir, dans la capi-
tale, manqué de munitions.
Le 5 février, le maréchal Bazaine quit-
tait Mexico à la tête de la dernière division
d'occupation. Le 2, quelques troupes euro-
péennes restées au Mexique avaient quitté
Saint-Angel pour venir occuper la capitale.
Maximilien était, pour la première fois,
maître dans le centre de son empire.
Sa position n'était pas, nous l'avons vu,
très-brillante. En dehors de Mexico, il ne lui
cestait guère comme villes importantes que
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 123
Oueretaro, Puebla et Vera-Cruz. Mais, après
tout, se sentant libre, ferme et brave, débar-
rassé de ses incommodes tuteurs, de ses
irritants alliés, il put espérer que la guerre
lui donnerait ce que la diplomatie lui avait
refusé, et se sentit heureux quand il partit,
quelques jours après, à la tête d'une sorte
d armée. Il put sourire à la vie d'aventure,
rêver la gloire et songer joyeusement, en se
dirigeant vers Queretaro , à cette épée de
Charles-Quint qui, lors de son voyage en
Espagne, lui avait inspiré de si hautes et de
si vaillantes pensées.
Il avait l'épée, aujourd'hui; n'allait-il pas
pouvoir, sur cette terre nouvelle, se décou-
per un empire que son grand ancêtre lui-
même eût trouvé grand ?
Sunt lacrymœ rerum! les larmes et le
rire se suivent dans l'évolution des événe-
ments.
Je crois que ce fut vers cette date, c'est-à-
i24 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
dire peu de temps après le départ de Tarmée
de r Intervention, qu'eut lieu cette réunion
de diplomates^ d'où l'élément comique ne
fut pas absent. Ma mémoire rebelle ne veut
plus me fournir que la moitié de la scène et .
qu'une date approximative, et j'imagine que
je tenterais vainement de trouver auprès du
ministre de France de quoi compléter mes
souvenirs.
Larez, le chef politique du parti conserva-
teur et le président du conseils des ministres,
était un petit homme qui, comme M. Stevens,
le chef des radicaux américains, qui vient de
mourir, semblait toujours prêt à rendre l'âme
et qui cachait dans ce corps débile une âme
d'une énergie et d'une activité infatigables,
une volonté de fer et quelques-unes des fortes
qualités intellectuelles de l'homme d'État. Il
avait, comme l'empereur, rêvé lui aussi un
congrès, mais un congrès de diplomates.
Il réunit donc tous les ministres accrédités
DE L*EMPIRE MEXICAIN. 125
auprès de l'empire, et leur demanda leur opi-
nion sur la question de savoir si l'empereur
devait abdiquer. Sous cette' question faite
avec la bonhomie que le Mexicain sait fein-
dre à merveille, nos diplomates flairèrent un
pîég'e, et chacun se mit à chercher en son
bissac, comme dit la Fontaine dans une cir-
constance analogue, une réponse qui ne dé-
cidât ni pour ni contre. M. Middleton, mi-
nistre d'Angleterre, venait de succéder à
M. Scarlett, vieil Anglais très-roué et qui
avait usé, ai-je dit, ses dernières heures d'am-
bassade à battre la politique française en en-
courageant Maximilien à ne pas abdiquer.
Larez attendait donc de M. Middleton un
avis en ce sens. M. Middleton répondit froi-
dement qu'il ne connaissait pas M. Larez, et
qu'il ne devait avoir de relations qu'avec le mi-
nistre des aflaires étrangères, non avec le pré-
sident du conseil. M. Hoorickx, qui remplis-
sait les fonctions de ministre de Belgique, dit
i26 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
que siSaMajesté lui faisait rhonneur de l'appe-
ler dans son cabinet, il saurait que répondre
et qu'il n'avait rien à dire publiquement sur
une telle question.
Le ministre de France répondit, en sub-
stance, que Sa Majesté savait mieux que
personne quel était son intérêt en cette cir-
constance. — Ce n'était pas trop mal s'en
tirer dans la situation difficile que les cir-
constances faisaient à notre ambassadeur.
— Le baron Lago, ambassadeur d'Autriche,
insinua que c'était là une question de di-
gnité oîi Sa Majesté seule avait mission de
décider.
Bref tous les diplomates sautèrent la ban-
quette irlandaise avec la même aisance. Il
ne restait guère que l'ambassadeur d'Es-
pagne, un joyeux vieillard, qui connaissait
le Mexique et les Mexicains comme ses pa-
tenôtres et. qui était l'ami particulier de
Larez.
DE L'EMPIRE MEXICAIN.. 127
— Voyons, dit-il brusquement, Làrez^pas
de hlagues!
Ce début, que je cite textuellement et qui
tranchait avec l'éloquence pincée des autres
diplomates, excita fort Tétonnement.
— Combien avez-vous d'hommes?
— 40,000, répondit Larez.
— Et de piastres ?
— 20,000,000.
— Farceur ! Vous savez bien que vous
n'avez ni une piastre ni un homme. Si j'ai
un conseil à vous donner, dans l'intérêt de
l'empereur et dans le vôtre, c'est de l'enga-
ger à s'en aller.
L'affaire était manquée. Larez, espérant
que nul diplomate accrédité auprès de l'em-
pire n'oserait conseiller l'abdication, avait
essayé de compromettre les ambassadeurs et
de leur faire promettre l'appui de leur gou-
vernement en faveur de l'œuvre abandonnée
par la France. La ruse avait été éventée.
128 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Le pauvre Maximilien se trouvait seul,
sans môme Tappui moral des puissances
amies, en face du Mexique révolté et des
États-Unis exaspérés.
DE L'EMPIRE MEXICAIN. i29
VII
PLAN DE CAMPAGNE DES GENERAUX DE MAXIMIL1EN.
Les considérations philosophiques vont
désormais céder la place à Texposé des évé-
nements. J'arrive à cette période oîi l'acti-
vité va remplacer l'hésitation dans l'esprit de
Maximilien. Je ne veux pas, sans doute,
m'interdire la recherche des causes ni le ju-
gement sur les hommes, ma.is la poudre par-
lera dorénavant plus que les diplomates. Les
sièges de Queretaro et de Mexico dominent^
cette partie de mon récit.
Le 5 février, les derniers corps de l'occu*
pation française quittaient Mexico, laissant
notre ambassadeur, M. Dano, dans une po-
sition, nous le verrons, fort délicate.
Maximilien était, enfin, maître chez lui,
débarrassé de ces Français à qui il attribuait
130 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
tout le mal, qu'il était arrivé à regarder
comme ses pires ennemis, et dont les der-
niers actes ne semblaient pas faits pour le
ramener à d'autres sentiments. Mais si, en
droit, il était encore empereur, en fait, il
n'était plus qu'un chef de partisans. Il le
comprit, avec ce sens pratique qui paraît
avoir, dans les derniers temps de sa vie,
remplacé en lui l'instinct rêveur. Il faut par-
tir de là pour deviner désormais le mobile
de ses actions.
Il voyait mieux ce que c'était que les Mexi-
cains. Il ne craint pas de nommer ses minis-
tres des «mandarins, » des «vieilles femmes. »
Il a enfin deviné ce que c'est qu'un empire
mexicain ; il a perdu Tillusion de régénérer
le Mexique par le développement ordinaire
de la civilisation, par la législation, par l'ad-
ministration, par la diplomatie j par la bonne
assiette de l'impôt, par l'équité, la modéra-
tion et la douceur. Il n'y avait plus pour lui
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 131
sur la terre de Fernand Cortez ni titre, ni
respect, ni représentation, ni pompe; il n'y
avait que la guerre, et la guerre à la mexi-
caine.
Aussi , les Français partis, Maximilien ne
songea plus à légiférer, mais à tenir des
conseils dé guerre. Là, l'influence de Mar-
quez était prépondérante, car aucun de ceux
qui eussent pu lutter d'autorité avec lui n'é-
tait alors à Mexico.
On décida qu'il fallait, pour l'empereur,
quitter Mexico, pousser jusqu'à Queretaro.
Conseil, dit-on généralement, qui ne put
être donné que par un traître et suivi que
par un imbécile ! Je ne suis pas de l'avis gé*-
néral .
Je sais bien que Maximilien eût été en sû^
reté à Mexico, ville réellement dévouée à
l'empire et qui, défendue et approvisionnée
comme elle pouvait l'être, était imprenable
par des Mexicains. Maïs Maximilien ne res-
132 HISTOIRE DBS DERNIERS MOIS
tait pas au Mexique pour y être emprisonné
dans une ville et déloger piteusement de
Mexico à Puebla, de Puebla à Vera-Cruz.
En cherchant, un peu à Tobscur et à tâtons,
je lavoue, — car je n*ai sur ce point parti-
culier aucun témoignage précis, — les idées
qui durent s'agiter dans Tesprit de Maximi-
lien et de Marquez, je trouve que le conseil
a pu être donné avec sincérité et suivi avec
sagesse.
Queretaro était une des clefs de la partie
méridionale du pays, c'était la frontière de
Tempire, ou plutôt du petit lambeau de ter-
ritoire qui pouvait être considéré comme
appartenant à peu près encore à Tempire,
C'était la plus éloignée, mais la plus sûre de
toutes les bases d'opération que pouvait
prendre une armée prête, selon les circon-
stances, à la défensive et à l'offensive. Fallait-
il attendre que tous les corps ennenais se
fussent réunis, attendre que la capitale fût
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 133
assiégée ? Ne valait-il pas mieux aller à la
frontière soit pour fermer le territoire à lar-
mée envahissante, soit pour battre séparé-
ment chacune de ses divisions, et de là re-
conquérir l'empire tout entier? Fallait-il
abandonner sans résistance une vaste por-
tion de terrain, une ville qui pouvait être
considérée comme un poste avancé de cette
capitale dont le siège était l'objectif évident
de toutes les armées juaristes? Fallait-il en-
fin oublier ce vieux proverbe qui indique,
comme je le disais plus haut, Queretaro
comme la clef du Mexique méridional et la
possession de cette ville comme devant
donner la victoire et l'empire à son posses-
seur?
Maximilien et Marquez purent sagement
et de bonne foi être frappés de ces considé-
rations.
Marquez, en vieux capitaine mexicain,
put ajouter que le temp§ de la guerre métho-
8
iU HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
digue était passé. Il était nécessaire de
reprendre les vieux usages et de se rappeler
qu'au Mexique c'est la guerre qui nourrit et
habille la guerre ; il fallait en revenir au sys-
tème de leva et des prestamos. Or c'est en
courant le pays et non en se laissant assié-
ger qu'on peut faire des levées d'hommes et
exiger des prestations en argent. Il put
affirmer que toutes ces troupes ennemies,
que l'on voyait sillonner l'État de Mexico,
r
n'étaient pas de vrais corps d'armée, mais de
simples bandes, sans cohésion, sans straté-
gie , sans puissance pour nuire à la ca-
pitale. Le danger, les véritables troupes,
les ennemis redoutables n'étaient pas là,
ils étaient autour de Queretaro, dans les
États de San-Luis de Potosi et de Mi-
choacan .
Que Marquez se réservât l'avenir, cela est
possible. Mais, à cette date, je ne lui connais,
encore devrais-je dire, je ne lui soupçonne
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 135
qu'une arrière-pensée, et la voici : Maximilien
avait été si sincère dans son désir de régé-
nération mexicaine, il avait été si convaincu
qu'il était appelé, désiré par la masse du
pays, que l'ensemble avec lequel les États
abandonnés par les Français s'étaient sou-
levés lui avait donné à réfléchir. Il était , en
tout, de si bonne foi, qu'il n'avait pu s'em-
pêcher de prendre estime pour la persévé-
rance et la probité de Juarez. Comme, enfin,
il était incapable de dissimulation, peut-être
même de discrétion, il n'avait pu cacher
quelque chose de tout cela. On le soupçon-
nait, — avec raison, — de nourrir ce rêve,
d'une candeur infinie, ce rêve de rencontrer
Juarez, de s'entendre avec lui, en toute sim-
plicité et bonhomie, sans autre préoccupa-
tion que le bonheur du pays. Marquez put
désirer deux choses, compromettre Maximi-
lîen personnellement et militairement, ren-
dre ainsi toute entente impossible; puis
i36 HISTOIRE 1)£S DERNIERS MOIS
démontrer effectivement à l'empereur, en le
menant au milieu des populations guer-
royantes, que ce soulèvement général en
faveur des républicains était uniquement dû
à l'oppression.
D'ailleurs, Queretaro était situé au pied
de la sierra Gorda, qui était le pays de Mejia,
presque son domaine, oti il régnait féodale-
ment et où il pouvait offrir à Maximilien un
point d'appui, comme un refuge; cela pour
les circonstances extrêmes.
Quant à Maximilien, je soupçonne en son
esprit cent pensées confuses, cent rêves à
côté de bien des réflexions sagement déter-
minantes. Nous avons indiqué quelques-unes
de ces dernières. Il put comprendre aussi la
nécessité de prendre, maintenant que l'on
était en état de guerre, une situation mili-
taire, et l'utilité de commander personnelle-
ment les troupes. C'était le plus sûr moyen
d'avoir à lui un parti que ne lui avaient pas
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 137
donné ses tentatives législatives, administra-
tives et politiques, le seul moyen de pouvoir
lutter contre ces trahisons, ces défections
qu'il voyait ou prévoyait. 11 avait essayé de
tout, il n'avait plus qu'à essayer d'être chef
de guerre. Cela était logique.
Puis dans les profondeurs de son imagina-
tion s'agitaient les rêveries et les impres-
sions fugitives : l'on se rapprochait de Jua-
rez et aussi de la réalisation de l'idée de con-
grès (et cela lui tenait tellement au cœur
que dès son arrivée à Queretaro il envoya
un homme de confiance à Juarez pour lui
demander une entrevue); l'on remportait
une grande victoire, l'on dégageait ainsi la
position des conservateurs et l'on pouvait
honorablement regagner l'Europe; ou enfin
l'on gagnait plusieurs grandes victoires et
on reconstituait cette partie de l'empire de
Charles-Quint !
Puis toutes ces vilenies, tous ces pillages,
8.
idS HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
tous ces bas larcins et lâches trahisons dont
il était entouré, le révoltaient ; la guerre, du
moins, était noble! En outre, Mexico était
sûre et fidèle, tandis que Miramon ou les
autres généraux étaient douteux ; il était
prudent de les aller surveiller. Enfin, il al-
lait peut-être découvrir en soi le génie mili-
taire ! et d'ailleurs quelle impulsion ne pou-
vait pas donner aux soldats impériaux la
vue de leur prince à la tête de leurs batail-
lons !
Je dois ajouter que Maximilien quitta
Mexico avec le projet d'y revenir prompte-
ment. Il était impossible à Miramon, àMejia,
à Mendez de se rendre à Mexico. L'empereur
les allait trouver pour arrêter avec eux, dans
un suprême conseil de guerre, le plan de la
campagne d'où devait sortir la perte ou le
salut de T empire.
Ce fut en chemin, sous l'influence des
circonstances, et probablement quand il vit
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 139
la réception enthousiaste à lui faite lors de
son entrée à Queretaro, qu'il se décida a
prendre en personne le commandement des
troupes. .
440 HISTOIRE DES DERNIERS liaiS
II
MAXIMILIEN QUITTE MEXICO, POUR QUERETÀRO.
INCIDENTS DE LA RODTE. — ARRIVEE A QUERETARO.
PROCLAMATION. — DESCRIPTION DE QUERETARO.
Maximîlien quitta donc Mexico le 13 fé-
vrier 1867. Il y laissait uniquement les trou-
pes européennes : — deux compagnies de
gendarmerie sous le commandement du chef
d'escadrons Chenet et du capitaine Roud; le
bataillon autrichien Hamerstein; les hus-
sards rouges de KevenhuUer. Le tout com-
prenait environ 1,500 hommes. En y joi-
gnant 1 ,000 hommes de la garde municipale
de Mexico, on aura le total des troupes des-
tinées à garder la capitale*
Il est vrai qu'immédiatement commença
la leva. On pressa tout dans les rues, dans
les places, dans les villages voisins; on par-
vint ainsi à composer l'armée de 1 0,000 hom-
DE L'EMPIRE MEXICAIN. i4l
mes que nous retrouverons au siège de
Mexico. L'empereur emmenait avec lui un
corps de quatre à cinq mille hommes, toute
l'armée mexicaine disponible alors à Mexico.
11 était accompagné d un de ses ministres,
Aguirre, du colonel allemand prince de
Salm-Salm, de plusieurs généraux mexicains
et de Marquez, qui commandait l'armée.
L'empereur n'avait avec lui que 70 étran-
gers. Marquez voulait une armée purement
nationale.
La route conduisant de Mexico à Quere-
taro, nommée route du Nord, et sortant de
la capitale par la garita (la porte) de Villeja,
compte, entre les deux villes, une distance
de 50 lieups et demie.
Ce même jour, 13 février, l'empereur put
faire personnellement connaissance avec ses
ennemis. A l'hacienda de la Lecheria, à
5 lieues de Mexico, l'on rencontra une troupe
ennemie que l'on mit en déroute. A une
•
142 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
vingtaine de lieues plus loin, au rancho de
Calpulalpaiï, au pied des montagnes de l'État
de Tula, sur la frontière du Queretaro, Ton
rencontra et Ton écrasa les deux bandes de
orelista et de Cosîo. Maximilien prenait goût
à la bataille, et Ton remarqua avec quel
entrain il se portait au milieu du danger. Il
faisait consciencieusement son noviciat dans
rétude de lart militaire.
Le 17, il arrivait à 14 lieues au delà de
Calpulalpan, à San-Juan-del-Rio , ville de
7,000 habitants, la première que Ton ren-
contre dans l'État de Queretaro en sortant
de celui de Tula, à 10 lieues est de la ville
de Queretaro. C'est à cette date que Maxi-
milien annonça pour la première fois son in-
tention de prendre le commandement de
l'armée, par une proclamation datée de San-
Juan, 17 février, répandue le lendemain à
Queretaro, et que je trouve dans les jour-
naux de Mexico du 26 février :
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 143
« Je me place aujourd'hui à la tête des
troupes, et je prends le commandement de
notre armée qui, il y a deux mois à peine,
pouvait commencer à se réunir et à s'organi-
ser. Ce jour, je l'attendais ardemment de- *
puis longtemps. Des obstacles indépendants
de ma volonté me retenaient. Maintenant,
libre de tout engagement, je puis écouter
uniquement mes sentiments de bon et fidèle
patriote.
« Notre devoir comme loyaux citoyens
nous oblige à combattre pour les deux prin-.
cipes les plus sacrés du pays : pour son in-
dépendance, qui se voit menacée par des
hommes voulant, dans leurs vues égoïstes,
spéculer jusque sur le territoire national, et
pour le bon ordre à l'intérieur, que nous
voyons chaque jour offensé de la manière la
plus cruelle pour nos compatriotes pacifi-
ques ^ Notre action, une fois libre de toute
influence, de toute pression étrangère, nous
i44 HISTOIRE DBS DERNIERS MOIS
cherchons à maintenir hautement l'honneur
de notre glorieux drapeau tricolore. »
Cette dernière phrase, injuste et cruelle
dans son expression générale, fut la mieux
accueillie de tout ce discours, qui causa une
si vive émotion parmi les soldats mexicains .
Cette phrase donnait satisfaction aux ran-
cunes que le trop évident mépris du peuple
protecteur pour le peuple protégé avait fait
naître; elle indiquait franchement, du reste,
quelques-unes des souffrances que nous
avions fait subir à l'orgueil de Maximilien .
Au surplus, il ne devait plus revenir de son
opinion sur notre gouvernement et sur le
maréchal Bazaine. Le 28 février, en écrivant
de Queretaro au P. Fischer, il parle avec
amertume des dernières infamies des Fran-
çais. Un mois après, 29 mars, une autre
lettre accuse avec non moins de violente co-
lère le maréchal et les Français. Nous ver-
rons ce qu'il en dira au moment de sa mort.
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 145
L empereur finit ce discours en annon-
çant qu'il a nommé Marquez chef d'état-
major général, Miramon, Mendez et Mejia
chefs de chacun des trois corps d armée.
Le 19, Tempereur fit son entrée à Quere-
taro. « Les généraux Marquez, Mejia, Vi-
daurri, M. le ministre Aguirre et un grand
nombre d'officiers accompagnaient l'empe-
reur. Les rues étaient luxueusement ornées
et remplies d'une foule enthousiaste. La joie
se montrait sur tous les visages. Les troupes
de la garnison de Queretaro formaient la
haie jusqu'à l'entrée de l'église principale,
où un Te Deum a été chanté. Après cette
cérémonie, l'empereur reçut les autorités ci-
viles, qui prononcèrent plusieurs discours
auxquels Sa Majesté répondit avec émotion.
L'empereur se plaça au balcon pour assister
au défilé des troupes. Les transports de joie
de l'armée et de la population sont indes-
criptibles. »
9
H6 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Nous croyons inutile de donner les dis-
cours prononcés par les autorités civiles et
militaires. 11 y a pourtant dans les paroles
de Miramon un sentiment énergique et vrai,
exprimé avec une simplicité à laquelle la
rhétorique mexicaine ne ma pas habitué ; il
remercie noblement Maximilien d'être venu
à Taide des défenseur* d une société infor-
tunée qui veut se sauver des horreurs de
lanarchie et de la prochaine dissolution qui
la menace.
Il faut reconnaître aussi que ces indes-
criptibles transports de joie de Tarmée et de
la population étaient sincères. L'armée
yoyait dans l'empereur un personnage qui
lui apportait sa solde, extrêmement oubliée
depuis longtemps. La population avait ap-
pris la marche d'Escobedo d une part et de
Ju^rez d'autre part, tous deux se dirigeant
vers la capitale en passant sur Queretaro.
Les Quérétariens savaient ce qu'il en coûte
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 147
de se trouver sur de tels passages. En voyant
tant de troupes impériales, ils espérèrent
qu'elles allaient se porter en avant pour,
attaquer Escobedo à Celaya, grosse ville de
37,000 âmes, située dans TÉtat voisin
(Guanajato), à H lieues environ de Quere-
taro.
Les plans financiers de larmée et les plans
militaires de la population eurent le même
destin; la solde n'était pas venue, et les
troupes ne s'en allèrent pas. Ce trésor im-
mense que l'empereur, disait-on, apportait
de Mexico, se composait tout simplement de •
50,000 piastres : il y avait à peine de quoi
payer l'arriéré de la solde des nombreux co-
lonels qui commandaient la petite armée.
Ils étaient environ 50, les généraux étaient
au nombre de 20, et l'armée réunie à Que-
retaro comprenait environ 6,000 hommes :
12Q soldats par colonel, 300 soldats par gé-
néral; c'était peu. Les habitants, trouvèrent
148 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
que c'était beaucoup. Ils commençaient, en
effet, à comprendre que c'étaient eux qui al-
laient nourrir ces braves, si bien comman-
dés. L'enthousiasme devint descriptible ,
jusqu'au moment où il tomba, en face de la
famine. Toutefois Queretaro fut toujours dé-'
vouée; elle donna, nous le verrons, un
grand exemple de courage, et mérita noble-
ment le nom de cité maudite que les Jua-
ristes lui donnèrent après l'avoir achetée.
C'était alors une ville de 48,000 habitants,
d'autres disent seulement 40,000. Je de-
mande la permission de décrire, avec autant
d'exactitude* qu'il est possible de le faire à
un homme étranger à Queretaro, les lieux
que Maximilien ne devait plus quitter.
La route qui vient de Mexico entre dans la
ville sous un aqueduc et débouche sur une
grande place, à gauche de laquelle se trouve
VAlamedaj promenade plantée de peupliers
et qui termine la ville au sud-ouest. Les
DE L'EMPIRE MEXICAIN. i49
tranchées ennemies vinrent jusqu'à 300 mè-
tres de TAlameda, qui fut fortifiée par des
murs en terre et en adoha (brique séchée) et
défendue par dix canons.
De ce même côté, mais plus au sud-est,
se trouvait le couvent de la Cruzy aussi dé-
fendu par une muraille en terre et en pierre
sèche, et par trois pièces de canon. Les croi-
sées avaient été crénelées et on y avait con-
struit des embrasures pour trois autres pièces
de canon.
A l'extrême droite, on voyait le cerro de
la Campana, mamelon rocheux élevé de
20 mètres au-dessus du sol de la ville, de
l'intérieur de laquelle on monte par une
pente douce au cerro, qm^ du côté opposé,
s'arrête brusquement sur une coupure très-
escarpée. Le haut de cette petite colline
était armé de quatre pièces. C'est là que
l'empereur plaça sa tente pendant tout le
temps du siège, et où il coucha presque cha-
450 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
que jour, bien que Ton insistât fréquem-
ment pour le retenir au milieu des murailles
mieux protégées du couvent de la Cruz.
A 300 mètres environ , sur la gauche du
cerrOy se trouve la garita de San-Luis-de-
Potosi, la porte de la ville par laquelle sort
cette même route du Nord conduisant à
San-Luis. Au-devant de cette garita ^ on
rencontre un pont qu'on arma de six pièces
d'artillerie. La route monte par une pente
douce jusqu'à un coude qu'elle fait à gauche,
à 70 mètres, si je ne me trompe , du pont.
Là, à droite, une petite chapelle fait face
au coude de la route, et dans cette chapelle
les libéraux avaient placé leurs avant-postes .
Entre cette chapelle et le pont, un groupe de
maisons tenait la gauche de la route. Les
avant-postes impériaux étaient posés dans
l'une de ces maisons, à 20 mètres du pont,
et dont la terrasse (azotea) avait été créne-
lée. Plusieurs milliers de Juaristes occu-
DE L'EMPIRE MEXICAIN. . 154
paient les maisons entre les deux avant-
postes. Les trois cents hommes qui gar-
daient la garita les en délogèrent à deux re-
prises différentes.
Quand la ville fut complètement fortifiée,
elle présentait Taspect d un vaste parallélo-
gramme, d'un rectangle dont les plus lon-
gues lignes (2,400 mètres de longueur)
iraient à peu près dans la direction du nord-
ouest. La longue ligne ouest, c'est-à-dire à
gauche en arrivant de Mexico, était représen-
• tée par une muraille fortifiée; la longue
ligne est était représentée par une rivière,
le rio Blanco. Les deux petites lignes du
parallélogramme (1 ,200 mètres de longueur)
montraient, celle du nord, deux tronçons
de muraille fortifiée; celle du sud, les fortifi-
cations de la Cruzj le reste de cette ligne
ayant été de bonne heure aux mains de l'en-
nemi. En outre, une double rangée de fortins,
— je crois qu'il y en eut une soixantaine, —
«52 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
fut construite sur un plan à peu près circu-
laire dans rintérieur de la ville.
On a ainsi l'aspect général de la cité. Mais
si nous voulons éviter l'obligation de renou-
veler l'étude topographique à propos de cha-
cune des opérations du siège, nous devons,
en résumant ce qui vient d'être dit, noter les
noms et pointer soigneusement les lieux qui
reviennent le plus souvent dans le journal
de ces opérations.
Ainsi, nous arrivons du sud-est par la route
de Mexico, nous entrons dans la ville par la
garita (porte) de Mexico, qui fut des pre-
mières occupée par l'ennemi, ainsi que le
cerro (pic, colline) de Cuesta-China et Careta.
Nous passons sous l'aqueduc, nous voyons
une place au bout de laquelle se trouve
à droite le cerro et la garita de Canada, qui
furent immédiatement aussi occupés par
l'ennemi. N'oublions pas que c'est au pied
de cette colline que coule la rivière formant
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 153
la longue ligne de la droite du parallélo-
gramme, la partie orientale de la fortifi-
cation.
A l'autre bout , à gauche , de la place se
présente le couvent de la Cruz. C'est là que
commence la fortification, et c'est du bas
des murailles de ce couvent que part Iç pre-
mier des fortins formant à l'intérieur de Que-
retaro une seconde et une troisième ligne de
défense. La Cruz renferme dans ses murs la
Huerta (le jardin), le Panthéon de la Cruz,
les bâtiments conventuels, dont la partie
médiane sert de quartier général , entre
l'église à droite et l'hôpital à gauche. Au-
devant des bâtiments s'étend la plazza de la
Cruz, de l'extrémité de laquelle part le pre-
mier des fortins du côté gauche.
Puis nous arrivons dans l'intérieur de la
cité. Nous ne voulons signaler là que le cou-
vent, la place et l'église de San-Francisco,
qui tiennent à peu près le centre de Quere-
9.
454 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
taro. La Huerta de la Cruz fut jointe à
l'église de San-Francîs.quite par une petite
muraille crénelée, et c'est cette église qui
forme l'extrême pointe sud-est de la ville,
comme le cerro de la Campana en forme
l'extrême pointe nord-ouest. De cette église
de San-Francisquite fortifiée part la muraille
crénelée, qui est la fortification occidentale,
et qui représente, avons-nous dit, la longue
ligne de gauche du parallélogramme.
L'Alameda tient juste le milieu de cette
muraille. Un peu au-dessus, on rencontre
la Casa-Blanca , défendue par un petit for-
tin extérieur. Enfin, à l'extrême nord-ouest
de cette muraille et du parallélogramme,
nous voyons la garita del Pinto.
La muraille s'infléchit, puis, formant un
angle aigu de l'ouest au nord-ouest, elle va
s'appuyer sur un pont et un poste avancé
qui commande la route de Celaya. A quel-
ques mètres au-dessous, en revenant vers
DE L'EMPIRE MEXICAIN. \"^'\
l'intérieur de la ville, est campée la garita
de Celaya. L'espace laissé libre entre cette
garita et le pont est défendu par l'hacienda
fortifiée de la Capilla.
De la garita de Celaya une nouvelle mu-
raille monte au cerro de la Campana, qui
est, avons-nous dit, l'extrême pointe nord-
ouest de Queretaro, et se trouve situé à 1 ki-
lomètre des dernières maisons de la ville.
Si nous nous sommes fait comprendre, ces
deux tronçons de murailles, de la garita
del Pinto au pont, et de la garita de Celaya
au cerro de la Campana, représentent la pe-
tite ligne septentrionale du parallélogramme,
celle qui est parallèle au couvent de la Cruz .
Du cerro de la Campana descend une mu-
raille qui vient rejoindre le fortin intérieur,
le plus avancé dans la direction du nord.
Elle s'arrête là; mais au pied même de ce
cerro coule la rivière, qui représente la for-
tification extérieure orientale; et qui, grande
1o6 HISTOIRE DES DERNIERE MOIS
ligne de droite du parallélogramme, vient
rejoindre, à l'extrémité sud-est, le cerro et
la garita de Canada.
En face de cette rivière, s'étendent les
faubourgs de Queretaro. A moitié distance
de l'espace compris entre la Campana et la
Canada, la route de San-Luis sort de la ville
en traversant cette garita de San-Luis et ce .
pont dont nous avons parlé aux pages précé-
dentes.
Indiquons encore le cerro de San-Gregorio,
le cerro de San-Pablo, au delà du faubourg,
entre la route de San-Luis et la Canada, et
nous aurons tout dit.
Nous espérons ainsi avoir minutieusement
et longuement, mais clairement, expliqué
la disposition des lieux oîi allaient se jouer
tes destinées de Maximilien et du Mexique.
Nous avons dressé le plan de ces lieux d'a-
près les indications d'officiers qui accompa-
gnaient l'empereur à Queretaro. Nous l'avons
DE L'EMPIRE MEXICAIN.
15'
fait de notre mieux. Nous devons pourtant
avertir nos lecteurs que l'un de nos témoins
placé la Cruz plus à Test, et la cerro de la
Campana plus au nord, que nous n'avons
cru devoir le faire d'après l'ensemble des
renseignements. Mais, comme cela ne sau-
rait changer la relation des diverses parties
de la ville, on pourra maintenant suivre
sans une carte qui, à notre connaissance du
moins, n'existe pas encore, les incidents du
siège et de la catastrophe finale.
*.'i8 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
IX
SIEGE DE QUERETARO.
Je reviens aux premiers jours qui suivi-
rent l'entrée de Maximilien à Queretaro.
L'empereur, voulant avoir le plus grand
nombre possible d'hommes sous sa main,
s'était empressé de rappeler le brave Men-
dez, qu'on nommait le vainqueur de cent
combats, et qui, depuis deux ans, dans le
Guerrero et le Michoacan, États voisins au
sud-ouest de Queretaro, tenait tête à Ré-
gules et à toutes les forces juaristes.
Le 21 , ou le 22 février, Mendez arriva avec
sa troupe déguenillée. Bons soldats, aguerris,
disciplinés, pleins d'ardeur et de confiance
en leur général, composant Je plus solide de
tous les corps mexicains, ils étaient au nom-
bre de 5,000. D'autres de mes informations,
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 159
mais en qui je me fie moins, m'assurent que
cette armée ne comptait que 2,500 hommes.
Mendez ramenait avec lui, je crois, les
garde-frontières du nord, Presidiales, Ri-
fier os. Lancer os. Ils formaient la brigade du
général Quiroga, le doux et le valeureux, le
type charniant et élevé du vrai caballero, du
gentilhomme mexicain.
Parmi ces presidiales se trouvaient une
cinquantaine de Français qui entrèrent plus
tard dans la contre-guérilla française.
Le 27 février, Tempereur passa cette divi-
sion en revue. Puis on s'occupa activement
de la réorganisation des différents corps. On
créa de nouveaux bataillons, on forma des
brigades, des divisions. On fit tous les pré-
paratifs pour une prochaine entrée en cam-
pagne.
L'empereur passait des revues sans se
lasser et paraissait joyeux, plein de con-
fiance en l'avenir. Il aimait à se trouver au
160 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
milieu des soldats, causant familièrement
avec eux, les encourageant, distribuant quel-
ques réaux, et naturellement reçu partout où
il passait avec les acclamations de l'enthou-
siasme le plus sincère. Que de fois ne le
vit-on pas se promener seul dans les rues, al-
ler d'un quartier à l'autre sans être accompa-
gné d'aucun autre que de son secrétaire par-
ticulier, ce J. M. Blasio que j'ai déjànommé.
Les revues terminées, on commença les
grandes manœuvres dans la plaine située
au delà de l'Alameda, au pied d'une mon-
tagne nommée Cimatario. C'étaient presque
toujours Marquez, Severo de Castillo, Ma-
nuel Escobar qui commandaient tout ou
partie de ces manœuvres, rarement Mi-
ramon. La faveur de son rival Marquez
durait toujours, et elle ne dura que trop
pour la vie de Maximilien. Quant à Mejia,
il était accablé de douleurs rhumatismales
et gardait le lit depuis deux mois.
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 161
On avait appris dès le 20 février que, après
le départ de Mendez, Morelia, capitale du
Michoacan, avait été occupée par Régulés
aux pieds légers, par don Juste Mendoza,
gouverneur constitutionnel qui foudroyait
les traîtres dans une proclamation se ter-
minant par Tannonce d*un prestamo de
30,000 piastres. Les religieuses, à larrivée
de Régulés et de ses hommes, s'étaient em-
pressées de fuir leurs couvents.
Par contre, on attendait de Colima et de
Zamora les forces juaristes qui étaient res-
tées jusque-là sous le commandement de
j Corona dans la Sonora et la Sinaloa. Elles
!
étaient attendues avant le 25, et Ton an-
nonçait qu'elles allaient marcher sur Que-
!
retaro.
Le r' mars, on apprend que l'ennemi a
quitté Celaya et que ses avant-postes ont
touché l'hacienda de la Estancia, à 2 lieues
environ de Queretaro. Pendant que Corona
162 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
et ses bandes viennent ainsi du Nord-Est,
un Indien arrivant du Nord annonce que,
dans rÉtat voisin, Guanajato, à San-Miguel-
de-AUende, Ton voit larmée d'Escobedo
défiler. On ne tarde pas à apprendre que ses
postes avancés touchent à Santa- Rosa, vil-
lage à 6 lieues du Queretaro.
L'empereur rassemble un conseil de
guerre, Miramon prend la parole. Il de-
mande que Ton aille au-devant de l'ennemi
et qu'on lui livre bataille dans la plaine de
Celaya avant qu'il n'ait rassemblé toutes ses
forces. Il promet la victoire si l'on veut
adopter le plan qu'il propose, c'est-à-dire
attaquer l'ennemi à la Estancia avec toutes
les forces d'infanterie et d'artillerie, tandis
que Mejia, le tournant par l'ouest, le char-
gerait avec la cavalerie.
(( Si nous sommes vainqueurs, comme je
n'en doute pas, conclut-il, nous nous porte-
rons sur l'armée qui se présente du côté de
DE L'EMPIRE MEXICAIN. i63
Santa-Rosa, nous l'écraserons comme celle
de Corona, et en deux jours nous aurons
sauvé l'empire. »
Mejia, quoique encore malade, s'offrait à
coopérer de toutes ses forces au plan de Mi-
ramon , qu'il approuvait complètement ,
comme le fit aussi Mendez.
Marquez était d'un avis contraire. « 11
vaut mieux attendre l'ennemi de manière à
le combattre près de la ville et à ne rien li-
vrer au hasard. Dans les circonstances ac-
tuelles, le moindre échec peut compromettre
la cause que nous défendons. Nous sommes
bien plus sûrs de vaincre si l'ennemi vient
nous attaquer dans nos positions que si nous
allons l'assaillir dans les siennes. Il nous est
très-supérieur en nombre; dans un combat
de plaine, il peut, avec ses 8,000 chevaux,
tourner les 3,000 cavaliers que nous avons
à lui opposer. Nous avons ici un excellent
champ de bataille, en appuyant notre cen-
164 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
tre sur le cerro de la Campana, que Ton
peut fortifier de dix pièces d'artillerie, notre
droite au cerro San-Gregorio, notre gauche
à la Casa-Blanca. C'est dans cette position
que l'ennemi viendra nous attaquer, les
montagnes environnant la ville ne lui of-
frant aucun autre champ de bataille. »
J'ignore quel fut l'avis des autres géné-
raux.
L'empereur , malgré toute opposition ,
adopta le plan de Marquez.
Dès le lendemain, on déploya toutes les
troupes selon l'ordre de bataille indiqué par
celui-ci. Le bataillon qui fut placé à l'ex-
trêmq droite, sur le cerro San-Gregorio,
était le bataillon de cazadores, composé pour
moitié de Français, et qui prit plus tard le
titre de bataillon de l'empereur, à cause de
la confiance que Maximilien avait en lui.
Malgré toutes ces préoccupations. Maxi-
milieu montrait la plus grande égalité d'hu-
DE L'EMPIRE MEXICAIN. lOo
xneur. Il n avait que deux sujets d'irritation,
d'abord le souvenir des Français et des der-
niers actes de leurs chefs^ soit politiques,
soit militaires, ensuite les ennuis que lui
donnaient ses ministres.
« J'ai été désagréablement affecté, écrit-
il à un officier allemand resté à Mexico, en
apprenant que ces vieilles perruques du mi-
nistère ont si peu de déférence pour moi
qu'ils ne payent même pas mes quelques
serviteurs restés à Mexico. Je vais me con-
tenter d'un domestique, vendre mon cheval
et aller à pied, afin de pouvoir économiser
de quoi vous envoyer de l'argent. »
Au commencement de mars, il écrit de
Queretaro à un savant allemand avec lequel
il était en relations d'histoire naturelle :
<( Vous avez appris par les journaux qu'a-
près le départ depuis si longtemps souhaité
de nos amis les ennemis, et après avoir en-
fin reconquis notre liberté d'action, nous
i66 HISTOIRE DBS DERNIERS MOIS
avons changé le chasse-mouche (éventail)
de la paix pour le glaive ; au lieu de pour-
suivre des punaises, nous poursuivons tout
autre chose »
« En place des abeilles, ce sont mainte-
nant des balles qui bourdonnent autour de
nos têtes; déjà deux fois entre Mexico et
Queretaro, nous avons été au feu... Ces
jours-ci, nous tenterons la fortune; si le
coup réussit, j*espère vous voir bientôt à
Mexico; sinon nous aurons combattu en
braves et prouvé que nous aurons pu tenir
quelques semaines de plus que les Fran-
çais.
« Périr Tépée à la main, c est le sort pos-
sible, mais il n'y a pas de honte. Comme
je regrette que les sciences de la paix ne
puissent pas fleurir à côté de Mars 1 Quelles
belles choses vous auriez trouvées sur toute
la route de Mexico! Ainsi dans ce bois si
intéressant de Calpulalpam, j ai vu, pendant
dIe l'empire mexicain. 167
que les balles sifflaient autour de nous, de
superbes papillons voltiger ça et là tout tran-
quillement. Ici, à Queretaro, nous avons dé-
couvert une nouvelle espèce de punaise
(Simex domesticv^ Queretari)^ qui paraît
avoir des mandibules doubles et qui éton-
nent tout le monde. Si j'avais pu emporter
des flacons, j'en aurais, malgré la préoccu-
pation de la guerre, conservé quelques-unes
pour vous les montrer. »
Le 5, larmée juariste déboucha dans la
vallée de Queretaro, au point de jonction des
deux routes de San-Miguel et de Celaya.
Les deux corps de Corona et de Escobedo
comptaient environ 15,000 hommes chacun.
L'armée impériale avait de 8,000 à 10,000
hommes, dit-on, mais, si je compte bien,
plutôt 10,000 que 8,000. Les Juaristes» la
trouvèrent rangée en bataille, selon le plan
arrêté plus haut, face au nord plein, le cen-
tre campé au^cerro de la Campana, la droite
i68 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
appuyée à la rivière, la gauche à la garita de
Celaya et à la Casa-BIanca.
Les Juaristes, quoique se trouvant plus de
trois contre un, n'osèrent pas accepter le
combat qu'on leur offrait. Ils restèrent cinq
jours en observation, se contentant de re-
pousser de l'hacienda de San-Juanito, en
avant de la Campana, une petite bande im-
périaliste.
Dans la nuit du cinquième jour, ils filè-
rent sur leur droite, descendant vers le sud-
est et tournant les faubourgs, les cerros de
San-Gregorio, San-Pablo, Canada et Cuesta-
Ghina.
Le 12, les impériaux, étonnés de ne plus
voir l'ennemi, poussèrent une reconnais-
sance dans la direction de l'est, jusqu'au vil-
lage de San-Pablo, à 3 kilomètres de Quere-
taro, avec le bataillon de cazadores, appuyé
par le 7" de ligne (600 hommes) et le régi-
ment de l'Impératrice (450 hommes).
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 160
L'ennemi avait disparu vers le sud.
Le 14, on eut de ses nouvelles. A huit
heures du matin, il commença une attaque
sur toute la ligne occidentale et méridio-
nale, alors la moins défendue. A neuf heures
du matin quelques tirailleurs ennemis, sou-
tenus par une cavalerie assez nombreuse,
vinrent inquiéter les avant-postes de garita
del Pinto. Le général Mejia, à la tête d'une
brigade de cavalerie, accourut au secours et
repoussa les assaillants jusqu'à plus de deux
lieues de Queretaro.
On le chassait vers midi de la garita de
Celaya.
A deux heures, les Juaristes se précipitent
sur la Cruz avec tant d'élan qu'ils parvien-
nent à prendre la Huerta et le Panthéon. On
se battit corps à corps, à coups de pierres et
de grenade lancées à la main ; la petite gar-
nison impériale, d'abord forcée, reprit sa
position. Les secours arrivèrent, et le combat
1»
i70 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
S étendit à toute la partie sud, depuis la
route de San-Luis jusqu'à cerro du Cime-
tière.
A quatre heures, Mejia, à la tête de toute
la cavalerie, mit en fuite l'ennemi de ce
côté.
Ce fut la fin de la première bataille entre
les Impériaux et les Juaristes sous Quere-
taro. Ces derniers perdirent une pièce rayée,
cinq canons encloués, 750 prisonniers, un
nombre considérable de tués et de blessés.
Mais on ne les chassa pas de leurs positions.
Ils purent môme commencer à s'établir
sur le cerro du Cimetière, au sud-ouest, en
face de TAlameda.
Le 17, sortie de Miramon, qui prend deux
canons à l'ennemi, en encloue plusieurs au-
tres, fait 600 prisonniers et tue un grand
nombre d'hommes*
Le 22, nouvelle sortie du même qui écrase
les postes ennemis au nord de la ville et en-
DE L'EMPIRE MEXICAIN. i7i
lève un fort convoi de munitions. Ce fut
tout le résultat de cette affaire qui eût pu
avoir de plus grandes conséquences. Mais
Miramon, emporté par son ardeur, donna
sans attendre une colonne d'infanterie qui
devait coopérer à cette attaque. L'ennemi,
qui devait être exterminé après avoir été
pris entre deux feux, put s'enfuir.
Ce jour-là encore l'empereur assembla un
conseil de guerre. Il commença par laisser
deviner qu'il était décidé à évacuer Quere-
taro, la place ne lui paraissant pas en situa-
tion de soutenir un long siège. On manquait,
en effet, de vivres et de munitions, et la dis-
proportion des forces ne permettait pas d'es-
pérer qu'on pût faire lever le siège de vive
force.
Marquez, qui avait pris sur Maximilien
une grande influence, intervint encore et
changea, — ce qui n'était, hélas! que trop
facile, — les résolutions de l'empereur. Il
i72 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
fut décidé que lui, Marquez, muni de pleins
pouvoirs, pousserait jusqu'à Mexico, d'oîi il
reviendrait avec de largent, des munitions,
des renforts et particulièrement avec des
troupes européennes.
Le vieux, prudent et rusé général partit
dans la nuit même, par la porte del Pinto, à
côté de TAlameda, qui n'était pas encore in-
vesti. Il emmenait 1,200 cavaliers, sous le
commandement du chevaleresque Quiroja et
du général Vidaurri, fort honnête homme,
dont il allait faire un ministre des finances.
Le 23, l'ennemi fut renforcé de 10,000
hommes environ, qui prirent place sur le
cerro du Cimetière, au sud-ouest, en face de
TAlameda et de la Casa-Blanca. Dès ce jour
la ville était complètement investie.
Les assiégeants étaient alors, d'après le
calcul, à mon sens un peu exagéré, des ré-
publicains mômes, 40,000 hommes. Les as-
siégés avaient environ 8,000 hommes. Mais
DE L'EMPIRB MEXICAIN. 173
déjà ils manquaient de munitions, et dès
cette époque Ton donnait un sou de notre
monnaie pour chaque boulet ennemi ramassé
par les habitants.
Le 24, les Juaristes, descendant des hau-
teurs du cerro du Cimetière (que j'entends
appeler aussi cordillera ou loma del Cima-
tario\ tentèrent une attaque vigoureuse et
simultanée sur les deux points de la Casa-
Blanca et de TAlameda. Ils furent repoussés
et laissèrent au pouvoir des assiégés un ba-
taillon, avec son drapeau et ses guidons. Ils
perdirent en outre environ 800 hommes.
Le surlendemain Miramon fit une sortie,
mais du côté opposé. Il traversa la rivière
en dessous de la route de San-Luis. Il cul-
buta l'ennemi , encloua les canons et fit
600 prisonniers.
Lé 1" et le 4 avril, il recommença ce coup
de main dans les mêmes conditions et avec
le même succès.
10.
ni HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Pendant ce temps, les assiégeants, com-
plétant les travaux d'investissement, com-
mençaient les tranchées et ouvraient leurs
parallèles. •«
Les assiégés complétaient leur système de
fortification et se livraient activement à la
fabrication de la poudre et des projectiles,
car tout manquait. On était obligé d'attendre
les canons pris sur l'ennemi pour armer les
murailles qu'on élevait. On n'avait pas d'ar-
tificiers bien habiles, aucun outillage un peu
perfectionné. Les capsules principalement
étaient un objet de grande préoccupation.
On essaya d'en fabriquer avec du carton, la
tentative ne réussit guère. Peu à peu toute-
fois on perfectionna ces capsules en carton,
qui en vinrent à remplacer assez bien les
capsules de cuivre. Ainsi en fut-il de tout.
L'habileté vint avec l'expérience, mais on
fut toujours obligé de ménager l'emploi de
ces munitions si laborieusement créées.
i76 HISTOIRE DES DERNIERS VOIS
effet, il entrait quelque espion porteur de
dépêches ou de nouvelles : Marquez arrivait ;
on Tavait vu sur la route de Toluca; il était
à Maravatio. Une autre fois c'était par la
grande route du nord qu'il accourait : il était
àTula quelques jours auparavant, bien plus,
on l'avait vu à Amealco. Que disait-on en-
core I II venait de battre un corps ennemi à
San-Juan-del-Rio. Les musiques remplis-
saient de fanfares la place de la Cruz, la
place au Chien, la place de San-Francisco ;
le peuple de Queretaro se portait en foule
,à la promenade de l'Alameda. Rien ne ve-
nait.
En conséquence du plan arrêté, Miramon
sortit par la Cruz et l'église de San-Francis-
quîte pour aller attaquer, au sud, la garita
de Mexico. Il en délogea l'ennemi après une
vigoureuse résistance. Il le poursuivit jus-
qu'au pied des cerros de Cuesta-China et de
Carreta. Là, il se trouva en face d'une ligne
BE L EMPIRE MEXICAIN. i77
ennemie retranchée. 11 ne put la percer. Les
deux courriers de l'empereur furent obligés
de rentrer.
On décida pour le 27 une nouvelle attaque
que dirigeraient l'empereur et Miramon con-
tre la partie la plus forte, mais aussi la plus
gênante des fortifications ennemies, contre
celles-là justement qui descendaient du
cerro del Cimatario, dans la plaine, en face
de l'Alameda.
Ce jour-là, à cinq heures et demie du
matin, Maximilien et Miramon sortirent avec
2,800 fantassins et quelques cavaliers. C'é-
tait à peu près tout ce dont on pouvait dis-
poser, le reste devant rester à la garde de
cette ville, qui occupait l'espace double de
celui qu'eût rempli une ville européenne de
60,000 âmes.
Miramon se jette sur la Cordillera, défen-
due par 12,000 hommes, trois tranchées et
vingt-deux pièces de canon. Il enlève à la
i78 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
baïonnette successivement les trois tran-
chées, fait un massacre considérable, une
quantité énorme de prisonniers, enlève tous
les canons, — sauf un qu'on fut obligé d'a-
bandonner sur le champ de bataille. — Il
pousse les Juaristes en une telle fuite qu'il
ne restait plus chez l'ennemi ni un cheval
ni une mule qu'on pût utiliser pour trans-
porter les canons dans la ville. Les fantassins
juaristes s'étaient changés en cavaliers pour
fuir et perdre moins de temps en route.
La place ennemie était tellement nettoyée
que le peuple de Queretaro sortit en foule
pour piller. L'on put utiliser cet amour du
pillage, et beaucoup de ceux qui, comme
notre compatriote le lieutenant Seguy, s'é-
taient emparés de pièces d'artillerie, durent
enrôler les Indiens pillards. Ils les forcèrent
à arracher les pièces des retranchements et
à les mener jusqu'à Queretaro à travers les
rochers et sous un feu très-nourri.
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 179
On n'avait pas malheureusement pu com-
plètement profiter de la victoire, par la faute
du régiment des dragons de l'Impératrice,
qui hésitèrent à charger les fuyards malgré
Tordre pressant de Maximilien. L'empereur
dit au lieutenant-colonel, — qui commandait
en l'absence de Lopez, colonel titulaire, dé-
taché à l'état-major général, — qu'il allait se
mettre lui-même à la tête du régiment. On
put enfin vaincre l'hésitation, peut-être déjà
traîtresse, de ces gens-là; mais il était trop
tard.
Les fuyards, ne se sentant pas pour-
suivis , s'arrêtèrent , rassemblèrent toute
leur cavalerie, firent un retour offensif sur
les Impériaux dispersés, qui parvinrent tou-
tefois, comme je l'ai dit, à ramener à Quere-
taro vingt et une des vingt-deux pièces de
l'ennemi. Celui-ci avoua plus tard que ja-
mais il n'éprouva telle panique, et que, si
on l'avait poussé, jamais il n'eût pu se refor*
180 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
mer ; le siège eût été ainsi levé et Maximilien
sauvé.
Le 1" mai, Miramon va escarmoucher à la
droite de la ville au-dessous de la route de
San-Luis, préparant ainsi lattaquedu 3 con-
r
tre les fortifications du mont San-Gregorio.
Ce jour-là, en effet, il se précipita sur les
tranchées de ee.cerro et avait déjà enlevé la
première ligne, quand parvint à l'empereur
un courrier porteur de plis des généraux
Marquez et Vidaurri, annonçant que ces
deux généraux s'avançaient. Maximilien or-
donna à Miramon de faire retraite.
Cette fausse dépêche donnait le nom des
régiments et des chefs de corps qui mar-
chaient avec Marquez; elle indiquait que
celui-ci se dirigeait sur Queretaro en deux
colonnes. L'une, sous son commandement,
était déjà arrivée à Monte-Alto; lautre, sous
le commandement de Vidaurri, avec Tartilie-
rie, se dirigeait, par le chemin de Toluca,
DE L'£MB.IRE MEXICAIN. lël
sur Ixtlahuaca, où les deux colonnes devaient
se rejoindre. Tout cela, je l'ai dit, était de
pure invention, et une ruse de Tennemi.
Le 5 mai, anniversaire de la merveilleuse
victoire remportée sur la France devant
Puebla, grosse fête chez les Juaristes, qu'ils
voulurent célébrer par une attaque formida-
ble. A l'angélus du soir, ils se lancèrent vi-
goureusement contre le pont, la maison for-
tifiée, la porte de San-Luis. Une colonne de
6,000 hommes, commandée par Ëscobedo,
fit vainement les efforts les plus courageux
pour arriver à emporter cette position . Ils
laissèrent 1,500 à 2,000 hommes sur le ter-
rain.
Marquez n'arrivait pas. Le maïs et les
tortillas avaient disparu complètement ; il ne
restait plus que les frijoles (haricots). On
avait, en 71 jours de siège, livré 22 com-
bats, tous victorieux; le matériel avait triplé
par les prises faites sur l'ennemi; les succès
il
482 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
continuels avaient donné la plus grande
confiance aux Impériaux.
Mais la situation n'aboutissait pas : les Li-
béraux, toujours battus, toujours diminués
par les morts et les prisonniers, se recru-
taient par la leva et s'entretenaient par le
pillage. Leur nombre augmentait, tandis que
les Impériaux, quoique triomphants, fon-
daient peu à peu. Les pertes faites, la troupe
emmenée par Marquez, quelques très-peu
nombreuses désertions , avaient réduit le
nombre des soldats à 6 ou 7,000. Il fallait
sortir à tout prix de cette position.
On décida dans un suprême conseil de
guerre une attaque générale pour le 14 mai.
si la victoire était incomplète, on perce-
rait du]^moins les lignes ennemies et Ton se
retirerait dans la sierra Gorda, pour prendre
conseil des circonstances, et de là gagner la
mer ou Mexico.
Si, comme tout le faisait supposer, on
DE L'EMPIRE MEXICAIN. i83
chassait Tennemi, Ton marcherait vers TÉtat
du Nuevo-Leon, et là, au centre du Mexique,
on rassemblerait ce fameux congrès, dont
ridée était si chère à Maximilien.
Le 12, on fit un appel au peuple de Que-
retaro pour qu'il s'armât et occupât les for-
tifications, et permit ainsi à l'armée régu-
lière de sortir tout entière dans la matinée
du 14. On voulait attaquer d'une manière
décisive les parallèles du front et des deux
flancs, de façon à isoler l'ennemi de son
arrière-garde.
La confiance et l'aflection pour Maximilien
étaient si grandes que 4,000 hommes se
présentèrent; Ce fut un malheur^ car on ne
put les organiser pour le 13. On remit donc
l'attaque au 15.
Le 14^ on mit la dernière main aux dix-
neuf ponts portatifs qui devaient permettre
de passer la rivière sur plusieurs points;
on distribua à la troupe des rations de viande
184 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
de cheval et du vin rouge. Enfin, on prit
toutes les dispositions.
A deux heures du matin, le 15, tout était
prêt; on n'attendait plus que Tordre de se
mettre en mouvement, le signal de Tatta-
que sur toute la ligne, et personne ne faisait
doute que ce ne fût le signal de la victoire.
Quelques minutes après deux heures, Ten-
nemi lança un projectile creux de la garita
de Mexico. Vingt minutes après un second
coup fut entendu, puis plus rien.
Personne dans Tarmée impériale, parmi
tous ceux qui attendaient avec tant d anxiété
le signal de la bataille, ne se doutait que
ces deux coups fussent destinés uniquement
à Lopez, et qu'ils fussent un signal de rappel
de la trahison.
DE L'EMPIRE MEXICAIN 185
I
DESCRIPTION DE MEXICO. — SITUATION DES FRANÇAIS.
POSITION DIFFICILE DE NOTRE AMBASSADEUR.
JUGEMENT SUR SA CONDUITE.
CONTRE - GUERILLA FRANÇAISE.
11 nous faut voir maintenant ce qui s'é-
tait passé dans le reste de Tempire depuis
le départ de Maximilien pour Queretaro.
Le reste de l'empire se composait de Vera-
Cruz, de Puebla, de Mexico.
Puebla était assiégé par une armée nom-
breuse, sous le commandement de Porfirio
Diaz, armée, du reste, médiocrement orga-
nisée pour faire un siège, surtout le siège
d'une ville fortifiée comme Puebla. 'On était
donc sans aucune crainte de ce côté.
On voyait à Vera-Cruz apparaître quelques
corps qui pouvaient bien intercepter les
i86 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
communications, mais incapables de réduire
une place qui s'appuyait sur la mer.
Devant Mexico la situation n'avait guère
changé. Les bandes qui Tentouraient étaient
peut-être plus nombreuses et plus fortes;
mais la ville était plutôt resserrée qu'assié-
gée encore.
Mexico est placé comme au fond d'un vaste
entonnoir. De quelque côté que l'on se
tourne, on n'aperçoit que des collines, des
montagnes aux vives arêtes ou qui s'étendent
en plateau. Ces montagnes, qui sont la dé-
fense de la ville, sont aussi un excellent
lieu de retraite pour des bandes armées;
aussi les bandes y pullulaient.
Mais les trois points importants de ces
montagnes, les contre-forts extrêmes qui ar-
rivent en angles aigus dans la vallée, en face
de Mexico, étaient encore ou de nouveau au
pouvoir des Impériaux. Comme ils comman-
daient les plateaux et les routes principales,
DE L'EMPIRE HEIIOÂIN 187
soit pour l'attaque, soit pour le ravitaille-
ment, ils étaient pour ainsi dire une digue
aui empêchait les bandes des montagnes
d'investir Mexico.
Ces trois points étaient, au nord-est, — h
environ 5 kilomètres, — Guadalupe, avec son
église fortifiée et un camp Tetranché con-
struit par le génie français; au sud et au
sud-ouest, Tacubuya, et Chapultepec, avec
son château, ses maisons aux terrasses cré-
nelées et son camp retranché de Santa-Fé,
aussi bâti par le génie français.
La ville môme est défendue par une cein-
ture de fortifications en terre protégée par
un fossé. Le mur est revêtu à l'extérieur et
aux embrasures d'une cuirasse en adobe. Le
fossé est profond de 2 mètres, large de 4;
il est rempli d'eaux vives entretenues par un
système de drainage établi pour dessécher
la vallée.
Une citadelle, fortifiée de la même ma-
488 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
nière, mais avec des mup& plus hauts, se
compose de vastes bâtiments disposés en
carré et dont les terrasses sont à l'épreuve de
la bombe. Elle commande le sud-ouest de la
ville.
Celle-ci n'est abordable, pour un ennemi
mexicain, que par les routes principales. Le
terrain qui les sépare les unes des autres
est tellement marécageux et coupé de fos-
sés, qu'il faudrait une infanterie très-ferme
pour tenter par là une attaque. Ainsi s'ex-
plique pourquoi tout l'effort du siège se
portera sur les garitas^ c'est-à-dire sur
les bâtiments d'octroi, jouant le rôle de
portes de la ville, et se trouvant à l'en-
droit où ces routes principales entrent dans
la ville.
En dehors des soins de la défense de
Mexico, alors médiocrement attaquée, comme
je viens de le dire, la préoccupation de Lares
et des généraux Tavera, Platon Roa, Galvez,
DE L'EMPIRE MEXICAIN 489
O'Horan, ainsi que des autres qui étaient
restés à Mexico, fut de constituer une armée.
Le noyau en était tout trouvé. Nous avons
indiqué le nombre et le genre de soldats
européens qui se trouvaient encore dans
Tarmée mexicaine.
Mais on a pu remarquer que, si les Alle-
mands étaient formés en corps homogène
et compacte, les Français étaient disséminés
de ci de là sur plusieurs points de l'empire
et dans divers corps mexicains. De plus,
un grand nombre de nos soldats libérés qui
avaient cherché quelque établissement au
Mexique se trouvaient ruinés par la cessation
de tout commerce. D'autres, non libérés du
service militaire, n'avaient pas cru devoir
obéir à la circulaire du maréchal; d'autres
ne l'avaient pas pu, éloignés qu'ils étaient
du centre de l'empire; ils avaient rejoint
Mexico ou Puebla après le passage des der-
nières divisions de l'armée française, qui,
H.
190 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
du reste, avait, au milieu de mars, définiti-
vement quitté le sol mexicain.
La première pensée de tous ces gens-là
était, comme il est habituel à tout Français,
de courir se mettre sous l'aile du ministre
de France. Ils n'y trouvaient une hospitalité
ni luxueuse ni bienveillante, le ministre ne
voulant pas aider les uns, qu'il était fort
tenté de considérer comme des bandits, et
ne pouvant pas servir efficacement les au-
tres.
Je me heurte ici à Tune des parties de ce
travail qui m'ont le plus préoccupé. J'ai fait
les plus sincères efibrts pour arrivera un ju-
gement impartial et clair sur la conduite de
notre ambassadeur. Je ne sais si c'est mau-
vaise chance de ma part, mais je n'ai jamais
pu rencontrer de gens qui ne lui fussent pas
hostiles. Je puis constater que ses ennemis
sont nombreux , très-âpres et très-décidés
dans leur hostilité. Je suis porté à croire que
DE L'EMPIRE MEXICAIN 491
l'histoire, si elle s'inquiète de ce diplomate,
le traitera avec sévérité. Mais, dans ces con-
ditions, je ne puis avoir la prétention de
juger en dernier ressort un homme jeté au
milieu d'événements qui nous touchent et
nous passionnent, un homme que ses devoirs
diplomatiques empêchent de se défendre.
Je constate donc qu'il a soulevé une masse
de haines, de haines sombres, et j'en don-
nerai à la fin de cette étude une preuve sai-
sissante et qui lui est inconnue. Toutefois je
fais une large part aux difficultés de sa posi-
tion.
Après le départ de notre armée, il était
aux yeux du gouvernement mexicain un en-
nemi détesté pour lui-même et pour la
France; pour lui-même, à qui l'on repro-
chait d'être seulement préoccupé de sa for-
tune, de la dot féerique de la jeune Mexi-
caine qu'il venait d'épouser (et on l'accusait
de pousser à une entente avec les Juaristes
~*w-
192 HISTOIRE DBS DERNIERS MOIS
' uniquement pour sauver cette dot) ; pour la
France, à laquelle on attribuait tout le mal
présent. 11 n'avait donc aucune autorité, au-
cune influence auprès du gouvernement. De
plus, ce gouvernement, ainsi que l'armée et
la population mexicaines pouvaient éprouver
la tentation de lui faire expier, maintenant
qu'il était seul et faible, les abus de pouvoir,
les taquineries, les insolences dont on accu-
sait les Français.
J'ignore si ce qu'on appelle la colonie
française, c'est-à-dire la masse du commerce
français à Mexico, eut à se louer de lui. J'ai
entendu là-dessus des appréciations diverses.
Quant à l'armée, je veux dire les soldats
français de toute catégorie demeurés après
le départ de l'Intervention, il n'y a qu'un
cri contre lui.
Ici je vois très-clair dans la situation.
Le ministre regardait tous ces irréguliers
comme des déserteurs, et il y en avait un
DE L'EMPIRE MEXICAIN i93
certain nombre; comme des misérables, et *
il y en avait quelques-uns. Il était porté à
exagérer la sévérité de son jugement sur eux
en songeant aux difficultés qu'ils lui créaient,
et elles étaient réelles.
Lui, «ans autorité, ne devait avoir qu'un
désir, c'est-à-dire le désir que les Français
ne réclamassent jamais son intervention. Lui,
qui voyait fort bien la victoire certaine des
Juaristes, ne demandait qu'une seule chose,
c'est-à-dire que tout ce qui était Français
gardât la neutralité. Lui, ambassadeur de
France , ne faisait qu'un seul rêve, le rêve
cher à toute autorité française, et particu-
lièrement à tout diplomate français à l'é-
tranger, il voulait voir tous nos nationaux se
courbant sous la discipline comme une
armée docile. Il était porté à considérer
comme ennemis de la France tous ceux qui
ne prenaient pas le mot d'ordre de la léga-
tion. Lui, le compagnon politique du mare-
194 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
chai Bazaine, il admettait difficilement qu'il
pût y avoir encore un soldat respectable au
service mexicain, après la circulaire du ma-
réchal. Enfin, le gouvernement français ne
lui avait pas laissé les mines du Potose à
distribuer aux compatriotes malheureux, et
quant aux mines de Jteal del Monte^ qu'il
venait, disait-on, de recevoir en dot, on ne
l'accuse pas d'avoir abusé de l'autorité con-
jugale pour en distraire quelque peu en fa-
veur des Français.
Ceux-ci, d'autant plus exigeants qu'ils
étaient plus malheureux, qu'ils étaient plus
indisciplinés peut-être, se faisaient un plaisir
très-malicieusement français d'augmenter
les difficultés de position d'un homme qu'ils
n'aimaient pas, dont ils disaient que beau-
coup avaient eu à se plaindre et bien peu à
se louer. Ils abusaient volontiers de la fai-
blesse actuelle de la légation, et si les plus
mauvais se réjouissaient de pouvoir humi-
i
DE L'EMPIRE MEXICAIN 195
lier Tautorité défunte, quelques-uns des
meilleurs ne pouvaient s'empêcher de faire
joyeusement l'école buissonnière à la dis-
cipline.
Car cela est vrai de nous partout et his-
toriquement, nous sommes aussi prêts à har-
celer le pouvoir quand il est faible que le
pouvoir est prêt à nous écraser quand il est
fort. C'est à peu près l'histoire <ie ce qui se
passa à Mexico, au printemps de 1867, et
sur le Phlégéton^ en l'automne de cette
même année, époque à laquelle l'ambassa-
deur retrouva, sous sa puissance, quelques-
uns de ceux en qui il avait vu des rebelles
peu de mois auparavant.
De plus, avec cet instinct de générosité
exigeante qui est aussi de notre race, tous
ces malheureux détestaient le ministre de
ne pas faire ce que sans doute ils eussent
fait eux-mêmes, de ne pas sacrifier une mi-
nime partie de l'immense fortune qu'il ve-
i96 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
nait d'acquérir, pour le soulagement de com-
patriotes misérables.
Mais Ton comprendra mieux la situation,
si Ton veut généraliser les détails d'une lettre
que je choisis entre dix documents.
« Lorsque le corps expéditionnaire évacua
le Mexique, je me trouvais dans l'intérieur,
occupant un emploi de sous-lieutenant au
2* régiment de cavalerie mexicaine, emploi
que j 'avais accepté conformément aux circu-
laires du général.
« Je ne connus pas l'ordre de rentrer en
France, mais les revers de la campagne de
Zacatecas, ainsi que ma santé, s'altérant tous
les jours, me forcèrent à donner, le 10 fé-
vrier, à Queretaro, ma démission, dans le
' but de profiter du dernier embarquement
des troupes françaises.
« Je partis donc de Queretaro, Je fus un
mois à faire les 50 lieues qui séparent cette
ville de Mexico. Je ne vous parlerai pas des
DE L*EMP1RE MEXICAIN. 197
obstacles qu'il m'a fallu surmonter. Je dirai
seulement que, volé trois fois dans une même
journée, je suis arrivé dénué de tout.
« Je connus en arrivant la circulaire du
15 janvier, menaçant de désertion tous ceux
qui, comme moi, étaient encore liés au ser-
vice militaire de la France; je ne fis que rire
d un pareil anathème, puisque j'avais dans
ma poche mon brevet signé par le maréchal
lui-même. Cependant je me présentai à la
légation, d'abord pour remercier M. le consul
de m'avoir envoyé un certificat à Cauntitlan
où j 'étais prisonnier, puis pour que l'on ré-
gularisât ma position . »
Il raconte alors les vains efforts qu'il fit
pour être rapatrié, puis comment il écrivit
au ministre une lettre qui resta sans réponse;
comment, en son nom et au nom de ses
camarades, il envoie au journal français,
le Courrier du Mexique^ une note où il in-
dique la position où ils sont, « ou dedeman-
198 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
der raumône pour suffire aux dépenses de
notre nourriture ou de perdre notre qualité
de Français en reprenant du service dans
l'armée mexicaine ; » comment, à la suite de
cet article, il fut mandé à la légation, blâmé
une première fois, muni, la seconde fois,
d'une feuille de route, la troisième fois au-
mône de 1 piastres qui prirent trop tôt fin .
En somme, il fut obligé de rentrer dans
Tarmée mexicaine.
Quoi qu'il en soit, en février 1867, il
y avait une situation imposée par les cir-
constances : une masse de Français, anciens
soldats, malheureux, médiocrement accueil-
lis par la légation, et qui dédaignaient l'au-
mône, rappelaient à tous qu'ils ne connais-
saient d'autre métier que les armes. Les
armes étaient assez en honneur alors et les
Français aussi, — j'entends quant aux armes.
Le chef d'escadrons Chenet, que nous
avons déjà vu à l'œuvre à Las Cruces et à
DE L'EMPIRE MEXICAIN i99
Toluca, pensa qu'il y aurait utilité pour Tem-
pire à former un corps spécial de ces Français.
Au moins ainsi échapperaient-ils à la mi-
sère et aux tentations du brigandage. Il ne
faut pas oublier, en effet, qu'il ny avait
plus au Mexique ni commerce ni crédit.
Beaucoup de nos anciens soldats restés au
Mexique étaient sans habits, sans chaussures,
sans nourriture. Les libéraux et les bandits
les appelaient et les accueillaient comme de
précieuses recrues.
Le 23 février, le commandant Chenet
demande lautorisation d'organiser un corps
où Ton n'admettrait que des Français , avec
les grades qu'ils avaient eus dans l'armée
française. Cette organisation avait pour but
de rassembler et de sauver quatre classes de
soldats :
r Ceux qui, libérés et entrés dans la vie
civile à Mexico, n'avaient plus de moyens
d'existence;
200 HISTOIRE DBS DBRNIRRS MOIS
T Ceux quî, libérés ou non, n'avaient pu
rejoindre à temps la colonne expéditionnaire
en partance ;
3** Ceux qui, enrôlés dans les corps mexi-
cains, s'y trouvaient mal à Taise ;
4** Les déserteurs.
Plus tard, ce corps se composa d'infanterie,
de cavalerie, d'artillerie et de génie; il en
vint à compter près de 600 hommes, et prit
le nom de contre-guérilla Chenet. Il avait
d abord été formé sous le nom de contre-
guérilla française, titre qu'il abandonna sur
les instances et après les démarches officielles
du ministre de France.
Dans le principe, il ne devait être qu'un
corps de cavalerie.
Dès le 24 février, le préfet politique, gé-
néral O'Horan, permet les enrôlements, sauf
ratification du ministre de la guerre, lequel
donne aussi son autorisation, sauf ratification
de l'empereur. Les enrôlés sont placés en
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 201
subsistance à la compagnie de gendarmerie
commandée par le chef d*escadrons Chenet.
Le 20 mars, vingt-cinq hommes de cette
contre-guérilla vont, commandés par le sous-
lieutenant Blanchon, défendre Tacubaya, à
5 kilomètres sud-sud-ouest de Mexico, et re-
lever un poste mexicain qui avait été atta-
qué le matin même par 400 hommes de
Riva Palacio.
La petite troupe s'établit sur les azoteas
(terrasses) de deux hautes maisons, de façon
à commander la place par un feu croisé.
Le 23, la petite troupe crie de toutes ses
forces : Viva el emperador! qui vient de
remporter, dit-on, une victoire décisive, où
Ton a tué 4,000 ennemis, blessé 2,000 et
fait 10,000 prisonniers.
On racontait aussi que Lozada avait repris
Guadalajara et Colima, à Touest sur la côte
du Pacifique. D. Pascual Munoz avait relevé
les armes de Tempire dans le Sud ; les dissi-
202 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
dents de Cuernavaca se retiraient dans le
Guerrero ; les succès de la campagne de l'em-
pereur à l'intérieur troublaient les assié-
geants de Puebla. Acapulco tenait pour les
Impériaux. On affirmait que, à San-Luis-de-
Potosi, un soulèvement populaire en faveur
de l'empire avait forcé D. Benito Juarez à se
réfugier dans le Zacatecas. Enfin, on niait le
siège de Vera-Cruz, et on ajoutait qu'il y
avait là une garnison de 2,000 hommes bien
suffisante pour résister à toute attaque.
En un mot^ à cette date, tout allait aussi
bien que possible pour Tempire.
Notre petite troupe française fut attaquée
le 25, le 27 ; elle tint bon.
Le 28^ on apprit l'arrivée de Marquez re-
venant de Queretaro.
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 203
XI
MARQUEZ. — SON PLAN DE CAMPAGNE.
REDDITION DE PUEBLA.
A huit heures du soir, le 28, on reçoit Tor-
dre d'évacuer Tacubaya, Texcoco, Chalco,
Guadalupe, Chapultepec. Tous les postes
avancés de la ville sont abandonnés*
Chacun s'en étonne. On se demande pour*
quoi livrer à Tennemi des postes si faciles à
défendre, nécessaires au ravitaillement, com-
mandant la capitale, et dont l'abandon doit
ouvrir toutes les approches de la ville et la
ville même à l'ennemi?
C'est que Marquez a besoin de ses meil-»
leures troupes, de toutes ses troupes j pour
une grande expédition qu'il a combinée pen-
dant la route qu'il vient de faire.
Le 28, en effet, le corps qui a accompagné
ZOÏ HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Marquez depuis Queretaro n'est pas encore
rentré. Mais déjà les chefs de corps ont reçu
Tordre de se préparer à entrer en campagne.
Tous les Européens vont faire l'expédition,
dont le but est encore mystérieux. Les hus-
sards rouges, le bataillon Hamerstein, les
gendarmes, le petit noyau de la contre-
guérilla française sont désignés. Oîi va-t-on?
Chacun s'accorde à croire que l'on va rejoin-
dre l'empereur à Queretaro.
On quitte Mexico le 29.
La colonne est forte de 5,600 hommes,
les meilleures troupes du Mexique. Elle em-
mène avec elle deux batteries rayées et une
batterie de montagne. Mais où va*ir-on? On
ne prend pas le chemin de Queretaro. Non,
l'on se dirige vers le sud-est, vers Puebla !
L'on ne prend même pas la route directe de
Puebla, mais on tourne sur la gauche, de
façon à faire 60 lieues au lieu de 30, et
comme si l'on voulait laisser Puebla à sa
PË li'ËMPIHE MEXICAIN. 205
droite. L'on prend la route de Apam, celle
qui passe entre les deux lacs de Texcoco et
de San-Cristobal.
Ce mouvement, qui excitait Tétonnement
de toute la colonne, n'excite pas moins Té-
tonnement de Thistorien. Ce fut, en effet,
lun des quatre ou cinq mouvements pivo-
taux, qui décidèrent des destinées de Maxi-
milien; et c'est là-dessus que Ton s'est basé
principalement pour accuser Marquez de tra-
hison.
L'on fait remarquer que son premier, son
unique devoir était d'aller dégager Maximi-
lien; c'est l'ordre précis qu'il avait reçu, et
il n'avait quitté Queretaro qu'à la condition
expresse d'y revenir immédiatement. On fait
encore remarquer que , même pour aller à
Puebla, il prenait une route bien étrange,
longue et difficile, quand la route directe était
libre, ou du moins sans obstacles capables
d'arrêter une troupe comme la sienne.
la
206 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Cette route qu'il suivait tombait en avant
de Puebla à Amozoc, sur le chemin de Vera-
Cruz. L'on rapproche ces faits du débarque-
ment de Santa- Anna dans le Yucatan, Ton
rappelle que Tex-dictateur était toujours
resté, comme Marquez, un pur conservateur,
que tous deux appartenaient à la même
nuance politique, et Ton conclut que le gé-
néral allait donner la main à Santa-Anna à
Vera-Cruz pour le proclamer président de la
république.
Les défenseurs de Marquez répondent que
faire lever le siège de Puebla était la chose
importante, attendu que dégarnir Mexico de
ses meilleures troupes, avant d'avoir dissipé
^ennemi, c'était exposer la capitale à être
prise par un Coup de main sans guère de dé-
fense, et que laisser tomber Puebla aux
mains de l'ennemi, c'était, ainsi qu'on le vit,
fournir à cet ennemi des munitions et un ma-
tériel de siège. La marche sur Puebla avant
r
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 207
d'aller à Queretaro s'explique donc. Il est
du reste improbable que Marquez s'en allât
proclamer Santa-Anna, à Taide des trou-
pes européennes oîi les Autrichiens étaient
les plus nombreux, à l'aide des troupes qui
étaient nécessairement et personnellement-
dévouées à Maximilien.
Quant à la route assez inattendue, en effet,
qu'il prit, on l'explique par des renseigne-
ments reçus sur la position de l'ennemi de-
vant la ville et par l'avantage que les plaines
oii il s'engageait donnaient à sa nombreuse
cavalerie.
Voilà les principaux arguments pour et
contre : l'on peut juger. Pour moi,je ne trouve
pas dans ces faits des preuves de trahison.
N'oublions pas, du reste, que Marquez,
comme les autres hommes de son parti,
ne devait cordialement rien à Maximilien,
qui, appelé par eux, s'était appuyé sur eux
alors seulement qu'il ne pouvait plus faire
l
208 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
autrement. Pour les conservateurs mexi-
cains, il ne s'agissait donc pas avant tout de
sauver Tempereur, pas même Tempïre, mais
de défendre la situation politique des con-
servateurs. A ce point de vue, Puebla était
plus important que Queretaro, oîi, après
tout. Marquez savait que Maximilien n'était
pas en danger immédiat; Puebla, au con-
traire, était vivement pressé.
Enfin, Marquez était toujours resté pau-
vre; il était brave, dévoué avec enthousiasme
à son parti ; ce sont des qualités qu'on peut
faire valoir comme supplément de défense.
L'on partit donc le 29 mars. A Los Reyes,
l'on quitta la route directe de Mexico àPue-
bla, comme si l'on redoutait les passages du
rio Frio , et l'on prit sur la gauche par le
chemin qui longe le lac de Texcoco.
Le 31, à San-Cristobal, le commandant
Chenet apprit que l'on allait à Puebla, oîi il
trouvera 300 zouaves français qui l'atten-
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 200
dent pour entrer dans sa contre-guérilla.
Là, il abandonne le commandement de sa
compagnie de gendarmerie franco-mexi-
caine; il se met à la tête du petit corps
de volontaires français, qui compte alors
75 hommes et à qui Ton confie la batterie
de montagne.
On approche de Puebla. A Tétonnement
de l'armée on dépasse la ville, on la laisse
sur la droite; on va de Tavant vers Hua-
mantla.
Tout à coup le bruit se répand que Pue-
bla s'est rendu. Nul ne le veut croire. Les
Libéraux n'ont pas d'artillerie de siège ; les
forts qui défendent la ville sont, au con-
traire, parfaitement armés et approvision-
nés; Puebla peut, sans même être secouru,
tenir une année entière.
Mais ce n'est que trop vrai. Puebla s'est
rendu. On dit que le vieux Marquez, en
apprenant cette nouvelle, a pleuré de déses-
12.
2i0 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
poir. On raconte cent traits de la défense
de la ville. Les habitants, les soldats, les
300 Français qui de Puebla se sont engagés
dans la contre-guérilla Chenet , se sont bat-
tus dans les rues avec un acharnement
inouï.
Mais le gouverneur de la place, le général
Noriega, a rendu les forts, qui mitraillent les
défenseurs de la ville. Ceux-ci se rendent.
«
A quoi bon? Quelle loi de droit des gens
est respectable pour les Juaristes? H 5 offi-
ciers sont fusillés près du cimetière du Car-
men.
Nos pauvres zouaves, qui se sont battus
comme des endiablés, restent, en bien petit
nombre, prisonniers dans la ville où leur
chef nominal les retrouvera quand, prison-
nier lui-môme après le siège de Mexico, il
sera envoyé à Puebla avec le reste de sa
troupe.
Le général Noriega, seul de tous les offi-
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 21i
ciers supérieurs, a la vie sauve. Faut-il voir
en lui encore un lâche ou un traître * ?
i . Peut-être fut-il seulement un incapable. C'est Tavis du
brave et loyal maréchal Almonte que j*ai pu consulter sur
quelques-uns de ces hommes. On peut donc penser que No-
riega^ général instruit^ mais non homme d'action^ perdit la
tète au milieu de la fusillade. Je suis heureux de pouvoir offrir
cette chance d'atténuation aux Mexicains qui portent honora-
blement ce nom-là.
212 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
XII
RETRAITE. — HÉROÏQUES EFFORTS DE L'ARMÉE IMPÉRIALE.
BATAILLES DE SAN-DIEGO, DE SAN-SICOLAS.
COMBATS DE MONTAGNES.
Je ne puis parvenir à comprendre le plan
qui poussa Marquez en avant après la récep-
tion de ces nouvelles. Il devait deviner ce
qui arriva en effet, c'est-à-dire que, maîtres
de Puebla, les Juaristes allaient être renfor-
cés par leurs ennemis de la veille, qui, mexi-
cano more^ s'enrégimenteraient volontiers
dans les rangs des vainqueurs. Ainsi les en-
nemis pourraient prochainement poursuivre
sa petite armée avec 40 ou 50,000 hommes.
Le 6 au matin, on quitta le petit village
indien de San-Diego, oîi l'on avait passé la
nuit. A peine l'arrière-garde avait-elle aban-
donné le village, — il était six heures, —
DE L'EMPIRE MEXICAIN, 213
que Ton vit rennemi apparaître sur une
hauteur, au delà de San-Diego.
Bientôt il déboucha en colonnes serrées
sur la route que les Impériaux avaient suivie
la veille. On lui comptait environ 10,000 ca-
valiers et 3,000 fantassins.
Il se déploya rapidement sur le plateau
qui domine San-Diego. Il s'adossa à un bois
qui couvre presque toute la hauteur et où
son infanterie se logea. Sa droite s'appuyait ^
sur la route qu'il venait de quitter; sa gau-
che s'étendait à perte de vue dans le fond
de la vallée de San-Diego. Le village était
entre les deux armées.
Les Impériaux étaient engagés dans une
assez mauvaise route, mais aussitôt l'ennemi
signalé ils avaient fait demi-tour et marché
sur le village, que l'infanterie occupa.
La contre-guérilla française était à Tavant-
garde, avec sa batterie. Elle prend à travers
champs, arrive à l'arrière qui fait front à
214 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
l'ennemi, place ses pièces sur un mamelon
en avant du village. La cavalerie s'étend en
éventail aussi en avant de San-Diego : Qui-
roga et ses presidiales au centre, la gendar-
merie franco-mexicaine à Textrôme gauche,
es hussards rouges de KevenhuUer à la
droite.
Le silence se fit. Puis on entendit un rou-
1 ement : c'était la batterie française qui com-
mençait la bataille, avant même que les ti-
railleurs eussent engagé le feu. Quelques
minutes après les batteries rayées se joi-
gnent au bruit. Les dix-huit pièces foudroyè-
rent l'ennemi, qui, avec cette étrange nature
mexicaine, si brave devant le feu, si prompte
à la fuite devant le sabre, serrait vaillam-
ment ses files emportées.
Les cavaliers de Quiroga se précipitent
du centre, les hussards et les gendarmes
s'élancent de droite et de gauche.
Après une heure de lutte, Tennemi est
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 215
culbuté. Les gendarmes le poursuivent, mais
sans pouvoir Tatteindre, tandis que l'infan-
terie de Hamerstein va déloger les fantassins
juaristes du bois. Le champ de bataille est
couvert des cadavres des dissidents. Les
Impériaux ont eu 20 tués et 50 blessés.
On retourne vivement sur Mexico, et Von
reprend la route que Ton a suivie pour venir.
Le lendemain, on envoya les hussards en
reconnaissance, et quand on les vit revenir
avec leurs costumes rouges, leurs selles rou-
ges de sang, et quand, en passant devant le
général, ils crièrent : Viva el emperador^
en levant leurs sabres rougis jusqu'à la
garde et encore dégouttants du sang ennemi,
nos Français trouvèrent que c'était un beau
spectacle, et que ces Autrichiens étaient de
braves compagnons. Ils avaient rempli une
harranca (lit escarpé d'un torrent) de cada-
vres à coups de sablées.
toutefois, le soir, on apercevait Tennemi
$16
HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
à rhorizon. On envoya quelques coups de
canon pour le tenir à distance.
Le 8, à dix heures du matin, on avait fait
environ la moitié de la route qui sépare
Puebla de Mexico. On était au village de
San-Nicolas, à Tembranchement des trois
routes de Mexico, de Apam et de Capulal-
pam, dans la partie la plus plane, ou plutôt
la moins montagneuse du chemin.
C*était une clef de route et une bonne
situation d'attaque pour des forces immen-
sément supérieures. Les accidents de terrain
n'y manquaient pas toutefois.
C'est en arrivant sur le haut d'un plateau que
les Impériaux aperçoivent 12,000 hommes
s'avançant en colonnes serrées sur le ma-
melon en face. Dans le ravin, à la gauche,
se déploie un gros de cavalerie au milieu
duquel se tient l'état-major juariste.
Les deux armées sont séparées par un
vallon en pente douce.
DE L'EMPIRE MEXICAIN. m
Marquez fait déployer sa colonne, Tartil-
lerie au centre. Nos volontaires français lan-
cent au milieu du gros de cavalerie deux
boulets qui font envoler les plumets de Tétat-
major.
Les gendarmes descendent la pente du
vallon et remontent Tautre versant ; ils vont
aborder Tennemi, mais ils constatent qu'il
est massé en colonnes profondes. Us remar-
quent que Tartillerie s'est tue; ils se retour-
nent et voient qu'ils masquent le feu des
leurs. Ils font demi-tour à droite. Les dix-huit
pièces tonnent et enlèvent des files entières.
L'ennemi écrasé, menacé sur son flanc
droit par les gendarmes, se jette en désordre
sur la gauche, et, décimé, poursuivi par les
projectiles, il se précipite dans la plaine.
Il fuit jusqu'à San-Lorenzo, où il se i*e-
forme à l'abri de l'hacienda. Toute l'armée
impériale le suit, gendarmes et cazadores
en tête. Notre batterie française, soutenue
13
218 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
par un escadron des hommes de Quiroga,
se hâte, accourt en face de Fhacîenda, en
déloge Tennemi, qu'on poursuit sans l'at-
teindre .
Nous entrons à San-Lorenzo, situé à Tex-
trémité d'une immense plaine à cheval sur
deux routes qui mènent à Mexico. Nous
nous y établissons pour y passer la nuit.
Marquez fait prendre les dispositions pour la
défense de l'hacienda, établit un ouvrage
circulaire en terre, qu'on arme de canons.
On était harassé par ces trois jours de
marches forcées et de bataille. On se croyait
débarrassé de cet ennemi qui fuyait si bien ;
le lendemain, on le vit apparaître en plus
grand nombre.
On était à vingt-deux lieues de Mexico.
Cette journée de San-Lorenzo, une des
plus néfastes pour l'empire^ commença par
un feu de tirailleurs ennemis, qui, en nom-
bre considérable, s'approchant peu à peu^
DE L'EMPIRE MEXICAIN 219
entourent les Impériaux. La contre-guérilla
française est placée à Textrême droite. On
échange quelques coups de canon.
A midi, le commandant Chenet va prévenir
Marquez que l'ennemi nous tourne sur notre
droite pour s'assurer d'une position des plus
importantes ; Marquez dit qu'il va y pourvoir.
A une heure, le commandant français
envoie l'un de ses officiers rappeler à Mar-
quez que l'ennemi s'approche du mamelon
qui est son objectif, et qu'une fois établi là
il nous prendra entre trois feux. Marquez
répond qu'il va le faire occuper.
A deux heures, le commandant retourne
une troisième fois auprès du général ; même
promesse, et toujours Vaine.
A trois heures il était trop tard. L'ennemi
occupe le plateau et envoie des paquets de
mitraille à nos artilleurs qu'elle tue ou blesse,
si bien que le commandant reste seul avec
Tofiicier d'artillerie.
220 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
On tient bon toutefois jusqu'à la nuit.
Marquez reconnaît que la position n'est plus
tenable. On décide que Ton va faire retraite.
A deux heures de nuit, on se met en
marche, après avoir noyé les poudres dans
la mare de l'hacienda; on abandonné les
blessés. On commence à avancer, pour trom-
per l'ennemi, dans une direction opposée à
celle que Ton veut suivre, et l'on se lance à
travers la montagne, malgré les murmures
des Européens, indignés de voir fuir une
armée qui a battu l'ennemi quatre fois en
trois jours.
Marquez sait que le nombre des ennemis
augmente à chaque instant. Puis, comme il
faut qu'il y ait toujours lâcheté et trahison
au fond de tous ces événements, le 15* ba-
taillon (j'éprouve un regret amer de n'en
pouvoir nommer le colonel) a fait défection
et jeté ses armes pendant l'affaire de la veille.
Il déshonorait ainsi, et de nouveau, le nom
DE L'EMPIRE MEXICAIN 221
mexicain, au moment oh la bravoure des
presidiales de Quiroga et des hijos de Mexico
le relevait dans Testime de la petite armée.
Marquez, qui connaissait son peuple, pou-
vait craindre que cet exemple ne fût conta-
gieux.
On fuit donc. Mais Tennemi n'a pas été
longtemps trompé. On le voit apparaître à
cinq heures du matin .
11 tombe sur les solides gendarmes franco-
mexicains, qui forment Tarrière-garde. Ceux-
ci se retournent et font plusieurs charges
successives, en montrant aux Juaristes cette
arme blanche, si désagréable aux Mexicains.
On arrive en présence d'un immense ravin
fort connu sous le nom de la harranca de
San-Cristobal. Le pont en est coupé; en un
quart d'heure il peut être réparé. Marquez
s'y oppose : les hommes traverseront sur
une passerelle ; on jettera les canons et les
munitions dans Tabîme. La contre-guérilla
222 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
refuse de suivre cet ordre. On commence
toutefois à jeter les pièces rayées.
Mais voici que l'ennemi arrive. Un pre-
mier corps se montre en tête. Sur Taile
droite, 16,000 cavaliers sont signalés. Enfin,
Tarmée que Ton a en queue arrive en masses
profondes.
La gendarmerie est abîmée. Le vaillant
bataillon de volontaires mexicains hijos de
Meooico (les fils de Mexico) la remplace : il est
écrasé ; en un instant il a perdu 500 hommes.
L'ennemi peut s'emparer de trois des douze
pièces rayées, les autres sont au fond de la
barranca. Il ne reste plus que les canons que
la contre-guérilla française a voulu con-
server.
On a traversé la passerelle. Le génie mexi-
cain est là, prêt à la couper ; mais Marquez
ne veut pas que l'on perde du temps à cette
besogne : l'ennemi passe sur nos talons. ^
Le bataillon autrichien Hamerstein prend
PB L'EMPIRE MEXICAIN 223
l'arrière-garde ; il ne compte que de bons
soldats, excellents tireurs, dont chaque coup
abat un homme ; mais l'ennemi est innom-
brable. Le bataillon perd 350 hommes, la
moitié de son effectif.
Pendant que ceci se passe à l'arrière*
garde, Marquez, qui était en avant, a vu
cette formidable colonne de 16,000 cavaliers
qui débouche sur notre droite. Il se croit
perdu.
La contre-guérilla française qui marchait
avec lui veut attendre l'ennemi; Marquez
donne l'ordre de continuer la fuite. La bat-
terie n'a pu suivre; elle reste en arrière
et se trouve à l'arrière-garde, au centre de
laquelle elle se met en marche. La route est
coupée par des torrents, ravines, harran-
cas. En traversant l'un de ces précipices,
deux des mulets qui portent les pièces tom-
bent et les deux obusiers roulent au fond du
torrent. L'ennemi occupe les crêtes du ravin
22i HISTOIRE DE6 DEBNIER8 VOIS
et fusille les contre-guerillepos du haut en
bas; trois des pièces arrivent en haut; la
quatrième est restée dans le ravin : tous les
artilleurs ont été tués. L'indien conducteur
du mulet qui portait cette pièce tombe à son
tour. Le commandant, resté seul, saisit le
mulet par la bride et sort de la barranca.
Arrivé sur le haut, il voit que l'inquiétude
a grandi. On vient d'apprendre que Marquez
s'est sauvé avec 200 chevaux. On maudit ce
général, qu'on nomme lâche, en oubliant
toujours qu'il suit les traditions de la guerre
mexicaine, où le soldat n'est rien, où l'offi-
cier inférieur ne court aucun danger, où les
généraux ne sont protégés par aucun droit
des gens.
Le colonel autrichien Kodolich prend le
commandement et la lutte continue. Mais la
position est terrible.
L'ennemi nous a coupés ; on est attaqué
en avant par 2,000 chevaux; les flancs sont
DE L'EMPIRE MEXICAIN 225
côtoyés par ces 16,000 hommes signalés
depuis quelque temps, et larrière-garde se
bat depuis cinq heures du matin. Il est onze
heures.
On est surtout menacé par un corps de
huit escadrons qui s'avance délibérément
contre notre flanc droit, en face des hus-
sards. Le commandant Chenet parvient à
mettre deux de ses pièces en batterie der-
rière les Autrichiens. L'ennemi avance avec
vaillance. Tout à coup les hussards ouvrent
leurs rangs. Le canon tonne. L'ennemi, qui
nous croyait sans artillerie, arrête son élan,
hésite. Un hourrah s'élève. Les hussards se
précipitent sur les Juaristes ébranlés.
Mais les pièces sont restées sans soutien.
L'ennemi sort de partout. Une des quatre
pièces qu'on a pu sauver jusqu'ici est en
danger, les artilleurs sont massacrés. Le
commandant se retourne, traverse de part
en part un Mexicain qui venait de fendre la
13.
226 HISTOIHE DES DERNIERS MOIS
tête au dernier des artilleurs de cette pièce,
poursuit à coups de sabre deux autres cava-
liers, revient enclouer le canon au moyen
d'une baguette de fusil, et, grâce à son
cheval, rejoint ses trois pièces et les hus-
sards.
En de telles luttes se passa la journée.
On avançait toujours vers Mexico, aban-
donnant dans chaque vallée, dans chaque
barranca, sur chaque plateau quelques hom-
mes. A sept heures du .soir, on put consta-
ter un changement dans la stratégie de l'en-
nemi. Il ne se précipitait plus par grandes
masses. Il harcelait constamment les Impé-
riaux, et on le trouvait à chaque défilé, au
coin de toutes les traversées dangereuses.
Que devait-on attendre ? Les Juaristes se fa-
tiguaient-ils de rencontrer une si persévé-
rante résistance, ou préparaient-ils quelque
terrible embuscade?
. Nos pauvres Impériaux étaient à bout de
. DE L*EMPIRE MEXICAIN 227
forces. Ils étaient depuis trois jours sans
autres vivres que du porc, et. du porc non
salé.
C'était à cette même heure, le 10, que
Marquez entrait à Mexico, avec le général
Andrade, qui avait dû suivre son chef, et
quelques Européens qui ont peut-être la
même excuse, mais que je préfère ne pas
nommer.
Le bruit se répandit bientôt dans la ville
que les quelques cavaliers qui raccompa-
gnaient étaient tout ce qui restait de l'armée.
Quant à la contre-guérilla française et à son
chef, ils étaient restés dans la barranca. On
devine quelle triste nuit passèrent les parents
et les amis des Européens qui étaient partis
pour cette expédition .
Mais le lendemain 1 1 , à sept heures du
matin, on entendit les cris : « Les voici!
les voici ! » Les restes de la petite colonne
arrivaient sur Mexico, hâves, noirs, blessés,
2^8 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
méconnaissables, masqués de poussière, en
lambeaux.
Ils avaient fait 20 lieues en vingt-sept
heures, s'étaient battus.pendant cinq jours,,
et, en dernier lieu, pendant quatorze heures
sans désemparer, sans chef, contre des
troupes qui avaient toujours été de quatre
ou cinq fois supérieures.
Nous n'avons pas raconté tous les inci-
dents de cette terrible nuit du 1 au H • Ce
n'était pas une embuscade, mais trois em-
buscades que les Juaristes avaient dressées.
Ils occupaient en force et fortifièrent les
trois chemins qui pouvaient mener à Mexico.
Ils avaient coupé la langue de terre de San-
Cristobal , entre le lac de ce nom et- celui
de Texcoco.
Ce fut dans cette dernière ville oîi, la nuit
venue, notre petite troupe arriva, que Ton
apprit cette nouvelle. L'on prit alors sur la
gauche, en côtoyant le lac, pour aller re-
DE L'EMPIRE MEXICAIN 229
joindre la route directe de Mexico à Vera-
Cpuz.
L'on sut là que cette route était noyée
et qu'à l'extrémité, entre Mexico et le lac,
ou plutôt entre la Magdalena . et Penon-
Viejo, un corps d'armée attendait les Impé-
riaux.
Ceux-ci firent alors un crochet à Los Reyes
et remontèrent jusqu'à Ayotla, à la pointe
nord-est du lac de Chalco. Les Juaristes,
croyant qu'ils voulaient contourner ce lac,
allèrent les attendre à l'extrémité sud-ouest,
où est le chemin qui mène d'Ayotla à
Mexico.
C'est alors que les Impériaux, revenant
brusquement sur leurs pas, passèrent par
les positions que les républicains venaient
d'abandonner et, traversant la route noyée,
ayant de l'eau jusqu'au cou, purent enfin
apercevoir Mexico.
Ils avaient perdu un tiers de leur effectif.
230 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
La contre-guérilla avait été des plus mal-
traitées; elle avait perdu dans la propor-
tion de 4 tués, 5 blessés, 6 prisonniers par
25 hommes. Mais elle ramenait triomphale-
ment ses trois pièces, et elle recevait une
croix d officier, une croix de chevalier de
Tordre de Guadalupe et neuf médailles mi-
litaires.
Pendant cette campagne, les enrôlements
avaient continué à Mexico. 150 volontaires
venaient renforcer le corps français, et le
nombre augmentant toujours, l'on put for-
mer un escadron de cavalerie, un bataillon
d'infanterie, une section d'artillerie, une
section de génie.
Dès le lendemain de leur arrivée, tous les
chefs de corps européens, les colonels Kodo-
lich, KevenhuUer, des hussards rouges,
Wickembourg, Hamerstein, les comman-
dants Chenet et Klickzing, de la gendar-
merie, se réunirent chez le colonel Kodolich
DE L'EMPIRE MEXICAIN 231
pour faire passer Marquez devant une sorte
de conseil de guerre — moral.
Ils décidèrent qu'il était humiliant de
servir sous un général qui abandonne sa
troupe au commencement d'une bataille,
mais que l'empereur ayant besoin d'eux
pour défendre Mexico, ils conserveraient
leurs commandements, en se promettant :
1*" de se mettre, au moment du danger,
sous les ordres de Kodolich ; 2** de ne pas
entrer, si la ville se rend, dans une capi-
tulation mexicaine, de traiter pour leur pro-
pre compte et, si on refuse, de s'ouvrir
un chemin les armes à la main jusqu'à la
mer.
Pendant ce temps, Marquez, en vertu des
pleins pouvoirs reçus, paraît-il, par Tempe-
reur, se nomme lugarteniente del empera'
dor^ lieutenant de l'empire.
Le 15 avril, l'ennemi arrive en force avec
tout le matériel qu'il a trouvé à Puebla. Le
232 HISTOIRE DBS DERNIERS MOIS
siège commence. Il est désormais impos-
sible d'aller secourir l'empereur à Quere-
taro. C'est à cette date seulement qu'on
abandonne les postes avancés de Guadalupe
occupés jusque-là par la contre-guérilla.
1
DE L'EMPIRE MEXICAIN 233
XIII
SIÈGE DE MEXICO.
LA CONTRE-GUERILLA FRANÇAISE. — LA VILLE PENDANT
LE SIEGE. — NOUVELLES DE QUERETARO.
MOUVEMENTS DE L'ARMEE ASSIEGEANTE.
On veut bien se rappeler les quelques no-
tions résumées plus haut sur la fortification
de Mexico : mur de terre à peu près continu,
fossé , terrain marécageux en face de la
muraille et des fossés. Gela était suffisant
pour arrêter décidément et éternellement
une armée comme celle que Porfirio Diaz
amenait au siège de la capitale. Il avait bien
avec lui un nombre considérable d'Euro-
péens et de Yankees, un régiment entière-
ment composé de soldats des États-Unis,
fort faciles à reconnaître à leur haute taille,
à leurs cheveux blonds, à leurs armes perfec-
tionnées, à leurs fusils-revolver; mais le fond
234 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
de son armée, qui comptait 45,000 hommes •
à la fin du siège, était composé d'Indiens
de la leva^ soldats dociles, mais sans initia*
tive, et de ces Mexicains aux chevaux ra-
pides, qui n'ont aucun goût pour les assauts.
Quoi qu'il fût, lui, Porfirio Diaz, le moins
féroce et le plus estimable des généraux jua-
ristes, il aimait mieux compter sur les cir-
constances, sur la trahison , qui avait jus-
que-là valu bien des succès aux républicains,
sur une canonnade lointaine dirigée contre
les niaisons, sur un bombardement destiné
à exaspérer, à pousser à la révolte les habi*
tants de Mexico, et sur quelques coups de
main, surprises, embuscades à l'indienne;
il aimait mieux, dis-je, compter là-dessus
que se fier à une attaque de vive force.
On n'avait donc à défendre que les en-
droits ouverts, les routes, les portes, les ga-
ritas^ c'est-à-dire, pour le répéter encore, les
petits bâtiments d'octroi placés à l'endroit
PE L'EMPIRE MEXICAIN. 235
OÙ Ton entre dans la ville. Les principales de
ces garitas sont celles de Peralvillo au nord,
en face du Guadalupe; à lest, celle de San-
Lazaro; au nord-nord-ouest, à 1,000 me-
très sur la gauche de Peralvillo, celle
de Vallejo ; un peu en dessous, au nord-
ouest, celle de Nonoalco; plein ouest, jus-
tement sur la même ligne que San-Lazaro,
celle de San-Cosme; au sud-ouest, celle de
Belem; au sud, celle de Nifio-Perdido . Les
troupes impériales étaient d'un peu plus de
10,000 hommes, dont 5,000 au moins de
leva.
Malgré l'intérêt qu'il y aurait, surtout pour
cette masse considérable de nos compatrio-
tes ayant habité Mexico, à publier les jour-
naux détaillés du siège que j'ai là sous la
main, je suis obligé d'abréger, et je me
borne à suivre nos volontaire^ français. On
leur donna toujours, du reste, les postes
d'honneur, en face des positions occupées
236 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
par rétat-major ennemi. On les envoyait là
où se faisaient les plus grosses attaques, et
cela, comme l'écrit le général en chef Tabera,
à cause de la confianza que se tiene en la
g ente de la contra- guerrilla.
Nous trouvons tout d'abord notre contre-
guérilla française à la garita de Peral ville,
en face de Guadalupe. C'est par là que com-
mence le siège. Les Juaristes, ayant pris ou
plutôt reçu Puebla, comme je l'ai dit, le
2 avril, firent transporter le matériel et les
troupes par le chemin de fer d'Apisaco, qui
déposa le tout à Guadalupe.
Ce chemin de fer continue son parcours
en droite ligne de cette dernière ville à
Mexico, où il entre par la garita de Peral-
villo. Les Juaristes songèrent à utiliser cette
ligne ferrée en guise de catapulte, et à lancer
des locomotives par la garita.
Porfirio Diaz, ayant établi, dès le 15 avril,
son grand quartier à Guadalupe, à environ
DI£ L'EMPIRE MEIIOAIN. 237
15 kilomètres de Peralvillo, les travaux com-
mencèrent immédiatement. Seize pièces d'ar-
tillerie battirent, à 1 ,200, à 800 età 600mètres
lagarita de Peralvillo et les Ibrtins qui la re-
lient aux garitas de Vallejo et de San-Lazaro.
Ces trois postes étaient confiés aux
500 hommes du bataillon autrichien du colo-
nel Hamerstein, — lequel colonel fut tué le
25 mai devant la tranchée — à 200 hommes
d'infanterie mexicaine et à 220 de nos vo-
lontaires français, lesquels faisaient le jour
le service d'artilleurs et la nuit celui d'é-
claireurs et d'enfants perdus. Ce poste était
commandé en chef par D. Thomas O'Horan,
un général que mes Français accusent d'avoir
bien souvent, la nuit, été, sous prétexte de
visiter les avant-postes, tenir conférence
avec Porfirio Diaz. Comme il fut fusillé par
les ordres de don Benito Juarez, je garde
quelque doute sur sa trahison, qui n'en était
peut-être qu'aux préliminaires.
238 HISTOIRE DES ÛERNÎERS MOIS
La route de Peralvillo à Guadalupe est
droite, plate, plantée de beaux arbres, bor-
dée de fossés larges et profonds, coupée par
deux ponts, l'un à 10, l'autre à 500 mètres
de la garita. A droite et à gauche de cette
route se trouve la vaste plaine d'Aragon, im-
mense marécage coupé par d'innombrables
fossés. On rencontre çà et là quelques débris
de murs en adobe; au delà du deuxième
pont, une petite maison blanche.
Ce fut là, surtout, que nos Français cher-
chèrent leurs embuscades et firent leurs
coups de main et leurs reconnaissances pen-«
dant tout le mois de mai. Je trouve le lieu-
tenant Blanchon constamment cité parmi les
plus intrépides de ces infatigables et endia-
blés éclaireurs, à qui Ton ne sait reprocher
que de ne jamais entendre les signaux de
retraite j de vouloir aller trop en avant e(
tenter de trop grandes choses.
Pendant ce temps, les bruits les plus di-
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 239
vers couraient dans la ville. Le 16 avril, les
journaux V Union ^ le Meancain^ le Pajaro
Ver de y le Diario sont pleins de confiance.
Ils annoncent que les rebelles ont été chas-
sés de Queretaro et que l'empereur marche
sur Mexico. De Vera-Cruz, bonnes nouvelles.
La garnicion esta en un perfecto stado de
arreglo. On annonce même que les États-
Unis abandonnent Juarez. Quant au siège de
Mexico, on peut laisser Porfirio Diaz brûler
sa poudre; eût-il des forces trois fois plus
considérables , il ne se hasardera jamais à
prendre la ville de vive force.
Du 30 avril, même confiance. « Comme
de coutume, Tennemi a continué à canon-
ner la cité bien plus que la ligne fortifiée.
On a vu se former trois bataillons en ordre
d'attaque dans la plaine d'Aragon, puis ces
bataillons, après avoir été éloquemment prê-
ches par leurs généraux, rentrèrent dans
leur camp en donnant les signes du plus
#
S40 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
grand enthousiasme. Les Indiens se lèvent •
pour Teftipire dans la Sonora. Les dissen-
sions éclatent entre Porfirio Diaz et ses gé-
néraux. Les capucines de Guadalupe ont été
obligées de fuir. On a démonté trois canons
à Tennemi. On manque un peu de charbon,
mais la ville est ravitaillée par les Indiens. »
Tel est le résumé des nouvelles.
Le 3 mai, les difficultés de ravitaillement
sont plus grandes. Un avis du général en
chef engage les commerçants à témoigner la
plus grande confiance et un véritable en-
thousiasme pour l'état prospère de la ca-
pitale, et il les invite à considérer que s'ils
fermaient leurs boutiques sous le prétexte
que rien ne va plus, cela pourrait pousser
le seîior alcade à douter de leur patriotisme .
Du reste, les troupes de Régulés ont été écra-
sées, le 22 avril, devant Queretaro. Le gé-
néral Olvera a levé 3,000 hommes pour
Tempire dans les Llanos de Apam.
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 241
« Quant au siège, rien de nouveau. A
onze heures du soir, la veille, on a vu des
lumières dans le camp ennemi. A minuit
cinquante-six minutes, lumières suspectes.
A six heures quatre minutes du matin, rien
de nouveau. A six heures cinquante, on voit
arriver trois wagons de marchandises chez
l'ennemi. A huit heures trois quarts, nous
fermons notre journal, rien de nouveau.
L'ennemi continue à jeter des projectiles
contre la ville. » La gazette manque de va-
riété, et elle ne cherche pas évidemment les
nouvelles à sensation.
Tel est, pourtant, si nous y ajoutons tou-
tefois les escarmouches de nuit de nos vo-
lontaires français aux avant-postes enne-
mis, le récit journalier des opérations du
siège.
Les républicains de la capitale peuvent
constater que, si rien n*est désespéré, tout
traîne en longueur. Voici la saison des pluies
14 *
242 HISTQIRE DES DERNIERS MaiS
qui arrive, et la situation des assiégeants va
devenir fâcheuse.
La première quinzaine de mai se passe
ainsi.
Tout d'un coup un bruit sourd se répand
dans le parti républicain, à la tête duquel se
trouve don Riva Palacio, père de Vicente Riva
Palacio, général juariste ; ce bruit affirme que
nombre des projectiles lancés par Tennemî
sont creux et renferment des billets, annon-
çant la prise de Queretaro et de Tempereur*
Le 19 mai, un journal de Toluca arrivait
dans la ville affirmant que Maximîlien, Mî*
rattion, Mejia^ Severo del Castillo, Reyes et
une foule de généraux avec 8,000 hommes
de troupes et 60 canons sont au pouvoir des
Juaristes.
Le 25 , le général Vicente Riva Palacio
écrit à sa femme, habitant Mexico, pour
confirmer ces nouvelles, annonçant de plus
que M. Lacunza a entre les mains un acte
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 243
contenant Tabdication de Maximîlien. Les
Impérialistes, informés de ces nouvelles, les
prirent tout d'abord pour une ruse de guerre
destinée à cacher quelque terrible échec des
Juaristes. Le siège continua.
Les pluies avaient commencé dès le
23 mai, et Porfirio Diaz, noyé dans ses lignes,
avait fait un mouvement. Il avait porté le
gros de ses forces, comme le point principal
de Tattaque, à Tacubaya, au sud-ouest, en
face de la garita de Betlem ou Belem,
Aussitôt, on rassemble la contre-guérilla
française, et le commandant Chenet avec sa
troupe va occuper cette garita (30 mai),
qu'il sera désormais seul à défendre. Poste
honorable, le plus exposé, le plus attaqué et
pourtant commandé par un simple chef d'es-
cadrons, quand tous les autres sont com-
mandés par un général. Mais ce chef d'es-
cadrons est Français, et il est à la tête d'une
troupe française.
244 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
XIV
QUERETARO LÀ NUIT DIj 14 MAI..
I
LOPEZ. — OCCUPATION DE LA VILLE.
. RETRAITE DE l'EMPEREUR.
Nous avons laissé Maximilien à Quere-
taro, se préparant, le 14 mai, à livrer le
lendemain une bataille que tout démontre
devoir être victorieuse.
A dix heures du soir, les officiers quittent
le quartier général, avec Tordre de prévenir
leurs régiments respectifs de se tenir prêts
pour l'attaque dès la pointe du jour. De dix
heures à onze heures, Ton veille à faire
mettre en ordre les armes et les harnache-
ments des soldats. A onze heures, ceux des
Français qui se sont engagés dans Tarmée
impériale se réunissent pour causer un peu
de la conduite à tenir pendant Tattaque. L'on
■^
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 245
rentre chez soi à minuit : chez soi, je veux
dire au quartier.
On n'aperçoit nul mouvement; on s'en-
quiert. L'officier de garde annonce que l'on
a envoyé contre-ordre du quartier général .
On s'étonne, puisque, il y a une heure à
peine, l'ordre d'attaque avait été définitive-
ment arrêté après conseil. On soupçonne
quelque trahison,
« Je ne pouvais y croire, dit Tun de mes
témoins, lorsqu'au même instant passe un
lieutenant mexicain d'artillerie que j'avais
vu de garde avec deux canons au bâtiment
où se trouvaient toutes les munitions. Ap-
pelé par l'officier de garde de mon régiment,
il me répète que l'attaque n'a pas lieu, que
le contre-ordre a bien été donné, et, après
avoir causé quelques minutes avec moi, il
me tend la main et me souhaite bonne nuit.
Le misérable! A cinq heures du matin, il
me mettait le pistolet sur la gorge ! Malgré
14.
246 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
toutes ces affirmations, je ne pouvais croire à
ce contre-ordre; aussi je n'avais pas envie de
me coucher et je restai jusqu'à deux heures
du matin, allant, venant. Je m'arrêtai à
ridée de faire seller mon cheval et de pous-
ser jusqu'au quartier général, jusqu'à l'em-
pereur; mais l'officier de^arde me répète
encore qu'il est bien vrai qu'il y a contre-
ordre; il me montre dessellés et débridés
les chevaux qui étaient encore sellés et bri-
dés à onze heures. Je me laissai à moitié
convaincre, je m'étendis sur mon lit et je
m'assoupis. »
La trahison avait tout préparé, en effet.
Lopez, colonel du régiment de l'Impératrice,
mais attaché à l'état-major général et détaché
au couvent de la Cruz auprès de l'empereur,
qui s'était établi là, nous l'avons dit, comme
dai^s la forteresse de la ville, Lopez avait vendu
à Esoobedo, à Corona et aux autres généraux
juaristes la ville, la forteresse et l'empereur.
^^ht^m^tm^^^^
mmÊmtmm
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 247
Il était exaspéré de n'avoir pas été nommé
général, et y ne Tavait pas été parce qu'on
avait remis à Maximilien les preuves d'une
précédente trahison dé Lopez, qui s'était
vendu aux Américains pendant la guerre
contre les États-Unis. Maximilien, toujours
bon et entraîné par son amitié naturelle pour
ce misérable, à qui sa courageuse conduite
dans la campagne du Nord avait valu la
croix d'officier de la Légion d'honneur, Maxi-
milien avait voulu douter encore, et, pre-
nant un de ces moyens termes qu'il aimait
trop à employer, il avait conservé à Lopez
sa position dans son état-major, mais ne
l'avait pas nommé général. Il lui avait laissé
à la fois et le désir de se venger et les faci-
les moyens de le faire.
Lopez, pour un prix que je ne puis pré-
ciser, on le comprend, avait donc vendu
aux assiégeants, vaincus dans vingt-deux
Qombats, les soldats qui les avaient oonstam-
248 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
ment battus et la ville qui se riait de leurs
efforts. #
Quelles entrevues eut-il avec Escobedo?
Quel intermédiaire employa-t-il tout d'a-
bord? On ne le sait pas encore. Après une
étude impartiale, rendue difficile sans doute
par le nombre et le caractère personnel des
récits que j*ai sous les yeux, mais une étude
attentive et concluante , je crois pouvoir
donner comme véridiques les faits suivants,
Lopez, aussitôt Tempereur retiré chez soi,
dans l'intérieur du couvent de la Cruz, au-
rait été ordonner à la garde du corps et à
Tescadron hongrois de desseller. Ceux-ci
purent être étonnés de cet ordre, en contra-
diction avec celui que le prince de Salm-
Salm avait donné, peu auparavant, de rester
en selle toute la nuit ; mais la position de
Lopez ne permettait pas d'hésiter.
Le jardin, le Panthéon de la Cruz furent
ainsi dégarnis de troupes par ses ordres.
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 2i9
Puis il sortit et revint bientôt accompagné
d'un général ennemi déguisé , avec lequel
il se promena longtemps pour le renseigner
complètement sur Tétat des lieux. Le géné-
ral juariste le quitta.
Je ne sais à quel instant entre minuit et
quatre heures, Lopez fit répandre dans les
divers quartiers et casernements le bruit que
contre-ordre était donné et qu'il n y aurait
rien le lendemain ; j'ignore aussi à quel mo-
ment et avec quelle aide une partie des canons
de la Cruz furent privés de leurs servants et
retournés contre la ville sous prétexte qu'il
y avait une révolte. Nous savons qu'il y eut
maint complice, des misérables comme cet
Antiveros, dont la trahison parut si odieuse
aux Jûaristes mêmes que, cette nuit-là, ils le
bâtonnèrent à son arrivée dans leur camp.
Avant quatre heures, Lopez, après s'être
entendu avec le principal àe ses complices,
un Jablonski, Juvonski, Jublonski, lieu te-
250 HISTOIRE DBS DERNIERS MOIS
nant-colonel et agent de police, sortit de
nouveau des lignes impériales et alla rejoin-
dre le général qu'il avait déjà, une heure
avant, introduit dans la Gruz.
Il faisait encore nuit. Lopez se présente
bientôt devant les fortifications extérieures de
la Gruz ; il était suivi de deux bataillons. Il se
fit reconnaître, anAonça que ce qu'on atten-
dait de jour en jour, Marquez avec du renfort,
était enfin arrivé. Tous les corps mexicains se
ressemblent avec des différences si légères
qu'elles sont inappréciables la nuit. On le
crut aisément. Comment ne pas croire Lopez !
Il recommandait qu'on ne poussât aucune
acclamation pour ne pas donner l'éveil aux
ennemis et parce que d'autres troupes sui-
vaient ces deux bataillons.
En effet, tanHis que ceux-ci pénètrent
dans la Huerta et les autres lieux de la
Gruz, des troupes se glissent silencieuse-
ment vers la place au Chien, la place San-
DE L'empire mexicain. 251
Francisco, vers le centre de la cité, en un
mot.
Lopez, avec une partie de sa troupe, arrive
en face de la forteresse, je veux dire du cou-
vent *de la Cruz. Là il trouve ce vil Jablonski,
qui introduisit la bande dans l'intérieur.
Tout ce mouvement n'avait pas absolu-
ment échappé aux Impériaux. Vers quatre
heures et demie, le colonel Tinajero, qui
commandait les hauteurs du couvent, des-
cendit dans la cour et dit que le camp ennemi
n'était pas tranquille. Un peu après, un autre
officier, pénétrant jusqu'à la garde des tran-
chées, vint dire que les Juaristes semblaient
avoir pénétré dans le jardin de la Cruz* On
lui rit au nez. Comment Cela était-il pos-
sible^ dans une place si bien gardée ^ quand
on n'avait entendu ni un coup de fusil ni un
cri d'alarme!
Le colonel Guzman, (Commandant en se-
cond de rétat-majoi* impérial, conçut pour-
rôl HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
tant quelques doutes; il descendit dans la
cour. A peine y était-il arrivé qu'il fut arrêté
et emmené. Toutefois il put voir Lopez gui-
dant un officier ennemi et disant : « Par ici ,
mon général, par ici. »
Dans l'intérieur de la forteresse, Lopez
continua le même système, qui lui avait
réussi jusque-là. Il fit déposer les armes aux
divers postes , empêchant les officiers supé-
rieurs d'organiser la résistance, et s'écriant :
« Tout est perdu ! Sauvez le général, sau-
vez l'empereur. »
Puis il s'éloignait, guidant les ennemis
vers chacun des postes qu'on entourait et
désarmait. La surprise des commandants,
l'inertie des soldats indiens, la brusquerie
de l'aventure, l'impossibilité de songer tout
d'abord à la trahison de Lopez, expliquent
cette étrange affaire .
L'aube commença à paraître. On entendit
sonner à toute volée les cloches de San-
IDE L'EMPIRE MEXICAIN 253
Francisco et de la Cruz. L*armée impériale
se réjouit, chacun pensant que c'était pour
célébrer larrivée de Marquez. Puis le soleil
se montra. Ce fut une épouvante.
« Je ne crois pas possible, dit un de mes
chroniqueurs, que ceux qui n'ont pas été
témoins de cet événement puissent se for-
mer une idée de l'effroyable surprise. Les
soldats se demandaient mutuellement :
« Qu'y a-t-il? » Et personne ne pouvait
leur répondre. »
Mais la réalité était sous leurs yeux : ils
étaient pris entre deux feux , ejitre deux
lignes de fer. C'était bien l'ennemi qui son-
nait à volée les cloches de la ville.
« Un officier, — je veux citer un exemple
de la preste et merveilleuse entente de tra-
hison avec laquelle ce mouvement fut exé-
cuté , — un officier se trouvait dans une rue
centrale, se promenant tranquillement. Un
habitant le supplie de fuir, lui annonçant
15
254 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
que Tennemi était dans la ville; roCTicier
regarde Thabitant comme un fou. Il rentre
chez lui : son appartement était occupé par
un officier libéral. »
Il faut reconnaître que Lopez et Escobedo
étaient bien faits pour s'entendre, et ils s'en-
tendirent à merveille, tous deux grands gé-
néraux de nuit et habiles stratégistes eu
trahison .
Nous verrons avec quelles fleurs d'élo-
quence les Juaristes célébrèrent la grandeur,
le courage, le génie que les Mexicains avaient
montrés dans cette triomphante prise où
l'on ne tira de coups de fusil que pour assas-
siner.
Pendant ce temps Lopez, à qui ne suffi-
sait pas de partager ce triomphe dont il était
le seul auteur, et qui voulait se ménager une
porte de sortie , courait tout armé et sans
être escorté d'aucun ennemi jusque chez le
prince de Salm-Salm en criant :
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 255
« Je suis prisonnier, sauvez Tempereur!
L*ennemi est déjà dans la Cruz. »
Puis il se jeta à k tête du bataillon jua-
riste de Nuevo-Leon et se lança dans la ville.
Faut-il laccuser d'avoir provoqué les défec-
tions, qui naturellement ne se firent pas at-
tendre? Les troupes de garde à la cathédrale,
entre autres, — et je suis de nouveau bien
attristé d'ignorer le nom de leurs chefs, —
se mirent à fusiller vaillamment et à bout
portant ceux de leurs camarades qui avaient
rimprudence de répondre encore : Emperia
à leurs « Qui vive ! »
Toutefois, il est certain qu'à ce moment
encore Lopez aidait à désarmer les Impé-
riaux, et il était grand jour quand il ordonna
au capitaine Paulowski et au lieutenant Kœ-
lig, des hussards, de rendre leurs armes et
leurs chevaux.
L'empereur avait compris qu'il était inu-
tile de se défendre plus longtemps dans la
256 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
■
Cruz. II s*arma, en disant tranquillement :
« Sortir d'ici ou mourir ! »
II sortit avec deux de ses familiers, ren-
contra dans Tescalier une sentinelle ennemie
qui fit signe de ne pas les voir.
Dans la cour une troupe d'ennemis dé-
voyés s'adressa à eux , pour savoir où était
leur guide, le colonel Lopez. On arriva à
la plaza de la Cruz. Des officiers juaristes
leur intimèrent Tordre de s'arrêter.
« En avant! En avant! » dit Maximilien.
Le colonel Pedro Rincon Gallardo' s'ap-
procha, regarda attentivement les trois per-
sonnes, et quoiqu'ils fussent en uniforme,
il dit :
« Ces messieurs peuvent passer, ce sont
des bourgeois. »
DE L'EMPIRE MEXICAIN, 2o7
XV
MAXIMILIEN AU CERRO DE LA CAMPANA.
IL SE REND.
L'empereur et les siens avaient continué
leur route. On rencontra Lopez. L'empereur
alla à lui , l'interrogea sur ce qui se passait
et lui demanda quel moyen il avait de quitter
la ville. Lopez voulut lui conseiller de se
cacher dans quelque maison. L'empereur
refusa net et reprit son chemin vers le
cerro de la Campana, où Ton ne trouva que
150 hommes.
Maximilien envoya Castillo chercher Mi-
ramon. Le régiment de l'Impératrice arriva
bientôt, ainsi que le général Mejia, avec une
petite escorte. Mais c'était Miramon que
Maximilien attendait avec anxiété.
« Je ne veux rien faire sans lui, » disait-il.
258 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Miramon ne venait pas, mais bien quel-
ques soldats et officiers qui accouraient in-
dividuellement, après avoir couru des dan-
gers dont le récit suivant peut donner une
idée. C'est la suite des Mémoires de Toffi-
cier que nous avons laissé s 'assoupissant,
vers deux heures du matin.
(( A cinq heures je suis éveillé par un ca-
rillon infernal. En même temps mon ordon-
nance accourt tout effarée dans ma chambre,
me disant qu'elle ne sait pas ce qui se passe,
mais que tout le monde monte précipitam-
ment à cheval. Je saute en selle et j'arrive
sur la place aux Chiens, lorsque j'entends
des coups de feu dans une rue sur ma gauche.
La curiosité me pousse à aller voir quelle est
la cause de ces détonations.
« La rue était occupée par des soldats. Je
crois être au milieu des nôtres, la tenue de
ces soldats étant, on le sait, la même que
dans l'armée impériale. Je demande ce qu'il
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 259
y a. Les sentinelles me répondent : «Passez,
passez ! »
« Je me trouve au milieu de Tennemi, Je
marche environ cinquante pas sans que per-
sonne me dise le moindre mot. Lorsque j'ar-
rive à hauteur de la petite porte du bâtiment
attenant au couvent de San-Francisco, l'of-
ficier mexicain de l'artillerie impériale, dont
j'ai parlé plus haut, se précipite sur moi le
revalver à la main, me demande qui je suis
en me mettant le pistolet 3ur la gorge, et
me répète, sans me donner le temps de me
reconnaître :
« Qui êtes-vous? qui êtes-vous? »
« J'attaque vigoureusement mon cheval.
Le brave animal, d'un bond vigoureux, ren-
verse un soldat qui croisait la baïonnette
sur moi. Je soutiens le galop en me faisant
jour à travers une centaine de soldats qui
font feu à bout portant. Heureusement le
Mexicain est fort mauvais tireur. Je sortis
200 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
d'au milieu de ces forcenés sans être blessé.
Mais je ne devais pas aller loin.
« J'avais la place San-Francisco à traver-
ser, ïazotea (terrasse) du couvent était gar-
nie de soldats libéraux qui continuaient de
tirer sur moi. Une balle m'atteignit à la main
gauche et me cassa deux doigts, le pouce et
rindex ; une deuxième m'enlevait mon som-
brero, en m'effleurant légèrement le front;
trois autres entrèrent dans mon porte-man-
teau, où elles restèrent logées. Mon pauvre
cheval, qui m'avait si vigoureusement sorti
du danger, reçut une balle dans les intes-
tins. Il eut encore la force de galoper pen-
dant 500 pas, puis il tomba.
« J'aurais dû m'en tenir là et gagner le
cerro de la Campana où se trouvait l'empe-
reur et où toutes les troupes se dirigeaient ;
mais un peu l'obstination à comprendre ce
qui se passait, un peu le désir de faire pan-
ser ma blessure, je revins vers la place San-
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 201
Francisco. Là seulement je pus me rendre
compte de tout. Les paroles que j'entendais
de toutes parts m'apprirent que nous avions
été trahis.
« Une dizaine de soldats se mirent sur moi,
les uns me couchant en joue, les autres me
menaçant de la baïonnette. En leur aban-
donnant mes armes et ma montre, je pus
toutefois sauver mes vêtements et mes pa-
piers. Je pris alors le chemin du cerro de
la Campana, en passant sous un feu d'artil-
lerie, car alors l'ennemi, ayant pris posses-
sion de nos fortifications, avait tourné les
pièces contre le cerro.
« Je me présentai à la porte de la forti-
fication qui me fut refusée. Je fis alors le
tour et entrai par une embrasure. J'aperçus
mon colonel, M. de Santa-Cruz, causant
avec l'empereur.
Il me fit signe d'approcher. L'empereur
me demanda oii et comment j'avais été blessé
15.
262 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
et quelle position rennemi occupait dans la
ville. »
Pendant ce temps, me dit un autre de
mes chroniqueurs, l'empereur attendait Mi-
ramon, et il disait :
« Voyez donc dans le groupe qui vient
de ce côté si Miramon y est. »
Le colonel Gonzalez lui apprit que Mira-
mon avait été cruellement blessé à la joue.
Il avait reçu une balle dans Toeil en essayant
de rassembler quelques ^troupes impériales
près de la tour de San-Francisco. Cette tour
était, en effet, une position importante, et
Lopez le savait, car le matin, après avoir
livré la Cruz, il était accouru à San-Fran-
cisco, à la tête d un bataillon juariste des
Supremos-Poderes. Le général d artillerie qui
commandait là, Félix Becerra, entendait, au
moment oîi on vint le saisir, ce misérable
qui criait :
« Vite à la tour ! à la tour ! »
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 263
Maximilien se sentit comme abattu en
apprenant le sort de Miramon. Il savait que
la position du cerro , attaqué du dedans et
du dehors, n'était pas tenable.
Il demande à Castillo et à Mejia s'il était
possible de faire une trouée à travers les
lignes ennemies. Mejia, avec une longue-
vue, examine attentivement la position, et
il dit :
« Sire, c'est impossible. Mais si Votre Ma-
jesté l'ordonne, nous l'essayerons. Quant à
moi, je suis prêt à mourir. »
C'est alors que l'on put regretter Mira-
mon. Il n'eût pas sans doute donné un tel
couseil. Mais tout, depuis des mois, mar-
chait, par une succession d'incidents impré-
vus, improbables, vers cet événement le plus
improbable de tous, la mort de Maximilien.
Mejia était brave, loyal, intelligent. Il était
alors malade. Puis c'était un Indien, il n'a-
vait pas ce quelque chose de chevaleresque,
264 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
ce beau désespoir qui eût secouru Miramon
et qui eût triomphé.
On dit qu'alors un officier français, — peut-
être est-ce une légende, — s'approcha à la
tête de trois escadrons et promit à l'empe-
reur qu'il le sauverait. L'empereur refusa.
Le Français partit et fit sa trouée avec ses
trois escadrons.
Maximilien fit déchirer une tente et en fit
faire des drapeaux blancs. On les plaça sur
le haut des fortifications en signe qu'il vou-
lait parlementer.
Auxquelles de ses grandes ou de ses fai-
bles qualités obéissait-il alors? Était-il ac-
cablé, découragé, malade? Écoutait-il ces
illusions qui lui permettaient de voir dans
les Mexicains des ennemis généreux, dans
les Juaristes des patriotes sincères, voulant
chercher dans l'apaisement des partis le
bonheur du Mexique? Vit-il passer devant
ses yeux ce rêve si touchant et si insensé qui
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 265
le berçait, ce rêve de s'entendre avec les li-
béraux, de réunir un congrès et d'obéir au
pouvoir qui sortirait, fort et vénérable, de
la volonté de la nation assemblée ?
Ce projet d'un noble et naïf esprit, il ne
l'avait jamais oublié, nous l'avons vu. Au
début du siège, il avait envoyé un émissaire
à Juarez pour lui demander une entrevue.
En cet instant, voulut-il surtout éviter une
plus grande eifusion de sang, et entrevit-il
le sacrifice de son sang généreux donné
pour le salut de quelques vaillants et de tant
de lâches ?
Il y eut, je crois, un mélange de ces gran-
deurs et de ces faiblesses quand il envoya
proposer à Escobedo la reddition sur des
bases dont la première condition était que,
s'il devait y avoir quelque victime, on le
choisit. .
Pendant ce temps, l'armée juariste, avec
cette hypocrisie de civilisation qui est la
266 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
seule civilisation de cette race pompeuse et
corrompue, où tout est donné au geste, au
mot, à l'apparence, à la sonorité, à la rhéto-
rique, l'armée juariste jouait le rôle d'une
armée qui respecte le droit des gens ; mais
elle n'en jouait que le rôle. Elle cessait de
«
tirer, ce qui était conforme au droit, et elle
continuait de s'avancer, ce qui était con-
traire au droit. Mais c'était un mouvement
utile, et quand les Juaristes eurent entouré
le cerro, l'on refusa la capitulation. Il fallut
se rendre. Les officiers libéraux étaient déjà
arrivés jusqu'à toucher l'empereur.
Maximilien monte alors à cheval, et, suivi
de tous les officiers* il arrive au pied du
cerro, oîi il trouve Corona. Là, on le sépare
de tous les officiers. On laisse seulement
autour de lui Castillo, Mejia, Salm-Salm.
L'empereur remonte au cerro à côté de Co-
rona, avec lequel il cause tranquillement en
attendant Escobedo à qui il remet son épéo.
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 267
Cet Escobedo envoyait a San-Luis-de-
Potosi un télégramme :
« A trois heures du matin, nous nous
sommes emparés de la Cruz après avoir
surpris l'ennemi. Veuillez présenter mes
compliments au président à Toccasion d'un
triomphe aussi important obtenu par les
armes nationales. »
Les ARMES NATIONALES ! La trahisou !
Quelles étranges lueurs de vérité sortent
du mensonge !
Du reste, le mensonge n'était qu'officiel,
et Corona, à qui la civilisation européenne
n'était pas étrangère, écrivait à ce moment
même à son ami Juste Mendoza dans le
Michoacan, et il disait :
« Le point fortifié de la Cruz nous fut livré
par le chef qui le défendait, »
Et pour qu'il n'y eût pas de doute sur
l'infamie, Lopez, armé, se promenait tran-
quillement au milieu des bandes républi-
26S HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
caines, et quatre jours après, il obtenait d'Es-
cobedo un passe-port pour se rendre chez
lui, afin de traiter des affaires de famille.
Pendant ce temps, tous les officiers et
sous-officiers étaient, sous peine de mort,
forcés de se tenir en dedans de telles limi-
tes. L'empereur, Miramon et Mejia étaient
enfermés en attendant leur jugement, et
Mendez le hardi, le vainqueur dans cent ba-
tailles, Mendez, vendu par son ordonnance,
était fusillé par derrière comme traître ! ! !
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 269
XVI
CONTINUATION DU SIÈGE DE MEXICO.
LA CONTRE-GUÉRILLA FRANÇAISE A LA GARJTA DE BELEM.
FAMINE, — RÉVOLTES.
LES CORPS EUIM)PÉENS. — REDDITION DE LA VILLE.
Le sié^e de Mexico continuait.
A la fin de mai, les pluies avaient forcé le
général des Juaristes, Porfirio Diaz, à porter
son quartier général et le gros de son ar-
mée à Chapultepec, au sud-ouest de la ville.
C'était la garita de Belem qui faisait face à
cette position ; c'était là que devait se por^
ter l'effort de l'attaque et de la défense;
c'est là qu'on envoya la contre-guérilla fran-
çaise, bien qu'elle n*eût pas encore atteint
son maximum de 600 hommes.
w
Cette garita était un simple bâtiment d'oc-
troi, à l'intersection de deux grandes routes
qui sortaient de la ville, l'une, le Paseo
270 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Nuevo , menant à la Pietad^ à 2,000 mètres
environ de la garita, l'autre conduisant à
Chapultepec, à 3,500 mètres, et venant cou-
peràangle droit X^Paseo^ en face de la garita.
Cette dernière route, large de 20 mètres,
a son milieu occupé par un aqueduc assez
élevé qui amène les eaux de Chapultepec à
Mexico et qui rejoint Chapultepec par envi-
ron 900 arches, ayant en moyenne 4 mètres
d'un pilier à l'autre. Souvent les généraux
mexicains ordonnèrent au commandant fran-
çais de faire boucher ces arches, qui per-r
mettaient aux troupes ennemies de s'appro-
cher de la garita à l'abri, d'arche en arche.
Le commandant Chenet s'y opposa toujours
en prétendant que les Mexicains jugeaient
mal la situation, et que c'était, non pas un
chemin pour permettre aux assiégeants de
surprendre les assiégés, mais une route me-
nant plus aisément les Français chez les Jua-
ristes.
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 271
Deux voies de chemin de fer coupent
cette route de Chapultepec, à environ moitié
chemin de Belem. La route du Paseo mon-
tre, à 100 mètres, deux maisons que nos
troupiers nommaient le Petit- Versailles et
Romainville, et oii Ton allait, entre deux
attaques, faire, en bons Français, noces et
festins, A 1,300 mètres plus loin, on ren-
contrait le cimetière français.
On voit maintenant la position de la con-
tre-guérilla française : 600 hommes dans
une maison, à Tintersection de deux routes,
longues Tune d'une demi-lieue, Tautre d une
lieue, à Textrémité desquelles 40,000 en-
nemis se meuvent fort librement, grâce
aux voies latérales, et fort à couvert, grâce
à l'aqueduc. Cette maison est canonnée par
16 batteries d'artillerie, et défendue par
9 pièces et 1 mortier, qui lançait ses bom-
bes à la Pietad, à Chapultepec et à Tacu-
baya. On peut imaginer nos Français, aux
272 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
aguets sur le haut de Taqueduc, et, la nuit
venue, sautant d'arche en arche pour aller
réveiller les avant-postes ennemis.
Jusqu'au 5 juin, il n'y eut guère qu'un
échange de coups de canon; mais à partir
de ce jour-là les escarmouches furent pres-
que continuelles entre nos Français et les
Européens, qui, avec le régiment de Yan-
kees armés de fusils à six coups, formaient
la partie la plus mobile, — pour l'attaque si-
non pour la retraite, — de l'armée libérale.
, Le 6 , une petite bande de volontaires ,
sous le commandement du lieutenant Blan-
chon, chassa une troupe ennemie qui s'a-
vançait le long de l'aqueduc.
Le 7, l'on commença le bombardement du
cimetière français, derrière les pierres de
taille duquel les libéraux voulaient s'établir,
bombardement si cruel pour eux que le jour
de la capitulation ils vinrent au Petit- Ver-
sailles demander à voir l'artilleur qui avait
DE L'empire MBXiCAiN. 273
tué tous leurs canonniers et démonté leurs
batteries.
Le samedi 8 juin, à sept heures du matin,
un homme arrive à cheval, sans suite, à la
garita; c'est Marquez, qu*on arrête et qui se
fait reconnaître. Il vient visiter les ouvrages
des Français et prendre une idée nette de
ceux de Tennemi. Le commandant Chenet
lui dit que pour cela il faut sortir ; Marquez
.lui jette un regard sombre, un regard de
méfiance. Le commandant comprend bien
que Marquez, qui se sent entouré d'ennemis,
de traîtres, et dont la position est devenue
équivoque, redoute d'être vendu, livré ou
tué. 11 hausse les épaules, envoie six hom-
mes en tirailleurs sur le chemin de la Pietad
et mène Marquez au restaurant du Petit-
Versailles, où, du haut d un petit belvédère
rustique, il lui montre les nouvelles batte-
ries que l'ennemi élevait.
ft Cela fait seize, dit le commandant, et
•274 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
quand elles tireront toutes à la fois nous se-
rons enfilés de six côtés, il ne restera plus
pierre sur pierre de la garita. w
Et il se plaignit amèrement de la défense
que le général en chef avait faite d'aller
prendre ces batteries à la baïonnette.
« Eh bien! dit Marquez, je vais vous lais-
ser le champ libre. L'empereur est à 3 lieues
d'ici, au-dessus de Tacubaya, mais le fort
de Santa-Fé^ établi par les Français, est'
fortement occupé par les libéraux ; pour que
Tempereur puisse entrer à Mexico, il faut
que nous allions à lui. Faites-moi un plan
pour le percement des lignes ennemies, en-
voyez-le-moi ce soir. »
Le plan fut envoyé, trouvé excellent, mais
bien hardi. Pendant ce temps, le lieutenant
Blanchon sortait à la tête des tirailleurs
pour fourrager.
Dans la nuit du 8 au 9, à deux heures du
matin, les hussards rouges de Khevenhuller
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 275
se présentent pour sortir. On les retient jus-
qu'à ce que l'on ait reçu Tordre du quar-
tier général. L'ordre arriva à quatre heures,
mais en leur enjoignant de se diriger au sud-
est par la garita de San-Antonio-Abad. Une
grande sortie avait été décidée.
A cinq heures, le feu commença sur toute
la ligne. Les hussards, la gendarmerie, le
corps de Quiroga se précipitent sur l'ennemi
avec un élan irrésistible. Nos Français ne se
tiennent plus, ils croient qu*on les oublie. A
six heures, le général Tabera vient leur don*
ner l'ordre de faire une fausse attaque sur la
Pietad. Elle s'exécute avec entrain sous les
ordres des capitaines Debry et Amoné, des
lieutenants Blanchon, Morand et de Fin. La
retraite sonne. Les Impériaux rentrent après
avoir percé les lignes ennemies.
Que voulait Marquez?... On suppose qu'il
voulait fuir. L'ordre du jour du général Ca-
dena indique qu'on voulait seulement faire
276 HISTOIRE DBS DERNIERS MOIS
entrer des vivres et qu'on a réussi. Les
journaux républicains disaient : « Cette af-
faire du 9, c'est le dernier effort du tigre de
Tacubaya. »
Les intentions de Marquez sont difficiles
à comprendre. Il ne pouvait plus douter de
la prise de l'empereur. Qu'espérait-il en per-
sistant contre toute chance et tout "ordre à
défendre Mexico? Espérait -il améliorer la
m
situation de Maximilien ? Croyait-il pouvoir
garder longtemps encore la place aux con-
servateurs, assez longtemps du moins pour
voir venir quelque événement favorable?
Comptait-il sur Santa-Anna, sur un soulè-
vement en sa faveur? Voulait-il seulement
gagner du temps, attendre l'occasion de
fuir, de chercher un abri sûr? Je ne sais. La
situation était pour lui rude ; il en compre-
nait toute la douloureuse équivoque.
Du reste, on reconnaissait à peine l'homme
ferme, énergique et brave des anciennes
DE L*EMPIRË MEXICAIN. 277
guerres : l'affaire de San-Lorenzo Tavait
abattu, et au milieu de l'angoisse des cir-
constances on pouvait supposer qu'il avait
perdu l'esprit. Il n'avait gardé que cette
cruauté qui l'avait rendu célèbre; n'étant
guidée , comme chez beaucoup de ses com-
patriotes, ni par Tavidité, ni par la peur,
mais uniquement par la politique, elle avait
la rigueur implacable d'un principe, la froide
indifférence d'une exécution de justice.
Il ne fallait rien moins que la frayeur
causée par ce terroriste-conservateur pour
garder une apparence d'ordre dans la ca-
pitale. La famine atroce, les bruits sourds
qui couraient de la prise de Queretaro, les
émissaires républicains qui soufflaient sur
ces brûlants ferments de révolte, causaient
des émeutes quotidiennes. On menaçait les
soldats de les prendre entre deux feux, entre
l'ennemi et l'habitant.
Les Juaristes, à qui la trahison avait donné
16
♦
278 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
tous leurs succès, comptaient bien qu'elle
leur livrerait encore Mexico, où sans cela,
et malgré des conditions si favorables, ils
n'entreraient jamais. Porfirio Diaz faisait
tenter continuellement les chefs de corps
européens ; Marquez le savait. Diaz était en
relation presque journalière avec 0*Horan,
le préfet politique, le compadrey le bras
droit de Marquez, qu'il devait vendre , as-
sure-t-on, et qu'il avait déjà vendu, en at-
tendant le moment de la livraison. Marquer
le devinait; mais sans un ami sûr, sans un
défenseur dévoué, traître lui-même peut-
être, ou du moins coupable envers son gé-
néral et son roi qui allait mourir pour lui^
par lui, il tenait bon.
La disette est à son comble. On tue les
chevaux, on mange les chats et les chiens. Le
pain se vend 15 francs la livre, on en fait avec
l'amidon. Le riz, les f rigoles sont épuisés ^
Des bandes immenses de femmes et d'enfants
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 279
viennent, hâves, à demi-morts, chaque ma-
tin, devant les garitas demander, avec des
supplications furieuses, qu'on les laisse sor-
tir. Des troupes armées se mutinent en
criant : « Du maïs ! du maïs ! » On enfonce
les portes des maisons, on ne trouve rien.
Ainsi, comme le dit Tun de nos narrateurs,
Tennemi est plutôt au dedans qu au de-
hors.
Marquez tient bon ; il fait dissiper tout
rassemblement à coups de baïonnette ; la ca-
valerie charge à chaque heure la population
exaspérée. On prend les chevaux dans toutes
les écuries, les hommes valides sont saisis
au lasso sur les places publiques et envoyés
aux tranchées ; les hommes riches sont em-
prisonnés, et on leur sert des repas qui leur
*
coûtent chacun 100,000 francs, jusqu'à ce
qu'ils aient payé le million auquel ils ont été
imposés pour les besoins de la patrie. Mar-
quez affirme toujours que l'empereur est
2S0 HISTOIBE DES DERNIERS MOIS
victorieux et qu'il arrive. Il le fait annoncer
officiellement dans les journaux.
Pendant ce temps, nos Français ne souf-
frent pas trop. Les Indiens sont venus avec
confiance dès qu'ils ont su que les Français
ont remplacé les Mexicains à la garita de
Belem; tous les jours deux ou trois arrivent
qui ont pu échapper à Tennemi; on leur
prend une partie de leurs vivres à un prix
convenu, et on les escorte jusqu'au marché
de la ville. La garita de Belem est en bonne
odeur pour sachante; et, malgré les défenses
formelles, le commandant, tandis qu'il arrête
des espions munis de bons passe-ports,
laisse échapper des centaines de femmes.
On continue de se battre chaque jour. Le
10, le 11 et le 12, on harcèle une batterie
que les ennemis viennent de démasquer en-
tre les deux routes.
Le 14, le bruit de la prochaine arrivée de
l'empereur prend de la consistance.
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 281
Le 15 au matin, Marquez lance une pro-
clamation annonçant larrivée à Mexico
d'Arellano Ramirez , général d'artillerie, en-
voyé par l'empereur pour annoncer qu'il est
à trois lieues de la ville, victorieux, escortant
un nombreux convoi de blessés. On sonne
les cloches à toute volée, on tire les pétards;
la capitale, au fond et en immense majorité
, s.
impérialiste, est dans la joie.
A midi, l'ennemi, entendant ce bruit,
croit que ses efforts ont enfin amené la ré-
volte et la trahison ; il sort de Tacubaya et
vient, en colonne compacte, attaquer Belem
par l'aqueduc.
A la garita, quoique surpris, l'on organise
rapidement la défense : les deux pièces, à
droite et à gauche de cet aqueduc, sont
chargées de doubles boîtes à mitraille; or-
dre d'attendre que l'ennemi soit arrivé à
150 mètres; dix hommes montent sur l'a-
queduc pour couper la retraite. On attend.
16.
282 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Le commandement de feu se fait entendre ;
la colonne ennemie est renversée; elle se
retire en désordre. Les hommes de laque-
duc fusillent les plus avancés. Les seize bat-
teries de Tennemi tonnent alors à la fois. La
colonne, qui se compose des volontaires les
moins mexicains de Tarmée libérale, s'ar-
rête, se reforme, attaque de nouveau; elle
est culbutée encore une fois. Une troisième
fois, avec une persévérance que nulle troupe
juariste n'avait encore montrée, elle revient
à la charge ; les Français se lancent alors et
poussent l'ennemi à la baïonnette jusque
dans ses retranchements.
On sonne la retraite. Marquez, qui était
accouru avec 600 hommes de réserve , féli-
cite la contre-guérilla, qui crie : Vive l'em-
pereur ! tandis que le général en chef crie :
Vive l'armée !
Le 16 juin, l'histoire militaire de. nos
compatriotes se termine par cet ordre du
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 283
jour : « Le commandant s*est aperçu hier,
plus encore que les fois précédentes, que les
hommes n'obéissent pas assez rapidement à
la sonnerie de retraite. Il faut être brave,
mais pas téméraire, » etc.
Ce reproche, qui comblait les indigènes
de surprise, résume mieux que je ne pour-
rais le faire, l'histoire toute française de la
contre-guérilla.
La proclamation de Marquez n'avait pas
complètement anéanti les bruits sourds qui
couraient sur la défaite et la capture de
l'empereur ; ces bruits se répandirent jusque
parmi les sojdats. Le 17 au soir, à la garita,
on affirmait que les colonels autrichiens
avaient reçu la nouvelle officielle de ces
événements.
Le 18 au soir, un lieutenant-colonel autri-
chien vient prévenir le commandant Chenet
que l'empereur est prisonnier depuis le
15 mai, que les régiments autrichiens ont
284 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
déclaré leur neutralité au général Tabera et
qu'ils débattent avec Porfirio Diaz les condi-
tions de leur capitulation. Le commandant
français répond que c'est impossible, puis-
que ce serait en violation du serment prêté
le 12 mai, dans la réunion où tous les chefs
de corps ont juré qu'ils ne capituleraient pas
les uns sans les autres.
Toutefois, il envoie à dix heures du soir
les capitaines Debry et Blanchon chez le co-
lonel KhevenhuUer ; on leur répond qu'il est
absent. Le lendemain, à huit heures du
matin, ils y retournent; on leur répond que
le colonel dort et on les prie de revenir à dix
heures. A cette heure on le trouve. Il affirme
qu'il n'a pas conclu de négociations avec
Porfirio Diaz, et il ajoute :
«Je donne ma parole d'honneur de ne rien
faire sans prévenir le commandant Chenet. »
On lui demande s'il est vrai que les nou-
velles de Queretaro soient mauvaises.
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 285
« Pas aussi mauvaises qu'on veut le faire
croire. »
Mais aussitôt les larmes jaillissent de ses
yeux.
« Du reste, je ne puis rien dire... Mar-
quez sait tout... J'irai voir le commandant à
la garita. »
Il ne vint pas et conclut sa capitulation.
C'était un homme brave, sensible, mais...
oublieux. Du reste, les circonstances étaient
graves, plus graves même qu'il n'était néces-
saire pour engager un Allemand à oublier
un Français.
280 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
XVII
JOURS DE PRISON. — RÉCIT DE L'EXÉCDTION DE MENDEZ.
GAZETTES MEXICAINES.
L'empereur Maximilien, le 15 mai, après
s'être rendu, avait été mené du cerro de la
Campana au couvent de la Cruz, cette clef de
la ville que Lopez avait vendue quelques
heures auparavant.
Le 17, on conduisit le prince au couvent
de Santa-Teresa.
Queretaro avait Tair d une ville morte.
Touf est clos, personne ne se montre. Chaque
fois, d'ailleurs, que l'empereur fut obligé
d'en traverser les rues pour se rendre à ses
diverses prisons, il reçut les marques d'un
touchant et profond respect de la part de
tous ceyx qu'il rencontrait, tant il avait su,
pendant le siège, se faire aimer par sa bonté,
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 287
sa simplicité, sa bonne humeur constante,
tant il avait gagné l'admiration pour la part
qu'il prenait aux travaux de la défense et
aux sorties.
Il était alors et il fut jusqu'à la fin malade
d'une fièvre et d'une dyssenterie violente,
mais, malgré l'abattement qu'amènent ces
maladies, il sut toujours réagir. Il était sur-
tout préoccupé de la pensée de ne point pa-
raître faible en face de ses ennemis.
Pendant ces premiers jours de prison,
toute communication était interdite avec
l'extérieur. On apprit toutefois que Mendez,
le brave des braves, celui, comme je l'ai déjà
dit, qu'on nommait le vainqueur dje cent
combats, avait été fusillé par derrière i
Il s'était caché, le 15 mai, chez un Mexi-
cain de Queretaro^ l'un de ses plus anciens et
obligés amis; celui-ci, de complicité avec
l'un des officiers d'ordonnance du général,
l'avait vendu à Escobedo. On l'avait immé-
288 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
diatement condamné à être passé par les
armes.
On le conduisit, le 19 au matin, à TAla-
meda, où on le força à s'agenouiller en tour-
nant le dos aux soldats qui le devaient tuer.
Quatre d'entre eux sortent du rang et tirent.
Le général se relève, retourne sa face vers le
peloton, maintenant qu'il avait quatre balles
dans le corps, et fait signe qu'on lui fracasse
la tête. Le caporal s'avance, met le bout de
son fusil contre l'oreille du héros, qui, cette
fois, tomba frappé mortellement.
N'oublions pas, dans cette histoire de
tant de hontes, cette grave et noble physio-
nomie. Ne confondons pas le général Ramon
Mendez, l'Indien, avec d'autres Mendez non
moins généraux, peut-être même ministres
de la guerre, mais de cette guerre qui con-
siste à deviner les Lopez de l'ennemi, à leur
acheter la victoire, à fusiller comme traîtres
et lâches, par derrière, les adversaires jus-
DE L'ëMPIRB mexicain. 269
que-là victorieux. Puis, la guerre ainsi ache-
vée, les occupations ministérielles ne sont
pas terminées, il faut encore faire chanter
rhéroïsme qu'on a déployé.
A cette dernière besogne, les journaux
mexicains se mirent avec enthousiasme, on le
devine, après ces brillants exploits du siège et
de la prise de Queretaro. Il n'y eut nulle borne
à cette pompeuse vanterie, à cette hâblerie,
à ces extravagantes fanfaronnades, que je
regrette tant de ne pouvoir donner ici sous
leur forme espagnole, majestueuse et sonore.
« Quels obstacles peuvent désormais nous
arrêter, dit le Monitor repuhlicano. Le Mexi-
que, c'est le pays par excellence du génie et
de la valeur ! une nation qui vient de forti-
fier son esprit au feu du canon et d'écrire
avec son sang le grand, le seul code de la
liberté et des garanties individuelles ! ! ! »
«Notre société mexicaine, dit le Progrès,
est conduite par des événements qui présa-
17
290 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
gent sa grandeur. Comment le Mexicain ne
parlerait-il pas haut? Parlons haut! parce
que le silence forcé désespère un homme
libre! Aujourd'hui nous pouvons parler
haut, nous parlerons haut! Qu'est-ce que
nous dirons? Nous n'en savons rien. (Je
n'invente pas : Hahlarémos alto! De quéf
Quién sahe9) Notre programme, c'est la mar-
che des événements! notre loi, c'est un cœur
libre qui adore sa liberté! Offrir un pro-
gramme, c'est poser des limites à l'imagina-
tion. Nous nous contentonis; de promettre de
parler haut. »
Hdblar alto! c'est tout ce que voulaient
ces héros !
« L'imbécile seigneur de Miramar, écrit
encore le Progrès, a étouffé le bruit des
chaînes dont il couvrait les emprisonnés,
sous le grincement des carrosses dorés de sa
cour; et un fleuve d'or fut dirigé du Mexique
pour enrichir Paris. »
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 291
Oui, c'est ainsi que les journaux mexi-
cains écrivaient l'histoire! Un fleuve dor
mexicain envahissant la France !
« La France vient de recevoir, s'écrie la
Sombre de Arteaga^ une telle leçon que
toutes les monarchies ses sœurs en sont cou-
vertes de honte! Le Mexique a donné à
l'Europe une leçon de valeur, d'honneur et
de progrès! Le Mexique est la mort des
étrangers, nous ne les tolérons qu'à titre de
marchands ! Ah ! nous avons arraché leurs
médailles militaires aux soldats de Magenta
et de Solférino, à ces invincibles zouaves!
Nous avons enlevé à la France son honneur,
sa bonne renommée, sa gloii^e militaire, ses
prétentions à la civilisation! Nous l'avons
forcée à une honteuse fuite !
« Le seigneur Juarez est la plus grande de
toutes les figures du siècle ! Notre république
est le modèle des démocraties ! Elle a vaincu
l'Europe par la diplomatie et par les armes *
202 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Elle a donné une leçon de progrès à sa
grande sœur du Nord. Elle a vaincu les trois
grandes puissances du vieux monde et fait
reculer la grande puissance du nouveau
monde.
« Ah ! vous ne connaissez pas la nation
qui, par une série non interrompue de vic-
toires , a détruit un empire en cent jours,
battu quatre grandes armées ennemies en
quatre mois! Vous ne connaissez pas les
hommes d'aujourd'hui, notre jeunesse, im-
maculée, incorruptible, qui se bat comme
des lions, meurt comme des héros ! Ah! elle
sera invincible une république qui a de tels
chefs et de tels fils !
« La charité, la clémence, la justice, la
bienveillance envers les prisonniers, qui sont
des vertus républicaines qui honorent la dé-
mocratie, sont les seuls mobiles qui font
agir le cœur du parti libéral ! »
Tout cela est écrit, et tout cela parce que
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 293
ce peuple héroïque, après avoir fui devant
20,000 hommes, après avoir remporté les
seules victoires que lui donnaient la trahi-
son, les mercenaires étrangers et les serfs
indiens, après avoir été battu 22 fois en
22 rencontres par 8,000 hommes opposés à
40,000, avait enfin acheté cette petite armée
au prix de 12 réaux par tête, que même il
n'avait pas payés.
Je donne ce calcul de 12 réaux qui, dans
leur total, représentaient la somme promise
à Lopez, comme ayant été fait par Maximî-
lien lui-même, et je vais revenir à l'empe-
reur pour ne plus le quitter. Mais j'ai cru
devoir indiquer brièvement quelques-unes
des idées qui s'agitaient dans le cerveau des
triomphateurs, des juges de Maximilien.
Pour eux, avoir un tel prisonnier, c'était
avoir vaincu l'Europe entière, et l'on pouvait
dès lors prévoir qu'ils martyriseraient ce
prince pour mieux se prouver à eux-mêmes.
294 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
pour mieux préciser et pour marquer d un
signe ineffaçable cette victoire contre le
monde entier. Ils avaient été si constam-
ment battus qu'un succès, d'oti qu'il vînt,
même d'un Lopez, leur paraissait un triom-
phe inénarrable et comme l'histoire n'en
enregistrait nul autre de telle grandeur.
Il y avait là un grand fond de sincérité.
Ainsi ils étaient si naïvement féroces que
toute torture qu'ils évitaient aux prisonniers
leur paraissait réellement le comble de la
générosité .
(( Pourtant, dit l'un de mes témoins, Ton
ne nous traitait pas comme des prispnniers
de guerre, mais comme des bandits. La faim
seule pouvait nous faire surmonter le dégoût
inspiré par la malpropre nourriture qu'on
nous apportait. On nous couchait sur une sim-
pie paillasse remplie de vermine, sans cou-
verture. Je dois dire pourtant qu'on ne nous
insultait pas trop. »
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 295
Les vaînrqueurs étaient magnanimes. Ils
avaient mieux à tourmenter et à fusiller que
ces petits officiers. Cela était bon à San-Ja-
cinto et à Puebla.
Toutefois quelques-uns de ces officiers
français, que ces misères exaspéraient, man-
quèrent de dignité. Ils avaient été mis par
la circulaire du maréchal hors la loi fran-
çaise; ils n'avaient plus de patrie, ils étaient
assez indifférents à la couleur de tous ces
drapeaux mexicains, ils étaient surtout des
soldats, et Ton sait combien le Français,
hors de la discipline habituelle, devient vite
un aventurier ; ils manquèrent donc de pa-
tience et de respect d'eux-mêmes. Encou-
ragés sous main par les libéraux, ils écri-
virent à Escobedo pour lui demander du
service. C'est alors que la vieille rodomon-
tade espagnole atteignit ses plus comiques
effets.
Escobedo, dont l'armée était composée
ÎU HISTOIRE DES DERNIERE MOIS
d'Indiens esclaves et de mercenaires de toute
race, répondit avec solennité :
« Indépendance et liberté ! La nation n'a
pas besoin des étrangers pour soutenir ses
institutions et sa souveraineté ! »
Là-dessus, les journaux sont pris d'un
indicible enthousiasme.
« Europe , tu nous insultes ! Ces miséra-
bles abusent de la générosité, de la suma
generosidadj avec laquelle on les traite en
ne les exterminant pas ! Comment ! ils offrent
d'entrer dans Tarmée libérale. Oh! los Eu-
ropeos nos insultan!!! La digne réponse du
grand général Escobedo ne laisse rien à dé-
sirer à un cœur républicain. »
Dès le 19, ce grand général, « dont la
conduite à la fois tan mesurada y tan digna
que humanitaria y energica sera un hon-
neur éternel, vint constater son triomphe
en visitant Maximilien. Dès lors on permit
à tous les soldats d'en faire autant.
DE L*EMPIRE MEXIGAINe 297
Quelques-unes de ces dames de Quere-
taro, qui, elles, vraiment, seront Thonneur
éternel de la femme mexicaine, quelques-
unes de celles, — et elles furent nombreuses,
— qui comprirent la honte et l'injustice de
Texécution de Maximilien et qui protestèrent
avec l'héroïsme de ce vieux sang espagnol
abâtardi dans les veines viriles, quelques-
unes de celles-là commencèrent dès lors leur
mission de consolation et de pitié. Elles pu-
rent arriver jusqu'à l'empereur malade et lui
apporter du linge.
Le 20, la courageuse princesse de Salm-
Salm arrive de San-Luis-de-Potosi, où sont
installés les suprêmes pouvoirs^ c'est-à-dire
Juarez et son mentor Lerdo de Tejada.
Elle annonce que la mort de l'empereur
est inévitable, et qu'on a décidé, pour y
arriver sûrement, de le faire juger par un
conseil de guerre, conformément à un décret
révolutionnaire de janvier 1862.
17.
298 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Ce décret portait que tous les prisonniers
seront fusillés après avoir passé devant un
conseil de guerre qui n'aura qu'à constater
leur identité. Car ces hommes, dont nous
venons d'entendre vanter la caridad^ la cle^
mencia^ todas las virtvdes republicanasj,
vivent sous le régime de cette loi mons-
trueuse qui nous ramène à la sauvagerie et
au delà de laquelle il n'y a que l'obligation
de brûler vifs les prisonniers. Nous verrons
comment ils parvinrent à remplacer envers
Maximilien ce dernier supplice par une tor-
ture analogue.
On vint prendre l'empereur ce même jour
pour le mener au camp. Ses amis n'espé-
raient plus le revoir, chacun était convaincu
qu'on le menait fusiller. C'était mal connaî-
tre l'avocat qui avait los supremos poderes :
ne fallait-il pas un semblant de légalité?
Maximilien revint avec quelque espérance
d'avoir la vie sauve. Mais, comme l'a dit
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 299
un de ses compagnons de captivité : « Les
Mexicains sont eux-mêmes trop faux et trop
menteurs pour croire à quelque promesse
que l'empereur puisse faire. »
Dois-je noter que ce même jour Maximi-
lien reçut un poëme élégiaque que lui dé-
diait un officier français prisonnier ?
Le 22, on transporta l'empereur au cou-
vent des Capucines. On l'enferma dans le
caveau des morts, au milieu des cercueils.
Il y passa la nuit à lire l'Histoire de Cesare
Cantù.
Le lendemain, on le mène dans une petite
cellule.
Enfin, on l'installe, comme il le sera
jusqu'à la fin, dans une chambre tapissée
d'un paravent derrière lequel il peut se re-
tirer. Elle est au premier étage, donne de
plain pied sur une galerie, au bout d'un cor-
ridor. Elle est longue de dix pas, large de
trois, le sol est carrelé. La porte et la fenêtre
K
300 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
donnent sur le corridor. Elle a pour tout
mobilier un lit de camp, une armoire, deux
tables, un fauteuil et quatre chaises en jonc.
Des centaines de soldats sont couchés dans
les escaliers et les corridors. Devant la porte
se trouve un factionnaire, devant la fenêtre
un officier. Chaque nuit, un général et trois
colonels font sentinelle le revolver au poing.
Mejia etMiramon sont dans une cellule voi-
sine. Ils purent converser avec l'empereur.
Le 24, on reçoit la visite du brave et en-
ragé Vincente Riva Palacio, qui, avec sa
mine de chat sauvage, annonce que Tordre
est donné de commencer le procès. On sé-
pare les trois accusés du reste des prison-
niers. Tout doit être fini pour le 28 mai.
L
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 301
XVII
PROCÈS DE l'empereur, DE ' MIRAMON ET DE MEJIA.
DÉFENSE DE MAXIMILIEN ECRITE PAR LUI-MEME.
Dans l'après-midi, le fiscal Manuel Aspi-
roz vient interroger Maximilien, qui trouve
l'accusation si absurde qu'il veut se défen-
dre lui-même.
Il change bientôt d'avis et envoie une
dépêche télégraphique au représentant de
Prusse, baron Magnu's, le priant de venir le
trouver et d'amener avec lui deux avocats,
don Mariano Riva Palacio et don Rafaël Mar-
tinez de la Torre, qui sont à la fois d'émi-
nents jurisconsultes et des membres très-
honorés du parti libéral.
Le 25, nouvel interrogatoire.
Le 26, Escobedo vient faire une ronde
de police. Les prisonniers cherchent à com-
302 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
muiiiquer avec lextérîeur en mettant des
notes dans des cigares. Le soir, Maxîmi-
lien écrit à Juarez pour lui ^demander une
entrevue. Juarez répond que San-Luis est
trop loin de Queretaro.
Le 27, Tempereur peut communiquer aveo
Vasquez, excellent avocat de Queretaro. Il
Apprend que Marquez n'a pas voulu permet-
tre à Magpus et aux deux jurisconsultes de
quitter Mexico.
Le 28, on apprend le nom des membres
du conseil de guerre, «des gamins,»
«
comnae le dit énergiquement et à la solda-
tesque un des militaires dont j'ai les notes.
Six capitaines, présidés par un lieutenant-
colonel, composent ce tribunal dérisoire.
« Je crois, dit l'empereur en souriant,
qu'ils ont choisi tout simplement ceux dont
les uniformes sont le moins sales. »
On obtient un délai de deux jours.
Le 30, la princesse de Salm-Salm revient
DE L'EMPIRE MEXICAIN, 303
de San -Luis. Elle a obtenu un nouveau
sursis de trois jours pour permettre aux
défenseurs d'arriver. Elle a, du reste, bien
peu d'espoir, et elle assure que Tannée, c'est-
à-dire les généraux et les colonels, exige
l'assassinat â,e Maximilien.
Le 3 juin, Maximilien se préparée à fuir.
Tout est prêt pour cette nuit même. On doit
se réfugier, avec Miramon et Mejia, dans la
sierra Gorda, qui est tout entière à ce der-
nier. Un changement dans la garde fait
échouer le projet.
Dans la nuit du 4 au 5, les ambassadeurs
des puissances étrangères accrédités auprès
de Tempire mexicain arrivent à Queretaro :
MM. le baron Magnus, ambassadeur de
Prusse, et que sa position, moins compro-
mise, appelait à représenter auprès des dis-
sidents l'intervention de l'Europe en faveur
de Maximilien; le baron Lago, ambassadeur
d'Autriche; Curtopassi, ministre d'Italie;
304 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Hoorickx, représentant la Belgique. On ne
voit là ni M. Middleton, ministre d'Angle-
terre, — j'ignore les causes de son absten-
tion, — ni M. Dano, notre ambassadeur.
On fit à ce dernier un gros reproche de son
absence. En cela on est injuste, et ce n'est pas
seulement, comme on la dit, sa qualité de
nouveau marié et de propriétaire récent des
mines de Real-del-Monte qui l'empêchèrent
de se rendre à Queretaro. L'ambassadeur
suivait la loi de la nation ; il était, comme
la France, détesté par les Impériaux, dédai-
gné par les Juaristes. Il se fit sagement re-
présenter par M. Forest, consul de France à
Mazatlan et à la Vera-Cruz, et dont le carac-
tère personnel était plus aimé de tous que
»
celui de M. Dano.
Le 5 au matin, les trois avocats de Mexico,
qui étaient arrivés aussi cette môme nuit, se
mirent en relation avec Vasquez, Tavocat de
Queretaro •
DE L'EMPiaS MEXICAIN, 305
Tous ensemble ils allèrent voîr Tempe-
reur, qui les reçut à dix heures du matin.
Ils le trouvèrent tout dégagé de préoccupa-
tions personnelles. Il s'informa d'abord des
«
amis qii'il avait laissés à Mexico. On causa
enfin de la grave affaire pourquoi Ion était
réuni.
L'on décida premièrement que le délai
pour la défense finissant le soir même,
Ton demanderait une prolongation ; que
tout Teffort des défenseurs porterait sur
l'incompétence de ce conseil de galopins
(c'est la désignation que je retrouve dans les
notes d'un autre de mes témoins) qu'on a
institué conseil de guerre pour juger un
empereur, un ancien président de la répu-
blique, un général en chef.
Pour qui connaît la composition de l'ar-
mée au Mexique, une telle réunion était une
bouffonnerie. De tels juges jugeant de si no-
bles et si vaillantes gens étaient bien à leur
306 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
place sur ces planches du théâtre où, par la
malice de la Providence, ils transportèrent
leur tribunal. Seulement la bouffonnerie
était atroce et le mélodrame se terminait
par du vrai sang, le plus illustre et le plus
généreux qu'on pût et qu'on pourra jamais
trouver dans tout le Mexique.
Je n'attaque pas ces soldats qu'on intro-
nisa juges, pas plus que je n'attaque les
soldats chargés de l'exécution ; les uns et
les autres furent peut-être d'honnêtes gens
qui ne pouvaient s'empêcher, les premiers
de condamner, les seconds de tuer; Nom-
mons toutefois ces sept juges; ils peuvent
avoir la célébrité de la hache qu'on montre
parce qu'elle fut honorée du sang de
Charles T' : Platon Sanchez, lieutenant-co-
lonel ; José Vicente Ramirez, Emilio Lojaro,
Ignacio Jurado, Juan Rueda y Auza, José
Verastegue, Lucas Villagran. Je n'ai aucun
renseignement sur eux, sinon celui que j'ai
DE L*EHPIRE MEXICAIN. 307
dit et que me fournît Maxîmilien : c'étaient
des officiers qui avaient des habits neufs.
On décida donc, dans cette conférence du
5 juin, que Ton demanderait à être jugé par
un congrès national. On comprit qu'il y
avait peu d'espérance de succès, quand on
reçut, en réponse à la demande de proro-
gation, un délai définitif àe trois jours.
On établit qu'il y avait deux questions
distinctes dans la défense de l'empereur : la
question juridique et la question politique.
Jesus-^Maria Vasquez et Eulalio Ortega, ju-
risconsultes et hommes éloquents, devaient
rester à Queretaro ; Mariano Riva Palacio et
Rafaël Martinez de la Torre, qui étaient,
ai-je dit, des hommes politiques, des mem-
bres éminents et respectés du parti libéral,
iraient à San-Luis auprès de Juarez et de
Lerdo de Tejada, le vrai chef des dissidents.
Maximilien résumait sa défense à peu près
en ceci :
308 HI3T0IRE DES DERNIERS MOIS
« J'ai tout fait pour sauvegarder l'indé-
pendance du Mexique ! Comment peut-on
m'accuser d'avoir été l'instrument des Fran-
çais, moi qui n'ai cessé de lutter contre leur
influence et contre leurs agents ? Mon pre-
mier soin, quand j'arrivai au pouvoir, par
un appel que j'étais en droit de ôonsidérer
comme la volonté de la nation môme, ne
fut-il pas d'appeler dans mes conseils Ra-
mirez, dont le nom seul était une protesta-
tion contre la France ? »
Enfin, craignant que sa pensée n'eût pas
été comprise, il écrivit de sa main un mé-
morandum destiné à servir de base à toute
sa défense. Je donne, d'après le livre in-
titulé Grinnerungen aus Mexico^ par le
docteur Basch (auquel j'emprunte divers
renseignements sur la mort de Maximi-
lien), je donne ce très-précieux document
qui n'a pas, je crois, encore été publié en
France.
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 309
J'aurais beaucoup à dire sur les accusa-
tions qu'il renferme. Je le livre sans com-
mentaire. On en comprendra la raison quand
on laura lu.
« Le ministre des affaires étrangères,
comte de Rechberg, vient le 18 septem-
bre 1862 à Miramar, où je vis retiré. Pro-
positions. Mes conditions : volonté nationale.
Vient une députation, le 3 octobre 1863, à
Miramar, avec la décision des notables. Ma
réponse. Autre députation au commence-
ment d*avril, avec tous les actes d'adhésion
qui se trouvent en original à Londres. Gut-
tierez et Aguilar prouvent, à Taide de la
carte du Mexique, qu'il y a grande majorité.
« Acceptation et serment de conserver
l'indépendance et l'intégrité. Reconnais-
sance par presque tous les pays du monde,
entre autres Angleterre et Suisse.
« A peine arrivé au pays, je vois la trahi-
son des Français. Tout mon travail pour
310 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
protéger rindépendance et Tintégrité. Affaire
de la Soûora. En conséquence, hostilité avec
les Français. Les Français prennent tout l'ar-
gent. De leurs deux emprunts, il n'entre
que 1 9 millions au trésor, et la guerre qu'ils
font coûte plus de 60 millions. Surtout cela,
plaintes énergiques. Documents à Paris.
« Le gouvernement impérial meilleur
marché de tous ; preuves faites par Escu-^
dero.
« Arrivée de Langlais, qui constate lui-
même les vols et le pillage.
« En septembre 1 865 arrive à Mexico la
nouvelle que Juarez a abandonné le terri-
toire national. Insistance des Français pour
l'emploi des moyens énergiques afin, comme
ils disent, de terminer promptement et com-
plètement. On élabore la loi du 3 octobre.
(( Bazaine dicte lui-même les articles
devant témoins {dicta personalmente par-
nienores). Les ministres responsables et
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 311
très - libéraux , comme Escudero, Cortez
Esparza, etc., discutent la loi avec tout
le conseil d'État. Tous les points principaujt
de la loi existaient auparavant, du temps de
Juarez; ainsi le dirent les ministres.
« La loi fut exécutée avec' douceur par
les Mexicains. Quant à ce que firent les
Français, nous ne pouvons en porter la res-
ponsabilité.
« Les Français continuent à voler et ruiner
le pays. Leur gouvernement brise les traités
contractés solennellement avec le Mexique.
Ils déclarent qu'ils s'en vont. Mon désir d'un
congrès. Junte à Chapultepec. Voyage de
Mexico à Orizaba. Annulation immédiate du
décret du 3 octobre. Désir de partir. Re-
tenu par les Conseils.
« Appel fait à mon honneur et au devoir
royal. Invitation au congrès (envoi à Juarez
de Garcia et du fils de Iglesia). Arrivée im*
prévue de Miramon et de Marquez *
3J2 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
« Les Français exigent mon départ pour
s'arranger avec Ortega et se faire payer par
le Mexique. Mon obstination à rester sauve
le pays de ce péril, d'autant mieux que je
romps le traité • des douanes . Retour vers
Mexico. Entrevue à Puebla avec Dano et
Gastelnau. Autre réunion des Conseils à
Mexico. Même appel. Travail assidu pour
réunir le congrès. Envoyés à Juarez et à
Porfirio Diaz.
« Le maréchal déclare, au nom du gouver-
nement français, que la cour de cassation de
Paris a déclaré que partout oîi se trouve une
armée française, toutes questions mixtes doi-
vent être jugées d'après les lois françaises.
Exemple, avec la signature de Napoléon.
« Affaire de Miramon et des 109 Français.
« Base révolutionnaire du plan de Ayutla.
« La présidence de Juarez finit le 30 no-
vembre 1865.
« Marquez était rappelé depuis six mois,
f
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 313
comme les autres ambassadeurs, pour raison
d'économie. Miramon n'avait pas été rap-
pelé. »
Ajoutons dès maintenant que Tempereur,
mécontent du peu d accent que les avocats
avaient donné à ces divers points, dicta des
notes d'après lesquelles M. Curtogassi, mi-
nistre d'Italie, se trouve actuellement chargé
de rédiger un mémoire justificatif .
Riva Palacio et Martinez de la Torre arri-
vèrent à San-Luis le 8.
Ils étaient, nous le répétons, des notabi-
lités du parti libéral, personnages graves,
renommés pour leur honnêteté. Nous devons
croire à l'énergie des efforts qu'ils Tirent, et,
— tout en nous rappelant qu'ils sont surtout
désireux d'éviter à leur pays le mépris de
toute nation civilisée, — nous pouvons nous
fier à la sincérité du récit qu'ils nous ont
laissé sous ce titre ; Histoire du procès de
rarchiduc Maximilien d'Autriche. Cette
18
314 HISTOIRE DES BERNIERS MOIS
histoire, traduite en français et mise par nos
journaux à la connaissance du public, nous
permettra de passer rapidement sur les dé-
tails de ce procès. Nous pourrons conserver
ainsi à notre étude son caractère propre de
chronique , composée presque exclusive-
ment sur des documents inédits ' .
Les deux avocats, dès leur arrivée à San-
Luis, se mirent en relation avec los supremos
poderes^ avec Juarez, avec son précepteur,
Lerdo de Tejada, et ses deux autres minis-
tres, Iglesias et Mejia. Ils étaient les amis
de tous ces gens-là. Ils avaient grand espoir
dans la justice de leur cause et dans leur in-
fluence personnelle. Cet espoir, ils le per-
dirent dès la première entrevue.
Ils durent représenter d abord l'ignominie
de cette loi de janvier 1862^ au nom de la-
1. Noas avons indiqaérexceptioh faite pour le docteur Bascb,
médecin de Maximilienj qui vient de publier ses Souvenii's en
allemande
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 3J5
quelle tout prisonnier devait être fusillé.
Ils prouvaient aisément qu'obéir plus long-
temps à une telle loi, c'était mettre le
Mexique au ban des nations, faire des Mexi-
cains, non plus une nation civilisée, non plus
même un peupler, mais une tribu de bandits
retournant à la vie sauvage. De quel droit des
soldats, combattant au nom d'une telle loi, en
dehors de tout droit des gens, pouvaient-ils
reprocher aux Français leur sévérité et à
Maximilien cette loi du 3 octobre 1865, qui
était le prétexte mis en avant pour le con-
damner! Puis quelle étrange boufiTonnerie
que ce conseil de guerre, si bien fait pour
ridiculiser le Mexique devant l'Europe?
Quelle absurdité de vouloir qu'un conseil
de guerre, — et quel conseil! — pût juger
« des actes, de la conduite et de l'adminis-
tration de l'archiduc Ferdinand-Maximilien
pendant une période de trois années ! »
On leur répondit que ce conseil n'avait
316 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
rien de contraire à la constitution, et que
cette loi de janvier avait été portée selon les
formes demandées par la constitution.
(( Mais ce n'est pas une loi, disait Palacîo,
c'est un instrument pour couper la tête de
l'ennemi partout oii on le trouve, même
désarmé, même rendu. »
De toutes les réponses qui leur furent
faites, je retiens celle où Lerdo disait qu'on
ne saurait être trop sévère pour décourager
les ennemis du progrès et de ses institu-
TioNs. Ainsi, c'étaient le progrès et ses insti-
tutions que ces gens-là représentaient, et
par une telle loi !
Autour de Palacio et de la Torre, ces jour-
naux dont nous avons déjà donné des ex-
traits, et d'autres encore, chantaient toujours
les louanges de l'héroïsme du Mexique, et
ils encourageaient le monde entier à se con-
fier à sa générosité, à sa bienveillance, à sa
magnanimité! Là générosité de Juarez! la
fm>^!9CZ^^~'*>^~:
DE L*EMPIRE MEXICAIN. H17
bienveillance de Lerdo ! la magnanimité de
l'homme de San-Jacinto ! Théroïsme de ces
soldats dont Lopez fut le seul grand ca-
p.itaine !
Les avocats virent donc bien que Ton vou-
lait condamner Maximilien, « Cette condam »
nation n'était-elle pas honorable pour le pays
et pour le parti libéral ; n'était-ce pas illus-
trer à jamais le Mexique et faire peser sa
main puissante sur la France, sur l'Europe
entière en courbant la tête de ce prince eu-
ropéen ? L'on pouvait accorder cette satis-
faction à une armée enivrée d'une si mer-
veilleuse victoire, »
Les avocats espérèrent-ils que l'on se
bornerait à la condamnation sans aller jus-
qu'à l'exécution ? Ils connaissaient, je crois,
trop bien leurs amis de los supremos poderes
pour persister longtemps dans cet espoir.
Ils commencèrent toutefois à agir pour
obtenir la grâce de Maximilien. On leur ré-
18.
318 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
pondît fort ingénument qu'il était sage d'at-
tendre que l'accusé fût condamné avant
d'agiter cette question.
Mais comme il y avait 75 lieues entre San-
Luis-de-Potosi , oîi se trouvait Juarez, et
Queretaro. où se trouvait Escobedo, et comme
l'homme de San-Jacinto avait le droit de
faire exécuter les condamnés à l'heure même,
ils ne jugèrent pas les précautions super-
flues. Ils insistèrent, firent un mémoire oh
ils développaient toutes les considérations
d'équité et de politique qui pouvaient s'op-
poser à la mort de Maximilien. Ils démon-
trèrent sa parfaite bonne foi, son inaltérable
douceur, sa bonne volonté en toute chose,
son amour sincère du progrès, de la liberté
et de la nation qui l'avait adopté.
On continua de leur répondre avec la
même ingénuité qu'il fallait attendre la con-
damnation. On ajoutait toutefois, vaguement
et en procédant par hypothèse, des considé-
DE L*EMPIRE MEXICAIN. 319
rations sur Téquité, le progrès et sur la
magnanimité, considérations qui ne laissè-
rent pas de doute sur le désir de fusiller
Maximilien.
Les avocats continuèrent leurs efforts en
désespérant. Ils essayèrent d'intéresser l'ar-
mée à une démarche généreuse. Quelle gé-
nérosité Rendre de gens qui avaient tou-
jours été battus, excepté quand ils avaient
acheté l'ennemi ? Ils ne trouvèrent pour les
seconder que le jeune, intelligent et cheva-
leresque Trevino ! Que pouvait un homme,
si estimé qu'il fût, contre toutes les pas-
sions, hautes et basses, qui demandaient du
sang d'Européen, de prince, de Français?
A Queretaro tout s'assombrissait. Le 7,
on avait expulsé tous les étrangers. Le 10,
on apprenait que l'armée se prononçait de
plus en plus pour la mort de l'empereur et
des généraux prisonniers.
On songe alors dans l'entourage de Maxi-
320 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
lien plus que jamais à la fiiite et on exagère
la maladie de l'empereur pour rendre cette
fuite moins vraisemblable. Faible ruse qui
ne trompait pas ces fils d'Indiens, le plus
rusé peuple du monde.
Les nouvelles les plus désespérantes arri-
vent de San-Luis.
Maximilien reste calme au mifteu de ces
angoisses. Il est convaincu qu'on le fusillera.
« Depuis le commencement, je ne m'attends
pas à autre chose. Je me suis préparé déjà
deux fois à mourir. »
Il commence à pénétrer le caractère mexi-
cain. Il ne se refuse pourtant à aucune ten-
tative de salut. Entre temps, il accepte une
ombre d'espérance.
Vers cette date, par exemple, il dit un
jour à M. Hoorickx : « Écrivez au comman-
dant de VÉlisaheth qu'il me prépare une
chambre à bord. »
M. Hoorickx représenta que cela était fort
DE L'EMPIRE MEXICAIN, 321
inutile, même dangereux. Cette lettre serait
évidemment surprise, le complot ^pour là
fuite découvert, et les dissidents ne man-
queraient pas cette occasion — qu'ils cher-
chaient : du moins on en était alors con-
vaincu, tant ils semblaient se mettre en
dehors de toute loi sociale et humaine — de
faire fusiller les membres du corps diploma-
tique.
Le bon Maximilien n'insista pas. Il songea
à son testament. La postérité, c'était sa
grande préoccupation, et, dans ce temps
lâche où nous vivons et où nous sommes si
* étroitement attachés à la glèbe de la petite
besogne du jour, cette préoccupation est ce
qui doit surtout Télever et le rendre véné-
rable à nos yeux.
Il confia la mission d'écrire les événements
de son règne à Ramirez, et au prince de
Salm-Salm pour ceux de ces événements qui
«
s'étaient passés à Queretaro. Il avait d'abord
322 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
adjoint à ces deux personnages le P. Fischer.
Un des diplomates, je crois que ce fut le
ministre belge, lui fit remarquer que ce prê-
tre n'avait pas une réputation qui le rendît
digne d'un tel office. Son nom fut effacé.
Un personnage, que je ne nomme pas,
avait précédemment proposé, pour cette
œuvre, le prince de Join ville.
« Non, non^ reprit vivement Maximilien,
Joinville ferait un pamphlet contre l'empe-
reur Napoléon, en ménageant la France;
c'est ce que je ne veux pas. »
Maximilien paraissait convaincu que Na-
poléon III personnellement avait été sincère
et ardent dans le désir de sauver le Mexique
de la ruine et de l'anarchie, 6t qu'il devait
la perte de son trône et de sa vie à l'opinion
publique française, aveuglée, excitée par
l'opposition. Il ne voulait donc pas faire
retomber sur Napoléon tout le poids de
l'échec.
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 323
Un autre détail de ce testament montre
bien ce dilettantisme que le pauvre prince
garda jusque dans les apprêts de la mort. Il
voulait laisser une certaine somme au fiscal
qui avait soutenu Taccusation contre lui.
Un des diplomates lui fit observer que ce
legs, sans doute, était digne de Louis XVI*
mais que toutefois il valait mieux ne rien
léguer à un pareil drôle — les diplomates
n avaient pas pris pour les Mexicains plus
de tendresse que les soldats — et réserver
l'argent pour les enfants, les veuves de ceux
qui étaient morts en défendant la cause im-
périale et pour le payement des dettes qu'il
avait contractées. L'empereur céda à contre*
cœur. Oii recherchera sans doute, un jour^
comment ses héritiers ont rempli ces devoirs i
Le 11, on apprit que l'éttange conseil de
guerre dont nous avons parlé devait tenir
ses séances au théâtre de la ville et siéger
sur la scène;
324 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Tous ceux gui entouraient Maximilien
comprenaient ces efforts auxquels se li-
vraient sans repos la vanité et la haine des
Mexicains. Il s'agissait de bafouer, de ridi-
culiser, de déshonorer, si Ion pouvait,
comme bientôt de torturer, de faire mourir
dix fois ce prince, aujourd'hui affaibli, ma-
lade, prisonnier, mais dans lequel ces Mexi-
cains voyaient toujours le représentant de
cette poignée de Français qui les avait battus,
conquis, mis en fuite et rejetés, malgré les
distances et les déserts, jusqu'aux frontières
des États-Unis. Maximilien devina bien, lui
aussi, que c'était là le mobile et le but. Il
refusa de se rendre sur cette scène. Il y
laissa les juges. Les auditeurs avaient le par-
terre et les loges.
La sanglante farce devait commencer le 1 2 .
Ce n'était pas, avons-nous dit, sa conclu-
sion qui préoccupait l'empereur; il avait
une autre pensée qui lui tenait au cœur* Lui,
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 325
comme tous ses amis, comme ses avocats,
qui nous le disent avec une satisfaction de
vanité patriotique mal dissimulée, étaient
surpris de n apprendre rien de l'Europe.
Comment! toutes les puissances européen-
nés Tavaient reconnu, tous les princes d'Eu-
rope étaient ses alliés ou ses parents ; c'était
pour eux, en songeant à eux, qu'on l'écra-
sait; et nul ne parlait ! Tous l'abandonnaient
aux mains de ces sauvages. Nul ne protes-
tait, nul n'envoyait même une phrase à son
aide.
Il ignorait que lous, au contraire, s'é-
taient agités et avec zèle ; mais l'entre-
mise ^vait été confiée aux États-Unis, les
seuls qui parussent en situation de la faire
valoir, et elle s'était arrêtée là. Les Yankees
avaient-ils accepté la mission pour l'escamo-
ter, pour en annihiler les résultats?
C'est encore ici une des parties doulou-
reuses de ce récita et je voudrais pouvoir me
1»
326 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
taire, par respect pour ce peuple en qui ron
doit admirer l'énergie de Thumanité ; mais
je n'ai pu garder aucun doute : c'est aux
États-Unis surtout qu'il faut attribuer le
meurtre de Maximilien.
J'espère pouvoir un jour démontrer, par
une preuve matérielle, que ce meurtre, ils
l'ont conseillé. Aujourd'hui je peux seule-
ment prouver qu'en faisant signe, — un si-
gne presque imperceptible, — de le vouloir
déconseiller, ils ont travaillé de telle sorte
qu'il arrivât.
Ce meurtre, ils le désiraient. C'étaient
bien eux qui avaient été attaqués, humiliés
par l'expédition française et par Maximilien.
Ils avaient été arrêtés dans l'exécution d'un
plan de conquête qui est tout leur avenir,
humiliés dans un orgueil qui est toute leur
énergie présente. Pour chasser Maximilien
et les Français, ils eussent aventuré leur der-^
nier homme et leur dernier dollar I et on les
DE L'ËMPIRË MEXICAIN. 327
avait attaqués et humiliés au moment où ils
n'avaient ni un homme ni un dollar à mettre
au service de leur puissance et de leur hon-
neur. Enfin, ils avaient renvoyé les Français
agresseurs, mais il fallait étendre et mar-
quer leur victoire, il fallait imprimer dans le
sang d'un roi, d'un protégé de la France, ce
soufflet qu'ils avaient donné à la France
impériale. C'étaient eux surtout qui avaient
intérêt à mettre ce cadavre, le plus noble et
par là le plus significatif, à la vue éternelle
de tout Européen qui songerait jamais à
venir arracher aux Yankees un lambeau, si
petit qu'il fût, de l'Amérique «
Aussi, quand on avait parlé au Sénat, le
seul directeur de' la politique étrangère, du
sort de Maxîmilieîi et du devoir de lui sauver
la vie, le Sénat avait répondu que Maxîmi-*
lien était un flibustier et que les États-Unis .
n'avaient aucune raison de vouloir qu'il ne
subit pas le sort des flibustiers;
328 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Cette doctrine sauvage pouvait se soutenir
soit au Capitole, soit entre les grogs et les
cigares, chez Romero; mais Seward ne pou-
vait Texprimer aussi sénatorialement aux
représentants du frère, de la cousine, de
rallié intime de Maximilien , aux représen-
tants de TAutriche, de l'Angleterre, de là
France. Il y fallait quelque hypocrisie.
11 écrivit ostensiblement à M. Campbell,
ambassadeur des États-Unis auprès de Jua-
rez, et lui enjoignit de réclamer la vie sauve
pour r empereur. Secrètement , que lui écri-
vit-il? C'est ce que nous ne savons pas
encore exactement.
Campbell répondit qu'il n'avait pas le
moindre désir de faire une telle démarche,
et qu'il aimait mieux faire un voyage d'agré-
ment à la Nouvelle-Orléans, où il se rendait
de ce pas. Toutefois, il consentit à écrire
une lettre à Juarez.
Cette lettre, il l'écrivit ; il y disait d'un ton
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 329
très-doux que les États-Unis ne seraient pas
très-contents de voir les républicains du
Mexique se conduire comme des sauvages.
Cette lettre eût suffi pour faire fusiller
Maximilien, quand il n'y eût pas eu cent au-
tres raisons. Campbell savait bien que c'était
tout simplement exalter jusqu'au délire la
faiblesse vaniteuse de ces héros; c'était leur
fournir l'occasion de fanfaronnades, de ro-
domontades ; c'était, pour les supremos po-
deres, l'irrésistible tentation de montrer à
leurs triomphants sujets, aux vainqueurs de
Queretaro, que l'on pouvait résister à tout,
même aux Yankees, et que l'on allait re-
pousser les États-Unis comme on avait re-
poussé l'Europe coalisée ! On allait faire
cette démonstration sans danger, car Juarez
connaissait à merveille le sentiment intime
du gouvernement des États-Unis.
Ainsi , quand Juarez eût voulu songer à
gracier Maximilien, cette lettre l'en eût
330 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
empêché, car cette lettre eût fait dire aux
journalistes et à Tarmée du Mexique qu'on
reculait devant ces Yankees,
D'ailleurs, dans le cas probable qui était
que Juarez ne songeait pas à faire grâce,
Campbell savait bien que ce n'était pas avec
une lettre qu'il l'eût fait changer d'avis;
car, avec les Mexicains, il ne faut point
écrire, parlementer, palabrar, mais agir
de près et manu forti. Encore une fois
Seward et Campbell le savaient mieux que
personne.
On comprendrait aisément tout cela si je
pouvais mettre sous les yeux les nombreux,
présomptueux et pompeux articles des ga-
zettes mexicaines stir la Nota de Campbello.
J'espère, je le répète, connaître un jour
ce qui était écrit entre les lignes de cette
nota. Mais, si l'on veut les deviner, on
peut lire la lettre d'un personnage notable
qui résume ainsi , et qui a le droit de
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 331
le faire, Topinion des États-Unis en cette
affaire :
« ..• Le gant jeté par l'Europe a été re-
levé, les menaces ridiculisées et les atteintes
punies. Maximilien, coupable du crime de
lèse-majesté populaire, a été puni... Rien de
plus simple et de plus naturel...
« La condamnation de Maximilien est un
acte politique mûrement conçu et froidement
accompli avec Tapprobation du parti répu-
blicain des États-Unis tout entier. Or le
parti républicain, c'est le parti qui est au
pouvoir...
« La tête de Maximilien est au nouveau
monde ce que fut celle de Louis XVI à
l'ancien. Les Bourbons ne se sont jamais
relevés en France, la monarchie ne se re-
lèvera jamais en Amérique.
« Si l'Europe n'en est pas convaincue,
qu'elle essaye de nouveau. Nous sommes
prêts. »
^
332 IISTOIII DIS DBB91BI8 MOIS
C'était quelque chose comme cela qui
était écrit entre les lignes de la missive
où Campbell demandait officiellement, au
nom des États-Unis, la grâce de Maximi-
lien.
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 333
XIX
CONDAMNATION DE MAXIMILIEN.
Le 13 juin, à huit heures du matin, le
conseil de guerre s'était installé à Queretaro
au théâtre Iturbide, brillamment illuminé et
rempli d'une foule silencieuse. Une estrade
avait été établie au fond du théâtre ; à droite
se trouvait le bureau du conseil, en face trois
banquettes pour les accusés et leurs dé-
fenseurs.
Maximilien , convaincu qu'Escobedo ,
Lerdo, les suprêmes pouvoirs, malheureux
de ne pouvoir, à la mode de leurs pères
indiens, le torturer physiquement, inven-
teraient toute torture morale pour se venger
de lui et lui arracher un mouvement de fai-
blesse, Maximilien vit dans le choix de cet
emplacement une intention de l'humilier et,
19.
334 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
nous l'avons indiqué, de le ridiculiser. Il
refusa de s'y rendre. On hésita à l'y traîner.
Il était réellement alors très-soufifrant.
Miramon et Mejia furent amenés en pré-
sence du conseil, à neuf heures du matin.
Le lieutenant -colonel fiscal , Manuel
Aspiroz, débuta par la lecture des pièces
du procès. Le procès particulier de Mejia
commença. Le licencié Prospero Vega, de
Queretaro, défendit l'illustre général avec
une éloquence que les journaux d'alors nom-
ment cicéronienne. On fit sortir cet accusé;
on amena Miramon. Les avocats Jauregui,
de San-Luis, et Ambrosio Moreno, de Que-
retaro, prirent la parole.
Vint le tour de l'empereur. On constata
l'impossibilité oi!i il se trouvait de compa-
raître. Le procès continua. Vasquez et Or-
tega commencèrent leur plaidoyer.
Les treize points d'accusation se rédui-
saient à trois : "^
* DE L'EMPIRE MEXICAIN. 335
1° Maximilien était un flibustier;
%^ Il avait été le complice des Français
pour la destruction du Mexique ;
3** C'était un homme féroce, qui avait signé
la loi du 3 octobre, au nom de laquelle tous
les rebelles saisis les armes à la main de-
vaient être considérés comme des bandits.
Ortega n*eut pas de peine à montrer l'i-
neptie de la première accusation, la fausseté
de la seconde. Quant à la troisième, il ra-
conta ce qui s'était passé. Maximilien avait
longtemps résisté à ce décret, que lui de-
mandaient avec instance les Français. Enfin,
on lui affirma et il dut croire que Juarez
avait quitté le pays, qu'il n'y avait plus
même l'ombre d'un gouvernement hostile
et qu'il n'y avait plus que les bandits qui
tinssent la campagne. Il hésitait encore
pourtant, il rassembla son conseil, composé
en ce moment de libéraux, leur dit de la fa-
çon la plus touchante qu'on le harcelait pour
336 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
obtenir de lui ce décret, que lui, étrangler,
devait s'en rapporter à eux, qu'il signerait
la décision qu'ils allaient prendre, et qu'ils
eussent à y bien penser , car c'est sur eux
que Dieu ferait retomber la responsabilité. A
l'unanimité , les ministres décidèrent que
cet acte était juste, nécessaire, conforme
d'ailleurs à la loi mexicaine, aux décrets
portés par Juarez lui-môme, — ainsi que le
prouvait la loi de janvier 1862.
Ortega ajoutait : « Pour tout gouverne-
ment, c'est un droit et un devoir de se dé-
fendre ; mais ce décret, pour Maximilien, ne
fut que comminatoire, et il annonça officiel-
lement que jamais, en aucun temps, à quel-
que heure que ce fût, qui que ce fût de-
mandant grâce ne serait refusé. »
A neuf heures du soir, le conseil décida
qu'il allait lever la séance et remettre la
suite du procès au lendemain.
On ramena Mejia et Miramon, comme on
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 337
les avait menés, au son de la musique
militaire.
La Vaillante princesse de Salm n'a pas
perdu tout espoir de sauver l'empereur : on
' a acheté , cent mille dollars , lappui d'un
colonel mexicain. Celui-ci demande qu'on
achète un deuxième colonel. On accepte. A
neuf heures du soir, tout est prêt : l'empe-
reur et ses compagnons n'attendent que le
signal. Il n'est pas donné.
Le 14, de grand matin, on vient saisir le
docteur Basch . Escobedo le fait emprisonner
en lui disant que, si l'ai'chiduc fait la moin-
dre tentative de fuite, lui Basch sera pendu.
Le môme jour ou le suivant (mes renseigne-
ments sont, chose bizarre, divers sur ce
«
point, assez notable pourtant), on expulse la
princesse de Salm. On ordonne aux diplo-
mates européens de quitter la ville immé-
diatement, sous peine de mort. On les entasse
dans une voiture qui les mène à Tacubaya.
338 HISTOIRE DBS DERNIERS MOIS
Ce même jour on annonça à Maxîmilien la
mort de Timpératrice Charlotte. L'empereur
pleura abondamment; mais cette nouvelle
fut comme une bénédiction providentielle :
« C'était, difr-il, le dernier lien qui l'atta-
chait à la vie. »
Pendant ce temps le procès continuait. Il
avait été repris à huit heures du matin, fau
môme théâtre. Le fiscal répondit aux avo-
cats, qui répliquèrent,
Vasquez montra la réprobation universelle
tombant comme un anathème sur le Mexique.
Mais qu'importait à. ces Mexicains, qui pré-
féraient la réprobation à l'obscurité?
Quant à Ortega, il écrasa les juges, de
l'aveu même des plus hostiles auditeurs.
« En le regardant, nous nous rappelions
la monstrueuse beauté de Mirabeau, domi-
nant l'auditoire, enflammant les débats, bon-
dissant comme l'inépuisable torrent d'une
irrésistible improvisation. »
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 339
Mais que pouvaient toute raison, toute
éloquence, dans une telle cause? Il fallait
la mort de Maximilien.
A dix heures, le conseil se retira pour
délibérer.
A onze heures et demie, on sut que la
sentence, dont on ne connaissait pas encore
la teneur, était rendue.
Le lendemain 15, on apprit que le conseil
avait condamné les trois coupables, Maxi-
milien d'Autriche, Tomas Mejia et Miguel
Miramon, à la ultima pena.
A midi, un prêtre se présenta.
— Je ne me confesse pas à tout le monde,
dit Maximilien en souriant, j'ai fait venir le
P. Soria pour voir si nous pouvons nous en-
tendre sur certaines questions.
Le lendemain 16, à onze heures, on ouvre
les portes avec grand fracas. Le fiscal vient
lire la sentence qui a été confirmée par Esco-
bedo. L'empereur écouta tranquillement.
S40 HI8T0IBB DES DERNIERS MOIS
— C'est pour trois heures, dit-il ; encore
quatre henres : noos avons le temps de tout
terminer.
Il emprunta quelque argent pour ses der-
nières dépenses, et il demanda que son corps
fût enterré à côté de celui de l'impératrice.
A une heure on dit la messe ; les trois con-
damnés communient.
A deux heures, l'empereur dit :
— Vraiment, la mort est plus légère que
je n'imaginais. Je suis entièrement prêt.
Vous direz à ma mère que j'ai fait mon de-
voir comme soldat et que je suis mort en
bon chrétien.
s
A trois heures, moment indiqué pour
l'exécution, personne ne vient.
Une heure se passe dans une angoisse
indicible. L'empereur seul s'entretenait
gaiement avec le confesseur et les avocats.
Enfin, à quatre heures, on apprend que
l'exécution est remise au 19.
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 341
— C'est dur, dit Tempereur. J'étais si
complètement prêt.
— C'est atroce ! murmura quelqu'un; ces
misérables jouent avec les angoisses et veu-
lent faire mourir les condamnés à plusieurs
rep'rises.
— Du reste, continua l'empereur, je ne
suis plus de ce monde.
En effet, à partir de ce moment, il s'ou-
blia complètement. Il agit comme un homme
qui n'a plus d'intérêt personnel et qui n'ap-
partient plus à la terre . Toutefois il songeait
à ses compagnons, et il écrivait à Juarez pour
demander la vie de Mejia et de Miramon.
« Je désirerais que vous fissiez grâce de la
vie à don Miguel Miramon et à Mejia, qui
ont souffert avant-hier toutes les angoisses
et toutes les amertumes de la mort, afin que,
comme je l'ai exprimé quand je me suis con-
stitué prisonnier, je sois seul victime. »
Réponse négative.
342 HISTOIRE DBS DERNIERS MOIS
Pendant ce temps, les deux avocats restés
à San-Luis, tous les étrangers, tous les
Mexicains honorables de la ville, le baron
Magnus, font des efforts surhumains pour
obtenir la grâce des condamnés. Tout est
inutile : Juarez, Lerdo, Mejia (le Mejia mi-
nistre de la guerre libérale), Iglesias, los
supremos poderes^ répondent à Tenvi que
la justice et le bien du pays s'opposent à la
clémence. « Ils ont, du reste, mûrement ré-
fléchi. Leur conscience est fort tranquille.
Ils prennent, devant la postérité, la respon-
sabilité de leurs actes. »
« Le courrier des États-Unis, qui venait
d arriver, n'apportait aucune lettre, pas une
simple note, aucun" message ayant rapport à
la captivité de l'archiduc. »
J'appelle l'attention sur cette observation
de Riva Palacio.
Les défenseurs de Mîramon et de Mejia
arrivent, avec une pétition des dames de
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 343
Queretaro. Les dames de San-Luîs vont la
porter à Benito Juarez. Vains efforts!
Dans la nuit du mardi, madame Miramon
arrive à San-Luis. Elle accourt, entourée de
vingt dames en pleurs, auprès des avocats.
« Y a-t-il quelque espoir de sauver son
mari ? »
Elle a presque perdu la raison, ses paroles
sont ardentes, vagues, incohérentes. Elle
veut aller, à deux genoux, demander la vie
de son mari. ,
Benito Juarez demanda qu'on lui épar-
gnât ce pénible entretien.
Toutefois la légende assure que madame
Miramon parvint à voir le président, qu'elle
se traîna pendant des heures entières à ses
pieds.
(( Sehora, no se puede^ » se contentait de
répondre Juarez.
La légende ajoute que, la veille de son
exécution, Miramon vit un officier venir lui
344 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
offrir les moyens de fuite, et qu'il les refusa,
ne voulant point se sauver sans Tempereur.
Je n'ai nulle confiance en cette légende.
A Saii-Luis, l'émotion gagnait tout, ex-
cepté la vessie de fiel^ Lerdo, qui, à son tour,
ne permettait pas à Juarez d'être ému. La
Torre lui-même ne put s'empêcher de s'é-
crier d'une voix sanglotante, en saisissant la
main du président :
« Assez de sang répandu, afin qu'il n'y
ait pas à l'avenir un abîme entre les défen-
seurs de la république et les vaincus ! »
Juarez se contenta de prophétiser : « Il ne
vous est pas donné de comprendre les motifs
de justice sur lesquels est basée cette ri-
gueur. Le temps permettra d'apprécier cette
mesure. »
A Queretaro, Escobedo avait trouvé que
la question du cadavre, de l'embaumement J
de l'enterrement, pouvait remplacer cette
angoisse de la mort menaçante qu'il n'avait
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 315
pu faire durer, le 16, plus d'une heure. On
saurait bien par là empêcher Maximilien
d'oublier un instant son prochain supplice.
Maximilien avait demandé que son corps
fût embaumé et envoyé auprès de celui de sa
femme. On avait consenti ; puis on souleva
des difficultés.
Le 18, à trois heures, on vint dire à
Maximilien qu'Eseobedo voulait traiter cette
question-là personnellement avec lui ; puis
qu'il fallait écrire à Escobedo ; faire l'aban-
don du cadavre par écrit, le léguer, donner
une sorte de reçu, antidaté naturellement,
de son propre corps.
— C'est vraiment trop fort, dit l'empereur.
Ce fut la seule marque d'impatience qui
lui échappa pendant son agonie.
Il écrivit à Escobedo. On sait comment
cela fut inutile, et quelles conditions ces ma-
gnanimes mirent à la reddition de ces dé-
pouilles.
346 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Maximilien écrivit une dernière fois à
«
Juarez. La lettre ne devait être remise qu'a-
près Fexécution. Elle restera comme un
des documents les plus nobles et les plus
touchants de cette histoire, mais aussi
comme la marque de cette persévérance
d'illusions que gardait Maximilien sur le
caractère de ses bourreaux.
« Queretaro, le 19 juin 1867.
« Monsieur Benito Juarez,
« Prêt à recevoir le coup fatal pour avoir
voulu essayer de nouvelles institutions des-
tinées à mettre un terme à la guerre civile
qui déchire ce pays depuis tant d'années, je
perdrais volontiers la vie si son sacrifice
pouvait contribuer à la paix, à la prospérité
de ma nouvelle patricé
« Intimement convaincu qu on ne peut
rien fonder de stable sur un terrain impré-
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 347
gné de sapg et continuellement agité par de
nouvelleià commotions, je viens vous conju-
rer, de la façon la plus solennelle et avec la
sincérité propre aux moments suprêmes dans
lesquels je me trouve, de faire que mon
sang soit le dernier répandu.
« J*ai Tespoir qu'avec la persévérance que
je me suis plu, au milieu de la prospérité,
à reconnaître et à louer en vous, et avec la-
quelle vous avez défendu la cause aujour-
d'hui triomphante, vous vous consacrerez à la
plus noble des tâches, qui est celle de récon-
cilier les esprits et de fonder d'une manière .
durable la paix dans ce malheureux pays,
(( Maximilien. »
Il envoya aussi une lettre de remercîments
à chacun de ses quatre défenseurs. Quoique
la formule de ces quatre missives soit à peu
près semblable, on sent toutefois une gamme
décroissante d'affectueuse gratitude^ et des-
348 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Cendant de Riva Palacio à Ortega, à La
Torre et à Yasquez.
Haximilien, au moment de mourir, eut
peut-être quelque r^ret de la sévérité de
son jugement sur la France ; du moins vou-
lut-il montrer que tout ce qui était français
ne lui était pas déplaisant. Il écrivit à l'un
de ses derniers chefs de cabinet, au capitaine
Pierron, dont la ferme intelligence et le ca-
ractère loyal avaient conquis sur son esprit
une véritable autorité. Dans cette lettre, son
esprit s'abandonne plus qu'en face de ses
avocats, qui étaient, en somme, ses ennemis
politiques, ennemis nobles et généreux, sans
doute, mais les amis de ses bourreaux ; et
son cœur se montre dans toute sa grâce ca-
ressante.
« Mon cher capitaine Pierron,
« A ma dernière heure, je pense encore à
votre bonne amitié si cordiale et aux servi-
DE L'EMPIRE MEXICAIN. . 349
ces que vous m'avez rendus avec tant de
loyauté..
« Je profite de ces derniers instants pour
vous envoyer un suprême adieu : je veux
vous remercier de nouveau de votre fran-
chise, de votre attachement et du dévoue-
ment que vous m'avez montré en toute
occasion.
« Cet épanchement est cher à mon cœur.
« J'espère que vous conserverez mon
souvenir après ma mort, et je fais des
vœux pour que vous viviez heureux et tran-
quille.
« N'oubliez pas celui qui a été, jusqu'à
son dernier soupir, votre tout affectionné.
« Màximilien. »
29
350 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
XX
EXECUTION DE L'EMPEREUR, DE MIRAMON
ET DE MEJIA.
Les dernières heures approchaient. La
dernière journée était entamée. Il restait
quelque doute, dans Topinion, sur la déci-
sion de Benito Juarez ; mais, quelle que fût
cette décision, les journaux mexicains étaient
convaincus que les supremos poderes ne
pouvaient manquer l'héroïsme que pour
conquérir la magnanimita.
Le Progreso de Queretaro (19 juin) hé-
site entre les deux :
« S*il condamne ^ le Mexique frappera
toute TEurope de respect, et si jamais un
autre arlequin veut venir ici essayer son
apprentissage de roi, il tremblera en voyant
comment nous traitons les aventuriers !
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 351
« S'il pardonne, le Mexique se montrera
grand et magnanime, et le laurier qui cou-
ronne le front de la patrie sera seulement
teint du sang versé dans les glorieuses vic-
toires que nous venons de remporter. »
Mais il y avait trop de monarques euro-
péens à vaincre d'un seul coup en tuant
Maximilien, pour que Juarez, Lerdo, Esco-
bedo et autres, ne continuassent pas à se
montrer glorieux.
Maximilien devait mourir, car Maximilien
était, comme les journalistes le savent fort
bien dire à leurs compatriotes à cette même
date, — et c'était montrer la cape rouge au
taureau furieux, — « premier frère de Sa
Majesté Impériale et Royale Apostolique
François-Joseph, empereur d'Autriche, cou-
sin de la reine de l'empire britannique, du
roi d'Italie, de la reine d'Espagne, du roi de
Suède, allié de l'empereur des Français, » etc.
C'étaient là les vrais crimes de Maximilien.
352 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Lia république mexicaine n'avait pas le droit
de se montrer magnanime en face de tant de
princes qu'on fusillait avec les balles qui
étaient destinées à Maximilien.
« Ah ! disait un autre journal, la sensation
va être profonde, indescriptible, en Autri-
che, aux Tuileries, dans tout le vieux monde.
En France surtout ! Cette ombre accusatrice
se lèvera contre Louis-Napoléon, comme
celle de Banco devant Macbeth ! Le nom de
Tarchiduc sonnera comme une cloche funè-
bre, comme la cloche du cimetière, dans la
Chambre des députés, contre les ministres
du despote français. »
Mais oublions ces enthousiasmes de sicaî-
res, et revenons à la petite chambre oii la
victime mène ses dernières heures et cherche
une paix que ces héros ne lui veulent même
pas:accorder.
A cinq heures du soir, le mardi 18 juin,
Maximilien apprit que Ton avait refusé la
■ ' '■ —^^^^—M —^ ■ ■! ■ «ii^ iM^i^^p^ ^r^^^p^p^
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 353
grâce de ses deux compagnons Mejîa et Mi-
ramon.
 huit heures, il se coucha. A neuf heures,
■
on vint lui dire qu'on voulait lui parler au
nom d'Escobedo. Le supplice indien, au po-
teau des tortures, continuait : Escobedo lui
envoyait quelqu'un pour lui parler de son
embaumement. On lui annonça que ses dé-
sirs là-dessus seraient exécutés.
Maximilien passa une heure à lire dans
V Imitation de Jésus- Christ^ que le P. Soria
lui avait envoyée sur sa demande.
A dix heures, il éteint sa bougie et s'endort.
A onze heures et demie quelqu'un entra.
Le docteur Basch se leva tout joyeux. Il es-
pérait encore.
C'était seulement le supplice mexicain qui
continuait : Escobedo avait supposé que
Maximilien pouvait bien être endormi ; il
fallut le réveiller. Escobedo voulait lui sou-
haiter le bonsoir.
20.
354 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
L'empereur ralluma sa bougie. Escobedo
entra. On les laissa seuls. Quelques minutes
après, le général sortit ; Basch entra.
— C'est, dit l'empereur, Escobedo qui
vient prendre congé de moi. C'est dommage,
je dormais si bien !
Il éteint encore une fois sa bougie. Une
heure se passe. La respiration est égale. Il
est endormi de nouveau.
A trois heures et demie, il se réveille.
Basch fait lever les deux domestiques. A
quatre heures, vient le confesseur. A cinq
heures, Maximilien et les deux généraux
entendent la messe .
A cinq heures trois quarts, les condamnés
déjeunent avec un poulet, une demi-bou-
teille de vin, du café.
Pour la seconde fois Maximilien remet
son alliance à Basch ; il lui rappelle les re-
commandations qu'il lui a déjà faites à l'é-
gard de plusieurs personnes. Il met un sca-
DE L'EMPIRE MEXICAIN 357
pulaire dans la poche de son gilet, en disant :
« Vous le porterez à ma mère. »
A six heures et demie arrive Vicente Riva
Palacio, avec les soldats. Maximilien se place
au milieu du piquet d'exécution et Ton se
met en marche.
Au bas de Tescalier, il donne une der-
nière fois, en souriant doucement, la main
à Basch, qui ne peut suivre : ses forces le
trahissent; il tombe évanoui.
L'empereur continue sa route avec ses
avocats.
Arrivé sur le seuil de sa prison, il re-
garde autour de lui, au-dessus de lui, tout
ce qu'il pouvait apercevoir de cette terre
qu'il allait bientôt quitter et dont son âme
de poëte comprenait et goûtait si bien les
beautés.
— Quel beau ciel ! dit-il en s'adressant à
Ortega; c'est ainsi que je désfrais qu'il fût
le jour de ma mort.
358 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Au sortir de la prison, les avocats lui fi-
rent leurs adieux.
Chacun des trois prisonniers monta dans
une voiture avec un prêtre.
On allait à ce cerro de la Campana, à ce
pic élevé, situé en dedans des fortifications
de la ville, à un kilomètre des dernières mai-
sons. C'est là, on se le rappelle, que Maxi-
milien aimait avenir pendant le siège, parce
qu'on embrassait une large vue du pays, de
la ville et de Tennemi. C'est là aussi qu'il
avait été cerné après la trahison de Lopez
et forcé de se rendre.
La route était longue, du couvent des Ca-
pucines au cerro. Une partie de l'armée
triomphante suivait les voitures. La ville
était muette, déserte, les maisons closes ;
*
parfois Ton apercevait quelque visage cu-
rieux, respectueux ou compatissant, qui
avait voulu voir une dernière fois le prince
et qui se retirait.
1
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 359
A un moment de ce funèbre voyage, on
vit une femme échevelée, le sein nu, qui,
portant un enfant dans ses bras, traversait
les rues, folle, criant grâce. C'était la femme
de Mejia. L'illustre et vaillant Indien ne put
résister à ce coup : sa sereine gravité céda
et on le vit tomber en tristesse.
On arrive au cerro. Une certaine quantité
de curieux s'y étaient portés, des Indiens
surtout; car, pour l'Indien, avant de croire,
il faut voir.
On s'arrêta à quelques pas de l'endroit où
l'empereur s'était rendu le 15 mai. Maximi-
lien, me dit-on, chercha des yeux, et avec
un paisible et fugitif sourire, cet endroit, où,
pour la dernière fois, il avait été soldat et
souverain. Il secoua la poussière qui avait
recouvert ses vêtements et s'avança, la tête
droite, sans nulle exagération de roidetiri
Un peloton du premier bataillon de Nuevo-^
Léon, chargé de l'exécution, se détacha*
360 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Toutes les troupes de Quer^taro, environ
quatre mille hommes, se déployèrent der-
rière le peloton.
Les condamnés s'arrêtèrent à quelque dis-
tance d'un vieux mur en abode; ils se re-
tournèrent , faisant face au peloton et à toute
Tarmée.
L'officier qui commandait ce peloton s'ap-
procha de l'empereur et lui dit qu'il n'avait
pas cherché ni désiré la mission qu'il était
forcé de remplir, et il suppliait l'empereur
de ne pas mourir en le détestant.
— Jeune homme, dit l'empereur, je vous
remercie de votre compassion, mais le devoir
du soldat est d'obéir. Accomplissez l'ordre
qui vous a été donné.
Il offrit à chacun des soldats une once d'or,
en les priant de bien yiser à la poitrine. Le
peloton se plaça à un mètre des victimes.
Maximilien embrassa Miramon et Mejia,
en leur disant :
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 361
— Nous allons, dans un instant, nous re-
voir en Tautre monde.
Puis, quittant la place qu'il occupait au
milieu des deux généraux, il se tourna vers
Miramon, auquel il n'avait peut-être pas
rendu toujours pleine justice, et il lui dit
avec sa chevaleresque courtoisie :
— Général, les souverains admirent les
braves : avant de mourir, je vous cède la
place d'honneur.
.11 dit ensuite à Mejia, qui ne pouvait ou-
blier la scène qui venait de frapper ses re-
gards, et qui voyait toujours sa femme et son
enfant :
— Général, ce qui n'a pas été récompensé
sur la terre le sera certainement au ciel.
Ainsi, avec le coeur d'un homme bien
plus élevé que la dignité impériale, d'un
homme intelligent, sensible, bon, et, à ce
derniermoment, héroïque, il avait, oubliant
son propre sort et dédaignant la mort, de
21
302 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
lui si voisine, pensé uniquement à ses deux
compagnons. Il leur avait dit à tous deux le
mot simple et vrai, et à chacun d'eux le mot
qui pouvait le mieux lui plaire et le con-
soler. (( Dans un instant, nous allons nous
revoir, » avait-il dit, pour faire oublier le
moment d'angoisse. Puis il avait honoré le
fier Miramon et caressé le bon Mejia. Il
av^it parlé noblement à l'orgueil de ce
Franco-Hispanol, et doucement à la piété de
l'Indien. Je n'ai trouvé nulle part une phis
sublime liberté d'esprit.
Maximilien prit la gauche de Miramon, et
se trouva ainsi à l'extrême droite de la foule
qui les regardait.
Il s'avança et prononça quelques mots
d'une voix claire et tranquille. Quelles sont
ces paroles? Il y a plusieurs versions.
La haine juariste assure que « Maximilien
demanda pardon aux Mexicains pour tout le
sang qu'il avait fait. verser. »
D^ L'EMPIRE MEXICAIN 3(>3
Le peuple, l'opinion, la légende nous ont
livré la version suivante bonne à conserver,
car elle est l'interprétation de la masse, lam-
plification populaire :
« Mexicains, les hommes de mon sang et
de mon origine sont appelés par la Provi-
dence à faire le bonheur des peuples ou à
être martyrs. Appelé par un grand nombre
de Mexicains, je suis venu au Mexique pour
le bien du pays, et non par ambition... Mon
désir était de faire le bonheur de ma patrie,
celui de mes compagnons d'armes que, avant
de recevoir la mort, je veux remercier de
leurs sacrifices. Mexicains, que mon sang
soit le dernier versé, et que Dieu veuille qu'il
puisse cimenter le bonheur et la paix de ce
malheureux pays ! »
Ces paroles résument bien, sans doute,
les pensées de Maximilien; mais il avait une
trop grande délicatesse d'esprit, un tact trop
fin, un sentiment trop artistique, pour faire
M\\ inSTOIHB DKS DKRNIF.RS MOIS
un aussi long discours en de telles circon-
stances; .comme aussi il n'était pas assez
soldat et il était trop poëte pour se borner à
cette exclamation qu'on donne pour sa parole
dernière :
(( Mexicains, que mon sang soit le dernier
versé, et qu*il régénère ce malheureux pays ! »
Je choisis une version intermédiaire, non
pas cette version politique que nous offre le
patriotisme partial de Riva Palacio :
((Je vais mourir pour une cause juste,
celle de l'indépendance et de la liberté du
Mexique. Je désire que mon sang puisse ci-
menter le bonheur de ma nouvelle patrie.
Vive le Mexique ! »
Je préfère les paroles plus touchantes et
plus vagues que nous donne le docteur Basch,
d'après le docteur mexicain Reyes qui assis-
tait à l'exécution. Il me semble que j'y
retrouve mieux l'âme et l'esprit de Maximî-
lien.
DE L'EMPIRE MEXICAIN MM»
« Que mi sangre sea la ûltima que se der-
reame^ en sacrificio de la patria. Y si
fuere necesario alguno de sus hijos, sea
para bien de la nacion y nunca en traicion
de ella.
« Que mon sang soit le dernier offert en
sacrifice à la patrie, et que ses fils désormais
meurent pour défendre le pays et non pour
le détruire ! »
Miramon protesta d'une voix énergique et
qui remua bien des cœurs contre Taccusa-
tion de trahison dont on le chargeait; il je-
tait un regard dominateur sur cette armée
qu'il avait presque constamment battue :
« Soldats du Mexique, concitoyens, au mo-
ment où la vie ne m'appartient déjà plus,
où dans quelques minutes je serai mort, je
déclare à la face du monde que c'est une
honte de m'accuser de trahison. J'ai com-
battu pour mon pays, dans l'intérêt de l'or-
dre, et c'est pour cette cause que je tombe
366 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
aujourd'hui avec honneur. Jamais mes fils
ne seront atteints par la calomnie dont on
a indignement cherché à me souiller. Vive
le Mexique! Vive Tempereur! »
Mejia recommande sa femme et son fils, —
il les voyait toujours comme il venait de les
apercevoir, — à Escobedo à qui il avait plu-
sieurs fois sauvé la vie, et qui, dans sa ma-
gnanimité, lui promit de protéger les siens.
Maximilien avait placé les deux mains sur
sa poitrine pour indiquer oîi il fallait tirer,
et il écoutait, le, pied en avant, la taille
droite, la figure sereine. Son œil bleu si
doux regardait vaguement les pics de la
Cordillière, ces montagnes du Cimetière oii
il avait naguère remporté une si brillante
victoire. Mais ses pensées étaient au delà de
cet horizon, et Ton dit qu'on Tentendit mur-
murer : « Pauvre Charlotte ! »
Un roulement se fit entendre. Toutes les
cloches de la ville sonnèrent le glas funèbre.
DE L'EMPIRE MEXICAIN. ^«9
Les trois cadavres de ces vaillants étaient
étendus au milieu du sang qui coulait et du
feu qui avait pris à leurs habits. On les avait
fusillés à un mètre de distance.
Il était environ sept heures. Je dis envi-
ron, car, — et cela nous est une grave leçon
pour nous autres historiens, — même pour
ce fait, pour cette date si contemporaine et
qui eut tant de témoins, je trouve le doute,
et, si je prends les gazettes de Queretaro de
ce jour même, je vois Tune me donner six
heures trois quarts, quand l'autre m'indique
sept heures dix minutes.
« Et Tarchiduc et ses deux généraux
moururent, la main sur la poitrine, en se
carrant comme trois vétérans à une grande
parade. »
Et cette étrange vanité mexicaine qui,
par-dessus tout, avait été le bourreau de
Maximilien, se félicite, elle est satisfaite;
elle laisse échapper le mot de cette situa-
21 .
370 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
tion : « Nous pensons que de ce cerro sortira
un cri suprême qui résonnera dans le globe
entier d*heure en heure, de siècle en siècle,
de trône en trône , de peuple en peuple :
Vive la République! le jour de gloire est
arrivé. »
Don Benito Juarez et sa bande héroïque
et magnanime croyaient qu'il suffisait d'avoir
assassiné Maximilien et ses trois compa-
gnons, — car je n'oublie pas le brave Men-
dez, — pour se mettre à la tête des destinées
de la république universelle et de l'huma-
nité.
Mais le grand cœur de cette noble race
espagnole n'avait pas cessé de battre dans
toutes ces poitrines; et l'on vit bientôt,
dit-on, une procession de femmes vêtues de
deuil qui s'avançaient : les dames de Que-
retaro venaient sous les yeux mêmes d'Es-
»
cobedo tremper leur mouchoir dans le sang
des victimes.
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 37 1
On éteignit le feu qui brûlait les vê-
tements de Tempereur , on enveloppa le
cadavre, et on le ramena à l'église des Capu-
cines.
Maximilien était aisément reconnaissable.
On avait donné ordre de ne pas tirer à la
tête, pour éviter ces légendes, dangereuses
en un tel pays, et qui font si aisément res-
susciter les personnages frappés d'une mort
brusque. Maximilien fut donc aisément re-
connaissable, le visage n'avait subi aucune
atteinte .
Malgré ces précautions, la légende ne s'est
' pas tenue pour battue. Nous avons ren-
' contré des gens, sages d'ailleurs, qui ont
voulu nous montrer Maximilien à Paris dans
ces derniers temps. Peut-être un jour les
^ Indiens de la sierra Gorda le suivront-ils à
la conquête de Queretaro.
« Vers huit heures, ce 19 juin, Vincente
Riva Palacio revint, dit le docteur Basch. On
372 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
voyait qu'il contenait avec peine son émo-
tion. Il me présenta la main et dit d'une voix
presque étranglée :
« — C'était une grande âme! »
Basch put aller assister à Tembaumement.
On le mena à l'église. Il retrouva là l'in-
specteur général de l'armée, le docteur Igna-
cio Rivadeneira.
Le cadavre reposait sur une table, recou-
vert d'un linge. Le visage n'était pas défi-
guré. Six blessures avaient été reçues, trois
au bas-ventre, trois à la poitrine. On avait
tiré à bout portant. Le corps avait été tra-
versé de part en part. Chacune des trois
blessures de la poitrine était mortelle. La
première avait percé le ventricule gauche du
cœur, la deuxième avait coupé le gros vais-
seau, la troisième avait percé le poumon
droit. L'agonie dut être courte, à cause même
de la simultanéité de ces trois blessures.
On raconte qu'après une première décharge
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 373
l'empereur fit signe avec la main, et prononça
quelques paroles pour commander de nou-
veau le feu. Les blessures montrent que tout
cela est de pure invention. Il ne put y avoir
que les convulsions produites à chaque
mort déterminée par une hémorrhagie fou-
droyante.
37i HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
XXI
FIN DD SIEGE DE MEXICO. — REDDITION DE LA VILLE.
CAPITULATION DE LA CONTRE-GUERILLA.
PORFIRIO DIAZ. — MARQUEZ.
INTERNEMENT DES FRANÇAIS A PUEBLA.
DELIVRANCE.
Nous avons laissé Mexico le 19 au soir, au
moment où Ton apprend définitivement la
défaite, la prise et la mort de Maximilien.
Grand trouble dans toute la ville . Marquez
et le préfet politique 0*Horan disparaissent,
Vidaurri, Galvez, quelques autres se sauvent
ou se cachent. Tabera, le gouverneur de la
place, Ramon Tabera, voit commencer le
mouvement que je puis nommer la fonte
d'une armée mexicaine, mouvement aussi
prompt que la fonte des neiges au soleil.
Les Autrichiens, sur Tordre du baron
Lago, chargé d'affaires d'Autriche, ont dé-
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 375
clâré leur neutralité et fait leur capitulation
qui leur accorde la vie sauve et, sauf ra'ifi-
cation des suprêmes pouvoirs, -la promesse
d'être embarqués pour l'Europe.
A la garita de Belem, nos Français ap-
prennent toutes ces nouvelles. Ce même soir
du 19 on a vu les Autrichiens quitter leur
poste de combat et se rendre au palais,
oîi ils ont hissé le drapeau blanc.
Le commandant va trouver le général Ta-
bera, lui indique que, vu l'inutilité de la
résistance, il va déclarer sa neutralité. Il
prie le général de faire relever la contre-
guérilla par un corps mexicain. Tabera le
promet et l'autorise à capituler directement
avec le général en chef ennemi.
Il y a d'ailleurs suspension d'armes, les
Impériaux débattant, eux aussi, les con-
ditions de la reddition de la ville.
Le commandant fait demander une entre-
vue à Porfirio Diaz, qui lui donne rende2:-
\
376 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
VOUS le 20, à trois heures, à mi-chemîn de la
garita à Chapultepec, le long de l'aqueduc.
L'entrevue a lieu. Porfirio Diaz félicite
le commandant français sur la façon dont
sa troupe a défendu ses postes et surtout
Belem. Il lui assure qu'il aune tendresse na-
turelle pour les Français, une grande estime
pour leur bravoure, et qu'il fera tout pour
leur être agréable.
On débat les conditions de la capitulation,
Porfirio Diaz peut seulement s'engager à
accorder la vie sauve, mais il accorde toutes
les satisfactions d'amour-propre que le Fran-
çais réclame : la contre-guérilla pourra se
retirer à son ancien quartier de San-Pedro-
y-San-Pablo; elle sera désarmée la dernière,
ayant gardé les armes la dernière ; nul corps
ennemi n'entrera dans la ville par la garita
de Belem.
Cela accordé, le général voulut faire mettre
le tout par écrit.
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 377
— Non pas, s*il vous plaît, général, dit le
commandant en souriant; au Mexique, les
papiers se perdent extrêmement vite. J'aime
mieux votre parole d'honneur.
— Comptez sur moi, dit Porfirio Diaz en
souriant à son tour et en tendant la main au
commandant.
Nos Français, en effet, n'eurent qu'à se
féliciter de lui. C'est pour cela que nous ne
pouvons nous empêcher de traiter avec une
bienveillance relative ce personnage, en ou-
bliant, peut-être un peu trop, qu'il venait
de fusiller les officiers faits prisonniers à
Puebla, et qu'étant prisonnier sur parole il
s'élait sauvé.
Avant de quitter notre officier, Diaz lui
remet le bulletin officiel de la mort de
Maximilien.
A quatre heures, un officier de la contre-
guérilla va annoncer à Tabera le résultat de
Tentrevue, en le priant d'envoyer les Mexi-
378 ' HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
cains qui doivent remplacer cette contre-
guérilla à la garita. Tabera promet encore et
oublie.
A cinq heures, sur une nouvelle insis-
tance, arrive enfin le corps mexicain.
Tout à coup, et au moment oii Ton re-
lève les postes, Tennemi ouvre une canon-
nade terrible et couvre la ville de mitraille
pendant quarante minutes. Les libéraux
voulaient voir si Tarmée impériale était déjà
fondue et si Ton ne pouvait pas s'emparer
glorieusement de la ville pendant que Ton
traitait de la capitulation et après que les
corps européens s'étaient rendus. Toutefois,
rendons justice à Diaz, il n'envoya aucun
corps ennemi à la garita de Belem.
La fonte de l'armée impériale n'était
pas encore complète. On traite alors sé-
rieusement de la capitulation , et Miguel
Pina, général impérialiste, arrête avec Igna-
cio Alaterra, général mexicain, cinq points :
OE L'EMPIRE MEXICAIN. 37
cessation des hostilités ; vie et liberté sauve
pour les habitants; reddition de la place;
les forces mexicaines se rendront à la cita-
delle, la contre-guérilla Chenet au quartier
général de Saint-Pierre-et-Saint-Paul ; les
autres forces étrangères an Palais; les offi-
ciers garderont leurs épées, mais se tien-
dront prisonniers, à la disposition du général
ennemi, hasta que el gênerai Diaz recibe
' instrucciones .
C'est tout ce qu'on put obtenir, et cela fut
signé le 20 à Chapultepec, ratifié le 21 à
Tacubaya.
A sept heures du soir, la contre-guérilla
quitte Belem, clairons en tête, se rend au
quartier de San-Pedro-y-San-Pablo , s'y
barricade, hisse le drapeau blanc et y offre
refuge à quelques compatriotes très-com-
promis et qu'on affuble de costumes mi-
litaires.
Dans la nuit, Tarmée impériale achève de
380 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
fondre, et quand le lendemain, à cinq heu-
res , les libéraux entrent en ville , les for-
tifications ne sont plus gardées que par des
fusils privés de leurs Indiens.
Porfirio Diaz a tenu sa parole jusqu'au
bout ; nulle troupe n'est entrée par la garîta
de Belem.
Il envoie le lendemain un général pour
procéder au désarmement. On laisse aux
officiers leurs armes, chevaux, équipement.
On fit savoir au commandant que Porfirio
Diaz l'attendait au Palais.
— Commandant, lui dit le général, vous
commandez des Français, je les aime beau-
coup et je connais leurs vertus militaires;
mais dans ce pays-ci, pour que des soldats
français soient bons, il faut qu'ils soient
commandés par des officiers français et for-
ment un corps à part. Mélangés avec les
Mexicains, ils perdent leurs qualités. Avec
les hommes que vous avez et les déserteurs
DE L'EMPIRE MEXICAIN 3^i
«
qui sont dans mon armée, je puis former une
légion française de 2,000 hommes. Je vous
ai vu à l'œuvre, j'apprécie l'organisation de
votre contre-guérilla; voulez-vous prendre
le commandement de cette légion?
Il laissa entrevoir assez clairement qu'il
songeait à devenir président de la république
et que cette troupe était le noyau de la future
armée avec laquelle il comptait aider le suf-
frage des électeurs à se décider en sa fa-
veur.
Le commandant, fort surpris, répondit
qu'il était, hier encore, chef d'un corps im-
périaliste, qu'il ne pouvait changer aussi lé-
gèrement de drapeau. Et, voyant le général
s'assombrir fort et prendre une physionomie
qui devait être celle qu'il avait quand il fit
fusiller les prisonniers de Puebla, le Français
dit tout brusquement :
— C'est à l'honneur même de Votre Excel-
lence que je fais appel. Le général Porfirio
àHZ HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Diaz, s'il était à ma place, accepterait-il cette
proposition?
— Non, répondit non moins brusquement
le général. Mais qu'importe? Une grande par-
tie des Français qui sont ici sont des déser-
teurs ou craignent qu'on ne les traite comme
tels. Que va-t-il arriver? Je les connais :
s'ils ne sont retenus par la discipline et or-
ganisés en corps avec un but d'avenir, ils
vont se débander, se livrer au brigandage
ou se faire assassiner. Les haines contre la
France sont violentes. Faites un appel à tous
ceux qui veulent rester au Mexique, orga-
nisez-les militairement. Ici, à Mexico, je ne
réponds pas de leur vie. Emmenez-les à
Puebla.
Là vous serez chez moi, au centre de
mon gouvernement. L'on vous donnera une
légère solde qui empêchera ces gens de
mourir de faim. Quand le moment de déli-
vrance sera venu, vous partirez avec ceux
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 383
qui voudront regagner TEurope; je choisirai
un chef pour les autres.
Le soir môme, trois cent cinquante hom-
mes étaient venus s'enrôler et se faire in-
scrire sur les contrôles de la contre-gué-
rilla. C était la vie assurée.
Quelques-uns des principaux généraux
impérialistes étaient parvenus à s*enfuir,
entre autres Galvez, qui tient encore aujour-
d'hui la campagne pour l'empire.
Platon Roa, Quîroga, Tabera et d'autres
ont échappé, je crois, à la mort.
Vidaurri, le plus ferme et le plus loyal des
hommes, était parvenu à se réfugier chez un
Yankee à qui il promit tant par jour. Le
Yankee accepta et se fit religieusement
payer chaque matin. Il garda fidèlement le
secret jusqu'au moment oii la bourse de Vi-
daurri fut vide. Alors il s'en alla demander
une forte somme et livra son hôte qui fut
fusillé.
3.84 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Marquez avait trouvé refuge chez un meu:
nier, son fidèle, qui demeurait aux environs
de Mexico. Il était là avec son ami O'Horan
qui s'était engagé, à condition qu'il aurait
la vie sauve, à le livrer à Diaz. — Je raconte
l'histoire d'après de bons garants, mais, en-
core une fois, cette histoire est peut-être une
légende.
Une nuit, trois jours après l'occupation de
Mexico, O'Horan voit son compagnon entrer
tout habillé dans sa chambre.
— Compadre^ dit le vieux renard en re-
niflant, ça ne sent pas bon.
— Comment? dit O'Horan embarrassé.
— Oui, il y a je ne sais quoi dans Tair. Ça
ne sent pas bon. Je ne me trouve plus en
sûreté ici, je m'en vais.
— Comment ! mais quelle folie ! Qui peut
vous faire croire?...
— Rien, absolument rien. Mais ça ne sent
pas bon. Je n'ai nul renseignement. Pablo
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 38ri
assure qu'il n'y a nul mouvement suspect
dans le voisinage du moulin. Mais je ne me
trompe pas. Je m'en vais. La place n'est pas
bonne. Compadre, si j'étais de vous, je quit-
terais aussi l'endroit. Venez avec moi.
— Pardieu, non, il n'y a nulle raison.
— Adieu donc.
Marquez partit. Trois heures après, une
troupe de libéraux enveloppait le moulin.
On ne saisit que O'Horan, dont Porfirio Diaz
défendit énergiquement la vie pendant trois
jours. Mais Lerdo le détestait. Don Benito
Juarez fit fusiller O'Horan qui raconta avant
de mourir cette étrange histoire d'un in-
stinct de défiance arrivé à la finesse d'un
odorat de bête fauve.
Le 27, la contre-guérilla fut dirigée sur
Puebla, où elle devait demeurer prisonnière
tout en restant organisée militairement.
On arriva le 1"' juillet. On retrouva là les
pauvres zouaves qui avaient échappé au der-
23
38H HISTOIRE DES DERNIERS. MOIS
nier massacre. La contre-guérilla se trouva
plus nombreuse que jamais.
Je ne raconterai pas l'histoire de ces jours
douloureux, surtout pour les officiers, dont
Tautorité était diminuée à mesure que la né-
cessité d'une plus grande sévérité était obli-
gatoire. Les nouvelles recrues ne représen-
taient pas la fleur de la chevalerie française.
On était oisif, on mourait un peu de faim, on
méprisait le Mexicain, on était assassiné. Il
fallut mainte fois mettre aux fers les plus in-
disciplinés.
Puis c'était tel illustre personnage resté
dévoué à l'empiré, un notable conservateur
que je me garde bien de nommer, qui venait
offrir 100,000 piastres pour faire faire un
pronunciamento en faveur de la cause qui
venait d'être vaincue.
Une autre fois Ton tendait une embuscade
au commandant, ou bien la solde ne venait
pas, ni la nourriture. Le commandaat pre-
DE L'EMPIRE MEXICAIN 387
nait son sabre et allait avertir Son Excel-
lence le gouverneur de la ville qu'il allait
s'en rendre maître, faire le général et la gar-
nison prisonniers et mettre la ville à feu et
à sang, si on faisait mine de laisser mourir
ses hommes de faim ou si Ton ne pendait pas
quelques Mexicains trop patriotes qui avaient
joué du couteau, à la brune, contre les Fran-
çais.
Enfin la solde cessa tout à fait : officiers
et soldats vendaient tout. Le commandant,
avec le prix de ses-chevaux, de son équipe-
ment et en vidant le fond de sa bourse, par-
vint à nourrir à peu près sa troupe pendant
huit jours. Le commerce allemand venait au
secours des prisonniers autrichiens; per-
sonne ne songeait à nos guérilleros. Ils
avaient à peu près perdu leur nationalité.
C'est en vain que le commandant écrivait
lettre sur lettre à l'ambassade pour deman-
der des secours. Il ne recevait pas de ré-
388 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
poDse. Il trouva à emprunter quelques mil-
liers de piastres à deux négociants français
qu'on nomme, je crois, Larrey et Laurance.
Ce silence de l'ambassade exaspérait les
soldats qui, paraît-il, jurèrent de se venger.
Au commencement d'août, le bruit se ré-
pandit à Puebla que l'ambassade française
allait pouvoir quitter Mexico. Le 5, de grand
matin, l'adjudant-major vint annoncer au
commandant que cinquante hommes avaient
déserté. C'était un gros chiffre. Le com-
mandant s'en inquiéta. Il fit prendre des
renseignements. A dix heures, un sergent
s'approche et révèle au commandant que ces
cinquante hommes s'étaient échappés pen-
dant la nuit et qu'ils s'étaient jetés dans les
montagnes du RioFrio, décidés qu'ils étaient
à y attendre au passage le ministre de
France et à se venger de lui. Immédiate-
ment l'on écrit à Mexico. On court à la lé-
gation. M. Dano était parti brusquement la
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 389
nuit même, et heureusement il avait pris la
route d'Apizaco.
Enfin, le 8 août, Ton apprend qu'on est
libre et que Ton va être dirigé sur Vera-
Cruz. Le consul, M. Forest, a envoyé 7 pias-
tres par homme pour faire la route ; ce n'est
guère, cela donne 3 réaux par jour à chaque
homme ; car, avant de partir, il faut dépen-
ser la moitié des 7 piastres à acheter divers
objets de première nécessité à Puebla où
Ton était sans vivres, sans souliers, sans
couvertures quand ces 7 piastres sont arri-
vées. On avait touché 2 réaux par jour à
titre de solde des prisonniers de guerre, et,
comme je Tai dit, à partir du 23 juillet,
ladite solde n'avait plus été payée.
Trente hommes étaient malades à l'hôpi-
tal. On se couchait sur une natte, et l'on
avait pour couverture les lambeaux de son
uniforme. Néanmoins, nul des Français ne
mendia.
22.
300 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
On partit donc le 9, à cinq heures du
matin. Ce fut un faux départ. Personne ne
suivait.
Enfin, la colonne se mit définitivement en
marche le même jour à sept heures et demie
du soir. Il n'y avait plus que cent soixante-
dix hommes. Vingt-un avaient encore dé-
serté ce jour-là.
Mais il était dit qu'on ne pourrait partir.
Aux portes de la ville, un orage eCEroyable
éclata. Les deux voitures quf portaient les
malades furent presque emportées. On dut se
réfugier dans une des garitas.
On trouva le lendemain, en se mettant en
chemin, que deux soldats avaient été, pen-
dant la nuit, assassinés par des Mexicains.
On arriva le 14 à Orizaba. A partir de là,
les désertions augmentèrent. Quand, le 18,
après avoir fait 1 5 lieues pendant la nuit, la
petite troupe arriva à Vera-Cruz, elle ne
comptait guère plus de cent hommes.
wr^
DE L'EMPIRE MEXICAIN 391
On retrouva là quelques camarades du
siège de Mexico et de Queretaro qui, comme
le lieutenant Seguy, avaient pu fuir et rega-
gner Vera-Cruz.
Le 18, à midi, les derniers soldats français
qui avaient défendu Maximilien s'embar-
quèrent pour la France.
392 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
XXII
RÉSUMÉ.
JUGEMENT SUR L'EXPÉDITION DU MEXIQUE.
LE MEXIQUE ET LES MEXICAINS.
LA POLITIQUE FRANÇAISE.
Nous pouvons terminer ici cette chroni-
que franco-mexicaine.
Nos lecteurs savent au prix de quels ef-
forts la maison d'Autriche put obtenir le
corps de Maximilien.
Il n'y avait pour garder ce cadavre aucune
des raisons d'intérêt public, de patriotisme,
de justice, d'avenir national que Lerdo,
Juarez et leur suite de Lopez et d'Escobedos
mirent en avant pour excuser le meurtre de
Maximilien.
Mais il fallait que la vérité se fît jour, et
que leur conduite envers le mort montrât
apertemént quels mobiles avaient dirigé leur
DE L'EMPIRE MEXICAIN 393
conduite envers le vivant. Les gardiens du
cadavre trahissaient les juges.
En forçant cette mère à marchander les
dépouilles de son fils, ils décelèrent les sen-
timents sauvages qui les avaient poussés à
torturer Tagonisant, Tinstinct de basse haine
qui les avait amenés à condamner le prince.
Ils n'avaient pas voulu sauver la patrie, —
avec Maximilien disparaissait sa dernière
chance de salut, — ils avaient puni un pri-
sonnier, resté en leurs mains, des victoires
de ses alliés. Comme les Apaches, leurs an-
cêtres, qui s'arrêtent dans leur fuite pour
tourmenter quelque compagnon d'armes de
ceux qui les font fuir, ils avaient cessé de se
sauver quand la petite armée française avait
cessé de les poursuivre, et ce compagnon
qu'elle avait été forcée de laisser en leur
possession, ils le supplicièrent pour consta-
ter qu'ils avaient fait fuir cette armée et mis
en déroute l'Europe entière.
394 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Ils avaient chanta leur héroïsme à la prise
de Queretaro, leur magnanimité à la condam-
nation de Maximilien; en face de ces restes,
il n'y avait plus de grands mots, plus de
fanfaronnades, plus d*hypocpisie possibles;
ces héros, ces magnanimes furent obligés
de se démasquer et de montrer qu'ils n'é-
taient que des Indiens corrompus.
Toutefois, je dois le dire avant de termi-
ner, le Mexique ne renferme pas seulement
ces types de fourberie, de férocité, de rapa-
cité, de couardise, d'effronterie dont j'ai si-
gnalé bien des modèles. Mes lecteurs ne s'y
sont pas trompés. On a compris dans quel
sens restreint j'employais le mot Mexique et
Mexicains. Il y a dans ce pays de hautes
vertus, de grands caractères, de dignes, de
purs et d'élevés sentiments. Dans le sang
mexicain, on peut retrouver quelques res-
tes du noble sang espagnol; et ces mil-
lions d'Indiens pourraient former un peu-
DE L'EMPIRE MEXICAIN. oU5
pie brave et grave , sage , laborieux et
compacte.
Pouvons- nous espérer encore que les élé-
ments de bien, les chances de régénération
remporteront?
Je lai dit, la nation a perdu sa der-
nière chance de salut avec Maximilien, avec
ce prince libéral qui avait pris si conscien-
cieusement au sérieux sa qualité de Mexi-
cain. Il prouva qu'il n'était Tesclave ni des
Français ni des préjugés, et qu'il n'était
pas un tyran. Mais le Mexique était une oli-
garchie : les dix mille tyranneaux qui sont
les maîtres du pays n'ont pas voulu aban-
donner leur longue dictature. Il n'y a que
cela et quelques phrases sonores dans l'his-
toire du Mexique pendant ces dernières
années.
Que l'on ne parle donc pas de république,
de liberté, d'indépendance. La liberté, pour
le Mexicain, c'est le droit de chasser le gou-
396 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
vernement qui ne donne pas assez d'avance-
ment; la république, c'est le droit de mettre
un prestamo sur un village le lendemain du
jour où Ton a perdu au monte; l'indépen-
dance, c'est le droit de lever, de presser et
d'armer une masse d'Indiens le jour oîi il
passe par Tesprit quelque fantaisie guerrière
ou pillarde.
Imaginez cinquante années de libre exer-
cice de ces qualités ; ajoutez à cela l'élan gé-
néreux, l'enthousiasme des choses sonores,
l'ivresse des grands mots, l'amour indien de
l'aventure et la tendance espagnole à se
griser de son propre mensonge, encore une
fois vous avez toute l'histoire du Mexique,
toute l'explication de la chronique de l'em-
pire mexicain.
Peut-on prévoir quelque transformation?
Les probabilités y sont contraires. Le Mexi-
que paraît désormais appelé à être diminué
de génération en génération, province après
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 397
province, par les gens des États-Unis. Les
Anglo-Saxons feront là ce qu'ils ont fait par-
tout, ce qu'ils ont déjà fait au Texas et en
Californie, oh en quelques années l'élément
mexicain a été annulé. Ils extermineront
ceux des Indiens qui ne pourront supporter
Tesclavage de l'industrialisme, et ils cour-
beront sous le joug de leur génie les quel-
ques éléments de civilisation qui existeront
encore au Mexique.
Mais laissons ce triste peuple. Nous ne
sommes pas désintéressés, nous, dans cette
affaire, et nous devons nous demander quelles
conséquences ressortent pour la France de
cette entreprise.
La réponse est simple. Nous avons amené
en tout y et avec une régularité mathématique,
des résultats exactement contraires à ceux
que nous avions prévus, espérés, cherchés.
Nous allions réclamer des sommes dues
à la France; ces sommes ont doublé.
23
398 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Nous allions relever notre prestige au
Mexique ; nous y sommes bafoués.
Nous y allions pour venger nos nationaux
insultés ; on les y pourrait brûler vifs sans
que nous ayons moyen d'obtenir même une
excuse.
Nous allions restaurer notre commerce ; il
y est ruiné au delà de toute ruine.
Nous allions conquérir ces gens, y insti-
tuer un empire; nous avons été forcés de
partir et ils ont tué notre empereur, surtout
parce qu'il était notre.
Nous allions régénérer un peuple et y éta-
blir la paix ; l'anarchie y est plus violente
que jamais ; la corruption y a doublé par
le développement du brigandage et de la
guerre civile que nous avons rendus vé-
nérables au nom du patriotisme, par le dé-
veloppement de la vanité et de l'outrecui-
dance que notre retraite a exaltées jusqu'à
la folie.
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 399
Nous allions sauver ce peuple des serres
des États-Unis; il s'y est jeté tout entier.
Nous allions, au nom de l'Europe, affai-
blir TAmérique ; les Yankees ont fait reculer
TEurope, ils la défient et notre exemple
empêche qu'on ne lui réponde.
Nous allions augmenter notre prépondé-
rance; nous avons été obligés d'implorer
pour sauver notre allié, pour secourir notre
protégé qu'on assassinait, l'aide des États-
Unis, qui nous Tout refusée.
Telles sont les conséquences de notre ex-
pédition, à la fois tristes et humiliantes.
C'est que cette expédition était impossible
à mener à bonne fin.
Oui, l'idée en est grande. Régénérer une
race, c'est une noble conception; arrêter
l'ambition des États-Unis, c'est évidemment
sage; rétablir l'ordre dans un grand pays,
c'est humain; augmenter la fortune, le com-
merce, la prépondérance de la France, c'est
400 HISTOIRE DES [DERNIERS MOIS
patriotique. Mettre la main sur ces pays, les
plus riches du monde, c'était désirable. Pré-
parer des alliés pour les luttes futures du
vieux et du nouveau monde, c'est peut-être
politique. Je crois bien, en effet, que nos
descendants regretteront, par-dessus tout,
que nous n'ayons pas un allié solide en
Amérique.
Mais tout cela ne pouvait se faire ni alors,
ni làj ni ainsi. Cela devait rester un rêve,
une vision, une lointaine espérance.
Tout était contraire : l'Europe, le Mexique,
les États-Unis , la France. Et le gouverne-
ment français ne vit rien, ne prévit rien. Il
semble n'avoir connu ni les conditions du
Mexique, ni la situation de l'Europe, ni la
position des États-Unis, ni l'état de la
France.
Ces quatre obstacles, dont chacun était
un empêchement presque radical et dont
l'ensemble constituait une impossibilité com-
DE L'EMPIRE MEXICAIN 401
plète, il ne parut pas les avoir même crus
possibles.
On venait de mettre l'Europe en trouble ;
on ^ a les questions italienne , allemande ,
x)rientale, qui sont journellement mena-
çantes; on n'a pas pour soi un allié sé-
rieux ou dévoué, mais bien contre soi l'ini-
mitié sourde, la jalousie évidente de toute
l'Europe, et l'on s'en va ôonquérir un em-
pire à des milliers de lieues, sans se deman-
der si l'on n'exalte pas les inimitiés, si l'on
n'encourage pas les ambitions voisines en
même temps qu'on affaiblit le pays et qu'on
lui enlève, — avec la libre disposition de
ses forces, — sa prépondérance.
On s'en va conquérir cet empire comme
on irait conquérir la république de Saint-
Marin, sans se dire que ce pays est grand
comme la moitié de l'Europe, coupé de dé-
serts, dévoré de fièvres mortelles, habité
par une population non pas compacte, c'est-
402 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
à- dire possible à conquérir par une bataille,
par une victoire, d'un coup, en un mot, mais
une population disséminée, habituée aux
luttes, à la guerre d'aventures, et rendue,
par cinquante ans d'anarchie , follement
amoureuse de brigandage. On oublie que
ces gens sont braves dans de certaines con-
ditions ; qu'ils sont les fiers bâtards des dé-
fenseurs de Saragosse ; qu'ils sont enthou-
siastes, exaltés par les grands mots, enfiévrés
pai» les idées brillantes; qu'ils sont persévé-
rants tout en étant fugaces; qu'ils savent
mourir aussi bien que fuir, et qu'ils ont une
réserve de sept millions d'hommes où ils
peuvent éternellement trouver des soldats,
et de dix mille millionnaires où ils peuvent
toujours trouver de l'argent.
On devait savoir que l'on blessait les
États-Unis à la tête et au cœur d'un même
coup, dans leur orgueil et dans leur intérêt.
Laisser le vieux monde, l'Europe décrépite
DE L'EMPIRE MEXICAIN 403
et méprisée, venir établir une monarchie à
leurs frontières, une monarchie qui devait
leur enlever le Mexique, le Mexique néces-
saire à leur développement comme à leur
gloire, mais c'était les rendre fous de rage,
de vanité offensée! C'était leur voler leur
bien, leur fierté, leur avenir; et, pour éviter
cette insulte comme ce danger, ils devaient
oublier tout, toute reconnaissance, toute sa-
gesse, aventurer leur dernier dollar, et
faire appel à tous les mercenaires de l'uni-
vers!
On ne prévit pas qu'on ne pouvait les con-
traindre à subir ce mal que par la force et
pendant leur faiblesse. Au lieu de se mettre
franchement contre eux, en face d'eux, avec
les Confédérés qui avaient un parti en
France; au lieu de dépenser pour avoir le
Sud, — et par-dessus le marché le Mexique, —
l'argent et les soldats que nous avons dé-
pensés pour ne pas avoir le Mexique et re-
404 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
cevoir ce soufflet des États-Unis, nous al-
lions sournoisement les mordre au talon,
au moment même où ils cessent d'être fai-
bles pour devenir forts !
L'on ne vit pas non plus que cette entre-
prise n'était pas de celles pour lesquelles la
France s'enthousiasme. D'abord, elle ne la
comprenait pas ; on ne lui avait pas réduit
cette affaire en une formule claire et géné-
reuse, et la France ne s'enthousiasme que
. quand elle comprend et qu'elle a une for-
mule! Race néo-latine! Cela ne répondait
qu'à des rêveries de savants.
Pour la masse, les Néo-latins, c'étaient les
Italiens, dont on est assez fatigué, et les Es-
pagnols, avec lesquels il n'y a nulle longue
alliance de cœur. Notre cœur est ailleurs,
notre ambition a d'autres visées, et les États-
Unis ne sont pas un danger présent ni une
longue inimitié.
Pour le peuple,, le Mexique était un pays
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 40o
sauvage et inhabitable où des bandits s'en-
tre-tuent. On ne sentait pas bien la nécessité
de risquer beaucoup pour conquérir des sa-
bles lointains et pour empêcher des brigands
de s'exterminer. Race néo- latine! On ne
pouvait donner à la nation française nulle
tendresse pour cette abstraction, et autant
eût vali^ lui dire qu'elle volait à la défense
des Aryas !
Elle eût mieux compris, dans le sens hos-
tile, race anglaise, race anglo-saxonne:
mais, encore une fois, les Américains ne
nous touchent pas, ne nous ont pas blessés,
et le temps de la haine contre eux n'est pas
venu. Le gouvernement ne pouvait même
pas dévoiler le fond de sa pensée et le grand
côté de cette expédition. Il ne pouvait pas
annoncer officiellement qu'il cherchait à
attaquer les Nord-Américains sournoisement
et à établir une forte digue contre les efforts
probables de leur ambition.
23.
40(5 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Mais si le peuple n'a nulle hostilité la-
tente contre les États-Unis, une ^ande
masse des classes libérales a pour eux la
tendresse et une invincible admiration. Tou-
cher à la politique des États-Unis, pour
beaucoup d'entre nous, c'était toucher à la
reine ; c'était offenser les libéraux qui admi-
rent là le grand centre de la liberté ; c'était
exaspérer les républicains qui vénèrent là la
maîtresse république ; c'était gêner tous ces
instincts industriels, commerçants, prati-
ques, qui se développent chez nous avec un
respect filial pour les Yankees.
L'entreprise était obscure, sans mobile
facile à comprendre, sans intérêt aisément
saisissable, sans point d'appui dans l'en-
thousiasme des masses; elle était doulou-
reuse, exaspérante même pour la portion
remuante des classes libérales et commer-
çantes; l'opinion oublia la grande et noble
utopie qui avait pu être la cause première
DE L'EMPIRE MEXICAIN 407
de ce plan, on parla de Jecker, et dans Taf-
faire du Mexique les journaux ne nous mon-
trèrent plus que ceci : la France se ruinant
pour enrichir un Suisse qui ouvrait, disait-
on , la porte de sa caisse à de grands per-
sonnages.
Le gouvernement ne prévit pas non plus
que, dans de telles conditions, cette aven-
ture allait devenir Uarme dont s'emparerait
l'esprit public qui se réveillait , le marteau
dont toute opposition antinapoléonienrie bat-
trait sans trêve l'enclume gouvernementale.
Notre orgueil national y fut écrasé, et aussi
le pauvre Maximilien. Lui, du moins, ne s'y
trompait pas, et il savait quels étaient les
plus solides alliés de Juarez.
Enfin, pour que rien ne manquât à l'en-
treprise, après s'être jeté tête perdue dans
une œuvre impossible, on choisit pour l'exé-
cuter trois hommes qui l'eussent fait man-
quer quand elle eût été toute faite; trois
408 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
hommes ayant, séparés, chacun leur valeur
pour toute autre chose que ce à quoi ils
étaient appelés, mais qui réunis, et possé-
dant tous une parcelle de la souveraineté,
eussent mis la révolution dans la principauté
de Monaco.
L'empereur était un artiste charmant, le
maréchal un éminent général de bataille,
l'ambassadeur un excellent consul. Et il fal-
lait un prince militaire , un général diplo-
mate, un ministre homme d'État. Ces trois
personnages, enchaînés à une besogne qui
avait contre elle le Mexique et la France,
l'Europe et l'Amérique, passèrent leur
temps à marcher chacun de leur côté en se
comblant de reproches.
Les petits imitèrent les grands de leur
mieux : les Français montraient qu'ils mé-
prisaient absolument le peuple qu'ils ve-
naient régénérer et l'empereur qu'ils défen-
daient de leur sang ; les Mexicains ne
DE L'EMPIRB MEXICAIN 409
cachèrent pas qu'ils haïssaient la nation
qui venait les sauver.
Nous perdîmes à cela, politiquement notre
bonne renommée de fierté, militairement
notre réputation de générosité, de bonhomie
et de justice. Les Mexicains, qui n'avaient
rien à perdre, ne perdirent rien, sinon
peut-être la dernière ombre de modestie qui
leur restât, c'est-à-dire la dernière chance
de salut. Aujourd'hui qu'ils ont tué un prince
européen, écrasé la France et fait reculer les
États-Unis, aujourd'hui qu'ils sont héros et
magnanimes, il est impossible de prévoir à
quelles limites sinistres et bouffonnes ils por-
teront le carnaval de leur anarchie.
Toutefois, il faut le reconnaître, nous n'a-
vons pas tout perdu., nous avons gagné un
nouveau reflet de gloire militaire. Il est vrai
que nous n'en avions pas besoin et que c'é-
tait justement la seule chose à quoi l'on ne
songeait pas en allant là-bas.
4i0 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Je laisse aux lecteurs le soin de tirer la
conclusion politique de ces considérations.
Pour moi, qui ai songé dans cq travail uni-
quement à l'histoire, non à la politique, aux
idées plus qu'aux hommes, et qui me mets
bien au-dessus de toutes préoccupations de
parti, je me résume philosophiquement en
disant que la rêverie est bien le présent le
plus funeste que puisse faire aux rois la co-*
1ère céleste, et que de toutes les politiques,
la plus mauvaise c'est la grande politique
dans les nuages, car l'on dépense un effort
gigantesque pour atteindre l'impossible.
DE L'EMPIRK MEXICAIN. 4n
XXIII
CONCLUSION.
J'espère ne rien apprendre à ceux qui
m*ont lu en disant que j'ai surtout désiré
être impartial et juste. Je n ai pas voulu faire
un pamphlet contre qui que ce soit , ni une
apologie de quoi que ce soit; j'ai essayé
très-sincèrement de voir clair, et j*ai montré
très-complètement ce que j 'étais parvenu à
voir clairement. Je n'ai pu dire le dernier
mot de tout, ne sachant pas tout, me défiant
des passions et trouvant dans bien des ren-
seignements l'apparence suspecte de haines
personnelles, de préjugés politiques. J'ai
donc laissé quelques questions ouvertes, j'ai
posé quelques points d'interrogation; j'ai
abandonné à l'avenir le soin de répondre.
412 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
Je ne sais si, en fait, j'ai pu éviter toute
erreur. J'y ai travaillé de mon mieux. J'ai
été le premier, je crois, à écrire cette his-
toire. Ceux qui viendront après moi me re-
dresseront. Je m'en fie bien à eux.
On peut, du reste, consulter, pour se ren-
seigner complètement, divers ouvrages parus
en ces derniers temps et qui, faits avec des
partis pris différents, apportent une certaine
variété de renseignements. On connaît l'ou-
vrage de M. de Kératry, et je n'ai besoin de
signaler ni la valeiir du livre, ni le but qu'il
poursuit. On trouvera la contre-partie de cet
ouvrage dans VHistoire du Meooique par
l'abbé Domenech, qui donne, dans ses trois
volumes, médiocrement écrits et évidem-
ment partiaux en faveur de la politique napo-
léonienne, une masse de documents impor-
tants.
U Intervention française au Mexique^ pu-
bliée chez Amyot, ofifre un récit bref, inté-
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 4l3
ressant et tournant un peu plus à Timpartia-
lité que les deux publications précédentes.
On Tattribue à M. Détroyat, ofBoier distingué
de la marine française, et qui remplit les
fonctions de ministre de la marine mexi-
caine.
V Histoire du procès de Varchidtw Maooi-
milien^ publiée au Mexique par Riva Palacio et
La Torre, est une apologie déguisée de Juarez,
comme le livre du docteur Basch est une apolo-
gie très-franche de Maximilien. J'espère que
Fon donnera bientôt une traduction française
de cet ouvrage, auquel je dois, comme je Tai
déjà indiqué, de la reconnaissance.
Enfin, je recommande tout particulière-
ment à l'attention une traduction élégante
que M. Jules Gaillard vient de donner des
Œuvres, mémoires et voyages de Maximi-
lien. On verra là, dans tout l'éclat et avec
tout le charme de son intelligence, ce noble
et gracieux prince. Je l'ai dû, avec grand
414 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS
déchirement de cœur, juger sévèrement
comme homme d'État; mais jamais intel-
ligence plus ouverte, jamais esprit plus fin
ne se joignirent à un cœur plus doux, à une
âme plus généreuse, plus dévouée au bien,
plus amoureuse de la beauté artistique et
philosophique.
Il m'^écrivait, une année avant sa mort :
« Il est vrai que j 'ai une passion réelle pour
ces idées libérales qui élèvent Tintelligence
et dont le triomphe est le plus cher de mes
vœux. Je leur ai sacrifié mon repos, et j'es-
père qu'en dédommagement j'aurai mérité
l'estime des gens de bien, et, ajoutait-il avec
sa grâce si bienveillante, l'affection des
cœurs généreux comme le vôtre. »
Hélas ! hélas ! c'était plus que son repos,
c'était sa vie qu'il sacrifiait.
Qui eût pensé alors qu'il entrerait si tôt
dans l'histoire; que cette affection, deman-
dée si gracieusement, s'adresserait unique-
DE L'EMPIRE MEXICAIN. 4i5
ment à sa mémoire , et ne servirait à rien
autre qu'à me faire pardonner la chaleur
que j'ai peut-être montrée pour sa cause et
rhorreur que je n'ai pu m'empécher d'é-
prouver pour ses bourreaux ?
FIN.
TABLE
Préface 1
I. Situation générale 20
II. Les Français et les Mexicains en Tantomne de
l'année 1866 31
III. Portrait de Maximilien. — Hésitations. — Décision
définitive 44
IV. Novembre et décembre 1866.— Les cheDs libéraux.
— Premières escarmouches auprès de Mexico. 67
V. Janvier 1867. — Querelles de l'empereur et de
l'état-major français. — Circulaire du maréchal
Bazaine. — Conférence impériale. — Siège de
Texcoco. — Campagne de Miramon. — Bataille
de San-Jacinto 88
VI. Le parti conservateur et Maximilien. «^ Miramon.
— Marquez. — Larez. — Les évoques. — Départ
des Français. — L'armée au Mexique. — Une
comédie diplomatique 110
VII. Plan de campagne des généraux de Maximilien. It9
418 TABLE.
VIII. Maximilien quitte Mexico pour Queretaro. — In- i
cidents de la route. — Arrivée à Queretaro. —
Proclamation. — Description de Queretaro. • 140
IX. Siège de Queretaro 158
X. Description de Mexico. — Situation des Français.
^ .Position difficile de notre ambassadeur. —
Jugement sur sa conduite. ~ Contre guérilla
française 185
XI. Marquez. — Son plan de campagne. — Reddition
de Puebla, .203
XII. Retraite. — Héroïques efforts de l'armée impériale.
— Batailles de San-Diego, de San-Nicolas. —
Combats de montagnes %[%
XIII. Siège de Mexico. — La contre-guérilla française.
— La ville pendant le siège. — Nouvelles de
Queretaro. — Mouvements de l'armée assié-
geante 233
XIV. Queretaro la nuit du 14 mai. — Lopez. — Occu-
pation de la ville. — Retraite de Tempereur. . 244
XV. Maximilien an cerro de la Gampana. — Il se rend. 257
XVI. Continuation du siège de Mexico. — La contre-
guérilla française à la garita de Belem. — Fa-
mine. — Révoltes. — Les corps européens. —
Reddition de la ville 269
XVII. Jours de prison. -* Récit de l'exécution de Mendez.
— Gazettes mexicaines iS6
XVIII. Procès de Fempereur^ de Miramon et de Mejia. —
Défense de Maximilien écrite par lui-même. . 801
TABLE. 419
XIX. Ck)ndaimiation de Maximilien 833
XX. Exécution de Temperenr^ de Miramon et de Mejia. 350
XXI. Fin du siège de Mexico. — Reddition de la yille.
— Capitulation de la contre-guérilla. — Por-
firio Diaz. — Marcpiez. — Internement des
Français à Puebla. — Délivrance 374
XXII. Résumé.— Jugement sur l'expédition du Mexique.
— Le Mexique et les Mexicains. — La politique
française 892
XXIII. Conclusion 411
PARIS. IIIPR.MBRIB ÉDOUAHD BLOT, RDE TUREKNE, G6
1
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