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Full text of "Maximilien et le Mexique; histoire des derniers mois de l'Empire Mexicain"

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ftartiarli Collège Etbraco 



PROFESSORSHIP OF 

lATIN-AMERICAN HISTORV AND 

ECONOMICS 




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MAXIMILIEN 



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LE MEXIQUE 



TAJilS. ilIPnlMERIE BDOUABD BLOT, RUE TCRbNNB, 66. 



L'empereur muimillea et l'impératrice Cbulolta. 
MinmoD. Htaiei. Hejia. 



CHARLES D'HÉRICAULT 



MAXIMILIEN 



ET 



LE MEXIQUE 



HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 
DE l'empire MEXICAIN 



PARIS 

GARNIER FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS 

6, RUE DES SATNTS-PàRES, ET PALAI8-B0TAL, S15 



1869 



^A34-V7' ^1 



'-'V -(VARD COLLEGE UBRAAV 

AU6 26 1920 

UTIM^M£RICAK 



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HISTOIRE 



DES DERNIERS MOIS 



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L'EMPIRE MEXICAIN 



PREFACE 



Au milieu de leté de Tannée 1792, un 
voyageur anglais traversait les provinces du 
nord de la France. II se rendait à Paris, oh 
il devait assister à la catastrophe du 10 août. 
Il était, comme tous les honnêtes gens de 
l'Europe d'alors, ému de l'insolente agres- 
sion du 20 juin ; comme à tous les étrangers 
intelligents, il lui semblait entendre les der- 



2 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

niers craquements du vieux et glorieux trône 
de France, et il restait stupéfait de voir, 
le long de sa route, en ce moment de su- 
prême angoisse qui suivait tant de troubles 
et qui précédait immédiatement le plus grand 
bouleversement des temps modernes, les 
paysans danser en rond sous les ormes touf- 
fus. Il se rappelait, dit-il, le temps où, peu 
d'annéerf-âuparavant, à son premier voyage 
en France, la plus épouvantable convulsion 
de la nature eût paru de peu d'importance à 
côté de ridée de détrôner un roi ; et il ajoute : 

« Il est vrai que ce peuple est si éton- 
namment oublieux ! Puis il faut rappeler que 
c'est jour de dimanche ; or je ne sache pas 
qu'il y ait un Français qui puisse avoir l'air 
triste quand il se sait bien habillé^ quand il 
porte ses vêtements de fête. » 

Ce trait de l'histoire des temps révolu- 
tionnaires m'est revenu à la mémoire; — 
comment ne pas songer un peu à Louis XVI 



DE L'EMPIRE MEXICAIN 3 . 

quand on pense à Maximilien ! — et je me 
demande sî nous sommes encore ce môme . 
peuple oublieux? Joyeux, nous ne le parais- 
sons plus, je le sais; nous avons peu d'occa- 
sions de montrer nos vêtements de fête ; et 
nous ne sommes plus des enfants, il nous 
est besoin d'autre chose que de beaux habits 
pour nous mettre en joie : il nous faut une 
grosse bourse, ou Tivresse/Nous sommes un 
peuple d'hommes. 

Mais cette faculté d'oubli, la presse, en 
nous déroulant chaque jour son panorama 
européen, ne Ta-t-elle pas accrue? Et jus* 
qu'à ce que cette presse, en s'étendant, en 
se purifiant, et en nous intéressant plus 
aux choses publiques^ guérisse les maux 
qu'elle a faits, ne sentirons-nous pas^aug- 
menter en nous cette aimable facilité que 

nous possédons de nous pardonner vite les 

■ 
fautes que nous avons faites et les sottises 

commises? 



4 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Par une assez rare exception, on n'a pas 
encore oublié Maximilien et son empire. Sur 
ce sujet les publications foisonnent. Elles 
abondent en AUemagna et en Espagne, sans 
qu'elles paraissent diminuer en France. Il y^ 
a là, pour nous, un souvenir importun que 
nous ne paraissons pas pouvoir éloigner 
avant d'en avoir sondé toutes les tristesses. 
Souvenir humiliant que nous retenons, tout 
en le voulant chasser, comme un mal que 
l'on veut guérir et que l'on active en y tou- 
chant sans cesse et sans savoir s'en empê- 
cher. Puis peut-être sentons-nous que ce 
mal, bien entretenu, nous en évitera d'autres 
plus grands, et qu'il y a là une leçon bonne 
à répéter, pour pousser les foris à l'hu- 
milité et les faibles à la vigilance. 

Une seule portion de cette histoire est jus- 
qu'ici restée dans l'ombre : c'est sur celle-là 
que je voudrais jeter quelque lumière. 

Je retrouve bien fraîche dans ma mé- 



DE L'EMPIRE MEXICAIN 5 

moire et dans mon cœur l'impression qui 
saisit les diverses classes de la société pari- 
sienne, l'an dernier, au commencement de 
juillet, quand on apprit la mort de Maximi- 
lîen. Ce ne fut pas ce sentiment d'effroi et 
d'horreur qui eût bouleversé nos pères à la 
pensée de l'assassinat d'un roi : ce fut ce que 
peut être une émotion dans notre iemps las 
etblasé, d'où la puissance de l'enthousiasme 
comme celle de l'indignation semblent s'être 
retirées; ce ne fut qu'un frémissement, mais 
général, suivi d'un instant de stupeur et de 
tristesse. Stupeur et tristesse, c'est d'ailleurs 
tout ce que des âmes sceptiques et énervées 
peuvent donner comme marque de la plus 
vive émotion. 

Puis les railleurs, les farceurs journaliers 
vinrent à leur curée habituelle. Quelques- 
uns d'entre nous, qui avaient aimé Maximi- 
lien, ne purent retenir, malgré le mauvais 
goût d'un tel procédé, le premier élan de 



6 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

rindignatîon, non pas contre les farceurs, 
grand Dieu! mais contre les bourreaux. 

Le vieux sang jacobin qui, même lui, dort 
dans les veines de nos contemporains, se 
réveilla. Ceux-là qui ont aboli la peine de 
mort pour tous , excepté pour les princes ; 
ceux qui se sentent fiers d*être hommes en 
voyant tuer un roi ; ceux pour qui la répu- 
blique justifie les moyens et qui ne peuvent 
admettre que Ton soit barbare si l'on combat 
une monarchie ; les doux mathématiciens de 
la cruauté qui disaient magistralement: Il a 
voulu punir des brigands de la peine capi- 
tale, qu'il meure! tous ceux-là tranchèrent 
sur la masse. Ils se réjouirent. 

Mais cette masse, c'était bien la tristesse 
qu'elle ressentait. Elle savait que ce prince, 
condamné comme cruel par de féroces métis, 
était le plus doux, le plus généreux des 
hommes, le plus libéral des princes. Elle 
savait dans quelles circonstances, sous quelle 



DE L'EMPIRE HEXIGAIN 7 

pression, après quelle lutte, il avait signé ce 
décret d'octobre, le seul crime qu*on lui re- 
prochât, à lui qui n'avait jamais refusé une 
grâce. Elle savait surtout, — et c'était l'insup- 
portable angoisse — que c'était à notre suite, 
sur nos instances, sous notre sauvegarde 
qu'il avait consenti à aller là-bas. Nous lui 
avions promis de ne pas l'abandonner, et 
nous partions, renvoyés par les États-Unis, 
après avoir employé nos dernières heures, 
sagement peut-être mais rudement, à lui 
détruire son armée, et il restait, lui, pauvre 
prince ruiné, sans troupes, sans amis, quand 
nous, grand peuple, nous étions contraints 
de déguerpir. Encore nous songions à la 
honte de ceux qui se faisaient les juges de 
Maximilien , de ceux qui ne l'avaient pas 
vaincu, mais acheté, de ceux qui se disaient 
un peuple et qui n'étaient que des tyrans. 
Malgré l'appui, les armes et les hommes des 
États-Unis, ilsavaientconstammentfui devant 



8 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

un corps de 20,000 hommes, ils ne s'étaient 
arrêtés que quand on avait cessé de les pour- 
suivre, et ils se vengèrent de leur fuite, de 
leurs peurs, de leurs incessantes défaites, de 
nous, de l'Europe, sur cet homme si bon, 
maintenant qu'il était seul, désarmé et trahi. 
L'indicible mépris pour les Mexicains, que 
nos soldats avaient rapporté de cette expé- 
dition, nous rendait la victime de Lopez et 
d'Escobedo plus intéressante encore. 

A côté de ces émotions, se faisait jour un 
étonnement profond dans l'esprit de ceux qui 
s'étaient occupés de cette affaire du Mexique. 
Nous ne pouvions comprendre comment 
Maximilien en avait été réduit si vite aux 
dernières extrémités ; les derniers soldajs de 
l'intervention française revenaient à peine. 
A chaque courrier rentraient quelques-uns 
de nos amis qui avaient pris, par les États- 
Unis, le chemin des écoliers. C'était la veille, 
nous semblait-il, que cette armée de Tinter- 



DE L'EMPIRE UEXICAIN 9 

vention et les Européens que nous rencon- 
trions avaient laissé l'empereur fort tran- 
quille dans sa capitale. Nous ne tenions pas 
compte des cent incidents qui avaient signalé 
les derniers mois de l'occupation française 
et les quatre mois pendant lesquels Maximi- 
lien avait régné seul. Nous étions faussement 
renseignés sur les faits de la première de ces 
deux périodes, et nous ignorions complète- 
ment ce qui s'était passé ensuite. 

Telle est encore, ou peu s'en faut, la situa- 
tion où nous sommes aujourd'hui. 

C'est cette partie, la plus douloureuse 

pour nous, et la plus ingrate, .sans doute, 

mais la plus obscure, la plus poignante et la 

plus importante de l'histoire de l'empire 

mexicain que je me promets d'étudier. Cette 

étude n'a pas encore été faite, du moins à 

ma connaissance; elle se fera, plus tard, 

complètement et de la façon la plus curieuse, 

à l'aide de révélations et de récriminations. 

1. 



10 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Peut-être pourrai-je dès aujourd'hui, bien 
que je n'aie ni l'intention ni le pouvoir de 
dire tout ce que je sais, et bien que je ne 
sache pas tout, redresser quelques erreurs, 
et donner lieu à mainte rectification. En tous 
cas, j'arrêterai nettement les principaux 
points de cette histoire de façon à permettre 
un jugement définitif sur les mémoires et 
documents qui seront publiés plus tard . 

Ce n'est pas seulement l'intérêt de la vé- 
rité qui m'a poussé à cette étude : j'y ai 
été d'abord entraîné par une sorte de curio- 
sité, de fantaisie patriotique. Comment le 
dirai-je? 

Nous avons tous, au temps de notre en- 
fance, entendu raconter, par l'un des héros 
mêmes, quelques épisodes de la retraite de 
Russie. Le conteur, bon Français, ce vieil 
amoureux de la chose militaire et de la fine 
rhétorique, — rem militarem et argutè loqui^ 
— et qui n'est jamais plus heureux que 



r 



DE L'EMPIRB MEXICAIN 1i 

quand il peut réunir ses deux défauts en un 
et raconter ses batailles; le conteur, notre 
grand-père, le grand-oncle, quelque vieil ami 
de la famille, quelque vieux domestique, redi- 
sait les anecdotes héroïques dé cette terrible 
épopée. 

Nous, enfants, nous ignorions les angoisses 
de nos grand mères : on ne nous avait en- 
core parlé ni de la liberté perdue, ni de la 
France à bout de sang, ni de la patrie enva- 
hie ; et le narrateur chantait ses exploits avec 
la complaisance du marin qui, du rivage, 
chante les charmes delà mer en furie. Nous 
écoutions haletants, inquiets, mais charmés, 
ravis, l'un par tel incident, l'autre par tel 
trait, que nous redemandions toujours. 
L'un voulait qu'on lui dépeignît sans 
cesse les grandes flammes illuminant les 
coupoles d'or du Kremlin ; le second pâlis- 
sait et tremblait, et il voulait toujours pâlir 
et trembler en se faisant redire les grands 



12 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

tourbillons de neige enveloppant les batail- 
lons entiers ; il voulait toujours voir, accou- 
rant derrière le rideau miroitant des collines 
blanches, le régiment des cosaques, le nez 
sur le col du cheval, la longue lance en 
arrêt. Cet autre d'entre nous se cachait les 
yeux à Taspect de ce pont de la Bérésina 
qui sautait. Celui-ci regardait avec angoisse 
ce gouffre qui s'ouvrait sous les chevaux des 
lanciers polonais et de leur vaillant chef 
Poniatowski; celui-là, plus sensible, ne vou- 
lait entendre parler que de Vilna, que de 
Varsovie, que des villes oîi nous avions 
trouvé un instant de repos, une espérance de 
salut. 

Puis nous devînmes blasés sur tout cela. 
Toutefois il y avait certains épisodes qui ne 
nous laissèrent jamais sans frémissements. 
On nous montrait les affamés tombant dans 
la neige, les blessés se couchant à Tabri des 
murailles des villages déserts, les traînards 



DE L'EMPIRE MEXICAIN «3 

furetant dans les maisons abandonnées, les 

r 

faibles se laissant aller au pied des sapins 
couverts dégivre, les audacieux se lançant à 
l'aventure. Mais voici l'ennemi! Alors un 
homme énergique surgissait. A sa voix les 
écloppés se redressaient, les traînards se ré- 
unissaient. Grenadiers, hussards rouges, 
marins de la garde, dragons de l'impératrice, 
canonniers, tambours, officiers ou soldats 
formaient un corps, prenaient une position, 
mouraient glorieusement ou repoussaient 
l'ennemi. Avec ce génie de la guerre, avec 
cette vive intelligence des choses, avec cette 
flexibilité, celte adresse, cette pénétration 
qui distinguent les Français, ce peloton bi- 
* garré, cette compagnie extravagante, ce ba- 
taillon de blessés, ce régiment de traînards 
faisait la trouée, regagnait le corps d'armée 
et revoyait la bonne terre de France, dont la 
pensée lui avait peut-être donné l'énergie 
nécessaire au moment du danger suprême. 



14 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

C'est quelque chose d'analogiie que je 
trouve là-bas, en ces derniers mois de l'em- 
pire mexicain ; ce sont les débandés, les éga- 
rés de la retraite du Mexique, abandonnés 
sur la terre étrangère après le départ de 
notre armée, se réunissant pour résister, et 
jouant un grand rôle en ces derniers 
combats. 

On devine quelles haines, quel désir 
d'âpres vengeances nos victoires avaient ex- 
cités chez les Juaristes, et quel sort menaçait, 
notre armée une fois partie, les Français que 
la nécessité, le hasard, les liens d'affaires, 
de famille, ou d'attachement à Maximilien, 

retenaient au Mexique. 

Ces Français étaient nombreux. Les uns 
habitaient les villes soumises encore à l'em- 
pire, et ils étaient momentanément proté- 
gés. D'autres étaient tout particulièrement 
désignés aux vengeances : c'étaient les sol- 

« 

dats libérés du service militaire français. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN 15 

qui, après avoir obtenu des concessions de 
terre, s'étaient établis sur le sol à titre 
d'agriculteurs et d'industriels. Quelques-uns 
pallièrent notre armée, dans son mouve- 
ment de retraite, — décembre 1866 à fé- 
vrier 1867; — d'autres ne l'avaient pas pu 
ou voulu. 

Mais ils comprirent bientôt que la situa- 
tion n'était pastenable. Les Juaristes s'avan- 
çaient, les enfermant de toute part. Il fallut 
forcer le cercle, qui se fermait. Quelques- 
uns parvinrent à rejoindre, sur la route de 
Mexico à Puebla, Tarrière-garde de l'armée 
de l'Intervention ; d'autres furent pris, ex- 
terminés ou enrégimentés par les républi- 
cains. Une certaine quantité, enfin, parvint 
à regagner le centre de l'empire. Nous ver- 
rons comment, là, ils sentirent le besoin de 
se réunir, de s'organiser, sous la conduite 
d'un ancien officier français, d'une solidité 
éprouvée, pour lors chef d'escadrons com- 



16 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

mandant une compagnie de gendarmerie im- 
périale mexicaine. 

C'est leur histoire aussi que je désire 
écrire. 

Je veux donc dire comment ces braves 
gens, que ne protégeait plus le drapeau de 
la patrie et sur lesquels au contraire son 
ombre, qui s'éloignait glorieuse, mais sans 
fierté, attirait les colères et les vengeances, 
comment ils surent montrer là-bas, seuls et 
les derniers, les éclatants reflets de Tépée de 
la France ; comment et au milieu de quels 
faits pittoresques et émouvants cette petite 
troupe fut bientôt considérée comme un 
corps d'armée, le meilleur de l'armée impé- 
riale et le plus redouté des Juaristes. 

Cette histoire, je l'ai indiqué, se mêle aux 
annales, encore peu connues, que je cherche 
à restituer. Elle fait corps avec la chronique 
de ces efforts politiques, de ces combats, 
de ces sièges, chronique qui commence à 



DE L EMPIRE MEXICAIN 



il 



l'automne 1866, au moment où Ton apprit le 
prochain départ de T Intervention, et qui se 
termine à la reddition de Mexico et à la 
mort de Maximilien . 

Mon récit, je l'emprunte en partie aux 
documents officiels, en partie aux souvenirs 
de soldats et de diplomates, qui étaient là. 
Je n'affirmerai rien sans preuve que je 
puisse montrer, sans témoin honorable que 

je puisse nommer. Je l'écris avec le senti- 

« 

ment d'équité qui est la probité de l'his- 
torien, mais sans aucune solennité. Je vou- 
drais qu'il conservât toujours ce caractère 
d'une narration de témoin oculaire, nar- 
ration qui embrasse moins d'idées, mais 
qui colore mieux les incidents, qui les des- 
sine avec plus de vigueur , plus de naï- 
veté et plus d'intérêt peut-être. Je me suis 
défié des apologies, soit du gouvernement 
français, soit du gouvernement mexicain, 
soit de tout agent de ces gouvernements. 



JS HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Je songe uniquement aux faits , non aux 
personnes. 

Je n'ignore pas toutefois tout ce que cette 
aventure mexicaine renferme de mystères, 
de mystères de fourberie, de vilenie, de lâ- 
cheté. Je sais toutes les accusations lancées ; 
je pourrai, chemin faisant, en détruire quel- 
ques-unes, en confirmer d'autres, en pro- 
duire de nouvelles. 

Pourtant, si impartial que je me sente, si 
bien renseigné que je me sois efforcé d'être, 
et quelque précaution que j'aie pu prendre 
au milieu de documents nombreux, souvent 
contradictoires, je ne prétends pas pouvoir 
juger en dernier ressort. Il faut laisser au 
temps et à l'éloignement le soin de fondire ces 
éléments de vérité, qui semblent aujourd'hui 
contradictoires, et de préparer ces perspec- 
tives un peu vagues, mais sereines, d'oîi se 
détache cette vérité relative qui est la vérité 
humaine. On balance alors plus équitable- 



DE L'EMPIRE MEXICAIN 19 

ment les fautes avec les difficultés. On est 
moins retenu par cette crainte patriotique 
d'affaiblir, en condamnant amèrement la poli- 
tique nationale, Ténergie du pays et de réjouir 
ses ennemis. Les petites faiblesses, les accès 
d'égoïsme ou d'ambition, les obstinations, 
les taquineries, les préoccupations de per- 
sonne ou d'intérêt, les ruses politiques, les 
exigences tyranniques, tout cela, qui paraît 
si injuste, si insupportable à Theure du fait 
et de la souffrance, tout cela reprend sa me- 
sure. L'histoire intelligente, l'histoire indul- 
gente, justement parce qu'elle est la consta- 
tation de la'misère humaine, pèse toutes .ces 
pauvretés en mettant en balance les services 
parfois rendus et la bonne volonté fréquente, 
et elle pardonne, elle admire quelquefois 
même là où les contemporains maudissent 
et raillent. 

Je m'efforcerai donc d'approcher le plus 
possible de cette calme impartialité. J'espère 



20 ' HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

pouvoir pourtant, tout en restant juste, 
payer mon tribut de reconnaissance à la 
mémoire d'un prince digne de toute affec- " 
tion, avec lequel je restai en relation depuis 
la première heure qu'il mit les pieds sur 
cette terre où il devait mourir, et qui voulut 
bien me donner les plus nobles marques de • 
son amitié et de son estime. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 21 



1 



SITUATION GÉNÉRALE. 



Les nombreuses discussions qui ont eu 
lieu à propos du Mexique ont appris à tous 
quels furent les mobiles de l'expédition. 
Nous savons pourquoi, au lieu de nous bor- 
ner à saisir les douanes de quelque ville et à 
occuper Vera-Cruz, Matamaros ou Tampico, 
nous fûmes amenés à fonder Tempire mexi- 
cain; comment nous fûmes forcés d aban- 
donner cet empereur que nous avions créé. 

Sauver un peuple de sept millions d'âmeiâ, 
qui, depuis cinquante ans de guerres civiles, 
était devenu la proie de quelques ambitieux 
s'appuyant sur une masse flottante de quel- 
que dix mille aventuriers pillards et féroces ; 
protéger ce peuple contre Tenvahissement 
des États-Unis, qui Tentretenaient dans son 



i 

I 



^ 



22 HISTOIRE DES DËRNIEHS MOIS 

état de faiblesse et d'anarchie, qui lui 
avaient déjà enlevé une partie de son terri- 
toire et songeaient à lui enlever peu à peu 
le reste; ouvrir au commerce européen le 
pays le plus riche de l'univers; établir soli- 
dement l'influence française au centre de 
cet Eldorado; enfin préparer un point 
d'appui pour les luttes futures qui doivent 
^précipiter l'Europe et l'Amérique l'une sur 
(l'autre : telles sont les idées que la politique 
française invoqua pour expliquer son entre- 
prise. 

Idées, dans leur ensemble et dans leur 
exposé, grandes et généreuses ! mais avaient- 
elles été assez mûries? Étaient-elles réalisa- 
bles? Prit-on le moyen de les mener à bien? 
En tout état de cause, les difficultés évidentes 
de l'entreprise n'étaient-elles pas mathéma- 
tiquement supérieures aux bénéfices, et nos 
voisins n'avaient-ils pas raison de dire que 
le jeu ne valait pas la chandelle ? 



DE L*ËMPIRE MEXICAIN 23 



r 

I Mûri, le projet devait l'être, car, bien que 

I je sois le premier à le dire, je puis assurer 

r .qu'il avait été présenté par le gouvernement 

français à Tarchiduc Maximilien trois ans 

avant la signature du traité de Miramar. 

L'événement semble avoir prouvé que c'était 

une utopie, dans l'état actuel et en présence 

des menaces de la politique européenne ; 

mais surtout on ne prit pas le seul chemin 

qui menait -logiquement à Mexico. C'était 

par la Nouvelle-Orléans qu'il y fallait aller. 

Jouer contre les États-Unis le rôle qui avait 

si bien réussi à ceux-ci dans leurs relations 

avec le Mexique; profiter de la faiblesse, 

entretenir la guerre civile, ou plutôt preûdre 

délibérément parti pour le Sud et briser 

ainsi Teffrayante puissance des Américains, 

c'était, selon l'opinion généralement admise, 

le seul moyen de réussir. 

L'établissement d'un empereur autrichien 
au Mexique valait-^il les chances que cette 



21 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

terrible guerre eût fait courir à la France? 
Notre gouvernement parut le croire, mais 
ces chances il les voulait partager avec l'An- 
gleterre. Celle-ci, à trois reprises différentes, 
refusa de s'allier avec nous contre les fédé- 
raux. Dès lors, il n'y avait plus qu'à compter 
sur la Providence et à supposer qu'elle pren- 
drait assez en gré les vœux de la politique 
française pour permettre à cent mille con- 
fédérés de lutter éternellement contre un 
million de fédéraux. 

On n'avait pas d'ailleurs trouvé au Mexi- 
que les éléments de solidité sur lesquels on 
comptait. Dans cette population de sept mil- 
lions d'âmes environ, il y avait six millions 
d'Indiens, race bonne, honnête, respec- 
tueuse, obstinée, pleine d'avenir, mais d'un 
avenir lointain, car ces Indiens, bien que 
tous sussent lire, étaient restés à l'état de 
bètes de somme ou peu s'en faut. Le dernier 
million, outre les étrangers, comprenait les 



DE L^EMPIRë mexicain ^H 

Espagnols, dé sang d'azut\ de sang pur, 
gens nobles, fiers et loyaux, mais se désinté- 
ressant, avec une sorte de dédain, des affai- 
res publiques ; puis ceux qu'on appelle pro- 
prement les Mexicains, ceux qui sont nés du 
mélange de l'Espagnol et de l'Indien . 

Sur ceux-ci, il n'y a qu'un cri. Sans doute, 
je connais parmi eux bien des nobles physio- 
nomies, et je ne veux pas oublier les grands 
faits de persévérance, de piété, décourage, qui 
signalèrent, au commencement de ce siècle, la 
guerre de l'indépendance ; mais que sont de- 
venus le sens moral, la. religion, la- droi- 
ture, la dignité, l'énergie, les mœurs, 
parmi les descendants de ces héroïques mé- 
tis, parmi les Mexicains d'aujourd'hui ? C'est 
bien d'eux qu'on peut dire qu'ils ont tous 
les défauts, aucune des qualités des deux 
races d'pii ils sortent, et je n'ai pas rencon- 
tré un seul Européen, je dis pas un seul, 
qui ne m'ait présenté le caractère mexicain 



\ 



26 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

comme un mélange de fourberie, de fanfa- 
ronne vanité et d'effronterie sans fermeté. 
Je n'ai pas interrogé un soldat français qui 
ne fût convaincu que tout établissement 
régulier était impossible au Mexique avant 
l'extermination complète des Mexicains. 
Ce n'était pas là une besogne française, 
ni un but pour le noble et doux Maximilien. 
Pourtant, il faut constater impartialement 
que, malgré toutes les chances d'insuccès, 

* 

malgré les fautes des uns et des autres, mal- 
gré la division des chefs divers du gouver- 
nement, l'empire, après une succession de 
beaux faits d'armes, allait, en l'automne de 
1865, se trouver débarrassé de ses enne- 
mis. Les principales routes étaient devenues 
sûres, et l'on travaillait aux chemins de fer 
sans trop de dangers. L'etnpei^eur put sin- 
cèrement croire que la lutte politique était 
terminée. 

Mais les Nord-Américains avaient triom- 



DE L'EMPIRE MEXICAIN 27 

phé. Ils ne pouvaient laîsser échapper cette 
proie qu'ils avaient regardée comme devant 
leur appartenir. Ils devaient tout risquer plu- 
tôt que de permettre l'existence d'un empire 
européen sur leurs frontières. 

Dans cet empire, grand environ comme la 
moitié de l'Europe, parmi ces dix mille tyran- 
neaux habitués aux licences et aux profits de 
la guerre civile, nulle paix ne pouvait être 
complète. Puis, quoiqu'ils fussent, en grand 
nombre, des misérables, quoiqu'ils défen- 
dissent surtout leurs vices et qu'ils combat- 
tissent principalement pour le droit au 
crime et à la tyrannie, ils portaient un dra- 
peau vénérable : Independencia. Alors qu'on 
croyait les principaux chefs de bandes en 
fuite et Juarez réfugié aux États-Unis, on les 

vit revenir avec des armes, fusils et canons 

t 
américains. 

Ils ne rapportaient pas autant de dollars 

qu'on l'a dit, le dollar n'a nul enthousiasme, 



28 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

et d'ailleurs, quoique je paraisse paradoxal, je 
puis assurer que l'argent est ce qui manque 
le moins au Mexique quand on sait le pren- 
dre; or, c'est le métier que les Mexicains de 
tout parti connaissent le mieux. Les presta-- 
mo5 (impôts) sur les villes, villages ^i hacien- 
das remplissaient vite les coffres de Vlnde- 
pendencia. Elle avait seulement besoin de ce 
que les États-Unis pouvaient lui fournir à 
foison, d'armes, de soldats. Les yankees 
libérés, les aventuriers sudistes, les nègres 
à la demi-solde, les enrôlés allemands ou 
irlandais, se chargèrent, à titre d'officiers 
instructeurs et de premiers soldats, de faire 
une armée républicaine avec les Indiens que 
Von pressait^ selon l'usage. Nous retrouve- 
rons cette armée composite au siège de 
Mexico. 

Tandis qu'elle se mettait en campagne, la 
diplomatie américaine entrait en mouvement, 
et elle valait contre nous plus que toutes les 



DE L*EMPIRE MEXICAIN 29 

forces du Mexique. On me permettra de pas- 
ser un peu vite et sans orgueil sur la guerre 
diplomatique que nous fit Seward. Bref, les 
États-Unis nous déclarèrent, avec toutes les 
formes diplomatiques, mais péremptoire- 
ment, qu'ils ne pouvaient nous tolérer au 
Mexique. Nous leur promîmes de partir. 

On se rappelle l'arrivée en France de 
l'impératrice Charlotte; la mission du gé- 
néral Castelnau. Au Mexique, on était con- 
vaincu que le but de cette missiou était 
d'engager Maximilien à abandonner le pays 
à la suite de l'armée, ou plutôt avant elle. 
Marquez et Miramon, les deux chefs mili- 
taires du parti conservateur, arrivaient 
d'Europe. 

L'empereur était à Orizaba. Il s'y était / 
retiré après avoir échappé à cette tentative 
d'empoisonnement que l'impératrice apprit, 
peu de temps après son arrivée en Europe, 
au mois d'août, et dont la nouvelle contribua 

2. 



30 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

à donner une forme précise à sa maladie 
dont les symptômes avaient déjà frappé son 
entourage. 

Maximilien, à Orizaba, souffrait d'une 
fièvre dont il n'était pas complètement guéri 
■ encore à la date de sa mort. C'était le pré- 
texte dont il se servit pour prolonger son sé- 
jour loin de Mexico. La vérité est qu'il ne 
voulait pas rencontrer l'envoyé de Napoléon 
avant d'avoir arrêté définitivement ses idées. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN 31 



II 



LES FRANÇAIS ET LES MEXICAINS EN L* AUTOMNE 

DE l'année 1866.. 

Nous voici arrivés à la période qui fait 
particulièrement l'objet de notre étude. 
Nous sommes au commencement de l'au- 
tomne 1866. Le départ de l'armée française 
est irrévocablement décidé. 

Maximilien, se souvenant des promesses 
explicites et formelles qui lui avaient été 
faites, répétées, solennellement confirmées, 
n'avait pas voulu croire que ce départ s'ef- 
fectuerait jamais. Rien n'était prêt en vue 
de • cette éventualité : l'armée mexicaine 
était en voie de formation; les finances en 
étaient venues au comble de la ruine par 
l'arrêt que l'administration française avait 
mis sur les douanes. Maximilien, que les 



32 HISTOIRE DBS DERNIERS MOIS 

tendances naturelles de son esprit et ses 
théories politiques avaient poussé vers les 
libéraux, les abandonne, se rejette du côlé 
des conservateurs, ses alliés naturels, ceux 
qui l'ont appelé, les seuls qui lui offrent, 
en ce péril extrême, quelques chances avan- 
tageuses : des hommes, de l'argent, une 
puissance morale. Mais le parti avait été af- 
faibli, désorganisé par l'empereur lui-même, 
et sa brusque arrivée au pouvoir amène de 
nouvelles causes de ruine au milieu d'une 
situation déjà si troublée. 

En résumé donc, les ennemis s'avancent, 
les amis s'en vont. On peut aisément pré- 
voir l'événement final. 

Les protecteurs des Impériaux se retirent, 
moralement vaincus par les protecteurs «des 
Juaristes ; les Impériaux avaient espéré que 
la protection serait éternelle, ils sont donc 
faibles, puisqu'ils ne s'étaient pas habitués 
à compter sur eux-mêmes et que ceux sur 



DE L'EMPIRE MEXICAIN 33 

qui ils s'appuyaient se dérobent brusque- 
ment. Les Juaristes, au contraire, sont forts 
de la force de leurs alliés et de la retraite des 
alliés de leurs ennemis ; ils avancent, puis- 
que les autres reculent ; et, comn^e ils ont été 
toujours et vaincus et actifs, ils sont à la fois 
exaspérés et ardents. Les uns sont nécessai- 
rement poussés en avant par l'ensemble des 
circonstances, les autres en arrière. Tous les 
incidents contingents contribuent à donner 
aux Juaristes force, ardeur, férocité; aux 
Impériaux, faiblesse, hésitation, angoisses. 
Nous n'avons pas besoin de prêter l'oreille 
à ces bruits qui accusèrent les chefs de notre 
armée d'avoir aidé efiectivement les répu- 
blicains.. L'impulsion étant donnée, comme 
je viens de le dire, ne pas combattre les li- 
béraux c'était les aider. Mais je n'ai trouvé ^ 
nulle preuve évidente à cette imputation 
d'avoir, de propos délibéré et par haine de 
Maximilien, cédé aux ennemis les munitions, 



I 

1 



34 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

les mulets, les chevaux. Seulement là où on 
fut obligé de vendre aux enchères publi- 
ques, les Juaristes seuls osèrent acheter ; là 
où ils étaient les maîtres ils étaient les ty- 
rans : la terreur suivait, avec eux, Tarrière- 
garde de l'armée française. 

Maintenant, quels faits particuliers avons- 
nous à noter au milieu de cette situation gé- 
nérale? 

Quel dernier but poursuivait la France? 

Quels rêves, quelles pensées agitaient l'es- 
prit de Maximilien ? 

Quelles préoccupations serraient l'âme des 
Français, des Européens surtout qui demeu- 
raient sur cette terre ennemie? 

Quelles espérances, quelles chances, quel 
plan de campagne ou de politique restaient 
au gouvernement impérial et à ses principaux 
adhérents? 

C'est ce que je voudrais dire avant de ra- 
conter les quelques incidents importants de 



DE L/EMPIRE MEXICAIN 35 

ces deux mois pleins d'activité fiévreuse, — 
décembre 1866, janvier 1867, — qui précé- 
dèrent l'abandon de Mexico par notre ar- 
mée. 

Le gouvernement français, après avoir 
pris la résolution d une retraite, utile sans 
doute à ses intérêts, nécessaire peut-être en 
face des complications de la politique euro- 
péenne, mais terriblement cruelle pour 
son amour-propre et jugée inique par tous 
les impérialistes mexicains, le gouvernement 
ne pouvait avoir qu'un seul but. Il devait 
rendre les conséquences de la retraite moins 
douloureuses pour tous , moins dangereuses 
pour Maximilien (et pour cela il fallait l'en- 
gager à quitter le pays), moins périlleuses 
pour les Européens (et il n'y avait d'autre 
moyen que de les inviter à suivre l'armée 
française), moins pénibles enfin pour nos 
troupes (et on les obligeait à reculer sans 
combat devant ces Juaristes, dans lesquels 



36 HISTOIRE DES DERiNIERS MOIS 

elles n avaient jamais voulu voir de braves 
ennemis, mais de lâches pillards). 

C'est ici, non pas seulement l'incident le 
plus attristant pour notre orgueil national, 
mais le point le plus délicat de Thistoire de 
l'empire mexicain, le champ de bataille le 
plus étroit entre les apologistes de Maxi- 
milien et les avocats de la politique fran- 
çaise. 

Cette politique, que, dans l'espèce, on.peut 
nommer une politique à une seule volonté 
mais à trois têtes, elle reposait bien sur la 
volonté arrêtée de l'empereur Napoléon, mais 
elle devait être interprétée et appliquée par 
ti^ois personnages difTérents. Or, si j'en crois 
des renseignements, mexicains, il est vrai, 
mais respectables, ces trois têtes n'étaient pas 
toujours dans le même bonnet. Le maréchal 
Bazaine et l'état-major de l'armée de l'In- 
tervention, l'ambassadeur Dano et la légation 
de France^ enfin le général Castelnau, qui 



DE L*eMPI'RE MEXICAIN 37 

était une légation particulière de Napoléon, 
ne représentaient pas, disait-on, cette union 
qui fait la force. Nous savons d'ailleurs que 
ce n'était pas de force qu'il s'agissait alors 
pour la politique française. Quoi qu'il en 
soit, cette politique, à propos du fait spécial 
dont il s'agit, nous la pouvons dès mainte- 
nant juger avec impartialité. 

Entre ces trois têtes, entre ces trois actions 
chargées d'expliquer et d'appliquer une 
décision blessante pour tant d'intérêts sa- 
crés, injuste à tant d'yeux, l'interprétation 
put être diverse et variable, l'exécution dut 
paraître exigeante, peut-être malignement 
taquine et tyrannique. Mais il ne faut pas 
oublier le grand but d'humanité que tout 
le monde s'accordait à poursuivre :. il s'a- 
gissait d'arracher aux vengeances juaristes 
et Maximilien lui-même et le plus grand 
nombre possible des Français, des Euro- 
péens, des Mexicains qui avsyient compté 



38 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

sur l'éternelle protection de la fière et puis- 
sante France. 

Dans cette situation, pour décider Maxi- 
milien à quitter cette terre, qui devait être 
pour lui si cruelle, Ton fut surtout préoc- 
cupé de montrer au prince sa faiblesse. 
Gela était sage. Mais on la lui montra rude- 
ment; peut-être Taugmenta-t-on effective- 
ment et de malin propos. 

Toutefois faut-il croire que Ton ait été 
jusqu'à essayer d'acheter l'influence des plus 
intimes conseillers de Maxîmilien, entre 
autres du triste P. Fischer^ qui était hostile 
à l'abdication et à qui l'on aurait offert un 
billet de 150^000 piastres pour ^u'il décidât 
l'empereur à partir? L'on cite le nom du 
banquier mexicain qui aurait détenu ce bil- 
let. Je donne ce nom, Martin Daran, car ail 
milieu de tant de petits faits obscurs, il est 
bon de préciser certains points : ici, eii 
interpellant un honnête homme, on peut 



. DE L'EMPIRE MEXICAIN 39 

arriver à la vérité. Pour moi, je suis tenté 
de voir dans cette affaire de billets une 
comédie montée par Marquez, Lopez et la 
basse catégorie des personnages tenant pour 
Tempire. 

Mais l'empereur Maximilien, je le sais, 
crut à l'existence ^ ces tentatives de cor- 
ruption. Il se sentit mçssé dans sa dignité, 
et ce sentiment se joignit aux autres causes 
que nous indiquerons tout à l'heure et qui 
l'empêchèrent de quitter le Mexique. Il 
crut, — et cela je le sais de première source, 
— que les Français voulaient abriter leur 
reculade derrière son départ et pouvoir 
dire : Nous étions venus pour soutenir cet 
empereur, mais puisque ce lâche prince 
quitte la partie, nous n*avons plus rien à 
faire ici. Que ces drôles s'entre-tuent à leur 
aise; 

. Tout devait le blesser d'ailleurs dans les 
nécessités qui s'imposaient alors à la po- 



40 HISTOIRE DES DEHNIERS MOIS 

litique française, tout contribuait à entre- 
tenir, à raviver le souvenir des souffrances 
que sa fierté avait endurées. Tout encore 
semblait arbitraire en ces nécessités et eût 
demandé des précautions délicates, une 
bonne entente commune; c'était, au con- 
traire, la mésintelligence qui naissait na- 
turellement de toutes les circonstances. 

Ainsi Tarmée française reculait, frémis- 
sante d*être poursuivie par ces bandes qu'elle 
avait toujours battues, qui la suivaient en 
vainqueurs fanfarons et féroces, qu'elle n'a- 
vait pas le droit de repousser, et qui en- 
traient dans les villes abandonnées par elle 
pour piller, pour éçorger derrière elle, à 
portée de ses oreilles, presque sous ses yeux, 
ceux dont le seul crime consistait à avoir 
été les amis des Français. Il y avait là une 
nécessité pourtant, puisqu'il était inutile 
• de tuer des soldats mexicains, de faire tuer 
des soldats français, dans une guerre ter- 



DE L*ElfPlRE MEXICAIN. 4« 

minée^ pour une cause abandonnée, au mi- 
lieu d'une retraite pénible. Mais que de- 
vaient penser Tempereur et les impériaux à 
qui Ion montrait Tarmée française livrant 
ainsi ses protégés de la veille, ses amis, ses 
dévoués, aux atrocités des brigands? N'é- 
tait-ce point paraître pactiser avec ces der- 
niers ? 

Ne disait-on pas que le chef d'escadrons 
Billaud avait été blâmé parce que, rencon- 
trant dans sa marche de Mexico à Puebla 
une troupe de ces coquins établie à Chalco, 
sur le lac de ce nom, qui touche presque 
à Mexico, il les en avait chassés ! Ne savait- 
on pas que de la ferme de Buenavista, oc- 
cupée, sur le chemin de retraite de l'ar- 
mée, par une compagnie de zouaves français, 
entre Ayatla et le Rio Frio, on voyait, à 
moins de 800 mètres, une bande de Jua- 
ristes réocci^pant Chalco et se livrant contre 
les maisons particulières, les femmes et 



i 



42 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

■ • 

les coffres-forts, à leur héroïsme habituel? 
Presque aux portes de la capitale, la route 
de Chalco àTexcoco n'était-elle pas traversée 
chaque jour par les ennemis au moment 
môme oîi les Français suivaient cette route 
pour évacuer Mexico? et les Juaristes ne pre- 
naient d'autres précautions que de ne pas 
SQ trouver dans les jambes de nos soldats. 

Tout cela se disait, se prouvait. Là-dessus 
s'appuyaient les nouvellistes de Mexico qui 
racontaient cent histoires des plus noires, 
histoires sans doute fausses, mais admises 
sans discussion, sur la bonne entente de 
l'état-major français avec l'état-major répu- 
blicain, sur des ventes de munitions, des 
cessions d'armes et de chevaux. 

La politique napoléonienne, tout en pour- 
suivant un but humain et sage en cette der- 
nière extrémité où les circonstances l'avaient 
acculée, était donc arrivée à exaspérer l'em- 
pereur Maximilien et les Impériaux. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 43 

Au mois de décembre 1866 commença 
aussi cette grosse querelle à propos du rapa- 
triement des Français, querelle oh. tant de 
colères furent soulevées, oîi furent portés de 
si grands coups à la pauvre armée de l'em- 
pire mexicain, où le maréchal Bazaine parut 
le plus tyrannique et où il reçut un si cruel 
reproche. Nous étudierons bientôt à fond 
cet incident. Mais on voit que la discorde, qui 
avait constamment paru être la loi de Tal- 
liance franco-mexicaine, n'était pas prête à 
disparaître durant les dernières heures de 
cette alliance. 

Pendant ce temps, que rêvait ou que déci- 
dait l'empereur Maxîmilien ? 



Ai HISTOIBE DES DERNIERS MOIS 



• 4 
t 



III 



PORTRAIT DE MAXIMILIEN. — HESITAllONS. 
DÉCISION DÉFINITIVE, 



La concfliite de l'empereur a été diverse- 
1 ment jugée et doit l'être, selon que l'on se 

place au point de vue sentimental ou au 
point de vue pratique, selon qu'on juge en 
homme de cœur ou en homme d'affaires, d'à- 
•; près le mobile ou d'après le résultat. Pour la 

\ bien apprécier, il faudrait étudier à fond la . 
i nature fine et ondoyante du prince. Je ne 
4 fais pas ici sa biographie, je raconte l'his- 
\ toire des derniers mois de son empire; je 
me bornerai à analyser, mais minutieuse- 
ment, quelques traits de son caractère. 

On l'a accusé d'être variable. C'est la 
seule accusation que j'aie entendu générale- 
ment porter contre lui. Elle est vraie. Il n'en 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 45 

faut pas conclure qu'il était faible, porté au 
favoritisme, docile à toute influence, rusé ou 
dissimulé. Non. Sa mobilité ne venait pas de 
la faiblesse et n'en montrait aucun des attri- 
buts. Mais il ne possédait réellement aucun 
des trois grands éléments qui constituent la 
ténacité-qualité et la ténacité-défaut. 

Il n'avait pas cette puissance de vue et 
d'action qui aperçoit le point central et cul- 
minant, le point à emporter et qui y marche 
à travers tout obstacle. 

Il n'avait pas cette étroitesse de visée qui 
ne saisit qu'un point au hasard et qui y 
pousse l'homme obstinément, parce qu'elle 
est incapable d'apercevoir autre chose, inca- 
pable de comparer, de juger et de trouver 
mieux. 

Enfin, il n'avait pas ce troisième et pro- 
fond élément de l'obstination gouvernemen- 
tale, le mépris de l'humanité, à commencer 
par soi-même. 

8. 



4G HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Il avait la faiblesse d'être fier et de croire 
à la bonté de la nature humaine. Il avait des 
enthousiasmes, non de Tenthousiasme. Il 
avait une ambition d'imagination, une am- 
bition latérale^ je veux dire une ambition qui 
n'était pas sa première préoccupation et qui 
laissait place aux rêves, aux défaillances, à 
l'utopie. 

Son imagination très- vive, sa nature très- 
impressionnable, son intelligence très-sen- 
sible, lui montraient mille nuances d'une 
idée, cent arguments qui s'équilibraient 
pour ou contre, dix facettes dans un événe- 
ment, dix possibilités dans un calcul de pré- 
vision. Ce n'était pas tout. Quand son juge- 
ment était parvenu lentement à une décision 
définitive, son cœur très-délicat et très-bon 
venait à son tour poser des objections qui 
passaient pour des naïvetés et lui consti- 
tuaient une diplomatie pilérile. 

Comme il avait réellement reçu le don 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 47 

de charmer, il croyait réellement à la puis- 
sance politique de cette qualité charmer esse. 
Comme il était généreux, il se persuadait 
aisément que la bonté, les caresses, rafiFec- 
tion, le pardon répété, ont plus de vertu 
diplomatique que la sévérité. Comme enfin 
il était noble, ouvert, libéral, jamais dans 
ses plans il ne pouvait faire entrer en ligne 
de compte la trahison, difficilement la four- 
berie. C'était le prince trop bon qui, ren- 
trant à Mexico après quelque temps d'ab- 
sence et trouvant son palais dévalisé, comme 
si tous les Juaristes y eussent passé, par un 
personnage autrichien qu'on m'a nommé, 
aimait mieux faire emprunter au voleur une 
assiette de faïence que de lui faire, en le 
chassant, restituer un plat d'argent. 

En politique, il n'était pas*un homme 
pratique, mais un idéologue. C'était un 
grand artiste en tout, même en philosophie 
gouvernementale. Seulement s'il était réelle- 



48 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

ment profond et puissant sur les théories, il 
manquait trop de cette autre part dé la phi- 
losophie qui est la connaissance des hom- 
.mes. 

Il poussa là-dessus la faiblesse jusqu'à 
croire à la vertu mexicaine. Il ne put jamais 
rester convaincu que les Almonte, les Mejia, 
les Miramon, les Mendez, les La Bastide, les 
Salas, les La Madrid, les Vidaurri, les Qui- 
roga, les Palacio, les Ortega, les Galvez, et 
d'autres que nous nommerons chemin faisant, 
étaient des exceptions au milieu de ces sept 
millions d'hommes dont les uns ne naîtraient 
jamais 'à l'énergie ni les autres à la probité. 
Il n'était ferme que dans son orgueil; je 
me trompe, car cet orgueil môme pouvait 
céder aux amollissants conseils de la bien- 
veillance; je dois dire : il n'était tenace que 
.dans la dignité, obstiné que dans l'hon- 
neur. 

1 eût pu faire un grand prince. Il était à 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 40 

peu près taiUé sur le modèle de ceux que 
Fénelon * demandait pour les mettre sur le 
trône de Salente. Son gouvernement du 
royaume Lombard- Vénitien avait été réelle- 
ment remarquable ; et qu'on le suppose au 
moyen âge ou à la Renaissance, il eût pu 
être le chevaleresque Richard ou le magni- 
fique François I^r. 

Mais il avait absolument besoin de ce 
voile de respect qui entourait les monar- 
ques. Dans notre siècle, oîi l'on ne permet 
pas à la royauté d'être autre chose qu'un 
rempart et encore à la condition d'être en 
même temps une cible ; dans ce temps oîi les 
têtes royales ne sont guère que des têtes de 
Turc, oh. chaque poing vigoureux vient es- 
sayer sa force et trouver ainsi le plus sûr 
moyen d'exciter l'admiration de la démo- 
cratie ;• dans ce pays mexicain où cinquante 
ans de guerre civile n'avaient plus guère 
laissé eh pratique que la science de bien 



oO HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

fuir et de bien prendre, ce n'était pas, je le 
dis avec une amère tristesse, le*roi qui 
pouvait mener à bonne fin sa difficile mis- 
sion. 

Il fallait pour cela, non un monarque in- 
telligent, noble, libéral et doux, mais up sol- 
dat de génie. 

Qu'il fallût un soldat de génie, maint sol- 
dat le pensait dans l'armée française, maint 
soldat qui pouvait se croire du génie; — c'est 
une croyance qui vient aisément, et non 
pas seulement aux journalistes et aux musi- 
ciens. 

Maintenant supposons que ce soldat, qui 
est général et qui se croit du génie, a enten- 
du un ministre français, un ministre in- 
fluent dire : « Nous avons bien mis Maximi- 
lien sur le trône du Mexique, pourquoi n'y 
mettrions-^nous pas un autre, » voyelz-vous 
les rêves ! Cette parole a été dite pour faire 
plier le prince autrichien, les rêves ont été 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. .51 

é 

. icoura^eusement chassés, le soldatde génie est 
resté déterminément dans son devoir patrio- 
tique et disciplinaire, mais il voit bien que 
le monarque n'est pas Thomme de la situa- 
tion. Cette insuffisance princière, qu'il est 
encore porté à exagérer, Tirrite, le contra- 
rie, le pousse à exagérer aussi son propre 
pouvoir et à limiter d'autant le pouvoir sou- 



verain. * 



Ainsi commence à s'expliquer, par la sim- 
pie étude de l'âme humaine et sans admet- 
tre d'incroyables et humiliantes accusations, 
le désaccord, qui fut presque continuel, 
entre les gouverneurs divers de l'empire 
mexicain. 

Puis, dans cette maligne, gouailleuse et 
irrespectueuse armée française, ce n'est pas 
seulement le soldat de génie, c'est le soldat 
imbécile, ce n'est pas uniquement le général, 
c'est le plus hébété des sous-officiers, qui 
comprennent les faiblesses de la situation. 



52 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Or je ne connais rien de redoutable et d'in- 
tolérable comme le soldat français quand il a 
perdu le sens du respect. 

Il peut être, à un homme qui se sent ar- 
dent de patriotisme, permis de juger sincè- 
rement son pays, et je crois que si nous 
sommes les plus supportables des vain- 
queurs, nous sommes bien les plus désa- 
gréables protecteurs qu'on puisse vÔir. Nous 
ne savons pas faire la différence qu'il y a 
^ntre la protection et la domination. Notre 
suffisance naturelle, notre difficile intelli- 
gence des mœurs et pratiques d'autrui, no- 
tre mépris des autres peuples, la franchise 
de nos impressions, nos tendances railleuses 
et sceptiques font à la longue oublier que 
nous ne sommes ni sévères, ni pédants, ni 
cruels. 

Je l'ai dit, je ne suppose pas qu'il soit peu- 
pie au monde pour qui le troupier français, 
dont la grande force et la grande faiblesse 



DE L'EMPIRB MEXICAIN. S3 

è 

sont de commencer toujours par mépriser 
rennemi, ait ressenti autant de mépris que 
pour les Mexicains. Et quelle force, quel 
respect pouvait tirer de sa dignité le roi d'un 
peuple aussi méprisé? 

Ainsi le pouvoir souverain : Tempire, était 
faible et fier ; le pouvoir inférieur : l'état- 
major, l'armée, la légation de France étaient 
forts et dédaigneux. 

Que d'occasions de mésintelligence, que 
de sourdes irritations, que de vives discus- 
sions entre l'Empire et F Intervention, naqui- 
rent de là ! L'on peut supposer que si la lé- 
gation de France à Mexico eût préféré être la 
légation de France au Monomotapa, la cour 
mexicaine l'y eût envoyée volontiers, sous la 
conduite du maréchal Bazaine et avec l'es- 
corte de l'état-major général. 

Maximilien , très-bienveillant, compre- 
nant, en idée, les petites nécessités de la di* 
plomatie, très-sensible du reste, et que la 



54 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

moindre marque de respect touchait réelle- 
ment, semblait parfois oublier ces difficul- 
tés. Une démarche gracieuse de lui déten-^ 
dait apparemment les relations. Mais le fond 
des choses ne changeait pas. 

Je ne ^ vois pas à donner aux gens intelli- 
gents d'autre clef des affaires mexicaines. 
Par là aussi s'explique une partie des hési- 
tations et de la décision de Maximilien, à 
l'heure solennelle où il voyait qu'il allait 
jouer sa fortune sur une seule et bien dou- 
teuse carte. 

Après cette conspiration de juillet, qui l'a- 
vait désolé en lui montrant plusieurs de ses 
ministres, de ses courtisans, de ses plus 
obligés familiers, complotant pour l'empoi- 
sonner; après cette convention du 30 juillet, 
qui remettait aux mains de l'administration 
française la plus grosse part des douanes, le 
seul revenu réel du gouvernement mexicain ; 
après la nouvelle de l'insuccès et de la cruelle 



r 



Dfi L'EMPIRE MEXICAIN. S5 



maladie de l'impératrice Charlotte; après 
une série d'autres coups non moins doulou- 
reux, l'empereur s'était, dans le courant 
d'octobre, retiré à Orizaba« 

Il était, nous l'avons déjà dit, malade. Il 
voyait son empire ruiné, son gouvernement 
réduit à l'impuissance, sa femme, la vail- 
lante et intelligente compagne de ses pen- 
sées, devenue folle. L'insolence des États- 
Unis croissait en même temps que le brigan- 
dage des dissidents, en même temps que 
la désaffection des alliés. Il avait vu ceux 
qu'il croyait avoir terrassés à force de bonté 
le vouloir assassiner ! Ses amis, ses compa- 
triotes, des Européens, grand et noble 
mot là-bas, le volaient bassement ! Sa répu- 
tation était ternie, la renommée de son 
intelligence amoindrie ! Ses illusions sur la 
gloire 5 sur l'humanité, sur le bien, ces 
illusions politiques qui font l'ardeur, la 
probité, la noblesse de l'homme d'État, 



5r> HISTOIRE DÊ9 DERNIERS VOIS 

étaient disparues ! Il avait aimé sincèrement 
d'abord, puis de parti pris la liberté ; et les 
libéraux au Mexique se divisaient en deux 
classes : ceux qui le battaient et ceux qui le 
trahissaient. En Europe, les libéraux se dis- 
tinguaient en deux classes aussi : ceux qui le 
raillaient et ceux qui le maudissaient ! Reve- 
nir dans son pays, en laissant au Mexique la 
haine pour récompense d'une si sincère 
bonne volonté, en rencontrant en Europe le 
ridicule pour prix de si énergiques efforts ! 
Rien de ce qui peut déchirer un cœur de roi, 
un cœur sensible et fier, ne lui fut épargné. 
Puis la situation devenait chaque jour plus 
difficile. Les agents français, dont la respon- 
sabilité croissait, tandis que leur gouverne- 
ment se désintéressait de plus en plus, sem- 
blaient devenir plus rudes, plus rognes, 
plus taquins, plus impérieux à mesure qu'ils 
devenaient moins utiles à l'empereur. Les 
dissidents avançaient à grands pas ; Hermo- 



J 



r 



DE L'EMPIRE MElLlGAIN. 57 

sillo, Matamoros, Monterey, Tampico et cent 
autres villes, toutes les villes en un mot, 
tout le pays, à peu près, étaient tombés en 
leur pouvoir. 

Maximilien avait donc songé à abdiquer; 
et nous avons dit qu'il allait à Orizaba non- 
seulement pour se guérir, mais pour discuter 
plus mûrement avec lui-même cette question 
d abdication, et aussi pour éviter de rencon- 
trer le général Castelnau, avant que ses 
propres idées fussent bien arrêtées. 

Ces idées d'abdication n'étaient pas nou- 
velles. Pour beaucoup d'hommes réfléchis, 
elles étaient la solution forcée, mais non pro- 
chaine pourtant. On m'assure que M. Lan- 
glais, peu de jours avant sa mort, disait à 
l'un de ,ses amis, qui le raillait sur cette 
étrange idée d'essayer de mettre l'ordre dans 
les finances du Mexique : — Eh ! non ! je tra- 
vaille a fournir à Maximilien l'occasion d'ab- 
diquer honorablement ! 



58 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Honorablement! C'était toute la question ^ 
Il ne nous semblait pas en l'automne de 1866 
que l'empereur eût assez lutté contre la 
• mauvaise fortune. Tous ses amis ont dû, 
comme l'auteur de ces lignes, entrevoir la 
situation fâcheuse du prince, cédant au pre- 
mier choc, revenant piteusement à l'arrière- 
garde de l'armée française, et ils travaillèrent 
à faire prévaloir les idées de persévérance 
dans l'esprit de Maximilien. 

Sa fière âme n'était que trop disposée à re- 
douter tout ce qui ressemblait au ridicule, à 
fuir tout ce qui pouvait prendre l'apparence 
de la crainte* Nous ne pensions pas qu'il lui 
en coûterait, hélas ! la Vie, et nous lui répé- 
tions seulement que la dignité vaut mieux 
que la fortune. Les lettres qu'il recevait de 
la ôour de Vienne, soit intimes, soit officiel- 
ies^ Tencourageaient à rester au Mexique, ou 
plutôt, pour être plus précis, le découra- 
geaient de revenir en Autriche. Pourtant je 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 59 

« 

crois que jusque vers le milieu de novembre 
il hésita, penchant toutefois vers l'idée d'une 
abdication. 

A cette époque le bruit courut, à Mexico, 
qu'il avait appelé à Orizaba MM. Castelnau et 
Dano, pour leiu* communiquer les condi- 
tions de son abdication. Ceux-ci, -pour 
des raisons que j'ignore, refusèrent de se 
rendre auprès de l'empereur *, qui se sen- 
tit fort blessé. Ai-je dit qu'il fut parfait, 
plein de sérénité comme un dieu indien, et 
élevé au-^dessus des petites passions de ce 
monde? Non, sa sensibilité naturelle le 
poussait non pas seulement à la mobilité ^ 
mais encore à cette susceptibilité qui souffre 
vivement des petites injures, qui en exagère 
la portée et se réjouit de les venger* 

Je crois bien qu'à cette date de sa vie^ ou- 

1. D'autres de mes témoins croient avoir rencontré le gé- 
néral et l'ambassadeur^ dans une auberge du' Htà-Frio, et se 
tendant alors à Orizaba. 



li 



GO HISTOIRE DES DERNIERS MOXS 

blieux de cent services pour ne se rappeler 
que mille taquineries, méconnaissant les de- 
voirs qui imposaient au gouvernement fran- 
çais la fin d'une expédition ruineuse et mé- 
diocrement approuvée par Topinion, il vit 
dans ce gouvernement le pire de ses enne- 
mis et dans plusieurs des agents français des 
êtres plus insolents, plus haïssables que les 
Yankees même. Il oublia cette sage parole 
écrite à son confident intime, au début de 
rempire,»par un personnage politique, le 
plus réellement puissant de la Belgique, bon 
voltairien saris doute et très -antifrançais, 
mais chez qui Tintelligence est restée impar- 
tiale : « Manger du prêtre le matin et du 
Français le soir, quand on a été appelé par le 
clergé et qu'on n'a d'autre appui que la 
France, c'est une dangereuse manière de 
gouvernement. » 

En cet automne 1866, on ne mangeait plus 
du prêtre dans la petite Belgique libérale qui 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 61 

formait jadis une partie de la cour de Maxi- 
mîlien, les conservateurs étaient au pouvoir; 
mais, comme je lai dit, l'empereur ne fut pas 
insensible au désir de contrarier la politique 
française, qui était alors fort accusée de 
vouloir une abdication pour pouvoir traiter 
tranquillement avec ceux mêmes qu'elle 
avait toujours considérés comme des bri- 
gands. 

Il y avait là quelque chose de particulière- 
*ment blessant pour Maximilien. J'ai hâte 
d'ajouter que ce ne fut pas la plus énergique 
des impulsions qui le dirigèrent. 

Lares, alors son premier ministre, Mira- 
mon. Marquez, qui revenaient prendre la 
conduite militaire du parti conservateur et 
les plus importants des membres de ce parti, 
l'ambassadeur anglais, le vieux et rusé 
Scarlett, et bien d'autres qui n'étaient pas 
fâchés de mettre ce bâton dans nos roues, 
lui conseillèrent de ne pas encourir ce grand 

4 



62 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

reproche que Ton faisait à la France, si re- 
nommée pourtant par sa générosité, lerepro- 

« 

che d'abandonner ceux qui s'étaient com- 
promis pour elle. 

Ainsi ballotté eûtre son intelligence qui 
lui démontrait l'impossibilité matérielle de 
la lutte, et sa bonté, sa fierté qui lui affir- 
maient l'impossibilité morale de la retraite, 
Maximilien se décida pour le parti le plus 
généreux et le moins raisonnable. « Je ne 
veux pas, dit-il, qu'on m'accuse d'être venu 
et reparti dans les fourgons de l'armée fran- 
çaise. Je ne peux pas laisser sans appui ceux 
qui se sont compromis pour mi cause» Je ne 
puis souffrir que ces bandes de pillards se 

« 

vantent d'avoir fait fuir un Européen, un 

prince. » 

* 

Avant de notifier sa résolution^ il avait 
rassemblé, à la fin de novembre 1866^ le ^ 
conseil des ministres et le conseil d'État. La 
majorité avait approuvé la Résistance. Ce fut 



r 



DE L*EMPIRE HBXICÂIR. 63 

le 1 *' décembre que le journal officiel, le 
Dtario^ publia ce manifeste, qui, analysé 
philosophiquement, donne une si parfaite 
connaissance du caractère de ce Hapsbourg. 
« Son esprit^ disait-il, avait pris la convie- 
tion que le pouvoir devait être déposé, mais 
ses conseillers lui avaient remontré que son 
devoir était de rester. » 

Il restait donc. Seulement pour concilier 
les arguments de son esprit avec les délica- 
tesses de sa conscience, il avait trouvé une 
formule qui le peint tout entier, une formule 
ingénieuse et idéale, à la fois sagace et im- 
praticable, profonde, coupant court, en effet, 
à toute difficulté, conciliant et le bonheur du 
Mexique et la dignité de Maximilien, sous- 
trayant les Impériaux aux vengeances des 
Juaristes, et fortifiant le pouvoir impérial, 
tout en laissant à l'empereur la possibilité de 
partir avec grandeur. Seulement ce plan était 
inexécutable au Mexique. Il avait déeidé 



61 HISTOIRE DFS DERNIERS MOIS 

la réunion d'un congrès formé sur les bases 
les plus larges, les plus libérales, où tous les 
partis prendraient place, et qui déciderait 
en dernier ressort des destinées de la na- 
tion. 

Avtfc une intelligence supérieure et après 
un si long temps passé dans le pays, le 
prince n'avait pas encore vu que demander 
aux partis mexicains une concession patrio- 
tique, une transaction sage, un travail en 
commun pour le salut de la patrie, c'était le 
rêve des rêves. 

Nul, sinon lui, ne songeait uniquement au 
bien du pays; chacun voulaitsurtouttriompher 
du parti contraire. Il n'y avait plus de Mexi- 
cains ; il y avait des conservateurs et des libé- 
raux, c'est-à-dire, des ennemis que les longues 
guerres civiles ont rendus irréconciliables, 
qui préfèrent leurs malheurs, accompagnés de 
la défaite de leurs antagonistes, à leur félicité 
coïncidant avec le triomphe de leurs rivaux. 



..DE L'EMPIRE MEXICAIN. 65 

Il n'avait pas deviné encore qu'il n'y a plus 
de Mexique possible, puisque les conserva- 
teurs préféraient les Français aiD^ libéraux 
et que les libéraux haïssaient moins les Yan- 
kees que leurs compatriotes conservateurs. 

Personne, parmi les républicains, ne bou- 
gea pour prendre part à ces agapes patrioti- 
ques, etJuarezeutfait pendre, en Taccusant, 
selon la tradition, de tyrannie, le libéral qui 
eût travaillé à la réunion de cette convention 
nationale. Mais il y avait là une ^i touchante 
naïveté, une preuve si évidente de bonne 
volonté et de désintéressement, que le cou- 
rage et l'activité en revinrent au parti impé- 
rial. Les conservateurs, dont la fortune et 
la vie tenaient au salut de l'empire, promi- 
rent 20 millions de francs. Miramon, Mejia, 
Marquez se mirent activement à la besogne 
militaire. 

Vertu momentanée, hélas! Bientôt la 
grande masse des impériaux ne vit plus dans 

4. 



66 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 



* 



le trouble et la désorganisation qui accom- 
pagnaient le départ des Français que ce que 
le Mexicain voit de prime-abord dans toute 

anarchie : l'occasion de se remuer fiévreuse- 
ment, de gesticuler noblement, de piller, de 

commander, de monter d'un bond plusieurs 
degrés sur son'échelle sociale, et de conqué- 
rir un traitement supérieur, dont il opérera 
lui-même la rentrée, — difficile, il est vrai, 
— dans les caisses du voisinage. 



DE L'EMPIRE MEXÎCAIN. 6" 






IV 



NOVEMBBE ET DÉCEMBRE 1866. — LES CHEFS USERA UX. 
PREMIÈRES ESCARMOnCIlES AUPRÈS DE MEXICO. 

« Qu'allons-nous devenir si les Français 
partent? » Telle était la question que Ton s'é- 
tait posée à Mexico et dans toute l'étendue 
I deTeinpire, quand, vers la fin de juin 1866, 
des indiscrétions du palais impérial avaient 
laissé pressentir, pour la première fois, que 
la France pourrait bien retirer ses troupes. 
Les fanfaronnades, les pillages, les assassi- 
nats commis par les troupes américaines à 
Matamoros et le long du Rio-Grande, in- 
diquaient en effet qu'ils étaient sûrs de la 
position et que la France était battue diplo- 
. matiquement. Mais, je l'ai indiqué, on comp- 
tait sur la mission de l'impératrice Charlotte ; 
on relisait le texte du traité de Miramar,'les 
déclarations continuelles, publiques, ppr- 



68 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

tées à la tribune française ; on redisait Tan- 
tique renommée de fierté et de loyauté dont 
jouissait notre politique. 

Au mois de novembre, il n'y avait plus 
de doute. Le 16, on annonça quasi-officiel- 
lement que la France, reculant devant Tim- 
possibilité de soutenir pjus longtemps une 
cause définitivement jugée et perdue, rap- 
pelait l'expédition. 

« Que ferons-nous quand les Français se- 
ront partis? » Ce fut le cri général , non- 
seulement dans la colonie française, mais 
dans la colonie européenne. Les Mexicains 
eux-mêmes étaient atterrés, ceuxrlà du moins 
qui se sentaient coupables d'avoir désiré 
vivre, vivre en paix, en honneur, en aisance 
a l'abri des lois, ceux-là qui se savaient 
coupables d'avoir espéré d'autres moyens 
d'existence que le pillage, l'incendie, le 
me\irtre, d'autres moyens de gouvernement 
que l'oubli des autorités. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 69 

L'on se racontait avec une angoisse pro- 
fonde la biographie de tous les chefs qui 
s'avançaient et qui allaient peut-être re- 
devenir les maîtres. Terrible histoire, lé- 
gende féroce! Au milieu de tous ces types 
farouches, à côté de Porfirio Diaz, qui seul 
semblait avoir conservé quelque chose de 
civilisé, c'était, en tête, Juarez, un Indien, 
un de ces Indiens soumis^ de race serve, 
qu'il ne faut pas confondre avec les Indiens 
de race militaire que représentent si noble- 
ment dans cette histoire le noble Mejia et 
le hardi Mendez. Ce Juarez, Indien pur, 
avec les qualités et les défauts des races 
esclaves, était patient, honnête, obstiné, 
étroit, ignorant, facile à conduire par les 
préjugés et tenace dans les plus étranges 
idées, comme un nègre. Avocat disert, il 
avait la vertu de pouvoir parler sur tout et 
sans repos; c'était, avec la persévérance, 
sa seule qualité politique. Mais il était com-^ 



70 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

plétement dominé par Lerdo de Tejada, 
\ diplomate habile, homme âpre et haineux, 
que ses amis mêmes surnomment la vessie 
de fiel. On trouvait ensuite Corona, actif et 
intelligent, que beaucoup d'entre nous ont 
connu à Paris et qui semblait avoir beau- 
coup oublié de son éducation européenne ; 
Escobedo, habile dans la science d'injurier 
] les gens qu'il va assassiner et dont le génie 
! militaire, irrésistible au Mexique, consiste 
dans l'art d'acheter les généraux ennemis ;* 
Canalès qui, dans les villes oîi il entrait, 
ouvrait, comme il disait, des bourses de 
commerce, c'est-à-dire faisait chaque jour 
fusiller quelques négociants pour engager 
les autres à lui ouvrir leur cofiFre-fort; Salas, 
qui venait de se sauver de la prison de Real- 
del-Mônte, oîi il était détenu pour assassi- 
nat; Antonio Ferez, chef de plateados (dé- 
trousseurs des convois d'argent), et cent 
autres de même espèce. 



r 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 7i 

« Le pillage, le meurtre, la confiscation 
des propriétés forment le sinistre programme 
des insm*gés, » disait V Estafette de Mexico, 
à la date du 11 octobre. 

C'était bien là le résumé de la situation, 
et Ton se racontait, comme l'exemple de ce 
qui menaçait Mexico, ce qui venait d'arriver 
h Los ihanos de Apam, dans Apam même, 
petite ville située à quinze lieues de la 
capitale. 

Au mois d'octobre, en effet, quatre mois 
avant le départ de l'armée française, Anto- 
nio Perez était arrivé jusque-là. Il y avait 
établi son quartier général , d'où , après 
avoir dévasté la ville même, il se précipi- 
tait sur les haciendas voisines* On se redi- 
sait à Mexico les affi'eux détails de ces ra- 
vages. On nommait les treize jeunes filles les 
plus belles, les plus honorables du bourg 
qui avaient été ravies par ces routiers. 
L'on rappelait les supplications des mères ^ 



T2 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS - 

des victimes elles-mêmes qui cherchaient 
à fuir le déshonneur par la mort. Au moins, 
disait-on, dans les anciennes guerres, les 
chefs seuls étaient redoutables, et les pau- 
vres Indiens, enrôlés de force, ne cher- 
chaient dans la victoire d'autre récompense 
que la possibilité de fuir, et de regagner leurs 
foyers. Maintenant, les Juaristqs sont escortés 
par ces soldats yankees qui ont vidé Bagdad, 
Matamoros, etc., dune façon nette à faire 
envie auxplateados eux-mêmes. Ils sont ac- 
compagnés par ces nègres de l'armée fédé- 
raie, qui, traduisant en actes dénués de tout 
artifice diplomatique et avec la naïveté pra- 
tique de la race noire le fond des senti- 
ments de&politiciem de Washington, avaient, 
comme bouquet du pillage de Matamoros, 
supplicié un Français, — Roques, c'est son 
nom, je crois. — -. Ils l'avaient tué avec des 
raffinements de cruauté, après avoir violé sa 
femme sous ses yeux. C'était là, pensaient 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 73 

les colons français, ce que devra attirer sur 
nous cette qualité de Français dont nous 
sommes si fiers ! 

Qu'avait-on pour se défendre contre ces 
menaces sinistres ? L'armée impériale mexi* 
caine. C'est à son organisation que Maximi- 
lien travaillait de toutes ses forces, avec cette 
activité laborieuse qui le distinguait. 

Une certaine quantité de soldats et d'offi- 
ciers français, libérés ou non du service mi- 
litaire, s'étaient engagés dans l'armée mexi- 
caine avec l'autorisation du gouvernement 
français. Ils servirent de noyau et de cadres 
pour la formation de dix-sept bataillons de 
cazadores. Ces cazadores, chasseurs, pré- 
sentaient un effectif d'environ 15,000 hom- 
mes, auxquels il fallait joindre dix régiments 
de cavalerie. ^— Le premier de ces régiments, 
régiment de l'impératrice, était commandé 
par Lopez, le fameux Lopez de Queretaro. — 
Outre ces corps à demi mexicains, Maximi- 



74' HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

lien avait quelques troupes, purement eu- 
ropéennes. C'étaient, au 15 décembre 1686, 
trois compagnies de gendarmerie : r la 

compagnie de Mexico, 280 hommes, 202 che- 

« 

vaux , commandant Tindal fils ; le père, 
lieutenant-colonel, était commandant en 
chef de la gendarmerie ; 2** la compagnie de 
Puebla, 280 hommes, 200 chevaux, com- 
mandant Chenet, que nous allons voir à la 
tête de la contre-guérilla française; 3"* la 
compagnie d'Orizaba, 250 hommes, 20 che- 
vaux, commandant Roude. C'était encore 
le régiment des hussards rouges, formé des 
débris des hussards et hulans autrichiens, 
— 700 hommes, 700 chevaux, — comman- 
dant KhevenhuUer, — et le bataillon Ham- 
merstein, — 800 hommes. — Enfin, le 25 dé- 
cembre, le général La Madrid obtint de 
l'empereur l'autorisation de former une 
compagnie d'Européens sous le nom de 
grenadiers à cheval , qui devinrent plus tard 



DE L'EMP^ MEXICAIN. 75 

cazadores. 11 est vrai qu'on prît dans les 
compagnies de gendarmerie de Mexico et de 
Puebla 100 cavaliers montés et équipés 
pour servir de noyau à cette nouvelle orga- 
nisation . 

Nous verrons à la suite de quelles querel- 
les avec Tétat-major français cette petite ar- 
mée, où Maximilien avait mis toutes ses 
ressources et pour l'organisation de laquelle 
il avait fait vendre jusqu'à son argenterie, 
fut presque complètement détruite. 

On n'avait plus assez d'argent pour solder 
la légion étrangère belge et autrichienne, qui 
avait été licenciée. L'ardeur martiale des 
soldats belges n'avait pu aller plus loin que 
Monterey ; là ils s'étaient mutinés en son-^ 
géant aux douceurs du foyer domestique fla- 
mand, et ils avaient demandé qu'on les ra-- 
menât à Bruxelles. On les y ramenait. 

A la fin de décembre 1866, il ne restait 
donc que les corps que j'ai indiqués plus 



76 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

haut; mais ils étaient assez complets et 
paraissaient assez solides. 

Pourtant, dès cette époque, — et que dut- 
ce être quand les incidents dû mois suivant 
les eurent démantelés et désagrégés, — l'o- 
pinion, à Mexico, les regardait comme in- 
suffisants pour lutter contre Tarmée tripar-^ 
tie^ pour ainsi dire, de Juarez. Cette armée 
se composait, en effet, des troupes libérales 
dont nous pouvons louer peut-être le patrio- 
tisme, mais sans aucun doute la persé- 
vérance , et qui avaient toujours tenu la 
campagne contre les Français ; des bandits 
mexicains qui avaient toujours tenu la cam- 
pagne contre les propriétaires ; enfin des va- 
gabonds de toute race et de toute couleur, . 
accourus des États-Unis ; le tout réuni, 
exercé, fortifié par des officiers instructeusrs 
de Tarmée fédérale. Pour les Juaristes, les 
hommes ne manquaient pas : on pouvait 
presser les Iniens par centaines de mille. — 



DE L*EMPIBE MEXICAIN. 77 

Les Indiens nous lavons dit, sont la chair à 
canon de tous les partis au Mexique. — Les 
armes et les munitions abondaient : les États- 
Unis, après la défaite du Sud, ne demandaient 
pas mieux que de vider, moyennant finance, 
leurs arsenaux en faveur des républicains. 
L'argent ne manquait pas non plus, puis- 
qu'on pillait, au nom de la libertad y inde- 
pendencia, les fermes, villes ou villages qui 
ne consentaient pas à payer des impositions 
considérables. 

Tout cela paraissait formidable. Les récits, 
comme ceux qui racontaient l'histoire dç 
Los Ihanos de Apam, foisonnaient. Les habi- 
tants de Mexico, de Puebla et de quelques 
autres villes, qui tenaient encore pour l'em- 
pire, commencèrent à pratiquer ces exer- 
cices où les citoyens mexicains sont deve- 
venus si experts : on commença à ensevelir 
le mobilier, à fermer les boutiques, à ren- 
voyer les employés, à retourner les habits et 



78 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

à effilocher désespérément les quelques vête- 
ments que la civilisation la plus rudimen- 
taire rend obligatoires. 

Pendant ce temps, — fin décembre 1866, 
— Maximilien revenait d'Orizaba et s'arrê- 
tait à rhaciendade la Teja, à une demi-lieue 
de Mexico, où il ne rentra qu'à la fin de 
janvier. Les Impériaux, livrés à leurs pro- 
pres forces, essayaient de reprendre l'offen- 

T 

sive. Miramon s'avançait vers le nord, oh il 
devait donner la main à Mejia et à xMendez, 
et oîi nous le retrouverons bientôt. 
. Mais un gros parti ennemi était déjà en- 
tré dans la province de Mexico. Le temps 
pressait. L'empereur était à peine arrivé 
à la Teja, que Ton annonça la prise, par les 
Juaristes, de Cuernavaca, située à dix-sept 
lieues de la capitale. 

Placée dans une position ravissante, au 
milieu des terres les plus fertiles du monde, 
cette petite ville enchanteresse, qui semble 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 79 

faite pour donnei* ane idée du paradis ter- 
restre, avait été le séjour favori de Fernand 
Cortez, qui y fit bâtir un palais au centre du 
jardin célèbre dans tout le Mexique. Maxi- 
milien avait acheté cette propriété, qui lui 
était chère entre toutes. C'était de là aussi 
que Mexico tirait la plupart de ses appro- 
visionnements. 

La surveillance de cette partie des envi- 
rons de la capitale avait été confiée à l'une 
des plus vaillantes troupes, à la Compagnie 
franche des partisans de Mexico, comman- 
dée par le capitaine Clary. Cette compagnie 
fut obligée de cesser son service quand le 
départ de l'armée française fut décidé. Les 
dissidents qui parcouraient les frontières 
septentrionales d'un État voisin, Oaxaca, se 
jetèrent sur le pays, dès qu'ils apprirent 
l'absence du capitaine Clary. Ils s'avancèrent 
jusqu'à Cuernavaca, qu'ils prirent, qu'ils 
pillèrent et oîi ils déployèrent naturellement, 



80 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

pour saccager le palais de Maximilien, tous 
les soins de l'expérience la plus consommée. 

Il fallait reprendre Guernavaca. On rassem- 
bla 300 gendarmes, 150 cazadores; on mit à 
leur tête Paolino La Madrid, colonel com- 
mandant la garde municipale de Mexico. La 
petite troupe prit la route du sud-ouest, qui 
mène au Pacifique par Tixtla et Acapulco, 
route accidentée et dangereuse qui monte 
jusqu'à cette étrange contrée, connue sous 
le nom de Pedregal. Là on rencontre, sur 
une largeur d'une dizaine de lieues, un 
pays désolé, une terre volcanique, infertile, 
inhabiiée, une sorte de long ruban de 
pierres, de cendres, de laves, au bout du- 
quel apparaît cette mignonne réduction du 
paradis terrestre : Guernavaca. 

Aux abords de cette ville , La Madrid rencon- 
tra la petite garnison impériale, qui en avait 
été chassée et qui se joignit à sa colonne. 
A leur approche , l'ennemi, selon l'usage, 



DE L'EMPIRB MEXICAIN. 8i 

s'était éloigné. Ils entrèrent sans coup férir. 
Le soir, on apprend que l'ennemi, — espé* 
rant qu'on lui rendra procédé pour procédé, 
et que, puisqu'il n'a rien laissé à piller, l'on 
se retirera courtoisement, — se forme en 
dehors des fortifications. La Madrid fait son* 
ner à cheval. Puis, sans s'occuper de savoir 
s'il est suivi, il pique des deux, franchit les 
murailles. Trois trompettes et quatre cava- 
liers le rejoignent. Il continue son chemin. 
A 200 mètres de la place, il tombe dans une 
embuscade. Cent coups de fusil éclatent. Les 
trois trompettes et deux de ses cavaliers sont 
tués. Lui, blessé au front, fait demi-tour et 
revient vers ses cazadores. Ils achevaient de 
franchir les fortifications. Surpris au milieu 
d'une évolution par l'arrivée des ennemis, 
ils se mettent à la débandade et culbutent la 
gendarmerie qui les suivait. Celle-ci se re- 
forme sous les ordres de La Madrid. L'enne- 
mi démasque une pièce d'artillerie qui fou- 

5. 



82 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

droie les Impériaux, jusqu'à ce que le lieu- 
tenant Imbert, à la tête de vingt gendarmes, 
parvienne à s'en emparer. Les libéraux cè- 
dent. La nuit est venue. On rentre à Cuer- 
navaca. Le colonel a disparu. Le lendemain, 
on pousse une reconnaissance. On le trouve 
au milieu d'un tas de morts, admirablement 
dépouillé et si horriblement mutilé qu'on 
le reconnut seulement à sa belle barbe noire, 
célèbre dans tout Mexico. 

Ce La Madrid n'était pas, à vrai dire, un 
^militaire. Il était renommé comme le plus 
habile laceur du Mexique, comme Thomme 
qui, avec son laço^ exécutait les tours de 
force les plus difficiles , laçant tel pied du 
cheval avec le cou de la bête, liant tel 
pied désigné de l'animal avec le corps du ca- 
valier. Mais, par-dessus tout, il était brave et 
loyal, et nous n'avons pas voulu oublier cette 
noble figure mexicaine quand nous avons à 
présenter tant de basses physionomies. 



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DE L'EMPIRE MEXICAIN. 83 

On revint à Mexico, d'oîi Ton fut immé- 
diatement envoyé à Tolitca^ — à 1 6 lieues : 
l'ennemi gagnait, — pour dégager la garni- 
son. On la ramena vers la capitale, traînant 
à la suite les habitants qui voulaient fuir les 
vengeances juaristes. Le convoi était long. 
Ce ne fut ni sans grand'peine, ni sans gran- 
des pertes que l'on parvint à passer les célè- 
bres défilés de las Cnices. Plusieurs de nos 
compatriotes n'oublieront pas cette rude 
retraite. 

L'ennemi gagnait , avons-nous dit , et 
Mexico tombait en frayeur mortelle. L'or 
s'enfouît àdes profondeurs inconnues jusque- 
là, les boutiques se fermèrent comme des 
tombes et les habits prirent des apparences 
lamentables, lorsqu'après ces deux expédi- 
tions l'on apprit, au- commencement de jan- 
vier 1867, que la petite armée impériale 
allait recevoir le coup mortel, et cela, au 
nom de V empereur Napoléon. 



*<"•*• 



90 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

L'intérêt français -et l'intérêt mexicain 
étaient, en effet, en lutte sur cette question. 
Un certain nombre de nos soldats, libérés ou 
non du service militaire, étaient entrés dans 
cette armée mexicaine. Ils avaient été auto- 
risés, avaient reçu une prime d'engagement et 
avaient prêté serment à l'empereur Maximi- 
'lien. Quand le départ de nos troupes fut dé- 
cidé, il y eut, paraît-il, quelque hésitation 
sur le point de savoir si l'on devait ou non 
laisser ces auxiliaires à Meucimilien. Lui eus- 
sent-ils sauvé l'empire et la vie ? L'empire, 
non, sans doute; la vie, cela paraît vraisem- 
blable. Je n'ai pas rencontré un seul voya- 
geur qui n'affirme qu'un corps de 5,000 Eu- 
ropéens ne puisse se porter sur tous les 
points qu*il lui plaira du Mexique, en culbu- 
tant toutes les forces di^ pays. Quoi qu'il en 
soit de cette vérité ou de cette présomption, 
le désir d'arracher le plus grand nombre 
possible de nos nationaux aux vengeances 



DE L*EMPIRB MEXICAIN. 16 

juaristes remporta sur toute autre consîdé- 
ration. 

L'avenir dira si ce fut le seul motif déter- 
minant et quel a été le sens exact des ordres 
envoyés de Paris au maréchal. J'ai eu entre 
les mains tous les documents de la question, 
sauf ceux-là, et je citerai des ordres du jour 
cil l'autorité de l'empereur Napoléon e^t 
nettement invoquée pour ordonner le rapa- 
triement de tous nos compatriotes. 

J'insiste sur ce point, dont Escobedo fît un 
des incidents les plus douloureux pour nous 
dans cette lugubre histoire. Nous raconte- 
rons quelle inattendue et féroce interpréta- 
tion il sut donner à la circulaire par laquelle 
le maréchal, pour vaincre toute hésitation, 
rappelait la loi qui prive de sa qualité de fran- 
çais tout Français ayant accepté du service 
sous un gouvernement étranger. 

Le gouvernement mexicain lutta de toutes 
ses forces contre ces prétentions de notre 



80 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

état-major. Il sentait bien qu'on lui enlevait 

l'une des dernières chances de salut. Il di- 
sait que c'était avec le consentement du gou- 
vernement français que ces soldats s'étaient 
engagés; ils l'avaient fait librement; ils 
étaient liés pour cinq ans encore ; ils avaient 
reçu une prime de 25 piastres que leur avait . 
versée, malgré sa détresse, le trésor mexi- 
cain, auquel chacun d'eux avait coûté 
325 piastres. Les officiers qui tenaient à 
rester affirmaient, eux aussi, que c'était avec 
l'autorisation explicite du maréchal qu'ils 
avaient prêté serment à Maximilien; ils 
niaient le droit qu'on s'arrogeait de les rele- 
ver de ce serment et de leur enlever la qua- 
lité de français. 

Je ne veux pas exposer trop minutieuse- , 
ment cette affaire, malgré son extrême im- 
portance. Il suffit d'en noter quelques détails 
officiels, qui montreront avec quelles diffi- 
cultés était aux prises Maximilien, avec 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 87 

quelle tournure à la fois indécise et fiévreuse 

se présentait tout incident. Ces détails, im- 
partialement généralisés par l'esprit du lec- 
teur, permettront de mieux comprendre la 
position réciproque du prince et des chefs de 
l'armée d'occupation. 



83 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 



JANVIER 1867. 

QUERELLES ENTRE L'EHPEREUR ET L'eTAT-MAJOR FRANÇAIS 

QRCULAIRE DU MARECHAL BAZA1NE. 

CONFERENCE IMPERIALE. — SIEGE DE TEXCOCO. 

CAMPAGNE DE MIRAMON. — BATAILLE DE SAN-JACINTO. 



Le 7 janvier 1867, le général Douay, com- 
mandant la r* division militaire, et sur le- 
quel nul, à ma connaissance, n*a cherché à 
faire retomber aucune désagréable respon- 
sabilité, écrit à divers officiers français enga- 
gés au service mexicain. Je prends, par 
exemple, le commandant de la gendarmerie, 
à Puebla. Le général lui écrit : « Son Exe. le 
maréchal commandant en chef a donné 
Tordre formel à M. le lieutenant-colonel 
Tindal, commandant la gendarmerie mexi- 
caine, de renvoyer immédiatement les mi- 
litaires français qui sont entrés dans la gen- 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 89 

darmerie mexicaine et qui sont encore liés 
au service français. Je vous prie d*assarer 
l'exécution de cette disposition, » etc. 

, Cette première dépêche n'indique encore 
que les militaires liés au service français. 
C'est sur ce terrain que la lutte s'engage 
entre l'état-major de l'armée de l'Interven- 
tion et le gouvernement mexicain. On com- 
prend dans quelle pénible situation se trou- 
vent nos officiers franco-mexicains, placés 
qu'ils sont entre leur devoir français et leur 
devoir mexicain, entre le maréchal qui les 
punit pour inexécution de ses ordres, et le 
général mexicain qui les punit pour exécu- 
tion des ordres du maréchal. On conçoit 
avec quelle persévérance ils demandent des 
explications précises, pertinentes et concor- 
dantes, d'autant plus que maint soldat, après 
avoir mangé sa prime de 25 piastres, était 
fort disposé à vçir dans les ordres du gou- 
vernement français les ouvertures les plus 



90 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

satisfaisantes et des chances inespérées de 
rentrer dans la vie indépendante. 

Le H janvier, le général Douay envoie 
une nouvelle dépêche : 

« L'empereur Napoléon III, — je cite 
textuellement, — par une dépêche que me 
transmet le maréchal commandant en chef, 
prescrit de rapatrier tous les Français, sol- 
dats et autres^ qui désirent rentrer, ainsi 
que les légions autrichienne et helge^ si elles 
le désirent. En présence de prescriptions 
aussi formelles, je dois accueillir toutes les 
demandes qui me seront faites par nos na- 
tionaux. Je le ferai surtout pour les Fran- 
çais qui ont servi sous notre drapeau, dont 
la protection leur est assurée. J'ai lieu de 
penser que cette lettre dégagera votre res- 
ponsabilité au sujet des militaires de votre 
compagnie qui pourraient réclamer le béné- 
fice des intentions bienveillantes de notre 
souverain. » 



DE L*EUP1RE MEXICAIN. 91 

Sans doute ces intentions étaient bien- 
veillantes, patriotiques et humaines : il s'a- 
gissait de limiter le plus possible les con- 
séquences funestes d'une déf^dte politique; 
mais Maximilien avait le droit de penser 
qu'on était rigoureux et injuste à son égard. 
Il voyait bien qu'on cherchait à l'affaiblir de 
plus en plus pour rendre plus impérieuse la 
nécessité de son abdication. Nous pouvons 
aujourd'hui, en contemplant sa mort, pen- 
ser que plût à Dieu qu'on eût rendu cette 
nécessité inévitable. Mais lui ne pouvait 
voir là qu'une violence, analogue à celle 
qu'on fait à un enfant indocile pour le forcer 
à obéir à son maître. 

Puis le terrain du débat avait bien changé, 
et les perspectives se trouvaient singulière- 
ment agrandies. Ce n'était plus seulement 
aux soldats engagés dans le service militaire, 
mais à tous les Français, à tous les Euro- 
péens, que ces intentions bienveillantes 



92 HISTOIRE DBS DERNIERS MOIS 

offraient de quitter le Mexique. C'était la 
ruine complète de l'armée impériale. Notre 
capitaine de gendarmerie le comprenait. Il 
communiquait, comme c'était son devoir 
meocicain, cette lettre au général Noriega, 
commandant à Puebla pour l'empereur. 
Le 13, par dépêche télégraphique datée de 
Mexico, 10 heures 40 minutes du matin, il 
recevait du baron Tindal, commandant la 
gendarmerie mexicaine, l'ordre : « Ne don- 
nez aucun homme. Je demande de nouvelles 
instructions à l'empereur. Je vous enverrai 
un télégramme sitôt que j'aurai reçu la 
réponse. » A 11 heures 10 minutes vient ce 
télégramme : « Par ordre de l'empereur, je 
vous défends de remettre un seul gendarme 
français au général Douay. » 

La position devenait pénible pour notre 
officier. Il communique, comme c'est son 
devoir français^ les dépêches du colonel 
Tindal au général Doùay, du chef d'état- 



DE L'EMPIRE UEXIOAIN. 93 

major duquel il reçoit ce même jour, 13 jan- 
vier, la lettre suivante : 

« Le général Douay ne vous demande pas 
de lui remettre les gendarmes; il se borne 
simplement à donner, ainsi qu'il y est auto- 
risé par les instructions du gouvernement 
français, la facilité du rapatriement à tous' 
les militaires ou civils qui le demandent, et il 
continuera, jusqu'à de nouvelles instructions, 
à recevoir sous la protection de l'armée fran- 
çaise tous les nationaux qui le solliciteront. » 

L afiTaire paraissait devenir de plus en 
plus obscure, et je crois que notre gen- 
darme ne se trouva point parfaitement ren- 
seigné. Pourtant je ne sais si j'interprète 
mal cette missive rédigée avec une grande 
habileté, mais il me semble qu'elle éclaire 
bien la situation. On dégageait la responsa- 
bilité de l'officier, on ne lui demandait 
d'user d'aucune rigueur, mais on offrait la 
protection de l'armée française, contre le 



94 HISTOIRE DBS DERNIERS MOIS 

gouvernement mexicain, à tous les Fran- 
çais, quels qu'ils fussent, môme liés par un 
engagement, par leur serment, qui vou- 
draient quitter Tarmée mexicaine. 

Quelle conduite allait tenir Maximilien? 
Avait-il quelque moyen de lutter effective- 
ment contre ces prétentions? Nous ne le 
croyons pas. 

Le 14, nouvelle dépêche, moins ferme, du 
baron Tindal. Enfin le même jour, il envoie 
le télégramme suivant : 

« Remettre au général Douay tous les mi- 
litaires français qui seront dans votre com- 
pagnie. Naturellement vous leur ôterez leurs 
armes, chevaux, » etc* 

On sauvait les effets : c'était tout ce qu'on 
avait pu faire. Ainsi la question est décidée 
contre l'empereur pour tous les Français. 
Maximilien continue les négociations pour 
arriver à ce qu'on ne lui enlève pas les au- 
tres Européens. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 95 

Cette conduite faillit, du reste, produire 
l'effet attendu. Il semble que les hésita- 
tions du prince n'eussent pas complètement 
cessé. Le 14 janvier, il réunit, en une con- 
férence, sous la présidence de Larès, trente- 
quatre des plus considérables partisans de 
l'empire. — Je ne compte point dans ce 
nombre le maréchal Bazaine, qui pour- 
tant assista à cette réunion. — On posa 
de nouveau la question : Devait-on con- 
server l'Empire? Pouvait-on espérer le con- 
solider ? 

On établit que l'armée comptait plus de 
20,000 hommes, que les revenu^ donnaient 
plus de 11 millions de piastres. Marquez 
prouva que cela était plus que suffisant pour 
triompher des rebelles. Les deux tiers des 
membres présents se prononcèrent pour la 
continuation de l'empire. Les deux évêques 
qui faisaient partie de la réunion s'étaient 
abstenus de voter. 



96 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

L'empereur fit vendre tout ce qui lui res- 
tait, pour venir en aide au trésor. Mais je 
ne crois pas qu'alors encore il fût bien con- 
vaincu de la sagesse de sa décision. Dans la 
soirée du 1" février 1867, je le trouve en 
conversation avec M. J. M . Blasio, son secré- 
taire particulier, et un gentilhomme fran- 
çais, qui resta auprès de lui jusqu'à la der- 
nière extrémité. 

— Plus que jamais, disait le prince, je 
suis décidé à rester au Mexique. D'ailleurs 
la conduite que Ton a tenue à mon égard au 
sujet de mon abdication m'en fait une ques- 
tion d'honneur ! 

Faisait-il allusion à la conduite des Fran- 
çais ou aux marques d'attachement que lui- 
avaient données les conservateurs mexi- 
cains? Je ne sais ; mais je crois voir dans ces 
paroles une réponse à bien des objections 
qui s'élevaient au fond de ses pensées inti- 
mes. 11 ajouta, en congédiant le Français, et 



DE L*BMPIRB MEXICAIN. 97 

en lui jetant on regard que celui-ci n'ou- 
bliera pas : 

— Noblesse oblige. 

C'était bien là l'argument décisif, c'était 
ce qui coupait court à toutes les objections 
de son jugement; c'était la grande pensée 
qui anima d'un souffle si vigoureux ses pa- 
roles dernières. 

Il avait été décidé que l'armée française 
quitterait définitivement la capitale le 1 " fé- 
vrier. Pendant tout ce mois de janvier, 
Mexico était agité par un double mouve- 
ment. La ville se remplissait de Mexicains 
accourant de l'intérieur; elle se vidait des 
Européens qui suivaient les divers corps 
français traversant Mexico en venant du nord 
ou du centre et continuant leur route vers la 
Vera-Cruz, point d'embarquement. 

L'ennemi gagnait toujours, d'ailleurs. 
Dans la dernière quinzaine de janvier, il 
assiégeait Texcoco, ville importante, séparée 



98 HISTOIRE DES:|DBRNIBRS MOIS 

de la capitale par le lac du môme nom. 
Maximilien avait décidé un mouvement de 
concentration sur Mexico. C'est à cette épo- 
que que je vois paraître dans mes notes deux 
personnages qui doivent jouer un rôle bien 
différent dans cette histoire et qui se trou- 
vent face à face pour la première fois : le 
commandant Chenet, futur chef de la con- 
tre-guérilla française, et le colonel Lopez. 
Celui-ci était alors renommé par son dévoue- 
ment à l'empereur, et célèbre pour la con- 
duite courageuse qu'il venait de tenir dans 
la campagne du Nord contre les flibustiers 
yankees* 

Le commandant Chenet venant de Puebla, 
à la tête de sa compagnie de gendarmes, se 
rendait à Mexico, avec tout ce qui restait 
de troupes européennes, avec le bataillon 
Hamerstein et le régiment des hussards 
rouges. Le 25 janvier, le général La Cadena, 
commandant la colonne, le fit appeler. Il 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 99 

lui ordonna de se rendre, avec sa compagnie 
de gendarmes et celle d'Orizaba, à Texcoco 
pour faire évacuer la ville que Lopez, avec 
700 hommes, défendait à grand peine contre 
les Juaristes. Il lui donnait, en outre, Tordre 
de faire sauter les fortifications, de ramener 
à Mexico le préfet politique, les archives et 
environ 500 prisonniers libéraux. 

La mission était honorable, mais délicate. 
Le préfet était général, Lopez, colonel; Tor- 
dre devait leur être absolument désagréable; 
il leur était porté par un simple comman- 
dant, et notre commandant, sceptique comme 
tout Français sur la loyauté mexicaine , était 
convaincu que la première pensée de tout 
Mexicain recevant une consigne est d'es- 
sayer de s'y soustraire en passant à l'en- 
nemi. Il commença par demander à La Ca- 
dena des pleins pouvoirs écrits. Cette sage 
défiance Thonora aux yeux de son chef qui 
lui donna sa signature. Puis notre gendarme 



400 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

partit dans la nuit du 25 au 26 janvier et 
arriva à Texcoco à sept heures du matin. Il 
avait traversé les avant-postes juaristes, dont 
les ardeurs belliqueuses n'étaient pas encore 
éveillées, et qui le laissèrent passer. 

Le commandant commença par disposer 
sa troupe en bataillon sur la place de la ville 
avec toutes les précautions naturelles à un 
officier français qui a fait les campagnes de 
Crimée et d'Italie, et qui ne veut pas être 
mis dedans par des Mexicains. Il alla ensuite 
trouver le préfet politique, auquel il apprit 
l'objet de sa mission. Celui-ci, furieux, 
commença par ofiFrir très-gracieusement 

» 

d'envoyer les gendarmes loger chez l'habi- 
tant. Le commandant répondit que ses 
hommes adoraient le grand air. Puis faisant 
remarquer leur tournure martiale, il de- 
manda à Son Excellence s'il n'y aurait pas 
vraiment quelque crime à déranger des 
o mines si parfaitement postés au centre de 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. iOI 

la ville, et disposés à obéir au premier signe 
de leur commandant. Le préfet monta de la 
gracieuseté à la tendresse. Lopez arriva sur 
ces entrefaites. 

Il débuta par affirmer rudement qu'un 
général et un colonel n'avaient pas d'ordres 
à recevoir d'un commandant. Le préfet poli- 
tique lui fit observer la belle ordonnance 
que gardaient les gendarmes. Lopez, quit- 
tant la rudesse pour l'éloquence, assura qu'il 
n'avait aucune envie de s'opposer aux vo- 
lontés du général La Cadena, mais il prouva 
victorieusement qu'on serait attaqué à la 
sortie, que les prisonniers ne pourraient pas 
être gardés, ni les archives défendues, ni les 
retranchements abattus. 

Le commandant n'avait rien à répondre à 
cette éloquence. Il salua silencieusement et 
il sortit. 

« 

Il fit saisir toutes les barques sur le lac 
et y fit embarquer les prisonniers et les ar- 



< . 



402 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

chives. Puis il annonça bruyamment son 
départ pour le lendemain à huit heures du 
matin. 

Le soir venu, un piquet de gendarmes 
recueillit les Indiens de bonne volonté ; — et 
comment un Indien pourrait-il n'être pas de 
bonne volonté en face d'un gendarme? — 
on les conduisit aux retranchements, qu'ils 
commencèrent à raser, avec l'aide des sol- 
dats de Lopez. A une heure du matin, l'ou- 
vrage étant fort avancé, le commandant alla 
trouver le colonel et le préfet, leur indiquant 
son intention de partir à deux heures. Il n'y 
avait plus de fortifications, il fallait bien 
suivre. 

A deux heures. Son Exe. le général et le 
senor colonel quittaient Texcoco, à la tête de 
leur armée. Le commandant, après avoir mis 
partie de sa troupe à l 'avant-garde, partie à 
l'arrière-garde, et flanqué le corps mexicain 
de 25 gendarmes de chaque côté, vint se met- 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 103 

tre respectueusement aux ordres de M. le pré- 
fet politique, qui avait passé de la tendresse 
au dévouement, et de M. le colonel qui de la 
gravité était arrivé à Taustérité. Mais il y 
ïtvait trop de gendarmes en avant comme en 
arrière : Tun réserva pour une plus facile oc- 
casion son dévouement? l'autre son austérité. 
On traversa de nouveau l'armée ennemie. 
Les Juaristes n'attendaient les ennemis qu'à 
huit heures du matin; leur ardeur guerrière 
était encore endormie, elle se réveilla quel- ' 
que peu pourtant. Pendant que les gendarmes 
entraient dans leurs lignes, ils se répandi- 
rent, à distance, en injures contre la lâcheté 
des Européens, qui partaient plus tôt qu'ils 
ne l'avaient annoncé. Enfin, se rappelant que 
la ville était ouverte f ils se précipitèrent, 
— pendant que les assiégés passaient à tra- 
vers leur camp , — vers Texcoco pour se 
venger sur les magasins de la fourberie 
couarde des Impériaux. 



104 HISTOIRE DBS DERNIERS MOIS 

J'ai raconté avec détail ce fait qui éclaire 
mieux qu'une dissertation la situation mili- 
taire. 

Ce fut peu de temps après cette petite ex- 
pédition, que nos Européens apprirent la 
fatale issue de la bataille de San-Jacinto et 
l'horrible exécution ^ui suivit cette défaite. 

Au commencement de janvier, Miramon, 
on se rappelle, s'était dirigé vers le Nord. Il 
avait pour but de saisir Juarez, de débar- 
rasser les provinces de Zacatecas (à plus de 
170 lieues au nord de Mexico) et de Du- 
rango. Il devait ensuite rallier les troupes 
impériales qui défendaient le centre de 
l'empire. 

Il avait attaqué et emporté Zacatecas et 
poursuivi les dissidents jusqu'à 3 lieues de 
la ville, — 27 janvier. — Il avait failli pren- 
dre Juarez, qui ne dut son salut qu'à la vi- 
tesse de ses mules. Il avait rallié divers corps, 
et avec une armée de six mille hommes en- 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. i05 

viron, il s'était porté à la rencontre d'un 
corps juariste, d'égale force, commandé par 
Escobedo. 

Les deux troupes s'étaient rencontrées à 
San-Jacinto, petit village situé près de la 
capitale du Zacatecas. Au milieu de l'action, 
un régiment de Miramon, acheté par Esco- 
bedo, s'était brusquement tourné contre ses 
compagnons de l'armée impériale. Celle-ci, 
surprise et ainsi trahie, avait été obligée de 
mettre bas les armes. Miramon, avec quel- 
ques cavaliers, avait pu s'échapper. Il rejoi- 
gnit le général Castillo, son brigadier, près 
de San-Luis de Potosi. Il se trouva ainsi 
à la tête d'une nouvelle colonne forte de 
3,000 hommes. Il fut attaqué à la Quemada, 
au pied des montagnes qui séparent au sud 
l'État de San-Luis de Potosi de l'État du Gua- 
najuato, entre la ville de San-Felipe et celle 
de Dolores-Hidalgo. On peut voir la course 
qu'il avait faite depuis San-Jacinto. Il re- 



^ I 



406 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

poussa Tennemi, qui n'avait pas eu le temps 
d'acheter quelque colonel. Il continua son 
mouvement de retraite sur Queretaro, oii 
il arriva le 10 février. Mejia, à la tête de 
900 hommes, commandait la place. 

Je suis heureux d'avoir pu me procurer le 
nom de ce régiment (8* régiment de cavale- 
rie) qui trahit à San-Jacinto. J'ignore le nom 
de son colonel ; je le voudrais confier à l'his- 
toire. C'est à cette première trahison qu'il 
faut attribuer la ruine de l'empire, qu'une 
série d'autres trahisons devait consommer. 
Là du reste, comme à Queretaro, la férocité 
devait couronner l'œuvre. 

Escobedo fit trier parmi les prisonniers de 
guerre 104 officiers européens, parmi les- 
quels 97 Français. Il les fit fusiller par grou- 
pes de 10, comme un troupeau, après avoir 
rappelé aux Français qu'ils n'étaient plus que 
des bandits depuis la circuteire du maréchal 
Bazaine. Celle-ci, on se le rappelle, déclarait 



r'W 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. i07 



déchus de leur qualité de Français tous ceux 
qui resteraient dans Tarmée impériale. Il est 
probable que beaucoup de ces officiers, en-. 
gagés dans l'intérieur ou partis avec Mira- 
mon, ignoraient toute cette discussion entre 
letat-major français et le gouvernement 
mexicain. 

J ai le regret d'ignorer aussi les noms de 
ces pauvres soldats fusillés. Je sais seulement 
qu'ils appartenaient au bataillon de cazado- 
res du Zacatecas, à la compagnie des gen- 
darmes du Guadalajaron, commandant Lau- 
rent, ancienne et célèbre compagnie du 
brave commandant Bertelin. 

Il y avait dans l'acte d'Escobedo quelque 
chose de si insolemment féroce qu'il sem- 
blait un accès de folie furieuse. On ne put 
l'expliquer qu'en songeant à la couardise se 
vengeant avec raffinement de l'ennemi en- 
chaîné qui l'a fait longtemps trembler. Mais 
la sauvagerie de l'Indien mâtiné se montrait 



i08 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

si à clair, que, même au Mexique, même 
aux États-Unis, la conscience publique se 
révolta. Les compagnons des victimes sur- 
tout se sentirent exaspérés. 

On voulut faire retomber la faute première 
de cette exécution sur le maréchal Bazaine, 
fort innocent et, nous l'espérons, fort at- 
tristé de l'atroce interprétation qu'un sau- 
vage pouvait donner à ses proclamations. Je 
ne publierai donc pas in extenso une lettre 
que j'ai là, signée par dix officiers français 
restés au service de Maximilien, lettre qui 
parut à Mexico dans les journaux du 26 fé- 
vrier, et qui poursuivait de malédictions le 
maréchal au moment oili il allait s'embar- 
quer. Il y avait alors une telle exaspération 
du gouvernement mexicain contre notre 
état-major que cette lettre, m'a-t-on affirmé, 
fut revue et augmentée, sinon faite, sur l'or- 
dre du cabinet impérial, par un Français 
qu'il est inutile de nommer. Ce personnage 



•Mmr-n ; 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. -409 

eut, je crois, après la prise de Mexico, de 
grosses querelles avec notre ambassadeur. 
Cette lettre se terminait ainsi : 
« Ce sang crie vengeance et nous le ven- 
gerons! Que le gouvernement de- sa Majesté 
nous forme en légion, tous tant que nous 
sommes, Français, Belges, Autrichiens, et 
nous mette en avant-garde sous les ordres du 
général Miramon. Nous combattrons, nous 
mourrons tous, jusqu'à ce que nous ayons 
vengé nos pauvres camarades. On verra alors 
si nous ressemblons à ces lâches bandits qui 
assassinent les prisonniers et gardent les 
blessés pour de nouvelles hécatombes. » 

Hécatombe me gâte un peu ce morceau et 
sent la main d un homme de plus d.e passion 
que de style, mais le sentiment était sincère 
et Texaspération partagée par tous les Euro- 
péens. 



1 



MO HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 



VI 



LE PARTI CONSERVATEUR ET KAXIMILIEN. — MIRAMON. 

MARQUEZ. LAREZ. — LES ÉVÊQUES. 

DÉPART DES FRANÇAIS. — L'ARMÉE AU MEXIQUE. 

UNE COMÉDIE DIPLOMATIQUE. 

Les conséquences de lafifaire de San-Ja- 
cinto nous ont mené un peu loin. Nous 
avons laissé la masse des événements et 
quitté le grand courant de l'histoire mexi- 
caine à la fin de janvier 1867. Rejoignons-le 
à cette date, qui est celle où Maximilien 
quitta Thacienda de la Teja pour rentrer à 
Mexico même. 

Sa pensée n'avait pas quitté les troupes 
européennes, les seules sur lesquelles il 
croyait pouvoir compter, non-seulement 
comme courage, mais surtout comme fidélité, 
au milieu des trahisons dont il se savait en- 
touré. Il fait publier le 26 de ce même mois, 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. iil 

dans le journal officiel, une lettre et une 
proclamation. La lettre, adressée au ministre 
du Fomento, recommande de concéder 
des terrains aux Français qui se trouvaient 
dans l'impossibilité de quitter le Mexique. 
C était là un moyen détourné et diplomatique 
de contre-balancer reflfet des efforts du ma- 
réchal pour le rapatriement de nos nationaux 
et d'engager le plus de Français possible à 
créer ou à simuler cette impossibilité. La 
proclamation, adressée à Tarmée mexicaine, 
lui recommandait les sentiments les plus 
fraternels pour « le nombre considérable à^^ 
fils de la noble France » qui s'étaient engagés 
dans Tarmée impériale. Ce nombre était 
loin d*être aussi considérable que le laissait 
supposer la proclamation* 

Nous avons indiqué l'état des troupes euro- 
péennes au mois de décembre; depuis lors, 
la circulaire du maréchal et les efforts de la 
légation avaient diminué l'effectif de ces 



il2 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS - 

troupes dans une proportion notable. Bien 
que je n'aie pu avoir le chiffre précis, je suis 
porté à croire que Tarmée impériale ne ren- 
fermait pas, à la fin de janvier, beaucoup 
plus de 500 Français. Mais ici l'exagération 
avait un double but. D'abord elle encoura- 
geait les soldats indigènes ; les Français , en 
effet, disaient, sans Irop se faire prier, qu'un 
soldat français vaut cinq soldats mexicains, 
et les Mexicains, quoiqu'ils n'en voulussent 
rien croire, agissaient souvent en consé- 
quence. Les soldats impériaux se sentaient 
doûc fort encouragés par la pensée de 
compter tant de Français dans leurs rangs. 
En second lieu , cette exagération était une 
vengeance contre le maréchal et l'ambas- 
sade, qu'elle était destinée à irriter. 

L'état-major n'avait que trop d'occasions 
de rendre coup pour coup, vengeance pour 
vengeance, irritation pour irritation. Toute 
l'histoire de ces dernières années n'avait été 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. U3 

trop souvent que cet échange d'estocades 
diplomatiques, de coups sourds exaspérant 
ramour-propre, blessant la vanité et faisant 
cabrer l'orgueil. 

A ce moment, du reste, l'exaspération 
était au comble dans les régions officielles 
mexicaines; on n'entendait parler que de la 
violdcion del tratado de Miramar^ puis de 
el retira del apoyo que el marescal debia al 
gohierno de Mexico, mais surtout de el en- 
carnizamiento para hacer ahdicar al em- 
peradôr (des intrigues pour pousser l'em- 
pereur à abdiquer). 

Maximilien ne pouvait oublier ce dernier 
fait, et, le 1" février 1867, il disait encore : 
« Je suis revenu d'Orizaba principalement 
parce que j'ai connu quel était le trafic que 
l'on faisait en jouant sur mon abdication. » 
Je ne comprends pas complètement ce qu'il 
voulait dire par ce mot trafic. Je sais bien 
que, selon lui, des intérêts particuliers, des 



U4 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

intérêts financiers, tout autant que l'intérêt 
patriotique français, étaient en mouvement 
pour faire réussir cette abdication; mais je 
sais surtout que le visage de Maximîlien était 
contracté de colère quand il prononçait ces 
paroles. Il soupçonnait notre ambassadeur 
de songer surtout à sauver ses mines d'ar- 
gent; et il croyait qu'on voulait s'entendre 
avec Ortega, auquel on demandait la recon- 
naissance des dettes contractées envers les 

« 

Français. 

Il disait encore ce même jour, — cinq 
jours avant le départ définitif de l'armée de 
l'Intervention, — un mot qui ouvre uiie vue 
profonde sur ses pensées intimes et sur l'his- 
toire de ce temps-là, il disait : // faut que 
je spjvyetlle Miramon. 

Maximilien portait la peine de la politique 
compliquée qu'il avait suivie, politique qui 
se résume en ceci : faire de l'ordre avec du 
désordre, et s'appuyer sur ses ennemis pour 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 415 

les paralyser. Il s'était dît : Les conservateurs 
sont nécessairement à moi, puisqu'ils sont 
compromis pour moi ; négligeons-les et ral- 
lions les révolutionnaires en leur donnaiit le 
gouvernement. 

Il arriva de là que le clergé, voyant ses 
ennemis au pouvoir, s'éloigna de l'empire, 
et que les révolutionnaires, en exerçant les 
fonctions publiques dans l'empire, employè- 
rent naturellement leur autorité impériale à 
harceler, par une vengeance instinctive ou 
raisonnée, l'influence française, qui avait 
détruit la république. 

En fait, les ministres libéraux bornèrent 
leur action à extorquer à Maximilien sa 
signature au bas de cette loi du 3 octobre 
contre les soldats libéraux, signature qui lui 
coûta la vie. 

Je n'ignore pas pourtant tout ce que cette 
politique présente d'ingénieux. Je sais com- 
bien le clergé mexicain est corrompu, com- 



M6 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

bien la diplomatie française fut impatiente, 
et combien il était difficile de baser une con- 
duite gouvernementale sur les exigences 
combinées du clergé mexicain et de Tétat- 
major français ; mais Maximilien, capable de 
comprendre les plans du génie politique, 
était incapable de les exécuter, et, en 
somme, les faits condamnèrent ses théories, 
puisqu'à la fin de son règne il fut obligé 
d'en revenir aux conservateurs. 

Alors il ne trouva plus des dévoués, non 
plus des amis, mais des alliés qui jouaient, 
si je puis dire, leur partie, à côté de la 
sienne; seulement ils la jouaient avec ses 
propres cartes. Il le sentait, il le savait, il se 
défiait de tout. 

La froideur que montraient les plus res- 
pectables d'entre les évêques mexicains , 
l'archevêque de Mexico, Tévêque de San- 
Luiz de Potosi, celui de Tulancingo, était 
pleine d'enseignement. Ils indiquaient le 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 117 

désîr de rester neutres, et pour eux, qui 
savaient n'avoir à attendre que la persécu- 
tion et Texil en cas de défaite de l'empire, 
garder la neutralité, c'était une énergique 
manière d'accuser. 

Miramon et Marquez, chefs militaires du 
parti conservateur, qui avaient été envoyés 
étudier, l'un, l'art de la fortification en Prusse, 
l'autre, les progrès de la civilisation en Tur- 
quie, revenaient sans aucun désir de retour- 
ner , , une fois l'empire victorieux , à leurs 
études européennes. Ils défendaient Maxi- 
milien, mais pour en hériter. 

Cela encore l'empereur le savait, et ce 
qu'il disait à l'un de nos compatriotes le 
1" février, il le répétait à l'un des trois di»- 
plomates qui le visitaient dans sa prison — 
je crois bien que c'est à M. Hoorickx : — 
« Mais Miramon n'est pas mon homme, et 
c'est à Marquez que je dois d'être ici. » 

Nous aurons plus tard à juger Marquez; 

7. 



U8 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

quant à Miramon, sa mort glorieuse, sa bril- 
lante fortune, ce quelque peu de sang fran- 
çais qu'il avait dans les veines, ses allures 
ouvertes, sa tournure chevaleresque, nous 
Tout rendu sympathique. Mais Maximilien, 
qui avait. dans son cabinet les dossiers de 
tous les Mexicains importants, y avait lu 

» 

de véritables accusations contre Miramon. — 
On en peut prendre connaissance, Juarez 
ayant publié sous ce titre : les Traîtres ju- 
gés par eux-mêmeSy ce dossier qu'on accusa 
le P. Fischer d'avoir livré, pour avoir la vie 
sauve, sans doute. 

Dans ce dossier. Marquez avait aussi in- 
scrit à son avoir des crimes sans nombre, 
toutefois des crimes purement mexicains, 
purement politiques, si l'on veut, et que l'on 
pouvait appeler non pas assassinats et vols, 
mais actes de férocité. On le surnommait la 
hyène de Ttccabaya^ parce que, après une 
victoire, il avait fait fusiller des médecins 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 119 

coupables d'avoir soigné des blessés enne- 
mis. On était convaincu qu'il était resté en 
relation avec Santa-Anna; on n'ignorait pas 
qu'il était l'homme du clergé, tandis que 
Miramon, son rival, représentait une nuance 
plus politique du parti conservateur. Maxi- 
milien savait que Fischer, son propre chef 
de cabinet, et Larez, son premier ministre, 
étaient aussi les hommes du clergé. Pour- 
tant il ne put résister à l'influence de ces 
deux derniers , influence qui s'exerçait uni- 
quement en faveur de Marquez et contre 
Miramon. Ajoutons, pour excuser encore 
Maximilien, que Marquez ne semblait pas 
ambitionner le premier rang; il restait obsti- 
nément au second, et, des Mexicains de cet 
ordre, il était le seul qui n'eût pas été accusé 
d'avoir trahi son parti. 

Enfin, l'on voit se dessiner de plus en plus 

s. 

la situation de l'empereur aux dernières 
heures qui précèdent le départ des Français : 



420 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

pas de parti, seulement une adhésion, et 
encore momentanée; pas d*.amis, des alliés, 
mais douteux ; pas de peuple en face de lui, 
mais une bande de loups, et une multitude 
de moutons; nul aide d'aucune nation au 
• monde, et un ennemi âpre, acharné, sour- 
dement furieux: les États-Unis; enfin des 
généraux, mais suspects, et pas d'armée. 

Cela, il faut le répéter. Il faut, en effet, 
rappeler la composition de toute troupe 
mexicaine pour comprendre le coup mortel 
que porta à cette force de 20,000 hommes, 
constatée en décembre 1866, le rapatriement 
des soldats et officiers européens. Les sol- 
dats, dans toute armée mexicaine, sont pres- 
que uniquement indiens. On a entouré soit 
leur village, soit le marché oii ils sont venus 
apporter leurs provisions ; on les a saisis et 
menés enchaînés dans des casernes où on les 
exerce à l'héroïsme et au maniement du fusil, 
mais oîi ils ne restent que contraints et for- 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 121 



ces. Je ne parle pas des troupes de Mejia et 
de Mendez; ces deux généraux étaient des 
caciques, des chefs militaires, des princes 
féodaux, à peu pr^s indépendants, gui 
avaient planté leurs lances devant leur tente 
et que leurs hommes suivaient à la guerre. 
Dans les autres corps, les soldats sont sou- 
vent des prisonniers qu'on a affublés d'une 
culotte, d'un chapeau, d'un fusil, prisonniers 
patients, ayant la bravoure de la résignation, 
mais à qui la victoire ou la défaite, le parti 
conservateur ou le parti libéral sont absolu- 
ment indifférents, victoire ou défaite ne pou- 
vant avoir pour eux d'autres résultats que la 
chance de jeter là fusil et cocarde et de fuir 
vers le village. Le seul lien qui les retienne, 
c'est le cadre, c'est l'œil de l'officier. 

On devine quelle débandade arriva, quand 
la circulaire du maréchal Bazaine brisa le 
cadre des officiers, en enlevant des corps les 
Européens I On reforma ce cadre avec d'an- 



i22 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

ciens officiers mexicains en non-activité, et 
on courut dans les sieTTSJS presser d'autres In- 
diens. Mais il fallait recommencer à rompre 
ces pauvres gens à una ombre de discipline. 

On a accusé les Français d'avoir fait briser 
les projectiles, les armes, et noyer les pou- 
dres. Les Français répondent qu'on détrui- 
sit uniquement tout ce qui était inutile aux 
Mexicains. Je n'ai pas, en effet, entendu les 
impériaux se plaindre d'avoir, dans la capi- 
tale, manqué de munitions. 

Le 5 février, le maréchal Bazaine quit- 
tait Mexico à la tête de la dernière division 
d'occupation. Le 2, quelques troupes euro- 
péennes restées au Mexique avaient quitté 
Saint-Angel pour venir occuper la capitale. 
Maximilien était, pour la première fois, 
maître dans le centre de son empire. 

Sa position n'était pas, nous l'avons vu, 
très-brillante. En dehors de Mexico, il ne lui 
cestait guère comme villes importantes que 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 123 

Oueretaro, Puebla et Vera-Cruz. Mais, après 
tout, se sentant libre, ferme et brave, débar- 
rassé de ses incommodes tuteurs, de ses 
irritants alliés, il put espérer que la guerre 
lui donnerait ce que la diplomatie lui avait 
refusé, et se sentit heureux quand il partit, 
quelques jours après, à la tête d'une sorte 
d armée. Il put sourire à la vie d'aventure, 
rêver la gloire et songer joyeusement, en se 
dirigeant vers Queretaro , à cette épée de 
Charles-Quint qui, lors de son voyage en 
Espagne, lui avait inspiré de si hautes et de 
si vaillantes pensées. 

Il avait l'épée, aujourd'hui; n'allait-il pas 
pouvoir, sur cette terre nouvelle, se décou- 
per un empire que son grand ancêtre lui- 
même eût trouvé grand ? 

Sunt lacrymœ rerum! les larmes et le 
rire se suivent dans l'évolution des événe- 
ments. 

Je crois que ce fut vers cette date, c'est-à- 



i24 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

dire peu de temps après le départ de Tarmée 
de r Intervention, qu'eut lieu cette réunion 
de diplomates^ d'où l'élément comique ne 
fut pas absent. Ma mémoire rebelle ne veut 
plus me fournir que la moitié de la scène et . 
qu'une date approximative, et j'imagine que 
je tenterais vainement de trouver auprès du 
ministre de France de quoi compléter mes 
souvenirs. 

Larez, le chef politique du parti conserva- 
teur et le président du conseils des ministres, 
était un petit homme qui, comme M. Stevens, 
le chef des radicaux américains, qui vient de 
mourir, semblait toujours prêt à rendre l'âme 
et qui cachait dans ce corps débile une âme 
d'une énergie et d'une activité infatigables, 
une volonté de fer et quelques-unes des fortes 
qualités intellectuelles de l'homme d'État. Il 
avait, comme l'empereur, rêvé lui aussi un 
congrès, mais un congrès de diplomates. 

Il réunit donc tous les ministres accrédités 



DE L*EMPIRE MEXICAIN. 125 

auprès de l'empire, et leur demanda leur opi- 
nion sur la question de savoir si l'empereur 
devait abdiquer. Sous cette' question faite 
avec la bonhomie que le Mexicain sait fein- 
dre à merveille, nos diplomates flairèrent un 
pîég'e, et chacun se mit à chercher en son 
bissac, comme dit la Fontaine dans une cir- 
constance analogue, une réponse qui ne dé- 
cidât ni pour ni contre. M. Middleton, mi- 
nistre d'Angleterre, venait de succéder à 
M. Scarlett, vieil Anglais très-roué et qui 
avait usé, ai-je dit, ses dernières heures d'am- 
bassade à battre la politique française en en- 
courageant Maximilien à ne pas abdiquer. 
Larez attendait donc de M. Middleton un 
avis en ce sens. M. Middleton répondit froi- 
dement qu'il ne connaissait pas M. Larez, et 
qu'il ne devait avoir de relations qu'avec le mi- 
nistre des aflaires étrangères, non avec le pré- 
sident du conseil. M. Hoorickx, qui remplis- 
sait les fonctions de ministre de Belgique, dit 



i26 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

que siSaMajesté lui faisait rhonneur de l'appe- 
ler dans son cabinet, il saurait que répondre 
et qu'il n'avait rien à dire publiquement sur 
une telle question. 

Le ministre de France répondit, en sub- 
stance, que Sa Majesté savait mieux que 
personne quel était son intérêt en cette cir- 
constance. — Ce n'était pas trop mal s'en 
tirer dans la situation difficile que les cir- 
constances faisaient à notre ambassadeur. 
— Le baron Lago, ambassadeur d'Autriche, 
insinua que c'était là une question de di- 
gnité oîi Sa Majesté seule avait mission de 
décider. 

Bref tous les diplomates sautèrent la ban- 
quette irlandaise avec la même aisance. Il 
ne restait guère que l'ambassadeur d'Es- 
pagne, un joyeux vieillard, qui connaissait 
le Mexique et les Mexicains comme ses pa- 
tenôtres et. qui était l'ami particulier de 
Larez. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN.. 127 

— Voyons, dit-il brusquement, Làrez^pas 
de hlagues! 

Ce début, que je cite textuellement et qui 
tranchait avec l'éloquence pincée des autres 
diplomates, excita fort Tétonnement. 

— Combien avez-vous d'hommes? 

— 40,000, répondit Larez. 

— Et de piastres ? 

— 20,000,000. 

— Farceur ! Vous savez bien que vous 
n'avez ni une piastre ni un homme. Si j'ai 
un conseil à vous donner, dans l'intérêt de 
l'empereur et dans le vôtre, c'est de l'enga- 
ger à s'en aller. 

L'affaire était manquée. Larez, espérant 
que nul diplomate accrédité auprès de l'em- 
pire n'oserait conseiller l'abdication, avait 
essayé de compromettre les ambassadeurs et 
de leur faire promettre l'appui de leur gou- 
vernement en faveur de l'œuvre abandonnée 
par la France. La ruse avait été éventée. 



128 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Le pauvre Maximilien se trouvait seul, 
sans môme Tappui moral des puissances 
amies, en face du Mexique révolté et des 
États-Unis exaspérés. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. i29 



VII 



PLAN DE CAMPAGNE DES GENERAUX DE MAXIMIL1EN. 

Les considérations philosophiques vont 
désormais céder la place à Texposé des évé- 
nements. J'arrive à cette période oîi l'acti- 
vité va remplacer l'hésitation dans l'esprit de 
Maximilien. Je ne veux pas, sans doute, 
m'interdire la recherche des causes ni le ju- 
gement sur les hommes, ma.is la poudre par- 
lera dorénavant plus que les diplomates. Les 
sièges de Queretaro et de Mexico dominent^ 
cette partie de mon récit. 

Le 5 février, les derniers corps de l'occu* 
pation française quittaient Mexico, laissant 
notre ambassadeur, M. Dano, dans une po- 
sition, nous le verrons, fort délicate. 

Maximilien était, enfin, maître chez lui, 
débarrassé de ces Français à qui il attribuait 



130 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

tout le mal, qu'il était arrivé à regarder 
comme ses pires ennemis, et dont les der- 
niers actes ne semblaient pas faits pour le 
ramener à d'autres sentiments. Mais si, en 
droit, il était encore empereur, en fait, il 
n'était plus qu'un chef de partisans. Il le 
comprit, avec ce sens pratique qui paraît 
avoir, dans les derniers temps de sa vie, 
remplacé en lui l'instinct rêveur. Il faut par- 
tir de là pour deviner désormais le mobile 
de ses actions. 

Il voyait mieux ce que c'était que les Mexi- 
cains. Il ne craint pas de nommer ses minis- 
tres des «mandarins, » des «vieilles femmes. » 
Il a enfin deviné ce que c'est qu'un empire 
mexicain ; il a perdu Tillusion de régénérer 
le Mexique par le développement ordinaire 
de la civilisation, par la législation, par l'ad- 
ministration, par la diplomatie j par la bonne 
assiette de l'impôt, par l'équité, la modéra- 
tion et la douceur. Il n'y avait plus pour lui 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 131 

sur la terre de Fernand Cortez ni titre, ni 
respect, ni représentation, ni pompe; il n'y 
avait que la guerre, et la guerre à la mexi- 
caine. 

Aussi , les Français partis, Maximilien ne 
songea plus à légiférer, mais à tenir des 
conseils dé guerre. Là, l'influence de Mar- 
quez était prépondérante, car aucun de ceux 
qui eussent pu lutter d'autorité avec lui n'é- 
tait alors à Mexico. 

On décida qu'il fallait, pour l'empereur, 
quitter Mexico, pousser jusqu'à Queretaro. 
Conseil, dit-on généralement, qui ne put 
être donné que par un traître et suivi que 
par un imbécile ! Je ne suis pas de l'avis gé*- 
néral . 

Je sais bien que Maximilien eût été en sû^ 
reté à Mexico, ville réellement dévouée à 
l'empire et qui, défendue et approvisionnée 
comme elle pouvait l'être, était imprenable 
par des Mexicains. Maïs Maximilien ne res- 



132 HISTOIRE DBS DERNIERS MOIS 

tait pas au Mexique pour y être emprisonné 
dans une ville et déloger piteusement de 
Mexico à Puebla, de Puebla à Vera-Cruz. 
En cherchant, un peu à Tobscur et à tâtons, 
je lavoue, — car je n*ai sur ce point parti- 
culier aucun témoignage précis, — les idées 
qui durent s'agiter dans Tesprit de Maximi- 
lien et de Marquez, je trouve que le conseil 
a pu être donné avec sincérité et suivi avec 
sagesse. 

Queretaro était une des clefs de la partie 
méridionale du pays, c'était la frontière de 
Tempire, ou plutôt du petit lambeau de ter- 
ritoire qui pouvait être considéré comme 
appartenant à peu près encore à Tempire, 
C'était la plus éloignée, mais la plus sûre de 
toutes les bases d'opération que pouvait 
prendre une armée prête, selon les circon- 
stances, à la défensive et à l'offensive. Fallait- 
il attendre que tous les corps ennenais se 
fussent réunis, attendre que la capitale fût 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 133 

assiégée ? Ne valait-il pas mieux aller à la 
frontière soit pour fermer le territoire à lar- 
mée envahissante, soit pour battre séparé- 
ment chacune de ses divisions, et de là re- 
conquérir l'empire tout entier? Fallait-il 
abandonner sans résistance une vaste por- 
tion de terrain, une ville qui pouvait être 
considérée comme un poste avancé de cette 
capitale dont le siège était l'objectif évident 
de toutes les armées juaristes? Fallait-il en- 
fin oublier ce vieux proverbe qui indique, 
comme je le disais plus haut, Queretaro 
comme la clef du Mexique méridional et la 
possession de cette ville comme devant 
donner la victoire et l'empire à son posses- 
seur? 

Maximilien et Marquez purent sagement 
et de bonne foi être frappés de ces considé- 
rations. 

Marquez, en vieux capitaine mexicain, 
put ajouter que le temp§ de la guerre métho- 

8 



iU HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

digue était passé. Il était nécessaire de 
reprendre les vieux usages et de se rappeler 
qu'au Mexique c'est la guerre qui nourrit et 
habille la guerre ; il fallait en revenir au sys- 
tème de leva et des prestamos. Or c'est en 
courant le pays et non en se laissant assié- 
ger qu'on peut faire des levées d'hommes et 
exiger des prestations en argent. Il put 
affirmer que toutes ces troupes ennemies, 
que l'on voyait sillonner l'État de Mexico, 

r 

n'étaient pas de vrais corps d'armée, mais de 
simples bandes, sans cohésion, sans straté- 
gie , sans puissance pour nuire à la ca- 
pitale. Le danger, les véritables troupes, 
les ennemis redoutables n'étaient pas là, 
ils étaient autour de Queretaro, dans les 
États de San-Luis de Potosi et de Mi- 
choacan . 

Que Marquez se réservât l'avenir, cela est 
possible. Mais, à cette date, je ne lui connais, 
encore devrais-je dire, je ne lui soupçonne 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 135 

qu'une arrière-pensée, et la voici : Maximilien 
avait été si sincère dans son désir de régé- 
nération mexicaine, il avait été si convaincu 
qu'il était appelé, désiré par la masse du 
pays, que l'ensemble avec lequel les États 
abandonnés par les Français s'étaient sou- 
levés lui avait donné à réfléchir. Il était , en 
tout, de si bonne foi, qu'il n'avait pu s'em- 
pêcher de prendre estime pour la persévé- 
rance et la probité de Juarez. Comme, enfin, 
il était incapable de dissimulation, peut-être 
même de discrétion, il n'avait pu cacher 
quelque chose de tout cela. On le soupçon- 
nait, — avec raison, — de nourrir ce rêve, 
d'une candeur infinie, ce rêve de rencontrer 
Juarez, de s'entendre avec lui, en toute sim- 
plicité et bonhomie, sans autre préoccupa- 
tion que le bonheur du pays. Marquez put 
désirer deux choses, compromettre Maximi- 
lîen personnellement et militairement, ren- 
dre ainsi toute entente impossible; puis 



i36 HISTOIRE 1)£S DERNIERS MOIS 

démontrer effectivement à l'empereur, en le 
menant au milieu des populations guer- 
royantes, que ce soulèvement général en 
faveur des républicains était uniquement dû 
à l'oppression. 

D'ailleurs, Queretaro était situé au pied 
de la sierra Gorda, qui était le pays de Mejia, 
presque son domaine, oti il régnait féodale- 
ment et où il pouvait offrir à Maximilien un 
point d'appui, comme un refuge; cela pour 
les circonstances extrêmes. 

Quant à Maximilien, je soupçonne en son 
esprit cent pensées confuses, cent rêves à 
côté de bien des réflexions sagement déter- 
minantes. Nous avons indiqué quelques-unes 
de ces dernières. Il put comprendre aussi la 
nécessité de prendre, maintenant que l'on 
était en état de guerre, une situation mili- 
taire, et l'utilité de commander personnelle- 
ment les troupes. C'était le plus sûr moyen 
d'avoir à lui un parti que ne lui avaient pas 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 137 

donné ses tentatives législatives, administra- 
tives et politiques, le seul moyen de pouvoir 
lutter contre ces trahisons, ces défections 
qu'il voyait ou prévoyait. 11 avait essayé de 
tout, il n'avait plus qu'à essayer d'être chef 
de guerre. Cela était logique. 

Puis dans les profondeurs de son imagina- 
tion s'agitaient les rêveries et les impres- 
sions fugitives : l'on se rapprochait de Jua- 
rez et aussi de la réalisation de l'idée de con- 
grès (et cela lui tenait tellement au cœur 
que dès son arrivée à Queretaro il envoya 
un homme de confiance à Juarez pour lui 
demander une entrevue); l'on remportait 
une grande victoire, l'on dégageait ainsi la 
position des conservateurs et l'on pouvait 
honorablement regagner l'Europe; ou enfin 
l'on gagnait plusieurs grandes victoires et 
on reconstituait cette partie de l'empire de 
Charles-Quint ! 

Puis toutes ces vilenies, tous ces pillages, 

8. 



idS HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

tous ces bas larcins et lâches trahisons dont 
il était entouré, le révoltaient ; la guerre, du 
moins, était noble! En outre, Mexico était 
sûre et fidèle, tandis que Miramon ou les 
autres généraux étaient douteux ; il était 
prudent de les aller surveiller. Enfin, il al- 
lait peut-être découvrir en soi le génie mili- 
taire ! et d'ailleurs quelle impulsion ne pou- 
vait pas donner aux soldats impériaux la 
vue de leur prince à la tête de leurs batail- 
lons ! 

Je dois ajouter que Maximilien quitta 
Mexico avec le projet d'y revenir prompte- 
ment. Il était impossible à Miramon, àMejia, 
à Mendez de se rendre à Mexico. L'empereur 
les allait trouver pour arrêter avec eux, dans 
un suprême conseil de guerre, le plan de la 
campagne d'où devait sortir la perte ou le 
salut de T empire. 

Ce fut en chemin, sous l'influence des 
circonstances, et probablement quand il vit 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 139 

la réception enthousiaste à lui faite lors de 
son entrée à Queretaro, qu'il se décida a 
prendre en personne le commandement des 
troupes. . 



440 HISTOIRE DES DERNIERS liaiS 



II 



MAXIMILIEN QUITTE MEXICO, POUR QUERETÀRO. 

INCIDENTS DE LA RODTE. — ARRIVEE A QUERETARO. 

PROCLAMATION. — DESCRIPTION DE QUERETARO. 

Maximîlien quitta donc Mexico le 13 fé- 
vrier 1867. Il y laissait uniquement les trou- 
pes européennes : — deux compagnies de 
gendarmerie sous le commandement du chef 
d'escadrons Chenet et du capitaine Roud; le 
bataillon autrichien Hamerstein; les hus- 
sards rouges de KevenhuUer. Le tout com- 
prenait environ 1,500 hommes. En y joi- 
gnant 1 ,000 hommes de la garde municipale 
de Mexico, on aura le total des troupes des- 
tinées à garder la capitale* 

Il est vrai qu'immédiatement commença 
la leva. On pressa tout dans les rues, dans 
les places, dans les villages voisins; on par- 
vint ainsi à composer l'armée de 1 0,000 hom- 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. i4l 

mes que nous retrouverons au siège de 
Mexico. L'empereur emmenait avec lui un 
corps de quatre à cinq mille hommes, toute 
l'armée mexicaine disponible alors à Mexico. 
11 était accompagné d un de ses ministres, 
Aguirre, du colonel allemand prince de 
Salm-Salm, de plusieurs généraux mexicains 
et de Marquez, qui commandait l'armée. 
L'empereur n'avait avec lui que 70 étran- 
gers. Marquez voulait une armée purement 
nationale. 

La route conduisant de Mexico à Quere- 
taro, nommée route du Nord, et sortant de 
la capitale par la garita (la porte) de Villeja, 
compte, entre les deux villes, une distance 
de 50 lieups et demie. 

Ce même jour, 13 février, l'empereur put 
faire personnellement connaissance avec ses 
ennemis. A l'hacienda de la Lecheria, à 
5 lieues de Mexico, l'on rencontra une troupe 
ennemie que l'on mit en déroute. A une 



• 

142 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 



vingtaine de lieues plus loin, au rancho de 
Calpulalpaiï, au pied des montagnes de l'État 
de Tula, sur la frontière du Queretaro, Ton 
rencontra et Ton écrasa les deux bandes de 
orelista et de Cosîo. Maximilien prenait goût 
à la bataille, et Ton remarqua avec quel 
entrain il se portait au milieu du danger. Il 
faisait consciencieusement son noviciat dans 
rétude de lart militaire. 

Le 17, il arrivait à 14 lieues au delà de 
Calpulalpan, à San-Juan-del-Rio , ville de 
7,000 habitants, la première que Ton ren- 
contre dans l'État de Queretaro en sortant 
de celui de Tula, à 10 lieues est de la ville 
de Queretaro. C'est à cette date que Maxi- 
milien annonça pour la première fois son in- 
tention de prendre le commandement de 
l'armée, par une proclamation datée de San- 
Juan, 17 février, répandue le lendemain à 
Queretaro, et que je trouve dans les jour- 
naux de Mexico du 26 février : 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 143 

« Je me place aujourd'hui à la tête des 
troupes, et je prends le commandement de 
notre armée qui, il y a deux mois à peine, 
pouvait commencer à se réunir et à s'organi- 
ser. Ce jour, je l'attendais ardemment de- * 
puis longtemps. Des obstacles indépendants 
de ma volonté me retenaient. Maintenant, 
libre de tout engagement, je puis écouter 
uniquement mes sentiments de bon et fidèle 
patriote. 

« Notre devoir comme loyaux citoyens 
nous oblige à combattre pour les deux prin-. 
cipes les plus sacrés du pays : pour son in- 
dépendance, qui se voit menacée par des 
hommes voulant, dans leurs vues égoïstes, 
spéculer jusque sur le territoire national, et 
pour le bon ordre à l'intérieur, que nous 
voyons chaque jour offensé de la manière la 
plus cruelle pour nos compatriotes pacifi- 
ques ^ Notre action, une fois libre de toute 
influence, de toute pression étrangère, nous 



i44 HISTOIRE DBS DERNIERS MOIS 

cherchons à maintenir hautement l'honneur 
de notre glorieux drapeau tricolore. » 

Cette dernière phrase, injuste et cruelle 
dans son expression générale, fut la mieux 
accueillie de tout ce discours, qui causa une 
si vive émotion parmi les soldats mexicains . 
Cette phrase donnait satisfaction aux ran- 
cunes que le trop évident mépris du peuple 
protecteur pour le peuple protégé avait fait 
naître; elle indiquait franchement, du reste, 
quelques-unes des souffrances que nous 
avions fait subir à l'orgueil de Maximilien . 
Au surplus, il ne devait plus revenir de son 
opinion sur notre gouvernement et sur le 
maréchal Bazaine. Le 28 février, en écrivant 
de Queretaro au P. Fischer, il parle avec 
amertume des dernières infamies des Fran- 
çais. Un mois après, 29 mars, une autre 
lettre accuse avec non moins de violente co- 
lère le maréchal et les Français. Nous ver- 
rons ce qu'il en dira au moment de sa mort. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 145 

L empereur finit ce discours en annon- 
çant qu'il a nommé Marquez chef d'état- 
major général, Miramon, Mendez et Mejia 
chefs de chacun des trois corps d armée. 

Le 19, Tempereur fit son entrée à Quere- 
taro. « Les généraux Marquez, Mejia, Vi- 
daurri, M. le ministre Aguirre et un grand 
nombre d'officiers accompagnaient l'empe- 
reur. Les rues étaient luxueusement ornées 
et remplies d'une foule enthousiaste. La joie 
se montrait sur tous les visages. Les troupes 
de la garnison de Queretaro formaient la 
haie jusqu'à l'entrée de l'église principale, 
où un Te Deum a été chanté. Après cette 
cérémonie, l'empereur reçut les autorités ci- 
viles, qui prononcèrent plusieurs discours 
auxquels Sa Majesté répondit avec émotion. 
L'empereur se plaça au balcon pour assister 
au défilé des troupes. Les transports de joie 
de l'armée et de la population sont indes- 
criptibles. » 

9 



H6 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Nous croyons inutile de donner les dis- 
cours prononcés par les autorités civiles et 
militaires. 11 y a pourtant dans les paroles 
de Miramon un sentiment énergique et vrai, 
exprimé avec une simplicité à laquelle la 
rhétorique mexicaine ne ma pas habitué ; il 
remercie noblement Maximilien d'être venu 
à Taide des défenseur* d une société infor- 
tunée qui veut se sauver des horreurs de 
lanarchie et de la prochaine dissolution qui 
la menace. 

Il faut reconnaître aussi que ces indes- 
criptibles transports de joie de Tarmée et de 
la population étaient sincères. L'armée 
yoyait dans l'empereur un personnage qui 
lui apportait sa solde, extrêmement oubliée 
depuis longtemps. La population avait ap- 
pris la marche d'Escobedo d une part et de 
Ju^rez d'autre part, tous deux se dirigeant 
vers la capitale en passant sur Queretaro. 
Les Quérétariens savaient ce qu'il en coûte 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 147 

de se trouver sur de tels passages. En voyant 
tant de troupes impériales, ils espérèrent 
qu'elles allaient se porter en avant pour, 
attaquer Escobedo à Celaya, grosse ville de 
37,000 âmes, située dans TÉtat voisin 
(Guanajato), à H lieues environ de Quere- 
taro. 

Les plans financiers de larmée et les plans 
militaires de la population eurent le même 
destin; la solde n'était pas venue, et les 
troupes ne s'en allèrent pas. Ce trésor im- 
mense que l'empereur, disait-on, apportait 
de Mexico, se composait tout simplement de • 
50,000 piastres : il y avait à peine de quoi 
payer l'arriéré de la solde des nombreux co- 
lonels qui commandaient la petite armée. 
Ils étaient environ 50, les généraux étaient 
au nombre de 20, et l'armée réunie à Que- 
retaro comprenait environ 6,000 hommes : 
12Q soldats par colonel, 300 soldats par gé- 
néral; c'était peu. Les habitants, trouvèrent 



148 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

que c'était beaucoup. Ils commençaient, en 
effet, à comprendre que c'étaient eux qui al- 
laient nourrir ces braves, si bien comman- 
dés. L'enthousiasme devint descriptible , 
jusqu'au moment où il tomba, en face de la 
famine. Toutefois Queretaro fut toujours dé-' 
vouée; elle donna, nous le verrons, un 
grand exemple de courage, et mérita noble- 
ment le nom de cité maudite que les Jua- 
ristes lui donnèrent après l'avoir achetée. 

C'était alors une ville de 48,000 habitants, 
d'autres disent seulement 40,000. Je de- 
mande la permission de décrire, avec autant 
d'exactitude* qu'il est possible de le faire à 
un homme étranger à Queretaro, les lieux 
que Maximilien ne devait plus quitter. 

La route qui vient de Mexico entre dans la 
ville sous un aqueduc et débouche sur une 
grande place, à gauche de laquelle se trouve 
VAlamedaj promenade plantée de peupliers 
et qui termine la ville au sud-ouest. Les 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. i49 

tranchées ennemies vinrent jusqu'à 300 mè- 
tres de TAlameda, qui fut fortifiée par des 
murs en terre et en adoha (brique séchée) et 
défendue par dix canons. 

De ce même côté, mais plus au sud-est, 
se trouvait le couvent de la Cruzy aussi dé- 
fendu par une muraille en terre et en pierre 
sèche, et par trois pièces de canon. Les croi- 
sées avaient été crénelées et on y avait con- 
struit des embrasures pour trois autres pièces 
de canon. 

A l'extrême droite, on voyait le cerro de 
la Campana, mamelon rocheux élevé de 
20 mètres au-dessus du sol de la ville, de 
l'intérieur de laquelle on monte par une 
pente douce au cerro, qm^ du côté opposé, 
s'arrête brusquement sur une coupure très- 
escarpée. Le haut de cette petite colline 
était armé de quatre pièces. C'est là que 
l'empereur plaça sa tente pendant tout le 
temps du siège, et où il coucha presque cha- 



450 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

que jour, bien que Ton insistât fréquem- 
ment pour le retenir au milieu des murailles 
mieux protégées du couvent de la Cruz. 

A 300 mètres environ , sur la gauche du 
cerrOy se trouve la garita de San-Luis-de- 
Potosi, la porte de la ville par laquelle sort 
cette même route du Nord conduisant à 
San-Luis. Au-devant de cette garita ^ on 
rencontre un pont qu'on arma de six pièces 
d'artillerie. La route monte par une pente 
douce jusqu'à un coude qu'elle fait à gauche, 
à 70 mètres, si je ne me trompe , du pont. 
Là, à droite, une petite chapelle fait face 
au coude de la route, et dans cette chapelle 
les libéraux avaient placé leurs avant-postes . 
Entre cette chapelle et le pont, un groupe de 
maisons tenait la gauche de la route. Les 
avant-postes impériaux étaient posés dans 
l'une de ces maisons, à 20 mètres du pont, 
et dont la terrasse (azotea) avait été créne- 
lée. Plusieurs milliers de Juaristes occu- 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. . 154 

paient les maisons entre les deux avant- 
postes. Les trois cents hommes qui gar- 
daient la garita les en délogèrent à deux re- 
prises différentes. 

Quand la ville fut complètement fortifiée, 
elle présentait Taspect d un vaste parallélo- 
gramme, d'un rectangle dont les plus lon- 
gues lignes (2,400 mètres de longueur) 
iraient à peu près dans la direction du nord- 
ouest. La longue ligne ouest, c'est-à-dire à 
gauche en arrivant de Mexico, était représen- 
• tée par une muraille fortifiée; la longue 
ligne est était représentée par une rivière, 
le rio Blanco. Les deux petites lignes du 
parallélogramme (1 ,200 mètres de longueur) 
montraient, celle du nord, deux tronçons 
de muraille fortifiée; celle du sud, les fortifi- 
cations de la Cruzj le reste de cette ligne 
ayant été de bonne heure aux mains de l'en- 
nemi. En outre, une double rangée de fortins, 
— je crois qu'il y en eut une soixantaine, — 



«52 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

fut construite sur un plan à peu près circu- 
laire dans rintérieur de la ville. 

On a ainsi l'aspect général de la cité. Mais 
si nous voulons éviter l'obligation de renou- 
veler l'étude topographique à propos de cha- 
cune des opérations du siège, nous devons, 
en résumant ce qui vient d'être dit, noter les 
noms et pointer soigneusement les lieux qui 
reviennent le plus souvent dans le journal 
de ces opérations. 

Ainsi, nous arrivons du sud-est par la route 
de Mexico, nous entrons dans la ville par la 
garita (porte) de Mexico, qui fut des pre- 
mières occupée par l'ennemi, ainsi que le 
cerro (pic, colline) de Cuesta-China et Careta. 

Nous passons sous l'aqueduc, nous voyons 
une place au bout de laquelle se trouve 
à droite le cerro et la garita de Canada, qui 
furent immédiatement aussi occupés par 
l'ennemi. N'oublions pas que c'est au pied 
de cette colline que coule la rivière formant 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 153 

la longue ligne de la droite du parallélo- 
gramme, la partie orientale de la fortifi- 
cation. 

A l'autre bout , à gauche , de la place se 
présente le couvent de la Cruz. C'est là que 
commence la fortification, et c'est du bas 
des murailles de ce couvent que part Iç pre- 
mier des fortins formant à l'intérieur de Que- 
retaro une seconde et une troisième ligne de 
défense. La Cruz renferme dans ses murs la 
Huerta (le jardin), le Panthéon de la Cruz, 
les bâtiments conventuels, dont la partie 
médiane sert de quartier général , entre 
l'église à droite et l'hôpital à gauche. Au- 
devant des bâtiments s'étend la plazza de la 
Cruz, de l'extrémité de laquelle part le pre- 
mier des fortins du côté gauche. 

Puis nous arrivons dans l'intérieur de la 
cité. Nous ne voulons signaler là que le cou- 
vent, la place et l'église de San-Francisco, 
qui tiennent à peu près le centre de Quere- 

9. 



454 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

taro. La Huerta de la Cruz fut jointe à 
l'église de San-Francîs.quite par une petite 
muraille crénelée, et c'est cette église qui 
forme l'extrême pointe sud-est de la ville, 
comme le cerro de la Campana en forme 
l'extrême pointe nord-ouest. De cette église 
de San-Francisquite fortifiée part la muraille 
crénelée, qui est la fortification occidentale, 
et qui représente, avons-nous dit, la longue 
ligne de gauche du parallélogramme. 

L'Alameda tient juste le milieu de cette 
muraille. Un peu au-dessus, on rencontre 
la Casa-Blanca , défendue par un petit for- 
tin extérieur. Enfin, à l'extrême nord-ouest 
de cette muraille et du parallélogramme, 
nous voyons la garita del Pinto. 

La muraille s'infléchit, puis, formant un 
angle aigu de l'ouest au nord-ouest, elle va 
s'appuyer sur un pont et un poste avancé 
qui commande la route de Celaya. A quel- 
ques mètres au-dessous, en revenant vers 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. \"^'\ 

l'intérieur de la ville, est campée la garita 
de Celaya. L'espace laissé libre entre cette 
garita et le pont est défendu par l'hacienda 
fortifiée de la Capilla. 

De la garita de Celaya une nouvelle mu- 
raille monte au cerro de la Campana, qui 
est, avons-nous dit, l'extrême pointe nord- 
ouest de Queretaro, et se trouve situé à 1 ki- 
lomètre des dernières maisons de la ville. 

Si nous nous sommes fait comprendre, ces 
deux tronçons de murailles, de la garita 
del Pinto au pont, et de la garita de Celaya 
au cerro de la Campana, représentent la pe- 
tite ligne septentrionale du parallélogramme, 
celle qui est parallèle au couvent de la Cruz . 

Du cerro de la Campana descend une mu- 
raille qui vient rejoindre le fortin intérieur, 
le plus avancé dans la direction du nord. 
Elle s'arrête là; mais au pied même de ce 
cerro coule la rivière, qui représente la for- 
tification extérieure orientale; et qui, grande 



1o6 HISTOIRE DES DERNIERE MOIS 

ligne de droite du parallélogramme, vient 
rejoindre, à l'extrémité sud-est, le cerro et 
la garita de Canada. 

En face de cette rivière, s'étendent les 
faubourgs de Queretaro. A moitié distance 
de l'espace compris entre la Campana et la 
Canada, la route de San-Luis sort de la ville 
en traversant cette garita de San-Luis et ce . 
pont dont nous avons parlé aux pages précé- 
dentes. 

Indiquons encore le cerro de San-Gregorio, 
le cerro de San-Pablo, au delà du faubourg, 
entre la route de San-Luis et la Canada, et 
nous aurons tout dit. 

Nous espérons ainsi avoir minutieusement 
et longuement, mais clairement, expliqué 
la disposition des lieux oîi allaient se jouer 
tes destinées de Maximilien et du Mexique. 
Nous avons dressé le plan de ces lieux d'a- 
près les indications d'officiers qui accompa- 
gnaient l'empereur à Queretaro. Nous l'avons 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 



15' 



fait de notre mieux. Nous devons pourtant 
avertir nos lecteurs que l'un de nos témoins 
placé la Cruz plus à Test, et la cerro de la 
Campana plus au nord, que nous n'avons 
cru devoir le faire d'après l'ensemble des 
renseignements. Mais, comme cela ne sau- 
rait changer la relation des diverses parties 
de la ville, on pourra maintenant suivre 
sans une carte qui, à notre connaissance du 
moins, n'existe pas encore, les incidents du 
siège et de la catastrophe finale. 



*.'i8 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 



IX 



SIEGE DE QUERETARO. 



Je reviens aux premiers jours qui suivi- 
rent l'entrée de Maximilien à Queretaro. 

L'empereur, voulant avoir le plus grand 
nombre possible d'hommes sous sa main, 
s'était empressé de rappeler le brave Men- 
dez, qu'on nommait le vainqueur de cent 
combats, et qui, depuis deux ans, dans le 
Guerrero et le Michoacan, États voisins au 
sud-ouest de Queretaro, tenait tête à Ré- 
gules et à toutes les forces juaristes. 

Le 21 , ou le 22 février, Mendez arriva avec 
sa troupe déguenillée. Bons soldats, aguerris, 
disciplinés, pleins d'ardeur et de confiance 
en leur général, composant Je plus solide de 
tous les corps mexicains, ils étaient au nom- 
bre de 5,000. D'autres de mes informations, 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 159 

mais en qui je me fie moins, m'assurent que 
cette armée ne comptait que 2,500 hommes. 
Mendez ramenait avec lui, je crois, les 
garde-frontières du nord, Presidiales, Ri- 
fier os. Lancer os. Ils formaient la brigade du 
général Quiroga, le doux et le valeureux, le 
type charniant et élevé du vrai caballero, du 
gentilhomme mexicain. 

Parmi ces presidiales se trouvaient une 
cinquantaine de Français qui entrèrent plus 
tard dans la contre-guérilla française. 

Le 27 février, Tempereur passa cette divi- 
sion en revue. Puis on s'occupa activement 
de la réorganisation des différents corps. On 
créa de nouveaux bataillons, on forma des 
brigades, des divisions. On fit tous les pré- 
paratifs pour une prochaine entrée en cam- 
pagne. 

L'empereur passait des revues sans se 
lasser et paraissait joyeux, plein de con- 
fiance en l'avenir. Il aimait à se trouver au 



160 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

milieu des soldats, causant familièrement 
avec eux, les encourageant, distribuant quel- 
ques réaux, et naturellement reçu partout où 
il passait avec les acclamations de l'enthou- 
siasme le plus sincère. Que de fois ne le 
vit-on pas se promener seul dans les rues, al- 
ler d'un quartier à l'autre sans être accompa- 
gné d'aucun autre que de son secrétaire par- 
ticulier, ce J. M. Blasio que j'ai déjànommé. 
Les revues terminées, on commença les 
grandes manœuvres dans la plaine située 
au delà de l'Alameda, au pied d'une mon- 
tagne nommée Cimatario. C'étaient presque 
toujours Marquez, Severo de Castillo, Ma- 
nuel Escobar qui commandaient tout ou 
partie de ces manœuvres, rarement Mi- 
ramon. La faveur de son rival Marquez 
durait toujours, et elle ne dura que trop 
pour la vie de Maximilien. Quant à Mejia, 
il était accablé de douleurs rhumatismales 
et gardait le lit depuis deux mois. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 161 

On avait appris dès le 20 février que, après 
le départ de Mendez, Morelia, capitale du 
Michoacan, avait été occupée par Régulés 
aux pieds légers, par don Juste Mendoza, 
gouverneur constitutionnel qui foudroyait 
les traîtres dans une proclamation se ter- 
minant par Tannonce d*un prestamo de 
30,000 piastres. Les religieuses, à larrivée 
de Régulés et de ses hommes, s'étaient em- 
pressées de fuir leurs couvents. 

Par contre, on attendait de Colima et de 
Zamora les forces juaristes qui étaient res- 
tées jusque-là sous le commandement de 
j Corona dans la Sonora et la Sinaloa. Elles 

! 

étaient attendues avant le 25, et Ton an- 
nonçait qu'elles allaient marcher sur Que- 

! 

retaro. 

Le r' mars, on apprend que l'ennemi a 
quitté Celaya et que ses avant-postes ont 
touché l'hacienda de la Estancia, à 2 lieues 
environ de Queretaro. Pendant que Corona 



162 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

et ses bandes viennent ainsi du Nord-Est, 
un Indien arrivant du Nord annonce que, 
dans rÉtat voisin, Guanajato, à San-Miguel- 
de-AUende, Ton voit larmée d'Escobedo 
défiler. On ne tarde pas à apprendre que ses 
postes avancés touchent à Santa- Rosa, vil- 
lage à 6 lieues du Queretaro. 

L'empereur rassemble un conseil de 
guerre, Miramon prend la parole. Il de- 
mande que Ton aille au-devant de l'ennemi 
et qu'on lui livre bataille dans la plaine de 
Celaya avant qu'il n'ait rassemblé toutes ses 
forces. Il promet la victoire si l'on veut 
adopter le plan qu'il propose, c'est-à-dire 
attaquer l'ennemi à la Estancia avec toutes 
les forces d'infanterie et d'artillerie, tandis 
que Mejia, le tournant par l'ouest, le char- 
gerait avec la cavalerie. 

(( Si nous sommes vainqueurs, comme je 
n'en doute pas, conclut-il, nous nous porte- 
rons sur l'armée qui se présente du côté de 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. i63 

Santa-Rosa, nous l'écraserons comme celle 

de Corona, et en deux jours nous aurons 

sauvé l'empire. » 

Mejia, quoique encore malade, s'offrait à 

coopérer de toutes ses forces au plan de Mi- 

ramon , qu'il approuvait complètement , 

comme le fit aussi Mendez. 

Marquez était d'un avis contraire. « 11 

vaut mieux attendre l'ennemi de manière à 
le combattre près de la ville et à ne rien li- 
vrer au hasard. Dans les circonstances ac- 
tuelles, le moindre échec peut compromettre 
la cause que nous défendons. Nous sommes 
bien plus sûrs de vaincre si l'ennemi vient 
nous attaquer dans nos positions que si nous 
allons l'assaillir dans les siennes. Il nous est 
très-supérieur en nombre; dans un combat 
de plaine, il peut, avec ses 8,000 chevaux, 
tourner les 3,000 cavaliers que nous avons 
à lui opposer. Nous avons ici un excellent 
champ de bataille, en appuyant notre cen- 



164 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

tre sur le cerro de la Campana, que Ton 
peut fortifier de dix pièces d'artillerie, notre 
droite au cerro San-Gregorio, notre gauche 
à la Casa-Blanca. C'est dans cette position 
que l'ennemi viendra nous attaquer, les 
montagnes environnant la ville ne lui of- 
frant aucun autre champ de bataille. » 
J'ignore quel fut l'avis des autres géné- 
raux. 

L'empereur , malgré toute opposition , 
adopta le plan de Marquez. 

Dès le lendemain, on déploya toutes les 
troupes selon l'ordre de bataille indiqué par 
celui-ci. Le bataillon qui fut placé à l'ex- 
trêmq droite, sur le cerro San-Gregorio, 
était le bataillon de cazadores, composé pour 
moitié de Français, et qui prit plus tard le 
titre de bataillon de l'empereur, à cause de 
la confiance que Maximilien avait en lui. 

Malgré toutes ces préoccupations. Maxi- 
milieu montrait la plus grande égalité d'hu- 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. lOo 

xneur. Il n avait que deux sujets d'irritation, 
d'abord le souvenir des Français et des der- 
niers actes de leurs chefs^ soit politiques, 
soit militaires, ensuite les ennuis que lui 
donnaient ses ministres. 

« J'ai été désagréablement affecté, écrit- 
il à un officier allemand resté à Mexico, en 
apprenant que ces vieilles perruques du mi- 
nistère ont si peu de déférence pour moi 
qu'ils ne payent même pas mes quelques 
serviteurs restés à Mexico. Je vais me con- 
tenter d'un domestique, vendre mon cheval 
et aller à pied, afin de pouvoir économiser 
de quoi vous envoyer de l'argent. » 

Au commencement de mars, il écrit de 
Queretaro à un savant allemand avec lequel 
il était en relations d'histoire naturelle : 

<( Vous avez appris par les journaux qu'a- 
près le départ depuis si longtemps souhaité 
de nos amis les ennemis, et après avoir en- 
fin reconquis notre liberté d'action, nous 



i66 HISTOIRE DBS DERNIERS MOIS 

avons changé le chasse-mouche (éventail) 
de la paix pour le glaive ; au lieu de pour- 
suivre des punaises, nous poursuivons tout 
autre chose » 

« En place des abeilles, ce sont mainte- 
nant des balles qui bourdonnent autour de 
nos têtes; déjà deux fois entre Mexico et 
Queretaro, nous avons été au feu... Ces 
jours-ci, nous tenterons la fortune; si le 
coup réussit, j*espère vous voir bientôt à 
Mexico; sinon nous aurons combattu en 
braves et prouvé que nous aurons pu tenir 
quelques semaines de plus que les Fran- 
çais. 

« Périr Tépée à la main, c est le sort pos- 
sible, mais il n'y a pas de honte. Comme 
je regrette que les sciences de la paix ne 
puissent pas fleurir à côté de Mars 1 Quelles 
belles choses vous auriez trouvées sur toute 
la route de Mexico! Ainsi dans ce bois si 
intéressant de Calpulalpam, j ai vu, pendant 



dIe l'empire mexicain. 167 

que les balles sifflaient autour de nous, de 
superbes papillons voltiger ça et là tout tran- 
quillement. Ici, à Queretaro, nous avons dé- 
couvert une nouvelle espèce de punaise 
(Simex domesticv^ Queretari)^ qui paraît 
avoir des mandibules doubles et qui éton- 
nent tout le monde. Si j'avais pu emporter 
des flacons, j'en aurais, malgré la préoccu- 
pation de la guerre, conservé quelques-unes 
pour vous les montrer. » 

Le 5, larmée juariste déboucha dans la 
vallée de Queretaro, au point de jonction des 
deux routes de San-Miguel et de Celaya. 
Les deux corps de Corona et de Escobedo 
comptaient environ 15,000 hommes chacun. 
L'armée impériale avait de 8,000 à 10,000 
hommes, dit-on, mais, si je compte bien, 
plutôt 10,000 que 8,000. Les Juaristes» la 
trouvèrent rangée en bataille, selon le plan 
arrêté plus haut, face au nord plein, le cen- 
tre campé au^cerro de la Campana, la droite 



i68 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

appuyée à la rivière, la gauche à la garita de 
Celaya et à la Casa-BIanca. 

Les Juaristes, quoique se trouvant plus de 
trois contre un, n'osèrent pas accepter le 
combat qu'on leur offrait. Ils restèrent cinq 
jours en observation, se contentant de re- 
pousser de l'hacienda de San-Juanito, en 
avant de la Campana, une petite bande im- 
périaliste. 

Dans la nuit du cinquième jour, ils filè- 
rent sur leur droite, descendant vers le sud- 
est et tournant les faubourgs, les cerros de 
San-Gregorio, San-Pablo, Canada et Cuesta- 
Ghina. 

Le 12, les impériaux, étonnés de ne plus 
voir l'ennemi, poussèrent une reconnais- 
sance dans la direction de l'est, jusqu'au vil- 
lage de San-Pablo, à 3 kilomètres de Quere- 
taro, avec le bataillon de cazadores, appuyé 
par le 7" de ligne (600 hommes) et le régi- 
ment de l'Impératrice (450 hommes). 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 160 

L'ennemi avait disparu vers le sud. 

Le 14, on eut de ses nouvelles. A huit 
heures du matin, il commença une attaque 
sur toute la ligne occidentale et méridio- 
nale, alors la moins défendue. A neuf heures 
du matin quelques tirailleurs ennemis, sou- 
tenus par une cavalerie assez nombreuse, 
vinrent inquiéter les avant-postes de garita 
del Pinto. Le général Mejia, à la tête d'une 
brigade de cavalerie, accourut au secours et 
repoussa les assaillants jusqu'à plus de deux 
lieues de Queretaro. 

On le chassait vers midi de la garita de 
Celaya. 

A deux heures, les Juaristes se précipitent 
sur la Cruz avec tant d'élan qu'ils parvien- 
nent à prendre la Huerta et le Panthéon. On 
se battit corps à corps, à coups de pierres et 
de grenade lancées à la main ; la petite gar- 
nison impériale, d'abord forcée, reprit sa 

position. Les secours arrivèrent, et le combat 

1» 



i70 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

S étendit à toute la partie sud, depuis la 
route de San-Luis jusqu'à cerro du Cime- 

tière. 

A quatre heures, Mejia, à la tête de toute 
la cavalerie, mit en fuite l'ennemi de ce 

côté. 

Ce fut la fin de la première bataille entre 
les Impériaux et les Juaristes sous Quere- 
taro. Ces derniers perdirent une pièce rayée, 
cinq canons encloués, 750 prisonniers, un 
nombre considérable de tués et de blessés. 
Mais on ne les chassa pas de leurs positions. 

Ils purent môme commencer à s'établir 
sur le cerro du Cimetière, au sud-ouest, en 
face de TAlameda. 

Le 17, sortie de Miramon, qui prend deux 
canons à l'ennemi, en encloue plusieurs au- 
tres, fait 600 prisonniers et tue un grand 
nombre d'hommes* 

Le 22, nouvelle sortie du même qui écrase 
les postes ennemis au nord de la ville et en- 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. i7i 

lève un fort convoi de munitions. Ce fut 
tout le résultat de cette affaire qui eût pu 
avoir de plus grandes conséquences. Mais 
Miramon, emporté par son ardeur, donna 
sans attendre une colonne d'infanterie qui 
devait coopérer à cette attaque. L'ennemi, 
qui devait être exterminé après avoir été 
pris entre deux feux, put s'enfuir. 

Ce jour-là encore l'empereur assembla un 
conseil de guerre. Il commença par laisser 
deviner qu'il était décidé à évacuer Quere- 
taro, la place ne lui paraissant pas en situa- 
tion de soutenir un long siège. On manquait, 
en effet, de vivres et de munitions, et la dis- 
proportion des forces ne permettait pas d'es- 
pérer qu'on pût faire lever le siège de vive 
force. 

Marquez, qui avait pris sur Maximilien 
une grande influence, intervint encore et 
changea, — ce qui n'était, hélas! que trop 
facile, — les résolutions de l'empereur. Il 



i72 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

fut décidé que lui, Marquez, muni de pleins 
pouvoirs, pousserait jusqu'à Mexico, d'oîi il 
reviendrait avec de largent, des munitions, 
des renforts et particulièrement avec des 
troupes européennes. 

Le vieux, prudent et rusé général partit 
dans la nuit même, par la porte del Pinto, à 
côté de TAlameda, qui n'était pas encore in- 
vesti. Il emmenait 1,200 cavaliers, sous le 
commandement du chevaleresque Quiroja et 
du général Vidaurri, fort honnête homme, 
dont il allait faire un ministre des finances. 

Le 23, l'ennemi fut renforcé de 10,000 
hommes environ, qui prirent place sur le 
cerro du Cimetière, au sud-ouest, en face de 
TAlameda et de la Casa-Blanca. Dès ce jour 
la ville était complètement investie. 

Les assiégeants étaient alors, d'après le 
calcul, à mon sens un peu exagéré, des ré- 
publicains mômes, 40,000 hommes. Les as- 
siégés avaient environ 8,000 hommes. Mais 



DE L'EMPIRB MEXICAIN. 173 

déjà ils manquaient de munitions, et dès 
cette époque Ton donnait un sou de notre 
monnaie pour chaque boulet ennemi ramassé 
par les habitants. 

Le 24, les Juaristes, descendant des hau- 
teurs du cerro du Cimetière (que j'entends 
appeler aussi cordillera ou loma del Cima- 
tario\ tentèrent une attaque vigoureuse et 
simultanée sur les deux points de la Casa- 
Blanca et de TAlameda. Ils furent repoussés 
et laissèrent au pouvoir des assiégés un ba- 
taillon, avec son drapeau et ses guidons. Ils 
perdirent en outre environ 800 hommes. 

Le surlendemain Miramon fit une sortie, 
mais du côté opposé. Il traversa la rivière 
en dessous de la route de San-Luis. Il cul- 
buta l'ennemi , encloua les canons et fit 
600 prisonniers. 

Lé 1" et le 4 avril, il recommença ce coup 
de main dans les mêmes conditions et avec 
le même succès. 

10. 



ni HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Pendant ce temps, les assiégeants, com- 
plétant les travaux d'investissement, com- 
mençaient les tranchées et ouvraient leurs 
parallèles. •« 

Les assiégés complétaient leur système de 
fortification et se livraient activement à la 
fabrication de la poudre et des projectiles, 
car tout manquait. On était obligé d'attendre 
les canons pris sur l'ennemi pour armer les 
murailles qu'on élevait. On n'avait pas d'ar- 
tificiers bien habiles, aucun outillage un peu 
perfectionné. Les capsules principalement 
étaient un objet de grande préoccupation. 
On essaya d'en fabriquer avec du carton, la 
tentative ne réussit guère. Peu à peu toute- 
fois on perfectionna ces capsules en carton, 
qui en vinrent à remplacer assez bien les 
capsules de cuivre. Ainsi en fut-il de tout. 
L'habileté vint avec l'expérience, mais on 
fut toujours obligé de ménager l'emploi de 
ces munitions si laborieusement créées. 



i76 HISTOIRE DES DERNIERS VOIS 

effet, il entrait quelque espion porteur de 
dépêches ou de nouvelles : Marquez arrivait ; 
on Tavait vu sur la route de Toluca; il était 
à Maravatio. Une autre fois c'était par la 
grande route du nord qu'il accourait : il était 
àTula quelques jours auparavant, bien plus, 
on l'avait vu à Amealco. Que disait-on en- 
core I II venait de battre un corps ennemi à 
San-Juan-del-Rio. Les musiques remplis- 
saient de fanfares la place de la Cruz, la 
place au Chien, la place de San-Francisco ; 
le peuple de Queretaro se portait en foule 
,à la promenade de l'Alameda. Rien ne ve- 
nait. 

En conséquence du plan arrêté, Miramon 
sortit par la Cruz et l'église de San-Francis- 
quîte pour aller attaquer, au sud, la garita 
de Mexico. Il en délogea l'ennemi après une 
vigoureuse résistance. Il le poursuivit jus- 
qu'au pied des cerros de Cuesta-China et de 
Carreta. Là, il se trouva en face d'une ligne 



BE L EMPIRE MEXICAIN. i77 

ennemie retranchée. 11 ne put la percer. Les 
deux courriers de l'empereur furent obligés 
de rentrer. 

On décida pour le 27 une nouvelle attaque 
que dirigeraient l'empereur et Miramon con- 
tre la partie la plus forte, mais aussi la plus 
gênante des fortifications ennemies, contre 
celles-là justement qui descendaient du 
cerro del Cimatario, dans la plaine, en face 
de l'Alameda. 

Ce jour-là, à cinq heures et demie du 
matin, Maximilien et Miramon sortirent avec 
2,800 fantassins et quelques cavaliers. C'é- 
tait à peu près tout ce dont on pouvait dis- 
poser, le reste devant rester à la garde de 
cette ville, qui occupait l'espace double de 
celui qu'eût rempli une ville européenne de 
60,000 âmes. 

Miramon se jette sur la Cordillera, défen- 
due par 12,000 hommes, trois tranchées et 
vingt-deux pièces de canon. Il enlève à la 



i78 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

baïonnette successivement les trois tran- 
chées, fait un massacre considérable, une 
quantité énorme de prisonniers, enlève tous 
les canons, — sauf un qu'on fut obligé d'a- 
bandonner sur le champ de bataille. — Il 
pousse les Juaristes en une telle fuite qu'il 
ne restait plus chez l'ennemi ni un cheval 
ni une mule qu'on pût utiliser pour trans- 
porter les canons dans la ville. Les fantassins 
juaristes s'étaient changés en cavaliers pour 
fuir et perdre moins de temps en route. 

La place ennemie était tellement nettoyée 
que le peuple de Queretaro sortit en foule 
pour piller. L'on put utiliser cet amour du 
pillage, et beaucoup de ceux qui, comme 
notre compatriote le lieutenant Seguy, s'é- 
taient emparés de pièces d'artillerie, durent 
enrôler les Indiens pillards. Ils les forcèrent 
à arracher les pièces des retranchements et 
à les mener jusqu'à Queretaro à travers les 
rochers et sous un feu très-nourri. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 179 

On n'avait pas malheureusement pu com- 
plètement profiter de la victoire, par la faute 
du régiment des dragons de l'Impératrice, 
qui hésitèrent à charger les fuyards malgré 
Tordre pressant de Maximilien. L'empereur 
dit au lieutenant-colonel, — qui commandait 
en l'absence de Lopez, colonel titulaire, dé- 
taché à l'état-major général, — qu'il allait se 
mettre lui-même à la tête du régiment. On 
put enfin vaincre l'hésitation, peut-être déjà 
traîtresse, de ces gens-là; mais il était trop 
tard. 

Les fuyards, ne se sentant pas pour- 
suivis , s'arrêtèrent , rassemblèrent toute 
leur cavalerie, firent un retour offensif sur 
les Impériaux dispersés, qui parvinrent tou- 
tefois, comme je l'ai dit, à ramener à Quere- 
taro vingt et une des vingt-deux pièces de 
l'ennemi. Celui-ci avoua plus tard que ja- 
mais il n'éprouva telle panique, et que, si 
on l'avait poussé, jamais il n'eût pu se refor* 



180 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

mer ; le siège eût été ainsi levé et Maximilien 
sauvé. 

Le 1" mai, Miramon va escarmoucher à la 
droite de la ville au-dessous de la route de 
San-Luis, préparant ainsi lattaquedu 3 con- 

r 

tre les fortifications du mont San-Gregorio. 
Ce jour-là, en effet, il se précipita sur les 
tranchées de ee.cerro et avait déjà enlevé la 
première ligne, quand parvint à l'empereur 
un courrier porteur de plis des généraux 
Marquez et Vidaurri, annonçant que ces 
deux généraux s'avançaient. Maximilien or- 
donna à Miramon de faire retraite. 

Cette fausse dépêche donnait le nom des 
régiments et des chefs de corps qui mar- 
chaient avec Marquez; elle indiquait que 
celui-ci se dirigeait sur Queretaro en deux 
colonnes. L'une, sous son commandement, 
était déjà arrivée à Monte-Alto; lautre, sous 
le commandement de Vidaurri, avec Tartilie- 
rie, se dirigeait, par le chemin de Toluca, 



DE L'£MB.IRE MEXICAIN. lël 

sur Ixtlahuaca, où les deux colonnes devaient 
se rejoindre. Tout cela, je l'ai dit, était de 
pure invention, et une ruse de Tennemi. 

Le 5 mai, anniversaire de la merveilleuse 
victoire remportée sur la France devant 
Puebla, grosse fête chez les Juaristes, qu'ils 
voulurent célébrer par une attaque formida- 
ble. A l'angélus du soir, ils se lancèrent vi- 
goureusement contre le pont, la maison for- 
tifiée, la porte de San-Luis. Une colonne de 
6,000 hommes, commandée par Ëscobedo, 
fit vainement les efforts les plus courageux 
pour arriver à emporter cette position . Ils 
laissèrent 1,500 à 2,000 hommes sur le ter- 
rain. 

Marquez n'arrivait pas. Le maïs et les 
tortillas avaient disparu complètement ; il ne 
restait plus que les frijoles (haricots). On 
avait, en 71 jours de siège, livré 22 com- 
bats, tous victorieux; le matériel avait triplé 

par les prises faites sur l'ennemi; les succès 

il 



482 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

continuels avaient donné la plus grande 
confiance aux Impériaux. 

Mais la situation n'aboutissait pas : les Li- 
béraux, toujours battus, toujours diminués 
par les morts et les prisonniers, se recru- 
taient par la leva et s'entretenaient par le 
pillage. Leur nombre augmentait, tandis que 
les Impériaux, quoique triomphants, fon- 
daient peu à peu. Les pertes faites, la troupe 
emmenée par Marquez, quelques très-peu 
nombreuses désertions , avaient réduit le 
nombre des soldats à 6 ou 7,000. Il fallait 
sortir à tout prix de cette position. 

On décida dans un suprême conseil de 
guerre une attaque générale pour le 14 mai. 

si la victoire était incomplète, on perce- 
rait du]^moins les lignes ennemies et Ton se 
retirerait dans la sierra Gorda, pour prendre 
conseil des circonstances, et de là gagner la 
mer ou Mexico. 

Si, comme tout le faisait supposer, on 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. i83 

chassait Tennemi, Ton marcherait vers TÉtat 
du Nuevo-Leon, et là, au centre du Mexique, 
on rassemblerait ce fameux congrès, dont 
ridée était si chère à Maximilien. 

Le 12, on fit un appel au peuple de Que- 
retaro pour qu'il s'armât et occupât les for- 
tifications, et permit ainsi à l'armée régu- 
lière de sortir tout entière dans la matinée 
du 14. On voulait attaquer d'une manière 
décisive les parallèles du front et des deux 
flancs, de façon à isoler l'ennemi de son 
arrière-garde. 

La confiance et l'aflection pour Maximilien 
étaient si grandes que 4,000 hommes se 
présentèrent; Ce fut un malheur^ car on ne 
put les organiser pour le 13. On remit donc 
l'attaque au 15. 

Le 14^ on mit la dernière main aux dix- 
neuf ponts portatifs qui devaient permettre 
de passer la rivière sur plusieurs points; 
on distribua à la troupe des rations de viande 



184 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

de cheval et du vin rouge. Enfin, on prit 
toutes les dispositions. 

A deux heures du matin, le 15, tout était 
prêt; on n'attendait plus que Tordre de se 
mettre en mouvement, le signal de Tatta- 
que sur toute la ligne, et personne ne faisait 
doute que ce ne fût le signal de la victoire. 

Quelques minutes après deux heures, Ten- 
nemi lança un projectile creux de la garita 
de Mexico. Vingt minutes après un second 
coup fut entendu, puis plus rien. 

Personne dans Tarmée impériale, parmi 
tous ceux qui attendaient avec tant d anxiété 
le signal de la bataille, ne se doutait que 
ces deux coups fussent destinés uniquement 
à Lopez, et qu'ils fussent un signal de rappel 
de la trahison. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN 185 



I 



DESCRIPTION DE MEXICO. — SITUATION DES FRANÇAIS. 

POSITION DIFFICILE DE NOTRE AMBASSADEUR. 

JUGEMENT SUR SA CONDUITE. 

CONTRE - GUERILLA FRANÇAISE. 



11 nous faut voir maintenant ce qui s'é- 
tait passé dans le reste de Tempire depuis 
le départ de Maximilien pour Queretaro. 

Le reste de l'empire se composait de Vera- 
Cruz, de Puebla, de Mexico. 

Puebla était assiégé par une armée nom- 
breuse, sous le commandement de Porfirio 
Diaz, armée, du reste, médiocrement orga- 
nisée pour faire un siège, surtout le siège 
d'une ville fortifiée comme Puebla. 'On était 
donc sans aucune crainte de ce côté. 

On voyait à Vera-Cruz apparaître quelques 
corps qui pouvaient bien intercepter les 



i86 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

communications, mais incapables de réduire 
une place qui s'appuyait sur la mer. 

Devant Mexico la situation n'avait guère 
changé. Les bandes qui Tentouraient étaient 
peut-être plus nombreuses et plus fortes; 
mais la ville était plutôt resserrée qu'assié- 
gée encore. 

Mexico est placé comme au fond d'un vaste 
entonnoir. De quelque côté que l'on se 
tourne, on n'aperçoit que des collines, des 
montagnes aux vives arêtes ou qui s'étendent 
en plateau. Ces montagnes, qui sont la dé- 
fense de la ville, sont aussi un excellent 
lieu de retraite pour des bandes armées; 
aussi les bandes y pullulaient. 

Mais les trois points importants de ces 
montagnes, les contre-forts extrêmes qui ar- 
rivent en angles aigus dans la vallée, en face 
de Mexico, étaient encore ou de nouveau au 
pouvoir des Impériaux. Comme ils comman- 
daient les plateaux et les routes principales, 



DE L'EMPIRE HEIIOÂIN 187 

soit pour l'attaque, soit pour le ravitaille- 
ment, ils étaient pour ainsi dire une digue 
aui empêchait les bandes des montagnes 
d'investir Mexico. 

Ces trois points étaient, au nord-est, — h 
environ 5 kilomètres, — Guadalupe, avec son 
église fortifiée et un camp Tetranché con- 
struit par le génie français; au sud et au 
sud-ouest, Tacubuya, et Chapultepec, avec 
son château, ses maisons aux terrasses cré- 
nelées et son camp retranché de Santa-Fé, 
aussi bâti par le génie français. 

La ville môme est défendue par une cein- 
ture de fortifications en terre protégée par 
un fossé. Le mur est revêtu à l'extérieur et 
aux embrasures d'une cuirasse en adobe. Le 
fossé est profond de 2 mètres, large de 4; 
il est rempli d'eaux vives entretenues par un 
système de drainage établi pour dessécher 
la vallée. 

Une citadelle, fortifiée de la même ma- 



488 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

nière, mais avec des mup& plus hauts, se 
compose de vastes bâtiments disposés en 
carré et dont les terrasses sont à l'épreuve de 
la bombe. Elle commande le sud-ouest de la 
ville. 

Celle-ci n'est abordable, pour un ennemi 
mexicain, que par les routes principales. Le 
terrain qui les sépare les unes des autres 
est tellement marécageux et coupé de fos- 
sés, qu'il faudrait une infanterie très-ferme 
pour tenter par là une attaque. Ainsi s'ex- 
plique pourquoi tout l'effort du siège se 
portera sur les garitas^ c'est-à-dire sur 
les bâtiments d'octroi, jouant le rôle de 
portes de la ville, et se trouvant à l'en- 
droit où ces routes principales entrent dans 
la ville. 

En dehors des soins de la défense de 
Mexico, alors médiocrement attaquée, comme 
je viens de le dire, la préoccupation de Lares 
et des généraux Tavera, Platon Roa, Galvez, 



DE L'EMPIRE MEXICAIN 489 

O'Horan, ainsi que des autres qui étaient 
restés à Mexico, fut de constituer une armée. 

Le noyau en était tout trouvé. Nous avons 
indiqué le nombre et le genre de soldats 
européens qui se trouvaient encore dans 
Tarmée mexicaine. 

Mais on a pu remarquer que, si les Alle- 
mands étaient formés en corps homogène 
et compacte, les Français étaient disséminés 
de ci de là sur plusieurs points de l'empire 
et dans divers corps mexicains. De plus, 
un grand nombre de nos soldats libérés qui 
avaient cherché quelque établissement au 
Mexique se trouvaient ruinés par la cessation 
de tout commerce. D'autres, non libérés du 
service militaire, n'avaient pas cru devoir 
obéir à la circulaire du maréchal; d'autres 
ne l'avaient pas pu, éloignés qu'ils étaient 
du centre de l'empire; ils avaient rejoint 
Mexico ou Puebla après le passage des der- 
nières divisions de l'armée française, qui, 

H. 



190 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

du reste, avait, au milieu de mars, définiti- 
vement quitté le sol mexicain. 

La première pensée de tous ces gens-là 
était, comme il est habituel à tout Français, 
de courir se mettre sous l'aile du ministre 
de France. Ils n'y trouvaient une hospitalité 
ni luxueuse ni bienveillante, le ministre ne 
voulant pas aider les uns, qu'il était fort 
tenté de considérer comme des bandits, et 
ne pouvant pas servir efficacement les au- 
tres. 

Je me heurte ici à Tune des parties de ce 
travail qui m'ont le plus préoccupé. J'ai fait 
les plus sincères efibrts pour arrivera un ju- 
gement impartial et clair sur la conduite de 
notre ambassadeur. Je ne sais si c'est mau- 
vaise chance de ma part, mais je n'ai jamais 
pu rencontrer de gens qui ne lui fussent pas 
hostiles. Je puis constater que ses ennemis 
sont nombreux , très-âpres et très-décidés 
dans leur hostilité. Je suis porté à croire que 



DE L'EMPIRE MEXICAIN 491 

l'histoire, si elle s'inquiète de ce diplomate, 
le traitera avec sévérité. Mais, dans ces con- 
ditions, je ne puis avoir la prétention de 
juger en dernier ressort un homme jeté au 
milieu d'événements qui nous touchent et 
nous passionnent, un homme que ses devoirs 
diplomatiques empêchent de se défendre. 

Je constate donc qu'il a soulevé une masse 
de haines, de haines sombres, et j'en don- 
nerai à la fin de cette étude une preuve sai- 
sissante et qui lui est inconnue. Toutefois je 
fais une large part aux difficultés de sa posi- 
tion. 

Après le départ de notre armée, il était 
aux yeux du gouvernement mexicain un en- 
nemi détesté pour lui-même et pour la 
France; pour lui-même, à qui l'on repro- 
chait d'être seulement préoccupé de sa for- 
tune, de la dot féerique de la jeune Mexi- 
caine qu'il venait d'épouser (et on l'accusait 
de pousser à une entente avec les Juaristes 



~*w- 



192 HISTOIRE DBS DERNIERS MOIS 

' uniquement pour sauver cette dot) ; pour la 
France, à laquelle on attribuait tout le mal 
présent. 11 n'avait donc aucune autorité, au- 
cune influence auprès du gouvernement. De 
plus, ce gouvernement, ainsi que l'armée et 
la population mexicaines pouvaient éprouver 
la tentation de lui faire expier, maintenant 
qu'il était seul et faible, les abus de pouvoir, 
les taquineries, les insolences dont on accu- 
sait les Français. 

J'ignore si ce qu'on appelle la colonie 
française, c'est-à-dire la masse du commerce 
français à Mexico, eut à se louer de lui. J'ai 
entendu là-dessus des appréciations diverses. 
Quant à l'armée, je veux dire les soldats 
français de toute catégorie demeurés après 
le départ de l'Intervention, il n'y a qu'un 
cri contre lui. 

Ici je vois très-clair dans la situation. 

Le ministre regardait tous ces irréguliers 
comme des déserteurs, et il y en avait un 



DE L'EMPIRE MEXICAIN i93 

certain nombre; comme des misérables, et * 
il y en avait quelques-uns. Il était porté à 
exagérer la sévérité de son jugement sur eux 
en songeant aux difficultés qu'ils lui créaient, 
et elles étaient réelles. 

Lui, «ans autorité, ne devait avoir qu'un 
désir, c'est-à-dire le désir que les Français 
ne réclamassent jamais son intervention. Lui, 
qui voyait fort bien la victoire certaine des 
Juaristes, ne demandait qu'une seule chose, 
c'est-à-dire que tout ce qui était Français 
gardât la neutralité. Lui, ambassadeur de 
France , ne faisait qu'un seul rêve, le rêve 
cher à toute autorité française, et particu- 
lièrement à tout diplomate français à l'é- 
tranger, il voulait voir tous nos nationaux se 
courbant sous la discipline comme une 
armée docile. Il était porté à considérer 
comme ennemis de la France tous ceux qui 
ne prenaient pas le mot d'ordre de la léga- 
tion. Lui, le compagnon politique du mare- 



194 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

chai Bazaine, il admettait difficilement qu'il 
pût y avoir encore un soldat respectable au 
service mexicain, après la circulaire du ma- 
réchal. Enfin, le gouvernement français ne 
lui avait pas laissé les mines du Potose à 
distribuer aux compatriotes malheureux, et 
quant aux mines de Jteal del Monte^ qu'il 
venait, disait-on, de recevoir en dot, on ne 
l'accuse pas d'avoir abusé de l'autorité con- 
jugale pour en distraire quelque peu en fa- 
veur des Français. 

Ceux-ci, d'autant plus exigeants qu'ils 
étaient plus malheureux, qu'ils étaient plus 
indisciplinés peut-être, se faisaient un plaisir 
très-malicieusement français d'augmenter 
les difficultés de position d'un homme qu'ils 
n'aimaient pas, dont ils disaient que beau- 
coup avaient eu à se plaindre et bien peu à 
se louer. Ils abusaient volontiers de la fai- 
blesse actuelle de la légation, et si les plus 
mauvais se réjouissaient de pouvoir humi- 



i 



DE L'EMPIRE MEXICAIN 195 

lier Tautorité défunte, quelques-uns des 
meilleurs ne pouvaient s'empêcher de faire 
joyeusement l'école buissonnière à la dis- 
cipline. 

Car cela est vrai de nous partout et his- 
toriquement, nous sommes aussi prêts à har- 
celer le pouvoir quand il est faible que le 
pouvoir est prêt à nous écraser quand il est 
fort. C'est à peu près l'histoire <ie ce qui se 
passa à Mexico, au printemps de 1867, et 
sur le Phlégéton^ en l'automne de cette 
même année, époque à laquelle l'ambassa- 
deur retrouva, sous sa puissance, quelques- 
uns de ceux en qui il avait vu des rebelles 
peu de mois auparavant. 

De plus, avec cet instinct de générosité 
exigeante qui est aussi de notre race, tous 
ces malheureux détestaient le ministre de 
ne pas faire ce que sans doute ils eussent 
fait eux-mêmes, de ne pas sacrifier une mi- 
nime partie de l'immense fortune qu'il ve- 



i96 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

nait d'acquérir, pour le soulagement de com- 
patriotes misérables. 

Mais Ton comprendra mieux la situation, 
si Ton veut généraliser les détails d'une lettre 
que je choisis entre dix documents. 

« Lorsque le corps expéditionnaire évacua 
le Mexique, je me trouvais dans l'intérieur, 
occupant un emploi de sous-lieutenant au 
2* régiment de cavalerie mexicaine, emploi 
que j 'avais accepté conformément aux circu- 
laires du général. 

« Je ne connus pas l'ordre de rentrer en 
France, mais les revers de la campagne de 
Zacatecas, ainsi que ma santé, s'altérant tous 
les jours, me forcèrent à donner, le 10 fé- 
vrier, à Queretaro, ma démission, dans le 
' but de profiter du dernier embarquement 
des troupes françaises. 

« Je partis donc de Queretaro, Je fus un 
mois à faire les 50 lieues qui séparent cette 
ville de Mexico. Je ne vous parlerai pas des 



DE L*EMP1RE MEXICAIN. 197 

obstacles qu'il m'a fallu surmonter. Je dirai 
seulement que, volé trois fois dans une même 
journée, je suis arrivé dénué de tout. 

« Je connus en arrivant la circulaire du 
15 janvier, menaçant de désertion tous ceux 
qui, comme moi, étaient encore liés au ser- 
vice militaire de la France; je ne fis que rire 
d un pareil anathème, puisque j'avais dans 
ma poche mon brevet signé par le maréchal 
lui-même. Cependant je me présentai à la 
légation, d'abord pour remercier M. le consul 
de m'avoir envoyé un certificat à Cauntitlan 
où j 'étais prisonnier, puis pour que l'on ré- 
gularisât ma position . » 

Il raconte alors les vains efforts qu'il fit 
pour être rapatrié, puis comment il écrivit 
au ministre une lettre qui resta sans réponse; 
comment, en son nom et au nom de ses 
camarades, il envoie au journal français, 
le Courrier du Mexique^ une note où il in- 
dique la position où ils sont, « ou dedeman- 



198 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

der raumône pour suffire aux dépenses de 
notre nourriture ou de perdre notre qualité 
de Français en reprenant du service dans 
l'armée mexicaine ; » comment, à la suite de 
cet article, il fut mandé à la légation, blâmé 
une première fois, muni, la seconde fois, 
d'une feuille de route, la troisième fois au- 
mône de 1 piastres qui prirent trop tôt fin . 
En somme, il fut obligé de rentrer dans 
Tarmée mexicaine. 

Quoi qu'il en soit, en février 1867, il 
y avait une situation imposée par les cir- 
constances : une masse de Français, anciens 
soldats, malheureux, médiocrement accueil- 
lis par la légation, et qui dédaignaient l'au- 
mône, rappelaient à tous qu'ils ne connais- 
saient d'autre métier que les armes. Les 
armes étaient assez en honneur alors et les 
Français aussi, — j'entends quant aux armes. 

Le chef d'escadrons Chenet, que nous 
avons déjà vu à l'œuvre à Las Cruces et à 



DE L'EMPIRE MEXICAIN i99 

Toluca, pensa qu'il y aurait utilité pour Tem- 
pire à former un corps spécial de ces Français. 

Au moins ainsi échapperaient-ils à la mi- 
sère et aux tentations du brigandage. Il ne 
faut pas oublier, en effet, qu'il ny avait 
plus au Mexique ni commerce ni crédit. 
Beaucoup de nos anciens soldats restés au 
Mexique étaient sans habits, sans chaussures, 
sans nourriture. Les libéraux et les bandits 
les appelaient et les accueillaient comme de 
précieuses recrues. 

Le 23 février, le commandant Chenet 
demande lautorisation d'organiser un corps 
où Ton n'admettrait que des Français , avec 
les grades qu'ils avaient eus dans l'armée 
française. Cette organisation avait pour but 
de rassembler et de sauver quatre classes de 
soldats : 

r Ceux qui, libérés et entrés dans la vie 
civile à Mexico, n'avaient plus de moyens 
d'existence; 



200 HISTOIRE DBS DBRNIRRS MOIS 

T Ceux quî, libérés ou non, n'avaient pu 
rejoindre à temps la colonne expéditionnaire 
en partance ; 

3** Ceux qui, enrôlés dans les corps mexi- 
cains, s'y trouvaient mal à Taise ; 

4** Les déserteurs. 

Plus tard, ce corps se composa d'infanterie, 
de cavalerie, d'artillerie et de génie; il en 
vint à compter près de 600 hommes, et prit 
le nom de contre-guérilla Chenet. Il avait 
d abord été formé sous le nom de contre- 
guérilla française, titre qu'il abandonna sur 
les instances et après les démarches officielles 
du ministre de France. 

Dans le principe, il ne devait être qu'un 
corps de cavalerie. 

Dès le 24 février, le préfet politique, gé- 
néral O'Horan, permet les enrôlements, sauf 
ratification du ministre de la guerre, lequel 
donne aussi son autorisation, sauf ratification 
de l'empereur. Les enrôlés sont placés en 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 201 

subsistance à la compagnie de gendarmerie 
commandée par le chef d*escadrons Chenet. 

Le 20 mars, vingt-cinq hommes de cette 
contre-guérilla vont, commandés par le sous- 
lieutenant Blanchon, défendre Tacubaya, à 
5 kilomètres sud-sud-ouest de Mexico, et re- 
lever un poste mexicain qui avait été atta- 
qué le matin même par 400 hommes de 
Riva Palacio. 

La petite troupe s'établit sur les azoteas 
(terrasses) de deux hautes maisons, de façon 
à commander la place par un feu croisé. 

Le 23, la petite troupe crie de toutes ses 
forces : Viva el emperador! qui vient de 
remporter, dit-on, une victoire décisive, où 
Ton a tué 4,000 ennemis, blessé 2,000 et 
fait 10,000 prisonniers. 

On racontait aussi que Lozada avait repris 
Guadalajara et Colima, à Touest sur la côte 
du Pacifique. D. Pascual Munoz avait relevé 
les armes de Tempire dans le Sud ; les dissi- 



202 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

dents de Cuernavaca se retiraient dans le 
Guerrero ; les succès de la campagne de l'em- 
pereur à l'intérieur troublaient les assié- 
geants de Puebla. Acapulco tenait pour les 
Impériaux. On affirmait que, à San-Luis-de- 
Potosi, un soulèvement populaire en faveur 
de l'empire avait forcé D. Benito Juarez à se 
réfugier dans le Zacatecas. Enfin, on niait le 
siège de Vera-Cruz, et on ajoutait qu'il y 
avait là une garnison de 2,000 hommes bien 
suffisante pour résister à toute attaque. 

En un mot^ à cette date, tout allait aussi 
bien que possible pour Tempire. 

Notre petite troupe française fut attaquée 
le 25, le 27 ; elle tint bon. 

Le 28^ on apprit l'arrivée de Marquez re- 
venant de Queretaro. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 203 



XI 



MARQUEZ. — SON PLAN DE CAMPAGNE. 
REDDITION DE PUEBLA. 



A huit heures du soir, le 28, on reçoit Tor- 
dre d'évacuer Tacubaya, Texcoco, Chalco, 
Guadalupe, Chapultepec. Tous les postes 
avancés de la ville sont abandonnés* 

Chacun s'en étonne. On se demande pour* 
quoi livrer à Tennemi des postes si faciles à 
défendre, nécessaires au ravitaillement, com- 
mandant la capitale, et dont l'abandon doit 
ouvrir toutes les approches de la ville et la 
ville même à l'ennemi? 

C'est que Marquez a besoin de ses meil-» 
leures troupes, de toutes ses troupes j pour 
une grande expédition qu'il a combinée pen- 
dant la route qu'il vient de faire. 

Le 28, en effet, le corps qui a accompagné 



ZOÏ HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Marquez depuis Queretaro n'est pas encore 
rentré. Mais déjà les chefs de corps ont reçu 
Tordre de se préparer à entrer en campagne. 
Tous les Européens vont faire l'expédition, 
dont le but est encore mystérieux. Les hus- 
sards rouges, le bataillon Hamerstein, les 
gendarmes, le petit noyau de la contre- 
guérilla française sont désignés. Oîi va-t-on? 
Chacun s'accorde à croire que l'on va rejoin- 
dre l'empereur à Queretaro. 

On quitte Mexico le 29. 

La colonne est forte de 5,600 hommes, 
les meilleures troupes du Mexique. Elle em- 
mène avec elle deux batteries rayées et une 
batterie de montagne. Mais où va*ir-on? On 
ne prend pas le chemin de Queretaro. Non, 
l'on se dirige vers le sud-est, vers Puebla ! 
L'on ne prend même pas la route directe de 
Puebla, mais on tourne sur la gauche, de 
façon à faire 60 lieues au lieu de 30, et 
comme si l'on voulait laisser Puebla à sa 



PË li'ËMPIHE MEXICAIN. 205 

droite. L'on prend la route de Apam, celle 
qui passe entre les deux lacs de Texcoco et 
de San-Cristobal. 

Ce mouvement, qui excitait Tétonnement 
de toute la colonne, n'excite pas moins Té- 
tonnement de Thistorien. Ce fut, en effet, 
lun des quatre ou cinq mouvements pivo- 
taux, qui décidèrent des destinées de Maxi- 
milien; et c'est là-dessus que Ton s'est basé 
principalement pour accuser Marquez de tra- 
hison. 

L'on fait remarquer que son premier, son 

unique devoir était d'aller dégager Maximi- 

lien; c'est l'ordre précis qu'il avait reçu, et 

il n'avait quitté Queretaro qu'à la condition 

expresse d'y revenir immédiatement. On fait 

encore remarquer que , même pour aller à 

Puebla, il prenait une route bien étrange, 

longue et difficile, quand la route directe était 

libre, ou du moins sans obstacles capables 

d'arrêter une troupe comme la sienne. 

la 



206 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Cette route qu'il suivait tombait en avant 
de Puebla à Amozoc, sur le chemin de Vera- 
Cruz. L'on rapproche ces faits du débarque- 
ment de Santa- Anna dans le Yucatan, Ton 
rappelle que Tex-dictateur était toujours 
resté, comme Marquez, un pur conservateur, 
que tous deux appartenaient à la même 
nuance politique, et Ton conclut que le gé- 
néral allait donner la main à Santa-Anna à 
Vera-Cruz pour le proclamer président de la 
république. 

Les défenseurs de Marquez répondent que 
faire lever le siège de Puebla était la chose 
importante, attendu que dégarnir Mexico de 
ses meilleures troupes, avant d'avoir dissipé 
^ennemi, c'était exposer la capitale à être 
prise par un Coup de main sans guère de dé- 
fense, et que laisser tomber Puebla aux 
mains de l'ennemi, c'était, ainsi qu'on le vit, 
fournir à cet ennemi des munitions et un ma- 
tériel de siège. La marche sur Puebla avant 



r 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 207 

d'aller à Queretaro s'explique donc. Il est 
du reste improbable que Marquez s'en allât 
proclamer Santa-Anna, à Taide des trou- 
pes européennes oîi les Autrichiens étaient 
les plus nombreux, à l'aide des troupes qui 
étaient nécessairement et personnellement- 
dévouées à Maximilien. 

Quant à la route assez inattendue, en effet, 
qu'il prit, on l'explique par des renseigne- 
ments reçus sur la position de l'ennemi de- 
vant la ville et par l'avantage que les plaines 
oii il s'engageait donnaient à sa nombreuse 
cavalerie. 

Voilà les principaux arguments pour et 
contre : l'on peut juger. Pour moi,je ne trouve 
pas dans ces faits des preuves de trahison. 

N'oublions pas, du reste, que Marquez, 
comme les autres hommes de son parti, 
ne devait cordialement rien à Maximilien, 
qui, appelé par eux, s'était appuyé sur eux 
alors seulement qu'il ne pouvait plus faire 



l 



208 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

autrement. Pour les conservateurs mexi- 
cains, il ne s'agissait donc pas avant tout de 
sauver Tempereur, pas même Tempïre, mais 
de défendre la situation politique des con- 
servateurs. A ce point de vue, Puebla était 
plus important que Queretaro, oîi, après 
tout. Marquez savait que Maximilien n'était 
pas en danger immédiat; Puebla, au con- 
traire, était vivement pressé. 

Enfin, Marquez était toujours resté pau- 
vre; il était brave, dévoué avec enthousiasme 
à son parti ; ce sont des qualités qu'on peut 
faire valoir comme supplément de défense. 

L'on partit donc le 29 mars. A Los Reyes, 
l'on quitta la route directe de Mexico àPue- 
bla, comme si l'on redoutait les passages du 
rio Frio , et l'on prit sur la gauche par le 
chemin qui longe le lac de Texcoco. 

Le 31, à San-Cristobal, le commandant 
Chenet apprit que l'on allait à Puebla, oîi il 
trouvera 300 zouaves français qui l'atten- 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 200 

dent pour entrer dans sa contre-guérilla. 
Là, il abandonne le commandement de sa 
compagnie de gendarmerie franco-mexi- 
caine; il se met à la tête du petit corps 
de volontaires français, qui compte alors 
75 hommes et à qui Ton confie la batterie 
de montagne. 

On approche de Puebla. A Tétonnement 
de l'armée on dépasse la ville, on la laisse 
sur la droite; on va de Tavant vers Hua- 
mantla. 

Tout à coup le bruit se répand que Pue- 
bla s'est rendu. Nul ne le veut croire. Les 
Libéraux n'ont pas d'artillerie de siège ; les 
forts qui défendent la ville sont, au con- 
traire, parfaitement armés et approvision- 
nés; Puebla peut, sans même être secouru, 
tenir une année entière. 

Mais ce n'est que trop vrai. Puebla s'est 
rendu. On dit que le vieux Marquez, en 
apprenant cette nouvelle, a pleuré de déses- 

12. 



2i0 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

poir. On raconte cent traits de la défense 
de la ville. Les habitants, les soldats, les 
300 Français qui de Puebla se sont engagés 
dans la contre-guérilla Chenet , se sont bat- 
tus dans les rues avec un acharnement 
inouï. 

Mais le gouverneur de la place, le général 
Noriega, a rendu les forts, qui mitraillent les 
défenseurs de la ville. Ceux-ci se rendent. 

« 

A quoi bon? Quelle loi de droit des gens 
est respectable pour les Juaristes? H 5 offi- 
ciers sont fusillés près du cimetière du Car- 
men. 

Nos pauvres zouaves, qui se sont battus 
comme des endiablés, restent, en bien petit 
nombre, prisonniers dans la ville où leur 
chef nominal les retrouvera quand, prison- 
nier lui-môme après le siège de Mexico, il 
sera envoyé à Puebla avec le reste de sa 
troupe. 

Le général Noriega, seul de tous les offi- 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 21i 

ciers supérieurs, a la vie sauve. Faut-il voir 
en lui encore un lâche ou un traître * ? 

i . Peut-être fut-il seulement un incapable. C'est Tavis du 
brave et loyal maréchal Almonte que j*ai pu consulter sur 
quelques-uns de ces hommes. On peut donc penser que No- 
riega^ général instruit^ mais non homme d'action^ perdit la 
tète au milieu de la fusillade. Je suis heureux de pouvoir offrir 
cette chance d'atténuation aux Mexicains qui portent honora- 
blement ce nom-là. 



212 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 



XII 



RETRAITE. — HÉROÏQUES EFFORTS DE L'ARMÉE IMPÉRIALE. 

BATAILLES DE SAN-DIEGO, DE SAN-SICOLAS. 

COMBATS DE MONTAGNES. 

Je ne puis parvenir à comprendre le plan 
qui poussa Marquez en avant après la récep- 
tion de ces nouvelles. Il devait deviner ce 
qui arriva en effet, c'est-à-dire que, maîtres 
de Puebla, les Juaristes allaient être renfor- 
cés par leurs ennemis de la veille, qui, mexi- 
cano more^ s'enrégimenteraient volontiers 
dans les rangs des vainqueurs. Ainsi les en- 
nemis pourraient prochainement poursuivre 
sa petite armée avec 40 ou 50,000 hommes. 

Le 6 au matin, on quitta le petit village 
indien de San-Diego, oîi l'on avait passé la 
nuit. A peine l'arrière-garde avait-elle aban- 
donné le village, — il était six heures, — 



DE L'EMPIRE MEXICAIN, 213 

que Ton vit rennemi apparaître sur une 
hauteur, au delà de San-Diego. 

Bientôt il déboucha en colonnes serrées 
sur la route que les Impériaux avaient suivie 
la veille. On lui comptait environ 10,000 ca- 
valiers et 3,000 fantassins. 

Il se déploya rapidement sur le plateau 
qui domine San-Diego. Il s'adossa à un bois 
qui couvre presque toute la hauteur et où 
son infanterie se logea. Sa droite s'appuyait ^ 
sur la route qu'il venait de quitter; sa gau- 
che s'étendait à perte de vue dans le fond 
de la vallée de San-Diego. Le village était 
entre les deux armées. 

Les Impériaux étaient engagés dans une 
assez mauvaise route, mais aussitôt l'ennemi 
signalé ils avaient fait demi-tour et marché 
sur le village, que l'infanterie occupa. 

La contre-guérilla française était à Tavant- 
garde, avec sa batterie. Elle prend à travers 
champs, arrive à l'arrière qui fait front à 



214 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

l'ennemi, place ses pièces sur un mamelon 
en avant du village. La cavalerie s'étend en 
éventail aussi en avant de San-Diego : Qui- 
roga et ses presidiales au centre, la gendar- 
merie franco-mexicaine à Textrôme gauche, 
es hussards rouges de KevenhuUer à la 
droite. 

Le silence se fit. Puis on entendit un rou- 
1 ement : c'était la batterie française qui com- 
mençait la bataille, avant même que les ti- 
railleurs eussent engagé le feu. Quelques 
minutes après les batteries rayées se joi- 
gnent au bruit. Les dix-huit pièces foudroyè- 
rent l'ennemi, qui, avec cette étrange nature 
mexicaine, si brave devant le feu, si prompte 
à la fuite devant le sabre, serrait vaillam- 
ment ses files emportées. 

Les cavaliers de Quiroga se précipitent 
du centre, les hussards et les gendarmes 
s'élancent de droite et de gauche. 

Après une heure de lutte, Tennemi est 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 215 

culbuté. Les gendarmes le poursuivent, mais 
sans pouvoir Tatteindre, tandis que l'infan- 
terie de Hamerstein va déloger les fantassins 
juaristes du bois. Le champ de bataille est 
couvert des cadavres des dissidents. Les 
Impériaux ont eu 20 tués et 50 blessés. 

On retourne vivement sur Mexico, et Von 
reprend la route que Ton a suivie pour venir. 

Le lendemain, on envoya les hussards en 
reconnaissance, et quand on les vit revenir 
avec leurs costumes rouges, leurs selles rou- 
ges de sang, et quand, en passant devant le 
général, ils crièrent : Viva el emperador^ 
en levant leurs sabres rougis jusqu'à la 
garde et encore dégouttants du sang ennemi, 
nos Français trouvèrent que c'était un beau 
spectacle, et que ces Autrichiens étaient de 
braves compagnons. Ils avaient rempli une 
harranca (lit escarpé d'un torrent) de cada- 
vres à coups de sablées. 

toutefois, le soir, on apercevait Tennemi 



$16 



HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 



à rhorizon. On envoya quelques coups de 
canon pour le tenir à distance. 

Le 8, à dix heures du matin, on avait fait 
environ la moitié de la route qui sépare 
Puebla de Mexico. On était au village de 
San-Nicolas, à Tembranchement des trois 
routes de Mexico, de Apam et de Capulal- 
pam, dans la partie la plus plane, ou plutôt 
la moins montagneuse du chemin. 

C*était une clef de route et une bonne 
situation d'attaque pour des forces immen- 
sément supérieures. Les accidents de terrain 
n'y manquaient pas toutefois. 

C'est en arrivant sur le haut d'un plateau que 
les Impériaux aperçoivent 12,000 hommes 
s'avançant en colonnes serrées sur le ma- 
melon en face. Dans le ravin, à la gauche, 
se déploie un gros de cavalerie au milieu 
duquel se tient l'état-major juariste. 

Les deux armées sont séparées par un 
vallon en pente douce. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. m 

Marquez fait déployer sa colonne, Tartil- 
lerie au centre. Nos volontaires français lan- 
cent au milieu du gros de cavalerie deux 
boulets qui font envoler les plumets de Tétat- 
major. 

Les gendarmes descendent la pente du 
vallon et remontent Tautre versant ; ils vont 
aborder Tennemi, mais ils constatent qu'il 
est massé en colonnes profondes. Us remar- 
quent que Tartillerie s'est tue; ils se retour- 
nent et voient qu'ils masquent le feu des 
leurs. Ils font demi-tour à droite. Les dix-huit 
pièces tonnent et enlèvent des files entières. 

L'ennemi écrasé, menacé sur son flanc 
droit par les gendarmes, se jette en désordre 
sur la gauche, et, décimé, poursuivi par les 
projectiles, il se précipite dans la plaine. 

Il fuit jusqu'à San-Lorenzo, où il se i*e- 
forme à l'abri de l'hacienda. Toute l'armée 
impériale le suit, gendarmes et cazadores 
en tête. Notre batterie française, soutenue 

13 



218 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

par un escadron des hommes de Quiroga, 
se hâte, accourt en face de Fhacîenda, en 
déloge Tennemi, qu'on poursuit sans l'at- 
teindre . 

Nous entrons à San-Lorenzo, situé à Tex- 
trémité d'une immense plaine à cheval sur 
deux routes qui mènent à Mexico. Nous 
nous y établissons pour y passer la nuit. 
Marquez fait prendre les dispositions pour la 
défense de l'hacienda, établit un ouvrage 
circulaire en terre, qu'on arme de canons. 

On était harassé par ces trois jours de 
marches forcées et de bataille. On se croyait 
débarrassé de cet ennemi qui fuyait si bien ; 
le lendemain, on le vit apparaître en plus 
grand nombre. 

On était à vingt-deux lieues de Mexico. 

Cette journée de San-Lorenzo, une des 
plus néfastes pour l'empire^ commença par 
un feu de tirailleurs ennemis, qui, en nom- 
bre considérable, s'approchant peu à peu^ 



DE L'EMPIRE MEXICAIN 219 

entourent les Impériaux. La contre-guérilla 
française est placée à Textrême droite. On 
échange quelques coups de canon. 

A midi, le commandant Chenet va prévenir 
Marquez que l'ennemi nous tourne sur notre 
droite pour s'assurer d'une position des plus 
importantes ; Marquez dit qu'il va y pourvoir. 

A une heure, le commandant français 
envoie l'un de ses officiers rappeler à Mar- 
quez que l'ennemi s'approche du mamelon 
qui est son objectif, et qu'une fois établi là 
il nous prendra entre trois feux. Marquez 
répond qu'il va le faire occuper. 

A deux heures, le commandant retourne 
une troisième fois auprès du général ; même 
promesse, et toujours Vaine. 

A trois heures il était trop tard. L'ennemi 
occupe le plateau et envoie des paquets de 
mitraille à nos artilleurs qu'elle tue ou blesse, 
si bien que le commandant reste seul avec 
Tofiicier d'artillerie. 



220 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

On tient bon toutefois jusqu'à la nuit. 
Marquez reconnaît que la position n'est plus 
tenable. On décide que Ton va faire retraite. 

A deux heures de nuit, on se met en 
marche, après avoir noyé les poudres dans 
la mare de l'hacienda; on abandonné les 
blessés. On commence à avancer, pour trom- 
per l'ennemi, dans une direction opposée à 
celle que Ton veut suivre, et l'on se lance à 
travers la montagne, malgré les murmures 
des Européens, indignés de voir fuir une 
armée qui a battu l'ennemi quatre fois en 
trois jours. 

Marquez sait que le nombre des ennemis 
augmente à chaque instant. Puis, comme il 
faut qu'il y ait toujours lâcheté et trahison 
au fond de tous ces événements, le 15* ba- 
taillon (j'éprouve un regret amer de n'en 
pouvoir nommer le colonel) a fait défection 
et jeté ses armes pendant l'affaire de la veille. 
Il déshonorait ainsi, et de nouveau, le nom 



DE L'EMPIRE MEXICAIN 221 

mexicain, au moment oh la bravoure des 
presidiales de Quiroga et des hijos de Mexico 
le relevait dans Testime de la petite armée. 
Marquez, qui connaissait son peuple, pou- 
vait craindre que cet exemple ne fût conta- 
gieux. 

On fuit donc. Mais Tennemi n'a pas été 
longtemps trompé. On le voit apparaître à 
cinq heures du matin . 

11 tombe sur les solides gendarmes franco- 
mexicains, qui forment Tarrière-garde. Ceux- 
ci se retournent et font plusieurs charges 
successives, en montrant aux Juaristes cette 
arme blanche, si désagréable aux Mexicains. 

On arrive en présence d'un immense ravin 
fort connu sous le nom de la harranca de 
San-Cristobal. Le pont en est coupé; en un 
quart d'heure il peut être réparé. Marquez 
s'y oppose : les hommes traverseront sur 
une passerelle ; on jettera les canons et les 
munitions dans Tabîme. La contre-guérilla 



222 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

refuse de suivre cet ordre. On commence 
toutefois à jeter les pièces rayées. 

Mais voici que l'ennemi arrive. Un pre- 
mier corps se montre en tête. Sur Taile 
droite, 16,000 cavaliers sont signalés. Enfin, 
Tarmée que Ton a en queue arrive en masses 
profondes. 

La gendarmerie est abîmée. Le vaillant 
bataillon de volontaires mexicains hijos de 
Meooico (les fils de Mexico) la remplace : il est 
écrasé ; en un instant il a perdu 500 hommes. 
L'ennemi peut s'emparer de trois des douze 
pièces rayées, les autres sont au fond de la 
barranca. Il ne reste plus que les canons que 
la contre-guérilla française a voulu con- 
server. 

On a traversé la passerelle. Le génie mexi- 
cain est là, prêt à la couper ; mais Marquez 
ne veut pas que l'on perde du temps à cette 
besogne : l'ennemi passe sur nos talons. ^ 

Le bataillon autrichien Hamerstein prend 



PB L'EMPIRE MEXICAIN 223 

l'arrière-garde ; il ne compte que de bons 
soldats, excellents tireurs, dont chaque coup 
abat un homme ; mais l'ennemi est innom- 
brable. Le bataillon perd 350 hommes, la 
moitié de son effectif. 

Pendant que ceci se passe à l'arrière* 
garde, Marquez, qui était en avant, a vu 
cette formidable colonne de 16,000 cavaliers 
qui débouche sur notre droite. Il se croit 
perdu. 

La contre-guérilla française qui marchait 
avec lui veut attendre l'ennemi; Marquez 
donne l'ordre de continuer la fuite. La bat- 
terie n'a pu suivre; elle reste en arrière 
et se trouve à l'arrière-garde, au centre de 
laquelle elle se met en marche. La route est 
coupée par des torrents, ravines, harran- 
cas. En traversant l'un de ces précipices, 
deux des mulets qui portent les pièces tom- 
bent et les deux obusiers roulent au fond du 
torrent. L'ennemi occupe les crêtes du ravin 



22i HISTOIRE DE6 DEBNIER8 VOIS 

et fusille les contre-guerillepos du haut en 
bas; trois des pièces arrivent en haut; la 
quatrième est restée dans le ravin : tous les 
artilleurs ont été tués. L'indien conducteur 
du mulet qui portait cette pièce tombe à son 
tour. Le commandant, resté seul, saisit le 
mulet par la bride et sort de la barranca. 

Arrivé sur le haut, il voit que l'inquiétude 
a grandi. On vient d'apprendre que Marquez 
s'est sauvé avec 200 chevaux. On maudit ce 
général, qu'on nomme lâche, en oubliant 
toujours qu'il suit les traditions de la guerre 
mexicaine, où le soldat n'est rien, où l'offi- 
cier inférieur ne court aucun danger, où les 
généraux ne sont protégés par aucun droit 
des gens. 

Le colonel autrichien Kodolich prend le 
commandement et la lutte continue. Mais la 
position est terrible. 

L'ennemi nous a coupés ; on est attaqué 
en avant par 2,000 chevaux; les flancs sont 



DE L'EMPIRE MEXICAIN 225 

côtoyés par ces 16,000 hommes signalés 
depuis quelque temps, et larrière-garde se 
bat depuis cinq heures du matin. Il est onze 
heures. 

On est surtout menacé par un corps de 
huit escadrons qui s'avance délibérément 
contre notre flanc droit, en face des hus- 
sards. Le commandant Chenet parvient à 
mettre deux de ses pièces en batterie der- 
rière les Autrichiens. L'ennemi avance avec 
vaillance. Tout à coup les hussards ouvrent 
leurs rangs. Le canon tonne. L'ennemi, qui 
nous croyait sans artillerie, arrête son élan, 
hésite. Un hourrah s'élève. Les hussards se 
précipitent sur les Juaristes ébranlés. 

Mais les pièces sont restées sans soutien. 
L'ennemi sort de partout. Une des quatre 
pièces qu'on a pu sauver jusqu'ici est en 
danger, les artilleurs sont massacrés. Le 
commandant se retourne, traverse de part 
en part un Mexicain qui venait de fendre la 

13. 



226 HISTOIHE DES DERNIERS MOIS 

tête au dernier des artilleurs de cette pièce, 
poursuit à coups de sabre deux autres cava- 
liers, revient enclouer le canon au moyen 
d'une baguette de fusil, et, grâce à son 
cheval, rejoint ses trois pièces et les hus- 
sards. 

En de telles luttes se passa la journée. 

On avançait toujours vers Mexico, aban- 
donnant dans chaque vallée, dans chaque 
barranca, sur chaque plateau quelques hom- 
mes. A sept heures du .soir, on put consta- 
ter un changement dans la stratégie de l'en- 
nemi. Il ne se précipitait plus par grandes 
masses. Il harcelait constamment les Impé- 
riaux, et on le trouvait à chaque défilé, au 
coin de toutes les traversées dangereuses. 
Que devait-on attendre ? Les Juaristes se fa- 
tiguaient-ils de rencontrer une si persévé- 
rante résistance, ou préparaient-ils quelque 
terrible embuscade? 
. Nos pauvres Impériaux étaient à bout de 



. DE L*EMPIRE MEXICAIN 227 

forces. Ils étaient depuis trois jours sans 
autres vivres que du porc, et. du porc non 
salé. 

C'était à cette même heure, le 10, que 
Marquez entrait à Mexico, avec le général 
Andrade, qui avait dû suivre son chef, et 
quelques Européens qui ont peut-être la 
même excuse, mais que je préfère ne pas 
nommer. 

Le bruit se répandit bientôt dans la ville 
que les quelques cavaliers qui raccompa- 
gnaient étaient tout ce qui restait de l'armée. 
Quant à la contre-guérilla française et à son 
chef, ils étaient restés dans la barranca. On 
devine quelle triste nuit passèrent les parents 
et les amis des Européens qui étaient partis 
pour cette expédition . 

Mais le lendemain 1 1 , à sept heures du 
matin, on entendit les cris : « Les voici! 
les voici ! » Les restes de la petite colonne 
arrivaient sur Mexico, hâves, noirs, blessés, 



2^8 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

méconnaissables, masqués de poussière, en 
lambeaux. 

Ils avaient fait 20 lieues en vingt-sept 
heures, s'étaient battus.pendant cinq jours,, 
et, en dernier lieu, pendant quatorze heures 
sans désemparer, sans chef, contre des 
troupes qui avaient toujours été de quatre 
ou cinq fois supérieures. 

Nous n'avons pas raconté tous les inci- 
dents de cette terrible nuit du 1 au H • Ce 
n'était pas une embuscade, mais trois em- 
buscades que les Juaristes avaient dressées. 
Ils occupaient en force et fortifièrent les 
trois chemins qui pouvaient mener à Mexico. 
Ils avaient coupé la langue de terre de San- 
Cristobal , entre le lac de ce nom et- celui 
de Texcoco. 

Ce fut dans cette dernière ville oîi, la nuit 
venue, notre petite troupe arriva, que Ton 
apprit cette nouvelle. L'on prit alors sur la 
gauche, en côtoyant le lac, pour aller re- 



DE L'EMPIRE MEXICAIN 229 

joindre la route directe de Mexico à Vera- 
Cpuz. 

L'on sut là que cette route était noyée 
et qu'à l'extrémité, entre Mexico et le lac, 
ou plutôt entre la Magdalena . et Penon- 
Viejo, un corps d'armée attendait les Impé- 
riaux. 

Ceux-ci firent alors un crochet à Los Reyes 
et remontèrent jusqu'à Ayotla, à la pointe 
nord-est du lac de Chalco. Les Juaristes, 
croyant qu'ils voulaient contourner ce lac, 
allèrent les attendre à l'extrémité sud-ouest, 
où est le chemin qui mène d'Ayotla à 
Mexico. 

C'est alors que les Impériaux, revenant 
brusquement sur leurs pas, passèrent par 
les positions que les républicains venaient 
d'abandonner et, traversant la route noyée, 
ayant de l'eau jusqu'au cou, purent enfin 
apercevoir Mexico. 

Ils avaient perdu un tiers de leur effectif. 



230 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

La contre-guérilla avait été des plus mal- 
traitées; elle avait perdu dans la propor- 
tion de 4 tués, 5 blessés, 6 prisonniers par 
25 hommes. Mais elle ramenait triomphale- 
ment ses trois pièces, et elle recevait une 
croix d officier, une croix de chevalier de 
Tordre de Guadalupe et neuf médailles mi- 
litaires. 

Pendant cette campagne, les enrôlements 
avaient continué à Mexico. 150 volontaires 
venaient renforcer le corps français, et le 
nombre augmentant toujours, l'on put for- 
mer un escadron de cavalerie, un bataillon 
d'infanterie, une section d'artillerie, une 
section de génie. 

Dès le lendemain de leur arrivée, tous les 
chefs de corps européens, les colonels Kodo- 
lich, KevenhuUer, des hussards rouges, 
Wickembourg, Hamerstein, les comman- 
dants Chenet et Klickzing, de la gendar- 
merie, se réunirent chez le colonel Kodolich 



DE L'EMPIRE MEXICAIN 231 

pour faire passer Marquez devant une sorte 
de conseil de guerre — moral. 

Ils décidèrent qu'il était humiliant de 
servir sous un général qui abandonne sa 
troupe au commencement d'une bataille, 
mais que l'empereur ayant besoin d'eux 
pour défendre Mexico, ils conserveraient 
leurs commandements, en se promettant : 
1*" de se mettre, au moment du danger, 
sous les ordres de Kodolich ; 2** de ne pas 
entrer, si la ville se rend, dans une capi- 
tulation mexicaine, de traiter pour leur pro- 
pre compte et, si on refuse, de s'ouvrir 
un chemin les armes à la main jusqu'à la 
mer. 

Pendant ce temps, Marquez, en vertu des 
pleins pouvoirs reçus, paraît-il, par Tempe- 
reur, se nomme lugarteniente del empera' 
dor^ lieutenant de l'empire. 

Le 15 avril, l'ennemi arrive en force avec 
tout le matériel qu'il a trouvé à Puebla. Le 



232 HISTOIRE DBS DERNIERS MOIS 

siège commence. Il est désormais impos- 
sible d'aller secourir l'empereur à Quere- 
taro. C'est à cette date seulement qu'on 
abandonne les postes avancés de Guadalupe 
occupés jusque-là par la contre-guérilla. 



1 



DE L'EMPIRE MEXICAIN 233 



XIII 

SIÈGE DE MEXICO. 

LA CONTRE-GUERILLA FRANÇAISE. — LA VILLE PENDANT 

LE SIEGE. — NOUVELLES DE QUERETARO. 

MOUVEMENTS DE L'ARMEE ASSIEGEANTE. 

On veut bien se rappeler les quelques no- 
tions résumées plus haut sur la fortification 
de Mexico : mur de terre à peu près continu, 
fossé , terrain marécageux en face de la 
muraille et des fossés. Gela était suffisant 
pour arrêter décidément et éternellement 
une armée comme celle que Porfirio Diaz 
amenait au siège de la capitale. Il avait bien 
avec lui un nombre considérable d'Euro- 
péens et de Yankees, un régiment entière- 
ment composé de soldats des États-Unis, 
fort faciles à reconnaître à leur haute taille, 
à leurs cheveux blonds, à leurs armes perfec- 
tionnées, à leurs fusils-revolver; mais le fond 



234 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

de son armée, qui comptait 45,000 hommes • 
à la fin du siège, était composé d'Indiens 
de la leva^ soldats dociles, mais sans initia* 
tive, et de ces Mexicains aux chevaux ra- 
pides, qui n'ont aucun goût pour les assauts. 

Quoi qu'il fût, lui, Porfirio Diaz, le moins 
féroce et le plus estimable des généraux jua- 
ristes, il aimait mieux compter sur les cir- 
constances, sur la trahison , qui avait jus- 
que-là valu bien des succès aux républicains, 
sur une canonnade lointaine dirigée contre 
les niaisons, sur un bombardement destiné 
à exaspérer, à pousser à la révolte les habi* 
tants de Mexico, et sur quelques coups de 
main, surprises, embuscades à l'indienne; 
il aimait mieux, dis-je, compter là-dessus 
que se fier à une attaque de vive force. 

On n'avait donc à défendre que les en- 
droits ouverts, les routes, les portes, les ga- 
ritas^ c'est-à-dire, pour le répéter encore, les 
petits bâtiments d'octroi placés à l'endroit 



PE L'EMPIRE MEXICAIN. 235 

OÙ Ton entre dans la ville. Les principales de 
ces garitas sont celles de Peralvillo au nord, 
en face du Guadalupe; à lest, celle de San- 
Lazaro; au nord-nord-ouest, à 1,000 me- 
très sur la gauche de Peralvillo, celle 
de Vallejo ; un peu en dessous, au nord- 
ouest, celle de Nonoalco; plein ouest, jus- 
tement sur la même ligne que San-Lazaro, 
celle de San-Cosme; au sud-ouest, celle de 
Belem; au sud, celle de Nifio-Perdido . Les 
troupes impériales étaient d'un peu plus de 
10,000 hommes, dont 5,000 au moins de 
leva. 

Malgré l'intérêt qu'il y aurait, surtout pour 
cette masse considérable de nos compatrio- 
tes ayant habité Mexico, à publier les jour- 
naux détaillés du siège que j'ai là sous la 
main, je suis obligé d'abréger, et je me 
borne à suivre nos volontaire^ français. On 
leur donna toujours, du reste, les postes 
d'honneur, en face des positions occupées 



236 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

par rétat-major ennemi. On les envoyait là 
où se faisaient les plus grosses attaques, et 
cela, comme l'écrit le général en chef Tabera, 
à cause de la confianza que se tiene en la 
g ente de la contra- guerrilla. 

Nous trouvons tout d'abord notre contre- 
guérilla française à la garita de Peral ville, 
en face de Guadalupe. C'est par là que com- 
mence le siège. Les Juaristes, ayant pris ou 
plutôt reçu Puebla, comme je l'ai dit, le 
2 avril, firent transporter le matériel et les 
troupes par le chemin de fer d'Apisaco, qui 
déposa le tout à Guadalupe. 

Ce chemin de fer continue son parcours 
en droite ligne de cette dernière ville à 
Mexico, où il entre par la garita de Peral- 
villo. Les Juaristes songèrent à utiliser cette 
ligne ferrée en guise de catapulte, et à lancer 
des locomotives par la garita. 

Porfirio Diaz, ayant établi, dès le 15 avril, 
son grand quartier à Guadalupe, à environ 



DI£ L'EMPIRE MEIIOAIN. 237 

15 kilomètres de Peralvillo, les travaux com- 
mencèrent immédiatement. Seize pièces d'ar- 
tillerie battirent, à 1 ,200, à 800 età 600mètres 
lagarita de Peralvillo et les Ibrtins qui la re- 
lient aux garitas de Vallejo et de San-Lazaro. 
Ces trois postes étaient confiés aux 
500 hommes du bataillon autrichien du colo- 
nel Hamerstein, — lequel colonel fut tué le 
25 mai devant la tranchée — à 200 hommes 
d'infanterie mexicaine et à 220 de nos vo- 
lontaires français, lesquels faisaient le jour 
le service d'artilleurs et la nuit celui d'é- 
claireurs et d'enfants perdus. Ce poste était 
commandé en chef par D. Thomas O'Horan, 
un général que mes Français accusent d'avoir 
bien souvent, la nuit, été, sous prétexte de 
visiter les avant-postes, tenir conférence 
avec Porfirio Diaz. Comme il fut fusillé par 
les ordres de don Benito Juarez, je garde 
quelque doute sur sa trahison, qui n'en était 
peut-être qu'aux préliminaires. 



238 HISTOIRE DES ÛERNÎERS MOIS 

La route de Peralvillo à Guadalupe est 
droite, plate, plantée de beaux arbres, bor- 
dée de fossés larges et profonds, coupée par 
deux ponts, l'un à 10, l'autre à 500 mètres 
de la garita. A droite et à gauche de cette 
route se trouve la vaste plaine d'Aragon, im- 
mense marécage coupé par d'innombrables 
fossés. On rencontre çà et là quelques débris 
de murs en adobe; au delà du deuxième 
pont, une petite maison blanche. 

Ce fut là, surtout, que nos Français cher- 
chèrent leurs embuscades et firent leurs 
coups de main et leurs reconnaissances pen-« 
dant tout le mois de mai. Je trouve le lieu- 
tenant Blanchon constamment cité parmi les 
plus intrépides de ces infatigables et endia- 
blés éclaireurs, à qui Ton ne sait reprocher 
que de ne jamais entendre les signaux de 
retraite j de vouloir aller trop en avant e( 
tenter de trop grandes choses. 

Pendant ce temps, les bruits les plus di- 






DE L'EMPIRE MEXICAIN. 239 

vers couraient dans la ville. Le 16 avril, les 
journaux V Union ^ le Meancain^ le Pajaro 
Ver de y le Diario sont pleins de confiance. 
Ils annoncent que les rebelles ont été chas- 
sés de Queretaro et que l'empereur marche 
sur Mexico. De Vera-Cruz, bonnes nouvelles. 
La garnicion esta en un perfecto stado de 
arreglo. On annonce même que les États- 
Unis abandonnent Juarez. Quant au siège de 
Mexico, on peut laisser Porfirio Diaz brûler 
sa poudre; eût-il des forces trois fois plus 
considérables , il ne se hasardera jamais à 
prendre la ville de vive force. 

Du 30 avril, même confiance. « Comme 
de coutume, Tennemi a continué à canon- 
ner la cité bien plus que la ligne fortifiée. 
On a vu se former trois bataillons en ordre 
d'attaque dans la plaine d'Aragon, puis ces 
bataillons, après avoir été éloquemment prê- 
ches par leurs généraux, rentrèrent dans 
leur camp en donnant les signes du plus 



# 
S40 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

grand enthousiasme. Les Indiens se lèvent • 
pour Teftipire dans la Sonora. Les dissen- 
sions éclatent entre Porfirio Diaz et ses gé- 
néraux. Les capucines de Guadalupe ont été 
obligées de fuir. On a démonté trois canons 
à Tennemi. On manque un peu de charbon, 
mais la ville est ravitaillée par les Indiens. » 
Tel est le résumé des nouvelles. 

Le 3 mai, les difficultés de ravitaillement 
sont plus grandes. Un avis du général en 
chef engage les commerçants à témoigner la 
plus grande confiance et un véritable en- 
thousiasme pour l'état prospère de la ca- 
pitale, et il les invite à considérer que s'ils 
fermaient leurs boutiques sous le prétexte 
que rien ne va plus, cela pourrait pousser 
le seîior alcade à douter de leur patriotisme . 
Du reste, les troupes de Régulés ont été écra- 
sées, le 22 avril, devant Queretaro. Le gé- 
néral Olvera a levé 3,000 hommes pour 
Tempire dans les Llanos de Apam. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 241 

« Quant au siège, rien de nouveau. A 
onze heures du soir, la veille, on a vu des 
lumières dans le camp ennemi. A minuit 
cinquante-six minutes, lumières suspectes. 
A six heures quatre minutes du matin, rien 
de nouveau. A six heures cinquante, on voit 
arriver trois wagons de marchandises chez 
l'ennemi. A huit heures trois quarts, nous 
fermons notre journal, rien de nouveau. 
L'ennemi continue à jeter des projectiles 
contre la ville. » La gazette manque de va- 
riété, et elle ne cherche pas évidemment les 
nouvelles à sensation. 

Tel est, pourtant, si nous y ajoutons tou- 
tefois les escarmouches de nuit de nos vo- 
lontaires français aux avant-postes enne- 
mis, le récit journalier des opérations du 
siège. 

Les républicains de la capitale peuvent 
constater que, si rien n*est désespéré, tout 
traîne en longueur. Voici la saison des pluies 

14 * 



242 HISTQIRE DES DERNIERS MaiS 

qui arrive, et la situation des assiégeants va 
devenir fâcheuse. 

La première quinzaine de mai se passe 
ainsi. 

Tout d'un coup un bruit sourd se répand 
dans le parti républicain, à la tête duquel se 
trouve don Riva Palacio, père de Vicente Riva 
Palacio, général juariste ; ce bruit affirme que 
nombre des projectiles lancés par Tennemî 
sont creux et renferment des billets, annon- 
çant la prise de Queretaro et de Tempereur* 

Le 19 mai, un journal de Toluca arrivait 
dans la ville affirmant que Maximîlien, Mî* 
rattion, Mejia^ Severo del Castillo, Reyes et 
une foule de généraux avec 8,000 hommes 
de troupes et 60 canons sont au pouvoir des 
Juaristes. 

Le 25 , le général Vicente Riva Palacio 
écrit à sa femme, habitant Mexico, pour 
confirmer ces nouvelles, annonçant de plus 
que M. Lacunza a entre les mains un acte 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 243 

contenant Tabdication de Maximîlien. Les 
Impérialistes, informés de ces nouvelles, les 
prirent tout d'abord pour une ruse de guerre 
destinée à cacher quelque terrible échec des 
Juaristes. Le siège continua. 

Les pluies avaient commencé dès le 
23 mai, et Porfirio Diaz, noyé dans ses lignes, 
avait fait un mouvement. Il avait porté le 
gros de ses forces, comme le point principal 
de Tattaque, à Tacubaya, au sud-ouest, en 
face de la garita de Betlem ou Belem, 

Aussitôt, on rassemble la contre-guérilla 
française, et le commandant Chenet avec sa 
troupe va occuper cette garita (30 mai), 
qu'il sera désormais seul à défendre. Poste 
honorable, le plus exposé, le plus attaqué et 
pourtant commandé par un simple chef d'es- 
cadrons, quand tous les autres sont com- 
mandés par un général. Mais ce chef d'es- 
cadrons est Français, et il est à la tête d'une 
troupe française. 



244 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 



XIV 



QUERETARO LÀ NUIT DIj 14 MAI.. 



I 
LOPEZ. — OCCUPATION DE LA VILLE. 



. RETRAITE DE l'EMPEREUR. 



Nous avons laissé Maximilien à Quere- 
taro, se préparant, le 14 mai, à livrer le 
lendemain une bataille que tout démontre 
devoir être victorieuse. 

A dix heures du soir, les officiers quittent 
le quartier général, avec Tordre de prévenir 
leurs régiments respectifs de se tenir prêts 
pour l'attaque dès la pointe du jour. De dix 
heures à onze heures, Ton veille à faire 
mettre en ordre les armes et les harnache- 
ments des soldats. A onze heures, ceux des 
Français qui se sont engagés dans Tarmée 
impériale se réunissent pour causer un peu 
de la conduite à tenir pendant Tattaque. L'on 



■^ 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 245 

rentre chez soi à minuit : chez soi, je veux 
dire au quartier. 

On n'aperçoit nul mouvement; on s'en- 
quiert. L'officier de garde annonce que l'on 
a envoyé contre-ordre du quartier général . 
On s'étonne, puisque, il y a une heure à 
peine, l'ordre d'attaque avait été définitive- 
ment arrêté après conseil. On soupçonne 
quelque trahison, 

« Je ne pouvais y croire, dit Tun de mes 
témoins, lorsqu'au même instant passe un 
lieutenant mexicain d'artillerie que j'avais 
vu de garde avec deux canons au bâtiment 
où se trouvaient toutes les munitions. Ap- 
pelé par l'officier de garde de mon régiment, 
il me répète que l'attaque n'a pas lieu, que 
le contre-ordre a bien été donné, et, après 
avoir causé quelques minutes avec moi, il 
me tend la main et me souhaite bonne nuit. 
Le misérable! A cinq heures du matin, il 
me mettait le pistolet sur la gorge ! Malgré 

14. 



246 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

toutes ces affirmations, je ne pouvais croire à 
ce contre-ordre; aussi je n'avais pas envie de 
me coucher et je restai jusqu'à deux heures 
du matin, allant, venant. Je m'arrêtai à 
ridée de faire seller mon cheval et de pous- 
ser jusqu'au quartier général, jusqu'à l'em- 
pereur; mais l'officier de^arde me répète 
encore qu'il est bien vrai qu'il y a contre- 
ordre; il me montre dessellés et débridés 
les chevaux qui étaient encore sellés et bri- 
dés à onze heures. Je me laissai à moitié 
convaincre, je m'étendis sur mon lit et je 
m'assoupis. » 

La trahison avait tout préparé, en effet. 
Lopez, colonel du régiment de l'Impératrice, 
mais attaché à l'état-major général et détaché 
au couvent de la Cruz auprès de l'empereur, 
qui s'était établi là, nous l'avons dit, comme 
dai^s la forteresse de la ville, Lopez avait vendu 
à Esoobedo, à Corona et aux autres généraux 
juaristes la ville, la forteresse et l'empereur. 



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DE L'EMPIRE MEXICAIN. 247 

Il était exaspéré de n'avoir pas été nommé 
général, et y ne Tavait pas été parce qu'on 
avait remis à Maximilien les preuves d'une 
précédente trahison dé Lopez, qui s'était 
vendu aux Américains pendant la guerre 
contre les États-Unis. Maximilien, toujours 
bon et entraîné par son amitié naturelle pour 
ce misérable, à qui sa courageuse conduite 
dans la campagne du Nord avait valu la 
croix d'officier de la Légion d'honneur, Maxi- 
milien avait voulu douter encore, et, pre- 
nant un de ces moyens termes qu'il aimait 
trop à employer, il avait conservé à Lopez 
sa position dans son état-major, mais ne 
l'avait pas nommé général. Il lui avait laissé 
à la fois et le désir de se venger et les faci- 
les moyens de le faire. 

Lopez, pour un prix que je ne puis pré- 
ciser, on le comprend, avait donc vendu 
aux assiégeants, vaincus dans vingt-deux 
Qombats, les soldats qui les avaient oonstam- 



248 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

ment battus et la ville qui se riait de leurs 
efforts. # 

Quelles entrevues eut-il avec Escobedo? 
Quel intermédiaire employa-t-il tout d'a- 
bord? On ne le sait pas encore. Après une 
étude impartiale, rendue difficile sans doute 
par le nombre et le caractère personnel des 
récits que j*ai sous les yeux, mais une étude 
attentive et concluante , je crois pouvoir 
donner comme véridiques les faits suivants, 

Lopez, aussitôt Tempereur retiré chez soi, 
dans l'intérieur du couvent de la Cruz, au- 
rait été ordonner à la garde du corps et à 
Tescadron hongrois de desseller. Ceux-ci 
purent être étonnés de cet ordre, en contra- 
diction avec celui que le prince de Salm- 
Salm avait donné, peu auparavant, de rester 
en selle toute la nuit ; mais la position de 
Lopez ne permettait pas d'hésiter. 

Le jardin, le Panthéon de la Cruz furent 
ainsi dégarnis de troupes par ses ordres. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 2i9 

Puis il sortit et revint bientôt accompagné 
d'un général ennemi déguisé , avec lequel 
il se promena longtemps pour le renseigner 
complètement sur Tétat des lieux. Le géné- 
ral juariste le quitta. 

Je ne sais à quel instant entre minuit et 
quatre heures, Lopez fit répandre dans les 
divers quartiers et casernements le bruit que 
contre-ordre était donné et qu'il n y aurait 
rien le lendemain ; j'ignore aussi à quel mo- 
ment et avec quelle aide une partie des canons 
de la Cruz furent privés de leurs servants et 
retournés contre la ville sous prétexte qu'il 
y avait une révolte. Nous savons qu'il y eut 
maint complice, des misérables comme cet 
Antiveros, dont la trahison parut si odieuse 
aux Jûaristes mêmes que, cette nuit-là, ils le 
bâtonnèrent à son arrivée dans leur camp. 

Avant quatre heures, Lopez, après s'être 
entendu avec le principal àe ses complices, 
un Jablonski, Juvonski, Jublonski, lieu te- 



250 HISTOIRE DBS DERNIERS MOIS 

nant-colonel et agent de police, sortit de 
nouveau des lignes impériales et alla rejoin- 
dre le général qu'il avait déjà, une heure 
avant, introduit dans la Gruz. 

Il faisait encore nuit. Lopez se présente 
bientôt devant les fortifications extérieures de 
la Gruz ; il était suivi de deux bataillons. Il se 
fit reconnaître, anAonça que ce qu'on atten- 
dait de jour en jour, Marquez avec du renfort, 
était enfin arrivé. Tous les corps mexicains se 
ressemblent avec des différences si légères 
qu'elles sont inappréciables la nuit. On le 
crut aisément. Comment ne pas croire Lopez ! 
Il recommandait qu'on ne poussât aucune 
acclamation pour ne pas donner l'éveil aux 
ennemis et parce que d'autres troupes sui- 
vaient ces deux bataillons. 

En effet, tanHis que ceux-ci pénètrent 
dans la Huerta et les autres lieux de la 
Gruz, des troupes se glissent silencieuse- 
ment vers la place au Chien, la place San- 



DE L'empire mexicain. 251 

Francisco, vers le centre de la cité, en un 
mot. 

Lopez, avec une partie de sa troupe, arrive 
en face de la forteresse, je veux dire du cou- 
vent *de la Cruz. Là il trouve ce vil Jablonski, 
qui introduisit la bande dans l'intérieur. 

Tout ce mouvement n'avait pas absolu- 
ment échappé aux Impériaux. Vers quatre 
heures et demie, le colonel Tinajero, qui 
commandait les hauteurs du couvent, des- 
cendit dans la cour et dit que le camp ennemi 
n'était pas tranquille. Un peu après, un autre 
officier, pénétrant jusqu'à la garde des tran- 
chées, vint dire que les Juaristes semblaient 
avoir pénétré dans le jardin de la Cruz* On 
lui rit au nez. Comment Cela était-il pos- 
sible^ dans une place si bien gardée ^ quand 
on n'avait entendu ni un coup de fusil ni un 
cri d'alarme! 

Le colonel Guzman, (Commandant en se- 
cond de rétat-majoi* impérial, conçut pour- 



rôl HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

tant quelques doutes; il descendit dans la 
cour. A peine y était-il arrivé qu'il fut arrêté 
et emmené. Toutefois il put voir Lopez gui- 
dant un officier ennemi et disant : « Par ici , 
mon général, par ici. » 

Dans l'intérieur de la forteresse, Lopez 
continua le même système, qui lui avait 
réussi jusque-là. Il fit déposer les armes aux 
divers postes , empêchant les officiers supé- 
rieurs d'organiser la résistance, et s'écriant : 

« Tout est perdu ! Sauvez le général, sau- 
vez l'empereur. » 

Puis il s'éloignait, guidant les ennemis 
vers chacun des postes qu'on entourait et 
désarmait. La surprise des commandants, 
l'inertie des soldats indiens, la brusquerie 
de l'aventure, l'impossibilité de songer tout 
d'abord à la trahison de Lopez, expliquent 
cette étrange affaire . 

L'aube commença à paraître. On entendit 
sonner à toute volée les cloches de San- 



IDE L'EMPIRE MEXICAIN 253 

Francisco et de la Cruz. L*armée impériale 
se réjouit, chacun pensant que c'était pour 
célébrer larrivée de Marquez. Puis le soleil 
se montra. Ce fut une épouvante. 

« Je ne crois pas possible, dit un de mes 
chroniqueurs, que ceux qui n'ont pas été 
témoins de cet événement puissent se for- 
mer une idée de l'effroyable surprise. Les 
soldats se demandaient mutuellement : 
« Qu'y a-t-il? » Et personne ne pouvait 
leur répondre. » 

Mais la réalité était sous leurs yeux : ils 
étaient pris entre deux feux , ejitre deux 
lignes de fer. C'était bien l'ennemi qui son- 
nait à volée les cloches de la ville. 

« Un officier, — je veux citer un exemple 
de la preste et merveilleuse entente de tra- 
hison avec laquelle ce mouvement fut exé- 
cuté , — un officier se trouvait dans une rue 
centrale, se promenant tranquillement. Un 
habitant le supplie de fuir, lui annonçant 

15 



254 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

que Tennemi était dans la ville; roCTicier 
regarde Thabitant comme un fou. Il rentre 
chez lui : son appartement était occupé par 
un officier libéral. » 

Il faut reconnaître que Lopez et Escobedo 
étaient bien faits pour s'entendre, et ils s'en- 
tendirent à merveille, tous deux grands gé- 
néraux de nuit et habiles stratégistes eu 
trahison . 

Nous verrons avec quelles fleurs d'élo- 
quence les Juaristes célébrèrent la grandeur, 
le courage, le génie que les Mexicains avaient 
montrés dans cette triomphante prise où 
l'on ne tira de coups de fusil que pour assas- 
siner. 

Pendant ce temps Lopez, à qui ne suffi- 
sait pas de partager ce triomphe dont il était 
le seul auteur, et qui voulait se ménager une 
porte de sortie , courait tout armé et sans 
être escorté d'aucun ennemi jusque chez le 
prince de Salm-Salm en criant : 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 255 

« Je suis prisonnier, sauvez Tempereur! 
L*ennemi est déjà dans la Cruz. » 

Puis il se jeta à k tête du bataillon jua- 
riste de Nuevo-Leon et se lança dans la ville. 
Faut-il laccuser d'avoir provoqué les défec- 
tions, qui naturellement ne se firent pas at- 
tendre? Les troupes de garde à la cathédrale, 
entre autres, — et je suis de nouveau bien 
attristé d'ignorer le nom de leurs chefs, — 
se mirent à fusiller vaillamment et à bout 
portant ceux de leurs camarades qui avaient 
rimprudence de répondre encore : Emperia 
à leurs « Qui vive ! » 

Toutefois, il est certain qu'à ce moment 
encore Lopez aidait à désarmer les Impé- 
riaux, et il était grand jour quand il ordonna 
au capitaine Paulowski et au lieutenant Kœ- 
lig, des hussards, de rendre leurs armes et 
leurs chevaux. 

L'empereur avait compris qu'il était inu- 
tile de se défendre plus longtemps dans la 



256 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

■ 

Cruz. II s*arma, en disant tranquillement : 
« Sortir d'ici ou mourir ! » 

II sortit avec deux de ses familiers, ren- 
contra dans Tescalier une sentinelle ennemie 
qui fit signe de ne pas les voir. 

Dans la cour une troupe d'ennemis dé- 
voyés s'adressa à eux , pour savoir où était 
leur guide, le colonel Lopez. On arriva à 
la plaza de la Cruz. Des officiers juaristes 
leur intimèrent Tordre de s'arrêter. 

« En avant! En avant! » dit Maximilien. 

Le colonel Pedro Rincon Gallardo' s'ap- 
procha, regarda attentivement les trois per- 
sonnes, et quoiqu'ils fussent en uniforme, 
il dit : 

« Ces messieurs peuvent passer, ce sont 
des bourgeois. » 



DE L'EMPIRE MEXICAIN, 2o7 



XV 



MAXIMILIEN AU CERRO DE LA CAMPANA. 

IL SE REND. 



L'empereur et les siens avaient continué 
leur route. On rencontra Lopez. L'empereur 
alla à lui , l'interrogea sur ce qui se passait 
et lui demanda quel moyen il avait de quitter 
la ville. Lopez voulut lui conseiller de se 
cacher dans quelque maison. L'empereur 
refusa net et reprit son chemin vers le 
cerro de la Campana, où Ton ne trouva que 
150 hommes. 

Maximilien envoya Castillo chercher Mi- 
ramon. Le régiment de l'Impératrice arriva 
bientôt, ainsi que le général Mejia, avec une 
petite escorte. Mais c'était Miramon que 
Maximilien attendait avec anxiété. 

« Je ne veux rien faire sans lui, » disait-il. 



258 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Miramon ne venait pas, mais bien quel- 
ques soldats et officiers qui accouraient in- 
dividuellement, après avoir couru des dan- 
gers dont le récit suivant peut donner une 
idée. C'est la suite des Mémoires de Toffi- 
cier que nous avons laissé s 'assoupissant, 
vers deux heures du matin. 

(( A cinq heures je suis éveillé par un ca- 
rillon infernal. En même temps mon ordon- 
nance accourt tout effarée dans ma chambre, 
me disant qu'elle ne sait pas ce qui se passe, 
mais que tout le monde monte précipitam- 
ment à cheval. Je saute en selle et j'arrive 
sur la place aux Chiens, lorsque j'entends 
des coups de feu dans une rue sur ma gauche. 
La curiosité me pousse à aller voir quelle est 
la cause de ces détonations. 

« La rue était occupée par des soldats. Je 
crois être au milieu des nôtres, la tenue de 
ces soldats étant, on le sait, la même que 
dans l'armée impériale. Je demande ce qu'il 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 259 

y a. Les sentinelles me répondent : «Passez, 
passez ! » 

« Je me trouve au milieu de Tennemi, Je 
marche environ cinquante pas sans que per- 
sonne me dise le moindre mot. Lorsque j'ar- 
rive à hauteur de la petite porte du bâtiment 
attenant au couvent de San-Francisco, l'of- 
ficier mexicain de l'artillerie impériale, dont 
j'ai parlé plus haut, se précipite sur moi le 
revalver à la main, me demande qui je suis 
en me mettant le pistolet 3ur la gorge, et 
me répète, sans me donner le temps de me 
reconnaître : 

« Qui êtes-vous? qui êtes-vous? » 
« J'attaque vigoureusement mon cheval. 
Le brave animal, d'un bond vigoureux, ren- 
verse un soldat qui croisait la baïonnette 
sur moi. Je soutiens le galop en me faisant 
jour à travers une centaine de soldats qui 
font feu à bout portant. Heureusement le 
Mexicain est fort mauvais tireur. Je sortis 



200 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

d'au milieu de ces forcenés sans être blessé. 
Mais je ne devais pas aller loin. 

« J'avais la place San-Francisco à traver- 
ser, ïazotea (terrasse) du couvent était gar- 
nie de soldats libéraux qui continuaient de 
tirer sur moi. Une balle m'atteignit à la main 
gauche et me cassa deux doigts, le pouce et 
rindex ; une deuxième m'enlevait mon som- 
brero, en m'effleurant légèrement le front; 
trois autres entrèrent dans mon porte-man- 
teau, où elles restèrent logées. Mon pauvre 
cheval, qui m'avait si vigoureusement sorti 
du danger, reçut une balle dans les intes- 
tins. Il eut encore la force de galoper pen- 
dant 500 pas, puis il tomba. 

« J'aurais dû m'en tenir là et gagner le 
cerro de la Campana où se trouvait l'empe- 
reur et où toutes les troupes se dirigeaient ; 
mais un peu l'obstination à comprendre ce 
qui se passait, un peu le désir de faire pan- 
ser ma blessure, je revins vers la place San- 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 201 

Francisco. Là seulement je pus me rendre 
compte de tout. Les paroles que j'entendais 
de toutes parts m'apprirent que nous avions 
été trahis. 

« Une dizaine de soldats se mirent sur moi, 
les uns me couchant en joue, les autres me 
menaçant de la baïonnette. En leur aban- 
donnant mes armes et ma montre, je pus 
toutefois sauver mes vêtements et mes pa- 
piers. Je pris alors le chemin du cerro de 
la Campana, en passant sous un feu d'artil- 
lerie, car alors l'ennemi, ayant pris posses- 
sion de nos fortifications, avait tourné les 
pièces contre le cerro. 

« Je me présentai à la porte de la forti- 
fication qui me fut refusée. Je fis alors le 
tour et entrai par une embrasure. J'aperçus 
mon colonel, M. de Santa-Cruz, causant 
avec l'empereur. 

Il me fit signe d'approcher. L'empereur 
me demanda oii et comment j'avais été blessé 

15. 



262 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

et quelle position rennemi occupait dans la 
ville. » 

Pendant ce temps, me dit un autre de 
mes chroniqueurs, l'empereur attendait Mi- 
ramon, et il disait : 

« Voyez donc dans le groupe qui vient 
de ce côté si Miramon y est. » 

Le colonel Gonzalez lui apprit que Mira- 
mon avait été cruellement blessé à la joue. 
Il avait reçu une balle dans Toeil en essayant 
de rassembler quelques ^troupes impériales 
près de la tour de San-Francisco. Cette tour 
était, en effet, une position importante, et 
Lopez le savait, car le matin, après avoir 
livré la Cruz, il était accouru à San-Fran- 
cisco, à la tête d un bataillon juariste des 
Supremos-Poderes. Le général d artillerie qui 
commandait là, Félix Becerra, entendait, au 
moment oîi on vint le saisir, ce misérable 
qui criait : 

« Vite à la tour ! à la tour ! » 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 263 

Maximilien se sentit comme abattu en 
apprenant le sort de Miramon. Il savait que 
la position du cerro , attaqué du dedans et 
du dehors, n'était pas tenable. 

Il demande à Castillo et à Mejia s'il était 
possible de faire une trouée à travers les 
lignes ennemies. Mejia, avec une longue- 
vue, examine attentivement la position, et 
il dit : 

« Sire, c'est impossible. Mais si Votre Ma- 
jesté l'ordonne, nous l'essayerons. Quant à 
moi, je suis prêt à mourir. » 

C'est alors que l'on put regretter Mira- 
mon. Il n'eût pas sans doute donné un tel 
couseil. Mais tout, depuis des mois, mar- 
chait, par une succession d'incidents impré- 
vus, improbables, vers cet événement le plus 
improbable de tous, la mort de Maximilien. 
Mejia était brave, loyal, intelligent. Il était 
alors malade. Puis c'était un Indien, il n'a- 
vait pas ce quelque chose de chevaleresque, 



264 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

ce beau désespoir qui eût secouru Miramon 
et qui eût triomphé. 

On dit qu'alors un officier français, — peut- 
être est-ce une légende, — s'approcha à la 
tête de trois escadrons et promit à l'empe- 
reur qu'il le sauverait. L'empereur refusa. 
Le Français partit et fit sa trouée avec ses 
trois escadrons. 

Maximilien fit déchirer une tente et en fit 
faire des drapeaux blancs. On les plaça sur 
le haut des fortifications en signe qu'il vou- 
lait parlementer. 

Auxquelles de ses grandes ou de ses fai- 
bles qualités obéissait-il alors? Était-il ac- 
cablé, découragé, malade? Écoutait-il ces 
illusions qui lui permettaient de voir dans 
les Mexicains des ennemis généreux, dans 
les Juaristes des patriotes sincères, voulant 
chercher dans l'apaisement des partis le 
bonheur du Mexique? Vit-il passer devant 
ses yeux ce rêve si touchant et si insensé qui 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 265 

le berçait, ce rêve de s'entendre avec les li- 
béraux, de réunir un congrès et d'obéir au 
pouvoir qui sortirait, fort et vénérable, de 
la volonté de la nation assemblée ? 

Ce projet d'un noble et naïf esprit, il ne 
l'avait jamais oublié, nous l'avons vu. Au 
début du siège, il avait envoyé un émissaire 
à Juarez pour lui demander une entrevue. 

En cet instant, voulut-il surtout éviter une 
plus grande eifusion de sang, et entrevit-il 
le sacrifice de son sang généreux donné 
pour le salut de quelques vaillants et de tant 
de lâches ? 

Il y eut, je crois, un mélange de ces gran- 
deurs et de ces faiblesses quand il envoya 
proposer à Escobedo la reddition sur des 
bases dont la première condition était que, 
s'il devait y avoir quelque victime, on le 
choisit. . 

Pendant ce temps, l'armée juariste, avec 
cette hypocrisie de civilisation qui est la 



266 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

seule civilisation de cette race pompeuse et 
corrompue, où tout est donné au geste, au 
mot, à l'apparence, à la sonorité, à la rhéto- 
rique, l'armée juariste jouait le rôle d'une 
armée qui respecte le droit des gens ; mais 
elle n'en jouait que le rôle. Elle cessait de 

« 

tirer, ce qui était conforme au droit, et elle 
continuait de s'avancer, ce qui était con- 
traire au droit. Mais c'était un mouvement 
utile, et quand les Juaristes eurent entouré 
le cerro, l'on refusa la capitulation. Il fallut 
se rendre. Les officiers libéraux étaient déjà 
arrivés jusqu'à toucher l'empereur. 

Maximilien monte alors à cheval, et, suivi 
de tous les officiers* il arrive au pied du 
cerro, oîi il trouve Corona. Là, on le sépare 
de tous les officiers. On laisse seulement 
autour de lui Castillo, Mejia, Salm-Salm. 
L'empereur remonte au cerro à côté de Co- 
rona, avec lequel il cause tranquillement en 
attendant Escobedo à qui il remet son épéo. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 267 

Cet Escobedo envoyait a San-Luis-de- 
Potosi un télégramme : 

« A trois heures du matin, nous nous 
sommes emparés de la Cruz après avoir 
surpris l'ennemi. Veuillez présenter mes 
compliments au président à Toccasion d'un 
triomphe aussi important obtenu par les 
armes nationales. » 

Les ARMES NATIONALES ! La trahisou ! 
Quelles étranges lueurs de vérité sortent 
du mensonge ! 

Du reste, le mensonge n'était qu'officiel, 
et Corona, à qui la civilisation européenne 
n'était pas étrangère, écrivait à ce moment 
même à son ami Juste Mendoza dans le 
Michoacan, et il disait : 

« Le point fortifié de la Cruz nous fut livré 
par le chef qui le défendait, » 

Et pour qu'il n'y eût pas de doute sur 
l'infamie, Lopez, armé, se promenait tran- 
quillement au milieu des bandes républi- 



26S HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

caines, et quatre jours après, il obtenait d'Es- 
cobedo un passe-port pour se rendre chez 
lui, afin de traiter des affaires de famille. 

Pendant ce temps, tous les officiers et 
sous-officiers étaient, sous peine de mort, 
forcés de se tenir en dedans de telles limi- 
tes. L'empereur, Miramon et Mejia étaient 
enfermés en attendant leur jugement, et 
Mendez le hardi, le vainqueur dans cent ba- 
tailles, Mendez, vendu par son ordonnance, 
était fusillé par derrière comme traître ! ! ! 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 269 



XVI 

CONTINUATION DU SIÈGE DE MEXICO. 
LA CONTRE-GUÉRILLA FRANÇAISE A LA GARJTA DE BELEM. 

FAMINE, — RÉVOLTES. 
LES CORPS EUIM)PÉENS. — REDDITION DE LA VILLE. 

Le sié^e de Mexico continuait. 

A la fin de mai, les pluies avaient forcé le 
général des Juaristes, Porfirio Diaz, à porter 
son quartier général et le gros de son ar- 
mée à Chapultepec, au sud-ouest de la ville. 
C'était la garita de Belem qui faisait face à 
cette position ; c'était là que devait se por^ 
ter l'effort de l'attaque et de la défense; 
c'est là qu'on envoya la contre-guérilla fran- 
çaise, bien qu'elle n*eût pas encore atteint 
son maximum de 600 hommes. 

w 

Cette garita était un simple bâtiment d'oc- 
troi, à l'intersection de deux grandes routes 
qui sortaient de la ville, l'une, le Paseo 



270 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Nuevo , menant à la Pietad^ à 2,000 mètres 
environ de la garita, l'autre conduisant à 
Chapultepec, à 3,500 mètres, et venant cou- 
peràangle droit X^Paseo^ en face de la garita. 
Cette dernière route, large de 20 mètres, 
a son milieu occupé par un aqueduc assez 
élevé qui amène les eaux de Chapultepec à 
Mexico et qui rejoint Chapultepec par envi- 
ron 900 arches, ayant en moyenne 4 mètres 
d'un pilier à l'autre. Souvent les généraux 
mexicains ordonnèrent au commandant fran- 
çais de faire boucher ces arches, qui per-r 
mettaient aux troupes ennemies de s'appro- 
cher de la garita à l'abri, d'arche en arche. 
Le commandant Chenet s'y opposa toujours 
en prétendant que les Mexicains jugeaient 
mal la situation, et que c'était, non pas un 
chemin pour permettre aux assiégeants de 
surprendre les assiégés, mais une route me- 
nant plus aisément les Français chez les Jua- 
ristes. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 271 

Deux voies de chemin de fer coupent 
cette route de Chapultepec, à environ moitié 
chemin de Belem. La route du Paseo mon- 
tre, à 100 mètres, deux maisons que nos 
troupiers nommaient le Petit- Versailles et 
Romainville, et oii Ton allait, entre deux 
attaques, faire, en bons Français, noces et 
festins, A 1,300 mètres plus loin, on ren- 
contrait le cimetière français. 

On voit maintenant la position de la con- 
tre-guérilla française : 600 hommes dans 
une maison, à Tintersection de deux routes, 
longues Tune d'une demi-lieue, Tautre d une 
lieue, à Textrémité desquelles 40,000 en- 
nemis se meuvent fort librement, grâce 
aux voies latérales, et fort à couvert, grâce 
à l'aqueduc. Cette maison est canonnée par 
16 batteries d'artillerie, et défendue par 
9 pièces et 1 mortier, qui lançait ses bom- 
bes à la Pietad, à Chapultepec et à Tacu- 
baya. On peut imaginer nos Français, aux 



272 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

aguets sur le haut de Taqueduc, et, la nuit 
venue, sautant d'arche en arche pour aller 
réveiller les avant-postes ennemis. 

Jusqu'au 5 juin, il n'y eut guère qu'un 
échange de coups de canon; mais à partir 
de ce jour-là les escarmouches furent pres- 
que continuelles entre nos Français et les 
Européens, qui, avec le régiment de Yan- 
kees armés de fusils à six coups, formaient 
la partie la plus mobile, — pour l'attaque si- 
non pour la retraite, — de l'armée libérale. 
, Le 6 , une petite bande de volontaires , 
sous le commandement du lieutenant Blan- 
chon, chassa une troupe ennemie qui s'a- 
vançait le long de l'aqueduc. 

Le 7, l'on commença le bombardement du 
cimetière français, derrière les pierres de 
taille duquel les libéraux voulaient s'établir, 
bombardement si cruel pour eux que le jour 
de la capitulation ils vinrent au Petit- Ver- 
sailles demander à voir l'artilleur qui avait 



DE L'empire MBXiCAiN. 273 

tué tous leurs canonniers et démonté leurs 
batteries. 

Le samedi 8 juin, à sept heures du matin, 
un homme arrive à cheval, sans suite, à la 
garita; c'est Marquez, qu*on arrête et qui se 
fait reconnaître. Il vient visiter les ouvrages 
des Français et prendre une idée nette de 
ceux de Tennemi. Le commandant Chenet 
lui dit que pour cela il faut sortir ; Marquez 
.lui jette un regard sombre, un regard de 
méfiance. Le commandant comprend bien 
que Marquez, qui se sent entouré d'ennemis, 
de traîtres, et dont la position est devenue 
équivoque, redoute d'être vendu, livré ou 
tué. 11 hausse les épaules, envoie six hom- 
mes en tirailleurs sur le chemin de la Pietad 
et mène Marquez au restaurant du Petit- 
Versailles, où, du haut d un petit belvédère 
rustique, il lui montre les nouvelles batte- 
ries que l'ennemi élevait. 

ft Cela fait seize, dit le commandant, et 



•274 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

quand elles tireront toutes à la fois nous se- 
rons enfilés de six côtés, il ne restera plus 
pierre sur pierre de la garita. w 

Et il se plaignit amèrement de la défense 
que le général en chef avait faite d'aller 
prendre ces batteries à la baïonnette. 

« Eh bien! dit Marquez, je vais vous lais- 
ser le champ libre. L'empereur est à 3 lieues 
d'ici, au-dessus de Tacubaya, mais le fort 
de Santa-Fé^ établi par les Français, est' 
fortement occupé par les libéraux ; pour que 
Tempereur puisse entrer à Mexico, il faut 
que nous allions à lui. Faites-moi un plan 
pour le percement des lignes ennemies, en- 
voyez-le-moi ce soir. » 

Le plan fut envoyé, trouvé excellent, mais 
bien hardi. Pendant ce temps, le lieutenant 
Blanchon sortait à la tête des tirailleurs 
pour fourrager. 

Dans la nuit du 8 au 9, à deux heures du 
matin, les hussards rouges de Khevenhuller 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 275 

se présentent pour sortir. On les retient jus- 
qu'à ce que l'on ait reçu Tordre du quar- 
tier général. L'ordre arriva à quatre heures, 
mais en leur enjoignant de se diriger au sud- 
est par la garita de San-Antonio-Abad. Une 
grande sortie avait été décidée. 

A cinq heures, le feu commença sur toute 
la ligne. Les hussards, la gendarmerie, le 
corps de Quiroga se précipitent sur l'ennemi 
avec un élan irrésistible. Nos Français ne se 
tiennent plus, ils croient qu*on les oublie. A 
six heures, le général Tabera vient leur don* 
ner l'ordre de faire une fausse attaque sur la 
Pietad. Elle s'exécute avec entrain sous les 
ordres des capitaines Debry et Amoné, des 
lieutenants Blanchon, Morand et de Fin. La 
retraite sonne. Les Impériaux rentrent après 
avoir percé les lignes ennemies. 

Que voulait Marquez?... On suppose qu'il 
voulait fuir. L'ordre du jour du général Ca- 
dena indique qu'on voulait seulement faire 



276 HISTOIRE DBS DERNIERS MOIS 

entrer des vivres et qu'on a réussi. Les 
journaux républicains disaient : « Cette af- 
faire du 9, c'est le dernier effort du tigre de 
Tacubaya. » 

Les intentions de Marquez sont difficiles 
à comprendre. Il ne pouvait plus douter de 
la prise de l'empereur. Qu'espérait-il en per- 
sistant contre toute chance et tout "ordre à 
défendre Mexico? Espérait -il améliorer la 

m 

situation de Maximilien ? Croyait-il pouvoir 
garder longtemps encore la place aux con- 
servateurs, assez longtemps du moins pour 
voir venir quelque événement favorable? 
Comptait-il sur Santa-Anna, sur un soulè- 
vement en sa faveur? Voulait-il seulement 
gagner du temps, attendre l'occasion de 
fuir, de chercher un abri sûr? Je ne sais. La 
situation était pour lui rude ; il en compre- 
nait toute la douloureuse équivoque. 

Du reste, on reconnaissait à peine l'homme 
ferme, énergique et brave des anciennes 



DE L*EMPIRË MEXICAIN. 277 

guerres : l'affaire de San-Lorenzo Tavait 
abattu, et au milieu de l'angoisse des cir- 
constances on pouvait supposer qu'il avait 
perdu l'esprit. Il n'avait gardé que cette 
cruauté qui l'avait rendu célèbre; n'étant 
guidée , comme chez beaucoup de ses com- 
patriotes, ni par Tavidité, ni par la peur, 
mais uniquement par la politique, elle avait 
la rigueur implacable d'un principe, la froide 
indifférence d'une exécution de justice. 

Il ne fallait rien moins que la frayeur 
causée par ce terroriste-conservateur pour 
garder une apparence d'ordre dans la ca- 
pitale. La famine atroce, les bruits sourds 
qui couraient de la prise de Queretaro, les 
émissaires républicains qui soufflaient sur 
ces brûlants ferments de révolte, causaient 
des émeutes quotidiennes. On menaçait les 
soldats de les prendre entre deux feux, entre 
l'ennemi et l'habitant. 

Les Juaristes, à qui la trahison avait donné 

16 



♦ 



278 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

tous leurs succès, comptaient bien qu'elle 
leur livrerait encore Mexico, où sans cela, 
et malgré des conditions si favorables, ils 
n'entreraient jamais. Porfirio Diaz faisait 
tenter continuellement les chefs de corps 
européens ; Marquez le savait. Diaz était en 
relation presque journalière avec 0*Horan, 
le préfet politique, le compadrey le bras 
droit de Marquez, qu'il devait vendre , as- 
sure-t-on, et qu'il avait déjà vendu, en at- 
tendant le moment de la livraison. Marquer 
le devinait; mais sans un ami sûr, sans un 
défenseur dévoué, traître lui-même peut- 
être, ou du moins coupable envers son gé- 
néral et son roi qui allait mourir pour lui^ 
par lui, il tenait bon. 

La disette est à son comble. On tue les 
chevaux, on mange les chats et les chiens. Le 
pain se vend 15 francs la livre, on en fait avec 
l'amidon. Le riz, les f rigoles sont épuisés ^ 
Des bandes immenses de femmes et d'enfants 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 279 

viennent, hâves, à demi-morts, chaque ma- 
tin, devant les garitas demander, avec des 
supplications furieuses, qu'on les laisse sor- 
tir. Des troupes armées se mutinent en 
criant : « Du maïs ! du maïs ! » On enfonce 
les portes des maisons, on ne trouve rien. 
Ainsi, comme le dit Tun de nos narrateurs, 
Tennemi est plutôt au dedans qu au de- 
hors. 

Marquez tient bon ; il fait dissiper tout 
rassemblement à coups de baïonnette ; la ca- 
valerie charge à chaque heure la population 
exaspérée. On prend les chevaux dans toutes 
les écuries, les hommes valides sont saisis 
au lasso sur les places publiques et envoyés 
aux tranchées ; les hommes riches sont em- 
prisonnés, et on leur sert des repas qui leur 

* 

coûtent chacun 100,000 francs, jusqu'à ce 
qu'ils aient payé le million auquel ils ont été 
imposés pour les besoins de la patrie. Mar- 
quez affirme toujours que l'empereur est 



2S0 HISTOIBE DES DERNIERS MOIS 

victorieux et qu'il arrive. Il le fait annoncer 
officiellement dans les journaux. 

Pendant ce temps, nos Français ne souf- 
frent pas trop. Les Indiens sont venus avec 
confiance dès qu'ils ont su que les Français 
ont remplacé les Mexicains à la garita de 
Belem; tous les jours deux ou trois arrivent 
qui ont pu échapper à Tennemi; on leur 
prend une partie de leurs vivres à un prix 
convenu, et on les escorte jusqu'au marché 
de la ville. La garita de Belem est en bonne 
odeur pour sachante; et, malgré les défenses 
formelles, le commandant, tandis qu'il arrête 
des espions munis de bons passe-ports, 
laisse échapper des centaines de femmes. 

On continue de se battre chaque jour. Le 
10, le 11 et le 12, on harcèle une batterie 
que les ennemis viennent de démasquer en- 
tre les deux routes. 

Le 14, le bruit de la prochaine arrivée de 
l'empereur prend de la consistance. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 281 

Le 15 au matin, Marquez lance une pro- 
clamation annonçant larrivée à Mexico 
d'Arellano Ramirez , général d'artillerie, en- 
voyé par l'empereur pour annoncer qu'il est 
à trois lieues de la ville, victorieux, escortant 
un nombreux convoi de blessés. On sonne 
les cloches à toute volée, on tire les pétards; 
la capitale, au fond et en immense majorité 

, s. 

impérialiste, est dans la joie. 

A midi, l'ennemi, entendant ce bruit, 
croit que ses efforts ont enfin amené la ré- 
volte et la trahison ; il sort de Tacubaya et 
vient, en colonne compacte, attaquer Belem 
par l'aqueduc. 

A la garita, quoique surpris, l'on organise 
rapidement la défense : les deux pièces, à 
droite et à gauche de cet aqueduc, sont 
chargées de doubles boîtes à mitraille; or- 
dre d'attendre que l'ennemi soit arrivé à 
150 mètres; dix hommes montent sur l'a- 
queduc pour couper la retraite. On attend. 

16. 



282 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Le commandement de feu se fait entendre ; 
la colonne ennemie est renversée; elle se 
retire en désordre. Les hommes de laque- 
duc fusillent les plus avancés. Les seize bat- 
teries de Tennemi tonnent alors à la fois. La 
colonne, qui se compose des volontaires les 
moins mexicains de Tarmée libérale, s'ar- 
rête, se reforme, attaque de nouveau; elle 
est culbutée encore une fois. Une troisième 
fois, avec une persévérance que nulle troupe 
juariste n'avait encore montrée, elle revient 
à la charge ; les Français se lancent alors et 
poussent l'ennemi à la baïonnette jusque 
dans ses retranchements. 

On sonne la retraite. Marquez, qui était 
accouru avec 600 hommes de réserve , féli- 
cite la contre-guérilla, qui crie : Vive l'em- 
pereur ! tandis que le général en chef crie : 
Vive l'armée ! 

Le 16 juin, l'histoire militaire de. nos 
compatriotes se termine par cet ordre du 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 283 

jour : « Le commandant s*est aperçu hier, 
plus encore que les fois précédentes, que les 
hommes n'obéissent pas assez rapidement à 
la sonnerie de retraite. Il faut être brave, 
mais pas téméraire, » etc. 

Ce reproche, qui comblait les indigènes 
de surprise, résume mieux que je ne pour- 
rais le faire, l'histoire toute française de la 
contre-guérilla. 

La proclamation de Marquez n'avait pas 
complètement anéanti les bruits sourds qui 
couraient sur la défaite et la capture de 
l'empereur ; ces bruits se répandirent jusque 
parmi les sojdats. Le 17 au soir, à la garita, 
on affirmait que les colonels autrichiens 
avaient reçu la nouvelle officielle de ces 
événements. 

Le 18 au soir, un lieutenant-colonel autri- 
chien vient prévenir le commandant Chenet 
que l'empereur est prisonnier depuis le 
15 mai, que les régiments autrichiens ont 



284 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

déclaré leur neutralité au général Tabera et 
qu'ils débattent avec Porfirio Diaz les condi- 
tions de leur capitulation. Le commandant 
français répond que c'est impossible, puis- 
que ce serait en violation du serment prêté 
le 12 mai, dans la réunion où tous les chefs 
de corps ont juré qu'ils ne capituleraient pas 
les uns sans les autres. 

Toutefois, il envoie à dix heures du soir 
les capitaines Debry et Blanchon chez le co- 
lonel KhevenhuUer ; on leur répond qu'il est 
absent. Le lendemain, à huit heures du 
matin, ils y retournent; on leur répond que 
le colonel dort et on les prie de revenir à dix 
heures. A cette heure on le trouve. Il affirme 
qu'il n'a pas conclu de négociations avec 
Porfirio Diaz, et il ajoute : 

«Je donne ma parole d'honneur de ne rien 
faire sans prévenir le commandant Chenet. » 

On lui demande s'il est vrai que les nou- 
velles de Queretaro soient mauvaises. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 285 

« Pas aussi mauvaises qu'on veut le faire 
croire. » 

Mais aussitôt les larmes jaillissent de ses 
yeux. 

« Du reste, je ne puis rien dire... Mar- 
quez sait tout... J'irai voir le commandant à 
la garita. » 

Il ne vint pas et conclut sa capitulation. 
C'était un homme brave, sensible, mais... 
oublieux. Du reste, les circonstances étaient 
graves, plus graves même qu'il n'était néces- 
saire pour engager un Allemand à oublier 
un Français. 



280 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 



XVII 



JOURS DE PRISON. — RÉCIT DE L'EXÉCDTION DE MENDEZ. 

GAZETTES MEXICAINES. 

L'empereur Maximilien, le 15 mai, après 
s'être rendu, avait été mené du cerro de la 
Campana au couvent de la Cruz, cette clef de 
la ville que Lopez avait vendue quelques 
heures auparavant. 

Le 17, on conduisit le prince au couvent 
de Santa-Teresa. 

Queretaro avait Tair d une ville morte. 
Touf est clos, personne ne se montre. Chaque 
fois, d'ailleurs, que l'empereur fut obligé 
d'en traverser les rues pour se rendre à ses 
diverses prisons, il reçut les marques d'un 
touchant et profond respect de la part de 
tous ceyx qu'il rencontrait, tant il avait su, 
pendant le siège, se faire aimer par sa bonté, 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 287 

sa simplicité, sa bonne humeur constante, 
tant il avait gagné l'admiration pour la part 
qu'il prenait aux travaux de la défense et 
aux sorties. 

Il était alors et il fut jusqu'à la fin malade 
d'une fièvre et d'une dyssenterie violente, 
mais, malgré l'abattement qu'amènent ces 
maladies, il sut toujours réagir. Il était sur- 
tout préoccupé de la pensée de ne point pa- 
raître faible en face de ses ennemis. 

Pendant ces premiers jours de prison, 
toute communication était interdite avec 
l'extérieur. On apprit toutefois que Mendez, 
le brave des braves, celui, comme je l'ai déjà 
dit, qu'on nommait le vainqueur dje cent 
combats, avait été fusillé par derrière i 

Il s'était caché, le 15 mai, chez un Mexi- 
cain de Queretaro^ l'un de ses plus anciens et 
obligés amis; celui-ci, de complicité avec 
l'un des officiers d'ordonnance du général, 
l'avait vendu à Escobedo. On l'avait immé- 



288 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

diatement condamné à être passé par les 
armes. 

On le conduisit, le 19 au matin, à TAla- 
meda, où on le força à s'agenouiller en tour- 
nant le dos aux soldats qui le devaient tuer. 
Quatre d'entre eux sortent du rang et tirent. 
Le général se relève, retourne sa face vers le 
peloton, maintenant qu'il avait quatre balles 
dans le corps, et fait signe qu'on lui fracasse 
la tête. Le caporal s'avance, met le bout de 
son fusil contre l'oreille du héros, qui, cette 
fois, tomba frappé mortellement. 

N'oublions pas, dans cette histoire de 
tant de hontes, cette grave et noble physio- 
nomie. Ne confondons pas le général Ramon 
Mendez, l'Indien, avec d'autres Mendez non 
moins généraux, peut-être même ministres 
de la guerre, mais de cette guerre qui con- 
siste à deviner les Lopez de l'ennemi, à leur 
acheter la victoire, à fusiller comme traîtres 
et lâches, par derrière, les adversaires jus- 



DE L'ëMPIRB mexicain. 269 

que-là victorieux. Puis, la guerre ainsi ache- 
vée, les occupations ministérielles ne sont 
pas terminées, il faut encore faire chanter 
rhéroïsme qu'on a déployé. 

A cette dernière besogne, les journaux 
mexicains se mirent avec enthousiasme, on le 
devine, après ces brillants exploits du siège et 
de la prise de Queretaro. Il n'y eut nulle borne 
à cette pompeuse vanterie, à cette hâblerie, 
à ces extravagantes fanfaronnades, que je 
regrette tant de ne pouvoir donner ici sous 
leur forme espagnole, majestueuse et sonore. 

« Quels obstacles peuvent désormais nous 
arrêter, dit le Monitor repuhlicano. Le Mexi- 
que, c'est le pays par excellence du génie et 
de la valeur ! une nation qui vient de forti- 
fier son esprit au feu du canon et d'écrire 
avec son sang le grand, le seul code de la 
liberté et des garanties individuelles ! ! ! » 

«Notre société mexicaine, dit le Progrès, 
est conduite par des événements qui présa- 

17 



290 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

gent sa grandeur. Comment le Mexicain ne 
parlerait-il pas haut? Parlons haut! parce 
que le silence forcé désespère un homme 
libre! Aujourd'hui nous pouvons parler 
haut, nous parlerons haut! Qu'est-ce que 
nous dirons? Nous n'en savons rien. (Je 
n'invente pas : Hahlarémos alto! De quéf 
Quién sahe9) Notre programme, c'est la mar- 
che des événements! notre loi, c'est un cœur 
libre qui adore sa liberté! Offrir un pro- 
gramme, c'est poser des limites à l'imagina- 
tion. Nous nous contentonis; de promettre de 
parler haut. » 

Hdblar alto! c'est tout ce que voulaient 
ces héros ! 

« L'imbécile seigneur de Miramar, écrit 
encore le Progrès, a étouffé le bruit des 
chaînes dont il couvrait les emprisonnés, 
sous le grincement des carrosses dorés de sa 
cour; et un fleuve d'or fut dirigé du Mexique 
pour enrichir Paris. » 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 291 

Oui, c'est ainsi que les journaux mexi- 
cains écrivaient l'histoire! Un fleuve dor 
mexicain envahissant la France ! 

« La France vient de recevoir, s'écrie la 
Sombre de Arteaga^ une telle leçon que 
toutes les monarchies ses sœurs en sont cou- 
vertes de honte! Le Mexique a donné à 
l'Europe une leçon de valeur, d'honneur et 
de progrès! Le Mexique est la mort des 
étrangers, nous ne les tolérons qu'à titre de 
marchands ! Ah ! nous avons arraché leurs 
médailles militaires aux soldats de Magenta 
et de Solférino, à ces invincibles zouaves! 
Nous avons enlevé à la France son honneur, 
sa bonne renommée, sa gloii^e militaire, ses 
prétentions à la civilisation! Nous l'avons 
forcée à une honteuse fuite ! 

« Le seigneur Juarez est la plus grande de 
toutes les figures du siècle ! Notre république 
est le modèle des démocraties ! Elle a vaincu 
l'Europe par la diplomatie et par les armes * 



202 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Elle a donné une leçon de progrès à sa 
grande sœur du Nord. Elle a vaincu les trois 
grandes puissances du vieux monde et fait 
reculer la grande puissance du nouveau 
monde. 

« Ah ! vous ne connaissez pas la nation 
qui, par une série non interrompue de vic- 
toires , a détruit un empire en cent jours, 
battu quatre grandes armées ennemies en 
quatre mois! Vous ne connaissez pas les 
hommes d'aujourd'hui, notre jeunesse, im- 
maculée, incorruptible, qui se bat comme 
des lions, meurt comme des héros ! Ah! elle 
sera invincible une république qui a de tels 
chefs et de tels fils ! 

« La charité, la clémence, la justice, la 
bienveillance envers les prisonniers, qui sont 
des vertus républicaines qui honorent la dé- 
mocratie, sont les seuls mobiles qui font 
agir le cœur du parti libéral ! » 

Tout cela est écrit, et tout cela parce que 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 293 

ce peuple héroïque, après avoir fui devant 
20,000 hommes, après avoir remporté les 
seules victoires que lui donnaient la trahi- 
son, les mercenaires étrangers et les serfs 
indiens, après avoir été battu 22 fois en 
22 rencontres par 8,000 hommes opposés à 
40,000, avait enfin acheté cette petite armée 
au prix de 12 réaux par tête, que même il 
n'avait pas payés. 

Je donne ce calcul de 12 réaux qui, dans 
leur total, représentaient la somme promise 
à Lopez, comme ayant été fait par Maximî- 
lien lui-même, et je vais revenir à l'empe- 
reur pour ne plus le quitter. Mais j'ai cru 
devoir indiquer brièvement quelques-unes 
des idées qui s'agitaient dans le cerveau des 
triomphateurs, des juges de Maximilien. 

Pour eux, avoir un tel prisonnier, c'était 
avoir vaincu l'Europe entière, et l'on pouvait 
dès lors prévoir qu'ils martyriseraient ce 
prince pour mieux se prouver à eux-mêmes. 



294 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

pour mieux préciser et pour marquer d un 
signe ineffaçable cette victoire contre le 
monde entier. Ils avaient été si constam- 
ment battus qu'un succès, d'oti qu'il vînt, 
même d'un Lopez, leur paraissait un triom- 
phe inénarrable et comme l'histoire n'en 
enregistrait nul autre de telle grandeur. 

Il y avait là un grand fond de sincérité. 
Ainsi ils étaient si naïvement féroces que 
toute torture qu'ils évitaient aux prisonniers 
leur paraissait réellement le comble de la 
générosité . 

(( Pourtant, dit l'un de mes témoins, Ton 
ne nous traitait pas comme des prispnniers 
de guerre, mais comme des bandits. La faim 
seule pouvait nous faire surmonter le dégoût 
inspiré par la malpropre nourriture qu'on 
nous apportait. On nous couchait sur une sim- 
pie paillasse remplie de vermine, sans cou- 
verture. Je dois dire pourtant qu'on ne nous 
insultait pas trop. » 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 295 

Les vaînrqueurs étaient magnanimes. Ils 
avaient mieux à tourmenter et à fusiller que 
ces petits officiers. Cela était bon à San-Ja- 
cinto et à Puebla. 

Toutefois quelques-uns de ces officiers 
français, que ces misères exaspéraient, man- 
quèrent de dignité. Ils avaient été mis par 
la circulaire du maréchal hors la loi fran- 
çaise; ils n'avaient plus de patrie, ils étaient 
assez indifférents à la couleur de tous ces 
drapeaux mexicains, ils étaient surtout des 
soldats, et Ton sait combien le Français, 
hors de la discipline habituelle, devient vite 
un aventurier ; ils manquèrent donc de pa- 
tience et de respect d'eux-mêmes. Encou- 
ragés sous main par les libéraux, ils écri- 
virent à Escobedo pour lui demander du 
service. C'est alors que la vieille rodomon- 
tade espagnole atteignit ses plus comiques 
effets. 

Escobedo, dont l'armée était composée 



ÎU HISTOIRE DES DERNIERE MOIS 

d'Indiens esclaves et de mercenaires de toute 
race, répondit avec solennité : 

« Indépendance et liberté ! La nation n'a 
pas besoin des étrangers pour soutenir ses 
institutions et sa souveraineté ! » 

Là-dessus, les journaux sont pris d'un 
indicible enthousiasme. 

« Europe , tu nous insultes ! Ces miséra- 
bles abusent de la générosité, de la suma 
generosidadj avec laquelle on les traite en 
ne les exterminant pas ! Comment ! ils offrent 
d'entrer dans Tarmée libérale. Oh! los Eu- 
ropeos nos insultan!!! La digne réponse du 
grand général Escobedo ne laisse rien à dé- 
sirer à un cœur républicain. » 

Dès le 19, ce grand général, « dont la 
conduite à la fois tan mesurada y tan digna 
que humanitaria y energica sera un hon- 
neur éternel, vint constater son triomphe 
en visitant Maximilien. Dès lors on permit 
à tous les soldats d'en faire autant. 



DE L*EMPIRE MEXIGAINe 297 

Quelques-unes de ces dames de Quere- 
taro, qui, elles, vraiment, seront Thonneur 
éternel de la femme mexicaine, quelques- 
unes de celles, — et elles furent nombreuses, 
— qui comprirent la honte et l'injustice de 
Texécution de Maximilien et qui protestèrent 
avec l'héroïsme de ce vieux sang espagnol 
abâtardi dans les veines viriles, quelques- 
unes de celles-là commencèrent dès lors leur 
mission de consolation et de pitié. Elles pu- 
rent arriver jusqu'à l'empereur malade et lui 
apporter du linge. 

Le 20, la courageuse princesse de Salm- 
Salm arrive de San-Luis-de-Potosi, où sont 
installés les suprêmes pouvoirs^ c'est-à-dire 
Juarez et son mentor Lerdo de Tejada. 

Elle annonce que la mort de l'empereur 
est inévitable, et qu'on a décidé, pour y 
arriver sûrement, de le faire juger par un 
conseil de guerre, conformément à un décret 
révolutionnaire de janvier 1862. 

17. 



298 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Ce décret portait que tous les prisonniers 
seront fusillés après avoir passé devant un 
conseil de guerre qui n'aura qu'à constater 
leur identité. Car ces hommes, dont nous 
venons d'entendre vanter la caridad^ la cle^ 
mencia^ todas las virtvdes republicanasj, 
vivent sous le régime de cette loi mons- 
trueuse qui nous ramène à la sauvagerie et 
au delà de laquelle il n'y a que l'obligation 
de brûler vifs les prisonniers. Nous verrons 
comment ils parvinrent à remplacer envers 
Maximilien ce dernier supplice par une tor- 
ture analogue. 

On vint prendre l'empereur ce même jour 
pour le mener au camp. Ses amis n'espé- 
raient plus le revoir, chacun était convaincu 
qu'on le menait fusiller. C'était mal connaî- 
tre l'avocat qui avait los supremos poderes : 
ne fallait-il pas un semblant de légalité? 

Maximilien revint avec quelque espérance 
d'avoir la vie sauve. Mais, comme l'a dit 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 299 

un de ses compagnons de captivité : « Les 
Mexicains sont eux-mêmes trop faux et trop 
menteurs pour croire à quelque promesse 
que l'empereur puisse faire. » 

Dois-je noter que ce même jour Maximi- 
lien reçut un poëme élégiaque que lui dé- 
diait un officier français prisonnier ? 

Le 22, on transporta l'empereur au cou- 
vent des Capucines. On l'enferma dans le 
caveau des morts, au milieu des cercueils. 
Il y passa la nuit à lire l'Histoire de Cesare 
Cantù. 

Le lendemain, on le mène dans une petite 
cellule. 

Enfin, on l'installe, comme il le sera 
jusqu'à la fin, dans une chambre tapissée 
d'un paravent derrière lequel il peut se re- 
tirer. Elle est au premier étage, donne de 
plain pied sur une galerie, au bout d'un cor- 
ridor. Elle est longue de dix pas, large de 
trois, le sol est carrelé. La porte et la fenêtre 



K 



300 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

donnent sur le corridor. Elle a pour tout 
mobilier un lit de camp, une armoire, deux 
tables, un fauteuil et quatre chaises en jonc. 
Des centaines de soldats sont couchés dans 
les escaliers et les corridors. Devant la porte 
se trouve un factionnaire, devant la fenêtre 
un officier. Chaque nuit, un général et trois 
colonels font sentinelle le revolver au poing. 

Mejia etMiramon sont dans une cellule voi- 
sine. Ils purent converser avec l'empereur. 

Le 24, on reçoit la visite du brave et en- 
ragé Vincente Riva Palacio, qui, avec sa 
mine de chat sauvage, annonce que Tordre 
est donné de commencer le procès. On sé- 
pare les trois accusés du reste des prison- 
niers. Tout doit être fini pour le 28 mai. 



L 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 301 



XVII 



PROCÈS DE l'empereur, DE ' MIRAMON ET DE MEJIA. 
DÉFENSE DE MAXIMILIEN ECRITE PAR LUI-MEME. 

Dans l'après-midi, le fiscal Manuel Aspi- 
roz vient interroger Maximilien, qui trouve 
l'accusation si absurde qu'il veut se défen- 
dre lui-même. 

Il change bientôt d'avis et envoie une 
dépêche télégraphique au représentant de 
Prusse, baron Magnu's, le priant de venir le 
trouver et d'amener avec lui deux avocats, 
don Mariano Riva Palacio et don Rafaël Mar- 
tinez de la Torre, qui sont à la fois d'émi- 
nents jurisconsultes et des membres très- 
honorés du parti libéral. 

Le 25, nouvel interrogatoire. 

Le 26, Escobedo vient faire une ronde 
de police. Les prisonniers cherchent à com- 






302 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

muiiiquer avec lextérîeur en mettant des 
notes dans des cigares. Le soir, Maxîmi- 
lien écrit à Juarez pour lui ^demander une 
entrevue. Juarez répond que San-Luis est 
trop loin de Queretaro. 

Le 27, Tempereur peut communiquer aveo 
Vasquez, excellent avocat de Queretaro. Il 
Apprend que Marquez n'a pas voulu permet- 
tre à Magpus et aux deux jurisconsultes de 
quitter Mexico. 

Le 28, on apprend le nom des membres 
du conseil de guerre, «des gamins,» 

« 

comnae le dit énergiquement et à la solda- 
tesque un des militaires dont j'ai les notes. 
Six capitaines, présidés par un lieutenant- 
colonel, composent ce tribunal dérisoire. 

« Je crois, dit l'empereur en souriant, 
qu'ils ont choisi tout simplement ceux dont 
les uniformes sont le moins sales. » 

On obtient un délai de deux jours. 

Le 30, la princesse de Salm-Salm revient 



DE L'EMPIRE MEXICAIN, 303 

de San -Luis. Elle a obtenu un nouveau 
sursis de trois jours pour permettre aux 
défenseurs d'arriver. Elle a, du reste, bien 
peu d'espoir, et elle assure que Tannée, c'est- 
à-dire les généraux et les colonels, exige 
l'assassinat â,e Maximilien. 

Le 3 juin, Maximilien se préparée à fuir. 
Tout est prêt pour cette nuit même. On doit 
se réfugier, avec Miramon et Mejia, dans la 
sierra Gorda, qui est tout entière à ce der- 
nier. Un changement dans la garde fait 
échouer le projet. 

Dans la nuit du 4 au 5, les ambassadeurs 
des puissances étrangères accrédités auprès 
de Tempire mexicain arrivent à Queretaro : 
MM. le baron Magnus, ambassadeur de 
Prusse, et que sa position, moins compro- 
mise, appelait à représenter auprès des dis- 
sidents l'intervention de l'Europe en faveur 
de Maximilien; le baron Lago, ambassadeur 
d'Autriche; Curtopassi, ministre d'Italie; 



304 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Hoorickx, représentant la Belgique. On ne 
voit là ni M. Middleton, ministre d'Angle- 
terre, — j'ignore les causes de son absten- 
tion, — ni M. Dano, notre ambassadeur. 

On fit à ce dernier un gros reproche de son 
absence. En cela on est injuste, et ce n'est pas 
seulement, comme on la dit, sa qualité de 
nouveau marié et de propriétaire récent des 
mines de Real-del-Monte qui l'empêchèrent 
de se rendre à Queretaro. L'ambassadeur 
suivait la loi de la nation ; il était, comme 
la France, détesté par les Impériaux, dédai- 
gné par les Juaristes. Il se fit sagement re- 
présenter par M. Forest, consul de France à 
Mazatlan et à la Vera-Cruz, et dont le carac- 
tère personnel était plus aimé de tous que 
» 

celui de M. Dano. 

Le 5 au matin, les trois avocats de Mexico, 
qui étaient arrivés aussi cette môme nuit, se 
mirent en relation avec Vasquez, Tavocat de 
Queretaro • 



DE L'EMPiaS MEXICAIN, 305 

Tous ensemble ils allèrent voîr Tempe- 
reur, qui les reçut à dix heures du matin. 
Ils le trouvèrent tout dégagé de préoccupa- 
tions personnelles. Il s'informa d'abord des 

« 

amis qii'il avait laissés à Mexico. On causa 
enfin de la grave affaire pourquoi Ion était 
réuni. 

L'on décida premièrement que le délai 
pour la défense finissant le soir même, 
Ton demanderait une prolongation ; que 
tout Teffort des défenseurs porterait sur 
l'incompétence de ce conseil de galopins 
(c'est la désignation que je retrouve dans les 
notes d'un autre de mes témoins) qu'on a 
institué conseil de guerre pour juger un 
empereur, un ancien président de la répu- 
blique, un général en chef. 

Pour qui connaît la composition de l'ar- 
mée au Mexique, une telle réunion était une 
bouffonnerie. De tels juges jugeant de si no- 
bles et si vaillantes gens étaient bien à leur 



306 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

place sur ces planches du théâtre où, par la 
malice de la Providence, ils transportèrent 
leur tribunal. Seulement la bouffonnerie 
était atroce et le mélodrame se terminait 
par du vrai sang, le plus illustre et le plus 
généreux qu'on pût et qu'on pourra jamais 
trouver dans tout le Mexique. 

Je n'attaque pas ces soldats qu'on intro- 
nisa juges, pas plus que je n'attaque les 
soldats chargés de l'exécution ; les uns et 
les autres furent peut-être d'honnêtes gens 
qui ne pouvaient s'empêcher, les premiers 
de condamner, les seconds de tuer; Nom- 
mons toutefois ces sept juges; ils peuvent 
avoir la célébrité de la hache qu'on montre 
parce qu'elle fut honorée du sang de 
Charles T' : Platon Sanchez, lieutenant-co- 
lonel ; José Vicente Ramirez, Emilio Lojaro, 
Ignacio Jurado, Juan Rueda y Auza, José 
Verastegue, Lucas Villagran. Je n'ai aucun 
renseignement sur eux, sinon celui que j'ai 



DE L*EHPIRE MEXICAIN. 307 

dit et que me fournît Maxîmilien : c'étaient 
des officiers qui avaient des habits neufs. 

On décida donc, dans cette conférence du 
5 juin, que Ton demanderait à être jugé par 
un congrès national. On comprit qu'il y 
avait peu d'espérance de succès, quand on 
reçut, en réponse à la demande de proro- 
gation, un délai définitif àe trois jours. 

On établit qu'il y avait deux questions 
distinctes dans la défense de l'empereur : la 
question juridique et la question politique. 
Jesus-^Maria Vasquez et Eulalio Ortega, ju- 
risconsultes et hommes éloquents, devaient 
rester à Queretaro ; Mariano Riva Palacio et 
Rafaël Martinez de la Torre, qui étaient, 
ai-je dit, des hommes politiques, des mem- 
bres éminents et respectés du parti libéral, 
iraient à San-Luis auprès de Juarez et de 
Lerdo de Tejada, le vrai chef des dissidents. 

Maximilien résumait sa défense à peu près 
en ceci : 



308 HI3T0IRE DES DERNIERS MOIS 

« J'ai tout fait pour sauvegarder l'indé- 
pendance du Mexique ! Comment peut-on 
m'accuser d'avoir été l'instrument des Fran- 
çais, moi qui n'ai cessé de lutter contre leur 
influence et contre leurs agents ? Mon pre- 
mier soin, quand j'arrivai au pouvoir, par 
un appel que j'étais en droit de ôonsidérer 
comme la volonté de la nation môme, ne 
fut-il pas d'appeler dans mes conseils Ra- 
mirez, dont le nom seul était une protesta- 
tion contre la France ? » 

Enfin, craignant que sa pensée n'eût pas 
été comprise, il écrivit de sa main un mé- 
morandum destiné à servir de base à toute 
sa défense. Je donne, d'après le livre in- 
titulé Grinnerungen aus Mexico^ par le 
docteur Basch (auquel j'emprunte divers 
renseignements sur la mort de Maximi- 
lien), je donne ce très-précieux document 
qui n'a pas, je crois, encore été publié en 
France. 






DE L'EMPIRE MEXICAIN. 309 

J'aurais beaucoup à dire sur les accusa- 
tions qu'il renferme. Je le livre sans com- 
mentaire. On en comprendra la raison quand 
on laura lu. 

« Le ministre des affaires étrangères, 
comte de Rechberg, vient le 18 septem- 
bre 1862 à Miramar, où je vis retiré. Pro- 
positions. Mes conditions : volonté nationale. 
Vient une députation, le 3 octobre 1863, à 
Miramar, avec la décision des notables. Ma 
réponse. Autre députation au commence- 
ment d*avril, avec tous les actes d'adhésion 
qui se trouvent en original à Londres. Gut- 
tierez et Aguilar prouvent, à Taide de la 
carte du Mexique, qu'il y a grande majorité. 

« Acceptation et serment de conserver 
l'indépendance et l'intégrité. Reconnais- 
sance par presque tous les pays du monde, 
entre autres Angleterre et Suisse. 

« A peine arrivé au pays, je vois la trahi- 
son des Français. Tout mon travail pour 



310 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

protéger rindépendance et Tintégrité. Affaire 
de la Soûora. En conséquence, hostilité avec 
les Français. Les Français prennent tout l'ar- 
gent. De leurs deux emprunts, il n'entre 
que 1 9 millions au trésor, et la guerre qu'ils 
font coûte plus de 60 millions. Surtout cela, 
plaintes énergiques. Documents à Paris. 

« Le gouvernement impérial meilleur 
marché de tous ; preuves faites par Escu-^ 
dero. 

« Arrivée de Langlais, qui constate lui- 
même les vols et le pillage. 

« En septembre 1 865 arrive à Mexico la 
nouvelle que Juarez a abandonné le terri- 
toire national. Insistance des Français pour 
l'emploi des moyens énergiques afin, comme 
ils disent, de terminer promptement et com- 
plètement. On élabore la loi du 3 octobre. 

(( Bazaine dicte lui-même les articles 
devant témoins {dicta personalmente par- 
nienores). Les ministres responsables et 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 311 

très - libéraux , comme Escudero, Cortez 
Esparza, etc., discutent la loi avec tout 
le conseil d'État. Tous les points principaujt 
de la loi existaient auparavant, du temps de 
Juarez; ainsi le dirent les ministres. 

« La loi fut exécutée avec' douceur par 
les Mexicains. Quant à ce que firent les 
Français, nous ne pouvons en porter la res- 
ponsabilité. 

« Les Français continuent à voler et ruiner 
le pays. Leur gouvernement brise les traités 
contractés solennellement avec le Mexique. 
Ils déclarent qu'ils s'en vont. Mon désir d'un 
congrès. Junte à Chapultepec. Voyage de 
Mexico à Orizaba. Annulation immédiate du 
décret du 3 octobre. Désir de partir. Re- 
tenu par les Conseils. 

« Appel fait à mon honneur et au devoir 
royal. Invitation au congrès (envoi à Juarez 
de Garcia et du fils de Iglesia). Arrivée im* 
prévue de Miramon et de Marquez * 



3J2 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

« Les Français exigent mon départ pour 
s'arranger avec Ortega et se faire payer par 
le Mexique. Mon obstination à rester sauve 
le pays de ce péril, d'autant mieux que je 
romps le traité • des douanes . Retour vers 
Mexico. Entrevue à Puebla avec Dano et 
Gastelnau. Autre réunion des Conseils à 
Mexico. Même appel. Travail assidu pour 
réunir le congrès. Envoyés à Juarez et à 
Porfirio Diaz. 

« Le maréchal déclare, au nom du gouver- 
nement français, que la cour de cassation de 
Paris a déclaré que partout oîi se trouve une 
armée française, toutes questions mixtes doi- 
vent être jugées d'après les lois françaises. 
Exemple, avec la signature de Napoléon. 

« Affaire de Miramon et des 109 Français. 

« Base révolutionnaire du plan de Ayutla. 

« La présidence de Juarez finit le 30 no- 
vembre 1865. 

« Marquez était rappelé depuis six mois, 



f 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 313 

comme les autres ambassadeurs, pour raison 
d'économie. Miramon n'avait pas été rap- 
pelé. » 

Ajoutons dès maintenant que Tempereur, 
mécontent du peu d accent que les avocats 
avaient donné à ces divers points, dicta des 
notes d'après lesquelles M. Curtogassi, mi- 
nistre d'Italie, se trouve actuellement chargé 
de rédiger un mémoire justificatif . 

Riva Palacio et Martinez de la Torre arri- 
vèrent à San-Luis le 8. 

Ils étaient, nous le répétons, des notabi- 
lités du parti libéral, personnages graves, 
renommés pour leur honnêteté. Nous devons 
croire à l'énergie des efforts qu'ils Tirent, et, 
— tout en nous rappelant qu'ils sont surtout 
désireux d'éviter à leur pays le mépris de 
toute nation civilisée, — nous pouvons nous 
fier à la sincérité du récit qu'ils nous ont 
laissé sous ce titre ; Histoire du procès de 
rarchiduc Maximilien d'Autriche. Cette 

18 



314 HISTOIRE DES BERNIERS MOIS 

histoire, traduite en français et mise par nos 
journaux à la connaissance du public, nous 
permettra de passer rapidement sur les dé- 
tails de ce procès. Nous pourrons conserver 
ainsi à notre étude son caractère propre de 
chronique , composée presque exclusive- 
ment sur des documents inédits ' . 

Les deux avocats, dès leur arrivée à San- 
Luis, se mirent en relation avec los supremos 
poderes^ avec Juarez, avec son précepteur, 
Lerdo de Tejada, et ses deux autres minis- 
tres, Iglesias et Mejia. Ils étaient les amis 
de tous ces gens-là. Ils avaient grand espoir 
dans la justice de leur cause et dans leur in- 
fluence personnelle. Cet espoir, ils le per- 
dirent dès la première entrevue. 

Ils durent représenter d abord l'ignominie 
de cette loi de janvier 1862^ au nom de la- 

1. Noas avons indiqaérexceptioh faite pour le docteur Bascb, 
médecin de Maximilienj qui vient de publier ses Souvenii's en 
allemande 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 3J5 

quelle tout prisonnier devait être fusillé. 
Ils prouvaient aisément qu'obéir plus long- 
temps à une telle loi, c'était mettre le 
Mexique au ban des nations, faire des Mexi- 
cains, non plus une nation civilisée, non plus 
même un peupler, mais une tribu de bandits 
retournant à la vie sauvage. De quel droit des 
soldats, combattant au nom d'une telle loi, en 
dehors de tout droit des gens, pouvaient-ils 
reprocher aux Français leur sévérité et à 
Maximilien cette loi du 3 octobre 1865, qui 
était le prétexte mis en avant pour le con- 
damner! Puis quelle étrange boufiTonnerie 
que ce conseil de guerre, si bien fait pour 
ridiculiser le Mexique devant l'Europe? 
Quelle absurdité de vouloir qu'un conseil 
de guerre, — et quel conseil! — pût juger 
« des actes, de la conduite et de l'adminis- 
tration de l'archiduc Ferdinand-Maximilien 
pendant une période de trois années ! » 
On leur répondit que ce conseil n'avait 



316 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

rien de contraire à la constitution, et que 
cette loi de janvier avait été portée selon les 
formes demandées par la constitution. 

(( Mais ce n'est pas une loi, disait Palacîo, 
c'est un instrument pour couper la tête de 
l'ennemi partout oii on le trouve, même 
désarmé, même rendu. » 

De toutes les réponses qui leur furent 
faites, je retiens celle où Lerdo disait qu'on 
ne saurait être trop sévère pour décourager 
les ennemis du progrès et de ses institu- 
TioNs. Ainsi, c'étaient le progrès et ses insti- 
tutions que ces gens-là représentaient, et 
par une telle loi ! 

Autour de Palacio et de la Torre, ces jour- 
naux dont nous avons déjà donné des ex- 
traits, et d'autres encore, chantaient toujours 
les louanges de l'héroïsme du Mexique, et 
ils encourageaient le monde entier à se con- 
fier à sa générosité, à sa bienveillance, à sa 
magnanimité! Là générosité de Juarez! la 



fm>^!9CZ^^~'*>^~: 



DE L*EMPIRE MEXICAIN. H17 

bienveillance de Lerdo ! la magnanimité de 
l'homme de San-Jacinto ! Théroïsme de ces 
soldats dont Lopez fut le seul grand ca- 
p.itaine ! 

Les avocats virent donc bien que Ton vou- 
lait condamner Maximilien, « Cette condam » 
nation n'était-elle pas honorable pour le pays 
et pour le parti libéral ; n'était-ce pas illus- 
trer à jamais le Mexique et faire peser sa 
main puissante sur la France, sur l'Europe 
entière en courbant la tête de ce prince eu- 
ropéen ? L'on pouvait accorder cette satis- 
faction à une armée enivrée d'une si mer- 
veilleuse victoire, » 

Les avocats espérèrent-ils que l'on se 
bornerait à la condamnation sans aller jus- 
qu'à l'exécution ? Ils connaissaient, je crois, 
trop bien leurs amis de los supremos poderes 
pour persister longtemps dans cet espoir. 

Ils commencèrent toutefois à agir pour 
obtenir la grâce de Maximilien. On leur ré- 

18. 



318 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

pondît fort ingénument qu'il était sage d'at- 
tendre que l'accusé fût condamné avant 
d'agiter cette question. 

Mais comme il y avait 75 lieues entre San- 
Luis-de-Potosi , oîi se trouvait Juarez, et 
Queretaro. où se trouvait Escobedo, et comme 
l'homme de San-Jacinto avait le droit de 
faire exécuter les condamnés à l'heure même, 
ils ne jugèrent pas les précautions super- 
flues. Ils insistèrent, firent un mémoire oh 
ils développaient toutes les considérations 
d'équité et de politique qui pouvaient s'op- 
poser à la mort de Maximilien. Ils démon- 
trèrent sa parfaite bonne foi, son inaltérable 
douceur, sa bonne volonté en toute chose, 
son amour sincère du progrès, de la liberté 
et de la nation qui l'avait adopté. 

On continua de leur répondre avec la 
même ingénuité qu'il fallait attendre la con- 
damnation. On ajoutait toutefois, vaguement 
et en procédant par hypothèse, des considé- 



DE L*EMPIRE MEXICAIN. 319 

rations sur Téquité, le progrès et sur la 
magnanimité, considérations qui ne laissè- 
rent pas de doute sur le désir de fusiller 
Maximilien. 

Les avocats continuèrent leurs efforts en 
désespérant. Ils essayèrent d'intéresser l'ar- 
mée à une démarche généreuse. Quelle gé- 
nérosité Rendre de gens qui avaient tou- 
jours été battus, excepté quand ils avaient 
acheté l'ennemi ? Ils ne trouvèrent pour les 
seconder que le jeune, intelligent et cheva- 
leresque Trevino ! Que pouvait un homme, 
si estimé qu'il fût, contre toutes les pas- 
sions, hautes et basses, qui demandaient du 
sang d'Européen, de prince, de Français? 

A Queretaro tout s'assombrissait. Le 7, 
on avait expulsé tous les étrangers. Le 10, 
on apprenait que l'armée se prononçait de 
plus en plus pour la mort de l'empereur et 
des généraux prisonniers. 

On songe alors dans l'entourage de Maxi- 



320 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

lien plus que jamais à la fiiite et on exagère 
la maladie de l'empereur pour rendre cette 
fuite moins vraisemblable. Faible ruse qui 
ne trompait pas ces fils d'Indiens, le plus 
rusé peuple du monde. 

Les nouvelles les plus désespérantes arri- 
vent de San-Luis. 

Maximilien reste calme au mifteu de ces 
angoisses. Il est convaincu qu'on le fusillera. 
« Depuis le commencement, je ne m'attends 
pas à autre chose. Je me suis préparé déjà 
deux fois à mourir. » 

Il commence à pénétrer le caractère mexi- 
cain. Il ne se refuse pourtant à aucune ten- 
tative de salut. Entre temps, il accepte une 
ombre d'espérance. 

Vers cette date, par exemple, il dit un 
jour à M. Hoorickx : « Écrivez au comman- 
dant de VÉlisaheth qu'il me prépare une 
chambre à bord. » 

M. Hoorickx représenta que cela était fort 



DE L'EMPIRE MEXICAIN, 321 

inutile, même dangereux. Cette lettre serait 
évidemment surprise, le complot ^pour là 
fuite découvert, et les dissidents ne man- 
queraient pas cette occasion — qu'ils cher- 
chaient : du moins on en était alors con- 
vaincu, tant ils semblaient se mettre en 
dehors de toute loi sociale et humaine — de 
faire fusiller les membres du corps diploma- 
tique. 

Le bon Maximilien n'insista pas. Il songea 
à son testament. La postérité, c'était sa 
grande préoccupation, et, dans ce temps 
lâche où nous vivons et où nous sommes si 
* étroitement attachés à la glèbe de la petite 
besogne du jour, cette préoccupation est ce 
qui doit surtout Télever et le rendre véné- 
rable à nos yeux. 

Il confia la mission d'écrire les événements 
de son règne à Ramirez, et au prince de 
Salm-Salm pour ceux de ces événements qui 

« 

s'étaient passés à Queretaro. Il avait d'abord 



322 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

adjoint à ces deux personnages le P. Fischer. 
Un des diplomates, je crois que ce fut le 
ministre belge, lui fit remarquer que ce prê- 
tre n'avait pas une réputation qui le rendît 
digne d'un tel office. Son nom fut effacé. 

Un personnage, que je ne nomme pas, 
avait précédemment proposé, pour cette 
œuvre, le prince de Join ville. 

« Non, non^ reprit vivement Maximilien, 
Joinville ferait un pamphlet contre l'empe- 
reur Napoléon, en ménageant la France; 
c'est ce que je ne veux pas. » 

Maximilien paraissait convaincu que Na- 
poléon III personnellement avait été sincère 
et ardent dans le désir de sauver le Mexique 
de la ruine et de l'anarchie, 6t qu'il devait 
la perte de son trône et de sa vie à l'opinion 
publique française, aveuglée, excitée par 
l'opposition. Il ne voulait donc pas faire 
retomber sur Napoléon tout le poids de 
l'échec. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 323 

Un autre détail de ce testament montre 
bien ce dilettantisme que le pauvre prince 
garda jusque dans les apprêts de la mort. Il 
voulait laisser une certaine somme au fiscal 
qui avait soutenu Taccusation contre lui. 
Un des diplomates lui fit observer que ce 
legs, sans doute, était digne de Louis XVI* 
mais que toutefois il valait mieux ne rien 
léguer à un pareil drôle — les diplomates 
n avaient pas pris pour les Mexicains plus 
de tendresse que les soldats — et réserver 
l'argent pour les enfants, les veuves de ceux 
qui étaient morts en défendant la cause im- 
périale et pour le payement des dettes qu'il 
avait contractées. L'empereur céda à contre* 
cœur. Oii recherchera sans doute, un jour^ 
comment ses héritiers ont rempli ces devoirs i 

Le 11, on apprit que l'éttange conseil de 
guerre dont nous avons parlé devait tenir 
ses séances au théâtre de la ville et siéger 
sur la scène; 



324 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Tous ceux gui entouraient Maximilien 
comprenaient ces efforts auxquels se li- 
vraient sans repos la vanité et la haine des 
Mexicains. Il s'agissait de bafouer, de ridi- 
culiser, de déshonorer, si Ion pouvait, 
comme bientôt de torturer, de faire mourir 
dix fois ce prince, aujourd'hui affaibli, ma- 
lade, prisonnier, mais dans lequel ces Mexi- 
cains voyaient toujours le représentant de 
cette poignée de Français qui les avait battus, 
conquis, mis en fuite et rejetés, malgré les 
distances et les déserts, jusqu'aux frontières 
des États-Unis. Maximilien devina bien, lui 
aussi, que c'était là le mobile et le but. Il 
refusa de se rendre sur cette scène. Il y 
laissa les juges. Les auditeurs avaient le par- 
terre et les loges. 

La sanglante farce devait commencer le 1 2 . 

Ce n'était pas, avons-nous dit, sa conclu- 
sion qui préoccupait l'empereur; il avait 
une autre pensée qui lui tenait au cœur* Lui, 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 325 

comme tous ses amis, comme ses avocats, 
qui nous le disent avec une satisfaction de 
vanité patriotique mal dissimulée, étaient 
surpris de n apprendre rien de l'Europe. 
Comment! toutes les puissances européen- 
nés Tavaient reconnu, tous les princes d'Eu- 
rope étaient ses alliés ou ses parents ; c'était 
pour eux, en songeant à eux, qu'on l'écra- 
sait; et nul ne parlait ! Tous l'abandonnaient 
aux mains de ces sauvages. Nul ne protes- 
tait, nul n'envoyait même une phrase à son 
aide. 

Il ignorait que lous, au contraire, s'é- 
taient agités et avec zèle ; mais l'entre- 
mise ^vait été confiée aux États-Unis, les 
seuls qui parussent en situation de la faire 
valoir, et elle s'était arrêtée là. Les Yankees 
avaient-ils accepté la mission pour l'escamo- 
ter, pour en annihiler les résultats? 

C'est encore ici une des parties doulou- 
reuses de ce récita et je voudrais pouvoir me 

1» 



326 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

taire, par respect pour ce peuple en qui ron 
doit admirer l'énergie de Thumanité ; mais 
je n'ai pu garder aucun doute : c'est aux 
États-Unis surtout qu'il faut attribuer le 
meurtre de Maximilien. 

J'espère pouvoir un jour démontrer, par 
une preuve matérielle, que ce meurtre, ils 
l'ont conseillé. Aujourd'hui je peux seule- 
ment prouver qu'en faisant signe, — un si- 
gne presque imperceptible, — de le vouloir 
déconseiller, ils ont travaillé de telle sorte 
qu'il arrivât. 

Ce meurtre, ils le désiraient. C'étaient 
bien eux qui avaient été attaqués, humiliés 
par l'expédition française et par Maximilien. 
Ils avaient été arrêtés dans l'exécution d'un 
plan de conquête qui est tout leur avenir, 
humiliés dans un orgueil qui est toute leur 
énergie présente. Pour chasser Maximilien 
et les Français, ils eussent aventuré leur der-^ 
nier homme et leur dernier dollar I et on les 



DE L'ËMPIRË MEXICAIN. 327 

avait attaqués et humiliés au moment où ils 
n'avaient ni un homme ni un dollar à mettre 
au service de leur puissance et de leur hon- 
neur. Enfin, ils avaient renvoyé les Français 
agresseurs, mais il fallait étendre et mar- 
quer leur victoire, il fallait imprimer dans le 
sang d'un roi, d'un protégé de la France, ce 
soufflet qu'ils avaient donné à la France 
impériale. C'étaient eux surtout qui avaient 
intérêt à mettre ce cadavre, le plus noble et 
par là le plus significatif, à la vue éternelle 
de tout Européen qui songerait jamais à 
venir arracher aux Yankees un lambeau, si 
petit qu'il fût, de l'Amérique « 

Aussi, quand on avait parlé au Sénat, le 
seul directeur de' la politique étrangère, du 
sort de Maxîmilieîi et du devoir de lui sauver 
la vie, le Sénat avait répondu que Maxîmi-* 
lien était un flibustier et que les États-Unis . 
n'avaient aucune raison de vouloir qu'il ne 
subit pas le sort des flibustiers; 



328 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Cette doctrine sauvage pouvait se soutenir 
soit au Capitole, soit entre les grogs et les 
cigares, chez Romero; mais Seward ne pou- 
vait Texprimer aussi sénatorialement aux 
représentants du frère, de la cousine, de 
rallié intime de Maximilien , aux représen- 
tants de TAutriche, de l'Angleterre, de là 
France. Il y fallait quelque hypocrisie. 

11 écrivit ostensiblement à M. Campbell, 
ambassadeur des États-Unis auprès de Jua- 
rez, et lui enjoignit de réclamer la vie sauve 
pour r empereur. Secrètement , que lui écri- 
vit-il? C'est ce que nous ne savons pas 
encore exactement. 

Campbell répondit qu'il n'avait pas le 
moindre désir de faire une telle démarche, 
et qu'il aimait mieux faire un voyage d'agré- 
ment à la Nouvelle-Orléans, où il se rendait 
de ce pas. Toutefois, il consentit à écrire 
une lettre à Juarez. 

Cette lettre, il l'écrivit ; il y disait d'un ton 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 329 

très-doux que les États-Unis ne seraient pas 
très-contents de voir les républicains du 
Mexique se conduire comme des sauvages. 
Cette lettre eût suffi pour faire fusiller 
Maximilien, quand il n'y eût pas eu cent au- 
tres raisons. Campbell savait bien que c'était 
tout simplement exalter jusqu'au délire la 
faiblesse vaniteuse de ces héros; c'était leur 
fournir l'occasion de fanfaronnades, de ro- 
domontades ; c'était, pour les supremos po- 
deres, l'irrésistible tentation de montrer à 
leurs triomphants sujets, aux vainqueurs de 
Queretaro, que l'on pouvait résister à tout, 
même aux Yankees, et que l'on allait re- 
pousser les États-Unis comme on avait re- 
poussé l'Europe coalisée ! On allait faire 
cette démonstration sans danger, car Juarez 
connaissait à merveille le sentiment intime 
du gouvernement des États-Unis. 

Ainsi , quand Juarez eût voulu songer à 
gracier Maximilien, cette lettre l'en eût 



330 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

empêché, car cette lettre eût fait dire aux 
journalistes et à Tarmée du Mexique qu'on 
reculait devant ces Yankees, 

D'ailleurs, dans le cas probable qui était 
que Juarez ne songeait pas à faire grâce, 
Campbell savait bien que ce n'était pas avec 
une lettre qu'il l'eût fait changer d'avis; 
car, avec les Mexicains, il ne faut point 
écrire, parlementer, palabrar, mais agir 
de près et manu forti. Encore une fois 
Seward et Campbell le savaient mieux que 
personne. 

On comprendrait aisément tout cela si je 
pouvais mettre sous les yeux les nombreux, 
présomptueux et pompeux articles des ga- 
zettes mexicaines stir la Nota de Campbello. 

J'espère, je le répète, connaître un jour 
ce qui était écrit entre les lignes de cette 
nota. Mais, si l'on veut les deviner, on 
peut lire la lettre d'un personnage notable 
qui résume ainsi , et qui a le droit de 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 331 

le faire, Topinion des États-Unis en cette 
affaire : 

« ..• Le gant jeté par l'Europe a été re- 
levé, les menaces ridiculisées et les atteintes 
punies. Maximilien, coupable du crime de 
lèse-majesté populaire, a été puni... Rien de 
plus simple et de plus naturel... 

« La condamnation de Maximilien est un 
acte politique mûrement conçu et froidement 
accompli avec Tapprobation du parti répu- 
blicain des États-Unis tout entier. Or le 
parti républicain, c'est le parti qui est au 
pouvoir... 

« La tête de Maximilien est au nouveau 
monde ce que fut celle de Louis XVI à 
l'ancien. Les Bourbons ne se sont jamais 
relevés en France, la monarchie ne se re- 
lèvera jamais en Amérique. 

« Si l'Europe n'en est pas convaincue, 
qu'elle essaye de nouveau. Nous sommes 
prêts. » 



^ 



332 IISTOIII DIS DBB91BI8 MOIS 

C'était quelque chose comme cela qui 
était écrit entre les lignes de la missive 
où Campbell demandait officiellement, au 
nom des États-Unis, la grâce de Maximi- 
lien. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 333 



XIX 

CONDAMNATION DE MAXIMILIEN. 

Le 13 juin, à huit heures du matin, le 
conseil de guerre s'était installé à Queretaro 
au théâtre Iturbide, brillamment illuminé et 
rempli d'une foule silencieuse. Une estrade 
avait été établie au fond du théâtre ; à droite 
se trouvait le bureau du conseil, en face trois 
banquettes pour les accusés et leurs dé- 
fenseurs. 

Maximilien , convaincu qu'Escobedo , 
Lerdo, les suprêmes pouvoirs, malheureux 
de ne pouvoir, à la mode de leurs pères 
indiens, le torturer physiquement, inven- 
teraient toute torture morale pour se venger 
de lui et lui arracher un mouvement de fai- 
blesse, Maximilien vit dans le choix de cet 
emplacement une intention de l'humilier et, 

19. 



334 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

nous l'avons indiqué, de le ridiculiser. Il 
refusa de s'y rendre. On hésita à l'y traîner. 
Il était réellement alors très-soufifrant. 

Miramon et Mejia furent amenés en pré- 
sence du conseil, à neuf heures du matin. 

Le lieutenant -colonel fiscal , Manuel 
Aspiroz, débuta par la lecture des pièces 
du procès. Le procès particulier de Mejia 
commença. Le licencié Prospero Vega, de 
Queretaro, défendit l'illustre général avec 
une éloquence que les journaux d'alors nom- 
ment cicéronienne. On fit sortir cet accusé; 
on amena Miramon. Les avocats Jauregui, 
de San-Luis, et Ambrosio Moreno, de Que- 
retaro, prirent la parole. 

Vint le tour de l'empereur. On constata 
l'impossibilité oi!i il se trouvait de compa- 
raître. Le procès continua. Vasquez et Or- 
tega commencèrent leur plaidoyer. 

Les treize points d'accusation se rédui- 
saient à trois : "^ 



* DE L'EMPIRE MEXICAIN. 335 

1° Maximilien était un flibustier; 

%^ Il avait été le complice des Français 
pour la destruction du Mexique ; 

3** C'était un homme féroce, qui avait signé 
la loi du 3 octobre, au nom de laquelle tous 
les rebelles saisis les armes à la main de- 
vaient être considérés comme des bandits. 

Ortega n*eut pas de peine à montrer l'i- 
neptie de la première accusation, la fausseté 
de la seconde. Quant à la troisième, il ra- 
conta ce qui s'était passé. Maximilien avait 
longtemps résisté à ce décret, que lui de- 
mandaient avec instance les Français. Enfin, 
on lui affirma et il dut croire que Juarez 
avait quitté le pays, qu'il n'y avait plus 
même l'ombre d'un gouvernement hostile 
et qu'il n'y avait plus que les bandits qui 
tinssent la campagne. Il hésitait encore 
pourtant, il rassembla son conseil, composé 
en ce moment de libéraux, leur dit de la fa- 
çon la plus touchante qu'on le harcelait pour 



336 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

obtenir de lui ce décret, que lui, étrangler, 
devait s'en rapporter à eux, qu'il signerait 
la décision qu'ils allaient prendre, et qu'ils 
eussent à y bien penser , car c'est sur eux 
que Dieu ferait retomber la responsabilité. A 
l'unanimité , les ministres décidèrent que 
cet acte était juste, nécessaire, conforme 
d'ailleurs à la loi mexicaine, aux décrets 
portés par Juarez lui-môme, — ainsi que le 
prouvait la loi de janvier 1862. 

Ortega ajoutait : « Pour tout gouverne- 
ment, c'est un droit et un devoir de se dé- 
fendre ; mais ce décret, pour Maximilien, ne 
fut que comminatoire, et il annonça officiel- 
lement que jamais, en aucun temps, à quel- 
que heure que ce fût, qui que ce fût de- 
mandant grâce ne serait refusé. » 

A neuf heures du soir, le conseil décida 
qu'il allait lever la séance et remettre la 
suite du procès au lendemain. 

On ramena Mejia et Miramon, comme on 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 337 

les avait menés, au son de la musique 
militaire. 

La Vaillante princesse de Salm n'a pas 
perdu tout espoir de sauver l'empereur : on 
' a acheté , cent mille dollars , lappui d'un 
colonel mexicain. Celui-ci demande qu'on 
achète un deuxième colonel. On accepte. A 
neuf heures du soir, tout est prêt : l'empe- 
reur et ses compagnons n'attendent que le 
signal. Il n'est pas donné. 

Le 14, de grand matin, on vient saisir le 
docteur Basch . Escobedo le fait emprisonner 
en lui disant que, si l'ai'chiduc fait la moin- 
dre tentative de fuite, lui Basch sera pendu. 
Le môme jour ou le suivant (mes renseigne- 
ments sont, chose bizarre, divers sur ce 
« 

point, assez notable pourtant), on expulse la 
princesse de Salm. On ordonne aux diplo- 
mates européens de quitter la ville immé- 
diatement, sous peine de mort. On les entasse 
dans une voiture qui les mène à Tacubaya. 



338 HISTOIRE DBS DERNIERS MOIS 

Ce même jour on annonça à Maxîmilien la 
mort de Timpératrice Charlotte. L'empereur 
pleura abondamment; mais cette nouvelle 
fut comme une bénédiction providentielle : 
« C'était, difr-il, le dernier lien qui l'atta- 
chait à la vie. » 

Pendant ce temps le procès continuait. Il 
avait été repris à huit heures du matin, fau 
môme théâtre. Le fiscal répondit aux avo- 
cats, qui répliquèrent, 

Vasquez montra la réprobation universelle 
tombant comme un anathème sur le Mexique. 
Mais qu'importait à. ces Mexicains, qui pré- 
féraient la réprobation à l'obscurité? 

Quant à Ortega, il écrasa les juges, de 
l'aveu même des plus hostiles auditeurs. 

« En le regardant, nous nous rappelions 
la monstrueuse beauté de Mirabeau, domi- 
nant l'auditoire, enflammant les débats, bon- 
dissant comme l'inépuisable torrent d'une 
irrésistible improvisation. » 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 339 

Mais que pouvaient toute raison, toute 
éloquence, dans une telle cause? Il fallait 
la mort de Maximilien. 

A dix heures, le conseil se retira pour 
délibérer. 

A onze heures et demie, on sut que la 
sentence, dont on ne connaissait pas encore 
la teneur, était rendue. 

Le lendemain 15, on apprit que le conseil 
avait condamné les trois coupables, Maxi- 
milien d'Autriche, Tomas Mejia et Miguel 
Miramon, à la ultima pena. 

A midi, un prêtre se présenta. 

— Je ne me confesse pas à tout le monde, 
dit Maximilien en souriant, j'ai fait venir le 
P. Soria pour voir si nous pouvons nous en- 
tendre sur certaines questions. 

Le lendemain 16, à onze heures, on ouvre 
les portes avec grand fracas. Le fiscal vient 
lire la sentence qui a été confirmée par Esco- 
bedo. L'empereur écouta tranquillement. 



S40 HI8T0IBB DES DERNIERS MOIS 

— C'est pour trois heures, dit-il ; encore 
quatre henres : noos avons le temps de tout 
terminer. 

Il emprunta quelque argent pour ses der- 
nières dépenses, et il demanda que son corps 
fût enterré à côté de celui de l'impératrice. 

A une heure on dit la messe ; les trois con- 
damnés communient. 

A deux heures, l'empereur dit : 

— Vraiment, la mort est plus légère que 
je n'imaginais. Je suis entièrement prêt. 
Vous direz à ma mère que j'ai fait mon de- 
voir comme soldat et que je suis mort en 
bon chrétien. 

s 

A trois heures, moment indiqué pour 
l'exécution, personne ne vient. 

Une heure se passe dans une angoisse 
indicible. L'empereur seul s'entretenait 
gaiement avec le confesseur et les avocats. 

Enfin, à quatre heures, on apprend que 
l'exécution est remise au 19. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 341 

— C'est dur, dit Tempereur. J'étais si 
complètement prêt. 

— C'est atroce ! murmura quelqu'un; ces 
misérables jouent avec les angoisses et veu- 
lent faire mourir les condamnés à plusieurs 
rep'rises. 

— Du reste, continua l'empereur, je ne 
suis plus de ce monde. 

En effet, à partir de ce moment, il s'ou- 
blia complètement. Il agit comme un homme 
qui n'a plus d'intérêt personnel et qui n'ap- 
partient plus à la terre . Toutefois il songeait 
à ses compagnons, et il écrivait à Juarez pour 
demander la vie de Mejia et de Miramon. 

« Je désirerais que vous fissiez grâce de la 
vie à don Miguel Miramon et à Mejia, qui 
ont souffert avant-hier toutes les angoisses 
et toutes les amertumes de la mort, afin que, 
comme je l'ai exprimé quand je me suis con- 
stitué prisonnier, je sois seul victime. » 

Réponse négative. 



342 HISTOIRE DBS DERNIERS MOIS 

Pendant ce temps, les deux avocats restés 
à San-Luis, tous les étrangers, tous les 
Mexicains honorables de la ville, le baron 
Magnus, font des efforts surhumains pour 
obtenir la grâce des condamnés. Tout est 
inutile : Juarez, Lerdo, Mejia (le Mejia mi- 
nistre de la guerre libérale), Iglesias, los 
supremos poderes^ répondent à Tenvi que 
la justice et le bien du pays s'opposent à la 
clémence. « Ils ont, du reste, mûrement ré- 
fléchi. Leur conscience est fort tranquille. 
Ils prennent, devant la postérité, la respon- 
sabilité de leurs actes. » 

« Le courrier des États-Unis, qui venait 
d arriver, n'apportait aucune lettre, pas une 
simple note, aucun" message ayant rapport à 
la captivité de l'archiduc. » 

J'appelle l'attention sur cette observation 
de Riva Palacio. 

Les défenseurs de Mîramon et de Mejia 
arrivent, avec une pétition des dames de 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 343 

Queretaro. Les dames de San-Luîs vont la 
porter à Benito Juarez. Vains efforts! 

Dans la nuit du mardi, madame Miramon 
arrive à San-Luis. Elle accourt, entourée de 
vingt dames en pleurs, auprès des avocats. 
« Y a-t-il quelque espoir de sauver son 
mari ? » 

Elle a presque perdu la raison, ses paroles 
sont ardentes, vagues, incohérentes. Elle 
veut aller, à deux genoux, demander la vie 
de son mari. , 

Benito Juarez demanda qu'on lui épar- 
gnât ce pénible entretien. 

Toutefois la légende assure que madame 
Miramon parvint à voir le président, qu'elle 
se traîna pendant des heures entières à ses 
pieds. 

(( Sehora, no se puede^ » se contentait de 
répondre Juarez. 

La légende ajoute que, la veille de son 
exécution, Miramon vit un officier venir lui 



344 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

offrir les moyens de fuite, et qu'il les refusa, 
ne voulant point se sauver sans Tempereur. 

Je n'ai nulle confiance en cette légende. 

A Saii-Luis, l'émotion gagnait tout, ex- 
cepté la vessie de fiel^ Lerdo, qui, à son tour, 
ne permettait pas à Juarez d'être ému. La 
Torre lui-même ne put s'empêcher de s'é- 
crier d'une voix sanglotante, en saisissant la 
main du président : 

« Assez de sang répandu, afin qu'il n'y 
ait pas à l'avenir un abîme entre les défen- 
seurs de la république et les vaincus ! » 

Juarez se contenta de prophétiser : « Il ne 
vous est pas donné de comprendre les motifs 
de justice sur lesquels est basée cette ri- 
gueur. Le temps permettra d'apprécier cette 
mesure. » 

A Queretaro, Escobedo avait trouvé que 
la question du cadavre, de l'embaumement J 
de l'enterrement, pouvait remplacer cette 
angoisse de la mort menaçante qu'il n'avait 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 315 

pu faire durer, le 16, plus d'une heure. On 
saurait bien par là empêcher Maximilien 
d'oublier un instant son prochain supplice. 

Maximilien avait demandé que son corps 
fût embaumé et envoyé auprès de celui de sa 
femme. On avait consenti ; puis on souleva 
des difficultés. 

Le 18, à trois heures, on vint dire à 
Maximilien qu'Eseobedo voulait traiter cette 
question-là personnellement avec lui ; puis 
qu'il fallait écrire à Escobedo ; faire l'aban- 
don du cadavre par écrit, le léguer, donner 
une sorte de reçu, antidaté naturellement, 
de son propre corps. 

— C'est vraiment trop fort, dit l'empereur. 

Ce fut la seule marque d'impatience qui 
lui échappa pendant son agonie. 

Il écrivit à Escobedo. On sait comment 
cela fut inutile, et quelles conditions ces ma- 
gnanimes mirent à la reddition de ces dé- 
pouilles. 



346 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Maximilien écrivit une dernière fois à 

« 

Juarez. La lettre ne devait être remise qu'a- 
près Fexécution. Elle restera comme un 
des documents les plus nobles et les plus 
touchants de cette histoire, mais aussi 
comme la marque de cette persévérance 
d'illusions que gardait Maximilien sur le 
caractère de ses bourreaux. 

« Queretaro, le 19 juin 1867. 

« Monsieur Benito Juarez, 

« Prêt à recevoir le coup fatal pour avoir 
voulu essayer de nouvelles institutions des- 
tinées à mettre un terme à la guerre civile 
qui déchire ce pays depuis tant d'années, je 
perdrais volontiers la vie si son sacrifice 
pouvait contribuer à la paix, à la prospérité 
de ma nouvelle patricé 

« Intimement convaincu qu on ne peut 
rien fonder de stable sur un terrain impré- 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 347 

gné de sapg et continuellement agité par de 
nouvelleià commotions, je viens vous conju- 
rer, de la façon la plus solennelle et avec la 
sincérité propre aux moments suprêmes dans 
lesquels je me trouve, de faire que mon 
sang soit le dernier répandu. 

« J*ai Tespoir qu'avec la persévérance que 
je me suis plu, au milieu de la prospérité, 
à reconnaître et à louer en vous, et avec la- 
quelle vous avez défendu la cause aujour- 
d'hui triomphante, vous vous consacrerez à la 
plus noble des tâches, qui est celle de récon- 
cilier les esprits et de fonder d'une manière . 
durable la paix dans ce malheureux pays, 

(( Maximilien. » 

Il envoya aussi une lettre de remercîments 
à chacun de ses quatre défenseurs. Quoique 
la formule de ces quatre missives soit à peu 
près semblable, on sent toutefois une gamme 
décroissante d'affectueuse gratitude^ et des- 



348 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Cendant de Riva Palacio à Ortega, à La 
Torre et à Yasquez. 

Haximilien, au moment de mourir, eut 
peut-être quelque r^ret de la sévérité de 
son jugement sur la France ; du moins vou- 
lut-il montrer que tout ce qui était français 
ne lui était pas déplaisant. Il écrivit à l'un 
de ses derniers chefs de cabinet, au capitaine 
Pierron, dont la ferme intelligence et le ca- 
ractère loyal avaient conquis sur son esprit 
une véritable autorité. Dans cette lettre, son 
esprit s'abandonne plus qu'en face de ses 
avocats, qui étaient, en somme, ses ennemis 
politiques, ennemis nobles et généreux, sans 
doute, mais les amis de ses bourreaux ; et 
son cœur se montre dans toute sa grâce ca- 
ressante. 

« Mon cher capitaine Pierron, 

« A ma dernière heure, je pense encore à 
votre bonne amitié si cordiale et aux servi- 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. . 349 

ces que vous m'avez rendus avec tant de 
loyauté.. 

« Je profite de ces derniers instants pour 
vous envoyer un suprême adieu : je veux 
vous remercier de nouveau de votre fran- 
chise, de votre attachement et du dévoue- 
ment que vous m'avez montré en toute 
occasion. 

« Cet épanchement est cher à mon cœur. 

« J'espère que vous conserverez mon 
souvenir après ma mort, et je fais des 
vœux pour que vous viviez heureux et tran- 
quille. 

« N'oubliez pas celui qui a été, jusqu'à 
son dernier soupir, votre tout affectionné. 

« Màximilien. » 



29 



350 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 



XX 



EXECUTION DE L'EMPEREUR, DE MIRAMON 
ET DE MEJIA. 



Les dernières heures approchaient. La 
dernière journée était entamée. Il restait 
quelque doute, dans Topinion, sur la déci- 
sion de Benito Juarez ; mais, quelle que fût 
cette décision, les journaux mexicains étaient 
convaincus que les supremos poderes ne 
pouvaient manquer l'héroïsme que pour 
conquérir la magnanimita. 

Le Progreso de Queretaro (19 juin) hé- 
site entre les deux : 

« S*il condamne ^ le Mexique frappera 
toute TEurope de respect, et si jamais un 
autre arlequin veut venir ici essayer son 
apprentissage de roi, il tremblera en voyant 
comment nous traitons les aventuriers ! 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 351 

« S'il pardonne, le Mexique se montrera 
grand et magnanime, et le laurier qui cou- 
ronne le front de la patrie sera seulement 
teint du sang versé dans les glorieuses vic- 
toires que nous venons de remporter. » 

Mais il y avait trop de monarques euro- 
péens à vaincre d'un seul coup en tuant 
Maximilien, pour que Juarez, Lerdo, Esco- 
bedo et autres, ne continuassent pas à se 
montrer glorieux. 

Maximilien devait mourir, car Maximilien 
était, comme les journalistes le savent fort 
bien dire à leurs compatriotes à cette même 
date, — et c'était montrer la cape rouge au 
taureau furieux, — « premier frère de Sa 
Majesté Impériale et Royale Apostolique 
François-Joseph, empereur d'Autriche, cou- 
sin de la reine de l'empire britannique, du 
roi d'Italie, de la reine d'Espagne, du roi de 
Suède, allié de l'empereur des Français, » etc. 

C'étaient là les vrais crimes de Maximilien. 



352 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Lia république mexicaine n'avait pas le droit 
de se montrer magnanime en face de tant de 
princes qu'on fusillait avec les balles qui 
étaient destinées à Maximilien. 

« Ah ! disait un autre journal, la sensation 
va être profonde, indescriptible, en Autri- 
che, aux Tuileries, dans tout le vieux monde. 
En France surtout ! Cette ombre accusatrice 
se lèvera contre Louis-Napoléon, comme 
celle de Banco devant Macbeth ! Le nom de 
Tarchiduc sonnera comme une cloche funè- 
bre, comme la cloche du cimetière, dans la 
Chambre des députés, contre les ministres 
du despote français. » 

Mais oublions ces enthousiasmes de sicaî- 
res, et revenons à la petite chambre oii la 
victime mène ses dernières heures et cherche 
une paix que ces héros ne lui veulent même 
pas:accorder. 

A cinq heures du soir, le mardi 18 juin, 
Maximilien apprit que Ton avait refusé la 



■ ' '■ —^^^^—M —^ ■ ■! ■ «ii^ iM^i^^p^ ^r^^^p^p^ 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 353 

grâce de ses deux compagnons Mejîa et Mi- 
ramon. 

 huit heures, il se coucha. A neuf heures, 

■ 

on vint lui dire qu'on voulait lui parler au 
nom d'Escobedo. Le supplice indien, au po- 
teau des tortures, continuait : Escobedo lui 
envoyait quelqu'un pour lui parler de son 
embaumement. On lui annonça que ses dé- 
sirs là-dessus seraient exécutés. 

Maximilien passa une heure à lire dans 
V Imitation de Jésus- Christ^ que le P. Soria 
lui avait envoyée sur sa demande. 

A dix heures, il éteint sa bougie et s'endort. 

A onze heures et demie quelqu'un entra. 
Le docteur Basch se leva tout joyeux. Il es- 
pérait encore. 

C'était seulement le supplice mexicain qui 
continuait : Escobedo avait supposé que 
Maximilien pouvait bien être endormi ; il 
fallut le réveiller. Escobedo voulait lui sou- 
haiter le bonsoir. 

20. 



354 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

L'empereur ralluma sa bougie. Escobedo 
entra. On les laissa seuls. Quelques minutes 
après, le général sortit ; Basch entra. 

— C'est, dit l'empereur, Escobedo qui 
vient prendre congé de moi. C'est dommage, 
je dormais si bien ! 

Il éteint encore une fois sa bougie. Une 
heure se passe. La respiration est égale. Il 
est endormi de nouveau. 

A trois heures et demie, il se réveille. 
Basch fait lever les deux domestiques. A 
quatre heures, vient le confesseur. A cinq 
heures, Maximilien et les deux généraux 
entendent la messe . 

A cinq heures trois quarts, les condamnés 
déjeunent avec un poulet, une demi-bou- 
teille de vin, du café. 

Pour la seconde fois Maximilien remet 
son alliance à Basch ; il lui rappelle les re- 
commandations qu'il lui a déjà faites à l'é- 
gard de plusieurs personnes. Il met un sca- 



DE L'EMPIRE MEXICAIN 357 

pulaire dans la poche de son gilet, en disant : 
« Vous le porterez à ma mère. » 

A six heures et demie arrive Vicente Riva 
Palacio, avec les soldats. Maximilien se place 
au milieu du piquet d'exécution et Ton se 
met en marche. 

Au bas de Tescalier, il donne une der- 
nière fois, en souriant doucement, la main 
à Basch, qui ne peut suivre : ses forces le 
trahissent; il tombe évanoui. 

L'empereur continue sa route avec ses 
avocats. 

Arrivé sur le seuil de sa prison, il re- 
garde autour de lui, au-dessus de lui, tout 
ce qu'il pouvait apercevoir de cette terre 
qu'il allait bientôt quitter et dont son âme 
de poëte comprenait et goûtait si bien les 
beautés. 

— Quel beau ciel ! dit-il en s'adressant à 
Ortega; c'est ainsi que je désfrais qu'il fût 
le jour de ma mort. 



358 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Au sortir de la prison, les avocats lui fi- 
rent leurs adieux. 

Chacun des trois prisonniers monta dans 
une voiture avec un prêtre. 

On allait à ce cerro de la Campana, à ce 
pic élevé, situé en dedans des fortifications 
de la ville, à un kilomètre des dernières mai- 
sons. C'est là, on se le rappelle, que Maxi- 
milien aimait avenir pendant le siège, parce 
qu'on embrassait une large vue du pays, de 
la ville et de Tennemi. C'est là aussi qu'il 
avait été cerné après la trahison de Lopez 
et forcé de se rendre. 

La route était longue, du couvent des Ca- 
pucines au cerro. Une partie de l'armée 
triomphante suivait les voitures. La ville 

était muette, déserte, les maisons closes ; 

* 

parfois Ton apercevait quelque visage cu- 
rieux, respectueux ou compatissant, qui 
avait voulu voir une dernière fois le prince 
et qui se retirait. 



1 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 359 

A un moment de ce funèbre voyage, on 
vit une femme échevelée, le sein nu, qui, 
portant un enfant dans ses bras, traversait 
les rues, folle, criant grâce. C'était la femme 
de Mejia. L'illustre et vaillant Indien ne put 
résister à ce coup : sa sereine gravité céda 
et on le vit tomber en tristesse. 

On arrive au cerro. Une certaine quantité 
de curieux s'y étaient portés, des Indiens 
surtout; car, pour l'Indien, avant de croire, 
il faut voir. 

On s'arrêta à quelques pas de l'endroit où 
l'empereur s'était rendu le 15 mai. Maximi- 
lien, me dit-on, chercha des yeux, et avec 
un paisible et fugitif sourire, cet endroit, où, 
pour la dernière fois, il avait été soldat et 
souverain. Il secoua la poussière qui avait 
recouvert ses vêtements et s'avança, la tête 
droite, sans nulle exagération de roidetiri 

Un peloton du premier bataillon de Nuevo-^ 
Léon, chargé de l'exécution, se détacha* 



360 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Toutes les troupes de Quer^taro, environ 
quatre mille hommes, se déployèrent der- 
rière le peloton. 

Les condamnés s'arrêtèrent à quelque dis- 
tance d'un vieux mur en abode; ils se re- 
tournèrent , faisant face au peloton et à toute 
Tarmée. 

L'officier qui commandait ce peloton s'ap- 
procha de l'empereur et lui dit qu'il n'avait 
pas cherché ni désiré la mission qu'il était 
forcé de remplir, et il suppliait l'empereur 
de ne pas mourir en le détestant. 

— Jeune homme, dit l'empereur, je vous 
remercie de votre compassion, mais le devoir 
du soldat est d'obéir. Accomplissez l'ordre 
qui vous a été donné. 

Il offrit à chacun des soldats une once d'or, 
en les priant de bien yiser à la poitrine. Le 
peloton se plaça à un mètre des victimes. 

Maximilien embrassa Miramon et Mejia, 
en leur disant : 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 361 

— Nous allons, dans un instant, nous re- 
voir en Tautre monde. 

Puis, quittant la place qu'il occupait au 
milieu des deux généraux, il se tourna vers 
Miramon, auquel il n'avait peut-être pas 
rendu toujours pleine justice, et il lui dit 
avec sa chevaleresque courtoisie : 

— Général, les souverains admirent les 
braves : avant de mourir, je vous cède la 
place d'honneur. 

.11 dit ensuite à Mejia, qui ne pouvait ou- 
blier la scène qui venait de frapper ses re- 
gards, et qui voyait toujours sa femme et son 
enfant : 

— Général, ce qui n'a pas été récompensé 
sur la terre le sera certainement au ciel. 

Ainsi, avec le coeur d'un homme bien 
plus élevé que la dignité impériale, d'un 
homme intelligent, sensible, bon, et, à ce 
derniermoment, héroïque, il avait, oubliant 
son propre sort et dédaignant la mort, de 

21 



302 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

lui si voisine, pensé uniquement à ses deux 
compagnons. Il leur avait dit à tous deux le 
mot simple et vrai, et à chacun d'eux le mot 
qui pouvait le mieux lui plaire et le con- 
soler. (( Dans un instant, nous allons nous 
revoir, » avait-il dit, pour faire oublier le 
moment d'angoisse. Puis il avait honoré le 
fier Miramon et caressé le bon Mejia. Il 
av^it parlé noblement à l'orgueil de ce 
Franco-Hispanol, et doucement à la piété de 
l'Indien. Je n'ai trouvé nulle part une phis 
sublime liberté d'esprit. 

Maximilien prit la gauche de Miramon, et 
se trouva ainsi à l'extrême droite de la foule 
qui les regardait. 

Il s'avança et prononça quelques mots 
d'une voix claire et tranquille. Quelles sont 
ces paroles? Il y a plusieurs versions. 

La haine juariste assure que « Maximilien 
demanda pardon aux Mexicains pour tout le 
sang qu'il avait fait. verser. » 



D^ L'EMPIRE MEXICAIN 3(>3 

Le peuple, l'opinion, la légende nous ont 
livré la version suivante bonne à conserver, 
car elle est l'interprétation de la masse, lam- 
plification populaire : 

« Mexicains, les hommes de mon sang et 
de mon origine sont appelés par la Provi- 
dence à faire le bonheur des peuples ou à 
être martyrs. Appelé par un grand nombre 
de Mexicains, je suis venu au Mexique pour 
le bien du pays, et non par ambition... Mon 
désir était de faire le bonheur de ma patrie, 
celui de mes compagnons d'armes que, avant 
de recevoir la mort, je veux remercier de 
leurs sacrifices. Mexicains, que mon sang 
soit le dernier versé, et que Dieu veuille qu'il 
puisse cimenter le bonheur et la paix de ce 
malheureux pays ! » 

Ces paroles résument bien, sans doute, 
les pensées de Maximilien; mais il avait une 
trop grande délicatesse d'esprit, un tact trop 
fin, un sentiment trop artistique, pour faire 



M\\ inSTOIHB DKS DKRNIF.RS MOIS 

un aussi long discours en de telles circon- 
stances; .comme aussi il n'était pas assez 
soldat et il était trop poëte pour se borner à 
cette exclamation qu'on donne pour sa parole 
dernière : 

(( Mexicains, que mon sang soit le dernier 
versé, et qu*il régénère ce malheureux pays ! » 

Je choisis une version intermédiaire, non 
pas cette version politique que nous offre le 
patriotisme partial de Riva Palacio : 

((Je vais mourir pour une cause juste, 
celle de l'indépendance et de la liberté du 
Mexique. Je désire que mon sang puisse ci- 
menter le bonheur de ma nouvelle patrie. 
Vive le Mexique ! » 

Je préfère les paroles plus touchantes et 
plus vagues que nous donne le docteur Basch, 
d'après le docteur mexicain Reyes qui assis- 
tait à l'exécution. Il me semble que j'y 
retrouve mieux l'âme et l'esprit de Maximî- 
lien. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN MM» 

« Que mi sangre sea la ûltima que se der- 
reame^ en sacrificio de la patria. Y si 
fuere necesario alguno de sus hijos, sea 
para bien de la nacion y nunca en traicion 
de ella. 

« Que mon sang soit le dernier offert en 
sacrifice à la patrie, et que ses fils désormais 
meurent pour défendre le pays et non pour 
le détruire ! » 

Miramon protesta d'une voix énergique et 
qui remua bien des cœurs contre Taccusa- 
tion de trahison dont on le chargeait; il je- 
tait un regard dominateur sur cette armée 
qu'il avait presque constamment battue : 

« Soldats du Mexique, concitoyens, au mo- 
ment où la vie ne m'appartient déjà plus, 
où dans quelques minutes je serai mort, je 
déclare à la face du monde que c'est une 
honte de m'accuser de trahison. J'ai com- 
battu pour mon pays, dans l'intérêt de l'or- 
dre, et c'est pour cette cause que je tombe 



366 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

aujourd'hui avec honneur. Jamais mes fils 
ne seront atteints par la calomnie dont on 
a indignement cherché à me souiller. Vive 
le Mexique! Vive Tempereur! » 

Mejia recommande sa femme et son fils, — 
il les voyait toujours comme il venait de les 
apercevoir, — à Escobedo à qui il avait plu- 
sieurs fois sauvé la vie, et qui, dans sa ma- 
gnanimité, lui promit de protéger les siens. 

Maximilien avait placé les deux mains sur 
sa poitrine pour indiquer oîi il fallait tirer, 
et il écoutait, le, pied en avant, la taille 
droite, la figure sereine. Son œil bleu si 
doux regardait vaguement les pics de la 
Cordillière, ces montagnes du Cimetière oii 
il avait naguère remporté une si brillante 
victoire. Mais ses pensées étaient au delà de 
cet horizon, et Ton dit qu'on Tentendit mur- 
murer : « Pauvre Charlotte ! » 

Un roulement se fit entendre. Toutes les 
cloches de la ville sonnèrent le glas funèbre. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. ^«9 

Les trois cadavres de ces vaillants étaient 
étendus au milieu du sang qui coulait et du 
feu qui avait pris à leurs habits. On les avait 
fusillés à un mètre de distance. 

Il était environ sept heures. Je dis envi- 
ron, car, — et cela nous est une grave leçon 
pour nous autres historiens, — même pour 
ce fait, pour cette date si contemporaine et 
qui eut tant de témoins, je trouve le doute, 
et, si je prends les gazettes de Queretaro de 
ce jour même, je vois Tune me donner six 
heures trois quarts, quand l'autre m'indique 
sept heures dix minutes. 

« Et Tarchiduc et ses deux généraux 
moururent, la main sur la poitrine, en se 
carrant comme trois vétérans à une grande 
parade. » 

Et cette étrange vanité mexicaine qui, 
par-dessus tout, avait été le bourreau de 
Maximilien, se félicite, elle est satisfaite; 
elle laisse échapper le mot de cette situa- 

21 . 



370 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

tion : « Nous pensons que de ce cerro sortira 
un cri suprême qui résonnera dans le globe 
entier d*heure en heure, de siècle en siècle, 
de trône en trône , de peuple en peuple : 
Vive la République! le jour de gloire est 
arrivé. » 

Don Benito Juarez et sa bande héroïque 
et magnanime croyaient qu'il suffisait d'avoir 
assassiné Maximilien et ses trois compa- 
gnons, — car je n'oublie pas le brave Men- 
dez, — pour se mettre à la tête des destinées 
de la république universelle et de l'huma- 
nité. 

Mais le grand cœur de cette noble race 
espagnole n'avait pas cessé de battre dans 
toutes ces poitrines; et l'on vit bientôt, 
dit-on, une procession de femmes vêtues de 
deuil qui s'avançaient : les dames de Que- 
retaro venaient sous les yeux mêmes d'Es- 

» 

cobedo tremper leur mouchoir dans le sang 
des victimes. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 37 1 

On éteignit le feu qui brûlait les vê- 
tements de Tempereur , on enveloppa le 
cadavre, et on le ramena à l'église des Capu- 
cines. 

Maximilien était aisément reconnaissable. 
On avait donné ordre de ne pas tirer à la 
tête, pour éviter ces légendes, dangereuses 
en un tel pays, et qui font si aisément res- 
susciter les personnages frappés d'une mort 
brusque. Maximilien fut donc aisément re- 
connaissable, le visage n'avait subi aucune 
atteinte . 

Malgré ces précautions, la légende ne s'est 

' pas tenue pour battue. Nous avons ren- 

' contré des gens, sages d'ailleurs, qui ont 

voulu nous montrer Maximilien à Paris dans 

ces derniers temps. Peut-être un jour les 

^ Indiens de la sierra Gorda le suivront-ils à 

la conquête de Queretaro. 

« Vers huit heures, ce 19 juin, Vincente 
Riva Palacio revint, dit le docteur Basch. On 



372 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

voyait qu'il contenait avec peine son émo- 
tion. Il me présenta la main et dit d'une voix 
presque étranglée : 

« — C'était une grande âme! » 

Basch put aller assister à Tembaumement. 
On le mena à l'église. Il retrouva là l'in- 
specteur général de l'armée, le docteur Igna- 
cio Rivadeneira. 

Le cadavre reposait sur une table, recou- 
vert d'un linge. Le visage n'était pas défi- 
guré. Six blessures avaient été reçues, trois 
au bas-ventre, trois à la poitrine. On avait 
tiré à bout portant. Le corps avait été tra- 
versé de part en part. Chacune des trois 
blessures de la poitrine était mortelle. La 
première avait percé le ventricule gauche du 
cœur, la deuxième avait coupé le gros vais- 
seau, la troisième avait percé le poumon 
droit. L'agonie dut être courte, à cause même 
de la simultanéité de ces trois blessures. 

On raconte qu'après une première décharge 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 373 

l'empereur fit signe avec la main, et prononça 
quelques paroles pour commander de nou- 
veau le feu. Les blessures montrent que tout 
cela est de pure invention. Il ne put y avoir 
que les convulsions produites à chaque 
mort déterminée par une hémorrhagie fou- 
droyante. 



37i HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 



XXI 



FIN DD SIEGE DE MEXICO. — REDDITION DE LA VILLE. 

CAPITULATION DE LA CONTRE-GUERILLA. 

PORFIRIO DIAZ. — MARQUEZ. 

INTERNEMENT DES FRANÇAIS A PUEBLA. 

DELIVRANCE. 



Nous avons laissé Mexico le 19 au soir, au 
moment où Ton apprend définitivement la 
défaite, la prise et la mort de Maximilien. 
Grand trouble dans toute la ville . Marquez 
et le préfet politique 0*Horan disparaissent, 
Vidaurri, Galvez, quelques autres se sauvent 
ou se cachent. Tabera, le gouverneur de la 
place, Ramon Tabera, voit commencer le 
mouvement que je puis nommer la fonte 
d'une armée mexicaine, mouvement aussi 
prompt que la fonte des neiges au soleil. 

Les Autrichiens, sur Tordre du baron 
Lago, chargé d'affaires d'Autriche, ont dé- 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 375 

clâré leur neutralité et fait leur capitulation 
qui leur accorde la vie sauve et, sauf ra'ifi- 
cation des suprêmes pouvoirs, -la promesse 
d'être embarqués pour l'Europe. 

A la garita de Belem, nos Français ap- 
prennent toutes ces nouvelles. Ce même soir 
du 19 on a vu les Autrichiens quitter leur 
poste de combat et se rendre au palais, 
oîi ils ont hissé le drapeau blanc. 

Le commandant va trouver le général Ta- 
bera, lui indique que, vu l'inutilité de la 
résistance, il va déclarer sa neutralité. Il 
prie le général de faire relever la contre- 
guérilla par un corps mexicain. Tabera le 
promet et l'autorise à capituler directement 
avec le général en chef ennemi. 

Il y a d'ailleurs suspension d'armes, les 
Impériaux débattant, eux aussi, les con- 
ditions de la reddition de la ville. 

Le commandant fait demander une entre- 
vue à Porfirio Diaz, qui lui donne rende2:- 



\ 



376 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

VOUS le 20, à trois heures, à mi-chemîn de la 
garita à Chapultepec, le long de l'aqueduc. 

L'entrevue a lieu. Porfirio Diaz félicite 
le commandant français sur la façon dont 
sa troupe a défendu ses postes et surtout 
Belem. Il lui assure qu'il aune tendresse na- 
turelle pour les Français, une grande estime 
pour leur bravoure, et qu'il fera tout pour 
leur être agréable. 

On débat les conditions de la capitulation, 
Porfirio Diaz peut seulement s'engager à 
accorder la vie sauve, mais il accorde toutes 
les satisfactions d'amour-propre que le Fran- 
çais réclame : la contre-guérilla pourra se 
retirer à son ancien quartier de San-Pedro- 
y-San-Pablo; elle sera désarmée la dernière, 
ayant gardé les armes la dernière ; nul corps 
ennemi n'entrera dans la ville par la garita 
de Belem. 

Cela accordé, le général voulut faire mettre 
le tout par écrit. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 377 

— Non pas, s*il vous plaît, général, dit le 
commandant en souriant; au Mexique, les 
papiers se perdent extrêmement vite. J'aime 
mieux votre parole d'honneur. 

— Comptez sur moi, dit Porfirio Diaz en 
souriant à son tour et en tendant la main au 
commandant. 

Nos Français, en effet, n'eurent qu'à se 
féliciter de lui. C'est pour cela que nous ne 
pouvons nous empêcher de traiter avec une 
bienveillance relative ce personnage, en ou- 
bliant, peut-être un peu trop, qu'il venait 
de fusiller les officiers faits prisonniers à 
Puebla, et qu'étant prisonnier sur parole il 
s'élait sauvé. 

Avant de quitter notre officier, Diaz lui 
remet le bulletin officiel de la mort de 
Maximilien. 

A quatre heures, un officier de la contre- 
guérilla va annoncer à Tabera le résultat de 
Tentrevue, en le priant d'envoyer les Mexi- 



378 ' HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

cains qui doivent remplacer cette contre- 
guérilla à la garita. Tabera promet encore et 
oublie. 

A cinq heures, sur une nouvelle insis- 
tance, arrive enfin le corps mexicain. 

Tout à coup, et au moment oii Ton re- 
lève les postes, Tennemi ouvre une canon- 
nade terrible et couvre la ville de mitraille 
pendant quarante minutes. Les libéraux 
voulaient voir si Tarmée impériale était déjà 
fondue et si Ton ne pouvait pas s'emparer 
glorieusement de la ville pendant que Ton 
traitait de la capitulation et après que les 
corps européens s'étaient rendus. Toutefois, 
rendons justice à Diaz, il n'envoya aucun 
corps ennemi à la garita de Belem. 

La fonte de l'armée impériale n'était 
pas encore complète. On traite alors sé- 
rieusement de la capitulation , et Miguel 
Pina, général impérialiste, arrête avec Igna- 
cio Alaterra, général mexicain, cinq points : 



OE L'EMPIRE MEXICAIN. 37 

cessation des hostilités ; vie et liberté sauve 
pour les habitants; reddition de la place; 
les forces mexicaines se rendront à la cita- 
delle, la contre-guérilla Chenet au quartier 
général de Saint-Pierre-et-Saint-Paul ; les 
autres forces étrangères an Palais; les offi- 
ciers garderont leurs épées, mais se tien- 
dront prisonniers, à la disposition du général 
ennemi, hasta que el gênerai Diaz recibe 
' instrucciones . 

C'est tout ce qu'on put obtenir, et cela fut 
signé le 20 à Chapultepec, ratifié le 21 à 
Tacubaya. 

A sept heures du soir, la contre-guérilla 
quitte Belem, clairons en tête, se rend au 
quartier de San-Pedro-y-San-Pablo , s'y 
barricade, hisse le drapeau blanc et y offre 
refuge à quelques compatriotes très-com- 
promis et qu'on affuble de costumes mi- 
litaires. 

Dans la nuit, Tarmée impériale achève de 



380 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

fondre, et quand le lendemain, à cinq heu- 
res , les libéraux entrent en ville , les for- 
tifications ne sont plus gardées que par des 
fusils privés de leurs Indiens. 

Porfirio Diaz a tenu sa parole jusqu'au 
bout ; nulle troupe n'est entrée par la garîta 
de Belem. 

Il envoie le lendemain un général pour 
procéder au désarmement. On laisse aux 
officiers leurs armes, chevaux, équipement. 

On fit savoir au commandant que Porfirio 
Diaz l'attendait au Palais. 

— Commandant, lui dit le général, vous 
commandez des Français, je les aime beau- 
coup et je connais leurs vertus militaires; 
mais dans ce pays-ci, pour que des soldats 
français soient bons, il faut qu'ils soient 
commandés par des officiers français et for- 
ment un corps à part. Mélangés avec les 
Mexicains, ils perdent leurs qualités. Avec 
les hommes que vous avez et les déserteurs 



DE L'EMPIRE MEXICAIN 3^i 

« 

qui sont dans mon armée, je puis former une 
légion française de 2,000 hommes. Je vous 
ai vu à l'œuvre, j'apprécie l'organisation de 
votre contre-guérilla; voulez-vous prendre 
le commandement de cette légion? 

Il laissa entrevoir assez clairement qu'il 
songeait à devenir président de la république 
et que cette troupe était le noyau de la future 
armée avec laquelle il comptait aider le suf- 
frage des électeurs à se décider en sa fa- 
veur. 

Le commandant, fort surpris, répondit 
qu'il était, hier encore, chef d'un corps im- 
périaliste, qu'il ne pouvait changer aussi lé- 
gèrement de drapeau. Et, voyant le général 
s'assombrir fort et prendre une physionomie 
qui devait être celle qu'il avait quand il fit 
fusiller les prisonniers de Puebla, le Français 
dit tout brusquement : 

— C'est à l'honneur même de Votre Excel- 
lence que je fais appel. Le général Porfirio 






àHZ HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Diaz, s'il était à ma place, accepterait-il cette 
proposition? 

— Non, répondit non moins brusquement 
le général. Mais qu'importe? Une grande par- 
tie des Français qui sont ici sont des déser- 
teurs ou craignent qu'on ne les traite comme 
tels. Que va-t-il arriver? Je les connais : 
s'ils ne sont retenus par la discipline et or- 
ganisés en corps avec un but d'avenir, ils 
vont se débander, se livrer au brigandage 
ou se faire assassiner. Les haines contre la 
France sont violentes. Faites un appel à tous 
ceux qui veulent rester au Mexique, orga- 
nisez-les militairement. Ici, à Mexico, je ne 
réponds pas de leur vie. Emmenez-les à 
Puebla. 

Là vous serez chez moi, au centre de 
mon gouvernement. L'on vous donnera une 
légère solde qui empêchera ces gens de 
mourir de faim. Quand le moment de déli- 
vrance sera venu, vous partirez avec ceux 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 383 

qui voudront regagner TEurope; je choisirai 
un chef pour les autres. 

Le soir môme, trois cent cinquante hom- 
mes étaient venus s'enrôler et se faire in- 
scrire sur les contrôles de la contre-gué- 
rilla. C était la vie assurée. 

Quelques-uns des principaux généraux 
impérialistes étaient parvenus à s*enfuir, 
entre autres Galvez, qui tient encore aujour- 
d'hui la campagne pour l'empire. 

Platon Roa, Quîroga, Tabera et d'autres 
ont échappé, je crois, à la mort. 

Vidaurri, le plus ferme et le plus loyal des 
hommes, était parvenu à se réfugier chez un 
Yankee à qui il promit tant par jour. Le 
Yankee accepta et se fit religieusement 
payer chaque matin. Il garda fidèlement le 
secret jusqu'au moment oii la bourse de Vi- 
daurri fut vide. Alors il s'en alla demander 
une forte somme et livra son hôte qui fut 
fusillé. 



3.84 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Marquez avait trouvé refuge chez un meu: 
nier, son fidèle, qui demeurait aux environs 
de Mexico. Il était là avec son ami O'Horan 
qui s'était engagé, à condition qu'il aurait 
la vie sauve, à le livrer à Diaz. — Je raconte 
l'histoire d'après de bons garants, mais, en- 
core une fois, cette histoire est peut-être une 
légende. 

Une nuit, trois jours après l'occupation de 
Mexico, O'Horan voit son compagnon entrer 
tout habillé dans sa chambre. 

— Compadre^ dit le vieux renard en re- 
niflant, ça ne sent pas bon. 

— Comment? dit O'Horan embarrassé. 

— Oui, il y a je ne sais quoi dans Tair. Ça 
ne sent pas bon. Je ne me trouve plus en 
sûreté ici, je m'en vais. 

— Comment ! mais quelle folie ! Qui peut 
vous faire croire?... 

— Rien, absolument rien. Mais ça ne sent 
pas bon. Je n'ai nul renseignement. Pablo 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 38ri 

assure qu'il n'y a nul mouvement suspect 
dans le voisinage du moulin. Mais je ne me 
trompe pas. Je m'en vais. La place n'est pas 
bonne. Compadre, si j'étais de vous, je quit- 
terais aussi l'endroit. Venez avec moi. 

— Pardieu, non, il n'y a nulle raison. 

— Adieu donc. 

Marquez partit. Trois heures après, une 
troupe de libéraux enveloppait le moulin. 
On ne saisit que O'Horan, dont Porfirio Diaz 
défendit énergiquement la vie pendant trois 
jours. Mais Lerdo le détestait. Don Benito 
Juarez fit fusiller O'Horan qui raconta avant 
de mourir cette étrange histoire d'un in- 
stinct de défiance arrivé à la finesse d'un 
odorat de bête fauve. 

Le 27, la contre-guérilla fut dirigée sur 
Puebla, où elle devait demeurer prisonnière 
tout en restant organisée militairement. 

On arriva le 1"' juillet. On retrouva là les 
pauvres zouaves qui avaient échappé au der- 

23 



38H HISTOIRE DES DERNIERS. MOIS 

nier massacre. La contre-guérilla se trouva 
plus nombreuse que jamais. 

Je ne raconterai pas l'histoire de ces jours 
douloureux, surtout pour les officiers, dont 
Tautorité était diminuée à mesure que la né- 
cessité d'une plus grande sévérité était obli- 
gatoire. Les nouvelles recrues ne représen- 
taient pas la fleur de la chevalerie française. 
On était oisif, on mourait un peu de faim, on 
méprisait le Mexicain, on était assassiné. Il 
fallut mainte fois mettre aux fers les plus in- 
disciplinés. 

Puis c'était tel illustre personnage resté 
dévoué à l'empiré, un notable conservateur 
que je me garde bien de nommer, qui venait 
offrir 100,000 piastres pour faire faire un 
pronunciamento en faveur de la cause qui 
venait d'être vaincue. 

Une autre fois Ton tendait une embuscade 
au commandant, ou bien la solde ne venait 
pas, ni la nourriture. Le commandaat pre- 



DE L'EMPIRE MEXICAIN 387 

nait son sabre et allait avertir Son Excel- 
lence le gouverneur de la ville qu'il allait 
s'en rendre maître, faire le général et la gar- 
nison prisonniers et mettre la ville à feu et 
à sang, si on faisait mine de laisser mourir 
ses hommes de faim ou si Ton ne pendait pas 
quelques Mexicains trop patriotes qui avaient 
joué du couteau, à la brune, contre les Fran- 
çais. 

Enfin la solde cessa tout à fait : officiers 
et soldats vendaient tout. Le commandant, 
avec le prix de ses-chevaux, de son équipe- 
ment et en vidant le fond de sa bourse, par- 
vint à nourrir à peu près sa troupe pendant 
huit jours. Le commerce allemand venait au 
secours des prisonniers autrichiens; per- 
sonne ne songeait à nos guérilleros. Ils 
avaient à peu près perdu leur nationalité. 

C'est en vain que le commandant écrivait 
lettre sur lettre à l'ambassade pour deman- 
der des secours. Il ne recevait pas de ré- 



388 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

poDse. Il trouva à emprunter quelques mil- 
liers de piastres à deux négociants français 
qu'on nomme, je crois, Larrey et Laurance. 
Ce silence de l'ambassade exaspérait les 
soldats qui, paraît-il, jurèrent de se venger. 
Au commencement d'août, le bruit se ré- 
pandit à Puebla que l'ambassade française 
allait pouvoir quitter Mexico. Le 5, de grand 
matin, l'adjudant-major vint annoncer au 
commandant que cinquante hommes avaient 
déserté. C'était un gros chiffre. Le com- 
mandant s'en inquiéta. Il fit prendre des 
renseignements. A dix heures, un sergent 
s'approche et révèle au commandant que ces 
cinquante hommes s'étaient échappés pen- 
dant la nuit et qu'ils s'étaient jetés dans les 
montagnes du RioFrio, décidés qu'ils étaient 
à y attendre au passage le ministre de 
France et à se venger de lui. Immédiate- 
ment l'on écrit à Mexico. On court à la lé- 
gation. M. Dano était parti brusquement la 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 389 

nuit même, et heureusement il avait pris la 
route d'Apizaco. 

Enfin, le 8 août, Ton apprend qu'on est 
libre et que Ton va être dirigé sur Vera- 
Cruz. Le consul, M. Forest, a envoyé 7 pias- 
tres par homme pour faire la route ; ce n'est 
guère, cela donne 3 réaux par jour à chaque 
homme ; car, avant de partir, il faut dépen- 
ser la moitié des 7 piastres à acheter divers 
objets de première nécessité à Puebla où 
Ton était sans vivres, sans souliers, sans 
couvertures quand ces 7 piastres sont arri- 
vées. On avait touché 2 réaux par jour à 
titre de solde des prisonniers de guerre, et, 
comme je Tai dit, à partir du 23 juillet, 
ladite solde n'avait plus été payée. 

Trente hommes étaient malades à l'hôpi- 
tal. On se couchait sur une natte, et l'on 
avait pour couverture les lambeaux de son 
uniforme. Néanmoins, nul des Français ne 
mendia. 

22. 



300 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

On partit donc le 9, à cinq heures du 
matin. Ce fut un faux départ. Personne ne 
suivait. 

Enfin, la colonne se mit définitivement en 
marche le même jour à sept heures et demie 
du soir. Il n'y avait plus que cent soixante- 
dix hommes. Vingt-un avaient encore dé- 
serté ce jour-là. 

Mais il était dit qu'on ne pourrait partir. 
Aux portes de la ville, un orage eCEroyable 
éclata. Les deux voitures quf portaient les 
malades furent presque emportées. On dut se 
réfugier dans une des garitas. 

On trouva le lendemain, en se mettant en 
chemin, que deux soldats avaient été, pen- 
dant la nuit, assassinés par des Mexicains. 

On arriva le 14 à Orizaba. A partir de là, 
les désertions augmentèrent. Quand, le 18, 
après avoir fait 1 5 lieues pendant la nuit, la 
petite troupe arriva à Vera-Cruz, elle ne 
comptait guère plus de cent hommes. 



wr^ 



DE L'EMPIRE MEXICAIN 391 

On retrouva là quelques camarades du 
siège de Mexico et de Queretaro qui, comme 
le lieutenant Seguy, avaient pu fuir et rega- 
gner Vera-Cruz. 

Le 18, à midi, les derniers soldats français 
qui avaient défendu Maximilien s'embar- 
quèrent pour la France. 



392 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 



XXII 

RÉSUMÉ. 

JUGEMENT SUR L'EXPÉDITION DU MEXIQUE. 

LE MEXIQUE ET LES MEXICAINS. 

LA POLITIQUE FRANÇAISE. 

Nous pouvons terminer ici cette chroni- 
que franco-mexicaine. 

Nos lecteurs savent au prix de quels ef- 
forts la maison d'Autriche put obtenir le 
corps de Maximilien. 

Il n'y avait pour garder ce cadavre aucune 
des raisons d'intérêt public, de patriotisme, 
de justice, d'avenir national que Lerdo, 
Juarez et leur suite de Lopez et d'Escobedos 
mirent en avant pour excuser le meurtre de 
Maximilien. 

Mais il fallait que la vérité se fît jour, et 
que leur conduite envers le mort montrât 
apertemént quels mobiles avaient dirigé leur 



DE L'EMPIRE MEXICAIN 393 

conduite envers le vivant. Les gardiens du 
cadavre trahissaient les juges. 

En forçant cette mère à marchander les 
dépouilles de son fils, ils décelèrent les sen- 
timents sauvages qui les avaient poussés à 
torturer Tagonisant, Tinstinct de basse haine 
qui les avait amenés à condamner le prince. 
Ils n'avaient pas voulu sauver la patrie, — 
avec Maximilien disparaissait sa dernière 
chance de salut, — ils avaient puni un pri- 
sonnier, resté en leurs mains, des victoires 
de ses alliés. Comme les Apaches, leurs an- 
cêtres, qui s'arrêtent dans leur fuite pour 
tourmenter quelque compagnon d'armes de 
ceux qui les font fuir, ils avaient cessé de se 
sauver quand la petite armée française avait 
cessé de les poursuivre, et ce compagnon 
qu'elle avait été forcée de laisser en leur 
possession, ils le supplicièrent pour consta- 
ter qu'ils avaient fait fuir cette armée et mis 
en déroute l'Europe entière. 



394 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Ils avaient chanta leur héroïsme à la prise 
de Queretaro, leur magnanimité à la condam- 
nation de Maximilien; en face de ces restes, 
il n'y avait plus de grands mots, plus de 
fanfaronnades, plus d*hypocpisie possibles; 
ces héros, ces magnanimes furent obligés 
de se démasquer et de montrer qu'ils n'é- 
taient que des Indiens corrompus. 

Toutefois, je dois le dire avant de termi- 
ner, le Mexique ne renferme pas seulement 
ces types de fourberie, de férocité, de rapa- 
cité, de couardise, d'effronterie dont j'ai si- 
gnalé bien des modèles. Mes lecteurs ne s'y 
sont pas trompés. On a compris dans quel 
sens restreint j'employais le mot Mexique et 
Mexicains. Il y a dans ce pays de hautes 
vertus, de grands caractères, de dignes, de 
purs et d'élevés sentiments. Dans le sang 
mexicain, on peut retrouver quelques res- 
tes du noble sang espagnol; et ces mil- 
lions d'Indiens pourraient former un peu- 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. oU5 

pie brave et grave , sage , laborieux et 
compacte. 

Pouvons- nous espérer encore que les élé- 
ments de bien, les chances de régénération 
remporteront? 

Je lai dit, la nation a perdu sa der- 
nière chance de salut avec Maximilien, avec 
ce prince libéral qui avait pris si conscien- 
cieusement au sérieux sa qualité de Mexi- 
cain. Il prouva qu'il n'était Tesclave ni des 
Français ni des préjugés, et qu'il n'était 
pas un tyran. Mais le Mexique était une oli- 
garchie : les dix mille tyranneaux qui sont 
les maîtres du pays n'ont pas voulu aban- 
donner leur longue dictature. Il n'y a que 
cela et quelques phrases sonores dans l'his- 
toire du Mexique pendant ces dernières 
années. 

Que l'on ne parle donc pas de république, 
de liberté, d'indépendance. La liberté, pour 
le Mexicain, c'est le droit de chasser le gou- 



396 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

vernement qui ne donne pas assez d'avance- 
ment; la république, c'est le droit de mettre 
un prestamo sur un village le lendemain du 
jour où Ton a perdu au monte; l'indépen- 
dance, c'est le droit de lever, de presser et 
d'armer une masse d'Indiens le jour oîi il 
passe par Tesprit quelque fantaisie guerrière 
ou pillarde. 

Imaginez cinquante années de libre exer- 
cice de ces qualités ; ajoutez à cela l'élan gé- 
néreux, l'enthousiasme des choses sonores, 
l'ivresse des grands mots, l'amour indien de 
l'aventure et la tendance espagnole à se 
griser de son propre mensonge, encore une 
fois vous avez toute l'histoire du Mexique, 
toute l'explication de la chronique de l'em- 
pire mexicain. 

Peut-on prévoir quelque transformation? 
Les probabilités y sont contraires. Le Mexi- 
que paraît désormais appelé à être diminué 
de génération en génération, province après 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 397 

province, par les gens des États-Unis. Les 
Anglo-Saxons feront là ce qu'ils ont fait par- 
tout, ce qu'ils ont déjà fait au Texas et en 
Californie, oh en quelques années l'élément 
mexicain a été annulé. Ils extermineront 
ceux des Indiens qui ne pourront supporter 
Tesclavage de l'industrialisme, et ils cour- 
beront sous le joug de leur génie les quel- 
ques éléments de civilisation qui existeront 
encore au Mexique. 

Mais laissons ce triste peuple. Nous ne 
sommes pas désintéressés, nous, dans cette 
affaire, et nous devons nous demander quelles 
conséquences ressortent pour la France de 
cette entreprise. 

La réponse est simple. Nous avons amené 
en tout y et avec une régularité mathématique, 
des résultats exactement contraires à ceux 
que nous avions prévus, espérés, cherchés. 

Nous allions réclamer des sommes dues 
à la France; ces sommes ont doublé. 



23 



398 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Nous allions relever notre prestige au 
Mexique ; nous y sommes bafoués. 

Nous y allions pour venger nos nationaux 
insultés ; on les y pourrait brûler vifs sans 
que nous ayons moyen d'obtenir même une 
excuse. 

Nous allions restaurer notre commerce ; il 
y est ruiné au delà de toute ruine. 

Nous allions conquérir ces gens, y insti- 
tuer un empire; nous avons été forcés de 
partir et ils ont tué notre empereur, surtout 
parce qu'il était notre. 

Nous allions régénérer un peuple et y éta- 
blir la paix ; l'anarchie y est plus violente 
que jamais ; la corruption y a doublé par 
le développement du brigandage et de la 
guerre civile que nous avons rendus vé- 
nérables au nom du patriotisme, par le dé- 
veloppement de la vanité et de l'outrecui- 
dance que notre retraite a exaltées jusqu'à 
la folie. 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 399 

Nous allions sauver ce peuple des serres 
des États-Unis; il s'y est jeté tout entier. 

Nous allions, au nom de l'Europe, affai- 
blir TAmérique ; les Yankees ont fait reculer 
TEurope, ils la défient et notre exemple 
empêche qu'on ne lui réponde. 

Nous allions augmenter notre prépondé- 
rance; nous avons été obligés d'implorer 
pour sauver notre allié, pour secourir notre 
protégé qu'on assassinait, l'aide des États- 
Unis, qui nous Tout refusée. 

Telles sont les conséquences de notre ex- 
pédition, à la fois tristes et humiliantes. 
C'est que cette expédition était impossible 
à mener à bonne fin. 

Oui, l'idée en est grande. Régénérer une 
race, c'est une noble conception; arrêter 
l'ambition des États-Unis, c'est évidemment 
sage; rétablir l'ordre dans un grand pays, 
c'est humain; augmenter la fortune, le com- 
merce, la prépondérance de la France, c'est 



400 HISTOIRE DES [DERNIERS MOIS 

patriotique. Mettre la main sur ces pays, les 
plus riches du monde, c'était désirable. Pré- 
parer des alliés pour les luttes futures du 
vieux et du nouveau monde, c'est peut-être 
politique. Je crois bien, en effet, que nos 
descendants regretteront, par-dessus tout, 
que nous n'ayons pas un allié solide en 
Amérique. 

Mais tout cela ne pouvait se faire ni alors, 
ni làj ni ainsi. Cela devait rester un rêve, 
une vision, une lointaine espérance. 

Tout était contraire : l'Europe, le Mexique, 
les États-Unis , la France. Et le gouverne- 
ment français ne vit rien, ne prévit rien. Il 
semble n'avoir connu ni les conditions du 
Mexique, ni la situation de l'Europe, ni la 
position des États-Unis, ni l'état de la 
France. 

Ces quatre obstacles, dont chacun était 
un empêchement presque radical et dont 
l'ensemble constituait une impossibilité com- 



DE L'EMPIRE MEXICAIN 401 

plète, il ne parut pas les avoir même crus 
possibles. 

On venait de mettre l'Europe en trouble ; 
on ^ a les questions italienne , allemande , 
x)rientale, qui sont journellement mena- 
çantes; on n'a pas pour soi un allié sé- 
rieux ou dévoué, mais bien contre soi l'ini- 
mitié sourde, la jalousie évidente de toute 
l'Europe, et l'on s'en va ôonquérir un em- 
pire à des milliers de lieues, sans se deman- 
der si l'on n'exalte pas les inimitiés, si l'on 
n'encourage pas les ambitions voisines en 
même temps qu'on affaiblit le pays et qu'on 
lui enlève, — avec la libre disposition de 
ses forces, — sa prépondérance. 

On s'en va conquérir cet empire comme 
on irait conquérir la république de Saint- 
Marin, sans se dire que ce pays est grand 



comme la moitié de l'Europe, coupé de dé- 
serts, dévoré de fièvres mortelles, habité 
par une population non pas compacte, c'est- 



402 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

à- dire possible à conquérir par une bataille, 
par une victoire, d'un coup, en un mot, mais 
une population disséminée, habituée aux 
luttes, à la guerre d'aventures, et rendue, 
par cinquante ans d'anarchie , follement 
amoureuse de brigandage. On oublie que 
ces gens sont braves dans de certaines con- 
ditions ; qu'ils sont les fiers bâtards des dé- 
fenseurs de Saragosse ; qu'ils sont enthou- 
siastes, exaltés par les grands mots, enfiévrés 
pai» les idées brillantes; qu'ils sont persévé- 
rants tout en étant fugaces; qu'ils savent 
mourir aussi bien que fuir, et qu'ils ont une 
réserve de sept millions d'hommes où ils 
peuvent éternellement trouver des soldats, 
et de dix mille millionnaires où ils peuvent 
toujours trouver de l'argent. 

On devait savoir que l'on blessait les 
États-Unis à la tête et au cœur d'un même 
coup, dans leur orgueil et dans leur intérêt. 
Laisser le vieux monde, l'Europe décrépite 



DE L'EMPIRE MEXICAIN 403 

et méprisée, venir établir une monarchie à 
leurs frontières, une monarchie qui devait 
leur enlever le Mexique, le Mexique néces- 
saire à leur développement comme à leur 
gloire, mais c'était les rendre fous de rage, 
de vanité offensée! C'était leur voler leur 
bien, leur fierté, leur avenir; et, pour éviter 
cette insulte comme ce danger, ils devaient 
oublier tout, toute reconnaissance, toute sa- 
gesse, aventurer leur dernier dollar, et 
faire appel à tous les mercenaires de l'uni- 
vers! 

On ne prévit pas qu'on ne pouvait les con- 
traindre à subir ce mal que par la force et 
pendant leur faiblesse. Au lieu de se mettre 
franchement contre eux, en face d'eux, avec 
les Confédérés qui avaient un parti en 
France; au lieu de dépenser pour avoir le 
Sud, — et par-dessus le marché le Mexique, — 
l'argent et les soldats que nous avons dé- 
pensés pour ne pas avoir le Mexique et re- 



404 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

cevoir ce soufflet des États-Unis, nous al- 
lions sournoisement les mordre au talon, 
au moment même où ils cessent d'être fai- 
bles pour devenir forts ! 

L'on ne vit pas non plus que cette entre- 
prise n'était pas de celles pour lesquelles la 
France s'enthousiasme. D'abord, elle ne la 
comprenait pas ; on ne lui avait pas réduit 
cette affaire en une formule claire et géné- 
reuse, et la France ne s'enthousiasme que 
. quand elle comprend et qu'elle a une for- 
mule! Race néo-latine! Cela ne répondait 
qu'à des rêveries de savants. 

Pour la masse, les Néo-latins, c'étaient les 
Italiens, dont on est assez fatigué, et les Es- 
pagnols, avec lesquels il n'y a nulle longue 
alliance de cœur. Notre cœur est ailleurs, 
notre ambition a d'autres visées, et les États- 
Unis ne sont pas un danger présent ni une 
longue inimitié. 

Pour le peuple,, le Mexique était un pays 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 40o 

sauvage et inhabitable où des bandits s'en- 
tre-tuent. On ne sentait pas bien la nécessité 
de risquer beaucoup pour conquérir des sa- 
bles lointains et pour empêcher des brigands 
de s'exterminer. Race néo- latine! On ne 
pouvait donner à la nation française nulle 
tendresse pour cette abstraction, et autant 
eût vali^ lui dire qu'elle volait à la défense 
des Aryas ! 

Elle eût mieux compris, dans le sens hos- 
tile, race anglaise, race anglo-saxonne: 
mais, encore une fois, les Américains ne 
nous touchent pas, ne nous ont pas blessés, 
et le temps de la haine contre eux n'est pas 
venu. Le gouvernement ne pouvait même 
pas dévoiler le fond de sa pensée et le grand 
côté de cette expédition. Il ne pouvait pas 
annoncer officiellement qu'il cherchait à 
attaquer les Nord-Américains sournoisement 
et à établir une forte digue contre les efforts 
probables de leur ambition. 

23. 



40(5 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Mais si le peuple n'a nulle hostilité la- 
tente contre les États-Unis, une ^ande 
masse des classes libérales a pour eux la 
tendresse et une invincible admiration. Tou- 
cher à la politique des États-Unis, pour 
beaucoup d'entre nous, c'était toucher à la 
reine ; c'était offenser les libéraux qui admi- 
rent là le grand centre de la liberté ; c'était 
exaspérer les républicains qui vénèrent là la 
maîtresse république ; c'était gêner tous ces 
instincts industriels, commerçants, prati- 
ques, qui se développent chez nous avec un 
respect filial pour les Yankees. 

L'entreprise était obscure, sans mobile 
facile à comprendre, sans intérêt aisément 
saisissable, sans point d'appui dans l'en- 
thousiasme des masses; elle était doulou- 
reuse, exaspérante même pour la portion 
remuante des classes libérales et commer- 
çantes; l'opinion oublia la grande et noble 
utopie qui avait pu être la cause première 



DE L'EMPIRE MEXICAIN 407 

de ce plan, on parla de Jecker, et dans Taf- 
faire du Mexique les journaux ne nous mon- 
trèrent plus que ceci : la France se ruinant 
pour enrichir un Suisse qui ouvrait, disait- 
on , la porte de sa caisse à de grands per- 
sonnages. 

Le gouvernement ne prévit pas non plus 
que, dans de telles conditions, cette aven- 
ture allait devenir Uarme dont s'emparerait 
l'esprit public qui se réveillait , le marteau 
dont toute opposition antinapoléonienrie bat- 
trait sans trêve l'enclume gouvernementale. 
Notre orgueil national y fut écrasé, et aussi 
le pauvre Maximilien. Lui, du moins, ne s'y 
trompait pas, et il savait quels étaient les 
plus solides alliés de Juarez. 

Enfin, pour que rien ne manquât à l'en- 
treprise, après s'être jeté tête perdue dans 
une œuvre impossible, on choisit pour l'exé- 
cuter trois hommes qui l'eussent fait man- 
quer quand elle eût été toute faite; trois 



408 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

hommes ayant, séparés, chacun leur valeur 
pour toute autre chose que ce à quoi ils 
étaient appelés, mais qui réunis, et possé- 
dant tous une parcelle de la souveraineté, 
eussent mis la révolution dans la principauté 
de Monaco. 

L'empereur était un artiste charmant, le 
maréchal un éminent général de bataille, 
l'ambassadeur un excellent consul. Et il fal- 
lait un prince militaire , un général diplo- 
mate, un ministre homme d'État. Ces trois 
personnages, enchaînés à une besogne qui 
avait contre elle le Mexique et la France, 
l'Europe et l'Amérique, passèrent leur 
temps à marcher chacun de leur côté en se 
comblant de reproches. 

Les petits imitèrent les grands de leur 
mieux : les Français montraient qu'ils mé- 
prisaient absolument le peuple qu'ils ve- 
naient régénérer et l'empereur qu'ils défen- 
daient de leur sang ; les Mexicains ne 



DE L'EMPIRB MEXICAIN 409 

cachèrent pas qu'ils haïssaient la nation 
qui venait les sauver. 

Nous perdîmes à cela, politiquement notre 
bonne renommée de fierté, militairement 
notre réputation de générosité, de bonhomie 
et de justice. Les Mexicains, qui n'avaient 
rien à perdre, ne perdirent rien, sinon 
peut-être la dernière ombre de modestie qui 
leur restât, c'est-à-dire la dernière chance 
de salut. Aujourd'hui qu'ils ont tué un prince 
européen, écrasé la France et fait reculer les 
États-Unis, aujourd'hui qu'ils sont héros et 
magnanimes, il est impossible de prévoir à 
quelles limites sinistres et bouffonnes ils por- 
teront le carnaval de leur anarchie. 

Toutefois, il faut le reconnaître, nous n'a- 
vons pas tout perdu., nous avons gagné un 
nouveau reflet de gloire militaire. Il est vrai 
que nous n'en avions pas besoin et que c'é- 
tait justement la seule chose à quoi l'on ne 
songeait pas en allant là-bas. 



4i0 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Je laisse aux lecteurs le soin de tirer la 
conclusion politique de ces considérations. 
Pour moi, qui ai songé dans cq travail uni- 
quement à l'histoire, non à la politique, aux 
idées plus qu'aux hommes, et qui me mets 
bien au-dessus de toutes préoccupations de 
parti, je me résume philosophiquement en 
disant que la rêverie est bien le présent le 
plus funeste que puisse faire aux rois la co-* 
1ère céleste, et que de toutes les politiques, 
la plus mauvaise c'est la grande politique 
dans les nuages, car l'on dépense un effort 
gigantesque pour atteindre l'impossible. 



DE L'EMPIRK MEXICAIN. 4n 



XXIII 



CONCLUSION. 



J'espère ne rien apprendre à ceux qui 
m*ont lu en disant que j'ai surtout désiré 
être impartial et juste. Je n ai pas voulu faire 
un pamphlet contre qui que ce soit , ni une 
apologie de quoi que ce soit; j'ai essayé 
très-sincèrement de voir clair, et j*ai montré 
très-complètement ce que j 'étais parvenu à 
voir clairement. Je n'ai pu dire le dernier 
mot de tout, ne sachant pas tout, me défiant 
des passions et trouvant dans bien des ren- 
seignements l'apparence suspecte de haines 
personnelles, de préjugés politiques. J'ai 
donc laissé quelques questions ouvertes, j'ai 
posé quelques points d'interrogation; j'ai 
abandonné à l'avenir le soin de répondre. 



412 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

Je ne sais si, en fait, j'ai pu éviter toute 
erreur. J'y ai travaillé de mon mieux. J'ai 
été le premier, je crois, à écrire cette his- 
toire. Ceux qui viendront après moi me re- 
dresseront. Je m'en fie bien à eux. 

On peut, du reste, consulter, pour se ren- 
seigner complètement, divers ouvrages parus 
en ces derniers temps et qui, faits avec des 
partis pris différents, apportent une certaine 
variété de renseignements. On connaît l'ou- 
vrage de M. de Kératry, et je n'ai besoin de 
signaler ni la valeiir du livre, ni le but qu'il 
poursuit. On trouvera la contre-partie de cet 
ouvrage dans VHistoire du Meooique par 
l'abbé Domenech, qui donne, dans ses trois 
volumes, médiocrement écrits et évidem- 
ment partiaux en faveur de la politique napo- 
léonienne, une masse de documents impor- 
tants. 

U Intervention française au Mexique^ pu- 
bliée chez Amyot, ofifre un récit bref, inté- 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 4l3 

ressant et tournant un peu plus à Timpartia- 
lité que les deux publications précédentes. 
On Tattribue à M. Détroyat, ofBoier distingué 
de la marine française, et qui remplit les 
fonctions de ministre de la marine mexi- 
caine. 

V Histoire du procès de Varchidtw Maooi- 
milien^ publiée au Mexique par Riva Palacio et 
La Torre, est une apologie déguisée de Juarez, 
comme le livre du docteur Basch est une apolo- 
gie très-franche de Maximilien. J'espère que 
Fon donnera bientôt une traduction française 
de cet ouvrage, auquel je dois, comme je Tai 
déjà indiqué, de la reconnaissance. 

Enfin, je recommande tout particulière- 
ment à l'attention une traduction élégante 
que M. Jules Gaillard vient de donner des 
Œuvres, mémoires et voyages de Maximi- 
lien. On verra là, dans tout l'éclat et avec 
tout le charme de son intelligence, ce noble 
et gracieux prince. Je l'ai dû, avec grand 



414 HISTOIRE DES DERNIERS MOIS 

déchirement de cœur, juger sévèrement 
comme homme d'État; mais jamais intel- 
ligence plus ouverte, jamais esprit plus fin 
ne se joignirent à un cœur plus doux, à une 
âme plus généreuse, plus dévouée au bien, 
plus amoureuse de la beauté artistique et 
philosophique. 

Il m'^écrivait, une année avant sa mort : 
« Il est vrai que j 'ai une passion réelle pour 
ces idées libérales qui élèvent Tintelligence 
et dont le triomphe est le plus cher de mes 
vœux. Je leur ai sacrifié mon repos, et j'es- 
père qu'en dédommagement j'aurai mérité 
l'estime des gens de bien, et, ajoutait-il avec 
sa grâce si bienveillante, l'affection des 
cœurs généreux comme le vôtre. » 

Hélas ! hélas ! c'était plus que son repos, 
c'était sa vie qu'il sacrifiait. 

Qui eût pensé alors qu'il entrerait si tôt 
dans l'histoire; que cette affection, deman- 
dée si gracieusement, s'adresserait unique- 



DE L'EMPIRE MEXICAIN. 4i5 

ment à sa mémoire , et ne servirait à rien 
autre qu'à me faire pardonner la chaleur 
que j'ai peut-être montrée pour sa cause et 
rhorreur que je n'ai pu m'empécher d'é- 
prouver pour ses bourreaux ? 



FIN. 



TABLE 



Préface 1 

I. Situation générale 20 

II. Les Français et les Mexicains en Tantomne de 

l'année 1866 31 

III. Portrait de Maximilien. — Hésitations. — Décision 

définitive 44 

IV. Novembre et décembre 1866.— Les cheDs libéraux. 

— Premières escarmouches auprès de Mexico. 67 
V. Janvier 1867. — Querelles de l'empereur et de 

l'état-major français. — Circulaire du maréchal 
Bazaine. — Conférence impériale. — Siège de 
Texcoco. — Campagne de Miramon. — Bataille 

de San-Jacinto 88 

VI. Le parti conservateur et Maximilien. «^ Miramon. 

— Marquez. — Larez. — Les évoques. — Départ 
des Français. — L'armée au Mexique. — Une 
comédie diplomatique 110 

VII. Plan de campagne des généraux de Maximilien. It9 



418 TABLE. 

VIII. Maximilien quitte Mexico pour Queretaro. — In- i 
cidents de la route. — Arrivée à Queretaro. — 
Proclamation. — Description de Queretaro. • 140 

IX. Siège de Queretaro 158 

X. Description de Mexico. — Situation des Français. 
^ .Position difficile de notre ambassadeur. — 
Jugement sur sa conduite. ~ Contre guérilla 

française 185 

XI. Marquez. — Son plan de campagne. — Reddition 

de Puebla, .203 

XII. Retraite. — Héroïques efforts de l'armée impériale. 

— Batailles de San-Diego, de San-Nicolas. — 
Combats de montagnes %[% 

XIII. Siège de Mexico. — La contre-guérilla française. 

— La ville pendant le siège. — Nouvelles de 
Queretaro. — Mouvements de l'armée assié- 
geante 233 

XIV. Queretaro la nuit du 14 mai. — Lopez. — Occu- 

pation de la ville. — Retraite de Tempereur. . 244 

XV. Maximilien an cerro de la Gampana. — Il se rend. 257 

XVI. Continuation du siège de Mexico. — La contre- 

guérilla française à la garita de Belem. — Fa- 
mine. — Révoltes. — Les corps européens. — 

Reddition de la ville 269 

XVII. Jours de prison. -* Récit de l'exécution de Mendez. 

— Gazettes mexicaines iS6 

XVIII. Procès de Fempereur^ de Miramon et de Mejia. — 

Défense de Maximilien écrite par lui-même. . 801 



TABLE. 419 

XIX. Ck)ndaimiation de Maximilien 833 

XX. Exécution de Temperenr^ de Miramon et de Mejia. 350 
XXI. Fin du siège de Mexico. — Reddition de la yille. 

— Capitulation de la contre-guérilla. — Por- 
firio Diaz. — Marcpiez. — Internement des 
Français à Puebla. — Délivrance 374 

XXII. Résumé.— Jugement sur l'expédition du Mexique. 

— Le Mexique et les Mexicains. — La politique 
française 892 

XXIII. Conclusion 411 



PARIS. IIIPR.MBRIB ÉDOUAHD BLOT, RDE TUREKNE, G6 



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